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1732, 07-08
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John
Bigelow
to the
$19
Century
Association
DM
Mercure
DI



MERCURE
DE FRANCE ,
DEDIE AU ROT.
JUILLET. 1732 .
URICOLLIGIT
SPARGIT
Papillo
A PARIS , R
GUILLAUME CAVELIER ,
ruë S. Jacques.
Chez LA VEUVE PISSOT , Quay de
Conty , à la descente du Pont-Neuf.
JEAN DE NULLY, au Palais .
1
M. DCC. XXXII.
Avec Approbation et Privilege du Roy
THE NEW YOUR
PUBLICLIBRARY
630174
ASTOR LENOX AND
A VIS.
TILDEN UNDADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU LA
༣༢་ Commis an
Mercure , vis - à - vis la Comedie
Franfoife
, à Paris. Ceux qui pour leur com- modité voudront
remettre leurs Paquets ca
chetez aux Libraires
qui vendent le Mercure,
à Paris , peuventſe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très- inftamment
, quand on adreffe des Lettres ou Paquets
par la Pofte , d'avoir
foin d'en affranchir
le Port , comme cela s'eft soûjours
pratiqué
, afin d'épargner
, à nous le déplaifir
de les rebuter , & à ceux qui les envoyent
, celui , non-feulement
de ne
pas voir paroître
leurs Ouvrages
, mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas garde
de copie. Les Libraires
des Provinces
& des Pays Etrangers
, ou les Particuliers
qui fouhaite
ront avoir le Mercure
de France de la premiere
main , & plus promptement
, n'auront
qu'à donner leurs adreffes
à M. Moreau
, qui aura foin de faire leurs Paquets
fans
de les faire porter fur
de temps
T'heure à la Pofte , ou aux Meffageries
qu'on
Lui indiquera
,
perte

PRIX
XXX
. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
DEDIE AU ROT.
JUILLET.
PIECES
1732.
FUGITIVES ,
en Vers et en Prose .
L'INGRATITUDE.
ODE.
Uelle Furie au teint livide ,
S'avance ici d'un air vainqueur !
Dans ses mains luit ce fer perfide ,
Qui d'Agrippine ouvrit le coeur
L'insensible Oubli , l'Insolence ,
Les sourdes Haînes en silence ,
Entourent ce Monstre effronté ,
Tandis qu'il boit dans une Coupe ,
A ij
Que
1464 MERCURE DE FRANCE
Que remplit l'infernale Troupe ,
Des froides eaux du noir Lethé.
Ingratitude , à de tels signes ,
Kisément on te reconnoît ;
Comment sur tes fureurs insignes ,
Phébus est- il resté muet ?
It'a trop long - temps épargnées
Sur toi , de ma Muse indignée ,
Je vais lancer les premiers traits
Heureux , même en souillant mes rimes,
Du récit honteux de tes crimes ,
Si j'en arrête le progrès.
;
Naissons-nous injustes et traitres ?
L'homme est ingrat dès le berceau ;
Jeune , sçait-il aimer ses Maîtres
Leurs bienfaits lui sont un fardeau
Homme fait , il se plaît , il s'aime
Il rapporte tout à lui- même ,
Présomptueux dans tout état ;
Vieux enfin , rendez - iui service ,
Selon lui , c'est une justice ;
11 vit superbe ; il meurt ingrat.

Parmi l'énorme multitude ,
Des vices qu'on aime , et qu'on suit ,
Pourquoi
JUILLET. 1732
1465
Pourquoi garder l'Ingratitude ,
Vice sans douceur et sans fruit ?
Reconnoissance officieuse
Pour garder ta Loi précieuse ,
En coûte- t-il tant à nos coeurs ?
Est- tu de ces Vertus severes ,
Qui par des reglės trop austeres ,
Tyrannisent leurs Sectateurs ?
Sans doute il est une autre cause ,
De ce lâche oubli des bienfaits :
L'Amour - propre en secret s'oppose ,
A de reconnoissans effets ;
Par un ambitieux délire ',
Croyant lui-même se sûffire ;
Voulant ne rien devoir qu'à lui ,
II craint dans la reconnoissance ,
Un témoin de son impuissance ,
Et du besoin qu'il eut d'autrui.
Pour rendre ta main bienfaisante ,
Et t'émouvoir à la pitié ,
L'ingrat à tes yeux se présente ,
Sous le manteau de l'Amitié
Il rampe , adulateur servile ;
A ses voeux deviens - tu facile ?
Ne crois pas en faire un ami ;
F
A iij
Tristo
1466 MERCURE DE FRANCE
Triste retour d'un noble zele ,
Tu n'en as fait qu'un infidele ,
Peut être même un ennemi.

Déja son oeil fuit ton approche ,
Et ta presence est son bourreau ,
Pour être exempt de ce reproche ,
Il voudroit t'ouvrir le Tombeau ;
Monstre des Bois , Race farouche ,
On peut vous gagner , on vous touche
Vous sentez le bien qu'on vous fait ;
Seul , des Monstres le plus sauvage ,
L'Ingrat trouve un sujet de rage ,
Dans le souvenir d'un bienfait.
M
Mais n'est-ce point une chimere
Un phantôme que je combats ?
Fut- il jamais un caractere ,
Marqué par des crimes si bas ?
Oh Ciel ! que n'est- ce une imposture !
A la honte de la Nature ,
Je vois que je n'ai rien outré ,
Je connois des coeurs que j'abhorré ,
Dont la noirceur surpasse encore ,
Ce que mes traits en ont montré.
Foibles, indigens que nous sommes ,
Chacun
JUILLET. 1732 . 1467
Chacun seul ne se suffit point ;
Les bienfaits soutiennent les hommes ,
Par eux la Nature nous joint :
Elle forme des bons offices ,
Et des réciproques services ,.
Les noeuds de la Societé ;
Tout dépend de ce doux commerce .
L'ingratitude le renverse ;
C'est renverser l'humanité .

Pour prévenir ces ames viles ,
Faudra- t'il , Mortels bienfaisants
Que vos mains désormais stériles ,
Ne répandent plus de présens ?
Non ; leur dureté la plus noire ,
N'enleve rien à votre gloire;
Il vaut mieux d'un soin génereux ,
Servir une foule coupable ,
Que de manquer un miserable ,
Dont vous pouvez faire un
M
heureux.
Des Dieux imitez les exemples
Dans vos dons desinteressez ;
Aucun n'est exclus de leurs Temples ;
Leurs bienfaits sur tous sont versez.
Le Soleil , qui dans sa carriere ,
Prête au vertueux sa lumiere ,
A iiij
Le
1468 MERCURE DE FRANCE
Luit aussi pour le Scelerat ;
Le Ciel . cesseroit de répandre ,.
Les biens que l'homme en doit attendre ,
S'il en excluoit l'homme ingrat.

Juste Thémis , contre un tel crime.,.
N'as-tu plus ni glaive ni voix ?
Que l'Ingrat n'est- il ta victime ,
Ainsi qu'il le fut autrefois !
Que ne reprens-tu dans notre âge ,
De ton antique Aréopage ,
L'équitable séverité !
L'Ingratitude étoit flétrie ,
Et souffroit loin de la Patrie ,
Un exil trop bien mérité.

Mais pourquoi te vantai -je , Athènes ,
Sur la justice de tes Loix ;
Quand par des rigueurs inhumaines .
Ta République en rompt les droits
Que de proscriptions ingrates !
Tes Miltiades , tes Socrates >
Sont livrez au plus triste sort ;
La méconnoissance et l'envie ,
Leur font de leur illustre vie ,
Un crime digne de la mort.
Ains
JUILLET.
1469 1732 .
Ainsi parloit , fuyant sa Ville ,
Thémistocle aux Athéniens ;
» Tel qu'un Palmier qui sert d'azile ,
n
J'en sers à mes Concitoyens ;
» Pendant le Tonnerre et l'Orage ,
Sous mon impénetrable ombrage ,
» La peur des Foudres les conduit ;
"
»L'Orage cesse , on m'abandonne ,
» Et long- temps avant mon Automne ,
La Foule ingrate abbat mon fruit.

D'un coeur né droit , noble et sensible ,
Rien n'enflamme tant le courroux ,
Que l'Ingratitude infléxible ,
D'un traître qui se doit à nous ;
Sous vingt Poignards ( fin trop fatale ! }
Le Triomphateur de Pharsale ,
Voit ses jours vainqueurs abatus ;
Mais de tant de coups , le plus rude ;
Fut celui que l'Ingratitude ,
Porta par la main de Brutus,

Mortels ingrats , ames féroces ,
Que mes sons puissent vous fléchir ;
Ou si de vos forfaits atroces ,
L'homme ne peut vous affranchir ; *
5
A v Que
1470 MERCURE DE FRANCE
Que les Animaux soient vos maîtres ;
O honte ! ces stupides Estres-
Sçavent-ils mieux l'Art des Humains
Oui , que Seneque vous apprenne ,
Ce qu'il admira dans l'Arêne
Des Amphithéatres Romains.
#
On lance un Lion , on l'anime ,
Contre un Esclave condamné ;
Mais à l'aspect de sa Victime
L'Animal recule étonné ;
Sa cruauté se change en joye ...
On déchaine sur cette Proye ,
D'autres Lions plus en courtoux :
Le premier , d'un coeur indomptable ,
Se met du parti du coupable ,
Et seul le deffend contre tous.
Autrefois , du Rivage More ,
Cet Esclave avoit fui les fers ;
Trouvant ce Lion jeune encore ,
Abandonné dans les Deserts ,
Il avoit nourri sa jeunesse ;
L'Animal , touché de tendresse ,
Reconnut son cher Bienfaicteur ;
Un instinct de reconnoissance ,
L'arma
JUILLET. I
1732.
147
L'arma si bien pour sa deffense ,
Qu'il sauva son Liberateur.
GRESSET.
A Tours , ce 26. Juin 1732 .
LETTRE de M. le B. Sous Chantre
de la Cathédrale d'Auxerre , au R. P.
Du Sollier , Jesuite d'Anvers , Continuateur
des Recueils de Bollandus , touchant
un nouveau Saint , Chanoine du Diocèse
de Nevers.
Omme je me suis apperçû depuis
Cque j'ai l'honneur d'être connu de
vous , Mon Reverend Pere , que vous
n'excluez de votre immense Recueil
d'Acta Sanctorum , aucun des Personnages
qui sont honorez comme Saints ou com
me Bienheureux , dans quelque Eglise
que ce soit , pourvû que les marques de
culte soient exterieures ; jay crû que je
devois vous faire part de la connoissance
qui m'est venuë depuis peu d'un saint
Personnage ,.qui a fini ses jours dans une
Eglise voisine de la nôtre. Ce Saint est
du Diocèse de Nevers , qui , comme vous
sçavcz , confine à celui d'Auxerre , et qui
A vj
borne
1472 MERCURE DE FRANCE
borne du côté de Midy la Province Ecclesiastique
de Sens.
C'est une opinion assez communément
reçûë , que les Cloîtres et les Deserts ont
formé plus de Saints que les Villes . Depuis
que les persécutions cesserent de faire
des Martyrs , on ne vit plus que des
saints Anachorettes, quelques saintes Vierges
; on vit encore des Evêques , se sanctifier
de temps en temps par leurs travaux
Apostoliques ; mais le nombre dominant
ne parut point être dans le Clergé
Séculier du second Ordre , quoique les
Martyrologes & les Calendriers ne laissent.
pas de fournir un certain nombre
de S. Prêtres , plusieurs Diacres , Soudiacres
et même des Clercs , à qui leur sainteté
attestée par les Miracles , a fait décerner
un culte public.
Mon but n'est point d'examiner ici
pourquoi depuis l'introduction des formes
solemnelles de la Canonization , il
y a un si grand nombre de Religieux
canonisez , et si peu de ceux qui se sont
consacrez au Seigneur dans le Clergé Séculier.
J'ai dessein seulement , Mon R.P.
de vous faire connoître aujourd'hui un
S. Chanoine d'une Eglise Collegiale , située
presque au coeur du Royaume , et
cependant dans un Pays fort solitaire ,
je.
JUILLET. 1732. 1473
je veux dire dans le milieu du Nivernois .
Ce sont deux raisons pressantes qui
m'engagent à vous en écrire dès-à- présent,
la premiere est que vous avancez actuel
lément dans le mois d'Août , mois auquel
il est décedé ; la seconde est parce que
l'on vient de réïterer tout nouvellement
à son égard des marques de culte qui nesont
dûës qu'aux Saints.
Ce Bienheureux personnage s'appelle
Nicolas Appleine. Je n'ai pû encore ap--
prendre quelles furent ses actions ; mais
les Miracles qu'il a operez depuis sa mort
prouvent suffisamment sa sainteté . Com
me il ne mourut que sous Louis XI. ces
Miracles ont presque été connus des
Ayeuls de nos Peres. Premery est la petite
Ville où il fut Chanoine - Prêtre dans
l'Eglise de S. Marcel . (a ) C'est un endroit
fort écarté du tumulte du siecle , et dans
lequel un Chanoine qui ne se propose
que le culte de Dieu , dégagé de toute
affection terrestre , et le soulagement du
Prochain , principalement des Pauvres ,
peut , en menant une vie simple et mortifiée
, mériter la Couronne due aux fideles
Serviteurs.
On présume que c'est la pratique de ces
( a ) C'est S. Marcel , Martyr de Châllon , du
4. Septembre.
vertus
1474 MERCURE
DE FRANCE
vertus qui a fait regarder Nicolas Appleine
comme un Saint. Je ne puis vous
en dire rien davantage , jusqu'à - ce que
j'aye reçû des Memoires de sa vie , qu'on
craint fort de ne pas retrouver , parce
qu'ils peuvent avoir été perdus dans le
temps des guerres .

gau-
Mais au défaut de ces preuves efficientes
de sainteté , je vous marquerai ici
celles qui les supposent comme arrivées
et reconnuës . Ce bienheureux Chanoine
mourut l'onzième jour d'Août de l'année
1466. qui étoit le sixième de l'Episcopat
de Pierre de Fontenay , Evêque de Nevers,
et du regne de Louis XI.il fut inhumé
dans l'Eglise de Premery , à côté
che du grand Autel. Le Prélat et le Prince
étant informez de sa sainteté et des
Miracles qui s'opéroient à son Tombeau
concoururent à l'établissement de son
culte. Un titre du 14. May 1483. porteentre
autres articles : 1 ° L'érection d'un
Autel à la tête du Tombeau du Bienheureux
, par Messire Pierre de Fontenay ,.
Evêque de Nevers , à la priere du Roy
Louis XI. 2°. L'établissement d'une Confrerie
en son honneur . 3 ° .L'établissement
d'une Fête aussi en son honneur, fixée au 12.
Août , lendemain de sa mort , le tout à la
requête des Doyen et Chanoines de cette
Eglise,
JUILLET. 17325 147
Eglise , en conséquence des miracles fré
quens qui continuoient au même tom
beau , et desquels l'Evêque même assura
avoir été témoin. L'Autel , dont ce titre
fait mention , étoit orné d'un Tableau ,
qui contenoit les armes de ce Prélat¸et où
le Bienheureux Chanoine étoit representé
guérissant un homme affligé de la vuë ; et
ce Tableau est encore existant dans la même
Eglise , avec les mêmes Armoiries..
Jean Boyer , qui succeda à Pierre de
Fontenai , confirma par acte du 25 Septembre
1508. tout ce que son prédecesseur
avoit fait en faveur du culte du B.
Nicolas. On voit par d'autres titres , des
années 1484 et 1486. que la Confrerie, érigée
en l'honneur du Saint , fut publiée
par les Députez du Chapitre de Prémery
dans les Diocèses voisins , et que les Evêques
y donnoient les mains . Mais le titre
le plus remarquable après ceux - là , est une
Lettre de Louis XI.à Pierre de Fontenay,
par laquelle il le remercie de ce qu'il lui
a fait apporter la Robbe du B. Nicolas ,
par la soeur de ce saint homme , et l'assure
qu'il envoye au Chapitre de Prémery ,
un Coffre pour la conserver , ajoutant
qu'on lui fera un singulier plaisir d'en avoir
toujours mémoire , et de publier la dévotion
qu'il a euë envers ce Bienheureux Prêtre.
Сесу
1476 MERCURE DE FRANCE
Cecy ressent assez le style des Lettres
de ce Prince , et vous n'en pouvez douter,
parce que je tiens toutes les choses que je
vous ai rapportées jusqu'icy , d'une personne
grave qui a vû les originaux. Le
Corps de ce Saint Personnage , continuë
cette personne , resta au tombeau dans ça
situation naturelle , jusqu'au temps d'Eustache
de Chery , Evêque de Nevers . Ce
Prélat crut devoir y apporter quelque
changement. Il fit démolir ce qui étoit
élevé à l'exterieur de la sépulture , et en
place,il lui fit rédiger une Epitaphe qu'on
grava sur la Tombe qu'il fit apposer. En
voicy les termes : Facet hic bone memoria
vir et sancta vita Nicolaus Appleine , Presbyter
Canonicus Premeriaci , qui ob crebra
ejus miracula creditur Beatus. Obiit XI. Augusti
anno 1466. In memoria æterna erit
justus. Monumentum hoc positum fuit curâ
Eustachii de Chery, Episcopi Nivernensis
anno 1646. On juge par la situation où
l'on a trouvé dernierement les ossemens
du B. Nicolas , de ce que l'Evêque Eustache
avoit fait à leur égard. La Tombe
ayant été levée , il a paru une Maçonnerie
, au dedans de laquelle étoit une Caisse
de plomb , longue de deux pieds et
demi , qui contient tous les ossemens ; et
l'ancien Autel élevé sous l'invocation du
Saint
JUILLET. 1732. 1477
Saint , ayant été détruit en cette presen
te année 1731. comme nuisant aux céré
monies , la Caisse des saints ossemens a
été portée solemnellement dans l'inté
rieur d'un autre Autel , érigé expressément
sous le même titre , au fond de l'Eglise
, derriere le grand Autel. Cette cé
rémonie a été faite par les ordres de Messire
Charles Fontaine des Montées , Evêque
de Nevers , le Mardy 3 jour de Juillet
dernier , depuis lequel temps . il y a
une affluence bien plus grande qu'aupa
ravant à ces saintes Reliques , et un grand
nombre de Malades se trouvent guéris ou
soulagez par son intercession .

Si la vie de ce S. Prêtre ne se trouve
pas avant que vous soyez parvenu au onziéme
jour d'Aoust, ceci servira toujours,
mon R. P. pour fournir à vos Lecteurs
une notice de son culte ; lequel suppose
certainement une sainteté de vie , confirmée
par des miracles arrivez peu après sa
mort. C'est , ce me semble , ce qui suffic
pour meriter d'être inséré dans votre Recueil
; au moins je suis certain que si M.
l'Abbé Chastelain , notre ami commun ,
avoit eu connoissance de ce Saint Chanoi
ne ,il l'eut mis dans son Martyrologe uni
versel , au nombre des Bienheureux . Vous
avez , sans doute , remarqué combien il
y
1478 MERCURE DE FRANCE
y a mis de Saints Prêtres du dernier siécle
, en qualité de Venerables , lesquels
ne sont canonisez que dans l'esprit des
peuples , et qui attendent la voix des
Prélats , pour avoir un culte plus solemnel
, quoiqu'on dise ordinairement , vox
populi , vox Dei.
Permettez , mon Reverend Pere , qu'à
cette occasion je vous fasse mes remercimens
particuliers , au sujet de la maniere
dont vous et le R. P. Pierre Vandenbosch
, venez de traitter au 31. de Juillet
Particle de S. Germain , Evêque d'Auxerre.
Vous rendez à ce saint Prélat toute
La gloire qui lui est due ; et votre exemple
ne peut que causer de vifs remords
dans l'esprit de certains Reviseurs de Breviaire
, qui depuis quelques années ont
fait semblant de méconnoître ce grand
Thaumaturge des Gaules , et en particulier
de leur propre Païs , et qui n'ont pas
craint de le biffer entierement du Calendrier.
Qui ne doit être content dans notre
Diocèse , de la maniere dont vous vous
réunissez à faire son éloge ? En mêmetemps
que le Pere de Longueval , votre
confrere , écrit à Paris , que S. Germain
Evêque d'Auxerre , a été l'un des parfaits
modeles de Sainteté , un des plus ardens deffenseurs
de la Foy , l'honneur et la consola-

tion
JUILLET. 1732. 1479
tion de l'Eglise Gallicane , le Fléau de l'hé
résie , le Pere des peuples , be refuge de tous
les malheureux ( a) . Vous confirmez par
votre suffrage , que ce Saint est le seul
que l'ancienne Eglise Gallicane ait comparé
au grand S.Martin de Tours, et vous
ajoutez qu'on trouve indifferemment par
tout le Royaume , des Eglises sous l'invocation
de l'un comme de l'autre ; en
sorte même qu'on en voit trois , sans sortir
de Paris . Et cette multitude étonnante
d'Eglises qui se trouve sous son nom
dans la France , est sans exclure celles.
qui sont ou qui ont existé dans les Royaumes
étrangers , et sur tout dans la Grande
Bretagne.
Cette étendue et solemnité de culte est
conforme , selon vous , au témoignage de
S. Sidoine Apollinaire , Evêque de Clermont
, excellent connoisseur, lequel voulant
faire un parallele de S. Agnan , Evêque
d'Orleans , avec les plus grands Prélats
de son siecle , ne trouvoit point sur
qui il put mieux établir sa comparaison ,
que sur les excellentes vertus de S. Germain
d'Auxerre, et de S.Loup de Troyes.
Germano Autissiodorensi , dites - vous , si
quid in Galliis majus atate suâ novisset S.
Apollinaris Sidonius , non satis opinor cx
( a ) Hist. de l'Eglise Gallicane , tom. 1. p-457-
arte
1480 MERCURE DE FRANCE
arte laudasset , lib. 8. Epist. 15. S. Ania
num Maximum consummatissimumque
Pontificem , cùm illum diceret, Lupo parem ,
Germanoque non imparem. Sed privata",
ajoutez- vous , que justò longius ablucerent,
mittamus elogia ; quando idem de illo sensus
fuit universa pridem Ecclesia Gallicana ,
qua Sanctis cum indigenis omnibus prætulisse
cultu videatur ac soli Martino Turonensi
ut
exaquasse; cum hujus haud fortè plures quàm
illius nomine dicatas toto passim regno exci
tavit Ecclesias , et in una quidem urbe Parisiensi
Germano Autissiodorensi
, , teste
Bailleto , tres. Prætereà gentes alias atque
imprimis Britannicam , qua ut liquet et Alfordi
nostri Annalibus ad annum Christi
441. num. 2. vix ipsis Gallis concedere in
bac parte voluit , structis ejus nominis templis
, oppidis , Monasteriis et altaribus (a) ,
Je mets icy ce Texte en entier , non pour
vous rappeller ce que vous sçavez mieux
que moi , mais parce qu'en envoyant ma
lettre à Paris , à l'un de mes amis , qui doit
vous la faire tenir , je suis bien- aise de lui
épargner la peine de recourir à votre dernier
Tome de Juillet , qui est peut être
encore assez rare dans cette grande Ville ,
puisqu'il ne fait que commencer à
roître.
pa-
( a ) Acta Sanctorum, Julii . T^m. 7. pag.184.
J'ai
JUILLET. 1732 1481
J'ai lû avec attention tout ce que vous
y dites , contre l'opinion de ceux qui
croïent que les os de S. Germain ne furent
pas brulez par les Calvinistes en
1566 ; mais je ne suis point encore per-
22
suadé
que ce soit
la voie
du feu , que
par
ces saints ossemens se trouvent aujourd'hui
soustraits à la veneration des Fideles
, et j'espere m'étendre un jour là- dessus
,dans mon Histoire des Evêques d'Auxerre.
Je suis fâché que vous n'ayez pas
connu deux Manuscrits du Prêtre Constance
, qui sont à la Bibliotheque du Roy;
l'un copié au neuviéme siécle sur celui
que les Moines de Saint Germain avoient
présenté à Dagobert I. et l'autre écrit au
commencement du même siecle , par les
soins ou de la plume même d'un nommé
Gundoin , connu par ce qu'en dit le Pere
Martenne dans son premier voyage litteraire
, à l'article d'Autun . Ces Manuscrits
m'ont paru être aussi dignes de votre attention
que celui de la Cathédrale d'Autan
, qui roule presque tout entier sur
notre Saint , et dont vous avez donné
quelques lambeaux qu'en avoit extrait le
P. Chifflet , votre Confrere . Je suis , &c.
A Auxerre, ce 24 Octobre 1731 ,
DIVER1482
MERCURE DE FRANCE
****************
DIVERTISSEMENT.
Executé chez Madame *** au sujet de
l'Asyle qu'elle a donné à une Assemblée
de Musique qu'on avoit voulu détruire.
PERSONNAGES.
Minerve , Déesse de la Sagesse et des
Beaux- Arts.
Apollon ,
Terpsicore , Muse qui préside à la Lyre.
Euterpe , Muse qui préside à la Flute.
Eleves de Terpsicore et d'Euterpe.
La Scene est au Parnasse.
Q
Apollon.
Uel silence regne en ces lieux !
Et quel spectacle, ô Ciel, se presente à mes yeux !
Terpsicore désespérée ,
Pousse de longs soupirs , garants de ses douleurs;
Et comme Elle , Euterpe éplorée ,
Me présage quelques malheurs.
Quel est le sujet de vos pleurs ?
Parlez , que sans détour votre bouche plaintive ,
Daigne à ma foy le confier !
Terpsicore , d'où vient que votre Lyre oisive
Est
JUILLET.
1483 1732
Est suspendue à ce Laurier?
Et qu'Euterpe au pied de ce Hêtre ,
Languissant avec vous dans un triste repos,
Du son de sa Flute champêtre
Craint de réveiller nos Echos ? -
Terpsicore.
Non , n'attendez pas que j'expose
A vos yeux le plus noir forfait ;
Le tourment qu'une injure cause,
Redouble au récit qu'on en fait,
Apollon.
Ah ! plutôt loin de vous contraindre ,
A vos chagrins donnez un libre cours:
La douleur , à se plaindre ,
"
Se soulage toujours.
Terpsicore.
Non , n'attendez pas que j'expos
A vos yeux le plus noir forfait
Le tourment qu'une injure cause
Redouble au récit qu'on en fait.
Apollon.
Eh bien si vous voulez dissimuler l'offense
Qui de vos déplaisirs aigrit la violence ,
Nommez-moi seulement , qui vous ose outfa→
ger-
Et
1484 MERCURE DE FRANCE
Et mes traits vont vous en venger.
Euterpe.
Ah ! l'espoir de cette vengeance
Suffit pour m'engager à rompre le silence.
Avec des Amphions naissans ,
Par l'ordre de Pallas qui toujours nous seconde
Dans les Climats que l'Ouche arrose de son ondé
,
Tranquilles , nous formions des Accords ravis→
sans ;
Lorsque l'affreuse Envie , ardente à nous détruire
,
Est venueinfecter de ses cruels poisons ,
Le lieu qui résonnoit de nos tendres Chansons
De ma soeur éperduë elle a soüillé la Lyre ,
Et dispersé nos Nourrissons.

Apollon.
Muses , croyez- en mon Oracle ,
Vous vaincrez ses efforts jaloux ;
Les Ris renaîtront parmi Vous ;
Plus on a souffert d'un obstacle ,
Et plus le triomphe en est doux.
"Sur les flots , quand l'orage gronde ,
Le pâle Nocher craint la mort ;
Mais si quelque heureux coup du Sort
Le
JUILLET. 1485 1732.
Le dérobe aux fureurs de l'Onde ,
Plus joyeux il arrive au Port.
Muses , croyez-en mon Oracle ,
Vous vaincrez ses efforts jaloux ;
Les Ris renaîtront parmi Vous ;
Plus on a souffert d'un obstacle ,
Et plus le triomphe en est doux.
Mais quelle Déïté suprême ,
En ces lieux tout-à- coup éblouit mes regards
Euterpe.
O Ciel ! c'est Minerve elle- même ,
Qui vient de rassembler nos Nourrissons épars.
SCENE I I.
Minerve , Apollon , Terpsicore , Euterpe .
Eleves de Terpsicore et d'Euterpe.
Euterpe.
Venez , secourable Déesse ,
Venez par vos conseils vainqueurs
Rétablir l'allégresse
Dans le fond de nos coeurs.
Terpsicore. •
Les malheureux en votre absence
S'abandonnent au désespoir ;
1
B Mais
148 MERCURE DE FRANCE
Mais ils recouvrent l'esperance ,
Si-tôt qu'ils peuvent vous revoir.
Euterpe et Terpsicore.
Venez , secourable Déesse ,
Venez par vos conseils vainqueurs ,
Rétablir l'allégresse ,
Dans le fond de nos coeurs.
Minerve.
De vos tristes regrets étouffez le murmure ;
Muses , j'ai sçu , j'ai plaint , j'ai vengé votre injure.
"
Pour remplir les projets que vous aviez formez
,
TAMYRHE ( a ) qui vous aime autant que vous
l'aimez ,
TAMYRHE , à mes conseils docile ,
A tous vos Nourrissons par ma voix ranimez
Dans un superbe lieu promet un sûr Azyle.
De cet heureux succès dont vos coeurs sont chaimez
,
J'ai vû pâlir l'Envie , elle se désespere ,
Et dans son Antre obscur , plein d'Insectes rampans
,
Ce Monstre écumant de colere ,
Est allé loin de vous , dévorer ses Serpens.
( a ) L'on désigne sous ce nom , Madame ⋆ ⋆
qui a donné Asyle à l'Assemblée de Musique , persécutée
par les Envieux.
TerpsiJUILLET.
1732 1487
Terpsicore et Euterpe.
Triomphe ! Victoire !
De Minerve en ce jour
Celebrons la gloire
Et chantons tour à tour
Triomphe ! Victoire !
Apollon et les Eleves de Terpsicore
et d'Euterpe.
Triomphe ! Victoire !
De Minerve en ce jour ,
Celebrous la gloire ,
Et chantons tour à tour ,
Triomphe ! Victoire !
Minerve.
Pouvois-je moins faire pour vous
Que d'embrasser votre deffense ?
De tous les Arts divers qui sont sous ma puissance
,
Le Vêtre de tout temps m'a paru le plus doux.*
Heureux qui de l'Harmonie
Entend les sons mélodieux !
Ils font dans les Cieux
Le plaisir des Dieux ,
Et par tux des Humains la peine est adoucie.
Heureux qui de l'Harmonie
Bij Entend
1488 MERCURE DE FRANCE
Entend les sons mélodieux !
Les charmes invincibles
D'une agréable Voix
Ont dompté la fureur des Ours les plus terri
bles ,
Et sçû rendre sensibles
Les Rochers et les Bois.
Sur l'infernale Rive ,
Le Dieu même des Morts ?
A prêté quelquefois une oreille attentive
A de tendres Accords.
Apollon , Terpsicore , Euterpe ;
et leurs Eleves .
Heureux qui de l'Harmonie
Intend les sons mélodieux !
Ils font dans les Cieux
Le plaisir des Dieux ,
Et par eux , des Humains , la peine est adoucie.
Heureux qui de l'Harmonic
Entend les sons mélodieux !
Minerve.
O vous qui d'un sort tranquille
Joüirez désormais , en dépit des Jaloux ,
Dans le glorieux azyle ,
Que
JUILLET: 1732 . 1489
Que TAMYRHE à mes yeux vient d'accorder pous
vous ,
Aux yeux de cette Mortelle ,
Par les Airs les plus touchans
Signalez tous votre zéle ;
Elle est digne de vos Chants ,
Que vos Chants soient dignes
d'Elle.
Terpsicore , Euterpe et leurs Eleves.
Aux yeux de cette Mortelle ,
Par les Airs les plus touchans ,
Signalons tous notre zele ;
Elle est digne de nos Chants ,
Que nos Chants soient dignes
d'Elle.
Les paroles sont de M. COCQUARD , Avocat au
Parlement de Dijon , et la Musique de M. l'Abbé
FAUBERT.
************ :* :**
LETTRE écrite à M. D. L. R. par
un bas Normand , sur la maniere defaire
du vin rouge avec des raisins blancs.
Q
Uoique je sois Normand , et même
bas Normand, vous trouverez bon ,
Monsieur , que je m'addresse à vous pour
obtenir de quelque Bourguignon la so-
Biij lution
1490 MERCURE DE FRANCE
lution d'un endroit qui m'a embarrassé
en lisant une Lettre d'un ancien Moine
de S. Denys ( a ) . Il n'est pas extraordinaire
que nous , qui ne voyons croître
dans nos Campagnes que des Pommes ou
des Poires dont on fait le jus qui sert
de boisson au commun du peuple , ne
soyons pas pleinement informez de la
maniere dont on façonne le vin . Ce Moi
ne qui s'appelloit Guillaume , lassé apparemment
du tracas qui est ordinaire dans
les grandes Maisons , sur tout dans celleoù
le premier Ministre du Royaume faisoit
sa demeure , se retira dans un petit
Monastere de la Province d'Aquitaine ,
pour y finir ses jours,
C'étoit vers le milieu du douzième
siécle, quatre autres Moines qui portoient,
comme lui , le nom de Guillaume ; sçavoir
, Guillaume le Préchantre , Guillaume
le Cellerier , Guillaume le Notaire ou
le Secretaire , et Guillaume le Médecin
lui écrivirent pour l'exhorter à sortir de
ce trou , et à revenir à S. Denys. Il leur
fit une réponse qui m'a paru fort spirituelle
; et pour prouver qu'il auroit tort
de quirter cette petite Maison , il en a fait
une Description tout à fait réjouissante .
( a ) Thesaur. Anecdotor. P P. Martene et Du¬
rand. Tom. I. pag. 442
JUILLET 1732 1491
Il nemarque point dans quel Diocése étoit
ce petit Couvent ; mais comme il dit que
la Riviere de Vienne ( Vigenna ) passoit à
deux traits d'Arbalestre de cet endroit ; il
y a apparence qu'il étoit bâti dans le Diocèse
de Limoges ou dans celui de Poitiers.
Parlant des avantages du terrain , il va
jusqu'à dire que le vin qui y croissoit ,
surpassoit celui de Falerne, puis il ajoute:
Hic mirum in modum ex albis botrionibus
vinum vidi rubeum , et ex nigris è converso
conficitur album. La premiere partie de
cette phrase fait le sujet de ma curiosité.
Je comprends bien qu'avec des raisins.
noirs l'on peut faire du vin blanc ; mais je
ne conçois pas , moi bas Normand, comment
avec des raisins blancs seuls , on
peut faire du vin rouge . Plus d'un Parisien
pourroit bien y être embarassé comme
moi. Passant autrefois à Chablis et ailleurs
dans la Champagne , j'ai vû exécuter
la seconde partie de ce qu'avance le
Moine de S. Denys ; mais à l'égard de ce
qui précede , je vous avoue que je m'y
perds , et j'ai toujours crû qu'avec des raisins
blancs , de quelque maniere qu'on les
écrase , et quelque long que soit le temps
qu'on les laisse dans la Cuve , on n'en peut
,
faire que du vin blanc ou tout au plus du
vin jaune, comme notre Cidre de Bayeux.
B iiij
Ce
1492
MERCURE DE
FRANCE
Ce Moine donc auroit- il voulu broder ?
Se seroit- il exposé à mentir en écrivant
aux amis du grand Abbé Suger ? ou bien
y auroit- il quelque
équivoque
renfermé
dans la
premiere Partie de sa
proposition ?
Il ne seroit pas
indifférent de sçavoir d'où
il est natif; car il y a des Nations plus ou
moins sinceres ; je dis ceci , sans prétendre
blesser le respect que je dois à mes
compatriotes. Si ce Moine étoit originaire
du Païs où le
Monastere en
question
étoit situé, l'amour de la Patrie a pû le
porter à en exagérer les
avantages. Je ne
sçai que croire de tout le bien qu'il en
dit ; il attribuë à
l'Oratoire de cette Maison
, (c'est ainsi qu'il appelle l'Eglise)une
prérogative dont
l'extension seroit fort à
désirer de nos jours ;
sçavoir , que quiconque
y entroit dans le dessein de dérober
, étoit tout à coup puni
d'aveuglement
, ou d'une peine encore plus grande
. Ce Privilege seroit fort à
souhaiter ,
nonseulement
pour les Eglises de Paris
mais encore pour celles d'un certain Païs
où l'on se défie
souvent , avec raison
d'une partie de ceux qui
paroissent y entrer
dans le plus grand esprit de dévotion
; et je vous avoue que si tous lesvoleurs
tomboient roides morts ou devemoient
aveugles en
entrant dans les Eglises
JUILLET. 1732 1493
ses , cela auroit épargné bien des ceremonies
qui ont été faites à la Grève et
ailleurs.
Après tout , une Description qui ne
porte pas le nom spécifique du lieu, laisse
toujours le Lecteur en suspens ; que ce
soit Poitou ou Limosin , je ne m'en embarasse
pas beaucoup , pourvû que vous
me procuriez le secret par lequel on fait
du vin rouge avec des raisins blancs.
Ce n'est pas que je veuille m'en servir ;
vous sçavez par vous-même que nous n'avons
icy que des Treilles à verjus ; je suis
éloigné de plus de 25 lieues des dernieres
Vignes des Vignobles de Normandie ;
mais je demande seulement comment du
blanc peut devenir rouge ; simpliciter es
sine addito. Un Peintre qui sçait le mélange
et la combinaison des couleurs, pourroit
m'éclaircir là - dessus , et malheureusement
je n'en trouve point dans mon
Village. Ces sortes d'Ouvriers sont rares
dans nos quartiers et n'y font pas long
séjour , lorsqu'ils veulent être sinceres , et
ne pas flatter , conformément au génie du
Païs.
Pour vous , Monsieur , qui voyez les
Nations qui abordent à Paris de tous les
côtez ,je vous réïtere ma priere , et je vous
demande ou de m'indiquer , si vous pou-
Bv vez ,
1494 MERCURE DE FRANCE
vez , l'endroit marqué dans la Lettre du
Moine Guillaume , afin que je puisse y
écrire pour sçavoir si ce secret subsiste
toujours , ou , si vous ne pouvez me l'in
diquer , de me procurer de quelque autre
Païs Vignoble , une réponse qui satisfasse
ma curiosité. Il ne vous sera pas difficile
de faire parler , sur le premier atticle
, quelques Bourguignons , à vous
qui avez rendu si publiques par toute la
terre les Décisions souveraines de Bacchus
en faveur de leur Province , de ce-
Dieu qui dit si volontiers la vérité , in.
vino veritas. Je souscris de tout mon
coeur à la déclaration authentique que
cette Divinité a donnée en faveur des Vins
de la veritable Bourgogne , quelle que .
soit la situation des côtes d'où ils proce
dent , hiute , moyenne et même basse .
pourvû que ce vin soit franc , pectoral ,
et sans goût de craye , de nitre , ou de
souffre , ou enfin de pierre à fusil . Le
corps de l'homme n'étant point un alembic
, ni de ces tuyaux de distillation
qu'il n'importe pas de ménager ; les vins
qui sont sujets à certaine fougue subite
et passagere , et qui font plutôt monter
des vapeurs au cerveau , qu'ils ne répandent
de vigueur dans les veines , ne
peuvent lui convenir amniablement ; et le
plaisir
JUILELT. 1732 1495
plaisir qu'on ressent à les boire , laisse
toujours après lui le regret d'en avoir usé.
Je mets autant de difference entre les
francs vins de Bourgogne , et les vins
caustiques de certains Païs , où l'on croit
qu'il suffit d'être presque limitrophe de
cette Province pour y être aggrégé , qu'il
y en a entre les Cidres qu'on fait à Bayeux
et dans le Cotentin , et celui qu'on pour
roit faire à Paris . Ne soyez pas surpris , /
Monsieur , qu'un Normand vous écrive
sur ce ton ; c'est un Normand qui abandonne
à ses domestiques la liqueur ambrée
ou dorée dont il vient de vous parler
, et qui n'use en son particulier que
de la rouge , et de la plus sanguine ; soit
qu'elle lui vienne par les côtes de la Mer¸.
soit que ce soit par le Canal de la Seine
et par les voitures de terre. Je suis , &c.
De St... ce 31 Mars 1732–
Bevj ODE
1496 MERCURE DE FRANCE
ODE
Sur le Mariage de M. le Prince de Conty
NE
'Est-ce point une image vaine ?
Les Plaisirs sont-ils de retour ?
Se peut- il qu'au bord de la Seine ,
Tout ne respire que l'Amour ?
Dans l'affreuse saison des glaces ,
On y voit folâtrer les Graces ;
Amour y lance mille Traits :
On diroit que la jeune Flore ,
Devant Zephire qui l'adore ,
Etale déja ses attraits.
M
>
Mais , & l'agreable surprise !
Sont-ce deux Amans que je vois ,
Dont l'ame tendrement éprise ,
Du Dieu vainqueur reçoit les Loix ?
Que ces jeunes coeurs sont aimables ;
Tendres , gracieux , respectables !
Les Lys renaissent sous leurs pas :
Petit Dieu par qui tout respire ,
Vis-ta jamais sous ton Empire
Plus de grandeur et plus d'appas ?

Non
JUILLET. 1732.
1497
Non , non , rien ne me peut séduire ;
Car ce Tableau n'a rien d'obscur :
Dans leurs yeux je le vois reluire ,
C'est de Bourbon le Sang très- pur :
Accourez donc , Nymphes fidelles
Cueillez des Palmes immortelles ,
Mêlez-y le Myrthe et les fleurs ;
Si la saison ne les ramene
Phebus à la féconde haleine ,
Hâte-les nous par tes douceurs«
Suivons , suivons ce Couple auguste ;
Au Temple il va porter ses pas :
Rien ne sçauroit être plus justez
Des Dieux tout releve ici - bas ;
Sero. ce qu'en cette journée ,
Pour un doux et chaste Hymenée ;
Ces tendres coeurs fissent des voeux ?
Et que d'une foi mutuelle ,
Aux yeux de la Troupe immortelle,
Ils allassent former des noeuds ?
Entrons dans ce Temple adorable ;
Aa ! que vois-je , sont - ce les Cieux ?
Majesté , splendeur ineffable ,
Jupiter réside en ces lieux
Q l'auguste Ceremonic !
;
Amans
1498 MERCURE DE FRANCE
Amans , sa puissance infinie ,
Vous unit aux pieds des Autels :
Quel bonheur , quelle préference ..
D'être honorez de la présence ,
Du plus puissant des Immortels !!

Fille du Ciel , chaste Diane ,
Secourable Divinité ,
Dont je vois , Mortel et Prophane ,
Briller la celeste Beauté ;
Flatez , comblez notre esperance ,
Par votre divine assistance ;
Départez vos dons précieux ;
Procurez , faites naître au monde
Une posterité féconde ,
De Bourbons et de demi Dieux.
O Ciel ! quel mouvement rapide !
'Apollon , où m'entraînes -tu ?
Soutiens- moi , m'assiste et me guide ;
Ah ! que mon coeur est abattu !
Où suis je è quelle nuit obscure ? *-
Non , non , jamais dans la Nature ,,
Il ne fut rien de plus affreux ;
Tel est ... Ah ! je vois l'Antre sombre
Prudens futuri temporis exitum ,
Caliginosa nocte premit Deus.
ой
JUILLET. 173.2.
1499,
Où du fier Destin l'épaisse ombre ,
Couvre l'avenir tenebreux .

Beau rayon , charmante lumiere ,.
Qu'Apollon fait naître en ces lieux ,
Quels jours , quelle illustre carriere ,.
Viens - tu dévoiler à mes yeux !·
Que de valeur , que de prudence !
D'intrépidité , de constance !
De prodiges , d'exploits guerriers ?
Quels faits sur la Terre et sur l'Onde ; .
Dignes du plus beau Sang du monde !
Que de gloire ! que de Lauriers !
$12
Dans cette Terre heureuse et franche ,
Où la justice regnera ;
Du tronc de Capet , une Branche ,
Jusqu'aux Astres s'élevera ;
Du Monde elle aura le bel âge ;
L'éclat de son divin feuillage
Eblouira tout l'Univers ;
Des Rois , des Nations sans nombre ; ,
Cherchant le repos sous son ombre ,
Viendront de cent climats divers
L'outrage des ans si sensible
Ne ternira pas sa beauté ¿
Plus
835174
1500 MERCURE DE FRANCE
Plus que le Cedre incorruptible ,
Elle verra l'Eternité ?
En vain , Nations orgueilleuses •
De vos Pins , les têtes pompeuses ,
Se mêleront à ses Rameaux ;
La beauté d'un arbre est extrême ,
Lorsqu'étant greffé sur lui - même ,
Il fait des rejettons nouveaux .
Du Destin , telle est l'Ordonnance ;
Tels sont ses Decrets éternels ;
Telle est l'immuable assurance ,
Que nous donnent les Immortels :
Amans qu'un heureux Hymenée ,
Même coeur , même destinée ,
Même nom , même sang unit :
Livrez , abandonnez votre ame ,
Aux traits d'une innocente flâme ,
Tout est propice , tout vous rit.
Toi , que Bellone et la Victoire ;
Suivront bien- tôt au Champ de Mars ;
Qui vois au Temple de la Gloire ,
Tes Ayeux au rang des Cesars ;
Trace- nous leur Portrait fidele ,
Forme un Prince sur leur modele ;
Du Ciel tu seras secondé ;
DonneJUILLET.
ISO 1732.
Donne-lui leur guerriere audace ;
Si des traits le choix t'embarrasse ,
Fais qu'il ressemble au grand Condé.
Par M.Julien, Juge Royal de Monblanc:
j j f f f ff f f f f &
LETTRE de M. D. L. R. écrite
à M. A. C. D. V. au sujet du Marquis
de Rosny , depuis Duc de Sully , &c.
contenant quelques Remarques Histori
ques , &c.
E n'ai pû , Monsieur , vous satisfaire
Jplutôt sur les éclaircissemens que vous
me demandez par votre derniere Lettre ;
la matiere ma paru mériter attention , et
ce n'est qu'après avoir fait les recherches
convenables , que je me vois enfin en
état de répondre un peu pertinemment
aux questions que vous me faites.
Vous voulez d'abord sçavoir s'il est
vrai que Maximilien de Bethune , Marquis
de Rosny , puis I. Duc de Sully , et
Principal Ministre sous le Regne de Henry
le Grand , ait possedé l'Abbaye de
S.Taurin d'Evreux,par nomination Royale
, ainsi qu'un homme de Lettres , fort
versé dans l'Histoire de votre Diocèse ,
vous l'a assuré. Vous ajoûtez qu'il n'a
pas
502 MERCURE DE FRANCE
pas pû vous en fournir la preuve , et qu'il
ne se trouve aucun vestige de ce fait sin
gulier , même dans les Archives de l'Ab-
Baye en question. La singularité consiste
en ce que le Marquis de Rosny a été de
la Religion P. R.
Je répons , Monsieur , que ce fait a
toujours passé chez moi pour très- certain ,
et qu'il se trouve ainsi écrit dans mes
Memoires , recueillis depuis bien des années
; mais comme il faut des preuves et
des preuves solides à quiconque veut ,
comme vous , écrire une Histoire digne
de la Posterité , je me suis mis en devoir
de vous fournir celle dont il s'agit ici .
C'est d'abord inutilement que je l'ai cherchée
dans l'Histoire de la Maison de Be
thune , publiée par André du Chesne en
1639. dans laquelle il y a un très- long
Chapitre et un détail curieux de la vie du
Marquis de Rosny , qui vivoit encore en
ce temps- là ; même silence dans le Gallia
Christiana de M " de Sainte Marthe
Article de l'Abbaye de S.. Taurin , où
un semblable fait auroit dû , sans doute ,
n'être pas omis , et encore dans l'Histoire
Genealogique du P. Anselme..
Je ne me suis pas rebuté pour cela , et
j'ai bien fait car j'ai enfin trouvé ce que:
i cherchois en ouvrant , presque à l'aventure
,,
JUILLET. 1732 1503
venture , le premier volume des Memoires
de Sully , et cela dans un endroit où
l'ordre des temps et la matiere sembloient
ne pas permettre de l'y trouver. C'est
dans le Chapitre XLIX . intitulé Affaires
d'Etat , avec beaucoup de raison ; car on
y voit la Ville de Roüen réduite à l'obéissance
du Roy , et toute la Normandie
rendue enfin paisible par les soins du
Marquis de Rosny.
Après un succès si heureux , ce Seigneur
partit de Roüen au mois de Mars
1594. pour se rendre auprès du Roy son
Maître , dont la Cour étoit à Paris , et il
vint coucher à Louviers , petite Ville sur
la Riviere d'Eure. Là il lui arriva une:
aventure des plus plaisantes , et qui semble
être faite pour servir d'Episode propre
à égayer le grand sérieux de cet endroit
des Memoires. Je vais vous le narrer.
Elle contient le dénoument de votre
premiere Question .
Boisrosé ,Gentilhomme Normand , Gou
verneur de Fécamp , arriva fort tard dans
la même Hôtellerie pour y loger , il alloit
à Paris pour faire ses remontrances
au sujet de son petit Gouvernement , qu'il
lui falloit abandonner , en execution du
Traité négocié par M. de Rosny ; on lui
dit qu'il y avoit dans cette Maison un
grandi
1504 MERCURE DE FRANCE
grand Train logé d'un Seigneur qui s'en
alloit à la Cour , lequel étoit fort en faveur
auprès du Roy, sans en dire le nom ;
et sans que Boisrosé , qui croyoit le Marquis
de Rosny encore à Rouen , s'avisat
de le demander. Là- dessus il monte à la
chambre de M. de Rosny , qu'il n'avoit
jamais vû , lui fait la réverence , et lui
entame un discours plaintif sur l'injustice
criante qu'on lui faisoit , le suppliant
de vouloir bien l'aider de son crédit auprès
de S. M. A quoi le bon Seigneur ,
sans le connoître et sans lui demander
son nom , ayant répondu obligeamment,
Boisrosé enhardi , répliqua en ces termes.
» Monsieur , les principales de mes
>> plaintes sont contre un Seigneur qu'on
» nomme M. de Rosny, qu'au diable soit-
» il donné , tant il me fait de mal ; sans
»jamais l'avoir en rien offensé , auquel le
Roy ayant donné pouvoir de traiter
» pour la réduction en son obéïssance de
» toutes les Villes qui sont de la Ligue en
» Normandie , sous ombre qu'il est des
>> anciens amis de M. l'Amiral de Villars,
» il semble qu'il n'aye songé qu'à le con-
» tenter au préjudice de qui que ce puisse
» être , sans se soucier de plusieurs bons
»Serviteurs du Roy , au nombre desquels
» je suis , et m'appelle Boisrosé , Gouverneur
JUILLET. 1732 1509
neur de Fécamp ; voire n'a pas craint
» de s'adresser à M" de Montpensier * et
» de Biron , tant il abuse de son pouvoir
» et de la faveur qu'il croit avoir auprès
de son Maître ; mais pardieu il en pour
>> roit tant faire , mettant tant de gens au
» desespoir, qu'il se repentiroit , et quel-
>> qu'un aussi étourdi qu'il sçauroit être ,
» lui en joüeroit d'une, si l'on ne craignoit
» d'offenser le Roy.
Vous jugez bien , Monsieur , que
le Marquis de Rosny pensa perdre sa gravité
ordinaire , aussi ne répondit- il qu'en
riant ce que vous allez entendre .
»
>> Monsieur , je n'estime pas que ce M.de
» Rosny , dont vous me parlez , ait rien
fait que suivant le commandement de
>> son Maître ; car il a toûjours affectionné
les bons François , et ne doute point
même
que le Roy , à sa sollicitation ,
» n'ait pensé à vous donner si bonne ré-
>compense , que vous aurez sujet de con-
»tentement ; car vous jugez bien qu'il
» n'eût pas été raisonnable de manquer 3
conclure un Traité de si grande impor
>>
François de Bourbon , Duc de Montpensier;
Gouverneur de Normandie , &c. Charles de Gonsault
, Duc de Biron , Pair et Maréchal de France,
qui avoit beaucoup contribué à réduire cette Prowince,
> tance
1505 MERCURE DE FRANCE
·
tance , que celui qu'a manié M. de Ros-
»ny , pour interêts de quelques Particu-
» liers , aussi ai -je appris qu'il a voulu
» commencer par lui - même et donner
»exemple aux autres en quittant l'Abbaye
» de S. Taurin d'Evreux , que le feu Roy
» lui avoit donnée , et m'assure qu'il ne
Vous aura point porté de préjudice
sans penser à vous en récompen-
» ser ; de quoi je vous oserai quasi repondre
, dautant que je le connois ;
»voire est tellement de mes amis , que je
» lui ferai faire en votre faveur tout ce
>> qui sera raisonnable ; et lorsque nous
» serons à la Cour , venez m'en parler , et
» je vous ferai paroître que je suis votre
» ami , et que je prise votre courage.
"
"
Notre homme , après avoir fait ses remercimens
se retira fort satisfait de
l'heureuse rencontre. Il ne lui restoit plus
que de sçavoir le nom d'un Seigneur si
genereux pour recourir à lui en tems et
lieu ; il le demanda dès qu'il fut descendu
au premier qu'il rencontra ; c'étoit justement
un des Pages de M. de Rosny,
qui parla selon la verité. Boisrosé en fut
si troublé et prit là - dessus une telle allarme
, qu'il remonta soudain à cheval ,
s'en alla loger à une autre Hôtellerie et
partit dès la pointe du jour pour aller à
la
JUILLET 1732. 1507
la Cour faire lui - même ses plaintes au
Roy , & c .
Mais laissons - là le pauvre Boisrosé , et
tirons parti de son aventure . Il étoit nécessaire
de vous la raconter , puisqu'elle
contient la preuve d'une verité que nous
cherchons à constater . C'est le Marquis
de Rosny lui - même qui la déclare , et qui
la donne pour preuve de son attachement
au Bien Public , de son désinteressement
, et și vous voulez aussi pour motif
de consolation à un homme qui étoit
dans des sentimens fort opposez .
Voilà donc Maximilien de Bethune
Abbé de S. Taurin d'Evreux , par la nomination
du Roi Henry III. On ne peut
guéres que conjecturer le tems auquel il
en fut pourvû , et celui de sa démission ,
en conciliant différentes dates ; mais où
cette recherche nous meneroit- elle ? J'aime
mieux vous apprendre ce que tout
habitant que vous êtes du Diocèse d'Evreux
, et voisin de la Ville , vous n'avez
pû sçavoir , dites-vous , des Religieux
mêmes , je veux , dis-je , vous confirmer
le fait dont il s'agit ici , par
, par les propres
Regitres de S. Taurin . Voici le petit Extrait
qu'un sçavant Religieux du même
Ordre et d'une autre Abbaye , beaucoup
plus expert que ceux d'Evreux , vient
de
1508 MERCURE DE FRANCE
de m'envoyer , tiré , dit- il , des Registres
Journaux de cette Maison.
>> Maximilien de Bethune , Marquis de
» Rosny , et depuis Duc de Sully , a été
» Abbé de S. Taurin la donation de
par
» Henry III. Il eut pour Successeur
» Guillaume de Pericard , Doyen de l'E-
» glise de Rouen , qui permuta ensuite
» cette Abbaye pour l'Evêché d'E-
» vreux , avec le Cardinal du Perron en
1604.
*
Vous ne me demanderez plus rien sans
doute là- dessus , après ce surcroît de preuve
, et vous pourrez par - là rétablir la verité
de l'Histoire , quand il en sera tems.
Vous rétablirez aussi ce qui n'est pas
éxact dans Mrs de Sainte Marthe , et dans
l'Histoire d'Evreux de M. le Brasseur , à
l'égard de quelques autres Abbez de Saint
Taurin , qui ont précedé le Marquis de
* Le terme de permuter n'est pas convenable
et paroit un peu aventuré dans les Registres . Il ess
toujours certain que Guillaume de Pericard n'auroit
jamais été Evêque d'Evreux sans la faveur de
M. de Rosny , qui avoit fait donner cet Evêché à
M. du Perron , comme il est marqué dans le 1 . vol.
de ses Mémoires , chap . 39. et qui sans doute avoit
eu part à ce qui se passa ensuite entre ces deux
Prélats , par rapport au changement en question . Il
fallut , sans doute , de nouvelles Provisions pour
M. du Perron, devenu Abbé de S. Taurin.
¡Rosny

JUILLET
. 1732. 1509
Rosny, ou qui lui ont succedé dans cette
Dignité.
Je m'apperçois, au reste ,que ma réponse
à vos autres questions ne sçauroit entrer
dans cette Lettre , déja assez allongée.
Mais je ne veux pas la finir sans prévenir
la demande que vous êtes en droit de me
faire sur la suite de l'aventure de Boisrosé
, et sur le succès de son Voyage à la
Cour. Le trouble , comme je l'ai dit , lui
donna des aîles ; il arriva un jour plutôt
que M. de Rosny , qui s'arrêta à Rosny
et à Mante , où il coucha. Ainsi ce petit
Gouverneur , petit génie , et on peut dire
encore,tant soit peu malhonnête homme
croyant le premier Miniftre très offense
de ses discours , et le considérant dès - lors
comme son plus cruel ennemi , eût tout
le tems de parler au Roi , et de déclamer
tant qu'il voulut contre lui , en donnant
-un tourNormand à la rencontre de Louviers.
Mais qu'en arriva- t-il ? le voici.
Le Marquis de Rosny arrivé à la Cour
eût d'abord un long entretien avec le Roi
sur sa Négociation de Normandie , » sans
oublier , disent les * Auteurs des Mé
Le Marquis de Rosny n'a pas écrit lui-même
ses Mémoires. C'est l'ouvrage de quatre de ses Secretaires
, lesquels dans la Narration addressent la
parole à leur Maître.
C » moires ,
1510 MERCURE
DE FRANCE
» moires , quasi une seule particularité ,
» car le Roi les voulut toutes sçavoir
» dont il y eut bien à rire lorsque vous
» lui contâtes ce qui s'étoit passé entre
» vous et le sieur de Boisrosé ; surquoi
» S. M. vous dit qu'il lui étoit venu faire
» de grandes plaintes de vous , et le prier
» de le vouloir pourvoir sans le renvoyer
» à vous , dautant qu'il sçavoit bien que
» vous étiez son ennemi , à cause de quel-
» ques propos qu'il vous avoit tenus sans
» vous connoître , et partant le Roi vous
» pria de l'envoyer querir , &c.
Ce que M. de Rosny éxecuta dès le
lendemain
. Il promit à Boisrosé , & lui
assûra deux mille écus de récompense
, une pension de 1200. liv. et une Place de
Capitaine
en pied. Bien plus , ce génereux
Ministre le retint depuis à sa suite , et le fit enfin son Lieutenant
en l'Artillerie
au
que
Département
de Normandie
, dès
Roi lui eût donné la Charge de Grand-
Maître. Voilà quelle fût la fin et le succès
de l'aventure
de Louviers . Je vous
promets incessamment
la réponse à vos
autres Questions
, et je suis , Monsieur
Bic.
A Paris , le 29 Février 1732.
la
A
JUILLET. 1932. 1511
A M. Arouet de Voltaire , sur son Poëme
Epique de Henry le Grand , et sur la vie
de Charles XII. Roi de Suede , qu'il
vient de donner au Public. Par Mlle de
Malcrais de la Vigne , du Croisic , en
Bretagne.
Charles , nommé l'Alexandre du Nord¸
Le grand Henri , le César de la France ,
Ont repassé , dit - on , le sombre bord ,
Pour assûrer de leur reconnoissance
Notre Voltaire, Auteur par excellence,
Les deux Heros lui conterent d'abord ,
Comment par tout dans les Champs Elisées
Avec éclat leurs Ombres sont prisées ,
Depuis qu'on lit , et sa Prose et ses Vers ,
Où sont moulez leurs faits d'armes divers
Où leurs vertus sont immortalisées .
Mais , dit Henri , comme au séjour des Morts
D'or ni d'argent ne se fabrique espéce ,
De nous n'auras ces périlleux trésors ,
Après qui l'Homme au coeur bas court sans
cesse.
Ce n'onobstant voulant à tes travaux
Ainsi qu'il duit , donner loyer insigne ,
Nous apportons présent cent fois plus digne
C ₁j
D'être
12 MERCURE
DE FRANCE
Ce sont ,
D'être estimé , que tous les mineraux .
Tien , le voilà , déja ton ceil s'empresse ;
ami , les titres de Noblesse ,
Non par extrait , ains par originaux ,
Dont autrefois , en dépit des Rivaux ,
Le bon Auguste honora son Virgile ,
Virgile épris des beautez de ton stile ,
Car il entend le François aujourd'hui ,
T'en fait préſent , pour charmer ton ennui.
Ton nom , mon cher , joint au sien s'y fair
line ;
A cettui don Auguste a consenti ,
Lui - même encore a voulu les souscrire ,
Et Charle , et moi , qui prenons ton parti
Contre quiconque opposant au contraire ,
De nos deux sceaux , avons , fameux- Voltaire
Le tout muni dûment et garanti.
Adieu ; n'avons nulle autre récompense
Pour te payer de tes doctes bienfaits ;
Mais bien jugeons qu'au Païs des François,
Tant fier soit- il , n'est Humain qui s'offense ,
Qu'à son côté tu marches désormais .
LETJUILLET.
1732. r5ig
LETTRE écrite le 18. Juin 1732. an
sujet des Barons de la sainte Ampoule.
JE
E satisfais , Monsieur , à la demande
que vous faites dans votre Mercure du
mois de Mars dernier , page 619. au suje
de l'origine des Barons de la Sainte Ampoule.
Tout le monde sçait que l'on appelle
la sainte Ampoule une petite phiole
qui est conservée dans l'Eglise de S. Res
my de Rheims , que l'on prétend avoir
été apportée du Ciel , pleine de baume
par une Colombe , au Batême de Clovis ,
premier Roi Chrétien , qui fut baptisé la
veille de Noël l'an 496. par S. Remy ,
Archevêque de Rheims , et l'Apôtre de la
France. Ĉette histoire est rapportée par
l'Auteur de la vie de S. Remy , attribuée
Hincmar , par l'Auteur de la vie de
Sainte Clotilde , femme de Clovis , par
Flodoard , par Aimoin , dans les Annales
de S. Bertin , et dans plusieurs autres
Historiens.
Il est vrai qu'il n'en est rien dit dans
l'Histoire de Gregoire de Tours , qui sup
pose au contraire que tout étoit préparé.
quand Clovis entra dans l'Eglise pour y
Ciij
rece1514
MERCURE DE FRANCE
recevoir le Baptême ; il n'en est rien dit
non plus dans l'ancienne vie de S. Remy ,
abregée par Fortunat , qui vivoit environ
o ans après ce Saint . Le silence de Gregoire
de Tours qui ne rapporte point ce
miracle , quoiqu'il soit si éxact à écrire
ceux qui sont venus à sa connoissance
est un fort préjugé qu'il n'étoit pas connu
de son tems.
Quoiqu'il en soit , on prétend que Clovis
aussi - tôt après son Baptême institua
l'Ordre des Chevaliers , Barons de la sainte
Ampoule , en l'honneur de cette sainte
Ampoule , dont nous venons de parler
Favin , dans son Histoire de Navarre , assûre
que ces Chevaliers ne sont seulement
qu'au nombre de quatre , et que pour
être reçûs ils doivent posseder les quatre
Baronnies de Terrier , de Belestre , de
Sonastre , et de Louvercy , qui relevent
de l'Abbaye de S. Remy de Rheims , à
laquelle ils rendent foi et hommage ; il
dit qu'ils portoient au Sacre de nos Rois
le Dais sous lequel l'Abbé ou le Prieur de
cette Abbaye porte la sainte Ampoule
dans l'Eglise Cathedrale de Notre - Dame.
Ces quatre Barons étoient revêtus à cette
cérémonie d'un Manteau de taffetas noir ,
sur le côté duquel étoit une Croix anglée ,
émaillée d'argent,et chargée d'une Colombe
JUILLET. 1732. ISIS
be,tenant en son bec une phiole , reçûë par
une main mouvante dans une nuée ; et ils
portoient encore au cou une Médaille chargée
d'une Croix semblable , pendue à un
ruban noir. Le revers de la Médaille étoir
frappé de l'Image de S. Remy , d'où vient
qu'on appelloit aussi les, Chevaliers de la
Ste Ampoule , les Chevaliers de S. Remy.
Le Pere Helyot prétend cependant que
cet Ordre est supposé , et que son origine
que l'on fait monter au tems de Clovis ,
est certainement chimerique. Voyez ce
qu'il en dit au Chapitre 70. des Ordres
Monastiques. Tome VIII . page 438. et
suivantes . Voyez aussi le Livre intitulé :
Les heureux commencemens de la France
Chrétienne sous l'Apôtre de nos Rois
S. Remy . Par le Pere Ceriziers, imprimé à
Rheims en 1633. Je suis , &c.
> >
APOLLON.
A M. le Chevalier de Romieu , sur le
dessein qu'il a de rétablir l'Académie
d'Arles.
Sur le Mont Helicon les Filles de Mémoire Ur
Se livrent aux plus doux transports ,
Ciiij Depuis
1516 MERCURE DE FRANCE
Depuis que tu parois , pour accroître leur.
gloire
Faire de genereux efforts,
Dans Arles autrefois , aux neuf sçavantes Fées ,
Plusieurs brûlerent de l'Encens ;
Aux Nymphes , aux Tritons , ces célebres Or
phées
Faisoient admirer leurs accens
Elles voyoient alors dans un loisir tranquille
Leurs Autels toujours fréquentez ;
On étoit occupé dans cet aimable azile
Du soin d'étaler leurs beautez.
De leurs Lyres bien- tôt ,
tremblantes , allax
mées ;
Elles emportent les débris :
Et le débordement des barbares armées
Fait percer le Ciel de leurs cris.
Tes soins ont pû calmer cette Troupe sçavante
,.
Tu vaux toi seul vingt nourrissons ,
Tu veux encor former une école brillante
Qui soit docile à leurs leçons.
Les Muses ont promis d'inspirer les Poëtes ,
Qu'en leur Temple on rassemblera : .
Euter-
>
JUILLET. 1732. 1514
terpe à quelques - uns présentant ses Musettes
A Segrais les égalera.-
Calliope prétend que sa charmante Lyre-
Résonne seule sous vos doigts.
Polymnie a juré qu'en un fougueux délire-
Ses favoris suivront ses Loix.
Melpomene en ces lieux étalerá ses charmes ,
Ses nobles Vers nous toucheront ,
Si Sophocle ; Euripide ont fait verser des lar
mes ,
Les Morands en arracheront,
Comme on vit autrefois un Lyriqué célebre ·
Arrêter la course des eaux ,
Lorsque vous chanterez , le Rône ainsi que
l'Ebre ,
Ecoutera des sons nouveaux.
Par M. Chaband.
REFLE
1518 MERCURE DE FRANCE
REFLEXION S.
IL
Ly a quantité d'occasions où les hommes
devroient être un peu plus sur leur
garde ; car nous nous étonnons toûjours
trop des évenemens rares , et presque jamais
assez de ceux qui sont frequens et
ordinaires; c'est souvent par ce mouvement
qu'on tombe dans l'erreur et qu'on
ne s'applique pas comme il faut à pénétrer
les secrets de la nature ..
Tous les hommes sont flattez du talent
de divertir et de faire rire ; mais c'est un
dangereux poison , contre lequel tout esprit
raisonnable doit être en garde . Quand
on se donne dans le monde sur ce pied là,
on acquiert un tres- mauvais caractere, car
ceux même qui ont les plus heureuses
saillies , combien s'en faut- il qu'ils soient
plaisans toutes les fois qu'ils plaisantent ?-
On est presque toujours la dupe des
vertus qu'on admire ; car les hommes
sont le plus souvent humbles par vanité,
modestes par amour propre , polis par orgueil
; on paroît borné et simple pour
cacher
JUILLET. 1732. 1519
Cacher quelquefois l'ambition la plus démesurée
.
Quand on n'a pas le necessaire , on a
peu de goût pour le superflu. La cupidité
ne se reveille et ne devient sans bornes,
qu'à mesure qu'on devient riche et opulent.
Rarement trouve t- on dans un même
homme , autant d'esprit que de goût ;
l'un prévaut presque toujours sur l'autre.
On montre plus de goût que d'esprit ,
quand l'amour propre et l'humeur ne
prévalent pas sur les lumieres naturelles.
Quand les deux Facultez sont dans un
égal dégré de sensibilité , on sent et on
juge sainement de tout. Mais qu'ils sont
rares ces naturels heureux ! Et combien
voit-on tous les jours de gens esclaves du
goût des autres , tour à tour agitez de
plaisir ou d'ennui sur leur parole , sans
parler des goûts faux , capricieux , incertai
ns
On se trompe si on croit que l'avarice
et la prodigalité ne se trouvent jamais
ensemble. Quand l'orgueil est assez
fort , on voit pousser la dépense jusqu'à
F'excès ; et l'économie jusqu'à la lésine .
€ vj
Dans
1520 MERCURE DE FRANCE.
Dans la Politique , on donne finiment
le change aux plus rusez , quand on sçait
dire à propos ce qu'il semble qu'on devroit
taire.
. On peut être prudent sans finesse ,
mais on ne peut être fin sans prudence.
Il y a certaines injures qui punissent
plus ceux qui les font , que ceux contrequi
elles sont faites.
Gli grandi , hanno. per loro particola
rissimo costume , di scriver nill'arena le
ingiure , che ricevano da gente vile ; in
saldissimo marmo , con indolebili carat →
teri , i soprammani cheson fatti loro da
gli huomini potenti ; essendo proprieta
del nobile scordarsi l'offese per magnani
mita , non perdonarle per necessita.
Le ingiurie si multiplicano, per assicu
rarsi dalle gia fatte...
Le mépris des injures leur ôte leur force
, et le plaisir à ceux qui en sont les
Auteurs. Si vous y êtes sensible , il dépend
du plus misérable ennemi , du plus
lâche curieux de troubler le repos de vor
tre vie.
On
JUILLET. 1732.
On est plus porté à venger une injure ,
qu'à reconnoître un bienfait , parce que la
reconnoissance se fait à nos dépens , et la
vengeance aux dépens d'autrui .
Les injures que l'on méprise , perdent
tout crédit ; si on s'en fâche , on donne à
connoître qu'on les a méritées. Convitia
spreta enolescunt , si irascare agnita videntur.
Le crime est également grand de loüer
celui qui fait mal , et de blâmer celui qui
fait bien. ,
Il n'est point de douleur plus sensible
que celle d'avoir fait inutilement un grand
crime.
Maxima peccandi illecebra,spes impuni
tatis. Ciceron.
Un caractere de dignité augmente toujours
le crime dans la personne de celui
qui le commet.
Les grands crimes ne peuvent guere
être imaginez et supposez que par ceux
qui sont capables de les commettre.
Il
A
1522 MERCURE DE FRANCE
Il n'y a point de vertu sans couronne
ni de crime sans châtiment.
Ceux qui ont commis quelque crime ,
sont en quelque façon réduits à la necessité
de mal faire , par le peu de seureté
qu'ils trouvent à faire bien. Ils n'osent
devenir innocens , de peur de se mettre
à la merci des Loix qu'ils ont offensées, et
continuent leurs fautes , parce qu'ils ne
voyent aucune apparence qu'on se contentât
de leur repentir.
On a souvent observé que la plupart
des hommes ne font les grands crimes
et les grands maux que par les scrupules
qu'ils ont pour les moindres.
La reconnoissance rend la liberalité
plus agréable ; l'ingratitude la rend plus
éclatante. Liberalitatem jucundiorem debitor
gratus , clariorem ingratus facit.
La liberalité est un trait de beauté
contre lequel peu de coeur sont à l'épreuve
..
Un homme vraiment liberal n'est ja
mais prodigue ; il aime mieux contrain
dre la générosité de son humeur , que de
tomber
JUILLET. 1732. 1523
tomber dans un état où il ait besoin de
celle des autres.
Quand on donne , il faut que la main
soit ouverte , mais non pas percées qu'il
en sorte quelque chose , mais qu'il n'em
tombe rien.
La Liberalité donne la Prodigalité
perd.
La Liberalité est d'un bien plus haut
prix, quand le bon goût , le discernement
et l'équité en reglent les profusions.
En donnant promptement, on fait une
double grace ; en differant, le don devient
une récompense d'avoir attendu.
On doit plutôt regarder dans le coeur
que dans la main de celui qui donne.
Selon Diodore de Sicile , il avoit un
y
Lac en Ethiopie , qui troubloit tellement
P'esprit de ceux qui avoient bû de son
cau , qu'ils ne pouvoient rien cacher de
ce qu'ils sçavoient.
Personne ne revelera notre secret si nous
ne le revelons à personne. Alium silere quod
voles
1524 -MER CURE DE FRANCE :
vales , primus sile. Seneq. Hippol . act. 3 , …….
Les contradictions nous doivent rendre
plus retenus, car souvent on ne nous contredit
que pour nous engager à découvrirnos
secrets .
Les Politiques ont une maniere de contredire
, qui consiste quelquefois en un
doute affecté, en un mépris adroit, en une.
opiniâtreté apparenteà ne pas croire . C'est
par cette addresse qu'ils sondent le plus
profond des coeurs , et qu'ils en décou
vrent tous les secrets.
Ceux qui s'empressent de sçavoir les
affaires des autres , ont rarement assez de
discretion pour en garder le secret ; la cu
riosité qui les anime ne peut être bien con→→→
tente qu'elle n'instruise aussi les curicux.
Scire meum nihil est , nisi me scire hoc sciat› a
alter.
En une infinité d'occasions , il faut en
core plus de précaution pour ce que l'on
ne doit pas dire à ses amis , que pour ce
que l'on doit faire contre ses ennemis.
Il faut se taire , ou dire quelque chose
qui soit meilleur que le silence.
1
Les .
JUILLET. · 1732. 15253
Les jeunes gens disent ce qu'ils font, les
vieillards ce qu'ils ont fait , et les sots ca
qu'ils ont envie de faire.
Le Sage parle peu de ce qu'il sçait , et
jamais de ce qu'il ignore..
Quand on a une affaire bien à coeur ,
on la dit et on la repette sans cesse ; les
esprits qui sont en mouvement , conduisent
toujours- là , et cette agitation fait
qu'on ne s'apperçoit nullement de ses redites
.
La science de bien des gens n'est qu'un
enchaînement de mots ; tirez - les de leur
jargon , les voilà tout d'un coup dépour
vûs de science. Ils ont d'ailleurs l'avantage
de l'étaler avec plus d'ostentation et
de facilité que ceux qui ont une vraye
capacité ; car dans les uns , c'est la mémoire
et la routine seule qui agit ; dans
lès autres , c'est l'esprit et . le jugement .
Le Silence est un voile sous lequel l'î--
gnorance se cache d'ordinaire .
Rien n'est plus capable de décrier la
véritable piété , qu'une dévotion mal réglée
, bizarre et incommode. La solidė
vertu
1526 MERCURE DE FRANCE
vertu n'est pas incompatible avec l'honnêteté
et les bien -séances de la vie civile.
Sæpè jovem , memini , cum jam sua mittere
vellet
Fulmina , thure dato, sustinuisse manum . Ovid
Est Deus in nobis , et sunt commercia coeli ;
Sedibus æthereis spiritus ille venit. Ibid.
Rien n'est si sujet à l'illusion que les choses
qui ont une apparence de piété ou de
Religion toutes sortes d'erreurs se glissent
et se cachent sous ce voile.
LA DISGRACE D'HE' BE'.
CANTATE
A mettre en Musique.
Récitatif.
D
Ans le Palais charmant
Voute celeste ,
>
de la
Sous ces lambris sacrez , où Jupint tient sa Cour,
La jeune Hébé , plus brillante, et plus leste ,
Que la Messagere du jour ,
Enyvroit tous les Dieux de Nectar , et d'amour.
Chaque jour lui donnoit quelque grace nouvelle,
Tout cedoit au pouvoir de ses attraits naissants
Et
JUILLET. 1732.
1527
Et Venus à regret , auprès de cette Belle ,
Voyoit ses charmes impuissants.
Air. Quelle douceur , quelle victoire ,
De charger ainsi de fers ,
Les Maîtres de l'Univers ?
C'est des Héros de l'histoire ,
Egaler les travaux divers.
Quel triomphe , quelle gloire
De ravir de tendres coeurs ,
A leurs premiers vainqueurs !
C'est voler au Temple de mémoire ,
Par les plaisirs les plus flateurs.
Recitatif. Mais du destin leger, le caprice volage,
De la jeune Déesse abbatit les autels ,
Dans le moment qu'aux immortels
Elle offroit le divin breuvage.
Le pied glisse à la Belle , et malgré tous ses soins
Devant ces augustes témoins
Elle chancelle , elle tombe par terre !
"
Funeste chute , évenement fatal ,
Qui dégageant le Maître du tonnerre
En la place d'Hébé , éleve son rival .
Air. Que vos faveurs soient mesurées ,
Beautez, ne les prodiguez pas ,
2
Il
r528 MERCURE DE FRANCE
Il ne faut souvent qu'un faux pas ,
Pour renverser tous les Trophées ,
Qu'on érigeoit à vos appas.
Que vos faveurs soient mesurées ,
Beautez , ne les prodiguez pas..
Récitatif. Quel spectacle cruel ! l'orgueilloux Ga
nimede ,
Triomphe insolemment de la faveur des Dieux !
Eclatez , vains.soupirs , volez , percez les Cieux. -
Eternisez d'Hébé les malheurs sans remede.
Et vous,
Air.
Jeunes Beautez , fieres de notre encens
Justruisez vous à ses dépens,
L'Amour est un Dieu sauvage
Que nourrissent les soupirs.
Qui sçait picquer ses desirs
Sçait l'enflammer davantage.
Se promet- il des plaisirs ?
Il chérit son esclavage.
Les goûte-t'il il se dégage ,..
Plus leger que les Zéphirs ;
Et inalgré son doux langage,
C'est au port qu'il fait nauffrage,
LE
JUILLET. 1732. 7529
LE PRINCE JALOUX.
E toutes les passions de l'ame , il
Da'y en a point qui se fassent sentir
a
L
avec plus de violence que la jalousie.
Je parle ici de cette jalousie que l'amour
extrême produit ; il s'en faut beaucoup
que celle qui naît de l'ambition se porte
à des excès aussi grands . On a vû des
Rois jaloux de la puissance de leurs Voisins
, mettre sur pied des Armées formidables
pour envahir leurs Etats , et faire
couler des fleuves de sang pour satisfaire
leur ambition ; mais ce désir de
s'aggrandir n'alloit que rarement jusqu'à
la haine personnelle ; Alexandre donna
des farmes à la mort de Darius , et Darius
lui toucha dans la main en signe d'amitié
, sur le point de rendre le dernier
soupir. Il n'en est pas de même de la jadousie
des Amans , c'est un mélange d'amour
et de haine ; elle peut être définie
differemment selon les differens objets
qu'elle se propose : sçavoir , une crainte
de préférence , ou de partage du coeur de
la personne aimée ; ou une crainte de
préférence ou de partage des faveurs de
la
1530 MERCURE DE FRANCE
la personne aimée ; cette derniere est la
plus injurieuse à l'objet aimé , comme
nous l'allons voir dans l'histoire de Rodrigue
, Roi de Valence .
ne furent
$
Les Royaumes d'Arragon et de Valence
, qui ne sont aujourd'hui que comme
des Provinces de la vaste Monarchie
d'Espagne , avoient jour d'une longue et
profonde paix , sous Dom Alphonse et
sous Dom Fernand , leurs Rois ; mais les
peuples de l'un et de l'autre Royaume
pas si heureux sous le Régne
des Enfans de ces Rois justes et pacifiques
. Dom Pedro succeda à Dom Alphonse
, et Dom Rodrigue hérita de la
Couronne de Dom Fernand. Dom Rodrigue
plus impétueux que Dom Pedro ,
fut le premier à lever l'Etendart de la
guerre , fondé sur des prétextes que l'ambition
ne manque jamais de trouver
quand elle veut exercer son empire , si
funeste aux peuples , qui en sont les innocentes
victimes. La Fortune , Divinité
aveugle , se déclara d'abord pour la ..use
la plus injuste ; Dom Rodrigue qui fit
les premieres infractions aux traitez de
Paix , long- tems maintenus entre son
pere et celui de Dom Alphonse , porta
ses Conquêtes jusques dans la Capitale
d'Arragon ; Dom Pedro ne pouvant s'opposer
JUILLET. 1732 1537

poser à ce torrent , fut obligé d'aller de
mander du secours aux Princes ses Voisins
, et le fit avec tant de précipitation
qu'il abandonna sa soeur au pouvoir du
ainqueur ; mais l'Amour entreprit de
réunir deux Rois que l'ambition avoit
divisez.
,
A peine Dom Rodrigue fut entré dans
l'Appartement de Delmire c'étoit le
nom de la Soeur de Dom Pedro , qu'il ne
découvrit que des objets capables de l'attendrir.
La Princesse d'Arragon étoit évanouie
entre les bras de sa Gouvernante
, qui arrosoit son visage d'un torrent
de larmes , ses autres filles poussoient des
gémissemens à percer le coeur le plus insensible
; Rodrigue ne peut soutenir ce
spectacle sans émotion ; mais que devint
il quand il eut jetté les yeux sur l'objet
de ces tristes gémissemens. Il sentit dans
le fond de son coeur un frisson , avantcoureur
de sa défaite ; Delmire n'entr'ouvoit
un oeil mourant que pour allumer
dang, on sein un feu qui ne devoit jamais
s'éteindre. Elle ne pût regarder sans
indignation le cruel ennemi de son frere ,
le destructeur de sa Nation , et l'Auteur
de son esclavage ; mais l'air soumis et respectueux
avec lequel son vainqueur l'aborda
, ne tarda guére à la désarmer.
→ Que
32 MERCURE DE FRANCE
Que je suis criminel , s'écria Rodrigue ,
» en tombant à ses pieds ! j'ai pû réduire
à cet état pitoyable une Princesse digne
n de l'adoration de tous les Mortels ! Fa-
» tale ambition , à quoi m'as tu porté ?
» et comment pourrai-je expier mon crime
? Delmire ne répondit à ces mots
que par des pleurs ; elle détourna les
yeux , et ayant témoigné qu'elle avoit
besoin de repos , elle obligea Rodrigue
à se retirer , sans sçavoir si son repentir
lui avoit obtenu sa grace. Elle n'étoit pas
loin d'être accordée , cette grace que l'Amour
demandoit ; les momens de repos
que Dom Rodrigue venoit de laisser à
son aimable Delmire , lui servirent plutôt
à éxaminer le trouble que son ennemi
avoit excité dans son coeur , qu'à goûter
les douceurs d'un sommeil , que l'agitation
de ce jour. fatal sembloit lui rendre
nécessaire. Elle sentit des mouvemens
qui lui avoient été inconnus jusqu'alors.
Rodrigue désarmé , Rodrigue prosterné
à ses genoux , Rodrigue repentant cessa
de lui paroître criminel . En vain sa fierté
voulut s'opposer à des sentimens si favorables
, elle ne lui parla que foiblement
contre lui , et l'Amour lui imposa bien-
-tôt silence .
Il s'accrut de part et d'autre cet Amour
qui
JUILLET. 1732 1533
"
venoit de naître au milieu des allarmes; la
dissension qui regnoit entre le frere et l'Amant
ne diminua rien de la force qu'il acqueroit
tous les jours; mais Rodrigue n'en
regla pas
les mouvemens comme Delmire.
La crainte de perdre ce qu'il aimoit lui
inspira des sentimens de jalousie qui allerent
jusqu'à la fureur. Voicy ce qui donna
lieu à la naissance de cette passion tyrannique.
Don Pedre , trahi par la fortune , et
ne trouvant pas dans ses Etats des forces
suffisantes à opposer à un ennemi aussi
redoutable que Rodrigue,avoit été réduit
à appeller ses voisins à son secours. Il s'étoit
marié , à l'insçu même de sa soeur , et
ce mystere étoit une raison d'Etat ; l'éloignement
qu'il témoignoit pour le mariage,
laissoit esperer à tous les Princes, dont
le secours lui étoit necessaire , la succession
du Royaume d'Arragon qui devoit
appartenir à Delmire , supposé que son
Frere persistât dans le dessein de garder
le célibat. Il n'avoit pas besoin de cette
feinte. Delmire seule , et sans emprunter
l'éclat d'une Couronne , étoit capable de
mettre toute l'Europe dans ses interêts; le
bruit de sa beauté lui avoit fait desAmans,
qui n'attendoient qu'une occasion de se
déclarer pour elle , et de la mettre en liberté
de se choisir un Epoux.
D Les
7534
MERCURE DE FRANCE
Les Rois de Castille et de Leon furent
les premiers qui armerent pour elle ; d'autres
Princes Souverains suivirent leur
exemple, et le Roy d'Arragon se vit bientôt
à la tête d'une armée capable de faire
trembler l'Usurpateur de sa Couronne. Il
ne voulut pourtant en venir aux dernieres
extrêmitez qu'après avoir tenté les
voïes de la douceur . Il écrivit à sa soeur ,
et lui fit entendre qu'il ne tiendroit qu'au
Roy de Valence de rendre la paix à toutes
les Espagnes , en la renvoïant auprès
de lui , et en lui restituant toutes les Places
qu'il avoit conquises dans une guerre
injuste.Delmire ne consultant que son devoir
, fit sçavoir les prétentions de son
frere à son Amant, et le pressa de lui rendre
la liberté. Que me demandez - vous,
» lui dit Rodrigue ? Moi , je pourrois consentir
à vous livrer à quelque heureux
» Rival ! Ah ! vous ne connoissez pas
» l'Amour , puisque vous croyez qu'un
coeur véritablement épris , peut ceder
» ce qu'il aime ; mais je m'abuse , pour-
» suivit-il , avec des yeux , que la jalousie
» enflamma d'un courroux dont il ne fut
» pas le maître. Vous ne le connoissez que
>> trop , cet amour qui m'attache à vous ,
» et qui vous lie à quelqu'un de mes Ri-
» vaux ; vous brûlez , ingrate , de vous
» éloiJUILLET.
1732. 1535
éloigner de moi , pour vous rapprocher
» de celui qui veut vous arracher à mon
» amour , mais ne l'esperez qu'après ma
» mort. Non , je ne vous verrai pas entre
» les bras d'un autre ; et quelques formi-
» dables que soient les apprêts qu'on fait
» pour vous conquerir ; j'en ferai de plus
» grands pour vous conserver. Delmire
fut si surprise de ce premier transport de
jalousie , qu'elle resta quelque temps sans
repartie ; mais voïant son impétueux
Amant prêt à lui faire des reproches encore
plus sanglans. » Arrêtez , lui dit elle,
» et n'attribuez mon silence qu'à l'éton-
» nement où votre injustice vient de me
jetter. Quoi ? poursuivit elle, c'est Don
» Rodrigue qui me soupçonne de l'avoir
trompé jusqu'aujourd'hui , qui me croit
capable d'en aimer un autre que lui ; Je
» le devrois , ingrat , continua- t-elle ; et
» vous meriteriez l'infidelité dont vous
» m'accusez . Ces paroles , suivies de quelques
larmes qu'elle ne put retenir , rendirent
un calme soudain au coeur du Roy
de Valence. » Pardonnez-moi , lui dit- il ,
>> Adorable Delmire , des sentimens que
» je désavouë , et n'en imputez le crime.
» qu'à l'excès de mon amour. C'est cet
» amour , aussi ardent qu'il en fut jamais ,
» qui m'ôtant tout à coup l'usage de la
Dij >> rai1536
MERCURE DE FRANCE
» raison , ne m'a pas permis de vous ca-
» cher l'affreux désespoir où votre perte
» me réduiroit. Vous me la rendez cette
» raison ; elle m'éclaire sur l'injustice de
» mes prétentions ; si la guerre vous à fai-
29
te ma prisonniere , l'amour m'a fait vo-
» tre esclave ; oüi , ma raison me fait voir
que j'aurois dû vous laisser maîtresse
» de votre destin , dès le moment que je
» vous ai adorée. Vous pouvez partir, je ne
» vous retiens plus ; vous pouvez vous
> donner à l'heureux mortel à qui le Roy
>> votre Frere vous réserve; et quand vous
» vous seriez destinée vous- même à ce
» Rival , que j'abhorre sans le connoître
» ce ne seroit pas à moi à m'opposer au
penchant de votre coeur ; mais quelque
» soit celui qui doit posseder tant de
» charmes , qu'il ne se flatte pas que je
» le laisse tranquillement jouir d'une fé-
» licité où il ne m'est plus permis d'as-
» pirer votre frere a résolu ma mort
» mais je la rendrai fatale à votre Epoux ;
>> ma haine est aussi forte pour lui , que
» mon amour pour vous ; je ne respire
» que vengeance ; et je confonds dans ma
fureur tous les Princes du monde ; je les
regarde tous comme les Usurpateurs de
mon Trésor ; ces transports qui redoubloient
à chaque instant , et dans le tems
>>
même
JUILLET. 1732 1537
même qu'il sembloit se repentir de les
avoir fait éclater , jetterent une douleur
mortelle dans le coeur de la tendre Delmire.
» Ah ! Seigneur , lui dit- elle , pour-
» quoi faut- il que vous m'aimiez ? que je
vais vous rendre malheureux ! je vois
» trop que le poison de la jalousie se ré-
» pandra sur tous les jours de votre vie, et
qu'il troublera votre tranquillité et la
»mienne ; cependant que dois - je faire
» dans la triste situation où je me trouve?
» dites - moi la réponse que je dois faire au
»Roy d'Arragon : Eh ! puis-je balancer
» un moment à la faire moi - même , lui
» dit l'impetueux Rodrigue ; qu'il vous
>> donne à moi , et qu'il reprenne tout ce
» que la victoire m'a fait conquerir sur
» lui ; je lui abandonne tout , et ce sa-
» crifice iroit jusqu'au don de ma Cou
ronne , si je ne la regardois comme vo-
» tre bien ; mais qu'il ne m'oblige pas
» à reprendre les armes , par la honte
» d'un refus , que j'irois expier dans son
ر و »sang.
Cet amour , qui tenoit de la fureur , fit
trembler Delmire ; elle comprit bien que
Ja jalousie de son Amant ne finiroit qu'avec
sa vie. Pour en calmer les transports ,
elle lui promit de ne rien oublier pour
porter le Roy d'Arragon à un Hymen
D iij qui
1538 MERCURE DE FRANCE
qui les rendroit tous deux infortunez .
Élle fit réponse à son frere avec les plus.
vives expressions que l'amour pût lui.
suggérer. Elle communiqua sa Lettre au
jaloux Rodrigue ; il y en ajouta une de sa
main, qui n'étoit pas moins forte, et dont
Delmire auroit été charmée , si elle eût pû
se cacher que ce même amour qui s'exprimoit
si tendrement , dégénéroit en implacable
couroux , dès qu'il craignoit de
perdre l'objet aimé .
Les engagemens que Don Pedre avoit
pris avec ses Alliez , ne lui permettant pas
de faire assez - tôt une réponse positive aux
propositions de Don Rodrigue , réveil
lerent la jalousie de ce dernier ; il ne dou
ta point que sa perre ne fut résoluë ; il fit
de nouveaux préparatifs de guerre il écla❤
ta en reproches contre la malheureuse
Delmire ; il la soupçonna d'avoir part à
des retardemens qui lui annonçoient un
refus ;elle en soupira , elle en gémit, mais
le mal étoit sans remede ; elle aimoit
trop cet ingrat , qui l'accusoit d'en aimer
un autre. Elle redoubla ses empressemens
auprès de son Frere , et le fit avec tant de
succès , que la paix fut concluë entre les
deux Rois ennemis , et l'hymen arrêté
entre les deux Amans.Cette agréable nouvelle
répandit une joie universelle dans
les
JUILLET. 1732. 1539
les Royaumes de Valence et d'Arragon ;
Rodrigue se livra tout entier à la douce
esperance de posseder bien - tôt sa chere
Princesse ; la seule Delmire s'abandonnoit
à la douleur , tandis que tout ne res
piroit que bonheur ; elle n'ouvroit son
coeur qu'à deux de ses confidentes , dont
l'une avoit pris soin de son enfance , et
l'autre vivoit dans une très- étroite familiarité
avec elle. La premiere s'appelloit
Théodore , et l'autre Délie ; je les nomme
toutes deux , parce qu'elles doivent avoir
part à la suite de cette histoire ; Théodore
lui conseilloit de fermer les yeux sur
tous les malheurs dont la jalousie de Rodrigue
sembloient la menacer ; Délie au
contraire n'oublioit rien pour la détourner
d'un hymen que cette affreuse jalou
sie lui rendroit funeste. L'un et l'autre
conseil partoient d'un coeur bien intentionné
, mais la triste Delmire ne sçavoit
lequel elle devoit suivre pour être
heureuse , l'amour avoit déja décidé de
son sort ; elle ne laissa pas de se précau
tionner autant qu'il dépendoit d'elle
contre les suites que pourroit avoir un
engagement qui devoit durer autant que
sa vie. Elle fit promettre à Don Rodrigue
de se guérir de sa jalousie , et ne lui
promit de l'épouser qu'à cette condition.
D iiij
Don
1540 MERCURE DE FRANCE
Don Rodrigue lui jura de n'être plus
jaloux. » Je ne l'étois , lui dit- il , que parce
» que je craignois de vous perdre ; vous
» serez bien- tôt à moi ; qu'ai - je à crain-
» dre ? Non , ajouta t- il , plus de défiance ,
» Delmire se donne à moy , rien ne peut
» me la ravir , sa foy me rassure contre
toutes les prétentions de mes Rivaux;
» je suis le plus heureux de tous les hom-
» mes , et ma félicité me rend à jamais
❤ tranquille.
Ces belles protestations , qu'il croyoit
aussi constantes que l'amour qui les lui
dictoit , ne tinrent pas contre le premier
sujet qu'il crut avoir de se défier de son
Amante : Voicy ce qui y donna occasion .
La Duchesse du Tirol , tendre amie de
la Princesse d'Arragon , dont elle avoit
vivement ressenti l'absence depuis que le
Roy de Valence l'avoit faite prisonniere ;
n'eût pas plutôt appris que la paix étoit
conclue entre les deux Couronnes , et que
sa chere Delmire en alloit porter une ,
qu'elle lui écrivit pour lui témoigner la
part qu'elle prenoit à son bonheur , et
pour la prier de lui accorder la permission
de venir à Valence , pour être témoin
d'un hymen qui faisoit la félicité de deux
Peuples. Delmire s'enferma dans son cabinet
pour lui faire réponse ; elle avoit
pris
JUILLET. 1732. 1541
pris la précaution de deffendre que personne
la vint troubler. L'amoureux Rodrigue
se presenta à la porte de son appartement
, dans le temps qu'elle achevoit
sa Lettre ; quoique les ordres qu'elle
ávoit donnez qu'on la laissât seule , ne
fussent pas pour lui , Délie , celle de ses
Dames qu'elle affectionnoit le plus , et
qui n'approuvoit pas son hymen , à cause
des suites fâcheuses qu'il pouvoit
avoir pour sa chere Maîtresse , eut la malice
de vouloir mettre sa jalousie à l'épreuve
, et lui dit que la Princesse ayant
des dépêches secretes à faire , avoit deffendu
, sans excepter personne , qu'on
laissât entrer dans son appartement , »> Ces
» deffenses ne sont pas apparemment pour
» un Roy qui doit bientôt être son Epoux,.
répondit D. Rodrigue , avec un souris.
» forcé , et je crois pouvoir prétendre à
>> l'honneur de sa confidence. Délie affecta
encore plus d'empressement . à l'empêcher
d'entrer pour lui donner de plus:
grands soupçons; elle n'y réussit que trop
bien. D. Rodrigue avala à longs traits le
poison que cette artificieuse fille lui avoit
préparé ; il entra tout transporté , mais à .
peine eut-il apperçu Delmire que le res--
pect, que sa presence lui inspiroit, suspendit
les mouvemens tumultueux qui ve
D v noient
1542 MERCURE
DE FRANCE
1
noient de s'élever dans son ame ; il se rapella
la promesse qu'il lui avoit faite , de
n'être plus jaloux ; et la voïant attentive à
la Lettre qu'elle écrivoit , il s'avança sans
bruit et sans crainte d'être vû , attendu
qu'elle lui tournoit le dos; mais une glace
sur laquelle Delmire jetta les yeux et à
laquelle ce Prince jaloux ne fit nulle attention
, tant il étoit occupé de ses soupçons
, trahit le dessein qu'il avoit de lire
ce que la Princesse écrivoit. Delmire ne
l'eût pas plutôt apperçu qu'elle serra brusquement
sa Lettre; et se tournant vers lui ,
elle se plaignit du dessein qu'il avoit de la
surprendre . D. Rodrigue ne sçut d'abord
répondre à ce reproche ; il craignoit
de faire entrevoir sa jalousie ; il lui demanda
pardon de la liberté qu'il avoit
prise de contrevenir à des ordres qui peutêtre
n'étoient pas moins pour lui que
pour tous les autres,quoique le noeud qui
devoit les unir à jamais le mit en droit
de se croire excepté. » Ce droit n'est pas
» encore si sûr que vous le
que
lui
pensez ,
répondit Delmire , avec une petite émo-
» tion de colere, puisqu'il n'est fondé que
sur un hymen , auquel je n'ai consenti
» que conditionnellement; avez vous oubiié
quelles sont nos conventions ? Vous
> m'avez promis de n'être plus jaloux ;
moi
JUILLET. 1732. 1543
moi, jaloux,s'écria D. Rodrigue ;voulez-
» vous me faire un crime d'un mouvement
» de curiosité qui ne tire nullement à con-
» séquence. Eh bien , je vous en croi , lui
» répondit Delmire ; mais comme cette
» curiosité m'a induite à vous soupçonner
d'infraction de traité , c'est par
» même que je veux vous punir ; pér-
» mettez donc que je ne la satisfasse pas ;
» vous ne sçauriez mieux me prouver vo

tre innocence ; le sacrifice que je vous
» demande n'est pas grand , et si vous
» sçavicz à qui s'addresse cette Lette que
» vous avez voulu lire à mon insçu , vous
» ne balanceriez pas un moment à m'ac-
» corder ce que j'exige de vous ; j'y sous-
» cris sans repugnance , lui répondit Ro
>> drigue , malgré l'envie secrette qu'il
» avoit d'apprendre ce que contenoit cette
» Lettre mysterieuse , que Delie lui avoit
» renduë suspecte ; vous me comblez de
» plaisir , lui dit Delmire, et je commen
ce à bien augurer de votre amende
» ment.
Elle demeura ferme dans sa résolution ,
quoique Rodrigue ne laissât pas de lui
faire entrevoir le desir qu'il avoit de sça--
voir ce qu'elle venoit d'écrire ; ils se sé→
parerent assez satisfaits l'un de l'autre en
apparence ; mais Rodrigue nourrissoit
Dvj dans
1544 MERCURE DE FRANCE
"
4
dans le coeur une inquiétude qu'il lui
falloit dévorer aux yeux de sa Princesse;
elle ne l'eut pas plutôt quitté , qu'il ne
songea qu'aux moyens de s'éclaircir d'un
doute qui troubloit son repos.
Il avoit , pour son malheur , un Confident
qui flatoit sa jalousie , parce qu'il
n'étoit jamais plus en faveur auprès de
son Maître , que lors qu'il faisoit quelque
découverte qui l'entretenoit dans son
amoureuse défiance . Cette peste de Cour
s'appelloit Octave. Dom Rodrigue ne lui
eut pas plutôt communiqué ce qui venoit
de se passer entre Delmire et lui ,
que ce dangereux Courtisan lui avoüa
qu'il croyoit que cette Lettre que la Princesse
avoit écrite à son insçu , s'adressoit
à quelque Rival caché ; il s'offrit à l'intercepter
; Dom Rodrigue lui promit une
récompense proportionnée à ce service ;
mais comme il craignoit d'offenser sa Princesse
, il lui ordonna d'éviter l'éclat dans
la commission dont il se chargeoit . Octave
lui dit qu'il pouvoit s'en reposer sur
sa dexterité , et le quitta pour aller se
préparer à cette expedition.
Delmire , contente du petit sacrifice
que son Amant venoit de lui faire , chargea
Délie de remettre le Billet qu'elle venoit
d'écrire entre les mains de celui qui
lul
JUILLET.- 17328
1545
lui avoit apporté la Lettre de la Duchesse
de Tirol ; c'étoit un Amant de Delie ,
qui s'appelloit Florent. Elle executa les
ordres de sa Maîtresse ; mais comme les
Amans ont toûjours quelque petit reproche
à se faire , Florent ne voulut point
s'éloigner de Délie , sans se plaindre de
son indifference : Est- il possible , lui
dit - il que l'amitié soit plus empres-
» sée que l'Amour ? La Duchesse de Tirol
» n'a pas plutôt appris que le commerce
» n'est plus interrompu entre les Peuples
d'Arragon et ceux de Valence , qu'elle
»s'empresse d'écrire à la Princesse Delmire
; cette tendre amie n'est pas moins
» prompte à lui faire réponse , et Délies
>> pendint deux mois d'absence , ne peut :
>> trouver un seul moment pour donner :
»de ses nouvelles au plus passionné de
>> tous les Amans ! voici de quoi vous convaincre
, lui répondit- elle , en tirant
>>de sa poche une Lettre qu'elle n'avoit
>> pû lui envoyer ; ce n'est point- là ton
» caractere , lui dit Florent , il est vrai ,
» répliqua Délie , c'est la Princesse même
» qui a eu la bonté de me préter sa main,
parce ce que je ne pouvois pas me servir
de la mienne , à cause d'une indisposi-
» tion.
Florent étoit si persuadé des bontez de
Del16
MERCURE DE FRANCE
Delmire
pour Délie , qu'il ne douta point
qu'elle ne lui dît vrai , il la pria de lui
laisser cette chere Lettre , puisque c'étoit
à lui- même qu'elle s'adressoit , Délie n'en
fit aucune difficulté , et retourná auprès
de sa Maîtresse.
Florent ne fut pas plutôr seul qu'il ne
put résister à l'envie de lire ce que Délie
lui écrivoit ; il étoit si occupé de cette
lecture qu'il ne s'apperçut pas de l'arrivée
d'une personne masquée , soutenuë de
plusieurs autres qui devoient venir à son
secours en cas de besoin . C'étoit Octave
qui s'avançant par derriere , lui saisit la
Lettre de Délie. Florent se deffendit autant
qu'il put , mais tous les efforts qu'il fie
n'empêcherent pas qu'Octave ne lui ravît
la moitié d'une Lettre qui lui étoit si
chere . Fatale moitié , dont nous verrons
bien-tôt les fun stes suites.
Florent ne pouvant tirer raison de
l'insulte qu'on venoit de lui faire , et ne
scachant qui il devoit en accuser , se consola
de la perte de cette moitié de Lettre ,
et partir pour aller porter à la Duchesse du
Tirol , le Billet dont D'lie venoit de le
charger de la part de Delmire. Octave
content de son larcin , aila sur le champ
trouver D. Rodrigue , pour lui rendre
compte de l'heureux succès de son zele ;
voici
JUILLET.
1732. 1547
voici ce que contenoit cette moitié de
Lettre , qu'il remit entre les mains de son :
Maître.
L'Amour que vous m'avez autrefois jurée
me fait esperer que vous ne m'avez pas oubliée .
recevez donc ces nouvelles marques de ma tendresse
;
y serez -vous aussi sensible que vous le devez ?
vous êtes dans Saragosse et moi ,
cruelle et rigoureuse absence •
souvenez-vous que je n'aime que vous
que puisque je ne puis vivre sans mon cher ...
vous ne devez vivre que pour la tendre Del
·
Quels furent les transports du Roy de
Valence à cette fatale lecture . Ah ! je
» ne m'étonne plus , s'écria -t'il¸ que Pina
fidelle Delmire ait pris tant de précau
tion pour n'être point surprise quand
» elle traçoit ces tendres témoignages de
on coupable amour ; avec quelle adresse
la peifide s'est prévalue du funeste
>> ascendant qu'elle a sur mon coeur , pour
» me dérober un secret dont la connoissance
l'auroit perdue , mais elle ne m'aura
pas trompé impunément ; elle ne
» dira plus que ma jalousie est injuste , et
» je n'ai que trop , pour mon malheur
de quoi la confondre.
Il ne s'arrêta pas long- temps à s'exhaler
en vains reproches , il courut à l'Appartement
de Delmire , pour la convaincre
de son manque de foy.
1548 MERCURE DE FRANCE
La Princesse d'Arragon ne s'apperçût
pas d'adord du trouble de son coeur ;
elle lui témoigna même combien elle
étoit satisfaite du petit sacrifice qu'il ve
noit de lui faire ; » vous osez encore in →
» sulter à ma crédulité , lui répondit le
» Roy jaloux , d'un ton à la faire trem-
» bler , il n'est que trop grand ce sacrifi-
>> ce dont vous voulez diminuer le prix' ;
» mais le Ciel , le juste Ciel , n'a pas permis
que vous ayez recueilli le fruit de
» votre crime. De mon crime , répondit
» Delmire avec ce noblé courroux qu'ins-
» pire l'innocence accusée ; quoi ? c'est
» par Rodrigue que je suis si mortelle
"
ment outragée . Moi criminelle ! ache-
»vez , cruel persecuteur d'une Princesse
" que vous condamnez à des malheurs
» éternels ; apprenez - moi par quelle ac-
» tion j'ai pû meriter l'injure que vous
»faites à ma gloire . Ne croyez pas , poursuivit
cet injuste Amant , m'imposer
» encore par ces trompeuses apparences de
» vertu dont vous m'avez ébloui jusqu'au-
´» jourd'hui , mes yeux se sont ouverts , et
» plût au Ciel qu'ils fussent encore fer-
>> mez ; et que le hazard ne m'ût pas mis
>> entre les mains des témoins irrécusables
» de votre infidelité. Lisez , poursuivit- il,
» et démentez votre main , si vous l'osez .
» Je
JUILLET.
1732. 1549
» Je ne scaurois disconvenir , lui dit Del-
>> mire , après avoir jetté un regard d'in-
>> dignation sur l'Amant et sur la Lettre
qu'il lui présentoit , je ne sçaurois nier
» que ces mots ne soient tracez de ma
»main ; mais avez- vous lieu d'en être ja-
>> loux ? oserez-vous me persuader , in-
» terrompit Rodrigue , que ces tendres
>>> sentimens s'adressent à moi ? L'Amant
» à qui vous écrivez est à Sarragoce ; quel
>> qu'il soit , lui répondit Delmire avec un
>> fier dédain , il est plus digne d'être aimé
» que vous , ces mots acheverent de
» rendre Rodrigue furieux . Quoi ? je
>>ne suis donc plus pour vous , lui dit- il ,
» qu'un objet de mépris ! que dis- je ? je
» l'ai toûjours été. Cette absence que vous
» appellez cruelle et rigoureuse , n'a pas
» paré un moment votre perfide coeur de
>> cet heureux Rival , que vous mettez si
fort au- dessus de moi , et vous l'adoriez
en secret dans le temps que vous
» me juriez une foi inviolable et un amour
» éternel. Ne poussons pas plus loin une
» erreur qui vous autorise à de nouveaux
»emportemens , lui dit enfin Delmire ; ils
seroient justes s'ils étoient fondez sur
la verité , il est temps de vous détrom-
» per ; mais c'est plutôt pour ma gloire ,
»ajouta- t'elle , que pour votre satisfac
sé-
» tion;
1550 MERCURE DE FRANCE

» tion. A ces mots elle ordonna qu'on
>> fit venir Délie ; elle fut obéïe sur le
champ ; Délie , qui se doutoit de ce
qui se passoit entre le Roy et la Princesse
entra dans son Appartement
munie d'armes deffensives ; Florent , qui
ne faisoit que de venir de Sarragoce , l'avoit
instruite de la violence qu'on lui avoit
faite . Elle tenoit dans sa main, la moitié
de Lettre qui étoit restée dans celle de
Florentin ; » j'ai pressenti , dit elle , en
» s'adressant à Delmire que vous pourriez
avoir besoin de cette piece justificative
échappée au larcin qu'on a fair
» à Florent. Donnez , répondit Delmire ,
» et vous , injuste Amant , joignez ces ca-
» racteres à ceux qui m'ont rendue si cou-

pable à vos yeux , et rougissez seul du
>> crime que vous avez voulu m'imputer.
»Que je crains d'avoir trop mérité votre
» colere ! s'écrie D. Rodrigue , en rece-
»vant d'une main tremblante le fatal
» papier que Delmire lui présentoit.com
» me l'Arrêt de sa condamnation . Je vous.
→crois innocente , continua - t'il , sans rien
> examiner de plus ; il ne suffit pas que
»vous me croyez innocente , lui répon-
» dit Delmire, avec beaucoup d'alteration ,
» il faut que vous soyez convaincu de
»votre crime , je vous laisse , ajoûta- t'elle,
» pour
JUILLET. 1732. 1351
» pour aller refléchir à loisir sur la peine
»qui vous est duë.
A ces mots Delmire le quitta sans
daigner le regarder , et ce qui le fit trembler
davantage , c'est de voir qu'elle étoit
suivie de Délie , qu'il sçavoit n'être pas
trop bien intentionnée pour lui.
Sitôt qu'il fut seul , il rejoignit les deux
moitiez de Lettre , et y trouva ces mots.
L'amour que vous m'avez autrefois jurée , mon
ther Florent , et que je vous ai jurée à mon tour,
me fait esperer que vous ne m'avez pas oubliée
malgré la distance des lieux qui nous séparent ;
recevez donc ces nouvelles marques de ma tendresse
, qui partent moins d'une plume empruntée
que de mon coeur ; y serez vous aussi sensible que
vous le devez je n'ose presque l'esperer ; que sçai-jez
Vous êtes à Sarragosse et moi à Valence ; je ne
veis personne ; puis -je me flatter que vous fassiez de
même. Cruelle et rigoureuse absence ! que tu me
causes d'allarmes ! cependant , souvenez - vous que
je n'aime que vous ; n'aimez aussi que moi , et
songez sans cesse que puisque je ne puis vivre
sans mon cher Florent ; pour prix de tant de
fidelité , vous ne devez vivre que pour la tendre
Delie.
Dans quel accablement la lecture de cette
Lettre ne laissa point le jaloux Rodrigue ?
Le plaisir secret qu'il sentit d'abord à se
voir convaincu de la fidelité de Delmire ,
ne put balancer le mortel regret de l'avoir
offensée. La froideur avec laquelle'
sa
1552 MERCURE DE FRANCE
sa chere Princesse lui avoit dit en le quittant
, qu'elle alloit refléchir à loisir sur
la peine qui lui étoit duë , lui donnoię
tout à craindre pour son amour ; il s'étoit
soumis lui- même à cette peine par
la promesse qu'il lui avoit faite de n'être
plus jaloux , mais ce qui l'avoit induit à
l'être , étoit si vrai -semblable , qu'il ne
desespera pas de la fléchir.
On verra la suite de cette Histoire dans
le prochain Mercure.
***** **:*:*******
O DE SACRE' E ,
Tirée du Premier Pseaume , Beatus vir
qui non abiit , &c.
Heureux celui , qui dans sa vie ;
Ne risqua jamais d'écouter
Les traitres conseils dont l'Impie ,
'A voulu cent fois le flater !
Qui toûjours ennemi du vice ,
Sçut découvrir le précipice ,
Caché sous ses trompeurs appas !
Et qui refusa sa présence ,
A la Chaire de Pestilence ,
Od le Pecheur guidoit ses pase
C'est
JUILLET. 17320 1553
Cest ta Loy , Sagesse éternelle ,
Qui regla ses chastes plaisirs ;
Il ne connut et ne vit qu'elle
Digne de remplir ses désirs :
En renouvellant sa carriere ,
Le jour lui préta sa lumiere ,
Pour la méditer avec fruit ;
Il se fit même une habitude ,
De continuer cette étude ,
Jusques dans l'ombre de la nuit.

Tel est dans un Verger champêtre ,
L'arbre planté près d'un Ruisseau ,
Il est les délices du Maître ,
Dont il embellit le Hameau ;
> Malgré l'ordre de la Nature ,
L'éclat naissant de sa verdure ,
Ne l'abandonnera jamais ;
Et les beaux fruits qu'il fait éclore ,
Un jour surpasseront encore ,
Son esperance et ses souhaits.
Ce n'est point ainsi que l'Impie ,
Réüssira dans ses projets ;
Non , non , qu'il n'ait point la folic ,
De se flatter de tels succès ;
Battu , frappé de la tempête ,
Il ne peut soustraire sa tête ,
1554 MERCURE DE FRANCE
Au coup qui doit le renverser
Mais que dis-je ? foible matiere ,
Un souffle le met en poussiere,
Et suffit pour le disperser.
Confus il n'osera paroître ,
Au jugement de l'Univers ;
Nous ne le verrons point renaître
Pour entrer dans nos saints Concerts.
Dieu qui connoît la difference ,
Et du crime de l'innocence ,
De tous temps a fixé leur sort ;
Pendant que l'un fera nauffrage ,
L'autre n'aura senti l'orage >
Que pour mieux arriver au Port.
hotth
1
LETTRE sur l'Astrologie Judiciare,
et les Horoscopes , écrite par M. Cipiere ,
à M. l'Abbé B....
sur
Uisque vous le voulez , Monsieur ,
Pije vous écrirai mes sentimens
l'Astrologie Judiciaire , cette science des
Prédictions et des Horoscopes . Je commencerai
par un Auteur Chrétien , qui
a été Licentié en Droit , et qui a professé
les
JUILLET. 1732. 1555
les Mathématiques à Bordeaux , sa Patrie
et la mienne. C'est Guillaume Desbordes,
Gentilhomme , qui a traduit en François
la Sphere de Jean de Sacrobosco. Sa Traduction
fut imprimée à Paris , chez Denis
Cavelles , en l'année 1607. Le Traducteur
a mis au-devant de l'Ouvrage
une longue Préface pour établir l'utilité
de l'Astrologie Judiciaire , qu'il fonde
sur un sistême moins opposé aux principes
de la Religion , que tant d'autres
qui ont parû sur la même matiere,
1 °. Il cite Platon , qui dit que les yeux
n'ont été donnez aux hommes que pour
l'Astronomie , c'est - à- dire , pour élever
l'esprit à la connoissance de l'Auteur de
tous les Astres . Il y loüe Purboche , et
Jean de Montroyal , pour avoir rétabli
l'Astrologie . Il croit avec Aristote , que
le monde inferieur est regi par le Superieur.
2º. Nous voyons , dit - il , contre Pic
de la Mirandole , que les conjonctions des
Etoiles ardentes brulent les corps terrestres
, et les rendent secs et arides ; que les
Etoiles et les Signes humides augmentent
les humeurs ; que les diverses mixtions
des Rayons des Corps Celestes , sont
la cause de la diverse temperature de
toutes les qualitez des Corps Terrestres.
3º.
1556 MERCURE DE FRANCE
3. L'auteur attribue aux Corps Celestes
la varieté de la temperature de nos
corps , et à cette varieté de temperature ,
celle de nos passions et la diversité des
esprits , si l'éducation ne change le naturel
. Dieu est au- dessus de ces forces naturelles
, et il nous laisse notre libre arbitre
qui change quelquefois l'ordre de
la Nature. Un exemple de cela . Moyse
fut conservé , non par la puissance des
Astres , mais par une volonté particuliere
de Dieu. Un autre exemple . S. Pierre
fut délivré de la prison par un Ange ,
non par les Astres. N'est- il pas vrai ,
M. que Desbordes auroit pû mettre dans
la conjonction des Astres , la fille du Roy
qui sauva Moyse des eaux , et l'Ange qui
tira l'Apôtre de la prison ? mais il croyoit
aux Miracles.
- 4°. Il prouve par l'Ecriture Sainte que
les effets de ces causes superieures , sont
subordonnez à Dieu , qui veut que les
hommes ayent en lui une sincere confiance.
Dieu a dit par la bouche de Jeremie
, de ne craindre point les Signes
du Ciel , mais d'avoir de la confiance en
sa proteccion.
5o. L'Auteur reconnoît encore une
autre cause contraire à la disposition des
Astres , qui influë dans la vie des hom
mes.
JUILLET. 1732 1557
mes. C'est le Démon , ennemi du genre
humain , c'est à lui qu'il faut attribuer
les crimes de Neron et de Caligula.
6. Il croit avec Ptolomée , que les
ordonnances des Astres sont moins efficaces
que les Arrêts du Sénat et des Préteurs.
7. Il conclut enfin que les conjonctions
des Astres qui disposent de la destinée
des Humains , ne nécessitent personne
, et qu'il faut mépriser totalement
les prédictions des Astrologues , qui sont
semblables aux pronostics des Medecins ;
mais il seroit déraisonnable , ajoûte l'Auteur
, de croire que les Planettes et les
Etoiles fussent dans les cieux sans aucune
signification ni effet. Les saintes
Lettres n'ont pas dit en vain , qu'elles
seroient des Signes pour les temps , les
ans et les jours . Il faut avoüer , Monsieur,
que si cela est comme Desbordes l'éta
blit , cette science se réduit presqu'à rien
pour les prédictions qui interessent la liberté
de l'homme.
D'autres Auteurs ont pressé davantage
l'effet des Prédictions. Thiogenes prédit
l'Empire àAuguste, selon Suetone . Les Mathématiciens
chassez de Rome par Vitellius
,lui prédirent le genre de sa mort dans
lesCalendes d'Octobre , ce qui arriva , selon
Xiphilin. Ascletarion , interrogé par Do-
E mitien
558 MERCURE
DE FRANCE
mitien
, de quelle
mort , lui Aseletarion mourroit
, il répondit
qu'il seroit devoré
des chiens
. L'Empereur
, pour tromper les Astres
, le fit mourir
, et ordonna
que
proson
corps fût mis dans une fosse fort
fonde. Les Fossoyeurs
épouventez
par une pluye
fort abondante
, s'enfuirent
et laisserent
le corps
en proye
aux chiens
. Ainsi le rapporte
le même
Xiphilin
, après Dion. Mais l'Empire
ne fut-il pas prédit
de
à Rodolphe
de Harpourg
, au rapport
Cuspinian
, et le Souverain
Pontificat
à Leon X. et à Adrien
IV. selon Paul Jove? Ce sont des Astrologues
qui l'ont pré- dit et non des Prophetes
inspirez
de Dieu.
10.
Tout le monde n'a pas eû cette foi pour
les Astrologues
; plusieurs
Sçavans
ont
été contraires
à leurs prétentions
. Cice- ron , au Livre 2. de la Devination
; Sextus
Emperius
, contre les Grammairiens
, Ch. ro. Phavorin
dans Gellius , L. 14. C. I.
ont renversé
tous leurs principes
. L'Empereur
Tibere les condamna
à mort, quoi- qu'il eût Thrasyde
à son service. Nous avons dit que Vitellius
les avoit chassés ·
de l'Italie , et Valere Maxime
, L. 1. C. 3 . rapporte
les raisons qu'il y eut pour les chasser de Rome sous le Consulat
de
M. Popilius
Lanos , et Cn . Calpurnius
,
long temps avant Vitellius
.
Le
JUILLET. 1732 . 1732. 1559
Le Prophete Isaïe les connoissoit bien ,
quand il dit : Stant et salvent te augures
Cæli , qui contemplabantur sidera , et supputabant
menses , ut ex eis annuntiarent
ventura tibi , Cap. 47. V. 18. Les Peres de
l'Eglise n'en ont pas eu meilleure opinion ;
on en pourroit citer un nombre qui ont
ensé la même chose avec Eusebe de Cesarée
, Prapar. Evang, et avec les Saints
Basile , dans son Hexameron , Ambroise ,
Irenée , et Augustin , nous y joindrons
les Conciles qui ont condamné les opinions
des Priscillanistes sur ce sujet.
P
Je dois vous rapporter ici , M. les sentimens
de S. Augustin , Civit. Dei , L.V.
Cap. 2. Il combat les Horoscopes , et en
fait voir la fausseté. Pour cela il examine
la ressemblance de deux Jumeaux , qui
dans un même temps tomberent malades
avec des symptômes et des accidens pareils
, et moururent à la même heure.
Hipocrate , qui les avoit vûs , jugea de
cette ressemblance qu'ils étoient Jumeaux .
Le Stoicien Posidonius , qui s'étoit appliqué
à l'Astrologie , soutenoit que cette`
ressemblance venoit de ce que ces Jumeaux
avoient été conçûs sous le même
Ascendant. Si cette raison étoit bonne ,
dit S. Augustin , on ne devroit voir aucune
diversité dans la vie des Jumeaux ,
E ij
ce
15 MERCURE DE FRANCE
ce qui est contre l'experience. Nigidius ,
fameux Mathématicien , et le plus sçavant
Romain après Varron , soutenoit
dans cette question , que les Jumeaux ne
pouvoient avoir un même ascendant , à
cause de la difference qui se trouve entre
la naissance de l'un et la naissance de
l'autre. La remarque qu'il avoit faite sur
la roue du Potier , qui tournoit de toute
sa force , est très- propre pour faire voir
cette difference ; car les deux marques
qu'il fit sur la roue dans le même temps
et fort près l'une de l'autre , se trouverent
assez éloignées entre elles. D'où il
jugea que les Cieux tournant encore plus
rapidement que la roue du Potier , la difference
des naissances des deux Jumeaux
devoit être encore plus grande , à cause
du grand cercle que décrivent les Astres
dans les Cieux . C'est de- là que ce Nigidius
acquit le surnom de Figulus , ou
Potier. Et de-là on peut conclure que les
Astronomes ne peuvent même considerer
la position dos Astres , qui passent si
vîte.
sça-
Prenons le systême et le plan d'un
vant Allemand nommé Mathieu Sluter ,
Jurisconsulte et Syndic de la Ville de
Hambourg. Il croyoit pouvoir prédire les
divers changemens de l'Air , l'humidité
la
JUILLET. 1732. 1561
la secheresse , la serenité , les pluyes , les
orages. La conjonction on l'aspect des
Planettes fait qu'elles se chargent l'une
l'autre de leurs influences particulieres.
Ces influences ou ces corpuscules mêlez
ensemble dans notre Atmosphere , y exeitent
les vents et les pluyes , ou rétablissent
la serenité. Mais pour prédire
tout cela , il faut avoir une suite d'Observations
uniformes et constantes de
tous les chingemens qui sont arrivez
dans l'air aux temps de ces conjonctions.
De là on tírera des axiomes et des regles
sur lesquelles on fondera une Théorie.
Cet Auteur a déja donné une suite de ses
Observations , qui commence au 3. Février
1701. et finit au 3. Avril suivant .
M. Cok , Anglois , avoit donné avant lui
cette idée dans ses Axiomes Metecrolo
giques .
Je doute , M. qu'on puisse jamais faire
de ces Observations constantes et uniformes.
Les Signes Celestes qui se levent en
certaines saisons , ne sont appellez Signes
que parce qu'ils se levent en certaines saisons
où ordinairement l'air change de
temperature. Ils ne sont donc pas cause,
mais simplement Signes.
Dailleurs quelles difficultez à faire descendre
les corpuscules des Planettes dans
E iij
notre
1562 MERCURE DE FRANCE
notre Atmosphere ? Pour le moins autant
qu'à faire monter les exhalaisons de la
Terre jusques dans l'Atmosphere de Jupiter
et de Saturne , dont la Terre est
prodigieusement éloignée . Comment faire
sortir de l'Atmosphere de Saturne les
Corpuscules qui s'en exhalent? S'ils en sor
tent , ne seront- ils pas emportez par la
rapidité du tourbillon de cette grande
Planete ? Ne seront- ils pas dispersez dans
la vaste étendue des Cieux , où ils rencontreront
encore d'autres Planettes et
d'autres tourbillons ? et quelle petite
quantité en arrivera sur la Terre ? Mais
encore ce systême , quelque fondé qu'il fût,
n'entrevoit pour rien dans la destinée des
hommes , ou s'il y entroit, ce ne seroit que
comme la nature des divers climats qui
font les hommes d'un temperament ,
plutôt que
d'un autre ; et encore ce temperament
seroit- il changé par l'éducation
et par la Religion , par la nourriture et la
qualité de l'air. Le Pays de la Beotie , gras
et fertile , ne produisoit point des hommes
du genie des Athéniens qui habitoient
un Pays aride. Les Egyptiens dans un Pays
que les eaux seules du Nil rendoient fertile
, ont été les premiers inventeurs des
Arts.
J'ai cité plus haut ce celebre Phavorin
,
JUILLET. 1732 1563
rin , un des Favoris de l'Empereur Adrien.
Il avoit fait une Dissertation contre ceux
qu'on appelle Caldéens, qui promettent de
prédire le sort et la destinée des hommes,
par l'inspection des Astres par les conjonctions
et le mouvement des Planetes
et des Etoiles , nous avons un abregé de
cette Dissertation dans les Nuits Attiques
d'Aulugelle. L. XIV. Cap. I.
L'Auteur dit ces Devins exercent
que
leur Art pour de l'argent et pour vivre ;
que leur erreur vient de ce qu'ils ont vû
plusieurs corps terrestres dépendre du
mouvement des Astres , comme la Mer
qui est gouvernée par la Lune. De - la ils
ont conclu que les autres corps étoient
gouvernez par les Planetes et les Etoiles.
Si les hommes , ajoûte -t'il , pouvoient
prédire l'avenir , ils auroient la science
des Dieux ; mais pour en venir aux raisons
qui rendent incertaine la science de
l'Astrologie
.
1°. Il dit que les Observations de ces
Caldéens ne pouvoient avoir un effet general
, parce qu'elles ne pouvoient être
appliquées qu'aux lieux où elles avoient
été faites , et où les Astres confluoient ;
car les Astres ne paroissent pas par tout
dans la même position . S'ils font pleuvoir
dans un endroit , ils font le temps
E iiij serein
1564 MERCURE DE FRANCE
serein dans l'autre ; ainsi leurs effets seront
differens pour les Caldéens , pour
les Getules , pour les Habitans du Danube
et pour ceux du Nil. Il est impossible
, ajoûte l'Auteur , que dans une si
grande courbure du Ciel et dans cette
immense profondeur des Cieux étendus
P'un sur l'autre , les Astres soient ou paroissent
dans la même conjonction ou situation
à l'égard de tous les Peuples de la
Terre , et que leurs influences soient toujours
uniformes et toûjours les mêmes.
2º. Si les Caldéens ont observé les effets
des Etoiles visibles , combien y en
a - t'il qu'ils n'ont pas vûës , et qui peuvent
être en conjonction avec les visibles ? Si
Phavorin avoit connu les Satellites de
Jupiter et de Saturne , que n'auroit- il
pas dit?
3. Ils ont observé les évenemens arrivez
sous certaines conjonctions , et delà
ils ont assuré que les mêmes arriveroient
sous les mêmes conjonctions . Mais
peut- on faire beaucoup d'observations
sous des conjonctions qui n'arrivent que
dans cent ans , que dans mille ans ? At'on
vû des Livres qui nous ayent con..
servé ces Observations anciennes?
4°. Comment peuvent - ils dire qu'il y
a des conjonctions qui président à la
conception
JUILLET. 1732. 1565
conception , à la naissance dix mois après,
à la fortune , aux nôces , à la fécondité
des Epoux ? Les Astres passent trop vîte
et les mêmes ne peuvent faire tout cela.
5. Les Astres pourroient-ils produire
les évenemens qui viennent des causes
exterieures ? Comment causeroient - ils les
nouveaux projets , les jugemens , les désirs
, les amours , les inimitiez , les railleries
, les doutes ? Ce seroit faire agir les
hommes comme les bêtes , qui ne font
rien par leur propre arbitre , et les hommes
ont leur propre arbitre , qui ne seroit
rien s'il dépendoit de la force des
Astres.
6°. S'ils peuvent prédire, ces Caldéens,
la victoire à Pyrrhus ou à Marius - Curius,
pourquoi ne peuvent- ils pas promettre à
un tel qu'il gagnera au jeu ? Les Astres
ne marquent- ils que de grandes choses ,
et celles-cy sont- elles si petites qu'elles
en soient imperceptibles dans les Astres ?
Mais est-il rien de si petit que le mo
ment auquel l'homme en naissant reçoit
sa destinée ? Cependant cecte petite chose
est marquée dans les Asetes ; et après tout,
les deux Jumeaux conçus en un insant ,
ne sont-ils differens sur leur fortune
dans leurs accions et dans leur mort ?
pas
79. Comment accorder ces differens
E v Astres
1566 MERCURE DE FRANCE
Astres , qui ayant fait naître tant de personnes
differentes par leur âge , leur nation
, leur condition , les font périr dans
un tremblement de terre , dans la chute
d'une maison , dans une Bataille , dans
un nauffrage ?
8°. Mais les animaux sont- ils aussi sujers
aux Astres , comme les hommes ? Je
finirai par où j'ai commencé , et je dirai
avec le Poëte Pacovius :
Nam si qui qua ventura sunt pravideant ,
Equiparant Jovi.
Et je dirai encore avec Accius :
Nihil vides Auguribus qui aures verbi divitant ,
Alienas , suas ut locupletent domos,
Phavorin exhorte les jeunes gens de
ne se fier point aux Astrologues . Si vous
craignez , dit - il , les maux qu'ils vous
prédisent , vous devenez miserables par
cette crainte . Si vous attendez long- tems
les biens qu'ils vous promettent , vous
devenez encore miserables , lorsque vous
appercevez que vous êtes trompez . Ajoûtons
à toutes ces raisons , que Dieu n'a
point tracé la conduite du genre humain
dans les Astres , et qu'il ne se repose pas
sur eux du soin qu'il a pour les hommes.
Sa sagesse ,sa bonté et sa justice , condui
sent
JUILLET 1732. 1567
sent tout, et c'est là sa Providence .Qu'estil
besoin après cela d'aller dresser des
machines dans les Cieux pour faire naître
et mourir des hommes d'une maniere
differente ? et encore de placer ces machines
dans des lieux si élevez , pour
n'être vûës que des Astrologues , et avec
des Telescopes ?
Je vous laisse , Monsieur , avec les refléxions
que vous pouvez faire en Théologien
, ou avec celles que nous a données
M. Bayle , dans son Ouvrage sur
les Cometes ; je vous ai assez fait voir
mes sentimens sur cette matiere. Je souhaite
que vous connoissiez ceux que j'ai
pour vous. Je suis , &c.
A Paris le 4. Janvier 1732 .
Souflet est le mot de l'Enigme du premier
Volume de Juin ; les deux Logogryphes
doivent s'expliquer par Chocolat
et Cornard. Le mot de l'Enigme du second
Volume du même mois est Limaçon , et
ceux des Logogryphes sont , Procez , Clo
vis , Eva.
E vj ENIG1568
MERCURE DE FRANCE
XXXX :XXXX XXXXXXX
ENIG ME.
EN Robe de satin quelque peu déchirée ,
En bottes à cheval j'ai donc fait mon entrée
Dans. Paris où l'on m'attendoit ,
Que m'en arrive- t'il sur moi le pauvre a
droit ,
Le riche m'admet à sa table ;
Pour lui souvent insupportable ,
Je lui plais seulement quand je suis dérobé ,
Mais avant qu'il me voye , helas ! souvent
tombé
Dans les barbares mains d'une gent très - bratale
,
De mes douces prisons voulant me délivrer ,
Tel me coupe la tête , ou me brule , et m'empale
,
Qui ne sçauroit par fois s'empêcher de pleurer.
LOGO GRYPHE..
Euf lettres font mon nom
Ndeux ,
et ma tête en a
>
Et c'est le plus charmant des tons de la musique
,
Ma
JUILLET. 1732 1.569.
2
Ma tête à bas ; un des plus nobles jeux
De six soeurs comme moi fait l'art et la rubri
que ,
Le plus adroit ne me visite pas ,
Mais le perdant est toujours dans le cas.
Fends ma tête , et sois sûr sans être sangur
naire ,
Qu'avec mon col qu'à mon corps tu joindras ,
Je formerai le nom de ce malheureux frere ,
Qu'un assasin proscrit priva de la lumiere ,
Mon premier tiers pris à rebours
Est un friant Cadeau pour le Dieu des Amours ,
De mon corps la dernière et plus grande par
tie ,
Sert en la retournant à beaucoup d'animaux
Un autre sens présente un métier où les
sots
Pour l'avoir trop bien fait perdent souvent la
vie.
La moitié de ma tête et le milieu du corps
Avec mes pieds , font voir une aquatique
bête
Dont , quand Flore paroît maints friants se font
fête >
Lecteur , àà me chercher si tu perds tes efforts
,
Coupe moi tête et pieds , et combine le reste ,
Alors d'amusement je sers dans les jardins ,
Le Noble , le Bourgeois , comme la Troupe
agreste ,
Peut1170
MERCURE DE FRANCE
Peut - être ainsi que toi m'ont souvent dans les
mains.
AUTRE LOGOGRIP HE.
Mon tout désigne un caractere
Que blâment les honnêtes gens.
Si vous voulez dévoiler ce mistere
Tirez de l'alphabet six membres differens ,
Et de l'un deux faites un double usage ,
Vous formerez mon nom. Après cet assem
blage ,
Si vous me divisez , je cache plusieurs sens :
Je vais pour les trouver vous tracer une voye.
Trois , quatre , trois , et cinq , témoigne de la
1 joye .
Six , quatre , cinq, deux , sepr , est l'ouvrage du
tems.
Trois , cinq , six , cinq , illusion trompeuse
Qui fatte quelquefois , d'autres fois est facheuse.
Mettez trois , cinq , après un , deux ,
Je suis l'effet heureux
Que produit un art secourable.
Quatre , ci q , deux , dans plus d'une maison
J'assemble les gens à la table.
Quatre , deux , trois et cinq , on n'a plus de
raison.
Cinq, un et six , j'ai l'avantage
De
JUILLET .
1732. 1571
De porter en tous lieux du Souverain l'image.
Deux , quatre et cinq , chacun me chérit fort ,
Et franchement on n'a pas tort
Aussi malgré soi l'on me quitte ,
Et de m'avoir perdu c'est l'ordinaire suite
Que les Bergers comme les Roist
Servent de proye à six , cinq , trois.
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &c.
R
ECUEIL d'Edits , Ordonnances et
Déclarations concernant l'Epargne ,
le Trésor Royal , et les Parties Casuelles
et autres Affaires de Finances , sous les
Regnes de Louis XI . François I. Henry II.
François II. Charles IX . Henry III . Henry
IV Louis XIII . Louis XIV. et Louis
XV. avec un Tarifdes anciennes et nouvelles
évaluations des Office de France
ensemble des droits de Polette , ou Annuel
, et de huitiéme derier , survivance
ou droit de Mutation des mêmes Offices.
Volume in - 8. sans nom d'Imprimeur ,
1732.

MEMORIAL DE PARIS et de ses Environs
,
1572 MERCURE DE FRANCE
rons ,à l'usage des Voyageurs. Par M. l'Abbé
Antonini. A Paris , Quai des Augustins
, chez Muzier in- 12. de 164.
pages .
J.
Tous les Etrangers et quantité de
François ,et même deParisiens auront obligation
à l'Auteur de ce petit Ouvrage
de leur avoir indiqué les principales Curiositez
de la Ville de Paris.
2
LES SULTANES de Guzarate ou les
Songes des Hommes éveillez . Contes Mo
gols , par M. G.... A Paris , Quai de
Gêves , chez P. Prault , 1732. 3 volumes.
in- 12 . de près de 400. pag. chacun.
Nous ne doutons pas que cet Ouvrage
ne soit reçû aussi favorablement du Public
que les Contes Tartares et Chinois du
même Auteur , dont il est obligé de faire
une troisième édition , sans compter
impressions qu'on en a faites dans les
Pays Etrangers. Au reste , tous ces Ouvrages
sont écrits très- poliment , et la lec
ture en est fort amusante .
les
EXPOSITIO Juris Canonici per regulas naturali
ordine digestas , & c. c'est- à- dire
disposition du Droit Canonique par régles
, rédigées suivant l'ordre naturel et
Suivant l'usage , tirées tant du Corps de
Droit ,
JUILLET. 1732. 1.57.3
Droit , que d'autres sources , divisée en
deux Tomes , dont le premier contiendra
tout ce qui concerne le Droit Canon ,
consideré en lui - même et en général ; le
second traitera de ce droit en particulier.
Par Pierre Gibert , Docteur , Theologien
et Canoniste. A Geneve , aux dépens de
Michel Bousquet et ses Associez.
L'Auteur se propose dans ce nouvel
Ouvrage de corriger trois défauts qu'il
a remarqués dans les Collections qui composent
le corps du Droit Canon . Le premier
de ces défauts est la confusion ou le
peu d'ordre et d'arrangement dans la
compilation des décisions dont chaque
collection est composée ; défaut qui vient
ou de ce que s'attachant plutôt à l'ordre
Chronologique qu'à la nature des matie
res , on a placé devant,celles qui devoient
être après , et on a fait suivre , celles qui
devoient préceder , ou parce qu'on a fait
plusieurs titres de ce dont on ne pouvoit
en faire qu'un , ou de ce qu'au contraire
on a rassemblé en un soul titre plusieurs
matieres qui , soit par leur importance ,
soit par leur nature differente , devoient
être séparées , ou enfin de ce qu'au lieu
de réunir en un même endroit les matieres
qui de leur nature devoient être liées
ensemble , ou de les placer à propos , on
les
1574 MERCURE DE FRANCE
les a dispersées d'une maniere très- embaet
dans des endroits où elles
n'ont aucun rapport avec ce qui y est
traité.
rassante ,
Le deuxième défaut est l'omission . Ce
défaut consiste à omettre quelques ter
mes qui caracteriseroient mieux les Canons
et les autres décisions ; à ne pas remarquer
les loix abrogées , les doutes que
l'on forme sur l'autorité de quelquesunes
, ou même sur la supposition et le
faux de quelques autres.
Le troisiéme et dernier défaut est l'inutilité.
Il consiste dans la répétition
qu'on fait dans plusieurs endroits d'une
même loi , ou dans un récit d fairs et de
circonstances , sans lequel la loi ne seroit
pas moins claire.
Les Editeurs font distribuer un Prospectus
, imprimé en Latin , de 8 pages infol.
Ce Prospectus expos : le dessein de
Auteur en un grand nombre d'exemples
des trois défauts qu'on vient de remarquer.
Ils promettent l'Ouvrage entier
dans le courant de l'année 1732.
JACOBI GOTHOFREDI , &c. Opera Furidica
minora c'est à-dire , les petits Ouvrages
de Droit de Jacques Godefroy
Jurisconsulte , Professeur de Droit à Ge-
2
,
nêve,
·
JUILLET. 1732. 1575
1
nêve , Senateur et Consul de la même
Ville , et Envoyé de sa Nation en France
, Allemagne , Piedmont , et en Suisse ,
concernant principalement lesAntiquitez
du Droit sous les Empereurs Payens et
Chrétiens , ou les petits Livres , Traitez ,
Oraisons les plus rares et les plus curieux ,
dans lesquels on trouvera plusieurs matieres
choisies , non-seulement de Droit
mais sur l'antiquité , tant Grecque que
Romaine , ce qui peut donner de grands
éclaircissemens pour parvenir à la connoissance
du droit ancien . A Leyde , chez
Jean Arnould Langerak.
?
L'importance de la plupart des matieres
qui sont traitées dans cet Ouvrage ,
et l'habileté de Jacques Godefroy , connuë
par les excellens Commentaires qu'il
a donnés sur le Droit , nous font croire
que ce Livre ne peut être que très-utile
et très-curieux , et la grande réputation
que l'Auteur s'est acquise par ses premiers
Ouvrages , nous fait esperer que les Sçavans
recevront favorablement celui ci.
On propose ce Recueil par souscription
, il contiendra 240. feüilles , outre
le Portrait de l'Auteur , et un Index trèsétendu
. L'Editeur a fait distribuer un Programme
qui contient une liste de tous
les Traitez qui composeront l'Ouvrage
entier ; 1
1576 MERCURE DE FRANCE
entier ; il assûre qu'une partie est déja
imprimée , et promet tout l'Ouvrage
dans le courant d'Octobre , ou au premier
Novembre 1732. Les Souscriptions
se recevront à Paris chez J. B. Coignard ,
Cavelier , Montalan , Saugrain , Mariette
fils , Rollin , Guerin , Briasson , et
Didos , dans les autr s Villes et dans lest
Pays Etrangers , en Allemagne , Suisse ,
Brabant , Angleterre , Ecosse , Hybernie ,
et Italie , chez les principaux Libraires de
chaque Ville.
Les Souscripteurs payeront d'avance §.
f.5.liv . et autant en recevant l'Ouvrage.
On ne peut souscrire que jusqu'au dernier
de Mai 1732. Si nous avions reçâ
plutôt le Programme , nous en aurions
parlé plutôt..
On a publié en Anglois , Essai sur la
nature des alimens , et sur le choix qu'on
en doit faire par rapport aux différens
tempéramens des corps humains , & c.
Par Jean Arbuthnot , Docteur en Médècine
, Membre du College des Médecins ,
et de la Societé Royale , in - 8.
Ulaming , Libraire d'Amsterdam , qui
a imprimé plusieurs Poësies Latines des
meilleurs
JUILLET. 1732. 1577
meilleurs Auteurs , entr'autres de Sannazar
, doit. publier incessamment celles du
Chancelier de l'Hôpital , augmentées de
plus d'un tiers , et dont on connoît le
mérite , ce sera un gros in -8.
JOURNAL LITTERAIRE , année 1729 .
Tome quatriéme , premiere et seconde
partie de 484. pages in - 12 . sans les Tables.
A la Haye , chez P. Gosse et Jean
Neaulme.
Comme cet ouvrage est entre les mains
de tout le monde , nous ne donnerons
qu'une très - legere idée de ces deux volumes,
quelques titres de Livres , &c.
RECUEIL DE LIONS , dessinez d'après nature
par divers Maîtres › et gravez par
Bernard Picart , divisé en six Livres de
chacun six feuilles . A Amsterdam , chez
Bernard Picart , 1729. in- 4, oblong.
VOYAGE HISTORIQUE D'ITALIE , contenant
des recherches exactes sur le Gouvernement
, les Moeurs , les Fêtes , les
Spectacles et les singularitez des Villes
où l'Auteur a passé ; des Avantures curieuses
et des Faits interessans arrivez depuis
peu , et qui concernent divers Princes
, Papes , Cardinaux , Prélats et autres
grands
1578 MERCURE DE FRANCE
grands Personages , vivans encore pour
la plûpart. Ouvrage semé d'un grand
nombre de bonnes Piéces fugitives de
Poësie , et de Pasquinades ingénieuses
qui ont rapport à l'Histoire du tems . A
la Haye , chez M. G. de Merville , 1719 .
2 vol. in- 12 . de 1107. pag. pour les deux
Tomes.
"
9
LES IMPOSTEURS INSIGNES ou Histoire
de plusieurs hommes de néant de toutes
Nations , qui ont usurpé la qualité
d'Empereurs , de Rois et de Princes ; des
guerres qu'ils ont causées , &c. Par J. B.
de Rocolles . A Bruxelles , chez Van
Vlanderen , 1728. 2. vol . in- 8 . de 694. p.
pour les deux vol . avec Fig.
DE RE MEDICA . Dissertationes quatuor
Thomæ Simsoni , &c. Edinburgi 1728.
in- 8 . pag. 188. c'est- à - dire , IV. Dissertations
de Thomas Simson , touchant l'usage
des Remedes , & c.

PHILE, de Animalium proprietate, &c.
à Joanne Cornelio de Paw cum ejusdem
Animadversionibus , et Versione Latina
Gregorii Bresmanni , &c. Ultrajecti
apud Guill. Strouw . 1730. in -4.
Le
JUILLET. 1732. 1579
Le 17 Février dernier , la Societé Roya
le des Sciences de Montpellier , tint son
Assemblée publique dans la grande Sale
de l'Hôtel de Vilie , en présence des trois
Etats de la Province de Languedoc , qui
occupoient leurs places ordinaires ; l'Académie
étoit dans le Parterre , autour
d'une grande Table , au haut de laquelle
étoient placez les Académiciens Honoraires.
M. de Bernage de S. Maurice , Intendant
de Languedoc , comme Président
cette année , occupoit la place du
milieu. Il avoit à sa droite l'Archevêque
de Narbonne , Président né des Etats , et
P'Archevêque d'Albi , Académicien Honoraire
; et à sa gauche M. de Montferrier
le fils , Directeur de la Compagnie.
Les Académiciens étoient placez sur des
bancs , aux côtez de la Table , et les Adjoints
occupoient le bas bout sur des
chaises. Le reste de la Sale étoit rempli
d'un grand nombre de personnes, attirées
par la curiosité d'entendre lire les Mémoires
, et par la majesté de l'Assemblée ,
qui étoit très-auguste , &c . M. le Président
ne manqua pas de remarquer cette
derniere circonstance dans le petit Discours
qu'il fir , en parlant des occupations
de la Societé Royale , et en annonçant les
Mémoires qu'on alloit lire .
Celui
580 MERCURE DE FRANCE
Celui de M. Danyzy avoit pour sujet
la Poussée des Voutes. Il examina avec
quelle force , et dans quelle direction les
Voussoirs agissent contre les Pieds droits
pour les renverser. Les connoissances
qu'il a acquises lui ont fourni le moyen
de déterminer l'épaisseur qu'il faut don
ner aux Pieds droits , afin que par leur
propre pesanteur ils soyent en équilibre
avec les efforts , & c.
Comme nous ne pouvons donner ici
qu'une idée succinte de ce qui s'est passé
dans cette Assemblée , nous n'entrerons
pas dans un trop grand détail , ne connoissant
les Mémoires lús , que par les
Extraits qu'on en a imprimés à Montpellier
, dans une petite Brochure in 4. de
40 pages. Mais nous sommes priez de rétablir
une lacune faite dans le même imprimé
, ou à la page 7. après la dix- neuviéme
ligne , il faut lire ce qui suit .
Pour donner le loisir d'éxaminer la ma
niere dont les Voussoirs agissent , tl´avoit
fait tous les pieds droits H , h , foibles , er
pour
les soutenir y avoit ajoûté des contre- 'y
forts K, k, qui étant reculez tout doucement,
ne laissoient écarter les pieds droits que d'une
certaine quantité qui n'étoit pas suffisante
pour faire crouler l'arceau , mais qui lefaisoit
JUILLET. 17327 1581
soit voir dans le tems qu'il étoit prêt à
crouler.
On vit pour lors là voute à plein cintre ;
dont le nombre des voussoirs étoit impair ,
s'écraser et s'ouvrir aux deux joints de la
clef, en dedans et en- dehors , en plusieurs
endroits vers les reins. Voyez la seconde
Figure.
M. Chicoyneau le fils , reçû en survivance
aux Charges de Chancelier de l'Ecole
de Médecine , et de Professeur d'Anatomie
et de Botanique , fit part à la
Compagnie des Observations qu'il a faites
sur les Plantes sensitives , et sur la
Mécanique d'où dépend cette espéce de
sensibilité qu'on leur attribuë.
pas
Il observa d'abord que les Plantes sensitives
proprement dites , n'étoient
les seules dans lesquelles on remarque ces
mouvemens automatiques , puisque les
Etamines de l'Opuntia et de l'Heliantemum
n'en sont pas exemples.
Les Etamines de l'Opuntia se raprochent
du pistile , dit il , dès qu'on les
touche ou qu'on secoue un peu la plante
, et les Etamines de l'Heliantemum ,
s'éloignent de leur pistile , dès qu'on les
met en jeu par quelque mouvement semblable
; mais ces imouvemens , quoique
differens , ne changent rien à la Mécani-
F
que
82 MERCURE DE FRANCE
$que , par laquelle M. Chicoyneau les
explique ; et il a fait voir que par le seul
changement de situation des tuyaux des
Plantes et de ceux des Etamines , il est
aisé de rendre raison d'un Phénomene
qui a éxercé de tout tems les Botanistes et
les Physiciens.
Pour cet effet , il commence par établir
trois propositions , qu'on peut regarder
comme des principes qui n'ont pas
besoin de preuve , et qui ne peuvent pas
par conséquent lui être contestez.
Le premier principe est , que les fibres
des Plantes sont élastiques.
Le second , que les sucs nourriciers cou
lent dans la cavité de ces fibres comme
dans autant de tuyaux.
Le troisième , que les sucs étendent
les parois de ces tuyaux , et tiraillent
les fibres dont ils sont composez.
Par le premier et par le second principe
, il est clair
que quand par quelque
cause exterieure, comme par quelque attouchement
, ou par quelque secousse ,
de ressort des fibres sera mis en jeu , elles
dévront chasser le suc qui est contenu
dans leur cavité , et qu'alors la Plante fera
un mouvement particulier , qui la fera
changer de figure ; et il est evident par le
troisième principe que la force du ressort
s'étant
JUILLET. 1732. 1583
s'etant affoiblie , le suc de la Plante rentrera
peu à peu dans les cavitez de ses fibres
, et que la Plante se remettra dans
son état ordinaire.
Mais cela supposé , dit M. Chicoyneau
, que dans l'état naturel , le ressort
et le suc des Plantes sensitives
sont dans une espece d'équilibre ; car si
le suc étoit en trop grande abondance ,
comme il arrive en temps de pluye , avant
le lever ou après le coucher du Soleil ,
ou quand ces Plantes ont été trop arrosées
, il est clair qu'alors Lur ressort ne
pouvant pas surmonter la résistance des
fibres trop tendues par l'abondance des
liqueurs dont elles sont remplies , les sensitives
ne feront aucun mouvement ,
quoiqu'on les touche ou qu'on les secouë,
et elles ne deviendroient sensibles que
pendant le temps sec , et long- temp
après le lever du Soleil ; c'est- là ce qu
l'experience confirme , et c'est aussi la
raison naturelle et generale du mouvement
Automatique des Plantes sensitives ;
mais comme ces mouvemens ne sont pas
les mêmes dans toutes les sensitives , et
qu'il y a de ces Plantes dont les branches
s'abatent totalement, et d'autres dont
les feuilles ne font que se replier et s'approcher
les unes des autres , M. Chicoy-
Fij nean
MERCURE DE FRANCE
1
neau en supposant toujours l'Elasticité
des tuyaux de ces Plantes , ne fait que
les placer par paquets au colet et en dehors
des branches ; dans les sensitives
dont toutes les branches sabattent et en
dedans des Pedicules des feuilles , dans
celles dont les feuilles se replient et s'approchent
les unes des autres. Il explique
par la même Mécanique , les mouvemens
des Etamines de l'Opuntia , et
de plusieurs especes d'Héliantemum
qu'il a observées ; et cette explication
très simple et par là très conforme aux
Loix de la Nature , porte avec soi un
caractere de verité auquel on ne peut pas
refuser son consentement , & c.
C
Ce sont ces Etamines chargées en Petale
, dit M. Chicoineau en finissant , qui
produisent ces agreables Monstres , qu'on
appelle fleurs doubles , et qui étant simples
à la campagne , d'où elles ont été
sirées , ont acquis par la culture , ce degré
de beauté qui les fait admirer dans
des Jardins.
Un troisiéme Mémoire fut lû par M. de
Plantade , sur quelques nouvelles experiences
du Barometre et la pesanteur de
l'Air , faites pour la plupart sur les Pyrenées.
Le quatrième Memoire de M. Lamorier,
JUILLET. 1732 1985
rier, contient ses Observations sur l'usa
ge de l'eau commune dans la Chirurgie.
Il est surprenant , dit l'Auteur du Mémoire
, que l'eau commune ne soit pas
d'un plus grand usage pour les playes.
Peut-être le reméde est trop commun *;
le Public fait peu de cas de ce que la Nature
lui donne avec profusion : il estime
un reméde rare , qui vient de loin , qu'il
achete chérement , et qui même lui paroît
inconnu. Plusieurs aussi pensent ,
qu'un reméde aussi simple que l'eau , ne
peut avoir aucune efficacité. Pour ôter
ces préventions il a fait plusieurs expériences
trois entr'autres , au mois de
Janvier de l'année derniere sur trois horames
, dont l'un avoit un vieux ulcère
-sur la cheville exterieure du pied , de la
grandeur de la paume de la main. Le deuxiéme
, Soldar du Régiment de Médoc ,
avoit reçû un coup de sabre sur le dos de
la main , qui lui avoit coupé les tendons
extenseurs du poignet et des doigts , et
avoit séparé les deux os du métacarpe qui
soutiennent le petit doigt et l'annulaire.
Cette playe fut suivie de fluxions et d'abcès
, qui inonderent presque tout l'avant
bras. La fiévre et le desséchement
de tout le corps , faisoient beaucoup
Fiij
,
crain .
1586 MERCURE DE FRANCE
craindre pour sa vie . Le troisiéme , autre
Soldat du même Régiment , avoit reçû
un coup d'épée à travers l'avant bras , et
avoit ouvert l'artère qui est entre les deux.
s. Il y eut bien du sang épanché dans
les muscles , et de très grandes supurations
: ce blessé fut en très-mauvais état.
On fit construire une botte de cuir , dans
laquelle on mettoit de l'eau commune
chaude ,, pour y faire tremper la jambe
ulcerée. Le malade restoit une heure par
jour dans ce bain. Peu de jours après les
duretez des bords se fondirent , la cicatrice
s'avançoit sensiblement d'un jour à
l'autre , et il fut parfaitement guéri .
On fit faire deux machines de fer blanc,
dans lesquelles les deux Soldats pûssent
tremper commodément le bras , depuis
la main jusqu'au dessus du coude. A mesure
qu'on trempoit leurs playes dans
l'eau , les suppurations se vuidoient beaucoup
mieux , ils remuoient plus facilement
les doigts , la douleur et la fièvre
diminuoient tous les jours ; en un mot ,
ils furent entierement guéris.
Dans les personnes atteintes de carnositez
, difficultez et retentions d'urine ,
Occasionnées par le séjour des glaires ,
épaisses et abondantes , on a accoûtumé
d'injecter l'huile d'amende douce ou de
lait.
JUILLET. 173201587
, lait . Les huiles en général échauffent et
se mêlent avec peine avec les glaires , les
parties butireuses du lait s'épaississent
dans l'hurétre par la chaleur des parties ,
et bouchent le passage ; ce qui a fait imaginer
à M. Lamorier d'injecter l'eau com
mune tiéde , qui relâché les carnositez
et se mêlant avec les glaires , les détrempe
, et les malades sont soulagezi
L'ART de se garantir des incommoditez
du chaud , selon les principes de la Physique
, de la Medecine, et de l'Economie.
Dépendance de la Physiqué utile de M. de
Vallange. A Paris , chez Ant. Gandeüiu ,
ruï Gist- le-Coeur , Alex. Mesnier , au Palais
, et la V Pissat , Quay de Conty , 1732.
Brochure de 64 pages.
Nous n'avons garde de differer d'annoncer
ce petit Ouvrage qui doit nous
préserver des ardeurs de la Canicule , et
sans doute des incommoditez qui en sont
inséparables , parmi lesquelles on desireroit
fort que les Puces , & c. fussent comprises
; mais nous voyons à regret dès la
seconde page , que ce que l'Auteur a
imaginé pour garantir du froid , et que
nous avons annoncé sans perte de temps
l'hyver dernier , ne sera imprimé qu'à la
fin de l'Eté; nous prions donc M. de Val-
Fiiij langes ,
1588 MERCURE DE FRAANNCCEE
langes , au nom du Public , de ne pas differer
plus long-temps l'effet de ses promesses
, qui doivent être secourables au
general et au particulier , à l'égal de la
faim et de la soif.
L'Auteur parle au Chapitre 4 des Instrumens
propres à rafraîchir l'Air ....
Pourquoi l'Eventail rafraîchit .... Pourquoi
l'on souffle sur la soupe pour en
temperer la chaleur .... Pourquoi l'on
souffle dans les doigs pour les échauffer...
Pourquoi l'on souffle le chaud et le froid
en changeant la figure de la bouche.
Au 7me Chapitre , on y parle de divers
Instrumens Ventilabres , Califilges
Eolie , &c. propres à chasser l'air chaud
des Appartemens .... Moyens d'empêcher
que les Souris et les Rats , ou les
Araignées n'entrent dans la Chambre par
les Califuges ... Rafraîchissoirs d'Appartemens
, &c. Lit nouveau ,, propre à
garantir des incommoditez du chaud et
du froid. Nous n'en dirons pas davantage
, crainte d'impatienter nos Lecteurs ;
l'Auteur se contentant de promettre les
moyens qu'il propose pour tant de choses
utiles ; sans compter l'Art de Rafraîchir
le sang , qui est le dernier Article
de ce petit Ouvrage.
REJUILLET.
1732. 1539
If paroît depuis peu un Livre intitulé :
RELATION HISTORIQUE DE L'ETHIOPIE
OCCIDENTALE , Contenant la Description
des Royaumes de Congo , Angolle et Matamba
, traduit de l'Italien par le R. P.
LABAT , imprimée à Paris , chez Charles
Jean-Baptiste Delespine, le fils , Libraire, ruë
S.Jacques , à la Victoire, s . vol . in 12. 1732 .
Ce Livre est une Traduction de l'Original
Italien , imprimé à Rome par ordre
du Pape , examiné et approuvé par
la Congregation de la Propagande ; l'Auteur
se nommoit Jean- Antoine Cavazzi
de Monte Cullo , Religieux Capucin , natif
de Modene , lequel a demeuré assez
de temps dans ces Royaumes pour en
parler sçavamment , sur tout ayant été
témoin oculaire de tout ce qu'il avance.
Le R.Pere Labat, dont tout le monde connoît
la capacité , ne s'est point contenté
de donner une Traduction Litterale de
cet Ouvrage , il l'a traduite librement , .
sans pourtant rien diminuer des beautez :
de l'Original ; le Public , au reste , ne
doit point croire que parce que le P. Cavazzi
étoit Missionnaire , il n'est parlé
dans tout ce Livre que de Baptêmes et
de Conversions ; il y verra au contraire
un mêlange curieux et très-interessant des
moeurs des Habitans de ces Royaumess
Fy 28
etc
1590 MERCURE DE FRANCE
et de leurs Voisins , leur origine , leurs
établissemens , leurs Keligions differentes
, leurs Guerres , leurs Traitez de Paix,
les bornes des differens Etats , leur Gouvernement
politique , leurs Loix , leurs
Coûtumes , leurs Usages , leurs cruautez ,
leurs Langues , l'Histoire naturelle n'y
oubliée pour ce qui concerne la
culture des terres et des bons Arbres , les
Fruits les Grains ; enfin leur Commerce,
la maniere dont ils rendent la Justice ,
les Revenus des Princes ; tout y est traité
de manire à faire regarder ce Livre plutôt
comme une Histoire generale , que
comme une Relation.
est pas
L'Histoire de la Reine Anne Lingha ,
également grande dans le bien comme
dans le mal , y est toute entiere ; cette
Histoire est d'autant plus fidelle, que cette
Reine n'a rien eu de caché pour l'Auteur
; elle lui a même dit des particularitez
de sa vie que les Ministres les plus
favorisez ont toûjours ignorées. On y
trouvera celle de Donna Barbara sa soeur,
qui lui a succedé au Royaume de Matamba.
De plus on y a fait entrer la Vie de
Mona Zingha , Mary de Barbara , le plus
cruel de tous les hommes , et qui a eu le
malheur d'apostasier. Il y a lieu de croire
que ce Livre , qui est d'autant plus interessant
JUILLET. 1732. 1591
ressant , que personne jusqu'à present n'a
donné une Relation particuliere de ces
trois Royaumes , sera reçû favorablement
du Public.
Cavelier , Libraire , rue S: Jacques ,
à Paris , à reçû des Pays Etrangers.
Thucididis de Bello Pelloponnesiaco , cum
Annotationibus Stephani Hudsonii recensuit
Wasse , cum Animadversionibus
Dukeri , Græc. Lat. fol. cum figuris ,
Amst. 1731.
Oeuvres de M Rabelais , sous le titre
de Faits et Dits du Géant Gargantua et´
de son fils Pantagruel , avec des Remarques
Historiques et Critiques de
M. Duchat , nouvelle Edition , augmentée
de nouvelles Remarques. 6 vol. in 8.-
1732. Chez le même.
Cavelier donne aussi avis qu'il imprime
Hermani Boerhaave Chimia, 2. vol . in 4
cum fig.
Cette Edition sera imprimée magnifi
quement , corrigée avec tout le soin possible
, et de plus augmentée des Opuscules
de l'Auteur , qui n'ont point été jus--
qu'à present ramassez en un seul volumes
elle paroîtra dans deux mois .
F vj La
1592 MERCURE DE FRANCE
La Rosalinde , imitée de l'Italien , 2.
vol. in 12. imprimés à la Haye , chez
Gosse et Neaulme , se trouve à Paris , ch z
Gabriël Martin et Hippolyte- Louis Guerin,
ruë S. Jacques , et chez Jacques Guerin ,
Quay des Augustins .
PREMIRE ASSEMBLE'E PUBLIQUE
de l'Académie de Chirurgie.
Lay
E II. du mois dernier , premier Mard'après
la Trinité , l'Académie .
Royale de Chirurgie , conformément à
ses Reglemens , tint une Assemblée publique
dans la grande Sale de S. Côme.
Mr Maréchal et de la Peyronie , Premiers
Chirurgiens du Roy , et en cette qualité
Présidens de l'Académie , n'ayant pû
s'y trouver , M. Petit le pere , présida
en qualité de Directeur.
M. Morand , Secretaire de l'Académie
fit l'ouverture de la Scénce par l'Histoire
de l'établissement de cette Societé. Il en
exposa le plan, et fit voir plan, et fit voir que le principal
objet de cette Compagnie é oit de perfectionner
la Chirurgie par l'experience
et l'observation , en rassemblant tous les
faits de pratique qui seront communiquez
par les Chirurgiens , tant du Koyaume
que des Pays Etrangers.
..
11
JUILLET. 1732 .
r593
Il fit sentir ensuite que si pour éviter
la confusion , inséparable des nombreu
ses Assemblees , on avoit été obligé de
fixer le nombre des Académiciens
ordi-.
naires à 70. cela n'empêchoit
point
que tous les Mes. Chirurgiens
de Paris
ne fussent veritablement
du Corps de
P'Académie , puisqu'ils avoient tous le.
droit d'y prendre séance , lorsqu'ils auroient
des Mémoires à lire , et que leurs
noms et leurs Ouvrages seroient imprimez
sans distinction dans les Recueils
qu'on donneroit au Public .
Il ajoûta à l'occasion de certaines Critiques
, qu'il suffisoit à cette nouvelle Acàdémie
d'être protegée par le Roy et par
ses Ministres. Que d'ailleurs l'estime de
M.le Premier Medecin , le zele de Mies
Premiers Chirurgiens , l'Approbation de
ceux qui aiment le bien public , et lès .
Eloges de plusieurs Journalistes éclairez ,
la dédommageroient amplément de tous
les traits que l'ignorance ou l'envie роц-
voient faire lancer contre elle .
M. Morand finit par une Réponse à
l'Auteur d'une These soutenue aux Ecoles
de Medecine le 18. Mars dernier , dans
laquelle on avoit critiqué le Programe
publié par l'Académie sur une question
importante de Chirurgie.
C
1594 MERCURE DE FRANCE
Ce Discours , que le Public reçut favorablement
, fut suivi de la lecture de
neuf Memoires ou Observations Chirurgicales
. Les Chefs de l'Académie se sont
fait un devoir de témoigner leur zele.en
fournissant eux-mêmes une partie de ces
Memoires.
M. Maréchal envoya une Observation
des plus singulieres et dont voici le sujet.
Une Dame étoit sujette depuis plus de
quinze ans à des attaques de Collique
Bilieuse , et depuis dix ans , à de trèsgrandes
difficultez d'aller à la selle.
Les douleurs étoient si insuportables ·
dans les derniers temps , que la Malade
ne pouvant garder aucune situation , se
roulant sur son plancher , &c. M. Maré
chal 'eut occasion de la voir dans cet état
déplorable ; et soupçonnant un ulcere
carcinomateux dans le Rectum , il mit le
doigt dans le fondement , et l'ayant
porté aussi , haut qu'il lui fut possible , il
sentit un corps étranger solide. C'étoit
une pierre d'un volume si considerable ,
qu'il fallut pour en faire l'extraction
non-seulement dilater l'Anus , mais encore
l'inciser en plusieurs endroits . Il ne
falloit pas une main moins habile que
celle de M. Maréchal ,. pour réussir dans
une operation qui demandoit tant de
ména -
JUILLET. 1732. 1595
ménagement et de dexterité. Un mois
après la Malade fut parfaitement guérie .
On fit après la lecture d'un Memoire
envoyé par M. de la Peyronie . La Cure
dont ce Memoire contient le détail , prouve
qu'un courage éclairé peut souvent
trouver dans l'Art des ressources pour les'
maladies les plus desesperées .
Un homme âgé de 63. ans , étoit attaqué
depuis près de trente , d'une Hernie
qu'il avoit jusqu'alors contenue avec succès
, au moyen d'un Bandage ; mais ayant
négligé de s'en servir depuis deux ans ,
il tomba dans l'accident de l'étranglement.
Il n'eut recours à M. de la Peyronie
que le huitième jour de l'accident,
et quoiqu'alors l'augmentation considerable
de la tumeur , sa tension et celle
de tout le ventre , la violence des dou
leurs , le hoquet , le poux concentré , la
lividité et pourriture , qui déja avoient
paru à l'extremité de la tumeur , et qui
permettoient la sortie des matieres foecales
; quoique tous ces desordres annonÇassent
une mort prochaine , M.de la Pey.
ronie espera assez du secours de la Chirurgie
pour entreprendre l'Operation.
Ayant ouvert le sac hernaire dans toute
son étendue , il trouva six ou sept pou--
ces des Intestins grêles , entierement gangrencz
1595 MERCURE DE FRANCE
grenez et criblez de trous qui laissoient ·
sortir les mitieres focales . Il dilata l'anneau
; et après avoir tiré un peu les Intestins
pour s'assurer du progrès de la
gangrene , il emporta toute la portion du
canal qui parut être gangrennée au point
de ne pouvoir être ranimée . Il fit ensuite
au Mezentere un pli ; de façon à boucher
les deux bouts flotants de l'Intestin,
et par un point d'ég ille fait à ce pli ,
il assujettit les deux bouches du canal
intestinal . Il fit enfin avec les extrémi
tez du fil une anse qui resta au dehors
et servit à retenir vers le haut de la playe
l'ouverture de l'intestin ; précaution sans
laquelle cet intestin qui n'avoit contracté
aucune adherince aux environs de l'anneau,
eût pû faire dans la cavité du ventre
un épanchement des matieres foecales qui,
ût été mortel. On eut grand soin dans
les pansemens de leur laisser une issue libre.
Le 25 jour de l'Operation , le lien du Me,
zentere se sépara , et au bout de six se,
maines les excremens ne sortirent plus
avec la même abondance , le Malide en
ren lant une partie par les voyes ordi
naires . La playe n'a cependant êté entie,
rement cicatrisée qu'au bout de quatre
mois , et après que le Malade se fut ré.
duit à une nourriture très- legere et prise
en temps éloignez .
3
JUILLET. 1732. 1597
Cette maladie , toute fâcheuse qu'on
vient de la représenter , étoit encore compliquée
d'un gonflement très -ancien et
très- considerable au Testicule , qu'on fut
obligé d'emporter , malgré la grosseur
du cordon spermatique qui avoit près
de deux pouces de diametre et dont l'engorgement
se continuoit fort avant dans
le ventre. M. de la Peyronie lia le cordon
à la hauteur des anneaux , et il le coupa
un pouce au dessous . Cette premiere ligature,
quoiqu'extrêmement serrée, s'étant
lâchée , et un champignon fort gros
et qui parossoit carcinomateux , s'étant
élevé de l'extremité du cordon coupé ,
il fit au bout de quelques jours une nou
-velle ligature, et emporta ce champignon .
Le 18me jour cette derniere ligature tomba
et le cordon se dégorgea entierement
par la suppuration. M. de la Peyronie
fait observer que ce gonflement étoit la
suite d'une cause externe.
Les bornes d'un Extrait ne nous permettent
point de faire mention du reste du
Memoire ni des excellentes Reflexions qui
le terminent. Nous avertirons seulement
qu'à l'égard de la gangrene de l'Intestin ,
M.de la Peyronie a plus d'une fois mis heureusement
en pratique la Méthode qu'il expose.
Il est même fait mention dans l'Histoire
1598 MERCURE DE FRANCE
toire de l'Académie Royale des Sciences ,
année 1723. des suites heureuses d'une
semblable Operation qu'il fit en 1712
M. Petit lût ensuite l'histoire d'une Fiştule
au Périné , pour laquelle on avoit
fait deux fois , sans succès , l'opération
dans la Province , et qu'il a cependant
guérie radicalement , ayant reconnu ce qui
avoit empêché de réussir dans les deux
premieres opérations. La Fistule au Périné
dont il s'agit , étoit la suite de l'ouverture
d'un dépôt gangréneux , formé
en conséquence d'une retention d'urine.
M. Petit , en examinant le malade , observa
que la partie antérieure de l'Anus
étoit aussi dure que les environs de la Fistule
, et que la prostate étoit le centre
de la dureté , qui s'étendoir si avant, qu'a
vec le doigt mis dans le fondement , on ne
pouvoit en sentir les bornes. Il reconnut
par des sign's certains que cette dureté
avoit une cause vénérienne. Il reconnut
encore que le trou interne de la Fistule
étoit au delà du Sphincter , parce que le
malade , sans être averti du besoin d'u
riner , et sans faire aucun effort , rendoit
continuellement la plus grande partie de
ses urines par le trou de la Fistule , et
sans en rendre par la Verge , ou du moins
s'il urinoit par la Verge , c'étoit toujours
YoJUILLET.
1732. 15999
*
volontairement , et lorsqu'il y étoit excité
par le résidu des urines 3 par cet examen
M. Petit comprit qu'il ne guériroit jamais
cette Fistule , si avant que de faire
l'opération , il ne commençoit par dé--
truire le Virus Vénérien , et si en second
lieu , dans l'opération ( dont il décrit le
manuel ) il n'incisoit la Prostate , pour
comprendre dans l'incision , le trou interne
de la Fistule. Il a agi en conséquence
, et le malade a été parfaitement
guéri.
Ce Mémoire parut d'autant plus utile ,
que pour l'ordinaire dans le traitement
de la maladie , qui en fait le sujet , et qui
est fort commune , on ne fait point assezd'attention
aux circonstances que M. Petit
expose
dans son observation , et qui
dans des cas semblables , déterminent la
seule voïe possible de guérison.
La quatriéme Observation est de M
Malaval , Vice - Directeur de l'Académie.
Un homme, âgé de 25 ans , fut , après de
vives douleurs , attaqué d'une Exortose
tres considérable, à la tête du Peroné . Cette
Exortose ayant paru dès son commencement
tenir du Carcinome ; M. Malaval
sentit la nécessité d'amputer la Cuisse ;
cependant comme il y avoit de justes soup
çons de Vérole , il fit , avant l'opération ;
passer
1600 MERCURE DE FRANCE
passer le malade par le grand remede , ce
qui calma beaucoup
ses douleurs
, et lui
fendit le sommeil qu'il avoit entierement
perdu. M. Malaval
fit ensuite l'opération
; mais peu de jours après les élancemens
, qui se firent sentir dans la plaïe
et la mauvaise
qualité des suppurations
,
qui étoient de couleur verdâtre
, confirmerent
les craintes qu'il avoit d'abord
conçû au sujet du Levain Cancereux
; cependant
après avoir donné des remedes
propres à corriger et à adoucir la Limphe
, l'exfoliation
de l'os se fit, et fut avec
assez de difficulté
suivie de la Cicatrice
:
Après 18 mois d'une assez bonne santé, le
malade fut attaqué d'une toux séche et
fréquente
. Deux mois après , la fièvre
survint
, avec un crachement
de sang. Oir
employa
, sans succès , les remedes qui
paroissoient
les mieux indiquez
. La fiés
vre , d'aiguë qu'elle étoit , devint lente ; l'enflure clemateuse
; et de suite tous
les signes de l'hydropisie
de poitrine
parurent
. M. Malaval
fit la ponction
avec
le Troiscart
, & tira environ
trois pintes
d'une sérosité sanguinolente
. La poitrine
.
s'étant de nouveau remplie
, il l'ouvrit
cette fois avec le Bistouri
, et il évacua
deux pintes d'une sérosité
. semblable
à
la premiere
, et à des Laveures
de chair .
mal-
.
JUILLET. 1732. 1601
malgré tous ces secours , le malade mourut
peu de jours après , et on trouva par
Fouverture du Cadavre que le Poulmon
éroit presque totalement osseux et carcinomateux
.
: Cette observation donne lieu à M. Malaval
de faire des réfléxions: 1 °. Sur ce que
le Levain carcinomateux attaque indifferemment
toutes les parties : 20. Sur ce
qu'il est tres - difficile , pour ne pas dire
impossible , de détruire ce Levain , parvenu
à un certain dégré : 3 °. Sur ce que
la salivation que quelques Auteurs ont
vantée pour la guérison des Cancers , n'est
d'aucune ressource contre ce mal. Enfin
sur ce que dans les soupçons légitimes d'épanchement
d'eau dans la poitrine , la
ponction qu'on n'entreprend que rarement
, pourroit être plus fréquemment
employée.
Le Mémoirè suivant est de M. Houstet
; il renferme plusieurs expérience qui
prouvent qu'il se trouve dans la Vessie des
Pierres situées de façon à ne pouvoir être
tirées, et qu'il est par conséquent plus avantageux
d'abandonner que de s'opiniâtrer
à en faire l'extraction . Dans la premiere
de ces observations , M. Houstet rapporte
qu'un homme , âgé de 76 ans , qui
Souffroit des douleurs très- vives au Périné
601 MERCURE DE FRANCE
riné , en conséquence de Pierre dans la
Vessie , le pressa de le tailler. Il fit l'opération
au grand appareil , et elle fut treslaborieuse
, tant à cause d'un gonflement
et d'une dureté extraordinaire à la Prostate
, qu'à cause de deux Champignons et
de trois Pierres , dont il fallut faire l'extraction
à differentes reprises . Quoi qu'il
sentit encore des Pierres ; il fit remettre
le malade au lit , dans la crainte de le
trop fatiguer ; mais malgré ce ménagement
, le malade mourut le cinquiéme
jour de l'opération . A l'ouverture du Cadavre
on observa entr'autres choses , que
le fond de la Vessie étoit parsemé dans
toute sa circonference de plusieurs embouchures
, qui conduisoient dans des cavitez
ou célules , dont le fond étoit beaucoup
plus large que l'entrée . Plusieurs de
ces Célules ou Loges consenoient des Pierres
parmi lesquelles on en distinguoit
trois , d'un volume médiocre , lisses et
polies , ayant quatre ou cinq facettes et
pareilles à celles qu'on avoit tirées dans l'opération.
Ces Pierres étoient retenuës chacune
dans leur cavité particuliere ; l'entrée
de ces Célules étant fort étroite , et
les Pierres ne présentant qu'un de leurs
angles , ou une de leurs facettes , sans saillies
; il étoit , dit M. Houstot , impossible
JUILLET. 1732. 1603
ble de les charger , quoiqu'on put les toucher
avec le bout des Tenettes .
Il rassemble à la suite de cette observation
un grand nombre de faits , dont il a
eu connoissance , et qui tous se rapportent
à l'impossibilité qu'il y a dans certains
cas , de charger et de tirer la Pierre ; soit
parce qu'elle se trouve engagée dans des
Loges ou prolongemens du Corps de la
Vessie , soit parce qu'elle est retenue par
des replis ou des brides de la membrane
interne.
A l'égard des Pierres Enkistées , du genre
de celles dont il est question dans la
premiere observation , il pense que la Célule
s'est formée d'abord , et qu'ensuite
quelque petit Gravier qui s'y est insinué,
y grossit et que la cavité de la Celule augmente
à mesure ; ayant observé que ces
Célules ne succedent guéres qu'aux retentions
d'urines , il les regarde comme des
especes de Hernies de la membrane interne
de la Vessie , qui dans la dilatation ,
a forcé l'intervale des Fibres charnuës.
Il prétend que ces Vessies à célules , à
poches et à brides ne sont point si rares
qu'on l'avoit cru jusqu'à present. Il fonde
son sentiment sur ce qu'il a observé đans
T'ouverture d'un grand nombre de personnes
mortes de maladie de Vessie ; et il
conclud
1604 MERCURE DE FRANCE
conclud de ces observations que généralement
dans toutes les opérations de la taille,
la prudence exige qu'avant que d'essayer
de charger et d'extraire la Pierre , on reconnoisse
autant qu'il est possible, avec le
doigt , l'état de la Vessie. Si l'on trouve la
Pierre engagée dans quelque Kiste ou Célule
, on doit tâcher de la déchatoner, s'il
est possible , avec le doigt ; mais si le
doigt ne peut y atteindre , ou si l'on trouve
des obstacles insurmontables , le Chirurgien
, sans fatiguer inutilement le malade
, ou plutôt sans faire des tentatives
périlleuses, doit alors abandonner la Pierre
, qui quelquefois se détache d'elle- même
,dans la suite des pansemens , tant
par la suppuration que par les injections
Long-temps continuces.
Ces observations ne sont point seulement
curieuses , elles paroissent pouvoir
être d'une grande utilité , par les conséquences
que l'Auteur en tire pour la
tique,
pra-
Le sixième Mémoire est de M. Caumont
. C'est une observation sur un écra
sement des doigts du milieu et annulaire
de la main , dont les deux dernieres phalanges
étoient fracturées en plusieurs piéces
, avec déplacement , les articulations
découvertes , dix lignes de l'extrêmité des
tendons
JUILLET. 1732 1605
tendons extenseurs déchirées et entierement
emportées , enfin la peau détruite
depuis le milieu de la seconde Phalange ,
jusqu'à la racine de l'ongle.
M. Caumont n'espera pas d'abord
pouvoir conserver l'extrêmité de ces
doigts , ou du moins la mobilité de leurs
Phalanges. L' Anchilose étoit à craindre ,
et d'ailleurs une portion considérable des
tendons extenseurs ayant été emportée ,
et les bouts restans n'ayant pû être raprochez
que jusqu'au bord des articulations,
il ne voyoit point à quoi ces bouts de tendons
coupez pourroient s'attacher. Il pansa
cependant si artistement cette playe ,
qu'il vit au bout de quelques jours s'élever
sur la surface des os , une chair loüable
et grenuë , qui couvroit les articulations.
Les os fracturez se sont aussi consolidez
, les articulations se sont raffermies
sans Anchiloses , la peau s'est cicatrisée
et ce qui paroît le plus remarquable à M.
Caumont, l'union de toutes ces parties
entr'elles , a fourni un point d'attache à
chaque tendon' ; de sorte que les mouvemens
de fléxion et d'extension , s'exécutent
aujourd'hui dans toutes ces Phalangés
, presque avec la même liberté
qu'avant l'accident.
La septiéme observation roule sur une
G playe
150 MERCURE DE FRANCE
playe contuse au ply du bras , laquelle fut
accompagnée d'accidens très funestes . M.
Gravier , qui rapporte ce fait , fut obligé
de couper le tendon du Biceps à la fin du
corps charnu de ce muscle , et assés près
de son insertion au Radius. Ce tendon
avoit tellement souffert , qu'en l'emportant
ainsi presque tout entier , on ne fit
guére que prévenir la séparation qui s'en
seroit faite naturellement par la mortification
, s'il eut été permis de l'attendre . La
cure a été si heureuse , que malgré la perte
du tendon du Biceps , le malade porte
l'avant bras dans le dernier dégré de fléxion
et est capable des plus grands efforts.
Sur cela M.Gravier s'étonne que dans des
rapports faits en justice sur la piquure du
tendon , ou de l'Aponeurose du Biceps , à
P'occasion de la saignée on air quelquefois
décidé de l'invalidité du bras , sur la símple
apparence des accidens qu'il rapporte.
Un Emphiseme de cause interne , fait le
sujet de la huitiéme observation , donnée
par M. Lombard. Une fille , âgée de six
ans et demi , fut attaquée d'une fluxion
de poitrine , qui fut suivie de la petite
Vérole ; mais quoique bien guérie , en
apparence, elle commença environ un an
après à devenir languissante , et à se plaindre
de la poitrine , et au bout de quatre
mois
JUILLET. 17320 1607
mois il lui survint subitement une en-
Aure considérable à la poitrine .
M. Lombard fut appellé , il trouva le
poux extrêmement foible , la respiration
lente et difficile , et l'enflure extrêmement
douloureuse ; il reconnut que cette enflute
qui s'étoit étendue sur tout le bas-ventre
, étoit un Emphiséme . Il conçut dèslors
que la Plevre et le Poumon ayant contracté
quelque adhérence , il s'y étoit pû
faire une suppuration , dont la suite avoit
été la destruction de la Plévre des muscles
intercostaux de la membrane interne du
Poumon , et l'ouverture de quelques Vé
sicules,ou de quelques Rameaux des Bronches
, de sorte que l'air contenu dans le
Poumon , avoit pû s'infiltrer en partie danş
les Célules graisseuses , dans le tissu célulaire
des muscles de l'extérieur de la poitrine,
et delà dans toutes les Célules voisines
Dans cette idée , il se préparoit à faire
l'opération de l'Empiéme , en consultant
les signes qui pouvoient désigner l'endroit
le plus convenable pour ouvrir la
poitrine ; mais l'oppression de la malade
augmenta si fort, qu'elle la suffoqua avant
qu'on cur pûemployer ce secours . Les conjectures
de M. Lombard se trouverent entierement
confirmées par l'ouverture du
Cadavre.c
V Gij Le
1608 MERCURE DE FRANCE
و
>
Le neuvième et dernier Mémoire , est
une observation donnée par M.Chauvin,
sur une fracture du Crâne , suivie d'épanchement
sur la dure-mere , et d'une fusée
purulente , pour laquelle il fut obligé de
faire une contre - ouverture ou trépan
éloigné de ceux qu'il avoit d'abord appliqué
à l'endroit fracturé. M. Chauvin
sauva par cette manoeuvre l'application
d'un grand nombre de trepans. Les matieres
épanchées ayant de la pente et l'issue
libre , la dure- mere se recolla trespromptement
à toute la portion de l'os ,
ou se trouvoit entre le premier et le second
trépan , et il n'y cut d'autres exfoliations
que celles qui arrivent ordinai
rement à la circonférence des trépans .
On nous pardonnera , sans doute , d'avoir
donné un si long Extrait de ces observations
.Rien de ce qui peut contribuer
à la conservation de la vie des hommes ,
ne nous paroît indifferent; du reste , c'est
au public à juger , par les Extraits que
nous venons de donner, si l'application
des Chirurgiens à enrichir leur Art de
semblables observations , n'est pas la réponse
la plus solide qu'ils puissent faire
aux critiques qui ont parû contr'eux.
On donne avis aux Curieux que
1
l'on a mis en
vente
JUILLET. 1732 1609
vente , chez la veuve Chereau , rue S. Jacques ,
aux deux Pilliers d'or , et chez Surrugue , Gra
veur du Roy , rue des Noyers , une Estampe ,
gravée nouvellement d'après un des plus beaux
Tableaux de feu Vvatteau , qui a pour titre :
Fêtes Vénitiennes.
Il va aussi paroître une grande Estampe , gravée
d'après la fameuse Enseigne que Watteau
peignit en Plafond pour M. Gersain , son ami ,
sur le Pont Notre Dame , et qui fut regardée par
tous les connoisseurs comme un des plus beaux
Tableaux de ce grand Maître. Ce morceau est à
present dans le Cabinet de M. de Jullienne . Il
l'a fait graver à la suite de toute l'oeuvre à laquelle
il continue depuis plus de douze années de
faire travailler , par les plus habiles Graveurs du
temps.
Il paroît une nouvelle Estampe , en hauteur
ovale , intitulée L'Amour de Village , ou l'Amour
Naif. Ce sont deux demi figures qui expriment
de la maniere du monde la plus fine t
la plus naïve cette pensée ; une tres-belle personne
, fâchée contre son Amant , qu'elle voit à ses
genoux , plein de soumission , d'ardeur et de
crainte , paroît le rebuter , et ne pas vouloir entendre
sa justification , dans le temps qu'on lit
dans ses yeux que son dépit ne durera pas longtemps,
et qu'elle seroit très - piquée si son Berger
étoit infidele. Cela est rendu d'une maniere parfaitement
heureuse , d'après un Tableau de M.
Charles Coypel . On lit ces Vers au bas :
La Bergere , long-temps ne sçauroit soûtenir ,
Le courroux qu'un Berger lui donne ;
Contre un retour sincere , elle ne peut tenir ;
G iij
Sa
1610 MERCURE DE FRANCE
Sa bouche vainement dit qu'elle veut punir
Ses yeux difent qu'elle pardonne.
Le sieur Lépicié, dont les talens sont tres- connus,
auteur de cette Estampe, grave actuellement
son pendant , d'après le même Peintre. Il represente
l'Amour de Ville ou l'Amour Coquet .
Le sieur Lépicié demeure rue Saint Louis ,
coin de l'Abreuvoir du Quay des Orfevres , chez
M. Marlié.
au
Il paroît encore une nouvelle Estampe en hau
teur , d'une grande beauté , c'est le Roy à Che
val , suivi d'un détachement de ses Gardes , l'’Epée
haute, tres- ressemblant , gravé d'après le Tableau
original de M. Parocel , Peintre distingué
de l'Académie Royale : Par N.de Larmessin ,Graveur
du Roy , ruë des Noyers.
que
L'usage d'exposer les Ouvrages des Peintres
la critique du Public , est tres - ancien et tres utile,
les observations sensées par l'on fait pour la
perfection de l'Art , dont les esprits dociles et les
gens qui ont du talent , sçavent profiter ; mais
plus encore par la noble émulation et par l'ardeur
naturelle dans tous les hommes d'acquerir
de la réputation et de s'élever. Cet usage s'observe
tres exactement à Rome , où l'Académie
de S. Luc fait à certains jours un pompeux étálage
de ses productions , ce qui attire toujours
un grand concours et ouvie un vaste champ aux
réfléxions et à la critique des Artistes , des cof.
·
noisseurs , &c.
Notre Académie Royale de Peinture et Sculptu
re fit une superbe montre de ses ouvrages en
1699. dans la grande Gallerie du Louvre , qui fit
beaucoup
JUILLET.
1732. 1617
beaucoup d'honneur à l'Ecole Françoise , et qui
dès ce temps - là lui donna la supériorité sur toutes
les autres , au jugement même des Etrangers;
jugement qui fut confirmé il y a cinq ans dans
le grand Salon du vieux Louvre , où les jeunes
Peintres et Sculpteurs de l'Académie exposerent
leurs Ouvrages, ausquels le Public rendit jus
tice , en les honorant d'un concours prodigieux.
On étoit dans l'habitude d'exposer tous les ans ,
à l'occasion des Processions de la Fête- Dieu, dans
la Place Dauphine , et à l'entrée de cette Place ,
du côté du Pont- Neuf , quantité de Tableaux de
Peintres anciens et modernes, qui attiroient beaucoup
de Spectateurs ; mais depuis quelque- temps
on n'en voyoit presque plus , au grand regret dupublic
, qui a sçu tres - bon gré à quelques jeunes.
Peintres , qui y ont exposé cette année plusieurs
de leurs Tableaux , qu'on a vus avec beaucoup
de plaisir , principalement ceux du sieur Char
din , de l'Académie Royale , qui sont peints avec
un soin et une vérité à ne rien laisser à désirer .
Deux de ces Tableaux , qui ont été faits pour
le Comte de Rottembourg Ambassadeur de France
à la Cour de Madrid , representant differens
animaux , des Instrumens et Trophées de Musique
, et plusieurs autres petits Tableaux , d'ustenciles
, & c . Mais ce qui lui a fait le plus d'honneur
, c'est un Bas-relief , peint d'après un Basrelief
de bronze , de François Flamand , représentant
des Enfans , que ce fameux Maftre faisoit
à merveilles , et que le Pinceau de l'habile
Peintre a si-bien sçu imiter , que par le secours
des yeux , quelque près que l'on soit , on est encore
séduit au point qu'il faut absolument mettre
la main sur la toile et toucher le Tableau pour
être détrompé . On peut voir ce Tableau dans le
G iiij
Cabi
1612 MERCURE DE FRANCE
Cabinet de M. Vanlo , Peintre de l'Académie ,
du premier rang.
un Ön voyoit encore dans la même Place ,
beau Tableau du sieur Grimoud , representant un
Joueur de Vielle , quatre Portraits du Sr Autrean
le fils , qui ont été fort approuvez, plusieurs du
Sr le Sueur , et quelques autres. Mais ce qui fit le
plus de plaisir, c'est le Portrait du grand pere du
Sr Matheron, Marchand Jouaillier à Paris ,peint
il y a 49 ans , par l'illustre M. Rigaud , et qui
est un des plus beaux morceaux qu'on sçauroit
voir.
a
On mande de Londres , que la Czarine Y
fait faire , par M. Cowse , Ouvrier Allemand ,
un Fauteuil de parade , pour son Trône ; le dos
de ce Fauteuil est une Aigle déployée , couronnée
d'une Couronne Impériale , et tenant dans ses
Serres un Sceptre et d'autres pieces d'honneur :
L'Ouvrier y à employé 247 maics d'argent.
On écrit de Rome , que les Juillet , des Ouvriers
creusant la terre , dans un champ qui appartient
au Chapitre de S. Jean de Latran, y trouverent
quatre Statuës , une Colonne de Jaspe antique
, des Urnes sépulcrales , quelques Lampes
de terre cuite , et plusieurs Médailles d'Empereurs
Romains.
On ajoute que le Pape a fait placer dans la
Gallerie du Palais du Quirinal , les différens desseins
qu'il a fait faire par les plus habiles Architectes
d'Italie, pour la façade du nouveau Portail
de l'Eglise de S. Jean de Latran , afin qu'ils
soient exposez à la critique des connoisseurs , et
que S. S. puisse choisir celui qui sera le plus geeralement
approuvé.
PRIN.
HOLLYORK
PUBLIC
LIBRARY.
ASTOR,
LENOX AND
TILDEN
FOUNDATIONS.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
M
et
M
JUILLET. 1732.
1613
7
PRINTEM SL
E Printemps , par son retour
A nos champs rend leur parures
Tout change en ce beau séjour.
Belle Iris , change â ton tour
Avec toute la nature ;
W
Un jeune coeur sans amour 2
Est un Printems sans verdure,
AIR.
AMour, perfide amour , seul tiran de mon
coeur ,
Tu faisois autrefois le bonheur de ma vie. ,
C'est toi , qui maintenant fais mon plus grand
malheur ;
Pourquoi ne pas briser la chaîne qui me lie
Qu pourquoi ménager l'infidele Sylvie.
SPECTACLE S.
U commencement de ce mois les
A Comédiens François ont remis au
Theatre , la Comédie du Chevalier à la
mode, dans laquelle la De Poisson ; épouse
1614 MERCURE DE FRANCE
du Sr Poisson , nouvellement reçûë , joüa
le Rôle de la Petite- Brune, avec beaucoup
d'applaudissement ; ainsi que l'Amoureu
se , dans la Comédie de Jodelet , Maître et
Valet , qu'on a aussi remis au Théatre , La
Dile le Grand , épouse du St le Grand , la
pareillement été reçûë dans la Troupe du
Roy , et elle a joué , avec applaudissement
le Rôle de Salomith , dans la Tragédie
d'Athalie , et celui d'Enone , dans
Phédre .
On repete et on jouera incessamment
la Tragédie nouvelle de M. de Voltaire .
Les mêmes Comédiens ont reçû une
Comédie en trois Actes , et en Vers , qui
a pour titre : La Fausse Inconstance : ls
la doivent jouer à Paris, pendant le voyage
de la Cour à Fontainebleau. La Piece
est encore anonime ; nous en parleron's
en son temps.
M. Fuzelier , Auteur de la petite Comédie
du Procès des Sens , que le public
voit toujours avec plaisir , y a fait quelques
changemens et augmentations , au
sujet de l'Entrée de l'Ouie , qu'on a donnée
à l'Opéra depuis peu , qui ont été applaudis.
La Dile Dangeville , qui joue le principal
Rôle , avec tant de finesse dans
cette Piéce , s'est attiré les justes éloges
qu'on va lire :
PourJUILLET
1615 32.
Pourquoi tant differer , aimable Dangeville ,
A prononcer dans le Procês des Sens
Le jugement peut -il paroître difficile
A qui peut , comme toy , consulter le bon sens ?
C'est faire trop long- temps injustice à la
vûë ;
Sur ses quatre rivaux elle doit l'emporter ,
Puisque sans elle en vain le Ciel t'auroit pourvûë
,
Des graces , des appas , que l'on voit t'escorter ;
Peut - être le Toucher auroit - il plus de
charmes ,
Mais , hélas ! il m'est deffendu ;
La vue a seule droit qu'on lui rende les armes
Même en dépit de ta vertu ;
Je m'y tiens donc , d'autant qu'elle a cet avan
tage ,
Que c'est par elle que je voi ,
Que l'on doit convenir , pour peu que l'on soit
sage ,

Qu'Amour est moins Amour ques
toi.
Le 8 Juillet , l'Académie Royale de
Musique , qui continue toujours avec
beaucoup de succès , le Ballet des Sens' ,
supprima la deuxième Entrée , qui a pour
titre , le Toucher , et donna pour la pre
miere fois celle de l'Ouïe , qui a été reçuë
tres- favorablement du public. Nous avons
Gvj don1616
MERCURE
DE FRANCE
donné l'Extrait dans le dernier Mercure
des trois premieres Entrées ; voicy celuide
l'Oue qu'on vient de faire paroître.
Le Théatre represente l'Isle des Syrenes
; Ulisse et Orphée font la premiere
Scene :Orphée presse Ulisse de s'arracher
aux Piéges dangereux que les Sirenes tendent
aux Mortels par la funeste douceur
de leurs chants. Ulisse lui dit que ce sont
là des Monstres qui lui restent à surmonter
, pour mettre le comble à sa gloire . Il
prie Orphée d'aller rassûrer ses Grecs , et
de leur dire qu'ils quitteront bien- tôt ce
dangereux rivage .
Ulisse , tout occupé d'une voix mélodieuse
qu'il a entendue,s'éloigne de l'Isle
des Sirenes, pour chercher encore le charme
qui l'a frappé.
La Reine des Sirenes , suivie de ses
soeurs Leucosie et Partenope , n'ose consentir
à la perte des malheureux que le sort a
conduits près d'elles. Ses soeurs ont beau
lui representer qu'un Oracle lui a prédit
qu'elle perdroit le jour et l'Empire, si un
seul Mortel échappoit à leur fureur . Ulisse
est plus fort dans son coeur que tous les
malheurs qui lui sont annoncez : Voicy
ce qu'elle leur répond ;
De ma raison , je chetche en vain l'usage ;
Je veux la rappeller , mais sur tous mes efforts ,
Ulisse
JUILLET . 1732. 1617
Ulisse a toujours l'avantage ;
Invisible et presente à l'aide d'un nuage,
Je le suis , je l'observe ; il entend mes transports,
Rougirai-je à ses yeux d'un indigne esclavage ?
S'il dédaigne mes feux , quel affront ? quels
remords ?
L'immolerai - je , hélas ! si son coeur les partage à
Elle congédie ses soeurs , et leur defenfend
de rien entreprendre sans son ordre
exprès .
La Reine refléchit sur la triste situation
où l'amour vient de la mettre : Ulisse attiré
par sa voix , s'approche d'elle ; il la
prend d'abord pour une Déesse ; elle lui
répond , qu'il doit juger par ses larmes ,
qu'elle n'est qu'une Mortelle , et des plus
infortunées : Ulisse lui dit tendrement :
Reprochez - vous aux Dieux des rigueurs trop,
cruelles ?
D'un tendre Amant, pleurez- vous le trépas ?
De si beaux yeux ne pleurent pas
Des ingrats , ni des infidelles,
Il est aussi touché des charmes de ses
yeux , qu'il l'a été de la douceur de ses
chants; c'est ce qu'il lui exprime par ces
Vers :
Vos accents en ces lieux, captivoient mon courage,
Je cherchois d'ou partoit le trait qui m'a blessé ;
Vos
4
1
1
1
1618 MERCURE DE FRANCE
Vos attraits sur mon coeur ont achevé l'ouvrage
Que vos chants avoient commencé.
La Sirene le presse de fuir des monstres
qui en veulent à sa vie ; elle se fait connoître
pour leur Reine. Ulisse la prie de
le suivre dans ses Etats ; elle y consent
enfin, et va tout préparer pour leur fuite .
Les Sirenes et leur suite viennent enchanter
Ulisse , et forment la fête de cet
Acte.
Orphée vient , et voyant à quel danger
Ulisse est exposé , il profite de son sommeil
pour le faire transporter dans son
Vaisseau , armé du pouvoir d'Apollon ,
son Pere ; il transforme les Sirenes en
Rochers ; la Reine vient , prête à partir
avec Ulisse ; mais voïant son Vaisseau s'éloigner
du rivage , elle se précipite dans
les flots , avec une grace , qui a donné
lieu à ce Madrigal .
Pelissier , flatteuse Sirene ,
Non , jamais au Théatre on n'a mieux exprimé ;
Le plaisir , la douleur , la tendresse et la haine ;
En toi , jusqu'à la mort , tout paroît animé ;
On diroit à te voir , dans les flots de Neptune
T'élancer , voler au trépas ,
Qu'un Triton , à bonne fortune ,
Va te recevoir dans ses bras.
La
-
JUILLET. 1732. 1619
La De Pellissier n'est pas la scule qui se
soit distinguée dans l'Acte de l'Ouïc ; le
S Chassé , et la Dlle Salé , lui en ont dis
puté la gloire ; l'un , par la beauté du
chant ; l'autre, par les graces de la danse .
Le 26 Juillet , les Comédiens Italiens
donnerent une petite Piéce nouvelle , eà
un Acte en Prose , qui a pour titre l'E;
cole des Meres , avec un Divertissement.
Elle est de M.de Marivaux. Le Public l'a
reçuë tres favorablement. On en parlera
plus au long.
Le 7 Juillet, l'Opera Comique fit l'ou
verture de son Théatre de la Foire S.Lau
rent , par deux Pieces nouvelles , d'un
Acte chacune, avec des Divertissements
intitulées : Sophie et Sigismond , et la Fille
Sauvage , précédées d'un Prologue . C'est
le S' Hamoche , connu depuis tres- longtemps
du public , sous le nom de Pierrot
qui est presentement l'Entrepreneur de
ce Theatre , et le St Gilliers compose la
Musique des Divertissemens, qui est toujours
goûtée du public.
NOU
F
1620 MERCURE DE FRANCE
XX:XXXXXXXX: XXX **
NOUVELLES ETRANGERES
DE TURQUIE.
N écrit de Constantinople , du. 3. Avril
que l'Affaire des Anglois , dont on parle
cy-devant , avoit été heureusement accommodée
par l'entremise du Kislar-Aga , ou Chef des
Eunuques noirs , qui a aussi la Sur - Intendance
des Mosquées Royales. D'abord après l'accom,
modement , le Grand- Seigneur envoya dire à
M. l'Ambassadeur qu'il pardonnoit la faute da
Capitaine qui avoit fait tirer le Canon du Vaisseau
Anglois à heure induë , quoiqu'il méritât
d'être séverement puni pour une pareille contra
vention aux usages , &c. et que Sa Hautesse continuoit
de le reconnoître comme Ambassadeur
et Ministre du Roy de la Grande- Bretagne à la
Porte Othomane . En même - temps les ordres furent
donnez pour faire élargir les sieurs Hanguer
et Gesnit , Négocians Anglois , qui avoient
éte arrêtez dès le lendemain des coups de Canon. La
prudence et la douceur naturelle du G. Vizir Osman
Pacha , qui étoit alors en place , a été fort
louée , en empêchant d'abord que cette affaire ne
fût poussée suivant le reffentiment de S. H. et en
gagnant du temps pout l'accommoder .
On apprend en dernier lieu d'Allemagne , par
un Courrier arrivé de Constantinople à Vienne
le 8 , de ce mois , que le Roy de Perse , à la persuasion
d'un des principaux Seigneurs de sa Courqui
a beaucoup contribué à le remettre sur le
Trône , avoit pris la résolution de ne point observer
JUILLET. 173.2. 1621
erver le dernier Traité de Paix conclu avec le
r. Seigneur ; qu'une partie de son Armée avoit
ttaqué avec avantage le reste de l'Armée de Sa
Hautesse et l'avoit défaite , et que les Persans
narchoient vers les Provinces qui avoienr été
bandonnées au G. S. par ce Traité ; que cette
ouvelle avoit causé une grande consternation
lans Constantinoble , et qu'on avoit tenu à ce
sujet un Divan general .
LETTRE écrite de Constantinople ,
le 8. Juin 1732.
Qué,Monsieur , de la déposition du Grand-
Uoique vous soyez déja , sans doute , infor-

Vizir Topal Osman Pacha , arrivée le 12 Mars
lernier , je ne laisse pas de vous la rappeller ici ,
our vous mander quelques particularitez sur ce
ujet, que vous ignorez peut- être, et qui méritent
Votre curiosité.
Le Kislar- Aga ou Chef des Eunuques noirs, qui
ossede toûjours toute la confiance du G.S.lui dit,
n lui redemandant le Sceau Imperial de la part de
, H. qu'il ne devoit par regarder ce qui lui arivoit
comme une disgrace ; que le Sultan l'ainoit
toûjours et étoit très -satisfait de ses services,
t qu'en lui ôtant la Charge de Premier Ministre,
avoit eu moins en vûë de l'en dépouiller , que de
soulager du fardeau qui l'accompagnoit, et qui
ar rapport à son âge , à ses infirmitez et aux connctures
où se trouvoit l'Empire , étoit devenué
un poids à l'acabler. Qu'il n'avoit non-seulement
rien à craindre ni pour lui ni pour les siens , mais
que l'intention du G.S. étoit que le Bey , son cher
fils unique , qui est Capigi Bachi , restat à la Cour
pour lui faire du bien , et que lui-même Kislar-
Aga
1622 MERCURE DE FRANCE
Aga , l'assuroit qu'il en prendroit autant de soin
que s'il étoit son propre enfant.
Topal-Osman , qui reçût cette nouvelle avec
ne fermeté admirable , répondit , après l'avoir
remercié de ses sentimens , que sa conscience
ne fui reprochant rien , et que connoissant l'équité
du G. S. qu'il avoit servi avec zele , il étoit
en repos sur ses jours , et que d'ailleurs n'ayant
jamais craint de les perdre dans tant de périls
qu'il avoit courus à la guerre pendant toute sa
vie , il étoit trop vieux à present pour s'en- inquieter.
Il fut ensuite conduit à Calcedoine pour y attendre
sa destination , et dans le même temps ,
c'est-à- dire entre zo . et 11 heures du matin
Ali -Pacha Defterdar , nommé Kaïmakan , pour
exercer les fonctions du Viziriat pendant l'interim
, alla tenir le Divan en sa place.
D
Apeine Topal- Osman fut- il arrivé à Calcedoi.
ne , que ses Amis et ses Domestiques s'y rendirent
et se présenterent devant lui , la plupart les
yeux baignez de larmes. Pourquoi pleurez - vous
leur dit- il avec un air de satisfaction peint sur le
visage , de me voir délivré d'un Emploi , que
comme vous le sçavez bien , je n'étois venu remplir
qu'avec répugnance ? Il s'entretint ensuite
avec eux le plus tranquillement du monde , entrant
même dans de grands détails sur des affaires
particulieres , et pour mieux marquer la sincerité
de la joye que lui causoit son changement
de fortune ; il fit égorger une douzaine de Moutons
en action de grace , comme c'est la coûtume
chez les Mahométans , de faire de ces sortes de
Sacrifices , pour remercier Dieu des bons évenemens
qui leur arrivent , ou pour lui demander
un heureux succès dans leurs entreprises.
JUILLET. 173.2. 1523
H fut nommé le même jour Pacha de Trébizonde
, et partit le lendemain de Calcédoine pour
Smit, autrefois Nicomédie , où il demeura jusqu'après
le Beiram ou la Pâque des Turcs . Le
Tchaoux- Bachi , qui étoit son neveu , fut aussi
déposé et devint son Kiaya ou Lieutenant , par
ordre de la Porte , qui en cette derniere qualité le
chargea d'assembler les Equipages et toute la
Maison de son Oncle à Calcedoine , et de l'aller
joindre ensuite à Nicomédie .
L'amour que Topal Osman conservoit toujours
pour le bien public , ne lui permettant pas
de le négliger et de rester oisif pendant environ
15. jours qu'il demeura dans cette Ville , il s'appliqua
à remedier aux desordres qui s'y commertoient
dans la Police , et ayant appris qu'entr'autres
abus nouvellement introdus , il y avoit des
gens qui achetoient tous les oeufs du Pays , dont
ils faisoient des réserves et qu'ils n'en envoyoient
qu'en petite quantité à la fois à Constantinople,
où par ce moyen ils étoient devenus fort chers . Il
fit pendre ces Monopoleurs , et saisir tous leurs
oeufs , qui furent portez par son ordre à cette
Capitale où ils devinrent à très - grand marché.
Il partit de Smit les premiers jours d'Avril ,
avec une Maison magnifique , composée de plus
de 600. Domestiques , car le G. S. lui ayant laissé
generalement tous ses biens , il est , malgré ses
liberalitez continuelles , un dés plus riches Particuliers
de l'Empire ; et plus de 6000. personnes
le conduisirent bien loin hors de la Ville .
Je ne puis , Monsieur , me dispenser de vous
rapporter ici un trait de Topal - Osman , qui suffiroit
seul pour vous donner une juste idée de la
grandeur de son ame. Quelques jours avant celui
auquel on le déposa , qui fut le 15. de la Lune
L
1624 MERCURE DE FRANCE
de Ramasan ou du Jeûne , il avoit déja fait préparer
tous les Présens que les Grands Visirs sont en
usage de faire au Serrail à la fin de ce Carême des
Mahometans , et il se trouvoit parmi ceux qu'il
vouloit donner au G. S. un Harnois de Cheval ,
garni de Pierreries , qui lui coûtoit seul près de
170. mille livres . Quoique ces , Présens n'eussent
point été consignez et qu'il les eût encore entre
ses mains au moment de sa déposition , il ne
laissa pas moins ses ordres en partant de Calcedoine
, pour qu'ils fussent distribuez à la tête du
Beiram , à ceux à qui il les avoit destinez , comme
s'il eût encore été en place. Il est vrai que le
Sultan , de son côté , pour lui marquer qu'il n'avoit
point perdu les bonnes graces de S. H. lui
envoya aussi à Nicomédie les mêmes Présens
qu'elle fait toujours dans ces Fêtes au G. Visir.
A l'égard du nouveau G. V. Ali - Pacha , outre
ce nom , on lui donne encore par un usage fort
ordinaire chez les Turcs , celui de Ekim- Oglou ,
c'est- à- dire , fils de Medecin. Son pere , à ce
qu'on assure , étoit Venitien et s'appelloit Cornero
; il fut fait Esclave en Candie , étant encore
jeune, mais professant déja la Medecine, et desesperant
de pouvoir jamais recouvrer sa liberté , il
embrassa le Mahometisme , et se maria avec une
Turque. La réputation qu'il acquit dans son Art
ayant été portée jusqu'au Serrail , il y fut appellé
et devint Ekim- Bachi , ou Premier Medecin du
dernier Sultan déposé , au service duquel il est
mort dans un âge fort avancé. Entre plusieurs
enfans qu'il avoit eus de sa femme , il introduisit
deux de ses fils auprès de ce Sultan , par la faveur
du Kislar Aga , qui avoit été autrefois son Esclave
; l'aîné en qualité de Gerrah-Bachi , ou
Premier Chirurgien , qui remplit encore le même
Poste
JUILLET. 1732. 1625
poste auprès du G. S. regnant ; le second qui fut
d'abord fait Capigi- Bachi ; et qui après avoir essuyé
bien des revers sous le Regne precedent ,
parvint il y a quelques années au Generalat de
Arme Othomane .sur les Frontieres , et vient
d'être élevé à l'éminente Charge de Grand Visir.
C'est un homme d'environ 45. ans, d'assez bonne
mine, qui passe pour aimer la magnificence, et qui
est liberal jusqu'à la prodigalité. Il arriva à Scutary
de Perse , le 10. May au matin , où tous les
Grands de l'Empire l'attendoient sous des Tentes
dans la campagne. 11 s'y trouva un concours de
plus de 6000. femmes ou filles , attirées par la
Curiosité que leur donna le renom qu'a ce Visir
d'être aussi galant que feu Ibrahim Pacha , et en
nême-temps pour se dédommager un peu de la
retraite rigoureuse que son Prédecesseur Topal-
Osman faisoit observer au beau Sexe . Après avoir
fîné là , il remonta à cheval et traversa Scutary
avec un magnifique et nombreux cortege , jusqu'à
la Marine , jettant de temps en temps des
poignées de Sequins au Peuple.
Il se mit ensuite dans le Caïc ou la Gondole à
Tendelet des G. Visirs ; le Vaisseau Contre- Amiral
bien pavoisé , et qu'on avoit fait avancer à
son occasion près de la Tour de Leandre , le salua
de 15. coups de Canon à son passage , et cette
Tour de cinq ; il vint débarquer au Kiosc ou Pavillon
du Serrail qui est au bord de la Mer , ou
la Maison du G. S. étoir rangée en haye pour le
recevoir ; il eut sur le champ audience de S. H.
avec laquelle il demeura plus de deux heures ; le
G. S. après lui avoir confié le Sceau Imperial et
= l'avoir fait revêtir des autres marques de dignité
attachées à sa Charge , le fit conduire par ses prog
pres Officiers au Palais des G. V. où il se rendit ,
marchans
1626 MERCURE DE FRANCE

marchant à la droite du Mufti , et répandant
toujours à pleines mains les Sequins sur sa route.
Le même jour Ismaël - Pacha , Janissaire- Aga ,
fut fait Pacha à trois Queues en plein Divan ,
le G. V. lui fit donner une Pelisse de Samour ,
couverte d'un drap d'or du Pays. Le Kiaya ou
Lieutenant de Topal Osman , qui étoit resté en
fonction jusqu'alors , fut déposé , et celui d'Ali-
Pacha prit sa place .
Ce Premier Ministre fit rouvrir tous les Caffez
publics , qui depuis la grande Révolution de
1730. avoient presque toûjours été fermez , et sur
les plaintes qu'on lui porta des fraudes qui s'étoient
renouvellées dans le débit des Vivres et des
Denrées depuis la déposition de Topal - Osman ,
quoique dans l'interim le Kaimakan eût fait pendre
plusieurs prévaricateurs en ce genre , il alla
faire une tournée dans Constantinople chez les
Bouchers et les Boulangers ; il fixa le prix de la
viande, qui se vendoit fort cher , et dont on manquoit
même souvent , fit augmenter le poids du
pain , envoya aux Galeres ceux des Boulangers
qu'il trouva en contravention , et donna dix Sequins
à chacun de ceux qui étoient en regle , ce
qui lui attira de grandes louanges .
Le 22. du même mois de May , ayant mandé
le Defterdar
ou Trésorier
Ali- Pacha , cy- devant
Kaimakan
, il le fit revêtir d'une Pelisse de Samour
, en lui disant que le G. S. l'avoit nommé
Pacha de Cutaya , (' en Asie , près de Brousse ,
qui est une espece d'exil ) et qu'il se préparât
à
partir dans deux jours. L'ancien
Reis Effendi du
temps d'Achmet
III . qui étoit devenu Tefter-
Emini , ou Garde des Rôles de la Milice , sous le
G. S d'apresent
, et que ce Ministre
avoit aussi
mandé , reçut le Caftan ou Robe d'honneur
,-
avec
JUILLET. 1732. 1627
avec la Charge de Defterdar , et ceda la sienne de
Tefter- Emini à Serdensi Effendi , qui avoit été Secretaire
de la Porte aux Conferences de Passarowitz.
Le Tchaoux- Bachi et le Bostandgi- Bachi ,
furent pareillement déposez : le poste du premier
fut donné à l'ancien General de la Cavalerie, resté
depuis quelque temps sans emploi , et celui du second
, a l'Asseki - Aga, qui fut relevé dans le sien
par l'Oda-Bachi . Voilà, Monsieur , en quoi consistent
jusqu'à present les principaux changemens
survenus à la Porte , depuis l'arrivée du nouveau
G. Visir. Je suis , &c.
L
E -25
P. V. D.
ALLEMAGNE.
du mois dernier , on exposa au Pilory
Là Vienne 25. Mandians et Vagabonds qui
furent bannis ensuite de la Ville , sous peine d'être
punis de mort s'ils y rentrent , sous quelque
prétexte que ce soit.
On apprend dɔ Duffeldorp , que l'Electeur de
Cologne avoit été élû Grand- Maître de l'Ordre
Teutonique.
On mande d'Hambourg , que les Magistrats
de cette Ville avoient fait un changement aux
Loix touchant la Majorité des Enfans , et qu'en
conséquence les garçons qui étoient majeurs à
18. ans , ne le seront plus qu'à 22. et les filies
qui l'étoient à 14. ne le seront qu'à 18. accomplis.
On écrit de Berlin , qu'il y étoit déja arrivé à
la fin du mois dernier dans la Pruffe Royale ,
près de 7000. Fugitifs de l'Evêché de Saltzbourg,
et on en attend encore 3. ou 4000. qui sont attirez
dans ce Pays par les conditions avantageuses
que le Roy leur a faites.
On
1628 MERCURE DE FRANCE
On a appris de Mergentheim , que l'Electeur
de Cologne, avoit été élûGrand- Maître de l'Ordre
Teutonique , et qu'il y étoit attendu le 16. de ce
mois pour prendre possession de cette nouvelle
Dignité.
ITALI E.
L a été décidé dans la derniere Congrégation
de Non Nullis , que le Cardinal Coscia seroit
interrogé en presence des Cardinaux Barberin ,
Imperiali et Laurent Altieri , qui sont Chefs
d'Ordres , et qu'ils se transporteront à ce sujet
au Convent de sainte Praxede , où ce Cardinal
est obligé de demeurer jusqu'à - ce que ses affaires
soient terminées.
Le Roy de Sardaigne fait faire à ses frais dans
T'Eglise des Dominicains de sainte Marie sur la
Minerve , un superbe Mausolée pour le corps du
feu Pape Benoît XIII . qui, doit y être tranporté
incessamment.
Le 3. Juillet on fit partir de Rome pour
Civitavechia , une Chaîne de 34.
Criminels condamnez
aux Galeres , parmi lesquels il y a un
Prêtre Maltois , qui celebroit 5. ou 6. Messes
par jour.
Le s de ce mois au matin , le Cardinal Coscia
fut interrogé pendant cinq heures , dans le Convent
de S. Praxede , en presence des Cardinaux
Barberin , Zondodari , Imperiali , Laurent Altieri
et Origini , après la Séance , on laissa auprès de
lui une Garde d'un Officier et de 12. Soldats qui
ont ordre de ne le laisser parler à qui que ce
soit , jusqu'à- ce qu'il ait subi le second et le troisiéme
Interrogatoire.
ESPAGNE
JUILLET. 1732.
1629
ESPAGNE.
TRADUCTION d'un Decret
de S. M.
Catholique.
Mo
2
On intention étant de ne laisser séparé dis
sein de l'Eglise et de notre Religion Catho
lique , aucun des Domaines que la Divine Provi
dence remit à mes soins , quand elle me plaça sur le
Trône de cette Monarchie , et qui par la superiorité
et la multitude de mes ennemis , m'ont été vio-
Lemment et
frauduleusement enlevez. J'ai médité
de tout temps la maniere dont je pourrois les réunirs .
mais comme la diversité des Evenemens m'a
empêché jusqu'à present de parvenir à ce but tant
souhaité, je n'ai pu employer, selon ma volonté , les
forces que la -Toute- Puissance m'a confiées ; et quoique
je ne sois pas aujourd'hui
entierement libre
d'autres soins , j'ai résolu de ne point differer à recouvrer
l'importante Place d'Oran , qui a été autrefois
l'objet de la pieté et de la valeur de la Nation
Espagnole ; et ayant
principalement
consideré
cette Place étant au pouvoir des Barbares Affrique
cains , la porte est fermée à la Propagation de notre
sacrée Religion , et qu'elle leur sert de moyen pour
mettre en esclavage les Habitans des Côtes immé--
·diates de l'Espagne et d'ailleurs ayant de justes raisons
de craindre que les Barbares unefois instruits a
faire la guerre par Mer et par Terre , ne se prévalent
de cette Place et de son Port , pour causer des
fatalitez et des dommages aux Provinces voisines
de ce Royaume , si une fois elles étoient moins pourvûës
de Troupes qu'elles ne le sont
aujourd'hui.
Pour parveniravec
l'assistance du Tout-Puissant ,
à un but si important , j'ai ordonné de faire assem-
:
H blox
1630 MERCURE
DE FRANCE
>
dans
bler auprès d'Alicante un Corps de 30. mille hommes
, s'il en est besoin , tant d'Infanterie que de
Cavalerie , pourvûs de tous les Vivres , Artillerie ,
Munitions et Outils convenables pour quelque entreprise
considerable , sous les ordres du Capitaine
General le Comte de Montemar et d'autres Officiers
Generaux et particuliers que j'ai nommez
dont l'experience et la valeur me font esperer un
succès glorieux ; embarquez par mes ordres ,
un nombre suffisant de Navires ,
par les Escadres des Vaisseaux , des Galeres et
des Galiotes que j'ai fait armer , ils partent pour
le recouvrement d'Oran ; et comme toutes les précautions
humaines ne peuvent rien sans le secours
de la Toute-Puissance , j'ordonne que ce Decret de
mon Conseil soit communiqué aux Archevêques ,
Evêques , Chapitres Ecclesiastiques , Villes et Bourgs
de mes Royaumes , comme on l'a pratiqué dans
d'autres occasions , afin d'obtenir , par des Prieres ,
et escortez
que
le Tout- Puissant benisse et protege mes Armes
et mes vives ardeurs pour une Expedition si importante
. Donné à Seville , le 6. Juin 1732. Signé,
MOY LE ROY . Et au bas est écrit , A
'Archevêque , Gouverneur du Conseil de Castille.
Le 25. Juin , les Tribunaux , le Corps de Ville
de Madrid , le Clergé Séculier et les Religieux
des Ordres Mandians , se rendirent à l'Eglise de
la Paroisse de sainte Marie de Almuneda , où en
vertu du Decret du Roy , adressé au Président
du Conseil de Castille , on commença des Prieres
publiques pour demander à Dieu ses graces
et ses benedictions pour le succès de l'entreprise
de S. M. Cath. sur la Ville d'Oran en Afrique.
L'ouverture de la Neuvaine se par une Procession
generale qui sortit de cette Eglise, et se renfit
dit
JUILLET. 1732 : 1631
dit à celle de Sainte Croix . Le lendemain la mê
me Procession alla de la Paroisse de S. Jacques
à la Chapelle de N. Dame d'Atocha , et le 27. à
l'Eglise des Capucins de S. Antoine.
Le même jour , le Cardinal d'Astorga , Archevêque
de Tolede , fit aussi l'ouverture des
Prieres publiques dans son Eglise Métropolitaine
, dont relevoit autrefois la Ville d'Oran depuis
la conquête qui en fut faite en 1509. par le
Cardinal Ximenes de Cisneros .
On a appris d'Alicante , que la Fotte du Roy
avoit mis à la voile le 15. du mois dernier , et
qu'on l'avoit perduë de vûë le 16.
Les Officiers Generaux qui commandent
dans l'Armée du Roy , embarquez sur cette
Flote , sont , le Comte de Montemar , qui en est
Capitaine General ; le Comte de Bureta ; Don
Philippe Dupuy ; le Comte de Zueveghen ; le
Marquis de Rerves ; le Vicomte del Puerto ,
Don Jerôme de Solis , le Marquis de Grassia
Real , le Comte de Roy - de - Ville , le Baron de
Sandrasqui, le Marquis de Montreal , Don Louis
d'Acosta , Don Gonçales de Carvagal´, le Marquis
de Pozoblanco , Don François de Valanza ,
Don Jean Gonçales , Don Antoine Alvarés de
Bonorques , le Marquis de Santa- Cruz , et Don
Louis Dormay , Lieutenans Generaux ; Don Joseph
Ybanez , Don André de Benincasa , Don
Barthelemy Ladron , Don Jean- Bapt. de Gages,
Don Renaud Mac- Donel , Don Jean Ely , le
Comte de Cecil , Don Nicolas Sangro , Don
Michel Cavanillas , Don Gregoire Gualoy Pueyo,
Don Dominique Sangro , Don Lelio Caraffe ,
Don François Ocampo , Don Joseph de Vicaria,
Don Isidore Germa , le Marquis de la Mina , le
Comte de Mariani , Don Luc Ferdinand Patin-
Hij ho
1632 MERCURE
DE FRANCE
Don
ho et Don André d'Afffito , Maréchaux de
Camp ; Don Sebastien d'Eselava , Don Manuel
de Sada-y- Antillon , Don Philippe Ramirez ,
Don Jean -François d'Horcasitas , Don Greg
Filtz Gerald , le Duc de S. Blas , Don Diegue
Fonce , Don Sauveur Joseph de Roldan ,
Jacques de Sylva , le Marquis de Baldacannas.et
Don Charles Vander Cruzen , Brigadiers .
Par la Liste publiée à Séville , des Régimens
employez à cette expedition , ces Troupes confaisant.
2
sistent en 32. Bataillons ,
1.23000 . hommes
, 12. Escadrons , faisant 1676. hommes , er
12. Escadros de . Dragons , montant à 1709. hommes , ensemble 26377. hommes . L'Artillerie
consiste en 110. Pieces de Canon , dont. 60. porlivres
de balle , 20. 16. livres , 16. 12 .
livres , et 14. 4. livres , et 60 Mortiers , sçavoir , 20. de 18 et 40. de 12. pouces de circonference
;
Il y a cent Bombardiers , 25. Mineurs et 40. Ingenieurs.
Outre les Escadrons marquez cy -dessus, 4. Régimens de . Cavalerie de 3 Escadrons chacun
, ainsi que quelques Bataillons , ont ordre de
se tenir prêts à être transportez en Afrique , en
cas de besoin.
tent 240
" On a appris depuis de, Séville , que la Flote
partie d'Alicante , étoit composée de 12. Vaisseaux
de ligne , 2 Frégates , 2. Galiotes à Bom bes , sept Galeres , dix -huit Galiotes à Rames
, 12. Barques longues armées , et plus de : joo. Bâtimens de transport ; que cette Flate avoit été retenue pendant 7. jours au Cap de Pa- los , par les vents contraires , qu'elle n'en étoit
partie que
le 24. et que le 25. elle étoit devant
Oran que les vents,contraires avoient fait retar
der le débarquement
jusqu'au 28 au soir ; que
le 29. à la pointe du jour ,les Troupes débarquées
JUILLET. 17325 1633
quées avoient commencé à s'étendre du côté de
la Plage des Aiguades , qui est à une lieuë au
Couchant du Château d'Almarza , ou Mazarquibir
; qu'elles s'y étoient mises en Bataille sur
einq lignes ; que pendant que ces lignes se for
moient , les Maures avoient paru au nombre de
10. à 12000 hommes divisez en plusieurs troupes
, pour être moins exposez au grand feu de
PArtillerie des Vaisseaux et des Galeres ; qu'on
avoit remarqué que le premier coup de Canon
tiré par la Galere le S. Joseph , avoit emporté l'Etendart
de la plus nombreuse Troupe des Mau
res , ce qui les avoit fait reculer ; que toutes les
Troupes du Roy , tant Infanterie que Cavalerie ;
avoient débarqué malgré les escarmouches continuelles
des Ennemis , et qu'il n'y avoit eu qu'un
petit nombre de Soldats blessez ; que les Maureg
ayant reconnu que tout le débarquement étoit
fait , leur Commandant avoit envoyé un Déta
chement de Cavalerie pour enlever beaucoup de
Soldats qui étoient restez à une Fontaine un peur
éloignée du Camp des Espagnols ; que le Comte
de Montemar averti de cette marche avoit envoyé
contre eux un détachement de 16. Compa
gnies de Grenadiers , commandé par Don Luc
Ferdinand Patinho , et de 400. Cavaliers, sous les
ordres du Marquis de la Mina , pour favoriser la
retraite de ces Soldats écartez, mais qu'une partie
du Régiment du Prince , qui par hazard avois
débarqué du même côté de la Fontaine , avoit eté
suffisant pour repousser les Maures , et pour
obliger à se retirer sur le haut de la Montagne.
Les Lettres reçûës en dernier lieu de Seville
portent , que le 5. le 6. et le 7. de ce mois , Don
Diegue Yopuli , le Comte de Valhermoso , et le
Marquis de la Mina , y avoient été dépêchez par
H iij
les
le
1624 MERCURE DE FRANCE
le Comte de Montemar , pour apporter au Roy
la nouvelle et le détail du Combat qui s'étoit
donné le 30. du mois dernier aux environs de
Mazarquibir , entre l'Armée de S M. Cat. et celle
des Maures. Ces Lettres ajoûtent que les Maures
avoient été défaits et mis en fuite , et que le
premier de ce mois l'Armée du Roy avoit prisle
Château de Mazarquibir , la Ville et les Forts
d'Oran ; qu'on y avoit trouvé 138. pieces de
Canon , parmi lesquelles il y en avoit 87. de
bronze , 7. Mortiers , une grande quantité de
Fusils., de Sabres et d'autres Armes , et beaucoup
de Munitions de guerre et de Provisions , que la
fuite précipitée des Maures ne leur a pas permis
d'emporter.
Pour rendre graces à Dieu d'un succès si heureux
, le Roy a écrit dans les principales Villes
de son Royaume , pour y faire chanter le Te
Deum , et en consequence des ordres de S. M.
on a fait à Sevi le une Procession generale du
Clergé Séculier et Régulier , à laquelle l'Archevêque
et le Corps de Ville ont assisté , et on a exposé
à la veneration publique le Corps du Roy
S. Ferdinand.
Les. on chanta le Te Deum , et on fit une se
conde Procession , qui alla faire sa Station à la
Chapelle où l'on conserve le Corps de ce S. Roy.
Le 6. on recommença une Neuvaine dans l'Église
de N. Dame de l'Antiga , où il y a une
Image miraculeuse de la sainte Vierge , devant
Jaque le S. Ferdinand alloit souvent faire ses
prieres.
Le 9. il y eut à Madrid des Réjouissances publiques
, des Feux d'Artifices et des Illuminations
qui ont duré trois nuits consécutives , à l'occasion
de la nouvelle du débarquement , et on les
:
JUILLET. 1732. 1635
a recommencées depuis pour la Prise d'Oran
et de Mazarquibir.
On apprend d'Alger , que la Regence avoit fait
de grands préparatifs pour sa deffense , en cas
que la Ville fût attaquée ; que le vieux et le nouveau
Mole , étoient garnis de Troupes et d'Artillerie
, que le Dey avoit renforcé de 9000.
hommes la Garnison d'Oran , où il avoit fait
entrer quelques Ingenieurs étrangers , pour la
deffense des Ouvrages ; qu'il y avoit actuellement
à Alger 14000. hommes de Troupes reglées
, sans compter les Milices de la Ville , et
que la Régence pouvoit mettre en campagne un
Corps de 15000. hommes de Cavalerie,
GRANDE BRETAGNE .
Lpagne de la Mer da Sul , d'annuler la con-
E Roy d'Espagne a fait proposer à la Comvention
, suivant laquelle elle envoye tous les ans
'un Vaisseau à la Mer du Sud , ce qui fait tort à
tous les Négocians de l'Europe , et en particulier
à la Nation Angloise , et de lui donner en échange
un équivalent de deux pour cent sur toutes
Ies Marchandises du retour des Gallions et de la
Flotille , et qui pour cette année seroit un peu
plus fort , en considération de ce que cette Compagnie
a déja acheté les Marchandises qu'elle devoit
envoyer au mois d'Août à la Mer du Sud.
On ne sçait pas encore si ces propositions seront
acceptées , mais la plupart des Négocians les
trouvent très -favorables , parce que cette Compagnie
leur fait un très - grand tort.
Le Chevalier Rob. Sutton , qui a été exclus de
la Chambre des Communes à l'occasion des affaires
de la Charitable Corporation , a signé devant
Hiiij
3636 MERCURE DE FRANCE
vant les Barons de l'Echiquier sa soumission de
ne point sortir du Royaume jusqu'à la fin de la
prochaine Séance du Parlement.
HHHHHHH: X.
MORTS ,
XXXXX
NAISSANCES ,
et Mariage des Pays Etrangers.
E Duc Theodore , Prince Souverain de Sultzbach,
de la Maison Palatine ,mourut le 11.
de ce mois à Dinckelspiel , dans la 74e année de
son âge , étant né le 14. Février 1659. Ce Prince
qui avoit épousé le 9. Juin 1692. Marie- Elonore
Amelie de Hesse- Reinfels- Rotembourg , morte
le 19. Janvier 1720. laisse pour heritier de ses
Etats , le Prince Joseph- Charles- Emanuel de
Sultzbach , né le 17 Mars 1693. lequel avoit
épousé en 1717. Sophie-Auguste , fille de Charles
Philippe Electeur Palatin , qui mourut en
couches le 30. Janvier 1728. duquel Mariage il
reste un Prince né le 15 Juin 1724.
Le 8. Juin , la Duchesse de Brunswick Beveren
, soeur de l'Imperatrice et Epouse du Duc
Ferdinand Albert de Brunswick , accoucha d'un
Prince.
On a appris de Milan , que le General Comte de
Stampa avoit conclu le Mariage du jeune Prince
Eugene de Savoye , avec la Princesse fille unique
et heritiere du feu Duc de Massa de Carrara , et
que la celebration de ce Mariage devoit se faire
incessamment.
LETTRE
JUILLET. . 1732. 1637
LETTRE écrite par M. D. L. R.
à M. le Marquis de B. au sujet de
l'Armement du Roy d'Espagne , et de la
Ville d'Oran.
Interêt que vous prenez , Monsieur ,' au succès
des Armes d'un grand Prince , et l'amour
du bien public , inséparable de ce succès , vous
ont porté en partant de Paris à me charger
expressément de vous instruire des operations de
la Flote qui a été équipée avec tant de soins et de
dépense , et sur laquelle une Armée entiere a été
embarquée. Vous sçavez , Monsieur , que sa des-'
tination a été pendant un assez long- temps un'
mistere de politique , mistere que des yeux clairvoyans
n'ont pas laissé de percer,et qui est enfin
dévoilé depuis peu de jours ; je crois même
qu'avant votre départ il avoit transpiré quelque'
chose de la grande nouvelle que nous venons
d'apprendre de la prise d'Oran. Vous avez du “
moins pû sçavoir que cette importante expedition
regardoit la Barbarie , la Conquête d'Oran,
&c. Projet veritablement digne d'un Roy Catholique
, d'un Roy issu du Sang de S. Louis , et né
pour affranchir la Chrétienté Maritime du joug'
des Barbares et pour rétablir la liberté du Commerce
qu'ils oppriment. Mais avant que de vous
faire aucun détail sur cette heureuse nouvelle , il
faut vous mettre un peu au fait des Lieux en
question , et vous dire sur tout quelque chose de
la Ville d'Oran , principal objet de l'Armement
du koy d'Espagne.
Oran est une Ville d'Afrique en Barbarie, située
sur la Côte de la Mer Mediterranée , dans la Pro
vince de Bent-Arax , qui fait partiedu Royaume
Hy de
4
C
1638 MERCURE DE FRANCE
de Tremezen ou Telmessen , confondu depuis
avec celui d'Alger Ce Pays étoit autrefois connu ,
sous le nom de Mauritanie Cesarienne. On met
çette Ville dans les meilleures Tables Astronomiques
au 12 degré 30. minutes de Longitude , et
au 34 de Latitude. Elle est bâtie moitié dans la
Plaine et moitié sur la pente d'une Montagne rude
et escarpée , avec quelques Forteresses dont il
sera parlé en son lieu .
Quelques Auteurs croyent la Ville fort an
cienne , et que du temps des Romains elle étoit
connue sous le nom de Unica ou Unuca Colonia.
D'autres veulent que ce soit le Quica de Pline,
et le Buisa ou Vuisa de Ptolomée. Enfin si on
croit quelques Modernes , Oran est l'Icosium du
même Ptolomée , fondée et bâtie par les Compagnons
d'Hercule ; elle a porté plusieurs noms,
sçavoir ; Madura , Ara et Auran , d'où celui
d'Oran a été vrai - semblablement formé , les Ara
bes du Pays l'appellent Gukaran.
L'Afrique qui fut entamée par les Arabes sous
le Califat d'Orman , dont le General Abdalla prit
Carthage sur les Grecs , ayant été entierement
conquise par le Calife Moavie , vers l'année 45.
de l'Hégire 665 , de J. C. La Ville d'Oran devint
une des plus riches Villes de la Barbarie par son
graud trafic , et ses Maîtres ayant pris plaisir à
Porner , elle fut très- celebre dans le Mahometisme
, par le grand nombre de ses Mosquées ,
de ses Hôpitaux , de ses Colleges et d'autres Edifices
publics magnifiquement bâtis et fondez.
Dans la décadence du vaste Empire des Arabes
, plusieurs Souverains Mahoinetans l'ont successivement
possedée ; mais dans la suite elle
trouva le moyen de se maintenir dans une espece
de liberté et d'indépendance , favorisée par les
guerres
JUILLET. 1732. 1639
guerres qui s'allumerent entre les Rois de Fez et
ceux deTremezen. Cette prosperité lui fut fatale,
car elle inspira à ses habitans le dessein de faire
des Armemens pour ravager les Côtes de la
Chrétienté , sur tout celles d'Espagne , dont l'és
loignement n'est que d'environ 35. lieuës.
Le succês leur coûta cher , puisqu'il inspira au
Cardinal Ximenes , Archevêque de Tolede , le genereux
dessein de faire la conquête d'Oran , ce
qu'il executa en personne avec une puissante Armée
Navale , sous la conduite de Don Pedro de
Navarre , en l'année 1509. la IX . du Regne de
Jeanne , et sous la Régence du Roy Ferdinand ,
son pere, à cause de la mort dePhilippe d'Autriche
son gendre. Le Cardinal laissa pour Gouverneur
d'Oran Don Diego de Cordoue , avec une forte
Garnison. L'Histoire remarque qu'on ne perdit
que 30 hommes dans cette memorable Expedition
, en y comprenant le Comte d'Altamire ,
qu'un accident particulier fit perir.
Dans la suite les Infideles firent plusieurs entreprises
pour retirer Oran des mains des Espagnols
; la mieux concertée et qui pensa réussir ,
fut celle qui se fit sous les auspices et avec les
forces unies de Soliman II . à celles des Barbares.
Hascen , Gouverneur d'Alger , qui les commandoit
, assiegea Oran par Mer et par Terre,et pressa
si fort la Place , que le Gouverneur Espagnol
fut obligé de demander un prompt secours. Les
Ennemis avoient déja emporté la Forteresse nommée
la Tour des Saints , construite hors de la Ville
pour la deffense du Réservoir des Eaux qui viennent
à Oran , lorsque la valeur et la conduite
d'un seul homme servit d'instrument à la Provi
dence pour délivrer inopinément la Place.
Cet homme est le fameux ANDRE'DORIA dont
H vj Vous
1640 MERCURE DE FRANCE
vous sçavez , Monsieur , la naissance et la haute
réputation , il étoit General des Forces Maritimes
de l'Empereur Charles- Quint , et d'une experience
consommée dans tout ce qui concerne
la Marine. Ce n'est point en venant promptement
au secours d'Oran qu'il délivra cette
Ville ; il étoit alors trop inferieur en forces pour
l'entreprendre , mais le parti qu'il prit de ravager
dans le même temps l'Archipel , et de faire tout
trembler sur cette Mer jusqu'à Constantinople
même , où l'on ne se croyoit pas en sureté , produisit
cet heureux effet. Soliman irrité et embarrassé
au dernier point , ne balança point d'envoyer
demander en maître les 40. Galeres qu'il
avoit devant Oran , pour les opposer à l'Escadre
de Doria , qui ne cessoit de faire du butin et des -
Esclaves , presque à la vue du Sultan.
Il n'en fallut pas davantage , comme ce grand
homme l'avoit prévů. L'ordre de Soliman , et
quelques dissensions arrivées parmi les Chefs ,
au sujet de l'attaque generale qu'on étoit sur le
point de faire, opérerent bien -tôt la levée du Siege ·
d'Oran,il fallut embarquer promptement l'Armée
avec beaucoup de perte à la vue des Espagnols ,
qui sçurent profiter du desordre et de la conjonc
ture.
C'est à cette occasion que fut frappée une belle
Médaille en l'honneur d'André Doria , que vous
avez peut être vûë dans mon Cabinet , et dont
en tout cas je vous envoye un dessein qui ne sera
pas ici hors de place . On voit d'un côté le Buste
de ce General déja avancé en âge , représenté avec
une grande et longue barbe , qui donne à une
très belle tête un air respectable et majestueux ;
derriere le Buste est un Trident , symbole de sa
Charge d'Amiral , ou plutôt de sa superiorié sur
tous
JUILLET. 1732 1647
tous les autres Generaux de Mer de son temps.
Il étoit en effet comme le Neptune et le Maître
de toute la Mediterranée. C'est ce que l'Auteur
de la Médaille a voulu faire sentir , à l'imitation
des Romains , de quoi il y a plusieurs exemples
dans les Médailles antiques , et pour toute Légende
ANDREA DORIA. Au revers on voit la ' .
tête d'un Esclave , autre figure simbolique et autour
des chaînes et d'autres marques de captivité.
*
Il n'y a aucunes lettres sur le reveis , parce que
le sens se présente assez naturellement. Cependant
il m'est venu là - dessus une pensée que je
soumets à votre critique. Ne pourroit- on pas ,
Monsieur, prendre cetteTête pour celle du fameux
Barberousse , homme obscur dans son origine et-
Esclave de Soliman II. qui de simple Armateur ,
ou p utôt de Pirate , parvint à la Charge de Ca--
pitan Pacha , et qui fut fait Roy d'Alger ? il
étoit , comme vous sçavez , l'Emule et le Rival i
d'André Doria , qui le battit en 1536. et reprit
Tunis , quoique Barberousse fût aussi un grand
Homme de Mer, et qu'il ne manquât ni d'experience
ni de courage.
Ce Barberousse est le même , pour le dire en
passant , que les Ecrivains Orientaux appellent
Klaireddin , nom composé qui signifie la bonté
de la Religion, et non pas grand Capitaine, comme
le veut M. de Tournefort , qui prétend aussi
que ce nom lui fût donné par le Grand Soliman ,
ce qui fait une double erreur Les Historiens La
tins l'ont nommé.Hariadenus , en défigurant aussi
son nom. J'ai parmi mes papiers d'Histoire et
de Curiosité Orientale , la Lettre originale que-
* Voyez la Médaille de Carausius ,gravée dans
le Mercure de Septembre 1731.-
ce
1642 MERCURE DE FRANCE
ce General étant arrivé enProvence avec la Flotte
de Soliman , écrivit à François I. pour lui rendre
ses devoirs , pour l'instruire de l'état de cette
Flotte , recevoir ses ordres , &c. La Lettre écrite
en Italien est dattée de Toulon au mois de Février
de l'an 950. de l'Hégire, c'est- à dire, 1543 .
de notre Epoque , er signee ainsi , di vostra Magesta
humil. servitor , HAIREDIN BASSA , avec
son sceau ou l'empreinte de son cachet à côté.
Il mourut trois ans après à Constantinople , et
on montre encore son Tombeau à Beziktach
que les Grecs modernes nomment Diplokionicom ,
a cause de deux colomnes élevées en ce lieu-là ,
c'est à un Cap ou Promontoire du Bosphore de
Thrace , du côté de l'Europe.
Je reviens à Oran pour ajoûter que depuis la
·Conquête de cette Piace par le Cardinal Ximenes
en 1509. elle a fait partie de la Monarchie d'Espagne
pendant près de deux siécles , dépendante
pour le spirituel du Diocèse de Tolede , malgré
toutes les entreprises des Barbares pour la reprendre
, et jusqu'en l'année 1708. qu'ils saisirent
le tems des grands embarras où se
trouvoit alors le Roi d'Espagne qui avoit
contre lui toute l'Europe contederée . Ce fut en
vain que ce Monarque écrivit au Grand Maître
de Malte pour le prier d'envoyer une seconde
fois l'Escadre de la Religion au secours d'Oran ;
on en fit les préparatifs qui furent sans effet
parce que la nouvelle se répandit que les Insideles
s'en étoient rendus maîtres , et que le Turc
armoit puissamment. C'est ainsi que s'en explique
M. l'Abbé de Vertot dans le dernier Tome
de son Histoire de Malte , et il ajoûte que le
Grand-Maître Perellos , affligé de cette nouvelle
, se sentit attaqué de la goute et d'une violente
JUILLET. 1732. 1643
lente fiévre , ensorte qu'il pensa en mourir de déplaisir
.
Je m'arrête ici , Monsieur , parce que je m'apperçoit
que cette Lettre est déja assez longue , er:
que je dois ménager votre attention . J'aurai
l'honneur de vous en écrire une seconde par le
prochain Courrier , par laquelle vous apprendrez
les opérations de la Flote d'Espagne , et toutes.
les circonstances qui ont précedé et suivi jusqu'à
ce jour la Conquête d'Oran. J'ai l'honneur d'ê
tre , Monsieur , &c.
A Paris , le 25
Juillet 1732.
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E premier de ce mois , le Roi arriva
du Château de Compiegne à Versailles
vers les 7. heures du soir.
Le 2 Juillet il y eut Concert dans le Salon
de la Reine , M. de Blamont , Sur - Intendant
de la Musique du Roi , présentement
de Semestre , fit chanter le Prologue
et le premier Acte de l'Opera de
Thesée.
3
Le 7. on continua la même Piéce par
le second et le troisiéme Acte , et le 9. on
finit par le quatrième et cinquiéme Acte.
Les principaux Rôles furent chantés par
les
1644 MERCURE DE FRANCE
les Diles Antier et Mathieu , et par les
Sieurs d'Angerville , Petillot et du Bourg.
Ce Concert fut terminé par une Cantatille
de M. de Blamont chantée par la Dlle Antier
, qui fut fort applaudie ; elle fut suivie
du grand morceau de simfonie du même
Auteur , qui a pour titre le Départ de
la Renommée , dont l'éxécution fut admi--
rable.
Le 15. 16. et 21. on chanta le Prologue
et les cinq Actes d'Armide , dont les
principaux Rôles furent remplis par less
Dies Antier , Pitron , Courvazier et Mathieu
et par les Sieurs d'Angerville
Petillot et le Clair , ce dernier fit le Rôle
de la Haine avec la plus belle voix du
monde.
,
ه
Le 23 , on concerta le Prologue et le
premier Acte d'Arys . Après le Concert
on .fit entendre à la Reine la Dlle Duhamel,
qui a une des plus belles voix qu'on
puisse entendre ; elle d buta par la premiere
Scene de l'Opera de Belterophon ,
qu'elle chanta parfaitement bien : la beauté
de sa voix fut admirée et applaudie de
tout le monde.
Le 5. vers les cinq heures après midi
le Duc de Penthievre reçût dans la Chapelle
du Château de Versailles les céré- i
monies
JUILLET. 1732. 16155
monies du Baptême : il fut nommé Louis .
Jean- Marie par le Roi et la Reine , qui
furent ses Parain et Maraine .. Cette cérémonie
fut faite par l'Abbé de Choiseuil
Aumônier du Roi en quartier , en prê
sence du Curé de la Paroisse .
Le 10. de ce mois , le Cardinal de Polignac
, Ambassadeur de France à la Cour
de Rome depuis près de dix ans , arriva
à Paris. Il eut l'honneur de saluer le Roi
et la Reine quelques jours après , et il en
fut reçû très favorablement. Un Poëte
s'est exprimé en ces termes sur son
sujet.
STANCES..
Prélat dont le mérite égale la naissance ;
Que ton retour tardif à notre impatience !
Que n'avons-nous pû le hâter !
Le Ciel a dissipé nos mortelles allarmes ,
Tu reviens ; ta présence a pour nous tant de
charmes ,
Qu'on ne pouvoit trop l'acheter.
Dès long tems protegé
frere ,
* par ton illustre
Dont tout adore ici l'aimable caractere ,
* M. le Vicomte de Polignac.
Et
1646 MERCURE DE FRANCE
Et par un Seigneur généreux *
Qu'unissent avec toi le sang & le mérite ,
Je puis te voir enfin dans les murs que j'ha◄
* bite !
Rien ne manque plus à mes voeux.
Dans tes regards perçans quelle divine flamme,
Que de rares trésors je découvre en ton ame
Que d'avantages excellens ,
>
Esprit fin , goût du vrai , connoissance prati
que ,
Des plus fameux Auteurs de Rome et de l'Atti
que ,
Dont tu possedes les talens.
Mais que n'embrasse point ton sublime génie a
Il aime nos Concerts ; il en sent l'harmonie ;
Nos Lyres parlent fous tes doigts ,
On croit oùir encor le célébre Virgile , *
Quand tes Vers confondans l'impieté subtile ,
Réduisent Lucrece aux abois.
Tel que l'heureux vainqueur du redoutable
Antée ,
Tu fais mordre la poudre à ce superbe Athée ,
* M. le Comte du Roure , le fils.
* l'Anti-Lucrece , Poëme Latin que s.E. L. C.
de Polignac a fait dans sajeunesse.
Tu
JUILLET . 1732. 1647
Malgré ses dangereux détours ,
Pourquoi nous refuser ce précieux Ouvrage ,
Digne de son sujet et de la main d'un
Surtout nécessaire en nos jours?
sage ,
Quel siécle... tu m'entens... ce n'est que dans
la Chaire
Où je dois faire au vice une implacable guerre.
Qu'à loisir ma voix peut tonner ;
Qu'elle éclate pour lors , que l'erreur en fré
misse ,
Profitons des momens que ta bonté propice ,
A ma muse veut bien donner.
J'en fais un libre aveu , je brigue ton suffrage
,
Ce sentiment m'éleve au- dessus du naufrage
Où le sort m'a précipité :
Je sens naître en mon coeur un désir magnanime
,
Les Dicux m'ont tous ravi , mais si j'ai ton es
rime ,
Prélat , ils ne m'ont rien ôté.
Que ne produira point cette ardeur géné
reuse ,
Tu m'inspires; déja d'une aîle courageuse ,
Je prens l'essor , je fends les airs ;
Mais
1648 MERCURE DE FRANCE
Mais que puis je tenter ; les chants de Phoebusmême
,
A peine répondroient à ta vertu suprême ;
Quel destin auroient donc mes Vers-?
fair
J'ose mettre à tes pieds des fleurs que
éclorre ,
Dans ses doctes Jardins la magnifique Isaure ,
Sept fois mon front en fut orné :
Permets -moi de t'offrir un hommage sincere ;
Je borne mes désirs à l'honneur de te plaire ,
C'est plus que d'être couronné .
LAbbé de Meuville.
L'Auteur a remporté sept fois les Prix de
Poësie à l'Academie des Jeux Floraux
établie à Toulouse par Clemence Isaure.
Le 14 , le Prévôt des Marchands et
Echevins descendirent la Riviere de Seine
dans leur Gondole , et firent faire , selon
la coûtume , par des Plorgeurs , la
visite des Ponts et des Quays de Paris.
le 31.
On a eu avis de Toulouse que
Mai dernier , veille de la Pentecôte , le
sieur Hain Petit , Juif de la Synagogue
d'Avignon ayant été converti
à la foi par les soins de l'Abbé de La-
-
و
rocque ,
JUILLET. 1732. 1649
rocque , Conseiller Clerc au Parlement
de Toulouse , et Doyen des Enquêtes , et
après avoir été par lui instruit des principes
de la Religion , y avoit reçû le Baptême
dans l'Eglise Métropolitaine , par
les mains de M. l'Archevêque de Toulause
, qui fit à cette occasion un Discours
très -éloquent , et rempli d'érudition
. Le nouveau Chrétien eut pour
Parrain M. de Maniban , Premier Prési
dent du Parlement de Toulouse , et pour
Maraine Mad. le Mazuyer , épouse
du Procureur Géneral du même Parlement.
On lui donna les noms de Joseph-
Marie Gaspard. Après les cérémonies da
-Baptême , l'Archevêque de Toulouse lui
donna le Sacrement de Confirmation , et
ayant ensuite célebré la Messe , il donna
Eucharistie à ce Neophite , qui avoit été
pareillement disposé à recevoir ces Sacremens
, par les soins de l'Abbé de Laroque.
Le 19.de ce mois , M. le Grand -Prieur
fit chanter sur le soir dans l'Eglise du
Temple un Te Deum en musique à grand
Choeur , pour la convalescence de Mademoiselle
Son Altesse Royale y assista
avec cette Princesse.
3
L'Eglise étoit magnifiquement ornée
et
1650 MERCURE DE FRANCE
et éclairée ; on avoit élevé dans la Nef
une Tribune pour y placer la Musique
le Te Deum de la composition de M. de
Blamont , Sur-Intendant de la Musique
du Roi , y fut éxecuté sous ses ordres et
applaudi d'un grand nombre de personnes
de considération qui s'y trouverent.
Après le Te Deum il se fit une décharge
de quantité de Boëtes , et S. A. R. fut
conduite aux Appartemens du Palais
Prieural , où l'on servit des rafraîchissemens
.
A l'entrée de la nuit on tira du haut
des Tours des Fusées avec d'autres artifices
, dont l'Assemblée qui s'étoit repandue
dans le Jardin ,pût voir agréablement
tout l'effet.
Le Te Deum fut admirablement éxecuté
par 80. Musiciens des plus célebres , avec
un Motet à voix seule et simphonie , aussi
de la composition de M. de Blamont
ainsi que plusieurs grandes Simphonies
à Trompettes et Timbales . Les principaux
qui réciterent furent les Dlles le Maure
Petitpas , Courvassier , Ducroc er Bourbonnois
l'aînée ; les Sieurs le Prince
Ducroc , le Baigue , Hardouin , Petitot ,
Cuvillier , Sautier , et les Abbez Benoît
et Maline , qui tous à l'envie se surpasserent
,
JUILLET. 1732. 1651

=
tent , ensorte qu'il n'y avoit rien à désirer
pour la beauté de l'éxécution et l'effet
de la Musique , dont l'Auteur reçût des
complimens très-gracieux.
,
Le 20. il y eut un Acte considérable au
College Royal de Navarre. M. de Bauffremont
, Chevalier de Malthe ay sou
tint des Theses de Mathematiques en présence
d'une illustre et nombreuse Assemblée
, depuis trois heures jusqu'à six heures
du soir. Les Theses étoient sur la
Géometrie spéculative et pratique , sur la
Trigonométrie Rectiligne , sur la Longi
métrie , et sur la Mécanique. Jamais Répondant
ne mérita mieux des applaudissemens
que ceux que fûrent donnez à
M. de Bauffremont par quantité de Connoisseurs
, par ceux même qui disputerent
contre lui, ou qui lui proposerent des difficultez
capables d'embarasser des personnes
très-avancées dans cette Science.
dans
Il y eut dans cet Exercice une singularité
; c'est pour la premiere fois que
le Pays Latin on a imprimé et distribué
des Theses de Mathematiques en François.
M. le Recteur a bien voulu le permettre ,
à cause que l'usage étant que les Objections
, les Demandes et les Réponses ne
se fassent qu'en François dans le tems de
l'Exer
r52 MERCURE DE FRANCE
Exercice , on a crû qu'il y auroit plus
d'uniformité à imprimer aussi les Theses
en François , et que cela donneroit lieu
de proposer les Objections avec plus de
justesse. Il y a lieu de croire que ce premier
exemple sera suivi.
Le 24. de ce mois , il y eut une trèsgrande
et très- illustre Assemblée au Pa-
Lais de Bourbon , chez Madame la Duchesse
Douairiere . On y representa , dans
la grande Gallerie , sur un Théatre trèsbien
disposé , ainsi que le reste de la Gallerie
, la Tragédie de Venceslas , et ensuite
une petite Comédie de la composition
de M. de Moncrif , intitulée les Abderites
, qui fut extrêmement applaudie : elle
fut terminée par un Balet , dans lequel
les Diles Camargo et Sallé danserent.
Quelques Seigneurs de la Cour ne craignirent
point de paroître sous le masque aux
côtez de ces illustres Danseuses , et firent
admirer leur grace et leur noblesse . D'autres
Seigneurs joüerent avec beaucoup
d'intelligence les principaux Rôles dans
les deux Piéces dont on vient de parler.
Le 24. Juillet , la Lotterie de la Compagnie
des Indes , établie pour le remboursement
des Actions , fut tirée en la
maniere
JUILLET. 17320 1653
maniere accoûtumée à l'Hôtel de la Com
pagnie. La Liste des Numeros gagnans
des Actions et dixièmes d'Actions qui doivent
être remboursées a été renduë publifaisant
en tout le nombre de 319. que ,
Actions.
Le 27. de ce mois , l'Abbé de Valras
nommé par le Roi à l'Evêché de Mâcon
fut sacré dans la Chapelle du Seminaire
de S. Sulpice par l'Archevêque de Cambray
, assisté de l'Evêque d'Uzès , et de
l'Evêque de Bayeux .
BENEFICES DONNEZ
le 25 Juillet.
L'Abbaye de S. Martin des Aires , Or
dre de S. Augustin , Diocèse de
Troyes , à M. Jacques.Charles Lallemant
de Bez , Evêque de Séés.
Celle de Chaume , Ordre de S. Benoît ,
Diocèse de Sens , à M. Jean Couturier ,
Prêtre et Superieur General de la Congrés
gation de S. Sulpice.
Celle de Loroux , Ordre de Citeaux
Diocèse d'Angers , à M. Davernet , Prêtre
et Grand- Vicaire de Lizieux.
Celle de l'Eau , Ordre de Citeaux, Dio
cèse de Chartres , à la Dame Denise -Fran
I
çoise
1654 MERCURE DE FRANCE
çoise de Montiers de Merinville.
L'Abbaye de Sainte Geneviève de Chaillot
, Ordre de S. Augustin , Diocèse de
Paris , à la Dame Louise- Françoise du Vivier
de Tournefort.
Celle de Nante , Diocèse de Vabres , à
M. Claude Berger de Moidieu , Prêtre et
Doyen de l'Eglise Cathedrale de Dye.
L'Abbaye Réguliere de S. Aubert de
Cambray , Ordre de S. Augustin , à Dom
Tahon.
Celle de Phalempin , près de Lille ,
même Ordre , à Dom Bourgeois .
Celle de S. Augustin , Ordre de Prémontré
, Diocèse de Saint Omer , à
M. Sterin .
CEREMONIE Anniversaire , faite le
jour de la Fête-Dieu à Vernon en Normandie.
Extrait d'une Lettre écrite de
cette Ville le 20. Juin 1732 .
V
oici , Monsieur , un narré fidele de
la Cérémonie qui se fait tous les ans
dans cette Ville , et dont vous n'avez entendu
parler que confusément . Nous
avons ici , comme dans presque toutes les
Villes de cette Province , une Confrerie ,
dite de la Charité , dont les membres , au
nombre de treize , s'engagent à porter et
JUILLE 1. 1732. 1655
servent que
à enterrer les Morts gratuitement .Le Chef
de cette Societé est tiré au sort et nommé
le Roi ; il y a aussi deux Officiers nommez
Senechaux , lesquels , avec le Roi , ne
durant une année , les autres
servent deux ans entiers ; ensorte qu'il
faut toutes les années proceder à une nouvelle
Election , tant pour les trois personnes
dont on vient de parler , que pour
remplir le nombre des Confreres qui peu
vent déceder pendant leur éxercice ; c'est
ce qui se fait dans l'Octave du S. Sacrement
, ordinairement le Vendredy ; on
enregistre d'abord les noms de ceux qui
se présentent pour entrer dans la Confrerie
, et le Lundi suivant ils vont tous en
Pélerinage à Notre- Dame de Grace , dévotion
célebre à deux lieuës de 11 Ville :
c'est-là qu'après la Messe entenduë , le
Roi est tiré au sort : pour les Senechaux
c'est un Office qui s'achette au profit de
la Confrerie . Le jour suivant ils s'assemblent
tous et le Curé de Notre - Dame, ou
son Vicaire , leur fait une Exhortation au
* sujet de leurs obligations , de leurs fonctions
, & c.
Les Officiers en Charge vont tous les
ans en céremonie , la veille de la Fête- Dieu ,
prendre un des anciens Confreres , selon
son tour et son rang , qu'on appelle l: Roj
I ij
des
1656 MERCURE DE FRANCE
des Rois , ou le Roi des anciens Rois , et
ils le conduisent de son logis à l'Eglise de
Notre - Dame , où il assiste avec eux aux
premieres Vêpres , et à Matines , et le
tendemain à la Grand Messe , et tout de
suite à la Procession solemnelle du S. Sacrement
, suivant immédiatement le Dais
et portant une couronne à la main . Ceux
qui l'accompagnent et les anciens Rois
c'est-à-dire , tous ceux qui ont porté le
Chapperon , marque de cette dignité ,
portent des flambeaux ornez de fleurs
et sont en habit ordinaire , il n'y a que
ceux qui servent actuellement qui portent
la Robe longue de la Confrerie.
La Procession finie et la Messe , qui se
célebre au retour , étant dite , on reconduit
le Roi des Rois chez lui , où toute
la Confrerie dîne .
Mais avant que de se mettre à table , ils
sont obligez d'aller servir douze Pauvres ,
dont le couvert est mis sur une Table
dressée dans la rue , à la porte de la maison
du Roi. Ce Repas consiste en un porage
, en bouilli , en rôti , avec une bouteille
de vin pour chaque Pauvre , qui
leur est versé par les Confreres. Ceux - ci
sont debout autour de la Table , et la serviette
sur le bras , et le Roi est au bout
de la même Table , aussi debout , la Cou
tonne sur la tête.
JUILLET. 1732 1657
Le Jeudi , jour de l'Octave , on distribue
encore un gros pain à douze autres
Pauvres , chacun le sien ; ce sont les Freres
en exercice qui font cette derniere distribution
, le tout aux dépens d'une fondation
, dont je ne sçai ni l'époque , ni le
nom de l'Auteur .
Ne vous attendez pas non plus , Monsieur
, que je vous dise ici quelque chose
sur la premiere institution de cette pieuse
Confrerie ; nous ne sommes pas si sçavans
dans ce Canton . Je crois qu'on peut
la faire remonter aussi haut que l'on voudra
, et lui donner même pour Instituteur,
du moins pour premier modele et pour
Patron le saint homme Tobie . Le Peintre
du grand Tableau , dont vous me parlez ,
qui se voit dans l'Eglise Paroissiale de Louviers
, à quatre lieuës d'ici , étoit bien
persuadé de son antiquité , puisqu'il fait
assister des Confreres de la Charité , à ge
noux , en habit de céremonie , autour du
Lit de la Sainte Vierge , dont il a prétendu
representer le Trépas et les Obseques ,
avec un Benitier aux pieds , & c.
,
J'ajoûterai à cela , puisque vous êtes curieux
de nos Cérémonies , que les Cha→
noines de notre Collegiale ont choisi pour
leur Patron S. Barnabé. On chante le jour
de la Fête une Messe des plus solemnel-
I iij
les ,
1658 MERCURE DE FRANCE
les , à laquelle assistent tous les Officiers ,
tant Ecclésiastiques , que Laïques. A l'Offertoire
, les hauts Vicaires présentent à
chacun de ces Officiers une Couronne et
un Bouquet de fleurs . Le Diacre même et
le Soudiacre quittent l'Autel pour satisfaire
à cette obligation . Je dis obligation ,
car ces Messieurs ayant voulu se dispenser
il y a quelque tems de la cérémonie
formé pour cela, une Instance au Parlement
, les Officiers ont été maintenus dans
la possession de ce droit par un Arrêt
contradictoire.
et
EXTRAIT d'une Lettre écrite d'Aix en
Provence , au sujet d'une offrire criminelle.
'Affaire dont je vais vous parler fait
Legrandbruit dans cette Province. Jean
,
de Matheron d'Amalric , Seigneur en partie
de l'Escale , Jean-Louis Matheron , son
fils , Anne de Bertatis , sa soeur , Anne-
Monpezat , Joseph Faudon et André
Julien , ses domestiques , ont été décretez
de prise de corps , par Sentence définitive
du Siége de Sisteron , du 13 Mars ,'
et le sieur Jean Matheron , condamné en
deux mille livres pour dommages , interêts
envers le Lieutenant Particulier au
Siége de Sisteron , son créancier , contre
qui
JUILLET. 1734. 1659
qui il avoit formé une accusation grave .
Par Arrêt , publié à la Barre du Parlement
de Provence , séant à Aix le 25 Juin 1732.
Toutes les Sentences du Siége de Sisteron
ont été confirmées avec de plus grands
dommages , interêts soufferts depuis la
Sentence , et à tous les dépens par corps.
Le sieur Castagni , Seigneur de Vilhoc
Lieutenant Général Civil et Criminel au
Siége de Sisteron , Débiteur du Lieutenant
Particulier , s'étant indignement prêté
pour soûtenir l'imposture du sieur Matheron
, a reçû la Lettre suivante par ordre
du Parlement.
La Cour m'ordonne de vous faire sçavoir
qu'elle a jugé le Procès criminel entre,
&c.
elle a confirmé toutes les Sentences rendues
par Me Duvirail , comme très-justes et trèsrégulieres
; elle a été surprise que sur la fin
de votre carriere vous vous soyez fi indignement
prêté pour soûtenir l'imposture ; si elle
ne vous a pas decreté , comme vous le meri
tiez , c'est par rapport à votre grand âge ,
faites- moi un mot de réponse , afin que je
puisse rendre compte à la Courde ma
de ma condui
te. Je suis , &c. Signé , GAUTIER , Greffier.
ou
L'impression et l'affiche de l'Arrêt ont
été permises. Si on nous envoye la Réponse
de ce Magistrat avec l'Arrêt qui est
I iiij inter1660
MERCURE DE FRANCE
4
intervenu , on pourra parler plus amplement
et plus éxactement de cette Affaire
extraordinaire.
EXPLICATION des deux
Logogryphes
du premier Volume de Juin 1732 .
FRottant ma tête et me rongeant les doigts ,
Au Logogryphe je révois.
J'étois plus rouge qu'écarlate
De ne trouver le mot. Dans l'instant un garçon
Vient me servir mon Chocolate.
Oh , parbleu , m'écriai - je , bon.
Ceci se prend pour manger et pour boire ;
Neuf lettres composent son nom ;
Je suis au fait. Prenant un , deux , trois , quatre-
Je trouve choc , que lorsqu'il faut se battre
Appréhende fort le poltron .
Dans un , trois , quatre , est Cocq , qui met en
fuite
1
Le Lion , Roi des animaux.
Un ,
deux , sept , huit , c'est le Chat hypocrite.
Qui croque les Rats nigauds.
Un , sept , six , huit , et neuf , c'est la Calote ,
Dont on se sert avec utilité
Pour préferver du froid mainte tête falotte ,
En nouveau Régiment de nos jours inventé.
Un trois , quatre , deux , neuf, Coche plein de
vitesse ;
Un
JUILLET. 17320 1661
Un , trois , quatre , cinq , le Coco.
Neuf , quatre , deux et trois , l'Echo..
Voilà le Logogryphe expliqué piéce à piéce..
Le Maire:
Second Logogryphe.
LE nom de Cornard est injure ,
Et le Cor fait trembler les animaux des champs .
Le Roc ne craint aucunement les dents :
Le Nard est ce parfum de la sainte Ecriture .
Et le Nord , ce pays sujet à la froidure..
Un , cinq , six ; car , que l'on voulut pros
crire
Jadis du langage françois ,
( Et qui n'a cependant rien perdu de ses droits. )
Mais poursuivons ce qui nous reste à dire ,
Sept , deux , quatre , un , .est Donc , et le nom :
d'Empereur ,
Conrard ; 'j'en suis . sorti , je crois à mon hon
neur.
Le Maire
Autre Explications-
VIRELAY .
La belle et la grande conquête´;, - A
Que d'avoir trouvé le souffer
Dans une Enigme obseure , et faite
Ilve Ce
1662 MERCURE DE FRANCE
Ce semble pour rompre la tête ,
Par ses détours si fort abstraite ,
Qu'il ne faut pas être une bête
Pour en pénétrer le secret !
La belle , et la grande conquête
Que d'avoir trouvé le Souflet !
Pour marquer ce qu'aux jours de Fête
Produit une machine honnête ,
Qui des vents la fureur arrête ,
Et qui bien que toujours muette ,
A cependant pour interprete
De mille voix l'accord complet.
La belle , et la grande conquête
Que d'avoir trouvé le Souflet!
Pour voir une machine prête
Rallumer la flamme où s'apprête
Mainte clef , maint dard , mainte bréte.
La belle , et la grande conquête
Que d'avoir trouvé le Souflet!
Pour exprimer cette tempête ,
Qu'excite une main inquiéte
Sur une jouë alors distraite
Au coup dont elle sent l'effet,
La belle , et la grande conquête
Que d'avoir trouvé le Souflet.
Pour
JUILLET. 1732
1663]
Pour acquerir la foi parfaite ,
D'une main sacrée et discrete ,
Sur une chair souvent tendrete ,
Recevoir un coup en souhait ,
C'est ici le comble , et le faîte
Stile badin , je te regrette ,
Sérieusement je répete :
:
La belle , et la grande conquête ;
Que d'avoir trouvé le Souflet !
S
Par F. E. F. de la Doctrine Chrétienne.
Ans choquer le bon sens , Chocolate est le
mot
Qui m'a bien fait penser , et croquer le marmor.
Que de mots en un feul ! et le fleau du verre
Et la terreur des gens de Guerre
Je veux dire le Choc ;
Bête à barbe de chair , et qui grate la terre
C'est-à-dire le Cocq.
Uu Cocq , un chat...que sçais- je ? Epargnons
nous la peine
D'en citer davantage ; aussi je perds haleine :
Sans citer tous ces mots , et Calote et Coco ,
N'ai- je pas réussi , réponds , charmante Echo
Par le même:
I vj MORTS ;
1664 MERCURE DE FRANCE
XXXX:XXXX XXXXXXX
MORTS , NAISSANCE
et Mariages:
Lo
Ouis de Rouge , Marquis du Plessis-
Bellierre , Colonel du Regiment de
Véxin , Infanterie , mourut de la petite
vérole , le 24 du mois dernier , dans son
Château de Vienne - le -Châtel , en Clermontois
, âgé de 26 ans et demi . Il avoit
épousé le 26 Janvier 1722. Marie - Thérése
Dalbert d'Ailly , fille de Louis d'Ailly ,
Duc de Chaulnes , Pair de France , Chevalier
des Ordres du Roy , Capitaine-
Lieutenant des Chevaux Légers de sa
Garde , Lieutenant General des Armées .
de Sa Majesté ; et de Dame' Marie - Anne-
Romaine de Beaumanoir de Lavårdin: Il
reste de ce Mariage deux enfans mâles
dont l'un a trois ans et demi, et le second."
un an.
D
La Maison de Rouge , dont la branchedes
Marquis du Plessis - Bellierre est caderte
, tire son origine de Bretagne , dans
le Diocèse de Nantes . Elle en est sortie il
y a plus de 200 ans, pour s'établir en Anjou
. Elle est connue , non - seulement dans
le Royaume , mais dans toute l'Europe..
L'héritiere de la branche aînée , est fond
····
JUILLET. 1732. 1668
1
due dans la Maison de Châteaubriand ;
elle a passé ensuite par celle du Connétable
de Montmorency , pour entrer dans
la Branche du Sang Royal de Condé--
Bourbon . Le Duc de Bourbon jouit actuellement
de la Terre du nom de Rougé
et de la Baronnie de d'Erval , l'une des
neuf de Bretagne, Pairie de cette Province
ce , qui a le droit de présider la Noblesse
aux Etats , et dont la Maison de Rougé a
été en possession pendant des siècles .
Les Seigneurs de ce nom ont fait plusieurs
fondations. L'an 120 , Hervé de-
Rougé , et Houdon son fils ; contribuerent
avec le Baron de Châteaubriand , à · la
fondation du Prieuré de S. Sauveur de
Beré , comme il est marqué dans les Archives
de ce Prieuré.
En 1130 et 142. fut fondée l'Abbarede
Meslerai , Ordre de Citeaux , Diocèse.
de Nantes , par Hamon Bigot , et confirmée
par Messire Yvon de Rougé , son
gendre. La fondation fur augmentée en
1183. par Bonabes de Rougé , et par
plusieurs de ses descendans de son nom .
Les Sires de Rougé ont été enterrés dans
cette Abbaye.
Cette Maison vient de perdre le se Régiment
de pere en fils; le Marquis du Plessis-
Belliere, Pere de celui qui donne lieu
à
1666 MERCURE DE FRANCE
à cet article, est mort à Saragoce en Espagne,
Colonel du Regiment d'Angoumois ..
Le grand pere étoit Maréchal des Camps
et Armées du Roy , Colonel d'un Regiment
d'Infanterie de son nom , qui est aujourd'hui
le Regiment du Marquis de St
Simon . Le Roy avoit conservé à Jacques
de Rougé , Marquis du Plessis- Bellierre ,
Bisayeul , qui étoit Capitaine General des
Armées du Roy , deux Régimens ; l'un
de Cavalerie , et l'autre d'Infanterie que
sa famille perdit à sa mort, arrivée à Castellamaré
, au Royaume de Naples , au
mois de Novembre 1654.où il étoit, commandant
en Chef les Armées du Roy ; ce
qui arriva 6 mois après la reception du
Brevet de Cordon Bleu , que Sa Majesté
lui avoit envoyé . Il avoit épousé Suzanne
de Bruc , soeur du Marquis de la Rabiliere
, Lieutenant General des Arméesdu
Roy. Ils eurent pour enfans , le Marquis
du Plessis - Bellierre , Maréchal de
Camp , dont il vient d'être parlé , et Catherine
de Rougé, épouse de François , Sire
de Crequy , Maréchal de France ; duquel
mariage sont issus , 1 ° . François- Joseph ,
Marquis de Crequy , Lieutenant General
des Armées du Roy , qui fut tué au Combat
de Luzara en Italie , le 13 Aoust 1702 .
lorsqu'il étoit prêt de recevoir la recompense
JUILLET. 1732. 1667
pense de ses signalez services. Il avoit
épousé Anne- Charlotte d'Aumont , fille
du Duc d'Aumont , Pair de France , dont
il a eu des enfans , qui sont morts. 2d Nicolas-
Charles , Sire de Crequy , Marquis
de Blanchefort , Maréchal des Camps et
Armées du Roy , Commandant la Cavalerie
, depuis l'Escaut jusqu'à la Lys ,mort
sans alliance à Tournay , le 16 Mars 1696,
âgé de 27 ans.
La Maréchale de Créquy se trouvant
sans enfans , a laissé la succession de ses
biens à son petit neveu , et à sa petite nićde
son nom de Rougé du Plessis- Belliere;
elle a épousé le Marquis de Coëtan
fao , Brigadier des Armées du Roy, qui est
present l'aîné de la Maison de Querhoent
de Kgournadech.
à
M. Jacques - Etienne Canaye , Maître
des Requêtes , mourut à Paris , âgé de 32
ans , le 2 Juillet.
M. Guy Chartraire , Seigneur de S. Atgnan
, Ragni , &c. Conseiller au Parlement
de Dijon , mourut à Paris les de ce
mois , âgé de 66 ans , sans laisser de posterité.
Il étoit extrêmement riche.
M. Thomas Rivié , Baton de Chars ;
Seigneur de Marinne , Ressons , Regnebours
, &c. Secretaire du Roy Honoraire
1668 MERCURE DE FRANCE
re et Administrateur de l'Hopital General
, fort connu par les grandes entreprises
et Fournitures de Chevaux, de Fourrages,
&c.pour les Armées du temps du feu
Roy , mourut le 6.de ce mois , âgé de 72
ans , sans laisser de posterité. Il avoit amasse
de grands biens , et il est mort avec la
réputation d'un honnête homme.
Melchior-Charles Scipion de la Garde
Chambonas , Comte des Terhes , fils de
Louis-Scipion-Joseph de la Garde , Marquis.
de Chambonas , Baron de S. Felix, er
des Etats de Languedoc , Comte de S. Julia
, Seigneur de la Ville de Vans , Lieute
nant de Roy de la Province de Languedoc
, Mestre de Camp de Cavalerie , Enseigne
des Gendarmes de la Garde de Sa
Majesté ; et de Dame Claire Marie , née
Princesse de Ligne et du Saint Empire ,.
mourut le 7 Juillet,âgé de 8 ans , environ .
Jean-René l'Héritier , Chevalier, Com
seiller au Parlement , mourut à Paris , le
9 de ce mois , âgé d'environ 35 ans .
Pierre d'Hautefort , Comte de Monti--
gnac , Seigneur de Bellefille , ancien Colonel
du Regiment de Véxin , mourut le
17 , âgé de 63 ans,
Le R. P. Etienne Chaussac , Supérieur
General des Prêtres de la Doctrine Chré
tienne , mourut dans leur Maison de saint
Charles
JUILLET. 17326 1669
Charles le 21 de ce mois , dans la 77me année
de son âge , après avoir gouverné leur
Congrégation avec beaucoup de douceur
et de sagesse , et y avoir donné de
grands exemples de piété et d'édification
pendant les 57 années qu'il y a vécu. Il a
été inhumê dans leur Chapelle.
Louis , Marquis de la Vieuville , fils afné
de feu René - François , Marquis de la
Vieuville,Chevalier d'honneur de la feuë
Reine , Gouverneur du Haut et Bas Poitou
, et de Dame Louise Lamothe Hou
dancour , mourut à S. Germain en Laye,
le 18 de Juillet , âgé de 55 ans , ou environ
, et transporté en sa sépulture , aux
Minimes de la Place Royale , le zo du
même mois.
Le 21 de ce mois , Madame Chauvelin,
épouse de l'Intendant d'Amiens , y accou
cha de son premier Enfant. Il fut baptisé
le 25 , par l'Evêque d'Amiens , et tenu
sur les Fonts au nom des Etats d'Artois ,
par les Députez de ces Etats; et par la Marquise
de Rouville , au nom de Madame
Chauvelin , épouse de M. le Garde des
Sceaux , qui le nommerent Germain ,
Anne , Louis , Artois .
Jean - Baptiste - François de Cugnac ,
Marquis
1670 MERCURE DE FRANCE
Marquis de Dampierre , Mestre de Camp
de Cavalerie , épousa le 7 Juillet Dame
Charlote-Françoise de Langheac , fille de
Marie Roger , Marquis de Langheac , et
de D. Marie -Jeanne- Baptiste Palatine de
Dio de Monperout.
Jean-Paul de Cossé , Duc de Brissac ;
Pair et Grand Pannetier de France , fils
d'Artus-Timolcon - Louis de Cossé , Duc
de Brissac , Pair et Grand Pannetier de
France , et de Marie-Louise Béchameil de
Nointel ; épousa le 10 Juillet , Marie- Joseph
Durey , fille de Joseph Durey de
Sauroy , Seigneur de Martigny-le-Comte,
Damville , Montigny , &c. et de Marie-
Claire Josephe d'Esteing du Terrail , fille
de Gaspard d'Esteing , Vicomte de Ravel ,
Marquis du Terrail , et de Saillant , et de
Philiberte de la Tour S. Vidal.
M. le Duc de Brissac qui donne lieu à
cet article , est le septiéme Duc et Pair de
France, et le septiéme Duc de sa Maison;
il est aussi i neuviéme Grand Pannetier
de son nom depuis l'an 1495 .
Le Comté de Brissac fut érigé en Duché
- Pairie , par Lettres Patentes du Roy
Louis XIII . du mois d'Avril 1611. vérifiées
en Parlement , le 8 Juillet 1620 , en
faveur de Charles de Cossé , Comte de
Brissac , Chevalier des Ordres du Roy ,
MaréJUILLET.
1732. 1671
Maréchal de France , et Lieutenant General
au Gouvernement de Bretagne .
Cette Maison a donné un grand Aumônier
de France , en 1547 , trois Maréchaux
de France , en 1550 , 1507 , et
1594 , un Colonel General de l'Infanterie
Françoise ; un Colonel General de la Cavalerie
, un grand Maître de l'Artillerie
un Lieutenant generai en Piémont ; et en
Italie , plusieurs Generaux d'Armées et
Gouverneurs de Provinces, plusieurs Chevaliers
des Ordres du Roy , neuf grands
Pannetiers de France , quatre grand Fauconniers
, et enfin la dignité de Conétable
fut destinée à Charles de Cossé , Maréchal
de France , pour succeder au Conétable
de Montmorency,
Tout le monde connoît l'ancienneté et
la haute Noblesse de la Maison d'Esteing
qui étoit déja en honneur dès le commencement
du 13 siécle , puisqu'un Seigneur
de cette Maison qui se trouva à la Bataille
de Bouvines ( a ) en 1214 , près de Philippe
Auguste , releva ' et remonta à Cheval
ce grand Roy , qui par reconnoissance de
ces importans services , lui accorda , et à
sa posterité , l'honneut de porter les mêmes
Armes que nos Rois , avec un Chef
d'or pour brisure.
( a ) Le 27 Juillet 1214
Cette
1672 MERCURE DE FRANCE
Cette Maison a donné plusieurs Generaux
d'Armées , et Gouverneurs de Province
, et plusieurs Chevaliers des Ordres.
du Roy , un Cardinal , et un grand nom
bre d'Illustres Prélats à l'Eglise.
J
MADRIGAL.
3.
Eunesse , esprit , beauté , richesse ,
Grandeur , vertu . valeur , noblesse
De ces Epoux remplis d'ardeur ,
Fondent le solide bonheur.
Fidelité , ce don celeste ,
. Sur eux exerçant son pouvoir
L'hymen remplira son devoir
Le tendre amour fera le reste.
r
ARRETS NOTABLES.
ECLARATION DU ROY , du 7. May ,
DRegistrée en Parlement le 20. Juin , qui per
met à tous Marchands , tant de la Ville de Paris
que Forains , faisant commerce de Bois neuf à
bruler , de mettre en chantier lesdites Marchan◄
dises , &c.
ARREST du 27. May , qui proroge jusqu'au
premier Octobre 1733. le pouvoir accordé à
Messieurs les Intendans des Generalitez où la
Taille est personnelle , de faire proceder pardeyant
eux , ou ceux qu'ils commettront à la confection:
JUILLE T. 1732 . 1-673
fection des Rôles des Tailles des Villes , Bourgs
Paroisses où ils le jugeront à propos.
·
AUTRE du 31. May , qui permet en faveur
des habitans de la Flandre et du Pays conquis
le transit des Marchandises de leurs Manufactures
, destinées pour le Portugal et la Biscaye , par
les Ports de Rouen et du Havre.
AUTRE du même jour , qui adjuge à Marie-
Anne Hubert , veuve Berthelin , la fourniture des
Chandelles publiques pour six années , à commencer
au premier Juin 1732. et finir à pareil
jour de l'année 1738 .
AUTRE du 3. Juin , qui continuë pendant le
Bail de Nicolas Desboves , les abonnemens des
droits sur les Huiles et Savons , dans les Provinces
et Generalitez y énoncées.
ORDONNANCE DU ROY du 10. Juin ;
pour reunir les deux Compagnies de Gentilshom
mes et n'en former qu'une seule de 600. Cadets,
dans la Citadelle de Metz , par laquelle S. M. ordonne
que la Compagnie de Cadets Gentilshommes
, entretenue dans la Citadelle de Strasbourg,
sera incorporée dans celle qui est en la Citadelle
de Metz , pour en former une seule Compagnie.
Et au moyen de cette incorporation , la Compa
gnie de Metz sera composée d'un Capitaine , d'un
Lieutenant , de sept Sous - Lieutenans , l'un desquels
fera la charge d'Ayde- Major , de vingtquatre
Sergens , trente - six Caporaux , trente - six
Anspessades , 504 Cadets et 12. Tambours , &c.
ARREST du 11. Juin , qui ordonne la suppression
des secondes marques en pârchemin et
1674 MERCURE DE FRANCE
en plomb sur les Toiles de Coton blanches ,
Mousselines et Mouchoirs , provenant des Pays
de la concession de la Compagnie des Indes.
ORDONNANCE DE POLICE du 20. Juin ,
portant deffense aux Proprietaires en Locataires
des Maisons voisines de la Foire S. Laurent , d'en
louer aucunes parties pendant la tenuë de ladite
Foire , sans la participation de Maître Aubert ,
Commissaire proposé à cet effet.
AUTRE du 21. Juin , qui enjoint à tous Au-
´bergistes , Hôtelliers , Loueurs de Carosses et de
Chevaux et autres Particuliers , de se conformer
aux Ordonnances et Reglemens de Police concernant
la conduite des Chevaux et Mulets , tant à
l'Abreuvoir que dans les rues de la Ville de Paris,
TABLE.
IECES FUGITIVES . L'Ingratitude , Ode, 1469
Plettre sur les Recueils de Bollandus , touchant
un nouveau Saint ,
Divertissement mis en Musique , &c.
1471
1482
Lettre sur la maniere de faire du vin rouge avec
du Raisin blanc , 1489
Ode sur le Mariage du Prince de Conty , 1496
Lettre au sujet du Marquis de Rosni ; Remarques
Historiques , &c.
Vers à M. de Voltaire ,
1501
1511
Lettre au sujet des Barons de la sainte Ampoule ,
Vers sur l'Académie d'Arles ,
Refléxions >
La Disgrace d'Hebé , Cantate ,
Le Prince Jaloux , Histoire , &c.
1513
1515
1518
1526
4529
Ode Sacrée ,
7558
Lettre sur l'Astrologie et les Horoscopes , 1554
Enigme , Logogryphes , &c. 1567
Nouvelles Litteraires , Memorial de Paris , 1571
Les Sultanes de Guzarate ,
Exposition du Doit Canonique , & c.
1372
ibid.
Les petits Ouvrages de Droit de Jacques Godefroy
, Journal Litteraire de la Haye , 1577
'Assemblée publique de la Societé Royale de
Montpelier , &c. 1579
L'Art de se garantir des incommoditez du
chaud ,
1587
Relation Historique de l'Ethiopie Occident. 1589
Assemblée puplique de l'Acad.de Chirurgie, 1592
Estampes nouvelles ,
Exposition de Tableaux ,
Chanson notée,
Spectacles ,
1609
1610
1613
ibide
Vers pour la Dlle d'Angeville ,
1615
L'Entrée de l'Ouie , Opera ,
ibid.
Nouvelles Etrangeres , de Turquie ,
1620
Lettre de Constantinople , 1621
D'Allemagne et d'Italie , 1627
D'Espagne. Decret de S. M. Cath. &c. 1629
Grande Bretagne , ∙1635
Morts , Naissances , &c. 1636
Lettre sur la Prise d'Oran , 1637
France, Nouvelles de la Cour, de Paris, & c. 1643
Stances , &c. 1645
Benefices donnez , 1693
Cerémonie faite à Vernon , 1654
Extrait d'une Lettre d'Aix , sur une affaire cri
minelle , 1658
Explication des Logogryphes , 1660
Morts , Naissances , Mariages , 1664
Madrigal ,
1672
Arrêts Notables ,
Ibid.
Errata du premier Volume de Juin .
Age 1147. lig 13. troisiéme , lisez treiziémę.
Pret 249. 1. 22. Convenir , l. concourir. P. 1230
1.3 . la veille d'après midi, l. la veille ; l'après-midi .
Errata du second volume de Juin .
PAS
Age 1396. ligne 24. de largeur , ajoûsez, sans
vre. Ibid. l'Edifice , sans oeuvre, ôtez ces
deux derniers mots. P. 1397. 1. 27. d'un , 1 d'une.
P. 142 3. 1. 28. Sapicha, l. Sapiecha . P. 1459.1. 16.
de promenade , l . de la promenade . P. 1460. l . 6 .
ont , l. on. P. 1462.1. 15. de gens , l . des gens.
L'Auteur des Refléxions sur la bizarerie de
quelques Usages , &c , s'est trompé au sujet du
fameux Petit Pere André , lorsqu'il le qualifie Religieux
Augustin Déchaussé dans le Mercure de
Juin , I. vol p. 1120 On vient de nous avertic
que ce Religieux nommé le Pere André Bolanger,
étoit des Augustins Réformez de la Province de
S. Guillaume , nommez à Paris les Petits Augustins
du Fauxbourg S. Germain. Cette méprise est
excusable à un homme ordinairement exact , et
qui n'a pas accoutumé d'errer.
Fautes à corriger dans ce Livre.
Page
Age 1520. ligne 1. finiment , lisez finement.
P. 1520. 1. 13. indolebili , l. indelebili. Ibid.
1.2. du bas , curieux , envieux. P. 1550. l. 11.
Florentin , 1. Florent. P. 1561. l. 19. Metecrologiques,
l. Meteorologiques. P 1580.1. 10. efforts,
1. Voussoirs . P. 1581. 1. 24. &c. pistile. I. pistil
P. 1599. l. 24. &c . Exortose , 1. Exostose.
La Chanson notée doit regarder lapage
16 14
MERCURE
DE FRANCE ,
or DÉDIÉ AU ROT.
AO UST. 1732.
URICOLLIGIT
SPARGIT
Papillon
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER ,
ruë S. Jacques.
Chez LA VEUVE PISSOT , Quay de
Conty , à la descente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais .
M. DCC. XXXII.
Avec Approbation et Privilege du Roy.
AVIS.
L
'ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU Commis an

Mercure , vis - à - vis la Comedie Fran-
Coife , à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuventfe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très-inftamment , quand on adreſſe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
foin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toujours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non -feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas garde
de copie.

Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la
premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire porter fur
Pheure à la Pofte , ou aux Meffageries qu'on
lui indiquera.
PRIX XXX. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
DEDIE AU ROT.
AOUST. 1732.
PIECES FUGITIVES ,
en Vers et en Prose.
STANCES IRREGULIERES
Sur l'avantage qu'il y a d'aimer Dien ,
préférablement aux Créatures.
33 J
13
E déteste vos impostures ,
Funeste amour des Créatures ;
Cédez pour jamais dans mon
、coeur
A l'amour de mon Créateur.
Combien de fois séduit d'une fausse apparence ,
La légéreté , l'inconstance ,
A ij De
1676 MERCURE DE FRANCE
De la plus piquante beauté ,
Ont-elles trompé l'esperance ,
Dont on s'étoit trop - tôt flatté ?
Combien l'aveugle phrénésie ,
D'une barbare jalousie ,
A-t-elle tourmenté de coeurs !
Et la cruelle maladie ,
Effacé de charmes vainqueurs ,
Et changé d'amours en horreurs !
Si , pour prix de notre constance,
Une flateuse préférence ,
Couronne notre passion ,
Une longue possession ,
Une facile jouissance ,
Fait cesser les tendres soupirs ;
L'amour tombe dans l'indolence ;
Le dégoût succéde aux désirs ,
Et le repentir aux plaisirs,
Mais je veux qu'il se trouve au monde
Deux coeurs si tendrement unis
Qu'au milieu d'une paix profonde ,
Ils goûtent des biens infinis ,
Et que leur ardeur mutuelle ,
A chaque instant se renouvelle ;
Ces coeurs sont-ils long - temps heureux à
Les rigueurs d'une longue absence ,
Les
A
OUST. 1732 1677
Traverseront de si beaux feux ,
Où la mort avec violence ,
Viendra briser de si doux noeuds.
Grand Dieu , l'on trouve en vous une beauté
parfaite ;
On n'y craint point de changement ;
Plus nous vous aimons constamment .
"
Et plus notre ame est satisfaite.
A celui qui veut vous chercher ;
Jamais rien ne vous peut cacher ;
Ni tumulte , ni solitude ;
Vous sçavez remplir nos désirs ,
Et par l'avant - goût des plaisirs ,
D'une sainte beatitude ,
Adoucir notre inquiétude.
La mort si terrible aux Amans ,
N'a rien à nos yeux que
d'aimable ;
Nous en attendons les momens ,
Comme le terme désirable ,
Qui doit à l'objet adorable ,
Nous unir éternellement.
A iij SUITE
1678 MERCURE DE FRANCE
SUITE de l'Histoire DU PRINCE
D
JALOUX .
ON Rodrigue flottant entre la crain
te et l'esperance , se hâte d'aller rejoindre
l'irritée Delmire,pour ne lui donner
pas le temps de s'affermir dans les
fâcheuses dispositions où sa jalousie l'avoit
mise contre lui. Delmire accablée
d'une douleur mortelle , s'étoit renfermée
dans son appartement , avec ordre
de n'y laisser entrer que D. Rodrigue . Ce
Prince aussi amoureux que jaloux , ne tarda
guére à s'y rendre il n'y entra qu'en
tremblant ; les pleurs dont il trouva le visage
de sa chere Princesse tout inondé , et
ses soupirs , qu'elle sembloit plutôt adresser
au ciel qu'à son Amant , lui firent
sentir à quel point il l'avoit offensée . Il
se jetta à ses pieds , et y demeura longtemps
sans pouvoir proferer un seul mot.
Delmire fut la premiere à rompre le silence
» Eh bien ! lui dit- elle , êtes- vous
>> assez convaincu de mon innocence ? et
» venez- vous me demander par quel gen-
» re de peine je dois vous faire expier
votre crime ? J'ai merité la mort , lui
» répondit Don Rodrigue , et je viens
> expiAOUST
. 17320 1679
expirer à vos genoux ; mais si un cri
>> me que l'amour seul fait commettre ,
» peut exciter la pitié , suspendez un mo-
>> ment une colere plus terrible pour moi
»que la mort même , et daignez examiner
» les circonstances dont a été accompa-
>>gné ce même crime que vous allez
» nir. Eh ! quel autre que moy ne fut pas
>> devenu coupable? Qui n'eût pas cru que
pucette
fatale Lettre , que le destin jaloux
» de mon repos , a fait tomber entre mes
» mains , s'addressoit à un Rival secret ?
» Arrêtez, interrompit Delmire, vous par-
» lez icy le langage de tous les coupables ;
» ils ne manquent jamais d'attribuer au
·29
1
»destin les fautes dont on les accuse , et
» dont ils sont les premiers Auteurs. Je
>> conviens , poursuivit - elle , que cette
moitié de Lettre, qui vous a fait concevoir
des soupçons si injurieux à ma gloire,
auroit pû induire en erreur les coeurs .
les moins susceptiblés de jalousie , elle
» étoit de ma main ; elle s'addressoit à un
» Amant qui est en Arragon , tandis que
>>vous étiez dans Valence ; la signature
» présentoit à vos yeux la moitié de mon
»nom ; en un mot , toutes ces circons
>>tances , dont vous attendez votre justi-
»fication , le sort les avoient combinées
d'une maniere à vous rendre le plus ja-
A iiij loux
1680 MERCURE DE FRANCE
·
loux de tous les hommes ; mais n'avez-
»vous pas été le premier instrument de
Votre perte ? Quel Démon , l'ennemi de
»votre repos et du mien vous a porté à
faire intercepter cette Lettre , qui a fait
» en même temps votre crime et votre
supplice. N'accusez donc plus le destin ,
il ne vous a fait commettre un second
crime que pour vous punir du premier.
>>Vous m'aviez déja soupçonnée , avant
que le hazard vous donnat de nouvelles
»défiances ; le destin les a plutôt confir-
» mées , qu'il ne les a fait naître , et je ne
» puis vous en punir avec trop de ri-
» gueur.
»
D. Rodrigue ne put disconvenir qu'il
ne fut allé lui- même au - devant de son
malheur. Puisque vous justifiez le destin
, lui dit Delmire , d'un ton de voix.
» radouci ; c'est à la pitié ou plutôt à l'A-
» mour à vous justifier dans mon coeur ;
>> mais je crains bien que vous n'ayez sou-
» vent besoin de cette indulgence , et que
>> toute ma vie ne se passe à vous par-
» donner , parce que vous ne cesserez ja-
» mais de m'offenser . Le Prince amoureux
n'oublia rien pour la rassurer sur l'avenir
; mais il retomba bien - tôt dans le crime
dont il venoit d'obtenir le pardon :
Voicy ce qui contribua à le rendre encore
criminel. Don
ན 1681 AOUST. 1732 .
Don Pedre , Frere de Delmire , avoit
souvent entendu parler de la jalousie de
Don Rodrigue ; il n'avoit consenti à la
paix qu'aux pressantes instances de sa
soeur ; mais il l'aimoit trop pour vouloir
la rendre malheureuse ; l'amour fraternel
F'emporta dans son coeur sur la dignité
Royale , et le fit descendre jusqu'à se travestir
, pour s'instruire par lui - même de
ce qui se passoit entre ces deux Amans
que l'hymen devoit unir. Le Roy de Valence
ne l'avoit jamais vû ; il n'avoit confié
son dessein qu'à Florent ; ainsi tout
lui répondoit de l'incognito qu'il vouloit
garder dans la Cour de son beau frere
futur. Il n'y fut pas plutôt arrivé , que
Florent , à la faveur d'une nuit des plus
obscures , le conduisit à l'appartement
de Delmire ; cependant cela ne fut pas
assez secret , pour échapper à l'attention
de ce même confident , que nous avons
appellé Octave , et qui , comme nous l'avons
déja dit , recherchoit la faveur de
son maître , aux dépens de son repos ; il
courut faire part de sa découverte à Don
Rodrigue.
963
Que devint ce Prince à un indice si peu
douteux de l'infidelité de Delmire ? Ce
n'étoit plus une Lettre équivoque, c'étoit
un Rival introduit la nuit dans l'appar
A v tement
1682 MERCURE DE FRANCE
tement d'une Princesse qu'il devoit épouser
dans peu de jours. Cependant la promesse
qu'il venoit de lui faire de n'être
plus jaloux , ne laissa pas de lui faire
craindre d'encourir sa disgrace éternelle ;
il ne voulut s'en fier qu'au rapport de ses
yeux , et ce fut dans cette pensée qu'il se
laissa guider par Octave jusqu'à l'appar
tement de Delmire .
Cette Princesse avoit déja reconnu son
cher Frere , qui l'avoit informée du dessein
qui l'amenoit à Valence. Il l'a pria
de supprimer les noms de Frere et de Roi,
et de ne l'appeller qu'Evandre. Dom Rodrigue
n'arriva qu'à la fin de leur conversation
, où Florent étoit présent ; il prê
ta une oreille attentive , et entendit ces
mots , qui ne le laisserent plus douter de
son malheur. » Il est temps , dit Delinire
» à Florent, que mon cher Evandre se re-
»pose , allez le conduire dans la cham-
»bre la plus secrette demon appartement,
et prenez garde qu'aucun ne le voïe en-
>> trer ; je ferai tout ce qu'il vous plaît ,
» répondit le faux Evandre ; c'est à vous
» de me commander , ct à moi de vous
obeïr , lui répliqua Delmire ; l'amour
que j'ai pour vous , ajouta D. Pedro
Vous donne un droit suprême sur tou-
» tes mes volontez. Adieu , ma chere
» Delmire ,
7
A OUST. 1732. 1683
»Delmire , je me retire , pour n'être pas
» découvert .
A ces mots , Florent conduisit le Roy
d'Arragon dans l'appartement de Delmire
; l'entretien qu'elle avoit eu avec son
Frere , s'étoit passé.dans une avant cour
et sans lumiere , comme l'entre- vûë le
demandoit. Elle alloit rentrer après lui ::
-97
Arrêtez , lui dit D. Rodrigue ; ne vous.
» pressez pas tant d'aller joüir d'un repos
>> que vous ôtez aux autres ; pourvû que
» ce ne soit que l'amour qui vous empê
» che d'être tranquille , lui répondit Delmire
, je ne m'en plaindrai pas ; mais si
>> c'est encore la jalousie qui vous rend
» aussi agité que vous le paroissez , je ne
vous le pardonnerai de ma vie . Vous
"parlez de pardonner , reprit D. Rodri
" gue , quand c'est - à- yous à demander:
»grace ? Perfide que vous êtes ! préten
23. dez- vous démentir mes oreilles ? Mais
» c'est trop perdre de temps en discours ;
» il périra, cet heureux Evandre que vous
» me préferez , et je cours immoler cette
» premiere victime à mon juste ressenti-
» ment. A ces mots, il s'avança vers l'en
>> droit par où son prétendu
Rival
s'étoit
>> retiré : Juste- ciel ! s'écria Delmire ; de-
>> meurez ; qu'allez-vous faire ? quel sang
allez- vous répandre ? Non , non ; - lui
A vj » répon
1684 MERCURE DE FRANCE

répondit le furieux Rodrigue, je ne puis
» assez - tôt le verser , ce sang qui doit m'ê-
» tre d'autant plus odieux , que l'amour
» vous le rend cher. Je frémis , lui dit la
» tremblante Delmire , en le retenant ,
» autant que sa foiblesse le lui pouvoit
» permettre ; mais son furieux Amant
n'eût pas beaucoup de peine à se déro-
» ber d'entre ses bras. Il couroit rapido-
» ment à sa vengeance , lorsque D.Pedro,
>> attiré par les cris de sa soeur , s'avança ,
l'épée à la main pour la secourir , sans
» sçavoir contre qui il devoit la deffendre.
Dans quelle affreuse situation se trouva
pour lors la malheureuse Delmire ; les
deux hommes que l'Amour er le sang lui
rendoient les plus chers ,
étoient prêts
périr l'un par l'autre. Quel parti prendre
? Elle n'en eut point d'autre que de
se précipiter entre les deux Epées. Ar-
» rête , s'écria t- elle , impétueux Amant
» et commence par me percer le coeur , si
» tu veux aller jusqu'à celui de mon Frere .
» Votre Frere , lui dit Rodrigue , en bais-
» sant la pointe de son épée par terre ; ô
» destin , quel sang m'allois-tu faire répandre
?
à
Ce terrible spectacle devint touchant :
par le repentir de Rodrigue ; peu s'en fallut
qu'il ne se prosternât aux pieds de
Dom
1
AOUST. 17 ; 2. 1681
Dom Pedro pour lui demander cette
mort qu'il avoit voulu lui donner.
» Je suis plus coupable que vous, lui ré-
» pondit le Roy d'Arragon ; mon dégui-
» sement a causé votre erreur , mais vous
» devez le pardonner aux interêts du
» sang. J'ai voulu sçavoir de la propre
>> bouche de ma soeur , si cet hymen que
» vous m'avez assuré devoit faire votre
» bonheur , ne seroit pas un malheur
pour elle ; j'avois déja appris à quel ex-
» cès alloit votre amour pour Delmire ,
» et j'en suis plus convaincu que jamais
" par mes propres yeux. Je vous entends,
» Seigneur , lui répondit D. Rodrigue ;
» vous allez vous joindre à l'irritée Del-
» mire , pour me faire un crime de cet
» excès d'amour , et pour m'en punir par
la privation de ce que j'ai de plus cher ;
» j'attends l'Arrêt de ma mort déclaré ;
» je l'ai trop bien méritée , poursuivit- il
» en se jettant aux pieds de Delmire, mais
» n'y employez que vous - même , ajouta-
» t-il , en lui présentant son épée , et per-
>> cez un coeur plus malheureux encore
» qu'il n'est coupable.
Tout l'attendrissement de la triste Delmire
n'auroit pas sauvé son Amant des
justes reproches qu'elle lui auroit pû faire
, mais la conjoncture favorisoit le criminel
;
1686 MERCURE DE FRANCE
minel ; la Princesse n'osa faire connoître
au Roy son Frere tous les sujets de plainte
qu'elle avoit eus précedemment , de
peur de lui donner de l'éloignement pour
un hymen qu'elle souhaitoit,autant qu'elle
le craignoit. Elle ordonna à Rodrigue
de se lever , sans prononcer ni sa grace ,
ni sa condamnation ; elle se contenta de
jetter un profond soûpir que son Amant
attribua plus à sa douleur qu'à son amour..
D. Pedro lui donna une explication plus
favorable ; il ne douta point de la tendresse
de sa soeur pour son Amant , et
n'imputa son silence qu'à sa modestie. Je
ne veux plus differer votre union , dit- il
à Rodrigue et à Delmire ; si toutes les jalousies
du Roy de Valence étoient aussi
bien fondées qne celle- ci , il y auroit de
Pinjustice à s'en plaindre . Le hazard a pro
duit dans son coeur des mouvemens dont
la sagesse même auroit eu peine à se deffendre
, et toute l'estime que j'ai pour
la Duchesse du Tirol ne seroit pas à l'épreuve
d'une pareille aventure. Il ne me
refte plus , continua - t- il en s'addressant
au Roy de Valence , qu'à vous donner
des preuves de ma sincerité en vous déclarant
mon Hymen , secret avec l'aimale
Princesse dont je viens de vous par
er ; j'ai eu des raisons de politique pour
lev
AOUST. 1732 1687
pas
le cacher ; mais ces raisons ne doivent
aller jusqu'à tromper un Prince avec
qui je prétends être uni à jamais ; l'amour
me paroît assez puissant sur votre coeur
pour n'y laisser point de place à l'ambition
, et je suis persuadé que dans l'Hymen
qui va donner la paix à nos Peuples
, vous envisagez plutôt la possession
de Delmire , que la brillante succession
qui lui appartiendroit par le droit de la
naissance , si le ciel me laissoit mourir
sans posterité. » Non , répondit D. Ro-
» drigue , tous les Empires du monde ne
>> sçauroient balancer dans mon coeur lese
>> charmes de l'adorable Delmire , et puis
» que je l'obtiens , je n'ai plus rien à dé-
>> sirer.
Alphonse lui renouvella les assurances
de son bonheur , et le pria seulement de
vouloir bien le differer jusqu'à l'arrivée
de la Duchesse du Tirol , qu'il vouloit
faire reconnoître Reine d'Arragon dans
le même jour où sa seeur . seroit déclarée
Reine de Valence. Delmire n'osa s'opposer
ouvertement à la volonté de son Pere;
mais comme elle étoit tendrement aimée
de la Duchesse du Tirol , qu'elle attendoit
incessamment ; elle se promit d'ob
tenir , par son moïen , les délais dont elle
avoit encore besoin pour éprouver D. Ro
drigue.
Nous
1688 MERCURE DE FRANCE
Nous avons parlé au commencement
de cette Histoire de deux Lettres , que
ces deux tendres amies s'étoient écrites ;
la Princesse du Tirol n'avoit point fait
part de la sienne au Roy son époux , et
vouloit se reserver le plaisir de le surprendre.
Cela ne tarda guére d'arriver , et ce
fut justement un nouveau piége que la
fortune tendit au jaloux Rodrigue , pour
le faire retomber dans cette espece de
frénesie qui l'avoit déja rendu si coupable
aux yeux de Delmire. Cette capricieuse
Déesse avoit arrêté qu'il le deviendroit
trois fois presque dans le cours d'une
même journée.
L'incertitude où Delmire l'avoit laissé
ne lui permit pas de joüir du repos
où la
nuit invite toute la nature ; son insomnie
causée par le trouble dont il étoit agité ,
l'obligea à se lever quelques heures après
qu'il se fut couché ; et conduit par son
amour , ou par son mauvais génie,il porta
ses pas vers cette fatale Galerie,où sa derniere
Scene, avec Delmire etle Roy d'Arragon
s'étoit passée; c'étoit- là que la fortune
lui en gardoit une derniere plus
funeste encore.
A peine y avoit - il resté quelques momens
au milieu des tenebres , occupé de
sa derniere aventure , qu'il fut tiré de sa
profonAOUST.
1732 1689
profonde réverie , par un éclat de rire qui
partoit de la Chambre de Delmire. Cette
joïe qui regnoit chez son Amante , tandis
qu'il étoit accablé de douleur , ne lui fit
que trop entendre qu'on ne l'aimoit pas
assez pour partager ses chagrins ; il s'approcha
pour mieux distinguer les voix ,
mais elles furent interrompues par de
nouveaux éclats de rire , qui acheverent
de le picquer. » Que vous êtes heureuse ,
» dit-il tout bas , insensible Delmire , de
» pouvoir passer si subitement de la dou-
» leur au plaisir ? A cette douloureuse réfléxion
il succeda un désir curieux ; l'ap
partement de Delmire étoit éclairé , D.Rodrigue
voulut voir à travers la Serrure ce
qui se passoit chez son Amante , qui pût
donner lieu à cette joye immodérée . Quel
spectacle pour un Jaloux ! Il vit sa Prin
cesse entre les bras d'un jeune Cavalier ;
quel nouveau trouble s'empara de son
coeur à cette fatale vûë ! La raison fit la
place à la fureur ; aucun respect ne le retint
plus ; il frappa à la porte , et ordonna
qu'on l'ouvrit , d'un ton de maître irrité.
Delmire ne douta point que ce ne fut-là
un nouvel accès de jalousie ; et prenant
son parti sur le champ , elle pria le Cavalier
de se cacher pour quelques momens ,
ct
1690 MERCURE DE FRANCE
et fit ouvrir la porte au furieux Don Ro
drigue.
A peine fut-il entré , qu'il porta ses
yeux égarez de toutes parts , et ne trouvant
plus l'objet de sa rage , il l'a déchargea
toute entiere sur Delmire , qu'il
accabla des injures les plus sanglantes . La
Princesse garda un long silence , pour
voir jusqu'à quel excès pouvoit se répandre
la fureur d'un Amant jaloux . Ce silence
parut si injurieux à D. Rodrigue
que sa rage en prit de nouvelles forces ;
les reproches devenoient toujours plus
outrageans. C'en est assez , lui dit Del- »
» mire , avec une modération qui l'irrita
» encore davantage j'ai voulu voir de
» quels traits la jalousie pourroit peindre
» aux yeux d'un Amant , l'objet de sa ten-
» dresse ; la vôtre a répandu son plus noir
» poison sur la malheureuse Delmire . Je
» ne suis que trop payée de ma curiosité ;
je ne suis plus digne de votre amour ,
puisque j'ai perdu votre estime ; et deshonorée
dans votre esprit , je ne dois
plus me flatter de regner sur votre
>>> coeur.
» Moy , répondit l'impétueux Rodri
gue , je pourrois encore vous aimer ,
après ce que je viens de voir ! Oseriez-
» vous encore démentir mes yeux ? Non,
VOS
AOUST. 1732. 1691
>>
? vos yeux ne vous ont point trompé
» lui répondit Delmire toujours plus
» tranquille en apparence ; quand ils vous
Dont montré Delmire entre les bras d'un
Cavalier ; mais ils vous ont justement
» puni de venir épier ce qui se passe
chez
selle , et vous ne sçauriez vous disculper
» d'une défiance incompatible avec l'es-
» time que vous devez avoir pour une
»Princesse destinée à votre lit. Ne m'in-
»terrompez pas , continua t- elle , voyant
» qu'il alloit ouvrir la bouche pour l'accabler
de nouvelles injures ; j'avoue que
»jamais soupçon ne fut mieux fondé que
>> le vôtre ; mais vous vous seriez épargné
» le supplice de me croire infidelle , si
» vous vous en étiez reposé sur ma vertu
» et sur ma gloire . Vous voyez que je ne
cherche point à vous nier le crime dont
vous m'accusez et dont vos propres
» yeux vous ont convaincu , mais voicy
ce que ma gloire exige de vous . L'offense
est assez grande pour mériter ce
sacrifice ; j'exige donc de vous que vous
,, ne m'abbaissiez pas jusqu'à me justifier ,
toute coupable que vous me croyez ; je
ne puis vous pardonner qu'à ce prix ;
c'est à vous à prendre une derniere résolution
. Ma résolution est prise , lui répondit
D. Rodrigue , je ne respire que
>>
>>
22
>>
>>
>>
» ven1692
MERCURE DE FRANCE
vengeance ; je veux laver dans le sang
» d'un Rival l'outrage que vous m'avez
fait ; si l'amour ne retenoit mon bras ,
»mes coups iroient jusqu'à vous ; mais je
» le surmonterai cet indigne amour ; il ne
» sçauroit subsister sans l'estime dans un
» coeur tel que le mien ; il fera place à
» l'indifference; et peut- être au mépris, in-
» terrompit Delmire ; eh!n'a- t- il pas com-
»mencé par là? Tout soupçon jaloux qui
» Alétrit la gloire de ce qu'on aime,suppose
» un mépris éclatant . Mais il est temps de
finir une conversation qui ne sert qu'à
» vous aigrir davantage et à vous rendre
plus coupable ; j'ai voulu vous donner
» les moïens d'obtenir votre pardon ;
» vous n'avez pas voulu le meriter aux
» conditions que je vous ai imposées ; il
❤ne me reste plus qu'à me justifier et à
» vous punir ; s'il est vrai , comme vous
» venez de m'en assurer , que l'amour sub-
» siste encore dans votre coeur . Vous jus-
» tifier , s'écria D. Rodrigue
, et par quel
» charme , par quel enchantement
, par
» quel prestige le pourriez - vous ? Plut au
" ciel , lui dit Delmire , avec un soupir
>> douloureux , qu'il vous fut aussi facile
» de cesser d'être jaloux , qu'à moi de
>> cesser d'être coupable à vos yeux ! Je ne
ן כ
» dis
A OUST. 1732. -1693
» dis plus qu'un mot ; si vous pouvez
>> vous résoudre à me croire innocente
sur ma seule parole ; je vous accepte
» pour époux , sans vous mettre à de nou-
» velles épreuves , mais si vous exigez que
» je me justifie , je renonce à vous pour
» jamais je n'ai plus rien à dire , c'est à
» vous de choisir,
Le ton absolu dont la Princeffe prononça
ces dernieres paroles , commença
à donner quelque émotion à D. Rodrigue;
mais ce qu'il avoit vû, le tenoit dans
une si parfaite sécurité , qu'il ne balança
plus à suivre le parti qu'il avoit déja pris ,
et qu'il croyoit le seul à prendre : » Oui ,
lui dit-il , je consens à vous perdre pour
» jamais , si vous prouvez votre innocen-
» ce ; elle m'est assez précieuse pour l'achepter
aux dépens de ce qui devoit
» faire tout le bonheur de ma vie .
n
>> C'est assez , dit la Princesse , qu'on
aille éveiller le Roy mon Frere ? Quoi !
» lui dit le Roy de Valence , vous voulez
» le rendre témoin de votre honte ; dites
plutôt de votre injustice , répondit Del-
>> mire ; j'ai besoin de sa présence , pour
n réprimer vos premiers transports , à la
» vûë de l'objet de votre jalousie.
Cette fermeté , qui est plutôt compade
l'innocence que du crime , étonna
gne
le
1694 MERCURE DE FRANCE
le Prince jaloux ; il craignit de se voir confondu
pour la troisiéme fois , quoique
tout l'assurât du contraire ; il étoit même
prêt à se retracter ; mais l'arrivée de D.
Pedro ne lui en donna pas le temps , et
l'approche de son Rival acheva de l'affermir
dans ses injustes soupçons . » Pardon-
» nez-moy, Seigneur, dit Delmire au Roy
» son Frere , si je trouble votre repos ,
» pour quelques momens , mais il s'agit
» d'assurer le mien pour toute ma vie.
» Jettez les yeux sur ce Cavalier , et déclarez
son sort au plus jaloux de tous
ور
les Amans. Cet éclaircissement n'a pas
» besoin de ma présence : Elle se retira en
» proférant ces dernieres paroles , avec
» une émotion qui acheva de faire trem-
» bler D. Rodrigue.
D. Pedro ne sçavoit que penser de la
prompte retraite de sa soeur ; il en chercha
la cause dans les traits du Cavalier
mais quel fut son étonnement quand il
le reconnut pour sa chere Bélize , Duchesse
de Tirol; il ne l'eût pas plutôt
nommée , que D. Rodrigue fit un grand
cri : Qu'ai-je fait , dit- il ? je suis le plus
malheureux et le plus criminel de tous les
hommes.
Le Roy d'Arragon comprit bien par
cette exclamation , que c'étoit quelque
nouvel effet de jalousie qui venoit brouiller
A OUST. 17320 1695
ler l'Amant avec l'Amantes mais comme il
ignoroit les conditions imposées et acceptées
d'une et d'autre part , il crut que le
racommodement ne seroit pas difficile à
faire entre deux personnes dont il connoissoit
l'amour réciproque . Il rassura
D Rodrigue sur les suites de ce nouvel
incident , et l'ayant prié d'aller se reposer
, il entra chez Delmire avec sa charmante
Epouse ; qui sans doute n'eût pas
tant de peine à justifier son travestissement
, que Rodrigue en trouvoit à révoquer
l'Arrêt fatal auquel il avoit souscrit
lui - même.
Il ne fut pas plutôt seul , qu'il se rappella
tout ce que sa situation avoit de plus
funeste ; les injures atroces ou plutôt les
blasphêmes qu'il avoit vomis contre un
objet adorable; la bonté avec laquelle Delmíre
avoit daigné les lui pardonner à des
conditions qu'elle n'exigeoit que pour sa
gloire , et sur tout la peine à laquelle il
s'étoit soumis lui même , si elle justifioit
son innocence ; tout cela se présentant en
foule à sa mémoire , le mit dans un dé
sespoir le plus affreux qu'on puisse s'imaginer.
» Quoi ? dit - il , j'ai été capable de
>> renoncer à Delmire ! fatale jalousie , à
» quel excès d'aveuglément m'as - tu porté.
C'en est trop , abandonnons une vie
»
que
1696 MERCURE DE FRANCE
» que la seule possession de ma Princesse
pouvoit me rendre agréable; il est temps
» qu'un sang criminel expie l'injure que
» j'ai faite à la vertu et à l'innocence mê-
» me. A ces mots , il alloit se percer d'un
coup mortel ,si une main secourable n'eût
retenu le coup , prêt à tomber. » Qui
» m'empêche de venger Delmire outragée
s'écria -t-il. C'est Delmire même ,
lui répondit cette Princesse , qui , ayant
craint les suites de l'accablement où elle
l'avoit laissé , étoit sortie de son appartement
pour les prévenir.
1
Elle s'étoit fait suivre par Téodore et
par Délie, prévoïant bien le besoin qu'elle
pourroit avoir de leur secours contre
un désesperé : On a déja remarqué que
cette premiere étoit aussi favorable à D.
Rodrigue , que la derniere lui étoit contraire.
Téodore frémit en voyant ce malheureux
Prince prêt à se donner la mort ;
l'interêt qu'elle prenoit dans son Hymen
et dans ses jours avoit un motif secret
, dont on sera instruit à la fin de cette
histoire , que nous allons abreger autant
qu'il nous sera possible.
Delmire n'oublia rien pour remettre
l'esprit de son Amant dans une assiette
plus tranquille ; larmes, soupirs , sermens
de lui pardonner , assurance de le rendre
вен-
AOUST. 1732
1697
heureux , tout fut employé , mais inutilement.
D. Rodrigue se crut indigne de la
grace qu'elle lui promettoit , et persista
dans le dessein de mourir. » Eh bien !
» jurez - moi du moins , lui dit- elle , que
» vous ne me rendrez pas témoin de vo-
>> tre morts et pour gage de votre ser-
>> ment , rendez- moi cette épée , dont la
>> seule vûë me fait frémir : la voilà , lui
» répondit D. Rodrigue. A peine l'eût- il
remise entre ses mains , qu'elle lui dit :
Vous pouvez exécuter le cruel dessein
dont tout mon amour ne peut vous distraire
; mais je vous jure , que je me percerai
moi -même de ce fer que vous venez
de me donner , si vous ne respectez des
jours ausquels les miens sont attachez.
Quoi ? s'écria l'amoureux Rodrigue , c'est
moi qui ai fait le crime , et c'est vous que
vous voulez punir.
par
Cette Scene , où l'amour commençoit
à prendre le dessus , fut terminée l'amour
même ; Rodrigue imposa des loix
à son tour , et ne promit de vivre à la
tendre Delmire qu'à condition qu'elle
consentiroit à lui donner la main avant
que de se séparer de lui.
Votre pitié , lui dit - il , a plus de part
que votre amour , à la promesse que vous
me faites , d'oublier mon crime ; vous
B cherchez
1698 MERCURE DE FRANCE
cherchez du moins à prolonger mes jours
de quelques heures , mais je n'en puis
souffrir la durée, dans la crainte où je suis
de vous perdre pour jamais , je ne balance
plus voilà mon partage ; la mort ou
Delmire
La Princesse s'opposa long- temps à cette
résolution ; mais l'amoureux Prince n'en
voulant point démordre, Théodore et Dé
lie même y déterminerent Delmire ; la foy
mutuelle fût jurée en leur présence ; Delmire
fut reconduite dans son appartement
par son Epoux . Nous allons voir en peu
de mots les suites fâcheuses que pensa
avoir cet Hymen clandestin .
A peine le jour commença à luire qu'on
wint annoncer à Delmire qu'un Cavalier
que ses rides rendoient respectable , lui
demandoit une audience secrete. Delmire
fit sortir tout le monde de son cabinet
et ordonna qu'on fit entrer l'inconnu . A
peine l'eût elle apperçû , qu'elle le reconnut
pour un des plus affectionnez serviteurs
de feu son pere. Que j'ai de plaisir ,
d'Alvar, lui dit elle , de vous revoir après
une absence de 5 ou 6 années » Je serois
» encore dans les Prisons de Portugal , lui
dit- il si la nouvelle de votre prochain
Mariage ne m'avoit porté à mettre tout
> en
1
AOUST. 1732. 1896
» en usage pour recouvrer la liberté , je
» rends graces au ciel , poursuivit il , de
» m'avoir fait arriver assez à temps pour
>> le rompre.
»
Rompre mon Hymen avec D. Rodri-
» gue , que dites - vous , D. Alvar ? Son-
» gez vous bien qu'il doit faire la félicité
» de deux Peuples ; dites plutôt , Madame,
» lui répondit - il , qu'il attireroit sur eux
» la malédiction du ciel ; mais c'est trop
» vous laisser en suspens , Madame , ap-
» prenez que D. Rodrigue est votre Fre-
» re Mon Frere , lui répondit Delmire
» en frémissant ! Qu'osez vous avancer ?
Ce que je ne suis que trop en état de
vous prouver , répondit D. Alvar ; achevez
de me donner la mort , lui dit la
riste Delmire , par le récit d'une si fu-
» neste histoire .
D. Alvar n'attribuant la douleur de la
Princesse qu'à l'amour extrême qu'elle
avoit pour D. Rodrigue , l'éclaircit par
ces mots.
" Vous n'ignorez pas , Madame , l'étroi-
» te liaison qui avoit toujours uni D. Alphonse
, Roy d'Arragon , et D. Fernand
, Roy de Val nce ; ce dernier ce
trouvant sans enfans , dans un âge où
» il n'esperoir plus d'en avoir , eût recours
» à son ami ; la Reine , votre mere, étoit
» déja Bij
1700 MERCURE DE FRANCE
» déja accouchée de D. Pedro, et se trou-
"voit enceinte , pour la seconde fois ; D.
»Fernand pria D. Alphonse de vouloir
>>bien lui donner l'enfant qu'elle mettroit
»au monde , supposé que ce fut un Prin-
»ce. Quand D. Alphonse n'y auroit pas
»trouvé ses avantages , l'amitié qu'il por-
>>toit à D. Fernand , auroit obtenu de lui
» ce qu'on lui demandoit ; on fit courir le
» bruit que la Reine de Valence étoit
»grosse, et la Reine d'Arragon ayant mis
>> au monde un enfant mâle , on fit entendre
qu'il étoit mort en naissant, et il
>> fut donné à D. Fernand , qui l'appella
»D. Rodrigue. C'est le même que vous
>>alliez épouser; le ciel n'a pas voulu lais
» ser consommer un inceste si abomina-
» ble ; c'est à vous , Madame , à prendre
les mesures les plus convenables , dans
» une conjoncture si délicate .
>>
J'y penserai , lui dit Delmire , en levant
au ciel des yeux remplis de larmes .
A ces mots elle congédia D. Alvar , et lui
promit de lui envoyer sa réponse la nuit
prochaine.
Elle fit dire qu'elle étoit indisposée , et
deffendit qu'on laissât entrer qui que ce
fut dans son appartement , jusqu'à nouvel
ordre.
Le Roy de Valence fut surpris que cet
ordre
A O UST. 1732. 1701
ordre fut pour lui , après le don qu'elle
lui avoir fait de sa foy ; cependant son
respect l'empêcha de s'en plaindre. Tout
le jour se passa, sans que l'ordre fut révoqué
; ce qui redoubla l'inquiétude de l'amoureux
Rodrigue.
La nuit étant venue , ce Prince impa
tient s'approcha de l'appartement de Delmire.
Quelle fut sa surprise lorsqu'il en
vit sortir Florent , à qui Délie recomman
da de faire diligence pour remettre un
Billet entre les mains de D. Alvar ! il
craignit que le Roy d'Arragon ne s'opposât
à son bonheur , et n'envoyât quelques
ordres secrets à ce fidele Sujet. La
crainte qu'on ne lui enlevât sa chere Delmire
, le porta à intercepter ce Billet ;
Florent intimidé par ses menaces ,
livra et retourna à l'Appartement de la
Princesse pour l'informer du mauvais succès
de son Ambassade . De quelle horreur
ne fut pas saisi D. Rodrigue à la lecture
du Billet intercepté , on en va juger par
ce qu'il contenoit.
Delmire à D. Alvar .
le lui
Faites préparer le plus promptement que
vous pourrez une Barque qui m'éloigne de
ce funeste Rivage , je n'en puis plus soutenir
la vie après le crime qui vient de s'y
com1702
MERCURE DE FRANCE
commettre ; je frissonne à l'aveu que je vous
en fais ; mon frere est entré dans mon lit.
Ne refusez pas votre secours à la plus malheureuse
Princesse qui fût jamais.
D. Rodrigue fut d'abord si frappé qu'il
en perdit l'usage de ses sens ; mais après
quelques momens de reflexion , le crine
lui parut si noir qu'il ne put le croire,
quoiqu'il fût tracé de la main même de
Delmire : » Non , dit- il , vertueuse Prin-
» cesse , je vous connois trop bien
pour
» vous croire si coupable ; vous voulez ,
» sans doute , éprouver si je serai encore
capable de me livrer à cette funeste
» passion qui faisoit mon malheur et le
» vôtre , mais elle ne seroit plus pardon-
>> nable ; vous étiez maîtresse de votre
» coeur quand je craignois votre infide-
» lité ; mais vous êtes mon Epouse , je ne
> crains plus rien , votre vertu me ré-
» pond de votre foi.
Après cette reflexion , qui remit le
calme dans son ame , il courut à l'Appartement
de Delmire . Cette Princesse
instruite par Florent de . ce qui s'étoit
passé , avoit ordonné qu'on le laissât entrer
; les remords dont elle étoit déchirée,
la rendirent d'abord interdite et muette ;
mais voyant D. Rodrigue se jetter à ses
pieds dans la posture du plus passionné
de
A O UST. 1732 1703
de tous les Amans : » Eloignez - vous , lui
» dit- elle , vous me faites frémir ; cessez
de me présenter un Epoux qui doit
» m'être odieux , depuis que j'ai appris
» qu'il est mon frere. Moi , votre frere ,
» s'écria D. Rodrigue ! Eh n'avez - vous
» pas lû ce funeste secret , lui répondit
» Delmire , dans le Billet que vous avez
> arraché à Florent .
La connoissance d'un malheur que ce
Prince n'avoit pris que pour une feinte ,
le mit dans un desespoir qui donna tout
à craindre à Delmire ; elle ne l'avoit ja
mais trouvé si digne d'être aimé ; ce n'étoit
plus cet Amant jaloux , qui ne lui
prouvoit l'excès de son amour que par
les plus sanglans outrages , c'étoit un
Epoux fidele et passionné , qui n'étoit
sensible qu'au malheur d'être séparé pour
jamais du seul bien qui pouvoit faire sa
felicité.
Il est temps de tirer ces Amans infortunez
d'une peine si cruelle ; D. Rodri
gue manda D. Alvar , pour être mieux
éclairci de son malheur. Il fit prier en
même- temps le Roy d'Arragon de venir
à l'Appartement de sa soeur , afin que
la présence du Souverain , imposant au
Sujet , l'empêchât de soutenir une imposture.
D. Alvar confirma tout ce qu'il
B iij avoit
1704 MERCURE DE FRANCE
avoit dit à Delmire ; et pour ne laisser
aucun doute sur ce qu'il venoit de raconter
, il voulut l'appuyer du témoignage
de Théodore , qui avoit prêté son
ministere à la supposition d'enfant dont
il étoit question . Théodore ! s'écria Delmire;
ô Monstre que les Enfers ont vomi
»pour le malheur de ma vie ; elle sça-
» voit que j'étois soeur de D. Rodrigue
» et c'est elle-même qui m'a déterminée
» à le recevoir pour Epoux.
20
Théodore arriva bientôt. » Oserez-
» vous nier , lui dit D. Alvar , que D. Rodrigue
ne soit frere du Roy d'Arragon
et de la Princesse Delmire ? Je suis
prête à justifier le contraire , lui repon-
» dit Théodore . Ces mots et la fermeté
avec laquelle ils furent prononcez , em-
» pêcherent D. Rodrigue de l'accabler de
reproches , dont il se seroit repenti.
Finissons. Théodore convint de tout
ce que D. Alvar avoit revelé ; mais elle
déclara ce qui n'étoit pas venu à la connoissance
de ce sage Vieillard. Le fils
supposé que D. Alphonse avoit donné à
D. Pedro étant mort , D. Pedro en substitua
un autre en sa place sous le nom
de Rodrigue ; il avoit eu ce dernier de
Théodore , qui pour garantir la verité
de ce qu'elle avançoit , produisit un Acte
revêty
A OUS T. 1732. 1705
revêtu de toutes les formalitez et signé
de la main de D. Alphonse même. Par
cet Acte D. Pedro reconnoissoit Théodore
pour son Epouse et le fruit de lent hymen
pour le legitime heritier de la Couronne
de Valence . Ce dernier éclaircissement
remit le calme dans tous les
coeurs ; et le double Mariage fut celebré
dès le lendemain , à la vûë des deux Peuples
dont il devoit faire le bonheur .
EPITH ALAME ,
De Madle de la Briffe , fille de M. l'Intendant
de Bourgogne , et de M. le Comte
de Morges, Chevalier d'Honneur au Parlement
de Dauphiné.
Pour Our ce beau jour , mon aimable Cousine ,
Il faut des Vers , vous l'avez souhaité ,
Et le bonheur charmant , où l'hymen vous d'estine
,
Merite bien d'être chanté ,
Mais ce sujet voudroit être traité ,
Par une main plus galante et plus fine ;
Car enfin quand je m'examine ,
Je n'ai point cette humeur badine ,
Qu'on voit briller dans les écrits ,
B v De
1706 MERCURE DE FRANCE
De ceux que l'aimable Cyprine ,
Bien mieux que Phoebus endoctrine
Et telles gens auront toujours leur prix.
A m'excuser plus ne m'obstine ,
Je vois bien que c'est vainement ,
Votre ordre enfin me détermine ,
Puisqu'il vous faut des Vers , sur la double Ce
line ,
Je vais en chercher promptement,
Je vois Hymen , vers vous il s'achemine ;
Qu'il a bon air de Mirthes couronné ?
Vive allegresse en ses doux yeux domine ,
Et son flambeau de rares fleurs orné ,
Répand au loin une clarté divine ;
De cet Augure aisément je devine ,
Qu'aurez toujours parfait contentement ;
Amour le suit , la pudeur enfantine
Fait de son front le naïf ornement :
Mais que dit-il ? Car tout bas il rumine ,
C'est contre Hymen , au moins je l'imagine ,
Ces deux rivaux d'accord ne sont jamais ;
De lui ceder si gente Chérubine ,
Il est dolent , voudroit que tels attraits.
Du Dieu goulu ne fussent la rapine ,
Desireroit en faire tous les frais.
Gentil
AOUST. 1732
1707
Gentil Amour , n'ayez l'ame chagrine ,
Rassurez -vous , hymen , avec vos traits ,
Prétend blesser la charmante Dorine ,
Et dans vos mains il met ses interêts ,
Amis , enfin soyez donc desormais ,
Et chassez loin toute haine intestine.
L'accord se fait , sous galante Courtine ,
Jà ces deux Dieux brillent de vous tenir ;
Or de ceci ne perdez souvenir,
Gardez-vous bien de faire la mutine ,
Quand ils voudront se servir de leurs droits
Depuis long temps on ne fait plus la mine ,
Qu'en pareil cas on faisoit autrefois ,
( D'où pouvez voir que sur tout on rafine. )
Ne la ferez , je crois ; de votre Epoux ,
L'air engageant , l'amour qu'il a pour vous ,
M'en sont garants ; de tant bonne doctrine ,
Docilement profiter aimerez ,
Et plus que lui bien- tôt vous en sçaurez g
Car ce n'est rien enfin qu'une routine.
Que de plaisirs je lui vois préparez !
Il trouve en vous un maintien d'Héroïne ,
Esprit charmant , air doux et plein d'attraits
Pour tel Epoux , avec raison j'opine ,
Que la nature aussi vous fit exprès ,
De m'y tromper bien-fort m'étonnerois ,
De licu trop bon , tirez votre origine.
B vi
Que
1708 MERCURE DE FRANCE
Que de vertus vos illustres ayeux ,
N'ont-ils pas fait éclater en tous lieux !
De l'injustice ils furent la ruine ,
Pour en juger , n'en croions que nos yeux?
D'aimable Mere aussi la discipline,
Sçait vous former et les moeurs et l'esprit ;
Dans votre coeur vertus ont pris racine ,
De son exemple en vous on voit le fruit.
Pas ne me sens assez bonne poitrine ,
Pour dignement pouvoir chanter leur los
Quand même aurois l'éloquence de Pline ;
Or de m'en taire , il est plus à propos.
Qu'hymen pour vous , soit bonne Médecine
Jeune beauté , goutez un sort heureux.
Puissiez avoir rose , sans nulle épine ,
Puissiez enfin avant un an ou deux ,
Avoir besoin du secours de Lucine.
Mais ja l'hymen vous prenant par la main
Au benoit lit , veut vous mener soudain ;
Adieu vous dis , gentille pellerine ,
Vous m'en direz des nouvelles demain.
Par M. DE RUFFIX.
DEFFENSE
AOUST. 1732 1709
DEFFENS E d'un Trait Historique
de Lampride sur Ovinius Camillus ,
adressée à M. Bouhier , President an
Parlement de Dijon.
Ice
La dû vous paroître , Monsieur , par
ce que j'ai dit dans les Mercures de
May et d'Octobre 1731. pages 1052. et
2347. que je n'ai point prétendu que
l'explication que j'ai donnée du PRO
SALUTE DOMINORUM , de l'Inscription
trouvée proche notre Ville , fût la seule
et unique qu'on pût en donner . J'ai toûjours
attendu qu'on détruisît solidement
ce que j'ai avancé sur la foi de M. de
Tillemont , dès le lendemain que cette
découverte fut faite , et avant que d'avoir
eu le loisir de feüilleter les immenses
Recueils d'Inscriptions qui peuvent servir
à mettre la verité dans un plus grand
jour. Un Curieux d'Orleans , qui ne se
fait connoître que sous ces deux Lettres
initiales D. P. a enfin trouvé au bout de
quelques mois après la publication de
ma Lettre , que l'on pouvoit entendre ce
DOMINORUM , d'autre que d'Alexandre
Severe et Ovinius , joints ensemble , et
il
"
1710 MERCURE DE FRANCE .
il écrit non sseeuulleemmeenntt qu'on le peut ,
mais qu'on le doits et qu'il est impossible
que cette domination ou cet Empire commun
attribué à deux Princes convienne
à ces deux-là. Ce qu'il y a d'étonnant
dans son Ecrit imprimé dans le dernier
Mercure , est que pour faire tomber nécessairement
les voeux contenus dans notre
Inscription sur la prosperité d'Alexandre
et de Mammée sa Mere , il persiste
à vouloir qu'on regarde comme faux
tout ce que Lampride rapporte de l'association
d'Ovinius à l'Empire. Il peut trouver
en moi un Lecteur assez docile pour
embrasser l'explication qu'il donne du terme
Dominorum , comme étant plus aisée à
sauver; mais il ne s'ensuivra pas de- là que je
doive croire qu'Ovinius est une chimere,
et que tout ce que Lampride en rapporte
est une fible. L'autorité de Lampride est
trop bien établie, pour qu'on puisse révoquer
en doute un fait qu'il a revêtu de tous
les motifs de credibilité qu'on peut exiger
pour l'appui d'un évenement extraor
dinaire. En passant donc à M. P. que ce
fut pour la prosperité de Mammée et
d'Alexandre , que le Monument en question
fut érigé , il n'en faut point conclure
pour cela que l'association d'Ovinius
soit une fiction de quelque Moderne,
A O UST.
1732. 1711
et une invention de quelque Manufacture
d'Ecrivains. Tout ce qu'il pour
ra inferer de ce que je lui accorde , est
que M. Tillemont n'a pas toûjours.
bien examiné les choses avant que de les
assurer , et que quelquefois on peut se
tromper lorsqu'on s'en rapporte trop vîte
à son jugement. J'avoueray donc que cet
Historien , tout judicieux qu'il étoit , a
manqué de preuves suffisantes
fixer
pour
l'association d'Ovinius à l'an 223. mais
j'ajoûte bien plus , qu'il ne s'est pas exprimé
bien exactement lorsqu'il a dit qu'il
ya dans l'Histoire de cette Association des
circonstances qui paroissent tenir de la Fable.
On entrevoit que ce grave Historien a
voulu insinuer seulement que cette association
a eu quelques circonstances qui
tiennent du comique , ce que je ne nie
pass mais des circonstances , pour
› pour être
comiquès , n'empêchent point le fond
de l'Evenement d'être très - réel . M. de
Tillemont l'a crû tel , puisqu'il a
ployé un article entier de ses Notes pour
en fixer l'époque, Alexandre s'est comporté
comme il a dû faire dans la conjoncture
où il se trouvoit ; et c'est un
des traits de politique les mieux jouez ,
que celui qui est rapporté par Lampride.
Comme M. P. d'Orleans traite de fable
emtout
1712 MERCURE DE FRANCE
*
tout le récit de Lampride , le point de
difficulté qui nous sépare ne consiste plus
que dans la verification de ce récit que
je soutiens sincere et non controuvé ni
fabriqué à plaisir. Il ne sera plus fait
mention entre nous de l'Inscription d'Auxerre
; mais seulement de cette question
de fait que l'Inscription a occasionnée.
Quelles que soient les louanges qu'il me
donne dans ses deux Ecrits , je ne m'en
laisse point éblouir , et je fais gloire d'être
mis au rang des Lecteurs les plus crédules
et que la lecture de Lampride ne révolte
point , lorsque je m'y trouve dans
la compagnie d'une personne aussi profondément
versée dans ces matieres que
vous l'êtes. Vous avez eu la bonté de me
faire part de ce que vous opposeriez à
M. P. si c'étoit à vous qu'il eût affaire :
vous allez juger , Monsieur , si j'en ai
fait usage suivant vos intentions , et si
ce que j'ai découvert depuis par une lecture
attentive de Lampride , et que j'ai
joint à vos Observations , n'est pas suffisant
pour convaincre quiconque n'éxigera
point des preuves métaphisiques ou
d'un genre superieur.
Les preuves exterieures de l'Association
d'Ovinius à l'Empire par Alexandre ,
consistent à assurer l'autorité de Lampride
A O UST. 1732. 1713
pride qui le rapporte. Il est inutile de
repeter ce que j'en ai dit dans le Mercure
d'Octobre , page 2337. On y voit
les précautions que cet Historien à prises
pour constater la chose ; et vouloir en
douter c'est comme si l'on soutenoit que
tout ce que les Historiens d'aujourd'hui
rapportent de la vie du Roy Henry IV.
sur la foi des Memoires de ses Courti
sans ou de ses Generaux d'Armées , n'est
pas assez appuyé pour être crû , et qu'il
faut qu'ils produisent ces Memoires tels
qu'ils ont été rédigez dans le Cabinet ou
sous les Tentes . Comme nous nous contentons
des Extraits qu'on nous donne
aujourd'hui de ces Memoires , de même
dans le siecle de Constantin , on n'exigea
point de Lampride , qu'il joignit à sa vie
d'Alexandre les Memoires qu'en avoient
redigé séparément Septimius , Encolpius,
Acolius , & c. on se contenta des Extraits
qu'il en fit et qu'il ajusta à son style ,
qui est fort simple et fort coupé. Son
dessein étant d'exposer à Constantin
quel fut le caractere des Princes plutôt
que d'entreprendre une Histoire suivie ,
il ne faut pas être surpris qu'il ne tire
des amples Memoires qu'il avoit , qu'un
simple Sommaire qui présente plutôt l'état
des moeurs , les maximes et la conduite
1714 MERCURE DE FRANCE
duite de ce Prince , qu'un détail circons→
tancié de ses campagnes C'est l'idée qu'il
faut se faire de Limpride , comme de
quelques autres qui ont compilé les
actions de certains Empereurs , à dessein
de donner une idée de Fur caractere
On voit par son narré qu'il avoit
sous les yeux les cinq ou six A teurs qui
avoient écrit uniquement sur Alexandre ,
et même qu'il tiroir d'Herodien ce qu'il
jugeoit à propos , le refutant lorsqu'il
étoit necessaire. Il n'est point étonnant
après cela que cet Auteur et ses semblables
ayent quelques deffiuts ; mais ces
deffauts ne sont pas essentiels. Les Ecrivains
de cette espece pechent ordinairement
par le manque d'ordre et de méthode.
Ils tombent dans des redites ;
mais avec tout cela ils n'écrivent rien de
faux ; ils promettent de s'étendre sur certaines
choses , et ils l'oublient ensuite ,
ou ne les font qu'effleurer. Lampride est
précisement dans ce cas- là , au jugement
de Vopisque , dans la vie de l'Empereur
Probus. Il y paroît dans le rang
qui ont transmis l'Histoire à la posterité
non tam disertè quam verè. Laissant l'élegance
et l'emphase , il a écrit avec simplicité
, mais avec verité. Il ne rapporte
point non- plus les faits par ordre chrode
ceux
nologiA
OUST 1732. 1715
nologique , mais suivant qu'ils se sont
présentez à sa plume , en traçant les traits.
qui caract risent l'Empereur Alexandre .
On ne l'accuse point comme Herodien ,
d'avoir composé les Harangues qu'il met
dans la bouche des Empereurs , ni les
Lettres qu'il leur fait éc ire ; il rapporte
le peu de paroles que le Prince a prononcées
; et s'il ne les rapporte pas diserè ,
du moins on doit dire qu'il les rapporte
verè. Il n'est pas éloquent ; mais il est
fidele. C'est de l'une de ces courtes Harangues
que j'espere , Monsieur , tirer cydessous
la preuve du temps auquel a été
faite l'Association d'Ovinius.
L'autorité de Lampride étant suffisamment
à couvert , malgré le décri dans lequel
l'Ecrivain d'Orléans voudroit la mettre
, il faut maintenant faire voir que
l'Histoire de l'Association d'Ovinius n'a
rien d'incroyable en elle même , et qu'au
contraire elle est revêtuë de circonstances
qui s'accordent très- fort avec la situation
où Alexandre se trouva. Loin qu'Alexan
dre Sevére fut un Prince puissant , et que
tout fut paisible de son temps , au point
que se le figure M. P. il n'y a gueres eu
d'Empereur plus traversé par ses propres
Sujets , et qui ait essuyé plus de soulévemens.
Il est certain que ce jeune Prince
avoit
1716 MERCURE DE FRANCE
avoit un bon caractere et lui- même
par
d'excellentes inclinations , qui le portoient
aux grandes choses. Mais sa mere l'avoit
élevé dans une dépendance servile , à laquelle
il n'eut pas la force de se soustraire.
Ainsi on peut dire que c'étoit elle qui
gouvernoit sous le nom de son fils . Fecit
cuncta cum matre , ut et illa videretur pariter
imperare , dit Lampride ; et plus bas :
Egit omnia ex consilio matris. C'est pour
cela que l'Empereur Julien en ses Césars ,
lui fait ce reproche amer : Pauvre sot , qui
maître de l'Empire , n'a pas eu l'esprit de
gouverner tes propres Sujets , mais a remis
tes trésors entre les mains de ta mere ! Un des
traits les plus marquez de cette dépendance
de sa mere , fut la foiblesse avec laquelle
il souffrit l'indigne procédé qu'elle
garda envers sa femme et son beau pere.
Si ce Prince eut été si puissant que le dit
M. P. auroit -on vû arriver sous ses yeux
le meurtre d'Ulpien son favori, et Prefet
du Prétoire , par les Soldats de la Garde
Prétorienne , sans qu'il osât s'élever alors
contre cet attentat ? Loin de punir aussitôt
le principal auteur , il lui donne la
Préfecture d'Egypte , en attendant qu'il
se sente assez fort pour s'en venger . Depuis
cette mort les Prétoriens ne lui obéïrent
plus qu'à regret ; leur haine se porta
contre
AO.UST. 1732 1717
contre Dion , son Collegue de l'an 229 .
et elle éclata si fort que ce Consul n'eut
pas le courage de paroître dans Rome
avec les marques de sa dignité; et il fallut
que l'Empereur lui conseillât de s'en éloigner
, pour éviter leur fureur. Dira- t- on
après cela que ce Prince fut regardé comme
Puissant , et que son regne fut fort
paisible? Ce n'est pas encore tout ; un
nommé Taurin et un autre particulier ,
appellé Urane ( a ) , furent élevez à l'Empire
par les armées d'Orient . Un troisiéme
, nommé Antonin , fut pareillement
proclamé Auguste , par les Prétoriens . Il
est vrai que ces personnages refuserent la
dignité qu'on leur offroit ; mais ce n'en
est pas moins une preuve que le regne
d'Alexandre ne fut pas si paisible que le
prétend M. P. Peut- être que pour ne rien
rabattre de ses prétentions , il soutiendra
que ces proclamations ne se trouvant
marquées que dans le jeune Victor et dans
Zozyme , elles ne meritent aucune créance.
A cela je réponds que comme ces deux
Ecrivains vivoient dans un siecle peu
éloigné de celui d'Alexandre , il ne faut
point douter qu'il n'eussent devant eux
les Mémoires de quelques uns des cinq ou
( a ) Je croirai , si l'on veut , que Taurin et Urane
a été le même ; rien n'empêche de lesdistinguer.
six
1718 MERCURE DE FRANCE
amis
six Auteurs qui avoient écrit les évenemens
du regne de ce Prince , et dont l'éloignement
des temps nous a privez Au
reste , ce que Dion rapporte de lui - même
personnellen ent , marque assez l'appréhension
où Al xandre étoit de voir ses
être aussi de se
rsécutez ; et peut
P
voir lui- même livré au caprice des Soldats.
Or je demande si avec de tels soupçons
, un Prince peut passer pour avoir
tou ours mené une vie tranquille , si on
dire peut que son regne a été paisible , et
que lui même gouvernoit ses Sujets avec
puissance et empire.
Si donc l'on trouve du foible dans la
maniere dont il se conduit , pour écarter
ce qui se tramoit en faveur d'Ovinius ,
P'on pourroit l'attribuer aux con eils timides
de sa mere : Mais non ; il semble
au contraire que ce fut un trait de prudence
qui le fit agir ainsi, Les Prétoriens,
dont l'autorité étoit enracinée dansRome,
avoient conçu une telle haine contre
Mammée , et par conséquent contre son
fils , que tout éroit à craindre de leur
part. Dès qu'ils croyoient voir dans le Sénat
quelque Sujet propre à être élevé à
l'Empire , ou , pour mieux dire , à condescendre
à leurs volontez , ils ne manquoient
pas de ménager des pratiques
sour
D
AOUST. 1732.
1719
sourdes , pour faire déclarer Rome en sa
faveur. Ovinius convenoit apparemment
à leur dessein , et il se trouva disposé à
y concourir . Alexandre en étant averti ,
crut le prévenir , non en se défaisant de
lui , à force ouverte , mais en faisant semblant
d'entrer dans les vûës des Prétoriens
, jusqu'à ce qu'il trouvât le moment
favorable de perdre son concurrent .Ayant
été averti d'un remuëment , de la part de
certains Barbares , il se servi. de cette occasion
pour faire connoître à toute l'armée
jusqu'où s'étendoit la force et la vigueur
de cet homme si désiré . Il l'associa
donc à l'Empire , avec quelqu'une au
moins des solemnitez ordinaires ; mais
pour le faire en même temps tomber
dans le mépris , et montrer combien il
étoit peu digne de lui être con paré ; il
lui proposa d aller avec lui à la guerre
qui se présentoit à faire contre les Barbares
, prévoïant bien qu'il n'oseroit le lui
refuser , mais que délicat comme il étoit,
il ne pourroit jamais résister aux fatigues
dont il lui donneroit l'exemple , et que
son entreprise tourneroit à sa confusion .
En effet , la chose réüssit , comme Aléxandre
l'avoit prévû , et par là l'Empereur
se vit délivré d'un ennemi qui cassa
d'être dangereux dès qu'il commença à
·
être.
1720 MERCURE DE FRANCE
être méprisé. Ce tour de politique est- il
donc si ridicule et si hors de vrai-semblance
que l'assure le Critique d'Orleans ?
Pour moi j'y vois toutes chose admirablement
bien concertées , pour venir à bout
de décrier Ovinius ; et cela me rappelle le
souvenir d'un artifice assez semblable dont
usa , quelques années auparavant , l'Empereur
Septime- Severe, à l'égard d'Albin .
Ce Prince voïant qu'Albin qui descendoit
d'une ancienne Maison , étoit aimé
du Sénat , n'osant l'attaquer à force ouverte
, fit mine de vouloir l'associer à
l'Empire , et lui écrivit à cet effet des Lettres
très-affectueuses en apparence ; mais
en même- temps il chargea secretement
ceux qui les lui porterent de sa part,de se
défaire adroitement de lui; et s'il n'y réüssit
pas , ce ne fut pas sa faute. Je pourrois
aussi produire d'autres exemples de
tours de politique plus semblables à celui
qu'employa Alexandre , et aussi plus récens
. Mais je croi m'être assez étendu sur
cet article , pour persuader à mon adversaire
que ce n'est pas sans fondement que
je regarde l'expedient rapporté par Lampride
, comme ayant été réellement et
véritablement mis en usage. J'avouë, avec
lui , qu'il n'y a aucune apparence qu'Alexandre
cut voulu dans de pareilles circonsAOUST.
1721 1732.
Constances abandonner à Ovinius , la conduite
de son armée; c'eut été le comble de
l'imprudence. Aussi n'est-ce pas le sens
qu'il faut donner au texte de l'Historien .
Monsieur de Tillemont l'a induit en erreur
, par la traduction qu'il a faite de ce
texte Latin , en ces termes : Alexandre
offrit à ( Ovinius Camillus de l'y mener
avec lui , s'il n'aimoit mieux y aller lui
seul. Dans ce texte,ainsi conçu ; vel ipsum
si vellet, ire, vel ut secum proficisceretur, bortatus
est , la particule vel , doit être prise
non disjonctivement , mais conjonctivement
c'est-à - dire pour et , comme dans
une infinité d'autres endroits des Auteurs
de l'Histoire Auguste. Monsieur de
Saumaise l'a remarqué plusieurs fois , et
entr'autres sur Lampride , par cette petite
notte; (vel pro et ; quod sexcentis locis apud
hos autores observavimus ) ( a ) Icy P'Hi
torien en a usé de la sorte , d'autant pl
volontiers que la répetition de la part.
cule et qu'il avoit employée peu aupara
vant , et qui revient peu après , auroi
été trop désagréable. ( b ) Lampride a
donc seulement donné à entendre qu'Alexandre
invita Ovinius à aller à la Guer-
( a ) Edition de 1620. pag. 184.
(b ) Voyez le Mercure d'Oct. 1731. pag. 2338.
C
1722 MERCURE DE FRANCE
re contre les Barbares , et même à faire
le voyage avec lui.
Je n'étois aucunement obligé de désigner
l'habitation de ces Peuples , lorsque je fis
ma premiere Lettre adressée aux Auteurs
du Mercure, dans le mois de May dernier,
n'y d'ajouter dant la seconde , pour plus
grande explication , que l'expedition Ġermanique
, qui suivit l'association , se rapportoit
à celle où Varius Macrinus se signala
dans Pillyrie; et j'aurois pû me borner
au simple texte de Lampride , qui ne
les nomme qu'en général , sous le nom
de Barbares. Mais m'étant reposé sur
l'exactitude qu'on attribuë à M. de Tillemont
, j'ai cru avec lui , qu'il s'agissoit de
l'expédition qui se fit par Alexandre,contre
les Germains , dont le triomphe qui
suivit est marqué chez Occo , sur une
Médaille d'argent en ces deux mots DE
GERMANIS , avec cette note chronologique
TR. P. VIII.cos. III. La Victoire étant
rapportée à l'an 229. de Jesus- Christ , il
étoit assez naturel de croire que la guerre
cut pû commencer en 228. c'est ce qui
-me déterminoit à faire partir en cette
année Ovinius avec Alexandre. Mais depuis
, j'ai fait réfléxion sur un discours
fit Alexandre à ses Soldats étant à Anque
tioche l'an 233 , lorsqu'il les conduisoit
contre
AAOUST . 1732 1723
contre la Perse L'Empereur voulant éteindre
les semences de sédition qui se formoient
dans son armée , rappella à ses anciens
Soldats l'usage qu'on leur avoit
enseigné de faire de leur voix , d'abord
contre les Sarmates , ensuite contre les
Germains , et enfin contre les Perses ,
ajoutant qu'il étoit étonnant qu'ils voulussent
s'en servir contre celui qui leur
fournissoit la nourriture,les vétemens , & c .
Qui in concione estis , leur dit- il , vocem in
bello cantra hostem , non contra Imperatorem
vestrum necessariam , certè Campidoctores
vestri hanc vos docuerunt contra Sarmatas et
Germanos ac Persas emittere , non contra eum
qui acceptam à Provincialibus annonam ,
qui vestem , qui stipendia vobis attribuit.
Monsieur de Tillemont n'ayant traduit
dans notre langue qu'une partie de ce discours
, n'a pas fait sentir que les Sarmates
y sont nommez en premier lieu , et les
Germains ensuite. Ce fut donc l'occasion.
de l'irruption des uns ou des autres de ces
Barbares qu'Alexandre saisit , pour convaincre
les Soldats , combien ils se connoissoient
peu en vrai mérite , lorsqu'ils
marquoient quelque inclination d'obéïrà
Ovinius. L'Empereur qui étoit jeune , af
fecta apparemment d'aller exprès à pied ,
afin de faire succomber son concurrent
Cij Sous
1924 MERCURE DE FRANCE
sous la fatigue, et il en vint à bout en peu
de jours . Comme il est évidenr qu'Alexandre
dans le discours qu'il tint à ses
Troupes , les faisoit ressouvenir par ordre
des temps de toutes les Campagnes
qu'ils avoient faites; il est necessaire de
placer celle de Sarmatie la premiere ; et
par consequent comme celle de Germanie
est de l'an 229 , au plus tard ; on doit
celle
que qui se fit contre les
Sarmates a dû être aussi au plus tard l'an
convenir
228.
On ne peut pas assurer si Alexandre
alla en personne jusques dans la Sarmatie
; c'est un fait qu'Acolius auroit sans
doute éclairci par le moyen de son livre
des Voyages de cet Empereur. Mais ses
Mémoires étant perdus , on doit se contenter
de sçavoir simplement que la premiere
guerre que cet Empereur eut à soutenir
, fut contre ces peuples. Il seroit fort
à propos , je l'avoue , que quelque Médaille
vint au secours de la notice que je
prétends tirer en faveur de cette guerre
Sarmatique , du discours qu'Alexandre
tint à ses Soldats , de méme que nous en
avons une qui constate celle de Germanie.
Mais il ne faut point désesperer d'en
trouver quelquejour où la victoire sur les
Sarmates sera rapportée à l'une des 6 premieres
AOUST. 1732 1725
,
mieres années du regne d'Alexandre ,
pourvû que l'on soit plus soigneux de les
conserver , que ne l'a été un Orfévre de
notre Ville , qui au mois de Juin dernier,
en ayant acheté d'un passant un grand
nombre d'argent , du regne de cet Empereur
et des autres Princes qui lui succederent
, les fondit une demie - heure
après, sans qu'on ait pû en sauver qu'une
seule d'Alexandre. Ces monumens,moins
sujets aux accidens que les livres , peuvent
suppléer en quelque sorte , à ce que nous
- sçaurions plus en détail , si nous avions
en original les Memoites que Septimius ,
Acolus , Encolpe , Gargilius- Martialis
Marius Maximus , Aurele - Philippe et
encore d'autres témoins oculaires avoient
dressés touchant le regne de cet Empereur.
Cette guerre Sarmatique s'offre icy
d'autant plus à propos, avant celle de Germanie
, que plus elle sera rapprochée du
regne d'Alexandre , plus on sera fondé à
suivre l'explication que Saumaise a donnée
au texte de Lampride , et à dire avec
lui que ce fat Alexandre même qui donna
ordre de tuer Ovinius dans l'une de
ses terres , où il demeuroit depuis long - temps,
et à ne pas rejetter , sans necessité , cette
mort sur l'Empereur suivants tutum ad
Willas suas irepræcepit in quibus DIU VIXIT,
C iij
K
sed
1726 MERCURE DE FRANCE
sed post , jussu Imperatoris occisus est. Depuis
la remarque que vous , Monsieur ,
m'avez fait faire , après Saumaise , que
tout Historien qui dit simplement l'Ēmpereur
, entend celui dont il écrit l'histoire
, et non son successeur; je ne panche
plus en aucune maniere pour le sentiment
que M. de Tillemont insinuë.
M. P. d'Orleans a proposé le silence de
deux Ecrivains contemporains à Alexandre
; sçavoir , Dion et Hérodien , comme
un grand argument contre l'histoire de
l'association d'Ovinius , Mais il faut d'abord
retrancher de ce nombre l'Historien
Dion , pour plusieurs considerations. La
premiere est , que nous avons perdu le
livre de son histoire, qui comprenoit une
partie du regne d'Alexandre; car nous n'en
avons qu'un abregé des plus succincts ,
fait par Xiphilin , lequel a retranché ce
qui lui a plus la seconde est , que si
l'association d'Ovinius s'est faite dans le
temps que Dion a renfermé dans son Histoire
, c'est-à-dire , avant l'an 229 , comme
je n'en doute aucunement , Xiphilin
a voulu la comprendre sous ces termes
generaux qui se trouvent dans son abregé:
Per id tempus multe rebelliones facta
sunt à multis quarum aliquot , quum fuissent
formidolosa , repressa ac restrincta sunt.
Les
AOUST. 1732. 1727
Les sourdes pratiques d'Ovinius pour par
venir à l'Empire, sont sans doute du nom
bre de ces rebellions dangereuses qui furent
réprimées par Alexandre. Can Ovinius
rebellare voluisset tyrannidem affecians,
dit Lampride.
ро
Qu'importe , en effet , de quel moyen
on se serve pour réussir à étouffer une rebellion
formée secretement , force ou
adresse , pourvu qu'on parvienne au bur
qu'on s'est proposé. Alexandre usa de
litique, de même qu'il venoit de faire unt
peu auparavant , incontinent après le
meurtre d'Ulpien son favori. Le même
Dion dit que la raison pour laquelle Epagathe
, Auteur de ce meurtre , ne fut
point puni sur le champ et pourquoi
l'Empereur parut dissimuler la peine que
lui faisoit cette action , fut la crainte qu'il
eut d'exciter une émotion dans Rome.
Epagathus qui Vlpiano magna ex parte
causa necis fuerat , missus est in Ægyptum,
ut Præfectus ejus Provincia , ne forte si de eo
Rome supplicium sumptum esset , tumultus
aliquis connectaretur; atque inde reductus in
Cretam , condemnatus est. Per id tempus , et
le reste , comme cy- dessus .
Quelque année que l'on choisisse entre
les six premieres du regne d'Alexandre ,
pour placer la mort d'Ulpien , il est évi-
C iiij dent
7728 MERCURE DE FRANCE
dent que la rebellion d'Ovinius ne tarda
gueres à suivre cet évenement. On doit
aussi placer vers ce temps-là les procla
mations des autres Augustes dont j'ai parlé
plus hauts et le texte de Dion le demande.
A l'égard d'Herodien , ce n'est rien
moins qu'un Auteur exact , suivant les
Critiques et suivant M. de Tillemont
même. Aussi le reprend-il très-souvent ;
ainsi sans entrer dans le détail , qu'il me soit
permis de renvoyer M. P: à la table de
son troisiéme volume de l'Histoire des
Empereurs. Lampride pareillement , qui
avoit l'ouvrage d'Herodien sous les yeux,
en faisant la vie d'Alexandre , est obligé
de le corriger , lorqu'il contredit les Annales
de la Ville de Rome , et tous les
Auteurs contemporains , qui étoient plus
à portée que lui d'examiner les démar
ches de cet Empereur , et sa maniere de
vivre. Cet Historien Grec a pû être mieux
informé de quelques- unes des choses qui
se passerent en Orient , mais il n'eut pas
les mêmes facilitez pour apprendre tout
ce qui arriva dans l'Occident. Il en raconta
des Histoires autrement qu'elles n'étoient
, et il en obmit plusieurs qui ne
vinrent point à sa connoissance , même
de celles qui regardent l'Orient.
S'il
AOUST. 1732. 1729
S'il falloit n'admettre que ce qu'il a inseré
dans son Ouvrage , il faudroit effacer
de la vie d'Alexandre la révolte des Troupes
de Mésopotamie , contre Flavius Heracleon
, leur Commandant, dont Dion a
parlé ; il ne faudroit rien croire du meurtre
d'Ulpien, rapporté par le même Dion .
Si Herodlen a obmis l'association d'Ovinius
, il a aussi passé sous silence la victoire
sur les Germains, remportée en 229,
dont les Médailles ont conservé la mémoire
; il n'a pas fait là moindre men--
tion du triomphe glorieux d'Alexandre ,
au retour de la guerre de Perse. Loin de
cela , on croiroit à le lire , que l'Empëreur
confus de n'avoir pû vaincre Arta--
xerxes , vola brusquement d'Antioche sur
les bords du Rhin ,, pour l'éxpédition
d'Allemagne ; confectoque celeriter itinere
consistit ad Rheni ripas . Il ne dit rien non
plus de l'élevation de Taurin et d'Urane
à l'Empire. Faut -il donc s'étonner s'il en a
fait autant d'Ovinius.
Je ne m'étendrai point à refuter la proposition
extraordinaire par laquelle M. P.
avance,qu'à moins que les faits que Lam--
pride a tirés des Historiens contemporains
d'Alexandre , ne se rencontrent ailleurs ;
on est toujours bien reçu à les rejetter.
Javoiie que ce principe est très- commode
G. v
pour
1730 MERCURE DE FRANCE
pour n'admettre que ce que l'on veut. Il
suffit de l'exposer , pour faire voir à quel
dégré d'incrédulité il conduiroit les Lecteurs
, s'ils en étoient susceptibles , et il
n'est pas difficile de prévoir qu'après l'avoir
admis , à l'égard des Historiens du
Paganisme,on pourroit bien l'étendre sur
d'autres , d'une importance bien plus
grande. Je suis donc d'avis, comme vous,
Monsieur , que loin de rejetter le témoignage
des Auteurs réunis ensemble , dans
la compilation de l'Histoire Auguste ,
tout imparfaits qu'ils sont; la raison veut
qu'on y ajoute foy , comme à toute autre
Histoire , à moins qu'il n'y ait des motifs
très-pressans de s'en écarter, et des objections
qui soient sans replique.
La derniere objection de M. P. contre
l'association d'Ovinius à l'Empire , consiste
en ce qu'il ne se trouve aucune Médaille
qui fasse mention de lui ,ni aucune
Loy où son nom soit marqué. Mais fait - il
attention , que selon l'Historien sur lequel
nous nous fondons , cette association
fut de très peu de durée , et qu'Ovinius
fatigué du métier de la guerre , au
bout de trois ou quatre jours de marche,
abdiqua l'Empireset qu'Alexandre l'ayant
aussi - tôt confié à des Soldats , de la fidèlité
desquels il étoit très-sûr, le fit conduire
dans
AOUST. 1732. 1731
dans ses terres, où il vécut en simple particulier.
Quoiqu'on ne puisse gueres dou
ter qu'il n'y ait eu quelques Médailles
à l'occasion de l'association d'Ovinius
il n'est pas extraordinaire qu'il ne s'en
trouve point aujourd'hui. Combien y en
a-t- il eu qui n'existent plus , et combien
n'en reste- t- il pas encore à découvrir? On
donne communément trois femmes à Alexandre
Severe ; où sont les Médailles des
deux dernieres ? Où est celle qui fut sans
doure frappée pour le triomphe de cet
Empereur. L'Histoire ne nous apprendelle
pas que certaines personnes ont porté
le titre d'Empereur , sans qu'il en reste
des Médailles, ou du moins dont on n'en a
que de tres douteuses. Tel est un Jotapianus
, un Lucius - Priscus , un Julius-
Valens , un Perpenna -Lucinianus, un Firmius
, & c. S'il ne se trouve point de Médailles
de tous les Princes dont l'Histoire
fait mention , il faut aussi avouer que les
Médailles nous ont conservé le nom de
quelques Princes , qui sans cela ne seroient
point connus , les Livres qui en
pouvoient traiter ayant été perdus . Tel
est un Pacatianus , un Nigrianus ,une Bar
bia Orbiana , & c. On ne peut donc point
conclure avec certitude, qu'un Prince n'a
point existé , de ce qu'on ne trouve poinɛ
Cvj son
1732 MERCURE DE FRANCE
son nom sur les Médailles qu'on a aujourd'hui
,ou qu'il ne paroît pas dans les Hitsoriens
,parce qu'on a perdu beaucoup de mo
numens en l'un et en l'autre genre . On peut
encore moins le conclure de ce que son
nom n'est dans aucune Loy. Cette raison
est des plus frivoles dans l'affaire d'Ovinius
. Il peut se faire qu'il n'y ait eu aucune
Loy expédiée , du moins qui soit parve
nue jusqu'à nous , pendant le court inter
valle de son association . Si donc il se rencontre
des vuides considérables , sans promulgation
de Loix , pendant les années ,
à l'une desquelles on est obligé de fixer
cette association , l'argument de M. P.
n'est d'aucun poids , et il tombe de luimême.
nuë
Quoique jaye accordé à M.P. qu'une
Inscription votive , de l'an 228. qui porte
ces mots : Pre salute Dominorum , pourroit
s'entendre plus naturellement de l'Im
pératrice Mammée , avec son fils ; je n'abandonne
point cependant tout-à - fait la
part qu'Ovinius peut avoir dans ce nom
bre plurier; parce qu'à la lecture de Dion ,
tout abregé qu'il est par Xiphilin ; on
voit clairement que la mort d'Ulpien n'a
pas dû précéder de beaucoup de temps le
Consular du même Dion , qui fut sûrement
l'an 229. Il faut donc mettre certe
mort
'A O UST. 、1733 1732.
mort vers la fin de l'an 227 , ou au commencement
de 228. Or comme , selon le
même Dion , l'intervalle entre ces deux
époques fut celui pendant lequel se formerent
diverses rebellions : Multa rebel-
Liones à multis celle d'Ovinius ayant été
l'une des plus dangereuses , il paroît qu'on
doit toujours la rapporter à l'an 228 ; et que
par conséquent son association seroit du
même- temps , et sous le Consulat de Mcdeste
et Probus . C'est ce qu'il faut esperer
que la postérité verra un jour éclairci par
les Médailles , dont on fera la découverte
, ou par d'autres monumens plus entiers
que n'est celui d'Auxerre . Au reste
cet Ovinius-Camillus est si peu une chime
re et un personnage fabriqué par Lampride
, ou par quelque Ecrivain posterieur
selon le jugement de Tristan , que ce celebre
Antiquaire le croit fils d'un autre
Ovinius - Tertullus , Président de la Mysie
inférieure , auquel fut adressé un Réscrit
très- connu dans le Droit , et qui a
fait donner le nom de : Ad Senatus Consulium
Tertullianum , au tit . 17 du 38 liv.
du Digeste. Les Deux Empereurs qui y
sont nommez , sont Septime Sévére , et
Caracalla , son fils ; et le Jurisconsulte ,
qui cite le Réscrit, n'est autre que le fameux
Ulpien , dont j'ai déja parlé plusieurs
1734 MERCURE DE FRANCE
sieurs fois. Je vous ai , Monsieur , l'obligation
de cette remarque , qui n'est pas
icy hors de propos , et qui fait voir en
même- temps, qu'en lisant les Loix, vous
ne perdez aucun des fruits qu'on en peut
tirer pour la littérature. Comme les Livres
du Droit sont moins suspects de
falsification que les Livres d'Histoire ,
j'espere que mon Adversaire aura assez
d'équité pour ne pas prétendre que la
généalogie , indiquée par Tristan , pêche
jusques dans sa source. Il faut qu'il convienne
au moins que le nom d'Ovinius
ne se rencontre guéres ailleurs qu'en ces
- deux endroits. De mon côté , si le tout
est controuvé et fabriqué à plaisir , j'avouerai
que la manufacture d'Ecrivains ,
Imaginée par quelques modernes , a eu
des correspondances admirablement bien
soûtenues par tout l'Occident , pour y
faire trouver en tous lieux , dans le Corps
du Droit , un Ovinius- Tertullus , Pere
environ l'an 200 , et dans la compila
tion de l'histoire Auguste , un Ovinius-
Camillus , fils , l'an 228. ou environ.
A Auxerre , ce 26 May 1732
BOUTS
AOUST. 1732 .
1735
BOUTS RIME Z , proposez dans
le Mercure de Mars 1732.
Charmant jus de Bachus , de toy seul, je
Pour toi , je donnerois le plus riche
Boire,
Butin "
Pour te trouver, j'irois jusqu'au mont Pa-Latin,
Je vaguerois par tout , j'irois de Foire en Foire.
Je passerois le Rhin , la Garonne , et la Loire ;
On me verroit aller en nocturne
Comme fait un Coureur ( a ) en trousse de
Lutin,
Satin.
Mais pour ce jus Normand , ou de Pomme , ou
de
Qu'on me mette plutôt sous le fer du.
Poire,
Rabot,
Que je sois à l'instant plus petit qu'un Nabot ,
Plus gauche , plus tortu, que la plus laide Souche,
Qu'on m'oblige à tirer la Rame d'un Batean ,
Mon vrai baume est le vin qu'il coule
plein
Ruisseau ,
Je m'embarasse peu qu'il soit dur , clair , ou
Louche
Par l'Abbé LANIBXE
( a ) Espece de Haut -de-Chausse , que portent
les Coureurs des Gens de qualité.
TRA1735
MERCURE DE FRANCE
TRADUCTION d'une Relation Turque,
sur ce qui s'est passé dans les Conferences
tennës pour la Paix entre les Turcs et les
Persans , à l'Armée du Grand- Seigneur,
près d' Hamadan , par les Plénipotentiaires
de Sa Hautesse , et ceux de Chab-
Thamas , Roy de Perse.
Chmer- Pacha , Seraskier ou General
Adel'armée Otomane , et BeylerBey ,
( c'est- à- dire Gouverneur ) de la Province
de Babylone , en vertu des pleins
pouvoirs que le G. S. lui envoit envoyez
pour faire la paix avec les Persans ,
ayant nommé Achmet- Pacha , Beylerbey
de Rika , ( 1 ) Abdi - Pacha- Zadé- Ali - Bey,
Salahor ( 2 ) de S. H. Kassim- Effendi ,
Defterdar ( 3 ) de l'Armée , et Raghib
Effendi , Defterdar de Bagdat , pour Ple-
B
( 1 ) Rika , est un des 17. Beylerbeys ou
Grand - Gouvernemens d'Asie , qu'on appelle
Hassilez. Voyez Ricaut , et le 3. du Diarbekir ,
consideré seulement comme l'ancienne Mesopotamie
, renfermée entre le Tygre et l'Euphrate.
(2) Salahor , Ecuyer Cavalcadour , qui exerceet
travaille les Chevaux du G. S. il y en a″12.
( 3 ) Defterdar , Intendant des Finances et
Trésorier. 1
nipo
A O UST. 1737 1732.
> nipotentiaires de la Poste et Chah-
Thamas , ayant choisi pour les siens ,
Mehemet-Riza-Khan , ( 1 ) _ Kouroudgi
Bachi , et Mustapha Khan. Tous ces Ministres
se rendirent au quartier du Beylerbey
de Rika , où ils s'assemblerent
sous sa Tente , le premier de Janvier de
la présente année 1732.
PREMIERE CONFERENCE.
Après que les Plenipotentiaires respectifs
se furent fait les complimens et les
politesses d'usage en pareille occasion .
ceux de la Porte ouvrant la Conférence
dirent à ceux du Roy de Perse.
7
Le Seraskier Achmet -Pacha , nous. a
donné pouvoir d'entrer avec vos Excellences
, dans une négociation dont le
succès ne peut être que très- avantageux
à la Perse. Nous sommes disposez de notre
part à travailler si éfficacement a la
paix qu'il ne dependra certainement pas
de ncs foins que nous n'en voyions bientôt
une heureuse conclusion . Ainsi c'est
à vos Excellences à nous faire connoître
jusqu'à quel point elles sont autorisées de
( 1 ) Khan , est la même chose en Perse qu'un
Pacha ou un Gouverneur de Province en Turquie,
et Kouroudgi Bachi , y fait l'équivalent da
Janissaire Aga chez les Turcs.
leur
1738 MERCURE DE FRANCE
leur Maître , et quelles sont leurs prétentions.
Les Plenipotentiaires de Perse, prenant
alors la parole , répondirent que de tout
temps l'illustre Maison des Rois de Perse
avoit été liée d'amitié avec l'illustreMaison
Otomane , et que cette amitié n'avoit jamais
été interrompuë que par la fatalité
du destin , qui avoit quelquefois produit
des évenemens surnaturels , suivis de la
discorde , et contre toute attente. Mais
ajoûterent- ils , nous desirons aujourd'hui
avec ardeur de faire revivre entre nous une
union si intime , qu'elle puisse rétablir
une tranquillité inalterable entre ces deux
Empires.
C'est aussi le même motif qui nous
anime, répliquerent les Ministres Turcs ;
mais pour parvenir au but que nous nous
proposons tous , il faut commencer par
convenir de certains points fondamentaux
qui puissent servir de base au Traité qui
nous assemble , et il est necessaire pour
cela que vous nous découvriez d'abord
sans détour, vos véritables intentions, afin
qu'après en avoir informé le très heureux
Seraskier , nous puissions , sur les ordres
que nous en recevrons , donner quelque
forme à la Négociation que nous enta
mons aujourd'hui.
Puisque
1
A O UST. 1732. 1739
Puisque vos Excellences souhaitent
que nous nous expliquions nettement ,
reprirent les Ministres de Perse , nous
demandons que generalement tous les
Pays que vous nous avez prís nous soient
restituez , et que la Paix et nos Frontieres
avec l'EmpireOtoman soient reglées
sur le même pied qu'elles le furent sous
le Regne du Sultan Soliman , ( 1 ) de
glorieuse memoire.
Ce discours a de quoi nous surprendre,
répartirent les Turcs , et vous nous faiteslà
une proposition des plus nouvelles . Il
a toûjours été d'usage , lorsque des Princes
ennemis font la paix ensemble , que
non -seulement le vainqueur conserve les
conquêtes dont il est en possession , mais
que le vaincu lui fasse encore des avantages.
C'est le cours ordinaire ; les Histoires
, tant anciennes que modernes ,
en fournissent mille exemples , et nous
ne doutons pas que vous ne sçachiez tout
cela comme nous. D'ailleurs dans la Paix
que vous nous citez , qui fut concluë entre
nos devanciers et les vôtres sous l'Emperéur
Soliman , on y convint pour Préliminaires
, que les Provinces de Tchildir
, ( 2 ) de Cars , ( 3 ) de Van , ( 4 ) et
(1 ) Soliman II . prit et pilla Tauris en 1535
( 2 ) Tchildir est le ye Gouvernement d'Asie ,
plu1740
MERCURE DE FRANCE
plusieurs autres lieux resteroient à la Porte
; et vous , bien loin de nous offrir au
moins quelques Places au - delà des Pays
que le sort des armes a mis entre nos
mains , vous demandez que nous vous
rendions ces mêmes Pays , qui subis
sent nos Loix depuis long - temps et
dont la conquête nous a coûté des trésors
immenses et des torrens de notre
sang .
Vous avez raison , dirent les Persans ;
` nous convenons de la justesse de vos rai
sonnemens , mais un Empire aussi puissant
et d'une aussi prodigieuse érenduë
que le vôtre , ne doit pas s'attacher , ni
même daigner faire attention à quelques
coins de terre si ruinez , qu'ils sont devenus
plus propres à servir de retraite à
de tristes Hiboux , que de demeure à
de valeureux Soldats comme les- Otomans.
Neanmoins quoique ces contrées
désolées ne puissent êtte considerées
1
que
de ceux qu'on appelle Hasilé. Il est sur les Frontieres
de la Georgie.
(3 ) Cars , Ville de la grande Armenie , dans
cette partie qu'on appelle aujourd'hui Iran , ou
Carabag , entre l'Araxe et le Cyrus.
(4) Van , Ville de la même contrée que Cars ,
et située sur un Lac du même nom , que l'on
appelle la Mer de Van ou d'Armenie , à cause
de son extréme grandeur...
comme
A O UST. 1732. 1740
.
comme un rien pour votre Empire il est
pourtant vrai qu'elles sont un objet fort
considerable pour le nôtre , et que nous
en regarderons la restitution comme une
grace singuliere , purement émanée de
la clémence du G. S. que nous osons implorer
aujourd'hui ; au surplus vous êtes
les Maîtres et nous nous en remettons
à vous avec une entiere confiance.
II. CONFERENCE , tenu le lendemais
entre les mêmes Ministres et au même
endroit.
Les Plénipotentiaires Turcs adressant
la parole à ceux de Perse , leur dirent :
si vous êtes effectivement dans le dessein
de finir la guerre , ( 1 ) ne vous amusez pas,
comme vous fites hier , à battre le fer
froid. Mais au lieu de vous entretenir
dans la vaine idée de la pouvoir terminer
sur le même plan que nos Ancêtres
suivirent sous Soliman , songez plutôt à
joindre à nos conquêtes quelques Pro
vinces qui puissent nous convenir , ainsi
que les vaincus en ont toûjours agi envers
leurs vainqueurs.
Et
que nous reste-t'il , pour vous don
ner de nouvelles Provinces , se récrierent
(1 )Proverbe Arabe , qui revient au nôtre , il
faut battre le fer tandis qu'il est chaud,
les
1742 MERCURE DE FRANCE
les Persans ? Nous venons humblement
vous demander grace ; nous reclamons
la misericorde de la Porte ; notre intention
n'est pas de marchander ni de chicaner
avec vous ; nous connoissons.trop
l'état d'humiliation où l'enchainement de
nos malheurs nous a réduits , pour avoir
la présomption de vous rien contester
mais si la décadence de nos affaires , arrivée
par le concours de mille fâcheux évenemens
, a été cause que vous nous avez
traitez de la maniere la plus cruelle, pourriez
vous laisser échapper la belle occasion
que le Ciel vous offre aujourd'hui de
réparer nos maux , en faisant autant de
bien à notre Monarque , que vous lui
-avez porté de préjudice ? non , au lieu
de lui rien demander davantage , réta
blissez- le sur son Trône , avec autant de
puissance et de splendeur qu'y brillerent
autrefois ses illustres Ayeux , et persua
dez- vous que la gloire de votre Empire.
et de votre Empereur y est interessée. Du
reste, à notre égard, nous serons toujours
satisfaits de tout ce que feront vos Excellences.
Nous voulons bien le croire ainsi , répondirent
les Plénipotentiaires de la
Porte , et votre modestie nous confirme
dans l'opinion que nous avions déja conçuë
A O UST. 1732. 1743
çue de votre prudence et ' de votre capacité.
C'est pourquoi nous vous déclarons
de la part de l'Empereur notre Maî
tre , que par un excès de bonté pour vous ,
il veut bien , non - seulement vous accorder
la Paix et se désister des justes prétentions
qu'il auroit comme victorieux
d'exiger de nouveaux Païs qui seroient
à sa bienseance , outre ceux qu'il a conquis
sur vous , il veut encore faire plus
en votre faveur , et pour vous marquer
jusqu'où va son extrême generosité , il
vous donne le choix entre les derniers
Pays que ses Armes lui ont acquis en
deçà de l'Araxe , et à l'exception de la
Province de Tauris , ( ) vous n'avez qu'à
demander , tout vous sera accordé.
Nous vous avons exposé ce que nous
desirions , répliquerent les Persans , et
sans varier dans l'unique point - de - vûë
qu'il nous est permis d'avoir , nous continuons
à vous prier de rétablir notre Roy
dans tous ses Etats. Faites cependant ce
que vous jugerez de plus digne de vous
et de la gloire de votre Empire. Mais
comme nous nous app rcevons que nos
instances les plus vives ne produisent pas
(1) Tauris ou Tebris , grande Ville et Province
enclavée dans l'Airbeitzan ou Edzerbaijan
qui fait partie de l'ancienne Médie,
sur
1744 MERCURE DE FRANCE
sur vos Excellences l'effet que nous avions
crû pouvoir nous en promettre , qu'elles
nous donnent , s'il leur plaît le reste du
jour pour consulter entre nous , et demain
matin Mustapha Khan ( . ) viendra
vous rendre compte de la résolution que
nous aurons prise.
III. CONFERENCE , où il n'y ent
que Mustapha - Khan , de la part
de Chah-Thamas.
Le lendemain , ainsi que les Plénipotentiaires
Persans l'avoient promis , Mustapha
- Kan se rendit au lieu de l'Assemblée
et dit aux Ministres Turcs qui l'y
attendoient. A la verité jusqu'à present
nous avions été obligez , Mehemet Riza-
Khan et moi , de nous en tenir , conformement
à nos instructions , à vous
prier de restituer generalement à notre
Souverain tous les Pays que la Porte lui
a enlevez , mais ayant reconnu combien
vos Excellences étoient éloignées de remplir
nos souhaits à cet égard , nous hous
sommes retranchez à les supplier d'agréer
une des deux propositions que je vais
avoir l'honneur de leur faire. La premie-
*
(1 ) N. B. c'étoir Mehemet Riza Khan , qui
tomme Premier Plénipotentiaire , portoit la parolc.
A O UST. 17327 1745
re , que la Perse payera annuellement à
la sublime Porte une certaine somme
dont on conviendra , moyennant quoi
les limites des deux Empires seront bor :
nées par les Rivieres d'Arpatchaï ( 1 ) et :
de Karct-Kalkan , et vous nous restituerez
tous les Etats que vous avez conquis .
sur nous . La seconde , qui vous sera peutêtre
plus agréable , que les Provinces de
Tiflis ( 2 ) d'Herdelan , resteront sous votre
domination , et que vous nous ferez la
grace
de laisser rentrer le reste sous celle
de notre Roy.
Ni l'une ni l'autre de ces propositions
n'est acceptable , répondirent les Plenipotentiaires
de Turquie , et il nous paroît
si hors de propos , que vous fassiez
la moindre ouverture sur les Pays audelà
de l'Araxe qu'il ne nous convient ›
même pas d'ouvrir la bouche pour vous
répondre sur cet article. En verité , continua
le Pacha de Rika , qui comme le
premier entre ses Collegues parloit pour
tous , il est bien étrange , que dans le
temps même qu'également touchez de
11 ) Ces deux Rivieres sont en Géorgie.
( 2 ) Tiflis , ou Téffis , Capitaine du Gurgistan,
qui est la Géorgie , proprement dite. Elle est située
sur le bord du Kur , anciennement le Cyrus.
Herdelan est dans le même Pays.
D YOS
1746 MERCURE DE FRANCE
vos malheurs et de vos prieres , nous
consentons , non - seulement à renoncer
en faveur de la Paix aux Provinces que
nous serions en droit d'exiger par - dessusnos
conquêtes , mais que notre complaisance
pour vous s'étend jusqu'à vous of→
frir de vous en rendre de celles que nous
venons d'acquerir ; il est bien étrange ,
dis-je , que vous nous fassiez sérieusement
des propositions si éloignées de toute
raison . Vous voulez ceci , vous ne vou
lez pas cela , et vous prétendez disposer
des Pays qui sont entre nos mains, comme
si vous en étiez encore les paisibles possesseurs.
N'avez vous donc pas de honte d'ê
tre si peu judicieux ? Le Pacha s'emporta
en proferant ces dernieres paroles , ou
du moins fit semblant de s'emporter ,
car il se radoucit bien- tôt , quand Mustapha
l'interrompant d'un air humble et
flateur , s'exprima en ces termes : Nous
sommes venus implorer la générosité de
la sublime Porte , à laquelle nous nous
abandonnons sans réserve , et dont la
puissance s'étend d'un bout du Pole à l'au
tre ; vous nous voyez accablez de revers,
sans appui , sans secours ; nous ne possedons
plus rien qui mérite de porter le
nom de Païs et de Provinces ; il n'est pas
étonnant que dans des circonstances si
affligeantes,
A O UST. 1732. 1747
affligeantes , nous vous fassions des demandes
qui vous paroissent inconsiderées
, mais vous ne devez pas nous en
sçavoir mauvais gré , et quelque extraordinaires
que vous semblent nos prétentions
, l'état violent où nous sommes ,
doit les excuser auprès de vos Excellences.
Pourquoi , reprirent les Turcs , faites-
vous tant les miserables ? Est- ce que
le Royaume de Perse est renfermé seulement
dans les conquêtes que nous y
avons faites ? et peut- on appeller pauvre
un Souverain qui possede Ispaham , le
Guilhan , ( 1 ) Chiras , ( 2 ) le Korassan , ( 3)
et tant d'autres Contrées , qui forment
encore un vaste Empire ?
De tous les Etats , dont vous venez de
faire l'énumération , repartit Mustapha ,
en soupirant , une partie a passé sous les
Loix des Infideles Moscovites , et l'autre
est , pour ainsi dire , totalement boule-
(i) Le Guilhan ou Kilan , est le long de la
Mer Caspienne , et compose avec le Mazandran ,
l'ancienne Hyrcanie.
(2 ) Chiras ou Schiras , Ville sur le Kur , dans
le Farsistan ou la Perse proprement dite .
(3 ) Le Korassan , Corasan , ou Chorasan ,
comprend l'anciene Ariane , partie de la Bactriane
, et du Païs des Parthes , c'est une des plus
Considerables Contrées de la Perse.
Dij versée
1748 MERCURE DE FRANCE
1
versée les par ravages et les désordres
qu'y ont faits , ou qu'y ont attirez les
cruels ( 1 ) Esghans . De sorte qu'à proprement
parler , nous n'avons plus frien
de quelque conséquence que Coni ( 2 ) ,
Kiachan ( 3 ), et ( 4 ) Ispaham.
Mais si votre situation , repliquerent
les Turcs , est aussi déplorable que vous
nous la dépeignez ; si outre cela vous affectez
dans toutes les occasions de vous
dire , nos Freres , de vous vanter d'être
avec nous dans la même unité de Religion,
et si vous avez d'ailleurs tant d'embarras
et d'ennemis sur les bras, d'où vient
ne vous pas appliquer à vous en délivrer?
Pourquoi vous acharner particulierement
contre nous , comme vous faites ? Car s'il
en faut juger par toutes vos démarches ,
il n'y a que nous seuls qui vous occu-
( 1 ) Esghans , Eughans , ou Aguans , Peuples
du Candahar , qui fait partie du Sablustan , autrefois
le Paropamisus.
( 2 ) Com , ou Kom , Ville dans l'Hierak ou
Yerak- Agemi , partie de l'ancien Royaume des
Parthes.
( 3 ) Kiachan ou Cachan , grande Ville du même
Pais.
( 4 ) Ispaham , Spahan , ou Spahon , comme
prononcent les Persans , est aussi dans le même
Païs. Les uns croient que cette Capitale de toute
la Perse , a été bârie sur les ruines d'Hécatom-
Pylos , et d'autres sur celles d'Aspa.
pions ;
AOUST. 1732. 1749
}
pions ; vos divisions , vos disputes , vos
guerres,votre empressement pour la Paix,
tout semble en vous n'avoir que Nous
pour unique objet.
C'est aussi , dit Mustapha , l'affaire qui
nous interesse le plus , et que nous prenons
le plus à coeur. Vous êtes l'ennemi
le plus redoutable que nous ayions en tête;
si nous pouvons parvenir à cimenter avec
vous une Paix solide , nous nous démêlerons
facilement de nos autres ennemis ;
et s'il plaît à Dieu , nous vérifierons bientôt
le Proverbe Arabe , qui dit que
l'homme
se releve où il est tombé.
Mais enfin , continua- t - il , si les Otomans
nous ont fait éprouver la fureur de
leurs armes , et s'ils nous ont maltraitez
au delà de ce que nous pouvions jamais
prévoir , nous esperons qu'à tant de calamitez
qu'ils nous ont fait souffrir , ils feront
succeder des dédommagemens qui
Ies égaleront. C'est uniquement dans cet
esprit , que nous venons négocier avec
vous, et non pour disputer sur le plus ou
le moins de Pais à prétendre et à ceder.
Nous vous retraçons au naturel l'image
de nos infortunes ; nos prieres y sont relatives
; c'est à vos Excellences , comme
nous leur avons déja dit, de prendre une
détermination à notre égard , qui distin-
Diij gue
1750 MERCURE DE FRANCE
gue d'une façon glorieuse , la grandeur et
la dignité de votre Empire.
Tout cela est excellent , répondirent les
Ministres Turcs , et vous avez raison de
vous attendre à recevoir des faveurs de la
Porte ; mais votre attente, pour être bien
fondée , ne doit pas être sans mesure , et
nous voyons avec peine , qu'au lieu de
resserrer vos désirs dans de justes bornes,
vous n'avez fait , jusqu'icy , que vous répandre
en demandes indiscretes , qui
loin de nous approcher du but , nous en
écartent . Ainsi comme vous n'avancerez
jamais rien avec nous , si vous ne prenez
une autre route , nous voulons bien encore
vous donner le loisir de réfléchir de
nouveau plus murement , sur vos véri
tables intérêts, et nous les discuterons vo
lontiers plus en détail dans la Conféren
ce que nous tiendrons demain .
IV. CONFERENCE , où tous les Ple
nipotentiaires des deux Cours assisterent.
Le 4 dudit mois de Janvier , les Ministres
de la Porte , parlant toujours les
premiers , dirent à ceux de Perse : Nous
nous étions persuadez , qu'en agitant une
affaire d'aussi grande importance que celle.
de la Paix , nous ne devions rien négliger
pour la porter à son point de perfection
le
AOUST. 1732. 1791
8
le plutôt qu'il se pourroit ; et nous nous
étions flatez de trouver dans vos Excellences
, des dispositions conformes aux
nôtres en cela. Mais nous reconnoissons ,
à regret , que nous avions mal pénétré
leurs intentions , puisqu'il paroît clairement
, qu'elles ne cherchent qu'à éluder
les nôtres , et qu'à gagner du temps, pour
faire échouer la négociation à force de la
tirer en longueur . En effet , si ce n'étoit
pas là votre vûë, pourriez- vous vous opiniatrer
, comme vous faites , à former des
prétentions , ausqu'elles vous sçavez bien
vous-même qu'il ne nous est pas possible
de souscrire ?
Nous sommes pleinement convaincus
de notre impuissance, répondirent les Persans
, et que nous ne pourrons secoüer le
joug qu'il vous plaira de nous imposer.
Vous possedez tout, nous sommes privez
de tout ; c'est à vous d'ordonner,èt à nous
d'obéïr.
S'il étoit vrai , comme vous le dites, reprirent
les Turcs , qu'il ne dépendit que
de nous d'achever heureusement cette
négociation , vous ne nous feriez pas des
demandes si peu mesurées , et toutes nos
prétentions réciproques seroient reglées
dans un moment. Il faut être équitable ,
et que vos Excellences se restraignent à ce
qu'on Diiij
1752 MERCURE DE FRANCE
qu'on peut raisonnablement leur accorder.
Ainsi, sans perdre davantage le temps
en discours specieux , qui ne conduisent
à rien de décisif , parlez- nous une bonne
fois positivement ; nous vous réïterons ,
que vous nous trouverez toujours disposez
à nous prêter à tout ce que vous nous
proposerez de faisable. Mais nous devons
vous prévenir auparavant , qu'il ne faut
plus nous contester la possession des Païs
au-delà de l'Araxe , ni que vous insistiez
de nouveau sur la restitution de Tauris ,
qui est en deçà de ce Fleuve. Hors ces
deux articles , vous pouvez tout esperer
du désir sincere que nous avons de faire
tenaître entre les deux Empires une harmonie
inalterable.
qui
Vous êtes les maîtres , encore un coup,
repliquerent les Persans ; nous continuons
d'avouer que tout vous appartient
chez nous ; mais dès que vous rejetteż
la priere que nous vous faisons , de
-nous rendre nos Etats au delà de l'Araxe ,
set la Province de Tauris en deçà ; surquoi
voulez -vous que roulent nos Conféren-
´ces , puisque tout ce qui nous reste de notre
Monarchie , ne vaut pas seulement la
peine qu'on en fasse mention ?
Comment , s'écrierent les Plénipotentiaires
de la Porte ; n'y a t- il pas encore
( 1)
A OUST. 1732. 1753
(1 ) Amadan , avec son vaste territoire ?
et si nous vous le rendons , ne devez - vous
pas être satisfaits ?
-
Nous avions toujours esperé , repartirent
ceux de Perse , que vous fériez rentrer
Chah Tahmas dans les Païs d'audelà
de l'Araxe , et toute la faveur que
vous voulez lui faire , consiste à lui rendre
Amadan , qui est en deçà. Dès que
vous montrez si peu d'égard à nos humbles
et constantes supplications , nous ne
sçavons plus que vous proposer , et votre
infléxibilité nous rend muets.
Que nous dites- vous -là , reprirent les
Turcs ; avez - vous oublié , que lors même
que votre Maître se vantoit de nous avoir
battus , il envoïa à la Porte (2 ) Riza Kouli
Khan et Méhémet-Veli - Khan, qui dans
leurs conférences, avec nos Ministres , cederent
tous ces Païs Surquoi , s'il vous
plaît , aujourd'hui que vous vous confessez
vaincus, pouvez appuïer votre obs
tination à les répéter ?
>
Nous convenons de ce fait , replique-
( 1 ) Hamadan , Ville des plus considérables de
Perse. Elle est dans l'Yerax - Agemi , qui est l'ancienne
region des Parthes.
( 2 )Ils firent leur entrée à Constantinople le
18 Juin 1730. Riza - Kouli- Khan , qui étoit le
chef de l'ambassade , eut la tête tranchée peu
après son retour en Perse.
D v rent
1754 MERCURE DE FRANCE
rent les Persans ; mais peut-être feignezvous
d'ignorer , que ce fut par l'habileté
et les adroites insinuations de vos négociateurs
, que les nôtres consentirent im
prudemmentàce que ces Païs vous restassent
,en quoi ayant excedé leur pouvoir,
ils furent fort désaprouvez de notre Souverain.
Aussi pouvons - nous dire , que ce
fut la source de tous les malheurs qui nous
ont accablez depuis ! Mais ne nous rapellez
plus des temps funestes , que nous
voudrions pouvoir ensevelir dans un éternel
oubli ; rappellez vous seulement que
l'infortuné Chah Tahmas a recours à la
clémence de la sublime Porte , et qu'il remet
entierement son sort entre vos mains.
C'est sur ce principe que vous devez raisonner
, et vous résoudre ensuite au parti
qui vous paroîtra le plus glorieux à votre
Empire.
>
N'est ce donc pas une grande grace de
notre part , dirent les Ministres Turcs
que tout ce que nous vous offrons ? Il est
vtai , répondirent ceux de Perse , qu'à ne
considerer , que la ruine presqu'universelle
où notre Royaume est tombé , ce qué
vous voulez bien nous rendre , peut passer
pour une faveur signalée , mais cette
faveur , toute rare qu'elle est , ne répond
pas encore ni à notre état , ni à nos prie
res
AOUST. 17320 1755
res ; daignez - y faire plus d'attention , et
vous conviendrez que la Porte qui nous a
tant fait de maux , depuis l'inondation
des Esghans sur nos terres , est en quelque
façon obligée pour son honneur de
réparer , autant qu'il est en elle , les dommages
infinis qu'elle nous a causez , et que
la compassion qu'elle aura pour nous,doit
être au moins proportionnée à la reconnoissance
que nous en conserverons éternellement.
Nous osons même ajouter ,
que si votre tres-magnifique Empereur
reconnoit ,comme il le doit , que ses Vic.
toires et le bonheur de ses armes,sont des
bien faits qu'il a reçus de la Providence s
il est de sa piété d'en témoigner à Dieu
sa gratitude d'une maniere extraordinaire.
Hé ! comment peut- il mieux s'en acquitter
, qu'en nous faisant ressentir de si
grands effets de sa magnanimité, que tous
les Monarques de la terre, surpris, soient
forcez de convenir qu'ils n'ont jamais rien
vû , ni entendu parler de semblable ?
On donnera la suite dans le prochain
Mercure.
D vj
EPI
1756 MERCURE DE FRANCE
EPIGRAMME ,
Sur celles de M. Rousseau ,
"Par Me de Malcrais de la Vigne , du
Croisic , en Bretagne.

CEs jours derniers Catulle et Martial ;
Sur Pinde avoient procès de conséquence ,
Sçavoir des deux qui fut l'original ,
Par qui Rousseau , Celebre Auteur de France ,
De l'Epigramme , attrappa l'excellence ;
Sire Apollón , dudit lieu Sénéchal ,
Ouvrit son Livre , il en lut quelques- unes ,
Et n'y trouvant onc de beautez communes ,
Cet or , dit - il , paroît bon et loyal ,
Et si n'aviez eu le bonheur de naître ,
· Avant cettui qui n'a point son égal ,
Croirois , pour sûr , sans être partial ,
Qu'à tous les deux il cût servi de Maître.
AOUST. 17320 1757

LETTRE de M. D .... au sujet de
l'Eloge de l'Humeur Capricieuse.
V
Ous avez lû , Monsieur , dans le
Mercure du mois de May dernier
P'Eloge de l'Humeur Capricieuse ; il y a
bien de l'apparence , soit dit sans en offenser
l'Auteur , qu'il s'est dépeint luimême
; cependant malgré les avantages
qu'il trouve dans le caprice , je croi qu'il
suffiroit pour le détromper de lui faire
le portrait de Mlle de C ... Jamais humeur
ne fut plus égale et plus charmante que
la sienne , vous la connoissez , Monsieur ,
elle est gaye , polie , gracieuse , préve
nante , douce , modeste , vertueuse et
d'une si aimable figure, qu'il seroit difficile
de décider si tant de belles qualitez
rassemblées dans une aussi jolie personne
, doivent inspirer plus d'amour
que de respect , ou plus de respect que
d'amour ; en effet si l'on découvre à chaque
instant de nouveaux charmes dans
son esprit et dans son caractere , m lle
beautez nouvelles se font admirer tous
les jours dans sa personne ; en vain le
Partisan de l'Humeur Capricieuse dira
que
1758 MERCURE DE FRANCE
que l'humeur égale devient insipide , ennuyeuse
, qu'elle nous fait tomber dans
la tiedeur et dans l'indolence ; l'humeur
de Mile C.... est , à la verité , toujours
égale dans sa gayeté ; mais cette gayeté
est soutenue de tant de graces et d'attraits
si séduisants , que plus on la connoît
, plus on cn est enchanté ; peut - on
comparer l'incertitude gênante où nous
jette l'humeur capricieuse , au plaisir que
P'on trouve dans l'égalité d'humeur de
Mile de .... plaisir sans cesse ranimé par
des traits si vifs et si spirituels , qu'il
paroît toujours nouveau ; qui ne préferera
pas un chemin semé de roses à un
autre qui sera mêlé de roses et d'épines.
Je me trompe peut-être , mais je pense
que l'égalité d'humeur est le caractere
d'une belle ame et la marque certaine de
cette bonté de coeur dont tout le monde
se picque,et qui est si rare. Effectivement
rien de si commun en apparence que
bons coeurs , rien de si difficile à trouver
qu'un coeur bon , sans interêt , sans amour
propre , sans respect humain , sans ostentation
; tel est uniquement le coeur de
celui qui dans un heureux calme , jouit
d'une paix que la violence et le desordre
des passions ne peuvent troubler. Il faut
de l'esprit, dit - on, pour être capricieux;
les
assuréAOUST.
17320 1759
assurément Mlle de C .... en a autant
qu'il en faut , mais son esprit assez enjoué
pour être agréable , a de- même assez
de solidité pour se faire une douce habitude
de résister aux mouvemens tumultueux
qui causent le caprice ; enfin je
veux bien demeurer d'accord avec notre
Auteur qu'il faut un génie superieur pour
être parfaitement capricieux , pourvû
qu'il convienne à son tour que le caprice
est l'effet d'un génie mal reglé.
Après cela qui pourroit hesiter à donner
la préference à l'humeur égale , telle
que l'est celle de Mile de C ....
Jamais il ne parut un objet plus charmant è
Douce , modeste , vertueuse
Mais prévenante , gracieuse ,
De son aimable Sexe elle fait l'ornement,
Et par des graces naturelles ,
Par des beautez toujours nouvelles ,
Elle sçait à nos coeurs inspirer tour à tour,
Autant de respect que d'amour.
LA
1760 MERCURE DE FRANCE
XXXX:XXXX XXXX ***
LA JEUNESSE.
CANTATE.
Quel objet vient frapper mes yeux ?
Quel éclat ! quelle grace extreme !
Ses regards enchanteurs , son souris gracieux ,
Soumettent tous les coeurs à son pouvoir su
prême.
Est- ce le Dieu qui fait qu'on aime ,
Qui daigne descendre des Cieux ?
Non , c'est la Jeunesse elle- même ,
Que je vois paroître en ces lieux .
Les Ris , les Amours et les Graces ,
Suivent ses charmes divins ,
On voit folâtrer sur ses traces ,
Les Jeux enjouez et badins.
Regnez sur nous , douce Jeunesse ,
Reine des plus tendres desirs ,
Sans vous tout languit de tristesse ;
Vous êtes l'ame des plaisirs.
Vous enchantez toute la Terre ,
Chacun adore vos attraits ,
On seroit toujours sûr de plaire ,
Si l'on ne vous perdoit jamais,
2
Heureus
AOUST. 1732. 1761
Heureux qui fixeroit votre course volage !
Seroit- il des trésors plus grands , plus précieux ?
Les fragiles Mortels égaleroient les Dieux ,
S'ils jouissoient toujours des douceurs du bel
âge :
En possedant des biens si vifs et si charmans ,
On ne peut exprimer les plaisirs qu'on éprouve ,
Mais hélas ! on vous perd , Jeunesse , en peu de
temps ,
Et jamais on ne vous retrouve.
L'Aigle avec moins de vîtesse ,
Fend l'air d'un rapide cours ,
Que ne s'envole la Jeunesse ,
Et l'éclat de nos beaux jours .
Ainsi que la Rose brillante ,
Elle ne dure qu'un matin ;
Pourquoi ne peut- elle être exempte ,
Des loix qu'impose le Destin ?
Déesse , répondez à mon ardente envie :
Favorisez mes plus tendres souhaits ,
Faites long- temps le bonheur de ma vie ,
Ou plutôt , s'il se peut , ne me quittez jamais,
Mais que me sert cette frivole attente ?
Mes voeux sont des voeux superflus ;
Les momens que je passe à flater l'inconstante ,
Şont autant de momens psrdus.
Vou
1762 MERCURE DE FRANCE
Vous qui possedez en partage ,

La Jeunesse et ses agrémens
Faites- en un aimable usage ,
Employez bien tous ses instans.
Mais lorsquelle , vous abandonne ,
Pour moins regretter vos beaux ans
Renouvellez
dans votre Automne ,
Les plaisirs de votre Printemps.
LE MAIR E.
XXXXXXXXXX:XXXXX
REMARQUES sur les Médailles qui
portent le nom de Lucille.
LMédailles qui portent le nom de Lu-
Es Antiquaires sont partagez sur les
cille. Les uns les donnent toutes à Lucille,
femme de Verus , qui regna avec Marc-
Aurele ; et selon les autres , il faut les partager
entre cette Princesse , et la femme
d'Elius Cesar , adopté par Adrien.
Ceux qui reconnoissent deux Lucilles ',
se fondent principalement,sur ce que Lucille
,femme de Verus ,se fait appeller sur
ses Médailles , fille d'Antonin Auguste
LUCILLE. AUG. ANTONINI AUG. F. à la
difference, de Lucille femme d'Ælius ,
qui
AOUST. 1732. 1763
qui se contente du titre d'Auguste , Lu-
CILLA AUGUSTA. Cette raison , quelque
spécieuse qu'elle le paroît d'abord , n'est
d'aucune considération , aussi - tôt qu'on
vient à faire attention que Faustine , femme,
de Marc - Aurele , s'appella dans les
commencemens , fille d'Antonin le Débonnaire.
FAUSTINA AUG. PII AUG. F. et
qu'en suite elle quitta ce titre , pour ne
garder que celui dd''AAuugguussttee,,FFAAUUSSTTIINNAA
AUGUSTA. Ce qui est arrivé à cette Princesse
, est sans doute arrivé à Lucille sa
fille. Toutes deux nées d'un pere Empereur
; elles eurent soin dans le commencement
de s'en faire honneur, en se nommant
d'eux , pour faire connoître par là
que ce n'étoit pas de leur maris seuls
qu'elles empruntoient leur noblesse, mais
ce titre une fois reconnu devint assez inutile
dans la suite , et elles ont pû le négliger
tres aisément .
La différence de la Coëffure qu'on re
marque dans les Médailles de l'une et de
l'autre Princesse est un argument plus
foible que le premier ; car , je vous prie ,
si cette observation avoit lieu , combien
de Princesses serions - nous obligez de
multiplier. Nous reconnoitrions au moins
quatre Sabines , femmes d'Adrien , puisqu'il
se trouve autant et plus de Coëffu-
LOS
1764 MERCURE DE FRANCE
res differentes sur les Médailles de cette
Impératrice.
J'en dis autant de quelques différences
de traits, qu'on prétend appercevoir dans
les Médailles qu'on attribueune Lucil
le , et dans celles qu'on reconnoît pour
être de l'autre , outre quelle est tres- légere
; ainsi qu'on en convient, c'est qu'on
remarque cette même différence dans les
Médailles, qui d'un commun accord n'appartiennent
qu'à une seule ; c'est ce dont
il est aisé de se convaincre , en confrontant
les Médailles de la Lucille , qu'on
prétend femme d'Elius , qui portent
pour légende HILARITAS. S. c. avec celles
où l'on lit FECUNDITAS . S. C. où l'on trou
vera une difference surement plus grande
que celle qu'on veut trouver dans les autres.
Mais , dit- on , Lucille , femme de Verus
, n'a jamais eu d'enfans , au lieu qu'on
en trouve jusqu'à trois , sur les Médailles
de Lucille , femme d'Elius.
: Il n'est pas difficile de répondre à cette
objection , jamais proposition ne fut plus
légere ; tout concourt à en faire voir le
peu de solidité. 1º . Selon quelques Historiens
, Lucille , femme de Verns , eut
de Pompeianus , qu'elle épousa après la
mort de ce Prince , un fils qui porta le
nom de son pere , et qui fut tué par le
comAOUST.
17320
1769
commandement de Caracalla. Ce que je
remarque , parce qu'Angelloni , pour
mieux prouver la stérilité de Lucille , l'a
avancée , comme constant , dans son second
, comme dans son premier mariage.
2. Les Médailles et les Inscriptions
nous prouvent clairement que cette Princesse
eut des enfans de son premier mari ;
en effet , sur quelques- unes de ses Médailles
, j'entens parler de celles qu'on ne
lui dispute point et où elle est : ANTONINI
AVG. F. Ne lit -on pas : IVNONI LVCIANAE .
FECVNDITAS. AVGVSTAE . avec l'Image de
ces Déesses , tenant un enfant dans les
bras : Qu'à-t on voulu faire entendre parlà
; si- non que Lucille étoit mere , lorsque
ces monumens ont été frappez. Mais
les Inscriptions s'expliquent encore plus
clairement. Je n'en veux pour témoin que
celle- cy , rapportée par Gruter , qui semble
faite exprès , pour expliquer les Médailles
que je viens de citer.
IVNONI LVCINAE
PRO SALVTE DOMVS AVGVSTORVM.
IMP. CAES. M. AVREĻI . ANTONINI. AVO.
ARMENIACI. PARTICI . MAXIMI. MEDICI . ET
FAVSTINAE. AVG. EIVS . ET IMP, CAES. L.AV,
RELI. VERI. AVG, ARMENIACI , PARTICI
MEDICI . ET LVCILLAE, AVGVSTAE. EIVS.
LIBERORVM . QVE. EORVM.
FORTVNATVS , et le reste.
1766 MERCURE DE FRANCE
Peut- on avancer après cela , que Lucille
n'a jamais eu d'enfans ; le silence des
Historiens sur leur sujet , insinuë seulement
, que ces enfans sont morts au berceau
, ou si jeunes , que l'histoire n'a pas
crû en devoir faire mention.
Après ces observations , qui pourroient
suffire pour le sentiment qui ne reconnoît
qu'une Lucille , dont nous ayons eu
des Médailles , et qui est femme de Verus ;
j'ajouterai deux autres Remarques , qui
achevent de mettre la chose dans une plus
grande évidence.
La premiere consiste dans le titre d'Auguste
qu'on donne à la femme d'Elius.
LVCILLA AVGVSTA. titre que cette Princesse
n'a jamais pû porter ; Ælius n'ayant
été que César , et n'ayant jamais eu luimême
la qualité d'Auguste. Nous ne
voyons pas même , avant le regne de
Constantin , des titres particuliers pour
les femmes des Césars , qui commencerent
alors à s'appeller Dames Illustres :
NOBIL. F. Mais pour le nom d'Auguste ,
aucune ne l'a jamais eu ; et si Constantine ,
femme du César Gallus , paroît avec ce
titre , dans une Légende de Médaille, citée
par Golzius , on doit se souvenir qu'avant
d'épouser Gallus , elle avoit été déja
mariée à Anniballien , qui prenoit le titre
de
AOUST. 1732 . 1767
de Roy , et que Philostorge ( lib . 3. ) nous
marque expressement que Constantin le
Grand , son pere , avoit de son vivant
donné le titre d'Auguste à cette Princesse
; ainsi elle ne peut faire d'exception à
la Regle générale.
La seconde observation par laquelle je
finis; c'est que la dispute n'est fondée que
sur une supposition que l'on fait. On veut
que la femme d'Alius se soit appellée Lucille
, et cependant aucun Autheur ne nous
a appris son nom.Nous sçavons seulement
qu'elle étoit fille de Nigrinus , qu'elle cut
deux enfans , l'Empereur Verus , et une
fille appellée Fadia , qui avoit été destinée
par Adrien , pour épouse à Marc-
Aurele , mais que ce Prince n'épousa pas
à cause de sa jeunesse . Voilà tout ce que
l'hitoire nous en apprend ; son nom est
un mystere inconnu ; et ceux qui l'ont
nommée Domitia Lucilla , se sont trompez.
Qu'il me soit permis de le dire , un
manque d'attention les a jettez dans l'erreur.
Marc Aurele et Verus sont toûjours
appellez Freres . DIVI FRATRES ; les Auteurs
voyant que la mere du premier s'appelloit
Domitia Lucilla , ont cru assez légerement
qu'elle l'étoit du second , sans
se ressouvenir que la fraternité de ces
Princes ne venoit que d'adoption.
,
Voilà
1768 MERCURE DE FRANCE
Voilà la cause de l'erreur ; cause qui a
fait naître la question , mais qui une fois
reconnuë , ne fait plus de difficulté pour
la décision , à sçavoir que toutes les Médailles
qui nous restent , avec le nom de
Lucille , appartiennent toutes à la femme
de Verus. D. P.
A Orleans , ce 12 Avril 1732.
12
Oignon , est le mot de l'Enigme de
Juillet. La Belouze et Curieux , sont les
mots des deux Logogryphes.
J
ENIGM E.
E suis de figure attrayante ;
Un composé de rien , uné Enigme vivante ;
Enfin le plus joli de tous les animaux ;
Je serois moins joli , si j'étois raisonnable ,
Je plais par mes vertus , je plais par mes deffaute,
Mais je suis indéfinissable.
Les yeux d'un Basilic , la tête d'un Mouton
Et le coeur d'un Caméléon.
I
Voilà dequoi former un Monstre épouvantable ,
Et voilà cependant ce qui me rend aimable.
C'est assez , je veux t'épargner :
Lecteur
AOUST. 1732 1769
Lecteur , en me voyant dans mon ample panier ,
Tu me devineras peut - être;
Ce sera toutefois , sans jamais me connoître.
LOGOGRYPHE.
ANimal tres-commun ,
Cinq lettres font le nom de ma naturėj
Mon maître m'en donne encore un ;
Tu trouveras , sans trop de tablature ,
Dans ma juste anagramme , un Royaume , ou
mon lit ;
Devine , Lecteur , j'ai tout dit.
G ..
AUTRE LOGO GRYPHE.
Mon
On nom comprend , Guerrier , animal , et
Present ( a ) ,
Comme Guerrier , aidé d'un frere ,
Tant que nous fumes sur la terre
On vit la Mer libre de tout Brigant ;
Depuis , au ciel est notre logement.
Comme animal , je suis un Amphibie ;
Climat froid me donne la vie.
Enfin , comme présent ,
Je suis utile à l'homme seulement ;
( a ) Don on Liberalité.
Six
1976 MERCURE DE FRANCE
Six lettres font mon nom , prenez les trois pres
mieres ,
Je puis être tres-grand et reservé ;
Renversez-moi ; cherement conservé ,
T
Je sers aux Avocats , Procureurs , gens d'affaires,
Mes trois membres derniers étans lûs à rebours;
Forment un son qui ne peut plaire ;
Et cependant pour l'ordinaire.
Dans les bonnes maisons on me sert tous les
jours :
Remis en mon entier , si vous joignez ma tête ,
Aux deux membres derniers , je suis un instrument
;
Retournez-moi présentement ;
53.2
Le Nocher me redoute au fort de la tempête.
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &c.
Las
E LIVRE DES ENFANS , ou idées générales
et définitions des choses , dont
les Enfans doivent être instruits. Ouvra
ge très- utile aux personnes qui sont char
gées du soin de les élever. Nouvelle Edi
tion , revûë , corrigée et augmentée. A Paris
, chez P. Prault, Quai de Gêvres, 1732.
in 12. de 187 pages, sans l'Avertissement,
la
AOUST. 1732. 1771
la Table et le Catalogue des Livres né
cessaires aux enfans.
LE MEILLEUR LIVRE , ou les meilleures
Etrennes qu'on puisse donner ou recevoir :
Prenez , lisez et pratiquez . Chez le même ;
in 24. 5e édition , augmentée de plusieurs
choses tres- utiles.
METHODE FACILE pour apprendre l'Histoire
de France , avec une idée générale
des Sciences , par Demandes et par Réponses
, dédiée à Monseigneur le Duc
par M. D.... Nouvelle édition , continuée
jusqu'à present , mise dans un ordre
tres clair et tres- aisé pour sçavoir
P'Histoire , et enrichie d'une Carte de la
France , et de tous les Portraits des Rois
de France , in 12. 1731. Chez le même.
HISTOIRE de la derniere Peste de Marseille,
d'Aix , d'Arles et de Toulon, avec
plusieurs avantures , arrivées pendant la
contagion , divisée en deux Parties , par
M. Martin chez Paulus - du- Mesnil , au
Palais , 1732. in 12.
TRAITE' SUR LA MAGIE , le Sortilège, les
Possessions , Obsessions et Maléfices, où l'on
en démontre la vérité et la réalité, avec une
E ij Mé
1772 MERCURE DE FRANCE
Méthode sure et facile pour les discerner
; et les Reglemens contre les Devins ,
Sorciers , Magiciens , &c. Ouvrage tresutile
aux Ecclesiastiques , aux Médecins
et aux Sages. Par M. D... A Paris , chez
P. Prault , Quay de Gêvres , 1732. in 12.
de 304 pag. sans la Préface , &c.
,
DISSERTATION Critique et Chronologique
sur le Concile de Rimini , dédiée à
M. l'Archevêque de Sens. A Paris , chez
de Lusseux , 1732. in 12. de 384 pages.
DESCRIPTION des Château , Bourg et
Forêt de Fontainebleau , contenant une
Explication historique des Peintures, Tableaux
, Reliefs , Statues et Ornemens qui
s'y voyent ; et la vie des Architectes ,
Peintres et Sculpteurs qui y ont travaillé ,
enrichie de plusieurs Plans et Figures ,
Par M. l'Abbé Guillebert , Precepteur des
-Pages du Roy. A Paris , chez And. Cail
lean , 1731. 2 vol. in 12. 3
LES PRINCIPES de la Nature , ou de la
Génération des choses , par M. Colonne.
A Paris , chez le même , in 1 2.
JOURNAL du Regne d'Henry IV.Roy
de France et de Navarre ; par M.Pierre de
l'Etoile
A OUST. 1732. 1773
#
Etoile , Grand- Audiencier en la Chancellerie
de Paris . Tiré sur un Manuscrit
temps. 1732. 2 vol. in 12.Le 1*.de 292
et le 2. de 300. On les trouve chez quel
ques Libraires de Paris.
du
Cet Ouvrage est connu et estimé de
puis long-temps , sous le titre de Journal
du Regne d'Henry III. mais ce qui n'avoit
pas encore paru, et qu'on publie au
jourd'hui , c'est une Lacune dans les Mé
moires , depuis 1594 , jusqu'en 1706 , sur ,
un Manuscrit , qui laisse cependant encore
quelque chose à désirer. On trouve
par tout un stile libre et naturel , qui
porte avec soy des marques de l'exactitu
de et de la probité de l'Auteur. Ces sort
tes d'Ouvrages ont pour l'ordinaire de
l'agrément , et peuvent être quelquefois
d'une grande utilité.
TRAITE' des Forces mouvantes , par M.
de Camus,Gentilhomme Lorrain . 1 vol.in
8. A Paris , chez . Jombert et le Comte
1732. pages 535.
L'Auteur paroît avoir rempli les engagemens
qu'il a pris avec le Public dans
sa Préface; plus attaché à la pratique qu'à
la théorie , il a voulu mettre les choses
qu'il traite , à portée d'être entendues des
simples Ouvriers ; et comme ces gens- là
E lij
ne
1774 MERCURE DE FRANCE
ne peuvent pas ordinairement se donner
à l'étude des Démonstrations , sur lesquelles
la bonne Méchanique est fondée ,
il a été obligé de les omettre. Il est donc
réduit à prouver ce qu'il avance , ou par
des Experiences ou par des raisonnemens
qui soient à la portée de tout le monde:
C'est ainsi que dans sa premiere Partie il
parle de l'Equilibre et du Centre de gravité.
Il traite ensuite de même du Lévier,
de la Poulie , du Coin , et de la Vis , rapportant
le tout au Lévier. Il a ajouté plusieurs
Expériences sur la Percussion et sur
les Frotemens:
La seconde Partie est employée à faire
le détail de plusieurs Machines de l'invention
de l'Auteur , qui paroissent également
utiles et ingénieuses.
L'EVANGILE des Chrétiens , ou l'Art du
Salut , tiré de l'Ecriture- Sainte. A Paris,
chez Mesnier, ruë S.Severin , 1732. in 12.
de 401 pag. Dédié à S. E. M. le Cardinal
de Polignac.
LE TRAITE' des Matieres Criminelles ,
suivant l'Ordonnance de 1670. conte
nant les differentes Questions qui peuvent
naître sur cette Matiere avec les Edits et
Déclarations du Roy, Arrests et Régle
>
mens ,
AOUST. 1732 1775
mens intervenus depuis l'Ordonnance.
Se vend à Paris , au Palais , chez Théodore
le Gras , vol. in 4 .
L'ANATOMIE GENERALE DU CHEVAL :
contenant une ample et exacte Description
de la forme , situation et usages de
toutes ses Parties . Leurs differences et
leurs correspondances avec celles de
l'homme. La generation du Poulet et
celle du Lapin. Un Discours du mouvement
du Chile et de la circulation du
sang. La maniere de dissequer certaines
parties du Cheval , difficiles à anatomiser
Et quelques Observations Physiques, anacomiques
et curieuses sur differentes parties
du corps et sur quelques Maladies.
Le tout enrichi de figures. Traduit de
Anglois , par F. A. de Garsault , Capitaine
du Haras du Roy , en survivance . A
Paris , chez Barth. Laisnel , ruë S. Jacques
Alex, Mesnier , au Palais . Ant . Gandouin
, Quay des Augustins , et la V.
Pissot,Quay de Conty , 1732. in 4. de 3 3 2 ,
pag. sans les Tables , les Figures , les Préfaces
de l'Auteur et du Traducteur , et
l'explication des Termes pour l'intelligence
de ce Livre , divisé en cinq Parties,
où il est traité du Bas- ventre , de la Poitrine
on Ventre du milieu , de la Tête ou
E iiij Ventre
}
1776 MERCURE DE FRANCE
F
Ventre superieur , des Nerfs , des Muscles
, et des Os. Differens Chapitres composent
les differentes Parties .
Cet Ouvrage est fort méthodique et
nous paroît d'une grande utilité ; il est
écrit d'un stile simple et aisé ; les Planches
répandent encore une grande clarté.
Elles sont gravées avec soin et précision .
Avec l'utile on trouve souvent dans ce
Livre des choses curieuses qui en rendent
la lecture agréable. Nous croyons.
que les Peintres et les Sculpteurs , que
fAuteur n'a , sans doute , pas eu en vûë,
en peuvent tirer des secours considerables.
DEFFENSE du Franc-Aleu du Païs de
Provence. A Aix , chez Joseph David.
Brochure in 4.
C'est un Factum de la Provence , contre
le Fermier du Domaine , qui prétend
assujettir toute cette Province à la Seigneurie
directe du Roy . Le but de cet
Ouvrage est de prouver que la Provence
est un Païs de Franc - Aleu roturier de
nature , sur lequel nul Seigneur , le Roy
même , ne peut prétendre aucune directe
s'il ne rapporte des titres de la mouvance.
L'Ouvrage entier contient 295. pages ,
il est distribué en cinq Parties outre l'Exorde
et l'état de la question , où l'Auteur
A O UST. 1732. 1777
teur pose quelques définitions et quelques
principes generaux pour servir à la
décision de cette question. Chaque partie
est divisée en plusieurs Paragraphes ,
autant pour le soulagement du Lecteur ,
que pour l'éclaircissement des matieres.
Dans la premiere Partie qui sert de
fait , l'Auteur parcourt toutes les differentes
dominations sous lesquelles les
Provençaux ont vécu avant que d'appar--
tenir à la France . Ce morceau d'Histoire
appuyé sur le témoignage de plusieurs
bons Auteurs , sur le Corps de Droit ,
est curieux. Vient ensuite un Extrait du
Testament de Charles d'Anjou , 23 et
dernier Comte de Provence , en faveur
de Louis XI. Roy de France. Ce Testament
, qui est le titre de la réunion de
la Provence à la France , est de l'année
1481. l'Auteur détaille toutes les poursuites
, toutes les procedures qui se sott
faites entre les Procureurs du Païs et les
differens Fermiers du Domaine , tant au
Conseil du Roy, qu'au Parlement d'Aix ,
pardevant les Commissaires et en la
Chambre du Domaine. Les Procureurs
du Païs sont les Agens generaux des Affaires
de la Province.
Cette seule Partie suffiroit pour écarter
la prétention du Fermier et pour se dé-
Ev ter1778
MERCURE DE FRANCE
terminer en faveur de l'Avocat Provençal
, puisqu'on y trouve la question résolue
définitivement et contradictoire
ment par des Edits , des Lettres Patentes,
suivies de Déclarations du Roy , et par
des Arrêts du Conseil , en consequence
desquels la Provence a payé des Taxes
considerables , dont il a plu au Roy de
charger en differens temps les Païs de
Franc Aleu de nature.
Dans les quatre autres Parties , l'Auteur
établit ses principes et ses preuves ,
répond aux objections que le Fermier
tire ou des faits ou des textes du Droit .
et contredit les Pieces produites par ce
Fermier. Il s'attache dans la seconde Partie
à prouver que cette maxime , ou pour
parler plus exactement ce vieux Proverbe
François , nulle Terre sans Seigneur
ne peut avoir lieu en Provence ni en aucun
Païs régi par le Droit Ecrit , si ce
n'est la Jurisdiction. Il passe plus
avant , il prétend même qu'en Païs Coutumier
on ne peut donner à ce Proverbe
plus d'extention , et que pour que dans
les Provinces de Coûtume on adjuge au
Seigneur la directe , il faut qu'il rapporte
un titre ou qu'il y ait une présomption
en sa faveur qui vaille titre ; c'està-
dire qu'il faut que le Seigneur air un
pour
Territoire
AOUST. 1732. 1779
Territoire circonscript et limité , qu'il y
possede toutes les Terres en friche ou
incultes , qu'il y ait une directe répandue
en tous les quartiers et sur plus de la
moitié du Territoires qu'alors on présume
que le Seigneur a la directe sur tout le
Territoire. Il appuye cette doctrine par
les Auteurs et réfute les autoritez sur les
quelles le Fermier s'appuye.
*
Dans la troisiéme proposition il prouve
que la Provence est un Païs de Droit
Ecrit , et que le Droit Romain ne reconnoît
point de directe , qu'il n'admet
que le Franc- Aleu .
Dans la quatrième et dans la cinquié
me , il rappelle les faits qu'il a établis
dans la premiere , il rapporte les Pieces
qu'il a détaillées dans cette premierePartie.
Il est aisé de juger par cet abregé des
quatre dernieres Propositions, que ce n'est
qu'une application un peu étendue de
ce qui a été dit dans la premiere.
Et pour donner en peu de mots une
idée juste de tout l'Ouvrage , il suffit de
dire que l'Auteur se propose de prouver
que la Provence est un Païs de Franc
Aleu. Voici ses preuves.
1. La Provence a de tout temps été
et est encore régie par
le Droit
Ron
Un des principaux effets du Droit Ro
E vj mainy
1780 MERCURE DE FRANCE
main est de rendre tous les heritages
allodiaux, et de rejetter toute directe sans
titres . Par cette seule raison le Languedoc
a été maintenu dans le Franc- Aleu ,
2°. Toutes les differentes dominations
que les Provençaux ont éprouvées n'ont
point alteré ce droit d'être reglé par le
Droit Romain , ni de tenir leurs Terres
en Franc-Aleu.
"
39. La Provence n'a été réunie à la
France qu'à la charge d'entretenir tous
ces Privileges.
4. En effet , Louis XI. Charles VIII.
Louis XII . et tous les Rois jusqu'à Louis
XIV. l'ont confirmée dans ces Privileges.
5. Les Fermiers ayant inquieté ce
Païs , il a été maintenu dans le Franc- Aleu
de nature , par des Edits , des Lettres Patentes
, des Déclarations du Roy duement
enregistrées , par plusieurs Arrêts
du Conseil contradictoires , avec les Fermiers
et les Officiers du Domaine. Il a
payé en differens temps des Taxes considerables
pour être conservé dans ce
droit . Il a été déchargé des taxes imposées
sur les biens du Franc- Aleu de Privilege
, comme joüissänt du Franc- Aleu
de nature.
6. Enfin la possession revêtuë de ces
caracteres , suffiroit seule pour établir son
droit,
Ces
AOUST. 1732. 1781.
Ces propositions , prouvées dans une
juste étenduë , ne permettent pas de douter
du grand travail et de la capacité de
l'Auteur.
BIBLIOTHEQUE RAISONNE'E des.
Ouvrages des Sçavans de l'Europe ;
pour les mois de Janvier , Fevrier , Mars,
Avril , May et Juin 1731. Tome VI.
premiere et seconde Partie.A Amsterdam,
chez les Westeins et Smith , in 12 de 480 .
pages.
Nous ne donnerons pas l'Extrait d'un :
Livre composé d'Extraits , nous ferons
seulement connoître quelques Ouvrages
rapportez dans ce volume et quelques
articles des plus interessans des Nouvelles
Litteraires.
· AMENITEZ DE MEDECINE , où l'on décrit
son origine , ses progrès , son excellence
, sa nécessité , son usage , les récompenses
, les honneurs et les privile
ges accordez aux Medecins. On y examine
encore si la Medecine a été autrefois
une étude qui n'appartenoit qu'aux
Esclaves. Par Dan. Vink A Virecht ;
1730. in 8. de 528. pages , sans compter
l'Epitre Dédicatoire , la Préface et la Ta
ble. Tout l'Ouvrage est en Latin .
His1782
MERCURE DE FRANCE
HISTOIRE DES REVOLUTIONS de l'Empire
de Maroc depuis la mort du dernier
Empereur Muley - Ismaël , qui contient
une Relation exacte de ce qui s'est
passé dans cette Contrée pendant l'année
1727. et une partie de 1728. avec des
Observations naturelles , morales et poliques
sur le Païs et les Habitans , traduite
du Journal Anglois , écrit par
Capitaine Braithwaite , qui a accompagné
M. Jean Russel , Ecuyer , Consul
general du Roy d'Angleterre en Barbarie,
et qui a été témoin oculaire des plus remarquables
évenemens mentionnez dans
cet Ouvrage. A Amsterdam , chez P. Mor
tier, 1731. in 12. de 470. pages.
le
RECUEIL de Discours sur diverses.
matieres importantes , traduits ou composez
par Jean Barbeyrac , Professeur
en Droit dans l'Université de Groningue.
Il y a joint un Eloge historique
de feu M. Noord. En deux Tomes in 12.
dont le premier contient 417 pages , et
le second 344. A Amsterdam , chez Pierre
Humbert, 1731.
Le second Tome de ce Recueil com
mence par une Dissertation , de la juste
deffense de l'honneur , où l'on traite en par
ticulier des Duels. Le but de cette Disser-
}
tation
A O UST
1732. 1783
tation qui fut publiée en 1717.en Latin ,
à Amsterdam , est de montrer l'origine
du Duel , et la maniere dont on pourroit
s'y prendre pour en arrêter l'usage
barbare , plus efficacement qu'on n'a fait
jusqu'ici.
La Dissertation contient cinq Chapitres.
On donne dans le premier une idée
generale de la matieres on traite dans
le second des injures qui donnent quelque
atteinte à l'honneur , lorsqu'on les
souffre ; dans le troisiéme des autres sortes
d'injures que l'on peut mépriser , sans
préjudice de l'honneur. Le quatriéme
Chapitre roule sur les moyens légitimes
ou illegitimes de deff ndre l'honneur
et dans le cinquiéme on traite des Duels,
qui sont l'objet principal de cet Ouvrage.
On fait d'abord une énumeration des
differentes sortes de Duels , ou Combats
singuliers , et des diverses causes pour
lesquelles on en est venu à ces Combats.
chez differentes Nations , selon ce que
l'Histoire nous en apprend. On en trouve
jusqu'à onze sortes , dont la derniere
est le Duel qu'on se propose de combattre,
ou celui qui se rapporte à la réparation
d'honneur.
Cette espece de Duel étoit absolument
hors d'usage , non- seulement chez les
Grecs
1784 MERCURE DE FRANCE
Grecs et les Romains , mais encore chez
les , Egyptiens et les anciens Peuples de
l'Asie. Il doit uniquement son origine à
des Peuples barbares , venus des Parties
Septentrionales de l'Europe , qui ne pouvant
souffrir la discipline des Loix ou
des Magistrats , vouloient décider toute
sorte de differends à la pointe de l'épée.
De- là naquit le Duel qu'on introduisit
pour se purger de quelque crime ; dans
la pensée que Dieu déclareroit par l'éve•
nement du combat , qui avoit raison ,
du Diffamateur ou du Diffamé .
Les Lombards porterent en Italie cette
mauvaise coûtume ; et , comme le remarque
M. Barbeyrac , les autres Peuples du
Nord l'introduisirent dans tous les Païs
au dedans et au dehors de l'Empire Romain
, où ils s'établirent ; les Saxons , par
exemple , en Angleterre. On fit des Loix
là - dessus aussi sérieusement que s'il se fûr
agi de la chose du monde la plus raisonnable
et la plus légitime. Lorsque le Droit
Romain eut été remis en vogue, les Commentateurs
tâcherent d'y trouver de quoi
autoriser le Duel. A cela se joignirent les
Croisades et l'institution des Ordres de
Chevaleries. Ces Chevaliers vinrent à
former des regles du point d'honneur.
Les Jurisconsultes traiterent cette matiere
comme
A O UST. 1732 1785
comme une partie de la Jurisprudence ;
d'autres , comme une science particuliere
et toute nouvelle. Cela produisit une ,
infinité de Livres sur le Duel , sur la
science de la Chevalerie , comme parlent
les Italiens , et sous divers autres titres
semblables , & c.
Il est facile de montrer comment l'usage
du Duel est contraire à la raison ,
à la Loi naturelle et sur tout aux maximes
de la Religion Chrétienne. Aussi
suppose- t'on cela comme suffisamment
démontré par divers Auteurs . La grande
difficulté consiste à trouver les moyens de
déraciner de l'esprit des sots , dont le nombre
est toûjours fort grand , le préjugé du
point d'honneur , qui empêche que tou
tes les Loix les plus severes faites jusques
ici contre cette mode pernicieuse ,
ne soient assez efficaces pour l'abolir.
M. Slicher, Auteur de la Dissertation Latine
, veut qu'on tire le remede du mal
même , et que l'on retienne par la crainte
d'un plus grand deshonneur , ceux qui
croyent être deshonorez , s'ils n'ont re-
Cours au Duel. Il faudroit , dit- il , faire
de nouvelles Loix qui exposassent les contrevenans
au mépris, et à la risée publique
; ordonner, par exemple , que les corps
de ceux qui auroient été tuez en Duel,
fussent
1786 MERCURE DE FRANCE
fussent traitez de même que ceux des
Criminels , punis du dernier supplice ;
deffendre de porter les armes aux Duellistes
, à qui on auroit fait grace de la vie,
et cela sous condition que s'ils les portoient
depuis , leur pardon deviendroit
nul ; exclure de tout emploi militaire
ceux qui auroient appellé quelqu'un en
Duel , ou qui auroient répondu à l'appel,
en un mot , faire ensorte que de telles
gens , qui par une pure folie , auroient
ainsi violé les Loix de la societé humaine
, fussent desormais bannis de la Socie
té et du commerce des Sages , &c.
On trouve dans l'article des nouvelles
de Londres , que le sieur Pine , habile
Graveur , travaille à donner les Ouvrages
d'Horace , gravez sur des Planches
de cuivre . Il en a distribué un Essai contenant
les six premieres Odes , qui a paru
fort beau. Chaque Ode est accompagnée
d'une Vignette , d'une Lettre grise et
d'un Cul- de- Lampe ; on y voit les têtes
des personnes à qui les Odes sont adres
sées , ou des représentations qui ont du
rapport au sujet de la Piece. A l'égard
du Texte , on se conforme à l'Edition'
d'Horace , publiée à Cambridge en 1701 ,
in 12. par les soins du Doct. Talbot. L'Edition
A O UST. 1732. 1787
dition du sieur Pine contiendra deux vo
lumes in 8.
DISCOURS SUR LA PEINTURE , pronondans
les Conferences de l'Académie
Royale de Peinture et Sculpture . Par
2. Charles Coypel , Premier Peintre de
V. le Duc d'Orleans. A Paris , chez
P. F. Mariette , rue S Jacques , 1732. Brochure
in 4. de 34. pages .
Le sujet, du premier Discours est sur
necessité de recevoir des avis. La premiere
chose dont le Lecteur s'apperçoit
dans la lecture agréable et utile de cet
Ouvrage , c'est que M. Coypel , outre ses
lens pour l'Art qu'il professe , a une
plume aussi sage et aussi élegante que
son Pinceau ; deux qualitez qu'on trouve
assez rarement ensemble. On renarque
dans ses Ecrits le même génie ,
le même tour et le même ordre qu'on
voir avec plaisir dans ses heureuses Ĉompositions
, où l'on trouve tant d'expres
sions fines et délicates.
M. Coypel entre en matiere très-moaestement
, en soumettant ces Refléxions
qu'il n'avoit faites , dit- il , que pour lui ,
au jugement de l'Académie , et ne pou
vant croire qu'elles puissent être utiles
à d'autres qu'à lui ; sur quoi nous- pensons
1788 MERCURE DE FRANCE
sons qu'il s'expose à un démenti de là
de tous ses Lecteurs et peut être
part
de toute l'Académie.
-
Sur la necessité de recevoir des avis ,
M. Coypel s'exprime ainsi. La Peinture
est composée de tant de parties , que nous
ne devons presque jamais nous flater de
ne pas perdre de vûe les unes , en nous
attachant à chercher les autres.
Il n'est pas moins rare de trouver des
amis qui soient également touchez de
toutes ces Parties. L'un n'est sensible
qu'à la couleur , et n'est que peu flaté
de l'élegance du Dessein ; l'autre , au
contraire , prétend que sans le grand
goût , la délicatesse et la pureté du Dessein
, la Peinture n'est qu'une affaire de
Mécanique. L'homme d'esprit et de sentiment
ne s'attachera qu'à l'expression des
têtes et à l'ordonnance. L'homme d'érudition
sera satisfait si le Costume est
scrupuleusement observé dans un Tableau
, ainsi des autres.
Chacun
ayant donc presque
toûjours
son goût déterminé
pour une partie
de
la Peinture
, et la préferant
aux autres ,
rarement
est-il possible
que les avis d'un
seul ami soient
suffisans
; nous devons
donc
necessairement
faire societé
avec
des personnes
de goûts differens
; l'un
apperAOUST.
1732. 1789
appercevra
ce que l'autre avoit laissé
échapper.Nous verrons aujourd'hui notre
Ouvrage par les yeux de l'homme de
Lettres , demain il sera éclairé par les lumieres
de l'Amateur du coloris ; une aure
fois les regards du Partisan du Desçin
donneront aux nôtres une nouvelle
éverité , &c.
Mais il arrive quelquefois , poursuit
Auteur sur la maniere d'avoir des avis,
que la façon dont nous les demandons
ne prouve autre chose que le desir que
nous avons de recevoir des loüanges. Souvent
un Auteur trouve moyen de faire
Péloge de son Ouvrage , dans le temps mêrê
qu'il semble implorer le secours de
de la Critique. Trouvez - vous , dira -t'il ,
que je me sois tiré heureusement de telle
difficulté ? Fe crains que la finesse de ces
expressions ne soit pas sentie du Public.
J'aurois moins de défiance si je n'avois
affaire qu'à des Connoisseurs tels que
vous dites moi votre sentiment. Le
moyen de dire des choses fâcheuses à
quelqu'un qui déclare que vous êtes seul
capable de connoître l'excellence de son
mérite. Ne prévenons nos Juges que sur
,
desir que nous avons de nous corriger
et sur l'obligation que nous aurions à
quelqu'un qui nous voudroit assez de
bien
1
pour nous faire part de sa critique , au
risque de nous affliger. D'ailleurs laissons
parler notre Ouvrage ; ce qu'il ne dira
pas, cest qu'il ne le peut dire, &c. Soyons
prompts à démêler sur le visage de celui
que nous consultons , l'impression qu'il
reçoit au premier coup d'oeil , c'est le
sentiment que sa politesse même ne peur
nous cacher. Mais ne craignons pas de
manquer d'avis quand il sera bien établi
que nous les recevons avec plaisir .
Après avoir dit que c'est dans l'idée de
critiquer ses propres ouvrages , qu'il faut
consulter ceux des grands Maîtres anciens
, il ajoute : Nous devrions faire la
même chose à la vûë de ceux des habiles
gens avec qui nous vivons. Malheureusement
cela nous devient plus difficile :
nous avons peine à convenir qu'il se trouve
de notre temps des personnes qui possedent
dans notre Art des perfections que
nous n'avons pû acquerir ; nous le pardonnons
aux anciens ; ils semblent avoir
expié cette offense en cessant de vivre.
D'ailleurs ceux de nos jours que nous
envions , sont obligés de leur rendre la
même justice ; c'est une consolation pour
notre amour propre ; mais qu'en arrive- ,
t-il ? Nous nous bornons à admirer ceux
qui sont venus avant nous , sans nous efforcer
AOUST. 1732 1791
forcer de les égaler ; nous renonçons à
ce noble désir , dans l'esperance que nos
contemporains ne parviendront pas plus
que nous à cet éminent dégré de perfec
tion ; et quant aux Ouvrages nouveaux
si nous y remarquons des parties qui
nous manquent , loin de tâcher de mettre
à profit le mouvement de jalousie qu'el
les nous inspirent , en les étudiant assez
pour les acquerir ; nous cherchons promtement
de la consolation , en y faisant la
recherche de défauts que nous aurions
peut- être évitez . De là nous retournons
regarder nos productions avec autant de
complaisance pour nous mêmes, que nous
avons de sévérité pour les autres : Nous
y admirons la partie que nous croïons posséder
; nous ne manquons pas de lui donner
la prééminence sur toutes les autres ;
nos ennemis ont la malice de nous fortifier
dans cette ridicule opinion ; nos flateurs
ont la fausseté de l'augmenter en
nous , et nos amis ont souvent la foiblesse
de nous la laisser , et d'en prendre leur
part.
La seule comparaison de nos Ouvrages,
avec ceux des autres , peut nous rendre
nos deffauts sensibles. Lorsque nous passons
notre temps vis- à - vis nos produc
tions , il est rare que nous persistions
dans
1792 MERCURE DE FRANCE
dans le désir de leur chercher querelle.
Combien de femmes, dans l'arriere saison ,
sont contentes de leur visage , après une
longue toilette ! La grande habitude dans
laquelle elles sont, d'y considerer toujours
le même objet , qu'elles pensent embellir
souvent par de ridicules ajustemens , leur
persuade aisément qu'il est même du remede
aux Outrages du temps. Qu'une jeune
et belle personne paroisse , cette vûë
leur fait sentir dans l'instant des veritez
que le Miroir leur avoit montrées vainement.
Gardons- nous donc de croire que
nous puissions , sans aucun secours , parvenir
à nous bien critiquer; nous sommes
trop échauffez de nos propres idées pour
conserver ce sang froid, si nécessaire pour
bien juger.
Avant le Dialogue sur la connoissance
-de la Peinture , M. Coypel rend compte
du motif qui le lui a fait composer , sur
ce principe , que la Peinture n'ayant pour
objet que la parfaite imitation de la nature ,
tout homme de bon sens et d'esprit, sans avoir
étudié les mysteres de cet art , est à portée de
sentir les grandes beautez d'un Tableau , et
de faire souvent même d'excellentes remarques
Il suppose un veritable connoisseur en
conversation , avec un homme d'esprit ,
qui
A O UST. 1732. 1793
qui n'ayant jamais eu de principes sur la
peinture , n'ose s'en rapporter à ses yeux ;
ou , pour dire plus, dit- il , n'ose ceder au
plaisir qu'il ressent , en voyant des Tableaux
, dans la crainte de n'être pas satisfait
selon les regles , & c.
Seriez- vous dans l'erreur de croire , dit
Alcipeà Damon,comme beaucoup de gens,
que l'on ne sçauroit sentir les beautez
d'un Ouvrage que lorsque l'on sçait de
quelle main il est sorti ? ... Je conviens
que celui qui est au fait des principes de
Art , doit avoir encore plus de plaisir
qu'un autre ; mais je ne conviens pas que
cela soit absolument nécessaire . Selon
votre idée , on ne pourroit lire les Vers
avec plaisir , qu'autant qu'on seroit capable
d'en faire soi- même ; et il ne seroit
plus permis qu'à ceux qui sçavent la Musique
, d'écouter un Concert. Non , mon
cher Damon , les beaux Arts sont faits
de bon sens et
pour toutes les personnes
d'esprit et sur tout la Peinture , qui
n'a d'autre objet que l'imitation du vrai.
Croyez qu'il y a tel homme d'esprit , qui
sera plus capable de sentir les grandes
beautez d'un Tableau , que quantité de
prétendus connoisseurs qui vous imposent
par leur jargon ; de ces gens qui ont
passé leur vie à étudier les differentes ma-
F nicres
1794 MERCURE DE FRANCE
nieres de tels et tels , sans s'appliquer à
connoître quelle partie a rendu celui- cy
plus fameux que cet autre . Il leur suffit
de reconnoître la touche du Titien, ou du
Carache dans un Tableau , pour le déclarer
merveilleux . Ne croyez pas même
qu'ils aillent chercher les preuves de l'originalité
dans les grandes parties ;-non ,
c'est souvent un petit coin du Tableau
la touche d'une Plante , d'un Nuage , ou
le derriere de la Toile qui les déterminent.
D'ailleurs ces gens - là n'ignorent
aucuns termes de l'Art , sçavent exactement
la vie des Peintres , l'Histoire de
chaque Tableau , &c.
Ce que j'y trouve de pis , c'est que ces
diseurs de grands mots sont des Éleves.
Un homme qui voudra se jetter dans la
connoissance de la Peinture , s'addressera
plutôt à eux qu'à un Peintre ; car ces
Mr ont leur interêt pour publier que les
Peintres sont ceux qui s'y connoissent le
moins. C'est- là le premier préjugé sur lequel
ils établissent les autres . Si - tôt que
Eleve en est rempli , il marche à grands
pas ; en peu de jours le voilà bien persuadé
qu'il peut en toute sureté , mépriser
tous les Tableaux peints sur des toiles neu--
ves ; et admirer ceux qui menacent ruine.
Jugez alors si l'amour propre est satisfait
?
AOUST . 17320 1795
it. Quel air de capacité ne se donne
int mon homme en se récriant devant
monde sur les beautez d'un vieux Taeau
noirci , où les autres ne connoisnt
plus rien , et où il ne découvre plus
n lui-même on le suit , on l'écoute
Sa décision est pitoyable , mais
e lui importe ; on le prend pour un
mme capable, il est content.Car il faut
convenir ; souvent nous avons des Taaux
, des Livres ; nous courons les Conts
, bien moins parce que nous aimons
Peinture , les Lettres ou la Musique
pour nous donner un air de capacité.
is se le donne - t - on en réfléchissant
g- temps avant que de hazarder son
timent ? Non , c'est en décidant promient
, & c.
On blâme plus volontiers les Ouvranouveaux
qui paroissent , qu'on ne les
3. Je ne sçai pourquoi , dit Alcipe, mais
ut encore l'avouer ,à notre honte; nous
ons une secrete et détestable joïe à reher
un homme qui a fait ses efforts
nous plaire ; et vû cette malheureuclination
, il devient bien plus diffid'approuver
un Ouvrage nouveau ,
ue de le blâmer.Dites qu'il ne vaut rien ;
on vous croît , sans que vous soyez obligé
de vous expliquer davantage ; mais si
Fij Vous
1796 MERCURE DE FRANCE
vous en parlez avec éloge , ( au cas qu'on
veuille bien ne vous pas traiter d'imbécille
) on vous demande au moins raison.
de votre approbation ; c'est alors qu'il
faut véritablement s'y connoître pour
prouver sa capacité ; et peut - être même
faut-il plus de gout et d'esprit pour bien
sentir les grandes beautez , que pour découvrir
les deffauts. D'ailleurs , que risquons-
nous en blâmant ? Si l'Ouvrage est
bon et reconnu pour tel dans la suite,nous
donnons à perser , en le regardant avec
froideur , que nous avons une idée du
beau bien supérieure à celle qu'en a le
vulgaire ; mais quand par malheur la critique
l'emporte sur nos applaudissemens,
nous courons risque de passer pour des
esprits bornés. A l'égard des productions
des anciens , on ne peut que se faire honneur
en les louant , parce que la posterité
les a consacrez. N'allez pas croire que je
prétende dire qu'ils ne sont pas dignes de
cette admiration ; personne ne leur rend
plus de justice que moi ; et c'est parce
que je les aime , que je suis outré de les
entendre loüer par des ignorans, qui n'en
démêlent que la rareté , et point du tout
l'excellence.
Mais, quoy ! dit Damon , jugeriez-vous
à propos que j'allasse me mêler de parler
de
A O UST. 1732. 1797
de la composition d'un Tableau : Eh
pourquoi pas ? répond Alcipe . Quelle
est , à votre avis , la premiere partie de la
composition ? N'est- ce pas de vous rendre
, avec vérité , le sujet que l'on vous
annonce ? Si on veut vous representer ,
par exemple , la mort de Jules - César
n'êtes- vous pas à portée de juger si le
Peintre a rendu l'image de cette Scene ?
N'en jugeriez vous pas au Théatre ? Ne
verriez-vous pas bien si César et Brutus
sont les principaux objets qui frappent
votre vûë ? Si les autres personnages
ont dans l'action , dans laquelle ils
doivent être Enfin si le mouvement de
cètte Scene vous inspire la terreur qu'il
doit vous inspirer ? Si ces principales par
ties ne s'y trouvent point , dites en sûreté
que la composion de ce Tableau ne vous
plaît pas ; et vous aurez raison ; mais ne
vous pressez pas de dire que ce Tableau
ne vaut rien ; car il pourroit se trouver
d'excellentes choses dans le détail . La
Peinture est composée de tant de parties...
Regardez donc , avant de condamner
entierement , si , la composition
à part , vous ne serez point frappé de la
vérité de la couleur , de l'effet du clairobscur
, du relief des figures , &c.
Sur la composition , sur le dessein , sur
Fiij
le
1798 MERCURE DE FRANCE
le coloris , un homme d'esprit peut dire
son sentiment , dit Alcipe , puisqu'il ne
s'agit que de comparer le vrai, avec l'imitation
. Quant à l'harmonie generale
poursuit- il, pourquoi nos yeux n'auroientils
pas les mêmes facultez que nos oreilles
? Nous ne sommes touchez du son des
Instrumens , que lorsqu'ils sont parfaitement
d'accord. Les couleurs d'un Tableau
doivent faire sur nous les mêmes impressions.
Si une Musique harmonieuse et brillante
nous frappe plus qu'une Musique
plate , quoique nous ne sçachions pas les
regles de la composition ; pourquoi un
Tableau brillant et suave ne nous plairat-
il pas plus qu'un Tableau dur et sans
accord ?
INSTRUCTION CHRE'TIENNE sur les huit
Béatitudes ,,
par Demandes et par Réponses
; tirée des SS. PP. de l'Eglise , et en
particulier , de S. Augustin. Avec des
Prieres et Aspirations sur chaque Instruction.
Ouvrage orné de Figures en tailledouce.
ChezWitte et Henry, rue S.Jacques.
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LES ENTRETIENS PHYSIQUES d'Ariste et
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s'est découvert de plus curieux et de plus
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HISTOIRE GENER ALE des Auteurs Sacrez
et Ecclesiastiques , qui contient leur
vie , le Catalogue , la Critique , le Jugement
, la Chronologie, l'Analyse et le dé
nombrement des différentes Editions de
leurs Ouvrages , ce qu'ils renferment de
plus interessant sur le Dogme , sur la
Morale et sur la Discipline de l'Eglise ;
l'Histoire des Conciles , tant Généraux que
Particuliers , et les Actes choisis des Martyrs.
Par le R. P. Dom Remy Ceillier , Benedictin
, de la Congrégation de S. Vanne
et de S. Hydulph , Coadjuteur de Flavigny.
Tome 3. Chez Paulus - du - Mesnil ,
au Palais. 1732. in 4° .
L'ART D'E LEVER LA JEUNESSE,
selon la différence du sexe , des âges et
des conditions ; en suivant les Principes
de la Religion , de la Politique et de l'Economie.
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de 77 pages.
Fiiij L'E1800
MERCURE DE FRANCE
L'EDUCATION DES ENFANS , renduë utile
aux Souverains , au Public et aux Parens.
Deuxième Partie , de l'Art d'élever
la Jeunesse , selon le systême de Monsieur
de Vallanger , &c.
OEUVRES MESLE'ES de M .... contenant
un Discours sur la fin qu'a eu Virgile
en composant ses Bucoliques ; une
Traduction de ses Eglogues, en Vers François
; un autre Discours sur les Regles
de l'Eglogue . Des Paraphrases en Vers
sur des Pseaumes de David , et sur quelques
Chapitres des Proverbes de Salomon.
Des Lettres , des Epîtres en Vers
des Réfléxions Morales , quelques Odes ,
quelques autres Piéces de Poësie , et pour
fin , un Traité sur la maniere de juger des
Ouvrages d'esprit . Chez Barrois , Quai des
Augustins. 1732. in 12 .
HISTOIRE D'EMILIE , ou les Amours de
Mlle de *** Par Mad. Mehault. Ruë
S. Jacques , et au Palais , chez Delespine ,
et chez Dupuis. 1732. in 12.
M. l'Abbé Auroux , Prêtre , Docteur
en Théologie , et ,Conseiller - Clerc au
Présidial de Moulins , vient de donner au
Fu
A O UST. 1732. 1801.
Public un COMMENTAIRE sur les Coutumes
Generales et Locales du Païs et Duché
de Bourbonnois.
• La lecture de cet Ouvrage serà fort utile
, non seulement à ceux qui veulent
s'instruire des dispositions de la Coutume
de Bourbonnois ; mais encore à ceux qui
s'attachent à la Jurisprudence Coutumiere
de tout le Royaume. L'Auteur a traité,
avec beaucoup d'érudition et d'ordre les
questions qui naissent de cette Coutume.
Il les a proposées à la fin de chaque
article , et a puisé principalement ses réfléxions
, tant dans les Ouvrages de Dumoulin
, Papon et Potier , qui ont donné
des Nottes sur la même Coutume ,
que dans ceux de plusieurs bons Commentaires
Manuscrits , et dans les décisions
rendues en la Sénéchaussée et
Présidial de Moulins , confirmées par
Parlement.
le
Ce Livre se vend à Paris , chez Cleuzier ,
Libraire , au coin de la rue de la Parcheminerie
, et chez Lebreton , fils , à l'entrée
du Quai des Augustins , près la , ruë Gistle
- Coeur ; chcz Paulus - du- Mesnil , à la
Grande Salle du Palais , et chez Osmond ,
Paîné, rue S. Jacques , 2732. 2. volumes
in folio.
FV Les
1802 MERCURE DE FRANCE
Les Nouvelles Litteraires d'Hollande
nous apprennent qu'on y va donner incessamment
un Ouvrage considérable ,
qui ne sçauroit manquer d'être bien reçû
du public. C'est un Lexicon Medicum
dont on manquoit en Medecine On s'étoit
contenté jusqu'icy des définitions des
Maladies de Gorræus , de l'Oeconomie
d'Hippocrate , par Foesius , en forme de
Léxicon. Le petit Lexicon Medicum , de
Blanchard , Grec et Latin , ne laissoit pas
d'avoir son utilité ; mais l'ouvrage qu'on
nous promet , semble devoir épuiser la
matiere Mrs Theod. Tronchin et Louis
de Neuville , Docteurs en Médecine , travaillent
à l'Edition de cet Ouvrage. Ces
M" promettent d'y comprendre generalement
tous les termes qui concernent la
Médecine , soit dans la Thore , soit dans
la Pratique , l'Anatomie , la Chirurgie
la Chymie , les Méchiniques , la Pharmacie
, la Botanique, l'Histoire naturelle,
&c. Le tout tiré des meilleurs Auteurs
de chaque Nation , tant Anciens que Modernes.
On y donnera
en même
-temps
l'éthymologie
et les
differentes
significations
des
mots
Grecs
, avec
l'interprétation
des
termes
Latins
, Anglois
, Flamans
, François
, Allemands
et Italiens
.
On
AOUST. 1732. 18031
On y trouvera de plus les noms des
Médicamens, tant simples que composez ;
comme aussi des Planches gravées, de toutes
les Parties du Corps Humain , suivant
les nouvelles découvertes des plus habiles
Anatomistes ; les différens caracteres
dont on se sert en Médecine et en Chymie
, avec leurs explications ; et à la fin ,
une Table des matiéres très- ample. C'est
l'idée qu'on donne de cet Ouvrage , par le
Projet, imprimé à Amsterdam , chez R.et
J. Westeins , et G. Smith. 1732. in 4º .
On avoit déja donné le titre de ce Lexicon
, il y a plus de six mois , dans le 7 .
tome, premiere Partie , de la Bibliotheque
Raisonnée ; ce qui n'a pas empêché M.
Jean Philippe Burggrave le jeune , Medecin
à Francfort , sur le Maine , de pu
blier presqu'en même-temps , un Projet à
peu près semblable. Si ces Mrs tiennent
leur parole,au lieu d'un Lexicon Medicum,
le public en aura deux . Un Sujet de cette
importance ne sçauroit être trop discuté.
On vient d'imprimet à Utrecht , chez
Corneille Guillaume le Févre , un Livre
intitulé : Le Brigandage de la Médecine ,
dans la maniere de traiter les Petites-Veroles
, et les plus grandes Maladies , par l'EF
vj métique
1804 MERCURE DE FRANCE
mérique , la Saignée du pied , et le KermeZ
Mineral ; avec un Traité de la meilleure
maniere de guérir les Petites- Véroles , par des
remedes et des observations , tirées de l'usa
ge. Cet Ouvrage contient 225 pages , et
se vend 30 sols. Les raisonnemens et le
stile font croire qu'il part de la plume
d'un des plus fameux et des plus anciens
Médecins de la Faculté de Paris. Nous en
pourrons rendre compte dans la suite. On
le trouve à Paris , chez Barthelemi Alix ,
Libraire , rue S. Jacques , au Griffon.
>
On a imprimé à Londres , en Anglois ,
P'Histoire Generale du Monde depuis la
création jusqu'à la destruction de Ferusalem
par Nabuchodonosor. Par M. Th. Brett,
che Giles. 1732. in 8 °.
LETTRE écrite par M. Morand ,
le 14. Août , à M. de la R.
J'
'Ay rendu compte au Public , Monsieur
, en 1730. et 1731. de ce qui s'étoit
passé sur la Taille Laterale par la
Méthode de M. Cheselden , Chirurgien
Anglois. Il y en a eu quatre dans le Printemps
de cette année 1732. qui ont réüssi
toutes quatre. Voici les noms de ceux qui
ont opéré , et les noms des Taillez. Andry
AOUST. 1732. 1809
dry Querru , âgé de 3. ans et demi , fils
du Vigneron des Religieux Feüillans à
Montmorency , a été taillé par leur Chirurgien
, Eleve de l'Hôpital de la Charité ,
qui lui a tiré deux Pierres ; il a été entierement
guéri au bout de quinze jours.
J'ai taillé François Coquelin , âgé de
18. ans et demi , retiré aux Incurables ,
parce qu'il est contrefait et très- incommodé.
Il avoit été taillé à l'Hôtel-Dieu
à l'âge de 4. ans , par la méthode ordinaire
, et depuis ce temps- là il perdoit ses
urines involontairement. Je lui ai tiré une
assez grosse Pierre , en présence de M. Syl
va, de plusieurs Maîtres Chirurgiens , du
Chirurgien Major des Incurables , de plusieurs
Chirurgiens de l'Hôpital de la Charité
, et de quelques Etrangers. Il est parfaitement
guéri , et retient ses urines. Il
m'étoit recommandé par Madame la Duchesse
de la Rochefoucault , Doüairiere .
George Lite , âgé de 14 ans , a été taillé
à Gaillon , Maison de l'Archevêque de
Rouen , par le sieur le Cat , éleve de l'Hôpital
de la Charité , et reçû en survivance
Chirurgien Major de l'Hôtel- Dieu de
Rouen , je lui tenois sa Sónde dans l'Operation
, il a tiré une Pierre grosse comme
un Abricot , noire et fort dure ; le
Malade a été guéri en zo. jours.
Jacques
1
1806 MERCURE DE FRANCE
Jacques Lienard , âgé de 7. ans , a été
taillé à Gaillon , par le même Chirurgien,
je lui tenois sa Sonde , il a tiré une petite
Pierre. Le Malade a rendu plusieurs vers
dans le cours du traitement ; il a été guéri
en 23. jours. Ces quatre Taillez ont été
présentez le 13. d'Août dans l'Assemblée
de l'Académie Royale des Sciences. Ces
Messieurs ont vû les Sujets , leurs Pierres
et leurs cicatrices.
P. S. Il faut , Monsieur , pour l'exactitude
de l'histoire de cette Operation ,
ajoûter à la fin de 1731. une Taille à la
Méthode de M. Cheselden , faite à Mante,
par M. Garengeot , et dont le Malade est
guéri ; une autre faite à Paris , par M. Perchet
, dont le Malade est mort ; et deux
faites par M. Foubert , avec quelques
changemens , dont il a fait part à l'Académie
de Chirurgie ; ses deux Malades
ont été guéris. Je suis , &c.
On a fait depuis peu à Paris, pour leRoi de
Sardaigne une Boëte de Pendule de bronze
dore d'or mouiu . Quoiqu'elle ne soit pas
d'un grand volume , n'ayant qu'environ
deux pieds de haut , elle ne laisse pas que
d'être très riche, elle est décorée sur le haut
d'un Groupe représentant Zephire et Flo
re, badinant avec des Festons et des Cou
ronnes
AOUST. 1732. 1807
ronnes de fleurs ; un peu plus bas on voit
des Bustes et des Têtes d'enfans ailez , sur.
des Nuées , qui paroissent s'empresser
pour badiner aussi .
Au- dessous du Cadran est un Cartouche
d'où naissent des Cornets d'abondance
avec quantité de fleurs qui vont se retrousser
en Festons sur les côtez et autour
de la Boëre . Au bas de la Pendule
sont les Signes du Zodiaque en relief ,
que le Temps supporte et découvre en
retroussant une draperie ; le Signe qui
est en face est celui du Bellier , const llation
sous laquelle le Prince est né . Elle
est désignée par une Etoille rayonnante
qu'un G'nie vient admirer et couronner
de fleurs ; le reste des Attributs caracte
risent l'abondance et les plaisir à l'aspect
de cet A tre naissant .
- Cet Ouvrage , aussi rich e que de bon
goût et très - recherché , est des Sieurs Slotz,
Sculpteurs du Roy , dont nous avons
déjà parlé dans ce Journal , au sujet d'une
Pendule très - magnifique , qu'ils firent
il y a quelques années pour le Roy de
Portugal.
Le Cadran de cette Pendule n'a que
six pouces et demi de diametre , crpendant
le sieur Thiout , habile Horloger à
Paris , demeurant ruë de Gêvres , a renfermé
1808 MERCURE DE FRANCE
maret
fermé dans ce petit espace un mouve
ment d'équation très - simple , travaillé
avec jastesse et solidité , qui fait sonner
l'heure et les quarts du temps vrai ,
quant aussi les heures , minutes et secondes
du même temps vrai et celles du
temps moyen , très distinctement
quoique borné par le peu d'étendue pour
plus de précision , il a ajoûté le poids au
mouvement , qui se remonte par
la sonnerie.
Le sieur Thiout a mis à cette Pendule
son nouvel échappement à deux
Leviers , dont il continuë de plus en plus
à faire usage , principalement aux Pendules
à secondes. Le premier a été mis à
la derniere Pendule d'équation que l'Auteur
a faite pour le Roy de Portugal , et
qui fut présentée à l'Académie Royale
des Sciences le 19. Mars 1727. laquelle
en approuva la quadrature , et jugea que
l'échappement à deux Leviers étoit nouveau
et ingénieux , se faisant avec beaucoup de
douceur et d'égalité , et qu'enfin le tout étoit
executé avec beaucoup d'adresse et d'habileté.
Le sicur Thiout vient aussi de faire un
quantiéme de mois très simple , dont
Fapplication est nouvelle et curieuse ; il
l'a placé dans le fond d'une Boëte de
Montre à répetition ; le changement se
fait lorsque l'on a remonté la Montre
-
le
AOUST. 1732 1809
le chiffre paroît par une petite ouverture
faite à la Boëte , couverte d'un cristal ,
par ce moyen le Quantiéme est tout-àfait
indépendant du mouvement et n'est
sujet à nul inconvenient . Pour peu que la
Boëte soit grande , on peut sur le même
principe faire marquer les quantiémes de
mois , de Lune et ses phases , sans qu'il
en résulte autre inconvenient que de tenir
la Boëte plus profonde de l'épaisseur
d'environ d'un sixième de ligne.
On trouva il y a quelques années auprès
de la Ville d'Apt en Provence , deux
Monumens antiques de Marbre blanc ,
d'une très- grande beauté ; sçavoir , la Sta
tuë en pied d'un homme , et sur un autre
bloc de Marbre , la figure d'une femme
assise , coëffée de la maniere que quelques
Imperatrices le sont dans les Médailles du
haut Empire , ayant auprès d'elle une
jeune fille debout , le tout d'un grand
goût , tant pour les airs de tête et l'expression
, que pour la legereté des Draperies
, &c. M. le Bret , Premier Président
et Intendant de la Province , le Marquis
de Caumont , le Président de Mazaugues,
&c. s'interesserent d'abord à cette découverte
, et le R. P. de Montfaucon en a
profité pour le Public , en faisant graver
ces
1810 MERCURE DE FRANCE
ces Figures dans le III . Tome , page 11. de
ses Supplémens . Nous apprenons aujour
d'hui aux Amateurs de la belle Antiquité
, quelque chose de plus ; ces précieux
Originaux ont été depuis peu transportez
à Paris, et ils sont actuellement exposez en
vente chez Mme de S. Didier , ruë de l'Eperon
, près la rue S. André des Arcs .
Des Lettres de Lisbonne portent , qu'on
y avoit reçû avis de Braga , que des Ou
vriers travaillant aux fondemens de l'ancienne
Eglise de S. Martin de Dume ,
avoient trouvé les vestiges d'un Edifice
du temps des Romains , qu'on croit être
ceux d'un Temple dédié à Jupiter , parce
qu'on a trouvé des caracteres Romains
sur plusieurs pierres qui formoient les
Colomnes , et sur une Colomne assez bien
conservée , l'Inscription suivante , Jovi
expulsori Armia Lussina ex Voto posuit.
On a découvert aussi près de cette Colomne
, un Tombeau de Marbre blanc ,
d'onze palmes de contour et large de trois
palmes , dans lequel on a trouvé les os
d'un Corps humain , que quelques Sçayans
du Païs croyent être celui de Théadomire
, l'un des Rois des Sueves , qui
ont regné en Portugal , qui mourut l'an
570. et qui avoit fondé le Monastete de
S.
AOUST . 1732.
1811
S. Martin de Dume . Comme les Goths
avoient ruiné les Edifices des Romains, les
Arabes ou Sarrazins ont pareillement détruit
les Edifices des Goths , c'est ce qui
peut occasionner la confusion et le mêlange
de toutes ces ruines , sur lesquelles
l'Académie Royale de l'Histoire , a ordre
de faire des recherches , dont elle fera
part au Public.
On écrit de Rome , que des Ouvriers
creusant depuis peu la terre aux environs
de la Chapelle de la Maison Corsini , y
trouverent quatre Statuës , une Colomne
de Jaspe antique ; deux autres Colomnes,
des Urnes sépulcrales , quelques Lampes
de Terre cuite , plusieurs Médailles
d'Empereurs , et diverses autres Antiquitez
Romaines .
La Veuve Chereau , ruë S. Jacques ;
aux deux Piliers d'or , a mis en vente
quatre belles Estampes en hauteur , réprésentant
les quatre Elemens, d'après les
Tableaux originaux du Cabinet du Marquis
de Beringhen , Premier Ecuyer du
Roy , excellemment peints et les sujets
traitez d'une maniere aussi galante que
riche et ingénieuse , par le Sr N. Lancret ,
de l'Académie Royale de Peinture.
I.
1812 MERCURE DE FRANCE
1. L'A IR est exprimé par de jeunes
gens des deux Sexes , qui badinent avec
des boules de savon , des Châteaux de
Carte , des Moulinets , Cerf- volans , &c.
Huit Vers au bas de chaque Estampe ,
ornez de divers traits de Morale , expliquant
les Sujets.
2. Des Bergers et des Bergeres dansent
autour d'un FEU de joye .
3. L'EAU est caracterisée par une Pêche
, des Poissons , &c.
4. LA TERRE est heureusement exprimée
par des Jardiniers , de jeunes Jardinieres
, et par quantité de fleurs et de
fruits , &c. Cette Estampe est gravée par
le S Cochin . Les autres le sont par les
Sr Des Places , B. Audran et N. Tardieu.
On vient de donner trois autres nou
velles Estampes , extrémement approu
vées , qu'on vend chez le S Faurat , ruë
S. Jacques , vis -à - vis les Maturins , qui
les a gravées en hauteur , d'après le sieur
Jaurat , Peintre , son frere . Les deux qui
font pendant , et qui auront une suite
sont des sujets de la 2º et de la 14 Fablede
la Fontaine. Le Savetier et le Financier,
et l'Amour et la Folic. Le sens, de ces Fables
est très bien exprimé et très- bien
rendu dans les deux Estampes . La troisiéme
A OUST. 1732. 1813
sième , qui est un peu plus grande , répresente
l'Amour Petit- Maître , au milieu
de quelques jeunes personnes , une des
quelles lui présente un Miroir. On lit
au bas ces quatre Vers .
Enfans , craignez le badinage ,
L'Amour blesse en toute saison.
De ses plaisirs on a l'usage ,
Avant celui de la raison.
M. Jean- Paul Panini , de Plaisance ;
fort habile Peintre , établi à Rome , a
desiré depuis peu d'étre de l'Académie
Royale de Peinture et de Sculpture. C'est
lui qui a fait le beau Tableau qu'on a
vû à Versailles , représentant la Fête que
le Cardinal de Polignac a donnée à Rome
pour la Naissance deMonseigneur le Dauphin.
Il excelle sur tout pour les Perspectives
et en fait les figures ; ce qui n'est
pas ordinaire aux Peintres de ce talent.
Dans l'Assemblée du 26, de Juillet, M. de
Largiliere , Recteur , présenta à l'Acadé
mie plusieurs de ses Ouvrages ; elle les
trouva dignes de sa réputation , et l'ayant
agréé tout d'une voix , elle le reçût dans
la même Séance , par une consideration
particuliere pour son mérite .
LA
On
1814 MERCURE DE FRANCE
On apprend de Rome , que le Cavalier
Galilei , a été choisi pour faire executer
le nouveau Portail de S. Jean de
Latran , sur ses Desseins que le Pape a
préferez à tous ceux qui lui ont été présentez.
On ajoûte que Sa Sainteté a choisi
le Cavalier Placide Costanzi , celebre
Peintre , pour la Fresque de la Coupole
de l'Eglise de Palestrine , que le Pape fait
réparer à ses frais.
On écrit de Londres , que M. Hamilton
, Gentilhomme Ecossois , qui prétend
avoir trouvé les Longitudes , doit s'embarquer
pour les Indes Occidentales , accompagné
de deux Capitaines des plus
expérimentez dans l'Art de naviger
pour être témoins des preuves qu'il donnera
de sa découverte dans son operation
Astronomique ; et on dit qu'en cas
de succès , les Commissaires de l'Amirauté
lui donneront une récompense de
20000. livres sterlins , outre les 100. mille
livres sterlins que le Gouvernement a
promis à celui qui aura découvert les
Longitudes. Il doit operer avec l'Instrument
du Docteur Wright , qu'on nomne
l'Orrery.

Le Sieur Baradelle , Ingenieur pour les Instrumens
NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
ABTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
18
lic
cu
La
pr
se
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P
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SW YORK
VORO LIERARY.
*STOP , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS,
AOUST. 1732.
1815
mens de Mathématique , donne avis qu'il a lui
seul les veritables principes de la division d'une
Jauge , construite à la maniere des Fermes ; elle
n'est point sujette aux inconveniens des anciennes
Jauges , sujettes à tant de discussions ;
elle donne dans tous les cas possibles , la continence
géométrique des Tonneaux . C'est la prémiere
Jauge qui a été approuvée par l'Académie
Royale des Sciences. Elle jauge toute sorte de
Tonneaux courbe et silindrique . Cette Jauge est
si facile , qu'un enfant de dix ans la concevra
et en fera usage . Il a lui seul une autre sorte de
Jauge que l'on nomme Vergue , qu'il a divisée en
veltes ou septiers et en pintes ; et donne la ma
niere de s'en servir . Il continue toûjours de débiter
ses Encriers qui conservent l'Encre sans se
secher pendant plusieurs années. Sa demeure est
sur le Quay de l'Horloge , à l'Enseigne de l'Observatoire.
***********X**X **
Q
CHANSON.
Uelle douce vapeur , quel parfum précieux ,
S'éleve de ton sein , ô charmante Bouteille !
Que j'aime à voir briller tes Rubis à mes yeux !
Que tes glous , glous, chatouillent mon oreille !
Chers amis , je la livre à vos embrassemens.
Cette Maîtresse , à tous liberale et fidelle ,
Elle offre à votre goût mille appas renaissans ;
Eprouvez avec moi qu'on ne trouve qu'en elle ,
Le triomphe de tous les sens.
SPEC
181 MERCURE DE FRANCE
************: *: **
SPECTACLE S.
E Lundy 28 Juillet , l'Opéra Comi-
Lque donna la premiere Représenta
tion de deux petites Pieces nouvelles
précédées d'un Prologue, dont la premie
re Scene se passe entre l'Instinct et la Nature.
Celle -ci rend compte des soins qu'elle
se donne pour la Réconciliation des
sens. Il est aisé de comprendre que toures
les idées de ce Prologue ont rapport
au Ballet des Sens, et au Procès des Sens
représenté à la Comédie Françoise . La
Scene de la Nature et de l'Instinct est interrompuë
par l'Opinion qui vient féliciter
la Nature sur le racommodement
qu'elle projette ; la Nature congédie fort
naturellement l'Opinion , quoiqu'elle se
prétende sa Collégue dans l'Empire de
Î'Univers , fondée sur le Proverbe Italien:
L'Opinione Regina del Mondo.L'Instinct
revient dès que l'Opinion est sortie.
Un Amour arrive pour exhorter la Nature
à terminer le Procès des Sens. Après
quelques questions , elle lui demande qui
des deux Amours à la mode il aime le
mieux. ( On sçait que ces deux Amours
sont la Dule d'Angeville et la Due le Maure.
)
A O UST. 1732. 1817
re. ) L'Amour répond par ce Couplet, sur
Pair : Deux beaux yeux n'ont qu'à parler.
Bon , moy , j'entens tous les jours ,
Cent Discours ,
Sur ces deux aimables Amours.
Sans me sembler fort téméraire ,
Şur leur mérite , on ne peut rien régler ,
Car l'un n'a qu'à chanter pour plaire ,
Et l'autre n'a qu'à parler.
Le Prologue finit par un Ballet , composé
des Sens , et de leur suite.
La premiere Piece , intitulée : Les In
terets de Village , se passe dans un Village.
Chaton , Manceau , Sécrétaire du deffunt
Bailli , paroît d'abord avec Gripant , Record
et son Confident , à qui en expliquant
sa situation et ses vûes , il apprend
qu'il s'apperçoit qu'il est aimé de la veuve
du Bailli , mais qu'il aime Agate sa
Niéce , promise à Piérot. Primò , dit - il
je veux épouser Agate , et pour y parvenir ,
la brouiller avec Piérot. 2 ° . Je veux pour
jouir toujours des Revenans - bons du Bailliage
, me servir de l'ascendant que j'ai sur
l'esprit de Me Triolet , ( c'est la veuve )
pour l'engager à remettre sa Charge à un imbécile
qui se contente de n'en posseder que.
G Le
1818 MERCURE DE FRANCE
Le Titre , comme faisoit le deffunt. Gripant
lui demande à quel heureux imbécile il
donnera la préférence. Chaton propose
d'abord Piérot , qu'il détacheroit d'Agate,
en lui inspirant l'ambition d'être Bailli
; ensuite il parle de Grosdos , riche Fermier
, glorieux de Village , capable de servir
à ses desseins.
La Veuve paroît et tâche de s'expliquer
avec Chaton , qui feint de ne pas entendre
son galimatias passionné. Elle le
quitte , en appercevant Piérot. Chaton
fait accroire à Piérot que la Veuve a du
penchant pour lui , et songe à supplanter
sa Niéce ; il ébranle la fidélité de Piérot
en lui exagerant les prérogatives de la
Charge de Bailli . Piérot sort presqu'inconstant
; et sur le champ Chaton ins
truit Agate des inconstances de son Rival
, et lui déclare en même temps son
amour. Agate méprise cette déclaration
et s'afflige de l'infidelité de Piérot . Chaton
après son départ , s'applaudit du succès
de son mensonge , et ne perd pas l'esperance
, malgré la rigueur d'Agate . Grosdos
paroît, Chaton gagne sa confiance par
des respects et des soumissions ; il lui mes
dans la tête de devenir Bailli ; Grosdos le
retient pour son Secretaire , comme avoit
fait Piérot. Chaton dit : Je tiens Grosdos
dans
AOUST. 1732. 1819
dans mes filets; je choisirai entre Piérot et lui,
suivant les dispositions de Mme Triolet. Il
est question à present de l'amener à mon but.
Elle vient; je veux faire rompre la glace par
Gripant ; allons lui donner mes instructions.
que
Dans la Scene suivante , Janot qui survient
, apprend à la Veuve qu'on parle
dans le Village de l'envie que Grosdos a
d'être Bailly. Piérot arrive , et dit crument
à la Baillive , qu'il la sçait amou
reuse de lui ; elle le détrompe , et conçoit
de violens soupçons au sujet de
Chaton Piérot declare être la cause
de son erreur . Agate paroît quand sa tante
a quitté Piérot. Il veut lui cacher sa
courte inconstance par des démonstrations
de tendresse ; Agate le rebute ironiquement
; Piérot se flare d'un prompt
retour. Il apperçoit Grosdos , et reste pour
le narguer ; Grosdos lui conseille de le
respecter comme un homme qui va être
bien-tôt Bailly; cette nouvelle fait changer
de ton à Piérot , qui s'humilie devant
le prétendu oncle d'Agate. Grosdos dir
qu'il consultera sur ceci son Secretaire
Chaton. Ouais , dit Piérot à part ; Cha
ton par tout ! je crois que le fripon nous
trompe tous. Mme Triolet qui vient , sans
être apperçue , de surprendre Chaton aux,
pieds de sa niéce , arrive en fureur , et
292003
Gij Agate
1820 MERCURE DE FRANCE
Agate qui survient , l'augmente en se
plaignant des importunitez de ce fourbe
; ils prennent tous le parti de se cacher
derriere des arbres , en voyant paroître
Chaton et Gripant , que Piérot seul
aborde ; il les fait parler à coeur ouvert ,
sur tous leurs interêts differens. Ils sont
tous détrompez par celui qui les avoit
tous abusez ; la veuve dépitée épouse
Grosdos , et donne Agate à Piérot. Cha
ton et Gripant se retirent avec l'audace
de deux fripons , et le Village assemblé
vient féliciter le nouveau Bailly , et cele
brer les deux mariages par des Danses ,
qui forment le Divertissement.
La 2 Piéce , intitulée : L'Epreuve des
Fées , est composée de plusieurs Scenes
Episodiques , qui se passent dans une
Grotte , destinée à l'Epreuve des Fées. La
Récipiendaire y donne audience aux personnages
, destinez pour lui demander
graces des conseils ; et c'est sur les
Réponses qu'elle fait , que les Fées cathées
dans les Rochers de la Grotte , jugent
de sa capacité , et la reconnoissent
Fée ,à la fin de l'épreuve on la renvoye.
des
et
Dans la 2de Scene , Bagatelius , Philosophe
, vient demander à Finette , ( c'est la
jeune Fée qu'on éprouve ) la connoissanse
de la verité. Finette , fatiguée de ses
doctes
AOUST. 1732 1811
*
doctes clabauderies , le dotie d'une extinction
de voix , et le renvoye presque
muet.
Le second Client est Jacot , Paisan , qui
supplie la Fée de lui accorder le don d'être
toujours autant aimé de sa femme ,
qu'il l'est présentement : Finette lui promet
que son front sera toujours aussi res
pecté qu'il l'est. Il faut sçavoir que par le
recit de Jacot , et par l'éloge même qu'il
fait de sa chere moitié ,il prouve lui - même
, sans s'en appercevoir qu'elle ne lui
est point du tout fidelle.
Après le départ du crédule Jacot , paroît
une jolie femme , nommée Araminte ,
qui demande le rétablissement de la réputation
d'une de ses bonnes amies , qu'une
jmprudence a un peu timpanisée ; la Fée
l'oblige à conter l'aventure de son amic.
Araminte avoue que cette amie a été surprise
avec son amant par son mari , et dans
la chaleur de sa narration elle se coupe ,
et fait connoître qu'elle est l'Héroïne du
Roman .
La derniere Scene , mêlée de critique et
dé Jeu de Théatre , est remplie par un
Danseur , toujours occupé de son talent ,
et toujours sacrifiant aux Graces : Voici
des Morceaux du Panégirique qu'il fait
du Gracieux.
Giij Jai
1822 MERCURE DE FRANCE
J'ai pour le Gracieux une ardeur infinie ,
Je voue au Gracieux mes Jambes , mon Génie ;
Non , sans le Gracieux , je ne puis faire un Pás,
Il gouverne mes pieds , il balance * mes Bras ,
* , il me panche * , il me tourne
Il me pousse
il m'arrête
,
Il me tient le menton, quand il leve la tête ¿
Et comme le Soleil est le flambeau des cieux
Mon Astre , à moi mon Astre est ...
Pierot.
La Gargouillade.
Le Danseur.
Quoi?
Le Gracieux .
Croit- on qu'il ne me suit que dans les Bergeries▸
Je fais au bord du Stix minauder les Furies ,
Et lorsque l'on me voit figurer en Démon ,
On croit, au Masque près, voir danser Céladon.
Si je suis en Guérrier qui sort d'une Bataille ,
Si pour la tendre Alceste à Sciros je ferraille ,
Une grace me met mon Epée à la main ,
Sous cent habits divers on me déguise en vain
Peste ! on me reconnoît toûjours.... Ah ! c'esɛ
lui- même ,
C'est lui , dit- on , c'est lui ; que sa garce est extrême
!
****** L'Axis différents,
Londres
AOUST. 1732.` 1823
Londres me vit un jour sous un habit oblong ,
En Sacrificateur , dansant un Cotillon ,
Quel Tapage ce fut ! c'étoit pis qu'un Tonnerret
De ce Cottillon-là , les Gourmets d'Angleterre,
Se souviendront long- temps...
Finette.
Et nous aussi , ma foy !
Pierot , à la Gargouillarde.
Votre Gracieux est souvent berné , je croi,
La Gargoüillade.
Vous croicz mal , pourvu que l'on danse avec
grace ,
Nal contresens ne choque , il n'est rien qui ne
passe ;
Jamais on n'analise un divertissement ;
Ou n'y demande point ni pourquoi , ni comment
;
J
Qu'on mette à la Françoise un Peuple de laGrece
Que l'on Coiffe en Bichon une grande Prêtresse,
Que la Sirene prête à massacrer les gens ,
Se prépare à leur mort par des Ballets galans ,
Cela n'est-il pas bien , dés que cela.sçait plaire
Pour les autres talens ce Juge si sévere ,
Qui rejette à son gré Thalie et ses bons mots,
Houspille Melpomene, et nargue ses Héros ;
Ce Public qui par tout veut de la convenance
A pour la danse seule une entiere indulgence ;
?
2
Güij
1824 MERCURE DE FRANCE
一个
Lss Romains les plus grands , par lui sont abbatus
Dans sa conduite , il a blâmé jusqu'à Brutus ,
Mais il a vû , revû , sans chicaner l'idée ,
Danser des Tambourins aux filles de Judée.
Et dans le Ballet neuf , avant qu'il fut rogné ,
Recousu , recrépi , frisoté , tignoné ,
Devant Protésilas , sortant du sombre Empire .
Des Trépassez dansoient , on l'a vû sans en rire
Et sans imaginer aucune absurdité
Dans ces Morts qui sautoient pour un réssuscité,
Piérot.
Si l'on ne rioit pas , on en avoit envie ;
Mais on ne le pouvoit ; observez , je vous prie ,
Me disoit un Frater , me lavant le Menton >
Que les Os du Gosier sont placez de façon ,
Qu'on ne peut à la fois rire et baailler... la bou
che ;
Tres- distincte à marquer quel sentiment nous
touche ,
S'ouvre en long, quand on baaille , en large quand
on rit ;
Vous voiez , sans avoir autant que moi d'esprit
Que le large et le long... que le long et le large...
Ne peuvent exercer au même instant leur charge.
Piérot , Physicien !
Finette.
Piered
AOUS T. 1732. 1825
Piérot.
Ouy, c'est le long qui fait
Que l'on ne rioit pas dans le nouveau Ballet.
Finette.
A la danse s'entend ; car à la Poësie
On rioit volontiers ; et quand Laodamie ,
Déplorant les malheurs de la viduité ,
Faisant sentir combien peze la chasteté
Sur le malheureux corps d'une veuve oppressée ,
t
Aux pieds d'une Statue ardamment carressée ,
De son époux deffunt alloit chercher l'ardeur ,
On disoit fy; c'est mal rappeller son Buveur.
Il réve !
Le Danseur.
Je descens sur un Port de Provence ;
De- là , tout en dansant je vois toute la France
Je me rens à Paris pour connoître le goût
D'un Peuple que j'entens préconiser par tout.
J'y trouve dans la danse un tumulte effroiable !
Chacun m'y yeut compter qu'un sujet admi-

rable ;
L'un pour le Gracieux
, et l'autre
le vif ,
pour
Fait de ces deux talens un injuste
tarif.
Deux
Prodiges
dansans
que chacun
idolâtre
,
Partageoient
sans débat l'Empire
du Théatre
,
I GY Mais
1826 MERCURE DE FRANCE
Mais on les désunit , et sur le moindre mot
L'une passe la Mer , l'autre court à Chaillot.
Leur départ nous allarme, et les Partis glapissents
De Doctes heurlemens les Caffez retentissent ;
Et dans l'Opéra même un Braillard à nos yeux,
Décide sans quartier ; loüangeur furieux ,
Au talent qu'il réprouve il déclare la guerre ;
Le Balcon s'en émeut , il trouble le parterre ,
Son souffle impur s'aigrit , l'air en est infecté ,
Le Flot qui l'apporta, recule épouvanté.
On implore aussi-tôt mon avis , on m'entoure
On fait silence, et moi, je répons cette Loure,&c
A
Le Danseur livré à son Entousiasme , se
met à danser, oublie ce qu'il venoit demander
à la Fée , et sort en redoublant
ses Lazis de danse. Cet Acte est terminé
par une Fête champêtre , exécutée par des
Jardiniers et des Jardinieres , et par un
Vaudeville , qui termine la Piéce. En voiey
quelques couplets :
Dans une fille bien apprise
J'aime une modeste rougeur ;
Le vermillon de la Cerise
Vaut-il celui de la pudeur ?
L'Amant avant son mariage
Est aussi sucré qu'un Brugnon :
Est-1
AOUST 173 . 1827
Est-il mari ? dans son ménage
Il est plus aigre qu'un Citron.
Barbons , Coquets , de bon sens vuides,
Cessez vos soupirs ennuyeux :
Jamais la neffle avec ses rides
Ne flata le goût et les yeux.
An Public.
Le bruit qui nous plaît davantage ,
Messieurs , quand nous ouvrons le bec ,
C'est sûrement votre suffrage ,
Mangerons-nous notre pain sec.
(
On trouvera l'Air notté au bas de la
Chanson.
Le 19 Aoust , le même Opéra Comique
donna deux Piéces nouvelles , d'un
Acte chacune ; la premiere , intitulée :
La Lanterne Véridique,précédée d'un Prologue
qui a pour titre : Le Réveil de POpera
Comique. La seconde , Le Rival de
lui-même. Celle- ci est jouée par les Petits
Comédiens , qu'on a vûs avec plaisir ,
l'année passée à la même Foire S.Laurent.
Cette Piéce est encore précédée d'un Prologue
, intitulé : Le Parterre Merveilleux.
Tous ces nouveaux Divertissemens ont été
reçus G vj
1828 MERCURE DE FRANCE
receus favorablement du public. On en
parlera plus au long.
Le Mercredi 13. de ce mois , les Comédiens
François donnerent la premiere
Représentation de Zaire . Cette Piece fut
beaucoup critiquée , et encore plus applaudie
. Nous entrions icy dans l'exposition
, et les autres détails de ce Poëme ,
mais l'Auteur lui même nous dispense
de ce soin dans la Lettre qu'on va lire . Il
est inutile de faire sentir combien le Lecteur
y gagnera ; nous y gagnons aussi ,
quoique l'illustre Poëte , en prodigant sa
modestie , ait trop pcu ménagé la nôtre.
·
LETTRE de M. de Voltaire,à M.D.L.R.
sur la Tragedie de Zaïre.
Q
Uoique pour l'ordinaire vous vouliez
bien prendre la peine , Monsieur
, de faire les Extraits des Pieces nouvelles
; cependant vous me privez de cet
avantage , et vous voulez que ce soit moi
qui parle de Zaire . Il me semble que je
vois M. le Normand ou M. Cochin (a)
réduire un de leurs Clients à plaider luimême
sa cause. L'entreprise est dangereuse
, mais je vais mériter au moins la
( a ) Deux fameux Avocats.
conAOUST.
1732 1829
confiance que vous avez en moi par la sincerité
avec laquelle je m'expliquerai.
Zaïre est la premiere Piece de Théatre
dans laquelle j'aye osé m'abandonner à
toute la sensibilité de mon coeur. C'est la
seule Tragédie tendre que j'aye faite. Je
croiois dans l'âge même des passions les
plus vives , que l'amour n'étoit point fait
pour le Théatre tragique . Je ne tegardois
cette foiblesse que comme un défaut char
mant , qui avillissoit l'Art des Sophocles ;
les connoisseurs qui se plaisent plus à la
douceur élégante de Racine , qu'à la force
de Corneille , me paroissoient ressembler
aux Curieux qui préférent les nuditez
du Correge , au chaste et noble Pinceau
de Raphaël .
Le public qui fréquente les Spectacles,
est aujourd'hui plus que jamais dans le
goût du Correge. Il faut de la tendresse et
du sentiment ; c'est même ce que les Acteurs
jouent le mieux. Vous trouverez
vingt Comédiens qui plairont dans An
dronic et dans Hypolite , et à peine un seul
qui réussisse dans Cinna et dans Horace.
Il a donc fallu me plier aux moeurs du
temps , et commencer tard à parler d'amour.
J'ai cherché au moins à couvrir cette
passion de toute la bienseance possible ,'
1830 MERCURE DE FRANCE
et pour l'annoblir j'ai voulu la mettre à
côté de ce que les hommes ont de plus res
pectable. L'idée me vint de faire contras
ter dans un même Tableau , d'un côté ,
l'honneur , la naissance , la patrie , la religion
; et de l'autre , l'amour le plus tendre
et le plus malheureux ; les moeurs des
Mahometans et celles des Chrétiens , la
Cour d'un Soudan , et celle d'un Roy de
France , et de faire paroître pour la premiere
fois des François , sur la Scene Tragique.
Je n'ai pris dans l'Histoire que I'Epoque
de la Guerre de S. Loüis ; tout le
reste est entierement d'invention . L'Idée
de cette Piece étant si neuve et si fertile ,
s'arrangea d'elle- même ; et au lieu que le
plan d'Eriphile m'avoit beaucoup couté ,
celui de Zaïre fut fait en un seul jour , et
Fimagination , échauffée par l'interêt qui
regnoit dans ce plan , acheva la Piece en
vingt deux jours.
Il entre peut être un peu de vanité
dans cet aveu ( car où est l'artiste sans
amour propre , mais je devois cette
excuse au public , des fautes et des négligences
qu'on a trouvées dans ma
Tragédie. Il auroit été mieux , sans
doute , d'attendre à la faire représenter ,
que j'en eusse châtié le stile mais des
raisons , dont il est inutile de fatiguer
Le
AOUST. 1732. 1831
le Public , n'ont pas permis qu'on differât.
Voici , Monsieur , le sujet de cette
Piece .
Il
La Palestine avoir été enlevée aux Princes
Chrétiens par le Conquerant Saladin .
Noradin , Tartate d'origine , s'en étoit
ensuite rendu maître. Õrosmane , fils de
Noradin , jeune homme plein de grandeur
, de vertus et de passions , commen.
çoit à regner avec gloire dans Jérusalem.
Il avoit porté sur le Trône de la Syrie
la franchise et l'esprit de liberté de ses
Ancêtres. Il méprisoit les regles austeres
du Serrail , et n'affectoit point de se rendre
invisible aux Etrangers et à ses Sujets
, pour devenir plus respectable. If
traitoit avec douceur les Esclaves Chrétiens
, dont son Serrail et ses Etats étoient
remplis . Parmi ces Esclaves il s'étoit trouvé
un enfant , pris autrefois au Sac de
Césarée , sous le Regne de Noradin . Cet
enfant ayant été racheté par des Chrétiens
à l'âge de neuf ans , avoit été amené
en France au Roy S. Louis , qui avoit daigné
prendre soin de son éducation et de
sa fortune . Il avoit pris en France le nom
de Nerestan ; et étant retourné en Syrie ,
il avoit été fait prisonnier encore une
fois , et avoit été enfermé parmi les Esclaves
d'Orosmane. Il retrouva dans la
captivité
1832 , MERCURE DE FRANCE
1
captivité une jeune personne avec qui
il avoit été prisonnier dans son enfance
lorsque les Chrétiens avoient perdu Césarée.
Cette jeune personne à qui on avoit
donné le nom de Zaïre , ignoroit sa naissance
, aussi bien que Nerestan et que
tous ces enfans de tribut qui sont enlevez
de bonne heure des mains de leurs parens,
et qui ne connoissent de famille et de Patrie
que le Serrail. Zaïre sçavoit seulement
qu'elle étoit née Chrétienne . Nerestan
et quelques autres Esclaves un peu
plus âgez qu'elle , l'en assuroient . Elle
avoit toûjours conservé un ornement qui
renfermoit une Croix , seule preuve qu'el
le eût de sa Religion . Une autre Esclave
nommée Fatime , née Chrétienne , et mise
au Serrail à l'âge de dix ans , tâchoit d'instruire
Zaïre du peu qu'elle sçavoit de la
Religion de ses Peres . Le jeune Nerestan
qui avoit la liberté de voir Zaïre et Fatime
, animé du zele qu'avoient alors les
Chevaliers François , touché d'ailleurs
pour Zaïre de la plus tendre amitié , la
disposoit au Christianisme. Il se proposa
de racheter Zaïre , Fatime et dix Cheva
liers Chrétiens , du bien qu'il avoit acquis
en France et de les amener à la Cour de
S. Louis. Il eut la hardiesse de demander
au Soudan Orosmane la permission.de
retourner
AOUST. *
1833
17322
retourner en France , sur sa seule parole
et le Sultan eut la générosité de le permettre
. Nerestan partit et fut deux ans
hors de Jerusalem .
Cependant la beauté de Zaïre croissoit
avec son âge , et la naïveté touchante de
son caractere , la rendoit encore plus almable
que sa beauté. Orosmane la vit et
kui parla. Un coeur comme le sien ne
pouvoit l'aimer qu'éperdument. Il résolut
de bannir la molesse qui avoit effeminé
tant de Rois de l'Asie et d'avoir
dans Zaïre un ami , une maîtresse , une
femme , qui lui tiendroit lieu de tous les
plaisirs , et qui partageroit son coeur avec
les devoirs d'un Prince et d'un Guerrier.'
Les foibles idées du Christianisme , tracées
à peine dans le coeur de Zaïre , s'éyauoüirent
bien- tôt à la vûë du Soudan ;
elle l'aima autant qu'elle en étoit aimée ,
sans que l'ambition se mêlât en rien à la
pureté de sa tendresse.

Nerestan ne revenoit point de France.
Zaïre ne voyoit qu'Orosmane et son
amour. Elle étoit prête d'épouser le Sultan
lorsque le jeune François arrive.
Orosmane le fait entrer en présence même
de Zaïre . Nerestan apportoit avec la
rançon de Zaïre et de Fatime , celle de
dix Chevaliers qu'il devoit choisir. J'ai
satisfait
1834 MERCURE DE FRANCE
satisfait à mes sermens , dit- il au Soudan ,
C'est à toi de tenir ta prom sse , de me
remettre Zaïre , Fatime et les dix Che
valiers ; mais apprends que j'ai épuisé ma
fortune à payer leur rançon . Une pauvreté
noble est tout ce qui me reste ; je
ne puis me racheter moi - même ; e viens
me remettre dans tes fers. Le Soudan ,
satisfait du grand courage de ce Chrétien
, et né pour être plus genereux encore
, lui rendit toutes les rançons qu'il
apportoit , lui donna cent Chevaliers au
lieu de dix et le combla de présens ; mais
il lui fit entendre que Zaïre n'étoit pas
faite pour être rachetée , et qu'elle étoit
d'un prix au- dessus de toutes les rançons.
Il refusa aussi de lui rendre parmi les
Chevaliers qu'il délivroit , un Prince de
Lusignan , fait Esclave depuis long-temps
dans Cesarée.
Ce Lusignan , le dernier de la Branche
des Rois de Jerusalem , étoit un Vieil.
lard respecté dans l'Orient , l'amour de
tous les Chrétiens , et dont le nom seul
pouvoit être dangereux aux Sarrasins,
C'étoit lui principalement que Nerestan
avoit voulu racheter . Il parut devant
Orosmane accablé du refus qu'on lui faisoit
de Lusignan et de Zaïre. Le Soudan
remarqua ce trouble ; il sentit dès ce moment
AOUST. 1732.
1835-
ment un commencement de jalousie que
la génerosité de son caractere lui fit étouf
fer. Cependant il ordonna que les cent
Chevaliers fussent prêts à partir le lendemain
avec Nerestan.
* Zaïre , sur le point d'être Sultane , vou
lut donner au moins à Nerestan une preu
ve de sa reconnoissance. Elle se jette aux
pieds d'Orosmane pour obtenir la liberté
du vieux Lusignan . Orosmane ne pouvoit
rien refuser à Zaïre .On alla tirer Lusignan
des fers. Les Chrétiens délivrez étoient
avec Nerestan dans les Appartemens exterieurs
du Serrail ; ils pleuroient la destinée
de Lusignan , sur tout le Chevalier
de Chatillon , ami tendre de ce malheureux
Prince , ne pouvoit se résoudre à ac
cepter une liberté qu'on refusoit à son
ami et à son Maître , lorsque Zaïre arrive
et leur amené celui qu'ils n'esperoient
plus.
Lusignan , ébloui de la lumiere qu'il
revoyoit après vingt années de prison ,
pouvant se soutenir à peine , ne sçachant
où il est et où on le conduit . Voyant
enfin qu'il étoit avec des François et reconnoissant
Chatillon , s'abandonna à
cette joye mêlée d'amertume , que les
malheureux éprouvent dans leurs consolations.
Il demande à qui il doit sa délivrance
1836 MERCURE DE FRANCE
livrance . Zaïre prend la parole en lui présentant
Nerestan ; c'est à ce jeune François
, dit- elle , que vous et tous les Chrétiens
, devez votre liberté. Alors le Vieillard
apprend que Nerestan a été élevé.
dans le Serrail avec Zaire , et se tournant
vers eux : hélas ! dit-il , puisque !
vous avez pitié de mes malheurs , achevez
votre ouvrage , instruisez- moi du
sort de mes enfans. Deux me furent enlevez
au berceau , lorsque je fus pris dans
Césarée ; deux autres furent massacrez de
vant moi avec leur mere. O mes fils ! ô
Martirs ! veillez du haut du Ciel sur mes
autres enfans , s'ils sont vivans encore.
Helas ! j'ai sçû que mon dernier fils et
ma fille , furent conduits dans ce Serrail.
Vous qui m'écoutez , Nerestan , Zaïre ,
Chatillon , n'avez - vous nulle connoissance
de ces tristes restes du Sang de Godefroy
et de Lusignan .
Au milieu de ces questions , qui déja
remuoient le coeur de Nerestan et de Zaïre
; Lusignan apperçut au bras de Zaïre
un ornement qui renfermoit une Croix,
Il se souvint que l'on avoit mis cette parure
à sa fille lorsqu'on la portoit au Baptême
; Chatillon l'en avoit ornée lui-même
, et Zaïre lui avoit été arrachée de
ses bras avant d'être baptisée. La ressemblance
A O UST. 1732 1837
blance des traits , l'âge , toutes les circonstances
, une cicatrice de la blessure
que son jeune fils avoit reçue , tout confirme
à Lusignan qu'il est pere encore; et
la Nature parlant à la fois au coeur de
tous les trois , et s'expliquant par des
larmes Embrassez- moi , mes chers enfans
, s'écria Lusignan , et revoyez votre
-pere. Zaïre et Nerestan ne pouvoient s'arracher
de ses bras . Mais helas ! dit ce Vieil-
-lard infortuné , goûterai- je une joye pure.
Grand Dieu qui me rends ma fille , me
la rends - tu Chrétienne ? Zaïre rougit et
frémit à ces paroles. Lusignan vit sa honte
et son malheur , et Za ire avoua qu'elle
étoit Musulmane. La douleur , la Religion
et la Nature , donnerent en ce moment
des forces à Lusignan ; il embrassa
sa fille et lui montrant d'une main
Je Tombeau de Jesus - Christ et le Ciel de
l'autre , animé de son desespoir , de son
zele , aidé de tant de Chrétiens , de son
fils et du Dieu qui l'inspire , il touche
sa fille , il l'ébranle , elle se jette à ses
pieds et lui promet d'être Chrétienne.
Au moment arrive un Officier du Serrail
qui sépare Zaïre de son père et de
son frere et qui arrête tous les Chevaliers
François. Cette rigueur inopinée
étoit le fruit d'un Conseil qu'on venoit
f
de
838 MERCURE DE FRANCE
de tenir en présence d'Orosmane . Là
Flotte de S. Louis étoit partie de Chipre ,
et on craignoit pour les Côtes de Sirie ;
mais un second Courier ayant apporté
la nouvelle du départ de S. Louis pour
l'Egypte. Orosmane fut rassuré ; il étoit
lui- même ennemi du Soudan d'Egypte .
Ainsi n'ayant rien à craindre ni du Roy.
ni des François qui étoient à Jerusalem
, il commanda qu'on les renvoyât
leur Roy ,et ne songea plus qu'à réparer
par la pompe et la magnificence de son
mariage la rigueur dont il avoit usé envers
Zaïre .
,
Pendant que le Mariage se préparoit ,
Zaïre désolée demanda au Soudan la
permission de revoir Nerestan encore une
fois. Orosmane , trop heureux de trouver
une occasion de plaire à Zaïre , eut
l'indulgence de permettre cette entrevûë.
Nerestan revit donc Zaire , mais ce
fut pour lui apprendre que son pere étoit
prêt d'expirer, qu'il mouroit entre la joye
d'avoir retrouvé ses enfans et l'amertume
d'ignorer si Zaïre seroit Chrétienne , et
qu'il lui ordonnoit en mourant d'être baptisée
ce jour-là même de la main du Ponrife
de Jerusalem. Zaïre attendrie et vain
cuë, promit tout et jura à son frere qu'elle
ne trahiroit point le sang dont elle étoir
née ,
A OUST. 17328 7829
née , qu'elle seroit Chrétienne , qu'elle
n'epouseroit point Orosmane , qu'elle ne
prendroit aucun parti avant que d'avoir
été baptisée.
A peine avoit- elle prononcé ce ser,
ment , qu'Orosmane , plus amoureux et
plus aimé que jamais , vient la prendre
pour la conduire à la Mosquée . Jamais
on n'eut le coeur plus ddéécchhiirréé que Zaïre ;
elle étoit partagée entre son Dieu , sa famille
, son nom qui la retenoient , et le
plus aimable de tous les hommes qui l'a,
doroit. Elle ne se connut plus ; elle ceda
à la douleur et s'échapa des mains de son
Amant , le quittant avec désespoir et le
laissant dans l'accablement de la surprise,
de la douleur et de la colere.
Les impressions de jalousie se reveil
lerent dans le coeur d'Orosmane. L'orgueil
les empêcha de paroître , et l'amour
Ics adoucit. Il prit la fuite de Zaïre pour
un caprice , pour un artifice innocent ,
pour la crainte naturelle à une jeune fille,
pour toute autre chose , enfin, que pour
une trahison . Il vit encore Zaïre , lui
pardonna et l'aima plus que jamais , L'a
mour de Zaïre augmentoit par la tendresse
indulgente de son Amant . Elle se
jette en larmes à ses genoux , le supplie
de differer le Mariage jusqu'au lendemain
Elle
1840 MERCURE DE FRANCE
>
Elle comptoit que son frere seroit alors
parti , qu'elle auroit reçû le Baptême ,
que Dieu lui donneroit la force de résister.
Elle se flattoit même quelquefois
que la Religion Chrétienne lui permettroit
d'aimer un homme si tendre si
genereux , si vertueux , à qui il ne manquoit
que d'être Chrétien. Frappée de
toutes ces idées , elle parloit à Orosmane
avec une tendresse si naïve et une douleur
si vraye , qu'Orosmane ceda encore
et lui accorda le sacrifice de vivre sans
elle ce jour- là . Il étoit sur d'être aimé;
il étoit heureux dans cette idée et fermoit
les yeux sur le reste.
f Cependant dans les premiers mouvemens
de jalousie , il avoit ordonné que
le Serrail fût fermé à tous les Chrétiens.
Nerestan trouvant le Serrail fermé et n'en
soupçonnant pas la cause , écrivit une
Lettre pressante à Zaïre ; il lui mandoit
de lui ouvrir une porte secrette qui conduisoit
vers la Mosquée , et lui recommandoit
d'être fidelle.
La Lettre tomba entre les mains d'un
Garde qui la porta à Orosmane . Le Soudan
en crut à peine ses yeux . Il se vit
trahi ; il ne douta pas de son malheur et
du crime de Zaïre . Avoir comblé un
Etranger , un Captif de bienfaits ; avoir
donné
A O UST. 17327 184r
donné son coeur , sa Couronne à une fille
Esclave ; lui avoir tout sacrifié ; ne vivre
que pour elle , et en être trahi pour ce
Captif même ; être trompé par les appa
rences du plus tendre amour ; éprouver
en un moment ce que l'Amour a de plus
violent, ce que l'ingratitude a de plus noir,
ce que la perfidie a de plus traître : c'étoit
, sans doute , un état horrible. Mais
Orosmane aimoit, et il souhaitoit de trouver
Zaïre innocente. Il lui fait rendre ce
Billet par un Esclave inconnu. Il se flattoit
que Zaïre pouvoit ne point écouter
Nerestan ; Nerestan seul lui paroissoit
coupable. Il ordonne qu'on l'arrête et
qu'on l'enchaîne. Et il va à l'heure et à
la place du rendez - vous , attendre l'effet
de la Lettre.
La Lettre est rendue à Zaïre , elle la
lit en tremblant ; et après avoir long- tems
hesité , elle dit enfin à l'Esclave , qu'elle
attendra Nerestan , et donne ordre qu'on
l'introduise . L'Esclave rend compte de
tout à Orosmane.
Le malheureux Soudan tombe dans
l'excès d'une douleur mêlée de fureur et
de larmes. Il tire son poignard , et il
pleure, Zaïre vient au rendez - vous dans
T'obscurité de la nuit. Orosmane entend
sa voix et son poignard lui échappe. Elle
H approche
4842 MERCURE DE FRANCE
approche , elle appelle Nerestan ; et à ce
nom Orosmane la poignarde.
Dans l'instant on lui amene Nerestan
enchaîné avec Fatime, complice de Zaïre.
Orosmane hors de lui , s'adresse à Nerestan
, en le nommant son Rival : C'est
toi qui m'arraches Zaïre , dit- il ; regardela
avant que de mourir ; que ton supplice
Commence par le sien ; regarde- la , te
dis-je. Nerestan approche de ce corps expirant.
Ah! que vois - je ! ah ! ma soeur !
barbare , qu'as- tu fait .... A ce mot de
soeur , Orosmane est comme un homme
qui revient d'un songe funeste ; il connoît
son erreur ; il voit ce qu'il a perdu ;
il est trop abîmé dans l'horreur de son
état pour se plaindre. Nerestan et Fatime
lui parlent ; mais de tout ce qu'ils disent
il n'entend autre chose, si -non qu'il étoit
aimé. Il prononce le nom de Zaïre , il
court à elle , on l'arrête , il retombe dans
l'engourdissement de son desespoir.Qu'ordonnes-
tu de moi ? lui dit Nerestan . Le
Soudan , après un long silence , fait ôter
les fers , à Nerestan , le comble de largesses
, lui et tous les Chrétiens , et se
tue auprès de Zaïre.
Voilà , Monsieur le Plan exact de la
conduite de cette Tragédie que j'expose
avec toutes ses fautes. Je suis bien loin
de
A O UST. 17328
1845
de m'enorgueillir du succès passager de
quelques Représentations. Qui ne connoît
Fillusion du Théatre ? Qui ne sçait qu'une
situation interessante , mais triviale , une
nouvauté brillante et hazardée , la seule
voix d'une Actrice , suffisent pour tromper
quelque temps le Public. Quelle distance
immense entre un Ouvrage souffert
au Théatre et un bon Ouvrage ! j'en sens
malheureusement toute la difference . Je
vois combien il est difficile de réussir au
gré des Connoisseurs. Je ne suis pas plus
indulgent qu'eux pour moi - même ; et si
j'ose travailler , c'est que mon goût extrême
pour cet Art , l'emporte encore sur
la connoissance que j'ai de mon peu de talent.
Je suis , &c.
Le 14 Aoust , l'Académie Royale de
Musique , qui represente toujours le Ballet
des Sens, et qui avoit déja supprimé la
premiere Entrée , qui a pour titre, le Tou
cher , supprima encore celle qui a pour
titre , la Vue , et donna pour la premiere
fois celle du Goût. En voici le sujet.
Le Théatre represente une Campagne
dont la vue est bornée par le Temple de
Jupiter , et par la Ville de Carie. Cephise,
Suivante d'Erigone , presse sa Maîtresse
sur le choix d'un Epoux , que son Peuple
Hij attend
"
1844 MERCURE DE FRANCE
attend avec impatience ; elle lui demande
, lequel d'entre les Dieux ou demi-
Dieux qui lui font la cour , aura la préférence
; elle lui nomme au hazard, Pan ,
Faune , Silvain et Vertumné ; elle s'arrête
un peu plus sur un jeune conquerant ,
qui n'a point d'autre nom que celui de
vainqueur des Indiens. Erigonne lui répond
:
Fille de Jupiter , l'Olimpe m'est promis ,
Mais tu sçais qu'à ce rang l'Oracle met un prix!
Il veut qu'à mes sujets , je choisisse pour Maître,
L'Amant dont le pouvoir se fera mieux connoître
Par les bienfaits les plus chéris.
Leur bonheur et le mien à moi seule est remis.
Elle se deffend du soupçon de Céphise
au sujet du Vainqueur des Indes , qui n'étant
qu'un simple mortel , ne sçauroit
l'élever aux Cieux . Bacchus vient se plaindre
à Erigone du mépris qu'elle fait de
sa flamme , et de la préférence qu'elle
donne à quelque heureux Rival. Erigone
lui déçlare ses sentimens par ces Vers :
Je sçais que votre bras sçut enchaîner des Rois ;
Je sçais que plus d'un Trône étoit à votre
* choix ,
Et je sens tout le prix d'un pareil sacrifice ;
Mais ne m'accusez point d'une aveugle injustice;
Un
AOUST. 1732 . 1845
Un devoir trop imperieux ,
A fixé mes destins , il faut que je choisisse ,
Un Epoux qui m'éleve aux Cieux .
Les Cariens s'assemblent pour appren
dre le choix de leur Reine , entre les
Dieux dont elle est aimée : Erigone leur
fait entendre que leur bonheur fera le
sien ; que son coeur se déclarera pour celui
qui sera leur plus aimable bienfaiteur ,
et sort pour aller consulter l'Oracle de
Jupiter , pour un choix si important.
Bacchus implore le secours de Jupiter
son Pere ; le Tonnerre gronde , le Théatre
change ; et au lieu du Temple de Jupiter
, on ne voit plus que des Treilles ,
chargées de Pampres et de Raisins ; les
Egipans , les Bacchantes , et les Peuples
forment la Fête , où l'on celebre le Dieu
du vin .
Bacchus se fait connoître à Erigone
pour Fils de Jupiter , et obtient la préfé
rence sur tous ses Rivaux.
,
Le 14 Aoust , les Comédiens Italiens
remirent au Théatre la Comédie Héroïque
en Vers et en trois Actes , des Jeux Olympiques
, ou le Prince Malade . Cette Piece
qui est de M. de la Grange ,fut donnée pour
la premierefois , en Novembre 1729 , et fut
H iij requë
1846 MERCURE DE FRANCE
reçûë tres-favorablement du public ; la reprise
a fait beaucoup de plaisir , parla ma
niere vive et précise , avec laquelle cette
Piece est representée . Les Jeux Olympiques
font le principal Divertissement dela Piece.
La De Roland y danse une Entrée en Magicienne
, avec une vivacité et une légèreté
surprenante ; elle acquiert tous les jours de
nouvelles perfections . Le S* Lélio , qui jouë
le principal Rôle dans cette Piece , danse
aussi à la fin du dernier Divertissement une
Entrée , qui a été très- applaudie.
Nous avons donné dans le Mercure de
Novembre 1729. un Extrait de la piece de
Divertissemens et des Décorations.
NOUVELLES ETRANGERES
L
DE TURQUIE ET PERSE.
Es Lettres de Constantinople , de la fin du
mois de Juin , portent qu'il avoit été résolu
dans le dernier Divan , de renvoyer en Perse un
Corps considérable de Janissaires et de Spahis ,
pour s'opposer au progrès de l'Armée du Roy
de Perse , qui a déja attaqué plusieurs Places ,
cedées à Sa Hautesse par le dernier Traité ;
faire équiper sur la Mer Noire 200 Navires pour
transporter des Munitions de Guerre et des Provisions
à Trébisonde , et de dresser un Rôle de
de
tous
A O UST. 17320 1847
tous les habitans de Constantinople , et des au
ores principales Villes de l'Empire Ottoman ,qui
sont en état de porter les Armes , pour s'en servir
en cas de besoin.
Ces Lettres ajoutent que le G. Viz. avoit fait
disgracier le Caïmacan, qui faisoit aussi les fonctions
de Tefterdar, et que le G.S.lui avoit donné,
en Pexilant , le Gouvernement de Kintaïa , l'une
des plus considérables Places de l'Asie ; que la
Charge de Tefterdar avoit été donnée à Mehemet
Effendi, qui a été Grand - Trésorier de l'Empire
, sous le Regne du Sultan Achmet ; que,
Marabout , Capitan Pacha , ou grand Amiral
avoit été déposé le 11 Juin, et qu'on avoit nommé
Bekir Pacha , pour exercer cette Charge
en sa place ; que le 12 , le nouveau Capitan Pacha
avoit épousé la soeur du G S. qui étoit veuve
du Vizir Numan Pacha Kuperli , et que le
Capitan, Pacha disgracié , avoit été fait Pacha
de Nicomédie .
On a appris en dernier lieu de Constantinople ,
que le 6. Juillet on avoit arboré la Queue de
Cheval à la porte du Serrail, et déclaré publiquement
la guerre au Roy de Perse , qu'il étoit parti
par la Mer Noire plus de 80000. hommes de
Troupes d'Europe ; qu'on en rassembloit encore
de tous côtez dans l'Asie , et que dans deux mois
au plus tard le G. S. auroit en Perse une Armée
de plus de 300. mille hommes
On apprend par les Lettres d'Ispahan , reçûës
par la voye de Smirne , que la nouvelle de la
Paix conclue avec les Turcs, n'avoit pas été bien
reçue des, Peuples ; qu'il y avoit eu à Ispahan , à
- Tauris et dans d'autres Villes plusieurs émotions
populaires à cette occasion ; que le Roy de Perse:
avoit tâché d'abord d'appaiser ses Peuples , en
Hij leur
1848 MERCURE DE FRANCE
3.
leur faisant voir que le Traité étoit plus avantageux
à la Nation qu'ils ne le croyoient , qu'il
avoit été contraint de prendre le parti de cette
Paix , pour sauver le reste de son Royaume , et
que les Villes qu'il avoit cedées au G. S. n'étoient
-pas d'aussi graude conséquence qu'on se l'imaginoit
; enfin qu'il exhortoit ses Peuples à ne
point rompre une Paix , signée et ratifiée solemnellement
, conformément à la Loy.
Ces remontrances n'ayant rien opéré sur l'esprit
des Mécontens , le premier General des Persans
fut contraint de déchirer en presence du
Muphti , tous les Traitez et Ecrits particuliers ,
qui avoient quelque relation à cette Paix , comme
contraires aux Constitutions fondamentales
du Royaume, et de déclarer la Guerre aux Turcs.
Quelques jours après , le Roy de Perse ayant
rassemblé ses Troupes , en forma deux Armées ,
avec l'une desquelles il se proposa de passer en
Géorgie, pour en faire la conquête ; pendant que
l'autre s'empareroit des Provinces d'Erivan et de
Babilone.
Un Courier dêpêché par le Gouverneur de
Bagdad , et qui arriva le 16 Juin à Constantinople,
a confirmé cette nouvelle, en apprenant aussi
celle de la prise d'Erivan par les Persans.
Le 18 Juillet, le G. S. fit publier que tous ceux
de ses Sujets , qui sont en état de porter les Armes
, eussent à se présenter aux Commissaires
qu'il avoit nommés , sous peine de la vie. Par
cet ordre , Sa Hautesse compte de rassembler en
peu de temps une Armée de 20000 hommes , et
d'être en état de l'envoyer en Perse , à la fin du
mois de Juillet.
En attendant , les vieilles Troupes qui sont en
quartiers , dans les Provinces voisines de Perse
ant ordre de joindre le Séraskier , qui commandc
>
AOUST. 1732 1849

de dans ce Païs - là , et elles seront remplacées par
des Milices. Sa Hautesse a fait dépêcher depuis ,
plusieurs Courriers , dans differentes Cours de
I'Europe , pour avertir les Princes Chrétiens , ses
voisins , de ne point prendre d'ombrage des
grands Armemens qu'elle fait faire dans toute
P'étendue de son Empire ; parce qu'ils n'ont pour
objet , que de vanger la Porte de la perfidie des
Persans.
On a appris depuis ces Lettres , que le G. S.
avoit nommé Topal , Osman - Bacha , cy- devant
G. V. et qui depuis sa déposition avoit été envoyé
à Trébisonde , pour commander son Armêe
en Perse.
LE27
RUSSIE.
E 27 Juin , le feu prit à Cronsloot , dans un
des quartiers qui joint le Port ; et en moins
de deux heures il y eut près de 200 Maisons
consommées par les flammes , qui endommagerent
aussi quelques Vaisseaux , qu'on n'avoit pas
eu le temps d'éloigner de l'incendie ..
La Czarine a rendu une Ordonnance , suivant
laquelle tous ceux qui se proposent de bâtir des
Maisons , dans les principales rues de Petersbourg
, sont obligez de prendre l'alignement et
de faire exécuter le plan que leur donnera l'Architecte
, chargé de la décoration extérieure des
Maisons de cette Ville. Cependant pour engager
les habitans à y faire bâtir , S. M. Cz. a accordé
તે
des Exemptions et des Privileges , dont jouiront.
pendant dix ans tous les Proprietaires des nouvelles
Maisons.
On apprend par les Lettres du Gouverneur de
Derbent , qui depuis la Paix conclue avec le
Roy de Perse , les Doüanes de Derbent et de
Hy Terki
1850 MERCURE DE FRANCE
Terki , étoient si considérablement augmentées
par l'arrivée continuelle des Marchandises de
Perse , que le produit suffiroit pour payer dans la
suite les Garnisons de toutes les Places fortes de
la Mer Caspienne. On est cependant dans quelque
inquiétude sur l'exécution de ce Traité , de
la part du Roy de Perse , depuis qu'on a appris
qu'il n'avoit pas observé celui qu'il avoit fait
avec le G. S. car les Lettres d'Ispahan portent
que ce Prince s'étoit mis en marche avec une
Armée de 70000 hommes , et qu'il avoit déja
repris deux Places , cédées à Sa Hautesse par ce
Traité.
Les Ambassadeurs de la Chine partirent de
Petersbourg le 26. Juillet , escortez par un Détachement
de Cavalerie jusqu'aux Frontieres. La
Czarine a envoyé des ordres à tous les Gouver◄
neurs de Province de les faire défrayer sur leur
route.Plusieurs Négocians Moscovites ont profité
de cette occasion pour aller à Nanokin , où ils
esperent établir une correspondance de Commer
ce qui sera avantageux à ce Païs.
POLOGNE .
E 31 Juillet,le Roi fit donner l'ordre de décam
à
nova , près de Warsovie. On batit la Generale
et les Uhlans Tartares, la nouvelle Grande - Garde
et les Quartiers -Maîtres et Fourriers des Régimens
respectifs , se rendirent sur le chemin du
nouveau Camp , et attendirent près de l'Hôpital
de Czerniakow , le Quartier - Maître General .
L'Armée ayant plié ses Tentes , se rangea en
bataille à la tête du Camp ' , et se mit ensuite en
marche sur cinq Colonnes ; 2 de Cavalerie et 3
d'Infanterie. La Colonne de la droite , commandée
A OUST 1732. 1851
dée par le Major General Klingenberg , étoit
composée de 8 Escadrons de Gotha et de Nassau
, celle de la gauche , commandée par le Major
General Mir ,
de 4 Escadrons du Régiment
de Mir, et de 4 Escadrons , détachez de differens '
Regimens de la Couronne .
La Colonne d'Infanterie de la droite , commandée
par le Pr. Czartoriski , Palatin de Russie,
consistoit en un Bataillon de Grenadiers , er
en deux des Gardes de la Couronne ; celle de la
gauche , commandée par le Major General Campenhausen
, étoit composée d'un Bataillon de
Grenadiers, da 3e des Gardes de la Couronne, et
des Gardes de Lithuanie et celle du Centre
commandée par le Major General Flemming ,
du Bataillon de Flemming , et de ceux de Denhof
et de Frise..
;
Les Colonnes de la droite défilerent par la
gauche , et celles de la gauche par la droite. Les
Bagages de chaque Colonne marchoient à la
queue , selon l'ordre des Corps qui la formoient,.
et la vieille grande Garde faisoit l'Arriere- Garde
de tout.
"
Le Palatin de Mazovie , Regimentaire , marchoit
à la tête de la Colonne du Centre , il étoit
suivi du Lieutenant General Comte de Denhof,
et on portoit devant lui le Bonzouk , ( c'est une
marque d'honneur , faite en forme de queue de
Cheval attachée au bout d'une espece de Pique.
) Il a été placé dans le nouveau Camp , entre
·les Drapeaux du centre ; mais comme le Roy en
´a aussi un devant son Pavillon , on le portera:
devant S.M. lorsqu'elle ira au Camp ; et alors on
baissera le Bonzoux du Regimentaire. Les trois
Colonnes d'Infanterie furent obligées de se rejoindre
à quelque distance du vieux Camp pour
passer une Digue ; mais après l'avoir passée ,.
Havj elless
1852 MERCURE DE FRANCE
!
elles se remirent dans leur premier ordre de Bataille
, et s'arrêterent au lieu marqué, pour attendre
les signaux .
le
Le Roy ayant fait donner le premier signal ,
par un coup de Canon , tiré de son Pavillon ,
Quartier- Maître - General alla reconnoître le
Camp , passa la nouvelle grande- Garde ; et ayant
distribué le terrain aux Quartiers -Maîtres des
Regimens , les Fouriers tracerent le Camp.
Pendant ce temps - là les Uhlans firent plusieurs
courses à la tête du Camp, imitant des Détachemens
ennemis qui se rencontrent. Au second signal
, les Colonnes se mirent en mouvement ,
L'Artillerie composée de 38. Canons , et de 4
Mortiers , marcha à la queue de la Colonne du
centre , et elle étoit fermée par une Compagnie
franche de Dragons , qui lui est attachée.
L'Armée étant arrivée au terrain tracé , se mit
en Bataille à la tête du nouveau Camp , dans le
même ordre où elle avoit été rangée avant de
partir de l'autre , et au 3e signal elle entra dans
le Camp ; les Equipages y entrerent aussi par la
queue. L'Artillerie forma son Parc derriere le
Bataillon du Centre. Dès que l'Armée fut entrée,
la Cour passa à l'autre face du Pavillon , et
vit faire l'Exercice aux grands Mousquetaires ,
et immédiatement après on vit toutes les Tentes
tendues , &c.
Le 2 Aoust on fit la Revûë generale de l'Armée
après ; sitôt eut battu la Generale , l'Assemblée
et le Bouteselle , chaque Corps se rangea à
la tête de son Camp; et après que l'ordre de marcher
eut été donné , toute l'Armée s'avança vers
la Place d'armes , à 150 pas , devant le front du
Camp. Chaque Bataillon avoit 2 Pieces de Campagne
avec un Chariot de Munitions , qui étoient
rangez
A O UST. 1732. 1853

rangez en ordre de Bataille , dans les intervales
de l'Infanterie .
Les 38 Pieces de grosse Artillerie "sortirent en
même-temps de leur Parc , avec leurs Canoniers
et Fuzeliers , et se rangerent en 2 Colonnes, cent
pas derriere le Bataillon du centre de l'Armée ;
leurs Timbales étoient posées à leur droite , sur
un Char , traîné par 4 Chevaux de front , la
Compagnie de Dragons attachée à l'Artillerie ,
étant rangée à la gauche.
Les grands Mousquetaires étoient venus de
leur Camp du quartier du Roy , joindre la droite
de l'armée , et les 2 Compagnies des Comtes de
Rutouski et Prominitz se rangerent à la droite ;
et à la gauche des Tentes destinées pour la Cour.
Quand tout fut en ordre , le Regimentaire le
fit sçavoir au Roy , qui précédé de son Bon-
ZOUK se rendit à la droite de l'Armée; elle y fut
reçue par le Régimentaire , qui ayant pris la
droite du Roy , pour lui laisser la vûë de la Ligne
, le conduisit le long du front de la queue
de l'Armée , pour passer devant l'Artillerie.
Quand S. M. tourna à la queue de la Ligne, le
dernier rang de la Cavalerie et les 2 derniers de
I'Infanterie firent face. Le Roy ayant regagné la
droite de l'Armée , le Régimentaire conduisit S.
M. aux Tentes qui lui étoient préparées , et retourna
à l'Armée ordonner les feux de salut.
Ils commencerent par les Pieces de Campagne ,
qui tirerent dans les intervalles où elles étoient
rangées , l'une après l'autre , de la droite à la
gauche , ensuite la grosse Artillerie de la gauche
à la droite , et enfin le feu coulant de toute l'Armée
de la droite à la gauche. Tout ce feu se répeta
deux autres fois ; la premiere , de la gauche
à la droite ; et la seconde de la droite à la
gauche,
;
Ensuite
1854 MERCURE DE FRANCE
Ensuire au signal donné avec le Canon , toute
la Ligne fit la conversion à droite , par Brigades.
et demi division , excepté la Compagnie des.
grands Mousquetaires , qui marcha en avant , et
qui par une conversion à gauche se trouva sur la
Ligne , où l'Armée devoit passer devant le Roy.
Le Régimentaire , précédé de son Bonzouk , marcha
à la tête de toute l'Armée; le General Comte
de Denhofà la tête de l'Infanterie , et les Majors
Generaux à la tête de leurs Brigades. Les deux
Pieces de Campagne , et le Chariot de Munitions
marchoient à la tête de chaque Bataillon ; la grosse
Artillerie suivit la Ligne , et toute la marche
fut fermée par la Compagnie de Dragons , atta-
´chée à l'Artillerie. L'Armée s'étant remise en
marche sur son premier Terrain , rentra dans le
Camp..
Le 3 , le Roy celebra la Fête de l'Ordre de
l'Aigle blanc , les Chevaliers qui se trouverent à
portée , eurent l'honneur de dîner avec S. M. quifit
ce jour- là 4 nouveaux Chevaliers.
Le 4 , P'Infanterie fit l'Exercice sur la Place
d'Arines ; les Grenadiers détachez» de l'Armée , -
qui composoient deux Bataillons , se joignirent.
leurs Corps , et formerent deux Pelotons sur
chaque aîle de leurs Bataillons. Le General ayant
averti par un signal de 2 coups de Canon que
l'Infanterie étoit en Bataille , le Roy par un autre
coup de Canon , lui donna le signal de se
mettre en marche , ce qu'elle fit sur 3 Colonnes
dans l'ordre suivant.
Les 2 Bataillons des Gardes de la Couronne
et celui de Flemming , formoient la Colonne de
la droite. Le 3e Bataillon des Gardes de la Couronne,
celui de Denhof , et les Gardes de Lithua
nie formoient la Colonne de la gauche , et le
Bataillon de Frise , renforcé de la Compagnie
détachée
AOUST. 1732 . 1855
.
détachée du Régiment de Campenhausen , for→
moit celle du centre .
3
· Les Colonnes s'avancerent en même temps.
par demi division vers le Pavillon , et la Colon
ne du centre s'étant arrêtée à une distance marquée
, celles de la droite et de la gauche continuerent
leur marche ; et étant arrivées à 40 pas
de la Batterie du Pavillon , la tête de celle de la
droite fit la conversion à droite et celle de la
gauche
la fit à gauche , pour former des Flancs.
Le premier Bataillon des Gardes de la Couronne
formoit le flanc de la droite , et celui des
Gardes de Lithuanie celui de la gauche. La Colonne
du centre , dont la tête étoit en ligne avec
la queue des 2 autres Colonnes, forma en même..
temps une Phalange.
Par un second signal , les demi Divisions for❤
merent à droite et à gauche des Bataillons , et la
Colonne du Centre rompit en même- temps sa.
Phalange,en faisant joindre aux deux demi- Divisions
de la tête celles qui formoient les flancs de
la Phalange.
Par un troisiéme signal , la queue des Colonnes
de la droitê et de la gauche , vint se joindre
aux Aîles du Bataillon du centre.
Après ce mouvement , les Bataillons étant en
parade , presenterent les Armes , et les Officiers
saluerent de pied ferme , après quoi on donna
Pavertissement pour le maniement des Armes quis
se fit au son du Tambour, et fut suivi de 3 feux..
Le fut le feu coulant de la droite à la gauche ;
ensuite le feu de Chaîne par demi Bataillon , et
enfin une décharge generale de toute l'Infanterie.
I
Par un quatriéme signal , tous les Bataillons .
défilerent à droite et à gauche par demi - Division
, et celui du centre se partagea en deux
pour
1856 MERCURE DE FRANCE
pour suivre la queue des trois Bataillons de la
droite , et des trois de la gauche, qui se mirent en
marche sur 2 Colonnes , pour passer devant le
Roy. La droite et la gauche des flancs formant
les têtes des Colonnes qui s'avancerent en mêmetemps
, étant vis à-vis le Pavillon , les Officiers
saluerent , et par une autre conversion , à droite
et à gauche , les Colonnes retournerent par la
centre , et se remirent en marche sur une seule
Ligne.
Par un cinquiéme signal , l'Infanterie sur une
Ligne fit feu par demi Division sur la Place , et
en avançant , et par un sixiéme signal , elle fit
demi tour à droite pour se retirer au Camp , et
continua à faire feu pendant la retraite.
ALLEMAGNE.
Na appris de Prague , que le 30. du mois
Odernier ,le Roy de Prusse (qui y étoit attendu
) arriva à Torowits , premiere Ville de
Boheme , er y dîna , servi par les Officiers de
l'Empereur. La Chambre qu'on avoit préparée
pour S.M.étoit meublée des mêmes Meubles dont
S. M. Imp. se sert dans ses voyages ; sçavoir
de Velours cramoisi , garni de Galons et de Franges
d'or ; le dîné fut servi de la même maniere
qu'on sert l'Empereur. Le Roy de Prusse fit partit
aussi- tôt le General de Grumbkow , pour aller
donner part à L. M. Imp. à Clumitz , de son
arrivée en Boheme. Le General eut Audience de
L. M. Imp. à 8. heures du soir , et les remercia
au nom de S. M. Prussienne , de toutes les attentions
qu'on avoit eues pendant son voyage ;
L. M. Imp. lui ayant témoigné la satisfaction
qu'elles avaient d'apprendre que le Roy étoit si
près
" AOUST. 1732 1857
1
Près d'elles , il repartit d'abord pour aller retrouver
le Roy à Bistho , où S. M. coucha cette
nuit-là.
Le 31. Le Comte de Schlick y arriva de grand
matin et complimenta le Roy de Prusse au nom
de l'Empereur et de l'Imperatrice , sur son heureuse
arrivée, en lui témoignant que L.M. Imp.
étoient fort impatientes d'embrasser S. M. Le
Koy partit là- dessus pour Klodrop , Maison de
Plaisance de l'Empereur , où sont ses Haras ;
S. M. y fut reçûë à la descente de sa chaise , par
le Prince Eugene de Savoye ; elle ne put assez
exprimer la joye qu'elle avoit de revoir un si
grand Capitaine. L. M. Imp. y arriverent immédiatement
après. L'Empereur embrassa le Roy,
avec beaucoup de tendresse. Les deux Monar
ques se donnerent les plus grandes marques d'u
ne veritable amitié. Après les premiers compli
mens , on se rendit à une espece de Tribune
qu'on y avoit fait construire.Le Roy mena l'Imperatrice
, qui avoit l'Empereur à sa droite ,
L. M. Imp. et Royales y resterent près de deux
heures pour voir passer les Chevaux des Haras ,
après quoi le Roy se retira dans son Apartement
jusqu'au temps du dîner que S. M. vint prendre
'Imperatrice et la conduisit à table , où cette
Princesse se mit au milieu , ayant l'Empereur à
sa droite et le Roy de Prusse à sa gauche. L'Empereur
but le premier à la santé du Roy de Prusse,
en faisant des voeux pour la continuation et la
longue durée de l'amitié sincere qui regnoit entre
eux. Les expressions dont S. M. Imp. se servit
à cette occasion , étoient des plus énergiques.
Le Roy de Prusse s'étant fait donner à boire ,
y répondit dans des termes qui marquoient com
bien il étoit sensible aux voeux de S. M. Imp. er
combic
1858 MERCURE DE FRANCE
combien les souhaits qu'il faisoit pour la prospe
rité de sa Personne et de tout ce qui la regardoit,
étoient sinceres . On fut deux heures à table.
Après le repas , le Roy s'entretint plus d'une demie-
heare avec l'Empereur , et se rendit ensuite'
dans son Appartement , où S. M. Imp. alla le
trouver quelque temps après. Ces deux Monarques
y furent seuls pendant une bonne demie
heure. L'Empereur s'étant retiré , le Roy se rendit
chez l'Imperatrice et la mena dans un endroit
où l'on avoit construit diverses Loges , ornées de
verdure , et où L. M. virent passer les Poulains
des Haras de l'Empereur.
Vers les 5. heures du soir , le Roy prit congé
de L. M. Imp . et dit à l'Empereur qu'il esperoit
que S. M. Imp. ne trouveroit pas mauvais qu'il
s'arrêtat quelques jours ,incognito , à Prague .L'Em
pereur , en l'embrassant , l'assura que plus il s'ar
rêteroit dans ses Etats , plus cela lui seroit agréa
ble. Le Roy de Prusse partit immédiatement
après et alla coucher à Nieubourg. L'Empereur
et l'Imperatrice retournerent à Clumitz.
Le premier de ce mois , le Roy de Prusse arriva
à Prague , et alla descendre à l'Hôtel du
Comte de Nostitz ; il se rendit ensuite à celui du
Comte de Thum, où le Prince Eugene de Savoye
le traita magnifiquement à dîner. Pendant que le
Roy étoit à table , il fut complimenté sur son
heureuse arrivée par un Chambellan de L. M. I.
qu'elles avoient envoyé pour cet effet de Clumitz,
Après le repas , le Roy alla se promener par la
Ville , et le soir il se rendit à l'Assemblée chez
le Comte de Czernin. S.M. y joüa avec la Princesse
de Furstemberg , la Comtesse de Czernin et
le Prince Eugene de Savoye. On alla ensuite sou
per chez le Comte de Wurby ; il y avoit plu
sieurs
AOUST. 1732. 1859
sieurs Tables de quaranse Converts chacune ,
servies avec profusion et route la délicatesse pos
sible.
Le 2. le Roy vit la Maison des Invalides qu'on
bâtit, et qui en doit contenir 4000. S M. fut dîner
chez le Comte de Sinzendorff , Grand ..
Chancelier de la Cour , et le soir elle alla à l'Assemblée
chez le Grand- Prieur , Comte de Dictrichstein.
L. M. Imp. revinrent le même soir à
Prague.
par
Le 3. le Roy envoya complimenter L.M.Imp.
le General de Borck. S. M. alla ensuite, inco
gnito, à l'Eglise de la Cour , où le Prince de Saxezeitz
, Evêque de Konigsgratz , officia pontifica
lement. Pendant le Service Divin , l'Archevêque
de Prague reçût le Pallium avec les ceremonies.
ordinaires , et le tout s'executa avec beaucoup
d'ordre et de magnificence. Le Roy vit les Re
liques et la Langue de S. Népomucene , et alla
ensuite dîner chez le Comte de Czernin. L'aprèsmidi
S. M. fut voir le Château de Prague ; l'Empereur
y survint , et ces deux Princes s'entretinrent
encore seuls pendant une demie heure. Le
Roy se rendit ensuite chez l'Imperatrice , et s'y
arrêta une heure pour faire ses adieux. Le soir
S. M. alla à l'Assemblée chez le Comte de Wurby,
et soupa chez la Princesse de Furstenberg.
Le 4. le Roy alla au Parc , et y tua quelques
Dains ; aprês avoir dîné chez le Grand- Prieur
Comte de Dietrichstein, il retourna à son Hôtel
L'Empereur y vint vers les cinq heures du soir .
ils s'enfermerent ensemble pendant trois quarte
d'heure. Après cette entrevûë , L. M. prirent .
congé l'un de l'autre d'une maniere qui mar
quoit véritablement combien ces Princes étoient
ravis de se connoître personnellement , et combien
ils étoient touchez de se séparer..
860 MERCURE DE FRANCE
Le Roy se rendit ensuite chez le Prince Eugene
de Savoye , après quoi S M. alla à l'Assemblée
chez le Comte de Sinzendorff , Grand - Chancelier
de la Cour , dont le Jardin étoit illuminé ,
et soupa chez le Comte Gundez d'Althan , dans
la grande Sale du Château .
Le Roy partit le s . à 8. heures du matin , au
bruit du Canon. Il vit en passant l'endroit où la
bataille de la Montagne Blanche s'est donnée
autrefois ; et après avoir dîné à la Terre du
Comte de Martinitz , il alla coucher à Petershoff
.
Le 6. le Roy arriva à Carelsbadt , et le 7. à
Bareith. Ce voyage a fait un plaisir infini au
Roy de Prusse , et l'Empereur en a marqué une
satisfaction extraordinaire , tant en public qu'en
particulier. S. M. I. a fait de magnifiques présens
à toute la Suite du Roy de Prusse ; elle a donné
entr'autres aux Generaux de Grumbkow et de
Borck , à chacun son Portrait enrichi de brillans,
estimé 6000. écus , et de fort belles Bagues de
brillans , &c. aux Generaux de Schulembourg ,
de Bodenbrock , au Colonel Derschau , &c . Le
Roy de Prusse , en se retirant le 4. au soir dans
son Appartement , trouva une Tabagie d'or que
l'Empereur y avoit fait mettre ; il donna foo .
écus au Porteur, S M. a fait avant son départ
de Prague , de ført beaux présens à diverses personnes
, et on s'est beaucoup loué de la génerosité
de ce Prince.
On a publié à Vienne le 13. de ce mois , une
Ordonnance de l'Empereur contre le Luxe , par
laquelle il est deffendu à tous les Sujets de S. M. I.
de s'habiller d'autres étoffes que de celles de laines
, qui sont fabriquées dans ses Pays hereditaires.
S. M. I. veut que les femmes , même du pre
mier
AOUST. 1732. 1861
nier rang , ne soient habillées que d'étoffes de
ye unie , sans or ni argent ; il n'est permis qu'à
lles , qui par leur rang , doivent paroître à la
Cour , de porter des Pierreries ; la quantité de
a Vaisselle d'argent est réduite aussi par la mêafe
Ordonnance , dont l'execution , qui est fixée
premier Janvier prochain , est commise aux
Officiers de la Régence de la Basse - Autriche.
Le Conseil Aulique a fait publier un Edit de
'Empereur , par lequel il est deffendu aux Prines
Protestans de l'Empire , d'user de représailles
l'occasion de l'exil des Protestans du Diocèse
e Saltzbourg , et il leur est ordonné d'attendre
résolution de ce Conseil sur cette affaire.
ITALIE.
FL est arrivé à Rome de Lisbone , un Jesuite
nommé le P. Gomez , qui sera chargé , à ce
tr'on assure , des affaires du Roy de Portugal , à
a place du P.d'Evora , Franciscain ; un autre Jeuite
qui l'a accompagné , est destiné à remplir
ane place de Sous- Pénitencier de l'Eglise de saint
Pierre , où le Confessional en Langue Portugaise
aquoit depuis quelque temps.
Dans le Consistoire du 21. Juillet , le Cardiaal
Ottoboni proposa l'Evêché de Rennes pour
l'Abbé de Vaureal ; l'Abbaye de S. Urbain de
Châlons , pour l'Abbé de Brissac et celle d'Obaine
, Diocèse de Limoges , pour l'Abbé de la
Briffe .
Le 24. du même mois , on tira la Loterie de
Etat sur laquelle la Chambre Apostolique retirera
pour ce mois - là un profit de plus de 120000
écus , qui sera distribué en aumônes comme les
mois précedens . Les Prêtres de la Doctrine Chrétienne
1862 MERCURE DE FRANCE
tienne d'Avignon en ont obtenu 1500. écu
pour augmenter les Bâtimens de leur Maison.
Le nouvel Electeur de Mayence fait solliciter
ane diminution de 1500. ducats d'or, qu'il doit
payer à la Chambre Apostolique , outre les frais
de ses Bulles , et les cent pistoles qu'il est obligé
de donner à tous les Cardinaux qui étoient
Rome dans le temps de son Election .
Le bruit court à Rome , que le Pape a accordé
une Bulle d'absolution en faveur des Protestans
de l'Electorat de Saxe , qui voudront embrasser
la Religion Catholique , et que par cette Bulle
ils seront confirmez dans la possession des biens
dont ils jouissent , qui auroient pû appartenir
aux Ecclesiastiques avant la réformation .
On a publié à Florence une nouvelle Ordon
nance qui rappelle les anciennes, par lesquelles il
est deffenda aux Sujets du Grand - Duc , de s'in❤
teresser aux Loteries étrangeres , tant de Gennes
de Naples que de Rome , à peine de punition
corporelle.
On écrit de Gennes , que le Prince Louis de
Wirtemberg a eu de fréquentes Conferences avec
les Principaux du Conseil , ensuite des Dépêches
qu'il a reçûës de Vienne, et le bruit s'est répande
depuis que le sentiment de l'Empereur , sous la
garantie duquel les Rebelles de Corse ont quitté les
armes , étoit qu'on executât incessamment le
Traité que le Prince de Wirtemberg a fait avec
eux , et qu'on les mit en jouissance de tout ce
qui leur a été accordé par ce Traité.
On apprend de Naples , que le 2. Juillet , le
Comte d'Arrache se rendit en cortege à la Sale
du Conseil Collateral , où il déclara que l'Empe
reur avoit nommé le Comte Jules Visconti
Grand Maître de la Maison de l'Archiduchesse,
·
GoaA
O UST. 1732.
1863
Gouvernante des Pays- Bas , pour lui succeder
dans la Viceroyauté du Royaume de Naples.
On apprend de Venise , que le 31. Juillet , les
Rivieres du Rio , Ano et l'Arnestino, ayant étéenflées
prodigieusement par les pluyes, sortirent de
leurs lits avec un rapidité incroyable ; et qu'ayant
rompu les Digues des Chaussées des environs du
Bourg de Gallerate, elles inonderent les Prairies ,
entrainant les plus gros arbres , qui étant poussez
avec impétuosité dans le seul endroit où le
Torrent pouvoit s'écouler , s'y amasserent e12
si grand nombre , qu'ayant fermé ce débouché ,
l'eau commença à remonter insensiblement , puis
à entrer dans le Bourg , où elle s'éleva dans des
endroits jusqu'à 9. brasses de hauteur La plupart
des maisons furent entraînées par l'impétuosité
du courant de l'eau , un grand nombre des habitans
furent submergez , er ceux qui se sauvercnt
à la nage , auroient été réduits à mourir de misere
, ayant perdu toutes leurs provisions , sans
de secours que leur ont donné les Religieuses de
ce Bourg , qui ont leur Monastere sur une hauteur.
On ne croit pas que ce Boung puisse se rétablir
ni remettre sur pied son Commerce qui
étoit assez considerable. Le Torrent d'Oronna, a
causé aussi beaucoup de dommage à Lagnano et
Castellanza . On a appris depuis de Plaisance qu'à
la suite d'un orage qui avoit duré 41 ou ƒ. heures
, l'eau étoit entrée dans la Ville et avoit renversé
dix maisons.
On a appris par des Lettres de Corfou , que
le fameux Corsaire Ali Codgea , étoit mort en
revenant de la Mecque , où il étoit allé en Pellerinage.
ESPAGNE
1864 MERCURE DE FRANCE
ON
ESPAGNI .
N apprend de Madrid , que tous les Conseils,
les Paroisses et les Communautez Religieuses
de certe Ville , ont fait chanter le Te Deum
en action de graces de la Prise d'Oran et de Mazarquibir.
Le 15. Juillet il y eut une nombreuse
Mascarade qui se rendit à la petite Place du Palais
, et qui traversant une partie de la Ville ,
revint à la Place de l'Hôtel de Ville. L'après midy
on représenta la Comédie dans la grande Sale de
cet Hôtel , et le soir on tira dans la Place un trèsbeau
Feu d'artifice , par lequel les Réjouissances
publiques ont été terminées .
On a appris par le Patron d'une Barque arrivée
des Côtes de Barbarie , que le Comte de Montemar
, General de l'Armée du Roy d'Espagne ,
qui a fait la conquête d'Oran , ayant envoyé un
Détachement considerable pour attaquer les Maures
dans quelques Montagnes peu éloignées de la
Ville , où ils s'étoient retirez , ce Détachement
avoit été surpris dans un défilé , où les Maures
s'étoient mis en embuscade ; que le Duc de Saint
Blas avoit été tué dans cette rencontre , et que
malgré ce petit avantage remporté par les Maures
, le General Espagnol se préparoit à les faire
attaquer de nouveau.
Des Lettres d'Oran , portent que les Peuples
de 15. à 20. lieuës des environs de cette Place
étoient venus se soumettre au Roy et demander
sa protection.
Ôn écrit de Madrid , qu'on y avoit appris
'Afrique qu'un Détachement de mille Grenadiers
, placez dans une Embuscade , où il y avoit
seize pieces de Canon , chargées à cartouche
1
1
AOUST . 17༣2. 1865
touche , avoit tué près de 800. Maures , qu'un
Cautre Détachement de Cavalerie Espagnole avoit
attiré des Montagnes dans un défilé ; que le Comte
de Cecil , qui commandoit ce Détachement ,
les avoit poursuivis jusqu'à une Colline où il
avoit trouvé un Convoi de mille Chameaux ,
chargez de froment et d'orge,
>
D'autres Lettres arrivées depuis , portent
qu'il est venu au Camp un Pacha d'une Province
voisine d'Orau , accompagné de son fils ,
au Comte de Montemar de mettre pour offrir
35000. Maures en campagne au service de S.M.C.
à condition qu'on assureroit le Gouvernement de
cette Province à son fils , et qu'on établiroit avec
lui un Commerce de Bestiaux et de denrées , offrant
de laisser son fils en ôtage pour sureté de
sa parole , et de fournir d'avance.200. mille mesures
de froment. Le bruit court que cè Pacha
doit arriver à Madrid incessamment avec une
suite de 30. Maurės. 1
On inande de Ceuta , qu'on y avoit arrêté un
homme qui se disoit Domestique du Duc de
Riperda, et qu'on a sçû depuis être un Ingenieur
qu'il avoit chargé de lever le plan des Fortifications
de cette Place. On a appris aussi par ce Pri
sonnier , que le Duc de Riperda s'étoit fait Mahometan
, et qu'il étoit actuellement au service
du Roy de Maroc. Cette déclaration ayant été
confirmée par d'autres Lettres , que le Roy a
donné ordre au Conseil de Castille , de rayer le
nom de ce Renegat dans tous les Registres où
il avoit été inscrit dans le temps de sa faveur en
Espagne.
On vient de recevoir des Lettres du Comte de
Montemar , par lesquelles on apprend que ce
General avoit fait un détachement de souo . hom-
13 I mes
1866 MERCURE DE FRANCE
mes d'Infanterie et de 2000. Chevaux , qui de- ,
voient être commandez par le Marquis de Villa-
Darias , pour aller faire le Siege de la petite Ville
de Mazangran , située à l'Embouchure de la Ri
viere de Chilef, à 15. lieues d'Oran , où il avoit
envoyé en même temps deux Vaisseaux de guerre
et 7. Galeres , qui devoient l'attaquer par Mer.
ON
PORTUGAL.
N mande de Lisbonne , que le Roy Préten
dant avoit le droit de lever des dixmes sur
les Evêchez et autres Benefices du Brezil, les Ec
clesiastiques de ces Provinces avoient eu recours
au Pape , et que S. S. étant disposée à les proteger
, on craignoit que cela ne fit naître de nouyeaux
differens avec la Cour de Rome.
1.1 .
GRANDE BRETAGNE E
N écrit de Londres , que le 8. de ce mois
Otrois Vaisseaux de la Compagnie de la Mer
du Sud entrerent dans le Port de Deptfort , venant
du Groenland avec huit Baleines. Ils ont
laissé onze autres Vaisseaux de la Compagnie ,
qui avoient déja pris treize Baleines et qui de
voient aller dans le Détroit de S. Dávid, desorte
qu'on espere que cette Pêche aura cette année un
meilleur succès que les années précédentes.
SECONDE LETTRE de M. D. L. R.
écrite à M. le Marquis de B. au sujet de
la Prise d'Oran , &c.
L
A premiere nouvelle , Monsieur , de la conquête
d'Oran , est venue ici par un Courier
Extraordinaire dépêché de Séville le 10. de co
3
mois
A OUST. 1732. 1867
mois au Marquis de Castellar, Ambassadeur d'Es
pagne , lequel arriva à Paris le 20. Ce Ministrer
en fit part au Roy le lendemain , et présenta
S. M. une Lettre du Roy d'Espagne sur ce sujet.
Quelques jours après il donna un grand repas
aux Ministres Etrangers, aux Grands d'Espagne,
et aux Chevaliers de la Toison d'Or. Il y eut le
soir des Illuminations et une Fête entiere dans
son Hôtel ; on peut dire que toute la Ville y a
pris une grande part ; mais venons au détail que
vous avez droit d'attendre de moy sur cet Evenement.
Le premier soin du Roy d'Espagne , avant
que sa Flote se mit en Mer , a été de recomman
der à Dieu le succès d'une entreprise si impor
tante , et d'ordonner des Prieres publiques dans
tous ses Etats . S. M. rendit pour cela un Decret
solemnel que je vais transcrire ici dans la Langue
de l'Original , sçachant d'ailleurs que les
principales Langues de l'Europe vous sont fami
lieres.
;
Siendo mi Real animo non, dejar separado del
gremio de laYglezia , y de nuestra Catholica Religion
parte alguna de los Dominios que la Divina
Providega intrego a mi cuidado , quando me coloco
en el trono de esta Monarquia , y que la superioridad
, y multiplicidad de mis enemigos arranco
despues de mi obediencia violenta y fraudalen
tamente , he miditado en todos tiempos reunirlas
pero como la diversidad de las experimentadas contingincias
ha embarazado hasta a hora el logro de
mis deseos , no he podido ante aplicar a este importante'fin
las considerables fuerzas que la Divina
omnipotencia ha fiado in mi arbitrio ; y al presente
a unque no enteramente libre de ostros evidados
he resuelto no dilatar el de recobrar la importante
Plaza I ij
1668 MERCURE DE FRANCE
Plaza de Oran , que ha sido ostras vezer objecto

valor , y de la piedad Christiana de la Nacion
spannola, considerandomuy principalmente que estando
esta Plaza en poder de los Barbaros Africanos
es una Purta Cerrada a la estencion de nuestra
Sagrada Religion , y abierta à la esclavidad de
los Habitadores de las immediatas Costas de Espanna
, non sin fundato rezelo de que instruida esta
Nacion de la guerra de Mar y tierra le facilite
la situacion de esta Paza y Puerto formidables , y
`fatales Ventay as sobre las vezings Provincias de
estos Ceynos , si tal Vez sehallazen entregadas al
descuido , o menos prorcidas de las fuerzas militares,
conque presentemente, con la assistencia del
todo proderoso quedan superabundamente resguardadas
, para et logro de tan importante fin he mandado
juntar en Alicante un exercito de hasta 30 M.
Infantes , y Cavallos ( si fuere menester ) provedido
de todos los viveros , Artilleria , municiones , y persechos
correspondientes aquelquera ardua empressa
baxo las ordines del Capitan general Conde de Monsemar,
y de mas Officiales Generales , y particulares
, que he nombrado , y de Cuyas experiencias ,
y valor meprometo qualquera exito favorable , y
glorioso para que embarcados en el considerable numero
de embarcaciones preventidas y escortadas de
las Esquadras de Navios , Galeras , y Galeotas
que a este fin he madato aprestar , passen immediamente
a la recuperacion de mencionada Plaza de
Oran. Yporque todas las prevenciones humanas no
pueden sin los auxilios de la divina omnipotencia
assegurar el logro de empressa alguna , mando que
por la Camara se comunique luego esta determinacion
a los Arzobispos , Obispos , y Cabildos Echlesiasticos
, y atodas las Cuidades , y Villas de e
mes Reynos , segun se ha hecho en Otras occasiones,
*
+ estospara
A CUST. 1732 1869
para que se emplene en las Publicas , fervorosas Ro
gativas al todo Poderoso , afin que proteja mis reales
armas , y mes vivos deseos in tan importante expedicion.
Expedido in Sevilla à 6 de Junio de 1732 .
Executese assi al Arzobispo Governador de Consejo
de Castilla. Yo EL REY.
Cet Acte de la pieté du Roy fut reçu avec un
applaudissement universel , principalement par
le Clergé. Un même zele parut aussi - tôt enflammer
tous les coeurs , et par toute la Monarchie
d'Espagne on fit des voeux et on repeta ces grandes
et édifiantes paroles qui furent autrefois prononcées
avec tant de succès par le fameux Cardinal
qui fit la premiere conquête d'Oran , * elles
méritent d'être transmises à la Posterité . Seigneur
, ayez pitié de votre Peuple , et n'abandonnez
point votre héritage à des Barbares qui vous meconnoissent.
Assistez- nous , puisque nous ne mettons
notre confiance qu'en vous et que nous n'adorons
que vous. Quoique nous n'ayons , mon Dieu , d'autre
pensée ni d'autre dessein que d'étendre votre
sainte Foy et de faire honorer votre S. Nom ; nous
ne pouvons rien , toutefois , si vous ne nous prétez
la force de votre bras tout-puissant. Qu'est- ce que
peut la fragilité humaine sans votre secours La
puissance , l'Empire , la vertu , n'appartiennent qu'à
vous. Faites connoître à ceux qui vous haissent que
vous nous protegez , et ils seront confondus . Envoyez
le secours d'enhaut ; brisez la force de vos Ennemis
et dissipez- les , afin qu'ils scachent qu'il n'y a que
vous qui êtes notre Dieu , qui combattez pour nous.
Cependant la Flotte équipée en la Baye d'Alicant
, étant prête , et les derniers ordres de la
Cour étant arrivez , elle mit à la voile le 15. de
Frias de Bello Oran. Art. XIV.
I iij. Juin
1870. MERCURE DE FRANCE
Juin , composée de plus de 5oo . Bâtimens de
transport de douze Vaisseaux de ligne , deux
Frégates , deux Galiotes à Bombes , sept Galeres ,
dix-huit Galiotes à Rames , et douze Barques
longes armées. Elle trouva bien- tôt des vents
contraires qui l'obligerent de rester pendant sept
jours à l'abri du Cap de Palos , d'où elle partit
le 24. favorisée d'un bon vent qui la fit entrer
dans le Canal , ensorte que le 25. elle se trouva
à la vue de la Côte d'Oran ; cependant les vents
contraires et la rapidité des courans ,
mirent pas de mouiller dans la Baye de cette
Ville avant le 28. Ce moüillage se fit sans perdre
aucun Bâtiment. Le 29. au point du jour on
commença de faire la descente en la Plage dite
des Aiguadas , à une lieuë à l'Ouest du Château
Almarza ou Marzalquibir , par le moyen de
Joo. Chaloupes formant une ligne , soutenuë de
tout le feu des Vaisseaux et des Galeres.
ne lui
per-
Les Ennemis , qui s'étoient avancez au nombre
de dix ou douze mille Turcs ou Maures , divisez
en plusieurs troupes , voulurent s'opposer au débarquement;
mais l'Artillerie des Vaisseaux et
des Galeres ayant redoublé son feu , et le principal
Etendart des Ennemis ayant été abatu par
Je premier coup de Canon que tira la Galere
S. Joseph , ils reculerent jusqu'à une certaine
* Ces Etendars sont ordinairement faits de quelque
riche Etoffe dont le fond est verd et qui a servi
a orner le Tombeau de Mahomet. Il y a au milieu
La Profession de Foy ordinaire ALLAH , ALLAH ,
c. en caracteres Arabes , brodez d'or ou d'argent
quelquefois de Perles . Rien n'est plus capable de
consterner les Infideles , que l'enlevement "d'un tel
Etendart.
distance.
A OUST. 1732. 1871
distance. Dans le même temps les Troupes du
Roy sauterent à terre. Toute l'Infanterie acheva
de débarquer le même jour avec une partie de la
Cavalerie, le tout dans un très bon ordre , mal
gré les continuelles escarmouches des Maures ,
ensorte qu'il n'y eut que quelques Soldats de
blessez dans l'Armée du Roy.
Dès que les Ennemis eurent vů que la descente.
étoit faite , ils tenterent avec, un Corps de leur
Cavalerie , de tomber sur une troupe de Soldats
Espagnols, qui s'étoient écartez pour se rafrai
chir à une Fontaine assez éloignée de l'Armée ,
mais ce mouvement ayant été apperçu du General
, il détacha 16. Compagnies de Grenadiers ';
commandées par Don Lucas Fernando Patino ,
Maréchal de Camp , et 400. Chevaliers sous les
ordres du Marquis de las - Minas , aussi Maréchal
de Camp , pour leur couper la retraite et
pour s'emparer d'un poste avantageux qui étoit
à la droite de l'Armée. Chrétienne. Le hazard
voulut que le Régiment du Prince étant débarqué
du côté de la même Fontaine , une partie de
ce Régiment chargea les Maures , ce qui empêcha
de les couper ; mas on se saisit toûjours du
poste en question , avantage qui les força tous à
gagner le haut de la Montagne et qui donna la
facilité de pourvoir l'Armée d'eau pour deux
jours , afin de se mettre aussi -tôt en marche pour
scontinuer ses progrès.
Le 30. Juin on se hâta de construire un Fort
sur la Plage, au pied de la Montagne del Sancto,
pour assurer la communication , la subsistance
de Armée et le reste du Débarquement ; mais le
Détachement qui couvroir les Travailleurs , s'étant
peu à peu engagé avec les Maures , qui le
chargeoient avec beaucoup de violence , fut obli-
I´ iiij gé
1872 MERCURE DE FRANCE
gé de faire un mouvement vers la Ligne et les
Postes qui pouvoient le secourir ; ce qui ne suffisant
pas , le General fit avancer quelques Compagnies
de Grenadiers ; mais la multitude et le feu
des Barbares augmentant toûjours , le General
accourut lui - même , et fut enfin obligé de
mettre toute l'Armée en mouvement.
Le Comte de Montemar marcha d'abord en
six colomnes pour se saisir des Montagnes d'où
les ennemis étoient descendus , ce qui fut heureusement
executé , après un combat très - opiniâtré
; ensorte que les Troupes du Roy s'établirent
principalement sur la Montagne del Sanco,
qui commande la Forteresse de Marzarquibir , ce
qui coupa aux Maures toute communication
et leur ota tout espoir. }
En effet le lendemain premier Juillet , l'Armée
s'étant mise en marche pour aller chercher les
ennemis , on apprit que les Infideles avoient abandonné
la Place et les Forts d'Oran , et qu'ayant
le Bey ou Commandant à leur tête , ils avoient
pris le parti de se retirer , ou plutôt de s'enfuir à
la faveur de la nuit . Le Bey étoit au milieu de
sa Garde , suivi de 200. chevaux chargez de ses
effets les plus précieux ; ensorte que l'Arméa
Chrétienne trouva la Place deserte , quantité de
meubles dans la maison du Bey , les Magazins.
remplis de munitions de toute espece , et un Camp
formé par des Baraques entre Oran et le Fort de
Marzalquibir..
- i
On a sçu que le jour du combat - l'Armée des
Maures étoit de 220co . Africains , et de 2000.
Turcs , dont une partie étoit de la Garnison de
Marzalquibir , qui ne purent entrer dans la Forteresse
, les Troupes Chrétiennes s'étant emparées
très à propos de la Montagne del Sancto. Cetre,
action
AOUST. 17521 1873
action a été sanglante et il y est péri un grand
nombre d'infideles , à en juger par la quantité de તે
riches dépouilles , d'argent monnoyé, d'Armes
et de Harnois garnis d'orfévrerie , &c qui furent
partage des Soldats. ...le
On a trouvé dans les Forteresses 138 pieces
de Canon , dont -87. sont de fonte , Sept Mortiers
et une grande quantité de munitions de guerre et
de bouche . Il y avoit dans le Mole d'Oran , une
grande Galiote et cinq Brigantins pour la course
, qui furent pareillement abandonnez par les
Maures.
Dans l'Armée du Roy il n'y a eu que 30 hommes
de tuez et cent de blessez . Deux Officiersseulement
sont du nombre des morts et six du
nombre des blessez.
Le 2 Juillet, le Gouverneur Turc de la Forteresse
de Marzarquibir, ayant été sommé de se rendré.il
sortit avec sa Garnison de 150. Tures , mais un
grand nombre d'Africains qui étoient dans la
Place , prirent le parti de se jetter dans la Mer
et d'aller à la nage rejoindre leur Armée.
Voilà , Monsieur , le précis de ce que j'ai lu
dans plusieurs Lettres originales écrites du Campdevant
Oran le 30. Juin , et de Séville le 6. et le 8.
de Juillet. Le succès , comme vous voyez , a été
dès plus heureux . On donne de justes éloges au
Comte de Montemar , General , aux Officiers Generaux
et aux autres Officiers qui ont servi sous
ses ordres , et à la valeur des Troupes , sur tout
aux Grenadiers , qur, malgré la résistance , le
grand feu des Ennemis et la situation des lieux
escarpez et difficiles , les ont enfin entierement:
défaits et mis en déroute .
J'aurai soin de vous instruire des suites de ces
heureux évenement. Je suis , &c.
A Paris , ce 4. Août 17320
لف
Dy
1874 MERCURE DE FRANCE
J'apprends , en fermant ma Lettre , que le Roy
d'Espagne a nommé Gouverneur d'Oran le Marquis
de Santa Cruz , qui l'étoit de Ceuta , et qui
a servi dans cette Expedition en sa qualité de
Maréchal de Camp. C'est le même que vous avez
connu ici et qui étoit Ambassadeur Plénipotentiaire
du Roi d'Espagne au Congrès de Cambray,
j s ṛ s j s s s s s
FRANCE ,
33
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E 3. de ce mois , M. d'Elci , Archevêque de
Rhodes et Nonce ordinaire du Pape auprès
de S. M. fit son Entrée publique dans Paris. Le
Prince de Lambesc et le Chevalier de Sainctot ,
Introducteur desAmbassadeurs , allerent le prendre
dans les Carosses du Roy et de la Reine , au
Convent de Picpus , d'où la Marche se fit en cet
ordre. Le Carosse de l'Introducteur , celui du
Prince de Lambesc , précedé de son Ecuyer ; un
Suisse du Nonce , à cheval ; la Livrée du Nonce
à pied quatre Gentilshommes, l'Ecuyer avec 4..
Pages à Cheval ; le Carosse du Roy , aux côtez
duquel marchoient la Livrée du Prince de Lambesc
et celle du Chevalier de Sainctot ; le Carosse
de la Reine ; celui de Madame la Duchesse d'Orleans
Douairiere ; ceux du Duc d'Orleans , de la
Duchesse de Bourbon Doüairiere ; du Duc et de
la Duchesse de Bourbon ; du Comte de Charolois
; du Comte de Clermont ; de la Princesse de
Conty, Premiere Doüairiere ; de la Princesse de
Conty , seconde Douairiere ; du Prince et de la
Princesse de Conty ; du Duc et de la Duchesse
du
ZAO A O UST. 1732, -1875
€30. à
du Maine , du Prince de Dombes , du Comte
d'Eu ; du Comte et de la Comtesse de Toulouse ,
et celui de M. Chauvelin , Garde des Sceaux ,
Ministre et Secretaire d'Etat , ayant le départe
ment des affaires étrangeres ; et à une distance de
40. pas , les Carosses du Nonce. Après
qu'il fut arrivé à son Hôtel , il fut complimenté
de la part du Roy par le Duc de la Trémouille
premier Gentilhomme de la Chambre , de la part
de la Reine , par le Comte de Tessé , son premier
Ecuyer ; et de la part de Madame la Duchesse
d'Orleans , par le Marquis de Crevecoeur , son
premier Ecuyer.
Le 5. le Prince de Lambesc et le Chevalier de
Sainctot , allerent prendre le Nonce du Pape en
son Hôtel , et le conduisirent dans les Carosses
du Roy et de la Reine à Versailles , où il eut sa
premiere Audience publique du Roy. Il trouva à
son passage dans l'avant Cour du Château , les
Compagnies des Gardes Françoises et Suisses en
haye et sous les armes , les Tambours appellant,
et dans la Cour les Gardes de la Porte et ceux
de la Prévôté , aussi en haye et sous les armes , à
Jeurs postes ordinaires; et sur l'Escalier , les Cent-
Suisses en habits de ceremonie , la hallebarde à
Ja main. Il fut reçû en dedans de la Sale des Gardes
par le Duc de Villeroy , Capitaine des Gardes
du Corps , qui étoient en haye et sous les armes.
Après l'Audience du Roy , le Nonce fut
conduit à celle de la Reine , et ensuite à celle de
Monseigneur le Dauphin , de Monseigneur le
Duc d'Anjou et de Mesdames de France ; et après
avoir été traité par les Officiers du Roy , il fur
reconduit à son Hôtel par le Chevalier de Saind
tot , dans les Carosses de L, M. avec les ceremo
mies ordinaires.
1 vj Le
1876 MERCURE DE FRANCE
Le 4. Août , les Députez des Etats de Langue
doc eurent Audience du Roy. Ils furent présentez
par le Prince de Dombes , Gouverneur de la
Province , en survivance du Duc du Maine , son
pere , et par le Comte de S. Florentin , Secretaire
d'Etat , et conduits en la maniere accoûtumée
par le Marquis deDreux , Grand - Maître des Ceremonies
, et par M. Desgranges, Maître des Cere
monies. La Députation étoit composée pour le
Clergé de l'Evêque du Puy , qui porta la parole
avec beaucoup d'éloquence ; du Marquis de Merenville
pour la Noblesse ; de Mr de Novy et de
P'Escur , pour le Tiers- Etat , et de M. de Monte
ferrier , Syndic General de la Province. Les- mêmes
Députez eurent Audience de la Reine , et ils
rendirent ensuite leurs respects à Monseigneur le
Dauphin , à Monseigneur le Duc d'Anjou et à
Mesdames de France.
Le 16. de ce mois , dans l'Assemblée generale
du Corps de Ville , le Président Turgot fut continué
Prevôt des Marchands ; M. Millon ; Quar→
tiniers et M. le Fort , furent élus Echevins,

Le 17. le Corps de Ville alla à Marly , et le
Duc de Gesvres , Gouverneur de Paris , étant à la
tête , eut audience du Roy avec les Ceremonies
accoûtumées. Il fut présenté à S. M. par le Comte
de Maurepas , Secretaire d'Etat , et conduit par le
Grand-Maître et le Maître des Ceremonies. Le
Prevôt des Marchands et les nouveaux Echevins ,
prêterent, entre les mains du Roy , le Serment de
fidelité , dont le Comte de Maurepas fit la lecture
, le Scrutin ayant été présenté par M. de la
Porte , cy-devant Avocat du Roy au Châtelet ,
qui parla avec beaucoup d'éloquence. Le même
jour, le Corps de Ville eut l'honneur de rendre
ses
A OUST. 1732
1377
ses respects à la Reine , à Monseigneur le Dan--
phin , à Monseigneur le Duc d'Anjou , et à Me3-
dames de France.
CEREMONIE faite dans l'Eglise
Paroissiale de S. Sulpice , à l'occasion
de la Premiere Pierre du grand Autel
posée par M. le Nonce au nom du Pate
Clement XII. le 21. de ce mois.
Ette Ceremonie a été des plus magnifiques ,
stant par le grand nombre de Seigneurs et de
Dames qui y ont assisté , que par l'ordre qui a
été observé. Trois cent hommes du Guet à pied
étoient en armes au- dehors de l'Eglise , pour em
pêcher les embarras des Carrosses , et il y avoit
dans l'interieur cent Cavaliers du Guet, comman
dez leurs Officiers , et cent . Suisses
par
tenir le bon ordre .
pour
main-
Le Nonce du Pape étoit attendu au Presbytere,
dans une Sale ornée et préparée pour le recevoin
Son Excellence arriva vers les dix heures , préce
dée de ses Valets de pied , accompagnée des Scigreurs
étrangers , et suivie de tous les Officiers
de sa Maison qui avoient servi à son Entrée pu
blique. Elle fut saluée d'une grande décharge de
Boetes, att son des Tambours, Timbales et Trompettes
, et reçue à la descente de son Carosse par
M.le Curé et par les Marguilliers de la Paroisse,
à la tête desquels étoit le Comte de S. Florentia
Secretaire d'Etat , en l'absence de M. le Comte
de Maurepas , premier Marguillier d'honneur ,
qui s'étoit trouvé indisposé. M. le Nonce fut con
duit dans la Sale destinée à le recevoir ; il y étoit
attendu par l'Ambassadeur du Roy de Sardaigue,
par
1878 MERCURE DE FRANCE
par l'Ambassadeur de la République de Venise ,
par le Comte de Gergy's Ambassadeur de France
Venise , par plusieurs autres Ministres des Cours
Etrangeres et par un grand nombre de Selgneurs
du Royaume , invitez à la Ceremonie.
Au moment de son arrivée , la Procession commença
à sortir de l'Eglise par la porte collaterale,
située au Midy, pour rentrer par la grande porte.
Voici l'ordre qui s'y observa.
A la tête étoient les Timbales , Trompettes ,
Hautbois et Bassons ; on voyoit ensuite la grande
Baniere de la Paroisse , suivie de tous les Ouvriers
'servant à la construction du Bâtiment , en trèsgrand
nombre , portant tous à la immain, la marque
distinctive de leur Profession ; ils étoient
conduits par les Maîtres , les Contre- Maitres er
les Appareilleurs. Le sieur Servandoni , des Académies
Royales de Peinture , Sculpture et Architecture
, premier Architecte de S. Sulpice , marchoit
à leur tête. e
Au milieu d'eux les Marbriers , avec des bricolles
couvertes de rubans portoient sur un bran
card , orné d'un Tapis de velours , la Premiere
Pierre , parée de Guirlandes de fleurs , et de rubans;
après eux marchoient les Congregations
et les Confrairies ,avec leurs étendarts et Guidons.
Tout le Clergé en surplis venoit ensuite au nombre
de plus de 300. chantant des Pseaumes à deux
Choeurs.
,,,
La Procession ayant passé dans cet ordre devant
le Presbytere,M. le Curé en Etole et en Chape
, en fit la clôture. Alors M. le Nonce, précedé
de toute sa Livrée , suivi de tous ses Oraciers et
accompagné de M le Comte de S Florentin , des
Marguilliers , des Ambassadeurs de Sardaigne et
de Venise , du Comte de Gergy et des autres Mi
mistres
A O UST. 1732 1879
nistres Etrangers et Seigneurs, sortit du Presbytere
pour suivre la Procession. On arriva ainsi à
l'Eglise qui avoit été disposée avec toute la noblesse
et toute la magnificence possible , ce qui
offroit aux Spectateurs une décoration des plus
superbes , laquelle subsista sans aucun trouble ni
dérangement , malgré l'affluence et le concours
infini du Peuple empressé de voir cette auguste
solemnité.
Les Confrairies allerent prendre les places qui
leur avoient été marquées , et les Congregations
placerent à l'entrée du Choeur leurs Bannieres, qui
furent admirées de toute l'Assemblée , plus encore
par le goût que par la richesse de l'ouvrage.
Le Clergé se rangea sur deux lignes paralleles
dans la grand- Nef ; M. le Curé se tenant au mifieu
, présenta l'Eau-benite à M. le Nonce et ensuite
lui offrit à baiser une Croix de Cristal de
Roche , d'un ouvrage parfait , dans laquelle on
conserve une précieuse portion de la vraye Croix.
S. E. s'étant mise à genoux sur un riche Caradora
le Crucifix ; puis s'étant relevée ,
M. le Curé lui fit un compliment dont elle parut
très- satisfaite.
reau ,
De-là elle fut conduite à un Prie-Dieu , couvert
d'un superbe Tapis , placé devant un Autel
que l'on avoit dressé entre la Nef et le Choeur ,
il étoit orné d'un grand nombre de Chandeliers
et de Girandoles de Cristal. Aux côtez du Nonçe
se placerent les Ambassadeurs , les Ministres
Etrangers , et les autres Seigneurs dans des Fauteuils
préparez , avec des Carreaux de velours à
Galons d'or. M. le Comte de S. Florentin et les
Marguilliers prirent leurs places dans l'Euvre ,
qui étoit parée de Tapis de velours et de Carreaux
chamarez d'or ;toute la suite de S. E. et
des
1880 MERCURE DE FRANCE
des autres Ministres et Seigneurs,, se rangea dans
lá Nef.
Des deux côtez de l'Autel on avoit disposé
une grande quantité de Chaises de Tapisserie , et
ce fut- là que l'on plaça les Personnes de distinction
, de l'un et de l'autre sexe , qui s'y trouverent
en grand nombre. Plus loin , dans le Sanctuaire
, les Ecclesiastiques en Manteau, et les Religieux
de différens Ordres.
Il y avoit en dehors de chaque Arcade de la
Nef une Barriere de Suisses , et en dedans un
rang de Cavaliers du Guet , pour empêcher le
peuple , qui remplissoit les bas côtez et la croisée
de ce grand et superbe Edifice , de causer de la
confusion , et cette double Barriere étoit continuće
depuis la grande Porte jusques au Choeur.
Pendant que chacun prenoit la place qui lui
étoit destinée , on entendoit un Concert d'Ins
trumens, choisis de toute espece.
Le Clergé ayant défilé sur deux lignes , poar
se rendre dans le Choeur , dès qu'il y fut rangé ,
on commença la Messe ; pendant laquelle il fut
chanté un Motet de M. Campra , avec une Symphonie
de M. Clerambault , Organiste et Maître
de Musique de S. Sulpice.
La Messe finie , M. le Nonce , précédé des -
Prêtres de la Paroisse , qui portoient dans des
Vases précieux les differens Instrumens qui devoient
servir à la Cérémonie , alla poser ia premiere
Pierre. S. E. mit dans un Coffre de Marbre,
creusé exprès , des Médaillons d'or , d'argent et
de bronze, que le Pape avoit envoyez ; ils étoient
portez dans une Jatte d'Agathe , montée en for
d'un ouvrage exquis ; le Marbre fut ensuite sceité
er mis sous la premiere Pierre , sur laquelle est
gravée en Lettres d'or , l'Inscription qui suit :
CLE
A
OUST 1732.
CLEMENS PAPA XII . PER RAINERIUM
COMITIBUS DE ILCIO ARCHIEPISCOPUM RнODIENSEM
NUNCIUM APOSTOLICUM , LAPIDEM
HUNC ALTARIS SANCTI PRIMARIUM POSULT
XXI AUGUSTI . ANNO M. DCC . XXXII.
Pendant tout le temps de cette Cérémonie , les
Instrumens continuerent de donner une Symphonie
qui fut generalement goutée. Lorsque la
Pierre fut posée , M. le Curé accompagna M. le
Nonce , M. le Comte de S. Florentin , et plusieurs
autres Seigneurs dans la nouvelle Sacristie;
ils y admirerent tous les Tableaux dont elle
est ornée , qui sont des plus grands Maîtres , la.
Menuiserie qui est d'un gout achevé , et le Lavoir
tout incrusté de Marbre , dont la Cuvette.
est un ancien Tombeau de Marbre d'Egypte ,
d'un grand prix.- -
Ensuite le Clergé s'étant rangé sur deux lignes
dans la Nef , S. E. sortit de l'Eglise et fut conduite
jusques à son Carosse , par M. le Curé ,
M. le Comte de S. Florentin , et Mrs les Marguilliers
, au bruit des Tambours , Timballes et
Trompettes , et la Cérémonie fut terminée par
- des aumônes que M. le Curé fit distribuer abondament
à tous les Pauvres , qui s'y trouvèrent en
tres- grand nombre .
L'Académie Françoise celebra le 25 de ce mais
la Fête de S. Louis , dans la Chapelle du Louvre.
Pendant la Messe on chanta un fort beau Motet
en Musique , de la composition du Sr Dornel ..
L'Abbé du Renel , l'un des Auteurs du Journal
des Sçavans , prononça le Panégyrique du Saint ,.
avec beaucoup d'éloquence. L'après midi, l'Académie
donna le Prix de Poësie à l'Abbé Séguis "
ct
1882 MERCURE DE FRANCE
et Elle déclara qu'elle avoit réservé celui d'éloquence
pour l'année prochaine.
Le même jour , l'Académie des Inscriptions et
Belles- Lettres , et celle des Sciences , célébrerent
-la même Fête , dans l'Eglise des Prêtres de PO
ratoire. Il y eut un Motet pendant la Messe , de
Ja composition du Sr du Bousset ; après laquelle
l'Abbé Biliard prono nça le Panégyrique de Saint
Louis, fort éloquemment, et donna une idée fort
avantageuse de ses talens.
>
Le Concert d'Instrumens que l'Académie
<Royale de Musique donne tous les ans , au Château
des Tuilleries , à l'occasion de la Fête du
Roy , a été exécuté le 24 , veille de S. Louis
par un grand nombre d'excellens Symphonistes,
de la même Académie , qui jouerent differens
beaux morceaux de Musique de M. de Lully , et
d'autres Maîtres modernes.
Le 23 - Aoust , la Lotterie de la Compagnie des
Indes , établie pour le remboursement des Ac-
; tions, fut tirée en la maniere accoutumée,àľHâtel
de la Compagnie. La Liste des Numeros gaguans
des Actions et Dixièmes d'Actions ,qui doi
vent être remboursées , a été renduë publique ,
faisant en tout le nombre de 319 Actions.
XXXX:XXX** *******
MORTS , NAISSANCES
et Mariages.
Henry Danglure de Bourlemont , Abbé de
S. Vincent de Metz , cy- devant Agent General
du Clergé, mourut à son Château de Bourlemont
A O UST. 1732. 1883
lemont en Champagne , le 19 de Juillet, âgé de
69 ans.
Armand de S. Martin , Chevalier , Marquis de
Clairvaux , Conseiller de la Grand'Chambre de
Parlement , mourut à Paris le 29 du même mois,
âgé de 77 ans ou environ .
M. Jean Grancolas , Prêtre , Docteur de Sorbonne
, Beneficier de l'Eglise Collégiale S. Benoît
, Censeur Royal , et Auteur de plusieurs Ouvrages
d'Erudition Ecclesiastique , mourut le i de
ce mois , âgé d'environ 72 ans.
I
Dame Catherine du Noyer , veuve de Barthelemi
Huault de Bernay , Chevalier_dudit lieu
Richebourg , Arcis , &c. mourut le 7 , âgé de 79
ans.
Pierre Etienne le Tonnellier , Chevalier , Seigneur
de Charmeaux, Conseiller au Grand Conseil
, mourut le 7 Aoust , âgé de 72 ans. Il avoit
épousé Marie- Gabrielle Legras , dont il laisse
Marie -Geneviève le Tonnellier, mariée en 1726.
à Louis-François, Marquis de Chiffreville , Mestre
de Camp de Cavalerie , Sous-Lieutenant de la seconde
Compagnie des Mousquetaires de la Garde
ordinaire du Roy.
C'étoit un Magistrat d'une intégrité, d'une ca.
pacité et d'une vertu au-delà du commun , et on
peut dire que sa Compagnie , et le public perdent
également à sa mort . Il étoit l'aîné de Louis
le Tonnellier , Chanoine Régulier de S. Victor ,
et Prieur de la Maison , et de Jean - Jacques-
Pascal le Tonnellier , Prieur de la Chartreuze de
Paris , aussi distinguez dans leur Ordre , l'un et
l'autre par leur mérite , que leur aîné l'étoit dans
la Magistrature. Ils sont les derniers d'une branche
cadette de la famille de le Tonnellier Breteuil .
Patrice de Gouy , Abbé Régulier de Choques ,
autre1884
MERCURE DE FRANCE
autrement S. Jean des Prez, Diocèse de S. Omer,
mort à Paris le 16 Aoust, âgé de près de 80 ans.
Il étoit Oncle de Michel - Jean de Gouy , Marquis
Datri , cy-devant l'un des quatre Gentilhommes
de la Manche du Roy.
Marie-Thérese de Crévant d'Humieres , veuse
de Jean- Alphonse de Gand de Mérodes et de
Montmorenci , Prince d'Isenghien , mourut à
Douay, le 19 Aoust, âgée d'environ 79 ans.
Agnès Bouvart de Fourqueux , épouse de Messire
Vincent Maynon , Conseiller Honoraire du
Parlement , Chevalier , Seigneur de Farcheville ,
Orveaux , Valpuiseau , Villemartin, & c . décédée
le 28 Aoust , âgée de 40 ans.
Dame Anne-Etiennette de Meuve , épouse de
Jean- Paul Bochart de Champigny , Capitaine au
Régiment des Gardes Françoises, accoucha d'une
Fille , le 17 Juiller , laquelle fut tenue sur les
Fonts par Jacques- Charles Bochat , Marquis de
Champigny , Capitaine des Vaisseaux du Roy ,
Gouverneur des Isles du Vent de l'Amérique , et
par Dame Catherine de Forcadel, épouse de Jean-
Charles de Bournel , Marquis de Mouchy , Maréchal
de Camp.
Dame Louise de Couché de Lusignan , épouse
d'Edme- Louis-Joseph d'Hautemer , Seigneur de
Wolsey , &c. Capitaine d'Infanterie , accouchat
le 5 Aoust , d'un Fils , qui fut nommé Léopold
Gaston , par Gaston Jean- Baptiste - Charles de
Lorraine , Comte de Marsan ; et par Madame
Léopoldine - Elizabeth - Charlotte de Lorraine ,
Chanoinesse de Remiremont.
Dame Susanne - Marie de Vivans , épouse de
Pierre- Antoine d'Ajancourt , Baron d'Huban, &c.
accoucha le 10 du même mois, d'un Fils , qui
fut
C
A OUS T. 1732. 1883
fut nommé Armand Henri , par Armand de
Mormez , Marquis de S. Hilaire , Lieutenant General
des Armées du Roy , Grand - Croix de l'Ordre
de S.Louis , Gouverneur de Belle- Isle ; et par
Dame Jeanne- Henriette le Maître de Château
pere.
Charles Joseph de Robert de Lignerac , Lieutenant
General de la Province d'Auvergne , Mes--
tre de Camp de Cavalerie , et Guidon des Gendarmes
de la Garde du Roy , Fils de Joseph de
Robert , Marquis de Lignerac & c . Brigadier
des Armées du Roy , Grand - Baillif, Lieutenant
General, Commandant en Auvergne , et de Dame
Marie-Charlotte de Thubicres de Lévi de Cailus,
épousa le 18 Aoust , Dame Marie - Françoise de
Broglie , fille de Charles Guillaume, Marquis de
Broglie , &c, Lieutenant General des Armées du
Roy , Gouverneur de Graveline ; et de Dame
Marie-Magdelaine Voisin.
ARRETS NOTABLES.
O
1
RDONNANCE du Roy , du 9 Juin , portant
que lorsqu'il y aura des Postes vacan
tes dans les Villes , Bourgs et Villages où il y
en a d'établies , et qu'il ne se proposera point de
sujets pour les remonter , les Communautez des
lieux en feront le service.
ORDONNANCE du Roy , du 25 Juin , pour
faire faire la Revûë generale des Troupes de Milice
, dans le courant du mois de Septembre prochain
1886 MERCURE DE FRANCE
chain , en licencier en même-temps la moitié , et
indiquer son remplacement au mois de Février
de l'année 1733.
ORDONNANCE du Roy , du 7 Juillet , por
tant Reglement pour le service , la solde et l'ha
billement de la Compagnie des Gardes du Pavillon
Amiral , créée cy- devant par Ordonnance du
18 Novembre 1716. par laquelle S. M. voulant
faire quelques changemens , à ce qui est porté
par ladite Ordonnance , regle en même temps
tout ce qui concerne le service , la solde et l'habillement
de ladite Compagnie , ainsi qu'il est
specifié aux 33 articles , contenus en la derniere;
Ordonnance.
ARREST du 8 Juillet , du Conseil d'Etat du
Roy , qui exempte des droits dûs au Roy , ou à
ses Fermiers , et des droits de Péages , les Grains
qui seront transportez des Provinces du Royau
me dans celle de Provence pendant un an,à com
pter du 15 Septembre 1732.
ORDONNANCE du Roy, du 26 Juillet,pour
faire fournir dyalain de Munition aux Troupes
qui formeront des Camps, que S. M. fait assembler
sur ses Frontieres de Flandre , Evêchez , Alsace
et Comté de Bourgogne , en l'année presente
.
ARREST du 29 Juillet , qui ordonne qu'il ne
sera perçu qu'un seul droit d'insinuation, suivant
la qualité du Testateur , pour tous les Héritiers
rappellez , et pour tous les Légataires universels ,
en quelque nombre que soient lesdits Héritiers
ou Légataires.
P
1
C
n
·0
วง
'A
Del
10
ed
Dis
No
ett
en
tat
Mut
&
Ou
tan
de
Cha
pec
TABLE &
TABL E.
IECES FUGITIVES . Stances irregulieres , 1675
Suite de l'Histoire du Prince Jaloux ,
1678
1705
1735
Epitalame ,
Defense d'un Trait historique de Lampride, 1709
Bouts- Rimez proposez ,
Conference entre les Plénipotentiaires Turcs et
Persans. Traduction d'une Relation, &c. 1736
Epigramme de Mile de la Vigne , sur M. Rousseau
, 1756
Lettre au sujet de l'Eloge de l'humeur capricieuse
,
La Jeunesse , Cantate ,
Remarques sur les Médailles de Lucille ,
Enigme , Logogryphes , &c.
Nouvelles Litteraires des Beaux Arts , & c.
Journal du Regne d'Henry IV. & c .
Traité des Forces mouvantes , & c.
Deffense du Franc - Aleu , & c.
1757
1760.
1762
1768
1770
1772
1773
L'Anatomie generale du Cheval , &c.
1775
1776
1781
1782
1787
Coûtumes Generales de Bourbonno '. 1801
Nouveau Lexicon Medicum , & c.
1802
Lettre sur la Taille Laterale , & c. 1804
1806
1809
Bibliqtheque raisonnée , &c.
Recueil de Discours sur diverses matieres ,
Discours sur la Peinture , &c. JUMAW
Pendule pour le Roy de Sardaigne ,
Statuës antiques , trouvées en Provence ,
Autres Antiques , trouvées en Portugal , Rome ,
&c.
Nouvelles Estampes , &c.
1810.
1811
Jean-Paul Panini , Peintre Italien , reçû à l'Académie
de Paris ,
Chanson notéc
1813
1815
1816
Spectacles. L'Opera Comique , Pieces nouvelles ,
&C
Lettre de Mr de Voltaire sur la Tragédie de
Zaire , 1828
1843 Ballet des Sens , Entrée du Goût ,
Nouvelles Etrangeres , de Turquie , Perse , et
Russie ,
1846
De Pologne , Journal du Camp de Villanova ,
& c. 1850
D'Allemagne, Entrevûë de l'Empereur et du Roy
de Prusse ,
D'Italie et d'Espagne , Portugal , &c.
Seconde Lettre sur la Prise d'Oran ,
1856
1761
1866
France , Nouvelles de la Cour, de Paris, &c. 1974
·Ceremonie faite à S. Sulpice , &c.
Morts , Naissances , &c.
Arrêts Notables
Errata de Juillet.
Age 1635. ligne 8. d'Oran , ôtez ce mot.
P16431. 17. tardif , l . tardoit.
P. 1648. l . 12. Meuville , L. Neuville.
Fautes à corriger dans ce Livre.
1877
1882
1885
Age 1689. 1. 22. fit la place , liscz , fit place.
P. 1707. 1. 8. brillent , l. brûlent.
Page
P. 1745. 1. 27. Capitaine , 1. Capitale.
P. 1748. l . s . Coni , l. Com .
P. 1773. 1. 11. 1706. l. 1606.
P. 1786. l. 17. Ouvrages , 1. Euvres ,
P. 1794. l. 17. sont , 1. font
P. 1822. 1. 2. du bas , gar , l . grace.
P. 1825. 1. 20. m'y , l . n'y.
P. 1848. l. 32. 20000. lisez 200000.
P. 1850. 1. 29. Nanokin , I. Nankin .
P. 1852. 1. 30. après sitôt , l. après qu'on cut.
1. Arno.
P. 1863-1.4
La Chanson notes loit regarder lapage 1815
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le