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1733, 06, vol. 1-2
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ARTES
18.17
SCIENTIA
VERITAS
LIBRARY OF THE
UNIVERSITY
OF
MICHIGAN
SEMULIOUS UMUN
TUEBOR
SIQUEERIS
PENINSULAM
-AMENAM
CIRCUMSPICE
1



MERCURE
DE FRANCE ,
DEDIE AV ROT
JUIN. 1733 .
PREMIER VOLUME.
RICOLLICITY
SPARC
Papillu
A PARIS ,
R
GUILLAUME CAVELIER.
ruë S. Jacques,
Chez LA VEUVE PISSOT , Quay de
Conty , à la descente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY, au Palais.
M. DCC . XXXIII.
Avec Approbation & Privilege du Roy.
A VIS.
Mes8
1733
June
v.1.2
L ›
'ADRESSE generale eft à
Monfieur MORE AU Commis an
Mercure vis - à - vis la Comedie Francoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure
, à Paris , peuventfe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très-inflamment , quand on adrefe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
foin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toujours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non -feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , on les Particuliers qui ſouhaiteront
avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau ,
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire porterfur
T'heure à la Pofte , ou aux Meſſageries qu'on
lui indiquera.
BJ

PRIX XXX. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
JUIN. 1733.
PIECES FUGITIVES ;
en Vers et en Prose.
LA GLOIR E.
ODE.
Uelle audacieuse yvresse ,
S'empare de tous mes sens !
J'ose aux sources du Permesse ,
Porter mes pas chancelans .
C'est pour y chanter la Gloire ;
Nobles Filles de Memoire ,
Répondez à mes accords :
I. Vol. A ij Phébus
1046 MERCURE DE FRANCE
Phébus , prête- moi ta Lyre,
La Déesse qui m'inspire ,
Secondera mes transports.
Vils Esclaves de la crainte ,
Fuyez ses vives clartez :
Vos yeux , où la mort est peinte
En seroient épouvantez .
Et vous , fiers Rivaux d'Alcide ,
Qui d'une course rapide ,
La suivez dans les combats ,
Venez , Amans de Bellonne ,
En vous montrant la Couronne ,
J'affermirai votre bras.
Une ardeur noble et constante ,
Vous fait braver les dangers ,
Les Palmes qu'on vous présente ,
Rendent vos fardeaux legers ;
Hâtez- vous ; votre courage ,
Va triompher de la rage ,
De mille ennemiş jaloux.
Que la mort yous environne !
S'il n'est rien qui vous étonne ,
La mort fuira devant vous .
I. Vol.
Mais
JUIN.
1733 1047
Mais que la vertu préside ,
A vos genereux travaux ;
Sans cette fidelle guide ,
Il n'est point de vrai Héros.
Par son intrépide audace ,
En vain Alexandre efface ,
Les plus celebres Guerriers ;
Dans un festin sanguinaire ,
Il se livre à la colere ,
Et fétrit tous ses Lauriers.
Cessons d'effrayer la terre ;
Formons de plus tendres sons ;
Ce n'est pas toujours la guerre ,
Qui fait les illustres Noms.
Protecteurs de l'Innocence ,
Vous , dont la main ne dispense ,
Que graces et que
faveurs ,
Votre triomphe est paisible ;
Mais , plus vif et plus sensible ,
Il captive tous les coeurs.
Je le voy , ce Prince auguste ,
Délices de ses Sujers ;
Peuples , pour un Roy si juste ,
C'est trop peu de vos respects.
I. Vol.
Par
A iij
2048 MERCURE DE FRANCE
Par lui chez vous tout abonde ;
Ainsi qu'aux Maîtres du Monde ,
Qu'on lui dresse des Autels ,
Puisqu'avec eux il partage ,
Le glorieux avantage ,
De rendre heureux les Mortels.

Sur le chemin de la Gloire ,
Qui s'ose encor avancer !
Dans le Temple de Memoire ,
C'est l'Art qui vient se placer :
Quels prodiges il enfante !
Ciel ! par une main sçavante,
L'Univers est reproduit ;
Les traits d'un si noble ouvrage ,
Conserveront d'âge en âge ,
Le Pinceau qui les conduit.
Déja le Marbre se pare ,
De l'éclat de la Beauté ;
Par un Miracle plus rare ,
Mon coeur en est agité.
Celui qui forma ses charmes
Lui-même a rendu les armes ;
Son Marbre a pû l'enflammer.
Dien d'Amour , quelle victoire !
;
* I. Vol.
Pour
JUIN. 1049 1733
Pour t'en assurer la gloire ,
Ta mere va l'animer.
Une nouvelle lumiere ,
S'offre à mes regards surpris ;
Apollon dans la carriere ,
A conduit ses Favoris .
Elle en devient plus brillante ,
Déja leur voix pénetrante ,
A ranimé tous les coeurs.
Je vois dans leurs mains fidelles ,
Les Couronnes immortelles ,
Que l'on destine aux Vainqueurs,
Du Temps , Monstre insatiable ,
Loin de redouter la faulx ,
Contre sa rage implacable,
Ils deffendent les Héros.
Qu'à mes yeux leur gloire est belle !
Un coeur qui brule pour elle ,
Peut y prétendre comme eux ;
Vain espoir où je me livre ,
Hélas ! je ne puis les suivre ,
Que par d'inutiles voeux .
M. P. de Cette , en Languedoc.
I. Vol.
A iiij DISoso
MERCURE DE FRANCE
DISSERTATION sur les Enseignes
Militaires des François . par M. Benetonde-
Perrin , Ecuyer , ancien Gendarme
de la Garde du Roy. Seconde Partie .
A
Près avoir dit dans la premiere Partie
de cet Ouvrage ce qui obligea
les Rois de France à changer de Patron ,
et ce qui fit qu'à leur exemple le Peuple
diminua peu - à - peu sa dévotion a S.Martin
, pour la donner toute entiere à saint
Denis ; remontons présentement aux
temps qui ont précedé ce changement.
Sans entrer dans la fameuse dispute si
S. Denis , premier Evêque de Paris , est
le même que Denis l'Areopagite , converti
par
l'Apôtre S. Paul dans la Ville
d'Athénes , qui de Rome passa dans les
Gaules dès le premier siecle de l'Eglise ,
ou s'il est un autre Denis , qui , avec six
autres saints Missionnaires , ne vinrent dans
les Gaules qu'au temps de Décius ; il est
toujours certain qu'un S. Denis , Evêque,
fut le premier qui annonça aux Parisiens
les veritez de l'Evangile , et qu'il souffrit
le martyre avec deux de ses Compagnons
dans le lieu même où il avoit exercé sa
Mission .
Après
JUIN. 1733. 1051
Après la mort de ce Saint , une femme
vertueuse et riche , nommée Catule ,
devenue , sans doute , Chrétienne par les
´Sermons du Martyr, fit secrettement enlever
son Corps et ceux de ses Compagnons ,
et les fit inhumer tous trois dans un
Champ qui lui appartenoit , et qui à cause
d'elle fut appellé Catolacum , et Catalliacum.
Les Chrétiens , pour ne point oublier
l'endroit qui contenoit les Corps de
ces saints Martyrs , mirent dessus une
marque, ou Montjoye , et aussi tôt qu'ils
furent en liberté de faire quelque Acte
public de leur Religion , ils bâtirent sur
cet endroit une Oratoire ou petite Chapelle
, que sainte Géneviève changea en
Eglise et qui devint bien- tôt un Monastere
, puisque dès l'an 6c0 . sous Clotaire
second , il y avoit déja un Abbé
qui gouvernoit la Communauté Religicu
se de S. Denis .
Le Roy Dagobert fut le premier qui
donna à cette Abbaye de grandes possessions
en terres , et les Successcurs de ce
Prince se firent un mérite d'enrichir extraordinairement
le Monastere de S. Denis
, par de continuelles liberalitez , jusqu'au
temps de Charles le Chauve. Alors
les Normands étant venu aborder ent
Neustrie , et ces Barbares ayant remonté
1. Vol. Ay la
1052 MERCURE DE FRANCE
·
&
la Seine pour ravager les Païs voisins de
cette Riviete , les Religieux de S. Denys
recoururent à la protection des Rois ,
pour la conservation des biens qu'ils renoient
d'eux ; mais les Rois occupez aib
leurs, tant par les Guerres intestines , que
par les ravages que d'autres Normands
faisoient en attaquant le Royaume par
plusieurs endroits , et ne pouvant par
consequent s'engager à deffendre en personne
l'Abbaye de S. Denys ; ils commirent
ce soin aux Comtes du Véxin , qui
étoient leurs plus proches Officiers , et faisant
résidence aux environs de cette Abbaye;
par là plus à portée que tous autres
à veiller à sa deffense. Voilà l'origine et
l'établissement des premiers Avouez ou
Deffenseurs de S. Denys .
Les Comtes de Véxin étoient pour lors
des Officiers Amovibles , comme tous les
autres Comtes du Royaume ; ainsi l'Abbaye
de S.Denys changeoit d'Avoüé toutes
les fois que leVéxin changeoit de Gouverneur.
Cela dura jusqu'au Regne de Charles
le Simple, qui ayant cedé aux Normands
toute la Neustrie , avec une partie du
Véxin ; ceux qui devinrent Comtes de
l'autre partie de ce Païs , demeurée à la
France , s'en rendirent presque aussi-tôr
1. Vol.
SeiJUIN.
1733.
1053
Seigneurs proprietaires , et étendirent la
même propriété sur l'Avoüerie de S. Denys
, rendant ces deux Dignités héréditaires
dans leurs familles .
Les Historiens faute d'avoir mis de la
distinction entre la qualité de Comte et
celle d'Avoüé , ont cru que les derniers
Seigneurs du Véxin étoient Vassaux de
l'Abbaye de S. Denys pour leur Comté ;
ce qui n'est point mon sentiment.
Car si le Comté de Véxin eut relevé de
l'Abbaye de S. Denys , les Religieux auroient
été en droit d'exiger l'hommage
des Ducs de Normandie qui joüissoient
de la moitié de ce Comté; et l'on ne voit
point qu'aucun Prince Normand ait été
citté , ni se soit soumis à cet hommage.
Les premiers Comtes de Véxin n'ont
pas pû le faire; ils dépendoient entierement
des Rois qui n'auroient point souffert
que leurs Officiers allassent faire hommage
d'un Païs dont ils n'étoient que les
gardiens ; permettroit - on presentement
à un Gouverneur de Province ou de Ville
d'aller soumettre son Gouvernement
à une Eglise à laquelle il auroit dévotion ?
il en auroit été de même si les Comtes
de Véxin avoient voulu faire une semblable
démarche.
L'Abbaye de S. Denys n'a eu la Sei-
1. Vol.
A vj gneurie
1054 MERCURE DE FRANCE
gneurie du lieu où elle est scituée que par
la donation que lui en fit le Roy Robert,
l'an 996. En ce temps - là les Rois donnoient
assez aisément les Domaines utiles,
mais rarement les Justices et les Droits
Seigneuriaux ; ils éroient soigneux de se
les conserver ; ainsi il paroît peu croïable
qu'un Monastere qui n'étoit point Seigneur
du lieu où il étoit , pût avoir la Suseraineté
sur un territoire aussi considérable
que le Véxin , Les Rois avoient interêt
de soûtenir le droit de Suseraineté
sur ce territoire entier, parce que s'ils s'étoient
un peu relâchés , cela auroit servi
de prétexte aux Ducs de Normandie
lorsqu'ils furent devenus Rois d'Angleterre
, et les plus redoutables ennemis de
la France , pour soustraire une partie de
leur Domaine à l'hommage qu'ils devoient
à la Couronne , dans la prétention
qu'ils ne l'auroient dû qu'à l'Abbaye
de Saint Denys pour leur part du
Véxin.
,
Nos Rois connoissoient si bien que
leur interêt demandoit l'affoiblissement
des Comtes du Véxin , trop voisins de
Paris , que les derniers possesseurs de ce
Comté , étoient plutôt Comtes dans le
Païs , que Comtes du Païs , tant leur autorité
fut mitigée par les Rois , qui n'ai-
I. Vol. moient
JUIN. 1733 . 1055
moient point d'avoir un Vassal si puissant
à la porte de leur Capitale. Aussi
Philippe I. profita bien tôt de la mort ,
sans enfans , de Simon , surnommé le
Bienheureux , dernier de ces Comtes ,
arrivée l'an 1c88 . pour réünir à son Domaine
le Comté de Véxin , qu'il donna
ensuite à son fils , Loüis , surnommé le
Gros, et qui par ce moyen devint Avoüé
de S. Denys. C'est ce Prince , qui étant
Roy, fit un usage general de la Banniere
de l'Abbaye , dont il avoit l'Avouerie ,
et la fit porter dans toutes les Guerres
d'Etat qu'il entreprit. Après la réunion
du Véxin à la Couronne , la dévotion à
S. Denys devint si grande , que les Rois ,
successeurs de Louis le Gros , se firent
honneur d'être les premiers Avoüez de
l'Eglise de ce Saint.
Ils s'obligerent en cette qualité de
prendre les armes pour en conserver les
droits toutes les fois qu'il en seroit besoin
; et cette obligation leur fit naître
l'idée pieuse de se servir de la Banniere
de ce Monastere , non seulement dans les
occasions où il s'agiroit d'en deffendre les
biens , mais encore dans toutes celles où
il s'agiroit de la deffense de leur propre
Royaume , et d'avoir en cette Banniere
la nrême confiance que leurs Prédeces
1. Vol.
scurs
1056 MERCURE DE FRANCE
seurs avoient eue en celle de S. Martin ,
dont on ne faisoit plus d'usage .
L'Histoire nous a conservé la memoire
de ce qui se passa quand le Roy Louis
le Gros alla à S. Denys , l'an 1124. y lever
l'Oriflamme pour la premiere fois ,
afin de s'en servir dans la Guerre qu'il
alloit avoir contre l'Empereur Henry V.
,
La maniere dont ce Prince parla dans
l'Assemblée qui se tint à cette occasion ,
a donné lieu de croire qu'il y reconnut
n'avoir droit de se servir de la Banniere
de S. Denys , qu'en qualité de Vassal de
l'Abbaye , à cause du Comté de Vexin .
Voicy le discours du Roy , tiré d'une
Patente que Doublet nous a conservée
dans son Histoire de S.Denys. Liv. 3.
Presenti itaque Venerabili Abbate Prefata
Ecclesia Sugerio , quem fidelem et familiarem
optimatum nostrorum Vexillum de
altario beatorum Martyrum , ad quos comitatus
Vilcassini , quem nos ab ipsis infeodem
habemus , spectare dignoscitur , morem
antiquum antecessorum nostrorum servantes
et imitantes , signiferi jure , sicut Comites
Vilcassini soliti erant , suscepimus.
Ces termes qui ont paru décisifs à ceux
qui ont soutenu que le Roi fit alors hommage
du Comté de Vexin, ne me paroissent
pas tels ; cette preuve n'est point in-
I, Vol.
conJUIN.
1733 1057
contestable , selon moi ; la piété du Prince
, et sa grande dévotion à S. Denys , auroient
bien pû lui faire avancer des expressions
un peu fortes , sans distinguer
assez pourquoi les Comtes de Vexin rendoient
hommage ; confondant sa qualité
d'Avoué avec celle de Comte , et les termes
: De more Antecessorum suorum , peuvent
s'entendre que le Roy reconnoît
avoir , signiferi jure , le droit de porter
P'Enseigne de S. Denys , de même que les
Comtes de Vexin l'avoient en qualité
d'Avoüés , et par conséquent de Vassaux
de l'Abbaye en cette qualité.
Enfin , si on ne peut rien rabatre de la
forme des termes de cette reconnoissance
; la cause qui la fit faire ainsi , peut
être attribuée à l'usage où l'on étoit alors,
et qui avoit commencé dans le siecle précedent
, où le Seigneur d'un Fief croioit
faire un Acte de grande piété , en soumettant
volontairemént sa Terre à l'Eglise
d'un Saint , qu'il prenoit pour le:
Protecteur de sa famille.
On rendoit cette soumission , sans prétendre
préjudicier à celle qu'on devoit à
son Seigneur dominant, ce qui faisoit que
ce dernier la permettoit. Les Comtes de
Vexin auroient pû faire un pareil hommage
à S. Denys , sans préjudice de celui
qu'ils devoient aux Rois .
tos8 MERCURE DE FRANCE
Les Seigneurs de la Tour en Auvergne
soumirent leur Fief de la Tour à l'Abbaye
de Clugny , fauf ce qu'ils devoient
aux Comtes d'Auvergne leurs Souverains.
Munier , dans son Histoire d'Authun ;
rapporte les hommages que les Seigneurs
du Fief de Clugny lés - Authun , faisoient
devant l'Autel et la Chasse de S. Symphorien
de cette Ville , quoique ce Fief
de Clugny relevat d'un autre Seigneur.
Louis XI. Roy de France , fit hommage
pour lui et ses Successeurs Rois , du
Comté de Boulogne en Picardie , à Notre
Dame de la même Ville ; et Louis XIII. a
mis sa Couronne sons la protection de la
Sainte Vierge , par un voeu fait à l'Eglise
de Notre Dame de Paris ; toutes ces
soumissions volontaires et l'effet d'une
grande piété , ne tirent point à conséquence
, et ne peuvent point passer pour
de vraies sujettions.
que
Il faut penser la même chose de celle
les Comtes de Vexin devoient à Saint
Denys, et je suis persuadé que ces Comtes
ne la devoient que pour des Terres dépendantes
de l'Abbaye , dont ils jouissoient
en qualité d'Avoüez . En effet
qu'on examine bien la céremonie qui se
faisoit quand nos Rois alloient pren-
I. Vol.
dre
JUIN. 1733.
1059
dre l'Oriflame , on verra que ce n'étoit
qu'un Acte de dévotion qui n'avoit rien
qui sentit l'hommage juridique.
Le Roy après avoir fait sa priere devant
l'Autel sur lequel étoient les Chasses
des Martyrs , prenoit lui - même la Banniere
qui étoit aussi dessus l'Autel , pour
montrer qu'il ne tenoit le droit de la
prendre que de sa puissance , et que la
piété seule , qui l'engageoit à proteger le
Monastere , lui faisoit si fort estimer son
Enseigne, à cause du Saint à qui elle étoit
consacrée, qu'il esperoit par elle attirer la
protection du Ciel sur son Armée. Ensuite
le Roy tenant en main cette Enseigne
la remettoit à un des plus vaillans
Chevaliers de sa Cour , pour la porter en
son nom , pendant l'Expedition qu'on
alloit entreprendre , et ce Seigneur faisoit
serment de la deffendre au peril de
sa vie , et de la rapporter dans le lieu où
il la prenoit.
Je regarde les Porte - Oriflammes
comme les Vidâmes de nos Rois et les
Avoüés particuliers de Saint Denys.
J'ai déja dit que les Rois sont de droit
les Protecteurs et les Grands Avoüés de
toutes les Eglises de leur Royaume ; ils
avoient fait les Comtes d'Anjou et du
Vexin leurs Lieutenans dans celles de S.
I. Vol. Martin
1060 MERCURE DE FRANCE
Martin et de S. Denys , et ils ne firent
exercer ces Lieutenances par d'autres Seigneurs
, que quand la posterité mâle de
ces Comtes eut manqué.
Outre ces Lieutenans d'honneur , les
Grosses Abbayes avoient d'antres Avoüez
d'un plus bas étage pour avoir soin des
biens détachez et éloignez de ces Abbayes.
Ces Avouez particuliers se nommoient
Signiferi Ecclesiarum , Porte- Enseignes
des Eglises.
L'Abbaye de S.Denys en avoit plusieurs
à la fois , comme celui de Berneval en
Normandie , et les Seigneurs de Chevreuse
près Montfort. Ces derniers , l'an
1226 , remirent leur droit d'Avoüérie ,
moyennant une somme d'argent ; il falloit
cependant que par cette vente ils ne
se fussent pas dépouillez tout - à - fait de
l'honneur de contribuer à la deffense de
l'Abbaye de S. Denys , puisque les premiers
Porte Oriflammes connus , étoient
de cette famille , et qu'on n'en trouve
point qui ait exercé cet Ofice avant Anceau
, Sire de Chevreuse , qui perdit l'O
riflamme et la vie à la Bataille de Monsen
- Puelle , l'an 1304.
Chacun de ces Avoüez particuliers
avoit son Enseigne , comme cela se prouve
par le nom qu'on leur donnoit de
I. Vol. SiJUIN.
1733 1061
Signiferi Ecclesiarum ; ainsi l'Abbaye de
S. Denys ayant plusieurs Avoüez , devoit
avoir plusieurs Bannieres , qui toutes auroient
pû s'appeller Oriflammes , puisqu'elles
avoient toutes la même forme ,
par la raison que je vais dire ; cependant
on ne donna ce nom qu'à la principale ,
qui restoit dans l'Abbaye , et que l'on
regardoit proprement comme appartenante
aux Martyrs.
Toutes les Bannieres des Eglises dédiées
à des Saints de ce genre , étoient
rouges et frangées, de synope ou de verts
l'une de ces couleurs désignant les souffrances,
et l'autre l'esperance qui animoit
ces Saints en répandant leur sang pour
Jesus-Christ.
L'Eglise de Brioude en France , dédiée
à S. Julien Martyr, celles de Tubnigen
et de Bolbingen en Allemagne , de même
qu'une infinité d'autres Eglises qu'on me
dispensera de nommer , avoient de semblables
Bannieres ; l'Etendart des Dauphins
de Viennois étoit rouge , avec un
S. George representé dessus ; il servoit à
l'inauguration de chaque Dauphin . Après
qu'on avoit mis au nouveau Prince l'Epée
au côté , et l'Anneau au doigt , il
prenoit d'une main le Sceptre , et de
l'autre cet Etendart , qui après la cere-
1. Vol.
monie
1062 MERCURE DE FRANCE
monie étoit remis dans la Sacristie de l'Eglise
de S.André de Grenoble où il restoit
toujours en dépôt , comme l'ont remarqué
Jean Beneton , mon grand oncle , et
M. de Valbonnais dans leurs Mémoires
du Dauphiné.
Plusieurs Seigneurs qui se trouverent
Avoüez des Eglises lorsque l'on commençi
à prendre des Armoiries , s'en firent
avec les Bannieres qu'ils avoient droit de
porter ; telle est l'origine des Armes des
Comtes d'Auverge , des Seigneurs de Clin
champ en Normandie , et des Comtes de
Verdemberg en Allemagne . Ces trois
exemples suffiront pour prouver ce que
j'avance.
Le reste paroitra dans le Mercure pro¬
chain.
XX:XXXXXXXX :XXXXX
D
STANCES.
Epuis qu'à votre Amant vous daignâtes
apprendre ',
Qu'il pouvoit se flatter du bonheur d'être aimé,
Quoique' brûlant déja de l'ardeur la plus tendre,
Mon coeur , belle Philis , en fut plus enflammé.
1. Vol. Que
JUIN. 1733. 1063
de Que de Graces alors vous rendoient adorable !
Que de nouveaux attraits ! d'Eclat !
que
feux !
que
Depuis cet heureux jour , vous êtes plus aimable
;
Depuis cet heureux jour , je suis plus amoureux.
La Déesse d'Amour , étale moins de charmes ,
Quand on voit s'empresser les graces sur ses
pas ,
Ou que Mars à ses pieds vient déposer ses Armes
,
Pour cueillir sur ses lys , le prix de ses combats,
Mon coeur est désormais exempt d'inquié
tude ;
Aucun soupçon jaloux ne trouble mon repos ;
Je cherche quelquefois encor la solitude ;
Mais c'est pour annoncer mon bonheur aux
Echos,
A tous ces maux affreux , qu'Amour traîne à sa
suite ,
Dans mon coeur étonné d'un si doux change
ment ,
Succede sans douleur une flamme subite ;
Et le plaisir tout seul est fait pour votre Amant,
Qüi , graces à Phillis , plein d'une vive joïe ,
1. Vol Je
1064 MERCURE DE FRANCE
Je ne sentirai plus que le plaisir d'amour ,
Mon coeur
proye ,
à ses tourmens ne fut que trop en
Mais ils en sont enfin exilez sans retour.
***** **:*:*******
ECLAIRCISSEMENT au sujet de
deux Theses de Medecine.Extrait d'une
Lettre , du 11 Mars 1733 .
J
E ne doute point que vous ne receviez
favorablement les Eclaircissemens
que je vous envoye , et qu'on semble
demander dans le Journal des Sçavans
, du mois de Février dernier. Il s'agit
d'une Question de Medecine.
Tout ce qui regarde cet Art est de consequence
, sur tout dans les points de
pratique. Dans le Journal on trouve deux
Théses , soutenues dans les Ecoles de Médecine
de Paris sur le Kermès Mineral ;
quoiqu'on les ait mises en parallele, nous
répondrons simplement à ce que la seconde
peut avoir d'obscur. A l'égard de
la premiere nous ne cherchons point à la
détruire. La nôtre n'a point été faite contr'elle
, on ne doit point être surpris de la
diversité de la conclusion. Les principes
ne sont point les mêmes.
I.Vtl. La
JUIN. 1733. 1065
La premiere , conseille le Kermès dans
les inflammations , parce que le Kermès
est Analogue , c'est - à - dire , a du rapport
avec l'humeur vitiée dans l'inflammation.
La nôtre le deffend , parce qu'il augmente
l'inflammation , poussant le sang
dans les vaisseaux Capillaires et Limphatiques
; Source unique des Inflammations
.
le
Mais on nous demande deux choses
la premiere est ,que puisque nous accor
dons que le Kermès atténue la Limphe ,
nous devrions l'employer , parce que la
Limphe attenuée et divisée peut agir
sur le sang , embarassé et poussé dans les
petits vaisseaux. Nous convenons que
Kermès atténue la Limphe , et que l'atténuer
c'est la mettte en état de dégluer et
débarrasser le sang ; mais comment le
Kermès atténue- t- il la Limphe d'une maniere
bien opposée à nos vûës ; il l'atténuë
comme sudorifique , il l'allume , il
l'embrase , il la met en fureur ; la Limphe
armée des parties sulphureuses er inflammables
du Kermès , donne au sang
une vivacité , une ardeur plus capable
d'augmenter l'embarras que de le diminuer
; il faut calmer , ne rien exciter ,
brider le mal , ne le point irriter , le Kermès
convient- il ?
1. Vol. Le
1c65 MERCURE DE FRANCE
Le second éclaircissement qu'on paroît
attendre de nous , est sur l'exemple dont
nous avons voulu fortifier notre These.
Nous proposons un cas où nous faisons
beaucoup briller les succès du Kermès ;
cet exemple paroît être une inflammation.
Il est vrai que c'est par où la maladie
a commencé ; mais le septième toute
la maladie change de face ; il y avoit
avant cela grande douleur de côté , fiévre
aiguë , crachement de sang .

Le poux dans le septiéme ne se sent
plus , l'expectoration ne se fait point , le
ventre se boursoufle ; sont- ce là les signes
de l'inflammation ? ou plutôt , n'est - ce
pas là une Métastase , c'est - à - dire , un
transport de l'humeur de la maladie dans
un autre ? Dans cet état il faut reveiller
ranimer ; on donne le Kerinès , nous en
attendons de grands succès, nous ne sommes
point trompez ; prouver qu'il convient
dans ce cas où il n'y a ni poux , ni
force , ni douleur de côté , &c. certainement
c'est prouver qu'il ne convient
point du tout dans les inflammations ;
l'expérience nous est donc fávorable¸
car nous ne sommes point du tout d'avis
de bannir le Kermès de la Medecine ,
soit parce que , comme quelques uns ont
dit , c'est un Remede nouveau , ou parce
I. Vol qu'il
JUIN. 1733
1067
qu'il a fait fortune par le moïen d'un
Frere Chartreux. Nous applaudissons à
son entrée dans la Médecine , pourvû
qu'il convienne quelquefois. Un Médecin
ne méprise rien , tout lui plaît , tout
lui sert dans l'unique but qu'il a de guérir
; nous n'avons que voulu faire voir
les cas où le Kermès ne convenoit pas ,
et ceux où il convenoit en general , pour
montrer aux jeunes Médecins de Province
à ne se point trop laisser entraîner par
le bruit des Conquêtes que l'on attribue
au Kermès minéral.
LA VIE DE L'HOMME.
O
O D E.
U suis-je ? quelle est la lumiére ,
Qui vient frapper mes yeux surpris ?
O ciel ! quelle vaste carriere !
Où vont s'égarer mes esprits !
Quel amas confus de merveilles !
Que de cris frapent mes oreilles !
Quel est ce superbe appareil ?
C'est la vie où tout est mensonge ,
Et qui n'est dans le fond qu'un songe ,
Dont la mort seule est le réveil-
1.Vol. B Ainsi
1068 MERCURE DE FRANCE
Ainsi dans la plus tendre enfance ,
Tout nous ravit , tout nous surprend ;
Ensevelis dans l'ignorance
L'Etre pour nous est le néant,
Une clarté qui luit à peine ,
De notre ame encore incertaine ‚ '
Eclaire les timides pas ;
Mais bien-tôt ce Printemps s'envole ,
Sur l'aîle des Sujets d'Eole ,
Et nous livre à mille combats.
Les passions dans la jeunesse ,
Sont les idoles de nos coeurs ;
Plongés dans leur coupable yvresse ,
Ils n'encensent que leurs erreurs.
Envain la raison se presente ,
Pour sauver notre ame flotante
Sur cette Mer d'égarements ,
Envain elle crie et murmure
La seule voix de la nature ,
?
Regle nos divers mouvements.
M
Dans un écueil non moins à craindre ,
L'âge mur bien- tôt nous conduit ;
Sans cesse nous voulons atteindre ,
Tout ce qui plaît , tout ce qui luit,
1. Vol. Richesse
JUIN
1733. 1069
Richesses , honneurs , rang.suprême ;
Il n'est rien jusqu'au diadême ,
Où nous n'élevions nos projets ,
Ne vivant que dans l'espérance ,
Et méprisant la joüissance ,
De tout ce qui fit nos souhaits .
Mais je vois déja la vieillesse ,
Qui vient arrêter nos désirs ,
Tout la chagrine , tout la blesse ,
Ambition , tendres plaisirs.
Le seul soin d'amasser l'agite
Et telle qu'une Israëlite ,
Elle n'idolâtre que l'or ;
Dans le tems qu'un instant funeste ,
Va lui ravir le triste reste
De sa vie avec son trésor.
Dans peu notre foible machine ,
En proïe à mille maux divers ,
Avant- coureurs de sa ruine ,
Eprouve de nouveaux revers.
Chaque instant enfante un supplice ;
Ce n'est plus que par artifice ,
Qu'existe notre corps perclus ;
Ou notre ame triste , éplorée ,
Aux remords sans cesse livrée ,
I. Vol.
Bij Trem1070
MERCURE DE FRANCE
"
Tremble d'être , et de n'être plus.

De parens un essain avide ,
Noyé dans des pleurs empruntés ,
N'attend que l'instant homicide ,
Pour s'arroger nos facultés .
Une voix de cruel présage ,
Vient nous annoncer le voïage
De la terrible éternité ;
Alors le passé nous dévore ,
Et le présent n'est qu'une aurore ,
Dont l'avenir est sans clarté.
De l'Univers la meurtriere
Enfin se présente à nos yeux ,
Soudain notre foible paupiere ,
Se ferme à son aspect hideux.
Les jours du Berger , du Monarque ,
Pour elle n'ont aucune marque :
Elle, les moissonne sans choix ,
Soumettons - nous à şa puissance ,
Tout ce qui reçoit la naissance ,
Est sujet à ses dures Loix.
Par M. de S. R.
1.Vol
LET'S
JUIN. 1733. 1077
LETTRE de M.... écrite à M. de
.... Commandeur de l'Ordre de Saint
Jean de Jerusalem , au sujet d'un Livre
nouveau , intitulé : La Vie de Messire
François Picquet , &c.
V
Ous avez vû , MONSIEUR , Sur
la fin de ma derniere Lettre , la ré- ·
solution prise par notre pieux Conseil,de
quitter la Ville d'Alep pour repasser en
France , frappé de la disgrace du Pacha
Mortasa son ami ,et craignant même pour
sa propre personne, quelque coup de trahison
, comme une suite de la catastrophe
de ce Pacha. Des motifs de Religion
lui firent differer de deux ans l'exécution
de son dessein.
·
Cet espace fournit des Evenemens ex-.
traordinaires , et qui sont détaillez au
long dans cette Histoire; d'un côté , la tirannie
des Gouverneurs donne lieu à
de cruelles persécutions à l'égard des
Chrétiens, et de l'autre on voit de grands
exemples de patience et de Religion de
la part de ceux- ci, dont quelques- uns terminent
glorieusement leur course, par
l'effusion de leur sang. Par touton voit
I. Vol. Bij le
1072 MERCURE DE FRANCE
le zéle et la piété de M. Picquet se signaler
en faveur de la Religion et du Christianisme
persécuté.
t
C'est à peu près dans ce même temps
que notre Consul , toujours disposé à favoriser
la Religion et ses Ministres , jusqu'à
loger dans sa Maison tous les Missionnaires
qui passoient par Alep , se fit
un devoir particulier d'y recevoir deux
grands Evêques , que Dieu , dit l'Historien
, a donné dans ces derniers temps à
son Eglise , pour animer les Ouvriers
Evangeliques à pénétrer , à leurexemple ,
dans les Régions les plus reculées de l'Orient
, afin d'y annoncer Jesus- Christ aux
Nations Infideles ; sçavoir,M . de la Motte-
Lambert , Evêque de Beryte , et M. Ignace
Cotolendi , Evêque de Metellopolis ;
dont le premier a travaillé avec tant de
zele aux Missions des Royaumes de Siam
et de la Cochinchine ; et le dernier reçut
au milieu de sa course , la couronne qu'il
alloit chercher dans le vaste Empire de
la Chine , pour lequel le S. Siége l'avoit
destiné .
M. Picquet en logeant chez lui tous
ces différens Ouvriers de la vigne . du Seigneur
, et en leur procurant toutes les facilitez
qui dépendoient de son autorité ,
les regaro it comme autant d'Apôtres ,
I. Vol.
qui
JUIN. 1733-
1073
qui alloient dissiper les ténébres de-l'infidélité
du Schisme et de l'Hérésie , répandues
dans l'Orient , pour l'éclairer des lu◄
mieres de l'Evangile. Mais qui eût pensé
alors , s'écrie icy l'Auteur , qu'il dût un
jour être lui- même du nombre de ces Ouvriers
Evangeliques, et que Dieu ne l'eut
envoïé dans le Levant , que pour y animer
son zéle à la vûë de ces Eglises Orientales
, et que pour le préparer, pour ainsi
dire , et le former , par une expérience
avancée , aux sentimens et à la vie des
Apôtres ?
C'est cependant tout ce qui arriva fort
peu de temps après à M. Picquet par les
dispositions particulieres de la Providen
ce qui l'avoit destiné au service de l'E
glise ; et tout cela de la maniere qu'il
est rapporté assez au long dans cette
Histoire , mais qu'il est impossible de
suivre dans une Lettre. Je me contenterai
des principales circonstances
dont la premiere est que notre Religieux
Consul reçut la Tonsure Cléricale à Alep
même , le 10 Décembre 1660. des mains
de l'Archevêque André des Syriens, dans
l'Eglise des Carmes Déchaux de la même
Ville. Ce Prélat fit son éloge en ces termes,
dans les Lettres de Cléricature qu'il
lui fit expédier.
I.Vol. Biiij FRAN1074
MERCURE DE FRANCE
FRANCISCUS PICQUET , &c. qui imitator
Joannis in castitate ejus , Elia in zelo ejus ,
et Joannis Eleemosynarii in liberalitate ejus ,
suscepit de manibus nostris indignis .
primam Tonsuram.
...
Sur le point de partir d'Alep pour se
rendre à Rome , après s'être épuisé en aumônes
, à l'occasion de la famine et de la
contagion qui affligerent la Syrie en
1661.Il eut la consolation de voir abjurer .
⚫le Schisme et l'Hérésie au Patriarche des
Grecs, Macaire , qui déclara , touché par
de si grands exemples de charité , que
l'Eglise Romaine étoit la seule véritable.
Cette déclaration fut faite en prêchant
dans son Eglise , en présence du Consul ,
des Missionnaires et de tout le Peuple ,
après la célébration des saints Mysteres.
réünir
De plus , le même Prélat remit à l'Illustre
Consul une Lettre pour le Pape ,
dans laquelle il le reconnoissoit pour le
Chef de l'Eglise Catholique , et promettoit
de faire tout son possible pour
toute sa Nation au S. Siége. Cette Lettre
fut souscrite non- seulement du Patriarche
des Grecs , mais encore de celui des
Arméniens , nommé Cachadour, et non pas
Caladour. Cette correction est de M. le
Chevalier Maunier d'Alep , et d'André
qui l'étoit des Syriens.
1. Vol.
Ce
JUIN. 1733. 1075
Ce dernier écrivit en particulier une
Lettre à la Congrégation de la Propagande
, au sujet de M. Picquet , toute remplie
de ses grandes qualitez , et des services
importans rendus à l'Eglise et à la
Religion durant son Consulat . Cette Lettre
est rapportée presqu'en son entier .
Cependant M. Baron qui fut son successeur
, étoit arrivé à Alep depuis plus
d'un an , en compagnie de M. l'Evêque
de Béryte . Comme vous vous interessez
à sa mémoire et encore plus à la vérité , je
me fais un devoir , Monsieur , d'inserer
icy ce que notre Historien a écrit au sujet
de ce digne successeur .
» Il avoit travaillé long- temps aupara-
» vant , dit-il , en parlant de M. Picquet,
>> à se choisir un successeur qui fut en.
» état de soutenir ce qu'il avoit si - heu-
» reusement commencé , et qui sçut s'ap-
» pliquer à l'avancement de la Religion
» et au soulagement des pauvres , sans
négliger les devoirs de sa charge. C'est
» M. François Baron , Marseillois , sur
» qui notre Consul avoit jetté les yeux ..
» Il étoit vertueux et intelligent , deux
qualitez essentielles pour accomplir les
desseins de M. Picquet.
"
Il y a tout lieu de croire que cet Endroit
des Mémoires sur lesquels notre
I. Vol.
Au- B v
1076 MERCURE DE FRANCE
'Auteur a travaillé n'est pas tout à fait
- -
exact , mais ce n'est pas icy le lieu de
l'examiner et de rétablir , s'il est possible ,
la vérité des faits au sujet de M. Baron .
Comme il est encore parlé de cet illustre
Consul , et pour la derniere fois , dans le
second Livre de cetre Histoire , je ne
manquerai pas , en vous rendant compte
de ce Livre , de m'arrêter sur ce sujet autant
qu'il sera necessaire , pour vous
donner les éclaircissemens que vous attendez
de moi .
Notre Historien continue dans le même
endroit , de parler de M. Baron , qui ,
comme on vient de le voir , étoit arrivé
à Alep long- temps avant le départ de
M. Picquet.
» Dans cet intervalle , dit-il , le serviteur
de Dieu lui donna toutes les ins-
» tructions qu'il jugea nécessaires pour
>> achever le grand Ouvrage auquel il
» avoit travaillé jusqu'alors avec tant de
» succès ; et les exemples rares de toutes
les vertus que M. Baron admira à loisir,
» lui apprirent à se regler autant qu'il
pourroit sur ce parfait modele. Il l'imi-
» ta de si près , que M. Pallu , Evêque
» d'Heliopolis , qu'il reçut avec la même
générosité , dont M. Picquet avoit usé
envers les autres Prélats Apostoliques ,'
1.Vol.
yas
JUIN 1733. 1077
» assure dans une Lettre , qu'il écrivit à
» la Congrégation , qu'il étoit un autre luimême
, non seulement par son emploi , mais
encore par sa rare piété et son . zele pour la
Propagation de la Foy, et par son inviolable
et respectueux attachement au S. Siége.
M. Picquet partit enfin d'Alep , et
s'embarqua à Alexandrette au commen-
-cement de l'année 1662. et après une Navigation
, traversée de plusieurs accidens ,
il arriva heureusement à Malte , d'où il
passa à Naples , et se rendit enfin à Romeau
commencement du mois de Mars,
Epoque qui termine le premier Livre de
l'Histoire de sa vie : le second Livre fera
le sujet de ma premiere Lettre. Je suis ,
Monsieur , votre , & c.
XXXXX:XX:XXX :XXXXX
IMITATION de la Fable Latinė
qui a pour titre , Cæna insperata , inserée
dans le Mercure de Novembre .
UN pecheur sur les bords d'une Rive profonde
,
Qui dans les eaux à jeun cherchoit un bon repas,
L'autre jour préparoit aux Hahitans de l'Onde ,
Sous des mets imposteurs un funeste trépas ;
Mais en vain ; ce jour - là la Nation muette
I. Vol B vj Voit
7078 MERCURE DE FRANCE
Voit le danger caché sous ces mets délicats ,
Et fait une sage retraite ;
Le Goujon même n'y mord pas.
Que faire ! il se retire , il fuit des bords ingrats ;
Mais vuide à son taudis , tandis qu'il s'achemine ,
Et que d'autres moyens en soi-même il rumine ,
Il entend dans les Airs un terrible fracas .
Une Gruë avoit fait ce qu'il n'avoit pû faire ,
Et sa Troupe comme elle avide et sanguinaire ,
Pour avoir son butin lui livroit cent combats .
Notre Pêcheur alloit à coups de pierre ,
Terminer soudain cette guerre ,
Quand à ses pieds par un merveilleux cas ,
Choit un Poisson , sujet de ses débats.
Fortune , c'est-là ton ouvrage ,
Un Pêcheur , quand tu veux , cherche en vain
dans les Mers ,
Un Poisson que sans peine il trouve dans les Airs.
L'inconstance est ton apanage ,
Et le caprice te conduit ;
Te plairas tu toujours , volage ,
A fuir qui te cherche , à chercher qui te fuit ?
De Montpellier.
I. Vol.
RéJUI
N.
1733.
1679
REFLEXIONS.
L'érieusement sur eux - mêmes ? Ils ont
beau s'étourdir par la
sensualité et par
la délicatesse poussée à l'excès , courir de
plaisirs en plaisirs , donner tout ce qu'ils
ont
d'attention aux voluptez des sens ,
s'ébloüir à la vûë de la pompe qui les
environne et de l'éclat de leur fortune ,
ne faire aucun compte ni des fatigues
ni du sang des autres hommes , n'être
point compatissans
à leurs souffrances ,
les faire servir à leurs fins et les sacri
fier à leurs interêts , comme s'ils étoient
des Etres d'une espece differente et toute
inferieure et nez pour s'user à leur service
; les laisser accablez de besoins , pendant
qu'ils s'accablent eux - mêmes de suerflus
; une voix secrette se fait entenre
chez eux et malgré eux , et les avertit
sans cesse qu'ils sont fort éloignez de
l'état où ils devroient être.
Es Grands ne réfléchiront -ils jamais
Le
mauvais.exemple enseigne le mal
à ceux qui l'ignorent , et le persuade à
ceux qui en ont naturellement horreur ;
I. Vol.
ensorte
1080 MERCURE DE FRANCE
ensorte qu'on a souvent honte d'être in
nocent parmi les coupables .
Les exemples des Princes sont comme
des Edits qui se publient sans Hérauts ,
et ausquels on obéït sans attendre des
Commissaires , ni des Lettres Patentes.
L'inclination a souvent peu de
·
part aux
choses
qu'on fait par crainte
, par res- pect humain
, ou seulement
parce qu'on les voit faire.
Les mesures que prennent les usurpa
teurs , pour assurer leurs possessions à.
leurs descendans , ne prévalent pas d'ordinaire
à l'exemple qu'ils ont donné.
Le mauvais exemple excite plus à faire
le mal , que le bon à faire le bien , parce
qu'il a notre inclination naturelle de son
côté.
Il faut tout voir , car plus les yeux ont
vu , plus la raison est en état de voir
elle- même.
Les exemples du temps passé nous
touchent
incomparablement plus que
ceux de notre siecle. On s'accoûtume
1. Vol. insenJUIN.
1733. 1033
insensiblement à tout ce qu'on voit , et
selon le Cardinal de Retz , on peut raisonnablement
douter que le Consulat du
Cheval de Caligula , nous eût si extraordinairement
surpris , si cet évenement
s'étoit passé de nos jours.
L'experience , mais l'experience exacte
et bien faite , est toujours l'écueil des
vieux préjugez.
Bien que la punition ne semble marcher
qu'à pas lents , on voit rarement
qu'elle manque de tomber sur les coupables
, quoiqu'ils paroissent aller plus .
vîte qu'elle.
Rarò antecedentem scele stum
Deseruit pede poena claudo .
Il faut punir le méchant , de crainte
d'en être puni.
Il est dangereux de pardonner certains
crimes ; la justice est interessée à ce qu'on
punisse exemplairement , pour faire respecter
le Souverain dans ceux dont il se
sert pour gouverner ses Peuples.
C'est nuire aux bons , que de pardonner
aux méchans. Bonis nocet quisquis
pepercerit malis.
I. Vol. Dans
1082 MERCURE DE FRANCE
Dans les châtimens dont on punit les
méchants , on a moins dessein de les faire
périr et d'augmenter leurs souffrances ,
que de retenir les esprits pervers par
la
crainte du supplice. Supplicium de iis sumendum
non tam ut ipsi pereant , quàm
ut alios pereundo deterreant. Seneque .
Pour punir les hommes , Dieu n'a souvent
besoin que de leurs propres passions.
On doit presque également punir un
General victorieux , qui ne profite pas
de sa victoire , et un General négligent
qui se laisse surprendre.
On ne devient pas tout d'un coup très
criminel , mais défiez- vous de la plus
petite faute , car elle peut être le premier
degré pour vous conduire aux plus
grands desordres . Nemo repente fuit turpissimus.
Une faute en attire souvent plusieurs ,
et la distance qui est entre la vertu et
le vice , n'est quelquefois que le chemin
peu de jours . de
Q
On doit plaindre par pitié et blâmer
par raison , ceux qui sont malheureux
1
par leur faute.
JUIN. 1733. 1083
On n'est pas sot pour faire une sottise,
puisque le sage même est sujet à faire des
fautes ; mais c'est être sot que de ne pas
sçavoir cacher ses sottises et de vouloir
les excuser.
Il est d'un plus grand homme de sçavoir
avoüer sa faute , que de sçavoir ne
la pas faire.
Il n'y a rien qui fasse agir plus efficacement
les honnêtes gens qui ont fait
quelques fautes, que le desir ardent qu'ils
ont de les réparer et de les faire oublier
par de bons procedez.
La source la plus ordinaire du manquement
des hommes , est qu'ils s'effrayent
trop du présent et qu'ils ne s'effrayent
pas assez de l'avenir.
C'est un rare talent que celui d'éviter
jusqu'aux plus petites fautes . Je ne sçai
si celui d'avouer ingénument celles que
l'on fait , est en certain cas de beaucoup
inferieur.
Le colpé presenti invalidano le scuse
passate. Per una volta si puo esser
cativo e mantenersi l'opinione di buono :
1, Vol.
la
1084 MERCURE DE FRANCE
la replicatione deglatti vitiosi facredere
che nascono dalla mala natura degli ho...
mini , è non dalle necessita delle occa
sione.
Il divider da un huomo la dominatione
, è cosa molto più spaventevole , che
la separatione dell'anima dal corpo.
Levare il Regno , è lasciar vivo il Re
è una crudela pieta.
Un Pirate disoit à Alexandre , parce
que je ravage la Mer avec une Barque on
m'appelle voleur ; et parce que vous le
faites avec une grandé Flotte on vous
appelle Roy.
:
Les hommes veulent être esclaves quelque
part , et puiser là de quoi dominer
ailleurs en effet , ils rampent et sentent
durement le poids de ceux qui peuvent
servir à leur élévation , mais ils le rendent
bien à leurs inférieurs. On se forme
ainsi à l'hypocrisie et à l'inhumanité , et
on passe sa vie à souffrir et à faire souffrir.
Il mestiere di comandare è cosi piace
vole , è gustoso , che non mi stanche-
I.Vol. rei
JUIN. 1733. 1085
rei mai di farmi obedire , disoit un Italien.
Il est très-naturel à ceux qui ont dans
l'esprit quelque impression dominante ,
d'y faire venir toutes leurs autres pen
sées.
Ce qui plaît au Prince tient lieu de
loy, parce que par la Loy Royale qui
l'a établi , le peuple a transferé et mis en
sa personne toute l'autorité , la volonté
et le pouvoir qu'il avoit.
On n'est pas digne de commander , si
on n'est meilleur que ceux à qui on commande.
Il arrive rarement de conserver son au
torité et son crédit autant que sa vie.
Le valet scelerat est quelquefois un
mauvais indice contre le Maître .
Aucune servitude n'est plus honteuse
que d'être valet d'un valet ; c'est cependant
le sort de la plupart des Grands , રે
qui il arrive de se laisser gouverner par
quelques Domestiques.
1. Vol. Le
1086 MERCURE DE FRANCE
Le changement de nos affections vient
souvent de celui de notre tempéramment
, dont il entre toujours quelque
chose dans les desseins les plus concertez.
,
On ne doit pas croire qu'une chose
est à soi , quand elle peut changer de
maître , dit Publius Syrus , Nil proprium
cas quod mutarier potest.
C'est particulierement l'instabilité qui
produit l'ingratitude , parce que l'avidité
qu'on a pour les biens qu'on ne possede
pas , fait compter pour rien ceux qu'on
possede.
Parmi la plûpart des hommes , le goût
'des meilleures choses change ayant qu'el
les ayent changé.
Il est aussi ordinaire à l'homme de
s'affliger du mal , que de se lasser du
bien .
La Coûtume est la maîtresse des Usages
, c'est elle qui fait qu'ils choquent ,
ou qu'ils ne choquent point.
Toutes les choses du monde , sans en
I. Vol. exJUI
N.
1087 •
1733 .
excepter aucunes , sont sujettes à diverses
révolutions qui les rendent fort estimées
en un tems , puis méprisées et ridicules
en l'autre , font monter aujourd'hui
ce qui doit tomber demain , et tourner
ainsi perpétuellement cette grande rouë
des siècles , qui fait paroître , mourir et
renaître chacun à son tour sur le Théatre
du monde. Les Sciences , les Empires
les Opinions , le Monde même n'est pas.
exempt de cette vicissitude.
Usque adeò in rebus solidi nihil esse videtur
!
Ordinairement la confiance fournit
plus à la conversation que l'esprit.
L'entretien sert de nourriture à l'ame,
rend le coeur content , réveille les esprits
, endort les peines , applanit les
chemins et les accourcit , et par une excellence
encore plus particuliere , met
poz ainsi dire , à cheval ceux qui sont à
pied.
Dans la conversation on ne doit point
tant affecter de bien dire et de bien pencomme
de faire bien dire , et bien
ser ,
penser
aux
autres
; car
nous
sommes
tou-
I. Vol, jours
1088 MERCURE DE FRANCE
jours très- agréables à ceux à qui nous
donnons occasion de l'être.
Un esprit médiocre qui parle juste et à
propos , plait davantage dans la conversation,
qu'un esprit sublime qui ne cherche
qu'à briller , et qui dit des choses.
extraordinaires , et seulement propres à
te faire admirer.
Il est bien difficile d'être toujours
agréable dans l'entretien sans être un
peu bouffon : et il est encore plus difficile
de soutenir ce dernier caractere sans
être souvent plat. C'est l'Etude qui augmente
les talens de la nature , mais c'est
la conversation qui les met en oeuvre.
La conversation est le grand Livre du
Monde , qui apprend l'usage des autres
Livres sans elle la Science est sauvage
et sans agrément.
L'usage de l'esprit de l'homme se fait
particulierement sentir dans la conversation
, parce qu'il s'y trouve obligé de
répondre juste et de parler juste. Dans le
Cabinet , l'esprit raisonne sans contrainte
, comme il veut , et sur ce qu'il veut ;
il ne trouve personne qui lui contredise :
I. Vol.
dans
JUIN. 1733. 1089:
dans la conversation , il doit être prêt à
raisonner sur tout , et à soutenir ses rai
sonnemens contre tous .
Ordinairement dans la conversation
les uns sont fort di straits , et les autres
ont une attention si importune , qu'au
moindre mot qui échappe , ils le releyent
, badinant autour , y trouvent un
mistere que les autres n'y voyent pas , et
y cherchent de la finesse et de la subti
lité , seulement pour avoir occasion de
placer la leur.
L'AMITIE .
O D E.
A M. Thomazon de Sens
Toi , qui prends naissance en nos ames
Par de sympathiques accords ,
Tendre Amitié , tes douces flammes
M'inspirent d'aimables transports .
Tes attraits enchantent ma Muse ,
Ma bouche même se refuse
A d'autre éloge que le tien ;
Oui , sans toi , rien ne m'interesse ;
I. Vol.

1050 MERCURE DE FRANCE
Tu fais seule mon allegresse ;
Sans toi le reste ne m'est rien.
Enfant , qui te nourris de crimes ,
Garde- toi de suivre mes pas ;
Cherche ailleurs d'illustres Victimes
Que séduisent tes vains appas ;
Vas loin d'ici , Dieu de Cythere
Cacher dans l'ombre du mystere. ,
Tes séductions , tes forfaits ;
Où s'égare en voulant te suivre ,
L'Amitié seule nous fait vivre
Au rang des Mortels satisfaits.
M
La raison en tous lieux la guide ,
Et la sincerité la suit :
Elle arrache au flatçur perfide
Un coeur simple qu'il a séduit.
Souvent sans elle l'innocence
Succomberoit à la licence ,
Que voile un discours enchanteur ;
A l'aide d'un flambeau propice
Elle sauve du précipice
Ceux qu'abuse un calme imposteur.
Elle sçait charmer la tristesse ,
I. Vol.
Ec
J U´I ÑЛ 1733 . 1091
Et rend les plaisirs plus charmants
Une aimable délicatesse
Assaisonne ses agrémens.
Un bon heur que le Ciel m'envoye ,
M'inspire une secrete joye ,
Cher amï, vien la partager ;
Peut-être un revers de fortune
T'attirant ma plainte importune
D'autres soins viendront te charger.
I
3
La foudre gronde sur ma tête ;
Mais je ne crains rien pour mes jours s
Quelqu'un s'expose à la tempête
Pour me donner un prompt secours ;
Je te vois ( ami charitable )
Me tendre une main favorable
Je l'accepte avec devouement ;
Et d'avance mon coeur te jure
Dans une aussi triste avanture
Un aussi grand empressement.
Auteurs des plus cruels suplices,
Tyrans , seriez- vous sans pitié ,
Si vous connoissiez les délices
Que sçait procurer l'amitié :
Au pouvoir que le Ciel vous donne
1. Vol.
52 :
C Lors
10 MERCURE DE FRANCE
}
Lorsque notre corps s'abandonné
Le coeur ne vous est point soumis :
Ah ! voulez- vous sur ces coeurs même
Exercer un pouvoir suprême , modiolad
Faites de nous autant d'amis, 15
L'Amitié sert à tous les âges
Aux personnes de tous états ;
Elle offre de grands avantages
Aux Sujets comme aux Potentats.
Dieux qui réglez les destinées ,
Veuillez abréger mes années ,
Et que votre bras , par pitié
Au coup de la Parque, me livre ,
Si quelque jour il me faut vivre
Sans les douceurs de l'amitié.
1
Ce
Et toi pour qui son feu m'inspire
que tu viens de lire ici ,
Pour celui qui sçut te l'écrire ;
Que l'amitié t'inspire aussi :
En peignant les attraits que j'aime ,
J'en ai copié dans moi- même
Les traits les plus interessants :
Oui , d'une amitié si fidele ,
1.Vol.
JUIN. 1733-
1093
Je n'ai voulu d'autre modele
Que celle
que pour toi je sens.
PESSELIER , de la Ferté
Sous -Jouars.
శ్రీ శ్రీ
EXTRA IT d'une Lettre écrite de Constantinople
par le R. P. Romain de Paris,
Capucin , Conseiller des Missions de
Grece , et Préfet du College des Enfans
de Langues sur diverses Traductions
d'Ouvrages choisis , &c.
J
,
E continue , Monsieur , de vous faire
part des fruits de l'application des
jeunes Gens de notre Nation , qui étudient
les Langues Orientales par l'ordre ,
et pour le service du Roi , dans le College
dont nous avons la direction . Je
vous envoye avec cette Lettre l'Etat des
Traductions , qui ont été faites dans ce
College par mes soins , pendant le cours
de l'année 1732. conforme à celui que
nous envoyons à la Cour. Vous seriez
charmé , Monsieur , de voir avec quelle
ardeur et quelle assiduité cette Jeunesse
travaille pour se rendre digne de remplir
avec honneur les Emplois ausquels elle
1. Vol. cij est.
1094 MERCURE DE FRANC
est destinée , et pour mériter la prote
tion et les graces de Sa Majesté. J'espe
que vous serez content du choix des S
jets sur lesquels j'ai éxercé nos Tradi
teurs , et que vous conviendrez en n
me tems que c'est un profit pour la Lit
rature en general d'enrichir notre L
gue , de tout ce qui est le plus esti
dans celle des Turcs , et des autres Ori
taux .
La conformité du Sujet m'engag
vous dire ici un mot du Chaïdy , espe
de Dictionnaire Turc et Persan que
fait traduire d'une maniere , et avec
tel ordre , qu'il facilitera extrêmem
P'intelligence de ces deux Langues
levant toutes les difficultez et l'embai
où se trouvoient ceux qui s'appliquer
cette Etude , ce qui mettra en très- ]
de tems et sans peine un homme en
d'entendre les Auteurs les plus difficil
de sorte , Monsieur , que les Traducti
qui avant que ce Chaidy fut tradui
mis dans l'ordre qu'il est aujourd'h
étoient d'un travail qui rebutoit les
patiens , se font aujourd'hui avec be
coup moins de peine , et plus fidelem
On ne sçauroit trop faire connoître 1
portance de cet Ouvrage. Je revie
nos Traductions .
1. Vol,
JUIN. 1733. 1095
ETAT des Traductions faites dans le
Gollege des Enfans , ou Jeunes de Langues
de France , par les soins , et sous la direc
tion du R. P. Romain de Paris , durant le
cours de l'année 1732 .
L'Ambassade de Durri - Effendi , Doc
teur de la Loi Mahometane , en Perse ,
sous le Régne de Sultan - Achmet , par le
sieur le Grand.
Relation du nouveau Monde imprimée
à Constantinople , composée en Turc
par Ibrahim Effendi , Directeur de la nouvelle
Imprimerie , traduite par le sieur
de Fiennes , Pensionnaire au College des
Jeunes de Langues , et fils de M. de
Fiennes , Interpréte du Roi à la Cour .
Relation de différentes Expéditions des
Turcs dans le Royaume de Candie , imprimée
à Constantinople , par le même
İbrahim Effendi , traduite par le sieur
Galland.
Histoire de Rustem , fils de Zal , Roy
des Parthes , et de Isfendiar , fils de
Kuschtasel , Roi de Scythie , par le sieur
Rocques.
Histoire du Régne de Kuschtasel , Roi
de Scythie , par le sieur R. Imbault...
Histoire de Sultan Selim Khan , Pre-
* C'est le neuviéme Sultan de la Dynassie des
L. Vol. C iij Ot1096
MERCURE DE FRANCE
mier du nom , fils de Sultan Bajazeth-
Khan , second du nom , jusqu'à son Avenement
à l'Empire , par le sieur Choquet.
Histoire de Sultan Selim - Khan , second
du nom , fils du grand Solyman , par le
sieur Berault.
Les Racines de la Sagesse , ou les Régles
pour bien gouverner un Etat , traduites
de l'Arabe en Turc, par un Effendi
, et du Turc en François , par le sieur
Choquet.
2
et
Recueil de plusieurs Faits mémorables
arrivez sous l'Empire de Sultan Solyman-
Khan , second du nom , sa mort
*
les différentes fondations qu'il a faites.
en plusieurs Lieux de sa Domination , par
le sieur Galland .
Histoire de Diameseb , fils du Prophete
Daniel , par le sieur de Fiennes.
Histoire de l'Origine des Empereurs
Ottomans , par le sieur Rocques.
Ottomans , lesquels ont accoutumé d'ajoûter à
leur nom le titre de Khan , originairement Turc ,
et abregé Khacan , qui signifie Roi , Prince Souverain
, &c.
* C'est le même que le Grand Soliman , que
quelques Historiens marquent 1. du nom, en omettant
Soliman , fils de Bajazeth I. qu'ils prétendent
n'avoir pas régné , ¿c.
I. Vol.
Les
JUIN. 1733- 1097
5
LES CANONS de l'Empire Ottoman
ou Réglement general pour le Gouver
nement , tant en guerre qu'en paix , avec
les Canons des Dignitez , Charges et
Emplois de l'Etat , enrichis de Notes
curieuses pour l'intelligence des Canons
particuliers , qui regardent les Charges
er les Dignitez , &c. par le sieur le
Grand .
Histoire du Régné de Sultan Amurath
Khan , troisiéme du nom , fils de Sultan
Selim - Khan second , par le sieur Guintrand
.
Abregé de ce qui s'est passé de plus mé--
morable sous l'Empire de Sultan Mahomet-
Khan , second du nom , fils de Sul--
tan Amurath- Khan second , par le sieur
Brüe .
Histoire de Sultan Bajazeth second , par
le sieur Roboly.
MEPRISE DE L'AMOUR ,
T
A Mlle de Séricourt.
1
Andis qu'à vos genour adorable Sylul
vie
J'exprimois les transports de mon coeur amoureux
,
1. Vol. Le C iiij
1098 MERCURE DE FRANCE
Le Dieu de Cithere eut envie
D'être témoin de l'ardeur de mes feux ;
Le voilà donc de la partie
Qui n'auroit crû que j'allois être heureux ?
Mais , helas ! vain espoir d'un - Amant qui se '
flatte ,
Rien ne peut attendrir votre inhumanité ,
L'Amour dont le pouvoir sur les Dieux même
éclate ,
Semble perdre les droits de sa Divinité ,
i Et dès qu'à ma vive tendresse ,
Sa clémence s'interesse ,
Il n'a plus d'autorité .
Lorsque voulant soulager mon martire ,
Par de nouveaux dédains il se voit outrager,
Indigné de vous voir mépriser son Empire ,
Et les doux fers dont il veut vous charger ,
Il prend un trait , bande son arc , et tire
Dans le dessein de se vanger.
Mais c'est en vain , cette fléche incertaine
Qui vous fût destinée , adorable Inhumaine
Nous trompa tous deux tour à tour.
Elle vint me percer d'une atteinte soudaine ,
Et sans servir les projets de l'Amour ,
Ne fit que redoubler ma peine.
De sa méprise interdit et confus ,
Cupidon vers Paphos vole avec diligence ,
1. Vol.
Pour
JUIN. 1733 .
1099
Pour y méditer la vengeance
Des affronts qu'il a reçûs.
L'aimable Reine de Cythere , '
Pour appaiser sa colere ,
Vient en vain le caresser
Dans les Forêts d'Amathonte ,
Il va cacher la honte
De n'avoir pû vous blesser.
C'est là que dans ces lieux consacrez à sa
gloire ,
Il a juré sur ses Autels ,
De remporter sur vous une illustre vice
toire ,
Et d'effacer jusques à la mémoire
De tous vos dédains criminels.
› En vain tâcherez-vous d'éluder sa poursuite
,
L'Amour , belle Sylvie , est plus subtil que
nous ,
Notre résistance l'irrite ,
Ce n'est qu'en se rendant qu'on fléchit son courroux.
Quand il éxige un Sacrifice"
Le coeur le plus cruel devient tendre et sou
mis ,
Et par un bizarre caprice ,
Souvent d'une Lucrece il fait une Laïs.
Sous des images
trompeuses ,
I. Vol. Cv Quand
1100 MERCURE DE FRANCE
Quand il lui plaît , il captive les coeurs ;
On vît jadis des beautez dédaigneuses
Au souverain des Dieux refuser leurs faveurs
;
Mais quittant de son rang les marques précieuses
>
Sous les formes les plus hideuses,
Le même Jupiter , fléchissoit leurs rigueurs.
Prévenés , belle Sylvie ,
Tous les projets de l'Amour ,
Et de sa bizarerie ,
N'attendez pas le retour
Sacrifiés au Dieu qui vous l'ordonne ;
Croyez-en un Ámant qui ressentît ses coups
> Et qui pour prix du conseil qu'il vous donne ,
N'aspire qu'au plaisir de le suivre avec vous.
Par René Soumard des Forges.
I
1. Vol. TROIJUIN.
1733. IION
TROISIEME LETTRE de M. D. L.
R. écrite à M. A. C. D. S.T.au sujet du
Marquis de Rosny , depuis Duc de Sully
, &c. contenant quelques Remarques
Historiques.
Ous me Monsieur
quelque satisfaction des Eclaircissemens
contenus dans mes deux Lettres
précédentes , sur la premiere Question
que vous m'avez faite , au sujet du
Marquis de Rosny , premier Ministre
du Roi Henri Le Grand. Cela m'engage
de redoubler mes soins pour répondre
avec la même éxactitude et le même succès
aux autres demandes que vous me
faites sur ce sujet.
و
Instruit par P'Histoire de l'ancienneté
et de la Catholicité de la Maison de Bethune
dont le Marquis de Rosny se
trouvoit le Chef , vous êtes surpris que
ce Seigneur n'ait pas persevere dans la
Religion de ses Ancêtres vous me demandez
la cause de ce changement , à
quoi vous ajoutez deux ou trois autres
Questions , dont la Réponse fera tout le
sujet de cette Lettre.:
1. Fol. Cvi Da1102
MERCURE DE FRANCE
D'abord il est bon de vous dire , Monsieur
, que ce n'est pas le Marquis de
Rosny qui fait la premiere cause de cette
variation . Pour en être bien instruit , il
faut remonter jusqu'à Jean de Bethune
IV. du nom son Ayeul , lequel étant
encore assez jeune épousa Anne de Melun
, qui lui apporta en dot la Baronie
de Rosny , &c. Il en eut plusieurs Enfans
, lesquels eurent un double malheur
; le premier de perdre leur Mere
dans leur bas âge , et le second de voir
remarier leur Pere avec une simple Demoiselle
sans biens. Un troisiéme malheur
, suite des premiers , voulut que
Jean de Bethune n'eut ni ordre , ni oeconomie
dans ses affaires , qu'il s'endetta -
beaucoup , et qu'en mourant enfin retiré
au Château de Coucy , après avoir
aliené ses plus beaux Domaines
il ne
laissa presque rien à ses Enfans : de sorte
que François de Bethune son fils aîné ,
dépouillé de tous les grands biens de ses
Ancêtres , et ne jouissant que de ceux
d'Anne de Melun sa Mere , est comparé
par un Historien au Prince * Jean , surnommé
sans Terre , qui étant fils de Roi ,
se trouva presque sans aucune possession
, & c.
D
* Jean , fils de Henri II . Roi d'Angleterre .
1. Vol.
Ce
JUIN. 1733- 1103
Ce fils aîné épousa en 1557. Charlotte
Dauvet , qui lui donna sept Enfans. Il
s'attacha de bonne heure à Louis de Bourbon
, Prince de Condé , qui étoit alors
le Chef des Huguenots , et fit Profession
de la nouvelle Religion , à l'imitation de
plusieurs Grands Seigneurs , séduits par
les opinions des Novateurs , ou par des
motifs humains. En courant toutes les
fortunes du Prince il se trouva à la Bataille
de Jarnac , où il fut fait Prisonnier ;
j'omets le reste de son histoire pour marquer
seulement qu'en mourant en l'année
1577. il laissa pour Chef de sa Maison
Maximilien de Bethune, son Fils puisné ,
dont il s'agit particulierement ici .
Ce Seigneur suivit les traces de Fran
çois de Bethune son Pere , tant pour la
Religion dans laquelle il étoit né , que
du côté de la Fortune; il pourroit fournir
seul la matière d'une longue Histoire ,
que j'avois eu autrefois dessein d'entreprendre
ce Pere homme vertueux
de bon esprit , et brûlant du
loüable désir de relever sa Maison , avoit
jetté les yeux sur notre Maximilien , le
second des quatre fils qu'il eut de Charlotte
Dauvet.
,
د
Il avoit remarqué en lui non - seulement
une grande vigueur de corps et
I. Vol. d'es
1104 MERCURE DE FRANCE
d'esprit , mais encore une grande inclination
à la vertu , et une forte aversion
pour le vice , ce qui lui ayant fait concevoir
une grande espérance , il le fit appeller
un jour , disent les Mémoires qui
portent son nom , dans sa Chambre de
la Haute Tour , et en la seule présence
de la Durandiere , son Précepteur, il lui
tint un discours que sa briéveté et l'importance
du sujet m'engagent de rappor
ter ici.
» Maximilian , puisque la Coûtume
ne me permet pas de vous faire le prin-
» cipal Héritier de mes biens , je veux en
» récompense essayer de vous enrichir
» de vertus , et par le moyen d'icelles
» comme on me l'a prédit , j'espere que
» vous serez un jour quelque chose . Pré-
» parez- vous donc à supporter avec cou-
» rage , toutes les traverses et difficultez
» que vous rencontrerez dans le monde ,
» ct en les surmontant genereusement ,
acquerez- vous l'estime des gens d'hon-
» neur , et particulierement celle du
» Maître à qui je veux vous donner ; au
Service duquel je vous commande de
» vivre et mourir. Et quand je serai sur
mon partement pour aller à Vendôme
>> trouver la Reine de Navarre , et Mon-
» sieur le Prince son fils , auquel je veux
»
1. Vol. » Yous
JUIN. 1733- 1109
» vous donner , disposez-vous à venir
» avec moi , et vous préparer par une
Harangue à lui offrir votre service
» lors que je lui présenterai votre -Per-
» sonne .
la
Ce Discours pathétique et sensé , écou
té avec attention par un fils né pour
vertu , eut dans les suites tout le succès
que l'affection et la prévoyance d'un sage
Pere pouvoient esperer. Le Pere et le
Fils se rendirent bien-tôt auprès de la
Reine de Navarre , et le jeune Rosny
fut présenté au Prince son Fils , qui étoit
aussi fort jeune.
»
*
» Cela se fit , disent les Auteurs des
» Mémoires , en présence de la Reine sa
mere , avec des protestations que
» vous lui seriez à jamais très - fidele er
n très- obéïssant serviteur : ee que vous.
» lui jurâtes aussi , en si beaux termes
» avec tant de grace et d'assûrance
>> et un ton de voix si agréable , qu'il
conçût dès lors de bonnes espérances de
» vous. Et vous ayant relevé ( car vous
>> étiez à genoux , ) il vous embrassa deux
» fois , et vous dit : qu'il admiroit votre
gentillesse , vû votre âge , qui n'étoit
"
ת
La parole est ici adressée au Marquis de
Rosny , comme dans tout le corps de l'Ouvrage.
I. Vol.
» que
1106 MERCURE DE FRANCE
>>
que de onze années , et que lui aviés
» présenté votre service avec une si gran-
» de facilité , et étiés de si bonne race
» qu'il ne doutoit point qu'un jour vous
» n'en fissiés paroître les effets en vrai
» Gentilhomme . Et aussi vous promit il
» en foi de Prince , qu'en vous recevant
» de fort bon coeur , il vous aimeroit tou-
» jours , et qu'il ne se présenteroit jamais
» occasion de vous faire acquerir du bien
>> et de l'honneur , qu'il ne s'y employât
» de tout son coeur. Tous lesquels dis-
» cours , qui n'étoient lors que par com-
» plimens , ont eu depuis des Evénemens.
» plus avantageux que vous n'aviez ´es-
» péré.
Ces Evénemens que les mêmes Auteurs
ont rapporté fort au long , furent précédez
et mêlez de bien des traversés. La
Religion surtout , dont ce jeune Seigneur
faisoit profession , et qui fait le
principal article de vos demandes , pensa
lui coûter cher , dans la fatale journée
qui vit couler tant de sang François , au
milieu d'une profonde paix. Sa conservation
a quelque chose de singulier et de
merveilleux : elle merite bien que j'en
place ici le petit détail , tiré des mêmes
Mémoires .
» Voici ce que nous vous en avons
1. Vol. » oui
JUIN. 1733. 1107
noui conter : à sçavoir que vous ayant
» fait dessein d'aller faire votre Cour ce
» jour là , vous vous étiés couché la veille
de bonne heure , et que sur les trois
>> heures du matin , vous vous réveillâ-
» tes au bruit de plusieurs cris de peu-
» ples , et des allarmes que l'on sonnoit
» dans tous les Clochers. Le sieur de
» S. Julien , votre Gouverneur , et votre
» Valet de Chambre , ( qui s'étoient aussi
» éveillés au bruit , ) étant sortis de vo-
» tre logis , pour apprendre ce que c'é-
» toit , n'y rentrerent point ; et n'avez-
» vous jamais sçû ce qu'ils étoient deve-
» nus. De sorte qu'étant réduit vous
>> seul dans votre chambre et votre
» Hôte qui étoit de la Religion , vous
» pressant d'aller avec lui à la Messe , afin
» de garantir sa vie et sa maison de sac-
» cagement , vous vous résolûtes d'es-
» sayer à vous sauver dans le College de
Bourgogne.
"3
,
>> Pour ce faire,yous prîtes votre Robbe
>> d'Ecolier , un Livre sous votre bras , et
» vous vous mîtes en chemin . Par les
» ruës vous rencontrâtes trois Corps de
» Garde , l'un à celle de S. Jacques , un
>> autre à celle de la Harpe , et l'autre à
» l'issue du Cloître de S. Benoît. Au pre
» mier ayant été arrêté et rudoyé par
1. Vol. >> ceux
108 MERCURE DE FRANCE
» ceux de la Garde , un d'entr'eux pre
> nant votre Livre , et voyant que , de
» bonheur pour vous , c'étoit de grosses'
» Heures , vous fit passer , ce qui vous
» servit de passeport aux autres. En al-
>> lant vous vîtes enfoncer et piller des
» maisons , massacrer hommes , femmes .
» et enfans , avec les cris de tuë , tuë , ô
»Huguenot , ô Huguenot , ce qui vous
» faisoit souhaiter avec impatience d'être
» arrivé à la porte du College , où enfin
>> Dieu vous accompagna , sans qu'il vous
>> fût arrivé autre mal que la peur.
»
» A l'abord , le Portier vous refusa deux
» fois l'entrée de la porte mais enfin
» moyennant quatre Testons que vous
» lui donnâtes , il alla dire au Principal ,
» nommé la Faye , que vous étiés à la
» porte , et ce que vous demandiez , lequel
aussi- tôt meu de compassion
» étant votre particulier ami , vous vint
» faire entrer , empêché toutefois de ce
» qu'il feroit de vous , à cause de deux
» Ecclésiastiques qui étoient dans sa
» chambre , et qui disoient y avoir des-
» sein formé de tuer tous les Huguenots ,
» jusqu'aux enfans à la mammelle , et ce
à l'exemple des Vêpres Siciliennes .
» Néanmoins , par pitié , ce bon Personnage
vous mit dans une chambre fort
"
I. Vol. ≫ seJUIN.
1733.
1109
» secrette , dans laquelle personne n'en-
» trât que son Valet , qui vous y por-
» toit des vivres , et vous y servît trois
» jours durant , au bout desquels il se
» fit une publication de par le Roi , por-
" tant deffenses de plus tuer ni saccager
>> personne.
» Alors deux Archers de la Garde, Vas-
» saux de M. votre Pere , l'un nommé
» Ferrieres , et l'autre la Vieville , vin-
» rent avec leurs Hocquetons , et Halle-
» bardes à ce College , pour s'enquerir de
» vos nouvelles , et les mander à M. vo-
» tre Pere , qui étoit fort en peine de
» vous , duquel vous reçûtes une Lettre
» trois jours après , par laquelle il vous
mandoit de demeurer à Paris , et d'y
» continuer vos Etudes comme auparavant.
Et pour ce faire il jugeoit bien
qu'il vous faudroit aller à la Messe , à
» quoi il vous falloit résoudre , aussi-
» bien avoit fait votre Maître et beau-
>> coup d'autres : et que sur tout il vou-
» loit que vous courussiez toutes les for-
» tunes de ce Prince jusqu'à la mort
» afin que l'on ne vous pût reprocher de
l'avoir quitté en son adversité : à quoi
» vous vous rendîtes si soigneux , que
» vous en acquires l'estime d'un chacun .
Tout le monde sçait avec quelle exac-
I. Vol. titude
1110 MERCURE DE FRANCE
titude et quelle constante fidelité ce dernier
commandement de courir toutes les
fortunes de ce grand Prince fut éxécuté.
On en peut voir la preuve dans l'Histoire
, et sur tout dans les Mémoires des
Ecrivains que nous avons citez , lesquels
remarquent particulierement qu'au milieu
de toutes ses assiduitez auprès du
Prince , dans ces premiers tems de trouble
et de confusion , le jeune Rosny s'appliquoit
toujours à cultiver son esprit
par des connoissances solides. Ils parlent
en ces termes de cette circonstance ; en
» quelque condition que vous fussiés
» vous preniés toujours le tems de conti-
» nuer vos Etudes , sur tout de l'Histoi
de laquelle vous faisiés déja des Ex-
>> traits , tant pour les moeurs , que pour
» les choses naturelles ; et des Mathéma
>> re ,
tiques , lesquelles occupations fai-
» soient paroître votre inclination à la
>> vertu .
Dans la suite il se présenta une occasion
qui auroit pû , si Dieu l'avoit permis
, servir à éclairer ce jeune Seigneur
et à le faire rentrer dans la Religion de
ses Ancêtres. Il n'avoit qu'environ vingtdeux
ans , lorsqu'en l'année 1581. il lui
prit envie de faire un petit voyage en
Flandres , principalement pour y visiter
la

1

M•
DEL
SVLLY
HO
DVC
•DE
NAHL
FDE
BETHUN
01
SA
SSA
JUIN. 1733 1111
la Comtesse de Mastin sa Tante . Cette
Tante et le Vicomte de Gand son Ayeul
maternel , et son Parrain , l'avoient deshérité
, lui et François de Bethune son-
Pere , à cause de la Religion, Il partit
muni d'un Passe- port du Comte * de
Barlemont , son Parent et se rendit à
la Bassée , où demeuroit cette Dame. Il
en fut accueilli assez froidement , préve
nuë sur son sujet de la maniere que nous
allons le voir,
ར་ ་ .
Le lendemain matin elle mena son Ne
veu dans la grande Eglise de l'Abbaye
qu'elle avoit fondée , pour lui faire voir
les Sépultures de Marbre de ses Ancêtres,
qu'elle y avoit fait construire ; et entre
les autres celles d'Helene de Melun , femme
de Robert d'Artois , d'Hugues de
Melun , son Ayeul , le même qui l'avoit
deshérité , et d'Anne de Melun son Ayeule
, celle enfin qu'elle avoit fait élever
pour elle-même. Elle lui dit alors , ayant
les larmes aux yeux : » hélas ! mon Ne-
» veu , mon ami , que mon Pere votre
» Ayeul , et ma Soeur votre Grand mere,
* Le Comte de Barlemont étoit Président du
Conseil Royal des Finances , Gouverneur de Namur
Chevalier de la Toison d'Or , &c. J'ai
une Médaille de ce Seigneur frapée en 1576. selon
Laquelle il faut lire BERLAYMONT.
>
"
» s'ils
1112 MERCURE DE FRANCE
» s'ils étoient en vie , jetteroient de lar-
>> mes , et ressentiroient de déplaisirs ,
» aussi-bien que moi , de voir en vous
» l'un de leurs Enfans , ne point croire
» en Dieu , ni en sa Messe , et n'adresser
» ses Prieres qu'à l'ennemi d'enfer , qui
» vous renal ennemi des bonnes oeuvres ,
» ainsi que je l'ai entendu dire à nos bons
>> Peres ! & c.
"

Le jeune Neveu étrangement surpris ,
s'écria là- dessus : » Vrai Dieu , ma Tan-
» te , que dites - vous ? Jesus ! seroit- il
> bien possible que vous disiés ceci à bon
» escient , et qu'il y ait eu des gens si
pleins d'impostures et de calomnies
» que de vous avoir voulu persuader tel-
» les éxécrations , qui nous rendroient
indignes de vivre sur la terre ? 11 lui fit
ensuite un détail de sa Créance, lui récita
même l'Oraison Dominicale , le Symbole
, &c. Tout cela fait un Dialogue qui
mérite d'être lû dans le 18. Chap. du pre
mier Tome des Mémoires , on en jugera
par la fin , qui est telle. La Dame écou
ta fort attentivement cette récitation
sans rien repondre , tant que le Neveu
ne parla que de Dieu , de Jesus-Christ
et du S. Esprit , mais lorsqu'il dit qui est
né de la Vierge Marie , et ensuite , je crois
Ja Communion des Saints , & c. Elle se mit
JUIN. 1733. 1113
à crier , » hélas ! mon Neveu , mon ami ,
» est- il possible qu'en vos Oraisons vous
» parliés de la bonne Dame , et fassiés
» mention des Saints Bienheureux ? Or
» venez m'embrasser , puisque cela est :
» car je vous aime comme mon bon Ne-
» veu , et me semble en vous voyant , et
" vous oyant parler , que ma pauvre soeur
» est encore en vie : ô que j'ai de déplai-
» sir que mon Neveu votre Parrain et
» moi , vous avons deshérité : vrayement
je veux essayer à rompre tout cela , et
» vous le jure par la Sainte Vierge : les
» effets néanmoins ne suivirent pas les
» paroles , &c.
>>
t
Il faut convenir , Monsieur , qu'une
telle occasion de parler de la nouvelle
Religion , mieux ménagée , auroit pû
produire quelque bon effet sur l'esprit
du jeune Parent , mais ce n'étoit pas le
moyen sans doute de le faire entrer dans
la bonne voye , que d'employer de pareils
argumens , on ne corrige point l'erreur
par
d'autres erreurs .
Quoiqu'il en soit , le Marquis de Rosny
, en quittant la Dame sa Tante prit
le chemin de Bethune , Ville qu'il avoit
toujours souhaité de voir , et où malgré
sa Religion , opposée à la grande Catholicité
de ses Ancêtres , à celle des Fla-
S
I. Vol. mands
1114 MERCURE DE FRANCE
mands en général , et aux circonstances
du tems , il fut parfaitement bien reçû
régalé du vin de Ville , et honoré en plu
sieurs manieres comme descendu de
l'antique Maison des anciens Seigneurs
de Bethune. Il vit tout ce qui étoit à
voir dans cette Ville , et visita principalement
les Eglises où sont les Mausolées
de ces Seigneurs , d'où il revint en droi
ture à Rosny. 7
L'ordre des tems , qui s'accorde avec
celui de vos demandes , me fait passer ,
Monsicur , de la Religion de Maximilien
de Bethune , à laquelle j'aurai occasion
de revenir , à ses grandeurs temporelles
, récompense de son mérite et de
son attachement à la fortune et aux interêts
d'un grand Prince. Vous voulez
sçavoir d'abord quand et comment il fût
pourvû de la Charge de Grand - Maître
de l'Artillerie , et comment il en fût destitué
après la mort de son cher Maître.
Je crois d'abord trouver la premiere
origine de son élévation à cette Charge
dans l'Evénement de la Bataille de Coutras
, donnée le 20 Octobre 1587. entre
l'Armée Royale , ou plutôt de la Ligue ,
commandée par M. de Joyeuse , et celle
du Roi de Navarre , commandée par ce
Prince en personne , accompagné du
I. Vol. Prince
JUI N. 1733 : 1115
·
Prince de Condé , du Comte de Soissons
; et d'un nombre de Seigneurs des
plus qualifiez , qui suivoient sa Religion
et sa fortune . Le Marquis de Rosny
étoit non seulement des premiers
dans ce nombre ; mais le Roy son
Maître lui commit dans cette importante
journée le soin de tout ce qui regardoit
l'Artillerie , quoiqu'il ne fût encore
âgé que de 28 ans .
>>
,
Je n'oublierai pas ici ce que lui dit ce
vaillant Prince , au moment qu'il se sépara
de sa Personne pour aller éxécuter
ses ordres. » Mon ami Rosny ,
» c'est à ce coup qu'il faut faire paroî-
» tre votre esprit et votre diligence , qui
» nous est mille fois plus nécessaire
» qu'elle n'étoit hier , à cause que le
» corps nous presse , et que de l'Artillerie
bien logée , bien munie et bien exploitée
, dépendra en grande partie le
» gain de la bataille , lequelj'attends de
» Dieu , & c. Les Mémoires qui ont conservé
ce trait , marquent aussi de quelle
maniere le Marquis de Rosny éxécuta
les ordres du Roi , ils détaillent particulierement
l'opération de deux Canons et
d'une Coulevrine , placées et employées
» si à propos , qu'elles firent des mer-
» veilles , ne tirant une seule volée
I. Vol. D » qu'ils
1116 MERCURE DE FRANCE
» qu'ils ne fissent des rues dans les Es
» cadrons et Bataillons du Camp ennemi
, qui étoient jonchées de douze
» quinze , vingt , et quelquefois jusqu'à
vingt- cinq corps d'hommes et
» chevaux ; si bien que les ennemis , &c .
Le reste du Narré mene au gain entier
de la Bataille , dû en bonne partie
à cette vigoureuse canonade , ainsi que
le Roi l'avoit prédit.
Les Auteurs en finissant ce Narré
ajoûtent une circonstance qui ne doit
pas être omise , et qui confirme d'ailleurs
ce que je viens de dire au sujet de
l'Artillerie.
39 Si- tôt que vous vîtes les ennemis
» en déroute ( c'est toujours à M、de
» Rosny qu'ils parlent ) et que sans
» doute la Bataille étant gagnée , vous
» n'aviez plus que faire au Canon : Vous
» montâtes sur votre grand Cheval d'Es-
» pagne Bay , lequel M. de Bois- Breuil
>> vous faisoit tenir prêt derriere les Pié-
» ces , pour essayer d'apprendre des
> nouvelles de Mrs vos Freres que vous
cuidiés être avec M. de Joyeuse , er
» sçavoir aussi en quel état le Roy de
» Navarre étoit , lequel vous rencontrâ-
» tes. par- delà la Garenne , l'épée toute
sanglante au poing , poursuivant la
>>
1. Vol.
vicJUIN.
1733. 1117
>
» victoire et si- tôt qu'il vous apper-
» çût , vous cría ; et bien , mon ami
c'est à ce coup que nous ferons per-
»> dre l'opinion que l'on avoit prise
» que les Huguenots ne gagnoient jamais
de Batailles ; car en celle- ci la
» victoire est toute entiere.... et faut
>> confesser qu'à Dieu seul en appar-
" tient la gloire , car ils étoient deux
» fois aussi forts que nous ; et s'il en
» faut attribuer quelque chose aux hom-
» mes , croyez que M. de Clermont
» vous , et Bois du Lys , y devez avoir
» bonne part ; car vos Piéces ont fait
» merveilles aussi vous promets- je que
» je n'oublierai jamais le service que vous
» m'y avez rendu .
C'est ainsi que lui parla ce Prince
incomparable , et on peut dire qu'il
tint magnifiquement sa parole Royale :
car dès qu'il fût Roi de France , ce
qui arriva deux ans après , il eut une
attention particulière sur la fortune
d'un homme qui le servoit si bien , et
qui ne le quitta pas d'un pas , surtout
aux Batailles d'Arques et d'Ivry qui
suivirent , où l'Artillerie fit encore des
merveilles , et où M. de Rosny emporté
par sa valeur , fut percé de coups.
Enfin , le Roi après l'avoir fait suc-
1. Vol. Dij ces
1118 MERCURE DE FRANCE
· ,
>
après
cessivement Grand Voyer de France
Sur Intendant des Finances
avoir érigé la Baronie de Rosny en
Marquisat , lui accorda en l'année 1599.
la Charge de Grand - Maître de l'Artillerie
, sur la démission de M. d'Etrées
avec la qualité d'Officier de la Couronne
, Charge que ce Prince lui ménageoit
depuis long- tems , et dont il y a lieu de
croire que
la journée de Coutras avoit
été comme le gage. Il fut presque en
même- tems pourvû de la Sur- Intendance
des Bâtimens et de celles des Fortifications
, qui furent suivies du Gouverne
ment de la Bastille , de la grande Maîtrise
des Ports et Havres du Royaume
et du Gouvernement de Poictou,
L'Artillerie avoit asşûrément besoin
d'un Grand - Maître aussi entendu et
aussi vigilant , que l'étoit le Marquis
de Rosny. Tout étoit en désordre à cer
égard dans les Provinces , où il fut obligé
de casser près de 500 Officiers , inuti
les ou mal - intentionnez , et l'Arcenal
étoit dénué presque de toutes choses
quand il en prit possession . Le Roi l'y
vint voir quinze jours après. Il reçût ensuite
un pareil honneur de Charles Emanuel
, Duc de Savoye , qui étoit venu
en France pour traiter en pe sonne d'af-
>
faires importantes.
JUIN. 1733 1119
T
Les Mémoires qui font le détail de
cette visite , marquent une circonstance
qui doit avoir icy sa place.
» Comme M. de Savoye fût arrivé à
» l'Arsenac, il vous demanda aussi- tôt où
» étoient toutes vos Armes , Munitions
» et Artilleries; sur quoi vous vous trouvâtes
bien empêché , ayant honte de
» lui faire voir une Maison si pauvre et
» dénuée de toutes ces choses , qu'étoit
» l'Arsenac ; tellement qu'au lieu d'aller
aux Magazins, vous le menates aux At-
» teliers , ausquels vous faisiez ouvrer à
» puissance; et lors voyant quelques qua-
» rante affuts et rouage , ésquels on tra
» vailloit ; vingt Canons , nouvellement
» fondus , et des provisions et préparatifs
pour en fondre encore autant ; il
» vous demanda que c'est que vous vou-
» liez faire de tant d'Artillerie nouvelle-
» ment fonduë ? Vous lui répondites en
» riant : Monsieur , c'est pour prendre
" Mont-Mélian. Lors il vous demanda
y avez vous été ? Non, Monsieur , dit-
» tes-vous ; vraiement je le vois bien , ré-
' pondit- il , car vous ne diriez pas cela ;
>> Mont-Mélian ne se peut prendre. Bien ,
>> bien , Monsieur , dittes - vous , je vous
» en crois , neanmoins ne mettez pas le
» Roy en cette peine ; s'il me l'avoit
I.Vol. Diij >> com1120
MERCURE DE FRANCE
» commandé j'en viendrois bien à bout
>> mais je veux croire qu'il n'en sera point
» besoin, et que le Roy et vous, vous sé-
»parerez bien contens l'un de l'autre, & c. .
M. de Rosny avoit sans doute ses raisons
pour parler ainsi au Duc de Savoye ,
qui n'oublia rien pour le mettre dans ses
interêts. C'est en partie la matiere du 93
chap. dans le second volume des Mémoires
, où l'on voit que si ce Seigneur refusa
, de la part du Prince , une Boëte de
Diamans , et jusqu'à son Portrait , enrichi
de Pierreries , de trop grand prix , il
ne manqua en rien à son égard du côté
des bienséances et de la politesse . Dans le
même jour que se passa ce que je viens
de rapporter ; il eût l'honneur de traiter
splendidement à souper, dans l'Arsenal ,le
Roy , le Duc de Savoye , les Dames et les
Seigneurs les plus qualifiez de la Cour :
mais revenons à l'Artillerie.
Elle changea absolument de face sous
sa conduite , et l'Arsenal cy - devant si
dépourvu, qu'on n'osoit presque le laisser
voir aux Etrangers , devint , pour ainsi
dire , sous le nouveau Grand- Maître , la
terreur des Ennemis de la France , et cela
dans moins d'une année. Le premier
Prince , à qui la vigilance du Marquis de
Rosny devint fatale fut le Duc de Sa-
1. Vol.
voye
JUIN. 1733. 1121
voye même , et ce qui s'étoit dit dans
l'Arsenal entre ce Prince et le Grand
Maître , par maniere d'entretien et de
plaisanterie , au sujet de Mont - Mélian' ,
devint une affaire sérieuse et une verité
dont les circonstances sont marquées
dans l'Histoire.
»
Je n'en rapporterai icy qu'une. Le Duc
de Savoye refufant d'exécuter le Traité
conclu à Paris , le Roy lui déclara la Guerre
, marcha en personne avec deux corps
d'Armée , qui firent des Exploits rapides
dans la Savoye et dans la Bresse; et Montmélian
, Place prétendue imprénable ,
fut prise ; le Marquis de Rosny se signala
en plusieurs manieres dans cette Expedi
tion , et fit plus que le devoir de sa Charge
, en ne s'exposant que trop par tout.
La diligence de Rosny , dit Mezerai ;
» pourvût. si bien aux Munitions et à
» l'Artillerie , les ayant fait charrier par
» les Rivieres,qu'à la fin de Juillet(1600)
» il eût en ce Païs-là 40 Piéces de Canon
>> et de quoi tirer quarante mille coups.
» Aussi n'oublia -t - il rien en cette occa-
»sion pour se montrer digne de la Char-
>> ge de Grand- Maître de l'Artillerie, dont
» le Roy venoit de l'honorer , l'ayant
» même érigée en Charge de la Couron-
» ne. Deux ans auparavant il lui avoit
-
I. Vol.
D iiij » aussi
Î122 MERCURE DE FRANCE
» aussi donné celle de Grand -Voyer, con-
» noissant qu'il étoit Homme d'ordre et
qu'il pourvoiroit soigneusement à la
» réparation et à l'entretenement des
» Chemins, pour la commodité du Char-
» roy , dont en effet il s'acquitta fort
» bien. Entre autres choses , il obligea les
» Particuliers de planter des Ormes de
» distance en distance dans leurs Terres ,
» sur les bords des grands Chemins , pour
» fournir un jour de bois de Charonage
au roulage de l'Artillerie. On appelle
» encore aujourd'hui ces Arbres des
» Rosnys.
>
C'est à cette occasion de la Guerre de
Savoye , que fût frappée une belle Médaille
d'Henri IV. en opposition et pour
répondre à la Médaille satyrique , que les-
Courtisans du Duc de Savoye firent fraper
peu de temps après qu'il se fût emparé
du Marquisat de Saluces , en profitant
des Troubles de la Ligue. Sur celle - cy on
voyoit d'un côté la tête du Prince , avec
cette Légende : CAR . EM. D.G.Dux Sab .
P. PED . Et sur le Revers , un Centaure
qui en décochant une Fléche pose le pied
sur une Couronne renversée ; ce seul mot
OPPORTUNE se lisoit autour ; et dans
l'Exergue M. D. LXXXVIII . Dans la Médaille
du Roy , la face étoit chargée du
>
I.Vol. Buste
JUIN. 1733. 1123
Buste de ce grand Prince , la tête ceinte
de Laurier, et les épaules couvertes d'une
Peau de Lyon , avec cette Inscription :
ALCIDES HIC NOVUS OR BI . Au revers ,
le Roy , armé d'une Massuë , paroît assommer
d'une main le Centaure abbatu ,"
sur lequel est posé l'un des pieds du Vainqueur
, qui de l'autre main releve une
Couronne , avec ce seul mot : OPPORTUNIUS
. Cette Médaille qui n'est chargée.
d'aucune datte , doit avoir été frappée
dans le courant de l'année 1600.ou avant
le Traité de Paix conclu entre les deux
Princes , en l'année 1601.
Le Marquis de Rosny , qui avoit eu tant
de part aux travaux de son Maître dans
cette Guerre , eut aussi part à sa gloire ; car
quelque tems après on lui frappa une Médaille,
où l'on voit d'un côté sonBuste, avec
cette Légende : MAXI. DE BETHUNE , DUC
DE SULLY.G.M.DE L'ART.DE F.Et sur le revers
, une Aigle élevée dans les Airs , la
tête tournée vers le ciel , tenant dans ses
Serres la Foudre de Jupiter , dont ilsemble
attendre les ordres pour la lancer
avec ces mots : Quo JUSSA Jovis . Dans
l'Exergue M. DC. VII. Cette Devise semble
faire allusion à ce que notre Grand
Maître répondit au Duc de Savoye , au
sujet de Mont-Mélian : Si le Roy m'avoit
1.Vol DY
Ccm1124
MERCURE DE FRANCE
commandé de le prendre,j'en viendrois bien- '
tôt à bout , &c. L'Evenement justifia cette
réponse.» Le Gouverneur de cette Place,
» dit Mezeray , triompha d'abord en pa-
» roles , parce qu'il ne croyoit pas.qu'on
put dresser des Batteries pour l'attaquer;
» mais quand Rosny eut trouvé moyen
» d'en planter à cinq ou six endroits (car
que ne peuvent l'argent et le travail ) sa
» fierté s'amollit tout d'un coup ; il per-
» mit que sa femme nouât conversation
avec celle de Rosny , et ses craintes
» s'augmentant d'heure en heure , il ca-
» pitula le 14 Octobre , &c.
»
Maximilien de Bethune .est qualifié
Duc de Sully sur cette Médaille , parce
qu'en l'année précédente 1606. le Roy
avoit érigé la Baronie de Sully en Duché
et Pairie ; sa reception fut des plus magnifiques
, le Roy ayant assisté au Festin ,
qui fut donné à l'Arsenal , &c. Ce Grand-
Prince lui donna aussi la même année , la
Charge de Capitaine - Lieutenant de deux
cent Hommes d'Armes de la Reine.
Comme la Médaille de ce premier Duc
'de Sully , Grand- Maître de l'Artillerie ,
&c. est assez rare , je vous envoïe la gra
vure , que j'en ai fait faire par une ha-
* Anne de Courtenay , Epouse du Marquis de
Rosny , qui l'avoit suivi dans cette Guerre.
I.Vol bile
JUIN. 1733. 1125
bile main , sur l'Original du Cabinet de
M. le Duc de Sully , que ce Seigneur a
bien voulu me communiquer. Cet Original
est des mieux conservez , et si beau
que je le crois de Germain Dupré , cxcellent
Graveur de ce temps-là , dont
nous avons de tres - belles Médailles. Les
deux autres Médailles dont je viens de
vous parler,de Henry le Grand et du Duc
de Savoye , sont dans mon Cabinet .Vous
pourrez les voir quand vous viendrez à
Paris.
Je suis forcé de renvoyer à une autre
Lettre ce qui me reste à vous dire pour
satisfaire pleinement à toutes vos demandes
, et pour ne point allonger celle - ci
lavantage. Je suis toujours , Monsieur ,
& c .
A Paris , le 25 Avril 1733 .
E MEPRIS DES RICHESSES.
ODE.
Qui a remporté le premier Prix à
l'Académie des Jeux Floraux .
Par M. Rainaud , de l'Oratoire , Préfet du
College de Soissons.
PLutus , qui de nos coeurs avides ;
Bannis les innocens plaisirs ,
I. Vol.
Dvj Jusqu'à
1126 MERCURE DE FRANCE
Jusqu'à quand tes trésors perfides ,
Irriteront- ils nos désirs ?
Jusqu'à quand irons-nous , par d'aveugles ma
ximes ,
D'un Encens criminel et du sang des Victimes >
Offrir l'hommage à tes Autels ?
Tes funestes présents, enfantent nos miséres ,
Et qui sçait mépriser ces biens imaginaires ,
Est le plus riche des Mortels..
C'est en vain que

de l'Opulence ,
'Adorant l'Eclat suborneur ,
Dans le luxe et dans l'abondance ,
On met le suprême bonheur.
Contemplons ce Crésus , pour qui les Arts s'épuisent
,
Pour qui la Terre et l'Onde à l'envi reprodui—
sent ,
Tout ce qui peut combler ses voeux ;
Dans le sein des plaisirs qu'enfante la molesse ,
Ce superbe mortel , aux yeux de la sagesse,
N'est qu'un illustre malheureux.
Quels traits à ma vûë il décéle !
Des besoins , toujours renaissans ;
J'apperçois la Troupe cruelle,
1. Vol. Qui
JUIN. 1733. 11-27
Qui le rend Esclave des sens.
Que de pâles soucis ! que de mortelles® craintes !
Sous ses lambris dorez , j'entends les tristes plaintes
;
C'est peu , quel spectacle nouveau !
Implacable Vautour , dans sa tristesse extrême ,
Son coeur qui se déchire , est toujours de luimême
,
Et la Victime et le Bourrean.
Doux repos que l'homme désire ,
Heureuse Paix , charme des coeurs r
Tu n'établis pas ton Empire ,
Dans les fastueuses grandeurs.
Loin des Palais pompeux , que le Luxe envi
ronne ,
De ceux que nos respects accablent sur le Thrône
,
Tu fuis la haute Majesté ;
Et des coeurs sans désirs , délicieux partage ;
Tu vas sous l'humble toît , habité par le Sage
Assurer sa félicité.

Là , des Trésors , à qui tout céde ,
II dédaigne les vains appas ;
Trop content de ce qu'il possede',
Il méprise ce qu'il n'a pas..
I. Vol A
T128 MERCURE DE FRANCE
1
A l'envie , aux soupçons toujours inacsessible ,
L'inquiete Avarice , à son bonheur paisible ;
Ne vient jamais mêler l'ennui ;
Soleil , tu ne vois rien , dont son coeur soit
avide ;
Trop heureux ! il jouit d'un trésor plus solide ,
Qu'il porte toujours avec lui.
Fidelle aux Loix de la nature ,
Et Souverain de ses désirs ,
Sans soins , sans trouble , sans murmure ,
Il goute de parfaits plaisirs.
Envain sur l'Ocean , s'élevent les Tempêtes ;
Les Foudres menaçans , qui grondent sur nos
têtes
,
Ne l'arrachent point au sommeil ;
Tranquille , il ne va point , affrontant les maufrages
,
De leurs riches métaux , dépoüiller des rivages,
Eclairez d'un autre Soleil.

Aveugle et bizare * Déesse ,
Qui regles le sort des humains ,
Dont les Autels fument sans cesse ;
De l'encens que t'offrent leurs mains ,
Tes éclatans revers signalant ta puissance ,
* La Fortune.
1. Vel. Ne
JUIN . 1733 .
1129
Ne sçauroient de son ame , ébranler la constance
Il brave leurs vaines rigueurs ,
Que pourroit contre lui ton courroux infléxible
Tu ne fais qu'affermir son courage invincible ,
En multipliant ses malheurs
Mais Dieux ! quel spectacle m'étonne !
L'Orage fond sur ses Moissons ,
L'Air s'embraze , l'Olympe tonne ,
Les Vents ont forcé leurs prisons.
Des Aquilons fougueux la cohorte effrénée ;
Emporte avec les dons de Cérès consternée ;
Ceux de Pomone et de Bachus .
De regreter ces biens ne peut -il se deffendre ›
Non , non , son coeur tranquille , avoit sçû les
attendre ,
Et tranquile, il les a perdus.
*
Vous qu'une implacable furie ,
Retient sous un joug odieux ,
Ministres de sa barbarie ,;
Brisez ses fers injurieux .
Dans ces frêles trésors , vos cruelles délices ,
Vous trouvez vos tourmens
supplices.
* L'Avarice.
Vous trouvez vos
1. Vol.
Ardens
1130 MERCURE DE FRANCE
Ardens à vous tyranniser ;
Plus heureux , ce * Romain , dont la vertu constante
,
Préfére au vain éclat de l'or qu'on lui présente ,
La gloire de le mépriser.

Heureux le monde en son Enfance ,
Où l'homme , maître de son coeur
Dans la paix et dans l'innocence
Trouvoit un solide bonheur !
y
Pomone , tes présens faisoient sa nourriture ;
Son corps d'un vil feuillage , empruntoit sa pa→
rure "
Modeste ouvrage de ses mains ;
Et toujours affranchi de la sombre tristesse ,
Il goutoit ces vrais biens qu'au sein de la mo→
lesse ,
Regretent encor les humains.
Revivez „ antiques Exemples ,
De l'active frugalité ;
Que nos coeurs ne soient plus les temples
D'une aveugle Divinité.
Etoufons , au mépris de ses vaines largesses ,
Les désirs effrénez , qu'enfantent les Richesses ,
Sources fécondes de nos maux ,
* Curius.
I. Vol. Ec
JUIN. 1733. - 1131
It bornant ces besoins d'où renaissent nos peines
,
Sur les débris du faste et des grandeurs humai
mes ,
Etablissons notre repos,

Quantò quisque sibi plura negaverit ,
A dis plura feret.

Horat. Ode 16. lib. 3 .
REPONSE de Mad. Meheust ,
Auteur de l'Histoire d'Emilie , ou des
Amours de Mlle de .... à la Lettre
inserée dans le Mercure du mois de
Mars 1733-
donc tout de bon , Monsieur ,
Cqu'il faut entrer en matiere et répondre
à des accusations réelles ( ce sont
vos termes ) je les releve parce qu'ils me
paroissent un peu forts. La carrierre est
si nouvelle pour moi , que je ne sçai si
je pourrai la soutenir , mais n'importe
j'en risque la course ; lorsqu'il s'agit de
la réputation , il sied bien d'être témeraire.
Quand on est informé , dites - vous , que
l'amour d'Emilie n'est qu'une feinte , rien
I. Vol.
n'in1132
MERCURE DE FRANCE
,
n'interesse plus et les Entretiens deviennent .
ennuyeux. Qui juge ainsi n'entre pas dans
mes idées ce vuide a son utilité , j'y
représente le ridicule de l'esprit Romanesque
et l'imprudence de quantité de
jeunes personnes qui donnent dans des
galanteries , sans penchant , sans passion
et par le seul plaisir d'avoir une intrigue ;
au reste ceux qui ne cherchent que les
amourettes , à qui sans doute ces conversations
ne plaisent pas , n'ont qu'à
les passer.
Le Comte et sa Maîtresse , s'allarment
mal à propos , puisque tout conspire à les
rendre heureux . Si on avoit pesé les choses
, on ne me feroit pas cette objection ,
deux familles s'estiment réciproquement
et vivent dans une parfaite union sans
contracter d'alliance . C'est la reconnoissance
qui fait agir la mere d'Emilie ; sans
sa maladie , sans les soins que prit d'elle
Mad. de Réville , on n'eût assurément
point parlé d'Hymen .
J'ai fait mourir trop de gens , et l'on
me soutient que les regles du Poëme Dramatique
et du Roman , sont égales . Je
n'en sçai rien , pour disputer là-dessus il
faudroit consulter Aristote , cela m'est
absolument impossible , ne le connoissant
tout au plus que de nom ; mais com-

I. Vol. me
JUIN. 1733. 1133
me le bon sens a droit de raisonner sur
tout , en dépit ou indépendamment de
la science , j'oserai alleguer que la comparaison
n'est pas juste. Un volume, quel
que petit qu'il soit , peut conduire à un
grand nombre d'années , ainsi les incidens
peuvent , sans choquer , se rencontrer
presque semblables , au lieu que l'espace
de vingt- quatre heures ne permet
pas la même licence. On devroit bien
après tout demander à l'Auteur des Mémoires
d'un homme de qualité , pourquoi
ses narrations sont si funestes, c'étoit
son goût , me répondra- t'on ; eh bien !
j'ai pensé aussi qu'il m'étoit libre de suivre
le mien .
On ne veut point me passer les exemples
de Julie , de Messaline et de Mar
guerite de Valais , parce qu'il est , dit- on ,
toujours d'une dangereuse conséquence
de montrer le vice à la jeunesse , et
qu'on doit craindre qu'elle n'envisage pas
tant l'infamie qui le suit , que l'appas
des vaines douceurs qui l'y porte. Si l'on
me traitoit avec moins de rigueur , je
n'éprouverois pas ce reproche. Je n'ai cité
le crime que pour en marquer la honte
et la catastrophe , sans en peindre la volupté
; d'ailleurs il faut supposer que Flore
sçavoit l'Histoire , ainsi sa mere pou
I. Vol. voir
1134 MERCURE DE FRANCE
voit sans conséquence lui rappeller tous
les traits qui pouvoient servir à la cor-.
riger; son amour pour le Chevalier de... sa
confiance dans Lavallier et son escapade ,
méritoient l'application . Vous soutenez
qu'il est des Livres qu'il seroit bon de
proscrire ; oui j'en conviens , mais à l'égard
de l'Histoire Romaine , que vous
attaquez directement , la question est differente
, je la laisse à décider , et je suis
persuadée que tout le monde ne sera pas
de votre avis. Croyez moi , c'est trop
épurer la délicatesse. La débauche ne
prend pas sa source dans l'étude , peu
de femmes s'y occupent et les plus coquettes
sont ordinairement les plus ignorantes.
Vous vous trompez lorsque vous envisagez
la retraite de mon Héroïne comme
un retour de raison. Ce n'est pas là le
motif qui la guide , cette démarche si
sage n'est pas entierement volontaire ,
plus d'une consideration l'y forcent les
remontrances de la Princesse dont elle
sent que la protection lui peut être encore
d'un grand secours , les discours de
Flore ; enfin l'amitié , le devoir , tout l'oblige
indispensablement à prendre co
parti.
L'amour du Comte et d'Emilie , ne
1. Vol. viennent
JUIN. 1733 1135
viennent pas d'une façon si subite qu'on
veut me le faire entendre . Ils dînent
ensemble et s'examinent
pendant plus
de quatre à cinq heures , c'est assez de
temps pour faire naître la tendresse , puisque
l'experience prouve qu'un premier
coup d'oeil a souvent suffi pour en ins
pirer des plus vives.
Pour la premiere fois je m'exprime , diton
, dans les termes de l'Art. Le compliment
me paroît obscur et je n'y comprends
en verité rien .
Voila , Monsieur , tout ce que je puis
dire pour ma deffense . Si mes raisons ne
vous satisfont pas , j'en serai d'autant plus
mortifiée , que j'ai résolu de garder desormais
le silence , le sujet ne mérite point
tant de répliques , nous pourrions à la
fin ennuyer le Public , et mon interêt
m'engage à ne le pas mettre de mauvaise
humeur ; ainsi c'est pour la derniere fois
que j'ai l'honneur de vous assurer dans
le Mercure , que je suis très sincerement,
Monsieur , &c.
Bruselle Meheust.
1. Vol.
1136 MERCURE DE FRANCE
အာ
A Mile de Malcrais de la Vigne , en
réplique à son Madrigal , insere dans le
Mercure du Mois de Mars dernier.
Lorsque tu dis , illustre Amie ,
Que c'est moi qui guidai le premier ton génie
Dans les routes du sacré Mont ,
Tu me rends un honneur dont je ne suis pas
digne ;
Mais ton coeur genereux et ton esprit fécond ,
Ne pouvoient m'éxalter par un trait plus insigne
,
Qu'en , me couvrant ainsi des Lauriers de ton .
front.
**** :***********
REFLEXIONS sur la Question proposée
dans le Mercure de Mars dernier .
Pourquoi a- t'on plus de peine à pardonner
à ceux qui prennent plaisir à voir les
personnes calomniées , qu'à ceux qui sont
Auteurs de la calomnie.
Lest naturel de prévoir que l'on
pourroit douter du fait énoncé dans
cette Question ; il se trouvera peut- être
1. Vol. peu
JUIN. 1733
1137
peu de personnes qui le connoissent par
experience , et encore moins qui se le
persuadent sans en avoir des preuves. A
la premiere vûë on jugeroit que tout le
poids de l'animosité et de l'indignation
devroit tomber plutôt sur les Auteurs
de la calomnie . Le crime le plus énorme
paroîtroit moins pardonnable et parconsequent
plus difficile à oublier ; or on
ne peut douter que celui qui invente
une calomnie ne soit beaucoup plus criminel
que ceux qui l'approuvent ou qui
s'en réjouissent, puisqu'il est la cause premiere
et principale du dépérissement ou
de la ruine entiere de l'honneur. Coml'on
sup- ment donc accorder le fait que
pose avec la raison ?
Mais il ne faut pas toujours chercher
la raison dans la passion ; il est même assez
rare que celle- cy , quand elle est violente,
ne l'obscurcisse ou ne l'éteigne presqu'entierement.
La haine est une passion
des plus vives , des plus impétueuses
des plus difficiles à surmonter ; il ne faut
donc pas être surpris si dans ses furieux
accès elle n'écoute pas la raison , si elle
est capricieuse et qu'elle s'acharne sans
discernement sur le premier objet qui
la frappe et qui l'anime.
Cependant j'aurois peine à souscrire à
I. Vol.
la
1138 MERCURE DE FRANCE
la Question de fait dans toute sa géné
ralité. Je veux bien croire qu'il se trouve
des personnes qui ont plus de peine à
pardonner à ceux qui se font un plaisir
de les voir calomniées ; mais est - il
à présumer que cela arrive toujours , ou
même ordinairement , comme on le donne
à entendre dans la Question proposée
? Peut-on supposer comme un fait
constant que tout le monde prend le
même parti , a les mêthes interêts , les
mêmes vûës , la même difficulté dans la
comparaison des Auteurs et des Approbateurs
de la calomnie ? Ne seroit-il
point mieux de dire que cette détermination
dépend du génie , du caractere
des personnes et de la diversité des circonstances,
qui font que les uns sont plus
frappez de la malice des Calomniateurs ,
et d'autres plus touchez de l'indigne complaisance
de ceux qui les approuvent et
qui se réjouissent aux dépens d'une rêputation
décriée ?
Les Esprits sont si differens , les tours
d'imagination si diversifiez , les circonstances
si variées , qu'on ne peut rien statuer
de fixe sur quelques exemples que
l'on pourroit alleguer pour établir la généralité
du fait ; Ainsi le point juste de
la difficulté consiste à sçavoir pourquoi
1. Vol.
quelJUIN.
1733 1139
quelques- uns ont plus de peine à pardonner
à ceux qui prennent plaisir à
voir les personnes calomniées , qu'à ceux
qui sont auteursdes calomnies ? Čela peut
venir de differentes causes.
1º. Il n'est pas ordinaire qu'un homme
cherche de sang froid à nous faire du
mal , et qu'il ait l'ame assez noire pour
répandre contre nous de faux bruits , sans
qu'il se croye lui - même offensé ; qu'il
s'imagine avoir lieu de se plaindre de
nous , et que , de quelque maniere que ce
soit , imprudemment ou même innocemment
, notre conduite , nos manieres , nos
discours ayent donné lieu à son animosité.
Il n'en est pas de même de ceux qui
se plaisent à l'entendre , et qui se réjouissent
de nous voir déchirez par sa mauvaise
langue . Ils n'y ont le plus souvent
aucun interêt , ils ne sçauroient alleguer
aucun prétexte pour se déclarer nos ennemis
; on suppose que ce ne peut être
que pure malignité , et que la seule dépravation
du coeur les porte à se réjouir
du mal qu'on nous fait et à voir avec
plaisir les traits que la calomnie lance
contre nous. S'ils ne sont pas dans le
fond les plus coupables , ils peuvent cependant
le paroître à cet égard et dans
ce point de vûë qui frappera la personne
1
1. Vol. E offensée;
1140 MERCURE DE FRANCE
offensée ; et elle sera plus difficile à en
revenir.
2º. Si ceux qui se réjouissent de voir
une personne deshonorée par la calomnie
, sont de ses parens , de ses amis , et
semblent plus obligez que d'autres à
prendre sa deffense , on conçoit aisément
que cette personne pourra être plus outrée
de colere contre des parens si dénaturez
, contre des amis si infidelles
contre des gens si lâches et si traîtres
que contre le premier mobile des sinis.
tres impressions qui le décréditent dans
le monde , et qu'elle aura plus de peine
à se résoudre de leur pardonner.
,
3. Celui dont l'honneur est attaqué
fera peut- être attention que la calomnie
tomberoit d'elle- même, s'il ne se trouvoit
personne qui la reçût avec plaisir . Saisi
de cette pensée , il s'en prendra principalement
à ceux qu'il croira lui avoir
fait plus de tort , en donnant cours aux
mauvais bruits qui se repandent sur son
compte , et qu'il n'auroit tenu qu'à eux
d'arrêter par le mépris ou l'indignation
qu'ils eussent témoignée au calomniateur;
pendant qu'un autre dans la même situarion
, sera tout occupé de l'injustice criante
du détracteur qui l'a noirci d'un crime
supposé, qu'il ne regardera que lui , qu'il
L. Vol. en
JUIN. 1733. 1141
en fera l'unique ou le principal objet de
sa haine. Tout cela ne dépend que de
l'imagination et de la maniere dont on
conçoit une même chose qui a differentes
faces.
4°. La calomnie reçûë avec plaisir , se
divulgue de même, et prend de nouveaux
accroissemens en passant de bouche en
bouche. On enchérit sur ce que l'on a
entendu dire , on y ajoute de nouveaux
traits encore plus perçans et plus mortels
, ou du moins on l'autorise , on l'appuye
, on lui donne plus de force ; et
si le fourbe qui l'a inventée n'est pas
croyable par lui-même , il le devient par
l'aveu et l'approbation des personnes qui
se plaisent à l'entendre , et qui témoi
gnent ajoûter foi à ses discours impos
teurs. La calomnie ainsi soutenue et ac
créditée pourra faire de plus cruelles
blessures dans celui qu'elle attaque ;
il en aura le coeur plus ulceré contre les
personnes par la faute desquelles il s'apperçoit
que le mal devient presque irréparable.
Mais il faut qu'il s'en apperçoive
, qu'il y fasse attention , et qu'il en
soit plus touché que de la malice même
du premier auteur de la calomnie , ce
qui n'arrive qu'en certaines rencontres.
Enfin plusieurs ne remontent point à
1. Vel.
Eij l'origine
142 MERCURE DE FRANCE
l'origine du mal , et ne regardent que ce
qui les blesse immédiatement. Cet air de
joye et de satisfaction qu'ils remarquent
dans les personnes qui applaudissent à la
calomnie , les pénetre vivement , et leur
fait presque oublier la calomnie même
et son auteur ; ils s'imaginent que c'est.
les insulter dans leur malheur que d'y
prendre plaisir , et cette insulte leur est
plus sensible que le mal qu'on leur fait 3
Ils n'y voyent que malignité , que cruauté
, qu'inhumanité , mais c'est leur imagination
qui travaille et qui grossit les
objets. La plupart de ceux qui se plaisent
à écouter les médisances , le font plutôt
par legereté et par un penchant trop naturel
à l'homme , qui le porte à s'entretenir
volontiers des défauts de ses semblables,
et à se réjouir quand on les releve,
sans presque s'appercevoir de ce déreglement
et y faire réfléxion.
Je ne prétends pas par là excuser ces
sortes de personnes qui sont réellement
très-coupables , mon dessein est seulement
de faire sentir qu'elles ne le song
pas plus que les auteurs de la calomnie
et que c'est sans raison qu'on a quelque
fois plus de peine à leur pardonner.
S. L. SIMONNET , Prieur d'Heurgeville ,
1. Vola ODE
JUIN 17331
1143

ODE SA CREE,
Sur quelques Versets du Pseaume XXV.
V. VI .
Lavabo inter innocentes manus meas.
Vous Ous , à qui la Toute - puissance
Du vrai , fait sentir les beautéz ,
Esprits , qui maintenant goûtez ,
Les fruits de l'heureuse innocence
Et qui vous éloignez des profanes Humains ,
Au milieu de vous tous j'irai laver mes mains.
'
Et circumdabo altare tuum , Domine.
Je sens ton Esprit qui m'anime ,
Oui , grand Dieu , je veux dans mes Vers,
Chanter l'Auteur de l'Univers ,
Et t'immoler une victime ;
Parmi mes saints transports et mes tendres accents
,
Autour de tes Autels brulera mon encens.
V. VII.
Ut audiam vocem laudis et enarrem universa
mirabilia tua.
C'est pour entendre tes loüanges ,
Que je t'adresse ainsi mes voeux ;
1. Vol. Vien
E )
1144 MERCURE DE FRANCE
"
Vien , Seigneur , seconder mes feux ,
Joins ma voix à celle des Anges ;
De concert avec eux ma bouche publiera ,
Tous tes faits merveilleux ; l'air en retentira.
*. VIII .
Domine dilexi decorem domus tuæ et loum
habitationis gloria tua.
Enfin j'ai trouvé mes délices ,
Dans le séjour de ta Grandeur,
Et de ce céleste bonheur ,
Mon ame a senti les prémices ;
La beauté de ton Temple , et ta brillante Cour
Vont être désormais l'objet de mon amour.
Y. IX.
Neperdas cum impiis Deus animam meam.
Grand Dicu , ne confonds point mon ame,
Avec ces malheureux Mortels ,
Profanateurs de tes Autels ;
Eloigne moi de cette flamme ,
Dont ils seront la proye au jour de ton courroux,
Que tes foudres , Seigneur , ne tombent point
sur nous.
Et cum viris sanguinum vitam meam.
Loin d'ici ces Monstres de rage , ...
Dépouillez de l'humanité ,
Et dont l'avide cruauté ,*
I. Vol.
CherJUIN.
1733. 1145
Cherche le meurtre et le carnage ;
Ah ! ne me plonge point dans la nuit de la mort ,
Sauve moi de l'horreur de partager leur sort.
V. X.
In quorum manibus iniquitates sunt ,
dextera eorum repleta est muneribus.
Comblez des dons de la fortune ,
Quel bruit font- ils dans un Etat ?
Richesses , Dignitez , Eclat ,
Qui plus est , vertu non commune ,
Semblent les illustrer,les mettre au premier rang ;
Leurs sacrileges mains sont encor dans le sang.
V. X I.
Ego autem innocentia mea ingressus sum;
redime me et miserere mei .
>
Mais ma conduite est innocente ;
Que le noir tyran des Enfers ,
Ne me tienne plus dans ses fers ;
Que ta bonté toute- puissante ,
Détourne loin de moi sa domination ;
Rachepte cet objet de ta compassion .
V. XII.
Pes meus stetit in directo , in Ecclesiis
benedicam te Domine.
Dans le chemin de la justice ,
I. Vol. E iiij Ta
146 MERCURE DE FRANCE
Ta grace a raffermi mes pas ;
J'en ai connu les vrais appas ;
Ils mont fait détester le vice ,
De tes divins bienfaits vivement penetré ,
Je benirai ton nom dans ton Temple sacré.
Regnard de Bussieres .
Les mots des Enigmes du Mercure
de May sont , la Plume à écrire , l'Ecriture
, le Merlan. On doit expliquer les
Logogryphes par , MURAILLE , où l'on
trouve Mur , Maille , Vrille , Ville ,
Murer , Vire , Rame , Levi , Raye , Lime,
Lyre , Mule , Rime, Lame , Mail , Mâle,
Ail , Mil , May , Mal , Ire , Air , Eau,
Vie, ruë , Mue , Mie , Ali , Lia , Mer.
BROCHET , où l'on trouve , Broche
Roche , Roc , Rochet , Torche , Ré , Cor ,
Or , Broc , Rot , Robe , Rote , Troc.
MAIS on y trouve , Siam , May , As,
Ais , Ami , Mi , Si.
PAMPELUNE ; On y trouve , Lune , Pape,.
Plume , Mal, Pan , Ame , Pen , La ,
Apel.
I. Vol. ENIGME
JUIN. 1147 17336
XX :XXXXXXXX : XXX **
Il n'est
ENIG ME.
SONNET.
L n'est presque rien sous les Cieux ,
Malgré mon titre de foiblesse ,
Plus rempli de force et d'adresse ;
Je suis toujours chere à vos yeux.
Je désarme les furieux.
Quand ce seroit une tigresse ,
J'appaise et touche ma Maîtresse,
Je puis fléchir même les Dieux.
Quelle chose au monde est parfaite ↓
Par malheur une horrible bête ,
Me cause un odieux renom ;
Comme elle me rend inhumaine ,
On n'a pour moi que de la haine ,
Lorsque je parois sous son nom.
Par le sieur de Rocherenb
AUTRE ENIGM E.
DAns le sein même de la France ,
Jadis , dit- on ,je pris naissance ,
Mais à l'aide bien- tôt du celeste flambeau ,
Je choisis un séjour plus noble ,
1
1. Vol. Ev Ce
1148 MERCURE DE FRANCE
Ce fut sur un certain Côteau ,
Qui n'est pas fertile en vignoble ,
Mais ou coule en revanche un rapide Ruisseau ,
Dont l'onde toujours pure et claire ,
Fait plus de mal à maint cerveau ,
Que tous les vins n'en pourroient faire.
Pauvre le plus souvent , mais riche quelquefois ,
Je commande à des gens qui n'ont rien de solide,
Qui malgré le bon sens , me prennent pour leur
guide ,
i..
Et ne respectent que mes loix ;
Pourtant loin de paroître à leurs yeux toute nuë ,
Je me cache en toute saison ,
Et ne me présente à leur vûë ,
Qu'après qu'on m'a souvent immolé la raison.
Contente alors du Sacrifice ,
A leurs desirs je suis propice ;
Mais à toi , lecteur curieux ,
Je viens m'offrir sans artifice ,
Je parois même ici librement à tes yeux.
ZXZXXXXXXXXXXX
LOGOGRYPHE.
Ans mes six pieds je suis le chef- d'oeuvre
DA des Cieux ,
Dans mes 2. 5 et 3. je suis celui des hommes,
Et lorsque réunis nous sommes ,
I. Vol.
Nous
JUIN. 1149 17330
Nous formons des objets qui charmeroient les
Dieux ;
Mon dernier tiers sert en Musique ,
Mon second ( s'il est renversé )
Est de même nature et de même pratique ,
Et mon premier ( son ordre boulversé )
Est des Saisons la premiere qu'on fête ;
Garde-toi , Lecteur imprudent ,
De lui prêter mon 6. et couronner sa tête ,
Tu nous offrirois une bête ,
Dont le front est trop impudent ;
5. 2 et 3. n'est pas bête moins vile ,
Mais si sa qualité nuit aux champs comme en
Ville ,
Son nom du moins est si gracieux ,
De sa fémelle même on vantè les vifs yeux ,
Joins y pour lors mon 6 au corps de l'homme
utile ,
On sçait que noblèment ,
Elle s'y conserve un azile ;
Mais si ton plaisir , cependant ,
Eroit de lui trancher la tête ,
Remplace lui donc promptement ,
Celle qui de mon tout fait d'abord l'ornement ,
Et que volontiers je te prête ,
Pour en parer ( comme on faisoit jadis )
Ou ton Cabinet ou ta Chambre ;
A mon deuxiéme tiers unis mou dernier membre,
Et crains que l'on ne te ... car souvent on est
pris >
E vi Pour
1150 MERCURE DE FRANCE
Pour un 2. 4. 3. 5. 6.
Qui veut voir femme sans chemise ,
Lecteur en es-tu curieux ?
Prends ma tête et ma queiie et mets 4 entre deux
Elle se présente à ta guise ,
N'abuse pas au moins de ma facilité
A te procurer ma recette ,
Et ne vas pas ainsi par trop
>
de dureté ,
Faire place à mon 5. aux dépens de sa tête ,
Et puis la laisser là !
4. 6. 1. et 3. déja .
Le temps calme change de facé ,
4. 5. 1. et 6. dedans mon flanc sans choix ,
Je porte le destin des Bergers et des Rois ;
Mais enfin , Lecteur , je fais grace
A quelques mots encor qui trouveroient bien
place ,
Si pour vouloir trop m'appuyer ,
Je ne craignois de t'ennuyer.
AUTRE.
Qui pourra
faire de mon corps ,
Une fidelle Anatomie ,
De mes membres épars connoître les rapports ,
Est digne de l'Académie ,
S'il me coupe la tête , il verra dans l'instant ,
Une Cité recommandable ,
Et par l'antiquité du temps ,
I. Vol.
E
JUIN. 1733. 7157
Ét par son climat agréable ;
Mais s'il rejoint má tête au milieu de m
corps ,
Et qu'il en sépare le reste ,
Il voit un composé de roue et de ressorts
Glorieux quelquefois et quelquefois funeste.
Admirez ma diversité ,
S'il prend ma derniere partie ,
Sans faire de cacophonie ,
Et qu'avec la troisiéme il m'ait bien ajusté ;
Pour me rejoindre à la cinquième ,
Conjointement à la sixième ,
Je deviens commode aux festins ,
Utile au Bal, à l'Audiance ,
Et comme piece d'importance ,
On me pare au Palais , et même aux Capucins ,
Mais quelle autre métamorphose !
Si l'Anatomis sçavant ,
Garde mon premier membre
dispose ,
> et du second
En conservant les deux suivans ,
Je strai tout d'un coup ce mot incomparable ,
Qu'un témeraire Auteur a tenté de bannir ,
Et que toujours nos Rois ont voulu retenir ,
Etant de leur vouloir le signe respectable ,
Sous un aspect nouveau , si l'on prétend me voir;
Que mon membre second , sans quitter le troisié.
ne ,
Se joigne étroitement au cinquiéme et sixième ,
1. Vol.
Je
1152 MERCURE DE FRANCE
e présente un objet aux yeux du Spectateur ,
Agréable au vendeur ,
Utile à l'acheteur ,
En un mot aux Mortels devenu nécessaire ,
Depuis qu'ils ont rendu l'aliment mercenaire.
Qu'on retourne ma queue et je suis bien changé ,
Vrai simbole de la sagesse ,
Hélas ! je rappelle sans cesse ,
Comment le Seigneur s'est vangé ,
D'un défaut ou d'une foiblesse ,
Dont le Sexe aujourd'hui n'est pas bien corrigé.
Pour finir cette Anatomie ,
Capable à la fin d'ennuyer ,
Comme un Calcul d'Astronomie ,
Du milieu de mon corps qu'on sépare un quartier
,
Qu'il marche à reculons et rejoigne ma tête ,
Qu'il reprenne la fin , hors le membre dernier ,
On trouvera le nom de l'aimable conquête ,
Que Jacob acheta quatorze ans de travaux ,
Et le Lecteur et moi nous prendrons du repos,
M. Dupin.
AUTR E.
UN jour dans le Fleuve du Tage ,
Un tendre Amant s'étant plongé ,
Rejeté le long du Rivage,
1. Vol Ex
JUIN.
1153 1733.
En un bel arbre fut changé ;
D'une écorce très fine il vit couvrir ses charmes
Ses beaux cheveux moüillez de larmes ,
Ne furent plus qu'un feuillage nouveau ,
Et les Perles enfin qu'il avala dans l'eau ,
Produisirent les fleurs brillantes ,
Qui vinrent
doyantes.
couronner ses branches ver
Apprends ami Lecteur , que je suis le doux fruit,
Que cet arbre charmant produit ,
La Pomme qui des Dieux alluma la querelle ,
A tes regards seroit moins belle ;
Partage mon nom en deux mots ,
L'un t'offrira cette chimère ,
Que des Phisiciens la troupe mercenaire ,
Cherche en vain dans ses durs travaux ,
Et l'autre une pure substance ,
Eh ! bien pour deviner as-tu trop d'ignorance v
J
AUTRE.
' Ay beau faire pour moi parler mon rare prix,
Je déplais si la main met peu d'ordre en ma
marche ,
Ami Lecteur , qu'à rebours je sois pris ,
L'Ecriture offre en moi le fils d'un Patriarche ,
L. H. D.
1. Vol. NOU
1154 MERCURE DE FRANCE
***** **:*:*******
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &c.
Ous acheverons ici l'Extrait du
N Traité de l'Opinion , bien moins.
pour faire connoître un Ouvrage dont
la réputation est autant répandue et aussi
bien établie que pour nous acquitter de
notre promesse. Les Citations d'un Ouvra
ge n'entrent pas ordinairemens dan tunExtrait;
nous nous contenterons d'observer à
cet égard qu'on trouve sur chaque matiere
le précis de ce que les Auteurs anciens
et modernes ont dit de plus remarquable
, que leurs propres paroles sont souvent
citées , et les passages toujours choisis
avec discernement , ensorte que dans
la seule lecture de cet Ouvrage on peut
recueillir le fruit de beaucoup de travail
et de recherches en tout genre.
Le quatrième Livre , où nous avons
terminé la premiere partie de notre Extrait
, renferme principalement les contradictions
des Savans sur la Physique ,
l'Astronomie et la Médecine ; les impostures
des Alchimistes et des Astrologues,
les opinions outrées des Naturalistes , et
I. Vol. en
JUIN. 1733. 1155
en même-temps les progrès de l'Esprit
humain et ses nouvelles découvertes dans
les Sciences qui ont des objets corporels.
Le Chapitre premier contient quelques
objections faites aux Mathématiciens
avec des Refléxions sur le systême de
l'infini et sur l'état présent de la Géométrie.
Les trois Figures placées au commencement
du Chapitre de la Physique ,
représentent,l'une les Tourbillons de Descartes
, et les deux autres , la Masse du
Soleil , composée , selon Descartes , de la
matiere subtile , et selon l'Auteur da
Traité de l'Opinion , de la matiere compacte
du troisiéme Element , penetrée de
la matiere subtile du premier. Tout ce
qu'il dit à cet égard est neuf et digne
de l'attention des plus habiles Physiciens.
Le Chapitre de l'Astronomie explique
les quatre principaux Systêmes de Ptolomée
, de Copernic , de Tycho- Brahé et
de Longomontan , et renferme les dif
ferentes opinions des Astronomes , entre
lesquelles il se trouve de prodigieuses
distances. Après avoir observé qu'il y a
telle Etoile , qu'on croit avec raison plu
sieurs millions de fois plus grande que
le Soleil , et qu'il est inconcevable de
combien la grandeur de cette Etoile surpasse
celle du Globe de la Terre , que
I. Vola
l'Astro1156
MERCURE DE FRANCE
l'Astronomie la plus nouvelle tient plus
petit que le Soleil un million de fois ,
Î'Auteur ajoûte : » C'est ainsi que plus on
» fait de progrès dans une Science , plus
» l'objet auquel tendent nos travaux , sem-
» ble s'éloigner de nous ; plus on acquiert
» de connoissances , plus on s'apperçoit
» de l'étenduë de celles qui manquent ,
» et comme le sçavant , semblable à l'am-
» bitieux , ne regarde jamais derriere lui ,
plus il apprend , plus il ignore. Ses dé-
»couvertes lui offrent des travaux de plus
» en plus inépuisables,il demeure convain-
» cu de la maxime de Socrate , qu'il ne sçait
>>autre chose , sinon qu'il ne sçait rien .
Il est ensuite traité de la Médecine.
L'Auteur a dit dans sa Préface qu'il ne
peut se refuser la satisfaction de déclarerson
sentiment particulier ; sçavoir , que si
la Médecine est un Art en lui - même rempli
d'incertitude et de dangers , il n'y
a point de secours plus nécessaire à un
malade que celui de la prudence d'un
bon Médecin , et qu'il y auroit une grande
témérité de prétendre se conduire par
son goût ou par ses lumieres dans l'état
auquel on est réduit par la maladie . Ce
Chapitre de la Médecine expose les differens
systêmes et les contradictions des
Médecins , les changemens arrivez dans
1. Vol. la
JUIN. 1733. 1157
la Médecine , les contestations survenuës
au sujet de l'Emétique , avec des Dissertations
sur les manieres de traiter la petite
verole , sur les saignées et sur les dé
couvertes nouvelles de la Médecine.
Le Chapitre suivant de la Chimie est
écrit de cette maniere , également instructive
et amusante , dont l'Auteur ne s'écarte
jamais , et avec la clarté qu'il sçait répandre
sur toutes sortes de sujets . Il dévoile
les supercheries des Alchimistes et réfute
leurs raisonnemens les plus spécieux;
mais il rend justice aux découvertes utiles
d'une Chimie très- sage , qui ne s'applique
qu'à la connoissance de la Nature
et à la préparation des Remedes.
Les préceptes frivoles de l'Astrologie
judiciaire sont détruits et renversez dans
le Chapitre sixième. Les exemples des
prédictions les plus célebres , n'y sont
pas oubliés. Les autres especes de divinations
prétendues naturelles , comme
phisionomie , Chiromancie , Talismans
&c. sont traitées suivant la méthode de
rapporter les opinions des anciens et des
modernes avec les exemples historiques.
Dans le Chapitre des Naturalistes ,
P'Auteur avertit que le vrai se trouve
mêlé avec le faux , et qu'il lui eut été
impossible d'assigner les limites de l'un
I. Vol. et
1158 MERCURE DE FRANCE
de l'autre. Ce mêlange des opinions des
Naturalistes , dont les unes sont outrées
à l'excès , d'autres fort incertaines , et
quelques- unes veritables, fournit des Mémoires
très - amples pour l'Histoire de
l'Esprit humain sur cette matiere .
La Dissertation sur les Arts n'est pas
moins curieuse , et l'Auteur discute cnsuite
en Philosophe profond , les opinions
sur la formation des idées , et ce qui regarde
l'imagination et les sens .
>
Dans le Livre cinquième qui traite de
la Politique , il fait connoître les differentes
sortes de Gouvernemens par l'Histoire
ancienne et moderne ; il donne des
Tableaux finis des Etats de la Grèce et
de la République Romaine ; il explique
avec une grande connoissance du Droit
Public , la véritable constitution du Gouvernement
de France ; il marche d'un
pas hardi et ferme entre les écueils , et
il réfute avec force les fausses opinions
répandues sur des matieres si importantes.
Dans le second Chapitre , l'Auteur
éxamine les maximes politiques. Il excepte
du nombre des opinions quelques
principes certains , par exemple , que
comme Archimede ne demandoit qu'un
point d'appui , pour remuer le Globe de
1. Vol. la
JUIN. 1733. 1159
fa Terre à son gré , ce point d'appui
pour la politique est la bonne foi ; que
le principe de toute verité étant que Dieu
est incapable de tromper , le principe de
toute bonne politique est aussi que le
Monarque soit incapable de tromper ;
que les hommes ne résisteront jamais à
un Empire qui réunit la justice et la
force , &c.
Le sixième Livre renferme les pensées
les plus sublimes , en même temps que
les opinions les plus déraisonnables sur
la Morale et les differentes Loix et Coûtumes
des Peuples. Le Chapitre des Loix
commence par une réfutation très forte
de Spinosa , de Montagne et autres qui
ont nié une justice naturelle ; et l'Auteur
établit que les grands principes de Morale
sont susceptibles de démonstration.
On trouve dans ce Chapitre une Histoire
plus étendue que par tout ailleurs ,
de toutes les épreuves appellées Jugemens
de Dieu."
La diversité des Coûtumes est propo
sée comme une source de Refléxions salutaires.
Le Lecteur s'y trouve disposé
par ce commencement du cinquième
Chapitre, » Platon remercioit Dieu de
l'avoir fait homme et non pas bête ,
Grec er non pas Barbare ; pour nous en
I. Vol.
» faisant
1160 MERCURE DE FRANCE

» sant refléxion sur plusieurs Coûtumes .
» et opinions abominables qui inondent
» la surface de la Terre , concevons - en
» une juste horreur et remercions Dieu
» de nous avoir fait naître Chrétiens , sous
» une domination équitable et dans un
» siecle éclairé .... Les meilleures ins-
>> tructions se tirent quelquefois des exem-
» ples les plus défectueux ; Ismenias fai-
» soit entendre à ses Ecoliers les plus
» mauvais Joueurs de flute ; le pere d'Ho-
» race lui mettoit devant les yeux la Jeu-
» nesse de Rome la plus corrompuë ;
»Quintilien vouloit que les Professeurs
d'Eloquence lûssent à leurs Disciples
» des Oraisons d'un stile insipide ; les La-
» cédémoniens obligeoient les Ilotes de
» s'enyvrer en présence de leurs enfans
& c.
ر د
>>
L'Ouvrage est terminé par une Dissertation
éloquente sur la douleur et sur
la mort. Mais nous nous appercevons
que nous passons les bornes d'un Extrait
; nous ajoûterons seulement que
ceux qui ont acheté des Exemplaires
du Traité de l'Opinion , sont avertis que
l'Auteur à joint à chaque volume quelques
Observations. Ils les trouveront
contenues séparément dans une petite
Brochure , chez Antoine - Claude Brias-
I. Vel. son
JUIN. 1733. 1161
son , qui débite présentement ce Traité ;
et à l'égard des Exemplaires qui seront
vendus par la suite , ces Observations y
seront insérées au commencement de
chaque volume . Elles renferment des
Eclaircissemens , Additions , Corrections
et un Errata plus exact .
SYSTEME CHRONOLOGIQUE sur les trois
Textes de la Bible , avec l'histoire des anciennes
Monarchies , expliquée et réta
blic . Ouvrage divisé en deux parties : La
premiere comprend les Antiquitez des
premiers et des seconds Assyriens , des
seconds et troisiémes Babyloniens , avec
'Histoire des Médes . La seconde [comprendra
l'ancienne Histoire des Perses
des Egyptiens et des Scythes , les antiquitez
Chinoises , Phéniciennes et Lydiennes
; celles de l'Asie et de l'Afrique,
avec l'ancienne Histoire Grecque et Larine
. Par M. Michel de Toul. A Toul
chez Cl. Vincent . 1732. in 4 .
NOUVELLE TRADUCTION FRANÇOISE du
Pastor Fido , avec le Texte à côté. A Paris
, chez Nyon fils , Place de Conty . 1732.
in 12.
HISTOIRE CRITIQUE de la Gaule Nar-
I. Vol. bonnoi1162
MERCURE DE FRANCE
bonnoise , qui comprenoit la Savoye , le
Dauphiné , la Provence , le Languedoc ,
le Roussillon et le Comté de Foix , avec
des Dissertations . Par M. de Mandajors ,
de l'Académie Royale des Inscriptions et
Belles Lettres. Chez Greg. Dupuis , ruë
5. Jacques . 1733. in 12 .
HISTOIRE D'HIPPOLYTE , Comte de Duglas.
Par Mad. Aulnoy , nouvelle Edition,
enrichie de figures en Taille douce , Chez
Gabr. Valleyre , fils , ruë de la Vieille-
Bouclerie , et la veuve Langlois , Quai de
Conty. 1733. in 12. 2. vol.
د
THEOLOGIE PHISIQUE , ou Démonstration
de l'Existence et des Attributs de
Dieu , tirée des Oeuvres de la Création ?
accompagnée d'un grand nombre de Remarques
et d'Observations curieuses . Par
Guill. Derham , Chanoine de Vindsor
Recteur d'Upminster , &c. Traduite de
l'Anglois , par Jacq . Lufneu , Docteur en
Médecine et Lecteur en Mathématique
Troisiéme Edition , revûë et corrigée . A
Paris , chez Chaubert , Quai des Augustins,
in 8. 1732.
LES METAMORPHOSES D'OVIDE , avec
des Remarques et des Explications histo-
1. Vol.
riques,
JUIN. 1733- 1163
riques. Par M. l'Abbé Banier , de l'Académie
Royale des Inscriptions et Belles-
Lettres. Ouvrage enrichi de Figures en
Taille douce. A Amsterdam , chez Westeins
et Smith , et se vend à Paris , chez
Coignard , fils , 1732. 3 vol. in 12 .
ESSAY sur le bon goût en Musique.Par
M. Grandval. A Paris , Quai de Gévres ,
chez P. Prault.173 2. brochure de 76 pag.
prix , 15 sols.
4
Voicy une matiere toute neuve , comme
l'Auteur l'expose dans une courte
Préface , en réfléchissant sur la difficulté
et la délicatesse de l'entreprise. Selon lui,
il y a deux grandes manieres de connoitre
les bonnes et les mauvaises choses ; le
sentiment intérieur et les Regles . Par le
sentiment on dira , il me semble , que
cela est bien , ou il me semble que cela
est mauvais. Par les Regles , on dira , cela
est bon ou mauvais , par telle raison, & c.
Or le plus sûr moyen de juger sainement
est de joindre le sentiment intérieur aux
Regles , d'appliquer l'un à l'autre ; de
bien démêler l'impression de l'un à l'effet
de l'autre ; ensorte qu'ils se prêtent un
mutuel secours équitable , et qu'il en ré-
-sulte un jugement sensé , qui fasse honneur
au goût de celui qui le rend .
I. Vol.
F Le
1164 MERCURE DE FRANCE
}
Le bon goût se distingue par les de
grez où l'on place les bonnes choses , les
mauvaises , les médiocres, les excellentes
et les détestables.
;
Il y a dans les Arts , dit l'Auteur , un
point de perfection ; celui qui le sent a le
goût parfait celui qui ne le sent pas et
qui va trop loin ou reste en deçà , a le
goût défectueux ; sur ce pied- là le bon
goût n'est autre chose que le sentiment
naturel , purifié par les Régles. 11 consiste
à sçavoir faire cas des choses , à. proportion
de ce qu'elles valent , et à les estimer
selon qu'elles sont estimables , par
de génie et l'art qui y sont employez , et
bien ou mal mis en oeuvre.
-
Il y a deux sortes d'oreilles ; l'une pour
le son , l'autre pour la mesure ou le mouvenient;
la premiere est blessée d'un faux
ton , qui fait connoître quand on chante
ou qu'on touche faux ; celle-là est impossible
à donner. L'autre fait chanter de
mesure , fait connoître quand on en est
sorti , et enseigne l'exacte précision de la
valeur des temps. Quelques uns ont l'une
au suprême dégré , à qui l'autre manque
entierement. J'ai connu des Musiciens ,
poursuit l'Auteur , qui avoient l'oreille
du son si parfaite , qu'ils auroient discerné
jusqu'à un demi ton de fausseté ,
L. Vol.
et
JUIN. 1733 1165
et qui ne pouvoient danser un Menuet
en cadance ; et des Maîtres à Danser qui
ne s'appercevoient pas quand on chantoit
faux .
⚫ M. Granval , veut sur tout qu'on sçache
promptement connoître le ton ma
jeur et le ton mineur , et qu'on y ait l'oreille
bien rompuë , afin d'être d'abord
sensible à la difference de l'un et de l'autre.
C'est pour cela , dit-il , qu'il n'y a
rien de si dangereux que d'être commencé
par de méchans Maîtres , soit à chanter
, soit à jouer des Instrumens , ou à
danser ; ils donnent un mauvais pli , de
mauvais principes ; ils gâtent la voix , la
main , la jambe , et qui pis est le goût ,
bien loin d'en donner.
Pour parvenir au bon goût en question
, il faut s'accoûtumer à juger , &c.
J'ai pris garde à l'Opéra et aux Concerts
que bien des personnes ne jugent point ,
ils tâchent de lire dans les yeux des autres
ce qu'ils doivent penser et sentir. Il
faut se demander à soi -même : Cet Air
m'a-t- il flaté l'oreille , m'a - t - il ému le
coeur ? oui. Voilà le sentiment qui approuve
; il reste à consulter les Regles ,
& c .
Le plaisir du coeur étant au- dessus de
celui des oreilles ; une Musique qui pê-
1. Vol.
Fij che
1166 MERCURE DE FRANCE
che contre les Loix qui vont à toucher le
coeur , pêche davantage que celle qui ne
manque qu'à celles qui visent à contenter
les oreilles . Pardonnons à deux cadences
semblables , trop voisines l'une de
l'autre , à quelques fautes contre les regles
de la compositions et ne pardonnons
point à un shant froid , ou forcé ,
ou sans expression , ni à une-Musique trop
chargée d'agrémens et pleine de richesses
, hors de saison. Tout cela est en purc
perte.
Les belles chofes ne le sont plus , hors
de leur place.
La raison met les bienséances , et les
bienséances mettent la perfection .
L'Auteur préfére l'approbation du peu
ple à celle des Sçavans , avec des modifications
; il donne de tres bonnes raisons
pour appuyer son sentiment , et il soutient
que ce qui emporte generalement
l'admiration du peuple qui va à l'Opéra ,
Sans emporter celle des Sçavans , est au
dessus de ce qui emporte celle des Sçavans
, sans toucher le peuple.
·
Par le Peuple , dit il , j'entends toujours
les honnêtes gens , conduits par la
nature , à laquelle ils s'abandonnent ,
S'entreprêtant chacun ses lumieres , se
redressant l'un l'autre , et prononçant ,
I. Vel. selon
JUIN. 1733. 1167
selon un sentiment commun et libre
C'est là le grand Juge. Ce sont plus d'oreilles
et plus d'yeux ; la nature parle davantage
et plus haut ; la verité sort du
milieu du Parterre , comme elle sortoit
autrefois de la multitude d'Athénes.
Pour se perfectionner le goût , il croit
qu'il faut écouter les raisonnemens des
Sçavans , déférer aux sentimens des connoisseurs
, et étudier les mouvemens du
Peuple .
Comme malgré tous nos soins et notre
application nous pouvons encore nous
tromper , il faut se faire une régle et une
habitude d'observer et d'éplucher nos
méprises , d'éxaminer nos propres jugemens
avec la même séverité que les ouvrages
d'autrui , de remonter jusqu'à la
cause de notre méprise , que nous remarquerons
nettement , pour être en
garde contre nos erreurs et n'être pas
si sujets à y retomber. L'utilité de cette
pratique , dit M. Granval , mene au bor
goût bien droit et bien vîte .... Rapellons-
nous souvent nos méprises , considérons
attentivement le ridicule que
nous nous serions attiré , si elles avoient
été connuës, La méditation n'est pas flateuse
mais ce sera son amertume qui
nous la rendra utile.

1. Vol Fiij L'Au1168
MERCURE DE FRANCE
L'Auteur estimeroit le goût d'une personne
qui diroit sûrement : Cette simphonie
est belle , mais elle a été mal éxécutée.
Celle- ci a été bien éxécuté , mais elle ne
vant rien.'
En parlant de Lully , qu'il recommande
de ne pas perdre de vuë , il
dit , que ses chants prouvent qu'il étoit
capable de penser ce qu'il exprimoit.
Quels tons fins , vifs , délicats , expressifs
, &c. Il croit qu'il est toujours tresavantageux
aux Artistes , de se proposer
un point de perfection au- delà même de
leur portée. Ils ne se mettroient jamais
en chemin , s'ils croyoient n'arriver qu'où
ils arrivent effectivement . Toutes les
Sciences ont leur chimere ; elles courent
après sans la pouvoir attrapef , mais elles
font en chemin de tres- heureuses dé-
-couvertes .
NOUVELLE EDITION des Ouvrages d'Origene
, en cinq Volumes in folio , Grecs
et Latins , par le R. P. Dom Charles de
la Rue , Religieux Benedictin de la Congrégation
de S. Maur. Les deux premiers
Volumes sont déja imprimez et se vendent
chez Jacques - Vincent , Libraire et
Imprimeur à Paris ruë S. Severin , ઢ
Ange.
I. Vol De
17336 JUIN. 1169
}
son
De tous les grands Hommes
qui ont
fait l'ornement
des premiers
siécles de
l'Eglise , il n'y en a peut- être aucun dont
le nom ait été et soit encore aussi célébre
, que celui d'Origene
, fils du S. Martyr
Léonide. Sa vie , son esprit , sa vaste
érudition
l'ont fait d'abord regarder comme
un prodige
de la Nature et de la grace ; máis cette estime universelle
dégenera
bientôt
en une persécution
presque
générale
qui s'éleva contre lui
ou par sa faute , ou par son malheur
que Démétrius qu par la jalousie
Evêque , avoit conçuë de sa réputation
. Il s'est vû chassé de son Pays , déposé du
Sacerdoce
, excommunié
même par les
deux premiers
Siéges du monde chrétien
, et par la plupart des autres , tandis
que de grands Saints soutenoient
sa cause
, et que Dieu sembloit
se déclarer pour
lui , en se servant de ses rares talens pour faire entrer dans la verité et dans le sein
de son Eglise des Ambroises
, des Grégoires
Thaumaturges
, et des Athenodores
.
Ha eu le même sort après sa mort . Des
Martyrs ont fait des Ecrits sanglans
contre
lui , et des Martyrs ont fait son Apologie.
Les uns l'ont détesté comme un
Ecrivain
pernicieux
, les autres l'ont regardé
comme le plus grand Maître qu'ait
1. Vol. Fiiij eu
1170 MERCURE DE FRANCE
eu l'Eglise après les Apôtres .
Il est donc assez surprenant que jus-`
qu'ici nous n'ayons pas encore eu rassemblez
dans un corps complet d'une
Edition éxacte , ce qui nous reste des
Ecrits d'un si grand Homme. Il est inutile
d'alléguer la collection de Merlin' , et
celle de Genebrard , puisque dès l'an
1636. une Assemblée générale du Clergé
de France les déclara insuffisantes , et
qu'elles sont encore aujourd'hui par tous
les Sçavans comptées presque pour rien ,
tant à cause de l'omission essentielle du
Texte Grec , qu'à cause de quelques
Traitez d'importance ; et d'un grand
nombre de Fragmens de conséquence qui
ne s'y trouvent pas .
L'illustre et sçavant M. Huet en avoit
promis une troisiéme ; mais quand même
il l'auroit achevée , elle n'auroit pas été
entiere , puisque les anciennes versions
dont le Texte grec est perdu , n'y au
roient pas été comprises . D'ailleurs , ce
docte Prélat est mort sans avoir même
donné la partie la plus considérable de
son Recueil ; sçavoir , les Traitez particuliers
sur des sujets qui n'ont pas un rapport
direct à l'explication de l'Ecriture-
Sainte. Il est vrai que d'autres ont publié
ces Piéces en Grec et en Latin , par-
1. Vol.
tic
JUIN. 1733.. 1171
tie avant lui , et partie après lui : mais
outre que dans leurs Editions le Texté
Grec est ordinairement tres fautif , pour
n'avoir été tiré que d'un seul Manuscrit ,
la Version latine qu'ils ont mise à côté
est souvent ou infidele , ou barbare . De
plus , presque tous ces Traitez particuliers
ont été imprimez séparément en
différens tems , en différens Pays , en différentes
formes de papier , et en trespetite
quantité d'Exemplaires : d'où il
est arrivé que quelques- uns sont aujourd'hui
tres- rares et tres chers.
Enfin , à force de chercher dans les
Manuscrits de France , d'Italie , d'An- .
gleterre et d'Allemagne , on a fait une
abondante récolte d'un tres grand nombre
de fragmens grecs qui n'avoient pas
encore vû le jour , et qui assûrent présentement
à Origene pour toujours quel
ques Commentaires et plusieurs Homelies
, que nous n'avions qu'en latin , eg
dont plusieurs Sçavans doutoient. De ce,
nombre sont les 39. Homelies sur S. Luc,
contre lesquels le Ministre Matthieu de ,
La Roque s'est inscrit en faux , et a fait
des efforts étranges , pour n'être pas obligé
de reconnoitre avec le docte Pearson
que les Lettres
de S. Ignace Martyr
, qui,
y sont citées , étoient connues
dans l'E-, 1. Fol.
Evi gli1172
MERCURE DE FRANCE
glise avant Eusebe. Presque tout le Grec
de ces 39 Homelies est aujourd'hui retrouvé.
Il est donc visible que rien n'étoit plus
nécessaire qu'une nouvelle Edition de
tout ce qui nous reste d'Origene , où
chaque Piéce soit imprimée en son rang ;
où le Grec qui nous reste se trouve revû
sur d'anciens Manuscrits, et où , quand il
manque , les anciennes Versions de Rufin
et de S. Jerôme y suppléent : le tout avec
des Notes et des Avertissemens préliminaires.
Tel est aussi le dessein de la nouvelle
Collection que nous annonçons au
Public en cinq Volumes in-folio , de la
même grandeur que les deux Tomes des
Hexaples , publiez en 1713. par le scavant
Pere Dom Bernard de Montfaucon ,
afin qu'ils puissent être placez à leur tête
ou à leur suite .
Le premier Volume renferme ce qui
nous reste des Lettres d'Origene , quelques
fragmens des Livres de la Résurrection
, et des Stromates ; les quatre Livres
des Principes , l'Exhortation au martyre ,
le Traité de la Priere , et l'Apologie de la
Religion Chrétienne en huit Livres
contre le Philosophe Celsus . On voit ensuite
en plus petits caracteres deux Traitez
supposez , sçavoir le Dialogue contre
I. Vol. les
JUIN. 1733. 1173
lés Marcionites , et le Livre intitulé Philosophica
: puis en forme d' Appendix les
Notes d'un sçavant Anglois sur le věritable
Traité de la Priere , les Remarques
d'Hoeschelius sur les huit Livres contre
Celse , et les Observations de Gronovius
sur les Philosophica. A la tête du Volume
est une Préface où l'Editeur a solidement
refuté l'opinion de ceux qui croyent que
les Ecrits d'Origene ont été corrompus
par les Hérétiques ; il rend compte en
détail de son travail sur chaque Traité
particulier. Ce Tome est terminé par
deux Index tres-amples , l'un des Passages
de l'Ecriture- Sainte , et l'autre des
choses mémorables. Il y en a toujours
deux semblables dans les suivans.
Les quatre autres Volumes contiennent
les Commentaires sur l'Ecriture. Au
commencement est une Préface qui dé
veloppe le Systême qu'Origene s'est formé
pour expliquer les Livres saints , et
l'Editeur fait voir les dangéreuses conséquences
qu'on en peut tirer. Le dernier
des cinq Volumes finit par la Vie d'Origene
, et par plusieurs Dissertations sur
ses sentimens , qui de son vivant ont causé
de grands troubles dans l'Eglise , et de
plus grands encore après sa mort.
Le caractere et le papier sont d'une
I:Vol. F vj
beausé
1174 MERCURE DE FRANCE
beauté qui fait honneur au Libraire.
THEATRUM ne sit vel esse possit Schola
informandis moribus idonea ; oratio habita
die 13. Martii an . 1733. in Regio Ludovici
Magni Collegio Societatis Jesu , à
Carolo Porée , ejusdem Societatis Sacerdote.
ITEM , Discours sur les Spectacles , tradit
du Latin du Pere Charles Porée , de
la Compagnie de Jesus , par le P. Brumoy
de la même Compagnie..
L'une et l'autre Piéce est imprimée chez
Jean Baptiste Coignard fils , rue S. Jacques
, 1733 .
Le P. Porée , après avoir piqué la curiosité
du Public par son titre , a pleinement
satisfait celle de ses illustres Auditeurs
, au nombre desquels se trouverent
MM. les Cardinaux de Polignac et de .
Bissy , M. le Nonce , plusieurs Prélats
et autres personnes de distinction . On
souhaita que son Discours fût imprimé ,
et peu de tems après l'impression ,
Pere Brumoy l'a donné en françois. Ce
Discours a paru interessant par bien des .
endroits . Nous en exposerons briévement
le sujet et l'ordre , autant que la
fertilité laconique de l'Orateur pourra
permettre .
le
1. Vol. II
JUIN. 1733 117
Il établit dans l'Exorde que le Théatre
depuis son origine a toujours été un
sujet de contestation , comme un attrait
de curiosité , parce qu'en effet Athénes ,
Rome , et la France ont vû naître succes
sivement à son occasion des disputes qui
ne sont pas encore terminées. Il détaille
celle du siécle passé , où l'on vît partis
contre partis , Grands contre Grands ,
Doctes contre Doctes , agiter avec beaucoup
de vivacité et de chaleur la question
, sçavoir si le Théatre étoit utile our
pernicieux aux bonnes moeurs. Il s'attache
à la même question , et il se propose
de rapprocher les amateurs du vrai
en prenant le caractere de Conciliateur.
Il répond donc que le Théatre par sa nature
peut être une Ecole capable de former
les moeurs , mais qu'il arrive par
notre faute qu'elle ne l'est pas en effet.
Ce sont les deux parties du Discours.
Puis , après un Compliment ingénieu
aux deux Cardinaux , il entre en matiere.
Une Ecole propre à former les meurs
est celle qui se sert de préceptes et d'éxemples
convenables à ce but. La Philosophie
et l'Histoire ne passent en effet
pour d'excellentes Ecoles de meurs que
par les préceptes que donne l'ane , et
1. Vol.
par
1176 MERCURE DE FRANCE
par les exemples que l'autre fournit . Or
l'Orateur prétend que la Scene comparée
à la Philosophie et à l'Histoire peut leur
disputer l'avantage de former les moeurs ,
en employant les mêmes ressorts d'une
maniere plus convenable.
La Philosophie ouvre un vaste champ à
sa Morale. Elle considere l'homme qu'elle
se propose d'instruire , ou comme occupé
dans une famille , ou comme seul, ou comme
engagé dans les affaires civiles .Mais la
Scene de son côté embrasse tous les Etats,
toutes les professions , tous les devoirs ,
toutes les vertus , tous les vices , tous les
travers même que la Philosophie se met
peu en peine d'observer et de réformer.
De plus les sottises des hommes , la sagesse
humaine et même les Eaux sacrées
de la divine Sagesse , sont les sources
fécondes où la Scene peut puiser ses importantes
et nombreuses leçons . Ce détail
est vif et serré. Enfin l'on fait sentir
finement par une espece de communication
ironique ( à la façon de Socrate )
avec un Philosophe , que la maniere d'instruire
dont la Scene se sert , est veritablement
plus instructive et plus efficace
que ne l'est la Méthode grave et sérieuse
des Philosophes. Voicy un trait de ce
Morceau , qu'il adresse aux Philofophes .
1. Vol. Vos
JUIN. 1733. 1177
Vos Discours sur nos devoirs sont bien
raisonnez , quoiqu'un peu diffus , j'aurois
tort assurément de les blâmer. Vous avez
épousé une Méthode qui vous astraint à
proceder par ordre de propositions , de preuves
, d'objections , de réfutations . Le moyen
de n'être pas discoureur ! mais le Poëte en
auroit- il moins d'autorité sur la Scene parce
qu'il ne sçauroit être sententieux et court ,
souvent sublime Philosophe en un seul Vers ?
Que voulez- vous ? nous aimons la briéveté.
Se mêle-t'on de nous instruire ? nous voulons
qu'on nous dise beaucoup en peu de
mots.
Vous philosophez sur les passions humaines
avec beaucoup de subtilité ; le dirai -je
aussi ? souvent avec un peu de secheresse .
Vous en sçauroit - on mauvais gré ? non.
C'est à vous de définir , de diviser , de développer
vos idées par articles ; ce n'est pas à
vous d'émouvoir. Trouveriez- vous pour cela
que le Poëte dont je parle en auroit moins
grace , parce qu'il mettroit en oeuvre les
pleurs et le courroux , la terreur et la pitié ?
Nous sommes un composé d'esprit et de corps ;
nous voulons être éclairez ; nous voulons être
émus , et l'on ne nous éclaire pas assez ,
on ne tâche de nous émouvoir.
de
si
Enfin vous vous en tenez aux préceptes $
vous écartez bien loin les exemples. Con-
I. Vol.
damnerois-je
F178 MERCURE DE FRANCE
damnerois je votre maniere ? nullement. C'est
la loi que vous vous êtes prescrite. Fose
ici vous le demander sans détour ; notre
Poëte n'a- t'il pas visiblement l'avantage sur
vous , lui qui joint les exemples aux préceptes
en quoi il s'éloigne de vous , car il
devient en quelque sorte Historien , comme
Vous venez de le voir Philosophe ; et par
l'heureux accord de deux Ecoles differentes ,
il en forme une troisième plus efficace pour
faire agir les deux ressorts , je veux dire ,
pour éclairer et pour toucher.
Par cette transition l'Orateur entre
dans la comparaison de la Scene avec
⚫ l'Histoire. Il traite cet endroit avec toute
la justesse et tout le feu qui conviennent
à un parallele si heureux , des évenemens
qu'exposent l'Histoire et la Scene ; et de
la maniere dont l'une et l'autre les expose.
Si des exemples , dit- il , attachez à
des lettres mortes , confiez à des dépositaires
inanimez , ont toutefois une sorte d'ame ;
un reste de leur antique chaleur ; quelle sera
Leur force et leur vie , lorsqu'ils renaîtront
dans l'action , qu'ils seront vivifiez par le
feu du mouvement , qu'ils parleront eux-mêmes
au coeur, à l'oreille , à l'oeil , avec toute
la grandeur des sentimens , avec tous les
charmes de la voix , avec toute l'éloquence
du geste Telle est Pinnocente Magie que
I. Vol. se
JUIN. 1733.
1179
l'imise
propose la Scene. Par elle tout revit , tout
respire , au point de faire croire
tation l'emporte sur la réalité , &c.
que
Ce ne sont plus les Annales des Martyrs
de tout âge et de tout sexe que l'on vous
récite. Vous devenez spectateur et témoin des
combats et des palmes de ces saints Athletes.
A vosyeux les Tyrans menacent, et ils menacent
en vain; mere , pere , épouse chérie, tous
pleurent tous embrassent les genoux du Héros.
Les larmes coulent vainement, les prieres sont
perdues. Délices , richesses , grandeurs , vous
étalez vos plus dangereux attraits . Une indignation
chrétienne , un noble mépris , une
fiertéplus qu'humaine vous foulent aux pieds.
Tourmens cruels , morts effroyables ; vous
paroiffez avec toutes vos horreurs. Un regard
intrépide vous brave . Juges , vous
foudroyez, Arrêt fatal et prononcés on baise
Péchaffaut et l'on vous rend graces . Vous balancez
, Bourreaux , vous tardez tròp ; l'on
vole au-devant de vos coups , &c.
Autre effort plus considerable de la Scene.
L'Histoire est astrainte au temps , au
lieu , à l'ordre des évenemens , pour les y
attacher. Elle n'ose d'ordinaire exposer les
vertus et les vices que séparément et en leur
place. La Scene au contraire ( semblable à
la Peinture qui entend le ton des couleurs
et l'heureux mêlange du clair et de l'obscur
(
I. Vol.
fair
1180 MERCURE DE FRANCE
;
fait dans la même action le contraste inte
ressant du vice et de la vertu. Elle balance
dans les caracteres approchez , la valeur et
la lâcheté , la douceur et le courroux , la modestie
et la fierté , la libéralité et l'avarice ,
la frugalité et la profusion , l'honnête homme
et le scelerat. De cette opposition d'om
bres et de lumieres , quel doux éclat rejaillit
sur la vertu pour l'embellir! que d'hor
ribles tenebres se répandent sur le vice pour
le confondre !
Voulez- vous des autoritez sur le paral
lele de la Scene , telle que je viens de la
peindre , et de l'Histoire telle qu'elle est ?
Consultez le Lecteur et le Spectateur , les
Bibliotheques et les Amphithéatres , et demandez
où l'on verse des pleurs.
Le P. Porée conclud que la Scene l'emporte
sur la Philosophie et sur l'Histoi
re ; et que cela même est prouvé non
seulement par l'idée pure du Théatre ;
mais encore par le suffrage de la Philosophie
et par la déposition de l'Histoire. Il
allégue en preuve Socrate qui assistoit
aux Pieces d'Euripide , la Poëtique d'Aristote
; l'authorité de S. Charles Borro
mée qui revoyoit les Comédies , la plume
à la main , avant qu'on les jouât , celle
du Cardinal de Richelieu qui n'a pas dédaigné
de composer lui - même des Vers
1. Vol.
traJUI
N. 1181. 1733.
tragiques , et de donner une partie de ses
soins à la perfection de la Scene. Celle de
Louis XIV. celle des Etats qui authorisent
des Spectacles pour exercer la jeunesse
; celle enfin des particuliers qui
croïent ces exercices utiles. Voici ce qu'il
dit de Louis XIV. Manes du Grand Louis,
rougiriez - vous d'avoir rappellé Racine an
Cothurne qu'il avoit quitté , pour engager cet
autre Prince de la Scene à donner des Tra
gedies dignes du Théatre , et des Actrices de,
S. Cyr? étoit ce un divertissement puerile
que vous ménagiez à des enfans ? Vos vûës
si-bienfaisantes , si sages , si religieuses se
portoient sans doute à quelque chose de plus
auguste.Jeune Noblesse trop mal dottée par la
fortune , ce Monarque vous reservoit une
dot dont il connoissoit tout le prix,des exemples
et des leçons de piété , thrésor préférable
à tous les thrésors , dot précieuse , que vous
deviez faire passer dans les familles les plus
distinguées pour la perpetuer. Quelles pieces
en effet tira- t-il du grand Maître qu'il em
ploya?
O Athalie! Esther ! Oeuvres divines,
dont l'unique ou le plus digne éloge est de
vous demander, Messieurs , si le Problême
que j'ai proposé auroit lieu , supposé qu'on
en composat d'égales , ou du moins de sem
blables. Ah ! il ne faudroit plus demander
I. Vol.
, alers ,
1182 MERCURE DE FRANCE
alors si le Théatre peut être utile aux moeurs,
mais s'il seroit possible qu'il leur devint pernicieux.
Voilà pour la Tragédie et la Comédie.
Il restoit à prononcer sur l'Opéra , matiére
délicate.Ce morceau est tourné avec
tant de délicatesse et de circonspection
qu'on ne peut l'abréger sans l'alterer.
Nous y renvoïons le Lecteur , tres - fâchez
de ne pouvoir mieux faire , et nous passons
à la seconde Partie.
Elle tend à faire voir que la Scene propre
par elle- même à former les moeurs ,
est dépravée par l'abus qu'en font les
Autheuts , les Acteurs et les Spectateurs ;
Particle qui regarde les Ecrivains de
Théatre est le plus étendu ; c'est à eux
que l'Orateur impute d'abord la dépra
vation des Spectacles. Il les compare avec
les Autheurs du Théatre Athénien ; ceuxci
se regardoient comme des hommes dévoüez
au bien public , et chargez par la
Patrie de réformer les moeurs. Est - ce là
l'idée de ceux qui destinent leur pluie
au Théatre ? Ils ont perdu de vûë , dit
F'Orateur , le but que se proposoient les
anciens. Ils ne comprennent plus , parce
qu'ils ne veulent pas le comprendre , ce
qu'exigent les Loix de leur emploi , ce
que veut la nature de la Poësie drama-
1. Vol.
tique
JUIN. 1733. 1183
*
tique. Elle veut qu'on ait en vûë le bien
de l'Etat , et que l'on profite en amusant.
On s'écarte de cet objet , on ne cherche
qu'à plaire , fût- ce aux dépens de l'utilité
publique . L'Orateur appuïe ses preuyes
sur une revûë détaillée des divers
Spectacles. Il rend à la Tragédie de nos
jours la justice qu'elle mérite par la gravité
de ses Sentences , et par l'élégance de
sa diction, Mais il demande ; Qu'est devenue
la sévérité Athénienne.Dans Athénes
la Tragedie se servoit du ressort des passions
pour les guérir ; elle le met en oeuvre
aujourd'hui pour augmenter leurs maux . La
Scene antique éteignoit dans les Athéniens
la soif de l'ambition , parce qu'elle la regardoit
comme la plus dangereuse peste de la
République. La Scene Françoise souffle aujourd'hui
dans les cours un double poison,
que nous devons regarder comme également
funeste à la Religion et à l'Etat , la vengeance
et l'amour..
>
Pour la Vengeance, le P. P. cite le Cid.
et l'emportement de Rodrigue et de son
Pere , par lequel Corneille , sans le sçavoir
, semble infpirer la fureur des Duels.
Heureux ( continuë l'Orateur ) d'avoir
été moins propre à traiter des sujets d'un caractere
tout opposé! Si les tendresses et le
Langage efféminé des Amours avoient pû
I. Vol.
s'as1184
MERCURE DE FRANCE
saccommoder de l'énergie de l'esprit le plus
ferme , et de l'enthousiasme de la Poësie la
plus sublime , de quels feux n'auriez vous
pas embraze la Scene ! Malheureusement le
Dieu de Cythere sçut trop se dédommager ;
la main à qui il confia son flambeau , n'eut
que trop de grace à le manier , à en ranimer
ia flamme , et à en répandre les étincelles
dans le sein des Spectateurs ..
Racine jeune, le consola de Corneille vieilli
et peu docile à suivre ses traces. Le nou
veau Peintre, génie heureux, aisé dans l'invention
, habile dans l'ordonnance , sçavant
dans l'étude de la nature , exact et patient
dans la correction enrichi des dépouilles
de la Grece , riche de son propre
fonds , pur dans sa diction , doux et coulant
dans ses Vers , sembla fait pour attendrir la
Scene , soit penchant , soit émulation on désespoir
d'atteindre le vieux Monarque du
Theatre dans la ronte qu'il avoit fraiée le
premier , il osa s'en tracer une toute nouvelle
pour regner à son tour.
Corneille dans le grand , avoit étonné
les esprits par la majesté pompeuse de ses pensées.
Racine , dans le tendre fascina les
coeurs par le charme enchanteur des sentimens.
L'un avoit élevé l'homme au dessus de
T'humanité, l'autre le rendit à lui - même et à ses
foiblesses. L'un avoit fait ses Héros Ro-
I. Vol.
mains,
JUIN. 1733 1185
mains , Arméniens , Parthes ; il nous transportoit
chez leurs Nations et dans leurs Climats
: l'autre , au contraire , les transportant
tous en France , les naturalisa François , et
les forma sur l'urbanitégalante de nos moeurs.
L'un , métamorphosant les femmes même en
autant de Héros , leur avoit donné une ame
veritablement Tragique : l'autre , rabaissant
ses Heros presqu'au rang des Héroïnes , leur
fit soupirer des sentimens d'Elegie. Le génie
du premier avoit pénétré dans le Cabinet
des Rois pour y sonder les profondeurs de la
politique ; l'esprit du second s'insinua dans
les Cercles , pour y apprendre les délicatesses
de la galanterie. Corneille, semblable à l'Oisean
de Jupiter , qui s'élance dans les nuës
et paroît se jouer au milieu des Eclairs et des
Tonneres , avoit fait retentir la Scene des
fréquens éclats de ce bruit majestueux qui
frappe tous les esprits. Racine, comme le tendre
Oiseau de Cypris , voltigeant autour des
Myries et des Roses , fit repeter aux Echos
ses gémissemens et ses soupirs. Corneille , en-
·fin forçant les obstacles d'un sentier escarpé
et sujet par consequent à d'illustres chutes ;
redoublant toujours ses efforts pour tendre de
plus en plus au sublime et au merveilleux
Scherchanpar la voie de l'admiration des
-applaudissemens trop merités , qu'il arracha
des plus déterminés à les lui refuser : Racine
I. Vol.
sur1186
MERCURE DE FRANCE
suivant une pente plus douce , mais par là
plus sûre, s'élevant rarement , soutenant son
vol avec grace et le ramenant promptement
aux amours , parut s'offrir de lui- même aux
suffrages qui prévenoient son attraïante donccur.
Il ne soupira pas en vain ; l'art inexprimable
des soupirs lui. procura la Palme
qu'il ambitionnoit ; il n'enleva pas
les Lanriers
à son Rival ; mais il se vit ceint de
Myrtes , par les mains empressées de ses Héros
et sut tout de ses Héroïnes . Il ne déthrôna
pas Corneille ; mais ilpartagea le Thrône
de la Scene avec lui. L'Aigle foudroïa
La Colombe gémit , et l'Empire fut divisé.
Quelle gloire pour Racine ! Regner ainsi sur.
le Theatre c'est avoir vaincu , c'est avoir
triomphé.
Vous sçavez , Messieurs , l'issue d'une si
brillante victoire. :.cette heureuse audace
produisit
une foule d'imitateurs. Les soupirs
avoient couronné ce grand Maître ; vaine
ment les désavoia - t- il vainement la piété
le ravit-elle dux honneurs du Théatre ; les
éleves nombreux soumirent le Cothurne aux
loix du tendre Législateur ; ils leur sacrifierent
la severité des loix fondamentales de la
Scene.
Le P. Porée prétend en effet que l'unité
d'action , la simplicité , la verité des sujets
, la vrai - semblance , la variété , one
I. Vol. extrê
JUIN. 1733 . 1187
extrêmement souffert de cette nouvelle
tournure de la Tragédie , devenuë amoureuse.
Il en montre le danger par un morceau
pathetique et fort éloquent en revenant
au parallele de la Tragédie ancienne
et de la moderne, puis il passe à la Comédie
avec un tour d'éloquence tout
nouveau ; car on remarque dans la diversité
de ses tours une conformité singulicre
entre chaque sujet et la maniere pro
pre de le traiter ; il feint une conversation.
La Comédie se donne pour être fort
differente de ce qu'elle fut jadis ; elle étale
les vices et les défauts qu'elle réforme
par ses Piéces, elle cite les petits Maîtres,
les Femmes sçavantes , les Misantropes
les Malades imaginaires, les diverses écoles
, & c. L'Orateur insére un mot sur
chaque chose ; et fait ensuite une récapitulation
des vices plus pernicieux
Comedie moderne , a ( dit - il ) introduits
et qu'elle authorise . Mais pourquoi, ajoutet-
il , s'en prendre à la Comédie ? Est- ce par
sa nature , où n'est- ce pas plutôt par la ma
lice d'autrui qu'elle s'est pervertie ? Ah ! prenons-
nous- en à ceux qui pouvant la rendre
bonne et utile , l'ont renduë nuisible et peri
nicieuse : Oui,j'ose m'en prendre d'abord an
chefmême des Autheurs et des Acteurs de
notre Scene. Poëte par goût,plus que par émque
la
1. Vol. G de
1188 MERCURE DE FRANCE
de , ce fut un feu de jeunesse , non la malignité
de la fortune , qui le fit Comédien. Né
pour des emplois sérieux , transporté dans le
comique, rigide observateur du ridicule,peintre
plaisant d'après nature , exact sans affectation
d'exactitude , correct sans paroitre
s'êtregêné , serré dans sa Prose , libre et aisé
dans ses Vers , riche en Sentences, fertile en
Plaisanteries, on peut dire qu'il réunit en lui
seni toutes les qualitez et la plupart des dé
fauts des Poëtes celebres en ce genre , aussi
piquant qu' Aristophane , quelquefois aussi.
peu retenu, aussi vif que Plaute, de temps en
temps aussi bouffon , aussi fin dans l'in
telligence des moeurs que Terence , souvent
aussi libre dans ses Tableaux, Moliere futil
plus grand par la nature ou par l'art ?
Inimitable dans l'un et dans l'autre , vicieux
par ces deux Endroits , il nuisit autant qu'il
excella, Le meilleur Maître , s'il enseigne le
mal , est le pire de tous les Maîtres.
L'Orateur taxe de la même sorte les
differens imitateurs de ce Prince de la
Comédie. Les Autheurs qui travaillent
pour le Théatre Lyrique viennent ensuite
sur les rangs par une figure d'éloquence
fort remarquable. Les Acteurs ont
aussi leur tour , et enfin les Spectateurs ;
nous n'insistons point sur cette fin, parce
qu'il seroit difficile d'en rien retrancher
I. Vol. et
JUIN. 1733. 1189
et de choisir . Cette . Analyse generale suffit
pour l'idée que nous nous sommes
proposée . Nous observerons seulement
que
le blâme de l'abus du Théatre, ( suivant
la pensée du P. Porée) retombe principalement
et presqu'entierement sur les
Spectateurs, que l'on sert selon leur goût.
Livres que CAVELIER , Libraire , rue S. Jacques
, a nouvellement reçûs des Païs Etrangers.
HISTORIA vita et meritorum Frederici Ruych,
in 4. Amstelodami , 1732. )
MISCELLANEÆ observationes in Auctores veteres,
et recentiores ab Eruditis Britannis,anno 1731 ,
Edicoepta cum Notis et Auctuario variorum Doctorum.
Volumen primum Jul. Aug. Sept. et Oc
tobrem complectens , in 8. Amst. 1732.
FIFNI ( Thom ) de pracipuis Artis Chirurgica
Controversiis Libri XII . curâ Conringii ; in 4
• Londini .
GRAMMAIRE Royale , Françoise et Allemande
de Pepliers , augmentée par Rondeau , in 8. Leip--
sic , 1732
CLEMENTIS XI. Pont. Max. Opera omnia. 2.
vol. in fol. Francofurti . 1729.
OUDINI ( Casimir ) de Scriptoribus Ecclesia
antiquis , illorumque Scriptis tam impressis quam
manu-scriptis adhuc extantibus in celebrioribus En
ropa Bibliothecis. 3 vol. fol . Lipsiæ 1722 .
Le méme Cavelier , vend aussi les Ordonnan
ces de Louis XV . pour fixer la Jurisprudence sur
la nature des Donations , avec les Observations
de M. Furgole , Avocat . Fol . Toulouze , et les
Observations sur les Arrêts notables du Parlement
1. Vol.
G ij de
1190 MERCURE DE FRANCE
enri. de Toulouze , recueillis par M. de Catellan ,
chis des Arrêts nouveaux , sur les mêmes matieres ;
par M. Vedel , Avocat, 2 vol . in 4. Toulouse ,
1033 .
Il vient aussi de mettre sous la Presse un Ouvrage
important , dont le Titre est JOANNIS
Freind , Regina Carolina Archiatri , Opera omnia
Medica. gros
vol, in 4.
et sont
Le sieur J. Pine, Graveur à Londres , qui au
Commencement de l'année derniere , publia un
Plan , pour graver par Souscription , les Oeuvres
d'Horace en Latin ; avec des Vignettes et
Culs de Lampe à chaque Piece , avertit le Public
qu'il continuë de travailler à cet Ouvrage avec
beaucoup de succès et l'applaudissement general
des Curieux . Il en fera 2 vol. in 8. Les ornemens
de chaque Piece y ont du rapport ,
tirez des Médailles , Pierres gravées , Statues ,
Bustes , &c . des Anciens. Il en a répandu des
échantillons par toute l'Europe , et les Souscriptions
nombreuses qu'il a reçues , prouvent combien
les Curieux estiment cet Ouvrage : Le prix
est de deux Guinées ; on en paye une en Souscrivant
, une demi Guignée en retirant le pre
mier vol. et une demi Guinée en recevant le 2
vol. Les Wetsteins et Smith , Libraires à Amsterdam
, sont chargez de recevoir les Souscriptions
qui se présenteront en Hollande et en Allemagne.
Ils ont chez eux des épreuves du 1 vol .
entier pour les montrer aux Amateurs ; avec une
Liste de ceux qui ont souscrit.
I
Gosse et Neaulme , Libraires à la Haye , ayertissent
le Public qu'ils impriment actuellement ,
en 2 vol. in fol. un Dictionnaire Historique et
1.Vol. CriJUIN.
1733: 1191
Critique , traduit de l'Anglois en François , et
composé par une Société de Gens de Lettres , lequel
pourra servir de supplement au Dictionnaire
historique et critique de Bayle , puisque ce
sont tous des articles qui ne se trouvent point
dans le Dictionnaire de Bayle.
Vanden , Van - Duren et P. le Hond , impriment
par souscription , à la Haye ; Histoire
d'Angleterre , de M. Rapin Thoyras , continuée
jusqu'à l'évenement de George I. au Thrône de
la Grande Bretagne . Par M. M. D. Tom. 11 et
12. in 4. avec deux Cartes Géographiques.
La sixième Partie des Cent Nouvelles nouvelles
, de Madame de Gomès , paroît chez la
veuve Guillaume , rue Dauphine , et chez Gandouin
le jeune , rue du Hurepois.
Cet Ouvrage se fait toujours lire avec plaisir.
Ce volume contient l'Innocente Infidélité. L'henreuse
Témérité et la Nôce interrompuë.
On donnera la suite le mois prochain.
Le Roy a acquis depuis peu pour son Cabinet
, un Bouclier antique , d'argent , qui a 27
pouces de diamêtre , et qui péze 43 marcs. Ce
Bouclier a été trouvé en Dauphiné, dans la Terre
du Passage , Diocèse de Vienne. Il est parfaitement
rond et d'une Cizelure simple et noble.
On y a représenté au centre un Lion sous un
Palmier , et dans une espece d'exergue divers
membres d'Animaux , particulierement de Sangliers
. On ne doute point que ce ne soit un Bouclier
votif; et comme l'ouvrage paroit Carthaginois
, on l'a déja surnommé le Bouclier d'Annibal
, en le mettant à côté d'un autre Bouclier
I. Vol. Gij votif
1192 MERCURE DE FRANCE

votif , aussi d'argent , qui étoit déja au Cabinet
du Roy , et qu'on appelle le Bouclier de Scipion
, parce qu'on y a consacré la mémoire de
sa continence après la prise de Carthage. Ce
Bouclier passoit pour unique , et il est heureux
que celui qu'on a découvert depuis ,lui soit joint,
et lui serve en quelque sorte de pendant , car
ils sont d'ailleurs à peu près égaux en poids et
en grandeur , comme en matiere. M. Spon , dans
ses Recherches d'Antiquité , a donné l'explication
du Bouclier de Scipion. M. de Boze , Garde du
Cabinet du Roy , pourroit bien donner celle du
Bouclier d'Annibal.
Grand Portail de saint Sulpice.
CEREMONIE.
Le Public paroît trop attentif à tout ce qu
regarde le vaste ce superbe Edifice de l'Eglise de
S. Sulpice , pour ne pas lui faire part de la Cérémonie
qu'on fit le Lundy 11 May , jour
que l'on commença à creuser les fondemens du
grand Portail,
Elle commença par une Messe basse du S.Esprit,
célébrée à 8 heures du matin par M. le Curé ,
dont la piété et les grandes lumieres , sçavent sibien
allier le pieux et l'édifiant des Cérémonies
de l'Eglise , à ce qu'elles ont d'auguste et de
pompeux.
Le Clergé chanta pendant la Messe la Prose
du S. Esprit. Tous les Ouvriers du Bâtiment ỳ
assisterent , rangez sur deux lignes dans la Nef,
et il y eut un tres grand concours de Peuple .
Après la Messe , on fit une Procession en dehors
de l'Eglise , dans l'ordre suivant.
·
Tous les Massons et Ouvriers , au nombre de
I. Vol. près
JUIN. 1733. 1193
près de 200 , étoient précédez par une Banniere,
ornée de Festons de fleurs , d'un goût ingénieux
et tout-à-fait nouveau , chaque Artiste portoit
le principal Instrument de sa profession . La
Croix d'argent de la Paroisse venoit ensuite ,
portée par un Prêtre en Chape , et suivie de
tout le Clergé. M. le Curé marchoit le dernier ,
entre Mrs le Moine et Servandoni . Le premier a
peint le Plafond de la Chapelle de la Vierge,dont
nous avons donné la description dans le Mercure
de Mars , et le second est l'Architecte depuis
quelques années des travaux qu'on fait à
Saint Sulpice , et l'Auteur du dessein du Grand
Portail qu'on va construire . Le Dessein étoit attaché
à la Croix dont on vient de parler. Le
modele en relief a été exposé à la censure publique
pendant uri an, et admiré des plus grands
connoisseurs , comme un des plus beaux morceaux
d'Architecture qu'on puisse exécuter.
M. le Curé , accompagné de Mrs les Marguilliers,
s'arrêta avec tout le Clergé, à l'endroit
où la Fouille pour les fondations du Grand Portail
devoit se faire ; et ce digne Pasteur s'étant
tourné vers l'Eglise , entonna quelques Versets .
de l'Hymne de la Ste Vierge , ausquels le Peuple
qui étoit accouru en foule , répondit avec
beaucoup de zéle , de modestie et de religion.
Après l'Oraison , un Maître de Cérémonie en
Chape , présenta à M. le Curé une Pioche ,
avec laquelle il donna quelques coups , pour
commencer à ouvrir la terre et présenta le même
Outil à quelques personnes des plus distinguées
, ce qui termina cette Cérémonie. La Procession
rentra dans l'Eglise par la grande Porte,
en chantant le Te Deum , après quoi tous les
Travailleurs se mirent à l'Ouvrage.
I. Vol. Cc G iiij
1194 MERCURE DE FRANCE
Ce jour-là , le Chevalier Nicolas Servandoni ,
natif de Florence, Peintre et Architecte du Roy,
en ses Académies Royales de Peinture, Sculpture
et Architecture , étoit décoré du Colier de
POrdre de S. Jean de Latran , qu'il avoit reçu
des mains de Monsieur le Nonce . Le Pape a accordé
cette grace à cet habile Artiste, par sa Patente
, du 6 Mars 1732. qui le fait , crée et constituë
Chevalier du sacré Palais Apostolique et
Comte de S. Jean de Latran , en considération
de ses rares talens , de sa capacité et de ses Ouvrages
, et particulierement à l'occasion de la
premiere Pierre du Grand Autel de S. Sulpice ,
posée l'année derniere , au nom de Sa Sainteté ,
par son Excellence M. Delci , Nonce en France
; assisté du Chevalier Servandoni , faisant les
fonctions d'Architecte de ce grand Edifice. La
Croix qui pend au bas de son Cordon , enrichie
de Diamans brillans , est un présent de ce Prélat.
Le Koy a permis au Chevalier Servandoni de
porter cette marque d'honneur et de distinction ,
dont les plus celebres Artistes ont été décorez ,
comme le Cavalier Bernin , Carle Marat ,
et il a reçu à cette occasion une Lettre fort gracieuse
du Ministre , qui marque le cas que S.M.
fait du sieur Servandoni.
&c.
Nous donnerons incessamment une Description
exacte de cet Edifice , sur les Plans , les Coupes
, Profils , et Modéles en relief , exposez aux
yeux du Public , avec tous les dévelopemens et
ornemens de chaque Partie , qu'on exécute actuellement.
Une des grandes attentions que nous avons à
rendre justice au merite , en laissant â la postérité
des Monumens qui fassent honneur à ceux
I.Vol. qui
JUI N. 1733 . 1195
qui se sont distinguez extraordinairement dans
ces Sciences et les Arts , nous oblige aujourd'hui
à faire part au public de la mort d'un homme ,
connu de toute la France ; c'est celle de M. Vanrobais
de Rixdorp , qui mourut à Abbeville le
25 de ce mois , dans la 72- année de son âge. II
étoit fils de M. Josse Vanrobais , dont Monsieur
Colbert se servit en l'année 1665. pour établir à
Abbeville une Manufacture de Draps fins. Ce
grand Ministre qui connoîssoit l'importance de
cette entreprise , ne négligea rien par le choix de
la personne , et par les beaux Priviléges qu'il lui
fit accorder , et qui subsistent encore , pour lui
assurer un succès certain ;
mais on peut dire que
ce succès a passé ses espérances : Rien n'y a plus
contribué que la protection entiere dont les Rois,
et leurs Ministres ont constamment favorisé
M. Josse Vanrobais et ses enfans , qui de leur
côté ont fait tous leurs efforts pour mériter un
și grand honneur. Celui qui vient de mourir entr'autres
, s'est distingué d'une maniere si extraordinaire
, qu'oubliant ses interêts particu
liers , il n'a jamais eu en vûë que la solidité de
çet établissement , et la bonté et la beauté des
Draps qui sont aujourd'hui portez à un tel point
de perfection , qu'il n'y en a point dans l'Europe
qui puissent leur être mis en concurrence. Il
laisse cinq neveux ses associez , sur lesquels il se
reposoit depuis dix années , des soins de la régie
de la Manufacture qui renferme plus de 3500
Ouvriers , et qui continuera ses travaux avec encore
plus d'espérance de succès que jamais.
x M. Vanrobais avoit un excellent jugement
beaucoup de fermeté , et en même temps une
douceur et une politesse qui gagnoient le coeur des
plus Grands , qui n'ont pû lui refuser leurs lat
2 I. Kok. Gy mes
1196 MERCURE DE FRANCE
mes en apprenant sa mort. Les Feuples de la Prevince
, ses Ouvriers et les Pauvres le 1egardoient
comme leur pere. Pendant sa maladie , qui a été
longue et douloureuse , ils lui ont donné des
preuves d'une affection singuliere ; on en a vů
aller nuds pieds en dévotion à sept et huit lieuës
d'Abbeville, pour demander à Dieu sa guérison ;
les Paroissses et les Communautez de la Ville ,
ont fait des Prieres publiques pour lui ; en un
mot , on n'a point vu de Particulier emporter
dans le tombeau tant de bénedictions et de louanges
plus justement méritées , aussi n'y eut - il jamais
un meilleur Citoyen ni un plus fidele Sujet.
L'Académie Royale de Peinture et de Sculpture
, a fait une des plus grandes
pertes
qu'elle
pouvoit
faire en la personne
de NICOLAS
COUSTOU
, l'aîné , natif de Lyon , mort à
Paris le premier
May , âgé de 71. ans , extrêmement
regretté
par les Amateurs
des beaux Arts ,
et par tous ceux qui connoissoient
sa personne
et ses Ouvrages
, qu'on
a toujours
recherchez
avec beaucoup
d'empressement
.
Il étoit neveu et Eleve d'Antoine Coyzevox ,
aussi Lyonnois , mort à Paris en 1720. âgé de
80. ans.
M. Coustou étoit actuellement Chancelier et
Recteur de l'Académie . Un des Ouvrages qui lui a
fait le plus d'honneur , c'est le Groupe de Marbre
blanc , placé derriere le Maître Autel de l'Eglise
de Notre-Dame , communément appellé le
Vou de Louis XIII . où l'on voir la Vierge assise
au pied de la Croix , tenant le Christ mort
sur ses genoux .

Les autres principaux Ouvrages sortis de ses
mains et qui ont le plus contribué à sa grande
I. Vol. réputation
JUIN. 1733. 1197
réputation , sont deux Groupes en Marbre , réprésentant
des Chasseurs , l'un avec un Cerf,
l'autre avec un Sanglier , placez dans les Jardins
de Marly.
Un Groupe de Fleuves , représentant la Seine
et la Marne , dans le Jardin des Tuilleries .
Trois Figures , représentant des Retours de
Chasses , dans le même Jardin , sur la Terrasse
du côté du Pont Royal.
Une Figure de bronze de dix pieds de propor
tion , représentant la Saone et un grând Trophée
de Minerve. Ces deux Morceaux sont placez au
piédestal de la Statue Equestre de Louis XIV .
érigée dans la Ville de Lyon , à la Place de Belle-
Cour.
La Statue en Marbre de Louis XV . en pied
dans le Jardin du Château de Petit- Bourg.
Un petit Apollon , courant après Daphné, &c.
Nous n'entrerons pas dans un plus grand détail
pour abréger , mais nous remarquerons que ces
Ouvrages passent , de l'aveu des plus grands
Connoisseurs , pour ce qui a été fait de plus beau
en ce genre, sous le Regne de Louis XIV . On ne
dit rien de plusieurs autres grands Ouvrages de
M. Coustou , et qu'on voit avec admiration aux
Invalides , à Versailles , Marly , Trianon , &c.
La mort l'a surpris dans ces derniers temps ,
travaillant à un grand Médaillon ou Bas- relief,
représentant le Passage du Rhin , qu'on doit placer
dans le Sallon de la Guerre au Château de
Versailles. Cet Ouvrage n'est pas fini , non plus
que la Statue en pied du Maréchal de Villars ni
le Tombeau du Cardinal de Janson , mais l'inconvénient
n'est pas grand , M. N. Couston , trèsdigne
frere de celui que nous venons de perdre ,
doit les achever incessamment. Le Public est
I. Vol.
G vj persuadé
1198 MERCURE DE FRANCE
persuadé d'avance que ces grands Ouvrages ,
quoique de deux mains , ne diminueront rien de
la réputation de ces illustres freres .
N. Grimoud , Peintre de l'Académie de saint
Luc, cy-devant Agregé à l'Académie Royale de
Peinture , mourut à Paris au commencement du
mois dernier , âgé d'environ 55. ans . Il peignoit
bien une Tête dans le goût de Rimbrant ; il avoit
beaucoup de Coloris et un beau Pinceau , mais
il avoit peu d'invention et n'étoit pas grand dessinateur.
Le 27. du mois dernier , l'Académie Royale de
Peinture , fit encore une perte considerable en la
personne de Charles Van - Falens , natif d'Anvers,
er Disciple de N. Franc , établi à Paris depuis
long-temps , où il est mort , âgé de 49. ans. Il
n'a fait que de petites Figures , des Animaux et
du Paysage , dans le goût de Berghem et de
Wauvremens. Ses Tableaux sont d'une composi
tion admirable et d'un coloris charmant.
Le sieur Joullain , Graveur , vient de mettre
au jour une très- belle Estampe , d'après le Tableau
en hauteur de M. Des Portes , Peintre ordi
naire du Roi , Conseiller en son Académie Royale
de Peinture et Sculpture , fait il y a 34. ans
lors de sa Reception à l'Académie. Cet habile
Maître s'est peint en Chasseur , avec des Chiens
et du Gibier mort , dans un fond de Paysage .
C'est sous la conduite de l'Auteur que le sieur
Joullain se fait honneur d'avoir gravé cet excellent
Tableau , qui a toujours fait l'admiration
de tous les Connoisseurs. Animé par l'accueil
favorable que Je Public vient de faire à cet Ouvrage
, le sieur Joullain a entrepris de graver
I. Vol. tous
JUIN. 1199
1733.
tous les précieux Morceaux de M. Des Portes ,
dont aucun n'a encore été gravé , quoiqu'ils fas--
sent depuis long-temps l'ornement des Maisons
Royales , des Cabinets des Princes et de ceux des
meilleurs Curieux . Suivant le Privilege que le
Graveur en a obtenu , il poursuivra son travail
jusqu'à la fin , c'est- à- dire , qu'il n'y comprendra
pas seulement toutes les Pieces qui ont paru
jusqu'à présent de cet habile Peintre , mais encore
celles auxquelles il travaille actuellement.
Le sieur Joullain se flate de son côté qu'il pourra
dans la suite , par son étude et son application
, rendre de plus en plus ses Ouvrages dignes.
de l'attention des Curieux. L'Estampe qui donne
lieu à cet Article , répond du succès de l'entreprise.
Pour satisfaire l'empressement du Public , on
lui donnera chaque Morceau aussi- tôt qu'il sera
achevé. Le sieur Joullain demeure chez le sieur
Gautrot , Marchand d'Estampes , Quay de le
Mégisserie , à la Ville de Rome.
Le sieur Lemaire ,Maître de Musique , à Paris ,
vient de faire mettre sous presse , les Motets qu'il
a composez pour le Concert Spirituel au Château
des Thuilleries, depuis 1728. jusqu'en 1733 .
Ces Ouvrages ayant plû au Public , il s'est déterminé
de les mettre au jour. Depuis 30. ans
on n'en a point donné de nouveaux .
La disposition de ces Motets est faite égale
ment pour les Communautez Religieuses , comme
pour les Concerts des Particuliers . Il y en a
pour toutes les grandes Fêtes de l'année ; pour
les Fêtes de Vierge , pour le S. Sacrement , er
pour plusieurs Fêtes particulieres , qui conviendront
à toutes les Maisons Religieuses. Chaque
I. Vola Salur
1200 MERCURE DE FRANCE
Salut contiendra un Motet à une ou deux voix ,
avec Simphonie , un Motet à une ou deux voix ,
sans Simphonie ; et un Domine , salvum fac Regem
, que l'on vendra 1. livre 10. sols. jusqu'au
nombre de 18. Saluts , que l'on donnera d'ici au
Carême prochain. On distribuera les six premiers
dans le courant du mois d'Août prochain,
et se vendront à Paris , au Mont Parnasse , ruë
S. Jean de Beauvais. Chez l'Auteur , ruë de la
Bouclerie , au bas du Pont S. Michel. Boivin , ruë
S. Honoré , à la Regle d'Or, Le Clerc , rue du
Roule , à la Croix d'Or.
Le même Auteur a fait graver dix Cantatilles
nouvelles , chantées au Concert du Château des
Thuilleries, dont le prix de chacune est de 24. f.
Il en donnera six autres nouvelles au mois de
Novembre prochain ; sçavoir , Hebé , Acis ,
l'Aurore , l'Amante Persuadée , la Bergere impa
tienté , le Sommeil de Climene. Les Paroles de ces
six sont de M. l'Affichard.
On va les graver incessamment de la même
forme les autres in
que
prix sera de 24 sols. 4. Le
SPECTACLES.
Na remis depuis peu au Théatre
la petite Comédie en trois Actes et
en Vers , de feu M. Dufresni , intitulée
le Lot supposé , que le Public revoit avec
beaucoup de plaisir .
I. Vol. LEJUIN.
1733. 1201
LE RENDEZ -VOUS , ou l'Amour
Supposé , Comédie , en un Acte , représentée
au Théatre François avec beaucoup
de succès , le 27. May. Exttait.
·
ACTEURS.
Lucile , jeune veuve.
Valere
و
La Dlle Gaussin.
Le sieur Dufresne.
Lisette , Suivante de Lucile , La Dlle Quinauit
,
Crispin , Valet de Valere, Le sieur Poisson ,
M. Jacquemin , Sous - Fermier , amoureux
, & c. Le sieur Lathorilliere.
Charlot , Jardinier de Lucile , Le sieur
de Montmesnil.
La Scene est dans une Ville de Bretagne
et le Théatre représente l'Avenuë d'un
Château.
Valere et Lucile , qui sont les principaux
Personnages de cette Piece , viennent
de terminer un Procès , auquel un
Testament qui les nommoit , l'un héritier
, et l'autre Légataire , avoit donné
lieu . Valere est sur le point de partir
de Bretagne pour s'en retourner à
Paris ; ce prompt départ n'est pas au
gré de Crispin , non plus que de Lisette
; ils s'aiment et voudroient bien n'ê
I. Vol.
tre
1202 MERCURE DE FRANCE
tre pas séparez. C'est ici que l'action
theatrale commence ; ils ont imaginé
une ruse dont le succès est fondé
sur cette maxime : aimez et vous serez
aimé ; en effet , à peine Crispin a- t'il fait
croire à Valere que Lucile l'aime , que
la reconnoissance prépare son coeur à l'amour
; il en est de même de Lucile , à qui
Lisette fait entendre que Valere l'adore ,
sans avoir jamais osé le lui déclarer . Crispin
dit à son Maître que Lucile doit se
promener ce soir dans le Jardin , dans
P'esperance de l'y trouver et de le voir
du moins pour quelques momens avant
un départ qui doit lui donner la mort.
Voici les propres termes de Crispin :
Sous cet épais feuillage ,
Cette Beauté cedant à l'amour qui l'engage ,
Comme pour prendre l'air , doit se trouver ce
soir ;
Avant votre départ , elle voudroit vous voir ;
On m'a sollicité pour vous le faire entendre ,
Si donc , ce soir aussi, vous vouliez vous y ren
dre ,
Notre Veuve discrette , aux yeux de son vainqueur
,
Exposeroit le feu qu'elle cache en son coeur ,
Sans causer de scandale et sans qu'on en murmure.
I. Vol. Valere
JUIN. 1733. 1203
Valere donne dans le piége ; Crispin
lui a déja fait entendre que Lucile a
donné des indices plus sûrs de l'amour
secret qu'elle a pour lui et dont Lisette
lui a fait confidence ; il lui a appris que
Lucile n'avoit pû soutenir la funeste
nouvelle de son départ , et qu'elle étoit
tombée en pamoison entre les bras de sa
Suivante.Cet adroit mensonge ne le laisse
point douter qu'il ne soit éperdument
aimé ; mais son amour propre le lui
suade bien mieux , comme Crispin le fait
connoître par ce petit Monologue.
per-
Le mensonge est lâché ; courage , il croit qu'on
l'aime ;
La bonne opinion et l'amour de soi - même ,
Chez lui seront encore , à ce que je conçoi ,
Et meilleurs Orateurs et plus fourbes que moi.'
Lisette joie à peu près le même côle
auprès de sa Maîtresse ; elle lui dit , nonseulement
qu'elle est adorée de Valere ,
mais qu'elle est surprise qu'elle ne s'en
soit pas apperçuë . Elle lui parle entre autres
choses d'une Lettre de Valere qu'elle
a trouvée sur sa Toilette , et qui , ditelle
, sous des termes ordinaires , cache
adroitement une déclaration d'amour
dans toutes les formes ; cette Lettre déją
lûë par Lisette , autorise le Commentaire
1. Vol. in1204
MERCURE DE FRANCE
ingénieux qu'elle semble en faire sur le
champ, et qui ne seroit pas si vrai- semblable
, s'il n'avoit été étudié à loisir ; voila
donc nos deuxAmans disposez à se trouver
au rendez -vous imaginé par leurs Domesti
ques ; Lucile y résiste d'abord , mais Lisette
tranche toutes les difficultez par
ce Vers :
Enfin que voulez- vous ? j'ai donné ma parole,
Ce qui confirme Lucile dans l'opinion
qu'elle est aimée de Valere , c'est là brusque
incartade que lui vient faire M. Jac
quemin , Sous- Fermier et l'un de ses soupirans
, à qui , par une nouvelle fourberie
, Crispin à fait entendre que son
Maître est son Rival . Jacquemin éclate
contre Lucile et retire la parole qu'il
lui avoit donnée de l'épouser .
Crispin et Lisette s'applaudissent déja
d'un plein succès , mais par malheur ils
ont été entendus de Charlot , Amoureux
de Lisette , qui pour se venger de la préference
qu'elle donne à Crispin , veut
observer de plus près ce complot , dont
il n'a encore qu'une legere connoissance
, et en empêcher la réussite .
Valere se trouve le premier au prétendu
rendez - vous , accompagné de Crispin
; Lucile ne tarde pas d'y venir , sui-
I. Vel.
vie
JUIN. 1733. 1205
vie de Lisette. Cette Scene , est sans contredit
, neuve et charmante ; ce qui nous
engage à en inserer ici quelques fragmens.
Valere à Lucile.
Puis qu'un hazard heureux auprès de vous me
guide ,
Avant que de partir , Madame , il m'est bien
doux ,
De pouvoir librement prendre congé de vous.
Lucile.
Vous partez donc , Valere
Helas !
Crispin.
Il le faut bien , Madame ;
Lisette.
Crispin.
Tais-toi , Lisette , où je vais rendre l'ame.
Valere.
Je l'avouerai pourtant , si , contre mon espoir ,
En ce dernier moment je pouvois entrevoir ,
Un destin trop flateur pour moi , trop favo
rable ,
L'Arrêt de mon départ n'est point irrévocable,
Lucile.
Quel sort attendez - vous ? quand on n'ose parler,
Quand l'amour avec art prend soin de se voiler ,
Ses feux sont étouffez par l'extrême prudence ,
I. Vol. Et
1207 MERCURE DE FRANCE
Et l'on est quelquefois victime du silence.
Valere.
Ah ! lorsque cent raisons nous forcent de cou
vrir ,
Un penchant dont le coeur se plaît à se nourrir ,
Dans un objet épris tout en rend témoignage ;
Il est pour s'exprimer, il est plus d'un langage ;
Un regard , un soupir , au défaut de la voix
Ont souvent malgré nous déclaré notre choix.
Oui , madame , les yeux les yeux révelent le mystere , & c.
"
>
A ce dernier Vers prononcé passionné
ment , Crispin baise la main de Lucile
qui croit que c'est Valere même à qui
l'excès de sa passion a fait prendre cette
liberté ; le reproche qu'elle lui en fait est
conçû en des termes qui lui font croire
qu'elle l'y invite elle même ; il lui baisë
la main avec transport , en disant :
Ah ! que m'accordez- vous !
à part.
Quelle aimable franchise !
Je n'en sçaurois douter , elle m'aime éperdument.
Il la presse de prononcer sur son départ
; comme elle ne répond rien , il veut
se retirer ; mais Lisette le retient secrettement
; il croit que c'est Lucile mê
me qui s'oppose à son départ , et ce qui
I. Vol. Ty
JUI N.
1733. 1207
l'y confirme , c'est que Lucile lui dit dans
le moment.
Pourquoi donc vous livrer à tant de défiance?
Ah ! concevez plutôt une juste esperance , &c.
Jusques- là Crispin et Lisette chantent
victoire ; mais Charlot qui a tout entendu
sans être apperçû , les fait bientôt déchanter.
Cette nouvelle Scene est toutà
-fait comique ; Crispin et Lisette s'efforcent
de fermer la bouche à Charlot ;
mais il ne laisse pas de jaser et de dire
à Valere et à Lucile ;
Vous ne vous aimez pas , je vous en avertis ;
Valere,
Il a bu surement,
Charlot,
Non , morgué, je le dis
Vous n'avez nullement d'amiquié . l'un pous
l'autre ;
C'est cette fine mouche avec ce bon Apotre ,
Qui vous laissont tous deux donner dans le pa¬
niau ;
Tout votre bel amour n'est que dans leur cer
yiau ;
Ils avont à par eux manigancé la chose ,
Et si vous vous aimez , j'en devine la cause ;
I. Vol.
11
108 MERCURE DE FRANCE

Il faut qu'ils soient sorciez comme des bas Normands
,
Et sçachiont un secret pour faire aimer les
.gens.
Valere et Lucile ne doutent point que
Charlot ne soit yvre ; 'on le chasse : Lisette
ajoute à ce soupçon d'yvresse un
autre motif , et dit :
Non , Madame , voici la vérité du fait ;
Charlot m'aime , et Crispin lui donne de l'ombrage
;
La peur qu'il a , je crois que Monsieur ne s'enj
gage
Par estime pour vous , à séjourner icy ,
Sans rime et sans raison , le fait parler ainsi.
Crispin et Lisette sont à peine sortis de
la premiere allarme que Charlot leur a
donnée , qu'ils retombent dans une seconde
, dont ils désesperent de pouvoir
se tirer.
Valere demande à Lucile si elle est toutà
- fait remise de l'indisposition qu'elle a
euë le jour précédent Lucile fort étonnée
, lui répond qu'elle n'a nullement
été indisposée ; elle lui parle à son tour
de la Lettre énigmatique que Lisette a si
joliment commentée.
Valere lui répond qu'il ne sçait ce que
c'est que cette Lettre , il ajoute :
I. Vol. Jc
JUIN.
1209 1733
Je n'ai point eu , je croi , l'honneur de vous
écrire
,
Si ce n'est quatre mots , quand vous me fîtes
dire ,
Que sur nos différens vous vouliez terminer ;
Mon Procureur dicta , je ne fis que signer.
7
Cette double explication déconcerte
entierement Crispin et Lisette ; Valere
outré de colere contre Crispin , lui jure
de lui faire payer cher son mensonge ;
Lucile en promet autant à Lisette ; pour
surcroit de malheur M.Jacquemin , désabusé
par Charlot , fait dire à Lucile qu'il
viendra la voir pour faire sa paix avec
elle.Lucile répond froidement au Laquais
de M. Jacquemin ;
Dis lui que rien ne presse et que je len tiens
quitte.
lere
Cette froide réponse fait esperer à Vaque
la feinte pourroit bien devenir
ane vérité , comme il le souhaite. Il coninue
à lui parler d'amour ; elle l'écoute
vec plaisir ; il pardonne à Crispin , elle
ait grace à Lisette ; et le rendez - vous a
out le succès que le Valet et la Suivante
uroient pû esperer.
Cette Piece a paruë tres - jolie , et a fait
ouhaiter au public que M, Fagan, qui en
I. Vol. est
210 MERCURE DE FRANCE
est l'Auteur , continuât à lui faire part de
ses productions. Au reste les Acteurs s'y
sont tous distinguez par leur maniere de
joier.
EPITRE ,
A Me Dufresne , sur les deux premiers
Rôles qu'elle a jouez , en paroissant
sur la Scene.
J
E ne résiste plus , c'est trop long-temps me
taire ;
Mes transports sont trop vifs , pour ne pas
éclater ;
DUFRESNE , j'ose te chanter ;
Voi , d'un oeil favorable , un hommage sincere ,
Pour me désabuser d'un projet téméraire ,
J'ai beau me dire à tout moment ,
Que pour te louer dignement ,
C'est peu de brûler , d'un beau zéle ,
Qu'il faut encor , d'une plume immor
telle ,
Pouvoir faire couler des Vers aussi pompeux ;
Aussi touchants que ceux ,
A qui tu sçais prêter une grace nouvelle.
Mais si l'infléxible Apollon ,
A mes désirs, refuse un si beau don ;
1. Vol.
Je
JUIN. 1733. 1211
Je me fate du moins d'avoir , pour mon par◄
tage ,
Uu coeur qui sçait sentir ;
Une ame prompte à compatir :
Pour rehausser ta gloire , en faut - il davantage
Tu la tires du sentiment ;
Tu le sçais mieux qu'un autre , exprimer vive
ment ;
C'est à lui seul d'achever mon ouvrage.
Où suis -je ! Quels sanglots ont fait couler mes
pleurs ?
Je n'en sçaurois douter, c'est Electre , elle- mêmes
Je gémis de ses maux , je sens tous ses malheurs;
Que je hais ses persécuteurs !
Ah ! si bien-tôt sensible à ta tendresse extrême ,
Ton cher Oreste enfin n'appaisoit tes douleurs
La pitié m'animant d'une audace intrépide ,
Egiste éprouveroit le courroux qui me guide ,
Princesse , par sa mort , j'irois briser tes fers ,
Trop heureux de pouvoir , au péril de ma vie ,
Apprendre à l'Univers ,
Combien de tes tourmens mon ame est atteng
drie !
Mais quels nouveaux accents , viennent troubles
mon coeur !
Ah ! je la reconnois ! c'est Camille en fureur ;
2-1. Vol. H Elle
1212 MERCURE DE FRANCE
1
Elle demande compte à son barbare frere ,
D'un sang que son amour lui rendoit précieux ;
J'approuve déja sa colere ;
Le farouche vainqueur , me devient odieux ,
Et ne m'attachant plus à la gloire d'Horace
Je souhaite plutôt le sort de Curiace ;
Je le trouve trop doux , puisque si vivement ,
Il avoit pu toucher l'objet le plus charmant,
Poursais , Actrice inimitable !
Nos coeurs émus au gré de tes désirs
Feront , de ton art admirable ,
Leurs plus agréables plaisirs.
Quand sur la Scene on te voit reparoître ,
Qui ne croit voir renaître ,
La Champ-meslé , là le Couvreur ?
Surton art et le leur ,
De décider sans doute il seroit difficile ;
Mais je sçais , qu'à leur voix , Electre ni Cas
mille ,
N'auroient pû , dans mes sens ,
terreur,
mieux
porter
Le 6 de ce mois , les Comédiens Italiens
donnerent une Comédie nouvelle , en
Prose , de M. de Marivaux, que le Public
a reçuë tres-favorablement, Nous en par
lerons plus au long,
1. Vol.
L
JUIN. 1733. 8213
Le 1 Juin , l'Académie Royale de
Musique remit au Théatre les Fêtes Grecques
et Romaines, Ballet Héroïque , représenté
dans sa nouveauté en Juillet 1723 .
Le Poëme est de M. Fuselier , et la Musique
de M. de Blamon , Sur- Intendant de
la Musique du Roy . Cette Piéce qui est
parfaitement bien remise au Théatre , a
été reçue tres-favorablement du public.
On peut voir l'Extrait du Poëme .
dans leMercure de Juillet 1723. page 134.
XXXX:XXXXXXXXXXX
NOUVELLES ETRANGERES.
TURQUIE ET PERSE.
E Capitaine d'un Vaisseau , arrivé de Méte-
Llin , pur les côtes d'Italie , a confirme que
l'Escadre Algérienne avoit été surprise le premier
Avril , par une violente tempête , prés du
Port de cette Ville , et qu'elle avoit perdu son
Amiral de 70 Pieces de Canon , deux autres Vaisseaux
et deux Sultanes.
A Constantinople , le 22 Avril 1733 .
LE
Es nouvelles venues de Perse , par plusieurs
Couriers , arrivez icy , portent que parmi
les Persans , qui sont en tres- grand nombre dans
Bagdad , il s'étoit formé un complot pour li
rer cette Place à l'Usurpateur Thamas - Kouli-
I. Vol.
Hij Kham
1214 MERCURE DE FRANCE
Kham , lequel faute de Canon pour en entreprendre
le Siége , et comptant sur ce qui s'y
tramoit en sa faveur, s'étoit borné jusqu'alors à
la bloquer du côté de la terre ; mais qu'Achmet
Pacha , Commandant Turc, avoit heureusement
découvert la conspiration peu de jours avant
qu'elle dût éclater : Sur quoi Kouli -Kham voïant
son coup manqué , avoit laissé la plus grande
partie de son armée aux environs de Bagdad ,
pour en continuer le Blocus , et avoit passé le
Tigre avec 25000 de ses meilleurs Soldats , la
pluspart Aghuans , qu'Achinet Pacha , comme
Ges Troupes passaient , avoit fait faire à propos
une sortie sur leur arriere-garde , dont environ
2000 hommes avoient été tuez ou noyez , que
Kouli Kham, après son passage étoit tombé sur
Kouch- Kalessi , Faux - Bourg de Bagdad , dont il
ost séparé par le Tigre , qu'il avoit pillé e
Fauxboug , et s'étoit ensuite campé le long du
Fleuve pour ôter toute communication entre
cette Ville , et l'armée Otomane , qui étoit dans
le Diarbekir , sous les ordres de Topal - Osman
Pacha , nouveau Genenal.
*
- Cependant le Tigre s'étant enflé tout d'un
coup considérablement, par la premiere fonte des
Néges , la rapidité de son cours avoit emporté
tous les Batteaux et Radeaux dont les Persans s'étoient
servis pour le passer ; de sorte que leur
General fort intrigué de ne pouvoir plus communiquer
avec ses Troupes restées de l'autre
côté du Fleuve , soit pour en tirer du secours
soit pour leur en donner , suivant les conjonc
tures , avoit pourtant trouvé moyen de leur faire
Nation barbare et rebelle , qui a donné lieu à la
grande Révolution de Perse,
>
I, Vol.
dire
JUIN. 1733.
1215
dire de filer le long de ce Fleuve , jusques vis-àvis
de Mesie , où, quand les eaux seroient écou
lées , elles pourroient le passer à gué ; qu'en attendant
, ce Général , pour se dédommager d'avoir
échoué à Bagdad , avoit formé le dessein
de surprendre Mosul ; et comme il sçavoit que
les habitans de cette derniere Ville en avoient
eux -mêmes réparé depuis peu l'Enceinte et la
Forteresse, qu'ils y avoient fait venir beaucoup de
provisions du Diarbekir , et que leur Garnison:
étoit renforcée , il avoit voulu joindre la ruse à
la force.
Pour cet effet , il leur avoit envoyé trois
Exprès , en differens temps pour les amuser , les
faisant assurer qu'il étoit venu dans leur voisinage
comme ami , et qu'ils n'avoient à craindre
aucun acte d'hostilité de sa part ; cependant au
moment même qu'il leur avoit dépêché son premier
Emissaire , il avoit fait marcher un Corps
de 10 à 12000 homines vers Mosul , qui y arriva
peu après son troisiéme Courier ; mais les
habitans ne prirent pas le change ; et loin de
prêter l'oreille à ses protestations d'amitié , réïtérées
avec tant d'affectation , ils se tinrent sibien
sur leurs gardes , que lorsque les Troupes
Persannes furent à la portée du Canon , ils firent
tirer dessus toute l'Artillerie de la Place ;
nonobstant le désorde que causa cette décharge,
les Persans ayant continué d'avancer , et étant
même entrez en partie dans la Ville , dont on
avoit exprès laissé une porte ouverte , la Garnison
et le Peuple les reçurent avec tant de bra
youre qu'ils les chasserent et les poursuivirent
* Ville moderne , peu éloignée des ruines de Nimive.
I. Vol. H iij long1216
MERCURE DE FRANCE
long - temps , ensorte qu'après en avoir tué
beaucoup , le reste s'étoit dissipé et avoit pris la
fuite à travers les Déserts .
En conséquence de ces deux Evenemens , qui
sont tres-avantageux aux Turcs dans un commencement
de Campagne , Achmet Pacha avoit ·
mandé au nouveau Séraskier Topal - Osman , de
ne se plus inquiéter pour Bagdad , qui étoit à
present en sûreté et bien pourvû de tout, et qu'il
ne songeât point à se mettre en mouvement
qu'auparavant tous les renforts de Troupes et
les munitions qu'il attendoit ne l'eussent joint.
Ce Seraskier avoit déja rassemblé 60000 hommes
dans ce Diarbekir , et reçu une bonne partie
des provisions qu'on lui avoit envoyées de
Constantinople par Aléxandrete. On ajoute
qu'ayant été obligé d'user de sévérité , pour
maintenir en vigueur la subordination dans son
armée , et pour tenir le monde dans son devoir ,
il avoit fait couper la tête à un Pacha , qui refusoit
d'obéir à ses Ordres , s'il ne montroit
ceux du G. S. et qu'il avoit fait subir le même
supplice à quelques Officiers , dont les Compagnies
n'étoient pas completes. Achmet Pacha
de son côté a exterminé tous ceux qui avoient
trempé dans la conspiration dont on a parlé au
commencement de ces nouvelles , et a fait passer
au fil de l'Epée les habitans d'un gros Village
près de Bagdad , nommé Gherbelai- Mahaladé” ,
pour avoir favorisé Thamis Kouli Kham.
Enfin , que les Troupes de ce dernier , qui
pour la plus grande partie sont composées de
toute sorte de gens ramassez , mal vétus , mal
armez , et propres seulement à faire du ravage
où ils ne trouvent point de résistance , avoient
fait un si grand dégat dans les Plaines de Bad-
1. Vol. dad,
JUIN. 1733. 1217
dad , pendant le Blocus de cette Place , que tous
son territoire est ruiné, de maniere à ne pouvoir
se rétablir de 20 ou 30 ans.
Les mêmes nouvelles portent que , sans avoir
égard au refus que fit dernierement M. Nepluck
au nom de la Czarine , d'accorder le passage sur
les Terres de sa Souveraine aux Tartares , le
Kham de la Crimée avoit ordre de faire`marcher
en Perse , il en étoit d'abord passé un Corps
d'environ 10 mille , qui sont à la solde du G. S.
et que depuis , plus de 20 mille volontaires de
cette même Nation , avoient pris journellement
la même route.
Mikal Voda , qui a été deux fois Prince de
Moldavie , et qui du temps de la Révolution
avoit obtenu la Principauté de Valaquie , dont il
fût déposé il y a plus d'un an , avoit fait depuis
peu quelques tentatives pour rentrer dans cette
derniere Principauté. Ses amis représenterent à
la Porte , qu'il paroissoit que le fils du feu Prince
Nicolas Mauro - Cordato , qui gouverne à
present la Valaquie , se trouvant trop jeune , et
n'ayant pas assez d'expérience , il seroit d'une
extrême conséquence pour cet Empire , de ne la
confier qu'à un Prince qui fut capable de la bien
gouverner , tel qu'étoit Mikal , qui avoit cydevant
donné des preuves de sa bonne conduite;
mais ces représentations n'ont rien produit en
sa faveur , et la Porte pour marquer cependant
qu'elle y avoit fait attention , s'est contentée do
donner la Principauté de Valaquie au Prince de
Moldavie , qui est un homme fait , et celle - ci
au jeune Prince de Valaquie . Les Ordres pour
faire cet échange , qui jettera ces Princes dans
d'aussi grandes dépenses que s'ils succedoient à
d'autres , ont été signifiez le 16 de ce mois à
Hij

+
I. Vol. leurs
1218 MERCURE DE FRANCE
leurs Kapi-Kiayar , ou Agens à la Porte , ausquels
on a donné le Caftan d'honneur , suivant
l'usage .
Les Algériens , qui étoient à Smirne depuis
às mois pour y faire des Recrues , et recevoir
celles qu'on faisoit icy pour eux , ayant mis à
la voile de Fogeri , dans les derniers jours du
mois de Mars , au nombre de neuf Vaisseaux ,
furent surpris , le premier d'Avril , vers les 9
heures du soir , d'un vent de Sud- Est si violent ,
que ne pouvant plus tenir la Mer sans un péri
évident , ils voulurent gagner la Rade de Mosconisy
pour s'y mettre à l'abri ; mais soit que
l'obscurité trompât les Pilotes , ou qu'ils ne connussent
pas bien ces Parages , au lieu de prendre
la grande Passe , qui est sure , et au Nord de
l'Ise de Metelin , ils prirent la petite , au Nord-
Ouest de cette Isie , qui est fort dangereuse la
Duit , parce qu'elle n'a qu'environ deux Cables
de l'argeur , dix pieds d'eau en quelques endroits,
et qu'elle a un Banc de Rochers du côté de l'Est ;
de sorte , que la nouvelle Patrone d'Alger , fort
beau Vaisseau de 70 Pieces de Canons de Fonte ,
construit depuis un an , échoua en entrant dans
ce mauvais passage , et que celui qui le commandoit
n'ayant pas eu l'attention d'éteindre
son Fanal de Poupe , ni de faire aucun signal ,
deux autres Vaisseaux qui le crurent mouillé ,
le suivirent , et écoüerent de même ; sçavoir, un
des deux Vaisseaux , dont le G. S. avoit fait
présent depuis peu à la République d'Alger, aussi
de 70 Canons , & l'ancienne Patrone de cette
Régence , percée pour un pareil nombre de Canons
, mais qui n'en avoit que 40 .
Des autres 6 Vaisseaux de cette Escadre, 3 qui
étoient les plus proches , et qui prenoient la mê-
I. Val me
JUIN.
1219 17337
même sort ;
me route , auroient eu vrai- semblablement le
mais une Chaloupe qu'on leur en
voya , les ayant informez du malheur qui venoit
d'arriver , ils gagnerent la grande Passe , et allerent
donner fond dans la Rade de Mosconisy.
A l'égard des trois derniers , ils étoient dispersez
et si fort au large qu'il ne fut pas possible
d'en joindre aucun , et qu'on a été même
plusieurs jours sans en avoir de nouvelles .
On a appris depuis , que l'un d'eux étoit venu
moüiller à Mosconisy avec ceux qui y étoient
déja , et qu'un autre ayant voulu regagner Foye
ri , avoit péri en rentrant dans ce Port , qu'à la.
vérité tout l'Equipage avoit eu le temps de se
sauver , mais que peu après ce Bâtiment , qui
étoit de 40 Canons , avoit coulé bas et disparu
totalement. Quant au troisiéme Vaisseau , on ne
sçait point encore ce qu'il est devenu .
les
Quoiqu'il ne se soit noyé que aix personnes
dans tous ces naufrages , et que les Aigériens se
fatent de relever leur ancienne Patrone , à quot
on doute pourtant qu'ils puissent parvenir ; il
est certain que la perte qu'ils ont faite en cette
occasion sera toujours fort considérable ; outre
qu'ils ne pourront rien retirer des deux premiers
gros Vaisseaux naufragez ;; que les Canons ,
Ancres et ce qu'il y avoit sur le premier et le
second Pont , toute la Mâture de ces Bâtimens
étant tombée tout à la fois , un quart d'heure
après qu'ils eurent échoué , on assure que 3 à
hommes en ont été écrașez ou estropiez, et
que la plupart de leurs Recruès , effrayées de tant
de désastres , ont deserté et pris la fuite de côté
400
et d'autre en Asie .
Jérémie , qui avoit été fait Patriarche de
Constantinople pour la seconde fois , au mois
I Vol Hv d'Oc1220
MERCURE DE FRANCE
d'Octobre de l'année derniere , a été déposé aujourd'hui
et exilé suivant la coûtume ; et Sera
phin , Archevêque de Nicomédie , a été mis à sa
place.
POLOGNE.
E Maréchal de la Diette fit l'ouverture de la
Lreizième Séance par la lecture du Projet de
conféderation generale , lequel porte que les seuls
Gentilshommes Polonois , nez de pere et de mere
Polonois et Catholiques , pourront prétendre à la
Couronne ; que personne , hors le Primat , n'osera
proclamer le Roy , sous peine d'être déclaré
ennemi de la Patrie , et que l'on confisquera les
biens de tous les Gentilshommes qui sans raison
légitime , manqueront de se trouver à la Diette
d'Election .
Le 15.May, les Nonces tinrent les Sessions Pro
vinciales et allerent au Sénat, où on lût de nouveau
le Projet de Conféderation , dans lequel l'Evêque
de Plokow , le Palatin de Podolie et celui de
Vitebsk , chargez par le Primat d'y faire les
changemens qu'ils jugeroient convenables, avoient
insere que le Primat ni aucun Evêque ne procla→
meroit, en cas de scission , et que la Couronne ne
pourroit être déferée qu'à un Polonois qui n'auroit
aucune liaison de parenté ou d'alliance avec
les Puissances étrangeres ; la plupart des Nonces
s'éleverent contre cette derniere clause ; et dirent
qu'en l'admettant , on donneroit l'exclusion à
presque tous les Seigneurs de la Nation , puisqu'il
y en avoit très peu qui ne fussent alliez de
quelques Souverains ; ainsi elle fut rejettée à la
pluralité des voix.
Dans les Scéances du 17 et 18. May , le Primat
ayant demandé qu'on reglât le temps auquel
1. Vol. com.
JUIN. 1221 1733.
commenceroit la Diette d'Election , elle a été
fixée au 25. d'Août prochain.
que
Les Lettres de Warsovie du 22. May , portent
la Diette de convocation s'étoit séparée , et
que les Sénateurs et les Nonces avoient signé un
Acte de Confédération , conformément aux propositions
faites dans l'Assemblée par M. Maskalski
, Maréchal de la Diette , et par quelques
uns des Nonces.
Le Corps du Roy Sobieski , qui étoit en dépôt
depuis 37. aus dans un Appartement du Palais ,
a été mis sur un magnifique Lit de parade que le
Prince Jacques Sobieski , son fils , lui a fait préparer
dans une Chapelle de l'Eglise des Capucins.
La nuit du 20 au 21. May , le feu prit aux
Ecuries du Palais de Latti , appartenant au Prince
Lubomirski , Palatin de Cracovie , et elles furent
entierement brulées , aussi bien qu'un Corps
de Garde voisin , une Brasserie qui dépend du
Monastere des Religieuses Bernardines , et quelques
aurres Maisons ; on n'a pû sauver qu'une
très- petite partie des Chevaux et des Equipages
du Prince , et les fammes se seroient communiquées
au Palais du Roy , si on n'eût apporté un
prompt secours,
O
Roy
ALLEMAGNE.
N mande de Vienne , que l'Infant Don
Emanuel de Portugal , qui depuis que le
, son frere , lui a donné une pension de
80000. florins , s'est démis du Régiment qu'il
avoit au service de l'Empereur , est allé passer
quelques jours à Laxembourg ; ce Prince occupe
l'Appartement du Duc de Lorraine , qui est retourné
à Presbourg , et il a mangé plusieurs fois
avec l'Empereur et Pimperatrice , ce qui ne lui
1. Vol. Hvi étoit
1222 MERCURE DE FRANCE
étoit point encore arrivé depuis qu'il étoit à la
Cour de Vienne. On vient d'apprendre que ce
Prince est parti pour S. Polten , où il doit faire
sa résidence.
Le s . de May , le Camp de Silesie commença
à se former dans le lieu que les Commissaires
envoyez par l'Empereur avoient marqué , entre
Oppelen et Brieg , et le Régiment du Prince de
Lichteinstein , celui d'Amilton , sept Compagnies
du Régiment de Khevenhuller , quatre de
celui de Daun , et un pareil nombre de celui des
Carabiniers , y camperent. Les deux jours suivans,
il y arriva six Compagnies du Régiment du
Grand- Maître de l'Ordre Teutonique , quatre de
Hussars , une des grands Grenadiers , trois du
Régiment de Khevenhuller , et deux de celui de
Caraffe.
On append de Wurtzbourg , que le z . du mois
dernier , il étoit tombé dans les environs de cette
Ville , une si grande quantité de grêle , que la
terre en étoit couverte de la hauteur de trois
pieds , que les Torrens que la grêle avoit formez
en se fondant, avoient inondé le plat pays , ruiné
plusieurs Hameaux et ravagé toutes les terres des
Villages de Greussen , &c. et qu'il y étoit péri
un grand nombre de Païsans et de bestiaux .
On a appris de Sehwerin , que le Commandant
de cette Place et celui de Domitz , avoien
reçû ordre de l'Empereur d'ouvrir leurs portes
au Duc Chrétien Louis , et de ne plus reconnoître
l'autorité du Duc Charles Léopold , sous peine
d'être traitez comme rebelles ; mais selon les
Lettres reçues depuis , on ne croit pas que les
Coinmandans obéissent au Decret Impérial.
Selon les derniers avis reçûs , le Duc Charles-
Léopold de Meckelbourg , a fait publier le 24.
1. Fol May
JUIN. 1223 1733 .
May dans toutes les Eglises de son Duché , une
deffense à ses Sujets de reconnoître l'autorité de
Duc Chrétien Louis.
ITALI E.
E Pape signa le 9. May , le Jugement rendu
par la Congrégation de Nonnullis , contre le
Cardinal Coscia. Il a été rendu public et porte
que ce Cardinal restera prisonnier pendant dix
ans dans le Donjon du Château S. Ange ; qu'il
sera pendant le même temps privé de voix active
et passive dans l'Election d'un Pape ; qu'il ne sera
pas permis aux Cardinaux de l'appeller au Conelave
; et que si malgré cette deffense il y étoit
entré , l'Election dans laquelle il auroit donné sa
voix , sera nulle ; que jusqu'à- ce qu'il ait restitué
toutes les sommes qu'il a acquises par des voyes
illégitimes , il restera excommunié sans pouvoir
être absous par aucune autre personne que par
S. S. hors in articulo mortis ; que les sommes
provenantes de la restitution à laquelle il est condamné
, seront distribuées aux pauvres , suivant
la disposition des Bulles Apostoliques ; que préalablement
il payera 100. mille ducats qui seront
employez au soulagement des pauvres Paroisses
du Royaume de Hongrie ; que les revenus de ses
Abbayes de sainte Sophie et de S. Marc in Lermis
seront administrez par les Commissaires
qui seront nommez par le Pape , et qu'il ne conservera
aucune Jurisdiction spirituelle ni temporelle
sur les deux Abbayes , et sur tous les Benefices
ayant charge d'ames .
Aussi tôt que le Pape eut signé ce Jugement ,
il fut signifié au Cardinal Coscia , lequel après
avoir demeuré quelque temps sans parler , demanda
une Cassette, sous prétexte qu'il avoit be- L. Vol
soim
1224 MERCURE DE FRANCE
soin d'y prendre quelques Elexirs , et l'Officier
qui commandoit la Garde mise auprès de lui de
puis le 28. d'Avril , y ayant trouvé deux paquets.
de papiers , s'en saisit et les envoya à M. Ricci ,
Commissaire General des Armées , qui les porta
au Cardinal Secretaire d'Etat ; le soir on condui .
sit le Cardinal Coscia au Château S. Ange , et le
bruit court que M. Coscia , son frere , sera relégué
dans la Citadelle de Perouse.
Le Pape a déclaré qu'il vouloit non- seulement
que le Jugement prononcé coutre le Cardinal
Coscia , fút executé dans toute sa rigueur , mais
encore que ce Cardinal subît les peines portées .
par l'ancien Decret publié contre lui , par lequel
il étoit ordonné que pour être sorti de l'Etat Ecclesiastique
sans permission , et pour n'être point
revenu dans le terme de six mois , qui lui avoit
été accordé , il seroit interdit de toutes fonctions
Ecclesiastiques , privé de ses revenus , ainsi que
de toutes prérogatives , immunitez et exemptions
et même de l'entrée de l'Eglise , incapable de
conférer aucun Benefice , et de disposer par testament
d'aucun des biens qu'il avoit reçûs du
S. Siege.
La République de Génes a accordé la liberté
aux quatre Chefs des Mécontens de l'Ile de
Corse ; Don Louis Clafferi et l'Abbé Astelli ,
deux d'entre eux ont même obtenu du Gouvernement
, le premier , une pension de cent écus
par mois , avec Commission de Capitaine , er le
second, un Bencfice ; les deux autres ont refusé
d'être élargis , parce qu'on n'a pas voulu leur
permettre de retourner en Corse , où ils ont des
revenus considérables .
1. Vol. ESPAGNE
JUIN. 1733. 1225
ESPAGNE.
E 16. du mois dernier , le Roy , la Reine ,
Liele Prince et la Princesse des Asturies et l'Infant
Don Philippe , partirent de Séville , et l'on
a eu avis que L. M. étoient arrivées le 19. à
Rambla , où elles ont séjourné jusqu'au 26. qu'el
les en sont parties pour continuer leur route vers
Aranjuez . L'Infant Don Louis et les Infantes
ne sont partis de Séville que le 31. May.
GRANDE BRETAGNE.
E 19. May , le Duc de Newcastle remit à la
Chambre des Pairs , un Message du Roy , par
lequel S. M. leur donnoit part des propositions
qu'il avoit reçûës de la part du Prince de Nassau
Orange , pour le Mariage de la Princesse Royale
avec ce Prince , qui ayant obtenu le consentement
du Roy, avoit envoyé à Londres un Ministre
avec les pouvoirs nécessaires pour en signer
les articles .
Le Roy ajoûtoit dans ce Message , que ne dou
tant point que ce Mariage ne donnât une satisfaction
générale à tous ses bons Sujets , il se promettoit
l'approbation de la Chambre des Seigneurs
, en accomplissant une a fiance qui contribuoit
à maintenir la succession à la Couronne
dans une Maison Protestante. Les Seigneurs ayant
déliberé sur ce Message , allerent le lendemain
présenter au Roy une Adresse de Remerciment
et de félicitation , S. M leur répondit :
MILORDS , je vous remercie de cette marque
d'affection pour moi et pour ma Famills ; ce m'est
une grande satisfaction de voir que le Mariage projetté
entre ma Fille et le Prince d'Orange , vous
I. Vol. soit
1226 MERCURE DE FRANCE
être
assurez que La
soit si agréable : vous pouvez
conservation des libertez de mon Peuple , sera mon
principal soin et mon unique attention .
Le Chancelier de l'Echiquier ayant présenté à
la Chambre des Communes , un Message semblable
à celui que le Roy avoit envoyé à celle des
Pairs , dans lequel S. M. ajoûtoit qu'elle se pro--
mettoit que la Chambre la mettroit en état de
donner à la Princesse Royale une dot convenable
à l'occasion présente , et qui pût la mettre en état
de soutenir son rang avec dignité , la Chambre
résolut d'accorder une dot de 80000. liv. sterlins
à la Princesse Royale , et elle présenta une Adresse
au Roy , pour le remercier d'avoir bien voulu
lui communiquer ses intentions touchant le Mariage
de la Princesse sa . Fille , et pour assurer
S. M. que la Chambre contribueroit de tout son
pouvoir à la conclusion de ce Mariage.
On a envoyé ordre à tous les Ministres du
Roy d'Angleterre dans les Cours étrangeres , de
donner part aux Princes auprès desquels ils résident
, du Mariage de la Princesse Royale avec le
Prince de Nassau- Orange. On frappe à la Tour
plusieurs Médailles d'or et d'argent à l'occasion
de ce Mariage.
XX :XXXXXXXX -XXXX *
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LE
E 26. May , les Prêtres de la Doctrihe
Chrétienne , tinrent leur Assemblée
Générale en cette Ville dans leur
1. Vol. Maison
MA Y. 1733 1227
Maison de S. Charles. Après la Messe
du S. Esprit , M. Hérault , Conseiller d'Etat
, nommé Commissaire par le Roy
pour y présider , en fit l'ouverture par
un Discours très- poli et très- éloquent ,
rempli sur tout de témoignages d'estime
et de consideration pour la Congrégation
de la Doctrine Chrétienne.
L'Assemblée cut d'autant plus lieu
d'être contente de ce Magistrat , qu'il
déclara expressément ne venir que dans
un esprit de paix , et qu'en effet il ne
proposa rien qui fût capable ni de bløsser
les sentimens , ni de gêner la liberté
des suffrages de ceux ausquels il parloit ;
aussi tout s'est- il passé dans une tranquillité
parfaite et dans une intelligence
si grande que dès ce jour là même et
à la premiere nomination , le Pere Bacarere
a été élû Superieur Général . Ce
Pere étoit actuellement Assistant pour
la troisième foit.
M. Herault, en sortant de l'Assemblée ,
ne put s'empêcher de marquer combien
il étoit édifié et satisfait de la maniere
dont toutes les choses s'étoient passées
dans cette Election . La Congrégation
espere beaucoup de la sagesse de ce nouveau
Général .
1. Vol.
Le
# 228 MERCURE DE FRANCE
Le Marquis de Chalmazel , que le Roy
a nommé son Envoyé Extraordinaire pour
aller complimenter l'Electeur de Saxe
sur la mort du Roy de Pologne , som
Pere , partit le 2. de ce mois pour se rendre
à Dresde.
Le 4. Fête du S. Sacrement , le Roy
accompagné du Duc d'Orleans , du Prince
de Conty , du Prince de Dombes , du
Comte d'Eu , et de ses principaux Officiers
, se rendit à l'Eglise de la Paroisse
de Versailles , où S.M. entendit la grand'-
Messe après avoir assisté à la Proces
sion qui alla , suivant l'usage , à la Chapelle
du Château.
Le même jour , il y eut Concert Spirituel
au Château des Tuilleries ; on
y chanta deux Motets de M. de la Lande,
dont l'exécution fit beaucoup de plaisir
; la Dile le Maure chanta seule un
Motet , qui fut tres- applaudi . Le sicur
le Clair l'aîné , dont on a déja eu occasion
de parler plusieurs fois au sujet de
differens Ouvrages qu'il a donnez au pu-'
blic , joiia un nouveau Concerto de sa
composition , qui fut généralement goûté
et applaudi par une tres nombreuse
assemblée.

1. Vol Le
JUIN. 1733 . 1229
Le 7 Juin , le R. P. Bacarere , nouveau
General de la Doctrine Chrétienne
eut l'honneur de saluer le Roy , accompagné
de ses Assistans. Il fut présenté à
Sa Majesté par S. E. M. le Cardinal de
Fleury ; et fit un petit Discours que S.M.
écouta avec bonté.
Il alla ensuite chez les Ministres et les
principaux Seigneurs de la Cour , qui lui
firent compliment sur sa nouvelle Digni
té de General.
Le 12. le Roy partit de Versailles pour
aller à Compiegne.
Le Lundy 15 Juin , jour de grande Fête
dans l'Université , à cause du Lendi, dont
on peut voir l'origine dans son Histoire
et ailleurs , auquel tous les Ecoliers ont
un Congé extraordinaire , et vont ordinairement
se promener aux environs de
Paris , un nombre d'élite des plus jeunes
de ceux du College d'Harcourt , choisirent
le Château de Meudon , pour avoir
l'honneur de voir Monseigneur le Dau
phin , et de faire leur Cour. Ce Prince
les reçut avec beaucoup de graces et de
bonté; et leur ayant donné sa main à
baiser , leur fit plusieurs questions sur
leurs noms , leurs études , leurs divertis
1. Vol. semcas
1130 MERCURE DE FRANCE
semens, &c. il les écouta avec une attention
et un discernement au dessus de son
âge. Il voulut sur tout être informé du
sujet de leur voyage , de la Fête qui y
donnoit lieu , et qui dispensoit les Ecoliers
de travailler ce jour - là , ajoûtant
agréablement , qu'il chomeroit aussi cette
Fête et qu'il ne travailleroit pas non
plus dans la journée. Le Prince attentif à
tout , trouva qu'un de ces Mrs ne portoit
pas bien son Epée , et qu'il falloit l'élever
davantage à son côté ; ce qui donna occasion
à l'Ecolier de répondre que s'il ne
portoit pas bien l'Epée , il sçauroit bien
s'en servir un jour pour le service du
Roy. Tout cela se passa dans la Promenade
que fit M. le Dauphin dans le Parc
un peu après son lever. La promenade
finie , le Prince ordonna que les mêmes
Ecoliers d'Harcourt se trouvassent à son
diner , ce qui fut exécuté , et cela donna
lieu à de nouvelles marques de bonté et
à d'autres questions ingénieuses.
Après le dîner , les Ecoliers , tant du
College d'Harcourt que de quelques autres
Colleges qui s'y trouverent , propo-.
serent , sous le bon plaisir de MONSEIGNEUR
, une Partie de Ballon , qui fut
parfaitement bien jouée , et qui divertit
beaucoup le Prince. Pour marque de son
1. Vol. conJUIN.
1733
1231
contentement de tout ce qui s'étoit passé
, il leur accorda quatre jours de congé
; surquoi il y eut des Billets expédiez ,
signez de Madame la Duchesse de Ventadour
; et dans cette expédition le Marquis
Doria , Ecolier , Pensionnaire d'Harcourt
, fut particulierement distingué.
Douze Ecoliers choisis , du College de
LOUIS LE GRAND , vinrent aussi , après le
dîner , faire leur cour à M. le Dauphin ,
qui les reçut avec les mêmes bontez.
M. Gérard , Ecolier de cinquième , porta
la parole et fit , avec grace , un petit
Discours , qui fut écouté avec plaisir. Le
Prince leur donna aussi sa main à baiser, et
voulut qu'ils participassent à la mêmẹ
faveur des jours de congé.
On écrit de Mets que M. le Comte de
Belle -Isle y fut reçû le 18 Avril , en qualité
de Gouverneur de cette Ville et du
Païs Messin. Sa réception fut des plus
magnifiques ; il donna un grand Repas ,
servi avec toute la délicatesse possible
à plusieurs Membres du Parlement ; et
le 21 , Madame de Belle - Isle régala à sou
per quarante Dames , sur une Table en
Fer- à- Cheval. Après le souper , on tira
an fort - beau Feu d'Artifice , suivi d'un
Bal , qui dura toute la nuit, On y servit
1. Vol.
avec
1232 MERCURE DE FRANCE
avec profusion , toute sorte de rafraîchis
semens.
On mande de la même Ville , du 24
May , qu'on y avoit ressenti une légere
secousse de tremblement de Terre, et que
depuis ce temps - là , les Pluyes étoient
continuelles ; ce qui empêchoit la continuation
des nouvelles Fortifications.
RELATION de ce qui s'est passé
dans l'Arsenal de Paris , le premier jour
de fuillet 1732. au sujet de la figure
d'ozier , que le peuple nomme , mal à
propos :
Le Suisse de la ruë aux Ours .
Pierre Claus , du Bailliage de Schwartzembourg
, Canton de Berne , cy- devant Soldat aux
Gardes Suisses , Compagnie d'Affry , à present
Suisse de S. A. S. Monseigneur le Duc du Maiwe
, sous , la Porte de l'Horloge , préposé pour
Garde de l'Arsenal , apperçut ledit jour 1 Juiller
1732. sur les trois heures après midi , une foule
de monde , qui étant entrée dans l'Arsenal , du
côté de la Bastille , se mettoit en devoir de traverser
la Cour du Manége , portant la Figure
d'osier, qu'on nomme, mal à propos : Le Suisse
de la rue aux Ours , et auquel on attribue une
impiété commise contre PImage de la Vierge ,
en 1418 .
Comme cette Figure se trouvoit habillée de
rouge , avec des agrémens , ainsi que les Gardes
Suisses du Roy ; ledit sieur Claus ferma la
Porte dudit Arsenal , poursuivit la populace et
I. Vol. saisit
JUIN.
1733. 1233.
isit la Figure représentant un Suisse , d'autant
lieux que cette entrée dans une Maison Royale
toit un manque de respect , et que l'habit dont
a Figure étoit revêtuë , faisoit insulte â une Nation
depuis long- temps alliée à la France.
Les Chefs de la Société de la ruë aux Ours
informez que ladite Figure étoit saisie , se rendient
à l'instant chez ledit sieur Claus , pour lui
fare excuse de l'insulte du passage à travers de
P'Arsenal , en lui protestant qu'ils n'avoient jamais
prétendu représenter un Suisse par cette Figure
, et pour le lui prouver , ils le lui envoyeent
le même jour un ancien Tableau , qui fait
simplement mention d'un malheureux Soldat ,
ans spécifier de quelle Nation il fût . Ledit sieur
Claus rempli de satisfaction en son particulier
le découvrir la vérité d'un fait qui lui faisoit
le la peine depuis long- temps , comme à toute sa
Nation en general , et cela par les personnes les
fus interessées dans cette cérémonie, après avoir
endu la Figure , crut ne pouvoir mieux faire
que d'envoyer sur le champ ledit Tableau à S. A.
. Monseigneur le Duc du Maine , tant pour sa
justification personnelle sur ce qui s'étoit passé
à l'Arsenal , que pour l'interêt que ce Prince
prend à ce qui regarde la Nation Suisse.

S. A. S. ayant jugé à propos de faire éclaireir
la chose , on trouva , tant par des Pieces authentiques
, que par le récit des Historiens, même
contemporains , que cet impie n'étoit connu
que sous le nom d'un Goujat ou Soldat en
general , sans qu'il y ait aucune apparence que ce
ce fut un Suisse ; que d'ailleurs par les. Epoques
les plus constantes , il n'étoit pas possible que ce
malheureux Soldat fut de cette Nation , puisque
la premiere alliance entre la France et les Suisses AI, Vol.
ne
1234 MERCURE DE FRANCE
ne s'étoit faite qu'en 1444. et qu'avant ce tempslà
aucun Militaire de cette Nation n'avoit par
dans le Royaume, et que par conséquent l'opinion
du peuple , peu instruit , ne pouvoit avoir
aucun fondement à croire que ce malheureux
fut un Suisse , si ce n'est par l'habillement qu
la Société lui donne depuis long- temps , san:
fondement.
Ceux qui par une association de piété sont
chargez de faire cette cérémonie annuelle , ont
été eux- mêmes si persuadez de toutes ces véri
tez , qu'ils ont volontairement donné un acte de
déclaration en bonne forme à ce sujet , dont
ledit sieur Claus a cru qu'il étoit de son devoir
de faire part au Public , pour la satisfaction de
ses compatriotes , qui verront par là tomber a
abus populaire dont ils n'ont pas eu lieu d'être
édifiez jusqu'à présent..
Cet Acte a été dressé de la maniere qu
suit :
Aujourd'hui sont comparus pardevant les Con
seillers du Roy , Notaires à Paris soussignez ,Claudi
Piccard Rolland, Maître Layetier , ancien Juré d
sa Communauté , Rox en charge de la Sociéé
de la Sainte Vierge , rue aux Ours , de cette Ville,
Leon-François Terreau , ancien Garde des Grands
Gardes du Corps des Marchands de Vins , ancien
Consul de la Ville de Paris , Roy deux fois de la
Société ; Siméon Jacob , Marchand de Vins , ancien
Roy de ladite Société ; Jean Vallée , Maitro
Rotisseur , ancien Roy de ladite Société ; Paul Chevillot
, Maitre Boulanger , Associé, et Edme Langlois
, Maître Rotisseur , Cuisinier Privilegié du
Roy , ancien Roy de ladite Société , tous demeurans
an ladite rue aux Qurs , et stipulans , tant pour
I.Vol.
JUI N. 1732- 1235
eux que pour tous leurs Associez , tant présens que
futurs , et leurs Successeurs à perpetuité. Lesquels ,
sur la demande et réquisition du sieurPierre Claus,
Suisse de S. A. S. Monseigneur le Duc du Maine,
à l'Arsenal de Paris , à ce present , ont dit et déclaré
qu'ils désavoüoient, comme par ces Présentes ils le
désavoüent , en la meilleure forme qu'il leur est
possible , le particulier qui a été chargé les premiers
jours du present mois , de porter par les rues de Paris
, la Figure d'ozier , qui représente un soldat
qui en 1418. commit une impiété sur une Image
de la très-Sainte Vierge ; qu'ils désavoüoient pas
reillement ledit particulier , Porteur de ladite Figure
, de l'avoir fait entrer dans l'Arsenal , ce qui
est contre le respect dû à une Maison Royale.
?
Déclarant en outre , que ni eux ni personne de
leur Société n'ont jamais prétendu représenter par
ladite Figure , aucun Soldat Suisse , ni autre de
leur Nation , étant certain que l'Histoire ne fait
mention que d'un Soldat impie en general , sans
marquer de quelle Nation il étoit ; et cela d'autant
plus que ceux de la Nation Suisse n'ont commencé
d'être au service de la France qu'après l'année
1444 .
De plus , ils auront une attention particuliere à
ce que
ladite Figure ne soit plus à l'avenir habillée
d'une maniere qui puisse dénoter l'uniforme
d'aucun Soldat Suisse , ni autre de cette Nation, ni
portée dans l'Arsenal ; c'est ce qui a donné sujet
audit sieur Pierre Claus d'être scandalisé , et
porté à s'opposer au passage de ladite Figure au
travers de l'Arsenal , et à demander en conséquence
la présente déclaration , tant pour lui-même ,
que pour la satisfaction de tous ceux de sa Nation ,
Militaires et autres,; laquelle déclaration les soussignez
accordent volontairement , sur la demande
I. Vol. I qui
1236 MERCURE DE FRANCE
qui leur en est faite , et pour marquer de leurpart
la considération et estime qu'ils ont pour tous ceux
de la Nation Suisse en general , et en particulier
pour ledit sieur Claus. Fait et passé à Paris ès demeures
des soussignez , le 19 Ïuillet 1732. et ont
signé la minute des Présentes, demeurée à lagar¬
de et possession de Veillard , Notaire.
Signé , Melin et Veillard , Notaires ,
arca paraphes.
* Ces mêmes Associez , pour donner plus de
poids à leur déclaration se rendirent le jour
même chez M. le Baron de Bézenval , Lieutenant
General des Armées du Roy , et Colonel du Régiment
des Gardes Suisses, pour la lui présenter;
Tequel après l'avoir lûe,approuva leurs sentimens
sinceres et équitables à réformer cet abus; les assurant
qu'il en feroit part à Messieurs les Officiers
Suisses , et autres de cette Nation ; ce qui
continueroit à maintenir la tranquilité dans la
Cérémonie annuelle qu'ils avoient coutume de
faire. Ce qui fut annéxé à la déclaration cy - dessus.
A Bale , chez, Pierre Bicler , Imprimeur- Libraire,
La Relation qu'on vient de lire , nous a été
envoyée par Messieurs les Maire et Bourgeois de
la Ville de Bâle, accompagnée d'une Leute, dont
voici la teneur :
Nous vous prions , Monsieur , de faire usa
ge dans votre prochain Mercure , de la Relation
que nous avons l'honneur de vous addresser
; vous verrez , en la lisant , de quoi i
s'agit ; nous ne pûmes vous l'envoyer l'année
passée assez à temps pour être mise dans celui
de 1732. mais comme cette Cérémonie se ré-
I. Val
pere
JUIN. 1733. 1237
pete tous les ans , à pareil jour , nous esperons
qu'elle pourra trouver place cette année dans
votre Mercure, d'autant plus qu'elle ne contient
rien que de trés- vrai . Nous sommes tres- parfai
tement , Monsieur , vos tres - humbles et tresobéissans
serviteurs , les Maire et Bourgeois de
Bâle.
Ce 1 Juin 1733.
Le Samedy 16 May , les RR . PP, Dominiquains
du Noviciat Général , du
Faubourg S. Germain , firent l'ouverture
d'une Solemnité , qui devoit durer'
trois jours dans leur Eglise, au sujet de la
Béatification de la Bienheureuse Catherine
de Ricci , Religieuse Prof.sse du Tiers-
Ordre de S. Dominique , au Monastere
de la Ville de Prato , dans la Toscane. La
Cérémonie commença par la publication
de la Bulle , accordée par N.S.P. le Pape
Clement XII. à l'instance du Grand Duc
de Toscane , et de tout l'Ordre de Saint
Dominique.
L'Eglise du Noviciat , l'une des plus
régulieres de Paris , étoit magnifiquement
ornée ; le Sanctuaire éclairé de plusieurs
Lustres , et le Maître Autel enrichi de
quantité de Reliquaires , de Vases , et de
Chandeliers d'argent. Le Portrait de la
Bienheureuse , paroissoit élevé au milieu
d'ure Gloire , sous le grand ceintre , qui
1. Vol. Iij sé1238
MERCURE DE FRANCE
sépare le Choeur du Sanctuaire , d'où
pendoient des Guirlandes , et de longs
Festons , soutenus par des Anges.
,
Le lendemain Dimanche , M. Menay ,
Chanoine Régulier de la Congrégation
de S. Antoine , prononça après Vêpres ,
le Panégyrique avec beaucoup de succès ;
et quelque temps après la Communauté
des RR. PP. Benedictins de l'Abbaye
Royale de S. Germain Desprez , vint processionnellement
chanter le Salut
l'Officiant donna la Benediction du tres-
Saint Sacrement. Le Lundy , la Commu
nauté des RR. PP. Augustins du Fauxbourg
S. Germain ; et le Mardy , celle des
RR. PP . Prémontrez , du même Fauxbourg
, firent les mêmes Cérémonies, qui
furent terminées par un Te Deum , sọ-
lemnellement chanté.
La sainte Religieuse, qui a donné lieu
à cette solemnité nâquit à Florence , le
2 Avril 1522 , de l'illustre Mai on de
Ricci , qui a donné divers Prélats et des
Cardinaux à l'Eglise . Elle fût un parfait
modele de la plus sublime piété , dont
l'éclat a brillé dans toute l'Italie , ensorte
que les Personnes les plus éminentes
dans l'Eglise et dans le Monde Chrétien,
voulurent la visiter et la consulter , à
I. Vol. Cause
JUIN 1733.
1239
cause des lumiéres extraordinaires , confirmées
par plusieurs Miracles , dont il
plaisoit au Ciel de la favoriser ; ce qui a
été reconnu par les plus grands Serviteurs
de Dieu de son temps ; en particulier
par S. Philippe de Néri , qui ne pouvoit
se lasser de publier les merveilles , qu'il
reconnoissoit dans cette Servante de Dieu.
Elle mourut le 3 Février 1589 , dans la
77 année de son âge. M. Cartari , Evêque
de Fiesoli a donné sa vie au Public
et M. l'Evêque de Pistoye fit en l'année
1614 les informations juridiques des Miracles
opérez par son intercession , pour
proceder ensuite à sa Béatification , laquelle
a été enfin concluë , déclarée , et
célébrée à Rome en cette année 1733 .
ainsi que dans tous les Monasteres de
l'Ordre de S, Dominique.
Le concours que cette cérémonie a áttiré
à celui du Noviciat de Paris , a don
né occasion de remarquer les nouveaux
Ouvrages qui en ont embelli l'Eglise. Le
principal est la construction d'un Choeur
à la Romaine , avec un double rang de
Stales , d'une Menuiserie, ornée de beaucoup
de Sculpture , les Panneaux sont
chargez de differens Tableaux de l'histoire
de la Passion, & c, sans compter deux
I. Vol. I iij autres
1240 MERCURE DE FRANCE
·
autres grands Tableaux , qui sont élevez
à l'entrée , en regard ; l'un , de S. Thomas
d'Aquin , l'autre , du S. Pape Pie V.
d'une très belle exécution. Le Plafond
peint par M. le Moine , Peintre fameux
de l'Académie Royale , attire les regards
des connoisseurs. Les Tableaux du Choeur
dont on vient de parler , et beaucoup.
d'autres qui sont dans cette Eglise et ailleurs
, sont du Frere André , Religieux
de la Maison , qui s'est acquis beaucoup
de réputation dans cet Art.On remarque
enfin la nouvelle disposition du Maître
Autel,tout construit d'un tres- beau Marbre,
avec les ornemens convenables, mais
d'une noble simplicité , sans parler du
Sanctuaire et des autres accompagnemens
qui donnent à cette Eglise une nouvelle
décoration , et un certain air de majesté.
INONDATION de la Riviere de
Loire. Extrait d'une Lettre écrite d'Or
leans , le 8 Juin 1733 .
La Riviere qui avoit commencé à croî
tre la premiere Fête de la Pentecôte , se
trouva tres grosse le Mercredy au soir ,
et ce qu'on appelle , en plein chantier ; ce
qui n'étonna encor personne ; cette Riviere
croissant d'ordinaire considérable-,
I. Vol.
ment
JUIN. 1733. 121
ment vers ce temps cy. C'est ce que nos
Mariniers nomment , je ne sçais - pourquoi
; La crûë des Sapins Depuis , la Riviere
augm nta de telle sorte , qu'elle se
trouva au Niveau de Lévées , se répandit
ensuite sur les Quais , entra dans la
Ville e inonda les rues basses ; mais comme
Orleans est bâti sur le penchant d'un
côteau , elle ne pût s'avancer beaucoup
de ce côté là. Il n'en fut pas de même
de l'autre côté , dans le Fauxbourg , appellé
Portereau, qui fut tout inonde étant
dans un Terrain bas , égal à celui du Val
de Loire.
Comme on ne douta point que les Lévées
ne rompissent , l'eau augmentant
toujours , et une partie des Arches du
Pont , proche des Lévées , étant bouchées;
on sonna le Tocsin dans les Paroisses du
Val , pour avertir les Habitans de se précautionner
contre l'Inondation . Les plus
prochains accoururent à laVille,avec leurs
Enfans et leurs Bestiaux . Les autres montèrent
dans les Greniers de leurs maisons .
La nuit arriva, qui augmenta de beaucoup
la terreur et la confusion où tout se trouvoit
; et ce fut dans ce temps- là que sur
les 9 à 10 heures , un petit Pont de pierre
, qui fait la communication du grand
Pont à une des Mottes , qui forment une
1. Vol. I iiij Isle
1242 MERCURE DE FRANCE
Isle au milieu , vint tout à coup à s'écrouler
et emporta une quinzaine de
personnes , entre lesquelles on compte
trois jeunes Ecoliers avec leur Précepteur,
un mari et une femme , qui laissent neuf
à dix enfans , et d'autres personnes de
differens états.
Pendant la nuit la Riviére passa par
dessus les Levées , et entra dans le Fauxbourg
, en montant vers les Capucins.
Elle rompit les Levées en trois endroits .
La rupture la plus violente fut celle qui
se fit à côté des Ursulines de S. Charles ,
où l'eau emporta les Murs du Monastére ,
renversa cinq ou six maisons de fond
en comble , en dispersa les Décombres
et se répandit comme un torrent affreux
dans le Val. Tout ce qui se trouva à l'opposite
des deux autres ruptures, éprouva
le même sort . Plus de 40 toises de Murailles
du revêtement des Mottes du Pont
furent entraînées , aussi bien que deux
Maisons qui étoient sur le grand Pont ,
dont l'une fut entierement renversée , et
l'autre tellement ébranlée qu'on la démolit
actuellement.
Ily eut encore une rupture à un quart
de lieuë en deçà des Ponts , toutes ces Eaux
se réunissant à celles du Loiret , qui se
regonflérent et inondérent bien- tôt tout
J. Vol. le
JUI N. 1733. 1243
le Val. De plus, comme la Riviere avoit
emporté un Déchargeoir , pratiqué dans
les Levées , du côté de Darnoi , à trois
lieues d'Orleans, en remontant , les Eaux
qui entrerent par cette rupture , recevant
celles qui venoient d'une rupture
plus haute à un endroit nommé Bouteilles,
ne firent plus , jointes ensemble , qu'un
Lac de tout le Val de Loire , sur lequel
Lac on ne voioit que la Cime des Arbres,
et le Toît des Maisons . Cette désolation
a duré vingt quatre heures ; pendant le
quel temps , Messieurs de Ville firent
tout ce qu'on devoit attendre de leur
zéle , envoïant par tout , malgré le danger
des Barques, pour sauver ceux que
la
ruine de leurs Maisons , où le peu de
hauteur du terrain , mettoit en danger
de périr , et faisant porter des vivres à
ceux qui avoient pû trouver quelque retraite
dans leurs Greniers. On ne dit
point qu'il soit péri personne , si ce n'est
ceux que l'accident du petit Pont de la
Motte a emportez , mais on a perdu beau
coup de Bétail . Les Eaux se sont enfin retirées
, et nous ont laissé voir un triste
Tableau de leur fureur.Des Maisons renversées
de fond en comble , leurs Décom
breş dispersez çà et là , des Murs et des
Chemins rompus , les Bleds et les Foins
1. Vol. I'v perdus
1244 MERCURE DE FRANCE
perdus , ou par les Sables que la Riviere
a jettez sur les terres , ou par la Fange
qui se durcissant au Soleil , les brûle
après les avoir abbatus ; les Vignes , dans
les endroits où les Eaux ont séjourné ,
sans esperance de récolte , et dans les courans
, emportées ; les Marais qui sont de ce
côté- là en plus grand nombre,et qui font
la richesse de tout le Fauxbourg , enticrement
ruinez. Je n'entrerai point dans
le détail de toutes les pertes que l'Inondation
peut avoir causées ; il est immense
, et plus on examine ces pertes , plus
on les trouve grandes. Voilà le triste état
où se trouve la Ville d'Orléans . Je ne
parle que de ce que nous pouvons voir
du haut de nos Murs ; j'ajouterai seulement
que le Pont de le Pont de Gergeau , à quatre
lieuës au dessus d'Orleans , a eu deux Arches
d'emportées ; comme c'est un grand
passage,principalement pour les Bestiaux,
cela incommodera beaucoup le commerce
, & c.
La Loire , selon une Lettre de Blois ,
s'est tellement débordée, qu'il n'est ici personne
qui se souvienne de l'avoir vûë
en cet état. Sans en faire un plus grand
détail , je vous dirai seulement que l'on
ne voyoit que l'Arche du milieu de notre
Pont , les eaux avoient entierement bou-
I. Vola ché
JUIN. 17337
1245
ché les autres. On ne voyoit flotter sur
la Riviere que bestiaux de toute espece et
morceaux de Charpente de la démolition
des maisons . Les Ponts Chastré et celui de
S. Michel , ont été rompus en differens
endroits. Les Garennes et les Vignes ont
été déracinées , les Prez et les Bleds sont
sans aucune esperance de récolte . Les Levées
ont été rompues en plusieurs endroits;
il s'est même trouvé des gens sur des
morceaux de Levées , tout environneg
d'eau , luttant contre la faim et contre la
crainte que la terre ne vint à leur manquer
tout-à- fait. Le pain a valu jusqu'à 20. sols
la livre pendant cette huitaine.
On dit qu'il y a eû aussi de grand ravages
à Tours , &c.
***********************
MORTS , NAISSANCES
et Mariages.
E R.P. Dom Jean- Bap . Alaydon , Su-
Lperieur General des Benedictins de la
Congrégation de S. Maur , mourut le 6.
Juin , dans l'Abbaye de S. Germain des
Prez , dans la 62. année de son âge.
M. Louis - Gaston Fleuriau , Evêque
d'Orleans , mourut dans son Diocèse le
10. âgé d'environ 72. ans.
N
I. Vol. Iv An1246
MERCURE DE FRANCE
Antoine François de la Trémoüille de
Noirmontier , Duc de Royan , mourut
en cette Ville le 18. âgé de 82. ans . Son
Corps fut porté en grand Convoi dans
l'Eglise de S. Sulpice , sa Paroisse , et puis
transporté en celle du Monastere des Celestins
, pour être inhumé dans la Sépulture
de sa Maisor . Ce Seigneur étoit né
avec les plus heureuses dispositions. A la
mémoire la plus sûre il joignoit le jugement
le plus solide ; une imagination
riante , mais toujours juste , et par dessus
tout , une ame ferme que rien ne
pouvoit ébranler quand il ne s'agissoit
que de lui , mais toujours sensible dès
qu'il étoit question des autres , sur tout .
dans sa Famille , dont il étoit regardé
comme le Pere. Privé dès sa plus tendre
jeunesse et au milieu des plus grandes
esperances de l'usage de la vûë , il avoit
sçu par son courage mettre son malheur
même à profit. Il avoit orné son esprit
de toutes les connoissances qui servent
à rendre l'homme également aimable et
vertueux. Son commerce étoit aussi sûr
que sa societé étoit douce ; sa maison
étoit devenue celle de tous ses amis , et
il avoit trouvé le moyen d'y réunir en
même- temps la décence et la liberté.
1. Vol. Le
JUIN. 1733. 1247
Le fils dont la Comtesse de Trêmes .
fille du Prince de Tingri , et belle- soeur
du Gouverneur de Paris , accoucha le 9 .
May , fut baptisé le lendemain et tenu
sur les Fonts au nom de la Ville , par
le Prévôt des Marchands et Echevins de
la Ville de Paris et par la Princesse de
Tingri.
Dame Henriette Bibienne de Franquetot
de Coigny , Epouse de Jean- Baptiste
Joachin Colbert , Marquis de Croissy ,
& c , Conseiller d'Etat , Capitaine des
Gardes de la Porte du Roy , Colonel du
Régiment Royal Infanterie , accoucha le
23. May d'une fille , qui fut nomméc
Marie Tabitte , par Henry Arnauld de
Pomponne , Abbé de S. Médard de Soiss
sons , Conseiller d'Etat ordinane , Commandeur,
Chancelier et Garde des Sceaux
des Ordres du Roy , et par D.Marie Anne
Goyon de Matignon , Epouse de Henry
François de Grave , Marquis de Solat , & c .
Mestre de Camp de Cavalerie.
Pierre de Marolles , Comte de Rocheplatte,
& c.Brigadier des Armées du Roy,
et Lieutenant pour S. M. en la Province
de la Marche , épousa le 19 May au Châ
teau de Ris , Marie- Anne Goujon de Gasville
, fille de Prosper Goujon , Seigneur
1. Val.
de
T248 MERCURE DE FRANCE
deGasville et de Ris,Maître des Requêtes
et cy devant Intendant en la Generalité
de Rouen , et d'Anne Faucon de Ris ; elle
avoit épousé en premieres Nôces Charles-
Auguste , Baron de Breteuil et de Preuilly
, et avoit eu de ce Mariage un garçon
et une fille.
Emanuel- Félicité de Durfort de Duras,
Duc de Durfort , fils de Jean -Baptiste de .
Durfort , Duc de Duras , Marquis de
Blanquefort , &c.Chevalier des Ordres du
Roy , Lieutenant General de ses Armées ,
Commandant de la Haute et Basse Guyenne
, et de D. Angelique Victoire de Bournonville
, épousa le 31. May D. Charlotte-
Antoinette de Mazarin de la Porte,
et de Ruzé , fille de Guy- Paul- Jule de
Mazarin de la Porte , & c . Duc de Mazarin,
de la Melleraye et de Mayenne, Pair
de France , Prince de Château -Porcien
&c . et de D. Louise- Françoise de Rohan
Rohan.
************************
ARRESTS NOTABLES .
LET
ETTRES PATENTES du 20. Août
1732. registrées en Parlement le 18. May
1733. qui confirment le Contrat d'échange fait
entre le Roy et le sieur Martin , Proprietaire de
Bois Taillis et des Terres situées dans le grand
Parc de Versailles , & c.
JUIN. 1733- 2249

LETTRES PATENTES en forme d'Edit du
mois de Décembre 1732. registrées en Parlement
le 18. May 1733 qui confirment le Contrat
d'échange de Terres , &c. fait entre le Roy
et le sieur Comte de Villepreux.
AUTRES LETTRES PATENTES en forme
d'Edit du mois de Décembre 1732. registrées en
Parlement le 18 May , qui confirment un Contrat
d'échange de Terres entre le Roy et le nommé
la Bretesche.
ARREST du Parlement , du 26. Mars 1733-
qui condamne le nommé Descorailles , dit le
Chevalier de Salers , à un banissement de neuf
áns , en so . livres d'amende envers le Roy , et en
10000. livres de réparations civiles envers les
sieur et Dame de la Ronade , pour raison des
violences , voyes de fait , injures et insaltes par
lui commises à leur égard ; ordonne que les nom
mez Anne Descorailles de Salers , et Jean Descorailles
de Milliard , seront admonestez et les condamne
solidairement à aumôner chacun la som◄
me de 10. livres au pain des Prisonniers de la
Conciergerie.
ARREST du Conseil d'Etat du 19. May , por
tant deffenses aux Gentilshommes- Verriers , Tiseurs
, Ouvriers , Serviteurs , Domestiques et autres
employez en la Manufacture Royale de la
Verrerie de Sévres , de quitter leur service et de
s'éloigner de plus d'une lieue , sans un congé par
écrit de l'Inspecteur pour le Roy en ladite Manufacture
, sous peine d'amende et de punition
corporelle ; fait pareillement deffenses , sous les
mêmes peines , et de prison , à toutes personnes
I. Vol.
ds
1250 MERCURE DE FRANCE
de débauchér lesdits Gentilshommes , Ouvriers ,
Serviteurs , Domestiques ; et à tous Maîtres de
Verreries , de recevoir lesdits Gentilshommes et:
Ouvriers , sous peine de 3000. livres d'amende
solidaire.
ARREST du Conseil du premier Juin , dont
voici la teneur.
Le Roy s'étant fait représenter en son Conseil
une feuille imprimée sans nom d'Auteur ni
d'Imprimeur , ayant pour titre , Lettre à un Prêtre
de l'Oratoire , au sujet de l'Assemblée de cette
Congrégation , indiquée au 12. Juin 1733 Sa Majesté
y auroit reconnu que ce libelle porte avec
soy tous les caracteres d'un Ouvrage séditieux ,
dont l'Auteur ne se contentant pas de s'élever
avec témérité contre la Déclaration du 4. Août
1720. y établit des principes entierement contraires
au respect et à l'obéissance due aux ordres de
S. M. en supposant , avec ignorance ou mauvaise
foi , que le Souverain ne peut exclure régulierement
des Chapitres ou Assemblées , les Sujets.
qu'il juge avoir contrevenu aux Loix et Ordonnances
de son Royaume ; et comme il est important
de supprimer un pareil libelje , pour prévenir
les suites d'une nouveauté si dangereuse et
si répréhensible , Sa Majesté étant en son Conseil,
a ordonné et ordonne que la feuille intitulée
Lettre à un Prétre de l'Oratoire , au sujet de l'As-.
semblée de cette Congrégation , indiquée au 12. Juin
1733. imprimée sans nom d'Auteur ni d'Imprimeur
, demeurera supprimée, comme séditieuse et
contraire à l'autorité du Roy . Fait Sa Majesté ,
très-expresses inhibitions et deffenses à tous Imprimeurs
, Libraires , Colporteurs , et autres personnes
d'imprimer ou faire imprimer , vendre ,
I. Vol. débiter
JUIN. 1733 . 1251
débiter ou distribuer ledit libelle , sous les peines
portées par la Déclaration du 10 May 1728. & c.
ARREST du Parlement du S. Juin.
Ce jour, les Gens du Roy sont entrez , et Maître
Pierre Gilbert de Voisins , Avocat dudit Seigneur
Koy portant la parole , ont dit : Que depuis
le Libelle des Refléxions pour les Evêques dé
France , que la Cour a condamné par son Arrêt
du 14. Avril dernier , il en paroît un autre du
même genre , qui déja s'est répandu dans des
Provinces éloignées , et y a subi le sort qu'il
mérite , avant qu'aucun Exemplaire en fût encore
parvenu entre leurs mains.
Que ce nouvel Ecrit intitulé : Lettre d'un Doc
teur de Sorbonne à un Evêque de Province , n'est
en quelque sorte qu'une répétition du premier ,
dont il suit et dont il copie les excès . Que la
Cour y reconnoîtra le même esprit , les mêmes
pensées , presque jusqu'aux mêmes expressions .
et sur tout ces vûës dangereuses de séparation et
de schisme qu'on ne peut assez réprimer. Qué
ce qu'il ajoûte à l'autre , c'est un plan plus étendu
et plus circonstancié des voyes capables d'y
conduire. Que sa passion ingénieuse à les multiplier
, n'est allarmée d'aucun des maux réels
qu'on en verroit éclore ; et que dans son impatience
, il n'est point de moyens qu'elle n'invente
pour le succès d'un si funeste projet.
Qu'ils se croyent dispensez d'entrer dans la
discussion de ces égaremens. Qu'il s'agit moins
d'approfondir le mal que de l'étouffer ; et qu'un
pareil Libelle porte assez son reproche avec luimême.
Qu'il n'est pas besoin de refléxions sur
un Ecrit qui s'applaudit du titre de Tocsin , et
se vante de sonner l'allarme ; qui se fait un jeu
I. Vol.
d'accuser
1252 MERCURE DE FRANCE
d'accuser les Puissances de l'Etat et de l'Eglise ;
qui reproche aux unes de tenir une conduite qui
tend à la perte de la Religion et impute aux autres
d'y conspirer par leur indolence et par leur
foiblesse qui enfin pour colorer ses excès , ne
craint point de nous annoncer l'extinction prochaine
de la Catholicité parmi nous , et de dire
que nous touchons à un de ces temps malheureux , où
Pon voit des Provinces et des Royaumes entiers perdre
la Foy. Que faut - il de plus pour faire sentir
jusqu'où va l'emportement et la témerité de cer
Ouvrage , et pour mettre en garde contre les vues
passionnées qui tendent aux extrémnitez dans lesquelles
il essaye d'engager ?
1
Qu'ils se contentent donc de le remettre sous
les yeux de la Cour , et d'attendre d'elle un Jugement
pareil à celui qu'e'le a porté contre l'au
tre Ecrit par l'Arrêt du 14. Avril dernier.
Eux retirez :
Yeu le Libelle intitulé : Lettre d'un Docteur de
Sorbonne à un Evêque de Province , le 8. Mars
1733.ensemble les Conclusions par écrit du Procureur
General du Roy : Oui le rapport de Me
Louis de Vienne , Conseiller , et la matiere sur
ce mise en déliberation .
>
La Cour a arrêté et ordonné que ledit Libellé
sera laceré et bru é en la Cour du Palais , au pied
du grand Escalier d'icelui par l'Executeur de la
haute Justice comme injurieux à l'autorité
Royale , et à l'honneur des Parlemens , excitant
au schisme , et tendant à sédition : Fait inhibitions
et deffenses à tous Libraires , Imprimeurs
Colporteurs et à tous autres , de l'imprimer ,
vendre et débiter , ou autrement distribuer , sur
peine d'être procedé contre eux extraordinairement
; enjoint à tous ceux qui en auroient des
I. Vol. ExcmJUIN.
1733. 7253
Exemplaires , de les remettre incessamment an
Greffe Civil de la Cour , four y être supprimez :
Permet au Procureur Géneral du Roy , de faire
informer contre ceux qui ont composé , imprimé
, vendu , debité ou distribué ledit Libelle par
devant Me de Vienne , Conseiller en icelle , même
pardevant les Lieutenans Criminels ou autres
premiers Officiers des Sieges Royaux du Ressort
pour les témoins qui se trouveroient dans l'étendue
desdits Siéges , poursuite et diligence de
ses Substituts en iceux pour les informations
faites , rapportées et communiquées au Procureur
Général du Roy , être par lui requis , et
par la Cour ordonné ce qu'il appartiendra : Ordonne
que copies collationnées du présent Arrêt,
seront envoyées aux Bailliages et Sénéchaussées
du Ressort , pour y être lû , publié et registré ;
enjoint aux Substituts du Procureur General du
Roy d'y tenir la main et d'en certifier la Cour
dans le mois. Fait en Parlement , &c.
ARREST du Parlement du même jour 5. Juin.
Ce jour , les Gens du Roy sont entrez , et Me
Pierre Gilbert de Voisins , Avocat dudit Seigneur
Roy, portant la parole , ont dit : Qu'on n'auroit
pas eu lieu de croire que l'Arrêt du 23. Février
dernier , pût être le prétexte d'une accusation
d'infidelité au Roy , et d'attentat contre les droits
sacrez de sa Couronne. Que c'est cependant l'usage
qu'en fait un Libelle imprimé , qu'on a semé
par tout il n'y a pas long-temps , qui leur a été
adressé à eux - mêmes , et auquel on a donné le
titre de Remontrance au Roy sur l'Arrêt rendu par
son Parlement de Paris le 23. Février 1733. Que
l'accusation se tire de ce que l'Arrêt deffend entr'autres
choses , de rien faire qui tende à donner
I. Vol. atteinte
1254 MERCURE DE FRANCE
atteinte à l'autorité du Concile oecumenique de
Constance , et de ce qu'en quelques lieux , dit- on,
ce Concile s'attribue le droit de dépouiller de leur
dignité les Empereurs et les Rois en cas de désobéissance
à ses Decrets.
Qu'on ne parviendra jamais à rendre la Cour
suspecte dans ses sentimens ni dans sa conduite ,
sur le grand principe de l'indépendance absoluë
de la Souveraineté de nos Rois. Que c'est la minaxime
inviolable sous laquelle ce Sénat auguste
s'est formé ; qu'il ne subsiste et qu'il ne vit pour
ainsi dire , que pour elle ; et que s'il pouvoit cesser
d'être , ces murailles qu'il en a fait retentir
tant de fois depuis plusieurs siecles , sembleroient
encore parler après Tui pour la publier à jamais.
Que la Cour n'a donc pas même à s'offenser
d'un reproche qui tombe par sa seule absurdité.
Qu'elle a parlé du Concile de Constance , comme
on s'est fait en France de tout temps une Loi
de s'en expliquer , c'est à- dire , pour le reconnoître
et pour le maintenir oecuménique. Qu'elle
a désigné singulierement les Decrets contenus
dans les Sessions quatre et cinq , si importants
pour nos maximes ; et qu'en ce point elle a suivi.
encore l'exemple respectable de nos Peres , dans
de qui s'est fait de plus solemnel en faveur des
mêmes Decrets.
Qu'à l'égard de ce qui peut être des termes de
quelques Sessions dont on abuse , c'est un argument
usé que nos plus celebres Ecrivains n'ont
pas laissé sans y répondre. Que l'oecumenicité
du Concile une fois établie , comme il n'est pas
permis en France de la contester ; au lieu de chercher
des prétextes pour lui reprocher une entreprise
sur le Temporel , aussi éloignée de ses vûës,
qu'incapable d'un juste effet , ils n'ont songé avec
I. Vol. raisom
JUIN . 1732 . 1255
raison , qu'à prendre dans un sens plus légitime
ce qui s'est passé dans ses Assemblées , et par la
sagesse éclairée de leurs observations , ils ont
conservé également les droits inviolables des
Puissances Temporelles , et le respect qui lui est
dû. Que c'est ce qu'on n'auroit pas dû dissimuler.
Mais qu'il est visible que l'on n'a cherché qu'à
donner le change ; et que l'audace d'un pareil
Libelle ne peut être condamnée trop séverement.
Que c'est l'objet des Conclusions qu'ils laissent
à la Cour , avec un Exemplaire du Libelle.
' Eux retirez :
Vi ledit Libelle intitulé : Remontrance au Roy
sur l'Arrêt rendu par son Parlement de Paris le 23.
Février 1733. qui ordonne la suppression d'un Imprimé
intitulé , Lettre de M. Leullier à M. le Premier
Président , ensemble les Conclusions par
écrit du Procureur General du Roy. Oui le rapport
de M Louis de Vienne , Conseiller , et la
matiere sur ce mise en délibération .
La Cour a arrêté et ordonné que ledit Libelle
sera laceré et brulé en la Cour du Palais , au pied
du grand Escalier d'icelui , par l'Executeur de la
haute Justice , comme calomnieux et injurieux à
la Cour. Fait inhibitions et deffenses à tous Libraires
, Imprimeurs , Colporteurs et tous autres
de l'imprimer , vendre et debiter , ou autrement
distribuer , sur peine d'être procedé contre eux ..
extraordinairement Enjoint à tous ceux qui en
auroient des Exemplaires de les remettre incessamment
au Greffe Civil , pour y être supprimez ;
Permet au Procureur General du Roy , de faire
informer contre ceux qui ont composé, imprimé,
vendu , debité ou distribué ledit Libelle pardevant
Me de Vienne , Conseiller en icelle , même pardevant
les Lieutenans Criminels ou autres pre-
I. Vol. niers
1256 MERCURE DE FRANCE
miers Officiers des Sieges Royaux du Ressort ,
pour les témoins qui se trouveroient dans l'étendue
desdits Sieges , poursuite et diligence des
Substituts en iceux , pour les informations faites,
rapportées et communiquées au Procurer General
au Roy , être par lui requis , et par la Cour
ordonné ce qu'il appartiendra. Ordonne que
pies collationnées du présent Arrêt , seront envoyées
aux Bailliages eiSénéchaussées du Ressort,
pour y être lê , publié et registré , enjoint anx
Substituts du Procureur General du Roy d'y tenir
la main et d'en certifier la Cour dans le mois.
Fait en Parlement , & c.
COLe
second Volume du Mercure de ce meis , est
actuellement sous presse et paroitra incessamment.
TABLE
Teces Fugitives . La Gloire Ode, 1045
Dissertation sur les Enseignes Militaires des
François ,
Stances ,
1050
1062
Eclaircissement au sujet de deux Theses de Medecine
,
La vie de l'homme , Ode ,
1064
1067
Lettre au sujet de la Vie de M. Fr. Picquet, 107 L
Imitation d'une Fable Latine , inserce dans le
Mercure , &c.
Refléxions ,
L'Amitié , Ode ,
1077
1079
1089
Lettre de Constantinople sur diverses Traduc ,
tions d'Ouvrages choisis ,
Méprise de l'Amour , â Mlle de,
1095
1097
I. Vol. TroiTroisiéme
I ettre au sujet du Marquis de Rosny
et Médaille ,
ΠΙΟΣ
1125
Le mépris des Richesses. Prix remporté aux Jeux
Floraux ,
Réponse de Mad. Meheust , Auteur de l'Histoire
d'Emilie , & c. 1131
Réponse au Madrigal de Mile de la Vigne , 1136
Refléxions sur la Question , Pourquoi a- t'on plus
de peine à pardonner à ceux qui prennent plaisir
à voir les personnes calomniées , &c.
Ode Sacrée ,
Enigmes , Logogryphes , & c .
ibid,
1143
1146
NOUVELLES LITTERAIRES , &c . Traité de l'Opinion
,
Essay sur le bon goût en Musique , &c.
1154
1163
Nouvelle Edition des Ouvrages d'Origene , 1168
Discours sur les Spectacles , traduit du Latin , 1 174
Livres nouveaux des Pays Errangers , &c. 1189
OEuvres d'Horace , gravées , &c.
De M. Coustou , & c.
1190
Bouclier antique au Cabinet du Roy , $ 197
Portail de S. Sulpice , Ceremonie , &c,
1192
Mort de M. Vanrobais , & c , 1194
1196
Estampes nouvelles , Portrait de M. des Portes ,
1198
1205
1210
& c.
Spectacles. Le Rendez vous , Extrait „
Epitre à Mile Dufresne ,
Nouvelles Etrangeres , de Turquie et Perse, Lettre
de Contantinople , &c .
De Pologne , Allemagne et Italie ,
Espagne et Angleterre ,
1218
1220
7225
France, nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 1226
Le Suisse communément dit de la ruë aux Ours,
&c.
Inondation de la Riviere de Loire , &e.
Morts , Naissances et Mariages,
Arrêts Notables , &c,
1232
1240
1245
3248
Errata de May.
Age 885. ligne 3. XVIII. lisez XVIIII.
1.886.1. 6.ΒΙΔΟΥ ΚΕΞΙΩΝ ΒΙΔΟΥΚΕΣΙΩΝ .
Ibid. li. 19. Biducasses , l . Viducasses .
P. 888. l. 12. Agenus , 1. Argenus.
Ibid. 1. 14. Bidugasses Biducasses , 1. Vidugasses
Viducasses.
P. 889. 1. 8. Ædinus , 1. Ædinius.
P. 890. 1. 13. Scupulus , / Scopula.
Ibid. 1. 25. à Paulin , l. de Paulin.
P. 899. 1. 21. Appius , 1. Ulpius,
P. 901. l. 16. Ædinius , l. Ædinii.
P. 903. l.
P. 905. 1 .
10. Antecesseur , l. Assesseur.
7. Arcæ , l. Arca.
Ibid. 1. 16. agentena , 1. agentem.
P. 998. 1. 3. seconde , l. 21.
P. 1005. I. 12. seings , l. signez.
P. 1015. 1. 23. reste Topgis , l . reste des Topgis.
P. 1030. 1. 20, la Cantate , l . le Cantate.
Fautes à corriger dans ce Livre.
P92.1. derniere , regaroit , l. regardoit.
Age 1071. ligne 8. Conseil , lisez Consul .
P. 1074. 1 3. du bas. Cette correction est de
M. le Chev. Maunier d'Alep. Mettez cela en
Note .
P. 1090 l. 10. ou ; l . on .
P. 1152. l. 1. se , l. je.
P. 1179. l . 19. et , 1. est.
P. 1191. 1. 10. l'évenement , l . l'avenement.
P. 1195.1 . 6. 25 de ce mois , 1. 25. May.
P. 1206. l. 22. elle m'aime , l. elle aime.
P. 1213. l. 15. sur les Côtes d'Italie ; ôtez ces mots
et mettez à la place , en Asie.
P. 1216. l. 14. ce , 1. le.
P. 1233. 1. 12. ils le lui , l. ils lui.
La Médaille doit regarder la page
1124
MERCURE
DE FRANCE ,
DEDIE AU ROT.
JUIN. 1733 .
SECOND VOLUME.
QURICOLLIGIT
SPARGIT
A PARIS ,
R
GUILLAUME CAVELIEK ,
ruë S. Jacques.
Chez LA VEUVE PISSOT , Quay de
Conty , à la descente du Pont-Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais,'
M. DCC . XXXIII.
Avec Approbation & Privilege du Roy.
6
A VIS.
340.6
M553
LA
'ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU , Commis au
Mercure , vis - à - vis la Comedie Frangoife
, à Paris, Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuventfe fervir de cette voye
1733 pour les faire tenir. いる
V. 2
On prie très-inftamment , quand on adreſſe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
June foin
d'en
affranchir
le
Port
, comme
cela
s'eft
toûjours
pratiqué
, afin
d'épargner
, à
nous
le
déplaifir
de
les
rebuter
, &
à
ceux
qui
les
envoyent
, celui
, non
-feulement
de
ne
pas
voir
paroître
leurs
Ouvrages
,
même
de
les
perdre
, s'ils
n'en
ont
pas
gardé
de
copie
.
mais
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui ſouhaiteront
avoir le Mercure de France de la
premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau
qui aura foin de faire leurs Paquets fans,
perte de temps , & de les faire porter fur
T'heure à la Pofte , on aux Meffageries qu'on
Ini indiquera.
PRIX XXX. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
1
DEDIE
JUIN.
AU ROT
1733.
PIECES FUGITIVES ,
en Vers et en Prose.
L'ASTROLOGIE JUDICIAIRE
O DE.
Présentée à l'Académie des Jeux Floraux , pour le
Prix de cette année 1733.
A M. Deslandes , Contrôleur Général de la
Marine , à Brest , et de l'Académie Royale
des Sciences. <
Par Mlle de Malcrais de la Vigne du Croisie
en Bretagne.
Uneste et vaine Astrologie ,
F
Qui dans les ténébreux replis ,
De ta séduisante Magie ,
Tiens tant de coeurs ensevelis ,
Reste à jamais dans la Chaldée ,
11. Vol. A ij UA
1250 MERCURE DE FRANCE
Une coupable et fausse idée ,
Nous a trop long - temps égarez ;
Ses Peuples qu'à tort on crut sages ,
Rendront bien sans nous leurs hommages ,
Aux Astres par eux adorez.
Monstre à qui fit voir la lumiere ,
L'avide curiosité ,
Tu ne dûs ta grandeur premiere ,
Qu'à l'humaine crédulité.
Tu profitas de nos foiblesses ,
L'appas trompeur de tes promesses ,
Masqua tes mensonges divers :
La peur fit valoir ton audace ,
Et ton Idole prit la place
Du Souverain de l'Univers,
M
Mortels , dont les cervelles folles ;
Changent les Astres en métaux ,
Vous voulez que des noms frivoles ,
Operent nos biens ou nos maux ?
Vous frémissez , Payens impies ,
De voir présider sur nos vies ,
Saturne ou Mars à l'oeil de fer ;
Garans d'une heureuse affluence ,
Pour ceux qu'anima l'influence ,
Deyénus ou de Jupiter ,
11. Voli Yous
JUIN.
1733. 1259
Vous prêtez à tels et tels Astres ,
De bizarres aversions ,
Cruels Messagers des désastres ,
Par leurs tristes conjonctions.
Le Scorpion me pronostique ,
Si dans ma Planette il s'implique
L'Exil , le Désespoir , la Mort ;
Et ma trame est infortunée ,
Si de sa queue empoisonnée ,
Le Dragon infecte mon sort .
Quoi cette Masse étincelante ,
Qui dans l'air roule loin de moi ,
Rendra mon ame chancelante ;
Entre l'espérance et l'effroi ?
Prête à m'en louer , ou m'en plaindre ,
J'aurai la bassesse de craindre ,
Un corps privé de sentiment ,
Qui n'a jamais connu son être ,
Et n'est pas lui- même le Maître ,
De regner sur son mouvement !
M
Croirai -je , étrange extravagance !
Que le Ciel à votre Art soumis ,
Au point qu'il fut à ma naissance ,
Puisse à vos yeux être remis ?
son compas infaillible , Seul de
II. Vol.
Dieu
A iij
260 MERCURE DE FRANCE
Dieu marque du temps insensible ,
Tous les espaces écoulez ,
Eternel Torrent ! cours immense !
Pendant que mon esprit y pense ,
Mille instans se sont envolez.
Si suivant votre absurde fable ;
La même Etoile au même aspect ,
D'un bonheur ou malheur semblable ,
Porte un présage non suspect ;
Pourquoi ne sont- ils pas insignes ,
Tant d'hommes nez sous mêmes signes ,
Que les Rois et les Conquérans ?
Où pourquoi le même naufrage ,
Perd-t-il cent Nochers à tout âge ,
Nez sous des signes differens ?
Celui-là vit et meurt infame ;
Cet autre est porté vers le bien ,
Et l'Astre seul captive une ame ,
Sous ce doux ou fatal lien :
Maudis ton sort , misérable homme ;
Ta liberté n'est qu'un Fantôme ;
N'attends plus rien des Immortels ,
Tes voeux sont désormais stériles ,
Détruits des Temples inutiles ,
Ravage et brûle leurs Autels.
11. Vol. Non
JUIN. 1251
1733.
Non, la ronde et vaste Machine ,
Du seul vrai Dieu connoît les Loix ,
Le Ciel à son aspect s'incline ,
Il parle et tout tremble à sa voix.
Toujours unie à sa justice ,
Sa volonté n'est point complice ,
De l'iniquité des humains ;
Le libre arbitre qu'il leur donne ,
De la honte ou de la couronne ,
Laisse le choix entre leurs mains.

Mais par de criminels prestiges ,
N'allons pas , esprits indiscrets ,
Chercher dans les airs les vestiges ,
De ses immuables Décrets .
Auroit-il de sa Providence ,
Fait aux Astres la confidence ?
L'idée en révolte mes sens :
Il créa ces Corps que j'admire ,
Pour éclairer , non pour prédire ,
pour recevoir mon encens. Ni
DESLANDES , mon hardi génie ,
Alla , loin des terrestres Lieux ,
Saisir la force et l'harmonie ,
Du brillant langage des Dieux.
Mon entousiasme intrépide ,
11.Vol. Aiiij Brive
126 2 MERCURE DE FRANCE
Brave en prenant le Nord pour guide ,
D'Icare l'éternel affront >
LefilsdeJapet sur son aîle
M'enleve , et m'offre une étincelle ,
Dont j'embrase le sacré Mont .
Cependant ma vigueur Lyrique ,
S'arma dans les Tournois FloraUX ,
Et le Laurier Académique ,
Récompensa d'autres travaux.
N'importe , ton docte suffrage ,
Me console et me dédommage
Du prix vainement espéré ;
Si conviens que des Couronnes
L'honneur à des Piéces moins bonnes ,
Plus d'unefois fut déféré.
のの
SUITE de la Dissertation sur les
Enseignes Militaires des François.
La
Es Eglises dédiées à des Saints , du
rang des Confesseurs , avoient leurs
Bannieres de couleur Bleue ou Violette :
celle de S.Martin devoit être de cette cou-
* L'Auteur ne prétend point condamner le jugement
de l'Académie , et quiconque l'interpréteroit
ainsi , n'entendroit point le sens de la Strophe.
II. Vol. leus
JUIN. 1733. 1263
leur , et c'est peut - être ce qui fit que lorsque
nos Rois prirent des Fleurs de Lys
pour armoiries , ils les mirent sur un
fond de gros bleu , en l'honneur de saint
Martin , dont la dévotion n'étoit pas
tout-à- fait tombée dans ces temps - là.
On prit la coutume de faire les Bannieres
de couleurs qui montrassent la
classe des Saints à qui elles étoient dédiées
, conformement à l'usage des Ecclesiastiques
, qui ont toujours observé ,
en faisant l'Office Divin , d'avoir des ornemens
qui désignassent la qualité du
Saint dont on fait la fête , prenant des
Chappes blanches pour les fêtes des
Vierges , des rouges pour les Martyrs ,
des vertes et des bleues pour les Confesseurs
, et des noires pour l'Office des
Morts.
Toutes ces Bannieres se terminoient en
trois pointes , désignant la Trinité. Celle
de Saint Denys prit le nom d'Oriflamme;
à cause de sa forme qui étoit une Lance
dorée , à laquelle pendoit un morééau
d'Etoffe de soye rouge , taillé en ma→
niere de flamme à trois pointes , terminées
chacune par une Houpe verte.M.du
Cange a fait une Dissertation qui renferme
tout ce que les Auteurs François ont
II. Vol. A v ' écrit
1264 MERCURE DE FRANCE
écrit de cette mystérieuse Enseigne , on
peut y avoir recours.
L'emploi de celui qui la portoit pour
le Roy , n'étoit qu'une commission ; le
Gentilhomme qui en avoit été chargé
pendant une Guerre , la reportoit à saint
Denis aussi- tôt que la Guerre étoit finie ;
et si on avoit besoin de la reprendre pour
une autre expédition , la commission en
étoit donnée souvent à un autre Gentilhomme.
Mais comme le temps change les usages,
les derniers Porte Oriflammes se succedoient
quelquefois de pere en fils dans
cette fonction ; et de plus ils négligeoient
de rapporter ce pieux dépôt qu'on leur
avoit confié dans le lieu où il devoit être
et le gardoient chez eux , sur tout quand
l'expedition pour laquelle ont l'avoit
prise , n'étoit point terminée , et qu'il
falloit retourner à la Guerre la Campagne
suivante .
On voit par l'Histoire de l'Abbaye de
S. Denys , de Dom Félibien , ( pag. 313. )
que le Roy Charles VI.après avoir nommé
Hurin , Sire d'Aumont , pour garder
l'Oriflamme , lui ordonna d'aller prendre
cetre Enseigne que Guillaume des
Bordes ( qui la gardoit auparavant ) avoit
11. Vol.
reJUIN.
1733 .
1265
retenue chez lui , n'ayant point eu occasion
de la déployer pour le service du
Roy , et ordonna en même temps au Sire
d'Aumont de la reporter dans l'Abbaye
de S. Denys .
L'ignorance et la crédulité où l'on étoit
dans lessiéc les où l'Oriflamme fut en réputation
, faisoit débiter bien des contes
sur son origine , on prétendoit qu'elle
avoit été apportée du Ciel , par un Ange ,
avec l'Ecu flourdelisé , dans le temps de
la conversion de Clovis , et long - temps
après que cette Enseigne eut cessé de paroître
dans les Armées,on croïoit qu'elle s'en
étoit retournée au Ciel , on se persuadoit
core qu'elle ne s'usoit point ; mais présentement
qu'on est revenu de toutes ces
pieuses fables , il est raisonnable de penser
que quand l'Oriflamme étoit vieille
et déchirée, on en substituoit une autre à
sa place , et les Religieux faisoient de la
vieille ce qu'ils vouloient , et quelquefois
elle restoit au Porte - Oriflamme , qui
en disposoit à sa volonté; comme les Colonels
font aujourd'hui des Drapeaux et des
Etendarts qui ont servi à leurs Regimens
qu'ils gardent souvent chez eux comme
des marques honorables pour leurs Descendans
, quand ils n'en veulent pas disposer
en faveur de quelque Eglise où
II. Vol.
·A vj
il
1266 MERCURE DE FRANCE
ils ont dévotion , ou en faire quelqu'au
tre usage.
La coutume d'offrir à la Divinité les
Enseignes prises sur l'Ennemi est tresancienne
; les Payens mettoient dans les
Temples de leurs Dieux les Trophées
qu'ils rapportoient de la Guerre. Les Philistins
après avoir vaincu Saül , appendirent
les armes de ce Roy aux voutes du
Temple de leur Dieu Astaroth, ( Les Rois,
liv. 1. ) et dans l'histoire de Sablé , par
M. Ménage , on voit dans la Généalogie
des Seigneurs de Mayenne , qu'un de ces
Seigneurs étant revenu d'une Croisade
offrit à une Eglise de sa Terre les Enseignes
qu'il avoit rapportées de son voïage.
On expose dans l'Eglise de Notre - Dame
de Paris toutes les Enseignes de Terre
et de Mer qui se gagnent sur l'Ennemi
pendant une Guerre , et on ne les ôte que
quand la paix est faite.
Le Poëte Malherbe dans une Lettre
qu'il écrit à son Cousin , le 22 Decembre
1627. lui dit : Les Drapeaux pris sur les
Anglois , à l'attaque de l'Isle de Rhé ,
furent hier apportez au Louvre , on leur
fit faire un tour dans la Cour , selon la
coutume , et on les porta ensuite à N. D.
Il y en a 44. qui ont tous au bout d'enhaut
et au coin , qui est vers le bois , un
II. Vol mor
JUIN. 1733. 1267
morceau de Tafetas blanc , d'environ 3
pieds en quarré , et en ce Tafetas , il yуэa
une Croix rouge qui touche à toutes les
4 faces de ce quarré. De maniere qu'en
admettant ( comme on le doit ) le renouvellement
de l'Oriflamme, quand elle étoit
usée , on accordera deux opinions diffé
rentes d'Auteurs sur le sort que cette Enseigne
a eu depuis que nos Rois ne l'ont
plus fait porter dans leurs Armées ; ce
qui arriva sous Charles VII . pendant que
les Anglois étoient Maîtres de Paris. Les
uns soutenant qu'elle étoit toujours restée
dans le trésor de S. Denys , où on la
voyoit encore en 1534 et 1594. suivant
les Inventaires du même trésor, faits dans
ces années- là ; et les autres ont pensé
qu'elle a pû rester en la possession des
Gentilhommes qui en avoient la garde ,
et que par conséquent on peut trouver
des Oriflammes dans les Archives des
descendans de ces Gentilhommes. Messieurs
d'Harcourt en conservent un , qui
leur vient par succession de Pierre de
Villiers l'Isle - Adam , Grand - Maître de
France et Porte Oriflamme , dont la fille
épousa Jean de Garenciere , et fut Ayeul
d'une Tugdal de Karmoisien , mariée à
Jean de Gaillon , grand- pere de ' Françoise
de Gaillon femme de François.
II. Vol. d'Har
1268 MERCURE DE FRANCE
d'Harcourt , Seigneur de Beuvron , à la
posterité duquel appartient ( selon M. de
la Roque, dans son Histoire de la Maison
d'Harcourt , ) le droit de garder l'Oriflamme
, en supposant que cette dignité
étoit devenue sur sa fin héréditaire dans
les familles de ceux qui l'ont possedée .
Quant à la difference que le P. Daniel
( dans sa Milice Françoise ) trouve ,
entre l'Oriflamme, qui est chez Messieurs
d'Harcourt , et celle qui étoit dans le
Trésor de S.Denys , ce qui lui fait dire que
la premiere n'est pas la véritable , c'est
une minutie où il ne faut point s'arrêter ,
car quoique l'Etendart de S. Denys ait
été pendant long temps d'une seule couleur
pleine , la mode y'a pû faire ajouter
dans les derniers temps des ornemens ,
comme des Flammes et des Couronnes
en Broderies d'or. Il suffit que la couleur
de l'Oriflamme, conservée chez Messieurs
d'Harcourt, soit rouge, pour croire qu'el
le peut être aussi véritable que celle qui
se trouvoit dans le Trésor de S. Denys au
16 siécle, quoique celle - cy fut plus grande
et d'une étoffe unie .
Il n'est pas même certain qu'il n'y eut
qu'une Oriflamme d'usage en mêmetemps
, et que quand il y en avoit une à
l'Armée , il n'y en cut pas encore une
II. Vol.
autre
JUIN. 1733. 1269
autre qui restoit à S. Denys , pour les
besoins extraordinaires de l'Abbaye , ou
pour envoyer à une seconde Armée
Royale ; car l'Oriflamme étoit un Etendart
, attaché à l'Armée , et non à la personne
des Rois , comme je le ferai voir
en parlant de l'Etendart Royal , autre
Enseigne qui ne quittoit point le Corps
du Roy , au lieu que l'Oriflamme alloit
toute seule à la tête de l'armée , gardée
seulement par une Troupe de Cavaliers
d'Elite Vexillum sancti Dionisii quod
omnes præcedere in bella solebat.
Voicy ce que dit Rigord , Historien
de Philippe Auguste , en parlant de ce
qui se fit à S. Denis , lorsque ce Prince y
alla prendre l'Oriflamme pour son voyage
d'Outremer , après que le Roy , à genoux
devant le Sépulchre des Saints Martyrs
, eut imploré par ses prieres et ses larmes
, l'assistance du Ciel , il reçut la Pannetiere
et le Bourdon des mains de Guillaume
, Archevêque de Rheims , son oncle
maternel , et il y prit ensuite de sa propre
main deux Etendarts qui étoient sur la
Châsse des Saints Martyrs .
Voilà certainement une occasion où il
paroît deux Oriflammes à la fois , peutêtre
qu'on les doubloit pour n'en pas
manquer en cas qu'il s'en perdît une ;
II. Vol. en
270 MERCURE DE FRANCE
en supposant cela on accordera ce qui
se trouve dans deux Historiens , Jacques
Meyer et Guillaume Guyard , le premier
soutenant que la véritable Oriflamme
fut perdue au combat de Mons en
Puelle, et qu'elle ne se retrouva plus, pendant
que le second assure que l'Oriflamme
qui se perdit dans ce Combat , n'étoit
qu'une Enseigne contrefaite que le
Roy avoit fait paroître ce jour - là pour
encourager ses Soldats ; cecy sent bien
le conte fait à plaisir ; quelle raison le
Roy auroit-il eû de tromper ses Soldats.
dans la supposition de cette fausse Enseigne
? Ne vaut-il pas mieux convenir
que dans les occasions que l'on jugeoit
devoir être périlieuses , on se munissoit
de deux de ces Enseignes , pour pouvoir
les substituer l'une à l'autre , en cas qu'il
s'en perdit une , et que c'est ce qui fut
fait à la bataille de Mons en Puelle , où
l'une ayant été perduë la veille , il en
reparut une autre le lendemain .
Ce que je dis n'est point pour diminuer
l'estime que nous croyons que nos
Ancêtres faisoient de cet Etendart . Ils le
regardoient comme un Symbole de Religion
; et dans cette idée ils lui donnoient
le premier rang sur toutes leurs autres:
Enseignes .
4
II. Vol Qmaibus
JUIN . 1733: 1271
Omnibus in bellis habet omnia signa
preire , dans l'esperance que leur Saint
Patron , à qui appartenoit cette Enseigne,
obtiendroit du Ciel par ses prieres la direction
des guerres qu'ils entreprenoient
et les feroient réussir à leur avantage.
Le nom du Saint devint aussi leur cri
de guerre ; ce fut sous Louis le Gros
qu'on commença à invoquer S. Denis ,
Patron du Royaume , dans tous les besoins
Militaires par ces mots , MONTJOYE
SAINT DENIS , qui sont devenus la Devise
génerale de nos Rois. Dans tous les
temps et chez toutes les Nations , la
coûtume des Soldats étoit de faire de
grands cris avant que de combattre et
après avoir combattu ; les premiers de
ces cris pour exciter le courage et jetter
l'effroy dans le coeur de l'Ennemi , et les
seconds pour remercier les Dieux qu'on
adoroit du gain d'une bataille , et en célebrer
la premiere réjouissance .
Clovis dans le Champ de Colbrac ;
implore le secours du Dieu que sa femme
adore. Les François devenus Chrétiens ,
adressent leurs cris à S. Martin , ensuite
à S. Denis , esperant attirer sur eux les
faveurs du Ciel par l'intercession de leurs
Saints Protecteurs.
De tous les Auteurs qui ont voulu
II. Vol.
expliquer
1272 MERCURE DE FRANCE
expliquer le mot de Montjoye , qui précedoit
celui de S. Denis dans l'acclamation
Militaire des François , Mrs Ducange
et de Caseneuve , sont ceux qui ont
le mieux pensé sur la véritable signifisation
de ce mot , en disant que c'est
un vieux terme François qui exprime
une Colline ,
diminutif de Montagne 3
toute l'erreur du premier de ces deux
Sçavans , est de dire que par le mot de
Montjoye , il faut entendre seulement la
Montagne de Montmartre où S. Denis
fut martyrisé ; le Pere Daniel , dans sa
Milice Françoise , qui a voulu le relever
sur cette méprise , a plus mal fait que
lui en disant que Montmartre est une
veritable Montagne , qu'elle est trop
haute pour qu'on lui puisse donner ce
nom de Montjoye , et qu'elle se trouve
appellée par tout Montagne de Mars , et
non pas Montjoye , est- ce là une raison assez
solide pour que Montjoye ne puisse pas
signifier un petit Mont ? Si ce Pere avoit
poussé ses Recherches jusques dans les
usages que les Gaulois et les Germains
observoient en enterrant leurs Morts ,
il auroit trouvé la preuve que Montjoye
a signifié une petite Montagne artificielle
qui se formoit de la maniere que voicy :
Quand un Chef de Guerre de ces Na-
II. Vol. tions
JUIN. 1733. 1273
tions mouroit au milieu de son armée ,
après que le corps avoit été mis dans
une fosse avec toutes les ceremonies qui
s'observoient en pareil cas , chaque Soldat
portoit une pelletée de terre pour
recouvrir la fosse de son General , ca
qui formoit dessus une petite éminence
qui devenoit haute à proportion que
l'armée
qui faisoit l'enterrement , étoit nombreuse.
La Flandre et les Provinces qui l'avoisinent
, sont encore pleines de ces monticules
qu'on appelloit dans le Pays des
Tombes , pour mieux conserver le souvenir
du sujet qui les a produites ; avant
que de prendre ce nom de Tombes , elles
avoint celui de Montjoye , terme qui a
toujours signifié en vieux François une
élevation , qui sert à marquer un lieu
que l'on veut reconnoître , et où l'on
veut parvenir quand on en est éloigné.

Les Phares qui sont sur les Ports de
Mer , les Balises , faites de tonneaux ou
de pieces de bois flotantes sur l'eau pour
servir à guider les Vaisseaux entre des
Rochers cachez sous l'eau , et enfin toutes
sortes de marques propres à faire éviter
les dangers et à montrer les lieux éloignez
, ou ceux qui renferment des choses
dignes de memoire , étoient nommez
II. Vel. des
1274 MERCURE DE FRANCE
des Montjoyes , parcequ'elles apprenoient
avec plaisir à ceux qui les voyoient , des
Endroits que l'on auroit eu peine à re
trouver sans leurs secours.
On élevoit des Montjoyes sur les Tombeaux
des personnes de considération ,
plus ou moins magnifiques et remarqua
bles , selon la dignité de ces personnes ;
les premiers Chrétiens persécutez , mirent
des marques moins sensibles sur les Tombeaux
des Martyrs qui se trouvoient en
pleine campagne ; ces marques , qui n'étoient
souvent que de simples pierres ,
eurent le même nom . On n'oublia pas
sans doute de mettre une Montjoye sur
le Tombeau de S. Denis et de ses Compagnons
, jusqu'à-ce qu'on fût en liberté
de renfermer ce Tombeau dans une Eglise
; dans la suite l'Eglise où il étoit renfermé
étant devenue célebre par la dévotion
les Fidelles eurent à ce Tomque
beau , les Rois qui s'en rendirent les Protecteurs
, se regarderent en même-temps
comine les Gardiens de ce S. Tombeau ; et
pour montrer publiquement l'honneus
qu'ils se faisoient de cette qualité , ils
l'exprimoient par le nom ancien de Montjoye
, et prirent delà occasion de crier
à la guerre Montjoye S. Denis , comme
s'ils eussent voulu dire nous sommes les
II. Vel.
garN.
1733. 1275
"
gardiens du Tombeau de S. Denis , la
Banniere dont nous nous servons en est
la marque , et nous la portons pour deffendre
les biens qui appartiennent à ce
Saint , et qui ont été offerts à son Tombeau.
Dans toutes les Religions du Monde
les Princes qui ont eu de la pieté , se
sont toujours fait honneur d'être dépositaires
de quelques Monumens respectables
de ces Religions. Il semble même
que la destinée des Empires soit , pour
ainsi dire , attachée à la conservation de
ces Monumens. Les Payens enchaînoient
leurs Dieux . Une Ville croyoit ne jamais
succomber aux efforts de ses Ennemis
tant qu'elle étoit en possession de ses
Lares et de ses Pénates. La ruine de Troye
ne fut attribuée qu'à l'enlevement du
Palladium.
Les Empereurs Ottomans gardent avec
soin dans leur Serrail l'Etendart de guerre
et la Robbe de Mahomet. Tous les
Princes de cette Religion qui ont possedé
la Ville de Jérusalem , ont tous pris
la qualité de Maîtres ou de Possesseurs
du S. Tombeau.
Pourquoi nos Rois Très- Chrétiens ne
se seroient-ils pas fait le même honneur
de se dire les Gardiens du Tombeau d'un
II. Vol.
Martys
16/0 VIL
ע ע
Martyr de qui leurs Peuples tiennent la
Foy , et de montrer l'estime qu'ils faisoient
de ce Titre par ce cri d'allegresse
Montjoye S. Denis.
ULISSE ET CIRCE'.
FABLE.
L'un de l'autre charmez dans leur Isle en- chantée ,
La Fille du Soleil et son Amant un jour ,
De leur félicité rendoient grace à l'Amour ;
Par deux Oiseaux leur vûë est arrêtée ,
Ulisse les observe ( objets interessants ! )
Un trouble se répand dans leur ame attendrie à
Il regarde Circé ; la même rêverie ,
Tenoit enchantez tous ses sens.
Hé quoi dit- il, leur flâme ainsi favorisée ;
N'excite point encor d'inutiles désirs !
Ils n'éprouvent jamais dans de si doux plaisirs ,
La triste oeconomie aux Mortels imposée !
Il est vrai , les Moineaux s'aiment bien tendres
ment ,
Reprit la jeune Enchanteresse ;
Ne peut-on s'élever jusques à leur tendresse ?
Mon Art ne fut jamais employé vainement :
Que tardons- nous ? l'Amour sera d'intelligence ;
II. Vol. Oui
N. 1733 1277
Oui , c'est toi , Dieu charmant , qui nous ouvres
les yeux ,
Nous n'allons acquerir ces dons délicieux ,
Que pour mieux sentir ta puissance.
A ces mots ces Amans par l'espoir animez ,
En Moineaux tout- à - coup se trouvent trans
formez.
Des Aquilons alors l'influence bannie ,
Cédoit aux doux Zéphirs , la Terre rajeunie ;
Bien-tôt il n'est Palmiers , Mirthes , Cedres , Ro
seaux ,
Où cent fois ces heureux Oiseaux ,
Ne se soient assurez de leur métamorphose .
Quel exemple combien de Spectacles char
mans
Aux Nymphes de Circé chaque jour il expose
Elles comptent tous les momens
De ce changement admirable ;
Jamais l'Art des Enchantemens ,
Ne leur parut si respectable :
Mais ce Printemps si cher passa rapidement ,
Er dans ces mêmes lieux témoins de leur yvresse
On les voit, ces Oiseaux , séparez sans tristesse ,
Ou rejoints sans empressement.
Tous deux se retraçant leur commmune avan¬
ture ,
En formant les Moineaux , disoient- ils, la Nature
De leur bonheur s'occupoit foiblement ,
Il n'est qu'un seul plaisir , un seul nous rend
sensibles;
1278 MERCURE DE FRANCE
Le Printemps nous l'inspire , ô destins inflêxibles
!
Il s'envole avec le Printemps ,
Et dans cette absence fatale ,
Nous n'avons point un coeur pour remplir l'ing
tervale ,
Par ces troubles secrets , par ces ravissemens ,
Qui font le bonheur des Amans.
Quel don nous échappoit avec la forme hu →
maine ?
Reprenons , reprenons ce coeur ,
Source des biens parfaits , favorable Enchanteur,
Qui mêle un certain charme à sa plus triste peine,
Qui ménageant notre espoir , nos désirs ,
Au comble du bonheur par degrés nous amene ,
Et ces degrez sont autant de plaisirs.
Le Héros et l'Enchanteresse ,
Reprennent à l'instant leur forme et leur tendresse
,
Détrompez des faux biens qu'ils avoient éprouvez
,
Pour transmettre aux Amans un si puissant
exemple ,
Au véritable Amour ils élevent un Temple ,
"
Et sur l'Autel ces mots furent gravez ,
Au destin des Moineaux ne portez point envie ,
Mortels , un coeur sensible est le suprême bien ,
Aimez , vous le pouvez, tout le temps de la vie ;
Aimez bien tendrement , tout le reste n'est rien.
3
11. Vol.
PRO:
XXXXX:XX:XXXXXXXX
PROJET d'une nouvelle Edition des
Essais de Montaigne , &c .
J
E veux consulter les Gens de Lettres
et pressentir le goût du Public sur
un Ouvrage qui sera bien - tôt en état
de paroître , si j'apprends qu'on approu
ve l'idée et l'échantillon que je vais en
donner.
Cet Ouvrage est une espece de Traduction
de Montaigne. A ce mot de
Traduction d'un Livre François ,j'entends
déja les Plaisans m'appliquer le Vers de
M. Despréaux.
Le fade Traducteur du François d'Amyot.
A la place d'Amyot , on mettra Montaigne
, et heureusement pour la plaisanterie
, la mesure du Vers n'en souffrira
point ; il me semble pourtant que la raillerie
seroit mal fondée en cette occasion ."
On auroit raison de se mocquer d'une
Traduction d'un Auteur ancien qui paroîtroit
faite sur une Traduction précédente
plutôt que sur l'original . Ce seroit
une preuve de l'ignorance ou de la
paresse du Traducteur. Il faut traduire
II. Vol. B sur
504
sur l'Original même , quand il reste ; voilà
la regle et le meilleur moyen de réüssir.
Tout ce qui est permis , s'il y a déja
une Traduction de l'Ouvrage en ques
tion , c'est de s'en aider , et non pas de
la prendre pour guide , encore moins de
se contenter simplement de la retourner.
Mais si par impossible nous avions perdu
P'Original d'un Auteur Grec ou Romain ,
traduit en notre Langue dans le 16. siecle
, et qu'il ne nous en restât plus que
la Traduction , je crois que ce seroit rendre
service au Public de la réformer
d'en corriger les tours et les expressions *
qui auroient vieillis ; en un mot ,
de traduire
la Traduction même , afin de la
mettre en état d'être lûë du commun
des Lecteurs , pour qui la Langue Françoise
, telle qu'on la parloit et qu'on l'écrivoit
il y a 200, ans , est presque inintelligible
, ou du moins fort désagréable
.
Il est évident que ce qui seroit utile
par rapport à une Traduction devenuë
en quelque sorte Original par la perte
de l'Ouvrage ancien , ne le seroit pas
moins par rapport à un Original même.
Je veux dire par rapport à un Ouvrage
composé avant le changement conside
rable qui est arrivé dans notre Langue.
II. Vol.
Or
JUIN. 17330 1281
Or tel est le Livre fameux des Essais
de Montaigne ; il me semble même qu'à
mérite égal , nous devrions être plus curieux
de pouvoir lire avec plaisir l'Ouvrage
d'un de nos Compatriotes , que
celui d'un Grec ou d'un Romain.
Voici donc les raisons qni me font
juger qu'une espece de Traduction des
Essais de Montaigne pourroit être utile
et agréable au Public. Montaigne si moderne
dans sa maniere de penser , également
fine et judicieuse , est beaucoup
plus vieux , quant au stile , que la plupart
des Auteurs ses contemporains , plus
vieux , par exemple , qu'Amyot et que
Charron . La Langue , dans laquelle il a
écrit , n'est presque plus celle qu'on parle
maintenant; son Livre n'est presque plus
un Livre François . Outre plusieurs mots
de son invention qu'on ne trouve que
chez lui , il en employe un grand nom
bre qui depuis long-temps ont cessé d'être
en usage , et qui même étoient déja
vieillis lorsqu'il écrivoit. Mais sa maniere
d'écrite differe encore plus de la
nôtre les tours que par
par
les mots. Il
est assez rare d'en rencontrer quelqu'un
dans les Essais dont on pût se servir
aujourd'hui , et c'est là principalement ce
qui le rend obscur . Disons tout la
pu-
11. Vol. Bij reté
1282 MERCURE DE FRANCE
grammaticale contribuë infiniment à la
netteté du stile ,et Montaigne n'étoit rien
moins que puriste ; son stile est vifet brillant
, mais peu correct et peu exact pour
son temps même. Il est plein de négligences,
de barbarismes, d'équivoques , de
constructions louches , et il naît de tous
ces défauts un grand désagrément pour
la plupart des Lecteurs , dont le principal
est , comme je l'ai dit , la difficulté
d'entendre. J'avoue que notre ancien langage
a bien des graces pour ceux qui y
sont accoûtumez ; ils en regrettent la
fotce et la naïveté ; mais tous les autres.
et sur tout les femmes , le trouvent bas
et grossier.
Aussi Montaigne , si celebre et si estimé,
est- il assez peu lû.Sur sa grande réputation
on désire de le connoître, pour cela
on lit quelques Chapitres de ses Essais
mais on est bien - tôt las et dégoûté. La
lecture de ce Livre , si amusant en luimême
, est devenue une étude et un travail
, encore n'entend - on pas tout ce
qu'on lit. Pour moi j'avoue qu'il me reste
encore bien des Passages dans cet Auteur
dont il me faudra chercher l'éclaircissement
auprès des Gens de Lettres , si j'execute
le Projet de le rajeunir et de l'ha
biller à la moderne.
·11. Vol. Mais
JUIN . 1733. 1283
Mais ne craignez vous point , me dirat'on
, d'affoiblir Montaigne , en lui ôtant
son vieux langage , de le défigurer en
voulant le corriger ? Croyez - vous que
votre prétendue Traduction ait les beautez
de l'Original ? Non , sans doute , je
ne le crois pas; mais cette objection ne fait
pas plus contre moi que contre tous les
Traducteurs . Demandez aux Sçavans qui
estiment le plus la Traduction d'Homere
par Madame Dacier , si ce Poëte leur
fait autant de plaisir dans le François que
dans le Grec ; ils vous répondront tous
qu'Homere perd infiniment dans cette
Traduction , qu'elle est de beaucoup inférieure
à l'Original , quoique très- élégante
et très- fidelle ; mais que tel est le
sort de toutes les Traductions d'Ouvrages
de pur agrément ; qu'ainsi ces Traductions
ne sont faites que pour ceux
qui ignorent ou qui ne sçavent qu'im
parfaitement la Langue des Auteurs traduits.
Elles facilitent à ceux - ci la lec
ture des Originaux mêmes , en les aidant
à les entendre , et elles font connoître à
ceux-là jusqu'à un certain point des Ouvrages
estimables , ou du moins assez fameux
pour mérirer d'être connus. Ce
seront là , comme je l'espere , les avantages
de mon travail sur Montaigne. Je
II. Vol. Pentre284
MERCURE DE FRANCE

l'entrepreds pour ceux qui ne lisent point
cet Auteur , rebutez par ce qui leur paroît
de grossier et de barbare dans son
langage et pour ceux qui ne l'entendent
qu'avec peine , faute d'habitude avec nos
anciens Ecrivains. Je veux leur faire connoître
l'homme du monde , qui en s'étudiant
et se peignant lui-même , a le
mieux connu et le mieux développé le
coeur de l'homme. Je veux les mettre
en état de lire avec plaisir un Ouvrage
de Morale également agréable et solide.
Mais qui n'en connoît pas le mérite ? Et
pourrois - je ajoûter quelque chose aux
louanges que lui ont données les plus celebres
Ecrivains des deux derniers siecles?
On peut voir ces éloges dans les dernieres
Editions de Paris et de Hollande
mais ce que tout le monde ne sçait pas
et n'est pas à portée de sçavoir , c'est que
sans parler de Charron , ( 1 ) ceux qui depuis
60. ou 85. ans ont écrit avec le plus
(1 ) Charron fit un merveilleux cas des Essais de
tet Auteur , et en adopta plusieurs maximes . On
peut croire sans témerité que celui de ces deux Amis
qui eût du instruire l'autre en fut le Disciple
et que le Théologien appret plus de choses du
Gentilhomme , que celui - cy du Théologien . Il y a
dans les Livres de la Sagesse une infinité de pensées
qui avoient paru dans les Essais de Montaigne.
Dictionnaire de Bayle , Article Charron.
11. Vol.
de
JUIN. 1733. 1285
de succès sur la Morale , comme M. de
la Rochefoucault , M. de la Bruyere , &c.
et ceux mêmes qui en ont écrit le plus
chrétiennement , comme Mrs Paschal et
Nicole , ont pris dans Montaigne une
partie de ce qu'ils ont de meilleur. Je
sçai même de bonne part que M. Paschal
, entr'autres , l'avoit toujours entre
les mains ; et qu'il n'y avoit point de Livre
qu'il eût plus médité. Ecoutons ce
qu'il en dit , c'est en deux mots la plus
forte louange qu'on ait donnée à Mon,
taigne , et en même-temps la plus bonorable
pour lui par la qualité du Panégyriste
: Ce que Montaigne a de bon , ditil
, ne peut être acquis que difficilement ;
ce qu'il a de mauvais , j'entens hors les
moeurs , eût pu être corrigé dans un moment ,
si on l'eût averti qu'il faisoit trop d'histoi
res et qu'il parloit trop de soy.
Ce n'est pas ici le lieu d'examiner si
ce Jugement de M. Paschal sur Montaigne
, est exactement vrai dans toutes
ses parties ; mais il est toujours certain
qu'on peut distinguer dans cet Auteur ,
comme dans plusieurs autres , les deffauts
de l'Ecrivain et les deffauts de l'homme ,
et qu'il ne lui eût pas été également facile
de corriger dans son Livre ces deux
sortes de deffauts . Il n'en est pas de même
II. Vel.
1286 MERCURE DE FRANCE .
à mon égard je puis corriger dans un
moment ce que Montaigne a de mauvais
du côté des moeurs. Il ne m'en coûtera
pas davantage pour corriger une pensée
libertine ou un trait licentieux , que
pour supprimer une pensée simplement
fausse , ou un trait d'Histoire peu interessant
; et il me sera aisé par quelques retranchemens
, de rendre son Livre également
propre à former le coeur et l'esprit ;
je ne dirai point que M.Paschal éroit peutêtre
un peu trop sévere ; qu'on pourroit
donner un bon sens à quelques Endroits
des Essais qui ont principalement donné
licu à sa Critique. Je passe de bonne foi
condamnation sur cet article. J'examinerai
dans un Discours exprès sur Montaigne
, jusqu'à quel point on peut l'excuser
; mais j'avoue aujourd'hui qu'il est
impossible de le justifier entierement , et
ce mêlange de choses utiles et dangereuses
pour les moeurs , qui se trouve dans
son Ouvrage , est un des principaux motifs
qui m'ont fait entreprendre celui que
je prépare. Je ne crois pas que les personnes
vrayement raisonnables ayent grand
regret à ce qu'il me faudra supprimer
dans ma Traduction , ce n'est pas assurément
ce qu'il y a de plus beau dans
l'Original.
II. Val
Quelque
JUIN. 1-33 : 1287
Quelque estime que jaye pour Moitaigne,
je ne conviens pas qu'il se soutienne
également par tout ; ainsi outre les retranchemens
dont je viens de parler je
ne me ferai point de scrupule de suppri
mer tout ce qui me paroîtra peu capable
de plaire. Je ne veux pas dire que je retrancherai
toutes les pensées fausses, tous
les raisonnemens peu solides qu'on lui
a reprochez ; ce seroit priver les Lecteurs
d'une infinité de choses très agréa
bles. Il y a un faux grossier qui rebute
et qui révoltes je ne ferai point grace à
celui là , mais il y a un faux délicat et
spécieux plus picquant quelquefois et
plus amusant que le vrai mêine. C'est
Souvent en deffendant une mauvaise cause
qu'un habile Avocat montre plus d'esprit
et d'éloquence.
En géneral cette espece de Traduction
sera extrêmement libre , sans quot je ne
crois pas qu'on la pût lire avec plaisir ,
mais je n'aurai pas moins d'attention à
faire ensorte qu'on y sente et qu'on y
reconnoisse bien le caractere de Montaigne.
Quelquefois je prendrai seulement
le fond de sa pensée et je lui donnerai
un tour different de celui dont il s'est
servi . J'abregerai ses Histoires et les raconterai
à na maniere. Au lieu de le
II. Vol Bv
suivre
1285 MERCURE DE FRANCE
suivre dans son désordre , j'essayerai de
le corriger jusqu'à un certain point , de
mettre un peu plus de suite dans ses
idées et de les arranger d'une maniere ,
si non plus naturelle , au moins plus raisonnable
. Enfin je pousserai la liberté jusqu'à
ajouter , lorsque je croirai le pouvoir
faire utilement ou agréablement pour le
Lecteur.
Je ne ferai point difficulté de me servir
de quelques mots , qui , quoique vieillis ,
ne sont pourtant pas absolument hors
d'usage , lorsque je ne pourrai les rendre
par aucun autre , ou même lorsque ceux
qu'on leur a substituez me paroîtront
moins forts et moins expressifs. La Langue
Françoise s'est extrémement enrichie
depuis Montaigne ; mais il faut convenir
aussi que nous avons perdu plusieurs mots
qui n'ont point été remplacez , ou qui ne
Font été qu'imparfaitement , c'est à - dire
ausquels on n'a point fait succeder de
Synonimes parfaits . Il eût bien mieux
valu acquérir et ne ricn perdre , et par
conséquent il est à propos de prévenir
de nouvelles pertes en conservant d'anciennes
expressions qui font partie de la
richesse de notre Langue , et que nous ne
pourrions perdre sans nous appauvrir ,
puisque nous n'en avons point d'autres
II. Vol.
JUIN. 1733. 1289
à mettre à leur place. D'ailleurs on se
sert encore dans la conversation de quelques-
unes de ces expressions , quoiqu'on
les ait presque bannies des Livres. Ainsi
en les employant je conserverai d'autant
mieux le caractere de Montaigne , qui
fait profession d'écrire d'un stile naïf et
familier , tel sur le papier qu'à la bouche.
Pour mieux faire connoître Montaigne
et sur tout pour donner quelque idée
des agrémens de son stile , de ces tours
heureux et de ces expressions de génie
dont il est plein , je rapporterai quelquefois
au bas des pages ses propres paroles
et les endroits de son Texte qui me
paroîtront les plus singuliers et les plus
frappans. Cet Extrait sera sans doute ce
qu'il y aura de plus agréable dans mon
Livre ; mais je pense aussi que si je le.
donnois tout seul et sans une Traduction
suivie du Texte même , il ne plairoit
point à la plupart de ceux que j'ai
principalement en vûë. J'en ai pour garant
le Livre qu'on a donné au Public
sous le titre de Pensées de Montaigne ,
propres à former l'esprit et les moeurs. Ce
Livre n'a point eû de succès et il ne pouvoit
en avoir ; il est inutile à ceux qui
sont en état de lire Montaigne avec plai
sir ; outre que ces Pensées séparées de ce
II. Vol.
B vj qui
1200 MERCURE DE FRANCE
à ceux
qui les précede et de ce qui les suit dang
le corps de l'Ouvrage n'ont plus la même
force ni la même grace ; quant
à qui la lecture de Montaigne n'est pas
agréable , par les raisons que j'ai dites ,
on voit bien que cer Extr it où l'on n'a
presque rien changé pour le stile doit
avoir pour eux à peu près les mémes
inconvéniens que l'Ouvrage entier.
Il ne me reste plus qu'à mettre sous
les yeux du Lecteur un Essai de mon
travail , il en jugera mieux par là que
par tout ce que je lui en pourrois dire.
Je ne crois pas qu'on désaprove mon
Projet , il me paroît évidemment bon ,
mais j'ai bien lieu de craindre que l'execution
n'y réponde pas. C'est sur ce point et
principalement sur la maniere d'executer
mon Projet , que je prie les personnes
habiles de vouloir bien me donner leurs
avis. Je les leur demande avec un désir
sincere de les obtenir et d'en profiter. Si
je ne puis pas être toujours docile , du
moins je serai toujours reconnoissant:
ESSAIS DE MONTAIGNE,
Livre Premier , Chapitre Premier.
Par divers moyens on arrive à pareille fin.
La soumission , l'humble priere , les
II Vol larmes
JUIN Ú I N.
1298 . 1733 .
farmes , sont le moyen
le plus ordinaire
d'amollir
les coeurs de ceux qu'on a
off nsez , lorsqu'ayant
la vengeance
en
main ils nous tiennent à leur mercy . Parlà
, on les excite à la pitié. Cependant
l'a
fermeré
, la résolution
et même les bravades
, moyens
tout contraires
, ont quelquefois
produit
le même effet en donnant
au vainqueur
de l'estime
, et de l'a
miration
pour le vaincu . Edouard
, ( 1 )
Prince de Gilles , grand homme
en toutes
manieres
, ayant été sensiblement
offensé
par les Limousins
, assiegea
Limoges
et la prit d'assaut
; tout fut abandonné
à l'épee du Soldat , sans distinction
d'âge ni de sexe. Lorsqu'il
fut entré dans
la Ville , les femmes
, les enfans , tout
le Peuple , se jetterent
à ses pieds et lui
demanderent
la vie avec les cris les plus
touchants
; rien ne put l'arrêter
. Mais
avançant
toujours
, il apperçut
trois Gentilshommes
François
, qui avec une hardiesse
incroyable
, soutenoient
seuls l'effort
de son Armée
victorieuse
; la conderation
et le respect d'une si rare valeur,
fit sur lui ce que n'avoient
pû faire les
cris d'un Peuple expirant
. Sa colere 'ap-
(1 ) Pere de l'infortuné Richard II et Fils d'E
douard III. Roy d'Angleterre. Cette Notte et les.
suivantes , sont prises de l'Edition de M. Coste
II. Vol.
paisa
1292 MERCURE DE FRANCE
paisa , et il commença par ces trois vaillants
hommes à faire miséricorde à tous
les autres habitans.
Scanderberg , Prince de l'Epire , poursuivant
un de ses Soldats pour le tuer ;
ce Soldat , après avoir inutilement essayé
de l'appaiser par toute sorte d humilité
et de prieres , se résolut à toute extrémité
de l'attendre l'épée à la main.
Cette action hardie arrêta la furie de
son Maître , qui lui pardonna pour lui
avoir vû prendre un si honorable parti.
Er qu'on ne dise pas que le Soldat déterminé
à se bien deffendre , fit peut- être
quelque peur au Prince ; sa valeur extraordinaire
est trop connue pour permettre
un pareil soupçon.
L'Empereur Conrad , troisième , ayant
assiegé Winsberg , où étoit renfermé
Guelphe , Duc de Baviere , ne voulut jamais
condescendre à de plus douces conditions
, quelques viles et lâches satisfactions
qu'on lui offrît , que de permettre
aux Dames qui étoient dans la Ville d'en
sortir à pied , leur honneur sauf , avec
ce qu'elles pourroient emporter sur elles .
Ces femmes , d'un coeur magnanime , s'aviserent
de charger sur leurs épaules leurs
maris , leurs enfans , et le Duc même.
L'Empereur prit si grand plaisir à voir
11. Vol. cette
JUIN. 1733. 1293
cette génereuse tendresse , qu'il en pleura
de joye. Dèslors il cessa de haïr le Duc
de Baviere et en usa très - bien avec lui
dans la suite.
·
Ces exemples prouvent d'autant mieux
ce que j'ai avancé en commençant , c'està
dire , que la résolution et le courage
sont quelquefois plus propres à adoucir
les coeurs que la soumission , qu'on voit à
de grands hommes assaillis , pour ainsi
dire , et essayez par ces deux moyens , en
soutenir l'un sans s'ébranler et fléchir
sous l'autre, ils m'emporteroient aisément
tous les deux , car je suis naturellement
tres miséricordieux et tres - doux . Cependant
je me rendrois plus aisément
encore par pitié , que par tout autre
motif. La seule compassion du malheur
suffiroit sans l'admiration de la vertu .
Cette disposition n'est pourtant guéres
stoïcienne ; ces Philosophes condamnent
la pitié comme une passion vicieuse et indigne
du Sage ; ils veulent qu'on secoure
les malheureux , qu'on console les affligez
, mais ils ne veulent pas qu'on leur
compatisse et qu'on soit touché de leurs
maux . On dire
peut
de
que rompre son
coeur à la pitié , c'est un effet de la facilité
et de la molesse du temperament
d'où il arrive que les naturels les plus
II. Vol. foi294
MERCURE DE FRANCE
foibles , comme les erfans et les femmes,
et ceux qui ne sont pas endurcis l'expar
périence, comme la plupart des personnes
du peuple se laissent aisément toucher
de compassion . Ainsi , quand après
avoir dédaigné les larmes et les pleurs ,
on se rend à la vue d'une action coura
geuse , on fait voir en même temps la
force de son ame , et son affection pour
l'honneur et la vertu .
Néanmoins la fermeté et la hauteur
peuvent aussi réussir sur les ames les
moins g nereuses , sur le Peup e même ,
soit en inspirant de l'estime, soit en donnant
de la crainte ; témoin les Thébains.,.
( 1 ) qui ayant formé en justice une accusation
capitale contre leurs Generaux,
pour avoir continué leur Charge au delà
du temps qui leur avoit été prescrit ,
eurent bien de la peine à absoudre Pélopidas
qui plioit sous le faix de leurs accusations
, et ne se deffendoit qu'en demandant
grace , au lieu qu'Epaminon
das venant à raconter magnifiquement
ses grandes actions , et les reprochant an
Peuple avec fierté , il n'eut pas le coeur
de prendre seulement les Balotes en
main et l'assemblée se sépara , loüanť
( 1 ) Plutarque , dans son Traité , où il examine
comment on peut se loüer soi-même ,, ch . S.
11. Vol. hau
JUIN. 1733. 1295
hautement la noble assurance de ce grand
homme .
Le vieux Denys - Tyran de Syracuse
ayant pris la Ville de Khege , après des
longueurs et des difficultez extrêmes , voulut
faire un exemple de vengeance qui
pût épouvanter ses ennemis en la personne
du Capitaine Phiton ( 1 ) , Grand
Homme de bien , qui avoit deffendu la
Place avec la derniere opiniâtreté. Il lui
dit d'abord , comment le jour précédent
il avoit fait noyer son propre fils et tous
ses parens. A quoi Phiton répondit seu
lement qu'ils en étoient d'un jour plus
heureux que lui ; ensuite pour joindre l'ignominie
à la cruauté , il le fit traîner tout
nud par la Ville , et charger en cet état
de coups et d'injures ; mais Phiton parut
toujours ferme et constant , publiant
à haute voix , l'honorable et glorieuse
cause du traitement indigne qu'on lui
faisoit souffrir. Alors Denys lisant dans
les yeux d'un grand nombre de ses Soldats
, qu'au lieu de s'irriter des bravades
de cet ennemi , ils paroissoient vouloir se
mutiner , et même arracher Phiton d'entre
les mains des Bourreaux , sutpris et
touchez d'une vertu si rare , il fit cesser
( 1) Diodore de Sicile, liv. 14. ch . 29.
II. Vol
son
1296 MERCURE DE FRANCE
son supplice et l'envoya secretement
noyer à la Mer.
Au reste il ne manque pas d'exemples
contraires à ceux- cy ; ce qui fait voir l'inconstance
; et si cela se peut dire , la variation
de l'homme. Dans les mêmes circonstances
il agit différemment et reçoit
des mêmes objets des impressions tout
opposées , d'où il s'ensuit qu'il n'est pas
sûr d'en juger d'une maniere constante et
uniforme. Pompće pardonna à toute une
Ville , contre laquelle il étoit fort irrité ,
en considération de la magnanimité d'un
de ses habitans , qui se chargeoit seul de
la faute publique , et ne demandoit autre
grace que d'en porter seul la peine . Sylla ,
au contraire , dans une occasion semblable
, n'eut aucun égard à une pareille générosité.
Mais voicy un exemple plus directement
contraire encore aux premiers que
j'ai rapportez. C'est Alexandre qui me le
fournit : Ce Héros aussi gracieux aux
vaincus que redoutable aux ennemis
aussi doux après la victoire , que terrible
dans le combat. En forçant la Ville de
Gaza après la glorieuse résistance de Bétis
qui y commandoit , il rencontra ce
Vaillant homme seul et abbandonné des
II.Vol. siens ,
JUIN.
1733.
1297
siens , presque désarmé , tout couvert
de sang et de playes , combattant encore
au milieu d'une Troupe de Macedoniens
qui l'environnoient de toutes parts, piqué
d'une victoire si cherement acheptée ,
car entr'autres dommages , il avoit reçu
deux blessures en ce Siége , ( 1 ) Bétis , lui
dit-il , tu ne mouras pas , comme tu las
souhaité , attens toy aux plus horribles
tourmens. Mais Bétis ne daigna pas seulement
lui répondre et se contenta de le
regarder d'un air fier et insultant . Voyezvous
, dit alors Alexandre , cet orgueilleux
silence ? a-t- il fléchi le génoüil ? at-
il dit une parole de soumission ? je
vaincrai ce silence obstiné , et si je n'en
tire autre chose ,j'en tirerai pour le moins
des gemissemens. Alors enflammé de
colere , il traita Bétis vivant , comme
Achille avoit traité Hector mort. Seroitce
donc que la force de courage lui fut
si naturelle et si familiere,que ne l'admirant
point , il la respectât moins ? Seroitce
envie , comme s'il n'eut appartenu
qu'à lui d'être vaillant jusqu'à un certain
point ? Seroit-ce enfin pur emportement,
et l'effet d'une colere incapable d'être
arrêtée ? Quel horrible carnage ne fit - il
point faire encore dans la prise de The-
( 1 ) Quint. Curt. liv. 4.
11. Vol. bes
,
1298 MERCURE DE FRANCE
bes , plus de 6000 hommes furent passez
au fil de l'épée , sans qu'aucun d'eux prit
la fuite , ni demandât quartier.La mort de
tant de vaillants hommes n'excita aucune
pitié dans le coeur d'Aléxandre , et
un jour ne suffit pas pour assouvir sa vangeance.
Le carnage ne s'arrêta qu'à ceux
qui étoient désarmez , aux vieillards
aux femmes , et aux enfans , et il en fut
fait 30000 Esclaves.
CHAPITRE II.
De la Triftesse.
Je suis des plus exempts de cette pas
sion , qui me paroît non - seulement haïssable
, mais méprisable , quoique le monde
ait pour elle un certain respect ; il en
habille la sagesse , la vertu , la dévorion ,
sot et vilain ornement. J'aime bien mieux
les Italiens; dans leur Langue, Tristezza ,
veut dire , malignité ; en effet , c'est une
passion toujours nuisible , déraisonnable,
qui a même quelque chose de foible
et de bas , et c'est sur tout en cette derniere
qualité que les Stoïciens , les plus
fiers de tous les Philosophes , en deffendent
le sentiment à leur Sage. Mais mon
dessein icy n'est pas tant de la considerer
moralement , que physiquement , et sur
II. Vol.
cela
JUIN. 1733 1299
cela voici quelques traits d'histoire assez
singuliers.
;;
Psammenite ( 1 ) , Roy d'Egypte , ayant
été défait et pris par Cambises , Roy de
Perse , vit passer devant lui sa fille prisonniere
, vétue en esclave , qu'on envoyoit
puiser de l'eau ; plusieurs de ses
sujets qui étoient alors auprès de lui ne
purent retenir leurs larmes pour lui il
ne donna d'autre marque de douleur que
de rester en silence , la vuë baissée . Voyant
ensuite qu'on menoit son fils à la mort
il ne changea point de contenance ; mais
enfin ayant aperçu un de ses Domestiques
qu'on conduisoit parmi les captifs ,
il donna les marques du dernier déses
poir .
La même chose arriva à un de nos Prin
ces , qui reçut avec une constance extrê
me la nouvelle de la mort de son frere
aîné , qui étoit l'appui et l'honneur de sa
Maison ; et bien- tôt après , celle de la
mort d'un second frere , sa seconde esperance
; mais comme quelques jours après
un de ses gens vint à mourir , il se laissa
emporter à ce dernier accident , et s'abandonna
aux larmes et aux regrets , de
maniere même que quelques- uns en prirent
occasion de croire qu'il n'avoit été
( 1 ) Herod. liv. 3.
II. Vol, bien
1300 MERCURE DE FRANCE
ge
bien touché que de cette derniere mort ;
mais la verité est qu'étant déja plein et
comblé de tristesse , la moindre surchar
l'accabla , et lui fit perdre enfin toute
patience . On pourroit dire la même chose
de Psamménite , si ce n'est qu'Hérodote
, dont j'ai tiré ce trait d'histoire ,
ajoute que Cambises demandant à ce
malheureux Roy , pourquoi n'ayant pas
paru fort touché du malheur de son fils
et de sa fille , celui de ses amis lui avoit
été si sensible ; c'est , répondit- il , que ce
dernier malheur se peut signifier par des
larmes au lieu que l'autre est au - dessus
de toute expression. Il y a du vrai dans
cette réponse , mais il me semble que ce
m'étoit pas à Psammenite à la faire ; convient-
il à un homme extrêmement affligé
de philosopher sur la douleur ?
Niobé changée en Rocher , après la
mort de tous ses Enfans , est une fiction
qui exprime assez heureusement l'état
de stupidité où jette une douleur extrê
me( i ) ne nous arrive-t- il pas au premier
instant d'une fâcheuse nouvelle de
nous sentir saisis , sans action et sans
mouvement , et ensuite de pleurer , de
nous plaindre ; l'ame se relâchant , pour
( 1 ) Cura leves loquuntur , ingentes stupent. Se
meq. Hypol. act . 2.
II. Vol. ainsi
JUIN. 1733. 1301
ainsi dire , et se mettant plus au large et
plus à son aise.
Dans la Guerre du Roy Ferdinand ,
contre la veuve du Roy Jean de Hongrie
, un Officier entre les autres , attira
sur lui les yeux de toute l'Armée par son
extrême valeur ; chacun lui donnoit des
loüanges sans le connoître , et étant mort
dans cette Bataille où il avoit donné tant
de preuves de courage , il fut extrêmement
regrété, sur tout d'un Seigneur Allemand
, charmé d'une si rare vertu. Le
corps du mort étant rapporté , celui- cy
s'approcha , comme beaucoup d'autres ,
par curiosité, et il reconnut son fils. Cela
augmenta la compassion des assistans. Lui
seul , sans rien dire , sans répandre une
larme, se tint debout, regardant fixement
le corps de son fils , jusqu'à ce qu'il tomba
enfin roide mort.
Il en est de l'amour comme de la tristesse
; qui peut dire à quel point il aime.
Aime peu , dit Pétrarque. Aussi n'est- ce
pas dans les instans où le sentiment de
l'amour est le plus vif , qu'on est le plus
propre à en persuader l'objet aimé par
ses paroles , et même par ses actions. En
general, toute passion qu'on peut examiner
et sentir avec reflexion n'est que médiocre.
La surprise d'un plaisir inattendu
II. Vol.
pro
1302 MERCURE DE FRANCE
produit sur nous le même effet qu'une
douleur soudaine. Une femme Romaine
mourut de joïe en voïant son fils de re
tour après la Bataille de Cannes. Sophocles
et Denys le Tyran moururent de la
même maniere , au rapport de Pline ( 1 ) ,
pour avoir remporté le Prix de la Tragédie.
Talva mourut en Corse , en lisant
la nouvelle des honneurs que le Sénat
de Rome lui avoit décernez . La prise
de Milan , que le Pape Leon X. avoit
extrêmement souhaitée , lui causa une
joïe si vive , qu'il lui en prit une grosse
fiévre , dont il mourut . Enfin , pour citer
quelque chose de plus fort encore , Diodore
le Dialecticien mourut sur le champ
en son Ecole , honteux , ou pour mieux
dire , désesperé de ne pouvoir se démêler
d'une mauvaise difficulté qu'on lui faisoit
; pour moi je n'éprouve point de ces
violentes passions ; mon ame est plus forte
et moins sensible , et elle se fortifie
encore tous les jours par mes réfléxions.
( 1 ) Plin. Natur. Hist. liv. 7. ch. 53. Pudore
Diodorus sapientia dialectica Professor lusoriâ quastione
non protinus ad interrogationes Stilponis dissolute
.
II.Vol. CHAS
JUI N. 1733- 1303

CHAPITRE IV.
Que l'ame dans ses passions se prend à des
objets faux et chimériques , quand les
vrais lui manquent.
Un Gentilhomme de mon Païs , tres
sujet à la goutte, étant pressé par les Médecins
de quitter absolument l'usage des
Viandes salées , avoit coutume de répondre
assez plaisamment, que dans les douleurs
que son mal lui faisoit souffrir , il
vouloit avoir à qui s'en prendre , et que
maudissant tantôt le Cervelas , tantôt la
Langue de Boeuf et le Jambon , il se sentoit
soulagé. Le bras étant haussé pour
frapper , on ressent de la douleur si on
manque son coup. Une vue pour être
agréable , ne doit pas être trop étenduë
mais plutôt bornée à une certaine distance.
Le vent perd sa force en se répandant dans
un espace vuide , à moins que des Forêts
touffuës ne s'opposent à son passage ( 1 ).
De même , il semble que l'ame ébranlée
et émuë se perd en soy même , si on ne
lui donne quelque objet où elle se pren-
( 1 ) Ventus ut amittit vires , nisi robore densa ,
Occurrant silva, spatio diffusus inani.
Lucan. liv. 3.
II. Vol.
ne , C
#304 MERCURE DE FRANCE
ne , pour ainsi dire , et contre lequel
elle agisse. Plutarque dit, au sujet de ceux
qui s'attachent à un Singe , à un petit
Chien , à des Oiseaux , que la faculté
d'aimer qui est en nous , se jette en quelque
sorte sur ces objets ridicules , faute
d'autres , et plutôt que de demeurer inutile
et sans action .
Souvent en s'attachant à des Phantômes vains
Notre raison séduite , avec plaisir s'égare ;
Elle-même jouit des objets qu'elle a feints ;
Et cette illusion pour quelque temps répare
Le deffaut des vrais biens que la nature avare
N'a pas accordez aux humains ( 1).
Les Bêtes s'attaquent à la Pierre et au
Fer qui les a blessées , et leur rage les emporte
jusqu'à se vanger à belles dents
sur elles- mêmes du mal qu'elles sentent.
Nous inventons des causes chimériques
des malheurs qui nous arrivent ; nous
nous en prenons aux choses inanimées, et
nous tournons notre colere contre elles.
Arrêtez- vous , calmez -vous , aimable et
( 1 ) J'ai mis ces beaux Vers de M. de Fontenelle
, pour rendre ces paroles de Montaigne
Nous voions que l'ame en, ses passions se pipe plutôt
elle-même , se dressant un sujet faux et fantastique
, voire contre sa propre créance , que de n'agir
contre quelque chose,
II.Vol tenJUIN
. 1733
1305
tendre soeur qui pleurez si amérement ce
frere genereux que le sort aveugle des
armes vient de vous enlever dans la fleur
de son âge ; ces belles tresses blondes que
vous arrachez , ce Sein d'une blancheur
éclatante que vous déchigez , ne sont
pas la cause de sa mort.
-
Tite Live parlant de l'Armée Romaine
en Espagne , après la perte des deux
illustres Freres qui la commandoient ,
chacun , dit- il , se prit aussi - tôt à pleurer
et à se battre la tête. C'est un usage
commun dans les grandes afflictions ; mais
rien n'est plus plaisant que ce mot du
Philosophe Bion , au sujet d'un Roy qui
s'arrachoit les Cheveux de désespoir: Pense-
t-il que la Pelade appaise la douleur.
On a vu des Joueurs furieux de la perte
de leur argent , manger les Cartes et engloutir
les Dez. Xercés foüetta la Mer
et envoya un Cartel de deffi au Mont
Athoz. Cyrus employa toute son armée
pendant plusieurs mois à se vanger de la
Riviere de Gyndus , dans laquelle il avoit
couru risque de périr en la passant.Caligula
( 1 ) fit abbatre une très- belle maison
où sa mere avoit été enfermée quelque
temps, comme en prison , à cause du
déplaisir qu'elle y avoit eu.
( 1 ) Senec, de ira , liv. 3. ch. 22 .
II.Vol. Lo
Cij
356 MERCURE DE FRANCE
Le Peuple disoit en ma jeunesse , qu'un
Roy de nos voisins ayant été puni de
Dieu miraculeusement , à peu près comme
Héliodore , fut battu de Verges dans
le Temple de Jerusalem , il défendit , pour
s'en vanger , qu'on le priât, qu'on parlât
de lui , et même qu'on crût en lui pendant
dix ans ; par où l'on vouloit faire
connoître,non pas tant la sottise , que la
vanité naturelle à la Nation dont on faisoit
ce conte ; au reste il n'y a point de vanité
sans sottise , mais de telles actions
tiennent encore plus de l'orgueil et de
l'audace insolente , que de la bétise . Auguste
( 1 ) ayant essuyé sur Mer une violente
tempête , se mit à menacer Neptune
et deffendit qu'on portât son image
aux Jeux du Cirque , avec celles des autres
Dieux. Après la défaite de Varus en
Allemagne , il donna des marques d'une
douleur extraordinaire , jusqu'à frapper
de la tête contre la muraille , et on l'entendoit
s'écrier incessamment : Varus
rend moi mes Légions ; il n'y a en ceci
de la folie, mais c'est folie et impiété
que
tout ensemble de s'addresser à Dieu même
ou à la fortune , comme si elle avoit
des oreilles pour entendre nos imprécations
. Les Thraces tiroient contre le Ciel
(1 ) Suetone , dans la vie d'Auguste.
JI. Vol.
quand
JUIN.
1307
1733.
quand il tonnoit , comme pour ranger
Dieu à la raison , à coups de Fléches ; c'étoient
de vrais Titans . Un ancien Poëte ,
cité par Plutarque ( 1 ) , dit ,
Point ne se faut courroucer aux affaires ;
Il ne leur chaut de toutes nos coleres .
C'est à nous mêmes , c'est au dérégle
ment de notre esprit qu'il faut s'en prendre
de la plus grande partie de nos maux;
c'est à lui qu'il faut dire des injures , et
nous ne lui en dirons jamais assez .
• EPITRE à M. de S ..... Pour le
prier de lui renvoyer une Canne ,
appellée Roseau .
Es Chansons de ta Muse élégante et fer-
DES
Tile,
J'entendois autrefois résonner les Echos ;
Devenue aujourd'hui paresseuse et stérile ,
Elle s'endort dans le repos.
Par un innocent badinage ,
Je me flattois de l'agacer ,
Mais vainement par là j'ai voulu l'amorcer ,
Elle n'entend plus ce langage ,
( 2 ) Dans son Traité du contentement ou repos
de l'esprit , ch. 4. de la Traduction d'Amyot.
II. Vol
C iij RE1308
MERCURE DE FRANCE
Renoncer tout à coup aux faveurs d'Apollon ,
Est le moïen d'attirer sa disgrace.
Jusqu'en ces lieux un bruit transpire du Vallom ,
Que par sanglant Decret du Maître du Parnasse
,
Ton nom quoiqu'icy consacré ,
'Au double Mont , bien- tôt doit être lacéré.
On dit autre nouvelle , et qui me semble folle
On assure pour fait certain ,
Que tous les jours soir et matin
Tu viens faire la cour aux Suppôts de Barthole ,
Et que dans leur poudreuse Ecole ,
Ta Muse perdit sọn Latin.
Purge- toi d'un cas qui t'offense ,
Quoiqu'il en soit , du Dieu désarme la vers
geance :
Par un prompt repentir , tu pourras l'arrêter.
Venir implorer sa clemence ,
Est pour ce Dieu la mériter.
De notre 1 ) Jard en perspective ;
On découvre un ( 2 ) Temple fameux ;
Là , chacun de tout âge et de tout sexe arrive ,
Au Dieu des Vers offrir des voeux ,
En ce lieu Saint et vénérable ,
Est le grand ( 3 ) Sacrificateur.
( 1 ) Le Jard est un lieu celebrepour la prome.
made , aux Portes de Châlons.
( 2 ) Beat regard.
( 3 ) M. PAbbé de ***
11. Vol. MoJUI
N. 1733.
1309
Modeste et doux , sérieux , mais affable
Compatissant et charitable ;
Du Dieu qu'il sert , possédant la faveur ;
Il sera ton Médiateur.
Cours à ce Temple, au Dieu présenter en hommage
,
Sonnet , Ode , Elégie , Epigramme et Ron
deau ,
Et pour t'encourager je serai du voyage ;
L'air est serain , le temps est beau ,
Mais tu le sçais , ami , je suis déja sur l'âge,
Ainsi pour ce pelerinage ,
J'aurai besoin de mon Roseau.
Par M. DE SOMMEVES
REFLEXIONS sur la Nature et la
source du Sublime dans le Discours : sur
le vrai philosophique du Discours Poëtique
, et sur l'Analogie qui est la clef
des Découvertes. Par L. P. C. J.

I.
C
E Titre paroît annoncer des sujets
fort differens . Mais la Philosophie
raproche souvent les extrémitez
en ramenant la multitude des apparences
à la réalité d'un Principe très- simple. Et
c'est par l'Analogie que la Philosophie
II. Vol. Cilj atteint
1310 MERCURE DE FRANCE
atteint à cette simplicité féconde de la
Nature.
2. En general cette Analogie nous apprend
, que s'il y a bien des Sciences et
des Arts , il n'y a pourtant qu'une verité ,
dont ces Arts et ces Sciences ne sont
,
que les differens points- de- vûë , les divers
aspects. La Poësie en particulier et
la Philosophie , quelque irréconciliables
qu'elles paroissent , ne different que par
là , par le point- de- vûë , par l'expression.
3. Le Poëte pense et parle. Le Philosophe
refléchit
raisonne et discourt ;
c'est- à- dire , le Poëte enveloppe dans une
pensée et souvent dans un mot le raisonnement
du Philosophe , et le Philophe
dans un raisonnement étendu , developpe
la pensée , le mot du Poëte.
C'est cet enveloppement et ce développement
seuls qui caracterisent les deux
genres , relativement l'un à l'autre.
4. Mais c'est toujours le même objet ,
la même nature , la même vérité , que
le Poëte et le Philosophe peignent également
, l'un en grand, l'autre en racour
ci et comme en miniature.
5. Lorsque cet objet est nouveau ,
merveilleux
élevé , interessant , qu'il
donne à penser , qu'il étend les vûës de
l'esprit , le Raisonnement philosophique
II. Vol.
JUIN. 1733 1311
que qui le développe , prend le nom de
Découverte , la pensée poetique qui le
révele , prend celui de Pensée sublime.
Venons à des Exemples.
6. Mais auparavant je dois poser comme
un Principe , cette maxime sublime
elle- même , de Despreaux , que
Rien n'est beau que le vrai, le vrai feul est aimable ,
Il doit degner par tout et même dans la Fable.
En effet la découverte du faux ne
peut être une vraye decouverte ; car découvrir
ce qui n'est pas, c'est bien pis que
de ne rien découvrir ; et une pensée fausse
ne sera jamais une belle pensée .
7. Cela supposé , Virgile peint la nuit,
en disant qu'elle ôte aux choses leurs
couleurs , rebus nox abstulit atra colores.
Cette idée est sublime , belle du moins ,
car je ne veux point de dispute. Or qu'estce
qui en fait la beauté ? Je le demande
aux Commentateurs. Mais que nous en
ont ils dit ? Des Tropes , des figures , des
allégories , des métaphores. Je ne connois
point tout cela. Mais je demande
encore si c'est du vrai , si c'est du faux
que Virgile nous donne- là.
8. Aristote nous a tracé les vrayes regles
de la Poëtique et même de la Rhéto
rique. Ce sera donc un Philosophe , ce
sera Descartes qui nous apprendra que
11. Vol
CY les
1212 MERCURE DE FRANCE
les couleurs n'étant qu'une lumiere mo
difiée , la nuit en chassant la lumiere a
chassé les couleurs ; et qu'ainsi la pensée de
Virgile a tous les caracteres du sublime
du grand , du beau , étant d'abord vraye ,
et ensuite nouvelle , merveilleuse,profonde
paradoxe même , et contraire au préjugé.
9. Car je pense que c'est par rapport
à nous et pour nous qu'une pensée est
sublime , c'est-à- dire , comme placée en
un lieu sublime , escarpé , difficile à atteindre
, et par là très - merveilleuse et
toute aimable , lorsqu'elle daigne en quel
que sorte s'abaisser jusqu'à nous qui n'aurions
pû , sans le secours du Poëte comme
inspiré et sans une espece
de secours
divin , nous élever jusqu'à elle.
10. Virgile dit ailleurs :
Provehimur portu terraque urbesque receduns.
"Nous sortons du Port , et nous voyons
les terres et les Villes se retirer . Cette image
est magnifique; mais ce n'est que parce
qu'elle est d'après nature et qu'elle renferme
une verité philosophique que le tems
nous a revelée , quoiqu'elle soit encore toute
paradoxe , toute sublime , toute poëtique
; Car l'Auteur n'est pas encore dans
le cas du sublatam ex oculis , & c. d'Horace .
11. Quelle est donc cette verité ? C'est
11. Vol.
eelle
JUIN. 1733. 1313
celle de la nature du mouvement , qui
n'a d'absolu que son existence , et dont
l'essence consiste dans un simple chan
gement de rapport de distance de divers
termes , dont l'un ne peut se mou .
voir sans qué les autres se meuvent aussi
je m'éloigne du Port , le Port s'éloigne
de moi , je fuis les terres et les Villes ,
les terres et les Villes me fuyent .
12. Cela est fort ; car les voila toujours
à la même place. Oui , les unes
par rapport aux autres ; et dans ce sens
me voila immobile moi- même à la même
place dans le Vaisseau qui m'emporte.-
Mais par rapport à ce Vaisseau et par
rapport à moi , tout l'Univers se remuë
lorsque nous nous remuons. La Rame ;
repousse le rivage ou Feau ; l'eau ou le
rivage repousse la Rame et le Vaisseau ;*
l'action et la réaction sont égales , la séparation
est réciproque. Mais ce siecle ..
n'a droit de jouir que des découvertes ›
du précedent , qui s'en mocquoit..
13. Laissons les discussions philosophi
ques écoutons les Commentateurs. Vous
êtes , me disent- ils , vous êtes duppe de
votre imagination. Il est vrai que les .
terres et les Villes semblent fuir . On s'imagine
qu'elles fuyent , c'est tout comme
si elles fayoient ; mais elles ne fuyent pass
II.. Vol. Cvjs poure
1314 M'ERCURE DE FRANCE
pour cela. L'expression de Virgile n'est
qu'une comparai on , une Analogie sousentendue
, une allégorie , une, métaphore.
Fort bien .
14. Mais je reviens à ma Regle , qui
n'est pas e imagination , et qui est ,
ce me semble , la plus solide Regie de
bon sens qu'on puisse consulter. Cela
est -il vrai ? cela est - il faux ? Virgile
ment-il? Virgile dit- il la vérité? S'il ment,
si sa pensée est fausse , elle n'est donc
pas belle , elle est frivole , sophistique ,
miserable ; fi elle est belle , admirable
sublime , comme on l'a cru jusqu'icy ,
je reviens à Despreaux , et je dis avec lui,
Rien n'est beau que le vrai , le vrai seul
&c. est ,
15. Je puis me tromper , mais il me
semble que bien des gens se repaissent
de choses vagues et qu'ils aiment à s'en
repaître , même dans les Sciences , et
sur tout dans ce qui s'appelle Belles- Lettres
. Tout y est plein de je ne sçai quoi
On diroir
que la précision des idées les
gêne , les contraint , leur paroît insup
portable. Ils sont toûjours en garde et
prets à combattre contre cette précision ,
comme les Romains pour leur liberté.
C'est la liberté d'esprit , en effet , qu'on
retrouve dans ces idées vagues qui le
II. Val. ber
JUIN. 1733 . ·1315
bercent doucement et le balancent entre
le oui et le non , entre le vrai et le faux.
Il en coûte , et il faut une espece d'effort
d'esprit pour se fixer à une verité
précise et indivisible.
"
16. Outre la paresse de l'esprit , il y a
encore un interêt de coeur , qui fait qu'on
aime à se tenir comme neutre entre la
plupart des veritez et des erreurs qui
leur sont opposées. Moyennant cette nou
tralité que l'inattention de l'esprit rend
facile , on est toujours prêt à se ranger
au parti que la passion du coeur rend le
plus agréable. Mais c'est là de la moralité .
17. Victrix causa Diis placuit, fed victa Catoni ,
dit Lucain , que Brebeuf,a rendu parc vers
Les Dieux servent Cesar , mais Caton fuit Pom
péc.
Cette pensée a eû des Approbateurs et
des Critiques. Les uns en ont fait un modele
de sublime , les autres l'ont cruë fausse
et purement enflée. C'est bien pis , d'autres.
l'ont traitée d'impie et de sacrilege . La
Philosophie seule a droit d'en décider .
18. Rien n'est plus simple que le fond
de verité philosophique , morale même
et presque théologique , que ce Vers de
Lucain renferme ou suppose. Les Dieux
ou plutôt Dieu tout miséricordieux et très
lent à punir , laisse souvent prosperer le
II. Vol. crime
T316 MERCURE DE FRANCE
crime dans cette vie et pour un temps.
Et bien nous en prend à tous ; que deviendrions-
nous si la peine suivoit de si
près le peché? Il n'en est pas de- même
des hommes ; il leur est expressément
enjoint de s'attacher immuablement au
parti de la justice ou de la verité connuë
,, sans en juger par les apparences
ni par aucune sorte d'évenement. Le
Commentaire est donc facile désormais.
Les Dieux servent César parce qu'il leur
plaît , placuit. Caton suit Pompée, parce
qu'il le doit.
19. Lucain est outré , dit-on ; cela se
peut quelquefois ; mais quelquefois il
peut n'
n'être que fort élevé , fort sublime..
Une verité n'est pas toujours mûre , même
pour la Poësie . Corneille n'a pas
laissé de meurir quelque traits de Lucain;
mais Corneille lui - même passe pour être
souvent guindé.
20. Ces quatre Vers ont été fort cri
tiquez.
Pleurez , pleurez mes yeux , et fondez - vous en eau,
La moitié de ma vie à mis l'autre au tombeau ,
Et me laisse à venger après ce coup funeste ,
Celle queje n'ai plus sur cellè qui me reste.
Je ne disconviendrai pas que la Poësie ,
sur tout la Dramatique , étant faite pour
II. Vol.
tout
JUI N. 1733. 1317
tout le monde , et ses beautez devant
consister dans des traits détachez et commeimperceptibles
plutôt que dans desRaisonnemens
Philosophiques un peu étendus
et développez . il n'y ait du trop dansces
Vers de Corneille.
21. Si le Poëte avoit pû renfermer lesmêmes
beautez dans un seul Vers ou deux
tout au plus , en jettant même un petit
nuage sur des veritez qu'il a renduës
trop sensibles , trop précises , trop dogmatiques
, rien n'auroit été plus sublime .
Car du reste je ne conviendrai pas qu'il
y ait du faux dans sa pensée . Chimene
peut regarder la vie de son Pere comme
la moitié de sa vie , aussi bien que celle
de son mari futur , puisque , selon l'Ecriture
, erunt duo in carne una. Et il n'y
a rien d'outré à dire qu'une fille se
partage entre ce Pere et ce Mari , et que
toute sa vie dépend des deux. Oui , mais
-H y en a donc trois parties ; celle du Pere,
celle du Mari et la sienne ? Et ce sont
des tiers et non des moitiez. Mauvaise
plaisanterie que celle-là . Chimene ne vit
plus en elle-même dès qu'elle se partage
ainsi Ce qui est si vrai , que si son Perc
et Rodrigue meurent , on ne s'attend
qu'à la voir mourir . Mais la verité ellemême
dépend de l'expression .
II. Vol.
22.
7318 MERCURE DE FRANCE
22. En géneral toute verité a droit de
plaire ; mais toute verité nouvelle , profonde,
sublime , éblouit et révolte même l'esprit
et souvent le coeur. Pour la faire
goûter il faut en temperer l'éclat. Or on
tempere cet éclat en l'enveloppant et ne
le laissant qu'entrevoir à demi comme
un trait vif qui perce et qui disparoît. Et
voilà le devoir et l'avantage de la Poësie.
23. Naturellement elle enveloppe et
elle doit envelopper les véritez. Double
avantage du Poëte . Sous cette enveloppe
et sous cet air mysterieux , qui n'est
qu'une affaire d'expression , les veritez
communes deviennent souvent nouvelles
et sublimes ; et les veritez nouvelles
et sublimes par elles mêmes, brillent toujours
assez sans ébloüir. L'enveloppe picque
toujours la curiosité , d'autant plus
qu'elle la satisfait moins.
24. Toute la gloire du Philosophe consiste
dans la découverte de la verité . Mais
une verité toute découverte , lorsqu'elle
est neuve , blesse la vûë et réveille souvent
la jalousie contre son Auteur. Un
génie à découvertes , comme un Descartes
, devroit , s'il étoit bien consulté , ne
proposer son sistême que sous l'envelope
de la Poësie et de la fiction. Il n'y perdroit
rien ; car tout nouveau sistême est
II. Vol.
toujours
JUIN. 1733 1319
toujours traité de fiction et de Roman ;
il y gagneroit même beaucoup. On court
après une verité qui se dérobe ; et un
bon Commentaire feroit bien - tôt adopter
comme philosophiques des veritez
qu'on auroit goûtées d'abord comme Poëtiques.
C'est par la fiction , c'est - à- dire ,
par l'invention qu'on est Poëte ; et lorsqu'on
est né Poëte , les Vers ou la Profe
ne sont plus que des formalitez , des expressions
arbitraires . Mais ces refléxions
viennent quelquefois trop tard .
25. Cependant la gloire du Philosophe
paroît l'emporter en un sens sur celle du
Poete. Celui cy a beau semer les plus
profondes veritez , il n'est jamais censé
parvenir jusqu'à la découverte , qui est
presque l'unique gloire de l'esprit humain.
Il n'y parvient pas non - plus ; il ne
voit la verité que comme il la présente
sous le voile , dans le nuage. C'est par
une espece d'instinct ou d'enthousiasme
et à la pointe de l'esprit , qu'il la saisiť
comme en passant. C'est inspiration , c'est
révélation , si l'on veut . Mais les Prophetes
ne comprennent pas toujours tout ce
que Dieu révele par leur organe à l'Univers.
Virgile , après avoir dit que la
nuit emporte les couleurs , auroit bien
pû n'être pas Cartésien sur l'article.
II. Vol. 26.
1320 MERCURE DE FRANCE
26. Mais comme c'est toujours la Nature
que le Poëte peint , le Philosophe
ne sçauroit trop méditer le sens profond
de tous les traits véritablement sublimes
qui sont répandus chez les Poëtes plus
que chez aucune autre sorte d'Ecrivains.
C'est- là le véritable emploi du Philosophe
, de comprendre ce que les autres
ne font que sentir , de tourner l'instinct
en pensée , la pensée en refléxion , la refléxion
en raisonnement. Je regarde tous
ces grands traits qu'on admire dans les
Poëtes comme autant de semences de dé-
Couvertes.
27. Or c'est l'Analogie qui rend ces
traits poëtiques , féconds en découvertes
Car ce qu'on appelle chez les Poëtes ou
chez les Orateurs , Métaphore, similitude ,
allégorie , figure ; un Philosophe , un
Géometre non hérissé l'appelle Analogie,
proportion , rapport. Toutes nos décou
vertes , toutes nos veritez scientifiques ,
ne sont que des veritez de rapport . Et
par là souvent le sens figuré dégenere
en sens propre , et la figure en réalité.
28. Je dirai quelle est ma regle en ce
point. Lorsque je rencontre quelqu'un de
ces traits poëtiques ou autres , concernant
la Nature , ou tout autre objet philosophique
, et que ce trait me paroît
1. Vol. beau
JUIN. 1733. 1321
beau et sublime , sur tout s'il paroît tel
au commun des Lecteurs , je commence
selon la Méthode de l'Analise géométrique,
par le supposer vrai , même litteralement
vrai. Ensuite par les conséquences
que j'en tire selon les regles du même
Art , je le vérifie . Et enfin après me l'être
démontré à moi -même , je me mets
en état de le démontrer aux autres.
29. Par exemple , tout ce que je viens
de dire , je crois le devoir à la maxime
de Despreaux ; que rien n'est beau que le
vrai. Ce Vers m'a bien mieux appris ce
que c'est que le sublime que tout le
Traité de Longin , traduit par le même
Despreaux ; Traité que j'avoue qui m'a
toujours paru fort beau , mais un peu
vague , un peu oratoire , et plus enflé
de discours , que nourri d'explication et
d'idées philosophiques.
30. Au lieu qu'en supposant la Maxime
en question , et partant de -là , il m'a
été facile de conclure que le sublime
consistoit dans une verité toute neuve
en elle même , ou dans son point-de- vûë,
ou par son expression , et présentée sous
une espece d'envelope qui en rehausse
l'éclat en le temperant. Le Fiat bux que
Longin trouve si sublime , ne l'est que par
le vrai nouveau , profond , merveilleux.
L.
II. Vol. 3L.
1322 MERCURE DE FRANCE
31. Qu'on parle d'un Ouvrage des
hommes , il faut bien des paroles , des
discours , des descriptions pour en faire
connoître la façon . Pour les Ouvrages
de Dieu , comme il n'a fallu qu'un mot
pour les faire , dixit et facta sunt , il ne
faut qu'un mot pour les peindre , et cette
peinture est toujours sublime , parce
qu'elle est extraordinaire , unique , divine.
のののおのの
REPONSE à Mlle de Malcrais de
la Vigne , du Croisic en Bretagne , à
son Elegie , inserée dans le Mercure du
mois de Mars 1733.
D
ELEGI E.
Ans un profond repos , fruit de beaucou
de peine ,
Je rêvois l'autre jour sur les bords de la Seine ,
Quand je vis un Berger dans un Bocage épais ,
Qu'il faisoit retentir de ses tristes
regrets.
Ma douleur , disoit-il , sera - t - elle éternelle ?
Heureux si je pouvois devenir infidelle !
Ton nom vole en tous lieux et tes Vers enchan
teurs ,
Docte et tendre Malcrais , séduisent tous les
coeurs ;
II. Vol.
JUIN.
1733 1323
Qui peut se refuser aux charmes de ta Lyre ?
Déja plus d'une Muse a pris soin de te dire ,
Que tu peux attendrir la cruelle Alecton ,
Arracher des soupirs au barbare Pluton ,
Comme un nouvel Orphée enchanter le Cerbere,
Endormir les Serpens de l'horrible Megere,
Rendre sensible enfin le séjour tenebieux ,
En déplorant le sort d'un Amant malheureux.
Mais ce n'est pas assez pour te combler de gloire;
Poursuis , chere Malcrais , tu n'as pas la victoire.
Rien n'a pû résister à tes divins accens ,
Que le coeur trop ingrat qui cause mes tourmens;
Reconnois ce Berger si fidele et și tendre ,
Dont la voix par hazard à toi se fit entendre ,
L'insensible Silvie a toujours les rigueurs ,
Que ton charmant Pinceau peignit avec mes
pleurs.
Et mon fidele coeur enchaîné par ses charmes ,
N'a point encor cessé de répandre des larmes ,
Si des mêmes couleurs dont tu peins mon tourment
,
Tu pouvois dégager un trop sensible Amant ;
Mais non , touche plutôt mon Amante cruelle,
He ! qui pourroit fléchir le coeur de cette belle !
Mes larmes mes soupirs et mes voeux sont
perdus ,
>
Tous tes charmans accens sont aussi superflus ;
Mes soins , mes tendres soins er ma flamme
constante ,
II. Vol. Sem1324
MERCURE DE FRANCE
Semblent rendre encor plus Sylvie indifférente.
Tu peux voir attentifs à tes divins concerts ,
Les Tygres , .les Rochers , même tout l'Univers;
Mais tu ne peux , Malcrais , attendrir la cruelle.
L'amour sourd à ma voix , et d'accord avec elle
Va bien-tôt me punir par un affreux trépas
Du soin que j'avois pris de vanter ses appas.
De même que l'on voit au Printemps la nature
Eraler à nos yeux sa riante parure ,
De diverses façons , briller de toutes parts ,
Sans le secours de l'art , enchanter nos regards ;
Telle s'offrit à moi la charmante Sylvie ,
De ses attraits d'abord mon ame fut ravie ,
Et frappé , j'admirai l'éclat de sa beauté.
Heureux ! si j'avois sçû prévoir sa cruauté.
Avec plaisir , Malcrais , je t'en fais confidence ,
Aussi- tôt ( car l'amour n'a guere de prudence }
Mon trop crédule coeur résolut en secret
De se rendre à Sylvie. Ha ! funête projet !
J'oubliai mes Moutons , mon Chien et ma Houlette
,•
Occupé du seul soin d'accorder ma Musette ,
J'importune bien-tôt les Echos d'alentour ,
Des appas de Sylvie et de mon tendre amour.
Momens délicieux ! un espoir téméraire ,
Malgré moi m'engageoit à chercher à lui plaire.
Que tes plaisirs , amour , ont des attraits mortels
!
II. Vol. Qu'on
JUIN. 1733. 1325
Qu'on a tort de vouloir t'élever des Autels !
Si tôt qu'elle apperçut le pouvoir de ses charines,
.
La cruelle se fit un tribut de mes larmes ;
Dans ses yeux dont moi seul je connois tout le
prix ,
Je ne lûs plus dèslors que de cruels mépris.
Son coeur à mes soupirs toujours inaccessible ,
A tes sons si touchants est encore insensible.
Tel est de mon destin l'implacable fureur ,
Que rien ne peut, Malciras,soulager ma douleur,
Ne cesse cependant de plaindre ma tendresse ,
Si tu ne peux fléchit mon ingrate Maîtresse ,
Tous les Bergers du moins apprendront quelque
jour ,
Par tes accens à fuir mon exemple en amour.
Il dit ; de sa douleur les mortelles atteintes ,
Finirent dans l'instant sa vie avec ses plaintes,
Ce malheureux Berger, descendu chez les morts,
Ne cesse de redire aux ombres tes accords ;
La Charmante Sapho , la trop tendre la Suse ,
Voyent revivre en toi les charmes de leur muse!
Heureux ! cent fois heureux ! un amant , dont
l'ardeur ,
Oseroit se flatter ... mais espoir séducteur !
Ton coeur fait pour l'amour , est engagé peutêtre
;
Le peindrois-tu si-bien , Malcrais , sans le connoître
?
Le Berger de Lutece.
II. Vol. EX
1325 MERCURE DE FRANCE
;
3333
EXTRAIT d'une Lettre de M. Collin
, Chirurgien Major de l'Hôpital
Royal de Phaltz- Bourg , à M. Garengeot
, Chirurgien - Furé de Paris , Démonstrateur
Royal en matiere Chirurgicale
, et Membre de la Société Royale de
Londres,
E viens , Monsieur , de lire , avec un
Jplaisir singulier ,votre Traité d'Opérations
, imprimé en 1731. seconde Edition
, n'ayant pas vû la premiere. Cet
Ouvrage est une suite de toutes les beautez
qui se trouvent répandues dans tous
ceux que vous avez donnés au Public, sur
tout dans votre Splanchnologie. On peut
dire avec verité , qu'aucun Autheur n'a
encore écrit , ni si sçavamment, ni si élégamment
sur ces sortes de matieres , et
tous les Eleves en Chirurgie , ne sçau-
' roient trop vous remercier .
Mais permettez - moi de me plaindre
de la Peinture affreuse que vous faites
dans votre Traité d'Opérations , des Eleves
de feu M" de Méry , Arnaud et Thi
bault. J'ai l'honneur d'être un de ces Eleves,
et je m'en fais une gloire . J'ose pour-
Al.Vol.
tant
JUIN. 1733. 1327
,
tant défier aucun de ceux qui m'ont vû
travailler,de m'accuser de panser, comme
vous dites , que pansent ces Eleves . C'est
à la page 343. tom. 1. en parlant des Hernies
, que vous faites cette affirmation .
» Qüi , malgré le nombre de malheureux
qui périssent par une Pratique , qui n'a
» d'autre authorité que la coutume , nous
» apprenons que le peu d'Eleves qui res-
» tent de ces Chirurgiens , sont si enthou-
» siasmés de la longue Tente , qu'ils l'em-
>> ploient même dans des Playes faites par
» des Instrumens tranchans , et qui ne de-
>> mandent que la simple réunion .
Il semble dans certains endroits de vos
Ouvrages, que vous avez à coeur d'élever
ces grands Hommes , tandis que dans
d'autres vous les rabaissez . de façon à
faire comprendre qu'ils n'étoient rien
moins , que ce que vous en avez dit.
Si ces Illustres sont morts , sans répondre
à tout ce que vous avez écrit contre
eux , vous n'ignorez pas qu'ils étoient
bien capables de le faire . Ils ont laissé au
Public le soin de deffendre leur réputation
, que personne ne pourra jamais
ternir .
La Chirurgie étoit- elle , il y a soixante
ans , au dégré où nous la voyons de nos
jours ? Si nous n'avions suivi que les rou-
11. Vol. D tes
1828 MERCURE DE FRANCE
tes tracées par nos Peres , nous ne ferions
pas aujourd'hui des Opérations si
heureuses : chaque siecle a augmenté ou
perfectionné les connoissances que nous
avions déja ; mais nous n'en devons pas
moins de reconnoissance à ceux qui nous
ont précédés , et qui nous ont, pour ainsi
dire , tracé le chemin .
Vous dites dans la Préface , qui est à ļa
tête de vos Opérations : » Si quelqu'un
» croit se voir dépeint dans quelques-
» unes de nos Observations , nous aver-
» tissons ici que notre intention n'est pas
» de faire de la peine à personne,& c . Nous
» redressons leurs deffauts d'une maniere
» si generale , qu'on ne peut nous taxer
» de violer la bienséance , et la charité
»que l'on se doit les uns aux autres.Mais
quelle est , Monsieur , cette charité , qui
vous engage à faire comprendre au Public
, que tous les Eleves , qu'ont faits ces
M" sont des Ignorans et des Hommes à
détester ?
J'avoue qu'il est bon de redresser ceux
qui ne sont point dans le bon chemin ;
et qu'il est même charitable de leur montrer
le plus court , pour arriver au but ;
mais il est contre les regles de la charité,
que vous affectez , de perdre de réputation
des Hommes , qui semblent n'avoir
II. Vel.
méJUIN.
1733. 1329
mérité votre critique , que par ce qu'ils
sont Disciples des trois plus grands Chirurgiens
de leur temps .
au
Quelle idée donnez - vous , en effet ,
Ministre de la Guerre , de la capacité de
ces Eleves ? Et en dédiant votre Traité
d'Opérations à l'Illustre Chef de la Chirurgie
, que peut - il penser de la Peinture
que vous faites de ces mêmes Eleves , sans
nulle exception ? Si je n'étois bien persuadé
du discernement qu'il sçait faire du
vrai merite , je pourrois dire à tous ces
Disciples , mes Confreres : La Porte des
Graces est fermée à tous tant que nous
sommes , et cela par la charité de M.Garangeot.
Si les Chefs des Régimens sont instruits
de votre façon de panser , ils se garderont
bien de prendre un Disciple de
l'Hôtel - Dieu de Paris , pour Chirurgien-
Major ; et c'est une injustice que vous,
devez vous reprocher.
Tout le monde sçait qu'il y a aujourd'hui
de ces Eleves , qui sont vos Confreres
, qui certainement ne déshonorent
point le Corps de S.Cosme. Il y en a plusieurs
dans les Hôpitaux et dans les Régimens
, qui ne sont pas tout - à- fait indignes
de votre estime , et qui ont mérité
l'approbation de vos Superieurs.
II. Vol. Dij M.
1330 MERCURE DE FRANCE
M. le Blanc , Ministre de la Guerre
jugeant tout autrement que vous , Monsieur
, des Eleves de feu M. Thibault
me nomma en 1727. pour l'Hôpital de
Phaltz - Bourg. Si quelques Observations
que j'ai envoyées à l'Académie de Chirurgie
, peuvent vous faire bien penser
sur mon compte , et vous désabuser sur
ma façon de panser , je vous demande
l'honneur de votre amitié , et je vous
prie d'être persuadé que je suis , &c.
ᎣᎣᏛ
A Mlle DE MALC RAIS.
Q Ue tes Ecrits , docte Malcrais ,
Ont pour moi de puissans attraits !
Que j'ai de plaisir à les lire !
Plus je les lis , et plus je les admire,
Certes , s'il brille dans tes yeux ,
Tant de beautez qu'en tes Ouvrages ;
'Avec de pareils avantages ,
Tu dois charmer les Hommes et les Dieux.
D. L. F.
´ II, Vol.
SUITE
JUIN. 1733133x
SUITE des réfléxions sur la bizarerie
des Usages. Par M. Capperon , ancien
Doyen de Saint Maxent.
L
'Homme s'aimant à l'excès , il s'ensuit
qu'il aime et qu'il estime tout
ce qui le touche de plus près. Il sent même
un plaisir secret à se persuader , soit
par les épreuves qu'il peut faire , soit par
l'approbation des autres , que ce qu'il
estime en lui , est véritablement grand et
absolument estimable. C'est de cette disposition
si naturelle à l'homme, que sont
sorties , non seulement les bizarèries qui
ont rapport à l'usage des sens et aux productions
de l'esprit , dont j'ai cy- devant
parlé , mais plusieurs autres encore qui
ont paru,qui paroissent et qui paroîtront
dans. le temps à venir .
Me faisant donc un plaisir de relever .
ces excès ; et chacun pouvant en trouver
comme moi à les connoître , à les blâmer
et peut -être même à en rire , principa
lement lorsqu'ils sont passez ; car il n'en
est pas ainsi lorsqu'ils subsistent et qu'ils
sont en vogue : je crois qu'il ne déplaira
pas que je continuë mes Refléxions sur
ce sujet; et qu'après avoir parlé des
II. Vol. Dij usa1332
MERCURE DE FRANCE
usages bizares , provenus du désir de satisfaire
les sens et de faire remarquer la
beauté et l'excellence de l'esprit , je passe
aujourd'hui à ceux qui se sont formez
par le désir excessif de ménager et de
conserver la santé du corps , et de faire
valoir sa force et son adresse.
Il n'est pas necessaire que je dise , que
la santé est le bien le plus précieux de la
vie; qu'il est juste , pour une infinité de
raisons , de la menager et de la conserver
; tout le monde en est assez persuadé:
mais comme tout excès est blâmable , il
ne convient pas , sans doute , de le faire
si scrupuleusement , qu'on cesse d'en profiter
de peur de la perdre , qu'on ne s'en
serve que pour l'étudier et y veiller , que
dans le dessein de la rétablir on use des
moyens propres à la déranger,ou à la détruire
; ce sont neanmoins ces excès qui
ont introduit divers usages tres - singuliers
et tres bizares .
On sçait jusqu'à quel excès les anciens
ont poussé l'usage des Bains , qu'ils
croioient, à la vérité, nécessaires pour la
propreté du corps , mais qu'ils ne croioient
pas moins convenables pour conserver la
santé , ainsi qu'on le pense et qu'on l'observe
encore aujourd'hui , mais avec plus
de moderation et pour le seul besoin ; ce
I.Vol.
que
JUI N. 1733. 1333

que les anciens ne faisoient pas , ayant
porté cet usage bien au- delà de ce qui
convenoit : Car n'étoit- ce pas un excès
tout-à-fait bizare chez les Romains , non
seulement d'aller chaque jour au Bain
avant que de souper , mais d'y aller plusieurs
fois par jour . Les Empereurs Commode
et Gordien le jeune y alloient jusqu'à
sept ou huit fois a . N'étoit - ce pas
une vraie bizarerie de s'y faire frotter le
corps avec une espece d'Etrille b . Mais
ce qui étoit un excès beaucoup plus
criant , c'est que ces Bains étoient communs
pour les hommes et pour les femmes
; ce qui a même duré dans le Christianisme
pendant près de trois siecles
malgré les Loix de l'Eglise et des plus sages
Empereurs. Enfin l'attrait pour ces
Bains étoit si violent , qu'un Auteur a
très- bien remarqué, qu'il n'y a point d'ouvrages
des anciens , où les Empereurs
Romains ayent fait paroître plus de somptuosité
et de folie, que pour les Thermes ,
qui étoient les lieux où se prenoient ces
Bains c.
a Rosinus. Antiq. Roman . lib. 1. cap. 14.
b Strigile autem usos fuisse antiquos ad fricandum
, purgandumque corpus. Rosin. ibid. de Balneis.
c In nullis antiquorum operibus plus luxus et
Il. Vol. Diiij Si
1334 MERCURE DE FRANCE
Si nous passons aux remedes qu'on a
employez pour rétablir la santé alterée
par quelque infirmité , quelle bizarerie
ne trouverons - nous pas ? Il n'y a pour en
juger qu'à lire ce que dit le Clerc dans
son Histoire de la Médecine : Part. 1. liv.
3. chap. 26. où il rapporte de quelle maniere
on traitoit certaines maladies du
temps même du fameux Hypocrate , ce
qui paroît tout-à- fait bizare. " ¦
Il dit que lorsqu'on vouloit nettoyer le
bas ventre , on introduisoit dans l'Anus
un Soufflet de Forgeron ; qu'après avoir
fait enfler le ventre par ce moyen, le
Soufflet étant tiré , on donnoit le lavevement.
Pour guérir les Phtisyques , on
leur brûloit le dos et la poitrine , et on
tenoit les Ulceres ouverts pendant certain
temps. Pour les maux de tête on appliquoit
huit cauteres autour de la tête ;
que si cela ne suffisoit pas , on faisoit
pareillement
autour de la tête une incision
en forme de couronne , qui passoit d'un
bout à l'autre du front. On en faisoit autant
pour guérir les maux des yeux . Pour
les Convulsions , après avoir saigné , on
usoit de Sternutatoire , et on faisoit du
feu des deux côtez du lit du malade .
insania cernitur quam in Thermis Imperatorum.
Georg. Fabric, in suâ Româ.
II. Vol. L'us
JUIN. 1733. 1335
L'usage de cauteriser et de brûler le
corps en differens endroits , pour guérir
différens maux, a duré long- temps ; cette
Medecine grossiere et cruelle , continue
encore dans l'Affrique , la Chine , le Japon
et autres païs Orientaux , comme
aussi chez les Sauvages de l'Amérique
qui se servent à cet effet de bois pourri
à cause que la chaleur
en est moins
active.
C'étoit
des païs Orientaux
qu'étoit
venu en France
et ailleurs
l'usage
du
Moxa , qui consistoit
à faire bruler cette
espece
de filasse , sur la partie
attaque
de la goutte
, pour en guérir
, mais ce re
mede
caustique
a fait peu de progrès
;
car comme
disoit un Seigneur
Anglois
à qui les Médecins
l'avoient
ordonné
quel crime ai-je donc commis , pour que
je sois condamné
à être brûlé vif.
2
On peut mettre au nombre des usages:
bizares, en fait de Médecine , la fantaisie:
qu'on a euë de pendre au col , ou de por
ter sur soi , diverses choses qu'on a crûës :
spécifiques pour se guérir ou se préserver
de certains maux;c'est de ces usages , qu'est :
venue aux femmes , la mode de porter au
trefois des Coliers d'Ambre et de Corail
comme à plusieurs autres de mettre aux
doigts des Bagues garnies de prétendus:
Talismans. Ce n'étoit pas un usage moms:
H..Vol. D v bi
1336 MERCURE DE FRANCE
bizare de consulter les Astres , et sur tout
la Lune , pour sçavoit s'il convenoit de
prendre le moindre remede , afin de s'asseurer
de son efficacité ; c'est pourquoi
les Prédictions qui se donnoient chaque
année au public, marquoient précisément
les jours auxquels il convenoit de se faire
saigner , de prendre medecine , ou d'u
ser de ventouses. L'Etoile ou constellation
, nommée la Canicule, étoit marquée
comme la plus nuisible , pendant tout le
temps qu'elle dominoir , de quoi plusieurs
encore aujourd'hui ne sont pas désabuscz.
On peut voir un échantillon de la bizarerie
qui regnoit au neuviéme siecle ,
touchant la medecine , par le conseil que
Pardule, Evêque de Laon donnoit à Hincmar,
Archevêque de Reims , qui relevoit
d'une maladie a ; sçavoir , que pour rétablir
sa santé , il devoit bien se garder
de manger des petits Poissons , particu
lierement le jour qu'on les auroit tirés
de l'eau , non plus que de toute autre
viande nouvelle , soit Volailles ou autres
animaux , tuez du même jour ; qu'avant
que de les manger , il falloit bien les saler
, afin d'en dessecher toute l'humidité,
Hincmar , tom . p . 838.
II. Vole
qu'il
JUIN. 1733.1337
qu'il devoit principalement manger, du
Lard , et n'user que de la chair des animaux
à quatre pieds,ayant soin sur tout ,
de s'abstenir de Persil , l'assurant que
sans ce regime , il étoit tres difficille à
toute personne convalescente , de rétablir
la foiblesse de son estomac . Je crois qu'aujourd'hui
peu de gens s'accommoderoient
en pareil cas , d'une semblable ordonnance.
Autre bizarerie de Medecine qui regnoit
en France du temps du Roy Sainr
Louis , et qui consistoit à saigner à l'excès
, dans l'esperance de conserver par
ce moyen sa santé : on le voit par les
Regles que ce Prince donna aux Religieuses
de l'Hôtel - Dieu de Pontoise , par
lesquelles il ne leur étoit permis de se
faire saigner que six fois par an , les
temps même où elles le devoient faire
étant précisément marquez ; sçavoir , à
Noël , au commencement du Carême , à
Pâque , à la S.Pierre, dans le mois d'Août
et à la Toussaint a
De la santé je passe à la force du corps,.
où je fais voir si l'attachement
, que
qu'on a pour l'une a donné lieu à la bizarerie
de quelques usages , l'autre en a
a Patru , Plaid, pour Madame dé Guénégaud.-
II. Vol. Dvj, pro
1338 MERCURE DE FRANCE
produit, dont l'excès est encore allé beaucoup
plus loin. On ne peut pas dourǝt
qu'on ne sente un plaisir secret à éprouver
så force et à là faire remarquer aux
autres ; ce que font tous les jours les énfans
en est la preuve ; ce n'est que dans
le dessein de se procurer ce plaisir, qu'ils
s'empressent à sonner les Cloches d'une
Eglise ; que dans leurs jeux , un de leurs
plus grands plaisirs , est d'essayer à qui
sautera le plus haut , ou le plus loin , à
qui courra le plus fort , ou qui par sa
force , terrassera le mieux son camarade.
Ce que ce sentiment naturel opera
dans les enfans , il le fait également dans
les personnes plus âgées , mais avec cette
différence , que și plusieurs , par l'usage
qu'ils font de leur raison , s'y prêtent
moins que les enfans ; il ne s'en est trouvé
que trop , qui , pour s'y étre abandonnez
sans mestre , ont donné dans des
excès , qu'on peut regarder, à juste titre ,
comme des bizareries les plus outrées .
L'usage dont parle S.Jérôme , qui sub
sistoit de son temps , et qui consistoit à
donner au public des preuves de sa force,
n'étoit pas, à la verité , ni si bizare , ni
si outré ; il ne pouvoit même passer pour
bizare , qu'autant que les hommes , qui
devoient pardessus tout faire valoir la
Il.Vol dé
JUIN.. 17337 1339
3
délicatesse de leur esprit , se picquqient
trop alors de faire admirer la force de
leur corps , privilege dont les animaux
les plus grossiers sont beaucoup plus
avantagez qu'eux . Il consistoit donc cet
usage , en ce que , selon ce Pere a , il n'y
avoit dans la Judée où il demeuroit , ni
Ville , ni Bourg , ni Village , ni si petit .
Château , où il n'y eut de
Pierres
grosses
rondes , uniquement destinées pour exercer
les jeunes gens , et pour leur donnes
lieu de faire admirer au public jusqu'où
alloit leur force ; de sorte que pendant
qu'il y en avoit qui ne pouvoient élever
ces grosses Pierres que jusqu'à leurs ged
noux ou jusqu'à la moitié du corps , on
en voyoit d'autres qui les portoient jusques
sur leurs épaules , même sur leur tê
te , et c'étoient ceux là qui avoient tout
l'honneur ..
Il y a apparence que cet usage ne s'observoit
pas dans la scule Judée , puisque
ce Pere dit au même endroit , qu'il avoit
vû dans la Forteresse d'Athénes une
grosse Boule d'Airain , qui servoit aussi à
éprouver la force des Atheletes. Je croirois
même que cet usage avoit passé jusques
dans les Gaules ; que dis - je , jusques
a Hier. in Zachar. cap. 12
L. Vol.
dans
1340 MERCURE DE FRANCE
dans notre Ville d'Eu , qui subsistoit
bien avant ce temps-là , puisqu'on y a
vû jusqu'à nos jours , dans l'Hôtel de
Ville , de grosses Pierres de grès , parfaitement
rondes , au moins de quatre pieds
de circonférence , lesquelles y ont toujours
été , sans qu'on puisse sçavoir à
quel autre usage elles ont pû être destinées
.
Ce fut de cette inclination naturelle qui
naît,comme j'ai dit ,avec l'homme, d'estimer
sa force , et de se faire un plaisir dela
faire estimer aux autres , que l'exercice
des Atheletes , et les Jeux Olimpiques
si fameux dans toute la Grece , prirent
leur origine ; car en quoi consistoient ces-
Jeux , qui se renouveloient tous les quatre
ans , où les peuples couroient en foule
pour en être les spectateurs , où les victoires
et les couronnes qu'on y remportoit
combloient d'honneur ceux qui
étoient assez heureux pour avoir cet
avantage ? Ils consistoient ces Jeux , à
voir et à admirer , ceux qui dans la Lute
terrassoient le mieux , après differens efforts
, ceux contre lesquels ils lutoient, et
même ceux qui l'emportoient à la course
ou à donner des coups de poings , ou
à jetter le Palet avec plus de force et d'adresse
.
II. Vol.
Après
JUIN. 1733 . 1341'
pas
bizare
, que Après tout , ne paroît - il
ces Jeux que nous croïons aujourd'hui ne
convenir qu'à des enfans , ayent fait au--
trefois l'admiration et le spectacle le plus
recherche des peuples les plus polis ; que
pour s'y former , il falloit dès sa jeunesse
y être instruit et exercé par des Maîtres
; que pour acquerir la force et l'adresse
necessaire , il falloit observer un
régime de vie , qui retranchoit l'usage:
du vin , de plusieurs autres choses , et de
certains plaisirs permis. S. Paul même en
a fait une note a.Dailleurs ce qui doit pa➡
roître de plus outré et de plus honteusement
bizare dans ces Jeux , c'est que non
seulement les hommes abandonnant toute
pudeur , y paroissoient et y combattoient
entierement nuds ; mais que les
femmes ayent voulu aussi y prendre part
et y paroître de la même façon , comme
le rapporte Plutarque ; en quoi , après
tout , elles ne faisoient que suivre ce que
le prétendu divin Platon leur avoit ordonné
b , voulant qu'elles ne parussent
Couvertes que de leur seule vertu .
Le reste pour le prochain Mercure.
a Ep.
. 1. aux Corinth, ch.
b De Legib. liv. 6.
J. U. 25.
II. Vol. DI1342
MERCURE DE FRANCE
DIVERTISSEMENT

2
Executé
par
l'Academie de Musique
de Dijon.
SUJET. La Poësie et la Musique s'unissent
pour contribuer au plaisir de la:
Compagnie brillante et délicate , qui
assiste au Concert..
PERSONNAGES.
La Poësie :
La Musique..
Q
Choeur de Poëtes..
Choeur de Musiciens..
La Scene est à Dijon , dans la Sale
ordinaire du Concert..
LA POESIE.
Ue vois -je ? ou venez - vous de conduire
mes pas ?
Les Graces et les Ris' , les Amours et leur Mere :
Ont-ils abandonné Cythere ,
Pour fixer leur séjour dans ces lieux pleins d'ap
pas ?
La Musique.
Ma Soeur , cet agréable Azyle ,.
* Offre à vos yeux surpris , l'Elite d'une Ville ,
II. Vol. Off
JUIN.
1343 1733 .
Où l'on se plaît d'entendre et vos Vers et mes
Chants ,
Et dans ces lieux où je préside ,
Je voudrois signaler le zéle qui me guide ,
Par les accords les plus touchans .
Digne Fille de Mémoire ,
Secondez tous mes désirs ;
Ces Mortels assemblez , ont soin de notre gloire
;
Prenous soin de leurs plaisirs.
Choeur de Musiciens.
Digne Fille de Mémoire ,
Secondez tous nos désirs ;
Ces Mortels assemblez , ont soin de notre
glaire ;
Prenons soin de leurs plaisirs.
Que nos voix se confondent ,
Pour mieux ravir les sens ;
Que les Echos répondent
A nos tendres accens !
Digne Fille de mémoire ,
Secondez tous nos désirs ;
2
Ces Mortels assemblez , ont soin de notre gloi
re ,
Prenons soin de leurs plaisirs..
II. Vol. La
1344 MERCURE DE FRANCE
La Poësie .
Ne doutez point , ma Soeur , que ma reconnoissance
,
Ne réponde bien- tôt à votre impatience.
Déja pour vous servir( 1 ) , et pour vous conten
ter (2) ,
Je sens s'échauffer mon génie ;
y Et quand votre douce harmonie
Sur mes Vers pourroit l'emporter ,
Je vous surmonterai par l'ardeur infinie ,.
Qui va me faire tout tenter.
Quelle gloire charmante ,
D'entendre en ces beaux lieux ,
applaudir à mes
Vers !
Quelle gloire charmante
D'attirer par vos Airs ,
De Mortels délicats , une Troupe brillante !
L'Epoux d'Eurydice autrefois ,
Etoit moins glorieux sur les Monts de la Thrace
,
7
Quand des sons de sa Lyre , accompagnant sa
voix ,
Il voïoit accourir , pour plaindre sa disgrace ,
Les Ours , les Rochers et les Bois.
I A la Musique.
2 Au Choeur de Musiciens.
II. Vol. La
JUIN.
1345
1733 .
La Poësie et la Musique..
Quelle gloire charmante ,
D'entendre en ces beaux lieux
applaudir à
mes
Evos
Vers!
Quelle gloire charmante ,
D'attirer par
VOS
Airs ,
mes
De Mortels délicats , une Troupe brillante !
La Musique.
Eh bien , ma Soeur , sans différer ,
Sur les plus beaux sujets il faut nous préparer.
Accourez , Enfans de Cythere ,
Volez tous à notre secours ;
On se propose en vain de plaire ,
Sans les Graces et les Amours.
Que par leurs Chansons ravissantes ,
Nos plus fideles Nourrissons ,
Des Amphions et des Canentes
Fassent revivre icy les sons !
Accourez , Enfans de Cythere ,
Volez tous à notre secours ;
On se propose en vain de plaire ;
Sans les Graces et les Amours.
II. Vol. Choeur
1346 MERCURE DE FRANCE
Choeur de Musiciens.
Accourez , & c.
La Musique. I
vous , à qui Louis a commis sa puissance
O vous , qui de Thémis gouvernez la balance
;
Vous , Amis des neuf Soeurs ; Belles , dont le
pouvoir
Aux mortels fait tout entreprendre ;
Flatez notre plus doux espoir ,
En daignant dans ces lieux vous rendre
La Poësie et la Musique.
Par les soins que nous allons prendre ,
Yos sens seront séduits , il vous semblera voir
Ce que nous vous ferons entendre.
La Poësie.
Le Cor animera les diligens Chasseurs.
Guerriers , les bruïantes Trompettes ,
Scauront de Bellone en vos coeurs
Réveiller toutes les fureurs.
2
*
La Muslque s'addresse tour à tour à M. le
Comte de Tavanes , Brigadier des Armées du Roy
et son premier Lieutenant General en Bourgogne ;
aux Magistrats , aux beaux Esprits et aux Dames
qui assistent au Concert.
II. Vol.
Tirsis
JUIN. 1733.
1347
Tirsis et Corydon sur leurs tendres Musettes ,
De la tranquillité chanteront les douceurs.
Au Vice , pour livrer la guerre ,
Neptune agitera les Mers ;
Pluton ébranlera la Terre ;
Les Vents mugiront dans les Airs
Et , précédé par les éclairs ,
Du Ciel avec éclat , tombera le Tonnerre,
Le paisible Buyeur , orné de Pampres verts ,
Ventera le pouvoir de cet Enfant aimable ,
Que Sémele eut du Dieu qui régit l'Univers.
Les Ménades aux sons de sa voix agréable ,
Applaudiront , le Thyrse en main
Et le Satyre et le Sylvain ,
Danseront avec lui , pleins du jus délectable ,
Qui des plus malheureux adoucit le chagrin.
Ne pense pas que je t'oublie ,
Fils de Venus , auteur des plaisirs de la vie,
Ces Belles , qu'avec tant d'atours ,
De toutes parts je vois paroître ,
Des Coeurs ont sçu te rendre maître ;
Ma Lyre sous mes doigts résonneroit toujours,
Si je chantois tous les amours ,
Que leurs divins attraits font naître,
11. Vol. Choeur
1348 MERCURE DE FRANCE
Choeur de Poëtes et de Musiciens .
Chantons , livrons nos coeurs aux plus char
mans transports ,
Fuyez , fuyez , ennuyeuse Tristesse ;
Ne troublez jamais nos accords.
Fuyez , fuyez , ennuyeuse Tristesse ;
Que tout , au gré de nos désirs ,
Respire icy sans cesse ,
La joïe et les plaisirs !
Par M. CocQUART , Avocat al
Parlement de Dijon.
கக
MEMOIR E sur l'Electricité, lû à la
derniere Assemblée publique de l'Académie
Royale des Sciences , par M. Dufey,
Extrait.
'Académicien commence par donner
la définition de l'Electricité , et fait
ensuite l'Histoire abregée des progrès
qui ont été faits sur cette matiere depuis
que cette propriété a été reconnue dans
quelques Corps. Après cette exposition
il donne une idée du plan qu'il se propose
de suivre , et après avoir rapporté
plusieurs experiences qu'il a faites sur ce
sujet ; la fin de l'Assemblée ne lui a pas
II. Vol. permis
JUIN. 1733 1349 .
permis d'achever le premier article qu'il
s'étoit proposé de lire.
L'Electricité est la proprieté qu'ont
certaines matieres d'attirer la paille et
tous les corps legers ; l'Ambre , le Jayet,
la Cire d'Espagne , sont connus depuis
long-temps pour avoir cette vertu ; M.D.
donne un Extrait de ce qu'ont rapporté
sur cette matiere les Auteurs qui l'ont
traitée avec le plus de soin . Gilbert a
beaucoup augmenté le nombre des corps.
Electriques , la plupart des Pierres précieuses
le sont devenues entre ses mains ;
Ottodeguerike rapporte dans le Livre
des Experiences de Magdebourg plu
sieurs faits très - singuliers sur l'Electricité
d'une boule de souffre , on y trouve
même l'origine et la base des Experiences
qui ont été faites en Angleterre depuis
plusieurs années. Boyle a . encore beaucoup
augmenté les connoissances que l'on
avoit sur cette matiere ; il a rendu élec
triques plusieurs corps qui n'avoient pû
le devenir jusques - là ; ces recherches parurent
ensuite abandonnées pendant trèslong-
temps , et jusques à ce que M.Hauk
bée imagina plusieurs Experiences dont
nous allons rapporter en peu de mots
quelques-unes , des plus singulieres.
Un tuyau de verre blanc , gros d'un
II. Vol.
pouce
1350 MERCURE DE FRANCE
pouce ou environ , et frotté avec la main
du papier , de la laine , ou toute autre
matiere semblable , attire et repousse tous
les corps legers , et cela à la distance d'un
pied et plus , cette Experience se voit
mieux avec les feuilles de métail qu'avec
toute autre chose , on les voit s'élever
et s'abaisser avec rapidité et faire divers
mouvemens très singuliers.
M. Hauksbée a fait d'autres Experiences
très- extraordinaires avec un Globe
de verre tournant sur son axe avec rapidité
, on tient la main sur ce Globe
pendant qu'il tourne , afin de le frotter
et d'exciter son électricité , on voit alors
des fils que l'on avoit précédemment attachez
à un cercle de fer distant de ce
Globe d'environ un pied ; on voit, dis- je,
ces fils se diriger en rayons vers le centre
du Globe ; et si l'on a introduit dans le
Globe de pareils fils par le moyen d'un
axe , ils prennent une direction contraire
et se disposent en forme de Soleil , en
tendant du centre à la circonférence , on
dérange l'ordre des fils du dehors en mettant
le doigt ou quelqu'autre corps au
dedans du Globe , et ceux du dedans en
mettant le doigt en dehors.
Si l'on fait dans l'obscurité ces Experiences
, tant du Globe , que du Tuyau ,
II. Vol. elles
JUIN. 1733. 1351
elles sont accompagnées d'une lumiere
très- vive , qui prend des formes différentes
, suivant qu'elles sont faites dans le
vuide ou dans le plein. Il y a plus de
vingt ans que ces Expériences ont été
publiées , et elles ont encore cessé d'être
suivies jusquà M. Gray , qui en a fait
de prodigieuses , et qui sont rapportées
dans les Transactions Philosophiques.
Pour nous en tenir à ce qu'il y a de plus
surprenant , nous dirons seulement qu'il
a étendu une corde de 850. pieds de long,
qu'il a attaché à l'un des bouts une
boule d'yvoire ou tel autre corps que
ce soit , et qu'approchant de l'autre
bout de cette corde le tuyau rendu électrique
, la vertu se continuoit tout le
long de la corde , et la boule d'yvoire
qui en étoit placée à une si grande distance
, attiroit et repoussoit les feuilles
de métail qu'on en approchoit. Le visage
d'un enfant suspendu sur deux cordes ,
devenoit électrique lorsqu'on approchoit
le Tuyau de ses pieds ; nous ne rappor
tons que ces deux exemples de l'Extrait
M. D. donne de cet Ouvrage , mais que
il exhorte de le lire en entier , et il avertit
qu'on y trouvera une infinité de choses
des plus curieuses et des plus singu
lieres.
11. Vol.
E * Après
1352 MERCURE DE FRANCE
Après avoir fait cette histoire abregée
des progrès des découvertes faites sur
l'Electricité , M. Dufey donne une idée
du plan qu'il se propose de suivre , il le
divise en cinq parties , dont voici à peu
près l'énoncé .
1º. Si tous les corps sont susceptibles
de l'Electricité par eux- mêmes, et si cette
proprieté n'est point commune à toute
la matiere. 2 ° . Si tous les corps le peuvent
devenir par communication , c'està-
dire , par l'attouchement ou la seule
approche du corps électrique . 3 ° . Quels
sont les corps qui peuvent favoriser ou
interrompre la transmission des écoule
mens électriques ? 4. Quels sont les
changemens que peuvent apporter à l'E
lectricité la tempérance de l'air , le plein
ou le vuide et les autres circonstances
phisiques ? 5. Enfin quel rapport il y
a entre l'Electricité et la vertu qu'ont
la plupart des corps électriques , de rendre
de la lumiere dans l'obscurité.
M. Dufey n'a pû lire que la premiere
partie de cette division , et il a rapporté
que tous les cops qui jusques à present
n'avoient pû devenir électriques , l'étoient
devenus entre ses mains ; tous les marbres
, par exemple , les agathes , les jaspes
, les pierres les plus communes , les
11. Vol.
JUIN. 1733: 1353
os , l'yvoite , l'écaille , les coquilles , les
sels , les bois de toute espece , enfin tout,
à la réserve des métaux , a été rendu électrique
il ne faut pour y parvenir que
chauffer plus ou moins ces différens corps
et les frotter ensuite ; il ne dit pas pour
cela que les métaux ne puissent pas le devenir,
mais il n'y est point encore parvenu ;
il compare cette géneralisation de l'Electricité
à celle qu'il découvrit il y a quelques
années sur les Phosphores ; il trouva
que tous les corps étoient aussi propres
à le devenir que la Pierre de Boulogne ;
aujourd'hui ils sont tous susceptibles d'électricité
, peut- être y a- t'il dans la matiere
une infinité de proprietez aussi générales,
que les temps et les expériences
nous découvriront un jour. M. Dufey
promet de donner incessamment la suite
de cet Ouvrage , suivant le plan que
nous venons de rapporter.
VERS à S. A. S. Madame la Duchesse
du Maine , par M. Clement , Receveur
des Tailles de Dreux.
EN qualité de Suivant d'Apollon
Je vous dois , Illustre PRINCESSE,
II. Vol.
E ij Un
1354 MERCURE DE FRANCE
Un compliment où regne la finesse ,
Et le feu du sacré Vallon.
Elevé loin du Sanctuaire,
Où le bon goût seul est admis ,
Je sçai trop qu'il ne m'est permis ,
Que d'admirer et de me taire ;
Mais quoiqu'infiniment soumis ,
Ne peut on sans être Voltaire ,
Par un effort digne de plaire ,
S'offrir à vos regards surpris.
Je gouverne aisément ma Muse ,
Et malgré sa legereté ,
Pour empêcher qu'on ne l'accuse ,
D'imprudente vivacité ,
J'arrête ici sa témeraire audace ,
Et je l'avertis sagement ,
De paroître avec enjoüement ,
Et d'éviter le jargon tout de glace ,
D'éloges rebattus , exprimez foiblement.
Je désire donc simplement ,
Qu'elle se présente avec grace ,
Et que du moins , PRINCESSE , ce moment ,
Şoit pour vous un amusement.
Qu'au milieu d'une Cour délicate et paisible;
Vous vous souveniez quelquefois ,
Qu'asservi sous vos douces Loix ,
Le Druide le moins sensible ,
Se ranime , et déja des accens de sa voix ,
II. Vol.
De
JUIN. 1733. 1355

+
Du grand nom de Condé fait retentir nos bois.
Tout beau , Muse , qu'allez - vous dire
Est-ce donc là le souverain Empire ,
De ma raison sur vous jusqu'à ce jour.
Imitez La Fontaine , et des traits de l'Amour,
Chantez seulement la puissance ;
Si je flattois votre imprudence ,
Bien -tôt de ma Princesse adorant les vertus ,
Vous parleriez des divins attributs ,
Dont Apollon honora sa naissance.
De tels objets respectez la grandeur ;
Et ne rompez votre silence ,
Que pour annoncer le bonheur,
Qui doit bien- tôt ramener sa présence.
Peignez aussi le Plaisir enchanteur ,
Revolant vers Annet , et de Fêtes charmantes ,
Lui-même être l'ordonnateur
Recherchez , Muse , sa faveur ,
Tout brille sous ses mains sçavantes ,
Et sans craindre Voltaire , allez dire par tout ,
Qu'en ces dieux seulement est le Temple du
Goût.
11. Vol E iij SEAN1356
MERCURE DE FRANCE
SEANCE PUBLIQUE de l'Académie
Royale de Chirurgie.
LE
E 2. Juin , premier Mardy d'après
la Trinité , l'Académie Royale de
Chirurgie , tint son Assemblée publique
dans la grande Salle de S. Côme. M. de
la Peyronie , dont le zele s'étend sur tout
ce qui peut contribuer au soutien d'un
établissement si utile , se rendit à Paris
pour présider à cette Assemblée.
M. Morand, Secretaire de l'Académie,
commença par instruire le Public de
quelques changemens arrivez depuis la
Séance publique de 1732. dont on a rendu
compte dans le temps.
Au mois de Septembre dernier , M. Le
Gendre, Premier Chirurgien du Roi d'Espagne
, et un des plus anciens Maîtres
de Paris , fut nommé par Sa Majesté , à
la place d'Académicien libre.
Vers ce même temps , l'Académie se
proposant de composer une Classe d'Associez
étrangers , conformément à l'Article
XII. de son Reglement , commença
par élire Mrs Cheselden et Belair , qui
furent agréez par S. M.
II. Vol.
M :
JUIN. 1733 . 1357
M. Cheselden est Premier Chirur
gien de la Reine d'Angleterre et de l'Hôpital
de S. Thomas , Membre de la Societé
Royale de Londres , Correspondant
de l'Académie Royale des Sciences , et
connu par plusieurs Ouvrages d'Anatomie
et de Chirurgie.
M. Belair est Premier Chirurgien de
M. le Duc de Wirtemberg ; et c'est à șa
sollicitation que ce Prince a consenti
qu'on transportât en France un des principaux
ornemens de son Cabinet. Cette
Piece si curieuse est le fameux Foetus de
Wirtemberg , qui s'est conservé pendant
46. ans dans le ventre de sa mere .
M. Morand fit aussi part à l'Assemblée
de la Mort de M: Delon , Académicien
libre , qui s'étant depuis long- temps dévoüé
d'une maniere particuliere à l'ins
truction des Eleves en Chirurgie , a mérité
par son assiduité , par son zele et
par ses lumieres , les regrets de la Compagnie.
Il est mort le 18. Septembre 1732.
âgé de 75. ans . Sa place n'est point encore
remplie.
L'Académie a reçû 113. Memoires sur
la question proposée pour le Prix de
l'année derniere ; sçavoir, 95. dans le terme
prescript par le Programme , et 18 .
au commencement de 1733. Ces derniers
n'ont point été admis, E j
1.
1358 MERCURE DE FRANCE
Le Prix a été adjugé à la Picce N ° . 85 .
dont la Devise est Amica manu .
L'Académie , parmi les Pieces qui lui
ont été envoyées , en a trouvé deux
qui méritoient de concourir ; sçavoir , la
Piece N° . 63. dont la Devise est Catteus
offert , et un Memoire Latin , Nº . 44 •
qui avoit sous son cachet Henricus
Bassius , Med. Anat. et Chir. D. ac P. P.
in Academia Halensi.
Après la proclamation du Prix , M.Morand
lut l'Extrait de plusieurs Observations
très importantes sur les playes de
tête. On jugera aisément du mérite de
ces Observations par le nom seul de leur
Auteur. M.Mareschal ne pouvant se trouver
à cette Séance , les avoit envoyez à
M. Morand , pour en faire part à la
Compagnie.
Parmi ces faits , ceux qui ont paru les
plus interessants pour la pratique sont ,
1. l'Histoire d'une Demoiselle à qui
M. Mareschal appliqua douze Trépans, il
y a environ 28. ans , et qui depuis a
toujours joui d'une bonne santé .
2º. Une Hémoragie fort considerable
par le diploé , dans l'opération du Trépan.
3°. Une espece de Hernie de la duremere
et du cerveau sous une cicatrice
parfaite d'une playe de tête , Hernie qui
II. Vol. fut
JUIN. 1733. 1359
!
fut contenue par un point d'appui , sans
lequel le malade souffroit de grandes
incommoditez .
5. Un Trépan fait à l'occasion d'une
douleur de tête que rien n'avoit soulagée,
et par lequel cette douleur fut radicalement
guérie.
6º. Une bale perdue dans le cerveau
d'un homme guéri de sa blessure et mort
subitement un an après.
L'Extrait de ces Observations fut terminé
par celui des Remarques de M. Mareschal
sur les abscès au foye, qui arrivent
à la suite des playes de tête.
M. de la Peyronie lut ensuite un Mémoire
sur la rupture des muscles et des
tendons. Le cours de la pratique lui a
offert un si grand nombre d'exemples de
pareilles ruptures, qu'il est surpris que les
Anciens n'ayent presque fait aucune mention
de ces sortes de maladies , et que
le peu de faits rapportez à ce sujet par
les Modernes , aye souffert tant de contradictions.
Passant de- là aux différens
simptômes des ruptures complettes , il
fait observer ce qui les peut principalement
caracterisers et après avoir fait sentir
les différens degrez de difficulté qu'oposent
à la réunion la différente solidité
des parties et la rigidité ou la du-
II. Vol. Ey reté
1360 MERCURE DE FRANCE
reté que l'âge leur donne , il démontre
que la rupture complette , soit des muscles
, soit des tendons , est moins dangereuse
, et en même tems plus facile à
guérir que la rupture incomplette.
Pour prouver ce qu'il avance ,
il choisit
entre plusieurs Observations , les deux
suivantes .

Un homme âgé de 81. an , étant tombé
du haut jusques en bas d'un escalier
de sept à huit marches , s'apperçur en se
relevant , que sa jambe droite , à laquelle
il ne sentoit cependant aucune douleur ,
ne pouvoit le soutenir. La foiblesse de
cette jambe avoit pour cause la rupture
du tendon des muscles extenseurs
environ un pouce au- dessus de son attache
à la rotule. On appliqua un appareil
propre à raprocher et à réunir les
bours du tendon rompu , et six semaines
après le Malade fut en état de se soutenir
fermement sur sa jambe et de mar.
cher comme à son ordinaire."
Un autre fait des plus singuliers vient
à l'appui du premier , et justifie qu'il en
est de la rupture complette des muscles
comme de celle des tendons . En effet on
voit que le muscle fléchisseur du pouce,
non- seulement a été complettement déchiré
, mais qu'il a même été arraché et
11. Vol.
cn2
1361
JUI N. 1733 .
entierement séparé du corps avec la derniere
phalange du pouce , sans qu'à la
suite d'une telle blessure il soit survenu
le moindre accident.
A ces Observations M, de la Peyronie
ajouta la méthode particuliere qu'il a suivie
pour les pansemens , et les conséquences
qui en résultent pour la pratique , ont été
regardées comme autant de préceptes dont
cet illustre Chirurgien enrichit son Arr.
Une matiere bien importante fait le
sujet du troisiéme Mémoire . Il s'agit d'éviter
l'erreur dans un cas fort équivoque,
et dans lequel les méprises peuvent avoir
de très-funestes suites. Voici l'Exposé
qu'en fait M. Peit , le pere , Directeur
de l'Académie,
Si le foye et la vessicule du fiel sont
attaquez d'une inflammation , dont les
simptômes se soutiennent et augmentent
jusqu'au tems qu'on nomme l'Etat , alors
cette inflammation peut se terminer ou
par résolution ou par suppuration . Si elle
suppure , la douleur et la fievre diminuëront
, le Malade aura des frissons irréguliers
, il s'élevera une tumeur à l'hipqcondre
droit , cette tumeur deviendra
molle et la fluctuation , c'est-à- dire le
flot du pus qu'elle renferme , se fera sentir
en la touchant, Ce sont- là autant de
II. Vol.
signes E vi
1362 MERCURE DE FRANCE
signes qui semblent indiquer la nécessité
absoluë de faire l'ouverture ; cependant
M. Petit exige qu'avant d'ouvrir
on se rappelle bien tout ce qui s'est passé
pendant le cours de la maladie , et qu'on
examine chaque simptôme avec l'exactitu
de la plus scrupuleuse ,parce que toutes ces
apparences d'abscés peuvent se rencontrer,
quoique l'inflammation se soit terminée
par résolution .
La bile , dit- il , qui pendant le fort
de l'inflammation , ne se filtroit point au
foye, commence de s'y séparer si - tôt que
la résolution a suffisamment dégagé les
glandes de ce viscere ; mais si la résolution
n'est pas assez avancée pour que
le canal colidoque soit débouché , la bile
qui entrera dans la vessicule du fiel , ne
pourra s'écouler ; elle remplira cette vessicule
et s'y accumulera au point qu'elle
formera sous l'hipocondre droit une tumeur
avec fluctuation sensible ; ce qui
joint à des frissons irréguliers , à la diminution
de la fievre et de la douleur
donnera des signes semblables à ceux de
l'abscès.
Quel parti prendre dans un cas semblable
? Risquera t'on d'ouvrir la vesicule
du fiel , croyant faire ouverture
d'un abscès , ou laissera- t'on périr un Ma-
II. Vol lade
JUIN . 1733 . 1263
lade de l'abscès , dans la crainte d'ouvrir
la vessicule du fiel ? Mais M. Petit ne se
contente pas de faire sentir tout le danger
de l'équivoque , il fournit les moyens
de se garantir de l'erreur. Il fait d'abord
observer que si la diminution de la fievre
et celle de la douleur , sont des signes
de la résolution commencée et de la supuration
faite , il y a cependant quelque
différence dans la maniere dont cette
diminution arrive. Il fait voir de même
que les frissons irréguliers ont des
caracteres qui les distinguent ; il remarque.
enfin des différences notables
dans la façon dont la tumeur se manifeste
, et sur tout dans la maniere dont la
fluctuation s'y fait sentir.
4 Le détail de ces différences nous meneroit
trop loin. Au reste tout ceci n'est
fondé que sur plusieurs observations qui
prouvent évidemment que si dans le cas
dont il s'agit , la ressemblance des simptômes
peut en imposer , une comparaison
exacte peut y faire reconnoître des
différences , à la verité difficiles à saisir
d'abord , mais cependant suffisantes pour
fonder un juste discernement.
Le quatrième Mémoire a pour sujet le
Panaris. M. Malaval , Vice- Directeur , y
rapporte trois Observations d'autant plus
11. Vol.
impor1364
MERCURE DE FRANCE
importantes pour le Public , qu'elles peuvent
le désabuser des préjugez qu'il y a sur
cette maladie. Peu de gens regardent le
Panaris comme un mal d'aussi grande im
portance qu'il l'est en effet , et la plupart
ou le négligent dans ses commencemens,
ou se servent avec une confiance aveugle
de tous les remedes que peuvent ins
pirer le caprice , l'ignorance et la supercherie.
La premiere Observation offre le triste
exemple d'une femme, qui, attaquée d'un
Panaris à la suite d'une piquure au doigt
indicateur ; et ne pouvant se résoudre
à souffrir les opérations nécessaires , livra
sa confiance à des empiriques . Dans
l'espace d'environ 25. jours , le mal augmenta
si considérablement, que la main,
l'avant- bras et le bras , étant tombez successivement
en gangréne , la Malade mou
rut victime de sa répugnance pour les
secours de la Chirurgie.
La seconde Observation montre au
contraire jusqu'où vont les ressources de
l'Art pour la guérison de ces maux , lors
même qu'ils sont portez à leur plus haut
degré . Tel est le Panaris dont il est fait
mention dans cette seconde Observation.
Ce Panaris négligé pendant trois jours ,
fit tout- à-coup des progrès si rapides ,
II. Vol.
qu'en
JUIN. 1732. 1365
qu'en une seule nuit la gangréne se manifesta
au pouce , et que peu après il se
forma successivement à la main et à l'avant-
bras , trois dépôts des plus considérables
. M. Malaval , non-seulement sauva
les jours du Malade , mais réussit même
à lui conserver le pouce et la liberté
du mouvement de ses doigts.
La troisiéme Observation prouve enfin
que les secours de la Chirurgie ,
lorsqu'on a la précaution d'y recourir
de bonne heure , sont encore plus
efficaces pour prévenir les suites de ces
maux.
Le cinquiéme Mémoire est de M. Ledran,
Secretaire chargé des correspondances
de l'Académie. Appellé par un Malade
attaqué de la pierre pour la troisiéme
fois , il lui fit l'opération de la taille ;
mais n'ayant pû trouver la pierre , il cessa
bien-tôt de fatiguer le Malade , mit
une canule dans la playe , et au bout de
quelques jours , commença à faire des
injections émollientes dans la vessie . Par
la suite , au moyen d'une sonde à femme ,
il toucha plusieurs fois la pierre , mais
dans un point d'une fort petite étenduë
et constamment au même endroit ; c'étoit
du côté gauche et en tournant vers le
rectum , le bout de la sonde qu'on sçait

être un peu courbée.
1366 MERCURE DE FRANCE
La fixité de la pierre sembloit indiquer
qu'elle étoit enkistée , et le lieu qu'elle
affectoit fit présumer à M. Ledran qu'el
le étoit retenue dans l'urethére. Il abandonna
à la Nature le soin de l'en dégager
, et six semaines après l'opération ,
ayant touché pour la premiere fois la
pierre avec une sonde droite , il jugea
qu'elle ne se faisoit ainsi sentir , que parce
qu'elle avoit changé de place , n'étant
plus retenue dans l'espece de châton où
elle étoit d'abord fixée. Il crut alors pouvoir
sans danger en tenter l'extraction
et il la tira en effet sans aucune résistance.
La pierre avoit deux pouces de
longueur , étoit fort menue par l'extrémité
qui fut saisie avec la tenette , et
avoit à peu près par l'autre bout la
seur du pouce. Cette figure prouve assez
le danger qu'il y auroit d'arracher une
pareille pierre , avant que son châton fût
ramoli ou détruit par la suppuration.
gros-
M. Ledran finit par un détail de ce
que le Malade sentoit avant l'opération ;
et cet habile Lithotomiste propose ces différentes
circonstances , comme autant de
signes qui du moins suffisent pour faire
soupçonner que la pierre est ainsi engagée
.
L'Observation suivante fait honneur
II. Vol. a
JUIN.
1367 1733 .
au génie et à l'invention du Chirurgien
qui l'a fournie .
I un
Un homme âgé de 23. ans , ayant reçû
violent coup de couteau sur la partie
antérieure de la quatriéme des vrayes
côtes, fut pansé très-simplement pendant
les trois premiers jours ; mais une toux
extraordinaire et un crachement de sang
abondant étant survenus , on eut recours
à M. Gerard. Il reconnut que ces accidens
dépendoient de la présence d'une portion
de la lame du couteau qui traversoit
la côte , et dont la pointe excedoit
d'environ six lignes dans la cavité de la
poitrine.
Ce corps étranger débordoit si peu
l'extérieur de la côte , et y étoit tellement
fixé , qu'il ne fut pas possible de
le tirer avec différentes pincettes ou tenailles
, ni même de l'ébranler au moyen
des ciseaux et du marteau de plomb ; et
quoique dans un cas aussi pressant , il
semble qu'on n'eut d'autre parti à prendre
que celui de scier ou de couper la
côte, M. Gérard crut , avant d'en venir à
cette extrémité , devoir tenter de dégager
le corps étranger , en le
dedans en dehors.
poussant de
Dans ce dessein , il alla choisir un dé
dont les Tailleurs se servent pour coudre.
11. Vol. Il
1368 MERCURE DE FRANCE
Il en prit par préférence un de fer , un
peu épais et fermé par le bout ; il y fit
creuser une petite goutiere pour y mieux
fixer la pointe du couteau , et ayant suffisamment
assujetti ce dé sur son doigt
index , il porta ce doigt ainsi armé dans
la cavité de la poitrine , et réussit par
ce moyen à chasser le morceau du couteau
, en le poussant avec force de de
dans en dehors .
Ayant tire le corps étranger , il quitta
le dé et remit l'index à nud dans la poitrine
, pour examiner si le couteau >
en
traversant la côte , ne l'auroit point fait
éclater en dedans . Il trouva un éclat capable
de piquer , et qui tenoit trop fortement
au corps de la côte pour qu'on
pût l'en séparer entierement . Il prit donc
parti de l'en rapprocher , et pour le
tenir au niveau de la côte , il se servit
du doigt qui étoit dans la poitrine, pour
conduire une aiguille courbe , enfilée
d'un fil ciré. Il fit sortir cette aiguille
au-dessus de la côte,qui par ce moyen se
trouva embrassée par le fil, vers l'endroit
de l'éclat. Il lia ce fil en dehors de la
poitrine sur une compresse épaisse d'un
pouce , et serra assez le noeud pour appliquer
exactement,et remettre au niveau,
l'esquille saillante.
11. Vel . Au
JUIN. 1733. 1369
On sent aisément que l'effet d'une manoeuvre
aussi ingénieuse , a dû être nonseulement
la cessation des accidens , mais
encore une prompte guérison..
par
M. Arnauld , le fils , termina la Séance
la lecture d'un Mémoire contenant
une Dissertation sur les Hermaphrodites.
Une operation qu'il a faite à une de ces
personnes en qui les parties qui sont propres
à chaque sexe , semblent réunies, lui a
fourni l'occasion de cette Dissertation .
Il établit d'abord les différentes especes
, parcourt sur chacune les faits les
plus intéressants que nous ayent transmis
les Auteurs ; et sans nier expressément
la possibilité des vrais Hermaphrodites
, ce qu'on ne peut faire sans intéresser
la réputation d'un nombre
grand
d'Ecrivains respectables , il fait sentir
combien il est facile de se méprendre
dans certains cas. M. Arnault ne traite
pas seulement la matiere de facon à contenter
la curiosité ; on trouve dans son
Mémoire plusieurs choses dont la connoissance
est très- necessaire à un Chirurgien
, soit pour instruire les Juges
lorsqu'il s'agit de constater l'état de ceux
dont les parties défigurées déguisent en
quelque façon le sexe , soit lorsqu'il est
question de remédier à ces difformitez
des opérations de Chirurgie.
par
1370 MERCURE DE FRANC
La lecture de ces differens Mémoires P
rut satisfaire beaucoup l'Assemblée . No
venons d'apprendre que le Memoire qu
a remporté le Prix , est de M. Medalon
ancien Directeur de la Societé de Arts
et Associé libre dans la distribution d
l'Anatomie . Il vient de dédier cet Ou
vrage à l'Académie par une Lettre aus
pleine de sentimens que de poli ese
On voit par cette Lettre que M.Medalon
redevable aux Chirurgiens de S. Côn
de tout ce qu'il sçait en Chirurgie , pro
fite de cette occasion pour leur donner
un témoignage public de sa reconnois
sance.
Nous avons cru qu'on verroit ici avec
plaisir l'Estampe gravée de la Médaille
frappée en or pour le Prix.
Elle a pour sujet l'établissement de l'Académie
de Chirurgie . On voit d'un
côté le Portrait de Louis XV . avec la
Légende ordinaire , et sur le revers , ce
Prince est représenté sous la figure d'un
jeune Apollon , ayant près de lui , d'un
côté tous les simboles de la Théorie , de
la Chirurgie , et de l'autre les principaux
instrumens qui en caracterisent la prati
que. Il semble dicter à Minerve Hygiea ,
Déesse de la Santé , des Remarques sur
T'une et l'autre partie de cet Art. La Légende
est Apollo salutaris.
BoulodgAenle.
APOLLO
SOCIETAS
ACADEMICA
CHIRURG
PARISTENS,
M.DCCXXXI
SALUTARIS
Simonneau Sculp.
rs ,
m
3
9
P
PP

JUIN.
1733. 1371
Les Anciens regardoient Apollon com-
1e le Dieu de la Médecine, aussi - bien que
omme celui de la Poësie ; et c'est en cette
ualité qu'il est nommé Apollo salutaris ,
ans plusieurs Monumens, et sur quantité
le Médailles d'Empereurs Romains deuis
Auguste jusqu'à Posthume , qui rena
particulierement dans les Gaules.
On lit dans l'Exergue : Societas Acadénica
Chirurgorum Parisiensium M.DCC XXXI .
• Nous avons annoncé
annoncé depuis plufieurs
mois , le sujet du Prix pour cette
année . L'Académie demande , Quels sont,
suivant les differens cas , les avantages et
les inconveniens de l'usage des Tentes et
autres Dilatans,
Les Memoires seront reçus francs de
port , jusqu'au dernier Décembre inclusivement.
On les adressera à M. Morand,
Secretaire de l'Académie.
J
ENIGME.
E suis un Instrument fragile et délicat ,
Quel'on exerce en paixaussi-bien qu'à la guerre;
Depuis le General jusqu'au dernier Soldat,
Chacun se sert de moi , tant sur Mer que sus
Terre.
II. Vol. Je
1372 MERCURE DE FRANCE
Je suis utile au Sage , et j'occupe le Fat.
J'attire en mon canal l'humeur attrabilaire ;
Par moi l'esprit s'éveille et si le coeur s'abbat ;
J'ai pour le relever un talent salutaire.
Je m'échauffe au travail , et mon corps plein
d'ardeur ,
Animant qui m'exerce , excite sa vigueur ;
Mais , le destin le veut , ma blancheur devient
noire.
Alors pour me blanchir , si l'on me jette au feu ,
J'en rougis ; puis prenant la couleur de l'yvoire ,
Je suis encor plus belle , et je dépense peu.
AUTRE ENIGM E.
JEE viens du Pays de l'Aurore,
J'ai traversé les Mers , j'en suis tout abatu.
Encore que je sois têtu ,
Je reçois des faveurs de Flore.
A la table des Rois je suis le bien venu ;
A celle des Sujets on veut m'avoir encore ,
Auroit- on cru qu'un petit More ,
De tant de gens seroit connu ?
************************
LOGOGRYPHE.
AMi Lecteur , qui tout penetres ,
Devine qui je suis ; formé par quatre lettrés ,
11. Vol. Si
JUIN. 17331373
Si l'on coupe ma queue on trouve ces beaux
jours ,
Dù Zéphire folâtre avec la jeune Flore ,
Le temps où le Berger pour l'objet qu'il adore ,
De la Forêt voisine emprunte le secours.
Alors si de mon coeur on en forme ma tête,
Je puis rendre un plaisir plus vif et plus parfait ;
J'adoucis la douleur et souvent je l'arrête,
Quand on veut dans mon sein répandre son
secret .
Qu'on me rende ma queue et qu'on me décapite
,
Je suis , bien que chérie en de certains repas ,
Une herbe qu'Horace a maudite ,
Mais qu'on lise à rébours on verra tout de suite,
Femme qu'un Patriarche autrefois n'aima pas.
Toujours sans chef, si l'on opere ,
Et qu'on mette ma queue au coeur ,
De l'Alcoran c'est le Restaurateur.
Joignez tour ; à tout bien je suis toujours con⇒
traire ,
Si ma pénultiéme on fait taire ,
Qu'on me la rende et qu'à l'instant ,
On arrache la précédente ,
D'abord on découvre une plante
Que le volatile aime tant.

Un, trois et 4. et 2. je sers à la Musique ;
Quatre , 3. 2. je suis dans l'Amérique ,
Une Ville Ah ! c'est trop parler."
II. Vol.
Los
1374 MERCURE DE FRANCE
Logogryphe est souvent facile à dévoiler.
Lorsqu'en tant de Vers il s'explique .
De Broglio à Sens.
AUTRE LOGOGRYPHE.
JE'Etois morte depuis long - temps ,
Lorsque dans ces climats un sublime génie ,
Par son Art enchanteur m'a sçû rendre la vie ,
Pour faire pleurer bien des gens.
Du nombre cinq , qui mon tout constituë ,
Retranchez un , mon sort est d'être bien battuë ,
Et sans en rien sentir , d'essuyer mille coups.
Orez un , deux , alors je jure , brise , tuë ;
Malheur à qui ne fuit l'effet de mon courroux.
Effacez un et cinq , par moi seul tout respire ,
Sous la vaste voute des Cieux.
Lecteur , pour seconder vos desirs curieux ,
Je n'ai rien de plus à vous dire.
Curton
AUTRE.
DEs sept pieds je suis composé ,
Desquels,lorsque je sers je n'en cache que trois ,
Dont le dernier avec quatre autres que tu vois ,
Font un Poisson d'eau douce et non salé.
Pour t'amuser à present , change moi ,
11. Vol. Et
JUIN.
1733 1375
Et de mon tout prens seulement partie ,
En termes rustiques ma foi ,
Je suis la jupe de Sylvie ,
Du fer bien mince et bien battu ,
Une Ville sur la Moselle ,
L'Isle où nâquit la celebre Pucelle ,
Par qui jadis on a connu ,
Le grand profit du Ver à Soye ;
Item ce qui fait grande joye ,
Quant à nos voeux il est échu ,
Et qu'il est public dans la ruë ;
Ce qui dans un sens different ,
Est une Riviere connue ,
Dont le cours fait , des Sevennes venant ,
A la Garonne un confluant ;
Cherchez aussi certain Roy d'Angleterre ,
De son oncle le meurtrier ;
Des Ordres differens un habit régulier ,
D'un Orfévre le Vase à fondre la matiere ,
Ce qu'il faut couper au Chapon ,
Pour être bon dans une fête ;
Un morceau de fer ayant tête ;
Ce qu'en discours de Polisson ,
On appelle une menterie ;
Mais pris dans son sens naturel ,
Bien nécessaire aux Livres qu'on relie ;
A m'arranger sois ponctuel ,
Je t'offre tout , trouve- le , je te prie.
II. Vol. AUTRE F
1376 MERCURE DE FRANCE
AUTRE.
Six pieds mis deux à deux , je suis drap et Cité;
Au premier de mes tiers , il est un Saint cité ;
Et des deux premiers tiers si la tête on enleve ,
Qui me fait sans défauts , d'Apollon est l'Eleve.
Joignez le cinq et deux au trois , posé d'abord ,
Un des sens est flaté , si l'on est bien d'accord,
Ma premiere moitié qu'en entier on renverse
Est l'ordinaire effet d'une ruse perverse,
La seconde aux Mortels a fait un triste sort.
Prenez cinq , deux et un , je suis digne de mort.
***
La Motte.
NOUVELLES LITTERAIRES
I
DES BEAUX ARTS , &c.
L vient de paroître un nouvel Ouvrage
, en 3 vol. in 12, que nous avons
déja annoncé sous ce Titre : Anecdotes de
la Cour de Philippe - Auguste. Il se vend
à Paris , chez la veuve Pissot , au bout du
Pont-NeufQuai de Conti , à la Croix d'or.
Le prix est de 6 liv . broché.
Dans le temps que nous nous dispo-
II. Vol. sions
JUI N. 1733 .
1377
sions à donner un Extrait de cet Ouvrage
, nous avons reçû d'un Anonyme ,
celui que nous inserons icy .
Si l'accueil favorable que l'on fait à un
Ouvrage dès qu'il paroît , si le débit le
plus rapide étoient les Titres assurés de
son mérite , il seroit tres- inutile de parler
des Anecdotes de la Cour de Philippe-
Auguste; ce Livre joüit pleinement dès sa
naissance de ce double avantage.
Mais il arrive assez souvent que la
nouveauté éblouisse , sur tout dans un
genre d'écrire inconnu , et original ;
et que la curiosité , honteuse en quelque
façon , d'avoir d'abord été seduite
pour s'être trop livrée , se refroidisse
bien- tôt , si même elle ne dégenere
ou en mépris , ou en satire.
Icy , les applaudissemens universels de
la Cour , de la Ville , des Gens de Let
tres , des Judicieux Critiques , se son
réunis en faveur de ce dernier Ouvrage
de Mademoiselle de Lussan; et cette voix
ou plutôt cette clameur unanime con
tient les Personnes même de mauvaise
humeur , qui font toujours les difficiles ,
et qui peut- être ne soutiennent l'idée
qu'elles veulent donner de leur discer
nement et de leur bon goût , qu'en refusant
aux meilleures choses , d'un ton
11. Vol.
Fija sé1378
MERCURE DE FRANCE
severe, ou qu'en leur disputant, au moins
avec un scrupule affecté , les justes et
sinceres éloges , dont elles sont veritablement
dignes.
C'est beaucoup hazarder que d'oser
faire la planche d'un nouveau genre d'écrire
!L'autheur s'est ouvert des routes
peu connues , en liant à un fond d'Histoire
bien choisi , et tres convenable
des Episodes , qui sans sortir du vrai ton
historique , servent à rendre son sujet ét
plus interressant et plus instructif. Le
vrai et le vrai semblable se perdent dans
un mélange imperceptible ; et à la faveur
de cette liberté du Théatre Tragique ,
l'Autheur retranche d'un côté les longueurs
, les froideurs , les mauvais exemples
qui tiennent souvent à une histoire
exacte ; et de l'autre , il se ménage mille
beautez amenées , avec un art infini ,bien
jointes , par tout soutenuës ; elles naissent
les unes des autres , sans qu'on apperçoive
la chaîne ; et cela , par l'attention
qu'a euë l'Autheur de jetter à propos
les fonds éloignez des évenemens que
l'on voit se développer et éclore avec un
ordre admirable , et chacuns dans leurs
places naturelles. Aussi peut on dire
que la structure du corps de l'Ouvrage
est parfaite en son genre ; qu'elle ne pou-
-
II. Vol. voit
JUIN. 1379 1733.
voit être mieux proportionnée au dessein
, et qu'elle passera toujours pour un
modele.
Le sujet est pris dans les premieres années
du Regne de Philippe - Auguste ,
aussi surnommé le Conquerant. L'on sçait
ce que la France a dû à ce Monarque ; il
monta sur le Thrône à quinze ans , et dèslors
il entra avec tant de maturité dans
le Gouvernement , que les Historiens disent
de lui : Qu'il ne fut jamais jeune , et
que la sagesse l'avoit fait aller audevant
de Pexperience.
Les Grands Rois font les grands Hommes.
La Cour de Philippe en fut une
preuve : C'est dans les secrets et dans les
Evenemens de cette Cour si distinguée ,
que l'Autheur entre pour en faire connoître
la délicatesse et l'élevation . L'on
y voit des Héros qui ont réelement existé
; on les voit partagez entre la Gloire et
l'Amour ; mais dans le vrai, sans que rien
se ressente ni du Roman , ni de ses avantures.
Comme les interêts sont et multipliez
et variez , et relatifs tout ensemble
, le Titre d'Anecdoctes d'une Cour , où
l'Autheur puise ses sujets pour en former
un tout semble un Titre tiré du
fond même de ce qu'il traite. Il est bien
vrai que les plus grands jours viennent
>
II. Vol. Fiij fcap1380
MERCURE DE FRANCE
frapper Roger de Champagne , Comte
de Réthel , mais il s'en faut bien qu'il ne
les absorbe tous ; ils sont distribuez sur
beaucoup d'illustres sujets qui composoient
la Cour de Philippe : On les y voit
placez à des points de vûë tres- interessans
; et ils y représentent , avec un éclat
marqué , sur tout Raoul , Sire de Couci ,
marche de pair , d'un bout à l'autre avec
Roger de Champagne ; l'addresse de
l'Auteur à unir ces deux jeunes Héros par
les liens d'une amitié de l'ordre de celles
que les Anciens ont consacrées , et par
les prochains rapports des inclinations
propres des grands Hommes, fait paroître
Roger et Raoul comme ne faisant ensemble
qu'un coeur ,qu'une ame et qu'une
même vertu. Aussi sont - ils toujours
peints des mêmes couleurs , sans être
confondus ; et si Roger a quelques nuances
de plus , ce plus est presque insensible.
Alberic du Mez , Maréchal de France,
fils de Robert Clement , Gouverneur du
Roy et premier Ministre , le Comte des
Barres , connu sous le nom de Rochefort,
Grand Sénéchal , suivent de près les deux
premiers ; ils courent en tout genre les
mêmes Carrieres , et l'Autheur entrelasse
tellement tous leurs interêts , que
11. Vol. le
JUIN. 1733. 1381
le Lecteur toujours en attente , est sans
cesse dans l'impatience de voir les Eve
nemens qu'il ne peut deviner , mais qui
l'étonnent et le satisfont enfin par tout.
Si l'on voit en Hommes ce que la
Cour de Philippe avoit de plus considerable
, l'on y voit en Femmes ce qu'elle
avoit de plus distingué ; et ce qu'on vit
peut-être jamais de plus surprenant . Alix
de Rosoi , sa mere , la Comtesse de Rosoi
, Adelaide de Couci , fille d'Enguerrand
, surnommé le Grand , et soeur de
Raoul , Sire de Couci , Mademoiselle du
Mez , fille de Robert Clement , soeur
d'Alberic du Mez , tous deux Maréchaux
de France , dans un temps où cette Dignité
étoit unique ; toutes ces Personnes,
dont la beauté faisoit le moindre ornement,
jettent dans l'Ouvrage un inte
rêt infini:Elles étoient les premiers Partis
du Royaume , et les noeuds des plus belles
Alliances , où l'on pouvoit aspirer ;
mais les coeurs ne se commandent pas , et
leurs penchants ou leurs répugnances ,
que l'Autheur connoît à fond et sçait
manier d'une main de maître , lui ouvrent
un champ où il épuise les douceurs
, et les maux , les esperances et les
desespoirs de l'amour , sans avoir jamais à
rougird'en avoir flatté ses foiblesses.Quels
II. Vol.
Fiiij mor1382
MERCURE DE FRANCE
morceaux , quelles situations , quels coups
de Theatre ne pourroit- on pas rapporter,
si l'Analise de cet Ouvrage précis, et par
tout d'une chaleur égale , étoit possible !
mais il faut taire tout , ou tout rapporter
; ou plutôt il faut tout lire : Bien des
personnes relisent plus d'une fois , et se
rendent propre cet Ouvrage , après ne
Pavoir qu'emprunté pour l'essaier .
que
Tout le monde publie qu'on ne peut
mieux peindre les actions , elles sont dans
le naturel , et l'on diroit l'Autheur
en écrivant , coppie sur la nature même .
L'on vante sur tout ses carracteres , leur
variété , leur opposition , leur vérité , et
plus que tout le reste , leur consistance ;
ils ne se démentent pas . Qui a jamais
ressemblé à l'indomptable Enguerrand de
Couci , pere de Raoul , et d'Adelaide ?
L'on voit dans lui un vieux Seigneur
plein d'une ancienne probité , qui le rend
infléxible dans ses devoirs , immuable
dans sa parole , absolu dans sa famille
et incapable de pardonner une faute ; on
le craint , on l'estime , on le respecte , on
l'aime peut-être. Thibault de Champagne
, pere de Roger , ne ressemble ‘ en
rien à Enguerrand , et il est aussi Seigneur
, aussi droit , aussi maître , aussi
pere que lui ; on l'adore , mais par de

II. Vol. difJUIN.
1733. 1384
1
différens principes. Henry , oncle de Ro
ger , son Maître et son premier Conducteur
à la Guerre , placé vis - à - vis d'Enguerrand
, paroît son contraste , et l'Autheur
fait douter lequel l'emporte pour
le fond du mérite et de la vertu . Peut on
omettre le Portrait que le Vicomte de
Melun, Ambassadeur auprès de Fréderic,
fait à cet Empereur , du Maréchal du
Mez , Gouverneur de Philippe ? C'est l'éloge
du Vicomte d'avoir été l'ami du-
Maréchal ; mais que celui du Maréchal
est bien placé dans la bouche d'un homme
vertueux , qui l'avoit connu et péné
tré ! Le recit que fait le Vicomte de Melun
, et du caractere , et des maximes du
Maréchal , est l'abrégé le plus parfait des
grandes qualitez , comme des
sages Leçons
d'un vrai Gouverneur de Roy. Il
n'en faut pas davantage pour faire et un
grand Homme d'Etat , et un grand Monarque.
On comprend à peine comment
Autheur a pû resserrer ainsi toute l'éducation
Royale , et active et passive ;
mais Philippe a bien justifié que les impressions
qu'il avoit reçuës du Maréchal ,
toutes contenues dans ce petit Tableau
suffisoient pour rendre complette et la
gloire d'une telle instruction , et la gloire
d'une telle éducation ,
"
II. Vol. La Fy
384 MERCURE DE FRANCE
pre-
La même diversité de caracteres conserve
une égale beauté dans les Femmes.
Alix de Rosoi , et Adelaide de Couci
sont ce que leur sexe a de plus rare , de
plus accompli , de plus charmant ; la
miere plonge , par sa mort , Roger de
Champagne , dans le dernier excès de
douleurs ; eh ! comment n'y succombet-
il pas ? Quelques années après , la seconde
le captive au même point; elles ont
été toutes deux les seules qui ont successivement
trouvé la route de son coeur
elles y ont toutes deux regné souverainement
toutes deux , également vertueuses
, forment deux caracteres diamétralement
opposez . La Comtesse de
Rosoi , mere d'Alix , devenuë rivale de
sa fille , donne un spectacle étonnant.
L'on apperçoit dans elle le fond d'un riche
caractere , mais l'on ne s'attend pas
jusques à quel point son injuste passion
va le développer ou plutôt le défigurer !
Elle ne pousse pas le crime si loin qu'une
Phédre , mais elle la passe en addresse ,
en détours , en embuches , pour parvenir
à ses fins ; à quelles indignitez ne
descend- t- elle pas pour écarter à jamais
sa fille de Roger , et pour le raprocher
d'elle ? Après tant d'efforts , elle échouë ;
ses regrets , son desespoir , creusent son
II. Vol.
TomJUIN.
17336 1385
-
Tombeau ; elle meurt. Par quel art l'Au
theur fait il encore pleurer une mort
de cette nature ? C'est l'effet d'un repens
tir que l'on a rendu aussi touchant qu'il
est , et bien imaginé , et bien placé. Madame
de Rosoi expie , en mourant , les
cruels artifices du délire de son amour
et elle meurt vertueuse , parce qu'elle
meurt repentante ; sa vertu rachettée à
ce prix , ne la laissant plus voir que fort
à plaindre , elle emporte la compassion ,
qui efface tout autre sentiment.
و
Au milieu des agitations que l'amour
excite dans cette Cour aimable, Philippe
toujours égal à lui- même , toujours maî
tre des mouvemens de son coeur et de
son esprit , est attentif ou à parer les funestes
effets de cette dangereuse passion ,
ou à maintenir avec dignité le bon ordre,
en se prêtant aux grandes alliances qui
l'interessent, ou comme un Roy , ou comme
un Pere , ou même comme un ami
reconnoissant. Il sçait tout , mais il ne
paroît sçavoir que ce que son rang et sa
vertu lui permettent de regler par luimême.
Tel est le principe de ses bontez
pour Roger de Champagne , pour Adċlaide
de Couci , dont le mérite, la sages
se et la fermeté le touchent , pour Albe
ric du Mez , pour sa soeur, tous deux en
AI. Vol
Fvi fans
1386 MERCURE DE FRANCE
fans d'un Gouverneur , dont le souvenír
lui est si précieux ; il entre dans les établissemens
convenables , ausquels leurs
penchants semblent les disposer. Mais il
paroît toujours et par tout ignorer les
sentimens réciproques de Raoul de Couci
, et de Madame de Fajel , qu'un devoir
austere ne sçauroit approuver.
Ces attentions domestiques de Philip
pe , ne lui font rien perdre de celles qu'il
doit au bien de l'Etat et à sa gloire. Il esɛ
présent par d'autres lui - même, au Camp
que Hugues , Duc de Bourgogne , a assemblé
sous les Murs de Dijon ; il pénétre
ses projets au travers de cette Fête
Militaire , d'une simple ostentation exterieure
; il mesure ses forces. Si la Guerre
l'appelle , alors ceux que l'amour avoit
occuppez dans la Paix , n'écoutent plus
que la gloire. Philippe marche à leur
tête, tantôt contre le Comte de Flandres,
son oncle, son parrain et son tuteur,dont
il humilie l'orgueil , il réprime l'abus
qu'il avoit fait de toute sa confiance s
tantôt en Berri, contre Henry , Roy d'Angleterre
, et Richard , son fils ; il les divise,
il en triomphe; tantôt dans le Maine
et la Touraine , contre les mêmes Ennemis.
Si Philippe donne par hazard dans
une Ambuscade dangereuse , l'on trouve
II. Vela dans
JUIN. 1733. 1387
D
dans ce Roy un Soldat qui paye de sa
personne , et qui au péril de sa vie , seconde
le grand Senechal , à qui il venoit
de la devoir. S'il passe en Palestine , on le
voit le premier à l'assaut de la Ville d'Acre
, et il se signale sur ses Ramparts
comme le Vainqueur de Tyr , sar ceux
de cette Place de résistance. Enfin , l'Autheur
represente par tout Philippe , justifiant
des ses commencemens , les grandes
esperances qu'il remplit, en se rendant
de plus en plus digne des surnoms d'Auguste
et de Conquerant , qu'il sçut roujours
soutenir et au dedans , et au dehors.
Roger le suit de près ; c'est un de ceux
dont la prudence , et la valeur fondent
la confiance du Roy dans ses grands
projets. L'on voit Roger sous Henry de
Champagne , son oncle , faire l'apprentissage
de la guerre aux dépens du Com
te de Flandre. Quel maître , et quel disciple
! il conduit , et jette lui - même des
Troupes dans une Ville assiégée par le
Comte ; action inutilement tentée par
ses égaux. Il suit le Roy dans les guerres
du Berri er du Maine ; il se distingue par
tout , et peu s'en faut qu'il ne paye de sa
vie la gloire dont il se couvre à la prise
de Tours , où il est dangereusement bles-
II. Vol.
sé.
7388 MERCURE DE FRANCE
sé. Il passe avec Philippe en Palestine ;
lai et Raoul couvrent de leurs corps la
personne du Roy sur les murs de la Vild'Acre
, et si dans un péril commun
Raoul reçoit le coup mortel , qu'un Sarazin
portoit au Roy, Roger y étoit aussi
exposé que Raoul , et le hazard seul en
décide ; mais la séparation de ces deux
amis est le plus parfait triomphe de l'amitié;
qu'elle est touchante! Rien n'est au
dessus que les sentimens de Raoul, et l'étrange
présent dont il couronne son amour
pour l'infortunée Madame de Fajel.
Aucun Capitaine ne fait ombrage à
Roger du côté de la gloire des Armes ;
mais il est des personnes qui du côté de
l'amour ne lui trouvent pas assés de délicatesse
ces personnes d'un entêtement
chimerique en faveur des avantures romanesques
, voudroient voir Roger éteindre
de son sang la belle flame qu'Alix de
Rosoi avoit si bien allumée dans son coeur ;
elles ne peuvent voir mourir Alix et Ro
ger vivre encore ; elles ne lui pardonnent
pas son passage à un autre objet , quelque
charmant qu'il puisse être;mais l'Autheur
, dont les idées sont bien éloignées.
de tout ce qui ressent le Roman , n'écou
te et ne suit que les Loix de la nature.
Roger livré à toute l'horreur de sa perte
11. Vol. dans
JUIN. 1733. 1389
dans Alix, n'a plus rien qui l'attache à la
vie. Mais un Pere ; et quel Pere encore !
Un Pere dont il fait l'unique esperance ,
le conjure de vivre pour lui. Roger qui
ne peut ni vivre ni mourir , porte par
tout le trait dont il a été blessé ; et insuportable
à lui-même , il quitte à l'insçû
de tout le monde sa Patrie , alors trop pacifique,
pour aller chercher dans des Terres
Étrangeres des périls qui ne l'épargneront
pas. Il passe en inconnu , et sous
un nom emprunté , au service de Frédéric
, alors en guerre avec tous ses voisins;
mais les périls qu'il cherche ne sont pour
lui qu'une source de gloire . Sa valeur et
sa prudence se font jour , et font soupçonner
dans lui une naissance plus relevéc
que celle qu'il se donne ; il est découvert
, son Roy le reclame , son Pere
l'appelle ; Roger revient , et malgré la
dissipation d'un service tres agité pendant
plus de deux ans , Alix n'est pas effacée
de son coeur. Il semble que l'amour
veuille la lui rendre dans Adelaide de
Couci , dont les traits , la taille et le port
majestueux lui représentent en tout sa
chere Alix : Il s'y accoutume d'abord ,
sous le prétexte de cette parfaite ressemblance
; des difficultez insurmontables et
-pressantes viennent encore irriter l'amour
JI. Vol.
nais1390
MERCURE DE FRANCE
naissant de Roger ; il aime enfin , et il est
aimé. Que la folie du Roman condamne,
puisqu'il lui plaît, une telle conduite , li
sagesse de la nature l'approuvera toujours
et l'expérience de tous les hommes , de
tous les temps la justifiera , elle est dans
l'ordre du coeur humain .
Cet Ouvrage honore infiniment son
Autheur , et poussé au dégré de perfec
tion où on le voit , il doit l'honorer doublement
en faveur de son sexe. Que Madamoiselle
de Lussan rende , comme elle
a fait dans la vie de Madame de Gondés ,
la fidelle image du commerce des honnê
tes gens d'aujourd'hui , et cela sur le ton
de la bonne compagnie , c'est ce qu'on
pouvoit attendre de son esprit et d'un
long usage du monde. Que pour diver
tir són imagination avant que de divertir
celle des autres , elle lui ait donné
carriere dans ses Veillées de Thessalie, pour
instruire les jeunes personnes en les amu
sant ; c'est un utile et élégant badinage ,
digne d'occuper ses loisirs ; mais un Ŏuvrage
de la force de celui dont il s'agit
icy , monté sur le vrai ton héroïque , et
sur celui de la Cour , soutenu par un langage
digne de la noblesse des sentimens
qui y regne , il faut dans elle un grand
courage pour l'avoir entrepris , il faut
11. Vol.
qu'el
JUIN. 1733 . 1391
qu'elle soit bien supérieure à son sexe
pour l'avoir conduit et exécuté comme
elle l'a fait. De se former un systême nouveau
où l'Histoire, le Dramme, l'Epopée
se marient ensemble, et font un tout à la
faveur d'un langage propre de ces trois
genres. Langage vrai , tendre , disert¸
vigoureux, militaire , s'il le faut , et toujours
proportionné à l'objet present , c'est
quelque chose de tres - singulier. Le stile
en est élevé sans emphase , choisi sans recherche
et sans avoir rien de précieux ;
il plaira toujours tandis que bien d'au
tres Ecrits où l'on court après l'esprit ,
qu'on veut captiver dans des mots imaginez
pour lui , passeront peut- être .Quoique
l'Ouvrage soit plein d'esprit , il se
trouve tellement mêlé avec le sentiment,
qu'on croiroit qu'il n'a sa source que dans
le coeur. Les Dialogues y sont licz , leurs
passages si doux , si mesurez à la hauteur
de ceux qui parlent, que l'on diroit qu'ils
n'ont rien coûté à l'autheurs et que la
simple nature en a fait sans effort et sans
étude tous les frais , sur tout dans les endroits
qui tirent à conséquence , et qui
semblent décisifs : en vérité l'on voit des
Scenes dignes du grand Théatre , elles
sont si vivement écrites et renduës avec
tant de dignité et d'énergie , que la lettre
II. Vol. sup1392
MERCURE DE FRANCE
supplé à la représentation, et que le Lecteur
conçoit tout ce qui frapperoit un
Spectateur. Ceux qui ont crû que la Tragédie
en p ose pourroit avoir autant d'effet
qu'en Vers , trouveront dans les bel
les e frequentes Scenes de cet Ouvrage
qui semblent toutes appeller la Poësie ,
des raisons pour appuyer leurs sentimens.
Ainsi les Historiens , les Poetes , et Dramatiques
et Epiques , pourront y trouver
leur compte ; mais l'avantage général
qu'en peuvent tirer les Lecteurs de tout
Sexe et de tous Etats , capable de bien lire
et de bien entendre , regarde et l'esprit ,
et le coeur et les moeurs , également instruits
par cet Ouvrage , rempli des plus
grands principes en tout genre.
ON VIENT de publier la premiere Partie
d'un Ouvrage dédié et présenté au
Roy par l'Auteur , sous les auspices de
M. le Cardinal de Fleury , qui est intitulé
: SYSTEME CHRONOLOGIQUE sur les
trois Textes de la Bible ; sçavoir , l'Hebren
le Samaritain et le Grec , avec l'Histoire
des anciennes Monarchies expliquée et rétablie
, par M. Michel , de Toul. Cette
premiere Partie sera suivie d'une seconde
qui comprendra les Antiquitez Egyptiennes
, Phéniciennes , &c.
II. Vol. II
JUIN. 1733. 1393
Il est glorieux à l'Auteur d'avoir conçû
la vaste idée de réünir en un Corps
les Antiquitez de toutes les Nations , après
en avoir expliqué les points les plus obscurs
, conformement aux Historiens sacrez
et profanes . Cet Ouvrage plein d'érudition
, est écrit avec méthode et se
lit avec autant d'utilité que de plaisir ;
il développe avec beaucoup de clarté
toutes les difficultez qui empêchoient que
l'on ne fit tous les progrès que l'on désiroit
pour la connoissance parfaite de
l'Histoire,parce qu'il réunit avec les Elemens
, toute la Science des Antiquitez ,
ainsi il servira infiniment aux personnes
de l'un et de l'autre Sexe qui se livrent à
l'étude de l'Histoire ancienne pour parvenir
à la moderne.
2
Avant que de s'engager dans l'Histoire
, M. Michel établit une Chronologie
depuis la Création du monde jusqu'à
I'Empire de Cyrus , qui est le terme des
difficultez Chronologiques ; il fait cinq
intervales ; il a suivi l'Hébreu et le Samaritain
, avant le Déluge ; et depuis le
Déluge le Samaritain et les Septante
jusqu'à la sortie d'Egypte ; depuis cette
sortie jusqu'à la fondation du Temple
il compte 680 ans , et prouve son calcul
par le Livre des Juges, et le premier
II.Vol. des
1294 MERCURE DE FRANCE
des Rois , par S Paul , par les Historiens
Egyptiens , et par des observations Astronomiques
; il a dressé le se intervale
sur les Livres des Rois et des Paralipomenes
, jusqu'à l'Empire de Cyrus.
Il passe ensuite à l'origine et à l'établissement
des Monarchies, et il insinuë que
le premier gouvernement des hommes
fur celui des Peres de famille , qui s'unirent
pour former de plus grandes socié
et choisirent entr'eux les plus sages
pour gouverner , mais à cause des divisions
qui pouvoient naitre dans ce Gouvernement
de plusieurs , toute l'autorité
fut confiée à un seul ; et c'est cet état
Monarchique que l'Auteur regarde comme
le plus parfait , parce qu'il approche
le plus du premier modele , qui est celui
de Dieu , dans le gouvernement de l'Univers.
Après l'origine des Monarchies suit
l'histoire des Babyloniens.M. Michel leur
donne l'Antiquité sur tous les Peuples ,
et se fonde sur ce que le Païs de Babylone
fut le premier habité , et que Nembrod
, par qui les dominations ont été
établies , y regna ; sentiment qui est appuyé
par l'Ecriture. Il veut que l'usage
des Lettres ait passé des Babyloniens aux
Juifs par Abraham , et prétend que les
II. Vol. dix
JUIN. 1733- 1395
dix Rois Babyloniens , avant le Déluge ,
sont les dix Patriarches depuis Adam jusqu'à
Noé , et pour accorder la longue durée
du regne de ces Rois avec l'Ecriture ,
il veut que la révolution d'un jour ait
été comptée pour une année ; ce qu'il
prouve par le témoignage de plusieurs
Anciens.
Il reprend l'histoire des premiers Babyloniens
dépuis le Déluge , et continuë
la posterité de Noé par ce Patriarche ,
après avoir prouvé qu'il est le même
que Bel. Il lui attribue la fondation de
Babylone , et y fait regner Nembrod , auquel
succedent deux Dynasties de Rois
Caldéens et Arabes ; il fait passer la Monarchie
des Babyloniens aux Assyriens ,
après la conquête qu'en fit Ninus.
L'Auteur qui s'étend sur l'histoire des
premiers Assyriens , réunit ingénieusement
les sentimens de tous les Anciens ,
dans les passages qui scnbloient contradictoires,
et supplée par d'heureuses conjectures
, quand l'antiquité ne lui fournit
pas assez de monumens et de preuves,
Après 40 Rois Assyriens , il met la décadence
de l'Empire d'Assyrie sous Thonos
Concoleros , à qui les Grecs ont donné
le nom de Sardanapale , mais il ne fait
point périr ce Prince dans l'embrasement
J
II. Vol. de
1356 MERCURE DE FRANCE
"
de Ninive , il veut , au contraire , qu'il
soit mort de vieillesse dans la Cilicie , et
lui donne un Successeur à Ninive du
nom de Ninus. C'est ce Prince à qui Jonas
prêcha la pénitence, et l'Auteur prou .
ve par ce Prophete , que Ninive ne fut
point alors détruite , et que la revolte
des Babyloniens et des Medes ne fit qu'affoiblir
l'Empire d'Assyrie , sans le détruire.
Pour fixer le démembrement de cer
Empire , l'Auteur se sert de plusieurs
monumens constans ; entr'autres de la
durée de l'Empire d'Assyrie jusqu'à Teutame
, sous qui est placé le Siége de
Troye ; la suite des successeurs de Teutame
, la décadence de l'Empire d'Assyrie
, marquée par tous les Anciens , sous
l'Archontat d'Ariphron , la prédication
'de Jonas.
Il donne une suite des Rois Assyriens
depuis le second Ninus , successeur de
Sardanapale , jusqu'à Assarhadon , qui
réunit Babylone à son Empire . C'est sous
ce Prince qu'il place l'histoire de Judith,
et son sentiment paroît très- conforme à
la vérité. Après avoir répondu à quelques
objections que l'on pouvoit lui faire
, il prouve qu'Assarhadon est Nabuchodonosor
, que Déjoces est Arphaxad
II. Vol. que
JUIN. 1733 1397
NC
que l'histoire de Judith arriva durant
la minorité du Roy Manassés , et sous la
regence du grand Prêtre Eliacim . Alors
Judith étoit âgée de 26 ou 27 ans. Il rejette
le sentiment de ceux qui lui en
donnent 66 , parce qu'il ne croit pas ,
avec raison qu'une femme à cet âge puisse
donner de l'amour ; il fait finir l'Empire
d'Assyrie à Chiniladon , et prétend
que c'est le dernier Sardanapale dont
parle l'histoire , qui se brûla dans son Palais
; et comme il avoit prouvé par Jonas
que Ninive n'avoit point été détruite
sous Thonos - Concoleros , il se sert de
plusieurs passages des Proj hetes pour en
narquer la destruction du temps de
Chiniladon. Des ruines de l'Empire de
• Ninive s'éleverent deux Empires colla-
$ teraux, des Babyloniens et des Médes .
IS
0
L'Auteur commence par celui des Babyloniens
, fondé par le pere de Nabuchodonosor
le Grand ; il fait voir que les
E Interpretes de la Bible n'ont pû concilier
la datte de Daniel et de Jeremie pour
la prise de Jerusalem ; parce qu'ils n'ont
pas fait attention au temps où les Babytpoansiens
et les Juifs commençoient leur
année . Après avoir rapporté l'histoire de
Nabuchodonosor et de ses successeurs
jusqu'à Balthasar , il prétend que ce der-
II. Vol. nier
1398 MERCURE DE FRANCE
nier Prince a eu le nom de Nabonid , de
même que Darius le Méde ; et il fait voir
que pour avoir confondu les deux Princes
de ce nom , on n'a pû concilier les
passages des Anciens. Ce qu'il dit de Darius
, que Cyrus associa à son Empire ,
après la prise de Babylone , éclaircit beaucoup
l'histoire de ces deux Princes.
L'Auteur finit par l'histoire des Médes
qui se gouvernerent par leurs Loix jusqu'à
Déjoces , sous la souveraineté des
Rois d'Assirie , qui prenoient aussi le titre
de Rois des Médes , comme Rois de
ces deux Nations ; c'est ainsi qu'il accorde
Hérodote et Crésias , avec l'Ecriture .
Il prétend que Déjoces , qui est l'Apandas
de Ctesias , n'a regné que 22 ans , et
que c'est le dénouement d'une difficulté
qu'Hérodote fait naitre touchant les 128
ans de la domination qu'il attribuë aux
Médes dans toute l'Asie ; quoiqu'il en
compte 150 depuis Déjoces jusqu'à Cyrus
; car ces 22 ans qu'Hérodote retranche
, ne peuvent être attribués à la domination
des Scythes , puisqu'elle fut de
28 ans, selon Hérodote,qui les comprend
dans cette durée de 128 ans , mais ils doivent
finir avec le regne de Déjoces , qui
ne regna que sur la Médie , selon Hérodote
; au lieu que Phraortes , son fils
1
II. Vol. soumit
JUIN. 1733 1399
soumit toute l'Asie . L'Auteur a ajoûté
un Canon Chronologique des Histoires
dont il a traité , avec un Catalogue des
anciens Auteurs qu'il a citez , et l'Edition
de leurs Ouvrages.
On ne doute pas que la seconde partie,
qui comprendra le reste des Antiquitez ,
et que l'Auteur continuera de fai e imprimer
à ses frais , ne soit reçue du public
avec autant de satisfaction.
Ce Livre se trouve à Paris , chez Musier
, fils , Libraire , sur le Quai et au coin
de la rue des grands Augustins , à la Minerve
, 1733. in 4. de 378 pag sans l'Epître
au Roy , la Préface , le Canon Chronologique
, le Catalogue des Auteurs
citez , & c. Le prix est de 6 liv . broché.
TABLES CHRONOLOGIQUES de l'Histoire
universelle , par M. l'Abbé Lenglet du
Fresnoy , nouvelle Edition. A Paris , ruë
S. Jacques , chez Osmont et Briasson , Libraires.
Ces Tables , au nombre de 4 , qui sonɛ
très- curieuses , et pour l'ordre et pour le
dessein , avoient déja paru en 1729. mais
elles sont fort augmentées dans cette nouvelle
Edition: On y trouve près de 60 articles
essentiels , que M. l'Abbé Lenglet a
joints à son premier travail . On peut
II. Vol. G même
10 MERCURE DE FRANCE
même dire que c'est le plus grand Ouvrage
de Gravûre de Lettres , qui se soit
fait jusqu'à present.
Ces Tables contiennent bien des choses
singulieres , tant pour l'arrangement
qu'elles ont , que pour l'usage qu'on en
peut faire dans l'étude de l'Histoire.Outre
la réunion de tous les sistêmes de
Chronologie , qui s'y trouvent sous un
même point de vûë , on a encore le plai
sir d'y voir l'ancienne Histoire prophane,
débarassée de toutes les difficultés de la
Chronologie , par l'Epoque commune de
la naissance de Jesus Christ.
Comme dans les Histoires modernes on
date après la naissance du Sauveur du
Monde , l'Auteur date dans l'Histoire
ancienne , avant l'an de J. C. ce qui établit
une clarté à laquelle on avoit , à
la verité , pensé , mais on n'y étoit pas encore
arrivé jusqu'à present.
Ainsi , qu'on suive pour l'Histoire sacrée
, tel systême de Chronologie que
l'on voudra , on le trouve rappellé dans
ces Tables. Mais comme les différences
de Textes , Hébreu , Samaritain et des
Septante , ne regardent que l'Histoire
Sainte, M. l'Abbé Lenglet se réduit pour
l'Histoire prophane à l'époque des tems,
avant , ou après Jesus-Christ ; par - là il
II. Vol. tient .
JUIN. 1733. 1401
tient une conduite uniforme , tant pour
l'Histoire ancienne , que pour l'Histoire
moderne .
Une chose qui distingue encore ces
Tables Chronologiques de toutes celles
qui ont paruës jusques icy , est, qu'en suivant
l'ordre dans lequel on a rangé toutes
les Histoires particulieres , on peut
non seulement en former un corps d'Histoire
universelle , mais même les étudier
toutes séparement ; c'est ce qui se peut
faire avec d'autant plus de facilité , que
l'Auteur indique à chaque nature d'His
toire , les Livres essentiels, pour s'en former
de justes idées pour l'Histoire générale
de chaque Nation , et pour les Regnes
les plus brillans , ou les Evenemens
les plus illustres de chaque Histoire particuliere
.
Enfin ces Tables sont conduites jusques
à ces derniers temps , et l'on n'oublie
pas même les Livres les plus modernes
qui en ont parlé ; ainsi elles peuvent
tenir lieu d'une méthode abrégée pour
étudier l'Histoire. Cependant M. l'Abbé
Lenglet ,, ppeeuu content de ce beau point
de vûë , qu'il nous présente , va donner
encore une Explication de ces mêmes Tables
, en un petit livre portatif , qui en
dévelopera le systême. Il y marquera
II. Vol.
Gij
même
1462 MERCURE DE FRANCE
même les endroits où il faut s'arrêter
dans l'étude de l'Histoire ancienne et
moderne. Il en fera connoître l'usage ,
et donnera en même temps des Supplé
mens d'articles considerables , qui n'ont
pû entrer dans ces Tables.
Nous avons rendu compte dans le
Journal de Novembre dernier , de l'entreprise
d'une nouvelle Edition de toutes
les Oeuvres du sçavant Jesuite Charles
Sigonius , faite à Milan , par M. Argelati ,
Directeur de la Societé Palatine , Académie
célebre de cette Ville , sous les auspices
de l'Empereur , qui vient d'honorer
l'illustre Editeur de la qualité de Secretaire
de S. M. I. Nous venons de recevoir
un autre Imprimé Latin au sujet
de cette Edition , dans lequel M. Argélati
, après un petit Discours Préliminaire
, adressé à tous les Sçavans de l'Europe
, qui marque la grande part qu'a
eue à son travail M. Joseph- Antoine Saxi,
Préfet de la Bibliotheque Ambroisienne .
Notre Editeur, dis-je , rapporte deux Préfaces
du même M. Saxi , l'une sur tout
l'Ouvrage de Sigonius , intitulé de Regno
Italia , divisé en XX. Livres ; l'autre , sur
les cinq derniers Livres de cette Histoire.
Ces Préfaces se feront lire avec plaisir par
II. Vol. les
JUIN. 1733. 1403
les Connoisseurs , et avec profit de la
part de tous les Amateurs de l'Histoire
des personnes sur tout qui voudront
acquerir la nouvelle Edition de
Sigonius.

On en trouve déji les deux premiers
Volumes chez Debure le fils , Quay des Augustins
, à l'Image S. Germain , lequel
donne des Billets de Souscription . Cependant
l'impression est diligemment continuée
à Milan , et l'Ouvrage sera en
tout de cinq Volumes in folio. Voici les
conditions de la Souscription , énoncées
dans une feuille volante , imprimée en
Langue Italienne , qui nous est venuë séparément
de la part du Libraire , Joseph
Richini Malatesta , lequel se distingue
parmi ceux de sa Profession par de grandes
et heureuses Entreprises.
Pour le grand Papier.
Pour le premier Volume
Pour le second ,
48. liv.
Pour le troisième
24. liv.
Pour le quatriéme
*Pour le cinquième ,

28. liv .
28. liv.
24.
liv.
152.
liv.
II. Vol.
Giij Pour
1404 MER CURE DE FRANCE
Pour le petit Papier.
Pour le premier volume
divisé en deux Parties ,
37. liv. 10. s.
15. liv.
20. liv.
Pour le second ,
Pour le troisiéme ,
Pour le quatrième , 20. liv.
Pour le cinquième ,
12. liv. 10. S.
105.
liv.
Debure , Libraire à Paris , dont nous
venons de parler , vend aussi les 23. volumes
de la Collection des Historiens d'Italie
de M. Muratori , &c. et les trois
premiers volumes des Annales Francisquaines
de Wading , qu'on réimprime à
Rome , sous ce titre : Annales Minorum,
seu trium Ordinum à S. Francisco Institutorum
, Auctore A. R. P. Luca Waddingo
Hiberno , S. T. Lectore Jubilato et Ordinis
Chronologo. Editio secunda , locupletior
et accuratior , opere et studio R.P. Josesephi-
Maria de Fonteca , ab Ebora , &c.
Romæ , 1731 .
Briasson , Acquereur du Traité de l'Opinion
, a fait relier cet Ouvrage en dix
volumes. L'Auteur a trouvé bon d'être
nommé dans les nouveaux Frontispices.
C'est Gilbert- Charles le Gendre , Marquis.
II. Vol.
de
JUIN. 1733. 1405
·
de S. Aubin sur Loire , cy - devant Maître
des Requêtes.
Il est fils de Charles le Gendre , Chevalier
Seigneur de S. Aubin sur Loire ,
Conseiller au Grand- Conseil , dont la
mort est marquée dans le Mercure du
mois d'Avril 1752.
Le grand- pere de Gilbert- Charles le
Gendre de S. Aubin , a été Charles le
Gendre , Chevalier , Seigneur de S. Aubin
sur Loire , Ecuyer Ordinaire de
Henriette d'Angleterre , premiere femme
de Philippe de France , Duc d'Orleans.
Son Bisaïeul a été Paul le Gendre ,
Chevalier Seigneur de S. Aubin sur Loire
, Maître d'Hôtel de Louis XIII. par
Brévet , signé Louis , et plus bas de Lomenie
, du 3. Février 1634. enregistré
en la Chambre aux Deniers le 14, des mêmes
mois et an. Son nom , ses qualitez
et ses armes se voyent dans son Epitaphe
, en l'Eglise de S. Pierre à Moulins.
Paul le Gendre de S. Aubin , Maître
d'Hôtel du Roy , étoit frere de Jacques
le Gendre , Chevalier Seigneur de Lormoy
, Conseiller d'Etat par Brévet du
15. Janvier 1626. La réception dudit
sieur le Gendre et sa prestation de serment
ès mains de M. d'Aligre , Chancelier
, est du 20. Janvier suivant.
II. Vol. Giiij Jacques
1406 MERCURE DE FRANCE
Jacques le Gendre de Lormoy , Conseiller
d'Etat , a laisé Paul le Gendre
Chevalier Seigneur de Lormoy , Secretaire
du Cabinet de Louis XIII. et de-
Louis XIV . et Maître des Requêtes , décedé
dans sa 96. année en 1713. Le feu
Roy , qui l'avoit vû à la Cour pendant
70. ans , l'appelloit le plus ancien de ses
Domestiques.

Il a été Pere de Gaspard - François le
Gendre , Maître des Requêtes et Inten- ,
dant des Generalitez de Montauban
d'Auch et de Tours , qui a deux fils
François-Paul le Gendre , Conseiller au
Parlement , et Leon le Gendre de Lormoy
, Mestre de Camp du Régiment Colonel
Géneral de la Cavalerie ou de la
Cornette Blanche.
Paul le Gendre de Lormoy , Secretaire
du Cabinet , a eu deux freres , Jacques
le Gendre , Chanoine de Notre- Dame de
Paris et Abbé d'Anzy le - Duc , décedé
en 1705. et Claude le Gendre , qui étant
Cornette dans le Mestre de Camp Géneral
de la Cavalerie , fut pris par les
Espagnols en 1655. et mourut à l'âge
de 17. ans de ses blessures. Il en est
parlé dans les Mémoires de Bussy sur
la Campagne de 1655. T. 2. in 4. p. 14.
Jacques le Gendre de Lormoy , Con-
II. Vol. seiller
JUIN. 1733
1407
seiller d'Etat , et Paul le Gendre de Saint
Aubin , Maître d'Hôtel du Roy , étoient
fils de Jean le Gendre , Chevalier , Contrôleur
Géneral de la Marine , qui fur
chargé par Henry IV. d'entendre les propositions
faites par Antoine Perez , Ministre
disgracié de Philippe II. aur sujet
de l'augmentation de la Marine en France.
On trouve plus anciennement Claude
le Gendre , Capinaine de so . Hommes
d'Armes en 1526. Pierre le Gendre , Chanoine
de Notre - Dame de Paris , reçû
Conseiller Clerc au Parlement en 1496.
et Pierre le Gendre , Chevalier , Seigneur
d'Alincourt, Trésorier de France et Géneral
des Finances , qui épousa en premieres
Nôces Jeanne Poncher , Soeur d'Etienne
Poncher , Evêque de Paris , puis Archevêque
de Sens , et en secondes Nôces Charlotte
Briçonnet. La premiere déceda sans
enfans ; la seconde n'eut que deux filles
qui moururent le même jour , ainsi que
M.de Thou l'a remarqué.Par ces deux Mariages
Pierre le Gendre, Trésorier de Fran
ce , fut beau frere et neveu de deux Premiers
Ministres.

Il y a dans le Cabinet du Roy , un Jetton
frappé aux Armes des le Gendre
qui sont d'azur à la face d'argent, accompagnée
de trois têtes de filles échevelées
11. Vol. d'or G V
1408 MERCURE DE FRANCE
* d'or. Il est écrit sur ce Jetton : Pietrc
le Gendre , Trésorier de France du Roy
Lois douzeïesme de ce nom. Dans plu
sieurs Cabinets de Curieux , on voit un
autre Jetton frappé aux mêmes Armes, sur
lequel il est écrit : P. le Gendre , Cheva
lier , Trésorier de France ; et au revers on
lit : Judica me Deus , et . discerne causam
meam. Ces Armes sont sculptées anciennément
sur une Porte de la Ville de
Magny, et à Paris , .aux Saints Innocents,
à la Chapelle du S. Sépulchre , en dehors.
La Terre de S. Aubin sur Loire , a été
érigée en Marquisat par Lettres du grand
Sceau , datées d'Avril 1717. registrées au
Parlement et à la Chambre des Comptes
de Bourgogne.
Un Ecclesiastique de Province qui a
été consulté sur le Chant Ecclesiastique
par
les Editeurs des nouveaux Bréviaires
de plusieurs Diocèses , où l'on s'interesse
à avoir un Chant exempt de fautes
cependant varié , nous a prié de publier
ce qui suit :
QUESTION touchant l'autorité des
Musiciens en matiere de Chant d'Eglise.
Il y a dans l'esprit de plusieurs per-
II. Vol. sonnes
JUIN. 1733. 1409
sonnes des préjugez si profondément enracinez
en faveur de ce qu'on appelle
aujourd'hui Musiciens d'Eglise , qu'on
des peines infinies à les en faire revenir.
Ces personnes se reposent tellement sur
la capacité de ces sujets , qu'elles n'osent
jamais parler de Chant d'Eglise , Chant
Grégorien , Plain Chant , que selon
-
ce qu'elles leur en entendent dire. Comme
c'est une illusion , qui , quoique nouvelle
, peut avoir de grandes suites , j'ai
cru qu'il étoit nécessaire de présenter Requête
à Mercure , et de me servir de
sa médiation pour notifier au Public la
chose sur laquelle je demande le jugement
des Doctes. Ce n'est pas , Messieurs
que je comprenne tous les Musiciens dans
une même classe . J'en ai trouvé d'assez
équitables pour se rendre aux remarques
que je leur ai fait faire , et qui ont déclaré
qu'ils ne croyoient pas que la maniere
dont on leur donne connoissance
du Plain-Chant dans les Maîtrises out
Ecoles de Psallette , pendant leur jeunesse,
fut suffisante pour les faire regarder dans
la suite comme des Juges compétants sur
ces sortes de matieres. Je me trouve lié
le commerce de la vie avec un certain
nombre de personnes , dans la plupart
desquelles il a fallu détruire le préjugé
par
11. Vol. en G vj
1410 MERCURE DE FRANCE
en question . Cela s'est fait aisément à
l'égard du grand nombre qui est de bonne
volonté ; mais il en reste encore d'autres
à convaincre dont je n'espere en gagner
qu'un certain nombre, parce qu'il y
en aura encore quelqu'un qui voudra absolument
rester dans son sentiment. J'avoie
qu'un si petit objet étoit de trop
peu de conséquence pour mettre aux
champs le Messager des Muses ; mais
comme ce qui est arrivé ici , peut arriver
ailleurs , j'ai cru qu'il étoit bon d'avoir
là - dessus le sentiment des Connoisscurs.
Voici donc précisément le sujet
de la Question .
Si les Musiciens peuvent et doivent être
écoutez et suivis dans les raisonnemens qu'ils
tiennent sur le Plain- Chant ou Chants d'Eglise
? S'ils sont en état de raisonner et d'être
crus sur les manieres dont il est varié
dans les Eglises differentes ; et s'ils en sont
Fuges tout- à-fait compétants et irrefragables ?
S'il n'y a pas deux extrémitez à éviter :
l'une de ne les croire juges en rien ; l'autre de
les croire juges en tout ; et en quoi donc ils
peuvent être consultez , et écoutez.
Vos Journaux , Messieurs , sont dépositaires
des Remarques Critiques que les
mauvais raisonnemens qui ont été faits
sur cette matiere , ont attirés à leurs Au-
II. Vol. teurs
JUIN. 1733. 1411

teurs. ( a) Il n'y a pas jusqu'à l'Ombre de
M. Thiers , qui , sortie de son tombeau
les a montrés au doigt , lorsqu'elle a parlé
de ceux qui précipitent l'Office divin ,
soit parce que leur infirmité et leur âge
le leur fait toujours trouver trop long.
soit à cause que desservant deux Eglises
, ( b ) ils ne peuvent se deffaire , lorsqu'ils
sont au service de la Mere , de la
mauvaise habitude qu'ils ont contractée
à celui de la Fille. Il n'y a pas un an ,
qu'un Anonyme se plaignit encore dans
vos Journaux (c) de ceux qui se donnent
pour Maîtres , sans jamais avoir été Disciples.
Il semble par ce qu'il dit du Lieu
où les Fideles s'assemblent et sur le .
Nosce teipsum , qu'il ait eu en vûë de réprimer.
ceux qui sans aucune étude , ni
même aucune teinture du Chant , entre .
prennent de juger de sa composition avec
une confiance qui va jusqu'à vouloir
tourner en ridicule les plus magnifiques
expressions qui s'y trouvent. Telles sont ,
par exemple , celles de l'excellent Antiphonier
usité dans l'Eglise de Paris depuis
l'Episcopat de M. de Harlay ; entre
,
(a) Merc. Juin 1726. 1. vol. pag. 1177. Mer.
Août 1726. pag. 1739. 1747. 1759 .
(b) Merc. Juin 1731. 2. vol. pag. 1443
(c) Merc. de May 1732. pag. 907. et 908.
&
II. Vol. autres
1412 MERCURE
DE FRANCE
autres celle du Saule , Saule, quid me per
sequeris ? de la Conversion de S. Paul . Si je
voulois ajoûter quelque chose à ces remarques
, je ferois observer que ce seroi !
une chose inouie , que dans des Eglise
nombreuses de Chanoines qui ont un
Clergé subsidiaire , on proposât de diminuer
la Table des Chants Psalmodi.
ques, pour la rendre aussi simple et stérile
que celle des Eglises Monastiques,
La Monotonie convient aux Solitaires ;
mais une Eglise Cathédrale ne doit pas
se laisser mettre de niveau avec celle d'un
Monastere. C'est à quoi ne font pas at
tention ceux qui ne cessent de déclamer
contre la varieté et la richesse des Tables
Psalmodiques
d'Eglises Séculieres , Cathé
drales ou Collegiales
; et il leur sied trèsmal
de proposer d'un côté pour modele
de
la penurie Monastique
, tandis que
l'autre ils distribuent
à pleines mains un
Ecrit qui établit la difference
totale qui
doit étre entre le Clergé Séculier et l'état
des Moines.
Ce 3. May 1733 .
11.. Vol.
EXJUIN.
1733. 1423
EXTRAIT d'une Lettre écrite de
Neufchâtel le 4. May 1733. au sujet
d'un nouveau Journal , & c.
V
Ous voulez absolument que je vous
donne des nouvelles de ce Pays- cy,
et sur tout des Nouvelles Litteraires ;
vous ne pensez donc pas comme beaucoup
de gens de votre Pays , qui s'imaginent
qu'en Suisse la Litterature est toutà
- fait négligée ; d'autres en outrant les
choses , nous disputent encore la poli- .
tesse , le bon sens et presque la raison.
On a eu le même préjugé à l'égard des
Orientaux en general , et à l'égard des
Turcs en particulier ; mais ceux- cy se
trouvent pleinement justifiez sur leur
ignorance prétendue , dans une Piece
nous avons lûe avec plaisir dans le Mercure
de France du mois dernier . Nous.
ne serons pas surpris que quelque Apologiste
prenne aussi un jour notre deffense
en main et désabuse du moins un
certain Public , de la mauvaise prévention
dont le vulgaire est rempli contre
la Nation Suisse.
que
En attendant , et pour commencer en
quelque façon cette Apologie , je vous
dirai qu'on imprime ici depuis le mois de
II. Vol.
Dé1414
MERCURE DE FRANCE
Décembre 1732. un Mercure Suisse , ou
Recueil de Nouvelles Historiques , Politi
ques , Litteraires et Curieuses , dont on paroît
assez content. Voici un petit Extrait
de celui du mois de Mars dernier ,
que
j'ai estimé digne de votre curiosité.
» En l'année 1726. l'Abbé D ... publia
» une Critique des Lettres de M. de Mu-
» ralt , sur les Moeurs des François et des
»
Anglois , sous ce titre : Apologie du ca-
» ractere des Anglois et des François , ou
Observations sur le Livre intitulé , Lettre
» sur les Anglois et les François , et sur les
»Voyages ; avec la deffense de la sixième
» Satyre de M. Despreaux , et la justificantion
du bel esprit François .
» Cet Abbé commence peu poliment
son Livre par ces mots : Dès que les
» Lettres sur les Anglois et les François
» et sur les Voyages , parurent , je les lûs
» avec une attention curieuse , et je fus bien
» aise de voir un Suisse penser. C'étoit loüer
le judicieux Auteur de ces Lettres , ( qui
» est Suisse ) d'une maniere peu convena-
» ble , et faire en même-temps insulte à
» toute sa Nation . Pour venger les Suis-
» ses , un d'entre eux , aussi peu poli que
» cet Abbé , et ami de M. de Muralt ,
»composa les Vers suivans. On nous prie
» de les inserer ici , parce qu'on ne les
II. Vol. >> a.
JUIN. 1733. 1415
a point encore vûs dans aucun Recueil,
mais on avertit que l'on n'y a nullement
en vûë tous les Auteurs François
en general. On sçait distinguer en Suisse
, tout comme ailleurs , le petit nombre
de bons Ecrivains , de la foule immense
des mauvais.Cette Epigramme ne
regarde donc aucun autre François que
les Auteurs de la classe de l'Abbé D ...
etit Abbé , le sçavoir vivre ,
'est point chez vous en lieu natal
t votre orgueil n'enfante un Livre ,
Que pour lancer un trait brutal .
ous pensiez donc , froid Satirique ,
Qu'avant Muralt , tout Helvetique ,
Ne pensoit point , ou pensoit mal ;
Et vous pensiez comme un cheval .
François , quittez vos fiers caprices ,
Connoissez mieux vos bons voisins .
Si vous pensiez , esprits trop vains ,
Autant , aussi bien que maints Suisses ;
Au lieu de vos tas d'Ecrivains ,
Pour la plupart fades Narcisses ,
La France auroit plus d'Esprits sains
Et qui pourvûs en hommes sages ,
Du bon sens des Treize Cantons ,
Ne produiroient que peu d'Ouvrages ;
Mais ces Ouvrages seroient bons.
II. Vol .
EX1416
MERCURE DE FRANC
EXTRAIT d'une Lettre écrit
Londres , le premier Juin , concern
M. de Voltaire.
O
S
N a joué depuis peu à Westminste
et quelques autres lieux , les Trag
dis de Brutus et de Zaïre , en Françe
et en Anglois , devant leurs Majest
Britanniques et toute la Famille Royale
il y a eu toujours un grand concours, m
Brutus a eu beaucoup plus de succès , a
qui n'est pas étonnant , si l'on consider
que le sujet convient mieux au génie de
la Nation Angloise.
On vient de donner aussi la sixiém:
Edition Angloise de l'Histoire de Char
les XII. mais on s'est trop précipité,
car on sçait que la Compagnie des L
braires d'Amsterdam , imprime une nou
velle Edition Françoise de cet Ouvrage
corrigée par l'Auteur , avec beaucoup
d'Additions , et, sur tout avec les Ré
ponses de M. de Voltaire et d'un Officier
des Troupes Suedoises , aux Remarques
M. de la Montraye.
Des Libraires Anglois commenceront
dans deux ou trois jours à débiter en
François et en Anglois , les Lettres de
M. de Voltaire , écrites en 1727. elles
sont au nombre de 24. ellès contiennent :
II. Vol. l'Histoire
JUIN. 1733. 1417
L'Histoire de la Secte des Quaquers.
Des particularitez touchant plusieurs
Religions professées en Angleterre.
Des choses assez curieuses sur le Gouvernement
et sur le Commerce.
L'Histoire de l'Inoculation de la petite
verole.
Une Dissertation sur le Livre de l'Entendement
humain de Loke.
Quelques Dissertations sur la Philosophie
de Neuton .
Plusieurs Traductions en Vers François
des meilleurs endroits des Poëtes les plus
estimez d'Angleterre .
Une idée de leur Théatre Tragique
et Comique et de l'état où sont les Beaux
Arts et les Belles- Lettres , en ce Pays , par
comparaison à la France.
Il y a long- temps que ces Lettres
sont connuës en manuscrit ; c'est M. Tiriot
, ami de M. de Voltaire , qui est
l'Editeur de cet Ouvrage , attendu avec
impatience , et qui peut faire connoître
le génie Anglois , assez peu connu en
France jusqu'aujourd'hui .
Les sieurs Josse et Beauche , Libraires à Paris ,
avertissent le Public qu'ils ont entre les mains une
nouvelle Edition de la Henriade , avec des Va◄
riantes et un Essay sur la Poësie Epique de toutes
les Nations de l'Europe , composê originaire-
II. Vol.
ment
1418 MERCURE DE FRANCE
ment en Anglois , par M de Voltaire , traduit il
y a quelques années par M. l'Abbé des Fontaines,
et retravaillé tout de nouveau en François et
considérablement augmenté par l'Auteur même
de la Henriade. Cette Edition est la plus
complette de toutes celles qui ont paru jusqu'ici.
Ces Libraires continueront à donner
gratis cette nouvelle Edition , comme les précédentes
, à tous ceux qui avoient souscrit en France
pour l'Edition in 4. d'Angleterre , et qui n'ont
pas
voulu envoyer à Londres. Tous ceux qui
ont envoyé leur Souscription à Londres , ont
reçû ce Livre ; ceux q ont négligé de le recevoir
ont é é a mis et le seront encore à recevoir le
remboursement à Paris , chez les its Libraires ,
et recevront outre cela la présente Edition , en
attendant que la nouvelle Edition in 4 soit achevée
, laquelle on kur donnera encore gratis. Cette
grande dition in 4. n'a pû être achevée jusqu'à
present, 1. à cause des fréquents changemens
faits par l'Auteur 2 ° . A cause de la mort de
Vodman , qui en étoit chargé , et qui étoit en
possession des Planches.
Un Particulier croit rendre service au Public ,
en proposant aux sçavans Méchaniciens , Horlologers
et autres Artistes , de composer une Machine
sur le modele des grosses Horloges , par
laquelle on puisse élever l'eau des puits , à la hauteur
que l'on pourra souhaiter ; ce qui s'executera
par le moyen des poids , dont les differentes
grosseurs feront élever plus ou moins d'eau ,
en y joignant les Pompes , soit aspirantes , soit
forcées. Cette eau pourra être distribuée dans
tous les lieux où l'on en aura besoin , et particulierement
dans les Jardins , tant à la Ville qu'à la
II. Vol. CamJUIN.
17336 1419
Campagne . Ceux qui auront trouvé et executé
cette Machine, pourront estimer la quantité d'eau
qu'elle élevera par proportion de la pesanteur
des poids , soit de plomb , scit de fer ou même
de pierre dure et pesante ; ils sont priez d'en
donner avis au Public , par la voye du Mercure
de France .
On nous prie d'inserer ici , qu'on est surpris
qu'y ayant dans le Royaume pius de dix mille
Officiers comptables , il ne se soit pas encore
formé une Compagnie pour composer un Ouvrage
sur la matiere des Finances , contenant ,
- sçavoir :

Les Edits de création de leurs Offices , à commencer
par les Gardes du Trésor Roya! jusqu'au
dernier Officier comptable , avec leurs Privileges
honorifiques et Exemptions ; de quelle maniere
leurs Receptions se doivent faire, tant à la Chambre
des Comptes , qu'au Bureau des Finances ,
leur place aux Compagnies , de- même qu'aux
Eglises , et generalement tout ce qui les concerne .
On trouvera au Greffe de la Chambre des
Comptes de Paris , presque toutes les Pieces nécessaires
pour composer cet Ouvrage , dont le
débit iroit à plus de dix mille Exemplaires . On
trouvera aussi au Greffe du Conseil , beaucoup
d'Arrêts , Reglemens , &c . à l'occasion des Offi
ciers des Finances.
L'Académie des Jeux Floraux , établie à Toulouse
, a proposé pour le sujet du Prix qu'elle
doit distribuer en l'année 1734. Qu'il faut respecter
le Jugement du Public , mais qu'il n'en faut
pas dépendre.
-II. Vol. Ов
1420 MERCURE DE FRANCE
On a inseré dans le Mercure de May , page
$49 . la démonstration d'un Problême de Navigation
. Il est bon qu'on sçache que cet Ouvrage
st de M. Montegut , Professeur Royal d'Hydrographie
à Bordeaux , et Membre de l'Académie
des Sciences de la même Ville.
Le Portrait de Monseigneur le Dauphin , peint
par M. Belle , de l'Académie Royale de Peinture,
paroit en Estampe pour la premiere fois , gravé
par le sieur J. Daulle , qui a très bien saisi et
conservé les graces de l'Original . Outre que cetre
Planche est fort belle par elle même , elle est encore
plus chere à toute la Nation , par l'auguste
Enfant qu'elle répresente.
Cette Estampe se vend chez le sieur Belle , à
l'entrée de la rue du Four , et chez la veuve Chereau
, ruë S. Jacques .
Sur la fin du mois dernier , on exposa successivement
dans le grand Appartement du Roy au
Château de Versailles , deux grands et magnifiques
Tableaux , qui doivent être placez, dans l'Eglise
des Grands Augustins de cette Ville , peints
par Mrs Venlo et de Troy , de l'Académie Royale
de Peinture. Le premier représente l'Institution
de l'Ordre du S. Esprit par Henry III. et l'autre
une Réception de Chevaliers du même Ordre
par Henry IV . Les figures sont grandes comme
le naturel. Le Roy , la Reine et toute la Cour , ont
paru fort satisfaits de ces deux grands Morceaux,
où , dans une très belle ordonnance , regne beaucoup
d'entente , de richesse , de noble simplicité ,
et de caracteres très - bien rendus , & c.
Le Marbre étant d'un très-grand usage dans
II. Vol. PAIJUIN.
1733- 1421
Architecture et la Sculpture , et une matiere
galement propre et solide à construire et à orer
les Edifices publics , les Temples et les Palais,
ous croyons faire plaisir à une infinité de gens
e leur apprendre qu'on vient d'ouvrir plusieurs
Carrieres infiniment abondantes , de très - beau
Marbre , d'un mélange de couleurs singulier , et
are dans sa disposition , qui prend un beau poli
t qui a le grain très -fin .
Ĉes Carrieres sont dans deux Montagnes de
Rouergue , situées au Lieu de Firmy , à quatre
seues de Rodez. Ces Montagnes peuvent contehir
400. arpens ;
leur élevation est d'environ 150.
oises . Elles ne produisent aucun arbuste mais
lles promettent de dédommager de leur stérilité
xterieure , par leur fécondité intarissable en
Marbre. On y en a déja découvert de plusieurs
ortes ; de verd- brun , de gris- verd , de gris-noir;
le noir- tacheté et veiné de blanc, de verd , mêlé
le violet ; de blanc , veiné de verd et de pluieurs
verds très beaux ; de blanc , avec de la
preche ou taches en guise de caillou , et veines
wertes. Les Ouvriers qui ont commencé à travailler
à cette Carriere , ne parlent que par excla- .
mation de la beauté et de la solidité du Marbre
qu'ils découvrent ; ils dirent n'en avoir jamais ,
vû de si beau . Comme la Carriere peut s'ouvrir
en bien des endroits differens , où le Marbre paroît
au -dehors , il y a apparence qu'on en trouvera
encore de plus rare . La Riviere du Lot , qui
porte bateau et qui n'est qu'à une lieue de la
Carriere , en rendra le transport facile par eau ;
à Cahors , à Toulouse , à Bordeaux , à Paris ,
&c. Les Curieux qui en souhaiteront des Blocs
ou des Ouvrages , pourront s'adresser chez M. de
Firmy , à Rodex.
II. Vol.
Le
1422 MERCURE DE FRANCE
Le sieur Garreau donne avis au Public , qu'il
s'est appliqué depuis long - temps à faire des Plans
en relief , representant au naturel les Maisons ,
Parterres et Jardins , il fait aussi des Plans de
Villes et generalement tout ce qui regarde l'Ar
chitecture Civile et Militaire ; il a fait differens
Plans en relief pour plusieurs Particuliers , tant
en bois et carton , qu'en terre glaise . Il fait aussi
toutes sortes de Desseins pour toutes sortes del
Professions. Il demeure Montagne sainte Geneviéve
, au College de la Marche.
PURGATIF UNIVERSEL , Fébrifuge éxalté ,
Elixir , Huille de vie et Or potable , avec l'explication
de leurs vertus , de -ieurs puissances , de
leur dose et de leur usage. 1733. petite Brochure
de 20. pages , dans laquelle on explique métho
diquement les doses , les effets de ces Remedes et
le régime qu'il faut garder.
M. Riario Lombardi , qui compose et fait usage
de ces quatre Remedes , demeure rue S.Benoît ,
Fauxbourg S. Germain , à l'Hôtel d'Autriche à
Paris . Ils se vendent , argent de France , le Purgatif
de 40. grains 50. sols. La bouteille d'Elixir
5. livres. La bouteille d'Huille de vie 10. liv.
et la bouteille d'Or potable 20. livres .
L'alteration qui vient aux dents , selon le sieur
Durand , ne procede que de la carie où de l'ébranlement.
La première , entame et fait une perforation
douloureuse , qui jette dans la necessité
de les faire arracher. L'autre moins sensible ,
mais d'un plus grand progrès , est engendrée par
l'exhalaison des mauvais levains de l'estomac.
Cette vapeur qui s'éleve et qui se condense , fait
le tartre qui attaque les dents par le pied et prend.
1 I. Vol.
peu
JUIN
1733
7
1422 MERCURE
DE FRANCE
Public
an'i
Le sieur Garreau donne avis au
re
JUIN. 1733. 1423
peu à peu la place des gencives , qui sont leurs
bases solides et naturelles. Il ne faut point s'étonner
si la négligence ou l'inattention fait que les
personnes , quoique fort jeunes , sont privées de
ce qui doit faire l'ornement et le meuble précieux
de la bouche.
Le sieur Durand , Expert , reçû à S. Côme pour
les dents , a joint à son experience et à sa dexterité
pour tout ce qui concerne son Art, la Découverte
d'une Opiate extrémement salutaire par
son utilité et ses bons effets , puisqu'en rendant
et conservant l'émail des dents , elle produit la
régenaration des gencives et les deffend contre le
tartre qui en fait la destruction , entretenant
toujours leur blancheur , leur beauté et leur assiette
naturelle .
Cette Opiate peut s'envoyer dans les Provinces
les plus éloignées , sans rien perdre de sa vertu.
Les Pots sont de 3. 4. 6. livres . Il donnera
la maniere de s'en servir.
La demeure du siear Durand, est avec Tableau,
rue S. Honoré , vis - à - vis la Croix du Tiroir , à
la Coupe d'or. Il va le matin chez ceux qui le
demandent , et l'après midi on le trouve chez lui.
CHANSON.
Sur le Rhume .
LA , la , hem ! la , la , ma voix rauque , étouffée;
Se fait entendre à peine aux Echos du Bouchon ;
La , la , vive Bacchus ; hem ! est - ce un Moucheron
II. Vol. H Qui
1424 , MERCURE DE FRANCE
Qui seroit arrêté dans ma gorge échauffée ?
Non, c'est le rhume, ainsi l'insolent, par ma foi,
Comme aux autres Humains , s'ose jouer à moi !
Versez donc , poursuivit Grégoire ,
Versez , cecy va mieux , versez , versez souvent ;
J'ai gagné le rhume en buvant ,
Je le perds à force de boire.
XXXX:XXXXXXXXXXX
SPECTACLES.
L'AC
'Académie Royale de Musique continue
toujours avec grand succès lesReprésentations
duBallet des Fêtes Grecques et
Romaines. Jamais reprise d'Opéra n'a été
plus brillante ni plus applaudie . Mrs Fuselier
et Blamont , Auteurs du Poëme et
de la Musique , doivent être contens de
ce succès , aussi grand que bien mérité.
Les Dlles , Antier , le Maure et Petitpas
s'y distinguent dans les Rôles qu'elles
joüent , avec toute l'intelligence et la
justesse possible de même que les Srs Tribou
et Chassé. Le Ballet , composé par le
Sr Blondi , est des mieux entendus , et fait
un plaisir infini . La Dlle Camargo s'y
distingue fort au Prologue dans le Personnage
de Terpsicore , par les differens
caracteres qu'elle exprime , et par ses pas
II, Vol.
brilJUIN.
1733 .
1425
brillans et toujours varicz . Voici ce qui a
été ajouté aux paroles des Divertissemens
- dans cette reprise.
Au Divertissement du premier Acte, le
Sr Féliot avec sa voix admirable d'Haute-
Conte , chante l'Air suivant , dont les
quatre derniers Vers sont ajoutez .
"
Un Grec.
Les Prix que la gloire présente
N'attire pas tous les coeurs dans sa Cour ;
Il en est que conduit une plus douce attente
L'Univers doit souvent ses Héros à l'amour ;
Vous , favoris de Mars , qui suivez la victoire
Triomphez , volez sur ses pas ;
Plus vous serez chers à la gloire
Plus l'objet de vos feux vous trouvera d'appas .
Parodie de l'Air des Baccantes , chantée
par la Dile Petitpas , au second Acte.
Livrons sans allarmes ,
Nos coeurs aux charmes ,
Que nous prodigue ce beau jour ;
Quand sur cette rive ,
Baccus arrive ,
Présenté par l'amour,
Ces Vainqueurs unissent leurs coups ;
Leur gloire est certaine ,
Notre fuite est vaine ;
1
II. Vol. Hij Non
1426 MERCURE DE FRANCE
Non ,rien n'échape à leur chaîne ,
Cedons , cedons tous ,
Rendons nous.
Livrons sans allarmes , &c,
Tendres Amans ,
Le Mirthe, plus que la Treille ,
Vous donne- t - il d'heureux momens ?
La raison sommeille ,
Le plaisir veille ,
Sous ses Rameaux charmans
Livrons sans allarmes , & c,

Parodie de la premiere Musette du
troisiéme Acte , chantée par la- même.
Dans nos Bocages ,
Sous leurs verds ombrages ,
Il n'est point d'autre Cour ,
Que celle de l'Amour.
La douce Paix ,
Regne à jamais ,
Dans ces belles retraittes ;
Nos Voix et nos Musettes
Chantent ses attraits ;
Nos amourettes ,
Ressentent ses bienfaits.
Dans nos Bocages ,
Sous leurs verds ombrages ,
II. Vel, Rien
JUIN.
1427

1733.
Rien ne trouble la Cour ,
Et les voeux de l'Amour.
Point de tourmens
Jamais d'envie ,
Point de jalousie ,
Dans ces lieux charmans :
O l'heureuse vie !
Ménageons-en tous les momens.
Dans nos Bocages ,
Sous leurs verds ombrages ,
Les Jeux seuls font la Cour ,
Que rassemble l'Amour.
Le 30 May dernier, le Roy, par Arrêt
de son Conseil , du même jour , a accordé
le Privilége de l'Académie Royale
de Musique au Sr de Thuret , qu'avoit
cy-devant le Sr Lecomte.
Le 17 Juin , le Sr Rosimont , jeune
homme , qui a du talent pour le Théatre
, représenta le principal Rôle dans la
Tragédie de Cinna , et il fut applaudi.
On lui trouve du feu , de l'intelligence
et du sentiment. Les Rôles d'Auguste
et d'Emilie , dans la même Piece , sont
tres- bien remplis par le Sr Sarrazin , et
par la Dlle Dufresne.
II. Vol H iij MA1428
MERCURE DE FRANCE
MADRIGAL ,
Damon , belle Dufresne , après quatre ans d'ab
sence ,
Revient , brûlant d'impatience ,
De voir , d'entendre et de louer
L'Actrice , dont encore sa mémoire est remplie
Quel changement , dit- il , en te voyant joüer !
La Lecouvreur est embellie .
>
L'Heureux Stratageme , Comédie nou
velle en Prose , en trois Actes , de M. de
Marivaux , représentée au Théatre Ita
lien , le 6 Juin 1733 .
ACTEURS.
La Comtesse ,
Dorante , Amante de la
Comtesse
La Marquise ,
Le Chevalier Damis ,
Gascon , Amant de la
› Marquise
Comtesse ,
La Dile Silvia:
Le S Romagnesy.
La Dile Thomassi
Lisette , Suivante de la
Arlequin, Valet de Dorante
,
Frontin , Valet du Che-
Le St Lélio.
La Dule Lélio.
valier , Le S Dominique.
JUIN.
1429 1733
Blaise , Jardinier de la
Comtesse , Le S' Mario.
La Scene est chez la Comtesse.
Les beautez qui sont répanduës dans
cette Piéce ne sont peut- être pas à la portée
de tout le monde ; mais ceux qui accusent
l'Autheur d'avoir trop d'esprit ,
ne laissent pas de convenir qu'il a une
parfaite connoissance du coeur humain ,
et que peu de gens font une plus exacte
Analise de ce qui se passe dans celui des
femmes . L'Héroïne de cette Comédie est
une Comtesse, qui traite d'abord la Fidelité
de chimere , parce qu'elle regarde
cette vertu comme un obstacle à la passion
si naturelle au beau sexe , qui est de
faire valoir ses droits sur tous.les coeurs ;
prévenue en faveur de ses attraits , elle
ne croit rien hazarder en volant de conquête
en conquête ; elle aime Dorante ,
mais elle n'est pas fâchée d'être aimée du
Chevalier Damis , et trouve fort mauvais
que son premier adorateur s'en formalise
; la maniere dont elle s'explique avec
Dorante , sur les reproches qu'il ose lui
faire de son nouvel engagement , acheve
de le désesperer. Il se croit véritablement
effacé du coeur de sa Maîtresse , quoiqu'il
ne soit que sacrifié à sa vanité ; une Mar
1 Vol. Hiiij quise
1430 MERCURE DE FRANCE
quise à qui la Comtesse a enlevé un Aman:
dont la perte ne lui tient pas , à beau
coup près , tant au coeur , que Dorante
est sensible à celle qu'il croit avoit faite
à l'amour de la Comtesse , lui vient ou
vrir les yeux ; je connois mon sexe , lui
dit- elle , la Comtesse n'est infidelle qu'en
apparence ; l'envie de faire une nouvell
conquête flatte son amour propre , mais
la crainte d'en perdre une , qu'elle a déja
faite , allarmera ce même amour propre ,
et vous le rendra pius tendre que jamais ;
ce sage conseil est suivi de la proposi
tion qu'elle lui fait de feindre un nouvel
amour dont elle veut bien paroître l'ob
jet ; la proposition rêvolte d'abord , mais
elle est enfin acceptée. La Comtesse ne
daigne pas même donner la moindre
croyance aux nouveaux engagemens
qu'on lui annonce que Dorante vient
de prendre ; elle ne croit pas la chose sérieuse
, parce qu'elle la croit impossible ;
elle croiroit dégrader ses attraits , si elle
s'abbaissoit jusqu'à la crainte ; elle fait
plus , elle découvre le piége qu'on lui
tend , mais elle ne laisse pas d'y donner
dans la suite ; en effet , elle pense juste ,
quand elle dit que Dorante feint d'aimer
la Comtesse pour la rendre jalouse , et
cependant elle va par dégrez , jusqu'à
I I. Vol. craindre
JUIN 1733
1431
craindre que cette feinte ne soit une vérité
, et de la crainte elle passe jusqu'à
la conviction.
se ,
A ce fond de Piece est joint un Episo
de , qui , peut être , a donné lieu de dire
que c'est une nouvelle surprise de l'Amour.
Le voici : Blaise, Jardinier de la Comtesdoit
marier Lisette , sa fille , avec Arlequin
, valet de Dorante ; il vient prier
Dorante de vouloir bien porter la Comtesse
à donner une centaine de livres à sa
fille , pour les frais de la nôce , et pour
l'aider à se mettre en ménage . Dorante
qui commence à se douter de l'infidelité
de la Comtesse, lui répond qu'il ne croit
plus avoir de crédit sur son esprit , parce
qu'il n'en a plus sur son coeur. Toute la
suite de cet Episode a beaucoup de conformité
avec celui de la premiere surprise
de l'amour ; mais cette ressemblance
d'Episodes n'empêche pas que le fond
ne soit tres différent. Finissons cette digression
, et reprenons le fil de la Piece.
Dorante, par le conseil de la Marquise ,
ordonne à Arlequin de ne plus voir Lisette
;la raison qui l'oblige à lui faire cette
deffense , c'est , dit- il , que la Comtesse
pourroit croire qu'il continue à voir la
Suivante , pour épier la Maîtresse . Arlequin
ne peut se résoudre à se priver de
II. Vol. . Hv
la
1432 MERCURE DE FRANCE
la vûë et de la conversation de sa chere
Lisette ; mais la promesse que son Maître
lui fait , de la lui rendre plus tendre
que jamais , le détermine à lui obéïr.
Voici ce que cette heureuse deffense produit
: Blaise se plaint à la Comtesse des
obstacles. que Madame la Marquise apporte
à l'établissement de sa fille ; en effet,
la Marquise a bien voulu prendre cela sur
son compte à la priere de Dorante, qui né
veut point que la Comtesse lui en fasse
un crime , ou du moins ne l'accuse d'impolitesse
, attendu que c'est elle- même
qui a arrangé le mariage du Valet , dans
le temps qu'elle vouloit épouser le Maître.
La Comtesse veut avoir un éclaircissement
avec Dorante; sur cet affront,qu'elle
fait servir de prétexte au désir secret qu'el
le a de rentrer dans les droits que sa beauté
lui a donnés sur son coeur , elle lui en
parle d'un ton de Maîtresse , et lui dit
qu'elle veut absolument que le mariage
qu'elle a projetté entre Arlequin et Lisette
, s'acheve. Dorante lui répond qu'il en
parlera à la Marquise; la Comtesse lui die
avec fierté , qu'elle n'a que faire du consentement
de la personne même qui l'offense
, et que c'est à lui à la vanger . Dorante
lui déclare que ses ordres pouvoient
tout sur lui autrefois , mais que
11. Vol. les
JUIN. 1733.
1433
les temps sont changez , puisqu'elle l'a
bien voulu , et qu'elle lui a montré un
exemple d'infidélité , dont il a cru devoir
profiter ; la Comtesse ne peut soûtenir
cette humiliation , et lui dit une seconde
fois , quoique d'un top un peu moins
ferme , qu'elle veut être obéie. Dorante
se retire sans lui rien promettre.
La Comtesse sent plus que jamais.combien
un exemple d'infidélité est dangereux
. Elle commence à croire que celle
de Dorante n'est pas une feinte , et s'en
plaint à Lisette.
Damis vient et la presse de le rendre
heureux; cette derniere conquête n'a plus
rien qui la flatte ; un coeur qu'elle a gagné
, n'a rien qui la dédommage de celur.
qu'elle a perdu elle n'en fait pourtant
fien connoître à Damis; elle feint au contraire
de plaindre Dorante , et dit au
Chevalier qu'il faut ménager sa douleur
en differant leur hymen . Damis a beau
la presser de l'achever , rien ne peut lui
faire changer une résolution que la pitié
lui inspire , bien moins que l'amour.
Dorante persuadé qu'il est aimé de fa
Comtesse , voudroit se jetter à ses pieds
pour lui demander pardon de sa feinte et
pour se reconcilier avec elle , mais la
Marquise lui fait entendre qu'il n'en est
11. Vol. H.vi pas
1434 MERCURE DE FRANCE
pas encore temps , et que si la Comtesse
s'apperçoit si-tôt de l'empire que sa beauté
lui donne sur lui , elle en abusera
d'une maniere à le rendre plus malheureux
que jamais. Elle lui conseille de
pousser la feinte aussi -loin qu'il se pourra
,et d'achever le stratagéme dont ils sont
convenus ensemble.
On va bien-tôt voir l'effet que produit
cette innocente supercherie. Dorante et
la Marquise font courir le bruit de leur
prochain mariage ; et ce qui picque plus
la Comtesse , c'est que c'est chez elle même
que le Contrat doit être signé ; elle
fait dire à Dorante qu'elle veut lui parler.
Dorante la fait prier de l'en dispen
ser , attendu qu'elle craint que la Marquise
ne le trouve mauvais et n'en prenne
de l'ombrage. Ce menagement acheve
de porter le desespoir dans le coeur de la
Comtesse. Dorante vient enfin avec là
Marquise; ils la prient tous deux de vouloir
bien leur permettre de se marier chez
elle : la présence de Damis ne peut empê
cher la Comtesse de se livrer à sa douleur
: elle dit à Damis qu'elle ne l'a jamais
aimé , et à Dorante , qu'elle lui a
toujours été fidelle ; Dorante ne tiendroit
pas contre un aveu si charmant , si la
Marquise ne l'encourageoit par sa présen-
II. Vol. ce
JUIN. 1733.
1435
à soutenir jusqu'au bout , une feinte
i lui a été si utile ; la Comtesse s'abisse
jusqu'à redemander à Dorante un
eur qu'il semble lui avoir ôté ; la Maruise
répond pour Dorante , qu'il n'en
st plus temps , puisque le Contrat est
ressé ; enfin le Notaire arrive , le Conat
à la main ; la Marquise prie la Comesse
de leur faire l'honneur d'y signer ;
Dorante lui fait la même priere , quoique
d'une voix tremblante ; la Comtesse
bar un dernier effort de fierté , prend la
olume , mais à peine a t- elle signé qu'elle
combe en défaillance entre les bras de
Lisette . Dorante ne pouvant plus tenir
contre cette marque d'amour , se jette à
ses pieds elle paroît agréablement surprise
de le trouver dans cette situation ;
Dorante lui dit que c'est son Hymen
avec lui - même qu'elle vient de signer ,
et la prie de vouloir bien le confirmer .
La Comtesse embrasse la Marquise et lui
Lend graces d'une tromperie qui lui rend
un si fidele Amant. Ce dénouement a
paru un des plus interressans qu'on ait
vûs au Théatre .
La Piéce ayant été imprimée 15 jours
après que nous en eûmes fait cet Extrait
d'après les premieres représentations
nous avons crû qu'il étoit à propos d'y
$
II. Vol.
ajou1436
MERCURE DE FRANCE
ajouter quelques fragmens , pour donne
une plus juste idée de la maniere dont
Sujet est traité. Voici une Scene entre
Comtesse et la Marquise ; c'est la troi
siéme du second Acte.
La Comtesse.
Je viens vous trouver moi même , Marquise ;
Comme vous me demandez un entretien parti
culier , il s'agit apparemment de quelque chos
de conséquence.
La Marquise.
Je n'ai pourtant qu'une question à vous faire
; et , comme vous êtes naturellement vraie ,
que vous êtes la franchise , la sincerité même ,
nous aurons bien- tôt terminé.
La Comtesse.
Je vous entends : Vous ne me croyez pas trop
sincere , mais votre éloge m'exhorte à l'être
N'est- ce pas ?-
La Marquise.
A cela près , le serez - vous?
La Comtesse.
Pour commencer à l'être , je vous dirai que je
n'en sçais rien .
La Marquise.
Si je vous demandois , le Chevalier vous aime
t-il ? Me diriez-vous ce qui en est ?
La Comtesse.
Non , Marquise , je ne veux pas me brouiller
11. Vol. avec
JUIN. 1733. 1437
ec vous ; et vous me haïriez , si je vous disois
vérité.
La
Marquise.
Je vous donne ma parole que non.
La Comtesse.
Vous ne pourriez pas me la tenir , je vous en
ispenserai moi - même ; il
y a des mouvemens
qui sont plus forts que nous.
La Marquise.
Mais pourquoi vous haïrois- je ?
La Comtesse.
N'a-t-on pas prétendu que le Chevalier vous
aimoit ?
La Marquise.
On a eu raison de le prétendre.
La Comtesse.
Nous y voilà , et peut - être l'avez - vous pensé
"yous-même.
Je l'avouë.
La Marquise.
La Comtesse.
Et après cela , je vous irois dire qu'il m'aime !
Vous ne me le conseilleriez pas.
* La Marquise.
N'est-ce que cela ? Eh ! je voudrois déja l'avoir
perdu , je souhaite de tout mon coeur qu'il vous
aime.
La Comtesse .
Oh ! sur ce pié- là , vous n'avez donc qu'à ren-
II. Vol. dre
1438 MERCURE DE FRANC
dre gracet au Ciel ; vos souhaits ne sçauro
être plus exaucez qu'ils le sont.
La Marquise.
Je vous certifie que j'en suis charmée.
La Comtesse.
Vous me rassurez.Ce n'est pas qu'il n'ait to:
Vous êtes si aimable qu'il ne devoit plus av
d'yeux pour personne, mais peut - être vous éton
il moins attaché qu'on n'a cru.
La Marquise.
Non , il me l'étoit beaucoup , mais je l'excus
quand je serois aimable , vous l'êtes encore pl
que moi, et vous sçavez l'être plus qu'une auir
La Comtesse.
+
Plus qu'une autre ! Ah ! vous n
n'êtes pas si cha
mée , Marquise ; je vous disois bien que vou
me manquerież de paroles ; vos éloges baissent
je m'accommode pourtant de celui - cy : j'y sen
une petite pointe de dépit , qui a son mérite
c'est la Jalousie qui me louë .
La Marquise.
Moi , de la jalousie ?
La Comtesse.
A votre avis , un compliment qui finiroit par
m'appeller Coquette , ne viendroit pas d'elle? Oh !
que si , Marquise , on le reconnoît.
La Marquise.
Je ne songeois pas à vous appeller Coquette;
La Comtesse.
Ce sont de ces choses qui se trouvent avant
qu'on y ait rêvé.
JUIN. 1733. 1439
La Marquise.
Mais , de bonne foy,ne l'êtes-vous pas un peu ?
La Comtesse.
*
Oui - dà , mais ce n'est pas assez qu'un peu
ne vous refusez pas le plaisir de me dire que je le
suis beaucoup , cela n'empêchera pas que vous ne
le soyez autant que moi.
La Marquise.
Je n'en donne pas tout - à -fait les mêmes
preuves.
La Comtesse.
C'est qu'on ne prouve que quand on réussit
le manque de succès met bien des coqueteries à
couvert , on se retire sans bruit , un peu humiliée
, mais inconnuë , c'est l'avantage qu'on a.
La Marquise.
Je réussirai , quand je voudrai , Comtesse;
vous le verrez , cela n'est pas difficile , et le Chevalier
ne vous seroit peut - être pas resté , sans le
peu de cas que j'ai fait de son coeur.
La Comtesse.
Je ne chicanerai pas ce dédain -là , mais ,
quand l'amour propre se sauve ,
voilà comme il
parle :
La Marquise.
Voulez-vous gager que cette avanture n'hu¬
miliera pas le mien , si je veux 2
La Comtesse.
Esperez- vous regagner le Chevalier ? Si vous le
pouvez , je vous le donne,
II.Vol
La
1440 MERCURE DE FRANCE
La Marquise.
Vous l'aimés , sans doute
La Comtesse.
Pas mal , mais je vais l'aimer davantage , afia
qu'il vous resiste mieux ; on a besoin de toutes
ses forces avec vous.
La Marquise.
Oh ! ne craignez rien , je vous le laisse ;
Adieu.
La Comtesse.
Eh ! pourquoi disputons-nous sa conquête ?
Mais pardonnez à celle qui l'emportera. Je ne
combat qu'à cette condition , afin que vous
n'ayez rien à me dire.
La Marquise.
Rien à vous dire ! Vous comptez
porter ?
La Comtesse .
donc l'em-
Ecoutez , je jouërois à plus beau jeu que vous.
La Marquise.
J'avois aussi- beau jeu que vous , quand vous
me l'avez ôté , je pourrois donc vous l'enlever
de même.
La Comtesse.
Tentez donc d'avoir votre revanche.
La Marquise.
Non , j'ai quelque chose de mieux à faire.
La Comtesse.
Peut- on vous demander ce que c'est ?
II.Vol. La
JUIN. 1733 1441
La Marquise.
Dorante vaut son prix , Comtesse : Adieu.
On voit par cette Scene avec quelle légéreté
et avec quelle finesse M. de Marivaux dialogue.
La Comtesse , effrayée de la sécurité de la Marquise
, commence à craindre qu'on ne lui enleve
Dorante , quoique son amour propre la flatte
que cela ne sera pas si facile que la Marquise paroît
se l'imaginer ; cette crainte se change enfin
en certitude, et lui arrache ces regrets : Elle parle
à sa suivante.
Je l'aime , et tu m'accables ! tu me penetres de
douleur ! Je l'ai maltraité , j'en conviens , j'ai tort ,
un tort affreux , un tort que je ne me pardonnerai
jamais, et qui ne merite pas que l'on l'oublie ; que
veux-tu que je te dise de plus ? Je me condamne ;
je me suis mal conduite , il est vrai , misérable
amour propre de femme ! misérable vanité d'être
aimée ! voilà ce que vous me coûtez ; j'ai voulu
plaire au Chevalier , comme s'il en avoit valu la
peine , j'ai voulu me donner cette preuve de mon
mêrite ; il manquoit cette honneur à mes charmes ;
les voilà bien glorieux ! J'ai fait la conquête us
Chevalier et j'ai perdu Dorante.
Nous aurions bien d'autres morceaux à citer ,
mais nous passerions les bornes prescrites à nos
Extraits , si nous insérions dans celui- ci tout ce
qui est digne de l'attention de nos Lecteurs
II. Vol. NOU1442
MERCURE DE FRANCE
NOUVELLES ETRANGERÈS.
D: Constantinople , le 14 Mai 1733-
Es nouvelles de Perse varient toûjours ; les
Lunes portent que le Blocus de Bagdad est
levé ; les autres , qu'il continue encore ; ce qui
se dit de plus generalement , c'est que la mésintelligence
s'est glissée dans l'Armée de Talimas-
Kouli Khan , les Khans et autres principaux
Officiers , ayant fort murmuré contre ce Génétal
, de ce qu'il s'obstinoit à perdre le temps
devant une Place , dont il n'étoit pas en état de
former le Siége , tandis que les Turcs ravagcoient
plusieurs Provinces de Perse,massacroient
Ieurs Sujets , et emmenoient leurs Femmes er
kurs Enfans en esclavage ; que sur les avis que
Achmet Pacha avoit eus de ces divisions , et que
Parmee Persanne devoit décamper , il avoit détaché
plusieurs Partis de sa Garnison , qui s'étant
joints à quelques Troupes d'un Prince Arabe
, son beau pere , avoient harcelé cette Armée
dans sa marche , par de continuelles Escarmouches
, dans lesquelles Tahmas-Kouli-Khan avoit
perdu beaucoup de monde ; enfin que Topal
Osman , Pacha , étoit parti depuis 25 jours du
Diarbekir, pour s'approcher de Bagdad, et combatre
les Persans , s'il en trouvoit l'occasion favorable
, et qu'il n'avoit pris avec lui que 40000
hommes , ayant laissé le reste de son Armée au
Camp , pour y recevoir les Troupes et les Munitions
qui devoient lui venir encore.
Curde-Demir, Pacha , qui commande du côté
II. Vol.
de
JUIN . 1733 1443
de Tiflis, et plusieurs autres Pachas qui l'avoient
joint avec leurs Troupes, ont fait des Incursions
dans les Campagnes de Tauris et d'Erivan , où ils
ont passé au fil de l'Epée beaucoup de Petits-
Corps de Persans, qui étoient postez en differens ·
endroits pour la garde du Pais. Tauris , Erivan ,
Roumié et plusieurs autres Villes ont été entiement
saccagés.
Les Sultans Fetih ou le Conquerant , et Islam
* Ghuirai , fils de Deulet Ghuirai , Khan de
Crimée , déposé , sont les Chefs des Tartares ,
qui ont été commandez pour pénétrer dans le
coeur de la Perse. Fetih , Sultan , l'aîné de ces
deux Princes , mande au Khan régnant , son
oncle , par sa Lettre , dattée du Mont - Caucase ,
et arrivée à Bacché - Saraï le 24 Avril , qu'ils se
sont frayez une route dans cette Montagne , qui
aboutit proche de Tiflis , et qui est éloignée de 6
lieuës de Kabarta , canton de la Circassie , que
les Moscovites prétendent leur appartenir ; que
ses Troupes et celles de son frere , au nombre de
30 à 40 mille hommes , marchent sur deux colonnes
, et se tiennent fort sur leur garde dans
la crainte d'être attaquées par des peuples inconnus
, habitans du Caucase , qu'elles trouvent
souvent dans leur
passage.
Djanum-Codja , qui avoit été nommé depuis
peu Pacha de Négrépont, vient d'être fait Pacha
de Candie, et Inspecteur Général des Armemens
du G. S. Les Commandans des Vaisseaux et les
Beys des Galeres , qui seront en Mer, iront prendre
ses ordres , et n'entreprendront rien que sur
ses avis.
* Islam, l'Ortodoxe.
II. Vol.
Le
1444 MERCURE DE FRANCE
Le 16 May.
Danum Codja a été nommé hier Capitan-
Pacha; c'est la troisième fois qu'il est revêtu de
cette importante Charge. Son Muhurdar , ou
Garde Sceau , qu'il avoit envoyé ici pour affaia
eu ordre du G. V. d'aller à Négrépont
porter cette agréable nouvelle à son Maître.
res ,
Abdi , Pacha , qui a aussi été déja deux fois
Capitan Pacha , en fera les fonctions par interim,
jusqu'à l'arrivée de D'janum -Codja.
Bekir-Pacha , beau -frere du G. S. que celui- ci
releve , a été fait * Nidchangi de sa Hautesse ;
Cuperli , qui exerçoit cet emploi , va à Viddin ,
en qualité de Pacha ; celui qu'il remplace , vient
à Négrépont , et Abdoulla Cuperli , qui étoit Pacha
de cette Isle , et qu'on avoit dit dans les dernieres
nouvelles, avoir été envoyé en Perse, pour
y servir sous Topal - Osman Pacha , passe
Smirne , où il doit attendre de nouveaux ordres
du Grand Seigneur.
RUSSIE.
P. V. D.
E 23. May , la Princesse Anne de Meckel-
Lbourg , reçut à Petersbourg , des mains du
Confesseur de la Czarine , la Communion , selon
le Rit de l'Eglise Grecque. •
La Czarine a ordonné qu'on choisît des Pilotes
experts qui connussent parfaitement le Pôle
pour tenter de nouveau le voyage de la Chine
par la Mer de Tartarie.
* C'est celui qui fait le Paraphe du G. S.
II. Vol.
Po
JUIN. 1733. 1445
Lséparer ,
POLOGNE.
A Diette de convocation , avant que de se
séparer a reglé , qu'on ne presentera au Roy
qui sera élu , les Pacta Conventa , qu'après qu'ils
auront été examinez dans la Diette d'Election ;
que cette Diette connoîtra de tous les excès qui
auront été commis pendant l'interregne , que les
Diettes particulieres des Palatinats commenceront
à s'assembler le 24. du mois prochain ; que
personne ne pourra être admis à donner sa voix
pour l'Election du Roy, sans avoir prêté le même
serment qn'ont prêté les Sénateurs et les
Nonces , que ceux qui refuseront de prêter ce
serment , seront non-seulement privez du droit
de suffrage , mais encore déclarez ennemis de la
Patrie.
Il a été ordonné aussi qu'aucune Charge , de
quelque nature qu'elle soit , ni même aucune
place dans les Finances , ne pourront être possedées
que par les Catholiques; qu'on donneroit au
Primat et au Sénat,des pleins pouvoirs pour augmenter
les Troupes de la République, soit avant,
soit pendant la Diettt d'Election , selon que les
Occurences l'exigeroient.
les .
L'Acte de Conféderation , signé par tous les
Sénateurs et par les Nonces qui ont assisté à la
Diette génerale de Convocation , renferme quelques
articles qui n'étoient pas contenus dans le
Projet présenté par M. Maschalski , Maréchal de
la Diette , et dont les principaux sont , que la
Diette d'Election ne pourra durer plus de six semaines
; que le Primat ne proclamera point le
Roy qu'après qu'il aura demandé trois fois si on
est d'accord sur le Sujet qu'on veut élire , et qu'on
lui aura répondu chaque fois qu'il y a unanimité
II. Vol. de
1446 MERCURE DE FRANCE
de suffrages ; que le Roy qui sera élu , s'enga.
gera par serment avant son Couronnement ,
observer les nouveaux Pacta Conventa dont on
sera convenu dans la Diette ; que la formule de
ce serment sera la même que celle du serment de
Sigismond II. Henry , Etienne , Sigismond III.
Uladislas IV . Jean Casimir, Michel , Jean III . et le
feu Roi , ont preté ; qu'après le Couronnement ,
les nouveaux Pacta Conventa seront confirmez
par une Diette generale qui se tiendra pour cet
effet , que la Répblique accordera aux Eglises du
Rit Grec , qui sont dans les Terres de son obéïssance
, sa protection , et qu'on les maintiendra
dans tous leurs droits et dans toutes leurs prérogatives
.
Dans l'Assemblée du premier , il fut résolu
qu'avant de rien déterminer on députeroit aux
Ambassadeurs de l'Empereur et de la Czarine ,
et que les Sénateurs qu'on leur envoyeroit , seroient
chargez de les prier de faire de nouvelles
instances auprès de S. Majesté Impériale er de Sa
Majesté Czarienne, pour qu'elles retirassent incessamment
les Troupes qu'elles ont dans la Silesie
et dans la Curlande. Dans l'Assemblée du jour
suivant , le Primat présenta au Sénat une Lettre
que l'Empereur écrivoit à la République , et qui
ne fut point ouverte , parce que ce Prince n'y
donnoit pas à la République le titre de Sérénissime.
Les Députez qu'on avoit envoyez à l'Ambassadeur
de S. M. Imp. et à celui de S. M. Cz.
rapporterent que ces Ministres leur avoient répondu
que l'Empereur et la Czarine avoient fait
avancer des Troupes sur les Frontieres de Pologne,
uniquement dans le dessein de mettre leurs
Provinces à couvert des incursions de quelques
Polonois vagabons qui y avoient causé plusieurs
II. Vol.
déJUIN.
1733.
1447
désordres , et que le petit nombre de ces Troupes.
n'étoit pas capable de donner aucune inquiétude
à la République. Cette réponse n'ayant pas para
satisfaisante , on convint que le Primat écriroit
à l'Empereur et à la Czarine , pour les presser
de faire cesser les sujets d'allarmes que le voisinage
de leurs Troupes donnoit à la Nation : quelques
Sénateurs proposerent de faire monter la
Noblesse à cheval , mais cet avis ne passa point ,
et l'on croit que le Sénat se contentera d'envoyer
des Lettres circulaires dans tous les Palatinats ,
pour qu'elle se tienne prête à marcher au premier
ordre.
On prépare entre Warsovie et Wola, le lieu
où la Diette d'Election se tiendra , suivant la
coutume , et l'on commence à travailler aux fossez
et aux autres ouvrages qui y sont nécessaires,
ALLEMAGNE.
E Baron de Wittigenau , nommé pour com-
Lander par interim , le Camp d'Oppelen en
Silesie , y maintient une discipline fort exacte.
On écrit de Vienne , qu'on a donné ordre à
M. de Feldeek , Major general d'Artillerie , de
faire conduire à ce Camp 16. Pieces de Canon,
et le bruit court qu'on y fera marcher encore
trois ou quatre Bataillons .
ITALI E.
E premier Juin , le Comte Jules Viscomti
nouveau Viceroy de Naples , accompagné de
M. Gamberucci , Archevêque d'Amasie , de
M. Spinelli , Archevêque de Corinthe , de M. Alberti
, Archevêque de Palmire, et du Majordome
du Pape , et suivi d'un très - grand nombre de
II. Vel
Ca1448
MERCURE DE FRANCE
Carosses , alla visiter l'Eglise de S. Pierre , à la
porte de laquelle il fut reçu par plusieurs Députez
du Chapitre , qui suivant l'ordre que S. s.
avoit donné , lui montrerent les Reliques qu'on
y conserve.
Le 2. il eut Audience du Pape , étant conduit
par le Cardinal Cienfuegos , chargé des affaires
de l'Empereur à la Cour de Rome , et présenté
par le Cardinal Banchieri , Secretaire d'Etat , le
même jour il eut l'honneur de dîner avec S. S.
On avoit dressé deux tables , l'une sous un magnifique
Dais pour le Pape , l'autre à quelque
distance pour le Viceroy ; S. S. après avoir pris
dé lui la serviette et avoir beni les viandes , lui
fit signe de s'asseoir à la table qui lui avoit été
pféparée , et de se couvrir ; il y eut pendant le
repas un Concert , executé par la Musique de la
Chapelle ; après le repas , le Pape passa dans une
autre Salle avec le Viceroy , qui s'étant assis par
ordre de S. S. mais sans se couvrir , s'entreting
avec Elle pendant quelque temps ; il fut ensuite
reconduit dans son Appartement par le Majordome
et les deux premiers Maîtres des Cerémonies.
Le 4. le Viceroy eut du Pape son Audience
publique de congé , et il est parti accompagné
des Carosses du Cardinal Cienfuegos , de ceux de
l'Ambassadeur de Malte , et d'un grand nombre
d'autres Carosses , pour Castel-Gandolphe , où
S. S. lui avoit fait préparer un Appartement dans
Château. Il a reçu du Pape divers présens , entre
autres , le Corps de S. Clément Martyr , et
quatre Pieces de Tapisserie , réprésentant les quatres
Evangélistes , d'après les Tableaux du Guide,
t il a été traité par les Officiers de S. S. pendanɛ
tout le temps qu'il a demeuré à Rome,
II, Vol. LE
JUI N. 1733 . 1449
Le Pape a ordonné au Duc de Palombara ,
Gouverneur du Château S. Ange , de permettre
au Cardinal Coscia , de se promener de temps en
temps sur la platte- forme , à condition qu'il sera
gardé à vûë , qu'il n'approchera point du Parapet
et qu'il ne parlera à personne,
On apprend de Venise , que M. Alexandre
Zeno , est nommé pour aller résider à la Cour
de France , en qualité d'Ambassadeur Ordinaire
de la République , à la place de M. Mocenigo.
LA
ESPAGNE.
E Roy , la Reine , le Prince et la Princesse des
Asturies , séjournerent le 4. de ce mois au
Village de Viso , à cause de la solemnité de la
Fête Dieu , et Leurs Majestez firent leurs dévotions
dans l'Eglise Paroissiale . Le 5. elles arrive
rent à Valdepennas , &c Et l'on a appris que 1
12. Juin la Cour étoit arrivée au Château d'A
ranjues , où tous les Seigneurs et la plus grande
partie de la Noblesse de Madrid , s'étoient rendu
pour recevoir L. M. L'Infant Don Louis et le..
Infantes continuoient leur marche à petitea
journées. Le plaisir que cause le retour de la Fa
mille Royale , est inexprimable. L'Infant Dor
Louis et les Infantes arriverent le 1 6. de ce moi
à Aranjues.
Selon les nouveaux avis reçus d'Oran , la perte
que les Maures ont faite dans la derniere action ,
est bien plus grande qu'on ne l'avoit dit d'abord.
Ils ont perdu près de 3000. hommes , et ils ont
eu un très grand nombre de blessez .
Les dernieres nouvelles d'Oran , marquent que
les Maures ont fait une nouvelle et derniere tentative
pour s'emparer du Bastion de la Place d'Odu
côté d'Ytro , lequet ils avoient déja atran
,
II. Vol. I ij taqué
རྣཆད པ TRANCE
taqué plusieurs fois inutilement. Un Détachement
considerable de leurs Troupes s'étant vent
poster dans le Valon de la Fontaine , et dans le
Parage qu'on nomme de los Hijuelos , le Marquis
de Villadarias ordonna aux Grenadiers et aux Volontaires
de faire une sortie , et d'aller soutenus des
Dragons, charger en flanc les Ennemis; il fit marcher
en même-temps dix Compagnies d'un autre
côté du Vallon, pour les prendre par le flanc opposé.
Au signal qu'il fit donner du Fort de S.Philippe,
les Grenadiers et les Volontaires commencerent
l'attaque avec tant de valeur , qu'ils chasserent les
Maures et les poursuivirent jusques sur l'éminence
voisine de la Montagne de la Mazetta. Ayant été
joints en cet endroit par les Dragons , ils continuerent
de pousser les Ennemis , et les obligerent encore
de reculer jusqu'à la Montagne , où pendant
Jong-temps le feu fut très - vif de part et d'autre ,
mais à la fin toute l'Armée des Maures étant venuë
au secours du Détachement , les Espagnols
se retirerent sous le Fort de S, Ferdinand, Les Ennemis
, qui avoient toutes leurs forces réunies et
qui avoient eu la précaution de tenir leurs Troupes
plus serrées que dans les attaques précédentes,
poursuivirent et essuyerent un si grand feu de
Canon et de Mousqueterie , que la perte qu'ils
ont faite en cette occasion , est infiniment plus
considerable que celle qu'ils firent dans l'action
du 19. du mois d'Avril dernier .
les
Le combat étant fini , les Espagnols retournerent.
en bon ordre dans la Place et dans leurs
autres postes. La Garnison a eu dans cette occasjon
près de 400. hommes de tuez ou blessez ; du
nombre de ces derniers sont le Marquis de Mi
romenil , Colonel , Don Matthias del Campo ,
premier Lieutenant dans le Régiment des Gardes
11. Vol. Wallones
JUIN. 1733. 1451
Wallones , Don Ignace de Quiroga , et Don
Ferdinand Corbalan , Sergens Majors.
EXTRAIT d'une Lettre écrite d'Alger
le 25. May , contenant des Nouvelles
d'Oran.
E vous dirai d'abord ce que je viens d'appren→
dre par un Espagnol qu'on a amené ici esclave ,
et qui n'est parti d'Oran que depuis douze jours .
Cet Espagnol , ancien dans le Service , m'a assuré
que la Place est abondamment pourvûë de toutes
sortes de provisions de guerre et de bouche. La maladie
contagieuse y a cessé , les Châteaux sont fortifiez
et dans un état à ne plus craindre les efforts
barbaresques , d'autant plus que beaucoup de Maures
, qui en sont bien informez , et qui ennuyez d'un
si long service et de la durée du Siege , se débandent
et fournissen même à la Place,par la communicasion
des Maures de Paix , quantité de Bestiaux ,
ce qui donne un grand soulagement aux Assiegez.
Les Turcs n'ignorent pas ce commerce , mais ils ne
sont pas en état de s'y opposer , ils n'osent pas même
sortir de leur Camp , n'ayant pas moins à craindre
du côté de ces Maures , que de celui des Chrétiens ;
aussi les Turcs ne cessent- ils de demander du secours.
Le Dey cependant n'a pas un homme à leur
envoyer , il a fallu pour contenir les Maures et lever
les Garannes ou Tributs qu'on a coûtume d'éxiger
, envoyer les Camps ordinaires , et pour cela
dégarnir la Ville d'Alger de Soldats . Le puissant
secours qu'on attend du G. S. a retenu jusqu'à présent
les Maures dans la soumission et les Turcs de-
* On appelle ainsi ceux des Maures qui sont
dans les interêts des Espagnols.
II. Vol. I iij vant
145 MERCURE DE FRANCE
vant Oran. Ceux- cy, dès qu'ils seront informez de
la disgrace arrivée à leurs Vaisseaux,pourront bien,
malgré le Dey, abandonner les Tentes et les Bagages
et se retirer à la sourdine pour se dérober à la cruauté
des Maures , du moins c'est ainsi que Pon en juge ,
d'autant mieux que ces Turcs ont eu en dernier lieu
un échec qui les a fort éclaircis . Voici de quelle maniere
le rapporte l'Espagnol qui a été présent à tout.
M. le Marquis de Villadarias , voyant que Les
Maures ne laissoient pas de venir prendre de
Peau à la Fontaine , malgré ses précautions et malgré
le feu du Fort de S. Ferdinand , fit faire une
Galere ou un Boyau de bonne massonnerie , avec de
petits creneaux ou meurtrieres qui donnoient vèrs la
Fontaine, pour écarter ceux qui y viendroient, ce qui
incommodera fort l'Ennemi , qui d'ailleurs ne peut
avoir que de mauvaises eaux. Bigotillos s'étant apperçu
du dessein des Espagnols , se proposa d'enlever
les Travailleurs,mais le M.de Villadarias en ayant
eu vent , fit marcher les Travailleurs à l'ordinaire
avec soixante hommes pour les couvrir ; ilfu encore
sortir 1500. Grenadiers en deux bandes , l'une à
droite et l'autre à gauche , avec ordre de se cacher
dans des Ravines voisines qui favorisoient tout-àfait
son dessein Les Maures se croyant sûrs de leur
coup , ne manquerent point de s'avancer en assez.
grand nombre ; alors les 60. Soldats commandez
pour couvrir les Travailleurs , firent semblant de
redouter ce grand nombre et de se retirer , pour attirer
l'Ennemi dans Pembuscade ; il y donna efectivement
, et les 1500. Grenadiers sortirent de leurs
Ravines et firent feu de tous côtez. A ce coup imprévû
les Turcs et les Maures accoururent en foule
pour secourir les leurs . Le M. de Villadarias , à porsée
de découvrir tout ce qui se passoit , donna ordre
aux siens de feindre une retraite pour attirer insen-
II. Val. siblement
JUIN. 1733. 1453
siblement les Assiegeans sous le Canon . Ce strata
gême lui aparfaitement bien réussi . Trois des Chateaux
firent feu de leurs Canons avec mitrailles et
Bombes , si à propos , qu'il resta sur la place plús
hommes , sans compter les blessez . Les
Turcs y ont perdu plus de 300. des leurs ; ils sont
d'autant plus affligez de cette perte , qu'ils se voyent
hors d'état de la réparer , aussi ne pensent- ils qu'à
se ménager et à conserver leurs têtes .
de
1500
GRANDE BRETAGNE .
One de un
N écrit de Londres , que M. Guillaume Rener
, convaincu d'avoir publié un Libelle
scandaleux et séditieux , intitulé , La Chance de
sept , a été condamné par la Cour du Banc du
Roy, à payer cinquante livres sterlings , à garder
prison pendant deux ans , et à donner pendant
sept des cautions de sa conduite.
Le 24. Juin , vers les quatre heures du soir ,
- le Roy se rendit à la Chambre des Pairs , avec les
ceremonies accoûtumées , et S. M. ayant mandé
la Chambre des Communes , donna son consentement
Royal au Bill , pour employer soo. mille
livres sterlings du fonds d'amortissement , au
service de l'année courante , et pour prendre sur
l'argent restant dans la Caisse de l'Echiquier les
80000. liv. sterl . accordées par le Parlement pour
la Dot de la Princesse Royale , et à plusieurs autres
Bills publics et particuliers ; S. M. fit ensuite
saux deux Chambres le Discours suivant.
Mylords et Messieurs , la saison où nous sommes
, et la diligence avec laquelle vous avez terminé
les affaires publiques , me font trouver à
propos de mettre fin à cette Séance du Parlement.
Messieurs de la Chambre des Communes , je
Nous remercie du zele avec lequel vous avez
II. Vol. I iiij pourvû
1454 MERCURE DE FRANCE
pourvû au service de l'année courante. Je n'ai
jamais demandé aucuns subsides à monPeuple que
ceux qui étoient absolument nécessaires pour
l'honneur , la sûreté et la deffense de ma Personne
et de mon Royaume , et je suis toujours trèssatisfait
, lorsqu'on peut fournir aux dépenses publiques
d'une maniere moins onereuse à mes
Sujets.
Mylords et Messieurs , je ne puis m'empêcher
de remarquer les efforts dont on a eu en dernier
lieu la méchanceté de se servir pour aigrir l'esprit
du Peuple , et pour exciter par les plus injustes
et les plus fausses représentations des tumultes
et des désordres qui ont presque menacé
la tranquillité du Royaume ; mais je me repose
sur la force de la verité pour dissiper des soupçons
mal fondez qui ont été répandus dans le
Public , qu'on formoit des desseins contre la liberté
de la Nation et sur votre fidelité , pour
› renverser et détruire les espérances de ceux qui
se plaisent dans la confusion . C'est mon inclination
, et ç'a toujours été mon étude de conserver
les droits de la Religion et de mes Sujets.De vo
tre côté, appliquez-vous à détromper ceux qui s'en
sont laissé imposer , et à les rendre sensibles au
bonheur dont ils joüissent , et au danger qu'ils
courent,en se laissant entraîner inconsidérément,
par des prétextes peu specieux , à leur propre
destruction.
Ensuite le Lord - Chancelier › par ordre du
Roy , prorogea le Parlement jusqu'au 26. de
Juillet prochain.
Dans la Session d'Amirauté , qui se tint le 16.
de Juin à Old- Baly , le Capitaine Harris , cydevant
Commandant le Vaisseau le Jean et Richard,
fut jugé pour le meurtre du nomméBeard,
II. Val.
JUIN. 1733. 1455
an de ses Matelots , qu'il tua le 2. Juin 173 1.
dans son passage de la Côte de Guinée à la Jamaïque
, et après une Séance d'environ 5. heu
res , il fut condamné à mort .
Le bruit court que le Prince d'Orange n'ira pas
en Angleterre , parce que plusieurs Ducs refursent
de lui ceder le pas , et que son Mariage avec
la Princesse Royale se fera par Procureur , aussi
bien que son installation en qualité de Chevalier
de l'Ordre de la Jarretiere.
XX:XXXXXXXX :XXXXX
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c:
L
E Roy a donné la Direction generale des
Economats , qu'avoit feu l'Archevêque de
Rouen , à M. Daguesseau du Fresne , Maître des
Requêtes , second fils da Chancelier de France.
Le 13. Juin , les Frêtres de l'Oratoire , élurent
pour Supérieur General de leur Congrégation,
le R.P. de la Valette, qui étoit Supérieur de
leur Maison de la ruë S. Honoré.
Le 28. la Reine se rendit à la Chapelle du
Château de Versailles ; et après avoir entendu
la Messe , S. M. fut relevée de ses couches par
l'Evêque Comte de Châlons , son premier Au
mônier.
Le 25. Juin , la Loterie de la Compagnie des
Indes , établie pour le remboursement des Ac-
II. Vol.
tions
1416 MERCURE DE FRANCE
tions , fut tirée en la maniere accoûumée ,
l'Hôtel de la Compagnie. La Liste des Numeros
gaguans des Actions et Dixièmes d'Actions qui
doivent être remboursées , a été renduë publique
, faisant en tout le nombre de 314,
Actions.
Le 30. Juin , l'ouverture de la Foire de S. Laus
rent fut faite par le Lieutenant General de Police,
en la maniere accoûtumée.
SUR LE PORTRAIT
de la Marquise de P ***.
Votre Portrait , belle P ....
A rendu la joye à Cithere ;
Depuis long-temps les Ris , les Jeux ,
N'y voyoient plus l'Amour leur frere a
On le fit chercher , mais en vain.
Le voilà découvert enfin •
Au moyen de cette Peinture ;
Par elle on voit que le fripon
A changé de sexe et de nom
Sans avoir changé de figure.
II, Vol.
PRO
JUIN. 1733. 1457
PROMOTIONS d'Etats Majors
LA
des Places. 1
A Lieutenance de Roy de Strasbourg , vácante
par la mort de M. de Montmiral , a été
donnée à M. le Baron de Trelans , Brigadier
d'Infanterie , Lieutenant pour le Roy à Besançon
.
Čelle de Mezieres , vacante par la mort de
M. de Leautaud , à M. de Leautaud , son frere ,
Major d'Amiens.
Celle de Besançon , vacante par la Promotion
de M. de Trélans , à celle de Strasbourg , à M. de
la Tour Sraguier , Lieutenant Colonel du Régiment
de la Marine.
,
Celle ' Embrun vacante par la mort de
M. Maynard, à M. de la Courcelle , qui avõit
été nommé depuis peu à celle du Fort des Bains.
' Le Gouvernement de Thionville , vacant par
la démission de M. le Comte de Muret , Lieutehant
General , à M. Berthelot de Rebourseau ,
Maréchal de Camp , en remettant les 3000. liv.
de pension qu'il avoit sur le Trésor Royal .
Celui de Longwy , vacant par la démission de
M. Muret, Lieutenant General , à M. de Visé ,
Brigadier d'Infanterie , Capitaine au Régiment
des Gardes Françoises , en remettant 1200. liv.
de pension qu'il avoit sur le Trésor Royal.
La Lieutenance de Roy de Mezieres , vacante
par la mort de M. de Leautaud , qui venoit d'y
être nommé , à la place de son frere , à M. Bouzier
, Commandant un Bataillon au Régiment
de Navarre.
Le Commandement du Fort des Bains , vacant
par la Promotion de M. de la Corcelle , à la
11. Vol. "I'vi Licu
1458 MERCURE DE FRANCE
Lieutenance de Roy d'Embrun , à M. de Landa ,
Lieutenant Colonel du Régiment de Rosnivinen.
La Majorité d'Amiens , vacante . par la Promotion
de M. de Leautaud , à la Lieutenance de
Mezieres , et qui est mort depuis , à M. de Neuville
, Major du Régiment de Tournesis.
EPIGRA M M E,
Plainte d'une jeune fille à une vieilla
Médisante.
V Otre morale trop severe ,
Ne fait pas bien penser de vous ,
Et vos discours seroient plus doux ,.
'S'ils étoient les effets d'une vertu sincere.
Vous condamnez jusques au moindre jeu
Au moindre badinage, on vous voit prendre feu
Je sçai ce qui vous porte à tenir ce langage :
Vous enragez de me voir sage ,
Dans l'âge où vous l'étiez si peu.
L
MORTS ET MARIAGES.
Ouis-François Bellanger de Tourotte , Sei
gneur de Blacy , &c. Chevalier des Ordres de
S. Louis et de S. Lazare, Maréchal des Camps et
II. Vol Armées
JUIN. 1733 1459
Armées du Roy , mourut le 26. Juin , âgé
d'environ 72. ans.
Charles- Emanuel de Beaufremont ,". Abbé des
Abbayes de S. Pierre de Luxeüil , et de S. Paul
de Besançon, mourut en son Château de Sey sur
Saone , le 27. de Juin , âgé d'environ 69. ans.
Fréderic- Jule de la Tour d'Auvergne , Prince
d'Auvergne , mourut le 28. Juin , âgé de 62. ans .
un mois , 26. jours. Il étoit frere du Duc de
Bouillon , Pair et Grand - Chambellan de France,
mort le 17. May 1730.
Pierre-François Marie Comte de Baglion de
la Sale , fils de Mathieu-Ignace de Bagliom ,
Comte de la Sale , et de D. Marie- Jacqueline de
la Grange , épousa le 10. Juin D. Angelique
Louise- Sophie d'Azonville , fille de feu Charles
Auguste d'Azonville , Marquis de Louville ,
Gentilhomme de la Chambre du Roy d'Espagne,
Lieutenant General de ses Armées , Gouverneur
de Courtray , et de D. Hiacinthe- Sophie de
Bechameil de Nointel.
MADRIGAL ,
Sur un beau Narcisse qu'une Demoiselle
avoit dans son sein.
B
Eau Garçon , que des Dieux la suprêm
faveur ,
Jadis après ta mort daigna changer en fleur ,
Narcisse , dans le sein de la jeune Isabelle ,
Tu reçois en ce jour une grace nouvelle.
II. Vola Ahe
1460 MERCURE DE FRANCE
Ah ! si tu l'avois vûë ainsi que je la voi ,
Tu n'aurois jamais på mourir d'amour pour toi,
Tu serois mort d'amour pour elle.
COCQUARD.
E
ARRESTS NOTABLES.
DIT DU ROY , portant suppression
des six Offices d'Affineurs des Monnoyes de
Paris et de Lyon , et création de pareils Offices.
Donnée à Versailles , au mois de May 17 3 3 .
Registré en la Cour des Monnoyes , les Juin
suivant.
ORDONNANCE DU ROY , du 27 May
concernant les droits des Consuls et Vice- Consuls
des Eschelles de Négrépont , la Cavalle
Rhodes , Mételin , Scio , Mile , Tine et Miconi,
par laquelle S. M. ordonne que les Consuls er
Vice Consuls des susdites Eschelles , qui n'ont
point d'appointemens payez par la Chambre du
Commerce de Marseille , percevront à l'avenir
deux pour cent seulement , sur le prix des Nolisemens
que les Capitaines et Patrons des Bâtimens
François feront dans leurs Eschelles ; def
fendant ausdits Consuls et Vice- Consuls , d'exiger
ledit droit sur un plus haut pied , et ausdits
Capitaines et Patrons d'en frustrer lesdits Consuls
et Vice -Consu's , sous les peines portées par
le Réglement du 28 Février 1732. que S.M veut
au surplus être exécuté selon sa forme et teneur.
4
VI. Vol OR
JUIN. 1733 . 1461
ORDONNANCE DU ROY , portant Regles
ment pour l'Habillement , Equippement et Ar
mement de la Cavalerie , du 28 May 1733.
Sa Majesté étant informée des différens usages
qui se sont introduits dans l'Habillement, Equippement
et Armement de la Cavalerie : Et vou
lant non seulement régler ledit Habillement
Equipement et Armement , de maniere qu'il soit
uniforme dans tous les Régimens , mais aussi la
taille des Chevaux , et faire reprendre aux Officiers
la Cuirasse , et aux Cavaliers le Plastron
qui ont été abandonnez depuis la paix : Sa Majesté
a ordonné et ordonne ce qui suit :
ART. I L'Habillement des Brigadiers & Cavaliers
demeurera composé d'un Juste- au-Corps
de Drap de Lodéve ou de Berry , blanc , bleu ou
rouge , selon la couleur affectée au Régiment ,
doublé de Serge d'Aumale ou autre étoffe de même
qualité , avec un Buffle , ou une Veste de
tricot , couleur de Chamois , suivant qu'il sera
convenu dans le Régiment ; d'un Chapeau , dont
la forme aura quatre pouces deux lignes au
moins de profondeur , en sorte qu'il puisse être
aisément garni d'une Calotte de fer ou de méche
; le bordé en or ou en argent sera d'une
once : Deffend , Sa Majesté, d'employer les cour
leurs fines aux Habits des Brigadiers ou Cavafiers
; et permet seulement un bordé d'or ou
d'argent , du poids d'une once , à la Manche des
Brigadiers ; deffend pareillement Sa Majesté, les
Cartouches sur les Housses , Bourses ou Chaperons
, ausquelles il sera mis un simple bordé
en laine ou galon de livrée .
II. Les Habits uniformes des Officiers seront
en tout semblables à ceux des Cavaliers , à l'exception
qu'ils seront de Drap d'Elbeuf ou autre
1
11. Vol.
Ma
1462 MERCURE DE FRANCE
Manufacture semblable ; il n'y sera employé d
Doublures d'aucune autre étoffe que de laine ,
ni aucun galon ou fil d'or ou d'argent sur les
Juste-au-Corps ni sur les Vestes , mais seule
ment des Boutons de cuivre doré ou d'argent
sur bois.
III. Il ne sera fait à l'avenir aucun Habillement
par les Régimens de Cavalerie ,
que sur des
marchez , contenant les qualitez , les quantitez
& les prix des différentes especes de fournitures.
Lesquels marchez seront présentez par les Offciers
, chargez du détail aux Inspecteurs , pour
être par eux examinez et envoyez, avec leur avis,
au Secretaire d'Etat, ayant le département de la
Guerre , pour en rendre compte à Sa Majesté ;
faisant deffense de mettre à exécution lesdits
marchez , qu'après qu'Elle les aura approuvez .
IV. N'entend , Sa Majesté , comprendre dans
les articles cy - dessus , le Régiment Royal des
Carabiniers , celui de Royal Allemand , et les
Régimens de Hussards , à l'Habillement des
quels il ne sera fait aucun changement.
V. Les Brigadiers et Cavaliers des Régimens
de Cavalerie, y compris les Carabiniers et Royal
Allemand , seront tous en Bottes molles , sans
qu'à l'avenir les Capitaines puissent en donner
de fortes , sous quelque prétexte que ce soit.
VI. Les Brigadiers et Cavaliers des Régimens
de Cavalerie continueront d'être armez d'un
Mousqueton , deux Pistolets et un Sabre ; et attendu
que Sa Majesté a été informée qu'il n'y
a point d'uniformité entre les Régimens , soit
pour les longueurs ou pour le calibre desdites
Armes , Sa Majesté veut qu'à l'avenir la longueur
des Mousquetons demeure fixée à trois
pieds six pouces six lignes ; la longueur du Ca-
II. Vela non
JUIN. 1733. 1463
non à deux pieds , quatre ponces , ayant chacun
une Grenadiere , et la longueur des Pistolets à
seize pouces , tous montez ; que lesdits Mousquetons
et Pistolets soient mis auCalibre de l'Infanterie
,, pour recevoir la Balle de 18 à la livre
et que les Lames des Sabres soient de deux pieds
neuf pouces de longueur , sans la Poignée , qui
sera faite de façon que la main et le pouce
soient couverts ; et auront lesdits Cavaliers des
Bandoulieres de Buffle à anneau roulant , de la
largeur de deux pouces , une ou deux lignes , le
Ceinturon de même qualité et moins large ; le
tout simplement picqué dans les bords , suivant
les modeles qui seront envoyez aux Régimens.
Veut néanmoins Sa Majesté , que le Regiment
Royal des Carabiniers , le Régiment Royal Allemand
et les Hussards , demeurent armez comme
ils le sont à
present,
>
VII. Sa Majesté ayant reconnu qu'il est im
portant que toutes ses Troupes , tant de Gendarmerie
que de Cavalerie soient cuirassées et
plastronnées , même en temps de paix , pour
être accoûtumées à l'usage des Armes deffensives
en temps de guerre Sa Majesté a ordonné
et ordonne que conformément à l'Ordonnance ,
du 1 Février 1703. tous les Officiers , tant de
Gendarmerie , que de Cavalerie , se pourvoiront
incessamment de Cuirasses à l'épreuve, au moins
du Pistolet ; en sorte qu'ils en ayent tous à la
Revûë que les Directeurs et Inspecteurs feront
l'année prochaine 1734. et que les Brigadiers ,
Gendarmes , Chevaux - legers et Cavaliers , 2
l'exception des Hussards , auront des Plastrons ,
et les porteront dans tous les Exercices , aux Revûës
et dans les Marches , à commencer du jour
que Sa Majesté leur en aura fait distribuer de ses
II. Vol. Ma1464
MERCURE DE FRANCE
Magazins ; ce qui sera fait pour une premiere
fois , après quoi les Capitaines demeureront
chargez de l'entretien .
VIII. Sa Majesté pareillement informée que,
quoique la Talie des Chevaux ait été réglée par
differentes Ordonnances , notamment celles des
2 Septembre 1680. et 25 Octobre 1689. neanmoins
les Capitaines acheptent des Chevaux
beaucoup plus elevez que ce qui est prescrit par
lesdites Ordonnances : Sa Majesté veut qu'il ne
soit doresnavant point reçû de Chevaux pour la
remonte de la Cavalerie legere , de la Taille audessus
, de quatre pieds huit à dix pouces an
plus , mesurez depuis le dessous du fer . jusqu'à
la naissance des Crins sur le garost ; qu'ils soient
tous à longue Queue , et que les Directeurs et
Inspecteurs Généraux et Commissaires des guerres
qui feront les Revûës , réforment tous les
nouveaux Chevaux qui seront donnez aux Cavaliers
, d'une Taille autre que celle marquée cydessus.
IX. Les changemens cy-dessus pour les Bottes,
armement et la Taille des Chevaux , auront lieu,
à mesure qu'il sera besoin de les renouveller :
Voulant , Sa Majesté , qué les Directeurs et Inspecteurs
, à la premiere Revue qu'ils feront ,
prescrivent à chaque Régiment , un temps fixe
pour s'y conformer , et qu'ils en donnent avis à
Sa Majesté: Mandant , Sa Majesté, à M.le Comte
d'Evreux , Colonel Général de sa Cavalerie , et
au Sieur de Châtillon , Mestre de Camp Général
de ladite Cavalerie , de tenir la main chacun ,
ainsi qu'il lui appartiendra , à l'exécution de la
Présente.
Mande et ordonne , Sa Majesté , aux Gouver
meurs , et à ses Lieutenaus Généraux en ses Pro-
II. Vol. vinces
JUIN. 1733. 1468
es , aux Officiers Généraux , ayant comidement
sur ses Troupes , aux Camps où
its Régimens seront assemblez , aux Gouneurs
de ses Villes et Places , aux Intendans
ites Provinces , et sur ses Frontieres , aux Di
teurs et Inspecteurs Généraux sur ses Troupes
aux Commissaires de ses Guerres , de tenir la
in à l'exécution de la Présente ; laquelle sera
et publiée à la tête desdites Troupes , à ce
aucun n'en prétende cause d'ignorance. Fait à
rsailles , le 28 May 1733. Signé, LOUIS. E
Es bas , BAUYN .
OUIS DE LA TOUR D'AUVERGNE ,
Comte d'Evreux , Colonel Général de la Cavalerie
légere , Françoise et Etrangere, Lieutenanı
Général des Armées du Roy , Gouverneur et
Lieutenant Général pour Sa Majesté au Gouvernement
de l'Isle de France.
Vû l'Ordonnance cy - dessus , en date du 28 du
ois dernier , par laquelle Sa Majesté a reglé
Habillement , Equipement et Armement de la
avalerie , la Taille des Chevaux , comme aussi
our faire reprendre aux Officiers la Cuirasse
aux Cavaliers le Plastron , qui ont été aban
onnez depuis la paix , ainsi qu'il est plus an
-ng contenu dans ladite Ordonnance , pour
exécution de laquelle Sa Majesté nous mande
e tenir la main.
Nous , en vertu du pouvoir à Nous donné par
a Majesté , à cause de notre Charge de Colo
el Général de la Cavalerie , mandons à Monieur
le Comte de Châtillon , Mestre de Camp
Général de ladite Cavalerie , de tenir exactement
la main à l'exécution de ladite Ordonnan
e , suivant l'intention de Sa Majesté : Ordon-
II. Vol. nons
1465 MERCURE DE FRAN
nons à tous Mestres de Camp des Régimer
Cavalerie , et des Brigades du Régiment R
des Carabiniers ; Lieutenans Colonels , Majet
Capitaines desdits Régimens et Brigades , d
server et exécuter ponctuellement la volont
Sa Majesté , mentionnée en ladite Ordonna
sans y contrevenir : Laquelledite Ordonnanc
la Présente seront lûës et publiées à la tête
Régimens de Cavalerie , et des Brigades de C
rabiniers , par les Commissaires des Guerres
en ont la Police ; afin que personne n'en igno
Fait à Paris , le 3 Juin 1733. Signé , LOUIS E
LA TOUR D'AUVERGNE , Comte d'Ev
Et plus bas : Par Monseigneur MITOUFLET
I ORDONNANCE DU ROY , du 1 Juin, por
regler le traitement des Troupes qui dows
camper sur la Meuse et au Comté de Bourg
gne , près de Gray.
>
ORDONNANCE DU ROY, du 10 Juin, d
permet de faire faucher les Prez avant la S.Je
par laquelle S. M. permet à tous Fermiers , L
boureurs et autres dans la Généralité de Pars ,
même dans l'étendue des Capitaineries , de fat
faucher pendant la présente année seulement t
sans tirer à consequence , tous les Prez, de que
que nature et qualité qu'ils soient , dans le tems,
qu'ils le jugeront à propos , sans en demand )
permission aux Seigneurs , aux Capitaines da
Chasses , à leurs Officiers et autres.
11. Vol. TA
APPROBATION.
Ay lû par ordre de Monseigneur le Garde
s Sceaux , le second Volume du Mercure de
ice du mois de Juin , et j'ay crû qu'on pouen
permettre l'impression. A Paris , le 15.
et 1733 .
HARDION.
TABLE
eces Fugitives , &c. L'Astrologie judiciaire ,
Ode ,
ertation sur les Enseignes Militaires , 1262
se et Circé , Fable ,
1257
1275
et d'une nouvelle Edition des Essais de Miel
de Montaigne ,
re sur un Roseau ,
Exion sur le Sublime , &c.
1279
1306
1309
onse à l'Elegie de Mlle de Malcrais , & c.
e de M. Collin , Chirurgien , &c.
rigal à Mile de Malcrais ,
1322
1326
1330
éxions sur la Bizarerie des usages , &c.
oësie et la Musique , Poëme ,
noire sur l'Electricité , &c.
à la Duchesse du Maine , T
ce publique de l'Académie Royale de Chirgie
,
mes, Logogryphes , &c.
1356
1371
1
1331
1342 *
1348
1353
I. Vol.
NOUNOUVELLES
LITTERAIRES , & c. Anecdo
la Cour de Philippe Auguste ,
Systême Chronologique sur les trois Ter
la Bible , & c.
Table Chronologique de l'Histoire Univer
& c .
Nouvelle Edition de Sigonius à Milan ,
Traité de l'Opinion , &c.
Question sur le Chant d'Eglise ,
Extrait de Lettre sur un nouveau Journal ,
Autre Extrait de Lettre concernant M. de
taire ,
Nouvelle Edition de la Henriade , &c.
Machine propre à élever l'eau , &c.
Ouvrage sur les Finances et les Officiers Co
tables ,
Portrait gravé de Monseigneur le Dau
I
Nouveaux Tableaux exposez à Versailles ,
Nouvelles Carrieres de Marbre découve
Chanson notée , sur le Rhume ,
Spectacles. Les Fêtes Grecques et Roman
L'heureux Stratagême , Extrait ,
Nouvelles Etrangeres , de Contantinople ,
De Russie , de Pologne , &c.
Allemagne et Italie ,
Espagne ,
Extrait d'une Lettre d'Alger , sur Oran .
Grande Bretagne ,
I
14
14
France, Nouvelles de la Cour, de Paris , &c. 14
Vers sur le Portait de la Marquise de P.
Promotion d'Etats Majors , &c 14
11. Vol Epigra
gramme, & c.
1458
rts , et Mariages ,
drigal , & c .
êts Notables , & c.
ibid.
1459
1460
Errata d'Avril.
Age 817. ligne 27. Henrion , lisez Henriau:
P. 818. L. 20. Bonneville , 1. Bondeville.
23. Lausans , l. Causans.
I. 26. effacez Dame , l. D. Louis Landeric .
même lig. effaces encore Dame , mettez D.¹
Jean Benoît.
g. suivante, Abbesse Réguliere , l. Abbé Ré
gulier.
g. 31. Quéselin , 1. du Guesclin.
19. 1. 1. Murceaux , 1. Mureaux.
1.g. 25. N. de Chausserais , l. Dlle Marie- The
rese le Petit de Vernor de Chausseraye.
ig.31 . âgé d'environ 51. ans l. dans la 55.
année
de son âge, étant né le 10. Juillet 1678.
20. 1. 14. Barząc , l . Barjac.
Errata de May.
Age 1032. ligne 8. Campvermont , lisex ,
Cavermont. PAge
Ibid. 1. 14.Oglethorge, l. de Joston d'Oglethorp
P. 1034. 1. 5. Aunoy , L. Auxois.
1.
1. 30. Bresil , Breil.
1. 31. Mestre , Maréchal.
1035. à l'article du Mariage du Comte de Ru
pelmonde , voyez le Mercure de Juin 1731
prem. vol. pag. 1397. et suiv. où il est parlé
1
2
Val fort
fort au long de la Maison de ce Seigneur;
Errata de fuin , 1. vol.
P Nouvelles publiques , que le fils dont la
Age 1247. l'on a inseré d'après quelques
Comtesse de Tresmes est accouchée , avoit
été teun sur les Fonts au nom de la Ville , ce
qui ne se trouve pas véritable , cet Enfant
n'ayant point encore reçû les Cérémonies du
Baptême.
Même page , lig. 22. Solat , I. Solas.
Fantes à corriger dans ce Livre.
PASC
Age 1324 ligne 16. fais , lisez fit .
P. 1374 1. 10. Des sept , 1. De sept.
P. 1381.1. 4. du bas , épuise , I. puise.
Ibid. 1. derniere , ses , l. les ,
P. 1421. 1. 16. dirent , 1. disent.
P. 1428. l. 6. encore , 1. encor.
P. 1441. 1. 22. cette , 1. cet.
P. 1444. 1. 2. Danum , l. Djanum.
La Médaille doit regarder la page
La Chanson notée , la page
1370
1423
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le