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1732, 05, 06, vol. 1-2
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22.40 Mo
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661
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Texte
Presented
by
John
Bigelow
to the
CenturyAssociation
* DM ..
Mercure



Theries

MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
MAY . 1732.
QURICOLLIGIT
SPARGIT
Papili
Chez
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER ,
ruë S. Jacques.
LA VEUVE PISSOT , Quay de
Conty , à la descente du Pont-Neuf.
JEAN DE NULLY, au Palais .
M. DCC. XXXII.
Avec Approbation et Privilege du Roy.
THE NEW YORKI
PUBLIC LIBRARY
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
I
AVIS:
ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU , Commis an
Mercure , vis - à - vis la Comedie Frangoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
*
On prie très- inflamment , quand on adreſſe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
foin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toujours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non -feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardė
de copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , où les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perie de temps
& de les faire porter fur
l'heure à la Pofte , ou aux Meffageries qu'on
lui indiquera.
PRIX XXX. SOLS.
1
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT. AV
MAY.
PIECES
1732 .
FUGITIVES ,
en Vers et en Prose.
LA JEUNESSE,
O D E.
A M. de Franay , Trésorier de France
en la Generalité de Moulins.
D
Escends de la Voute azurée ,
Quitte , Hébé , le Buffet des Dieux;
Des Jeux , des Graces entourée ,
Viens te présenter à mes yeux.
Hebé , je vais , de ton Empire ,
Chanter les douceurs et les Loix ,
A ij Inspire
838 MERCURE DE FRANCE
Inspire-moi , touche ma Lire ;
Qui mieux que toi pourroit me dire
Ton rang, tes honneurs et tes droits ?
De quels transports , de quelle yvresse ,
Me sens-je tout à coup épris !
Est - ce toi , charmante Déesse ,
Qui viens animer mes esprits
Je la vois , un Zéphir la porte ,
Avec l'Amour , Momus la suit.
Le vieux Saturne qui l'escorte ,
Des heures forme une cohorte ,
Qui se renouvelle sans bruit .
M
Son Empire sur la Nature ,
Renferme la terre et les Airs ;
Le Printemps lui doit sa verdure ,
Et les Oiseaux leurs Chants divers,
Si d'une Jeunesse immortelle ,
Hebé possede les beaux jours ,
Elle en répand sur chaque Belle ,
Quelque rayon , quelque étincelle ,
Mais qui ne dure pas toûjours.
3123
Profitez , riante Jeunesse ,
Du temps de faire votre cour,
DépêchezMAY.
1732. 83
Dépêchez-vous , l'heure vous presse ,
Le temps qui fuit est sans retour .
Il n'est qu'un Printemps dans l'année ,
La nuit suit de près le matin ;
Et Flore , dans une Journée ,
Des Roses dont elle est ornée ,
Commence et finit le destin.
M
En doux ébats , en Jeux , en Fêtes ,
Venez lui payer vos tributs .
Les plaisirs que Comus apprête ,
Forment d'Hebéles revenus.
Mais
pour
mériter à sa suite ,
La préference et sa faveur
Fuyez les fureurs du Lapithe ,
La molesse du Sybaritte ,
Le fiel du Satyre imposteur.
Quel bruit se répand dans les Plaines ?
Pan fait raisonner son Hautbois.
Les Nymphes quittent leurs Fontaines,
Les Sylvains sortent de leurs Bois.
Pendant qu'une danse legere ,
Vous marque , Hebé , leur dévouement?
La Dryade , sur la fougee ,
Pour exprimer sa joye entiere ,
Ecoute à l'écart son Amant.
f
A iij
Mais
840 MERCURE DE FRANCE
Mais quel est ce Berger qui chante ;
Sa Flute rend les plus doux sons.
Il veut de l'objet qui l'enchante ,
Fléchir le coeur par ses Chansons .
Chanter pour vaincre une volage !
Berger , vous chanterez en vain ;
Poussez , pressez un coeur sauvage ,
L'Amant chantant , trace l'Ouvrage ,
L'Amant pressant , le met à fin.
M
Vous , dont la languissante veine ,
Fait souvent gémir la raison ,
En vain des Eaux de l'Hypocrêne ,
Vous enyvrez votre Apollon.
Si vous voulez de la science ,
Qu'Hebé vous ouvre le chemin.
*
Le don de plaire et l'éloquence ,
Sont à la Source de Jouvence ,
Et dans les ressorts de l'instinct.
Après neuf lustres , suis -je sage ?
Quoi : j'ose ébranler des ressorts ,
Qui sont trop vifs dans le bel âge ,
Dans le mien qui sont presque morts !
Je vois ce contraste sans peine ,
Je conseille et je n'agis pas,
Four
MA Y.. 17320 841
Pourvû , Franay , que mon halene ,
Ait , à ton gré , conduit ma veine ,
Je fais du reste peu de cas.
M. de Soultrait.
METHODE pour apprendre la Musique
en peu de temps . Par L. P. C. J.
Otre siecle est fécond en nouvelles
NMéthodes pour toutes choses . Rien
n'est mieux. Tôt ou tard on trouvera les
vrayes, avec ce gout d'en essayer de toutes.
La Musique est donc aussi l'objet de plusieurs
Méthodes nouvelles . Elle en vaut la
peine; et les Musiciens méritent bien qu'on
entre dans leur esprit et dans leurs vûës ,
et qu'on les seconde à faire mieux de jour
en jour.
La Musique n'a qu'un deffaut. Elle est
trop difficile à apprendre . Je ne parle
que du Chant : c'est peu de chose ; mais
ce peu de chose est absolument necessaire
pour aller plus loin, pour se former le goût,
pour se rendre l'oreille intelligente , pour
sentir l'harmonie , pour accompagner
pour composer.
Peu de gens vont jusques- là ; mais tout
A iiij le
842 MERCURE DE FRANCE
le monde voudroit y aller ; ceux au moins
qui apprennent la Musique. A quoi tientil
donc qu'ils n'y arrivent ? Il tient à ce
peu de chose dont je parlois tout à l'heure,
lequel , tout peu qu'il est , vous arrête assez
pour vous ôter le temps , le goût , ou
le courage de passer au- delà.
Lire la Musique à livre ouvert , la lire
à mesure qu'on lit des paroles qui y répondent
, c'est ce que j'appelle en verité
pru et très- peu de chose . C'est pourtant
l'affaire de cinq , de six , de dix , de dou .
P
ze , de quinze bonnes années pour les
trois quarts de ceux qui l'entreprennent.
Combien même y en a - t'il qui arrivent
à ce point ? il n'y a , dit- on , que les Enfans
de Choeur , c'est-à - dire ceux qui
ayant commencé à l'âge de quatre ou
cinq ans , n'ont fait que cela jusqu'à 12.
15. 20. ans.
J'ai essayé de bien des sciences , et de
celles qui passent pour les plus difficiles ,
Géometrie , Algebre , Analyse , Physique,
&c. Mais je puis dire qu'il n'y a pas de
proportion entre le temps et le travail
qu'il faut pour apprendre ces sciences
fondes , je dis pour les apprendre même
toutes assez à fond , et le long temps et
le travail pénible et assidu qu'il faut pour
se rendre médiocrement possesseur d'uproMAY.
1732. 843
ne chose aussi médiocre que l'est la routine
de la Musique et du simple Chint.
C'est , dit-on , cette routine qui fait
toute la difficulté ; je le sçais et c'est même
ce que je veux dire. On appelle la Rou
tine , l'habitude , une seconde Nature. Et
c'est par là qu'on l'estime. Mais c'est par
·là que j'en démontre le vice essentiel.
Il n'y a qu'une vraye et bonne nature ;
et je ne connois de seconde nature qu'une
contre- nature , ou une nature estropiće ,
entravée , étouffée, anéantie ; qu'on dresse
un Chien , un Cheval , qu'on siffle une Linote
ou un Serin; qu'on mene un Aveugle
par la main , un Sourd par des signes ; mais
dans les Arts et dans les Sciences , je ne
voudrois pas qu'en faitd'Arts méchaniques
mêmes, on apprît rien aux enfans, par une
Méthode qui, sous prétexte de perfectionner
l'humanité, commence par la dégrader.
La Musique n'est pas le seul Art , la
seule science où l'on donne trop à l'exercice
et à la routine , aux dépens de l'intelligence
et de la raison. Jusques à quand
traitera-t'on les enfans en machines , et
les hommes en enfans ? Jusques à quand
regardera- t'on la memoire comme la clef
des Sciences les plus abstraites et les plus
raisonnables ?
La memoire n'est la clef que de la scien-
A v ce
844 MERCURE DE FRANCE
ce des Perroquets ; bien définie elle même
, elle n'est la science que des mots.
Encore même Horace m'apprend que l'invention
, au moins celle des mots, est toute
du ressort du jugement. Verbaque provisam
rem non invita sequentur. Parler de
mémoire , c'est reciter une leçon d'Ecolier.
Parler après avoir pensé , c'est parler
en homme , c'est parler.
Je vais à mon but . La Musique n'est
difficile que parce qu'on l'apprend par
routine , par exercice , par habitude , par
memoire. Qu'on tourne un peu la chose
en théorie , en science , en principe , elle
va devenir tout ce qu'il y a au monde de
plus facile.
Je dis la pratique en va devenir facile .
Lorsque l'esprit est bien élairé , et qu'il
voit distinctement de quoi il s'agit , la nature
se développe , les facultez se manifestent
, les talens se déploïent , la langue
se délie , l'oreille devient sensible ,
les yeux clairvoyans, un air d'intelligence
se répand jusques dans les mains , dans
les doigts , dans les organes les plus méchaniques
, les plus exterieurs.
Nous naissons avec un goût , une disposition
, une semence de Musique qui
ne demande qu'à se developper. C'est ce
développement de la Nature qui devroit
être
M A Y. 1732. 845
être le but unique d'un Maître qui entreprend
de la perfectionner. On ne perfectionne
la Nature qu'en travaillant sur
le Plan même qu'elle a d'abord ébauché.
Nous autres François , sur tout , nous
entendons chanter , et bien tôt nous chantons
aussi. Nous croyons donc qu'il n'y
a qu'à chanter , et que c'est- là la premiere
esquisse de la Nature . Mais ce chant pourroit
bien n'être qu'une affaire d'habitude
et l'effet d'une seconde Nature.
Ceux qui sont un peu Philosophes , sçavent
bien que le premier coup d'oeil des
choses , est toujours imposteur ; que les
Phénomenes sensibles ont toujours des
raisons secrettes , des principes profonds ,
et qu'en un mot tout ce qui se présente
le premier dans l'ordre et dans la succession
des effets , est le plus souvent le dernier
dans l'ordre des generations et des
'causes.
Or ce n'est pas moi , c'est Zarlin , homme
consommé dans la pratique et dans
la théorie de la Musique , qui cite Platon
, pour nous dire que la mélodie , le
chant procede de l'harmonie. Et M. Rameau
, qui ne le cede en rien à Zarlin ,
et qui par un nombre de belles Décou-
-vertes nous a mis en état d'aller plus loin,
nous cite cet Auteur Italien pour nous
A vj
repeter
846 MERCURE DE FRANCE
repeter que l'harmonie est le principe de
la mélodie. Il fait plus , il en donne des
preuves et dit tout ce qu'il faut pour l'établir
solidement.
Ces grands Maîtres en parlent par rapport
au grand de la Musique , à la composition
, à l'accompagnement. Mais en
vain nous appellent - ils dans ce Sanctuaire,
si d'autres nous amusent au Vestibule , à
la porte, et nous ôtent l'envie , le gout , et
le temps de penetrer jusques dans cet interieur.
Ce sont ces grands Maîtres dont je
parlois à l'entrée de ce Discours , et que
je ne dédaignerai pas de seconder à perfectionner
leur Art , du moins en m'efforçant
d'en agrandir , d'en applanir les
avenues ; et c'est d'eux- mêmes que j'emprunterai
les secours , les facilitez qui pourront
m'aider , qui pourront aider au Public
à aller jusqu'à eux . Un bon principe s'étend
à tout , et celui de Platon atteint du
plus grand au plus petit, et depuis la com➡
position de l'harmonie jusqu'à la plus simple
execution machinale du Chant et de
la Gamme , qui est l'alphabet de la Musique.
Quoi ! dira t'on , faudra-t'il donc apprendre
l'harmonie pour posseder la mé-
Indie , et devenir Compositeur de plu-
Sienn
MAY. 1732 847
en sieurs Chants avant que de penser
articuler un seul ? Quand je le dirois , je ne
croirois désesperer personne , puisque je
suis bien persuadé qu'on auroit encore
beaucoup meilleur marché de la routine
du Chant , qu'on ne prendroit ainsi qu'à
la suite d'une harmonie prise dans toute
son étendue et dans toute sa perfection .
Mais il n'en faut pas tant , et le principe
seul de l'harmonie bien developpé ,
doit suffire pour cette routine de Chant
et de Mélodie ; il doit suffire et il suffit ,
bien entendu que rien ne suffit à sa place,
et que rien ne peut et ne doit le remplacer.
Venons au fait.
Dans la Méthode ordinaire on chante
ou on croit chanter diatoniquement , de
proche en proche , par degrez conjoints ,
c'est- à- dire , comme on l'entend de Ut à
Ré, de Ré à Mi, et tout de suite à Fa, Sol,
La, Si, Ut, Et moi , je dis que ce Systême
est faux , que cette Méthode n'a rien de
naturel , que ce chemin est scabreux , penible
et long à l'infini , et que dès le
premier pas un Ecolier qu'on mene par
là , est un Ecolier manqué.
Personne ne doute , je crois , de la lon
gueur de ce chemin et de cette Méthode
Diatonique , puisque c'est l'experience de
tous les jours. Or cela seul fait assez voir
L
848 MERCURE DE FRANCE
le peu de naturel , le faux même de cette
maniere d'apprendre la Musique , n'étant
pas naturel que si peu de chose coûte
tant à acquerir.

Suivons un Maître qui montre la Musiqué
, mais sur tout rendons - nous attentif
à l'Ecolier qui apprend , ou plutôt ,
pour ne révolter personne , concevons
tout ceci sous l'idée de l'Art personifié qui
à entrepris de perfectionner la nature.
L'Art décide donc que de Ut à Ré il
n'y a qu'un degré , de Ut à Mi , deux ,
de Uta Sol , cinq , et de Ut à Ut , huit
et là dessus il entonne Ut , Ré , et il exige
que la Nature le repete à sa suite.
La Nature s'en mocque , son premier
degré est de Vt à Ut , le second de Ut
à Sol , le troisième , de Sol à Ut , seconde
réplique du premier , delà elle passe à
Mi , enfin ce n'est pourtant que la neuviéme
marche qu'elle saisit le Ré. Jugez
d'abord de la bonté d'une Méthode dans
laquelle au lieu de multiplier les marches
pour adoucir la montée , on vous
oblige du premier pas , d'enjamber le
neuvième dégré .
Je ne dis rien sans preuve , ni même
sans démonstration ; car chacun a sa Gamme
, chacun son Echelle , chacun son Alphabet.
Celui de l'Art est , Ut , Ré , Mì¸
و ر
Fa ,
MAY. .1732. 849
Fa , Sol, La , Si , Ut. Celui de la Nature
est Vt , Vt , Sol , Ut , Mi , Sol , Ut,
Ré , &c. Je ne dirai rien que tous les Musiciens
ne sçachent avant moi et mieux
que moi.
C'est d'eux que j'ai appris que lorsqu'on
a une corde qui sonne Ut , si on la coupe
en deux parties égales , chaque moitié
sonnera encore Vt ; si on la divise en
trois , chaque tiers sonnera Sol ; en 4 Ut ,
en 5 Mi , en 6 Sol , en 8 Ut , en 9. enfin
Ré.
30
C'est un Axiome reçû des Musiciens
autant que des Physiciens et des Géométres
, que les sons sont aux sons , comme
les cordes sont aux cordes , et par consequent
comme les nombres sont aux
nombres.
,
Non- seulement les sons , mais là difficulté
de les articuler , de les entonner ,
doit suivre le progrès des nombres. Car
non -seulement une corde mais tout
agent , tout organe sonore doit se subdiviser
en 2. en 3. &c. parties pour exprimer
Ut, Ut , Sol , Ut , &c. et en 9 .
pour Ré.
Or il est plus naturel et plus facile ,
sans doute , de diviser en 2 qu'en 3 , en 3
qu'en 4, &c. Car pour la division en 2 , il
n'y a qu'un point à diviser ; pour 3 ,
il en
faut
850 MERCURE DE FRANCE
faut 2 ; pour 4 , il en faut 3 ; et pour 9 ,
il en faut 8.
Qu'on ne dise pas que les nombres sont
quelque chose d'abstrait , qui n'influë
point dans la pratique , dans le physique
de la chose . Car je répons que tout ce
monde physique est fait avec nombre,poids
et mesure. Or la mesure et le poids sont
quelque chose de réel ; le nombre l'est
donc aussi.
Ignore- t- on d'ailleurs que le nombre
convient spécialement à l'harmonie , et
décide de tout ce qu'elle a de réel ? Enfin
la division des corps sonores , celle de l'air
même et de l'oreille , par des vibrations
ou des ondulations dont le nombre ne
peut - être que déterminé , est une chose
réelle et physique, qui ne permet pas qu'on
traite ici les nombres, ni les raisonnemens
qu'on en tire , de choses abstraites , ni de
spéculations purement géométriques ou
métaphysiques.
La Trompette n'est pas un être de rai→
son. Or lorsque dans une Trompette on
on a sonné l'Ut au plus bas, et qu'on veut
monter par dégrez , le premier dégré d'élevation
donne l'octave prétenduë Vr; le
second dégré donne la quinte ou plutôt la
douzième Sol , et tout de suite , Ut , Ut ,
Sol, Ut, Mi , & c. n'arrivant et ne pouvant
MAY. 1732. 851
vant arriver au prétendu Diatonique Ré ,
qu'au neuviéme son .
Les premiers observateurs de ce Phénoméne
, Mersenne , Kischer , Dechales , & c.
appelloient cela les Sauts de la Trompette,
prévenus que Ut , Ré, étoit l'échelle vraiment
Diatonique . Elle l'est dans l'ordre
des effets , des Phénoménes, des apparencess
mais c'est le progrès Ut , Ut , Sol , &c.
qui l'est dans l'ordre des causes , des réalitez
de la nature .
Défions- nous , si l'on veut , de tout ce
qui est artificiel; la Trompette est un ouvrage
de l'art , quoiqu'un des premiers ;
et par - là des moins suspects d'artifice et
d'altération . Ne sortons pas du sujet que
nous avions d'abord proposé .
L'art , c'est-à- dire , le maître entonne
Ut, Ré; la nature , c'est - à-dire , l'enfant
le commençant, repete Ut,Ré; c'est-à - dire,
en répete les mots , car il sçait articuler
mais il n'en répete pas les sons, parce qu'il
ne sçait pas chanter , au moins sur le ton
de l'art , car il le sçait selon celui de
la nature , et en répetant Ut , Ré , il entonne
Ut , Ut.
C'est un fait que la plupart des commençans
, sur tout ceux que les Maîtres
disent qui ont l'oreille dure et la voix
fausse , et qui selon moi , n'ont souvent
que
852 MERCURE DE FRANCE
que trop de sensibilité et de justesse d'organes
, commencent toujours par monter
à l'octave , comme la Trompette , vont de
là à la quinte , à la quarte , à la tierce , & c.
et n'arrivent au Diatonique Ut , Ré , qu'à➡
près tous ces intervalles consécutifs , et
encore même par grande déférence pour
un Maître qui l'exige du ton le plus impérieux
.
Qu'un Ecolier est à plaindre , lorsque
l'art qui le dirige n'est pas sur le ton de
la nature l'art dit Ut , Ré 3 et la nature
Ut, Vt ; quelle dissonance , quelle syncope
, quelle convulsion pour une oreille
tendre et délicate qui souffriroit à peine
dans un progrès d'harmonie une dissonance
pareille , qui seroit préparée et
sauvée dans toutes les regles , et à qui
pour premier prélude , la Musique s'annonce
par tout ce qu'elle a de plus dur ,
et cela fiérement et sans aucune sorte de
préparation.
Encore si cette dureté étoit sauvée,mais
l'art est impliable , et il exige son Ut,
Ré , jusqu'au dernier instant. La nature
peut se plier à force de crier Ut , Ré ; de
dire qu'on monte trop haut , de se fâcher,
de gronder, d'arracher des soupirs et des
pleurs; un pauvre enfant qui ne sçait pas
trop à qui s'en rapporter,se hazarde à monter
MA Y. 1732. 85$
ter encore plus haut , et après avoir longtems
rédit , Ut , Ut , il se rapproche et
attrape Ut , Sol ; mais il ne tient rien , il
revient à Ut, à Sol ; mais le temps, et l'art
l'invitant toujours à descendre , il grimpe
à Mi , se balance à Sol , à Ut , à Mi , et
un beau jour , il va s'acrocher à Ré , qui
lui échape aussi - tôt , et auquel de 2 , de
3 , de 4 ans , peut- être il ne pourra se fi
imperturbablement. xer
Car enfin c'est le vieux proverbe , que
de quelque fourche qu'on se serve pour
chasser la nature , elle revient toujours ,
et toujours sans fin et sans cesse , sans tréve
ni quartier. Elle est toujours montée à
dire ut , après ut , comme la Trompete ;
sol après le second ut ; et à moins qu'on ne
lui alt appris en apprenant d'elle-même à
ré , sur le ton où elle est montée
pour le dire ; l'art à beau crier , il ne peut
qu'effleurer les oreilles , ou tout au plus
les déchirer , et en exiger un service forcé
qu'aucune longueur de temps ne rendra
dire ut ,
naturel.
La nature est un Maître intérieur ; elle
parle tout bas, si l'on veut, mais elle est en
possession , et un enfant connoit sa voix ,
bien mieux encore que celle de sa nourde
sa mere même. Les Musiciens
eux-mêmes conviennent qu'en entendant
rice ou
cer
854 MERCURE DE FRANCE
1
certains sons , l'oreille en sousentend tou
jours d'autres. Or je crois avoir prouvé ,
sans réplique , dans les Memoires de Trevoux
, année 1722. Octobre , pag 1732. en
-dévelopant le systême de M. Rameau ,que
cette sousentente étoit une entente réelle des
sons harmoniques ut , ut , sol , & c. dans
l'ordre des nombres naturels 1 , 2 , 3 , 4 .
&c.
Enfin , car il faut garder quelque chose
pour le lendemain , j'aboutis icy à conclure
que pour déveloper la nature , ce qui
doit être l'unique but de tous les arts , il
faut la suivre au but qu'elle - même nous
indique icy d'une maniere qui n'a rien
d'équivoque .
Gardons la Méthode
Diatonique pour
les Perroquets et pour les Serins, lesquels
pourroient
peut être encore être mieux siflez,
car la nature n'a qu'un systême. Mais
pour les hommes et même pour
les enfans
, il n'est pas question d'une aveugle
routine qui prend trop de temps , et plus
que si peu de chose n'en mérite , et qui
même n'apprend rien comme il faut.
La nature a fait icy tous les frais de ce
qu'il y a de méchanique dans la chose, les
cordes sont tendues dans l'oreille , les
tuyaux diapasones dans le gosier , la Tablature,
les touches , tout l'instrument est
à
MAY . 17327
855
à son point, La nature n'a laissé à l'art ,
c'est-à - dire , à l'esprit , que la partie de
l'esprit , c'est- à- dire , l'intelligence des
sons , le rapport des tons , l'explication ,
en un mot , du systême general ut , ut ,
sol , ut , mi , sol , ut , re , mi , sol , si , ut ,
& c. qui contient tous les systêmes, diatonique
, chromatique , &c. en commençant
régulierement par l'harmonique qui
est la source féconde de tous les autres .
Voilà la méthode qui consiste à commencer
par l'harmonique , qui est le fondement
de tout, et qu'on doit bien posseder
de la voix , de l'oreille , et sur tout de
l'esprit , avant que de passer au diatonique
, lequel ne doit même venir que dépendamment
et par voye de génération à
la suite de l'harmonique : le chromatique
venant aussi à son tour , suivi de l'enharmonique
, et de tout ce que la Musique
a de plus profond.
Car pour le dire encore , une pareille
méthode mene tout de suite à la compo
sition et à
l'accompagnement , et y mene
avec une rapidité extrême ; rien n'étant
plus rapide que les progrès d'une bonne
nature qu'on a laissée , comme dormir
dans une lenteur apparente , qu'elle semble
affecter aux premiers , instans de sa
naissance ou de son
développement.
Pour
856 MERCURE DE FRANCE
Pour ce qui est de la maniere d'exécuter
ce Plan general, on va la voir dans un
petit ouvrage , où je la donne par leçons
consécutives à la portée des Maîtres et
des Ecoliers.
SONNET
Sur les Bouts - Rimez ; proposez dans le
fecond vol. du Mercure de Dec. 1731.
J
E crains plus , cher ami , Cupidon que la
Mort ,
Port
Et ses traits dangereux , que les Clous d'une Biere,
En vain pour me tenter , il me montre le
Je ne veux point sous lui commencer de Carriere
.
Du sexe, être la dupe, Amans , c'est votre Sort
La Coquete , de tout , remplit sa
Gibeciere ,
Agnès , les yeux baissez , semblable à l'eau qui
Dort "
st plus trompeuse encor , si l'on en croit Mo- Est
liere.
Fussiez- vous Adonis ; malgré son air Hagard ,
Sans cheveux , & sans dents un opulent Vieillard
,
>
Fait au coeur de la belle une vive - Apostrophe ,
FussiezMAY.
1732 857
Fassiez-vous Céladon ; un Faquin
>
Devenu Financier , vous donne échec et
Et rit impunément de votre
un pied
Plat
Mat ,
Catastrophe.
R ... Av... A Blois.
TREISIE ME Lettre , sur la Biblioteque
des Enfans.
§. 1. Sur l'Exercice de la Mémoire.
V
Ous demandez ,
MONSIEUR , si
pour exercer la mémoire d'un petit
Enfant , il est mieux de lui faire apprendre
bien des choses par coeur , ou de se
contenter de simples lectures et de quelques
opérations de l'esprit proportionées
à son âge et à sa capacité ; vous supposez
que la mémoire d'un enfant est peut être
quelquefois assez exercée par
l'attention
continuelle qu'il donne à écouter , à imiter
et à retenir les sons et les mots de la
langue maternelle. Je crois que pour bien
répondre à votre question , il faut sçavoir
en premier lieu , si l'enfant doit ensuite
aller au College , ou faire ses études
dans une maison particuliere;et en second
lieu , sçavoir à quoi les parens destinent
leur
858 MERCURE DE FRANCE
leur enfant ; car quoique les premiers élémens
des Lettres soient également necessaires
pour la bonne et la noble éducation
dans la plupart des professions, il faut
cependant convenir que le Prêtre , le Soldat
, l'Avocat , le Medecin , le Financier ,
le Marchand , l'Artisan , &c. pouroient
être conduits de bonne heure , par des
routes un peu differentes , et quand il y
auroit des Colléges , ou des Ecoles exprès
pour chacune de ces professions , il n'en
seroit peut être pas plus mal.
à
Lorqu'on sçait à quel Etat un enfant est
destiné, on fait choix des Livres qui conviennent
le mieux à cet état ; on inspire. de bonne heure et peu peu à l'enfant
les nobles sentimens de la profession qu'il
doit embrasser un jour;on le tourne toutà-
fait du côté de son devoir ; on lui parle
incessamment
du point d'honneur
de sa
profession ; on lui donne des exemples
sensibles de ceux , qui , par leur mérite et
leurs vertus , s'y sont rendus illustres ; et
enfin des exemples de ceux , qui , par
leurs vices et par leurs défauts , ont été
méprisez pendant leur vie et après leur
mort. Par là on imprime peu à peu , profondement
et souvent pour toujours , l'amour
de la vertu et les sentimens exigez
dans chaque état. Par là on donne de
l'hor
MA Y. 859
.
1732.
Phorreur pour le crime , et l'on prépare
un enfant à l'ordre habituel d'une vie réglée.
Je veux dire , par exemple , qu'on
éleve en poltron , selon le monde, un enfant
destiné à l'Eglise , pendant qu'on l'éleve
aussi en courageux martyr,selon J.C.
s'il falloit répandre son sang et souffrir la
mort pour la foy , &c . Quoique chaque
Chrétien soit dans la même obligation ,
le Prêtre doit l'exemple au laïque.
Un homme d'épée est toujours censé
homme de guerre , homme d'honneur et
de coeur ; on lui doit une éducation plus
noble , plus cavaliere , plus aisée, plus polie
, mais en visant à la perfection de son
état , elle n'est pas moins soumise aux devoirs
de la Religion .
Connoître le vrai et le faux , le juste
et l'injuste , ou le bien et le mal , les devoirs
du sujet et ceux du Prince ; avoiť
quelque idée de tout , sçavoir en cas de
besoin , ce qu'un Gentilhomme a dû apprendre
pour la gloire du Prince, et pour
le bien de l'état , être au courant des nouvelles
litteraires , historiques et politiques
, après avoir parcouru les siècles de
Fantiquité; sçavoir , enfin la Théorie et la
Pratique de ce qui a rapport à sa profession
; Voilà le but qu'on ne devroit jamais
perdre de vûë. Du temps des Hébreux
B des
860 MERCURE DE FRANCE
des Grecs et des Romains, le même homme
pouvoit servir de Soldat pendant la
guerre , et de Juge pendant la paix ; aujourd'hui
à peine veut - on se rendre bien
capable de l'une de ces deux professions ,
mais venons à la question .
Quand il sera temps d'exercer la mémoire
d'un Enfant , on ne doit pas le
charger beaucoup par jour , il lui faut
donner peu de leçons , mais il est bon de
continuer sans interruption et d'ajouter
les leçons les unes aux autres , pour faire
réciter la semaine et le mois , afin de connoître
et de cultiver la mémoire à proportion
de l'âge et des forces de l'enfant;
l'essentiel est de bien choisir les sujets et
de tenir l'enfant en haleine , autrement
c'est du temps perdu , parce que la moindre
maladie , la moindre absence , et le
moindre relâchement , obligent toujours
à recommencer; c'est pourquoi la plupart
des enfans ne sçavent ensuite presque rien ;
avec eux on ne peut compter que sur l'habitude
contractée par la continuelle réïtération
des actes , selon la méthode du
Bureau tipographique .
و
Je ne crois pas,au reste, qu'il faille char :
ger la mémoire d'un Enfant de plusieurs
longues Prieres , ni d'aucun grand Catechisme
; on doit se contenter du petit Catéchisme
MAY . 1732. 861
techisme du diocèse ; il est aisé de l'alonger
par les explications que l'on aura soin
d'en faire à l'enfant , à propos et dans les
Occasions favorables. On peut faire lire de
grands Catéchismes et des Catéchismes
historiques , par demandes et par réponses
, sans obliger de les apprendre par
coeur et mot à mot ; il suffit de les faire
bien comprendre et d'en faire retenir le
sens et les choses plutôt que les termes ;
on voit bien des enfans de huit , de dix
à douze ans , oublier les centaines de pages
apprises inutilement par coeur ; on
doit instruire l'esprit en cultivant la mémoire
et ne pas s'en tenir à la méthode
de ceux qui ne sçavent que faire réciter
la leçon donnée à un enfant ; c'est une erreur
de s'imaginer qu'un enfant n'est capable
que de mémoire; il est bon de l'exercer
à retenir un fait , une Fable , un Conte
, après en avoir fait la lecture , mais
on doit tâcher de le lui faire rendre su
le champ , sans l'asservir aux mêmes termės.
Des critiques du Bureau et zélez partisans
des Méthodes vulgaires , ayant fait
de leur mieux pour prouver à une Dame
que les Méthodes et les Réfléxions étoient
nuisibles à la santé des petits enfans; certè
bonne mere , trop crédule , a ôté le Caté-
Bij chisme
862 MERCURE DE FRANCE
chisme au sien , et en a différé l'usage
pour une autre fois , s'imaginant qu'il est
plus difficile , et parconséquant plus dangereux
de faire passer le catéchisme abstrait
à l'esprit par l'oreille , que d'y faire
passer l'A , B , C , matériel et sensible
par les yeux. Cette mere me rappelle celle
dont on blâmoit, avec raison , la criminelle
indulgence qu'elle avoit pour les excès
vicieux de son fils , et qui répondit ,
en parlant de son enfant, qu'il soit ce qu'il
voudra , pourvu qu'il vive. Le Lecteur.
voit facilement l'erreur et la fausseté de
ces sortes de maximes , mais il ne voit pas
toujours également à qui en est la plus
grande faute. Il est vrai que les Méthodes
et les Catéchismes demandent beaucoup
de réfléxions de la part des bons Maîtres,
mais il n'est pas également vrai que ces
bons Maîtres exigent d'abord d'un petit
enfant aucune application ni aucune réfléxion
pénible dans l'exercice litteraire ,
ni dans l'articulation , ou la récitation de
ses Prieres et de son Catéchisme. On ne
songe pour lors qu'à semer, et l'on attend
peu à peu et à proportion de l'âge, le dévelopement
, la suite et la liaison des
idées , on attend ainsi l'action de réflé
chir , avec l'intelligence des mots et des
choses , ajoutez à cela que l'objection ,
tirée
MAY. 1732: 867
tirée du côté de la santé du corps est nulle
, quand il s'agit de l'instruction chré
tienne , nécessaire à tous les enfans sains
ou malades , de quelque état et de quelque
condition qu'ils puissent être.
La lecture des Livres historiques de la
Bible , celle des Métamorphoses d'Ovide
et des Fables d'Esope , exerceront agréablement
un enfant , les images parlent
aux yeux , et les discours aux oreilles ; il
faut donc faire bien remarquer les exemples
sensibles des vices et des vertus , et
apprendre à l'enfant à juger sainement de
chaque chose; ilen est capable à tout âge;
l'opération du jugement est l'exercice essentiel
qui influe le plus dans toute la vie,
et c'est ordinairement celui qu'on exige
le moins dans un simple Précepteur ; en
quoi les parens ne font pas mieux , ils
devroient être plus éclairez et plus délicats
sur cet article . Il est donc inutile de
faire apprendre par coeur mille choses méprisées
dans un âge avancé , mais on peut
cultiver la mémoire en apprenant des
choses que l'on peut utilement réciter
toute la vie , comme des Sentences , des
Maximes de la Bible , de l'Imitation de
J. C. et de plusieurs autres bons Livres ,
saints ou prophanes , consultant toujours
les forces et le gout de l'enfant.
Biij Quand
894 MERCURE DE FRANCE
Quand l'enfant verra et expliquera les
Auteurs Latins , doit- on l'asservir chaque
jour à en apprendre des leçons par
coeur, en Prose et en Vers ? Il semble que
dans les Colléges où l'on est obligé de
faire travailler , pour ainsi dire , à la toise
, cette Méthode soit absolument nécessaire
; d'ailleurs , en cultivant la mémoire
on peut former peu à peu le gout des enfans
sur celui des Auteurs qu'ils voient..
Dans les Etudes particulieres et domeștiques
, il est encore bon de faire apprendre
les plus beaux endroits des Auteurs ,
mais on doit en faire un bon choix et ne
pas s'asservir au courant du Livre , ainsi
qu'on le pratique dans la plupart des Ecofes.
On doit viser à bien employer letems
et à remplir de bonnes idées la tête de
L'Ecolier , qui n'apprend guére.que des
mots , selon l'usage vulgaire.
Que fait ordinairement un enfant après-
Io ou 12 ans de College , on dit qu'il y
apprend seulement la maniere d'étudier ,
il est vrai qu'il pourroit et qu'il devroit.
même y avoir appris cette maniere , mais ,
le grand nombre en sort comme des Galeres
et pour renoncer aux Etudes. Est - ce
là le fruit d'une bonne Méthode ? J'ai
qui dire à un jeune Seigneur , sur la fin
de sa Rhétorique, qu'il auroit mieux aimé .
Cou
MAY 173.2. 865
coucher sur le sable d'un Manége , que
dans le meilleur lit de son Collége. Il en
parloit comme du lieu le plus haïssable ,
et ne pouvoit pas comprendre comment
ses parens avoient eu le courage de le laisser
croupir si long- temps dans le même
endroit, pour y apprendre si peu de chose
; au lieu de lui avoir donné plutôt une
éducation Militaire et digne de sa naissance.
Jecr oi qu'un Enfant pourroit bien exercer
sa mémoire , sans apprendre par coeur
des pages de Latin et de François, en Prose
ou en Vers ; je ne voudrois exiger régu
lierement cet exercice que quand il commence
de sentir et de gouter les morceaux
choisis qu'on voudroit lui faire ap
prendre , c'est -à- dire , pour le plutôt en
cinquième et en quatriéme ; je ne veux
pas dire par-là qu'il ne doive rien appren
dre avant ce temps-là ; mais je ne vou
drois exercer sa mémoire que sur des
choses agréables et qui ne lui inspirassent
jamais la haine ou le dégout qu'ils font ordinairement
paroître pour les Maîtres et
pour les Livres. Je m'en rapporte volon
tiers à l'expérience des meilleurs Maîtres ,
qui , bien loin de gêner les enfans dans
leurs premiers exercices, ne leur montrent
que des objets atrayans et instructifs , pro-
Biiij. por86%
MERCURE DE FRANCE
portionnez à leur gout et à leur âge.
N'est- ce pas abuser de l'enfant que de
l'obliger d'apprendre
par coeur et à coups
de verges de grandes leçons qu'il ne comprend
point , et que bien souvent le Maî
tre ne pourroit expliquer lui -même,comme
la doctrine de plusieurs Rudimens en
Latin et en François , sur les Parties du
Discours , sur les Concordances et sur les
termes bizarres et inintelligibles de Gérondif
et de Supin , &c. Il est bon de faire
apprendre ces termes d'usage avec les
conjugaisons des Verbes , mais il est inutile
de raisonner beaucoup avec lui sur
des mots qu'on n'entend pas bien en sortant
de Philosophie. On doit avoir beaucoup
de discrétion pour la foiblesse des
enfans , et ne pas imiter la simplicité de
cette bonne mere , qui prenant soin ellemême
de la premiere éducation de son
fils , lui fit apprendre par coeur l'Avis au
Lecteur , et ensuite le Privilege du Roy,
imprimez à la tête du Livre.
Je ne sçais , au reste , lequel on doit le
plus admirer,de la simplicité de cette bonne
mere, ou de la Méthode de ce même Rudiment
, dont l'Editeur , entre le Privilege
et la premiere Déclinaison , donne par demandes
et par réponses , l'explication et
la définition des noms , des cas et de l'ar
ticle
MA Y. 1732. 867
ticle hic , hac , hoc , qu'il met sans François,
afin de le marier ensuite avec Musa
( la Muse ) & c. et Penelope ( la femme
d'Ulisse ) &c. et qu'il donne avec ce Titre
judicieux : Méthode pour bien apprendre
aux enfans à décliner les Noms ; car d'ordinaire
ils les déclinent sans sçavoir l'origine
de ce Verbe, Décliner, et apprennent le Latin
plutôt par routine , qu'àfond. Ce Rudiment
fait par un P .. D. L..C. D. J. et
qui est peut-être un des plus gros et des
plus complets en Latin et en François , a
été bien imprimé à Grenoble , chez Jean
François Champ en 1717.
J'ai rapporté ce fait et cet exemple
pour faire voir que l'ordre Théorique
des Livres n'est pas toujours le meilleus
à suivre , en conduisant et en dirigeant
les enfans ; car le plus habile homme
du monde ne fera jamais comprendre
à un enfant ce que c'est que Décliner et
Conjuguer , à moins qu'il ne pratique les
Déclinaisons et les Conjugaisons, et qu'il
ne rende sensibles les exemples à mesure
Penfant déclinera et conjuguera ,
comme on le fait pratiquer sur la Table.:
du Bureau Typographyque , et en suivant
l'essai du Rudiment pratique de la
Langue Latine . Un enfant n'est- il pas bien
avancé lorsqu'il sçait que décliner , vient
que 9.
B. Y
dia
868 MERCURE DE FRANCE
du mot declinare. Avec cette sçavante etprofonde
définition , un enfant appren- i
dra-t-il le Latin à fond , plutôt que par routi- ·
ne ? Et quand il l'apprendroit par routine,
comme sa propre Langue , en seroit- ce
plus mal ?
L'Enfant destiné au Collége , doit être
montré autrement que celui qui doit faire -
ses études dans la maison paternelle. Le
premier apprendra son Rudiment par
coeur , il sera exercé pour répondre à certaines
questions d'usage scolastique , et
pour composer en Latin quelques petites
Frases ; en un mot , il doit remplir sa mé...
moire , d'une maniere à pouvoir subir
l'examen préliminaire qui donne l'entrée
des Classes. L'enfant qui reste chez lui
peut mieux employer son temps ; il s'agit
moins de le faire paroître et dele faire ré- ..
pondre en Perroquet , que de le rendre .
réellement fort sur ses petits exercices.Je
croi cette distinction absolument necessaire
, parce qu'il pourroit arriver qu'un
enfant de 7 à 9 ans , tres capable dans sa
maison , scachant bien lire le Latin , fe .
François et le Grec , sçachant l'Histoire
et la Fable ; sçachant un peu expliquer
Phédre , ou quelque autre Auteur , seroit
néanmoins condamné dans un College à
passer au Marmoutier , ou à la Classe des
enfans
MA Y. 1732. 869
enfans qui apprennent à lire ; et cela ,
pour n'avoir pû mettre en Latin une petite
Frase et n'avoir pû répondre à l'Examinateur
qui lui auroit demandé , par
exemple, (audire ) ne se trouve- t- il point en
plus d'un ou de deux endroits ?Surquoi il est
bon d'observer deux choses ; la premiere,
que l'abus de communiquer les demanet
les argumens , regarde les Philosophes
et les Théologiens , plutôt que les
petits enfans ; la seconde , que bien des
Regens , pour décrier les Méthodes particulieres
et relever leur Méthode vulgaire
, refuseront à un enfant assez avancé,
le témoignage qu'ils accorderont à d'autres
enfans moins habiles, quant au fond ,
mais mieux au fait de l'articulation sco---
lastique , c'est pourquoi il faut opter entre
ces deux Méthodes.
Mais l'éducation publique doit- elle
être préférée à l'instruction domestique.
et particuliere ? On peut lire là - dessus
Quintilien et M. l'Abbé de S. Pierre ; en
attendant , voici la réponse du sçavant et
zélé Professeur M. R. ancien Recteur de
l'Université, dans l'article second , du gouvernement
des Colleges , pag. 418. Delamaniere
d'enseigner et d'étudier les Belles Lettres
, par rapport à l'esprit et au coeur , tom.
4. Pendant tout le temps que j'ai été
Bvj
"
chargé
870 MERCURE DE FRANCE
» chargé de l'éducation de la jeunesse ,
>> parfaitement instruit des dangers qui se
>> rencontrent et dans les Maisons parti- .
culieres, et dans les Colléges , je n'ai jamais
osé prendre sur moi de donner con-
» seil sur cette matiere , et je me suis con
».tenté de m'appliquer avec le plus de
» soin qu'il m'a été possible , à l'instruc-
» tion des jeunes gens , que la divine Pro-
» vidence m'addressoit. Je crois devoir
» encore garder la même neutralité et lais-
» ser à la prudence des parens à décider
» une question , qui soufre certainement
» de grandes difficultez de part et d'autre.
La neutralité de M. Rollin . semble décider
la question.
On lit dans le livre du R. P. Jean Croiset
, de la Compagnie de Jesus , que
La
jeunesse , comme plus susceptible de venin
ne sedeffend jamais de la contagion, et qu'une
assemblée de jeunes gens, tant soit - pen négli
gez, est une pernicieuse Ecoles etyfit -on,
s'il est possible , quelque progrès dans les
Lettres , on y fera toujours une terrible perte
pour les moeurs . Reglement pour M M. les
Pensionnaires des Peres Jesuites du Col
le de Lyon , 2. édition , p . 47. p . 65
C'est donc aux parens à bien examiner
devant Dieu quel parti ils doivent prendre,
à balancer équitablement les avans .
tages
ΜΑΥ.
退
\ 1732 .
rages et les inconveniens qui se rencontrent
de part et d'autre , à faire un bon
choix de Colleges ou de Maîtres. Si les
Colleges paroissent tant soit peu négligez
, la contagion et la peste étant plus
probables dans les Ecoles publiques que
dans la maison paternelle , il sera encore
aisé de décider la question , mais si les
Colleges sont tels qu'ils devroient être
ou selon le Projet de M. l'Abbé de Saine
Pierre , ils sont peut- être pour lors préferables
pour le plus grand nombre des enfans
destinez à l'Eglise ou à la Robe.
§ . Sur le Rudiment du Bureau Tipographique.
Bien des personnes de mérite , Monsieur
, ayant vû l'exèrcice du Bureau Tipographique
, ont dabord avoué que pour
les premiers élémens des Lettres , pour la
lecture et pour l'ortographe des lettres
et des sons , il n'avoit paru jusqu'icy rien
de plus amusant , rien de plus instructif
ni de plus parfait ; mais quelques - unes de
ces mêmes personnes ayant d'abord donné
toute leur attention aux trois premieres
classes du Bureau , ont cru devoir
suspendre leur jugement sur les avantages
du Rudiment Pratique de la quatriéme
classe du même Bureau. On se flateneanmoins
qu'avec un peu plus d'attention
7
872: MERCURE DE FRANCE
par
tion > ces personnes trouveront facilement
la superiorité du Rudiment Pratique
sur tous les autres Rudimens . On
verra qu'il y a même rapport , même
principe et même difference entre la maniere
d'enseigner le Rudiment vulgaire
et celle de montrer l'usage du Rudiment
Pratique , qu'il y a entre la maniere de
montrer à lire la Méthode vulgaire ,
ou de montrer à lire par la Méthode et
F'exercice du Bureau Tipographique . On
conviendra facilement de cette verité , si
l'on veut lire avec attention la huitiéme
Lettre inserée dans le Mercure du mois
de Janvier 1731. sur les avantages du
Systême Tipographique , et si l'on veut
parcourir la Brochure qui se vend chez :
Pierre Witte , rue S. Jacques à l'Ange
Gardien , intitulée , Réponse de M. Perquis
, &c. et si l'on veut observer que les
soixante cellules du Rudiment Pratique
sont l'abécé de la Langue Latine , comme
les soixante Logettes de la seconde
classe du Bureau , sont l'abécé de la lec
ture et de la Tipographie ; même ordre
même disposition , même mécanique
même operation , même coup d'oeil , et
enfin même avantage. La Méthode du
Bureau peut mettre , sur la Version et
sur la composition interlinaire , un enfant
MAY.' 17327 873
fant de quatre à six ans , le même jour
qu'on le met à l'abécé , puisqu'il n'est
pas absolument necessaire de sçavoir lire.
pour être en êtat d'imprimer la copie
donnée sur une carte. Exemple.
{
Dominus Dominorum .
Le Seigneur des Seigneurs .
Le Seigneur des Seigneurs .
Dominus Dominorum.
Or , par là Méthode vulgaire , quel
parti peut-on tirer d'un enfant qui ne
sçait pas lire ? Il y a plus , on attend ensuite
qu'il sçache un peu écrire , pour lui
faire pratiquer sur le papier les Rudimens
dont on lui a rempli ou embroüillé la
tête , au lieu que l'enfant du Bureau
sans être pressé de se gâter la main pour
Pécriture , pratique réellement sur la ta
ble de son Bureau , les regles des Rudi
mens , des Concordances et de la Sintaxe.
Il est lui-même l'Artisan d'un Ouvrage
très-instructif , ce que la Méthode vul
gaire jusqu'à ce jour n'a jamais pu mon
trer si - tôt ni si bien , ni d'une maniere
si amusante ou moins rebutante.
On n'est pas surpris , au reste , d'entendre
déclamer contre le Rudiment Pratique
, certains Regens , prévenus et plus
interessez ou plus sensibles à la vente de
leurs petits Ouvrages de Grammaire
20
9
qu'à
874 MERCURE DE FRANCE
qu'à l'avancement du bien public dans la
premiere institution de l'enfance . On
croit même faire grace aux mauvaises critiques
en les taxant d'ignorance ou de
prévention , plutôt que de mauvaise foi ;
le Public en jugera . Enfin ceux qui se
picquent de justesse dans le raisonnement
n'ont qu'à supposer d'un côté un enfant
de trois ou quatre ans mis à l'abécé et au
Rudiment vulgaire , et de l'autre côté ,
supposer un enfant , qui avec son Maître
imprime , range et pratique sur la table,
de son Bureau , les parties d'Oraison dont
on lui montre d'abord les Logettes et l'usage
, et l'on sera pour lors forcé d'avouer.
que la Méthode du Bureau doit l'empor
ter sur la Méthode vulgaire , puisque l'enfant
du Bureau , avec tous les avantages
des Méthodes vulgaires , a de plus les
avantages du Systême Tipographique.
Nota .Les Poëtes et les Orateurs ayant été
invitez à chanter et à celebrer l'heureuse
Naissance de Monseigneur le Dauphin
it semble qu'il ne seroit pas mal à present
d'inviter les Grammairiens , les Philosophes
et les Méthodistes , à donner leurs
idées , leur Systême , et à travailler , de
concert ou à l'envi , aux matériaux necessaires
pour faciliter et perfectionner
Pinstitution , l'instruction ,l'éducation et la
-6
fór
MA Y. 1732.
875
formation du jeune Héros , heritier présomptif
de la Couronne de France. J'ai
l'honneur d'être , & c .
A Paris , ces. Decembre 1731 .
PARODIE de la premiere Ode d'Horace
à S. E. M. le Cardinal de Fleury..
Espoir
des bons et le mien
Si ce n'est impertinence ,
De se mettre en concurrence-
Avec tant de gens de bien. )
Cardinal , dont les épaules ,
A supporter un grand poids ,
Par son seul et digne choix ,
Aident au Maître des Gaules ;
Pour délasser un moment
L'Atlas que chargent nos Poles ,
De mes simples babioles ,
Prenez en gré l'enjoüment ,
Et souffrez que je vous trace
En traits marquez et suivis ,
De l'ingenieux Horace ,
Le Mecenas atavis.
ODE
$76 MERCURE DE FRANCE
Seigneur ,
O D E.
Eigneur tous tant que nous sommes
Chaque esprit a ses objets ;
Chaque coeur chez tous les hommes ,
Forme differens projets :
L'ambition dominante ,
Est des Grands qu'elle régente ,.
La fougueuse passion ,
Pendant que la Petitesse ,
Soupire après la Richesse ,
Ou la réputation.,
L'un , qui d'un desir modeste ,
N'eut jamais le coeur atteint ,
Voudroit voir- briller sa veste
Du Portrait de l'Esprit Saint.
Une secrete amertume ,
Le devore et le consume ;
C'est sa tribulation ,
De voir cet honneur sublime ,
Orner des gens qu'il estime
D'une moindre extraction.
L'autre respire la guerre ;:
C'est son ébat , c'est son jeu;
Aux quatre coins de la Terre ,
IF
MAY.
1732.
877
I brule de voir le feu.
La longue Paix qui nous berce ,
Est une longue traverse ,
Pour son esprit martial ,
Qui ne méditant que Palmes ,
Se promet en temps moins calmes ,"
Un Bâton de: Maréchal..
Ce troisiéme qui s'adonne ,
A des desseins plus pieux ;
C'est un suppôt de Sorbonne ,
Beau parleur , air gracieux : -
Approuvé de l'Ordinaire
H se fourre dans la Chaire ,
Habile homme et prêchant mal ,
Et flatant sa suffisance ;
Pour sa moindre récompense ,
D'un riche Anneau Pastoral..
Vous , que les doctes Pucelles ,
N'ont point honte d'ennuyer ,
Leurs promesses infidelles ,
Ne tendent qu'à vous jouer ;
Montez sur vos grands Cothurnes ,
De vos fatigues nocturnes
Les fruits seront corrompus ;
Car malgré vos longues veilles ,
Des
178 MERCURE DE FRANCE
Des Racines , des Corneilles ,
Les grands moules sont rompus.
Celui- cy paroît plus sage,
Qui se picquant moins d'esprit
Ne donne qué sur bon gage ,
Les sornettes qu'il écrit . ~
Tout coup vaille ; rien n'importe ;
Pourvû qu'on paye à la porte ,.
Tout lui semble indifferent ;.
Permis à de plus habiles ,
De fronder les Vaudevilles ,
De la Foire S. Laurent.
Tel d'une Idolé adorée ,
Fait tout son amusement , -
Et des jeux de Cytherée ,
Son plaisir et son tourment.
Tel autre dans sa misere ,
Croupit et se desespere ,
Pour entasser force écus
,
;
Pendant qu'un Beuveur se flatte ;
De trouver Perse et Surate
Dans la Tonne de Bacchus.
* Allusion à la maniere des Hollandois de
compter les richesses par Tonnes d'or. Surate est un
Port fameux du Mogol , où se fait le plus riche
Commerce de l'Orient.
J'aurois
MAY. 879
1732.
J'aurois , Seigneur , trop d'affaires ,
Si j'essayois d'imiter ,
Tous les divers caracteres,
Qu'Horace aime à debiter ;
Cette stérile abondance ,
Lasseroit la patience ,
Et me rendroit odieux,;
Pour acquerir quelque estime ,
Le sage Orateur supprime ,
Tout verbiage ennuyeux.
O que j'aurois d'éloquence ,
S'il m'étoit permis un jour ,
De détailler à la France ,
Votre zele et votre amour ?
Mais quoi ! votre modestie ,
Prendroit ma Muse à partie ,
Et la feroit échouer.
Fiere vertu , qui s'offense
Et nous impose silence ,
Quand nous osons vous louer.
Mais tandis que je me tuë ,
A rimer , tant bien que mal ,
Je sens que je perds de vuë ,
Mon charmant Original.
Notre Horace à son Mecens રે
Sou880
MERCURE DE FRANCE
Soutient que de l'hyppocrene ,
Le bien seul l'enrichira ,
Et qu'un homme qui s'applique ,
A devenir bon Lyrique ,
Aux Etoiles touchera.
Pour moi qui du cher Parnasse ,
Me suis toujours défié ,
Comme on fait d'un tas de glace ,
Où l'on affeoit mal son pié ;
Mon Style le plus superbe ,
Fût- il Racan ou Malherbe ,
Mes plus pathétiques traits ,
N'ont jamais eu la puissance ,
D'augmenter mon opulence ,
D'une charge de Cotrets .
Souhaitons par compagnie ,
Non pas ,
illustre FLEURY ,
D'Euterpe ou de Polymnie ,
D'être estimé favori :
Ma Muse est bien plus discrete ;
Mais tout ce qu'elle souhaite ,
Son unique ambition ,
C'est , dans cette âpre froidure ,
D'obtenir une doublure ,
Pour ma mince Pension .
Que
MA Y.. 882
1732.
Que si vous m'êtes propice ,
LOUIS , le meilleur des Rois ,
Par faveur ou par justice ,
Ecoutera votre voix ;
Remontrez- lui , grand Ministre ,
Que l'hyver sera sinistre ,
Pour les Vieillards.catherreux ;
Pour qui les severes Parques ,
Ont cotté sur leurs Remarques.,
Huit fois dix et cinq fois deux.
DE SENECE.
Cette Ode a été suivie d'un succès tel
que l'Auteur le desiroit.
************:* : **
MEMOIRE au sujet d'un nouveau
Calendrier.
Oicy un Ouvrage qui a été déposé
par l'Auteur à la Bibliotheque de
Vo
l'Abbaye Royale de S. Germain des Prezlez
- Paris , dont la Reconnoissance a été
donnée par les RR . P P. Dom Martin
Bouquet et Louis Lemrault , Bibliothe
quaires , le 20. Avril 1732.
DE '
882 MERCURE DE FRANCE
DECOUVERTE faitepar un travail
consommé.
CREATION d'un nouveau Calendrier
pour toutes les parties du Monde , composé
par le calcul Astronomique , dont le
point a été pris l'année d'une grande
Eclipse de Soleil , arrivée en 1706. sous
notre Hemisphere , qui accorde l'Ecclesiastique
, le Civil , les Conciles et le sentiment
des PP. de l'Eglise. Cette Découverte
peut servir non - seulement pour
l'Eglise Romaine , mais encore pour
Toutes les Nations de la Terre , de toutes
sortes de Religions dans l'un et
l'autre Hemisphere. Rien de plus clair
et de plus simple dans son principe lorsqu'on
l'a trouvé. Rien de plus obscur, de
plus composé et de plus difficile quand
on le cherche.
L'Auteur de cet Ouvrage prie tous les
Astronomes du siecle , de lui faire l'honneur
de venir à la Bibliotheque de l'Abbaye
Royale S. Germain , pour être présens
à ce qu'il démontrera en public , il
y aura , dit-il , deux Assemblées par Semaine
; sçavoir , les Lundis et Vendredis.
11 est penetré des devoirs sacrez qu'il
doit à sa Religion , au Roy et à sa Patrie,
à laquelle il est attaché comme l'Epouse
la
M A Y.
1732.
853
la plus fidelle et la plus vertueuse l'est
à son
Epoux.
L'Auteur ne veut pas aller chercher
une fortune ailleurs , il espere la trouver
dans le sein de sa Patrie , et il ne veut jamais
s'en séparer .
Il prie Messieurs de l'Académie Royale
des Sciences et tous les Sçavans en ce
genre , d'honorer les Assemblées de leur
présence > pour être témoins de ce que
' Auteur démontrera ; il promet de développer
des choses qui n'ont pû être acquises
que par un travail consommé ,
ce qui produira les effets qu'il annonce
dans tous les siecles passez , présent et à
venir.
L'Auteur s'oblige de répondre sur le
champ , en présence de l'Assemblée , à
toutes les difficultez imaginables , de quelle
nature qu'elles puissent être , concernant
la matiere qu'il traite , sans apporter pour
excuse qu'il n'avoit pas prévû la difficulté
qu'on lui fait. Outre les Assemblées , of
peut le consulter en particulier tous les
jours à la Bibliotheque de S. Germain , où
tous les Sçavans seront bien reçûs depuis
9. heures du matin jusqu'à rr . et depuis
3. heures après midi jusqu'à 6. heures du
soir , il expliquera toutes les difficultez
qu'on pourra lui opposer.
C Voici
$ 84 MERCURE DE FRANCE
Voici deux Observations faites par deux
celebres Astronomes dans les deux Hemispheres
, l'année d'une grande Eclipse
de Soleil , arrivée en 1706. qui sert de
point fixe.
L'Epacte Astronomique de notre Hemisphere
a été calculée sous le méridien de
Mantoüe en Italie , où l'Auteur étoit pour
lors ; cette Epacte s'est trouvée suivant le
calcul de l'Eclipse de 16. p. 15. h . 28" 45" ,
elle con- vient à tous les Méridiens de notre
Hemisphere , et c'est par cette Epacte
qu'il est remonté jusqu'à la Naissance de
J.C.et ensuite il est descendu jusqu'à 6400 .
ans pour avoir la découverte complete.
Suivant le calcul d'un Astronome de
l'autre Hemisphere , l'Epacte Astronomique
a été trouvée de 17. p. 8. h. 31'15 "-
Nous prenons pour point fixe le 23. Mars
dans l'une et l'autre Partie du monde , et
nous cherchons la nouvelle Lune la plus
proche de ce point que nous trouvons le
14.Mars,ce 14. étoit un Dimanche , le plein
de la Lune étoit le 27. Mars , ce 27. étoit
un Samedy, la Lune étoit dans son 14 .
et le 28. étoit un Dimanche , qui , selon
les Chrétiens , est la vraie Pâque.
Tous ces points sont égaux à ceux de
notre Hemisphere , puisqu'ils s'accordent
en tous sens, l'Epacte Astronomique étant
de
MAY.
1732. * 85
de 16. p. 15. h. 28 ' 45 ". suivant le Civil
on doit compter 17. d'Epacte , à cause
-que les heures qui suivent les jours passent
12. heures on compte un jour civil,
parce que le jour astronomique anticipe.
sur le jour civil , afin de s'approcher toû
jours de plus en plus de l'Equinoxe et de
faire accorder les deux
Hemispheres.
,
On prie les Astronomes de faire at
tention à ce que l'Auteur découvre. Il
démontrera par le même principe quel
quantiéme a été celebrée la premiere Pâque
du Christianisme ou pour mieux
s'expliquer , il démontrera la Pâque qui a
été celebrée il y a 169 8. ans , qui est l'an
34. de J. C. qui selon les Chronologistes
Sacrez , est l'an que J. C. est mort ;
suivant notre Hemisphere l'Epacte astronomique
étoit de 24. j . 6. h. 58' 29 " . la
nouvelle Lune la plus proche du 23 Mars
étoit le 6. Avril , qui se trouvoit un
Jeudy , parce que l'an 34 la Lettre Dominicale
étoit A. le plein étoit le 19. Avril ,
qui tomboit un Mercredy ; la Lune étoit
ce jour - là dans son 14. le Vendredy- Saint
étoit le 21. Avril , et le Dimanche sui
vant étoit le 23. Avril pour la premiere
Pâque du Christianisme.
C'est par cette raison que l'Eglise a
teglé que le plein qui seroit le plus proche
Cij
de
886 MERCURE DE FRANCE
6
,
de l'Equinoxe seroit le plein de la Lune
Pascale , et que le Dimanche immédiatement
après, seroit la Pâque des Chrétiens ;
mais lorsque le plein tomberoit un Dimanche
, pour ne pas faire la Pâque avec
les Juifs , on la remettroit toûjours au Dimanche
suivant , pour suivre une conformité
et une regle précise dans tout le
Christianisme ; et afin que toutes les Nations
de la terre suivent cette regle , il
faut donc donner un calcul infaillible
qui ne s'écarte en rien du vrai , de la maniere
que l'Auteur le démontre.
6
Il donne un Calcul , non - seulement
pour toute l'Europe , mais encore pour
toutes les parties de la Terre ; dans lautre
Hemisphere l'Epacte Astronomique
de l'an 34. de J. C. est de 23.j. 17. h.
1'31 " , égal à 24..jours pour le civil, qui
donnera les nouvelles et pleines Lunes
Paschales , et si la Religion Chrétiennee.y
étoit établie , on celebreroit la Pâque
le même jour qu'ici .
1 .
On prie les personnes consommées en
Astronomie et dans la matiere en question
, de faire l'honneur de répondre à
Auteur , il donnera tous les mois quelque
chose de nouveau et de très - interessant
, qu'il espere être bien reçû du
Public. Il y a près de trente ans que
cet
MAY. 17320 887
cet Auteur vit dans l'obscurité , il est
témps qu'il se fasse connoître avec son
Ouvrage.
L'AMOUR,
ODE..
A. M. L. M. D. F.
Tandis qu'au milieu des merveilles ,
Dont Flore vient charmer nos yeux ;
Je puis affranchir mes oreilles ,
Des cris du Plaideur ennuyeux ;
Dieu de Paphos , mon premier Maître ,
Approchez , faites disparoître ,
Ces Fantômes encor errans ,
Et vous , ô filles du Permesse ,
Portez-moi cette aimable yvresse
Qui s'empare de tous les sens.
Mais quoi , vos riantes images ,
M'environnent de toutes parts ,
Je vois fuir parmi les nuages ,
La Chicanne aux sombres regards,
Dieux ! quelle agréable chimere !
Je marche sur les pas d'Homere
2
Ciij
Dans
888 MERCURE DE FRANCE
Dans le pays des fictions.
Ah ! j'entens sa Lire charmante ;
En peignant les Heros du Xante ,
Il excuse mes passions.
Je vois les Dieux dans cette guerre .
'A la honte de leurs Autels ,
Quitter le séjour du Tonnerre ,
Pour combattre avec les Mortels.
Sous ses Tentes le grand Achille ;
Desormais guerrier inutile ,
Cede aux feux dont il est épris..
Ce Heros abattu , sans armes ,
Baignant son Casque de ses larmes ,
Est aussi foible que Pâris.
Je vois la Grece conjurée ,
Bravant et Neptune et les Vents ,
Sous les ordres du fils d'Atrée
Faire marcher ses Combattans .
On poursuit Heleine fuyante ,
Une Nation menaçante ,
Ne respire que son retour ;
Le fer brille , je vois la flamme ;
Et l'embrasement de Pergame ,
Est un Holocauste à l'Amour.
2
Dans
MAY. 889 1732.
Dans ces Peintures magnifiques ,
Je trouve des consolateurs ;
J'apperçois dans les coeurs antiques ,
Les égaremens de nos coeurs ;
Je crois mes transports légitimes ,
Quand je vois des Héros sublimes ,
De l'Amour éprouver les coups ;
Et lorsque mon ame est saisie ,
Des accès de la jalousie ,
Je sçais que les Dieux sont jaloux.
2
Nos coeurs instruits par la Nature ,
Dieu d'Amour te sont destinez ;
Ceux qui veulent te faire injure ,
En deviennent plus forcenez,
..
Un coeur orgueilleux et sauvage ,
Esclave en fuyant l'esclavage
Par son humeur est combattu ;
A l'aide d'un brutal caprice ,
11 devient l'azile du vice ,
Croyant l'être de la vertu.
Toutefois aux bords de Cythere ,
Nourri dès mes plus jeunes ans ,
J'abhorre une ame mercenaire ,
Qui fait trafic de sentimens ;
Ennemi des lâches souplesses ,
C iiij
L'art
890 MERCURE DE FRANCE
L'art des Circez Enchanteresses ,
N'a
point corrompu ma bonté ,
Vous le sçavez , sage Uranie ,
Mes Vers même , enfans du génie
Ont le Sceau de la Verité.
Mais de l'Amour et de ses charmes
Que sert de vous entretenir !
C'est un malheureux que mes larmes ,
Près de vous n'ont pû retenir ,
Voyez ce Dieu l'aisle baissée ,
Tenant une Fleche émoussée ;
Le Temps déchire son Bandeau ,
Voyez les Graces gémissantes ,
Ranimant dans leurs mains tremblantes ,
Les vains restes de son flambeau.
A Grenoble le 15. Avril 1732 .
శ్రీ శ్రీ
京东吳鼎鼎鼎鼎鼎免鼎鼎鼎鼎鼎急急急管鼎鼎急急常の
WAMPIRS , fait singulier et des plus .
extraordinaires , s'il est vrai.
Oicy le rapport des Chirurgiens
V. pur ce s'est Impériaux , sur ce qui s'est trouvé
en Servie au Village de Médugion , sur
les Frontieres de la Turquie , au sujet des
Wampirs; c'est le nom qu'on donne en
ce
MAY . 1732. 891
ce Païs , à des gens , qui après leur mort
viennent , dit- on , sucer les vivans.
Sur l'avis qui fût donné que dans le
Village de Médugion , certains Wampirs
avoient fait mourir quelques personnes
en les suçant. J'ai été envoyé sur les
lieux par l'ordre du Commandant de ces
quartiers, pour examiner la chose à fond
avec deux Officiers et deux Chirurgiens ,
commandez , à cet effét ; et j'ai fait l'in
formation suivante , en présence de tous
les Chefs du Village , du Gerschita , Càpitaine
des Haiduchs, du Hadnach , du Fariala
, et des plus anciens Hayduchs du
village , ce qui s'est passé en cette maniere :
3
Après les interrogatoires requis , tous
les gens du Village ont dit unanimement
que depuis , environ 5 ans , un Hayduch
du Païs , nommé Arnoud - Parte , lequel
s'étoit cassé le col en tombant du haut
d'un Chariot à foin , et avoit souvent raconté
pendant sa vie , que près de Gossera
, dans la Servie Turque , il avoit été
toarmenté par un Wampirs , et qu'il
avoit ensuite mangé la terre de sa fosse et
s'étoit frotté de son sang , pour se déli
vrer de ce tourment ; que 20 ou 30 jours
après la mort de ce Hayduch , quelques
personnes s'étoient plaintes d'avoir été
tourmentées par le même Arnoud , et
Cv qu'en
892 MERCURE DE FRANCE
qu'en effet cinq personnes en étoient
mortes ; que d'abord pour arrêter ce mal¸
on avoit été, du conseil de leur Hadnach ,
qui s'étoit trouvé cn pareil cas ,
déterrer
corps d'Arnoud - Parte environ 40 jours
après sa mort , et qu'on avoit trouvé qu'il
étoit encore entier , sans aucune corruple
tion ; que le sang lui couloit
encore
tout
frais des yeux , du nez ,
de la bouche
et
des oreilles
, que son drap , sa chemise
et
son cercueil
, étoient
pleins
de sang , que
les ongles
des mains
et des pieds
lui
étoient
tombez
avec la peau , et qu'il lui
en croissoit
d'autres
; que comme
on reconnut
que c'étoit
un véritable
Wampir
,
on lui enfonça
, selon
la coutume
, un
Pal à travers
du coeur , sur quoi il fit un
petit crachement
, et la playe,rendit
une
grande
quantité
de sang ; on brula
le cadavre
le même
jour , et on jetta les cendres
dans la fosse.
Les mêmes gens ont encore dit , que ,
tous ceux qui sont tourmentez par les
Wampirs . et qui en meurent, deviennent
aussi Wampirs eux - mêmes , et que c'est
pour cela qu'ils firent la même opération
sur les cinq personnes dont on a parlé s
Ils ajoutent encore que le même Arnoud-
Parte, attaquoit et suivoit non- seulementles
hommes , mais aussi les bestiaux , et
que
MAY . 1732 . 893
que comme il y avoit des personnes qui
ly
avoient mangé de leur chair , on s'appercevoit
de nouveau dans le païs qu'il s'y
trouvoit beaucoup de Vvampirs ; de sorte
qu'en trois mois de temps , la mort avoit
enlevé 17 personnes , tant jeunes que
vieux , dont quelques uns étoient morts
en deux ou trois jours sans avoir été malades.
Le Hayduc Jorvina a déposé de plus ;
qu'il y avoit environ 20 jours que sa bru,
nommée Stanaha , s'étoit mise au lit en
bonne santé , et s'étant reveillée en sursaut
, avec un cri , une frayeur , et un
tremblement extraordinaire , se plaignit
d'avoir été sucée au col par le fils d'un
Hayduc , nommé Miller , mort depuis 9
semaines , dont elle avoit senti une gran
de douleur à la poitrine ; et que se trouvant
plus mal d'heure en heure , elle étoit
enfin morte au bout de trois jours..
Le même jour après midi , nous nous
transportames au Cimetiere , accompagnez
des mêmes Ouvriers Hayducs dut
Village , pour faire ouvrir les tombeaux
suspects , et en faire visiter les corps ; ce
qu'ayant fait, nous trouvâmes: 1 ° .Une fem
me , nommée Stana , qui étoit morte,âgée
de 20 ans , après une maladie de trois jours ,
causée par ses couches , et qui avoit dic
I
Cvj, avant
894 MERCURE DE FRANCE
ayant sa mort, s'être frottée du sang d'un
Wampir , dont elle et son enfant , mort
aussi -tôt après sa naissance , et qui avoit
été encore mangé par les chiens , parce
que sa fosse n'étoit pas assez profonde
étoient devenus Wampirs.
Cette femme étoit toute entiere , sans
pourriture. Après l'ouverture du corps on
lui trouva quantité de sang extravasé dans
la cavité de la poitrine , les vaisscaux ,
comme arteres et veines , avec les ventri
cules du coeur , n'étoient pas , comme il
sont ordinairement , remplis de sang coagulé
; tous les visceres , comme le poulmon
et le foye , l'estomac , la ratte et le
reste des intestins , étant aussi sains que
dans une personne en santé , mais la matrice
étoit fort grande et intérieurement
enflammée , parce que l'arriere - faix et les
vuidanges y étoient restez , ce qui avoit
causé une entiere pourriture. La peau des
mains et des pieds , de même que les ongles
tomboient d'eux - mêmes , et il reparoissoit
à la place de nouveaux ongles ep
une nouvelle peau fraiche et vive .
2. Nous déterrames une autre femme ,
nommée Mélica , qui étoit morte , âgée
d'environ 60 ans , après une maladie de 3
mois on lui trouva dans la poitrine beaucoup
de sang liquide , le reste des entrailles
...
MAY. 1732. 8955
les étoit comme dans l'autre femme , en
bon état . Tous les Hayduchs qui étoient
présens à la dissection , furent fort étonnéz
de la graisse et de l'embonpoint de
cette femme, disant unanimement l'avoir
très-bien connue dès sa jeunesse , et que
pendant sa vie elle avoit été toujours fort :
maigre et fort seche .Ils ajoutoient unanimement
qu'il falloit que cet embonpoint
fut venu dans le tombeau , et que selon
le rapport des gens du lieu , c'étoit elle..
qui avoit été la premiere desWampirs d'àpresent
, parce qu'elle avoit mangé de la
chair des Brebis qui avoient été tuées par
les Wampirs précédens..
3. Nous trouvames un enfant de huit
jours , enterré depuis trois mois , lequel ™
étoit pareillement dans le même état des
Wampirs
4. Le fils d'an Hayduch ; nommé Millot
, mort à 16 ans , après une maladie de
trois jours , et enterré depuis neuf semaines
, fut trouvé dans le même état des
Wampirs.
5. Un Hayduch , nommé Joachin, mort
à 17 ans , après 2 jours de maladie , et enterré
depuis 8 semaines.
6. Une femme , nommée Ruscha , morte
après dix jours de maladie , et enterrée .
depuis six semaines ; on trouva beaucoup
de
896 MERCURE DE FRANCE
de sang tout frais , non- seulement dans la
poitrine , mais aussi au fond du ventricule;
la même chose fut observée à l'égard
de son enfant , qui étoit mort depuis cinq
semaines , âgé de 18 ans.
7. Une jeune fille de dix ans , morte depuis
2 mois , pareillement toute entiere
et avec du sang dans la poitrine.
8. La femme d'un Hayduch , avec un
enfant , laquelle étoit morte depuis 7 semaines,
et son enfant mort depuis 15 jours
âgé de 8 ans ; la mere et l'enfant furent
trouvez tout pourris , quoiqu'enterrez
tout auprès des Wampirs.
9. Le Valet d'un Caporal de Heyduchs,
d'un païs nommé Rad , mort âgé de 23:
ans , après trois mois de maladie , et enterré
depuis 5 semaines , fut trouvé en
tierement pourri .
10. La femme du Bariactar du lieu, avec
son enfant, mort depuis six semaines, pareillement
pourris.
11. Auprès du même , un Heyduch¸.
mort depuis 6 semaines , âgé de 60 ans . Je
lai trouvai , comme aux autres Wampirs,
quantité de sang liquide dans la poitrine
et l'estomach , avec tout le corps , dans le
même état des Wampirs..
12. La femme d'un Heyduch , appel
lée Stanaha, morte à l'âge de 20 ans,après
trois
ΜΑΥ. 17323 899
3 jours de maladie , et enterrée depuis 18
jours à la dissection je trouvai qu'elleavoit
le visage d'une couleur toute rouge,.
et vive ; et comme on a dit cy dessus
qu'elle avoit été sucée au col par le fils
d'un Heyduch , nommé Millve. On remarquoit
effectivement qu'elle avoit au :
dessus de l'oreille du côté droit , une tache
bleuë , mêlée de sang extravasé , de la
longueur du doigt. Au sortir de la fosse.
elle jetta une grande quantité de sang
tout frais par le nez , et après la dissection,
je trouvai , comme je l'ai souvent remarqué
, une grande quantité de sang balsamique
et tout frais , non seulement dans
le creux de la poitrine , mais aussi dans
le ventricule du coeur ; tous les visceres
étoient entierement sains et en bon état ,
et la peau de tout le corps , de même que
les ongles des mains et des pieds étoient
pareillement tout frais.
Après la visite de ces corps , on fit couper
la tête à tous les Wampirs , par l'E--
xécuteur du lieu , et ensuite on brûla les
têtes et les corps , les cendres en furentjettées
dans la Riviere du Morave ; pour
les Cadavres pourris on les remit dans
leurs premieres fosses . Toutes lesquelles.
choses j'atteste veritables , conjointement

avec
898 MER CURE DE FRANCE
*
avec les deux Chirurgiens qui m'ont été
adjoints pour cette information..
Signé , Jean Schchinge, Chirurgien du
Regiment de Rischembach , Infanterie .
Jean Ferdirack , Chirurgien du même
Régiment. J. H. Sicq , Chirurgien au Ké
giment de Moralt..
que tout
Nous , soussignez , certifionsce
que les Chirurgiens de Rischembach ,
et les deux Chirurgiens cy- dessus nommez
, ont attesté à l'égard des Wampirs
a été par Nous vû et trouvé conforme à
la vérité dans tous les points , ayant éré
présens à la visite et à l'examen de toutes
choses ; en foy de quoi nous avons signé
le present Acte , et apposé nos Cachets.
A Belgrade, le 26 Janv.1732 . Signé , Bultrul
, Lieutenant Colonel du Regiment dư
Pr. Alexandre de Wirtemberg, C. L. S.
de Linden fils , Enseigne dans le Regiment
du Pr. Alexandre de Wirtemberg..
HIPER
MAY 1732. 899
XXXXX XXX :XXXXXX**
HIPERMNESTRE..
CANTATE.
Par Mile DE MALCRAIS DE LA VIGNE
du Croisic en Bretagne.
UNa de multis face nuptiali ,
Digna perjurum fuit in Parentem ,
Splendide mendax , et in omne Virgo ,
Nobilis ovum.
Hor. liv. 3. Od. II.
Filles cruellement fidelles ,
A leur Pere , aveuglé d'un perfide couroux...
Les Danaïdes criminelles ,
Dans les bras du sommeil , immoloient leurs
Epoux.
La seule Amante de Lincée ,
Ecoutoit son amour , et consultoit sa foy ,'
Mais Danaus , Vengeur , s'offrant à sa pensée ,
En excitant son bras , la remplissoit d'effroi.
Pour moi , pour mes soeurs , au Tar
rare ,
Hymen , allumas- tu tes feux ? .
Qu'a
338173
900 MERCURE DE FRANCE
Qu'a fait mon Epoux , sort barbare
Qui mérite un trépas affreux ?-
Soleil , demeure au sein de l'Onde ;
Frémis d'éclairer nos forfaits ;
Epargne ce spectable au monde ;
Eteins tes rayons pour jamais..
Pour moi , pour mes soeurs , au Tar♣
tare ,
Hymen , allumas - tu tes feux ?.
Qu'a fait mon Epoux , sort barbare,
Qui mérite un trépas affreux ?
Sa main pour le percer , trois fois est suspen
duë ;
Trois fois ne sçachant où frapper ,
Sa main d'elle - même abbattuë ,
Laisse le Poignard s'échapper .
Pâle , tremblante , irrésoluë ,
Retombant sur son lit , qu'elle arrose de pleurs
Elle addresse ces mots à l'objet qui la tuë ,
Auprès d'elle endormi , sans prévoir ses malheurs.
Tendre Epoux ? moitié trop chérie
Quelle:
MA Y. 1732. 901
Quelle est la rigueur de mon sort ?
Je meurs , si j'épargne ta vie ,
Où je mourrai du regret de ta mort..
Ah ! plutôt , infléxible Pere ,
De cent coups , ouvre moi le flanc ;;
Que seule au moins je dégénere
De ta fureur, à t'abreuver de
>
sang.
Tendre Epoux ? moitié trop chérie ,
Quelle est la rigueur de mon sort è;
Je meurs , si j'épargne ta vie ,
Où je mourrai du regret de ta mort.
Mais ô transport , dit-elle , & discours inutile
Que je tarde à délibérer !
Ouvre les yeux , fuis , cours ,
quelque azyle ,
cherche au loin
Profite de la nuit tranquille ;
Nous nous perdons tous deux à différer ,
Devançant le retour de la rapide Aurore ,
Mon Pere furieux et mes parjures soeurs ,
Viendront des crimes que j'abhorre ;
Consommer dans ton sang les infames noir
ceurs.
1
Qu'attens, tu , cher Epoux adieu , reçois en
core
Cet
902 MERCURE DE FRANCE
Ces avides baisers. , ces trop courtes douceurs .››
Pars donc , et pour faveur derniere ,
Pour prix de t'avoir conservé ,
Souviens - toi d'une Epouse à toy seul toute end
tiere ,
Qui s'expose au péril dont elle t'a sauvé.
Hymen , combien ta puissance
Produit de nobles effets ;
Quand l'Amour d'intelligence ,.,
Serre les noeuds que tu fais !
Mais quand dans tes noeuds coupa
bles ,
Le coeur ne suit pas la main ,
A quels crimes effroiables
N'ouvres-tu pas le chemin !
Hymen , combien ta puissance ,
Produit de nobles effets ?
Quand l'Amour d'intelligence.
Serre les noeuds que tu fais !
EX
MAY. 17320 1903
EXTRAIT d'une Lettre écrite à M. D.
L. R. au sujet des Préservatifs contre le
Tonnerre et contre les Maladies du
Corps humain.
O
"
N diroit , MONSIEUR , à la lecture
de ce qui est rapporté dans le
Mercure de Sept. dern. pag. 2063. à l'oc-
´casion des Fêtes du Tonnerre , qui se celebrent
dans le Diocèse de Trèves
, que
eette Province Ecclesiastique seroit sans
Réglemens , et que toutes les superstitions
y sont en usage. Pour vous prouver
le contraire , et vous faire voir qu'el
kes n'y sont pas plus autorisées qu'ailleurs
donnez -vous la peine de jetter la
vûë sur le Concile de Tréves de l'an
1310 , qui n'a été imprimé que depuis
quelques années ( a ) . A la vérité vous n'y
trouverez rien qui regarde ces Fêtes du
Tonnerre; mais vous ne pourrez pas vous
empêcher d'avouer qu'il contient de sages
Canons contre une infinité de superstitions
. Je ne doute pas que le Sçavant qui
s'est chargé de la nouvelle Edition du livre
du Pere le Brun , contre les pratiques
superstitieuses , n'en fasse mention .
(a) Thes. Anecdot . T. IV.
A
904 MERCURE DE FRANCE
A de la dévotion des peuples ,
propos ,
pour être préservé du Tonnerre et de la
Grêle, je crois avoir trouvé la raison
pour laquelle , c'est plutôt vers S. Abdon
que vers un autre Saint , qu'ils tournent
leurs voeux. Elle est assez clairement marquée
dans l'Histoire de la Translation du
Corps de ce Saint , faite de Rome , dans
le Comté de Roussillon , il y a plusieurs
siecles. Une Vallée de cette Province , entre
les autres , étoit plus souvent affligée
de la Grêle ; et les années s'y passoient
souvent sans recolte . Les termes de l'His
torien qui le rapporte sont énergiques : In
ista igitur valle ex reverberatione solis ,quoniam
ita naturalitergrando generatur , consuevit
tempore quo fructus terra in manibus
debebant venire laborantium , insurgere tempestares
grandinis et fulgurum , in tantum
"quod non remanebant fructus nec folia in
vineis , nec in campis apparebant nisi palea
tantùm sine grano. L'Abbé du Monas
tere d'Arles en cette Province , écrit qu'il
falloit procurer à ce territoire des Protecteurs
singuliers ; il alla à Rome , il exposa
au Pape les calamitez publiques du lieu
d'où il étoit député , lui demanda des Reliques
, et Dieu permit que ce furent celles
des Saints Abdon et Sennan qu'on lui
accorda. De là vint que ces Martyrs pas-
*
serent
MAY. 1732
4 905
serent pour Tutelaires du Païs ; et la pieuse
coutume qu'on prit de les invoquer
particulierement dans les temps des Orages
, s'étendit ensuite au delà des limites
de la Province . Vous pouvez voir cette
Histoire dans le dernier volume des
Sçavans Bollandistes , à la page 139 , du
30 Juillet.
Comme le Concile de Tréves , dont je
vous ai parlé , est un des plus curieux qui
se trouvent dans les dernieres collections,
vous ne trouverez pas mauvais que je saisisse
cette occasion , pour vous prier de
rendre un Canon , qui regarde les donneurs
de remedes , plus public et plus
connu qu'il ne l'est . On ne sçauroit souvent
résister au torrent de tant de
gens
qui s'érigent en Médecins , et qui distri
buent des Remedes qu'ils ont inventés .
Ce sont toujours des Préservatifs spécifiques,
des Remedes souverains, et incomparables
, qu'ils font publier par les Journaux
ou par les Gazettes.
Il y en a dans les Provinces , comme à
Paris , qui s'érigent là -dessus en Maîtres ,
sans avoir été auparavant Disciples. Le
Canon 112. du Concile de Tréves , deffend
à aucun de ces prétendus Docteurs
en Médecine et en Chirurgie , de rien
distribuer , ni de proceder à aucune Cure,
sans
06 MERCURE DE FRANCE
sans avoir obtenu la permission des Evêques
Diocésains . Il ne faut pas croire pour
cela que les Evêques des quatre Diocèses
de la Province , qui sont Metz , Toul et
Verdun , avec celui de Tréves, fussent solidement
versez dans la Médecine et dans
da Chirurgie ; mais ils pouvoient avoir à
leur suite , ou au moins dans leur Chapitre
quelque Docteur en Médecine , par
des lumieres duquel ils étoient en état de
discerner les Charlatans d'avec les personnes
habiles dans l'art de guérir les maladies.
Je ne sçaurois mieux vous mettre au
fait de ce Reglement, qui menace les contrevenans
d'excommunication , ipsofacto,
et qui fait un éloge singulier de la santé
du corps , qu'en vous l'envoyant en propres
termes : Quia , sicut intelleximus, plerique
indocti , et quorum vitæ et mores incognita
sunt , in civitate , castris oppidis et villis
nostris et nostre Provincia , in arte Medicine
et Chirurgie et aliis artibus docere ,
dicere et prædicare contendunt , et circa exhibendas
Medicinas et collyria , quam plures
imperiti et inexperti se ingerunt , ex quibus
quamplurima dispendia provenisse noscun
tur; Magistrique esse cupiunt qui Discipuli
non fuerunt ; districtè sub poena excommunicationis
lata sententia inhibemus , ne quis
deinceps in civitate , dioecesi nostra et Provincia
MAY. 17320
907
vincia artem Medicina et Chirurgia exersere
seu docere prasumat , absque nostra lisentia
, seu Episcoporum locorum speciali.
Decet enim ut prius examinentur et appro
bentur tam in scientia quam moribus hi qui
circa salutem corporum, qua rebus quibuslibes
praponenda existit , se asserunt expertos; cum
maximè in talibus tam periculosis et arduis
quilibet ignorans prasumi debeat , nisi pro
baverit se scientem . Quand même en Fran
ce l'examen des Drogues et des pansemens
de Playes ne seroit pas attribué à un
autre Tribunal , qu'à celui des Evêques :
on doit s'attendre que l'émulation qui va
s'introduire parmi les Chirurgiens du
Royaume , par le moyen de la nouvelle
Academie de Chirurgie , rendra l'art de
guérir les Corps , encore plus parfait et
plus heureux qu'il n'a été jusqu'icy. Au
reste , c'est presque dans toutes les Sciences
et les Arts , que l'on voit des personnes
qui ont une démangeaison étonnante.
de se donner pour Maîtres , sans jamais
avoir été Disciples. J'en connois , qui éle
vez durant longues années , dans un lieu
où l'on fait profession publique de ne
mettre jamais en pratique une certaine
science , et où l'on se fait , au contraire ,
un principe de l'ignorer ; et qui sans avoir
jamais rien lû ni étudié qui puîsse sup-

D pléer
908 MERCURE DE FRANCE
pléer au défaut d'instruction , s'avisent
de commencer , tout sexagenaires ou mê
me septuagenaires qu'ils sont , à donner
des leçons à ceux qui ont été formez dès
l'âge de 15 ans par les plus habiles Maîtres
de Paris et de tout le Royaume ; tant
il est vrai que la grande Maxime des Aneiens
: Nosce te ipsum , fait peu le sujet
de leurs méditations. Quelques personnes
croient que , quoique venue des Payens ,
elle devroit être écrite en gros caracteres
sur le frontispice des endroits où les Chrétiens
tiennent leurs assemblées ,comme elle
Pétoit à l'entrée du Temple de Delphes :
Mais y auroit-il lieu d'esperer que cette
Sentence fit grande impression sur ceux
qui ont pris leur ply ( pour parler ainsi )
et dont le caractere naturel est d'entreprendre
de donner des leçons sur les matieres
qu'ils connoissent le moins , et cela
afin de s'égayer l'esprit , et d'avoir au moins
la satisfaction de murmurer de ce qu'on
ne les écoute pas , ou de railler ceux qui
mettent les bonnes regles en pratique.
LE
MAY. 1732.
909
****
LE RETOUR DU PRINTEMS.
Q
ODE
Uelle merveille imprévuë ,
Frappe mes yeux étonnez ?
Flore , des Cieux descenduë ,
Foule nos champs fortunez ;
Zéphir vole sur ses traces ;
Les Amours , les Ris , les Graces ,
Suivent en foule ses pas
Et le frere de Bellonne ,
Dans la Fille de Dionne ,
Trouve beaucoup moins d'appas.
A l'aspect de la Déesse ,
On voit fondre les frimats ;
Et sa prodigue largesse
Fertilise nos climats.
Tout renaît dans la nature ;
Nos Prez brillent de verdure
La Terre produit des fleurs ;
Et promettant l'abondance ,
Cérês nourrit l'esperance
Des avides Laboureurs.
;
*D ij
Une
10 MERCURE DE FRANCE
Une Onde tranquille et pure ,
D'où naissent mille ruisseaux
Tombe avec un doux murmure ,
De nos fertiles Côteaux.
L'Oiseau que l'amour engage ,
Dans son aimable esclavage ,
Exprime ses tendres feux ,
Et la triste Philomèle
D'une race criminelle ,
Pleure le sort malheureux,
Loin des peines inquiètes ,
L'heureux retour du Printems ,
Fait naître dans nos retraites ,
Mille plaisirs innocens.
Icy la Biche tremblante ,
Du Chasseur qui l'épouvante ,
Fuit les redoutables traits ,
Et la Colombe plaintive ,
Laisse son aîle captive ,
Dans de funestes filets.
Comme le Printems rappelle
Les Vents , amis des beaux jours ,
Ainsi la saison nouvelle
A ramené les amours.
Icy la jeune Bergere ,
De
MAY.
1732 . 911
De l'Amant qui sçait lui plaire
Favorise les transports
Tandis que sa Bergerie
Eparse dans la Prairie ,
Broute l'herbe de ces bords.
C'est dans ce charmant azile
Que la pure volupté ,
A choisi son domicile ,
Par l'innocence habité.
Icy Thémis adorée ,
Semble du siecle de Rhée ,
Nous ramener les beaux jours ,
Et la fortune ennemie
De notre paisible vie ,
Ne trouble point l'heureux cours.
Le Sage fuyant la Ville ,
Et ses charmes décevans ,
Vient jouir d'un sort tranquile;
Dans nos déserts innocens ;
Sous sa cabane rustique ,
Du Courtisan politique ,
Il dédaigne les plaisirs ;
Et dans son ame contente
L'Ambition dévorante ,
N'allume point de désirs.
Diij
Si
912 MERCURE DE FRANCE
Si les dons de la nature ,
'Abondent dans nos réduits ,
La paix qui nous les procure ,
Est l'Ouvrage de LOUIS.
Loin de nous , l'affreuse guerre
Que font regner sur la terre ,
Ces Rois à vastes projets ;
Sourd aux cris de la Victoire,
LOUIS , met toute sa gloire ,
A nous assurer la Paix.
J. M GAULTIER.
**** :*** X XXX : XXXX
LETTRE écrite d'Orleans le 11. Avril
1732. sur le nom de Guespin , qu'on
donne aux Orleanois.
D
E bonne foi , y pensez- vous , Monsieur
, de me faire de pareilles demandes.
Orleanois depuis le Deluge ( 1 )
ou peu s'en faut , vous voulez que je
vous dise d'où vient le nom de Guespin ,
et ce que l'on doit entendre par ce sobriquet
, qu'on nous donne si liberalement
; il faut être bien complaisant pour
(1 ) Le Maire , Hist. d'Orleans , met la fonda
on de cette Ville seulement 350. ans après le Dé
suge.
Vous
MAY.
1732 913
vous répondre , mais l'amitié est imperieuse
et je vous obéis.
Ceux qui croient que Guespin a été
formé de Genebensis , qu'on a employé ,
selon eux, pour Aurelianensis , en ont assez
bien établi la filiation ; Genebensis , Genebinus
, Guebinus , et par le changement
ordinaire du B. en P. Guepinus , Guépin .
Mais par malheur les bonnes gens raisonnent
sur un faux principe ; car Genebensis
ne s'est jamais dit en ce sens , et
dans la Vie de S. Liphard , écrite au sixiéme
siecle , où ils prétendent , d'après la
Saussaye ( 1 ) que l'Evêque d'Orleans est
appellé Episcopus Genebensis , on trouve
au contraire , Episcopus Aurelianensis ,
ainsi qu'il est aisé de s'en convaincre dans
le Pere Mabillon. ( 2 ) Comme c'est le seul
monument que nos Etimonologistes rapportent
pour eux , vous le voyez bien , in
Vanum laboraaverunt ; mais Dieu le leur pardonne
, ils ont eu bonne volonté et leur
zele mérite quelque remerciement.
Il faut donc , malgré nous , remonter
à la veritable source , et reconnoître de
bonne foi que Quespin descend en droite
ligne de Guespa , ( 3 ) mor dont on s'est ser-
( 1 ) Sausseyus Annal. Eccles. Aurel . L. 1 .
Num. 16.
(2 ) Act. SS. Bened. T. 1. p. 155. n. 8.
(3) V.le Gloss. de Ducange.
D iiij
vi
914 MERCURE DE FRANCE,
vi dans la basse latinité pour Vespa , uno
Guespe. Par malheur cet Insecte mis en
symbole , n'est pas de bonne augure ; aussi
les anciens Philosophes , au rapport de
Pierius Valerianus , ( 1 ) en faisoient - ils celui
d'un esprit querelleur , et il a plu au
fameux Alciat dans son 51. Emblême
d'en faire celui de la médisance .
Vespas
Esse ferunt lingua certa sigilla mala.
Rien n'est plus ordinaire dans les Au
teurs , que les reproches qu'on nous fait
sur ces deux articles. » Le naturel des
Guespins ( dit un Ouvrage ( 2 ) publié
» du temps de la Ligue , ) j'en prens Or-
» leans pour exemple , est d'être hagard ,
» noiseux , et mutin . Et vous avez lû ,
sans doute , M. de Valois , ( 3 ) sur ce sujet.
» Vespis , dit- il , en parlant des Orleanois,
» Quarum advolantium molestos ictus , im-
»portunos bombos , ac pungendi libidinem ;
»vino suo inflati clamoribus , rixis et con-
» viciis imitantur. Je me garderai bien de
(1 ) Hieroglyphica , L. 4.
( 2 ) Saint et charitable conseil à Mrs le Prévôt
des Marchands et Echevins de la Ville de Pais
, pour se départir de la ligue. Memoire de la Ligue
, T. 3. P. 344.
(3) Notitia Galliarum.
traduire
MAY. 1732.
915
traduire ce beau Latin , si même en le transcrivant
ma main pouvoit agir sans mes
yeux , je ferois comme Socrate , quand
il parloit de l'Amour , je me couvrirois
la tête d'un voile .
C'est en vain que Théodore de Beze ;
qui avoit étudié à Orleans , et dont l'esprit
et le coeur ( 1 ) étoient interessez à
aimer cette Ville , a voulu expliquer le
mot de Guespe en bonne part.
Aurelias vocare Vespas suevimus ,
Ut dicere olim mos erat nasum atticum. (2)
Ces Vers sont beaux , mais il vaudroit
mieux pour nous n'avoir point de comparaison
à faire de ce côté avec les Athéniens
, quoique les Peuples les plus spirituels
de la Grece.
Pour continuer à vous dire ce que je
sçai sur le mot de Guespin , je trouve que
Bonaventure Des Periers , (3 ) semble opposer
ce terme à civil et poli ; c'est dans
-
(1) Théodore de Bese y avoit une Maitresse .
Marie de l'Etoille , dont on voit l'Epitaphe dans le
grand Cimetiere , en Prose Latine et Françoise
mais si effacée , qu'on ne peut plus en lire que quel
ques mots. On croit cette Epitaphe de la composition
de Th. de Beze.
(2) Juvenilia , p. 43. verso.
(3 ) Les nouvelles Recréations et joyeux Devis ,
page 71. Edition de Lyon 1558. ·
D v le
916 MERCURE DE FRANCE
le Conte d'une Dame d'Orleans , qui aimoit
un Ecolier. Une Dame , dit il , gentille et ,
bonnête , encore qu'elle fût Guepine. Enfin
je ne connois qu'un seul Passage d'Auteurs
où Gespin soit employé sans mauvaise
interprétation; c'est dans la Relation
(1 ) de l'Entrée de l'Empereur Charles V.
dans la Ville d'Orleans en 1539. Après
venoient les Maîtres d'Ecoles , les Medecins
, puis les Officiers de l'Université, les
Conseillers et Guespins d'icelle. Dans ce
Passage, Guespin , comme on le voit , ne
signifie qu'Etudiant d'Orleans.
Il est aisé à present de juger si la définition
que Richelet et les Auteurs du
Dictionnaire de Trévoux , ont donnée du
mot de Guespin , est bien juste , lorsqu'ils
disent que c'est un Sobriquet qu'on
employe quand on veut signifier qu'une personne
est fine et rusée et qu'elle est d'Orleans.
Les Orleanois ont de l'esprit assurément
, c'est une justice qu'on leur doit
rendre , mais pour être fins et ruscz , c'est
un reproche qu'ils ne méritent pas ,
ne sont que trop unis et trop natu els ,
et c'est ce même caractere qui fait en
partie celui du Guespin , que je ne
puis mieux vous peindre que par ' ces
ils
(1) Ceremonial de France de T. Godefroy , Tome
.2.P. 757.
Vers
MAY. 1732
917
Vers , où M. Despréaux , Satyre premiere,
fait son Portrait sous le nom de Damon .
Je suis rustique et fier et j'ai l'ame grossiere ,
Je ne puis rien nommer , si ce n'est par son nom,
J'appelle un chat un chat et Rolet un fripon.
Je suis , Monsieur , &c. D. P.
李車身鼎鼎鼎鼎央央央急急央央熱熱車車車車車車車
A MADEMOISELLE de Malcrais
de la Vigne , du Croisic en Bretagne.
ODE
Ans l'enceinte des murs où la Marne serà
pente , DA
Quand je lis tes Ecrits ,
Sçavante de Malcrais , leur force surprenante ?
Etonne mes esprits
Je me sens élevé sur la double Coline ;
Dans mes heureux transports,
De ta celeste voix , de ta Lyre divine ,
J'écoute les accords
Tu ravis , tu surprens les Filles de Memoire ;
Dans le sacré Vallon ,
Dvj Jusqu'au
918 MERCURE DE FRANCE
Jusqu'au faîte brillant du Temple de la Gloire,
L'Echo porte ton nom.
Que dis- je ? tes beaux Vers ont passé le Cocité ¿
Aux Champs Elisiens ,
L'Amante de Phaon tendrement les récite ,
Et les préfère aux siens.
On parle du Croisic comme on parle d'Astrée ,
De Smirne , de Lesbos ,
Ta Muse de nos jours y montre Cyterée ,
Plus belle qu'à Paphos.
Les Graces font parler le Lut et la Musette ;
Qu'accompagne ta voix :
Et tu peux animer au son de ta Trompette
Les Héros et les Rois.
Tu fais ce que tu veux ; si ton vaste génie ,
T'inspire de grands airs ,
A peine dans leurs Chants Calliope , Uranie
Egalent tes Concerts.
Si tu fais raisonner ou l'Eglogue ou l'Idile;
Tes accens sont si doux,
Que
MAY.. 17325 919
!
Que malgré leurs grands noms et Terence et Virgile
,
En deviennent jaloux.
Comme eux en t'attachant à rendre la Nature ,
Tu finis tes Portraits ;
Mais ton tendre Pinceau dans la vive peinture ,
Encherit sur leurs traits.
Un tour plus gracieux , plus de délicatesse ,
Fait briller tes couleurs.
Le trait dont tu te sers pour peindre laTendresse,
La porte dans les coeurs.
L'Amour vole par tout où ta plume fidelle ,
Fait voler tes Chansons.
Oui , l'Amour , s'il pouvoit subir la loi mortelle;
Renaîtroit de leurs sons.
Tu ranimes ses feux , tu lui forges des armes ,'
Et les yeux de Cypris ,
N'ont pas , de son aveu, la douceur et les charmes,
Qu'on sent dans tes Ecrits.
L'Amour pleure avec toi quand le trépas d'uni
Pere ,
T'arrache des soupirs
920 MERCURE DE FRANCE
Il rit quand des Oiseaux consacrez à sa Mere „
Tu décris les plaisirs.
L'Amour ...mais je mé tais , il faut être un Pins
dare ,
Pour oser te chanter
Et je suis menacé de la chute d'Icare ,
Si je veux le tenter .
**************
LETTRE d'un Officier Genera ' des
Armées du Roy à un de ses Amis , qui
est en Province , au sujet d'un Ouvrage
Historique.
Our satisfure , Monsieur , à ce que
Pvous souhait z de moi , touchant
P'Histoire Militaire du Prince Eugene de
Savoye , du Duc de Malbourough , et du
Prince de Nassau- Frise , qui a été annoncée
dans les Nouvelles publiques ,
j'aurai l'honneur de vous dire que ce Livre
est une suite des Batailles que le
Prince Eugene a gagnées en Hongrie et
contre la France , qui ont paru en l'année
1728. Elles ont été données par
M. Dumont , qui se qualifie de Baron de
Calescroon , et Historiographe de S.M.I.
Comme
MAY. 17321 921
Comme je n'ai point vâ ce Livre des Batailles
, je ne vous en dirai rien , je me
contenterai de vous dire quelque chose
de l'Histoire Militaire en question , dont
on a emprunté le Titre de l'Histoire Militaire
de Louis XIV. que vous avez , et
qui a commencé à paroître en l'année
1726.
Cet Ouvrage est divisé en deux Parties
; la premiere porte le Titre de Supplement
aux Batailles du Prince Eugene ,
par le même M. Dumont , et à la tête est
une Préface de l'Editeur ; elle comprend
une Histoire particuliere de ce Prince en
61. pages , dans laquelle il ne se contente
pas de marquer le grand nombre de conquêtes
que ce Prince a faites et des Batailles
qu'il a veritablement gagnées ; mais
pour donner encore un plus grand lustre
à la gloire qu'il a si justement acquise , il
lui attribue le gain de plusieurs Batailles
qu'il a perdues contre l'Armée des
deux Couronnes . Vous le trouverez mal
instruit des Maisons de France , puisqu'il
fait le Prince de Turenne fils du Duc de
Crequy , et qu'il donne le Prince de Talmont
comme étant de la Maison de Lorraine.
La seconde Partie a 338. pages. Elle
est de M. Rousset , qui ne prend aucune
qualité,
922 MERCURE DE FRANCE.
qualité ; il dit seulement qu'il a été témoin
de la plupart des évenemens qui
se sont passez dans la guerre qu'il décrit.
>> Nous n'avons pû citer en marge , dit- il
» dans son Avertissement , les Auteurs
>> dont nous avons emprunté nos Maté-
» riaux , parce qu'outre l'Histoire Mili-
» taire de Louis XIV. par M. Dequincy ,
>> et les Mémoires du Tems , nous n'avons
» eu recours qu'à des Relations manus-
>> crites que nous tenons de bonnes mains,
» et à des Lettres de Generaux et d'autres
» Officiers.... Nous avons évité , autant
» que nous avons pû , la coûtume de tant
» d'Historiens qui ne parlent de leurs Hé-
» ros que l'Encensoir à la main. Les basses
»flateries dont M. Dequincy a soupoudré
» toute l'Histoire Militaire de Louis XIV.
»> nous ont montré un écueil
» avons bien résolu d'éviter.
que nous
M. Rousset a mal suivi sa résolution ,
puisqu'il est tombé lui même dans ce
prétendu deffaut qu'il reproche à l'Auteur
de l'Histoire Militaire , et qu'il a
cependant bien résolu d'éviter ; vous le
connoîtrez visiblement par la lecture
de son Livre , que j'offre de vous
envoyer ; si vous ne trouvez pas à propos
de l'achepter , vous verrez que non- seulement
il ne se contente pas des loüanges
outrées
M. A Y. 1732. 523
outrées qu'il donne aux trois Princes dont
il donne l'Histoire Militaire , et aux autres
Generaux des Alliez ; il ne les soupoudre
point , à la verité , de loüanges
( expression qui est nouvelle , et qui , je
crois , ne fera pas fortune ) mais accompagnée
d'épithetes qui ne sont plus , pour
ainsi dire , consacrez qu'à la Poësie ,
et sur tout aux Romans. Il croit même
les Victoires que le Prince Eugene a
remportées ne suffisent pas à sa gloire ,
s'il ne lui donne , de sa propre autorité ,
le gain de quelques Batailles qu'il a perduës
, entr'autres celles de Luzara et de
Cassano.
que
Vous sçavez que dans le Combat de
la Villorsa , qui préceda la Bataille de
Luzara , les Alliez y perdirent plus de
2000. Cuirassiers de l'Empereur , que
commandoit le General Vo comti . Cet
Auteur ne fait perdre aux Alliez que
5oo. hommes , pendant qu'il trouve à propos
de faire monter la perte des deux Couronnes
à 2000. Il vient ensuite à la Bataille
de Luzara , dont il donne le gain au Prince
Eugene , étant resté Maître , dit- il , du
Champ de Bataille, quoiqu'il soit d'une notorieté
inévitable que ce Prince fut obligé,
près de grands efforts , et après avoir fait
une perte considerable, de se retirer sur les
bords
924 MERCURE DE FRANCE
bords du Zero , où il se retrancha , il n'y
a cependant qu'à refléchir sur ce qui se
passa , pour détruire ce que M. Rousset
a osé avancer. Le dessein du Roi d'Espagne,
lorsqu'il marcha à Luzara , fut de
s'emparer de ce poste ; parce que les Ennemis
y avoient de gros Magazins , d'y
faire un Pont pour communiquer avec
l'Armée du Prince de Vaudemont , et de
couper toute communication de Bresello
avec l'Armée du Prince Eugene ; tout
cela fut executé , quoique le Prince Eugene
n'eût décampé d'Osliglice que pour
s'y opposer , la Prise de Luzara n'a pû
être contestée , puisque le Marquis de
Crequy y fut enterré en presence de sso
Prisonniers qu'on y avoit fait le jour précedent
, et de tous ceux qu'on avoit faits
le jour de la Bataille. Il est vrai que le
Roy d'Espagne fit retirer un peu en rrière
la droite de son Armée , où elle
resta en Bataille toute la nuit , mais aussi
la gauche , composée de la Brigade de
Piémont , la passa dans l'endroit qu'elle
avoit combattu .
preuves ,
attribuer
Voyons présentement si M. Rousset a
pû,, sur de meilleures
le gain de la Bataille de Cassano au Prince
Eugene. Vous sçavez , Monsieur , puisque
vous y étiez , que le Prince Eugene
n'avoit
MAY. 1732 925
n'avoit d'autre but que de joindre le Duc
de Savoye ; il ne le pouvoit faire qu'en
passant l'Adda ; après avoir fait plusieurs
tentatives inutiles en plusieurs endroits ,
il crut pouvoir le faire à Cassano, M. le
Duc de Vendôme y marcha avec ce qu'il
put ramasser de Troupes , pour s'y opposer.
Le Prince Eugene , après un Combat
des plus vifs et des plus sanglants , et
après avoir fait une perte considerable , fut
obligé d'abandonner le Champ de bataille
et de se retirer à Tréviglio , où il se couvrit
de Naville et de Canande , ce qui
fit qu'on ne le put suivre dans sa retraite.
En un mot , ce Prince veut passer l'Adda,
il est répoussé , il y perd cinq ou six
mille hommes , abandonne le Champ de
Bataille. Un Auteur après cela ose- t'il
avancer qu'il la gagna, cette Bataille ? Vous
le trouverez aussi infidele dans le récit
qu'il fait de la Bataille de Castigliane ,
que gagna M. de Vendôme en l'année
1706. contre le General Raventlau. Il
traite cette Action comme un petit Combat
, quoique les Ennemis y eussent laissé
300. hommes sur le Champ de Bataille ,
et qu'on leur eût fait environ le même
nombre de Prisonniers.
Il en est de même dans le détail qu'il
fait de la Bataille d'Ekereu , que gagna
le
326 MERCURE DE FRANCE
le Maréchal de Bouflers , contre le Baron
Dobdam , qui voyant ses Troupes forcées
dans les Postes qu'elles occupoient , se retira
avec les premieres et ne parut plus.
Il n'y a pas jusqu'à la Bataille de Fredelingue
, dont il attribüę le gain au Prince
de Bade , en le favorisant du Champ de
Bataille ; tout le monde sçait que ce Prince
, après une Action qui mérita le Bâton
de Maréchal de France à M. de Villars ,
fut contraint de se retirer avec son Armée
dans les Montagnes Noires ; cet Auteur
perd même le respect qui est dû à
un General si renommé par un si grand
nombre d'Actions éclatantes , en le traitant
dans plusieurs endroits de fanfaron
et sujet à des gasgonades ; vous croyez
bien que de pareils traits dans un Historien
, ne peuvent qu'attirer l'indignation
des honnêtes g ns , et ne sont pas cagns
,
>
pables de donner la moindre atteinte à
réputation d'un General qui a joué un
si grand Rôle dans l'Europe.
Mais doit- on attendre autre chose d'un
Auteur qui pousse l'audace , pour ne rien
dire de plus , jusqu'à vouloir flétrir la
réputation d'un Prince aussi respectable
qu'il est malheureux , c'est du Prétendant,
dont il fait, une peinture aussi odieuse
qu'elle est fausse , c'est avec peine que je
me
MAY 1732.
927
me trouve obligé de vous en rapporter
les mêmes termes , que je renfermerois
dans l'oubli , si M. Rousser ne les avoit
rendus publics , en donnant son Histoire.
Les voici , mot pour mot
trouverez à la page 245 .
› que vous
Louis XIV . dit - il , qui étoit l'ame
» de tous les projets de ses Généraux , en
» avoit formé d'aussi magnifiques qu'ils
» étoient vastes , pour cette Campagne ;
» mais par malheur , tout dépendoit du
» premier, et celui - cy dépendoit du vent,
» et de l'homme le plus lâche de tous
ceux qui ont jamais porté le nom de
» Prince. Ce premier mobile de tous les
» projets du Roy de France , étoit une
» descente en Ecosse , pour une Flotte
» Françoise ,armée à Dunkerque , qui devoit
» porter le Prétendant. S.M.T.C. croyoit
» qu'aussi - tôt que la Flotte auroit mis à
» terre ce prétendu Roy , toute l'Ecosse
» se souleveroit , et que le moindre avan-
» tage qu'il en tireroit , seroit la supérion
rité qu'acqueroient ces Troupes en Flan
dres ; d'où la Reine Anne auroit été obii-
» gée de tirer au moins trente Bataillons;
» et d'où il s'en seroit suivi , que l'on au-
» roit aisément contraint les Hollandois
>> à quitter la grande alliance et à faire
» leur paix. Mais Louis XIV. éprouva
qu'il
928 MERCURE DE FRANCE
» qu'il n'étoit pas le maître des Vents, qui
» devinrent contraires , et l'idée d'aller
tirer l'Fpe en Ecosse , donna la fiévre
» au Prétendant, qui ne put s'embarquer,
» quand il l'auroit fallu , et qui s'embar-
» qua lorsqu'il n'étoit plus temps.
Quelle idée cet Auteur veut il donner
à l'Europe d'un Prince que nous avons
vu dans les dernieres Campagnes, donner
des marques d'une si grande valeur , et
d'une si grande intrépidité ; principalement
à la Bataille de Malplaquet , où il
resta pendant toute l'action avec une
grande fermeté , à la tête du premier Es-
Cadron de la Maison du Roy , malgré un
feu épouventable , dont un des deux Of
ficiers qu'on avoit mis auprès de sa Personne
, fut tué à ses côtez. Il chargea même
, avec la Maison du Roy , plusieurs
fois les Ennemis.
Ce n'est pas tout , la témérité de cet
Auteur l'a porté à changer le discours
que Louis XIV. fit au Dauphin avant sa
mort , et qui est écrit en Lettre d'Or , à
coté du lit de Louis XV . Souffrez que je
vous le rappelle pour vous faire voir combien
il est different de celui que M.Rousset
fait tenir à ce grand Prince.
Mon enfant , vous allez être un grand
Roy , ne m'imitez pas dans le goût que
j'ai
MAY. 1732. 929
j'ai eu pour la Guerre ; tâchez d'avoir la
paix avec vos voisins ; rendez à Dieu ce
que vous lui devez ; reconnoissez les obligations
que vous lui avez, faites - le honorer
par ces Sujets, suivez toujours les bons
conseils , tâchez de soulager vos peuples ,
ce que je suis assez malheureux de n'avoir
pû faire.
Et voicy ce que M. Rousset trouve à
propos de lui faire dire ; vous y trouverez
une difference qui n'est pas excusable
dans un Auteur : Ne suivez pas les
mauvais exemples que je vous ai donnez ;
j'ai souvent entrepris la Guerre trop lé
gerement , et je l'ai soutenue par vanité.
Après tant d'infidélités , qui ne sont pas
pardonnables dans un Historien , vous
reconnoîtrez sa mauvaise foy , par rap
port aux Citations de la plupart des faits
qu'il rapporte. Il dit dans son Avertissement
, comme je vous l'ai déja marqué
qu'il n'a pû citer les Auteurs dont il a
emprunté les matériaux , parce qu'outre
l'Histoire Militaire de Louis XIV . et les
Mémoires du temps , il n'a eu recours
qu'à des Relations manuscrites , que nous
tenons , dit- il , de bonnes mains.
Il commence son Histoire par les deux
Traitez de partage de la Monarchie d'Espagne
, dont il à tiré mot à mot , 10 pag.
de
30 MERCURE DE FRANCE
de suites , de l'Histoire Militaire de Louis
XIV. Il a , à la vérité , la bonne foy de
marquer par un renvoi au bas de la page,
le nom de son Auteur ; mais il n'a pas eu
la même exactitude , à l'égard de plusieurs
autres articles du même Historien
entremêlez , avec ce qu'il a tiré des Mémoires
de la Torve. La même bonne foy
paroît dans la Relation qu'il donne de la
bataille d'Hochetet, qui contient 16 pag.
ayant pareillement , par un renvoi , cité
l'Auteur de l'Histoire Militaire ; mais il
en demeure- là dans tout le reste de son
Ouvrage , croyant que cela étoit suffisant
pour la fidelité qu'il avoit promise et qu'il
n'a pas tenuë.
Vous en serez convaincu dès la page
65 , où il donne une Relation de l'action
de Crémone qui est en 16 pag. et qu'il
prise toute entiere dans l'Histoire Militaire
, sans aucune citation . Toutes les dispositions
pour le Siége de Turin , qui commencent
à la page 135. ce qui s'est passé
à l'attaque de cette Place ; les mouvemens
du Duc de la Feüillade pendant ce Siége ;
ceux du Prince Eugêne , à la tête de
l'armée Impériale , pour joindre le Duc
de Savoye ; et ceux que le Duc d'Orleans
a faits pour s'y opposer ; aussi bien que
les dispositions des Alliez , pour attaquer
les
MAY. 1732 937
les Lignes ; et le récit de cette grande ac
tion , le tout contenant 72 pag. est ti
ré du même Auteur , sans l'avoir cité.
La tentative que le Prince Eugêne a
faite pour surprendre Brisac , est copiée
mot à mot de l'Histoire Militaire , en 4
pages. Vous trouverez à la page 242. la
levée du Siége de Toulon toute entiere
dans le même Historien , en 26 pag.aussibien
que la surprise de Gand , par l'Elec
teur de Baviere , en s pag. le Combat de
Vincudal , en 4 la description des Lignes
de l'Escarpes , et la disposition des Troupes
pour leurs deffenses , en 5.le Siege de
la Citadelle de Tournai , en 6. Ce qu'il
donne du Siége de Doüay , en 4. et enfin
à la page 320. L'action entiere de Denain,
en douze pages et le tout sans nulle citation
; par le petit détail que je vous
donne de cet Ouvrage , vous connoîtrez
qu'il a tout tiré de l'Histoire Militaire
de Louis XIV . et que dans 335. pages
qui composent l'Histoire de M. Rousser ,
y en a 180. qu'il a prises dans cet Historien,
et qu'il n'a cité que les deux Traitez
de partage ; et la Relation de la Bataille
d'Ochstet , qui contiennent ensemble
46 pag. comme les ayant tirées de cet
Auteur. Au reste , ce Livre est en grand
Papier Imperial , de belle Impression
E orné
932 MERCURE
DE FRANCE
orné de trois Cartes Géographiques de la
Flandre , et de 53 Planches bien gravées ,
dont quelques Plans , comme ceux de Cléves
, de Huy et de la Kenocque, et de pluune
pareil- sieurs autres , ne meritent
pas
le dépense . Si vous prenez , Monsieur , le
parti de l'achepter , vous aurez une Histoire
infidelle ; écrite par un Plagiaire , entremêlée
de quelques traits de Satyres fort
imprudens ; mais en récompense vous
pourrez vous vanter d'avoir quelques Rames
de magnifique papier et de tres - belles
Images. J'ay l'honneur d'être , &c .
Les deux Enigmes du mois dernier doi
vent s'expliquer sur la Lettre Z , et sur la
Boussole , Pavé et Crochet , sont les mots
des deux Logogryphes. 1 1 7
ENIGM E.
Our me donner le jour , chose étrange
pourmon pere
Me fait rentrer dans le sein de ma
mere ,
Ou m'en tire , et bien -tôt dans certaine maison
On me met en prison.
C'est-là que toute nuë ,
Innocente , Chrétienne , hélas ! je suis penduë
Dans
MAY.
17323 933
Dans mes tourments , mon fils
Mon unique fils que j'embrasse ,
Se débat dans mon sein , et redouble mes cris :
Bien plus , pour comble de disgrace ,
Toujours la bouche ouverte et sans me détacher
,
A coups de pieds souvent on m'oblige à marcher.
Par fois enfin dans ma détresse ,
J'implore du secours , et cause la tristesse.
**************
J
LOGOGRIP HE.
E fus jadis une arme meurtriere >
Et pourrois l'être encore dans un besoin ,
Mais ce n'est pas parmi la Gent guerriere ;
Je puis aussi , sans parler de si loin ,
Rappeller dans Paris sur certaine matiere
Une Epoque particuliere .
D
Mon chef à bas , les Disciples de Mars ,
Exactement me mettent en pratique ,
Car pour conserver leurs remparts ,
Je suis une bonne rubrique.
Otez encor mon col , en poursuivant ,
<
Et par licence poëtique ,
Vous me verrez alors un grand département ,
En cet état , retranchez une lettre ,
Je deviens de l'esprit un digne enfantement ,
E ij
Et .
934 MERCURE DE FRANCE
Et vous avez, Lecteur , peut être
Le talent de me donner l'être ;
t "
Mon tout remis , rognez mes deux extrêmitez
Voyez- moy de tous les côtez :::
A moins que l'on ne me refonde
Je suis bâti comme le monde .
AUTRE LOGOGRYPHE,
JE
E suis un mets des plus communs
Saus être dédaigné du goût de quelques- uns
De plus , certain jour d'allégresse ;
Au début du repas ,je fais l'attention
De maint convive qui s'empresse
D'inspirer à l'envi la jubilation ;
Pris dans un autre sens , je suis toute autre ess
pece
Alors j'oblige le Cheval ,
D'avoir recours au Maréchal
Retranchez ma queuë et ma tête
verrez Ville et Comté
Et vous
Mon dernier membre icy seul rapporté
L'on voit , sans aller à l'enquête ,
Fémelle de l'antiquité ,
De qui le nom par singularité ,
Quoique pris à rebours , reste toujours le même
De ma finale encor , faisant soustraction ,
Et de mon chef la restitution ,
Je vous avertis sans problême
Ne
MAY
. 1732.
933
Ne m'approchez qu'avec précaution ,
Or de mon tout enfin , ôtez la pénultiéme' ,
Je tiens certains esprits en admiration ,
Et ne suis pourtant rien que pure fiction.
**:***** XXX :XXX***
NOUVELLES LITTERAIRES
N
DES BEAUX ARTS , &c.
Ous avions promis un Extrait du
Discours Latin que le R. P. de la
Sante , Professeur de Rhétorique au Collége
de Louis le Grand , prononça au mois
de Janvier , devant une illustre et nom
breuse Assemblée , sur l'Histoire de Fran
ce : Voici cet Extrait.
Dans son Exorde , l'Orateur témoigne
sa surprise , sur ce que les François ont
un si petit nombre d'Ecrivains qui ayent
réüssi nous donner une Histoire complette
et achevée de la Nation , eux qui
écrivent si volontiers , et avec assez de
succès sur d'autres sujets , et même sur
PHistoire. Après quelques discussions , le
P. la Sante en rejette la cause , sur ce que
Histoite de France est par elle - même
aussi difficile à écrire , qu'elle est agréable
à lire. Et voilà les deux Propositions qui
partagent son Discours.
E iij
Dan's
936 MERCURE DE " FRANCE
Dans la premiere Partie , l'Orateur ne
voit rien de plus brillant pour un homme
de Lettres que de réussir dans l'Histoi
re. Mais cela même , selon lui , en fait la
grande difficulté. L'historien soutient en
quelque sorte le Personnage de Juge et
de Maître.Son Tribunal est comme placé
entre les siécles passez et les siècles à ve÷
nir , pour juger ceux- là , et instruire ceuxcy.
Les principales qualitez d'un homme
qui veut écrire notre Histoire , sont un
bon esprit , unjugement sain , utie profonde
connoissance de cette Histoire ; un
amour impartial de la vérité, un stile décemment
poli ; de sorte que pour former
un Ecrivain de ce caractere, il faut réunir
les talens naturels , l'usage de la vie ; un
travail pénible , une raison supérieure, et
toute la culture que l'art peut donner.
Lucien et Ciceron ont dequoi épouvan
ter quiconque entreprend d'écrire l'Histoire
, par la singularité des talens qu'ils
exigent pour écrire ; l'un , l'Histoire Gre
que ; l'autre , l'Histoire Romaine. Or ce
n'est rien , selon notre Orateur ; si l'on
compare les difficultés , dont parlent ces
grands hommes , à celles que notre Histoire
oppose à ceux qui entreprennent de
la manier.
Y
MAY. 1732 937
Y a-t-il d'Histoire qui comprenne un
plus ample détail de faits et d'évenemens
obscurs dans leur origine, envelopez dans
leurs causes , reculez dans la suite des sié
cles , éloignez dans la vaste étendue du
Théatre où ils se sont passez , et tout-àfait
merveilleux dans leur issue , quoique
dépouillez du faux merveilleux des fa-
Bles des Grecs et des Romains ?
et
Une des grandes difficultez de notre
Histoire vient de ce que le caractere des
François , formé dans un climat doux
temperé, demande une modération d'esprit
extraordinaire
, dans tout homme
qui entreprend de plaire à la Nation , par
un Ouvrage comme celui - là , qui est plus
particulierement
fait qu'aucune autre espece
d'Ouvrage pour la Nation.Cette raison
est fort ingénieusement
trouvée , et a
même un fonds de vérité. Il 'est pourtant
vrai que Paterculus , Tacite et Mainbourg
à qui l'Orateur reproche justement leurs
excès d'esprit , de politique ou de feu d'imagination
, ont toujours trouvé et trouveront
sans doute toujours des Lecteurs
et des admirateurs , même en grand nombre
parmi nous .
Le P. de la Sante veut qu'une Histoire
de France ressemble à un grand Fleuve ,
dont les eaux claires , quoique profondes,
E iiij
rou-
419.03
938 MERCURE DE FRANCE
roulent avec majesté leurs flors, et il com
pare les petites Histoires , dont notre Nation
ne laisse pas de se faire un assez agréable
amusement;à ces Eaux,détournées dans
des Canaux, qui s'élancent en Jets - d'eaux,
en Cascades , et prenent toutes sortes de
formes , plus propres à repaître là vaine
curiosité des Spectateurs , qu'à fertiliser
les Jardins qu'elles font semblant d'arroser.
·
L'Orateur écarte toutes ces gentillesses
de notre Histoire , et ne la consacre qu'à
nourrir solidement l'esprit. Pour cela il
exige un jugement sain et une grande sagacité
de critique dans quiconque veut y
réussir. Il touche à cette occasion la diversité
des opinions , sur l'origine des
François , sur les commencemens de la
Monarchie , que quelques uns fixent à
Clovis , que d'autres font remonter
Pharamond ; les differends du Roy Philippe
le Bel avec le Pape Boniface VIII.
sur lesquels sans rien ôter à nos Rois, sans
trop donner aux Papes ; il faut se souvenir
qu'on est François , qu'on est Catholique
, qu'on est Historien ; trois qualitez.
qu'on n'allie pas facilement sans une gran
de solidité d'esprit , sans un grand art de
narration.
Pour ce qui est de l'érudition d'un His.
torien
MAY, 1732. 939
torien de France, il est visible qu'elle doit
être des plus étendues ; nulle Monarchie,
nul Empire n'ayant égalé celui- cy pour
la durée. Car les Dominations des Assyrtens
a été de mille ans , celle des Medes
⚫de 300 , celle des Perses 230 , celle des
Macédoniens 640, celle des Romains 1200.
L'Empire François compte plus de 1300
ans.
L'Orateur après avoir parlé de l'amour
de la vérité qui doit animer un Historien
de France , et du stile pur et noble
qu'on en exige , fait le caractere de nos
principaux Historiens. Il rend justice à
Mezerai , et ne dit rien de trop en faveur
du P. Daniel , applaudissant à ce que celui-
là a de bon , et ne dissimulant pas ce
que ce dernier a de mauvais.
Dans la seconde Partie de ce Discours
il entreprend de prouver , ce qui est sans
doute plus facile , que l'histoire de France ,
est des plus agréables à lire , sur tout pour
les François.
Deux sortes de gens lisent l'Histoire
les uns pour lire et s'amuser , les autres
pour s'instruire et profiter ; ceux - là ne
veulent que des fleurs , ceux- cy veulent
des fruits ; pour contenter tous les goûts ,
il faut plaire et instruire ; et c'est dequoi
le P. de la Sante croit notre Histoire tout
E v à
940 MERCURE DE FRANCE
à - fait capable ; de plaire par la singularité
des évenemens , d'instruire par la gramdeur
des exemples .
Cet Orateur ne laisse pas de citer des
traits merveilleux de l'Histoire de France,
qui peuvent aller de pair avec plusieurs
traits de l'Histoire Romaine.Clovis est un
vrai conquerant; la défaite du Général des
Romains, et celle d'Alaric, Roy des Visi
gots les grands exploits de Charlemagne
, et bien d'autres , étonneroient bien
autant , si les esprits n'étoient déja étonnez
et comme gagnez par l'Histoire Romaine
, dont on se trouve tout préoccupé
lorsqu'on commence, en France même,
à lire l'Histoire de France. On n'est plus
alors si jeune ni si capable d'éblouissement;
ón ne trouve donc rien de nouveau ,
on ne revoit que des coppies , et les Romains
restent toujours en possession d'un
esprit nourri de la Langue même de Ro
me, avant que d'avoir connu celle de son
Païs ailleurs que dans des conversations
familieres et domestiques.
L'Orateur François se sert de tout, même
de nos défaites et de nos malheurs qu'il
met en parallele avec ceux des Romains.
Nos Rois pris à Pavie et à Poitiers , nos
Vêpres Siciliennes , avec les Fourches caudines
, avec la Bataille de Cannes , & c.-
Tout
M.AY. 1732
942
Tout cela ya au but , et fait le merveilleux
et l'amusement d'une histoire.
2
Le Pont de Naples,deffendu par Bayard ,
vaut bien celui de Rome deff ndu par
Cocles ; à Clelie on compare fort à propos
la Pucelle d'Orleans , aux Camilles et
aux Marcels Bertrand du Guesclin ; aux
Luculles et aux Pompées , le Maréchal de
Boucicaut, aux Scipions le Comte de Dunois
; aux Vespasiens , Godefroi de Bouillon
; à Germanicus , le Comte de Montfort
; à Drusus , le Maréchal de Brisac ; à
Fabricius , Catinat ; à Emilius , Luxembourg;
à Fabius , Turenne ; à César
Condé,
Après ce parallele avec les Romains
l'Orateur défie et peut bien défier toutes
les autres Nations ensemble de l'empor
ter sur les François. Il passe ensuite à l'instruction
, dont il prétend que notre Histoire
est plus pleine qu'aucune autre.
Et il est vrai que rien n'égale, par exemple
, la constance des François à maintenir
leurs Loix , sur tout les Loix fondamenta
les du Royaume , telles que la Loy Sali
que. Il est étonnant , et peut être unique
de voir une Loy portée par les hommes ,
mais , sans doute , tout à fait inspirée de
Dieu , se maintenir, pendant un si long,
E vj
tems
942 MERCURE DE FRANCE
temps sans altération ; et cela malgré
des efforts extraordinaires faits en divers
temps par l'Angleterre , par l'Espagne ,
et par la France même , qui n'a pourtant
jamais osé franchir cette Barriere , lors
qu'il a fallu en venir à une décision précise
et positive.
L'amour des François pour leurs Rois légitimes
, leur fidelité inviolable ont constamment
maintenu une Loy si belle' , si
sage , si divine qui rend cet Empire comme
éternel ; et cet amour et cette fidelité
deviennent , par là-même , un des grands
exemples , une des plus solides instruc
tions , qu'aucune histoire puisse soutenir.
L'ardeur des François pour les Croisades
, n'est pas sans instruction non plus,
et on y trouve pour le moins autant de
bien à imiter dans l'ente rise , que de
mauvais à éviter dans l'execution . Mais
leur constance à proscrire toute Hérésie ,
tout Fanatisme , toute Religion nouvelle
est aus i d'un grand exemple. L'Arianisme
et les autres erreurs des Grecs ne purent
jamais s'y glisser , les Albigeois ne firent
pas de grands progrès. Le Calvinisme
se glissa pas tout, s'empara de tout et à la
fin ne tint rien. Il est surprenant qu'on
ite par tout le François comme un molele
de légereté et d'inconstance. On en
juge
MAY. 1732.
943
juge par de petits airs , de petites manieres
qui épuisent la vivacité de la Nation
, et par là -même , lui laissent toute
sa solidité , toute sa maturité pour les
choses essentielles qui en valent la peine,
C'est par le fond même et par de grands
résultats qu'on doit juger en general d'une
Nation comme la nôtre.
ETUDES MILITAIRES. Premiere Partie ,
qui comprend le Plan general de tout
l'Ouvrage , et l'Exercice de l'Infanterie ,
avec des figures ; dédié au Roy , par
M. Bottée , Capitaine au Régiment de la
Fere. A Paris , ruë S. Jacques et Quay de
Conty , chez Jombert et chez Tabarie , 1731.
in 12. de 514. pages , sans l'Epitre , la Préface
, l'Avertissement , les figures et 23 .
Planches gravées in 12.
MEMOIRE sur le sujet du Prix proposé
par l'Académie Royale des Sciences en
l'année 1729. touchant la meilleure Méthode
d'observer sur Mer la déclinaison
de l'Eguille aimantée , ou la variation de
la Boussole . Par M. Meynier , Ingenieur
du Roy pour la Marine , cy - devant Professeur
Royal d'Hydrographie, au Havre.
Nouvelle Edition. A Paris , chez Jacq.
Guerin , Quay des Augustins , 1732 .
Ex .
944 MERCURE
DE FRANCE
EXPLICATION du Livre de la Genese ,
où selon la Méthode des Peres , on s'attache
à découvrir les Mysteres de J. C,
et les Regles des moeurs renfermées dans
la Lettre même de l'Ecriture. A Paris
ruë S. Jacques , chez Babuti , 1732.6 . vol.
in 12.
EXPLICATION du Livre de Job , selon la
même Méthode. Chez le même 51732.
4. vol. in 12 .
sous
PERKIN , faux Duc d'York
Henry VII . Roy d'Angleterre . Nouvelle
Historique. Par le sieur la Paix de Lizan
cour. A Paris , Quay de Conty et Pon
S.Michel, chez Nyon ,fils , et Hardil 1732.
و
OBSERVATIONS MATHEMATIQUES
Astronomiques , Géographiques , Chronologiques
et Physiques , tirées des anciens
Livres Chinois ou faites nouvellement
aux Indes , à la Chine et
ailleurs , par les PP. de la Compagnie de
Jesus , rédigées et publiées par le RP.
Etienne Souciet, A Paris , Quay, des Augustins
, chez Rollin , pere , 17:32 . in 4.
Tome 2. et 3 .

Le premier volume de ce Recueil fur
publié en 1729. par les soins du même
Pere
MA Y.
1732. 945
Pere Souciet , Bibliothecaire du College
de Louis le Grand ; il étoit rempli d'Observations
également curieuses et importantes.
Les deux Tomes qu'on annonce
ici, contiennent , l'un toute l'Histoire abregée
de l'Astronomie Chinoise , et l'autre
un Traité de la même Astronomie , par le
P. Gaubil , Jesuite.
LES AVANTURES DU PRINCE JAKAYA ,
ou le Triomphe de l'Amour sur l'Ambition
; Anecdotes secrettes de la Cour
Ottomane. A Paris , chez Jacques Clowzier
, rue S. Jacques , 2. vol. in 12. Prix
3. liv. broché.
REFLEXIONS INSTRUCTIVES ET MORALES
sur l'Apocalypse. Par M. l'Abbé Genreau,
Guré de Notre Dame de Dijon . Ru
S. Severin , chez d'Houry , 1732. in 12.
de 636. pages.
LETTRES HEROÏQUES , Historiques et
interessantes , sur differens sujets . Rue
S. Severin , chez Mesnier , 1732. in 12.
de 220. pages .
HISTOIRE SECRETTE des Femmes Galantes
de l'Antiquité . A Rožen , chez Jore,
et se trouve à Paris , ruë S. Jacques , chez
Et.
34 MERCURE DE FRANCE
Et. Ganeau , 1732. 3. vol. in 12. Prix
6. livres , reliez.
LE ZODIAQUE DE LA VIE , ou Précepte
pour diriger la conduite et les moeurs des
hommes. Traduit- du Poëme Latin de
Marcel Palingene , celebre Poëte de la
Stellada , par M. de la Monnerie , 2. vol.
in 12. de 250. pages. A Paris , ruë S. Jacques,
chez Briasson.
HISTOIRE DE L'EMPIRE , contenant son
origine , son progrès , ses Révolutions ,
la forme de son Gouvernement , sa politique
, ses négociations , et les nouveaux
Reglemens qui ont été faits ont été faits par les Traitez
de Westphalie et autres . Par M. Heisse.
Nouvelle Edition , augmentée de Notes
Historiques et Politiques , continuée jusqu'à
present par M. V. G. J. D. G. S.
A Paris , 1731. in 12. dix volumes , et
in 4. 3. vol :
HISTOIRE CRITIQUE des Pratiques superstitieuses
qui ont séduit les Peuples et
embarassé les Sçavans ; avec la Méthode
et les Principes pour discerner les effets
naturels d'avec ceux qui ne le sont pas.
Par le P. le Brun , Prêtre de l'Oratoire..
Seconde Edition , considerablement aug
mentée ,
MAY. 7732 947
mentée , 3. vol. in 12. avec figures. Chez
la veuve Delaulne , et chez Chaubert.
L'INVENTION DE LA POUDRE , Poëme divisé
en trois Chants , dédié à S. A. S.M. le
Duc du Maine. Rue S. Jacques , chez.
J. F. Josse , 1732. in 8. de 54. pages,
Ce Poëme commence ainsi .
J'entreprends de chanter une Poudre fatale ;
Cruelle invention de la rage infernale ,
Dont les terribles feur à nos ardens souhaits ,
Rendent plus cher encor le regne de la Paix.
O vous qui tant de fois en faveur de la France , :
Fêtes de cette Pondre éclater la puissance ,
Lorsque du Grand Louis secondant les efforts ,
De l'Escaut er du Rhin vous foudroyież les bords,.
Et bravant des dangers l'impuissante menace ,
D'un Peuple d'Alliez vous confondiez l'audace :
Grand Prince, si marchant sur les pas des Ce
sars ,
La Paix vous rend , comme eux , tout entier aux
Beaux Arts , &c. n 10 dag se da
A la page 9. le Poëte fait en ces termes ,
la description du lieu où l'Auteur de la
Poudre travailloit dans le fond d'une Fo
rêt du Tirol.
Sous le toit redouté de cos antiques Tours ,
Un
948 MERCURE DE FRANCE
Un farouche Vieillard usoit ses derniers jours
On le nommoit Teter. La pénible Chimie ,
Faisoit l'unique emploi des restes de sa vie.
Là tantôt avec soin allumant ses Fourneaux
Il fouilloit à loisir dans le sein des Métaux ;
Tantôt dans un Mortier rappellant son courage
Et réchauffant un bras déja glacé par l'âge
Des Mineraux divers au hazard assemblez ,>
Il formoit un seul tout sous ses coups redoublez
Dans ce rude travail il devançoit l'Aurore
Et l'Astre de Venus l'y retrouvoit encore ,
Lorque sur l'horison en dépit du sommeil ,
Il venoit annoncer le retour du Soleil ,
Heureux , si dans cet Art sa longue experience ,
Eût au bien des Mortels , consacré sa science !
Mais un jaloux Demon de haine et de fureur ,
Contre eux dès sa jeunesse empoisonna son coeur
Triste de leurs plaisirs, et joyeux de leurs larmes ,
Le seul amour de nuire eut pour lui quelques
charmes ,
2
8112
I
De son ame cruelle il eut seul, tous les voeux ;
Et jamais il ne vit assez de malheureux, *
Comme en un Pré que baigne une Onde fayo
rable ,
Des Troupeaux du pays , pasturage agréable ' ,
Si par hazard sous l'herbe un dangereux Serpent,
Cache son corps livide et se traîne en rampant ,
Le sinistre animal dans ses routes obscures &
Ne
MAY. 1732 949
Ne s'attachera point aux Plantes les plus pures,
Mais toujours à l'écart d'un simple redouté ,
Nourrira sa colere et sa malignité.
Ainsi , loin de chercher quels secours efficaces ,
La Nature en secret prépare à nos disgraces ,
Le Chymiste infernal , par d'odieux efforts ,
Ramassoit les poisons dispersez dans les corps ,
Et sous l'éclat menteur des liqueurs les plus belles,
En semoit en tous lieux les essences cruelles .
A la fin du premier Livre , la Discorde
se présente à Teter , et lui parle ainsi :
Puisque fidelle encor au culte de tes Dieux ,
Le bonheur des Humains blesse toujours tes yeux
Pour leur porter enfin un coup inévitable ,
Et détruire à jamais leur race détestable ,
Ecoute et voy , Teter . Alors ouvrant les mains
Elle montre au Chimiste un tas de petits grains ,
Un noir amas de corps de figure conique ,
De la Poudre à canon , modele qu'elle explique.
Elle dit, quel mêlange a composé ces corps ,
Quel art ingénieux pourra , sans trop d'efforts ,
Pour leur donner à tous une grosseur égale ,
Diviser sagement leur masse generale .
Leur effet , poursuit-elle , est de lancer aux Cieux,
Des plus vastes Rochers , les poids prodigieux
Et du milieu des Airs , ainsi que le Tonnerre ,
Faire
10 MERCURE DE FRANCE
Faire passer le jour au centre de la Terre :
Aidé du feu secret dans leur sein préparé ,
Tu peux de l'Univers te jouer à ton gré ,
Troubler les Élemens , et dépeuplant le Monde,-
A leur premier-cahos rendre la Terre et l'Onde.
Rallume donc pour moi ton ancienne ferveur ,
Et sois digne , Teter , de toute ma faveur , &c.
Ce Poëme est plein d'imagination et
de traits poëtiques.
LA BIBLIOTHEQUE CHOISIE de M. Co
lomiés. Nouvelle Edition , augmentée des
Notes de M M. Bourdelot et de la Monnoye
et autres , avec quelques Opuscules
du même Colomiés , qui n'avoient point
été recueillis. Vol . in 12. de 376. pages
sans la Préface et les Tables. A Paris
chez Gabriel Martin , ruë S. Jacques
P'Etoile , 1731 .
On peut juger du mérite de cet Ouvrage
par les Editions qui en ont été faites.
La premiere fut publiée à la Rochelle
en 1682. in 8. La deuxieme à Amsterdam
en 1750. in 8. Dans cette Edition
M. Colomiés retrancha quelques traits
qui se trouvoient dans la premiere , et
y insera quelques Additions , comme il
nous l'apprend lui- même dans l'Avertissement
MAY. 17328
958
sement qu'il met à la tête. La troisiéme
fut publiée à Hambourg , réunie avec les
autres Ouvrages du même Auteur , dont
M. Fabricius donna la collection en 1709.
Dans celle- cy on a suivi la seconde Edition
donnée par l'Auteur , comme avoit
fait M. Fabricius ; on y a même ajoûté
au bas des pages plusieurs traits que M.Colomiés
avoir retranchez de la premiere
Edition : Elle est encore enrichie des Notes
que Pierre Bonet Bourdelot , avoit faites
sur cette Biblio.heque et de celles que
M. de la Monnoye y ajoûta depuis .
Cette Bibliotheque ne renferme pas le
détail de toute sorte de Livres ; M. Colomiés
n'a eu en vûë dans cet Ouvrage
que quelques- uns de ceux qui regardent
les Belles Lettres ou qui ont fait et font
encore les délices des Sçavans ; c'est ce
qu'il dit lui -même dans l'Avertissement
dont nous avons parlé plus haut. Il ne
rend compte que d'une centaine de Livres.
Son but principal , est de nous en faire
connoître les vrais Auteurs , lorsqu'ils se
sont déguisez sous des noms étrangers ,
ou que faute d'avoir mis leur nom à la
tête de leurs Ouvrages , on est en peine
de sçavoir à qui les attribuer, Il à soin
de marquer les meilleures Editions qui
ca ont été faites de son temps ; il y mêle
des
952 MERCURE DE FRANCE
des Anecdotes qui servent à faire connoî
tre le caractere de chaque Auteur , et
l'occasion qui a fait naître son Ouvrage.
Il s'attache à recueillir tous les Eloges que
lesSçavans ont donnés à celui dont il parle.
Quelquefois il assaisonne ses Remarques
Historiques de quelques traits de Criti
que , par lesquels il releve des fautes
mais il le fait toujours avec une moderation
qui lui fait honneur et dont personne
ne peut lui sçavoir mauvais gré. Et ce qui
n'est pas peu rare , et qui devroit servir
de modele aux Ecrivains de Religion differente
, M. Colomiés , quoique né et
mort Protestant , en donnant aux Sçavans
de son parti les louanges qu'ils méritent
n'a pas frustré les Catholiques de celles qui
leur étoient dûës . Les Auteurs de la Bibliotheque
Raisonnée , imprimée à Amsterdam
, et ceux de la Bibliotheque Germanique
, pourront- ils rendre compte de
celle - cy au Public sans y reconnoître la
condamnation de leur partialité ? M . Colomiés
a fait plus , car il a composé la vie
de l'illustre P. Sirmond , Jesuite ; il a
même poussé son impartialité jusqu'à
donner des éloges à ceux d'entre les Protestans
qui s'étoient de son temps soumis
à l'Eglise Romaine , il en donne une es
pece de Catalogue dans un des articles de
sa
M A Y. 17320 953
sa Bibliotheque choisie , pag. 191. et 192.
Entre tant d'articles , tous plus interessans
les uns que les autres , dont cette
Bibliotheque est composée ; nous n'en
cho sirons que deux. Le premier peut faire
connoître que M. Colomiés étoit en
état de hazarder des conjectures aussi justes
que celles des Turnebes , des Lipses ,
des Scaliger , &c. C'est à la page 124.
l'Auteur y parte d'un Ouvrage intitulé :
Ezech. Spanhemii Dissertationes de prastantia
et usu numismatum. Amstel. 1671 .
in 4. deux volumes.
Il n'est jamais sorti de la Presse des Imprimeurs
, dit M. Colamiés , un si docte
Livre que
celui - cy touchant les Médailles
. Feu M. Seguin en avoit loüé l'ébauche
dès l'an 1665. dans ses Médailles
choisies ; aujourd'hui tous les Antiquaires
font , comme à l'envi , l'éloge de cette
seconde Edition , qui est beaucoup plus
ample que celle de Rome. Il y a un seul
endroit qui me fait de la peine ; c'est à la
page 385. où ce sçavant homme prétend
que Scaliger s'est trompé , assurant sur
la foi d'une Médaille de Cléopatre , que
cette Reine fut surnommée en Egyptien
Daravow Tespa. Que dira M. Spanheim de
la Médaille de Cléopatre , dont parle Antoine
le Pois , qui avoit pour Inscription
BA954
MERCURE DE FRANCE
ΒΑΣΙΛΙΣΣΗΣ ΚΛΗΟΠΑΤΡΑΣ ΩΣΣΑΝ
ENTHPAZ , que ce même Le Pois interprete
, Regina Cleopatra omnium ( sive uni
versi ) Servatricis Soutiendra - t'il aussi
que Le Pois s'est trompé ? Pour moi , j'in .
clinerois volontiers à croire qu'OZEAN
seroit un mot Egyptien , signifiant Tout
ou l'Univers , me souvenant d'avoir lû
dans le Traité de Plutarque d'Isis et d'Osiris,
qu'o en Egyptien , vouloit dire
plusieurs d'où j'infere qu'OZZAN pourroit
bien dans la même Langue signifierTout.Je
m'en rapporte pourtant à M" Spanheim,
Carcavi , Patin , Spon , dont les décisions
me seront toûjours des Loix. Depuis la
premiere Edition de cet Ouvrage sur une
Médaille de Marc- Antoine et de Cléopatre,
rapportée par M. Spanheim , dans
son Commentaire sur les Cesars de l'Empereur
Julien , je conjecture qu'il faut lire,
dans celle de Le Poix , ΒΑΣΙΛΙΣΣΗΣ
ΚΑΜΟΠΑΤΡΑΣ ΘΗΑΣ ΝΕΩΤΕΡΑΣ .
Le reste de cet Article est une énumération
des Ouvrages de M. Spanheim ; le
même Auteur le croit Auteur d'une Lettre
anonime écrite à un ami , sur l'Histoire
Critique du vieux Testament du
P. Simon.
Le second article est à la page 196. il
sontient des Anecdotes curieuses .Le voicy.
MAY.

&
1732 .
cy.
Desiderii
Erasmi
Colloquia , cum notis
955
Arnoldi
Montani,
Amstelodami , 1658. in
12.
Bien que l'on ait fait à diverses fois
des Notes sur les
Entretiens d'Erasme
c'est encore M. Colomiés qui parle , il
reste pourtant des endroits que l'on n'a
pas encore éclaircis. Par exemple , quand
Erasme parle sur la fin de l'Entretien qui
a pour titre Abbatis et Erudita , de quelques
femmes sçavantes de
l'Angleterre
et de
l'Allemagne , qu'il nomme Moricas
,
Bilibaldicas et
Blaurericas , personne
ne nous a dit bien
distinctement qui
elles étoient . Il faut donc sçavoir que
Morica sont les filles de Thomas Morus,
Chancelier
d'Angleterre ,
Marguerite ,
Elizabeth et Cecile.
Marguerite entre les
autres étoit fort heureuse à corriger les
Auteurs. Jean Costerius dans ses Notes
sur Vincent de Lerins , rapporte d'elle
une
correction d'un passage de
S.Cyprien
qui ne cede point , à mon avis , à celles
des Scaligers , des Tunerbes et des Saumaises.
B.libal lica sont les soeurs de Bilibaldus
Pirck . ymerus , Conseiller de l'Empereur
, dont l'une se nommoit Charité
et l'autre Claire , toutes deux
Religieuses.
Ce
Pirckeymerus , de qui le sçavant et
pieux
Rittershusius a écrit la Vie , dédie
956 MERCURE DE FRANCE
sa soeur Charité la Traduction d'un
Traité de Plutarque , et ses oeuvres de
S. Fulgence ; et à Claire son autre soeur
la Traduction des Sentences de Nilus Evêque
et Martyr. Voici comme il parle de
ses deux soeurs dans une Lettre à Erasme
écrite de Nuremberg le 20. Mars 1516.
Salutant te gemina mea sorores , Abbatissa
S. Clare una ( c'est Charité qui étoit l'aînée
) altera ejusd. Regula Sectatrix , qua
assiduè tua scripta manibus retinent ; maximè
veròjam novo ablectantur Testamento :
quo mirè afficiuntur mulieres , multis viris
qui sibi scioli videntur , doctiores . Scribe- .
rent ad te latinè nisi indignas suas existimarent
Litteras. Il y a plusieurs Lettres
de Charité dans les Oeuvres de Pirckeymerus,
recueillies et publiées par Goldart.
Pour Blaurerice , je crois qu'Erasme entend
par là Marguerite Blaurer , dont Bullinger
fait l'éloge à la page 339. de son Commentaire
sur les Epitres . Rodolphe Gualter
Théologien de Zurich, a fait des Vers Lagins
sur sa mort , qu'il adresse à Ambroise
et à Thomas Blaurer ses freres . On ne nous
a point dit non-plus qui étoit ce Cephalus,
wir trium linguarum gnarus , dont Erasme
parle dans l'Entretien de Piscium esu . Ce
Cephalus est Wolphgang Fabrice Lapito ,
Théologien de Strasbourg , qui mourut
Pan
MAY.
1732. 957
l'an 1541. et qui a fait plusieurs Livres.
Les Entretiens d'Erasme ont été fort bien
traduits en Italien par Pietro Lauro de
Modéne , qui a aussi traduit Joseph ; mais
ils ont été mal tournez en notre Langue
par un nommé Chapuzeau . Touchant ces
Entretiens voici ce qu'écrit Clenard à un
Evêque nommé Jean Petit de Fez le 4.
Decembre 1540. Scripsit modo ad me Bominus
Marchio Granatensis Colloquia Erasmi
ignibus destinata esse ; periclitari etiam
vivum. Quid me futurum censes ubi nomen
Aiccrani audiverint. Finissons par ce joli
distique de Louis Mosius sur la mort d'Erasme
.
Fatalis series nobis invidit Erasmum ;
Sed Desiderium tollere non potuit.
Nous finirons le compte que nous rendons
au Public de cet Ouvrage , par donner
une idée de la vie de notre Auteur.
Paul Colomiés naquit à la Rochelle en
1638. de parens élevez dans la Religion
Protestante. Il étoit fils d'un Docteur en
Medecine , et petit- fils d'un Ministre.
Jean Colomies son pere , qui étoit sçavant
, lui fit faire ses prémieres études
sous ses yeux , et l'envoya ensuite à Saumur
, âgé de 16. ans , où le jeune homme
Fij fit
MERCURE
DE FRANCE
fit son cours de Philosophie
et de Théologie
et apprit l'Hebreu
sous Louis Cappel.
En 1664. il vint à Paris , âgé alors
de 26. ans. Il y lia avec Isaac Vossius une
amitié très-étroite qui dura toute sa vie. Vossius l'emmena
avec lui en Hollande
, d'où Colomiés
revint en France un an
après. Il y demeura
jusqu'en
1681. qu'il passa en Angleterre
où Vossius le reçut encore chez lui . Là il fut fait Lecteur
d'une Eglise Françoise
qu'on y érigea , selon le Rit des Episcopaux
, pour le
parti desquels
il inclinoit
depuis quelque temps , comme il le fit assez entendre
dans un Ouvrage
intitulé , Theologorum
Presbyterianorum
Icon , qui lui attira bien
des ennemis.
-Deux ans après Colomiés quitta Londres
pour aller à Lambeth , en qualité
de Bibliothecaire
de l'Archevêque
de
Cantorbery
Guillaume
Sancrost. Ĉe Prélat
ayant été disgracié de la Cour d'Angleterre
et dépouillé de son Temporel
,
Colomiés
perdit son emploi et en conçut
un tel chagrin qu'il en tomba dabord
malade , et ensuite dans une langueur
qui le conduisit
enfin à la mort , ce fur
à Londres , âgé seulement
de 54. ans en
1692 , dans le temps même qu'on parloit
de lui faire avoir la Direction de la belle
Bibliotheque
MAY.
1732 95%
Bibliotheque de Gottorp , qui est dans le
Palais d'Holstein ; ses Livres et ses Manuscrits
passerent entre les mains de son
cousin germain et son heritier M. Ha
melot.
Les deux Pieces de Colòmiés , qui sont
ajoûtées dans cette derniere Edition de sa
Bibliotheque choisie , sont la Vie du P. Sitmond,
Jesuite , imprimée à la Rochelle
en 1671. petit in 8. et l'Exhortation aux
Martyrs , traduite de Tertullien , imprimée
à la Rochelle en 1673. petit in 8.
Ilya à la fin de cette Edition , des Notes
de M. de là Monnoye , sur plusieurs
autres Ouvrages de Colomiés ; et enfin
une Table des Auteurs dont il est parlé
dans cette Bibliothèque choisie.
LA PHYSIQUE SACRE'E , ou l'Histoire
naturelle de la Bible , traduite en François
du Latin de M. Jean Jacq Scheuchzer,
Docteur en Medecine , Professeur de Methémathique
à Zurich , &c. C'est un Livre
qui s'imprime par Souscription à
Amsterdam , chez P. Scheuk et P. Mortier
, en 8. vol . in folio , enrichi de plus
de 700. figures en Taille douce , &c.
Cet Ouvrage a déja paru en Latin , en
Allemand et en Hollandois ; l'Auteur y
examine en Physicien et en Critique , tous
Fij les
80 MERCURE DE FRANCE
les Passages de la Bible qui ont rapport
aux choses naturelles ; les figures , quoi .
que faites pour instruire , ne laissent pas
de plaire aux yeux par l'ingenieuse varieté
des ornemens qui accompagnent chaque
Planche , et par la délicatesse des
vures. Il y a déja plus de 400. Planches
gravées, et l'on croit que les Libraires rempliront
leur engagement . Les Souscriptions
seront ouvertes jusqu'au dernier
Juin prochain.
gra-
LES INTERESTS PRESENS DES PUISSANCES
DE L'EUROPE , fondez sur les Traitez
conclus depuis la Paix d'Utrecht inclu
sivement , et sur les preuves de leurs prétentions
particulieres , par M. Rousset ,
Membre de la Societé Royale des Sciences
de Berlin , 2. vol . in 4. Cet Ouvrage
s'imprime par Souscription , à la Haye
chez Adrien Moetjens . On trouve le Programe
chez les principaux Libraires ; ont
recevra les Souscriptions jusqu'au dernier
d'Avril de cette année . L'Ouvrage entier
sera livré dans neuf mois. On payera pour
le papier ordinaire un Ducat en souscrivant
, et autant en recevant les deux volumes
; pour le grand papier 8. Florins
et autant en recevant l'Exemplaire.
LrsMAY.
1732. 961
LES VIES DES PEINTRES , Sculpteurs es
Architectes modernes . Par M. l'Abbé Pas-"
coli. Tome I. in 4. On y trouve les Vies "
de 40. Maîtres habiles. A Rome , &c. Lesecond
volume paroîtra bien - tôt.
GRAMMAIRE TURQTE , ou Méthode
courte et facile pour apprendre la Langue-
Turques avec un Recueil des Noms , des
Verbes et des manieres de parler les plus
necessaires à sçavoir avec plusieurs
Dialogues familiers. A Constantinople a
1730. in 4. pp . 194
و
JOURNAL LITTERAIRE , année 1731 .
Tome XVII. Premiere et seconde Partie .
A la Haye , chez Gosse et Neaulme 1731.-
in 12:
Ce Volume est très- bien rempli , et tout
l'Ouvrage est toûjours également bien
écrit. Parmi les Livres qu'on y annonce.
et dont on fait l'Extrait , on trouve :
PENSEE'S SECRETTES , divisées en deux
Parties. Premiere Partie , Refléxions sur la
Religion , avec des Résolutions pratiques
qui en sont tirées. Seconde Partie , Refléxions
sur la vie Chrétienne , &c. Par Guill.
Beveridge , Docteur en Théologie , Evêque
de S. Asaph . Traduit de l'Anglois sur
4
Fiiij
l'an962
MERCURE DE FRANCE
l'ancienne Edition . A Amsterdam , chez
lesWetsteins et Smith , 1731. 2. vol. in 12.
de 245. pages pour le premier , et de 286.
pour le second , sans les Préfaces et les
Tables.
>
OBSERVATIONS DE CHIRURGIE , sur les
Pierres qu'on trouve dans les Reins , dans
la Vessie , et dans l'Uretere , sur la Lithotomie
et sur la maniere de faire la
Ponction de la Vessie. On y démontre
aussi que la maniere de faire l'Opération
de la Taille suivant la Méthode de
M. J. Jacq. Ran , est la mieux fondée
la plus sure , et la plus heureuse de toutes
celles qu'on a employées jusqu'à présent.
Par M. Jacq. Denis , Lithotomiste et Accoucheur
à Leyde. A Leyde , chez Ch.
J. Kerchchem , 1730. in 8. de 200. pages.
Tout l'Ouvrage est en Hollandois .
ESSAIS SUR LA PROVIDENCE .et sur la
possibilité physique de la Résurrection ;
traduits de l'Anglois du Doct . B ... A
Amterdam , chez Elie Ledet , & c. 1731 ,
in 12. de 247. pages .
LE MINISTRE PUBLIC dans les Cours
étrangeres , ses fonctions et ses prérogatives
. Par M. de la Sarraz du Franquesnay .
A Amsterdam , 1731. in 12. de 164. pages.
HISMAY.
1732.
963
HISTOIRE de la Mere et du Fils
c'est-à- dire , de Marie de Medicis et de
Louis XIII . Roy de France , & c. depuis
l'an 1616. jusqu'en 1619. par Franç. Eudes
de Mezeray. A Amsterdam , chez
Mich. Ch. le Cene , 1730. in 4. de 353 .
pages , in 12. deux vol. l'un de 350. pages
, et l'autre de 406.
JOURNAL EXACT , ou Description circonstanciée
de tout ce qui s'est passé dans
le grand Campement du Roy de Pologne
, Elect. de Saxe , entre Radivitz et
Mulberg en Saxe , près de l'Elbe , depuis
le 31. de May 1730. jusqu'au 25 de Juin.
A Amsterdam , chez Jacques Desbordes ,
1730. in 8.
RECUEIL DE DISCOURS sur diverses ma
tieres importantes , traduits ou composez
par Jean Barbeyrac , Professeur en
Droit dans l'Université de Groningue ,
qui y a joint un Eloge historique de feu
M. Noodt. A Amsterdam , chez P. Hum
bert , 173 1. in 8. deux volumes , dont le
premier de 327. p . et le second de 344 .
TRAITE DE L'ART METALLIQUE , EXtrait
des Oeuvres d'Alvare Alphonse Barba
, celebre Artiste dans les Mines du
F v
Potosi ,
964 MERCURE DE FRANCE
Potosi , auquel on a joint un Memoire
concernant les Mines de France ; avec un
Tarif qui démontre les Opérations qu'il
faudroit faire pour tirer de ces Mines
l'or et l'argent , qu'en tiroient les Romains
lorsqu'ils étoient maîtres des Gaules.
Ouvrage enrichi de figures en Taille
douce. A Paris , chez Saugrain pere ,.
1730. in 12. de 269. pages.
LA VIE DE MAHOMET . Par M. le Comte
de Boulainvilliers , Auteur de l'Etat de la
France , et des Memoires Historiques qui
l'accompagnent. A ‹ Londres , 1730. in 8%.
de 406. pages.
OEUVRES PHILOSOPHIQUES , ou Dě--
monstration de l'Existence de Dieu , tirée
de l'Art , de la Nature , dans la premiere
Partie , et dans la seconde , dess
preuves purement intellectuelles , et de
l'idée de l'Infini même , par M. François =
de Salignac de la Motte Fenelon. On ya
joint ses Lettres sur divers sujets concernant
la Religion et la Métaphisique , et
ses Sermons. A Amsterdam , chez Zach.
Chatelain , 1731. deux vol . in 8 .
HYACINTHE , ou le Marquis de Celtas
Dirorgo , Nouvelle Espagnole , A Amsterdam
MAY.
17328 935
terdam , chez Jacq . Desbordes , 1731. deux
vol. in 12 .
RECHERCHES Sur l'évidence de la Religion
Chrétienne. A Londres , chez W.
Innys , 1732. in 8. Le Traité est écrit
en Anglois par une Dame.
M. Wrist a donné dans ses Observations
en 2. volumes in 4. ornés de 40.
Planches , ce qui s'est présenté à lui de
plus curieux en Ouvrages de Peinture
de Sculpture et d'Architecture dans le
Voyage de France et d'Italie , qu'il fit
en 1720. 21. et 22. avec Mylord Parker , ›
fils du Comte de Macclesfield,
M. Eleazar Albin , qui a donné il y
a quelque temps une Histoire Naturelle :
des Insectes , a mis au jour depuis peu
une Histoire Naturelle des Oiseaux en
101. Planches gravées , où les figures
sont dessinées et enluminées d'après des
Oiseaux vivans ; les Planches sont accompagnées
de Remarques sur chaque
Oiseau , dont le nom est marqué en
Anglois et en Latin . A Londres , chez
W. Innys , &c. 17:32. in 4.
.
Favja SUITE
966 MERCURE DE FRANCE
SUITE de l'Extrait du second Tome de
la Biblioth que Italique.
Après ce que nous avons dit dans le
Mercure du mois de Janvier dernier , au
sujet de l'Histoire Litteraire de l'Italie , par
le Docteur Hiancinthe Gimma . Nous
ne trouvons rien de plus curieux et de
plus digne de l'attention de nos Lecteurs
dans la suite de ce volume , que le grand
ouvrage du Marquis Scipion Maffeï . Il fait
le vii article du Journal , et porte le titre
qui suit.
ISTORIA DIPLOMATICA , che serve d'Introduzione
all'Arte critica in tal Materia
con Racolta de Documenti non ancor divul--
gati, Cherimangono , in Papiro Egizio , &c.
c'est-à- dire , HISTOIRE DIPLOMATIQUE
pour servir d'introduction à l'Art critique
sur cette matiere , avec un Recueil
de Documens , qui n'avoient pas éré publiez
et qui subsistent encore en Papier
d'Egypte. DISSERTATION sur les premiers
habitans de l'Italie , faite à l'occasion de
cet ouvrage , dans laquelle on découvre
l'origine des Etrusques et des Latins, rec
un supplément qui contient la LETTRE à
Césarius expliquée , et quelques autres
monumens. Enfin l'ARC de Suse , avec
son Inscription , qui n'avoit pas encore
été
MAY. 1732 . 967
été copiée. A Mantoüe , chez Tumermani
, M.DCC. XXVI . in 4. de 338 pages pour
l'Ouvrage , et 22 pour l'Epître d'dicatoire
, et la Table des deux premiers Livres
, qui contiennent l'Histoire Diplo
matique.
La longueur de ce titre ne doit surprendre
Personne. M. le Marquis Maffei
l'un des plus Illustres Membres de la République
des Lettres , l'enrichit icy de
trois differens Ouvrages à la fois , et ces
Ouvrages ont chacun un mérite particu
lier. Le plus considérable est sans doute
celui qui concerne la Diplomatique , c'est
aussi le plus étendu , et sur lequel les Aureurs
du Journal , dont nous rendons
compte , se sont le plus arrêtez. Il étoit
impossible de faire autrement , puisque
dans l'Histoire des Diplomes , M. Maffei
remonte jusqu'aux Juifs , aux Grecs et à
d'autres anciens Peuples , et qu'il descend
fort bas dans les siècles posterieurs , sans.
compter les differens genres de littérature
qu'il embrasse dans la même Histoire , et
qui y entrent naturellement .
Pour nous , qui sommes assujettis à certaines
bornes , il nous suffira d'instruire
nos Lecreurs , avec le plus de briéveté que
nous pourrons , de ce que l'illustre Auteur
a écrit dans l'un de ces trois Ouvra
ges
258 MERCURE DE FRANCE
ges , au sujet de l'Arc de Suse , élevé à l'honneur
d'Auguste. C'est une matiere curieuse
d'elle - même , et sur laquelle nous n'avions
encore rien que de superficiel et
d'incertain.
On remarque d'abord qu'André Novager,
Ambassadeur de Venise , auprès des
Charles V. alla à Suse , l'an 1524. Luc de
Holstein y alla cent ans après , et le P.Mabillon
y passa dans son voyage d'Italie.
Ces trois Sçavans Antiquaires jugerent
que l'Inscription de ce Monument ne
pouvoit être déchiffré . Ce que Pierre Geofroi
Nizzardo , Historien , en a pû coppier
, a été inseré dans le Théatre des Etats
de Savoye , imprimé en Hollande . Mais les
Figures de l'un des côtez sont , dit-on
faites d'imagination ; l'Arc même y a été
défiguré , et quelques mots de l'Inscription
n'y forment aucun sens raisonnable .
L'attention et l'exactitude de M. Maffei
, ne laissent rien à désirer dans le des.
sein de ce beau Monument. L'Estampe
qu'il en donne est tres nette. Nous parlons
après nos Journalistes , qui auroient
obligé bien du monde , s'ils avoient euxmêmes
donné cette Estampe gravée dans
leur Journal , auquel cas nous aurions pû
les imiter, tous les Curieux n'étant pas à
portée de voir le Livre de M. Maffei.
114
M - A Y. 17325 969
Il n'y a , continuent-ils , que le côté ·
qui regarde le Septentrion , dont les Fi--
gures soient rongées. Les deux Faces op--
posées de l'Arc sont chargées au dessous .
des Inscriptions , de Figures en bas- reliefs
, qui representent deux Sacrifices
solemnels .
Ces Sacrifices furent faits apparemment,
le premier, quand on posa les fondemens
de l'Arc ; le second, quand on l'eut achevé.
Le Bas - Relief qui paroît sur le côté ·
méridional , semble marquer un Traité
d'Alliance .
Voicy l'Inscription telle que M. Maffei
l'a déchiffrée et rétablie , en se servant
des Lettres qui sont visibles sur l'une des
Façades , pour les substituer à celles qui
manquent à l'autre. Les Inscriptions des
deux Façades disent absolument la même
chose , suivant M. Maffei. Qu'il nous soit
permis de mettre icy cette Inscription :
sans aucune distinction de lignes. Les Auteurs
de la Bibliothèque Italique n'ayanɛ
donné là-dessus aucune instruction , nous
ne devinons pas si leur arrangement est
conforme à l'original , ou si l'Imprimeur :
a suivi seulement la forme de son papier,
&c.
IMP. CESARI AVGVSTO. DIVI. F.PONTI
FICI. MAXIMO. TRIBVNICIA , POTESTATE
s
XV
975 MERCURE DE FRANCE
XV. IMP . XIII . M. IVLIVS . REGIS . DONNE. F.
CO TIVS. PROEFECTVS , CIVITATVM. QUÆ.
SVBSCRIPTÆ. SVNT . SEG VIORVM . SEGVSINORVM.
BELACORVM . CATVRIGym. MEDVLLORVM.
TEBAVIORVM . ADANATIVM .
SAVINCANTIVM . EGDINIORVM: VEAMINIORVM.
VENISAMORVM . IRIORVM. ESVBIAM
NIORVM. OVADIAVIVM . ET . CIVITATES
QVÆ SVB. EO. PRÆFECTO , FVERVNT.
Cette Inscription et les Bas- Reliefs ont
paru si considérables à M. Maffei , qu'il
a conseillé au Roy de Sardaigne , à qui
son Livre est dédié , de faire transporter
cę Monument à Turin , où les Sçavans ,
tant de la Ville, qu'Etrangers , pourroient
s'appliquer à en donner l'explication ; ce
qui pourroit servir à éclaircir l'Histoire ,
et la Géographie , et à donner l'intelli
gence de plusieurs endroits des Ouvrages
d'Auteurs anciens. Le Transport seroit ,
dit- il , d'autant plus facile que les Ro
mains élevoient ces Edifices de telle maniere
qu'on pouvoit les défaire et les refaire
comme des Ouvrages mobiles , ou de
rapport. Ils faisoient pour cela tailler de
grandes Pierres , qui s'appliquoient parfaitement
les unes aux autres, et se lioient
sans mortier par des Cloud ; de fer , que
du plomb fondu autour , defendoit de la
roüille.
Nous
MAY.
972 1732
Nous avons crû , en donnant cette Inscription
, devoir éviter la méprise de
PImprimeur de la Bibliotheque Italique ,
qui ignore , sans doute , que dans les Inscriptions
Romaines , sur tout celles de ce
temps- là , cette Lettre U n'a jamais été
employée . Les Romains n'ont connu que
celle - cy V , tant pour la consonne , que
pour la voyelle. On est fort éloigné de
croire que M. le Marquis Maffei ait souffert
une pareille inadvertance dans son
Livre.Cela seroit capable de détruire tout
son systême d'antiquité sur ce Monument,
& c.
Les Nouvelles Litteraires qui sont à la
fin de ce second Tome , apprennent , art.
de Venise , que le P. Dom Angelo Callogiera
, Religieux Camaldule , y fait imprimer
, sous le nom de Jean Angeli , et
sous la protection de M. Soranzo de Ris
Marin , un Journal Litteraire , qui pa--
roît tous les mois , sous le titre de Gior
nale d'Europa.
MEMOIRES FIDELES de la Vie , des
Amours et des Ouvrages de Made Olde
field , la plus celebre et la plus parfaite
Actrice de son temps. A Londres , 1731 .
La plus grande partie de cet Ouvrage ,
écrit en Anglois , contient une espece
d'His
972 MERCURE DE FRANCE
d'Histoire du Théatre Anglois .
MEMOIRES de Messire Michel de Cas
telnau , Seigneur de Mauvissiere, illustrez
et augmentez de plusieurs Commentai
res et Manuscrits , tant Lettres , Instruc
tions, Traitéz , qu'autres Pieces , Secrettes *
et Originales , servant à donner la vérité.
de l'Histoire des Regnes de François II.et
Charles IX. Henry III. et de la Regence
et du Gouvernement de Catherine de
Médicis , avec les Eloges des Rois , Reines
, Princesses et autres Personnes Illustres
de l'unes et de l'autre Religion ,
sous ces trois Regnes. L'histoire généalogique
, de la Maison de Castelnau , par
Jean le Laboureur , Conseiller et Aumônier
du Roy , Prieur de Suvigné. Nouvelle
édition , revûë avec soin et augmentée
de plusieurs Manuscrits , avec près de
400 Armoiries gravées en tailles douces.
A Bruxelles , 1731. 3 vol. in fol . et se
trouve à Paris , chez Giffard et Briasson ,
ruë S. Jacques.
Dáns la derniere assemblée publique de
L'Académie Royale des Sciences , M. Dufay
lut un second Mémoire sur la maniere
de colorer les Pierres ; nous avons donné
l'Extrait du premier dans le Mercure de
Decembre 1730. 1. vol . Celui - cy - contient
MAY. 1732.
973*
tient deux parties ; dans la premiere M..
Dufay remedie à quelques inconveniens
qui se rencontroient dans l'emploi de certaines
couleurs , décrites dans son premier
Mémoire , et il en ajoute quelquesunes
, qu'il n'a découvertes que depuis
peu ; dans la seconde partie , il donne la
maniere de former des desseins en blanc
sur la Cornaline, ou de blanchir le champ
de la Cornaline, et d'y tracer des desseins
en rouge.
La maniere dont l'Auteur employe la
Gomme , appellée Sang de Dragon , pour
fair le rouge sur du Marbre blanc , est
bien simple ; il broye cette Gomme dans
un Mortier d'Agathe , et y met quelques .
goutes d'Esprit de vin ; il l'employe ainsi
avec le Pinceau , sans qu'elle se grumele ,
ou s'empâte , comme il arrive , en la dissolvant
à l'ordinaire ; pour
faire un rouges
très brun , il y ajoûte de la Poix noire ,
suivant la nuance qu'il désire, il employe
la Gomme gutte pour le jaune de la même
maniere ; et si avec l'une ou l'autre de
ces couleurs on veut réserver des Parties
blanches au milieu de la tache , fl suffit de
mettre un enduit de blanc d'Espagne.avec
de l'Eau gommée dans les endroits que
l'on veut conserver ; on peut passer la
couleur pardessus , sans craindre qu'elles
les endommage..
Lors
974 MERCURE DE FRANCE
Lorsque ces couleurs sont employées ,
on porte la piece de marbre dans un Four
ordinaire , et on l'y laisse jusques à ce
qu'on s'apperçoive par quelque échantil
lon que les couleurs sont fonduës et ont
bien pénétré.
Le marbre étant froid , on y met la dissolution
de Sang de dragon pour faire la
couleur de chair ; le marbre n'a pas -besoin
d'être chaud pour cette nuance ,
non plus que pour le bleu , qui se fait
avec une dissolution de tournesol , dans
une lessive de chaux et d'urine ; cette liqueur
pénétre le marbre à froid et entre
très-avant. Elle fait un très beau bleu , tirant
quelquefois sur le violet , suivant
que la liqueur est plus ou moins chargée
de Tournesol , ou qu'elle a digéré plus
long- temps:
Lorsque le marbre est entierement peint,
on le ponce pour enlever le marc des couleurs
, et on le polit à l'ordinaire ; de la
sorte on peut faire pénétrer dans le marbre
blanc toutes les couleurs imaginables ,
et par consequent imiter les marbres les
plus beaux et les plus précieux .
A l'égard de la seconde Partie qui regarde
Is Cornalines , la pratique en est
fort simple , et voicy comme M. Dufay
en a fait la découverte ; il voulut essayer
d'éMA
Y. 17327 975
d'émailler une Cornaline ; elle ne put pas
soutenir,sans se casser,la chaleur nécessaire
pour fondre l'émail ; mais l'ayant retiré
du feu , il s'apperçut que les endroits
qui avoient été couverts d'émail , étoient
blancs , le reste étant demeuré rouge ; il
imagina que l'émail avoit occasionne plus
de chaleur dans les endroits où il avoit été
appliqué, et il essaya de faire la même chose
avec d'autres matieres terreuses ; en ayant
essayé plusieurs, il trouva qu'aucune ne faisoit
mieux que le Colchotar dissous dans
l'Eau gommée , on forme avec cette matiere
des desseins sur la Cornaline , et en la
chauffant petit à petit sous uneMoufle , tout
ce qui est couvert de Colchorar blanchit,
et le champ de la pierre demeure rouge.
M.Dufay a aussi remarqué qu'on pouvoit
nuancer ce blanc et le faire plus mat en
des endroits qu'en d'autres , en donnant
plus ou moins d'épaisseur à l'enduit de
Colchotar ; on peut aussi ombrer ces sortes
de desseins avec la dissolution d'argent
dans l'Esprit de Nitre, en sorte qu'il
ne faut présentement qu'un ouvrier hapour
porter cet art à son plus haut
dégré de perfection . M. Dufay finit par
quelques Observations sur le choix des
Cornalines les plus propres à cette sorte
de travail , parce qu'elles ne le sont pas
bile
tou
976 MERCURE DE FRANCE
toutes également , et qu'il y en a même
qui n'y sçauroient absolument être employées.
SUITE des Médailles du Roy.
Depuis la derniere Médaille dont nous
avons donné la gravure dans le Mercure
du mois de Mars 1731. frappée au sujet
de la Naissance DU DUC D'ANJOU , on en
a frappé deux autres , dont nous nous
faisons un devoir de parler et d'illustrer
ce Livre , par la représentation des deux
differens Revers , qui sont autant de Monumens
Historiques du glorieux Regne
de S. M. Nous nous dispensons d'en donner
la Face , parce que c'est la même qui
a déja paru sur les derniers Médailles ,
c'est- à-dire , la Tête de cet Auguste Prince
, couronnée de Laurier , avec la Lé
gende ordinaire.
Le Revers de la premiere de ces deux
Médailles , représente le magnifique Pont
que le Roy a fait construire à Compiégne
, ville de Picardie , située au con-
Auent des Rivieres d'Oise & d'Aisne, avec
cette Légende : COMPENDIUM ORNATUM
ET LOCUPLETATUM ; et dans l'Exergue :
PONTE NOVO ISARA IMPOSITO . M. DCC.
XXX .
Dans le Revers de l'autre Médaille , on
NOC
MORNATUA
MPENDIUM
PAX
SARA
ET
LOCUPLE!
PLETATU
PONTE NOVO
1SARE IMPOSITO
MDCC XXX .
PROVI
META NOVI S
OPERIBUS MUNITA
MDCCXXXIL
DA
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
MAY. 1732. 1977
voit Minerve assise et environnée des
principaux attributs de la Prudence et de
la Paix, qui remet au génie de l'Architec
ture Militaire le Plan des nouvelles Fortifications
de Mets , avec ces mots : Pax
PROVIDA. L'Exergue contient cette Inscription
: METE NOVIS OPERIBUS MUNITE.
M. DCC . XXXII.
On débite chez Pierre Giffart et Julien- Michel
Gandouin : LES MONUMENS DE LA MONARCHIE
FRANÇOISE , par le R. P. Dom Bernard
de Montfaucon. Tom . iv. qui comprend les Regnes
de Charles VIII . de Louis XIÌ.et de Frans
çois I.
Les Monumens se multiplient avec les Faits ,
dans les derniers siecles de notre Histoire , et le
celebre Auteur a fait choix de ce qu'il a trouvé
de plus interessant. Charles VIII . dans un original
du temps est représenté vétu et couronné
Comme Empereur d'Orient , tel qu'il parut à son
Entrée triomphante à Napies. Le Regne de Louis
XII. fournit plusieurs belles Miniatures faites la
plupart à l'usage de la Reine Anne de Bretagne ,
dont on a les Livres originaux, qui nous apprennent
bien des choses inconnues jusqu'à présent.
On y voit la Guerre contre les Génois,la reprise
de Génes , l'Entrée triomphante du Roy dans
cette Ville ; ce Prince quelquefois avec ses habits
Royaux , et quelquefois en habit Militaire ; la
Reine Anne , dans son appartement , avec les
Princesses et les Dames de sa Cour, assises à terre
devant elle.Ce quatriéme volume représente aussi
, en plusieurs Tableaux , le Convoi de la même
Reine, depuis Blois jusqu'à S. Denis, le plus
magnifique
978 MERCURE DE FRANCE
31 magnifique qu'on ait vû en France. L'Histoire de
François I. renferme plusieurs particularitez qui
avoient échappé à nos Historiens précédens , entre
autres , un Journal de l'Entrevue celebre du
Camp du Drap d'or , avec la figure de cette Entrevue
, tirée de cinq Tables de Marbre , qu'on
voit à Rouen, où elle est sculptée en demi relief.
Rien de plus instructif en ce genre que les figures
de la Cour de François I. du Procès du Cổnné
table de Bourbon et tant d'autres semblables ,
toutes coppies de Tableaux ou de Miniatures du
temps.
&
Barthelemi Alix , rue S. Jacques , au Griffon ,
vient de mettre en vente : Instructions Chrétiennes
Sur les souffrances , par M. l'Abbé ... vol. in 12 .
a liv. 10 f.
Racines Hébraïques , sans paints-voyelles , ou ,
Dictionnaire Hébraïque , par Racines , où sont
expliquez , suivant les anciens et nouveaux Interpretes
, tous les mots Hébreux et Caldaïques ,
du Texte original des Livres Saints ,Vol. 8.5 liv .
On a imprimé depuis peu chez Ballard , l'Opera
'Endimion de M.de Blamont , Sur- Intendant de
la Musique du Roy , in 4. de 355 pag. Il se vend
au Mont Parnasse , ruë S. Jean de Beauvais et chez
P'Auteur.
Le même Auteur vient de faire graver un Livre
de Motets , in fol . de 172 Planches ; à une et
deux voix , sans Symphonie , et avec Symphonie
et à grand Choeur. Il se vend chez Boivin , ruë
S. Honoré , à la Regle d'Or , et Leclerc , ruë
du Roule , à la Croix d'Or , et chez l'Auteur.
Le prix est de 9 liv. en blanc. ୨
On vend aussi chez les mêmes , tous les Ouvrages
de cet Auteur ; sçavoir , les Fêtes Grecques
*et
MAY. 17328 979
et Romaines , Ballet en trois Actes , et un Prologue
, Partition , in 4. 12 liv.
Premier Livre de Cantates
Second Livre de Cantates ,
Troisiéme Livre de Cantates ,
To liv.
in Folio. 9 liv.
3 liv,
Le Retour desDieux , Divertissement, in 4. 3 1.
Le Caprice d'Erato ou les caracteres de la Musique
, Divertissement , in 4. 4 1.4 f
PremierRecueil d'Airs sérieux et à boire. 2 18 f.
Second Recueil d'Airs sérieux et à boire , 3 1 .
On écrit d'Orleans , qu'on doit réimprimer incessamment
dans cette Ville , le Commentaire de
M. de la Lande , sur la Coûtume d'Orleans . Cette
Edition , qui sera la troisiéme, se fera sur la premiere
, et contiendia un Volume in fol. lie sera
corrigée par M de la Lande de Lumeau fils de
l'Auteur , qui y joindra les Notes posthumes de
son Pere. Le même Editeur se prépare de donner
incessamment la Traduction d'un Ouvrage
de M, son Pere , intitulé : Jus Romano - Gallicum
ad Pandectas, seu Digesta , dont on a vû un essai
des huic premiers Titres du premier Livre , imprimez
à Orleans en 1690. et qui a été favorablement
reçu. Cet Ouvrage , où l'on joindra le
Texte latin, conciendra 2 vol . in fol . après quoi,
si le public paroît content , le même Edi eur se
propose de rassembler en un corps differens
Traitez, imprimez et non imprimez , tant de M.
de la Lande que de Jean Davezan , mort Professeur
en Droit en l'Université de Paris er a’Orleans
, et Conseiller d'Etat son Acul maternel.
On écrit de Rome qu'on y travaille actuellement
, par ordre du Pape , à une Edition com-
G plecte
980 MERCURE DE FRANCE
plette de toutes les Bulles de Papes , Decrets &
autres Constitutions , qu'ils ont accordés pendant
leurs Pontificats , et cet Ouvrage sera intitulé
: Le Bullaire Romain.
On apprend de Londres un fait qui doit inte
resser ceux qui s'appliquent à la Mécanique et
aux Arts utiles .On a établi depuis peu à Derby,
dans une des Manufactures d'Etoffes de Soye, de
cette Ville,une Machine fort utile , qui a 26586
Roues ou Bobines , muës par une seule Roye à
Godets , qu'un courant d'eau fait tourner d'un
mouvement toujours égal , on peut arrêter chacune
de ces Roues séparément, sans interrompre
le mouvement des autres ; lesquelles toutes ensemble
peuvent filer 73726 Verges de Soye, d'un
seul tour de la Roue à Godets , qui faisant trois
tours en une minute , peur fournir par conse
quent en 24 heures , 318 millions , 104960 Verges
de Soye filée, Un seul homme suffit pour gou-
Verner toute la machine.
Ces Lettres ajoutent qu'on avoit donné la petite
Vérole par insertion aux deux Neveux du
Chevalier Thomas Littleton , l'un des Commissaires
de l'Amirauté ; l'aîné des deux , qui avoit
environ 20 ans , mourut le 4e jour de l'éruption ;
Pautre est hors de danger. On a remarqué que.
cette opération n'a pas été favorable cette année ,
et qu'il est mort au moins un cinquième de ceux
ausquels on l'a faite. M.West , jeune Gentilhomme,
âgé d'environ 20 ans, est aussi mort à Cambridge
, sur la fin du mois dernier , de la petite
verole quelques jours après l'inoculation.
Le sicur Beausire le fils , Architecte, du Roy et
.
de
MAY. 17326 981
de la Ville de Paris , fut reçu le 28 du mois dernier
à l'Academie Royale d'Architecture , à la
place de feu M. Mathieu , qui étoit Ingénieur en
chefsur la Loire.
AVIS IMPORTANT.
L'Académie de Chirurgie , établie à Paris, sous
la protection du Roy,ayant déterminé de donner
ceux qui aspirent au Prix qu'elle a proposé
pour l'année 1732.plus de temps pour travailler,
qu'elle n'en avoit accordé d'abord , recevra jusqu'au
31 Decembre inclusivement les Mémoires
qui lui seront envoyez à ce sujet . Elle invite les
Auteurs à soutenir leurs raisonnemens par des
faits de pratique , choisis et bien avérez , et les
prie de se conformer pour le reste , à ce qui est
porté dans le Programme qu'elle a publié ca
Janvier.
****
****
AIR.
V Oulez- vous me donner la mort ,
Impitoyable jalousie ,
En troublant nuit et jour le repos de ma vie ?
Je sçaurai bien , sans vous , finir mon tristé sore
L'absence n'est que trop cruelle
Pour un Amant enflammé.
Je mourrai de langueur si j'aime une infidele ,
Qu je mourrai d'ennui , quand je serois aimé.
Gij SPEC2
MERCURE DE FRANCE
SPECTACLES
.
L
E 21 Avril , les Comédiens Italiens
donnerent la premiere Représentation
d'une Piece en trois - Actes, intitulée : Les
Amusemens à la mode. Cette Comédie
dont les Sieurs Romagnesy et Riccoboni
sont Auteurs , fut précédée d'un Prologue.
Voici l'Extrait de cet Ouvrage , que
le Public a reçu tres- favorablement , en
ayant trouvé le titre bien rempli , a beaucoup
d'égards , et heureusement saisi , car
on n'a jamais tant vû de gens de tous
Etats , se faire un amusement de jouer la
Comédie , &c.
Au Prologue , Le Théatre représente
le Théatre même. La De Sylvia y
paroît assise dans un Fauteuil. Le St Romagnési
vient interrompre sa profonde
rêverie , dont il-lui demande la cause ; elle
lui dit qu'elle pense tres- sérieusement à
la sottise qu'ils vont faire de donner une
si mauvaise Piéce au public ; Piece qu'ils
n'auroient jamais dû recevoir.Romagnesi
lui dit que c'est à juste titre qu'on l'a reçue,
et la premiere raison qu'il en donne,
C'est qu'il en est l'Auteur. Sylvia témoigne
MAY. 1732 १६
gnë sa surprise , attendu le peu de bon
sens qui regne dans tout l'Ouvrage, Romagnesi
ne croit pas pouvoir mieux imposer
silence à sa critique , qu'en ajoûtant
, qu'elle est interressée plus qu'elle ne
pense à épargner l'Ouvrage , puisque son
parent Riccoboni ya travaillé conjointement
avec lui : La Piece n'est donc
pas
mauvaise , répond Sylvia ; elle fait plus
elle se charge de faire un Compliment au
public , pour le prévenir en faveur de
Ouvrage. Ce Compliment
a paru tresjoli
, aussi bien que le Prologue. La Dile
Silvia restée seule , s'exprime ainsi :
si
MESSIEURS , c'est vainement qu'il
pense ,
Que j'ose me charger du soin
De lasser votre patience ;
Quelle que soit votre indulgence
Ce seroit la pousser trop loin ,
De la mésurer au besoin
Qu'en aura notre insuffisance .
D'ailleurs , je tenterois des efforts superflus
Et c'est en vain qu'on se propose ,
D'adoucir un Public que l'Ouvrage indispose
Il ne le siffle point , mais il n'y revient plus ,
C'est à peu près la même chose.
Il faut pourtant vous demander ,
Car vous sçavez que c'est l'usage ,
G iij Et
984 MERCURE DE FRANCE
Et si vous daignez m'accorder
Le bien dont je me fais la plus fateuse image
Tout autre sort au nôtre doit ceder ;
C'est d'être convainca de notre ardent hom
mage
De croire , que le soin qui peut seul nous guider
but que votre suffrage ,
Que dis je il est notre unique partage ;
N'a
pour
In douter un moment , c'est nous déposseder
Des droits d'un si juste héritage.
Acteurs de la Piece.
Mr Oronte, pere de Lucile,le sieur Pagheti.
Mme Oronte , mere de Lucile , la Dille Belmont.
1102 5
Eraste, Amant de Lucile, le St Theveneau.
Lucile , fille de Met de Mme Oronte , la
Dlla Sylvia.
Rigolet , amoureux de Lucile , le sieur
Sticotti.
Lisidor et Coqueluche , amis de Rigolet,
joüans la Comédie de même que Ri
golet , les sieurs Mario et Romagnesi.
Valentin , Valet d'Eraste , le sieur Lelio.
Spinette , suivante de Lucile,la Dile Lelio.
La Scene est dans la Maison de Monsieur
Oronte.
Acte
M A Y. 17327 98
Acte
Scene ; Oronte veut marier sa fille à Mr
Rigolet , parce qu'il déclame bien ; Mate
Oronté qui a autánt d'aversion pour le
talent de déclamer , que son mari ya de
panchant,s'oppose à son choix; Mr Oronte
lui dit qu'elle seroit d'accord avec lui ,
s'il panchoit du côté d'Eraste , pár la seule
raison qu'il chante bien , parce qu'elle
aime le chant. Made Oronte lui répond
qu'elle ne donnera sa fille ni à lun , ni à
l'autre , et s'en va.
Mr et Mme Oronte ouvrent la
Oronte se plaint de l'indocilité
de sa femme,
Lucile vient, suivie de Spinette ; elle demande
à son pere , d'où peut venir sa có
lere : M'Oronte
lui dit que ce n'est rien,
qu'il vient de quereller avec sa femme ,
qui , selon sa coûtume , n'est pas , de son
sentiment ; qu'il s'agit d'un mariage qu'il
vient de lui proposer . Lucile lui demande
quel choix il a proposé à sa mere ; l'éloge
que M'Oronte
fait de l'époux qu'il
veut lui donner, persuadant
à Lucile que
ce'ne peut être qu'Eraste ; elle y donne
un plein consentement
; mais dès qu'elle
est mieux éclaircie , elle lui fait entendre
qu'elle ne sçauroit aimer Rigolet. Oronte
fait valoir l'authorité
de pere , et prétend
absolument
qu'elle épouse celui qu'elle
fui destine.
Fiiij Lucile
986 MERCURE DE FRANCE
:
Lucile témoigne sa douleur à Spinette ,
qui lui conseille de ne point obéir à son
Pere. Eraste survient. Lucile lui apprend
son malheur Valentin , Valet d'Eraste ,
leur promet de parer ce coup fatal
par un
stratagême qu'il vient d'imaginer.
Eraste , pour remercier Lucile des bontez
qu'elle a pour lui , se jette à ses pieds ,
Valentin se jette à son tour aux pieds de
Spinette.Oronte rentre et surprend le Maî
tre et le Valet dans cette posture tendre et
suppliante. Valentin lui veut persuader
que c'est une Scene de Tragedie que Lucile
et Eraste répetent , et qu'il vient lui
même d'y ajouter un troisiéme personnage
; c'est -à-dire , celui de César , surprenant
Antoine aux pieds de Cléopatre. Ce
faux -fuyant plaît d'abord à M. Oronte
par rapport au panchant qu'il a pour le
Théatre , mais il ne change pas de résolution
; il dit à Madame Öronte qui survient
, la situation où il a trouvé Eraste.
Madame Oronte trouve tres - mauvais
qu'Eraste soit entré sans se faire annoncer.
Valentin lui répond que M. Oronte
vient de faire de même . Madame Oronte
les congédie tous .
Valentin reste et fait entendre à Mad.
Oronte que
la victoire qu'elle prétend
remporter sur son mari n'est pas assez
comMAY.
17328 987
complette , si elle ne fait voir qu'elle est
la maîtresse absoluë , en mariant sa fille à
Eraste dont il rejette le choix . Madame.
Oronte lui dit qu'elle n'acceptera jamais
pour gendre un homme qui sçachant
qu'elle aime le chant , va chanter autre
part que chez elle. Valentin jugeant parlà
que Madame Oronte est picquée de la
préférence qu'Eraste donne à une autre ,
Tui fait entendre que si son Maître chante
chez sa tante , plutôt que chez elle , c'est
parce qu'elle l'a menace de le deshériter ,
S'il ne lui consacre tous ses Concerts ; il
ajoute que le péril de l'exhérédation né l'a
ne
pas empêché de se livrer enfin à son inelination
, et qu'il étoit venu chez elle
pour la prier de vouloir entendre un Ope-
-ra qu'il vouloit faire représenter chez elle.
Au nom d'Opera , Mad . Oronte est transportée
et dit à Valentin d'aller faire revenir
son Maître ; Valentin qui ne croyoit
pas être pris au mot , paroît très embarrassé;
il fait entendre à Mad. Oronte qu'il
craint qu'Eraste au désespoir n'ait déja
contremandé tous les Acteurs . Madame
Oronte le presse de les aller rassembler ;
Valentin enrage de s'être embarqué si
avant , mais il se détermine enfin à s'en
tirer comme il pourra , &c.
Ce premier Acte a paru un peu froid .
Gv mais
988 MERCURE DE FRANCES
mais il ne laisse pas d'être dans les regles ,.
et de promette du plaisir aux Spectateurs.
Les Auteurs leur tiendront parole dans le
second .
3
Eraste et Valentin commencent ce se--
cond Acte : le Maître est fort irrité contre
le Valet,de ce qu'il a promis un Opéra
à Mad. Oronte, et lui dit que puisque c'est
lui qui l'a mis dans cet embarras ; ce sera
lui-même qui l'en tirera ; Valentin convient
de tout et sort avec son Maître ,
pour aller chercher des Musiciens qu'il
compte de trouver tous assemblez chez-
Dupuy ; c'est un celebre Caffé . M. Oron--
te vient , suivi de son gendre futur pré--
tendu , de Lisidor , et de Coqueluche , l'un
Comédien , l'autre Auteur, Il se promet
beaucoup de plaisir à entendre déclamer
par Rigolet des Stances de Coqueluche.
3
Mad. Oronte survient avec Lucile . et
Spinette elles se préparent bien toutes &
trois à rire deces Originaux qu'elles trouvent
avec M. Oronte. Rigolet fait son
compliment à Lucile , qui loin d'y prêter
attention , écoute l'éloge que Coquelu
che fait de son sçavoir. Rigolet déclame
les Stances de Coqueluche , dont le sujet
est Marius , se plaignant du sort qui l'a
abandonné , pour se ranger du parti de
Sylla ; mais il gesticule si mal , que Coqueluche
M A Y. 1732. 989
fuche ne pouvant souffrir qu'on gâte son
ouvrage , se met en état de faire les gestes
à mesure que Rigolet ne fera que prononcer.
Cette Scene a paru originale au Théatre
, et a excité de grands éclats de rire.
Valentin vient donner un plat de son
métier , déguisé en Comédien; il embrasse
Rigolet , comme étant un de ses plus
chers camarades ; il contrefait si -bien un
des meilleurs Acteurs de la Comédie Françoise
, qu'on croit le voir lui - même ;
cette imitation a fait un honneur infini
au jeune Lélio , qui fait tous les jours de
nouveaux progrès dans sa profession ;
Rigolet passant pour Comédien , malgré
tout ce qu'il dit , pour détruire l'imposture
, est congédié non seulement par
Mad. Oronte , mais par mári même
qui dit qu'il est si faché que sa femme
ait raison , qu'il ne veut plus désormais se
mêler de marier sa fille . Mad . Oronte se
charge de ce soin , et se déclaré pour Eraste.
La Piece paroît dénoüée par cet inci- "
dent , et Valentin qui se fait connoître
pour ce qu'il est en effet , pourroit se dispenser
de donner à Mad. Oronte l'Opéra
qu'il lui a promis ; mais elle s'y attend et
il faut la satisfaire ; nous allons dire en
peu de mots de quoi il s'agit dans ce troisiéme
Acte , qui à pour titre : Les Catasson
*
Gvj rophes
990 MERCURE DE FRANCE
trophes Lyri-tragi - Comiques. C'est une espece
de Parodie de l'Opéra de Jephié , et
de la Tragédie d'Eryphile.
Acteurs
Le Roy , amoureux de Buquemeque , le
sieur Theveneau.
Amphigourie , fille du Roy , la De Sylvia.
Buquemeque , mere d'Albumazar , la D'le-
Belmont.
Albumazar , amant d'Amphigourie , le
sieur Romagnesi.
Venus , la Chanteuse.
Troupe de Guerriers , de Démons , & c.
Les noms Burlesques qu'on a pris soin
de donner aux Héros de cette Parodie ,
Lyri-tragi-Comique , n'ont pas fait prendre
le change sur les deux sujets qui y
ont donné lieu ; on n'a pas osé nommer
les principaux personnages , mais on les
a trop bien indiquez , pour donner lieu
aux Spectateurs de s'y méprendre : En
voici un petit Extrait..
Buquemeque et Amphigourie se font
une confidence réciproque de leurs sentimens
; la premiere , destinée à épouser le
Roy, craint qu'il ne devienne volage après
'Hymen , et s'exprime ainsi :
&
Le
MAY. 17320 991
Le plus fidelle Amant ,
Du noeud le plus charmant ,
Quelquefois se dégage ;
Et le plus tendre Epoux ,
Dans un lieu moins doux ,
Peut devenir volage.
La seconde fait entendre qu'elle craint
d'avoir fait une folie , en donnant son
coeur au Fils de cette même Buquemeque
à qui elle parle ; elle assaisonne ce petit
aveu de cette maxime :
Quand l'Amour de ses traits nous blesse,
Nous ne sentons que son poison ;
S'il pouvoit suivre la raison
Auroit- il le com de foiblesse
Un bruit de Trompettes annonce le retour
et la victoire du Roy et d'Albumazar
; ce sont les deu Héros pour lesquels
ces deux Amantes s'interessent ; après la
fetele Roy ordonne à tout le monde de "
se retirer , comme au commencement du
troisiéme Acte de Jephré , le seul Albumazar
reste ; autre confidence réciproque
de sentimens , ils sont tous deux consternez
; l'un par un serment indiscret , a
promis aux Dieux de leur immoler sa
fille Buquemeque; vvooiillàà JJeepphhttéé et Iphise 3
l'autre par l'ordre de l'ombre de son pere
}
doit
991 MERCURE DE FRANCE
doit donner la mort à sa mere ; voilà Alcméon
et Eryphile ; un bruit infernal leur
fait dire à tous deux
C'est l'Enfer qui vient en ces lieux ,
Nous prier d'obéir aux Dieux . ·
Cette Entrée de Démons et l'arrivée de
Vénus n'ayant plus rien qu'on puisse ap--
peller Parodie , nous en épargnons le dé-
Tail aux Lecteurs , et nous nous contentons
de dire , que Buquemeque et Amphigourie
en sont quittes pour la peur,parce que·
l'Amour combat pour elle's .
Les mêmes Comédiens doivent jouer
dans peu une Piece nouvelle , en 3 Actès,
avec un Divertissement, elle a pour titre :
Le Tuteur Genereux , ou l' Amour trompé par
Papparence, dont on parlera plus au long. -
Le 1 May , le S Roland , originaire de
Provence , cy-devant premier Danseur du
feu Duc de Mantouë , qui l'avoit amené -
à Paris en 1704. et la De Roland sa fille,
née à Venise , âgée de 17 ans , parurent
pour la premiere fois sur le Theatre de
l'Hôtel de Bourgogne ; le premier exécuta
une Danse comique et grotesque en
Païsan , qui fut applaudie du public. La
Dile Roland dansa à la fin de la Pièce les
caracteres de la Danse , avec beaucoup . '
din
MAY 17323 9935
d'intelligence et de vivacité ; les Cabrioles
et les Entrechats ne lui coutent rien ;
et quoiqu'elle ait encore bien des perfections
à acquerir , le public qui la regarde
comme un tres-bon sujet, l'a fort applau
die. Il n'y a pas long - tems qu'elle a dansé
à l'Opéra de Londres et dans ceux des
Provinces de France . Outre ses talenspour
la Danse , elle est encore bonne
Comédienne , ayant joué différens Rôles
en François et en Italien dans diverses
Troupes.
·
Au commencement de ce mois , les Co---
médiens François ont remis au Théatre la
Comédie en Vers et en 5 Actes , du Cu--
rieux Impertinent , de MrDestouches , que
le Public revoit avec beaucoup de plaisir."
Cette Piece, quoique la premiere de l'Au--
teur, n'est pas , à beaucoup près , la moin- ·
dre. Elle est parfaitement bien représen
tée par le S Quinaut , qui y jouë le principal
Rôle , par les Diles Gossin et Quinaut
, et par les S" la Thorilliere , Gran--
val , Poisson et Armand.
Le 14 les mêmes
Comédiens
remirent
au Théatre
la Tragédie
d'Habits
de Ma--
dame
Gomez
, qui
eut un fort
grand
suc
cès dans
sa nouveauté
en 1713.
Elle
n'avoit
jamais
été reprise
. Elle
est fort
ap
plaudie
994 MERCURE DE FRANCE
plaudie , sur tout aux situations interessantes
du se Acte. Le S Granval y jouë
le principal Rôle ; le S Sarrazin y remplit
celui du Roy , et les Des Duclos et
Gossin ceux de la Reine et de la Princesse.
On continue à l'Opera les Representations
de Jephté, que le Public ne se lasse
pas de voir. Celle du Mardy , 13 Avril ,
fut honorée de la présence du Roy Stanislas
, dont S. M. parut extrêmement satisfaite.
On répete actuellement le Balet des
Sens , Piece nouvelle , dont la Musique
est de M. Mouret , et le Poëme de M ....
On a appris de Londres , que le 8 de
ce mois au soir , plusieurs jeunes Gentils-
Hommes du premier rang , dont le plus
âgé n'a pas 14 ans , représenterent dans
la Sale du Bal , au Palais de S. James , la
Tragédie de l'Empereur des Indes , ou la
Conquête du Méxique , par les Espagnols ,
en présence de L. M. et des Princes et
Princesses de la Famille Royale.
NOUMAY,
1732 995
NOUVELLES ETRANGERES.
TURQUIE , PERSE ET BARBARIE .
O
N mande de Constantinople , du 8. Mars ,
que le Grand-Vizir avoit fait fournir gratis
aux Religieux François qui sont établis dans
cette Ville , tous les materiaux necessaires pour
faire rebâtir les trois Eglises qu'ils ont dans le
Fauxbourg de Pera , et qui furent consumées par
le dernier incendie .
On mande aussi qu'on avoit fait depuis peu
l'épreuve de plusieurs Pieces de Canon d'une
nouvelle invention , en présence du G. Visir et
des principaux Officiers de l'Artillerie , et que
cette épreuve avoit parfaitement réussi , qu'on
continuoit de travailler dans les Arcenaux à de
grands préparatifs de guerre , et qu'on faisoit
des provisions considerables de grains et de mu
nitions de guerre du côté de la Mer Noire , &c.
D'autres Lettres de Constantinople portent
que par les Préliminaires du Traité de Paix qui
se négocient entre le G. S. et le Roi de Perse , et
qui ont été signez à Tauris , le Roi de Perse cede
au G. S. les Villes de Tauris , d'Ardebil et de
Amadan , avec les Provinces de Kirmansah
d'Houveza et d'Abirbeitzan , et que le G. S. rendoit
aux Persans toute la Géorgie , avec les Villes
d'Erivan , de Schamachi et de Geinga.
Ces Lettres ajoûtent que le nouveau G. Visir a
été déposé , et qu'on a fait mourir plusieurs O£-
ficiers du Serrail.
Les Lettres du 10. Mars , portent que le Grand
Seigneur
996 MERCURE DE FRANCE
C
Seigneur ayant reçû la copie du Traité de Paix
conclu par le Pacha de Babilone , avec le Roy de
Perse , S. H. avoit fait assembler le Divan , et
que de son avis elle avoit ratifié ce Traité , par
lequel le G. S. demeure en possession de la Ville
d'Erivan et des autres Places conquises sur les
Persans , à la réserve de Tauris, qu'il est obligé de
rendre au Roy de Perse.
Ces Lettres ajoûtent que le G. S. avoit envoyé
des présens magnifiques au Pacha de Babylone , et
qu'on croyoit qu'il seroit rappellé pour être revêtu
d'une des principales Charges de l'Etat.
Qu'on devoit armer cette année toutes les Milices
de l'Empire pour l'execution d'un Projet
qui étoit tenu encore fort secret , qu'on avoit
proposé au G. S. de donner des Carabines aux
Spahis , et de leur ôter l'usage de l'Arc et des
Fieches , et que S. H. ayant approuvé cette proposition
, on avoit commencé à leur faire faire
leurs exercices avec ces nouvelles Armes.
On apprend par celles de la Côte de Barbarie
que l'Armée du Roy Muley Abdalla , avoit remporté
une victoire complette sur les Rebelles , à
deux journées de Maroc , er que par cette victoire
on croyoit que la guerre civile seroit finie
parce que les Rebelles étoient entierement dissi
pez et sans aucune ressource,
Les Lettres de Tetouan du 6 Mars , portent
que le même Muley - Abdalla , s'étoit rendu maf
tre de toutes les Montagnes de l'Atlas ,
ce que lc
Roy de Maroc , son pere , n'avoit pu faire pendant
un long Regne , et que les Peuples de ces
Montagnes lui avoient prêté serment de fidelité.
Les mêmes Lettres ajoûtent que le Duc de
Riperda étoit encore à Miquenez , mais qu'il y
étoit peu considere.
RUSSIE
MAY. 997** 732.
RUSSIE.
E Comté de Watislau , Ambassadeur Extraor
dinaire de l'Empereur , a conclú un 'Traité
d'alliance entre S. M. Imp. et la Czarine , mais
il n'a pû déterminer cette Princesse à acceder sansrestriction
au Traité de Vienne du 16. Mars
dernier..
Le 15. Avril on reçut à Petersbourg un Courier
de Perse avec la nouvelle que M. de Schaffi
roff avoit conclu le 6. Janvier dernier , un Tráité
de Paix perpetuelle entre la Czarine et le Roy
de Perse , par lequel ce Prince doit rentrer en
possession de Retsch et de la Province de Ghilan,
et la Russie doit conserver les Places et Provinces
situées en-deçà de la Riviere de Chur .
ON
SUEDE.
Nassure que le Roy s'est enfin déterminé
à ne point acceder au dernier Traité de
Vienne , et à entretenir sur pied un certain nombre
de Troupes et une Escadre prête à tout évenement.
avoit On mande de Stokolm , que le Roy y
reçu la réponse de l'Empereur , à la Lettre qu'il
lui avoit écrite en faveur des Protestans de l'Evêché
de Saltzbourg ; et que comme elle n'étoit
pas telle que S. M. Sued . l'esperoit , elle avoit pris
la résolution de faire sortir de ses Etats d'Allemagne
, tous les Catholiques qui y sont établis
DA
58 MERCURE DE FRANCE
T
DE POL OG NE .
£ a été résolu dans le Conseil des Sénateurs ;
de construire un nouveau Pont de bois sur la
Vistule ; et pour contribuer aux frais extraordinaires
de ce Pont , on y employera une année
du revenu des Charges qui vaquent actuellement
ou qui viendront à vaquer ; les nouveaux Palatins
de Culmi er de Cracovie , er le nouveau
Grand- Maréchal de la Cour , qui ont obtenu
leurs Charges avant cette déliberation , n'y contribueront
que de la moitié des revenus de leurs
Charges.
Il y a eu depuis peu une émotion populaire à
Jarnowo , dans la grande Pologne , à l'occasion
de quelques ordres qu'on vouloit executer contre
les Protestans de cette petite Ville. L'Official
de Camin qui s'y étoit rendu , accompagné d'un
Chanoine et de deux autres Ecclesiastiques , y
24 fut maltraité , et il est mort quelques jours après
des coups qu'il avoit reçus ; ona appris depuis
qu'un grand nombre de Catholiques des environs
étoient entrez en armes dans cette Ville ,
avoient obligé les Protestans d'abattre eux - mêmes
leur Eglise , et en avoient emmené avec eux
les principaux , à la réserve de leur Ministre qui
s'étoit sauvé.

ALLEMAGNE.
N apprend de Vienne , que le 14 Avril les
Boulangers de cette Capitale firene leur
Marche accoûtumée , Tambour battant et Enseignes
déployées , en memoire de ce que cette Ville
étant assiegée par les Turcs en 1529. ils firent
sur
MAY. 1732. 9999
sur eux une sortie qui les obligea de prendre la
fuite et de lever le Siege. L'empereur Charles- >
Quint leur accorda à cette occasion des Privileges
dont ils ont joui jusqu'à present , et en vertu ›
desquels ils sont exemps de toute imposition..
La nomination du Duc de Lorraine à la Viceroyauté
de Hongrie , ayant été publiée à Pres-,
bourg , a causé beaucoup de joye aux Habitans ,
et le Grand- Chancelier de ce Royaume leur
ayant déclaré que S. M. Imp . n'avoit eu aucune
intention de restraindre par cette nomination les
droits et les Privileges des Hongrois , ni de supprimer
la Charge vacante de Palatin de Hongrie,
il y a eu des feux et des Illuminations dans toutes
les rues de la Ville.
Le 16. du Mois dernier , vers les 7. heures du
soir , le Duc de Lorraine arriva au Palais , où il
occupe les mêmes Appartemens qu'il avoit avant
son départ pour ses Etats ; et après s'y être reposé
peudant une heure , il alla saluer l'Empereur
et l'Imperatrice , avec lesquels il soupa.
Le 23. M. Dominique Passionci , Archevêque
d'Ephese et nouveau Nonce du Pape , fit son. En-,
trée publique dans cette Capitale, avec beaucoup
de Pompe , &c.
On a mis depuis peu au Carcan , plusieurs Vagabonds
, Mandians et autres gens sans aveu
qu'on avoit arrêtez quinze jours auparavant , il
a été deffendu aux Hôteliers de leur donner , retraite
, et aux Voituriers par eau de les laisser
entrer dans leurs Bateaux.
L'Empereur a nommé le Comte Ferdinand de
Lambert , Sur Intendant General de sa Musique,
à la place du Prince Pio , qui doit aller en Ambassade
à Venise.
On écrit de Berlin , que 1100. Protestans arri-
YCLCAL
1000 MERCURE DE FRANCE
verent à Postdam le 23. du mois dernier , sortis
depuis peu de l'Evêché de Saltzbourg ; ils passe -t
rent en revûë devant le Roy , et 5.-M. leur fit
donner des rafraîchissemens . On les a fait partir
pour la Prusse , où le Roy en veut établir une
Golonie qui jouira de toutes exemptions pendant
dix années.
DMA
IT A LI E.
خ و
Ans le Consistoire que le Pape tint le 31.
Mars , Sa Sainteté proposa l'Archevêché titulaire
de Thessalonique , pour le Pere Galliani ,
Religieux Celestin , Archevêque de Tarente ; le
Cardinal Ottoboni proposa l'Evêché de Perigueux
pour l'Abbé de Prémeaux ; celui de Treguier,
pour l'Abbé Frugulay de Kenver , et l'Abbaye
de Morimond , pour le P. Languet de Gergy
, Procureur General de l'Ordre de Câteaux.
Il préconisa ensuite l'Abbé de Valras , pour l'Ë--
vêché de Mâcon , et l'Abbé de la Pause , pour
l'Abbaye de S. Hilaire de Carcassone.
La Chambre Apostolique ayant eu un profic
Considerable de deux Extractions de la Loterie
rétablie , le Pape a ordonné qu'on en employeroit
20000. écus à soulager les pauvres Communau
tez Religieuses ; qu'on en donneroit 2000. aux
Monts de Preté , pour soutenir leur crédit, et pareille
somme aux pauvres Familles des Paroisses
de la Ville de Rome.
Le Pape a établi une Congrégation particulier
de Cardinaux , pour connoître de l'affaire du
Cardinal Coscia , qui arriva à Rome le 13. d'Aril.
Il alla descendre chez le Prince de Caserte
et après une Conference de près d'une heure , il
se rendit au Convent de sainte Praxede , d'où il
envoya le Marquis Bieschicci au Cardinal Secretaire
MAY. 1732. 1001
retaire d'Etat , pour le prier. de donner part an
Pape de son arrivée.
La Congrégation de Nonmillis a changé ce
Titre en celui de Pro causa nota , à l'occasion du
nouveau Bref qui lui auribuë la connoissance des
affaires du Cardinal de Coscia .
On a publié depuis peu à Rome , avec les Césémonies
accoûtumées , une Bulle du Pape , par
laquelle S. S. a réduit aux termes du Droit comun
, les Constitutions et Priviléges donnez par
le feu Pape Benoît XIII. à quelques Ordres Redigieux
et Mandians.
Le Cardinal de Polignac , cy-devant chargé
des affaires du Roy T. Ch. ayant pris congé du
Pape et du Sacré Collége , partit de Rome le 8
d'Avril , dans les Calosses du Duc de S. Aignan,
Ambassadeur Extraordinaire de S. M. T. C. qui
le conduisirent jusqu'à deux lieuës hors de la
Ville ; toutes les personnes de considération l'ont
vú partir avec beaucoup de regret.
Vers le commencement du mois deMay,un Soldat
Allemand fut tué dans le Territoire du Diocèse
de Benevent ; et ce meurtre ayant fait naître
de grandes contestations entre les Officiers
de Justice du Diocèse , et ceux du Royaume de
Naples , le Gouvernement a pris le parti de faire
mettre des Troupes sur toutes les avenues set les
chemins de ce Diocèse , par lesquels on peut enarrer
dans ce Royaume , afin d'arrêter tous ceux
qui en voudront sortir ; mais les Officiers Beneventins
refusant toujours de livrer les Auteurs du
meurtre qui sont connus , le Conseil Collatéral
s'est déterminé à faire saisir tous les biens et autres
effets que les habitans du Diocèse de Benerent
peuvent avoir dans le Royaume de Naples.
On apprend de Gênes que le reste des TrouTooz
MERCURE DE FRANCE

pes que l'Empereur a accordées à la République,
est arrivé de Lombardie, et qu'on les fait embar
quer pour l'Isle de Corse, avec une grande quantité
de Provisions et de Munitions de Guerre . Ce
secours est de 6400 hommes. Le Pr. de Culmbach
et le Pr. Louis de Wirtemberg sont partis
pour aller les commander.
On mande de Milan , que le Pr. Louis de Wir.
temberg, qui commande les Troupes de l'Empereur
dans l'Isle de Corse , avoit eu ordre , avant
que d'attaquer les Rebelles de cette Isle , d'employer
la voie de la Négociation pour les ramener
à leur devoir , et pour les engager à se soumettre
à la République. On ajoute qu'il a ordre ,
aussi de leur offrir la Médiation et la Garantie de
S.M. Imp. pour la sureté du Traité de Pacification
, qu'ils pourroient conclure avec les Génois.
Des Lettres posterieures de la même Ville porzent
qu'ily étoit arrivé de nouveaux Ordres de
l'Empereur , pour faire défiler vers l'Etat de Gê-
-nes un nouveau Corps de Troupes , pour faire
-passer dans l'Isle de Corse , en cas de besoin . *
On écrit de Rome qu'on y voit plusieurs Copies
d'une Lettre des Rebelles de l'Isle de Corse ,
adressée à tous leurs Compatriotes qui sont hors
du Pais , par laquelle ils les exhortent à les venir
ejoindre , pour deffendre ensemble leur liberté et
leurs Privileges.
On a appris de Gênes , que le Dey d'Alger a
fait tenir une Lettre aux Chefs des Rebelles de
PIsle de Corse , par laquelle il les remercie de ce
qu'ils ont bien reçu les Forçats Turcs, qui se sont
sauvez des Galleres de la République de Gênes ,
de ce qu'ils n'ont pas voulu les livrer à ceux qui
les ont reclamez, et de ce qu'ils les ont renvoyez
Alger, les assurant qu'en reconnoissance, il deur
auroit
MAY. 17328 1003
·
auroit envoyé quelques Munitions de Guerre ,
s'il en avoit eu assez pour le service de son Païs;
mais qu'il les prioit d'accepter chacun un Sabre,
garni de Diamans , avec deux pieces de Drap
écarlate.
du
Les dernieres Lettres de Gênes portent , qu'on
y avoit appris de Clavenzana , dans l'Isle de Corse
, que le Pr. Louis de Wirtemberg soupçonnant
que les Rebelles cherchoient a gagner
temps par les négociations , dans l'esperance d'
tre secourus par quelque Puissance Etrangeres, il
les avoit fait sommer dans leurs differens quartiers
de quitter les Armes , de se soumettre à la
République , d'accepter l'Amnistie générale qui
leur avoit été offerte, et de livrer des Otages sous
la garantie de l'Emp . Ces propositions furent reçues
avec beaucoup de respect , de la part des
Chefs , par rapport à l'offre faite au nom.de Sa
M. Imp. mais ils ne rendirent aucune réponse
positive ; sur quoi le Pr . de Culmbach , Général
de Bataille , se mit en marche avec 2500 hom--
mes , et les ayant divisez en trois Corps il s'avança
vers le Bourg de Clavenzana ; il apprit que
les habitans de ce Bourg , et ceux de Monistero
et.de Montemaggiore , avoient quitté les Armes
et s'étoient soumis , de sorte que la Province de
Balagna , la plus fertile de l'isle , est rentrée sous
Pobéissance de la République. Les habitans de
Chastagnezza et des environs , plus opiniâtres ,
ayant refusé le pardon offert, le Général Schmet
tau et le Colonel Wachtendone , ausquels le Pr.
de Wirtemberg avoit envoyé quelques détachemens
pour renforcer le.Corps de Troupes qu'ils
commandoient , partirent de S. Fiorenzo , peur
aller attaquer les trois Postes de S Jacques , de
Biganno, et de la Croix de Lento . L'attaque se
H fit
-1004 MERCURE DE FRANCE
fit en même-temps dans ces trois endroits. Les
Troupes de l'Empereur trouverent d'abord quelque
résistance ; mais après une heure de combat,
les Rebelles se retirerent et abandonnerent ces 3
postes pour se retirer dans les Montagnes où on
doit les poursuivre. Les Impériaux n'ont eu que
huit hommes de tuez et dix de blessez dans cette
attaque , quoique les Rebelles , commandez par
Ciaccaldi , l'un de leurs Chefs , fussent au, nombre
de près de 2000.
On a appris par des Lettres de Malte , que le
Chevalier de Ricard , Commandeur de Châlons
en Champagne , et de Pontaubert en Bourgogne,
ancien Capitaine de Galeres , a été fait Bailly
Grand- Croix de l'Ordre. C'est un des freres de
M. de Ricard , second Président de la Cour des
Aydes de Paris.
D'ESPAGNE .
'Embarquement des Troupes du Roy pour
l'Expédition secrette, se fait à Cadix , au Port
du Camp de S. Rach, à Alicante et à Barcelone ;
c'est dans le Port de cette derniere Ville qu'on a
embarqué toute l'Artillerie et l'Hôpital de l'Armée
, et le rendez- vous de tous les Vaisseaux est
Alicante.
Les dernieres nouvelles d'Espagne portent
qu'on a déja embarqué à Barcelonne so grosses
Piéces de Canon , P'Artillerie de Campagne et
PHôpital de l'Armée ; et que les Troupes qu'on
embarque dans le Royaume de Valence, consisgent
en 31 Bataillons et 24 Escadrons , faisant
en tout 1833 Officiers et 24747 Soldats , outre
42 Ingénieurs , 1500 Domestiques , et 4000
Chevaux,
Les
MAY. 1-3.2 . 1005
Les dernieres Lettres de Cadix portent qu'on
y avoit arrêté et fretté, par ordre du Roy , tous
les Bâtimens Etrangers qui étoient dans la Baye;
que les Vaisseaux de Guerre qui étoient dans le
Port , en étoient partis pour aller à Alicante
joindre les autres Vaisseaux de la Flotte , qui y
ont leur rendez - vous , et qu'on avoit commencé
à délivrer aux Interressez dans le retour du der
nier Vaisseau de Registre qui est revenu de la
Vera -Cruz , tout l'argent , la Cochenille , et fes
autres Marchandises de ce Bâtiment , sur lesquels
on retenoit 9 pour cent d'Indult pour le
Roy.
O
PORTUGAL.
N mande de Lisbonne , que le 31 Mars il
y eut Fête au Palais , à cause de l'anniversaire
de la naissance de la Princesse du Brézil qui
entroit ce jour là dans la quinzième année de son
âge , & c. Le soir cette Princesse se rendit à l'Appartement
qu'on avoit préparé pour Elie et pour
le Prince du Brézil son Epoux .
Les mêmes Lettres portent que quatre Villes
des Indes Orientales , soumises les années précédentes
par les Portugais , s'étoient soulevées , et
que les habitans de ces Villes nouvellement bap
tisez , étoient retournez au culte de leurs Idoles.
PAÏS BA S. ·
Out le Thé de la Compagnie d'Ostende a
Tote venda,Pun portant l'autre , sur le pied
de trente sols la livre .
Hij GRANDI
1006 MERCURE DE FRANCE
GRANDE BRETAGNE.
N aprend de Londres une chose aussi
O
cruelle que singuliere : Le nommé Richard
Smith , Relieur , ayant été inquiété pour quelque
argent qu'une Parente de sa femme lui avoit
prêté , pendit sa femme à une des Colonnes de
son lit ; il tua ensuite, d'un coup.de Pistolet, son
enfant , âgé d'environ deux ans , qui étoit dans
un Berceau , après quoi il se pendit aussi à l'autre
Colomne du lit.
Aux Sessions de Old Barly , du 3 May , sept
Malfaicteurs y reçurent Sentence de mort. Le
nommé Guillaume Hurst , qui étoit du nombre
mourut immédiatement après qu'on l'a lui
cut prononcée.
9
Les de ce mois , les,Malles de Bristol et de
Glocester furent volées par un homme masqué ,
qui arrêta le Postillon , le fit descendre de Cheval
, monta dessus et s'enfuit. On a promis 200
" liv . sterl . de récompense pour la découverte de
ce Voleur.
2
Il est arrivé à Londres deux Députez de la
Compagnie d'Ostende pour traiter avec la Compagnie
des Indes de ce Païs , des Effets et Etablissemens
que celle d'Ostende a aux Indes Orientales
.
į į į į į į į į į š
MORTS , MARIAGES
des Pays Etrangers .
E Prince de Mondorvino- Pignatelli , de la
Branche du feu Pape Innocent XII. mourut
subitement à Naples , le 8 Avril , âge de 81 ans .
Le
MAY 175237 1007
Le Pr. de Sonnino . Colonne , y mourut le 11
'd'une attaque d'apopléxie , dans la 64º année de
son âge.
François- Louis , Electeur de Mayence , mourut
à Breslau d'une attaque d'apoplexie , le 18
Avril , à onze heures du soir , dans la 68 ° année
de son âge , étant né le 24 Juillet 1664.
Ce Prince étoit fils de Philippe Guillaume, Electeur
Palatin, et d'Elisabeth Amelie fille de Géorge
Landgrave de Hesse Darmstadt. Il avoit été
elu Evêque de Breslau , le 30 Janvier 1683. Prevôt
d'Elvangen , en 1694. Evêque de Wormes
et Grand - Maître de l'Ordre Teutonique, au mois
de Juillet de la même année, Coadjuteur de l'Archevêque
de Mayence, les Novembre 1710.Electeur
de Tréves , le 20 Février 1711.et enfin Electeur
de Mayence le 11 Avril 1729.
On écrit de Dusseldorp , que la Regence y a
reçu ordre de faire sonner les Cloches pendant
six semaines par tout le Duché de Bergue et de´
Juliers , à l'occasion de la mort de cet Electeur , ´
frere de l'Electeur Palatin .
Ces Lettres ajoutent , que l'Electeur défunt dé .
fend par son Testament, qu'on ouvre son Corps .
après sa mort , et ordonne qu'on le mette dans
un Cercueil fort simple , sans aucune Inscription
ni Titres , ne voulant d'autre Epitaphe que ces
mots ;
Hie Jacet Franciscus – Ludovicus , Peccator.
On a apris par les dernieres Lettres de Breslau
que le Corps de cet Electeur ayant été embaumé
, avoit été exposé le 19 d'Avril dans la
grande Sale du Palais Episcopal, en habit d'Elecieur
, le Bonnet Electoral sur la tête , et la Croix
Archiepiscopale sur la poitrine ; la Crosse placée
Hiij .
Too8 MERCURE DE FRANCE
à sa droite , l'Epée à sa gauche , quatre Mitres à
ses pieds,à droite , et à gauche le Manteau Elec
toral , les Eperons et l'Epée du Grand- Maître de
T'Ordre Teutonique ; qu'il y avoit dans la même
Sale six Aurels , ausquels on avoit dit des Messes,
et que le 20 au soir il avoit été porté par huit:
Gentilhommes de sa Chambre , à l'Eglise Col
légiale de S. Jean , précédé du Clergé Séculier
et Régulier , à la tête duquel l'Evêque suffragane
de Breslau marchoit en Habits Pontificaux, et suivi
des Pages de l'Electeur et de ses Gardes à pied,
portant des Flambeaux ; que le Pr . de Birckenfeld
qui menoit le deuil avoit à sa droite le Comte
de Schafyorsch , et à sa gauche le Baron de Satzenhofen
, Chambellan du feu Electeur , et que
le Corps avoit été inhumé avec les cérémonies
ordinaires , dans la Chapelle que ce Prince avoit
fait bâtir dans cette Eglise Collégiale .
M. de la Merveille mourut le 4 May , à Bruz
xelles. C'est lui qui en 1715. après la conclusion
du Traité de la Barriere , présenta au Gouvernement
le premier Projet pour l'établissement du
Commerce d'Ostende , aux Indes Orientales.
Le Margrave Frédéric Chrétien de Brande
bourg Culmbach , épousa le 26 d'Avril à Schaum
bourg la Princesse Victoire- Charlotte d'Anhalt
Schaumbourg.
FRANCE
MAY. 1732 1009
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c.
LE25
.
E 25. Avril , le Roi partit de Versailles
pour aller à Compiegne , où S. M.
arriva le même jour .
Le 1. de ce mois , la Reine après avoir
entendu dans la Chapelle du Château de
Versailles la Messe celebrée par l'Evêque
Comte de Châlons , son premier Aumohier
, fut relevée de ses couches"par
même Prélat, avec les Céremonies accoutumées.
le
Le Roi a accordé au Prince de Rohan ,
Capitaine Lieutenant des Gendarmes , l'agrément
d'une des Charges de Guidon de
cette Compagnie , pour le Prince de Soubize
, son Petit- fils.
Les Députez du Parlement qui avoient
reçu les Ordres du Roi le 13. de ce mois
se rendirent le lendemain à Compiegne
M. Portail , Premier President , étant à
leur tête ; ils furent présentez et conduits
avec les céremonies accoutumées à l'Au-
Hiiij dience
TOTO MERCURE DE FRANCE
dience de S.M. qui leur déclara sa volonté.
, Le 21 les Officiers
et Dames
de la
Chambre
de Mademoiselle
de Beaujollois
,
firent chanter
dans l'Eglise
des Quinzevingt
un Te Deum
solemnel
en musique
,
avec Timballes
et Trompettes
, de la composition
de M. Morin
, en action
de graces
de la convalescence
de cette Princesse
qui avoit été dangereusement
malade
de
la Rougeole
. L'Eglise
étoit décorée
et ornée
de riches Tapisseries
, et éclairée
d'un
grand
nombre
de Lustres
garnis
de bougies.
L'Archevêque
de Cambray
officia
pontificalement
. S. A. R , tous les Seigneurs
et Dames
de sa Cour , et un grand
nombre
de personnes
de distinction
y assisterent
.
Le soir , les mêmes Officiers de cette
Princesse signalerent encore leur zéle par
une quantité de fusées qui furent tirées
dans le Jardin du Palais Royal , et par
plusieurs décharges de boetes. Les Proprietaires
et les Locataires firent illuminer
toutes les Maisons qui communiquent
à ce Jardin. Celle de M. le Comte d'Argen
: on , Conseiller d'Etat , Grand -Croix
et Chancelier , Garde des Sceaux de l'Ordre
Royal et Militaire de S. Louis , Garde
des Sceaux et Sur- Intendant des Finances
MAY. 1732. ΙΘΙΙ
hances de M. le Duc d'Orleans , fut illu
minée extraordinairement ; toute la façade
qui donne sur le Jardin , étoit ornée
de quantité de Girandoles et d'une infinité
de Lampions rangez avec autant de
goût que de symétrie. Cette belle illumination
fut admirée par une foule de peuple
qui vint joindre leurs voeux à
ceux de tous les Officiers de cette Princesse
pour l'entier rétablissement de sa
santé .
Le 22. jour de la Fête de l'Ascension
il y eut Concert spirituel au Château des
Thuilleries qui commença par le Credidi
propter , Motet de M. de la Lande , qui
fut suivi de plusieurs petits Motets à une
et à deux voix , et après plusieurs Pieces
de symfonie executez par les sieurs Leclerc
, Blavet et autres ; le Concert fut
terminé par le beau Te Deum du même
Auteur , avec Timbales et Trompettes
et précedé d'une symfonie de M. Mouret.
M. Dubois , Directeur Géneral des
Ponts et Chaussées , toujours attentif à
tout ce qui peut contribuer à l'embelissement
des Maisons Royales et à l'utilité
publique , ayant présenté au Roi il y a
deux ans le dessein d'un Pont , pour la
Hv partic
1012 MERCURE DE FRANCE
partie septentrionale de la Ville de Compiegne
,sur la riviere d'Oyse qui en arrose
les murailles de ce côté - là , S.M.l'aprouva,
et voulut poser la premiere pierre duPont
en attendant de mettre l'année suivante
dans une des Piles qui soutient une des
Arches de ce somptueux Edifice , des Médailles
d'Or , d'Argent et de Bronze ;
mais une maladie épidemique qui regnoit ,
dans la ville et aux environs de Compiegne
, ayant interrompu le voyage , que
S. M. avoit résolu d'y faire , cette céremonie
fut suspendue jusqu'au 11 du présent
mois. Voicy comment elle se fit.
Après le Salut , le Roi se rendit au nou
veau Pont , accompagné des principaux-
Seigneurs de sa Cour , et d'une affluenceextraordinaire
de peuple ; étant descendu
de Carosse au bord de la Riviere , M. Dubois
alla recevoir S. M. dans une gondole
magnifique et la conduisit à la pile du
Pont où la céremonie devoit se faire. On
avoit fait dresser un échafaut trés - propre
sur lequel on avoit placé une table avec
un tapis : c'est là que M. Dubois avoit
mis la boëte de bois de cedre , dans laquel
le il y avoit six grandes Médailles , une
d'Or , deux d'Argent et trois de Bronze ,
laquelle fut présentée au Roi par M. Dubois,
qui après l'avoir reprise des mains de
S. M.
M A Y. 1732. 1013
S.M. la ferma et la mit dans une autre boëte
de plomb , laquelle fut soudée en presence
du Roi , après quoi cette double boëte
fut encore présentée à S.M. qui la plaça
dans le lieu destiné, et pour la couvrir arrangea
elle - même des cales et du ciment
avec une petite truelle d'argent que M.
Dubois lui présenta , autour d'une grosse
pierre qui y fut posée ; ensuite S.
M. pressa les cales avec un petit marteau
d'Argent que M. Dubois avoit fait faire
exprès.
Cela fait , le Roi suivi des mêmes Seigneurs
rentra dans la gondole , et ayant
traversé la riviere , il vit du bord la manoeuvre
d'une excellente gruë , qui servoit
à vouter la derniere Arche du Pont
du côté de la Campagne : elle parut à S. M.
aussi hardie que magnifique. "
Ensuite le Roi ayant repassé la riviere ,
s'avança à pied vers la ville pour voir
l'emplacement d'une porte d'un dessein
admirable qui doit être faite pour con
duire au Pont , et dont le plan qu'en a
tracé le sieur de la Hitte , Inspecteur Général
des Ponts er Chaussées , fut fort ap
prouvé par le Roi , ainsi que tout ce qu'il
avoit vu au Pont : après quoi S. M. et
toute sa suite se rendirent au Cours où
étoit un détachement de cent hommes du
Hvj Regi
1014 MERCURE DE FRANCE
Regiment de Bourgogne : le Roi leur fit
donner 15 Louis , S. M. en avoit fait donner
autant aux Ouvriers du Pont. Après
cela le Roi monta en Carosse et arriva au
Château , fort satisfait du zele M. Duque
bois fait patoître dans toutes les occasions
où il s'agit de remplir les devoirs de sa
Charge.

Le Roi a nommé l'Abbé de la Valette-
Thomas , à l'Evêché d'Autun .
S. M. a accordé l'Abbaye de S. Urbain ,
Ordre de S. Benoît , Diocèse de Châlons ,
à l'Abbé de Brissac , Aumonier du Roi
et Agent Géneral du Clergé.
Celle de Verteuil , Ordre de S. Augustin
, Diocèse de Bordeaux , à l'Abbé de
Courtarvelle , Chanoine de l'Eglise Cathedrale
de Blois.
Celle de S. André en Goufern , Ordre
de Citeaux , Diocèse de Séez , à l'Abbé
d'Albergotti .
L'Abbaye Réguliere et Elective de Choques
, Ordre de S. Augustin , Diocèse de
S. Omer , au P. Floride Lassus.
Celle de Sainte Genevieve de Monsort
Alençon , Ordre de S. Benoît , Diocése
1 Mans , à la Dame de Lisle.
Celle de la Deserte à Lyon , même Ortre
, à la Dame de Chatillon - Moyria.
I
M*A*Y. 1732.
à
Le Prieuré de Sainte Radegondé , même
Ordre , Diocése de la Rochelle ,
l'Abbé de Chateauneuf.
Celle de Chaumont- la- Piscine , Ordre
de Prémontré , Diòcése de Reims , à l'ancien
Evêque d'Orange.
L'Evêché de Rennes , à l'Abbé de
Vaureal , Maître de l'Oratoire du Roy.
S. M. vient de lui donner l'agrément de
la Charge de Maître de la Chapelle de
Musique. Le Roy avoit accordé au Marquis
de Breteuil , Chancelier de la Reine
la permission de vendre cette Charge qui
vaquoit par la mort de l'Evêque de Rennes
son frere.

MORTS NAISSANCES
et Mariages.
Ame Elisabeth de Massol , veuve du
D'Marquis de Clermont - Tonnere
·
>
Marquis de Crusil , et de Vovillars , mourur
dans sa Terre de Vovillars , le 8 .
Avril dernier dans la 83. année de son
âge , étant née à Dijon le 1. de Juin 1649 .
Sa beauté et son esprit étoient peu com-.
muns. Depuis la mort de M. son époux ,
arrivée le 29 Fevrier 1689. , elle a toûjours
1016 MERCURE DE FRANCE
jours couché dans sa biére, et pratiqué une
grande dévotion ; elle a toûjours vêcu
avec toute la noblesse et la grandeur qui
convenoient à sa naissance . Elle étoit mere
du Marquis de Clermont-Tonnerre ,
· Chevalier des Ordres du Roi , et Commissaire
General de la Cavalerie Legere ; *
et de Madame de Courtivron , Présidente
à Mortier au Parlement de Bourgogne.
M. Joseph de Gasquet , Marêchal des
Camps et Armées du Roi , et Commandeur
de l'Ordre Royal et Militaire de
S. Louis , mourut à Agen le 12 Avril ,
âgé de 93 ans.
Jean- François de la Baume Comte
de Forsat , &c. mourut le 15. âgé d'en - ¨
viron 70. ans.
2
Le 20 Avril , mourut à Paris en son
Hôtel , Cosme Alphonse de Valbelle
Chevalier , Marquis de Monfuron , et de
Bressieux , Comte de Ribiers , Premier
Capitaine Sous - Lieutenant des Gendar
mes de la Garde du Roi , Brigadier de
ses Armées , Commandeur de l'Ordre
Royal et Militaire de S. Louis , Grand Bailly
des Montagnes de Dauphiné , Grand
Sénechal de Marseille . Ce Seigneur est
mort sans alliance à la fin de sa 41 année ,
il étoit le dernier mâle de la branche de
Valbelle Montfuron , cadette de celle de
2
Valbelle
Μ ΑΥ. 1017
17323
Valbelle Meirargües , devenue l'ainée de
toutes les branches de cette Maison par
la mort de Cosme de Valbelle mort sans ~
postérité le 29 Avril 1716 .
Le Comte de Valbelle étoit fils du second
lit de Leon de Valbelle , Marquis
de Montfuron , Comte de Ribiers , Grand
Bailly des Montagnes de Dauphiné , et
d'Antoinette d'Albon S. Forgeux , dont les
Pere avoit eu pour premiere femme Marie
de Pontevés - Buous , qui lui avoit don--
né Gaspard de Valbelle , mort Capitaine
de Cavalerie dans le Régiment de Monseigneur
le Dauphin , et Louis de Valbelle
, tué Capitaine de Cavalerie dans le
Régiment de Berry:
Il étoit aimé et estimé de tous ceux qui
le connoissoient , surtout de Mrs lesGendarmes
et de tous ceux qui servoient dans
la Compagnie des Gendarmes , aussi par
une distinction jusqu'à présent inconnue ,.
ils ont voulu assister en Corps et en habits
uniformes à ses funerailles , voulant marquer
au public par une distinction qui
n'étoit pas en usage , combien ils honoroient
un Officier qui avoit toûjours été
occupé de leurs interêts et de leurs avan--
tages.
Il fit sa premiere Campagne en 1706...
n'étant pour lors âgé que de 15 ans ; il V
Se
1018 MERCURE DE FRANCE

se trouva dans cette année à la Bataille
de Ramilly , et il y fut blessé de plusieurs
coups , dont un l'avoit frappé dans un endroit
remarquable , en lui fendant la joue
et la lévre inferieure ; il se trouva en 1708.
à la Bataille d'Oudenarde où il eut un
cheval tué sous lui . En 1709 , il se distingua
fort la veille de la Bataille de Mal-'
plaquet dans la Troüée , où l'on l'avoit
placé avec un Escadron de la Maison du
Roi qu'il avoit l'honneur de commander.
Le jour de la Bataille , il soutint avec courage
l'impétuosité des ennemis , qui firent
les derniers efforts pour rompre la
Maison du Roi ; il receut pendant l'ac
tion plusieurs coups dans ses habits , et
quelques légeres contusions. Un Gentilhomme
attaché à lui , eut auprès de
sa Personne une jambe emportée d'un
coup de Canon . Il fit toutes les autrès
Campagnes de la même Guerre en se distinguant
toujours par son éxact tude , et par
son assiduité à tous les devoirs d'un bon
Officier ; ne négligeant pas même de faire
les fonctions d'Aide de Camp de M. le
Prince de Rohan , afin de tout voir, et de
tout connoître,et de se rendre par- là capable
d'être un jour utile à sa Patrie.
Il avoit servi dans la Compagnie des
Gendarmes en qualité
qualité d'Enseigne depuis
7
le
MAY. 1732. 101
le mois de Janvier 1707 , et il en fut fait
Capitaine Sous- Lieutenant en 1715. Il
fut fait Brigadier des Armées du Roi en
1719 , et Commandeur de l'Ordre de
S. Louis en 1722. Dans tous ces Emplois
on l'a vu se conduire avec fermeté , lorsqu'il
s'agissoit du bien du service , et
avec une douceur qui ne peut s'exprimer,
soit en donnant les ordres qui concernoient
le bien du service , soit en toute
autre occasion.
Jacques- Antoine Phelipeaux , Evêque
de Lodéve , et Abbé des Abbayes de
Nantz , de S. Sauveurs et de S Gilles ,
mourut dans son Diocèse vers la fin du
mois d'Avril.
Le P. Louis de la Ferté, de la Compagnie
de Jesus , mourut le 7. de ce mois au College
de la Fleche , dans la 74 année de
son âge ; il étoit second fils du Maréchal
Duc de la Ferté , Pair de France .
Dame Marie-Elizabeth Langlois , veuve
de M. Nicolas le Camus , Maitre des Requêtes
, qui avoit été nommé Premier President
de la Cour des Aides en survivance
de M. le Camus son Pere , mourut ..
Paris le 9 du même mois dans la 62 an-

née de son âge..
M. Samuel - Charles de la Reinterie , Che
valier de l'Ordre Militaire de S. Louis ,
Brigadier
1020 MERCURE DE FRANCE
Brigadier des Armées du Roi , Comman
dant pour sa Majesté au Gouvernement
des Ville et Chateau de Brest , y mourut
le 10 de ce mois âgé de 77 ans , il y en
avoit 64 qu'il servoit. Il commandoit le´
Regiment de Touraine dont il étoit Major
à la Bataille de Fleurus ; au siége de
Mons il en fut fait Lieutenant-Colonel.
Il avoit deffendu la Ville et Chateau d'Os
talric où il commandoit en chef, et il en
fit lever le siége . Après le siége de Barce
lone , il eut le Gouvernement du Chateau
de Montjouï ; après l'évasion , il se retira
chez lui , et en 1702 il eut le Comman
dement de Brest où il a été 30 ans. Il a
eu deux freres , deux fils , deux neveux
tuez dans le Regiment de Touraine et actacllement
le seul fils qui lui resté , y est
Capitaine depuis 13 ans.
Jean-Baptiste de Lillerin , Seigneur de
Britissendeau , ancien Conseiller au Parlement
de Bretagne , mourut le 15. May,
âgé de 68. ans.
Charles-Pierre Auget , Seigneur de la
Chabossiere , & c. Commandeur de l'Ordre
de S. Lazare , ancien Commissaire
General des Chevaux- Legers de la Garde
du Roy , mourut le 19, de ce mois ,
âgé de 91. ans.
René de Cordouan , Marquis de la Noüe,
Brigadier
#
ΜΑΥ. 1732. 1021
Brigadier des Armées du Roi et Inspecteur
Géneral de Cavalerie , mourut à Pa
ris le 20 de ce mois âgé d'environ 60 ans.
Pierre le Mastin , Capitaine de l'une des
Compagnies du Regiment des Gardes
Françoises , mourut à Paris le 21 , dans
55 année de son âge.. la
Dame Claude-Marguerite Marie-Mag
delaine Antoinette Desseville , Epouse de
François Frederic de Boullene , Marquis
de S. Remy , Exempt des Gardes du Roi ,
accoucha le 27 Avril dernier d'un fils , tenu
sur les Fonts de Batême par M. Antoine
Denis Raudot , Intendant Géneral des
Classes de la Marine , son Oncle maternel,"
et par Dame Reine- Genevieve Aimejas ,
veuve de M. François- Frederic de Boul
lene , Chevalier Marquis de S. Remy.
-Dame Françoise-Louise de Laurant , Epouse
de Louis-François Laurant , Comte de Monsserin
, &c. accoucha le 11. May d'un fils , fut
qui
nommé Jean- Louis , par N... Prince Duc de
Melfort , et par D. Euphemie Wallace , veuve du
Prince Duc de Melfort,
D. Therese- Gilette Locquet de Grandville ,
Epouse de François , Comte de Broglie , Chevalier
des Ordres du Roy, Lieutenant General de
ses Armées , Gouverneur de Mont-Dauphin ,
Directeur General de la Cavalerie et des Dragons
, Ambassadeur de S. M , auprès du Roy de
I
lak
1022 MEREURE DE FRANCE
la Grande-Bretagne, accoucha le 11. d'une fille
qui fut nommée Marie- Therese , par M. Guill.
de Lamoignon , Président au Parlement , et par
D. Marie-Françoise Méliant , Epouse de Guill .
Urbain de Lamoignon , Conseiller d'Etat Ordinaire
, et au Conseil Royal des Finances.
Cesar-Gabriel de Choiseul , Marquis de Choiseal
, de la Riviere , fils de Hubert , Marquis
de Choiseul , et de Dame Henriette-Louise de
Beauveau , épousa le 30. Avril D Marie de
Champagne , fille de feu René Braudesy de
Champagne , Marquis de Villaine et de la - Varenne
, et de Dame Catherine- Therese le Royer.
Louis- François de Damas , Comte de Thiange
er Danlezy , &c. Capitaine au Regiment Mestre
de Camp General , fils de feu Louis - Amoine .
Herard de Damas , Comte Danlezy , Maréchal
des Camps et Armées du Roy , Commandeur de
POrdre de S. Louis , et de D. Marie - Elizabeth '
Palatine de Dio , de Montperou , &c. épousa le'
26. May D. Madelaine- Angelique de Gassion
fille de Jean de Gassion , Marquis de Gassion er
Dalluge , Premier Baron , Doyen du Perche-
Gouet , Maréchal de Camp , et de D. Anne- Ma
rie-Jeanne Fleuriau d'Armenonville.
Le sieur Dugeron , ancien Chirurgien d'Armée
, donne encore avis qu'il a le secret d'une
Opiate sans goût , qui préserve les dents de se
gâter et de tomber. Il demeure rue Comtesse
d'Artois , proche la Comédie Italienne, Avec Tableau.
SUP“
MA Y. 1732. 1023
N
SUPPLEMENT.
Ous venons d'apprendre que les
Métamorphoses d'Ovide , traduites
en François , par M. l'Abbé Banier , de
l'Académie des Belles Lettres , avec des
-remarques et des explications dont l'objet
est de ramener à l'Histoire les Fables
dont cet Ouvrage est composé , étoient
arrivées depuis quelques jours , et qu'elles
se débitoient chez plusieurs Libraires .
Westein et Smith , Libraires d'Amsterdam
qui les ont imprimées , n'ont rien oublié .
pour en rendre l'Edition magnifique. Le
papier , le caractere et les figures , dont
la plûpart sont de B. Picari , et les autres
des plus habiles Graveurs , tout doit répondre
à l'attente du public. Outre cette
Edition en 2 volumes in folie , dans laquelle
leTexte latin est sur une colomne ,
et la Traduction françoise sur l'autre , les
mêmes Libraires en ont donné en même
tems une en 3 vol. in 12 , toute en ftançois
, avec une figure à la tête de chaque
Livre. Dans l'in -folio , il y a des figures
pour chaque Fable.
Les mêmes Libraires ont aussi fait traduire
en Flamand , et en Anglois , les
expli$
1024 MERCURE DE FRANCE
J
explications et les remarques de M. l'Abbé
Banier , qu'ils ont fait imprimer dans
ces deux Langues , avec le Texte d'Ovide
, en 2 vol in -folio .
Cet Ouvrage dont nous donnerons une
idée plus étendue , lorsque nous l'aurons
lû , est dédié au Roi.
>
A Mrs de l'Académie des Belles- Lettres
de Marseille.
E
OD E.
St-ce un charme trompeur. Mercure ( a) fend
la nuë ,
A peine accessible à ma vuë ,
Une Guirlande en main , il coule dans les airs ...
Il s'approche ... ozerai -je croire
Que j'ai surpris enfin un trait de cette gloire,
Dont ses favoris sont couverts ?
› C'en est fait ; ta présence accomplit mes présages
,
En ce jour , d'éclatans suffrages
De mes foibles travaux consacrent le succès
Et déja ta main immortelle ,
( a ) Mercure est comme on sçait , le Dien de
Eloquence.
M.A, Y.
1732. 1025
En m'offrant ces Rameaux , vient , pour prix de
mon zéle ,
M'offrir le prix de ses bienfaits.
Mon sort fut moins heureux , quand la Nymphe
Lyrique ,
Me fit
M'embrazant d'un feu Poëtique ,
rompre ( ) une Lance au pied du double
Mont ;
La victoire fut incertaine ;
Mais , mon Rival vainqueur , je n'eus que Kom
bre vaine ,
Du Laurier qui para son front.
Dèslors de l'Hélicon , dédaignant les trophées,
J'abjurai les sçavantes Fées ,
Pour chercher l'Eloquence en vos divins écrits :
Heureux (b ) Interpretes des graces ,
Pouvois -je m'égarer ? J'ai trouvé sur vos traces ,
Le chemin de leurs favoris .
Sur ces doctes trésors établissant sa gloire
Marseille verra sa mémoire ,
Echaper aux efforts du temps er de l'oubli t
a ) L'Auteur avoit concouru l'année derniere¿
pour le prix de Poësie .
( b ) Les 20 de l'Academie de Marseille,
Phébus
To26 MERCURE DE FRANCE
Phébus lui verse ses richesses ,
Et pour elle Plutus ( a ) épuisant ses largesses ,
Déja semble s'être appauvri.
Ainsi par vos ( a ) Aïeux , depuis long - temps
illustre ,
Son nom va prendre un nouveau lustre ;
J'en crois de vos talens , le rapport glorieux ;
Si la tige a touché la nuë ,
Bien -tôt les rejettons échapez à la vue ;"
N'auront de bornes que les Cieux.
Pour remplir cet Augure , achevez votre ouvrage
;
Formez un sçavant héritage ,
Digne du ( a ) Conquerant que célebrent vos
voix :
L'Envie au front ceint de Couleuvres ,
Suspend leurs siflemens , en voïant vos chefd'oeuvres
Marquez au coin de ses Exploits .
Que pouvoit-il encor ajouter à sa gloire # 1
Déja P'ornement de l'histoire ,
(a ) Le Commerce, source de richesses à Marseille.
(b ) L'ancienne Académie de Marseille.
( c ) M. le Maréchal de Villars , Protecteur de
Académie.
PouvoitMAY.
1732 1027
Pouvoit - il s'élever au dessus de son nom
Des beaux Arts il se rend le Pere ;
Puisse chacun de vous devenir son Homere ,
Comme il devient votre Apollon.
Ainsi le vrai Héros qui fit le sort des Armes,
Des neuf Soeurs cultivant les charmes ,
Sçait encor dans la Paix , moissonner des Laus
riers ;
Gloire doublement immortelle !
VILLARS , à l'avenir , tu fournis le modele ,
Et des Sçavans et des Guerriers.
Mais quelle ardeur m'entraîne ? Arrête, Muse ;
arrête >
Quand leurs mains couronnent ma tête,
Achanter leur Mécene oses- tu te borner ?
Des coeurs interprete fidele ,
De ma reconnoissance exprime tout le zéle ,
Si tu suffis pour l'exprimer.
Que dis-je ? L'équité dirige vos suffrages ;
Si le prix seul de nos ouvrages ,
Nous rend victorieux de nos jaloux Rivaux ,
Vos Lauriers sont-ils une grace ?
Non. La reconnoissance , arbitre du Parnasse ,
· Est d'en mériter de nouveaux .
I ELOGE
2028 MERCURE DE FRANCE
P
ELOGE de l'Humeur Capricieuse,
par M....
Eut-être trouverez - vous étonnant,
Monsieur , que j'entreprenne de fairol'éloge
de l'humeur capricieuse. Ce projet
vous paroîtra nouveau, et ne manquera
pas de Critiques ; mais après plusieurs ré-
Alexions sur les différens effets du caprice
dans toutes les actions de la vie , j'ai.reconnu
qué cette humeur pouvoit former un
caractere qui se soutient également lors
qu'on l'a dans sa perfection . C'est aussi
de l'humeur parfaitement capricieuse
que je veux parler , non d'une humeur
foujours bourue , toujours brutale mais
de l'humeur inégale , tantôt gaye , tantôt
triste , quelquefois gracieuse et prévenante
, quelquefois fiere et impolie.
,
La Femme me fournira plus aisément
un sujet convenable à mon dessein elle
a seule assez de vivacité assez de ce
feu céleste qui donne de l'élévation à
l'esprit , car il faut nécessairemt un
gérie audessus du commun pour être
capricieux ; il y a dans ce caractere un
merveilleux qui ne se dément jamais ,
et qui surprend toujours ; on peut donc
distinguer dans la femme deux espepeces
MA Y. 1732. 11029
·
6
mary
ces d'humeur capricieuses , l'une dans
le domestique , l'autre dans le monde . La
femme capricieuse dans le domestique est
alternativement en colere pour des bagatelles
, tranquille et patiente pour des
choses essentielles ; tantôt elle a pour un
des airs de froideur et de hauteur
tantôt elle est soumise et empressée , et
l'accable de caresses ; elle se moque quelquefois
des idées raisonnables qu'il à , et
est ingénieuse à lui déplaire ; quelquefois
elle est gracieuse ,attirante;elle le prévient
sur tout un moment après elle le tourne
en ridicule , le traite avec mépris , et.
par un changement inesperé elle lui donhe
ensuite des marques d'une admiration,
et d'une estime particuliere.. Combien,
l'inconstance naturelle d'un mary n'est- elle
point satisfaite avec un tel caractere. II ,
a deux femmes dans une. La capricieuse
rend l'autre plus aimable en lui donnant
sans cesse la grace de la nouveauté ; le caprice
irrite les désirs d'un mary , le tient
entre l'esperance et la crainte , toujours
en suspens , toujours dans cette agitation,
qui empêche de tomber dans la tiedeur et
dans l'indolence; enfin il l'éxcite et le ranime
assez pour lui faire oublier ce qu'il peut
y avoir d'in ipide et d'ennuyeux dans la
longue habitude du mariage . Quel charme
I ÿj pour
1035 MERCURE DE FRANCE
pour un mary de trouver sa femme gaye
quand il craignoit de la trouver en co-
Tere et de mauvaise humeur ! 11 est flaté
d'un bien auquel il ne s'attendoit pas ; il
s'en applaudit , il croit que c'est en sa faveur
que s'est fait ce changement , et il
tombe nécessairement d'accord en lui-même
que les plaisirs ne sont sensibles qu'autant
que le caprice en réveille le gout . La
Capricieuse dans le monde est triste quand
les autres sont gayes , ou elle est gaye
avec tant d'excés qu'elle en déconcerte
les plus enjoüées : elle s'attache à certaines
personnes pendant deux ou trois jours ,
elle les voit d'un air d'amitié la plus sincere
, et ne sçauroit les quitter : occupée
ensuite d'un nouvel objet , elle est un
mois sans leur parler , et loin de répondre
à leurs honnêtetez et à leurs avances ,
elle les regarde comme si elle ne les avoit
jamais connuës ; elle est douce et flateuse
quelquefois , et quelquefois d'un commerce
dur et rebutant : alors vous la verrez
ne pas même regarder ceux qui viennent
chez elle , ne les pas saluer , s'offenser des
politesses qu'on lui fera , prendre du
mauvais côté les choses qui ont deux faees
,se croire insultée quand elle ne l'est
point , et souffrir les choses les plus piquantes,
sans s'en plaindre.
t
11
MAY 1732
1031
Il faut donc conclure par les agrémens
d'une femme capricieuse, que rien n'est si
charmant , rien n'est si aimable qu'une
femme parfaitement capricieuse. Pour
moi si le Ciel m'avoit destiné à passer
mes jours avec un aussi rare caractere , je
me croirois des mortels le plus fortunés
rien n'égaleroit la douceur d'une vie dont
les momens seroient si variez , que l'on
n'auroit le tems de s'affliger. pas
Personne n'ignore que ce qui nous tourmente
le plus dans le monde , c'est la
Refléxion. On ne fait des reflexions que
quand on tombe dans l'indolence , et que
Poisiveté nous rend à nous - mêmes ; mais
avec une femme capricieuse est- il possible
de rentrer en soi - même ? Ne nous occupe
t'elle pas tous les instans de notre vie?
tantôt dans la crainte de la voir de mauvaise
humeur , tantôt dans l'esperance de
la trouver gaye ; l'amour le plus parfait ,
la tendresse la plus vive pour une femme
" ordinaire , laisse encore du vuide dans le
coeur , et c'est ce vuide qui est trop souvent
et si cruellement rempli par mille,
refléxions douloureuses qui naissent tantôt
des dégoûts , tantôt des mouvemens.
de jalousie , et toûjours par l'inconstance.
On n'est point exposé à ces chagrins avec
une femme capricieuse ; aussi n'y aura-
I iij
t'il
1032 MERCURE DE FRANCE
t'il jamais que le contraste perpetuel de
son humeur qui puisse remplir le coeur
de l'homme ; c'est de cette source que
coule une source inépuisable de plaisirs ,
parce que comme il n'y a point de peines
sans refléxions , de - même il n'y a que
des plaisirs où il n'y a point de peines
s'ils est donc vrai que ce soit dans le seul
commerce d'une femme capricieuse que
l'on trouve des plaisirs exempts de refléxions
, conséquemment exempts de
peines ; il faut convenir que rien n'égale
le mérite d'une femme capricieuse , puisqu'il
n'y a qu'elle qui puisse procurer.
P'homme des plaisirs solides et constans.
EGLOGUE
Pour celebrer la Santé et le Retour
du R. P. R. D. L. O. .
L
Silvandre.
Oin d'ici , noir chagrin , cherche un autre
séjour ;
Dans ces heureux climats Daphnis est de tetour,
Il est de nos hameaux, l'ornement & la joye ,
Benissons , Bergers , le Ciel qui nous l'envoyez
En ce jour solemnel que nos jeunes agneaux
sensibles , fassent voir leur aise par des sauts ;
Hâtez-vous de venir , solitaires Dryades ;
AcMAY.
1732. 1033
Accourez , joignez - vous aux humides Nayades
Foulez l'herbe naissante au gré de nos desirs ;
Flore , reparoissez , ramenez les Zephirs.
Les Nymphes quitteront leur rétraite rustique
Pour être les témoins d'une Fête publique.
Damon.
Cher Silvandre , tirons des chants de nos hau→
bois ,
Tels qu'un Chantre fameux en fit entendre aux
bois ;
Les Frênes , les Ormeaux descendant des montagnes
,
Nous suivront attentifs dans nos vastes campagnes
,
Commencez ; c'est à vous , celebrons tour
. tour ,
De l'illustre Daphnis l'agréable retour ,
Les maux & les soucis que causa son absence ,
Et les plaisirs qu'on sent de sa convalescence.
Silvandre.
Ce qu'un Loup ravissant est à notre bercail ,
Un mal contagieux au debile bétail ,
Un pâtre mercenaire aux tristes bergerics ,"
Un fougueux Aquilon à l'émail des prairies ,
L'absence des brebis à leurs tendres agneaux ,
La langueur de Daphnis l'étoit à nos troupeaux,
Damon.
Ce que sont aux Jardins les larmes de l'Aurore ,
I iiij .. Les
1034 MERCURE DE FRANCE

Les amoureux Zephirs aux dons brillants de
Flore ,
La Plante la plus verte aux meres des chevreaux ,
Aux Moissonneurs lassez le cristal des ruisseaux
;
Ce qu'est pour les Bergers l'ombrage frais d'un
hêtre ,
La santé de Daphnis l'est au bétail , au Maître,
Silvandre.
Depuis le jour fatal qu'il partit de ces lieux ,
On n'a plus entendu de son mélodieux ;
Ma Flute étoit sans voix , et ma tendre Mu
setre
Tristement suspenduë étoit toûjours muette ;
Nul Berger n'avoit soin d'enfler ses chalumeaux
Nos soupirs étoient seuls repetez des échos.
Damon.
Dès l'instant que Daphnis reparut dans nos
plaines ,
On vit tarir nos pleurs , on vit cesser nos pei--
nes ;
Par tes Airs les plus doux nous chantons son
retour ;
Pour signaler au loin sa gloire & mon amour ;
Tous les ans de ce Dieu qui daigne nous le
rendre ,
*
J'arroserai l'Autel du sang d'un Agneau tendre.
Silvandre.
Pour son heureux retour les Nymphes de ces
lieux
MAY. 17.32.
1035
" Par des accens plaintifs importunoient les Cieux ,
Sensible à son départ , presqu'autant que le maître
,
Le bétail negligeoit et de boire et de paître ,
La douleur arracha des plaintes d'un rocher ;
Apollon & Palès coururent se cacher.
Damon.
Le Tigre calme enfin sa fureur homicide :
Du sang, de nos Agneaux le Loup n'est plus
avide ;
Le Serpent a perdu son venin dangereux ;
A voir les doux transports de nos Troupeaux
nombreux ,
On diroit que Pallas est en cette Contrée ,
Ou que nous revoyons l'heureux siecle d'Astrée.
Silvandre.
Au lieu du pur Froment l'yvroie & les chardons
S'élevoient sous nos yeux , et couvroient nos
sillons ;
Tranquilles nous voyions la Terre sans parure ;
Nos Vignes sans façon , nos Vergers sans culture
;
Les Fleuves , les Rochers , les Pins , les Arbris
seaux >
Vous rapelloient , Daphnis , auprès de nos troupeaux..
Damon.
Nos Prez sont tapissez d'une aimable verdure ร
Les
1026 MERCURE DE FRANCE
Les Arbres ont repris leur verte chevelure ;
Le Printemps , les Zephirs , Flore et toute sa
Cour ,
Annoncent de Daphnis la santé , le retour ;
Pendant les belles nuits , Diane en nos Campagnes
Foule à pas cadencez l'herbe avec ses compagnes
.
Silvandre.
Daphnis aime mes Vers , il aprouve mes Chants,
Il m'a dit plusieurs fois qu'il les trouve touchants
:
Mes Sons , à beaucoup près , de lui ne sont pas
dignes ;
Je fais , comme un Oison , du bruit entre les
Cignes ,
J'imite nos Bergers , mais ce qui plaît le plus ,
C'est l'effort que je fais pour chanter ses vertus.
Damon .

Sur le mont Helicon pour Poëte on l'avoue ;
Il peut le disputer au Pasteur de Mantouë ,
Muses , qui protegez vos doctes Nourrissons
Pour lui faites couler du parfum , des buissons ;
Vous , Parques , filez - lui des jours d'or & de
soye
Et les Bergers alois nageront dans la joye.
M. Chabaud.
DIF
M.A Y. 17320 1037
DIFFICULTE' proposée à . M. Rollin
sur un endroit de son Traité des Etudes .
Est un des Adorateurs des Ecrits et des Ta-
Clens
lens de M. Rollin , qui prend la liberté de
lui demander la solution d'un doute qui lui est
venu en lisant son Traité des Etudes , tom. 1 .
page 15. Edit. de Paris , chez Etienne , 1726 .
M. Rollin s'exprime ainsi , la quantité qui contribue
tant au nombre et à la cadence du discours ,
n'a pû sefaire admettre dans la Langue Françoise.
J'avoueray bien que la quantité qui se trouve
dans notre Langue , n'est peut -être pas aussibien
marquée que dans les Langues Grecque et
Latine , mais qu'il n'y en ait point du tout , c'est
une décision qui me paroît un peu forte.
Je crois en trouver dans la prononciation de
tous les mots François de toutes les phrases ; ne
pourroit-on pas même dire que notre Poësie a
une espece de quantité , sans laquelle les Vers-
François n'ont aucune grace et sont extremement
rudes ?
M. Rollin , tom. I. p . 199. dit lui- même
qu'en François l'on ne peut prononcer pate , qui
se dit des animaux , comme pâte , qui signifie de
la farine détrempée avec de l'eau , ce qui ne peut
venir que de ce que le premier est bref , et le second
est long.
On peut voir encore tome r. p. 262. une note
o M. Rollin paroît retrancher ce qu'il avoit dit
cy- dessus , p. 15.
1. Pour ce qui regarde les mots , en voici de
route espece , par rapport à la quantité.
La premiere sy labe est breve dans bilon ,
meton , mouton , ăvoit , feroit , děvant , jämais ,
toujours , &c.
Ivj La
1038 MERCURE DE FRANCE
La premiere est longue dans baton , brom,
nombreux, lungueur, quarré, parlé, beauté, &c.
En voici dont la seconde est breve , muse
buse , regle , cette , et tous les mots qui finissent
en e muet.
Les mots suivans sont de trois longues , cōm¬
pōsē , appōllōn , presumption , &c.
Ceux-cy sont de trois breves, l'unisson , ünissons
, & c.
Les mots d'une longue et de deux breves sont
encore plus connus convenir, sōutenir, rēgalër,
conjerer , plaidoyer , &c.
On en trouve aussi grand nombre d'une breve
et de deux longues , comme remarquer , gouver
ner , &c Il faut raisonner de même des autres
especes de pieds où la quantité n'est gueres plus.
difficile à discerner qu'en Latin.
2. Cette quantité qui se fait si bien sentir , ce
me semble , dans les mots François , paroît encore
plus dans les phrases. Celle que j'ai rapporté
du Traité des Etudes , peut servir d'exemple , on
ne peut gueres la prononcer qu'avec cette quanrité..
La quantité qui contribue tant aŭ nombre et
ă lă câdence du discours nå pū së faire admēttrẻ
dāns la Langue Françoise. Cet exemple suf
fit pour faire sentir la difficulté que je propose..
3. Pour ce qui est de la Poësie , tout le monde
lit les grands Vers avec une certaine cadence
sans laquelle la Poësie seroit extremement_rude.
Tous les Vers François ne sont pas susceptibles
de cette cadence , il n'y a que ceux où le
goût ou plutôt l'oreille , a sçû placer les mots
dont la quantité étoit la plus propre à la structure
du Vers , et à son harmonie. Cette quantité
Quable et necessaire à la Poësie Françoise , se
trouve
MAY. 1252. ro39
trouve dans ces Vers de M. Despréaux , qui
pour cette raison font plaisir à entendre lire er
prononcer.
De tōus lēs ǎnīmaūx qui s'ëlēvĕnt dåns l'ãix,
Qui mārchēnt sur la Tērre ou nàgēnt dans la
Mēr ,
Dě Părïs aū Pěrou , dū Jăpon jusqu'à Rōmě ,
Lè plüs sōt ānĭmǎl , å mōn ävis , est l'hōmmč.
Faute de cette cadence , fondée sur la quantité
des mots François , l'on trouve dans les mauvais
Poetes une infinité de Vers qui sont extremement
chocquans , quoique l'émistiche et le nombre
des pieds y soient scrupuleusement gardez.
Je ne m'étends pas davantage , parce que je ne
prétens qu'exposer une difficulté que M. Rollin est
plus que personne en état de résoudre. Je crois que
si l'on faisoit attention à cette quantité de la Langue
Françoise et qu'on en recherchât les regles.
avec soin , on faciliteroit aux Etrangers sa veritable
prononciation , et qu'on corrigeroit les
mauvais accens qu'apportent à Paris la plupart
des personnes de Province ; ces accens défectueux
ne viennent , ce me semble , que de ce
qu'ils font longues les syllabes qu'il faudroit fairebreves
, comme les Norinans , ou breves celles .
qu'il faudroit faire longues , comme les Gascons
, Provençaux , Perigourdins, & c. Si M. Rollin
veut avoir pour l'Auteur de cette difficulté la
même condescendance qu'il a pour tous ceux qui
cherchent à s'instruire , peut - ê-être pourra t-t'il sehazarder
à lui proposer d'autres . difficultez plus
importantes encore, qui l'arrêtent dans le Traité
des Etudes qu'il juge cependant si plein de dọctring:
1040 MERCURE DE FRANCE
trine , qu'il croit que les plus grands 'Maîtres
peuvent y trouver de quoi profiter.
C. L. R ***,
A MADEMOISELLE S ***
Travailler à votre Portrait ,
C'est , je Péprouve assez , une rude entreprise.
Mille difficultez s'offrent à mon projet ,
Mais le tendre amour l'authorise ;
Quoique ce Dieu s'en mêle , il pourroit arrivere
Que dans les Traits de ma peinture ,
On ne puisse pas retrouver
Tous les dons que vous fit la prodigue nature ;.
Mais qui pourroit , s'en étonner !
Il est plus glorieux de choisir un modele ,
Qu'eut manqué le Pinceau d'Apelle ,
Que d'étre obligé de l'orner.
Si mon coeur pouvoit par lui même ,
Exécuter votre Portrait ,
Je le garantirois , ressemblant trait pour trait ,
Mais l'esprit qui n'a pas , cette justesse extrême
Et que vous connoissez pour être un barbouil
leur ,
N'a rien pû faire de meilleur.
Heureux , si des apas que vous faites paroître ,
J'en pouvois representer un >
En vous il n'est rien de commun ,
On ne pourroit vous méconnoître.
PRO
MAY 17320 104T
PORTRAIT.
Quand la nature manque , on a recours
Part,
Et de toute beauté , la louange ordinaire ,
Est qu'elle effaceroit la Reine de Cithere' ;
Mon Pinceau ne tient point de fard ,
Il me suffit d'être sincere.
Sans avoir de Venus , la divine beauté ,
S *** est aussi ravissante ;
L'exacte régularité ,
N'est pas toujours assez touchante .
Tous ses traits ne sont pas également finis
Mais ils sont si bien assortis ,,
Que leur ensemble nous enchante ;
Ses yeux , par qui le Dieu des coeurs
Semble nous dire des douceurs
Vailent ses cruautez d'une feinte tendresse ;
Un charme secret interesse
A tout ce qu'elle dit , et mon coeur malheureux,
S'étonne que l'amour assis dessus sa bouche ,
Lui souffre de donner tant d'Arrêts rigoureux ;
En des objets communs , un rien peut être heu
reux ,
Mais en elle , ce rien nous touche
Je m'en rapporte à tous les yeux.
Ces
1042 MERCURE DE FRANCE
Ses Cheveux terniroient la couleur agréable ,
a De ceux qui brillent dans les cieux , ( « )
Et leur arrangement simple , mais convenable
N'a rien à désirer des soins industrieux .
Sa tailie est libre , avantageuse ,
Elle a cet air enfin qui n'a rien d'imparfait
Et dont la nature est soigneuse
De cacher à l'art le secret.
Son sexe curieux de plaire ,
Demande aux Dieux ses graces , ses at¬
traits ;
Le nôtre , qui lui rend un tribut volontaire ,
Voudroit la voir toujours ou ne la voir jamais.
Pourtant quand on la quitte , après l'avoir con
nuë ,
Le de regret ne la plus voir
Se tourneroit en désespoir ,
Si l'ame n'étoit soûtenuë
Par le tendre pla sir qu'on sent à l'avoir vuë.
Qui mieux que moi peut le savoir à
Elle dispute à Philomelle
Le charme délicat d'une brillante voix.
O vous qui de l'amour redoutez le Carquois
Ou qui ne voulez point devenir infidelle ,
Deffendez-vous d'entendre et de voir cette Belle
Ou bien di posez-vous à recevoir ses loix.
(a) La Chevelure de Berenice,
Le
MAY. 17320 1043
Le 26. May , la Loterie de la Compagnie dest
Indes , établie pour le remboursement des Actions
, fut tirée en la maniere accoûtumée à
Hôtel de la Compagnie. La Liste des Numeros
gagnans des Actions et Dixième d'Actions qui
doivent être remboursées , a été renduë publique,
faisant en tout le nombre de 304. Actions.
La même Compagnie donne avis dans la même
Liste , que sur celle du mois d'Avril dernier , aux
Actions , le N°. 30930. ne doit point y être ,
ayant été remboursée par remplacement sur le
mois de Juin 1730 lequel No. sera remplacé par
une Action que l'on tirera de plus à la Loterie
prochaine.
BOUTS-RIMEZ A REMPLIR.
Boire ,
Butin
Latin ,
Foire.
Loire ,
Lutin ,
Satin
Poire.
Rabot ,
Nabot ,
Souche.
Bateau
Ruisseau,
Louche.
T044 MERCURE DE FRANCE

XXXXXX XXXXXXXXXXXXXX
ARRETS NOTABLE S.
ECLARATION DU ROY , qui regle les
pes de la Maison du Roy. Donnée à Versailles
le 18. Mars 1732. Registrée en Parlement le 29.-
Avril suivant.
ORDONNANCE du Roy , du 10. Avril ,
par laquelle il est dit que S. M. voulant bien que
Ja fourniture du pain continuë d'être faite à ses
Troupes dans les Garnisons ou Camps , dans
lesquels , à cause de la cherté des grains , il seroit
trop onereux aux Cavaliers , Dragons et Soldats
de se pourvoir de pain ; elle a ordonné et
ordonne , que dans les Places et Camps où le painde
munition continuera d'être fourni , il sera déduit
sur la solde , à commencer au premier May
prochain , jusqu'à - ce qu'il en soit autrement ordonné
, pour chaque Ration de pain du poids de
vingt - quatre onces , cuit et rassis , entre bis et
blanc , vingt-quatre deniers par jour , que le Tré--
sorier general de l'Extraordinaire des Guerres
retiendra en ses mains : enjoignant, Sa Majesté ,
aux Officiers de ses Troupes , de tenir la main à
te qu'elles s'y conforment sans difficulté , sur
peine de desobeïssance.
ORDONNANCE DU ROY , du 19 Avril
par laquelle il est dit que S. M. étant informée
que les ordres qu'elle a fait donner au Directeur
de l'Opera , de ne laisser entrer aucunespersonnes
sur le Théatre , n'étoient pas executez;
et S M. voulant rendre sa volonté publique à cet
égard, a ordonné et ordonne qu'à l'avenir aucune
perMAY.
1732. 1045
personne de quelque état et qualité qu'elle puisse
être , ne pourra entrer sur le Théatre de l'Opera,
à l'exception de celles qui ont loué des Loges ,
dont l'entrée est par le Théatre , ou qui auront
des Cachets pour aller dans lesdites Loges ; deffend
très -expressément S. M. à toutes personnes
qui ont lesdites Loges sur le Théatre , ou à celles
qui auront des Cachets pour y entrer ,
de se tenir
dans les Coulisses ni dans les Loges des Actrices
; enjoint S. M. au Sergent des Gardes de
POpera , de tenir la main avec une entiere exactitude
à l'execution de la presente Ordonnance, &c.
AUTRE ORDONNANCE du Roy , du même
jour, par laquelle il est dit que S. M. voulant
que les deffenses qui ont été faites et qu'elle a renouvellées
, à l'exemple du feu Roy , d'entrer à
POpera sans payer et d'interrompre le Spectacle
sous aucun prétexte , soient régulierement observées
; et étant informée que quelques personnes.
ne s'y conforment pas aussi exactement qu'elle
le desire , S. M. à fait très-expresses inhibitions
et deffenses à toutes personnes,de quelque qualité
et condition qu'elles soient , même aux Officiers.
de sa Maison , Gardes , Gendarmes , Chevaux-
Legers , Mousquetaires et autres , d'entrer à l'Opera
sans payer. Deffend pareillement à tous ceux
qui assisteront à ce Spectacle , et particulierement .
a ceux qui se placeront au Parterre , d'y commettre
aucun desordre en entrant ni en sortant,
de crier ni de faire du bruit avant que le Spectacle
commence, de siffler et faire des huées, d'avoir
le chapeau sur la tête et d'interrompre les Acteurs
pendant les Réprésentations , de quelque
maniere et sous quelque prétexte que ce soit , à
peine de désobéissance. Fait semblables deffenses
et sous les mêmes peines , à toutes personnes
d'entrer
1046 MERCURE DE FRANCE
d'entrer sur le Théatre de l'Opera et de s'arrêter
dans les Coulisses qui y servent d'entrée , même
aux Acteurs et Actrices d'y paroître avec d'autres
habits que ceux de Théatre. Deffend aussi
S. M. à tous Domestiques portant ivrée , sans
aucune réserve, exception ni distinction , d'entrer
à l'Opera , même en payant , de commettre aucune
violence , indécences ou autres desordres
aux entrées ni aux environs de la Sale où se font
les Représentations, sous telles peines qu'elle jugera
convenables . Ordonne S. M. d'emprisonner
les contrevenans ; deffend très - expressement à
toutes Personnes , telles qu'elles puissent être ,
aux Officiers de sa Maison et autres , de s'opposer
directement ni indirectement à ce qui est
cy - dessus ordonné , et d'empêcher par la force
ou autrement , que ceux qui y contreviendront
me soient arrêtez et conduits en prison.
SENTENCE DE POLICE , du 25. Avril,
qui condamne en vingt livres d'amende le nommé
Jouan , fils , Regrattier de Paille et de Foin,
pour avoir contrevenu aux Ordonnances et Reglemens
de Police concernant la vente et achapt
de la Marchandise de Foin , et notamment pour
avoir acheté de mauvais Foin sur les Ports à vil
prix , et avoir voulu le faire passer comme Foin
arrivé par terre , en le faisant rebotteler de nouyeau
, et qui ordonne la confiscation dudit Foin.
AUTRE Ordonnance de Police du même jour
qui deffend la vente des Huitres pendant les
grandes chaleurs , à commencer au premier May
jusques et compris le dernier Jeudy du mois
d'Août prochain.
AUTRE du 30. Avril , qui fait deffenses à
toutes personnes de passer sur les Terres ensemencées
MAY. 1732
1047
mencées , et d'y causer aucuns dégâts , sous quel
que prétexte que ce soit , à peine de soo. livres
d'amende , confiscation des Chevaux et Bestiaux
et de prison en cas de Rebellion.
ARREST du 3. May , dont voici la teneur.
Le Roy étant informé de tous les mouvemens
qu'on excite continuellement dans les esprits , રે
Poccasion de plusieurs guérisons qu'on prétend
être miraculeusement arrivées par l'intercession
du Sr de Paris , Diacre du Diocèse de Paris , et
dont on veut faire un argument de parti , pour
fournir des armes à ceux qui se révoltent contre
l'authorité de l'Eglise , et perpetuer la division
dans le Royaume , au sujet de la Constitution
Unigenitus , contre les dispositions des Déclarations
de Sa Majesté , et de l'Arrêt qu'elle a rendu
les . Septembre dernier , pour faire cesser toutes
disputes et contestations sur ce sujet ; S. M. qui
a déja interposé son authorité dans cette matiere ,
soit par son Ordonnance du 27. Janvier dernier
soit par l'Arrêt qu'elle a rendu le 24. Avril suivant
contre deux Libelles qui regardent les faits
cy-dessus marquez , a jugé à propos de continuer
d'en prendre connoissance , pour prévenir
tout ce qui pourroit être une nouvelle occasion
de troubler la tranquillité de l'Eglise et de l'Etat :
à quoi desírant pourvoir , SA MAJESTE ESTANT
EN SON CONSEIL , a fait et fait de très expresses
inhibitions et deffenses à tous ses Sujets , de
quelque état et condition qu'ils soient , de faire
aucunes poursuites ni procedures pardevant ses
Cours et autres Juges , au sujet des faits cy- dessus
énoncez , leurs circonstances ou dépendances
et de tout ce qui pourroit avoir été ou être fait
à cette occasion , $. M. s'en retenant la connois-
* sance , qu'elle interdit à toutes sesdites Cours et
aucunes
1048 MERCURE DE FRANCE
autres Juges , et se réservant à elle seule de prendre
les mesures qu'elle estimera les plus convenables
pour faire cesser toutes disputes et contestations
sur ce sujet Deffend pareillement S. M.
à tous ses Sujets , de composer , imprimer , vendre
, debiter , ou autrement distribuer, sous quelque
nom et titre que ce soit , aucuns Ouvrages,
Memoires ou Ecrits tendants à entretenir les disputes
qui se sont formées au sujet desdits faits
ou de tout ce qui peut y avoir rapport , et de la
Constitution Unigenitus ; le tout sous les peines
portées par ledit Arrêt du 5. Septembre 1731.
lequel sera executé selon sa forme et teneur ,
tamment contre les Auteurs , Imprimeurs ou
distributeurs de libelles ou d'écrits contraires à
la Religion , au respect dû au S. Siege , à N. S..
Pere le Pape et aux Evêques , à l'authorité de
P'Eglise et à celle de S. M. aux droits de sa Couronne,
et aux Libertez de l'Eglise Gallicane , &c.
no-
On donnera deux Volumes du Mercure
de Juin , comme à l'ordinaire.
TABL E.
IECES FUGITIVES, La Jeunesse , Ode,
PM
837
Méthode pour apprendre la Musique en peu
de temps ,
Sonnet , Bouts Rimez ,
8412
856
Lettre sur la Bibliotheque des Enfans , &c. 857 :
Sur le Rudiment du Bureau Typographique, 871,
Parodie de la premiere Oae d'Horace ,
875
Memoire au sujet d'un nouveau Calendrier
882
& c. 887
L'Amour , Ode ,
890
Les Wampirs , &c.
Hypermnestre , Cantate ,
Lettre au sujet des préservatifs contre le Tonnerre
, & c.
Le Retour du Printemps , Ode ,
905:
909
Lettre d'Orleans sur le nom de Guespin , &c. 9 12
A Mile de Malcrais , Ode '," 917
Lettre d'un Officier General , sur un Ouvrage
Historique ,
Enigmes , Logogryphes &c.
920
932
Nouvelles Litteraires. Discours du P. de le Sante,
Extrait ,
Observations de Mathématiques ,
935
944
L'Invention de la Poudre à Canon , Poëme , 947
Bibliotheque choisie de Colemiés ,
La Physique Sacrée , & c.
Journal Litteraire ,
950
959
961
966
Bibliotheque Italique. Histoire Diplomatique ,
& c .
Memoires de Calstelnau , &c. 972
Memoire sur la maniere de colorer les Pierres, ibid.,
Médailles du Roy , suite en Taille - douce , 976
Monumens de la Monarchie Françoise , & c. 977
Commentaire sur la Coûtume d'Orleans , &c. 979
Air noté ,
Spectacles. Amusemens à la mode ,
981
982
Nouvelles Etrangeres, de Turquie, Perse, &c. 995 -
De Russie , Suede , Pologne , Allemagne , 997 :
Italie , &c. 1
Espagne , Portugal , Pays-Bas
tagne ,
1000
Grande , Bre-
11004
Morts , Mariages des Pays Etrangers ,
France , Nouvelles de la Cour , &c.
} 1006
1009
› Convalescence de Mademoiselle de Beaujolois ,
JCIOMédailles
mises au Pont de Compiegne , Ceremonie
, &c .
Benefices donnez ,
Morts , Naissances , Mariages,
1011
1014
1015
1023.
Supplement , Métamorphose d'Ovide , traduites ,
Ode à l'Académie de Marseille , 1024
L'Humenr capricieuse , Eloge , 1028
Eglogue ,
1032
Difficulté proposée à M. Rollin , 1057
Vers à Me , Portrait , &c. 1040
Bouts-Rimez à remplir , 1042
Arrêts Notables ,
1044
Errata d'Avril.
1.
Age 637. ligne 5. une Cyppe , lisez, un Cyppe.
P. 642. 1. 28. Joigny , Torigny.
P. 661. l. 4. tels , 1. tel .
P. 691. 1. 13. déblayée , 1. déplacée.
P. 692. l. 16. PEquille , 7. l'Esquille.
1. 23. Gallions , Galiotes,
1. 16. offrit la offert.
P. 792.
P. 793.
P. 801. 1. 21. Titou , l. Titon.
P. 811. 1. 22. ferme , 1. tourne.
P. 813.1. 16. Antiennes , l. anciennes.
Fantes à corriger dans ce Livre.
Page 191. ligne. 16. crachement , lisex , cra- quement.
1
F. 901. 1. derniere, adieu, reçois encore , l. pars ,
adieu , prens encore.
P. 923.1 20. Voscomti , l. Visconti.
P. 924. 1. 13. d'Osliglice , l . d'Ostiglia.
P. 933. 1. 13. encore , Lencor.
P. 939. 1. 4. les dominations , ?. la domination,
P. 965. 1. 5. le , I. ce.
P. 991. 1. 5. lieu , . lien.
La Médaille gravée doit regarder la page
L'Air notée , la page
976
981
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
AV
JUIN. 1732.
PREMIER VOLUM E.
CITY
SPARCH
SPARGIT
URICOLLIGIT
Papillo
"
1
Chez
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER ,
rue S. Jacques.
LA VEUVE PISSOT , Quay de
Conty , à la descente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais .
M. DCC . XXXII .
Avec Approbation et Privilege du Roy.
AVIS.
L
>
• 'ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU
Commis au
Mercure vis - à - vis la Comedie Francoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mereure,
à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très- inftamment , quand on adreſſe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
foin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toujours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non-feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie.
Les Libraires des Provinces des Pays
Etrangers , où les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la
premiere
main, & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire porter fur
l'heure à la Pofte , ou aux Meffageries qu'oz
lui indiquera.
PRIX XXX. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT
JUI N. 1732.
PIECES FUGITIVES ,
A
en Vers et en Prose.-
L'AMBITION.
O D E.
Mbition , funeste Idole ,
Aux pieds de tes sanglans Autels ,
Esclavés d'un espoir frivole ,
Verra- t'on toûjours les Mortels ?
La Verité fût allarmée ;
Thémis aujourd'hui désarmée ,
Est en butte aux affronts des Grands.
Ciel ! j'en frémis ; les plus noirs crimes ,
1 Vol. A ij Font
1050 MERCURE DE FRANCE
Font naître ces tristes Victimes ,
Que t'amenent ses Conquerans.
Ministre de leurs Sacrifices ,
La fureur leur prête ses traits ,
L'imposture ses artifices ,
La trahison tous ses forfaits,
L'innocence autrefois chérie ,
Succombe à tant de barbarie ;
Chaçun craint de la soutenir ;
Et la malice triomphante,
Fiere des horreurs qu'elle enfante ,
Se rit d'un heureux avenir.
'Ainsi qu'un Torrent dans la Plaine ,
Grossi de plus de cent Ruisseaux ,
Perse , brise , renverse , entraîne ,
Tout ce qu'on oppose à ses Eaux,
Tels , et plus furieux encore ,
Ceux que l'ambition dévore ,
Ravagent tout par leurs fureurs,
Avec eux la guerre s'avance ,
La Paix fuit ; l'effroy la devance ,
L'homme en voit naître ses malheurs,
Que vois-je ! quel Spectacle horrible
Frappe mes regards effrayez !
I. Vol.
Aux
JUIN.
IOSI
17327
1
Aux coups d'un instrument terrible ,
Mille Murs tombent foudroyez !
Ici des Rois portant la foudre ,
Détruisent tout pour mettre en poudre
Les Provinces de leurs voisins.
Là le frere poursuit le frere ,
Le fils dans le sang de son pere ,
Porte de parricides, mains,
Au sortir de tes mains sacrées ,
Grand Dieu ! que l'homme étoit heureux !
Il t'aimoit , tes Loix adorées ,
Remplissoient l'ardeur de ses voeux .
Fidele , il te loüoit sans cesse >
Dans ce séjour que ta sagessè ,
Avoit fait pour lui plein d'appas.
Fortuné temps ! où l'innocence ,
Partage aimable de l'enfance ,
Conduisoit seule tous ses pas.
Maîtres de la Paix , de la guerre ,
Ministres du divin pouvoir ,
Images des Dieux sur la Terre ;
Rois , vous qui faites tout mouvoir ,
Jusqu'à quand pleins de projets vastes ,
Ne voudrez-vous remplir vos Fastes ,
Que d'exploits cruels, odieux !
I. Vol. Jusqu'à A iij
1052 MERCURE DE FRANCE
Jusqu'à quand sous votre Couronne ,
Sous l'éclat qui vous environne ,
Yerrons - nous des ambitieux ?

L'Ambition fait le Barbare ,
Le Héros naît de la Vertu.
Auguste la prenant pour Phare,
Rome vit le vice abbatu.
Par tout il mit fin à la plaintes
La nuit , chacun exempt de crainte,
Goutoit un tranquille sommeil.
Il étoit aux Loix méprisées ,
Ce que sont de douces rosées ,
Aux Champs brulez par le Soleil.

Un Hydropique a beau se plaindre ,
On ne sçauroit le contenter ;
Sa soif ne peut jamais s'éteindre,
Et l'eau ne sert qu'à l'irriter ;-
Ainsi les Grands insatiables ,
En vain sont-ils si redoutables ,
Ils forment des projets divers.
Toute la Grece mise en cendre ,
Ne satisfait pas Alexandre ,
Il veut subjuguer l'Univers.
1. Vol. Qu'est- ce
JUIN. 1732. 1053
Qu'est- ce qu'un Roy qui n'a pour guide
Que voeux outrez , qu'ambition
Un furieux , un homicide ,
L'horreur de chaque Nation.
Un Tigre que la faim agite ,
Tantôt un Lion qui s'irrite ,
Ét que rien ne peut retenir.
Enfin un énorme assemblage ,
De vice , de crime , et de rage ,
Que Dieu produit pour nous punir .
B **. D **.
REPONSE de M. Meynier , Ingénieur
de la Marine , à la Lettre que M. Bouguer
, Professeur Royal d'Hidrographie ,
a fait inserer dans le Mercure de France
du mois d'Avril dernier , page 693 .
" Ay vû depuis trois jours dans le Mer-
Jacure du mois d'Avril dernier , la Réponse
que vous avez donnée au Public
sur ma plainte que je lui avois exposée
dans le Mercure du mois de Fevrier de
la même année , page 247. Vous ditës
d'abord , que le Public ne découvrira pas
les raisons de ma plainte . Elles étoient trop
évidentes pour que cette découverte pût
1. Vol.
A iiij lui
1054 MERCURE DE FRANCE
lui avoir donné de la peine ; j'ai eu la satisfaction
de voir qu'il m'a rendu justice
et à vous aussi , et de lui entendre dire
qu'il ne comprenoit pas comment vous
aviez pû vous écarter si fort sur cet article
, en décidant d'une chose que vous
ne connoissiez pas , de laquelle vous avez
fait un portrait qui n'y a aucune ressemblance
, et que vous n'en avez agi de
même que pour tâcher de sapper tout
ce qui étoit connu , afin de donner plus
d'éclat à vos productions , et afin d'avoir
plus de part au Prix que l'Académie avoit
proposé à ce sujet. Ce même Public est
trop éclairé pour ne pas voir que votre
Réponse est montée sur le même ton
que ce qui a donné lieu à ma plainte.
Vous ne lui persuaderez jamais que ce que
vous avez dit de mon demi Cercle.en
étoit une espece d'approbation ; en tout
cas le Public trouvera l'espece d'approbation
fort singuliere.
Dans votre Réponse , page 694. ligne
15. vous dites : Que vous avez parlé de
mon demi Cercle dans votre Livre sur la
meilleure maniere d'observer la hauteur
des Atres , en disant qu'il vous semble
qu'il est sujet à un inconvénient , et que
vous affirmez aussi- tôt sur la connoissance
vous avez de mes lumieres , que j'ai
que
1. Vol. trouvé
JUIN 1732. 1055
trouvé le moyen de l'éviter. Ceux qui ont
lû ma plainte , où je répete mot à mot ce
que vous en avez dit , verront bien
que
Ce n'est pas-là ce que vous en dites aujourd'hui
, que vous en avez changé le
veritable sens , en employant dans votre
Réponse le présent où vous aviez employé
l'avenir , et le doute où vous aviez
employé l'affirmation ; vous en avez repeté
quelques mots , comme si vous n'en
eussiez pas dit davantage ailleurs , et vous
avez obmis les principaux termes , comme,
par exemple , celui de qu'on est obligé,
parce qu'il exprime une chose qui est indispensable
et non une chose qui semble
être , &c. Auriez- vous voulu en faire une
Enigme j'ai été fort aise de voir que
vous prévenez le Public , page 695. que
vous en répandez dans vos Ouvrages , en
disant que vous allez expliquer l'Enigme.
Dès la premiere lecture que je fis de vos
Ouvrages, je m'étois apperçu qu'ils étoient
fort énigmatiques , et j'avoue que je n'ai
pas pû reconnoître le sens que vous leur
donnez pour être leur sens naturel , comme
vous le verrez un jour dans un Ouvrage
que je donnerai au Public.
Après ce que vous avez dit de mon
demi Cercle et ce que vous venez de répondre
à ma juste plainte , je m'attends
I, Vol.
Αν bien
1016 MERCURE DE FRANCE
bien que vous donnerez au Public de
nouvelles Enigmes sur mon compte ; mais
j'espere que je n'aurai pas de peine peine à lui .
en expliquer
le sens naturel , et qu'il ne prendra
pas , comme vous avez fait , le retard du temps
à votre avantage
.
L'article de votre Livre qui a donné
occasion à nos écritures , est sur le projet
du Programme que l'Académie Royale
des Sciences avoit publié pour l'année
1729 qui ne consistoit que sur la meil
leure maniere d'observer la hauteur des
Astres sur Mer , soit par des Instrumens
déja connus , soit par des Instrumens de
nouvelle invention . Il ne s'agissoit donc
que de décider sur l'Instrument le plus
utile , le mien ne fut pas dans le cas de
pouvoir disputer le Prix au vôtre , parce
que sur l'annoncé du Programme , j'avois
cru que le Mémoire que j'avois remis à
l'Académie quatre ans auparavant sur ce
même sujet , lorsqu'elle m'en donna son
Certificat , devoit suffire , attendu que
mon demi Cercle répondoit aux deux cas
du Programme , et que par cette raison il
seroit inutile d'envoyer une seconde copie
de mon Mémoire ; mais Mrs de l'Académie
ne penserent pas de - même , ils ne
firent aucun usage de mon Mémoire , disant
que j'aurois dû en envoyer une autre
1. Vol.
copie
JUIN. 1732 1057
copie dans le temps prescrit par le Programme
, ce que j'avois cru inutile ; mais
puisque vous m'obligez à vous parler net,
je croi Mrs de l'Académie trop éclairez
pour qu'ils n'eussent pas préferé mon demi
Cercle à vos deux quarts de Cercle ,
s'ils eussent fait usage de mon Memoire .
pas
Vous voudriez faire entendre au Public
, que j'ai crû vos quarts de Cercle
fort bons et plus utiles à la Navigation
que mon demi Cercle , parce que je ne
l'ai d'abord réfuté ; la consequence
n'est pas juste , je ne pensois pas même
à le faire , parce que j'avois des occupa
tions plus essentielles , et ce n'a été que
votre maniere de m'en parler qui m'y a
contraint; il me suffiroit de sçavoir avec
tous les Marins , qu'on ne peut pas mettre
en pratique votre quart de Cercle sur
Mer aussi utilement que les Instrumens
ordinaires ; je ne travaille d'ailleurs à examiner
les Ouvrages des autres et à en faire
des Notes , qu'à certaines heures de récréation
qui sont toujours fort courtes chez
moi , parce que je commence d'abord par
remplir mon devoir et travailler à ce qui
me paroît pouvoir être utile au service du
Roi ou du public ; les succès que j'ai eu
dans ces occupations , m'y attachent si
fort , qu'il est bien rare que je les discon
I. Vol. A vj tinue
1058 MERCURE DE FRANCE
·
tinue pour m'amuser à autre chose , à
moins que ce ne soit pour remplir mon
devoir , de maniere que très - souvent je
ne trouve pas seulement le temps de répondre
aux Lettres de mes amis même
les plus intimes ; ainsi vous ne devez pas
croire que je me dérange jamais beaucoup
de cette conduite pour vous répondre
incessamment ; qu'importe que je le fasse
plus tôt ou plus tard , mes Réponses n'en
vaudront pas moins ? Je ne veux rien réfuter
legerement , ni m'attacher à ce qui
n'est point essentiel au fait , ni chercher
des détours qui ne sçauroient instruire le
Public pour l'éclaircir des faits . Je crois,
Monsieur , qu'il nous convient à tous les
deux de prendre ce parti là , afin de rendre
nos Ouvrages plus instructifs ; car
si nous nous avisions de faire autrement,
il nous en coûteroit notre argent pour
l'impression , parce que nous ne trouverions
aucun Libraire qui voulût s'en charger
, dans la crainte d'être obligé de
les vendre à des Marchands de Poivre.
Le Public qui n'aime pas à être fatigué
par les longs discours , lorsqu'ils ne décident
point avec évidence , jugera beaucoup
plus sainement de nos Ouvrages
par des raisons simples et sensibles et par
leur utilité dans la pratique , que par tou
I, Vol. tes
JUIN. 1732 .
1055
tes les autres voyes que nous pourrions
prendre .
Tout le monde est convaincu que l'experience
dément souvent la théorie , ou
la rend impraticable , principalement sur
Mer , lorsque les fondemens de cette
Théorie sont douteux , comme il arrive
à bien des propositions , comme dans toutes
celles qui ne sont que de pure spéculation
. C'est par cette raison qu'on ne
doit disputer que sur des faits certains ,
dont les principes sont bien démontrez
et les consequences ,sûres ; à moins que
l'experience ne décide des choses qui sont
fondées sur des principes douteux , ou
qu'elle se déclare contre les principes qui
paroissent évidents , ou lorsque les difficultez
de mettre ces principes en execution
ne peuvent pas assez répondre à la proposition
pour la rendre utile. C'est - là
mon unique but le Public qui sçait que
je l'ai atteint en plusieurs occasions , me
rend justice là- dessus .
J'ai vû avec plaisir dans votre Réponse.
que vous reconnoissez que les Instrumens
qui sont actuellement en usage pour observer
la hauteur des Astres sur Mer , sont préferables
à tous les autres , et par consequent
aux vôtres qui ne sont point en usage ;
mais vous ne devriez pas dire que vous
ر چ
I. Vol. l'avez
fogo MERCURE DE FRANCE
L'avez toujours soutenu de même ; puisque
vous avez soutenu le contraire en faveur
de votre demi Cercle , dans la troisiéme
Section de votre Livre , page 32. sous le
titre de Changemens qu'il faut faire au
quartier Anglois , pour lui donner toute la
perfection possible ; c'est sur ces changemens
que vous avez donné votre quart
de Cercle pour être préferable à tous les
autres Instrumens. Je vous felicite d'être
revenu de- même sur le compte de votre
quart de Cercle , je dois l'attribuer à l'évidence
de l'explication que j'en ai donnée
dans ma plainte.
Vous ne vous êtes pas contenté de
parle de mon demiCercle sans fondement,
vous avez encore voulu me faire mon procès
un peu cavalierement sur les Observations
qui en ont été faites dans la
Rade de Brest , en disant , que je connoissois
la latitude du lieu où elles furent faites ;
faisant entendre que c'étoit sur cette connoissance
que le Certificat avoit été fait
et non sur le mérite de l'Instrument .
Vous me connoissez bien mal , Monsieur,
de me croire capable d'en imposer de
même à la verité , tout autre que moi
vous en accuseroit aussi dans vos Ouvrages
; mais parce que croyant faire mon
procès , vous avez fait en deux façons
I. Vol. celui
JUIN. 1734. 1061
celui des personnes qui m'ont donné le
Certificat dont j'ai parlé , qui firent euxmêmes
l'experience de mon demi Cercle
dans cette Rade , en ma présence . Ce
sont M. Deslandes , Contrôleur de la Marine
, de l'Académie Royale des Sciences,
le R. P. le Brun , Professeur Royal de
Mathématiques pour Mr les Gardes de la
Marine , Mrs Liard et Michot , Pilotes
Amiraux , qui en dresserent ensuite un
Certificat , dont ils envoyerent copie à
⚫ M. le Comte de Maurepas et à l'Académie
des Sciences , à ce que ces M m'en
dirent six mois après , c'est - à - dire , au
retour de la campagne , en m'en remettant
aussi une copie ; c'est donc à ces
Mrs là à se plaindre de votre jugement
sur cet article ; ce qu'il y a de bien certain
, c'est qu'ils n'avoient aucun interêt
d'en imposer à la Cour et à l'Académie
qu'ils ont trop de probité pour l'avoir
fait sous aucun prétexte , que je n'avois
pas l'honneur de les connoître trois jours
avant mon départ pour l'Amerique , et
que je n'ai contribué en rien aux termes du
Certificat , puisque dès le lendemain de la
derniere Observation nous partîmes pour
l'Amerique , qu'il n'a été dressé qu'après ,
et queje n'ai sçû ce qu'il contenoit que six
mois après.
1. Vol. Puisque
1062 MERCURE DE FRANCE
Puisque vous n'avez pas jugé à propos
de vous appercevoir de la proposition que
je vous ai faite dans ma plainte, je vais vous
la répeter afin que le Public sçache encore
mieux de quoi il s'agit , et que vous ne
puissiez plus feindre de l'ignorer. Je
vous avois proposé de faire en presence
des gens du métier , l'experience de votre
quart de Cercle et en même temps
de mon demi Cercle.dans une Rade ,
ou même à terre , à un endroit qui seroit
exposé au vent et à un mouvement qui
imiteroit à peu près le roulis d'un Vaisseau
; mais ne l'ayant pas accepté , si vous
le refusez encore , ce sera , pour me servir
de vos termes , proscrire vous - même
vos quarts de Cercle de l'usage que vous
auriez voulu en faire prendre au Public ,
et les reconnoître en même temps beauinferieurs
à mon demi Cercle pour
coup
l'usage de la Navigation ; et comme notre
dispute ne roule que là-dessus , vous y
cederez entierement par votre refus. Vous
êtes encore à temps d'accepter mon défi
, vous pouvez même joindre à votre
quart de Gercle que j'ai réfuté dans mat
plainte , celui que vous suspendez par
une boucle , que vous dites être mieux
suspendue que le mien ;je vous permettrai
dans l'experience que vous employez
I. Vol. l'un
JUIN. 17328 1063
l'un et l'autre indifferemment à votre
choix. Pour nous assurer par l'experiencé
de l'avantage de nos Instrumens les uns
sur les autres , on assemblera à terre un
quart de Cercle à lunette de 3. ou 4.
pieds du Rayon , pour observer pendant
le jour la hauteur du Soleil , er pendant
la nuit celle de quelque Etoile ; nous
serons ensuite tous les deux en Rade dans
le même Vaisseau , sans Montre ni Horloge
, nous aurons pris d'avance toutes les
précautions qu'on pourra proposer , afin
que nous ne puissions pas avoir connoissance
de l'heure , parce qu'elle pourroit
nous servir pour déterminer les hauteurs
des Astres , indépendamment de nos Ins
trumens ; nous observerions ensuite la
hauteur du Soleil le jour , et celle de
quelque Etoile la nuit , dans le temps
qu'on feroit la même observation à terre
avec le susdit quart de Cercle ; et au
moyen des signaux , on n'ôteroit en même
temps la quantité de chacune des Observations
, qui étant ensuite comparées
avec celles qui auroient été faites en même-
temps à terre , serviroient à décider
d'une maniere incontestable lequel des
deux Instrumens vaut le mieux . On peut
faire les mêmes experiences à terre sur
quelques planches mobiles ; il n'y auroie
I. Vol.
en
1064 MERCURE DE FRANCÉ
en cela de l'avantage pour personne. Que si
yous n'acceptez pas une proposition si raisonnable
, qui est la maniere la plus sure
de faire connoître au Public l'avantage
de vos Instrumens sur le mien , ou du
mien sur les vôtres , il employera avec bien
plus de fondement le terme de proscription
pour vos deux quarts de Cercle , que
vous ne l'avez employé mal - à - propos
pour mon demi Cercle ; je dis mal - à- pro-.
pos , parce que vous en parlez comme
une personne qui ne le connoît pas encore
, qui ne veut pas s'en rapporter aux
experiences qui en ont été faites par des
gens de probité et du métier , ni à tous
les Pilotes de Brest , qui l'ont reconnu
fort utile pour la Marine , dans un Certificat
qu'ils m'en ont donné. J'espere cependant
que les Pilotes des autres Ports
ne l'approuveront pas moins , et que je
m'en servirai utilement à la campagne que
je vais faire dans le Levant .Je ne crois pas
que vous puissiez jamais en dire autant
de vos deux quarts de Cercle.
Vous prétendez , Monsieur , que la
suspension que je donne à mon demi Cercle
est inutile , et que je n'ai pas
fait at
tention aux cas qu'on employe cette sus
pension. Avez -vous fait attention vousmême
que la suspension de mon demi
I. Vel.
Cercle
JUIN. 1732. 1065
Cercle est la même que celle des Compas
de variation dont on se sert sur Mer
que l'effet de cette suspension , dans l'un
comme dans l'autre Instrument , porte
l'Instrument à obéïr aux differens mouvemens
du Vaisseau ? qu'on ne les employe
que pour cela , et que vous ne sçauriez
condamner l'un sans condamner Pautre ?
Si vous aviez fait quelque campagne sur la
Mer , vous auriez vû que cette suspension
est si necessaire qu'il ne seroit pas
possible de se servir également des Compas
de variation sans cela ; je la laisse subsister
dans le Compas de variation que
j'ai donné au Public , et par consequent
je la croi très- utile , parce qu'elle l'est veritablement.
Je m'apperçois dans toute votre Répon
se , que vos idées sont bien differentes
de celles qui ont été acquises par la pratique
, ce qui me fait penser que vous en
doutez au moins , c'est le refus que vous
avez fait à mon défi sur la comparaison
de nos Instrumens par des experiences ;
parlant dans votre Réponse comme si je
ne l'avois pas proposé.
Vous dites que parce que je ne donne
aucune atteinte à vos Remarques, qu'elles
ont fait une impression sur moi ; la consequence
n'est pas prouvée , en disant qu'el-
I. Vol. los
1066 MERCURE DE FRANCE
les ne m'ont pas été inutiles , que depuis
j'ai changé d'avis dans l'Ouvrage que je
viens de donner au Public , sur la meilleure
maniere d'observer la variation de
la Boussole à la Mer. Je n'ai du tout
point changé d'avis ; et une preuve que
je soutiens toûjours cette suspension bonne
, c'est que je l'ai employée , comme je
viens de le dire , au Compas de Variation
que vous citez de la même manieré qu'elle
est employée à mon demi Cercle , et
vous vous attribuez mal à propos les avis
que j'ai suivis pour faire tenir mon Compas
de variation , par celui qui fait l'Observation
.
Etant à Brest 4. ans avant l'impression
de votre Ouvrage , Mr les Officiers de ce
Port , tant d'Epée que de Plume , m'en
donnerent l'idée , que j'ai réduite à la
maniere qui est expliquée dans mon Livre
; il y a apparence que vous aviez puisé
cette idée à la même source , puisque j'ai
appris que vous aviez aussi été à Brest ;
d'ailleurs les Marins l'ont toûjours dit
ainsi , et la théorie seule ne sçauroit nous
l'avoir appris de même.
Le public trouvera , comme moi fort
singulier , que vous desaprouvicz , page
703. que je consulte les Marins d'aujourd'hui
, ne diroit -on pas à ce terme
I. Vol.
de
JUIN. 1732.
1067
de Marins d'aujourd'hui , que vous voudriez
les mettre bien au dessous de
ceux de l'ancien temps ; il est pourtant
certain que de l'aveu de tout l'Univers
la Marine est à un plus haut point de
perfection qu'elle ait jamais été , et la
comparaison que nous faisons des anciens
écrits avec les modernes qui la regar
dent , nous le confirment ; vous conviendrez,
sans doute , qu'elle n'a reçu ce grand
avantage ni de vous ni de moi ; d'où je
conclus que les Marins d'aujourd'hui
valent bien mieux que ceux de l'ancien
temps ; qu'ils sont plus habiles , qu'ils
naviguent bien mieux , et que nous devons
les consulter préférablement aux
écrits des anciens. L'expérience et la tradition
ont appris aux Marins d'aujour
d'hui ( pour me servir de votre terme )
que vos deux quarts de Cercle sont proscrits
à l'usage de la Marine , par les raisons
que j'ai détaillées dans ma plainte,
Elles sont si évidentes , qu'il n'est pas
possible de les contester avec fondement
et n'exigent aucune citation , parce qu'aucun
des Livres qui traitent de la Navigation
ou du Pilotage , ne nous donne
l'histoire suivie d'aucun des Instrumens
qui ont été employez , ou qu'on employe
sur mer ; mais seulement leur construc
I.Vol. tion
068 MERCURE DE FRANCE
tion et leurs usages,comme
ils l'ont fait de beaucoup d'autres Instrumens qu'on ne
sçauroit mettre en pratique utilement et
qui sont inutiles. Auroit - il falu vous consulter
préférablement aux Marins d'aujourd'hui,
et s'en raporter à vos décisions ?
il y auroit eu de la témérité. On doit agir
avec plus de prudence lorsqu'on veut.
donner des choses qui soient praticables
sur Mer. Il ne paroît pas dans vos écrits
que vous ayez la moindre pratique de la
Navigation . Si vous ne les consultiez pas
vous-même bien souvent , dans un cas où
vous seriez chargé de la conduite d'un
Vaisseau , il y a toute apparence que vous
iriez bien- tôt habiter avec les Poissons , par
le deffaut de pratique . Vous reconnoître
peut- être un jour la nécessité de les consúlter
, ou de frequenter long- temps
Mer soi- même , lorsqu'on veut donner
du nouveau qui soit utile. Si vous aviez
pris cette sage précaution , je ne croi pas
que vous eussiez donné votre Traité sur
la matiere des Vaisseaux , tel que vous l'avez
publié ; je vous en expliquerai un jour
les raisons, appuïées la plus part sur l'expérience
et sur des démonstrations géométriques
, qui seront à la portée de tous
les Géometres.
la
La Campagne que j'ai faite à l'Améri-
I. Vol.
que
JUIN. 1732. 1069
que , les avis que je pris de Mrs les Marins
pendant le voyage , et à Brest à mon retour
me donnerent dans ce temps- là l'idée
de réduire le Compas de Variation
que j'avois inventé , tel que je viens de
le donner au public , n'ayant fait , comme
je l'ai déja dit , aucun changement à sa
suspension , ainsi vous me félicitez mal à
propos sur ce prétendu changement,
Vous cherchez , Monsieur , à vous défendre
inutilement d'avoir voulu décider
de mon demi Cercle sans le connoître ;
l'histoire de l'Académie , de l'année 1724.
où on voit , pag. 93. la Relation de mon
demi Cercle , laquelle Relation vous a
donné occasion d'en parler , comme vous
avez fait , subsiste encore ; de même que
le Traité sur la meilleure maniere d'observer
la hauteur des Astres que vous.
avez fait imprimer en l'année 1729. chez
Claude Jombert , à Paris , où vous avez
donné occasion à ma plainte , page 11.
ainsi vous avez beau dire que vous n'aviez
pas pu en prendre assez de connoissance
dans l'histoire de l'Académie ; vous
prononcez votre condamnation par cet
aveu ; car quand même l'instrument seroit
tel que vous le dites à present , vous
n'étiez pas en droit d'en faire un portrait
qui n'y eût aucune ressemblance, et encore
I. Vol. toins
1070 MERCURE DE FRANCE
moins d'en décider , sans le connoître ,
parce qu'on ne doit faite le portrait et
décider que des choses qu'on connoît entierement
; et parce que j'ai fait voir dans
ma plainte , par la copie des pièces justificatives
, que tout ce que vous en avez
dit , n'a aucun rapport à ce qui est inseré
dans l'histoire de l'Académie . Vous voulez
soutenir une partie de ce que vous
avez avancé ; mais il ne vous est pas possible
d'y réussir , à moins que vous n'acceptiez
le défi que je vous en ai fait , et
que vous ayez gain de cause dans les expériences
proposées. Vous avez cru vous
en deffendre , en disant que vous n'avez
faire d'en venir à l'expérience de mon
demi Cercle . N'auriez- vous pas fait attention
qu'il s'agissoit aussi dans mon défi
de l'expérience de votre quart de Cercle,
afin de juger ensuite s'il vaut mieux que
mon demi Cercle , par la comparaison de
leurs expériences . Vous êtes encore à tems
de l'accepter et d'y joindre votre autre
quart de Cercle suspendu par une boucle
, comme je vous l'ai déja dit ; que si
vous le refusez , le public ne manquera
pas de dire avec raison que vous cedez entierement
, quelques détours que vous
puissiez chercher , parce que c'est - là le
seul point sur lequel roule toute notre
que
*I.Vol. dispute ;
JUIN. 1732.
1071
dispute ; jusqu'icy les détours que vous
pourrez prendre , ne pourront être que
de la nature de ceux qui ont donné occasion
à ma plainte, de ceux que vous venez
de produire et de ceux que vous avez
cherchez pour ne pas effectuer la gageure
que vous m'aviez fait proposer au sujet
de nos deux Mémoires , sur la meilleure
maniere d'observer la variation de l'Eguille
Aimantée sur mer . Le public sera
bien aise d'être informé de cette petite.
'histoire , afin de sçavoir à quoi il doit s'en
tenir , sur ce que vous avancez.
Au commencement du mois de Juillet
dernier , vous me fîtes proposer du Ha
vre , par un de mes amis , une gageure de
Jo Louis , au sujet de nos deux Mémoi
res ; lesquels so Louis seroient au profitde
celui dont le Mémoire seroit reconnu
par Mrs les Commissaires de l'Académie
avoir mieux mérité le prix qui avoit été
proposé à ce sujet. J'appris cette nouvelle
à Paris , où j'étois pour lors , et où j'en
parlai par occasion , à des personnes qui
me dirent , qu'avant votre départ de Paris
pour le Havre , vous aviez dit chez votre
Libraire et ailleurs , en présence de plusieurs
personnes, que si je croïois que mon
Mémoire eut eu le prix , s'il n'eut pas été
oublié à la Poste , vous me gageriez les
1.Vol. B 2000
1072 MERCURE DE FRANCE
2000 liv . que vous en aviez reçuës, pour,
soûtenir qu'il vous auroit été attribué également
depuis ; votre Libraire et d'autres
personnes m'ont confirmé la chose.
Je vis bien par là combien vous étiez prévenu
en faveur de votre Ouvrage , car
vous ne connoissiez pas encore le mien
dans ce temps- là enfin je n'ai été informé
de votre proposition de gageure à Paris
, qu'après que vous m'avez eu fait proposer
du Havre celle de so Louis , ainsi
je n'avois pas pû y répondre , parce que
je n'en avois pas eu connoissance ; mais
parce que vous aurez pû croire que je le
sçavois , et que la crainte m'avoit empêché
de l'accepter , vous m'avez fait proposer
la seconde , croïant , sans doute, que
je ne l'accepterois pas ; mais vous en fûtes
bien- tôt détrompe , car j'envoié le lendemain
à mon ami la gageure écrite et signée
de ma main , priant cet ami de compter
la somme , afin que vous n'eussiez qu'à
signer la gageure , pour qu'elle commençat
d'avoir lieu ; mais lorsqu'on vous presenta
l'écrit pour le signer , vous vous retranchates
d'abord à 5o Pistoles ,au lieu de
50 Louis , et l'orsqu'on voulut compter
l'argent pour moi , vous ne jugeâtes pas à
propos de fondre la cloche. Il y a apparence
qu'après avoir réduit la gagcure de
J.Vol.
2000
JUIN. 1732.
2000 liv. à 5o Louis , et de so Louis à
1073
go Pistoles , vous auriez voulu la réduire
a moins de so sols , puisqu'à la fin vous
l'avez réduite à rien. Je vous avois cependant
laissé le maître de choisir vousmême
les Juges dans le Corps de l'Académie
des Sciences , ou dans celui de la
Marine. Je dois
cependant vous dire que
je l'accepterai encore , que je vous laisserai
le même avantage de choisir les Juges ,
et que si
l'Académie refuse son
jugement,
nous en ferons décider Mrs les Marins
qui
assurément en
rendront un
jugement
équitable, parce que la matiere est de leur
competence , qu'elle les interesse même
beaucoup , et parce que toute la question
ne roule que sur la meilleure maniere
d'observer sur Mer la variation de la
Boussole ; il ne s'agit que de décider ,
lequel des deux
Ouvrages y sera le plus
utile.
"
Les sages restrictions de l'Académie
dont vous parlez dans votre Lettre , pag.
705.ne consistent qu'à faire sur Mer l'expérience
de mon demi Cercle, pour sçavoir
s'il approcheroit d'y donner la hauteur
des Astres , comme il l'avoit donnée
à terre. On trouve dans le Mémoire
que j'ai laissé à la même Académie à ce
sujet , cette restriction dans les mêmes
I. Vol.
Bij termes ,
2074 MERCURE
DE FRANCE
termes ; depuis , l'Académie n'a pas montré
comme vous l'avancez tout de suite,
qu'elle ne prétendoit point avoir décidé la
question en mafaveur , en proposant le même
sujet pour prix. Ce qu'elle en a dit dans
-son histoire de 1724 , page 93. est tresclair
, puisqu'elle ne parle qu'après les
Observations
qu'elle en fit dans un sens ,
qui ne demande aucune interprétation
;
ainsi vous auriez dû vous dispenser de
celle que vous y donnez , parce que cette
description n'est pas de la nature de vos
énigmes.
·
Vous finissez votre Lettre , Monsieur ,
en disant, au sujet des Vaisseaux lorsqu'ils
sont à la Mer , que le point le plus essentiel
et en même temps le plus difficile est de
pénétrer la cause de tous les mouvemens , ei
d'être en état d'en prévoir les différens effets
vous ajoûtez, qu'on peut s'appliquer à tous
dans cela avec autant de succès à terre que
tout autre endroit.
On vous prouvera un jour le contraire ;
mais en attendant où trouverez - vous un
Marin qui en convienne , depuis le plus
habile et le plus expert ,jusqu'au plus novice
dans cette pratique ; l'expérience
leur
en a appris la verité.
Vous dites de suite que personne ne
s'est encore apperçu au Havre que vous
n'as
JUIN. 1732. T07
moins
n'ayez cultivé l'Hydrographie que dans
le Cabinet ,je crois qu'on ne vous l'a pas té
moigné , mais qu'on ne s'en
est pas
apperçuscar moi qui n'al fait qu'une Cam
pagne de long cours , je l'ai si - bien recom
nu dans tous vos Ouvrages touchant la
Marine, que je n'ai pas pu m'empêcher de
vous le dire dans ma plainte ; quoique 15
jours auparavant vous m'eussiez soutenu
verbalement le contraire. Je vous détail
lerai à mon loisir les articles où je m'en
suis aperçu .
Comme je pars demain pour Toulon,
et de-là pour les Echelles du Levant , je
serai assez long temps absent du Royaume
sans être informé de ce que vous pour
rez écrire contre moi . Vous aurez l'avantage
de combattre un homme absent da
Royaume , qui ne pouvant avoir aucune
connoissance de vos écritures, ne sçauroit
vous répondre qu'à son retour, qui ne sera
pas si -tôt ; vous ne voudrez pas pour lors
tirer avantage du retard de sa replique ,.
comme vous avez voulu le faire du re.
tard de sa-Plainte ; ces sortes de ressources
se réduisent à rien dans les disputes , elles
ne vont point au fait, et lorsqu'on est obligé
de les employer pour se défendre , on
annonce la perte de la cause, parce que ces
affaires - là ne prescrivent point.
I. Vol. Bij Je
1076 MERCURE DE FRANCE
Je vous propose, Monsieur, de faire ensemble
une campagne par Mer , pour y
mettre en pratique vos Instrumens et les
miens ; je ne doute pas que M. le Comte
de Maurepas ne nous en accorde la per
mission , parce que cette campagne seroit
utile à la Marine, en ce que nous ne manquerions
pas l'un et l'autre de bien éplucher
nos Instrumens dans tous leurs usages
, d'en apprendre , autant que nous le
pourrions , la pratique à Mr les Marins, et
de leur en faire sentir par- là le bon ou lè
mauvais ; on sçauroit pour lors fort bien
à quoi s'en tenir , sur les vôtres et sur
les miens ; vous m'y trouverez toujours
disposé ; mais si vous le refusés, le public
ne manquera pas de dire, avec raison , que
connoissant vous-même la superiorité de
mes Ouvrages sur les vôtres , pour l'utilité
de la Marine , vous voulez éviter de
l'en éclaircir. J'ai l'honneur d'être , malgré
tous nos differens , avec beaucoup
de considération
. Monsieur , votre , &c.
A Versailles , le 12 May 1732 .
I.Vol.
JUIN.
1077 .
17323
į į į į į į į į į b !!
A MADAME la Princesse de Conti ,
premiere Douairiere.
ODE
PRophanes Nymphes du Permesse
Je ne veux plus suivre vos pas ,
Trop long-temps vos trompeurs app.
Ont séduit ma folle jeunesse ;
Plus j'approche du Monument ,
Plus je vois sans déguisement ,
Combien vos faveurs sont à craindre ,
Et ma maison est un flambeau ,
Dont l'éclat n'est jamais si beau ,
Que lorsqu'il est prêt de s'éteindre.
Tantôt sur un ton langoureux ,
Vous avez ajusté ma Lyre ,
Dont souvent mon tendre délire ,
A tiré des sons dangereux ,
Tantôt plus charmé pour Athénes ,
Des traits lancez par Démosthènes ,
Qu'intimidé par ses malheurs ,
Je n'ai pas craint sous vos auspices
De parcourir des , précipices ,
Que vous m'aviez semés de fleurs .
I. Vol.
Que
Biiij
1078 MERCURE DE FRANCE
Que de jours remplis d'amertume ,
M'attira le couroux du Ciel ,
Quand je laissai couler le fiel ,
Où vous aviez trempé ma plume !
N'aurois-je pas perdu le jour ,
Dans l'horreur d'un affreux séjour ( a ) ,
Voisin de l'Empire des Manes >
Si mes voeux s'étoient reposez ,
Sus vos Hercules supposez ,
Qu sur vos feintes Arianes ?·
J'addressai mes humbles respects,
Au Dieu qu'adore une Princesse ,
Dont on prise autant la sagesse ,
Qu'on fut charmé de ses attraits ;
Alors , agréable surprise !
L'airain de mes Portes se brise ,
Ma fuite devance les vents ;
Et je vois la plaine liquide ,
M'ouvrir une route solide ,
A travers deux remparts mouvans.

Compare , ô Chantre de la Grèce ,
A ces secrets miraculeux ,
Ceux que ton Héros fabuleux ,
Reçut d'une fausse Déesse ;
( a )Les Isles de fainte Marguerite.
1. Vol. QuiJUIN.
1732. 1079
Quiconque a Dieu pour son appui ,
Et ne met son espoir qu'en lui ,
Brave les fureurs de l'envie ;
Parmi les piéges des méchans ,
Au milieu des glaives tranchans ,
Ilne tremble point pour sa vie.
'Armé d'un si puissant secours
J'ai rendu ma course celebre ,
Depuis le Pô , le Tage et l'Ebre ,
Jusqu'où Lamstel finit son cours ,
De l'Apennin aux Pirenées ,
J'ai vu des têtes couronnées ,'
Relever mon sort abbatu ;
Souvent les ames généreuses ;
Donnent aux fautes courageuses
Les Eloges de la vertu .
Sorti des Terres étrangeres ,
Od j'ai vû dix ans s'écouler ,
Qu'il m'est doux de ne plus fouler
Que l'héritage de mes Peres. !
Je vis sous leurs antiques toits ,
Qu'aux superbes Palais des Rois ,
Préfere mon ame charmée ,
Ou plus heureux , et plus Chrétien ,
1.Vol, Mon By
1080 MERCURE DE FRANCE.
1
Mon coeur ne se plaint plus de rien
Que d'un peu trop de Renommée.
M
C'est dans cet azyle assuré ,
Que souvent mes erreurs passées
Se sont en foule retracées ,
A mon esprit plus épuré.
C'est- là que ma Lyre profane ,
D'an Roy ( a ) que Dieu prit pour organe
Préferant les sacrez accords ,
J'ai cru que par de saintes rimes ,
Je devois réparer les crimes ;
De celles qui font mes remords .
Vous que vers lui par tant de graces ;
Le Seigneur s'est plû d'attirer ,
Vous qu'on peut bien plus admirer ,
Qu'on ne peut marcher sur vos traces .
Princesse , versez dans mon coeur ,
Pour en ranimer la vigueur ,
Ce feu divin qui vous éclaire ;
Et favorisez un projet ,
Qui peut- être a trop pour objet
Un nouveau désir de vous plaire ..
M
Tandis qu'à l'Enfant de Cypris
( a ) David .
1. Vol. Ma
JUIN. 1732. 1081
Ma jeunesse a rendu les armes ,
J'ai de vous emprunté les charmes
Que j'ai dépeint dans mes Ecrits ;
'Aujourd'hui qu'ennemi des Fables ,
C'est aux veritez ineffables ,
Que mon Luth veut se consacrer ,
Je prens sur vos vertus augustes ,
Celles que des rimes plus justes ,
Ont entrepris de célébrer.
M. D.B
Le 4 Mars 1732 .
2
LA GRANG ES
*********X *XXX XXX*
LETTRE écrite aux Auteurs du Mercure ,
à l'occasion de l'Ecrit sur fainte Cecile
imprimé dans le Mercure de Fanvier
dernier.
I'
L m'est revenu , Messieurs , qu'une
personne étoit d'avis que la datte que
je donne au culte de sainte Cécile par les
Musiciens , n'est pas assez ancienne , et
que la preuve s'en tire du Tableau de Raphaël
où cette Sainte est représentée avec
des Instrumens de Musique . Cette remarque
ne m'étonne aucunement ; et là ré
ponse que j'ai à y faire sera courte. Il n'y
a qu'à lire ma proposition telle qu'elf
I.Vol. B vj
es t
IOS2 MERCURE DE FRANCE
-
est à la page 26. de votre Journal de
Janvier. La voici : Ce n'est que depuis un
siécle , ou un peu plus , que les Musiciens
se sont réunis à choisir Ste Cecile pour leur
Patrone. Je ne dis pas que ce n'est que depuis
un siécle ou un peu plus qu'on a
commencé à voir dés vestiges de ce choix
fait par les Musiciens de quelque Eglise
particuliere ou de quelque Province; mais
je dis
que c'est seulement depuis un siécle
, ou un peu plus , que la réunion s'est
faite généralement sur sainte Cécile. A la
page 28. je laisse entre voir que mons
sentiment est , que ç'a été d'abord en Italie
qu'on a commencé à regarder sainte
Cécile comme Patrone de la Musique. Je
le dis , à la vérité , sans citer ma preuve ;
mais cette preuve en elle- même , n'a jamais
été autre que le Tableau de Ra--
phaël , sur lequel j'ai fondé ma conjecture.
Tableau qui a deux cens ans d'antiquité
, comme tout le monde sçait . Je ne
fixe donc point d'époque pour le commencement
de ce choix , mais seulement.
pour la réunion du Corps des Musiciens ,
répandus dans les Eglises Cathedrales
d'Occident. C'est un choix qui a eu ses
progrès peu à peu , et qui n'a été parfaitement
consommé que depuis cent ans ou
environ. Au reste , si l'idée de Raphaël
I.Vol
est
JUIN 173 2. 1083
est de lui , il faut avoiier qu'il a donné
occasion aux Graveurs d'encherir dans ce
genre d'imagination..
On commence de nos jours à ne plus
voir Ste Cécile simplement ravie en admiration
devant le Clavier d'un Jeu d'Orgues
on s'avise de la représenter encore
jouant de la Basse de Violon. C'est dans :
cette attitude que je l'ai vûë dans une
Estampe , gravée par Chiquet, qui étoit
exposée icy en vente ces jours derniers , à
la Boutique de ces Imagers de Basse-Normandie
qui parcourent tout le Royaume.
Qui doute , après cela , qu'on ne la voye
bien- tôt representée joüant du Basson ou
même du Serpent ? S'il est vrai qu'en Ita---
lie les Religieuses d'un certain Monaster
re chantent du Contre- point et un Fauxbourdon
complet dans leur Choeur ; rien
n'empêche de croire qu'on y joue aussi
du Serpent : et cela peut servir à rendre
probable l'opinion que Ste Cécile en aura
joué de son temps. Mais sans trop m'ar
rêter aux imaginations des Peintres,à qui
tout est permis , et pour vous marquer
je suis de bonne foy , et que je ne
demande qu'à être instruit , je vous prie ,
Messieurs de vouloir bien vous faire informer
si à Albi , dont l'Eglise Cathér
drale est du Titre de Ste Cécile , il n'y
que
وت
1.Fol. auroit
1084 MERCURE DE FRANCE
auroit point de preuves du choix en question
qui fussent antérieures au siécle de
Raphaël ; auquel cas ce seroit la France
qui auroit donné l'origine à cette dévotion
, comme à certaines autres.
Quoique les Italiens passent pour ai-
´mer passionnement la Musique , il y en
a qu'il faut excepter ; témoin ce qu'on lit
de Dominique Capranica , qui étoit Cardinal
sous Nicolas V. c'est- à - dire, au miiieu
du quinziéme siécle. Les Musiciens
d'Italie pouvoient être sujets alors à des
imperfections ,, que n'avoient pas ceux de
France. Mais je veux que l'abus ait été général
en ce temps- là ; il ne doit pas en résulter
qu'il ait dû toujours durer. Ainsi
l'on peut trouver du bon dans ce que le
Cardinal Capranica désaprouvoit , et dont
il fit au Pape une raillerie si piquante.
Outre que l'articulation et la prononciation
se rendent intelligibles de leur côté ,
autant qu'il dépend d'eux ; j'ai trouvé
plusieurs Musiciens assez sensez et assez
traitables , pour tomber d'accord , que le
choix de Ste Cécile , en qualité de Patro
ne de la Musique , n'est pas le plus heureux
du monde , et que l'on s'est servi làdedans
comme les Moutons se servent les
uns aux autres : Sicut ovis over . J'en ai
( a ) Baluz. Tom. III. Miscellan . pag. 290.
I. Vol.
vû.
JUIN. 17320 1085
vû quelques- uns de la Ville de Tours qui
m'ont avoué que leur vûë avoit été sur
S. Odon de Cluny ; et cela avant qu'ils
eussent lû l'Ecrit que j'ai publié à ce su
jet. Je ne me flattois pas de trouver tant
de docilité ni de bon goût dans des Musiciens
de Province.
La déclaration que j'ai faite de l'attachement
que j'ai pour la Musique,à l'exemple
du Cardinal Bona , ne préjudicie en.
rien aux interêts que j'ai de dire la vérité .
J'ai laissé à comprendre que la Musique
est une science dont on peut abuser ; er
on en abuse souvent que trop. Il ne me
convient pas de faire icy un Traité sur
cette matiere ; on pourra voir quelque
jour ce que j'en ai dit dans mon Commentaire
sur la Constitution de Jean
XXII. Docta Sanctorum Patrum , où je me
suis fort étendu ; et sans m'expliquer plus.
au fond sur ce que Dom Mabillon en
pense touchant la difference qui est entre
les François et les Allemans , en fait de
chant difference qu'il met en ce que ces
derniers font consister la dévotion dans
un grand fracas de Musique et d'Instru
mens; ce qu'en France on regarde comme
un obstacle à la dévotion ; que nos Galli ,
dit-il , pietatis impedimenta reputamus (a).
( a ) Mabill. Iter Germanic. pag. 21 et 22.
1. Vol.
Je
108 MERCURE DE FRANCE
je me contente pour le présent d'un seul '
exemple : c'est l'application de la Musique
à récits et à répetitions sur le Sym
bole de Nicée. Je connois une Eglise illustre
où l'on a réformé très - sagement
cet usage , et où l'on a remis la récitation
de cette Partie de la Liturgie en
pur Plain chant. On est persuadé dans
cette Eglise , sans faire tort à la Musi
que , qu'elle n'est venuë qu'après coup
et que , pour ainsi parler , elle n'est que
la cadette ; qu'au contraire le Plain - chant
est le plus ancien en datte , et qu'il doit
jouir du droit d'aînesse .
On l'a donc rétabli dans ses droits sur
cet article ; et l'Eglise qui en a agi ainsi
est dautant plus loüable en cela , que
presque toutes les fois que la récitation
du Symbole s'y fait , l'usage est de tems
immémorial d'y présenter pendant ce
tems là le Texte de l'Evangile à baiser à
tout le Clergé , en sorte que les paroles
et l'action sont parfaitement d'accord en
cette occasion . On y voit , ou plutôt on
y entend le Chanoine comme le Semiprébendé,
l'homme simple comme l'hom
me lettré , le vieillard comme le jeune
le foible comme le fort , le laïque comme
L'Ecclésiastique , le peuple aussi- bien que
les -Musiciens , tous généralement mêler
I. Vol. leur
'JUIN. 17325 1087™
leur voix en commun pour l'acquit de la
Profession de foy , et l'on ne voit se séparer
de ce Concert admirable et digne
des premiers temps , que ceux qui gouteroient
davantage que cette Profession da
foy se fit par commission ou par procu
ration , ou bien ceux qui ne peuvent pas
s'accoutumer à une prononciation distincte
de ce qu'ils chantent ; et ceux - là
sont en très - petit nombre
à
Si les Eglises où il y a . Musique quoti
dienne peuvent l'abolir entièrement ,
comme celle de Sens l'a fait autrefois ;
soit par le manque de sujets , de sujets , soit par
la difficulté d'en trouver de tels que les
Canons les demandent ; elles peuvent
plus forte raison la supprimer à l'égard
de quelques parties seulement de l'Office
où elle convenoit moins , pour la transporter
sur d'autre où elle sera mieux. placée.
Les Musiciens dépouillez de tout préjugé
n'ont pû se refuser à l'équité de ce
transport , ils sont tombez d'accord que ,
par exemple , la Musique et le Fauxbourdon
conviennent mieux au Cantique Te
Deum , qu'au Credo ; et je ne doute pas ,
Messieurs , que vous qui en connoissez
de très-celebres à Paris et ailleurs, ne leur
fassiez avoüer facilement la même chose.
Il semble que les personnes qui sont du
I. Vol. senti
1088 MERCURE DE FRANCE
sentiment contraire , peuvent être regar
dées comme du nombre de celles que
l'Ombre de M. Thiers combat si vivement
dans le Mercure de Juin 1731 .
second Volume , aux pages 1441. et 1442 .
Je vous en fais les Juges , et je suis , &c
Ce 25. Avril 1732.

LA FUITE DU MONDE,
ODE.
Brillante Cour , funeste azile ,
Noir séjour de la trahison
Quand on a pris de ton poison ,
Peut-on être jamais tranquille !
Palais aussi beaux que les Cieux ,
Superbes Parcs , Bains merveilleux ,
Bois enchantez , riantes Plaines ,
Que mon coeur dans ce doux instant
Dégouté des grandeurs mondaines ,
Sent de plaisir en vous quittant !
M
Dans ces esperances trompeuses ,
Jouet d'une fatale erreur
L'homme remplit toûjours son coeur
De mille chimeres flateuses ,
1. Vol.
Mais
JUIN. 1732 1089
Mais bien-tôt trompé dans ses voeux
Il n'en est que plus malheureux ;
Tout lui présente de faux charmes ;
Ces biens dont l'éclat l'éblouit ,
Le comblent d'ennuis et d'allarmes ,
Dès le moment qu'il en joüit.
Cependant rempli de l'image ,
D'un bonheur qu'il ne trouve pas
Il vole d'Etats en Etats ,
Pour finir son triste esclavage .
Mais ne goûtant nulles douceurs ,
Dans la gloire , dans les honneurs ,
Dans la pompe , dans la molesse
Enfin des faux biens dégoûté ,
Il voit que la seule sagesse ,
Procure la felicité.
Mes recherches étoient donc vaines .
Charmant repos , aimable paix ,
Puisqu'on ne vous trouve jamais ,
Dans les prosperitez mondaines .
Hélas ! je vous connois trop tard ,
Lieux pleins d'artifice et de fard ,
Lieux qu'un trouble éternel agite.
Mes voeux sont pourtant exaucez
Mais I. Vol.
Togo MERCURE DE FRANCE
Mais faut- il que je ne vous quitte ,
Que quand mes beaux jours sont passez-
La Cour a mille précipices ;
Que de pieges y sont tendus !
Les vices y sont des vertus •
Et les vertus y sont des vices ;
L'injustice l'ambition ,
L'orgueil et l'adulation ,
Y font éclatter leur puissance-
Pendant que réduite aux abois ,
Pour éviter leur violence ,
La vertu s'enfuit dans les bois.

Pour la suivre , sortons du monde ,
Où nous nous sommes égarez ;
Dans des lieux charmans retirez ,.,
Jouissons -d'une paix profonde.
O biens qui nous fûtes`sï doux ,
Vous n'avez plus d'attraits pour nous , ~
N'attaqués plus notre foiblesse : -
Sages Maîtres de nos desirs,
Ce sera la seule sagesse ,
Qui reglera tous nos plaisirs.
Heureux , qui loin du bruit des Villes
Méprise les honneurs mondains !
I. Vol
Exempt
JUIN.
1732. 10g1
Exempt d'ennuis et de chagrins ,
Il n'a plus que des jours tranquilles ,
Le sommeil , qui cherchant les Bois ,
Fuit les Palais brillans des Rois ,
N'abandonne jamais sa Hute ,
Aux tristes caprices du sort ,
Il ne seroit jamais en butte ,
Et sans crainte il attend la mort.
En vain les vents et les orages ,
Unis pour le combler de maux ,
Sur ses Moissons , sur ses Troupeaux,
Exercent mille affreux ravages.
Ainsi qu'un Rocher sourcilleux ,
Au milieu des flots écumeux ,
Subsiste et demeure immobile ,
Ainsi pressé de tous côtez ,
Cet homme est d'un esprit tranquile,
Dans ces dures calamitez .
-Les Riches dans leur opulence ,
Jouissent- ils d'un sort si doux
Ils n'ont qu'ennuis et que dégoûts ,
Même au milieu de l'abondance ;
-En vain à la suite des Rois ,
Ils vont aux habitans des Bois, r
Livrer une cruelle gueire;
1. Vol.
Lo
1092 MERCURE DE FRANCE
*Le souci , ce tyran affreux ,
Plus prompt même que le Tonnerre ,
Monte en croupe et court avec eux.
Que dis-je sur le Trône même ;
Peut-on se flatter d'être heureux ?
Est-on au comble de ses voeux ,
Pour être assis au rang suprême ?
En vain les plus superbes Rois ,
Au Monde entier donnent des Loix ,,
Ils sont soumis aux Loix des Parques
Leurs biens sont des biens passagers >
Et la mort brävant les Monarques ,
Les confond avec les Bergers.
TROISIEME Lettre d'un Professeur
de l'Université de Paris , un Principal
de Province , sur le Bureau Typogra
phique.
Ni
Ous voicy donc enfin árrivez, Monsieur
, au plus bel endroit de la Lettre
, qui paroît au Buraliste , bien audessus
des Vers de M. le Beau , et de la
Prose de M. Gaullyer , et qui nous pároît
, à nous valoir au moins toutes les
Lettres écrites par le nouvel Abécédiste ,
I. Vol,
pour
JUI N. 1732
1093
pour faire valoir son ABC. Typogra
phique. C'est là qu'il met tout le fort
de sa Cause ; c'est un sujet de joye et de
triomphe pour lui ; c'est un Certificat
des plus autentiques et un Jugement sans
appel ; c'est par- là enfin , qu'en idées au
moins , il abbat et terrasse tous ses ennemis
, sur tout les Régens du College du
Plessis.
Voici , Monsieur , ( dit - il d'un air victorieux
et triomphant ) un Certificat qui vous fera voir
un Jugement de la Societé des Arts , un peu different
de celui des Régens du College du Plessis .
EXTRAIT du Registre des Déliberations
de la Societé des Arts , du Dimanche
17. Décembre 1730 .
Ce jour , Messieurs Medallon , Romieu , Degua
, et Remond , Commissaires nommez par
déliberation de la Societé du 27. Août dernier ,
pour l'examen d'une nouvelle Machine servant
à apprendre aux enfans plus facilement et plus
promptement à connoître les Lettres , à les assem◄
bler , à ortographier , tant en Latin qu'en François
, et même les premiers principes de la Langue
Latine , présentée à la Societé par le sieur Dumas,
sous le nom du Bureau Typographique , ont fait
leur rapport à la Compagnie , conçu en ces
termes :
Рома
Nous Commissaires nommez par la Societé pour
L'examen du Bureau Typographique , inventé
le sieur Dumas , certifions que cette nouvelle invention
nous a parû mériter à plusieurs titres une entiere
préference sur toutes les Méthodes employées
I. Vol. jusqu'
T094 MERCURE DE FRANCE
jusqu'à présent pour l'instraction des enfans , en te
qu'il fournit un moyen infaillible d'employer utilement
les premieres années de la plus tendre enfance,
en mettant en oeuvre la mesure d'intelligence qui
accompagne cet age , en épargnant les préceptes , en
ne parlant qu'au sens et à l'imagination , qui sont
le seul partage de l'enfance , en profitant même des
imperfections de cet age pour le progrès des connoissances
, puisqu'on n'y employe que la voye du plaisir,
et d'une prat que aisée et mécanique , laquelle
est néanmoins fondée sur la théorie la plus exacte et
la mieux suivie , enfin en donnant aux enfans une
habitude d'ordre et de travail , et ce qui mérite encore
plus d'attention , en leur épargnant le dégots
qui les éloignant de l'étude , décide souvent de leur
sort pour le reste de leur vie . Nous croyons que tous
teux qui sentent l'importance de l'emploi des premieres
années de l'enfance , regarderont avec estime
une invention dont l'utilité s'étend sur tous les âges,
et que l'Auteur recueillira par le succès et l'Approbation
generale du Public , la seule récompense
qu'il ait attenduë de son travail.
Je soussigné Secretaire de la Societé des Arts ,
certifie que l'Extrait cy - dessus a été tiré du Registre
des Déliberations de la Societé , et qu'il
est en tout conforme à son original. Donné à
Paris ce 14. Septembre 1731. HYNAULT .
Que ferai-je présentement ? de quel
côté me tournerai- je ? à qui aurai - je recours
? à l'Académie Françoise ? elle ne
voudra pas porter son jugement après la
Societé des Arts ; et comme il s'agit de
Latin , elle me renverra à l'Université
comme elle y a déja renvoyé le grand
I. Vol. Inven
JUIN. 1732. 1095
Inventeur de la Regle monosyllabique
ad, et de la Leçon d'une demie heure .
A l'Académie des Sciences ? mais oseroitelle
juger d'un Systême mécanique moins
favorablement que ceux qui font, dit - on,
des mécaniques , presque toute leur occupation
? M'adresserai- je à l'Université ?
il est vrai qu'elle est depuis plusieurs siecles
la mere des Arts et des Sciences ,
qu'elle a le droit de prononcer sur ces
matieres , et qu'elle l'a souvent exercé avec
grand contentement , et avec l'applaudissement
de la République des Lettres.
Ainsi comme elle s'est déja déclarée plus
d'une fois pour l'ancienne Méthode , je
n'aurois pas de peine à en obtenir une
décision contraire à celle de ces Mrs de
la Societé des Arts .
par
des '
Mais de quelle utilité seroit pour moi
cette décision ? Le Buraliste n'en appel
leroit-il pas , comme étant faite
Juges suspects de partialité , et n'opposeroit-
il pas à toutes les Universitez du Monde
, l'autorité de la Societé des Arts , et
ne se croiroit- il pas
bre de ce grand nom à couvert à l'omde
ré-
Je n'ai donc , je
crois , d'autre parti à prendre que
pondre au Certificat de ces M , et d'affoiblir
un peu le coup mortel que le Machiniste
a prétendu porter par là à tous
1. Vol. C les
1096 MERCURE DE FRANCE
les Régens , et particulierement à ceux
du College du Plessis. C'est à quoi pourront
peut- être servir les Refléxions suivantes.
Je remarque donc d'abord que l'humilité
de l'Auteur du Bureau, qui a bien voulu
présenter et soumettre sa nouvelle Machine
à l'examen de la nouvelle Societé ,
la politesse et l'humanité des Examina
teurs , l'affection particuliere qu'ils ont
pour tout ce qui est mécanique , et.pour
tous les nouveaux Machinistes , tour
cela a peut-être contribué à leur faire
porter du Bureau Typographique
un Jugement
si favorable , autant . et même
plus, que la vûë claire et distincte de la
bonté et de l'utilité de cette Méthode de
bois.
En second lieu ces Mes n'ont point prononcé
sur la préference que
la Machine
doit avoir sur toutes les Méthodes employées
jusqu'à present pour enseigner
aux enfans le Grec , l'Hebreu , l'Arabe
&c. ' Histoire , la Fable , la Chronolo
gie , la Géographie , les Généalogies , le
Blason , les Médailles , les Arts et les
Sciences, et par conséquent les Mécaniques
, qui font leurs occupations particulieres
, et à quoi le Buraliste prétend que
son Bureau est necessaire ( Lettre 4. page
1. Vol.
62. )
JUIN. 1732. 1097
2. ) ils se sont restraints à dire qu'il sert
à apprendre à connoître les Lettres , à les
assembler , à ortographier , tant en Latin
qu'en François , et même les premiers
principes de la Langue Latine , ajoûtentils,
ce semble, avec quelque peine et sans
aller plus loin .
Troisièmement , l'Eloge que les quatre
Examinateurs font de la Machine Typo
graphique , et l'entiere préference qu'ils
lui donnent sur toutes les Méthodes qui
ont existé jusqu'à ce jour , nous paroît
convenir bien mieux à l'ingénieuse et à
l'admirable invention des Lettres et de
leurs combinaisons pour former les syllabes
, qui se trouvent dans le moindre
petit Alphabet. C'est ce que Lucain et
son Traducteur Brebeuf ont exalté just
qu'au Ciel par ces Vers si beaux et si magnifiques
:
Phænices primi, fama si creditur , ausi
Mansúram rudibus vocem signare figuris.
Lucain 22.
C'est de lui que nous vient cet Art ingenieur
De peindre la parole et de parter aux yeux';
Et par les traits divers de figures tracées ,
Donner de la parole et du corps aux pensées.
Ainsi le Buraliste ne doit pas si fərt
I. Vol.
Cijs'en
1098 MERCURE DE FRANCE
s'en orgueillir de ce qu'on a dit en faveur
de son Bureau , puisque les Lettres et les
Syllabes et par consequent l'Alphabet
qui les contient et qu'il méprise tant ,
nous paroît mériter à plusieurs titres
une entiere préference .
*
Ex
Examinons présentement plus en détail
le Certificat , et pesons en toutes les paroles.
Nous certifions , dit-on , que cette
nouvelle invention nous a parû mériter à
plusieurs titres une entiere preference sur toutes
les Méthodes employées jusqu'à present
pour l'instruction des enfans , même pour les
premiers principes de la Langue Latine ;
par consequent sur la Méthode de Quintilien
, de Despautere , de Sanctius et de
Vossius , de M M. de Port Royal , de
M. Rollin et de M. le Fevre , & c. MTs les
Commissaites nommez par déliberation
de la Societé , du Dimanche 27. Août
1730. ont fait leur rapport aussi le Dimanche
17. Septembre de la même année.
Du premier terme au second , il n'y
a que 112. jours ou 16. Semaines , c'està-
dire,pas quatre mois entiers. Qui pour
ra donc être assez simple pour croire
qu'un espace si court ait suffi pour lire les
anciennes Méthodes, et les comparer avec
la nouvelle , ou que sans les lire , on ait
pû en juger sainement et lui donner rai-
1. Vol sonJUIN.
1732. 1099
sonnablement une entiere préference sus
elles ?!
Un Alphabet ne fournit- il pas aussi aux
enfans un moyen infaillible d'employer utibement
les premieres années de la plus tendré
enfance , en mettant en oeuvre la mesure d'intelligence
qui accompagne cet âge ? N'épargne-
t- il pas les préceptes en ne parlant qu'aux
sens ( aux yeux qui sont le sens le plus
vif ) et à l'imagination , tandis que le Maître
parle aux oreilles , qui sont , non le
seul, ( car il y a la memoire ) mais un des
meilleurs partages de l'enfance ? Par le
moyen de l'Alphabet ne profite- t'on pas
même des imperfections de cet age pour le
progrès des connoissances , puisqu'on n'y employe
que la voye du plaisir , sur tout si
Alphabet est de bon pain d'épice ou de
quelqu'autre pâte sucrée , comme le veut
M. de Vallange et d'une pratique aisée et
toute mécanique , c'est - à- dire d'une digestion
facile , toute physique et très - utile
pour la santé , pourvû qu'on n'en prenne
pas avec excès : laquelle est neanmoins fondée
sur la théorie la plus exacte et la mieux
suivie , sçavoir , sur les combinaisons meryeilleuses
des Lettres et des Syllabes ; enfin
en donnant aux enfans une habitude
d'ordre et de travails d'ordre , tel qu'il est
suivi generalement dans tous les Diction
I. Vol. C iij naires
1100 MERCURE DE FRANCE
naires , et qu'il est le plus naturel pour les
enfans ; de travail , par rapport à la
à la pro
nonciation de certaines syllabes rudes et
retives sur laquelle Quintilien veut qu'on
les exerce beaucoup ; et , pour me servir
toûjours des expressions de M M. Medallon
, Degua , Romieu et Remond , ce qui
mérite encore plus d'attention , en leur épar
gnant le dégoût , qui les éloignant de l'étude,
décide souvent de leur sort pour le reste de
leur vie.
Je croi donc que tous ceux qui sentent
L'importance de l'emploi des premieres années
de l'enfance , regarderont avec estime une invention
dont l'utilité , durant une longue
suite de siecles , depuis Cadmus , premier
Inventeur des Lettres de l'Alphabet , jusqu'à
nous, s'est étendue , et plus que problablement
depuis nous jusqu'à la fin du
monde , malgré l'invention de la Machi
ne Typographique , s'étendra sur tous les
hommes,de quelque âge , de quelque sexe,
de quelque qualité et condition qu'ils
soient , et que l'Auteur ( c'est Cadmas
et non l'Auteur du Bureau ) recueillira ,
comme il l'a toûjours recueilli , par le
succès et l'approbation generale du Public ,
la seule récompense qu'il ait attendu de son
travail.
N'est-il pas clair
que
le Certificat
de
I. Vol. Mrs
JÚ IN. 1732. 1101
Mles quatre Commissaires , ainsi tourné,
et expliqué , est bien plus conforme à la
verité et plus honorable pour eux et
pour la Societé des Arts , dont ils sont
Membres ? Mais de quelle utilité peut-il
être pour le Buraliste , puis qu'il met l'invention
des Lettres et de l'Alphabet qu'il
méprise tant , bien au- dessus du Bureau
Typographique , qu'il estime seul et qu'il
prefere hautement et en toutes occasions
aux Méthodes vulgaires reçûës jusqu'ici
dans toutes les Ecoles d'Europe.
Au reste on ne voit pas trop la raison
pourquoi ce Certificat donné le 17. Décembre
1730. n'a été délivré par M. Hynault
, Secretaire de la Societé des Arts ,
que le 19.Septembre 173 1. ne seroit- ce pas
que l'Auteur du Bureau n'a pas crû en avoir
besoin pour se deffendre contre ses Adversaires
qui ont écrit en Prose contre lui ,
et qu'au contraire ill'a crû necessaire pour
résister à son nouvel antagoniste , qui par ,
sa petite Comédie de 800. Vers environ
lui a donné un si terrible assaut et livré
un si cruel combat , qu'il n'y a pas d'apparence
qu'il s'en releve jamais. Revenons
presentement au Buraliste , nous n'aurons
pas grande peine à l'expedier , présentément
que nous nous sommes tirés d'un si
mauvais pas.
و
1. Vol. Ciiij Les
roz MERCURE DE FRANCE
Les parens , dit- il , curieux en fait d'éducation
, qui voudront connoître par euxmêmes
le mérite et l'utilité du Bureau Typographique
, pourront prendre la peine d'aller
voir les Enfans Typographes , instruits et
exercez selon cette nouvelle Méthode.
Ils verront quelque chose d'infiniment
moins curieux que ce qu'on voyoit à la
Foire les années précedentes. A la Foire
on voyoit une Chienne qui avoit été tellement
dressée , et qui étoit dans ses operations
si bien dirigée par son Maître ,
qu'elle jouoit aux cartes et gagnoit des
parties de triomphe , assembloit des Lettres
et composoit des mots bien mieux
ortographiez qu'ils ne le sont très-souvent,
suivant les principes du Buraliste , faisoit
enfin plusieurs autres choses sembla- .
bles , toutes plus merveilleuses les unes
que les autres ; et tout cela sans qu'il parût
que son Maître l'aîdât en la moindre
chose . Les Enfans Typographes , au contraire
, qui sont évidemment conduits
et dirigez par leurs Precepteurs Typographistes
, suivent très -souvent une ortographe
qui est très - mauvaise , et écrivent,
par exemple , Filipe , au lieu de Philippe ;
faute que la Chienne de la Foire n'auroit
jamais faite.
On trouvera , continuë le Buraliste , chez
I. Vol nn
JUIN. 17328 1103.
.
un Marchand de Soye , au Bras d'or , dins
la rue S Denis , vis - à - vis sainte Catherine ,
une aimable perite fille au- dessous de trois
ans , qui en peu de mois a appris avec le
Bureau , ce que bien des enfans ignorent
après des années d'Ecoles vulgaires . On
trouvera chez M. Procope , vis- à- vis de
la Comédie Françoise , un digne Enfant ,
dont le seul exemple est capable de fermer
la bouche à tous les Critiques. On pourroit
indiquer un grand nombre d'autres Enfans
Typographes , si on ne craignoit de fatiguer
les Parens et les Maîtres.
Tous les Enfans de l'un et l'autre sexe,
qui apprennent à lire avec le Bureau, sont
tous, au dire du Buraliste, de dignes et d'aimables
enfans. Mais sans vouloir rien ici
rabattre de leurs esprits et de leur mérite
ne puis je pas dire des Enfins les plus ordinaires
, ce qu'il dit ici de ses Enfans Typo
graphes , qu'on peut , non pas prendre la
peine de les aller voir , mais sans aucune
peine , les voir soit dans les maisons parti
culieres , soit dans les Ecoles publiques , es
remarquer que plusieurs d'entre ceux qui
ont des dispositions heureuses , apprennent
à l'âge de trois ans en peu de mois
ce que bien d'autres , que la Nature a
traitez moins favorablement , ignorent
après plusieurs années d'étude opiniâtre,
3
1. Vol. Cy Cette
rio MERCURE DE FRANCE

Cette seule remarque , fondée sur l'expe
rience de tous les lieux et de tous les
temps , est capable de fermer la bouche
à tous les nouveaux Méthodistes , qui
tombent très souvent dans le sophisme
, que les Philosophes appellent non
causa , qui consiste à prendre pour la
cause d'un effet , ce qui ne l'est pas veritablement.
·
Don Ventura de Liria , dit-on , qui a
un Bureau au College d'Harcourt , a fait
en peu de temps l'heureuse experience
de cette Méthode , de même que le petit
Remilli , qui ayant aussi un Bureau au
College du Plessis , a eu un des Prix de
mémoire , distribuez le jour de la Tragé
die , et qui va en Classe , selon le goût
،
et la volonté de ses Parens.
Don Ventura de Liria , âgé de 7. ans
environ , et fils d'un très- illustre et trèsaimable
Seigneur , que le College du Plessis
a eu le bonheur de posseder autrefois
, et qui n'a pas eu lieu de se repentig
d'y avoir été instruit selon la Méthode
ordinaire. Je ne sçai pourquoi , pour lui
enseigner l'A B C et les premiers princi
pes du Latin , on a suivi une autre route
que pour M. son père.
Quant au petit Remilli , il est bien vrai
qu'il a eu un Prix de memoire , mais il
1. Vol. est
U IN. 1732. 1105
est aussi très - vrai que c'est à sa memoire
et à son industrie qu'il doit ce
Prix , et non au Bureau , auquel jusqu'à
present le Buraliste même n'avoit pas accordé
l'avantage de donner de là mẹ-
moire aux enfans. Cet aimable Enfant va
en septiéme depuis plusieurs mois , selon
le goût et la volonté de Mrs ses Pere
et Mere.
:
Les personnes bien intentionnées , continuë
le Docteur Abécédisre , qui aiment··
le bien public , sçachant que Monseigneur
Le Dauphin et Mesdames de France , apprennent
à lire par la Méthode du Bureau
Typographique , et que l'Auteur , par commission
, en a déja envoyé dans les Provinces
, ces personnes , dis-je , s'embarraseront
peu des Critiques qu'ont produites jusqu'ici ,
l'ignorance , la prévention et peut-être l'envie
ou la mauvaise foi.
Vous voyez , Monsieur , que
la source
des injures n'est point taric . Vous sçavez
que nous y avons répondu ; si cela
ne suffit pas , voici une réponse de la
façon du Buraliste . Celui qui s'éleve contre
nous , dit- il dans le Mercure de Mars ,
page 426. ou 427. devroit avant que d'écrire
, apprendre à penser , et s'il croit avoirraison
, nous démontrer avec politesse que·
nous donnons dans Berreur : tout Ecrivain .
,
I. Vol. Cvj donts
1106 MERCURE DE FRANCE
dont le style est grossier , m'est suspect er je
n'en attends aucune instruction.
Tout ceci est bien plus vrai lorsque ,
comme lui , on attaque seul le genre hamain.
Quant à l'exemple de Monseigneur
le Dauphin et de Mesdames de France ,
qu'ils nous allegue pour la seconde fois
en sa faveur , outre ce que nous y avons
déja répondu , que prouvera - t'il autre
chose , sinon qu'on peut apprendre à
lire par cette nouvelle Méthode , puisqu'on
l'a bien appris jusqu'à present par
Pancienne Méthode. Mais s'ensuit- il delà
qu'ils pourront apprendre le Latin ,
le Grec , l'Hebreu , l'Arabe , &c tous les
Arts et toutes les Sciences , comme l'Auteur
le prétend ( Lettre 4. page 62. ) si
cela est , qui m'empêchera de dire , avec
bien plus de raison , qu'on a appris jusqu'à
present les Arts et les Sciences par
le moyen de l'Alphabet , et que c'est l'Alphaber
qui a formé les Rois , les Guerriers
, les Politiques , les Théologiens ,
les Jurisconsultes , les Philosophes , les
Orateurs , les Historiens , les Poëtes , & c.
les plus illustres qui ayent paru dans le
Monde depuis l'invention des Caracteres
qui servent à peindre la parole et à parler
aux yeux ?
Si donc , comme je le souhaite de tout
1. Kol. mon
JUIN. 17323 1107
prit.
mon coeur et comme je l'espere , il arrive
un jour que Monseigneur le Dauphin eɛ
Mesdames de France , surpassent tous les
autres , autant par la grandeur de leur esprit
et de leur science , que par celle de
leur Naissance , le Buraliste en donneras,
s'il veut , la gloire à lui et à son Bureau ;
pour moi j'attr bûrai plutôt un si heureux
succès à leur excellent naturel , et aux
sçavantes instructions des personnes estimables
et respectables à qui le Roy a
confié le soin de leur éducation ; et je
pense qu'en cela je ne serois pas le seul
de mon sentiment.
Ceux , dit enfin le Buraliste , qui souhaiteront
avoir quelqu'une des quatre Classes
du Bureau Typographique, en trouveront de
toutes garnies dans la maison attenant la
porte du College de Lisieux , ruë S. Etienne
d'Egrès ; l'avis , le prix , et l'instruction sur
les quatre Classes , se trouveront à la fin de
la neuvième Lettre sur la Bibliotheque des
Enfans , inserée dans le Mercure du mois de
Février dernier , page 209. on 234. en atterdant
la suite de la Relation Typographi
que , j'ay l'honneur d'être , & c. A Paris.
15 Septembre 1731. RIOMBAL "
Le prix de chacune de ces quatre Clas
ses du Bureau est marqué à la fin de la
Lettre , et fixé depuis une pistole jus-
1 Kolo qu'à
1108 MERCURE DE FRANCE
1
qu'à dix. Ainsi , vous voyez , Monsieur ,
que l'Auteur ne donne pas ses coquilles
et qu'on pourroit fort bien dire de lui
avec quelque proportion , ce que Ciceron
disoit du Maître de Marc- Antoine : Invideo
Magistro tuo , qui te tantâ mercede
nihil sapere docuit. Vous me demanderez
peut- être , comment cela s'accorde avec
ce qui est dit dans la Lettre de Mars
qu'il n'agit par aucune vûë d'interêt et qu'il
ne lui revient rien de ses Bureaux , que bien
de la peine , et dans celle d'Avril , qu'il a
distribué bien des choses gratis , aux riches
comme aux pauvres , & c. et que jusques-là
il n'a pas touché un solpour les Bureaux , et
qu'au contraire il les a prêtez à ceux qui en
ont voulu faire l'experience ? Je n'en sçai
rien , à moins qu'on ne dise que per
sonne ne s'étoit encore présenté pour les
achepter;car je n'oserois vous le faire soupçonner
de contradiction et de mensonge.
Quoiqu'il en soit , M³, vous pourrez dorénavant
avoir des Bureaux , pour de l'argent
,bien entendu . Il se fera aussi un plai---
sir de vous indiquer des Maîtres Typogra
phiques , à qui vous donnerez une bonne
nourriture et des appointemens tres- ho
nêtes. Je suis , Monsieur ; & c.
I. Vol. IMI
JUIN. 17320 1109
XX:XXXXXXXX-XXXXXIMITATION
de la seconde Ode
du Livre des Epodes d'Horace.
Louanges de la Vie rustique.
Heureux celui qui , sans affaires
Cultive ses guérets , ainsi qu'au siecle d'or ! !
Qui par des produits usuraires ,
N'a jamais enfié son trésor !
Il n'est point éveillé par le bruit des Trom--
pettes ,
Il n'entend près de lui que le son des · Muset- -
tes ;
Il fuit le Dédale des Loix
Il ne changeroit pas ses Retraites rustiques ,
Pour les Palais dorez , les superbes Portiques
Qui sont habitez par les Rois.
Ennemi d'un repos indigne ,
al marie aux Ormeaux , les rempans rejettons
Que produit sa fertile Vigne ;
Il mene paître ses Moutons-
7
.?
I.Vol.
Sur
TO MERCURE DE FRANCE
Sur le penchant Herbu , d'une vaste Colline
Il laisse errer ses Boeufs dans la plaine voisine.
Quel plaisir en tous lieux le suit ?
Va- t-il dans ses Vergers sa Serpete y retran
che ,
De quelque Arbre fruitier l'infructueuse bran◄
che ;
Greffée , elle porte du fruit.
Les industrieuses Abeilles , -
Ont- elles achevé leurs utiles travaux !
Il leur enleve ces merveilles ;
Le miel coule dans ses Vaisseaux?
Au retour du Printems , de leurs Toisons char
gées ,
Ses fécondes Brebis sont par lui soulagées, -
Qu'un tel sort me paroît heureax !
Quand l'Eté disparoît , quand la riante Au
tomne
Embellit les Jardins , que Vertumne couronne
Ilcueille des fruits savoureux
Quel contentement le possede ,
Lorsqu'il voit de Bacchus les précieux rubis
A qui la Pourpre de Tyr cede
Pour le merveilleux Coloris !!
I. Vol.
En
JUIN. 1732 IIII .
En ramassant les fruits qu'il a greffez lui
même,
Il reconnoît , & Dieux , votre bonté suprême ;
Blonde Cérès , et toi Sylvain ',
Il vient sur vos Autels en offrir les prémices ;
Soyez lui pour toujours des Déïtez propices ;
Gardez ses Champs et son Jardin.
S'il se couche àl'ombre d'un Chêne ,
Ou bien sur le Gazon tendre et rafraîchissant ,
D'où l'on ne s'arrête qu'à peine ,
Il goute un plaisir innocent.
L'eau des Ruisseaux , voisins d'une Roche éles
vée ,.
S'y vient précipiter , et l'obligeant Morphée
Sur lui prodigue ses Pavots ;
Tout l'invite au sommeil , le bruit de ses Fon
taines ,
Qui vont en serpentant , fertiliser les Plaines ,
Et les Airs plaintifs des Oyseaux .
Lorsque l'Hyver par sa froidure ,
Tout armé de Glaçons , de Neiges , de Fri
mats ,
Attriste toute la nature ,
Lui seul ne s'en afflige pas ;
A peine le Soleil dérobe les Etoiles ,
I. Vol. Qu'il
1112 MERCURE DE FRANCE
Qu'il chasse, ses Limiers font donner dans les
toiles
Quelque Sanglier vigoureux ;
Il s'amuse à dresser des Piéges à la Grive ;
La passagere Grue est quelquefois captive
Dans ses Lacs artificieux.
Des maux d'une amoureuse flamme
Qui peut garder alors le souvenir affreux ?
Il lui faut une chaste femme ;
Il l'a , le voilà donc heureux.
?
'Ainsi qu'une Sabine , elle a soin du ménage
Elle enferme les Boeufs , sortans du labourage ,
La Vache est traite par sa main ;
Un repas composé de leurs fruits domestiques ,
S'apprête pour l'Epoux , las des Travaux rustiques
;
Elle lui sert le meilleur vin.
Je prise peu les Gélinotes ,
Les Huitres de nos Lacs , le Sarget ; le Turbot
,
Lorsque le hazard sur nos Côtes ,
En jette par des coups de Flot ;
Ce qui flatte mon goût , c'est l'Ozeille nais
sante
La Mauve si salubre et si rafraichissante ;
Et les Olives de mon plant ;
I. Vol.
Qu'on
JUIN. 1732. 1113
Qu'on ne me serve plus que le doux fruit champêtre
,
Qui naftra dans un Champ , dont je serai le
maître ;
C'est assez pour
être content.
Un Chevreau que je sacrifie ,
Au Dieu Therme , qui veille aux Bornes de mes
Champs ,
La moindre bête au Loup ravie ,
Me font des Festins excellents.
Quel plaisir ai -je à voir mes Brebis bien nour
Ties
Pendant le doux Régal , revenir des Prairies !
Mes Boeufs fatiguez du Labour ,
Trainer d'un pas pesant , la tranchante Charruë
,
Aprês un long travail , à leur col suspenduë
Lorsque la nuit est de retour !
Quel Essain d'Esclaves fourmille ,
Autour de mon Foyer , net et resplendissant !
Dans une opulente famille ,
L'Essain n'est point embarrassant.
L'Usurier Alphius , usera les années ,
2
Que les Parques encor ont pour lui destinées ,
Aux Champs , dites- vous , dês demain.
Point du tout, il reçût tout son argent aux Ides ;
·I. Vol.
11
T114 MERCURE DE FRANCE
Il va recommencer ses Usures sordides ,
Aux Calendes du mois prochain.i
Par M. CHABAU D
SUITE des Réflexions sur la Bizarerie
de quelques usages , &c.
J
Par M. CAPPERON , ancien Doyen
de S. Maxent.
A
'Ai dit dans mes premieres Réfléxions
sur la Bizarerie de divers usages , qui
ont été insérées dans les Mercures de France,
des mois de Janvier et de Février derniers
, que cette Bizarerie tiroit son origine
de deux sortes de désirs, naturels à tous
les hommes ; sçavoir , du désir qu'ils ont
de satisfaire leurs sens , et de celui qui les
porte à suivre les inclinations secretes que
les passions leur inspirent. J'ai donné
dans ces premieres Réfléxions un échantillon
des usages bizares qui sont sortis
de ce desir , qu'ont les hommes de satisfaire
leurs sens ; et je vais parler icy de
ceux que leurs passions differentes ont fait
regner dans certains temps..
Comme la plus belle qualité de l'homme
, est d'avoir un esprit capable de pende
connoître et de raisonner ; il est
ser,
I. Vol. naJUIN.
1732 IES
naturel que , chacun se sentant pourvu
d'un don si précieux , on saisisse volon-.
tiers tous les moyens propres à faire remarquer
aux autres toute la beauté et
toute l'excellence qu'il peut avoir. C'est
aussi ce qui ne manquera pas d'arriver .
Mais ce qu'il y a de singulier , c'est que
souvent le desir qu'on a de faire paroître
son esprit , monte jusqu'à un tel excès ,
que cessant alors de penser et de raisonner
juste , lorsqu'on croit le faire briller
avec éclat, on le fair par des endroits , qui
font remarquer tout le contraire ; son peu
d'étendue et de justesse par des bizareries
tres- sensibles; ce que je justifierai aisément
par celles que je vais rapporter.
On ne peut pas douter que ce ne soit
particulierement dans les Ecrits et dans les
Discours publics , qu'on s'attache le plus à
faire briller son esprit.Premierement, parce
qu'on a plus de facilité à le faire, ayant
plus de loisir pour choisir ses pensées ,
pour en voir la justesse , et pour leur
donner le tour et l'arrangement qui peuvent
les rendre plus frapantes.
D'ailleurs ceux qui composent quelque
Ouvrage , qu'ils sçavent devoir être
la ou entendu du public ; sçachant qu'il
doit être exposé à la critique , c'est pour
eux un éguillon tres -vif, qui les excite
1. Vol. puis
16 MERCURE DE FRANCE
puissamment à travailler à plaire aux
Lecteurs ou aux Auditeurs.
Cela posé, il est bon que je dise , que
voulant parler des usages bizares qui ont
quelquefois paru en fait de productions
d'esprit , je ne prétends pas relever toutes
les manieres singulieres par lesquelles
certaines personnes ont affecté de se distinguer
dans les Ouvrages de leur com
position ; tel qu'est ( par exemple) le stile
serré , sententieux et trop affecté de Seneque
, que Quintilien a justement blâmé ;
d'autres qui ont crû orner leurs écrits par
des jeux de mots; et d'autres enfin, qui ont
prétendu se singulariser par un mélange
bizare du Sacré et du Prophane , par des
digressions trop fréquentes, des antithèses
trop multipliées , par un stile enfin trop
éloigné du naturel.
Mais pour m'attacher à quelque chose
de plus marqué , n'avouera - t- on pas que
c'étoit un usage tout- à- fait bizare que celui
qui dominoit sous le Regne de Charles
IX. et qui consistoit , non seulement
à remplir les Livres et les Ecrits , que dis
je , jusqu'aux simples Lettres , d'une infinité
de passages ? En sorte , dit Varillas ,
que Montluc , Evêque de Valence , écrivant
à ce Prince , pour lui rendre compte
d'une Négociation où il étoit employé ,
<
1. Vol. n'ayant
JUIN. 1732. 1117
n'ayant pu faire entrer dans sa premiere
Lettre tous les Passages qu'il avoit préparés
, il lui en écrivit une seconde , par
Je Courrier suivant , pour rapporter huis
autres Passages qui lui étoient restez.
Ne peut-on pas mettre dans la même
Classe des usages bizares , en fait d'Ouvrages
d'esprit , les Vers burlesques qui
ont eu quelque vogue vers le milieu du
dernier siécle ? par lesquels on s'attachoit
à traduire avec travail et quelque sorte
d'esprit , d'excellens Ouvrages , et ces
Vers n'étoient ordinairement remplis que
de choses triviales , et souvent tres grossieres.
On doit mettre au même
rang, ces
titres bizares qu'on a souvent donné à cerrains
Livres , pour marquer d'une manicre
mystérieuse , qu'on croyoit alors tresspirituelle
, le sujet qui y étoit traité. Par
exemple , celui qui fut composé par un
Prêtre de Mante , sur les Antiennes qui
se disent quelques jours avant Noël , et
qui commencent par O ; qu'il in , itula :
La douce moëlle , et la saucefriande des Os
savoureux de l'Avent. Tel étoit un petit
Livre de Controverse , qui avoit pour titre:
Le petit Pistolet de poche , qui tire contre
les Hérétiques. Un autre que j'ai lû sur
la pénitence , intitulé : Le Fuzil de la Pé-
I.Vol.
mitence
TI MERCURE DE FRANCE
nitence avec Allumette de l'Amour de
Dieu.
>
Après tout , la bizarerie de ces Titres ,
n'eut aucune suite. Il n'en fut pas de même
du Livre du P. Gille Gabriéli , qu'il intitula
: Specimina Moralis Christiane et Diabolica
. Ce qui l'obligea d'aller à Rome ,
pour se justifier sur la bizarerie de ce titre,
qu'il fallut changer dans une nouvelle
édition faite en 1680.
Il ne s'est pas moins formé d'usages bizares
, par rapport aux discours publics
de Religion , ou aux Sermons ; car quoique
la premiere et la plus ancienne Méthode
d'instruire les Peuples fut simple et
familiere , dans la vûë de se rendre également
intelligible au commun des fidelles
, et aux plus spirituels ; simplicité qui
a duré dans l'Orient , jusqu'au temps de
S. Grégoire de Nazianze ; et dans l'Occident
, jusques vers le temps du Pape saint
Léon. Les Saints Evêques qui fleurirent
alors , crurent que les matiéres de la Religion
, ne méritoient pas moins d'être
traitées avec toutes les beautez de l'éloquence,
que les matiéres prophanes , dans
le dessein aussi , comme ils le disent euxmêmes
, de donner à leurs discours, par la
délicatesse du stile , et par le brillant des
pensées , le même gout et le même attrait
1.Vol.
que
'JUIN.
1119 17320
que les miracles
donnoient dans les premiers
temps aux Discours des Apôtres èt
de leurs Disciples .
L'usage s'établit donc de prêcher avec
art et avec éloquence , ce qui a continué
depuis ; mais il faut avouer que , quoique
parmi les anciens et les modernes , il se
soit trouvé grand nombre d'Orateurs parfaits
, qui par leurs Discours méthodiques
, et
véritablement éloquens , prononcez
d'une maniere
parfaitement convenable
à la dignité et à la sainteté des
sujets , il n'a pas laissé que de s'introduire
de temps en temps quelques usages trop
bizares , pour une fonction aussi sainte et
aussi nécessaire au salut des Peuples.
N'étoit - ce pas , en effet , une bizarerie ,
que l'usage où on étoit il y a peu de siécles
, de ne prêcher presqu'en Latin ? C'étoit
encore l'usage dans le
commencement
du dernier siécle , de remplir les Sermons
de Grec et de Latin. Cette méthode étoitelle
fort utile à l'instruction des fidelles ?
Devoit elle faire paroître la justesse de
l'esprit du Prédicateur ? L'usage où l'on
a été à peu près dans le même temps ,
d'employer dans ces Discours, les Apophtegmes
de Plutarque ( a ) des Lambeaux
·
( a ) Conceptions Théologiques au Sermon de
Pierre de Besse.
1. Vol.
D de
1125 MERCURE DE FRANCE
de l'Histoire Prophane , ou des faits singuliers
, souvent même supposezi cet usage
, dis - je , étoit - il un usage bien convenable
? Celui encore d'apporter pour
preuve de ce qu'on avançoit , les pensées
quintessenciées de la Théologie Scholastique
, émanées de la Philosophie d'Aristote.
Il convenoit , sans doute , beaucoup
moins , dans ces Discours instituez pour
rendre la Religion respectable , et pour
faire observer la sévérite de ses maximes ,:
d'user de pensées ou d'expressions souvent
fort triviales , propres à divertir et
à faire rire les Auditeurs ; en quoi , comme
chacun sçait , le fameux Pere André
Bolanger , Religieux Augustin -Déchaussé
, nommé vulgairement Le petit Pere
André , excelloit pardessus tous les autres
, vers le milieu du dernier siécle. (b)
Enfin la bizarerie , en fait de Sermons,
est allée jusqu'à former un usage , où on
croiroit qu'il étoit du devoir du Prédicateur
, pour donner plus de grace à son Discours
, de tousser régulierement dans certains
endroits de son Discours , qui paroissoit
même alors si nécessaire , qu'on
voit encore aujourd'hui des Sermons imprimez
de ce temps- là , où on a observé
de mettre à la marge , Hem , Hem , aux
( a) Mort le 2 Septembre 1657. âgé de 79 ans,
1. Vol. endroits
JUIN. II2I 1732.
endroits où le Prédicateur devoit nécessairement
tousser.
N'est- ce pas encore
aujourd'hui un usage
bien bizare, que celui de Prêcher.comme
on fait en Italie , où selon ce qu'en
rapportent les Voyageurs, presque tous les
Prédicateurs sont de vrais grimaciers , leurs
gêtes étant des
gesticulations outrées , suivant
les variations de la voix , passant plus
de vingt fois en un quart d'heure , du
fausset à la basse`, criant et s'agitant sans
cesse , se promenant avec chaleur et avec
bruit dans les Chaires , faites la plûpart en
forme de Balcons ou de Tribunes.
Qu'un tel usage est opposé à celui des
premiers siècles de l'Eglise , où nous
voyons , qu'une des raisons qu'apporte
rent les Peres , assemblez au Concile d'Antioche,
tenu vers l'an 270, contre Paul de
Samosate , ( a ) pour faire connoître qu'ils
l'avoient justement condamnez ; c'étoit ,
disoient-ils , dans la Lettre synodale qu'ils
écrivirent , qu'outre ses erreurs , et sa vie
licencieuse , non-content d'avoir fait élever
dans son Eglise un Tribunal plus haut
que de coûtume , où étoit posé son siége,
orné de tapis , il parloit en élevant ses
mains
excessivement , frappant ses cuisses
et remuant violemment les pieds
( a ) Eusebe , Hist. Eccles. lib. 7.
"
1. Vol. Dij battant
1122 MERCURE DE FRANCE
battant le Marche- pied de son Siége , affectant
de parler d'une voix sourde, comme
si elle fut sortie d'une cave ; en un
mot , se comportant, non pas comme un
modeste Prédicateur , mais comme un
Orateur qui harangue au Théatre.
Si le désir de faire paroître son esprit
a produit differens usages assez bizares
, ainsi qu'on vient de le voir , la complaisance
qu'on a à se laisser donner des
distinctions peu convenables , n'en a pas
fourni un moindre nombre. Je n'en toucherai
qu'un seul , pour ne pas pousser
ces réflexions trop loin , sçavoir l'usage
qui s'établit autrefois en Angleterre, lorsque
la Religion Catholique y regnoit, de
donner aux Religieux et aux Religieuses
qui y étoient en étoient grand nombre, les noms
de Domini et Domina , ce qui ne s'étoit pas
fait jusqu'alors,
Car suivant ce que S. Benoît avoit ordonné
par sa Regle , ch. 63. il n'y avoit
précisément que le seul Abbé qu'on devoit
nommer Domnus Abbas , comme un
diminutif du mot Dominus , qui signifie
Seigneur ou Monsieur, suivant notre maniere
de parler, pour montrer que son autorité
, quoiqu'émanée de Dieu , lui étoit
neanmoins très - subordonnée.. Selon la
même Regle , les anciens devoient nom-
I.Vol. mer
JUIN. 1732. 1123
mer les jeunes Religieux leurs freres , et
les jeunes devoient donner aux anciens le
nom de Nonni , qui équivaloit à celui de
Sancti. S. Jérôme l'employe en ce sens
dans sa Lettre 48. En effet , rien ne convenoit
mieux , pour faire souvenir les
Anciens, qu'ils devoient être des modeles
de sainteté pour les jeunes Religieux.
Cet usage dura long - temps et s'observoit
même parmi les séculiers , ce qui leur
donnoit lieu , de ne pas nommer autrement
les Religieuses , les appellant des
Nonnes , des Nonnettes ou des Nonnains ;
et c'est par rapport à la signification de ce
nom de Nonna, qui signifie Saintes, qu'on
les nomme encore aujourd'hui Sancta
Moniales , en Latin. Les choses demeurerent
en cet état , jusqu'à ce que les seculiers
commencérent à y apporter du
changement. Dans la vûë de faire honneur
aux simples Religieux des Abbayes,
ils qualifierent chaque particulier du nom
de Domnus , quoique ce nom , ne convint
, proprement qu'au seul Abbé ; à peu près
comme aujourd'hui les seculiers , pour
faire honneur au moindre Ecclésiastique
, lui donnent le nom d'Abbé. Voilà
quelle est l'origine du nom de Dom , que
plusieurs Religieux ont conservé jusqu'à
nos jours , pendant que plusieurs autres
1. Vol.
ayant D iij
7124 MERCURE DE FRANCE
ayant également abandonné les noms de
Nonni , et les Religieuses ceux de Nonna
ceux- là ont pris les noms de Peres et de
Freres ; et celles - ci , ceux de Meres et de
Soeurs .
Enfin les séculiers toujours attentifs à
donner des marques de leur estime et de
leur respect pour les Religieux et les Religieuses
, crurent qu'il convenoit encore
d'introduire un usage nouveau , par rapport
à leurs noms , et qu'il étoit de la politesse
, de leur donner les noms dont on
usoit dans le monde envers les personnes
qui y avoient quelque distinction ; ce qui
s'établit d'autant plutôt en Angleterre ,
que les Religieux , et les Religieuses commençoient
d'y vivre d'une maniere assez
séculiere. Ce fut donc alors , qu'on y
commença à donner dans la Langue du
païs aux Religieux et aux Religieuses , les
noms qui équivaloient à ceux de Messieurs
et de Dames , c'est- à- dire , Domini ,
et de Domine , en Latin .
Il est vrai que ceux et celles qui étoient
les plus attachez à la perfection de leur
état souffrirent ce changement avec peine
; les Supérieurs Ecclésiastiques en furent
également choquez; jusques- là qu'un
Archevêque de Cantorbery , se crut obligé
d'en faire publiquement ses plaintes
I. Vola
dans
JUIN. 1731. 1125
dans une de ses Lettres Pastorales où en
s'addressant aux Religieux et aux Religieuses
, il leur disoit , ainsi le
que rapporte
le P. Thomassin dans sa Discipline
Ecclesiastique , part. 4. liv . 1 , Sciatis
vos Monachos , vel Moniales esse , non Dominas
, sicut nec Monachi possunt sine ri
diculo Domini appellari.
Cette distinction recherchée dans les
noms n'a pas été particuliere aux Religieux
et aux Religieuses , elle l'a été et
l'est encore à beaucoup d'autres ; les Romains
(a) de distinction se donnoient jusqu'à
quatre noms ; sçavoir , l'avant nom ,
le sur-nom , le proche- nom, et le nom; et
encore aujourd'hui c'est une distinction
qu'on affecte en Italie et en Allemagne ,
de donner aux personnes du premier
rang , sur tout aux Princes et aux Princesses
, jusqu'à six ou sept noms de Saints
ou de Saintes à leur Batême; ce qu'on imite
quelquefois en France et en Espagne..
( a) Alex. ab Alex. genial. dier. lib. 1. cap. 9.
A Eu , le 5 May 1732 .
M
I. Vol.
D iiij PRO1126
MERCURE DE FRANCE
PROSERPINE ,
ET LE FLEUVE D'OUBLI.
CANTATE.
Loin des bords de Sicile et de sa tendre Mere .
Proserpine entrainée au ténebreux séjour ,
Dans ces gouffres affreux où le Pere du jour ,
Ne fit percer jamais sa charmante Lumiere ,
Près du Fleuve d'Oubli , promenoit sa douleur.
A Combien de regrets s'abandonne son coeur !
Cette image opposée à celle des Prairies ,
Des Jardins enchantés , des Côteaux verdoyans ;
Où la suivoient jadis ses Compagnes chéries ,
Arrache à sa douleur ces lugubres accens.
Malheureux sort , cruelle destinée !
Le même instant me ravit mon honneur ;
M'ôte le jour , Cerès , et mon bonheur ;
Forme les noeuds d'un indigne Hymenée.
Un jeune coeur est fait pour les plaisirs ;
Le mien , helas ! se consume en soupirs .
Dieux tout-puissans , auteurs de mon supplice
Si mes forfaits arment votre courroux ;
Sans murmurer j'attens votre justice.
Tonnez , frappez , Mars , changez mon Epoux.
1. Vol.
Sur
JUIN. 1732 1127
Sur les bords du Lethé , les yeux baignez de larmes
,
Proserpine exprimoit son Martyre en ces mots ;
Le Dieu du Fleuve , ébloui de ses charmes ,
Laisse couler plus lentement ses flots ;
Sensible à ses regrets , doucement il l'appelle.
Venez , belle Déesse , approchez de mes Eaux ,
Elles peuvent calmer vos soucis et vos maux ;
Agréez aujourd'hui ce gage de mon zele ;
Cessez d'accuser les Destins ,
Buvez , oubliez vos chagrins.
Cette Liqueur puissante,
Dissipe les langueurs ,
Efface des malheurs ,
La memoire affligeante.
Le Tyran des Enfers ,
Aux Cieux , aux vastes Mers ,
Prêfera son empire ,
Dès qu'il en eut goûté.
Elle rend la gayeté ,
A tout coeur qui soupire.
Il dit , et l'Immortelle approchant de ses Bords ,
Boit à longs traits de cette Onde divine ,"
Mais Cieux ! quels changemens ! est- ce ici Pro
serpine
Elle n'abhorre plus la Région des Morts ,
I. Vol. Son D v
1128 MERCURE DE FRANCE
Son coeur aux plaisirs s'abandonne ;
Ses noirs soucis font place aux ris , aux jeux
Elle adore l'Epoux que le Destin lui donne
"
Et répond à ses tendres feux.
Epoux , si vos Belles ,
Font trop les rebelles ,
Au Fleuve Lethé ,
Menez ces cruelles ;;
Malgré sa fierté ,
L'austere Beauté ,
Bientôt sympatise ,,
Bientôt s'humanise ,,
Perd sa cruauté..
EXTRAIT du Memoire de M.. de·
Raumur, lû à l'Assemblée publique de ·
Académie Royale des Sciences , du 23
Avril dernier,sur la Teigne des feuilles ,
des A bres.
Ous avons déja donné dans d'autres
ercures, les Extraits des deux Mé..
mones de M. de Reaumur , sur ces Insectes
industrieux qui , comme nous
naissent nuds , et qui , comine nous , sçavent
se faire de veritables habits . Ceux
2
I. Vol.
dont
JUIN. 1732. II29
dont les procedez y sont décrits , sont
les Teignes des Laines et des Pelleteries.
M. de Reaumur , après avoir expliqué
l'art avec lequel elles travaillent les fourreaux
qui les couvrent , a cherché et a
trouvé des moyens surs d'arrêter les désordres
qu'elles font dans les Etoffes de
Laines de toute espece , et dans les Foufures.
Le troisiéme Memoire et celui dont
il s'agit à présent , a pour objet des
Teignes qui ne sont pas aussi à craindre
que les premieres , mais qui ne sont
pas moins admirables par leur industrie.
Elles se tiennent sur les arbres ; elles sont
ordinairement appliquées contre le dessous
de leurs feuilles ; elles sont logées:
dans des especes d'Etuis de couleur de
feuille seche , ce qui fait qu'on remarque
rarement ces Etuits , quoi qu'ils
soient assez communs , et longs de sept à
huit lignes . Un grand nombre d'especes .
d'arbres , citez dans le Memoire , nourrissent
differentes especes de Teignes .
Mais il n'est point d'arbres où elles soient
plus communes que sur les Ormes ; les
fourreaux de celles- cy sont des plus remarquables
pour leur forme ; ils ont quelque
ressemblance avec celle de l'exterieur
de divers Poissons , tels que les Carpes..
L.. Vol
Lai
D vj
1130 MERCURE DE FRANCE
A
,
La partie superieure du fourreau , celle
qui est tout du long du dessous du dos de
l'Insecte , est ornée de dentellures , faites
et posées à peu près comme les aillerons
que divers Poissons portent sur leur dos.
Le fourreau a une ouverture à chaque
bout celle par où l'Insecte fait sortir
sa tête et ses jambes quand il veut marcher
, est circulaire ; là , le fourreau est cilindrique
et un peu recourbé vers le
ventre , l'autre bout est applati ; il est
composé de lames plates , qui par leurs
contours imitent les queues de Poisson .
Ces lames n'y sont qu'appliquées l'une
contre l'autre , elles s'écartent l'une de
l'autre , toutes les fois, que l'Insecte veut
jetter ses excremens ; il avance son der
riere entr'elles pour les forcer de s'entr'ouvrir
, il se retire lorsqu'il a dardé
ses excrémens , et aussi- tôt les deux lames
se raprochent par leur ressort .
>
Par tout où la Teigne va , elle porte
son fourreau avec elle ; lors même qu'elle
marche , il n'y a que sa tête et ses jambes
qui en soient proches , qui sont à découvert.
On ne peut voir marcher cet
Insecte avec une espece d'habit si singuier
par la forme et la matiere dont la
ualité ne paroît pas aisée à reconnoître ,
sans quelque envie de sçavoir comment.
1. Vol. il
JUIN. 17322 1131
il le fair et de quoi il le fait, M. de Reaumur
ayoüe que toutes ses conjectures ne
lui ont pû faire deviner en quoi consistent
les procedez de cet Insecte , que ce
n'est qu'après l'avoir dépouillé en certaines
circonstances favorables et après l'avoir
mis dans la necessité de se vétir
qu'il a reconnu l'art avec lequel il prépare
l'étoffe convenable et avec lequel il
la met en oeuvre ; mais pour pouvoir
faire entendre comment il s'habille , il
faut avoir expliqué comment il se nourrit.
La Teigne vit de feuilles , mais elle
ne les ronge pas de part en part , comme
font tant d'autres Insectes ; elle laisse même
leur forme à celles dont elle tire son
aliment. Une feuille d'Orme , par exemple
, quoique mince , est composée de
deux membranes , entre lesquelles est
renfermée une substance charnuë ; la Teigne
ne se nourrit que de cette substance
charnue. Quand elle veut manger , elle
fait sortir sa tête de son fourreau , et avec
deux crochets dont elle est armée , elle
perce la membrane du dessous de la feüille;
elle détache toute la substance charnuë
qui est vis - à - vis le trou circulaire.
qu'elle a commencé ; elle la mange à mesure
qu'elle la détache ; mais elle ne creuse
ce trou que jusqu'à la membrane superieu-
1. Vol
re ,
#132 MERCURE DE FRANCE
re ; elle laisse celle-cy saine et entiere.
Quand elle a avancé jusques-là sa tête
elle la recourbe et commence à miner
entre les deux membranes ; elle détacher
la substance charnuë qui est entre celles
du côté où la tête s'est dirigée , et en
même temps elle écarte les deux membranes
l'une de l'autre beaucoup plus.
qu'elles ne le sont naturellement ; par là
elle's'y fait une place où la tête puisse
être contenue , et être en état d'aller miner
plus loin. Ainsi successivement elle:
mine dans tout le contour du trou , et
toûjours de plus loin en plus loins à
mesure qu'elle avance plus loin dans
la feuille , une plus grande partie du
corps est hors du fourreau , et se trouve
entre deux membranes.
Pendant que diverses Teignes étoient
ainsi occupées à manger , et cramponnées
entre les deux membranes de la feuille ,
M. de Reaumur a retiré promptement
leurs fourreaux ; ainsi surprises , elles se
sont trouvées hors d'état d'y rentrer , elles
ont donc été dépouillées sans qu'on
leur ait fait aucun autre mal et mises dans
la necessité de se vétir.
Une Teigne ainsi nuë , tâte à droit et
à gauche tout autour du trou , pour
chercher son habit ; après avoir tâté inutilement
"
L. Vel..
JUIN. 1732. 1133
utilement , elle prend le parti de conti
nuer de miner entre les deux membranes
, afin d'y faire une place où elle puisse
être contenuë toute entiere. A force:
de miner , de manger et d'écarter les
deux membranes , elle se trouve dans peu
entierement logće entr'elles . La voilà déja
à couvert ; et ayant des alimens tout autour
de soi , bien - tôt elle recommence à
miner , et cela parce qu'en minant elle
prépare l'étoffe necessaire pour se faire:
un habit. Les portions de membranes
d'où toute la substance charnüe a été détachée
, sont cette étoffe ; il n'en faut pass
de grandes pieces pour couvrir une Teigne
, il en faut pourtant plus que l'état
actuel de son corps ne semble le demander
, pour n'avoir pas à recommencer si
souvent ; elle fait chaque habit une fois
plus grand que le corps qu'il doit couvrir..
Les morceaux de membranes ainsi préparez
, dégagez dè toute substance char
nue , sont pour elle ce qu'est pour un
Tailleur une piece de drap , et un Tailleur
ne s'y prendroit pas autrement qu'elle
va faire. Son habit doir être composé
de deux pieces égales et semblables , les
pieces employées à faire le devant ou le
derriere de nos juste-au- corps n'ont pas
des figures plus contournées , et contour
J. Volo. néest
1134 MERCURE DE FRANCE
nées plus bizarement , que chacune de
celles de l'habit de la Teigne. Elle les
coupe pourtant l'une et l'autre aussi régulierement
que si elle étoir conduite par
un patron , elle semble nous vouloir prouver
qu'elle a l'idée de leur figure ; c'est
avec les deux Serres qu'elle a au- dessous
de la tête qu'elle les coupe.
Après que les deux pieces ont été coupées
, elles restent encore dans la feuille,
elles y tiennent par de petits engrainemens
; il ne s'agit plus que de les assembler
et elles sont en place pour cela ,
étant l'une vis- à- vis l'autre . L'art de coudre
n'est pas connu des Teignes , mais
elles sçavent filer. Les fils nouvellement
sortis de la filiore , sont gluants , ils se
collent aisément aux corps contre lesquels
ils sont appliquez . C'est avec ces fils
gluants qu'elle réunit les bords d'une des
pieces avec ceux de l'autre , par tout où
ils doivent être assemblez ; ces endroits
se trouvent par la suite au dessus du dos
et au dessous du ventre ; la réunion en
est si bien faite , que quoi qu'on sçache
les endroits où elle a été faite , on ne peut
les reconnoître même avec la loupe.
Enfin , quand les deux pieces de l'habit
sont assemblées , la Teigne frotte leurs
surfaces interieures avec sa tête pour les
. 1. Vol. anir
JUIN. 1732. 1135
unir , pour les lisser ; ensuite elle les fortifie
par une doublure de Soye . Alors
l'habit est fini , elle les desengraine de
l'espece d'établis où il est resté. Jusqueslà
elle se met à marcher et l'emporte
avec soi sur une autre feüille où elle va
prendre de la nourriture. Il faudroit rapporter
le Memoire de M. de Reaumur ,
tout au long pour faire entendre les differentes
manieres dont les Teignes s'y pren-,
nent pour faire leurs habits en differentes
circonstances , lorsqu'elles se les font de
bon gré , ou lorsqu'elles se les font après
y avoir été forcées ; pour expliquer en
quel cas elles se font des habits neufs ,
et combien de fois en leur vie ; comment
elles réparent quelquefois les déchirures
ou les morceaux emportez . En quoi les
habits des differentes especes de Teignes
different entierement , et pour apprendre
le reste de leur Histoire ; c'est dans
le Memoire même , lorsqu'il sera imprimé,
qu'on lira tous ces faits , qui sont des
plus singuliers que fournisse l'Histoire
naturelle des Insectes , quelque féconde
qu'elle soit en merveilles.
I. Vol. PARA113
MERCURE DE FRANCE
! !! ! !! !! !
PARAPHRASE
Sur le 1 Chapitre des Lamentations de
Jeremie. Quomodo sedet sola civitas, & c. ,
Uel changement affreux à mes yeux se pre-
Qusente !
Oui suis-je ? helas ! je vois une Ville puissante ,
Que redoutoient les Rois , qu'admiroit l'Univers,
Triste , deserte , esclave et sous le poids des fers ,
Telle que nous voyons une veuve éplorée ,
Regretter d'un époux la mort prématurée.
En vain sur son visage on voit couler des pleurs
Trop fideles témoins de ses vives douleurs ;
En elle ses amis ne trouvant plus de charmes ,
Loin de la consoler , ont méprisé ses larmes ,
Et suivant sans frémir leurs transports inhu
mains ,
Ont trempé dans son sang leurs criminelles
mains.
La Judée au vainqueur en esclavage asservie ,
Endure les tourmens dûs à sa perfidie ,
Et n'a point d'autre espoir pour soulager ses
maux ,
Que celui de chercher vainement le repos.
Sion livrée en proye au sort le plus funeste ,
De son premier éclat ne conserve aucun reste ,,
1. Kol
Jusqu'à
JUIN. 1732. 1137
Jusqu'à l'herbe qui croît aux chemins désertez ,
Tout présage la fin de ses solemnitez.
Les orgueilleuses Tours , et les murs de la Ville ,
Contre ses ennemis ne sont plus un azile ;
>
Et ses Prêtres honteux de la voir déchirer
S'occupent seulement du soin de la pleurer.
Ses Vierges ont perdu dans le printemps de l'âge
Tous les charmans attraits qu'étaloit leur visages -
Le desespoir enfin s'emparant de son coeur ,
Semble à chaque moment augmenter sa douleur.
Déja dans son courroux la justice éternellè
Lance tous ses carreaux sur ce peuple rebelle ;
Le Soldat dépouillé de sentimens humains ,
Vient ravir ses enfans de ses tremblantes mains,
Et l'on voit le vainqueur n'éterniser sa gloire ,
Que par des cruautez qu'on aura peine à croires
Presque tous , ne suivant qu'un indigne transport
,
Répandent en tous lieux les horreurs de la mort :
Ville ingrate , il est temps de rentrer en toi
même,
Et d'implorer de Dieu la clémence suprême ;
Heureux si tu peux par un prompt repentir ,
Détourner loin de toi les traits prêts à partir.
Par le sieur Blanc, Prêtre de la Cathé
drale de Nîmes.
1. Vol. FABLE
1138 MERCURE DE FRANCE
FABLE
hha
Tirée des Oeuvres Angloifes du Chevalier
L'Ertrange, & rapportée dans le premier
Tome du Spectateur. Nº 23 °
UN
Ne bande de pólissons , au bord d'un Etang,
quêtoient des grenouilles , & à mesure que
quelqu'unes d'entr'elles montroient la tête, aussitôt
à grands coups de pierre ils luy faisoient
faire le plongeon : une de ces grenouilles dit :
Enfans , vous ne songez point que cecy , quoiqu'un
jeu pour vous , est une mort pour nous.
ΙΜΙΤΑΤΙΟΝ
DE LA MESME FABLE.
E Colede mauvais plaisants ,
Suppôts du Dieu de la Calotte,
Vous dont la coupable marotte ,
Enfante ces Ecrits sanglants ,
Où la vertu , l'honneur , et l'innocence
D'un public insolent deviennent le jouet ,
De votre cynique licence
Sentez - vous l'énorme forfaît ?
Des sottises d'autruy l'on est en droit de rire ,
Me direz-vous d'accord ; mais riez en tout
bas ,
I. Vol. Me
JUIN.
1139 1732.
Et n'allez point avec fracas
Dans une infamante Satyre
Annoncer à tout l'Univers
Des fragiles mortels les plus obscurs travers ,
Travestir en noirceurs de legeres foiblesses ,
Sous de grotesques traits déguiser les vertus ,
Eriger le zele en abus
Et les ménagements en perfides souplesses.
O vous ! qui vous plaisez à ces jeux inhu
mains ,
Apprenez que souvent votre noire manie
Surpasse en ses excès des cruels assassing
L'impitoyable barbarie.
S'ils abregent nos jours , vous ravissez l'hon
neur ;

L'honneur , ce bien plus cher que n'est encor la
vie ;
Venez dans une simple & juste allegorie
De vos mordants Ecrits reconnoître l'horreur,
Certains Enfans , troupe volage ,
Troupe fuyant les importuns soucis ,
Un jour au bord d'un marécage
Vinrent égayer leurs esprits,
La malice , qui dès cet âge ,
Est des humains l'ordinaire appanage ,
fades
D'un plaisir innocent ne connoît point le prix ,
Se divertir sans nuire est un plaisir trop
Ainsi nos jeunes Gars , après mainte gambade ,
I. Vel. Maints
140 MERCURE DE FRANCE
114
Maints sauts , maints tours , maints
ricochets
Poussez sur la face des ondes ,
Voyant sortir de leurs grottes pros
fondes
Quelques habitans du Marais ,
Quittent tout pour courir sur ce peuple aquatique
,
Et contre luy lancer mille & mille Cailloux ,
Tant qu'eussiez crû voit un Ost en
courroux
Combattre l'ennemi de la chose publique.
Tel est le jeu qui plaît à nos rustauts ;
Sous leurs coups redoublez mainte grenouille expire
Et les grimauts à chaque coup de rireg
L'une d'elles enfin blessée au fond des eaux
Prête à mourir ainsi s'exprime.
Enfans , qui n'écoutez qu'un folâtre transport ,
Songez que ces ébats dont je fuis la victime ,
S'ils sont unjeu pour vous , pour moy sont une mort.
1. Vol. LETJUIN.
1732. 1141
****************
LETTRE écrite d'Orleans , au sujet d'une
Inscription , & c.
Ette Inscription , un des plus rares
Monumens qui nous restent en son
genre , est gravée sur deux Pierres d'inégale
grandeur , qui sont restées jusqu'à
nos jours au Portail de l'Eglise Cathédrale
de cette ville où elles étoient posées
l'une sur l'autre , au jambage droit de
l'Arc en entrant.La voici tres -exactement
representée.
EX BENE
FICIOS
+R
106EM
EPM
HALBER
TVMS
+
CASATVM
FACT
VSE
LIBER
LETBER
TVS
ESE
HÂC
SAE
CLES .
1142 MERCURE DE FRANCE
En 1726 , lorsqu'on abbatit ce Portail
et les Tours qui l'accompagnoient , ces
deux Pierres furent transportées dans le
Chapitre , où elles sont conservées , jusqu'à
ce qu'on éleve le nouveau Portail et
les Tours , dont on a déja jetté une partie
des fondemens et où l'Inscription doit
être replacée dans la même position , où
elle se trouvoit dans l'ancien ouvrage ;
ainsi qu'il a été statué dans l'Acte de dé
molition.
Cette Inscription que personne , jus
ques-icy , n'a encore donnée figurée , se
doit lire sans abbréviations de la maniere
qui suit ;
Ex. BENEFICIO. SANCTE . CRVCIS. PER.
JOHANNEM. EPISCOPVM . ET. PER. ALBERTVM.
SANCTÆ. CRVCIS . CASATVM. FACTVS.
EST. LIBER . LETBERTYS. TESTE. HẠC. SANCTA.
ECLESIA.
1
Ce qui signifie , qu'en l'honneur de la
Croix du Sauveur , un nommé Letbert
avoit été affranchi dans l'Eglise qui en
porte le nom , par Jean, son Evêque et Albert
, Vassal , possédant un Fief de la même
Eglise.
Avant que de faire quelques observations,
pour l'explication de ce monument,
il n'est pas inutile de remarquer , que
1. Vol. ceux
JUIN. 1732. 1743
4
ceux qui nous l'ont cy-devant donné, ont
presque tous fait quelque faute en le rap
portant. Le Maire Antiq. de l'Egl.
d'Orl . ch.12 . pag. 41.aussi - bien que Cujas,
dans ses Notes, sur les Institutes , lisent ,
Lembertus , que Leon Tripault ,'Sylvula,
Antiq. Aurel. pag. 16. Ducange , Gloss.
tom. 2. pag. 417. lisent encore plus mal
Lambertus. Jodocus Sincerus , Itin . Gallpag.
5o. met Libertus , et ajoute après le
mot , Liber , celui d'ET , qui seurement
n'est pas dans l'original. La Saussaye ,
Annal . Eccles. Aurel. lib. 9. n . 4. le troisiéme
Factum de M. de Sully , contre M.
de Nets , pag. 43. au lieu d'EST , lisent ;
EIVS ,qui n'a point de sens . Enfin M. De-
Ferriere , dans les Institutes du Droit
François , Tom. 1. pag. 33. oublie le mot
de PER. avant celui d'Albertum , écrit
Cassatum , par deux ss , et appelle l'Afranchi
, Lambertum . Je ne connois que
Symphorien Guyon , 2. Hist. de l'Eglise
d'Orl . pag. 184. et Hubert , 2. Annal.
Hist. de l'Egl. de S. Aignan , n. 184. qui
nous ayent rapporté l'Inscription telle
qu'elle est.
>
PER IOHANNEM. Le nom de cet Evêque
nous fait connoître à peu près le temps où
cette Inscription a été posée, qui est sur la
fin du onzième siècle. Puisque Jean I.que
•1. Vol. la E
4144 MERCURE DE FRANCE
la Notice de nos Evêques , imprimée à la
tête des Statuts Synodaux du Diocèse ,
fait Frere de Raoul Archevêque de
Tours , siégeoit en 1091.ainsi qu'on le reconnoît
par un Acte du Thrésor de l'Eglise
d'Orleans, cité par la Saussaye, liv.9.
n. 1. et que ce même Evêque se trouve
encore parmi ceux qui souscrivirent en
105. au Concile de Clermont , où le Roy
Philippes I. fut excommunié , à cause de
son mariage avec Bertrade de Montfort.
ALBERTVM , c'est avec assez d'apparence
que les Auteurs de l'histoire d'Orleans,
ont avancé que cet Albert est le même
celui , qui dans un Acte cité par
Saussaye , liv.8 . n.42 . et dans les Factums
de M. le Duc de Sully , se qualifie Vassal,
tenant le Fief de Pithiviers, appartenant à
l'Evêque d'Orleans . Albertus de Castro
Piveris Casatus. Cet Acte dont la date est
tres- mal marquée par la Saussaye , est l'u
nion d'une Prébende au Doyenné de Ste
Croix , faite à la requête du Chapitre ,
par Raynerius , Evêque d'Orleans , en
1072 le 8 des Ides de Juin , Indiction 10 ,
et la douzième année de Philippes I. signée
de 36. personnes , entre lesquelles
se trouvent trois Casati , de la même
Eglise.
que
la
CASATVM. Le mog de Casatus a eu plu-
1. Vol.
sieurs
JUIN. 17325 1145.
sieurs significations. Ce nom a été donné
d'abord à des esclaves, attachez à certains
heritages , dont ils faisoient partie. En-
Suite on a appellé Casati, les affranchis qui
prenoient des biens à ferme ou qui les faisoient
valoir. Enfin dans les derniers ont
s'est servi de ce terme pour signifier un
Vassal , qui possedoit un Fief, lequel dans
son origine étoit un de ceux dont la possession
étoirà tems, etTitulo Guardia.C'est
dans ce dernier sens qu'il est icy employé.
L'Eglise d'Orleans avoit et a encore plusieurs
de ces Vassaux Casati , que les Titres
de cette Eglise appellent Caseici , dont
les redevances sont differentes , les uns.
étant tenus à une présentation de cire ;
c'est ce qu'on appelle à Orleans les Gou
tieres, de la forme de la Caisse où est renfermée
cette Cire, nommée dans les Titres
Latins : Cereus sancta Crucis . Les autres au
Port de l'Evêque le jour de son entrée ,
et enfin quelques - uns à tous les deux.
FACTVS EST LIBER . 'De toutes les differentes
sortes de Manumissions ou affranchissemens
, qui étoient en usage chez
nos premiers François , celle qui se faisoit
dans les Eglises à la face des Autels , étoit
la plus considérable et se pratiquoit plus
ordinairement à l'endroit des Serfs , appartenant
aux mêmes Eglises ou à leurs
Vassaux .
1. Vol
E ij Cons146
MER- CURE DE FRANCE
Constantin le Grand , avoit introduit
cette façon d'affranchir , pour honorer
P'Eglise , et la Loy de ce Prince , ( L. 7 .
qui Cod.de hisfin Ecclesia Manumittuntur, )
nous a conservé ce qui s'observoit en
cette occasion . Il nous a plû d'ordonner ,
dit cet Empereur , que dorénavant les
Maîtres puissent donner la liberté à leurs
Esclaves , dans les Eglises Catholiques ,
pourvû que cela se fasse à la vûë de tout
le peuple , et que les Evêques y assistent
auquel cas un simple exposé , ou autre
écriture, vaudra pour un Acte en forme:
Placuit ut in Ecclesia Catholica libertatem
Dominifamulis suis præstare possint , si sub
aspean Plebis , adsistentibus Christianorum
Antistibus id faciant. Ut propter facti me
moriam vice actorum interponatur , qualis
cumque scriptura.
LETBERTYS. Nous ne connoissons ce
Letbert que par l'Inscription qui nous apprend
que c'étoit un Serf, ou homme du
Corps de l'Eglise de Ste Croix , dependant
du Fief de Pithiviers , puisqu'Albert
que nous avons dit en être le Casatus , affranchit
ce Serf, conjointement avec l'Evêque
d'Orleans .
Ĉes Serfs ou hommes de Corps , qui
étoit le nom qu'on leur donnoit plus
communément , étoient des sujets qui
La Vol.
JUIN. 17327 11:47
1
S
vivoient ,, par rapport à leurs Seigneurs ,
dans une telle dépendance , que leur condition
étoit une espece de servitude ; et
quoique cette servitude fut bien differente
de celle des Romains , elle ne laissoit
pas de diminuer beaucoup de leur libert
feur état n'étoit pas égal , et les redevancès
ausquelles ils étoient assujettis , varioient
selon les temps et les lieux. Dans
differens temps les Seigneurs , par quelques
considérations affranchirent ces Serfs
qui ont subsisté en France jusqu'à la moitié
du troisième siècle. Ceux qui appartenoientà
l'Eglise d'Orleans furent tous
affranchis par le Chapitre , en quelque
Province qu'ils se trouvassent demeurans
en France, par les Lettres Patentes qu'il en
obtint du Roy Philippes Auguste , en date
du mois de Septembre 1204. lesquelles
Lettres servirent en 1224. pour les Serfs
de la Terre de Mesnil - Girault, près Etampes
, qui lui avoit été donnée depuis , et
furent confirmées
par le Roy Louis VIII.
au mois de Février de la même année.
D. P.
A Orleans , ce 3
Février 1732.
$2
I. Vd.
E iij LES
1148 MERCURE DE FRANCE
***************
LES CRITIQUES DU MERCURE.
Par Mlle de Malcrais de la Vigne du Croisie ,
en Bretagne.
On , loin des bords charmans , où la Loire
S'enfile , et s'enorgueillit de porter des Vais
seaux ,
S'éleve une Ville fameuse
Par les biens que chez elle ont apporté les eaux
Là ( comme on nous en fait l'histoire 】
Chez certain Imprimeur , aux sourcis rechignés
,
Fier de quelques Ecus , à la hâte gagnez ,
S'assemble un plaisant Consistoire.
Medecins Damoiseaux , Avocats bien peignez ,
Auprès des Ignorans , s'en faisant fort à croire ,
A vingt-cinq ou trente ans , Docteurs interli→
gnez ,
Tiennent dans sa Boutique un nombreux Auditoire.
1
Là , se passent par le Tamis ,
Auteur moderne , Auteur antique ;
Tout à leur sentiment , sans appel est soûmis ;
Sur l'Etiquette on juge , on déclare Hérétique ,
Poëte , Prosateur ; et leur caprice inique ,
Veut regler à son gré , sans connoître le Marc ,
1. Vol.
La
A
1149 JUIN. 1732.
.2
La Balance de la critique.
Un jour sur le Mercure ils exerçoient leur arc.
-Parlez- moi , s'écrioit un Batard d'Hypocrate ,"
S'addressant au Seigneur Pergen ,
Ce Livre , à votre avis , contient- il rien de bon
Y trouvez -vous rien qui vous flatte ?
Qui , moi ? Vous vous mocquez , lui répond
l'autre : Non .
Mais sur tout ce qui me chagrine ,"
Me fait monter la bile , en un mot m'assassine ;
C'est que dans l'article des Morts ,
2
On n'y met point la maladie ;
Qui du dernier hoquet , leur causa les efforts .
Si l'Auteur avoit du gémie ,
Il feroit un détail , dont la douce armonie
Surpasseroit la mélodie ,
D'un Cigne réduit aux abois
Il nous diroit combien de fois ,
Le malade a passé par la Phlébotomie ;
Combien il eut d'accès et de redoublemens .
Combien il prit de Lavemens.
Oh ! le Mercure alors , grace à ces agrémens ,
Sesoûtiendroit , malgré l'en vie.
Pour moi , dit Cujaton , qui se tait au Palais ,
Mais grand parleur en compagnie ,
Le Mercure , à mon sens , auroit beaucoup d'attraits
,
I. Vol.
Si E i
1150 MERCURE DE FRANCE
Si dans l'article des Arrêts
On déploïoit les Plaidoiries.
Il faudroit commencer , d'abord par les Exploits,
Les petites Ecorcheries he
Sommations viendroient gentiment trois à trois ;
Puis marchant à grands pas , de vieux papiers
chargées , ใน ป
Par ordre paroîtroient vastes Productions ',
Incidens supposez , fines inductions..
Ainsi ces pieces arrangées ,
Feroient par tout valoir ce Livre recherché ,
M
En ces mots nos Messieurs expliquoient leurs
pensées
Quand quelqu'un , dans un coin caché
S'en tira tout à coup ; et d'un ton très - fâché ,
Ces paroles par lui leur furent addressées .
Allez vous purger le cerveau ,
Avortons de la Medecine ;
Et vous, Avocats sans doctrine ,
Allez moucher , tousser , et cracher au Bareau.
Terminez des discours qu'à bon droit je comparc
A ceux d'une Bigote Ignare ,"
Qui se trouve au Sermon du Roy ,
Puis étant de retour chez soi j
Blâme , approuve , examine et croit en sa cere
velle ,
I.Vol. Mêlant
JUIN. 1732. 1Isr
Mêlant et le Dogme , et la Foy ,.
Que ce docte Sermon fut fait exprès pour elle.
fat tist:statatet
EXTRAIT du Memoire lû à l'Académie
Royale des Sciences , par M. Pajot
Donsenbray , le 23 Avril 17.3.2 .
Ld
&
'Objet que M.Donsenbray se propose
dans ce Mémoire est une Machine
propre pour constater la durée des Mesures
et des temps des Airs de Musique .
Il donne à cette Machine le nom de Métrometre
, qui signifie Mesure des Mesures .
Il expose d'abord que , quoique les Airs
de Musique ayent toujours renfermé en
soy une certaine quantité de mesures , er
que chaque mesure soit divisée en un
nombre de temps ou de parties égales , il
seroit cependant impossible de déterminer
aujourd'hui le goût des anciens sur
celui des modernes , faute de pouvoir
connoître au juste la quantité du temps
qu'ils employoient pour chaque mesure ;
et il n'est pas moins certain que chaque
compositeur a toujours eu grande atten--
tion à faire exécuter sa Musique , plus ou
moins vivement , suivant le gout qu'ik ax
cu .
1. Kol, Ev M..
1152 MERCURE DE FRANCE
M. Donsenbray a connu que rien ne
pouvoit être plus propre pour constater
la juste durée des mesures et des temps
des Airs , que la propriété admirable de
l'égalité des Vibrations du Pendule, trouvée
par Galilée.
On s'est servi de cette découverte pour
donner toute la justesse qu'on pouvoit
désirer aux Horloges et aux Pendules . Il
étoit fort naturel de penser qu'on pourroit
aussi s'en servir tres - utilement , pour
constater la durée des mesures des Airs..
Des Idées simples ont souvent donné lieu.
à des découvertes utiles .
M. Donsenbray rend au S Loutier, qui
étoit de la Musique de Me de Guise ,toute
la justice qui lui est dûë , en reconnoissant
qu'il est le premier qui ait, eu idée
de se servir des Vibrations du Pendule
pour marquer les Mesures des Airs , et de
prendre la durée connuë de ces Vibrations
, pour constater celle des mêmes
mesures ; mais on reconnoîtra aisément
par
la lecture du Mémoire de M. Don
senbray , qu'il étoit impossible de se servir
des moyens indiquez par le St Lou
tier , et qu'il falloit donner à une Machi- .
ne ou au Métrometre , toutes les perfections
necessaires pour déterminer aisément
la durée des Mesures des Airs, sans-
I. Vol. qu'on
JUIN. 1732.
1153
qu'on soit obligé d'avoir les yeux attachez
sur la Machine ,et qu'on puisse dans
un moment, sans qu'elle s'arrête augmen
ter ou diminuer la durée des Vibrations
suivant que les Mesures des Airs sont plus
lentes ou plus vives , &c.
·
M. Donsenbray divise son Mémoire en
trois parties ...
Dans la premiere , il donne la description
du Métronietre , qu'il a imaginé et
de ses usages.
Dans la seconde partie , il donne les
Regles pour trouver les justes longueurs
qu'il faut donner au Pendule , pour que
les battemens ou les vibrations soient de
telle durée qu'on voudra. Il y a joint une
table fort complette de toutes les longueurs
du Pendule , du Pendule , pour les differentes
durées des Vibrations de demi- tierces en
demi tierces , jusqu'à 180 demi -tierces ;
cette Table contient aussi le nombre des
Vibrations par heure ; elle pourroit être
utile non seulement dans l'Orlogerie ,
mais dans beaucoup d'autres usages .
I
Enfin dans la troisiéme partie , M. Donsenbray
donne les durées des mesures et
même des temps , de quelques Airs de
M. de Lully , Campra , Destouches et
autres , afin de guider les Compositeurs:
modernes dans usage du Métrometre
1. Vol et E vj
1154 MERCURE DE FRANCE
et en faire sensiblement connoître les
avantages .
Il finit son Mémoire par dire que ceux
qui ne voudront pas faire la dépense d'une
Machine , pourront se servir de toutes
Pendules à contre- pied , au- dessus desquelles
il n'y aura qu'à attacher l'Axe qui
porte les deux Bobines , sur lesquelles restent
roulées en sens contraire les deux
Rubans , dont l'un servira avec une Lentille
au bout , à la place de la Verge du
Pendule qu'on décrochera , pendant que
le bout de l'autre Ruban où il y aura une
Cheville , sera arrêté à volonté, sur le côté
de la Boëte de la Pendule , dans un des .
trous , dont les distances auront été di
visées par la méthode expliquée dans le
Mémoire.
Enfin il observe encore que rien n'est
plus propre que cette Machine , pour for
mer l'oreille des jeunes personnes qui ap
`prennent la Musique et à chanter , puisqu'elles
s'accoutumeront aisément à bae
tre la mesure avec précision et suivant la
goût du Maître ou du Compositeur .
La Cloche , est le nom de l'Enigme du
mois dernier. Les deux Logogryphes doivent
s'expliquer pas Fronde et Féve.
ENI.
JUIN 17328
1155
T
JE
ENIGM E.
E suis un Instrument utile ,
Aux champs moins connu qu'à la Villes
Si je me repose l'Eté ,
B'Hyver -fait recourir à mon utilité ,
Dans les lieux Saints , les jours de Fêtes
Je fais mouvoir des doigts et tourner quelques
têtes:
Je sers à des gens inhumains ,"
Qui du sang innocent teignent souvent leurs
mains ;
Une profession du repos ennemie ,
Sans moi ne peut gagner sa vie ,
Ce qu'on me donne je le prens ,
Mais tout aussi- tôt je le rends.
Bris dans un autre sens , une main trop hardie ,
Par moi fait une injure , et n'est guere impunie
Et pris encor differemment ,
J'entre dans la cérémonie
D'un salutaire Sacrement.
************: * :**
LOGOGRYP HE..
NEEuf lettres composent mon nom 3
Je suis bon à manger , à boire :
I. Vol
Des
7156 MERCURE DE FRANCE
Des Peuples étrangers ont seuls toute la gloire,
De mon invention .
En Europe déja je suis fort en usage .
Mais on m'aime sur tout chez une Nation ,
Dont la fierté fut toujours le Partage.
Ami , Lecteur , veux- tu me deviner ?
Prends de mon nom , un , deux , trois !
quatre ,
Je brice verre, cruche et je fais frissonner
Bon nombre de Guerriers qui craignent de se
battre ,
Un , trois , quatre , la nuit je trouble ton repos
Et quoique très- petit je fais prendre la fuite
Au Roy de tous les animaux.
Un , deux , sept , huit , je suis un hypocrite
,
Qui prends plaisir à croquer ces Nigauds
Qui vouloient autrefois attacher des Grelots
Un, quatre , cinq et six de mes droles de Fréres ,
Pour pouvoir échapper à leurs dents sanguinaires
,
Un , trois , quatre , cinq ; les dévots -
Empruntent mon secours pour dire leur Rosaires
;
Je suis un fruit tiré des terres étrangères .
Un , sept , six , cinq , huit , neuf , les . Abbez.
Provençaux ,
Pour empêcher le froid de leur donner sur créte ,
L. Vol.
Ont
JUIN. 1732. 1157
Ont moins besoin qu'aucun de mon
secours ;
Mais j'ai l'honneur d'être à la tête
'un nouveau Régiment établi de nos jours.
Un, trois , quatre , deux , neuf, plus vite qu'Ar
balête ,
Sans jambes et sans pieds je cours ,
Pour servir le public , je brave la tempête.
Neuf, quatre , deux er trois , sans raison je dis
Cours ,
Sans langue je parle et m'explique ,
Je chante tous les Airs , sans sçavoir la Musi
que
Par M. de Mondragon ..
AUTRE LOGOGRYPHE.
Sept lettres seulement font toute ma structure;
Quand on se sert de moi , c'est pour dire une
injure
A deux sortes de gens bien différens entr'eux ;
Les prémiers méprisez et souvent méprisables ,.
Enragent de se voir membres d'un Corps nom❤
breux ,
Et les autres haïs , sans être haïssables ,
Avec tout leur crédit, n'en sont pas plus heureux.
Si vous me divisez ; ma premiere partie
Vous offre un Instrument , qui, quoiqu'harmo
nieux >
I. Vol.
Fait
1158 MERCURE DE FRANCE
Fait trembler dans les Bois mainte Bête tapie ,
Leur fait prendre la fuite et les remplit d'effroi
En cet état , renversez- vous mon ordre
Ah ! cher Lecteur , que ferez- vous de moi ?
'Avec toutes vos dents vous ne sçauriez me mordre.
Ma seconde partie est le nom d'un parfum ,
Dont il nous est parlé dans la sainte Ecriture.'
Quatre , deux , six , sept pris , retranchez, cinq
trois , un ,
Je marque des Païs sujets à la froidure.
Arrangez un , cinq , six ; follement autrefois ,
On voulut me bannir du langage françois.
Prenez sept , deux , quatre , un , la gent ergoti
sante ,
Me fait sonner bien haut dans son humeur
bouillante.
Mon anagrame enfin est un nom d'Empereur
Mais c'en est déja trop pour le subtil Lecteur .
Par M. de S. Nazaire.
XXXXX XX:X:XXXXXXX
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &C.
M
EMOIRES pour servir à l'Histoire dès-
Himmes Illustres dans la République
des Lettres , &c. T. XVI. de 410. pages
J. Vol. sang
JUIN. 1732.
1859
sans les Tables . A Paris , chez Briasson ,
rue S. Facques , à la Science. M. DCC . XXXI .
Ce seizième Tome des Memoires , recueillis
par le R. P. Niceron , presente d'a
bord une Table Alphabetique de quatante
Sçavans , dont il y est fait mention
, et dont voici les noms .
7
George Abbot, Robert Abbot. Dominique
de Angelis. Joachim du Bellay. Flavia
Biondo. Etienne du Bois. Jean du Bois.
Philippe du Bois. Balthazar Bonifacio.
Pierre Brissot. Conrad Celtes Protucius.
Pierre Charron. Florent Carton d'Ancourt.
Jean Doujat. Nicolas . Everard . Thomas
Farnabe. Pierre- Sylvestre du Foin. Marie
de Fars de Gournay . Nicolas Grudius. Maurice
Hofman . Jean Maurice Hoftman.
François Junius. François Junius le fils.
Jean Marot. Clement Marot. Michel de
Montaigne. Gerard Nood. Jean Owen..
Aonius Palearius. Onuphre Panvini . Gui
Riedlinus. Jean Rotrou. Henry Savile . Jean
Second Jean Renaud de Segrais . Thomas-
Sydenham. Frederic Taubman . Antoine Vallisnieri.
Blaise de Vigenere.
Quoique les Memoires en question ne
doivent regarder , selon le veritable objet
de l'entreprise de l'Editeur , et selon
le titre même de son Recueil , que des
Hommes Illustres dans la République des
L.. Vol Lettres
T160 MERCURE DE FRANCE
Lettres , il s'en faut beaucoup que tous
les Ecrivains dont on nous parle ici , ayent
le même degré d'illustration ; quelquesuns
même auront de la peine à passer
pour sçavans dans l'esprit de tous les Lecteurs.
Tel est plus particulierement Florent
Carton d'Ancourt , dont on trouve
PEloge et les Ouvrages , à la page 287.
et 291 , de ce volume . Que le sieur d'Ancourt
n'ait eu des talens considerables.
dans sa Profession de Comédien , et ensa
qualité d'Auteur de plusieurs Pieces.
de Théatre , personne ne sçauroit le nier ;
mais qu'il doive être placé et consideré
parmi les Membres illustres et légitimes.
de la République Litteraire ; c'est ce qu'on
ne pourra que très difficilement accorder..
Comme cet Article peut faire cependant
une très bonne figure dans l'Histoire
du Théatre François t dans celle
des fameux Comédiens où il ne sera point
déplacé , il seroit peut- être bon de le retoucher
, tant à cause des augmentations
qu'on peut y faire , que pour réparer quelques
négligences de style , et certains em
barras de construction , qui se trouvent
quelquefois dans ces Mémoires , plutôt
de la part de ceux qui les ont fournis , que
de celle de notre Auteur ; à propos de
quoi nous ajoûterons qu'il seroit bon aus-,
I. Vol.
si
JUIN. 1732. 1167
si de mettre à la fin de chaque volume
un bon Errata , comme on l'a fait à l'égard
des premiers .
Pour donner à nos Lecteurs , selon notre
coûtume , une idée des Memoirescontenus
dans ce Volume , nous insererons
ici l'article entier de M. de Segrais .
homme veritablement illustre dans la
belle Litterature , et Sçavant de notre
temps.
EAN Renaud de Segrais , naquit à
Caën le 22. Août 1624. et y fit ses études
dans le College des Jesuites. Après
sa Philosophie , il fut quelques années
sans se déterminer à aucun état. Pendant
ce temps là il s'occupa à la Poësie Fran
çoise qu'il cultiva jusqu'à la fin de sa vie,
et qui ne lui fut pas infructueuse , puisqu'elle
lui servit , aussi bien qu'à ses qua
tre freres et à ses deux soeurs , pour les
tirer du mauvais état où la bonté ruineuse
d'un Pere dissipateur , les avoit
laissez .
Une Tragédie sur la mort d'Hyppolite
, le Roman de Berenice , dont il hazarda
seulement les deux premieres parties
, et plusieurs petits Ouvrages de Poësie
sur divers sujets , furent les prémices
de son esprit qui parurent dans sa Province.
I. Vol. IL
1162 MERCURE DE FRANCE
Il n'avoit encore que 19. ou 20. ans
lorsque le Comte de Fiesque , fils de la.
Gouvernante de Mademoiselle , fille ainée
du Duc d'Orleans Gaston , fut éloigné
de la Cour et se retira à Caen; pendant
le séjour qu'il y'fit , il prit du goût
pour lui et l'emmena à la Cour forsqu'ily
fut rappellé. Ce fut là qu'il acheva de
se former , et qu'il acquit la politesse et
le bon goût , qui ont paru depuis dans
ses Ouvrages .
t
Le Comte de Fiesque le fit entrer en
1648. au service de Mademoiselle , en
qualité de Gentilhomme ordinaire , et il
y demeura jusques vers l'an 1672. que
cette Princesse croyant avoir quelque sujet
de se plaindre de sa conduite , le fit
rayer de l'Etat de sa Maison . Elle nous
apprend elle-même dans ses Mémoires le
sujet qui lui attira sa disgrace. Elle y rapporte
que Segrais ne vouloit point qu'elle
se mariât avec M. de Lauzun , et qu'il
aimoit mieux que ce fût avec M. de Longueville
; que quand l'affaire de M. de
Lauzun eut été rompuë , il alla avec
M: Guilloire , Secretaire de ses commandemens
, voir M. de Chanvalon , Archevêque
de Paris , pour lui dire que c'étoit
un scandale que Mademoiselle vît toûjour
M. de Lauzun , et qu'il étoit obligé
La Vela en
JUIN. 1732 116:3
en conscience d'y mettre ordre'; ce que
ee Prélat lui ayant dit , elle donna ordre
à Segrais de sortir de chez elle.
M. de Segrais ne manqua pas alors de
ressources. Madame de la Fayette eut la
generosité de lui donner un Appartement
chez elle , et il nous apprend lui - même
que M. le Duc de Longueville lui envoya
aussi-tôt après zoo. pistoles , en le
chargeant très- expressement de n'en rien
dire à personne.
Lasse enfin de vivre dans le grand
Monde il se retira à Caën , résolu d'y
passer le reste de ses jours. Il y épousa
une riche heritiere , qui étoit sa parente,
et ce mariage le mit en état de vivre à son
aise , selon sa qualité , et de faire un établissement
considerable. Personne ne remarque
l'année où il se maria , mais on
peut juger que ce fut en 1679. par ce
Passage du Segraisiana , p. 75. qui contient
une particularité de sa vie , qui doit
trouver ici sa place.
» Madame de Maintenon , dit- il en
>> cet endroit , a voulu me mettre auprès
» de M. le Duc du Maine , en la même
qualité que M.de Court , qui fut apellé ,
» à mon deffaut . Je venois de me marier
» j'avois par mon mariage honnêtement
de quoi vivre dans l'indépendance , er
1. Vol .
» même
1164 MERCURE DE FRANCE
» même mon beau- pere et ma belle - mere
qui étoient fort âgez , que je consultai
» là - dessus , me représenterent que j'avois
» de quoi raisonnablement me contenter,
» qu'ils étoient d'un âge à croire que Dieu
» les appelleroit bien - rôt , et qu'alors je
» pourrois vivre sans avoir rien à souhaiter
; je considerois encore que j'avois en
ce temps là cinquante- cinq ans , et qu'il
»falloit au moins pour attendre la récom-
»pense des services que je pouvois rendre
à M. le Duc du Maine , une dixaine
» d'années , et je n'avois aucune certitude
» de vivre si long- temps ; de plus , j'a-
» vois déja un peu de surdité , et ce fut
» le prétexte que je pris pour m'excuser.
» Madame de Fontevrault , soeur de Ma-
» dame de Montespan , me manda qu'il
ne s'agissoit pas d'écouter le Prince , mais
» de lui parlers je fis réponse queje sça-
» vois par experience que dans un Pays
comme celui- là , il falloit avoir bons
» yeux et bonnes oreilles. En effet il faut
y connoître parfaitement son monde
» et parler plus souvent à l'oreille qu'à
haute voix . Ainsi je demeurai comme
j'étois.
n
M. de Segrais avoit été reçû à l'Académie
Françoise dès l'année 1662. et comme
celle de Caën étoit demeurée sans Pro-
>
1.Vol.
*Lecteur
JUIN.. 1732. 1165
ی گ
tecteur depuis la mort de François , de
Matignon , Lieutenant de Roy en Normandie
, .arrivée en 1675. il en recueillit
les Membres chez lui , où il fit accommoder
un Appartement fort propre pour y
tenir leurs Assemblées .
Il fut affligé pendant les derniers mois
de sa vie d'une langueur causée par une
hydropisie , qu'il regarda comme une faveur
du Ciel , et dont il sçut profiter
en Chrétien.
Il mourut le 25. Mars 1701. dans sa
77. année.
Ses talens ne se bornoient pas à bien
écrire ; il avoit encore beaucoup d'agrémens
dans la conversation ; il sçavoit mille
choses agréables , et il les racontoit d'une
maniere qui faisoit autant de plaisir que
les choses mêmes . Quand il avoit une fois
commencé il ne finissoit pas aisément ;
et M. de Matignon disoit à ce sujet qu'il
n'y avoit qu'à monterSegrais , et à le lais
ser aller. Il ne parloit pourtant jamais
trop au gré de ceux qui l'écoutoient , et
l'extrême surdité où il étoit tombé sur
la fin de ses jours , n'empêchoit pas que
les personnes les plus distinguées ne l'ale
lassent voir pour le plaisir seul de l'entendre
. C'étoit un homme doux , complaisant
, aimant à faire plaisir , et ne di-
1.Vol sant
166 MERCURE DE FRANCE
sant jamais rien de desobligeant de
sonne.
per-
M. de la Monnoye fit à l'occasion de
sa mort cette Epigramme , qu'on attribuë
mal- à- propos, à l'Abbé Testu , dans un
Recueil d'Epigrammes , publié en 1720 .
Quand Segrais affranchi de terrestres liens ,
Descendit plein de gloire aux Champs Elisiens
Virgile en beau François lui fit une Harangue ;
Et comme à ce discours Segrais parut surpris ;
Si je sçais , lui dit- il , le fin de votre Langue,
Cest vous qui me l'avez appris .
par
Catalogue de ses Ouvrages.
1. Athis. Pastorale. Paris , 1653. in 4.
Cette Piece de Poësie que M. de Segrais
fit en l'honneur de son Pays , a merité
l'Approbation de M. Huet , qui la
trouve préferable à ses autres Ouvrages
la nouveauté de l'invention et par
l'agrément de la fiction , quoique l'obscurité
des lieux que Segrais a choisis pour
être le Théatre des avantures qu'il décrit,
et qui ne sont connus que par ceux qui
les habitent , ayent fait perdre à cet Ouvrage
une partie des applaudissemens qu'il
méritoit.
2. Les Nouvelles Françoises , ou les Divertissemens
de la Princesse Aurelie. Paris,
I.Vol 3657
1
JUIN. 1732. 1167
1657. in 8. z . vol. Ce sont des Historiettes
qu'il avoit composées pour amuser
Mademoiselle à S. Fargeau , où elle étoit
retirée . Comme il n'en avoit fait tirer
que peu d'exemplaires , le Livre étoit rare
avant la réimpression qu'on en a faite en
1722. Paris , in 12. 2. vol.
3. Diverses Poësies. Paris , 1658. in 4.
4. L'Eneide de Virgile , traduite en Vers
François. Paris , in 4. 2. vol. Le premier
en 1668. et le second en 1681. Idem.
2. Edition. Amsterdam, 1700. in 8. 2. vol.
et depuis à Lyon.
5. Les Georgiques de Virgile , traduites
en Vers François Ouvrage postume. Paris ,
1711. in 8. Ces deux Traductions de Vir
gile sont estimées des connoisseurs , qui
trouvent que Segrais a eu l'art de rendre
en notre Langue toutes les beautez , les
graces et l'agrément qui se trouvent dans
Le Poëte Latin , du moins autant que cela
est possible.
- 6. Segraisiana , ou Melange d'Histoire et
de Litterature , recueilli des Entretiens de
M. Segrais. Les Eglogues et l'Amour gueri
par le Temps, Tragédie- Ballet du même Auteur
, non imprimés. Ensemble la Relation
de l'Isle imaginaire et l'Histoire de la Prin
cesse de Paphlagonie , imprimées en 1646 .
par l'ordre de MADEMOISELLE. La Haye ,
JᏗ.. Val. F 1722
1168 MERCURE DE FRANCE
*
1722. in 8. Cette premiere Edition a éte
faite à Paris , a été suivie d'une autre faite
en 1723. à Amsterdam in 12. qui est beau
coup plus belle.
La Préface qu'on voit à la tête de l'une
et de l'autre , est de M. de la Monnoye.
On y dit que les particularitez contenues
dans le Segraisiana , ont été recueillies
par les soins d'un illustre Conseiller d'Etat
, ( c'est-à- dire M. Foucault , Intendant
de Caën ) dont la Maison étoit le
rendez - vous de tout ce qu'il y avoit à
Caen de personnes de mérite et de qualité
M. de Segrais y étoit reçû avec distinction
; lorsque sa santé lui permettoit
de s'y trouver , il y avoit pour lui une
place de réserve auprès d'une Tapisserie,
derriere laquelle un homme de confiance
étoit caché , qui écrivoit ce qu'il disoit ;
et c'est de - là qu'a été tiré le Segraisiana ,
dans lequel il y a plusieurs faits singuliers
et curieux , quoiqu'on ne puisse nier
qu'il n'y en ait aussi plusieurs qui ne méritoient
pas d'être conservez à la posterité
, et d'autres même évidemment faux.
Les Eglogues sont au nombre de sept ,
et on y a joint une Lettre de M. Ogier
sur la premiere , avec la Réponse de M.de
Segrais , qui excelloit principalement en
ce genre de Poësie . Tout le monde con- I.
Vol
.
vient
JUIN. 17320 1169
a vient , dit Baillet , Jugement des Sçavans,
» qu'il a pris le caractere de l'Eglogue ,
et qu'il a sçû attraper ce point de la
simplicité et de la pudeur que les An-
» ciens avoient sçû exprimer, sans pourtant
» avoir rien de la bassesse et des manieres
» niaises où sont tombez plusieurs de nos
22
faiseurs d'Eglogues Françoises , qui ont
» voulu imiter cette naïveté ancienne ,
» pour ne pas sortir du caractere Buco-
» lique. Ses figures sont douces , ses mou-
» vemens y sont temperez et formez sur
» les moeurs que doivent avoir les personnages
qu'il employe. Les pensées y
sont ingénues , la diction y est pure et
» sans affectation , les Vers y sont coulans .
Ce sont des manieres toutes unies , et des
» discours tout naturels Enfin on juge qu'il
» est très- difficile de rien écrire en ce gen
» re avec plus de douceur , de tendresse
» et d'agrément. C'est ce qui a fait dire
à Despreaux , en invitant les Poëtes à ce
lebrer la gloire de Louis le Grand :
Que Segrais dans l'Eglogue en charme les Forêts. ”
Il avoit cette simplicité et cette naïveté
de Malherbe , qu'il avoit beaucoup
étudié , et pour lequel il avoit une estime
si particuliere , qu'il fit faire en pierre sa
Statue plus grande que le nature , li fit
A VOL
Fij élever
1170 MERCURE DE FRANCE
4
élever dans une niche faite exprès à la
façade de sa Maison de Caën , et fit graver
au- dessous sur un Marbre noir ces
quatre Vers.
Malherbe , de la France éternel ornement ,
Pour rendre hommage à ta mémoire ,
Segrais , enchanté de ta gloire ,
Te consacre ce Monument.
L'Amour gueri par le Temps , n'avoit
pas encore été imprimé. M. de Segrais
avoit composé cette Piece pour être mişe
en chant , et l'avoit donnée à M. Lully
pour cela ; mais ce Musicien se souvenant
d'un petit chagrin qu'il croyoit avoir autrefois
reçû de M. Segrais chez Mademoiselle
, la garda trois mois entiers , après
lesquels il la renvoya comme ne pouvant
y travailler, parce que les Vers, disoit- il ,
en étoient durs et rebelles au chant.
7. La Princesse de Cleves, Paris , 1678.
in. 12. 4. vol. Item . Paris , .1689. et 1700.
in 12. 2. Tom. » Trois beaux esprits , die
le P. le Long, dans sa Bibliotheque His-
»torique de la France , ont contribué à la
» composition de ce Roman , qui est bien
écrit et a eu beaucoup de succès . Fran-
» çois VI. Duc de la Rochefoucault , more
en 1680, en a fourni les sentimens; les
maximes et les intrigues sont de l'inven-
1. Vol. tion
JUI N.
1732.
» tion de Marie - Magdeleine de la Vergne ,
» Comtesse dé la Fayette , morte en 1693.
et le tout a été mis en oeuvre avec au-
>> tant d'esprit que de délicatesse, par Jean
» Renaud de Segrais . Il est vrai que M. de
»Segrais lui - même paroît dans le Sagrai-
»siana , p. 9. attribuer entierement ceg
Ouvrage à Madame de la Fayette , lors-
» qu'il y dit; la Princesse de Cleves est
» de Madame de la Fayette , qui a méprisé
de répondre à la Critique que le
»P. Bouhours en a faite. Mais il s'explique
autrement plus bas , p. 73. où il en
parle comme d'un Ouvrage qui étoit de
lui . »
Celui , dit- il , qui a critiqué la
» Princesse de Cleves , a trouvé mauvais,
&c. La raison pourquoi je ne voulus
»point prendre la peine de lui répondre,
c'est qu'il n'avoit aucune connoissance
» des regles de ces sortes d'Ouvrages , ni
» de l'usage du monde , et que je ferois
beaucoup plus d'état de l'approbation
» de Madame la Comtesse de la Fayette
» et de M. de la Rochefoucault , qui
>> avoient ces connoissances en perfection.
33
8. Zayde , Histoire Espagnole. Paris ,
in 12. Ce petit Roman qui a été imprimé
plusieurs fois avec le Traité de l'Origine
des Romans de M. Huet , porte
par tout dans le Titre le nom de M. Sc-
J. Vol. F iij grais
1172 MERCURE DE FRANCE
grais. M. Huet veut cependant dans ses
Origines de Caën , p . 409. qu'il soit de
la Comtesse de la Fayette.» Je l'ai vû , ditnil
, souvent occupée à ce travail , et elle
> me le communiqua tout entier , piece à.
» piece , avant que de le rendre public. Et
comme ce fut pour cet Ouvrage que je
a je composai leTraité de l'origine des Ro
mans qui fut mis à la tête , elle me disoit
» Souvent que nous avions marié nos enfans.
» ensemble. M. de Segrais ne disconvient
point de ce fait , mais il nous apprend
qu'il a contribué en quelque chose à ce
Livre. Zayde , dit - il , dans le Segraisia-
»na , qui a paru sans mon nom , est de
» Madame de la Fayete. Il est vrai que
»j'y ai eu quelque part , mais seulement
»pour la disposition du Roman où
>> les regles de l'Art sont observées avec
> exactitude.
>
Voyez , Huet , les Origines de la Ville
de Caen ; la Préface du Segraisiana ; la
Description du Parnasse François ; Baillet,
Jugement des Sçavans , sur les Poëtes.
Le Public nous sçaura , sans doute ,
quelque gré, si nous ajoûtons ici deux ou
trois Epitaphes de M. de Segrais , qui ne
sont apparemment pas venues à la connoissance
de l'Editeur de ces Memoires.
La premiere est de la composition de
1. Vol.
M.
JUIN. 1732. 1173
M. de Segrais même , et ne consiste qu'en
ces deux Vers Latins , imitez de Virgile.
Mantua me genuit , &c.
Me Cadomusgenuit : tenet Aula et pulchra Liquoris
Fecit blandus amor vatem , mens lata beatum;
Celle qui suit est de M. du Bourget de
Chaulieu , Gentilhomme de Caën. On y
fait allusion ' au temps de sa mort , qui
arriva la nuit du Jeudi au Vendredi Saint.
Segrais des beaux Esprits si justement chéri ,
Et
qui fut des
neuf
Soeurs
le tendre
Favori
,
Achevant
de ses jours
l'innocente
carriere
,
Adressoit à son Dieu cette ardente Priere :*
Seigneur , accordez - moi qu'au tems de mon
trépas ,
Vers la nuit du Tombeau j'accompagne vos pas.
Il dit et s'apperçut qu'une même journée ,
A celle du Sauveur , unit sa destinée ; ·
Son esprit dégagé par un effort pieux ,
'Au gré de ses desirs s'élance vers les Cieux :
Segrais ne peut survivre à l'Auteur de la vie ;
Quel sort est plus heureux et plus digne d'envie ?
La derniere a été faite par Madame
d'Osseville , aussi de la Ville de Caën .
Ne cherchons plus , helas ! Segrais dans ces bas
Lieux ,
I. Vol.
Mille
Fiiij
1174 MERCURE DE FRANCE
Mille Vertus , ses Compagnes fideles
Tour-à- tour ont prêté leurs aîles ,
Pour élever son ame aux Cieux.
Ce qui nous reste ici d'un bien si précieux ;
Sous ce Marbre n'est plus que cendre ,
Les Sçavans auront soin d'apprendre
Par des traits immortels à la Posterité ,
Quel fut ce Favori des Filles de Memoire ;
Mais gravons dans nos coeurs le fond de probite
Dont il fit son unique gloire.
LA VERITE FABULISTE , Comédie en
un Acte , mêlée de Fables , représentée
sur le Théatre Italien le 2. Decembre dernier
, de la composition de M. de Launai . \
Cette Piece a été reçûë favorablement du
Public. La Dlle Silvia , qui par le naturel
et la finesse de son jeu , s'attire toûjours
des nouveaux applaudissemens , et qui
récite les differentes Fables qui sont liées
à la Piece , a fait beaucoup de plaisir. On
trouve à la fin de la Comédie , un Recueil
de so. Fables fort ingenieuses , du même
'Auteur. Cet Ouvrage nouvellement imprimé
, se vend chez Josse , rue S. Facques
, à la Fleur de Lys d'or , 1732. Voisi
une des Fables de la Piece.
1. Vol
LA
JUI N. 1732. 1175
La Corme et la jeune Fille.
Une Corme brillante et fraîche ,
D'une jeune fillette avoit charmé les yeux';
Mais ce fruit qui sembloit un fruit délicieux ,
Au goût parut dur et revêche.
Quoi , lui dit la fillette ! un si beau coloris ,
Cache une amertume effroyable ;
Et pour te trouver agréable,
soient Alétris ?
Il faut que par le temps tes appas
Que ton injustice
est extrême
!
Lui répondit la Corme, eh! n'es - tu pas de même, -
Par l'effet seul de ton humeur ?
Te voila jeune , fraîche , belle ,
Ton Amant est tendre et fidelle ,
Et loin d'avoir cette douceur ,
Qu'annonce de tes traits la
grace
naturelle ,
Ti n'as qu'amertume et qu'aigreur :
Crois moi , n'attend pas que les rides
Amortissent ton âpreté , ◊
Les injures du temps ne sont que trop rapides
C'est un cruel moyen de perdre sa fierté.
Nous donnerons ici trois Fables du
Recueil , pour mettre le Lecteur en état
de juger du merite de cet Ouvrage.-
Le Roy de Théatre et l'Ecolier.
Un Ecolier avoit dans un Spectacle ,
I. Vol
Goûte
1175 MERCURE DE FRANCE.
Goûté pardessus tout un Acteur renommé,
Qui se croyoit lui-même un prodige , un miracle,
S'estimant beaucoup plus qu'il n'étoit estimé.
Notre jeune homme en étoit si charmé ,
Qu'il donnoit à l'Acteur le mérite et la gloire ,
Des. Vers , des sentimens récitez de mémoire ,
En un mot , il croyoit l'Histrion un Heros ;
C'étoit assurément bien croire ;
Voila comme toûjours nous donnons dans le
faux.
Notre Ecolier opiniâtre ,
Dans son erreur , dans ses desirs ,
Epargne quelque temps sur ses menus plaisirs ,
De quoi traiter un jour l'Acteur qu'il idolâtre ;
Il l'invite à dîner , le Monarque,s'y rend ;
Mais qu'il fut trouvé different !
Soft qu'il raisonne ou qu'il folâtre ;
Ce Roy n'avoit plus rien ni de fin , ni de grand
Il n'étoit plus sur son Théatre.
L'Ecolier en rougit... Combien est-il d'objets ,
Qu'il ne faut jamais voir de près !
On riroit bien souvent du plus grand Personage,
S'il découvroit ses propres traits ;
Le Masque heureusement est pris pour le visage.
Le Maître Paulmier et son Eleve..
Un Maître de Paume , en son Art -
Instruisoit un jeune Novice ,
I. Vol. TrèsJUIN.
17320 1177
Très-agile à cet exercice ,
Mais trop ardent ; et le Vieillard ,
Lui répetoit toujours : pour devenir habile ,
Possedez-vous , soyez tranquille ;
Jouer trop vivement , c'est jouer au hazard ,
La balle d'elle-même au Joueur vient se rendre ,
Pour la juger , il faut l'attendre ;
Qui veut la prévenir , la perd le plus souvent.
Conseils que l'Ecolier ne pouvoit pas com
prendre ,
Quand la balle voloit , il couroit au-devant ;
Aussi manquoit-il de la prendre.
Esprits impatiens , voilà votre portrait ,
Dans un projet , dans une affaire , '
Hâtez-vous , tout devient contraire ;
Attendez , tout vient à souhait
Les Prétendus Connoisseurs.
Certain Curieux de Tableaux ,
Dans une Galerie en avoit un grand nombre ;
La placez dans un jour mi trop clair , ni trop
sombre ,
Ils étoient honorez du nom d'Originaux ,
Car chez les Amateurs c'est chose principale
Sur tout quand il s'y joint un air de vetusté.
Je respecte l'Antiquité ,
Je n'aime point qu'on la ravale ; «
A Vol. Fvj
Mais
1178 MERCURE DE FRANCE
Mais est- elle toujours égale è
Non , sans quelque défaut il n'est point de beautés
Homere quelquefois.sommeille . ,
Et ce n'est pas une merveille
Que dans un Art en tout pareil ,
Appelles quelquefois s'abandonne au sommeil.".
1
Mais revenons à notre affaire .
Notre homme dans un Inventaire
Un jour avoit crû remarquer , ».
Un Tableau d'un beau caractere ::
Jugez s'il voulut le manquer.
Il faut d'abord vous expliquer ,
Ce que c'étoit que la merveille.
On n'y connoissoit rien , tout étoit si confus
Qu'on n'y voyoit que du noir , et rien plus ,
Pas seulement un bout d'oreille ;
Mais du noir , vraiment c'est le bean ;
A quelque prix qu'il soit , il me faut ce Tabka
Combien vaut- il ? sur son extase,
9.
Le prix doubla , sa docte emphase
Lui fit acheter cher ce bizare morceau :
Pour rendre sa gloire complette ,
Il fait chez lui convier ses amis ,...
Non pour demander leur avis ,
Mais pour faire applaudir à sa nouvelle emplette
A l'aspect du Tableau , voilà mes gens ravis ;
Quelle touche, dit l'un ! quelle expression. vive !
Quelle imitation ! quelle grace naïve !
1. Kola- Ah
JUIN. 1732 117
Ah ! dit l'autre , quel coloris !
Voyez-vous ce torrent , avec quelle furie ,
It rompt , il fait rouler ces morceaux de Rocher;.
Ces arbres qu'il vient d'arracher ,
Et qu'il pousse dans la prairie ?
Ou donc , dit le premier , où portez- vous les s
yeux ?
Ce torrent , ce sont les cheveux ,
D'une Danaé qui repose ,
Quand Jupiter... Voici bien autre chose ;
Une Danaé ! quoi cela ?
Vous me la donnez belle ! "
Oui , cest Danaé , je le soutiens , c'est elle ,
Et ces arbres couchez que vous croyez voir là ,
Sont ses jambes , voyez quelle chair naturelle ,
Jamais le Titien n'en fit comme en voila.
Allez , ignorans, dit le Maître , -
Vous ne voyez ici paroître ,
Ni Danaé , ni jambes , ni . Torrent ,
C'est d'Ulisse et d'Ajax le fameux different 3 .
Voila ce que cela doit être.
Hê bien , on juge tous lès jours ,
Avec cette assurance , avec cette justesse ;
Je gémis souvent des discours ,
Que j'entens faire en toute espece 3
Ignorance et prévention ,
Font en tout la décision .
In Pol Lis
1180 MERCURE DE FRANCE
LES EPITRES HEROÏQUES D'OVIDE
traduites en Vers François par Me l'Heritier.
A Paris , Quay de Gesures , chez
Prault , 1732. in 12. de 366. pages , sans
l'Epitre , l'Avertissement et la Table .
Nous croyons avec l'Auteur , que les
Ouvrages d'Ovide étant aussi aimez qu'ils
le sont , le Public verra avec plaisir une
nouvelle Traduction en Vers des Epitres
de cet excellent Auteur. Il est extrémement
difficile , sans doute , de les rendre
en notre Langue avec toutes leurs beautez;
et c'est aparemment cette difficulté qui est
cause qu'on n'en a point vû en Vers de
traduction entiere , depuis plus de 200 .
ans.
2
J'ai apporté tant d'application et de
soins à bien suivre le sens de mon- Auteur
, continuë Mlle l'Heritier , dans son
Avertissement qu'on me flatte que j'ai
réussi ; excepté que je l'ai un peu adouci
dans les endroits où les bienseances auroient
pû être blessées , je l'ai toûjours.
suivi avec une grande exactitude.
Ces Epitres sont tradui es en differentes
manieres ; on en trouvera en Vers suivis,
en Quatrains et en Vers de divers ' s mesures.
Il y en a même un nombre en Prose
pour rendre la varieré plus complette et
satisfaire les goûts differens.
I. Vol.
Pour
JUIN. 1732. 1181
*
Four donnér une idée de cet Ouvrage ,
nous prendrons sans choix à l'entrée du
Livre , quelques Strophes de la premiere
Epitre de Penelope à Ulisse.
Penelope t'écrit , et dans sa peine extrême ,
T'accuse d'un oubli qu'elle a peu mérité :
Pars au lieu de répondre , et lui vien par to
même ,
Confirmer les sermens de ta fidelité.

Troye autrefois si fiere , elle dont la memoire;
Donne aux femmes de Grece une si juste horreur, -
Cette Troye a peri , mais quelle en est la gloire
De dix ans de combats vaut elle la fureur? ·
Plut aux Dieux qu'au moment que pour ravir
Helene ,
Le coupable Pâris osoit fendre les eaux ,
Des fougueux Aquilons l'impetueuse haleine ,
But fait au fond des Mers abimer ses Vaisseaux !
Je n'aurois point passé dans un triste veuvage ,
Cette affreuse longueur de jours dont je me
plains ;
Et l'assidu travail d'un importun ouvrage ,
Ne m'obligeroit point à me lasser les mains

J. Vol .
Je
1182 MERCURE DE FRANCE
Combien , le coeur serré , les yeux baignez de
larmes ,
Ai-jocraint des périls qui ne t'attendoient pas
Le veritable amour est sujet aux allarmes
Et dans l'inquietude il trouve des appas.
Je croyois toujours voir quelque Troupe enne
mie ,
S'avancer pour ta perte et n'en vouloir qu'à tois
Et pleine des dangers qui menaçoient ta vie ,
Dès qu'on nommoit Hector , je palissois d'effroi..
Par ce fils de Priam aux-Grecs si redoutable ,
Antiloque vaincu , me mettoit aux abois.
Ma tendresse pour toi craignoit un sort sem→
blable ,
Et mes pleurs dans ce trouble ont coulé milla
fois.
Combien m'en a-t'on va verser pour Tlépoleme;
Qui du fier Sarpedon en vain crut fuir le bras t
Sa mort renouvella l'inquietude extréme ,
Qui de ce que j'aimois me peignoit le trépas.
Quand Patrocle tomba sous les armes d'Achille ,
Ah ! m'écriai-je alors , nos efforts seront vains ! `
Ulisse aura peut- être une adresse inutile ,
Pour dérober ses jours aux malheurs que je crains!
I. Vol Enfin
JUI N.
1183:
17320
Enfin , aucun des Grecs ne restoit sur la place ,
En perdant pour jamais la lumiere du jour ,
Que dans l'instant mon sein ne fut plus froid.
que glace ,
Quoiqu'il brulât d'ailleurs des flammes de l'a
mour.
Mais un Dieu favorable à cet amour fidelle .
Dissipant mes frayeurs , m'a mise en sureté ,
Troye en cendre réduite , a fini la querelle ,
Et , quand elle n'est plus , Ulisse m'est resté. &e.
LA BIBLIOTHEQUE DES ENFANS , on les
premiers Elemens des Lettres , contenant la
systeme du Bureau Typographique , à l'usage
de Monseigneur le Dauphin et de Mes
seigneurs les Enfans de France . A Paris
chez Pierre Simon , rue de la Harpe , es
shez P. Witte , ruë S. Jacques , 1732 .
Il y a deux ans que l'on parle du BuBi
reau Typographique dans les Mercures
de France. On a donné quatorze Lettres
sur ce sujet , ou sur l'importante matiere
qui regarde la premiere éducation des
Enfans. L'abregé de ces Lettres donnera
le volume qui roule précisement sur le
sistême du Bureau Typographique ; mais
voici un Livre dont tous les Parens , tous
les Maîtres et tous les Enfans pourront
se servir utilement , soit qu'ils ayent des
1. Vala Bureaux
1184 MERCURE DE FRANCE
par
Bureaux , soit qu'ils n'en ayent point.
C'est un nouvel A , B , C , Latin ,
le moyen duquel on apprendra par principes
plus facilement et en moins de tems
les premiers élemens des Lettres ignorez
ordinairement par le plus grand nombre
de ceux qui se mêlent de les montrer.
Ce Livre que l'Auteur a eu l'honneur
de dédier et de présenter à MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN , Contient en 24. pages , l'Epitre
Dédicatoire , un Avertissement Préliminaire
sur l'Ortographe passagere d'Enfans
et des sons ou de l'oreille , en attendant
l'Ortographe permanente d'homme
, des yeux ou de l'usage ; la Préface
en deux feuilles de gros Romain , l'Extrait
du Registre des Déliberations de la
Societé des Arts , qui a fait examiner le
Bureau Typographique ; ce Livre contient
encore la Table des Leçons de trois
A, B , C , Latins , celle des noms de dixhuit
sortes de Caracteres employez pour
varier utilement l'impression de ce volume
, et enfin un Avis aux Parens et
aux Maîtres dans lequel l'Auteur dit qu'il
donnera de la même maniere in 4° . et in
16. les A , B, C , François pour la suite
de la Bibliotheque des Enfans.
Le premier A, B , C , Latin contient
en 38. pages 21. Leçons pour le Maître
=
L. Vol. et
JUIN. 1731. 1185
"
et alternativement autant pour l'Enfant ,
il ne s'agit dans cet A, B, C, que de
la seule connoissance et de la seule dénomination
des Lettres ou des sons , avec
laquelle dénomination l'Enfant lira bientôt
des sillabes et des mots , même sans
épeler , comme dans les Leçons 12. 13 .
14. 15. 16. 17. 18. et 19 .
Le second A, B , C , Latin contient en
20. pages 15. Leçons pour le Maître , et
autant pour l'Enfant ; il s'agit dans cet
A, B , C , de Lettres du Sillabaire , ou
du Recueil des sillabes élementaires , sur
lesquelles il faut tâcher de rendre imperturbable
Enfant auquel on veut montrer
à lire .
Le troisiéme A , B , C , Latin contient
en 38. pages , 14. Leçons pour le Maître
et autant pour l'Enfant ; il s'agit dans
cet A , B , C , des Lettres de l'épellation
de la sillabe et de la Lettre ordinaire
et extraordinaire.
On peut dire que cet Ouvrage est singu
lier et peut-être unique dans ce goût- là ,
c'est pourquoi le Lecteur y est prié d'avoir
quelque indulgence pour l'Auteur ,
qui avoue son ignorance ou sa négligence
à l'égard de l'expression , de la précision
et de la ponctuation. On doit s'attacher
aux choses , plutôt qu'aux mots ; heureux
1. Vol. qui1186
MERCURE DE FRANCE
qui possede également bien l'art de penser
et l'art de s'exprimer dans les grandes
et dans les petites choses. La matiere
Abécédique paroît en general si mince et
et si méprisée , qu'on trouvera peut- être
difficile , obscure ou abstraite , la maniere
dont l'Auteur a essayé de la traiter. Mais
il faut esperer que dans la suite on rendra
le sujet plus clair , et qu'enfin on le
perfectionnera , sur tout si M M. de l'Académie
Françoise daignent un jour revoir
l'Ouvrage en faveur des Enfans
de notre Empire et de tous les enfans de
l'Europe.
Les Critiques du Bureau Typographi
que , au reste , en attaquant ce nouvel
A, B, C , pourront continuer de faire
connoître leur goût et leur discernement
en fait d'institution morale et litteraire.
Le Public continuera aussi d'admirer la
prévention et la simplicité des Latinistes.
scandalisez mal- à- propos de la moindre
nouveauté élementaire et du moindre solecisme
; mais peu accoûtumez à l'Analise
des pensées , à l'exactitude et à la justesse
d'un raisonnement suivi et philosophique;
justesse cependant à laquelle devroient
tendre nos lectures et nos études,
tout autre motif ne paroît tolerable
dans un homme payé pour parler , plutôt
que
que pour penser.
M.
JUIN. 1732. 1187
M. Restaut fait actuellement imprimer
une nouvelle Edition des Principes géné
raux et raisonnez de la Grammaire Françoi
se , qui sera au moins de moitié plus ample
que la premiere , et à laquelle il a ajouté
un Abregé des regles de la versification Frangise.
Il donnera en même tems un Abrégé
séparé des Principes de la Grammaire
Françoise à l'usage des enfants.
On aprend de Berlin que la Methode
d'enseigner les Belles Lettres , composée par
M.Rollin , est traduite en Allemand , par
M. Mathias Ritter , Recteur à Potsdam .
Les objections de M. Gibert , s'y trouvent
avec les Réponses de M. Rollin.
On mande de Wolfembutel que
M. Kress , Professeur en Droit à Helmstadt
, a traité dans une Dissertation en
Allemand , de la Procedure criminelle à
l'égard des personnes nées sourdes et muettes.
L'occasion s'est trouvée en 1727. dans
le Duché de Magdebourg , où un tel
homme avoit assassiné la femme d'un
Berger. On examine en cette Brochure
assez étendue , ce qui fut alors observé.
On écrit de Dannemarck, qu'on a charsur
le dernier Vaisseau que la Compa
1. Vol
guie
1188 MERCURE DE FRANCE
¿
gnie d'Altena a fait partir pour Tranquebar
, une grande quantité de Catéchismes
Luthériens et de Bibles pour l'instruction
des nouveaux Chrétiens de la Côte Malabar
, et on va établir à Copenhague une
Imprimerie en caractere de leur Langue .
On apprend d'Allemagne , qu'on a
découvert depuis peu auprès du Village
appellé Siglar , au Diocèse de Calogne ,
dans le Duché de Berg , situé sur la pe-
-tite Riviere de Sig , qui se décharge dans
le Rhin , à une lieiie au - dessus de Bonne,
qu'on a découvert , dis - je , une veine d'un
fort beau Marbre noir , jaune , blanc
cendré et rougeatre : on ne dit pas s'il
prend un beau poli et si ces couleurs sont
agréablement variées et distinctes .
On mande de Rome , que le Cardinal
Otthoboni ayant fait creuser à sa Terre
de Sitto , Fief dépendant de son Abbaye
de S. Paul d'Albano , et située près de
Tor de Meza , on y avoit trouvé enterrée
une Statue de Venus , qui surpasse en
beauté et en grandeur celle de la fameuse
Venus de Medicis , qui est dans le Cabinet
du Grand Duc de Toscane ; on prérend
que certe Statuë a été faite à Athenes
dans le temps le plus florissant des Arts
en Grece , il
JUIN.
1189
$
173 2 .
Il paroît depuis peu quatre belles Estampes
d'après les Tableaux originaux
de Wateau , du Cabinet de M. de Julienne.
Ce sont les quatre Saisons , d'une.
composition aussi agréable qu'ingenieuse ,
gravées par les Sr Audran , Larmessin ,
Moireau et Brillon , de 20. pouces de large
sur 17. pouces de haut. Elles se vendent
chez Surugue , rue des Noyers , et chez
la veuve Chereau , rue S. Jacques.
Il paroît aussi deux nouvelles Estampes
du Roman Comique de Scarron , dont
les sujets sont , Bataille arrivée dans le
Tripot , qui trouble la Comédie , et Ragotin
retiré du coffre où la Servante l'avoit enfermé.
gravées par les S Surugue et Jeaurat
d'après les Tableaux du sieur Pater. Eiles.
se vendent chez le même Surugue.
On vient de donner au Public le Portrait
du celebre Pierre Pujet , de Marseille,
d'après un Tableau peint par son Fils ;
ce Portrait n'avoit jamais été gravé , et il
manquoit aux Amateurs de la memoire
des grands hommes , qui ont jugé à propos
de donner à Puget , le surnom de
MICHEL-ANGE DE LA FRANCE . Rien né
convient mieux à cet illustre Statuaire ,
qui a réuni si excellemment la Peinture
fa Sculpture , et l'Architecture.
"
I. Vol.
Ce
190 MERCURE DE FRANCE
Ce Portrait est gravé par le sieur Jeatr
rat , et se vend chez lui , rue S. Jacques ,
au Livre d'or.
On connoît le mérite de Pierre Puget
, par les belles figures d'Andromede
et de Millon , qui sont à Versailles , et
le Bas- relief d'Alexandre visitant Diogenes
, qui est au Louvre.
par
Les Hôtels de Ville de Marseille et de
Toulon , ornez de morceaux de Sculp
ture , plusieurs Tableaux peints par ce
grand homme , dans la Cathedrale de
Marseille , et autres , tant à Toulon qu'à
Aix et à la Valette , près Toulon , sont
encore des monumens de son habileté.
L'Eglise de la Charité de la Ville de Marseille
, bâtie sur ses Desseins , et plusieurs
autres Edifices , montrent qu'il a été aussi
bon Architecte que bon Peintre et habile
Sculpteur.
On voit encore à Gennes , dans l'Eglise
de Notre-Dame de Carignan , de
belles figures et d'excellens Tableaux de
sa main, à l'Albergo , dans la même Ville,
une Vierge placée sur le grand Autel et
soutenue par des Anges , et à Marseille
dans la Sale du Commerce , à l'entrée du
Port ou Bureau de la Santé , un Bas- relief
representant S. Charles , implorant
de secours du Ciel , à l'occasion de la
I. Vol.
Peste
JUIN. 1732. 1191
Peste qui ravageoit la Ville de Milan .
Voyez son Eloge plus étendu et le détail
de ses Ouvrages dans le Voyage du Levant
de M. de Tournefort , dans le Journal
des Sçavans , & c.
On ne doit pas oublier deux Tableaux
dont l'un représente le Baptême de Clovis,
et l'autre celui de Constantin , tous deux
de la main de cet illustre. Ces Tableaux
sont placez sur les Fonts Baptismaux de
l'Eglise Cathédrale de Marseille. Des Curieux
du premier rang ayant offert des
sommes considerables , et n'ayant pû les
obtenir , essayerent plus d'une fois de les
enlever, ce qui a obligé Mrs les Chanoines
de les mettre à couvert de telles entreprises
, au moyen d'une forte grille de fer.
On nous prie d'apprendre au Public que le
sieur Toupet , Marchand à Lyon , demeurant au
Nom de Jesus , près des Capucins du petit Forêt
, fabrique la plus belle Peluche en Poil de
Chevre , large de demi aulne , qui ait paru jusques
à present , et qui imite fort le Velours , elle
est conditionnée de façon que la Teigne ne s'y
met point, elle prend parfaitement toutes sortes
de couleurs.
Il en vend d'unie et de gauffrée , d'un magnifique
dessein , très propre pour Meubles , Chaiet
Berlines , &c. et à juste prix.
ses ,
J. Vola
LA G
1192 MERCURE DE FRANCE
Q
LA FILEUSE.
Ue mon adorable Bergere ,
Sçait bien faire aller le Fuseau ;
Elle le tient d'un goût nouveau ,
En filant elle a sçu me plaire :
Filez , Cloris , filez toûjours ,
• Vous filez mes beaux jours.
Quand sous quelque charmant feüillage ,
Du Soleil nous fuyons l'ardeur ,
Sûr que je possede son coeur ,
Je lui tiens ce tendre langage :
Filez , Cloris , filez toûjours ,
Vous filez mes beaux jours.
P. M. l'Affichard.
AIR .
Vous troublez les humides Plaines ,
Fiers et fougueux Tyrans des Airs ;
Et par vos bruyantes haleines ,
Vous ravagez tout l'Univers.
Quand vous grondez sur nous , vous effrayez
mon ame ;
L. Vol. Vous
A
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.

THE
NEW
YORK
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.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
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1
JUIN. 1732. 1193
Vous , pour armer le Ciel , que la Terre produit ,
Vous, Foudres, Aquilons , qui faites tant de bruit,
Vous en faites moins que ma femme.
Ces Paroles et la Musique sont de E.
M. J. D. L.
SPECTACLE S.
Es Embellissemens qu'on a faits de-
Lpuis peu dans la Sale de l'Opera , ordonnez
par le Directeur de l'Académie
Royale de Musique , aux quarante - cinq
Loges , premieres , secondes et troisiémes
, aux quatre Balcons et à l'Avant-.
Scene , qui font la distribution de cette
Sale , consistent sçavoir , au - dessus.
de la premiere Loge à droite , qui est
celle du Roy , on y a peint le Buste
d'Apollon ; à celle de la Reine , qui est
vis -à -vis , celui de Minerve ; ils sont suivis
, sur la même ligne , des Panneaux des
secondes Loges , des Bustes des plus celebres
Poëtes et des Muses , alternativement
, ornez de Bas- reliefs , relatifs aux
Bustes en Médailles , qui forment le milieu
superieur de chacune des premieres
Loges , peints en camaïeu ,
enfermez par
1. Vol.
des Gij
1194 MERCURE DE FRANCE
des Guirlandes de fleurs de coloris , et
soutenus par des ornemens rehaussez d'or.
On voit sur les bases des premieres
Loges des Cartouches , entremêlez d'ornemens
rehaussez d'or , aussi ornez de
Festons de fleurs de coloris , dans lesquels
sont des Trophées , des Attributs d'Apollon
, de Minerve , des Muses et des
Poëtes , &c. Ce sont les principales parties
qui font la Décoration des premieres
et secondes Loges ; les troisièmes sont
décorées d'ornemens convenables et dans
le même goût des autres ornemens.
Toutes les Loges sont séparées par des
Palmiers sur les montans , qui s'élevent
des Consoles et des Agrafes de Sculpture ;
le.tout rehaussé d'or ou doré en plein.
Les dedans et les Plafonds des Loges
sont feints de Damas et autres riches Etoffes
, de même que les Plafonds des Compartimens
, au milieu desquels sont des
Rosettes en saillie dorées en plein .
4
Le grand Rideau qui ferme le Théatre
presente à la vie un grand morceau de
coloris , dont les figures sont de la proportion
d'environ sept pieds , la Bordure
est rehaussée d'or , composée des
parties convenables au sujet. Apollon
y paroît au milieu d'une Gloire , sur
le devant de l'Autel des Sacrifices ; il
Lo Vol
Y
JUIN. 1732. 1197
y est accompagné de differents Génies ,
des Muses , & c. Le Dieu des Vers semble
ordonner au Génie de l'Invention
désigné par le flambeau
qu'il porte , d'al-
Ter échauffer
l'imagination
de ses differens
Génies , à qui Melpomene
, Thalie ,
Erato et Terpsicore
, ont confié leurs at
tributs.
Les Armes du Roy font le couronnement
de la Bordure , elles sont accompagnées
de branches de deux Palmiers ,
dont les troncs prennent leurs racines des
ornemens de la base de cette Bordure ,
et en montant forment un Plan circu
laire , varié au pourtour du Tableau ; aux
troncs des Palmiers qui sont entourez de
branches et de feuilles de Lauriers , sont
attachez quatre differens Trophées 3 sça -
voir , à droite ceux qui désignent l'Héroïque
et le Pastoral , et au côté opposé
ceux du Lyrique et du Satirique. Le Serpent
Pithon paroît sortir des ornemens
de cette Base , vaincu et rampant , ce qui
forme le milieu du Tableau.
Le Public a fort applaudi à ces nouveaux
embellissemens , dont l'invention
et la prompte execution est dûë au sieur
le Maire , Peintre fort entendu , et qui
a déja réussi bien des fois dans ces sortes
d'Ouvrages.
1. Vol. ΤΑ G iij
1196 MERCURE DE FRANCE
L'Académie Royale de Musique , donna
le 5. de ce mois la premiere Repré
sentation du Ballet des Sens le Pu-
, que
blic vit avec plaisir. Des cinq Entrées qui
composent ce Ballet , on n'en a joué que
trois , on fair esperer que les autres viendront
successivement. M. Mouret en a
fait la Musique , dont on a parû très - sa◄
tisfait. Quant à l'Auteur du Poëme , comme
il ne juge pas encore à propos de se
nommer , nous ne l'annoncerons que
lorsqu'il voudra bien jouir de sa gloire ;
en attendant , instruisons le Public de ce
qui concerne ce Ballet.
Au Prologue , le Théatre représente
l'Assemblée des Dieux ; ils s'unissent tous
en faveur des Mortels , assujettis aux infirmitez
de la vie et à la fatalité de la
mort ; Venus est la Divinité qui paroît
s'interesser le plus dans leur sort ; voici
comme elle parle au Maître des Dieux :
Ton bras soutient contre l'effort des ans.
Les Arbres , les Rochers , de ta vaste puissance ,
Trop insensibles Monumens ;
Des Mers et des Forêts les divers habitans ,
Jouissent de tes dons , mais sans reconnoissance ;
Les Humains t'adressent leurs voeux ;
Ta gloire chaque jour s'accroît par leur hom
mage ,
1. Vol. Pour
JUIN. 1732 . 1197
Pourquoi ton plus parfait Ouvrage ,
Est-il le moins cher à tes yeux ?
Jupiter lui répond , que tel est l'ordre
du Destin , qui n'a pas voulu leur donner
l'immortalité , de peur qu'ils ne bravassent
les Dieux par ingratitude , au lieu
de les encenser par reconnoissance .
Mercure se joint à Venus pour obtenir
du moins en faveur des Mortels , un
usage agréable des Sens . Jupiter leur répond
qu'il craint qu'ils ne rendent ce don
pernicieux par d'injustes caprices ; il ne
laisse pas d'accorder ce qu'on lui demande
, et s'explique ainsi :
Volez, charmans plaisirs , volez de toutes parts
Suivez chez les Mortels la Reine de Cythere ;
Brillez , enchantez leurs regards ;
Regnez , et que le Dieu des Arts ,
Vous embellisse et vous éclaire .
leurs
Tous les Dieux témoignent par
danses la part qu'ils prennent au bonheur
des hommes.
L'ODORAT. Premiere Entrée.
La Scene présente aux yeux les Jardins
des Rois de Babilone . Clytie , Reine
de Babylone , commence par se plaindre
de l'inconstance du Soleil , qui après l'a-
I. Vol.
voir
Giiij
1198 MERCURE DE FRANCE
voir quelque temps aimée , a porté ses
voeux à Leucothoé , sa soeur ; Enone , sa
Confidente , vient augmenter la haine
qu'elle a déja pour sa Řivale , en lui
prenant que l'ingrat dont elle se plaint
apva
rendre sa nouvelle Maîtresse immortelle
. Ce dernier trait porte le désespoir
dans le coeur de Clytie , et la fait parler
ainsi :
Prevenons cet affront ; seconde ma fúrie ;
Que le fer , le poison en délivre mes yeux ;
Il vient : elle se croit au comble de ses voeux ;
Mais ce plaisir sera le dernier de sa vie.
Leucothoć se plaint au Soleil de ce qu'il
la quitte si- tôt : il lui dit qu'il ne remonte
aux Cieux que pour son propre interêt yet
que le Destin lui a promis de la rendre
immortelle ; il ajoûte tendrement et galamment
:
Nous unir à jamais , est le bien ou j'aspire ;
Non ; dans tout l'Univers j'allume moins de feux
Que dans mon coeur n'en répandent vos yeux :
Pour les voir plus long- temps , ces beaux yeux
que j'adore ,
Je descends plus tard dans les Mers ,
J'éveille plus matin l'Aurore ,
J'abbrege les nuits des hyvers.
I. Vol.
Ce
JUIN. 1732. 1199
Ce bel étalage que le Soleil fait de ses
feux , ne rassure pas Leucothoé ; ello lui
fait sentir qu'il a déja aimé sa soeur et
qu'il pourroit bien retourner à ses premieres
chaînes ; le Soleil ne veut pas convenir
qu'il ait déja été infidele , et par
un aveù tout des plus suspects, il lui div :
Clytie est votre soeur et votre Souveraine ;
Four votre sûreté j'adoucissois sa haine ;
Mais les Dieux vont enfin vous ouvrir leur séjour
Et vous ne craindrez plus une foible Mortelle ;
Je vais marquer au Ciel votre place nouvelle.
Le Soleil remonte aux Cieux , au grand
regret de la tendre Leucothoé . Elle fait
un. Monologue par lequel elle exprime
le desir empressé qu'elle a de revoir l'ob
jet de son amour.
Clytie vient faire avec elle une Scene
de dissimulation ; elle lui fait entendre
qu'elle ne songe plus au Soleil par ces
quatre Vers:
Pour rappeller un infidelle ,
Devons- nous perdre des soupirs ?
C'est nous couvrir d'une honte nouvelle
Et du volage encor redoubler les plaisirs.
Elle ne laisse pas de faire sentir à sa RIvale
, qu'elle doit craindre le même sott
I. Kal. GAV qu'elle
1200 MERCURE DE FRANCE
qu'elle a éprouvés Leucothoé en est frappée.
Clytie lui dit de l'aller attendre au
Temple , où elles se jureront une amitiééternelle
; et de peur que le Public ne
prenne le change sur sa prétendue sincerité
, elle l'instruit de ses vrais sentimens.
par ce Vers :
Rivale que je hais , tu cours à ton supplice .
1
Enone vient lui montrer comme un
dépôt précieux , le Vase empoisonné qui
doit donner la mort à sa soeur ; Clytie
s'applaudit de sa prochaine vengeance
elle apperçoit la clarté renaissante du Soleil
; c'est ce qui la détermine à aller pres
ser l'execution de son barbare projet.
Le Soleil descend des Cieux ; les Heures
qui forment sa Cour , forment aussi
la fête de cette premiere Entrée ; le So
leil y appelle les Babyloniens par ces quatre
Vers :
Peuples de ces climats , celebrez ma conquête ;.
Dressez- lui les premiers Autels ;
Plaisirs , Amours , à cette Fête ,
Interessez les Dieux et les Mortels.
Pendant que le Soleil ordonne tranquil
lement l'Apothéose de son Amante ; Ĉlytie
employe bien mieux des momens si
I. Vol. chers
JUIN. 1732. 1201
chers à sa vengeance ; il semble même
que le Soleil soit de concert avec elle ,
puisqu'il ne s'apperçoit de l'absence de
Leucothoé , que lorsqu'il n'est plus temps
d'empêcher sa mort ; voici quelle est sa
tardive reflexion :
Leucothoé devoit ici m'attendre ;
Qui peut la ravir à mes yeux ?
Cessez vos chants ; je ne puis les entendre ,
O Ciel ! en quel état me la rendent les Dieux.
Ce qui donne lieu à ce dernier Vers ,
c'est l'arrivée de Leucothoé empoisonnée
et expirante. Le Soleil ne reçoit plus
que ses derniers soupirs , et l'immortalité
que le Destin lui avoit promise pour elle,
se réduit à une métamorphose en l'Arbre
qui porte
l'encens.
LE TOUCHER. Seconde Entrée.
Le Théatre représente le Temple de
Proserpine , au milieu duquel est la Statuë
de Protesilas , Lardamie est aux pieds
de la Statue. Une Prêtresse de Proserpine
euvre la Scene par ces quatre Vers :
Digne fille de Cerès ,
Reçoi les voeux d'un coeur tendre ;
Que l'objet de nos regrets ,
Puisse aujourd'hui les entendre
J. Vola
G vj OFF
1202 MERCURE DE FRANCE
On voit bien que ce coeur tendre , c'èst
Laodamie , et que c'est Protesilas qui est
T'objet de ces tristes voeux. Après quelques
autres Vers chantez alternativement
par la Prêtresse et par les Choeurs, et animez
par des danses , Laodamie s'avance
sur le bord du Théatre , et expose le
sujet par ces. Vers.:
Illustre et cher Epour , non , non , la morg
cruelle ,
Ne sçauroit séparer nos coeurs ;
Tu respires encor dans ce Marbre fidelle ,
Qui trompe et nourrit mes douleurs ;
Je le touche, l'embrasse , et crois que j'y rap
pelle,
La vie , et nos chastes ardeurs.
Illustre et chér Epoux , &c.
Diomede , qui a quitté le Siege de Troye,
pour apporter à Laodamie l'épée et le
Diadême de Protesilas , tristes restes d'un
si cher Epoux , tâche de consoler cette
Reine gémissante ; il ne s'en tient pas à
de simples complimens de condoleance ,
un plus pressant motif l'a arraché au devoir
que sa gloire et ses premiers sermens
lui imposaient; c'est l'amour qu'il avoit
conçu pour Laodamie , avant la mort de
Protesilas ; cette Epouse inconsolable est
si surprise et si irritée de l'aveu qu'il lui
en fair , qu'elle s'écrie :
JUIN.
1203
1732.
Qu'entends-je ? quels discours ! ô Ciel ! le puisje
croire
Respectez-vous si peu mon amour et ma gloire
Diomede s'excuse du mieux qu'il peut;
mais voyant qu'il attaque un coeur plus
difficile à emporter que la Ville de Troye;
il renonce à la conquête que son amour
s'étoit proposée , pour retourner à celle
que lui présente sa gloire..
Après de nouveaux regrets ' de Laodamie
, dont Proserpine est enfin touchées
cette Reine gagne tout , quand elle croit
tout perdu ; un orage soudain qui fait
trembler la terre sous ses pas , et qui est
suivi de la foudre , abîme là Statuë de som
cher Epoux ; ce nouveau malheur l'acca
ble , et lui fait dire :
O Dieux ! ce Monument d'une flamme si belle
Devoit-il de la foudre attirer les éclats ?
J'ai tout perdu ; je languis , je chancelle ;
Le jour fuit ; j'entrevois les routes du trépas !
Elle tombe évanouie. Heureuse pamoi
son ! c'est dans ce même moment que
Proserpine sort des Enfers avec Protesilas
, à qui elle dit : ."
Ouvre les yeux à la clarté celeste ;
Triomphe de la Mort , c'est le prix de tes feux- ;-
L. Vol
Bour
1204 MERCURE DE FRANCE
Pour Admete autrefois j'ai fait revivre Alceste ;
Tendre Epoux , je te rends à l'objet de tes voeux.
La Scene entre Laodamie revenuë de
son évanouissement , et Protesilas ressuscité
, a paru très - touchante ; on n'a pas
bien compris comment cette Entrée peut
convenir au toucher ; il n'est prequé question
de ce Sens que dans ce Vers que nous
avons cité au sujet de la Statuë de Marbre :
Je le touche , l'embrasse , et crois que j'y rappelle
La vie et nos chastes ardeurs , &c.
Mais ce n'est point là , dit- on , ce qui
a ressuscité Protesilas ; c'est la bonté de.
Proserpine ; il est vrai que l'Auteur a prétendu
encore nous parler du toucher dans
ces Vers que Laodamie dit à Diomede :
Voilà de mes plaisirs et l'objet et le gage :
Dans ces embrassemens je goute mille appas ;
Vous voyez dans ces traits sa fierté , son courage
;
Sa flamme dans ses yeux ne brille-t'elle pas à
Il semble de mon coeur entendre le langage,
Il semble qu'il me tend les bras.
Tout cela (continuënt les Critiques ) nous
parle bien du toucher ; mais ce qu'on nous
en dit ne rend pas la vie au Héros de
I. Vol. Laodamie..
JUIN. 1732. 1205
Laodamie. Apparemment que l'Auteur a
eu ses raisons pour ne pas tirer son allegorie
plus au clair ; imitons sa sagesse.
Les Ombres heureuses de la suite de
Proserpine , forment la Fête de cette Entrée,
la Musique en a paruë très- touchante
, mais plus convenable , dit - on , à une
Tragédie qu'à un Ballet.
LA VUE. Troisiéme Entrée.
Le Théatre représente une vaste Campagne
, bornée par des Côteaux fleuris.
Čet Acte a paru un des plus picquants
qu'on ait vûs dans ce genre ; on auroit
souhaité que tous ceux qui forment ce
nouveau Balet fussent sur le même ton..
L'Amour et Zephire exposent le sujet ; la
Dile le Maure représente l'Amour , et la
Die Petitpas fait le Rôle de Zephire . Jamais
exposition de Piece n'a été si generalement
applaudie ; les deux voix qui la
font sont des plus belles qu'on puisse entendre;
la premiere n'eut jamais tant d'éclat
, et l'autre a l'avantage de se soutenir
à côté de son inimitable concurrente,
et de partager les suffrages avec elle. L'Amour
à quitté son bandeau pour la pre
miere fois ; voici comment il explique-
P'impression que les couleurs font sur ses
yeux .
L. Vol. Mes
T206 MERCURE DE FRANCE
Mes yeux qu'un voilé épais a si long- temps cou
verts ,
S'ouvrent enfin à la lumiere ,
Cher Zephire , je crois voir naître l'Univers;
Je crois que le Soleil qui colore les Airs ,
Commence pour moi sa carriere .
Zephire l'exhorte par ces Vers à bien
user de la faveur que les Dieux viennent
de lui accorder , en lui donnant le précieux.
usage de la vûë.
Songe à quel prix les Dieux t'accordent ces bienfaits.
Amour , quand ta main témeraire ,
Fait voler au hazard tes flammes et tes traits ,
Ton bandeau sert d'excuse aux maux que tu peux
faire ;
L'excuse cesse desormais ;
C'est pour le bien des coeurs que le Destin t'éi
claire.
Dans la suite de cette Scene qui se sou
tient du commencement à la fin , l'Amour
fait entendre qu'il aime Iris , voici
comment il s'exprime :
·
C'est entre la Terre et les Cieux ,
Que brille l'objet qui m'enchante :
Son Trône est un Arc radieux ,
Et toutes les couleurs qui séduisent les yeux ,
L. Kol. Forment
JUIN 1207 17320
Forment sa parure éclatante ; ´´
C'est sur son front serein qu'on voit regner les
jeux ;
Sa presence toujours chérie et bienfaisante ,
Dissipe en un moment les orages affreux ;
C'est Iris , de Junon l'aimable Confidente.
A cet aveu Zephire cesse de craindre
d'avoir un Rival tel que l'Amour ; lés
ailes que le Destin leur a données à tous
deux , et d'autres traits de ressemblance
lui faisoient appréhender que Flore
ne le prit pour lui ; l'Auteur a imaginé
cette ressemblance , pour faire une Scenetrès-
jolie entre l'Amour et Iris . Zephirequitte
l'Amour pour aller prévenir Flore
sur cette ressemblance dont elle pourroit
être abusée.
L'Amour fait un beau Monologue.
sur les sentimens de son coeur , en voici
les quatre premiers Vers :
Enchantez mes regards , objets délicieux ,
Vous me dédommagez du séjour du Tonnerre ;-
Brillez , naissantes fleurs , vous êtes à la Terre ;.
lés Astres sont aux Cieux.
Ce
que
Cette Scene est interrompue par un
orage qu'Iris vient dissiper ; elle paroît
sur l'Arc- en- Ciel , ce Trône radieux n'a
1. Vol jamais
1208 MERCURE DE FRANCE
jamais paru avec plus d'éclat . Voici le
premier compliment que lui fait l'Amour"
qu'elle prend pour l'inconstant Zephire.
Triomphez, belle Iris , tout ressent vos attraits ,
Et vos regards sont des beaux faits :
Vos couleurs font pâlir l'Aurore ;
Le Soleil éblouit , votre éclat est plus doux,;
Air , la Terre et les Cieux, tout s'embellit par
vous.
La Versification du reste de cette Scene
répond à ce gracieux début . Iris prenant
l'Amour pour Zephire , le renvoye
à Flore , l'Amour est prêt à la détromper
, mais il en est empêché par la brusque
irruption d'Aquilon , son impetueux
Amant.On auroit souhaité pour rendre cet
Acte plus parfait que la Scène de déclaration
n'eut pas été interrompuë ; la reconnoissance
qui ne vient que dans une autre
Scene , auroit été plus vive et il n'étoit
pas difficile de la filer avec art.
Zephire suivi de la Cour de Flore vient
faire le divertissement de cette troisiéme
Entrée : cette Fête est des plus riantes .
Nous ne parlerons point icy de la quatriéme
ni de la cinquième Entrée, qui caracterisent
les sens de l'Onie et du Goût ;
I. Vol
nous
JUIN. 17320 1209
les
nous en rendrons compte quand elles auront
été mises au Théatre , et nous ferons
part
à nos Lecteurs des Observations du
Public , dont nous ne sommes que
Echos , quand il aura prononcé sur les
beautez et les deffauts qui peuvent se
trouver dans cet ouvrage.
Au Prologue, la DileErremans,le S* Chassé
et le Sr Dumast remplissent les Rôles.
de Venus , de Jupiter et de Mercure.
Dans la premiere Entrée de l'Odorat, les
trois principaux Rôles de Lencothoé , de
Clitie et du Soleil , sont tres bien remplis.
par les Diles Lemaure et Antier , et par
le S Tribon.
Les Rôles de Laodamie , de Proserpine ,
de Protesilas et de Diomede sont parfaite
ment joüez par les Dules Pelissier et Julie ,
les S Chassé et Tribon :
et par
Les Rôles d'Iris et d'Aquilon , à la 3 *
Entrée, sont remplis par la De Erremans,
et par le St Dun. Nous avons déja nommé
les Diles Lemaure et Petitpas , en parlant
de l'Amour et de Zéphire. Le triomphe
de cette premiere est complet ;
il semble que le public n'ait des yeux et
des oreilles que pour elle.
Le dessein du Ballet , composé par le
S¹ Blondi , a été trouvé fort ingénieux et
I. Vol.
très1210
MERCURE DE FRANCE
tres -bien caracterisé , il est exécuté dans
la plus grande perfection , par les meilleurs
sujets de l'Académie . La Dile Ferret
danse dans le Prologue ; les S Dupré
Laval et la De Salé , dans la premiere Entrée
; les Srs Dumoulin et Maltaires dans
la seconde , et les Srs Laval , Dumoulin et
Ja Dile Camargo dans la troisiéme .
On mande de Londres qu'on y devoft
représenter un nouvel Opéra , intitulé :
La Restauration ou Rétablissement du Roy
Charles II. sur le Thrône , ou la Vie et la
Mort de Cromwell ; mais les Ministres du
Roy l'ayant fait examiner , on a jugé à
propos d'en deffendre la Répresentation .
Le Dimanche 8 de ce mois , les Comédiens
François donnerent la premiere Représentation
d'une Piéce de M' de Marivaux
, sous le titre des Serments indiscrets,
en Prose et en 5 Actes. Elle a été interrompue
par la maladie d'un Acteur. Nous
en parlerons plus au long.
Le Lundi 16 Juin , les mêmes Comé
diens donnerent une petite Piéce d'un
Acte en Vers,intitulée : Le Procès des Sens.
C'est une Critique fine , délicate et vive ,
du Balet des Sens qu'on joue à l'Opéra .
Elle a un tres- grand succès. Nous ne man-
L. Vol. querons
JU IN. 2TI 1732.
1
querons pas d'en rendre compte à nos Lecteurs
, dans le second volume de ce mois
actuellement sous presse.
***** XXX:XXXXXXX
NOUVELLES ETRANGERES.
LA
TURQUIE , ET PERSE.
A Paix entre le G.S.et le Roy de Perse ayant
été ratifiée , les Turcs ont évacué les Places
rendues aux Persans , qui commencent a jouir, de
cette précieuse tranquillité que la révolution et
les troubles avoient bannie de ce Puissant Royaume,
où toutes les Manufactures d'Etoffes de Soye
se rétablissent.
On mande de Constantinople qu'il y étoit ar
rivé au mois de Mars dernier , un Navire Anglois
richement chargé , dont le Capitaine avoit
donné une féte à l'Ambassadeur du Roy d'Angleterre
; que cette Ambassadeur sortant vers les
dix heures du soir de ce Vaisseau , pour retourher
à son Hôtel, le Capitaine l'avoit imprudemment
fait saluer de 15 coups de Canon; que cette
Salve faite contre les anciennes deffenses , vers la
pointe du Sérail , y avoit porté l'épouvente , et
qu'on l'avoit prise pour le signal d'une nouvelle
Révolte dans la Ville ; que le Gr. Viz.et les principaux
Officiers du Sérail étoient monté d'abord
à cheval pour faire mettre les Troupes sous les
Armes; mais qu'ayant appris que tout étoit tranquille
, il étoit revenu rendre compte au G. S.
de ce que les Officiers du Port lui avoient rap-
L. Vol.
porté
1212 MERCURE DE FRANCE
porté , que le lendemain ce premier Ministre
avoit mandé l'Ambassadeur d'Angleterre ; mais
que sans lui donner Audience , il avoit déclaré à
un Drogman de la Nation Angloise , que le
Lord Kinnoul ne seroit plus regardé comme
Ambassadeur.
LETTRE écrite de Constantinople , le
6 et le 14 Mars 1732. contenant la suite
des nouvelles de Turquie et de Perse.
LA
A Victoire complete que les Turcs rempor
terent au mois de Septembre dernier devant
Amadan , sur l'armée Persanne , où Chah- Tahmas
étoit en personne , et la prise de cette Place
et de plusieurs autres, qui furent autant de suites
glorieuses de cette Victoire , avoient si considérablement
diminué les forces de ce Prince , que
voulant prévenir la perte totale de ses Etats, dont
il étoit menacé, s'il continuoit la Guerre , il résolut
de faire des tentatives auprès de ses Ennemis
pour en obtenir la paix. Il y eut d'abord des
propositions d'accommodement faites de sa part ,
a Achmet Pacha , Séraskier ou General de l'Armée
Othomane , et Gouverneur de Babilonne
qui donnerent lieu le 20 Novembre suivant , à la
tenue d'un Conseil general , à la Porte , où l'on
examina plusieurs Lettres , qu'un Courier de ce
Pacha avoit apportées la veille. Il marquoit par
la sienne au G. V. que Chah - Tahmas lui avoit
écrit et envoyé l'Itimadil- deulet , c'est - à- dire ,
son premier Ministre , pour entrer en négociation,
Cette Lettre et trois autres du Roy de Perse ,
dont elle étoit accompagnée, l'une pour le G.S.
1. Vol. dans
JUIN. 1732. 1213
s laquelle Chah - Tahmas lui demandoit la
avec instance ; l'autre pour le G. V. et la
siéme pour Achmet Pacha ; ayant été lûës
présence de tous les gens,de Loy , des Chefs ,
Milices et des principaux Ministres ; et les
litions que ce Prince y proposoit , ayant été
ées de toute l'assemblée , on convint unaement
de les accepter ; et le Sultan, par l'avis
Mufti , dépêcha , en conséquence , un de ses
aiers Officiers , avec des plein - pouvoirs pour
met Pacha , qui le rendoit le maître abde
régler la paix , de la maniere qu'il le juit
à propos ; lui faisant seulement observer
comme Chah-Tahmas n'avoit pas toujours
Fort religieux à exécuter les promesses qu'il
tcy devant faites à la Porte , il convenoit
conservât assez de Troupes sur les Frontiepour
faire tête aux Persans , en cas de be-
Cette précaution étoit d'autant plus raison-
, qu'on assure que Chah- Tahmas même ,
la Lettre qu'il avoit écrite à Achmet Pacha,
conseilloit de la prendre , parce que ne se
ant pas assez - bien affermi sur le Thrône , il
gnoit de ne pouvoir pas également contenir
les Seigneurs Persans , dont il prévoyoit
quelques- uns seroient capables de continuer
hostilitez sans son consentement , et malgré
ordres les plus positifs.
ette résolution de la Porte s'étant divulguée,
indit une joïe universelle dans le public , er
cun se persuada , parce qu'il le souhaitoit ,
dès - lors on alloit mettre les Armes bas de
et d'autre. Cependant le 22 Decembre , au
nd étonnement du peuple , on entendit tirer
la pointe du jour le Canon du Sérail , ce qui
repeté à midi , l'après - dîné , et les deux jours
I. Vol. sui1214
MERCURE DE FRANCE
*suivans, aux mêmes heures , et l'on apprit qu'Ali
Pacha , Seraskier de la seconde Armée Turque ,
s'étoit emparé de l'importante Place de Tauris et
de tout son district . Un surcroît de Conquêtes
si considérables mettant les affaires des Ottomans
en beaucoup meilleure situation qu'elles n'étoient
quand Chah Tahmas fit ses propositions de
Paix , lé G. S. se crut en droit de ne la faire
qu'à des conditions plus avantageuses ; et se repentit
d'avoir donné des pouvoirs trop étendus à
Achmet- Pacha , à la sollicitation du Mufti.
-
Sa Hautesse dépêcha aussi - tôt un Courrier à
ce Gouverneur , par lequel elle lui mandoit de
se prévaloir des nouveaux succès qu'avoient eu
ses Armes , et sur tout de ne se point relâcher
sur la possession des Province et Ville de Tauris
, dans le Traité auquel il travailloit avec le
Roy de Perse ; mais le 7 du mois passé il arriva
deux Courriers , l'un de cette place , et l'autre de
Babilonne. Par celui- ci , Achmet - Pacha apprenoit ,
qu'il ne pouvoit plus se flatter de conclure la
Paix , à moins que Tauris et ses dépendances ne
fussent restituées aux Persans ; et par l'autre,Ali-
Pacha marquoit que si l'on rendoit Tauris à
Chah-Tahmas , il étoit à craindre , malgré le
consentement qu'y donneroient les Officiers de
l'Armée , que la Soldatesque ne se portât à quelque
mutinerie.
Des circonstances si opposées , jetterent la
Porte dans un grand embarras. Le Sultan fit
convoquer sur le champ un Conseil general devant
lui ; et quand il fut assemblé , le G. V. pour
sonder les esprits , après avoir discuté la situation
des affaires en Perse , demanda s'il falloit
faire la paix, ou non. Tous les avis se réunirent
d'abord pour l'affirmative ; mais quand il vint
I. Vol.
à
JUI N. 1732 1215
l'exposition des articles, dont le principal étoit
la restitution de Tauris , chacun garda un profond
silence ; ce que voyant le G. S. il dit aux
assistans , qu'il leur donnoit deux jours pour refléchir
murement sur une affaire de si grande
conséquence , et leur ordonna de venir ensuite
lui communiqner ce qu'ils en penseroient , en
toute liberté .
Le 9 , le Conseil s'étant rassemblé , et la matiere
ayant été de nouveau agitée , l'avis le plus
general fut , qu'il ne falloit faire la Paix qu'à
Gondition que Tauris resteroit à l'Empire Othoman
, et que si Chah - Tahmas s'obstinoit à en
exiger la restitution , il valloit mieux continuer
la Guerre. Quoique ce ne fut pas le sentiment du
G. V. il eut ordre de faire de nouveaux préparatifs
de Guerre,et le G.S. dépêcha son ( a)Bach-
Chokadar au Pacha de Babilonne , et un Offi
cier de confiance àAli- Pacha. Ces deux hommes,
sur les lumieres et la fidelité desquels le Sultan
se reposoit , furent expressément chargez de s'informer
avec soin du véritable état où étoient
les Armées Turques et Persannes , et de prendre
une connoissance exacte de toutes choses , parce
que Sa Hautesse avoit conçu de violens soup
gons contre Achmet Pacha , et qu'elle appréhendoit
, comme on le lui avoit déja insinué , que ce
Séraskier ne se fut laissé séduire par les présens
de Chah- Tahmas. En effet, ces soupçons paroissoient
d'autant mieux fondez , qu'Achmet Pacha
dans toutes les Lettres qui avoient précédé sa
derniere , bien loin de parler de rendre Tauris
aux Persans , avoit toujours mandé au contraire ,
qu'ils en passeroient par tout ce qu'on voudroit
( a ) Maitre de la Garderobe.
1. Vol. exiger
H
1216 MERCURE DE FRANCE
exiger d'eux ; et ce qui fit depuis encore présmer
qu'il pouvoit y avoir quelque chose d'équivoque
dans la négociation de ce Pacha, c'est que
23 de ce même mois un de ses Officiers arriva
à Constantinople avec la nouvelle que la Paix
étoit faite , et qu'il étoit convenu avec Chah-
Tahmas de lui ceder les Ville et Province de
Tauris.
le
Le lendemain le Mufti Pasmadgi- Zadé, ressentit
le premier effet que produisit certe nouvelles
le G. S. piqué d'avoir , à sa persuasion ,
donné au Pacha de Babilonne des pleins pouvoirs
pour conclure et signer la Paix , le déposa et l'éxila
(d'abord à Synope , Ville et Port de la Mer
noire ; ensuite ayant témoigné qu'il souhaiteroit .
de faire le pelerinage de la Mecque , Sa Hautesse
y consentit , et lui fit pourtant donner un
Chiaoux pour le garder et le conduire jusqu'en
Egypte ; mais cette nouveautéa yant blessé la délicatesse
des Gens de Loy , ils intercederent si
puissamment en sa faveur auprês du G. V. que
ce Ministre oubliant tous les sujets de mécontentemens
que Pasmadgi - Zadé lui avoit donnez, lui.
ôta ce Garde, et le laissa librement partir avec son
Harem , ou maison de ses Femmes , et tous ses
effets . On dit qu'il doit passer quelque temps à
la Mecque , et de là venir demeurer à Damas
dont il sera fait Moullah ou Juge en Chef pour
le reste de ses jours. Il est peu regrété , parce
que Damad- Zadé , ancien Cadilesker , qui l'a
remplacé, a toutes les qualitez qu'il faut pour s'attirer
le respect , l'estime et l'amour du Public,
Le 25 , tous les Gens de Loy , et principaux
Seigneurs de l'Empire s'assemblerent à la Porte
shez le G. V, et allerent ensuite avec le nou-
I. Vol.
Yeau
JUIN. 1732. 1217
reau Moufti chez le G. S. ou le Conseil se tint.
Après qu'on y eut fait lecture du Traité fait par
Achmet Pacha, plusieurs des premiers de l'assemblée
suppliérent Sa Hautesse de vouloir bien
le ratifier , et sur tout Issac-Effendi , Cadiles ker
ou Juge suprême d'Asie , qui redoublant ses Ins
tances , representa avec force au Sultan , que s'il
désavoüoit un Traité qui n'avoit été conclu
qu'en vertu des pleins pouvoirs dont il avoit honoré
le Pacha de Babilonne , on n'auroit plus de
foy à sa parole Imperiale ; et que d'ailleurs ,
tout bien considéré, une Paix solide avec la Perse,
après une Guerre si longue et si onéreuse , étoit
préférable à l'acquisition de cent Villes comme
Tauris.
à sa
Le G. S. répondit que la ratification du Traité
dont il s'agissoit , ne pressoit point encore
qu'il n'y avoit que peu de jours qu'il avoit dépêché
son Bach- Chokadar à Achmet Pacha
pour lui signifier qu'il ne consentiroit jamais
faire la Paix qu'à condition que Tauris et ses dépendances
resteroient à la Porte ; qu'après une
déclaration si précise , il ne convenoit pas
dignité de changer si -tôt de sentiment , et qu'il
êtoit dans celui d'attendre le retour des deux personnes
qu'il avoit envoyées en Perse , avant que
de prendre , à cet égard , une résolution définitive.
Cette réponse judicieuse , ayant fait impression
sur toute l'assemblée , personne n'insista
plus , et l'on se sépara sans rien conclure.
Le 1 Mars , le G. S. qui vouloit , à ce qu'on
présume , conférer avec le Mufti , sur le désordre
arrivé la veille , lui envoya son premier
Asseki , et lui fit dire , avec une bonté qui fait
autant d'honneur à Sa Hautesse , qu'à ce venerable
vieillard , qu'ayant à l'entretenir , et voulant
I. Vol.
Hij lui
1248 MERCURE DE FRANCE
lui épargner la peine de venir jusqu'au Serail , id
avoit fait la moitié du chemin , et qu'il le prioit
de vouloir bien se rendre à Aina , Serrail ou Serail
des Miroirs , où il l'attendoit. Le Sultan fit
ordonner en même- temps au G. V. de convoquer
pour le lendemain à la Porte les Officiers
les plus considerables des Troupes , et les Gens
de Loy , dont la capacité est le plus en réputation
, pour former un grand Conseil en sa présence
, au sujet des affaires de Perse , et des Lertres
qui venoient d'arriver de ce païs - là.
Cette Assemblée s'étant faite chez le G.V.après
la priere du midy , il s'y tint une courte confe-
' Lence , ensuite de laquelle on se rendit chez le
Sultan , où le Conseil dura deux heures . Voici
quel en fut le résultat : Une partie des Conseillers
considerant les dommages infinis que lacontinuation
de la Guerre pourroit apporter à l'Empire
, opina qu'on ne pouvoit la terminer trop
tôt , et que sans s'opiniâtrer à vouloir conserver
tous les Païs conquis, il falloit approuver le Trai
té passé par Achmet Pacha , en y inserant les
dernieres conditions proposées par Chah - Tahmas
; le reste des Assistans soutint au contraire ,
qu'il falloit absolument rejetter l'article de la
restitution de Tauris , &c. parce que la possession
de cette conquête renfermoit en quelque fa
çon de seul avantage de conséquence , qui put un
peu dedommager la Nation de tout ce qu'il lui
en avoit coûté , et justifier aux yeux de l'Univers
la longue Guerre qu'elle avoit faite aux
chacun se fixant ainsi à son
Persans : Si-bien que
opinion , l'Assemblée se séparoit déja sans être
convenue de rien , lorsque le G. V. s'approcha
du Sultan , et lui dit , que son zele pour les interêts
de l'Empire ; et en particulier pour celui
de I. Vol.
JUIN. 1732. 1219
de Sa Hautesse , ne lui permettoit pas de lui rient
déguiser de ce qu'il sçavoit, et de ce qu'il pensois
dans une conjoncture aussi délicate , que celle de
faire la Paix , ou de continuer la Guerre ; que
l'Asie étoit entierément ruinée que sans faire
mention
de la quantité
de Troupes
qui péris
soient en Perse par la famine , et par les mala dies , aucune des conquêtes
qu'on y avoit faites , ne pouvoit produire un revenu suffisant à l'entre- tien des Garnisons
qu'on seroit obligé d'y mertre
; qu'il étoit sorti du Tresor un argent im- mense en pure perte , la Porte n'en ayant retiré aucun fruit ; qu'outre que par les raisons qu'il venoit d'exposer , il n'y avoit point de meilleur parti à prendre que celui de confirmer
la Paix faite par le Pacha de Babilonne
, l'honneur
et la
religion de Sa Hautesse y étoient particuliere- ment engagées , puisque ce Gouverneur
n'avoit
agi qu'en consequence
des pouvoirs sans limites , qu'elle lui avoit envoyez ; qu'enfin pour achever de vaincre la répugnance
qui paroissoit
que Sa Hautesse
avoit de ratifier ce Traité ; il la supplioit
de considerer
, que sur ce que les Troupes Othomanes
n'avoient pas voulu évacuer Tauris
Ali Pacha marquoit
par ses dernieres Lettres que Chah Tahmas offroit de payer â la Porte des sommes considerables
, pourvû qu'on lui rendic cette Place demantelée
, avec ses dependances
, et que cette espece de tribut auquel ce Prince se sou- mettoit de lui-même , seroit aussi honorable
et plus utile à l'Empire ,que la stérile gloire de pos- seder des Païs ruinez , dont on ne se priveroit
qu'en faveur d'une Paix qui étoit devenuë absolument
necessaire
par toute sorte d'endroits.
Le G. S. touché de ce discours , fit rappeller
l'Aga des Janissaires , qui avoit déja quitté le
L. Vol. H iij
Con1220
MERCURE DE FRANCE
Conseil , ainsi que plusieurs autres , er luj, dit
que voulant bien déferer au sentiment du Visir
il falloit qu'il fit partir le ( a) Tourmadgi-Bashi
, pour aller joindre Achmet Pacha , et qu'il
dépêcha aussi un autre Officier de son Corps.
vers Ali-Pacha , qu'ils n'avoient qu'à venir pren
dre ses ordres qu'on alloit leur expedier.
Ces ordres , à ce qu'on rapporte , contenoient
en substance , que plusieurs Conseils ayant été
tenus en presence de Sa Hautesse , au sujet du
Traité conclu depuis peu entre Achmet- Pacha
et le Roy de Perse , elle n'avoit pas d'abord voulu
consentir à ce que Tauris et ses dépendances
fussent remises à ce Prince ; mais qu'à la priere
de tous les Grands de son Empire , et par complaisance
pour ses peuples , qui désiroient la Paix,
elle se déterminoit enfin à se relâcher des droits
que lui donnoient ses Armes victorieuses ; c
qu'ainsi à l'arrivée de ses Commandemens , ong
eu à les faire lire en public , et à se mettre en
état d'y obéir , en retirant de la place de Tauris
et de son district toute l'Artillerie , et generalement
toutes les Munitions , et tous les effets appartenans
aux Garnisons , qui après la démolition
de la Citadele de Tauris , sortiront de cette
Ville , et se retireront à Erivan jusqu'à nouvel
ordre , enjoignant à Achmet- Pacha de faire escorter
ces Garnisons , afin qu'elles ne puissent
être insultées , ni souffrir aucun dommage sur
leur route de la part des Persans.
Le G. V. Topal Osman Pacha fût déposé
avant hier matin , 12 Mars , malgré tout son mé
( a ) C'est un des principaux Officiers des Janis
saires , qui est d'ailleurs comme le grand Vencur
du Sultan.
I. Vol.
rite
JUIN. 1732 , 1221
rite , et envoyé sur le champ à Cadi-Quevi , on
à Calcedoine , d'où il partit hier en poste avec
peu de monde , pourse rendre à Trebizonde, dont
on lui a donné le Gouvernement ; le reste de ses
Gens s'est embarqué avec tous ses effets , pour
Faller joindre. On ne sçait pas bien encore la
cause de sa disgrace , ni qui sera son Successeur,
En attendant Ali - Pacha Tetferdar, ou grand Tresorier
, a été nommé Vekil , ou Délegué , pour
faire les fonctions de Grand Visir .
Quelques affaires de commerce ayant retardé
le départ du Bâtiment qui doit porter cette Lettre
, je profite de cette prolongation ; pour ajoû
ter , aujourd'hui 14 Mars , encore quelques faits,
qui seront une nouvelle preuve de mon exactitude.
Le 3 Octobre , le Marquis de Villeneuve ,
Ambassadeur de France , eut sa premiere Audience
du nouveau G. S. où les choses se passerent
à l'ordinaire. Le 17 S. E. porta au G. V. les
Lettres du Roy pour le Sultan et pour son Premier
Ministre , à l'occasion de l'avenement de
S. Hautesse à l'Empire.
Le 21. le Commandement Imperial fut déli
vré , portant la permission de rebâtir les Monasteres
et les Maisons des Religieux de Galata , qui
avoient été détruites par l'Incendie du 21. Juillet
; non seulement ces Maisons sont solidement
rebâties et occupées à present , mais encore presque
toutes celles des Particuliers que cet embra
sement avoit consumées .
Le 30. Novembre, Chahim Mehemet , Capitan
Pacha , qui avoit été cy - devant Jannissaire- Aga,
et ensuite avoit fait les fonctions de G. V. par
interim , pendant 12..jours , depuis la déposition.
d'Ibrahim-Pacha , jusqu'à l'installation de Topal
VI. Vol. Hiiij Osman
1222 MERCURE DE FRANCE
Osman Pacha , fut déposé et envoyé Pacha à la
Cavée..
Le 31 Marabou Capitan , Capitaine du Port
de Constantinople , qui avoit fait les fonctions
de Capitan- Pacha depuis la déposition de Cháhim-
Mehemet , fut élevé à cette dignité.
D'autres Lettres confirment la déposition du
G. V. et que le G. S..l'avoit fait conduire à Salonique
, par un Détachement de Spahis , et que
le Tetferdar de la Cour avoit été nommé pour
exercer cette Charge importante jusqu'à l'arrivée
du Bacha de Babylone , à qui elle est destinée.
Ces Lettres ajoûtent qu'il y avoit encore quel
ques Assemblées tumultueuses dans differens
quartiers de Constantinople, et qu'il y avoit beaucoup
de mécontens dans l'Armée de Perse , qui
se plaignoient hautement de ce qu'on avoit promis
de rendre la Ville de Tauris au Roy de Perse ;
que le Pacha qui y commande , avoit déclaré qu'il
n'en sortiroit qu'en vertu d'un ordre signé de la
main du G. S. et que S. H. avoit dû assembler
le grand Divan deux ou trois jours après le départ
du Courier , pour déliberer sur les moyens
d'achever de rétablir la tranquillité dans l'interieur
de l'Empire.
On inande en dernier lieu de Constantinople
qu'on y avoit découvert une conspiration contre
le G. S. qu'on vouloit déposer pour mettre sur le
Trône le Sultan son oncle qui fut déposé l'année
derniere, et que S. H avoit fait punir de mort les
principaux Conjurez . On ajoute que le dernier
G. Visir déposé avoit été fait Pacha de Widin ,
et que le Pacha de Babylone , nommé pour le
remplacer , et qu'on attend incessamment , étoit
fort aimé de la Milice et du Peuple.
.. I. Vol.
RUSSIA
JUIN.
17326 1223
LMcckelbourg
RUSSIE.
A Czarine a abandonné à la Duchesse de
Meckelbourg sa soeur, la pension qui lui a été
constituée sur le Duché de Curlande pour son
douaire et les autres droits qu'elle peut avoir sur
ce Duché.
S. M. Cz . a fait choisir dans ses Régimens.
d'Infanterie 30. Soldats des plus grands et des
mieux faits , pour envoyer au Roy de Prusse ,
qui les lui avoit demandés pour ses grands Gre
nadiers.
Il a été résolu dans le dernier Conseil de
guerre , d'entretenir 4000. hommes dans les
Provinces cedées par la Couronne de Suede , y
compris les Troupes qui sont en quartier dans la
Curlande , et qui resteront malgré les représen
rations du Roy et de la République de Pologne..
Le nouveau Serment qu'on fait prêter dans les
Provinces , par rapport aux dispositions secrettes .
de la Czarine , pour la succession au Trône , cause
bien des mécontentemens , et on a envoyé ordie
aux Commandans et aux Gouverneurs de faire
arrêter tous ceux qui refuseront d'obéir, de quelque
rang et de quelque condition qu'ils puissent être..
On ne parle plus du Traité particulier de Com
merce qu'on disoit avoir été signé avec le Roy
de Perse , mais on a sçû que ce Prince avoit faite
assurer tous les Marchands Moscovites qui sont
dans ses Etats , qu'il confirmeroit les Privileges.
que Roy son pere leur avoit accordez ; qu'om
ne leveroit dorénavant sur leurs Marchandises
que les anciens droits d'Entrée et de sortie , et
qu'il avoit fait choix d'un des principaux Offi
ciers de sa Cour , pour l'envoyer en Ambassade:
le.
I.. Vol
Hy Come
1224 MERCURE DE FRANCE
complimenter la Czarine sur son avenement au
Trône.
Les Ambassadeurs de la Chine qu'on attendoit
depuis long-temps , arriverent à Petersbourg le
5. de May. Le 7 ils y firent leur Entrée publique
et le 8. ils eurent leur premiere Audience publique
de S. M. Cz .
DE POLOGNE.
y Es Lettres de Mittau portent que le bruit
LES
couroit que la Princesse Epouse du Duc Ferdinand
de Curlande , étoit grosse , mais que le
Prince son Epoux ne l'avoit pas encore déclaré
publiquement..
Il y a eu une émotion populaire à Bichow , à
l'occasion d'une Eglise des Grecs , dont les Catholiques
de cette Ville se sont emparez . Les deux
partis ayant pris les armes , il y a eu plusieurs .
personnes de tuées de part et d'autre..
Le Roy a fait dresser un compte exact de tou
tes les sommes qu'il a tirées des Etats d'Allemagne
pour les besoins de ce Royaume , ce qui fait
croire que S. M. s'est proposée d'en demander le
remboursement à la République..
OFF
ALLEMAGNE.
N assure que les Concurrens l'Evêché
pour
et Electorat de Mayence sont , l'Electeur de
Treves , l'Evêque de Wurtzbourg et de Bamberg
son neveu , et le Comte de Brettenach , Chanoine
de Mayence, Cette Election est fixée au 9. du
mois de Juin.
On écrit de Belgrade , que M. de la Torre ,
Evêque de cette Ville , avoit pris possession le-
I. Vol . premier
JUIN. 7732 1225
premier May de cet Evêché nouvellement érigé
: qu'il avoit celebré la Messe dans la nouvelle
Eglise Cathédrale , et que sa reception s'étoit faite
au bruit d'une salve generale de l'Artillerie et
d'une décharge de la Mousqueterie des Régimens
de Marulli et de Ligneville.
Le Duc de Lorraine , qui prêta Serment le 22 .
de May , entre les mains de l'Empereur , en qualité
de Viceroy d'Hongrie et des autres Provinces
qui en relevent, ayant pris congé de L.M.Imp.
partit le 28. au matin pour aller faire sa priere à
l'Eglise de Marienzell en Stirie , d'où il se rendra
au neuf Schomborn , Terre qui appartient à l'Evêque
de Ramberg er de Wurtzbourg ; et après
y avoir passé quelques jours , il ira a Presbourg
prendre possession de sa Viceroyauté.
Le Comte de Corsinski , Chambellan de l'Empereur
et Premier Conseiller de la Cour de Bo--
heme , a été nommé pour assister en qualité de
Commissaire de l'Empereur à l'Election de l'Evêque
de Breslaw , qui doit se faire le 14. de
Juin. Celle de l'Evêque de Worms est fixée au
18. du même mois.
L'Imperatrice Amélie ayant prié l'Empereurde
la dispenser d'accepter la Régence de la Ville
de Vienne , que S. M. Im. lui avoit offerte pen
dant son absence , l'Empereur l'a donnée à l'Archiduchesse
Marie - Magdeleine sa soeur , et il a
nommé le Cardinal Archevêque de Vienne et le
Comte de Kevenbuller , pour l'aider de leurs
conseils .
*
On mande de Dusseldorp , que tous les Com
mandeurs qui ont voix déliberative dans le Chapitre
de l'Ordre Teutonique , avoient été invitez
à se rendre incessamment à Mergeinthem pours
assister à l'Election d'un Grand- Maître de cer
1 Vol Hv Ordre
1226 MERCURE DE FRANCE
Ordre , et que les Maisons de Baviere et Palatine
agissoient de concert pour faire élire le Prince
Théodore de Baviere.
L'Empereur et l'Imperatrice partirent le 274
May , vers les 5. heures du matin du Château de
Laxembourg , pour se rendre aux Bains de Carelsbadt
: L. M. Imp . dînerent à Hollabrun , et
coucherent à Pulcaw : le 28. elles dînèrent à
Frotting et coucherent à Zlabrig , le 29 elles
coucherent à Tabor , et arriverent le 30. à Prague
, où elles ont passé trois jours ; ensuite elles :
ont continué leur voyage pour Carelsbadt , où,
après avoir séjourné 15. jours , elles reviendront
à Prague , d'où l'on croit qu'elles se rendront à
Lintz , pour y recevoir l'hommage de l'Archidu
ché d'Autriche.
Un Courier arrivé de Gennes , a apporté à
Vienne la nouvelle de l'entiere réduction des Rebelles
de l'Ile de Corse.
Les dernieres Lettres reçûës de Constantinople,
portent que M. Dahlman , Résident de l'Empe
reur , y avoir eu une Audience du Tetferdar , qui
exerce la Charge de G. V. jusqu'à l'arrivée du
Pacha de Babylone , que ce Premier Ministre l'avoit
assuré que Sa Hautesse persistoit toûjours
dans la résolution de vivre en bonne intelligence
avec S. M. Im. et qu'elle avoit donné ordre à un
de ses Ecuyers de faire conduire à Vienne les qua
tre plus beaux Chevaux de son Ecurie , pour en
faire présent à l'Empereur . On a appris depuis,
qu'en vertu des ordres du G. S. le Gouverneur de
Nizza avoit fait couper la tête au Consul Turc
parti de Vienne depuis quelques mois,
1. Volk ITALIB
JUI N. 1732. 1227
ITALIE.
no-
Ur la fin du mois dernier ,un Notaire Apos-
Stolique Convent tolique alla au Convent de sainte Praxede , notifier
au Cardinal Coscia , avec les formalitez or
dinaires , un Decret du Pape , par lequel il lui est .
deffendu de sortir de son Appartement jusqu'à ce
que son affaire soit entierement terminée . Malgré,
ces formalitez il reçoit les visites de plusieurs
personnes de consideration , et quelques Cardinaux
l'ont vû même incognito .
Le Prince Jacques Sobieski , pere de la Princes ,
se , Epouse du Chevalier de S. George , a fait remettre
au Mont de Pieté , des Joyaux de prix.
sur lesquels il a emprunté cent mille écus qui lui.
étoient necessaires pour rentrer dans quelquesunes
de ses Terres en Pologne .
Le Pape a approuvé avec beaucoup de plaisir la
proposition que lui a faite la Princesse Clementine
Sobieska , de faire venir de Paris six Religieuses
Ursulines , pour rétablir leur Regle dans les
Communautez Religieuses du même Ordre qui
sont à Rome.
!
7 .
Dans le Consistoire secret que le Pape tint le
Avril , Le Cardinal Otthoboni proposa l'Evêché
de Noyon pour l'Abbé de S. Simon , après
quoi il préconisa l'Evêque d'Arras pour l'Abbaye
de S. Vincent de Laon ..
Le bruit court que le Cardinal Coscia paroîtra
dans peu en habit court et sans cortege devant la .
Congregation de Nonnullis pour y etre interrogé,
et que quelques jours après son affaire sera terminée.
Le Pape a résolu d'employer à l'ornement de la:
Chapelle de sa Famille qu'il fait rebâtir dans l'EI.
Vol.
glise
1228 MERCURE DE FRANCE
glise de S. Jean de Latran , les belles Colomnes de
Marbre antique qu'on conservoit au Capitole, et
l'Urne de Porphire de l'Eglise de la Rotonde , qui
servoit a l'ancien Temple du Pantheon .
Le 17. du mois dernier le Capitaine Angelotti ,
Fermier du Tabac , fit present au Pape d'un Es--
turgeon que S. S. envoia sur le champ au Duc
de S. Aignan , Ambassadeur du Roy très Chrétien.
Le même Duc de S. Aignan a deffendu depuis
peu aux Ecclesiastiques qui desservent l'Eglise de
S. Louis des François, d'y donner azile à qui que
ce soit pour des crimes capitaux .
On écrit de Florence que le 25. Avril au soir ,
le Cardinal de Polignac alla à l'Audience de l'Infant
Don Carlos , chez lequel il fut reçû dans
l'Antichambre par le Marquis de Villafuerte.
S. A. R. le traita avec toutes les marques de distinction
imaginables, et le soir il lui envoya 50.-
Bassins de rafraîchissemens.
Le 26. Son Eminence alla au Palais du Grand
Duc ; il fut reçû à la Porte par le Chevalier Billotti
, dans l'Antichambre , par le Comte Pesenti ,
les Gardes étant en haye et sous les Armes. Le
Grand Duc , après s'être entretenu avec lui pen--
dant plus d'une demie heure , le fit reconduire
dans ses Carosses au Palais de l'Envoyé de France
, où on lui présenta de la part de ce Prince '
19. Corbeilles de rafraîchissemens.
Le 275 ce Cardinal visita l'Electrice Douairiere
Palatine.
On a appris depuis peu que ce Cárdinal étoit
parti de Florence , et qu'il étoit arrivé à Bologne,
où il avoit été traité magnifiquement par le Cardi
nal Grimaldi , Légat de cette Ville , et que S. E. atriva
le 19. May à Venise , où il avoit pris son
Vol
logement
JUIN. 17227 1229
logement dans le Palais de l'Ambassadeur der
France.
Les Lettres de Florence ajoûtent que le Corps
de S. Zenobe y avoit été exposé pendant trois
jours à la veneration des Fidelles , à l'occasion dela
maladie qui regnoit parmi les Bestiaux , et qui
diminue. considerablement depuis qu'il a tombé
de la pluye. Les Sauterelles font actuellement .
de grands ravages dans les Plaines de Pise . L'Ar
chevêque de cette Ville a ordonné des Prieres pu
bliques à ce sujet.
Le 21. May , il y eut à Livourne une Tempête
terrible , qui endommagea plusieurs Vaisseaux ,
et on ressentit l'après - midi six secousses de
Tremblement de terre , qui obligerent les habicans
de se retirer à la campagne ; elles ne cause--
rent pas beaucoup de dommage.
On mande de Gennes , que les Rebelles avoient
enfin déterminé leurs Chefs à se soumettre à la
République de Gennes ; qu'ils avoient donné des
ôtages,et qu'on étoit convenu de s'assembler dans
la Ville de Corte , Place située sur une Montagne
au milieu de l'Isle , près de la Riviere de Golo.
Les dernieres nouvelles reçues confirment les
premiers avis qu'on avoit eus de la résolution
prise par la plus grande partie des Rebelles , de se
soumettre à la République. M. de Rivarole qui a
été envoyé dans cette Isie en qualité de Commissaire
General , Y étant arrivé le 10. de May ,
et s'étant trouvé incommodé , le Prince Louis
de Wirtemberg alla le voir , et il eut avec lui
une longue Conference sur les moyens de réduire
les Rebelles , qui préviennent actuellement par :
leur soumission , ce qu'on pouvoit faire contre.
cux. Leurs Chefs Ciaccaldi , Çiafferi et Raffalli ,
sont venus se rendre ôtages pour tous ceux qui
I. Vola
par
T230 MERCURE DE FRANCE
par leurs conseils avoient pris les armes , e
M. de Rivarole les a envoyez dans un Château
où ils font gardez. Cette démarche des Chefs des
Rebelles a été suivie d'un grand empressement
de la part des Peuples qui habitent en deçà des
Montagnes , à quitter les armes pour mériter leur
pardon , et il y a lieu de croire que tous les Rebelles
qui sont au- delà des Montagnes , pren
dront bientôt le même parti. Le Prince de Culmbach
marche avec trois Bataillons et 200. Hussarts
pour s'avancer de ce côté - là , et se joindre
aux Troupes de la République , commandées.
par le Colonel Vela , lequel depuis qu'il a défait
un Corps de Rebelles près de Calcatoggio , en
voit arriver à son Camp un grand nombre qui
viennent. implorer la clémence de la République.
On a appris aussi que le Prince de Wirtemberg
étant persuadé que tous les Rebelles rentreront
incessamment dans leur devoir , se disposoit à
s'embarquer vers le 15..de Juin pour retourner à
Gennes avec toutes les Troupes Imperiales qu'il
commande .
On écrit de Naples , que l'un des Tigres que
L'Envoyé de Tunis conduisoit à Vienne pour
la Menagerie de l'Empereur , a rompu sa chaîne
et s'est échapé : on a appris depuis qu'il faisoit
beaucoup de ravage du côté du Milanez .
DE
SPAGNE,
Lêtre embarquées sur la Flote du Ray ,est ar-
A plus grande partie des Troupes qui doivent
rivée à Alicante, ainsi que l'Artillerie qu'on avoit
embarquée à Barcelone ; mais on doute que l'embarquement
general puisse se faire au commencement
de ce mois , comme la Cour Pavoit ré-
I. Vol solu...
JUIN. 1732 . 123.1
solu , parce qu'on n'a pas encore assez rassemblé
de Bâtimens de transport , quoiqu'on ait arrêté
tous les Navires étrangers qui étoient dans le
Port. On croit que tout cet armement est destiné
à faire le Siege d'Oran.
D'autres Lettres d'Alicante portent qu'on y avoit
commencé à embarquer so. Pieces de gros Canon
et 30. Mortiers , qu'il y étoit arrivé de Cadix
44. Bâtimens de transport ; qu'il y en avoit
près de 150. dans les autres Ports , et que ce
nombre n'étant pas suffisant , on y avoit envoyé
ordre d'arrêter tous les Vaisseaux étrangers , et
même ceux qui étaient chargez.
Le bruit court qu'on va fortifier par de nouveaux
Ouvrages la Ligne que le Roy a fait faire
en-deçà de Gibraltar , pour empêcher la contrebande
des Marchandises. d'Angleterre dans l'interieur
du Royaume , et qu'on va élever à l'une
des extrémitez de cette Ligne un nouveau Mole
qui s'étendra jusques dans la Baye , et dont l'Artillerie
pourra incommoder les murailles de la
Ville , en cas de guerre.
Le Roy a chargé son nouvel Agent à Londres,
de demander à la Compagnie de la Mer du Sud ,
un compte general du droit particulier que S. M.
s'est réservé par le Traité de l'Assicute , sur les
profits que cette Compagnie peut faire par som
commerce dans les Ports Espagnols de l'Amerique.
,
Le 18. Avril , un Pinque venant de Livourne ,
arriva à Barcelonne ; il fut attaqué le 16. au matin
, entre les Côtes de France et d'Espagne par
un Vaisseau Corsaire de 16 Pieces de Canon ,
de dix Pierriers et de 110. hommes d'équipage
parmi lesquels il y avoit trois ou quatre Renegats.
Les deux Bâtimens ayant commencé à se
I. Vol. Canonner,
1232 MERCURE DE FRANCE
-
canonner , M. Ant. Ferrer , Capitaine du Pinque ,
apperçut environ à deux lieues en Mer la Capi
tane des quatre Galeres du Roy, qui revenoit des-
Mers d'Italie , laquelle étoit commandée par le
Lieutenant General Don Michel Reggio. Ce General
, de son côté, ayant reconnu que le Corsaire
donnoit la chasse au Pinque Espagnol , fit
force de Voiles et de Rames pour le secourir , er
Payant joint en moins d'une demie heure , il fir
une décharge de toute son Artillerie sur le Vaisseau
Corsaire , dont le Capitaine fut tué avec sixhommes
de l'Equipage : le Lieutenant s'étant sauvé
dans la Chaloupe avec 20. Soldats , le Vaisseau
se rendit. On y trouva 87. Maures , parmi
Jesquels il y en avoit 22. de blessez , et 14. Es--
claves Chrétiens ; sçavoir 8. du Royaume de Va
lence , et 6. de Catalogue , qui furent mis en li
berté.
L
GRANDE BRETAGNE.
A Compagnie de la Mer du Sud a reçû de-
Seville la Scedule du Roy d'Espagne pour le
départ du Vaisseau qu'elle envoye tous les ans à
la Mer du Sud , et ce sera le Prince Guillaume ,
dont le nom est changé en celui de Royale Caroline
, qui fera cette année le voyage ; on commencera
incessamment à le charger , et il aura
pour Leste 80. Tonneaux de fer.
Le Comte d'Albemarle doit partir incessamment
pour Gibraltar , où l'on envoyera dans
peu
quelques Régimens de l'établissement d'Irlande
pour renforcer la Garnison de cette Place et de
celle de Port Mahon.
La Chambre des Communes ayant entendu le
rapport des affaires de la charitable corporation
et reconnu que plusieurs Commissaires , Assis-
I. Vol tans
JUIN. 1732. 1233
tans ou Agens de cette Compagnie , avoient malversé
, a passé un Bill , par lequel il est deffendu
au Chevalier Rob. Sutton , au Chevalier Baronet
Archibard Grant , à M. Denis Bond et à plusieurs
autres, de sortir du Royaume pendant l'espace
d'un an , ou jusqu'à la fin de la prochaine
Session du Parlement , leur ordonnant de four--
nir un Etat de leurs Biens et de leurs Effets , avec
deffenses d'en rien aliéner sans permission. Ce
Bill ayant été porté à la Chambre des Pairs , on
en a fait les deux premieres lectures.
Le Chevalier Sutton a obtenu depuis de la
Chambre des Pairs , la permission de faire en- ,
rendre ses Avocats pour sa justification , avant
que cette Chambre fit la derniere lecture du Bill ,
qui lui deffend de sortir du Royaume pendant un
an. It a communiqué aussi à la même Chambre
des Lettres de Rome , par lesquelles il a appris
qu'on y avoit arrêté et conduit au Château Saint
Ange , M. Jean Tompson , cy - devant Caissier
de la charitable Corporation , et qui s'étoit sauvé
d'Angleterre avec une grande quantité d'Effets ap
partenans à cette Compagnie.
La Chambre des Communes ayant lû depuis
la Traduction qu'elle a fait faire d'une Lettre da.
sieur Belloni , Banquier de Rome , contenant des
propositions faites par le même Jean Tompson ,
prisonnier à Rome , a déclaré que c'étoit un Libelle
insolent et audacieux , tendant à en imposer
au Parlement et à la Nation ; et comme tel 2
elle l'a condamné à être brulé par la main de l'E
xecuteur ; ce qui a été exccuté.
I. Vol
FRANCE
234 MERCURE DE FRANCE
7
***************
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c.
Lde Monseigneur le Dauphin , desi-
A Reine , qui depuis la Naissance
roit d'en aller rendre ses actions de graces
à Dieu , dans l'Eglise Cathedrale de
Chartres , dediée à la sainte Vierge , partit
de Versailles le 26 du mois dernier
pour se rendre à Chartres , étant accompagnée
de Mademoiselle de Clermont ,
Surintendante de sa Maison , des Dames
de sa Cour et de ses principaux Officiers.
Elle arriva le même jour au Château de
Rambouillet , où S. M. fut reçue par le
Comte et la Comtesse de Toulouse.
Le 27 la Reine , après avoir entendu
la Messe dans la Chapelle du Château ,
partit pour Maintenon , où le Duc de
Noailles la reçut : S. M. y dîna , et arriva
à Chartres vers les sept heures du soir.
Le Marquis d'Armenonville , Gouverneur
et Grand- Bailly de la Ville , accom
pagné des Maire et Echevins , complimenta
la Reine à la porte de la Ville et
lui en presenta les clefs. Les rues
par les-
I. Vol
quelles
JUIN. 1732 1235
quelles S. M. passa étoient tapissées , et
la Bourgeoisie y étoit rangée en haye et
sous les armes. La Reine alla descendre à
l'Eglise Cathédrale , devant laquelle S. M.
trouva les Gardes Françoises et Suisses en
haye et sous les armes. L'Evêque de Chartres
, revêtu de ses habits pontificaux, et
à la tête des Chanoines en chappe , reçut
la Reine à la porte de l'Eglise , avec les
céremonies accoutumées ; et après l'avoir
complimentée, et lui avoir présenté l'eau
bénite , la conduisit dans le Choeur,
On chanta le Te Deum après lequel la
Reine fut accompagnée par l'Evêque et
par le Chapitre jusqu'à l'Evêché où S. M.
a logé.
Le 28 , la Reine fut conduite par l'Evêque
et par le Chapitre à l'Eglise Cathé
drale et ensuite à la Chapelle basse dédiée
à la sainte Vierge. S. M. y entendit la
Messe, et y communia par les mains de
l'Abbé de S. Hermine son Aumônier en
quartier.
Le même jour , la Reine retourna à
l'Eglise Cathédrale , où S. M. entendit la
Messe qui fut célébrée par l'Evêque , pendant
laquelle on chanta un Motet en Musique.
Après la Messe , la Reine s'approcha
de l'Autel où l'Evêque lui fit voir
toutes les Reliques et les présens que les
I. Vol. Rois
1236 MERCURE DE FRANCE
Rois et les Reines de France ont faits à
l'Eglise de Chartres : S. M. alla ensuite
faire sa priere à la Chapelle de la Vierge ,
où elle retourna le soir après avoir assisté
au Salut et reçu la bénédiction du S. Sacrement
qui fut donnée par l'Evêque.
Le même jour , la Reine alla au Monastere
des Religieuses Carmelites et à celui
des Religieuses de la Visitation. Le soir ,
pendant le souper de la Reine , on tira
un grand nombre de boëtes et de fusées
dans le jardin de l'Evêché. Il y eut , comme
le jour précedent , des illuminations
dans toute la Ville ; et pendant le sejour
que la Reine y a fait , le peuple a donné
par des acclamations continuelles , des
marques de son respect et de son amour
pour S. M.
Le 29 , la Reine après avoir entendu la
Messe dans la Chapelle basse , partit de
Chartres : S. M. dîna à Maintenon , coucha
à Rambouillet et le lendemain elle
arriva à Versailles vers les cinq heures du
soir.
Le 30 May , vers les 7. heures du soir ,
le Roi arriva du Château de Compiegne
à Versailles ; S. M. en partit le trois de
ce mois pour retourner à Compiegne.
Le 1.de ce mois , l'Abbé de S. Simon
'D
I. Vol. nommé
JUIN. 1732. 1237
nommé par le Roi à l'Evêché de Noyon ,
fut sacré dans l'Eglise du Noviciat des
Dominicains : la Céremonie fut faite
par
l'Archevêque de Rouen , assisté de l'Evêque
d'Uzés , et de l'Evêque de Bayeux.
Le Roi Stanislas et la Reine son Epouse
, qui ont passé quelque tems à Versailles
avec la Reine , en partirent le 23.
pour retourner au Château de Chambort.
M. de Gasville , Intendant de la Généralité
de Rouen , ayant demandé au Roi
la permission de se retirer , S. M. a nommé
pour
le remplacer dans cette Intendance
, M. de la Bourdonnaye Me des
Requêtes.
Le 1. de ce mois , Fête de la Pentecôte
le Roi revêtu du grand Collier de l'Ordre
du S. Esprit , se rendit à 3. heures du
matin à la Chapelle du Chateau de Versailles
, où S. M. entendit la Messe , et communia
les mains de l'Abbé de Suze
par
Aumônier du Roy en quartier. l'Evêque
de Perigueux prêta Serment de fidelité
entre les mains du Roy pendant, cette
Messe , après laquelle S. M. toucha un
grand nombre de Malades .
Le même jour , les Chevaliers , Com
I. Vol.
mandeurs
1238 MERCURE DE FRANCE
mandeurs , et Officiers de l'Ordre du S.
Esprit , s'étant rendus vers les 11. heures
du matin dans le Cabinet du Roi , S. M.
tint un Chapitre , dans lequel le Prince
de Conti fut nommé Chevalier. Le Roi
alla ensuite à la Chapelle , étant précedé
du Duc d'Orleans , du Duc de Bourbon
du Comte de Charolois , du Comte de
Clermont , du Duc du Maine , du Prince
de Dombes , du Comte d'Eu , du Comte
de Toulouse et des Chevaliers , Commandeurs
et Officiers de l'Ordre . Le Roi,
devant lequel les deux Huissiers de la
Chambre portoient leurs Masses , étoit
en Manteau , le Collier de l'Ordre par
dessus , ainsi que les Chevaliers. S. M.
entendit la Grand- Messe qui fut célébrée.
par l'Abbé Brosseau , Chapelain ordinaire
de la Chapelle de Musique , et chantée
par la Musique. La Reine accompagnée
des Dames de sa Cour , assista à la même
Messe dans sa Tribune.
L'après midy , L. M. entendirent le
Sermon du P. Hericourt , Religieux
Théatin , et ensuite les Vêpres chantées
par la Musique.
Le 2. après la Messe du Roi , le Duc
de Chartres reçut dans la Chapelle du
Château les Céremonies du Baptême , et
il fut nommé Louis-Philippe par le Roi
1. Vol. et
JUI N. 1732. 1239
et la Reine qui furent ses Parain et Maraine.
Cette Ceremonie fut faite par
l'Abbé de Bellefons , Aumônier du Roi
en quartier , en présence du Curé de la
Paroisse du Château,
7
Le 12. de ce mois jour de la Fête - Dieu ,
le Roi accompagné du Duc d'Orleans
du Duc de Bourbon , du Prince de Dombes
, du Comte d'Eu et du Comte de
Toulouse , se rendit à 1o. heures du matin
à l'Eglise de l'Abbaye Royale de saint
Corneille de Compiegne , où S. M. assista
à l'Office , à la Grand - Messe , à laquelle
l'Evêque de Soissons officia pontificalement
, et ensuite à la Procession . Le R. P.
Dom Jean-Baptiste Alaydon , Superieur
Général de la Congrégation de S. Maur, à
la tête du Clergé de la Ville , eut l'honneur
de recevoir et de complimenter le
Roi à l'entrée de l'Eglise . La Cour témoigna
être également satisfaite et édifiée de
la dignité avec laquelle les Religieux de
cette Abbaye font l'Office divin et les
ceremonies.
Le jour de la Fête-Dieu , la Procession
de la Paroisse de Versailles , vint , suivant
l'usage , à la Chapelle du Château ,
où la Reine s'étoit rendue dans sa Tri-
1. Vol. I bune.
4240 MERCURE DE FRANCE
bune. S. M. y reçut la bénédiction du
S. Sacrement et , entendit la Messe ensuite.
Monseigneur le Dauphin , Monseigneur
le Duc d'Anjou et Mesdames de
France , virent passer la Procession des
fenêtres de l'Apartement du Cardinal de
Fleury. Le soir , ainsi que pendant toute
l'Octave , la Reine assista au Salut dans
La Chapelle .
T
Les.Deputez du Parlement qui avoient
reçu les ordres du Roi le 16. de ce mois ,
se rendirent le lendemain à Compiegne ,
et M. Portail , Premier Président , étant
à leur tête , ils furent conduits et présentez
avec les cérémonies accoutumées à
l'Audience de S. M. qui leur declara sa
volonté
Les Dimanches et les Fêtes , le Roi asşiste
au Service Divin le matin et l'aprèsmidy;
le Jeudy S. M. ne sort point ; elle
voit jouer à la paume les quatre Maîtres
de Paris qui ont été mandez à Compie
gne ; les autres jours il y a jeu et chasse ,
du Cerf et du Sanglier , alternativement.
On trouve cette année une grande quantité
de Cerfs et de Biches dans la Forêt
de Compiegne ; on en voit jusqu'à trente
en troupes,ce qui fait que le Roi en prend
Д. Vol.
souJUIN
1732 1241
souvent deux de suite . Le soir S.M. soupe
avec les Seigneurs de sa Cour.
Le sieur Dedelay de la Garde , Secretaire
du Roi et Payeur des rentes , a été
nommé Fermier Géneral à la place de
feu M. de Salins . Ce choix a été univer
sellement approuvé.
Le 19 Juin dernier jour de l'octave
de la Fête- Dieu , les Comédiens Italiens
firent construire un Reposoir à l'entrée
de la rue Françoise à l'occasion de la Procession
de la Paroisse S. Sauveur qui passe
par le bout de cette rue . Ce Reposoir
étoit orné de riches Tapisseries , décoré
et illuminé d'une maniere très - brillante .
Un choeur de Musique composé de plus
de cinquante personnes , s'étoit rendu
avant la Procession à l'Eglise de S. Sauveur
où l'on chanta une Messe solemnelle
en Musique , après laquelle les mêmes
Musiciens se rendirent au Reposoir et se
placerent sur des Tribunes construites exprès
à droite et à gauche ; on y chanta
dans le tems que la procession s'y arrêta ,
un tres-beau Motet à grand choeur , convenable
à la solemnité de la Fête.
1. Vol. BOU#
242 MERCURE DE FRANCE
A Mile
Ne dites
BOUQUET ,
qui ne sçauroit souffrir
l'odeur des Fleurs.
AImable Iris , c'est demain votre Fête ,
Je veux vous donner un Bouquet ;
pas : les Fleurs me font mal à la tête ,
Je n'en veux point ; voyez dequoi le mien est
fait.
Ce n'est point un Bouquet dont l'odeur s'évas
pore ,
Iris , ce sont des Fleurs du Dieu qu'on nomme
Amour ,
C'est vous qui les faites éclore ,
C'est moi qui leur donne le jour .
Que dis-je qu'ai - je fait ? cet avèu vous offense ,
Amour , fatal Amour , pourquoi me trahis- tu
Eh , ne pouvois- tu donc rester dans le silence ,
Ou faire que d'Iris , tu fusses mieux reçu ?
Mais je vois un souris qui dissipe mes craintes ,
Allez, mes Vers , produisez-vous ,
Dites-lui que mon coeur sent les vives atteintes
D'un feu ... paix ! gardez vous d'allumer son
Couroux.
V.. J. A. L.
I. Vol. BENEJUIN.
1243 1732.

BENEFICES DONNEZ
E Roy a nommé à l'Evêché de Lode-
Lve, l'Abbé de Souliac , Grand Vicai LE
>
res de l'Evêque de Périgueux .
S. M. a donné l'Abbaye de S. Gilles ,
Ordre de S. Benoît , Diocèse de Nismes ,
à l'Evêque de Nísmies .
Celle de Nants , Ordre de S. Benoît ,
Diocèse de Vabres , à l'Evêque de Gap.
Celle de Mazun , Ordre de Citeaux ,
Diocèse de Viviers , à l'Evêque d'Orange.
Celle de Fontdouce , Ordre de S. Benoît
, Diocèse de Xaintes , à l'Abbé de
Coulanges , Grand-Vicaire de l'Evêque
de S. Paul -Trois - Châteaux.
Celle de S. Sauveur de Lodève , Ordre
de S. Benoît , à l'Abbé le Noir , Théologal
de l'Eglise Cathedrale de Montpellier.
Celle de S. Jacques de Provins , Ordre
de S. Augustin , Diocèse de Sens , àl'Abbé
Mercier , Chanoine de la Ste Chapelle
de Paris.
Celle de Mauleon , Ordre de S. Auguftin
, Diocèse de la Rochelle, à l'Abbé
de la Garde Jasier , Chanoine de l'Eglise
Cathédrale de S. Malo .
Celle de S. Gilbert, Ordre de Prémon-
I. Vol. I iij tré,
1244 MERCURE DE FRANCE
tré , Diocèse de Clermont , à l'Abbé de
Lisle du Guast , Chanoine de l'Eglise Ca
thédrale de Chartres.
Celle de Notre Dame de Vielmeur
Ordre de S. Benoît , Diocèse de Castres
à la Dame d'Espinouse.
Celle de Ste Geneviève de Chaillot ,
lez - Paris , Ordre de S. Augustin , à la
Dame de Tournefort.
L'Abbaye de S. Savin , Ordre de S.Benoît
, Diocèse de Poitiers ; à l'Abbé de la..
Richardie, Grand -Vicaire de l'Evêque de
Noyon.
Le Prieuré de S. Robert de Cornillon
Ordre de S. Augustin , Diocèse de Gre
noble , à l'Evêque de Grenoble.
B OU QUET ,
A M. Antoine *
Quelle Uelle saison pour votre
*
Fête !
J'ai beau chercher des fleurs pour orner votre
sête ,
Je ne trouve que des glaçons ;
Quel présent , pour prouver à quel point je vous
aime ;
La promte violette même ;
N'oseroit naître encore à l'abri des Buissons .
La nature gemit de se voir déparée
I. Vol.
Da
J'UIN. 1732. 1243
De tous ses plus beaux ornemens ;
Ce qu'elle avoit produit est détruit par Borée ,
Et la Cohorte des Autans ;
Les Zéphirs , Flore , et ses Compagnes
Ont abandonné nos Campagnes.
Je vais , faute de fleurs , former pour vous dés
voeux ,
Puissent vos jours couler dans un repos heu
reux !
Qu'à Lachesis leur trame échape ,
Sans les remedes d'Esculape .
Que l'Astre qui fait les saisons ,
Fasse cent fois le tour de ses douze Maisons ;
Avant que la chaleur vous quitte ; ..
Avant que vous passiez le fabuleux Cocyte.
M.CHABAUD.”
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Joigny,
le 10 Juin 1732. au sujet du Jeu de l'Atquebuse.
Es Chevaliers du Jeu de l'Arquebuse
Lde laville de Joigny, au nombre de
plus de 50. sans parler des Chevaliers
d'honneur , tirerent le grand Prix , appellé
Loyseau , ces Fêtes dernieres , en présence
d'un prodigieux nombre de Spec - 1
tateurs , de toutes qualitez , accourus des
Villes et lieux circonvoisins ... Il y avoit
I. Vol.
I iiij huit
1245 MERCURE DE FRANCE
huit ans que ce Prix , qui consiste ordinairement
en argenterie , n'avoit été tiré.
~ Il fut tiré à la Butte , à 52 toises de distance
, sur un rond de 4 pouces de diametre
, avec des Fuzils , à Canons non marmettez
, rayez , ni virolez , non plus qu'à
lunettes.
Les Armes furent chargées en présence
du Commissaire , qui prend garde qu'aucun
Chevalier ne charge son arme de
doubles Balles, ou ramées . On continua le
Jeu jusqu'au 8 du courant , que l'Oyseau
fut mis à bas. On proclama le Roy au son
des Tambours , des Fiffres , et par une décharge
des Armes de la Compagnie , et
des Boëtes de la Ville.
Ce Chevalier vainqueur m'arrête icy s
son mérite personnel et son adresse à tirer,
demandent une distinction particuliere.
On pourroit dire de lui ce qu'un Auteur
de la vie d'Alexandre rapporte d'un Soldat
de l'Armée de ce Prince , qui tiroit
à coup sûr des Fléches , entre les doigts
de la main de ses camarades , sans jamais.
les offenser.
Je me persuade que l'on n'a pas encore
vû dans aucun Jeu de l'Arquebuse du
Royaume un même Chevalier 4 fois Roy.
Celui dont je parle , a mis 4 fois l'Oyseau
I. Vol.
â
JUIN 1732. 1247
à bas , son nom est M. Platard , aujourd'hui
Maire de Joigny , & c.
A M. LE CHEVALIER DE LA T....
*
D Ans l'étude de la sagesse ,
Vous avez jusqu'icy passé votre jeunesse
Quelquefois par délassement ;
Dans un esprit de badinage ,
Vous exerciez plus d'un talent ,
Dont vous ne faites plus un si fréquent usage ::
Vous vous plaisiez sur tout à peindre élégamment
,
Le redoutable Amour , ce Dieu si plein de char
mes ,
Hélas ! vous ignoriez le pouvoit de ses armes !!
Vous ne l'aviez alors , guéres vû qu'en Tablèau ,,
Sorti de votre plume , ou de votre pinceau ,
Mais aujourd'hui , dans les yeux de Silvie
Vous le bravez à tout moment.
Minerve qui se plût à régler votre vie ,
En murmure assez hautement.
Alle apprend qu'on ne peut vaincre que par las
fuite ,
Si le vertueux Hypolite ,
Que l'on compte entre les Héros ,
Abandonna pour Aricie,
Son Char , son Arc , ses Javelots ,
Ah ! je crains bien que pour Silvie .
1. Vol.
Vous I v
1248 MERCURE DE FRANCE
Vous ne perdiez votre repos ,
Avec votre Philosophie
Par M. de Sommevesle , de Châlons
en Champagne.
CEREMONIE singuliere , faite
dans l'Eglise Cathedrale d'Auxerre.
Ma
R le Comte de Chastellux , Brigadier
des Armées du Roy, Capitaine.
des Gens d'armes de Flandres , a pris possession
le 2 de ce mois de Juin, de la Dignité
de premier Chanoine héréditaire de
l'Eglise d'Auxerre , attachée à ceux de sa
Maison, qui sont Seigneurs Haut-Justiciers
de la Terre et Seigneurie de . Chastellux.
Cette Cérémonie fut faite avec beaucoup
d'éclat , et attira une foule prodigieuse
de monde dans la Cathedrale .
Il y avoit 84ans que M.son pere Cesar-
Philippe de Chastellux avoit été reçu .
On a commencé, suivant l'usage , par lä
faire prêter en Chapitre le serment en ces
termes: Nous,Guillaume - Antoine. Seigneur
Haut-Justicier de la Terre , Justice & Seigneurie
de Chastellux , promettons vivre et
continuer en l'exercice de la Religion Catho- ..
lique , Apostolique et Romaine , et que se...
rons bons et loyaux à l'Eglise et aux Duyen,
Changings , et Chapitre de l'Eglife Cathé
1. Vol.
drale
JUIN. 1732. 1249
drale de S. Etienne d'Auxerre , et aiderons
de tout notre pouvoir à garder et deffendre les
Droits , Terres , et Possessions et autres revenus
appartenans à l'Eglise et ausdits
Doyen , Chanoines, et Chapitre , pourchasserons
le bien , honneur et profit d'icelle Eglise,
et desdits Doyen, Chanoines, et Chapitre,
et éviterons leur dommage de tout notre loyal
pouvoir. Ensuite il s'est présenté à la grande
porte du Choeur, sous le Jubé, pendant
L'Office de Tierce , en habit Militaire
botté , éperonné , revétu d'un Surplis , le
Baudrier , avec l'Epée par dessus , Gánté
des deux mains , ayane sur le bras gauche
une Aumusse,et sur le Poing un Faucon ,
tenant de la main droite un Chapeau bordé
, couvert d'une plume blanche. Il a été
ainsi conduit en sa place , qui est dans les
hautes - Chaires , du côté droit , entre
celle du Pénitencier et celle du Sou - Chantre
.
Cette ceremonie s'est trouvée convenir
avec l'Office des Fêtes de la Pentecôte .On
avoit depuis quelques temps destiné la 3ª
Fête pour la solemnité d'une Translation i
de Reliques de S. Prix et de ses Compagnons
; elle se fit après que M. l'Evêque
d'Auxerre eut prêché sur ce sujet. La
Grande Messe fut suivie de la Procession,
où M. l'Evêque officia . M. le Comte de
1. Vol.
I vj Chas
1250 MERCURE DE FRANCE
Chastellux y assista à son rang de premier
Chanoine , avec les mêmes véremens
que la veille d'après midi ; il parut à Vêpres
en sa place , sans autre distinction du
reste des Laïques que son Aumusse Canoniale
sur le bras , parce que selon le titre
il lui est loisible d'assister à l'Office sans
Surplis , ou avec un Surplis ; mais il doit
toûjours avoir une Aumusse , se confor
mer au surplus pour se découvrir et recouvrir
, se lever et s'asseoir &c. au
reste du Clergé.
L'origine de ce droit est de l'année 1423 .
pendant laquelle Claude de Beauvoir
Seigneur de Chastellux , à l'aide de ses
parens , alliez et amis , ainsi qu'il est rapporté
dans les Chartes , ayant chassé des
Brigans qui occupoient la Ville de Cravan ,
appartenante au Chapitre d'Auxerre ; il
y fut ensuite assiegé par des Troupes reglées
; il soutint le Siege pendant cinq
semaines , après lesquelles ayant été secouru
il fit une sortie , aida à défaire les
Assiegeans, et fit prisonnier le Connétable
d'Ecosse , leur General. La Ville étant délivrée
, il la remit sans aucun dédommagement
entre les mains du Chapitre d'Auxerre
, lequel , en reconnoissance , lui ac
corda et à ceux de sa posterité , posses
seurs de la Terre , Justice et Seigneuri

I. Vol. d
JUIN. 1732. 1251
de Chastellux , le droit dont il a été parlé,
et celui d'assister au Choeur avec ses habits
de guerre et ceux d'Eglise.
Claude de Beauvoir est le même qui
avoit été fait Maréchal de France en 1418.
et qui prêta serment en cette qualité le
6 Juin de cette année . Il est enterré dans
l'Eglise d'Auxerre avec Georges de Beauvoir,
son frere , Amiral de France. Ses
descendans , en droite ligne, ont joïi jusqu'à
present de ce droit . En 1683. le Roy
Louis XIV. passant par Auxerre , y fut
reçû par M. l'Evêque et le Chapitre en
Corps . M.le Comte de Chastellux , pere,
étoit parmi les Chanoines avec l'habillement
qui a été décrit . Sa Majesté fut trèsattentive
à cette distinction . Elle témoigna
qu'elle la trouvoit très-honorable .
Tout ce qui est ici rapporté est tiré des
Chartes du Chapitre de l'Eglise d'Auxerre,.
des Registres du Parlement de Paris , et de
Monstrelet , Historien.
On prie la Personne qui a envoyé ce Memoire,
d'apprendre au Public s'il y a Jans
I'Histoire quelque vestige d'un pareil usage
SUR LE MOIS D'AVRIL.
Dans une Cabane
champêtre ,
Doux Avril , agréable mois ,
1. Vol.
Ton
1252 MERCURE DE FRANCE
Ton huitiéme jour me vit naître
L'an de Grace mil sept cens trois.
O que le temps s'écoule vite !
Qu'il sert peu de le regretter !.
Que rarement on en profite ,
Comme on devroit en profiter,!
Pour rajeunir Vertumne et Flore ,
Enfin , je te vois revenir ;
Beau Mois , n'aurois -tu point encore ,
Le pouvoir de me rajeunir ?
Tu n'as point ce pouvoir , sans doute ,
Et mes desirs sont superflus ;
Je me trouve au bout d'une route
Par où je ne passerai plus .
M
Adieu , florissante Jeunesse
Adieu, Saison pleine d'attraits.
Que n'a-t'on assez de sagessé ,
Pour t'abandonner sans regrets ?
Mille disgraces sont voisines ,
De tes passageres faveurs
Si l'on connoissoit tes épines
On cueilliroit peu de tes fleurs.
M
Cependant l'aimable Zephire,
Rappelle la Mere d'Ļtis . ---
་ ་
ᏗᏤ . Déja
JUIN
1253 1732%
Déja plus d'un riche Navire ,
Fend l'Onde calme de Thétis ;..
Deja Cerès couvrant la Terre ,
Fait esperer d'amples moissons ;
Bientôt par une feinte guerre ,
Mars instruira ses. Nourrissons.
Sfc
Dans nos Retraites bocageres ,
Les jeux de Márs sont étrangers.
Chanter , danser , plaire aux Bergeres ,.
C'est la Milice des Bergers, .
Jadis , comme eux , j'aimois à suivre z
Mes tendres inclinations ;
Aujourd'hui mon ame se livre ,
A de tristes refléxions.
Charmes séduisans de la vie ,
Dis-je , Plaisirs , Jeux, Ris , Amours ,
Vous me donnez bien quelque envie ,
Mais helas? vous êtes trop courts.
De la pus longue jouissance ,
En vain l'espoir vient, me flåter ;
Je renonce à tout quand je pense ,
Qu'un jour il faudra tout quitter.
F. M. F
1.Vol AR1254
MERCURE DE FRANCE
AREST Notable rendu au Parlement
de Dijon , les Chambres consultées , le
21. Avril 1732: Par lequel il a étéjugé
que les Enfans étant sous la puissance
paternelle , ne peuvent faire aucune disposition
de derniere volonté , sans la per
mission de leurs Peres , au profit d'autres
personnes..
Q
Uoique le Parlement de Besançon ,
ur le fondement de plusieurs Certificats
d'Usage , eût en 1703. dans un
Procès évoqué du Parlement de Dijon ,
decidé la Question, en faveur de la li
berté des Fils de Famille , neanmoins cette
même difficulté s'étant présentée au Parlement
de Dijon en 1726. Par Arrêt rendu
en la Chambre des Enquêtes , au rapporr
de M. Bazin , puîné , le 19. Juillet
de la même année , il fut jugé qu'un Fils
de Famille n'avoit pû, faire une donation
à cause de mort au profit de son frere ,
sans le consentement de son pere .
Cer Arrêt fit grand bruit dans toute la
Province. D'un côté , le celebre Magistrat
(a) qui présidoit en cette Chambre ,
daigna lui-même le faire imprimer avec
une Dissertation sçavante , où toutes les
(a) M. le President Bouhier , de l'Académie
Françoise.
I. Vol. raisons
JUI N. 1732. 1255
raisons , soins et autoritez pour et contre
sont rapportées avec beaucoup de
netteté et de précision .
D'autre côté , un ancien et habile Avo
cat (b) du même Parlement , donna aussi
au Public ses Refléxions contraires au
sentiment du Magistrat qui étoit de l'avis
de l'Arrêt de 1726. ce qui occasionna
plusieurs autres Ecrits très - curieux de
part et d'autre.
Comme cette diversité d'Arrêt et d'O
pinions , sembloit laisser sur ce point la
Jurisprudence incertaine , la même Ques
tion a encore été depuis peu soumise à la dé--
cision du Parlement de Dijon . Voici le Fait
Jacques Roux, fils de MeBenici le Fait.
Roux,
Avocat en la Cour , et demeurant en la
Ville de Châlons sur Saône , étant en
âge de puberté , et prêt à faire Profession
Religieuse au Monastere des Carmes de
Dijon , fit un Testament olographe le
17. Juillet 1727. revêtu de la superscrip
tion de Rey , Notaire en la même Ville ,
assisté de deux Témoins , suivant la Coû
tume ; par lequel il institua son pere en
( b ) M. Raviot , qui vient de mettre au jour
un Recueil d'Arrêts rendus au Parlement de
Dijon, avec un ample Commentaire en 1. vol. in
folio , chez Arnault , Jean- Baptiste Augé , Imprimeur
Libraire près les Jesuites,
1. Vol.
sa
1236 MERCURE DE FRANCE
sa légitime , se réserva une pension annuelle
de la somme de 30 livres , et
laissa le reste de ses biens à Jeanne Roux
sa soeur , Hospitaliere à Châlons.
2
Le Testateur ayant fait Profession , et
son pere étant mort quelques années après ,
Jeanne Roux fit paroître le Testament
de son frere , et se pourvut à la Chancel
lerie de Châlons , tant pour en faire or
donner la publication , que pour être en
voyée en consequence en possession des
biens du Testateur. En effet par Sentence
rendue contradictoirement avec Guillaume
Roux , son frere , Geneviève Roux
sa soeur ,femme de Me Jacques Gagnare
Conseiller au Bailliage de Châlons , et
encore le même Gagnare , en qualité de
Tuteur de Jeanne Roux , sa Niece ; le
15. Mars 1731. l'Heritiere instituée fut
envoyée par provision et à caution , en
possession des biens de Jacques Roux ;
et avant que fai e droit sur la conversion
en définitive , ou sur la révocation de la
provision , il fut ordonné que Jeanne
Roux communiqueroit à ses Parties le
Testament dont il étoit question, pour ensuite
être ordonné ce qu'il appartiendroit.
Après cette communication , Guillaume
Roux , aquiesça au Jugement , pour
cequi la concernoit. Mais Geneviève Roux
1. Vol. et
JUIN. 1732. 1257
et son Mari soutinrent que le Testament
étoit nul , pour avoir été fait par Jacques-
Roux , sans la permission de son pere ,
quoiqu'elle fût necessaire , suivant les Atrêts
de la Cour, quand la disposition étoit
faite au profit d'un autre que du pere.
Néanmoins par une seconde Sentence de
la Chancellerie du 7. Juin suivant , la
possession provisionnelle , accordée par
le premler Jugement ; fut convertie en .
définitive .
Geneviève Roux et son mari , interjet
terent appel de ces deux Sentences à la
Cour , où la cause a été plaidée pendant
trois Audiances par Mes Mency et Prinsset
, Avocats des Parties ..
Comme le précis des raisons et autoritez
employées d'une et d'autre part
excederoient sans doute les bornes prescrités
pour un simple Extrait , nous nous
contenterons de renvoyer les Curieux
aux Ecrits que le Magistrat et l'Avocat
dont nous avons parlé plus haut , ont
rendus publics par l'impression , et qui se
trouvent à Dijon , chez Antoine Defay ,
Imprimeur et Libraire , ruë Portelle . Nous
observerons seulement que M. Thierry
Avocat General , conclut avec beaucoup
de solidité à la réformation des Sentences
er à la cassation du Testament de Jac
ques Roux.
1258 MERCURE DE FRANCE.
La Cour desirant rendre sur cette Question
un Arrêt solemnel , toutes les Chambres
consultées , ordonna le 21. Janvier
1732. que les Pieces seroient mises sur le
Bureau pour être fait droit aux Parties ,
ainsi qu'il appartiendroit.
Et depuis l'affaire ayant été examinée
au rapport de M. Lantin , après que les
Chambres ont été consultées : La Cour
a mis l'appellation et ce dont étoit appel
au neants et par nouveau jugement , sans
s'arrêter au Testament de Frere Jacques
Roux , qui demeure cassé et annullé ,
a ordonné que sa succession sera regléc
ab intestat , tous dépens compensez . Le
Lundi 21. Avril 1732.
XXXXXXX:FEFFFFKEEXXX*
MORTS NAISSANCES , & c.
Rançois de Carbonieres , Chevalier ,
-
>
Georis et du Freche , Comte de Rabas ,
Seigneur du Pain , mourut le 27. May
âgé de 75. ans environ .
Pierre -Jean - Martin de Berulle , Abbé
de l'Abbaye de Lezat , Ordre de S. Benoît
, Diocèse de Rieux , mourut à Paris.
le 29. de Juin , âgé de 43. ans .
Charles-Hubert de Mesgrigni, Cheva-
I. Vola lier
JUIN.. 1732 1259
lier, Marquis de Mesgrigni et de Vandeuvre
, Baron de l'Orme , Vicomte de Bridiers
, Seigneur de Rhodes , &c. Conseiller
de la Grand'Chambre du Parlement,
mourut le 30. du même mois.
D. Catherine-Elizabeth de Manneville
veuve de Charles de Tilly , Marquis de
Blaru, Lieutenant de Roy de l'Isle de France
, mourut le 12. Juin , âgée de 68. ans .
D. Marie - Françoise - Celeste de Voyer
de Paulmy , veuve de M. Charles-Yves-
Jacques , Comte de la Riviere , Gouverneur
de S. Brieux , mourut à Paris le 12.
de Juin , âgée de 70 ans .
: D.Marie de Méelz ,veuve de JeanBaptiste
Piquot Ecuyer, Seigneur du Housset ;
Maréchal des Logis de la Maison du Roi ,
mourut le 13. Juin .
Frere François de Comenge , Grand-
Croix et Hospitalier de l'Ordre de S. Jean
de Jerusalem , Commandeur de Chantraine
et Vaillantpont , Abbé de l'Abbaye.
de Notre Dame de Lauroux , Ordre de
Citeaux , Diocèse d'Angers , mourut à
Paris le 16. dans la 73. année de son âge.
D. Henriette Faideau , Epouse d'Arnauld-
Paul de Fieubet , Enseigne des
Gendarmes de la Garde , accoucha le 26.
Mai d'un fils qui fut nommé Gaspard-
Louis , par Louis - Gaspard de Fieuber ,
1. Vol.
Con་
60 MERCURE DE FRANCE
Conseiller au Parlement et par D. Marie-
Louise Croiset , veuve d'Henry Faideau ,
President au Parlement.
, D. Marie Louise de Vaudrey , Epouse
de Claude - Alexandre Barberot de Travaux
, accoucha le 8. de Juin d'une fille
qui fut nommée Charlotte Eleonor- Loui
se , par Louis-Henri d'Auber Dauboeuf.
Chevalier de S. Louis , Capitaine de Cavalerie
, et par D. Eleonor- Charlotte de
Sandresleben , Princesse de Wittemberg-
Montbelliard , Epouse de S. A. S. Geor
ge Leopold de Wittemberg - Montbelliard
.
D. Louise- Genevieve Pajot , Epouse de
Pierre Maximilien Pajot, Seigneur de Villeperrot
, Brigadier des Armées du Roi ,
Colonel du Regiment de Beauvoisis , Chevalier
de S. Louis , accoucha le 4. Juin
d'une fille qui fut nommée Charlotte-
Louise , par Charles - Christophle Pajot.,
Conseiller Secretaire du Roi , &c . et par
D. Anne- Marie Pajot , épouse de Claude-
Joseph le Jai , Gouverneur de la ville
d'Aire , Chevalier de S. Louis.
Le second Volume de ce mois est actuel
lement sous Presse et paroîtra incessamment.
:
I.Vel..
TABLE
TA BL È .
FUGITIVES. L'Ambition , Ode, 1049
PRéponse.de M. Meynier à M. Bouguer , 1053
Ode à Madame la Princesse de Conty , 1076
Lettre à l'occasion de l'Ecrit sur Ste Cecile, 1081
La Fuite du Monde , Ode 1088
Troisiéme Lettre d'un Professeur sur le Bureau
Typographique ,
1092
Louanges de la Vie Rustique , Imitation d'Horace
,
1109
Reflexions sur la bizarrerie de quelques Usages ,
1114
Proserpine ou le Fleuve d'oubli , Cantate , 1126
Memoire sur la Teigne des feuilles , & c. 1128
Paraphrase sur le premier Chapitre des Lamentations
,
Fable , Imitation , &c.
Lettre sur une Inscription antique
Les Critiques du Mercure , Poëme ,
1136
1138
1141
1148
Metrometre , Machine pour mesurer le temps en
Musique , & c.
Enigme , Logogryphes , &c.
1151
1155
Nouvelles Litteraires , des Beaux Arts , &c. Memoires
pour servir à l'Histoire des Hommes
Illustres , & c.
La Verité fabuliste ,
Epitres Heroïques d'Ovide , &c.
Nouvelles Estampes ,
1158
1174
1180
1183
1189
Ibid
1192
1193
1196
La Bibliotheque des Enfans ,
Portrait de Puget ,
Chansons notées ,
Spectacles ,
Le Balet des Sens , Extrait ,
Les Sermens Indiscrets , et le Procès des Sens. Pic
ces nouvelles , 1210
Nouvelles Etrangeres , de Turquie et Perse , 1211
Lettre écrite de Constantinople , contenant diverses
Nouvelles ,
De Russie , Pologne , Allemagne ,
Italie , Espagne et Grande Bretagne ,
1212
1223
1227
France , Voyage de la Reine à Chartres , 1234
Bouquet à Mite 1242
Benefices donnez ,
11243
Bouquet à Antoine * * * 1244
Jeu de l'Arquebuse à Joigny
> 1245
Vers au Chevalier * * * 1247
Ceremonie singuliere à Auxerre , 1248
Vers sur le mois d'Avril ,
1258
Arrêt Notable du Parlement de Dijon , 1254
Morts , Naissances , 1258
Errata de May.
Age 904. ligne 23. écrit , lisez crut.
PAIbid. 1. 29. sennan , 1. sennen.
Fautes à corriger dans ce Livre.
Page 1063. ligne 22. n'ôteroit , lisez notteroit. P. 1068. I. 24. mature , l. mâture .
P. 1084. 1. 12. Italie. Placez après ce mot` la lettrine
(a) .
P. III. l. 10. s'arrête , l . s'arrache.
P. 1134.1. 17. filiore , I. filiere.
P. 1137. 1. 23. heureux , l. Heureuse.
P. 1138. 1. 6. quêtoient , . guétoient.
P. 1146. 1. 4. de his in , lisez de his qui in.
P. 1188. 1. 9. Catalogne , 1. Cologne.
P. 1207 1. 21. Lardamie , I. Laodamic .
1222. 1. 2. Cavée , 1. Canéc. P.
La Chanson notée doit regarder la pago 1192
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROT.
JUIN. 1732 .
SECOND
QURICOLLIGIT
VOLUME.
SPARGIT
Chez
Papiliow
A PARIS ,
GUILLAUME
CAVELIER ,
rue S. Jacques.
R
LA VEUVE PISSOT , Quay de
Conty , à la descente du Pont-Neuf.
JEAN DE NULLY, au Palais .
M. DCC . XXXII.
Avec Approbation et Privilege du Roy.
AVIS.
L'ADRESSE
'ADRESSE generale eft à
Commis au
>
Mercure vis - à - vis la Comedie Francoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très - inftamment , quand on adreſſe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
foin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toujours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non -feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , où les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la
premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau,
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps, & de les faire porter fur
L'heure à la Pofte , ou aux Meffageries qu'on
Bui indiquera.
PRIX XXX. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
DĚDIE AU ROY.
JUI N. 1732 .
*********
PIECES
4
FUGITIVES ,
en Vers et en Prose.
L'INDISCRETION.
T
ODE.
OY qu'adore un peuple idolky
tre ,
Dans le Temple qu'habite Isis ,
Loin , Dieu ( a ) muet ; je vais
combatre ,
Les Sacrileges de Memphis.
Jamais cette rive féconde ,
( a ) Harpocrate , Dieu du Silence ,
II. Vol
Quc
A ij
1250 MERCURE DE FRANCE
Que le Nil moüille de son Onde,
Ne t'auroit prodigué l'encens ;
Si l'Egypte ainsi que la Flandre , ( a)
Eût eut l'avantage d'entendre ,
La douceur libre de mes chants.
M
Digne de nos tendres hommages ,
La charmante Indiscretion ,
Sçait de nos coeurs , dans tous les âges
Bannir la froide passion ;
Du seul vrai fidelle Interprete ,
Les sons qu'enfante sa Trompette ,
Mettent le prix à nos travaux ;
Sa hardiesse à nous apprendre ,
Les plaisirs que l'amour fait prendre
En forme des plaisirs nouveaux.

Quel est à l'ombre de ce hestre ,
Cet homme inquiet et réveur ?
C'est , je ne puis le méconnoître
Un Amant qui tait son bonheur.
De la même main qui le blesse
L'amour couronne sa tendresse ,
A
(a )L'Auteur composa cette Ode à Lille en
Flandre.
II.Vol.
Qu'a
JUIN. 17320 1261
Qu'a -t- il encore à désirer !
Son silence fait son martyrė ;
Malheureux , s'il n'ose le dire ,
Je le condamne à soupirer
Ecoutons l'Amant de Julie ,
Chanter son triomphe secret ,
Il craint que s'il ne le public ,
Son bonheur ne soit pas parfait.
Auguste en vain parmi le gette ,
Relegue sa Muse indiscrete.
Ovide n'est point abbatu ,
Ses douleurs , ses larmes sont feintes à
Et je lis à travers ses plaintes ,
Qu'il ne voudroit point s'être tu

Quoi ! parmi la foule importune ;
De mille Rivaux obstinez ,
Sans leur annoncer ma fortune ;
Je verrai mes voeux courronnez !
Témoin de l'espoir qui les flate ,
Ma stupidité délicate
Rougira de les détromper !
Et leurs coeurs qu'enivre la gloire ;
Loin de celebrer ma victoire ,
S'efforceront de l'usurper !
II.Vol. A iij Non,
1262 MERCURE DE FRANCE
Non. Dans le dépit que leur causent
Mes vers , garants de leur affront ,'
Je veux que leurs larmes arrosent
Le Myste , dont je ceints mon front.
Un Char que`décore leur honte ,
Mieux que les faveurs d'Amatonte.
Illustrent nos tendres combats ;
Pâris n'eût dans les bras d'Héléne ,..
Goûté qu'une joïe incertaine ,
Sans la douleur de Ménélas.
Loin que de ma bruïante Lire ,
S'allarme une jeune beauté ,
Aux Chansons que l'amour m'inspire
Souvent elle doit sa fierté.
Telle que l'on eût ignorée ,
Fut par mille voix célébrée.
Dès qu'elle eût adouci mes fers ;
Catulle , ta plume hardie ,
Des charmes , du nom de Lesbie
Instruisit Rome , et l'Univers.
Sombre nourrisson de l'Ibere ,
Ne me vante plus tes plaisirs ;
Me rends -je esclave du mystere ?
Je le deviens de mes soupirs.
II. Vol. Jeune
JUIN. 1732 1263
Jeune , du respect qui l'opprime ,
Comme toy , je fus la victime.
L'amour en affranchit mon coeur
Quand la vérité la dénouë ,
Ma langue ne craint point la roue ,"
Où Junon lie un Imposteur . ( a )
Mais qu'entens-je ? l'Etna résone ;
Quel dessein allume ces feux ?
Sous le Marteau qui le façone ,
L'Airain disparoît à mes yeux.
Sage fruit de la politique !
Dans ces Vers que ta main fabrique.
Mars et Venus vont se jetter ,
Vulcain , publier ta disgrace ,
N'est-ce pas au Dieu de la Thrace ,
Ravir l'honneur de s'en vanter ?
C'est d'une vanité si chere ,
Que l'amour emprunté ses traits ;
A quoi me serviroit de plaire ,
Si l'on ignoroit que je plais ?
Le secret aigrit ma constance ;
Sous le joug honteux du silence .
Veut-on asservir mes transports ?
( a ) Ixion .
II. Volá A iiij ' rai ,
1264 MERCURE DE FRANCE
J'irai , nouveau Chantre d'Ismare ,
Faire encore aux eaux du Ténare ,
Entendre d'amoureux accords.
De Sens , par M. DE BROGLIO ,
Provençal.
222222.
REPONSE de Mlle de Malerais de
la Vigne , à la Lettre que M Carrelet
de Hautefeuille lui a addressée dans le
Mercure de Janvier 1732. page 75 .
Leine,Monsieur,de m'apporter vos
E Seigneur Mercure s'est donné la
peine , Monsieur , de m'apporter vos
Poulets , vos Billets doux , vos Relations,
en un mot votre Lettre ; car cette Lettre
sçavante et polie renferme en elle toutes
ces especes', par les differentes matieres
qu'elle traitte , et par les tours ingénieux
dont elle est agréablement variée ; je me
Alatte aussi que ce fidele Messager , non
moins habile que gracieux , voudra bien
se charger de ma réponse.
Vous m'écrivez , Monsieur, qu'on vous
a volé ; vous ne pouviez vous addresser à
personne qui fut plus sensible à ce qui
vous touche, ni par conséquent plus portée
à vous plaindre. Quoi ! Monsieur, on
K
II. Vol.
vous
JUIN. 1732. 1265
vous a volé ? On vous a volé , Monsieur?
Quel accident ! Quelle perfidie ! Quelle
cruauté ! Eh ! que vous a - t - on volé ?
Grands Dieux ! Proh ! Dii immortales ! Facinus
indignum quod narras !
Ce n'est point deux Vers , une Strophe
, un Madrigal , une Epigramme seulement:
Ciel ! c'est sur une Ode entiere qu'on
a eu l'audace de mettre la main.
Le trait est noir ; oui , certes , et des plus
noirs. Ce sont- là de ces coups qu'un Poëte
supporte rarement avec patience , à moins
qu'il n'ait , comme vous , l'ame bourrée
d'une Jacque de Maille à la Stoïcienne.
Sans doute que le Voleur en faisant ce
larcin , s'étoit fondé sur ces deux premiers
Vers du 15 Chant de Roland le furieux.
Fù il vincer sempre mai laudabil cosa ,
Vinca si è per fortuna , o per ingegno.
L'Arioste me paroît avoir escroqué
cette pensée à Virgile , dans le 2. liv. de
l'Enéïde .
Dolus an virtus , quis in hoste requirat ?
·
Cependant le voleur dont il s'agit ,' n'est
point pardonnable. C'est là mal interprêter
la chose , et faire en matiere de
Lettres, ce que font les hérétiques en ma-
II. Vol.
A v tiere
1266 MERCURE DE FRANCE
"
tiere de Religion, qui tournent et retournent
certains Passages de tant de côtez
qu'ils leur trouvent à la fin un sens ambigu
, et qui , quelque louche qu'il soit ,
leur paroît neanmoins d'accord avec leur
morale. Mais comme on ne les confond
ensuite , qu'en opposant citation contre
citation , authorité contre authorité , il
faut donc objecter aux Filoux du Parnasse
le sentiment d'un autre Italien. Auvertite
che voi vi vestite degli honori , e delle glorie
altrui , et v'attribuite quello che non è vostro.
Voi sarete chiamati la cornacchia d'Esopo
, et quello ch'è peggio , bisognerà restituire
i furti con grandissimo scorno , e biasmo
come suole intervenire a certi poetuzzi
moderni che alla scoperta rubbano a tutti ,
non rimanendo loro di proprio che la fatica
, l'inchiestro , la carta , et il tempo gettato
via.
Sérieusement , Monsieur , votre situation
me paroît triste , et d'autant plus
qu'on ne croit pas toujours le plaignant
sur sa déposition . C'est vainement qu'il
dira , oui , Messieurs , je fis cette Strophe
un tel jour , à telle heure ; et la preuve ,
la voilà : Absorbé que j'étois dans la poëtique
rêverie , je me rongeai les ongles
jusqu'au vif : Voyez - vous ? Regardez ,
ces deux doigts écorchez par le bout, sont

II. Vol. de
JUIN. 1732. 1267
de sûrs garans de la vérité de mes paroles.
Vains propos : Plus de la moitié de vos
juges ne sçauroient résoudre leurs doutes
et l'on balance toujours entre le proprié
taire et le voleur . Pour moi , si j'avois été
en votre place , j'aurois mis cent Mouches
en campagne pour dénicher le Larron
, et le faire sans délai convenir du
larcin .
J'aurois fait aussi - tot galopper sur sa trace
Le grand Prevôt du Parnasse,
Mais hélas ! que les choses sont aujourd'hui
changées ; on insulte , on pille , on
brave Apollon sur son Thrône même.
La Marêchaussée du Pinde n'a plus la
force de cheminer. Plutus , le seul Plutus
sçait se faire obéïr , se faire craindre , se
faire rendre justice , et l'on prétend que
c'est lui qui la distribuë ; quant aux Citoyens
de la double Colline , l'équité ne
s'observe ni à leur égard , ni à l'égard de
leurs ouvrages . Un Financier au moyen
d'une douzaine de chiffres , voit pleuvoir
à millier les Louis dans son Coffre
fort , et ce profit amené , ne sera souvent
le fruit que de quelques heures ; cependant
un malheureux , nud jusqu'à la chemise,
transsi de froid , demi mort de faim ,
se glisse adroitement dans son Bureau ,
II. Vol
qu'il A vj
1268 MERCURE DE FRANCE
qu'il écrême si peu que rien le superfluz
de son cher métail ; en court après , on
l'arrête , on l'emprisonne ; le coupable
n'est déja plus. Pourquoi ne poursuit- on
pas avec la même diligence et la même
sévérité les Voleurs des Ouvrages ingénieux
? L'Esprit est- il moins estimable
que l'or ?
Vilius argentum est auro , virtutibus aurum:
Un Financier a plutôt gagné vingt mil
le écus , qu'un Poëte n'a fait une belle:
Ode. Si le travail , si la difficulté donnele
prix aux choses , les Métaux , les Diamans
qui ne sont que de la bouë pétrifiée
et polie ensuite par l'Ouvrier , sont - ils
donc préférables aux pures et l'aborieuses
productions de l'ame.
O tempora ! ô mores ! Depuis que les Boileaux
, les Molieres , les Saint- Evremond ,
ces Turennes , ces Condez du Parnasse
sont allez guerroyer dans les champs Eli-
-sées ; la licence et le désordre ont envahi
le Païs des Lettres ; où la force manque
, tout est toléré. Platon se détaille
en Comédies , les Lettres se composent en
Madrigaux , les Oraisons prétintaillées
sont toutes frisées d'antithéses , l'Historien
passe avec rapidité sur la politique et
l'interressant , et se promene à pas com-
II.Vol.
ptez
JUIN. 17320
1269
ptez dans la région fleurie des descriptions
, et passe de- là par une fausse porte
dans la grande contrée des digressions
vagues et inutiles .
Jugez , Monsieur , par la mauvaise humeur
où je suis , combien votre malheur
m'a affligée ; ce qui redouble encore mon
chagrin , c'est d'apprendre de vous -même
que vous avez dit adieu au Parnasse.Quoi
le dépit d'avoir perdu une Ode , doit- il
vous porter à des extrémitez pareilles ?
La perte est réparable. Ne vous est- il pas
resté un Canif pour tailler votre Plume ?
Mais avez- vous bien refléchi sur la résolution
que vous vous imaginez avoir
prise ? Croyez-vous pouvoir tenir ferme
contre le penchant dont vous êtes l'esclave
? Je vous en défie , j'en ai dit tout autant
que vous , cent et cent fois.
n'a
Verbaque pracipites diripuere noti.
J'ai trouvé que le feu Pere du Cerceau
eu tort d'écrire :
pas
39
Qui fit des Vers , toujours des Vers fera ,
C'est le Moulin qui moulut et moudra;
» Contre l'étoile il n'est dépit qui tienne ,
» Et je me cabre en vain contre la mienne.
Le P. du Cerceau a rendu par ces qua-
IL. Vol.
tre
1270 MERCURE DE FRANCE
tre Vers Marotiques , le Vers d'Horace
qui suit :
Naturam expellas furca tamen usque recurret.
Ce que je ne sçais quel autre a traduit
én deux Vers :
Quand , la Fourche à la main, nature on chase
seroit >
Nature cependant toujours retourneroit.
Ovide , dont l'esprit est si fécond et si
délié , ce Poëte qui quelque sçavant qu'il
fut , devoit moins à l'Art qu'à la Nature.
Ovide est forcé d'avouer que c'est en
vain qu'on tâche de combattre ce penchant
imperieux.
At mihi jam puero coelestia sacra placebant ,
Inque suum furtim Musa trahebat opus..
Sæpe Pater dixit , studium quid inutilè tentas ?
Moonides nullas ipse reliquit opes ,
Motus eram dictis , totoque Helicone relictor
Scribere conabar verba soluta modis,
Sponte sua carmen numeros veniebat ad aptos
Quidquid tentabam scribere versus erat.………
Le Pere d'Ovide séche de chagrin de
voir son fils en proye à cette manie tirannique
; il ne néglige rien pour en rompre
les accès , il lui montre le vuide de cette
II. Vol. occuJUIN.
1732. 1271
Occupation aussi pénible qu'infructueuse .
L'exemple d'Homere qui vécut toujours
pauvre, malgré ses grands talens , lui sert
à prouver l'importante vérité de ses leçons
salutaires. Il conseille , il commande,
il prie , il menace , et s'emporte même
jusqu'à le maltraiter ; le fils paroît se rendre
à la volonté du pere , et se croyant
déja le maître de sa passion , lui promet
de ne plus faire de Vers de sa vie.

C'est en Prose qu'il écrira désormais ,
le parti en est pris ; il faut que l'agréa
ble cede à l'utile , il n'y a plus à balancer.
En un mot , le voilà la plume à la main
résolu d'exécuter
ce qu'il s'est proposé.
Mais qu'arrive-t- il ? La tête lui tourne , il
se figure écrire de la Prose, et ce sont des
Vers qui coulent sur le papier.
Quidquid tentabam scribere , versus erat.
Ovide ne péchoit point par ignorance,
et l'on a sans cesse répété depuis tant de
siècles , les deux Vers suivans , enfans de
sa veine : que l'esprit avoit été autrefois
plus précieux que l'or , mais qui dans le
temps présent , c'étoit être tout à- fait
barbare , que d'être entierement dépourvû
des dons de la fortune .
Ingenium quondam fuerat preciosius auro.
II. Vol. Pour
1272 MERCURE DE FRANCE
Pour moi je crois que ce quondam , cet
autrefois , n'a jamais été .
At nunc barbaries grandis habere nihil.
Quant à ce Nunc , ce maintenant , je
crois qu'il a été de tout temps.C'est donc
en Ovide que la volonté est maîtrisée par
le temperament ; et c'est- là qu'on peut
dire que le libre arbitre fait nauffrage.
Après tout , je conviens avec vous et
avec toutes les personnes sensées , que
quand on n'est pas né avec beaucoup de
bien , on doit tâcher d'arriver par les belles
voyes à certaine fortune , à labri de
laquelle on puisse vivre à l'aise , et faire la
figure convenable à son rang.
Nil habet infelix paupertas durius in se
Quam quod ridiculos homines , facit.
La pauvreté est le plus grand des maux
qui soient sortis de la funeste Boëte de
Pandore , et l'on craint autant l'haleine
d'un homme qui n'a rien , que celle d'un
pestiferé.
Yo
Déplorons donc le sort de ceux qu'un
ascendant fatal attache à ce libertinage
d'esprit . Sénéque , ce Philosophe sentencieux
, qu'on peut comparer au Rat hipo
crite , qui prêche la mortification dans
un Fromage de Hollande , ou à la four-
11. Vol.
mi,
JUIN. 1732. 1273
mi , qui fait l'éloge de l'abstinence, montée
sur un tas de grain . Cet illustre Charlatan
débitoit autrefois la morale austére,
qu'il nous a laissée dans ses Livres ; mais
y croyoit-on ? et pouvoit - on plutôt ne
pas mépriser un homme qui conseilloit
la sobriété , la bouche pleine , et la
vreté , tandis que ses coffres regorgeoient
de Richesses ? Nicolas de Palerme parloit
avec bien plus de sincerité , quand après
avoir lû un Livre, dans lequel on préténdoit
que la pauvreté étoit un bien , il s'écria
: Délivrez-moi d'un tel bien , ô mon
Dieu !
pau-
Travaillez , nous dit-on , divins éleves
des Muses , veillez , suez , frappez - vous
le front , mordez - vous les doigts , brisez
votre pupitre , au fort de votre entousiasme.
Virum Musa beat. La gloire se
peut- elle achepter par trop de peines ?
Quel honneur ! quel espoir que celui de
se survivre éternellement à soi - même !
Erreur , folie , idée chimerique.
Gloria quantalibet quid erit , si gloria tantum est.
Ne vaut- il pas mieux vivre pendant
qu'on est en vie , et que l'on se sent vivre
réellement : Homere , ce Chantre fameux
, qui jadis entonnoit ses Rapsodies
sur les Ponts -Neufs des Villes de Gréce ;
II.Vol. en
1274 MERCURE DE FRANCE
en traîna- t-il de moins tristes jours , quoi
que le Supplément de Quinte- Curce nous
dise que ses Ouvrages se sont reposez
après sa mort , sous l'oreiller du Grand
Alexandre. On logea ses Poëmes dans des
Coffrets d'or , enrichis de Pierreries ; et
pendant qu'il vécut , à peine trouva- t - il
une Maison où se mettre à l'abri des injures
de l'air ? Fecit enim nominis ejus claritas
, ut quem virum rebus omnibus egentem
nemo agnoverit , nunc multe Gracia ?
Urbes certatim sibi vindicent. Dante , dans
le 22 Chant du Purgatoire , désigne ainsi
cet illustre Poëter
QuelGreco
Che le Muse lattar più ch'altro mai.
Pour moi , je dis que si les Muses sont
des Nourrices , ce ne sont que des Nousrices
séches ; leurs Nourrissons s'attendent
à recueillir un aliment qui les rassasie
mais au lieu de lait , ils n'en tirent que du
vent qui les fatigue et les extenue. Ceci
revient à l'endroit de votre Lettre , où
vous dites agréablement en Vers , que les
Poëtes ne moissonnent que du vent avec
leur plume. Ainsi je crois qu'on les peut
appeller des Instrumens à vent , qui ne
rendent que du vent , ne travaillent que
pour du vent , et ne sont récompensez
II. Volo
que
JUIN. 1732. 1275
1
que
de vent ; disons donc avec Pétronne :
Heu! ast heu ! utres inflati sumus , minoris
quàm Musca sumus , tamen aliquam virtutem
habent , nos non pluris quam bulla. Voici
une Boutade de ma façon à ce sujet :
si le vent est la nourriture ,
Des Bourgeois malheureux du stérile Hélicon ;.
Ils devroient , au lieu d'Apollon ,
Pour ne point manquer de Pâture ,
D'Eole le venteux , avoir fait leur Patron .
Plusieurs Singes du Docte Erasme , se
sont émancipez de nos jours , à faire divers
éloges pointilleux , de l'Yvresse , du
Mensonge , de Rien , de quelque chose ,
et nombre d'autres bagatelles bizarres
dans le même goût ; mais je n'en vois point
qui se plaisent à faire l'éloge de la Pauvreté
; Paupertas habet scabiem. Juvenal ,
ce grondeur éternel , cet impitoïable censeur
des moeurs de son siècle , ne sçauroits'empêcher
de sortir de sa Philosophie , et
de soupirer après les biens de la fortune ;
il déteste la pauvreté, il déplore la misere
du Poëte Stace , et sa septiéme Satyre est
toute farcie de plaintes.
Frange miser calamos , vigilataque prælia dele ,
Quifacis in parva sublimia carmina cella ,
Ut dignus venias hederis et imagine macrâ :
II. Vol.
Spes
1276 MERCURE DE FRANCE
Spes nulla ulterior , didicit jam dives avarus
Tantum admirari , tantùm laudare disertos,
Ut pueri , junonis avem.
Cette matiere est si- bien traitrée dans
cette Satyre, qu'elle mériteroit d'être rapportée
toute entiere , si cet Auteur n'étoit
entre les mains de tout le monde : La
pauvreté , dit-on , est la Mere des Arts .
Labor omnia vincit
Improbus , et duris urgens
in rebus egestas.
Oui , la Mere des Arts mécaniques ; un
Manoeuvre vit du travail de ses mains ;
mais les Poëmes ne se vendent point en
détail , si ce n'est chez les Marchands de
Drogues. Cette réfléxion me donne lieu de
rapporter la Parodie que j'ai faite de quelques-
unes des belles Stances de Rousseau:
Que l'homme , &c.
Qu'un Livre est bien pendant sa vie
Un parfait miroir de douleurs
En naissant sous la Presse il crie ,
Et semble prévoir ses malheurs.

Un Essain d'insolens Censeurs .
D'abord qu'il commence à paroître ,
<
II. Vol. En
JUIN. 1732. 1277
En dégoute les achepteurs ,
Qui le blament sans le connoître.
A la fin pour comble de maux ,
Un Droguiste qui s'en rend maître ,
En habille Poivre et Pruneaux ;
C'étoit bien la peine de naître .
On raconte que Zeuxis faisoit une telle
estime de ses peintures,que s'il ne les pouvoit
bien vendre ,il aimoit mieux les donner
que d'en retirer un prix médiocre.
Les Auteurs n'ont point cette alternative,
et le Libraire s'imagine les trop payer encore
, en leur donnant un petit nombre
d'Exemplaires. Il arrive même que le Libraire
se ruine à force de faire gémir la
Presse. A qui donc se doit imputer la
cause d'un pareil dérangement ? A la corruption
du goût , au grand nombre de
Brochures ridicules , de Romans monstrueux
qui s'impriment tous les jours , et
qui se vont effrontément placer dans la
Boutique, à côté des la Bruyeres , des Pascals
, des Corneilles , des Molieres , des
Fénelons , des Rousseaux , des Voltaires ,
et des autres Ecrivains du premier Ordre.
Ce que je trouve de pis, c'est que tous ces
vils Auteurs communiquent leur Lépre
II, Vol.
aux
178 MERCURE DE FRANCE
aux autres par le voisinage. L'Ignorance
vient ensuite , et sa main confondant
ce qu'il y a de pitoyable avec ce qu'il y a
d'exquis , recueille l'Ivraye, tandis qu'elle
néglige et qu'elle laisse le Froment le plus
pur . S'il y avoit des Protecteurs d'un certain
esprit, qui sçussent peser les Ouvrages
au poids du discernement , pour en
récompenser les Auteurs avec bonté et
justice , les mauvais tomberoient , et les
bons se multipliroient. Les Virgiles ne
manquent point quand il y a des Méce- *
nas.C'est ce que dit Martial dans un Vers
de ses Epigrammes , et je me suis égayée
à paraphraser ce Vers en notre langue.
Sint Maecenates , non deerunt , Flacce , Marones.
Aujourd'hui les Seigneurs ne donnent
Aux Doctes ni maille ni sou ,
Par quoi pour aller au Perou ,
Beaux Esprits , Parnasse abandonnent
Mais quand les Mécenas , foisonnent ,
De Virgiles on trouve prou.
Virgile , l'Aigle des genies superieurs
eut la satisfaction de voir son merite reconnu
et recompensé. Servius rapporte ,
que les presens que lui firent Octave
Cesar et Mécenas , furent de si grande va
leur , que sa fortune monta en peu
de
II.Vol. temps
JUIN. 1732 . 1279
temps jusqu'à six mille Sesterces ; il étoit
aimé et honoré à Rome , il y avoit même
un Palais magnifique. Un jour il prononça
en présence de l'Empereur et d'Octavie
, mere de Marcellus , quelques Vers
de l'Enéïde ; quand il fut à l'endroit du
sixiéme Livre , où il parle de la mort de
Marcellus , d'une maniere si élégante et
si pathétique , le coeur d'Octavie en fut si
vivement touché , qu'elle tomba évanoüie
, et revenant à soi , comme son évanoüissement
l'avoit empêchée d'entendre
douze Vers , elle fit donner à Virgile dix
Sesterces par chaque. Quels présens n'at-
on point fait depuis à Sannazar ; et de
quel prix n'a-t- on point honoré sa belle
Epigramme sur la Ville de Venise ? Sa
reputation en imposoit tellement qu'il
suffisoit qu'une piéce passat pour sienne ,
pour être jugée excellente. Ce trait singulier
a été remarqué par le Comte Baldessar
Castiglione , dans son Courtisan .
Essendo appresentati alcuni versi sotto il no
ma del Sannazaro , à tulti par vero motto
excellenti , e furono laudati con la Meraviglie
è esclamationi ; poi sapendosi per certo ,
che erano d'un altro , Persero subito la re
putatione , et par vero meno che mediocri.
Charles IX. aimoit les Lettres , mais il
étoit tres réservé dans ses récompenses.
II. Vol.
Ce
1280 MERCURE DE FRANCE
les
Ce Prince , dit Brantome , aimoit fort les
Vers , et récompensoit ceux qui lui en présentoient
, non pas tout à coup , disant
que
Poëtes ressemblent les Chevaux , qu'ilfalloit
nourrir , non pas trop saouller , ni engraisser,
car après il ne valent plus rien. Je crois
que ni vous ni moi ne sommes trop contens
de sa comparaison , et ce Prince s'étoit
peut-être encore figuré qu'il en est
des Poëtes, comme des Maîtres de Danse,
qui , pour bien exercer leur Métier , doivent
avoir la taille légere. Hélas ! pour
un petit nombre de Poëtes à qui la Fortune
a fait part de ses faveurs ; combien
y en a- t il eu de malheureux ,jusqu'à manquer
du necessaire ? Consultez là - dessus
les mélanges d'Histoire et de Litterature
de Vigneul Marville. Parmi la multitude
des Sçavans infortunez dont il parle , je
me suis principalement attendrie sur la
déplorable condition du Tasse dont j'adore
l'Aminte et la Jerusalem délivrée .
Le Tasse , dit ce Compilateur , étoit réduit
à une si grande extrémité , qu'il fut
obligé d'emprunter un écu d'un ami pour
subsister pendant une semaine, et de prier
sa Chatte , par un joli Sonnet , de lui
prêter la nuit la lumiere de ses yeux , non
havendo candele per iscrivere i suoi versi. ·
Nous avons eu quelques Poëtes en France,
II. Vol. envers
JUIN. 1732. 1281
envers lesquels on a vû les Grands signader
leur goût , ou plutôt leur caprice ; et
Desportes est plus célebre aujourd'hui par
les pensions et les présens qui lui furent
faits , que par ses Poësies.
Le jugement de l'Homme , ou plutôt son caprice
,
Pour quantité d'esprits , n'a que de l'injustice .
Cor. la Gal. du Pal. act. 1. sect. 7. ,
Chapelain , dont on peut dire qu'il nâquit
parfaitement coiffé , quoique suivant
la Parodie de Despréaux , il ne porta jamais
qu'une vieille Tignasse : Chapelain
eut plus de bonheur que nul autre ; car
il se vit payé par avance , de l'intention
qu'il avoit de donner un Poëme excellent;
joüit pendant vingt ans d'une grosse
pension , et son intention mal exécutée
le rendit à la fin possesseur d'une fortune
considérable , tandis que Corneille et Patru
pouvoient à peine fournir aux besoins
dont la nature nous a faits les esclaves.
·
D'autres Auteurs ont vû le fruit de
leurs veilles se borner aux attentions, aux
caresses des Grands . Cela flatte d'abord la
vanité ; mais de retour chez soi , on n'y est
pas un instant , sans en appercevoir le
vuide dans toute son étenduë. Trente
baisers , plus doux encore que celui dont
II.Vol B Mar1282
MERCURE DE FRANCE
Marguerite d'Ecosse régala Alain Chartier
, ne feront point une vie gracieuse à
un Poëte , si l'on s'en tient aux démonstrations
extérieures . On n'est point avare
à notre égard de complimens et de ceremonies
, et l'on nous traite à la façon des
Morts , avec de l'eau benite. Peut - être
aussi que les bons Poëtes ayant été comparez
aux Cigales , par quelques Anciens ,
car les mauvais leur ont été comparez
par d'autres ) on s'est figuré , que comme
elles , ils ne doivent vivre que de rosée.
Hoggi è fatta ( ô secolo inhumano
L'Arte del Poetar troppo infelice
Tuto nido , esca dolce , aura cortese,
Bramano i cigni , è non si và in Parnasso ,
Con le cure mordaci, è chi pur garre ,
Semper col suo destino , è col disagio ,
Vien roco , è perde il canto , è la favella.
GUARINI.
Mais , ne direz - vous pas , Monsieur , en
lisant ma longue Lettre , que c'est moi
qui pour mon babil , dois être mise en
parallele avec les Cigales de la derniere
espece ; j'en conviens avec vous , et je ne
nie pas que je ne scis de mon sexe tout
comme une autre ,Prenez donc encore une
prise de Tabac pour vous réveiller et vous
II.Vol. fortiJUIN.
1283 1732 .
fortifier un peu contre l'ennui que vous
pourroient causer quelques lignes qu'il
me reste à écrire .
J'en reviens à l'adieu que vous prétendez
dire aux neuf Soeurs ; permettez- moi
de vous assurer derechef¸ que c'est en
vain que vous vous le persuadez ; vous
ferez comme le Poëte Mainard , vous ré.
péterez inutilement , en prenant congé
d'elles :
Je veux pourtant quitter leur bande ,
L'Art des Vers est un art divin , '
Mais leur prix est une Guirlande ,
Qui vaut moins qu'un bouchon à vin.
Vos efforts révolteront votre penchant
contre vous , et ne serviront qu'à rendre
sa rebellion plus opiniâtre ; votre raison
même trop amoureuse de la rime , n'entendra
plus vos cris , et ne pourra se résoudre
à faire divorce avec elle . Mais
Monsieur, vous vous plaignez d'avoir été
dolié par la nature d'un mérite inutile an
bonheur de votre vie : Vous vous plaignez
! Eh , croyez vous être le seul à qui
la cruauté du sort a laissé le droit de le
maudire. Ma situation , par exemple , n'estelle
point encore plus fâcheuse que la vô
tre? Je ne suis jamais sortie de ma Province,
presque toujours exilée dans le sein de
II.Vol. Bij ma
1284 MERCURE DE FRANCE
ma Patrie ; triste habitante d'un Port de
Mer , où les Lettres sont , pour ainsi dire,
ignorées : J'y avois un compatriote , un illustre
ami , M. Bouguer , ce Mathématicien
fameux , que l'Académie des Sciences
, qui l'a couronné trois fois , a reçu au
nombre de ses Membres , au grand contentement
de ses Rivaux découragez ,
mais il n'est plus de notre païs ; le Havre
de Grace nous l'a envié , et il y professe
aujourd'hui l'Hydrographie ; nous avons
pourtant en son frere ,qui remplit sa place
avec honneur , une digne portion de
lui-même. Le peu de réputation que j'ai
je ne la dois qu'à moi seule et à deux cens
volumes François , Grecs traduits , Latins
et Italiens , qui forment ma petite Bibliotheque.
La nombreuse famille dans laquelle
je suis née ( comme vous l'avez pâ
voir dans mon Ode , sur la mort de mon
pere ) ne me laisse point assez de super-
Alu pour faire le voyage de Paris. Cependant
Baile , dans son Dictionaire,au mot
le Païs , veut que les Parisiens n'estiment
point un Ouvrage en notre langue , s'il
n'est conçu dans l'enceinte de leur Ville ,
ou du moins s'il n'y a reçu les derniers
coups de lime.
Après tout , les injures que vous dites
à la Poësie ne me paroissent pas des mieux
II. Vol. fondées
JUIN 17328 1285
fondées , s'il est vrai qu'en rimant en or ,
vous ayez trouvé la Pierre Philosophale .
Je vous avouerai pourtant que cela ne me
paroît pas naturel ; il faut absolument
qu'il y entre de l'abracadabra, ou que vous
fassiez usage de partie des Sortileges dont
le Cavalier Marin nous a donné une longue
liste , dans le 13 chant de l'Adone .
Suggelli , è Rombi , è Turbini , è figure.
Il y a même dans votre projet d'autant
plus de difficulté , que les rimes en or sont
tres-rares. Richelet , ce curieux trésorier
des mots , s'est épuisé à faire la recherche
de ces rimes dorées , et n'en a pû trouver
qu'environ une demie douzaine , si vous
en exceptez les noms propres
*
Vous voulez donc rimer en or ,
La rime en or est difficile ,
Et ne vous permet pas de prendre un libre es
sor ,
Mais sçavez - vous pourquoi cette rime est stérile
?
C'est qu'Apollon voyant qu'à la Cour,à la Ville,
Rarement à rimer on amasse un trésor ,
Ce Dieu prudent , jugea qu'il étoit inutile
De vouloir fabriquer tant de rimes en or.
J'ai de plus un avis à vous donner en
II. Vol.
amie ,
B iij
T286 MERCURE DE FRANCE
amie , qui est que si en rimant en or , vous
avez le moyen de gagner de l'or , vous
vous donniez bien de garde de dire votre
secrettrop haut; les autres l'apprendroient,
et vous sçavez que le grand nombre d'ou
vriers fait diminuer le prix des marchandises.
Il me reste à vous parler de M. de la
Motte , dont votre Lettre m'a appris la
mort. J'ai remarqué dans les Livres de cet
Académicien , un esprit exact , un jugement
profond , des pensées solides , avec
un certain air de probité qui ne regnoit
pas moins , nous dit on , dans son coeur ,
que dans ses. divers Ouvrages . Cette derniere
qualité est sur tout estimable . Un
Auteur est exempt d'excuser son coeur en
accusant sa plume , comme fait Martiak
dans une Epigramme
.
Est lasciva mihi pagina , vita proba.
Ce que Mainard a traduit si gaillardement
, que la modestie de mon sexe ne
me permet pas de le citer , dautant que
l'obscenité est dans les termes. Parti tunicam
prætende tegenda . Je ne sçaurois passer
la grossiereté des expressions en quelque
langue que ce soit , et ce défaut est
moins pardonnable aux François qu'aux
autres ; notre Nation surpassant en poli-
II. Vol.
tesse
JUIN. 1732.
1287
tesses les anciens Romains même. Il en est
des Vers comme d'une Lettre polie ; il
leur faut une enveloppe.Personne ne prise
plus que moi les Epigrammes de Rousseau
; je ne m'offense pas jusqu'à faire la
grimace , en lisant quantité de ces petites
Piéces , dont le sens est un peu libertin ,
mais je ne sçaurois souffrir celles où la pudeur
est directement heurtée par les termes.
Boileau , dans le 2 chant de son Art
Poëtique , ne permet point en notre langue
ces libertez d'expression qu'il tolere
en Catule et en Pétronne.
Le Latin dans les mots brave l'honnêteté ,
Mais le Lecteur François veut être res
pecté.
Ma façon d'écrire vous paroîtra singu
lieure , Monsieur ; je cours çà et là , sans
tenir de route certaine , et comme si j'érois
enfoncée dans un Labirinte, je quitte
une allée pour en enfiler une autre je
m'égare , je retourne sur mes pas ; faisant
de cette maniere beaucoup de chemin ,
sans beaucoup avancer.
Or pour en revenir à M. de la Motte ,
après avoir loué ce que j'ai trouvé d'admirable
en lui , dût - on me faire mont
procès , il faut que j'avoue ce qui m'a déplu.
Je dis donc qu'il est trop gravement
II.Vol.
Biiij moral
1288 MERCURE DE FRANCE
moral dans ses Odes , que son stile est
triste , que
, que la Poësie languit dans ses Tragédies
, que ses Fables ne sont point naïves
, et que ce n'est que dans quelques endroits
de ses Opéra que je découvre les
étincelles du beau feu qui caractérise le
Poëte. Le Quattrain qui suit , et que vous
citez dans votre Lettre , n'est pas de mon
goût , n'en déplaise aux Manes de M. de
la Motte .
» Vous loüez délicatement
" Une Piéce peu délicate ,
>> Permettez- moi que je la datte
- Du jour de votre compliment.
Je n'entends gueres ces quatre Vers ,
et il me paroît que le bon sens de M. de
la Motte a fait un faux pas en cette occasion.
Vous me marquez qu'ayant lû une
Piece infiniment délicate , vous dites à M.
de la Motte qu'il falloit qu'elle fut de lui
ou de M. de Fontenelles que répond t- id
dans son Quattrain impromptu , sinon ,
1º . que cette Piéce qu'il avoit trouvée de
mauvais aloi auparavant , devient bonne,
parce que vous avez crû qu'elle étoit de
lui ou de M. de Fontenelle . 2°. Qu'elle
n'est bonne que du jour de votre compliment
, et que c'est ce compliment qui
fait une partie de sa bonté. En verité cela
II. Vol. ne
JUIN. 1732. 1289
ne me paroît pas raisonnable . Mais ne passerai-
je pas dans votre esprit , Monsieur ,
pour une indiscrete de déclarer mon sentiment
avec tant de liberté sur un Auteur
aussi célebre que M. de la Motte ? Ne passerois
- je pas même pour une ingrate , si
vous sçaviez que c'est lui qui m'a adressé
les quatre Vers que vous avez peut- être
lû dans le Mercure de Janvier , page 75.
qu'y faire ? Je suis femme , et par conséquent
peu maîtresse de me taire. De plus
j'ai vu le jour au milieu d'une nation,dont
la naïveté et la franchise ont toujours été
le partage. Mais il me souvient que vous
m'engagez sur la fin de votre Lettre à faire
l'Epitaphe de M. de la Motte , je le devrois
, ne fusse que pour me vanger de sa
politesse , je le devrois , je ne le puis . Cependant
, attendez , révons un moment;
foy de Bretonne.voici tout ce que je sçau.
rois tirer de mon petit cerveau.
Cy git la Motte , dont le nom
Vola de Paris jusqu'à Rome ;
Etoit-il bon Poëte ? Non ,
Qu'importe Il étoit honnête homme,
Je ne doute point que cette Critique ne
souleve contre moi les trois quarts du Par
nasse. Les Partisans de M.de la Morte , et
peut-être vous- même me regarderez com
II.Vol.
me: By
1290 MERCURE DE FRANCE
me une sacrilege . Ils diront qu'il ne m'appartient
pas de mettre un pié profane
dans le sanctuaire. Je commence par les :
avertir que je ne répondrai rien , c'est àdire
,
que je me tairai si je le puis , sinon
on verra , furens quid foemina possit. Eh !
depuis quand prétend - t - on ôter la liberté
de dire ce qu'on pense sur les Ouvrages
d'esprit? Les Loix de la critique sont comme
celles de la Guerre ; il est permis de
tirer , mais il est défendu d'envenimer les
Bales . Pourquoi me feroit-on un crime
de prendre sur les Ouvrages de M. de la
Motte les mêmes droits qu'il s'est attribués
sur ceux d'Homere , de Pindare , d'Anacréon
, et des Latins et des François? Au
surplus si la critique est mal fondée , les
traits que lance le Censeur reviennent
sur lui . Si au contraire elle est judicieuse ,
les défauts qu'on fait appercevoir aux autres
, servent à les corriger et à les rendre
amoureux du vrai beau et de la pure exactitude.
Je ne m'ennuye point avec vous , Monfeur
, mais je crains que mes discours ne
'ous ennuyent ; je ne dirai pas comme
Pascal , dans sa seiziéme Lettre:Je n'ai fait
celle- ci plus longue que parce queje n'ai pas
eu le loisir de la faire plus courte. Je dirai
plutôt , comme dans sa huitiéme : Le pa-
II. Vol.
Pier
JUIN. 1732. 1291
pier me manque toujours , et non pas les Passages
et je ne fais cette Lettre si courte
que parce que je ne la veux pas faire plus
longue , dans la crainte que j'ai , ou que
sa prolixité ne la fasse rebuter de l'Auteur
du Mercure, ou que vous ne vous donniez
pas la peine de la lire jusqu'à la fin , et je
vous avoue que je vous en voudrois du
mal , d'autant plus que c'est ici que vous
trouverez ce que j'ai sur tout envie que
vous sçachiez , que je suis avec un parfait
retour d'estime, Monsieur , votre treshumble
, & c.
Au Croisic , ce 15 d'Avril ,, 1732.
LA FAUSSE INCONSTANCE,
mise en Musique , par M. de Brie.
CANTATE , à voix seule.
LE Berger Palemon en proïe à sa douleur ,
Par ses Discours plaintifs , exprimoit son malheur.
Ovous à qui mes cris pourront se faire
entendre ,
Apprenez , apprenez , trop crédules amantes
Que mes tristes regrets et mes gemissemens ›
Sont les fruits d'un amour trop tendre
H. Vol. Bvj , Que
1292 MERCURE DE FRANCE
Que l'exemple d'un malheureux
Puisse vous garentir des tourmens amoureux !
Amants , amants, brisez vos chaînes ,
Eteignez de folles ardeurs ;
De l'amour les fausses douceurs ,
Causent de veritables peines,

C'est pour enflammer nos coeurs
Qu'avec vous il badine ;
De lui n'attendez point de fleurs ,
Qui ne vous cachent quelque épine :
De lui n'attendez point de fleurs ,
Que vous n'arrosiez de vos pleurs .
M
Par son mérite et sa tendresse ,
La jeune Amarillis avoit sçu me charmer
Mais cette infidele maîtresse ,
S'est lassée enfin de m'aimer.
Depuis son changement , je languis , je m'af
flige ,
Et mon troupeau que je néglige
N'entend plus mes tendres Chansons :
Je dors bien moins que je ne veille ;
Et ma Musette à mon oreille ,
Ne rend plus que de tristes , sons..
II. Vol. No
JUIN. 1293 1732.
Ne vous plaignez plus que vos belles
Refusent de vous soulager ;
Ha ! ne vaut - il pas mieux les éprouver
cruelles ,
Que de les voir changer.
Vous avez au moins l'esperance ,
De les attendrir quelque jour ;
Mais j'ai perdu toute assurance
De recouvrer jamais l'objet de mon amou
M
Tandis que par ces tristes plaintes ,
Le Berger Palemon aux Bergers d'alentour ,
Du Dieu que l'on appelle Amour
Inspire les plus vives craintes ,
Quel objet vient s'offrir à ses regards surpris
C'est la charmante Amarillis.
Il reconnoit cette Bergere ·
Qu'il accusoit d'être legere :
Mais elle n'avoit feint un si prompt changement
,
Que pour éprouver son amant,
De Palémon elle couronne
La rare fidelité.
Bien-tôt le Berger lui pardonne ,
Et consent d'oublier son infidelité.
C'est une galante industrie
11. Köl. Que
1294 MERCURE DE FRANCE
De sçavoir à propos irriter un Amant :
Une petite broüillerie ,
Procure le plaisir du racommodement.
P .... r.
QUATORZIEME LETTRE
sur le Systeme du Bureau Typographique
et sur le choix d'un Précepteur , pour la
premiere éducation d'un Enfant.
Oici , Monsieur , une objection que l'on ne
m'auroit peut- être pas faite , si l'on avoit
pris la peine de lire attentivement les dernieres
Lettres sur le Systême du Bureau Typographi
que , et si l'on avoit un peu parcouru la Brochure
qui se vend chez Pierre Witte , ruë S. Jacques,
à l'Ange Gardien , intitulée : Réponse de M. Perquis
, Maitre de Philosophie , d'Humanitez et de
Typographie, à la Lettre d'un Professeur anonime
de l'Université de Paris , inserée dans le Mercure
du mois de Février 1731.
Si ce Sisteme , m'a- t'on dit , étoit aussi utile
que vous le publiez depuis près de deux ans , lès
Parens et les Maîtres se feroient un plaisir et même
un devoir de le suivre pour la premiere institution
des enfans de trois à sept et à huit ans ,
cependant les Maîtres sont effrayez à la vûë de
cette Machine , et l'on dit que du grand nombre
de
personnes qui ont lû vos Lettres , qui ont en--
tendu parler de ce Sisteme , ou qui ont vu des
Bureaux et même l'exercice de cette Méthode , il
y en a peu qui ayent mis leurs enfans aux Clas-
IT. Vol
JUIN. 1732. 1295
ses du Bureau Typographique , il faut donc conclure
, a-t'on poursuivi , que ce nouveau Sistême
n'est point aussi utile que vous le prétendez , ni
au-dessus de la Méthode vulgaire.
Voilà , Monsieur , ce que nos Critiques appellent
une Démonstration , car ce mot est devenu
aujourd'hui si commun , qu'on l'employe
hardiment pour les matieres les plus problématiques
; vous trouvez des Ecrivains de parti ,
acharnez les uns contre les autres qui se flattent
d'avoir procedé à la maniere des Géometres dans
toutes leurs disputes , et l'on peut dire qu'en supposant
la verité de leurs principes contestez,bien
des Auteurs , comme Spinosa , ont effectivement
suivi la Méthode des Géometres . Venons au fait.-
pour
être
être
Pour répondre à cette prétendue Démonstration
, je dis , 1 °. que les Maîtres vulgaires s'opposeront
toujours à toutes les Méthodes qui feront :
connoître au Public leur ignorance ou leur pré--
vention , et que leur opposition aveugle et témeraire
augmentera toujours le mépris dû à leurs
vaines déclamations. 2°. Qu'un sistème peut
fort utile et meilleur qu'un autre , sans obtenir
néanmoins la préference , parce qu'il ne suffit pas
qu'une chose soit bonne en elle- même
recherchée , il faut encore que l'on soit persuadé
de cette bonté , et ce deffaut de persuasion qui
vient d'une infinité de causes , ne diminuë en rien
la bonté réelle de cette même chose. Un exemple
sensible rendra ce raisonnement
plus clair. Que
diroit-on à un Chinois qui feroit cette difficulté , si une telle Loi , une telle Coutume , et une telle.
Religion , étoient les meilleures du monde , les
Souverains et les Peuples de la Terre se feroient
un plaisir et même un devoir de les pratiquer dèsqu'on
leur en parleroit , cependant ils ne le font
II. Vol
pase;
1296 MERCURE DE FRANCE
pas ; donc cette Loi , cette Coûtume et cette Religion
, ne sont point les meilleures du monde. Le
Lecteur sensé et judicieux , n'a pas besoin qu'on
lui fasse voir la fausseté et le sophisme dans un
pareil raisonnement.
3. Je dis qu'aucun Journal n'a encore parlé
du Bureau Typographique , parce que les Lettres.
insérées dans les Mercures , n'ont encore été ni
affichées , ni mises en vente chez des Libraires.
Je dis que peu de gens lisent les Journaux, la plûpart
même des Lecteurs passent les matieres ou
Ies Pieces qu'ils n'entendent point, et qu'ils trouvent
toûjours trop longues , de même que celles
où ils ne prennent aucune part. Ceux qui ont lu
les Lettres sur le sistème du Bureau , ou qui em
ont entendu parler , ne sont pas tous dans le cas
d'avoir de petits enfans , et quand ce peu de Lecteurs
auroit excité la curiosité des autres , ce premier
empressement est bien - tôt ralenti par le
torrent des embarras du siecle , ou par le flux et
reflux de mille affaires domestiques, Tel Pere
avoit voulu d'abord donner un Bureau à ses enfans
, qui ensuite en a été détourné par la mere.
trop oeconome ou trop allarmée en fait d'éducation
; tels parens ont proposé l'experience du Bureau
, qui en ont été détournez par les Précep
teurs ; c'est ainsi que beaucoup de gens, d'ailleurs
pleins de mérite et bien intentionnez , se laissent
quelquefois mener en aveugles.
4°. Je dis que de tous ceux qui ont vu le Bu
reau , il n'y a personne qui , du moins exterieu- ment et en apparence , n'en ait reconnu l'utilités. je ne dois pas même en excepter notre Critique. M. G. quelque mal qu'il ait crû avoir interêt d'en dire ailleurs. Le Bureau peut se vanter d'avoir à la Cour , à la Ville et dans les Provinces
, un grand
II.. Vol. nombre.
JUIN 1732. 1297
nombre d'illustres Partisans dont le témoignage
autentique fera toujours mépriser les mauvaises
critiques , malgré le mérite de leurs Auteurs, -
5. Je dis que quand il n'y auroit encore qu'u
ne trentaine d'enfans de l'un ou de l'autre sexe
exercez par le sistème du Bureau , ce seroit toûjours
beaucoup qu'en si peu de temps , malgré le
préjugé vulgaire , malgré les affiches et les vaines.
promesses de plusieurs Charlatans en menuë Litterature
, qui dégoutent et indisposent le Public
malgré les Critiques anonimes et celle de M. G.
malgré les calomnies et les faux rapports des
Maîtres et des Précepteurs prévenus ou passion
nez contre le sistème Typographique
, ce seroit,
dis-je , toûjours beaucoup d'avoir autant d'enfans
connus , exercez et montrez selon cette nouvelle
maniere d'enseigner les premiers élemens des
Lettres..
6º.Je dis que le préjugé , l'ignorance , la paresse,
L'indifference , l'interêt , l'envie et la mauvaise foi ,
peuvent arrêter pour quelque temps les progrès du
Bureau Typographique ; et afin que mes Critiques
ne blâment point l'emploi de pareils termes , je.
leur déclare que par le mot préjugé , j'entens le jules
Maîtres porgement
vague et indéterminé que
tent par tradition et sans examen en faveur de la
Méthode vulgaire contre toutes les nouvelles
Méthodes ; les trois quarts des Maîtres , pour le
moins , sont dans ce préjugé et presque tous les
parens. Par le mot ignorance , j'entens la privation
des connoissances grammaticales necessaires
pour l'intelligence de la doctrine typographique
ou des sons de la Langue Françoise et de la vraye
dénomination des Lettres , pour la prompte et fa
cile sillabisation ; nos Critiques et bien d'autres
sont dans cette ignorance. Par le mot paresse ,
II.. Vel
j'entens
1298 MERCURE DE FRANCE
j'entens l'aversion et l'éloignement qu'un Maître
fait souvent paroître quand il s'agit de travailler
avec un enfant ; cela regarde le plus grand nombre
des Précepteurs . Par indifference , j'entens le
caractere de certains Maîtres mercenaires , plus -
occupez , de pane lucrando , que de puero instiuendo.
Par interêt , j'entens le motif de certains
Auteurs qui craignent mal à propos que le systême
du Bureau ne nuise à la vente de leurs perites
Brochures. Par envie, j'entens les sentimens
jaloux de ceux qui ne voudroient jouir que de
leur propre gloire , et même aux dépens de ce lle
des autres. Par mauvaise foy , j'entens le caractere
et le sentiment de ceux qui persuadez de la
bonté et de l'utilité du systême , cachent ce sentiment
et agissent contre la vérité connue, poussez
par diverses passions , qu'ils n'oseroient avo üer
devant les hommes , et qu'ils ont la malice d'entretenir
devant Dieu . Tous ces injustes motifs de
critique , peuvent se rencontrer dans la même
personne ; on pourroit même les désigner , à lamauvais
foy près , dont Dieu seul est le juge.
7°. Je dis que l'ortographe passagere dont on
a fait l'essai et dont on a rendu compte dans la
neuvième Lettre sur le sistême du Bureau , je dis
que cette ortographe passagere d'épfant et des
sons ou de l'oreille , peut avoir éloigné bien des
gens , du systême Typographique , ce que n'auroit
peut- être pas fait l'ortographe permanente
d'homme , des yeux et de l'usage. Quoiqu'on cut
facilement prévu que cela pourroit arriver ainsi ,
on a été cependant obligé de suivre son Plan
pour mettre le Lecteur bien intentionné , au fait
des sons de la Langue , et en état de mieux juger
du systême ; et cela au hazard de déplaire aux
Lecteurs prévenus qu'on pourroit un peu com-
II. Vol. parer
JUIN. 1299 1732.
parer à celui qui aima mieux perdre la valeur
d'une Lettre de Change , que d'en faire usage ,
malgré l'ortographe singuliere de cette Lettre ,
ou au malade qui refusa tout soulagement , faute
de parfaite guérison .
9
8. J'ajouterai que la saison de l'hyver , propre
à faire Recruë de Soldats, ne l'est guere pour
celle des enfans du Bureau. Le froid en fait differer
l'exercice , le Printems en paroît la premiere
saison ; outre cela les objets frivoles qu'on donne
ordinairement pour étrennes aux petits enfans
dans le commencement de l'année , les occupent
si fort , qu'il seroit pour lors assez inutile de leur
donner un Bureau. Les parens , les amis , les domestiques
, tous à l'envi , présentent à l'enfant
bien des niaiseries, plus nuisibles que profitables.
Une Classe de Bureau pour étrennes amuseroit et
instruiroit l'enfant ; mais les parens en general
aiment mieux se prêter au torrent du préjugé
vulgaire,et au systême ou au jeu des Marionettes,
dont ils font souvent eux-mêmes leur amusement.
9. Oserois- je dire que le prix d'un Bureau
arrête bien des gens riches , dans l'esprit desquels
l'argent tient souvent la place de fils aîné
et quelquefois celle de fils unique , même à la
vue d'une nombreuse famille. Dix Pistoles pour
la suite des quatre Classes du Bureau peuvent pa--
roître une somme non seulement à de riches
Bourgeois , mais encore à certaines personnes qui
ne dépensent guere moins de cent francs par jour
pour leur table et pour leur écurie. C'est aux
parens à s'examiner là- dessus devant Dieu et devant
les hommes.
,
10°. Il faut convenir que la disette des Maîtres
qui veuillent s'asservir au systême du Buseau
, en arrétera toûjours les progrès ; mais
II. Vol.
c'est
1300 MERCURE DE FRANCE
c'est faute d'entendre leur véritable interêt qu'ils
refusent d'apprendre et de pratiquer cette métho
de. Elle les feroit rechercher et préferer aux
Maîtres vulgaires ; enfin elle assureroit aux Maîtres
externes un nombre de meilleures Maisons
et donneroit aux Précepteurs le choix des meilleurs
Elèves . Je dois ajouter icy qu'un mois de
Leçons tipographiques , mettra facilement une
Gouvernante , un Domestique en état de montrer
les premieres Classes du Bureau , en attendant
que l'on donne à l'enfant un Précepteur, ou
bien un Maître -externe.
Q
11 Pour derniere réponse, je donnerai à mon
tour un argument qu'on pourra opposer à celui
de nos critiques. Le voici : Si les Professeurs , les
Régens , les Préfets , ni les Maîtres ne peuvent
pas détruire les preuves qui font voir les avan
tages du Bureau typographique sur la Méthode
vulgaire ; il faut conclure en faveur du Bureau.
Or est- il que ces MM) n'ont pu jusqu'icy prouver
l'infériorité du Bureau , ni la supériorité de
la Méthode vulgaire ; donc en faveur de la verité
, et pour le bien de la cause des enfans , on
peut , par provision et hardiment predire que
les Maîtres ne viendront jamais à bout de prouver
l'excellence de leur Méthode vulgaire, contre
celle du Bureau. On doit donc aussi conclure en
faveur du Bureau , contre les mauvaises critiques,
C'est au Public à décider , en attendant le
jugement des Commissaires que l'Université de
Paris, et les Académies pourroient nommer dans
la suite , pour l'examen de ce systême.
Je conclus, après toutes ces réfléxions , que les
parens bien intentionnez et curieux de trouver un
bon Précepteur pour leurs petits enfans , ne sauroient
mieux faire que de l'éprouver , par le
1. Vel.
moyen
JUIN. 1732. 1301
moïen du Bureau tipographyque ; ce sera la
vraie Pierre de touche , en fait de Pédagogie , er
l'on peut assurer , sans témérité, que tout Maître
qui refusera aux parens de suivre la Méthode du
Bureau , pour un enfant de trois à sept et à huit
ans , donnera contre lui des préjugez suffisans
pour le refuser lui- même ; et l'on voit par là
que l'épreuve du Maître par celle du Bureau, sera
toujours d'une grande utilité et d'un grand secours
pour les parens capables ou incapables de
faire par eux -mêmes choix d'un bon Maître,
>
Les Précepteurs qui refuseront de suivre le systême
du Bureau , aux parens qui le leur propos
seront , seront obligez de dire pourquoi ? Or ces
Précepteurs , ou ils connoissent le Bureau , ou ils
ne le connoissent pas ; s'ils ne le connoissent
point , et que sans examen ils refusent d'en
faire usage , ils se rendront suspects de préjugé ,
ou d'ignorance , ou de paresse , ou d'indifference;
qualitez suffisantes pour refuser ces Précepteurs
, dans la plupart desquels on trouvera ordinairement
un esprit vain , superficiel , aigre ,
indocile , impatient ; un esprit mercenaire , qui
fuit la peine , qui craint le travail , et sur tout
qui redoute l'examen .
Si les Précepteurs au contraire , en refusant
absolument de suivre la Méthode du Bureau tipographyque
, disent que c'est par connoissance
de cause ; il est juste de les entendre et de répondie
à leurs difficultez; ce sera là un des plus surs
moyens pour juger de leur maniere de penser , de
parler , et de raisonner. Qualitez rares mais essentielles
la bonne et la noble éducation . pour
Cette opposition , d'ailleurs soutenuë de bonne
foy et avec quelque apparence de fondement, ne
peut que faire honneur à l'adversaire , qui se dé-
11. Vol. clarera
302 MERCURE DE FRANCE
4
-
clarera contre le systême du Bureau , sans renoncer
à un plus grand examen de cette Methode
, ni au dessein de la suivre ; supposé qu'elle se
trouvât la meilleure , L'Auteur , au reste offre
d'intervenir avec plaisir , dans le differend , lorsque
les parens témoigneront le désirer , pour le
bien de leurs enfans et de la cause publique.

Mais si le Maîrre, simple latiniste , plein de luimême
, se trouve un esprit faux , incapable de
justesse dans le raisonnement , un esprit sans
méthode , enfin un esprit qui ne voye que par les
yeux du préjugé vulgaire , et qui sans vouloir
raisonner , soûtienne obstinément que le systême
du Bureau est frivole ; il sera aisé de s'appercevoir
qu'un tel caractere n'est pas le meilleur que
l'on puisse désirer pour élever un enfant , et c'est
un grand avantage que de pouvoir s'en assurer
dès le premier jour , sans s'exposer si souvent
à essayer de nouveaux Précepteurs ; car ce frequent
changement de Maître , est ordinairement
un obstacle à l'avancement de l'enfant , et le Bureau
préviendra quelquefois cet inconvenient.
Les parens qui aiment à se déterminer par rai.
son plutôt que par coutume, remarqueront bientôt
dans le monde que les partisans du Bureau
sont ordinairement ou personnes d'ordre ou gens
d'esprit Philosophique , aimant le bien public ;
et qu'au contraire ceux qui se déclarent contre le
Bureau ne sont que de simples latinistes , tresindifferens
sur le bien et le mieux , et la plupart
incapables d'analiser les idées et de suivre .
avec honneur , le moindre raisonnement. Or si
la chose est , comme j'ose le dire, et comme chacun
peut s'en convaincre lui-même , avec les critiques
qu'il trouvera dans son chemin ; n'est-ce
pas un grand avantage pour les dignes parens es
D
JUIN. 1732.
1303
pour le public d'avoir un moyen si simple et si
propre à développer l'intérieur des Maîtres les
plus dissimulez , qui se présenteront pour la premiere
institution de l'enfance.
Je ne prétens pas , au reste , conclure qu'un
Maître qui offre de se soumettre au systême du
Bureau devienne par-là et sur le champ un bon
Précepteur ; mais je veux seulement dire qu'entre
deux hommes de Lettres , à peu près d'égale réputation
, en fait de Pédagogie, on doit toujours
préferer l'esprit doux , docile , bien intentionné ,
méthodique, qui se prétera volontiers et sans répugnance
à l'exercice du Bureau , et qui en homme
d'honneur et de bien , par ses discours et par
sa complaisance litteraire,prouvera qu'il ne craint
pas le travail , et qu'il est capable d'affection et
d'attachement pour l'enfant dont on veut bien
d'abord lui confier la premiere éducation ,
5
On pourra aussi trouver des Maîtres d'ailleurs
tres-capables , qui pleins d'eux - mêmes et de la
Méthode vulgaire , diront qu'il est possible que
le Bureau soit bon et utile , mais que leur réputation
étant faite , ils n'ont pas besoin d'entrer
dans le détail de ce systême , et qu'ils s'en tiennent
à leur maniere d'enseigner , sans vouloir
être remis à l'A , Bé, Cé Tipographyque. Or ne
peut-on pas encore dire , sans témérité , que ces
Maîtres , quelque habiles qu'ils soient dans le
Grec et dans le Latin ; que ces Maîtres , dis-je ,
en craignant la peine et le travail , donnent parlà
contr'eux, des préjugez suffisans pour leur refuser
la préférence sur les autres Maîtres ? Car
c'est déja un grand préjugé contre un Précepteur
que de vouloir d'abord canoniser son indifference,
sa paresse , et son peu de goût litteraire ,
en refusant de lire une Méthode qui fait quelque
11. Vol. bruit
1304 MERCURE DE FRANCE
bruit dans le monde , et qui , selon l'expression
d'un grand homme, annonce une révolution dans
l'éducation des enfans .
Enfin il y a des Maîtres bien intentionnez , qui
feroient volontiers usage du Bureau s'ils en comprenoient
le systême , mais ils s'en font d'abord
une épouvantail et tâchent adroitement de
détourner les parens qui en voudroient faire l'expérience.
Je n'ai rien à dire contre la prudence de ces
Maîtres , si ce n'est qu'ils apprendroient facilement
le systême , dès que sans prévention , et à
l'exemple des autres , ils en voudroient faire l'essai
; les enfans donneront aux Maîtres le temps
necessaire pour cette étude ; comme les Ecoliers
de certains Colleges , donnent aux Regens des
Basses classes , le temps de se rendre capables des
plus hautes . Le Maître apprendra le sistème Ty ,
pographique en le mostrant à l'enfant , après
avoir un peu raisonné et conferé avec quelque
Maître de Typographie , et après avoir vú travailler
quelque Enfant sur la Table de son Bureau.
Ce sera toujours un grand préjugé contre
un Précepteur s'il trouve pénible et difficile un
petit exercice d'enfant. Un Maître qui craint ce
petit travail , fait voir sans y prendre garde ,qu'il
est occupé à chercher du pain , plutôt qu'à le
gagner.
On trouvera au surplus facilement de bons
Maîtres quand les parens connoîtront le prix de
l'éducation , qu'ils ne regarderont pas un Precep
teur comme un simple domestique , indigne de
manger à leur table , à propos de quoi il n'est
pas mal de rapporter ici ce que le Maréchal
de Villeroy dit autrefois à l'occasion d'un Président
à Mortier , dont le fils ne mangeoit pomt
II. Vol.
avec
JUIN 1732. 1305
avec son Précepteur : Je ne voudrois point , dit le
Maréchal , donner à mon fils un homme que je ne
croirois pas digne de manger à ma table. Il est visible
qu'un Maître , Précepteur , ou Gouverneur
qui ne mangera pas avec son Eleve , ei sera
bientôt méprisé. Enfin les parens trouveront un
bon Précepteur quand ils seront dans le dessein
de le dédommager du sacrifice qu'il aura fait de
sa liberté , de son tems , et de la meilleure partie
de ses années.
D'où vient qu'on est si libéral à l'égard d'un
Cuisinier, envers un Maître de Musique et d'Instrument,
à l'égard d'un Maître à Danser , même
avec un dresseur de Chiens , et qu'on leur donne
volontiers pour un seul mois la somme qu'on
marchande quelquefois pour six mois de simple
pédagogic
Doit - on être surpris après cela si les bons Précepteurs
sont rares, et si l'on voit manquer tant
d'éducations. Je l'ai dit bien des fois , c'est souvent
la faute des parens , des domestiques et des
Maîtres , plutôt que celle des enfans. Et c'est sur
cette matiere qu'on pourroit donner bien des gemissemens.
Trop de gens pensent sur cet article
comme M. G. Ce Regent suppose que le moindre
secours du plus petit Maître d'Ecole d'un Maître
d'un médiocre sçavoir et d'une médiocre exaatitude;
que ce moindre secours suffit pour montrer
lire aux petits enfans .
יכ
Voici ce qu'on lit là - dessus , dans la Réponse ,
du M. Perquis à un critique anonime. Je m'é-
3 tonne, M. que citant quelquefoisQuintilien quand
→ vous croyez qu'il vous estfavorable , vous n'ayez
» pas remarqué qu'il condamne ceux qui ne prennent
d'abord que de petits Maîtres pour don-
"ner, disent-ils, les principes des sciences , au lieu
II.Vel C » de
1396 MERCURE DE FRANCE
3
9
??
de choisir les plus habiles , et d'imiter Philippe,
qui ne voulut pas permettre qu'un autre qu'Aristote
montrat à lire à Alexandre , parce qu'il
étoitpersuadé que la perfection dépendoit de ces
» commencemens.Ne faut- il pas parler et raison-
» ner avec un petit enfant ? Or , pour me servir
de l'expression de M. le Févre , si le Maitre est
≫ un âne , que voulez--vous qu'un âne fasse , sinon
» un âne comme lui.S.Jérôme a fair la même remarque
, il pensoit autrement que vous , et le
moindre Lecteur s'appercevra que Philippe ,
Quintilien et S. Jérôme se seroient accommo
dez du Bureau Typographique , plutôt que de
so, voire A , Bé , Cé Vulgaire , et de votre Maitre
d'un médiocre sçavoir et d'une médiocre exactitude
, ou enfin du moindre secours du plus petit-
Maître d'Ecole.
"
33
Je repeterai encore ici que si on ne goute point
la Méthode du Bureau Typographique , je m'en
étonne , et que si on la goute , je m'en étonne de
même.
XXX** **:*:*******
SONG E.
O D E.
Toy , dont l'aimable puissance
Egale le sort des humains ,
Doux sommeil , viens par ta présence
Bannir mes maux et mes chagrins ;
Offre moi sous ces verts feuillages
' ,
II.Vol
Tos
JUIN.
1732 1307
Tes plus séduisantes images ,
Sois favorable à mes désirs ;
Puisqu'icy bas tout est mensonge,
Qu'importe que ce soit en songe
Que mon coeur goute des plaisirs ?
C'en est fait , d'aimables chimeres,
M'ont enyvré de leur poison ;
Loin de moi donc , Regles séveres ,
Que nous impose la raison.
Mon coeur sans trouble et sans allarmes ,
Va s'abandonner aux doux charmes ,
Que le sommeil offre à mes yeux.
Je cede , au beau feu qui m'embrase ;
Monté sur l'agile Pégaze ,.
Je parcours la terre et les cieux.
M
Où suis je ! mais qui pourra croire¿
Qu'au ciel j'aye été transporté
Les Dieux avec toute leur gloire .
S'offrent à mon oeil enchanté ;
Jupiter , cet être immuable ,
Tenant son Sceptre redoutable ;
De ses regards parcourt les airs ;
Viens , Mortel , viens dans mon empire
II. Vol.
M Cij
1308 MERCURE DE FRANCE
Me dit -il , avec un sourire ,
Qui fait tressaillir l'Univers.
M
C'est dans ces beaux lieux que réside
L'agréable félicité ;
Le monde n'a rien de solide
Loin de moi tout est vanité.
;
C'est en vain que dans la richesse ,
Dans la gloire , dans la molesse ,
L'homme cherche de vrais plaisirs
Ces biens ne sont qu'une chimere ;
Et bien loin de me satisfaire ,
Ne font qu'augmenter mes désirs.
M
Que la terre qui dans l'air roble
Paroft méprisable à mes yeux !
Ce n'est qu'une petite Boule ,
Que j'apperçois du haut des Cieux.
Ces Riches , ces vastes Royaumes,
combattent de vains fantômes
fin que tout leur soit soumis ,
Me paroissent un peu de sable ,
Ou pour un Rien qui les accable
Disputent des viles fourmis.
9
II. Vel
ye
JUIN. 1732 1309
Je sors du séjour du tonnerré
Plein de l'éclat des immortels ,
Pour aller encor sur la terre
Visiter les foibles Mortels.
Je vous vois campagnes cheries
Où brillent mille Pierreries
Trésor que le Soleil produit ;
Je vais jusques dans l'Hémisphere ,
Où du jour regne la lumiere ,
Lorsque sur nous régné la nuit.
021 .
Lorsqu'en cherchant de nouveaux mondes ,
Je vole sur le sein des Mers ,
Neptune souleve ses Ondes ;
La Tempête trouble les airs ;
Le jour se dérobe à ma vûëling
Les éclairs seuls fendant la nueodd
M'apprennent quels sont mes dangers ,
Mais la main d'un Dieu juste et sage ,
Me fait survivre à mon naufrage;
J'arrive en des bords étrangers.
6
20
Quels lieux , l'horreur de la nature
S'offrent à mes tristes regards !
Comment en tracer la peinture
L'effroi regne de toutes parts.
ALL II, Vol.
Errant
Ciij
310 MERCURE DE FRANCE
Errant dans ces lointaines plages ,
J'apperçois encor des Sauvages ,
Plus affreux même que les lieux ,
Je les rends à ma voix dociles
At bien- tôt dans ces champs tranquiles ,
Je fais naître des jours heureux..

Aux sons éclatans de ma Lyre ,
J'entraîne les Rochers , les Bois ;
Je vois mille murs se construire ,
La Pierre s'arrange à mon choix
Par tout regne la politesse ;
Ce peuple rempli d'allegresse
Me prend pour un des immortels ,
Les Dieux avec l'aimable Astrée ,
Vont quitter la voute ašurée ,
Jaloux du bonheur des mortels.
Que vois-je ? la Mere des Graces ;
Junon , Pallas s'offre à mes yeux
Mercure vole sur leurs traces ,
Et me donne un fruit précieux.
Juge cette Troupe immortelle ,
Prononce quelle est la plus belle ,
Me dit- il , aimable Berger ;
Viens- en combler une de gloire
II. Vol. Sois
JUIN.
1321 1732.
Sois l'arbitre d'une victoire ,
Dont les Dieux ne peuvent juger.
#
Que ne puis- je , aimables Déesses ;
Vous faire vaincre toutes trois
Par vos beautez enchanteresses ,
Vous merités toutes ma voix:
Charmé de vos yeux que j'adore ,
Plus je regarde , plus j'ignore"
Aqui je dois donner le prix ;
Mais enfin Venus vous surpasse ;
Peut-on voir sa riante face >
Sans en être d'abort épris ?
Que de plaisirs , que de délices ;
Déja s'emparent de mon coeur !
Venus , par des regards propices ,
Me reconnoit pour son vainqueur,
Quelquefois avec la Déesse ;
Caché sous une Nuë épaisse ,
O Dieux , vous en êtes jaloux';
Je quitte l'amour pour la guerre
Maintenant armé d'un tonnérre
Je fais redouter mon courroux.
Fier vainqueur , nouvel Alexandre , '
II. Vola Ciiij Je
1312 MERCURE DE FRANCE
Je répands en tous lieux l'horreur ;
Les Etats , les Villes en cendre ,
Aux Humains vantent ma valeur ;
L'Univers , ... helas ! la lumiere ,
Me forçant d'ouvrir la paupiere ,
Me rejette en un trouble affreux
Je retombe dans ma tristesse :
Que ne puis- je dormir sans cesse ,
Puisqu'en dormant je suis heureux !
;
B. L. de Pailleres.
NOUVELLE Maniere de construire de
grosses Horloges , non- seulement plus simples
que celles que l'on a faites jusqu'à
present , mais encore d'un meilleur usage
et à meilleur marché. Memoire la à la
Societé des Arts le 23. Mars dernier ,
par M. Julien le Roy , Horloger du Roy.
et de la même Societé.
Q
Uand on s'applique à considerer une
Machine à dessein de la perfectionner
, il n'est guere en notre pouvoir de
nous former des idées pour réussir dans
le projet et dans l'execution , et cela à
cause que nous ne pouvons nous représenter
les idées
que nous n'avons jamais
II. Vol. euës
JUIN. 1732. 1313
eues ; au contraire , il est très- aisé de nous
rappeller celles dont nous avons déja eu
la connoissance ; de - là vient qu'il est si
aisé de copier la plupart des Machines
et qu'il est si difficile et si rare d'en inventer
de nouvelles ..
>
Si notre imagination et nos lumieres
ne peuvent pas toûjours nous fournir des
idées neuves et de quelque usage , et que
ce soit presque toûjours le hazard qui
nous les fasse appercevoir , on ne doit
point être surpris si les progrès des Arts
sont si lents , puisque ces mêmes progrès
sont le plus souvent l'ouvrage du hazard ,
que la refléxion met en oeuvre. Cette nouvelle
construction est un exemple sensible
de ce que je viens d'avancer , elle est
si simple et si avantageuse , qu'on doit
être surpris qu'elle ait échappé à tant
d'habiles Horlogers qui ont travaillé et
médité avant moi sur cette matiere.
pro-
Quoiqu'il soit aisé d'appercevoir tous
les avantages qui se trouvent réunis
par la nouvelle maniere , je ne la
poserai qu'après avoir donné une description
en abregé de celle qui est en usage
afin qu'on soit en état de les comparer
l'une avec l'autre , et de juger laquelle
mérite la préference.
>
II. Vol. C v Des1314
MERCURE DE FRANCE
Description en abregé d'une grosse Horloge
telle que celle de l'Hôtel de Ville ou de
S. Paul , de Paris.
Le Corps de l'Horloge est composé
d'une Cage qui contient huit Roiies ,
quatre pour le Mouvement , et quatre
pour la Sonnerie , il y a de plus la Détente
, la Bascule , la Verge des Palettes et
le Volant.
Les Roues du Mouvement sont la
grande
Roue , la Roue du Remontoir , la
Roie moyenne et la Roiie de rencontre .
Les Roues de la sonnerie sont la grande
Roiie , celle du Remontoir , la Roue
moyenne ou de Cercle , et la Roue de
Compte.
La Bascule est faite à peu près comme
le fleau d'une balance , elle sert à élever
un Marteau plus ou moins gros , selon
la cloche sur laquelle il doit frapper.
La Détente est composée de son Arbre
et de trois branches , dont la premiere se
nomme Pied de- Biche , à cause qu'elle est
brisée par le bout , une cheville attachée
à la croisée de la grande Roue du Mouvement
sert à lever le Pied- de- Biche à
toutes les heures pour faire sonner l'Hor
loge.
La deuxième branche se nomme le Coq ;
II. Vol son
JUIN. 1732.
*
1315
son usage est d'arrêter la sonnerie immé--
diatement après que les heures ont sonné.
La troisiéme branche dont le bout est
formé en crochet , s'appelle Compteur ,
elle s'appuye sur la Roue de Compte , à
la circonference de laquelle il y a des entailles
distantes les unes des autres , suivant
les nombres naturels 1.2.3.jusqu'à 12.
Tant que le Compteur s'appuye sur la circonference
de la Roue de Compte, l'Horloge
continuë de sonner jusqu'à ce que
ce même Compteur soit entré dans l'une
des douze entailles de ladite Roüe. Je ne
décrirai point les Pignons ou Lenternes ,
parce que leur usage est assez connu .
La Cage est composée de onze pieces ;
sçavoir , de quatre Pilliers , de deux Chas
sis , l'un superieur et l'autre inferieur ,
lesquels je nommerai dans la suite ( Pa
rallelogramme rectangle , ) et de cinq "
Montans. Chaque Chassis ou Rectangle
a une mortoise ou entaillé à chacun de
ses Angles propres pour recevoir d'autres
mortoises ou entailles , faites auxi
extremitez de chaque Pillier ; desorte
que les Pilliers s'enclavent dans les deux
Rectangles , au moyen de quatre clavettes
qui servent à serrer le Rectangle superieur
contre les Pilliers. Au milieu de
chaque Rectangle est placée une traverse
14 Volo
Cvj. qui
1316 MERCURE DE FRANCE
qui sert à affermir le Montant du milieu.
Deux autres Montans sont placez au
milieu des petits côtez des Rectangles ;
desorte que ces trois Montans sont placez
sur la même ligne et vis- à - vis les úns des
autres leur usage , est de soutenir les
Roues de la sonnerie et celles du Mouvêment.
Le quatriéme Montant est placé sur
l'un des deux grands côtez des Rectangles
; son usage est de soutenir la Roue de
Compte et le Pignon qui la fait tourner.
La Verge des Palettes est soutenuë par
deux Coqs , à une distance convenable
de la Roue de rencontre ; l'un de ces
Coqs soutient aussi la Verge du Pendule.
Le cinquiéme Montant est opposé au
Montant qui porte la Roue de Compte ;
son usage est de porter la Roue de Cadran
et l'Etoile qui doit la faire tourner.
Je finis cette Description par le Volant,
c'est un Arbre qui porte un Pignon à
l'un de ses bouts , et à l'autre il y a un
Pivot qui débordé le Montant du côté
de la sonnerie ; sur ce Pivot tournent
deux Palettes de taule , lesquelles sont
plus ou moins grandes , suivant qu'on
veut faire sonner l'Horloge plus vite ou
plus lentement.
"
II. Vol.
NowJUIN.
1732.
13177
Nouvelle construction de grosses Horloges ,
dans lesquelles tous les Arbres des Roues.
sont placez sur un Rectangle posé horisontalement.
Pour distinguer les deux constructions,
je nommerai celle qui est en usage , Horloge
Verticale , à cause que les Roiies y
sont placées entre des plans verticaux , et
la nouvelle horisontale , à cause , que ses
Roues sont placées sur un Parallelograme
rectangle , posé horisontalement.
En posant toutes les Roües sur un Rec--
tangle , de onze pieces , dont la Cage est
composée dans la construction ordinaire,
j'en supprime dix , et je ne retiens que le
Rectangle inferieur , que je fais un peu
plus grand , en donnant seulement plus
de longueur aux deux petits côtez ; ce
Rectangle , quoique plus grand , sera plus
aisé à faire que dans la construction verticale
, parce qu'on le fera toûjours de
quatre pieces , sans que pour cela il en
soit moins solide. Il n'en est pas de même
dans la construction ordinaire , car
on est obligé de faire ce Rectangle d'une
seule piece , afin de lui donner toute la
solidité qu'il doit avoir. Les dix Pieces
supprimées par la nouvelle construction ,
sont les
quatre Pilliers , les cinq Montans ,
11. Vol. Je
1218 MERCURE DE FRANCE
le Cercle ou Chassis superieur , toutes ces
pieces sont non-seulement difficiles à faire
par elles- mêmes , mais encore difficiles à
ajuster pour les faire cadrer avec solidité
et précision , les unes avec les autres.
Outre la suppression des pieces dont
je viens de parler , il y a encore une diminution
d'ouvrage assez considerable
dans les Chappes des Remontoirs et dans
les Coqs qui soutiennent la verge des
palettes ; desorte que dans l'Horloge ho
risontale composée de roues de même
grandeur, il y aura environ un tiers moins
d'ouvrages que dans le Vertical ; d'où il §
s'ensuit que le premier ne coûtera que
deux mille livres , lorsque le dernier en
couteroit trois.
ཏི
Non-seulement la nouvelle Horloge
est plus simple, mais encore elle est meil
leure et de plus longue durée que l'an
cienne, à cause que les frottemens y sont
considerablement diminuez , et c'est ce
que jespere démontrer par le Problêmequi
suit, et que j'appliquerai à la nouvelle
construction .
Problême de
Mécanique.
Une rone étant donnée avec son tambour
on Cilindre de même diametre , dont l'Arbre
sera posé horisontalement , trouver deux
M. Vola
points
JUIN. 17320 1373
points à la circonference de la roue , ausquels
on・puisse placer un pignon , de telle
sorte que dans l'un l'action d'un poids ap
pliqué au cilindre par le moyen d'une corde
soit zero sur l'arbre de la roue
,
et
dans l'autre que l'action de ce même poids
soit double de sa pesanteur sur le même
arbre.
.
passer une
Je suppose que la roue A. B. est don
née et que son Arbre est posé horisontalement
; si par le centre et la circonfes
rence de cette Rože , on fait
ligne horisontale prolongée de part et
d'autre je dis que cette ligne conpera la circonference
de la Rone aux deux points.
requis par les conditions du Problême .
FIG. I. Il est évident que les cordes
qui soutiennent des poids sont toûjours
Verticales , donc la corde A. C. qui soutient
le poids P. est perpendiculaire à la -
ligne horizontale. B.
Ayant supposé le diametre du Tambour ;
égal au diametre de la Roue , je puis ap
pliquer la corde à la circonference de la
Roue , sans rien changer à la proposi
tion .
FIG. II. La Róüe A. B. ayant son
point d'appui sur le pignon D. et au
point S. il s'ensuit necessairement que
l'action du poids P. sera zero sur l'Axe
Ila Vol
de
1320 MERCURE DE FRANCE
de la Roüe , puisque la ligne de direction
de la corde passe par le point S.
point d'appui de la Roue.
FIG. III. La même Roue A. B. ayant
son point d'appui sur le même Pignon
D. transporté au côté opposé , il s'ensuivra
necessairement que l'action du
poids P. ( sur l'Arbre de la Roüe ) sera
du double de sa pesanteur ; cela est évident
, puisque la ligne S. A. est double
de la ligne S. E. ce qu'il falloit démontrer..
Premier Corolaire.
Il suit évidemment de ce qui vient
d'être démontré , que le Pignon étant
placé dans un point quelconque de la
demi-circonference A. A. l'action du poids.
sur l'Axe E. sera toûjours moindre que
sa pesanteur absoluë.
Au contraire le Pignon étant placé
dans un point quelconque de la demi- cir
conference opposée , l'action du poids sur
l'Axe E. sera plus grande que sa pesanteur
absolue , d'où il suit encore qu'on
doit toûjours faire passer la corde entre
l'Axe du Pignon et celui de la Roüe , et
perpendiculairement à un plan qui passeroit
par les deux Axes . Cette disposition
de la corde est si avantageuse, qu'on
doit la mettre en usage , non seulement:
II. Vol. dans.
JUIN. 1732 1327
Fig.10.

E
Fig.2.
B
B E
Fig.3.
B
E
A
A
dans les Horloges et les pendules à poids ,..
mais encore dans toutes les Machines à
II. Vol.
roles
322 MERCURE DE FRANCE
roües et à poids , excepté celles qui n'ont
qu'un ressort simple , enfermé dans un barillet
, comme sont les Pendules à ressort
Deuxième Corolaire.
Il suit encore que l'Axe de la Roue sera
plus ou moins chargé par le poids , suivant
le diametre du Cilindre ; desorte
que la corde passant entre les deux Axes ,
celui de la grande Roue sera toûjours
chargé d'une quantité plus petite que la
totalité du poids au contraire , en fai
sant passer la corde du côté opposé , l'Axe
de la Roüe sera toûjours chargé d'une
plus grande quantité que la totalité du
poids.
Comme dans l'Horloge horisontale les
'Axes des Roues sont dans la situation requise
par le Problême , il s'ensuivra necessairement
que le frottement sur les
Pivots des grandes Roues , sera moins
grand qu'en toute autre position. Cette´
circonstance seule est plus que suffisante
pour rendre la nouvelle construction ab
solument préferable à l'ancienne ; car il
ya de grosses Horloges dont chaque
poids est de mille à douze cens livres
pesant , plus ou moins , selon leur grosseur;
il est aisé de s'imaginer que de tels
poids doivent produire de grands frotte-
1. Vol. mens
JUIN. 1732 13238
mens , et parconsequent une usure continuelle
, laquelle détruisant sans cesse
les rapports des engrenages des grandes
Roues d'avec les Roues moyennes , oblige
à des réparations fréquentes , comme de
faire remonter les grandes Roües en rebouchant
les troux de leurs Pivots.
de
L'Horloge horisontale ne sera nulle
ment sujette aux réparations que je viens
remarquer , on pourra même l'incliner
de quelques degrez, afin que les poids
dirigeant toujours les grandes Roues vers
les Roues moyennes , ils rétablissent sans
cesse l'usure causée par le frottement des
dents des grandes Roües.
Par ce qui vient d'être dit , on doit remarquer
que la nouvelle Horloge étant
moins sujette à l'usure, il en coûtera moins
pour l'entretien ; par exemple , si une
Horloge ordinaire coûte par an cent liv.
d'entretien , celle-· cy: n'en coûtera pas -
cinquante:
J'ajoûterai encore qu'elle sera incom--
parablement plus aisée à nettoyer , à cause
qu'on pourra démonter les Routes les
unes après les autres ; au lieu que dans
l'ordinaire on est obligé de déplacer trois
Roues et le Montant tout à la fois ; on
est encore obligé de soutenir toutes ces
Pieces avec la main , et dans le même
11. Vol. -temps
1324 MERCURE DE FRANCE
temps , ce qui est assez difficile sur tout
pour les grandes Horloges dont les premieres
Roües seules avec leurs fusées , pe
sent quelquefois jusqu'à deux cens livres
desorte qu'il faut plusieurs hommes pour
en démonter une.
Remarques.
La solution du Problême est exactement
vraye dans le cas où le Pignon est
dans un repos absolu , mais lorsqu'il tourne
, le frottement diminue sur l'Axe de
là Roue , à mesure que la vitesse du Piè
gnon est augmentée .
Comme cette circonstance ne touche
aucun des avantages réunis dans la position
horisontale , j'ai négligé d'y avoir
égard dans la résolution du Problême ,
afin de le simplifier ; cependant je croi
qu'il est à propos de mettre sous les yeux
la question dont il s'agit , quoiqu'elle ne
soit ici que de pure curiosité.
10. Je suppose que la résistance du
Pignon est zero , et que le poids qui le
fait tourner au moyen de la Rouie , tombe
aussi vite qu'il le feroit , s'il tomboit
dans l'air libre.
2°. Je suppose qu'un poids tombant
dans l'air libre , a une vitesse uniforme
et que cette vitesse est égale à celle du
5
II. Vol son ,
JUIN. 1732. 1325
son , laquelle parcourt environ 90. toises
par seconde.
39 , Je suppose que le Pignon appliqué
à la Roue de sonnerie fait un tour en
deux secondes , et que le même Pignon
appliqué au mouvement , fait son tour
en un demi quart d'heure.
par
En place des differentes résistances que
le Pignon oppose à être mû , je substi
tuerai la suite les espaces parcourus
par le poids , il est évident que cette substitution
ne changera rien à l'état de la
proposition.
Or si le poids appliqué à la Roiie de
sonnerie parcourt trois pouces en deux
secondes , et si tombant dans l'air libreil
parcourt dans le même temps 180..
toises , on aura par le calcul 30 égal à la
diminution du frottement sur l'Axe de
la Roue de sonnerie.
Si le poids appliqué à la Roue du
mouvement , parcourt trois pouces en
un demi quart d'heure , tombant dans
l'air libre , il parcourra dans le même
temps 13500. toises , ce qui donnera par
le calcul 972200 égal à la diminution du
frottement sur la Roue du mouvement.
3
Comme il est évidemment très-avantageux
de faire les Horloges aux quarts ,
suivant la nouvelle construction , j'ai crû
11. Vol qu'il
326 MERCURE DE FRANCE
2 qu'il étoit inutile d'en faire un article
separé , à cause qu'il est très - aisé de s’imaginer
que pour faire une Horloge aux
quarts , suivant la construction horisontale
, il ne faut que le seul Chassis inferieur
d'une Horloge aux quarts , mais un
peu plus grand que dans la construction
ordinaire , et placer toutes les Roües dessus
, comme dans l'Horloge simple, D'ail
leurs ceux qui souhaiteront avoir des instructions
plus particulieres ou faire faire
de ces sortes d'Ouvrages , pourront en
voir un Modele , ( rue Bribouché ) chez
M. Roussel , qui est très habile Horloger
er generalement versé dans tout ce
qui concerne les Horloges dont je viens
de parler.
LES DOUCEURS
DE LA VIE CHAMPÊTRE,
O D E.
SEjour qu'habitent les Ombres ,
Doux climats , paisibles lieux ,
Calmez de mes ennuis sombres ,
Le tumulte audacieux.
11. Vol
SusJUIN.
1732. 1327
Suspendez .... mais quelle flamme ,
Se développe en mon ame ?
Elle appaise mes desirs.
Ah ! tranquille solitude ,
Déja mon inquiétude ,
S'appaise dans tes plaisirs.
Qu'ici la Nature - est belle !
Que ce coup d'oeil est charmant!
Chaque objet s'y renouvelle ,
Au gré de l'éloignement .
Malgré leurs affreuses pentes ,
Ces Collines verdoyantes ,
N'ont que des aspects heureux :
Oh! que de Métamorphoses !
Je vois éclore les Roses ,
Des Buissons infructueux.
Là , sous de sacrez Bocages ,
Où je charme le Destin ,
Les Zephirs et les ombrages ,
Semblent se donner la main.
Ornemens de la Nature ,
Gazons , Tapis de verdure ,
Bigarrez de mille fleurs :
C'est en vain que par ses veilles ,
11. Vol. L'Art
328 MERCURE DE FRANCE
L'Art imite vos merveilles .
S'il n'exprime vos odeurs.
O vous , aimables Prairies ,
Qu'arrosent tant de Ruisseaux ,
Creux Vallons , Plaines fleuries ,
Plantez de Chênes , ou d'Ormeaux ,
Que j'aime à voir vos Allées ,
A longue file égalées ,3.
Deffendre l'entrée au jour !
Vous sauvez de fleurs sans nombre ;
Qui veulent mourir à l'ombre ;
J'y mourrai de même un jour.
M
Arbrisseaux que la Nature
A semez confusément ,
Mais qui d'une eau toûjours pure ,
Vous baignez heureusement ;
Vous craignez peu la tempête ,
Qui s'éleve sur le faîte ,
Des orgueilleuses Forêts.
Vous aimerez le Zephire ,
Lui qui sur vous ne respire ,
Que pour augmenter le frais.
M
Sur le bord d'une Fontaine,
Ou Narcisse s'est miré ,
II. Vol.
Jtetins
JUIN.
17320 1329
- J'éteins la brulante haleine ,
D'un poulmon trop alteré.
Là , sur une couche verte ,
De Violettes couverte ,
Je me livre au doux sommeil.
La vapeur qui me surmonte ,
Avec ordre m'y raconte ,
Les plaisirs de mon réveil.
Mais que vois-je sur ces Rives ,
Où s'enflamment les regards
Des voix tendres et plaintives ,
Y naissent de toutes parts.
Transposé sur le Méandre ,
Oiseaux , je crois vous entendre ,
Sur ses bords toûjours rians ,
Ou sur les Rives d'Alphée ,
Où jadis le Docte Orphée ,
Forma vos Airs ravissans.

Ici chaque objet in'amuse ,
Et m'instruit tout à la fois ;
Ma Lyre ailleurs trop confuse ,
S'explique mieux dans ces Bois.
Ainsi quand la Tourterelle ,
De sa Compagne fidelle ,
Pleure la mort en ce lieu ;
11. Vol.
Elle
D
1330 MERCURE DE FRANCE
Elle me dit , miserable ,
Tu dois être inconsolable ,
Si tu perds jamais ton Dieu.

Déja le feuillage vole,
La Nature s'affoiblit ;
L'hyver glacé la desole,
Le Printemps la rétablit.
O Nature inanimée ,
Sous les fleurs , sous la ramée ,
Tu rajeunis tous les ans ;
Mais , pour l'humaine Nature ,
Quand elle perd sa verdure ,
Il n'est plus d'autre Printemps.
La nuit de ses sombres voiles,
Enveloppant l'Univers ,
Produit mille et mille Etoiles ,
Pour éclairer ces Deserts.
Là , dans un humble silence ,
Je contemple l'ordonnance
De ce Globle éblouissant
Sous ses feux où je respire
Deserts , vous m'y faites lire
La route du Firmament *
( a) La voye lactés.
>
:
II. Vob Ecucil
JUIN.
1732
1331
Ecueil de notre innocence ,
Monde du Monde adoré ,
Je veux loin de ta puissance ,
Vivre et mourir ignoré.
Loin de tes affreux orages ,
Sur ces paisibles Rivages ,
S'écouleront mes beaux jours..
Heureux ! si dans ma foiblesse ,
Solitude , à ma promesse ,
Je consacre tes amours.
Orus , quando te aspiciam ! quandoque licebit ,
Nunc veterum libris , nunc somno et inertibus horis,
Ducere sollicita jucunda oblivia vita ! Horace .
Par M. DAY , en Marsan.
**** :***********
EXTRAIT du Memoire sur les Tartres
Solubles , lû à la derniere Assemblée publique
de l'Académie Royale des Sciences,
par M. Duhamel du Monceau.
O
Nsçait que leTartre est une incrustation
saline , qui s'attache aux parois
interieures des vaisseaux qu'on emplit
de vin.

Beaucoup d'Auteurs donnent une maniere
de purifier ce Sel , pour l'avoir en
II. Vol.
Dij beaux
1332 MERCURE DE FRANCE
beaux Cristaux ; mais il s'en faut beaucoup
que par leur procedé on parvienne
à en avoir d'aussi beaux que ceux qu'on
nous apporte de Montpellier. M. Fize
de la Societé Royale de Montpellier , a
envoyé à l'Académie des Sciences , un
fort beau Memoire , dans lequel il détaille
d'une maniere fort circonstanciée ,
tout ce qu'on pratique aux environs de
cette Ville pour y préparer ces beaux Cristaux
de Tartre , qui se distribuent presque
par tout le Royaume.
Ir paroît que le procedé en usage auprès
de Montpellier , differe de celui qui
est rapporté dans les Auteurs , principa
lement par une Terre blanche qu'on mêle
avec le Sel crud , apparamment pour lui
ôter une graisse surabondante et grossiere,
qui altere la beauté de ce Sel .
M. Duhamel , tant pour s'assurer de
la maniere dont cette Terre agissoit sur
le Sel , que dans le dessein de trouver des
Terres pour substituer à celle de Montpellier
, s'est proposé de traiter le Tartre
avec un grand nombre de Terres ; mais
dans l'execution des experiences qu'il
avoit prémeditées , il fut très - surpris de
voir plusieurs sortes de Terres décomposer
, pour ainsi dire , le Tartre , et en faire
un vrai Sel soluble , au lieu de le purifier
simplement,
Ce
JUIN. 173.2. 1333
Ce Phénomene , à quoi il avoue qu'il
ne s'attendoit pas , lui fit quitter son objet
, et il ne travailla presque plus qu'à
rendre le Tartre soluble par des Terres
alcalines,ce qu'on n'avoit fait jusqu'à present
que par des Sels Alcalis .
Pendant que M. Duhamel étoit occupé
à cette recherche , M. Grosse , faisant
attention aux differentes métamorphoses
que prend le Cristal de Tartre , suivant
les differens Sels Alcalis , avec lesquels
on le joint , fut tenté d'essayer ce que
produiroit le mélange du Sel de Tartre
avec les Terres Alcalines , et ainsi les deux
Académiciens entreprirent , sans le sçavoir
, la même recherche.
Au retour des Vacances , ayant appris
P'un et l'autre qu'ils avoient embrassé le
même objet , ils se communiquerent leur
travail sans réserve , et ils eurent le plaisir
réciproque de trouver une conformité
parfaite dans leurs découvertes ; ce qui
les détermina à suivre leurs recherches ,
de concert, pour n'en faire qu'un seul et
même Ouvrage ; et cela a donné lieu à un
Memoire très- considerable , dont M. D.
a lû un abregé à la derniere Assemblée
publique de l'Académie , et dont nous
allons essayer de donner une idée.
Tout le monde sçait que le Cristal.de
II. Vol. Diij Sel
334 MERCURE DE FRANCE
Sel n'est pas soluble dans l'eau ; mais lors
qu'on mêle ce Sel essentiel Acide avec le
Sel Alcali de Tartre , il en résulte un Sel
moyen qui se fond aisément dans l'eau
et qu'on appelle Sel Vegetal.
M. Bolduc fit voir l'année derniere å
l'Académie , que si l'on employe au lieu
du Sel Tartre , le Sel Alcali fixe de la
Soude , on obtient un Sel particulier tout
à- fait semblable au fameux Sel de la Rochelle
ou de Seignet.
M. le Febvre , Médecin d'Uzès , et Cofrespondant
de l'Académie , est encore.
parvenu à rendre soluble ce même Cristal
de Tartre , d'une maniere tout-à- fait
singuliere , par le moyen du Borax , qui
est , à la verité , un Sel Alcali , comme
M. Lémery l'a depuis démontré dans un
Mémoire qu'il a lû à l'Académie.
Enfin M" D. et G. viennent aussi de
rendre ce Sel essentiel par l'alliage de la
Terre , de la Chaux ou de la Craye , ou
des yeux d'Ecrevisse , ou des Écailles.
d'Huitres , ou enfin d'autres Alcalis térreux.
Ainsi ces Académiciens ont fait jouer
à ces Terres Alcalines tout le reste des
Sels Alcalis , et qui plus est , ils démontrent
que ces substances agissent ici
comme Terres, et non pas par aucuns Sels
11. Vol. fixes
JUIN. 1732 1335
1
fixes qu'elles contiennent , et ils rapportent
beaucoup d'experiences qui confirment
le sentiment de ceux qui soutiennent
que les Sels fixes agissent simplement
par leurs Terres ; mais les bornes
d'un Extrait sont trop resserrées pour
entreprendre de détailler les experiences
qui servent de baze à ces principes , ainsi
nous nous contenterons de rapporter en
peu de mots , comme ces M" s'y sont pris
pour rendre le Sel soluble par la Craye.
Ils ont mit dans une Bassine , avec quafre
à cinq livres d'eau , une demie livre
de Craye de Champagne pulverisée , et
Forsque l'eau a commencé à bouillir , ils
ont jetté sur cette bouillie claire , une
livre et demie de Cristal de Sel en poudre
, ce qui a excité une violente fermentation
, pendant laquelle tout le Tartre
s'est fondu et la Craye a disparu entierement
; desorte que tout a passé par le
papier gris , et la liqueur filtrée a donné
de beaux Cristaux de Tartre soluble , qui
se fondent aisément dans l'eau froide , qui
brulent sur la pelle rouge , qui font un
vrai Sel neutre , et qui ont un goût pres
que semblable au Sel de la Rochelle.
Cependant par une décomposition fort
jolie , dont ils donnent la pratique dans
leur Memoire , ils sont parvenus à reti-
II. Vol.
D iiij
rer
1336 MERCURE DE FRANCE
rer la Craye et le Tartre , tels que chacune
de ses substances étoit avant d'avoir
été employée ; ainsi les prodigieux changemens
qui sont arrivez au Sel dans cette
operation , ne peuvent être légitimement
attribucz qu'à l'alliage d'un peu de la
Terre de la Craye.
Entre les Terres qu'ils ont employées ,
il y en a beaucoup qui n'ont pas rendu le
Sel soluble , mais qui ont été utilement
employées pour le dégraisser . La Terre de
Montpellier , dont nous avons parlé , la
Terre qu'on employe dans les raffineries
de Sucre , la Terre grasse ordinaire , la
Craye de Brianson , & c. ont été de cette
nature.
Or comme il est bon de sçavoir distinguer
les Terres qui peuvent décomposer
le Sel , d'avec celles qu'on doit employer
pour le purifier , ils proposent un
moyen très - facile , qui peut être employé
comme une Pierre de touche , pour faire
cette distinction ; c'est de verser sur ces
Terres du Vinaigre distillé , car celles qui
seront dissoutes par cet Acide , rendront
infailliblement le Sel soluble , au lieu que
les autres ne l'altereront point du tout ;
elles se chargeront seulement d'une huille
grossiere , qui altere la blancheur de ce
Sel.
11. Vol. ODE
JUIN. 1732. 1337
ůsjjjjs
鼎鼎鼎惠
ODE SA CREE ,
Tirée du Pseaume 113 , In Exitu Israël, &c.
IRrité Rrité par la barbarie ,
D'un Peuple idolâtre et cruel ,
Le Seigneur , aux Fils d'Israël ,
Promit leur ancienne Patrie.
Alors , sous un Chef redouté ,
De Jacob la féconde Race ,
Brisa par une sainte audace ,
Les fers de sa Captivité.
Heureuses Plaines de Judée ,
Le Ciel daigna vous confier ,
La gloire de sanctifier ,
La Troupe qu'il avoit guidée ;
Votre bonheur fut résolu ,
Quand l'Etre par qui tout respire ,
Soumit vos guerets à l'Empire ,
Du Peuple qu'il avoit élû.
Mais en la présence terrible ,
Du Dieu qui créa l'Univers ,
Combien de prodiges divers !
La Mer même y parut sensible ;;
IL Vol. D V Son
1338 MERCURE DE FRANCESon
vaste sein s'épouventa ;
Ses flots fuyoient d'un cours rapide ,
Tandis que le Jourdain timide ,
Jusqu'à sa source remonta.
On vous vit , superbes Montagnes
On vous vit , steriles Côteaux ,
Aussi legers que les Troupeaux ,
Qui bondissent dans les Campagnes.
O! Mer , qui te fit reculer 2
O ! Jourdain , pourquoi sur tes Rives ,
Vit- on les ondes fugitives ,
Vers leur origine couler ?.
Monts sacrez , Collines tranquiles ,,
Apprenez -nous quel changement s
Vous imprime le mouvement ,.
Des animaux les plus agiles ;,
L'Etre Eternel se découvroit ;
La Terre cessa d'être stable ,
A l'aspect du Dieu redoutable ,
Du Dieu que Jacob adoroit.
C'est lui dont la bonté presente ,
Aux coeurs qui sçavent le chercher ,
Change le sterile Rocher ,
En une Source bienfaisante ;
La pierre obéit à sa voix ;'
II Vol. M
༣ 1339 JUIN 1732.
Il parle et soudain l'Onde coule ,
'Au gré de cette ingrate foule ,
Qui murmure contre ses Loix.
Seigneur , aux yeux des foibles hommes ;
Quand tu fais briller ta splendeur ,
L'immensité de ta grandeur ,
Nous instruit du peu que nous sommes :
Sage Auteur de notre raison "
Inspire-nous toûjours de croire
Qu'il ne nous est point dû de gloire ;
Qu'il n'en appartient qu'à ton Nom.
Fais que malgré leur arrogance
Les Humains puissent concevoir ,
La verité de ton pouvoir "
Et les trésors de ta clémence ;
Que les. Infideles privez ,
Des avantages de ton culte
N'osent plus dire avec insulte 9
Quel est le Dieu que vous servez ?
Le Dieu qui reçoit notre hommage ,
'Assis sur la Voute des cieux ,
'Attache ŝans cesse ses yeux ,
1
Sur l'homme , son plus cher ouvrage ;
Aux tendres soins de sa bonté ,
Le Monde entier doit sa naissance ,
IL. Vol Et
D vj
1340 MERCURE DE FRANCE
Et, pour limite , sa puissance ,
Ne connoît que sa volonté.
Flatez d'esperances frivoles ,
Chaque jour on voit des Mortels ,
Dresser , à l'envi , des Autels ,
A de chimeriques Idoles ;
Quelle honte pour les Humains
D'adorer un Métail sordide !
De fléchir un genoüil timide ,
Devant l'ouvrage de leurs mains.
Vainement l'Ouvrier habile,
Prête une bouche à ces faux Dieux
En vain le ciseau sur leurs yeux ,
Taille une paupiere immobile ;
On ne verra point à des sons
Ceder leurs levres inflexibles ,
Ni leurs yeux devenir sensibles ,
Au Soleil dont nous jouissons.
Tel qui veut chanter les merveilles ,
Des Dieux qu'il se fait à son choix ,
Ose- t'il penser que sa voix ,
Percera leurs sourdes oreilles ?
Ces vains fantômes de l'erreur ,
Honorez d'un Peuple crédule ,
Dans le moment que l'encens brule ,
Ignorent quelle en est l'odeur.
II. Vol. Sans
JUIN.
1732. 1347
Sans cesse ma raison demande ,
Si jamais leurs pieds agiront ,
Ou si leurs mains discerneront ,
Le prix d'une riche Guirlande ;
Ont-ils quelques droits sur nos jours.
Quand leur silence opiniâtre ,
Résiste aux cris de l'Idolâtre ,
Qui les appelle à son secours.

Malheur à l'aveugle qui compte ,
Sur un Métail inanimé ;
Puisse celui qui l'a forme ,
De son Dieu partager la honte !
Puissent tous ceux de qui l'encens ,
Indignement se prostituë ,
Devant une froide Statuë ,
Perdre l'usage de leurs sens !
Aux pieds du vrai Dieu prosternée ,
La sage Maison d'Israël ,
Fonda sur son bras immortel ,
Tout l'espoir de sa destinée.
Par quel secours , par quel appui ,
Le Seigneur , prodigue pour elle ,
A- t'il récompensé le zele ,
Des coeurs qui n'invoquoient que lui ?
Avec la même confiance ,
II. Vol.
Les
1342 MERCURE DE FRANCE
Les Fils illustres d'Aaron ,
En la grandeur de son saint nom ,
Mettant leur plus ferme esperance ;
Par mille bienfaits répandus ,
A chaque instant Dieu se déclare
Le Protecteur de la Thiare ,
Dont il couronne leurs vertus,
Qu'ils sont forts , malgré leur foiblesse
Ceux qui porte au fond du coeur ,
Cette humble crainte du Seigneur
D'où naît la plus haute sagesse ;
Tous ces illustres Combattans ,
Pour prix d'une fidelle attente
Reçoivent la grace constante ,
Qui les soutient dans tous les temps .
".
Mais dans notre triste carriere ,
Nous-mêmes n'éprouvons nous pas
Que le Seigneur à tous nos pas
Prête sa divine lumiere ?
Loin que nos voeux soient oubliez
Tout nous apprend que sa Justice ,
A beni l'ardent Sacrifice-
De nos desirs humilicz.
Ainsi d'un secours efficace ,
Israël mérita le don…
II. Vale
Ainsi
JUIN. 173.20
7343
Ainsi le Pontife Aaron ,
L'obtint pour son Auguste Race;
Ainsi le Dieu de Verité ,
Soutient par les graces qu'il donne ,
Et la Houlette et la Couronne
De qui craint sa Divinité.
Puisse-t'il , ce Dieu favorable
A qui vous adressez vos voeux
Et sur vous et sur vos neveux
Répandre sa grace ineffable !
Soyez tous benis, du Seigneur ,
Dont la voix commande au Tannerre,
Er
#
que le Ciel avec la Terre,
Reconnoît pour son Créateur.
Lorsqu'il se proposa lui- même ,
De regler le Monde à son gré ,
Au-dessus du Ciel azuré ,
Il plaça son. Trône suprême.
Le Firmament fut son séjour ,
Et la Terre obscure où nous sommes
Devint le partage des hommes,
Qu'avoit enfantez son amour.
Dieu puissant , Souverain des Anges ,.
Les Humains plongez par le sort ,
Dans les tenebres de la mort ,
Ne publieront point tes louanges ;
IL. Vob Tom
1334 MERCURE DE FRANCE
4
Ton nom ne sera point chanté ,
Par ces ames infortunées ,
Que ta justice a condamnées ,
A gémir loin de ta clarté,
Mais nous , qui jouissons encore
Du Soleil , que tu fais mouvoir ,
Seigneur , pour benir ton pouvoir ,
Nous sçavons devancer l'Aurore :
Tous nos voeux seront satisfaits ,
Des jours que ta bonté nous laisse
Si nous les consacrons sans cesse ,
Au souvenir de tes bienfaits.
AftAfitatttetet
SECONDE LETTRE de M. de L. R..
à M. Boyer, Docteur en Médecine , de
la Faculté de Montpellier , Docteur Regent
de celle de Paris , sur une Médaille
Latine de la Ville de Troade et sur une
Médaille Grecque des Dardaniens.
J
E vous avoue , Monsieur , que ce n'est
pas sans quelque espece de chagrin que
dans ma précedente Lettre j'ai été obligé
de déclarer l'erreur de pius d'un Ecrivain
moderné , qui prétendent que la Ville de
Troade soit la seconde Troye , comme
ayant été bâtie par les ordres d'Alexan-
II. Vol. dre
JUIN. 1732
1343
dre, des ruines de la premiere Ville qui a
porté ce fameux nom , et que c'est pour
cela même que Troade a été surnommée
Alexandrine ; en citant pour garants , des
Auteurs de réputation , lesquels bien examinez
, n'ont jamais écrit ce qu'on leur
fait dire ; j'avoue , dis- je , que j'ai là - dessus
quelque espece de regret ; car si ces
prétentions étoient aussi fondées , qu'elles
m'ont paru vaines jusqu'à present ,
CC
ne seroit pas un petit reliefpour cetre ancienne
Ville , pour notre Médaille , et
un médiocre ornementà ma Dissertation :
mais vous sçavez , Monsieur , combien je
suis éloigné d'adopter des Faits brillants.
aux dépens de la vérité ; peut-être trouverons-
nous assez dequoi illustrer Troade
et de quoi mériter l'attention des Leçteurs
sensez dans ce que j'ai à vous en
dire , sans avoir recours à des embellissemens
dont la vanité peut être démontrée.
Je suis, au reste, persuadé que
M.Vaillant
n'a erré là -dessus que par une certaine
prévention dont il étoit frappé sur le
nom d'Alexandrine , que portent quantité
de Médailles de Troade ; mais ce qui
me paroît icy de singulier , c'est que le
P. Hardouin , ce grand Critique , qui n'a
point hesité d'appeller ses Ouvrages ,
Errata des Antiquaires : Errata Antiqua
II. Vol. riorum
1346 MERCURE DE FRANCE
riorum , qui a même fait un Livre exprès ,
pour reprendre M. Vaillant de ses pré
tendues fautes sur les Médailles des Colonies
et des Municipes , et qui le reprend
nommément , avec beaucoup de hauteur,
au sujet d'une Médaille d'Aquilia severa ,
frappée par la Colonie de Troade ; il pa
roît , dis-je , singulier que ce Censeur , si
acharné',, pour ainsi dire , contre Vaik
lant , qui le chicane le plus souvent sur
des minuties , ou sur des erreurs imagi
naires , ne se soit pas apperçu de la veritable
méprise de cet Antiquaire , au sujet
de la Médaille de Troade.
Bien, loin , Monsieur , de s'en aperce
voir , je trouve le P. Hardouin •presque
dans la même erreur ; car en parlant d'une
( a ) Medaille d'Antonin Pie , frappée , d
ce qu'il croit , par la même Colonie de
Troade , il dit que le nom d'Alexandrine
lui vient d'Alexandre le Grand. Alexan
dria ab Alexandro Magno. C'est cependant
ce que Strabon qu'il cite , ni aucun
autre Auteur , ne nous apprennent point.
Mais ne quittons pas le P. H sans vous
donner en passant un échantillon de la
hauteur insultante avec laquelle il a traité
M. Vaillant , votre illustre confrere.
(a ) Nummi Populorum et Urbium illustrati ,
&c. pag. 507.
II. Vol. Un
JUIN. 17320 1347
› Un seul trait suffira , et ce trait vous fera
rire. Je le trouve à la page 115. de son
ANTIRRHETICUS.Vide jam , lui dit-il, quot
sibi sint ex opere tuo placita tradenda,quantaque
tibi sit laudi futurum , cum eos , à qui
bus hac didicisti , à nobis monitus dedocebis.
N'est-il pas vrai , Monsieur , qu'un
homme qui parle avec cet air de Maître ,
doit du moins être irréprochable dans ses
Ecrits , et qu'il doit lui- même être bien
endoctriné , avant que de s'ériger en Censeur
de la doctrine d'autrui ? On rempliroit
cependant un volume raisonnable
des Erreurs , des Paradoxes , et des Ecarts
du P. H. revenons à notre Troade ,
nommée Alexandrine.
sur-
J'ai crû que je trouverois sur ce sujet
quelque lumiere dans le curieux Ouvrage
d'Etienne de Byzance ; cet Auteur m'apprend
, tom. 1. pag. 61. qu'on comptoit
de son temps jusqu'à dix- huit Villes qui
portoient le nom d'Alexandrie , dont la
premiere est la fameuse Alexandrie d'Egypte
; la seconde , dit - il , est la Ville de
Troye , don't Démosthène fait mention :
Bithyniacorum 42. Il met la onzième dans
l'Isle de Chypre , et il dit ensuite , selon
Pinedo son Traducteur ; est et locus in Ida
Trojana , qui dicitur Alexandria , in quo
ferunt Paridem Dearum certaminajudicasse,
II. Vol. ut
1348 MERCURE DE FRANCE
ut Timosthenes. Cela s'accorde avec ce que
nous avons déja remarquéau sujet de cette
Alexandrie du Mont Ida, qui n'est pas
notre Troade. L'Auteur Grec parle aussi
de cette derniere ; mais le même Traducteur
a , ce me semble , fort embroüillé les
choses à cet égard par son interprétation .
Luc de Holstein , de qui nous avons une
belle Edition d'Etienne de Byzance avec
des Notes et des Corrections , a plus heureusement
expliqué cet endroit. TROIAS ,
dit Pinedo, Regio Ilii qua vocabatur Teucris
et Dardania et Xante.Gentile Troadeus. Ce
qui n'est pas , selon le Sçavant Editeur , let
sens de l'Auteur original , et il corrige Pinedo
de la maniere qui suit : Cum deberes
vertere et Alexandria Troas. Hoc in loco-
Troas non accipitur de Regione , sed de ipsa
Alexandria Troadis Urbe que Troas
etiam dicta fuit ut Plinius , lib.v.cap 30.
N'oublions pas icy , au sujet de ce Passage
de Pline , qui est tel : Troas Antigonia
dicta nunc Alexandria Colonia Romana
: n'oublions pas , dis-je , de remarquer
que Goltzius rapporte dans son Tresor
une Médaille de Tite , où l'on donne à
Troade ce nom d'Antigonia. Elle est citée
dans le P. Hardouin , qui semble l'adopter
comme légitime , et dans les Colonies
de Vaillant , qui la regarde comme
II. Vol. .. douJUIN.
1732. 1349
douteuse . On peut dire qu'elle est absolument
fausse , et qu'elle a été forgée sur
le Passage de Pline.
Voilà cependant notre Troade au nom
bre des 18 Villes , qui , selon Etienne de
Byzance , ont aussi porté le nom d'Alexandrie
; ce qui est confirmé par les Medailles
et par le témoignage de plusieurs
Ecrivains ; mais nous n'avons aucune autorité
, comme je vous l'ai déja dit , qui
établisse , que c'est pour avoir été bâtie
des ruines de Troye , par les ordres d'Alexandre
, ainsi que l'ont écrit quelques
Modernes. Il se peut faire , au reste, que
quelque Evenement considérable • que
nous ignorons , ait donné lieu à la dénomination
dont il s'agit icy. Toutes les *
grandes actions du Conquerant de l'Asie
ne sont pas connuës , comme l'a particu
lierement remarqué l'un de ses Historiens
: Ita est factum , dit Arrien , Liv . 1 .
ut nobis minus nota sint Alexandri Rex
magna et præclara , quam multorum veterum
infima exiguaque.
M. Vaillant , au reste , propose une autre
origine du nom d'Alexandrie , donné
à la Ville de Troade. Il remarque d'abord,
au sujet d'une Medaille de Fulia Domna,
Epouse de Septime Severe , frappée à
Troade; qu'avant ce tems- là la Ville dont
II. Vol. nous
1350 MERCURE DE FRANCE
nous parlons ne prit point le nom d'Aleandrie
: Urbs non se Alexandriam Troadem
nuncupavit , licet , ajoute-t- il , Troas
et Alexandria eadem sit apud veteres Historicos
ut videre est apud Strabonem , lib . 2.
ce qui semble se contredire . Troade ,poursuit
M. Vaillant , devant son nom d'Alexandrie
au Grand Alexandre , affecta de
marquer particulierement ce nom 'sur les
Medailles qu'elle frappoit sous l'Empire
de ( a ) Caracalla , pour flatter un Prince
qui , au rapport de Dion , liv . 78. se donnoit
pour un autre Alexandre , sese Alexandrum
Orientalem Augustum appellavit,
dit cet Historien.
M. Vaillant repete à peu près la même
chose en parlant d'une autre Medaille de
Troade , frappée en l'honneur d'Alexandre
Severe , fils de Caracalla . Alexandria
appellationem habet,dit-il, vel ab Alexandro
M.à quo exTroja ruderibus extructa est Strabone
Q Curtio testibus , vel ab Alexandro-
Severo , quod maximum illius esset , ut
Caracalla Patris studium , ut tradit Lampridius
; sans compter , ajoute notre Antiquaire
, que cet Empereur visita en personne
la Ville de Troade, en allant en Sy.
.
(a ) Aurelia et Antoniana , in Caracalla gratiam
vocata , dit ailleurs le même M. Vaillant, en
parlant de Troade.
11. Vol.
tie ,
JUIN. 1732. 135r
tie ; il avoit dit la même chose à l'égard
de Trajan ; ce qui est avancé gratuitement .
et sans aucune authorité .
Il est vrai cependant qu'avant le Regne
de Sept. Severe on ne voit point le
nom d'Alexandrie,ajouté à celui de Troade,
dans les Médailles de cette Ville , ce qui
semble donner quelque vrai - semblance à
la conjecture de M. Vaillant ; mais il faut
convenir aussi que cette conjecture est affoiblie
par les témoignages des Histeriens
qu'il rapporte lui - même , selon lesquels
Troade portoit le nom d'Alexandrie dès
le temps de la République Romaine.Je ne
produirai icy que
celui de Tite- Live, omis
par Vaillant.
Ce celebre Historien en parlant de la
guerre que les Romains eurent à soutenir
contre le Roy Antiochus , sous le Consulat
de L. Quintius et de Cn . Domitius,
dit que trois Villes occupoient principalement
les forces de ce Prince , sçavoir
(a) Smyrne, Alexandrie-Troade et Lampsa-
( a ) Smyrne.et Troade n'étoient pas fort éloignées
l'une de l'autre , et il y avoit une alliance ,
une union particuliere entre les deux Villes ; ce
qui est prouvé par une Medaille de Marc - Aurele ;
sur le revers de laquelle en lit : ΤΡΟΑΔΕΩΝ C
ΜΥΡΝΑΙΩΝ ΟΜΟΝΟΙΑ , rapportée par le Pere
Hardouin.
11. Vole
ques
Y352 MERCURE DE FRANCE
, ques dont il n'avoit pû venir à bout
jusqu'alors par la force , ni par aucun
Traité , ne voulant pas d'ailleurs , en passant
en Europe , laisser ces Places derriere
lui , Tres eum civitates tenebant , Smyrna
et Alexandria- Troas , et Lampsacus ; quas
neque vi expugnare ad eam diem poterat ,
neque conditionibus in amicitiam perlicere ;
neque કે tergo relinquere trajiciens ipse in
Europam volebat , Lib . xxxv . cap . XLII.
Ce qui paroît décisif pour l'ancienneté du
nom d'Alexandrie , joint à celui de la
Ville de Troade ; cela doit aussi nous déterminer
à tirer cette dénomination d'Alexandre
le Grand , comme Fondateur
ou comme Restaurateur de la Ville dont
il s'agit icy , sans qu'on soit obligé pour
cela de croire et de prouver que Troade
ait été bâtie des ruines de Troye.
,
Nous n'avons en effet aucune autorité
pour le prétendre. Une seule Ville du
Pays de Troade a pû se vanter de cette
distinction; c'est Sigée, bâtie certainement
des ruines de Troye , par les habitans de
Metelin , ville de l'Isle de Lesbos . J'aurai
dans quelque temps occasion de vous
prouver ce fait , en vous faisant part d'un
Monument des plus singuliers de l'Antiquité
Grecque , trouvé dans le siecle
passé , au voisinage de Sigée , et publié
II. Vol.
par
JUIN. 17320 1353
par un sçavant Anglois en l'année 1721 .
Son Ouvrage ne m'a été apporté d'Angleterre
que depuis quelques mois ; ce
que j'ai à vous en dire peut encore jetter
de la clarté sur la matiere que nous traitons
icy .
Je vous ai dit , Monsieur , dans ma premiere
Lettre, que la Ville de Troade étoit
Colonie Romaine dès le temps d'Auguste.
Pour le prouver , je n'ai presque besoin
que du titre d'Auguste qu'elle porte sur
notre Medaille. Les Antiquaires tiennent
communément que les Colonies nommées
Julia, dénotent qu'elles ont été fondées
par Jules - Cesar ; et Augusta , par
I'Empereur Auguste . Je sçai que Gens difficiles
pourroient contester cette regle en
certain cas ; mais enfin , c'est- là un de ces
Principes generalement avoüez , et contre
lesquels on n'est presque pas reçu à
disputer. Dans ce cas particulier on auroit
encore moins de raison , parce qu'on
voit que la Ville de Troade étoit Colonie
Romaine , non seulement du temps de
Pline , mais même du temps de Strabon
qui a vécu sous Tibere , et même sous
Auguste. Ainsi il est presque démontré
qu'Auguste a été le Fondateur de cette
Colonie.
Il n'est guere moins certain qu'elle fut
II. Vol. E dans
1354 MERCURE DE FRANCE
dans une singuliere recommandation auprès
des Empereurs . On y envoyoit les
Soldats veterans , choisis parmi les Légions
qui avoient bien servi , pour s'y reposer
comme dans un séjour agréable , et
dans un Païs abondant ; c'est ce que désigne
particulierement l'Enseigne Militaire
, qui paroît sur notre Medaille de
Troade.
par
Quelques - uns de ces Empereurs l'orne :
rent et lui accorderent des Privileges .
Adrien , sur tout , y fit faire (a ) des Bains
magnifiques et des Aqueducs, comme on
le lit dans la vie d'Herode le Sophiste
écrite Philostrate. La Ville , en reconnoissance
, fit frapper une Medaille où
l'on voit d'un côté la tête de cet Empereur
, et sur le revers , le Type de Troade
tel qu'on le voit sur la face de la nôtre ,
avec ces mots : COL. TROAD. Elle étendit
même la reconnoissance de ce bienfait
jusqu'à la personne d'Antonin Pie , fils
adoptif d'Adrien , et jusqu'à Marc- Aurele
, en faisant aussi frapper des Medailles
pour ces deux Empereurs.

( a ) On voit par un Passage de Pline , livre
XXXI. ch. VI. qu'avant ce temps - là il y avoit à
Troade des Bains d'Eau chaude , que P. Belon
liv. 2. ch. 6. de ses Observ . a confondus avec ceux
de Larissa , dans le même Païs ; quoique bien distinguez
dans Pline , qu'il cite.
1
11. Vol
A
JUIN
. 17320
1355
-
A l'égard des Privileges et des immunitez
accordez à Troade , quelques Me
dailles frappées par la même Ville , les
prouvent ; entr'autres celles de Septime-
Severe , et de Julia Domna sa Femme s
au revers de laquelle on voit pour Symbole
, un Cheval qui paît en liberté . M.
Vaillant remarque , en rapportant ces
deux Medailles , que l'Empereur Claude
avoit rendu la Colonie de Troade exempte
de toutes sortes de charges , ajoutant
qu'entre les autres Colonies , fondées par
Auguste, celle- ci avoit été particulierement
avantagée du Droit dont jouissoient les Villes
d'Italic :Juris Italici pronunciata est. Dequoi
deux Auteurs ont fait une mention
expresses sçavoir , Caïus ( a ) sur les Loix
Julia et Papia, lib. 6. et Paulus , lib. 2. des
Cens. Ce dernier ajoute que Troade étoit
du Proconsulat d'Asie . In Provincia Asia
Dua sunt Juris Italici Troas et Purinus .
M. Vaillant observe à propos , à l'oc
casion d'une Medaille frappée à Troade ,
pour Philippe le Peres que toutes les Colonies
n'avoient pas ce beau Droit dont
nous venons de parler , qui distinguoit si
fort une Ville d'une autre ; mais je ne sçai
s'il faut s'en tenir à son explication du
MOV.
( a ) Juris Italici sunt , rpwas Bupytos , Auppo-
H. Vol
E ij revers
5 MERCURE DE FRANCE
revers de la même Medaille. On y voit
une Aigle qui tient dans ses Serres , en
volant la Tête d'un Boeuf. Cela , dit- il
dénote l'origine et l'antiquité de cette
Villes car quand il fut question de la
fonder , on sacrifia un Boeuf , dont un
Aigle emporta la tête, ce qui fut pris
pour un ordre du Ciel et servit d'Augure
pour déterminer le lieu où elle devoit
être bâtie. Elle le fut à l'endroit même
où l'Aigle transporta cette tête. L'antiquité
payenne et fabuleuse a pû debiter
cela au sujet de la fondation de Troade
comme vous sçavez , Monsieur , qu'elle
on a usé à l'égard de Rome , et à l'égard
des plus anciennes Villes ; mais la chose
ne peut guere passer que pour une conjectite
, aussi , M. Vaillant ne nous cite làdessus
aucune autorité.
Passons- lui donc la conjecture ; mais je
le crois dans ( a ) l'erreur , quand dans l'explication
de deux Medailles de la Colonie
de Troade, frappées , l'une pour Elagabale,
et l'autre pour Volusien , notre Sçavant
:
( a ) M. Vaillant se trompe encore quand an
sujet d'une Medaille de Geta , frappée à Troade ,
qu'il appelle Insignem Urbem Veterum Hefoum
. Il cite Dyonisius Afer pour premier Auteur
de cette Expression , cet Ecrivain n'ayant point
parlé deTroale dans son Poëme , De situ Orbis.
14. Vol.
MeJUIN.
1732. 1357
Medecin confond Troade avec Ilium, attribuant
à la premiere ce qui certainement
regarde la seconde de ces deux Villes, qui
sont cependant tres- distinctes'; sur quoi
les citations mêmes qu'il allegue sont
contre lui , en particulier celle du Digeste
, où il s'agit visiblement des Privi
leges d'Ilium et non pas de Troade. Com
cessum est ut qui Matre Iliensi natus est ,
sit eorum Municeps , lib. 5. tom. 1
dont le
Ce qu'il y a icy de singulier , c'est que
M. Vaillant a reconnu parfaitement lui
même, tom. I. la distinction de ces deux-
Villes , en expliquant une Medaille d'Alexandre-
Severe , frappée à Troade. Troas
et Ilium , dit-il , dua sunt Urbes , post Tro
jam antiquam dirutam seorsim condite, quod
nummi confirmant , & c. Ce que notre An
tiquaire prouve par l'autorité de Polybe ,.
liv. 5. décisif est rappor
passage
té , ajoutant , par surcroit de lumiere sur
ce sujet , la distinction que voicy : Troadenses
cum Romani sint Coloni , latinè nummos
scribunt, Ilienses verò Epigraphem Gracam
: IAIEON praferunt. Il pouvoit prouver
encore cette distinction par l'Itineraire
d'Antonin , par les Tables de Peutinger
, et enfin par les Souscriptions des
Evêques des deux Villes , qui ont assisté
aux Conciles , &c.
. II. Vol
E iij Re1358
MERCURE DE FRANCE
Remarquons , en passant , à cette occasion
, une faute toute differente qu'a faite
Casaubon , Traducteur latin de Strabon
à l'égard de notre Alexandrie-Troade dont
il fait deux Villes ; au lieu que , comme je ·
l'ai observé dans ma premiere Lettre , ce
n'en est qu'une, suivant la force du Grec,
Αλεξανδρείαν τω τριαδα , qu'il faut traduire
, et Alexandria que est Troas , et non
pas comme ont fait Casaubon et d'autres ,
et Alexandria , ac Troas. Pinedo dans son
Commentaire sur Etienne de Byzance ,
a relevé cette méprise au mot Troïas, et
après lui Spanheim et Vaillant.
Mais c'est assez parlé de Troade Payenne
, Grecque et Romaine ; disons un mot,
en finissant ma Lettre de Troade Chré
tienne , devenuë telle , selon toute apparence
, par le bonheur qu'elle a eu de recevoir
si souvent dans son sein l'Apôtre
S. Paul , ainsi qu'il est rapporté dans plus
d'un endroit des Actes des Apôtres. C'est
à Troade que ce grand Apôtre eût la vision
du Macedonien , qui le pria de pas
ser dans la Macedoine, et de venir au secours
de ses Compatriotes , ch . 16. Grotius
dans son Commentaire sur ce chapitre
, a pris la Ville de Troade pour la Region
de même nom . Nous avons vû qu'il
n'est pas le premier qui s'est trompé là-
II. Vel. desJUIN.
1732. 7359
dessus ; il commence à s'en appercevoir
au chapitre 20 .
On lit dans le même chap. 16. qu'en
conséquence de sa vision , S. Paul s'embarqua
à Troade même , d'où étant venu
droit à Samothrace et à Neapolis , il arriva
à Philippes : Et inde Philippos, que est
prima partis Macedonia Civitas COLONIA.
Je ne sçai , Monsieur , si ces dernieres
paroles ne peuvent pas donner lieu à une
Remarque. Le Saint Ecrivain n'oublie pas
d'observer que la Ville de Philippes , dont
il parle pour la premiere fois , étoit une
Colonie; il ne dit rien de pareil de Troade
, nommée plusieurs fois dans son Itineraire
, où S. Paul séjourna une fois sept
jours entiers ; et où la veille de son départ
, il fit le miracle éclatant de ressusciter
le jeune Homme tombé d'une fenê
tre,&c. Ch . 20. Peut - être Troade n'étoitelle
pas alors honorée de ce Titre , ce qui
détruiroit le sentiment des meilleurs Antiquaires
, qui veulent , comme nous l'avons
vu plus haut , que le Titre d'Au
gusta , marqué sur les Medailles de cette
Ville , dénote qu'elle a reçu cette qualité
dès le temps d'Auguste .
Quoiqu'il en soit , Troade éclairée des
lumieres de la Foy , par le Docteur des
Nations , ou par ses Disciples , a dû avoir
II. Vol. E iiij des
1360 MERCURE DE FRANCE
des Pasteurs dès les premiers temps du
Christianisme. On reconnoîtroit volop-.
tiers le premier de tous en la personne de
Carpus , chez qui S. Paul logeoit dans cette
Ville , et dont il ( a ) parle particulierement
dans sa II . Epître à Timoth.ch.2.
Si on pouvoit faire quelque fond sur ce
qu'on lit de Carpus , dans la Lettre à Démophile
, la vini de celles qui portent le
nom de S. Denis l'Areopagite ; mais il y a
long - temps que les meilleurs Critiques.
ont reconnu pour supposez tous les Ou
vrages cy - devant attribuez à ce S. Athénien
; ce qui n'a pas empêché que l'Auteur
d'une compilation de Vies des Saints , intitulée
: Fasti Mariani , et publiée à Anvers
en l'année 1633. n'ait fait de ce Disciple
de S.Paul un veritable Evêque, dontil
marque la Fête au 26 May , en citant:
à la fin Denis l' Areopagite , pour garant de
ce qu'il a trouvé à propos d'en rapporter.
Pour moi , Monsieur , je ne connois
point d'Evêque de Troade avant Marin
qui assista au Concile de Nicée avec Théonas
de Cyzique , son Métropolitain , com
me on le voit par les Actes de ce fameux
Concile , recueillis par Gelase , un des suc-
( a ) Penulam quam reliqui Troade apud Carpum
veniens affer tecum et libros , maximè autem
membranas. verf. 13 .

II.Vol.
cesseurs
JUIN. 1732. 1361
cesseurs de Théonas , et rapportez dans
les Editions des Conciles du P. Labbe et
du P. Hardoüin.
J'ai crû pendant quelque temps qu'un
S. Evêque , nommé Silvain , dont parle
Pallade dans la vie de S. Jean Chrysostome
, et qui fut envelopé dans la disgrace
du S. Archevêque de Constantinople,avoit
été Evêque de Troade ; mais on ne peut ,
ce me semble , recueillir des paroles de
Pallade autre chose,au sujet de ce Prélat ,
si ce n'est qu'il fût réduit à ce point d'in
digence que d'être obligé de gagner sa vie
à pêcher du Poisson à Troade , où il s'étoit
vrai semblablement réfugié.Silvanus,
sanctus Episcopus Troade piscatur et piscatu
vivit , selon la version de Bigot .
Il est vrai que Socrate, dans le 8 ° Livre
de son Histoire Ecclesiastique , chap . 36.
parle au long d'un Silvain , Evêque de
Troade , qui l'avoit auparavant êté de
Philipolis mais en lisant cet Historien
avec quelque attention , il est aisé de voir
que ce n'est pas le même dont Pallade a
fait mention. Le Silvain de Socrate a été
constamment Evêque de Troade , mais il
l'a été par le choix d'Atticus, second suc
cesseur de S. Jean Chrysostome en l'Archevêché
de Constantinople , temps posterieur
à la vie de l'autre Sylvain , et cir-
H. Vol. Ev cons1362
MERCURE DE FRANCE
constance décisive , pour ne pas confon
dre ces deux Prélats de même nom en
un seul. On pourroit s'y méprendre par ;
la ressemblance des qualitez . Celui de Pallade
étoit un S. Evêque , celui de Socrate
étoit aussi un Saint et un Saint à Miracles
, témoin celui que rapporte le même
Historien Socrate , d'un gros Vaisseau
construit sur le rivage de la Mer , auprès
de Troade , et destiné à transporter des
Colomnes d'un poids immense , lequel ,
quand il fut question de le mettre en
Mer , on ne pouvoit en aucune façon .
faire remuer , et qui ne fut ébranlé , tiré
et mis à flot , qu'après que le S. Evêque ,
cedant aux instances des habitans , qui
croyoient que c'étoit un prestige , se fut
transporté sur le lieu , et eut fait des prieres
, dont on vit bien-tôt l'efficacité .
C'est ce même Silvain , S. Evêque de
Troade, qui , au rapport de Métaphraste,
vit en songe Corneille le Centenier Evêque
de Césarée et de ( a ) Scepsis , lequel
lui apprit l'endroit où reposoit son corps,
lui marquant tout ce qu'il devoit faire
pour sa translation , pour la construction
d'un Temple , & c. On peut voir dans
(a ) Scepsis, Ville de la petite Mysie , selon Strabon
, ou de la Troade , selon Etienne de Byzance.
II. Vol. l'AuJUI
N. 1732.
1363
P'Auteur Grec les suites de ' cette vision , et
de l'obéissance de l'Evêque de Troade , les
Miracles operez à cette occasion , la conversion
d'un grand nombre de Payens , à
laquelle ils donnerent lieu , & c.
Les illustres Compilateurs des Actes
des Saints , publiez à Anvers , ont observé
au 2 Février , jour destiné au culte du
S. Centenier Corneille , dans leurs Notes.
sur le texte de Métaphrate , que le temps
de cet Evenement peut être à peu près fixé
par celui auquel Atticus , Archevêque de
Constantinople, qui avoit fait notre S.Silvain
, Evêque de Troade , cessa de vivre :
or sa mort arriva , disent- ils , le 10 d'Octobre
de l'année 425. sous le Consulat de
Théodose le Jeune et de Valentinien . Ils .
s'engagent dans les mêmes Notes à donner
la vie du S. Evêque Silvain de Troade
au 1 jour de Decembre , temps auquel
le Martyrologe Romain fait mémoire de
lui.
Enfin sur ce que Métaphraste ajoute qu'après
le decès de notre Silvain , Athanase
fut nommé son successeur ; les mêmes
Historiens des Saints pensent que ce Prélat
pourroit être le même qui souscrivit
à la VI Session du Concile d'Ephese , en
qualité d'Evêque de Scepse, depuis transferé
au Siége de Troade, mais quelque soit
EL. Volar E VI CEL
1364 MERCURE DE FRANCE
cet Athanase , continuent- ils , il est cer
tainement mort avant la célébration du
Concile de Calcedoine , puisque les Actes
de ce Concile se trouvent souscrits par
Pionius , alors Evêque de la même Ville
de Troade .
Mais laissons à un sçavant (a) Ecrivain ,
qui fait imprimer au Louvre une Histoire
entiere de l'Eglise Orientale , &c. à
laquelle il travaille depuis plusieurs années
, avec une application infatigable ;
laissons- lui , dis -je , le soin de nous donner
sur le Christianisme.de Troade , et sur
ses Evêques, une plus ample instruction.
je me contente d'ajoûter au peu que je
viens de dire, que dans la distribution des
Provinces Ecclesiastiques , l'Evêque de
Troade devint Suffragant du Metropoli
tain de Cyzique , dequoi on a déja rapporté
une preuve ; il y a tout lieu de croi
( a ) Le R. P. Michel le Quien, Dominiquain .
voyez le Projet de son Ouvrage dans le Mercure
de Mars 1731.Nous avons du même Auteur , une
belle Edition des Oeuvres de S.Jean de Damas , et
dans la Préface de cette Edition , une Dissertation
dans laquelle il est démontré que les Ecrits , attriuez
à S. Denys l'Areopagite , dont il est parlé cilessus
, sont des Ecrits supposez, &c. fabriquez par
an Monophysite , ou Disciple de Severe d'Antiothe
, ou par ce Patriarche lui- même , pour appuier
ses erreurs.
II. Vol. re
JUIN. 1732 . 1363
re , malgré la désolation de cette ancienne
Ville , qui n'est presque aujourd'hui
qu'un amas de ruines, que son Siege Episcopal
subsiste toujours , avee la même
dépendance.
L'Auteur ( a ) Italien d'une Histoire
moderne des Patriarchats d'Antioche et
de Jerusalem , et d'un Abregé de celle
des Patriarchats d'Alexandrie et de Cons
tantinople , qui avoit fait lui-même le
voyage d'Orient , le témoigne ainsi , en
donnant sur la fin de son Ouvrage une
Notice tres- étendue du Patriarchat de
Constantinople. On y voir , en effet , les
Eglises de Cyzique et de Troade , parmi
celles qui composent dans ce Patriarchat
la seconde Province de l'Hellespont , divisée
en 17 Diocèses ; on y trouve aussi
que Troade est aujourd'hui connue sous
le nom de Carasia , et que Cyzique n'a
point changé de nom . Baudran , dans son
Dictionaire Géographique et Historique ,
les ruines assure que. de Troade , encore
( a ) SIRIA SACRA , Descrittione Istorico , Geo---
grafica , Cronologico- Topografica delle due Chiese ,
Patriarcali Antiochia , e Gerusalemme , &c. Com.
due Trattati nel fine della Patriarcali d'Alessandria
, e Constantinopoli , &c. Opera dell'Abb . Biagio
Terzi di Lauria , &c. 1. vol. fol. in Roma
16.95 . pag. 448. avec des Cartes Géografiques.
L. Vol. visitées
1366 MERCURE DE FRANCE
visitées , dit - il , par les Curieux , portent
le nom d'Eski- Stamboul. Il les place sur
les côtes de la Natolie , à 13 lieuës des Dar
danelles , et vers l'Isle de Tenedos .
Dans la Turquie Chrétienne , &c. Ou--
vrage imprimé à Paris en 1695. 1. vol. 12.
chez Herissant.
On voit aussi un Etat des Eglises soumises
au Patriarchat de Constantinople; l'Auteur
n'y fait aucune mention de Troade ;
il n'a pas même nommé Cyzique parmi
les Métropoles de ce Patriarchat , ce qui
démontre le peu de recherches qu'il a faites.
Il a aussi manqué d'exactitude sur
d'autres sujets qui entrent dans son Quvrage.
Au reste , Monsieur , vous sçavez que
ce beau Païs , autrefois rempli de grandes
et fameuses Villes , ne présente presqueplus
aujourd'hui que des ruines. Vous
m'avez appris qu'un assez petit Bourg ,
nommé en grec vulgaire Troaki , ou petite
Troye, est tout ce qui reste , pour rappeller
la mémoire et la situation de la celebre
Troye; et j'apprens de l'Auteur de la
Bibliotheque Orientale , que Cari- Ili , est
le nom que les Turcs donnent au Païs
dont je parle , comprenant sous ce même
nom , la Lydie , la Troade , avec une partie
de la Mysie et de la Phrygie des Anciens.
II. Vol Voilà
JUIN. 1732. 1367
Voilà tout ce que j'avois à vous dire au
sujet et à l'occasion de votre curieuse
Médaille de Troade . Je vous parlerai sans
faute dans ma premiere Lettre , de la pe
tite Médaille des Dardaniens , qui ne nous.
occupera pas si long - temps . Je suis , Monsieur
, & c.
A Paris , le Mars 17 31 .
ENIGM E.
TRes-petit habitant d'un humide terroir
Où la bienfaisante nature ,
Me fait naitre avec mon Manoir ,
Et me fournit ma nourriture ,
J'en sors plusieurs fois tous les ans ,
Et quoique mes pas soient fort_lents ,
J'en laisse la trace à mesure ,
Que je promene dans les champs
Mon corps à grotesque figure.
On m'aime assez pourtant ; je sers à des repass
Fort souvent on m'en trouve digne. , -
Sur tout quand je viens d'une vigne ;
De moi , le Gascon fait grand cas.
audessus de ma tête .
Je porte
Lecteurs en cet endroit , il faut que je m'arrête ;
II. Vol.
car
1358 MERCURE DE FRANCE
Car j'aurois le malheur de ne vous plaire pas ;
Mais seroit- ce un grand mal que de vous l'oser
dire ?
Si vous me ressemblez, vous ne devez qu'en rire. }
JE
LOGOGRYPHE.
E suis un tour , composé de six pieces»
Mais un tout des plus déplaisans ,
Mon Pere le souci , ma mere la tristesse ,
M'ont enfanté pour tourmenter les gens.
Ami Lecteur , si tu n'as rien à faire ,
Tu peux me retourner et me mettre en mor¬~
ceaux ,
3.
Tu trouveras dequoi te satisfaire ,
En combinant avec choix mes Lambeaux..
2. 4. forme un animal immonde ,
4. 3. 2. aux Cerfs je cause grande peur ,
2. 3. 6. §. je suis une agréable fleur.
2. 3. 4. un corps dur qui résiste à la sonde.
6. 3. 4. on me voit tantôt dans un plein
champ ,
Pour maltraiter sa mere , être utile à l'enfant.
Tantôt sous une autre figure ,
D'un gris vétu , j'exhausse la Stature ,
3. 2. je suis un Métal précieux.
4. 3. 2. 2. 6. je suis tantôt aux Cieux.
II. Vol. Tantôt
JUIN.
13
1732.
Tantôt en Terre ; icy je suis terrestre
Et dans les Cieux je suis celeste. (
Tu peux encore en plus d'une façon
Diviser, rassembler , arranger mes parties.
Je vais finir ce détail ennuyeux ,
Mais reçois en passant cette utile.Leçon :
Ami Lecteur , pour vivre en homme sage ,
Evite- moi , mais si tu ne le peux ,
Deffend moi de ton mieux , me perdre , c'est
dommage
Non. Fuis-moi, tu seras mille fois plus heureux
F. R. M.
AUTRE LOGOGRIPHE
Mon nom sous six Lettres compris,
Se peut diversement combiner et construire ;
On y trouve mieux qu'en LOUISA
( Soit dit , sans prétendre détruire-
Ce qu'un Auteur disoit jadis , )
L'Instrument dont la Mécanique
Se sert bien
pour
les
presser corps.
4. 3. 2. humain , qui me mets. en pratique
Si l'on te prend tremble pour lors ,
Voici ce queje pronostique ;
Tu mourras sur la rouë , ou seras étranglé ;
2. 3. 5. ainsi l'a réglé ;
2
II. Vol. Dans
1370 MERCURE DE FRANCE
Dans 1. 2. 3. et 6. contre ma violence
Le fruit n'est pas toûjours en assurauce.
De 2. 5. 6. un Ecusson orné ,
N'annonce pas une valeur commune.
Alorgner l'1. 3. 2. d'une piquante Brune ,
Mon plaisir n'est jamais borné..
3. 6. nourrit un animal fidele.
Le Monde au vrai Chrétien paroît 4. 5 .
deux.
3. 1. adieux à l'homme de Ruelle ,
Occupa très - souvent un Romain belliqueux .
6. 3. 2.6.ct 5. sont connus en Musique ,
Et bien ailleurs en sens très - different.
5. 2. ou 6. 3. § . à Thersite s'applique ,
Comme il se dit d'Achille et du Dieu son parent.
4
P. D. F ..
LOGOGRYPHUS.
I Ncubuit terris per me genus omne malorum ,
Ex
me , si vertas , omnibus orta salus.
II. Vol.
NOUJUIN.
13715 1732.
雨の雨の
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &c.
IBLIOTHEQUE RAISONNE'E des Ouvrages
des Sçavans de l'Europe , pour
les mois de Janvier , Fevrier , Mars ,
Avril, May et Juin 1730 Tome quatriéme
, premiere et seconde Partie . A Amsterdam
, chez les Westeins et Shmit , 1730 .
in 12.
Voicy quelques Titres de Livres dont
les Extraits sont très bien faits dans ce
Journal.
·
L'ETAT ET LES DELICES DE LA SUISSE
6
>
en forme de Relation Critique , par plu
sieurs Auteurs celebres , enrichis de figures
en Tailles douces , dessinées sur les
lieux , et de Cartes Géographiques trèsexactes
, en 4. volumes in 12. A Amsterdam
, chez les Westeins et Smit , 1730 .
TRAITEZ GEOGRAPHIQUES ET HISTO
RIQUES , pour faciliter l'intelligence de
l'Ecriture Sainte ; par divers Auteurs celebres.
A la Haye , chez G. Vander Poël ,
1730. 2. vol. in 12 d'environ 750. pages.
II. Vol. ESSAY
37% MERCURE DE FRANCE
,
ESSAY PHILOSOPHIQUE sur la formation"
des Sels et des Cristaux , et sur la géne
ration et le Méchanisme organique des
Plantes et des Animaux , à l'occasion de
la Pierre Belennite , et de la Pierre Lenticulaire.
Avec un Mémoire sur la Théorie
de la Terre. Par M. Bourguet. A
Amsterdam , chez Franç. Honoré , 17 : 9 .
in 12. de 220. pages pour l'Ouvrage , et
44. pour l'Epitre et la Préface .
ESSAY PHILOSOPHIQUE,Concernant
l'Entendement humain , où l'on montre
quelle est l'étendue de nos connoissances
certaines , et la maniere dont nous y parvenons
. Par M. Locke . Traduit de l'Anglois
par M. Coste. Seconde Edition , revûë
, corrigée et augmentée de quelques
Additions importantes de l'Auteur , qui
n'ont paru qu'après sa mort , et de quelques
Remarques du Traducteur . A Ams
terdam , chez Pierre Mortier, 1729. in 4..
595. pour le corps de l'Ouvrage , et 46 .
pour les Prefaces , &c. et la Table des
Chapitres , sans compter l'Epitre dédicatoire
et la Table des Matieres .
On apprend dans les Nouvelles Litteraires
; Article de Londres , qu'on y a
imprimé en Anglois , chez Gyles , Dis-
H. Vol.
sertation
JUIN. 17320 1373 :
sertation sur le Thé , où l'on explique sa
nature et ses proprietez , par plusieurs
nouvelles experiences ; et l'on démontre
par des principes philosophiques, les divers
effets qu'il produit sur des temperamens
differens. On y a ajoûté l'Histoire naturelle
du Thé ; la découverte de plusieurs
fraudes qui se commettent en le préparant
un Discours sur les vertus de la
Sauge et de l'eau ; et un Trairé où l'on
Lecherche les raisons pourquoi les mêmes
viandes ne conviennent pas également à
toutes sortes de temperamens. Par Thom.
Short , Docteur en Medecine. In 4.
LIVRES que Cavélier , Libraire , rue
S. Jacques à Paris,, a nouvellement reçûs
des Pays Etrangers .
Histoire de Suede , avant et depuis la fondation
de la Monarchie , par le Baron
de Puffendorf, nouvelle Edition , continuée
jusqu'à l'année 1730. 3. vol.
in 12. Amst. 1732 .
La Vie de Mahomet , traduite et compidée
de l'Alcoran , des Traditions authentiques
de la Sunna , et des meilleurs
Auteurs Arabes . Par J. Gagnier ,
2, vol. in 12. fig. Amst, 1732.
Bibliotheque Italique , ou Histoire Litteaire
de l'Italie , Septembre , Octobre,
11. Vol.
No1374
MERCURE DE FRANCE
Novembre et Décembre 173 1. in 8.
Genève , Tome XII.

Journal Litteraire , année 1731. Tome
XVIII . seconde Partie , in 8. La Haye .
Traité de l'organe de l'Ouye , contenant la
structure les usages et les maladies
de toutes les parties de l'Oreille. Par
M. Duverney , in 12. fig. Leyde , 1731 .
Eutropii Breviarium Hist . Romana , cum
Metaphrosi , Græca Pacanii et Notis
variorum , recensuit Havercampus ,
in 8. Lug. Bat. 1729.
Hippocratis Aphorismi , Gr . Lat . cum Notis
Almeloveen , in 24. Lug. Bat. 1732 .
Bohnii ( Jo ) de renuntiatione vulnerum
lethalium , in 8. Amst. 1732 .
Ridley ( Hen. ) Anatomia Cerebri , come
plectens Méchanismum etPhisiologiam
simulque nova quædam inventa ex
Anglico in Latinum tranflata , in 8.
fig. Lug. Bat. 1725.
Torsi ( Fr. ) Therapeutice specialis ad Ficbres
Periodicas perniciosas . Editio al
tera auctior , in 4. Mutinæ , 1730.
Tentamina Experimentorum naturalium
captorum in Academia del Clemento
ex Italico in Latinum conversa , quibus
nova Experimenta addidit Musschenbrack
, in 4. fig. Lug. Bat. 1731.
Verbejen ( Phil. ) Corporis Humani Ana-
II. Vol. tomia
JUIN. 17328 1375
tomia, Editio nova novis observ . aucta,
2. vol. in 8. Amst. 1731. cum figuris.
Mazino ( Jo . Bapt . ) Mechanices Morborum
desumptæ à motu sanguinis
Solidorum , et Febrium , in 4.3 . vol .
offembaci , 1731.
Keilii ( Jacob ) Tentamina Medico- Phfsica
V. de velocitate Sanguinis , de vi
Cordis, de Secretione animali , de Motu
musculari , & . in 4. Lug. Bat . 1730 .
Vaillant ( Sebast. ) Botanicon Parisiense ,
in 8. Lug. Bat. 1723 .
}
Theses varia Medica , Preside Alberti ;
No. 57. in 4.
Les Metamorphoses d'Ovide , traduites en
François , avec des Remarques et des
Explications historiques ; par l'Abbé
Banier , 3. vol. in 12. fig. Amst. 1732 .
Journal Litteraire. Année 1732. Tome
XIX. Premiere Partie , in 8. La Haye .
Bibliotheque Raisonnée des Ouvrages des
Sçavans de l'Europe , Octobre , Novembre
et Decembre 1731. in 8.- Amst.
Acta Eruditorum . Anno 1731. publicata
in 4. Lipsia.
Entretien instructif d'un Pere avec son Fils
sur les premiers Principes de la Religion
et de la Morale , ou Cathéchisme
raisonné ; traduit de l'Anglois , in 12 .
Amst. 1732
11. Vol.
Bi137%
MERCURE DE FRANCE
Bibliotheque raisonnée des Ouvrages des
Sçavans de l'Europe , Janvier , Fevrier,
Mars 1732. Tome VIII. Premiere Partie
, in 8. Amst.
Bibliotheque Germanique , ou Histoire Litteraire
des Pays du Nord , Année 1732 .
Tome 23. in 8. Amst.
Schulfens ( Alb. ) Animadversiones Philologica
et Criticæ in loca vet. Testamenti
, in 8. Amst. 1732.1
Newton ( Isaac ) Arithmetica , sive de
Compositione et Resolutione Arithmetica
, liber 4. Lug . Bat . 1732. fig.
Horssii ( Jac. ) Paradisus Anime Christianæ
,in 8. Col. Agr . fig. 1732.
Codex Medicamentarius , seu Pharmacopola
, Parisiensis in 4. Parisiis , apud
Cavelier, 1732. via Jacobea. Nota. Ce
Livre, qui a été travaillé pendant longtemps
par M" de la Faculté de Paris
et attendu avec impatience , paroît depuis
peu de jours , à la satisfaction des
Connoisseurs en Pharmacie.
Traité complet de Chirurgie , contenant des
Observations et Reflexions sur toutes
les maladies Chirurgicales et sur la maniere
de les traiter. Par M. Manquest
de la Motte , Chirurgien Juré à Valognes
, et Chirurgien de l'Hôpital des
Troupes du Roy , en basse Normandie,
M. II. Vol.
JUIN. 17327
1377
et établi dans ce lieu , 4. vol. in 12.
A Paris , chez Cavelier, rue S. Jacques,
1732. Le débit de la premiere Edition
de ce Livre et l'estime que les Con--
noisseurs en font , ont porté le Libraire
à en donner une seconde Edition que
l'Auteur a corrigée et augmentée de
nouvelles Observations très - interessantes.
La Science des Négocians et Teneurs de
Livres , ou Instruction generale pour
tout ce qui se pratique dans les Comptoirs
des Négocians , tant pour les af
faires de Banque ,. que pour les Marchandises
, et chez les Financiers pour
les Comptes. Par M. de la Porte . Nouvelle
Edition , augmentée , in 8. Paris,
1732. Chez le même.
DISCOURS sur les Vies des Saints de
Ancien Testament. A Paris , ruë saint
Jacques , chez Osmont et Henry , 1732.
6. vol. in 12.
SCANDERBERG , ou les Avantures du
Prince d'Albanie . Ruë S. Jacques et an
Palais , chez Delespine et Dupuis , 1732 .
2. vol. in 12. de 769. pages les 2. vol .
AVANTURES CHOISIES , Contenant l'AII.
Vol. F. mous
1378 MERCURE DE FRANCE
mour innocent persecuté , l'Esprit folet ,
ou le Sylphe amoureux , le Coeur volant
ou l'Amant étourdi , et la belle Avanturiere.
A Paris , chez Pierre Prault , Quay
de Gesures , 1732.
LA THEORIE DE LA MANOEUVRE DES
VAISSEAUX , réduite en pratique , ou les
principes et les regles pour naviguer le
plus avantageusement qu'il est possible.
Par M. Pitot , de l'Académie Royale des
Sciences . Rue S. Jacques , chez Cl. Jombert,
1731. in 4,0 de 119. pages.
NOUVEAU RECUEIL DES FABLES D'ESOPE
, mises en François avec le sens moral
, en quatre Vers , et des figures à chaque
Fable. Dédié à la Jeunesse, Nouvelle
Edition , augmentée des Quatrains de
M. de Benserade . A Paris , chez P. Prauli,
Quay de Gesvres , 1731. in 12. de 442 .
pages , contenant 223. Fables.
LE TRIOMPHE DE L'AMOUR , Comédie
de M. de Mux, représentée par les
Comédiens Italiens , au mois de Mars dernier.
Chez le même Libraire , 1732. in 12.
de 144. pages.
Cette Piece est en Prose et en trois Acces
, nous en avons donné l'Extrait et
II. Vol.
rap
JUIN. 17322 1 1379
rapporté le Jugement du Public quand
elle a paru.
PHARSAMON , ou les nouvelles Folies
Romanesques , du même Auteur ; chez
le même Libraire , 2. vol . in 12. sous presse.
LA FIDELITE RECOMPENSE'E ,
Histoire Portugaise , 17 32. in 12. Chez
le même Libraire.
HISTOIRE D'OSMAN , Empereur des
Turcs. Chez le même . in 12. sous presse.
ELOGE DE LA FOLIE. Chez le même ;
1731. in 12. avec fig.
MELISTHENE , ou l'Illustre Persan . Nouvelle
, par M. de P ... Chez le même,
1732. in 12. de 265. pages.
M. l'Abbé Terrasson ayant été élû par
l'Académie Françoise , à la place du feu
Comte de Morville , y prit séance le Jeudi
29. May , et prononça un Discours ,
auquel M. l'Archevêque de Sens répondit
au nom de l'Académie. Ils parlerent
tous deux , sans doute , avec éloquence ;
cela est également aisé à croire et à dire;
mais ce qui est très - difficile , c'est
d'extraire de ces Discours ce qui peut en
II. Vol.
Fij donner
180 MERCURE
DE FRANCE
donner une juste idée , sans que les Lecteurs
et les Auteurs y perdent.
L'Abbé Terrasson
, loue d'abord d'une
maniere assez neuve , et sans pousser la mopersonne,
destie tropioin sur le choix de sa
'Académie
Françoise, celle des Sciences et
des Belles Lettres, et le Cardinal de Richedieu.
C'est , sans doute , une des plus grandes
preuves de son intelligence
, dit-il , d'agenres
voir conçu qu'il feroit sortir tous les
de Literature du soin qu'il prendroit d'abord
de la Langue. Il a senti que cet objet general
qu'on croyoit borné à la superficie des choses,
Jes embrassoit
toutes . L'Académie
des Sciences
, fondée la premiere , r'auroit peut- être
donné lieu , ni à celle qui cultive l'érudition
litteraire , ni à la vôtre. Mais la vôtre s'ézant
remplie dès ses commencemens
d'excellens
hommes de tout ordre , a fait comprendre
qu'il pouvoit seformer diverses Compagnies
d'habiles gens , qui sçachant toutes qu'elles
toient instituées sur votre modele , non - seulement
porteroient
au plus haut point leur
valent propre, mais s'efforceroient
encore de
préter aux matieres les plus épineuses , cette
clarté et cette élegance dont vous leur avez
donné Pexemple.
On auroit en tort de craindre que la po
Litesse du style , à laquelle vos prédecesseurs
s'appliquoient
aves tant de soin , ne fit pré
ferer
JI, Vol.
JUIN . 1732. #381*
ferer l'agrément à la solidité du Discours .
L'Experience a fait voir que le choix des
paroles amenoit celui des pensées , que l'éloquence
ne plaisoit principalement que par
les choses , et que le pouvoir bien approfondi
des mots mis en leur place , n'étoit le plus
souvent que le pouvoir des idées et des rai.
sons mises dans leur ordre , & c.
Nous sentons que la difficulté d'abreger
augmente à mesure que nous avançons ,
par le danger presque inévitable de ne pas
alterer un Discours ou plutôt un précisdéja
réduit avec beaucoup d'art , aux plus
justes bornes de l'éloquence ; en décom
posant , pour ainsi - dire , un morceau si
bien ordonné , tâchons de conserver lestraits
heureux , les expressions fines et déficates
, et les pensées solides et brillantes,
L'Abbé Terrasson termine l'Eloge de
Louis XIV . par les instructions que ce
grand Prince donna à son Petit- Fils , et
poursuit ainsi . Mais quel sera l'Instituteur
du Roy Enfant , capable de faire germer le
fruit renfermé dans cette importante Leçon ?
où le Ministre capable de la suivre sous ses
yeux , lorsqu'elle sera devenue l'inclination
et la volonté propre du Roy , plus avancé
en âge ? Nous sommes trop heureux , Messieurs
, que ces deux fonctions se soient suivies
dans un seul homme ; et vous êtes , josé
II. Vol. Fiij Le
1382 MERCURE DE FRANCE
le dire , trop glorieux que cet homme unique
soit un de vous , & c.
Les travaux guerriers ont un grand éclat,
et quand ils ne seroient pas toujours suivis
du succès , l'entreprise seule accroît sa gloire...
L'entretien d'une longue Paix , bien plus
difficile que les conquêtes et les conventions
les plus avantageuses , n'a aucun terme où
le Ministre recueille la gloire de ses efforts ,
parce qu'ils ne finissent jamais , leur durée
mêne les prive de ces acclamations et de ces
triomphes , dont on fixe le jour ; et qu'une
sage politique autorise pour animer les hommes
ordinaires. Disons encore que l'abondance
procurée aux Citoyens n'est un objet
que pour ceux qui veulent le voir , et qu'ainsi
l'héroïsme de l'administration consiste à entretenir
et à faire croître le bonheur des Peuples
au milieu de leur insensibilité , et sur tout
à préparer la continuation de ce bonheur par
un partage de sa propre autorité , d'autant
plus genereux , que l'on choisit un plus digne
Associé.
Le nouvel Académicien passe ensuite
à l'hommage dû à la memoire de M. le
Comte de Morville ; il en parle ainsi :
Né avec des inclinations vertueuses , il ent
de bonne heure cette bienseance , cette décence
qui sauve à laJeunesse ces dérangemens d'esprit
et de moeurs , que le Public pardonne
II. Vol. encore
JUIN. 1732. 1383
encore plus volontiers à l'âge , lorsqu'il les
voit , que l'homme fait ne se les pardonne
à lui-même , lorsqu'il s'en ressouvient. Il
n'avoit parû jeune que par des amusemens
ingenieux et par ces graces de l'esprit qui
l'ont suivi jusques dans l'exercice des talens
superieurs et des grands emplois. Entré dans
Les fonctions publiques par cette partie de la
Magistrature qui demande une comparaison
continuelle des Loix primitives et generales
avec les circonstances présentes et particulieres
, une équité severe dans le principe, et
une indulgence dans l'application ; une place
enfin plus propre que toutes les autres à faire
sentir que les interêts des Princes et des Sujets
ne sont que la même chose ...
Sur son Ambassade et ses négociations ,
POrateur ajoûte : Mais quel effort de génie
y réussira mieux que cet esprit d'insinuation
, tiré plutôt de la douceur du caractere ,
que d'une adresse étudiée . M. de Morville
fut ami des Hollandois , et leur fit aimer les
François en sa personne . Ce fut aussi ce qui
engagea le Prince Regent , Grand - Maître
lui- même en l'art de gagner les coeurs , à lui
confier à son retour cette partie du Ministere
, qui est en quelque sorte une naviga-nego.
tion continue .... Plein de goût pour toutes
les belles choses , il passoit agréablement des
objets qui occupent les Académies des Gens
11. worpent
Vol.
Fij de
1384 MERCURE DE FRANCE
de Lettres , aux objets que cultivent les Académies
qui tirent leur nom des Beaux Arts.
M. l'Archevêque de Sens répondit en
ces termes :
MONSIEUR ,
Il est glorieux , sans doute , d'être adopté
parmi nous par un concours rapide de tous
les suffrages. Mais c'est une autre sorte de
gloire qui n'est pas moins douce , d'avoir das
Rivaux et de l'emporter sur eux , la difficulté
et l'incertitude rendent le succès plus
interessant ; et si un Concurrent d'un mérite
connu a balancé les voix , la préference
a quelque chose de bien flateur. C'est
ce qui vous est arrivé , Monsieur ; un Concurrent
aimé de plusieurs , et estimé de tous:
par des Ouvrages connus , & c...... Le
Discours éloquent que vous venez de prononcer
honore notre choix en même temps
qu'il justifie votre ambition.
L'éloquent Prélat parle ensuite des Ouvrages
du nouvel Académicien , qui lui
ont frayé depuis long temps la route vers
l'Académie : Grande érudition , dit- il , stile
élegant , goût délicat , et surtout une justesse
de raison et de Philosophie , superieure au
goût , au stile et à l'érudition , & c....
Viennent ensuite les Eloges dûs à la Dissertation
sur Homere et à l'Histoire de
11. Vol. Sethos
JUIN. 1752. 1385
Sethos . Celle- cy en mérite particulierement ,
dit l'Orateur , par le dessein que vous vous
y êtes proposé , non d'amuser ,
non d'amuser , mais d'instruire
le Lecteur et de former ses moeurs . Dans
ce siecle , livré peut être plus qu'aucun aux
bagatelles indécentes , aux liberte amüsantes
, aux Satyres qui n'épargnent ni les hommes
ni les Dieux , on est heureux de trouver
encore quelques Ecrivains aussi sages
qu'ingénieux , qui veüillent bien s'étudier à
déguiser adroitement , sous ce frivole qu'on
recherche et dont on ne s'amuse que trop; des
Leçons utiles de probité , de Religion , de modestie
et de desinteressement.
Sur l'amitié et l'estime que l'Abbé Terrasson
a mérité de ses Confreres dans l'A--
cadémie des Sciences , l'Archevêque de
Sens ajoûte L'Académie Françoise ne fait
pas moins de cas de la vertu et de la probité;
elle compte ces qualitez au nombre de celles
qu'elle cherche dans ceux dont ellefait choix.
Ciceron mettoit la probité au nombre des
qualitez de l'Orateur , il la plaçoit même la
premiere. L Académie Françoise adopte saz
maxime en imitant son éloquence , elle - méprise
les talens quelques brillans qu'ils soient
si ce lustre leur manque ; et malgré les mur
mures du vulgaire , ces Ecrivains dont la
plume impie , médisante ou impure , attiroit
de frivoles applaudissemens , sont parmi nous
méconnus ou détestez. FY C'est
1386 MERCURE DE FRANCE
>
C'est par les vertus , si je l'ose dire , de societé
et de commerce , que vous nous devez
dédommager de la perte que nous avons faite
de M. le C. de M. dont vous prenez la place.
C'est par cet endroit seul que
l'Académie
a besoin d'être consolée , d'être dédomagée
; car pour la réputation et la gloire que
ses vertus lui ont acquise parmi nous , elle
subsistera toute entiere , et la mort n'ôte rien
ni à lui , ni à nous. C'est le privilege des
Societez comme la nôtre de s'enrichir chaque
jour de leurs propres pertes , et de conserver
à jamais la gloire dont chacun de ses Membres
l'enrichit en y entrant .
A40. ans , M. de Morville avoit déja
épuisé tous les degrez de la fortune et tous ses
revers………. Orateur , Magistrat , Ambassadeur
, Secretaire d'Etat , Ministre de la
Marine , Ministre des Affaires Etrangeres
enfin simple particulier 5 toujours égal dans
ces divers états , et toujours aimé.
>
On peutjuger de M. le C. de M. par les
négociations plus importantes et plus difficiles
, dont il fut charge au bout de deux ans
en qualité de Plénipotentiaire au Congrès de
Cambray. Là , se conduisoit cette négocia
tion singuliere , qui sera un Problême pour
les siécles à venir : négociation qui sans paroître
rien décider , opéroit dans toute l'Europe
une paix plus durable que celle qui est
II. Vol. fixée
JUIN. 1732 1337
3
fixée par des Traitez, et qui prolongée pendant
plusieurs années , suspenduë ensuite
transferée à Soissons , separée enfin comme
hazard , se trouve en apparence sans '
conclusion , et cependane sans rupture.
par
Ministre secret sans être rusé , caressant
sans s'avilir , franc et sincere sans imprudence
, grave sans être fier : c'est trop pen
dire qu'il gagna l'estime de tant d'hommes
choisis de toutes les Nations , elle alloitjusqu'à
la confiance et à l'amitié : et tous se sont
fait un plaisir de lui en conserver les marques
, lorsque la Fortune toujours legere dans
ses caresses, s'offensa de ce qu'il sembloit vouloir
la fixerpar l'égalité de son humeur et de
son caractere.
Elle lui préparoit une chûte aussi rapide
que son élevation , lorsqu'il sçût la prevenir
par une retraite genereuse , honoré de l'estime
et des graces de son Maître. Il n'avoit
pas
couru après la fortune , elle étoit venuë comme
d'elle-même s'effrir à lui , il lui ôta leplai- .
sir de consommer sur lui sa legereté ; il renonça
de lui-même à son Empires et il montra:
par son choix qu'on peut être heureux sans
ses caresses , content sans ses trésors, et grand
sans ses bienfaits , & c.
Les Dignitez l'élevent au- dessus de nous ,
dit l'Orateur , en parlant du Cardinal de
Fleury , mais sa modestie len raproche , elle
II. Vola F vj lui
1388 MERCURE DE FRANCE
lui fait oublier tout ce que son rang a de
grandeu , et le plus puissant des Sujets est
aujourd'hui le plus simple , le plus modeste ,
le plus affable.
Et en parlant de notre Auguste Monarque
: Heureux son peuple, si malgré le penchant
qui le porte à murmurer toujours , à
critiquer et à se plaindre , il sçait connoître le
bonheur qu'il a d'obéir à un Roiffable dans
sa Cour , pacifique dans ses desseins , religieux
dans ses devoirs , chaste dans ses plaisirs
, moderé dans tous ses desirs.
"
Le 24 Mai , l'Académie Royale des
Sciences , proceda à l'élection de deux
Sujets , pour remplir la place d'Associélibre
, vacante par la mort de M. Chirac ,
Premier Médecin du Roi ; la pluralité
des suffrages tomba sur M. Chicoyneau ,
aujourd'hui Premier Médecin de S. M.
et sur M. de Gamaches , Chanoine Régulier
de Sainte Croix de la Bretonerie , ct
Vicaire General de son Ordre en France.
Le 30 du même mois , le Comte de
Maurepas écrivit à l'Académie que le Roi
avoit accepté ces deux Sujets pour remplir
cette seule place , sans que cela pût
tirer à conséquence pour l'avenir..
Voici un Evenement qui fait autant
11. Vol. d'honJUIN.
1732. 1389-*
d'honneur à notre siecle , qu'il est flateur
pour le beau Sexe , lequel , par les préjugez
de l'éducation , connoît rarement
les forces de son esprit et toute . l'étenduë
de ses lumieres. On apprend par les
Lettres d'Italie , que le 10. du mois dernier
une Bourgeoise de la Ville de Boulogne ,
nommée Laure Bassi , v reçût le degré de
Docteur , en présence du Sénat , du Cardinal
de Polignac , de deux Evêques , de la
principale Noblesse et du Corps des Doce
teurs de l'Université . Ces Lettres ajoûtent
que cette personne excelle en tous genres
d'érudition , et qu'elle joint à cela un tour
d'esprit extrémement vif et agréable ,
avec une memoire si exacte sur tous les
faits qu'elle a une fois lûs , qu'il n'y a
personne en , Italic qui puisse lui disputer
ce talent. Les Gonfalonniers et les Anciens
de Boulogne lui ont donné un repas
magnifique , auquel ils avoient invité
tout ce qu'il y avoit de plus distingué.
dans la Ville.
Dans le dernier siecle Mesdemoiselles
Cornaro et Patin , donnerent le même.
spectacle , ayant reçû le même Grade dans
PUniversité de Padoüie.
II. Kob
LET
1390 MERCURE DE FRANCE
LETTRE écrite de Sens le ro. Mai
1732 à l'occafion d'une grosse Horloge
nouvellement construite dans cette Ville.
E serai charmé , " Monsieur , si je puis :
satisfaire votre curiosité , en vous donnant
une simple idée de notre nouvelle-
Horloge de Sens , et si vous trouvez du
raport avec ce qu'on vous en a.dejà dit ;
* je ne doute point que vous ne continuïez
d'admirer ce bel Ouvrage , dont le merite
consiste plus dans une juste proportion
de toutes les parties , et dans une
soigneuse recherche de l'Art , pour la
perfection et la durée d'une Horloge de
clocher , que dans une multiplicité de
machines , qui sont ou doivent être regardées
comme étrangeres à l'horlogerie.
L'auteur ( M. le Faucheur , Maître
Horloger de Paris , rue de la Verrerie au
Roi de France ) s'est principalement at
taché , dans sa composition , à pouvoir
satisfaire les personnes les plus difficiles
à l'égard de la mesure du tems , qui est ,
selon moi , tout ce qu'on doit exiger ; elle
marque le tems vrai , et le tems moyen
par son grand cadran qui orne toute la
fate du portail de notre Eglise Cathe
dr ale .
11. Koh L'Hor
JUIN. 1732. 1393
L'Horloge a été placée à la fin de l'année
derniere dans le même lieu qu'étoit
l'ancienne la cage est tres- propre , chaque
pilastre est orné d'une base et
d'un chapiteau d'Architecture
:
-
و avec
un vase au dessus. Les roues sont
aussi de cuivre , et tres fortes , bien
écrouées , tournées et polies sur leurs arbres
, dont les pivots , pignons et lanternes
sont d'acier , tournés , finis et
finis et po
lis avec tout le soin possible , pour éviter
les frotemens et pour donner une
plus grande facilité à toutes les piéces de
mouvoir.
- L'échapement , aussi bon qu'ingénieux,
est à rocher , composé de deux leviers ,
chacun sur une verge , ou arbre different,
faisant un angle d'environ 45. degrez ;.
ces deux leviers ou palettes , qui portent
près de 5. pouces et demi de longueur ,
agissent l'un après l'autre par le moyen
de deux portions de roues qui engren
nent l'une dans l'autre ; l'arbre d'un de.
ces leviers porte la fourchette ; la longueur
du Pendule est de plus de six pieds
et la lentille pese environ 30. livres ,.
avec une suspension tres solide et naturelle
, sans que l'on ressente de dureté
dans les vibrations ; cet échapement est
tres-doux et marche avec tres - peu de
II. Vol.
poids3
1393 MERCURE DE FRANCE
poids ; la piéce va également avec différentes
pesanteurs , c'est- à- dire , depuis 14.
livres jusqu'à plus de 100. Je puis l'assurer
, en ayant vu faire l'expérience dans
le tems que M. le Faucheur la regioit
ce qui est une preuve évidente que les
frottemens ne produiront aucune varia
tion par la régularité de celle- cy ; puisque
differentes forces ne produisent au
cun effet sur le Pendule.
Le mouvement peut aller plus de 100
heures sans le remonter ; il conduit 4
Cadrans à la fois dont le principal est
éloigné de 150. pieds au moins ; et quoique
les conduites fassent beaucoup d'équerre
ou angle , excepté celles de naissance
; il n'y a ni roues ni molertes , afin
d'éviter le jeu qu'elles donneroient à l'Eguille
par leur multiplication ; ce sont
deux demi Cercles rivez sur les Tringles
qui portent dans leur section les Pivots
d'une Croix , et qui tournent à chaque
Angle , sans prendre aucun jeu ; ce qu'on
ne peut pas éviter avec les engrenages .
Le grand Cadran est curieux par sa
construction nouvelle et solide , par sa
grandeur et par ses effets ; il est de treize
pieds et demi de diamettre ; les heures :
sont d'une composition d'Email- et de
Fayence , en 12 cartouches et 12. autres
LI. Vol. petits
JUIN.. 1732. 1397
petits pour les demies ; les chiffres sont
bleus sur fond blanc et portent près de
30. pouces ; chaque Cartouche est armé -
de fer et retenu par des vis et des écrous
dés
tout le reste est à jour rempli d'ornemens
de Serrurerie et Fleurons de Cuivre doré ;
le fond du milieu est de même matiere
pour résister aux injures du temps . On
peint dessus un Paysage et des Montagnes
en lointain , au- dessus desquelles
paroît la Lune , qui a 2. pieds de diamétre
et marque ses differentes faces , et son
quantiéme , avec beaucoup de régularité,
faisant sa révolution en 29. jours et demi
45. minutes.
Au- dessous de ce grand Cadran , entre
les deux Tours , il y a une grande Ro--
sette , et de chaque côté deux especes de
Vitraux , dans lesquels on a fait au milieu
une ouverture perpendiculaire d'en
viron 13. à 14. pieds de hauteur , sur
4. pouces de largeur pour passer un arbre
de fer , qui porte un Soleil de Cuivre
doré , lequel parcourant dans une année
cette ouverture , marque d'un côté à chaque
jour,l'heure qu'il se leve et se couche,
et de l'autre côté Equation de l'Horloge
; c'est- à- dire , les avances ou retards.
que fait chaque jour le Soleil en passant
par le Meridien ; ce qui fait la
II. Vol. diffe
1394 MERCURE DE FRANCE
difference du temps vrai et du temps
moyen; la quadrature qui fait mouvoir tout
cela est très -curieuse ; ce sont deux grands
Leviers de fer qui portent d'un bout une
portion de Cercle , et de l'autre bout une
Poulie de Métail , qui , en appuyant sur
une Courbe fixée à la grande Roüe an-.
nuelle , donne chaque jour les variations
solaires pour l'Equation d'un côté , et le
lever et le coucher de l'autre . Cette Roue
annuelle a 4 pieds 2. pouces de diamétre.
les Mois et les Signes sont marquez sur son
Cercle , divisez par quantiéme et par degrez
; ainsi on peut voir dans quel Signe
entre le Soleil et à quel degré de hauteur
il est chaque jour.
Afin de soulager le Mouvement de
l'Horloge dans la conduite de ces differentes
Machines , il y a un Rouleau sur
F'arbre de la roue annuelle , avec un poids
qui fait marcher toute la quadrature et les
conduites , ainsi le Mouvement n'a aucune
peine et va avec très - peu de poids :-
car avec 60. livres moufflées , il a marché
très- régulierement pendant quatre mois ,
quoiqu'il menât toutes les conduites des
Cadrans et la quadrature de la Lune ,
qui est fort pesante ; enfin il faut avoüer
que tout est bien ajusté et bien libre , il
y a plusieurs grandes Poulies jointes aux
II. Vol. Leviers
JUIN. 17321 1393
Leviers dont je ne vous parle point , pour
abreger.
Je puis dire,à la loüange de M* Baudry,
notre Maire de Ville , et de Mr ses Col
legues , que nous verrons peu de leur
successeurs, chercher avec autant de soin,
les commoditez et l'embellissement de la
Ville qu'ils l'ont fait dans cette occasion ,
sans qu'il en coûte rien au public. Je suis,
Monsieur , &c.
ENFANT né avec deux Langues . Extrait
d'une Lettre écrite d'Evreux , le 3
Juin 1732. par M. le Curé de Valdavid,
à M. D. L. R.
Q
Ue penser , Monsieur , d'une fille
venue au monde il y a environ 15
jours , avec une double langue bien distincte
et bien conditionnée ? L'enfant est
d'une bonne santé; le pere et la mere sont
surpris de cet Evenement , avec tout le
public. La mere a été bien questionnée
sur les differens temps de la production de
sa fille , ce qui n'a pas donné beaucoup
d'éclaircissement . On ne doute pas qu'il
ne faille couper une de ces langues ; mais
dans quels temps et avec quelles précautions
? J'ai proposé de la faire porter à la
nouvelle Academie de Chirurgie , ou à
II. Vol Saint
1396 MERCURE DE FRANCE
S. Côme. C'est une petite Bourgeoise de
notreVille, voisine de M.notre Promoteur ,
qui me charge de ses complimens , et de
Vous prier de rendre la chose publique ,
pour exercer la sagacité des Physiciens ,
et pour ce qui concerne l'opération , &c.
Le sieur Surugue , Graveur du Roy ,
à Paris , rue des Noyers , vient de graver
en une feuille , l'élevation en Perspective
de la principale Face de la Mosquée de
sainte Sophie de . Constantinople , avec
tous ses Accompagnemens , Galeries , Minarez
, &c. ce qui fait un Morceau trescurieux
.
Tout le monde sçait que ce superbe
Temple a été bâti originairement par
l'Empereur
Justin , en l'honneur de la Sagesse
Eternelles mais qu'il fut beaucoup amplifié,
enrichi, et orné par Justinien , en l'année
$ 37.1Les Turcs en ont fait leur principalo
Mosquée, et n'ont point changé son nom ,
SelonM.The venot,l'un de nos plus habiles
Voyageurs ; ce Vaisseau a 114 pas de longueur
, sur so de largeur. L'Edifice dans
euvre est quarré en dehors,et presque tout
rond en dedans. Il y a quatre principales
Portes qui conduisent à un grand vestibule
en portique , qui s'étend le long de toute
la face. On trouve ensuite sept Portes
II. Vol. quis
JUI N. 17328 1397
1
qui conduisent à une espece de Nef , et
ensuite neuf autres portes de Bronze ,
dont la principale est fort grande , et c'est
par là qu'on entre dans la Mosquée.
Il y a au milieu un superbe Dôme,plus
grand en hauteur et en largeur que celui
de S.Pierre de Rome. Sa Voute est faite en
forme de demi globe , et fort surbaissée ,
ce qui la rend unique dans son espece . Il
y a aussi un Porche , qui regne tout àutour
en dedans ; lequel porte une Galerie
voutée , dont la largeur est de 30
pas , soutenue de 60 Colonnes de Marbre,
de Jappe , de Porphyre , & c. lesquelles
portent encore d'autres Galeries. On monte
jusqu'à la derniere , par un dégré assez
aisé. On voit dans cette Mosquée le Tombeau
d'un Empereur Chrétien , qu'on
croit être un des Constantins, et on montre
une Pierre quarrée , creusée en petit
Bassin , dans laquelle les Turcs croient
que la Sainte Vierge lavoit les Langes du
Messie. Ils ont un grand respect pour cette
Pierre , qu'ils disent avoir été apportée
de Judée.
L'interieur de ce Temple é oit autrefois
tres - enrichi et peint d'un Mosaïque ,
que les Turcs n'ont qu'à demi effacé. En
dehors sont 4 Minarets ou Clochers fort
auts et délicz ; au sommet desquels il y
II.Vol.
1398 MERCURE DE FRANCE
a des Balcons , d'où les Officiers de la
Mosquée appellent le peuple à la priere.
C'estsur le modele de sainte Sophie , que les
Empereurs Turcs ont fait bâtir les 6 ou 7
autres Mosquées Royales qu'on voit à
Constantinople , mais qui sont bien inferieures.
Des Voyageurs distinguez ont donné
divers desseins , qui ont été gravez de l'interieur
et de l'exterieur de cet Edifice .
entre autres , Grelot et Corneille le Bruyn ;
mais on n'avoit point encore vû sa Face ,
si exactement et si nettement representée
que dans l'Estampe nouvellement gravée
par le St Surugue.
La Mosquée de Ste Sophie , a dit-on
été peinte par Bibiano, Peintre fort renommé
pour ces sortes de représentations .
-La Bibliotheque de l'Abbaye de Ste Geneviéve
a été depuis peu considérablement
augmentée dans son Bâtiment . Ce
Vaisseau est dans sa construction aujourd'hui
partagé en quatre Parties , qui forment
une croisée , éclairée au milieu d'une
grande Lanterne, qui donne beaucoup de
lumiere. La partie de la croisée , du côté
de la Cour se trouve directement sous
le Clocher de l'Eglise de Ste Geneviève ,
et elle est plus courte que les trojs autres
Parties.
II. Vol. Pour
JUIN. 1732. 1399
Pour faire disparoître cette irrégularité,
on a eu recours au prestige de la Peinture,
et M. Jacques de la Jouë , Peintre ordinaire
du Roy, en son Académie Royale ,
y a si heureusement employé la Magie de
son Art , que tous les yeux y sont nonseulement
trompez , mais encore extremement
satisfaits. Ce morceau fait beau-
-coup d'honneur au génie et au Pinceau de
M. de la Jouë , dont les talens sont assez
connus. Tâchons de donner une idée de
Let Ouvrage , que les Curieux vont voir
avec empressement.
La décoration de la Bibliotheque est
d'une Menuiserie uniforme dans son Architecture
; les Armoires sont de 15 pieds
de large sur toute la hauteur ; entre chacune
il y a une croisée ; et à chaque côté
de ces Armoires est une Guesne de Menuiserie
qui en marque la séparation
portant sont Buste en Marbre blanc , et
representant des Sçavans et Hommes Illustres
, tant anciens que modernes.
C'est cette même décoration et dans le
même alignement que l'on a suivi dans
les deux côtez de la Perspective en plate
Peinture , au fond de laquelle on voit un
Salon ovale , éclairé par une grande croisée
dans le milieu , et deux issuës de Gal-
Leries , qui partent à droite et à gauche.
II. Vol.
Ce
400 MERCURE DE FRANCE
Ce Salon est feint de Menuiserie , orné
de Panaches , de Colonnes et Pilastres ,
avec des Armoires garnies de Livres , & c .
A l'entrée du Salon ,il y a deux Consoles ,
surmontées de deux Urnes de Marbre antique
; sur le devant est une Sphere , representant
le Sistême de Copernic , montée
sur un pied de Bronze , un peu caché
par son Rideau verd jetté négligemment.
La Sphere avec son pied porte environ
6 pieds. Tout d'ouvrage a 24 pieds de
large , sur 18 de haut.
On sçait que l'Eglise de Notre - Dame
de Paris est en possession d'attirer l'admitation
de tous les habitans de cette
grande Ville et des Etrangers ; mais depuis
que son illustre Chapitre a fait mettre
, pour ainsi dire , la derniere main à
ce superbe Edifice , en achevant ce que
LOUIS XIV. et le feu Cardinal de Noailles
avoient commencé avec tant de zele et de
magnificence , on peut dire qu'elle paroît
dans tout son éclats car cette belle et vas
te Fabrique semble sortir des mains de
l'Ouvrier . Nous croyons faire plaisir au
public de lui donner icy une idée en racourci
de ces travaux, en attendant qu'ils
soient achevez, et qu'on puisse entrer dans
un plus grand détail,
II. Vol.
Sans
JUI N. 1732 1401
Sans entrer dans le détail de la premiere
origine et des differentes fondations .
de cette Eglise , bâtie dans un goût Gothique
, mais des plus majestueux dans sa
simplicité;nous dirons que ce grand Vaisseau
a été commencé par Maurice de Sully
, Evêque de Paris , vers le milieu du
12 siécle. La premiere pierre fut mise avec
beaucoup de solemnité , par le Pape Alexandre
III . alors refugié en France, lequel
fit ensuite consacrer le Grand Autel l'an
1182. par Henry , Legat Apostolique.
Ce ne fut que bien avant dans le 13
siecle que ce vaste bâtiment fut achevé ;
sa longueur est de 65 toises , sa largeur
de 24 ,
et sa hauteur de 17 , sous clef :
il est soutenu par 20 gros Pilliers. Les
deux grosses Tours quarrées, qui s'élevent
sur le frontispice , ont 34 toises de hauteur.
LOUIS XIII. ayant résolu d'orner cette
Eglise , en conséquence d'un voeu solemnel
qui interressoit tout le Royaume ; on
devoit construire un Maître- Autel , qui
répondit à sa beauté ; ce qui n'a été exécuté
que par LOUIS XIV . Ce Prince est
allé au-delà des intentions de Louis le ™
Juste son Pere. On peut voir la description
qui en a été faite dans Felibien,Ger
main Brice , et Piganiol de Laforce .
11. Vol G Le
402 MERCURE DE FRANCE
Le Cardinal de Noailles , Archevêque
de Paris , voulant seconder de si pieux
desseins , se proposa de continuer les décorations
de ce Temple. Il commença
par la construction de la Chapelle de la
Vierge , dont l'Autel est tout de Marbre ,
avec des Colonnes enrichies d'ornemens
de Bronze doré ; il la benit le 6 de May
1719.11 fit ensuite construire la Chapellle
de S. Denys , autrement dite des Martyrs,
de la même maniere que celle de la Vierge
, et de la même simétrie.
La Voute du milieu de la Croisée dépérissant
de jour en jour , et la Fléche qui
est au dessus , menaçant ruine, il employa
de grandes sommes pour l'entiere réparation
de l'une et de l'autre , aussi - bien que
pour la Couverture en-Plomb, dont il'a fait
refaire à neufla plus grande partie , sous la
conduite de l'Abbé de la Croix , Chanoi- ;
ne,qui s'est toujours fait un devoir de Religion
d'être le Coopérateur de tant de
pieux travaux. Il a aussi présidé au rétablissement
de la grande Roze qui est du côté
de l'Archevêché ; on prétend que cette ·
seule partie a coûté près de 80000 liv. Ce
fut Claude Pinet , Appareilleur , qui executa
cette entreprise en 1727. sous les ofdresde
M.de Bos frant, Architecte du Roy.
Le Cardinal de Noailles a fait aussi tra-
11.1.2.
vailler
JUIN. 1732. 1403
vailler à la construction d'une grande.
partie de la Chapelle , destinée pour la
Sépulture de sa Famille.
On fait monter toutes les dépenses que
le Cardinal de Noailles a faites, soit pour
les réparations ou embellissemens , à des
sommes très considérables ; et ceux qui
les estiment le moins,les portent à plus de
300000 liv.
• C'est que marcher sur ses traces ,
pour
le Chapitre s'est déterminé à achever les
réparations et les embellissemens
de cette
Eglise . Il a fait reblanchir tout le dedans
par le moyen d'Echaffaurs
volants , dont
P'invention hardie a été d'un tres- grand
secours ; il a fait mettre tous les Vitraux
de la Nef en Verres blancs , et réparé la
Rose du dessus de l'Orgue , qui est d'un
travail aussi ingénieux que délicat. C'est
aussi au même Chapitre que l'Orgue doit
sa parfaite restauration , et une augmen-.
tion de 1400 Tuyaux , ce qui va faire un
des Orgues les plus parfaits , et le plus
fort qu'il y ait en Europe. Le St François
Thierry a été choisi comme le plus habile
Facteur pour ces sortes d'Ouvrages , et le
S Calvieres pour le toucher; on sçait qu'il
est un des plus habiles Organistes de ce
temps.
C'est aussi aux soins , et au zéle du mê-
II. Vol. Gij me
1404 MERCURE DE FRANCE
me Chapitre ( a ) , qu'on est redevable de
la restauration et du nettoyement des Tableaux
de cette Eglise , qui étoient depuis
long-temps dans un fort mauvais état.
Le St Gregoire , Peintre , Eleve de M² Res
tout , qui a été choisi pour cela , s'en est
acquitté avec un succès merveilleux les
deux Certificats cy - joints en font foy.
C'est aussi lui qui a donné un nouvel
arrangement à ces mêmes Tableaux,
dont les sujets , tirez de l'Evangile et des
Actes des Apôtres, étoient confondus ensemble.
Il a rangé tous les sujets de l'Evangile
à main gauche , en entrant dans la
Nef par le grand Portail, et les Actes des
Apôtres , à droite.
Qus soussignez Louis de Boulogne , Ecuyer,
N.Chevalier de l'Ordre de S. Michel , Premier
Peintre du Roy , Directeur et Recteur de l'Académie
Royale de Peinture et Sculpture , et Corneille
Van-Cleve , ancien Directeur , Chancelier,
Recteur ; Nicolas Coustou , Recteur ; Nicolas de
Largilliere , Recteur ; Guillaume Couston, Adjoint,
Recteur , Claude Hallé , Adjoint , Recteur ; Hyacinthe
Rigaud , Ecuyer , Chevalier de l'Ordre de
S. Michel , Professeur ; certifions à tous ceux à
qui il appartiendra , qu'Achille - René Gregoire ,
Peintre et Eleve de M. Restout , qui a eu tous les
Tableaux de l'Eglise de Paris à nettoyer et réta- ,
( a ) Voyez le Mercure du mois d'Avril dermier
, page 771.
Al. Vol.
blir ;
JUIN 77320 1405
blir, s'en eft acquitté avec tout le succès que l'on
pouvoit désirer , les ayant fait revivre dans tout
leur brillant et leur ancien éclat , et nettoyez
:
fond , sans y avoir causé aucune altération , aux
endroits même les plus délicats , quoiqu'ils fussent
des plus obscurcis et des plus maltraitez ; ce
qui a été vû et examiné de près par Nous. Ledit
Sr Gregoire par un secret particulier à lui
connu , a trouvé le moyen de les faire reparoître
aussi beaux et aussi frais qu'ils étoient
sortis jadis de la main de leurs Auteurs , et sans
aucune altération de sa part. En foy de quoi
nous avons crû ne pouvoir lui refuser le present
Certificat , signé de Nous , comme ayant été les
témoins d'un Ouvrage qui a été universellement
-applaudi. Fait à Paris , ce 9. Juin 1732 .
L
Signé , de Boulogne. C.Van- Cleve , &.c.
Es Doyen, Chanoines et Chapitre de l'Eglise
de Paris , certifions à tous qu'il appartiendra ,
que le Sr Gregoire , Peintre , s'étant engagé de
nettoyer et retablir tous les grands Tableaux de
notre Eglise , a pleinement satisfait aux engagemens
par lui pris avec le Chapitre , concernant
ledit travail,dont nous sommes parfaitement contens.
C'est le témoignage que nous avons crû être
obligez de lui rendre , et en foy de quoi nous lui
avons donné le present Certificat, signé de notre
Sécretaire, et scellé du Sceau de notre Eglise.Fair
à Paris , en notre Chapitre , le Vendredi 13
Juin 1732
Signé , C. ANDRY , Secretaire du Chapitre ,
On croit ne devoir pas obmettre que c'est aux
soins & à l'activité de Mr l'Abbé Collin , Trésorier
de l'Eglise , que l'on doir la prompte et la
II. Vola G iiij parfaite
1406 MERCURE DE FRANCE .
parfaite exécution de tous les travaux dont on
vient de parler.
M. Petir , ancien Chirurgien Major des Gar
des du Corps du Roy , Compagnie de Char-
Iost , nous prie d'annoncer au public , que par
son application et une longue experience , il assure
être parvenu à guérir les Maladies Veneriennes
, tant celles qui auroient été manquées ,
que celles qu'on traite pour la premiere fois. Le
Remede dont il se sert , agit par les sueurs en
dormant , procurant le sommeil , et n'excite aucun
accident sensible , n'assujettit presque
cun regime , et laisse la liberté au Malade d'agir
dans ses affaires.
à au-
Il demeure à Paris , ruë des Saints Peres , à l'Hôtel
de Brissac.
SPECTACLE S.
E Samedi 28 de ce mois , on remit au
Théatre François, la Tragedie d'Athalie,
de Racine, dont le Public voit les Re
presentations avec beaucoup de plaisir.
La Dile Balicours y joue le principal Rôle .
Les Diles Duclos , Dangeville la jeune , et
Gossin , ceux de Josabet , de Zacharie , et
de Salomitk Ceux du Grand- Prêtre, d'Abner,
de Mathan , &c. sont remplis par
les S Dufresne , Granval , le Grand , & c .
La jeune Dle la Traverse yjouë fort bien
celui de Foas.
II. Vol.
Tout
JUIN. 173201487
$
Tout le monde sçait que les deux Tra
gedies d'Esther et d'Athalie , dont les sujets
sont tirez de l'Ecriture Sainte , sont
les derniers Ouvrages de leur illustrè Auteur.
Il les composa sous le regne de Louis
XIV. pour les Demoiselles de la Maison
Royale de S. Cyr , qui les représenterent
avec beaucoup d'intelligence , avec les
Chours. Athalie parut pour la première
fois sur le Théatre François , le 3 Mars
1716 , pendant le Carême ; on en retrancha
les Chours . Elle eut un succès prodigieux
. Me Desmares y joüoit le principal
Rôle ; le S Beaubourg celui du Grand-
Prêtre ; et le S Ponteuil celui de Mathan .
Le 30 de ce mois , les Comédiens
François lûrent dans leur assemblée une
Tragédie nouvelle , intitulée Zaïre , de
la composition
de Mr de Voltaire , qu'il
a faite , dit - on , en trois semaines , sans
qu'elle se sente de ce court espace de
temps. Oh assure au contraire qu'elle est
extrémement
travaillée , pleine d'esprit
et de sentimens , et écrite dans la plus
grande élégance. C'est un sujet tiré de
I'Histoire des Croisades , &c.
,
Cette Piece sera jouée le mois prochain;
nous en rendrons compte exactement.
LI. Vol. Giiij LES
1408 MERCURE DE FRANCE
LES SERMENS INDIS CRETS
Comédie en Prose et en cing Actes , de
M. de Marivaux , representée pour la
premiere fois au Théatre François , le &
Juin.
9
Cette Piéce a d'abord éprouvé le sort de
beaucoup d'autres ; la premiere Représentation
fût des plus tumultueuses , peutêtre
auroit- elle été écoutée plus tranquille
ment , si elle avoit été donnée tout autre
jour qu'un Dimanche le Parterre des
jours de Fête est ordinairement plus impatient
et plus turbulent que les autres ;
'Auteur en fit la triste expérience , et
quoique son dernier Acte fut le plus
beau , comme on l'a reconnu dans les
Représentations suivantes , on ne laissa
pas aux Acteurs la liberté de l'achever ;
le plus grand deffaut qu'on trouve dans
toute la Piéce , c'est de n'avoir pas assez.
d'action et trop d'esprit. Voici ce qui
concerne l'action..
Lucile , fille de M. Orgon , doit être mariée
à Damis , fils de M. Ergaste. Ils ne se
sont jamais vûs , et d'ailleurs ils ont tous
deux une égale aversion pour le mariage .
Lucile paroît d'abord , écrivant une Lettre
, qu'elle charge Lisette , sa Suivante
II. Vol. de
JUIN. 1732. 1409

de remettre entre les mains de Damis ,
dès qu'il sera arrivé. Lisette qui craint
que le changement d'état de sa Maîtresse
ne lui fasse perdre l'empire qu'elle a pris
sur elle , la confirme dans le dessein qu'elle
a de ne perdre aucun engagement , et
de jouir autant qu'elle pourra de sa precieuse
liberté..
Damis arrivé , Lucile se retire à son apa
proche , Lisette demeure pour s'acquitter
de la commission que sa Maîtresse lui
a donnée. Elle est ravie d'apprendre que
le futur époux n'a pas moins d'aversion
pour tout ce qui s'appelle engagement ,
que sa future ; elle agit en Plénipotentiaire
, et fait entendre à Damis que sa
Maîtresse se trouve heureusement dans
les mêmes dispositions que lui ..
2
Lucile qui a écouté la conversation de
Damis et de Lisette , vient confirmer les
articles du Traité . Dámis la trouve si
belle , qu'il commence à se repentir en
secret de la résolution qu'il a formée
sans connoissance de cause ; la même cho--
se se passe à peu près dans le coeur de Lucile
; mais elle le cache avec plus de soin.-
Lisette qui a interêt à les faire perseverer
tous deux dans leur premiere résolution ,
les lie par un serment indiscret, et pourtant
réciproque. Damis , devenu jaloux aussi--
11. Vol, - Gay τον
1410 MERCURE DE FRANCE

tôt qu'amoureux , s'imagine que Lucile
n'auroit pas l'aversion qu'elle vient de lui
témoigner pour le mariage , si son coeur
n'avoit point d'engagement pour un autre
que lui. Il craindroit de la rendre
malheureuse, s'il rompoit le serment qu'il
vient de lui faire , de rompre le mariage
que leurs Peres ont projetté sans les avoir
consultez ; c'est donc par probité qu'il
veut être fidele à son serment ; mais cette
probité se trouve un peu en deffaut dans
les nouvelles mesures qu'ils prennent
pour l'éxécution de leur dessein . Damis
promet de feindre de l'amour pour Phenice
, stir cadette de Lucile ; on n'a pas
trouvé que cette feinte fût assez dans les
régles de l'honneur dont il paroît qu'il
se pique.
Le feint attachement de Damis pour
Phenice embarasse et afflige également
M. Orgon , et M. Ergaste ; le premier
est pere de Lucile et de Phenice , et l'autre
eft pere de Damis . Frontin , qui s'est
acquis la même autorité sur Damis que
Lisette sur Lucile , se lie d'interêt avec
cette Suivante , et tous deux par le même
motif se promettent de ne rien négli
ger pour empêcher le mariage de Damis
et de Lucile. Phenice , pour se disculper
envers sa soeur , vient dire à Frontin
II. Vol. en
JUIN 1732. 1411
en présence de Lisette , qu'elle ne veut
point absolument que Damis continue à
s'attacher à elle . Lisette se sert d'un artifice
qui produit dans l'esprit de Phénice
l'effet qu'elle s'en eft promis. Elle lui dit
assez désobligemment qu'il n'y a point
de beauté qui ne doive baisser le pavillon
devant celle de sa Maîtresse . Phenice
en a un dépit qu'elle ne peut dissimuler ,
et fait entendre, en se retirant,qu'on pourroit
se repentir de l'injure qu'on vient
de lui faire. L'attachement que Damis
affecte pour Phenice , dérange le projet
d'hymen , dont M. Orgon et M. Ergaste
s'étoient flattez ; mais ils en forment un
nouveau pour se dédommager du mauvais
succès du premier ; il n'y a , se disent-
ils , pour former l'alliance que nous
avons concertée ensemble , qu'à changer
d'objet , et qu'à marier Damis avec Phenice
, puisque leurs coeurs sont fait l'un
pour Fautre. Ce dernier projet n'est pas
plutôt arrangé qu'on travaille à le mettre
en éxécution . Damis et Lucile en sont
également allarmez ; Lucile par fierté le
fait moins paroître que son Amant , mais
elle en témoigne assez pour faire entendre
à Lisette qu'elle est disgraciée , et
qu'elle pourroit bien être chassée. Frontin
n'est point déconcerté , surtout de-
H.Vol.
G vj puis
1412 MERCURE DE FRANCE
2
puis qu'Ergaste lui a dit d'un ton ferme
que si son fils ne répare les chagrins qu'il
lui a causez par une prompte obéissance ,
il le punira , lui Frontin , des mauvais
conseils qu'il donne à son fils. Il lui commande
de fui dire qu'il ne le verra jamais,,
et qu'il le desheritera , s'il n'épouse Phénice
au deffaut de Lucile . Tous ces inconvéniens
que Lisette et Frontin n'avoient
pas prévus dans leur premiere
conspiration , les déterminent à changer
de batterie, et à contribuer de leur mieux
à ce même hymen qu'ils ont voulu empêcher
,, de sorte que cette même Lisette
qui avolt dit à M. Orgon , que Damis er
Lucile avoient un égal éloignement l'un
pour l'autre , est la plus ardente à faire
entendre tout le contraire ; elle fait plus
elle assûre Damis de l'amour que Lucile·
a pour lui. Damis doute de son bonheur ;.
Lisette acheve de le persuader . Frontin
lui porte un coup mortel , en lui disant
que son pere veut absolument qu'il épouse
Phénice sur peine d'exheredation . II
ne sçait comment se tirer d'embarras avec
cette derniere , à qui Frontin et Lisette
ont déja annoncé qu'elle ne sert que de
prétexte ; elle en a d'abord été picquée au
-vif; mais pour son bonheur , ne s'étant pas
engagée trop avant avec ce feint Amant
·
11. Kol
qui
JUIN 1732. 1413
Y
qui la joue , elle borne sa vengeance à lui
fire peur de l'hymen que son pere luiordonne.
La scene qu'elle a avec lui fait
naître des incidens très- comiques . Elle lui
parle d'abord de son mariage avec lui
comme d'une affaire conclue. Damis
loin d'en paroître embarrassé , lui dit
que c'est à elle à parer un coup si fatal'
- puisqu'elle lui à déja fait connoître
que son coeur est engagé ailleurs ;-
Phenice lui répond avec la même fermeté
affectée qu'elle ne lui a pas
dit alors ses véritables sentimens ; que
cet engagement prétendu dont elle lui
a parlé n'étoit qu'un prétexte pour ne
point déranger ce que son pere avoit réglé
; mais que depuis qu'elle a sçû qu'on
a résolu toute autre chose , elle n'a pas
Balancé à suivre son devoir , et à le suivre
sans répugnance. Damis qui s'imagine.
qu'elle joue au plus fin avec lui , et qu'elle
veut qu'il se charge lui-même de la
rupture de ce mariage , lui proteste qu'il
obeïra à son pere , et qu'il ne veut pas
courir le risque d'être desherité , en s'opposant
à un établissement pour lequel il
ne se sent nulle répugnance . Pour le lui
mieux persuader , il lui dit qu'il n'est plus
temps de feindre , et qu'il l'aime veritablement
il se jette à ses pieds pour
A
:
El Vol micux
1414 MERCURE DE FRANCE
mieux achever de la tromper et pour la
remercier de son obéissance à son pere ;
M. Orgon et M. Ergaste le surprennent
dans cette posture suppliante ; ils en sont
charmez , et ne doutant point qu'ils ne
s'aiment , ils les quittent pour aller faire
dresser le Contrat. Cet incident est suivi
d'un autre , qui fait encore plus de peine
à Damis ; il cesse de feindre , et suppliant.
Phénice de le tirer d'un si mauvais pas
il lui baise la main avec transport. Lucile
arrive sur le champ , Damis se retire
tout confus , la vindicative Phénice
jouit malignement de la jalousie de sa
soeur ; et après en avoir essuyé de vifs
reproches , elle se retire très - satisfaite
d'elle- même . Lisette vient porter un dernier
coup à la jalousie de Lucile ; elle lui
avoue qu'elle s'est mépris: quand elle a
crû que Damis l'aimoit , et qu'elle a voulu
le luii persuader ; elle convient que Phénice
en est aimée , et cet adroit mensonge
n'est que pour l'obliger à lui avoüer
qu'elle aime Damis ; cet aveu décisif arrive
enfin , il est même suivi d'une prie
re que sa Maîtresse est forcée de lui faire ,
d'aller trouver Damis , et de lui faire entendre
qu'il estaimé , sans pourtant qu'il
paroisse qu'elle lui en ait fait confidence ,
encore moins qu'elle l'ait chargée de faire
11. Vol.
une
JUIN. 1732. 1415
une démarche si humiliante pour sa fierté.
Si l'Auteur eût encore voulu multiplier
les incidens ingénieux , son esprit
n'eut pas manqué de ressources ; mais il
falloit enfin dénouer sa Piéce voici
comment il s'y prend dans son dernier
Acte.
Lucile , toujours persuadée que Damis
aime sa soeur , n'a point d'autre ressource
que de s'opposer à leur hymen ; elle se
plaint amérement à son pere de ce qu'il
lui fait l'injure de marier sa cadette avant
elle ; M. Orgon lui represente en bon pere
l'injustice de sa plainte , d'autant mieux
qu'il n'a tenu qu'à elle d'accepter Damis
pour époux , et que Phénice ne reçoit sa
main qu'à son refus ; cette remontrance ,
toute juste qu'elle est , ne calme point
Lucile , elle dit à son pere qu'après l'affront
qu'elle va essuyer , elle n'a point
d'autre parti à prendre qu'une clôture
éternelle. Phénice vient toute disposée à
finir le cours de sa petite vengeance ; l'amitié
qu'elle a pour sa soeur ne peut souffrir
qu'elle porte plus loin le ressentiment
qu'elle doit avoir du personnage qu'on
lui a fait jouer , en la faisant servir de
prétexte ; elle dit à Lucile qu'elle lui cede
de bon coeur ce Damis avec qui il ne
tiendroit qu'à elle d'être unie ; l'esprit de
II. Vol. Lucile
1416 MERCURE DE FRANCE
Lucile est aigrie à un tel point , qu'elle
donne un mauvais sens à tout ce que sa
soeur lui peut dire de plus obligeant ;
Orgon ne sçachant plus comment mettre
d'accord ses deux filles , les quitte dans le
dessein d'achever le mariage concerté entre
son ami Ergaste et lui , ce qui déses-
-pere de plus de plus en plus la jalouse Lucile
elle accable sa soeur de reproches , dont
cette soeur maltraitée ne peut lui faire
sentir l'injustice. Damis arrive enfin , il
veut se retirer par respect , Phénice lui dic
d'approcher er lui ordonne de rendre
Hommage à son vainqueur , en se jettant
aux genoux de Lucile ; cette scene qu'on
n'avoit point vûë à la premiere Représentation
est jouée par ces trois Acteurs avec
toute la finesse et toute la précision qu'on
peut souhaitter au théatre ; Phénice rem
plit la fonction de médiatrice avec une
grace géneralement applaudie. Orgon et
Ergaste arrivent dans le dessein dé conclure
le mariage entre Damis et Phénice ,
et sont agréablement surpris d'un changement
auquel ils n'osoient s'attendre ,.
et qui remet toutes choses dans l'ordre
qu'ils s'étoient d'abord prescrit. Voilà
quelle est cette piéce qui a paruë d'abord
si mal reçûë , et qu'on n'a cessé d'applau--
dir depuis la seconde Représentation ; on
11. Vol. ne
JUIN. 17328 1417
ne désespere pas qu'elle n'ait dans la suite
le sort de tant d'autres dont les commencemens
ont été malheureux . Tous les
gens qui en jugent sans prévention conviennent
qu'elle leur fait plaisir ; il est
vrai qu'ils souhaiteroient qu'il y eut plus
de consistance dans l'action , et moins.
d'expressions un peu trop recherchées.
dans le Dialogue ; en un mot , que l'esprit
de l'Auteur fut moins abondant ;
c'est un défaut que d'avoir trop d'esprit ,
mais c'est un excès dont le reproche a
toujours quelque chose de flateur , et dont
on a bien de la peine à se corriger au
reste, on n'a guére mis au Théatre François
de Piéce mieux jouée que celle-ci
le sieur Quinault l'aîné , la Elle Quinault,
sa soeur , parfaitement secondée des Dlle
Dangeville et Gossin , et de leurs autres
camarades , y brillent à qui mieux mieux ,
et remplissent l'attente des Spectateurs
les plus difficiles et les plus délicats .
EXTRAIT du Procès des Sens.
Cette Comédie en un Acte en Vers est
une forme de Critique nouvelle , risquée:
heureusement sur un Théatre qui n'avoit
encore rien donné dans ce goût-là ; l'Auteur
ne doit pas se repentir de cet essai 2
11. Vol.
puis1418
MERCURE DE FRANCE
puisque le Public , loin de le regarder
comme une témerité , l'a honoré de ses
applaudissemens. Le Ballet des Sens a
donné occasion à la Comédie, où les Sens
personifiés sur la Scene Françoise , font
de courtes et justes Analyses des Entrées
qu'on leur a assignées sur la Scene Lyrique.
L'action du Procès des Sens se passe
dans les Jardins d'Hebé , où le Goût
trouve l'Amour établi Juge de la contestation
par un Edit de Jupiter , apporté
par Mercure. L'Amour demande au Goût
quel sujet a pû brouiller les Sens ; le Goût
lui répond que l'Opera s'étant avisé de
leur faire chanter des Brunettes , et danser
des Musettes , cela a occasionné cent
discours partiaux sur leurs prééminences ,
qui ont semé la division entr'eux . Il lui
rapporte de suite les décisions d'un Abbé
d'un Caissier et d'un Gascon , et
ajoûte :
Seigneur Amour , Voilà
Comme tous cinq on nous balote.
L'Amour réplique :
Tous cinq , calculez bien , qui de cinq ôte
deux ,
Reste trois en Eté ce nombre est plus heureux.
11. Vol. Ah!
A
JUIN... 17326 1479
Ah ! dit le Goût ,
Vous voulez badiner sur le Goût et l'Ouic
Que l'on a retranchés dans le nouveau Ballet ;
Quant à l'Acte du Goût qui pour moi paroîtra
Quand les jours baisseront , à moins que d'être
souche ,
De mon retranchement rien l'on ne conclura ,
Sinon que l'Opera
Me garde pour la bonne bouche.
Un petit Amour vient annoncer l'Odorat
, qui paroît chargé de fleurs , et se
caracterise par sa délicatesse sur lesOdeurs,
l'Ouie et la Vue le suivent de près . L'Amour
se place sur son Tribunal , et les
Sens plaident alternativement leur cause :
nous ne donnerons pour échantillon des
traits de critique , que celui qui tombe
sur l'Acte où triomphe la Dlle le Maure.
L'Amour Chantant , ( dit l'Amour declamant )
Devroit être honteux ,
De son avanture nouvelle ,
Et ne pas s'en vanter comme il fait ; elle est
belle ;
L'Opera complaisant détache son bandeau ,
Disant pour raison de son zele ,
Que son illuminé nouveau
II. Vol.
Va
#420 MERCURE DE FRANCE
* Varégler sa main témeraire,
C'est pour le bien des
coeurs que le Destin l'éclaire,
Quel usage fait- il de ce don précieux ?
De quoi s'occupe - t ilen ouvrant ses beaux
yeux ?
Semblable à l'Ecolier qui sort de la jaquette
• Il vole du facile an superficiel ,
Et le premier regard que notre Bambin jette ,
C'est pour admirer l'Arc- en- Ciel
Et se coiffer d'une Grisette.
Kris , Grisette !
La Vue.
L'Amour
Et qui pis est soubrette.
Dans le fort de la plus vive dispute des
Sens ; le Sens commun arrive ; le Public a
trouvé qu'il parle comme il doit parler.
Décision très glorieuse pour l'Auteur.
Voici la définition du bon Sens tel qu'il
la fait lui- même.
Sans éclat j'illumine
Mais j'illumine nettement ;
Je n'aventure rien ; à pas lents je chemine ,..
Mais je chemine sûrement
Le Sens commun n'a pas toujours de
grace
fine
2. Vers du Balle
II. Vol.
Le
JUIN. 1732.
1420
Mais il y a du solide , il pense éxactement
Enfin il est le jugement ,
Il est l'esprit sensé que le vrai détermine ,
Que le Bon touche fortement ;
;
Et par fois l'Esprit vif n'est dans son enjou
ment
Que la sotise qui badine,
Le Sens commun expose qu'il craint
que les Sens ne s'approprient ses droits.en
détaillant les leurs. Sa Requête n'est pas
mal fondée , tant sur le Théatre que dans
les conversations les plus éclairées ; il n'est
que trop ordinaire de confondre les opérations
de l'Esprit avec celies des Sens.
Le Toucher qui s'est amusé , suivant sa
coûtume , ne paroît qu'après la sortie du
Sens commun et passe son tems et le
reste de l'Audience à badiner ; l'Amour
leve le siége , et finit par un compliment
dû aux Spectateurs , où il les invite à
faire durer le Procès des Sens , et à lui
rêter leurs lumieres pour le juger bien.
La Dile Dangeville la jeune , qui remplit
le Rôle de l'Amour , le joue avec
cette figure aimable et piquante , qui fait
si grand plaisir aux yeux , et avec toutes
les graces , la finesse et la legereté imaginable.
Elle est très-bien secondée par les
II. Vol
sieurs
122 MERCURE DE FRANCE
Srs Dangeville l'Oncle , Poissons , Montmesnil
, qui y jouent les Rôles du Toucher
, du Goût et du bon Sens , et par
ses autres Camarades , car la Piéce est
très-bien et très- vivement jouée.
Le 30. Juin , les Comédiens Italiens remirent
au Théatre la Comédie de Colombine
, Avocat Pour et Contre , en Prose et
en trois Actes , représentée dans sa nouveauté
par les anciens Comédiens Italiens
en 1685. La De Roland , nouvelle Danseuse
Italienne , dont on a parlé, y debuta.
pour la premiere fois par le Rôle de Colombine
, qu'elle joua avec assez d'intelligence
, ayant été applaudie du Public.
***** ** :*: *******
NOUVELLES ETRANGERES
TURQUIE , ET PERSE , & c.
N mande de Constantinople que le Grand-
Seigneur avoit fait changer la Garde et les
Officiers qui étoient dans le vieux Serrail auprès
du Sultan son Oncle , déposé l'année derniere
que Sa Hautesse avoit reçû d'Ispaham la ratification
du Traité de Paix conclu avec le Roi de
Perse , et qu'elle avoit envoyé au Gouverneur de
Tauris un ordre particulier signé de sa main
de remettre cette Place aux Perfans .
Les Lettres de Barbarie portent qu'on étoit à
II. Vol.
Alger
JUIN.
1423 17320
Alger dans une grande consternation au sujet de
l'armement qui s'est fait en Espagne ; que les
Algériens avoient envoyé leurs femmes , leurs
enfans et leurs meilleurs effets dans les Montagnes
, et que la Régence avoit député à Cons-.
tantinople pour demander du secours au Grand-
Seigneur.
RUSSIE.
E Chef de l'Ambassade de la Chine qui fait-
La Petersbourg une dépense beaucoup plus
considérable que les 300 Rubles que la Czarine
lui fait donner par ſemaine , a soin de faire écrire
la description de tout ce qu'il y voit de plus
curieux , et S. M. Cz. lui a fait présent d'un
Plan des Fortifications de cette Ville . Il a assisté
à deux Assemblées de l'Académie des Sciences ,
dont on lui a fait voir le Cabinet des Machines
er des Curiositez naturelles , et le grand Globe
Terrestre qu'on a fait venir de Hollande.
DE POLOGNE.
E ne sont point les Catholiques de Bichow
Cqui se sont emparez par force de l'Eglise
des Grecs de cette Ville , comme le bruit s'en
étoit répandu d'abord : les Grecs au contraire ,
sont les premiers auteurs du tumulte dont nous
avons parlé , et on a pris contre eux des mesures
pour les punir de cette violence .
Le Comte de Sapicha , fils unique du Palatin
de Poldachie , qui étoit venu passer quelques
jours à Warsovie , où il étoit logé dans le Palais
de la Comtesse de Wiloposka , se tua au commencement
de ce mois d'un coup de pistolet ,
sans qu'on ait pû découvrir le sujet de son désespoir.
Le bruit qui s'étoit répandu de la grossesse de
I.Vola la
7424 MERCURE DE FRANCE
la Princesse épouse du Duc Ferdinand de Curlan.·
de , étoit sans fondement.
SUEDE.
N assûre que le Roi a résolu dans un Conseil
extraordinaire tenu depuis peu , d'augmenter
la Flote jusqu'à 42 Vaisseaux de ligne ,
et 22 Frégates.
On assure aussi que le Comte de Seckendorf ,
Ministre de l'Empereur qu'on attend à Stoc
Kolme , est chargé de faire des propositions d'un
nouveau Traité de commerce , ou plutôt d'une
focieté de commerce , entre la Compagnie des
Indes Orientales de ce pays , et la Compagnie
Impériale de Trieste et que le Ministre des
Etats Généraux a reçû des instructions particu
dieres pour prévenir l'éxécution de ce projet.
On publie qu'il a été conclu une Ligue offensive
et deffensive entre le Roi de Suede et le Roi
de Pologne pour la défense mutuelle de leurs
Etats d'Allemagne,
L
ALLEMAGNE.
E Duc de Lorraine partit le 3 de ce mois de
Neustadt pour aller à
Neustadt pour aller à Presbourg prendre
possession de la Viceroyauté d'Hongrie.Ce Prince
y doit demeurer quinze jours , et ensuite il
visitera les principales Places de ce Royaume :
le bruit court qu'il ira l'Automne prochain en
Italie , et qu'il passera une partie de l'Hyver
Milan , et l'autre à Naples.
Ce Prince arriva le 6 Juin à Petersboug , et
trouva à son passage sur le premier Pont de la
Ville 200. Cuirassiers en haye et sous les armes;
au second Pont un pareil nombre de Soldats , et
dans la Ville toute la Bourgeoisie aussi sous les
II. Val. armes.
JUIN. 17320
1425
armes . S. A. R. fur saluée par une décharge générale
. de toute l'Artillerie des Fortifications de
cette Ville , dont il visita la Place , après quoi il
se rendit à l'Appartement qui lui avoir été préparé
au Château. Il doit faire incessamment son
Entrée publique en qualité de Viceroi du Royauet
aprês avoir pris séance dans l'Assemblée
des Etats en cette qualité , il ira avec le Feldt ,
Maréchal Comte de Palfi , visiter les principales
Places du Royaume.
me ;
On a appris depuis que le Duc de Lorraine a
fait son Entrée publique à Presbourg , et qu'il a
pris séance dans l'Assemblée des Etats du Royaume
de Hongrie en qualité de Viceroy.
On a reçu avis que l'Empereur étoit arrivé le
14. Juin aux Bains de Carelsbadt , qu'il y avoit
dîné trois jours de suite avec le Duc et la Duchesse
de Wolfembutel , Pere et Mere de l'Impé-.
ratrice , qui en étoient partis le 17. pour retourner
dans leurs Etats ,
et que le mêmee jour l'Em➡
pereur avoit commencé de prendre les eaux .
On écrit de Berlin que le Comte de Seckendorff
, Ministre Plénipotentiaire de l'Empereur .
qui est revenu de Copenhague , eut le 9. de Juin
une Audience particuliere du Roi , et le bruit se
répandit que par le Traité qu'il a conclu avec le
Roi de Dannemarc , S. M. Danoise s'est obligée
de garantir la Pragmatique- Sanction de l'Empereur
, par rapport à la succession future des Etats
héréditaires de la Maison d'Autriche .
Les Lettres de Vienne portent qu'on y pu
blioit que par le dernier Traité conclu à Copenhague
entre l'Empereur , le Roi de Dannemarc
et la Czarine , on avoit non - seulement stipulé
la garantie de la Pragmatique- Sanction, mais encore
la garantie du Duché de Sleswick , dont le
II. Vol. H Roi
1426 MERCURE DE FRANCE
C
Roi de Dannemarc est en possession ; et que
pour dédommager le Duc d'Holstein , la Czarine
et S. M. Dan. s'obligeoient de lui donner un
équivalent ; mais qu'au cas que ce Prince refusat
d'accepter l'équivalent qui lui seroit offert , ces
deux Puissances seroient libres alors de leurs engagemens.
Čes Lettres ajoûtent que le Confeil Impérial ,
dit d'Espagne , a enregistré les Lettres Patentes de
1'Empereur; par lesquelles le Comte de Visconti ,
Grand- Maître de la Maison de l'Archiduchesse,
Gouvernante des Pays-Bas , est nommé Viceroy
de Naples ; on croit que le Comte d'Harrach
fils du Viceroi de Naples , ira remplir saplace
à Bruxelles.
On a appris de Mayence que le Chapitre
de l'Eglise Métropolitaine s'y étant assemblé
de 9. de Juin , le Baron Philippe- Charles d'Els
avoit été élu Archevêque , Electeur de Mayence ,
à la pluralité des voix . Il étoit Chanoine er
Grand- Chantre de cette Eglise , Chanoine et
Coévêque de celle de Tréves , Prévôt de l'Eglise
Collegiale de S Pierre de Monstadt , Conseiller
intime du feu Electeur de Mayence , et Président
de son Conseil.
On a appris aussi que le Comte Georges-
François de Schomborn Bucheim , Archevêque ,
Electeur de Tréves , avoit été élu Prévôt du Cha
pitre d'Elvangen en Franconie , titre d'un trèsgrand
revenu , et qui vaquoit aussi par la mort
du feu Electeur de Mayence.
L'élection du Grand - Maître de l'Ordre Teusonique
est fixée au premier de Juillet prochain ,
et on ne doute point qu'elle ne se fasse en faveur
de l'Electeur de Cologne , ou du Pr. Theodore
de Baviere , son frere
II. Vol. ITAJUIN.
1732. 1427
IT A LI E.
Ans le Consistoire secret du
Die
9. de ce mois
le Cardinal Ottoboni proposa l'Evêché de
Mâcon pour l'Abbé de Valras , ci- devant Agent
General du Clergé de France , et l'Abbaye de
$. Vincent de Lâon pour l'Evêque d'Arras. Il
préconisa ensuite l'Abbé de la Valette pour l'Evêché
d'Autun ; l'Abbé de Vauréal , ci devant
Maître de l'Oratoire du Roi T. Ch. pour l'Evêché
de Rennes , l'Abbé de Brissac pour l'Abbaye
de S. Urbain , Diocèse de Châlons ; et l'Abbé de
la Briffe , pour celle d'Obasine , Diocèse de Limoges.
Ön mande de Parme qu'on y meubloit au Palais
un Appartement pour la Duchesse Douairiere
Henriette , du consentement de la Cour
d'Espagne.
Les Lettres de Livourne portent que l'Escadre
du Roi de France , commandée par le Chevalier
de Vattan , étoit entrée le 12 de Juin dans le
Port , et que le Comte de Charny avoit régalé
magnifiquement le Commandant et les autres
Officiers de cette Escadre.
On écrit de Venise , que le Chevalier Charles
Ruzzini , avoit été élu Doge de cette République
et qu'il avoit eu le Chevalier Louis Pisani pour
Concurrent .
On apprend de Genes , que le 6. de ce mois ,
l'Escadre des Vaisseaux du Roy T. Chr. mouilla
à deux lieues de ce Port , elle y reçut le salut de
la Ville , et le Bailly de Vattan , qui commande
cette Escadre , fut complimenté par M. Thomas
Centurione , que le Sénat lui avoit député. Après
cette députation et quelques Conferences entre
II. Vel.
Hij M.
1428 MERCURE DE FRANGE
C
M. de Campredon , Envoyé de France et le Se
cretaire d'Etat de la République , le Sénat rendit
une Ordonnance qui a depuis été imprimée et
affichée , par laquelle il est deffendu de faire aucune
visite sur les Bâtimens portant Pavillon
François. On remit en même-temps à l'Envoyé
de France la somme à laquelle avoient été éva-
Inez le prix du Navire François brûlé à Giralate,
sur la Côte de Corse , et celui de son chargement.
L'Officier Genois qui a eu part à cette action ,
reçut ordre de se rendre prisonnier dans la For
teresse de Savone, et les Patrons des Pinques qui
font commise , ont été enfermez dans la Tour
de Genes.
D'ESPAGNE.
E Roy ayant résolu de reprendre la Ville
d'Oran sur les Maures d'Afrique , et ayant à
cet effet assemblé une Armée considerable à Ali
çante , et fait tous les autres préparatifs nécessai
res , S. M. a envoyé ses ordres dans toutes les
Villes de son Royaume pour faire des Prieres
publiques et demander à Dieu les graces et les
benedictions necessaires pour le succès de cette
entreprise.
La Flotte pour cette Expedition est sur son départ
, à ce que portent les dernieres Lettres de Se
ville , d'où l'on mande qu'on a embarqué , outre
les provisions ordinaires , une grande quantité de
Selles , et tout ce qui est necèssaire pour monter
la Cavallerie ; de plus 2000. Pelles et autres
Outils propres à remuer la terre ; 18, Fours de
Campagne 60000. Facines d'environ 20. pieds
de long, 81000. Sacqs de Laine ; 102200. Gabions;
plus de 80000 Pors à feu , Saucissons , & c.
12scoo. livres de Poudre à Canon ; 21, millions
11 Fol
JUIN. 1732. 1429
de Rations pour les hommes et pour les chevaux,
24000 muids d'eau et de vin , &c. 80000. Aro
bes de Paille , chaque Arobe pesant 25. livres .
Le Capitaine d'un Bâtiment arrivé à Marseille
le 24. du mois dernier , dit avoir vu une partic
de la Flotte Espagnole, faisant route vers les Cô
tes de Barbarie.
de ce Les Lettres d'Espagne portent que cette Flotte
est partie d'Alicante la nuit du 12. au 13
mois , nombreuse de 7. à 860. Voiles , en comptant
tous les Bâtimens de transport.
PORTUGAL.
Na publié à Lisbonne un Edit du Roy
portant en substance , que S. M. ayant été
informée que le transport qu'on fait du Bresil danš
ce Royaume , de quantité de filles , sous prétexte
d'embrasser l'état Monastique , est une des principa-
Les raisons pour laquelle ce Pays n'est pas si peuplé
qu'il le pourroit être , et ayant appris que plusieurs
de ces filles qu'on pourroit marier dans le Bresil
sont conduites dans ce Royaume malgré elles, et for
cées à entrer contre leur inclination dans des Con
vents , où elles menent une triste vie ; S. M. ajugé
qu'il étoit necessaire pour le service de Dieu , pour
le sien et pour l'avantage du Bresil , de deffendre
qu'on ne transporte dans ce Royaume aucune fille ou
femme qu'après que S. M, en étant requise , y aura
donné son sonsentement , et que l'Archevêque et les
Evêques duBresil,les auront duement examinées dans
leurs Districs respectifs , pour sçavoir si c'est de leur
propre mouvement qu'elles embrassent l'étatEcclesias-"
tique , et si elles n'y sont pas forcées ; que le Roy sur
le rapport desdits Archevêque et Evêques , en dispo
sera ainsi qu'il le trouvera convcnable ; qu'en at-
II. Vol. Hiij tendant
1430 MERCURE DE FRANCE
tendant on ne pourra envoyer au Bresil aucune
e permission
pour le transport des femmes ou filles ; et
que les Capitaines ou Maitres des Navires , qui en
prendront sur leurs bords pour les conduire en
Royaume , sans une permission expresse de S. M.
payeront une amende de 2000 Cruzades pour cha
cune de ces femmes ou filles qu'en trouvera à bord
de leurs Vaisseaux ,
GRANDE BRETAGNE.
се
E 28. du mois dernier , le Vicomte de Mec-
Lklewaith et As Crowie , Avocat,se battirent.
>
en duel au haut du Parc S. James ; le Vicomte
ayant été desarmé avant qu'il y eut eu aucune
blessure de part et d'autre , leurs seconds les séparerent
on dit que leur querelle procede de
quelques paroles lâchées par le Lord Mekletwaith
contre M.Crowle, lorsque celui- ci plaidoit sur la
fin de l'année derniere une cause dans laquelle le
premier étoit interessé .
Le 12. de ce mois , le Roi se rendit à la Cham
bre des Pairs , et S. M. ayant mandé les Communes
, fit aux Chambres le Discours suivant.
MILORDS ET MESSIEURS ,
Comme vous avez expedié les affaires publiques
autant qu'il vous a été possible , et quela saison est
déja fort avancée, Je crois vous faire plaisir de vous
procurer le moyen de vous retirer dans vos Provinces
en faisant finir cette séance du Parlement. Il m'est
inutile de vous répresenter l'état et la situation heureuse
des affaires publiques , tant au dehors qu'au
dedans du Royaume ; vous devez tous être sensibles
a ce qui a été negocié pour vous assurer lajoüissance
d'une Paix generale. Le consentement que les Etats.
II. Vol. Generaux
JUIN . 1732.
1437
Generaux ont donné au dernier Traité de Vienne ,
a perfectionné l'établissement de la tranquillité publique
, et paroît assurer l'execution fidelle des Traitez
et Alliances faits entre les differens Princes et
Puissances de l'Europe , et comme il n'y a plus de
jalousie mal fondée et de vies d'ambition , le bonbeur
et la tranquillité de ce Royaume en seront plus
assurez.
MESSIEURS DE LA CHAMBRE DES COMMUNES.
Je vous remercie de ce que vous avez pourvû à
ce qui est necessaire pour la deffense et pour la senreté
de ce Royaume , etpour le service de l'année
courante. Je suis très -satisfait de ce que vous avez
cherché les moyens de lever les subsides necessaires
d'une maniere qui fût moins à charge à mon peuple;
et comme cela doit être agreable aux Provinces ,
vous serez engagez à suivre les mêmes vûës à l'avenir
et à prendre les mêmes mesures.
MILORDS IT MESSIEURS ,
Comme je ne puis me dispenser de visiter cette
année mes Etats d'Allemagne , j'ai résolu de laisser
la Reine Regente de ce Royaume pendant mon
absence, et je ne doute point que vous ne fassiez vos
` efforts pour lui rendre le Gouvernement aussi aisé ,
que je suis persuadé qu'elle s'appliquera à mériter
vos devoirs et vos égards par une juste et prudente
administration . Je vous recommande à tous dans vos
differens états , de vous étudier à procuer la conservation
de la Paix et de la tranquillité dans ce
Royaume
Après ce Discours , le Lord- Chancelier , par
ordre du Roy , prorogea le Parlement jusqu'au
7. du mois d'Août prochain,
EL
Vol.
Le • Hij
7432 MERCURE DE FRANCE
Le 14. le Roy , après avoir reçû sur son départ
les Complimens des Seigneurs de sa Cour ,
se rendit en Chaise à Whitehall ; et ayant traversé
la Riviere à Lambeth , S. M. monta dans
une Caleche , et fut escortée jusqu'à Greenwich ,
par un Détachement des Gardes du . Corps. Le
Roy s'y embarqua en arrivant , sur le Yacht la
Caroline , où il dîna. Vers les cinq heures le
Yacht leva l'Ancre ; et comme il n'y avoit point
de vent , il se fit remorquer par des Bateaux jusqu'à
Woolwich , où le vent se trouva contraire ,
ce qui fut cause que le Roy ne put aller cette
nuit- là que jusqu'à Long- Reach.
On a appris depuis de Scherneff , que le Roy
y avoit été retenu par les vents contraires jusqu'au
19. au matin , que son Escadre avoit mis
a la Voile pour la Hollande. On a appris depuis
que S. M. y avoit débarqué le 21 à 8. heures
du matin , que le 22 à minuit , elle étoit arrivée.
à Utrecht , d'où elle partit le 23. à 9. heures du
matin pour, Hanover ; elle arriva le lendemain
à trois heures après midi en bonne santé au Châ
teau d'Herrenhausen , où elle reçut les Complimens
de la principale Noblesse.
Les dernieres Lettres de Londres , portent que
la Reine avoit dépêché un Courier à Hanover à
l'issue d'un Conseil extraordinaire qui fut tenu
le 28. de Juin , et le bruit court qu'il a été résolu
dans ce Conseil , d'équiper une Escadre de 25.
Vaisseaux de ligne , sans comprendre les Vaisseaux
Garde - Côtes, et ceux qui ont escorté le Roy
dans son passage en Hollande .
11. Vol. FRANCE
JÚ IN.. 1732 .
1433
FRANCE , ·
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E Roi a accordé l'agrément de la
LCharge de Maitre de Pont de
l'Abbé de Cosnac , Grand - Vicaire de l'Archevêque
de Paris , et Doyen du Chapi-"
tre de S. Germain de l'Auxerrois .
Le 21. Mai , il y eut Concert à Versailles
chez à Reine , M. Destouches
Sur-Intendant de la Musique du Roi
fit chanter devant S. M. les deux derniers
Actes du Ballet des Elemens , dont les
principaux Rôles furent chantez par les
IllesAntier et le Maure , et par les Sicurs *
d'Angerville et Tribou .

Le 24 , on exécutà dans le Salon de la
Reine , un nouveau Te Deum de la com-`
position de M. Destouches , dont le suc-”
cès fut très brillant.
Le 9. Juin , on chanta devant la Rei
ne le Prologue et le premier Acte de l'Opeta
de Callirhoé , du même Auteur.
Le 21 et le 25 on continua le même
Opéra par le second et troisiéme Acte
II. Vol. Hv
1474 MERCURE DE FRANCE
qui fut suivi de la Cantate de l'Amour
et de Bacchus , de M. Clerambault
d'une autre Cantate nouvelle , mise en
Musique par le sieur Marchand le fils
Dessus de Violon de la Musique du
Roy.
2
Le 30. on finit la même Piéce par le
quatrième et cinquiéme Acte , les Llles
Courvasier et Mathieu ont chanté les
Rôles de la Gloire et d'Astrée dans le Prologue
, celui de Callirhoé a été éxécuté
d'une maniere très - touchante par la Elle
Pellissier , et les Srs Tribou et Chassé ont
chanté ceux d'Agenor et de Coresus ; les
Choeurs et la Simfonie se sont distinguez,
dans l'éxécution de la Piéce qui a été fort
applaudie.
La Procession du S. Sacrement de la
Paroisse de S. Sulpice , le jour de la Fête-
Dieu, et le dernier jour de l'Octave, a été,
aussi belle cette année que bien ordonnée..
ce pieux Spectacle étoit encore rendu plus
pompeux et plus édifiant par la présence
de la Reine Douairiere d'Espagne , qui accompagna
les deux Processions à pied
suivie de ses Dames d'Honneur , et des
Officiers de sa Maison , avec une dévotion
éxemplaire. On voyoit encore avec édification
à la derniere de ces Processions un.
II.Vo!
fort
JUIN 1732. 1435
fort grand nombre de prisonniers , hommes
et femmes , délivrez pour dettes
des aumônes de M. le Curé. Il y en avoit
encore un très-grand nombre à la Procession
de S. Germain l'Auxerrois.
Le 25 Juin , la Lotterie de la Compagnie
des Indes , établie pour le remboursement
des Actions , fut tirée en la maniere
accoûtumée à l'Hôtel de la Compagnie
. La Liste des Numero gagnans des
Actions et dixièmes d'Actions qui doivent
être temboursez , a été renduë pu
blique , faisant en tout le nombre de
305. Action's. "
Le 28 Juin l'ouverture de la Foire saint
Laurent fut faite par le Lieutenant Géné--
ral de Police en la maniere accoûtumée.
EXTRAIT d'une Lettre écrite
de Libourne le 20. Juin.
Il fait tous les jours ici des orages épouventables.
Le fils d'un de nos porte- sacs ,
nommé Pezeu , périt hier par le feu du
Ciel ; il a péri aussi depuis trois ou quatre
jours au Bec d'Ambesq , une Barque
chargée de sel pour Bordeaux , et il vient
d'en arriver une étrangere aussi chargée
SBI VA
Hvjy der
1436 MERCURE DE FRANCE
de mênie , qui a une voye d'eau , causée
par un coup de Tonnerre. M. le Chevalier
de Rabars , en soupant dans un Pavillon
de son Château , le soir de la Fête
de Dieu , le Tonnerre lui brûla la moitié
de sa perruque , sans lui faire d'autre mal.
Le même soir , l'orage tomba à la Maison
de campagne de M. l'Avocat Augereau
, près Fronsac , entra par la cheminée
, et vint passer entre les jambes de
J'Avocat qui étoit monté sur une chaise
de sa chambre pour prendre un Livre.
Le Tonnerre sortit par la fenêtre , descendit
dans la cour et en chemin fai
sant emporta une joue à la fille d'un
Paysan.
L'HOROSCOPE ,
STANCES.
A Mademoiselle Rose de B... pour le jour
de sa Naissance.
Vousque l'esprit et la raison
Eclairent , même dès l'enfance
Rosette , vous traitez d'Oison
Un devin avec sa science,
Pour les Mortels , vous le sçavez 3
L'avenir est impénétrable ;
II. Vol.
C'est
JUIN. 1732 1437
C'est pour leur Maître redoutable :
Que ces secrets sont réservez.
Laissons à cet Etre suprêine
Le soin de régler nos destins è
Nous sommes des Enfans qu'il aime }
Notre sort est bien dans ses mains.
Constellation , influencé ,
Théme , aspect et position ,
Grands mots qu'adopte l'ignorance ,
Vous n'êtes qu'an fade jargon."

J'abandonne le Télescope :,
pouvant life dans les Cieux g
Et pour dresser votre horoscope
Je ne consulte quevos yeux.:
Jeune Rose , je conjecture
Par vos regards vifs et brillans
Que vous naissiez * quand la Nature
Voyoit renaître le Printems.
Cette Vivacité charmante
Dont la vertu réglé le cours
2
* Mademoiselle de B... est née le 27 Mars 1716 *
11. Vol Soumet
1438 MERCURE DE FRANCE
Soumet nos coeurs et les enchante ,
Sûre de les ravir toujours.
De vos Parens qui vous cherissent
Vous ferez long- tems les plaisirs :
S'ils sont comptez par nos désirs
Ne craignez jamais qu'ils finissent,
La Jeunesse s'envolera :)
C'est le sort commun des Mortelles ,
Vous verrez ce tems qui fuira ,´
Sans vous en affliger comme elles.
Vous perdrez cet éclat vantél: -
Il n'est rien que le tems n'efface
Mais vous aurez toujours la grace ,
Plus belle encor que la beauté.
Iriez- vous dans un Monastere:
Ensevelissant vos appas
Percer le sein de votre mere a
L'Horoscope ne le dit pas.
་ Sur ce point je voudrois bien lire
Dans le secret de votre coeur !
Mais si je détruis mon bonheur
Pour avoir trop voulu prédire
II. Vol. Vous
JUIN. 17320 1439
1
Vous aurez un jour un Epour ,
Puis -je vous dire ma pensée ?
Vous ne seriez point mariée
S'il le falloit digne de vous .
Helas ! j'en ai trop dit peut être
L'Amour mal aisément se tait,
S'il vous faut un Epoux parfait ,
Damon désespere de l'être.
Quandyotre coeur ressentira
Pour l'Amour moins de répugnance
Alors il se repentira
De sa trop longue indifférence ...
Voilà l'unique changement
Que de Rosete on doive attendre :
Et pour la part que j'y veux prendre ,,
Buissai- je en marquer le moment L
Un Astrologue ne s'explique .
Que par des termes ambigus ::
Ne me demandez rien de plus ,
Je suis sincere et je m'en pique.
L'ame belle , l'esprit bien fait 7 .
L'humeur égale , l'art de plaire ,
LI. Vol.
Rendront
1440 MERCURE DE FRANCE
Rendront l'Horoscope parfait ...
Mais vous m'ordonnez de me taire.
MA
ΕΝΤΟΥ.
A Muse à vous plaire enhardie ,
A tâché dans ces Vers de chanter le retour,
Jeune Rose,de ce beau jour ,
Jour heureux ! le premier de votre belle vie ;
Daignez leur accorder un regard`graçièux 3
Si le zele pouvoit , se joignant à l'hommage ,
Leur attirer votre suffrage ,
Quels Vers le mériteroient mieux ?
M. Daurat , Capitaine de Cavalerie.
串串
MORTS ; NAISSANCES
et Mariages.
LE
E Comte d'Auvergne mourut à Paris le 29.
du mois dernier , dans la 13 année de son
âge. Il étoit fils du Duc de Bouillon , Pair et
Grand Chambellan de France , et Gouverneur
d'Auvergne, mort le 17. May 1730. et de Louise
Françoise Angelique le Tellier , sa seconde femme,
morte le 13. Juillet 1719. Il a été inhumé
dans l'Eglise des Théatins de cette Ville , où est`
la sépulture de sa Maison Le Corps fut présenté
au R. P. Superieur des Théatins par M. Cadot ,
Curé de la Paroisse de sainte Marie de la Ville
l'Evêque , lequel fit le Discours suivant.
II. Vol C'est
JUIN
1732. 1441
C'est , M. R. P. le Corps de deffunt Très haut
&c. Godefroy Girault de la Tour d'Auvergne ,
que j'ai l'honneur de vous présenter , pour être
inhumé dans la sépulture de ses Ancêtres ; vous le
connoissiez , sans doute , et c'en est assez pour
que vous compreniez jusqu'où doit s'étendre no
tre juste douleur. C'étoit un jeune Prince dont les
Lares perfections faisoient la consolation de son
illustre Famille , et qui en ayant toûjours été un
versellement aimé , en est parconsequent aujour
d'hui universellement regretté.-
Je n'entreprendrai point ici de rappeller dans
votre esprit tout ce qui pourroit le rendre recommandable
selon la chait , ni de tirer d'un Berceau
illustre la matiere de son Eloge ; la Religion Chrétienne
qui ne tire son excellence et sa force que
des humiliations de l'Homme-Dieu , ne me permet
de louer que ceux sur lesquels il a imprimé
son image et sa ressemblance ."
Loin donc des sacrez Autels du Dieu très - Haut
tous ces vains titres de naissance , de grandeur et
de fortune , qui n'accompagnent ordinairement
les Princes de la Terre jusques dans leurs Tom
beaux , que pour s'y ensevelir avec eux , ou deve--
nir le sujet de leur confusion . S'il m'étoit permis
de louer celui que nous regrettons par la valeur
de ses Ancêtres, quel champ plus fertîle en élo
ges? Car sans parler ici des grandes et héroïques
actions de ceux qui lui ont donné la naissance
-il me suffiroit de vous dire qu'il est sorti de l'an-
-cienne et illustre Maison de la Tour d'Auvergne
qui a plus d'une fois mêlé son sang à celui des
Souverains , &c.
Mais quelqu'illustre qu'il fut par sa naissance
il ne le fut pas moins par ses vertus et par ses
belles qualitez ; en lui, en effet, dès sa plus tende
II. Vol. enfance .
1442 MERCURE DE FRANCE
enfance , on vit avec admiration briller un esprit
vif , délicat , penetrant , aisé , poli , je dirois volontiers
sublime ; un coeur sincerement tendre
pour Dieu , et veritablement sensible aux miseres
d'autrui ; des entrailles de misericorde le rendirent
toûjours infiniment cher à ceux qui avoient
P'honneur de l'approcher. Avec de si heureuses
dispositions , il devint en peu de temps l'objet des
complaisances et même de la recherche du Dieu
des vivans et des Morts , il s'en apperçur le premier
, et bien loin d'en être effrayé , il opposa
avec un coeur veritablement chrétien , la force de
sa foi aux foiblesses de la Nature , et ne pensa
plus qu'à répondre par sa soumission aux misericordes
du Dieu, qui sembloit se faire une joye
secrette d'accomplir en lui ses decrets adorables :
en le séparant du Monde , avant , pour ainsi dire,
qu'il fût en état de participer à sa corruption.
Persuadé que le premier pas que nous faisons
dans la vie est necessairement le premier que nous
faisons vers la mort; et convaincu que son heure
est aussi incertaine qu'elle est inévitable , il ne
pensa pendant les derniers jours d'une maladie
aussi violente qu'elle fur prompte , qu'à la rendre
précieuse aux yeux du Seigneur..
Nous le vîmés avec édification prévenir le tendre
embarras de ceux qui l'environnoient , en demandant
avec un pieux empressement les derniers
Sacremens de l'Eglise , que nous avons eu l'honneur
de lui administrer et qu'il a reçus avec autant
de dévotion que de ferveur , ce fut après s'être
muni de ces puissants secours , que sa maladie
augmentant de moment en moment , acheva
enfin de lui ôter la vie.
Il est maintenant devant le Seigneur et sous
le Sceau de sa misericorde , mais quelque pré-
II. Vol
ticuse
JUIN. 1732. 1443

tieuse que nous paroisse une telle mort , comme
il pourroit n'être pas encore parfaitement pur
devant celui aux yeux duquel les rayons même
du Soleil ne sont pas sans tache , souffrez ,
M. R. P. qu'en vous confiant ce dépôt , dont la
memoire nous sera toûjours très - chére , je vous
conjure d'unir vos prieres aux nôtres , pour accelerer
son bonheur.
Louis de Rouge , Marquis du Plessis- Belliere ,
Colonel du Régiment de Vexin , Infanterie
mourut à Vienne- le- Chateau , en Champagne ,
le 24. Juin , âgé de 26. ans. Son Régiment a été
donné par le Roy au Comte d'Anay , Colone
réformé à la suite du Régiment du Maine , Infanterie
..
D. Jeanne - Marie Colbert , veuve de Charles
Honoré d'Albert , Duc de Chevreuse et de Luynes
, Pair de France , Chevalier des Ordres du
Roy , Gouverneur et Lieutenant General pour
S. M. de la Province de Guyenne , Capitaine--
Lieutenant des Chevaux- Legers de la Garde de
S. M. mourut à Paris le 26.. Juin , dans la 82.
année de son âge.
2+ D. Gabrielle - Françoise Brulart de Sillery
veuve de Louis Marquis de Thibergeau , mourute
aussi à Paris le 27. dans la 83º année de son âge.
Le 11. Juin , les Cerémonies du Baptême furent
supplées à François Jean-Anne Lévy , né à
Amsterdam , âgé de 22. mois , et ondoyé le 12 .
Avril dernier , fils d'Eleazar Levy Lener Fermer
et de Fronoca Jacob. Il eut pour Parrain Anne-
Jacques de Bullion , Marquis de Farvaques , &c.
Maréchal des Camps et Armées du Roy , Gouverneur
et Lieutenant General pour S. M en ses
II. Vol Provinces
444 MERCURE DE FRANCE
Provinces du Maine , Perche et Comté de Laval,
Lieutenant de Roy du Pays Chartrain , Chevalier
des Ordres du Roy,et pourMaraine D. Jeanne-
Therese Fleuriau de Morville , Epouse de
M. François de la Rochefoucault , Marquis de
Surgeres , Guidon de Gendarmerie.
D. Agnès - Magdeleine Trudaine , épouse de
Jean Hector de Fay , Marquis de la Tour Mau
bourg , Inspecteur Géneral d'Infanterie , accoucha
le 13 Juin d'un fils , qui fut nominé Jean-
René- Philebert , par Jean - Philebert de Fay de'
Maubourg , Commandeur de l'Ordre de S. Jean '
de Jerusalem , et par D. Renée - Magdeleine de-
Rambouillet veuve de Charles Trudaine
Conseiller d'Etat.
>
Le 30 Juin , D. Marie Piecourt , épouse de
M. Louis- Henry Berthelot , Maître des Requê
res , accoucha d'une fille qui fut tenue sur les-
Fonts le lendemain , et nommée Henriette - Marie-
Edmée , par M. Edme- Bernard Mahoudeaux
de la Tour , et par D. Marie Derouville .
Joseph de Montainard, Marquis de Montfrin,"
Comte de Souternon , &c . Sénéchal de Beaucaire
et de Nismès , fils de feu François de
Montainard , Marquis de Montfrin , et de Dame
Louise de Louet de Calvisson , épousa le 9 .
Juin dans la Chapelle du Château d'Aubaïs
Diocèse de Nismes , Diane- Henriette de Baschi ,
fille de Charles des Comtes de Baschi , Marquis
d'Aubaïs , Baron du Caila , &c . et de D. Diane
de Rozel , Dame de Cors et de Beaumont.
Les quatre premiers degrez de la Maison de
Montainard se trouvent dans les Mémoires du
Dauphiné, du President de Valbonnais, Tom. 2.1
P 337. - 338. par Rodolphe , qui vivoit vers
II. Vol.
·Pan
JUIN.. -17.32. 8445
Pan 965. et qui fut pere d'Ainard , duquel vint
Pons Ainard , qui eut pour fils Guigues Ainard ,
Seigneur de Domene , vers l'an 11ss . la Généalogie
de la Maison de Baschi est imprimée
dans le Dictionnaire de Moreri , éditions de Pa-
Lis , 1725. et, 1732. eet de Basle 1731.
Nombre des Baptêmes , Mariages , Enfans
Trouvez , et Morts de la Ville et Fauxbourg
de Paris pendant l'année 1731 .
sçavoir :
Baptêmes
Mariages ,
Enfans Trouvez ,
Morts ,
Maisons Religieuses , hommes
et filles ,
18877
4169
2539
20620
20832
212
Partant le nombre des Morts de l'année
1731. excede celui des Baptêmes de
Le nombre des Baptêmes de 17 ; 1 . est
inoindre que celui de 1730. de
Celui des Mariages est diminué de
Celui des Morts est augmenté de
Celui des Enfans Trouvez est augmenté de
1955
89
234
3402
138
A MADEMOISELLE Claudon
Nagent , lejour de sa Fête.
BOUQUET.
Our t'offrir un Bouquet , Claudon , j'ai vais pour
nement ,
En ce matin recours à Flore ,
Comment parer , dit-elle , un objet si charmant.?
41. Vol.
J'eme
1416 MERCURE DE FRANCE
J'employrois à ma honte , et les pleurs de l'Aurore
,
Et les soupirs de mon Amant .
que
Cláudon n'a pas besoin. ma main la décore ,
Les plus vives couleurs dont mon Trône se peint,
Cedent à l'éclat de son teint ;
Si tu veux , poursuit l'Immortelle ,
Lui marquer en ce jour quelle est ta vive ardeur
Nagent préferera l'hommage de ton.coeur ,

Aux fleurs que tes Rivaux viendront cueillir
pour elle .
Le Martegal de Sens.
LETTRE écrite de Paris , un Nouvelliste
de Province.
Ous avez bien de l'ardeur pour les
nouvelles , Monsieur , vous qui faisiez
, il n'y a pas deux ans , des réfléxions
si sensées contre cette dangereuse passion
; je comprens par vos reproches que
mes Lettres vous touchent peu , quand il
n'y a pas un Chapitre complet de nouvelles.
Je vous crois dès - à - present tout le
talent et tout le zele d'un Nouvelliste du
premier ordre , et je ne doute pas que
vous n'acqueriez encore des qualitez pour
mériter une place distinguée dans cet il
lustre Corps. Je suis bien sur que vous n'ê
res pas des derniers à vous rendre tous les
II. Vol
jours
JUIN. 732. 1417
jours sous la Halle du Marché, à la gran de
Place , au Cloître des C. ou à l'avenue
pour être aux aguets et saisir des passans
quelque nouvelle de la premiere main .
Vous êtes donc bien changé , et sans
doute vous n'avez pas conservé le moindre
souvenir de nos entretiens sournois
aux Tuilleries , ( car c'est toujours là le
grand Bureau et comme le Chef- lieu des
Nouvellistes ) en observant ces Troupes
nombreuses de gens oisifs , tantot ambulans
, tantôt sédentaires ; tantôt formant
un grand Corps à l'arrivée d'un Notable
ou d'un des principaux Membres du Bu
reau, tantôt divisés par pelotons , et l'instant
d'après rassemblez , au moindre mot
pris à la volée , et tous également empres-
Scz , pour apprendre ou pour débiter
quelque nouvelle , souvent hazardée ; l'avidité
des uns , l'air composé et important
des autres , cela nous divertissoit beaucoup
, sans compter les raissonemens gra
ves et politiques , les conjectures puériles
ou frivoles les sentimens hétéroclites
soutenus avec chaleur et à grand bruit;car
tous les hommes , mêmes les moins vains.
et les plus raisonnables , sont amoureux
de leurs opinions et jusques dans les plus
petites choses , où ils n'ont pas le moindre
interêt; aveuglez par celui de l'amour
3
}
1. Vol
pro1448
MERCURE DE FRANCE
propre qui les anime , ils tombent dans
les plus grands excès .
Mais où vais- je m'engager , peut-être
par un mouvement de ce même amour
propre dont je viens de parler , et contre
lequel je crois être fort en garde ? Nul
Mortel ne peut se vanter de n'êstre pas
dupe à cet égard ; on l'a deja dit cent et
cent fois et en cent manieres differentes :
Baste. Il est question des Nouvellistes et
des nouvelles, de ces cheres nouvelles qui
vous tiennent si fort au coeur , et je n'en
ai point à vous dire.Comment faire?Trouver
quelque chose d'équivalent , cela n'est
pas possible ; ma foy , puisque vous n'êtes
Bas ennemi du babil et que je suis en train
de babiller , je vais réfléchir sur ce qui a
fait dabord le sujet de cette Lettre, et vous
exposer , selon les idées qui se présentefont
à mon esprit , les sentimens qu'on
peut avoir et les réfléxions qu'on peut
faire sur cette matiere.
1
Il n'y a rien de si raisonnable , ni de si
naturel en general , que de s'informer et
même d'avoir quelque empressement pour
être instruit des Evenemens qui arrivent
sur le grand Théatre du Monde , et qui
doivent interesser la curiosité d'un honête
homme. Il est même honteux de n'être
pas au courant, pour ainsi dire , de cer-
IL Vol.
Ataines
JUIN. 1732. 1449
taines nouvelles Historiques , Politiques
et Litteraires. Mais voir des gens , ne s'oc
cuper uniquement que de nouvelles , négliger
leurs propres affaires , en perdre ,
pour ainsi dire , le boire et le manger ,
sans être capables d'autre chose ; c'est ce
que je blâme, car il n'y a que l'excès qui
rend cette passion méprisable. Tous les
jours on est fatigué et impatienté par
ces Cazaniers, d'un esprit borné et indiffe
rent , qui ne lisant rien , et ne cherchant
point à s'instruire veulent sçavoir ou
vous apprendre ce que personne n'ignore
depuis long temps.
و
Mais exposons , si vous me le permettez
, Monsieur , ce ridicule dans un plus
grand jour, pour faire sentir le faux esprit
dans lequel on s'occupe à sçavoir des nouvelles
, et combien le temps qu'on y employe
est non seulement tres- mal employé
, mais encore nuisible par le dégré
de vanité qu'on acquiert en voulant pénétrer
, deviner juste , et prédire l'avenir
avec un ton de Prophete ; sans compter le
danger qu'il y a de s'engager insensiblement
dans une espece de parti , dont le
moindre inconvenient est de se faire trop
connoître , se dégrader en quelque maniere
, et se laisser confondre dans une
foule , si-non méprisé, au moins bien peu
II. Vol. Ipesti1450
MERCURE DE FRANCE
estimé, ou devenir fameux , et enfin l'ob
jet de la dérision publique ; on en a plus
d'un exemple , de ces gens dont la figure,
la tête et le visage sont remarquables;qu'on
voit par tout , qu'on ne sçauroit définir
et que personne ne connoît , sans compter
encore les choses les plus indifferentes et
les plus innocentes en elles- mêmes , qui
redites sans la moindre altération , et sans
aucun dessein malin , mais sans y faire assez
d'attention , et par la seule envie de
parler , sont très- propres à faire les plus
grandes tracasseries, ou à donner bien du
ridicule , selon le temps , les lieux , les
circonstances et les personnes devant qui
on parle. Je ne dis rien du danger que
l'on court avec les étourdis , les emportez
, les opiniâtres , les impolis, les impudens
, ou les timides complaisans à l'excès
, également dangereux , et les fades
railleurs qui vous rient au nez , et qui par
des questions ou par des réponses aussi
inconsiderées que choquantes , vous mettent
dans la dure nécessité de les traiter ,
(car la patience échape)avec le ton que mérite
une grossiereté dire en face . Mais
sans avoir part au démêlé , il est tres- fâcheux
d'en être témoin , et plus encore
d'être cité.
Il ne faut pas réver bien profondement
II. Vol.
pour
JUIN. 1732. 1451
pour voir que le premier principe de
cette passion est l'oisiveté, pour laquelle
les gens qui ont passé leur jeunesse en dis
sipation et dans des amusemens frivoles
ont beaucoup de gout. Or un homme sans
Occupation , et certainement sans genie ,
cherche à perdre du temps avec le même
empressement qu'un joueur de profession
cherche à gagner ; delà ce penchant pour
les choses qui n'occupent que superficiellement
, où l'esprit n'a presque aucune
opération à faire , opérations que les autres
font pour eux,qu'ils adoptent même,
et desquelles ils font encore leur profit ,
en les allant débiter comme les leurs, avec
la modestie d'un Docteur de mauvais
aloy.
Quand ce penchant est une fois déterminé
vers l'oisiveté , le frivole , le superficiel
et les choses vaines , pour lesquelles
il ne faut nulle application , quand il est
augmenté par l'esprit de curiosité qui fut
toujours , comme vous sçavez , la passion
dominante de l'homme dès son enfance
et qui s'est accruë à l'infini à mesure que
les faits se sont multipliez sur la terre, et
dans sa tête ; on ne doit point s'étonner
du progrès et des désordres qu'il fait , ni
de la corruption qu'il cause. Il ne tiendroit
qu'à moi de vous en faire icy une
II. Vol. I ij -lon1452
MERCURE DE FRANCE
longue énumération, et vous prouver par
des exemples, combien la curiosité outrée ,
a été funeste à l'un et à l'autre sexe.
Une chose bien singuliere , et qu'il ne
tiendra qu'à vous , Monsieur , de remarquer
; c'est que la plupart de ces curieux
insatiables , de ces quéteurs de nouvelles,
qui les cherchent avec tant d'ardeur et de
peine , ne s'y interressent point du tout
dans le fond , et ne sont pas plus sensibles
à un fait , à un Evenement éclatant
et remarquable pour l'Histoire de notre
temps , qu'à une aventure de Guinguette.
C'est l'esprit d'ostentation et de vanité
qui les fait agir , croyant ainsi se rendre
recommandables, en débitant avec autant
d'amphase que de fadeur , des choses triviales
qui ne sont pas ignorées au Marchéneuf.
J'ai quelquefois ri de bon coeur , je vous
l'avoue , de ces hommes importans qui
toujours sortent , ou viennent d'une Maison
, qui ont dîné dans une Maison , qui
frequentent une Maison , qui ont vû et entendu
dans une Maison , &c. Ces Maisons
qu'on ne désigne mistérieusement qu'à
demi , pour faire valoir la nouvelle , ne
sont pas des Maisons du commun , non ,
mais elles sont souvent telles qu'un Gripesou
ne les avouëroit pas , et il arrive
II. Vol. même
JUIN. 17320 1453
même que quand ces Maisons sont telles
qu'on veut le faire entendre, le vain Narrateur,
avec son ton imposant , et ses airs de
confiance et de protection , n'y est pas
plus considéré que le Gripesou .
Quand ces Messieurs font tant que de
citer,Dieu sçait s'ils choisissent des Noms
respectables et de Gens en place.Combien
ils font sonner haut le commerce étroit
et familier qu'ils ont avec les Grands ,
qu'ils ne qualifient même jamais de Monsieur,
c'est le grand air. Ils ne débitent
même la nouvelle , et ne la repetent cent
et cent fois que pour la citation et pour
les circonstances qu'ils y mettent, pour se
faire citer eux-mêmes ; et si le lieu de la
Scene est à la Comédie , à l'Opéra ou à
quelques autres Spectacles , où ils ont été
en passant faire montre de leur parure ,
la narration n'en est pas plus modeste.
A la vérité il faudroit peut être moins
blâmer des gens qui sans talens et sans
avoir rien d'acquis , n'étant plus en état
de s'appliquer à quelque chose d'utile ,
veulent cependant sé faire une sorte de
réputation. Que dis- je , de réputation ?
On voit tous les jours des intrus , qui en
sont tellement avides , qu'ils s'aventurent,
de parler à leur tour et même avant ,
croyant prudemment que de se mon
C
02.11. Vol.
Liij trer
1494 MERCURE DE FRANCE
trer en public , pêle - mêle , avec d'hon
nêtes gens , cela ne nuit point à la leur.
Celle de Nouvelliste , quoique personne
ne l'envie , ne laisse- pas de flater les gens
d'un certain caractere ; une application
heureuse , une conjecture hazardée qui
réussit, est seule capable de les mettre en
crédit dans leur canton ; mais il arrive
aussi qu'ils s'en applaudissent à l'excès et
qu'ils deviennent presque toujours intrai-
'tables , par la maniere altiere dont ils soutiennent
leurs sentimens , ausquels ils
veulent durement assujettir les autres ; et
le coeur enflé et toujours plus avide de
cette petite gloire , on n'attend plus les
nouvelles ; on va audevant , on les devine
, et grands raisonnemens ensuite pour
appuyer son opinion. Opinion souvent
contestée tumultuairement, où celui dont
le ton de la voix est le plus haut , a pres
que toujours l'avantage .
Mais quand j'y fais réfléxion , presque
tous les hommes sont extrémement flatez
de s'imaginer avoir en eux la faculté de
voir plus clair que les autres dans l'ave
nir. Cela leur annonce une étenduë de lumieres
et une pénétration ,avec le secours
de laquelle ils croyent percer les voiles
les plus épais , pénétrer dans les secrets
du cabinet et de la politique la plus pro-
2011. Vol. Ju fonde
JUIN 1732: 1455
3
fonde , et même de prophétiser. Faites- y
bien attention , Monsieur , c'est peut-être
l'Idole la plus universellement chérie de
l'homme ; car rien ne nous pique tant
que ce raisonnement intérieur , dicté par
F'amour propres il est réservé à ma pénétration
de découvrir une chose cachée aux
yeux de tous les autres hommes . Vous en
connoissez , Monsieur , que pareille foiblesse
a quelquefois couverts d'un ridicu
le humiliant : mais ce qui est sans doute
à la honte de la nature humaine , c'est
que ce ne sont pas des hommes du commun
qui se donnent de ces travers ; ce
sont ordinairement ceux qui avec l'ostentation
de briller , à quelque prix que
ce soit , ont le plus de ressources dans
l'esprit , le plus de lumieres , de sagacité
et de talens pour le raisonnement méthodique
, aisé , agréable et séduisant ; il
est fâcheux qu'on ne puisse pas toujours
jouir de leur commerce sans danger ; car
sur d'autres sujets , on trouve beaucoup
de justesse, de précision , des descriptions,
des définitions, des réfléxions fines et délicates
, &c , soyons donc en garde , mon
cher Monsieur , contre ce subtil poison ,
souvent pernicieux dans ses effets .
Les Nouvellistes qui ont quelque teinture
de Geographie , de Politique , des
interêts des Princes &c. tiennent à juste
II. Vol. Liiij titre
1434 MERCURE DE FRANCE
titre le haut bout , et brillent à peù
de frais auprès de ceux qui parlent sans
regle , sans connoissances , et qui ne se
piquent que d'aller loin sans se piquer
d'aller droit, mais ce ne sont pas toujours
ceux qui plaisent le plus dans leurs réflexions
sur les raisons d'Etat , les differentes
inclinations et les vues des Grands et
du Peuple , la situation et les circonstances
particulieres de l'état présent des affaires
du Monde , et sur les conséquences
qu'on en peut tirer , surtout quand leurs
discours ne sont ni bornez ni sagement
ménagez. Car , qu'on ait vu passer un
Courrier , qu'on ait observé certains mouvemens
à la Cour , ou remarqué dans le.
visage , ou dans les manieres , l'empresse
ment, la tristesse ou la gayeté d'un Prince,
d'un Ministre , d'un Grand ; en voilà assez
pour former tel ou tel évenement ,
qu'on rend plus ou moins vraisemblable
selon que l'on a l'art de l'arranger et de le
narrer , sans oublier le ton misterieux et
reservé , pour faire entendre que l'on en
sçait bien plus que l'on n'en fait connoître.
Si l'évenement ne répond.pas à la pro
phetie, le faux prophete en est quitte pour
être quelques jours sans se montrer at
même auditoire .
Quelqu'uns , et ceux - cy ne sont nullement
ennuyeux , se plaisent à débiter des
CC 11. Vole
nou
JUIN.1732 1457
1
nouvelles , non seulement sans gravité ,
mais d'un air leger , naturel , agreable ,
et à les embellir par un tour fin et plaisant
; ils les ornent de circonstances qui
les relevent à la vérité , le fait raconté ,
qui n'est souvent que le prétexte de la :
narration , n'a nul fondement , mais il
devient dans leur bouche une nouvelle
toute nouvelle , ou un petit Roman qui
fait plaisir pour peu qu'on se prête à la
fiction et aux épisodes.
La varieté des caracteres est fort- grande
parmi les Nouvellistes ; nous venons
d'en voir un fort gai , en voici un tout
opposé et qui n'est pas moins vrai , Ce
sont ces esprits taciturnes , pleins de malignité
, avides de poison et qui ne répandent
que de la noirceur , à qui on doit
sçavoir gré quand ils n'emportent pas la
piece , et qu'ils ne sont que médisans ou
désobligeans . De tels hommes ne respirent
que les évenemens tragiques , les rumeurs
, les soulevemens , les révolutions ;
des Campagnes désolées , des Villes saccagées
, des Incendies , des Naufrages , de
grandes defaites , des meurtres et des carnages
; et faute d'un pareil ragout , ils
s'acharnent souvent sur un infortuné qui
périt , et qui n'est peut - être pas toûjours
aussi coupable aux yeux de Dieu qu'aux
yeux des hommes.
II. Vol. On
. ܀
1458 MERCURE DE FRANCE
On les voit , ces esprits amers et par
tiaux , mettre avec une égale satisfaction
dans le plus grand jour , les avantages
de la cause qu'ils favorisent , et les
revers de celle à laquelle ils sont contraires
. Toûjours portez à tourner les nouvelles
selon les mouvemens de leur coeur ; :
les croire ou les rejetter , les publier ou les
suprimer , les enfler ou les extenuer : sur
quoi on peut faire cette réflexion , qui est
que lors qu'ils ont par hazard embrassé.
le bon party , ils ne lui font pas grand
bien , et ils se font grand tort à eux- mê
mes.
Or il est aisé de juger dans quelle
impatience doivent être ceux qui esperent
les bons succès qu'ils attendent
et qui fatent leur sentiment , et dans
quelles perplexitez ils sont sur les évenemens
qu'ils craignent et qui relevent le
party contraire. Dans l'un et l'autre cas
( et l'un ne va gueres sans l'autre ) l'incertitude
est au même degré , et les agite
aussi vivement , car la moderation et la
patience sont des vertus peu connues de
ces hommes toûjours empressez et toûjours
insatiables. Leur passion est trop
animée et trop ardente pour ce qu'ils
souhaittent ou pour ce qu'ils craignent.
Ils comptent tous les instans ; leur ins
quiétude est à charge à tout le monde et
11. Vol.
à
JUIN. 1732 1459
à eux-mêmes , plus ou moins , selon le
degré de leur préoccupation.
Mais reprenons des idées plus gayes,
et disons que vous prenez , Monsieur ,
un très-mauvais party de rester en Province
, où les nouvelles sont toûjours assez
rares , surannées , mal sûres, car on ne
les sçait gueres que d'un seul endroit ,
encore faut-il souvent les aller chercher ;
ensorte qu'un nouvelliste des moins affamez
,de ce Pays - cy mourroit d'inanition
en peu de tems dans vos cantons. Vive
Paris,morbleu, où il y a toûjours plus de
cent atteliers ouverts, où se debitent et se
fabriquent des nouvelles de toute espece.
Au tems et aux heures dePromenade, il n'y
a qu'à s'y transporter , on jouit des agrémens
de la saison , de la magnificence du
lieu , des agrémens , de la propreté et de
la varieté infinie du beau monde ; le tems
est - il mauvais , fait - il trop froid ,
trop chaud , les Caffez sont ouverts dès
le grand matin jusqu'à minuit ; vous y
trouvez quantité d'honnêtes gens qui
vous attendent , ou qui ne se font pas
attendre long-tems. C'est-là qu'arrivent
tous les batteurs d'estrade, et les ambulans
qui ne manquent gueres à certaines heures
, sans compter les passans non habituez,
que le hazard amene, et qui semblent
venir exprès de differens quartiers pour
11. Vel. instruire
1460 MERCURE DE FRANCE
instruire le . Bureau à point nommé des
affaires de leur district et de ce qu'ils
ont appris en chemin.
all
Vous sçavez l'agrément des Caffez à
Paris ; ils sont au point , que si dans une
Relation bien écrite , ont en avoit fait
une description exacte il y a 60. ans , et
bien circonstanciée dans la plus exacte
verité, et sur le pied que nous les voyons
aujourd'hui , on auroit dit , c'est un Roman
fait à plaisir , une fiction imaginée
pour donner une idée du pays de Coca .
gne, ou d'une ville bâtie et policée par les
Fées. En effet , quel Souverain , quelle
Republique auroit imaginé et auroit eu
le pouvoir d'établir pour la commodité
publique , dans toutes les rues d'une florissante
ville , des lieux commodes pour
se mettre à couvert des injures du tems.
infiniment secourables pour les gens sans
voitures , qui ont affaire à differens quartiers
pour se reposer , se rafraichir en Eté ,
se chaufer en Hyver , et en même tems
avoir l'agrément de la conversation à son
choix car à chaque table , matiere differente
, sans compter les nouveautez qu'on
apprend sur toutes sortes de fujets , et
l'amusement ou plutôt l'occupation du
jeu des Echets , sur lequel il n'arrive gueres
ni dispute ni bruit ; ce n'est pas qu'on
y peste moins qu'à un autre jeu , mais
11. Vol. Ac'est
JAU IN. 1461 1732 .
c'est toûjours entre cuir et chair.
Ces lieux sont ornez de Glaces , de Ta
bleaux , de Tables de marbre , de siéges
et de meubles convenables , éclairez par
des Lustres de cristal , échaufez par de
bons poëles dans la rigueur de l'Hyver ,
où l'on entre et d'où l'on sort sans façon
quelconque, car toute contrainte et tout céremonial
en sont bannis ; personne ne fait
les honneurs de l'assemblée , personne ne
les reçoit , chacun est le maître de convention
tacite,tous les rangs sont ainsi reglez,
et le tout sans qu'il en coûte une obole
quand on n'a rien à dépenser. D'ailleurs
quels secours , quelles commoditez , de
combien de sortes de rafraichissemens
de liqueurs et de choses agreables aux
frians ! sans compter la bonne compagnie
des Gens d'esprit et de Lettres de differens
états , avec lesquels il y a à profiter , et
où l'on peut lire utilement dans le grand
livre du Monde. Pour la société et l'agré
ment de la vie civile , je défie qu'on puisse
citer , en parcourant tous les Historiens
connus , rien de comparable aux Caffez ,
où le plus petit Bourgeois pour quatre fols
se fait servir du caffé proprement , diligemment
, en vaisselle d'argent et même
de vermeil , et peut commander et prendre
le ton de Seigneur.
Voila encore une longue disgression sur
11. Vol.
les
1462 MERCURE DE FRANCE
les Caffez , je vous prie de me la pardonner
: c'étoit pour vous dire que c'est-là
proprement que les nouvelles sont examinées
à fond , commentées , rédigées et
mises au net , chacun y met sa note et fait
sa remarque , et par le concours , la variété
des circonstances et des suffrages , une
nouvelle est constatée vraie , de bon aloi ,
et admise , ou rejettée comme marchandise
de rebut. Je n'ajoute plus que ce mot
pour finir.
Les nouvelles , at reste , sont profitables
à plusieurs personnes ,quelques-uns en
font un commerce utile pour satisfaire la
curiosité des campagnards et de gens de
province , sans compter tant de sortes de
personnes qui excitent par- là la liberalité
et la
reconnoissance de leurs parens , de
leurs Superieurs , de leurs Protecteurs
dont ils attendent quelque secours pres
sans ou quelque bienfait. Il y en a même
et plus d'un dans Paris qui avec des nouvelles
un peu bien arrangées , ornées et
mises en valeur , en appaisent leurs créanciers
, et même en contentent leurs hôtes.
Je vous demande pardon de la longueur
de cette lettre , je souhaitte que vous la
trouviez un peu amusante ; j'espere que
vous ne la laisserez pas sans réponse . Je
l'attens et suis , Monsieur , votre &c .
Nous donnons cette Lettre telle qu'elle nous
11. Vol.
JUIN. 1732 1463
a été envoyée , sans préjudice de la deffense
desNouvellistes que quelqu'un voudra peutêtre
bienprendre en main , contre le trop sévere
Censeur , et pour la justification de quantité
d'honnêtesgens qui se font un amusement des
nouvelles , très-permis et très innocent.
TABLE .
IECES FUGITIVES. L'Indiscretion , Ode, 1259
Réponse de Mile de la Vigne à M. d'Haute- PRECE
feuille ,>
La fausse Inconstance , Cantate,
Songe , Ode ,
Nouvelle maniere de construire de
loges ,
1264
1291
Bureau Typographique , 14e Lettre , 1294
1306
grosses Hor-
1312
1326
1331
1337
Ville de
1344
1367
Les Discours de la vie champêtre , Ode ,
Memoire sur les Tartres Solubles , &c.
Ode Sacrée ,
Seconde Lettre sur une Médaille de la
Troade , &c.
Enigme , Logogryphes , &c.
Nouvelles Litteraires , Bibliotheque Raisonnée ,
&c. 1371
Livres nouveaux des Pays Etrangers , & c. 1373
Discours lûs à l'Académie Françoise , &c. 1378
Damé de Bologne qui prend les Grades de Doc-
1389
teur ,
A
1395
ettre à l'occasion d'une grosse Horloge , 1390
Enfant né avec deux Langues ,
Estampes nouvelles de sainte Sophie , &c. 1396
Perspective à la Bibliotheque Ste . Geneviève, 1398
Embellissemens faits à Notre- Dame de Paris ,
Tableaux , & c.
Spectacle ; Athalie , &c.
1400
1406
Les Sermens Indiscrets ; Extrait ,
Extrait du Procès des Sens >
1408
1417
1422
Nouvelles Etrangeres , de Turquie , de Russie ,
de Pologne , er Suede
D'Allemagne , d'Italie , d'Espagne , Portugal et
Angleterre , 1424
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , 1433
Lettre écrite de Libourne sur leTonnerre, & c. 1435
L'Horoscope, Stance ,
C Morts , Naissances et Mariages ,
1436
1440
Nombre des Morts , Naissances et Mariages de
1731.
Bouquet ,
Lettre sur les Nouvellistes ,
1445
ibid.
1446
Errata du premier Volume de Juin.
Age 1189. ligne 20. Pujet , lisez Puget.
P. 1255. 1. 1. soins , l. Loix.
P. 1258. 1. 2. du 6 Juin , l. May.
Fautes à corriger dans ce Livre.
Age 1262. ligne 4. Myste , lisez Myrte.
P. 1266. 1. 19. l'inchiestro , l. l'inchiostro , et
lisez , &.
P. 1291. 1. 3. du bas , Amantes , 1. Amans
P. 1335. 1. 12. mit , l. mis..
Ibid. 1. 27. neutre , 1. Nitre..
1.
P. 1342. l. 9. porte , l. portent.
P. 1383. 1. 27. Navigation , l . négociation.
P. 1385.1. f. qu'aucun aux, l. qu'aucun autre aux,
Ibid. 1. 3. du bas , attiroit , l . attire.
P. 1399. ligne derniere , partent , 1. percent
P. 1406. 1. 4. Charost , l. d'Harcour.
P. 1409. 1. 6. perdre , . prendre.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le