Fichier
Nom du fichier
1732, 03-04
Taille
16.20 Mo
Format
Nombre de pages
465
Source
Lien vers la source
Année de téléchargement
Texte
Presentedby
John
Bigelow
to the
Century
Association
DM
Mercure
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AV ROT.
·
MAR S. 1732 .
URY
COLLIGIT
SPARGIT
Chez
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER ,
rue S. Jacques.
LA VEUVE PISSOT , Quay de
Conty , à la descente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY, au Palais .
M. DCC. XXXIL
Avec Approbation et Privilege du Roy
HE NEW YORK
UBLICE IBRARY
086 79
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
L
A VIS.
ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU , Commis au
Mercure , vis - à - vis la Comedie Fran-
Coife , à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très-inftamment , quand on adreſſe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
foin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toujours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non-feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de los perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , où les Particuliers qui fouhaite
ront avoir le Mercure de France de la
pre
miere main, & plus promptement , n'aurons
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau
qui aura fain de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire porter fur
T'heure à la Pofte,ou aux Meffageries qu'on
Ini indiquera,
PRIX XXX, SOLS,
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
MARS.
732 .
PIECES FUGITIVES ,
en Vers et en Prose..
LAGE D'O R..
U'êtes - vous devenu , temps het
reux , âge d'or ,
Où regnoient les plaisirs , amis de
l'innocence ?
De ce siecle pervers, quand je vois
la licence ,
Non , je n'espere plus de vous revoir encor
Temps heureux , âge d'or !
Mon esprit prévenu , prend pour de beffes fables,
Ce que l'on dit de vos douceurs ;
A ij LA
S.H.P
414 MERCURE DE FRANCE.
La corruption de nos moeurs
A mes yeux obsturcis les rend presque incroïa
bles.
Je les croirois plus veritables ,
Si nous étions meilleurs .
Heureux ceux que le Ciel fit naître ,
Dans le cours fortuné , d'un âge si charmant §
Leur vie étoit simple et champêtre ,
Mais ils vivoient tranquillement.
Ils étoient simples , sans bassesse ;
Champêtres , sans rusticité ,
Villageois , sans grossiereté ;
Riches , sans de grands biens , délicats sans mol-→
lesse.
Plus Philosophes que Bergers ,
Fils avoient des Moutons , le soin de les con
duire ,
Leur faisoit éviter les funestes dangers
Que l'oisiveté peut produire.
Chez eux point de Palais , de rustiques maisons
Leur servoient d'habitations ;
Maisons , dont la seule nature ,
Avoit souvent conduit toute l'Architecture.
Lc
MARS. 17323- 485
Le Lait de Teurs Brebis , étoit leur nourriture
De la Laine qu'ils en tiroient
Its filloient des habits , sans argent , sans do
rure ;
La propreté faisoit la plus riche parure
Des vétemens qui les couvroïent
Modestes , sans être timides ,
Ils étoient , sans ramper , humbles dans leurs
discours ;
Des hommes fourbes et perfides , "
Ils ignoroient encor les dangereux détours",
Hélas ! ne pouvions-nous les ignorer toujours
Les Concerts que formoient leur Musique
champêtre ,
Etoient un doux plaisir pour eux ',
Dans l'Art de l'harmonie , ils avoient eu pour
Maître ,
Apollon , descendu des Cieux.
Pourquoi des sentimens si beaux , sirespectables
Des coeurs de leurs Neveux , se sont-ils effacez
Ah ! pourquoi nos Bergers ne sont- ils point sem
blables , •
Aux Bergers des siecles passez ?
A inj J'auro
418 MERCURE DE FRANCE
J'aurois déja quitté là Ville ,
Pour aller vivre et mourir avec eux ;
La Campagne , séjour tranquille ,
Me serviroit de sûr azyle ,
Contre les faux attraits d'un Monde dangereux.
P. R.
***
REPONSE aux Réflexions de M.Lalonat
de Sonlaines , Avocat au Parlement
de Paris , sur l'Explication Physique
que M. Capperon a donnée de l'Akousmate
d'Ansacq , dans le Mercure de
France , du mois de Novembre 1731.
L faudroit être d'un génie bien singulier
, si je me refusois à ce que
M. Lalouat
de Soulaines désire de moi ; sçavoir,
que je dissipe les doutes et les scrupules
Philosophiques , que mon explication de
l'Akousmate d'Ansacq a jettés dans son
esprit. Un concurrent qui en agit avec
tant d'honnêteté et de politesse , mérite
qu'on ne néglige rien pour le satisfaire.
,
J'aurai d'abord l'honneur de lui dire ,
par rapport à sa premiere observation
qu'il n'a pas lieu d'être embarassé sur ce
que j'ai dit qu'il y avoit des fermentations
froides
A
“
MARS. 1732 417
froides , s'il souhaite de s'en convaincre
il peut voir dans le Livre des Expériences
Physiques , que M. Poliniere a donné
au public, la 77 Experience , où il rapporte
, qu'en mettant dans l'Esprit de Vitriol
du Sel armoniac , si l'on y plonge la
Boule d'un Thermométre , pendant que
ces deux choses fermentent , l'Esprit de
vin descend au même instant considérablement
, ce qui est une preuve incontestable
qu'il y a des Fermentations froides .
Le même Auteur en donne l'explication ,
et il dit peu après , qu'il y a long-temps
qu'on a remarqué ces Fermentations froides.
On les a , ajoute- t- il , souvent regardées
comme contraires à l'opinion commune
, qui est , que la chaleur consiste
dans le mouvement.
Enfin, pour parler plus précisément ,
par rapport à mon systême , énoncé dans
mon Explication ; je dis , avec un Auteur
moderne , que je reconnois , ainsi que je
l'ai exposé , deux sortes de fermentations;
sçavoir , celles que j'appelle chaudes , et
qui se font avec une chaleur sensible, telle
que celle qui me pensa autrefois brûler
les doigts , pour avoir jetté quelques
clouds de fer dans une Phiole de verre ou
j'avois mis de l'Eau-forte , et que je tenois
dans ma main & et d'autres fermentations
A iiij
froides
418 MERCURE DE FRANCE
froides , c'est à- dire , qui se font sans cha
leur sensible , telle que celle du Vinaigre ,
avec le Corail , les Coquillages et sembla
Bles Alcalis. C'est sur ces principes , que
j'ai attribué à la premiere sorte de fermentation
, formée dans un nuage , la cause
du Tonnerre ; et à la seconde , formée
aussi dans un nuage , la cause des bruits
qu'on entend quelquefois dans l'air .
En ce qui touche sa seconde Observation
, j'ai dit, et je le dis encore, avec tous
les Physiciens de nos jours , que la matie
re subtile par son mouvement tourbillonant
, agitant continuellement les parties
essentielles des liquides , et en mêmetemps
celles qui s'y trouvent quelquefois
mélangées , quoiqu'éthérogenes , est la
seule cause de leur fluidité,et par occasion,
celle des fermentations qui se font dans
ces liquides , par le mélange de ces parties
hétérogenes qui peuvent s'y trouver . S'il
étoit vrai , comme le dit M. Laloüat de
Soulaines , que les parties des fluides fussent
longues, contigues , couchées les unes
sur les autres , la matiere subtile n'ayant
qu'un libre passage entre chaque partie ,
et que ces parties n'eussent point de pores,
comme il le veut ; il s'ensuivroit , qu'à
raison de leur contiguité , étant d'ailleurs
couchées les unes sur les autres , loin de
former
MARS: 1732. 419
former des corps liquides par leur tours
billonement continuel , elles en forme
roient de solides , puisqu'elles seroient
dans le repos ; et faute d'avoir des pores ,
pour laisser passer librement la matiere
éthérée qui produit la lumiere , elles rendroient
tous les corps liquides opaques.
Je crois que M.Lalouat comprend bien
que quand j'ai parlé de la fermentation
froide du Vin et du Cidre , et que pour
l'expliquer j'ai dit , que la matiere subtile
fait seule la liquidité des fluides , et que
j'ai ajouté , qu'agitant continuellement
leurs parties grossieres et tartareuses , & c .
je n'entendois parler que du Vin et du
Cidre , desquels seuls j'expliquois la fer
mentation , et non des liquides en general
, tels qu'ils peuvent être dans leur pureté
essentielle. Il faut avouer qu'il s'est
glissé une faute de Copisté dans cet endroit
, et qu'il devoit y avoir de ces finides
, et non simplement des fluides ; mais
la chose se trouve réparée huit lignes
plus bas , où je conclus que c'est l'action
de ces parties fines contre les grossieres
qui cause la fermentation de ces liquides ,
sçavoir, du Vin et du Cidre , dont il étoit
uniquement question . -
9
Je suis surpris , que quand je dis que
les vapeurs emportent avec elles , dans
Av Pair
420 MERCURE DE FRANCE
:
Pair , quantité de parties simplement terestres
, qui contiennent aussi de l'air , et
quantité d'autres , purement salines cela
ait jetté de la confusion à son égard , sur la
nature des vapeurs et de l'air car il expli
que lui- même dans sa troisième et derniere
Reflexion , comment les vapeurs et
les exhalaisons s'élevent dans l'air , et je
ne crois pas qu'il ignore , qu'on entend
par vapeurs les parties aqueuses qui s'élevent
dans l'air , et par les exhalaisons , les
parties terrestres qui s'y élevent de même,
soit qu'elles soient simplement terrestres
ou salines , ou sulphureuses. Je ne dis
donc que ce que tout le monde sçait , et
qu'il n'ignore pas lui- même ; car pour la
nature de l'air , j'en pense comme tous les
Physicions modernes , ainsi je ne vois pas ,
ce qui dans mes paroles , a pu jetter de la
confusion , si ce n'est ce que je dis , que
les parties terrestres qui sont enlevées ,
avec les vapeurs , contiennent de l'air , et .
c'est surquoi je m'expliquerai , en répondant
à sa troisiéme Reflexion.
Après ce que je viens d'exposer pour
servir de premier éclaircissement aux
doutes de M. Lalotat , je vais répondre
à sa premiere Refléxion , et je dis , que la
premiere consequence qu'il tire de l'idée
que je donne de la fermentation , n'est
pas
MARS. 1732. 421
pas juste ; car quoique je dise qu'il y a
des fermentations froides dans les liquides
, comme je l'ai prouvé , je n'ai jamais
dit que cela arrivât quand ces liquides
étoient dans la pureté qui leur est essen❤
tielle , comme lorsque l'eau et l'air song
parfaitement purs ; mais bien quand il s'y
trouve des corps étrangers , qui mettent
obstacle au mouvement naturel et ordi
naire que la matiere subtile entretient
dans ces liquides , pour former leur li
quidité. Les liquides ne peuvent dond
pas fermenter toujours ni en toute saison ;
puisqu'il n'y a pas toujours en eux des
corps qui mettent obstacle au libre mou
vement de la matiere subtile. Je n'ai garde
de penser que la fermentation soit
occasionnée la matiere subtile , compar
me il paroît me l'attribuer. Je sçai bien
que son mouvement est continuel ; j'ai
dit seulement que ce qui occasionnoit la
fermentation des liquides , tels que le vin
et le Cidre, c'étoient les parties grossieres
et tartareuses , qui , dans ces liquides ,
mettoient par occasion un obstacle au
mouvement de la matiere subtile.
Comment M. de Soulaines entend - il
que si dans les fermentations froides des
liquides , l'effet de la matiere subtile étoit
de pousser les parties les plus fines dans
A vj les
422 MERCURE DE FRANCE
les pores des plus grossieres , il s'en ensuivroit
une condensation ou diminution
de volume ? Peut- il ignorer que la fe
mentation ne se fait que pour briser , dissoudre
, subtiliser et éloigner les parties
grossieres des liquides qui mettent obsta
cle au mouvement de la matiere subtile ?
Parconsequent , si les fines sont poussées
dans les pores des plus grossieres , ce n'est
pas pour y rester , mais pour les diviser
et les
rompre , comme un coin qu'on enfonce
violemment dans du bois l'ouvre
et le divise , la fermentation des liquides
n'y peut donc causer ni condensation
ni diminution de volume .
Pour répondre à la seconde Refléxion ,
je dis qu'elle me paroît fort inutile 3 premierement
, parce que les trois inconveniens
qu'il croyoit s'ensuivre de mon Systême
, de la fermentation des liquides, ne
subsiste pas , comme je viens de le fairevoir.
Secondement , parce que les trois
causes qu'il apporte de cette fermentation
, n'ont rien de vrai-semblable qu'en
ce qui a quelque rapport à ce que j'en'
ai dit , conjointement avec tous les Physiciens
modernes.
Car dans la fermentation ce n'est pas
la matiere subtile , comme il le prétend ,
qui augmente son mouvement ,
il est
toujours
&
MAR S. 1732 423
toujours le même ; mais rencontrant des
obstacles dans son mouvement , c'est alors
qu'elle pousse , agite , brise , chasse ces
corps qui lui résistent , et voilà ce qui
cause le trouble qui se fait dans les li
quides pendant les fermentations. Pourquoi
y chercher des parties grasses et enz
trelassées ? Se trouve- til des parties gras
ses dans le vinaigre qui fermente avec le
Corail , les yeux d'Ecrevisses et sembla
bles Alcalis ? Que signifie cette augmen
tation de force que prend la matiere sub
tile lorsqu'elle frappe les Globules du
second Element ? Selon tous les Cartésiens
, n'est- elle pas elle- même composée
du premier et du second Element ? (a)
Enfin, quel est ce corps étranger qui pousse
la matiere subtile , qu'on donne pour
troisiéme cause de la fermentation , et
qu'on suppose plus puissant que cette mariere
subtile ? J'avoue que je ne le con →
pas , et que tout cela n'est pas assez
clair et intelligible , pour me faire changer
de sentiment.
nois
Je n'ai rien à dire sur la premiere Par
tic de la troisiéme Refléxion , puisqu'elle
ne sert qu'à justifier qu'il s'éleve dans
Fair des vapeurs et des exhalaisons dont
(a ) Regis. Syst. de Philos . Tom. I. Part 2.
Chap. 9.
rout
424 MERCURE DE FRANCE
tout le monde convient , ce qui fait l'es
sentiel de mon Explication . Il s'agit seulement
de répondre à la conclusion tirée
de cette Refléxion ; sçavoir , que les
parties qui composent les vapeurs sont
trop fines pour être poreuses et pour pou,
voir parconsequent contenir de l'air . A
quoi je dirai d'abord , qu'elles ne sont
pas toûjours si fines qu'on se l'imagine ¿
puisque les parties terrestres qui s'élevent
avec les vapeurs , sont si sensibles , que
retombant avec la pluye , elles déposent
dans les Réservoirs un veritable limon
Chambon , dans ses Principes de Physique
, dit qu'en Pologne on voit souvent,
pendant l'hyver le Nitre qui a été enlevé.
avec les vapeurs , tomber en forme de
nege. La même chose est aussi quelquefois
arrivée à l'égard du Souffre. Wormius
a donné la Relation d'une pluye
qui tomba à Copenhague le 16. May,
1646. laquelle outre l'odeur du Souffre
dont elle infectoit tout le monde , laissa..
sur la terre tant de poudre sulphureuse
qu'on la pouvoit aisément ramasser ; ce
qui démontre que les parties des corps
terrestres qui s'élevent dans l'air avec les
Vapeurs , ne sont pas toujours si fines
qu'on peut s'imaginer..
Enfin , si fines qu'elles puissent être
MARS. 17322 425
elles
pas
il faut néanmoins qu'elles soient toûjours
poreuses , car si elles ne l'étoient pas,
seroient alors exactement compactes et
solides; dans ce cas , selon les loix cons
tantes de la pesanteur respective des corps
solides et des liquides , leur petit volume
l'emporteroit de force , à raison de sa
grande solidité, sur un égal volume de l'air
qui est très- fluide ; ainsi l'air n'auroit
assez de force pour les enlever de la terre,
et beaucoup moins encore pour les soutenir
su penduës dans sa masse ; comme
un morceau de bois très dur et très solide
ne peut pas aisément s'élever dans
l'eau et y nâger , ainsi que fait sans peine
un morceau de liege très- poreux , quoi .
qu'il soit d'un volume égal à celui de ce
bois dur.
Or comme les particules terrestres qui '
s'élevent avec les vapeurs et qui retombent
avec la pluye , ne sont pas si excessivement
fines , puisqu'elles forment
un limon sensible , rien n'empêche que
leurs pores étant plus ouverts , ils ne
puissent contenir de l'air ; la facilité qu'elles
ont à s'y élever et à s'y soutenir aussi
aisément qu'elles font , est une preuve,
non seulement qu'elles sont poreuses ,
mais que penetrées de l'air , il les soutient
d'autant plus aisément , que son
poids
426 MERCURE DE FRANCE
poids est plus puissant que le leur.-
J'espere qu'après tous ces éclaircissemens
, M. Laloüat de Soulaines sera satisfait
, au moins doit-il demeurer persuadé
que je n'ai rien négligé pour lui
donner des marques de ma bonne volonté
à son égard ; et que je suis et serai tou
jours plein d'estime pour sa capacité et
pour son mérite.
XX:XXXXXXXX:XXXXX
Plus
I DILE.-
Tircis.
Lus mon coeur amoureux vous presse de vous s
rendre ,
Plus le vôtre abusé , s'obstine à se deffendre ,
Ainsi coulent nos plus beaux jours ;
Aminte.
Le Dieu d'amour fait trop verser de larmes;
Tircis.
Pour échapper au pouvoir de ses charmes
Vous cherchez mille vains détours.
Aminte.
Du doux Tyran qui cherche à me surprend
Je crains le dangereux poison ;
Je le fuis ; ai- je tort d'opposer ma raison ,
Aux pieges qu'il voudroit me tendre ?
Tircis
MARS. 17328 427
Tircis.
Bergere , craignez moins de vous y laisser
prendre.
Quels doux plaisirs , quelles felicitez ,
Quand on aime un Berger discret , fidele et
tendre !
L'Amour a des attraits qu'il faut avoir goutez
Pour pouvoir les comprendre.
Quels doux plaisirs , quelles felicitez ,
Quand on aime un Berger discret , fidele et
tendre!
Ensemble.
Il faut chercher à se guérir ,
Des maux que cause une inhumaine ?
Plutôt que de mourir ,
On doit briser sa chaîne.
Tircis.
Mais si le puissant Dieu , Maître de l'Univers
Qui d'un coup de sa foudre,
Mit les Titans en poudre ,-
Tout inconstant qu'il est , vouloit porter vos fers
Pour venir sur l'herbette ,
Vous parler d'amourette ,
S'il quittoit sa brillante Cour;
Si pour gage dé son'amour ,
Il vous offroit un Sceptre au lieu d'une houlette,
A l'attrait d'un bonheur si doux, si glorieux,
Votre coeur pourroit - il ... , .
Aminte
428 MERCURE DE FRANCE
Aminte.
Ah ! s'il étoit possible ,
Qu'Amour rendît mon coeur sensible ,
Le plus puissant de tous les Dieux ,
Ne seroit pas l'Amant qui me plairoit le mieux,
Tircis
Que cet aveu flatte mon ame !
Le doux et tendre espoir qui conduit au plaisir ,
Aidé par l'amoureux desir ,
S'efforce à s'expliquer en faveur de ma flamme ;
>
Mais ce n'est point de l'espoir séducteur
Aminte , c'est de vous que je voudrois apprendre
Qui seroit ce Rival si rempli de bonheur ,
Qui mieux que Jupiter auroit droit de prétendre
A l'Empire de votre coeur.
Aminte.
Un Berger fidele et tendre ,
S'il me pouvoit jurer une éternelle ardeur.
Tircis.
Je ne connoissois pas mon plus parfait bonheur ;
Aminte , vous m'aimiez vous chérissiez ma
flamme !
Et je vous accusois d'une injuste rigueur 1
Ah ! si j'avois plutôt reconnu mon erreur
Que j'aurois épargné de tourmens à mon amèr
Mortelle Divinité,
Bergere
MARS.
429 1732.
Bergere que j'adore ,
'Ah ! vous m'ôtez ma liberté ,
Par des charmes plus doux encore,
Que l'éclat de la beauté.
Aminte.
In vous plaignant de ma froideur extrême ,
Berger , vous parliez autrement.
Tircis.
Si je ne parlois pas de même ;
C'est dans l'excès de mon toutment.
Ensemble.
Le doux Ruisseau qui coule dans la Plaine ,
Suit son penchant , s'abandonne à son cours ;
Fuyons , fuyons une contrainte vaine ;;
Aimons , allons où le desir nous mene ;
Et qu'ainsi coulent nos beaux jours ;
Fuyons , fuyons une contrainte vaine ;
Aimons , allons où le desir nous mene ;
Et qu'ainsi coulent nos beaux jours.
Par M. de Balmary de Cabors,
LET
436 MERCURE DE FRANCE
LETTRE de M. de Couffilts , Medecin
de Barege , écrite à M. Chevillard
Fontainier du Roy , sur la Découverte ´
d'une nouvelle Source , & c..
Our l'intelligence de cette Lettre , il
Pour
faut sçavoir que les Eaux de Barege ,
dans les Pyrenées , dont les excellentes
qualitez et les merveilleux effets ne sont
ignorez de personne , se perdoient depuis
quelque temps , et sembloient , pour
ainsi- dire , vouloir rentrer dans le sein
de la Terre. M. Dangervilliers en ayant
eû avis et sçachant combien ces Eaux sont
particulierement salutaires aux Officiers
et à tous les gens de guerre qui exposent
leur vie pour le service du Roy
pria M. le Duc d'Antin , de jetter les yeux
sur quelque personne habile et entenduë
sur le fait des Eaux , capable de faire la
recherche en question et le rétablissement
parfait des Bains de Barege. Le Duc d'Antin
lui envoya aussi - tôt le sieur Chevillard
, Fontainier du Roy à Meudon , d'une
capacité reconnue , lequel partit pour
les Pyrenées au mois de Juin dernier
et fut de retour au mois de Septembre ,
après
MARS. 17320
431
après avoir fait , non - seulement la recherche
et la réunion des anciennes Eaux en
plus grande abondance qu'auparavant ,
mais encore la découverte heureuse d'une
nouvelle Source qui a déja operé des guérisons
extraordinaires et presque subites.'
C'est de quoi M. Couffilts , Medecin des
Eaux de Barege , instruit le sieur Chevillard
par la Lettre qu'on va lire.
Le succès de vos peines et de votre
Ouvrage en ce Pays - cy , Monsieur , st
trop grand , sur tout par la découverte
que vous avez faite de la Source Minerale
qui produit tous les jours des effets
admirables , pour ne vous pas informer
des heureuses suites de vore travail . Je
vous dirai d'abord que l'Eau de la nouvelle
Source a un grand gout de fer et
de souffre ; j'estime qu'elle charrie d'autres
Mineraux , mais qui sont si bien liez
ensemble , qu'on ne peut guere les distinguer
par le goût ni par l'odorat , les
premiers etant dominants , ce qui mérite
qu'on en fasse faire l'Analyse par quelque
habile Artiste.
A l'égard des effets , cette Eau purge
des uns par les premieres voyes , par les
urines et par les transpiration ; elle fait
vomir les autres et les soulage de même ,
donnant à tous un grand appetit.
Ma
432 MERCURE DE FRANCE
Ma Lettre seroit trop longue si je vous
faisois l'énumeration de toutes les guérisons
parfaites qui sont de ma connoissance
; des Malades sur tout qui avoient
des obstructions aux Visceres . Je me contenterai
de vous parler sommairement de
trois personnes.
La premiere est un Prêtre Arragonois
de la Ville d'Aorle , que la réputation de
la nouvelle Source a fait venir ici . Il
souffroit depuis long- temps d'une tumeur
squirreuse au foye , et avoit tenté
inutilement tous les Remedes de la Medecine
Espagnole. Après neuf jours d'usage
de ces Eaux , pendant lesquels je
purgeai deux fois le Malade avec la Rhu
barbe et la Mane seulement , la tumeur
s'est entierement fonduë , et il s'est retiré
parfaitement guéri . J'ai reçû depuis peu
une de ses Lettres , par laquelle il me
marque qu'il jouit d'une santé parfaite
et qu'il doit sa guérison aux Eaux de cette
Source.
En second lieu , un Domestique du
Comte de Montaigu , atteint depuis
long- temps d'une maladie de langueur
qui l'avoit rendu éthique , à cause , sans
doute , des obstructions de ses Visceres ,
ayant accompagné son Maître à Barege
fur conseillé de boire aussi de cette Eau ,
ce
MARS. 1132 . 433
S
S
ce qu'il a pratiqué avec tant de succès ,
qu'il a été pareillement et radicalement
guéri .
>
Enfin le sieur Gertoux , Marchand et
Habitant de la Valée d'Aure , qui souffroit
des Obstructions considerables au
Foye et au Pancreas se trouvant aux
Eaux de Bagneres , qu'il prenoit sans aucun
succès , les quitta pour venir essayer
de cette nouvelle Source ; je n'osai pas
le lui conseiller, voyant sa bile répanpar
tout le
corps , et craignant quelfâcheux
accident ; cependant au bout
de huit jours d'usage de cette Eau, ils'apperçut
comme moi , que la bile avoit
repris sa circulation naturelle , et que les
Obstructions étoient fondues par la force
des Mineraux ; en un mot , il s'est retire
en parfaite santé.
duë
que
Jay crû , Monsieur , devoir vous faire
će petit détail pour votre satisfaction particuliere
et pour l'interêt du Public , qui
ne sçauroit trop tôt être informé des ef
fets merveilleux de cette nouvelle Découverte.
Je suis , &c.
A Lus en Barege , le 2. Novembre 1781,
Nous invitons M. Couffilts , au nom
du Public , de travailler ou de faire travailler
le plutôt qu'il lui sera possible
434 MERCURE DE FRANCE
à l'Analyse de ces Eaux , Operation dont
il reconnoît lui- même la necessité , et
que nous publierons avec plaisir , s'il veut
bien nous en faire part.
1
EPITAPHE
Du Frere Hilarion , Capucin au Convent
du Croisic , en Bretagne. Par Me de
Malcrais de la Vigne , à son Oncle ,
M. de P .** A ** Conseiller du Roy ,
Pere spirituel des Capucins du Croisico
Cy gist le Frere Hilarion §
C'étoit un digne Personnage.
Nul autre avec tant d'avantage,
N'honora sa Profession.
Encloîtré dès son plus jeune âge ,
Ce fut dans l'Ordre Capucin ,
Qu'il mit ses talens en usage .
Sans impudence il fut badin;
Sans être Cafard il fut sages
Mérite assurément divin ;
Chez le Capuchonné Lignage.
Il ne fit jamais du Latin ,
Le long er dur apprentissage ;
Mais à l'aide de maint lopin ,
Qu'il
MARS. 1732. 435
•
Qu'il goboit par fois au passage ,
Et qu'il citoit sans jargonnage
On l'eût prit pour un Calepin.
Pour peu qu'il eût sçû davantage,
Du Convent on l'eût fait Gardien ;
Et certes plus homme de bien ,
Ne méritoit ce haut étage.
Il attiroit par beau langage ,
Froment , Orge , Avoine au Moulin .
Et la Cloche au premier dreliu ,
Lui disoit si c'étoit du pain ,
Qu'on apportoit , ou du Fromage ;
Fût-il à manger son Potage ,
A la porte il voloit soudain.
Et Froc à bas , d'un front serain ,
Recevoit le friand message ;
Puis demandoit d'un air humain ,
Comment fait-on dans le ménage ?
Le monde au Logis est-il sain ?
Votre Procès va - t'il son train ?
Que dit -on dans le voisinage ?
O le beau temps ! point de nuage ,
Le Soleil se leve matin.
L'Almanach Nantois ,
pour
certain ,
Promet , s'il ne vient point d'Orage ,
Un Eté fertile en tout grain ,
Une Automne abondante en vin.
Le Printemps l'est en Pâturage.
B D'ailleurs
1
426 MERCURE DE FRANCE
D'ailleurs le Proverbe ou l'Adage ,
Dit que gras Avril et chaud May
Amenent le Bled au balay ;
Mais , mon Dieu , qu'à notre dommage
S'est changé le temps ancien
Le Peuple est devenu Payen ,
Et de la Ville et du Village
Il ne nous vient presque plus rien
Ni provision , ni chauffage.
Aujourd'hui nous mourrions de faim ,
Si votre bienfaisante main ,
N'avoit apporté son suffrage.
Puis adieu , bon jour , grandmerci ,
Le Donneur retournoit ainsi ,
Très-satisfait de son voyage..
Il étoit Portier , Cuisinier ,
Sommelier , Quêteur , Jardinier ,
Tous les Arts furent son partage ,
Sa mort m'a causé des regrets ,
Je l'aimois pour son caractere ,
Et de mes intimes secrets ,
Il fut souvent dépositaire.
Combien de notre Hilarion ,
A tous ceux de sa Nation ,
Sa perte a dû paroître amere !
Quoique cet excellent garçon ,
Dans l'Ordre n'ait été qu'un Frere ,
Il pouvoit être , avec raison ,
Des
Des
SAIS
CARAL
2
E
I
A
Æ
SPFAV
A
AV
T
MARS.
17328 437
Des autres appellé le Pere .
Cher Oncle , Pere et Défenseur
Des Capucins de cette Ville ,
Toi , qui d'une aumône fertile ,
Fais sur eux pleuvoir la douceur ,
Examine si dans mon stile ,
J'ai sçu faire un Portrait naif,
Du Frere aimable , à qui la vie ,
Par le sort fut trop tôt ravie ;
J'ai laissé le genre plaintif ,
"Et suivi le récreatif,
Pour bannir ma mélancolie.
のの
-
·dodasas toð to d
EXPLICATION d'une Medaille
antique très singuliere de Carausius ,
Empereur des anciens Bretons , au temps
de Diocletien et de Maximien-Hercule ,
adressée à S.A.S. M. le Duc du Maine,
Prince Souverain de Dombes , &c. Par
M. Genebrier , Docteur en Medecine.
MONSEIGNEUR ,
L'accueil dont V. A. S. m'a honoré à
mon retour d'Angleterre , la maniere distinguée
dont elle a b en voulu me communiquer
elle-même , et à Versailles et
Bij à
38 MERCURE DE FRANCE
à Sceaux , ses differens Cabinets de Mé,
dailles antiques , et la permission qu'elle
m'a accordée de décrire celles qui pou
voient entrer dans mes vûës Litteraires
sont des effets d'une bonté digne de V.A.S
mais trop marquez pour moi , pour ne
pas rechercher l'occasion de les publier.
' ose donc me fatter , Monseigneur , que
V. A. S. ne trouvera pas mauvais que je
fasse paroître cet Ecrit sous vos auspices.
Je l'ai composé au sujet d'une Médaille
antique du Héros bes Bretons , dont j'ai
déja eu l'honneur d'entretenir V. A, S.
Cette Médaille interesse particulierement
la gloire d'une de nos plus anciennes
Villes de France , Ville autrefois et encore
aujourd'hui très celebre , et qui
étant la Capitale du Gouvernement de
Monseigneur le Comte d'Eu , Prince qui
marche si dignement sur vos traces , doit
aussi interesser V. A. S.
Cette Médaille est de petit bronze et
assez bien conservée , elle est d'un Métail
jaune , qui est rare dans les Médailles
de ce temps - là . Je la croyois d'abord unique
, mais M. l'Abbé de Rothelin en a
trouvé depuis peu une autre qui n'est que
de cuivre rouge . Elle représente d'un côté
la tête de l'Empereur Carausius , couronnée
de rayons , avec la Légende ordinaire.
Imp
MARS J
es
1-
de
ui
AE .fé
lles
uni
en a
que
côté
гоп
aire
Imp.
>
. 1732 439
Imp. Carausius P. F. Aug. Et au revers
pour Legende , Tutela Aug. La Tutele
d'Auguste. Pour Type la figure d'une
femme debout , tournée du côté droit
vétuë d'une robe longue abbattue , don't
ún bout ramené du côté droit par devant
et retroussé sur le bras gauche , va
encore descendre jusqu'aux pieds . Certe
figure tient de la main droite une patere
sur un Autel où il y a du feu , et de la
gauche elle soutient par le bas une Corne
d'abondance , couchée sur le bras du même
côté.
Parmi beaucoup de Médailles antiques
que j'ai vûës dans un assez grand nombre
de Cabinets en differens Royaumes ,
par ordre et sous les auspices de S. A. R.
feuë Madame , et que j'ai décrites , je
n'en ai jamais trouvé que deux differentes
du haut Empire , avec la Legende
TVTELA , &C.
La premiere est une Médaille de Vespasien
, et la seconde de Nerva.
Au revers de la Médaille de Vespasien
, il y a pour Legende Tutela Augusti
S. C. et pour Type , la figure d'une
femme assise , tournée du côté droit , qui
impose la main droite sur la tête de Tite,
qui est devant elle au côté droit , ayant
fe bras gauche négligemment appuyé sur
Biij les
440 MERCURE DE FRANCE
les épaules de Domitien , qui est aussi
debout de l'autre côté , la face tournée
differemment . Ce qui nous marque que
ces deux jeunes Princes s'étoient , pour
ainsi dire voüés à cette Divinité Tutele
et qu'ils s'étoient mis sous sa protection.
3
Au revers de la Médaille de Nerva ,
il y a pour Legende Tutela Italia S. C.
La Tutele de l'Italie . Pour Type , la figure
de l'Empereur assis , de gauche à
droite , sur une Chaise Curule , qui tend
la main droite à deux petits enfans , garçon
et fille , qui sont debout à ses pieds ,
et qui lui sont présentez par l'Italie personifiée
sous la figure d'une femme aussi
debout derriere eux , pour faire entendre
que ce Prince s'étoit déclaré le Pere et le
Protecteur des enfans orphelins de l'un
et l'autre Sexe , C'est ce qui paroît confirmé
par un Passage de Xiphilin , * qui
rapporte que ce Prince assigna des Terres
estimées quinze cent mille dragmes pour
la subsistance des Citoyens qui étoient
dans la necessité.
A l'égard de la Médaille de Carausius ,
il- y a pour Legende au revers , Tutela
Aug.
à peu près comme dans la Médaille
de Vespasien , et non pas Tutela
Italia , comme dans celle de Nerva ; mais
* Dans la Vie de Nerva.
au
MARS. 17321 441
e
|-
ai
es
ur
at
is,
ela
éela
ais
au
au lieu que sur la Médaille de Vespasien ,
on y voit trois figures représentées , et
que sur celle de Nerva , on en voit quatre,
il ne se trouve qu'une seule figure sur
la Médaille de Carausius , comme je l'ai
décrite au commencement ; ce qui forme
un troisiéme Type different sur les Médailles
de ce genre.
Boissart , dans le troisiéme Tome de
ses Antiquitez , nous a donné la figure
de la Déesse Tutilina , sous l'habit d'une
venerable Matrone debout , le derriere
de la tête voilé , dont la robe descend
jusques aux pieds. On voit au côté droit
auprès d'elle un tronc d'arbre qu'un Serpent
entortille ; et au-dessous de la figure
est écrit en gros caractere , TVTILINAE.
S , ce qui nous apprend que la figure
qui est représentée sur ce bas- relief,
avoit été consacrée à la Tutiline sous ce
Type. *
Cette Divinité avoit un Autel à Rome
sur le Mont Aventin , comme Varron le
remarque dans sa Ménippée. Cette der-
* S. Augustin , dans le 4. Livre de la Cité de
Dieu , Chap. 8. fait mention de la Déesse Tutiline
, comme de la Sur - Intendante des Grains
après la récolte. Frumentis vero collectis atque reconditis
, ut tutò servarentur Deam Tutilinam praposuerunt.
B iiij
niere
442 MERCURE DE FRANCE
niere figure est encore differente de celle
qui est représentée sur notre Médaille de
Carausius , elle ne ressemble point non
plus à la figure de la Tutele qui est sur
la Médaille de Vespasien , où cette Divinité
est assise dans une attitude majestueuse
, ayant deux jeunes Princes debout
à ses côtez .
Pour ce qui regarde la Médaille de
Nerva , ce n'est point la Divinité Tutele
qui est représentée sur son revers ; c'est
l'Empereur Nerva lui- même qui y est
appellé la Tutele de l'Italie , et avec justice
, pour les raisons que nous avons rapportées
plus haut.
Ainsi le Type de la Médaille de Carausius
avec TVTELA AVG..ne revient à aucun
de tous ces Types . C'est , comme on
l'a dit , une figure toute particuliere. Elle
sacrifie sur un Autel , où il y a du feu ,
sur lequel elle répand une Patere pleine
de quelque liqueur propre au Sacrifice ,
tenant de la main gauche une Corne d'abondance.
Ne seroit- ce point là , Monseigneur
le Génie Tutelaire de la Ville et du Port
de Boulogne sur l'Ocean , ou bien celui
de la Ville et du Port de Bourdeaux ?
Ce sont , comme V.A.S. le sçait , deux
Ports et deux Villes qui ont été autrefois
MARS. 443 17320
fois très- considerables , soit par
leur propre
situation , soit par les grands Evenemens
qui y sont arrivez du temps des
Romains.
•
La premiere est aujourd'hui la Capitale
du Boulonnois , Peuple qu'on appelloit
autrefois les Morins .
La seconde est la Capitale de la Guyen:
ne , Province que Ptolomée appelle Aqui
tania.
Par rapport à Boulogne , j'ai prouvé
dans le corps de mon Ouvrage sur Carausius
, que cette Ville fût d'abord comme
le Magazin general et l'Arcenal de
cet Empereur , et qu'il en fit une des plus
fortes Places qu'il eûr sur les Côtes Maritimes
des Gaules , et qu'elle soutint un
Siege presqu'aussi long que le fut le fameux
Siege de Troye.
Le Génie Tutelaire en ce sens sur les
Médailles de Carausius , ne conviendroit
peut-être pas mal à Boulogne ; cet Autel,
ces Parfums , cette Paterre , désigneroient
les Sacrifices qui furent faits dans cette
Ville pour la prosperité des Armes , et
pour l'heureux succès de la Flotte de cet
Empereur.LaCorne d'abondance que tient
cette Figure , marqueroit la quantité suffisante
de toutes les munitions necessaires
pour la deffense et pour la sureté de cette
Place. Les Tours dont elle paroît couron-
Bv néc
444 MERCURE DE FRANCE
née , désigneroient la force de ses murailles
, qui devoient être bien considérables ,
puisque le Rhéteur Euménius ( a ) , dans
un de ses Panégyriques en fait mention ;
en les appellant Gessoriacenses muros , les
Murs de Gessoriac , parce que cette Ville
a aussi été appellée , Gessoriacum navale
à cause de la renommée de son Port , que
je prétends être le fameux Por.us Iccius
des Anciens.
Pour revenir à notre Médaille. Pline le
jeune en parlant des Sacrifices qui furenţ
faits à la proclamation de Nerva , nous
fournit un passage qui semble l'expliquer
encore dans un sens qui ne seroit point
incompatible à quelque Ville qu'on
voulut la donner. Diem , dit-il , in quem
Tutela Generis humani felicissima successione
translata est debita religione celebravimus,
commendantes Diis Imperii Authoribus
, et vota publica et gaudia.
C'est peut être , Monseigneur , ce que
les Monetaires nous auroient voulu faire
entendre par ce Type et par cette Légende
, par cet Autel et par ces Sacrifices.
Pour marquer à la posterité qu'à son
avenement à l'Empire , les Gaulois et les
Bretons de son parti , s'étoient religieu-
(a ) Panegyr. à Constantius César , chap. 4.
sement
MARS. 1732.
445
sement acquittez d'un devoir essentiel
envers Carausius , qu'ils venoient de reconnoître
pour Empereur , et qu'ils regardoient
comme l'objet de leurs voeux et
la Tutele du genre humain , dans le mê
me sens qu'Horace,dans une de ses Odes*,
donne ce titre à Auguste.
O Tutela prasens
Italia , Dominaque Roma.
C'est dans la même pensée que Nerva
est appellé , Tutela Italia sur la Médaille ,
dont nous avons déja décrit le revers , et
dont la Légende est tirée de ces deux Vers
d'Horace .
Mais la Médaille de Carausius , avec
Tutela Aug.au revers , accompagnée d'un
Type nouveau , et jusques icy inconnu ;
paroît nous marquer encore quelque chose
de plus , et elle pourroit s'entendre
d'une Divinité Topique , et propre à un
lieu particulier.
L'Autel , sur ce revers nous marque
que la Tutele avoit aussi ses Autels , ses
Temples et ses Sacrifices particuliers du
temps de Carausius , et que le culte de la
Tutele , étant Romain d'origine , s'étoit
* Ode 14. Carmin. lib. 4.
B vj ré
446 MERCURE DE FRANCE .
répandu dans l'étendue de ses Etats , dans
la grande Bretagne , dans nos Gaules et
dans d'autres Provinces, comme celui des
autres Dieux , dont V. A. S. sçait que le
culte s'étendoit , à mesure que les Romains
avançoient leurs conquêtes.
Pour venir à la Ville de Bourdeaux
l'Inscription antique qui y fut trouvée ,
et que voici , prouve invinciblement
le culte de la Tutele y étoit établi,
TVTELÆ
AVG .
LASCIVOS CANIL:
EX VOTO
L. D. EX. D. D.
que
C'est l'accomplissement d'un voeu solemnel
, fait à la Turele d'Auguste , par
un particulier, nommé Lascivus Canilius.
Les dernieres Lettres initiales de cette
Inscription , L. D. EX. D. D. signifient
le Sol lui en avoit été assigné par un
que
Décret exprès des Décurions de la Ville.
Locus datus ex Decreto Decurionum. Ce
qui fait voir en passant que Bourdeaux
joüissoit pour lors du droit de Colonie
Romaine , et qu'elle avoit adopté le culte
de cette Divinité. Elle y avoit un Temple
MARS. 1732 447
܂ܐ
>
ple des plus superbes , dans lequel cette
Inscription fut trouvée , selon Tristan .
Ce Temple subsistoit encore presqu'en
son entier en 1700.avant que Louis XIV .
de glorieuse mémoire , l'eut fait détruire
pour en faire une Esplanade devant le
Château Trompette . C'étoit un Péristyle ,
à quatre Angles droits , long de 87 pieds,
et large de 62. selon Elie Vinet , ou de
63 , selon Merula , dans sa Géographie
page 426. Ce Temple avoit six Colonnes
en face dans sa largeur, et huit Colonnes
à chaque côté dans sa longueur ; ce qui
faisoit en tout une colonnade de 24 Colonnes
, de l'Ordre Corinthien , dont il
en restoit encore 18 sur pied , dans le
temps que Vinet publia ses Notes sur Ausone.
Les Colonnes de ce Temple étoient
d'une hauteur si considérable qu'elles do
minoient sur tous les plus hauts Edifices
de la Ville ; ce qui peut avoir été en partie
cause de sa destruction . Au dessous de
ce Temple il y avoit des Voutes et des
Caves qui étoient d'un ouvrage aussi ancien
. On s'en servoit pour y conserver du
Vin , selon quelques Auteurs.
La démolition d'un monument si superbe
et si respectable par son anciennete
, ne laissa pas d'exciter les regrets de
quelques amateurs de l'Antiquité , gens
qui
448 MERCURE DE FRANCE
qui ne s'embarassent guere de politique.
Ces regrets furent même accompagnez
des larmes d'un des plus sçavans Antiquaires
(a ) de ce temps - là. Ce qui donna
occasion aux Vers , qui furent imprimez
dans le Mercure de Mars 1702.que V.A.S.
ne sera peut- être pas fâchée de voir icy.
99
55
Pourquoi démolit - on ces Colomnes des
Dieux ?
Ouvrage des Césars , Monument Tutclaire ,
Depuis plus de mille ans , que le temps les revére
,
Elles s'élevoient jusqu'aux Cieux.
» Il faut que leur orgueil , cede à la Forteresse
» Où Mars pour nous veille sans cesse .
Son redoutable Mur , Edifice Royal ,
Ne doit point souffrir de Rival.
Ainsi il ne nous reste plus aujourd'hui
aucun vestige de ce fameux Temple de
la Tutele, qu'un triste souvenir de sa ruine..
Mais que dis- je, Monseigneur, ce Temple
n'est pas entierement détruit , et l'idée
de ce superbe Edifice ne sera jamais
tout à-fait effacée de la mémoire des hommes.
Le même Vinet nous en a heureusement
conservé le Dessein . C'est dans ses
sçavantes Notes sur Ausone , où j'ai eu
( a ) M. Spon.
la
MARS. 1732. 449
ul
de
ne,
cm .
l'imais
ɔmceu-
5 ses
eu
la
1
la satisfaction de le voir représenté sous
le nom de Palais ou de Piliers de Tutele,
C'est ainsi qu'on l'appelloit vulgairement
, à cause de sa magnificence égale à
celle des Palais des Rois . C'étoit , sans
doute , non un Palais , mais un Temple
consacré à la Tutele , ou au Genie Tutelaire
de la Ville et du Port de Bourdeaux ,
comme l'Inscription antique , que nous
venons de rapporter plus haut , et qui y
fut trouvée , le prouve invinciblement.
Quoique tous les Dieux pussent être
Dieux Tuteles , soit male , ou femelle ,
V. A. S. sçait cependant que chaque Nation
ou Peuplade s'en choisissoit un particulier
, qu'elle invoquoit comme son
Génie , son Protecteur , et son Dieu Tutele.
Chaque Vaisseau avoit aussi son Dieu
Tutele particulier.
Or c'est du Dieu Tutele de la Ville de
Bourdeaux que je crois qu'on doit entendre
l'Inscription : Tutela Aug. & c. qui y
fut trouvée.
C'est de Bourdeaux que je crois aussi
qu'il faut entendre la Légende : Tutela
Aug. qui est sur la Médaille de Carausius;
et il est beaucoup plus à présumer , que
la figure qui esr sur notre Médaille, peut
être la même qui étoit adorée dans ceTemple
450 MERCURE DE FRANCE
ple de Bourdeaux , et que c'étoit- là la
Divinité Tutele de la Ville.
En effet , Carausius étant Maître de la
Mer , comme il l'étoit , je ne fais aucun
doute , qu'il ne se fut aussi emparé de la
Ville et du Port de Bourdeaux . Cette
Ville , aussi-bien que Boulogne , lui étoit
de trop grande importance pour la négliger.
Son Port , qui étoit autrefois au
milieu de la Ville , étoit aussi un des plus
superbes , suivant ces Vers d'Ausone :
" Per mediumque Urbis Fontani fluminis al
veum
Quem Pater Oceanus refluo quum impleverit
astu .
» Adlabi totum spectabis classibus aquor.
Carausius avoit en ces deux Villes deux
clefs pour sortir et pour entrer dans les
Gaules , suivant que ses affaires tourneroient
, bien ou mal ; dans l'expédition
qu'il projettoit de la grande Bretagne.
C'est de Bourdeaux et de ses Citoyens
que je pense qu'il faut entendre en partie
un Passage d'Eumenius , où il est dit que
Carausius emmena avec lui , en la grande
Bretagne , plusieurs Marchands des Gau-
Ies. Contractis ad Dilectum Mercatoribus
*
Galli
MAR S.. 1732.
450
S
n
je
le
He
us
Gallicanis;parce que cette Ville a toujours
été en grand commerce , sur tout avec
ces Insulaires .
Enfin Bourdeaux est la Ville où je crois
que notre Médaille a pû avoir été frappée,
les raisons que nous venons d'en raporter.
par
Peut- être cette Ville, puissante comme
elle étoit,et parTerre et par Mer,à l'exemple
de Boulogne , fut- elle une des premieres
à saisir cette occasion , pour secoüer
le joug des deux autres Empereurs Romains.
V. A. S. sçait qu'il n'y avoit pas
long- temps que la Ville de Bourdeaux
s'étoit soustraite à l'obéïssance de Gallien ,
et que du Gouverneur de la Province
dont elle étoit la Capitale , elle avoit fait
un Empereur , nommé Tetricus , qui prit
la Pourpre à Bourdeaux , où il faisoit sa
résidence ordinaire.
On voit encore à Bourdeaux , parmi les
autres Antiquitez, les ruines d'un Amphithéatre
, nommé vulgairement , le Palais
de Gallien , qui pouvoit y avoir fait quelque
séjour avant la révolte de Tétricus.
Cela fait voir le rang distingué que tenoit
autrefois cette Ville Maritime de la
Province d'Aquitaine , ou de la Guienne,
comme on l'appelle aujourd'hui .
Cette Ville ancienne ne s'étoit pas seu
lement
452 MERCURE DE FRANCE
lement renduë recommandable par son
commerce dans les extrémitez des Mers ,
même du temps d'Auguste , comme Strabon
, qui vivoit sous ce Prince , nous l'assure.
Elle s'est encore rendue celebre par
le grand nombre de Sçavans qui y ont
fleuri , comme on le peut voir dans les
Vers d'Ausone. Mais ce n'est point icy le
lieu d'en parler.
Ce que j'ai dit , Monseigneur, en faveur
de cette Ville , paroît suffire pour l'expli-
Ication de notre Médaille de Carausius
avec la Légende , Tutela Aug. ,
Légende inconnue jusques icy dans les
Médailles du bas Empire , et dont le Type
n'est
pas moins singulier , ni moins
digne de l'attention des Antiquaires .
Ce sont - là , Monseigneur , les conjectures
que j'ai crû pouvoir hazarder , et
que je soûmets entierement à votre décision
. Je ne sçai si V. A. S. les trouvera
assez solidement appuyées ; mais elles serviront
du moins à exciter la curiosité
des Sçavans sur ce sujet , et elles seront
un témoignage public de la Protection
jose dire , de la Tutele particuliere , dont
vous honorez les Sciences et les Gens de
Lettres , ainsi que du profond respect et
de la reconnoissance parfaite avec laquelle
je serai toute ma vie , &c.
A Paris , ce 15 Février 1732.
>
MARS. 453 1732.
12
τέ
nt
1 ,
nt
de
et
XXXXXXXX :XXXXXXX
EPITH ALAME ,
A M. le Comte de Marigny-Pibrac , ( a )
sur le Mariage de Mademoiselle de
Tyard - Bragny , sa petite -fille , et petiteniéce
de M. le Cardinal de Bissy , avec
M. le Comte de la Magdelaine Ragny.
N jour , las d'écouter les plaintes et les
voeux ,
Des Epoux asservis sous un joug rigoureux ,
Jupiter au Dieu d'Hymenée
Reprocha vivement leur triste destinée .
Oui , c'est vous , lui dit- il , qui causez leurs malheurs
,
Lorsque sans consulter leurs panchans- , leurs
humeurs ,
Vous osez à Plutus en faire un Sacrifice :
Moi - même tous les jours , grace à votre ca⇒
price ,
J'éprouve des chagrins que j'ai peine à bannir , `
( a ) M. de Pibrac , Chancelier de Marguerite
de Valois , Reine de Navarre , Président et Conseiller
au Conseil du Roy , connu par ses diverses Ambassades
et par ses fameux Quatrains , est le Bis-
Ayeul do M, le Comte de Marigny-Pibrac.
De
454 MERCURE DE FRANCE
Et ma foudre cent fois auroit dû vous punir ;
De m'avoir choisi pour Epouse >
Junon , ma propre soeur , querelleuse et jalouse.
L'Hymen tremble à ces mots altiers ;
L'Amour par un souris, en témoigne sa joye ,
Aux dépens de l'Hymen , l'Amour rit volon
tiers .
Eh-bien ! vous le il faut
voyez ,
l'on
que pourvoye
,
Dit le Dieu de Cythere , aux maux que vous
causez ,
Mon Frere , tant d'Epoux que vous tyrannisez
D'un regret éternel ne seroient point la proye,
Si nous n'étions pas divisez.
Pour rendre heureux les coeurs , je vous ouvre
une voye ,
C'est de souffrir, qu'à l'avenir .
Je vous livre tous ceux que vous devrez unir.
Aux conseils de l'Amour , qui cherche à le
séduire
L'Hymen étoit prêt à souscrire ,
Quand Minerve élevant sa voix ,
´Arrêtez , lui dit - elle , est-ce ainsi qu'on oublie
Que croire l'Amour seul , c'est croire la Folie ?
Des Sujets que sans aucun choix ,
L'Hymen par Cupidon , voit ranger sous ses
loix &
L'aveugle
MARS. 1732 . 455
L'aveugle passion est à peine assouvie ,
Que tout leur feu s'éteint , que le dégoût s'en,
suit:
L'Epouse à son réveil funeste ,
Voit que le tendre Amant s'enfuit ,
Et que l'Epoux fâcheux lui reste.
De vos Fêtes , Hymen , ce n'est pas qu'à mon
tour ,
Je prétende bannir le Dieu de la tendresse ,
Non ; mais n'invitez pas l'Amour sans la Sa
gesse ,
Ni la Sagesse sans l'Amour,
Jupiter applaudit à la sage Déesse ,
Minerve , Hymen , Amour , que votre haine
cesse ,
Et tous trois à mes yeux courez vous embrasser ;
Je veux , dit - il , je veux que dès cette journée ,
Pallas marque à l'Amour les Coeurs qu'il faut
blesser
Pour les assujettir aux loix de l'Hymenée.
J'ai déja fait un choix , reprend soudain Pallas ;
Et l'Amour et PHymen n'ont qu'à suivre mes
pas
De la voûte étoilée , on voit ces Dieux descendre
:
D'un yol léger ils vont se rendre
Chez
455 MERCURE DE FRANCE
Chez Ragny , qui croissant à l'ombre des Lauriers
,
Cueillis par ses Ayeux guerriers ,
S'exerçoit sans relâche
Gloire ,
→ aux Vertus que la
Grave éternellement au Temple de Mémoire.
Pallas d'un air plein de douceur ,
Lui tient , en l'abordant , ce langage flateur.
Mortel , chéri des Dieux , reconnoissez Minerve.
Je viens vous annoncer que le Ciel vous réserve
Pour faire bientôt le bonheur
D'une sage Beauté qui doit faire le vôtre ;
Les liens dont l'Hymen vous joindra l'un et
l'autre ,
Suivront l'offre de votre coeur .
Courez , allez trouver cette aimable Mortelle ,
Elle est digne de vous , comme vous digne
delle.
C'est la jeune Bragny , qui paroît ignorer
Tous les attraits divers qui la font adorer.
Je ne vous vante point son ancienne noblesse ,
Ce mérite étranger charme peu le Sagesse ;
Mais pour être assûré des vertus de Bragny,
Apprenez qu'elle sort du sang de Marigny.
Ragný párt à ces mots. Minerve sur ses tračės
Conduit l'Amour , l'Hymen , les Plaisirs et les
Graces ;
Il
MARS. 1732. 457
1 joint Bragny , lui parle , elle ose l'écouter ;
Son extrême délicatesse ,
Ne lui défend pas d'accepter
L'hommage d'un Mortel , guidé par la Sagesse.
De cet heureux instant , l'Amour sçait profiter ,
il prend son arc , il tire , et tous deux i les
blesse
De traits qui dans leurs coeurs ouverts à la
tendresse ,
Font naître des transports, jusqu'alors inconnus;
Et PHymen secondant l'ardeur qui les entraîne ,
Compose pour eux une chaîne
De la Ceinture de Vénus.
O vous , qui recevez en ce jour agréable,
De leur douce union un pur contentement
Trop heureux , Marigny , ne doutez nullement
Que leur félicité ne soit invariable ,
Puisque par la vertu d'un Hymen si charmant
Leur amour sera sage , et leur sagesse aimable.
Par M. CocQUARD , Avocat au
Parlement de Dijon.
es
les
ૐક
11
QUES
458. MERCURE DE FRANCE
QUESTION jugée au Parlement de
Paris , par Arrest du 21 Fevrier 17320
sur un appel comme d'abus de Mariage.
AIT. N. Daluimar , originaire de la
Paroisse de S. Martin de Nigel , Diocèse
de Chartres , épousa en 1718. la
Dlle Tauvay. Contrat de Mariage , du
mois de Mars. Acte de célébration de la
même année. Par le Contrat , signé de
quatre témoins, il s'est dit demeurant ruë
de la Calende , Paroisse de S. Germain le
Vieux. Le Mariage a été célébré à S. Benoît
, Paroisse de la fille , après une publication
de Bancs faite à S. Benoît, et une
autre , en la Paroisse de S. Germain le
Vieux. On a prétendu au contraire , que
Daluimar étoit domicilié sur la Paroisse
de S. Martin de Nigel , au Païs Chartrain ,
lors de son Mariage , et que dès qu'il ne
paroissoit point de consentement du
Curé de cette Paroisse , le Mariage étoit
abusif.
M. Joli de Fleury , Avocat General ,
portant la parole en cette cause , a distingué
deux objets : la question de Droit er
la question de Fait. ·
Suc
MARS. 1732 459
a
u
de
1
Sur la question de Droit , il dit qu'il
étoit inutile de remonter aux Loix faites
par les Papes , et aux Capitulaires de nos
Rois ; que nous avions là - dessus une Loy
nouvelle , qui étoit l'Ordonnance de 1639 .
Cette Ordonnance veut que l'on fasse une
publication de Bans dans les deux Paroisses
des Contractans Elle veut de plus que
l'Acte de Célébration soit signé de quatre
témoins. Le motif de cette Loy est d'obla
vier à la Clandestinité des Mariages. Elle
veut que les personnes qui ont interêt de
ue s'opposer à un Mariage , ayent un Ministre
sur qui ils se puissent reposer. Si on
ne demande que la présence d'un Curé ,
les Contractans ne manqueront pas d'éviter
le Curé qui pourroit les traverser .
Le même esprit regne dans l'Edit de 1697 .
Cet Edit requiert dans les Mariages le con-
oisse sentement du Curé des Parties qui conrain,
tractent ; il nedit pas le consentement du
il ne Curé de l'une des Parties , mais des Part
duties ; par consequent il faut le consenteétoit
ment des deux Curez.
le
Bepu
une
le
que
conti
Quand nous parlons de ce concours de
neral, Curez , nous ne demandons pas ,
distin- nua-t-il , la présence des deux Curez
roit et mais seulement le consentement des deux.
Ce consentement se peut constater de
Sur trois manieres. On peut prendre un Acte
C du
460 MERCURE DE FRANCE,
du Curé, portant son consentement , premiere
voie. Secondement , on peut demander
la permission à l'Evêque , qui
tiendroit lieu du consentement du Curé,
Enfin ce concours est encore suffisamment
marqué par la publication des
Bancs dans les deux Paroisses,
Une troisiéme Loy , qui peut nous ser
vir de regle , c'est l'Arrêt de 1697. par lequel
on jugea le concours des deux Curez
necessaire. Il est vrai que l'on s'est depuis
écarté de l'Edit , dans l'Arrêt de 1707,
parceque dans ce temps-là on n'avoit plus
les motifs de l'Edit si présens,
Après avoir établi la nécessité du concours
, il en faut revenir à la question de
Fait , peut- être celle- cy se décidera-t-elle
indépendamment de la question de Droit,
Deux Actes authentiques attestent le
domicile de Dalvimar sur la Paroisse de
S. Germain le Vieux , un Contrat de Mariage
de 1718.et un Acte de celebration de
la même année. Il est constant qu'il faut
donner la provision à ces Actes , si l'on
ne rapporte pas la preuve du contraire .
Il est vrai aussi que si on les combat
par des piéces de quelque consideration ,
ces Actes pourroient fort- bien ne se pas
soûtenir ; mais d'autre côté , jusqu'à ce
qu'il en paroisse les Actes subsistent dans
Leur
M.ARS. 1732. 461
de
de
ut
OD
Dat
pas
an
leur entier et dans toute leur faveur. On
pourroit dire que ces Actes sont bien plus
propres à prouver le domicile present
que le domicile antérieur ; du moins le
font - ils présumer
, et on doit s'en reposer
sur la foy de ces Actes , jusqu'à ce
qu'ils soient renyersez. Il est à observer.
que l'Acte de célébration
est signé de
quatre témoins.
A ces deux Actes qu'oppose - t-on ? Un
Bail, passé hors de Paris en 1727. un Acte .
passé entre les habitans ; un Extrait des
Rôles des Tailles , par lequel il paroît que
Dalvimar a payé la Taille depuis 1716.
jusqu'en 1727.
-Le Bail ne peut être d'aucune considération
, il a été passé dans un temps
posterieur de plusieurs années au Mariages
on ne doit pas avoir plus d'égard à .
l'Acte passé pardevant Notaires , par
le
quel plusieurs habitans déposent du domicile
de Dalvimar à Nigel. Cet Acte
ne peut tenir lieu que d'une preuve testimoniale.
Quant à l'Extrait du Rôle des
Tailles , il semble d'abord qu'on en pourroit
conclure que Dalvimar ne demeuroit
point à Paris en 1718. puisqu'il a payé la
Taille depuis 1716 jusqu'en 1727. Cette
continuité de payement semble supposer
une continuité de domicile , mais cepen
Cij dant
462 MERCURE DE FRANCE
dant elle ne prouve pas absolument le
domicile ; on est encore sujet au Rôle des
Tailles pendant dix ans , malgré la translation
de domicile . Dalvimar peut avoir
eu son domicile à Paris en 1718. et cependant
avoir payé la Taille : il pouvoit être
encore dans les dix ans de sa translation
de domicile.
Mais , dira-t - on , il ne rapporte point
d'autres Actes pour constater son domicile
, que le Contrat et l'Acte de célébration
de son Mariage , point de quittance
de Capitation . Ce défaut d'Acte est tout
au plus une preuve négative. D'ailleurs
il se peut faire qu'il n'ait été inquiété ni ;
pour la taxe des Pauvres , ni pour la Cam
pitation,
Par ces considérations M. l'Avocat Ge
neral de Fleury a conclu , à ce que sans
avoir égard à la Requête de la Partie de
M Paillet des Brunieres ( Avocat de l'appellant
) faisant droit sur l'appel comme
d'abus , il fut dit qu'il n'y avoit abus.
Les Conclusions ont été suivies ; cependant
M. le Premier Président est retourné
aux voix , et a dit que la Cour s'étoit
déterminée par le point de Fait ; qu'il étoit
chargé d'avertir le Barreau que quand la
question se présenteroit dans le Droit
elle jugeroit pour la nécessité du con..
Cours
1
.
MARS. 173.23 463
cours des deux Curez. M. Sarrazin plaidoit
pour la validité du Mariage.
REMERCIMENT
Qu
A MADAME D ...
Uand à Marot Dame bonne et gentille
Par bons repas donnoit allegement ,
Pour elle alors Marot de sa Mandille
Tiroit en Vers gentil Remerciment ,
Vers dont un pied valoit une pistole ,
Vers , comme on dit faits tous au petit point
Moi qui ne fus jamais à son école ,
Ne puis donner Vers marquez à son coin ;
Car pour tel cas faudroit avoir sa plume 5
Et tel qui veut sans elle l'imiter ,
S'agite en vain , puis se fâche et s'enthume ,
Mal dangereux. Ce fut pour l'éviter ,
Que m'enhardis à faire un coup de tête.
Voulant avoir pour vous gentil propos ,
Droit à Marot j'offris humble Requête ,
Qui seul en fit digne de votre los.
Affectant donc air de condoleance ,
Pour que sa plume il daignât me prêter ,.
Je lui tirai très-bas ma réverence ,
Mais d'un seul mot il sçût bien m'arrêter ;
Ciij Scachez
464 MERCURE DE FRANCE
Sçachez qu'un jour la Parque meurtriere .
Lorsqu'à rimer je prénois mes ébats ,
Lorgnant son coup pour m'étendre en la biere ,
Du même coup mit ma plume en éclats.
Or avec moi périt beau badinage , G
Bien que depuis on ait vû maints Marmots
A qui mieux mieux, affecter mon langage ,
En excroquant quelqu'un de mes vieux mots.
Très bien le sçais ; mais souffre qu'on s'explique.
Sire Marot : si mon dit te déplaît , -
Toujours pourras au bas de ma supplique
Mettre un néant , dissiper mes projets.
Si donc ne puis avoir ta plume ancienne ,
Encor est-il remede à ce malheur ;
Ne peux -tu pas du moins tailler la mienne ?
Je sçaurai bien m'en faire ensuite honneur.
Ah ! pour si peu ne te veux éconduire ,
Me dit Marot , d'un visage serein ,
'Ainsi soit fait, si beaux Vers veux déduire.
Il me la taille et me la met en main .
S'il m'eût offert les ducats de sa bourse ,
Je n'aurois pas trouvé mon sort si beau ,
Tant bien croyois qu'alloient couler de source ,
Ode , Sonnet , Madrigal , ou Rondeau.
Mais par malheur la plume étoit trop fine.
J'écris du dos , pardevant , de travers ,
Tout m'étoit un ; dont fis piteuse mine ,
Jamais ne pus mettre ensemble deux Vers.
Sur
MARS. 465 1732:
Sur quoi Marot me voyant si mal faire ,
Dit les gros mots , se mit en grand esmoy :
Quitte , dit-il , ces armes , pauvre hére ,
Si tu ne peux t'en servir comme moi ;
A tes amis fais compliment en Prose ,
Sans faire Vers tu peux parler raison :
Car sur les tiens je crains fort qu'on ne glose ,
Crois-moi , l'avis est pour toi de saison.
Je conviendrai que j'aurois de m'y rendre,
Et qu'en tel cas m'eût été plus prudent ,
Si sans rimer vous eusse fait entendre ,
Comment m'avint tant piteux accident ;
Mais peu m'en chaut qu'on dise avec justice
Que ne suis pas bon Versificateur ;
Pour vous , croyez si m'êtes plus propice ,
Que mon esprit est duppe de mon coeur.
ENVO r.
Si vous mesurez ces miens Carmes ;
Avec l'Equerre d'Apollon ,
Iceux seront sans valuë et sans charmes
Et n'y trouverez rien de bon .
Mais prenez une autre balance ,
Vous en connoîtrez la valeur ,
Pour Mere ils ont tendre reconnoissance ,
Et leur Papa s'appelle Coeur .
C iiij LET
466 MERCURE DE FRANCE
REPONSE à la Lettre écrite de Soissons,
sur Saint Front , inserée dans le Mercure
d'Avril 1731 .
MESSI
ESSIEURS ,
Le zele de la Personne qui demande
'des Mémoires sur S. Front , est très louable
; il est juste de le seconder. Il paroît
qu'elle seroit fâchée qu'on lui en envoyât
de faux , ou qu'on s'expliquât d'une maniere
qui ne décidât rien . Cependant
il sera difficile de découvrir la verité
dans une chose si incertaine et si enveloppée
d'obscuritez. Je ne me flatte pas
de l'enrichir beaucoup ; mais au moins
L'exposition que je ferai de ma disette ,
pourra contribuer à éclaircir un jour ce
qui paroît couvert de tant de nuages ,
si dès-à - present on n'a pas de quoi les
dissiper. Les hommes , comme dit M.Baillet
, à l'occasion de S. Front de Perigueux,
peuvent bien tirer la verité des tenebres,
mais il n'est pas en leur pouvoir de la
créer. Ainsi il ne faut pas que le Curieux
de Soissons s'attende à la production d'une
Légende bien circonstanciée . C'est
beaucoup
MARS. 1732. 467
beaucoup qu'on puisse lui indiquer l'état
de son Saint , et le Siecle auquel il
a vécu .
Je ne puis deviner la raison qu'a eû
cette Personne , dont vous avez imprimé
la Lettre dans le Mercure d'Avril , de
prendre Neuilly - Saint - Front pour un
Village. C'est veritablement une petite
Ville ; et celle de Soissons n'en étant éloignée
que de six lieuës , je ne trouve pas
que son ignorance soit pardonnable , ni
qu'elle rende suffisamment justice à ce lieu,
en le qualifiant de Village assez conside
rable . Ne seroit- ce point à l'imitation de
ce Bourguignon , qui n'ayant jamais été à
Avallon , prenoit cette Ville pour une
Bicoque , tandis qu'il y a bien des Villes
Episcopales en France qui n'en approchent
pas Je ne fais cette remarque en
passant , que parce que c'est dans un Livre
imprimé dans le siecle présent , que
la Ville d'Avallon a été ainsi maltraitée.
Le mot de Bicoque , étoit appliqué fort
injurieusement.
Comme c'est ce Neuilly Soissonnois
qui a donné occasion à la Lettre qu'on
vous a écrite , je croi qu'il n'y a pas de
mal de commencer par le venger et d'en
tracer d'abord une legere idée . Ce Neuilly
est situé dans un fond qui est cependant
C v
ly
assez
468 MERCURE DE FRANCE
1
3.
+
assez découvert , sur tout du côté du
Couchant , et dont la vûë se termine vers
le Midy , à un petit Côteau , au haut duquel
est l'ancienne Eglise de l'Hôpital. II
est composé de deux Paroisses ; sçavoir ,
Saint Front , qui est une Eglise dont la
partie Orientale est d'une structure du
treiziéme siecle ou un peu plus , le reste
étant plus nouveau et d'Architecture
seulement erriciastique. Elle est renfermée
dans le Château et elle s'y trou
ve seule avec un ou deux bâtimens.
Ce Château est dans le goût de ces Forteresses
qu'on bâtissoit il y a six ou sept
cens ans. Il est de forme ronde , environné
de Fossez pleins d'eau et flanqué
de plusieurs grosses Tours à cinquante
l'une de l'autre . La seconde Paroisse pas
est S. Kemy, Eglise bâtie dans le Fauxbourg
du côté du Septentrion , mais d'une
antiquité au moins égale à ce qu'il y
a de plus ancien dans celle de S. Front .
Cette derniere Paroisse comprend dans
son territoire la partie Septentrionale de
la Ville. Les rues de ce lieu sont larges ,
propres , bien pavées , les maisons assezbien
rangées et peuplées de toute sorte
de Marchands et d'Artisans. le Château
qui est dans le plus bas de la Ville , est
Fenfermé entierement dans les murs qui
la
MARS. 469
. 1732.
1
la ferment
و
et. ces murs sont encore passablement
bons et élevez , à cause de la
commodité du grais qui n'est pas rare en
ces quartiers- là . Voilà d'abord ce que j'avois
à dire touchant ce Neuilly, pour prouver
que ce n'est pas un Village. Aussi
est- il qualifié de Ville dans le Dictionnaire
Universel de la France , qui y compte
1792. Habitans.
Les Ecclesiastiques de S. Front m'apprirent
lorsque j'y passai, que c'est le premier
Evêque de Perigueux , qu'ils regardent
comme leur Patron. On y débite
que ce Saint est l'Apôtre de Neuilly , éga
lement comme de Perigueux. Je ne sçai
même si l'on ne met pas Neüilly en premier
lieu , comme si ce Saint fût venu
y annoncer la Foy avant que d'aller à
Perigueux. On avoit dit la même chose
à M. l'Abbé Chastelain , Chanoine de l'Eglise
de Paris , lorsqu'il y passa l'an 1682.-
et ce Sçavant , sans approfondir alors cette
matiere , déclara assez ce qu'il en pensoit,
en marquant que ce Saint pouvoit n'être
venu à Neuilly que par quelqu'une de ses
Reliques. Le 25. Octobre jour du culte
de l'Apôtre du Périgord , étant la Fête
de Neuilly , cela confirme encore les
Habitans dans leur opinion ; mais il y a
plus , c'est que du côté Méridional de
C vj l'E470
MERCURE DE FRANCE
l'Eglise on montre un vitrage où l'on
apperçoit en peinture quelques traits de
la L gende de l'Evêque de Perigueux , le
reste ayant été détruit par l'injure des
tenips. J'y vis en effet la représentation
du Miracle de la Phiole , qu'on dit être
descendue du Ciel pendant que ce Saint
celebroit la Messe ; mais par malheur ce
Vitrage n'a tout au plus que deux cens
ans . On m'assura que cette Phiole étoit
autrefois conservée à Neuilly , et qu'elle
a été perduë ou cassée ; desorte que tout
ce qu'on y conserve aujourd'hui de ce
Saint consiste dans un article des doigts
à quoi on ajoûta qu'outre la Fête du 25.
Octobre, il y en a encore une autre qu'on
appelle la Tranflation , laquelle se celebre
le second Dimanche d'après Pâques.
Le nom de S. Front ayant été fameux
dans ce Pays - là , il n'est pas étonnant :
qu'on l'ait donné au Baptême à plusieurs
Enfans. On le trouve aussi dans les Registres
Baptistaires de la Paroisse du Fauxbourg
de Cône sur Loire , par la raison
que je vais rapporter .
Avant que de passer par Nülly , je
sçavois que dans le Diocèse d'Auxerre il
y a une très-ancienne Eglise sous l'invocation
d'un S. Front . Son Edifice est presqu'entierement
du onziéme siecle ; le Peuple
MARS. 1732. 471
ple de la Ville de Cône app lie communément
cette Eglise du nom de S. Aignan ,
et c'est l'erection d'un Prieuré dans la
même Eglise, qui a fait ce changement de'
dénomination . J'avois vû le Manuscrit
de cette Eglise , qui contient l'Office du
S. Patron. Il a deux cens ans ou environ
d'antiquité et il est ainsi désigné : En ce
Cayer est comprins la Legende et l'Office de
Chant de Monsieur S Front , dont les Reliques
de tout son digne Corps sont cyens ,
hors la haute partie de son Chef qui est en
Perigord , dont il fut premier Evêque envoyé
de Rome par Monsieur S. Pierre l'Apore
, premier Pape de Rome , et avec ledit
S. Front , ung Prêtre son Disciple nommé
Georges , lesquels cheminant l'espace de trois
jours , Georges déceda et fut ensepulturé par
ledit S. Front , lequel dolent s'en retourna ,
&c. Il est inutile de dire le reste , ni de
marquer que l'Office qui suit contient la
Legende rapportée dans le Mercure de ³
Juillet dernier , pages 1670. 71. et 72. et
qu'elle est rédigée dans un style qui ressent
tout à- fait la barbarie des anciens
Perigourdins. Ceci suffit pour faire voir
que les Villes de Cône et de Neuilly ont
fait venir du Perigord l'Office de saint
Front, croyant que leur Saint étoit ce
prétendu Disciple de J. C. Mais on ne
-
peut
472 MERCURE DE FRANCE
peut prouver que cette créance soit plus
ancienne que de deux ou trois siecles dans
ces deux Villes , et quand même elle seroit
plus ancienne , elle n'en seroit pas
pour cela plus veritable ; c'est pourquoi
j'espere qu'en démontrant qu'à Cône on
a été dans l'erreur lorsqu'on a crû que
le S. Front , ancien Patron de l'Eglise du
Fauxbourg , est l'Evêque de Perigueux , je
pourrai inspirer quelque doute sur le
même article aux Habitans de Neuilly ,
qui sont bien plus éloignez de la Ville
de Perigueux , que ne le sont les Habi
tans de Cône.
Il est constant que l'on conserve à Cô
ne , dans l'Eglise en question , presque
tous les Ossemens qui composent un
corps humain , et qu'ils y sont regardez
comme formant le Corps d'un S. Front ,
suivant l'Inscription du Livre dont je
viens de parler. Je parle sur ce ton pour
avoir vû ces saintes Reliques et pour être
assuré qu'en l'an 1622. François de Donadieu
Evêque d'Auxerre , les visita
dans leur ancienne Châsse , et les appronva
; je suis même certain qu'il y a quel
ques portions de la tête . Or c'est une
chose très- clairement prouvée dans l'Histoire
des Evêques de Perigueux , publiée
par Jean du Puy en 1629. que le Corps
.
entier
MARS. 1732. 473
*
entier et le Chef de S. Front , premier
Evêque de Perigueux , furent conservez
à Perigueux même jusqu'à- ce que les
Calvinistes ayant porté la Châsse à un
Château voisin de la Dordogne , les jetterent
dans la Riviere l'an 1575. Done
le Corps presque entier , conservé à Cô
ne , n'est nullement celui de S. Front de
Perigueux. Je suis persuadé par l'ardeur
que les Perigourdins témoignent et qu'ils
ont toujours témoignée depuis les siecles
d'ignorance à perpetuer dans la pureté
de son Original la prétendue Vie de
S. Front , qu'à plus forte raison ils ont
toûjours dû montrer un zele bien plus
ardent pour ne pas souffrir qu'on fit des
distractions si notables du Corps de
leur S.Apôtre , et qu'on emportât ailleurs
la partie inferieure de la tête avec les
dents , le femur , le tibia , les os ischion
illion , les vertebres , les côtes , les phalanges,
rotules de genou , calcaneum , &c.
و
Puis donc qu'on est encore en état de
montrer tous ces Ossemens à Cône , et
que M. l'Evêque d'Auxerre déclara en
1622. que l'étoffe qui les renferme contenoit
cette Inscription , De sancto Fron-
Voyez le second Tome de son Livre, intitulé
l'Etat de l'Eglise du Perigord , aux pages 91. 139%
151. et 203. suivant l'Edition de l'an 1716.
tone
474 MERCURE DE FRANCE
tone , c'est une marque certaine que les
deux Corps sont differens ; à moins qu'on
ne dise que quelqu'un auroit pris en 1575
dans la Riviere de Dordogne les Ossemens
de S. Front , et les auroit portez à
Cône. Mais c'est ce qui ne peut être ;
premierement , parce qu'il est impossible.
de réunir en un seul endroit d'une eau
courante tant d'Ossemens , même très - pe
tits , et que d'ailleurs il seroit bien difficile
de les prendre secretement ; secondement
, parce que l'étoffe qui enveloppe
les Ossemens de S Front de Cône est
plus ancienne que les guerres des Calvinistes
; il y en a même qui est d'un travail
de cinq ou six cens ans. Outre cela,
la Tradition touchant la presence du,
Corps de S. Front à Cône , est bien anterieure
aux guerres des Calvinistes , ce
qui se prouve par le titre qui se lit à la
tête de son ancien Office , dont j'ai rap "
porté cy-dessus le commencement.
Etant donc suffisamment prouvé qu'à
Cône sur Loire , on a été dans l'illusion
depuis quelques siecles , en prenant les
Reliques qu'on y possede pour celles de
S. Front de Perigueux , et en chantant en
son honneur un Office entierement tiré
de la Legende fabuleuse du Périgord et
le chantant le 25. Octobre , jour auquel
on
MAR S. 1732.
475
on honore à Perigueux l'Apôtre de la
Ville ; c'est un exemple qui doit faire
beaucoup appréhender qu'il n'en soit demême
de la Tradition de Neuilly , où
l'on prend pareillement l'Evêque de Perigueux
pour Patron , comme s'il n'avoit
jamais existé qu'un S. Front , et que tout
dût retourner à l'augmentation du culte
de celui de Perigord.
Je suis en état d'en indiquer un autre
aux Habitans de Neuilly ; mais je prévois
qu'étant accoutumez à entendre raconter
par des Prédicateurs trop crédulés , toutes
les fictions de la Legende si judicieu
sement rejettée de nos jours , ils au
ront de la peine à revenir de leurs
préjugez. Souvent le desir d'avoir un
Panégyrique propre pour un S. Patron ,
et d'en chanter un Office plenier , fait
qu'on donne , tête baissée , dans quantité
de fables qui fournissent une ample matiere
aux Orateurs et aux Poëtes. J'avoie
qu'il n'est pas impossible qu'on ait eu à
Neully quelques Reliques d'un S. Front ,
mais il est plus vrai- semblable qu'on l'au
ra obtenue de l'Eglise de son nom à Cô
ne , que de celle de Perigueux . Quelques.
Connoisseurs en anciennes Forteresses
croyent que le Château de Cône et celui
de Neuilly , sont du même temps , comme
476 MERCURE DE FRANCE
me étant également construits en forme
ronde dans un lieu aquatique , et flanquez
de plusieurs Tours rondes ; de sorte
qu'ils nous fournissent par là matiere à
conjecturer qu'un certain Hugues , Seigneur
dans le Pays du Maine , qui se rendit
maître du Château de Cône au XII.
siecle , pourroit bien avoir aussi possedé
celui de Neuilly et avoir tiré de l'Eglise
de Cône de quoi faire un présent à celle
de cet autre Château . On sçait que les
anciens Seigneurs aimoient à enrichir
leurs Terres de ces précieux restes , qu'ils
regardoient , avec raison , comme des
trésors inestimables . Jean , Moine de Marmoutier
, Auteur contemporain , parle
de ce Hugues le Manceau , et l'appelle
Hugo Cenomannicus. Comme donc il avoit
des Terres dans le Maine, et qu'il y a eu un
S. Front Solitaire en ces Pays -là , il semble
qu'on pourroit avoir des vûës sur ce
Saint ; ou bien , s'il est faux que ce soit
dans le Diocèse du Mans que soit mort
un S. Hermite du nom de Front , et qu'il
soit decedé plutôt proche Cône sur Loire,
comme Nithard le laisse à penser en appellant
ce lieu Sanctus- Fludnaldus , dès le
neuvième siècle , il résultera de- là que
c'est le transport d'une partie de ses Re-
Liques fait au Diocèse du Mans , qui y
aura
MARS.
17328 477
Y
aura établi son culte , et qui aura fait
croire qu'il y avoit vécu en Solitaire comme
tant d'autres.
Quoiqu'il en soit , la Tradition étoit
autrefois à Orleans , que ses Reliques y
avoient passé , et on en celebroit encore
la memoire il n'y a pas plus de cent ans
dans l'Eglise de S. Benoît du Retour , où
il étoit représenté en habit de Religieux.
Ce que Symphorien Guyon , dans son
Histoire d'Orleans, ( a ) et Corvaisier , dans
celle des Evêques du Mans , ( b ) écrivent
sur un S. Gaud et un S. Frond , son Compagnon
, qui au sortir du Monastere de
S. Memin proche Orleans , embrasserent
la vie Eremitique , est très - probable ,
mais leurs noms ne sont ni Gallus ni
Fronto. L'un avoit nom Godoaldus , -èt
l'autre Fludualdus . Le culte du premier
appellé Gaud , a éclaté à Yevre , sur les
confins des Diocèses d'Orleans et de Sens,
et il est marqué dans tous les anciens Calendriers
et Martyrologes de Sens au 6 .
Juin sous le nom de Godoaldus Confessor.
Celui du second a été celebre à Cône
plus qu'il n'est aujourd'hui ; on y voit
par d'anciens Manuscrits en Langue vulgaire
, que son nom étoit écrit , non pas
Front , mais Frond , ce qui dénote un ori-
( a) Page 466. (b) Page 140
gine
478 MERCURE DE FRANCE
gine venant de Fludualdus , dont la premiere
syllabe souffroit dans notre Langue
le même changement qu'on a fait
ailleurs de Flocellus en Froncean.
Les deux Ecrivains que je viens de
nommer , quoique vivans avant que la
Critique fut au point qu'elle est de nos
jours , n'ont pas laissé de blâmer ceux
qui prenoient ce S. Frond Solitaire pour
l'Evêque de Perigueux , et ils ont soutenu
qu'ils étoient fort differens. Guyon
assure que le Solitaire vivoit au sixième
siecle . Corvaisier ne craint pas de dire que
le Voyage et les Avantures de S. Front de
Perigueux sont plus fabuleuses que vraisemblables
, et il se plaint après M. du
Bosquet , de l'ignorance ou de la negligence
des anciens Ecrivains , qui sans faire distinction
des temps , confondent en une seule
Vie toutes les diverses actions de ceux qui
portoient un semblable nom . Il auroit pú
ajoûter que de -là est venue la méprise
par laquelle ceux qui avoient intention
d'honorer S. Front le Solitaire ou simple
Confesseur , lui ont choisi le 25. Octobre
jour de la Mort de S. Front , Evêque
de Perigueux. C'est ce qui est arrivé ,
non seulement à Cône sur Loire , mais
encore au Diocèse du Mans , où ce saint
Hermite est l'un des Patrons de la Ville
et
MARS . 1732 .
479
et du voisinage de Dom - Front en basse
Normandie , qui en a pris le nom , au
lieu de celui que cette Ville portoit auparavant
, lequel paroîtroit aujourd'hui
ridicule , au moins en Latin. Je sçai encore
qu'au Diocèse d'Amiens , dans le
voisinage de Roye , il y a un Village appellé
Dom-Front , où l'on voit un Chef
de bois doré , qui contient des Reliques ,
auxquelles il y avoit concours le 25. Octobre
, et cependant le Saint n'est représenté
que comme Prêtre , et non comme
Evêque. Que sçais - je si on n'est pas dans
la même erreur à Suzemont au Diocèse
de Toul , où un S. Front est pareillement
Patron , suivant le Pouillé du Pere Benoit
?
+ La question seroit à present de démê
ler dans la Vie de l'Evêque de Perigueux,
ce qui a été emprunté des Actions du
S. Solitaire , dont le nom vulgaire se
trouve aujourd'hui limé de maniere à n'être
pas
pas different pour la prononciation ;
car il se peut faire enrore qu'on ait appliqué
à notre Fludualdus , des actions de
S. Fronton de Nitrie ou d'Egypte. Je ne
me flatte donc pas d'apprendre à notre
Curieux du Pays Soissonnois , de quoi
faire une longue Legende de son Saint.
Ce n'est pas là ce qu'il demande , mais
seu
480 MERCURE DE FRANCE
seulement qu'on lui donne quelque chose
de moins décrié que ce qu'on a debité de
S. Front de Perigueux . Je suis fâché de
lui laisser ignorer les actions de notre
S. Confesseur ; mais si le Saint a été véritablement
Solitaire , il n'est pas surprenant
que sa vie ait été inconnue , et que
ce ne soient que les Miracles d'après sa
mort qui l'ayent rendu celebre , sans que
les Fideles ayent fait grande attention au
jour de son décès. Je croirois que la Fête
de S. Frond de Cône auroit été autrefois
celebrée au mois d'Avril , le jour que
les Martyrologes marquent S. Fronton de
Nitrie , et que c'est encore en memoire
de ce culte que l'usage a resté d'honorer
S. Frond à Neuilly , l'un des Dimanches
d'après Pâques. Mais je n'ose encore rien
prononcer d'assuré là-dessus.
Ce que je puis ajoûter à cette Lettre
pour vous marquer que j'ai fait usage des
Livres du Perigord que vous m'avez envoyez
, est que plus je lis ces nouveaux
Auteurs Perigourdins , tel qu'est le Livre
du Pere du Ray , Récolet , et la Dissertation
de M. de la Serre , cy-devant
Superieur du Seminaire de Perigueux , imprimée
en 1728. plus je suis surpris de
leur attachement scrupuleux à des Histoires
qui furent rejettées comme fausses
des
MARS. 1732.
481
ès l'onziéme siecle , et dont ils ne trou
veront des deffenseurs que parmi ceux à
qui on apprend dès la jeunesse à faire des
especes d'Actes de Foi sur la Tradition
de la Mission de S. Front par S. Pierre .
N'est-ce pas en effet vouloir renfermer
cette créance dans les limites du Diocèse
de Perigueux , que d'exiger qu'on regarde
l'Eglise Chrétienne de Perigueux comme
la plus ancienne des Gaules , et qu'on
croye que les Perigourdins ont été les
premiers appellez à la Foy avant les Habitans
de Marseille , de Lyon , de Vienne
&c? C'est ce que signifie clairement cette
exclamation qui termine un abregé de la
Vie de S. Front , imprimé à Perigueux
L'an 1728. en forme de Meditation : Quel
sujet n'avons- nous point de louer Dien !
Quelle reconnoissance ne devons-nous point
à son adorable Providence , de nous avoir
appellé les premiers à la Foy , et de nous
avoir donné un des Disciples de son Fils
N. S. J. C. pour établir dans ce lieu une
des premieres Eglises Chrétiennes ! La critique
peut bien former contre nous toutes les
objections qu'elle voudra ; mais elle ne sera
pas capable de nous faire, abandonner notre
Tradition. La gloire que nous avons d'avoir
été les premiers appellez à la Religion
Chrétienne est trop grande pour ne la pas
conserver
482 MERCURE DE FRANCE
conserver très- cherement , et il faut esperer
que notre Saint conservera par sa protec- "
tion auprès de Dieu , l'Eglise qu'il a formée
avec tant de travaux. Quelle seroit notre
ingratitude , ô mon Dieu , si nous étions capables
d'oublier la preference que vous nous
avez donnée sur tant d'autres Provinces qui
paroissent plus considerables ! Mais quelle
seroit notre lâcheté , si nous abandonnions
une Tradition si honorable et reconnuë
par
tous les Martyrologes anciens et nouveaux !
Il est fâcheux qu'on n'ait pas inspiré
il y a trente-cinq ans au Clergé de Paris
de pareilles résolutions pour empêcher
qu'on n'abandonnât l'opinion de l'Aréopagisme
du premier Evêque de cette Ville.
Je doute fort que le sçavant Pere Sirmond
, Jesuite , eût pû tenir son sérieux,
s'il avoit vû une matiere de cette nature
mise en style de Méditation sur l'article
de S. Denis de Paris , et en apostrophant
la divine Majesté et la souveraine Verité ,
lui citer les Martyrologes avec les Aréopagitiques
d'Hilduin . Čar enfin ( n'en déplaise
à l'Auteur Perigourdin ) il falloit
donc en parlant à celui qui connoît
tout , faire exception du plus ancien des
Martyrologes , qui est celui qu'on appelle
de S. Jerôme , et n'y pas compren
dre les deux plus nouveaux , qui sont
و
celui
MARS. 1732 483
celui de l'illustre M. Chastelain , imprimé
en 1709. et celui de l'Eglise de Paris ,
publié en 1727. Outre que les deux
crochets marquez par M. Chastelain , pour
exclure du Texte du Martyrologe de Baronius
, la Mission de S. Front par Saint
Pierre , signifient qu'il n'y ajoûtoit aucune
créance , je vous ferai encore part
de cet Anecdote en finissant. Cet excellent
Connoisseur avoit vû bien des milliers
de Legendes de Saints , il en avoit
trouvé de fausses , de douteuses , de falsifiées
; mais il a écrit de sa propre main
à la marge d'un exemplaire du Martyrologe
Romain au 25. Octobre , que les
Actes de S. Front , Evêque de Perigueux,
sont de tous ceux qu'il a jamais vûs
les plus mal - adroitement inventez , puisqu'on
y met un Duc de Lorraine du
temps de Neron. S'il avoue dans son
premier Bimestre imprimé , que Bollandus
croyoit S. Front du premier siecle; (a )
il ajoûte aussi - tôt que ce Jesuite n'avoit
pas encore démêlé les anciennes Traditions
d'avec celle des moyens siecles.
comme ont excellemment fait depuis luí
Henschenius , Papebroc , Janning , et
Cardon , ses Associez ou ses Successeurs.
Ce sçavant Chanoine a' encore laissé par
(2) Au 2. Janvier , page 43.
D écrit
484 MERCURE DE FRANCE
écrit un trait tout singulier qui revient
à S. Front de Perigueux . C'est en parlant
de S. Fronton de Nitrie , qui mourut
sous l'Empereur Gratien , Il marque qu'un
Auteur appellé Lezana , en fait un Carme
ce que font aussi Coria et d'autres de cet
Ordre ; que l'un de ces Ecrivains assure
sérieusement que ce S. Fronton a été Disciple
de S. Jean - Baptiste, et troisiéme General
des Carmes ; et qu'après avoir bâti
la premiere de toutes les Eglises de la Vierge,
il a été fait Evêque de Perigueux , puis
est allé demeurer au Desert de Nitrie , et
est mort âgé de cent trente et un an , l'an
de Notre- Seigneur 153. S'il y avoit des
Carmes à Perigueux , ils prendroient sans
doute part à ce petit trait d'Histoire, qui
paroît les affilier en quelque sorte au
•Clergé de ce Diocèse . Mais en voilà assez
sur cette matiere , et peut- être plus que le
Curieux de Soissons n'en demande. Je
suis , &c.
Ce 12. Decembre 1731 .
LE
MARS. 1732.
485
LE SEREIN ET LA LINOTE,
FABLE.
UN Sereim , jeune , beau , chantoit dans un
bocage ;
Les Rossignols étoient jaloux
De la douceur de son ramage.
Malgré leur dépit et leur rage ,
Pour l'entendre , ils se taisoient tous.
Il apperçut une Linote ,
Dont l'air étoit vif, tendre et doux ;'
Dans ce Bois , lui dit-il , belle , que faites
vous ?
Je ne fais rien ; si je sçavois la notte
Que je chanterois tendrement !
Lui répondit , en soûpirant , la belle ,
Avec un désir si charmant ,
Repliqua le Serein , brúlant d'amour pour elle
Que vous apprendrez promptement !
Sij'osois vous prier que sous ce verd feüillage
Je vous donnasse des leçons ,
8
Bientôt vous charmeriez par vos tendres
chansons
Tous les Oiseaux du voisinage ,
Ah ! dit -elle , d'un ton flateur ,
Sera-ce assez de ma reconnoissance
Dij
Pour
486 MERCURE DE FRANCE
Pour vous payer d'une telle faveur
C'est-là , je crois , la récompense
Que vous devez attendre de mon coeur.
Le Serein généreux et tendre ,
Par ses soupirs lui fit comprendre ,
Qu'il souhaittoit lui plaire seulement ;
Qu'il ne vouloit d'autre païment
Que le doux plaisir de l'entendre
Chanter mélodieusement.
L'accord fut fait dans le moment.
En peu de temps elle scut la Musique ,
L'Amour est un Maître charmant ;
Quand à montrer , ce Dieu s'applique,
Que l'on apprend facilement !
D'abord que le Serein vit l'aimable Linotte
Se servir avec sentiment
Des charmes touchans de la notte ,
Vous chantez aussi- bien que moi ,
Lui dit-il , recevez ma foy ,
C'est le prix que je veux , d'avoir scû vous inse
truire ;
La Linotte se prit à rire.
Cet aveu , lui dit- elle , est tout-à - fait nouveau ¿
Je vous croyois plus de cerveau ;
Grand mercy de votre Musique.
Adicu. Mon tendre coeur s'explique
En faveur d'un jeune Moineau,
Aux Champs , dans les Cours , dans les
Villes
Tandis
MARS. 11327
487
Tandis que nous sommes utiles ,
Nous sommes toujours bien reçus ,
Mais d'abord que notre présence ,
Semble exiger de la reconnoissance ,
On nous fuir , nous ne plaisons plus
M. L'AFFICHARD.
LETTRE de M. L. B. écrite à M***, au
sujet de l'Ordonnance de Bacchus , inseréc
dans le Mercure de Septembre 1731 .
I
L en faut convenir , Monsieur '; l'Or
d'Auxerre
est tout-à- fait plaisante ; pour moi je l'ar
fort goûtée. Cette Piece, quoiqu'en récri
mination de la Lettre du mois de Janvier
1731 , publiée dans le Mercure de Février
suivant , ne laisse pas de donner un'
petit coup aux Vins de Joigny, et de faire'
en même-temps un parfait éloge de ceux
d'Auxerre. Il faut croire que Bacchus étoit
en débauche le soir qu'il fit cette Piece .
Quoiqu'il en soit , ce Dieu s'est visiblement
laissé surprendre , et je crois que
vous en conviendrez .
J'ai sollicité mon ami qui a écrit la'
Lettre du mois de Février dernier de pré
senter une Requête civile à cette Divinité ,
Diij ten
88 MERCURE DE FRANCE
tendante à faire connoître qu'on a abusé
de sa complaisance et de sa situation , et à
ce qu'il lui plût , par les raisons déduires
en la Requête , d'annuler ladite Or
donnance ; ce faisant , déclarer les Vins
d'Auxerre au moins égaux à ceux de Joigny
, & c.
Cet ami m'a fait réponse , que si l'Université
où veulent , envoyer M' d'Auxerre
, est l'Areopage de Bacchus , il n'y
sera jamais qu'un Ecolier , en comparaison
d'eux. Cecy me paroît clair , et dit
sans allusion , d'une Ecole à l'autre . Je
crois , au reste , 'que vous seriez bien-aise
d'avoir le défaut qu'on reproche dans
l'Ordonnance , à l'Auteur de cette Lettre
de Février 1731. et que vous ne seriez
pas fâché de n'avoir , comme lui , que
27 ans , quand même vous devriez perdre
une partie des connoissances que vous
vous avez acquises avec les années supérieures
à cet âge.
Permettez -moi donc de répondre ici
quelque chose pour lui . Je ne m'amuserai
pas à éplucher scrupuleusement cette
Ordonnance ; il me suffira de soûtenir
ainsi qu'on l'a déja fait voir , que le terrain
des côtes de Joigny est propre par
excellence pour la Vigne. Le public en
>
auroit
MARS. 1732 . 489
auroit mieux jugé, et aussi favorablement
que de celui d'Auxerre , si l'Ordonnance
de Bacchus eut rapporté les témoignages
assurez de ceux qui se sont particulierement
appliquez à connoître le sol propre
à la Vigne,comme sont les Auteurs , dont
s'est servi mon ami dans sa Lettre déja
citée. Peut -on ne pas être frappé de celui
de Virgile ; et après lui , de ce qu'en a
écrit récemment le fameux P. Vaniere ?
On auroit souhaitté une réponse exacte
sur les citations de ces célébres Auteurs ,
au lieu des propos vagues qui sont enchassez
dans l'Ordonnance Bacchique, sur
la moienne , la superieure et la basse region
de l'air ; discours qui sentent trop le
Copernic , et qui conviendroient mieux
dans un Traité d'Astronomie qu'au sujet
dont il est icy question .
L'Auteur de l'Ordonnance s'évapore
ensuite en digressions inutiles , telles que
les lui fournit son rêve , ou son voyage
chimérique ; il dit qu'un certain soir du
mois de Février les du vin ne que vapeurs
lui montoient pas trop à la tête ; il parcourut
bien du païs , & c. mais ce voyage
ne seroit-il pas plutôt produit par une
trop longue diette , dont les effets sont
bien plus dangereux que les vapeurs bacchiques
; les abstinences
et les jeûnes ne
Diiij val490
MERCURE DE FRANCE
vallent rien pour les Gens de Lettres ; ils
doivent en craindre les suites. Nous en
voyons des exemples funestes.
Je pourrois bien dire icy quelque chose
du Langage de ces deux Villes ; j'ai séjourné
plusieurs années en l'une et en
l'autre ; je ne me suis pas apperçu quetes
Bourgeois de l'une et de l'autre Ville fissent
des fautes notables en parlant.Quant
au petit peuple , ce n'est pas seulement à
Joigny qu'on remarque, avec notre Critique
, qu'il parle mal on en pourroit dire
autant d'Auxerre, où le bas peuple use de
termes assez risibles , jusqu'à appeller une
Hotte , un Benatron ; il vous semblera
sans doute , être transporté dans la Lousianne
, parmi les Sauvages , à entendre
ce mot barbare , sans parler de plusieurs
autres aussi hétéroclites ; ensorte qu'il y
auroit pour le moins autant à plaisanter
sur le Patois des Artisans et des Mancuvres
d'Auxerre , que sur celui de Joigny.
On ne répondra rien à la Note prise du
P. Labbe , et imprimée dans le Mercure
d'Aoust, pag. 1930. DolosiSenonenses, & c.I †
me semble qu'on ne peut l'appliquer àJoigny,
sans faire beaucoup de violence à la
Topographie , en comprenant cette Ville
dans les environs de Sens . Cependant
Joigny est à 6 lieues d'Auxerre , et à 7 de
Sens.
MARS. 1732 . 491
à
Sens . C'est donc à Mrs de Sens à la réfuter.
Une autre Note fort hazardée
l'Ordonnance en question , est que les
Vins d'Auxerre se sont vendus jusqu'à
140 liv. et ceux de Joigny , 80 liv . le plus
haut prix. Je ne veux pas m'exposer
encourir la peine portée dans cette Or
donnance. Je ne veux pas , dis-je , contester
sur ce prix ainsi fixé par le Voyageur
Bacchique , mais un fait certain et
bien connu me servira de réponse ;
c'est que le meilleur Vin s'est vendu à
Auxerre , une bonne partie de l'année
18 deniers la pinte. Le moindre Vin de
Joigny au contraire, ne s'y est jamais ven→
du moins de 3 ou 4 sols , et toute déduc--
tion faite des droits des Aydes , qui sont
plus forts à Joigny qu'à Auxerre , le Vin
s'est toujours vendu le double à Joigny.
On ne doit jamais disputer contre des
faits .
,
On conviendra bien que les Vins de
Joigny ne se gardent pas autant que des
gros Vins ou des Rappez ; il suffit que nos
Vins se conservent bons pendant 2 et 3 %
ans , pour qu'on puisse les transporter par
tout où l'on voudra ; on pourroit même
leur donner 2 et 3 ans de plus de garde
en les faisant cuver davantage ; mais les
Experts en Vins fins, prétendent que cette
Dv façon
492 MERCURE DE FRANCE
façon ôte la qualité au Vin. On ne peut,
ay reste , reprocher aux Bourgeois de Joigny
de droguer leur Vin , il est toujours
naturel et sans aucun mélange ; il est vrai
qu'il a la qualité de se marier; qualité que
quelques Marchands de Vin , bons connoisseurs
, sçavent tres- bien mettre en
usage.
Admirons , en finissant , l'Auteur de
l'Ordonnance , de s'approprier , comme
il fait , sans scrupule , les Païs voisins , en
comprenant dans le Territoire d'Auxerre
tous les Vignobles de dix lieuës à la ronde
; il s'égare même jusques dans les Vignes
de Dijon , mais cela n'a pas besoin de
réfutation. Comme je me persuade M.que
vous êtes parfaitement neutre dans la querelle
qui est entre ces deux Villes , je me
flatte aussi que vous voudrez bien faire
inserer cette Lettre dans le même Livre ,.
où je sçai qu'on n'affecte aucune partialité
,
, pour
désabuser
le Public
des impres
sions
qu'auroit
pû faire
l'Ordonnance
de
Bacchus
, sur l'esprit
de ceux
qui ne connoissent
pas assez
l'excellence
des Vins
de Joigny
. Je suis , &c.
Le 12 Decembre 1731.
Bouts
MARS. 1732. 493
XXX: XXX:X*********
BOUTS
RIMEZ ,
Donnez dans le second Mercure
de
Decembre 1731 .
LES VAPEURS.
CEnt fois , et jour et nuit Licas croit d'être
Mort
Son triste et court sommeil lui présente la Biere;
Toujours dans le naufrage , et jamais , dans le
Port
lacheye icy bas sa pénible Cariere
La noire inquiétude est son funeste
Sort
Il remplit à regret sa vuide
Gibeciere ',
Il se plaint , il gémit , quand tout le monde
Licas , veux-tu guérir ? va consulter
·Dorty
Molieres
Bannis de ton esprit la Parque à l'oeil Hagards
Qui s'attriste toujours ne devient pas Vieillard.
Ami , n'use donc plus de plaintive Apostrophes
Le Prince et le Berger mangent au même Plat ,»
Divj Cha
MERCURE DE FRANCE
494
Chaque mortel un jour doit être Echet et Mat;
Un mal commun , à tous n'a plus de Catastrophe.
Le Chevalier de Romieu.
AUTRE ,
Sur les mêmes Rimes .
Pourquoi , foibles mortels , tant redouter la
Et fremir à l'aspect de la fatale
Mort ?
Biere ,
Hélas ! le froid tombeau n'est qu'un tranquille
Port ,
Où va se terminer notre triste Cariere
Là , nous ne verrons plus par un bizarre Sort¸
Nos biens d'un Partisan , enfier la Gibeciere ,
Sans travail , sans soucy , paisiblement on Dort
Loin des vices humains , si-bien peints par Moliere
Icy le noir chagrin , l'envie à l'oeil Hagard
Poursuivent constamment le jeune et le Vieillard
De mille maux divers on reçoit Apostrophe.
On voit à chaque instant un Laquais , un pied
Plat
Mate
Au mérite , aux talens donner Echec et
Et nos jours les plus beaux n'offrent que Catastrophe.
M. de Morand.
RE'PONSE
MARS.
495
173.20
į į į į į į į į į ṛ $ ! 5 ! ! ! ! !!
· RE'PONSE à une Lettre écrite de Toulouze
, inserée dans le Mercure du mois
d'Aoust 1731. page 1922. au sujet de la
Philosophie Hermetique.
L'altre Anonime de Toulouse.
'On ne répondra qu'à deux articles de
Premierement ; que son Mercure ou Vif
argent commun et Venal , quelque épu
ré qu'il soit , n'est point le premier Mer--
cure actif des Philosophes , ni leur semence
, et qu'il ne peut en cet état pro-.
duire par lui -même l'Or phisique , comme
il l'assure ; et cela , parce qu'il n'en´
contient point, et que nulle chose ne peutdonner
ce qu'elle n'a pas. Le Mercure devenu
vierge et mondifie , ne se peut précipi
ter enforme de terre par aucun feu , dit Helmont
, à cause de sa trop grande simplicité,
pour laquelle on le compare à l'Element de
l'eau. Il auroit dû voir dans le roʻchap.
de Philalette , de son Entrée ouverte, qu'il
faut introduire dans le Mercure un feu sulfureux
, actif, capable de pourir l'or ; et que·
par cette préparation le Mercure est herma
frodite , à cause de ce soufre , qui renferme
en même-temps en lui un principe qui est
tout
496 MERCURE DE FRANCE
tout ensemble actifet passif, moyennant lequel
il se coagule soi - même , étant aidé senlement
d'une chaleur convenable ; c'est
pourquoi dans le chap. suivant, il dit ,
que la vie du Mercure est dans le seul soufre
Metallique, caché dans la Maison d'Aries.
Et dans cet autre Passage du même
Auteur , dans son Commentaire sur la
Lettre de Riplée , au Roy Edouard , où
il dit : Sachez que le Mercure a en lui un
soufre qui n'est pas actif; notre Art consiste
à multiplier en lui un soufre vifet actif, lequel
vient des reins de notre corps hermafrodite
, dont le pere est un Métal , et la
mere un Mineral. Voilà qui est bien
clair ? Si l'Anonime connoissoit la composition
de ce corps , qui est le premier
Rebis , et son usage ; il n'auroit
pas assûré
que l'Artiste ne crez rien de nouveau, car
la premiere opération est de composer le
Chaos , le Rebis ou Corps hermafrodite ,
pour nétoyer le Mercure , et lui ajouter
par la même opération , ce qui lui manque.
Rebis , dit Bernard Trévisan à Thomas
de Boulogne , est la premiere chose en
cet oeuvre , c'est pourquoi Phil. dans le
Commentaire cité, dit- il , n'y a qu'une seu
le liqueur convenable à notre ture , laquelle
n'est tirée d'aucune chose , que la nature ay?
formé , mais d'une substance composée par
Part
MARS. 17321
497
1
l'art du Philosophe. Notre Art donc , ajoute-
t- il , est de joindre deux principes , ( un
dans lequel le soufre , et l'autre dans lequel le
sel de nature abonde ) , qui pourtant ne sont
pas parfaits , ni toutefois imparfaits entierement
, et par consequent peuvent , par notre
Art , être changez on exaltez , ( ce que ne
peut être et qui sera entierement parfait ) et
puis par le Mercure commun , extraire du
composé , non le poids , mais la vertu fermentative
, qui engendre dans le Mercure
commun une race plus noble qu'elle même,qui
est notre vraie hermafrodite. Or cette hermafrodite
icy est un corps fluide , sous
forme de Vif- argent ; mais le premier
qui a animé ce second , est un corps sec:
et pulverisable ; c'est l'enfant hermafro
dite dont Phil. décrit la composition dans
son 7 ch. de l'Entrée ouverte , lequel est
seul capable de nettoyer le vif- argent de
sa lépre , et en même temps de l'impreigner
du soufre spirituel embrional et
potentiel de l'or physique , contenu dans
le premier Rebis ou Chaos . Cela est conforme
à la pratique de B. Trévisan et à
celle d'Espagner , qui d'un commun accord
ne se sont pas contentez de rendre
le Mercure homogéne , mais ils ont cru
qu'il falloit , par la même opération , lui
ajouter ce qui lui manque, qui est le soufre
498 MERCURE DE FRANCE
ด
fre spirituel Metallique , et comme ap
puyé d'un double soûtien Métallique , ils
eussent un Mercure double et animé
qu'ils n'ont pas cru seulement être l'unique
clef nécessaire pour ouvrir le Palais
du Roy ; mais ils l'ont persuadé aux au-~
tres avec autant de force que de science
, non seulement n'ayant point admis
le Mercure simple , mais l'ayant totalement
rejetté. Le premier se déclare ou
vertement dans l'Epître à T. de B. à las
pénultiéme page , et le 2ª , dans les §. 47--
et 54.
Voilà assez d'autoritez pour prouver
à l'Auteur anonime que son Mercure n'a
point les qualitez de celui des Phylosophes
, que Phil . nomme dans le 1. ch . de
son Entrée ouverte : Or bland crud semence
femine , dans laquelle l'or jette la ›
sienne.
,
Nous voilà arrivé au second article à ›
réfuter. L'Anonime prétend que son prétendu
Mercure homogéne , mondifié de
sa lépre ou tache originelle , étant joint à
l'or , donnera la Médecine qui transmuëi
des Métaux imparfaits en or. Il permet
tra qu'on lui représente, que pour pareil→
le chose peut-être , il faudroit que son ' ,
simple Mercure fut capable de dissoudre
radicalement l'or , ce qui ne peut être ” .
puisque
MARS. 1732.
499
puisque le veritable Mercure Phylosophi
que,quelque bien animé et travaillé qu'il
soit , joint à l'or , attendroit , dit Philalette
, sans être changé , la fin du monde .
L'Anonime auroit dû apprendre de Gebert
qu'il y a trois principes de Métaux ; l'Ar-.
gent- vif , le Soufre et son compar l'Arsenic }
ainsi donc ; il supprime de sa pratique
l'Arsenic, qui est le troisiéme principe ,
qu'il ne connoît pas apparemment , sans
lequel la dissolution de l'or est impossible
, et c'est de ce troisiéme principe dont
les Phylosophes ne parlent qu'énigmati
quement , et non du Mercure animé comme
le prétend l'anonime , duquel , au con- .
traire , ils parlent tres- clairement. Phil.
qui est un des Phylosophes modernes ,
qui a écrit le plus clairement , dit dans
son Vademecum : Notre Lune qui represente
la femelle , est d'une race Saturnienne,
taquelle a contracté mariage avec un Dieu
Belliqueux ; elle est appellée Arsenic , parce
qu'elle teint l'or en blancheur , déchire ses
membres et le rend fluxible à la moindre chaleur
, comme du Mercure , l'argent du vulgaire
est masculin et agit comme mâle ; it
peut être employé au deffaut de l'or ; mais
cette Lune , qui est femelle , et qui est don→
née pourfemme au Soleil ( dans la production
du Magistere ) n'est pas un corps , mais
HIE
350172
oo MERCURE DE FRANCE
un pur chaos , et un esprit merveilleux ; et
quoiqu'il puisse passer pour un corps , il est
cependant vivant et vivifiant , c'est pourquoi
cette Lune est chez les Phylosophes appellée
substance moyenne; au regard du Mer
cure , elle peut être appellée Corps et au re-
;
gard de l'Oret de l'Argent , elle est un espritz
C'est notre Soufre crud et immaturé,et`unMercure
vifet coagulé , quoique non fixe ; il est
l'unique et le plus grand secret de notre art
et tous les Enigmes que les Phylosophes ont
inventez , ne l'ont été qu'à dessein de le cacher.
Voilà une ample description de l'Ar
senic des Philosophes , ou de leur Lune
femme du Soleil. Riplée dit : Trois substances
ne font que deux natures , terre et eaus
à quoi Phil. ajoute dans son Commentaire;
l'Homme et la Femme sont deux corps ou
terre. Dans son Vademecum , parlant de
la proportion des poids , il dit : Soyez
attentif , prenez du corps parfait , blanc et
roage (lequel represente le mâle) une partie ;
de notre Arsenic ( qui tient lieu de femelle Y
deux ou trois parties , de l'eau de notre mer ,
quatre parties on plus.
Riplée , dans ses 12 portes , dit , que le
Mâle Rouge , la femme blanche , sont faits
un , mariez par l'esprit de vie. Item : Elle
est appellée Eau-de- Vie Metallique , parce
qu'elle donne vie et santé aux Métaux
moris ,
MARS. 1732. Sor
morts , et conjoint par mariage l'homme rouge
, avec la femme blanche, c'est- à-dire avec
le Soleil et la Lune. Item , Mettez dans un
verre toutes ces matieres ( quoique trois en
nombre , toutefois c'est une seule chose) et les
laissez putrefier. Finissons cet article , par
cette question que fait Riplée : Qu'est- ce
que l'homme rouge ? qu'est- ce lafemme blanche
? qu'est-ce que l'esprit de vie ?
Artephius désigne aussi trois matieres
Dans cette eau , dit- il , le corps qui est fait
de deux corps, du Soleil et de la Lune , s'enfle
, se dilate , grossit . Item . Notre Vinaigre
susdit se mêle avecle Soleil et la Lune.Item .
L'Esprit est la vertu mineralle des deux
corps et de l'eau. Item. De ces trois ensemble
unis,se fait notre Pierre , c'est- à - dire , du
Soleil , de la Lune et du Mercure.Finissons
par dire que le Bain , le Roy et la Reine
d'Artephius sont trois substances distinques
l'une de l'autre , le Bain est le Mercure
animé , le Roy est l'or ou l'argent
et la Reine est l'Arsenic ou la Lune des
Phylosophes , non pas l'argent vulgaire ,
qui est un mâle , comme l'enseigne le
Cosmopolite , ch. 10. lorsqu'il dit : Les
Ports du Corps'ouvrent dans notre eau , qui
ne mouille point les mains ; le Corps est le
Soleil , qui donne sa semence , et c'est notre
Lune qui la reçoit , non l'argent vulgaire.
Flamel
02 MERCURE DE FRANCE
Flamel parle aussi de trois substances”,
forsqu'il dit : Ce sont ces deux Dragons sur
lesquels Fason versa le jus , préparé parMedée.
Item , la dissolution de nos Corps proa
cede de ligucité pontique de notre Mercure.
Item , je t'ai fait peindre un Corps , une
Ame , et un Esprit , pour te montrer que le
Soleil , la Lune et Mercure sont résuscitez
en cette opération.
Bernard Trévisan dit à T.de Boulogne :
Si l'or se décuit dans l'argent vif , la cause
de sa dissolution est l'humidité de l'argent
vif, restrainte par la dancité d'une terre ho
mogéne , qui est de semblable nature : On
s'apperçoit aisément que ce sujet est un
Corps sec , different de l'Or et du Mereure
, lequel est la troisiéme matière en
question , ( dont il est parlé dans le Trai
té du Sel,qu'on attribue au Cosmopolite,
en ces termes: Quand cette Pierre Satur
nienne aurd resserré l'Eau Mercurielle , qui
est le pur feu de l'or , enclos et emprisonné
dans le profond d'un sel congelé. ) Item , dans
le Mercure sefait la conjonction des deux semences
masculine et feminine. Phil . Entrée
ouverte , ch . 18. dit : Quelque procedé que
tu suives des deux, tu ne peux rienfaire , sans
lefeu le plus approchant du Soleil et de la
Lune ; je t'avertis que par ce feu - là , il net
faut entendre que notre Fourneau secret . C'est
de
MARS. 1732.
503
de ce feu dont il parle , ch. 20. lorsqu'il
dit: Des aussi-tôt que la Pierre aura senti
son feu , le Soufre et le Mercure se fondront
et seront fluents sur le feu.Or ce premier feu
n'est pas le second, qui est l'exterieur ; en
un mot , ce feu est celui dont parle Pontanus
, lequel dit , que faute de le connoître
, if erra deux cens fois. Riplée le
nomme Lyon vert. Flamel , Dragon Babilonien,
c'est la moyenne substance d'Artephius
,le Garde - Porte du Trévisan . Jean
d'Espagnet le loue comme étant un feu
secret. Le Grand Rosaire l'appelle la Racine
de l'Art.Finissons par ce passage que
Philalette rapporte dans son Vademe
cum : Lorsque ces trois especes sont jointes
ensemble en poids convenable , après une
longue attente et pleine de patience, elles donneront
ce seul et unique principe , qui contient
en lui tout ce qui est requis pour notre Pierre.
Nous finitons par prier les curieux qui
pourroient écrire sur ce sujet, de ne point
tomber dans le défaut de l'Anonime qui
n'a cité aucun passage des Phylosophes ,
pour prouver ce qu'il avance , sans quoi
on ne repondra point à de pareils écrits ;
nous avons évité cette négligence et pris
soin de ne citer que des passages d'Auteurs
dont les ouvrages sont fort connus,
Nous nous flatons d'avoir démontré, suivant
504 MERCURE DE FRANCE
vant ces Auteurs , 1° . que le Mercure pur
et homogene , sans être animé d'un or
potentiel , n'est point le premier Mercure
des Philosophes ; et 2° . que le Mercure
même vrayment philosophique ne
dissout point l'or , s'il n'est aidé d'une
substance moyenne nommée par Pontanus
feu , sans lequel tout travail est
inutile en cet Art.
EXPLICATION du Logogryphe
Latin du Mercure de Janvier.
Mensis , Ensis , Mens , Ens , sunt sua
verba
reperta,
G ...
AUTRE Explication du même
Logogryphe.
Curin Ur in Mense tuum , proponis solvere nodum &
Si prodit nodum , terminus ipse tuum.
Votre Logogryphe Latin , '
Me paroît délicat et fin ,
Plein de difficultez , mais vous avez beau faire ,
Malgré vos soins je mapperçois ,
Que je puis l'expliquer dans le terme d'un Mois g
Il ne me faut qu'un Dictionnaire.
QVAM.
ARS . 1732. 505-
QUATRAIN.
Pour terminer vos innocentes ruses ,
Je suis le seul à Aix de qui le nom unit ,
Les armes des Geans et le séjour des Muses ,
Vous pouvez me connoître et j'en ai assez dit.
La Chandelle , Cartouche et Lamproye
sont les mots de l'Enigme et des deux
Logogriphes du Mercure de Février.
ENIGM E.
Je suis fait pour les Souverains ;
E
Thémis aussi chez moi réside ,
Et c'est moi , qui chez les Humains ,
D'un plaisir sensuel décide.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
LOGOGRYPHE.
C
Inq lettres font mon tout , et ce tout une
graine ,
Du moins je crois pouvoir me baptiser ainsi ,
De mon chef formez ma bedaine ,
Et puis faites le reversi ;
Sans moi vous ne sçauriez ajuster de parure..
Voulez vous voir un arbre aussi ?
Après m'avoir rendu ma premiere nature ;
Ostez
foo MERCURE DE FRANCE
Otez deux parts , c'est où gist l'encloueure .
Estes - vous curieux d'un changement nouveau?
Je vous ferai voir un tonneau ;
Mais il faut pour cela retrancher ma finale ,
Et que mes membres quatre et deux ,
Pour cet effet changent entre eux ;
Ce n'est pas tout , dans cet ordre j'étale ;'
Encore un autre objet composé d'un tuyau ,
Au bout duquel est un certain fourneau ;.
En cet état sequestrez ma troisiéme ,
Il doit vous rester un oyseau ;
Rassemblez tout enfin vous conviendrez vous
même ,
Qu'un Royaume m'a vâ porter le Diadême.
J
SECOND LOGOGRYPHE.
E suis Italien , j'ai ventre , queuë et tête ,
Et je ne suis homme ni bête ;
Toi qui ne trouves rien d'obscur
A me deviner je t'invite ,
Lecteur, ma tête est grosse et ma queue est petite,
Pour mon ventre il est toûjours dur.
TROISIEME LOGO GRYPHE.
Ept membres.font mon tout , je regne dans
les Cieux , Septe
Et suis chez les Humains pour rendre la justice ,
1, 2. et 3. enfans d'un aimable caprice
Cupidon
MARS. 1732
507
Cupidon , Thalia , président à mes Jeux ,
1. et. 2. retranchés , je mis la France en deüil ,
Faisant passer son Roi des plaisirs au Cercueil.
2. 3. 1. 4 et 5. joins- y 7. et la gloire ,
Que m'acquit mon pinceau , fait vivre ma me
moire ,
6. et 4. 1. et- 2 . 3. et 7. quellequefois ,
Le bon gout est forcé de souscrire à mes loix .
1. 4. 2. et 3. plein d'un audace extrême ,
M'érigeant des Autels , je bravai Dieu lui- même,
2. 1. 7. 3. plaignez mon malheureux destin ,
Je succombe accablé par un frere inhumain ,
6. 2. 1. 4. et 5. 7. enfin , la dorure ,
N'étale point chez moison éclat imposteur
Tout y respire , la Nature ,
La simplicité , la candeur.
6. 2. 1. 3. et 7. en Mer je suis atile ,
6. 2. § . 4. et 3. mille Fleuves divers ,
Procurant aux Humains un commerce facile ,
Par des chemins nouveaux viennent joindre le
Mers
6. 4. 5. et 2. Jesus , par complaisance ,
Chez moi montra l'effort de sa toute puissance ,
Quelle foule de mots vient encor m'appliquer ;
Mais sans combinaison je vais les indiquer ;-
L'armure d'un Oyseau , une Plaine liquide
Un écueil dangereux , un ingrat , un perfide ,
Un temps , une peine , un Poisson ,
E Le
508 MERCURE DE FRANCE
Le Beaupere d'un Patriarche ,
Un Pont flottant , parconsequent sans Arche ,
Un lieu sombre qui sert quelquefois de prison. "
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS, &c.
L
ETTRES DE S. JEAN CHRISOSTOME
traduites en François , et rangées selon
l'ordre des temps , avec des Notes
et des Sommaires ; et deux Traitez écrits
du lieu de son exil à la Veuve Ste Olimpiade.
A Paris , chez P. Gandouin , Quay
des Augustins , 2. vol . in 8.
RECUEIL de Pieces . d'Histoire et de
Litterature , Tome 1. vol . in 12. de 224.
pages , sans les Préfaces. A Paris , chez
Chaubert , à l'entrée du Quay des Augustins
, du côté du Pont S. Michel , 1731. ~
L'Auteur de ce Recueil s'est proposé
comme il le dit dans sa Préface , de plaire
à l'esprit et de l'orner des connoissances
solides ; on peut dire qu'il a réussi dans
ce premier volume , et qu'il tient plus
qu'il ne nous a promis. Il paroît trèsmodeste
sur son article et même sur celui
de
MARS. 1732. 509.
de la Nation Françoise , à laquelle il préfere
les Anglois pour le goût et les in-1
clinations , selon la coûtume d'un certain
cercle de personnes qui prennent aujourd'hui
à tâche de proner les grandes ,
perfections de la Nation Angloise , aux:
dépens même de la leur , et qui rabaise
sent souvent leur Patrie pour donner à
la Nation Britannique plus de lustre et
de réputation qu'il ne lui en est legitime,
ment dû.
Ce Volume contient les Pieces suivan- ,
tes , toutes ayant leur mérite. Lettre de
M. D ...à un de ses amis , sur la nouvelle
Edition des Oeuvres de M. l'Abbé .
de S. Real , servant de Préface à la premiere
Piece de ce Recueil.
Panegyrique de la Régence de Madame
Royale Marie J. B. de Savoye.
Refléxions nouvelles de M. de la R.
Histoire du Mahometisme.
Remarques sur l'administration des Fi
nances des Romains , traduites de l'Anglois.
Dissertation touchant la part qu'eut
le Pape . Zacharie à la déposition de Childeric.
Dissertation , si la grandeur temporelle
de l'Eglise n'est point contraire à la
Loy de Dieu , et aux maximes des temps
Apostoliques. Eij Da
o MERCURE DE FRANCE
De la maniere de compter par siecles.
Du commencement et de la fin de chaque
siecle.
Nous ne donnerons aucun Extrait des .
deux premieres Pieces de ce Recueil
nous dirons seulement que le Panegyrique
est une fort belle Piece , dont le sujet
est traité avec beaucoup d'éloquence .
Les Refléxions diverses qui suivent
cette Piece , sont neuves et délicates.
Elles regardent la confiance , la difference
des esprits , les goûts , la societé , la conversation
, le faux , l'air et les manieres.
Nous renvoyons encore au Recueil même
ceux qui en voudront connoître la solidiré
et la justesse.
Nous
passerons à l'Histoire
du Mahometisme
, qui est une des Pieces de ce
Recueil
; il paroît
d'abord
que cette Histoire
doive être considerable
. Elle l'est en
effet , mais moins
par son étenduë
que
par la maniere
dont elle est traitée. Elle
est divisée
en trois Parties. La premiere
est employée
à l'Histoire
de Mahomet
er
de sa Secte. La seconde
rapporte
les Fables
principales
que des Auteurs
mal informez
ont debitées
sur Mahomet
. L'Auteur
réfute
en peu de mots dans la troisiéme
les principes
de cette fausse Religion,
Donnons
quelque
idée de cette Histoire.
MAR-S ; 1732 Sar
L'Auteur a puisé les circonstances qu'il
rapporte dans son Discours , dans les
meilleurs Auteurs Mahométan's dans
Abulfeda , Elmacin , Abuljacer , et autres.
Il s'est servi aussi des sçavans Chrétiens
qui ont écrit sur l'Histoire Orientale ,
tels qu'Abulfarage , qu'on peut mettre
de ce nombre, puisqu'il embrassa le Christianisme
avant que de mourir , les sçavans
Maronites , Gabriël Sionita , Jean
Hesronita , et Abraham Ecchellensis , le
F. Maracci , Hottinger , d'Herbelot , que
Imprimeur nomme Berthelot , et autres.
Mahomet pâquit à la Mecque , Ville
d'Arabie , dans le temps que l'Eglise
Orientale,aussi-bien que l'Empire,étoient
agitez par un très grand nombre de Sectes
et de divisions. Ses parens étoient d'une
naissance illustre parmi les Arabes , mais
pauvres. Il fut orphelin de pere et de
mere à 7. ans. Son oncle l'éleva au commerce
des Syriens ; et à l'âge de 28. aps
il épousa une veuve jaune et riche , dont '
il avoit conduit en Syrie pendant trois
ans les Marchandises qu'elle y envoyoit.
Il se vit par un Mariage si avantageux
en état de faire valoir les grandes qualitez
de son esprit , sa bravoure dans les
dangers , sa fermeté , sa pénetration et
ses manieres affables et complaisantes. Il
étoit
i
E iij
312 MERCURE DE FRANCE
pour
étoit naturellement éloquent , et il se ser-
Ivit bien dans la suite de ce talent. Il
contrefit dès l'année 606. de J. C. l'homme
rêveur et contemplatif , et fit passer
des révelations et des communications
avec l'Ange Gabriël , les attaques
du mal caduc , dont il étoit agité assez
souvent. Il s'appliqua de bonne heure à
réunir les trois Religions qui regnoient
en Arabie , la Chrétienne , la Juive et
l'ancienne des Arabes.
La Religion Chrétienne étoit plutôt
alors une confusion de Sectes et de superstitions
, qu'une Religion . Les Juifs et
les Ismaëlites paroissoient pouvoir être
aisément réunis , puisque les uns et les
autres reconnoissoient Abraham pour leur
"Pere commun. Enfin les Arabes étoient
presque tous Idolâtres et adoroient les
Astres dans leur fameux Temple de la
Mecque , qu'ils croyoient ( comme ils le
croyent encore fort abusivement ) plus.
ancien que celui de Salomon.
Mahomet pour profiter de ces divisions.
et pour réunir toutes ces Sectes en une
seule , pose pour principal fondement
qu'il n'y a qu'un Dieu digne de nos adorations
; ce principe établi avec les Chrétiens
et avec les Juifs , il tâche d'y amener
aussi les Ismaëlites ou les Arabes , en
les:
MARS.
17320 Sis
.
les faisant souvenir qu'ils sont Enfans d'Abraham
, et qu'Abraham n'a jamais adoré
qu'un seul Dieu . Il soutient en faveur
des Juifs , qu'il n'y a point de Trinité
que Dieu n'a point de fils et qu'il ne s'est
point incarné , ce qui réunissoit encore
plusieurs Sectes, Nestoriens , Ariens et autres.
Il dit avec les Chrétiens , que la
Loi de Dieu , qui avoit été confiée aux
Juifs , ayant été corrompue par eux , if
falloit que Dieu suscitât un autre Prophete
plus excellent que les autres. Il
avoue que c'est J. C. qu'il est né d'une
Vierge , qu'il est le Verbe de Dieu , que les
Juifs l'ont voulu crucifier , mais qu'il fut
: enlevé dans le Ciel , et que les Juifs ne
-crucifierent que sa Figure , ce qui étoit
Pheresie des Ebionites . Enfin après avoir
déclaré ces trois Religions insuffisantes ,
il ajoûte en sa faveur que le temps dư
Consolateur promis par J. C. est arrivé ,
: et que la promesse s'accomplit en sa pro
-pre personne. Il accompagna tout cela
de fables qui avoient quelques fondemens
dans l'Histoire Sainte , ou qu'il tiroit
des Histoires apocriphes , et des
Traditions populaires , mais dont les Arabes
ne pouvoient reconnoître la fausseté,
tant leur ignorance étoit grossiere. De
temps-en-temps Mahomet faisoit descenÈ
iiij
dre
514 MERCURE DE FRANCE
dre du Ciel quelques Cahiers qu'il composoit
selon les conjectures où il se trouvoit.
On les recueillit après sa mort , et
c'est ce qu'on appelle Alcoran. * Et comme
il faut quelqu'exterieur dans une Religion
, il ordonna le Jeûne de Ramadan ,
il laissa la Circoncision qui étoit en usage
en Arabie , et établit des Fêtes , des
Pelerinages , des purifications et d'autres
ceremonies tirées du Christianisme , du
Judaisme et de la pratique ordinaire de
la Nation Arabe .
Il fut cependant 12. ou 13. ans suivi
d'un très- petit nombre de Disciples. La
14. année près de 80. Disciples se joignirent
aux premiers , ce qui fit du bruit
dans la Mecque. Les Magistrats en craignirent
quelqu'émotion et le chasserent
de la Ville . C'est à cette année de la fuite
de Mahomet , qu'il se réfugia à Medine ,
que commence la celebre Epoque des Mahométans
, qu'ils nomment Hegire , c'està-
dire Fuite , ce fut Omar oncle de Mahomet,
qui 17 ans après cette fuite l'érigea
solemnellement en Epoque et la fitinserer
dans tous les Actes publics. Elle tombe
aur 22. Juillet de l'année 622. de J. C.
Peu de temps après cette fuite , Ma-
* Aloran , composé de deux mots Arabes , signifie
l'Ecriture par excellence.
homet
MARS. 1732. SI5
homet eut recours à l'épée , qui lui réüssit
encore mieux que la parole. Un Ca
hier descendit du Ciel , qui lui ordonna
d'exterminer tous ceux qui ne suivroient
pas sa doctrine. Les Historiens comptent
12. Batailles qu'il a gagnées pendant sa
vie. Enfin il assiegea la Mecque , à la
tête de 10000. hommes , s'en rendit le
maître et fit passer par le fil de l'épée
tous ceux qui ne se soumirent pas à la
doctrine de l'Alcoran . Voilà en peu de
mots l'Histoire de ce celebre Imposteur.
Il eut , selon quelques - uns , 17. femmes ,
selon d'autres , 21. mais il n'en eut point
d'enfans mâles. Il mourut âgé de 63. ans
dans la 11 année de l'Hegire , et fut enterré
à Médine , lieu de sa retraite.
Les fables que l'auteur du Discours historique
réfute sont les Miracles que l'on
supose avoir été faits par Mahomet, soit en
naissant , soit dans le cours de sa prétendue
Mission . C'est une suite de ces fables
de dire que le Temple de la Mecque ait
été bâti en l'honneur de Mahomet. De
son temps même on croyoit que ce Temple
subsistoit depuis Abraham , outre que
les Mahométans n'y vont que pour adorer
Dieu. La suspension en l'air du Tom--
beau de Mahomet est encore une fable ,
mais il ne faut pas la mettre sur le compte
Ev dess
2
16 MERCURE DE FRANCE
des Mahometans , qui la rejettent abso-
Jument. Autre fable, que ce que quelquesuns
ont écrit que Mahomet fut choisi
pour le Chef de ceux qui se révolterent
contre Heraclius , et qu'il alla au-devant
de cet Empereur lorsqu'il revenoit de:
Perse. Jamais Mahomet n'a yû Heraclius .
ni n'a combattu contre lui.
Les Villes d'Arabie , ajoûte l'Auteur ,
étoient alors régies comme des Républiques ;.
le Cherif, c'est- à - dire , Senior , commandoit:
et l'on n'y avoit nul rapport avec l'Empe-·
reur. Ici notre Auteur nous permettra de
ne pas adopter son Explication du nom de:
Cherif. Ce terme Arabe ne signifie nulle-
- ment Senior Pancien,mais il signifieNoble,
nom qui ne se donne qu'aux Descendans
de Mahomet par Ali , son gendre et par
sa fille Fathime , parce que ceux- là sont
censez de la plus haute naissance qui appartiennent
à cette Branche de la Race de
leur Prophete. C'est le seul titre dont le
Prince de la Mecque se pare , ainsi que
celui de Medine ; les Rois de Maroc se
font aussi une gloire de porter ce nom ,
regardant comme un des plus beaux titres
de noblesse de descendre de Maho-
Les Arabes expriment ce terme par Scheik ,
qui signifie aussi un Gouverneur , un Chef, uns
Docteur , &c..
met
MARS.
17321 517
4
met par Fathime. Il y a en cet endroit
une autre méprise ; car quoiqu'il soit vrai
que Cherif signifie Noble , et qu'il semble
que les Nobles du Pays ayent dû le
gouverner , nous ne voyons cependant
pas que les Villes d'Arabie , à l'exception
des deux qu'on vient de nommer
ayent été gouvernées par des Cherifs.
C'est encore une fable de dire que Mahomet
ait pris Damas. Fable que son corps
ait été mangé par les chiens . Une autre
fable adoptée par Constantin Porphyrogenete
, par Euthymius , Cedrene et autres
, c'est d'attribuer aux Mahometans
le culte de Lucifer , de Venus ou de la
-Lune , en leur faisant dire , Alla , oita
Kubar , Deus et Luna seu magna ; au lieu
de Alla ou Akubar , ô Deus maximus
qui sont les premieres paroles qu'on crie
du haut des Mosquées , &c.
oйa
Nous ne suivrons point l'Auteur dans
l'examen , concis à la verité , mais bien
touché , qu'il fait de la Doctrine de Mahomet;
il ruine en peu de mots beaucoup
de ses principes. Ce court examen pour--
roit servir de plan à une réfutation com
plette du Mahométisme. Passons à la V.
Piece de ce Recueil , qui contient des Remarques
traduites de l'Anglois sur l'administration
des Finances des Romains.
En Voici le précis Evi fuc
18 MERCURE DE FRANCE
L'Histoire fournit aux Rois des lumie
res pour soutenir leurs Etats dans la splendeur
, en profitant des maximes qui ont
contribué à la grandeur des Empires , et
en évitant ce qui a causé leur décadence.
Rome fut redevable de sa puissance à
une sage dispensation de ses revenus ;
leur dissipation entraîna sa ruine.
y
Valerius-Publicola fut le premier qui
ordonna que le revenu appartenant à la
République seroit déposé dans le Temple
de Saturne , afin que la sainteté du licu
rendît ce dépôt encore plus sacré ; il
avoit deux Trésors ; l'un destiné aux besoins
journaliers de la République , l'autre
aux pressantes nécessitez . On portoit
dans le premier les Tributs et les Impôts
ordinaires , et dans l'autre l'or de l'Impôt
du vingtiéme sur les Esclaves ; on l'appelloit
pour ce sujet Aurum vicesimarium.
Pendant quelques siecles la République
n'eut pas besoin d'argent ; ce ne fut qu'au
Siege de Veïes 350. ans après la fondation
de Rome , que les Troupes commeacerent
à recevoir une solde . Les Romains
persuadez que rien n'étoit plus important
que de ne point surcharger le Peuple
d'Impôts et d'avoir un fonds capable
de maintenir l'Etat en temps, de guerte
et de paix , firent porter dans le Trésor
public
MARS. 1732 $39
public toutes les richesses qu'ils emportoient
par leurs victoires. Ainsi les richesses
de Carthage , de Sicile , des Villes de
Macédoine , d'Asie et des autres Provinces
conquises , furent déposées par les
Generaux dans le Temple de Saturne
avec un désinteressement admirable , qui
duroit encore quelque temps après la
derniere guerte punique.
›
Dans le siecle suivant cette integrité
fut alterée , mais ce ne fut jamais que
par des ambitieux qui tramoient la servitude
et la ruine de la République . Ce
pendant le Trésor public ne laissoit pas
d'être enrichi continuellement par les richesses
immenses que la République tiroit
de ceux de qui elle triomphoit . Scipion
l'Africain fit payer aux Carthaginois
30. millions de livres dans l'espace de 50 .
ans , et il obligea le Roi Antiochus en lui
accordant la paix , de payer à la Répablique
24.. millions . Titus Q. Flaminius
Coptraignit Philippe , Roi de Macedoine,
de donner à la Rep . 3. millions ; il n'accorda
la Paix à Nabis , Tyran de Sparte .
qu'en exigeant de lui près d'un million.
Il ajoûta encore aux sommes immenses
dont il avoit déja enrichi le Trésor , six
cent quarante millions de livres en lingots
d'argent ; 79. millions quatre cens
-
cin*
20 MERCURE DE FRANCE
· "
cinquante- deux mille livrés en monnoye
d'argent , et deux millions quatre cent
vingt mille livres en Pieces d'or . On peut
encore voir d'autres exemples de ce désinteressement
des Generaux Romains
dans ces Remarques.
C'est donc par cette conduite des Ro-
'mains à l'égard de ceux dont ils triomphoient
et par l'integrité et le desinteressement
de ces grands Hommes que Rome
s'est élevée si haut et qu'elle s'est soutenuë
si long- temps . Car il n'est pas pos.
sible qu'un Etat puisse soutenir de lonque
ques guerres sans autre fonds celui
de son propre revenu . En effet tant que
les Romains ne perdirent point de vûë
ce systême , ils furent heureux dans leurs
Expeditions. Auguste laissa des sommes
si considerables dans le Trésor public ,
qu'on les fait monter jusqu'à 202 , millions
de notre monnoye . Aussi , remarque
l'Auteur Anglois , avoit -il une qualité
qui ne manque jamais d'enrichir un
Prince , c'étoit d'examiner avec soin les
comptes publics. Mais Caligula dépensa
ses immenses richesses en moins d'un an
au rapport de Suetone. L'Auteur prouve
ensuite que le salut de l'Etat dépend de
- Padministration des Finances , et que la
prodigalité des Princes , et leur inattertion
MARS. 1732. JA
tion à veiller sur l'usage et l'emploi de
feurs richesses , en entraînent la dissipa -`
tion et peu à peu la ruine de leurs Etats.
Il fait ensuite remarquer que la cruauté
de plusieurs Empereurs de Rome n'est
venuë que des necessitez ausquelles leur
prodigalité les avoit réduits , qu'ils n'étoient
pas cruels d'abord, et que ce n'a été
qu'une suite de leur inattention à veiller
sur leurs Finances ; négligence qui les
contraignoit d'exiger des Peuples avec
dureté des Impôts multipliez et à les
vexer en mille manieres ; funestes fruits
des conseils pernicieux de leurs Courti
sans qui ne manquoient pas de leur inspirer
du dégoût et de l'éloignement pour
les affaires et sur tout pour celles qui regardent
les Finances.
L'Empereur Caracalla fut le premier
qui altera les Monnoyes et qui donna
des pieces d'étain et de cuivre pour des
pieces d'or et d'argent , sur quoi on peut
remarquer en general que durant la décadence
de l'Empire les Monnoyes furent
fortalterées , la necessité poussant le Prin
ce à donner aux Especes une plus grande
valeur à proportion de leur rareté 35
d'où l'on peut conclure avec l'Auteur
des Remarques , que les Especes sont comme
le pouls d'un Etat ; , s'il bat irréguliere--
ment
522 MERCURE DE FRANCE
rement , onjuge par ce symptome que le corps
politique est attaqué de quelque maladie
dangereuse ; que si le Prince se trouve obligé
d'affaiblir les Especes , c'est un indice qu'on
commence à les faire sortir du Royaume ; s'il
est dans la nécessité de substituer quelqu'autre
matiere à l'or et àl'argent, comme fit Caracalla
, on peut inferer de- là qu'une grande par
tie de l'argent en est déja sortie que s'il ar
rive que les Especes soient entierement enlevées
on universellement alterées comme
cela se fit dans la décadence de l'Empire Remain
, on en peut augurer la raine prochaine
de l'Etat. On trouve dans cette Piece un
grand nombre de traits curieux que les
bornes d'un Extrait ne nous permettent
pas de rapporter. Nou ne dirons rien des
deux Dissertations qui suivent sur la déposition
de Childeric e sur la compatibilité
de la grandeur temporelle avec la
puissance spirituelle ; ces deux Pieces sont
P'une et l'autre remplies de choses Cu
rieuses et qui se font lire avec plaisir.
La derniere Piece de ce Recueil regarde
une dispute qui s'éleva vers la fin du
dernier siecle ; les uns prétendoient que
Pannée 1700. devoit commencer le sie--
cle suivant , desorte que du même moment
que l'on pouvoit compter 1700. la :
centiéme année devoit être accomplie ,.
et
MARS. 1732. 5232
麵
et la premiere année du siecle suivant
devoit commencer. Les autres sontenoient
au contraire que l'année 1700.
devoit terminer le 17. siecle , mais de façon
que ce ne pouvoit être qu'après da
révolution entiere de cette année que le
siecle suivant devoit commencer. L'Auteur
de cette Dissertation embrassa alors.
cé dernier parti . Il fait voir dans cette
Piece que puisqu'on entend par un siecle
l'espace de cent ans , on ne compte le
siecle achevé ou révolu que lorsque la
centiéme année est révolue , comme un
homme à qui on devroit cent pistoles , ne
seroit pas content de 99. et de la ceatiéme
commencée. Que l'on compte , ditil
, les années , les mois , les semaines et
les jours de la même maniere qu'on dit
qu'il est Lundi , qu'il est le mois de Janvier
, la premiere semaine de l'Avent du
Carême quoique Lundy ou le mois de-
Janvier ou la premiere semaine de l'Avent
ne fassent que commencer.
,
Les anciens Actes disent communément
le mois courant ou l'année courante.
Ainsi on comptoit déja une telle année
avant qu'elle fût achevée . Les Marchands
mettent en titre dans leurs Registres
Janvier ou Mars ou Avril , avant que
le premier jour de ces mois soit achevé.
Un
$24 MERCURE DE FRANCE
•
Un Sçavant met le 2. ou 3. ou 6. Livre
en composant son Ouvrage , dès qu'il
commence le 2. 3. ou 6. Livre.Le Voyageur
dans ses Fournaux de Voyages,écrit la premiere
, seconde , troisiéme journée , dès le
matin de chaque journée et si son voyage
a duré 15. jours et qu'il arrive le 16 à midi
dans une Ville , il dira qu'il est arrivé lat
16 journée , quoiqu'elle ne soit pas
finie.
Les Historiens Ecclesiastiques mettent
dans la premiere année de l'Ere Chré
rienne plusieurs faits arrivez long -temps
avant la fin de cette premiere année , tels
que la Circoncision , l'Adoration des Ma-
-ges , la Fuite en Egypte , le Meurtre des
Innocens , &c. Les Rois dattent de la
premiere année de leur regne les Edits
qu'ils ont donnez pendant les 12. premiers
mois. Dès que Jerusalem fut délivrée
de la persecution d'Antiochuset
qu'il fut permis de battre de la monnoye,
on marqua cette Epoque ainsi : L'an premier
sous Simon , anno primo sub Simone.
F. Machab. 13. comme on le voit encore
dans plusieurs Médailles.
Dans le temps de la correction du
: Calendrier par Jules-Cesar l'an 709. de
Rome , dès le commencement de cette
Epoque en Janvier , on a compté l'an
premier . Cette année commença avec.
cle
4.
MARS. 1732. 525
Consulat de Jules-Cesar et de Lepide,
le Consulat duroit depuis Janvier jusqu'en
Décembre. Ainsi puisqu'on comptoit
les années courantes comme on comp
toit les Consulats , l'année se comptoit
aussi dès qu'elle commençoit , coinme
l'on comptoit le Consulat dès qu'il commençoit.
Enfin dès le commencement de
l'Ere de Diocletien ou des Martyrs , que
les Chrétiens ont suivie , même pour dresser
les Cicles Paschaux , jusqu'à- ce que
Denis le Petit ait fait succeder l'Ere de
l'Incarnation , on compta l'an 1. car elle
commença exactement avec le premier
jour du Regne de Diocletien . Aussi quand
S. Ambroise datte quelques faits par les
années de cette Ere , il dit toûjours l'am
depuis le premier jour du Regne de Diocletien.
De tout celà il est aisé de conclure
que l'on a dû compter l'année 1700. dès
qu'elle a commencé, et par consequent que
le premier Janvier 1700. fut le premier
jour de la derniere année du XVII. secle.
LA CRITIQUE , Comédie de M. de
Boissi , représentée pour la premiere fois
par les Comédiens Italiens le 9. Fevrier
1732. A Paris, chez P. Prault , Quay de
Gesures , 1732. prix 24. sols.
Nous croyons que cette Piece sera luë
avec
26 MERCURE DE FRANCE
avec autant de plaisir qu'on en a vû les
Représentations. Elle est pleine d'esprit
et bien versifiée ; mais comme ce n'est
pas une Comédie réguliere , et que beau
coup de Scenes pourroient s'en détacher
aisément , sans nuire au progrès de l'action
, nous n'en donnerons pas un Extrait
bien regulier , quoiqu'il y ait de quoi en
faire un fort long , si nous voulions y
faire entrer tout ce qui a été applaudi .
Cette Piece est precédée d'un Prologue
intitulé , L'Auteur Superstitieux . Dans la
Représentation , le sieur Romagnesi ,
sous le nom de Clitandre , entre très - bien
dans ce caractere. Il dit à son ami Damon
qui combat ses foiblesses superstitieuses .
L'Interêt , la gloire avec l'Amour ;
Ils m'occupent tous trois , et dans ce même jour,
On juge mon affaire , on doit jouer ma Piece ,
Et je suis sur le point d'épouser ma Maîtresse ....
Tous mes sens sont émus d'une façon terrible.
Pour l'interêt , amis , je suis très - peu sensible.
Si je perds mon procès , comme je le crois fort ,
Je m'en consolerai sans faire un grand effort.
Pour l'Amour et la gloire il n'en est pas de même,
Tous deux mé font sentir leur ascendant suprême
,
Tous deux d'un feu pareil enflâment mon desir ,
Et sont en même temps ma peine et mon plaisir.
Dans
7
MARS. 1732.
527
Dans mes sens agitez leur cruelle puissance ,
Fait succeder la peur sans cesse à l'esperance .
Plaire à l'objet que j'aime, et me voir son époux
Offre à mon coeur sensible un triomphe bien doux ;
Mais la crainte de perdre un bien si plein de
charmes ,
Y porte au même instant les plus vives allarmes.
Par un brillant Ouvrage assembler tout Paris ,
Réunir tous les goûts, charmer tous les esprits ,
Malgré tous les efforts que tente la Critique ,
Captiver par son Art l'attention publique ,
Forcer deux mille mains d'applaudir à la fois ,
Et s'entendre loüer d'une commune voix ,
Presente à mon esprit la plus haute victoire
D'un Guerrier qui triomphe on égale la gloire :
Mais si l'honneur est grand le revers est affreux;
Du Parterre indigné , les cris tumultueux ,
Sa fureur qui maudit et l'Auteur et l'Ouvrage ,
La tristesse et l'ennui peints sur chaque visage,
Tous les brocards malins qu'on vous donne en
1
:
sortant ,
Et votre nom en butte au mépris éclatant.
Le desert qui succede à la foule écartée ,
Accablent à leur tour mon ame épouventée ;
Je crains de deux côtez d'avoir un sort fâcheux ,
D'être Amant traversé comme Auteur malheu
reux.
Il ajoûte en répondant à Damon.
Tout
28, MERCURE DE FRANCE
Tout ce que vous direz ne servira de rien ;
Et pour finir le cours d'un pareil entretien ,
Né superstitieux , je ne suis pas mon Maître ,
Je pense comme vous qu'il est honteux de l'être.
Ma raison me le dit , mais elle perd ses soins ;
J'en sens le ridicule et ne le suis pas moins.
Contre les préjugez en vain on se rebelle ,
La superstition à l'homme est naturelle ,
Et le hazard malin pour la fortifier >
Se plaît incessamment à la justifier.
Je l'ai trop éprouvé dans plus d'une occurrence
La raison ne tient pas contre l'experience ;
Et votre coeur peut - être auroit le même effroi ,
Si vous étiez, Monsieur, sur le point comme moi,
D'attirer du Public la loüange ou le blâme ,
De perdre ou d'obtenir l'objet de votre flame.
La Scene du Prologue se passe chezClitandre.
Les Acteurs de la Piece , dont la Scene
est au Parnasse , sont Apollon , Thalie ,
la Critique.Un Auteur satyrique , le sieur
Dominique , Chrisante, homme singulier ,
le sieur Romagnesi . La Médisance , la
Dlle Sylvia. Le Vaudeville , le sieur Thévenot.
Coxesus, Arlequin.La Contredanse,
le Tambourin , le Menuet , &c.
Apollon et Thalie ouvrent la Scene ;
la Muse commence ainsi.
Seigneur,
MARS. 1732 5299
Seigneur , malgré la brigue et la clameur pu
blique ,
1
Parmi les doctes Soeurs vous venez de placer
La juste et la saine Critique.
Elle vient s'établir dans l'Etat Poëtique ,
Pour y maintenir l'ordre et pour le policer.
Je ne sçaurois, pour moi qui préside au Comique,
Et qui tiens de ses traits mon plus grand agré
ment ,
Donner à votre choix trop d'applaudissement.
Quel bonheur de la voir gouverner le Parnasse
Elle qui par le vrai se regle uniquement ,
Et ne fait à personne injustice ni grace,
Apollon.
Dans le monde on a d'elle une autre opinion
Par un injuste effet de la prévention
De tout le Genre humain on la croit l'ennemie
On croit que sans égard et sans distinction ,
Elle condamne tout par une basse envie.
Pour détruire les faux Portraits ,
Qu'a fait d'elle en tous lieux la noire calomnie ,
Il faut aux yeux de tous qu'elle se justifie ,
Et dévoile an grand jour ses veritables traits.
Chacun viendra lui rendre hommage
Et la feliciter sur ses honneurs nouveaux ;
Elle doit faire voir que son goût toûjours sage,
Scait approuver le vrai , comme blâmer le faux;
Qu'elle
530 MERCURE DE FRANCE
Qu'elle reprend sans fiel , et que son badinage
,
Sans blesser la personne , attaque les deffauts ;
Elle ne prétend plus sur tout qu'on la confonde
,
Avec la Satyre , sa soeur ,
Qui sous son nom , s'affichant dans le
monde ,
Lui fair partager sa nóirceur ;
Elle sent trop qu'il est de son honneur ,
De démasquer cette même Satyre ,
Qui dans sa maligne fureur
Ne reprend point par le désir d'instruire ,
Mais par le noir plaisir qu'elle prend à médire
Et de désavoüer tous ces Auteurs obscurs
Dont la plume anonyme,
Jusques sur la vertu , répand ses traits impurs
Et qu'inspire en secret , sa scoeur illégitime.
t Je dois moi- même les punir ,
.Et pour jamais bannir
Cette engeance coupable ,
Pour la gloire de l'Art qu'elle rend méprisable,
Dans la troisiéme Scene , Chrisante
s'applaudit d'un ouvrage qu'il a entrepris
; c'est la Critique du Public. Ce Tableau
présenté au Public lui - même ,
sous les traits les plus ressemblans , est un
morceau
MARS. 17320
535
morceau que nous n'avons pas cru devoir
ometre.
Apollon.
mais voudriez-vous bien
Le projet est nouveau ,
Me détailler et m'apprendre
Ce que dans le Public vous trouvez à reprendre
Soit dans ses actions , ou dans son entretien ?
Chrisante.
Mille travers , mille bévuës ,
Son gout pour le Clinquant , dont il est le sou
tien ,
Et pour la nouveauté qu'il porte jusqu'aux nuës,
Ou qu'il met au dessous du rien ;
Car jamais il ne garde un milieu raisonnable
Chez lui tout est divin , ou tout est misérable.
Sa fureur pour la mode et pour tout Charlatan 7
Tous les usages foux dont il est partisan ,
Toutes ses politesses fades ,
Ses visites , ses embrassades ,
Et ses saluts du premier jour de l'an,
Du Carnaval ses Mascarades ,
Du Mardy Gras son transport Calotin ,
Et son air sot le lendemain ;
Son exercice aux Thuileries',
Ses caracols , ses lorgneries ;
'Aux Spectacles , ses flots , ses vertiges frequens ,
Ses battemens de mains donnez à contre- temps :
£ Tous
32 MERCURE DE FRANCE
Toutes ses moucheries ,
Ses baillemens , ses crachemens
Aux endroits les plus beaux , les plus interes
sans ;
Son ridicule étrange
De recevoir avidement
La plus insipide louange ,
d'applaudir toujours le banal compliment ;
Qu'on lui retourne incessament ;
Sa rage opiniatre ,
De crier presqu'à tout moment ,
Place aux Dames , place au Théatre ;
Parlez plus haut ; l'habit noir , chapeau bas ♬
Paix , Monsieur l'Abbé , haut les bras ;
Annoncez ; bis , la Capriole,
Et pour tout dire , enfin , l'insupportable Rôle
Qu'il fair , dès qu'au Parterre il se trouve pressé ,
Ce qui révolte l'ame , et fait hausser l'épaule
A tout homme de gout , છàે . tout homme sensé,
Apollon.
Vous peignez là la multitude ,
Mere du tumulte et du bruit ,
Que n'arrête aucun frein , que l'exemple séduit
Qu'entraîne la coutume , ou l'aveugle habitude
Et non le vrai Public que la raison conduit ,
?
D'où part ce grand corps de lumiere ,
Qui me guide moi - même , et sans cesse m³é—
Claire
Ce
MARS. 17320 333
Ce Public , en un mot , avec choix assemblé
Tel qu'on le voit paroître
Aux yeux d'un Théatre réglé.
Quand il écoute en Sage , et qu'il prononce es
Maître
Ses Arrêts qui le font si dignement connoître ,
Et dont nul , avant vous , n'a jamais appellé.
Pour mettre le Lecteur en état de juger
du Dialogue de cette Piece , voici le commencement
de la 6* Scene , entre la Critique
et la Médisance.
Madame , je prens part , comme votre parenté
A votre fortune éclatante.
La Critique.
Pardon , j'ai de la peine à remettre vos traits
J'ai beau vous regarder de près.
La Médisance.
J'ai poutant avec vous assez de ressemblance
La Critique ne devroit pas
Méconnoître la Médisance.
Et de moi dans le monde on fait assez de cas ;
Pour m'avouer d'abord sans nulle repugnance.
La Critique.
Si je vous méconnois , il n'est pas surprenant ;
Le chemin que je tiens , est different du vôtre ;
Fij La
$ 34 MERCURE DE FRANCE
La Raison et le Vrai , me guident constam
ment ,
Et vous plaisés le plus souvent ,
Aux dépens de l'un et de l'autre , &c.
Les dernieres Scenes se passent entre la
Critique , le Vaudeville , la Contredanse ,
le Menuet , &c. et la Piéce finit par un
divertissement aussi ingénieux que singulier.
LE GLORIEUX , Comédie en Vers , en
Actes. Par M. Nericault Destouches >
de l'Académie Françoise , paroît imprimée,
chez François le Breton , au bout du
Pont-Neuf, Quay de Conti. 1732. in 12
prix 25 sols,
TRAITE' de l'Air,des Eaux, et des Habitans
de Warsovie , de leurs Moeurs et
de leurs Maladies , avec le Catalogue des
Plantes qui naissent aux environs . Par
Christian- Henry Erndtel,, Docteur en
Philosophie et en Médecine , Premier
Medecin du Roy de Pologne , Electeur
de Saxe , de l'Académie Germanique des
Curieux de la Nature ; vol. in 4º . imprimé
à Dresde. L'Ouvrage est en Latin, squs
le titre : Warsovia physicè illustrata , & c. 2
CINMAR
S. 173.2. 533
CINQUIEME feüille des Réfléxions
diverses : Nous sommes la cause de la plupart
des deffauts du sexe.
Cet Ouvrage est gouté de plus en plus,
et se fait lire avec plaisir.
Pour ce qui regarde la probité, dit l'Au
teur , pag.70 . notre foiblesse est puissamment
soutenue par les Loix de l'honneur,
qui sont très-séveres pour nous . Un hom
me qui médit , qui calomnie , ou qui
trompe , se perd absolument dans le mon
de ; il ne peut le faire si adroitement
qu'il ne soit décrié sans retour. Obligé
même quelquefois à payer de sa person
ne , il en devient plus circonspect à s'é
carter . Il n'en est pas ainsi des femmes
nous avons attaché leur honneur à des
circonstances fort singulieres , qui sont
toutes differentes ; elles pensent avoir
tout fait quand elles se gardent de ce côté
là , ou qu'elles sauvent les apparences , ce
qui leur est assez facile dans des conjonc
ture , où elles n'ont que faire d'un tiers ;
du reste elles peuvent tromper , calom
nier , mentir impunément . On rejette
tout sur leur foiblesse; c'est un sexe délicat
qui est aussi excusable de ne pas suivre les
devoirs d'une exacte probité , que de ne pou
voir agir avec force , on porter
fardeaux.
de
pesan's
Fiij L'ex
$ 36 MERCURE DE FRANCE
L'experience nous apprend que les femmes
peuvent non-seulement supporter la
fatigue et le travail , mais qu'elles sont
capables , aussi -bien que nous , de courage
, de fermeté , de force d'esprit et de
valeur. Combien d'Héroïnes n'a - t-on
pas vû dans tous les siecles ? combien de
Princesses qui ont gouverné avec sagesse
et avec prudence ? nous voyons tous les
jours des femmes parmi nous qui se tirent
d'elles -mêmes de l'état de non- chalance
et de molesse , où notre prévention
les place , et qui y réussissent aussi - bien
et quelquefois mieux que les hommes
dans les choses qu'elles entreprennent
,
& c.
>
A la page 74 , J'ai connu dans les Païs
- Etrangers une Dame de distinction
d'un esprit et d'un caractere fort doux
qui vivoit tranquillement en Province
avec un mari qu'elle aimoit beaucoup ;
elle eut le malheur de plaire à un homme
de cette espece , qui n'oublia rien
pour la séduire et la brouiller avec son mari
, sans en pouvoir venir à bout . A la fin
il s'avisa d'inspirer de la jalousie au mari
et de lui faire donner des avis secrets , qui
mirent la division dans le ménage.Il conduisit
les choses de maniere que la femme
fut maltraitée . Il lui offrit ses services. Elle
s'enMARS.
1732. SST
s'enfuit avec lui , et se porta ensuite contre
son mari à des extrémités que je ne
rapporte pas ,
&c.
La sixième REFLEXION est la Générosité.
La véritable Générosité , dit l'Auteur ,
Ignore les vains détours ; elle ne prévient
que par le zele et ne s'annonce que par
les bienfaits ; on ne peut imaginer de plaisit
plus délicat que celui d'un homme généreux
, qui découvre une occasion de
faire du bien; il la saisit avec le même
empressement qu'un avare rechercheroit
un trésor ; rien ne lui coute , lorsqu'il s'agit
d'obliger ; soins , peines , richesses , il
employe tout pour tirer un ami d'embar
ras , &c.
Il n'appartient pas à un esprit médiocre
d'être véritablement généreux ; il në
connoît pas assez le prix des belles ac
tions , pour en faire son unique objet i
quelques bonnes que puissent être ses intentions
, il entre toujours quelque chose
de vulgaire dans le systême de sa condui
te ; son jugement n'est jamais assez déterminé
sur le choix des différentes démarches
qu'il doit faire , et souvent il se laisse
entraîner au faux éclat , qui ébloüit le
commun des hommes . Delà vient que certaines
gens
font toujours entrer quelques
circonstances désagréables dans les servi-
F iiij
ces
538 MERCURE DE FRANCE
ces qu'ils rendent ; ils ne vont jamais jusqu'au
bout de bonne grace, ils y mêlent ordinairement
quelques reproches ou quelques
réfléxions , qui marquent de l'inquiétude
ou de la répugnance , ils ne sçavent
ce que c'est que de prévenir , ils se
font presser et prier , ou bien ils veulent
assujettir ceux qu'ils obligent , et prennent
de ces airs d'empire qui caractérisent
les petites gens dans la prosperité .
C'est ainsi que les gens médiocres ne
font jamais rien qui se soutienne ; si ces
obstacles ne les arrêtent, ils donnent dans
d'autres travers , qui ne sont pas moins
blâmables , ce seront quelquefois des fantaisies
de vouloir servir tout le monde,
Ils s'interessent pour le premier venu sans
choix et sans réfléxion , ou répandent leur
hien mal à propos , leurs libéralitez n'ont
pour objet que des bouffons , des courtisanes
ou des flateurs ; ce n'est pas là être
généreux , c'est être foible ; dupe ou dérangé.
Si l'on aime mieux les services que la
maniere dont ils sont accordez , on n'a
qu'à mettre ces sortes de gens dans le cas
d'en rendre qui puissent briller et faire de
l'éclat dans le monde ; on ne sera pas refusé
; mais s'il s'agit d'obliger dans le silence
, leur dureté se fait sentir et dévoile.
leur
MARS. 1732.
leur caractere. Comme ils croyent leur
réputation suffisamment établie par le
bruit qu'ils ont eu soin de faire , ils ne
s'embarassent pas du jugement d'un par
ticulier , qui ne peut balancer la voix pu
blique qu'ils pensent avoir pour eux ,
Il y a des gens rusez qui sçavent mettre
à profit tous les services qu'ils rendent ;
on peut compter sur leurs offices , pourvû
qu'on ait du crédit et de la protec
tion , des esperances de fortune , un nom
ou une réputation qui puisse relever la
leur ; mais ils ne sçavent ce que c'est que
de s'empresser pour des personnes inutiles
à leurs interêts .
D'autres encore plus déraisonnables
sont à craindre par les services qu'ils
n'ont pas rendus ; si on ne veut les avoir
pour ennemis , il faut ignorer leur conduite
, quelque peu obligeante qu'elle ait
été ; dès que vous les démêlez , ik met
tent tout en usage pour la justifier, mensonges
, médisances , calomnies ; ils n'ou
blient rien pour couvrir leurs procedez ,
qu'ils voudroient se cacher à eux -mêmes.
Ce n'est pas toûjours l'avarice ou l'intérêt
qui empêchent les hommes d'être
généreux. Il y a des naturels insensiblesqui
verroient périr tous leurs concitoyens
sans se donner le moindre mouvement
Ev
pour
540 MERCURE DE FRANCE
pour les secourir; d'autres ne connoissent
personne lorsqu'il s'agit de troubler leur
repos , ou d'interrompre leurs plaisirs ; ils
rapportent tout à eux -mêmes ; les interêts
les plus pressans d'un ami , ne les détourneront
pas d'un Spectacle, d'une promenade
ou d'un ,amusement frivole ; les
besoins les plus touchans des personnes
qu'ils connoissent ne balanceront pas
f'envie qu'ils ont d'augmenter un Equipagé,
d'acquerir un Meuble, ou un Bijou.
Pour voir ces sortes de caracteres sortir
de leur indolence , il faut qu'ils soient à
leur tour dans quelques besoins pressans,
alors ils sont actifs et animez , on ne les
reconnoît plus.
JOURNAL LITTERAIRE , année 1730 ,
Tome 16. premiere et seconde Partie. A
la Haye , che Gosse et Neaulme , in 12 .
嘿
Ce Journal , dont il nous est tombé
quelques Volumes entre les mains , se.
soûtient toujours avec la même réputa
tion. Nous donnerons une légere idée de
leur contenu , à mesure qu'il en paroîtra,.
sur tout , pour les titres des ouvrages qui
ne sont guére connus en France .
PROMENADES d'Ariste et de Sophie , ou
Instructions galantes et sérieuses pour
une
MARS. 1732. 341
une jeune Demoiselle qui veut entrer dans
le monde. Par M. L. A Amsterd. chez H.
du Sauzet. 1730. 318 pages in 12.
LA CONNOISSANCE des Eaux Minérales
d'Aix-la-Chapelle , de Chaud-Fontaine et
de Spa , par leurs véritables principes
envoyée à un ami . Par W. Chronet , Docteur
en Médecine , seconde édition . A
Liége , chez François- Alexandre Barchon,
an Pui en Gerardrie. 1729. in 8. 96 pag.
LE LIVRE DE JOB , traduit en François,
sur l'Original Hebreu , avec des Notes
Litterales pour éclaircir le Texte . Par
Théodore Crinsoz. A Roterdam , chez
Abraham Acher. 1729. in 4. de 148 pag.
sans l'Avertissement et la Préface.
RECUEIL DE LITTERATURE de Philosophie
et d'Histoire . A Amsterd. chez F.
Honnoré. 1730, in 12. de 167 pages , sans
la Table.
TRAITE DE L'ETAT DES MORTS et des
Ressuscitans. Par Th. Burnet , Docteur et
Professeur en Théologie , et Maître de la
Chartreuse de Londres ; traduit du Latin .
Par M. Jean Bion , Ministre de l'Eglise
F vj An
542 MERCURE DE FRANCE
Anglicane. A Roterdam , chez Jean Hof
bout , 1731. in 12. de 285 pages.
Les Nouvelles Litteraires de ce xvi* vol.
nous apprennent ( Art. de Vienne ) , que
les Antiquaires de l'Empereur promettent
de donner incessamment une Edition
exacte du fameux Cabinet des Médailles
des Chartreux de Rome, acquis par S.M.I.
Les Planches excelleront pour la gravûre
et seront bien au dessus de celles que les
Chartreux avoient déja données dans lesquelles
il y avoit des fautes si visibles , que
les moindres connoisseurs , sans voir les
Médailles , pouvoient s'en appercevoir.
L'explication des Figures , dont on a
orné une Edition des oeuvres de M. de
Fontenel , faite à la Haye , occupe une
place considérable dans ces Nouvelles , er
mérite l'attention des Lecteurs intelligens.
On imprime à la Rochefoucault, en in 80 , chez
la veuve Débrouée ; Un Traité de l'humilité, aveg
an autre , de la Soumission respectueuse que les
Domestiques doivent avoir pour leurs Maitres , et
du Retour de tendresse des Maîtres à l'égard de
leurs Domestiques . Par M. Roubauld , Abbé de
S. Léonard , près la Rochelle , Chanoine de la
Rochefoucault.
Les Amateurs de la Médecine, de la Phisique,
de
MARS, 1732 . 543
de l'Histoire Naturelle , et de tout ce qui peut y
avoir quelque rapport , seront bien- aises d'ap
prendre qu'il s'est formé à Nuremberg une Société
des plus habiles Médecins , qui par leurs
correspondances , qu'ils tâchent d'augmenter de
jour en jour , par toute l'Europe , s'occupent à
publier toutes les semaines une Feuille en latin ,
remplie des meilleures et des plus nouvelles Observations
, Problêmes , Extraits , &c. à ce qui
est relatif à ces Sciences. Ils
y ajoutent de temps
en temps des Nouvelles Litteraires les plus inté
ressantes , pour ne rien négliger de ce qui pour-,
roit contribuer à établir une correspondance:
universelle , et par là à perfectionner de plus en
plus la connoissance de la Nature et de l'Art salutaire.
On en voit un Volume entier , pour l'année
1731. qui contient so Feuilles, avec l'Extrait.
des articles , et un Indice des matieres. On a inseré
au commencement de ce Tome , les deux
Consultations , publiées il y a plus d'un an , qui
donnent une idée parfaite du louable dessein des
Membres de cette Société , tant pour
d'y pouvoir Souscrire , que pour ce qui regarde
l'Ouvrage méme. On trouve quelque Exemplaires
de ce Volume , chez M. E. Neaulme ,
Utrecht , chez qui l'on peut faire tenir les Lettres
et autres Piéces sçavantes pour la Société de Nu-
, remberg.
1
la maniere
QUESTIONS qu'on nous prie
de
proposer
.
1. Sçavoir si les anciens Grecs et Romains , &c.
connoissoient ce qu'on appelle aujourd'hui la
Maîtrise dans le Commerce , dans les Arts et les
Métiers , ou s'il étoit permis à toute personne,
Libre d'exercer la profession qui-lui convenoit le
mieux
$44 MERCURE DE FRANCE
mieux ; sçavoir, de plus , si cet usage des Maî
trises dans les differentes professions , étoit connu
sous nos Rois de la premiere et de la seconde
Race ; et quelles sont à present les Nations policées
, qui ont ou qui n'ont pas ce même usage.
II. Sçavoir si l'usage des commoditez publiques
dans les grandes Villes a été connu anciennement
et s'il l'est aujourd'hui dans quelque
Ville bien policée , &c.
2
›
III. Sçavoir si le nombre des peuples augmen
te ou diminue dans les differens siécles ; si par
exemple en France il se trouve à present plus
ou s'il se trouve moins de monde qu'il n'y en
avoit il y a 200 ans , il y a 500 ans , il y
a mille :
ans , &c.
IV. En quelques Eglises Paroissiales de France
, on a fait mettre des Bancs , pour que tout le -
monde y soit assis commodément. Ces Bancs
qui sont pour l'ordinaire fort simples , solides et
immobiles , ont un Dossier , avec un Marchepied,
pour se mettre à genoux ; ils occupent pres- '
que toute la Nef, à la réserve d'un espace qu'on
à laissé au milieu et dans les côtez , pour le passage.
On demande si l'on peut imiter cette prati
que , si elle est ancienne , et en general , ce qu'il
en faut penser ?
DEUX QUESTIONS sur la
dénomination des Lettres.
I. QUESTION.
On suppose pour un moment l'ignorance des
Lettres , et que leur Inventeur paroissant pour la
premiere fois , donne les mots cy -dessous , pour.
exprimer les sons d'usage , qui signifient des choses
connues. Il s'agit ensuite de donner des noms
MARS. 17328
$ 45
à ces nouveaux caracteres. Les noms vulgairess
d'aujourd'hui étant proposez , seroient- ils préfé--
rables aux noms que donne le Systême du Bu
Leau Tipographique ?
II. QUESTION..
On demande lequel se feroit le mieux entendre à
une personne qui ne sçait pas lire , de celui qui , -
pour demander les choses signifiées par les mots
cy- dessous , n'en prononceroit que les Lettres ,
selon la Méthode vulgaire ; ou de celui qui n'en
prononceroit que les sons , selon la Méthode da
Bureau Typographique .
EXEMPLES de la Méthode.
Vulgaire. Typographique.
Mots.. Lettres nommées. Noms des Lettres, -
Réputa erre e pe u te ate is
tion . o enne
Ailleurs. ai elle elle e u erre
esse.
ache e erre i esse esse Hérisson.
O enne
Café .. ce a effe e
Becasse. be e ce a esse esse e
Quicon- qu u i ce o enne qu
que це
Saucisse esse a u ce i esse
esse e
'Action ac te io enne
ka fé
Re pe u te a ci
A lhe eu re ce
he re i ce
be ka ce
ki ke ō ke
se o ce i cen
a csi õ
Boeuf be o e u effe be eu fe
Phiole pe ache i o elle e fe io le
-Vi£... # consone i effe ye i fe
Joseph
545 MERCURE
DE
FRANCE
Vulgaire. Typographiqus.
Mots. Lettres nommées. Noms des Lettres
Dâuphin
.
Joseph i consone o esse e pe
ache
de a u pe ache i
enne
Favori effe au consone o
je o ze è fe
de o fe i
soient erre i esse o ie
Vive
enne te
ú consone i u consone
e
fe a ve o re i ze è
ve i ve
Phase pe ache
a esse
e fe a ze
Ligaé elle ige u e
Gant ge a enne te
Gigue ge i ge u e
Gigot ge i ge ot
Agde a gende e
Juge i consone u ge
Gagége a ge e
Jaugé 1 consone a u
ge e
leighé
ghe at
ge i ghe
ge i ghe ot
a ghe de
je u je
ghe a gé
je o gé
Lezé elle e zede e le zé
Volé u consone oo elle e ve o lé
Louve
ne e le ou ve
elle a ne i me a leme
è ze o
elle ou u conso-
Animal a enne i emme a
Maison emme a i esse a
enne
Hyper ache i grec pe e
mnestre erre emme enne
e esse terre e
Mnemo emme enne e emsine
me o esse i enne e
He i pe re me ne
fte re
me ne me o zeine
Stockolm
MARS.
17328 547
Vulgaire. Typographie.
Mots. Lettres nommées.
Stockolm
.
esse te o ce ka o elle
emme
Noms des Lettras.
fteo ke keo le me
•
Mou- emme o u te o
ton
enne
None enne o enné e
Ninive enne i enne i u
consone e
Agneau a ge enne e a u
Cha- ce ache a pe e
peau a u
me ou te õ
ne o ne e
ne i ne i've
a gne o
che a pe
ve o
Veau u consone e a u
Pain pe a i enne
pe î Vin u consone i enne ve i
Viande u consone i a enne
de e
ve iã de
Chou ce ache o u
che ou
Volail- u consone a elle a i
le. elle elle e ye o le a lhe
Taxe te a isque e te a kse
Exil e icse i elle e gze i le
Suson esse u esse o enne se u ze õ
Deux de e u isque
de eu ce
Styx
Taxé te a icse e
Perplex pe e erre pe elle e
isque
esse ti grec isque
Voeux u cans.o e u icse
Vivre u cons.i u cons.erre e ve i ve re
Zizanie zede i zede a enne ie
Chuche- ce ache u ce ache e
ICE re e erre
ze i ze a ne ie
che u che te re
te a csé
pere pe le ksce
fte i кse
ve eu ce
Milhau
548 MERCURE DE FRANCE
Vulgaire.
Mots. Lettres nommées.
Typographique.
Noms des Lettres
Milhau emme i elle ache a ume il he o
Vigneu cons. i ge enne e ve igne.
Proven- pe erre o u consone
e enne ce a elle çal
Langue- elle a enne ge u e de
pe erre o ve a ce
a le
dochien e ce ache ie enne le a ghe de o che
Bour- be o u erre ge u ités
gui- i ge enne o enne
gnon
Castil- ce a esse te i elle elle
lan. a enne
be ou re ghigne
õ
ka fte i lhe a
Si quelqu'un dit qu'on a choisi exprès les mots
les plus propres, pour faire voir la supériorité de
la Méthode Typographique , sur la Méthode
vulgaire ; on lui répondra, en convenant du fait,
et en défiant tous les Maîtres , sans exception , de
pouvoit trouver un seul mot , en aucune languei
vivante ou morte , dans lequel la dénomination.
et la Méthode vulgaire , ayent aucun avantage
sur la Méthode du Bureau. Si le fait est tel
comment se peut - il trouver un seul critique
contre la Pratique de la dénomination des sons
et des Lettres ?
C'est l'effet de la prevention qui met souvent
audessus de la raison de très -grans génies , et
à plus forte raison , de petits esprits incapables de
saisir , de suivre et de retenir les principes et les
raisonnemens sur le moindre sujet , & c.
L'Académie de Chirurgie , établie à Paris ,
sous la protection du Roy , désirant contribuer
aux
MARS. 1732.
549
aux progrès de cet Art , et à l'utilité publique ,
propose pour sujet du Prix de l'année 1732. la
question suivante : Pourquoi certaines Tumeurs
doivent être extirpées , et d'autres simplement ou
vertes. Dans l'une et l'autre de ces Opérations , quels
sont les cas où le Cautere est préferable à l'Instrument
tranchant , et les raisons de préférence:
On a appris par des Lettres de Suede , un fait
extrémement singulier. Un enfant de onze ans ,
né aveugle à Torna , a recouvré la vûë le 13
jour d'une petite verole. Belle matiere à Dissertation
sur les maladies et les accidens qui peuvent
être utiles au Corps humain.
On apprend de Corfou , par la voye de Venise
, qu'il y étoit tombé pendant trois jours une
pluye si abondante , que plusieurs Villages voisins
avoient été submergez ; que cette pluye
avoit été précédée d'une secousse assez vive de
tremblement de terre , accompagnée d'un grand
bruit , qu'on avoit entendu du côté du Port , où
la Mer avoit paru se gonfler ; que dans un seul
jour le tonnerre étoit tombé cinq fois sur un
même Vaisseau de Guerre , où il n'avoit tué que
deux Matelots , et que pendant la tempête , l'air
étoit tout rempli de Hiboux , de Chauve- souris
et d'autres Oiseaux Nocturnes , qui venoient se
percher sur les Mats et les Vergues des Bâtimens
du Port.
Il paroît chez la veuve Chereau , ruë S. Jac.
ques , aux deux Pilliers , et chez Surugues , Graveur
du Roy , rue des Noyers , une Estampe ,
nouvellement gravée , d'après un Tableau de
Watteau , representant une sainte Famille , dont
le
55 MERCURE DE FRANCE
le public connoisseur , aura tout lieu d'être satisfait.
Il va encore paroître dans peu 4 Estampes
d'après les 4 Saisons , peintes par ledit Watteau,
et dont les compositions gálantes pourront
plaire généralement
On continue à graver sans relâche , d'après
plusieurs Tableaux de grande composition , du
même Auteur ; entr'autres , le fameux Enseigue
qu'il fit pour M. Gersain , son ami , et qui fut
exposé pour les curieux , pendant quelque
temps , au Pont Notre- Dame .
La profession que nous faisons d'honorer les
Beaux Arts , et de faire connoître les sujets qui ›
s'y sont distinguez , nous oblige de publier un
Mémoire , qui nous a été communiqué , au sujet
de Jacques- Philippe Férrand , Peintre , mort à
Paris depuis peu.
Il naquit à Joigny , en Bourgogne , le 26 Juillet
1653. et eut pour pere Louis Ferrand , Médecin
du Roy Louis XIII.lequel en mourant laissa
son fils dans un âge fort tendre. Le jeune Ferrand
fut mené à Paris , où il marqua de gran
des dispositions pour la Peinture. Il apprit d'abord
a dessiner chez M. Mignard , ensuite à
peindre en Miniature , de Samuel Bernard ou
Besnard ; enfin il se forma de lui - même à peindre
en Email , à quoi son génie le portoit , et il
y excella.
En l'année 1684. il fut reçu en la Charge de
Valet de Chambre du Roy Louis XIV.En 1688 .
il fut agréé à l'Académie Royale de Peinture et
de Sculpture , et il fut reçu le 27 May 1690.
Il fit ensuite plusieurs Voyages en Italie , en
Allemagne , en Angleterre. Il étoit à Turin sur
la
3
MARS. 1732. 551
Aa fin de l'année 1695. et fit un tres-beau Por
trait en Email du Duc de Savoye . Ce Prince
en fut si content , qu'il fit l'honneur au Peintre
François , d'aller jusques dans son logement , lui
témoigner sa satisfaction , et lui offrir un appar
tement dans son Palais ; ce qu'il accepta. Son séjour
à Turin -fut d'environ deux années , pendant
1equel temps S. A. R. lui donna des marques
continuelles de bonté et d'une particuliere satis
faction.
Arrivé à Génes peu de temps après, il reçut du
Doge , qui aimoit la Peinture , et qui favorisoit
le mérite , les mêmes honneurs et les mêmes distinctions
dont il avoit été comblé à Turin.
De Génes il passa à Florence , où il fut presenté
au Grand Prince ( leGrand Duc étant absent
) par l'Ambassadeur de France . S. A. lui fit
voir elle- même toutes les magnifiques curiositez
de son Palais , et fit tous ses efforts pour le rete
nir à sa Cour.
Son séjour à Rome fut de 13 mois . Il fit le
Portrait du Pape Innocent XII . celui de la Princesse
Pamphile , et quelques autres qui augmenterent
sa réputation.
En revenant en France , il s'arrêta encore à
Turin pendant quelques mois . Il arriva enfin à
Paris sur la fin de l'année 1698. Le Roy lui ardonna
quelques Ouvrages , dont S. M.parût fort
satisfaite. Des chagrins domestiques qui survinrent
et dont le Mémoire fait le détail , ne permirent
plus guére à M. Ferrand de travailler. Il
donna cependant au public en 1723. un Traité
curieux , intitulé : L'Art du Feu, ou la maniere de
peindre en Email ; 'qui contient un petit Traité
de Miniature , &c. Ce Livre se vend à Paris, chez
Collombat , ruë saint Jacques.
552 MERCURE DE FRANCE
Il est mort à Paris le 5. Janvier de cette année
1732. âgé d'environ 78. ans , et inhumé dans
l'Eglise de S. Jean en Gréve , ne laissant de plusieurs
enfans de son Marige avec Jeanne Colin
de Tours , qu'Antoine Ferrand , aussi Peintre.
André- Charles Boulle , natif de Paris , Archi
tecte , Peintre et Sculpteur en Mosaïque , Ebeniste-
Ciseleur et Marqueteur ordinaire du Roy , né
en l'année 1642. le 10. Novembre , est mort le
29. Février 1734. à Paris dans les Galleries du
Louvre , où il avoit l'honneur d'être logé depuis
Pannée 1672. Get illustre Artiste , dont le mérite
étoit connu en France et dans les Pays Etrangers,
-est infiniment regretté par les Amateurs des Beaux-
- Arts. Il laisse des fils de sa Profession heritiers
de ses talens et de son logement aux Galleries du
Louvre.
La Dame Pariso , pourvûe du Privilege du
sieur Renty , pour le Métal qui imite l'Or , donne
avis qu'elle demeure ruë de Grenelle - Saint-
Honoré , en entrant par la rue S. Honoré à
gauche , vis - à vis l'Hôtel de Vivaretz , où est
son Tableau , et où elle tient son Magazin , composé
de toutes sortes d'Ouvrages ; sçavoir , Lustres
, Surtous de Tables , Girandolles , Bras à
deux et à une branche , Chandeliers de toute
- grandeur , Sucrier , Moutardier, Cuillere , Fourchette
, Manche de Couteau , Garniture de Fen à
figure et autres , uni et cizelé , Seaux à rafraî
chir le vin , Ecritoire , Garde d'Epée , Pomme
de Canne , Tabatiere , Etuy , Boucle de Soulier ,
Sonnettes , Cachet , Garniture de Commode , de
Pendule , le tout ciselé en bas et haut relief,
uni , &c₁
Elle
MARS . 1732.
553
C
3
Elle donne aussi avis aux Ecclesiastiques et
Communautez, qu'on fait des Ornemens d'Eglise
des plus propres , tels que Chandeliers de toute
grandeur , Croix , Tabernacles , Crosses, &c. On
fait géneralement toutes sortes d'Ouvrages , comme
en or et en argent et autres Métaux. On les
nettoye ; sçavoir , s'il y a de la cire ou du suif sur
la Piece , il faut la mettre devant le feu / pour la
faire fondre et la bien essuyer et frotter.
Quand la Piece a servi très- long - temps , ou
qu'elle est trop montée en couleur , pour la mettre
dans son premier état , comme sortant du
Magazin , il faut prendre du Vinaigre de vin ,
y mettre du Tripoly ou Blanc d'Espagne dedans,
prendre une éponge ou du linge doux , bien frots
ter la Piece avec ledit Vinaigre et Tripoly, com
me si on écuroit un Chandelier de Cuivre , sans
craindre d'ôter la dorure qui revient d'elle - même;
après l'avoir ainsi nettoyée , il la faut jetter dans
l'eau claire , la retirer et la bien essuyer avec un
linge sec ; plus on la frottera , plus elle deviendra
belle ; si on ne la trouvoit pas assez dorée , il
faudra la mettre bouillir trois ou quatre minutes
dans l'eau de Riviere , et en la retirant de l'eau
la bien frotter avec un linge sec.
Ceux qui ne voudront pas se donner la peine
de nettoyer ces Ouvrages , n'auront qu'à les envoyer
audit Magazin , on les leur rendra propres
et nettoyez gratis , le Métail n'est point cassant,
CHAN554
MERCURE DE FRANCE
Bacchus
CHANSON.
Acchus et Cupidon , cessez d'être ennemis,
Er ne vous séparez jamais pour votre gloire.
J'étois indifferent , Aminthe m'a fait boire ;
Le vin à l'Amour m'a soumis ,
Le jus divin fit entrer dans mon ame;
Les feux qui partoient de ses yeux.3
L'Amour , au vin qui fit naître ma flâme,
Me fit trouver le goût de la boisson des Dieux ;
J'étois indifferent , Aminthe m'a fait boire ;
Le vin à l'Amour m'a soumis ;
Bacchus et Cupidon , cessez d'être ennemis ;
Et ne vous séparez jamais pour votre gloire.
L. C. D. N. D. M.
XXXXXXXXXXXX:X :XX
SPECTACLES.
EXTRAIT de la Tragi-Comedie de
Danaüs , de M. de Lisle , représentée
sur le Théatre de l'Hôtel de Bourgogne ,
le 21. Janvier 1732.
L'AU
' Auteur a conservé dans cette Piece toute
l'Histoire des Danaïdes , elles y égorgent
leurs Epoux par l'ordre de Danaüs ; la seule Hyper
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
1
E
J'
M
J'
ZA A4
Ba
TAD
SW
YORK PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
*
E
L
lew
MARS. 1732.
555
permnestre sauve Lincée ; et pour traiter d'ane
maniere nouvelle ce Sujet , qui est connu sur notre
Théatre , l'Auteur n'y fait point paroître Lin
ée , qui cependant est le mobile de tout ce qui
se passe sur la Scene ; l'Episode d'Argée y produit
des interêts nouveaux et des situations toutes
differentes de celles où jusqu'ici l'on a fait
voir Hypermnestre ; ce même Argée est supposé
fils de Gelanor, Roy d'Argos , et qui fut déposé
dans le temps que ses Sujets rebelles choisirent
Danaus pour lui succeder. Ce jeune Prince ignore
sa naissance ; et Créon , son Gouverneur, qui
passe pour être son pere , en a seul te secret. I
est amoureux d'Hypermnestre , et il est aimé ;
Danaus qui lui doit une partie de ses victoires ,
l'avoit destiné à l'Hymen d'Hypermnestre , qu'il
n'a suspendu que pour envelopper dans la mort
de tous ses Neveux , celui dont l'Oracle l'avoit
inenacé le caractere d'Argée est grand et même
nouveau, sa generosité superieure à l'Amour et à
l'Ambition , se réunit naturellement avec les sentimens
de devoir , ausquels Hypermnestre se livre
absolument . On voit par tout dans cette Piece
une vertu épurée , opposée au crime et à l'injustice
; les innocens sont couronnez par la Catastrophe
et les Criminels punis.
Cette Tragédie n'est qu'en trois A ctes ; on n'y
a ajoûté des Intermedes que par rapport au Théatre
Italien . Ils sont ingénieux et l'idée en est
nouvelle , ils composent une petite Comédie qui
naît du plus grand tragique ; elle présente une
ébauche des maux que les crimes des Grands font
tomber sur le Public.
Quidquid delirant Reges , plectuntur Achivi.
L'Auteur fait jouer sur le même Sujet la Tra-
G gédic
L
h
$ 56 MERCURE DE FRANCE
gédie à la Cour , et la Comédie à la Ville , et
chaque Acte tragique en produit un comique.
Au premier Acte , la Scene se passe dans la
nuit, et commence au moment que Danaus compte
que ses Neveux sont morts. Créon et Idas ouvrent
la Scene ; le premier est un ancien Capitaine
du Roy Gelanor , et crû pere d'Argée , et l'autre
est aussi un vieux Officier attaché au même Roy.
Il revient de l'exil que sa fidelité pour son Prince
lui avoit attiré. Ces deux amis se retrouvent
dans Argos après une longue absence ; et dans le
détail de leurs avantures , ils exposent le Sujet
par l'Histoire de Gelanor et de Danaüs , celle
d'Argée , son amour pour Hypermnestre , et le
Mariage de cette Princesse avec Lincée , qui dé--
truit sans ressource toutes les esperances d'Argée.
Cete Scene finit par le récit que fait Créon d'un
prodige arrivé dans le Temple au moment de la
solemnité du Mariage des Princes avec les Princesses
, &c.
Danaus , accompagné d'Antenor , son Confi.
dent et Sacrificateur , apprend que ses Neveux
ont été égorgez ; il se livre à tous les remords
dont il est agité , rappelle à Antenor que c'est lui
qui par ses conseils l'a déterminé à ces forfaits .
Il appréhende que le Soleil ne découvre bientôt
aux Mortels les horreurs que les tenebres de la nuit
lui ont cachez. Il prévoit que son Frere ya bientot
arriver avec toutes les forces de l'Egypte pour
venger la mort de ses fils , et il ajoûte qu'il veut
( en couronnant la tendresse d'Argée ) opposer
sa valeur aux efforts d'Egyptus , et qu'il a mandé
cet Amant malheureux , & c.
Argée arrive , Danaus lui fait entrevoir qu'il
est sur le point d'être heureux . Argée en est fort
surpris , scachant que la Princesse est entre les
bras
MARS . 17320 557
bras de son Epoux.Danaüs lui rappelle l'histoire
de sa vie , et celle d'Egyptus , les raisons qui le
firent sortir de l'Egypte , et celles de la haine
qui étoit entre son Frere et lui ; et enfin comme il
est parvenu au Thrône d'Argos, où il se voit encore
menacé par des nouveaux périls , &c . Argée
étonné de ce qu'il vient d'entendre , dit à Danaüs,
que l'alliance qu'il vient de contracter avec
Egyptus , le met au dessus de tout ce que ses
ennemis pourroient entreprendre. Danaus lui
apprend enfin que l'Oracle l'a averti qu'il devoit
périr par la main d'un de ses Neveux , que c'est
pour le prévenir que sous les noms de Paix et
d'Hymenée , il les a attiré dans Argos , et que
ses filles viennent de les égorger.
Argée épouvanté , demande à Danaus si Hypermnestre
a été capable d'un si noir attentat.Danaus
lui fait entendre qu'elle lui rend par là son
coeur.
Argée déteste encore dans un Monologue le
crime de Danaus , il frémit de ce qu'il veut lui
rendre une Amante, teinte du sang de son Epoux,
il préfere la mort à cet hymen , et n'est sensible
qu'à la haine des forfaits , qui révoltent son ame
contre la Princesse . Elle arrive ; il ne la voit
qu'avec horreur. La Princesse lui apprend qu'elle
a sauvé son Epoux , contre les Ordres du Roy ;
quoiqu'il l'eut flaté de l'espoir d'épouser Argée.
Hypermnestre dit à Argée qu'elle n'a recours
qu'à sa générosité , pour sauver son rival. Argée
charmé de voir que la Princesse n'est point criminelle
, se livre au plaisir de la voir toujours
digne de lui ; il veut seconder sa vertu , aux dépens
de son amour et de sa vie , et part pour
exécuter ce gencreux dessein .
Dans le premier Intermede , Arlequin et Eu-
Gij phro
558 MERCURE DE FRANCE
phrosine sa future épouse , viennent au lever. de
l'Aurore , dans un Bois consacré à l'Hymen ; le
pere d'Euphrosine saisit la naissance d'un si
beau jour , pour achever leur hymen , trouvant
que l'aspect du Ciel est favorable à l'Amour. Il
en juge par l'Hymen des Princes d'Egypte ,
avec les Filles de Danaüs ; et appuye son jugement
sur la réfléxion qu'il fait , que nous sommes
necessairement entraînez par la destinée
nos Rois , et que nous partageons leurs malheurs
comme leurs félicités . On chante, on danse
; mais dans le plus fort de la fête , la mere
d'Euphrosine vient apprendre que les Fils d'E
gyptus ont été tuez par leurs Epouses , &c. Arlequin
fait divers Lazzis de frayeur , et prend la
fuite.
Au second Acte , Argée arrive , accompagné
de Créon . Ce Prince lit l'Acte public , par lequel
Géanor le reconnoît pour son fils. Créon lui apprend
les raisons qu'il a eues de lui cacher sa naissance
, et l'exhorte à profiter du crime de Danaus
, pour remonter sur le Thrône ; il lui dit que
tous ses amis assiégent les Portes du Palais , et
qu'ils n'attendent que lui pour punir le Tyran.
Argée surmontant l'amour et l'ambition , lui répond
que Danaus n'a point eu de part à l'exil de
son Pere , &c. qu'il doit toujours reconnoître
en lui le Pere d'Hypermnestre , qu'il veut même
le servir , puisque ce Prince lui offre encore ia
Princesse et l'Empire , et qu'il se déshonorerojt
s'il lui ravissoit avec la vie,des biens qu'il veut lui
rendre , &c.
Créon admire la grandeur d'ame de ce Prince
et voulant le conserver pour le bien de sa Patrie
il sort pour donner le signal de l'attaque et faire
agir Lyncée contre Danaus , &c.
Danaus
MARS. 1732
559
き
Danaus entre avec un Officier qui lui apprend
que Lyncée est échapé , et qu'il l'a vû escorté
du seul Argée , et que le bruit se répand que ce
dernier est le fils de Gélanor. Danaus frappé de
ces circonstances , ordonne qu'on arrête Argée et
Créon , et fait chercher Hypermnestre. Danaus
se livre ensuite à ses craintes et à ses temords .
Hypermnestre vient joindre Danaus . Ce Prin
ce lui demande si son Epoux est mort ou vivant.
La Princesse répond fierement qu'elle l'a
sauvé. Danaus furieux , lui demande quelle récompense
elle en attend ? La mort , dit- elle . Danaus
la lui promet d'abord ,mais combattu par
la
crainte , il tâche finement de séduire la Princesse,
en lui faisant envisager que l'action de générosité
qu'elle vient de faire , entraîne nécessairement
la mort de son pere , sans compter les malheurs
de sa patrie , par les efforts qu'Egyptus va faire'
pour vanger la mort de ses fils . Danaus toujours
irrité , lui dit encore qu'il est informé de tous ses
crimes, et que c'est Argée qui a sauvé son Epoux .
Hypermnestre épouvantée , lui répond de ne pas
mettre le comble aux horreurs de son injustice ,
et que son crime seul suffit pour son supplice.
Antenor vient apprendre à Danaus que son Palais
est attaqué. Ses Gardes forcés , et que son
Neveu est à la tête des conjurez , assemblez par
les soins de Créon. La Princesse étonnée des périls
qui menacent son pere , le conjure d'avoir
recours à la valeur d'Argée. Danaus furieux , lui
dit que pour épouvanter les Rebelles , il le va faire
immoler à leurs yeux , et forme le dessein de
la faire immoler elle - même sur l'Autel des Euménides
; il commande à ses Gardes de l'y conduire
, il se retire pour aller s'opposer aux Rebelles
, &c.
G iij Dans
560 MERCURE DE FRANCE.
Dans l'Intermede du second Acte, Arlequin armé
de toutes Pieces , paroît tremblant de peur, muni
d'une Bouteille de vin ; comme il se croit en lieu
de sureté , il fait des réfléxions comiques et satiriques
sur tout ce qui se passe actuellement dans
Argos . Dans le temps qu'il boit pour prendre
courage , un bruit de guerre , et les clameurs des
combatans l'interrompent ; il veut prendre la fuite
, mais il est empêché par l'entrée de ces mêmes
combattans , qui font un combat en forme
de Balet, dans lequel le parti de Danaüs est battu ,
et celui d'Argée celebre la victoire par de nouvelles
Danses. On apperçoit Arlequin , caché à
un coin du Théatre , qui contrefait le mort. Un
des combattans lui enterre sa Bouteille et l'oblige
de le suivre au combat. Arlequin dit en
s'en allant , que s'il y rencontre la Victoire , la.
peur ne manquera pas de la conduire sur ses pas.
Cette Scene est tres- comique et dans le vrai ca.
ractere d'Arlequin ..
Le troisiéme Acte commence par un Monolo
gue d'Hypermnestre ; elle a été conduite à l'Au
tel des Eumenides , pour y être sacrifiée ; elle
s'abandonne à sa douleur. Argée , dit- elle, va être
immolé pour elle , son Epoux est armé , et son
Pere va périr ; elle ne sçait pour qui faire des
voeux ; quand Idas arrive , il lui apprend qu'Argée
est sauvé , et que tout a changé de face. La
Princesse demande d'abord ce que son Pere et son
Epoux sont devenus ; Idas lui dit qu'il les a vûs .
engagez dans le combat , et lui en fait le détail
qu'Argée s'est armé avec précipitation et que
suivi de l'Elite de ses libérateurs , îl s'est mêlé
tout furieux , parmi les combattans. Hypermnestre
craint d'abord que ce Prince n'ait dessein de
se vanger de son Pere ; mais sa générosité la ras--
sure
MARS. 1732 561
sure. Elle ordonne à Idas de l'aller joindre dans
un si grand péril. Antenor arrive , suivi d'une
Troupe supérieure , et se rend maître du Temple
; il dit à la Princesse qu'il faut qu'elle en rétire
son Pere elle - même par son sang , puisque
c'est son infidelité qui cause tous ses malheurs et
que le Roy prêt à périr , veut que tous ses ennemis
l'emmenent aux enfers . La Princesse se détermine
généreusement à la mort , et se jette au
pieds de l'Autel pour être immolée. Antenor fait
son invocation , et dans le temps qu'il leve les
bras pour la sacrifier , Danaus arrive , blessé à
mort et soutenu par Argée et par Créon. Il dit
qu'un sang plus criminel doit appaiser les Dieux ,
et ordonne aux Prêtres de sacrifier Antenor.
Danaus dit que c'est pour la premiere fois qu'il
entend ce que les Dieux commandent , et qu'en
périssant , il doit finir par un trait de justice. Il
apprend à Hypermnestrè que son Epoux ( qui l'a
blessé à mort est mort de sa main , qu'Argée
Pa retiré ( lui Danaüs ) des mains de ceux qui
alloient lui ravir ce reste de vie . Il dit enfin à la
Princesse qu'elle est libre , par la mort de son
Epoux , et l'exhorte à épouser Argée. Danaus
expire avec tous les remors que la grandeur de
ses crimes doivent lui causer.
L'arrivée d'Arlequin fait le troisième Intermede
; il revient du combat , fier et rempli de
lui même ; son Monologue est fort comique. Euphrosine
, sa Maîtresse , vient le joindre ; on ce-
Tebre leur mariage par des Chants et des Danses
qui finissent la Picce. La Musique de ces trois
Intermedes , qui très - bien caractérisée , est de
la composition de M. Mouret.
Le Vendredy, 7. de ce mois , on donna
G iiij 30
562 MERCURE DE FRANCE
し
au Théatre François.la premiere Représentation
de la Tragédie d'Eryphile , de
M. de Voltaire , que le Public a trouvée
pleine d'harmonie et d'élégance dans les
Vers et de pensées nobles et élevées, la diction
en est mâle , et les traits heureux , les
descriptions, les images, les réfléxions , les
maximes neuves et hardies. Nous entrerons
point dans quelques détails sur tout
cela, ainsi que sur le fonds et l'economie
de la Tradédie , qui est extrémement applaudie
par de nombreuses assemblées.
Nous comptions ne donner l'Extrait
de ce Poëme que dans le mois d'Avril ,
mais le Memoire qu'on va lire , dans les
mêmes termes qu'il nous a été envoyé ,
nous dispense de ce soin. Nous ajouterons
seulement que cette Tragédie est
parfaitement bien représentée par la Dile
Balicour , qui y jouë le principal Rôle , et
par les Srs Dufréne , Sarrazin et le Grand
qui remplissent ceux d'Alcmeon ; d'Hermogide
et du Grand Prêtre. Voici le Memoire.
ERYPHILE est de la composition de l'illustre
M.de Voltaire,connu dans l'Europe
comme le seul Poëte Epique de nos jours
et comme l'Auteur Tragique , qui , sans
contredit , est le plus précis dans les pensées
et le plus harmonieux dans la diction
,
MARS. 1732. 563
, ་
tion ; on peut encore ajoûter , depuis son
Histoire de Charles XII. qu'il est l'Historien
de son siecle , le plus ingénieux er
le plus élegant ; son stile est plus vif et
plus nourri que celui de l'Abbé de Vertot
, et les Refléxions sont aussi profondes
et aussi bien liées au Sujet que celles
de l'Abbé de S. Réal. Il faut avouer la
verité , il n'y a eu personne dans l'Antiquité
ni dans le temps present, qui se soit
distingué à la fois par tant de côtez , et qui
ait fait de bons Ouvrages dans des genres
si differens. M. de la Motte avoit voulu être
universel , mais avec bien de l'esprit , il
n'avoit réussi qu'à être médiocre dans bien
des genres , et ne s'étoit élevé au sublime
dans aucun. Il y a bien parû quand il voulut
, pour dégradér l'Oedipe de M. de Voltaire
, en donner un de sa façon . On vit en
cette occasion la difference de ces deux gé
nies , et tout le mérite de M.de la Motte le
laissa bien au- dessous de son jeune Rival .
Il paroît que le Sujet d'Eriphile est presque
tout de l'invention de M. de Voltaire
; il n'a pris de la Fable autre chose
si-non quEriphile fut la cause de la mort
d'Amphiarus son mari , et fut tué part
Alcmeon son fils. Voilà sur quel fondement
M. de Voltaire a construit une Tragédie
dans un gout entierement nouveau .
Gv Jamais
564 MERCURE DE FRANCE
Jamais Piece ne fut plus vive et n'eut
plus d'action , sans devoir sa vivacité à
une multitude d'évenemens qui n'est que:
la ressource des Auteurs sans génie. L'Auteur
a osé suivre le gout Grec ; on voit
dans sa Piece un Peuple assemblé devant
lequel on demande la Couronne ; l'Om--
bre d'Amphiarus apparoît sur le Théa
tre , on entend les cris de la mere et
ceux de son fils qui l'égorge. Et toutes.
ces hardiesses si neuves n'ont réüssi que
parce qu'elles sont conduites avec une :
extreme sagesse..
Vous voyez d'abord dans cette Piece si
originale , une femme qui avoue qu'elle:
a eû autrefois de la foiblesse pour un
Prince qui l'a trompée ; cette foiblesse :
a été cause de la mort de son mari et des
malheurs d'Argos. Cet Amant nommé
Hermogide , encouragé par les esperances
que
lui a données la foible et malheureuse
Eriphile , a assassiné Amphiarus. En quels
Vers moelleux et patetiques cette triste.:
avanture est contée !
C'est cet âge fatal et sans experience ,
Ouvert aux passions , foible , plein d'imprudence
C'est cet âge indiscret qui fit tout mon malheur ;
Un traître avoit surpris le chemin de mon coeur.
P
Une::
C
MARS. 565 1732.
Une main impie ,
Ou plutôt má foiblesse a terminé sa vie.
Hermogide en secret immola sous ses coups ,
Le cruel tout couvert du sang de mon Epoux ,
Vint armé de ce fer , instrument de sa rage ,
Qui des droits à l'Empire étoit l'auguste gagey
Et d'un assassinat pour moi seul entrepris ,
Au pied de nos Autels il demanda le prix.
Grands Dieux ! qui m'inspirez mes remords le
gitimes ;
Mon coeur , vous le sçavez , n'est point fait
les crimes ;
Il est né vertueux .. .. je vis avec horreur
Le coupable ennemi qui fut mon séducteurs
Je détestai l'Amour et le Trône et la vie. ·
pour
Voilà quel est le caractere coupable
et interressant de cette Princesse malheureuse
; les Dieux la punirent de sa
faute et empêcherent Hermogide d'en
cueillir le fruit. Argos fut desolée par des
Guerres Civiles ; les Oracles furent con--
sultez , ils ordonnerent que la Reine ne
chosit un Roy que lorsque deux Roys
seroient vaincus auprès d'Argos ; ils ajoûterent
que ce jour seroit la fin de tant
de malheurs , mais qu'il en couteroit la
vie à Eriphile , et qu'elle mourroit de la
main même du fils qu'elle avoit eu d'Am-
Gvj phiarus.
"
1
566 MERCURE DE FRANCE
phiarus. La Reine fir alors éloigner ce fils
qui étoit dans sa tendre enfance ; elle le
tint dans l'ignorance de son rang , de
peur que l'envie de regner ne le portât
un jour à accomplir ces malédictions ct
à commettre un parricide. Cependant
après beaucoup de malheurs et de guerres,
le jour prédit arrive où deux Rois sont
vaincus par un jeune Guerrier , Licutenant
d'Hermogide nommé Alcmeon.Voici
le temps où il faut nommer un Roy ;
Argos le demande, les Dieux Fordonnent.
Hermogide , à qui il ne manquoit que le
nom de Souverain , compte sur son pouvoir
, sur la foiblesse de la Reine , et
même sur ses crimes ; il lui parle et la
fait trembler ; Eriphile qui consulte le
Ciel sur sa destinée , apprend que son
fils vit encore ; elle assemble les Chefs
et le Peuple ; elle déclare devant eux que
ce fils est vivant ; elle indique les lieux
qu'elle croit qu'il habite , et le nomme
Roy en presence même d'Hermogide . Cet
audacieuxPrince privé dans ce moment de
la Couronne où il touchoit , déclare publiquement
à la Reine et au peuple , qu'il
a tué lui- même cet Enfant que les Dieux
réservoient au parricide. Il s'écrie devant
cette grande Assemblée.
J'atteste
MARS. 1732 .
567
J'atteste mes Ayeux et ce jour qui m'éclaire ,
Que j'immolai le fils pour conserver la mere ;
Que si ce sang coupable a coulé sous mes coups,
J'ai prodigué le mien pour la Grece et pour
yous.
Vous m'en devez le prix ; vous voulez tous us
Maître ; 1
L'Oracle en promet un , je vais périr ou l'être ;
Je vais vanger mes droits contre un fils supposé;
Je vais rompre un vain charme à moi seul opposé.
Soldat
par mes travaux et Roy par ma naissance,
De vingt ans de Combats j'attends la récompense ,
Je vous ai tous servis ; ce rang des demi Dieux ,
Deffendu par mon bras , fondé par mes Ayeux ,
Cent fois teint de mon sang , doit être mon partage
;
Je le tiendrai de vous , de moi , de mon courage;
De ces Dieux dont je sors et qui seront pour moi.
Amis , suivez mes pas , et servez votre Roy.
A cette découverte affreuse , la Reine
menacée d'être détrônée par son ancien
Amant , privée de son fils et obligée de
faire un choix , se tourne vers Alcmeon ,
ce jeune Guerrier qu'elle aime en secret
malgré elle , et lui ordonnant de venger
son fils , le chosit pour son Epoux. Cet
Hymen à qui tout le Peuple applaudit ,
se prépare ; ces deux Amans heureux
vont
588 MERCURE DE FRANCE
vont s'unir au Temple , mais dans l'ins
tant qu'ils se vont donner la main , l'Om
bre d'Amphiarus sort de son Tombeau au
milieu du Tonnerre et des Eclairs , et
ordonne à Alcmeon de le venger de
sa mere. Cet ordre obscur et épou--
ventable , est un coup de foudre pour
Eriphile , pour Alcmeon , et pour le
Peuple.
Alcmeon qui n'a plus de mere , et
qui s'est toujours crû fils d'un Esclave ,
avoüe enfin ce secret humiliant ; mais cet
aveu ne fait qu'augmenter l'horreur et
l'attendrissement de la Reine ; elle se ressouvient
qu'elle a autrefois donné son
propre fils à élever à une Esclave. Pendant
que la Reine et Alcmeon se font
mutuellement des questions qui les jettent
dans un trouble nouveau , arrive
le Grand- Prêtre , une épée à la main ; lại
Reine reconnoît l'épée Royale d'Amphiarus
; c'est cette même épée dont Her.
mogide s'étoit emparé , et dont il avoit
percé le jeune Alcmeon dans son Berceau.
Voici , dit le Grand- Prêtre ::
Voici ce même fer qui frappa votre enfance ,
Qu'un cruel, malgré lui, Ministre du Destin ,
Troublé par ses forfaits , laissa dans votre sein,
Le Dieu qui dans le crime effraya cet Impie,
Qui
MARS. 1732. 5699
Qui fit trembler son bras , qui sauva votre vie , ›
Qui commande à la mort , ouvre et ferme le flane,,
Vange un meurtre par l'autre , et le sang par le
sang ,
M'ordonna de garder ce fer toûjours funeste."
→
La Reine alors reconnoît son fils , mais
dans quel moment , dans quelle situation
nouvelle , lorsque ce fils est prêt de
l'épouser , et qu'il se trouve armé pour
l'immoler . Eriphile veut appaiser l'Ombre
d'Amphiarus , elle va sur son Tombeau
pour offrir un Sacrifice ; mais c'est
là que les Dieux l'attendent pour punir
une foiblesse criminelle par la vengeance
la plus terrible. Alcmeon possedé des Furies
, tuë Hermogide sur cette Tombe ;;
et prenant sa mere pour Hermogide même
, qui blessé à mort , lui demande :
la vie , il croit achever Hermogide et il
massacre sa mere qui expire dans ses bras,
en lui pardonnant sa mort , et en l'accablant
des marques les plus touchantes de
sa tendresse maternelle .
Ce sujet a quelque chose d'Electre
ou plutôt de Clitermnestre tuée par Ores
te ; les anciens traitoient l'un et l'autre
indifféremment. Mais combien la manie.
re interessante dont M. de Voltaire a
ménagé cette : Tragédie est elle au-dessus
de l'attrocité de l'Electre, -
$70 MERCURE DE FRANCE
Il a sur tout donné à Eriphile , une
vie immortelle par les beaux Vers dont
elle est remplie. Voici ceux qui sont sur la
Naissance,qui ont reçû tant d'applaudissemens
et qui ne sont pas cependant les
plus travaillez et les plus parfaits de la
Piece.
Eh ! c'est ce qui m'accable et qui me désespere :
Il faut rougir de moi , trembler au nom d'un
Pere ,
Me cacher par foiblesse aux moindres Citoyens,
Et reprocher ma vie à ceux dont je la tiens.
Préjugé malheureux , éclatante chimere ,
Que l'orgueil inventa , que, la fable révere ,
Dar qui j'ai vu languir le mérite abatu ,
Aux pieds d'un Prince indigne ou d'un Grand
sans vertu.
Les Mortels sont égaux ; ce n'est point la naissance
,
C'est la seule vertu qui fait leur difference ,
C'est elle qui met l'homme au rang des demi
Dieux ,
Et qui sert son Pays n'a pas besoin d'Ayeux.
Princes , Rois , la fortune a fait votre partage ;
Mes grandeurs sont à moi , mon sort est mon
ouvrage ,
Et ces fers si honteux , ces fers où je nâquis ,
Je les ai fait porter aux mains des Ennemis ;
Je n'ai plus rien du Sang qui m'a donué la vie ;
MARS.
571
1732.
Il a dans les Combats coulé pour la Patrie.
Je vois ce que je suis et non ce que je fus ,
Et crois valoir au moins des Rois que j'ai vaincus
L. D. M.
Le Samedi is. de ce mois , les Comédiens
François lûrent et reçurent dans leur Assemblée
unanimement, une Tragédie nouvelle de M.Piron,
qui a pour titre , Gustave Vasa.
L'Académie Royale de Musique donna
la premiere Representation de Jephie ,
Tragédie , tirée de l'Ecriture sainte , le
premier Jeudy de Carême ; la nouveauté
du genre en avoit rendu le succès si
douteux, qu'on ne croioit pas qu'elle pût
être jouée deux fois ; cette prévention
presque générale n'a pas tenu contre les
beautez du Poëme et de la Musique , et
M. l'Abbé Pellegrin et M. de Monteclair
qui en sont les Auteurs , peuvent
se vanter qu'il y a tres - peu d'Opéra que
le Public ait honoré de plus d'applaudissemens.
Nos Lecteurs pourront juger du
Poëme par cet Extrait. Pour la Musique ,
les plus grands connoisseurs la trouvent
tres-digne de Lully , et on ne les contredit
point.
Au Prologue , le Théatre représente
un lieu orné pour des Spectacles , c'està
dire ,
*
72 MERCURE DE FRANCE
à- dire , le Théatre même de l'Académie,
dont tous les Dieux fabuleux se sont em
parez , comme du seul Temple qui leur
reste depuis l'extinction du Paganisme :
Apollon invite Polhymnie et Terpsicore à
le seconder dans le dessein qu'il a de
maintenir le culte qu'on leur rend encore
sur ce Théatre. Il s'exprime ainsi :
>
Vous , qu'avec Apollon , en ces lieux on adore ,
Sçavante Polhymnie , aimable Terpsicore
Par vos chants , par vos jeux , secondez mes´
désirs ;
Ce Temple seul , nous reste encore ;
Faisons-y regner les plaisirs.
Les deux Muses exécutent ces ordres ;*
elles étalent , à l'envi , ce qu'elles ont de
plus flateur , pour séduire les mortels ;
mais leur regne n'est pas de longue durée;
la Verité descend des Cieux , suivie
des vertus qui forment sa brillante Cour.
Elle leur parle ainsi :
Phantômes séduisans , Enfans de l'imposture
Osez-vous soûtenir ma clarté vivé et pure ›
Cachez, vous dans l'obscurité ,
Où mon brillant aspect vous plonge ;
Il est temps que la verité ,
Fasseévanouir le mensonge.
C'est
MARS.
1732. $73 .
C'est trop abuser l'Univers ;
Rentrez dans les Enfers.
Les faux Dieux , dont l'Ecriture dit :-
Dii autem Gentium dæmonia , sont forcez
de s'abîmer.
La verité expose le Sujet de la Tragédie
qu'on va representer , par ces Vers
qu'elle addresse aux Vertus qui l'accompagnent.
Troupe , immortelle comme moy ;
Vertus , ornez ces lieux pour un nouveau Spec
tacle ;
Annoncez aux Mortels la redoutable loy ,
9.3 Du Dieu seul , dont je suis l'Oracle
Retirez du Tombeau le malheureux Jephté ;,
Rappellez son voeu téméraire ;
Au soin d'instruire , ajoutez l'art de plaire
Vous pouvez adoucir votre sévérité ;
Mais qu'aucun faux brillant n'altere
La splendeur de la vérité.
Le Choeur des Vertus , Suivantes de la
Verité , l'invite à faire briller sur la Terre
sa celeste lumiere. Le Prologue finit par
cet éloge, d'autant plus beau qu'il est dans
la bouche de la Vérité même,
Un Roy qui me chérit dès l'âge le plus tendre
,
Bait
son
unique
soin
de
marcher
sur
mes
pas.
M
$74 MERCURE DE FRANCE
Il veut qu'en ces heureux climats ,
Ma seule voix se fasse entendre.
Qu'il triomphe par moi , quand je regne par lui,
Que la terre , le ciel , qu'à l'envi tout conspires
A faire fleurir un Empire ,
Dont je suis le plus ferme appuy .
La Dile Herremens , qui remplit le Rôle
dè la Vérité , y réussit parfaitement ; mais
passons à la Tragédie.
Le Théatre représente d'abord le Fleuve
du Jourdain , dont les Flots séparent
l'Armée des Israëlites de celle des Ammonites.
Jephté ouvre la Scene ; il témoigne d'abort
le plaisir qu'il a de revoir Maspha
sa chere Patrie , après un long exil ; la
tristesse succede à la joye quand il voit
les Etendards des Ammonites plantez sur
les bords du Jourd in.
Abdon , l'un des Officiers Généraux
de l'Armée Israëlite , lui vient ` annoncer
que l'Arche sainte va paroître à la
tête des Troupes , dont on lui a donné le
commandement. A cette heureuse nouvelle
Jephté est transporté de joie et
rempli de confiance. C'est icy la Scene
d'exposition ; l'Auteur y apprend aux
Spectateurs des choses essentielles à sa
Piece , et qui servent de base à la situation
MARS.
57.5 1732.
tion la plus frappante ; sçavoir , qu'il n'a
point vû sa fille depuis son enfance ; et
qu'il ne veut la voir qu'après qu'il aura
rempli son premier devoir . Il s'exprime
ainsi :
La gloire du Seigneur , fait mon premier devoir ;
Nos Tribus , mes Soldats , sont toute ma Famille.
Quoi ? lui dit Abdon , l'amour ni le
sang , ne peut vous émouvoir ?
Jephte lui répond !
Dis plutôt que je me défie ,
D'un coeur trop prompt à s'attendrir ;
Non ; je ne veux rien voir qui m'attache à la vie,
Quand pour sauver mon Peuple , il faut vaincre
ou mourir.
Le Grand Prêtre Phinée vient annoncer
à Jephté que la voix du Seigneur confirme
le choix que les Hebreux ont fait
de lui , pour regner sur eux ; il lui apprend
qu'Ammon , Fils du Roy des Ammonites
et Prisonnier dans Maspha , a corrompu
la Tribu d'Ephraim , ce qui donné
lieu à un très - beau duo:
Les Guerriers Israëlites , assemblez par
l'ordre de Jephté , viennent attendre
l'Arche sainte. Le Grand-Prêtre et Jephté
leur annoncent les prodiges que Dieu a
faits
$76 MERCURE DE FRANCE
faits en faveur de son Peuple. Les Guerriers
se mêlent à ce récit. Voicy les Vers
qui forment ce beau Choeur , qui fait
Fadmiration de tout Paris .
Phinée.
Ennemis du Maître suprême ,
Redoutez son couroux vangeur
La Terre , l'Enfer , le Ciel même
Tout tremble devant le Seigneur.
Le Choeur répete : La terre , & c.
Phinée et Fephté.
Le Jourdain retourne en arriere
Le Soleil suspend sa carriere ;
La Mer désarme sa fureur ,
En faveur d'un Peuple qu'il aime.
Le Choeur reprend : La terre , &c.
Phinée et Jephté.
La bruyante Trompette , à l'égal du Tonnerre
Brise les Murs d'airain , jette les Tours par terre ,
Et déclare Israël vainqueur ;
Elle va porter la terreur
Chez l'Idolatre qui blasphême .
Le Choeur.
La Terre , l'Enfer , le Ciel même ,
Tout tremble devant le Seigneur.
L'Arche
MARS. 1732.
577
L'Arche paroît de loin aux yeux dụ
Grand - Prêtre ; il ordonne aux Guerriers
de détourner la vûë ; un nuage lumineux
la couvre , comme il arriva la premiere
fois Moïse la voulut offrir aux yeux
du Peuple.
que
Abdon annonce à Jephté que les Ammonites
viennent de fondre sur le Camp
des Israëlites. Jephté ordonne qu'on assemble
ses Guerriers sous ses Etendards
au son de la Trompette sacrée ; et c'est
dans ce pressant péril qu'il fait ce serment.
Grand Dieu , sois attentif au serment que je fais
Contre tes Ennemis , si je soûtiens ta gloire ,
Le premier qu'à mes yeux offrira mon Palais
Sera sur tes Autels le prix de ma victoire.
Je jure de te l'immoler ;
C'est à toy de choisir le sang qui doit couler
A peine le serment est - il prononcé
que le Jourdain se sépare en deux , et
forme deux remparts , au travers desquels
l'armée Israëlite passe au son des
Trompettes.
Au II. Acte , le Théatre représente le
Palais de Jephté ; Ammon ouvre la Scene.
Abner , son confident , l'exhorte à
mettre à profit la liberté que la Tribu
d'Ephraim vient de lui rendre , et à se
sauver
3-8 MERCURE DE FRANCE
sauver d'un lieu où il périra , si Jephté revient
victorieux. Ammon lui dit qu'il ne
sçauroit quitter Iphise , fille de Jephté ,
dont il est amoureux. Iphise vient ; Am-
'mon lui déclare son amour. Eile le veut
fuïr ; il la retient ; et comme il blaspheme
contre le Dieu des Hébreux , elle lui dit :
Arrête . A l'Univers craint de servir d'exemple ;
Outrage à ton gré tes faux Dieux
Mais au Dieu d'Israël ne livre point la guerre ,
Il régit la terte et les cieux.
;
+
Et sur le Sacrilege , il lance le tonnerrè ;
Tremble , son bras vangeur , est prêt à t'im .
moler.
Elle lui ordonne de se retirer ; il lui
obéit. Iphise fait connoître dans un Monologue
l'amour qu'elle sent, malgré elle,
pour Ammon ; elle s'exprime ainsi :
Mes yeux , éteignez dans vos larmes
Des feux qui dans mon coeur s'allument malgré
moi .
Tu vois mes mortelles allarmes ,
Dieu puissant , j'ai recours à toy.
Pourquoi faut- il , hélas ! que je trouve des char-
: mes
Dans un fatal panchant , condamné par ta loy ?
Mes yeux , &c.
Almasie , mere d'Iphise , vient s'affliger
avec
MARS. 1732 . 579
avec sa fille , d'un songe terrible qu'elle
a fait , et dans lequel elle a vû tomber
la foudre sur elle : Iphise ne doute point.
que ce ne soit un châtiment que Dieu lui
destine pour la punir de son amour pour
un Idolâtre ; elle en fait un aveu à sa
mere à la fin de la Scene . Abdon leur annonce
la victoire de Jephté ; les Peuples
viennent s'en réjouir dans leur Palais. Almasie
ordonne à sa Fille de présider aux
jeux , tandis qu'elle va dans le Temple
rendre graces à Dieu d'une si heureuse
victoire. Iphise lui dit qu'elle ira bientôt
l'y trouver dans un même esprit de
reconnoissance envers Dieu. Un bruit de
Trompettes annonce l'arrivée de Jephté ;
les Peuples se mettent en état d'aller au
devant de lui ; Iphise ne peut s'empêcher
d'y aller à son tour ; elle le fait connoître
par ces Vers qu'elle addresse à Dieu :
Je ne puis résister à mon impatience ;
Seigneur , un seul moment , je ne veux que le
voir ,
Et je vole où m'appelle un plus sacré devoir.
C'est-à- dire , au Temple , où elle a promis
à sa mere de l'aller joindre.
Le Théatre représente au troisiéme Ac
te une avant- court du Palais de Jephté ,
ornée d'Arcs de Triomphe ; on y a élevé
H au
$80 MERCURE DE FRANCE
un Trône.Jephté troublé de son serment,
fait retirer tous ceux qui le suivent. 11
fait entendre qu'il a vû sa Victime et
qu'il n'a osé lui prononcer l'Arrêt de sa
mort. Il ne sçait pas que cette Victime
est sa propre fille. Il se représente , en frémissant
, quelle eût été la rigueur de son
sort si son Epouse ou sa fille eussent paru
les premieres à ses yeux ; on lui à dit
qu'elles sont dans le Temple , ce qui le
met dans une entiere securité ; cependant
il plaint les parens de celle qu'il a vüe
la premiere par ces Vers :
O toi que mon ame attendrie ,
A laissé sans obstacle éloigner de ces lieux ,
Quel pleurs tu vas coûter aux Auteurs de ta vie,
S'il faut que je remplisse un serment odieux !
Almasie vient ; Jephté la prie d'excuser
le trouble dont elle le trouve agité ; elle
lui confirme que sa fille est dans le Temple.
Iphise arrives Jephté frémit en la
voyant , parce qu'il la reconnoît pour
celle qu'il a vûë la premiere ; mais de
quel coup n'est- il pas frappé quand il
entend ces mots d'Almasie !
Approchez - vous , ma fille,
. Cette situation à tiré des larmes ; voici
la fin de cette interessante Scene .
Iphise
MARS.
581 1732.
Iphise.
Votre présence m'est si chere ,
Pourquoi détournez -vous les yeux ?
Fephré.
Je devrois les fermer à la clarté des Cieux.
Iphise.
O mon pere , envers vous de quoi suis - je coupable
?
Ai-je à vos yeux montré trop peu d'amour
Au bruit de votre heureux retour
J'ai volé la premiere.
Jephté.
Eh ! c'est ce qui m'accable ;
Et mon malheur est confirmé.
Iphise.
Votre malheur ! Parlez ; quelle douleur vous
presse ?
Me reprochez vous ma tendresse a
Jephie.
Vous ne m'avez que trop aimé ?
Hela's !
Iphise .
Jephte.
Votre présence augmente mon supplices
Eloignez-vous.
Almasie.
Quelle est votre injustice !
Hij Jephti
•
82 MERCURE DE FRANCE
Jephte.
Otez-moi çet objet ; il me perce le coeur. &c.
La Scene entre Jephté et Almasie n'est
gueres moins interressante. Jephté lui
apprend son serment ; elle lui répond
avec transport :
Non , Dieu n'accepte pas un voeu si témeraire.
Mais pensez- vous, cruel, que nos saintes Tribus ,
Malgré vos ordres absolus ,
Ne conserveront pas une fille à sa mere ?
Tout Israël lui servira de pere ,
·Puisqu'enfin vous ne l'êtes plus. &c .
Ce troisiéme Acte finit par cette leçon
, que Phinée fait à Jephté , après la
Fête du Couronnement.
Phinée.
“Jephté , si tu veux qu'on te craigne ,
La crainte du Seigneur doit regler tes projets.
Ce n'est pas toi , c'est Dieu qui regne ;
Sois le premier de ses Sujets.
Grave au fond de ton coeur sa parole éternelle ;
Tiens sans cesse tes yeux attachez sur sa Loy ;
Dans ses sermens il est fidelle ;
Ne lui manque jamais de foy .
Ces dernieres paroles prononcées au
hazard
MA'R S. 1732. 58.3
hasard , rappellent à Jephté le fatal serment
, et font finir l'Acte d'une maniere
plus interressante et plus propre à augmenter
le péril.
Au quatriéme Acte , le Théatre représente
un Jardin, où Almasie a dit à sa fille
dans l'Acte précedent de l'aller attendre.
Iphise ouvre la Scene par ce Monologue
qui convient à sa situation .
Ruisseaux, qui serpentez sur ces fertiles bords ,
Allez loin de mes yeux répandre les trésors ,
Qu'on voit couler avec votre Onde.
Dans le cours de vos flots, l'un par l'autre chassez,
Ruisseaux , hélas ! vous me tracez ,
L'image des grandeurs du monde.
Ruisseaux , & c.
Les Bergers et les Bergeres des Rives
du Jourdain , viennent rendre hommage.
à la fille de leur nouveau Souverain , et lui
présentent les prémices de leurs Champs,
qu'elle rapporte à Dieu par ces Vers :
J'aime à voir vos soins empressez ;
Mais à l'Auteur de la Nature ,
Vos chants doivent être adressez .
Ces fruits , ces fleurs , cette verdure ,
Tout appartient à ce supréme Roy ;
Il en demande les prémices.
H iij
Pour
$ 84 MERCURE DE FRANCE
J
Pour attirer sur vous des regards plus propices ,
Immolez-lui vos coeurs , c'est sa premiere Loys
Puissiez -vous dans vos Sacrifices *
Estre plus fidelle que moi !
Cetre Fête , qui est , sans contredit , l'a
plus gracieuse de la Piece , et qu'on compare
, à bon droit , à celle du quatriéme
Acte de l'Opera de Roland , est interrompue
par Almasie , qui après avoir fait
éloigner les Bergers , annonce à 1phise
qu'elle doit être sacrifiée. Voici comme
elle lui parle :
Par le Grand- Prêtre et par Jephté ,
L'Eternel à mes yeux vient d'être consulté.
Que d'horreurs à la fois ! je tremble à te le dire.
Le Ciel gronde , l'Autel que je vois s'ébranler ,
Semble se refuser au sang qui doit couler .
Le Voile sacré se déchire ;
Le Grand- Prêtre saisi d'effroi ,
Jene un sombre regard sur ton pere et sur moi.
Vers l'Arche redoutable en tremblant il s'avanee;
Il l'interroge sur ton sort.
L'Arche garde un triste silence ,
Et ce silence est l'Arrêt de ta mort.
Iphise apprenant que són sang est le
prix de la victoire qui a sauvé le Peuple,
se
MARS. 173-2 585
se dévotie à la mort avec joye ; Almasie
sort pour aller du moins retarder le fatal
Sacrifice. Iphise refléchit sur sa triste situation
par ce Monologue.
C'en est donc fait ! bientôt cette Terre , ces Cieux ,
Ce Soleil , pourjamais tout se voile à mes yeux !
Malheureux un coeur qui se livre ,
Au vain bonheur qui vient s'offrir !
A peine je commence à vivre ,
Qu'il faut me résoudre à mourir.
Du comble des grandeurs dont l'éclat m'envi
ronne ,
Je cours d'un pas rapide à mes derniers instans;
Je ressemble à ces fleurs que l'Aquilon moissonne
?
Dès les premiers jours du Printemps.
Malheureux un coeur , &c.
L'Acte finit
que
les Con- une Scene
par
noisseurs
trouvent
la plus belle de la Pie- ce. Ammon
veut sauver Iphise ; elle re- fuse le secours
qu'il vient lui offrir , sou- tenu de toute la Tribu d'Ephraïm
; le désespoir
d'Ammon
qui veut perir , lui arrache
des sentimens
qui Aattent
l'amour
dont il brule pour elle , mais elle lui ôte toute esperance
par ces Vers :
Apprens que pour sentir une fatale flamme ,
Un grand coeur n'est pas abbattu.
Hiiij L'A586
MERCURE DE FRANCE
L'Amour peut entrer dans une ame ,
Sans triompher de la vertu.
Ammon désesperé , lui dit qu'il entrera
dans le Temple , la vengeance à la main
elle se résout à aller se livrer à l'Autel
pour prévenir la fureur de son Amant.
Comme cet Extrait n'est déja que trop
long , nous ne dirons plus que ce qui concerne
l'Action théatrale du V. Acte.
Jephté déplore sa situation , et la comparant
à celle d'Abraham , il demande à
Dieu la même clémence qu'il fit autrefois
éclater en faveur de ce Patriarche.
Iphise vient se livrer à l'Autel malgré le
Peuple qui veut la retenir ; la Scene envers
son Pere est des plus touchantes.
Un bruit de guerre oblige Jephté à aller
deffendre le Temple qu'Ammon assiege
avec la Tribu d'Ephraïm . Ammon
entre dans la partie exterieure du Temple
pour enlever Iphise ; elle se sauve
dans l'interieure. Ammon la suit jusques
dans le Sanctuaire , en blasphemant.
Jephté revient , l'épée à la main , et
voyant le Temple forcé , y veut entrer.
Phinée l'arrête , en lui disant, que le Dieu
des Armées n'a pas besoin du secours
d'un foible Mortel ; l'Ange Exterminateur
descend dans un Globe de feu. Ammon
MARS. 1732.
587
par
mon et les Rebelles font entendre
des voix mourantes qu'ils périssent tous .
•
On amene Iphise pour la sacrifier ; la
résignation de la fille , l'étonnement du
Grand- Prêtre , et la douleur du Pere et
de la Mere , font un tableau qui inspire
tout- à- la fois la pieté et la terreur. Iphise
est sauvée par une inspiration du Grand-
Prêtre , qui lui annonce que Dieu luj
fait grace en faveur de son repentir.
On a ajoûté une Fête en action de
grace , dont on convient que le Poëme
n'avoit pas besoin pour s'assurer un succès
des plus complets.
Au surplus cet Opera est executé d'une
maniere à satisfaire les Spectateurs les
plus difficiles et les plus délicats . Le sieur
Chassé fait voir dans le premier Rôle ,
par l'expression de son jeu et par la fléxibilité
de sa voix , qu'il est capable de
remplir avantageusement tous les Rôles
dont il voudra se charger. La Dile Antier
ne dément point la grande réputation
qu'elle s'est si justement acquise jusqu'aujourd'hui
, et la Dile le Maure , dans le
Rôle d'Iphise , joint à la plus belle voix
du monde , toutes les graces , toute la
sensibilité et toute la noblesse qu'on peut
souhaiter. Tous les autres Acteurs , tant
chantans que dansans , se sont distin-
H v guez
588 MERCURE DE FRANCE
guez;et le sieurBlondi s'est fait un honneur
infini dans la composition d'un Balet , dont
le genre etoit inconnu à ses Prédeceseurs ;
les Diles Camargo et Salé , l'y ont secondé
avec leur legereté et leurs graces ordinaires.
Nous apprenons que le succès de cet
Opera augmente de jour en jour , et le
Public se promet avec plaisir de le revoir
le Carême prochain .
Le Lundi troisiéme Mars , sept Députez des
Comédiens François ayant fait avertir l'Académie
, qu'ils étoient dans son Anti - Chambre et
qu'ils souhaitoient lui parler , elle les reçut de
la maniere qu'elle a coûtume de recevoir les Etrangers
qui ont quelque chose à lui proposer. Les
Députez étant assis , M. Quinault l'aîné dit :
MESSIEURS
Il y a long-temps que nous desirions faire la démarche
que nous faisons. La crainte d'un refus
nous à retenus jusqu'à present , mais aujourd'hui
que nous apprenons que vous ne dédaignerez pas
d'accepter l'entrée de notre Spectacle , nous venons
vous l'offrir. En l'acceptant vous nous honorerez
infinimen . Il ne nous reste plus , Messieurs , qu'a
vous supplier de nous venir entendre le plus souvent
qu'il vous sera possible et de nous faire part de vos
lumieres dans les occasions où nous aurons besoin.
des secours d'une Compagnie aussi illustre et aussi
respectable que la vôtre.
L'Académicien qui ce jour- là présidoit à la
Compagnie , leur répondit, qu'elle entendoit avec
plaisir leur Compliment , qui passeroit dans be
1 monde
MARS, 1732. 589
monde pour une marque de leur reconnoissance;
que le progrès des Arts qu'elle cultive , a beaucoup
contribué à la perfection où ils ont porté
leur Profession ; que les bons Acteurs font valoir
les bonnes Pieces , mais que ce sont les bonnes
Pieces qui forment les bons Acteurs , et que
la plus ancienne des Tragédies qui sont demeurées
au Théatre , est le Cid , qui parut peu de temps
après l'établissement de l'Académie Françoise . "
Que ce sont les Ouvrages du grand Corneille
de Racine et de plusieurs autres Académiciens
qui ont fait changer de face au Théatre François,
assez grossier auparavant ; que depuis ce tempslà
notre Scene s'est rendue digne de l'attention
des Etrangers mêmes , et qu'on voit en Allemagne
et en d'autres Pays encore plus éloignez , des
Théatres François plus fréquentez , que ceux où
l'on représente des Pieces composées dans la Langue
vulgaire du lieu.
Celui qui présidoit à l'Académie finit son Discours,
en disant , qu'au reste elle rendroit compte
aa Roy , son Protecteur , de l'offre obligeante
qui lui étoit faite.
La réponse du Roy à l'Académie , a été que
S. M. trouvoit bon qu'elle acceptât l'offre des
Comédiens François..
NOUVELLES ETRANGERES.
TURQUIE ET PERSE.
ON
N apprend du Levant , que la derniere Bataille
qui s'étoit donnée entre les Turcs et les
Persans, près d'Amadan, avoit été très - sanglante;
H vj que
590 MERCURE DE FRANCE
que la perte avoit été égale de part et d'autre ,
mais que le Champ de bataille étoit demeuré aux
Turcs que cette Bataille avoit déterminé le Roy
de Perse à écouter les propositions qui lui avoient
été faites de la part du Grand- Seigneur , qu'on
attendoit incessamment la nouvelle de la signature
du Traité de Paix ou de Trévé , et qu'il paroissoit
que S. H. avoit projetté quelque grande entreprise
, puisqu'elle continuoit de faire travailler
à des Armemens considerables par Mer et par
Terre.
Les Lettres reçues depuis de Constantinople ,
portent qu'on y avoit fait pendant trois jours
des Réjouissances publiques à l'occasion de la
cessation d'armes , dont le Pacha de Babylone est
convenu avec le Roy de Perse , pendant laquelle
on ne doute plus qu'on ne trouve les moyens
d'accommoder les differends des deux Nations . Le
bruit court même que les Préliminaires du Traité
de Paix que ce Pacha a envoyez , ont été approuvez
par le G. S. et que S. H. les a renvoyez en
Perse après les avoir signez. Cette Paix a causé
tant de joye aux Habitans de cette Capitale et aux
Janissaires , qu'ils ont perdu le souvenir de tout
ce qui s'est passé l'année derniere , et que jamais
on n'a vû à Constantinople des Réjouissances
plus complettes en tout genre , sans qu'il soit arrivé
aucun désordre .
Le 4. de Janvier , on tint au Serrail un Divan
extraordinaire , à la fin duquel on donna la liberté
à l'Ambassadeur du Roy de Perse , qu'on
tenoit prisonnier depuis plusieurs mois.
On continue sans interruption les travaux ordinaires
de l'Arsenal , et la Flote qu'on équipe dans
le Port , sera en état de mettre à la voile dans
le commencement du mois de May prochain .
On
MARS. 17328 591
On assure que cette Flote est déja de 60. Sultanes
et de près de 80. Galeres.
Le G. S. a envoyé ses ordres aux Regens d'Alger
, de Tripoli et de Tunis , de tenir prêts pour
le même temps, les secours qu'elles doivent fournir
à S. H. en cas de guerre contre les Chrétiens .
Les Troupes qui arrivent des Provinces de
l'Empire , sont assez bien équipées , et on en fait
défiler la plus grande partie du côté de la Transilvanie
, où on publie que le G. S. aura cette année
deux Armées considerables , sans compter
celle qui paroît destinée à servir contre les Moscovites
en faveur du Roy de Perse.
On écrit de Barbarie , que les Troupes du Roy
de Maroc , Muley- Abdallah, avoient entierement
défait les Arabes Rebelles de ce Royaume , qu'on
ne croyoit pas qu'ils pussent se remettre en campagne
, et que le Pacha de Tanger avoit reçû ordre
d'assembler une armée considerable près de
cette Ville .
EXTRAIT d'une Lettre de Constantinople
, écrite le 10. Novembre 1731 .
y a quelques jours qu'il se répandit ici un
bruit que les Turcs avoient été battus par les
Troupes de Schah Thamas , du côté de Tauris ,
mais cette nouvelle , bien loin d'avoir été confirmée,
s'est trouvée entierement fausse , et inventée
sur ce qu'on avoit été un très long temps sans
recevoir des Lettres du Seraskier - Aly Pacha.
On a sçû depuis que ce qui avoit donné lieu à
ce bruit , est le mouvement de quelques Partis de
Milice Turque , qui s'étant soustraits à l'obéïssance
du Seraskier , s'étoient déba ndez pour piller
et saccager le Pays , ayant laissé ce Pacha avec
trente
$ 92 MERCURE DE FRANCE
trente mille hommes seulement. Ce General s'é
tant retiré à quelques journées de Tauris , il for
ma le blocus de cette Place, et ferma tous les passages
pour empêcher qu'elle ne reçût aucun se-
Cours , ce qui fait présumer qu'elle se rendra -
bientôt. Le Pacha même en a écrit en ces termes
à la Porte , ajoûtant que les Habitans étoient
fort portez à se rendre , ne voulant pas s'exposer
à être faits Esclaves , comme cela leur est déja
arrivé.
On a reçû ici des nouvelles qu'on croit beau
coup plus certaines et plus favorables du Camp
près d'Hamadan. Les Lettres du 23. Septembre
portent qu'Achmet - Pacha étant campé à six
lieues de cette Ville , eut avis que Schah- Thamas,
en personne, s'approchoit dans le dessein de l'at
taquer avec une armée de 60. mille hommes , 30%
Pieces de gros Canons , des Bombes et beaucoup
d'autre Artillerie , portée par des Chameaux ; que
sur cet avis ce Pacha suspendit l'attaque de la
Place, et qu'il fit marcher son Armée du côté des
Ennemis , que quand les deux Armées furent en
présence , Schah- Thamas envoya un Ambassadeur
, lequel entra en conférence avec le Pacha ;
mais on fat surpris d'apprendre que dans le même
temps , non- seulement l'Armée Persanne avoir
continué sa marche , mais qu'elle avoit même
déja attaqué l'avant- Garde de l'Armée Othomane
, et que plusieurs des principaux Officiers-
Turcs avoient été tuez dans cette attaque. Ach,
met- Pacha , surpris d'un pareil procedé , en de→
manda la raison à l'Ambassadeur , lequel répondit
que l'intention du Roy son Maître , étoit de
continuer les hostilitez jusqu'à ce que le Pacha
eût signé les conditions du Traité qui avoit été
proposé par ie dernier Vizir Ibrahim ; sur quoi
ا ع
MAR S. 173.2. 593-
Le Pacha ayant congedié l'Ambassadeur , il se
prépara sur le champ à livrer bataille. Le combat
dura sept heures entieres , sçavoir deux heu
res avec l'Artillerie ou les Armes à feu , et cinq
heures le Sabre à la main ; les Turcs demeurerent
enfin les maîtres du Champ de bataille , presque
toute l'Infanterie Persanne étant demeurée
sur la place. Les Turcs se sont emparez de tout
le Bagage , des Munitions , de l'Artillerie et generalement
de tout ce qui étoit dans le Camp des
Persans , sans avoir perdu que fort peu de monde.
On a trouvé parmi le butin sept Pieces de gros
Canons , qui avoient été transportez d'Ispaham ,
traînés chacune par so. Buffles , cinq autres Canons
fabriquez à Chiras , d'un fort beau Bronze,
dont les Boulets étoient marquez du nom de
Schah Thamas. Après la Bataille , ce Prince s'est
retiré à Casbin avec une petite partie de sa Cavalerie
, le reste s'étant dispersé.
Les mêmes Lettres portent que la nuit préce
dente , la plus grande partie de la Garnison:
d'Hamadan s'étoit jointe à l'Armée du Roy de
Perse , mais qu'après la victoire remportée par
Achmet Pacha , la Forteresse de cette Place s'étoit
rendue à discretion ; que le Pacha y étoit entré
en victorieux , et qu'ayant visité les Portes ,
ik
avoit trouvé cent pieces de Cañon , dont trente
avoient été apportées d'Hispaham pour la deffense
de la Place , les autres 70. y ayant été laissées
-l'année passées enfin qu'on avoit envoyé à Constantinople
plusieurs Drapeaux et d'autres dépouilles
qui passoient pour une marque assurée de
l'entiere défaite des Persans. Si la saison n'eût pas
été si avancée , l'Armée auroit , dit - on, pû marcher
sans obstacle vers Ispaham ; cependant cette
Armée , après avoir suffisamment fortifié la Ci-
✨tadelle594
MERCURE DE FRANCE
tadelle d'Amadan , se trouve campée aux environs
de cette Ville , sans que l'on sçache encore où
elle hyvernera.
Malgré tant de mauvais succès de la part des
Persans , on souhaite ici la Paix , et si on ne peut
pas la conclure , la Porte prendra , dit-on , le
Parti de faire démolir toutes les Places Frontieres,
pour laisser entre les deux Empires un grand espace
de Pays inhabité , qui servira de barriere aux
Etats du G. S, mais on ne sera bien éclairci sur
les résolutions que prendra la Cour Ottomane ,
qu'après le succès de mouvemens qui se font encore
du côté de Tauris .
Avant hier le Tefterdar ou le Grand- Trésorier,
fut fait Vizir à trois queues , et son Emploi de
Trésorier lui a été conservé ; il a reçû cet honneur
par la faveur du nouveau Grand- Vizir , à
l'occasion des nouvelles agréables venuës d'Hamadam.
Constantin Bey , fils de feu Nicolas Mauro
Cordato , qui avoit été dépouillé de la Principauté
de Valaquie , après la mort de son pere , dans
le temps de la derniere Révolution , a été nommé
avant hier de nouveau à cette Principauté par
la protection du même G. V. auprès de qui toute
la Famille des Cordato est en très - grande faveur.
Ali- Kalvoda , qui avoit joui de la Principauté
environ un an , a été déposé , et il y a apparence
qu'il sera mis en prison à son arrivée à Cons
tantinople. Sa personne est devenue suspecte parce
qu'il avoit été élevé à cette Dignité par les
Chefs des Rebelles ,
RUSSIE
MARS. 17320 595
RUSSIE.
A Czarine arriva fort tard le 28. Janvier
LePetersbourg. Elle passa la nuit dans un des
Fauxbourgs , et le lendemain vers les onze heures
du matin , elle fit son Entrée publique au bruit
des salves réïterées de l'Artillerie et aux accla
mations du Peuple. Le soir il y eut des Feux
des Illuminations et d'autres marques de réjouis ,
sance dans toutes les rues de la Ville , ce qui a
duré pendant huit nuits consécutives.
DE POLOGNE.
N écrit de Warsovie , qu'on y avoit appris
de Dublin , que le feu ayant pris la nuit dú
17. au 18. de Février , dans la Cellule d'une Religieuse
du Convent de la Visitation , s'étoit
communiqué avec tant de rapidité aux apparte
mens voisins , et particulierement à celui où
étoient les Pensionaires , que ces jeunes Demoiselles
n'ayant pas eu le temps de se sauver
avoient été devorées par les flammes ou étouffées
par la fumée , au nombre de 18. toutes personnes
de condition , avec trois ou quatre Servantes ;
que cinq Religieuses avoient aussi perdu la vie ,
mais que P'Abbesse et quelques autres avoient eu
le bonheur de se sauver , tout le Convent ayant
été entierement consumé avec l'Eglise , d'où on
n'avoit pû emporter que les Vases sacrez et quelques
Ornemens.
On apprend de Copenhague que trois personnes
qui y sont dans les Prisons depuis quelque tems ,
l'occasion d'une fausse Lettre de Change
viennent d'être condamnées ; sçavoir, celui qui
?
-
faita.
596 MERCURE DE FRANCE
fait la Lettre , et celui qui s'en est servi , à avoir
la main coupée , et à être bannis du Royaume
avec confiscation de tous leurs biens ; le 3e , qui
a fait , à ce sujet , un faux serment , aura les trois
doigts coupez , et sera pareillement banni des
Etats de S. M. Danoise.
ALLEMAGNE.
L est tombé en huit jours une si grande
I quantité de Neige dans le Bannat de Belgrade,
à ce qu'on écrit de Vienne , au commencement
de ce mois , qu'il y en a eu près de cinq pieds ;
la fonte de ces Neiges , qui est arrivée subite
ment , a fait déborder la Save , dont le Pont a été
emporté , avec 13 personnes qui étoient dessus
dans le temps de sa chute.
On a reçu avis de Dresden que le Roy de Pologne,
avoit donné des Ordres à tous les Officiers
des Bailliages de son Electorat , de bien recevoir
les Réfugiez de l'Evêché de Saltzbourg, et de leur
procurer , aux frais de S. M. tous les soulagemens
nécessaires .
Le 25 du mois dernier , il y eut à Berlin une
grande Chasse , à laquelle le Roy de Prusse n'assista
point , à cause d'un grand rhume ; la Chasse
fut des plus magnifiques. Le Duc de Lorraine y,
tira avec beaucoup d'adresse . On tua 400 Dains ,
22 Sangliers , un desquels pesoit 560 liv.
ITALI E.
N écrit de Rome , que par un Edit du Cardinal
Camerlingue , publié le 16 de Février
, le Port d'Ancone a été déclaré Port
fran: pour tous les Vaisseaux Etrangers , qui n'y
paycMARS.
1132.
797
payeront à l'avenir qu'un droit d'Ancrage , fort
modique , lequel est reglé par le même Edit .
Le Duc de S. Aignan , Ambassadeur de France
auprés du Pape , arriva à Livourne le 15 Février
avec trois Galeres de France. Après les
Saluts réciproques du Pavillon du Roy et de la
Place , et celui fait par les Galeres de S. M. pour
l'Infant Don Carlos. L'Ambassadeur fut salué
de 30 coups , et lorsqu'il mit pied à terre , il le
fut encore de 21 coups,
+ Le Duc de S. Aignan alla au Palais de l'Infant
Don Carlos , qui le reçut avec toutes les marques
de distinction imaginables , s'étant rendu ensuite
à l'Hôtel du Consul de France , le Comte de
Charni, Commandant des Troupes du Roy d'Espagne
, en Italie , envoya un Officier , avec un
détachement de Soldats , pour monter la Garde
à la porte de son Hôtel , mais le Duc de S. Aignan
les renvoya , et le fit remercier de cette
marque d'honneur.
Le 22 , Don Carlos partit de Livourne vers les
heures après midi , au bruit de l'Artillerie ,
&c. f
Son A. R. arriva à Pise vers les heures du
soir , et s'étant rendue à l'Eglise Métropolitai
ne , elle y fut reçue par l'Archevêque , à la tête
des Chanoines. Toute l'Eglise étoit magnifiquement
illuminée ; on y chanta le Te Deum à plusieurs
Choeurs de Musique. Après le Te Deum ,
P'Infant Don Carlos alla voir les Illuminations
de la Ville ; et ensuite la Représentation de l'Opera.
Le 23 , ce Prince prit le divertissement de
la Chasse ; au retour de laquelle le Duc Salviati
Grand-Veneur du Grand Duc de Toscane, lui fit
présent de deux Dains blancs , de la part de ce
Prince .
La Noblesse et les autres habitans du rivage de
l'Aino
8 MERCURE DE FRANCE
l'Arno , ont donné à l'Infant Don Carlos , le divertissement
du combat qu'on appelle à Pise , le
Combat du Pont , dont ce Prince a paru tressatisfait.
Le 2 de Mars , S. A. R. soupa chez le Sénateur
Baluzzi , et dansa ensuite avec plusieurs Dames
qui eurent l'honneur de lui baiser la main.
Ce Prince visita l'Eglise des Chevaliers de l'Ordre
Militaire de S. Etienne , et celle du Dôme , dont
l'Archevêque de Pise lui fit voir le trésor. Le 3 , à
10 heures du matin , S. A. R. partit pour l'Ambrogiana
, Maison de Plaisance du Grand-Duc ,
où elle restera jusqu'au 6, qu'elle se rendra à Flo
rence , &c.
Les Lettres de l'Isle de Corse , de la fin de Jan
vier , portent , qu'à la requisition de quelques
Religieux Corses , le Gouverneur de Calvi ayant
envoyé 400 hommes de sa Garnison, pour s'emparer
du Bourg de Cabezzana , dont on l'avoit
assuré que les habitans demandoient ce secours ,
pour se soumettre en sureté à la République de
Génes , ce détachement avoit été surpris près de
ce Bourg , par un grand nombre de Rebelles , qui
s'étoient mis en embuscade , et qu'il avoit été
taillé en pièces.
On a appris depuis que les Troupes de l'Empereur
y étoient diminuées de la moitié , tant par
les maladies , que par les pertes qu'elles ont faites
en differentes rencontres, de sorte qu'elles avoient
été obligées d'abandonner plusieurs Postes, dont
les Rebelles s'étoient emparez depuis
On écrit de Naples , que les bruits qui s'étoient
répandus de l'accommodement du Cardinal Coscia
, avec le S. Siége , étoit sans fondement, et on
prétend qu'il n'a aucun dessein de risquer le
voyage de Rome.
On a apris par des Lettres de Lisbonne , que le
Roy
MARS. 1732. 599
Roy de Portugal avoit privé de tout Honneur ,
Privilege et Noblesse , ceux de ses Sujets , qul
pendant le tempsdes derniers differends de S.M.P.
avec le S. Siége , ont accepté du Pape quelques
Benefices.
ESPAG « N» E .
LERoy a donné des Ordres pourfaire assembler
12000 hommes , du côté de la Catalogne
; on les croit destinez pour un embarquement
, et on arme plusieurs Vaisseaux de
Guerre à Cadix , à Malaga et à Barcelone.
.
Les Troupes qui sont en marche pour cette,
expédition , consistent en 26 Bataillons ; sçavoir,
6 du Regiment des Gardes Espagnoles , 6 de celui
des Gardes Walones , 2 du Regiment des Asturies
, 2 de celui de Hainault , 2 de celui de Soria;
2 du Regiment d'Arragon, 2 de celui de Batavia
et un de celui de Victoria; trois Regimens de
Cavalerie, qui sont ceux de Bourbon , de la Reine
et de S. Jacques , et les quatre Regimens de Dra-.
gons de Lusitanie ou Portugal, de Belgia , de Sagunte
et de Numance.
O
GRANDE BRETAGNE.
N apprend de Londres, que le Duc de Cum
berland a formé une Compagnie de Grénadiers
, qui est composée de jeunes gens de la premiere
distinction , qu'il a fait habiller de l'uni
forme du second Régiment des Gardes Infanterie.
Le fils du Colonel Carskarh a l'honneur de
commander cette Compagnie , dont le Duc de
Cumberland n'a voulu être que le Caporal. Le 2
Mars , elle fit ses exercices devant le Roy et la
Reine , qui en furent tres- satisfaits .
M
600 MERCURE DE FRANCE
M. Hammond arriva de la Haye le 25 de Février
, de la part du Comte de Chesterfied , avec
la coppie de l'Acte d'Approbation des Etats Généraux
, du Traité conclu à Vienne , le 16 Mars
de l'année derniere , lequel avoit été signé le 20
Là la Haye.
XX:XXXXXXXX-XXXXX
MORT ET MARIAGES.
LR
E Cardinal Prosper Marefoschi , Vicaire de ,
Rome et Cardinal Prêtre , du Titre de Sainte
Calixte , mourut à Rome le 24 Février , dans la
78e année de son âge , étant né à Macerata le
29 Septembre 1653. son Corps fut inhumé le
lendemain dans l'Eglise de sainte Marie de Lo
rette ; et le 27 , le Cardinal Guadagni , Evêque
d'Arezzo et neveu du Pape,fut nommé à sa place ,
Vicaire General de Rome.
Le ro Mars , vers les 7 heures du soir , la Cere
monie des Fiançailles du Prince Royal de Prusse
avec la Princesse Elizabeth- Christine de Beveren,
qui est dans la 17me année de son âge , se fit à
Berlin en presence de L.M. et des Princes et Princesses
de la Famille Royale,du Duc et de la Duchesse
de Beveren, et du Prince leur fils . Après le
souper , qui fut servi sur une Table de 300 cou
verts , on recommença le Bal , qui avoit été ouvert
avant le souper par le Prince Royal et la
Princesse de Beveren.
1
On a appris de Vienne , que M. Von - Holm ,
Envoyé du Duc d'Holstein , avoit eu une Audiance
particuliere de l'Empereur , dans laquelle
on assure qu'il a fait part à S. M. Imp. de la résolu-
Sabote Prenk
MARS. 1732. 601
solution que ce Prince a prise d'épouser en secondes
nôces sa belle soeur la Princesse Elizabeth
de Moscovie , fille du feu Czar Pierre I. et de la
feu Czarine Catherine .
L
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &C.
E 9 de ce mois , les Députez des Etats
d'Artois eurent audiance du Roy ,
étant présentés par le Duc d'Elbeuf, Gouverneur
de la Province , et par M. d'Angervilliers
, Ministre et Secretaire d'Etat.
Ils y furent conduits en la maniere accoutumée
, par le Grand - Maître et le Maî
tre des Cérémonies . La Députation étoit
composée de l'Abbé de Ruissauvaille
pour le Clergé , qui porta la parole ; du
Comte de Louvignies pour la Noblesse
et de M. Henin , Echevin de la Ville
d'Arras pour le Tiers Etat.
La Princesse de Conti , seconde Douairiere
, ayant demandé par son Testament
d'être enterrée sans aucune des Cérémo
nies qui s'observent après la mort des Princesses
du Sang, son corps qui avoit été embaumé
le 22 de Fév. ne fut exposé dans
son Hôtel que le 28. Ce jour- là , vers les
9 heures du soir , il fut porté en Carosse
à
602 MERCURE DE FRANCE
à l'Eglise de S. André des Arcs , et il furt
presenté au Curé par l'Evêque de Leitoure
qui étoit accompagné du Curé de
la Paroisse de S. Sulpice. La Princesse de
de Conty , troisiéme Doüairiere , accòmpagnée
de la Princesse de Conty, sa bellefille
, de la Princesse de Lambesc , et de
la Princesse de Lixin , menoit le Deüil.
Après les Prieres ordinaires , le Corps de
la Princesse de Conty fut mis dans le
Caveau où est le Corps du Prince son
Epoux.
Le Marquis de Vaugrenant , que le
Roi a nommé son Ambassadeur auprès
du Roy de Sardaigne , prit congé de
S. M. le 18. de ce mois , et il partira incessamment
pour se rendre à Turin .
Le Roy a donné le Gouvernement de
Boüay au Comte de Beauvau , Chevalier
des Ordres de S. M. Lieutenant General
de ses Armées , et Directeur General
de Cavalerie , et celui des Iles de
sainte Marguerite et de S. Honorat , au
Marquis de Dreux , Grand - Maître des
Ceremonies de France , et Lieutenant
General des Armées du Roy.
Le premier Mars , les Comédiens Ita-
Hens représenterent à la Cour la Double
InMARS.
17328
63
Inconstance , et la petite Piece nouvelle
de la Critique.
Le 8. Le Prince Travesti , et la Veuve
Coquette.
Le 15. La Piéce nouvelle du Triomphe
de l'Amour , et Agnès de Chaillot.
+
Le 22: Démocrite , prétendu Fon , et le
Retour de Tendresse.
Le Mardy 4. les Comédiens François
représenterent à la Cour , Esprit folet, et
l'Esprit de contradiction.
Le 6. Les Ménechmes , et le Deuil.
Le 11. Agrippa , ou le Faux Tiberinus,
et Crispin , Rival de son Maître.
Le 13. Le Flateur , et le Mariage force."
Le 18. Phedre et Hyppolite, et la Comtesse
d'Escarbagnas.
Le 20. La Réconciliation Normande , et
La Tontine.
Le 22 de ce mois , la Reine qui étoit
entrée depuis quelques jours dans le 9
mois de sa grossesse , sentit quelques.douleurs
pour accoucher. On dépêcha un
Courrier au Roy , qui étoit à la Chasse
dans les Bois de Verrieres , à quatre lieuës
de Versailles, S.M. quitta la Chasse et revint
dans l'instant au Château de Versaille
, et sans s'arrêter , le Roy monta à l'ap
I parte
694 MERCURE DE FRANCE
,
partement de la Reine. Cependant les
douleurs , quoique vives , se calmerent ,
et la Reine passa la nuit tranquillement ;
mais le Dimanche 23 Mars , les douleurs
ayant recommencé à une heure après
midi , la Reine accoucha heureusement à
cinq heures , d'une Princesse qui fut ondoyée
par le Cardinal de Rohan , Grand-
Aumônier de France, en présence du Curé
de la Paroisse du Château de Versailles.
Après la Cérémonie , cette Princesse fut
portée dans son appartement , par la Duchesse
de Talard , Gouvernante des Enfans
de France. La Reine se porte aussibien
qu'on puisse le désirer .
Le 24 Mars , la Lotterie de la Compa
gnie des Indes , établie pour le rembour
sement des Actions , fut tirée en la maniere
accoutumée , à l'Hôtel de la Compagnie.
La Liste des Numeros gagnans ,
des Actions et dixièmes d'Actions , qui
doivent être remboursées , a été renduë
publique. Elle fait en tout le nombre de
304 Actions.
Le 25 , Fête de l'Annonciation de la
Vierge , il y eut Concert spirituel au Château
des Tuilleries. Il commença par
Exurgat Deus, Motet de M. de la Lande.
尊
On
MARS. 1732 605
On chanta ensuite plusieurs petits Motets
, qui furent suivis de differentés
pieces
de Symphonies , exécutées d'une maniere
tres brillante , par d'excellens Maî
Le Concert fut terminé par le Cantate, tres. Le
qui est un des beaux Motets du même
Auteur .
Les Vers qu'on va lire sont tres convenables
en ce temps de Carême , propre
aux Réfléxions sérieuses ; ils sont faits sur
les mêmes rimes d'une Epître à Uranic ,
qui a couru le monde et qui a fait assez
de bruit.
EPITRE A URANIE
Contre les Impies..
Vous voulez donc , sage Uranie ,
Que je m'érige en Apôtre nouveau
Contre l'Impiété . qui d'une voix hardie
S'expliquant sans détour , sans voile , sans ban
deau ,
Nous offre l'horrible tableau
Des fureurs dont elle est remplie ·
Maudit orgueil ! fausse Philosophie !
Que servent tes Leçons à l'aspect du tombeau
Quand on n'a point pensé qu'il est une autre,
vie ,
Et que l'on n'a suivi que l'empire des sens ş
I ij Dans
1
26 MERCURE DE FRANCE
Dans ses derniers momens , l'incrédule prophane
,
Gémit , peut- être tard , de ses égaremens.
Tout l'intimide et le condamne.
Heureux qui sur soi - même attentif , scrupuleux
,
Ne connoît que la foy , quand il voit un Mystere
,
Marchant d'un pas respectueux
Dans le chemin qui mene au Sanctuaire
Du Dieu mort sur la Croix , que le monde révere.
Ce Dieu Tout- puissant laisse en une affreuse
nuit ,
L'orgueilleux et le temeraire.
Implorons son secours , sa bonté nous conduit.
Gémissons et prions , sa grace nous éclaire ;
Les coeurs ingrats en font un Dieu sévere
Mais nous-mêmes plutôt nous devons nous haïr,
Nous , que le péché seul a rendus misérables
Nous seuls , qui devenus coupables
Sentons le droit qu'il a de nous punir.
Nous , enfin , qui, créés à lui-même semblables
Nous éloignons de lui , pour nous mieux ayilir .
On déshonore son Image,
;
Les crimes redoublez , chassent le repentir ,
Et le plus grand des maux est de ne pas sentir
Que cet Etre indulgent , pour sauver son Qurage
Par
MARS. 1732 607
$
Par mille doux bienfaits ; cherche à nous pré
venir .
Les hommes ont armé leur fareur meurtriere
De la Religion sappé les fondemens ,
Ils devoient tous périr en même- temps se
Mais la bonté de Dieu , sauve des habitans
Pour instruire la Terre entiere ,
De la punition de ses déréglemens .
Le Déluge causa d'utiles changemens .
La Race qui devoit bien - tôt voir la lumiere
Sur des exemples innocens ,
Auroit dû de son coeur , regler les mouvemens.
Mais l'homme oublie encor qu'il est cendre et
poussiere ,
La Révolte , l'Orgueil , produisent des Titans
Qui dans leurs noirs forfaits , dans leurs empor
temens ,
Surpassent les horreurs de la Race premiere.
Dieu , loin de retirer ses bienfaits éclatans ,
Et par des châtimens sévéres ;
Contre ces coeurs ingrats , armer les Elemens.
!ô O prodige de grace ! 8 Tendresse ! ô Mysteres !!
O !
Ce qu'il avoit promis à la foy de leurs Peres
Fidele en sa parole , il l'accorde aux Enfans.
Quand sonpeuple devient volage ,
Amateur insensé des superstitions
Il l'abandonne à l'esclavage ,
Ile rend le mépris des autres Nations ,
3
I iij Mais
608 MERCURE DE FRANCE
Mais aux yeux du Sauveur , qui montre sa Puissance
,
Tous les coeurs ne sont pas criminels , odieux :
Dans les Flancs d'une Vierge , il vient prendre
. naissance ,
La lumiere qui doit briller à tous les yeux
Se découvre déja sous les traits de l'enfance
Dans l'Etable de Betléhem.
Il fait de notre bien , son plus doux exercice
Mais , ô comble d'horreur ! l'ingrat Iduméen ,
Prépare au Saint des Saints , le plus honteux supplice
!
Le Sang d'un Dieu coule pour nous.
Quelle victime , et plus noble et plus rare !
Tremblez, coeurs endurcis, et redoutez les coups,
Que sa justice vous prépare.
Dieu veut mourir pour le salut de tous.
Votre incrédulité , rend sa mort inutile,
Avez- vous mérité sa clémence facile ,
Vous qui n'êtes qu'objets de haine et de cou
roux ?
Vous courez vous plonger en d'éternels abîmes
veut vous en tirer à force de bienfaits . ·
Peuple sans foy , lui seul peut compter tous vos
crimes ,
Vous n'avez pas compté les biens qu'il vous a
faits.
Ce Dieu vous abandonne en sa juste colere ,
Mais, ( ce qu'il a promis à notre premier Pere)
Le
MARS. 1732. вод
Le salut va passer à cent Peuples divers.
La Vérité détruira le mensonge ,
Dieu dissipe la nuit où le crime les plonge ,
L'Evangile et la Grace éclairent l'Univers.
Amerique , vastes contrées ;
Peuples que Dieu fit naître aux portes du Soleil
,
Vous , Nations hyperborées ,
Qui languites long - temps dans un profond som
: merl ,
De toutes vos erreurs , vous serez délivrées ,
Vous ouvrirez les yeux , apprenant qu'autrefois
Dieu daigna se faire Homme , aux plaines Idu--
mées ,
Vous ne rougirez point , le voyant sur la Croix ,
Et vous reconnoîtrez à cette digne Image ,
Le Dieu que l'on doit adorer.
Vous chercherez à l'honorer
Par un culte assidu , par un pieux hommage :..
Ce Vainqueur de la mort , entend du haut des
Cieux ,
Une voix plaintive et sincere ;
Ouy , l'incrédulité peut seule lui déplaire ,
L'Impie est seul exécrable à ses yeux.
Qui ne connoîtra pas son Sauveur et son Pere ,
Ne méritera pas d'en être connu mieux.
Quels objets éclatans , viennent frapper ma vûë ?
Je vois le CHRIST puissant et glorieux ,
Auprès de lui , dans une nuë ,
I j
Sa
ro MERCURE DE FRANCE..
Sa Croix se découvre à mes yeux ;
Sous ses pieds triomphans , la mort est abbatuë ,
Des Portes de l'Enfer , il sort victorieux ,
Son regne est annoncé par la foy des Oracles ;
Son Trône est cimenté par le Sang des Martyrs ;
Tous les pas de ses Saints , sont autant de Miracles;
Il leur promet des biens plus grands que leurs
désirs .
Ses Exemples sont saints , sa Morale est divine }
Il console en secret les coeurs qu'il illumine,
Par d'inexprimables plaisirs ;
Sa Sagesse éternelle a fondé sa doctrine ,
t
Nul n'est heureux , ni sage que par
Vous voyez pourtant , Uranic ,
Qu'on tâche d'obscurcir la sainte verité ,
lui.
Mais quel pouvoir , quel effort , quel génie ,
Détruira ja mais sa beauté ?
も
Le Tres-haut a parlé ; sa Lumiere immortelle
Eclaire , frappe, allume au fond de notre coeur
Pour le vrai Culte , une ardeur naturelle.
La foy , l'humilité , la bonté , la douceur ,
Habiteront sa demeure éternelle.
Devant son Trône , en tout temps , en toys.
lieux ,
Le coeur du Juste est précieux..
Il nous a déclaré qu'une ame charitable ,
Trouve toujours grace à ses yeux ,
Mais il hait l'orgueilleux , le coeur impitoyable ,
Et
MARS. 611
1732.
Et le superbe ambitieux.
Pour le prix de son sang , est - ce trop qu'on l'im
plore ?
Ce Dieu que la vertu , que la foy seule honore :
Il régit l'Univers , et ses soins assidus ,
Daignent le conserver malgré nos injustices. "
Adorons ses bontez , offrons -lui des vertus ;
C'est le plus éloquent de tous les Sacrifices.
MORTS , NAISSANCES
et Mariages.
,
E 9. de Février 1732. mourut à Paris
en son Hôtel , M. Jean de Vins d'A
goult de Montauban , Chevalier , Marquis
de Vins et de Savigny , Baron de Forqualqueret
, de S. Savournin , de Rous
sillon , de Castelnau , & c. Lieutenant General
des Armées du Roy , Gouverneut
pour S. M. des Pays , Ville et Citadelle :
de Broüage , cy-devant Capitaine- Lieute
nant de la seconde Compagnie des Mousquetaires
de la Garde du Roy, un des plus
anciens Officiers de guerre du Royaume
et le dernier de sa Maison. Il étoit second
fils de Melchier , Marquis de Vins , et de
Dame Laurence de Paulien de Veyrac . Il
avoit été reçû Chevalier de Malte ; il étoit
Iv prêct
612 MERCURE DE FRANCE
prêt à faire ses voeux , lorsque son frere
aîné , François de Vins , fut tué dans une
Occasion près d'Utrech en 1672. l'un et
l'autre avoient fait leurs premieres Campagnes
en Hongrie, et l'aîné étant repassé en
France , le Cadet demeura pendant quelque
temps au service de l'Empereur.
Il se trouva en 1665. à la tête d'une
Compagnie de Cavalerie Allemande , à la
Bataille de Montesclaros en Portugal, où il
fut blessé dangereusement , et c'est la seule
fois qu'il l'ait été. Depuis il alla à Malte et
fit ses Caravanes. Il eut une Compagnie de
Cavalerie en 1667. It servit en 1672 .
dans le Regiment de Cavalerie de son
frere aîné , qui fut tué , comme on vient
de le dire ; par-là devenu l'aîné , il eut
l'agrément pour un Régiment de Cavalerie
, qu'il acheta .
L'Espagne jalouse des progrès de la
France , lui déclara la guerre après la
Prise de Mastric , et le Marquis de Vins
passa en Catalogne avec son Régiment.
Il épousa en 1674. Mad . Lavocat , et
traita de la Lieutenance de la seconde
Compagnie des Mousquetaires , où il a
servi , soit en cette qualité , soit en celle
de Capitaine- Lieutenant , pendant 43 ans .
On peut se représenter les Batailles , les
Assauts et les autres occasions où il s'est
trouvé
MARS. 17326 613
trouvé étant dans ce Corps , les Sieges de
Besançon , de Condé , d'Aire , de Valenciennes
, d'Ypre , de Gand , la Bataille de
Cassel . Il fut fait Brigadier des Armées
du Roy à la prise de Valenciennes , où
les Mousquetaires se signalerent d'une
maniere si surprenante , qu'il entrerent
pêle mêle dans la Place avec les ennemis.
Le Marquis de Vins les contint par sa
prudence , et empêcha qu'ils ne se répandissent
dans la Ville ; on a toûjours vanté
son intrépidité et ce sang froid qu'il conservoit
dans les actions les plus périlleuses.
Il fut fait Maréchal de Camp au mois
d'Août 1688. et comme il devoit commander
le Détachement de la seconde
Compagnie des Mousquetaires qui accompagna
MONSEIGNEUR , le Roy lui fit
l'honneur de le présenter à ce Prince avec
cet éloge , que c'étoit un des plus sages Officiers
de son Royaume , et que Monseigneur
pouvoit prendre ses conseils et les suivre.
Cette Campagne est la derniere qu'il ait
faite avec les Mousquetaires , il a toûjours
servi depuis comme Officier General .
Il fut envoyé en 1689 .. en Bresse , pour
y commander . Il avoit très- peu de mon .
de , mais sa prudence suppléoit à tout ;
c'est le témoignage que lui a rendu sou-
I vj vent
614 MERCURE DE FRANCE
vent le Maréchal de Catinat. Il y a peu
de Troupes de ce côté- là , écrit- il , le Marquis
de Vins y est , et j'ai l'esprit en repos.
En 1690. M. de S. Ruth et le Marquis
de Vins , s'avançerent dans la Tarentaise ,
entre Conflans et Monstier , où ils forcerent
le Baron de Sales , qui s'y étoit retranché
avec un Corps considerable de
Troupes ; ils le défirent et le prirent
lui-même prisonnier : après ce Combat
ils soumirent presque toute la Savoye ,
et l'année suivante il servit seul de Maréchal
de Camp sous M. de Catinat au
Siege de Nice.
Cette même année il fut nommé par
le Roi pour couvrir les Frontieres de Dauphiné
et de Provence, Il battit le Sicur
Julien dans la Vallée de Barcelonete , et
soumit toutes ces Montagnes , prit Sos
pelle , Broglio , Saorgio , et autres Places,
jusqu'à la Mer et au Col de Tende .
op
Pendant que le Maréchal de Catinat
veilloit en 1692. sur tous les Passages des
Montagnes , le Marquis de Vins étoit
posé avec un Camp volant , aux desseins
du Duc de Savoye et de ses Alliez , qur
ne se proposoient pas moins que d'envahir
le Dauphiné et la Provence ; avec fort
peu de Troupes , il rendit leurs efforts
inutiles ou très - peu efficaces.
Cette
1
MAR S. 1732. 615
Cette année lui fut fatale ; il fut fait
Capitaine-Lieutenant de la seconde Compagne
des Mousquetaires , par le décès
de M. de Jonvelle , qui la commandoit ,,
mais il perdit son fils unique , jeune Seigneur
d'une très -grandees perance, lequel
fut tué au Combat de Steinkerque , à sa
quatriéme Campagne.Il avoit servi l'année
précédente d'Ayde- de-Camp à son Pere
qui en avoit été très- content. Le Marquis
de Vins eut besoin de tout son courage
et de toute sa religion pour soutenir
ce-coup , qu'il a senti toute sa vie .
Il fut fait Lieutenant General des Ar
mées du Roy en 1593. et en cette quafité
, il commanda l'aîle droite à la Bataille
de la Marsaille. Le Duc de Vendôme
voulut être à l'aile gauche , et chargea
Paîle droite des Ennemis avec cette va
leur , que tout le monde lui connoissoit,
et il la chargea jusqu'à quatre fois. Il
trouva toûjours pareille résistance ; le
Corps de Bataille où étoit le Maréchal de
Catinat , qui commandoit l'Armée , souffroit
beaucoup. Il pressoit le Marquis de
Vins , qui s'ébranla si à propos , et fit
donner , la Bayonnette au bout du fusil ,
avec tant de vigueur , que toute l'aîle
gauche des Ennemis plia et fut entierement
défaite , ce qui décida de la Victoire.
Si
616 MERCURE DE FRANCE
Si Asdrubal a reproché à Annibal qu'il
sçavoit vaincre , mais qu'il ne sçavoit pas.
profiter de la victoire , on peut dire du
Marquis de Vins , qu'il servoit bien
mais qu'il ne sçavoit pas faire valoir ses
services ; ennemi de tout faste et de toute
ostentation , modeste à l'excès , il parloit
peu et jamais de lui ni contre personne ;
ayant en horreur les cabales et les intri
gues de quelque genre que ce fût. Il étoit
d'une droiture et d'une probité à toute
épreuve , mettant l'homme d'honneur et
le Chrétien beaucoup au- dessus du Capitaine
et du General d'Armée .
Content des biens considerables qu'il
avoit eus de ses Peres , il ne se soucioit
pas d'en avoir davantage , et il croyoit
qu'il suffisoit de bien faire pour mériter
les graces . Jamais il ne s'est plaint de la
Fortune , c'étoit une Divinité qu'il ne
connoissoit pas. Toujours prêt d'aller audevant
des besoins de ses amis , il n'at--
tendoit pas qu'ils lui demandassent des
secours pour les soulager. Tel étoit l'hon-,
nête homme , mais le Chrétien alloit bien
plus loin . Il donnoit à son rang tout ce
que la bienséance pouvoit exiger ; sa Maison
reglée comme il convenoit,ayant beaucoup
d'ordre et d'arrangement dans ses.
affaires , son superflu étoit considerable
et
MAR S. 1732. 617
de-là ses
et tout étoit pour les pauvres ;
liberalitez aux Hôpitaux et des Fondations
d'Ecoles Chrétiennes dans toutes ses
Terres ; à peine s'y sentoit- on des années
de calamité , tant il avoit soin que
la veuve et l'orphelin et generalement
tous les nécessiteux fussent soulagez , sans
que jamais la main gauche sçût ce que
faisoit la droite.
Après la Paix de Riswick , il envoya
dans les Vallées de Barcelonete et autres
lieux où il avoit fait la guerre , des
sommes considerables pour aider aux Habitans
à se rétablir. Lorsqu'en 1717. il
se démit de la Compagnie des Mousquetaires
, on lui offrit une pension de douze
mille livres. Il remercia , et dit qu'il n'en
avoit pas besoin , et qu'il valoit mieux
la distribuer à de pauvres Officiers.
Pendant la Peste de Provence , il envoya
des sommes considerables dans les
Terres qu'il avoit en ce Pays -là. Dans
toutes ces bonnes oeuvres il étoit secondé
par son Epouse ; jamais il n'y eut une plus
grande conformité de sentimens , et l'on
peut trouver dans la maniere dont ils ont
vécu ensemble pendant 58.ans de mariage,
l'idée de la plus parfaite union conjugale.
Tant de vertus ont été récompensées d'une
longue vie. Il est mort âgé de 9o . ans, muni
de
348 MERCURE DE FRANCE
-de tous les Sacremens , avec cette édification
qu'on devoit attendre d'un homme
qui avoit vécu comme il à fait."
Il a institué le Comte du Luc , de la
Maison de Vintimille , son parent et son
ami particulier , son Légataire universel,
avec substitution pour son fils et son petit
fils.
Dme Marie- Renée de Berthemet , veuve de M
Gilbert Colbert de S. Poüanges , Commandeur er
Grand Trésorier des Ordres du Roy, mourut à
Paris , le 28 de Fevrier , âgée d'eviron 85 ans.
et
M. Pierre Chirac , Premier Medecin du Roy
Sur-Intendant du Jardin Royal des Plantes ,
Associé Libre de l'Academie Röyale des Scien
ces , mourut à Marly , le 1 de ce mois , âgé de
82 ans. Il avoit été Premier Médecin de feue S.
A. R. M. le Duc d'Orleans.
I
Dne Charlote - Angelique Courtin , veuve de
Jacques Roque , Chevaher , Marquis de Varan
geville , Seigneur de Galleville , Dendeville , & ct
Ambassadeur de France à Venise , mourut le 6 ≤
Mars , âgée de 73 ans...
Jean -Baptiste, François Johanne , Marquis de
Saumery , Baron de Chemerol , &c . Chevalier de
S. Louis , Maréchal des Camps et Armées du Roy,
Gouverneur des Isles de sainte Marguerite et de
S. Honorat de Lerins , Gouverneur du Château :
Royal de Chambord , mourut le 19 , âgé d'environ
5 ans.
François Comte d'Esteing , Marquis de Murole
, Baron de Spoix , &c. Chevalier des Ordres du
Roy , Lieutenant General des Armées de S. M.
Gouverneur de Douay et de la Ville de Châlons
sur Marne , mourut à Paris , le 20 de ce mois ,
âgé de près de 81 ans.
Alexan
MARS. 17328
Alexandre- César de Cauchon , Baron de la
sainte Ampoule , Seigneur de Neuflize , mourut
le 22 Mars , dans la 57 année de son âge , et fur
inhumé à S. Eustache. On prie les Personnes qui
sçavent quelle est l'origine des Barons de la sain
te Ampoule, de vouloir bien en instruire le public.
Dane Marie- Anne Françoise de Montmorin ,
Epouse de Pierre de Champon , Marquis d'Arbouville
, Capitaine des Grenadiers au Regiment
des Gardes Françoises , accoucha le 21 Mars ,
d'un Fils , qui fut nommé Pierre- Nicolas , par
Nicolas de Campon , Mestre de Camp , Lieute- .
nant des Grenadiers , et par Dme Angelique Cecile
de Montmorin , veuve de -François d'Har
ville , Marquis de Pailoiseau .
François Michel - César le Tellier , Marquis de
Montmirel , Capitaine Colonel des Cent Suisses
de la Garde du Roy , fils mineur de François
Macé le Tellier , Marquis de Louvois , &c . et de :
Dme Anne - Louise de Noailles , épousa le 25 Février
, Dme Loüise- Antonine de Gontault de Bi- .
ton , fille mineure d'Armand de Gontault , Duc
de Biron , Pair de France , Colonel du Regiment
d'Anjou Cavalerie, Brigadier des Armées du Roy;
et de Dme Adelaide de Grammont , Dame du Palais
de la Reine.
Joachim-Louis de Montaigu , Marquis de Bouzol
, &c. Lieutenant General de la Province de la
Basse- Auvergne , fils mineur de feu Joseph de
Montaigu , Comte de Bouzol , Maréchal de
Camp , Inspecteur general de la Cavalerie , et des
Dragons , et de Dme Jeanne - Henriette Doreilhet
de Colombines , epousa le 11 Mars , Dme Laure
Fitz-James, fille mineure de M. Jacques , Duc
de Fitz-James de Beryick , Xezica , et de Liria
Pair
820 MERCURE DE FRANCE
Pair et Maréchal de France , Genéral des Armées
du Roy, Grand - d'Espagne , Chevalier des Ordres
de S. M. de la Toison d'Or , et de la Jarretiere
, Gouverneur et Lieutenant General du
Haut et Bas Limousin , et de la Ville de Strasbourg
, et de Dme Anne Bulkeley.`
A CHICHON,
Chienne de Madam: de l'Hôpital.
CHÍCH HICHON
vos beautez ,
l'on me permet de louer
Tout en vous me paroît charmant incompa
rable ,
Museau fin , belle Oreille , il vif , poil admirable
,
Mais ce qui met le comble à vos félicitez
C'est qu'une Maîtresse adorable ,
-Yous honore de ses bontez .
T
ARRESTS NOTABLES , & c,
A&
RREST et Lettres Patentes sur icelui , des 4.
et 18 Decembre 1731. qui ordonne que le
droit d'Indemnité du par les Gens de main -morte
, pour raison d'acquisitions d'heritages dans la
Directe de Sa Majesté , ou dans l'étendue de ses
Hautes Justices , sera payé en Especes quand il
sera au-dessous de soixante livres , et qu'il en sera
créé des rentes quand il se trouvera monter à
soixante livres et plus,
AUTRE
MAR S. 1732 . 621
AUTRE du premier Janvier , qui proro
ge jusqu'au dernier Decembre 1732. le délay
porté par celui du 2. Janvier 173 1. pour la moderation
à moitié des droits de marc d'or et autres
frais de provisions , reception et installation
des Offices taxez vacans , ou de nouvelles créations
qui se leveront auxRevenus Casuels pendant
le courant de la presente année 1732. ,
SENTENCE DE POLICE , du 4. Janvier , qui
condamne le sieur Brunet , Fils , Marchand Libraire
à Paris , en trois mille livres d'amende
pour avoir vendu et débité plusieurs Livres imprimez
sans permission .
AUTRE du même jour , portant défenses
à tous Chartiers , Voituriers , Portefaix et
autres , de brûler des Pailles dans aucun endroit
des Halles, ni de composer de ces mêmes Pailles
des torches pour les allumer.
ARREST du Parlement , contre 35.Accusez
'dont 4. par Contumace. Portant condamnation
de mort , préalablement appliquez à la question
ordinaire et extraordinaire , contre Jean Collor;
Claude- Thomas Hurel , Jacques Falconet et Nicolas
Quierceau , accusez de vol avec effraction ;
et surcis à l'égard des autres accusez jusqu'après
l'execution dudit Arrêt . Du 21. Fevrier 172 3 .
ORDONNANCE DU ROY , au sujet du Cimetiere
de S. Medard.
Sa Majesté étant informée de tout ce qui s'est
passé , et de ce qui se passe encore journellement
dans l'un desCimetieres de la Paroisse de S. Medard ,
et notamment à l'occasion des mouvemens et agitations
622 MERCURE DE FRANCE
rations prétendues involontaires de differens Particuliers
qui affectent de s'y donner en spectacle ;
Sa Majesté auroit jugé à propos de donner ses.
ordres pour en faire arrêter plusieurs et les faire
examiner par un nombre considerable de Medecins
et Chirurgiens , pour en dresser leur rapport
, et porter leur jugement sur la cause et la
nature desdits mouvemens et agitations : ce
qui ayant été executé , lesdits Medecins et Chyrurgiens
ont attesté et déclaré unanimemènt
que lesdits mouvemens n'ont rien de convulsif
ni de surnaturel , et qu'ils sont entierement volontaires
de la part desdits particuliers ; doù il
resulte qu'on a cherché manifestement à faire il
lusion , et à surprendre la credulité du peuple. Sa
Majesté a jugé necessaire de faire absolument cesser
un tel scandale , et le concours du peuple , qui
est devenu d'ailleurs une occasion continuelle de
discours licentieux , de vols et de libertinage , et
Elle s'est portée d'autant plus volontiers à pren
dre cette resolution , qu'Elle empèchera par là
- toute contravention et désobéissance au Mandement
donné par le sieur Archevêque de Paris le
15. Juillet dernier. Vû les rapports , en datte des
11. 15. 17. 18. 19. et 23. Janvier , signez par
les Medecins et Chirurgiens y dénommez ; SA
MAJESTE a ordonné et ordonne que la porte
du petit Cimetiere de la Paroisse de S. Medard ,
fera et demeurera toujours fermée; fait défenses de
l'ouvrir , si ce n'est pour cause d'inhumation ; et
défend pareillement à toutes personnes , de quelque
état et qualité qu'elles soient , de s'assemblerdans
les rues qui environment ledit Cimetiere , et
autres rues , places ou maisons , le tout à peine
de désobéissance , même de punition exemplaire,
s'il y échet. Enjoint au sieur Herault , Con-
-
seiller
MARS. 1732 623
seiller d'Etat , Lieutenant General de Police
de la Ville , Prevôté et Vicomté de Paris , de tenir
la main à l'execution de la presente Ordonnance,
qui sera lûë, publiée et affichée par tout où
besoin sera.FAIT à Versailles le 27.Janvier 1732.
signé Louis. Et plus bas , Phelipeaux .
ARREST du 19. Février , qui proroge pendant
une année seulement , la permission accordée
aux Negocians des Ports et Villes Maritimes
du Royaume , d'envoyer leurs Vaisseaux directement
en Irlande , pour y acheter des Boeufs salez
& les transporter ensuite aux Ifles et Colonies
Françoises de l'Amerique.
AUTRE du 11. Mars , qui ordonne et homologue
tout ce qui a été fait , tant à Paris que
dans les Provinces , à l'occasion des secours donnez
par S. M. à celles qui ont été attaquées de la
peste.
Nomme et autorise M. d'Ormesson , Conseiller
d'Etat ordinaire et Intendant des Finances ,
P'effet d'arrêter le compte du sieur Géoflroy ,
Caissier general de ce service.
Ordonne que les Pieces des comptes particu
Tiers arrêtez dans les dites Provinces , et qui
avoient été envoyées au Conseil seront renvoyées
aux sieurs Intendan's , pour être jointes à
la mmute d'iceux , sur laquelle et sur les doubles
qu triples, sera fait mention de ce dépôt.
AUTRE du même jour , qui deffend l'entrée
dans le Royaume , des vieux habits de Soldats et
autres de fabrique étrangere.
C
AUTRE du même jour , qui déclare subreptices
824 MERCURE
DE FRANCE
ces et obreptices les Brevets de dons faits en faveur
de divers Particuliers , des portions des Casuels
des Domaines réservez à S. M. par l'Edit
du mois de Decembre 1701 .
>
AUTRE du 18. Mars , qui ordonne que tous
les Ouvrages de Coutellerie qui seront ou auront
été fabriquez dans la Ville de Thiers , auront
outre la marque particuliere, dont chaque Coutelier
a coûtume de se servir pour marquer ses
Ouvrages , une seconde marque , dont l'emprein
te portera
le mot THIERS.
JAY
APPROBATION.
'Ay lû par ordre de Monseigneur le Garde
des Sceaux , le Mercure de France du mois de
Mars , et j'ay crû qu'on pouvoit en permettre
Pimpression. A Paris , le trois Avril 1732.
HARDIO N.
TABLE .
PIECES FUGITIVES : L'Age d'or , Poëme , 412
Réponse sur l'Explication de l'Akousmate d'Ansacq
,
Idyle ,
416
426
Lettre écrite de Barege , nouvelle Fontaine découverte
,
Epitaphe du Frere Hilarion , &c.
430
1434
ExExplication
d'une Médaille de . Carausius , &c
437
453
Epitalame au Comte de Marigni- Pibrac ,
Question jugée au Parlement , sur un Appel
comme d'abus de Mariage
458 Remerciment à Mad. ***,
463
Réponse sur S. Front , 467
Le Serin et la Linote , Fable , 485
Lettre au sujet de l'Ordonnance de Bacchus ,
487
Bout- Rimez donnez sur les Vapeurs ,
493
Autre sur les mêmes Rimes , 494
Réponse sur la Philosophie Hermetique , 495
Enigmes , Logogryphes , & c. 505
Nouvelles Litteraires ,
108
Recueil de Pieces d'Histoire et de Litterature
& c. ibid,
La Critique, Comédie , &c. 524
Refléxions diverses , 535
Societé de Medecine ,
542
Questions ,
543
Autres Questions sur la Dénomination des Lettres
, &c.
Académie de Chirurgie , &c.
Estampes nouvelles ,
Chanson notée ,
Spectacles. Danaus , Extrait ,
La Tragédie d'Eriphile ; Extrait ,
Extrait de l'Opéra de Jephté ,
Offre des Comédiens François à l'Académie
Françoise ,
Nouvelles Etrangeres , de Turquie et Perse ,
Lettre de Contantinople ,
589
591
De Russie , de Pologne , d'Allemagne et d'Italie ,
544
548
550
554
ibid.
562
571
88
595
Grande
Grande- Bretagne , &c. 199
Morts , Mariages ,
600
France , Nouvelles de la Cour , de Paris, &c. 601
Couches de la Reine ,
603
Epitre à Uranie ,
605
Morts , Naissances et Mariages , &c.
611
Arrêts notables , & c.
620
Errata de Janvier.
Page 124. ligne 1. Nascott , lisez Nascoti .
Errata de Février.
PAge 257. ligne 2. Titulaires , lisex Tutelaires.
P. 366 1. 27. constante , l. constance.
P 371. 1. 2. du bas , fondé , l. fonde.
P. 408.. 30. Motasque Couray. , 1. Nolasque
Couvay.
P. 542. l . 16. Milords ses Freres , l. Milords
Freres du Soutenant.
Fautes à corriger dans ce Livre.
PAge 525. ligne 23. Secle , Lisez Siecle.
P. 560. 1. 15. enterre , 1. enleve .
P. 562. 1. 9. point , ôtez ce mot.
P. 570. 1. 14. la fable , l. le foible.
P. 587. 1. 7 pieté , l. pitié.
La Médaille doit regarder la page
La Chanson notée à la page
440
554
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
AVRIL. 1732.
CURICOLLIGIT
SPARGIT
Chez
Papillon
A PARIS ,
IR
GUILLAUME CAVELIER
ruë S. Jacques.
LA VEUVE PISSOT , Quay de
Conty , à la descente du Pont -Neuf.
JEAN DE NULLY, au Palais.
M. DCC . XXXII .
Avec Approbation et Privilege du Roy
L'A
A VIS.
થી 'ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU , Commis an
Mercure , vis- à - vis la Comedie Frangoife
, à Paris, Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets ca- .
chetez aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très- inftamment , quand on adreffe
des Lettres où Paquets par la Pofte , d'avoir
foin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toujours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non-feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie,
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , où les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau ,
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire porter fur
T'heure à la Pofte , ou aux Meffageries qu'on
lui indiquera,
PRIX XXX. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
AVRIL. 1732a
PIECES FUGITIVES .
en Vers et en Prose .
A L'AUTEUR
DE L'EPITRE A URANIE.
Uelle audace effrenée ! ô Ciel !
qu'ai-je entendu ?
Qui que tu sois , dont le systême
impie ,
Insulte à la foi d'Uranie,
Par un și vain effort as-tu donc prétendu ,
Arracher de nos coeurs les profondes racines ,
Qu'y jetterent jadis les Semences divines ,
D'un culte antique et du Ciel descendu ?
A ij Pour
626 MERCURE DE FRANCE
Pour la Religion que mon ame respecte ,
Ta haine me paroît suspecte.
La destruction des Autels ,
Flatte nos penchants criminels ;
Que ces penchants sont doux ! que le vice est
aimable ,
Dès qu'on ne connoît plus d'avenir redoutable !
Quelques soient tes raisonnemens
Certes , pour moi je me deffie ,
De l'étrange Philosophie ,
Qui dans les Passions puise ses Argumens .
La Vertu tyrannise. Un Dieu vengeur nous gêne
Et le coeur vicieux qui redoute sa haine ,
Pour mieux s'en garentir ,
Voudroit pouvoir l'anéantir.
Nul frein , pour lors , à la licence,
Gardez l'équilibre un moment,
De quel côté penchera la balance ,
Si le vice est sans châtiment ,
Et la Vertu sans récompense ?
Loin d'ici tes projets dans le crime enfantez ;
E mille fois en naissant avortez.
Les saints dogmes de l'Evangile ,
Surchargent ta raison débile ;
Elle ne peut , dis - tu , les accorder ;
Avec ce qu'on doit demander ,
D'un Dieu juste et débonnaire ;
J'en tire un Argument contraire,
Et
AVRIL. 17328 6207
Ét s'il est un Dieu juste et bon ,
Tout est certain dans ma Religion.
Quelle foule de témoignages ,
Dans tous les tems , dans tous les âges ,
De Jesus Christ prouvent la Mission !
La foi d'un Dieu Sauveur en Miracles féconde
A commencé les Annales du Monde.
Ouvre les Volumes sacrez ,
De ces Ecrivains inspirez ,
Qui , dans ce qu'ils ont sçû prédire ,
Du divin Auteur des Chrétiens ,
Semblent être à qui veut les lire ,
Moins Prophetes qu'Historiens.
Quel autre que Dieu même a pû les faire écrire
Juge enfin sans prévention.
Que te produit la Revelation ?
Des Prodiges incontestables
Et des témoins irreprochables ;
Du Monde converti le Miracle éclattant ,
Du Peuple vagabond , détruit et subsistant ,
Qui porte dans cent Républiques ,
Du salut des Humains les gages authentiques.
D'humbles Pecheurs que l'on charge de fers ,
Troupe aux yeux des Mortels et vile et mépri
sable ,
A peine ont répandu leur doctrine adorable ,
Que les Vertus inondent l'Univers.
Als déposent au fond , qu'après que le Messie ,
A iij Suv
628 MERCURE DE FRANCE
Sur l'Autel de la Croix eut immolé sa vie ,
De la Grace nouvelle allumant le flambeau ,
Il sortit triomphant de la nuit du Tombeau,
Et que montant au Ciel , une brillante nuë ,
Vint comme un Trône d'or l'enlever à leur vûë.
Je croirai , quoiqu'ici l'Impie ose en juger ,
Je croirai des Témoins qui se font égorger.
Je n'ai pas entrepris de retracer l'Histoire ,
De l'Evangile et de sa gloire ;
De sublimes Ecrits pleins de force et de sens
En conservent les Monumens ;
Mais tous ces faits sont de nature ,
A n'être point soupçonnez d'imposture
Dieu qui les a permis ne peut être trompeur
Il le seroit pourtant , au gré de ton erreur
Si du vrai dont il est le pere ,
Le
mensonge odieux portoit le caractére.
Sa bonté , je l'ai dit , doit m'être un sûr garand ;
Des merveilles qu'enfin l'Evangile m'apprend
Sur cent vertus sa doctrine se fonde ,
Et ton systême fait horreur ,
Qui par la porte de l'erreur ,
Veut les faire entrer dans le monde.
L'Eclat dont luit la Révelation ,
Et les tenebres du Mystere ,
C'est la Nuée obscure et claire ,
Qui des Hébreux guidoit la Nation.
Tu ne peux concevoir la chute déplorable ,
Qui
AVRIL. 1732. 629
Qui de l'Homme innocent fit un homme cou
pable.
Tu ne peux concevoir qu'un Dieu soit mort
pour nous ,
Sans toutesfois nous sauver tous';
Et cet adorable Mystere ,
Pour ta raison est un joug trop austere ;
Mais quand tu veux t'en affranchir ,
La Révelation , source de l'évidence ,
Malgré toi , l'oblige à fléchir ,
Sous une immortelle Puissance.
De Lucrece aujourd'hui dangereux Nourrisson ,
Sauve- toi des écarts de l'humaine raison ,
Son devoir n'est pas de comprendre ,
· Ce que Dieu nous a revelé ,
Mais de se taire et de se rendre
S'il est vrai qu'il nous ait parlé.
Cette raison reçoit des bornes legitimes ;
C'est agir contre ses maximes ,
ปี
Que de restraindre ainsi Dieu même et son pou
voir ,
A ce qu'elle en peut concevoir.
Dépouille donc ici l'orgueil de ton Deïsme ,
Et crois - moi , rends ton vieux sophisme,
A Celse , à Porphire , à Julien ,
Quoique leurs plumes criminelles ,
En eussent armé leurs Libelles ,
Le monde entier n'en fut pas moins chrétien.
A iiij
Où
63300 MERCURE DE FRANCE
Où suis - je ? ô Ciel ! quelle terreur subite ,
Se répand au fond de mon coeur ?
Tout s'ébranle. La Mer s'agite ,
Et les flots irritez font un bruit plein d'horreur ;
Les antres au loin en mugissent.´
Le Soleil perd ses feux, les Astres s'obcurcissent
détachez , Da Firmament tous ces corps
S'envont - ils fondre sur ma tête ?
Qù fuir l'effroyable tempête
Terre ouvre -moi tes abymes cachez.
De tout secours mon ame est- elle dénuée ;
Mais tout à coup les Cieux sont éclaircis ,
Le Tonnerre et les feux partent de la Nuée ,
Où le fils de l'Homme est assis.
Crains l'Eternel ; crains ses vengeances &
Par un prompt repentir appaise son courroux ;
Sçache qu'il doit , ce Dieu jaloux ,.
Te juger sur ta foi comme sur tes offenses.
M. Tanevot..
SUITE
AVRIL 1732. 637
XXXXXXXXXXXX:X :XX
SUITE du Voyage de Basse Normandie .
LETTRE VIII.
M
'R Foucault , Intendant de la Géneralité
de Caën , bien persuadé ,
Monsieur , que la Tradition du Pays touchant
le lieu de Vieux, n'étoit point vaine,
avoit toûjours eu envie de s'en assurer
par quelque recherche ; mais il étoit bien
aise qu'il se présentât une occasion un
peu plausible de la faire , lorsqu'au mois
de Mars de l'année 1705. le Seigneur de
Vieux vint lui donner avis qu'on avoit
trouvé deux Pierres avec des Inscriptions,
ajoûtant que des Maçons en avoient déja
pris une à son insçû , pour employer à
quelques réparations et en avoient gâté
les Lettres que Fautre étant plus difficile
à tirer , avoit été abandonnée , et recouverte
de terre, ne doutant point qu'on
ne fit en cet endroit quelque découverte
plus considerable. M. l'Intendant , qui
étoit alors avec M. Belain , Curé de Blainville
, et Secretaire de l'Académie de
Caën , résolut d'aller sur les lieux le lendemain
, l'engageant de l'y accompagner,
ce qui fut executé ,
י
AV Oh
632 MERCURE DE FRANCE
On chercha en vain la Pierre en question
, elle ne fut point retrouvée ; on déterra
seulement quelques Médailles. Tandis
qu'on faisoit ce travail inutile , un
Laboureur vint dire que dans sa Piece de
terre il emportoit souvent avec la Charrue
de fort belles Briques , dont quelquesunes
étoient ornées de feuillages , ce qui
détermina de faire creuser dans ce Champ..
En y entrant on apperçut une petite élevation
couverte de ronces , et tout au
près quantité de morceaux de Brique ,
ornées de feuilles d'Acanthe. M. Belin
ayant poussé sa Canne dans un trou , en
remuant ces Briques , trouva une liberté
de tourner dans ce même trou , ce qui
fit juger et déterminer qu'il falloit commencer
par là à foüiller .
Les Paysans ne travaillerent pas longtemps
sans decouvrir un Mur d'environ
cinq pieds d'épaisseur , et en continuant
de creuser à trois pieds de profondeur ,
on découvrit environ vingt pieds de long
du même Mur , au bout duquel travail
il se trouva une espece d'Angle er de
Contour qui étoit de neuf pieds. M. Foucault
crut d'abord que c'étoient des fondations
, mais M. Belin pensa le contraire
sur ce que ce Mur étoit crêpi fort proprement,
et conjectura que ce reste d'élevation
AVRIL: 17320 633
levation d'un Bâtiment iroit jusqu'au niveau
d'un Ruisseau qui coule au bas de
ce Champ ; de quoi on convint. Commet
l'heure de partir pressoit , on ne put pour
cette premiere fois en faire davantage .
M. Foucault pria M. de Vieux , de mettre
dès le lendemain le plus d'Ouvriers
qu'il pourroit et de faire travailler diligemment
jusqu'à la huitaine qu'il y retourneroit.
Il n'y manqua pas , en effet , toûjours
accompagné de M. Belln , et trouva qu'en
creusant jusqu'au bout de la trace qu'on
avoit marquée et jusqu'à l'extremité du
Champ , on avoit découvert un beau
Bassin de pierre , d'environ douze pieds
de diametre , entouré de trois rangs de
Sieges , avec une ouverture par laquelle ,
au moyen d'un degré de cinq marches ,
on descendoit dans ce Bassin , dont le
fond étoit fort uni et formé de belles pierres
blanches , jointes ensemble avec un
mortier très -poli , dans lequel on voyoit
de petits morceaux de Marbre rouge. Ce
mortier étoit si dur qu'on eut bien de la
peine à l'entamer avec une Pince , pour
voir surquoi ce Bassin étoit assis . Il l'étoit
sur d'autres pierres , posées de côté sur
du sable , au- dessous duquel il y avoir
encore un lit du même mortier , et entre
A vj
ces
634 MERCURE DE FRANCE
ces pierres on voyoit plusieurs Tuyaux
de Brique.
Ce qui avoit paru un Angle dans le
Mur , d'abord découvert , se trouva être
une voute qui couvroit une Etuve , dans
laquelle on trouva encore le Fourneau qui
l'échauffoit , tout noirci de fumée , dans
une petite fenêtre plusieurs petits Instrumens
d'Yvoire qui servoient dans l'usage
des Bains à la propreté du corps , &c.
Comme la terre avoit couvert le debris
du grand Bâtiment , dont le Bassin
et l'Etuve ne faisoient qu'une partie , on
découvrit aussi en remuant cette même
terre et en continuant de creuser , plu
sieurs parties de très- belles voûtes , la
pluspart renversées , sous lesquelles on
avoit enfermé des Tuyaux de Brique . Le
mortier étoit si bien lié et uni avec les
pierres , qu'on les cassoit plutôt que de
les séparer de ce mortier.
Les Murs du Bâtiment principal dont
on vient de parler , ayant plus de 200 .
pieds de longueur et 4 à 5. pieds d'é
paisseur , étoient construits alternativement
d'un lit de Briques d'un pied en quar
ré , de trois pouces d'épaisseur , et d'un
très beau rouge , et d'un lit de pierres
blanches , toutes d'un même échantillon ,
liées avec du ciment. L'ordre fut donné
de
AVRIL. 1732. 635
de continuer le creusement et le remuage
des terres , et d'augmenter le nombre
des Ouvriers , ce qui fut executé pendant
huit autres jours.
י
Au bout de ce temps- là M. Foucault
et M. Belin retournerent sur les lieux et
trouverent qu'au moyen d'un grand travail
, on avoit découvert un second Bassin
construit comme le premier de ces
belles Pierres blanches qu'on voit à Caen,
et ayant les mêmes accompagnemens . Če
Bassin avoit ses écoulemens par des tuyaux
de Brique , qui portoient les eaux jusques
dans le Ruisseau dont il est parlé cydessus.
On avoit aussi découvert le commencement
d'un Aqueduc , qui selon sa
direction , devoit passer sous le Village
de Vieux , pour recevoir l'eau d'une Fontaine
qu'on voit encore auprès. On ne
put pas découvrir davantage de cet Aqueduc
, il auroit fallu pour cela renverser
une partie du Village.
Au lieu d'un travail inutile , on creusa
encore jusqu'à une des extremitez du
Champ, ce qui acheva de faire découvrir
toute l'enceinte de l'Edifice entier , qui
devoit être d'une grande étendue , er
qu'on crut , avec raison , avoir été un
Gymnase , ou lieu des Exercices que les
Romains avoient bâti en cet endroit et
qu'ils
836 MERCURE DE FRANCE
qu'ils avoient accompagné de Thermes
de Commoditez et d'autres ornemens utiles
et en usage chez les Anciens . Pour
s'y moins tromper , M. Foucault avoit
apporté son Vitruve , dont la lecture sur
la construction de pareils Bâtimens , appliquée
à l'examen des Monumens dont
on vient de parler , acheva de constater
ce qu'on n'avoit encore fait que conjecturer
par leur conformité avec les descrip
tions exactes et les regles données par cet
Auteur.
On trouva au reste des Antiquitez de
plus d'une espece dans ce remuement des
terres ; d'abord un grand Tombeau de
pierre, dans lequel étoient enfermez un
Squelete humain et quelques Médailles.
Romaines , ensuite le Fust d'une Colomne
de Marbre , dont on ne peut découvrir
la bize ni le chapiteau. La Statuë d'une
femme , ayant la tête voilée et la plus
belle qu'on puisse voir tenant de la
main droite une Patere ou Coupe , servant
aux Libations , la Statue étoit tron
quée par le bas. On découvrit aussi plusieurs
fragmens d'Inscriptions , ceux- cy
entre autres .
و
MEMO RIAM
MAGNINI
SENICIONIS
MEAVRIL.
1732 . 637
MEMORIA
VASSIONI
Q: K.
La plus entiere de ces Inscriptions étoit
gravée sur une Cyppe ou espece de Piedestal
quarré , en forme de petit Autel
et contenoit ces mots :
DEO MARTI
C. VICTORIVS
FELIX PROSEET
IVNIO FILIO SVO
ET MATERNAE VIC
TORIS CONIVGIS
MÆ E. V. S. L. M. DIALE
ET. BASSO . COS. IDIBVS
MARTI S.
Celle qui suit n'est pas moins entiere
, elle étoit gravée sur un Bloc de
Marbre rougeâtre , comme celui de la
Carriere dont j'ai parlé.
NOVIVS VIC
TOR MEMO
RIAE DOMI
TIAE PANFILE
M Galland prétend dans une de ses Lettres ,
qu'il falloit Sax , au lieu de Mex , mais qu'on a
employé ce dernier mot pour éviter toute équivoque..
Voici
338 MERCURE DE FRANCE
Voici encore deux fragmens d'Inscriptions
, aussi sur du Marbre..
D M
SEX. SENODIO SEVERO
VESTIARIO HEREDES POSVEVN...
Ꭰ M
LERONTIO IVNIANO DEFVNCTO
L.FRONTIVS IVNIVS. PATER.V.S.P.
Enfin dans ces differens travaux , où
l'on avoit creusé considerablement en
divers endroits , il se trouva beaucoup
de Médailles de bronze de toutes les
grandeurs , et quelques- unes d'argent ,
d'Empereurs , d'Imperatrices , de Cesars,.
&c. depuis le plus haut Empire jusqu'aux
Constantins ; mais ce qui surprit beau
coup , ce fut de découvrir parmi ces Médailles
un Diadumenien Grec , avec un revers
qui rendoit la Médaille encore plus
singuliere. Voici , Monsieur , de quelle
maniere M. Galland m'écrivit sur cette:
Découverte , dans une de ses Lettres datée
de Caën le 13. Juillet 1705.
>> Au retour de mon voyage de Paris
>>M. Foucault , qui avoit fait travailler à
Vieux pendant mon absence, me donna
à
AVRIL. 1732. 639
à examiner un grand nombre de Mé-
»dailles fort crasseuses qu'on y avoit déter-
» rées . Il s'en est trouvé une de moyen
» Bronze , où l'on n'appercevoit presque
» rien , ni du côté de la tête , ni au re-
» vers ; je la nettoyai et je vis paroître
» une très - belle Médaille Grecque de Dia-
» dumenien, ayant d'un côté la tête de cet
» Empereur avec cette Legende M ONEA
»
ΔΙΑΔΟΥΜΕΝIANOC. et sur le revers ,
»le Philosophe Heraclite de bout avec
» le Manteau de Philosophe , et une Mas-
» suë qu'il tient de la main gauche , et
» ces deux mots , ΕΦΕΣΙΩΝ ΗΡΑΚΛΕΙΤΟΣ .
» Cette Médaille a donné lieu à une Dissertation
que je mets actuellement au
» net , et dont je me propose de vous
» faire part.
M. Galland tint sa parole : il m'envoya
peu de temps après cette Dissertation
, avec un dessein exact de la Médaille
en question , que j'ai depuis vûë
en original dans le Cabinet de M. Foucault
, je vous communiquerai l'une et
l'autre en son temps ; je reviens cependant
à mon narré.
Quand M. Foucault jugea qu'il avoit
fait assez travailler à Vieux , et assez découvert
de ruine et de Monumens , il
fit faire de toutes ces Ruines et de l'état
des
640 MERCURE DE FRANCE
des lieux en question , une espece d'Iconographie
, pour en mieux conserver l'idée
, prévoyant bien que tout cela changeroit
bien- tôt de face et que les Proprieraires
remettroient les choses dans leur
prémier état , pour continuer de labourer
la terre , &c. Cette Iconographie , est
une élevation de tout l'Ouvrage sur une
Table d'environ 12. pieds de longueur
et de largeur proportionnée , sur laquelle
avec du gros carton diversement coloré ,
on avoit représenté au naturel la figure
de ces Ruines en petit , il y avoit sur
ces Cartons des Enduits et de la terre
élevée autour pour les soutenir et pour
mieux figurer les endroits creusez , &c .
M. Foucault fit porter cette Représen
tation à sa Maison d'Atie , située à quatre
lieuës de Paris , avec les Marbres contenant
les Inscriptions et les autres fragmens
d'antiquité trouvez à Vieux , parmi
lesquels il y avoit un Mercure de pierre
d'un pied et demi de hauteur , parfaitement
beau et très -bien conservé ; ce Morceau
fut trouvé en curant un Puits du Village,
peu de temps avant les autres Découver
tes . C'est à Atie que plusieurs Curieux
ont vû et examiné ces Monumens d'Antiquité
, qui en seront aussi de la sagacité
de M. Foucault , de son bon goût et de
son amour pour les Lettres .
AVRIL, 1732. 64r
Voilà , Monsieur , tout ce qu'on peut
sçavoir , et tout ce qui se peut dire de plus
exact sur les découvertes de Vieux. Elles
confirment la tradition ancienne et universelle
du Païs , sur le séjour des Romains
, dans le même Païs , et sur l'existence
d'une Ville , qui , comme beaucoup
d'autres , n'ayant pû résister à la vicissitude
des temps , a perdu jusqu'à son nom
permettez -moi d'ajouter quelques Remarques
à ma Narration .
REMARQUES sur les ruines
de Vieux.
L'un des plus Sçavans Hommes que la
Normandie ait porté , je veux dire M.
Huet,Evêque d'Avranches ,n'auroit peutêtre
pas écrit , comme il a fait , au sujet
de Vieux , si les découvertes dont je viens
de parler , avoient précédé la composition
de ses Origines de Caen , l'un des plus
curieux Ouvrages qui ayent été écrits en
ce genre , et le plus rempli de recherches
historiques , géographyques , étymologiques,
&c. ensortequ'il seroit à souhaiter
que chaque Ville un peu importante
, et de quelque ancienneté , eut un
Historien à peu près semblable. Il est cependant
arrivé à ce grand critique de n'avoir
pas toujours écrit avec la même jus
tesse
642 MERCURE DE FRANCE
tesse , dans le Livre dont je viens de parler
; cela se remarque sur tout dans l'Article
de Vieux ; soit amour de la Patrie ;
qui ne lui a pas permis de reconnoître
dans le même canton une Ville plus an
cienne que Caën , qui de son aveu ne l'est
pas beaucoup , soit prévention ou éloignement
de penser , comme on a toujours
fait dans le Païs , à l'égard des ruines de
Vieux, M.Huet ne veut pas que ce soient
les restes d'une ancienne Ville ; et on n'y
voit , selon lui , tout au plus que les vestiges
d'un Camp des Romains.
Il est inutile d'entrer icy dans un détail
des raisons , ou plutôt des conjectures
que rapporte ce Sçavant Ecrivain`,
pour ne point reconnoître une Ville ancienne
dans les ruines de Vieux , parce
que ces raisons tombent d'elles - mêmes
depuis les monumens qui y ont été découverts
, avant, durant et après les Recherches
de M. Foucault ; monumens qui
ne peuvent convenir qu'à une Ville et
à une Ville considérable .
Le plus remarquable de ces monumens ,
et qui fait icy , selon moy , une démons
tration ; c'est , sans doute, le fameux Marbre
de Joigny , trouvé à Vieux , il y a déja
bien des années. Ce Marbre , tout à -fait
semblable à celui de la Carriere deVieux ;
est
AVRIL 1732 843
est , comme je l'ai dit ailleurs , le Piédestal
, sur lequel étoit élevée la Statuë de
T. SENNIUS SOLENNIS , Grand- Prêtre Gaulois
, Homme des plus distinguez dans sa
Nation , lequel étoit originaire de la cité
des Viducassiens. Cette Cité est nommée
trois fois dans la longue Inscription
, gravée sur le Piédestal dont je vous
ai envoyé une coppie , avec ma Ive Lettre,
en sorte qu'on ne peut se refuser à
une preuve si évidente.
M. Huet qui a senti la force de cette
preuve , a cru l'affoiblir , en disant que
quoique ce Marbre soit semblable à celui de
Vieux , il peut bien avoir été tiré de quelqu'autre
Carriere de Marbre pareil , qui
aura depuis été épuisée ou recouverte et abandonnée.
Tout le Marbre blanc ne vient pas
de Paros, Je vous laisse , Monsieur , à juger
de la solidité de ce raisonnement ; et
en attendant , on peut , je crois , s'en raporter
au témoignage de quantité de
personnes éclairées , qui ont vu le Piédestal
de Torigny , et qui l'ayant comparé
à plusieurs Marbres , tirez de la Carriere
de Vieux entr'autres , avec les Colomnes
qui sont dans les Eglises de S. Jean et des
Carmes de Caen, assurent toutes que c'est
la même nature , la même qualité , &c.
Il est vrai que tout le Marbre blanc ne
vient
344 MERCURE DE FRANCE
-
vient pas
de Paros ; mais il est aussi vrai
que comme
nos Connoisseurs
, nos Marbriers
même
, distinguent
fort bien le
Marbre
de cette
Isle , d'avec
les autres.
Marbres
blancs
par la difference
du grain,
du poli , de la dureté
, &c. On peut
distinguer
de même
le Marbre
rougeâtre
et
veiné
, de Vieux
, d'avec
les autres
Marbres
de pareille
espece
. Celui
de Vieux
a
cela de particulier
, que le poli n'en est
nullement
beau.
>
Quant au témoignage de l'Inscription,
notre sçavant Prélat y répond en disant
que: Civitas viducassium , signifie là
comme en cent autres lieux des anciens
un Peuple , et non une Ville, Mais je ne
sçai si cette interpretation éludera un témoignage
si formel ; on peut bien accorder
que Viducasses , est le nom d'un Peuple
; mais les Peuples ayant bâti les Villes,
ausquelles ils ont donné des noms particuliers
, il est communément arrivé que
dans la suite ces noms particuliers ont
cessé d'être usitez , et qu'on n'a employé
dans le discours que le nom du Peuple
qui les avoit bâties , où dont elles avoient
été capitales. C'est ce qu'on peut reconnoître
par la lecture de César , de Pline
de Ptolomée , &c. chez lesquels les noms
de nos Villes d'aujourd'hui,sont des noms
de
AVRIL 1732 645
1
de Peuples , de Nations. Les Viducassiens
ou une partie de ce Peuple ont donc construit
la Cité dont il s'agit icy. Il est vrai
que nous ne sçavons pas le nom particulier
qu'ils lui donnerent , aussi parfaite
ment que nous sçavons que la Capitale
des Lexoviens s'appelloit Neomagus ; mais
les Monumens trouvez en ce même lieu ,
témoignent évidemment que c'étoit une
Ville ; et les termes de la fameuse Inscription
de T. S. Solennis , déterminent à
croire que c'étoit une Ville des Viducassiens.
Au reste , Monsieur , quand je vous
ai dit , en vous envoyant cette Inscription
, qu'elle ne se trouve nulle
part dans
les differens , Recueils imprimez , je n'ai
pas parlé avec exactitude ; je l'ai depuis
trouvée moi-même , dans le Recueil de
M. Spon , intitulé : Miscellanea erudite
Antiquitatis , & c. 1. vol . fol . Lyon , 1685 .
à la page 82. Mais elle y est rapportée
tres-imparfaitement , sur une coppie envoyée
à M. Spon , qui ne contenoit que
ce qui se trouve sur les deux côtez du
Piedestal , et rien du tout de ce qui est
gravé sur la face , et qui est pourtant le
plus remarquable et le plus instructif de
ce Monument. J'aurai occasion de vous
en parler encore une fois , mais revenons
à M. Huet,
Cet
45 MERCURE DE FRANCE
Cet habile Ecrivain oppose le silence
'des Historiens , celui de Ptolomée , de
Itineraire d'Antonin , et des Tables de
Peutinger , à ceux qui veulent que Vieux
ait été la Ville des Viducassiens , et qui
outre la tradition du Païs , citent un Passage
de Pline , dont je vais parler . Mais on
peut lui répondre avec fondement , que
nous n'avons pas tous les Historiens et
tous les Géographes anciens , que nous
n'avons pas les Ouvrages entiers de tous
ceux qui restent , et que ceux - cy ont encore
fait bien des omissions , ce qui ne
peut jamais former qu'un Argument négatif;
Argument qui tombe à la vûë des
Monumens découverts à Vieux.
Le silence , au reste , de Ptolomée , est
icy fort mal allégué , puisqu'il est du
moins certain que ce fameux Géographe
liv. 11. chap . 8. en traitant de la Gaule
Lyonnoise : Celto Galatia Lugdunensis situs
; et faisant l'énumeration des Peuples
qui bordent l'Ocean depuis la Seine jusqu'au
fond de la basse Bretagne , à l'endroit
appellé alors Gobeum Promontorium ,
met parmi ces Peuples , Biducenses , qui
est la même chose que s'il avoit mis viducenses
, lequel terme de Biducenses ou
Viducenses , a une égale analogie avec
Vieux , comme Viducasses,
Le
AVRIL 1732% 847.
Le passage de Pline se trouve dans le
18 ch . du 4 liv . M. Huet le rapporte et
en jugé de cette maniere : » Ceux qui
» veulent , dit - il , que Vieux ait été une
Ville , se fondent sur ce Passage de Pli
>> ne , où il met entre les Peuples de la
» Gaule Lyonnoise , Parrhisios , Trecasses,
» Andegavos , Viducasses , Vadicasses; d'où
ils inferent que ces derniers , désignant
» les Peuples du Bessin , les Viducasses
marquent la Ville de Vieux ... Mais il
» est tres - probable que dans le Passage de
» Pline , Viducasses ou Fadicasses , sont
» un même nom , qui signifie le Bessin
* et qu'un de ces mots est une diverse
» leçon de l'autre , qui a passé de la mar-
» ge dans le texte , comme il est arrivé
» dans une infinité de lieux des anciens
» Autheurs . De plus , Pline marque des
» Peuples en cet endroit , et non pas des
» Villes.
Avant que de réfléchir sur cette Critique
de M. Huet , il est bon d'observer
que le Passage de Pline est different dans
toutes les Editions que j'ai vûës , de celui
qu'on vient de lire ; mais pour ne point
entrer icy dans un détail ennuyeux des
Variations , et de différentes leçons qu'on
trouve sur ce sujet , je me contente de
rapporter ce même Passage , pris dans l'EB
dition
18 MERCURE DE FRANCE
dition du P. Hardouin , la plus récente , et
qu'on a lie de croire la plus correcte de
toutes , l'Auteur ayant consulté les meilleurs
Manuscrits , et n'ayant ignoré aucunes
des Editions imprimées . Or ce Påssage
est tel : Parisi , Trecosse's , Andegavi,
Viducasses , Bodiocasses , & c. Par ce der
nier terme , toute la probabilité de M.
Huet disparoît ; on ne croira jamais en
effet que Bodiocasses et Viducasses ne sont
qu'un même nom , qui signifie le Bessin ,
&c. Bodiocasses peut le signifier fort naturellement
, et beaucoup mieux que Vadicasses
, ainsi toute la conjecture du sçavant
Prélat devient plus ingénieuse que
solide .
J'ai répondu cy - dessus à ce qu'il ajoute
, qu'en cet endroit Pline marque des
Peuples et non pas des Villes , au sujet de
l'interprétation qu'il donne au terme de
Civitas Viducassium , de l'Inscription de
Torigny trouvée à Vieux ; ainsi , Monsieur,
au lieu d'une répetition inutile,jeme
contente de remarquer icy que le P. Hardouin
, dans une Note qu'il a faite sur
Pendroit de Pline , dont nous venons de
parler , reconnoît que Ptolomée a parlé
des Viducassiens ; mais on ne sçait sur
quelle autorité il place , comme il fait ,
ce Peuple dans la Basse - Bretagne , et les
reconAVRIL
1132 649
reconnoît pour les Fondateurs de la Ville
de Dinan ; l'idée en doit paroître singuliere
aux bas Normands , sur tout depuis
les Découvertes de Vieux,
la
On voit cependant , que selon les anciens
Auteurs , les Viducassiens étoient
un Peuple de la Gaule Lyonnoise , et que
ce Peuple étoit où est Vieux , ou aux environs
, vers le Midy et le Couchant..
L'Inscription de Torigny confirme ces
autoritez . Il est plus que probable par
circonstance du lieu où cette Inscription
a été trouvée , que la Ville en question ,
étoit assise sur le Terrain , dont le Village
de Vieux , occupe encore une partie
entre la Riviere d'Orne , appellée O'λiva
dans Ptolomée et celle d'Odon.
- Vous sçavez , Monsieur , qu'après la
conquête des Gaules par les Romains
les Monumens publics ne furent plus
gueres érigez dans ce Païs , que dans la
Langue , et selon l'usage et le génie des
Vainqueurs Outre l'Inscription Romaine
, dont je viens de parler , qui est toute
à la gloire d'un Prêtre Gaulois , vous
avez vû dans ma Lettre , qu'on a trouvé
dans le même lieu , d'autres Inscriptions
Romaines , qui , en prouvant cet usage ,
prouvent aussi que les Romains ont été
long- temps les Maîtres de la Ville des Vi-
Bij ducas-
*
750 MERCURE DE FRANCE
ducassiens. Celle qui commence ainsi :
DEO MARTI, &c.indique assez le bas Empire
et la décadence des Arts . Plusieurs
Lettres y sont mal formées , et sur tout
les Lettres A. L. o . M. Galland la croïoit
environ du temps de Claude le Gothique,
mort vers 271.11 croïoit aussi qu'il y avoit
là un Temple dédié au Dieu Mars . Des
deux Consuls , Dialis et Bassus , sommez
dans l'Inscription , le nom du premier ne
se trouve point ,dans les Fastes que nous
avons. On en voit du nom du second
Bassus , sous plusieurs Empereurs , mênie
du haut Empire . Il est vrai que dans les
Fastes , les noms des Consuls subrogez ou
substituez sont souvent omis . Le Consul
Dialis , de l'Inscription , étoit peut- être
de cette espece. Au reste, l'ignorant ouvrier
a gravé sur le Marbre DIALÆ , au
lieu de DIALE. Ce même nom se lit
dans Gruter , 8 Inscript. Edit. de 1707.
pag. 307.
12
.ن ا ر
Les autres Inscriptions , quoique mutilées
, marquent une plus haute Antiquité,
par la beauté et par la correction des caracteres
; on y voit les noms de quelques
anciennes Familles Romaines ; entre- autres
des Familles Domitia , Novia , Comu
ficia , &c.
Je crois que vous trouverez juste l'obserAVRIL.
17523
servation de M. G. au sujet du mot MEMORIA
, qui se trouve dans les deux Fragmens
d'Inscription , cy devant rapportez
; il signifie là la même chose que Monumentum
et Sepulcrum ; on le trouve en
effet, employé en ce sens dans Suetone, qui
dit qu'Othon , avant que de se donner la
mort , laissa le soin de sa Sépulture et de
ses Funérailles à Messaline. Commendans ,
Reliquias suas et Memoriam.
Ce Sçavant Antiquaire pensoit aussi
que Magninus Senecio , dont le nom est
gravé dans l'un de ces Fragmens , pouvoit
bien être le fils et le descendant de ce Senecion
, dont parle assez plaisamment le
Rhereur Sénéque , lequel étoit surnommé
Grandio, par Sobriquet , à cause de son
affectation ridicule pour tout ce qui
étoit grand dans les choses de son usage
les plus communes . Grands. Vases à boire,
grands Souli rs , grosses Figures , grands
Esclaves , et jusqu'à sa Maîtresse , qui tenoit
du Colosse . Le surnom de Magninus
de l'Inscription , ne revient pas mal à célui
de Grandio.
La grande quantité de Médailles trouvées
à Vieux , et celles qu'on y déterre
tous les jours , méritent une attention
particuliere ; elles démontrent concur-
Biij remment
652 MERCURE DE FRANCE
•
remment avec les Inscriptions et les autres
Monumens , découverts au même
lieu , que les Romains ont été long - tems
en possession de la Ville des Viducassiens .
Ces Médailles , comme je l'ai déja observé
, sont depuis les premiers Empereurs
jusqu'aux enfans de Constantin . On peut
donc raisonnablement présumer que cette
Ville a subsisté jusques dans le rv siécle ;
on pourroit former des conjectures
moins solides sur les causes et le temps
plus précis de sa destruction ; circonstances
omises par les Historiens ; mais je
ne m'engagerai point dans cette recherche
aussi pénible qu'inftuctueuse .
Je me dispense aussi d'examiner si la
Ville de Caen a été bâtie , comme quelques-
uns le prétendent , des ruines de
celle des Viducassiens , ou de Vieux . M.
Huet tient pour la négative et soutient
que Caën , du temps de Charles le Chauve
, c'est- à- dire , vers 840. n'étoit guéres
plus qu'un Village.
Je finis mes Remarques , en observant
que ce Sçavant Homme , malgré la prevention
dont j'ai parlé , semble revenir
au sentiment qu'il a prétendu combattre
au sujet des ruines de Vieux : Voici com
ment il s'exprime , après avoir beaucoup
discouru là- dessus .
» IL
AVRIL. 17321 653
Il est donc beaucoup plus apparent ,
" par tous ces Monumens d'antiquité, qué
» Vieux étoit autrefois un Camp des Ro
»mains , placé sur la Riviere d'Orne ,
» pour y conserver un passage ,
tendant
» vers le Païs ( a ) d'Hiesmes . Ce Camp
» ayant été fixé en ce lieu , donna l'occa-
» sion et le loisir aux Soldats d'y bâtir des
» Maisons , et un Aqueduc , pour leur
رد
commodité , dont il reste des ruines.
» La même chose est arrivée en plusieurs
» autres endroits et quelquefois ces .
Camps sont devenus Villes , et quoi-
» que Villes , ils ont retenu le nom de
» Camps , témoin la Ville de Constance ,
qui étoit dans le commencement le
Camp de Constantius Chlorus , Pere de
» Constantin le Grend , et qui dans la suite
est devenu une Ville celebre et floris-
» sante. Témoin encore la Ville de Cou
» tance, qui quoique Ville , s'appelle com-
» me la premiere : Constantia Castra. Cela
» se confirme encore par ce grand chemin
» pavé , qui alloit du Bessin dans l'Hies- "
» mois , et qui passe par Vieux-, bâti dơ
» Brique , ainsi que l'Aqueduc.
C'est toujours beaucoup de convenir
Vieux a pu
être une Ville , dont un
que
( a ) Le Païs d'Hiesmes est un Canton qui comprend
une partie du Diocèse de Bayeux.
Biiij Camp
64 MERCURE DE FRANCE
Camp des Romains ait été l'origine. Pour
moi , je croirois plutôt le contraire ; sçavoir
, qu'auprès de la Ville Gauloise des
Viducassiens , les Romains la trouvant
bien située , suivant leurs veuës , & c . auroient
établi un de leurs Camps , conjecture
que j'abandonne encore à votre critique
, et que je n'entreprens pas de soutenir..
Outre l'aveu que nous venons de remarquer
de la part de M. Huet , il n'est
pas indifferent de rapporter icy ce qu'il
nous apprend dans le même chapitre sur
la dénomination de Vieux. Vieux , dit it ,
est appellée Vedioca et Veoca , dans les
vieux titres de l'Abbaye de Fontenay. I
est assez incertain , continue - t - il , si
Veoca et Vedioca ont été formez du mot
de Vieux, ou Vieca de Vedioca, et de Veoce.
Le nom de Bayeux ne vient pas de
Bajoca , mais de Biducasses , &c. je ne le
suivrai pas dans le reste de cette discussion
étymologique , où notre Auteur ne
dit rien , ce me semble , de solide , n'apprend
qu'à douter et ne fait que conjecturer.
Mais vous me prévenez sans doute icy ,
Monsieur , sur le nom de Vedioca , pour
signifier Vieux , qui se trouve dans les
titres d'une ancienne Abbaye voisine.; et
vous.
AVRIL 1732 . 655
vous m'allez dire qu'on ne peut guéres
méconnoître dans ce nom les Biducenses
de Ptolomée , et les Badiocasses de
Pline , et le Civitas viducassium de l'Inscription
trouvée à Vieux. Votre réfléxion
est juste , et me dispense d'examiner si le
nom de Vieux , ne viendroit point de Vetera
Castra ; en supposant dans ce lieu ,
avec M. Huet , un Camp des Romains ';
ou de Ve , du Latin , Vadum , un Gué ;
supposant encore qu'il y en avoit un dans
le même lieu , lequel mot , Ve , s'exprimoit
autrefois par Vien ; comme pour
André , on disoit Andrieu , c. toutes
conjectures des plus frivoles , qui ne méritoient
pas de sortir d'une pareille plume,
et qui tombent d'elles - mêmes par ce
que vous venez de voir.
On peut , ce me semble , conclure de
toutes ces observations , que la Ville des
Viducassiens dont deux anciens Ecrivains
ont parlé , étoit située à peu près dans le
terrain , dont le Village de Vieux occupe
aujourd'hui une partie , entre les Rivie
res d'Orne et d'Odon , et que les ruines
découvertes dans ce terrain sont celles de
cette ancienne Ville , qu'elle a été considérable
du temps que les Romains l'ont
occupée , comme il paroît sur tout par les
beaux restes de son Gymnase , et des ac-
By com656
MERCURE DE FRANCE
compagnemens de cet Edifice public ,
( qu'on n'en voyoit de pareils que dans
les bonnes Villes ) et par les autres Monumens
dont on a parlé ; que cette Ville
étoit avantageusement située , à cause des
deux Rivieres , dont l'une lui donnoit la
communication avec la Mer Oceane , l'éloignement
n'étant que d'environ 5 lieuës;
que la même Ville devoit être florissante
par le commerce et par la communication
qu'elle pouvoit avoir avec les Nations
les plus éloignées.
La Médaille Grecque de Diaduménien
en est une preuve indirecte, et cette preu
ve est fortifiée par d'autres Médailles
Grecques et de fabrique étrangere , par
rapport aux Romains , découvertes depuis
au même lieu , dont j'espere de vous
entretenir dans une autre Lettre. Celle - cy
s'est allongée beaucoup plus que je ne
croyois ; je soumets à vos lumieres tout ce
qu'elle renferme , et je suis,Monsieur , & c.
POEM E
Sur les progrès de l'Art des Jardins..
Sous LoüiS LE GRAND.
D U siécle de Louis , les prodiges divers,
Sont l'étude du nôtre , et l'objet de nos Vers.
Muscs ›
AVRIL. 1732. 657
Muses , qui de ce Roy , chérissez la mémoire ,
Pour prix de notre ardeur à conserver sa gloire.
Vous nous devez vos soins , j'implore votre appui
,
Inspirez-moy des Vers , tels qu'on les fit sous
lui.
Si le gout de son siecle
est banni
de mes rimes
,
Muses
, n'exaucez
point
des voeux
illégitimes
."
Le Laurier
, où j'aspire
, est un affront
pour
moy ,
S'il n'est coupé d'un Tronc, planté sous ce grand
Roy.
Chassez de mes Ecrits , toute vaine peinture ,
Le fard est inutile , à qui peint la nature.
L'art doit l'orner de fleurs , mais non pas l'en
charger ,
C'est ainsi , sous Louis , qu'on sçut la ménager.
C'est sous ce regne heureux , si fécond en miracles
,
Que la Nature et l'Art s'unirent sans obstacles .
La raison en régla l'accord selon ses voeux ,
Et la perfection naquit de ces beaux noeuds.
Ainsi des sages Grecs , le sublime Génie ,
A cet amant discret , l'avoit jadis unie.
Sure du gout exquis de ce discret Amant ,
Gout formé sur le sien , et sobre en arnement.
La Déesse , toujours simple , naïve et pure ,
Laissoit aux mains de l'Art , le soin de sa pasure
B vj L'Art
6,8 MERCURE DE FRANCE
L'Art content de ce soin , et l'oeil sur ses appas ›
La faisoit briller seule , et ne se montroit pas.
Si la Nature en pleurs soupiroit sur la Scéne ,
Les malheurs d'Hyppolite , ou ceux de Polixéne.
L'Art d'une main cachée et prompte en ses besoins
,
Lui chaussoit le Cothurne , et bornoit là ses
soins .
Mais que cet age d'or fut prompt à disparoître ?
Louis , en ta faveur , le Ciel la fit renaître.
Tout , jusques aux Jardins, sous ce Roy si vanté,
Atteignit le haut point de sa juste bonté.
Ce n'est plus ces Jardins , que , voisins du Tonė ,
nerre ,
Suspendit dans les airs , au mépris de la terre.
L'Epouse de Ninus , l'Amante de son fils ,
De la Nature , hélas ! connut elle le prix ?
L'Emphrate sur son Urne , en ses Grottes profondes
,
Plaiguit ces bois , privez du secours de ses Ondes
.
Sur ses bords sabloneux , prodigua ce secours ,
Et les rendit si beaux , qu'on désertà ces tours .
Au gout de la raison , noble , simple , et sensée ,
Louis a des humains , ramené la pensée.
Deux Vertumnes fameux , à son
regne donnez ,
Firent voir aux vivans les Jardins fortunez ,
Où les ombres d'Achille et d'Hector réunies >
Réposent dans la paix , sur l'Email' des Prairies.
L'un
AVRIL. 17320
659
L'un , des beautés de l'Ordre instruit par le bon
goût ,
Mit la Nature en regle et la fit voir en tout.
De naïfs ornemens , Dispensateur habile ,
Il donna même au faste un air simple et facile ,
Apprit par un secret que lui seul
sçut trouver ,
Aux Chênes sourcilleux l'art de faire rêver,
Se fit suivre à son gré de l'Element humide ,
Ingénieux , forma de ce Cristal liquide
Mille Jeux séducteurs , cent Théatres divers ;
Plus qu'aucun avant lui l'élança dans les Airs ;
Des Graces et des Jeux accompagné sans cesse ,
Fit au triste Cyprès respirer la temiresse ;
Dans un Dédale heureux de Myrthes verdoyans,
Emprisonna les Ris sous les fleurs s'égayans ;
Et d'un Peuple de Dieux , ou palis ou sauvages,
Avec art disposez , anima ses Boccags ;
Puis ouvrant des Vallons les lo ntains gracieux,
Sçut finir ses Jardins où commencent les Cieux ,
Et presentant au loin mile oby ts à la vûë ,
Prêter aux Champs étroits une immense étenduë.
De Nymphes , cependant un jeune et tendre
Essein ,
Le suivoit pas à pas la Guirlande à la main ;
D'où tirant avec choix mille fleurs éclatantes ,
Flore en semoit par tout les couleurs differentes.
De Pomone au sein riche , auteint frais et fleuri,
L'autre , sçayant Eleve , et Confident chéri ,,
Du
50 MERCURE DE FRANCE
Du fruit , vrai gland jadis insipide et sauvage ,
Triptoleme nouveau , bannit l'austere usage ,
Corrigea de nos Champs les Sels contagieux ,
Et versant dans la séve un Nectar précieux,
Nous rendit ces beaux fruits que, Roy de la Na
ture ,
L'homme , aux Vergers d'Edem ; cueilloit d'une
main pure.
La branche obeissante et souple à ses leçons ,
Prit sous ses doctes mains cent diverses façons.
Du Lierre rampant le verd mélancolique ,
Scut couvrir les débris de quelque tombe antique,,
Où ses bras tortueux , par dinquiets efforts ,
Vont jusques dans leur cendre importuner les -
Morts.
Tandis que les amours de Flore et de Pomone ,
Étalant à la fois le Printemps et l'Automne ,
Le Citronier docile à notre oeil enchanté
Déroboit de nos murs l'informe nudité ;
Et dans ses bras , qu'il ouvre aux traits de l'oeil
du monde ,
En reçoit à l'abri l'influence féconde.
Vous n'avilirez point le prix des mes accens , ·
Vous, de nos bons Ayeux les repas innocens
Herbages fortunez , que ce Mortel si sage ,
A la Cour , chez les Rois , ramena du Village.
Mases , tel est le fruit du gout qu'on a pous
vous.
Tout objet fait ses soins , il les embellit tous .
Et
AVRIL. 17322 661
Et si l'appui du Trône est le prix de vos veilles ,
ne portez- vous pas vos sublimes merveilles !
Où
PRIERE POUR LEROT.
20
Tels que sur le penchant d'une aimable Coline-
Sous un Ciel favorable un Olivier planté ,
Voit d'heureux rejettons sa féconde racine ,
L'environner de tout côté.
Tel , Seigneur , chaque jour par un exemple uni
*que ,
LOUIS, se voit renaitre et combler de ses dons ;
Mais pour rendre éternels les biens que nousgoutons
,
Sous son Empire pacifique ,
Conserve , Dieu de Paix , sous ta main magnifique
,
Et la Tige et les Rejettons.
Auteurs , en écrivant , imitez la Nature:
EXPLICATION Physico-Mathematique
du Principe des Machines. Par L.P.C.J.
Dpendus aux deux extrémitez d'un
Eux Corps égaux ou inégaux , sus-
Levier , ou d'un Bâton ou d'une Barre de
fer , lequel Levier de fer ou de bois ap
puyé
-662 MERCURE DE FRANCE
puyé sur un Pivot aigu , fixe et inébranlable
, qui partage sa longueur en raison
réciproque des deux poids ; ces deux Corps
sont en équilibre et restent en repos ; aucun
des deux ne pouvant descendre
parce qu'aucun ne peut prévaloir à lautre
, à cause de l'égalité absolue de leurs
forces relatives. Voilà le fait et tout l'état
de la question présente.
Or cette égalité de forces relatives ,
fondée sur la réciprocité des Corps et de
leur distance du point fixe , Descartes et
les Cartesiens , l'établissent sur ce que ,
que
?
si ces Corps venoient à se remuer , leurs
mouvemens seroient égaux , les espaces.
parcourus ou les vitesses compensant les
masses , parce que la disposition de la
Machine détermine à un mouvement circulaire
, d'autant plus grand que le Rayon
est plus long
C'est là une raison mathématique , tout
à - fait géometrique et abstraite , et mề-
me de la plus basse espece , et de celles
qui convainquant l'esprit sans l'éclairer ,
sans même le persuader , s'appell nt des
Réductions à l'absurde . Car si vous alliez
prétendre que ces Corps. devroient se remuer
, on calculeroit leur mouvement
et leur force , et les trouvant absolument
égaux, on concluroit qu'une force égale
à
AVRIL 1732. 603
2 donc prévalu à une force égale ; ce qui
est absurde.
Les Géometres peuvent donc s'en contenter
comme d'une démonstration qui¨
constate le fait ; mais les Physiciens venlent
et demandent depuis long- temps une
raison qui l'explique . Il est bien question en
effet de la force qu'auroient ces Corps s'ils
venoient à se remuer. Ils ne se remuënt
pas et sont pourtant en équilibre ; il s'agit
de la force qu'ils ont actuellement et à
tous les instans pour s'y maintenir.
Descartes n'avoit garde d'aller plus loin.
Il étoit naturel d'expliquer cet équilibre
par l'effort actuel que font à chaque instant
ces deux Corps pour descendre et se
surmonter. Mais ce celebre Philosophe ne
connoissoit point d'effort au mouvement
qui fut un mouvement actuel ; lui pourtant,
qui par tout ailleurs , expliquoit tout
par le mouvement. Il est vrai qu'ici même
il recouroit au mouvement,mais à un mou--
vement possible et sensible , comme si les
mouvemens primitifs de la Nature , et
tout ce qui s'appelle forces méchaniques
et efforts , ne consistoient pas essentiellement
dans des mouvemens secrets et
très -insensibles.
Les yeux ne vont pas là ; mais la rai
son , ou du moins le raisonnement y va
et
664 MERCURE DE FRANCE
et nous apprend que tout Corps pesant
étant toujours pesant , soit qu'il tombe
soit qu'il soit arrêté , soit qu'il soit forcé
même de monter , tend toûjours et fait
toûjours effort pour tomber , et a par
consequent toûjours un mouvement secret
qui le sollicite à la chute , un mouvement
naissant et sans cesse renaissant
à coups redoublez , qui ne demande qu'à
se développer et à se changer en un mouvement
continu , et par là sensible vers
le centre.
J'ai démontré ce mouvement secret des
Corps pesans dans mon Traité de Physique
, imprimé à Paris , chez Cailleau. Et
il m'a parû que cette Démonstration avoit
passé sans contradiction ; et que tous
ceux , au moins dont j'ai eu occasion de
connoître les sentimens , l'avoient adop
tée. Il est temps de porter cela un peu
plus loin.
la
On confond trop , ce me semble ,
pesanteur avec la chute ; et l'idée des Aneiens
qui croyoient les Elemens quittes.
er exempts de pesanteur dans ce qu'ils
appelloient leurs Spheres propres ; l'Eau ,
par exemple , dans la Mer , l'Air dans
l'Atmosphere ; cette idée ne me paroît
que trop regner encore dans les esprits.
Je dois donc remarquer que la pesanteur
AVRIL. 1732. 665
teur est la cause , et que la chute n'est
qu'un effet ; qu'un Corps tombe parce
qu'il est pesant; mais que lors même qu'il
ne tombe pas , il est toûjours pesant , et
que dans aucun instant il ne cesse de l'ê
tre. C'est-là ce qu'il faut bien sentir.
En quelque temps que vous tâchiez à
soulever un Corps pesant , vous le trouvez
pesant , il vous résiste de toute sa
force , et il vous faut toute la vôtre pour
en venir à bout. Portez - le quelque temps
entre vos bras ou sur vos épaules , peuà
peu il vous devient tout à fait insupportable
et vous force à lâcher prise . Si
vous le suspendez à un fil , à une corde,
dès le moment que vous tranchez le fil ,
il tombe , il n'attend pas vos ordres pour
cela , il tire , il tiraille le fil ou la corde ,
et après en avoir surmonté peu à peu le
tissu et rompu en détail tous les fila
mens , il la rompt tout - à - fait et tombe
lourdement .
S'il est posé sur la terre , avec le temps
il l'enfonce et s'y enterre ; et si tout d'un
coup vous sappez sous lui cette terre qui
le porte , tout du même coup il tombe
plus bas , et toûjours aussi bas qu'il le
peut. Si vous coupez cette terre en plan
incliné , de quelque côté que vous fassiez
la pente , il y roule et gagne l'endroit
le plus bas.
666 MERCURE DE FRANCE
L'Eau même la plus immobile et la
plus croupissante , va couler tout de suite
si vous lui ouvrez une rigole en pente
à côté de son Båssin. Toutes les Rivieres
coulent et la Mer même a des Courans
et des Goufres soûterrains qui l'appel
lent d'abîme en abîme vers le centre
de la terre. Il est vrai que les abîmes n'étant
pas infinis , l'eau ne tombe toûjours
que parce qu'elle remonte aussi toûjours
par
d'autres conduits soûterrains dans
les Sources d'où elle recommence à con
ler vers le centre . Mais c'est qu'il y a
dans le corps de la Terre , comme dans
nos corps,un Principe de circulation qui,
sans ôter à l'eau la pesanteur , l'entretient/
dans une perpetuelle mobilité. Tout cela
est établi dans le Traité déja cité .
L'Air même , qu'on ne s'y trompe pas,
ne demande qu'à couler et à tomber : à
mesure qu'on creuse dans la terre , il y
entre et remplit les plus petites excavations.
Dès que l'eau ou tout autre corps
quitte une place, l'Air la prend aussi - tôt.
Nous sentons nous - mêmes assez le
poids des Corps toûjours subsistant , toû
jours agissant. Nos jambes se lassent de
nous porter. Notre col , nos épaules pliroient
sous notre tête , si elle n'avoit ses
momens de repos . Et puis il faut bien- tôt
οὐ κ
1
AVRIL. -1732. 1 667
ou tard ,
que l'affaissement
de nos membres
devenant
general
, nous rentrions
dans la poussiere
, d'où un soufle de vie
qui s'exhale , nous avoit fait sortir. Tout
le monde sçait tout cela , je le crois.
Tous les Corps font donc un effort et
ont une tendance continuelle vers le centre.
Cette tendance étoit la qualité occulte
de nos Anciens. Ils la concevoient
comme un appétit et presque comme une
volonté naturelle de se réunir à leur centre.
Descartes a fort bien remarqué que
la matiere pure n'avoit point de ces
sortes d'appétits et de volontez . Mais cette
tendance et cet effort étant pourtant- quelque
chose de réel et de toûjours subsistant
, il auroit dû , en supprimant une
mauvaise façon de les expliquer , y sub-
2
stituer un mouvement secret et insensible
, qui est la seule façon dont un Corps
peut tendre et faire effort . M. de Leibnis
y reconnoissoit une force morte.
Mais il n'y a point ici de mort , et l'effort
que les Corps font pour regagner
leur centre , est toûjours , sinon vivant ,
du moins très - vif et très - animé , et mê
me très- sensible , au moins dans ses effats.
:
J'ai expliqué cet effort méchanique
dans l'Ouvrage en question , et j'ai fair
voir
68 MERCURE DE FRANCE
voir qu'il consistoit dans un mouvement
non continu , parce qu'il est empêché ;
mais continuel et sans cesse redoublé
de vibration , de battement , d'oscillation
qui est le vrai mouvement primigénie de
la pesanteur , et l'unique cause tout- àfait
primitive de la chute des Corps qui
ont la liberté de tomber.
Pour rendre même ce Principe plus
sensible , j'ai fait voir que c'étoit le Principe
general de la Nature , l'agent primitif
de tous les Méchanismes , et que.
tout se faisoit dans l'Univers par l'impression
d'un mouvement secret de vibration
, tous les Corps étant buttez les
uns contre les autres, et faisant des efforts
et des contr'efforts continuels , d'où résultoit
l'équilibre general.
Descartes se bornoit trop à son Principe
de simple impulsion , qui étoit pourtant
un beau Principe ou un demi Principe.
Car point d'impulsion sans Répulsion.
A bien prendre même les choses ,
l'impulsion n'est qu'un Principe secondaire
et un effet sensible , un Phénomene
de la Répulsion.
Cui , tout ce que j'appelle cause Physique
, cffort méchanique , action naturelle
, est dû à la répulsion , au repoussement
, et consiste formellement dans.
8
un
AVRIL: 17320 669
peu
un mouvement de vibration, vif , prompt,
étendu et sans cesse redoublé.
Nous pouvons sans sortir de nous-mêmes
, nous en appercevoir avec un peu
d'attention . Nous ne sçaurions rien pousser
, non pas même notre corps , notre
bras , notre jambe en avant , si nous ne
repoussons en même - temps en arriere
quelque chose de fixe et d'immobile qui
nous repousse en avant.
Par exemple , en marchant , nous repoussons
le terrain , et il faut que ce terrain
soutienne le repoussement et nous
le rende pour que nous avancions. Un
sable mouvant qui nous cede en partie ,
une terre labourée nous épuisent bientôt.
Un pavé glissant qui ne nous oppose
aucune inégalité pour soutenir l'effort
de nos pieds , nous laisse tomber.
Nous ne sçaurions marcher sur l'eau .
Je ne me lasse point d'inculquer ce
Principe , sans lequel je ne connois point
de vraye Physique . Un Oiseau qui vole
ne vole en avant qu'en repoussant l'Air
avec ses aîles en arriere . Celui qui nâge
repousse l'eau avec ses bras , la Rame re.
pousse aussi l'eau ou le terrain . Et le vent
qui fait voguer un Vaisseau , quoiqu'il
semble n'avoir qu'un simple mouvement
d'impulsion directe , doit dans son origine
670 MERCURE DE FRANCE
-
rigine , avoir un Principe de répulsion ,
un point d'appui fixe qui l'empêche de
rétrograder. Et c'est par là que je crois
être en état de démontrer que tous les
vents prennent leur origine dans l'interieur
même de la Terre et dans la réaction
même du centre , qui est comme un
ressort toûjours bandé qui se débande du
côté où il trouve le moins de résistance.
Cela soit dit en passant.
Voyez deux hommes d'égale force buttez
l'un contre l'autre , et qui font effort.
pour se culbuter . On les voit , après s'ê→
tre roidis par les jambes contre le terrain , "
agitez de vibrations assez sensibles , se
pousser et se repousser , avancer et reculer
, ceder et reprendre le dessus avec
une alternative , qui seule maintient l'équilibre
.
Voilà l'état précis de deux Corps plaecz
en équilibre aux deux extrémitez
d'un Levier , partagé par le point fixe
mitoyen , en raison réciproque de leurs
pesanteurs. Toûjours pesant , toûjours fai-
Sant effort pour se surmonter ou pour
rompre le Levier qui les arrête , ils sont
agitez d'un mouvement actuel de batrement
ou de vibration qui fait leur force
actuelle et leur équilibre actuel.
Car cette force est égale de part et
d'autre
AVRIL 1732 678
d'autre, parce que le mouvement est égal.
Or , il est égal , parce qu'il est proportionné
à la longueur des Leviers , tout
comme le mouvement sensible auquel
les Cartésiens ont recours et auquel il est,
je pense , démontré désormais qu'on n'a
nul besoin de recourir.
Tous les équilibres de l'Univers se font
par là , et il n'y a nul autre Principe Physique
de tous les Méchanismes , soit naturels
, soit artificiels. Toute puissance
appliquée à un Levier ou à toute autre
Machine , agit par les efforts qu'elle fait
à chaque instant , et tout effort agit par
secousses et par vibrations. Qu'on se rende
tant soit peu attentif à l'effet de ses
propres mains et de ses bras , lorsqu'on
en fait , on y sentira , on y verra ces secousses
et une espece de tremoussement ,
d'ébranlement vif et redoublé. J'avertirai
même, en finissant, que lorsqu'on voudra
se donner dans ce cas un peu plus
de force , on n'a qu'à donner à son bras,
à ses pieds , à son corps un pareil tremblement
encore plus sensible et plus
prompt , cela aide tout- à - fait , et c'est la
Nature même qui nous indique ce secret,
qui est son secret.
THE672
MERCURE DE FRANCE
THERESE,
ODE.
Par M. de Soultrait , Maître des Comptes
de la Chambre de Nevers.
L'Amou Amour vient de monter ma Lire ;
Therese anime mes Concerts.
Guidé par le feu qui m'inspire ,
Je vois à flots couler mes Vers.
Fuyez d'ici , Troupe égarée
Des sentiers de la verité.
Cherchez une Idole parée ;
Pour moi je veux du temps d'Astrée ;
Rappeller la simplicité.
M
Achile , aux Rives du Scamandre ;
A
Brisco
offrit des voeux.
A
Glicere , Horace
sçut rendre ,
Tout ce qu'on doit à de beaux yeux ;
L'un et l'autre , de la parure ,
Evitant l'appas médité
Echapperent à l'imposture ;
Et
3.
AVRIL. 1732. 673
Et placerent dans la Nature ,
Le Trône de la Volupté.
龍
Seroit- ce au brillant étalage ,
De quelque frivole ornement ,
Que mon coeur fixeroit l'hommage ,
A la beauté dû seulement.
Mais j'entends l'instinct qui s'explique.
Il me fait dire par mes sens ,
Que votre coeur au vrai s'applique ;
Tout autre culte est fanatique ,
Et flétriroit vos sentimens
Lecteurs , de Cyrus , de Clelie ,
Vous ne goutez pas mes Leçons
Votre ame est trop enorgueillie ,
Pour vous prêter à mes raisons
Voyez Venus fendant les Nuës ,
Qui vient approuver mes accens.
Et , se mocquant de vos bévûës
Voyez les Graces demi nuës ,
Rejetter vos fades encens.
Décorez-vous , Héros du Tasse ,
De la vertu des Paladins ,
Morfondez- vous suivant leur trace
C1
Je
774 MERCURE DE FRANCE
Je vous suis par d'autres chemins ;
Horace que je prends pour guide ,
Présente Therese à mes feux.
Un air naïf , fimple , timide
Vaut mieux que les faveurs d'Armide
Pour l'Amant qui veut être heureux,
Enfant chéri de la Nature ,
Therese , objet de tous ses dons;
Je veux que la Race future ,
Te connoisse par mes Chansons,
Si la Fortune qui nous joue,
Dans sa colere a fait ton sort ;
Te voyant au bas de sa Roue ,
Est-il un Mortel qui n'avoue ,
Qu'elle est aveugle et qu'elle a tort.
"
REPLIQUE à la Réponse de M, L. B
sur son Explication de l'Inscription
d'Auxerre.
Ay lû ce que M. L. B. oppose aux
Remarques que j'ai données dans le
mois de Juillet dernier , sur son Explication
de l'Inscription d'Auxerre. Sa Réponse
est d'un homme du métier qui
écrit d'une maniere aussi spirituelle que
sçavante ;
AVRIL. 1732. 675
sçavante ; mais les raisonnemens qu'il
employe pour soutenir sa prétendue association
d'Ovinius , ne me paroissent pas
solides , et il m'accuse d'ailleurs assez légerement
de lui faire dire au sujet de la
Guerre d'Allemagne , ce qu'il ne dit pas,
et cela dans la vûë de combattre son sentiment
; il me permettra donc , s'il lui
plaît, de m'expliquer sur ces deux articles.
Premierement,pour ce qui regarde Ovinius
, je soutiens , comme je l'ai déja fait,
que la lecturo seule du Texte de Lampride
, qui nous rapporte l'association de ce
Sénateur à l'Empire , suffit pour nous
convaincre de la fausseté de cet Evenement.
En effet a-t'on jamais vû qu'un
Prince puissant et paisible , à la premiere
nouvelle qu'un de ses Sujets est dans le
dessein de brouiller l'Etat , ait aussi - tôt .
sans autre consideration et par une foiblesse
indigne , partagé avec lui son pouvoir
, l'ait associé au Trône, et lui ait voulû
de plus laisser le commandement des
Armées , c'est-à-dire en bon François
se livrer entierement à sa discretion . Voilà
pourtant la conduite de Severe Alexandre
, si l'on s'en rapporte à Lampride.
Cum quidam Ovinius ... rebellare voluisset...
participem imperii appellavit ... &
eam expeditio barbarica esset nunciata
Ciij vel
676 MERCURE DE FRANCE
vel ipsum, si vellet ire, vel ut secum proficis
ceretur hortatus est. Un tel récit révolte le
Lecteur le plus crédule , aussi ne suis-je
pas le seul qui le révoque en doute. It
me suffira pour la de
preuve , rapporter
ici les paroles de M. de Tillemont , sur
l'action qui fait la dispute. Nous ne vou
lons pas omettre ici , ( dit cet Auteur , p.
214. du Tome 3. de l'Hist. des Empereurs
) un Evenement qui semble apparte
nir plus que tout autre à l'an 228. S'il est
veritable dans toutes les circonstances que
l'on en dit ; car il est vrai qu'il y en a qui
paroissent tenir de la fable.
Secondement , non- seulement les Auteurs
qui vivoient sous Severe Alexandre
et dont les Ouvrages sont parvenus jusqu'à
nous , comme Dion et Herodien , (a)
ne nous disent rien de l'Association d'O
vinius ; mais par la maniere dont ils nous
marquent que Severe Alexandre agit dans
des temps de Révolte , il nous font assez
connoître ce que nous devons penser du
(a) En citant Herodien , je réponds incidemment
à une Observation de M. L. B. qui prétend
que le silence des Historiens sur le sujet d'Ovinius
, ne vient que de ce que ces Auteurs n'ont
écrit que de simples abregez. Herodien seurement
ne passera jamais pour un Epitomiste , et le
silence d'un Ecrivain aussi exact , balancera toujours
l'autorité de Lampride,
récit
AVRIL. 1732.
677
récit de Lampride . Puisque chez eux Severe
Alexandre est un Prince ferme et
vigilant , qui au premier bruit de quel¬
que entreprise contre son autorité , a
soin de la réprimer avec courage et d'en
punir les auteurs . Conduite qui convient
parfaitement à un Empereur , que M.L.B.
lui-même compare à Trajan. Voici les
Passages des Auteurs que j'ai citez . Per
id tempus ( dit Dion ) multa rebellionesfacte
sunt , quarum cum fuissent formidolosa ,
repressa ac restincta sunt. Et selon Hérodien
: Nequi non in Syria res novas contra
Imperium moliti alii , sed universioppressi
statim supplicioque affecti sunt.
En troisiéme lieu , ce qui s'observoit
d'abord dans l'association d'un Prince à
l'Empire , étoit de frapper des Monnoyes
(a) au coin du nouveau Souverain , ç'a
été un usage constamment
gardé sous tous
les Empereurs ; soit que ces Associations
ayent été libres , comme celles de Trajan
par Nerva , d'Elius par Hadrien , soit
qu'elles ayent.été forcées , comme quand
Balbin et Puppien furent obligez de déclarer
Cesar le jeune Gordien , ou que
(a) Et vero simul Imperii summam adepti erant ,
Imperatores ) prima hac cura fuit nummos sua ,
mox conjugum denique et liberorum effigie insignire.
Anton, Augustinus. Dial. T. de Vet . Num . antiq..
Cij
Ma678
MERCURE DE FRANCE
Maximien Hercule fut contraint par Galere
, d'accorder le même titre à Severe .
Il nous reste des Médailles de tous ces
Princes. Ovinius seroit- il le seul pour qui
on eut négligé une coûtume si essentielle
et si continue? Sur tout ce Sénateur ayant
vécu plus de 7 ans , après sa prétendue
association , si l'on s'en rapporte à M.L.B.
qui ne le fait mourir qu'après Severe
Aléxandre .
Enfin pour me servir des armes que
M. L. B. me fournit lui-même , je ferai
remarquer que si Ovinius avoit effectivement
été associé par Severe Alexandre ;
les Loix que ce dernier donna la même
année de cet Evénement , n'auroient pas
manqué de faire mention d'Ovinius , ou
nommément ou en nom collectif , ce qui
n'est pas. , Severe Aléxandre y étant seul
nommé , et cela contre la Regle générale
, s'il avoit cu un Collégue ; puisque
nous voyons dans toutes les Loix des Empereurs
qui nous restent , le nombre des
Augustes qui regnoient ,' exactement marqué.
Divi FRATRES AA. IMP. Severus
ET ANTON. A.A. IMPP.GRATIANUS VALENS
ET THEODOSIUS AAA.
Mais , dit M. L. B. l'association d'Ovinius
nous est racontée par un Auteur de
réputation , qui vivoit seulement cent ans
après
AVRIL 17320 679
après Severe Alexandre , et qui comme il
le dit lui-même , avoit emprunté ce fait
des Mémoires de quatre Courtisans de ce
Prince ; en faut- il davantage pour autoriser
cet Evenement ? Je réponds , que ces
quatre Auteurs n'étant point connus autrement
que par ce que nous en dit Lampride
, ou les autres Auteurs de l'Histoire
Auguste on n'en sçauroit tirer aucun avantage
, s'il est vrai qu'on soit en droit de
révoquer en doute ce que ces Ecrivains
avancent , quand il ne se trouve pas d'ail
leurs confirmé , du moins pour le fonds ;.
et c'est ce qu'il est aisé de prouver.
teurs ,
Le corps d'Histoire, appellée Auguste, est
l'ouvrage d'un Compilateur , demi sçavant
, qui sans choix , et sans ordre , a
mêlé ensemble les Narrations des Audont
son Recueil porte les noms
et de quelques autres , peut-être encore ,
qui nous sont inconnus. C'est le sentiment
de ( a ) Casaubon , de ( b ) Saumaise , et
de M. de ( c ) Tillemont , qui suffit pour
nous convaincre, qu'à moins que les faitsqu'on
trouve dans cette compilation , ne
se rencontrent ailleurs , on est toujours
(a ) Casaub. Pref. in Hist. Augustë”-
( b ) Saum. Idem .
(c ) Till. tom . 4. pag. 66.
Cly bien
680 MERCURE DE FRANCE
reçu , comme je l'ai dit, à ne les point
bien
recevoir comme véritables.
د
Mais M. L. B. qui veut absolument
donner la Pourpre à Ovinius , a trouvé
une maniere de le faire , sans inter
resser le Prince. C'est de dire que du côté
de Severe Alexandre , l'association d'O
vinius pouvoit n'être que simulée . J'ai
honte de rapporter un expédient aussi
foible et qui tout mysterieux qu'il est , s'il
étoit même véritable , ne changeoit rien .
aux inconveniens , que n'auroit pas manqué
d'emporter avec elle une action aussi
publique , et d'une aussi grande consé→
quence , du moins pour les peuples , qui
conduit par les apparences , auroient tou
jours été dans la bonne foy.
Je passe donc à la seconde partie de la
réponse de M. L. B. mais je dois conve
nir auparavant avec lui,que le mot Vulgi,
que j'ai cité dans ma Lettre du mois de
Juillet , se rapporte moins à l'associa
tion d'Ovinius , qu'au temps où elle peutavoir
été faite , sous Trajan ou sous Seve
re Alexandre. C'est un manque d'atten
tion de ma part , mais qui n'ôte rien à mes
preuves , et que je ne veux pas excuser.
M. L. B. nous dit que par l'expedition
qui suivit l'association d'Ovinius, il a entendu
la guerre d'Illyrie , qu'on peut appeller
:
AVRIL. 1732. 681
peller la Guerre d'Allemagne , et que je
suppose que c'est de la derniere guerre
d'Allemagne dans laquelle périt Severe
Alexandre , dont il a voulu parler . Qu'il
me soit permis de dire que jamais repro
che ne fut plus mal fondé. 1º . En parlant
simplement d'une guerre contre les Allemans
, comme a fait M. L. B. dans sa
Lettre du mois de May , il est naturel
`d'entendre la derniere contre ces peuples,
comme la plus considérable , et celle où
ils sont désignez par leur nom dans Lam- "
pride. 2 °. C'est , qu'en suivant cet Auteur
, comme il a fait , on ne peut l'en- "
rendre autrement. Je m'explique : Lampride
nous dit que Severe Alexandre "
ayant appris l'irruption de quelques Barbares
sur les Terres de l'Empire , marcha
en personne contre eux , et que dans ce
voyage il mena Ovinius ; or cecy ne peut
convenir à l'expédition d'Illyrie où ce
Prince ne se trouva pas , et qui fut conduite
par ses Généraux ; le Texte de Lam
pride y est précis. Acta sunt res feliciter et
in Mauretania per Durium Celsum , et in
Illyrico per Varium Macrinum. Ainsi , s'il
s'agit d'Allemans , et que Severe Alexan - 1
dre ait marché contre eux ; ce ne peutêtre
que dans la seconde guerre , et j'ai euraison
d'avancer que quand même l'associa
Cvj tion
682 MERCURE DE FRANCE
tion d'Ovinius ne seroit pas insoutenable.
M. L. B. se seroit toujours trompé à
cet égard .
Voilà ce que j'avois à dire pour ma deffence
; mais avant que de finir ,je dois rapporter
une Inscription , qui fait , au sujet
qui nous divise, M. L. B. et moi. Elle se
trouve à Rome , dans les Jardins du Palais
Giustiniani , et c'est Reinesius qui la
rapporte.
Syntag. Inscrip. Antiq . cxIx. Part. I.
FORTVNE AVG..
PRO. SAL VTE FERENDINE
DOMINORVM. NN.
SEVERI. PIL. AV G.
FIL. IVLIÆ. AVG. MATRIS
و
Dans cette Inscription , comme on le
voit, Antonin Caracalle et Julie sa mere
sont appellez Domini nostri, ce qui est une
confirmation tout- à- fait décisive de l'ex-.
plication que j'ai donnée de Dominorum
nostrorum , de l'Inscription d'Auxerre , en
l'entendant de Severe Alexandre et de:
Mammée , mere de ce Prince. Tout est
semblable dans ces deux Monumens ; j'ajoute
seulement que quoiqu'il semble d'abord
qu'on puisse aussi - bien expliquer
celle
AVRIL. 17320 6·831
celle d'Auxerre par rapport à Severe Alexandre
et à Sallustia Bårbia Osbiana " son.
épouse ; et que je paroisse en quelque façon
donner dans mes Remarques l'alternative
sur ce sujet. Je suis néanmoins trèspersuadé
que c'est de Mammée seule , que.
I'Inscription peut parler, parce que les(a )
Médailles Grecques qui nous restent d'Orbiana
, et qui sont marquées des années.
du Regne de son Mary, nous offrent seu--
lement la cinquième année de ce Prince ;
et comme l'Inscription a été posée la septiéme,
il n'y a pas d'apparence d'y trou
ver Orbiana, que Herodion , sans la nommer
, nous dit avoir été renvoyée peu de
temps après son mariage , aux instances
de sa belle-mere , j'alouse qu'une autre
partageat avec elle les honneurs de la
Cour. Dedit autem ( Mammée ) filio in matrimonium
puellam ... eadempaulo post aula
per omnem contumeliam exegit , et quum ipsa
tantum vocari angusta vellet , &c.
A Orleans , ce 7 Fev. 1732.D.P..
(a)Vaillant. Nusmism. Graca
ARIANE.
684 MERCURE DE FRANCE
ARIAN E
CANTATE
L'Infidele Thésée , épris de nouveaux charmes ;
Avoit laissé la fille de Minos
Exposée aux fureurs des Monstres de Naxos
Şans espoir de tarir la source de ses larmes ;
La trifte Ariane en ces mots ,
Aux Echos d'alentour annonçoit ses allarmes,
Le souvenir odieux
De l'ingrat qui m'abandonne‚¨
M'est un tourment plus affreux
Que la mort qui m'environne,
Quand de més jaloux transports
Je suis la seule victime , *
Mon perfide sans remords ,
Goute les fruits de son crime
Mais que mille objets divers ;
Pour prix de son inconstance
Dédaignent , les voeux offerts ,
Du volage qui m'offense.
Lex
AVRIL. 1732. 685
Le souvenir odieux
De l'ingrat qui m'abandonne ,
M'est un tourment plus affreux
Que la mort qui m'environne.
Tandis qu'Ariane outragée ,
Aux Rochers attendris racontoit ses malheurs
Foibles soulagemens à ses vives douleurs !
L'amour pour consoler cette amante affligée
De la perte du fils d'Egée ,
7
Soumet Bacchus à ses attraits
Et ce fier. Dieu , blessé de mille traits ,
Vient ainsi rendre hommage à sa beauté vangée.
Lorsqu'à chasser vos déplaisirs
Un Dieu lui - même s'y interesse
Pour un ingrat qui vous délaisse
Osez-vous pousser des soupirs ?
Laisserez- vous , belle Ariane ,
Ternir l'éclat de vos appas
Dans l'obscurité du trépas •
です
Où votre douleur les condamnes ??
Mortelle , oubliez les mortels ,
Un Dieu que l'Univers adore ,
A votre douleur qu'il implore ,
Dresse lui- même des Autels.
Qui
686 MERCURE DE FRANCE
Qui l'eût cru! pour bruler d'une flame nouvelle
L'Amante de Thésée éteint ses premiers feux ;
Mais malgré les efforts de Bacchus amoureux
A sa premiere ardeur Ariane fidelle ,
N'auroit pas ressenti cet heureux changement ;
Si l'amour qui veilloit à leur contentement
N'avoit effacé de son ame
L'injurieux oubli dont son perfide amant™
Avoit payé l'ardeur de la plus belle flame.
*
Jeunes Beautez , si quelque amant ve
lage ,
De votre joug dédaigne lès douceurs ,
L'Amour,soigneux de vanger cet outrage,
Vous comblera de nouvelles faveurs.
A ses desseins rendez-vous favorables ,
Il tarira la source de vos pleurs ,
Brulez de nouveaux feux , et ces feux plus du--
rables ,
Vous feront oublier l'objet de vos douleurs.
Jeunes Beautéz , si quelque Amant volage
,
Dé votre joug dédaigne les douceurs ,
L'Amour , soigneux de vanger cet outrage
,
Vous comblera de nouvelles faveurs.
J. M. GAULT DE R.
$
REMAR
AVRIL. 1732. 687
***********: ****
REMARQUE sur un endroit de
l'Histoire de l'Eglise de Meaux. Par
Dom du Plessis.
Es Nouvellistes du Parnasse nous ré-
Lgalent
galent si souvent de ce qui leur paroît
réjouissant dans l'Histoire de l'Eglise.
de Meaux ; comme Epitaphes, Articles de
Testamens , Titres d'Eglises , &c. que cela
m'a fait naître l'envie de lire cette Histoire.
En me donnant cette satisfaction ,
je suis tombé dès le second jour sur une
circonstance particuliere qui regarde l'an
tiquité d'un Prieuré de ce Diocèse.Quoique
l'Auteur ne manque pas de preuves ,
qui établissent cette antiquité , il en va
chercher une jusques sur une Cloche ;
mais par malheur il ne prend pas, le veritable
sens de l'Inscription qu'on y lit.
Et afin que vous n'en doutiez pas , il faut
vous nommer le Prieuré dont il est question
. C'est celui de Nanteuil le Haudoin ,
qui est sur les limites du Valois et du
Mulcien. Dom Toussaints du Plessis en
parle à la page 120. de son premier vo-
Tume.
Il nous dit qu'une des deux Tours de
l'Eglise
·
683 MERCURE DE FRANCE
2.
l'Eglise de ce Prieuré , appellée la Tour
de Saint-Babylas , contient deux grosses
Cloches , sur l'une desquelles on lit ces
mots : Mentem sanctam , spontaneam , bo
norem Deo et patria liberationem. Radulfus
Silvanectensis nos fecit.Ces derniers mots,
dit- il , signifient : Raoul , Comte de Senlis
nous afaitfondre ; et il tire delà une seconde
preuve de l'ancienneté de ce Monastere
; car , ajoute- t- il , le seul Raoul de
Senlis ou de Crépy , qui ait été Seigneur
de Nanteuil, vivoit sur la fin du dixième
siécle. Pour moy , en finissant de lire cet
endroit , je n'ai point hésité de dire que
Dom du Plessis ne donnoit point à l'Inscription
de la Cloche , le sens qu'elle doir
avoir. Plein des noms personnels des Seigneurs
du voisinage de Meaux , il a cru
en trouver jusques sur cette Cloche ; et
quoique le Titre de Comes ne soit point
employé dans l'Inscription , il a cru pouvoir
le sous - entendre .
Je ne sçai si Dom Toussains a visité ce
Prieuré en personne , et s'il a vû la Cloche
dont il tire sa Preuve. Quelque soit
le caractere de l'fascription , il ne peut
être d'un siècle si reculé que le dixième.
Les Cloches sont sujettes à tant d'accidens
, que ce seroit une merveille d'en
voir une grosse subsister depuis 7 à 8 cens
ans
AVRIL. 689 1732.
ans. Il n'y a qu'à faire attention aux differens
malheurs , qui dans l'espace seulement
d'un siecle , peuvent arriver à une
Eglise et à un Clocher, pour comprendre.
que dans l'espace de huit siécles , ces accidens
sont présumez, à plus forte raison ,
avoir pu arriver. Comme l'Edifice de l'Eglise
de Nanteuil , que j'ai vû et examiné,
n'est point d'une si haute date, quoiqu'il
soit ancien ; il faudroit dire encore ,
que cette Cloche proviendroit d'un Clocher
de la Basilique précédente (a ) ; mais
non , il n'y a qu'à s'en tenir au sens naturel
de l'Inscription : Radulphus , Silvanectensis
nos fecit , signifie tout naturellement
: Raoul de Senlis nous a fonduës.
C'étoit un Fondeur , nommé Raoul , et
surnommé ou originaire de Senlis, qui fit
l'opération , et qui dirigea l'Inscription
de la Cloche.
Il n'y faut pas entendre plus de finesse
, que dans les Inscriptions qu'on lit
au dessous des Statues , ou au bas des Tableaux.
N N. sculpsit. N N. pinxit ; et
jamais on ne s'avisa de croire que les noms
propres , marquez au bas de ces ouvrages
soient ceux des personnes qui ont fait faire
les Tableaux ou les Statues . Chacun com-
(a ) Il m'aparu que dans le côté droit , il ne
restoit que deux Pilliers de la permiere Eglise.
prend
90 MERCURE DE FRANCE
prend que c'est celui des ouvriers .
Sa Sentence qui est avant la Note du
Fondeur,consiste dans l'Epitaphe de sainte
Agathe. On la trouve dans la Légende
de cette Sainte , et on la chante encore
dans l'Office en plusieurs Eglises , le
jour du Martyre , de cette Vierge.
Tout ce que je puis en dire , est que
cette Inscription se mettoit communé
ment sur les Cloches,au quinziéme siècle.
L'Histoire des Evêques de Montpellier ,
du sieur Gariel , nous apprend qu'une
Cloche fondue , vers l'an 1450. pour les
Cordeliers de cette Ville , portoit la même
Sentence : Mentem Sanctam , & c. Je
me souviens aussi qu'en l'an 1711. lorsqu'on
eut descendu du Clocher de certains
Religieux du même Ordre ( mais
d'une autre Province ) une Cloche cassée,
du poids d'environ 5 à 6 cens , j'y lûs les
mêmes paroles , en Lettres Gothiques , Capitales
: MENTEM SANCTAM , &c. avec le
chiffre , M. CCCCXXV. Soit donc que ce fût
la Sentence favorite de quelques Fondeurs
de Cloches au quinziéme siecle ,
soit que le Clergé ait eu en cela l'intention
de mettre ces Cloches sous la
protection
de sainte Agathe ; cela ne contribuë
pas davantage à faire croire que le Radul
phus de l'Inscription , fût un Comte de
Senlis ou de Crépy..
Il
AVRIL. €91 1732.
Il est vrai que l'on a pû être au quinziéme
siécle dans l'usage d'opposer aux
accidens des Foudres et des Ouragans cette
venerable Inscription qui a tant excité
la foy des Catanois , contre les périls menaçans
du Mont Etna : Mais sans rafiner
dans la spiritualité plus qu'il ne convient ,
le Cloche en question , ne viendroit- elle
point de l'Eglise de sainte Agathe de Crépy
en Valois , qui n'est qu'à trois lieuës de
Nanteuil, et qui est tres- ancienne , à en juger
par le Portail ? Il n'est pas rare de
voir une Cloche déplayée et portée d'un
Clocher dans un autre. Dom Toussaint
sçait à merveille que les Cloches de la
Cathedrale d'Orleans sont en vente , depuis
que la Tour est abbatuë ; et que l'on
a eu quelques pensées de les transferer dans
les deux Tours de S. Laumer de Blois.On
pourroit produire des exemples de translation
de Cloches d'une Eglise à une autre
; mais cette matiere est trop peu intéressante
pour s'y étendre.
Vous pouvez juger , M , par ce que j'ai
dit cy dessus , que je n'aurois aucune peine
à croire qu'une petite Cloche , qui ne
seroit point d'usage , n'y exposée aux accidens
, ne pût subsister des milliers d'années.
Telle est celle que l'on montre à
S. Jean de Laon , et qu'on croit être du
temps
692 MERCURE DE FRANCE
peçe que
temps de Sainte Salaberge , Abbesse, c'està-
dire , du septième siècle. Mais ce n'est
pas proprement une Cloche , c'est plutôt
une Sonnette en forme de Timbre,de l'esde
celles les Soldats François, du
temps de la premiere Race , attachoient
au col de leurs Chevaux, lorsqu'ils les faisoient
paître dans les Campagnes et dans
les Bois voisins du Camp. Il en est parlé
dans les Articles de la Loy Salique , sous
le nom de Skilla.
Le Pere Daniel en fait aussi mention
à l'an 593. Ce nom de Skilla a passé dans
le langage vulgaire de quelque Province
pour signifier une Cloche . Le College de
Equille , comme on parle à Toulouse ,
est un des principaux de cette Ville.
SONNET
Sur les Bouts - Rimez proposez dans
le Mercure , par une Dame.
Commencer Ommencer un Sonnet par l'affreux mot de
Mort.
Quand on ne veut parler de Cercücil ni de
C'est de gayeté de coeur vouloir périr au
Et se faire à soi- même une rude
Biere ,
Port .
Carricre.
Cet
AVRIL. 693 1732 .
•
Cet ouvrage sublime independant du
Ne se fait pas si -tôt qu'un tour de
Sort ,
Gibeciere,
Et s'il ne nous plaît pas , quoique court ,
il en
Dort ,
Cotin , dans ses Ecrits , l'apprend mieux que
Moliere
Il doit faire adoucir d'un Censeur l'oeil Hagard,
Et contenter le goût du jeune et du
Rien ne doit y manquer , pas même une
Vieillard ;
Apostrophe
;
Si l'Auteur n'en bannit et le froid et le
Il aura sûrement , avec Echec et
·Plat ›
Mast ,
D'un Poëte crotté la triste Catastrophe.
THEVEN ART , Amiens.
LETTRE de M. Bouguer , à M. Meynier
, au sujet d'un Ecrit inseré dans le
Mercure de France du mois de Février
dernier, page 274. et suiv .
MON
ONSIEUR,
La plupart des personnes qui jetteront
les yeux sur l'Ecrit que vous avez fait
inserer dans le Mercure de France de
Fevrier
4 MERCURE DE FRANCE
Fevrier dernier , ne pourront jamais découvrir
pourquoi vous exagerez si fort
la faute dont vous m'accusez , ni pourquoi
vous poussez si loin vos plaintes.
Ils verront , non - seulement que je ne
pouvois pas découvrir toutes les particularitez
de votre demi Cercle , dans une
Description qui ne les contenoit pas , ils
verront encore que si je n'en ai pas donné
une idée assez exacte , je n'avois aucune
mauvaise intention , et ils ne comprendront
point ce qui peut vous avoir fait
prendre pour une censure , ce qu'on ne
doit regarder que comme une espece d'approbation
. Je n'ai pas une notion assez
distincte de votre demi Cercle ; il me
semble qu'il est sujet à un inconvénient,
et j'affirme aussi- tôt sur la connoissance
que j'ai de vos lumieres , que vous avez
trouvé le moyen de l'éviter : Nous ne
connoissons ce demi Cercle , ce sont mes
propres termes , que pour en avoir vu une
description très - succincte ; mais nous ne dontons
point que son sçavant Auteur ne lui
procure une situation constamment horisontale
, malgré le poids de la Pinule qui est
située sur la circonference. Je le demande à
tout le monde , je le demande même à
vos amis les plus intimes , si c'est- là le
langage d'un homme qui cherche à vous
offenser
AVRIL. 1732 695
offenser , et si ce ne sont pas là plutôt les
termes de la prédilection et de l'estime .
Mais puisque vous me forcez à expHquer
l'Enigme ; je vais montrer comment
Fai , malgré moi , donné occasion à votre
chagrin. Tous les Instrumens dont on peut
se servir en Mer pour observer la hau
teur des Astres , se réduisent à deux especes
; ou ils se mettent de niveau par
leur propre pesanteur , ou c'est le Pilote
qui les met dans cette situation , en vi
sant à l'horison sensible. Je me suis trouvé
dans la nécessité d'examiner ces di
vers Instrumens ; cet examen fait le sujet
de la premiere Partie d'un petit Traité
publié en 1729. qui remporta le Prix proposé
par l'Académie Royale des Sciences.
Je me déclarai dans cet Ouvrage pour les
Instrumens de la seconde espece , lesquels
sont en usage depuis longtemps dans la
Marine , et je justifiai mon choix par des
raisons , qui , parcequ'elles sont generales,
donnent l'exclusion à votre demi Cercle,
comme à tous les autres Instrumens qui
sont suspendus de la même maniere . Vollà
, je pense , ce qui vous a indisposé contre
moi ; car je mets à part tous les autres
motifs. Vous avez trouvé mes raisons trop
fortes , quoique j'aye eu la politesse de >
n'en faire aucune application particuliere;
D elles
695 MERCURE DE FRANCE
elles vous ont fâché en même - temps qu'elles
vous ont paru utiles ; et comme vous
avez senti qu'il n'étoit point à propos
d'y répondre , vous vous êtes à la fin crû
obligé d'écrire au moins contre l'endroit
où je parlois avantageusement de
vous. Il vous est facile de me réfuter de
cette sorte , et vous pouvez continuer
tant que vous le voudrez , à m'apprendre
toutes les particularitez de votre demi
cercle , avec tout l'appareil d'une réprimande.
Il vous importe peu d'ailleurs de
le faire sans aucune apparence de necessité
, pouvû que vous puissiez faire croire
qu'il ne s'agis point entre nous d'autre
chose. Mais comme on ne peut point en
imposer au Public , qui est un Juge trop
éclairé , il s'appercevra bien que vous
abandonnez réellement la deffense de votre
cause, et que vous ne touchez point du
tout au sujet.
Il n'importe point en effet , que j'aye
bien ou mal décrit votre demi Cercle ,
puisque j'ay déclaré moi- même que je ne
le connoissois pas parfaitement. Toute
la question est de sçavoir si j'ai pû cependant
le condamner avec tous les autres
Instrumens de la même espece. Or
il me suffiroit pour avoir ce droit , de
sçavoir qu'il se plaçoit de niveau par sa
construc
AVRIL. 1732. 697
construction et qu'il étoit suspendu par
sa partie superieure. Car dès lors je pouvois
le regarder comme un Pendule dont
l'agitation est continuelle , puisque le Navire
est sans cesse sujet pendant sa marche
; ou au tangage ou au roulis , ou à
faire quelques élans , et que son mouvement
n'est jamais parfaitement uniforme.
Si l'Instrument étoit suspendu par son
centre de gravité , toutes ses parties participeroient
en même temps aux secousses
; mais aussi tôt qu'il est suspendu par
un autre endroit , une de ses extrémitez
doit toûjours recevoir par l'entremise des
Ressorts et des Balanciers , l'agitation
du Vaisseau , pendant que les autres parties
n'auront encore que leur premier
mouvement , et ainsi il doit être sujet à
faire sans cesse des vibrations , lesquelles
seront encore perpetuées par la main de
l'Observateur , qui est obligé presque
chaque instant de toucher à la Boëte pour
l'orienter , ou à l'Allidade pour la diriger.
Remarquez de plus que quelques foibles
que soient ces vibrations , elles feront
toûjours que l'Instrument perdra sa situa-
*
à
★ Les Balanciers sont des especes de Cercles ou
de Quadres de cuivre , dont on se sert avec des
Pivots à l'oposite l'un de l'autre , pour suspendre
en Mer les Boussoles.
Dij
tion
98 MERCURE DE FRANCE
tion verticale de plusieurs degrez , et qu'll
la perdra dans divers sens , à cause de
Pirrégularité des secousses. Or en voilà
assez pour rendre deffectueuses presque
toutes les Observations qu'on fera au
Soleil ; d'autant plus que le temps absolument
propre à les faire , s'échappe avec
rapidité. Mais ce sera encore toute autre
chose , lorsqu'on voudra la nuit prendre
la hauteur des Etoiles. Car comment voulez
vous pendant que votre demi Cercle
sera agité et que l'Observateur sera aussi
exposé de son côté à un grand mouvement
et à un mouvement qui n'a aucune
conformité avec celui du demi Cercle ,
puisque l'Observateur est toûjours obligé
de s'incliner d'un côté lorsque le Navire
s'incline de l'autre, comment voulez- vous
que pendant cette complication de deux
ou trois mouvemens qui ne s'accordent
point , le Pilote puisse appliquer l'oeil à
une Pinule extrémement étroite , et viser
à un objet aussi difficile à saisir qu'une
Etoile Vous devez bien sentir que cela
est absolument impossible avec tous les
Instrumens de l'espece du vôtre , sans
aucune exception ; et que pour réüssir
dans une pareille Observation , on est
obligé , comme je l'ai toûjours soutenu ,
d'employer ceux qui sont actuellement
›
en
A VRIE 17327 699
en usage. Car il faut qu'on puisse ôter
à l'Instrument dont on se sert , tous ses
balancemens particuliers et l'assujettir
contre l'oeil et il faut parçonséquent
que le Pilote se charge de tout le soin
de le disposer en visant à l'horison sensible.
>
Mais je serois obligé de transcrire
presque toute la premiere Partie de mon
petit Traité , si je voulois vous rapporter
toutes les choses qui vous interessent et
auxquelles vous n'entreprenez point de
répondre. Je pourrois cependant encore
ajouter, maintenant que je connois mieux
votre demi Cercle , que comme une de
ses graduations est conforme à celle de
l'Anneau Astronomique , il doit être extrémement
difficile de distinguer avec
exactitude les scrupules du degré , et que
ce n'a pû être que par hazard , ou parce
que vous sçaviez d'avance la hauteur que
vous deviez trouver , que vous ne vous
êtes trompé à Brest que d'environ une
minute. Je pourrois encore vous montrer
combien est inutile la suspension que
vous employez , faute d'avoir fait attention
qu'on ne doit se servir de Balancier
que lorsqu'on veut suspendre quelque
chose par un point qui est interieur et
qui ne se presente pas aisément. Est- il
Diij question
700 MERCURE DE FRANCE
question de suspendre une Boussole où
une Lampe par un point qu'on ne peut
point aller chercher au - dedans , il faut
dans cette rencontre mettte un Balancier
par dehors . Mais ce n'est plus la même.
chose , aussi- tôt qu'il s'agit de suspendre
un corps par un endroit qui est exterieur
et qu'on peut saisir sans peine . Car tous
les Balanciers que vous mettriez , ne serviroient
qu'à rendre immobile un certain
point par rapport à la Boëte et aussi- tôt
que vous en avez la commodité, vous devez
bien plutôt suspendre l'Instrument
immédiatement à ce point , sans rendre
inutilement la Machine plus composée et
plus sujette à se déranger . J'insisterois
sur toutes ces choses et je tâcherois de les
porter jusqu'à la derniere évidence, si je ne.
voyois que vous ne donnez aucune atteinte
à mes premieres Remarques , et que vous
les laissez subsister dans toute leur force..
Je vois d'ailleurs qu'elles ont fait quelque
impression sur vous , et qu'elles ne
vous ont pas été inutiles. Car vous avez
depuis changé d'avis dans la construction
d'un autre Instrument destiné encore à
des usages nautiques. Il s'agit , dans un
Ouvrage que vous venez de donner au
Public , de la suspension des Boussoles , et
quoiqu'elles ayent déja un Balancier comme
AVRIL. 1732. 701
me votre demi Cercle , vous reconnoissez
néanmoins que tant qu'elles sont appliquées
sur quelque chose qui tient au
Vaisseau , elles en reçoivent tous les mou
vemens , et que les Observations se trouvent
par là dérangées ; parce que , ditesvous
, (a) tantôt le Soleil ne peut être vû
par la fenêtre qui est du côté de l'Observateur
, que beaucoup au- dessus ou aux côtez
de lafenêtre opposée à cause du mouvement,
comme lorsque le Vaisseau est incliné du côté
du Soleil on à la droite ou à la gauche, de
PObservateur , lorsqu'il fait Observation ;
et tantôt , & c. C'est pourquoi vous aimez
mieux maintenant laisser au Pilote le soin
de donner à l'Instrument la situation
qu'il doit avoir, et cela parce que (b) le
Pilote , par une habitude qui lui est en par
tie devenuë naturelle à la Mer , entretenant
assez bien son corps en équilibre , et en même
temps l'Instrument qui lui sert
qui lui sert pour observer
la latitude , quoique dans ce temps - la
le Vaisseau incline considerablement , tantôt
d'un côté, tantôt de l'autre , à cause du roulis
et du Tangage , il entretiendra cet Instrument
dans le même équilibre de son corps.
lorsqu'il s'en servira pour observer la déclinaison
de l'Aiguille aimantée , tant au Soleil
qu'aux Etoiles , ce qui rendra l'Obser-
(a) Au bas de la page 6. (b) Page 17.
Diiij vation
702 MERCURE DE FRANCE
vation bien plus seure. Je vous félicite,
Monsieur , sur votre changement , mais
souffrez en même- temps que je m'en pré
vale ; puisque vous mettez vous même le
sceau à votre condamnation en employant
contre les Boussoles ordinaires ,
les mêmes raisons , aux termes près , que
j'avois déja employées contre votre demi-
Cercle.
•
Après cela je ne suis plus étonné si vous
ne lui donnez plus la préference sur l'Arbalestrille
ni sur le quartier Anglois ordinaire
, et si vous n'entreprenez pas même
de la comparer à un Instrument que
j'ai proposé , qui est soutenu par son centre
de gravité et qui est parconsequent
de même espece que le vôtre , quoique
je le croye beaucoup mieux suspendu .
Tout ce que vous prétendez faire , c'est
de montrer que je me suis mépris lorsque
j'ai préferé le quart de Cercle formé
d'un seul Arc , non - pas à votre demi Cercle
, dont il n'étoit plus question , mais
au quartier Anglois ordinaire. Que j'aye
cependant bien ou mal choisi dans cette
derniere circonstance , le sort de votre
Instrument ne change point ; et si je ne
me suis trompé que dans cette rencontre,
j'ai toûjours eu l'avantage de rendre un
service assez considerable au Public , en
prosA-
V R- IL. 17.320 703
·
proscrivant toutes ces diverses suspensions
, dons on vouloit , mal à propos
lui faire embrasser l'usage. Mais de quelle
manieré prouvez - vous que le quart de
Cercle formé d'un seul Arc , est moins
exact que le quartier Anglois ? La nature
de vos preuves me dispense d'y répondre.
Il s'agit d'un changement fait il y a plus
d'un siecle ; il s'agit de sçavoir les motifs
qui ont déterminé à le faire , et vous m'alleguez
pour cela l'experience des Marins
d'aujourd'hui . Nous avons une suite de
Traités de Navigation, qui nous marquent
les divers progrès du Pilotage ; Pierre de
Médine et Pierre Nonius en Espagne et
en Portugal ; Willebrod Snellius et plusieurs
autres en Hollande ; M. Denis et
les P. Fournier et Dechales en France ,
ont écrit sur cet Art , et nous en ont représenté
tous les differens âges. Mais vous
ne consultez point ces Livres ; vous vous
adressez à nos Pilotes , pour qu'ils vous
rendent compte d'une chose qu'ils doivent
encore moins sçavoir que vous , puisqu'elle
ne s'est point passée sous leurs
yeux ni de leur temps , et qu'elle n'est
pour eux qu'un point de pure spéculation
. De grace , Monsieur , ne renversez
pas ainsi une autre fois l'ordre des cho
ses ou si à la honte des Professeurs
Dv VOUS
2
My
704 MERCURE DE FRANCE
vous suivez encore une pareille conduite,
faites au moins assez usage de vos lumieres
, pour peser les réponses que les Pilotes
vous feront. Ils vous ont assuré ,
dites-vous , qu'on a abandonné l'usage du
quart de Cerclé formé d'un seul " Arc ,
parce qu'on a experimenté que cet Instrument
est sujet à tel et tel inconvenient.
Mais ne deviez- vous pas penser qu'on ne
peut rien établir sur une experience que
personne n'a vûë et que personne ne peut
attester ? ne deviez - vous pas encore examiner
si les inconveniens dont on vous
parloit , étoient réels , et s'il n'étoit pas
possible de les lever ?
Je finis , Monsieur , en vous assurant
que comme je n'ai que faire d'en venir
à l'experience pour sçavoir ce que je dois
penser de votre demi Cercle , je ne crois
pas que je me donne jamais la peine d'en
faire l'essai. Je m'imagine bien que vous
me ferez encore un crime de ce que je
persiste ainsi à condamner une Production
qui a été approuvée par une Compagnie
, dont je suis plus interessé que
personne au monde , à faire valoir les
Jugemens. Ce reproche me toucheroit ,
s'il n'étoit aussi mal fondé que les autres;
et si l'Académie des Sciences , qui prononce
toûjours avec autant de prudence
que
AVRIL 1732 705
que de lumieres , n'avoit pas eu le soin
de mettre de sages restrictions à l'Approbation
qu'elle vous donna . Cette Compagnie
a , outre cela , assez montré depuis
qu'elle ne prétendoit point avoir décidé
la question en votre faveur , puisqu'elle
en a fait le sujet du Prix qui fut distri-,
bué en 1729. et dont elle m'honora . Objectez-
moi encore , si vous le voulez , que
je n'ai point été en Mer ; je vous répondrai
que si dans certaines matieres de Marine
, la premiere chose est d'acquerir des
connoissances de fait , et de se former
une juste idée des mouvemens de la Mer
et de ceux du Vaisseau , le point le plus
essentiel et en même- temps le plus dif.
ficile , est de penetrer la cause de tous
ces mouvemens et d'être en état d'en prévoir
les divers effets ; et j'ajouterai qu'on
peut s'appliquer à tout cela avec autant
de succès à Terre que dans tout autre
endroit. Je dois aussi me rendre ce bon
témoignage , puisque vous m'y obligez ,
que quoique je connusse tout le péril
qu'il y avoit à venir remplir une place
que vous aviez occupée , vous qui avez
- fait un voyage de long cours ; personne
ne s'est encore apperçu ici que je n'aye
cultivé l'Hydrographie que dans le Cabinet.
J'ai l'honneur d'être , malgré tous
D vj nos
7c6 MERCURE
DE FRANCE
nos differends , avec bien de la conside
ration , Monsieur , votre , &c. -
Au Havre , le premier d'Avril 1732.
A M. FOURMONT ,
En lui envoyant un Ouvrage en Vers:
Vous , en quí délicatesse innée ,
Et d'agrément raison assaisonnée ; .
Önt fait ici tant d'illustres amis ,
Sur mon talent , Fourmont , daignez m'instruire ;
Puis-je au Parnasse esperer d'être admis. ?
Dois -je accorder, ou démonter ma Lyre !!
Tel est le sort des Enfans d'Apollon ,.
Ou tout ou rien , ou Voltaire , ou Gacon...
Prêtez- moi donc vos yeux pour me connoître ;
Si par les fleurs on peut juger des fruits ::
Vous pouvez bien sur le peu que je suis
Juger aussi de ce que je dois être ;
C'est là- dessus que j'attens vos avis ;
Sans doute aussi , vos amis , gens d'élite ,
Verront l'Essay , si l'Essay le mérite ;
Mais à quoi bon recueillir tant de voix -
Si vous pouvez , sans courir par la Ville ,
>
En
AVRIL 1732. 707
En un seul lieu le montrer à la fois ,
A * Quinte-Curce , à Sophocle , à Virgile.
* M. de Voltaire.
bsistitetet
SECONDE LETTRE dun Professeur
de l'Université de Paris , à un Principal
de Province , sur le Bureau Typographyque.
Jau
E viens présentement , Monsieur , à l'Abregé´
que nous donne le Buraliste de la petite Piece
du Professeur de Seconde , intitulée , Le Parnasse
réformé, ou Apollon à l'Ecole , qu'on pourroit
aussi nommer la Critique des Charlatans de la
menuë Litterature. Or afin que vous puissiez
mieux juger si cet abregé est exact et si la censure
de notre Docteur Abecediste est raisonnable , je
vais vous exposer d'abord le sujet de ce petit Dra
me, auquel il a jugé à propos de donner lui seul le
nom de Farce. La chose ne me sera pas difficile ,
puisque , malgré le secret synderetique recommandé
aux Acteurs , je n'ai pas laissé d'avoir communication
des Personnages , surtout de celui de
Buriver....
Occasion et Sujet de la Piece.
Le jeudi 22. Août dernier , au College du Ples
sis-Sorbonne , à la fin de la Répresentation ordinaire
de la Tragedie et avant la distribution des
Prix , on joua cette petite Piece qui est d'environ
huit cent Vers. Elle est de la composition de
Meta
708 MERCURE DE FRANCE
M. le Beau , Regent de Seconde, et a été applaus
die par l'Assemblée qui étoit , comme de coûtume
, très nombreuse et composée de toutes sortés
de personnes d'élite. La nouveauté du sujet ,
jointe à la maniere dont il est traité, causa de fréquentes
acclamations , et bien des personnes d'esprit
et de distinction , avoüoient ingénument que
depuis long-temps elles n'avoient tant ri . Il est
clair que l'Auteur a prétendu tourner en ridicule
les gens à systême , qui depuis environ vingt ans
ne sont occupez qu'à parler et à écrire contre les
Colleges , à en décrier la maniere d'enseigner , et
à louer la leur sans mesure et sans retenue .
Ceux qui sont l'objet principal de la Critique
se réduisent à trois ou quatre. 1º . Celui , qui à
l'aide d'une Machine de bois appellée Bureau Ty
pographique ou Imprimerie en Colombier , et divisée
en 180. Logettes ou Boulins , prétend enseigner
à un enfant toutes sortes de Langues et tou--
res les Sciences , comme il s'en vante lui même ,-
sur tout à la page 62. de sa 4º . Lettre . Ce Personnage
est nommé Buriver. 2 ° . Celui qui par sa
Regle Monosyllabique ad et son unique leçon
d'une demie heure , ne promet rien moins que de
mettre un Septiéme en état de faire la leçon
aux autres et de leur expliquer toutes sortes
d'Auteurs Latins. C'est lui qui est appellés
Mr de la Minute. 3 °. Celui qui veut que les
Nourrices mêmes enseignent le Latin, et qui pour
faire gouter et apprendre plus facilement et plus
agréablement les lettres de l'Alphabeth aux enfans
, conseille de leur faire avaler des Lettres de
Pain d'Epice , est nommé M. de l'Enthimeme.
4. Le Restaurateur et Réformateur des Gloses
interlineaires , qui ne fait pas un personnage à
part , mais à qui se rapportent ces six Vers de la
seconde Scene DeAVRIL.
1732. 709
De peur que vieux Auteurs, Hebreux , Grecs , on
Latins,
› N'osent se soulever et faire les mutins ,
On les menace tous , s'ils ne veulent se taire ,
D'un supplice nommé Glöse Interlineaire ;
Où gênez , empallez , difloquez , pourfendus ,
De leurs meilleurs amis ils seront méconnus.
Ces trois Réformateurs , Buriver , M. de la
Minute et de l'Enthimeme , avec Thibaud , Menuisier
, et les trois Dieux , Jupiter , Apollon ets
Momus , sont en tout sept Personnages ou Acteurs
qui parlent dans ce petit Drame , divisé en,
huit Scenes , dont voici le contenu.
Dans la première paroît Jupiter , qui étant tout
étourdi du tintamare et du frácas des marteaux et
des Rabots dont on se sert pour fabriquer des Bureaux
Typographiques , descend du Ciel sur le
Parnasse pour voir ce que c'est , et dit avoir dépêché
Mercure vers son fils Apollon , pour avoir
là- dessus quelque nouvelle certaine .
Dans la seconde Scene Momus échappé des
Charlatans de la menuë Litterature , entre sur le
Théatre en courant , sans appercevoir Jupiter ,
qui l'oblige à s'arrêter et à lui dire de point en
point la raison du tapage qu'il entend sur le Pars
nasse. Momus la lui explique ainsi .
Je fumois dans un coin ma pipe d'ambroisie , ·
De mille mots confus la barbare énergie ,
Mefrappe tout-à-coup , Candiac , Cassetin ,
Blictric , bonnet picqué , Colombier , Magazin.”
Te cours de ce côté : si j'ai bonne memoire , ›
Je
710 MERCURE DE FRANCE
Je vais vous retracer ici toute l'histoire.
Un homme pale , sec , monté sur deux treteaux ,.
Faisoit le diable à quatre , et chargé d'écriteaux ,
Crioit desonfaucet ; Orvietan specifique
Logico-Physico , Graco - Typographique
Antidote. d'erreur et de prévention ,
Par le moyen duquel sans application ,
Un enfant de deux ans , voire de deux semaines ,
Peut apprendre en joüant trois ou quatre douzaines
D'Arts liberaux Hebreu , Syriaque , Chinois ,
Arabe , Provençal, Grec , Picard , Ilinois ,
ĽA , Bé , Cé réformé , pilotage , Chimie ,
Le jeu de l'Oye , Algebre , Histoire , Astronomie z
Point de Livre sur tout , l'enfant enfera ; mais
Il ne lira jamais que ceux qu'il aura faits .
Devant notre homme étoit une Table magique ,
Qu'il nomme par honneur , Table Encyclopedique.
Sur la Table regnoit un joli Colombier ,
Etiqueté par tout de morceaux de papier.
Chaque Boulin caré , large et long d'une carte ,
Niche au lieu de Pigeon , mainte belle Pancarte. ~
La les Suppins galans et les Conjugaisons ,
Dans ces compartimens de petites maisons ,
Sur leur Carte couchez d'une encre non pareille ,
Gisent en attendant que l'enfant les éveille.
Enfin , l'enfant parut avec un tablier ;
Notez ce point , Seigneur , ear depuis le soulier ;
Jusqu'au bout du bonnet tout tient dans ce systême ,
•
, .
L'Auteur
AVRIL. 1732 .
751
L'Auteur du Tablier fit le patron lui-même ;
Et cet homme plaisant et d'agréable humeur,
L'appelle joliment Barette de Docteur.
Momus continuant de raconter ce qu'il a vû, les
trois Charlatans sont amenez sur la Scene à point
nommé et d'une maniere très - vrai - semblable .
Car Jupiter ayant dit : oh la belle couvée !
Eh! comment peuvent - ils sçavoir mon arrivée ?
Momus répond :
Ils ont des Espions , vous dis-je , en tout endroit ,
Et puis à vous cacher 1 vous n'êtes pas adroit.
1
Dans la troisiéme Scene paroissent donc les
trois nouveaux Méthodistes qui demandent à Jupiter
la Ferme des Sciences et des Beaux- Arts.
Buriver , dont le personnage nous a été commu
niqué en entier , parle ainsi :
Le Seigneur Jupiter est un très -galant homme ,
Je l'estimai toujours ; mais je ne sçais pas comme ,
Un pere peut si mal élever ses enfans
Ils sont pour la plupart ineptes , ignorans ,
En bécare , en bémol. En un mot pour tout dire ...
Je gage qu'Apollon même ne sçait pas lire :
Ne sçaitpas lire ? Non . Je veux pour votre honneur,
Moi Buriver , en faire un prodige , un Docteur ;
Si deux ans seulement , sans nulle redevances ,
Vous me voulez donner la Ferme des Sciences ;
Oui , je réformerai le Parnasse , et cela ,
Sans Livre aucun , sinon ce jeu de Cartes-là.
Il tire des Cartes de sa poche,
712 MERCURE
DE FRANCE
Momus , en s'avançant vers lui ,
Honneur à l'As de Pique.
Buriver .
Ehpoint de mommerie ;
Parlez raison , Momus , une fois en la vie.
Ces Cartes sur leur dos portent mon Alphabet.
Tenez, lisez d'un ton intelligible et net.
Momus prend les Cartes et lit :
A. bé. cé. dé. e. fé.....fé?
Buriver.
Cela vous étonne ?
Momus.
C'est ef apparemment.
Buriver.
Voyez comme il raisonne
Mais mon petit ami , dites-vous pas bé, dé?
Sans doute.
Momus.
Buriver se fachant..
Eh pourquoi donc ne direz-vous pas fé
Vous prétendez dans bé transposer la voyelle ,
Pourquoi , pourquoi dans efse préposera-t'elle ?
Quel abus ? quelle erreur ? quelle stupidité ?
Moije veux redresser cette inégalité.
Je veux comme Amadis , courir toute la Terre ,
Au vulgaire alphabet ,faire une illustre guerre :
Da Lance aupoing, à pied, on s'il veut à cheval,
Lui
AVRIL. 1732 713
Lui faire confesser qu'il n'est qu'un animal ;
Et dans tout le Païs de la Litterature ,
L'envoyer faire aveu de sa déconfiture
Il jette Momus à terre.
Momus couché par terre et embrassant
le pied de Buriver.
Dom Alphabeticos , genereux Chevalier ,
Réparateur des torts ; je suis vaincu , quartier.
Modere les transports de ton ardente bile ,
Je blâme comme toi la voyelle incivile.
Buriver ôte son pied.
Je suis ton prisonnier.
Momus saute sur son dos.
Ce maudit turlupix
Buriver.
Laissez-moi , finissez,
Jupiter fait finir à Momus ses badineries , ets
P'envoye chercher Apollon , à la décision duquel
il remet toute cette affaire. Jupiter dans la quatriéme
Scene adresse la parole aux trois contendans
, et leur dit :
Messieurs , votre projet me semble merveilleux ;
Mais ce projet pour vous est un peu périlleux.
Je connois Apollon , pour vous parler sans feinte,
Il est un peu mutin et sujet à la quintė.
Le pauvre Marsias le traita d'ignorant,
Il l'écorcha tout vif; s'il en faisoit autant ,
Malgré vos grands secrets , votre litterature ,
Vous
714 MERCURE DE FRANCE
Pous seriez , ce me semble , en mauvaise posture.
Chacun des trois répond à son tour et de la'
maniere qui convient à son caractere. Buriver
dit :
Pour moije ne crains rien , et ma Philosophie ,.
Me met seul à l'abri des craintes de la vie.
Après tout , Apollon n'est pas un querelleur ,
Et c'est un ignorant d'une fort douce humeur.
Je l'ai dit quelque part , et la pensée est belle.- 1
Si contre mon Projet l'Univers se rebelle ,
Je m'en étonne , aussi c'est un projet tout d'or ;·´
Et s'il le reçoit bien . je m'en étonne encor ;
Mais la Race future à son tour étonnée ,
Exaltant mes efforts , dira dans telle année ,
Parut Jean Buriver , un dédale nouveau ,
Incomparable Auteur du merveilleux Bureau,
Qui rabattit l'orgueil des Sciences antiques ,
Et des Arts liberaux fit des Arts mécaniques.
Par lui le Savetier gai sur son tabouret ,
Peut en Hebreu siffler ainsi qu'un Massoret ;
Par lui les Perroquets , les Linottes , les Merles ;
Sçavent parler latin comme enfiler des perles.
Ah ! s'il eût plus vécu , l'on eût par ses secrets ,
Vi parler les Boiteux et marcher les Muets .
Voilà ce qu'on dira ; me nommant Trismegiste ,
Ou l'Hercule gaulois ; et le Chronologiste , ·
Frappé de mon grand nom oubliera son dîné ,
Pour sçavoir à quelle heure , en queljour je suis né
Et
AVRIL. 173.2.
715
Et les petits garçons instruits à ma maniere ,
Feront sur mon tombeau l'école buissonniere.
Pour depareils honneures, oui , je m'exposerai.
Au milieu du Parnasse , ici je dresserai ,
Ma Table, mes Boulins , mes Cartes , mon Systême
En dépit d'Apollon et de la raison même;
Si les Muses en corps osent me chicanner ,
Je les empêcherai bien-tôt de raisonner.
Je vous prendrois Talie , Euterpe , Calliope ,
Et les amenuisant à grands coups de varlope.
Chacune en son Boulin je vous les taperois ,
Et la montrant le col , écarquillant les doigts ,
Comme Pigeons patus , ces Déesses si fieres ,
Apprendront à parler le jargon des Volieres.
Cependant dans la cinquiéme Scene arrive
Apollon , que Momus , par ordre de Jupiter ,
avoit mis au fait , en lui expliquant les trois Systêmes
, et lui contant en chemin toute l'affaire
sur quoi il devoit prononcer. Il se contente donc
de leur faire expliquer tour-à-tour les utilitez de
leurs Systêmes.lls disent tous des choses plus ridicules
les unes que les autres.
Buriver.
Pour les utilitez que contient mon Ouvrage,
J'en vois trois cens dix-huit, quelque peu davantage.
Primo. J'ai remarqué que les jeunes enfans ,
Entre les mains de qui l'on met des Rudimens ,
Marmotant leurs leçons et dodinant la tête,
Mangent leur Livre ains que pâtez de Requêtes.
J'ai
716 MERCURE DE FRANCE
î
J'ai vu même un enfant qui n'étant qu'à bonus ,
Avoit déja mangé musa , vir , Dominus.
Je vous laisse à penser si c'est viande indigeste ;
Et quatre mois après il eut mangé le reste.
Momus.
Comment ! il avala les cinq déclinaisons ?
Buriver.
Baste ! et Noms et Pronoms , quatre Conjugaisons,
Syntaxe , tout étoit passé par l'Esophage.
Vous voyez comme moi , quel étrange ravage,
Fit dans son estomac ce mets empoisonneur ,
Plus coriace encor qu'un sac de Procureur.
Moi , toujours attentif au bien de la Patrie ,
Pour rompre les effets de cette fantaisie ,
Je m'évertue et dis trouvons des Rudimens ,
Durs , solides , massifs , à l'épreuve des dents.
Des Rudimens de bois ; et sur cette pensée ,
Bientôt de mon Bureau je me formai l'idée.
Secundo. Dans le cours de mes Refléxions ,
Carje suis très-fécond en Observations ,
Je voyois que l'enfant par coûtume abusive ,
Pour tourner les feuillets consumoit sa salive ,
Et dessechoit par là tous les sucs nourriciers ,
Qui de son petit corps arrosent les sentiers.
La chose me parut d'un préjudice extrême ;
Je rêvai là- dessus , et me dis à moi-même,
Invente, Buriver, quelque Livre nouveau ,
DuqueL
AVRIL.
717 -17320
Duquel tous les feuillets se rangent de niveau ;
L'enfant de sa leçon verra tout l'étalage ,
Sans se mouiller le pouce et sans tourner la page.
Fe restai fort long- temps à rêver sur ce point.
Tout ce queje trouvois ne me contentoit point ;
Enfin , par un effort de l'imaginative ,
Que j'ai , sans vanité , très- brillante et très -vive ,
Je m'avisai qu'un Jeu de Cartes de Piquet
Venoit comme de cire à remplir mon Projet.
Les Cartes à present sont le livre à la mode ;
C'est des honnêtes gens le Digeste et le Code.
Leurs précieux feuillets volans et détachez ,
- Tout le long d'un Bureau l'un de l'autre approchez ,
N'auront pour se tourner aucun besoin du pouce.
L'enfant conservera cette subtile mousse ,
Qu'il dépensoit jadis en dépit des poulmons ,
Et d'un coup d'oeil , à sec , apprendra ses leçons ,
Augrand contentement des glandes salivaires.
Ces deux utilitez , je crois , sont assez claires.
Assurément.
Apollon.
Buriver.
Et si vous n'étiez pas contens ,
Je vous dirois encor ....
Apollon .
Nous n'avons pas le temps.
Buriver.
Que mon Systême apprend à faire des capelles
Qu'il
718 MERCURE DE FRANCE
Qu'il affermit les reins , soulage les aisselles « …«
Il suffit:
Apollon.
Buriver.
Que l'enfant , ferme sur ses talons ,
Sçaura pirouetter , marcher à reculons ....
C'en est trop
Apollon.
Buriver.
Que le monde admirant ma maniere,
Mefera des Beaux Arts le grand Porte Banniere ,
Et que je passerai pour un Confucius.
Sur ces entrefaites Thibaud , Menuisier de Buriver
, revient du Parnasse et raconte en patois
et d'une maniere fort plaisante , comment les
Muses ont renversé et brisé les Bureaux qu'il
faisoit sur le Parnasse pour M. Buriver. Apollon
donne de l'argent à Thibaut pour r'avoir des Outils
, approuve ce que les Muses ont fait, comme
étant fait par son ordre , et conseille aux trois
Réformateurs de s'en retourner dans leur famille ,
à l'exemple de Thibaut , ou bien d'aller habiter
l'Ile des Perroquets , et là ,
Au Peuple bigarré débiter leurs caquets.
Ils se recrient sur ce Jugement , sur tout Bu
river , qui en appelle à Jupiter , M. de l'Enthi
meme ayant
dit :
Prononça-t'on jamais Jugement plus inique !
Buriver de son côté répond :
Non, votre procedé n'est point abécédique .
Et
AVRIL. 719 17320
Et je dirai toûjours qu'injustement honni ,
Victrix causa Diis , sed victa Catoni.
Après le départ des Charlatans , la Piece finit
par ces deux Scenes.
Jupiter.
Bon, les voilà partis ; desormais du Parnasse ,
Ayez soin , Apollon , d'éloigner cette race ,
Se sont autant de rats , qui la bourse rongeans ,
Tournent à leur profit la sottise des gens.
Momus.
Pour les attraper tous , mettez sur les lisieres,
Tout autour du Vallon beaucoup de sourissieres.
Suspendez en dedans des bourses pour appas ;
Mesgens y viendront mordre, ils n'y manquerontpas,
Et la trape sur eux incontinent baissée ,
La machine dûment sassée et ressassée ;
Envoyez-les någer dans le fond du bourbier.
Je m'en vais de ce pas en faire expedier ,
De toutes les grandeurs.
Jupiter.
J'approuve ton idée.
Momus.
Si nous allions la haut boire quelque gorgée ,
De doux et frais Nectar , car l'air est si salé!
Et puis leurs sots discours m'ont sifort alteré . . •
Jupiter.
Momus dit d'or , allons.
E
Apollon
720 MERCURE DE FRANCE
Apollon seul .
Je vous suis tout à l'heure ;
Mais je ne voudrois pas quitter cette demeure
Sans récompenser ceux dont le sage travail ,
De tous ces Triacleurs ignore l'attirail,
Et dont l'esprit guidépar des gens pleins de zele
N'a point d'autresecret qu'une étude réelle.
Venez , Enfans chéris , recevoir ces Présens ,
Dont j'aime à couronner vos succès tous les ans.
Vous voyez à present bien clairement , Monsieur
, que ce petit Poëme n'est pas si méprisable
qu'une Partie interessée le vouloit faire croire
et que
le stile en est un peu plus agréable que
celui des lettres sur le Bureau Typographique,
C'est ce qui a donné lieu à une refléxion très judicieuse
, d'une personne en place, et qui se connoît
à ces sortes de Pieces ; sçavoir , que pour ré
futer parfaitement cette Lettre- cy et toutes les
autres , il ne faudroit que faire imprimer la petite
Piece de M. le Beau. Ecoutons présentement le
Buraliste, et voyons s'il parlera mieux que le Poëte
ne le fait parler.
2
Pour revenir à cette petite Piece dont le sujet
devoit , disoit- on , s'annoncer de lui-même , die
notre Docteur , après la longue et inutile digression
sur la chute d'un petit Echaffaut ; Momus
ouvre la Scène en se tenant les côtez de rire du
projet ridicule de certains Avanturiers de la menue
Litterature , qui s'érigeant en Réformateurs du Parnasse
, voudroient renvoyer les Muses à l'école et remettre
Apollon lui-même à l'abécé. Jupiter , person—
nage entierement inutile , et qui ne sert au plus qu
multiplic
AVRIL 17320 721
du multiplier les Rôles de la Piece pour le compte
Régent qui en est l'Auteur , vient demander à Momus
quel est le bruit des scies et des marteaux qu'on
entend sur le Parnasse ? Momus lui répond, que c'est
une Manufacture de Bureaux Typographiques qu'on
•veut y établir et dont un visionnaire nommé M.Bu.
river , vient demander à Apollon le privilege ;Apol
lon survient, et entendant parler de Buriver, demande
à Momus , quelle espece d'homme est ce Buriver !
Momus lui dit que c'est un fol sérieux , qui croit
avoir une mission pour changer le nom des lettres de
l'Alphabet , et qui a tellement à coeur de mettre à
profit les premieres années de l'enfance qu'il veut
absolument , au dire de l'Auteur , qu'on apprenne à
lire aux enfans dès le maillot , pour réparer le temps
qu'ils ont perdu dans le ventre de leur mere.
Ce n'est point Momus qui ouvre la Scene, c'est
comme on l'a vû , Jupiter , qui pour les raisons
marquées , descend du Ciel. C'est lui aussi qui , à
proprement parler , ferme la Scene en confirmant
le Jugement rendu par Apollon ; c'est lui qui reste
sur la Scene du commencement à la fin , qui
envoye chercher son fils Apollon , et qui le premier
donne audiance aux Charlatans , et qui les
entend encore parler après l'arrivée d'Apollon.
Bien loin donc que Jupiter soit un personnage
entierement inutile. C'est , à le bien prendre , le
plus utile et le plus nécessaire de toute la Piece ,
puisque selon qu'il convient à sa nature et à sa
souveraineté , il agit en tout et par tout comme
cause premiere.
Il faut que le Buraliste soit bien ignorant ou
bien soubçonneux , et qu'il juge des autres par
hui- même , quand il avance avec assurance que la
multiplication des Rôles est pour le compte du
Régent. S'il eut voulu prendre la peine de s'in-
Eij former
22 MERCURE DE FRANCE
former de la coûtume de ce College par rapport
aux Tragédies , comme il le pouvoit facilement ,
et comme il le devoit ; voulant en parler , il auroit
appris que ce sont les Acteurs qui font la dépense
, et que , soit qu'il y ait une petite Piece,
soit qu'il n'y en ait point , soit qu'elle soit longue
, soit qu'elle soit courte ; soit qu'il y ait deux
ou trois Rêles , soit qu'il y en ait six ou sept , i
ne leur en coute ni plus ni moins , et que par
consequent le Régent n'y trouve ni plus ni moin
son compte. Tout ce qui lui en reste c'est le tra
vail de la composition et la gloire du succès.
Enfin il paroît par toute cette exposition du
sujet que le Docteur Abécédiste ne sçait pas
mieux les regles de la Comédie que celles de l'ortographe
, et qu'il ignore parfaitement que
M. Racine dans la Préface sur la Comédie des
Plaideurs , soutient que les Poëtes Comiques ont
raison d'outrer le ridicule et de le pousser au-delà
de la vrai - semblance. Je le renvoye donc à cer
ilustre Auteur et aux autres que j'ai citez dans
les regles de poëtique en traitant de la Comédie
page 326 342 .
Apollon , continue le Buraliste , ayant donné or
dre de l'introduire , on voit entrer M. Buriver ,
suivi de deux autres Réformateurs ausquels on ne
somprend rien , et qui n'étant là que pour faire nombre
, ne servent, comme on a dit de Jupiter , qu'a
multiplier les personnages de la Piece . L'Auteurfaiz
ensuite exposer à M. Buriver le projet et la pratique
de sa Reforme , de la maniere du monde la plus
platte et la plus insipide aux yeux des Spectateurs -
mais d'une maniere très - ingénieuse aux yeux des
Régens , qui trouvent que cette Piece pétille d'espriz.
On en peutjuger par l'exemple suivant ; pour epêcher
les enfans de ronger leurs Livres, Buriver ,
hiton
AVRIL. 1732:
dit-on , a imaginé de leur donner des Rudimens de
bois , et d'en mettre les leçons sur des Cartes détachées
, pour les empêcher d'épuiser leur salive et
d'user leur pouce à en tourner les feuillets . Voilà les
gentillesses que l'Auteur met dans la bouche de
M.Buriver , et il n'a eu garde de faire un mauvais
usage de son esprit , en lui faisant dire , pour prou
ver les effets merveilleux de sa Méthode , que c'étoit
par son moyen que la Chienne de la Foire S. Germain
avoit appris à lire , tant il a eu soin d'éviter
les basses plaisanteries , quoique plus naturelles et
plus propres à son sujet.
Pour réfuter en peu de mots cet exposé , il suffit
de relire ce que nous venons de dire . Ce n'est
point Apollon qui donne ordre d'introduire le
seul Buriver ; les trois Charlatans sont depuis
long-temps sur la Scene , lorsque ce Dieu amené
par Momus , arrive pour les juger . On comprend
partement bien pourquoi deux autres Réformateurs
suivent Buriver ; c'est pour lui disputer
la victoire et engager Jupiter à prononcer contre
son Systême en faveur du leur ; ils mettent en
pratique le principe qu'ils ont lû dans la seconde
Lettre , page 27. où ils parlent ainsi : On voit
tant de Charlatans , de visionnaires et d'imposteurs
de toute classe , qu'il y auroit de la foiblesse , de l'imprudence
et même de la folie , à les croire tous sur
leur parole : C'est à dire en deux mots , qu'ils se
regardent et se traitent tous réciproquement de
Charlatans , de visionnaires et d'imposteurs.
Si le Buraliste dit que le Poëte fait exposer
Buriver les utilitez de son Systême de la maniere
du monde la plus platte et la plus insipide aux
yeux des Spectateurs ; vous comprenez aisément ,
M. qu'il n'a garde de dire autrement , et que c'est
plutôt son propre interêt que la verité qui le fait
parler , &c.
E iij Pour
724 MERCURE DE FRANCE
Pour ce qui est de la Chienne de la Foire , qui
n'avoit point du tout affaire ici , le Buraliste en
parle avec une certaine complaisance , parce qu'il
croit avoir mis en poudre l'objection que lui
avoit faite à ce sujet le Grammairien de Ventabren,
c'est- à- dire, qu'il s'étoit faite à lui-même.
Pour moi je pense qu'il auroit fait bien plus săgement
de n'en point parler du tout , et que biendes
personnes pourroient , avec raison , mettre
cette objection bien au-dessus de la réponse.
a
Enfin , dit le Buraliste , un Menuisier nommé Thibaut,
annoncepour dénouement que les Muses viennent
de mettre enpieces tous ses Bureaux, de briser ses Outils
et de lui rompre ses Regles surle dos , et ilfinit la
Piece en se proposant de retourner à sa Boutique, et en
conseillant à M.Buriver de le suivre et de devenir son
garçon. C'est ainsi que desgens de College s'efforcent
de tourner en ridicule la Méthode du Bureau , pendant
que les personnes les plus sages de la Villet de
la Cour ,font gloire d'en reconnoître l'utilité , et que
cette Méthode a l'avantage d'être employée à l'instruction
des Enfans de France.
Pour avoir le véritable dénouëment , donnezvous
seulement la peine de relire les deux dernieres
Scenes rapportées plus haut ; vous verrez que
du commencement à la fin le sujet de la Piece
s'arrange , s'explique, et s'annonce de lui - même
comme l'avoit promis le Professeur . C'est ce qui
arrive dans toutes les bonnes Pieces , même dans .
celles qu'on représente pour la premiere fois et
dont on sçait à peine le nom. Cependant le nouveau
Méthodiste ne trouve cette petite Comédie
très ingénieuse qu'aux yeux des Régens du College
, mais la plus platte et la plus insipide du
monde à ceux des Spectateurs. M. le Beau
M. Gaullyer, et tous ceux q ne sont pas pour
Le
?
AVRIL. 1732. 735
le Bureau , sont des gens ignorans , vains , présomptueux,
entêtex , envieux , de mauvaise foi , c.
Ce sont de vains Déclamateurs , de petits génies.
des Maîtres mercenaires , indifferens pour le bien
public et pour la bonne éducation , &c. C'est ainsi
qu'un homme sans science et sans autorité s'efforce
de calomnier sans modération et sans pudeur
, une infinité de très - honnêtes et très- habiles
gens , et de mépriser toutes les meilleures et
les plus anciennes Méthodes tandis que les personnes
les plus illustres et les plus sçavantes de la
Ville et de la Cour , de l'Epée et de la Robe ; en
un mot , de tous les differens Etats , se sont toujours
fait honneur d'en reconnoître l'utilité ,
que ces Méthodes ont toujours eu et ont encore
l'avantage d'être employées à l'instruction de
toute l'Europe , et même à celle des Princes ,
Rois et des Empereurs de l'Univers , & c.
et
des
***: ***:*********
V
MADRIGAL.
Traduit de l'Italien du Marini.
Enus , je sçai qu'Amour a fui de ton Empire.
Et qu'en proye au plus vifchagrin ,
Tu promets un baiser à qui te pourra dire ,
Ou se cache ce Dieu málin , *
Ah ! cesse les regrets où ton coeur s'abandonne ,
* Le Poëte dans ces quatre Vers a fait allusion
au commencement de la premiere Idille de Moschus,
et ce Madrigal est , à vrai dire , une Réponse à
cette Idille.
E iiij
Déesse
726 MERCURE DE FRANCE
Déesse , donne- moi ce doux baiser promis ,
Ou fais qu'Ismene me le donne ;
C'es dans ses beaux yeux qu'est ton Fils.
M. COQUARD , Avocat au Parlement .
de Dijon.
DOUZIEME LETTRE sur la
Bibliotheque des Enfans et sur les dimensions
du Bureau Typographique .
Ous voulez , Monsieur , juger du Systême
Typographique par l'experience et par la
pratique, ou enfin par des exemples et des autoritez
modernes. Cela paroît raisonnable jusqu'à un
certain point , je n'ignore pas que les preuves
sensibles ne frappent davantage , mais je sçai
aussi que ces prétendues preuves sensibles sont
souvent plus sujettes à l'erreur que les preuves de
raisonnement. J'avoue que lorsqu'il s'agit d'un
effet prompt et physique , l'experience est le
moyen le plus sur pour en décider ; supposons
par exemple , une dispute sur deux sortes de Poudre
à Canon , où il s'agit de sçavoir laquelle a
plus de force et porte plus loin ; tous les raisonnemens
sur la composition de cette Poudre , ne
feront jamais sur un bon esprit la même impression
que l'experience réïterée, et après laquelle ces
raisonnemens serviront à confirmer , ou pour
mieux dire , à expliquer cette même experience.
Il en est de même de la circulation du sang et de
bien d'autres choses.
AVRIL. 1732 727
une
Mais quand il s'agit de Méthode et d'institution
litteraire ou d'une experience soumise à
infinité de combinaisons physiques et morales ,
il faut pour lors que la raison soit de la partie
et qu'elle serve par provision à discerner la bonté
et la superiorité de cette Méthode sur les autres ;
je croi que c'est ici le cas du Bureau Tipographique
, malgré le raisonnement de ceux qui disent
qu'il faut juger de la bonté de cette Méthode
par le grand nombre des Sçavans qu'elle produi
ra , c'est - à- dire , selon eux , attendre 20. 30. ou
de se déterminer.So.ans avant que Raisonner ainsi
n'est- ce pas raisonner à peu près comme si l'on
eut dit autrefois ? 1º . Qu'il falloit juger de la
bonté et de l'excellence de la nouvelle Medecine
par le plus grand nombre de Vieillards de l'un et
del'autre Sexe, auquel cas la Medecine des Patriarches
auroit été préferable à toutes les autres.
2°. Qu'il falloit juger de la bonté des Loix de
chaque Païs , et de la probité de chaque Nation ,
par le plus petit nombre de procès et par le
moindre casuel des Executeurs de la haute Justice.
3° . Qu'il falloit juger de la politique et de la
science Militaire d'un siecle , par le nombre des
Héros , des grands Souverains et des Peuples heureux
qu'ils gouvernoient.
4°. Qu'il falloit juger des avantages de l'Im
primerie , par le plus grand nonbre des Sçavans
et des Livres modernes préferables à ceux des
anciens:
5. Juger des avantages de la Boussole , de la
nouvelle Navigation et de la découverte du nouveau
Monde , par le plus grand bonheur et le
meilleur être des Nations qui jouissent des fruits
de cette découverte.
6. Juger de la bonté de l'Horlogerie et même
EV des
724 MERCURE DE FRANCE
Pour ce qui est de la Chienne de la Foire , qui
n'avoit point du tout affaire ici , le Buraliste en
parle avec une certaine complaisance , parce qu'il
croit avoir mis en poudre l'objection que lui
avoit faite à ce sujet le Grammairien de Ventabren,
c'est- à- dire, qu'il s'étoit faite à lui - même.
Pour moi je pense qu'il auroit fait bien plus să--
gement de n'en point parler du tout , et que bien
des personnes pourroient , avec raison , mettre
cette objection bien au-dessus de la réponse .
Enfin , dit le Buraliste , un Menuisier nommé Thi
baut,annonce pour dénouement que lesMuses viennent
de mettre enpieces tous ses Bureaux, de briser ses Outils
et de lui rompre ses Regles surle dos , et ilfinit la
Piece en se proposant de retourner à sa Boutique, et en
Conseillant à M.Buriver de le suivre et de devenir son ,
garçon. C'est ainsi que des gens de College s'efforcent
de tourner en ridicule la Méthode du Bureau , pendant
que les personnes les plus sages de la Ville et de
la Cour ,font gloire d'en reconnoître l'utilité , et que
cette Méthode a l'avantage d'être employée à l'ins--
truction des Enfans de France.
"
Pour avoir le véritable dénouement , donnezvous
seulement la peine de relire les deux dernieres
Scenes rapportées plus haut ; vous verrez que
du commencement à la fin le sujet de la Piece
s'arrange , s'explique, et s'annonce de lui- même
comme l'avoit promis le Professeur. C'est ce qui
arrive dans toutes les bonnes Pieces , même dans .
celles qu'on représente pour la premiere fois et
dont on sçait à peine le nom. Cependant le nouveau
Méthodiste ne trouve cette petite Comédie
très ingénieuse qu'aux yeux des Régens du College
, mais la plus platte et la plus insipide du
monde à ceux des Spectateurs. M. le Beau
M. Gaullyer, et tous ceux q ne sont pas pour
le
?
AVRIL. 1732. 785
le Bureau , sont des gens ignorans , vains , présomptueux,
entêtez , envieux , de mauvaise foi , &c.
Ce sont de vains Déclamateurs , de petits génies
des Maîtres mercenaires , indifferens pour le bien
public et pour la bonne éducation , &c. C'est ainsi
qu'un homme sans science et sans autorité s'efforce
de calomnier sans modération et sans pudeur
, une infinité de très- honnêtes et très-habiles
gens , et de mépriser toutes les meilleures et
les plus anciennes Méthodes tandis que les personnes
les plus illustres et les plus sçavantes de la
Ville et de la Cour , de l'Epée et de la Robe ; en
un mot , de tous les differens Etats , se sont toujours
fair honneur d'en reconnoître l'utilité , et
que ces Méthodes ont toujours eu et ont encore
l'avantage d'être employées à l'instruction detoute
l'Europe , et même à celle des Princes , des
Rois et des Empereurs de l'Univers , &¢
***: ***:***********
V
MADRIGAL.
Traduit de l'Italien du Marini.
Enus , je sçai qu'Amour a fui de ton Empire,
Et qu'en proye au plus vifchagrin ,
Tu promets un baiser à qui te pourra dire ,
Ou se cache ce Dieu malin , *
Ah ! cesse les regrets où ton coeur s'abandonne ,
* Le Poëte dans ces quatre Vers a fait allusion
au commencement de la premiere Idille de Moschus,
et ce Madrigal est , à vrai dire , une Réponse à
cette Idille.
E iiij
Déesse
726 MERCURE DE FRANCE
Déesse , donne- moi ce doux baiser promis ,
Ou fais qu'Ismene me le donne ;
C'es dans ses beaux yeux qu'est ton Fils.
M. COQUARD , Avocat au Parlement .
de Dijon.
DOUZIEME LETTRE sur la
Bibliotheque des Enfans et sur les dimensions
du Bureau Typographique .
VOU
Ous voulez , Monsieur , juger du Systême
Typographique par l'experience et par la
pratique, ou enfin par des exemples et des autoritez
modernes. Cela paroît raisonnable jusqu'à un
certain point , je n'ignore pas que les preuves
sensibles ne frappent davantage , mais je sçai
aussi que ces prétendues preuves sensibles sont
souvent plus sujettes à l'erreur que les preuves de
raisonnement. J'avoue que lorsqu'il s'agit d'un
effet prompt et physique , l'experience est le
moyen le plus sur pour en décider ; supposons ,
par exemple , une dispute sur deux sortes de Poudre
à Canon , où il s'agit de sçavoir laquelle a
plus de force et porte plus loin ; tous les raisonnemens
sur la composition de cette Poudre , ne
feront jamais sur un bon esprit la même impression
que l'experience réïterée, et après laquelle ces
raisonnemens serviront à confirmer , ou pour
mieux dire , à expliquer cette même experience.
Il en est de même de la circulation du sang et de
bien d'autres choses.
AVRIL . 17321 727
Mais quand il s'agit de Méthode et d'institution
litteraire ou d'une experience soumise à une
infinité de combinaisons physiques et morales ,
il faut pour lors que la raison soit de la partie
et qu'elle serve par provision à discerner la bonté
et la superiorité de cette Méthode sur les autres ;
je croi que c'est ici le cas du Bureau Tipographique
, malgré le raisonnement de ceux qui disent
qu'il faut juger de la bonté de cette Méthode
par le grand nombre des Sçavans qu'elle produi
c'est- à- dire , selon eux , attendre 20. 30. ou
de se déterminer. Raisonner ainsi So.ans avant que
n'est- ce pas raisonner à peu près comme si l'on
eut dit autrefois ? 1 °. Qu'il falloit juger de la
bonté et de l'excellence de la nouvelle Medecine
par le plus grand nombre de Vieillards de l'un et
del'autre Sexe,auquel cas la Medecine des Patriarches
auroit été préferable à toutes les autres .
ra ,
2º. Qu'il falloit juger de la bonté des Loix de
chaque Païs , et de la probité de chaque Nation ,
par le plus petit nombre de procès et par le
moindre casuel des Executeurs de la haute Justice.
3 °. Qu'il falloit juger de la politique et de la
science Militaire d'un siecle , par le nombre des
Héros , des grands Souverains et des Peuples heureux
qu'ils gouvernoient.
4°. Qu'il falloit juger des avantages de l'Im
primerie , par le plus grand nonbre des Sçavans
et des Livres modernes préferables à ceux desanciens:
5. Juger des avantages de la Boussole , de la
nouvelle Navigation et de la découverte du nouveau
Monde , par le plus grand bonheur et le
meilleur être des Nations qui jouissent des fruits
de cette découverte.
6. Juger de la bonté de l'Horlogerie et même
B-v des
728 MERCURE DE FRANCE
des Prédicateurs ,, par le meilleur emploi du tems.
. De la préference et superiorité morale des
Nations et de leur commerce , par le plus grand
nombre des honnêtes gens,par le plus grand nomnombre
des riches , et le plus petit nombre des
miserables .
8". Juger de la bonté des Systêmes de morale ,
de politique et même de Religion , par le plus
grand nombre des gens de bien, des gens de probité
et de pieté , &c.
Vous voyez par là , Monsieur , qu' est plus --
aisé de juger des effets de pure Mécanique , que
de juger des effets combinez à l'infini dans le Physique
et dans le Moral. Que d'incertitudes dans
l'enquête et dans le témoignage des hommes !
sur la complexion et le temperament des enfans !
sur les dispositions de leur esprit sur la Méthode
qu'ils ont suivie ! sur les moyens , la capacité ,
les talens , et les soins des parens , des Maîtres et
même des domestiques ! sur l'usage et les Coûtumes
de chaque Pays, et enfin sur tous les accidens
de la vie !
Descartes , Pascal , Baile , Newton , Leibnits ,
&c. ont été de grands hommes , s'ensuit- il que
leurs Abécé et leurs Rudimens fussent les meilleurs
De quel Rudiment , de quelle Méthode se
servoient a utrefois les Hébreux , les Grecs et les
Latins , et de quelle Méthode se servent aujourd'hui
les E spagnols et les Portugais , les Anglois
et les Hollandois ; en faut- il juger par le plus
grand nombre de leurs Sçavans ? Il n'est donc
pas toujours aisé de prouver la bonté d'un Systême
ou d'une Méthode, par le plus grand nombre
des habiles gens qu'elle a produits , et si on peut
le dir e à p resent de la Méthode de Décartes , elle
me lai ssoit pas de porter par elle- même la preuve
morale
AVRIL 1732. 729
•
2
morale et géométrique de son excellence et de sa
superiorité sur les autres Méthodes. On juge fa 、
cilement de la bonté et de l'abondance des récoltes
par la qualité , la quantité et le prix des denrées.
Il n'en est pas tout - à - fait de même des Méthodes
des Sçavans , ni de leurs Ouvrages. Concluons
qu'il en est d'une Méthode comme d'un
outil ; un bon Ecrivain écrira mieux avec une
mauvaise plume , qu'an mauvais Ecrivain avec la
meilleure plume du monde. On n'apporte pas
assez de soin sur le choix des Maîtres , voilà un
inconvenient. Les Maîtres ne cherchent pas assez
les rapports et les proportions entre la doctrine
et les enfans , voilà un autre inconvenient. Il n'est
donc pas absolument vrai qu'on puisse toûjours
juger de l'outil ou de la Méthode par l'Ouvrage
et par l'Eleve.
Pour vous donner cependant , comme vous le
souhaitez , Monsieur , des témoignages rendus
en faveur de la Méthode du Bureau , je puis vous
assurer que de toutes les personnes qui ont vu
cette Machine , il n'y en a point qui n'ait avoüé
de bonne foi que cette maniere de montrer les
premiers élemens des Lettres étoit ingénieuse et
plus à la portée des petits enfans que les Méthodes
vulgaires ; en passant sous silence le détail des
témoignages de quelques Particuliers, je pourrois
vous nomnier ici un des plus intelligens Magistrats
et des plus zelez pour le bien de la République
des Lettres , qui cut la curiosité de voir par
lui même l'exercice et les operations du Bureau
Typographique. M. Gallyot , accompagna ce
Magistrat au College du Plessis , où M. Rollin et
M. l'Abbé de S. Pierre , avoient déja pris la peine
de se rendre. Tous ces Messieurs parlerent favorablement
de cette Méthode et je me flatte qu'en
-Evj -favcut
730 MERCURE DE FRANCE
faveur de notre cause ils voudront bien me par
donner la liberté que je viens de prendre de les
nommer. Le R. P. Buffier , le Régent de Quatrié
me du College de Louis le Grand , le P. Bouche
ron , Prêtre de l'Oratoire , M. Thomé , Conseiller
au Parlement de Grenoble et d'autres Messieurs
, se trouverent une autre fois ensemble au
Bureau du College du Plessis et rendirent également
témoignage à la verité ; je pourrois vous
citer le Principal et les deux Sous - Principaux du
même College, qui , exempts de prévention , pen
sent favorablement de la Méthode Typographique.
Je pourrois vous nommer le Proviseur et le
Principal du College d'Harcourt où le jeune Seigneur
Dom Ventura de Liria , a déja fait et
' heureuse experience du Bureau Typographi
que. Je pourrois vous parler de M. Chom
pré , Maître de Pension , et depuis peu Maître
de petite Ecole , qui fait usage actuellement
des classes du Bureau Typographique , dans le
rue des Carmes ou saint Jean de Beauvais.;
exemple qui va être suivi par plusieurs. Maîtres
d'Ecoles.
Je pourrois vous rapporter l'exemple d'une petite
fille de trois ans , vis - à - vis sainte Catherine ,
rue S.Denis,qui imprime joliment à son Bureau,la
copie qu'on lui donne sur des cartes. Il y a plusieurs
autres enfans qui s'amusent utilement au
Bureau Typographique ; cela devroit fermer la.
bouche aux Critiques , retenir leur plume et leur
apprendre enfin à en faire un meilleur usage pour
le Public..
Je pourrois vous rapporter le Certificat de la
Societé des Arts , inseré dans le Mercure du mois
de Septembre dernier , et vous dire qu'à la Cour
même , Qn. fair usage du Bureau pour Monseigneur
AVRIL. 1732. 732
gneur le Dauphin et pour Mesdames de France .
Mais il faut vous dire le fort et le foible , un
Grammairien de Ventabren , donna dans le Mercure
du mois de Janvier dernier , une Critique
contre le Bureau , et il en parut une autre dans le
mois de Février suivant , dont le Public fut en◄
core plus mécontent ; enfin M. Gaullier , Régent
de Quatriéme au Plessis , dans les Notes sur la
Méthode de M.le Févre, et M.le Beau , Regent de
Seconde au même College , dans sa petite Piece
comique du mois d'Août dernier , ont pris le
parti de se déclarer hautement contre le Systême
et contre l'Auteur du Bureau Typographique .
C'est à vous , Monsieur , à present d'aprécier ,
d'estimer et d'évaluer chaque témoignage ; si
vous voulez compter les voix avant que de péser
les raisons ; vous avez trois Maîtres qui se sont
déclarez contre le Bureau et contre ses Partisans
de la Cour et de la Ville . De ces trois Maîtres
le premier étant, dit- on ,imaginé et fait à plaisir ,
il n'en reste que deux ; de ces deux il ne faut pas
compter M. le Beau , qui par licence poëtique
plutôt qu'à mauvais dessein , a préferé le Bureau
pour le sujet de sa petite Piece ; on le lui auroit
même prêté avec plaisir, pour rendre plus sensible
aux Spectateurs, la Critique qu'il en vouloit
faire ;on auroit pû fournir bien des pensées comiques
sur cette matiere , et on en auroit ri comme
les autres , sans approuver neanmoins l'affectation
des personalitez indécentes contre les morts
et les vivans ; conduite qui fait toujours tort au
jugement et au coeur , quelque honneur qu'elle
puisse faire d'ailleurs à l'esprit du Poëte.
2.
De ces trois Maîtres , il ne nous reste donc à
craindre contre le Bureau , que les Critiques de
M. Gaullier , ce laborieux et infatigable Professeur
732 MERCURE DE FRANCE
seur , dont les Notes sur la Méthode de M. le
Fevre , p . 104. parlant de la lecture de Terence ,
et croyant avoir pour lui l'autorité de M. le Fevre
, du P. Jouvency , des Statuts de l'Université ,
de M. M. et R. P. des P. de l'Eglise , enfin du
Monde entier, pense- t'il , bors le seul M. Rollin ,
a voulu peut-être à son tour et dans cette occasion
, se singulariser contre le jugement du Public
, de la Cour , de la Ville , des Colleges , des
Maîtres d'Ecole , de la Societé des Arts , de l'experience
, il a peut - être voulu qu'on pût aussi
dire de lui ce que l'Ecriture dit d'Ismaël. Gen. 16.
12. qu'il leva la main contre tous , Manus ejus
contra omnes ; et ajoûter que tous leveront aussi la
main contre lui , Et manus omnium contra eum ;
article et paroles que M. Gaullier rapporte dans
sa Lettre inserée dans le Mercure du mois d'Octobre
dernier , contre quelques lignes du Nouvelliste
du Parnasse , dont il ne paroît pas qu'il
eût tant à se plaindre par un long et ennuyeux
Commentaire. Bien des Auteurs à Paris , se sont
déclarez contre les Critiques de ce Professeur.
L'Auteur des Tropes attend sa réponse , 1 ° . sur
la difference des Colleges bien ou mal montez,
2. Sur la veritable diference de la Méthode de
Mile Fevre et de la Méthode des Colleges . 3 ° . Sur
la contradiction de ceux qui, selon leur Méthode ,
exigent l'âge de dix ou douze ans pour l'étude
des Rudimens et qui néanmoins les accablent d'une
infinité de Regles Grammaticales avant cet âge
là. 4°. Sur les Charlatans de la menuë Litterature,
qui donnent le Catalogue fastueux de leurs petites
compilations. . Sur l'imparfaite division et
l'injuste accusation d'heresie ou de folie. 6° . Sur
les Longins connus et inconnus. 7 ° . Sur les Livres
de compilation , imprimez exprès en lettres
fort
"
AVRIL. 1732. 733
fort menuës , pour faciliter la grosse et grande
Litterature . 8. Sur la veritable définition des
mots Pedant et Pedenterie . 9 ° Et enfin , sur la
difference d'un vain Déclamateur, et d'un vrai et
utile Critique.
Un Auteur de Rennes en Bretagne s'est déclaré
contre ce Regent de quatriéme . M. Perquis autre
Breton , a donné une Réponse à la Lettre d'un
Profeffeur anonyme que M. Gaullier avoue être
de lui , petite consolation que l'honneur de tant
d'adversaires , tant qu'un fameux et ancien Recteur
de l'Université de Paris , ne daignera pas en
augmenter le nombre , et que méprisant les vaines
déclamations de ses critiques, il continuera ses
dignes et pénibles travaux pour enrichir la République
des Lettres de la suite du cours historique
que le public attend toujours avec impatience , et
qu'il reçoit et lit avec empressement.
1
Je vous envoie , Mr. les nouvelles dimensions
du Bureau , afin que vous puissiez en faire faire
selon la mesure des Cartes et des Lettres dont
vous voudrez vous servir . Vous avez dans le Mercure
de Novembre la suite des Jeux , des opérations
, des exercices et des leçons du Sistême Typografique
; et dans le premier Volume du mois s
de Decembre dernier, la maniere d'étiqueter et degarnir
un Bureau complet .
Dimension du Bureau Typografique , composé
d'un Casseau de six rangs , de trente
logètes chacun , et d'une Table brisée en s
deux parties inégales , dont la petite sert
d'appui au Casseau , et l'autre sert à le
fermer.
A l'exemple des Imprimeurs , on appelle Cas
seau
734 MERCURE DE FRANCE
seau une Caisse, divisée en petits compartimens our
Cassetins , dans lesquels on tient les Lettres nécessaires
pour imprimer. Les Casseaux des Imprimeries
sont à plat ou inclinez pour la commodité
des Compositeurs , et le Casseau du Bureau
est appuyé perpendiculairement et en forme
de Colombier contre la tringle du derriere de la
plus petite et la plus courte partie de la Table, où
on le retient par deux Crochets et deux Pitons à
vis. Ce Casseau est composé ainsi qu'il a été
dit de six rangs de Logètes , trente pour chacun ,
-de sorte qu'il y a les deux montans extrêmes , de
l'épaisseur de ces traverses , et 29 petits montans
qui séparent et divisent les 30 Logètes de chaque
rang. On peut faire les petits montans d'une ou
de plusieurs pieces , mais la maniere la plus solide
et la plus propre c'est de donner à chaque Logète
son petit montant de séparation , entaillé
dans ses deux traverses , et ainsi au lieu de 29 petits
montans d'une piéce , il y en aura 6 fois 29,
ou 174. Ceux qui voudront des Casseaux plus
courts , pourront faire faire de petites Cartes et
des Montans de fer blanc à leur fantaisie , et à
proportion du lieu qu'ils destineront à cette machine.
Les dimensions du Bureau Typographique
doivent donc se regler sur les dimensions des
Cartes à jouer et des caracteres à jour dont on
veut se servir pour imprimer les Etiquettes sur
les traverses , au bas de chaque Cassetin . Les Cartes
de Paris ont environ 25 lignes de largeur, sur
38 lignes de longueur , et je suppose icy, des caracteres
de 8 lignes de hauteur pour les Capitales
et pour les Lettres à tête et ਠqueuë. -
IoA
VRIL , 73 1732.
§. 1. Longueur du Casseau et du Bureau .
·
Premier Montant de 9 lignes ,-
30 Logètes , à 25 lignes ,
30 fois le jeu ou l'aisance des
Cartes mises dans la Logète,
à deux lignes par Logète
,
3
9 ligne
62 pouc. 6
S
29 petits Montans à lign. 7
Dernier Montant , de 9 lignes ,
Ajoutant 2 pouces à
fa longueur du Casseau
pour l'excedant des extrémitez
de la Table qui
retiennent et qui ferment
ce Casseau , vous trouverez
pour toute la longueur
de la Table ,
>
39
76 pouces 3 lign.
ou 6 piés, 4 pouces
, lignes.
6 pieds , 6 pouc. 3. lign
§. 2. Hauteur ou largeur du Casseau.
Six rangs de Logêtes par co-
Ione , à 18 lignes , le vuide ou
la hauteur d'une Logète font 9 pouc.
Sept traverses , à 9 lignes
shacune ,
3 lign.
14 pouc.3
S. 3.
736 MERCURE DE FRANCE
S. 3. Epaisseur ou profondeur du Casseau.
Longueur de la Carte pour
la Logète ,
L'aisance ou l'excedant de
chaque Logète ,
Epaisseur du Bois du derricre
ou du fond du Casseau ,
Epaisseur de la Tringle qui
sert de rebord à la petite partie
de la Table , et qui retient
la Casseau
,
Epaisseur de la grande partie
de la Table qui sert à fermer
le Casseau ,
3 pouc. lignes .
s pouc. - 2 lignes,
Pour fermer le Bureau on ferre les deux piéees
de la Table avec trois Fiches ou trois Couplets
; on met un Crochet sur le premier et le
dernier Montant , et un Piton à vis sur chaque
console aux extrêmitez de la Table.
On met aussi une Serrure plate au milieu de
la Table fermée , et son Moraillon au milieu de
la plus haute traverse . Voilà , Monsieur , les nouvelles
dimensions du Bureau Typografique ; je
vous prie au surplus d'user toujours de votre
indulgence à mon égard , et de vouloir bien me
pardonner les fautes de langage , et d'expression
en faveur des sentimens et des intentions que
vous me connoissez pour le bien litteraire du public
, et pour la premiere institution des enfans
qui font la partie la plus chere , la plus aimable
et la plus innocente du genre humain. J'ai l'honneur
d'être , Monsieur , &c.-
Les
AVRIL. 1732. 737
Les mots de l'Enigme et des Logogry .
phes du mois de Mars sont Palais , Pepin,
Montferrat , Balance.
** :********:*****
ENIGM E.
DE mes soeurs je suis la derniere ,
Nous sommes deux fois douze , un homme ess
notre pere ;
Son nom , je ne m'en souviens pas ;
Pour me reconnoître , en tout cas ,
Ce nom n'est pas bien necessaire.
J'avoue ici de bonne foy ,
Que de rire à chacun je fais naître l'envie ;
Car un Nain , un Pigmée à taille mal polic ,
De le railler , si l'on a la manie 9
On dit qu'il est fait comme moi.
Quoiqu'il en soit , j'ai sçû me couronner de
gloire ,
En me trouvant toûjours dans les hazards.
Je m'offre aux yeux de toutes parts ;
Et ( ce qu'on aura peine à croire )
Je ne suis point dans l'eau , dans le feu , dans les
Airs ,
Ni même dans tout l'Univers.
Je vais pourtant , et sans me contredire ,
Vous
738 MERCURE DE FRANCE
Vous dire où l'on peut me trouver ;
C'est toujours avec le Zéphire ,
Au Zodiaque encor ... Fort bien , allez vous dire
Je n'rrai
pas vous y chercher.
Par M. V.J. A. Ľ.
SECONDE ENIGME.
Mon
origine est
incertaine ,
Mais on me dit communément ,
Ou Chinoise ou Napolitaine.
Je navige très-fréquemment ,
Et l'Empire affreux de Neptune ,
Que mon sexe a tant en horreur ,
Ne m'inspire point de terreur ;
Quand l'homme y va chercher fortune ,
Il ne l'entreprend pas sans moi ;
Sans moi , foible est son esperance.
Je possede sa confiance ,
Sans que je devine pourquoi ;
Car chez moi ce n'est qu'inconstance
Que foiblesse et fragilité ;
Souvent une vivacité ,
Qu'on prendroit pour extravagance.
A me consulter empressé ,
Malgré ces deffauts , plus d'un sage ,
A très- souvent eu l'avantage ,
De 'se voir par moi redressé.
P.D. F. de Granville , en Normandie.
AVRIL. ∙173·2. 739
V
LOGOGRIP HE.
Ous allez voir à l'instant qui je suis,
Puisque mon gîte est dans la rue ;
Ma tête à bas , je vous saluë.
Dès
que mon chefsera remis ,
Si vous retranchez ma finale ,
Je serai Ville Capitale .
Que ledit membre retranché ,
Soit à present après mon chef niché,
Lecteur , alors je vous suis chose chere.
Qu'en cet état , je sois encor décapité ,
Je soutiens avec verité ,
Qu'au corps humain je suis très necessaire.
SECOND LOGOGRYPHE
Sept Lettres composent mon nom ;
Je suis d'une obscure naissance ;
Je vis sans gloire et sans renom ,
Mais du sein de mon abondance ,
Avec l'aide du chiffre , un Lecteur curieux
Pourra facilement tirer des noms fameux .
Cinq,six , un , sept , trois , deux , je passe dans
l'Histoire ,
Pour un vaillant Héros , plein de force et de
gloire.
Quatre
736 MERCURE DE FRANCE
§. 3. Epaisseur ou profondeur du Casseau .
Longueur de la Carte pour
la Logète ,
L'aisance ou l'excedant de
chaque Logète ,
Epaisseur du Bois du derrie- -
re ou du fond du Casseau ,
Epaisseur de la Tringle qui
sert de rebord à la petite partie
de la Table , et qui retient
la Casseau >
Epaisseur de la grande partie
de la Table qui sert à fermer
le Casseau ,
3 pouc. 1 lignes .
&
s pouc. 2 lignes,
Pour fermer le Bureau on ferre les deux piéces
de la Table avec trois Fiches ou trois Cou̟-
plets ; on met un Crochet sur le premier et le
dernier Montant , et un Piton à vis sur chaque
console aux extrêmitez de la Table.
On met aussi une Serrure plate au milieu de
la Table fermée , et son Moraillon au milieu de
la plus haute traverse. Voilà , Monsieur , les nouvelles
dimensions du Bureau Typografique ; je
vous prie au surplus d'user toujours de votre
indulgence à mon égard , et de vouloir bien me
pardonner les fautes de langage , et d'expression
en faveur des sentimens et des intentions que
vous me connoissez pour le bien litteraire du
blic , et pour la premiere institution des enfans
qui font la partie la plus chere , la plus aimable
et la plus innocente du genre humain. J'ai l'hon-``-
neur d'être , Monsieur , &c.
pu-
Les *
AVRIL. 1732. 737
Les mots de l'Enigme et des Logogry.
phes du mois de Mars sont Palais , Pepin,
Montferrat , Balance .
X*X*::X*XXXXXXX:XXXXX
ENIGM E.
DE mes soeurs je suis la derniere ,
Nous sommes deux fois douze , un homme est
notre pere ;
Son nom , je ne m'en souviens pas ;
Pour me reconnoître , en tout cas ,
Ce nom n'est pas bien necessaire.
J'avoue ici de bonne foy,
Que de rire à chacun je fais naître l'envie ;
Car un Nain , un Pigmée à taille mal polie ,
De le railler , si l'on a la manie ,
On dit qu'il est fait comme moi.
Quoiqu'il en soit , j'ai sçû me couronner de
gloire ,
En me trouvant toûjours dans les hazards.
Je m'offre aux yeux de toutes parts ;
Et ( ce qu'on aura peine à croîre )
Je ne suis point dans l'eau , dans le feu , dans les
Airs ,
Ni même dans tout l'Univers.
Je vais pourtant, et sans me contredire ,
Vous
738 MERCURE DE FRANCE
Vous dire où l'on peut me trouver ;
C'est toujours avec le Zéphire ,
Au Zodiaque encor ... Fort bien , allez vous dire
Je n'rrai pas vous y chercher.
Par M. V.J. A. L.
SECONDE ENIG ME.
Mon origine est incertaine¸
Mais on me dit communément ,
Ou Chinoise ou Napolitaine.
Je navige très -fréquemment ,
Et l'Empire affreux de Neptune ,
Que mon sexe a tant en horreur,
Ne m'inspire point de terreur ;
Quand l'homme y va chercher fortune ,
Il ne l'entreprend pas sans moi ;
Sans moi , foible est son esperance.
Je possede sa confiance ,
Sans que je devine pourquoi ;
Car chez moi ce n'est qu'inconstance
Que foiblesse et fragilité ;
Souvent une vivacité ,
Qu'on prendroit pour extravagance.
A me consulter empressé ,
Malgré ces deffauts , plus d'un sage ,
A très souvent eu l'avantage ,
De se voir par moi redressé.
P.D. F. de Granville , en Normandie.
>
AVRIL. -1732.
739
V
LOGOGRIPHE.
Ous allez voir à l'instant qui je suis,
Puisque mon gîte est dans la ruë ;
Ma tête à bas , je vous saluë.
Dès que mon chef sera remis ,
Si vous retranchez ma finale ,
Je serai Ville Capitale .
Que ledit membre retranché ,
Soit à present après mon chef niché,
Lecteur , alors je vous suis chose chere.
Qu'en cet état , je sois encor décapité ,
Je soutiens avec verité ,
Qu'au corps humain je suis très necessaire,
SECOND LOGOGRYPHE.
Sept Lettres composent mon nom ;
Je suis d'une obscure naissance ;
Je vis sans gloire et sans renoms
Mais du sein de mon abondance ,
Avec l'aide du chiffre , un Lecteur curieux ,
Pourra facilement tirer des noms fameux .
Cinq , six , un , sept , trois , deux , je passe dans
l'Histoire
Pour un vaillant Héros , plein de force et de
gloire.
Quatre
740 MERCURE DE FRANCE
Quatre , cinq, six et deux , me rendent toûjours
..cher.
Un , trois , quatre , cinq , six , je sers pour le
voyage ;
Mais il faut , pour me voir marcher ,
Ajouter à ma queue un nombre davantage ;
Cinq , trois , sept , six , tantôt je suis vil instru→
ment ,
Et tantôt je reçois le monde poliment.
Mes extrémes coupez , le timide Pilote ,
Craint ma rencontre avec raison.
Mon dernier membre ôté , je fais hater la note.
Quatre , trois , deux , le chien connoît mon son.
Quatre , cinq , trois et un , j'ai l'humeur martiale.
Et je réduis souvent un Guerrier aux abois.
Six et trois , je n'ai que la voix.
Cinq , trois , un , je suis bas , et sens un peu la
Hale.
Quatre , trois , sept et six , le Sexe feminin ,
De moi tire son origine .
Sept , cinq et six , on me prend le matin.
Sous differens états j'habite la Cuisine ;
Quatre , deux , trois et un , d'une étrange ma
niere ,
De m'y prendre on se fait un jeu.
Deux , trois et sept , une maia meurtriere;
M'y fait passer par le fer et le feu.
Retranchant mon membre premier ,
J'accompagne toujours un Evêque à l'Eglise.
Ajoutant
AVRIL.
17327 741
Ajoûtant mon membre dernier ,
A deux , trois , un , je suis utile en marchandise.
Six , un , trois , sept , au Cabaret ,
On me trouve toujours à la fin de la table ,
Deux , trois et sept , je rends un son desagréable.
Je finis ; si tu peux , devine mon secret.
Par un Ecclesiastique de Senlis.
NOUVELLES LITTERAIRES
H
DES BEAUX ARTS , &c.
ISTOIRE ECCLESIASTIQUE , pour servir
de continuation à celle de M. l'Ab.
bé Fleury , Tome 29. depuis l'an 1545.
jusqu'en 1550. et Tome 30. depuis 1550.
jusqu'en 1555. A Paris , che Hyppolite
Louis Guerin , rue S. Jacques.
DISSERTATIONS Sur des Questions qui
naissent de la contrarieté des Loix et
des Coûtumes . Par M. Louis Boullenois
ancien Avocat au Parlement. A Paris ,
che Mesnier, rue S. Severin , 1732. in 4.
de 146. pages.
EXPOSITION ANATOMIQUE de la structure
42 MERCURE DE FRANCE
ture du Corps humain , par M. Winslow,
in 4. un vol. et 5. vol . in 12. Chez Guill
Desprez et Jean Desessarts , ruë S. Jacques
, 1732.
J où HISTOIRE DES FLAGELLANS
l'on fait voir le bon et le mauvais usage
des Flagellations parmi les Chrétiens ;
traduite du Latin de M. l'Abbé Boileau ,
Docteur de Sorbonne , seconde Edition ,
revûë et corrigée . A Paris , chez Musier,
Quay des Augustins , 1732. in 12.
INTRODUCTION GENERALE à l'Etude
des Sciences et des Belles- Lettres , en faveur
des personnes qui ne sçavent que
le
François. A la Haye , chez Isaac Beanregard
, et se vend à Paris , rue S. Jacques,
chez Briasson , 1731. in 12. de près de
700. pages , sans l'Epitre Dédicatoire à
M. Herault , Conseiller d'Etat , la Préface
et la Table.
TRAITE' de la Révocation des Donations
, par la naissance ou survenance des
Enfans . Par M. A..D..L .. R .. Avocat
au Parlement de Provence. A Paris , au
Palais , chez Nic. Gosselin , 1732. in folie
de $7. pages.
CASAVRIL.
17328
743
CASSANDRE , de M. de la Calprenede.
AParis , Quay des Augustins, chez Monalant
, 10..vol. in 12 .
Le même Libraire vient de réimprimer
de même les fameux Romans de Clelie ,
Cyrus , Pharamond , Cléopatre , Astrée, &c.
LE POLITIQUE DON FERDINAND le Catholique
, traduit de l'Espagnol de Baltazar
Gracien , avec des Notes . Chez Rolin
, fils , Quay des Augustins , 1732. in 12.
RETRAITE du P. Salazar , de la Compagnie
de Jesus , 14. Edition . Traduit de
I'Espagnol par le P. Marga , de la même
Compagnie , Missionnaire des Ifles de
P'Amerique. Chez Rollin , 1732. in 12 .
>
VOYAGES en Anglois et en François ,
d'A. de la Motraye , en diverses Provinces
et Places de la Prusse Ducale et
Royale ; de la Russie , de la Pologne ,
&c. Imprimé pour l'Auteur , et se vend
à la Haye, chez Moetjens ; à Londres ,
chez Round et Meighan , &c. 1732. in
folio de 480. pages , sans les Planches.
THEATRO CRITICO UNIVERSAL , ò Discurso
varios en toto genero de Materias para
Desengano de Errores communes , & c. Tome
F Tercero
744 MERCURE DE FRANCE
Tercero , &c. c'est- à - dire : THEATRE CRITIQUE
UNIVERSEL , ou Discours divers sur
toute sorte de sujets , pour désabuser des
Erreurs vulgaires. Dédié au Monastére
Royal de S. Julien de Samos , composé
par le R. P. Benoît- Jérôme Feijoo , Maître
General des Etudes dans l'Ordre de
S. Benoît , et Professeur en Théologie , de
l'Université d'Oviedo.Tome 3.feconde Edition
1. vol. in 4. A Madrid , chez François
del Hierro , 1730. pag. 366. sans la Préface
et la Table.
Cet Ouvrage est déja connu de nos
Lecteurs , par ce qui en a été dit dans le
premier vol , du Mercure de Juin dernier,
à l'égard des deux premiers Tomes. 11
nous reste à rendre compte des deux derniers
, lesquels, comme les précédens , nous
ont été obligeamment communiqués par
M. Boyer , Médecin de la Faculté de
Montpellier et Docteur Regent en celle
de Paris , qui les a apportez de Madrid.
On trouve à la tête de ce 3 Tome une
Epître dédicatoire , adressée au R.P. Abbé
et au Monastere de S. Julien , laquelle
contient l'éloge de ce Royal Monastere
l'un des plus celebres de toute l'Espagne
et des plus privilégiez par le S. Siége , auquel
il est immédiatement soumis et sans
subordination à aucun Métropolitain.
Il
AVRIL 1732 . 745
Il paroît par une Charte de Privilege du
Roy D. Ordon II . de l'année 922. que ce
fut dans cette Maison que le Roy D.Fruela
trouva dequoi former l'éducation du
Prince D. Alonse son Fils , surnommé le
Chaste. L'Auteur de l'Epître n'oublie pas
d'y faire remarquer comme un bonheur
singulier pour ce Monastere , de n'avoir
jamais eu d'Abbé Commandataire : La
singularfelicidal de no haver tenido jamas
Abad Comendatario esse Monasterso , &c.
Trois magnifiques Approbations des
Théologiens d'Oviedo et d'Alcala suivent
cette Dédicace , sans parler de la permission
de l'Ordinaire et de celle du Général
des Bénédictins de la Congrégation de
S.Benoît , établie en Espagne et en Angle
terre.
:: Suit une Préface de plus de 30 pages ,
que notre Auteur a eu raison d'intitulers
Prologo Apologetico ; car il s'y défend avec
force , et dans le détail convenable, contre
quelques Ecrivains de son Païs , qui l'ont
attaqué assez rudement, faute , dit- il, d'a
voir bien entendu ses Ouvrages. Nous ne
le suivrons pas dans cette deffense , qui
roule principalement sur ce que le R. P.
Feijoo a dit au sujet de Savanorole , dans
le 1. vol . du Théatre Critique. On remar
quera seulement qu'il accable ses adver-
Fij saires
MERCURE DE FRANCE
saires de raisons , de preuves et d'autoritez.
;
Treize Discours ou Dissertations , divisées
en plusieurs Paragraphes , font la
matiere de ce troisiéme Tome. Nous en
Indiquerons seulement les Titres. 1. Les
Conjureurs ou Enchanteurs. 2. Les › Secrets
de la Nature. 3. La Sympathie es
l'Antipathie. 4. Les Lutins ou Esprits familliers.
5. La Baguete devinatoire , et les
Yeux de Lynx. 6. Les Miracles supposez..
7. Paradoxes Mathématiques. 8. La Pierre
Philosophale. 9. Le Raisonnement des
Bêtes. 15. L'Amour de la Patrie. 11. La.
Balance d'Astrée , ou la droite Administration
de la Justice. 12. L'Ambition des
Souverains. 13. Le Sceptisme Philosophi
que.
Tous ces Sujets sont parfaitement bien
traitez ; l'ordre et la clarté y accompa
gnent toujours une agréable érudition
et il y a beaucoup à profiter dans cette
lecture, Nous avons traduit le titre Saludadores
, du 1. Discours, par les termes de
Conjureurs ou d'Enchanteurs ; parce qu'en -
general , c'est ce que signifie le nom Espagnol
, quoiqu'il ne s'agisse icy que de
Hydrophobie , ou de la rage , qui inspire
de l'horreur pour l'eau , &c. malgré la
prétention de quelques- uns qui croyent
ан
AVRIL 17320
au contraire , que l'eau est un remede assuré
contre ce mal ; ce que notre Auteur
met au nombre des erreurs vulgaires.
C'est encore s'égarer , selon lui , de croire
qu'il y a des personnes qui ont la vertu
inhérante et particuliere de guérir l'affreuse
maladie dont il s'agit dans cette
Dissertation ; et c'est ces mêmes personnes
qu'il appelle Saludadores .
Le Titre du se Discours est : Vara divinatoriay
Zabories , que nous avons rendu
par la Baguete devinatoire , et les Yeux
de Lynx.
Pour justifier cette derniere expression ,
le Lecteur sçaura que le P. Feijoo , après
avoir expédié tout ce qui regarde la Baguete
devinatoire , qu'il croit chose - tresabusive
, &c. traite aussi d'une espece
d'hommes, parmi les Espagnols , dont on
dit ( a ) que la vûë est si perçante, qu'elle
penetre les corps opaques , et distingue
même ce qui se trouve de caché dans la
terre à une certaine profondeur. Ces Homimes
sont appellez Zabories , nom que
l'Auteur croit avec beaucoup de vraisemblance
, être Arabe d'origine. Il croit
(a ) De quienes se dice que con laperspicacia de
su vista penetran los cuerpos opacos haciendose de
este modo patente quanto à algunas brazas debajo
de laTierra esta ocultos s
Fiij
aussi
748 MERCURE DE FRANCE
aussi que les Espagnols ont reçû cette
opinion, qu'il traite de chimere, des Maures
qui avoient envahi l'Espagne : opinion
qu'il observe ne se trouver répanduë
que chez la Nation Espagnole.
و
Cette croyance est apparemment passée
dans le Portugal par proximité et par
conformité de génie , surquoi nous renvoyons
les Lecteurs à ce que nous avons
publié dans quelques-uns de nos Journaux
, au sujet d'une Femme Portugaise ,
à vûë de Lynx ou Zahorie:
Nous avons remarqué en rendant
compte des deux premiers Tomes de cet
ouvrage , que quelque temps après la publication
du 1. vol . il parut une Critique
de ce que notre Auteur avoit écrit au sujet
de la Medecine et des Medecins. Cette
Critique , écrite en latin , étoit intitulée
Medicina Vindicata. Le P. Feijoo у répondit
dans la même langue , et fit imprimer
sa Réponse dans le 2 Tome , promettant
d'en donner une Traduction Espagnole
dans le Volume suivant . Il a tenu
parole. Le 3 Tome finit par cette Traduction
, intitulée : La Verdad Vindicada
contra la Medecina Vindicada, Respuesta
Apologetica , traducida de Latin en Castellano
, y añadida por el Amor. Nous
n'avons rien à ajouter à l'égard de cette
Piéce
AVRIL. 17320 749
Piece , à ce que nous en avons dit dans le
Mercure du mois de Juin dernier .
Les trois Tomes du Théatre Critique ,
dont nous avons rendu compte , sont suivis
d'un 4 vol . qui porte pour Titre :
ILUSTRACION Apologetica al Primero y segundo
Tomo del Theatrocritico, & c.vol.4.de
207 pages. A Madrid , chez le même Libraire
, 1729.
-
Une Préface de 9 à 10 pag. instruit le
Lecteur de ce qui a donné lieu à la composition
de ce volume particulier , et au
Titre qu'il porte. Voici le précis de cette
instruction. A peine le 3 Tome du Théatre
Critique eût- il été publié , qu'il parût
contre le 1 et 2 vol. un Livre intitulé :
Anti-Theatro Critico , imprimé à Madrid ,
sous le nom de Don Salvador Joseph
Mañer. La premiere pensée qui vint à
notre Auteur , ce fut de répondre à cette
Critique , dès qu'elle lui seroit tombée
entre les mains ; mais il en fut détourné
par quelques amis , qui lui écrivirent de
Madrid , que l'Antithéatre n'étoit qu'un
amas d'inepties , de puerilitez , d'équivoques
, d'ignorances , en un mot , d'im .
pertinences ( a ) ; conseillant aur P.F. de ne
point perdre un temps , trop précieux
(2 ) Materialidades impertinentės.
Fiiij d'ail750
MERCURE DE FRANCE
d'ailleurs , pour la continuation de son
grand ouvrage , à réfuter un pareil Libelle
; l'Adversaire ne s'étant apparemment
mis en campagne que , pour se procurer
l'honneur d'une réponse , & c.
D'ailleurs , le sçavant Benedictin crût
voir un nom supposé dans celui de Don
Joseph Mañer , ses amis ne connoissant
personne à la Cour , ni ailleurs , qui porte
ce nom - là . D'autres lui manderent que
l'Anti -Théatre étoit l'ouvrage de huit
Ecrivains , du nombre desquels est ce Don
Mañer , veritable ou supposé , lui marquant
même la Maison où ces Mrs s'assemblent
et tiennent leurs Conferences
litteraires au surplus , que cette ' Critique
ne méritoit aucune réponse.
Cependant des avis posterieurs apprirent
à notre Auteur que l'Ouvrage de Don
Mañer étoit applaudi à la Cour et ailleurs ,
et que ceux à qui il étoit tombé en charge
de l'examiner , l'avoient loüé dans leurs
Approbations ; malgré le peu de cas qu'en
faisoient les Personnes intelligentes .Alors
le P. F. prit le sage parti d'attendre la reception
de cet Ouvrage , et de l'examiner
par lui- même, pour se déterminer en connoissance
de cause. Son étonnement ne
fût pas petit après avoir fait cet examen ,
qui lui confirma ce qu'on lui avoit déja
marAVRIL
751 1732
marqué du
en question .
peu
de mérite de l'Ouvrage
Il fut , surtout , frapé de s'y voir accusé
d'avoir emprunté de D. Antoine de Literes
tout ce qui est dit de la Musique et
du Docteur Martinez , tout ce qui concerne
la Médecine dans le 1 vol . du Théatre
Critique ; ce que notre Auteur soutient
non seulement être tres - faux , mais
il démontre , en passant , dans cette Préface,
la fausseté de l'accusation . Au reste ,
après avoir fait réfléxion que le Théatre
Critique n'a été entrepris que pour com
battre les erreurs vulgaires , et pour en
désabuser les hommes , il a crû enfin que
ce seroit mal -exécuter un tel projet s'il ne
faisoit pas une Réponse exacte et dans
l'étendue convenable à l'Auteur de l'Anti-
Théatre, qui semble n'avoir mis la main
à la plume que pour se déclarer le Pros
tecteur des mêmes erreurs , et pour maintenir
le vulgaire dans son ancienne possession
; outre que cette Apologie , dit le
P. F. sera non seulement une deffense pu
blique contre les prétentions fausses et
abusives du Seigneur Mañer; mais elle
pourra devenir aussi un préservatif qui
empêchera peut- être la continuation d'un
pareil travail.
Le fruit de ce travail est icy appellé par
Fv Botrs
752 MERCURE DE FRANCE
notre Auteur un jeu de Théatre, une Chimere
Critique , une Comédie de 8 Acteurs
, une illusion des simples , un marché
de petits enfans , une fabrique en
l'air , sans fondement , sans vérité , sans
raison. Il proteste enfin qu'au cas que le
même Ecrivain ou d'autres , continuent
d'attaquer le Théatre Critique , il continuera
tranquillement son ouvrage , sans daigner
répondre à des objections aussi frivoles
que celles qui ont paru jusqu'icy.
1.
Cette Apologie est dédiée par une belle
Epître , au R. P. François de Berganza ,
General de la Congrégation de saint
Benoît , établie en Espagne et en Angle
terre. La Dédicace est suivie de plusieurs
Approbations raisonnées et remplies d'érudition
, qui font également honneur
aux Docteurs qui les ont données , et à
l'Ouvrage qui en fait le sujet , et qui sans
doute les mérite bien.
BIBLIOTHEQUE , contenant presque tous
les Livres et les Ecrivains , dressée par ordre
alphabétique , depuis le commencement
du monde , jusqu'en l'année 1533 .
Recueillie par F. Alphonse Ciaconius
Docteur en Théologie , de l'Ordre des
FF . Précheurs , imprimé pour la premiere
fois par les soins et avec les Observations
de
AVRIL.
1732. 753
de François - Denis Camusat de Besançon .
A Paris , chez la veuve George Jouvenel
1731. in fol . de 976 pag. Tout l'Ouvrage
est en latin.
MYTHOLOGIE , Ou l'Histoire des Dieux,
des Demi - Dieux et des plus illustres Héros
de l'Antiquité Payenne , contenant
l'explication de la Fable et de la Métamorphose
, avec la Relation de la destruction
de Troye . Par Darés Phrigien , nouvellement
traduite en François , sur la traduction
latine de Cornelius Nepos. Par M.
Dupuy , 2 vol. in 12. A Paris , rue S.Facques
, chez Huart l'aîné.
Ce nouveau Mythologue avertit dans
une assez longue Préface , qu'il rapporte
tous les sentimens des Poëtes Grecs et Latins
sur la naissance des Dieux et des Hê-
7
ros , et sur leursavantures , sans s'ériger eh
Juge de ces Auteurs.
Les Moralitez qu'il débite , en expliquant
la Fable, paroissent sensées.Phaeton ,
fils du Soleil , est , dit-il , l'image d'un
jeune Seigneur , témeraire et ambitieux ,
à qui le désir de regner , fait concevoir
une vaine idée de suffisance pour gouverner
un Etat , et qui fait pour cela tout
ses efforts , nonobstant les sages remontrances
de son Pere , qui lui représente le
F vj péril
754 MERCURE DE FRANCE
péril , et sa foiblesse , d'ailleurs trop iné
gal au pésant fardeau dont il veut se charger;
il dit, l'ambition ne suffit pas pourentreprendre
de regner,qu'il faut une longue
expérience pour sçavoir gouverner un
Etat,que faute de bien mesurer ses forces,
on perd la réputation , et on s'ensevelit enfin
dans les ruines d'une trop haute entreprise.
Les véritez historiques qu'il tire de son
sujet , ne sont pas à ometre : Il remarque
Phaeton fut un Prince de Ligurie , qui
que
s'appliqua à étudier particulierement le
cours du Soleil ; que de son temps l'Italie
fut embrasée du côté du Pô , de chaleurs
si extraordinaires, que la terre en devint
séche et stérile pendant plusieurs années.
Pour prouver que les Fables , le Culte ,
et les Mysteres du Paganisme , sont des
copies des Histoires , des Usages et des
Traditions des Hébreux , il compare le
Sacrifice d'Iphigénie avec celui de la Fille
de Jephté; l'Inondation arrivée sous Deu
calion avec le Déluge universel de Noé ;
Hercule avec Samson , & c..
Il décrit ensuite l'origine des Jeux , des
Fêtes et des Sacrifices, instituez en l'honneur
des Faux - Dieux .
Il rapporte tous les differens noms.que
les Payens leur donnoient. Il joint au
même
AVRIL 1732.
755
même article les Etimologies de ces noms,
ce qui peut être fort utile à ceux qui lisent
les Poëtes Grecs , Latins et François ,
&c.
Il nomme les Paï's où les différentes Divinitez
ont été le plus honorées. Il paroit
que l'Auteur a employé tous ses soins
pour plaire au Public ; on assure même
qu'il les continue , et qu'il veut augmen
ter son ouvrage de plusieurs Divinitez
qui y manquent ; en ajoutant quelques
Traitez également curieux et instructifs.
LETTRES EDIFIANTES ET CURIEUSES
écrites des Missions Etrangeres, par quelques
Missionnaires de la Compagnie de
Jesus . 4. Paris , rue de A la Vieille Bouclerie,
et rue S. Jacques , chez M. le Clerc et P. G
Mercier, fils , 1731. in. 12. de 449 pages
sans l'Epître de 48. Tome XX,
BIBLIOTHEQUE des Gens de Cour , ou
Mélange curieux des bons mots d'Henry
IV. de Louis XIV. de plusieurs Princes et
Seigneurs de la Cour , et autres person
nes Illustres. Avec un choix des bons mots
des Anciens , et un assemblage amusant
de traits naifs , Gascons et Comiques , de
plusieurs petites Pieces de Poésie et de
pensées ingénieuses , propres à orner l'esprit
756 MERCURE DE FRANCE
prit et à le remplir d'idées vives et riantes.
Dédié à S. A. S. Madame la Duchesse ;
nouvelle Edition , considerablement augmentée.
A Paris , chez Theod. le Gras
au Palais , 1732. 6 vol.in 12 .
LES ORAISONS DE CICERON , traduites en
François , sur la nouvelle édition d'Hollande
, de 1724. avec des Remarques . Par
M. de Villefort. A Paris , Quai des Augustins
, chez P. Gandoüin. 1732. 8 vol. in
12.
M. l'Evêque de Luçon , ( Michel Celse
Roger de Rabutin de Bussy ) , ayant été
élu
par Messieurs de l'Académie Françoise
, à la place de feu M. Houdar de la
Motte ; y prit séance le Jeudi , 6 Mars
1732 , et prononça un Discours de remerciment
, également convenable à sa dignité
et à sa naissance ; un Discours dont le
caractére est une Eloquencé grave , noble
et simple. Ce Discours , quoique prononcé
avec beaucoup de grace ,
fit moins de
plaisir aux Auditeurs , qu'il n'en a fait depuis
aux Lecteurs . C'est le sort des Ouvrages
excellens qui gagnent toujours à
être approfondis. La mesure d'attention
que peut donner l'Auditeur , ne suffit
pas pour sentir dans toute leur étendue
J
les.
'AVRIL. 797 1732.
que
les beautez d'un certain ordre . M. l'Evêde
Luçon commence en ces termes :
MESSIEURS ,
Ce n'est point avec des sentimens ordinaires
que je reçois l'honneur que vous
me faites aujourd'hui. Attentif , dès mon
enfance , au récit de vos exercices , accoutumé
à entendre exalter vos talens , né
dans une Maison où je croyois partager
vos avantages et votre gloire : Disciple de
ces Hommes celebres, qui formoient alors
l'Académie ; je n'ai jamais pensé que je
fusse étranger pour vous ; et quoique persuadé
de mon insuffisance , je me suis fa
miliarisé avec l'idée , que je pourrois vous
appartenir quelque jour . Souffrez donc
Messieurs , que sans rien perdre de l'admiration
que vous méritez , j'ose me présenter
à Vous , avec la confiance d'un
homme.élevé sous vos auspices.
·
1
Ensuite M. l'Evêque de Luçon , par un
tour très heureux , fait l'éloge du Cardinal
de Richelieu , comme d'après les
Grands Hommes qui l'ont souvent entretenu
des qualitez éminentes de ce fameux
Ministre et des merveilles de son
Ministere. Il saisit la circonstance de le
compter au nombre de ses Prédécesseurs
dans l'Evêché de Luçon , et le loue, comme
758 MERCURE DE FRANCE
me Evêque , après l'avoir loué comme
Ministre d'Etat.
Deux Monumens immortaliseront à jamais
le C. de R. La Sorbonne et l'Académie.
La Sorbonne , qui sera toujours la
Mere et la Maîtresse des Forts d'Israel ; la
Dépositaire fidelle de la saine Doctrine.
L'Académie Françoise , destinée , non à
L'unique emploi de polir le Langage , mais encore
à former le goût en tout genre de Litterature.
Tels furent , Messieurs , continue l'élo
quent Prélat, les nobles Emplois que vous ·
destina votre illustre Fondateur. Il voyoit
approcher les temps où vous deveniez
plus necessaires à la France ; il présageoit
les merveilles du Regne suivant , parce
qu'il les avoit préparées. il falloit donc
une Société d'Hommes choisis pour les
recueillir ; il falloit une juste proportion
entre ces merveilles et ceux qui devoient
les célébrer ; il falloit pour un nouvel Au
guste , des Ecrivains dignes du siécle
d'Auguste même.
Vous l'avez fait revivre , Messieurs , ce
siécle admirable . Eh ! qui pourroit exprimer
aujourd'hui ce que la France vousdoit
d'éclat et de splendeur. Je ne parle pas
seulement de ces Ouvrages comparables à
ceux de la Grece et de l'ancienne Rome ,
mais
AVRIL. 1732: 759
mais encore de ce nombre infini de grandes
actions , que nous devons au désir de
l'Immortalité , dont vous êtes les dispensateurs.
Semblables à ce fameux Tribunal
des Egyptiens , où la vie des Princes mêmes
étoit jugée après leur mort ; c'est
vous qui pesez les actions des plus grands
personages ; c'est icy que le vrai merite
peut esperer le juste tribut qui lui est dû.
Noms celebres , réputations éclatantes
vous n'auriez jamais été sans l'amour de
la gloire. C'est cet amour qui a produit
les Héros ; et à la honte de la Nature hu
maine , c'est à ce même amour que la vertu
est souvent redevable de ses plus grands
efforts .
A la fin de l'éloge du feu Roy , M. de
Luçon parle de sa mort en ces termes :
Courageux sans ostentation , tendre sans
foiblesse ; il fut occupé , comme Roy et
comme Pere , à préparer à ses sujets un
Regne qui , avec les avantages du sien
eut encore ceux ausquels il n'avoit pû
parvenir. Bien éloigné de cet Empereur
qui se ménagea le plaisir barbare de se
faire regretter par les défauts de son successeur,
il ne fut point jaloux qu'un autre
rendit ses peuples plus heureux . Assuré
d'être à jamais célébré dans une Nation
qu'il avoit élevée au dessus des autres ; il
n'en760
MERCURE DE FRANCE
n'envia point à son successeur le bonheur
de la faire jouir de toutes les douceurs de
la paix. Dans ces derniers momens , où
l'on voit si nettement le faux des opinions
des hommes , il connut que la
Guerre ne peut passer aux yeux du Sage
que pour un mal quelquefois nécessaire ,
et que la paix qui en doit étre l'unique
objet , est presque toujours trop achetée ,
même par
la Guerre la plus heureuse .
Cependant vous n'étiez encore qu'un
bien stérile pour nous , poursuit l'Orateur
plus bas , en parlant du Roy , et de
Louis XIV. Si ce grand Roy , qui connoissoit
si parfaitement les talens necessaires
à chaque place , n'avoit choisi le Ministre
le plus digne pour être le dépositaire
de l'éducation de cet Auguste Enfant
, de ce gage précieux de la sureté de
toutes les Nations. Que ne devient point
le plus heureux naturel , cultivé par des
mains si habiles ? De là , toutes ces vertus
, qui font aujourd'hui le bonheur de
la France ; cette piété tendre et égale , dont
l'exemple a plus de force que les Loix :
une justice qui garentit les Sujets de toutes
oppression. De - là , cette Sagesse qui
contient les hommes , et cette douceur
qui les concilie ; enfin cette modération
qui fait l'assurance de nos voisins , et la
tranquillité de l'Europe,
Quelle
AVRIL 1732. 761
Quelle entreprise pour moi , ( dit M.de
Luçon sur la fin de son Discours , en parlant
de M. de la Motte ) que l'éloge d'un
homme de tous les talens , et à qui ses
ennemis , ou plutôt ses envieux , ne refuseront
pas l'excellence en plusieurs genres
, et des places honorables en tous les
autres. Content de jetter quelques fleurs
sur son Tombeau , je ne m'attacherai
donc qu'à vous rappeller ici les qualitez
estimables qu'il possedoit..
Avant lui peu d'Auteurs avoient connu
la moderation et la douceur dans la
dispute. On voyoit souvent l'homme de
Lettre écrire avec grossiereté , le Philosophe
avec emportement , le Chrétien
même , en combattant pour la Religion ,
oublier la charité. M. de la Motte , Maître
en cet Art presque inconnu , nous
apprit que dans les disputes les plus vives,
on peut conserver toute la grace et toute
la moderation d'un homme du monde.
Dans cette fameuse querelle , où il
entreprit d'élever les Modernes au - dessus
des Anciens , s'il ne remporta pas la victoire
, du moins un jour ses Ouvrages devenus
anciens , serviront à leur tour de
preuves à ceux qui soutiendront l'opinion
contraire à la sienne. Jamais la force de
ses raisons ne prit rien sur la politesse
qui
762 MERCURE DE FRANCE
qui les accompagnoit , son Adversaire négligea
cet avantage et si leur cause avoit
été jugée sur leur maniere d'écrire , elle
ne seroit pas restée indécise , &c.
Après le Discours de M. l'Evêque de
Luçon , M. de Fontenelle , Directeur , répondit
au nom de l'Académie.
MONSIEUR ,
Il arrive quelquefois que sans examiner
les motifs de notre conduite , on nous
accuse d'avoir dans nos Elections beaucoup
d'égard aux noms et aux dignitez ,
et de songer du moins autant à décorer
notre Liste , qu'à fortifier solidement la
Compagnie. Aujourd'hui nous n'avons
point cette injuste accusation à craindre ;
il est vrai que vous portez un beau nom,
il est vrai que vous êtes revêtu d'une
dignité respectable ; on ne nous reprochera
cependant ni l'un ni l'autre. Le
nom vous donneroit presque un droit
hereditaire , la dignité vous a donné lieu
de fournir vos veritables titres , ces Ouvrages
où vous avez traité des matieres
qui , très-épineuses par elles- mêmes , le
sont devenues encore davantage par les
circonstances présentes , &c.
t
3
Ici , Monsieur , je ne puis resister à la
vanité de dire que vous n'avez pas dédaigné
AVRIL. 1732 . 75.3
gné de m'admettre au plaisir que votre ›
commerce faisoit à un nombre de personnes
mieux choisies, et je rendrois graces
avec beaucoup de joye au sort qui m'a
place de vous en marquer publiquement
ma reconnoissance , si ce même
sort ne me chargeoit aussi d'une autre
fonction très- douloureuse et très pénible.
Il faut que je parle de votre illustre Prédecesseur
, d'un ami qui m'étoit extrémement
cher , et que j'ai perdu ; il faut que
j'en parle , que j'appuye sur tout ce qui
cause mes regrets , et que je mette du
soin à rendre la playe de mon coeur encore
plus profonde . Je conviens qu'il y
a toujours un certain plaisir à dire ce
que
que l'on sent , mais il faudroit le dire
dans cette Assemblée d'une maniere digne
d'elle et digne du sujet , et c'est à quoi
je ne crols pas pouvoir suffire , quelque
aidé que je sois par un tendre souvenir,
par ma douleur même , et par mon zele
pour la memoire de mon ami.
Le plus souvent on est étrangement
borné par la Nature. On ne sera qu'un.
bon Poëte , c'est être déja assez réduit ,
mais de plus on ne le sera que dans un
certain genre ; la Chanson même en est
un où on peut se trouver renfermé. M. de
la . Motre a traité presque tous les genres
de
764 MERCURE DE FRANCE
de Poësie. L'Ode étoit assez oubliée de
puis Malherbe , l'élevation qu'elle demande,
les contraintes particulieres qu'elle
impose , avoient causé sa disgrace
quand un jeune Inconnu parut subitement
avec des Odes à la main , dont plusieurs
étoient des Chef- d'oeuvres , et les
plus foibles avoient de grandes beautez.
Pindare , dans les siennes , est toujours
Pindare , Anacreon toujours Anacreon
et ils sont tous deux très - opposez . M. de
la Motte , après avoir commencé
par être
Pindare , sçut devenir Anacreon .
Il passa au Théatre Tragique , et il y
fut universellement applaudi dans trois
Pieces de caracteres differens . Les Machas
bées ont le sublime et le majestueux qu'exige
une Religion divine ; Romulus réprésente
la grandeur Romaine , naissante
et mêlée de quelque ferocité ; Inés de
Castro , exprime les sentimens les plus
tendres , les plus touchans , les plus adroitement
puisez dans le sein de la Nature.
Aussi l'Histoire du Théatre n'a - t'elle
point d'exemple d'un succès pareil à celui
d'Inés. C'en est un grand pour une Piece
que d'avoir attiré une fois chacun de ceux
qui vont aux Spectacles ; Inés n'a peutêtre
pas eu un seul Spectateur qui ne l'ait
été qu'une fois . Le desir de la voir renaissoit
après la curiosité satisfaite.
AVRIL 1732 765
Un autre Théatre a encore plus souvent
occupé le même Auteur , c'est celui
où la Musique , s'unissant à la Poësie , la
pare quelquefois et la tient toujours dans
un rigoureux esclavage. De grands Poëtes
ont fierement méprisé ce genre , dont
leur génie trop roide et trop flexible , les
excluoit ; et quand ils ont voulu prouver
que leur mépris ne venoit pas d'incapacité
, ils n'ont fait que prouver par des
efforts malheureux , que c'est un genre
très - difficile . M. de la Motte eût été aussi
en droit de le mépriser ; mais il a fait
mieux , il y a beaucoup reüssi , & c .
Lorsque ses premiers Ouvrages parurent
, il n'avoit point passé par de foibles
Essais , propres seulement à donner des
esperances , on n'étoit point averti , et
on n'eut point le loisir de se précautionner
contre l'admiration , mais dans la
suite on se tint sur ses gardes , on l'attendoit
avec une indisposition secrette
contre lui. Il en eût coûté trop d'estime
pour lui rendre une justice entiere. Il fit
une Iliade , en suivant seulement le plan
general d'Homere , et on trouva mauvais
qu'il touchât au divin Homere sans l'adorer.
Il donna un Recueil de Fables ,
dont il avoit inventé la plupart des sujets
, et on demanda pourquoi il faisoit
des
66 MERCURE DE FRANCE
des Fables après la Fontaine. Sur ces raisons
on prit la résolution de ne lire ni
I'lliade , ni les Fables , et de les condamner
, & c.
Il n'a manqué , poursuit plus bas le célébre
Académicien , à un Poëte si universel
, qu'un seul genre , la Satyre , et il
est plus glorieux pour lui qu'elle lui manque
, qu'il ne l'est d'avoir eu tout les
autres genres à sa disposition.
Malgré tout cela , M. de la M. n'étoit
pas Poëte ( ont dit quelques - uns , et mille
echos l'ont repeté, ) Ce n'étoit point un
enthousiasme involontaire qui le saisît ,
une fureur divine qui l'agitât , c'étoit seulement
une volonté de faire des Vers qu'il
executoit , parce qu'il avoit beaucoup
d'esprit. Quoi ce qu'il y aura de plus
estimable en nous , sera- ce donc ce qui
dépendra le moins de nous , ce qui agira
le plus en nous , sans nous - mêmes ? ce
qui aura le plus de conformité avec l'instinct
des animaux? car cet enthousiasme ,
cette fureur bien expliquez , se réduiront
à de veritables instincts, & c.
Après avoir parlé éloquemment sur
cette foule de Censeurs que son mérite
lui avoit faits , et dont les coups partoient
de trop bas pour aller jusqu'à lui,
dit M. de Fontenelle , il continuë en cette
maniere. Quand
AVRIL. 1732. 767
Quand on a été le plus avare de louanges
sur son sujet , on lui a accordé un ,
premier rang dans la Prose , pour se dispenser
de lui en donner un pareil dans
la Poësie ; et le moyen qu'il n'eût pas excellé
en Prose ! lui , qui avec un esprit
• nourri de refléxions , plein d'idées bien
saines et bien ordonnées , avoit une force,
une noblesse et une élegance singuliere
d'expression , même dans son discours
ordinaire.
1
Cependant cette beauté d'expression ,
ces refléxions , ces idées , il ne les devoit
presque qu'à lui - même. Privé dès sa jeunesse
de l'usage de ses yeux et de ses jambes
, il n'avoit pû guere profiter ni du
grand commerce du monde , ni du secours
des Livres. Il ne se servoit que des
yeux d'un Neveu , dont les soins constans
et perpetuels pendant 24. années qu'il
a entierement sacrifiées à son Oncle , méritent
l'estime , et en quelque sorte la reconnoissance
de tous ceux qui aiment les
Lettres , ou qui sont sensibles à l'agréa
ble Spectacle que donnent des devoirs d'amitié
bien remplis . Ce qu'on peut se faire,
lire , ne va pas foin ; et M. de la Motte
étoit donc bien éloigné d'être sçavants
Mais sa gloire en redouble. Il seroit luimême
dans la dispute des Anciens et des
G Mo768
MERCURE DE FRANCE
Modernes , un assez fort argument contre
l'indispensable necessité dont on prétend
que soit la grande connoissance des Anciens,
si ce n'est qu'on pourroit fort légi
timement répondre qu'un homme si rare
ne tire pas à conséquence.
Nous esperons que nos Lecteurs ne desapprouveront
pas la longueur de ces Extraits
ou plutôt nous nous flattens qu'ils nous en
sçauront gré.Nous finirons par cet Article.
Un des plus celebres incidens de la
querelle sur Homere , fut celui où l'on
vit paroître dans la lice , d'un côté le
Sçavoir , sous la figure d'une Dame illustre
; de l'autre l'Esprit , je ne veux pas
dire la Raison , car je ne pétens point
toucher au fond de la dispute , mais seulement
à la maniere dont elle fut traitée.
En vain le Sçavoir voulut se contraindre
à quelques dehors de moderation dont
notre siecle impose la nécessité , il retomba
malgré lui dans son ancien stile , et
laissa échapper de l'aigreur , de la hauteur
et de l'emportement. L'Esprit au
-contraire fut doux , modeste , tranquille
même enjoi é , toûjours respectueux pour
le venerable Sçavoir , et encore plus pour
celle qui le représentoit.Si M.de la Morte
eût par art le ton qu'il prit , il eût fait
un Chef d'oeuvre d'habileté ; mais les effets
AVRIL. 17320 789
7 forts de l'Art ne vont pas si loin , et
son caractere naturel eut beaucoup de
part à la victoire complette qu'il rem
porta.
LA SOIRE'E DU LABYRINTE , Débauche
d'Esprit , suivie du Portefeuille Galant
, avec figures. Cet Ouvrage est composé
d'Histoires et Lettres critiques , mêlées
de Vers . A Paris , chez Charles Guillaume
Quay des Augustins , proche le Pont
S Michel, à S. Charles , et chez la veuve
Guillaume , à l'entrée de la rue Dauphine ,
au Nom de Jesus .
HYACINTE , ou le Marquis de Celtas
Dirorgo , Histoire Espagnole . 2. vol . in
12. o née de figures. Chez les mêmes.··
.
DISSERTATION CRITIQUE Sur la Comédie
du Glorieux . Chez les mêmes.
M. Aubert a fait paroître depuis peu sa quatriéme
Suite de Concerts de Symphonie en Trio,
qui a un très gran i succès, Ón la vend 3 livres
2. sols , chez l'Auteur , rue S. Honoré , vis - avis
la rue de Grenelle ; à la Regle d'Or , et à la
Croix d'or , rue S Honoré et ruë du Roule , ou
l'on trouve tous les Ouvrages de l'Auteur.
On a obmis dans les précedens Mercures de
faire mention du Volume contenant la Ceremonie,
en Estampes , du Sacre du Roy , qui ut pré-
Gijsenté
770 MERCURE DE FRANCE
1
senté à Sa Majesté le Lundi 24. Decembre der
nier , par le Duc de Trême , premier Gentilhom.
me de la Chambre , suivi de M. Dulin , Peintre
ordinaire du Roy et de l'Académie Royale de
Peinture , fequel en a fait les Desseins , d'après
lesquels 18. des meilleurs Graveurs de la même
Académie, ont travaillé. Ce Volume in folio , sur
du papier grand Aigle , représente les principaux
momens de l'Auguste Ceremonie du Sacre , tant
par les grandes Planches , que par les Lettres
Grises ; il a été enrichi de Sujets allegoriques et
de Devises qui répondent aux Momens histori
ques. Et comme dans ces Momens historiques les
figures sont petites par rapport à leur multitude
de sieur Dulin a aussi dessiné 30. figures particu
lieres , de grandeur à pouvoir caracteriser tous
les differents habillemems que les Seigneurs,
Grands-Officiers et autres , portent dans leurs
fonctions , à cette Royale Céremonie.
Le Frontispice annonce le sujet du Volume ;
et tous les Discours qui expliquent chaque Estampe
, ainsi que la Dédicace et l'Avertissement
sont renfermez dans des Bordures symboliques
très- riches et toutes differentes. L'Avertissement
qui est à la tête du Recueil , rend compte de la
maniere dont l'Ouvrage a été conduit."
Il paroît une seconde Estampe du Portrait de
Ja Dlle Dangeville , dont le Public aura lieu d'ê
are plus satisfait que de la premiere.
Ce n'est pas sans fondement que le Public
avoit bien auguré de la capacité du sieur Grégoire
, sur les Tableaux de la Croisée de Notre-
Dame , qui viennent d'être posez , après avoir vû
de quelle maniere il s'étoit tiré de ceux de da ?
Nef
AVRÍL. 1732.® 771
Nef, applaudis universellement par tous les Con
noisseurs.On peut même dire qu'il a été au - delà de
ce qu'on pouvoit attendre de lui , principalement
sur les Tableaux de Mr le Brun , et sur ceux de
Mrs Corneille , Höüasse et Jouvenet , parce qu'ils
avoient été si fort gâtez par de mauvaises drogues
, qu'on avoit perdu toute esperance d'en
pouvoir jamais appercevoir aucun vestige ; d'autant
que jamais personne n'avoit osé se hazarder
d'y retoucher , et qu'on les regardoit comme Ta
bleaux abandonnez et perdus.
Cependant le sieur Grégoire , Eleve de M.Restout
, dont on a parle à ce sujet dans le Mercure
de Janvier dernier , page 177. par un secret particulier
qu'il a trouvé , vient de les rétablir entierement
, et leur a rendu leur ancien lustre , en³
les rendant tels qu'ils sortirent jadis des main's
de leurs celebres Auteurs.
Si le Public ne se lasse point d'admirer et d'ap
plaudir un Ouvrage regardé de tout le monde
comme une espece de Chef-d'oeuvre , il a cela de
commun avec presque toute l'Académie Royale
de Peinture , puisque M. de Boullogne , premier
Peintre du Roy et Directeur de l'Académie , en a
été le premier surpris , et n'a pû lui refuser ses
suffrages , ainsi que Mrs Vancleve , de Largilliere,
Halle , Rigaud , Christophle , Restout , &c. qui
tous ont applaudi et loué le talent du sieur Grégoire
sur le rétablissement de ces magnifiques
Tableaux.
Au reste , le sieur Grégoire réussit également
sur tous les Tableaux de Cabinet , tant grands
que petits , quelques gâtez , défiguréz et troüez
qu'ils puiseent être. Sa demeure est Parvis de
Notre- Dame , à Paris , du côté de la grande Porte
du Cloître , entre un Notaire et un Perruquier.
G iij
LETTRE
772 MERCURE DE FRANCE
LETTRE écrite à l'Académie Royale
de Peinture et de Sculpture , par M.Van-
Schuppen , Peintre du Roy , et Conseiller
de la même Académie au sujet de l'Académie
Impériale de Peinture et de Sculpti-·
re , de laquelle il est Directeur.
MESSIEURS ,
L'honneur que j'ai d'être Membre de votre it
lustre Académie , me fait un devoir de vous informer
de l'avancement de celle de Vienne . J'ai
été exact à vous apprendre que S. M. I. dans la
vue de contribuer au progrès des Arts Liberaux ,
ayant résolu de rétablir l'Académie publique de
Peinture et de Sculpture , telle qu'elle étoit du
temps de l'Empereur Joseph , m'avoit honoré de
la place de Directeur , avec les attributions des
Privileges, Prérogativés et Immunitez y annexés .
J'ai depuis conduit cette Académie avec succès;
mais elle n'avoit point encore de forme et manquoit
de bien des choses. Cependant l'Empereur
qui aime les Beaux - Arts et qui en connoît l'agrément
et l'utilité , s'en étant déclaré le Protecteur
, j'ai fait de très humbles remontrances pour
obtenir un Logement et des augmentations qui
m'ont été accordés. L'Académie occupe présentement
une maison convenable , qu'il m'a été
permis de choisir dans le plus beau quartier de la
Ville , et pour laquelle on paye cinq mille livres ;
elle en a autant pour son entretien , avec quarante
voyes de bois pour le chauffage ; ensorte que
la dépense de notre Académie passe quatorze
mille
NERVA
AVC
mille
AVRIL. 1732 . 773
mille francs , sans comprendre les appointemens
du Directeur , qui ont été augmentés jusqu'a cinq
mille livres , non - plus que ceux du Secretaire ,
qui sont aujourd'hui de dix - huit cens livres. Ita
aussi été frappé des Médailles pour les Prix ,
elles ont d'un côté la tête de l'Empereur , avec
cette Legende , IMP . CAES. CAROLUS VI. P. FEL.
AUG. PATER. ARTIUM. et au Revers , Minerve
assise , tenant une Corne d'abondance , d'où il
sort des Médailles pour récompenser la Peinture
et la Sculpture , désignées par deux Enfans , dont
Pun tient des Pinceaux avec une Palette , et lautre
un Compas , mesurant une Statue , on lit
autour AUGUSTA DONA MINERVA. En voici
l'empreinte en taille- douce.
La premiere distribution de ces Médailles , an
nombre de quatre ; sçavoir , deux d'or et deux
d'argent , se fit publiquement le jour de l'Octave
de S. Charles , Patron de l'Empereur , au bruit
des Trompettes et des Timbales. L'Assemblée
fut très- nombreuse , notre Vice- Protecteur M. le
Comte d'Althan , Sur- Intendant des Bâtimens ,
et M. le Comte de Sinzendorff , Grand Chancelier
, s'y trouverent avec les Ministres et les personnes
les plus considerables de la Cour. L'Empereur
a voulu voir les Ouvrages de Peinture et
de Sculpture qui ont remporté ces Prix , et j'ai
eu l'honneur de présenter à S. M. 1. les Eleves
qui les ont faits.
Je vous dois , Messieurs , ce détail , puisque
c'est dans votre sçavante Ecole que j'ai puisé les
Principes de la Peinture , et que c'est l'honneur
d'être d'une Académie aussi celebre , qui m'a fait
connoître à la Cour de Vienne, et qui m'a procuré
la Direction de la nouvelle Académie Imperiale
de Peinture et de Sculpture . Je vous de-
Giiij mande
774 MERCURE DE FRANCE
mande la continuation de votre affection , et j'espere
que vous voudrez bien me l'accorder , personne
n'étant avec plus de respect et de veneration,
Messieurs, Votre très-humble et très- obéissant
serviteur , J. VAN- SCHUPPEN.
A Vienne le 9. de Janvier 1732.
Le 15. du mois dernier , M. l'Abbé Terrasson;
de l'Académie Royale des Sciences , fut élu par
l'Académie Françoise , pour remplir la place vacante
par la mort du Comte de Morville.
M. de la Nauze , de l'Académie Royale des
Inscriptions et Belles- Lettres , a été élû depuis
peu Membre de la Societé Royale de Londres.
On écrit de Luxembourg , qu'on a découvert
depuis peu aux environs de cette Ville , une Mine
d'Antimoine , aussi bon que celui qu'on tire de
Hongrie , qui a toûjours passé pour le meilleurs
il est , comme on sçait , d'un rouge obscur , et a
ses veines fort longues et fort huisantes.
On mande de Petersbourg , que la Czarine alla
au commencement du mois dernier , voir dans le
Jardin de l'Académie des Sciences de cette Ville ,
les nouvelles Plantes des Pays Etrangers qu'on y
cultive, et cette Princesse eut le plaisir d'y cueillir
elle-même deuxÀnanas dans leur parfaite maturité
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX***X*
CHANSON.
LE jour que mon Iris me rangea sous ses Loix,
Le verre en main, Dieux ! qu'elle étoit brillante ;
Bacchus
THE NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX TILDEN
FOUNDATIONS
.
I
I
Bacchus
AVRIL
1732. 775
L'Amour , par sa Liqueur charmanté ,
Bacchus,t'avoit servi bien plus que ton Carquois.
D'un vainqueur entre vous , je n'ose faire choix ”, ›
Mais d'une ame reconnoissante ,
Depuis ce temps j'aime et je bois .
M. D. L. F.
****:**** ***:****
SPECT À CLE S.
' Amais le goût, pour la déclamation et
les, réprésentions Théatrales n'a été .
si fort ni si général , non seulement en
France , mais dans les Païs Etrangers. A
Paris et dans quelques belles Maisons de
Campagne des environs , on compte plus
de cinquante Théatres , fort bien ajustez
et ornez proprement , où des Sociétez
particulieres se font un plaisir de joüer´
des Piéces Tragiques et Comiques , avec
beaucoup d'intelligence et de finesse ; et
les gens de la premiere qualité s'en mêlent
comme les Bourgeois. Quelqués sujets
de l'un et de l'autre sexe , brillent part
de tres-heureux talens , et s'attirent des
applaudissemens bien meriteż ; une jeune
personne sur tout , du quartier du Lu--
xembourg , joue plusieurs Rôles avec
4
2
Gy tout
776 MERCURE DE FRANCE
tout le naturel , les graces et la noblesse
possible.
En Allemagne on se fait un grand
plaisir de ce même amusement ; et on apprend
de Vienne , que le 13 du mois dernier
quelquesCavaliers et Pages de la Cour
de l'Empereur, représenterent devant L.M.
Imp. une Comédie Italienne , qui fut fort
applaudie.
On écrit de Dresde qu'on y avoit joué
chez la Duchesse d'Holstein , en présence
du Roy de Pologne , une Comédie Françoise
, intitulée : L'Ami de tout le monde ;
dont les principaux Rôles étoient remplis
par les Comtesses de Bilinsken et de
Beuckling , par le Duc de Holstein , le
Pr. Lubomiski et le Comte Rutouski.
L'amour des Spectacles et de la Musique
a enfin percé jusques dans le Nord .
On se pique à present en Russie de cultiver
les beaux Arts , et la Czarine a donné
des ordres , pour faire construire incessemment
à Petersbourg , une Salle et un
Théatre , pour y représenter l'Opéra.
Ce Bâtiment sera achevé vers les Fêtes.
de la Pentecôte , et on ouvrira ce Spectacle
aussi-tôt que les Musiciens qu'on
fait
AVRIL. 1732. 777
fait venir d'Italie seront arrivez .
3
Le 3 Mars , l'Opera Comique joua une
Piéce nouvelle en un Acte , qui a pour
titre , les deux Eleves ; elle fut précédée
de l'Ecole des Amans , Piéce remise au
Théatre , et du Pot Pourry Pantomime
dont il a été parlé dans le dernier Mercure.
Ces deux Pieces furent suivies du
Ballet Anglois Pantomime , exécuté par
les petits Comédiens , qui ont été trèsapplaudis
, et singulierement le petit Sabotier
, qui danse un pas de deux , avec
la petite Delle Cheret , avec autant de graces
et de précision qu'on peut en attendre
de deux enfans de leur âge.
Le 20 , on donna encore une petite Pie-
-ce nouvelle d'un Acte , avec un Divertis-
-sement , intitulée : Le Triomphe de l'ignorance,
qui a été continué jusqu'au 29, jour
de la clôture du Théatre.
Le 24 et le 29 Mars , l'Académie Koyale
de Musique donna deux Réprésentations
de l'Opéra d' Amadis , pour les Acteurs
, comme cela se pratique toutes les
années avant la cloture du Théatre , le
brillant Pas de trois fut dansé à la fin J
par la De Camargo , et par les Sr. Dumoulin
et Laval , avec un applaudissement
general,
Gvj Or
778 MERCURE DE FRANCE
On a donné sur ce Théatre , le Mardi
21 de ce mois, la Tragedie deJephté, qu'on
avoit interrompuë pendant la Quinzaine
de Pâques. Cette Piéce est toujours hono
rée des mêmes applaudissemens..
Le Publica aussi applaudi aux nouveaux
ornemens , dont on a embelli la Salle de
l'Opera , dont nous pourrons parler plus.
au long,
Le S' Benozi , Vénitien , nouvel Acteur ,
frere de la Dlle Silvia , debuta , le 3 Mars,
sur le Theatre de l'Hôtel de Bourgogne ,
et y joüa le Rôle de Scaramouche , dans :
la Comédie de Colombine , Avocat pour &
contre ; il a joué encore le même Rôle ,
dans d'autres Piéces , dans lesquelles il a
été applaudi. Outre les talens que ce nouvel
Acteur a pour le Theatres il est tresbon
Musicien et tres- habile Symphoniste,,
pour le dessus de Violon.
Les Comédiens. Italiens donnerent le
12 Mars , la premiere Représentation ‹
d'une Comédie en trois Actes , en Prose,
intitulée : Le Triomphe de l'Amour ; cette
Piéce n'a pas eu le succès qu'elle méritoit ;
c'est une des mieux intriguées qui soient
sorties de la plume de M. de Marivaux :
voicy un Argument qui doit tenir lieu
d'Extrait.
Une
AVRIL. 1732. 779
Une jeune Princesse ,
amoureuse d'un
Prince opprimé , auquel un
Philosophe
a donné un azyle chez lui , pour le dérober
au péril qui menaceroit sa vie, sil
la passoit dans l'éclat qui convient à sa
naissance , se travestit en homme , pour
s'introduire chez
Hermocratè , ( c'est le nom
du Philosophe qui l'a élevé chez lui dès
sa plus tendre enfance. ) Ce Philosophe a
une soeur , appellée Léontine , d'une humeur
encore plus austere. La Princesse déguisée
sous le nom de Phocion , commence
par mettre la soeur du Philosophe dans
ses interêts, en lui faisant croire qu'il l'aime,
et que ce n'est que par le bruit de ses
perfections , qui lui tiennent lieu de tout
ce que la beauté a de plus piquant , qu'il
est venu la chercher dans sa retraite; l'aústerité
de cette prude est d'abord effarouchée
; elle ne sçauroit consentir à laisser
entrer et séjourner chez elle , un homme
dont elle est aimée ; mais l'amour qui
commence à triompher de son coeur , lui
fait
insensiblement oublier ce qu'elle doit
à sa gloire ; elle lui promet de faire con--
sentir
Hermocrate son Frere , à le recevoir
chez lui et à l'y souffrir pour quelques
jours , par droit d'hospitalité ; ce
premier obstacle franchi , le prétendu
Phocion n'a pas beaucoup de peine à lier
4
›
un
م ل ا
780 MERCURE DE FRANCE
1
un commerce d'amitié avec Agis , c'est le
nom de son amant ; cependant comme
tout est suspect aux yeux
d'Hermocrate ,
ce Philosophe ne consent pas encore à recevoir
Phocion dans sa retraite ; les jours
d'Agis lui sont trop chers pour le laisser
approcher de qui que ce soit ; nouvel embarras
pour Phocion ; mais il a pourvû à
tout , et sa batterie est dressée de loin. Il a
une conversation avec Hermocrate : Autre
incident , par un hazard que l'Auteur a
pris soin d'expo.er dans la premiere Scene.
Hermocrate a vû Phocion depuis peu dans
la Forêt prochaine , sous les habits de son
sexe ; il reconnoît ses traits malgré son
travestissement ; le faut Cavalier a pris
ses mesures contre cet inconvenient ; il se
donne pour ce qu'il est , et joue avec le
Frere le même Rôle qui lui a si -bien réüssi
avec la soeur ; deux portraits qu'il a fait
faire de l'un er de l'autre , présentez à
propos , le font passer pour l'amant le
plus passionné , et l'amante la plus sincere
qui fut jamais .
Egalement aimé de la Prude et du Phi-
-losophe , il ne lui reste plus que de l'être
de son cher Agis ; dans une Scene ingénieusement
traitée , l'ami prétendu se déclare
tendre amant ; l'amitié d'Agis devient
amour , et l'amour produit en lui la jalousie
AVRIL. 1732 781
lousie dès qu'il apprend qu'Hermocrate
est aimé . Leonide , c'est le veritable nom
de la Princesse , n'a pas beaucoup de pei
ne à dissiper ses soupçons ; le nom de
fide que son Amant lui a donné dans sa
colere , ne sert qu'à lui faire voir qu'elle
est aimée autant qu'elle aime.
per.
Le dénouement de cette avanture est
des plus Comiques . Léonide , pour écar
ter le Philosophe et sa soeur , leur dit de
l'aller attendre à Athénes , où elle doit
les épouser solemnellement ; ils se font
une confidence reciproque de leut amour
qu'ils cessent d'envisager comme une foiblesse.
Léontine nomme son vainqueur
au Philosophe qui ne lui répond que par
un grand éclat de rire ; il lui dit
que Phocion
est une fille , et que c'est l'amour
qu'elle a pour lui qui l'a obligée à déguiser
son sexe ; mais le pauvre Philosophe
est confondu à son tour , quand il aprend
de la bouche d'Agis , que c'est lui qui est
l'Amant favorisé et qui doit devenir son
heureux Epoux. Hermocrate a beau vouloir
s'y opposer et prendre le ton de Maître
; on vient lui dire que sa Maison est
entourée de Soldats , commandez par le
Capitaine des Gardes de la Princesse . Léonide
vient et se fait reconnoître pour la
Princesse de Sparthe ; elle rend à son cher
Agis ,
782 MERCURE DE FRANCE
Agis , Fils de Cléomene , le Thrône que
son Pere avoit usurpé sur lui . Voilà à peu
près le sujet de cette Comédie ; tout le
monde convient que les Scenes en sont
parfaitement bien dialoguées et remplies
de pensées et de sentimens ; mais on croit
que cette intrigue auroit encore mieux
convenu à une simple Bourgeoise qu'à une
Princesse de Sparthe.
Le 29 , les mêmes Comédiens donnerent
la Tragi- Comédie de Samson , pour
la clôture du Théatre .
Le 21 Avril , ils rouvrirent le Théatre
par une Comédie- nouvelle en Vers et en
trois Actes , de la composition des sieurs,
Romagnesy et Lélio le fils , intitulée , les
Amusemens à la mode , précédée d'un Prologue.
La Dile Silvia fit le complimen.
qu'on a accoutumé de faire toutes les an
nées à la rentrée du Théatre , lequel fut
fort applaudi , ainsi que la Piece dont on
parlera plus au long.
Le même jour , les Comédiens François
ouvrirent leur Sale par la Tragédie
de Polieucte , et par la petite Comédie de
l'Amour Diable , du feu sieur le Grand ,
qu'ils ont remise au Théatre .
Le Jeudy 24. de ce mois , on reprit lá
Tragédie d'Eryphile de M. de Voltaire ,
avec plusieurs changemens que le Public
AVRIL. 1732. 783
a approuvez. Le sieur Dufresne , prononça
avant la Piece un Discours en Vers ,
composé par l'Auteur , qui fut fort applaudi
NOUVELLES ETRANGERES
DE TURQUIE ET BARBARIE,
N apprend de Constantinople , que le Grand-
Visir avoit fait dire aux Ambassadeurs de
France , d'Angleterre et de Hollande , que le
Grand- Seigneur avoit donné ordre qu'on ne levât
dorénavant sur les Marchandises de leurs
Pays que les droits d'entrée reglez par le Tarif
de 1701.
Les Lettres de Barbarie portent que les Ha
bitans des Montagnes du côté de sainte Croix ,
se faisoient une guerre cruelle , sans se donner
de quartier les uns aux autres ; qu'il y avoit ea
deux Combats sanglans à une journée de la Ville
de Maroc , entre l'Armée du Roy Muley Ab
dallah et celle des Arabes ; que quelques jours
après , ces deux Armées s'étant approchées dans
la Plcine , leur Combat general avoit duré deux
heures ; que la perte avoit été presque égale de
part et d'autre ; mais que cependant l'Armée des
Noirs , qui est celle du Roy , étoit restée maîtresse
du Champ de bataille , et que le Roy avoit
résolu de continuer le Siege de Maroc.
On apprend par d'autres Lettres que la guerre
Civile continuoit à faire de grands ravages , que
les Montagnards mettoient à feu et à sang les
Provinces , exposées à leurs courses , et que les
Arabes
784 MERCURE DE FRANCE
>
Arabes s'étant encore rassemblez en corps , nonobstant
leur derniere deffaite , avoient attaqué à
deux reprises l'Armée du Roy Muley Abdallah ,
aux environs de Maroc , avec une perte égale ,
les Negres n'ayant eu d'autre avantage que celui
d'avoir conservé le Champ de bataille , et que le
Roy avoit été obligé de renforcer considerablement
son Armée , afin d'être en état de pouvoir
continuer le Siege de Maroc.
RUSSIE.
E Baron de Schaffirof , Ambassadeur de la
Czarine à Ispahan, a écrit que le Roy de
Perse, avoit donné des ordres pour faire marcher
son Armée composée de roo . mille hommes , du
côté des Places conquises par les Moscovites , et
qu'il faisoit rassembler des provisions dans la
basse Armenie , où ce Prince avoit envoyé un
train d'Artillerie de 150. Pieces de Canon..
Depuis qu'on a appris par les Lettres de Ber-
Jin , que le Roy de Prusse avoit conclu le Maria.
ge du Prince Royal son fils , avec la Princesse
de Beveren ; on publie que la Princesse de Meckelbourg
, Niece de la Czarine , épousera le fils
du Margrave Albert de Brandebourg,
O
DE POLOGNE.
N écrit de Warsovie , que le Roy y arriva
le S. du mois dernier , et de Dantzick , qu'il
y avoit passé depuis un mois plusieurs Courriers
allant de Berlin à Petersbourg , où on dit qu'il
se négocie une triple Alliance entre l'Empereur
, la Czarine et le Roy de Prusse pour la
garantie et la deffense réciproque de leurs Etats ,
en
AVRIL. 1722. 7°5
de guerre avec quelque Puissance que ce
être .
a dépêché depuis peu un Officier à Peters-
; , pour porter à la Czarine une Lettre du
par laquelle S M. la prie de retirer ses
pes des environs de la Curlande , parce que
Séjour près de ce Duché cause de l'inquiéa
la République et pourroit faire naître de la
ntelligence entre les deux Nations. On dit
i cette Lettre du Roy ne produit pas l'effer
en espere , les Sénateurs ont résolu de faire
her les Troupes de la Couronne , pour oblis
Moscovites à se retirer.
écrit de Stokolm , que par le Traité d'Alqui
a été conclu depuis entre le Roi de
et le Roi de Dannemarc , il a été stipulé
yes deux Puissances réuniroient leurs Fotes
observer les mouvemens de celle de la Czaet
s'opposer aux entreprises que cette Prin-
, ou ses Alliez pourroient faire sur les Etats
Roy de Suede ou du Roy de Dannemarc .
ALLEMAGNE.
Es Lettres de Vienne , portent que les instances
du Roy de Suede en faveur des Protestans
Diocèce de Saltzbourg avoient déterminé
pereur à prendre des mesures contre l'Evêpour
l'obliger à observer les Constitutions
Empire , et à donner des dédommagemens
ux de ses Sujets qu'il a forcez de quitter leur
j.
e Duc de Lorraine doit arriver incessamt
à Vienne pour remercier l'Empereur du
de Viceroy de Hongrie , Pays et Terres délans
de ce Royaume , que S. M. Imp. lui
donna
786 MERCURE DE FRANCE
donna le 31. du mois de Mars dernier , par un
Decret Imperial qui fut lû er publié le même
jour dans le Conseil ; on dit que ce Prince fera
son séjour ordinaire àPresbourg , où l'on travaille
aux préparatifs necessaires pour son installation
en qualité de Viceroy de Hongrie. On croit que
l'Empereur s'y rendra pour en faire la cerémonie.
On fait dans le Royaume de Hongrie un Chemin
Royal , qui conduira à Trieste , en traversant
l'Esclavonie et la Croatie ; ces Provinces ont
été taxées pour cela à un contingent payable en
argent,et à des corvées d'hommes et de Voitures.
C'est une entreprise des plus considerables qui se
soit faite en Europe depuis plus de 200. ans.
Ans
TA LIE!
Ddinal Choist roposa 3. Mars,le Cant
dinal Otthoboni proposa l'Abbaye de saint
Per-en - Vallée , Diocèse de Chartres , pour l'Ab
bé de la Farre- Lopis ; il préconisa l'Evêque d'Autun
pour l'Archevêché de Besançon ; l'Abbé de
Premeaux , pour l'Evêché de Perigueux ; l'Abbé
de Fruquelay de Kervers , pour celui de Treguier.
Le 13. Mars , vers les heures du soir , le
Duc de S. Aignan , Ambassadeur Extraordinaire
du Roy Tr.Ch. arriva à Rome avec la Duchesse
son Epouse , et alla descendre au Palais du Cardinal
de Polignac , qui le lendemain fit donner
part au Sacré College de l'arrivée de cet Ambassadeur
, et le lendemain le Cardinal de Polignac
mena le Duc de S. Aignan chez le Cardinal Secretaire
d'Etat.
Le 1. ce Cardinal eut une Audience particuliere
du Pape , dans laquelle il lui présenta les
Officiers des Galeres de France , qui ont accompagné
AVRI L. 1732. 787
pagné à Rome l'Ambassadeur de S.M. T. Chr.
Le Roy de Porttugal a fait présent d'un Diamant
du poids de 35. grains au Cardinal Cienfuegos
, et de quatre barres ou lingots d'or à
M. d'Acquilla , Auditeur de ce Cardinal , qui a
remis depuis peu aux Prêtres Portugais l'administration
de leur Eglise Nationale de S. Antoine.
Les Religieux Dominicains ont obtenu du
Pape la permission de faire exhumer le Corps du
feu Pape Benoît XIII. qui est dans l'Eglise de
S. Pierre , pour le faire transporter dans leur
Eglise de sainte Marie sur la Minerve.
Le 31. Mars , on reçut avis que le Cardinal
Coscia étoit parti de Naples à bord d'une Galere
qui l'avoit conduit à Procida , d'où il se rendra
dans peu à Nettuno , pour aller ensuie à Rome
se soumettre aux ordres du Pape .
L'Infant Don Carlos , qui étoit parti de Pise
le 3. Mars , accompagné dans son Carrosse du
Comte de San-Estévan et du Prince Corsini , arriva
vers les onze heures du matin à Pontadere
où il dina , et à cinq heures du soir à l'Ambro
giana , Maison de Plaisance du Grand- Duc. Il
se rendit d'abord à PEglise , dite des Espagnols ,
où l'on chanta le Te Deum , et ensuite il se promena
dans les Jardins.
Le 4. ce Prince donna audiance aux Secretaires
d'Etat du Grand- Duc , qui étoient venus le complimenter
de sa part.
200
Le s . un Détachement de la Garnison du Fort
de S. Jean- Baptiste se rendit au Palais pour monter
la garde.
Le 9. jour qu'on attendoit l'Infant à Florence,
on sonna toutes les cloches de la Ville dès le
point du jour. A sept heures , le Grand- Prieur
Del- Bene , les Secretaires d'Etat , le Prieur Garaldi
788 MERCURE DE FRANCE
di , le Marquis de Monteleon et le Duc de Tursis
, se rendirent à Montepulci pour complimen
ter l'Infant , qni vers les 6. heures du soir arriva
et fit son Entrée dans l'ordre suivant.
Les Cuirassiers et les Grenadiers Allemands du
Grand- Duc, commencerent la marche ; ils étoient
suivis de 40. Trabans , ayant leurs Officiers à
leur tête , de 6. Carrosses à 6. Chevaux qui pré,
cedoient le Carrosse de l'Infant , lequel étoit suivi
de 80. de ses Gardes à Cheval , ayant leur
Etendart , Timbales et Trompettes , Ce Prince se
rendit d'abord à l'Eglise Métropolitaine , au bruit
des salves generales de l'Artillerie des deux Citadelles.
Il fut reçû par les Sénateurs en habit de
ceremonie , à l'enrrée de l'Eglise , et en dedans
par l'Archevêque , à la tête de son Chapitre ; on
chanta le Te Deum à huit Choeurs de Musique ,
et après le Te Deum ; S. A. R. remonta en Carresse
et se rendit dans le même ordre au Palais
Ducal , où elle fut saluée d'une salve Royale de
l'Artillerie du Château de S. George , l'Electrice
Douairiere Palatine , Gouvernante de Sienne ,
reçut ce Prince à l'entrée de l'Appartement qui
lui étoit destiné et après l'avoir embrassé et
complimenté , elle se retira dans son Appartement
, où peu de temps après elle reçut la visite
de l'Infant , qu'elle conduisit ensuite chez le
Grand- Duc , avec lequel il resta plus d'une heure.
Après cette entrevûe , l'Infant Don Carlos
reconduisit la Princesse dans son Appartement ,
où il trouva un cercle de plus de 60 Dames avec
lesquelles il resta quelque temps . Lors qu'il fut
retiré dans son Appartement , il donna audiance
à l'Archevêque de Florence et à l'Evêque de Fiesole.
Le soir on tira des Feux d'artifice dans diverses
Places ; toute la Ville fut illuminée , et les
RéA
V RI L.
017325
789.
Réjouissances publiques durerent jusqu'à quatre
heures du matin.
Le 10. Les Sénateurs , accompagnez du Corps,
de Ville , se rendirent à l'Eglise Métropolitaine
où la Messe du S, Esprit tut celebrée pontificalement
par Archevêque, après la Messe , les Sénateurs
allerent en corps complimenter S. A. R.
sur son arrivée , M. Gaetani , Lieutenant du Sénat
, portant la parole ; les Députez de Sienne ,
de Parme et de Plaisance eurent ensuite audience
de l'Infant.
Le 11.l'Infant reçut les Complimens des Chanoines
de l'Eglise Métropolitaine , ces Députez
de plusieurs Vill´s de la Toscane et de la princi
pale Nobicsse de Florence,
Le 12. Ce Prince après avoir écrit la à L. M.
Cath. alla voir les Ecuries du Grand Duc , après
quoi il prit le divertissement de la Chasse.
Le 13. il rendit visite à l'Electric Douairiere
Palatine.
Le if. il alla avec toute sa Cour entendre la
Messe dans l'Eglise des Religieuses de l'Annon- .
ciade.
- L'execution des ordres de l'Empereur pour le
dénom rement des Familles dans le Royaume de
Naples , continue d'exciter le mécontentement de
la Noblesse et du Peuple . Les Seigneurs des anciennes
Baronies prétendant avoir des exemp
tions particulieres par lesquelles ils sont dispensez
de s'y soumettre , ont refusé de donner leurs Déclarations
; et s'étant assemblez , ils ont dressé
un Mémoire qu'ils ont envoye à Vienne et au
Conseil Collateral de Naples .
On écrit de Milan , qu'il en étoit parti pour
Genes un Corps de Troupes de 6500. hommes
qui doivent être suivis incessamment par le Prin790
MERCURE DE FRANCE
ce Louis de Wirtemberg ; par le Prince de Culmbach
et par le General Smettaw , nommez pour
commander les Troupes de l'Empereur dans l'Ife.
de Corse pendant la Campagne prochaine.
On apprend de Venise , que le 25. Mars , le
'Doge , accompagné du Nonce du Pape et de la
Seigneurie , alla tenir Chapelle dans l'Eglise Ducale
de S. Marc , où on chanta le Te Deum , en
memoire de la Fondation de cette Ville , qu'on
dit avoir été commencée à pareil jour de l'année
421. suivant quelques Auteurs , et selon d'autres
de l'année 450.
On a appris par plusieurs Lettres de l'Ile de
Corse du commencement du mois de Mars , que
1200. Rebelles , commandez par Chiaffero , Pun
de leurs Chefs , ayant été renforcez par un plus
grand nombre , étoient entrez dans la Plaine
d'Almetta ; que le Gouverneur d'Ajaccio en ayant
été informé , avoit envoyé contre eux le Colonel
Arnaud avec une partie de sa Garnison , qui
'avoit contraint les Rebelles à prendre la fuite
après un leger combat ; que ce Colonel étoit entré
ensuite dans le Bourg de Bactelia , où il avoir
brulé plusieurs Granges pleines de grains , et enlevé
plus de soo. Bêtes à corne.
On a reçû avis depuis de la Bastia , que les Re
belles étoient revenus en plus grand nombre dans
la Plaine d'Almetta ; qu'ils avoient pris la petite
Ville de ce nom , et qu'ils assiegoient actuellefement
celle de Sarsaine qu'on ne croyoit pas pouvoir
secourir ; qu'une partie s'étant détachée
avoit tenté d'enlever le poste de San- Pelegrino
mais inutilement ; que les Rebelles avoient passé
quelques jours après le Torrent de Plincho, dans
le dessein d'assieger Biguglia ; que le Baron de
Wachtendonc étoit allé au secours de cette Place
"
A V RIL. 1732. 791
que les ayant rencontrez dans une Vallée à la
portée du fusil , il les avoit fait attaquer par tous
les Grenadiers du Détachement qu'il commandoit
, par deux Bataillons des Régimens de Zumjungen
et de Culmbach , et par trois Bataillons
de ceux de Lewingstein , de Walsegg et de Wachtendonc.;
que les Rebelles étant dans un poste
avantageux , avoient fait d'abord quelque résistance;
mais qu'après deux heures de combat assez
opiniâtre , ils avoient été contraints de prendre
la fuite et de se retirer par des défilez impraticables
et inconnus aux Troupes Allemandes ; desorte
qu'on n'avoit pas jugé à propos de les pour
suivre , de crainte de quelque embuscade. Le Baron
Wachtendonc n'a perdu dans cette occasion
que trois Hussarts et cinq Soldats.
·
Depuis ces nouvelles, la République de Gennes
a fait publier une Amnistie generale pour engager
les Rebelles à rentrer dans leur devoir ; mais
on a appris qu'ils ont refusé l'Amnistie , quoique
Leurs Chefs y fussent compris ; desorte que n'y
ayant plus d'esperance de les ramener à leur de
voir par la voye de la négociation , on a fait partir
une partie des Troupes de l'Empereur à bord
de plusieurs Bâtimens de transport , escortez par
deux Galeres de la République , et le General
Schmettau s'est embarqué depuis pour aller reconnoître
les principaux défilez de l'Ile de Cor
se , où le Prince Louis de Wirtemberg se rendra
avec le reste du secours des Troupes Imperiales
qu'on attend avec quelques Officiers Prussiens
qui vont servir en qualité de Volontaires .
On apprend de Villefranche , que les Galeres
du Roy de Sardaigne y étoient arrivées avec plusieurs
Bâtimens de transport , pour y prendre les
Troupes que ce Prince a résolu d'envoyer dans
H la
792 MERCURE DE FRANCE
la Sardaigne , sous les ordres du General de
Schulembourg.
E
ESPAGNE IT PORTUGAL.
pour commander les Troupes qui s'assembloient
en Catalogne , et qui ont reçû ordre de
puis peu de défiler du côté de Malaga et d'Alicant.
Le Marquis de Villadarias , le Marquis de
Santa-Cruz , le Comte de Suedegen et le Baron.
de Saudraski , Maréchaux de Camp , qui doi
vent servir sous le General Comte de Montemar,
sont partis pour s'y rendre. Toute la jeune Noblesse
de la Cour , sollicite des Permissions pour.
aller servir dans cette Armée , qui s'embarquera
dans le courant du mois d'Avril , sans qu'on sça-
The encore à quelle Expedition elle est destinée. 42
Ce Corps d'Armée qui est composé de 32. Bataillons
à 700. hommes et de 24. Escadrons à
720. hommes , d'une Compagnie de Travailleurs.
et de 33. Ingénieurs , est déja en marche vers la
Valence , pour s'y embarquer sur l'Escadre composée
de 12. Vaisseaux de guerre et de deux
Gallions à Bombes , sans les Galeres et les Bâtimens
de transport ; l'Artillerie consiste en fo.
Pieces de Canon de 24. livres , 10. Pieces de 16.
livres , 8. Pieces de Campagne , 8 , Pieces qu'on
peut transporter sur des Mulets , 8. Mortiers à
Bombes , et 4. autres pour jetter des pierres ;
L'Escadre qu'on équipe à Cadix , est prête à
mettre en Mer , le bruit court même qu'elle a
déja mis à la voile. On mande de Barcelone, que
les Equipages et les autres choses necessaires pour
éette Expedition , sont presque prêts , et qu'on
travailloit avec toute la diligence possible pour
achever
AVRIL. 1732. 793
chever le peu qui reste encore à faire . Les Ba
taillons respectifs des Gardes Walonnes et Espagnoles
, ayant eu ordre de tirer au sort pour
servir dans cette Expedition , les premieres l'ont
déja fait , le sort étant tombé sur le premier , le
aet le 4 Bataillon , et les autres sont occupez
à le faire : on assure qu'on doit encore y joindre
un 4 Bataillon des Gardes Walonnes . Tous les
Régimens d'Infanterie ont été mis à deux Batail-
Fons de 700. hommes chacun. Les Escadrons ne
sont que de 120. Maîtres
. On a aussi
formé
plu
sieurs Bataillons d'Invalides , qui seront mis en
garnison à la place des Troupes reglées .
Le Comte de Montemar , après avoir pris con
gé du Roy, partit le 22. du mois dernier.
Le Roi de Portugal offrit à la nouvelle
Compagnie des Indes Orientales , établie à Stoc
olm , sa protection pour la réussite de son
Commerce , et le Port de Goa pour la retraite
de ses Vaisseaux , avec la permission d'y bâtiz
des Magazins pour ses Marchandises.
MORS DES PAYS ETRANGERS. |
LE
E - Duc de Saxe Gotha est mort sur la fin dir
mois dernier , dans la 56. année de son âge ,
laissant sept Princes et deux Princesses .
Frederic,Prince hereditaire de Bade- Dourlach,
mourut à Dourlach le 26. Mars , âgé de 28. ans
et quelques mois , étant né au mois de Juillet
1703. Il laisse de la Princesse de Nassau - Diez
son Epouse , deux Princes , dont le plus jeune
'a qu'environ trois mois.
Hij FRANCE
94 MERCURE DE FRANCE
Atttt t
titatett
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Lat
' Office de Bailly de Sarreloüis , va
cant par la mort de M. le Comte
de Lommont , a été donné le premier de
ce mois , au Marquis du Chastelet , Colonel
du Régiment d'Hainault.
Le Gouvernement du Château de
Chambord au Chevalier de Saumery , &
le Marquis de Pifon , fon frere , a eu la
Charge de Grand-Bailly de la ville de
Blois.
Le Roi a nommé pour fon premier
Medecin M. Chicoineau ; il étoit depuis
quelque tems Medecin des Enfans de
France , & M. Bouillac lui fuccede dans
cette place.
S. M. a accordé la Charge de Grand-
Pannetier de France au Chevalier de Brif
fae qui est à present Duc de Brissac.
*
Le 2. Avril le Jardin du Roi a été mis
dans le département du Secretaire d'Etat
de la Maison du Roi , et la Charge d'Inrendant
vacante par la mort de M. Chirac
, a été donné à M. Dufay , de l'Académie
Royale des Sciences.
Le
AVRIE, 17323 795
Le 3. Mars , il y eut Concert chez la
Reine ; M. Destouches , Surintendant de la
Musique du Roi , fit chanter le Prologue
et le premier Acte de l'Opera d'Amadis
de Grèce , qui est de sa composition : cetge
Piéce fut continuée le 5. et le 10. Les
principaux Rôles furent chantez par les
Dlles Lenner et Courvasier , et par les
sieurs D'Angerville et le Prince , avec
beaucoup d'applaudissemens.
Le12 , le 17 et le 19 on chanta l'Opera
de Telemaque , du même Auteur. La Dlle
Lenner fit le rôle de Minerve dans le
Prologue , et la Dile Mathieu celui de
Amour. La Dlle Antier fut fort applaudie
dans le rôle de Calypso , ainsi que
la Dlle Pelissier dans celui d'Eucharis. Les
sieurs Petillot er Dangerville executerent
ceux de Telemaque et d'Astrate avec beaucoup
de vivacité. La Simphonie et les
Choeurs furent rendus avec la même précision
.
Le 6. Avril , Dimanche des Rameaux
le Roi accompagné du Duc du Maine et
du Comte d'Eu , se rendit dans la Chapelle
du Château , où S.M. assista à la Bénediction
des Palmes , qui fut faite par
L'Abbé Brosseau , Chapellain ordinaire de
la Chapelle de Musique , qui en présenta
Hiij un e
796 MERCURE DE FRANCE
1
ane au Roi ; S. M. allà à la Procession , et
après l'Evangile elle adora la Croix, Le
Roi entendit ensuite la Grand- Messe célebrée
par le même Chapellain , et cham
tée par la Musique. L'après midy le Roi
assista à la Prédication du P. Segaudi
après quoi S. M. entendit les Vêpres
chantées par la Musique.
Le Jeudy saint , le Roi entendit le Ser
mon de l'Abbé Pichaud , Theologal de
Eglise Cathedrale de Meanx , après quoi ,
l'Evêque de Dol fit l'Absoute. Ensuite le
Roi lava les pieds à 12 pauvres, et les seri
vit à table : le Duc de Bourbon , Grand-
Maître de la Maison du Roi , à la tête des
Maîtres d'Hotel ,précedoit le Service dont
les plats étoient portez par le Comte de
Charolois , le Prince de Conty , le Prince
de Dombes, le Comte d'Eu, et par les prin
cipaux Officiers de S. M. Après cette Cé
remonie , le Roi se rendit à la Chapelle
du Château , où S. M. entendit la Grande.
Messe , assista à la Procession et ensuite..
aux Vêpres. L'après midy le Roi assista
à l'Office des Tenebres.
Le 8. de ce mois , le Marquis Doria
Envoyé extraordinaire de la Republique
de Genes , eut sa premiere audience publique
du Roi , étant conduit par M. Hebers
AVRIL. 1732. 797
bert , Introducteur des Ambassadeurs ; il
alla le prendre dans les Carosses du Roiet
de la Reine ; après avoir été traité par
les Officiers du Roi , il fut reconduit à
Paris dans les carosses de L. M. avec les
céremonies accoutumées.
M. Mendez , chargé des affaires du Roi
de Portugal , se rendit le 27. Mars à
là Fonderie pour y voir les six cloches
destinées pour S. M. Port. qu'on sonna
et tinta en présence d'un grand nombre
d'habiles connoisseurs sur les fontes et
l'alliage des métaux , et elles furent trouvées
fort harmonieuses , et du ton que le
Roi de Portugal les a demandées ; on
trouva seulement quelque chose à dire
aux deux gros battans qu'on sera obligé
de refaire : l'un de ces battans pese 732 liv.
et l'autre 4831
Le 30. Mars , Dimanche de la Passion
il y eut Concert spirituel au Château des
Thuilleries , qui a été continué tous les
jours jusques et compris le Dimanche de
Quasimodo. M. Mouret y a fait executer
les plus beaux Moters à grand choeur , des
feu M. de la Lande et d'autres Maîtres
modernes. On a chanté aussi avec succès
differens petits Motets nouveaux, conve-
Hij nables
798 MERCURE DE FRANCE
>
nables au tems de Pâques , à une , à deux
et à trois voix. On a aussi exécuté tous
les jours differens Concerto sur le Violon
la Flute et le Basson , avec autant de vivacité
que de justesse. Le sieur Batiste excellent
Simphoniste , s'y est distingué , et
a joué sur le Violon differentes Pieces de
sa composition avec beaucoup d'applaudissemens.
***** ** :* : *******
MORTS , NAISSANCES
C
et Mariages
Laude François Pellot,Comte deTrevieres
&c. ancien Maître des Requêtes
, mourut le 27. Mars âgé de 76. ans .
M. Jacques Bigaut , Docteur en Theo
logie ,Curé de sainte Marie Madeleine de
la Ville-Levêque , mourut le 30 Mars ,
âgé de 58 ans.
D. Madelaine d'Archi , veuve de M.
René Duvernet, sieur de la Vallée, Ecuyer
ordinaire de la Grande Ecurie du Roi ,
mourut à Paris le 1. Avril, âgée d'environ
82 ans.
Charles -Armand de Gontaut de Biron ,
Abbé Commandataire de l'Abbaye de
S. Bertrand de Chaumont , mourut le 5.
Avril âgé de 29. ans.
Le
AVRIL 1732. 799
་
Le Prince Frederic , frere de l'Archevêque
de Vienne , mourut à Strasbourg le
de ce mois , âgé de so ans. Il étoit Grand
Doyen et Chanoine de l'Eglise Cathedrale
de Strasbourg , Grand- Prévor de celle de
Liege , et Prieur du Pont S.Esprit , de Nan
tua en Bugey , et de la Charité sur Loire.
D. Angelique Marguerite de Battefort
Delaubepin , veuve de Charle Marie de
Montmorency , Chevalier , Premier Baron
Chrétien en France , Seigneur de Neuvy-
Pailloux , mourut le 15 Avril , âgée de
Sans.
Charles - Thimoleon - Louis de Cossé ,
Duc de Brissac , Pair et Grand Panetier
de France , Baron de Montreuil - Bellai ,
Seigneur de Lugni , Martigni , Briant ,
Bregue , Vaucretien , la Lande &c , mourut
à Paris géneralement regretté , le 18
Avril âgé de 39 ans.
Le 21. de ce mois mourut M. Antoine
le Moine, Docteur de la Maison et Societé
de Sorbonne , Chanoine de S. Benoît et
Censeur Royal , âgé de 65 ans , fort regretté
par sa candeur et son érudition.
D. Louise de Crevant d'Humieres , veuve
de M. Charles- Louis d'Hautefort, Marquis
de Surville , Lieutenant Géneral des
Armées du Roi , mourut le 22 Avril dans
fa 72me année de son âge. Elle étoit veuve
Hv en
800 MERCURE DE FRANCE
en premieres nôces du Comte de Vassé
Vidame du Mans , mort le 7 Août 1684.
Charles- Louis Auguste le Tonnelier-
Breteuil , Evêque de Rennes , Abbé de
S. Pierre de Chaumes , Prieur Comman→
dataire de Deüil et d'Escarmeil , et Grand-
Maître de la Chapelle de Musique du Roi,
mourut dans son Diocèse le 24 de ce mois ,
âgé de 4 ans accomplis.
Il étoit fils de François le Tonnelier dé
Breteuil, Marquis de Fontenay- Tresigny,
Sire de Vill bert , Baron de Boitron , Seigneur
des Chapelles Breteüil &c. Conseiller
d'Etat ordinaire , Intendant des Finances
, et de Anne de Calonne de Courrebourne
, er frere de François-Victor lo
Tonnelier Breteüil , Marquis de Fonte
nay-Tresigni & c . Commandeur des Or. ,
dres du Roi , Chancelier de la Reine
cy-devant Secretaire d'Etat au departe .
ment de la Guerre .
4
La Maison de Breteuil est trop connue,
pour qu'on entre ici dans le détail de sa
Genealogie .
D. Marie Therese Emmanuel Casimire
Geneviève de Bethune , Epouse de Char
les Louis -Auguste Fouquet , Comte de
Belle Isle , Lieutenant Général des Armées
du Roi , Mestre de Camp General
,
des
AVRIL. 1732: 801
ས
des Dragons de France , Gouverneur des
Ville et Fort d'Huningue , Commandant
en chef dans les trois Evêchez , frontieres
de la Lorraine , de l'Alsace et du Duché
de Luxembourg , accoucha le 27 Mars
d'un fils qui fut nommé Louis Marie par
Louis Fouquet , Marquis de Belle- Isle son
Ayeul , et par D. Jeanne- Marie Guion
veuve de Miximilien - Henri de Bethune
Duc de Sully , Pair de France , Chevalier
des Ordres du Roi & c.
- D. Marie- Anne Petit de Villeneuve
fille de feu M. Petit de Villeneuve , Président
de la Cour des Aides , Epouse de
M. Jean-Baptiste le Feron , Chevalier Seigneur
du Plessis- aux Bois, de Cuisy , d'Iverni
, Conseiller du Roi en ses Conseils,
Maître des Requêtes, accoucha le 11 Avril
d'un fils qui fut tenu le même jour sur les
Fonts Baptismaux , et nommé Jean- Bap
tiste Evrard , par M. Evrard Titou Du
tillet , Maître d'Hôtel de feüe Madame la
Dauphine , Mere du Roi et Commissaire :
Provincial des Guerres, son grand Oncle
et par D. Marie- Anne Foucault , veuve
de M. Petit de Villeneuve , Conseiller de
La Cour des Aides , sa Bisayeule.
Le Samedi 12 Avril , Jean- Charles de
Crussol , Duc d'Uzés , premier Pair de
France , Chevalier des Ordres du Roi ,,
H &vj Gou
802 MERCURE DE FRANCE
Gouverneur des Provinces de Saintonges
et d'Angoumois , et D. Anne Julie- Françoise
de Crussol d'Uzés , Epouse de M.
Louis Cesar de la Baume , le Blanc de la
Valiere , Duc de Vaujour , Gouverneur et
Grand Sénechal en survivance de la Province
de Bourbonnois , Colonel du Regiment
de la Valiere , tinrent sur les Fonts
de Baptême en l'Eglise de S. Eustache , une
petite Juive âgée de trois ans et demi
fille d'Eléazard Levi , Juif Hollandois et
de Fronoca Jacob , sa femme , et lui don
nerent le nom d'Anne Julie Françoise.
4 D. Marie-Therese de Baillon , Epouse
d'Antoine- François de la Tournelle,Comte
de la Tournelle , & c. accoucha le 13
Avril d'une fille, qui fut nommée Jeanne'
Charlotte par Jean de Baillon , Conseiller
au Parlement de Paris , et par D. Jeanne
Charlotte du Deffant de la Lande , veuve
de Roger de la Tournelle , Marquis de
Courancy.
D. Jeanne Marie-Joseph Guyon , Epou
se d'Anne de Lugnac de Reuilly , accou
cha le 19. Avril d'une fille qui fut nommée
Marie-Louise par Louis de Gand de
Merodes de Montmorency , Prince d'Isen
ghien , Chevalier des Ordres du Roi
Lieutenant Géneral de ses Armées et de la
Province d'Artois , Gouverneur des Ville
et
AVRIL. 17328 80%
et Citadelle d'Arras , et par D. Jeanne-
Marie Guyon , veuve de Maximilien-
Henry de Bethune , Duc de Sully , Pair de
France , Prince Souverain d'Henrichemont
et de Boissel , Chevalier des ordres
du Roi & c .
ར Augustin Joseph , Comte de Mailly
fils de Joseph , Marquis de Mailly , Baron
de S. Amant &c. et de Louise Magdelaine-
Joseph-Marie de la Riviere, de la
Roche-de-Vaux , épousa le zr Avril D.
Constance Colbert de Torcy , fille de-
Jean- Baptiste Colbert, Marquis de Torcy,
de Croisy &c. Ministre d'Etat, Comman
deur des Ordres du Roi , et de D: Cathe
rine Felicité Arnaud de Pomponne.
ADDIT Ï O N.
Terre Chirac , Conseiller d'Etat, Sur
PIntendant du Jardin Royal des Plantes
, et des Eaux Minérales , Bains et Fontaines
Médicinales du Royaume , Profes--
seur Royal de Médecine en l'Université
de Montpellier , Membre de l'Académic
Royale des Sciences de Paris , et premier
Médecin du Roy , mourut à Marly , le
a du mois de Mars dernier.
Quoique son Eloge soit renfermé dans
son
804 MERCURE DE FRANCE
son Nom, nous ne sçaurions nous dispenser
de dire qu'il est mort , généralement
regretté du Public , dont il avoit mérité
depuis long- temps l'estime et la confiance
: c'est un témoignage que nous devons
à sa Mémoire.
Il se fit admirer depuis l'année 1687.
qu'il fut reçu Professeur Royal de Médecine
en l'Université de Montpellier ,
où il avoit pris ses dégrez. Il s'y distingua
d'abord par les Leçons publiques et
les Cours particuliers qu'il faisoit sur tou
tes les Parties de la Médecine, qu'il a trai
tées chacune en détail ; ses écrits étoient
enrichis des découvertes qu'il faisoit dans
L'Anatomie, Science qu'il aimoit et qu'il
cultivoit particulierement, et qui lui servie
toujours de guide pour rectifier la prati❤
que de la Médecine.
Nous n'avons de cet excellent homme
que quelques petits Traitez particu
liers , imprimez en forme de Dissertation,
n'ayant jamais eu assez de loisir pour
pouvoir mettre ses écrits en état d'être
imprimez en un Corps d'Ouvrage.
En effet ses talens l'enleverent bien- tôt
à l'Ecole de Montpellier , dont il faisoie
l'ornement. Cette Ecole n'a eu d'autre
dédommagement de son absence que l'établissement
d'une doctrine refléchie , dont
PAA
3
AVRIL 1732. 8051
1'Anatomie étoit la baze , et que plusieurs
Experiences et Observations réïterées
avoient confirmée .
La Méthode analytique est celle qu'il
avoit employée , comme la plus propre
conduire à la vérité.
Il sortit pour la premiere fois de Montpelier,
en l'année 1692. pour aller en qualité
de Medecin de l'Armée , au Siege de
Rose , où il sauva au Roy beaucoup de
Soldats attaquez d'une Dissenterie Epidémique
, dont il arrêta heureusement le
cours par le changement de nourriture
&c. Ce ne fut pas là la seule occasion
où il signala son zéle pour le service du
Roy ; car ayant été envoyé à Rochefort
où regnoit une maladie pestilentielle ...
inconnue jusqu'alors , il en découvrit la
cause par les fréquentes ouvertures des
Gadavres. Après avoir établi un genre de
Traitement convenable à ce te maladie
par rapport à la cause prochaine et aux
accidens qui l'accompagnoient , il reme
dia à la cause commune par le change
ment de nourriture , et prescrivit un regime
préservatif pour ceux qui avoient
été épargnez jusques là ; mais à qui la violence
de cette maladie avoit fait perdre
tout espoir d'échaper à ses coups .
Après qu'il eut mis tout en regle à
Rem
80s MERCURE DE FRANCE
Rochefort pour l'établissement et la fourniture
des Hôpitaux , sans oublier la Police
necessaire dans une Ville désolée ,
dequor M. Bégon , Intendant de la Province
et de la Marine , l'avoit laissé le
Maître , prévoyant qu'il pourroit bien
être attaqué lui - même de la même maladie
Epidémique , à laquelle un travail
et une application continuelle , mais indispensables
, l'exposoient à tout moment;
il dicta à un Chirurgien qu'il avoit auprès
de lui en qualité de Secretaire , une
Methode particuliere et relative à son
temperamment , suivant laquelle il voulbit
être traité , en cas qu'il tomba malade
, ce qui arriva effectivement ; il fut
tres - long- temps à se remettre , et il vint
achever sa convalescence à Montpellier.
Dès qu'il fut rétabli , il reprit ses exercices
de l'Ecole , toujours avec le même
plaisir et la même application . Le succès
de sa pratique enMedecine dédommageoit
alors les habitans de Montpellier et les
Etrangers de la perte du fameux M. Barbeyrac
, le plus grand Praticien du siecle
passé.
En l'année 1706. S.A. R. le Duc d'Orléans
lui fit l'honneur de le mander pour:
aller en Italie avec lui en qualité de son
Medecin de confiance; il ne fut pas lọngtemps
AVRIL 1732. 807
temps à mériter cet honneur , car il sauva
à cePrince un bras qu'on étoit sur le point
de lui couper , à cause d'une blessure tresdangereuse
qu'il avoit reçue au poignet au
Siege de Turin. L'année suivante S.A.R :
ne mena point d'autre Medecin que lup
en Espagne.
Il fut très - utile par lui - même et par ses
conseils à l'Armée des deux Couronnes.
M. Chirac revint à Paris , après avoir
demeuré quelque temps en Espagne , et
dès que le fameux M.Homberg fut mort,
S. A. R. lui donna la place de premier
Medecin de sa Personne.
I
Le Roy lui donna à la mort de M. Fagon
, la Sur- Intendance du Jardin du
Roy. Sa Majesté lui accorda des Lettres
de Noblesse en 1728. ses longs services et
la supériorité de ses talens en furent le
motif. Enfin le Roy le choisit pour son
premier Medecin , au mois de Decembre
1730. Tout le monde a été témoin de son
attachement pour la Personne du Roy ;
mais on verra , avec beaucoup plus d'étendue
, tout ce que M. Chirac avoit de
grand , dans l'Eloge qu'en donnera Pillustre
Académicien , à qui , avec des ta-"
lens au dessus des loüanges , il a été
particulierement donné de transmettre
à la posterité , la mémoire des grands
hom868
MERCURE DE FRANCE
hommes , avec toute la gloire qu'ils se
sont acquise pendant leur vie, ce qui nous
dispense d'en dire davantage..
.
M. François Chicoineau , Conseiller
er Medecin du Roy , Professeur Royal
d'Anatomie et de Botanique , Chancelier
et Juge de l'Université de Medecine de
Montpellier, Intendant du Jardin du Roy,
Membre de la Societé Royale des Sciences
, Conseiller en la Cour des Aydes de
la même Ville , depuis peu premier Medecin
de Monseigneur le Dauphin et des
Entans de France , gendre de M.Chirac ,
a été nommé par le Roy , le 2 de ce mois,
pour remplir la place de son premier
Medecin. Tout le monde . sçait avec quel
zele M. Chicoineau a signalé sa capacité
er sa charité , à la tête des Medecins envoyez
à Marseille , lors de la derniere
Peste: Il a laissé M. son Fils à Montpellier,.
digne heritier de ses talens ; et qui avoit
dès l'année, 1723. la survivance, de toutes
ses Charges, qu'il a exercées sous les yeux
de son pere , depuis ce temps - là.
C'est le cinquiéme de ce nom , de pere
en fils que la celebre Ecole de Montpellier
, voit avec plaisir à sa tête , en qua
lité de Chancelier et Juge de l'Universi❤ .
té, Place à laquelle est toujours attachée
l'Intendance du Jardin du Roy , avec
une :
AVRIL 173.2. 869
une Charge de Professeur Royal de Bo
tanique et une d'Anatomie , qui font
l'exercice et la pension annuelle du Chancelier.
Tous les Titres cy- dessus ont été transmis
à M. Chicoineau , aujourd'hui pre
mier Medecin du Roy, et Conseiller d'E
tat après la mort de ses deux freres aînez,
tous deux ayant été successivement déco .
résparfeu M.MichelChicoineau leur pere,
Conseiller en la Cour des Aydes de Montpellier,
un des plus sçavans Medecins du
siecle dernier , et l'ornement de l'Ecole de
Montpellier.
A MADEMOISELLE PINSON
SONNET.
De l'hyver importun , la picquante froidure ,
De ses tristes frimats vient desoler nos Bords ,
L'hyver fuit , le Printems ranime la Nature ,
Et dans nos Prez fleuris étale ses trésors.
Utile avantcoureur de l'aimable Pomone ,
L'Eté de ses moissons vient couvrir nos guerets,
L'Eté fuit , et déja je vois naître l'Automne ,
Qui joint ses dons chéris aux présens de Cerès.
La nuit d'un cours reglé succede à la journée ,
808 MERCURE DE FRANCE
hommes , avec toute la gloire qu'ils se
sont acquise pendant leur vie, ce qui nous
dispense d'en dire davantage..
M. François Chicoineau , Conseiller
er Medecin du Roy , Professeur Royal.
d'Anatomie et de Botanique , Chancelier
et Juge de l'Université de Medecine de
Montpellier,Intendant du Jardin du Roy,
Membre de la Societé Royale des Sciences
, Conseiller en la Cour des Aydes de
la même Ville , depuis peu premier Medecin
de Monseigneur le Dauphin et des
Entans de France , gendre de M.Chirac ,
a été nommé par le Roy , le 2 de ce mois,
pour remplir la place de son premier
Medecin. Tout le monde sçait avec quel
zele M. Chicoineaus a signalé sa capacité
et sa charité , à la tête des Medecins ens
voyez à Marseille , lors de la derniere
Peste: Il a laissé M. son Fils à Montpellier,
digne heritier de ses talens ; et qui avoit
dès l'année, 1723. la survivance, de toutes
ses Charges , qu'il a exercées sous les yeux
de son pere , depuis ce temps- là.
F "
pere C'est le cinquiéme de ce nom, de
en fils que la celebre Ecole de Montpellier
, voit avec plaisir à sa tête , en qualité
de Chancelier et Juge de l'Universi
te, Place à laquelle est toujours attachée
l'Intendance du Jardin du Roy , avec :
"
une :
AVRIL 173.2. 869
une Charge de Professeur Royal de Bo
tanique et une d'Anatomie , qui font
l'exercice et la pension annuelle du Chan--
celier.
Tous les Titres cy- dessus ont été transmis
à M. Chicoineau , aujourd'hui pres
mier Medecin du Roy, et Conseiller d'E
tat après la mort de ses deux freres aînez ,
tous deux ayant été successivement déco .
résparfeu M.MichelChicoineau leur pere,,
Conseiller en la Cour des Aydes de Montpellier,
un des plus sçavans Medecins du
siecle dernier , et l'ornement de l'Ecole de
Montpellier.
A MADEMOISELLE PINSON
SONNET.
De l'hyver importun , la picquante froidure ;
De ses tristes frimats vient desoler nos Bords,
L'hyver fuit , le Printems ranime la Nature ,
Et dans nos Prez fleuris étale ses trésors.
Utile avantcoureur de l'aimable Pomone ,
L'Eté de ses moissons vient couvrir nos guerets,
L'Eté fuit , et déja je vois naître l'Automne ,
Qui joint ses dons chéris aux présens de Cerès.
La nuit d'un cours reglé succede à la journée ,
8ro MERCURE DE FRANCE
Au dernier an succede une nouvelle année ,
Le siecle où nous vivons aura són successeur.
Tout rencontre ici bas un terme inévitable
L'amour que j'ay pour vous sera seul immuable,
Le temps qui change tout , ne peut changer mon
coeur.
J. M. Gaultier.
REMARQUES fur l'Estampe de la
Demoiselle Camargo.
Ous serez sans doute surpris , Mon
sieur , qu'on ose critiquer l'Estampe
de la Dile Camargo. Seroit - il possible
qu'un Ouvrage si applaudi fut susceptible
de quelques défauts et comment ces
défauts auront- ils échappé aux yeux des
connoisseurs , sur tout des Maîtres de
l'Art? Rien cependant de plus facile . On
reconnoît aisément dans cette Estampe
les traits de la Demoiselle. Il n'en a pas
fallu davantage pour retracer dans l'imagination
les perfections de cette excellente
Danseuse ; mais le plaisir que les idées
de l'original ont fait à l'esprit , a empêché
de faire attention aux défauts qui peuvent
être dans la coppie : voici ce que
j'en pense.
Es
AVRIL. 1732. 理
La Figure éffaçant à droit , la Tête ne
doit pas suivre l'effacé . Lors qu'on efface
d'un côté ou d'un autre,la Tête doit demeurer
dans sa place naturelle; par consequent
une figure qui efface à droit , doit
nous montrer une Tête gracieusement
placée vers l'épaule gauche, j'entens dans
le serieux , car dans le comique le gracieux
perd ses regles , pour ainsi dire . On
trouve d'ailleurs de la disproportion dans
la hauteur des bras. Les coudes d'un Danseur
doivent être , à peu de chose prés
sur la même ligne , ce qui n'est pas ob
servé.
1
Les deux mains paroissent de face :
quand le contraste d'un Danseur est terminé
, comme l'est celui de la Dlle Camargo
, ses bras ne doivent jamais se faire
voir qu'aux trois quarts , c'est- à-dire , le
dedans de la main du bras ouvert , presque
tourné vers la terre, et le dedans de
la main du bras fermé presque vers le
Ciel. Les mains ne doivent paroître de
face que dans le tems qu'on passe d'un
contraste à un autre .
Je ne crois pas qu'il soit possible de
contraster moëlleusement les bras dans
la situation où sont ceux-ci , sans pren .
dre de fausses paissances ou fausses déterminations
? Peut- être l'habile Peintre , car
jc
812 MERCURE DE FRANCE
5
je connois ses grands talens , suppose - t'il
comme la figure représente Flore ) que
son cher Zephire soufle entre les arbres ,
et qu'elle cherche à l'embrasser ; en ce
cas les bras sont fort bien ; mais s'il n'a
pas eu cette intention , ou quelque autre
équivalente , ils pechent contre les regles
de la danse noble et gracieuse.
L'attitude du pouce et de l'Index de
chaque main n'est pas bien ; cette situation
de doigts n'est bonne que quand
une figure tient une guirlande ou autre
chose.
pas
On trouve encore que l'attitude n'est
bien dans son équilibre . Si elle y étoit,
une perpendiculaire sur l'horisontalle
( j'appelle horisontalle l'endroit sur quoi
elle danse ) passant par le point d'appuy
de la figure , qui est le milieu du pied
gauche , devroit la couper en deux parties
égales ; ce qui ne se trouve pas , puisque
cette ligne aboutit à l'oreille gauche,
et cela laisse beaucoup plus de poids sur
la jambe en l'air ; ce qui n'est pas possible
, à moins que d'avoir recours à quelque
contorsion de hanche . Une preuve
encore que la figure n'est pas bien à son
aise , c'est que le genouil de la jambe qui
la porte , paroît plié. Or il n'est pas natuel
qu'une Danseuse qui reste en repos
Sur
A VRIL. 1732. 18 rs
sur un Pas , pour donner le temps à un
Peintre de saisir son attitude , puisse demeurer
assez de tems sur une jambe dont
le genoüil est plié.
2.
La jambe en l'air seroit la chose qui me
flateroit le plus , après la parfaite ressemblance
, si les regles de l'Art , fondées sur
le naturel , pouvoient me laisser supposer
qu'on puisse la tourner en dehors de la
façon de celle- ci ; il est vrai que l'original
fait des choses surnaturelles ; mais il
auroit bien de la peine d'imiter sa copie ,
sans se contorsionner , et peut - être sans
se blesser.
Les Estampes des Dies Subligni , Desmatins
, &c. antiennes Danseuses de l'Opera
, ne sont pas à beaucoup près si bien
gravées , ni si -bien historiées ; mais elles
sont presque sans défauts à l'égard des regles
de la Danse.
La belle posture du corps en repos est
sans doute la situation de toutes ses parties
dans l'ordre le plus naturel , et ses
mouvemens les plus agréables à la vuë ,
sont ceux qui se font par la voie qui s'en
éloigne le moins , c'est à dire , par la voïe c'est-à- dire ,
la plus simple. Il est même étonnant
nous aïons besoin de Maîtres pour nous
faire appercevoir ces veritez , et qu'il soit
necessaire de se donner tant de peines
que
pour
$ 14 MERCURE DE FRANCE
pour acquerir ce qui est en nous naturellement
: on n'en peut trouver la raison
que dans notre propre ignorance , et notre
manque de discernement et de goût .
L'ame commande au corps en maîtresse,
mais elle ignore les voies par lesquelles
ses ordres s'executent. Peu instruite de la
Mechanique simple qui doit produire un
mouvement , elle y employe souvent des
parties qui n'y furent jamais destinées ;
et plus elle trouve de difficulté dans l'execution
, plus elle croit devoir employer
de force. Delà naissent presque toûjours
les grimaces et les differentes contorsions
désagréables. On reste souvent dans l'opinion
que ces secours étrangers sont necessaires
; l'habitude devient une seconde
nature , et pour comble de disgrace nous
ne nous appercevons point de nos défauts;
la necessité d'en être instruit nous prouve
celle d'avoir recours à des personnes qui
nous les fassent remarquer
.
Les pieds doivent être placez environ
à dix pouces de distance l'un de l'autre ;
ils ne doivent être ni plus serrez ni plus
écartez , parce que dans l'une ou dans
l'autre situation la tête de l'os du fermur
ne seroit pas perpendiculairement dans
sa cavité , et de cette façon les jambes ne
soutiendroient pas le corps avec tout l'avantage
AVRIL. 17327 815
vantage qu'il est possible , dans une figure
debout et dans l'inaction .
Les bras n'étant d'aucun usage pour
renir le corps en repos , ils doivent alors
être considerés comme inutiles ; on doit
donc les abandonner à eux - mêmes, et être
assuré qu'en cet état ils occuperont la
place qui leur convient ; mais une
fausse prévention de l'esprit qui croit
qu'il faut employer des forces pour ne
rien faire , nous empêche quelquefois de
mettre en pratique ces veritez : peut - être
aussi quelqu'un par un goût bizarre , our
pour affecter une methode particuliere ,
youdra til faire passer pour bonne une
attitude qui ne sera rien moins que natu
relle . Quand on croit qu'il n'y a point
de regle établie pour une chose , chacun
croit en pouvoir faire à sa fantaisie ; il
est donc à propos de sçavoir à quoy s'en
.tenir.
Il est aisé de voir dans les Observa
tions osteologiques de M. de Winflow
que le bras ne doit point être absolument
tendu en ligne droite , qu'on doit
le laisser pendre naturellement , le dedans
de la main tourné du côté de la
-cuisse , la main un peu oblique sur la li
gne du bras , et les doigts ni trop serrez
ni trop écartez. Ce sont là les maximes
I des
816 MERCURE DE FRANCE
des meilleurs Maîtres , qui ont parfaitement
suivi l'ordre de la nature , peut-être
sans l'avoir trop étudiée . C'est ainsi que
nous admirons fort souvent des consequences
dont nous ignorons le principe .
Nous ne sçavons pas combien la verité a
pour nous de charmes , puisqu'il se trouve
des occasions où nous l'aimons sans
presque la connoître.
pas
Puisque la situation naturelle du corps
demande que toutes les parties qui le
composent soient tellement disposées que
se soutenans perpendiculairement les
unes les autres , elles souffrent le moins
d'effort qu'il soit possible , il ne faut
qu'il s'en trouve une plus grande quantité
d'un côté que d'un autre , ou ce qui
est la même chose , la ligne qui passe par
le centre de gravité du ccoorrppss,doit
doit passer
justement dans son milieu de façon
qu'un plan qui passeroit par cette ligne ,
le couperoit de tous les côtez en deux
parties égales . La maniere de marcher des
personnes qui sont chargées de quelques
poids nous fait sentir la verité de ce
principes elles sont obligées de déranger
da situation ordinaire du corps , et d'en
avancer quelques parties pour faire équi-
1bre avec le poids ; car si -tôt que tout
est dans un parfait équilibre , tout est
›
aussi
AVRIL. 1732. 817
aussi dans une situation naturelle.
C'est ce second principe qu'on ne doit
jamais perdre de vue dans tous les mouvemens
qu'on fait faire au corps , qui re
gle ces mouvemens , et qui leur donne
des bornes : c'est aussi ce même principe
qui fait quelquefois changer de situation
à des parties qui ne paroîtroient pas cependant
devoir contribuer au mouvement
qu'on a dessein d'executer. Car à
mesure qu'on se trouve obligé de détruire
l'équilibre , en faisant changer de situation
à quelque partie du corps , on doit
emploïer une autre partie à le rétablir.
Si on a donc attention en faisant un
mouvement de n'emploïer que les parties
du corps qui doivent le produire , et
en même temps celles qui doivent
rétablir l'équilibre que ce mouvement
auroit rompu , on est certain que ce
mouvement paroîtra gracieux , et que
l'on n'y verra rien de contraint et de
gêné. En suivant exactement ce principe ,
soit qu'on marche , ou qu'on danse , on
aura le corps aussi ferme et aussi assuré
sur ses jambes , que si on ne remuoit pas
d'une place.
C'est l'harmonie et la liaison de ces
mouvemens qui font admirer la justesse
etla précision d'un Danseur ; l'art de con-
I ij duire
818 MERCURE DE FRANCE
duire le corps sans rompre l'équilibre , le
iet en état de tout entreprendre , sans
craindre d'échouer , et la parfaite imitation
de la nature qu'il doit suivre , sans
jamais s'en écarter , lui donne toute la
grace qu'il peut avoir. Je suis, Monsieur,
& c.
A
A.Caen , ce 28. Mars 1732 .
IDYLL E,
Traduite du Grec de Bion.
Τα Μοῖσαι τον Ερωτα ,
Vec un zele extreme, au malin Dieu d'Amour
Les Filles de Memoire en tous lieux font leur
cour .
Aussi , qu'un. Insensible ose s'approcher d'elles ,
Il les fait toutes fuir et les trouve rebelles ;
Mais dès que fléchissant sous le joug amoureux,
D'un air tendre il commence à soupirer ses feux, 85°
Elles lui vont soudain offrir leur assistance.
On peut s'en rapporter à mon experience ;
Si je chante un Heros ou quelqu'autre des Dieux,
Les accens de ma voix n'ont rien de gracieux ;
Mais quand je veux chanter ou l'Amour ou Silvie,
De ma bouche les Vers coulent pleins d'har
monie,
Par M. CoCQUARD , Avocat an Par
lement de Dijon.
AVRIL. 17328 819
Le sieur Lancret , Peintre de l'Académie
, compte de donner incessamment au
Public le Portrait historie de Mlle Sallé ,
pour servir de pendant à celui qu'il a
fait de Made Camargo . Ces deux cele .
bres Rivales , qui par la diversité de leurs
talens , n'en concourent que mieux à la
gloire de leur Art , et qui partagent également
les suffrages du Public , meritent
la même immortalité .
Il nous est venu un Madrigal , qui
fut fait chez le Peintre , lorsqu'il dessinoit
une attitude d'après cette Danseuse ;
le Public ne sera pas fâché qu'on lui en
fasse part. L'ingenieux Poëte parle à
M. Lancret .
MADRIGAL.
MA plume et ton Pinceau , doivent par d'hewreux
traits ,
Former une image brillante ;
Apallon nous inspire et Sallé se présente ;
Je peindrai ses vertus , tu peindras ses attraits.
Incertain sur le choix des Graces ,
Ton oeil épie en vain ses traces ,
Et l'Art tient dans tes mains ses Crayons suspendus,
La peindre est un secret que l'Art confus ignore.
Console-toi , je suis encore ,
Plus incertain sur le choix des Vertus.
I`ij LA
818 MERCURE DE FRANCE
duire le corps sans rompre l'équilibre , le
iet en état de tout entreprendre , sans
craindre d'échouer , et la parfaite imitation
de la nature qu'il doit suivre , sans
jamais s'en écarter , lui donne toute la
grace qu'il peut avoir. Je suis , Monsieur,
& c. J
A Caen , ce 28. Mars 1732 .
Av
IDYLLE.
Traduite du Grec de Bion.
Τα Μοῖσαι τον Ερωτα ,
Vec un zele extreme, au malin Dieu d'Amour
Les Filles de Memoire en tous lieux font leur
cour .
Aussi , qu'un. Insensible ose s'approcher d'elles ,
Il les fait toutes fuir et les trouve rebelles ;
Mais des que fléchissant sous le joug amoureux ,
D'un air tendre il commence à soupirer ses feux,
Elles lui vont soudain offrir leur assistance,
On peut s'en rapporter à mon experience ;
Si je chante un Heros ou quelqu'autre des Dieux,
Les accens de ma voix n'ont rien de gracieux ;
Mais quand je veux chanter ou l'Amour ou Silvie,
De ma bouche les Vers coulent pleins d'har
monie.
Par M. COCQUARD , Avocat an Pare
lement de Dijon .
AVRIL. 1732. 879
Le sieur Lancret , Peintre de l'Académie
, compte de donner incessamment au
Public le Portrait historié de Mlle Sallé
pour servir de pendant à celui qu'il a
fait de Made Camargo . Ces deux cèle
bres Rivales , qui par la diversité de leurs
talens , n'en concourent que mieux à la
gloire de leur Art , et qui partagent également
les suffrages du Public , meritent
la même immortalité.
Il nous est venu un Madrigal, qui
fut fait chez le Peintre , lorsqu'il dessinoit
une attitude d'après cette Danseuse ;
le Public ne sera pas fâché qu'on lui en
fasse part. L'ingenieux Poëte parle à
M. Lancret .
MA
MADRIGAL.
A plume et ton Pinceau, doivent par d'heu
reux traits ,
Former une image brillante ;
Apallon nous inspire et Sallé se présente ;
Je peindrai ses vertus , tu peindras ses attraits.
Incertain sur le choix des Graces ,
Ton oeil épie en vain ses traces ,
Et l'Art tient dans tes mains ses Crayons sus
pendus,
La peindre est un secret que l'Art confus ignore.
Console- toi , je suis encore ,
Plus incertain sur le choix des Vertus .
Iij
LA
$20 MERCURE DE FRANCE
LAVIE du B. Vincent de Paul ,
en Tableaux &c.
A
Près la Béatification du B. Vincent ·
de Paul , premier Instituteur de lá
Congrégation des Prêtres de la Mission de
S. Lazare , M. Bonnet , qui en est aujour
d'hui le Superieur General , homme d'un
mérite distingué , et rempli de zelé pour
la gloire du saint Fondateur , a entrepris
de faire peindre l'Histoire de sa vie en
plusieurs Tableaux placez dans le Choeur
et dans la Nef de l'Eglise de la Maison de
S. Lazare de Paris , par plusieurs Peintres
célebres .
Le premier et le plus grand de tous ces
Tableaux se voit actuellement dans la Nef.
Il a été peint par le F. André , Parisien
Religieux Dominicain du Noviciat . Ce
Peintre s'est acquis une grande reputation
par quantité de beaux et pieux ouvrages
que
les Curieux visitent avec empressement
dans l'Eglise et dans l'interieur de
son Monastere.
Ce Tableau , qui est de 14 pieds de hau
teur, sur 1 de largeur, représente l'Apotheose
du B. V. de Paul donnant sa béné
diction aux Superieurs Generaux qui l'ont.
suivi depuis l'Etablissement de la Maison,
et
AVRIL.. 173-28 821
et qui sont à genoux . On voit aussi dans
le fond du Tableau les Soeurs de la charité
, dont le saint homme a été pareillement
l'Instituteur , ayant à leur tête la
pieuse Mad. le Gras , qui a beaucoup contribué
à cet Etablissement. Tout cela
frappe par son harmonie et par la beauté
de sa composition , aussi les Ĉonnoisseurs
Festiment parfaitement, Ce Tableau sera
seul dans la Nef où il fait un effet mer
veilleux.
Le même Religieux a peint avec le même
succès un autre Tableau , placé dans
le Choeur . On y voit representé le pieux.
Fondateur dans un fauteuil , prêchant aux
pauvres de l'Hôpital du nom deJesus , qu'il
a aussi fondé. Če second Tableau de dix
pieds de hauteur sur à 9 de largeur ,
n'est pas moins estimé que le précedent :
on y distingue sur tout un vrai naturel
dans les Figures.
9
Quatre autres Tableaux ayant les mêmes
dimensions , et aussi placez dans le
Choeur , ont été peints par M. de Troy
dont le nom seul fait l'éloge de ses Ouvra
ges. Le premier represente le saint Homme
, comme il fait la Mission étant Curé.
Le second exprime , par rapport au sulet
general , la mort du Roi Louis XIII . Let
I iiij
troj.
822 MERCURE DE FRANCE
troisiéme la Conference des Ecclésiasti
ques. Et le quatrieme le Conseil de la Reine
Mere , dans lequel le B. Fondateur est
représenté. Toutes les expressions de ces
Tableaux sont très nobles et d'un beau
pinceau ; on reconnoit par tout le célebre
Auteur.
Du côté opposé , toûjours dans le
Choeur , est un cinquiéme Tableau , qui
représente le saint Missionnaire prêchant
aux Galeriens. C'étoit un de ses exercices
"favoris , et dont l'execution demandoit
une main aussi habile que celle de M.
Rhetou , qui n'a rien oublié pour exprimer
d'une maniere parfaite cet Acte pénible
et laborieux d'une charité consommée.
Ce Tableau est suivi d'un septiéme de
M. Baptiste ; et M. Galloche travaille actuellement
au huitième et dernier.
CONTE.
UN Viellard qui , sur ses vieux jours ;
Voulant recommencer le métier des Amours ,
Fit l'insigne folie
De prendre à soixante ans femme jeune et jolie ,
Trouva dans son chemin par hazard un Meunier.
Bon jour , ami , dit- il , au bon pere l'ânier ;
Dans
AVRIL 823
1732.
Dans quel endroit du corps , sçais-tu par avan
ture
Que l'Asne a la peau la plus dure ?
Ouy , Monsieur , reprit - il , d'un air railleur et
prompt ,
"
Je vous apprens que c'eſt au front.
Il eft certaine expérience
Qui prouve assez ce que j'avance .
Mirez-vous , et voyez , si vous êtes sensé ,
Que vos cornes au front n'ont point encor
percé
A
D'AUTEFEUILLE.
į įį į į ƒ ƒ ƒ į ž
EXTRAIT d'une Lettre , écrite de Rennes, ·
au sujet d'une nouvelle Pompé , pour·la
plus prompte extinction des Incendies.
Près avoir travaillé long- temps à la
construction de plusieurs morceaux
de Mécanique , aussi nouveaux que reconnus
utiles dans la pratique ; je me
suis appliqué à construire une Pompe aspirante
, et foulante sans Balancier , capable
d'éteindre en peu de minutes les
flames de quelque Incendie que ce soit ,
en la maniant adroitement. Elle est por
tative , et un seul homme peut la faire
mouvoir. Feu mon Frere , Officier des
Milices Bourgeoises , qui s'employà utile
Iy
ment
1
824 MERCURE DE FRANCE.
ment lors de l'Incendie general de cetre
Ville , vint à bout par ce moyen ,
de sauver
entierement son quartier.Ce qui a été
depuis suivi de plusieurs autres experien
ces aussi heureuses , que j'ai faites moimême.
La premiere,chez M. de Ligouyer,
Conseiller de ce Parlement ; et tout récemment
à la Maison du sieur Perrineau ,
près de l'Intendance, où un feu violent s'é
toit pris dans une Cheminée , adhérante
à une Charpente qui joignoit celle de
mon Presbitere. Trois injections de ma.
Pompe l'éteignirent tout- à -fait ; ce qui
fut fait en presense du sieur Abbeille, Ingenieur
de la Ville , logé dans la même
maison , lequel admira cette machine et
son succès.
Beaucoup de personnes s'en sont également
servies , avec le même succès ,
pour éteindre des Incendies cachez , dont
il y avoit beaucoup à craindre , et qui
n'ont point cu de suite.
Si cette Pompe , d'autant plus à considerer
qu'elle n'est point chargée de res
sorts , construite avec art , dans la simplicité
de l'hydraulique , est agréée du public
, j'en ferai tenir à Paris , à Padresse
qu'on trouvera bon de me donner. La façon
de s'en servir est aussi très- simple ;
la jonction étroite du peu de ressorts qui
la
AVRIL 1732. 825
a composent , est d'ailleurs à l'épreuves
de l'eau et impenetrable à l'air . Le corps
de la Machine est d'un Métail sonnant et
leger .
Cependant on distribuera de ces Pompes
, à Rennes , chez le sieur Bolleret ,
Marchand Planneur, ruë de la Frocassiere,.
lequel donnera en même temps une Instruction
imprimée sur la maniere de s'en
servir. Leur prix , à Rennes, sera de liv.
et à Paris , de 18 liv . le port compris . J'ai
plusieurs autres Machines et Ouvrages de ..
Mécanique , également utiles, que je communiquerai
en temps et lieu .
Mon adresse est à M. Bouros , Vicaire
perpetuel de S. Jean , lez Rennes , à son
Presbitere , près l'Intendance .
le 29 Fe A Rennes en Bretagne , le 29:1
vrier 1731.
1
BOUTS RIMEZ ,
Proposez dans le Mercure de Decembre
dernier.
Le bon homme Lucas boira jusqu'à la Mort¸´,
Il n'aime pas plus l'eau que l'aspect d'une Biere;``
Pour le vin seul il païe et l'entrée et le
1 vj
Port
7
Est
826 MERCURE DE FRANCE
Et sa cave est profonde autant qu'une Carrière .
Il y va tous les jours lorsque sa femme Sort ,
Jouer des Gobelets , sans sac ni Gibeciere ;
Aprés quoi notre ami chancele , tombe et Dort ,
D'un somme plus profond que ne faisoit Moliere
Sa Moitié quelquefois descend d'un air Hagard
,
Vieillard , Pour troubler le repos du fortuné
Et de cent maudissons , lui fait longue Apostophe.
Mat ,
Mais Lucas de sa main , lui presentant le Plat ,
Lui donne sur la jouë un rude échec et
Puis reboit et redort , sans autre
Catastrophe.
Le Mardy 22. de ce mois , l'Académie
Royale des Belles- Letrres tint son Assemblée
publique . M. l'Abbé Bignon y
présida.
M. l'Abbé Canaye ouvrit la séance par
la lecture d'une Dissertation ; sur la Personne
, les Sentimens , et les Ouvrages
d'Anaximandre , Philosophe Grec , Disciple
de Thales .
M. l'Abbé Sallier lut pour M. Racine
absent , un parallele de l'Andromaque
d'Eurypide , et de celle de M. Racine ,
pere.
M.
AVRIL. 1732 . 827
M. de Foncemagne lut un Discours ,
dans lequel il examine et refute le sentiment
du Comte de Boulinvilliers , au
´sujet de l'Election des Generaux de l'Armée
, que cet Auteur donne à la Nation
Françoise pendant la premiere Race , et
qu'il croyoit être une chose essentiellement
separée de la Royauté.
M. l'Abbé Sallier , lut une Ode de Pindare
, traduite en François , avec des Remarques
historiques et critiques , suivant
la Methode du feu Abbé Massieu .
M.Bonami, termina la Séance par l'histoire
de la guerre que Cesar soûtint dans
Alexandrie contre Ptolemée et les Egyptiens
, après la mort de Pompée , et la
Bataille de Pharsale , conformément aux
Plans de la ville d'Alexandrie , ancienne
et moderne , et de ses deux Ports , & c.
dont il avoit donné l'explication dans une
Dissertation lue à l'Académie.
Le Mecredi 23 , l'Académie Royale des
Sciences , tint aussi son Assemblée publique
d'après Pâques.
M. de Fontenelle ouvrit lá scéance par
PEloge de M. de Maisons , Président
du Parlement , et honoraire de cette
Académie , mort l'année derniere.
M.d'Ons-embrai lut après la description
et la maniere de construire un Instrument
propre
868 MERCURE DE FRANCE
propreà faire éxecuter les Airs deMusique
dans le vrai mouvement qu'ils ont été
composez.
,
M. de Reaumur lut ensuite un Mémoire
d'Histoire naturelle , sur l'insecte appellé
Teigne des arbres.
Après celà M. Dufay lut un Mémoire
sur la maniere de colorer le marbre..
M. Buache donna la Description d'un s
Instrument propre à observer la variation
de l'aiguille aimantée , et en même
tems sa déclinaison .
M. Duhamel finit la scéance par la lecture
d'un Mémoire sur la formation d'un
sel , & c. Nous donnerons un Extrait de
ces Mémoires.
Le 25 Avril , la Lotterie de la Compagnie dess
Indes , établie pour le remboursement des Actions
, fut tirée en la maniere accoutumée à l'Hô-3
tel de la Compagnie. La Liste des Números ga
gnans , des Actions et Dixièmes d'Actions qui
doivent être remboursés , a été rendue publique.
faisant en tout le nombre de 304 Actions.
PRIX proposé par l'Académie Royale
des Sciences pour l'année 1734.
Fu
Eu M. Roüillé de Meslay , ancien Conseiller
au Parlement de Paris , ayant conçû le noble
dessein de contribuer au progrès des Sciences , et
à l'utilité que le Public en doit retirer , a légué à
PAca
AVRIL: 1732 829
l'Académie Royale des Sciences , un fonds pour
deux Prix , qui seront distribuez à ceux , qui au
jugement de cette Compagnie , auront le mieux
réussi sur deux differentes sortes de Sujets , qu'il
a indiqués dans son Testament, et dont il a donné
des exemples."
Les Sujets du premier Prix regardent le sistême.
general du Monde , et PAstronomie Phisique.
Ce Prix devoit être de 2000. livres , aux termes
du Testament , et se distribuer tous les ans.
Mais la diminution des Rentes a obligé de ne le
donner que tous les deux ans , afin de le rendre
plus considerable , et il sera de 2 5oo . livres ,
Les Sujets du second Prix regardent la Naviga-:
tion & le Commerce.
Il ne se donnera que tous les deux ans, et sera- a
de 2000. livres.
Les Scavans de toutes les Nations sont invitez
à travailler sur les Sujets qui seront proposez , et
même les Associez Etrangers de l'Académie. Elle
s'est fait la Loi d'exclure les Académiciens regnicoles
de prétendre aux Prix.
Ceux qui composeront sont invitez à écrire en
François ou en Latin , mais sans aucune obliga-...
tion. Ils pourront écrire en telle Langue qu'ils
voudront , et l'Académie ferâ traduire leurs Ou
vrages
On les prie que leurs écrits soient fort lisibles ,
sur - tout quand il y aura des Calculs d'Algebre.
Ils ne mettront point leur nom à leurs Ouvrages
, mais seulement une Sentence ou Devise . Ils
pourront , s'ils veulent , attacher à leur Ecrit un »
Billet séparé et cacheté par eux , où seront avec
cette même Sentence , leur nom , leurs qualitez et
leur adresse , et ce Billet ne sera ouvert par l'Académie
, qu'en cas que la Piece ait remporté le
Prix.
30 MERCURE DE FRANCE .
Ceux qui travailleront pour le Prix , adresse
ront leurs Ouvrages à Paris au Secretaire perpe
tuel de l'Académie , ou les lui feront remettre end
tre les mains- Dans le second cas le Secretaire en
donnera en même temps à celui qui les lui aura
remis , son Recepissé , où sera marquée la Sen
tence de l'Ouvrage et son numero selon l'ordre
ou le temps dans lequel il aura été reçû .
S'il y a un Recepissé du Secretaire pour la Piece
qui aura remporté le Prix , le Trésorier de
P'Académie délivrera la somme du Prix à celui
qui lui rapportera ce Recepissé . Il n'y aura à cela
nulle autre formalité.
S'il n'y a pas de Recepissé du Secretaire , le
Trésorier ne délivrera le Prix qu'à l'Auteur mê¹
me , qui se fera connoître , ou au Porteur d'une
Procuration de sa part.
Le Sujet proposé pour le Prix de l'année 1732
étoit , Quelle est la Cause Physique de l'inclinaison
des Plans des Orbites des Planettes ; par rapport au
plan de l'Equateur de la révolution du Soleil autour
de son axe, et d'où vient que les inclinaisons de
ces Orbites sont differentes entr'elles .
Quoique dans les Pieces qui ont été envoyées
pour concourrir à ce Prix , il s'en soit trouvé
quelques- unes qui paroissent avoir été faites par
des personnes sçavantes , et où il y a des Recherches
curieuses , cependant comme on n'y a rien
trouvé d'assez précis ni d'assez ' clair sur la ques
tion proposée , on n'a pas cru devoir adjuger le
Prix
Une matiere aussi importante pour l'Astrono.
mie Physique étant très digne d'êtie approfondie,
l'Académie a jugé devoir proposer de nouvean
le même Sujet pour l'année 1734. dont le Prix
sera double , c** -à - dire de sooo . livres, suivant
les dispositions de M. de Meſlay .
AVRIL. 1732 83·2
Les Auteurs des Pieces qui ont été déja envoyées
pour 1732. pourront y faire tels changes
mens , ou les mettre sous telle forme nouvelle
qu'ils voudront , mais en marquant que ce se
ront les Pieces auxquelles ils avoient donne telle
Sentence ou Devise , et ils les renvoyeront écris
tes tout de nouveau.
S'ils n'y font aucun changement , ils n'auront
rien à dire , ni à faire sçavoir , et leurs Pieces
Concourront encore avec toutes les autres.
A plus forte raison les Pieces absolument nouvelles
seront reçûës.
On ne recevra les unes et les autres que jus
qu'au premier Septembre 1733 .
L'Académie , à son Assemblée publique d'après
Pâques 1734. proclamera la Piece qui aura ce
Prix,
:
ARRETS NOTABLES.
DIT DU ROY, portant réduction dés
E trois offices de Trésoriers Generate deta
Marine , à deux seuls Corps d'Offices. Et suppression
d'un desdits trois Offices. Donné à Versailles
au mois de Mars 1732. Registré en Parlelement
le 23. Avrik.
ARREST du 29. Mars , qui modere à trois
livres du cent pesant , ét lés quatre sols pour livre
, les droits d'entrées des Cinq Grosses Fermes
, sur les Cires blanchies dans la Rafinerie
établie par le sieur Macs dans la basse Ville de
Dunquerque.
Le
832 MERCURE DE FRANCE
Le 29. Mars dernier, les Chambres étant assem
blées à la Tournelle , il fut rendu un Arrêt entre
le Marquis d'Hautefort et la Dle de Kerbabu ,
dont voici le Prononcé.
La Cour faisant droit sur le tout , et sans s'ar
rêter aux requêtes et demandes de Marie- Jeanne
Belingant de Kerbabu , en ce qui concerne les
plaintes et accusations par elle formées , dont elle :
est déboutée , met l'appellation et Sentence de laquelle
a été appellé au néant ; émendant , renvoye
Emmanuel d'Hautefort de l'accusation contre
lui intentée ; condamne ladite Belingant de
Kerbabu en 2000 liv. de dommages et interêts.
vers ledit Emmanuel d'Hautefort ; ordonne
que les termes injurieux portez ès requêtes de la..
dite de Kerbabu , seront et demeureront suppri
mez , renvoye pareillement lesdits Pierre Mandex
, Jean Gasselin , Claude Martinon , Etienne
Thomas et Paul Martin , de l'accusation contre
eux intentée ; condamne ladite Kerbabu en 50 liv ..
de dommages et interêts vers chacun desdits . Mar
tinon , Thomas et Martin , en 30. liv. aussi de
dommages et interêts vers chacun desdits Mandex
et Gasselin , décharge la succession er heritiers
Soutet , des demandes de ladite Kerbabu résultantes
de l'accusation , formée contre ledit feu
Antoine Soutet ; condamne ladite Kerbabu en 30
liv. de dommages et interêts à cet égard vers les
heritiers Soutet , et en outre ladite Kerbabu en
tous les dépens , tant des causes principales que
d'appel et demandes vers ledit Emmanuel d'Hau
tefort , et vers lesdits Mandex , Gasselin , Marti-
Thomas , Martin et heritiers Soutet , même
en ceux réservez ; sauf à ladite Kerbabu à
se pourvoir sur ses demandes à fins civiles ,
ainsi qu'elle avisera bon être , défenses dunon
,
2
dit
AVRIL. 8335 1732.
•
2
dit Emmanuel d'Hautefort au contraire ; permer
audit Emmanuel d'Hautefort de faire imprimer ,
le present Arrêt. Fait en Parlement , & c.
Arrêt du premier Avril , par lequel il est dit
que le Roy étant informé de l'abus qui se prati
que depuis quelques années dans le Royaume , en
subtituant à la Rhubarbe la racine de Rhapontic
étranger , qui , à la verité , a des qualitez qui approchent
de celles de la Rhubarbe , mais qui lui
sont fort inferieures ; que cette racine ayant la ·
forme de la Rhubarbe , l'on est en usage de la déguiser
, en répandant dessus de la poudre de Rhubarbe
veritable , ensorte qu'en ayant la couleur
exterieure et l'odeur , le Public est facilement
trompé ; qu'il en résulte des inconveniens trèspréjudiciables
, tant parce que ce Rhapontic ne
produit pas des effets aussi utiles que la Rhubaṛ-
be , que parce que le Public qui croit acheter de
la Rhubarbe veritable , paye le Rhapontic infiniment
plus qu'il ne vaut , à quoi Sa Majesté desi- ~
tant pourvoir. Vû Pavis de l'Académie Royale
des Sciences , ensemble celui des Députez du :
Commerce , &c. Le Roy a interdit et prohibé,
interdit et prohibe , à commencer du jour de la
publication du present Arrêt , l'entrée dans le
Royaume par tous les Ports , Passages , Provinces
, Pays , Terres et Seigneuries de son obéissance,
de la racine appellée Rhapontic ; en conse
quence , fait S.. M. deffenses à tous Marchands
Négocians et autres personnes de quelque quali é
condition qu'elles soient , d'en faire entrer ni
introduire dans le Royaume , sous quelque dénomination
que ce puisse être , soit qu'elle vienne
de Moscovie , ou autres Pays Etrangers , à
peine de confiscation , et de cinq cens livres d'amende
834 MERCURE DE FRANCE
mende contre chacun des contrevehans , &c.´¨
JUGEMENT rendu par M. Herault , Conseil
ler d'Etat , Lieutenant General de Police , et
M's les Conseillers au Siege Présidial du Châte-
Jet , Commissaires du Conseil en cette partie ; an
sujet de 875. Exemplaires imprimez , intitulez ;
Nouvelles Ecclesiastiques .
Il est dit par déliberation de Conseil et Jugement
en dernier ressort , 'ony sur ce le Procureur
General de la Commission , que ladite Marie
Reaubourg est déclarée dûement atteinte et con
vaincue d'avoir été arrêtée trouvée saisie de 875
Exemplaires, imprimez , Libelles intitulez Nou
velles Ecclesiastiques , qu'elle colportoit et introduisoit
dans Paris ; pour réparation , la condamnons
à être bannie pour cinq ans de la Ville ,
Prévôté et Vicomté de Paris , et en outre la
condamnons en trois livres d'amende envers le
Roy , a prendre sur ses biens. Ordonnons que
conformément à ce qui a été prononcé par l'Arrêt
du Parlement du 9. Fevrier 1731. les 871.
Exemplaires imprimez ayant en titre , Nouvelles
Ecclesiastiques , étant au Greffe de la Commission,
seront lacerez et brulez par l'Executeur de la haure
Justice , en Place de Greve . Ordonnons en ou
tre que le present Jugement sera , à la diligence
du Procureur General de la Commission , imprimé,
lû, publié et affiché , &c. Jugé le 23
Avril 1732.
ARREST du 24. Avril , pat lequel il est dit
ce qui suit.
Le Roy étant informé qu'entre plusieurs écrits
C'on affecte de répandre continuellement dans le
Public , sur les affaires présentes de l'Eglise , il
en
AVRIL. 1732. 835
en paroît deux sous le nom de Seconde et de Troi
siéme Lettre de M. l'Abbé de Lifle , sur les Miracles
de M.de Paris , où l'on trouve reünis plus que dans
aucun autre , tous les caracteres de Libelles veritablement
diffamatoires et séditieux , soit par la li
cence et la malignité avec laquelle l'Archevêque"
de la Capitale de ce Royaume y est témerairement
attaqué , sans aucun respect , ni pour sa
personne , ni pour sa dignité,,, soit par les traits
artificieux que l'Auteur de ces Ouvrages y a semez
, pour soulever les Fidelles du Diocèse de
Paris contre leur Superieur légitime , et pour
leur inspirer en même - temps le mépris de toute
authorité ; Sa Majesté auroit jugé à propos pour
faire cesser un si grand scandale , de fetrir promptement
les Libelles qui renferment en eux mêmes
le motif de leur condamnation , en attendant
que ceux qui en ont été les Auteurs , les
Imprimeurs ou les Distributeurs , étant connus
par une procedure régulière , ils puissent être puiis
avec toute la séverité qu'ils méritent , à quoi
étant nécessaire de pourvoir , SA MAJESTE
ESTANT EN SON CONSEIL , a ordonné et ordonne
, que lesdits Libelles intitulez Pun Seconde
Lettre de M. l'Abbé de Lifle sur les Miracles de
M. de Paris , et l'autre Troisiéme Lettre de M. l'Abm
bé de Life , sur les Miracles de M. de Paris , &c.
seront lacerez et brulez dans la Place du Parvis
de l'Eglise de Notre- Dame , par l'Executeur de
la haute Justice ; enjoint à tous ceux qui en ont
des Exemplaires , de les remettre incessamment
au Greffe du sieur Herault Conseiller d'Etat
Lieutenant General de Police , pour y être lacerez
et supprimez , &C.
TABLE
.
Ieces Fugitives. Uranie , &c. Epitre ,
Plo Voyage de Normandie , VIIIe Lettre ,
Remarques sur les Ruines de Vieux ,
L'Art des Jardins , Poëme ,
625
631
641
1656
Explication du Principe des Machines , &c. 661
Therese , Ode ,
672
Réplique sur l'Inscription d'Auxerre ,
674.
Ariane , Cantate ,
684
Remarques sur l'Eglise de Meaux ,
687
692
·693
706
Sonnet sur les Bouts - Rimez proposez ,
Réponse de M. Bouguer à M. Meynier ,
Vers à M. Fourmont >
Lettre d'un Professeur de l'Université , sur le Bureau
Typographique ,
Madrigal ,
707
721
Douzième Lettre sur la Bibliotheque des Enfans
, &c.
Dimentions du Bureau Typographique ,
Enigmes , Logogryphes , & c.
726
733
$737
Nouvelles Litteraires , des Beaux Arts , &c. 74%
Théatre Critique , Universel , &c .
Mythologie ou Histoire des Dieux , &c .
743
753
756
Discours de M. l'Evêque de Luçon à l'Académic
Françoise , &c.
Cerémonie en Estampes du Sacre du Roy, &c. 769
Lettre écrite à l'Académie de Peinture et Médail .
le gravée ,
Chanson notée ,
Spectacles ,
77
771
Le Triomphe de l'Amour , Piece nouvelle , Ex
trait ,
Nouvelles Etrangeres ; de Turquie , Russie ,
77%
Po
Jogne
fogne et Allemagne ;
D'Italie ,
7783
786
Espagne et Portugal , 792
Morts des Pays Etrangers , 793
France , Nouvellles de la Cour , & c. 794
Morts , Naissances et Mariages , 798
Addition , Mort de M Chirac , sa place remplie
par M. Chicoineau , 803
Sonnet à Mile
+809
Remarques sur une Estampe , &c
810
Idylle ,
818
Portrait de la Dile Sallé ,
819
Madrigal ,
ibid.
La vie du B. Vincent de Paul en Tableaux , 820
Conte
Lettre sur une nouvelle Pompe ,
Bouts Rimez ,
Ouverture des Académies ,
82:2
1823
825
826
Prix proposé par l'Académie des Sciences , 328
Arrêts notables ,
Errata de Mars.
831
Age 430. ligne 25. du Roy , lisez du Puy.
Fautes à corriger dans ce Livre.
PAge626. ligne 8.quelques , lisez quels que. P. 657. 1. 4. du bas , arnement , 1. ornement.
s'interesse. P. 685.1. 14. s'y interesse ,
P. 691. 1. 8..le , l . la.
Ibid. 1. 13. déployée , l. dépayséc.
P. 730. 1. 15. et , ôtez ce mot.
P. 754. 1. 3. l'ambition , l. que l'ambition.
P. 768. 1. 2. du bas , eût par , 1. eût eu par.
P. 775. 1. 1. l'Amour par sa , l. Bacchus soutint
que sa. Ibid. 1. 2. Bacchus , l . Amour. P. 780 .
J.16. le fant, 7.le faux . P.789 1.16. la, ôtex.cemm.
**********************
LISTE DES LIBRAIRES
qui débitent le Mercure dans les
Provinces du Royaume , &c.
A Toulouse , chez Enaut et Forest.
Bordeaux , chez Raymond Labottiere , chez
Etienne Labottiere , et chez Chapui , fils , au
Palais , et à la Poste.
Nantes , chez Julien Maillard , et chez du Verger.
Rennes , chez Joseph Vatar , Julien Vatar , Guil
laume Jouanet Vatar et la veuve Garnier.
-Blois , chez Masson.
Tours , chez Masson.
Rouen , chez Herault.
Châlons- sur- Marne , chez Seneuse.
Amiens , chez la veuve François , Godard et Redé
le fils.
Arras , shez C. Duchamp.
Orleans chez Rouzeaux .
Angers , chez Fourreau et à la Poste.
Chartres , chez Fetil , et chez J. Roux.
Dijon , chez la veuve Armil , et à la Poste.
Versailles , chez Pigeon.
Besançon , chez Briffaut , à la Poste.
Saint Germain , chez Doré.
'Lyon , à la Poste.
Reims , chez Godard .
A Vitry-le-François , chez Vitalis.
Beauvais , chez De Saint.
Douay , chez Willerval.
Charleville , chez P. Thesin.
Moulins , chez Faure.
La Médaille gravée doit regarder la page
*La Chanson notée,
778
774
John
Bigelow
to the
Century
Association
DM
Mercure
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AV ROT.
·
MAR S. 1732 .
URY
COLLIGIT
SPARGIT
Chez
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER ,
rue S. Jacques.
LA VEUVE PISSOT , Quay de
Conty , à la descente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY, au Palais .
M. DCC. XXXIL
Avec Approbation et Privilege du Roy
HE NEW YORK
UBLICE IBRARY
086 79
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
L
A VIS.
ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU , Commis au
Mercure , vis - à - vis la Comedie Fran-
Coife , à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très-inftamment , quand on adreſſe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
foin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toujours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non-feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de los perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , où les Particuliers qui fouhaite
ront avoir le Mercure de France de la
pre
miere main, & plus promptement , n'aurons
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau
qui aura fain de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire porter fur
T'heure à la Pofte,ou aux Meffageries qu'on
Ini indiquera,
PRIX XXX, SOLS,
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
MARS.
732 .
PIECES FUGITIVES ,
en Vers et en Prose..
LAGE D'O R..
U'êtes - vous devenu , temps het
reux , âge d'or ,
Où regnoient les plaisirs , amis de
l'innocence ?
De ce siecle pervers, quand je vois
la licence ,
Non , je n'espere plus de vous revoir encor
Temps heureux , âge d'or !
Mon esprit prévenu , prend pour de beffes fables,
Ce que l'on dit de vos douceurs ;
A ij LA
S.H.P
414 MERCURE DE FRANCE.
La corruption de nos moeurs
A mes yeux obsturcis les rend presque incroïa
bles.
Je les croirois plus veritables ,
Si nous étions meilleurs .
Heureux ceux que le Ciel fit naître ,
Dans le cours fortuné , d'un âge si charmant §
Leur vie étoit simple et champêtre ,
Mais ils vivoient tranquillement.
Ils étoient simples , sans bassesse ;
Champêtres , sans rusticité ,
Villageois , sans grossiereté ;
Riches , sans de grands biens , délicats sans mol-→
lesse.
Plus Philosophes que Bergers ,
Fils avoient des Moutons , le soin de les con
duire ,
Leur faisoit éviter les funestes dangers
Que l'oisiveté peut produire.
Chez eux point de Palais , de rustiques maisons
Leur servoient d'habitations ;
Maisons , dont la seule nature ,
Avoit souvent conduit toute l'Architecture.
Lc
MARS. 17323- 485
Le Lait de Teurs Brebis , étoit leur nourriture
De la Laine qu'ils en tiroient
Its filloient des habits , sans argent , sans do
rure ;
La propreté faisoit la plus riche parure
Des vétemens qui les couvroïent
Modestes , sans être timides ,
Ils étoient , sans ramper , humbles dans leurs
discours ;
Des hommes fourbes et perfides , "
Ils ignoroient encor les dangereux détours",
Hélas ! ne pouvions-nous les ignorer toujours
Les Concerts que formoient leur Musique
champêtre ,
Etoient un doux plaisir pour eux ',
Dans l'Art de l'harmonie , ils avoient eu pour
Maître ,
Apollon , descendu des Cieux.
Pourquoi des sentimens si beaux , sirespectables
Des coeurs de leurs Neveux , se sont-ils effacez
Ah ! pourquoi nos Bergers ne sont- ils point sem
blables , •
Aux Bergers des siecles passez ?
A inj J'auro
418 MERCURE DE FRANCE
J'aurois déja quitté là Ville ,
Pour aller vivre et mourir avec eux ;
La Campagne , séjour tranquille ,
Me serviroit de sûr azyle ,
Contre les faux attraits d'un Monde dangereux.
P. R.
***
REPONSE aux Réflexions de M.Lalonat
de Sonlaines , Avocat au Parlement
de Paris , sur l'Explication Physique
que M. Capperon a donnée de l'Akousmate
d'Ansacq , dans le Mercure de
France , du mois de Novembre 1731.
L faudroit être d'un génie bien singulier
, si je me refusois à ce que
M. Lalouat
de Soulaines désire de moi ; sçavoir,
que je dissipe les doutes et les scrupules
Philosophiques , que mon explication de
l'Akousmate d'Ansacq a jettés dans son
esprit. Un concurrent qui en agit avec
tant d'honnêteté et de politesse , mérite
qu'on ne néglige rien pour le satisfaire.
,
J'aurai d'abord l'honneur de lui dire ,
par rapport à sa premiere observation
qu'il n'a pas lieu d'être embarassé sur ce
que j'ai dit qu'il y avoit des fermentations
froides
A
“
MARS. 1732 417
froides , s'il souhaite de s'en convaincre
il peut voir dans le Livre des Expériences
Physiques , que M. Poliniere a donné
au public, la 77 Experience , où il rapporte
, qu'en mettant dans l'Esprit de Vitriol
du Sel armoniac , si l'on y plonge la
Boule d'un Thermométre , pendant que
ces deux choses fermentent , l'Esprit de
vin descend au même instant considérablement
, ce qui est une preuve incontestable
qu'il y a des Fermentations froides .
Le même Auteur en donne l'explication ,
et il dit peu après , qu'il y a long-temps
qu'on a remarqué ces Fermentations froides.
On les a , ajoute- t- il , souvent regardées
comme contraires à l'opinion commune
, qui est , que la chaleur consiste
dans le mouvement.
Enfin, pour parler plus précisément ,
par rapport à mon systême , énoncé dans
mon Explication ; je dis , avec un Auteur
moderne , que je reconnois , ainsi que je
l'ai exposé , deux sortes de fermentations;
sçavoir , celles que j'appelle chaudes , et
qui se font avec une chaleur sensible, telle
que celle qui me pensa autrefois brûler
les doigts , pour avoir jetté quelques
clouds de fer dans une Phiole de verre ou
j'avois mis de l'Eau-forte , et que je tenois
dans ma main & et d'autres fermentations
A iiij
froides
418 MERCURE DE FRANCE
froides , c'est à- dire , qui se font sans cha
leur sensible , telle que celle du Vinaigre ,
avec le Corail , les Coquillages et sembla
Bles Alcalis. C'est sur ces principes , que
j'ai attribué à la premiere sorte de fermentation
, formée dans un nuage , la cause
du Tonnerre ; et à la seconde , formée
aussi dans un nuage , la cause des bruits
qu'on entend quelquefois dans l'air .
En ce qui touche sa seconde Observation
, j'ai dit, et je le dis encore, avec tous
les Physiciens de nos jours , que la matie
re subtile par son mouvement tourbillonant
, agitant continuellement les parties
essentielles des liquides , et en mêmetemps
celles qui s'y trouvent quelquefois
mélangées , quoiqu'éthérogenes , est la
seule cause de leur fluidité,et par occasion,
celle des fermentations qui se font dans
ces liquides , par le mélange de ces parties
hétérogenes qui peuvent s'y trouver . S'il
étoit vrai , comme le dit M. Laloüat de
Soulaines , que les parties des fluides fussent
longues, contigues , couchées les unes
sur les autres , la matiere subtile n'ayant
qu'un libre passage entre chaque partie ,
et que ces parties n'eussent point de pores,
comme il le veut ; il s'ensuivroit , qu'à
raison de leur contiguité , étant d'ailleurs
couchées les unes sur les autres , loin de
former
MARS: 1732. 419
former des corps liquides par leur tours
billonement continuel , elles en forme
roient de solides , puisqu'elles seroient
dans le repos ; et faute d'avoir des pores ,
pour laisser passer librement la matiere
éthérée qui produit la lumiere , elles rendroient
tous les corps liquides opaques.
Je crois que M.Lalouat comprend bien
que quand j'ai parlé de la fermentation
froide du Vin et du Cidre , et que pour
l'expliquer j'ai dit , que la matiere subtile
fait seule la liquidité des fluides , et que
j'ai ajouté , qu'agitant continuellement
leurs parties grossieres et tartareuses , & c .
je n'entendois parler que du Vin et du
Cidre , desquels seuls j'expliquois la fer
mentation , et non des liquides en general
, tels qu'ils peuvent être dans leur pureté
essentielle. Il faut avouer qu'il s'est
glissé une faute de Copisté dans cet endroit
, et qu'il devoit y avoir de ces finides
, et non simplement des fluides ; mais
la chose se trouve réparée huit lignes
plus bas , où je conclus que c'est l'action
de ces parties fines contre les grossieres
qui cause la fermentation de ces liquides ,
sçavoir, du Vin et du Cidre , dont il étoit
uniquement question . -
9
Je suis surpris , que quand je dis que
les vapeurs emportent avec elles , dans
Av Pair
420 MERCURE DE FRANCE
:
Pair , quantité de parties simplement terestres
, qui contiennent aussi de l'air , et
quantité d'autres , purement salines cela
ait jetté de la confusion à son égard , sur la
nature des vapeurs et de l'air car il expli
que lui- même dans sa troisième et derniere
Reflexion , comment les vapeurs et
les exhalaisons s'élevent dans l'air , et je
ne crois pas qu'il ignore , qu'on entend
par vapeurs les parties aqueuses qui s'élevent
dans l'air , et par les exhalaisons , les
parties terrestres qui s'y élevent de même,
soit qu'elles soient simplement terrestres
ou salines , ou sulphureuses. Je ne dis
donc que ce que tout le monde sçait , et
qu'il n'ignore pas lui- même ; car pour la
nature de l'air , j'en pense comme tous les
Physicions modernes , ainsi je ne vois pas ,
ce qui dans mes paroles , a pu jetter de la
confusion , si ce n'est ce que je dis , que
les parties terrestres qui sont enlevées ,
avec les vapeurs , contiennent de l'air , et .
c'est surquoi je m'expliquerai , en répondant
à sa troisiéme Reflexion.
Après ce que je viens d'exposer pour
servir de premier éclaircissement aux
doutes de M. Lalotat , je vais répondre
à sa premiere Refléxion , et je dis , que la
premiere consequence qu'il tire de l'idée
que je donne de la fermentation , n'est
pas
MARS. 1732. 421
pas juste ; car quoique je dise qu'il y a
des fermentations froides dans les liquides
, comme je l'ai prouvé , je n'ai jamais
dit que cela arrivât quand ces liquides
étoient dans la pureté qui leur est essen❤
tielle , comme lorsque l'eau et l'air song
parfaitement purs ; mais bien quand il s'y
trouve des corps étrangers , qui mettent
obstacle au mouvement naturel et ordi
naire que la matiere subtile entretient
dans ces liquides , pour former leur li
quidité. Les liquides ne peuvent dond
pas fermenter toujours ni en toute saison ;
puisqu'il n'y a pas toujours en eux des
corps qui mettent obstacle au libre mou
vement de la matiere subtile. Je n'ai garde
de penser que la fermentation soit
occasionnée la matiere subtile , compar
me il paroît me l'attribuer. Je sçai bien
que son mouvement est continuel ; j'ai
dit seulement que ce qui occasionnoit la
fermentation des liquides , tels que le vin
et le Cidre, c'étoient les parties grossieres
et tartareuses , qui , dans ces liquides ,
mettoient par occasion un obstacle au
mouvement de la matiere subtile.
Comment M. de Soulaines entend - il
que si dans les fermentations froides des
liquides , l'effet de la matiere subtile étoit
de pousser les parties les plus fines dans
A vj les
422 MERCURE DE FRANCE
les pores des plus grossieres , il s'en ensuivroit
une condensation ou diminution
de volume ? Peut- il ignorer que la fe
mentation ne se fait que pour briser , dissoudre
, subtiliser et éloigner les parties
grossieres des liquides qui mettent obsta
cle au mouvement de la matiere subtile ?
Parconsequent , si les fines sont poussées
dans les pores des plus grossieres , ce n'est
pas pour y rester , mais pour les diviser
et les
rompre , comme un coin qu'on enfonce
violemment dans du bois l'ouvre
et le divise , la fermentation des liquides
n'y peut donc causer ni condensation
ni diminution de volume .
Pour répondre à la seconde Refléxion ,
je dis qu'elle me paroît fort inutile 3 premierement
, parce que les trois inconveniens
qu'il croyoit s'ensuivre de mon Systême
, de la fermentation des liquides, ne
subsiste pas , comme je viens de le fairevoir.
Secondement , parce que les trois
causes qu'il apporte de cette fermentation
, n'ont rien de vrai-semblable qu'en
ce qui a quelque rapport à ce que j'en'
ai dit , conjointement avec tous les Physiciens
modernes.
Car dans la fermentation ce n'est pas
la matiere subtile , comme il le prétend ,
qui augmente son mouvement ,
il est
toujours
&
MAR S. 1732 423
toujours le même ; mais rencontrant des
obstacles dans son mouvement , c'est alors
qu'elle pousse , agite , brise , chasse ces
corps qui lui résistent , et voilà ce qui
cause le trouble qui se fait dans les li
quides pendant les fermentations. Pourquoi
y chercher des parties grasses et enz
trelassées ? Se trouve- til des parties gras
ses dans le vinaigre qui fermente avec le
Corail , les yeux d'Ecrevisses et sembla
bles Alcalis ? Que signifie cette augmen
tation de force que prend la matiere sub
tile lorsqu'elle frappe les Globules du
second Element ? Selon tous les Cartésiens
, n'est- elle pas elle- même composée
du premier et du second Element ? (a)
Enfin, quel est ce corps étranger qui pousse
la matiere subtile , qu'on donne pour
troisiéme cause de la fermentation , et
qu'on suppose plus puissant que cette mariere
subtile ? J'avoue que je ne le con →
pas , et que tout cela n'est pas assez
clair et intelligible , pour me faire changer
de sentiment.
nois
Je n'ai rien à dire sur la premiere Par
tic de la troisiéme Refléxion , puisqu'elle
ne sert qu'à justifier qu'il s'éleve dans
Fair des vapeurs et des exhalaisons dont
(a ) Regis. Syst. de Philos . Tom. I. Part 2.
Chap. 9.
rout
424 MERCURE DE FRANCE
tout le monde convient , ce qui fait l'es
sentiel de mon Explication . Il s'agit seulement
de répondre à la conclusion tirée
de cette Refléxion ; sçavoir , que les
parties qui composent les vapeurs sont
trop fines pour être poreuses et pour pou,
voir parconsequent contenir de l'air . A
quoi je dirai d'abord , qu'elles ne sont
pas toûjours si fines qu'on se l'imagine ¿
puisque les parties terrestres qui s'élevent
avec les vapeurs , sont si sensibles , que
retombant avec la pluye , elles déposent
dans les Réservoirs un veritable limon
Chambon , dans ses Principes de Physique
, dit qu'en Pologne on voit souvent,
pendant l'hyver le Nitre qui a été enlevé.
avec les vapeurs , tomber en forme de
nege. La même chose est aussi quelquefois
arrivée à l'égard du Souffre. Wormius
a donné la Relation d'une pluye
qui tomba à Copenhague le 16. May,
1646. laquelle outre l'odeur du Souffre
dont elle infectoit tout le monde , laissa..
sur la terre tant de poudre sulphureuse
qu'on la pouvoit aisément ramasser ; ce
qui démontre que les parties des corps
terrestres qui s'élevent dans l'air avec les
Vapeurs , ne sont pas toujours si fines
qu'on peut s'imaginer..
Enfin , si fines qu'elles puissent être
MARS. 17322 425
elles
pas
il faut néanmoins qu'elles soient toûjours
poreuses , car si elles ne l'étoient pas,
seroient alors exactement compactes et
solides; dans ce cas , selon les loix cons
tantes de la pesanteur respective des corps
solides et des liquides , leur petit volume
l'emporteroit de force , à raison de sa
grande solidité, sur un égal volume de l'air
qui est très- fluide ; ainsi l'air n'auroit
assez de force pour les enlever de la terre,
et beaucoup moins encore pour les soutenir
su penduës dans sa masse ; comme
un morceau de bois très dur et très solide
ne peut pas aisément s'élever dans
l'eau et y nâger , ainsi que fait sans peine
un morceau de liege très- poreux , quoi .
qu'il soit d'un volume égal à celui de ce
bois dur.
Or comme les particules terrestres qui '
s'élevent avec les vapeurs et qui retombent
avec la pluye , ne sont pas si excessivement
fines , puisqu'elles forment
un limon sensible , rien n'empêche que
leurs pores étant plus ouverts , ils ne
puissent contenir de l'air ; la facilité qu'elles
ont à s'y élever et à s'y soutenir aussi
aisément qu'elles font , est une preuve,
non seulement qu'elles sont poreuses ,
mais que penetrées de l'air , il les soutient
d'autant plus aisément , que son
poids
426 MERCURE DE FRANCE
poids est plus puissant que le leur.-
J'espere qu'après tous ces éclaircissemens
, M. Laloüat de Soulaines sera satisfait
, au moins doit-il demeurer persuadé
que je n'ai rien négligé pour lui
donner des marques de ma bonne volonté
à son égard ; et que je suis et serai tou
jours plein d'estime pour sa capacité et
pour son mérite.
XX:XXXXXXXX:XXXXX
Plus
I DILE.-
Tircis.
Lus mon coeur amoureux vous presse de vous s
rendre ,
Plus le vôtre abusé , s'obstine à se deffendre ,
Ainsi coulent nos plus beaux jours ;
Aminte.
Le Dieu d'amour fait trop verser de larmes;
Tircis.
Pour échapper au pouvoir de ses charmes
Vous cherchez mille vains détours.
Aminte.
Du doux Tyran qui cherche à me surprend
Je crains le dangereux poison ;
Je le fuis ; ai- je tort d'opposer ma raison ,
Aux pieges qu'il voudroit me tendre ?
Tircis
MARS. 17328 427
Tircis.
Bergere , craignez moins de vous y laisser
prendre.
Quels doux plaisirs , quelles felicitez ,
Quand on aime un Berger discret , fidele et
tendre !
L'Amour a des attraits qu'il faut avoir goutez
Pour pouvoir les comprendre.
Quels doux plaisirs , quelles felicitez ,
Quand on aime un Berger discret , fidele et
tendre!
Ensemble.
Il faut chercher à se guérir ,
Des maux que cause une inhumaine ?
Plutôt que de mourir ,
On doit briser sa chaîne.
Tircis.
Mais si le puissant Dieu , Maître de l'Univers
Qui d'un coup de sa foudre,
Mit les Titans en poudre ,-
Tout inconstant qu'il est , vouloit porter vos fers
Pour venir sur l'herbette ,
Vous parler d'amourette ,
S'il quittoit sa brillante Cour;
Si pour gage dé son'amour ,
Il vous offroit un Sceptre au lieu d'une houlette,
A l'attrait d'un bonheur si doux, si glorieux,
Votre coeur pourroit - il ... , .
Aminte
428 MERCURE DE FRANCE
Aminte.
Ah ! s'il étoit possible ,
Qu'Amour rendît mon coeur sensible ,
Le plus puissant de tous les Dieux ,
Ne seroit pas l'Amant qui me plairoit le mieux,
Tircis
Que cet aveu flatte mon ame !
Le doux et tendre espoir qui conduit au plaisir ,
Aidé par l'amoureux desir ,
S'efforce à s'expliquer en faveur de ma flamme ;
>
Mais ce n'est point de l'espoir séducteur
Aminte , c'est de vous que je voudrois apprendre
Qui seroit ce Rival si rempli de bonheur ,
Qui mieux que Jupiter auroit droit de prétendre
A l'Empire de votre coeur.
Aminte.
Un Berger fidele et tendre ,
S'il me pouvoit jurer une éternelle ardeur.
Tircis.
Je ne connoissois pas mon plus parfait bonheur ;
Aminte , vous m'aimiez vous chérissiez ma
flamme !
Et je vous accusois d'une injuste rigueur 1
Ah ! si j'avois plutôt reconnu mon erreur
Que j'aurois épargné de tourmens à mon amèr
Mortelle Divinité,
Bergere
MARS.
429 1732.
Bergere que j'adore ,
'Ah ! vous m'ôtez ma liberté ,
Par des charmes plus doux encore,
Que l'éclat de la beauté.
Aminte.
In vous plaignant de ma froideur extrême ,
Berger , vous parliez autrement.
Tircis.
Si je ne parlois pas de même ;
C'est dans l'excès de mon toutment.
Ensemble.
Le doux Ruisseau qui coule dans la Plaine ,
Suit son penchant , s'abandonne à son cours ;
Fuyons , fuyons une contrainte vaine ;;
Aimons , allons où le desir nous mene ;
Et qu'ainsi coulent nos beaux jours ;
Fuyons , fuyons une contrainte vaine ;
Aimons , allons où le desir nous mene ;
Et qu'ainsi coulent nos beaux jours.
Par M. de Balmary de Cabors,
LET
436 MERCURE DE FRANCE
LETTRE de M. de Couffilts , Medecin
de Barege , écrite à M. Chevillard
Fontainier du Roy , sur la Découverte ´
d'une nouvelle Source , & c..
Our l'intelligence de cette Lettre , il
Pour
faut sçavoir que les Eaux de Barege ,
dans les Pyrenées , dont les excellentes
qualitez et les merveilleux effets ne sont
ignorez de personne , se perdoient depuis
quelque temps , et sembloient , pour
ainsi- dire , vouloir rentrer dans le sein
de la Terre. M. Dangervilliers en ayant
eû avis et sçachant combien ces Eaux sont
particulierement salutaires aux Officiers
et à tous les gens de guerre qui exposent
leur vie pour le service du Roy
pria M. le Duc d'Antin , de jetter les yeux
sur quelque personne habile et entenduë
sur le fait des Eaux , capable de faire la
recherche en question et le rétablissement
parfait des Bains de Barege. Le Duc d'Antin
lui envoya aussi - tôt le sieur Chevillard
, Fontainier du Roy à Meudon , d'une
capacité reconnue , lequel partit pour
les Pyrenées au mois de Juin dernier
et fut de retour au mois de Septembre ,
après
MARS. 17320
431
après avoir fait , non - seulement la recherche
et la réunion des anciennes Eaux en
plus grande abondance qu'auparavant ,
mais encore la découverte heureuse d'une
nouvelle Source qui a déja operé des guérisons
extraordinaires et presque subites.'
C'est de quoi M. Couffilts , Medecin des
Eaux de Barege , instruit le sieur Chevillard
par la Lettre qu'on va lire.
Le succès de vos peines et de votre
Ouvrage en ce Pays - cy , Monsieur , st
trop grand , sur tout par la découverte
que vous avez faite de la Source Minerale
qui produit tous les jours des effets
admirables , pour ne vous pas informer
des heureuses suites de vore travail . Je
vous dirai d'abord que l'Eau de la nouvelle
Source a un grand gout de fer et
de souffre ; j'estime qu'elle charrie d'autres
Mineraux , mais qui sont si bien liez
ensemble , qu'on ne peut guere les distinguer
par le goût ni par l'odorat , les
premiers etant dominants , ce qui mérite
qu'on en fasse faire l'Analyse par quelque
habile Artiste.
A l'égard des effets , cette Eau purge
des uns par les premieres voyes , par les
urines et par les transpiration ; elle fait
vomir les autres et les soulage de même ,
donnant à tous un grand appetit.
Ma
432 MERCURE DE FRANCE
Ma Lettre seroit trop longue si je vous
faisois l'énumeration de toutes les guérisons
parfaites qui sont de ma connoissance
; des Malades sur tout qui avoient
des obstructions aux Visceres . Je me contenterai
de vous parler sommairement de
trois personnes.
La premiere est un Prêtre Arragonois
de la Ville d'Aorle , que la réputation de
la nouvelle Source a fait venir ici . Il
souffroit depuis long- temps d'une tumeur
squirreuse au foye , et avoit tenté
inutilement tous les Remedes de la Medecine
Espagnole. Après neuf jours d'usage
de ces Eaux , pendant lesquels je
purgeai deux fois le Malade avec la Rhu
barbe et la Mane seulement , la tumeur
s'est entierement fonduë , et il s'est retiré
parfaitement guéri . J'ai reçû depuis peu
une de ses Lettres , par laquelle il me
marque qu'il jouit d'une santé parfaite
et qu'il doit sa guérison aux Eaux de cette
Source.
En second lieu , un Domestique du
Comte de Montaigu , atteint depuis
long- temps d'une maladie de langueur
qui l'avoit rendu éthique , à cause , sans
doute , des obstructions de ses Visceres ,
ayant accompagné son Maître à Barege
fur conseillé de boire aussi de cette Eau ,
ce
MARS. 1132 . 433
S
S
ce qu'il a pratiqué avec tant de succès ,
qu'il a été pareillement et radicalement
guéri .
>
Enfin le sieur Gertoux , Marchand et
Habitant de la Valée d'Aure , qui souffroit
des Obstructions considerables au
Foye et au Pancreas se trouvant aux
Eaux de Bagneres , qu'il prenoit sans aucun
succès , les quitta pour venir essayer
de cette nouvelle Source ; je n'osai pas
le lui conseiller, voyant sa bile répanpar
tout le
corps , et craignant quelfâcheux
accident ; cependant au bout
de huit jours d'usage de cette Eau, ils'apperçut
comme moi , que la bile avoit
repris sa circulation naturelle , et que les
Obstructions étoient fondues par la force
des Mineraux ; en un mot , il s'est retire
en parfaite santé.
duë
que
Jay crû , Monsieur , devoir vous faire
će petit détail pour votre satisfaction particuliere
et pour l'interêt du Public , qui
ne sçauroit trop tôt être informé des ef
fets merveilleux de cette nouvelle Découverte.
Je suis , &c.
A Lus en Barege , le 2. Novembre 1781,
Nous invitons M. Couffilts , au nom
du Public , de travailler ou de faire travailler
le plutôt qu'il lui sera possible
434 MERCURE DE FRANCE
à l'Analyse de ces Eaux , Operation dont
il reconnoît lui- même la necessité , et
que nous publierons avec plaisir , s'il veut
bien nous en faire part.
1
EPITAPHE
Du Frere Hilarion , Capucin au Convent
du Croisic , en Bretagne. Par Me de
Malcrais de la Vigne , à son Oncle ,
M. de P .** A ** Conseiller du Roy ,
Pere spirituel des Capucins du Croisico
Cy gist le Frere Hilarion §
C'étoit un digne Personnage.
Nul autre avec tant d'avantage,
N'honora sa Profession.
Encloîtré dès son plus jeune âge ,
Ce fut dans l'Ordre Capucin ,
Qu'il mit ses talens en usage .
Sans impudence il fut badin;
Sans être Cafard il fut sages
Mérite assurément divin ;
Chez le Capuchonné Lignage.
Il ne fit jamais du Latin ,
Le long er dur apprentissage ;
Mais à l'aide de maint lopin ,
Qu'il
MARS. 1732. 435
•
Qu'il goboit par fois au passage ,
Et qu'il citoit sans jargonnage
On l'eût prit pour un Calepin.
Pour peu qu'il eût sçû davantage,
Du Convent on l'eût fait Gardien ;
Et certes plus homme de bien ,
Ne méritoit ce haut étage.
Il attiroit par beau langage ,
Froment , Orge , Avoine au Moulin .
Et la Cloche au premier dreliu ,
Lui disoit si c'étoit du pain ,
Qu'on apportoit , ou du Fromage ;
Fût-il à manger son Potage ,
A la porte il voloit soudain.
Et Froc à bas , d'un front serain ,
Recevoit le friand message ;
Puis demandoit d'un air humain ,
Comment fait-on dans le ménage ?
Le monde au Logis est-il sain ?
Votre Procès va - t'il son train ?
Que dit -on dans le voisinage ?
O le beau temps ! point de nuage ,
Le Soleil se leve matin.
L'Almanach Nantois ,
pour
certain ,
Promet , s'il ne vient point d'Orage ,
Un Eté fertile en tout grain ,
Une Automne abondante en vin.
Le Printemps l'est en Pâturage.
B D'ailleurs
1
426 MERCURE DE FRANCE
D'ailleurs le Proverbe ou l'Adage ,
Dit que gras Avril et chaud May
Amenent le Bled au balay ;
Mais , mon Dieu , qu'à notre dommage
S'est changé le temps ancien
Le Peuple est devenu Payen ,
Et de la Ville et du Village
Il ne nous vient presque plus rien
Ni provision , ni chauffage.
Aujourd'hui nous mourrions de faim ,
Si votre bienfaisante main ,
N'avoit apporté son suffrage.
Puis adieu , bon jour , grandmerci ,
Le Donneur retournoit ainsi ,
Très-satisfait de son voyage..
Il étoit Portier , Cuisinier ,
Sommelier , Quêteur , Jardinier ,
Tous les Arts furent son partage ,
Sa mort m'a causé des regrets ,
Je l'aimois pour son caractere ,
Et de mes intimes secrets ,
Il fut souvent dépositaire.
Combien de notre Hilarion ,
A tous ceux de sa Nation ,
Sa perte a dû paroître amere !
Quoique cet excellent garçon ,
Dans l'Ordre n'ait été qu'un Frere ,
Il pouvoit être , avec raison ,
Des
Des
SAIS
CARAL
2
E
I
A
Æ
SPFAV
A
AV
T
MARS.
17328 437
Des autres appellé le Pere .
Cher Oncle , Pere et Défenseur
Des Capucins de cette Ville ,
Toi , qui d'une aumône fertile ,
Fais sur eux pleuvoir la douceur ,
Examine si dans mon stile ,
J'ai sçu faire un Portrait naif,
Du Frere aimable , à qui la vie ,
Par le sort fut trop tôt ravie ;
J'ai laissé le genre plaintif ,
"Et suivi le récreatif,
Pour bannir ma mélancolie.
のの
-
·dodasas toð to d
EXPLICATION d'une Medaille
antique très singuliere de Carausius ,
Empereur des anciens Bretons , au temps
de Diocletien et de Maximien-Hercule ,
adressée à S.A.S. M. le Duc du Maine,
Prince Souverain de Dombes , &c. Par
M. Genebrier , Docteur en Medecine.
MONSEIGNEUR ,
L'accueil dont V. A. S. m'a honoré à
mon retour d'Angleterre , la maniere distinguée
dont elle a b en voulu me communiquer
elle-même , et à Versailles et
Bij à
38 MERCURE DE FRANCE
à Sceaux , ses differens Cabinets de Mé,
dailles antiques , et la permission qu'elle
m'a accordée de décrire celles qui pou
voient entrer dans mes vûës Litteraires
sont des effets d'une bonté digne de V.A.S
mais trop marquez pour moi , pour ne
pas rechercher l'occasion de les publier.
' ose donc me fatter , Monseigneur , que
V. A. S. ne trouvera pas mauvais que je
fasse paroître cet Ecrit sous vos auspices.
Je l'ai composé au sujet d'une Médaille
antique du Héros bes Bretons , dont j'ai
déja eu l'honneur d'entretenir V. A, S.
Cette Médaille interesse particulierement
la gloire d'une de nos plus anciennes
Villes de France , Ville autrefois et encore
aujourd'hui très celebre , et qui
étant la Capitale du Gouvernement de
Monseigneur le Comte d'Eu , Prince qui
marche si dignement sur vos traces , doit
aussi interesser V. A. S.
Cette Médaille est de petit bronze et
assez bien conservée , elle est d'un Métail
jaune , qui est rare dans les Médailles
de ce temps - là . Je la croyois d'abord unique
, mais M. l'Abbé de Rothelin en a
trouvé depuis peu une autre qui n'est que
de cuivre rouge . Elle représente d'un côté
la tête de l'Empereur Carausius , couronnée
de rayons , avec la Légende ordinaire.
Imp
MARS J
es
1-
de
ui
AE .fé
lles
uni
en a
que
côté
гоп
aire
Imp.
>
. 1732 439
Imp. Carausius P. F. Aug. Et au revers
pour Legende , Tutela Aug. La Tutele
d'Auguste. Pour Type la figure d'une
femme debout , tournée du côté droit
vétuë d'une robe longue abbattue , don't
ún bout ramené du côté droit par devant
et retroussé sur le bras gauche , va
encore descendre jusqu'aux pieds . Certe
figure tient de la main droite une patere
sur un Autel où il y a du feu , et de la
gauche elle soutient par le bas une Corne
d'abondance , couchée sur le bras du même
côté.
Parmi beaucoup de Médailles antiques
que j'ai vûës dans un assez grand nombre
de Cabinets en differens Royaumes ,
par ordre et sous les auspices de S. A. R.
feuë Madame , et que j'ai décrites , je
n'en ai jamais trouvé que deux differentes
du haut Empire , avec la Legende
TVTELA , &C.
La premiere est une Médaille de Vespasien
, et la seconde de Nerva.
Au revers de la Médaille de Vespasien
, il y a pour Legende Tutela Augusti
S. C. et pour Type , la figure d'une
femme assise , tournée du côté droit , qui
impose la main droite sur la tête de Tite,
qui est devant elle au côté droit , ayant
fe bras gauche négligemment appuyé sur
Biij les
440 MERCURE DE FRANCE
les épaules de Domitien , qui est aussi
debout de l'autre côté , la face tournée
differemment . Ce qui nous marque que
ces deux jeunes Princes s'étoient , pour
ainsi dire voüés à cette Divinité Tutele
et qu'ils s'étoient mis sous sa protection.
3
Au revers de la Médaille de Nerva ,
il y a pour Legende Tutela Italia S. C.
La Tutele de l'Italie . Pour Type , la figure
de l'Empereur assis , de gauche à
droite , sur une Chaise Curule , qui tend
la main droite à deux petits enfans , garçon
et fille , qui sont debout à ses pieds ,
et qui lui sont présentez par l'Italie personifiée
sous la figure d'une femme aussi
debout derriere eux , pour faire entendre
que ce Prince s'étoit déclaré le Pere et le
Protecteur des enfans orphelins de l'un
et l'autre Sexe , C'est ce qui paroît confirmé
par un Passage de Xiphilin , * qui
rapporte que ce Prince assigna des Terres
estimées quinze cent mille dragmes pour
la subsistance des Citoyens qui étoient
dans la necessité.
A l'égard de la Médaille de Carausius ,
il- y a pour Legende au revers , Tutela
Aug.
à peu près comme dans la Médaille
de Vespasien , et non pas Tutela
Italia , comme dans celle de Nerva ; mais
* Dans la Vie de Nerva.
au
MARS. 17321 441
e
|-
ai
es
ur
at
is,
ela
éela
ais
au
au lieu que sur la Médaille de Vespasien ,
on y voit trois figures représentées , et
que sur celle de Nerva , on en voit quatre,
il ne se trouve qu'une seule figure sur
la Médaille de Carausius , comme je l'ai
décrite au commencement ; ce qui forme
un troisiéme Type different sur les Médailles
de ce genre.
Boissart , dans le troisiéme Tome de
ses Antiquitez , nous a donné la figure
de la Déesse Tutilina , sous l'habit d'une
venerable Matrone debout , le derriere
de la tête voilé , dont la robe descend
jusques aux pieds. On voit au côté droit
auprès d'elle un tronc d'arbre qu'un Serpent
entortille ; et au-dessous de la figure
est écrit en gros caractere , TVTILINAE.
S , ce qui nous apprend que la figure
qui est représentée sur ce bas- relief,
avoit été consacrée à la Tutiline sous ce
Type. *
Cette Divinité avoit un Autel à Rome
sur le Mont Aventin , comme Varron le
remarque dans sa Ménippée. Cette der-
* S. Augustin , dans le 4. Livre de la Cité de
Dieu , Chap. 8. fait mention de la Déesse Tutiline
, comme de la Sur - Intendante des Grains
après la récolte. Frumentis vero collectis atque reconditis
, ut tutò servarentur Deam Tutilinam praposuerunt.
B iiij
niere
442 MERCURE DE FRANCE
niere figure est encore differente de celle
qui est représentée sur notre Médaille de
Carausius , elle ne ressemble point non
plus à la figure de la Tutele qui est sur
la Médaille de Vespasien , où cette Divinité
est assise dans une attitude majestueuse
, ayant deux jeunes Princes debout
à ses côtez .
Pour ce qui regarde la Médaille de
Nerva , ce n'est point la Divinité Tutele
qui est représentée sur son revers ; c'est
l'Empereur Nerva lui- même qui y est
appellé la Tutele de l'Italie , et avec justice
, pour les raisons que nous avons rapportées
plus haut.
Ainsi le Type de la Médaille de Carausius
avec TVTELA AVG..ne revient à aucun
de tous ces Types . C'est , comme on
l'a dit , une figure toute particuliere. Elle
sacrifie sur un Autel , où il y a du feu ,
sur lequel elle répand une Patere pleine
de quelque liqueur propre au Sacrifice ,
tenant de la main gauche une Corne d'abondance.
Ne seroit- ce point là , Monseigneur
le Génie Tutelaire de la Ville et du Port
de Boulogne sur l'Ocean , ou bien celui
de la Ville et du Port de Bourdeaux ?
Ce sont , comme V.A.S. le sçait , deux
Ports et deux Villes qui ont été autrefois
MARS. 443 17320
fois très- considerables , soit par
leur propre
situation , soit par les grands Evenemens
qui y sont arrivez du temps des
Romains.
•
La premiere est aujourd'hui la Capitale
du Boulonnois , Peuple qu'on appelloit
autrefois les Morins .
La seconde est la Capitale de la Guyen:
ne , Province que Ptolomée appelle Aqui
tania.
Par rapport à Boulogne , j'ai prouvé
dans le corps de mon Ouvrage sur Carausius
, que cette Ville fût d'abord comme
le Magazin general et l'Arcenal de
cet Empereur , et qu'il en fit une des plus
fortes Places qu'il eûr sur les Côtes Maritimes
des Gaules , et qu'elle soutint un
Siege presqu'aussi long que le fut le fameux
Siege de Troye.
Le Génie Tutelaire en ce sens sur les
Médailles de Carausius , ne conviendroit
peut-être pas mal à Boulogne ; cet Autel,
ces Parfums , cette Paterre , désigneroient
les Sacrifices qui furent faits dans cette
Ville pour la prosperité des Armes , et
pour l'heureux succès de la Flotte de cet
Empereur.LaCorne d'abondance que tient
cette Figure , marqueroit la quantité suffisante
de toutes les munitions necessaires
pour la deffense et pour la sureté de cette
Place. Les Tours dont elle paroît couron-
Bv néc
444 MERCURE DE FRANCE
née , désigneroient la force de ses murailles
, qui devoient être bien considérables ,
puisque le Rhéteur Euménius ( a ) , dans
un de ses Panégyriques en fait mention ;
en les appellant Gessoriacenses muros , les
Murs de Gessoriac , parce que cette Ville
a aussi été appellée , Gessoriacum navale
à cause de la renommée de son Port , que
je prétends être le fameux Por.us Iccius
des Anciens.
Pour revenir à notre Médaille. Pline le
jeune en parlant des Sacrifices qui furenţ
faits à la proclamation de Nerva , nous
fournit un passage qui semble l'expliquer
encore dans un sens qui ne seroit point
incompatible à quelque Ville qu'on
voulut la donner. Diem , dit-il , in quem
Tutela Generis humani felicissima successione
translata est debita religione celebravimus,
commendantes Diis Imperii Authoribus
, et vota publica et gaudia.
C'est peut être , Monseigneur , ce que
les Monetaires nous auroient voulu faire
entendre par ce Type et par cette Légende
, par cet Autel et par ces Sacrifices.
Pour marquer à la posterité qu'à son
avenement à l'Empire , les Gaulois et les
Bretons de son parti , s'étoient religieu-
(a ) Panegyr. à Constantius César , chap. 4.
sement
MARS. 1732.
445
sement acquittez d'un devoir essentiel
envers Carausius , qu'ils venoient de reconnoître
pour Empereur , et qu'ils regardoient
comme l'objet de leurs voeux et
la Tutele du genre humain , dans le mê
me sens qu'Horace,dans une de ses Odes*,
donne ce titre à Auguste.
O Tutela prasens
Italia , Dominaque Roma.
C'est dans la même pensée que Nerva
est appellé , Tutela Italia sur la Médaille ,
dont nous avons déja décrit le revers , et
dont la Légende est tirée de ces deux Vers
d'Horace .
Mais la Médaille de Carausius , avec
Tutela Aug.au revers , accompagnée d'un
Type nouveau , et jusques icy inconnu ;
paroît nous marquer encore quelque chose
de plus , et elle pourroit s'entendre
d'une Divinité Topique , et propre à un
lieu particulier.
L'Autel , sur ce revers nous marque
que la Tutele avoit aussi ses Autels , ses
Temples et ses Sacrifices particuliers du
temps de Carausius , et que le culte de la
Tutele , étant Romain d'origine , s'étoit
* Ode 14. Carmin. lib. 4.
B vj ré
446 MERCURE DE FRANCE .
répandu dans l'étendue de ses Etats , dans
la grande Bretagne , dans nos Gaules et
dans d'autres Provinces, comme celui des
autres Dieux , dont V. A. S. sçait que le
culte s'étendoit , à mesure que les Romains
avançoient leurs conquêtes.
Pour venir à la Ville de Bourdeaux
l'Inscription antique qui y fut trouvée ,
et que voici , prouve invinciblement
le culte de la Tutele y étoit établi,
TVTELÆ
AVG .
LASCIVOS CANIL:
EX VOTO
L. D. EX. D. D.
que
C'est l'accomplissement d'un voeu solemnel
, fait à la Turele d'Auguste , par
un particulier, nommé Lascivus Canilius.
Les dernieres Lettres initiales de cette
Inscription , L. D. EX. D. D. signifient
le Sol lui en avoit été assigné par un
que
Décret exprès des Décurions de la Ville.
Locus datus ex Decreto Decurionum. Ce
qui fait voir en passant que Bourdeaux
joüissoit pour lors du droit de Colonie
Romaine , et qu'elle avoit adopté le culte
de cette Divinité. Elle y avoit un Temple
MARS. 1732 447
܂ܐ
>
ple des plus superbes , dans lequel cette
Inscription fut trouvée , selon Tristan .
Ce Temple subsistoit encore presqu'en
son entier en 1700.avant que Louis XIV .
de glorieuse mémoire , l'eut fait détruire
pour en faire une Esplanade devant le
Château Trompette . C'étoit un Péristyle ,
à quatre Angles droits , long de 87 pieds,
et large de 62. selon Elie Vinet , ou de
63 , selon Merula , dans sa Géographie
page 426. Ce Temple avoit six Colonnes
en face dans sa largeur, et huit Colonnes
à chaque côté dans sa longueur ; ce qui
faisoit en tout une colonnade de 24 Colonnes
, de l'Ordre Corinthien , dont il
en restoit encore 18 sur pied , dans le
temps que Vinet publia ses Notes sur Ausone.
Les Colonnes de ce Temple étoient
d'une hauteur si considérable qu'elles do
minoient sur tous les plus hauts Edifices
de la Ville ; ce qui peut avoir été en partie
cause de sa destruction . Au dessous de
ce Temple il y avoit des Voutes et des
Caves qui étoient d'un ouvrage aussi ancien
. On s'en servoit pour y conserver du
Vin , selon quelques Auteurs.
La démolition d'un monument si superbe
et si respectable par son anciennete
, ne laissa pas d'exciter les regrets de
quelques amateurs de l'Antiquité , gens
qui
448 MERCURE DE FRANCE
qui ne s'embarassent guere de politique.
Ces regrets furent même accompagnez
des larmes d'un des plus sçavans Antiquaires
(a ) de ce temps - là. Ce qui donna
occasion aux Vers , qui furent imprimez
dans le Mercure de Mars 1702.que V.A.S.
ne sera peut- être pas fâchée de voir icy.
99
55
Pourquoi démolit - on ces Colomnes des
Dieux ?
Ouvrage des Césars , Monument Tutclaire ,
Depuis plus de mille ans , que le temps les revére
,
Elles s'élevoient jusqu'aux Cieux.
» Il faut que leur orgueil , cede à la Forteresse
» Où Mars pour nous veille sans cesse .
Son redoutable Mur , Edifice Royal ,
Ne doit point souffrir de Rival.
Ainsi il ne nous reste plus aujourd'hui
aucun vestige de ce fameux Temple de
la Tutele, qu'un triste souvenir de sa ruine..
Mais que dis- je, Monseigneur, ce Temple
n'est pas entierement détruit , et l'idée
de ce superbe Edifice ne sera jamais
tout à-fait effacée de la mémoire des hommes.
Le même Vinet nous en a heureusement
conservé le Dessein . C'est dans ses
sçavantes Notes sur Ausone , où j'ai eu
( a ) M. Spon.
la
MARS. 1732. 449
ul
de
ne,
cm .
l'imais
ɔmceu-
5 ses
eu
la
1
la satisfaction de le voir représenté sous
le nom de Palais ou de Piliers de Tutele,
C'est ainsi qu'on l'appelloit vulgairement
, à cause de sa magnificence égale à
celle des Palais des Rois . C'étoit , sans
doute , non un Palais , mais un Temple
consacré à la Tutele , ou au Genie Tutelaire
de la Ville et du Port de Bourdeaux ,
comme l'Inscription antique , que nous
venons de rapporter plus haut , et qui y
fut trouvée , le prouve invinciblement.
Quoique tous les Dieux pussent être
Dieux Tuteles , soit male , ou femelle ,
V. A. S. sçait cependant que chaque Nation
ou Peuplade s'en choisissoit un particulier
, qu'elle invoquoit comme son
Génie , son Protecteur , et son Dieu Tutele.
Chaque Vaisseau avoit aussi son Dieu
Tutele particulier.
Or c'est du Dieu Tutele de la Ville de
Bourdeaux que je crois qu'on doit entendre
l'Inscription : Tutela Aug. & c. qui y
fut trouvée.
C'est de Bourdeaux que je crois aussi
qu'il faut entendre la Légende : Tutela
Aug. qui est sur la Médaille de Carausius;
et il est beaucoup plus à présumer , que
la figure qui esr sur notre Médaille, peut
être la même qui étoit adorée dans ceTemple
450 MERCURE DE FRANCE
ple de Bourdeaux , et que c'étoit- là la
Divinité Tutele de la Ville.
En effet , Carausius étant Maître de la
Mer , comme il l'étoit , je ne fais aucun
doute , qu'il ne se fut aussi emparé de la
Ville et du Port de Bourdeaux . Cette
Ville , aussi-bien que Boulogne , lui étoit
de trop grande importance pour la négliger.
Son Port , qui étoit autrefois au
milieu de la Ville , étoit aussi un des plus
superbes , suivant ces Vers d'Ausone :
" Per mediumque Urbis Fontani fluminis al
veum
Quem Pater Oceanus refluo quum impleverit
astu .
» Adlabi totum spectabis classibus aquor.
Carausius avoit en ces deux Villes deux
clefs pour sortir et pour entrer dans les
Gaules , suivant que ses affaires tourneroient
, bien ou mal ; dans l'expédition
qu'il projettoit de la grande Bretagne.
C'est de Bourdeaux et de ses Citoyens
que je pense qu'il faut entendre en partie
un Passage d'Eumenius , où il est dit que
Carausius emmena avec lui , en la grande
Bretagne , plusieurs Marchands des Gau-
Ies. Contractis ad Dilectum Mercatoribus
*
Galli
MAR S.. 1732.
450
S
n
je
le
He
us
Gallicanis;parce que cette Ville a toujours
été en grand commerce , sur tout avec
ces Insulaires .
Enfin Bourdeaux est la Ville où je crois
que notre Médaille a pû avoir été frappée,
les raisons que nous venons d'en raporter.
par
Peut- être cette Ville, puissante comme
elle étoit,et parTerre et par Mer,à l'exemple
de Boulogne , fut- elle une des premieres
à saisir cette occasion , pour secoüer
le joug des deux autres Empereurs Romains.
V. A. S. sçait qu'il n'y avoit pas
long- temps que la Ville de Bourdeaux
s'étoit soustraite à l'obéïssance de Gallien ,
et que du Gouverneur de la Province
dont elle étoit la Capitale , elle avoit fait
un Empereur , nommé Tetricus , qui prit
la Pourpre à Bourdeaux , où il faisoit sa
résidence ordinaire.
On voit encore à Bourdeaux , parmi les
autres Antiquitez, les ruines d'un Amphithéatre
, nommé vulgairement , le Palais
de Gallien , qui pouvoit y avoir fait quelque
séjour avant la révolte de Tétricus.
Cela fait voir le rang distingué que tenoit
autrefois cette Ville Maritime de la
Province d'Aquitaine , ou de la Guienne,
comme on l'appelle aujourd'hui .
Cette Ville ancienne ne s'étoit pas seu
lement
452 MERCURE DE FRANCE
lement renduë recommandable par son
commerce dans les extrémitez des Mers ,
même du temps d'Auguste , comme Strabon
, qui vivoit sous ce Prince , nous l'assure.
Elle s'est encore rendue celebre par
le grand nombre de Sçavans qui y ont
fleuri , comme on le peut voir dans les
Vers d'Ausone. Mais ce n'est point icy le
lieu d'en parler.
Ce que j'ai dit , Monseigneur, en faveur
de cette Ville , paroît suffire pour l'expli-
Ication de notre Médaille de Carausius
avec la Légende , Tutela Aug. ,
Légende inconnue jusques icy dans les
Médailles du bas Empire , et dont le Type
n'est
pas moins singulier , ni moins
digne de l'attention des Antiquaires .
Ce sont - là , Monseigneur , les conjectures
que j'ai crû pouvoir hazarder , et
que je soûmets entierement à votre décision
. Je ne sçai si V. A. S. les trouvera
assez solidement appuyées ; mais elles serviront
du moins à exciter la curiosité
des Sçavans sur ce sujet , et elles seront
un témoignage public de la Protection
jose dire , de la Tutele particuliere , dont
vous honorez les Sciences et les Gens de
Lettres , ainsi que du profond respect et
de la reconnoissance parfaite avec laquelle
je serai toute ma vie , &c.
A Paris , ce 15 Février 1732.
>
MARS. 453 1732.
12
τέ
nt
1 ,
nt
de
et
XXXXXXXX :XXXXXXX
EPITH ALAME ,
A M. le Comte de Marigny-Pibrac , ( a )
sur le Mariage de Mademoiselle de
Tyard - Bragny , sa petite -fille , et petiteniéce
de M. le Cardinal de Bissy , avec
M. le Comte de la Magdelaine Ragny.
N jour , las d'écouter les plaintes et les
voeux ,
Des Epoux asservis sous un joug rigoureux ,
Jupiter au Dieu d'Hymenée
Reprocha vivement leur triste destinée .
Oui , c'est vous , lui dit- il , qui causez leurs malheurs
,
Lorsque sans consulter leurs panchans- , leurs
humeurs ,
Vous osez à Plutus en faire un Sacrifice :
Moi - même tous les jours , grace à votre ca⇒
price ,
J'éprouve des chagrins que j'ai peine à bannir , `
( a ) M. de Pibrac , Chancelier de Marguerite
de Valois , Reine de Navarre , Président et Conseiller
au Conseil du Roy , connu par ses diverses Ambassades
et par ses fameux Quatrains , est le Bis-
Ayeul do M, le Comte de Marigny-Pibrac.
De
454 MERCURE DE FRANCE
Et ma foudre cent fois auroit dû vous punir ;
De m'avoir choisi pour Epouse >
Junon , ma propre soeur , querelleuse et jalouse.
L'Hymen tremble à ces mots altiers ;
L'Amour par un souris, en témoigne sa joye ,
Aux dépens de l'Hymen , l'Amour rit volon
tiers .
Eh-bien ! vous le il faut
voyez ,
l'on
que pourvoye
,
Dit le Dieu de Cythere , aux maux que vous
causez ,
Mon Frere , tant d'Epoux que vous tyrannisez
D'un regret éternel ne seroient point la proye,
Si nous n'étions pas divisez.
Pour rendre heureux les coeurs , je vous ouvre
une voye ,
C'est de souffrir, qu'à l'avenir .
Je vous livre tous ceux que vous devrez unir.
Aux conseils de l'Amour , qui cherche à le
séduire
L'Hymen étoit prêt à souscrire ,
Quand Minerve élevant sa voix ,
´Arrêtez , lui dit - elle , est-ce ainsi qu'on oublie
Que croire l'Amour seul , c'est croire la Folie ?
Des Sujets que sans aucun choix ,
L'Hymen par Cupidon , voit ranger sous ses
loix &
L'aveugle
MARS. 1732 . 455
L'aveugle passion est à peine assouvie ,
Que tout leur feu s'éteint , que le dégoût s'en,
suit:
L'Epouse à son réveil funeste ,
Voit que le tendre Amant s'enfuit ,
Et que l'Epoux fâcheux lui reste.
De vos Fêtes , Hymen , ce n'est pas qu'à mon
tour ,
Je prétende bannir le Dieu de la tendresse ,
Non ; mais n'invitez pas l'Amour sans la Sa
gesse ,
Ni la Sagesse sans l'Amour,
Jupiter applaudit à la sage Déesse ,
Minerve , Hymen , Amour , que votre haine
cesse ,
Et tous trois à mes yeux courez vous embrasser ;
Je veux , dit - il , je veux que dès cette journée ,
Pallas marque à l'Amour les Coeurs qu'il faut
blesser
Pour les assujettir aux loix de l'Hymenée.
J'ai déja fait un choix , reprend soudain Pallas ;
Et l'Amour et PHymen n'ont qu'à suivre mes
pas
De la voûte étoilée , on voit ces Dieux descendre
:
D'un yol léger ils vont se rendre
Chez
455 MERCURE DE FRANCE
Chez Ragny , qui croissant à l'ombre des Lauriers
,
Cueillis par ses Ayeux guerriers ,
S'exerçoit sans relâche
Gloire ,
→ aux Vertus que la
Grave éternellement au Temple de Mémoire.
Pallas d'un air plein de douceur ,
Lui tient , en l'abordant , ce langage flateur.
Mortel , chéri des Dieux , reconnoissez Minerve.
Je viens vous annoncer que le Ciel vous réserve
Pour faire bientôt le bonheur
D'une sage Beauté qui doit faire le vôtre ;
Les liens dont l'Hymen vous joindra l'un et
l'autre ,
Suivront l'offre de votre coeur .
Courez , allez trouver cette aimable Mortelle ,
Elle est digne de vous , comme vous digne
delle.
C'est la jeune Bragny , qui paroît ignorer
Tous les attraits divers qui la font adorer.
Je ne vous vante point son ancienne noblesse ,
Ce mérite étranger charme peu le Sagesse ;
Mais pour être assûré des vertus de Bragny,
Apprenez qu'elle sort du sang de Marigny.
Ragný párt à ces mots. Minerve sur ses tračės
Conduit l'Amour , l'Hymen , les Plaisirs et les
Graces ;
Il
MARS. 1732. 457
1 joint Bragny , lui parle , elle ose l'écouter ;
Son extrême délicatesse ,
Ne lui défend pas d'accepter
L'hommage d'un Mortel , guidé par la Sagesse.
De cet heureux instant , l'Amour sçait profiter ,
il prend son arc , il tire , et tous deux i les
blesse
De traits qui dans leurs coeurs ouverts à la
tendresse ,
Font naître des transports, jusqu'alors inconnus;
Et PHymen secondant l'ardeur qui les entraîne ,
Compose pour eux une chaîne
De la Ceinture de Vénus.
O vous , qui recevez en ce jour agréable,
De leur douce union un pur contentement
Trop heureux , Marigny , ne doutez nullement
Que leur félicité ne soit invariable ,
Puisque par la vertu d'un Hymen si charmant
Leur amour sera sage , et leur sagesse aimable.
Par M. CocQUARD , Avocat au
Parlement de Dijon.
es
les
ૐક
11
QUES
458. MERCURE DE FRANCE
QUESTION jugée au Parlement de
Paris , par Arrest du 21 Fevrier 17320
sur un appel comme d'abus de Mariage.
AIT. N. Daluimar , originaire de la
Paroisse de S. Martin de Nigel , Diocèse
de Chartres , épousa en 1718. la
Dlle Tauvay. Contrat de Mariage , du
mois de Mars. Acte de célébration de la
même année. Par le Contrat , signé de
quatre témoins, il s'est dit demeurant ruë
de la Calende , Paroisse de S. Germain le
Vieux. Le Mariage a été célébré à S. Benoît
, Paroisse de la fille , après une publication
de Bancs faite à S. Benoît, et une
autre , en la Paroisse de S. Germain le
Vieux. On a prétendu au contraire , que
Daluimar étoit domicilié sur la Paroisse
de S. Martin de Nigel , au Païs Chartrain ,
lors de son Mariage , et que dès qu'il ne
paroissoit point de consentement du
Curé de cette Paroisse , le Mariage étoit
abusif.
M. Joli de Fleury , Avocat General ,
portant la parole en cette cause , a distingué
deux objets : la question de Droit er
la question de Fait. ·
Suc
MARS. 1732 459
a
u
de
1
Sur la question de Droit , il dit qu'il
étoit inutile de remonter aux Loix faites
par les Papes , et aux Capitulaires de nos
Rois ; que nous avions là - dessus une Loy
nouvelle , qui étoit l'Ordonnance de 1639 .
Cette Ordonnance veut que l'on fasse une
publication de Bans dans les deux Paroisses
des Contractans Elle veut de plus que
l'Acte de Célébration soit signé de quatre
témoins. Le motif de cette Loy est d'obla
vier à la Clandestinité des Mariages. Elle
veut que les personnes qui ont interêt de
ue s'opposer à un Mariage , ayent un Ministre
sur qui ils se puissent reposer. Si on
ne demande que la présence d'un Curé ,
les Contractans ne manqueront pas d'éviter
le Curé qui pourroit les traverser .
Le même esprit regne dans l'Edit de 1697 .
Cet Edit requiert dans les Mariages le con-
oisse sentement du Curé des Parties qui conrain,
tractent ; il nedit pas le consentement du
il ne Curé de l'une des Parties , mais des Part
duties ; par consequent il faut le consenteétoit
ment des deux Curez.
le
Bepu
une
le
que
conti
Quand nous parlons de ce concours de
neral, Curez , nous ne demandons pas ,
distin- nua-t-il , la présence des deux Curez
roit et mais seulement le consentement des deux.
Ce consentement se peut constater de
Sur trois manieres. On peut prendre un Acte
C du
460 MERCURE DE FRANCE,
du Curé, portant son consentement , premiere
voie. Secondement , on peut demander
la permission à l'Evêque , qui
tiendroit lieu du consentement du Curé,
Enfin ce concours est encore suffisamment
marqué par la publication des
Bancs dans les deux Paroisses,
Une troisiéme Loy , qui peut nous ser
vir de regle , c'est l'Arrêt de 1697. par lequel
on jugea le concours des deux Curez
necessaire. Il est vrai que l'on s'est depuis
écarté de l'Edit , dans l'Arrêt de 1707,
parceque dans ce temps-là on n'avoit plus
les motifs de l'Edit si présens,
Après avoir établi la nécessité du concours
, il en faut revenir à la question de
Fait , peut- être celle- cy se décidera-t-elle
indépendamment de la question de Droit,
Deux Actes authentiques attestent le
domicile de Dalvimar sur la Paroisse de
S. Germain le Vieux , un Contrat de Mariage
de 1718.et un Acte de celebration de
la même année. Il est constant qu'il faut
donner la provision à ces Actes , si l'on
ne rapporte pas la preuve du contraire .
Il est vrai aussi que si on les combat
par des piéces de quelque consideration ,
ces Actes pourroient fort- bien ne se pas
soûtenir ; mais d'autre côté , jusqu'à ce
qu'il en paroisse les Actes subsistent dans
Leur
M.ARS. 1732. 461
de
de
ut
OD
Dat
pas
an
leur entier et dans toute leur faveur. On
pourroit dire que ces Actes sont bien plus
propres à prouver le domicile present
que le domicile antérieur ; du moins le
font - ils présumer
, et on doit s'en reposer
sur la foy de ces Actes , jusqu'à ce
qu'ils soient renyersez. Il est à observer.
que l'Acte de célébration
est signé de
quatre témoins.
A ces deux Actes qu'oppose - t-on ? Un
Bail, passé hors de Paris en 1727. un Acte .
passé entre les habitans ; un Extrait des
Rôles des Tailles , par lequel il paroît que
Dalvimar a payé la Taille depuis 1716.
jusqu'en 1727.
-Le Bail ne peut être d'aucune considération
, il a été passé dans un temps
posterieur de plusieurs années au Mariages
on ne doit pas avoir plus d'égard à .
l'Acte passé pardevant Notaires , par
le
quel plusieurs habitans déposent du domicile
de Dalvimar à Nigel. Cet Acte
ne peut tenir lieu que d'une preuve testimoniale.
Quant à l'Extrait du Rôle des
Tailles , il semble d'abord qu'on en pourroit
conclure que Dalvimar ne demeuroit
point à Paris en 1718. puisqu'il a payé la
Taille depuis 1716 jusqu'en 1727. Cette
continuité de payement semble supposer
une continuité de domicile , mais cepen
Cij dant
462 MERCURE DE FRANCE
dant elle ne prouve pas absolument le
domicile ; on est encore sujet au Rôle des
Tailles pendant dix ans , malgré la translation
de domicile . Dalvimar peut avoir
eu son domicile à Paris en 1718. et cependant
avoir payé la Taille : il pouvoit être
encore dans les dix ans de sa translation
de domicile.
Mais , dira-t - on , il ne rapporte point
d'autres Actes pour constater son domicile
, que le Contrat et l'Acte de célébration
de son Mariage , point de quittance
de Capitation . Ce défaut d'Acte est tout
au plus une preuve négative. D'ailleurs
il se peut faire qu'il n'ait été inquiété ni ;
pour la taxe des Pauvres , ni pour la Cam
pitation,
Par ces considérations M. l'Avocat Ge
neral de Fleury a conclu , à ce que sans
avoir égard à la Requête de la Partie de
M Paillet des Brunieres ( Avocat de l'appellant
) faisant droit sur l'appel comme
d'abus , il fut dit qu'il n'y avoit abus.
Les Conclusions ont été suivies ; cependant
M. le Premier Président est retourné
aux voix , et a dit que la Cour s'étoit
déterminée par le point de Fait ; qu'il étoit
chargé d'avertir le Barreau que quand la
question se présenteroit dans le Droit
elle jugeroit pour la nécessité du con..
Cours
1
.
MARS. 173.23 463
cours des deux Curez. M. Sarrazin plaidoit
pour la validité du Mariage.
REMERCIMENT
Qu
A MADAME D ...
Uand à Marot Dame bonne et gentille
Par bons repas donnoit allegement ,
Pour elle alors Marot de sa Mandille
Tiroit en Vers gentil Remerciment ,
Vers dont un pied valoit une pistole ,
Vers , comme on dit faits tous au petit point
Moi qui ne fus jamais à son école ,
Ne puis donner Vers marquez à son coin ;
Car pour tel cas faudroit avoir sa plume 5
Et tel qui veut sans elle l'imiter ,
S'agite en vain , puis se fâche et s'enthume ,
Mal dangereux. Ce fut pour l'éviter ,
Que m'enhardis à faire un coup de tête.
Voulant avoir pour vous gentil propos ,
Droit à Marot j'offris humble Requête ,
Qui seul en fit digne de votre los.
Affectant donc air de condoleance ,
Pour que sa plume il daignât me prêter ,.
Je lui tirai très-bas ma réverence ,
Mais d'un seul mot il sçût bien m'arrêter ;
Ciij Scachez
464 MERCURE DE FRANCE
Sçachez qu'un jour la Parque meurtriere .
Lorsqu'à rimer je prénois mes ébats ,
Lorgnant son coup pour m'étendre en la biere ,
Du même coup mit ma plume en éclats.
Or avec moi périt beau badinage , G
Bien que depuis on ait vû maints Marmots
A qui mieux mieux, affecter mon langage ,
En excroquant quelqu'un de mes vieux mots.
Très bien le sçais ; mais souffre qu'on s'explique.
Sire Marot : si mon dit te déplaît , -
Toujours pourras au bas de ma supplique
Mettre un néant , dissiper mes projets.
Si donc ne puis avoir ta plume ancienne ,
Encor est-il remede à ce malheur ;
Ne peux -tu pas du moins tailler la mienne ?
Je sçaurai bien m'en faire ensuite honneur.
Ah ! pour si peu ne te veux éconduire ,
Me dit Marot , d'un visage serein ,
'Ainsi soit fait, si beaux Vers veux déduire.
Il me la taille et me la met en main .
S'il m'eût offert les ducats de sa bourse ,
Je n'aurois pas trouvé mon sort si beau ,
Tant bien croyois qu'alloient couler de source ,
Ode , Sonnet , Madrigal , ou Rondeau.
Mais par malheur la plume étoit trop fine.
J'écris du dos , pardevant , de travers ,
Tout m'étoit un ; dont fis piteuse mine ,
Jamais ne pus mettre ensemble deux Vers.
Sur
MARS. 465 1732:
Sur quoi Marot me voyant si mal faire ,
Dit les gros mots , se mit en grand esmoy :
Quitte , dit-il , ces armes , pauvre hére ,
Si tu ne peux t'en servir comme moi ;
A tes amis fais compliment en Prose ,
Sans faire Vers tu peux parler raison :
Car sur les tiens je crains fort qu'on ne glose ,
Crois-moi , l'avis est pour toi de saison.
Je conviendrai que j'aurois de m'y rendre,
Et qu'en tel cas m'eût été plus prudent ,
Si sans rimer vous eusse fait entendre ,
Comment m'avint tant piteux accident ;
Mais peu m'en chaut qu'on dise avec justice
Que ne suis pas bon Versificateur ;
Pour vous , croyez si m'êtes plus propice ,
Que mon esprit est duppe de mon coeur.
ENVO r.
Si vous mesurez ces miens Carmes ;
Avec l'Equerre d'Apollon ,
Iceux seront sans valuë et sans charmes
Et n'y trouverez rien de bon .
Mais prenez une autre balance ,
Vous en connoîtrez la valeur ,
Pour Mere ils ont tendre reconnoissance ,
Et leur Papa s'appelle Coeur .
C iiij LET
466 MERCURE DE FRANCE
REPONSE à la Lettre écrite de Soissons,
sur Saint Front , inserée dans le Mercure
d'Avril 1731 .
MESSI
ESSIEURS ,
Le zele de la Personne qui demande
'des Mémoires sur S. Front , est très louable
; il est juste de le seconder. Il paroît
qu'elle seroit fâchée qu'on lui en envoyât
de faux , ou qu'on s'expliquât d'une maniere
qui ne décidât rien . Cependant
il sera difficile de découvrir la verité
dans une chose si incertaine et si enveloppée
d'obscuritez. Je ne me flatte pas
de l'enrichir beaucoup ; mais au moins
L'exposition que je ferai de ma disette ,
pourra contribuer à éclaircir un jour ce
qui paroît couvert de tant de nuages ,
si dès-à - present on n'a pas de quoi les
dissiper. Les hommes , comme dit M.Baillet
, à l'occasion de S. Front de Perigueux,
peuvent bien tirer la verité des tenebres,
mais il n'est pas en leur pouvoir de la
créer. Ainsi il ne faut pas que le Curieux
de Soissons s'attende à la production d'une
Légende bien circonstanciée . C'est
beaucoup
MARS. 1732. 467
beaucoup qu'on puisse lui indiquer l'état
de son Saint , et le Siecle auquel il
a vécu .
Je ne puis deviner la raison qu'a eû
cette Personne , dont vous avez imprimé
la Lettre dans le Mercure d'Avril , de
prendre Neuilly - Saint - Front pour un
Village. C'est veritablement une petite
Ville ; et celle de Soissons n'en étant éloignée
que de six lieuës , je ne trouve pas
que son ignorance soit pardonnable , ni
qu'elle rende suffisamment justice à ce lieu,
en le qualifiant de Village assez conside
rable . Ne seroit- ce point à l'imitation de
ce Bourguignon , qui n'ayant jamais été à
Avallon , prenoit cette Ville pour une
Bicoque , tandis qu'il y a bien des Villes
Episcopales en France qui n'en approchent
pas Je ne fais cette remarque en
passant , que parce que c'est dans un Livre
imprimé dans le siecle présent , que
la Ville d'Avallon a été ainsi maltraitée.
Le mot de Bicoque , étoit appliqué fort
injurieusement.
Comme c'est ce Neuilly Soissonnois
qui a donné occasion à la Lettre qu'on
vous a écrite , je croi qu'il n'y a pas de
mal de commencer par le venger et d'en
tracer d'abord une legere idée . Ce Neuilly
est situé dans un fond qui est cependant
C v
ly
assez
468 MERCURE DE FRANCE
1
3.
+
assez découvert , sur tout du côté du
Couchant , et dont la vûë se termine vers
le Midy , à un petit Côteau , au haut duquel
est l'ancienne Eglise de l'Hôpital. II
est composé de deux Paroisses ; sçavoir ,
Saint Front , qui est une Eglise dont la
partie Orientale est d'une structure du
treiziéme siecle ou un peu plus , le reste
étant plus nouveau et d'Architecture
seulement erriciastique. Elle est renfermée
dans le Château et elle s'y trou
ve seule avec un ou deux bâtimens.
Ce Château est dans le goût de ces Forteresses
qu'on bâtissoit il y a six ou sept
cens ans. Il est de forme ronde , environné
de Fossez pleins d'eau et flanqué
de plusieurs grosses Tours à cinquante
l'une de l'autre . La seconde Paroisse pas
est S. Kemy, Eglise bâtie dans le Fauxbourg
du côté du Septentrion , mais d'une
antiquité au moins égale à ce qu'il y
a de plus ancien dans celle de S. Front .
Cette derniere Paroisse comprend dans
son territoire la partie Septentrionale de
la Ville. Les rues de ce lieu sont larges ,
propres , bien pavées , les maisons assezbien
rangées et peuplées de toute sorte
de Marchands et d'Artisans. le Château
qui est dans le plus bas de la Ville , est
Fenfermé entierement dans les murs qui
la
MARS. 469
. 1732.
1
la ferment
و
et. ces murs sont encore passablement
bons et élevez , à cause de la
commodité du grais qui n'est pas rare en
ces quartiers- là . Voilà d'abord ce que j'avois
à dire touchant ce Neuilly, pour prouver
que ce n'est pas un Village. Aussi
est- il qualifié de Ville dans le Dictionnaire
Universel de la France , qui y compte
1792. Habitans.
Les Ecclesiastiques de S. Front m'apprirent
lorsque j'y passai, que c'est le premier
Evêque de Perigueux , qu'ils regardent
comme leur Patron. On y débite
que ce Saint est l'Apôtre de Neuilly , éga
lement comme de Perigueux. Je ne sçai
même si l'on ne met pas Neüilly en premier
lieu , comme si ce Saint fût venu
y annoncer la Foy avant que d'aller à
Perigueux. On avoit dit la même chose
à M. l'Abbé Chastelain , Chanoine de l'Eglise
de Paris , lorsqu'il y passa l'an 1682.-
et ce Sçavant , sans approfondir alors cette
matiere , déclara assez ce qu'il en pensoit,
en marquant que ce Saint pouvoit n'être
venu à Neuilly que par quelqu'une de ses
Reliques. Le 25. Octobre jour du culte
de l'Apôtre du Périgord , étant la Fête
de Neuilly , cela confirme encore les
Habitans dans leur opinion ; mais il y a
plus , c'est que du côté Méridional de
C vj l'E470
MERCURE DE FRANCE
l'Eglise on montre un vitrage où l'on
apperçoit en peinture quelques traits de
la L gende de l'Evêque de Perigueux , le
reste ayant été détruit par l'injure des
tenips. J'y vis en effet la représentation
du Miracle de la Phiole , qu'on dit être
descendue du Ciel pendant que ce Saint
celebroit la Messe ; mais par malheur ce
Vitrage n'a tout au plus que deux cens
ans . On m'assura que cette Phiole étoit
autrefois conservée à Neuilly , et qu'elle
a été perduë ou cassée ; desorte que tout
ce qu'on y conserve aujourd'hui de ce
Saint consiste dans un article des doigts
à quoi on ajoûta qu'outre la Fête du 25.
Octobre, il y en a encore une autre qu'on
appelle la Tranflation , laquelle se celebre
le second Dimanche d'après Pâques.
Le nom de S. Front ayant été fameux
dans ce Pays - là , il n'est pas étonnant :
qu'on l'ait donné au Baptême à plusieurs
Enfans. On le trouve aussi dans les Registres
Baptistaires de la Paroisse du Fauxbourg
de Cône sur Loire , par la raison
que je vais rapporter .
Avant que de passer par Nülly , je
sçavois que dans le Diocèse d'Auxerre il
y a une très-ancienne Eglise sous l'invocation
d'un S. Front . Son Edifice est presqu'entierement
du onziéme siecle ; le Peuple
MARS. 1732. 471
ple de la Ville de Cône app lie communément
cette Eglise du nom de S. Aignan ,
et c'est l'erection d'un Prieuré dans la
même Eglise, qui a fait ce changement de'
dénomination . J'avois vû le Manuscrit
de cette Eglise , qui contient l'Office du
S. Patron. Il a deux cens ans ou environ
d'antiquité et il est ainsi désigné : En ce
Cayer est comprins la Legende et l'Office de
Chant de Monsieur S Front , dont les Reliques
de tout son digne Corps sont cyens ,
hors la haute partie de son Chef qui est en
Perigord , dont il fut premier Evêque envoyé
de Rome par Monsieur S. Pierre l'Apore
, premier Pape de Rome , et avec ledit
S. Front , ung Prêtre son Disciple nommé
Georges , lesquels cheminant l'espace de trois
jours , Georges déceda et fut ensepulturé par
ledit S. Front , lequel dolent s'en retourna ,
&c. Il est inutile de dire le reste , ni de
marquer que l'Office qui suit contient la
Legende rapportée dans le Mercure de ³
Juillet dernier , pages 1670. 71. et 72. et
qu'elle est rédigée dans un style qui ressent
tout à- fait la barbarie des anciens
Perigourdins. Ceci suffit pour faire voir
que les Villes de Cône et de Neuilly ont
fait venir du Perigord l'Office de saint
Front, croyant que leur Saint étoit ce
prétendu Disciple de J. C. Mais on ne
-
peut
472 MERCURE DE FRANCE
peut prouver que cette créance soit plus
ancienne que de deux ou trois siecles dans
ces deux Villes , et quand même elle seroit
plus ancienne , elle n'en seroit pas
pour cela plus veritable ; c'est pourquoi
j'espere qu'en démontrant qu'à Cône on
a été dans l'erreur lorsqu'on a crû que
le S. Front , ancien Patron de l'Eglise du
Fauxbourg , est l'Evêque de Perigueux , je
pourrai inspirer quelque doute sur le
même article aux Habitans de Neuilly ,
qui sont bien plus éloignez de la Ville
de Perigueux , que ne le sont les Habi
tans de Cône.
Il est constant que l'on conserve à Cô
ne , dans l'Eglise en question , presque
tous les Ossemens qui composent un
corps humain , et qu'ils y sont regardez
comme formant le Corps d'un S. Front ,
suivant l'Inscription du Livre dont je
viens de parler. Je parle sur ce ton pour
avoir vû ces saintes Reliques et pour être
assuré qu'en l'an 1622. François de Donadieu
Evêque d'Auxerre , les visita
dans leur ancienne Châsse , et les appronva
; je suis même certain qu'il y a quel
ques portions de la tête . Or c'est une
chose très- clairement prouvée dans l'Histoire
des Evêques de Perigueux , publiée
par Jean du Puy en 1629. que le Corps
.
entier
MARS. 1732. 473
*
entier et le Chef de S. Front , premier
Evêque de Perigueux , furent conservez
à Perigueux même jusqu'à- ce que les
Calvinistes ayant porté la Châsse à un
Château voisin de la Dordogne , les jetterent
dans la Riviere l'an 1575. Done
le Corps presque entier , conservé à Cô
ne , n'est nullement celui de S. Front de
Perigueux. Je suis persuadé par l'ardeur
que les Perigourdins témoignent et qu'ils
ont toujours témoignée depuis les siecles
d'ignorance à perpetuer dans la pureté
de son Original la prétendue Vie de
S. Front , qu'à plus forte raison ils ont
toûjours dû montrer un zele bien plus
ardent pour ne pas souffrir qu'on fit des
distractions si notables du Corps de
leur S.Apôtre , et qu'on emportât ailleurs
la partie inferieure de la tête avec les
dents , le femur , le tibia , les os ischion
illion , les vertebres , les côtes , les phalanges,
rotules de genou , calcaneum , &c.
و
Puis donc qu'on est encore en état de
montrer tous ces Ossemens à Cône , et
que M. l'Evêque d'Auxerre déclara en
1622. que l'étoffe qui les renferme contenoit
cette Inscription , De sancto Fron-
Voyez le second Tome de son Livre, intitulé
l'Etat de l'Eglise du Perigord , aux pages 91. 139%
151. et 203. suivant l'Edition de l'an 1716.
tone
474 MERCURE DE FRANCE
tone , c'est une marque certaine que les
deux Corps sont differens ; à moins qu'on
ne dise que quelqu'un auroit pris en 1575
dans la Riviere de Dordogne les Ossemens
de S. Front , et les auroit portez à
Cône. Mais c'est ce qui ne peut être ;
premierement , parce qu'il est impossible.
de réunir en un seul endroit d'une eau
courante tant d'Ossemens , même très - pe
tits , et que d'ailleurs il seroit bien difficile
de les prendre secretement ; secondement
, parce que l'étoffe qui enveloppe
les Ossemens de S Front de Cône est
plus ancienne que les guerres des Calvinistes
; il y en a même qui est d'un travail
de cinq ou six cens ans. Outre cela,
la Tradition touchant la presence du,
Corps de S. Front à Cône , est bien anterieure
aux guerres des Calvinistes , ce
qui se prouve par le titre qui se lit à la
tête de son ancien Office , dont j'ai rap "
porté cy-dessus le commencement.
Etant donc suffisamment prouvé qu'à
Cône sur Loire , on a été dans l'illusion
depuis quelques siecles , en prenant les
Reliques qu'on y possede pour celles de
S. Front de Perigueux , et en chantant en
son honneur un Office entierement tiré
de la Legende fabuleuse du Périgord et
le chantant le 25. Octobre , jour auquel
on
MAR S. 1732.
475
on honore à Perigueux l'Apôtre de la
Ville ; c'est un exemple qui doit faire
beaucoup appréhender qu'il n'en soit demême
de la Tradition de Neuilly , où
l'on prend pareillement l'Evêque de Perigueux
pour Patron , comme s'il n'avoit
jamais existé qu'un S. Front , et que tout
dût retourner à l'augmentation du culte
de celui de Perigord.
Je suis en état d'en indiquer un autre
aux Habitans de Neuilly ; mais je prévois
qu'étant accoutumez à entendre raconter
par des Prédicateurs trop crédulés , toutes
les fictions de la Legende si judicieu
sement rejettée de nos jours , ils au
ront de la peine à revenir de leurs
préjugez. Souvent le desir d'avoir un
Panégyrique propre pour un S. Patron ,
et d'en chanter un Office plenier , fait
qu'on donne , tête baissée , dans quantité
de fables qui fournissent une ample matiere
aux Orateurs et aux Poëtes. J'avoie
qu'il n'est pas impossible qu'on ait eu à
Neully quelques Reliques d'un S. Front ,
mais il est plus vrai- semblable qu'on l'au
ra obtenue de l'Eglise de son nom à Cô
ne , que de celle de Perigueux . Quelques.
Connoisseurs en anciennes Forteresses
croyent que le Château de Cône et celui
de Neuilly , sont du même temps , comme
476 MERCURE DE FRANCE
me étant également construits en forme
ronde dans un lieu aquatique , et flanquez
de plusieurs Tours rondes ; de sorte
qu'ils nous fournissent par là matiere à
conjecturer qu'un certain Hugues , Seigneur
dans le Pays du Maine , qui se rendit
maître du Château de Cône au XII.
siecle , pourroit bien avoir aussi possedé
celui de Neuilly et avoir tiré de l'Eglise
de Cône de quoi faire un présent à celle
de cet autre Château . On sçait que les
anciens Seigneurs aimoient à enrichir
leurs Terres de ces précieux restes , qu'ils
regardoient , avec raison , comme des
trésors inestimables . Jean , Moine de Marmoutier
, Auteur contemporain , parle
de ce Hugues le Manceau , et l'appelle
Hugo Cenomannicus. Comme donc il avoit
des Terres dans le Maine, et qu'il y a eu un
S. Front Solitaire en ces Pays -là , il semble
qu'on pourroit avoir des vûës sur ce
Saint ; ou bien , s'il est faux que ce soit
dans le Diocèse du Mans que soit mort
un S. Hermite du nom de Front , et qu'il
soit decedé plutôt proche Cône sur Loire,
comme Nithard le laisse à penser en appellant
ce lieu Sanctus- Fludnaldus , dès le
neuvième siècle , il résultera de- là que
c'est le transport d'une partie de ses Re-
Liques fait au Diocèse du Mans , qui y
aura
MARS.
17328 477
Y
aura établi son culte , et qui aura fait
croire qu'il y avoit vécu en Solitaire comme
tant d'autres.
Quoiqu'il en soit , la Tradition étoit
autrefois à Orleans , que ses Reliques y
avoient passé , et on en celebroit encore
la memoire il n'y a pas plus de cent ans
dans l'Eglise de S. Benoît du Retour , où
il étoit représenté en habit de Religieux.
Ce que Symphorien Guyon , dans son
Histoire d'Orleans, ( a ) et Corvaisier , dans
celle des Evêques du Mans , ( b ) écrivent
sur un S. Gaud et un S. Frond , son Compagnon
, qui au sortir du Monastere de
S. Memin proche Orleans , embrasserent
la vie Eremitique , est très - probable ,
mais leurs noms ne sont ni Gallus ni
Fronto. L'un avoit nom Godoaldus , -èt
l'autre Fludualdus . Le culte du premier
appellé Gaud , a éclaté à Yevre , sur les
confins des Diocèses d'Orleans et de Sens,
et il est marqué dans tous les anciens Calendriers
et Martyrologes de Sens au 6 .
Juin sous le nom de Godoaldus Confessor.
Celui du second a été celebre à Cône
plus qu'il n'est aujourd'hui ; on y voit
par d'anciens Manuscrits en Langue vulgaire
, que son nom étoit écrit , non pas
Front , mais Frond , ce qui dénote un ori-
( a) Page 466. (b) Page 140
gine
478 MERCURE DE FRANCE
gine venant de Fludualdus , dont la premiere
syllabe souffroit dans notre Langue
le même changement qu'on a fait
ailleurs de Flocellus en Froncean.
Les deux Ecrivains que je viens de
nommer , quoique vivans avant que la
Critique fut au point qu'elle est de nos
jours , n'ont pas laissé de blâmer ceux
qui prenoient ce S. Frond Solitaire pour
l'Evêque de Perigueux , et ils ont soutenu
qu'ils étoient fort differens. Guyon
assure que le Solitaire vivoit au sixième
siecle . Corvaisier ne craint pas de dire que
le Voyage et les Avantures de S. Front de
Perigueux sont plus fabuleuses que vraisemblables
, et il se plaint après M. du
Bosquet , de l'ignorance ou de la negligence
des anciens Ecrivains , qui sans faire distinction
des temps , confondent en une seule
Vie toutes les diverses actions de ceux qui
portoient un semblable nom . Il auroit pú
ajoûter que de -là est venue la méprise
par laquelle ceux qui avoient intention
d'honorer S. Front le Solitaire ou simple
Confesseur , lui ont choisi le 25. Octobre
jour de la Mort de S. Front , Evêque
de Perigueux. C'est ce qui est arrivé ,
non seulement à Cône sur Loire , mais
encore au Diocèse du Mans , où ce saint
Hermite est l'un des Patrons de la Ville
et
MARS . 1732 .
479
et du voisinage de Dom - Front en basse
Normandie , qui en a pris le nom , au
lieu de celui que cette Ville portoit auparavant
, lequel paroîtroit aujourd'hui
ridicule , au moins en Latin. Je sçai encore
qu'au Diocèse d'Amiens , dans le
voisinage de Roye , il y a un Village appellé
Dom-Front , où l'on voit un Chef
de bois doré , qui contient des Reliques ,
auxquelles il y avoit concours le 25. Octobre
, et cependant le Saint n'est représenté
que comme Prêtre , et non comme
Evêque. Que sçais - je si on n'est pas dans
la même erreur à Suzemont au Diocèse
de Toul , où un S. Front est pareillement
Patron , suivant le Pouillé du Pere Benoit
?
+ La question seroit à present de démê
ler dans la Vie de l'Evêque de Perigueux,
ce qui a été emprunté des Actions du
S. Solitaire , dont le nom vulgaire se
trouve aujourd'hui limé de maniere à n'être
pas
pas different pour la prononciation ;
car il se peut faire enrore qu'on ait appliqué
à notre Fludualdus , des actions de
S. Fronton de Nitrie ou d'Egypte. Je ne
me flatte donc pas d'apprendre à notre
Curieux du Pays Soissonnois , de quoi
faire une longue Legende de son Saint.
Ce n'est pas là ce qu'il demande , mais
seu
480 MERCURE DE FRANCE
seulement qu'on lui donne quelque chose
de moins décrié que ce qu'on a debité de
S. Front de Perigueux . Je suis fâché de
lui laisser ignorer les actions de notre
S. Confesseur ; mais si le Saint a été véritablement
Solitaire , il n'est pas surprenant
que sa vie ait été inconnue , et que
ce ne soient que les Miracles d'après sa
mort qui l'ayent rendu celebre , sans que
les Fideles ayent fait grande attention au
jour de son décès. Je croirois que la Fête
de S. Frond de Cône auroit été autrefois
celebrée au mois d'Avril , le jour que
les Martyrologes marquent S. Fronton de
Nitrie , et que c'est encore en memoire
de ce culte que l'usage a resté d'honorer
S. Frond à Neuilly , l'un des Dimanches
d'après Pâques. Mais je n'ose encore rien
prononcer d'assuré là-dessus.
Ce que je puis ajoûter à cette Lettre
pour vous marquer que j'ai fait usage des
Livres du Perigord que vous m'avez envoyez
, est que plus je lis ces nouveaux
Auteurs Perigourdins , tel qu'est le Livre
du Pere du Ray , Récolet , et la Dissertation
de M. de la Serre , cy-devant
Superieur du Seminaire de Perigueux , imprimée
en 1728. plus je suis surpris de
leur attachement scrupuleux à des Histoires
qui furent rejettées comme fausses
des
MARS. 1732.
481
ès l'onziéme siecle , et dont ils ne trou
veront des deffenseurs que parmi ceux à
qui on apprend dès la jeunesse à faire des
especes d'Actes de Foi sur la Tradition
de la Mission de S. Front par S. Pierre .
N'est-ce pas en effet vouloir renfermer
cette créance dans les limites du Diocèse
de Perigueux , que d'exiger qu'on regarde
l'Eglise Chrétienne de Perigueux comme
la plus ancienne des Gaules , et qu'on
croye que les Perigourdins ont été les
premiers appellez à la Foy avant les Habitans
de Marseille , de Lyon , de Vienne
&c? C'est ce que signifie clairement cette
exclamation qui termine un abregé de la
Vie de S. Front , imprimé à Perigueux
L'an 1728. en forme de Meditation : Quel
sujet n'avons- nous point de louer Dien !
Quelle reconnoissance ne devons-nous point
à son adorable Providence , de nous avoir
appellé les premiers à la Foy , et de nous
avoir donné un des Disciples de son Fils
N. S. J. C. pour établir dans ce lieu une
des premieres Eglises Chrétiennes ! La critique
peut bien former contre nous toutes les
objections qu'elle voudra ; mais elle ne sera
pas capable de nous faire, abandonner notre
Tradition. La gloire que nous avons d'avoir
été les premiers appellez à la Religion
Chrétienne est trop grande pour ne la pas
conserver
482 MERCURE DE FRANCE
conserver très- cherement , et il faut esperer
que notre Saint conservera par sa protec- "
tion auprès de Dieu , l'Eglise qu'il a formée
avec tant de travaux. Quelle seroit notre
ingratitude , ô mon Dieu , si nous étions capables
d'oublier la preference que vous nous
avez donnée sur tant d'autres Provinces qui
paroissent plus considerables ! Mais quelle
seroit notre lâcheté , si nous abandonnions
une Tradition si honorable et reconnuë
par
tous les Martyrologes anciens et nouveaux !
Il est fâcheux qu'on n'ait pas inspiré
il y a trente-cinq ans au Clergé de Paris
de pareilles résolutions pour empêcher
qu'on n'abandonnât l'opinion de l'Aréopagisme
du premier Evêque de cette Ville.
Je doute fort que le sçavant Pere Sirmond
, Jesuite , eût pû tenir son sérieux,
s'il avoit vû une matiere de cette nature
mise en style de Méditation sur l'article
de S. Denis de Paris , et en apostrophant
la divine Majesté et la souveraine Verité ,
lui citer les Martyrologes avec les Aréopagitiques
d'Hilduin . Čar enfin ( n'en déplaise
à l'Auteur Perigourdin ) il falloit
donc en parlant à celui qui connoît
tout , faire exception du plus ancien des
Martyrologes , qui est celui qu'on appelle
de S. Jerôme , et n'y pas compren
dre les deux plus nouveaux , qui sont
و
celui
MARS. 1732 483
celui de l'illustre M. Chastelain , imprimé
en 1709. et celui de l'Eglise de Paris ,
publié en 1727. Outre que les deux
crochets marquez par M. Chastelain , pour
exclure du Texte du Martyrologe de Baronius
, la Mission de S. Front par Saint
Pierre , signifient qu'il n'y ajoûtoit aucune
créance , je vous ferai encore part
de cet Anecdote en finissant. Cet excellent
Connoisseur avoit vû bien des milliers
de Legendes de Saints , il en avoit
trouvé de fausses , de douteuses , de falsifiées
; mais il a écrit de sa propre main
à la marge d'un exemplaire du Martyrologe
Romain au 25. Octobre , que les
Actes de S. Front , Evêque de Perigueux,
sont de tous ceux qu'il a jamais vûs
les plus mal - adroitement inventez , puisqu'on
y met un Duc de Lorraine du
temps de Neron. S'il avoue dans son
premier Bimestre imprimé , que Bollandus
croyoit S. Front du premier siecle; (a )
il ajoûte aussi - tôt que ce Jesuite n'avoit
pas encore démêlé les anciennes Traditions
d'avec celle des moyens siecles.
comme ont excellemment fait depuis luí
Henschenius , Papebroc , Janning , et
Cardon , ses Associez ou ses Successeurs.
Ce sçavant Chanoine a' encore laissé par
(2) Au 2. Janvier , page 43.
D écrit
484 MERCURE DE FRANCE
écrit un trait tout singulier qui revient
à S. Front de Perigueux . C'est en parlant
de S. Fronton de Nitrie , qui mourut
sous l'Empereur Gratien , Il marque qu'un
Auteur appellé Lezana , en fait un Carme
ce que font aussi Coria et d'autres de cet
Ordre ; que l'un de ces Ecrivains assure
sérieusement que ce S. Fronton a été Disciple
de S. Jean - Baptiste, et troisiéme General
des Carmes ; et qu'après avoir bâti
la premiere de toutes les Eglises de la Vierge,
il a été fait Evêque de Perigueux , puis
est allé demeurer au Desert de Nitrie , et
est mort âgé de cent trente et un an , l'an
de Notre- Seigneur 153. S'il y avoit des
Carmes à Perigueux , ils prendroient sans
doute part à ce petit trait d'Histoire, qui
paroît les affilier en quelque sorte au
•Clergé de ce Diocèse . Mais en voilà assez
sur cette matiere , et peut- être plus que le
Curieux de Soissons n'en demande. Je
suis , &c.
Ce 12. Decembre 1731 .
LE
MARS. 1732.
485
LE SEREIN ET LA LINOTE,
FABLE.
UN Sereim , jeune , beau , chantoit dans un
bocage ;
Les Rossignols étoient jaloux
De la douceur de son ramage.
Malgré leur dépit et leur rage ,
Pour l'entendre , ils se taisoient tous.
Il apperçut une Linote ,
Dont l'air étoit vif, tendre et doux ;'
Dans ce Bois , lui dit-il , belle , que faites
vous ?
Je ne fais rien ; si je sçavois la notte
Que je chanterois tendrement !
Lui répondit , en soûpirant , la belle ,
Avec un désir si charmant ,
Repliqua le Serein , brúlant d'amour pour elle
Que vous apprendrez promptement !
Sij'osois vous prier que sous ce verd feüillage
Je vous donnasse des leçons ,
8
Bientôt vous charmeriez par vos tendres
chansons
Tous les Oiseaux du voisinage ,
Ah ! dit -elle , d'un ton flateur ,
Sera-ce assez de ma reconnoissance
Dij
Pour
486 MERCURE DE FRANCE
Pour vous payer d'une telle faveur
C'est-là , je crois , la récompense
Que vous devez attendre de mon coeur.
Le Serein généreux et tendre ,
Par ses soupirs lui fit comprendre ,
Qu'il souhaittoit lui plaire seulement ;
Qu'il ne vouloit d'autre païment
Que le doux plaisir de l'entendre
Chanter mélodieusement.
L'accord fut fait dans le moment.
En peu de temps elle scut la Musique ,
L'Amour est un Maître charmant ;
Quand à montrer , ce Dieu s'applique,
Que l'on apprend facilement !
D'abord que le Serein vit l'aimable Linotte
Se servir avec sentiment
Des charmes touchans de la notte ,
Vous chantez aussi- bien que moi ,
Lui dit-il , recevez ma foy ,
C'est le prix que je veux , d'avoir scû vous inse
truire ;
La Linotte se prit à rire.
Cet aveu , lui dit- elle , est tout-à - fait nouveau ¿
Je vous croyois plus de cerveau ;
Grand mercy de votre Musique.
Adicu. Mon tendre coeur s'explique
En faveur d'un jeune Moineau,
Aux Champs , dans les Cours , dans les
Villes
Tandis
MARS. 11327
487
Tandis que nous sommes utiles ,
Nous sommes toujours bien reçus ,
Mais d'abord que notre présence ,
Semble exiger de la reconnoissance ,
On nous fuir , nous ne plaisons plus
M. L'AFFICHARD.
LETTRE de M. L. B. écrite à M***, au
sujet de l'Ordonnance de Bacchus , inseréc
dans le Mercure de Septembre 1731 .
I
L en faut convenir , Monsieur '; l'Or
d'Auxerre
est tout-à- fait plaisante ; pour moi je l'ar
fort goûtée. Cette Piece, quoiqu'en récri
mination de la Lettre du mois de Janvier
1731 , publiée dans le Mercure de Février
suivant , ne laisse pas de donner un'
petit coup aux Vins de Joigny, et de faire'
en même-temps un parfait éloge de ceux
d'Auxerre. Il faut croire que Bacchus étoit
en débauche le soir qu'il fit cette Piece .
Quoiqu'il en soit , ce Dieu s'est visiblement
laissé surprendre , et je crois que
vous en conviendrez .
J'ai sollicité mon ami qui a écrit la'
Lettre du mois de Février dernier de pré
senter une Requête civile à cette Divinité ,
Diij ten
88 MERCURE DE FRANCE
tendante à faire connoître qu'on a abusé
de sa complaisance et de sa situation , et à
ce qu'il lui plût , par les raisons déduires
en la Requête , d'annuler ladite Or
donnance ; ce faisant , déclarer les Vins
d'Auxerre au moins égaux à ceux de Joigny
, & c.
Cet ami m'a fait réponse , que si l'Université
où veulent , envoyer M' d'Auxerre
, est l'Areopage de Bacchus , il n'y
sera jamais qu'un Ecolier , en comparaison
d'eux. Cecy me paroît clair , et dit
sans allusion , d'une Ecole à l'autre . Je
crois , au reste , 'que vous seriez bien-aise
d'avoir le défaut qu'on reproche dans
l'Ordonnance , à l'Auteur de cette Lettre
de Février 1731. et que vous ne seriez
pas fâché de n'avoir , comme lui , que
27 ans , quand même vous devriez perdre
une partie des connoissances que vous
vous avez acquises avec les années supérieures
à cet âge.
Permettez -moi donc de répondre ici
quelque chose pour lui . Je ne m'amuserai
pas à éplucher scrupuleusement cette
Ordonnance ; il me suffira de soûtenir
ainsi qu'on l'a déja fait voir , que le terrain
des côtes de Joigny est propre par
excellence pour la Vigne. Le public en
>
auroit
MARS. 1732 . 489
auroit mieux jugé, et aussi favorablement
que de celui d'Auxerre , si l'Ordonnance
de Bacchus eut rapporté les témoignages
assurez de ceux qui se sont particulierement
appliquez à connoître le sol propre
à la Vigne,comme sont les Auteurs , dont
s'est servi mon ami dans sa Lettre déja
citée. Peut -on ne pas être frappé de celui
de Virgile ; et après lui , de ce qu'en a
écrit récemment le fameux P. Vaniere ?
On auroit souhaitté une réponse exacte
sur les citations de ces célébres Auteurs ,
au lieu des propos vagues qui sont enchassez
dans l'Ordonnance Bacchique, sur
la moienne , la superieure et la basse region
de l'air ; discours qui sentent trop le
Copernic , et qui conviendroient mieux
dans un Traité d'Astronomie qu'au sujet
dont il est icy question .
L'Auteur de l'Ordonnance s'évapore
ensuite en digressions inutiles , telles que
les lui fournit son rêve , ou son voyage
chimérique ; il dit qu'un certain soir du
mois de Février les du vin ne que vapeurs
lui montoient pas trop à la tête ; il parcourut
bien du païs , & c. mais ce voyage
ne seroit-il pas plutôt produit par une
trop longue diette , dont les effets sont
bien plus dangereux que les vapeurs bacchiques
; les abstinences
et les jeûnes ne
Diiij val490
MERCURE DE FRANCE
vallent rien pour les Gens de Lettres ; ils
doivent en craindre les suites. Nous en
voyons des exemples funestes.
Je pourrois bien dire icy quelque chose
du Langage de ces deux Villes ; j'ai séjourné
plusieurs années en l'une et en
l'autre ; je ne me suis pas apperçu quetes
Bourgeois de l'une et de l'autre Ville fissent
des fautes notables en parlant.Quant
au petit peuple , ce n'est pas seulement à
Joigny qu'on remarque, avec notre Critique
, qu'il parle mal on en pourroit dire
autant d'Auxerre, où le bas peuple use de
termes assez risibles , jusqu'à appeller une
Hotte , un Benatron ; il vous semblera
sans doute , être transporté dans la Lousianne
, parmi les Sauvages , à entendre
ce mot barbare , sans parler de plusieurs
autres aussi hétéroclites ; ensorte qu'il y
auroit pour le moins autant à plaisanter
sur le Patois des Artisans et des Mancuvres
d'Auxerre , que sur celui de Joigny.
On ne répondra rien à la Note prise du
P. Labbe , et imprimée dans le Mercure
d'Aoust, pag. 1930. DolosiSenonenses, & c.I †
me semble qu'on ne peut l'appliquer àJoigny,
sans faire beaucoup de violence à la
Topographie , en comprenant cette Ville
dans les environs de Sens . Cependant
Joigny est à 6 lieues d'Auxerre , et à 7 de
Sens.
MARS. 1732 . 491
à
Sens . C'est donc à Mrs de Sens à la réfuter.
Une autre Note fort hazardée
l'Ordonnance en question , est que les
Vins d'Auxerre se sont vendus jusqu'à
140 liv. et ceux de Joigny , 80 liv . le plus
haut prix. Je ne veux pas m'exposer
encourir la peine portée dans cette Or
donnance. Je ne veux pas , dis-je , contester
sur ce prix ainsi fixé par le Voyageur
Bacchique , mais un fait certain et
bien connu me servira de réponse ;
c'est que le meilleur Vin s'est vendu à
Auxerre , une bonne partie de l'année
18 deniers la pinte. Le moindre Vin de
Joigny au contraire, ne s'y est jamais ven→
du moins de 3 ou 4 sols , et toute déduc--
tion faite des droits des Aydes , qui sont
plus forts à Joigny qu'à Auxerre , le Vin
s'est toujours vendu le double à Joigny.
On ne doit jamais disputer contre des
faits .
,
On conviendra bien que les Vins de
Joigny ne se gardent pas autant que des
gros Vins ou des Rappez ; il suffit que nos
Vins se conservent bons pendant 2 et 3 %
ans , pour qu'on puisse les transporter par
tout où l'on voudra ; on pourroit même
leur donner 2 et 3 ans de plus de garde
en les faisant cuver davantage ; mais les
Experts en Vins fins, prétendent que cette
Dv façon
492 MERCURE DE FRANCE
façon ôte la qualité au Vin. On ne peut,
ay reste , reprocher aux Bourgeois de Joigny
de droguer leur Vin , il est toujours
naturel et sans aucun mélange ; il est vrai
qu'il a la qualité de se marier; qualité que
quelques Marchands de Vin , bons connoisseurs
, sçavent tres- bien mettre en
usage.
Admirons , en finissant , l'Auteur de
l'Ordonnance , de s'approprier , comme
il fait , sans scrupule , les Païs voisins , en
comprenant dans le Territoire d'Auxerre
tous les Vignobles de dix lieuës à la ronde
; il s'égare même jusques dans les Vignes
de Dijon , mais cela n'a pas besoin de
réfutation. Comme je me persuade M.que
vous êtes parfaitement neutre dans la querelle
qui est entre ces deux Villes , je me
flatte aussi que vous voudrez bien faire
inserer cette Lettre dans le même Livre ,.
où je sçai qu'on n'affecte aucune partialité
,
, pour
désabuser
le Public
des impres
sions
qu'auroit
pû faire
l'Ordonnance
de
Bacchus
, sur l'esprit
de ceux
qui ne connoissent
pas assez
l'excellence
des Vins
de Joigny
. Je suis , &c.
Le 12 Decembre 1731.
Bouts
MARS. 1732. 493
XXX: XXX:X*********
BOUTS
RIMEZ ,
Donnez dans le second Mercure
de
Decembre 1731 .
LES VAPEURS.
CEnt fois , et jour et nuit Licas croit d'être
Mort
Son triste et court sommeil lui présente la Biere;
Toujours dans le naufrage , et jamais , dans le
Port
lacheye icy bas sa pénible Cariere
La noire inquiétude est son funeste
Sort
Il remplit à regret sa vuide
Gibeciere ',
Il se plaint , il gémit , quand tout le monde
Licas , veux-tu guérir ? va consulter
·Dorty
Molieres
Bannis de ton esprit la Parque à l'oeil Hagards
Qui s'attriste toujours ne devient pas Vieillard.
Ami , n'use donc plus de plaintive Apostrophes
Le Prince et le Berger mangent au même Plat ,»
Divj Cha
MERCURE DE FRANCE
494
Chaque mortel un jour doit être Echet et Mat;
Un mal commun , à tous n'a plus de Catastrophe.
Le Chevalier de Romieu.
AUTRE ,
Sur les mêmes Rimes .
Pourquoi , foibles mortels , tant redouter la
Et fremir à l'aspect de la fatale
Mort ?
Biere ,
Hélas ! le froid tombeau n'est qu'un tranquille
Port ,
Où va se terminer notre triste Cariere
Là , nous ne verrons plus par un bizarre Sort¸
Nos biens d'un Partisan , enfier la Gibeciere ,
Sans travail , sans soucy , paisiblement on Dort
Loin des vices humains , si-bien peints par Moliere
Icy le noir chagrin , l'envie à l'oeil Hagard
Poursuivent constamment le jeune et le Vieillard
De mille maux divers on reçoit Apostrophe.
On voit à chaque instant un Laquais , un pied
Plat
Mate
Au mérite , aux talens donner Echec et
Et nos jours les plus beaux n'offrent que Catastrophe.
M. de Morand.
RE'PONSE
MARS.
495
173.20
į į į į į į į į į ṛ $ ! 5 ! ! ! ! !!
· RE'PONSE à une Lettre écrite de Toulouze
, inserée dans le Mercure du mois
d'Aoust 1731. page 1922. au sujet de la
Philosophie Hermetique.
L'altre Anonime de Toulouse.
'On ne répondra qu'à deux articles de
Premierement ; que son Mercure ou Vif
argent commun et Venal , quelque épu
ré qu'il soit , n'est point le premier Mer--
cure actif des Philosophes , ni leur semence
, et qu'il ne peut en cet état pro-.
duire par lui -même l'Or phisique , comme
il l'assure ; et cela , parce qu'il n'en´
contient point, et que nulle chose ne peutdonner
ce qu'elle n'a pas. Le Mercure devenu
vierge et mondifie , ne se peut précipi
ter enforme de terre par aucun feu , dit Helmont
, à cause de sa trop grande simplicité,
pour laquelle on le compare à l'Element de
l'eau. Il auroit dû voir dans le roʻchap.
de Philalette , de son Entrée ouverte, qu'il
faut introduire dans le Mercure un feu sulfureux
, actif, capable de pourir l'or ; et que·
par cette préparation le Mercure est herma
frodite , à cause de ce soufre , qui renferme
en même-temps en lui un principe qui est
tout
496 MERCURE DE FRANCE
tout ensemble actifet passif, moyennant lequel
il se coagule soi - même , étant aidé senlement
d'une chaleur convenable ; c'est
pourquoi dans le chap. suivant, il dit ,
que la vie du Mercure est dans le seul soufre
Metallique, caché dans la Maison d'Aries.
Et dans cet autre Passage du même
Auteur , dans son Commentaire sur la
Lettre de Riplée , au Roy Edouard , où
il dit : Sachez que le Mercure a en lui un
soufre qui n'est pas actif; notre Art consiste
à multiplier en lui un soufre vifet actif, lequel
vient des reins de notre corps hermafrodite
, dont le pere est un Métal , et la
mere un Mineral. Voilà qui est bien
clair ? Si l'Anonime connoissoit la composition
de ce corps , qui est le premier
Rebis , et son usage ; il n'auroit
pas assûré
que l'Artiste ne crez rien de nouveau, car
la premiere opération est de composer le
Chaos , le Rebis ou Corps hermafrodite ,
pour nétoyer le Mercure , et lui ajouter
par la même opération , ce qui lui manque.
Rebis , dit Bernard Trévisan à Thomas
de Boulogne , est la premiere chose en
cet oeuvre , c'est pourquoi Phil. dans le
Commentaire cité, dit- il , n'y a qu'une seu
le liqueur convenable à notre ture , laquelle
n'est tirée d'aucune chose , que la nature ay?
formé , mais d'une substance composée par
Part
MARS. 17321
497
1
l'art du Philosophe. Notre Art donc , ajoute-
t- il , est de joindre deux principes , ( un
dans lequel le soufre , et l'autre dans lequel le
sel de nature abonde ) , qui pourtant ne sont
pas parfaits , ni toutefois imparfaits entierement
, et par consequent peuvent , par notre
Art , être changez on exaltez , ( ce que ne
peut être et qui sera entierement parfait ) et
puis par le Mercure commun , extraire du
composé , non le poids , mais la vertu fermentative
, qui engendre dans le Mercure
commun une race plus noble qu'elle même,qui
est notre vraie hermafrodite. Or cette hermafrodite
icy est un corps fluide , sous
forme de Vif- argent ; mais le premier
qui a animé ce second , est un corps sec:
et pulverisable ; c'est l'enfant hermafro
dite dont Phil. décrit la composition dans
son 7 ch. de l'Entrée ouverte , lequel est
seul capable de nettoyer le vif- argent de
sa lépre , et en même temps de l'impreigner
du soufre spirituel embrional et
potentiel de l'or physique , contenu dans
le premier Rebis ou Chaos . Cela est conforme
à la pratique de B. Trévisan et à
celle d'Espagner , qui d'un commun accord
ne se sont pas contentez de rendre
le Mercure homogéne , mais ils ont cru
qu'il falloit , par la même opération , lui
ajouter ce qui lui manque, qui est le soufre
498 MERCURE DE FRANCE
ด
fre spirituel Metallique , et comme ap
puyé d'un double soûtien Métallique , ils
eussent un Mercure double et animé
qu'ils n'ont pas cru seulement être l'unique
clef nécessaire pour ouvrir le Palais
du Roy ; mais ils l'ont persuadé aux au-~
tres avec autant de force que de science
, non seulement n'ayant point admis
le Mercure simple , mais l'ayant totalement
rejetté. Le premier se déclare ou
vertement dans l'Epître à T. de B. à las
pénultiéme page , et le 2ª , dans les §. 47--
et 54.
Voilà assez d'autoritez pour prouver
à l'Auteur anonime que son Mercure n'a
point les qualitez de celui des Phylosophes
, que Phil . nomme dans le 1. ch . de
son Entrée ouverte : Or bland crud semence
femine , dans laquelle l'or jette la ›
sienne.
,
Nous voilà arrivé au second article à ›
réfuter. L'Anonime prétend que son prétendu
Mercure homogéne , mondifié de
sa lépre ou tache originelle , étant joint à
l'or , donnera la Médecine qui transmuëi
des Métaux imparfaits en or. Il permet
tra qu'on lui représente, que pour pareil→
le chose peut-être , il faudroit que son ' ,
simple Mercure fut capable de dissoudre
radicalement l'or , ce qui ne peut être ” .
puisque
MARS. 1732.
499
puisque le veritable Mercure Phylosophi
que,quelque bien animé et travaillé qu'il
soit , joint à l'or , attendroit , dit Philalette
, sans être changé , la fin du monde .
L'Anonime auroit dû apprendre de Gebert
qu'il y a trois principes de Métaux ; l'Ar-.
gent- vif , le Soufre et son compar l'Arsenic }
ainsi donc ; il supprime de sa pratique
l'Arsenic, qui est le troisiéme principe ,
qu'il ne connoît pas apparemment , sans
lequel la dissolution de l'or est impossible
, et c'est de ce troisiéme principe dont
les Phylosophes ne parlent qu'énigmati
quement , et non du Mercure animé comme
le prétend l'anonime , duquel , au con- .
traire , ils parlent tres- clairement. Phil.
qui est un des Phylosophes modernes ,
qui a écrit le plus clairement , dit dans
son Vademecum : Notre Lune qui represente
la femelle , est d'une race Saturnienne,
taquelle a contracté mariage avec un Dieu
Belliqueux ; elle est appellée Arsenic , parce
qu'elle teint l'or en blancheur , déchire ses
membres et le rend fluxible à la moindre chaleur
, comme du Mercure , l'argent du vulgaire
est masculin et agit comme mâle ; it
peut être employé au deffaut de l'or ; mais
cette Lune , qui est femelle , et qui est don→
née pourfemme au Soleil ( dans la production
du Magistere ) n'est pas un corps , mais
HIE
350172
oo MERCURE DE FRANCE
un pur chaos , et un esprit merveilleux ; et
quoiqu'il puisse passer pour un corps , il est
cependant vivant et vivifiant , c'est pourquoi
cette Lune est chez les Phylosophes appellée
substance moyenne; au regard du Mer
cure , elle peut être appellée Corps et au re-
;
gard de l'Oret de l'Argent , elle est un espritz
C'est notre Soufre crud et immaturé,et`unMercure
vifet coagulé , quoique non fixe ; il est
l'unique et le plus grand secret de notre art
et tous les Enigmes que les Phylosophes ont
inventez , ne l'ont été qu'à dessein de le cacher.
Voilà une ample description de l'Ar
senic des Philosophes , ou de leur Lune
femme du Soleil. Riplée dit : Trois substances
ne font que deux natures , terre et eaus
à quoi Phil. ajoute dans son Commentaire;
l'Homme et la Femme sont deux corps ou
terre. Dans son Vademecum , parlant de
la proportion des poids , il dit : Soyez
attentif , prenez du corps parfait , blanc et
roage (lequel represente le mâle) une partie ;
de notre Arsenic ( qui tient lieu de femelle Y
deux ou trois parties , de l'eau de notre mer ,
quatre parties on plus.
Riplée , dans ses 12 portes , dit , que le
Mâle Rouge , la femme blanche , sont faits
un , mariez par l'esprit de vie. Item : Elle
est appellée Eau-de- Vie Metallique , parce
qu'elle donne vie et santé aux Métaux
moris ,
MARS. 1732. Sor
morts , et conjoint par mariage l'homme rouge
, avec la femme blanche, c'est- à-dire avec
le Soleil et la Lune. Item , Mettez dans un
verre toutes ces matieres ( quoique trois en
nombre , toutefois c'est une seule chose) et les
laissez putrefier. Finissons cet article , par
cette question que fait Riplée : Qu'est- ce
que l'homme rouge ? qu'est- ce lafemme blanche
? qu'est-ce que l'esprit de vie ?
Artephius désigne aussi trois matieres
Dans cette eau , dit- il , le corps qui est fait
de deux corps, du Soleil et de la Lune , s'enfle
, se dilate , grossit . Item . Notre Vinaigre
susdit se mêle avecle Soleil et la Lune.Item .
L'Esprit est la vertu mineralle des deux
corps et de l'eau. Item. De ces trois ensemble
unis,se fait notre Pierre , c'est- à - dire , du
Soleil , de la Lune et du Mercure.Finissons
par dire que le Bain , le Roy et la Reine
d'Artephius sont trois substances distinques
l'une de l'autre , le Bain est le Mercure
animé , le Roy est l'or ou l'argent
et la Reine est l'Arsenic ou la Lune des
Phylosophes , non pas l'argent vulgaire ,
qui est un mâle , comme l'enseigne le
Cosmopolite , ch. 10. lorsqu'il dit : Les
Ports du Corps'ouvrent dans notre eau , qui
ne mouille point les mains ; le Corps est le
Soleil , qui donne sa semence , et c'est notre
Lune qui la reçoit , non l'argent vulgaire.
Flamel
02 MERCURE DE FRANCE
Flamel parle aussi de trois substances”,
forsqu'il dit : Ce sont ces deux Dragons sur
lesquels Fason versa le jus , préparé parMedée.
Item , la dissolution de nos Corps proa
cede de ligucité pontique de notre Mercure.
Item , je t'ai fait peindre un Corps , une
Ame , et un Esprit , pour te montrer que le
Soleil , la Lune et Mercure sont résuscitez
en cette opération.
Bernard Trévisan dit à T.de Boulogne :
Si l'or se décuit dans l'argent vif , la cause
de sa dissolution est l'humidité de l'argent
vif, restrainte par la dancité d'une terre ho
mogéne , qui est de semblable nature : On
s'apperçoit aisément que ce sujet est un
Corps sec , different de l'Or et du Mereure
, lequel est la troisiéme matière en
question , ( dont il est parlé dans le Trai
té du Sel,qu'on attribue au Cosmopolite,
en ces termes: Quand cette Pierre Satur
nienne aurd resserré l'Eau Mercurielle , qui
est le pur feu de l'or , enclos et emprisonné
dans le profond d'un sel congelé. ) Item , dans
le Mercure sefait la conjonction des deux semences
masculine et feminine. Phil . Entrée
ouverte , ch . 18. dit : Quelque procedé que
tu suives des deux, tu ne peux rienfaire , sans
lefeu le plus approchant du Soleil et de la
Lune ; je t'avertis que par ce feu - là , il net
faut entendre que notre Fourneau secret . C'est
de
MARS. 1732.
503
de ce feu dont il parle , ch. 20. lorsqu'il
dit: Des aussi-tôt que la Pierre aura senti
son feu , le Soufre et le Mercure se fondront
et seront fluents sur le feu.Or ce premier feu
n'est pas le second, qui est l'exterieur ; en
un mot , ce feu est celui dont parle Pontanus
, lequel dit , que faute de le connoître
, if erra deux cens fois. Riplée le
nomme Lyon vert. Flamel , Dragon Babilonien,
c'est la moyenne substance d'Artephius
,le Garde - Porte du Trévisan . Jean
d'Espagnet le loue comme étant un feu
secret. Le Grand Rosaire l'appelle la Racine
de l'Art.Finissons par ce passage que
Philalette rapporte dans son Vademe
cum : Lorsque ces trois especes sont jointes
ensemble en poids convenable , après une
longue attente et pleine de patience, elles donneront
ce seul et unique principe , qui contient
en lui tout ce qui est requis pour notre Pierre.
Nous finitons par prier les curieux qui
pourroient écrire sur ce sujet, de ne point
tomber dans le défaut de l'Anonime qui
n'a cité aucun passage des Phylosophes ,
pour prouver ce qu'il avance , sans quoi
on ne repondra point à de pareils écrits ;
nous avons évité cette négligence et pris
soin de ne citer que des passages d'Auteurs
dont les ouvrages sont fort connus,
Nous nous flatons d'avoir démontré, suivant
504 MERCURE DE FRANCE
vant ces Auteurs , 1° . que le Mercure pur
et homogene , sans être animé d'un or
potentiel , n'est point le premier Mercure
des Philosophes ; et 2° . que le Mercure
même vrayment philosophique ne
dissout point l'or , s'il n'est aidé d'une
substance moyenne nommée par Pontanus
feu , sans lequel tout travail est
inutile en cet Art.
EXPLICATION du Logogryphe
Latin du Mercure de Janvier.
Mensis , Ensis , Mens , Ens , sunt sua
verba
reperta,
G ...
AUTRE Explication du même
Logogryphe.
Curin Ur in Mense tuum , proponis solvere nodum &
Si prodit nodum , terminus ipse tuum.
Votre Logogryphe Latin , '
Me paroît délicat et fin ,
Plein de difficultez , mais vous avez beau faire ,
Malgré vos soins je mapperçois ,
Que je puis l'expliquer dans le terme d'un Mois g
Il ne me faut qu'un Dictionnaire.
QVAM.
ARS . 1732. 505-
QUATRAIN.
Pour terminer vos innocentes ruses ,
Je suis le seul à Aix de qui le nom unit ,
Les armes des Geans et le séjour des Muses ,
Vous pouvez me connoître et j'en ai assez dit.
La Chandelle , Cartouche et Lamproye
sont les mots de l'Enigme et des deux
Logogriphes du Mercure de Février.
ENIGM E.
Je suis fait pour les Souverains ;
E
Thémis aussi chez moi réside ,
Et c'est moi , qui chez les Humains ,
D'un plaisir sensuel décide.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
LOGOGRYPHE.
C
Inq lettres font mon tout , et ce tout une
graine ,
Du moins je crois pouvoir me baptiser ainsi ,
De mon chef formez ma bedaine ,
Et puis faites le reversi ;
Sans moi vous ne sçauriez ajuster de parure..
Voulez vous voir un arbre aussi ?
Après m'avoir rendu ma premiere nature ;
Ostez
foo MERCURE DE FRANCE
Otez deux parts , c'est où gist l'encloueure .
Estes - vous curieux d'un changement nouveau?
Je vous ferai voir un tonneau ;
Mais il faut pour cela retrancher ma finale ,
Et que mes membres quatre et deux ,
Pour cet effet changent entre eux ;
Ce n'est pas tout , dans cet ordre j'étale ;'
Encore un autre objet composé d'un tuyau ,
Au bout duquel est un certain fourneau ;.
En cet état sequestrez ma troisiéme ,
Il doit vous rester un oyseau ;
Rassemblez tout enfin vous conviendrez vous
même ,
Qu'un Royaume m'a vâ porter le Diadême.
J
SECOND LOGOGRYPHE.
E suis Italien , j'ai ventre , queuë et tête ,
Et je ne suis homme ni bête ;
Toi qui ne trouves rien d'obscur
A me deviner je t'invite ,
Lecteur, ma tête est grosse et ma queue est petite,
Pour mon ventre il est toûjours dur.
TROISIEME LOGO GRYPHE.
Ept membres.font mon tout , je regne dans
les Cieux , Septe
Et suis chez les Humains pour rendre la justice ,
1, 2. et 3. enfans d'un aimable caprice
Cupidon
MARS. 1732
507
Cupidon , Thalia , président à mes Jeux ,
1. et. 2. retranchés , je mis la France en deüil ,
Faisant passer son Roi des plaisirs au Cercueil.
2. 3. 1. 4 et 5. joins- y 7. et la gloire ,
Que m'acquit mon pinceau , fait vivre ma me
moire ,
6. et 4. 1. et- 2 . 3. et 7. quellequefois ,
Le bon gout est forcé de souscrire à mes loix .
1. 4. 2. et 3. plein d'un audace extrême ,
M'érigeant des Autels , je bravai Dieu lui- même,
2. 1. 7. 3. plaignez mon malheureux destin ,
Je succombe accablé par un frere inhumain ,
6. 2. 1. 4. et 5. 7. enfin , la dorure ,
N'étale point chez moison éclat imposteur
Tout y respire , la Nature ,
La simplicité , la candeur.
6. 2. 1. 3. et 7. en Mer je suis atile ,
6. 2. § . 4. et 3. mille Fleuves divers ,
Procurant aux Humains un commerce facile ,
Par des chemins nouveaux viennent joindre le
Mers
6. 4. 5. et 2. Jesus , par complaisance ,
Chez moi montra l'effort de sa toute puissance ,
Quelle foule de mots vient encor m'appliquer ;
Mais sans combinaison je vais les indiquer ;-
L'armure d'un Oyseau , une Plaine liquide
Un écueil dangereux , un ingrat , un perfide ,
Un temps , une peine , un Poisson ,
E Le
508 MERCURE DE FRANCE
Le Beaupere d'un Patriarche ,
Un Pont flottant , parconsequent sans Arche ,
Un lieu sombre qui sert quelquefois de prison. "
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS, &c.
L
ETTRES DE S. JEAN CHRISOSTOME
traduites en François , et rangées selon
l'ordre des temps , avec des Notes
et des Sommaires ; et deux Traitez écrits
du lieu de son exil à la Veuve Ste Olimpiade.
A Paris , chez P. Gandouin , Quay
des Augustins , 2. vol . in 8.
RECUEIL de Pieces . d'Histoire et de
Litterature , Tome 1. vol . in 12. de 224.
pages , sans les Préfaces. A Paris , chez
Chaubert , à l'entrée du Quay des Augustins
, du côté du Pont S. Michel , 1731. ~
L'Auteur de ce Recueil s'est proposé
comme il le dit dans sa Préface , de plaire
à l'esprit et de l'orner des connoissances
solides ; on peut dire qu'il a réussi dans
ce premier volume , et qu'il tient plus
qu'il ne nous a promis. Il paroît trèsmodeste
sur son article et même sur celui
de
MARS. 1732. 509.
de la Nation Françoise , à laquelle il préfere
les Anglois pour le goût et les in-1
clinations , selon la coûtume d'un certain
cercle de personnes qui prennent aujourd'hui
à tâche de proner les grandes ,
perfections de la Nation Angloise , aux:
dépens même de la leur , et qui rabaise
sent souvent leur Patrie pour donner à
la Nation Britannique plus de lustre et
de réputation qu'il ne lui en est legitime,
ment dû.
Ce Volume contient les Pieces suivan- ,
tes , toutes ayant leur mérite. Lettre de
M. D ...à un de ses amis , sur la nouvelle
Edition des Oeuvres de M. l'Abbé .
de S. Real , servant de Préface à la premiere
Piece de ce Recueil.
Panegyrique de la Régence de Madame
Royale Marie J. B. de Savoye.
Refléxions nouvelles de M. de la R.
Histoire du Mahometisme.
Remarques sur l'administration des Fi
nances des Romains , traduites de l'Anglois.
Dissertation touchant la part qu'eut
le Pape . Zacharie à la déposition de Childeric.
Dissertation , si la grandeur temporelle
de l'Eglise n'est point contraire à la
Loy de Dieu , et aux maximes des temps
Apostoliques. Eij Da
o MERCURE DE FRANCE
De la maniere de compter par siecles.
Du commencement et de la fin de chaque
siecle.
Nous ne donnerons aucun Extrait des .
deux premieres Pieces de ce Recueil
nous dirons seulement que le Panegyrique
est une fort belle Piece , dont le sujet
est traité avec beaucoup d'éloquence .
Les Refléxions diverses qui suivent
cette Piece , sont neuves et délicates.
Elles regardent la confiance , la difference
des esprits , les goûts , la societé , la conversation
, le faux , l'air et les manieres.
Nous renvoyons encore au Recueil même
ceux qui en voudront connoître la solidiré
et la justesse.
Nous
passerons à l'Histoire
du Mahometisme
, qui est une des Pieces de ce
Recueil
; il paroît
d'abord
que cette Histoire
doive être considerable
. Elle l'est en
effet , mais moins
par son étenduë
que
par la maniere
dont elle est traitée. Elle
est divisée
en trois Parties. La premiere
est employée
à l'Histoire
de Mahomet
er
de sa Secte. La seconde
rapporte
les Fables
principales
que des Auteurs
mal informez
ont debitées
sur Mahomet
. L'Auteur
réfute
en peu de mots dans la troisiéme
les principes
de cette fausse Religion,
Donnons
quelque
idée de cette Histoire.
MAR-S ; 1732 Sar
L'Auteur a puisé les circonstances qu'il
rapporte dans son Discours , dans les
meilleurs Auteurs Mahométan's dans
Abulfeda , Elmacin , Abuljacer , et autres.
Il s'est servi aussi des sçavans Chrétiens
qui ont écrit sur l'Histoire Orientale ,
tels qu'Abulfarage , qu'on peut mettre
de ce nombre, puisqu'il embrassa le Christianisme
avant que de mourir , les sçavans
Maronites , Gabriël Sionita , Jean
Hesronita , et Abraham Ecchellensis , le
F. Maracci , Hottinger , d'Herbelot , que
Imprimeur nomme Berthelot , et autres.
Mahomet pâquit à la Mecque , Ville
d'Arabie , dans le temps que l'Eglise
Orientale,aussi-bien que l'Empire,étoient
agitez par un très grand nombre de Sectes
et de divisions. Ses parens étoient d'une
naissance illustre parmi les Arabes , mais
pauvres. Il fut orphelin de pere et de
mere à 7. ans. Son oncle l'éleva au commerce
des Syriens ; et à l'âge de 28. aps
il épousa une veuve jaune et riche , dont '
il avoit conduit en Syrie pendant trois
ans les Marchandises qu'elle y envoyoit.
Il se vit par un Mariage si avantageux
en état de faire valoir les grandes qualitez
de son esprit , sa bravoure dans les
dangers , sa fermeté , sa pénetration et
ses manieres affables et complaisantes. Il
étoit
i
E iij
312 MERCURE DE FRANCE
pour
étoit naturellement éloquent , et il se ser-
Ivit bien dans la suite de ce talent. Il
contrefit dès l'année 606. de J. C. l'homme
rêveur et contemplatif , et fit passer
des révelations et des communications
avec l'Ange Gabriël , les attaques
du mal caduc , dont il étoit agité assez
souvent. Il s'appliqua de bonne heure à
réunir les trois Religions qui regnoient
en Arabie , la Chrétienne , la Juive et
l'ancienne des Arabes.
La Religion Chrétienne étoit plutôt
alors une confusion de Sectes et de superstitions
, qu'une Religion . Les Juifs et
les Ismaëlites paroissoient pouvoir être
aisément réunis , puisque les uns et les
autres reconnoissoient Abraham pour leur
"Pere commun. Enfin les Arabes étoient
presque tous Idolâtres et adoroient les
Astres dans leur fameux Temple de la
Mecque , qu'ils croyoient ( comme ils le
croyent encore fort abusivement ) plus.
ancien que celui de Salomon.
Mahomet pour profiter de ces divisions.
et pour réunir toutes ces Sectes en une
seule , pose pour principal fondement
qu'il n'y a qu'un Dieu digne de nos adorations
; ce principe établi avec les Chrétiens
et avec les Juifs , il tâche d'y amener
aussi les Ismaëlites ou les Arabes , en
les:
MARS.
17320 Sis
.
les faisant souvenir qu'ils sont Enfans d'Abraham
, et qu'Abraham n'a jamais adoré
qu'un seul Dieu . Il soutient en faveur
des Juifs , qu'il n'y a point de Trinité
que Dieu n'a point de fils et qu'il ne s'est
point incarné , ce qui réunissoit encore
plusieurs Sectes, Nestoriens , Ariens et autres.
Il dit avec les Chrétiens , que la
Loi de Dieu , qui avoit été confiée aux
Juifs , ayant été corrompue par eux , if
falloit que Dieu suscitât un autre Prophete
plus excellent que les autres. Il
avoue que c'est J. C. qu'il est né d'une
Vierge , qu'il est le Verbe de Dieu , que les
Juifs l'ont voulu crucifier , mais qu'il fut
: enlevé dans le Ciel , et que les Juifs ne
-crucifierent que sa Figure , ce qui étoit
Pheresie des Ebionites . Enfin après avoir
déclaré ces trois Religions insuffisantes ,
il ajoûte en sa faveur que le temps dư
Consolateur promis par J. C. est arrivé ,
: et que la promesse s'accomplit en sa pro
-pre personne. Il accompagna tout cela
de fables qui avoient quelques fondemens
dans l'Histoire Sainte , ou qu'il tiroit
des Histoires apocriphes , et des
Traditions populaires , mais dont les Arabes
ne pouvoient reconnoître la fausseté,
tant leur ignorance étoit grossiere. De
temps-en-temps Mahomet faisoit descenÈ
iiij
dre
514 MERCURE DE FRANCE
dre du Ciel quelques Cahiers qu'il composoit
selon les conjectures où il se trouvoit.
On les recueillit après sa mort , et
c'est ce qu'on appelle Alcoran. * Et comme
il faut quelqu'exterieur dans une Religion
, il ordonna le Jeûne de Ramadan ,
il laissa la Circoncision qui étoit en usage
en Arabie , et établit des Fêtes , des
Pelerinages , des purifications et d'autres
ceremonies tirées du Christianisme , du
Judaisme et de la pratique ordinaire de
la Nation Arabe .
Il fut cependant 12. ou 13. ans suivi
d'un très- petit nombre de Disciples. La
14. année près de 80. Disciples se joignirent
aux premiers , ce qui fit du bruit
dans la Mecque. Les Magistrats en craignirent
quelqu'émotion et le chasserent
de la Ville . C'est à cette année de la fuite
de Mahomet , qu'il se réfugia à Medine ,
que commence la celebre Epoque des Mahométans
, qu'ils nomment Hegire , c'està-
dire Fuite , ce fut Omar oncle de Mahomet,
qui 17 ans après cette fuite l'érigea
solemnellement en Epoque et la fitinserer
dans tous les Actes publics. Elle tombe
aur 22. Juillet de l'année 622. de J. C.
Peu de temps après cette fuite , Ma-
* Aloran , composé de deux mots Arabes , signifie
l'Ecriture par excellence.
homet
MARS. 1732. SI5
homet eut recours à l'épée , qui lui réüssit
encore mieux que la parole. Un Ca
hier descendit du Ciel , qui lui ordonna
d'exterminer tous ceux qui ne suivroient
pas sa doctrine. Les Historiens comptent
12. Batailles qu'il a gagnées pendant sa
vie. Enfin il assiegea la Mecque , à la
tête de 10000. hommes , s'en rendit le
maître et fit passer par le fil de l'épée
tous ceux qui ne se soumirent pas à la
doctrine de l'Alcoran . Voilà en peu de
mots l'Histoire de ce celebre Imposteur.
Il eut , selon quelques - uns , 17. femmes ,
selon d'autres , 21. mais il n'en eut point
d'enfans mâles. Il mourut âgé de 63. ans
dans la 11 année de l'Hegire , et fut enterré
à Médine , lieu de sa retraite.
Les fables que l'auteur du Discours historique
réfute sont les Miracles que l'on
supose avoir été faits par Mahomet, soit en
naissant , soit dans le cours de sa prétendue
Mission . C'est une suite de ces fables
de dire que le Temple de la Mecque ait
été bâti en l'honneur de Mahomet. De
son temps même on croyoit que ce Temple
subsistoit depuis Abraham , outre que
les Mahométans n'y vont que pour adorer
Dieu. La suspension en l'air du Tom--
beau de Mahomet est encore une fable ,
mais il ne faut pas la mettre sur le compte
Ev dess
2
16 MERCURE DE FRANCE
des Mahometans , qui la rejettent abso-
Jument. Autre fable, que ce que quelquesuns
ont écrit que Mahomet fut choisi
pour le Chef de ceux qui se révolterent
contre Heraclius , et qu'il alla au-devant
de cet Empereur lorsqu'il revenoit de:
Perse. Jamais Mahomet n'a yû Heraclius .
ni n'a combattu contre lui.
Les Villes d'Arabie , ajoûte l'Auteur ,
étoient alors régies comme des Républiques ;.
le Cherif, c'est- à - dire , Senior , commandoit:
et l'on n'y avoit nul rapport avec l'Empe-·
reur. Ici notre Auteur nous permettra de
ne pas adopter son Explication du nom de:
Cherif. Ce terme Arabe ne signifie nulle-
- ment Senior Pancien,mais il signifieNoble,
nom qui ne se donne qu'aux Descendans
de Mahomet par Ali , son gendre et par
sa fille Fathime , parce que ceux- là sont
censez de la plus haute naissance qui appartiennent
à cette Branche de la Race de
leur Prophete. C'est le seul titre dont le
Prince de la Mecque se pare , ainsi que
celui de Medine ; les Rois de Maroc se
font aussi une gloire de porter ce nom ,
regardant comme un des plus beaux titres
de noblesse de descendre de Maho-
Les Arabes expriment ce terme par Scheik ,
qui signifie aussi un Gouverneur , un Chef, uns
Docteur , &c..
met
MARS.
17321 517
4
met par Fathime. Il y a en cet endroit
une autre méprise ; car quoiqu'il soit vrai
que Cherif signifie Noble , et qu'il semble
que les Nobles du Pays ayent dû le
gouverner , nous ne voyons cependant
pas que les Villes d'Arabie , à l'exception
des deux qu'on vient de nommer
ayent été gouvernées par des Cherifs.
C'est encore une fable de dire que Mahomet
ait pris Damas. Fable que son corps
ait été mangé par les chiens . Une autre
fable adoptée par Constantin Porphyrogenete
, par Euthymius , Cedrene et autres
, c'est d'attribuer aux Mahometans
le culte de Lucifer , de Venus ou de la
-Lune , en leur faisant dire , Alla , oita
Kubar , Deus et Luna seu magna ; au lieu
de Alla ou Akubar , ô Deus maximus
qui sont les premieres paroles qu'on crie
du haut des Mosquées , &c.
oйa
Nous ne suivrons point l'Auteur dans
l'examen , concis à la verité , mais bien
touché , qu'il fait de la Doctrine de Mahomet;
il ruine en peu de mots beaucoup
de ses principes. Ce court examen pour--
roit servir de plan à une réfutation com
plette du Mahométisme. Passons à la V.
Piece de ce Recueil , qui contient des Remarques
traduites de l'Anglois sur l'administration
des Finances des Romains.
En Voici le précis Evi fuc
18 MERCURE DE FRANCE
L'Histoire fournit aux Rois des lumie
res pour soutenir leurs Etats dans la splendeur
, en profitant des maximes qui ont
contribué à la grandeur des Empires , et
en évitant ce qui a causé leur décadence.
Rome fut redevable de sa puissance à
une sage dispensation de ses revenus ;
leur dissipation entraîna sa ruine.
y
Valerius-Publicola fut le premier qui
ordonna que le revenu appartenant à la
République seroit déposé dans le Temple
de Saturne , afin que la sainteté du licu
rendît ce dépôt encore plus sacré ; il
avoit deux Trésors ; l'un destiné aux besoins
journaliers de la République , l'autre
aux pressantes nécessitez . On portoit
dans le premier les Tributs et les Impôts
ordinaires , et dans l'autre l'or de l'Impôt
du vingtiéme sur les Esclaves ; on l'appelloit
pour ce sujet Aurum vicesimarium.
Pendant quelques siecles la République
n'eut pas besoin d'argent ; ce ne fut qu'au
Siege de Veïes 350. ans après la fondation
de Rome , que les Troupes commeacerent
à recevoir une solde . Les Romains
persuadez que rien n'étoit plus important
que de ne point surcharger le Peuple
d'Impôts et d'avoir un fonds capable
de maintenir l'Etat en temps, de guerte
et de paix , firent porter dans le Trésor
public
MARS. 1732 $39
public toutes les richesses qu'ils emportoient
par leurs victoires. Ainsi les richesses
de Carthage , de Sicile , des Villes de
Macédoine , d'Asie et des autres Provinces
conquises , furent déposées par les
Generaux dans le Temple de Saturne
avec un désinteressement admirable , qui
duroit encore quelque temps après la
derniere guerte punique.
›
Dans le siecle suivant cette integrité
fut alterée , mais ce ne fut jamais que
par des ambitieux qui tramoient la servitude
et la ruine de la République . Ce
pendant le Trésor public ne laissoit pas
d'être enrichi continuellement par les richesses
immenses que la République tiroit
de ceux de qui elle triomphoit . Scipion
l'Africain fit payer aux Carthaginois
30. millions de livres dans l'espace de 50 .
ans , et il obligea le Roi Antiochus en lui
accordant la paix , de payer à la Répablique
24.. millions . Titus Q. Flaminius
Coptraignit Philippe , Roi de Macedoine,
de donner à la Rep . 3. millions ; il n'accorda
la Paix à Nabis , Tyran de Sparte .
qu'en exigeant de lui près d'un million.
Il ajoûta encore aux sommes immenses
dont il avoit déja enrichi le Trésor , six
cent quarante millions de livres en lingots
d'argent ; 79. millions quatre cens
-
cin*
20 MERCURE DE FRANCE
· "
cinquante- deux mille livrés en monnoye
d'argent , et deux millions quatre cent
vingt mille livres en Pieces d'or . On peut
encore voir d'autres exemples de ce désinteressement
des Generaux Romains
dans ces Remarques.
C'est donc par cette conduite des Ro-
'mains à l'égard de ceux dont ils triomphoient
et par l'integrité et le desinteressement
de ces grands Hommes que Rome
s'est élevée si haut et qu'elle s'est soutenuë
si long- temps . Car il n'est pas pos.
sible qu'un Etat puisse soutenir de lonque
ques guerres sans autre fonds celui
de son propre revenu . En effet tant que
les Romains ne perdirent point de vûë
ce systême , ils furent heureux dans leurs
Expeditions. Auguste laissa des sommes
si considerables dans le Trésor public ,
qu'on les fait monter jusqu'à 202 , millions
de notre monnoye . Aussi , remarque
l'Auteur Anglois , avoit -il une qualité
qui ne manque jamais d'enrichir un
Prince , c'étoit d'examiner avec soin les
comptes publics. Mais Caligula dépensa
ses immenses richesses en moins d'un an
au rapport de Suetone. L'Auteur prouve
ensuite que le salut de l'Etat dépend de
- Padministration des Finances , et que la
prodigalité des Princes , et leur inattertion
MARS. 1732. JA
tion à veiller sur l'usage et l'emploi de
feurs richesses , en entraînent la dissipa -`
tion et peu à peu la ruine de leurs Etats.
Il fait ensuite remarquer que la cruauté
de plusieurs Empereurs de Rome n'est
venuë que des necessitez ausquelles leur
prodigalité les avoit réduits , qu'ils n'étoient
pas cruels d'abord, et que ce n'a été
qu'une suite de leur inattention à veiller
sur leurs Finances ; négligence qui les
contraignoit d'exiger des Peuples avec
dureté des Impôts multipliez et à les
vexer en mille manieres ; funestes fruits
des conseils pernicieux de leurs Courti
sans qui ne manquoient pas de leur inspirer
du dégoût et de l'éloignement pour
les affaires et sur tout pour celles qui regardent
les Finances.
L'Empereur Caracalla fut le premier
qui altera les Monnoyes et qui donna
des pieces d'étain et de cuivre pour des
pieces d'or et d'argent , sur quoi on peut
remarquer en general que durant la décadence
de l'Empire les Monnoyes furent
fortalterées , la necessité poussant le Prin
ce à donner aux Especes une plus grande
valeur à proportion de leur rareté 35
d'où l'on peut conclure avec l'Auteur
des Remarques , que les Especes sont comme
le pouls d'un Etat ; , s'il bat irréguliere--
ment
522 MERCURE DE FRANCE
rement , onjuge par ce symptome que le corps
politique est attaqué de quelque maladie
dangereuse ; que si le Prince se trouve obligé
d'affaiblir les Especes , c'est un indice qu'on
commence à les faire sortir du Royaume ; s'il
est dans la nécessité de substituer quelqu'autre
matiere à l'or et àl'argent, comme fit Caracalla
, on peut inferer de- là qu'une grande par
tie de l'argent en est déja sortie que s'il ar
rive que les Especes soient entierement enlevées
on universellement alterées comme
cela se fit dans la décadence de l'Empire Remain
, on en peut augurer la raine prochaine
de l'Etat. On trouve dans cette Piece un
grand nombre de traits curieux que les
bornes d'un Extrait ne nous permettent
pas de rapporter. Nou ne dirons rien des
deux Dissertations qui suivent sur la déposition
de Childeric e sur la compatibilité
de la grandeur temporelle avec la
puissance spirituelle ; ces deux Pieces sont
P'une et l'autre remplies de choses Cu
rieuses et qui se font lire avec plaisir.
La derniere Piece de ce Recueil regarde
une dispute qui s'éleva vers la fin du
dernier siecle ; les uns prétendoient que
Pannée 1700. devoit commencer le sie--
cle suivant , desorte que du même moment
que l'on pouvoit compter 1700. la :
centiéme année devoit être accomplie ,.
et
MARS. 1732. 5232
麵
et la premiere année du siecle suivant
devoit commencer. Les autres sontenoient
au contraire que l'année 1700.
devoit terminer le 17. siecle , mais de façon
que ce ne pouvoit être qu'après da
révolution entiere de cette année que le
siecle suivant devoit commencer. L'Auteur
de cette Dissertation embrassa alors.
cé dernier parti . Il fait voir dans cette
Piece que puisqu'on entend par un siecle
l'espace de cent ans , on ne compte le
siecle achevé ou révolu que lorsque la
centiéme année est révolue , comme un
homme à qui on devroit cent pistoles , ne
seroit pas content de 99. et de la ceatiéme
commencée. Que l'on compte , ditil
, les années , les mois , les semaines et
les jours de la même maniere qu'on dit
qu'il est Lundi , qu'il est le mois de Janvier
, la premiere semaine de l'Avent du
Carême quoique Lundy ou le mois de-
Janvier ou la premiere semaine de l'Avent
ne fassent que commencer.
,
Les anciens Actes disent communément
le mois courant ou l'année courante.
Ainsi on comptoit déja une telle année
avant qu'elle fût achevée . Les Marchands
mettent en titre dans leurs Registres
Janvier ou Mars ou Avril , avant que
le premier jour de ces mois soit achevé.
Un
$24 MERCURE DE FRANCE
•
Un Sçavant met le 2. ou 3. ou 6. Livre
en composant son Ouvrage , dès qu'il
commence le 2. 3. ou 6. Livre.Le Voyageur
dans ses Fournaux de Voyages,écrit la premiere
, seconde , troisiéme journée , dès le
matin de chaque journée et si son voyage
a duré 15. jours et qu'il arrive le 16 à midi
dans une Ville , il dira qu'il est arrivé lat
16 journée , quoiqu'elle ne soit pas
finie.
Les Historiens Ecclesiastiques mettent
dans la premiere année de l'Ere Chré
rienne plusieurs faits arrivez long -temps
avant la fin de cette premiere année , tels
que la Circoncision , l'Adoration des Ma-
-ges , la Fuite en Egypte , le Meurtre des
Innocens , &c. Les Rois dattent de la
premiere année de leur regne les Edits
qu'ils ont donnez pendant les 12. premiers
mois. Dès que Jerusalem fut délivrée
de la persecution d'Antiochuset
qu'il fut permis de battre de la monnoye,
on marqua cette Epoque ainsi : L'an premier
sous Simon , anno primo sub Simone.
F. Machab. 13. comme on le voit encore
dans plusieurs Médailles.
Dans le temps de la correction du
: Calendrier par Jules-Cesar l'an 709. de
Rome , dès le commencement de cette
Epoque en Janvier , on a compté l'an
premier . Cette année commença avec.
cle
4.
MARS. 1732. 525
Consulat de Jules-Cesar et de Lepide,
le Consulat duroit depuis Janvier jusqu'en
Décembre. Ainsi puisqu'on comptoit
les années courantes comme on comp
toit les Consulats , l'année se comptoit
aussi dès qu'elle commençoit , coinme
l'on comptoit le Consulat dès qu'il commençoit.
Enfin dès le commencement de
l'Ere de Diocletien ou des Martyrs , que
les Chrétiens ont suivie , même pour dresser
les Cicles Paschaux , jusqu'à- ce que
Denis le Petit ait fait succeder l'Ere de
l'Incarnation , on compta l'an 1. car elle
commença exactement avec le premier
jour du Regne de Diocletien . Aussi quand
S. Ambroise datte quelques faits par les
années de cette Ere , il dit toûjours l'am
depuis le premier jour du Regne de Diocletien.
De tout celà il est aisé de conclure
que l'on a dû compter l'année 1700. dès
qu'elle a commencé, et par consequent que
le premier Janvier 1700. fut le premier
jour de la derniere année du XVII. secle.
LA CRITIQUE , Comédie de M. de
Boissi , représentée pour la premiere fois
par les Comédiens Italiens le 9. Fevrier
1732. A Paris, chez P. Prault , Quay de
Gesures , 1732. prix 24. sols.
Nous croyons que cette Piece sera luë
avec
26 MERCURE DE FRANCE
avec autant de plaisir qu'on en a vû les
Représentations. Elle est pleine d'esprit
et bien versifiée ; mais comme ce n'est
pas une Comédie réguliere , et que beau
coup de Scenes pourroient s'en détacher
aisément , sans nuire au progrès de l'action
, nous n'en donnerons pas un Extrait
bien regulier , quoiqu'il y ait de quoi en
faire un fort long , si nous voulions y
faire entrer tout ce qui a été applaudi .
Cette Piece est precédée d'un Prologue
intitulé , L'Auteur Superstitieux . Dans la
Représentation , le sieur Romagnesi ,
sous le nom de Clitandre , entre très - bien
dans ce caractere. Il dit à son ami Damon
qui combat ses foiblesses superstitieuses .
L'Interêt , la gloire avec l'Amour ;
Ils m'occupent tous trois , et dans ce même jour,
On juge mon affaire , on doit jouer ma Piece ,
Et je suis sur le point d'épouser ma Maîtresse ....
Tous mes sens sont émus d'une façon terrible.
Pour l'interêt , amis , je suis très - peu sensible.
Si je perds mon procès , comme je le crois fort ,
Je m'en consolerai sans faire un grand effort.
Pour l'Amour et la gloire il n'en est pas de même,
Tous deux mé font sentir leur ascendant suprême
,
Tous deux d'un feu pareil enflâment mon desir ,
Et sont en même temps ma peine et mon plaisir.
Dans
7
MARS. 1732.
527
Dans mes sens agitez leur cruelle puissance ,
Fait succeder la peur sans cesse à l'esperance .
Plaire à l'objet que j'aime, et me voir son époux
Offre à mon coeur sensible un triomphe bien doux ;
Mais la crainte de perdre un bien si plein de
charmes ,
Y porte au même instant les plus vives allarmes.
Par un brillant Ouvrage assembler tout Paris ,
Réunir tous les goûts, charmer tous les esprits ,
Malgré tous les efforts que tente la Critique ,
Captiver par son Art l'attention publique ,
Forcer deux mille mains d'applaudir à la fois ,
Et s'entendre loüer d'une commune voix ,
Presente à mon esprit la plus haute victoire
D'un Guerrier qui triomphe on égale la gloire :
Mais si l'honneur est grand le revers est affreux;
Du Parterre indigné , les cris tumultueux ,
Sa fureur qui maudit et l'Auteur et l'Ouvrage ,
La tristesse et l'ennui peints sur chaque visage,
Tous les brocards malins qu'on vous donne en
1
:
sortant ,
Et votre nom en butte au mépris éclatant.
Le desert qui succede à la foule écartée ,
Accablent à leur tour mon ame épouventée ;
Je crains de deux côtez d'avoir un sort fâcheux ,
D'être Amant traversé comme Auteur malheu
reux.
Il ajoûte en répondant à Damon.
Tout
28, MERCURE DE FRANCE
Tout ce que vous direz ne servira de rien ;
Et pour finir le cours d'un pareil entretien ,
Né superstitieux , je ne suis pas mon Maître ,
Je pense comme vous qu'il est honteux de l'être.
Ma raison me le dit , mais elle perd ses soins ;
J'en sens le ridicule et ne le suis pas moins.
Contre les préjugez en vain on se rebelle ,
La superstition à l'homme est naturelle ,
Et le hazard malin pour la fortifier >
Se plaît incessamment à la justifier.
Je l'ai trop éprouvé dans plus d'une occurrence
La raison ne tient pas contre l'experience ;
Et votre coeur peut - être auroit le même effroi ,
Si vous étiez, Monsieur, sur le point comme moi,
D'attirer du Public la loüange ou le blâme ,
De perdre ou d'obtenir l'objet de votre flame.
La Scene du Prologue se passe chezClitandre.
Les Acteurs de la Piece , dont la Scene
est au Parnasse , sont Apollon , Thalie ,
la Critique.Un Auteur satyrique , le sieur
Dominique , Chrisante, homme singulier ,
le sieur Romagnesi . La Médisance , la
Dlle Sylvia. Le Vaudeville , le sieur Thévenot.
Coxesus, Arlequin.La Contredanse,
le Tambourin , le Menuet , &c.
Apollon et Thalie ouvrent la Scene ;
la Muse commence ainsi.
Seigneur,
MARS. 1732 5299
Seigneur , malgré la brigue et la clameur pu
blique ,
1
Parmi les doctes Soeurs vous venez de placer
La juste et la saine Critique.
Elle vient s'établir dans l'Etat Poëtique ,
Pour y maintenir l'ordre et pour le policer.
Je ne sçaurois, pour moi qui préside au Comique,
Et qui tiens de ses traits mon plus grand agré
ment ,
Donner à votre choix trop d'applaudissement.
Quel bonheur de la voir gouverner le Parnasse
Elle qui par le vrai se regle uniquement ,
Et ne fait à personne injustice ni grace,
Apollon.
Dans le monde on a d'elle une autre opinion
Par un injuste effet de la prévention
De tout le Genre humain on la croit l'ennemie
On croit que sans égard et sans distinction ,
Elle condamne tout par une basse envie.
Pour détruire les faux Portraits ,
Qu'a fait d'elle en tous lieux la noire calomnie ,
Il faut aux yeux de tous qu'elle se justifie ,
Et dévoile an grand jour ses veritables traits.
Chacun viendra lui rendre hommage
Et la feliciter sur ses honneurs nouveaux ;
Elle doit faire voir que son goût toûjours sage,
Scait approuver le vrai , comme blâmer le faux;
Qu'elle
530 MERCURE DE FRANCE
Qu'elle reprend sans fiel , et que son badinage
,
Sans blesser la personne , attaque les deffauts ;
Elle ne prétend plus sur tout qu'on la confonde
,
Avec la Satyre , sa soeur ,
Qui sous son nom , s'affichant dans le
monde ,
Lui fair partager sa nóirceur ;
Elle sent trop qu'il est de son honneur ,
De démasquer cette même Satyre ,
Qui dans sa maligne fureur
Ne reprend point par le désir d'instruire ,
Mais par le noir plaisir qu'elle prend à médire
Et de désavoüer tous ces Auteurs obscurs
Dont la plume anonyme,
Jusques sur la vertu , répand ses traits impurs
Et qu'inspire en secret , sa scoeur illégitime.
t Je dois moi- même les punir ,
.Et pour jamais bannir
Cette engeance coupable ,
Pour la gloire de l'Art qu'elle rend méprisable,
Dans la troisiéme Scene , Chrisante
s'applaudit d'un ouvrage qu'il a entrepris
; c'est la Critique du Public. Ce Tableau
présenté au Public lui - même ,
sous les traits les plus ressemblans , est un
morceau
MARS. 17320
535
morceau que nous n'avons pas cru devoir
ometre.
Apollon.
mais voudriez-vous bien
Le projet est nouveau ,
Me détailler et m'apprendre
Ce que dans le Public vous trouvez à reprendre
Soit dans ses actions , ou dans son entretien ?
Chrisante.
Mille travers , mille bévuës ,
Son gout pour le Clinquant , dont il est le sou
tien ,
Et pour la nouveauté qu'il porte jusqu'aux nuës,
Ou qu'il met au dessous du rien ;
Car jamais il ne garde un milieu raisonnable
Chez lui tout est divin , ou tout est misérable.
Sa fureur pour la mode et pour tout Charlatan 7
Tous les usages foux dont il est partisan ,
Toutes ses politesses fades ,
Ses visites , ses embrassades ,
Et ses saluts du premier jour de l'an,
Du Carnaval ses Mascarades ,
Du Mardy Gras son transport Calotin ,
Et son air sot le lendemain ;
Son exercice aux Thuileries',
Ses caracols , ses lorgneries ;
'Aux Spectacles , ses flots , ses vertiges frequens ,
Ses battemens de mains donnez à contre- temps :
£ Tous
32 MERCURE DE FRANCE
Toutes ses moucheries ,
Ses baillemens , ses crachemens
Aux endroits les plus beaux , les plus interes
sans ;
Son ridicule étrange
De recevoir avidement
La plus insipide louange ,
d'applaudir toujours le banal compliment ;
Qu'on lui retourne incessament ;
Sa rage opiniatre ,
De crier presqu'à tout moment ,
Place aux Dames , place au Théatre ;
Parlez plus haut ; l'habit noir , chapeau bas ♬
Paix , Monsieur l'Abbé , haut les bras ;
Annoncez ; bis , la Capriole,
Et pour tout dire , enfin , l'insupportable Rôle
Qu'il fair , dès qu'au Parterre il se trouve pressé ,
Ce qui révolte l'ame , et fait hausser l'épaule
A tout homme de gout , છàે . tout homme sensé,
Apollon.
Vous peignez là la multitude ,
Mere du tumulte et du bruit ,
Que n'arrête aucun frein , que l'exemple séduit
Qu'entraîne la coutume , ou l'aveugle habitude
Et non le vrai Public que la raison conduit ,
?
D'où part ce grand corps de lumiere ,
Qui me guide moi - même , et sans cesse m³é—
Claire
Ce
MARS. 17320 333
Ce Public , en un mot , avec choix assemblé
Tel qu'on le voit paroître
Aux yeux d'un Théatre réglé.
Quand il écoute en Sage , et qu'il prononce es
Maître
Ses Arrêts qui le font si dignement connoître ,
Et dont nul , avant vous , n'a jamais appellé.
Pour mettre le Lecteur en état de juger
du Dialogue de cette Piece , voici le commencement
de la 6* Scene , entre la Critique
et la Médisance.
Madame , je prens part , comme votre parenté
A votre fortune éclatante.
La Critique.
Pardon , j'ai de la peine à remettre vos traits
J'ai beau vous regarder de près.
La Médisance.
J'ai poutant avec vous assez de ressemblance
La Critique ne devroit pas
Méconnoître la Médisance.
Et de moi dans le monde on fait assez de cas ;
Pour m'avouer d'abord sans nulle repugnance.
La Critique.
Si je vous méconnois , il n'est pas surprenant ;
Le chemin que je tiens , est different du vôtre ;
Fij La
$ 34 MERCURE DE FRANCE
La Raison et le Vrai , me guident constam
ment ,
Et vous plaisés le plus souvent ,
Aux dépens de l'un et de l'autre , &c.
Les dernieres Scenes se passent entre la
Critique , le Vaudeville , la Contredanse ,
le Menuet , &c. et la Piéce finit par un
divertissement aussi ingénieux que singulier.
LE GLORIEUX , Comédie en Vers , en
Actes. Par M. Nericault Destouches >
de l'Académie Françoise , paroît imprimée,
chez François le Breton , au bout du
Pont-Neuf, Quay de Conti. 1732. in 12
prix 25 sols,
TRAITE' de l'Air,des Eaux, et des Habitans
de Warsovie , de leurs Moeurs et
de leurs Maladies , avec le Catalogue des
Plantes qui naissent aux environs . Par
Christian- Henry Erndtel,, Docteur en
Philosophie et en Médecine , Premier
Medecin du Roy de Pologne , Electeur
de Saxe , de l'Académie Germanique des
Curieux de la Nature ; vol. in 4º . imprimé
à Dresde. L'Ouvrage est en Latin, squs
le titre : Warsovia physicè illustrata , & c. 2
CINMAR
S. 173.2. 533
CINQUIEME feüille des Réfléxions
diverses : Nous sommes la cause de la plupart
des deffauts du sexe.
Cet Ouvrage est gouté de plus en plus,
et se fait lire avec plaisir.
Pour ce qui regarde la probité, dit l'Au
teur , pag.70 . notre foiblesse est puissamment
soutenue par les Loix de l'honneur,
qui sont très-séveres pour nous . Un hom
me qui médit , qui calomnie , ou qui
trompe , se perd absolument dans le mon
de ; il ne peut le faire si adroitement
qu'il ne soit décrié sans retour. Obligé
même quelquefois à payer de sa person
ne , il en devient plus circonspect à s'é
carter . Il n'en est pas ainsi des femmes
nous avons attaché leur honneur à des
circonstances fort singulieres , qui sont
toutes differentes ; elles pensent avoir
tout fait quand elles se gardent de ce côté
là , ou qu'elles sauvent les apparences , ce
qui leur est assez facile dans des conjonc
ture , où elles n'ont que faire d'un tiers ;
du reste elles peuvent tromper , calom
nier , mentir impunément . On rejette
tout sur leur foiblesse; c'est un sexe délicat
qui est aussi excusable de ne pas suivre les
devoirs d'une exacte probité , que de ne pou
voir agir avec force , on porter
fardeaux.
de
pesan's
Fiij L'ex
$ 36 MERCURE DE FRANCE
L'experience nous apprend que les femmes
peuvent non-seulement supporter la
fatigue et le travail , mais qu'elles sont
capables , aussi -bien que nous , de courage
, de fermeté , de force d'esprit et de
valeur. Combien d'Héroïnes n'a - t-on
pas vû dans tous les siecles ? combien de
Princesses qui ont gouverné avec sagesse
et avec prudence ? nous voyons tous les
jours des femmes parmi nous qui se tirent
d'elles -mêmes de l'état de non- chalance
et de molesse , où notre prévention
les place , et qui y réussissent aussi - bien
et quelquefois mieux que les hommes
dans les choses qu'elles entreprennent
,
& c.
>
A la page 74 , J'ai connu dans les Païs
- Etrangers une Dame de distinction
d'un esprit et d'un caractere fort doux
qui vivoit tranquillement en Province
avec un mari qu'elle aimoit beaucoup ;
elle eut le malheur de plaire à un homme
de cette espece , qui n'oublia rien
pour la séduire et la brouiller avec son mari
, sans en pouvoir venir à bout . A la fin
il s'avisa d'inspirer de la jalousie au mari
et de lui faire donner des avis secrets , qui
mirent la division dans le ménage.Il conduisit
les choses de maniere que la femme
fut maltraitée . Il lui offrit ses services. Elle
s'enMARS.
1732. SST
s'enfuit avec lui , et se porta ensuite contre
son mari à des extrémités que je ne
rapporte pas ,
&c.
La sixième REFLEXION est la Générosité.
La véritable Générosité , dit l'Auteur ,
Ignore les vains détours ; elle ne prévient
que par le zele et ne s'annonce que par
les bienfaits ; on ne peut imaginer de plaisit
plus délicat que celui d'un homme généreux
, qui découvre une occasion de
faire du bien; il la saisit avec le même
empressement qu'un avare rechercheroit
un trésor ; rien ne lui coute , lorsqu'il s'agit
d'obliger ; soins , peines , richesses , il
employe tout pour tirer un ami d'embar
ras , &c.
Il n'appartient pas à un esprit médiocre
d'être véritablement généreux ; il në
connoît pas assez le prix des belles ac
tions , pour en faire son unique objet i
quelques bonnes que puissent être ses intentions
, il entre toujours quelque chose
de vulgaire dans le systême de sa condui
te ; son jugement n'est jamais assez déterminé
sur le choix des différentes démarches
qu'il doit faire , et souvent il se laisse
entraîner au faux éclat , qui ébloüit le
commun des hommes . Delà vient que certaines
gens
font toujours entrer quelques
circonstances désagréables dans les servi-
F iiij
ces
538 MERCURE DE FRANCE
ces qu'ils rendent ; ils ne vont jamais jusqu'au
bout de bonne grace, ils y mêlent ordinairement
quelques reproches ou quelques
réfléxions , qui marquent de l'inquiétude
ou de la répugnance , ils ne sçavent
ce que c'est que de prévenir , ils se
font presser et prier , ou bien ils veulent
assujettir ceux qu'ils obligent , et prennent
de ces airs d'empire qui caractérisent
les petites gens dans la prosperité .
C'est ainsi que les gens médiocres ne
font jamais rien qui se soutienne ; si ces
obstacles ne les arrêtent, ils donnent dans
d'autres travers , qui ne sont pas moins
blâmables , ce seront quelquefois des fantaisies
de vouloir servir tout le monde,
Ils s'interessent pour le premier venu sans
choix et sans réfléxion , ou répandent leur
hien mal à propos , leurs libéralitez n'ont
pour objet que des bouffons , des courtisanes
ou des flateurs ; ce n'est pas là être
généreux , c'est être foible ; dupe ou dérangé.
Si l'on aime mieux les services que la
maniere dont ils sont accordez , on n'a
qu'à mettre ces sortes de gens dans le cas
d'en rendre qui puissent briller et faire de
l'éclat dans le monde ; on ne sera pas refusé
; mais s'il s'agit d'obliger dans le silence
, leur dureté se fait sentir et dévoile.
leur
MARS. 1732.
leur caractere. Comme ils croyent leur
réputation suffisamment établie par le
bruit qu'ils ont eu soin de faire , ils ne
s'embarassent pas du jugement d'un par
ticulier , qui ne peut balancer la voix pu
blique qu'ils pensent avoir pour eux ,
Il y a des gens rusez qui sçavent mettre
à profit tous les services qu'ils rendent ;
on peut compter sur leurs offices , pourvû
qu'on ait du crédit et de la protec
tion , des esperances de fortune , un nom
ou une réputation qui puisse relever la
leur ; mais ils ne sçavent ce que c'est que
de s'empresser pour des personnes inutiles
à leurs interêts .
D'autres encore plus déraisonnables
sont à craindre par les services qu'ils
n'ont pas rendus ; si on ne veut les avoir
pour ennemis , il faut ignorer leur conduite
, quelque peu obligeante qu'elle ait
été ; dès que vous les démêlez , ik met
tent tout en usage pour la justifier, mensonges
, médisances , calomnies ; ils n'ou
blient rien pour couvrir leurs procedez ,
qu'ils voudroient se cacher à eux -mêmes.
Ce n'est pas toûjours l'avarice ou l'intérêt
qui empêchent les hommes d'être
généreux. Il y a des naturels insensiblesqui
verroient périr tous leurs concitoyens
sans se donner le moindre mouvement
Ev
pour
540 MERCURE DE FRANCE
pour les secourir; d'autres ne connoissent
personne lorsqu'il s'agit de troubler leur
repos , ou d'interrompre leurs plaisirs ; ils
rapportent tout à eux -mêmes ; les interêts
les plus pressans d'un ami , ne les détourneront
pas d'un Spectacle, d'une promenade
ou d'un ,amusement frivole ; les
besoins les plus touchans des personnes
qu'ils connoissent ne balanceront pas
f'envie qu'ils ont d'augmenter un Equipagé,
d'acquerir un Meuble, ou un Bijou.
Pour voir ces sortes de caracteres sortir
de leur indolence , il faut qu'ils soient à
leur tour dans quelques besoins pressans,
alors ils sont actifs et animez , on ne les
reconnoît plus.
JOURNAL LITTERAIRE , année 1730 ,
Tome 16. premiere et seconde Partie. A
la Haye , che Gosse et Neaulme , in 12 .
嘿
Ce Journal , dont il nous est tombé
quelques Volumes entre les mains , se.
soûtient toujours avec la même réputa
tion. Nous donnerons une légere idée de
leur contenu , à mesure qu'il en paroîtra,.
sur tout , pour les titres des ouvrages qui
ne sont guére connus en France .
PROMENADES d'Ariste et de Sophie , ou
Instructions galantes et sérieuses pour
une
MARS. 1732. 341
une jeune Demoiselle qui veut entrer dans
le monde. Par M. L. A Amsterd. chez H.
du Sauzet. 1730. 318 pages in 12.
LA CONNOISSANCE des Eaux Minérales
d'Aix-la-Chapelle , de Chaud-Fontaine et
de Spa , par leurs véritables principes
envoyée à un ami . Par W. Chronet , Docteur
en Médecine , seconde édition . A
Liége , chez François- Alexandre Barchon,
an Pui en Gerardrie. 1729. in 8. 96 pag.
LE LIVRE DE JOB , traduit en François,
sur l'Original Hebreu , avec des Notes
Litterales pour éclaircir le Texte . Par
Théodore Crinsoz. A Roterdam , chez
Abraham Acher. 1729. in 4. de 148 pag.
sans l'Avertissement et la Préface.
RECUEIL DE LITTERATURE de Philosophie
et d'Histoire . A Amsterd. chez F.
Honnoré. 1730, in 12. de 167 pages , sans
la Table.
TRAITE DE L'ETAT DES MORTS et des
Ressuscitans. Par Th. Burnet , Docteur et
Professeur en Théologie , et Maître de la
Chartreuse de Londres ; traduit du Latin .
Par M. Jean Bion , Ministre de l'Eglise
F vj An
542 MERCURE DE FRANCE
Anglicane. A Roterdam , chez Jean Hof
bout , 1731. in 12. de 285 pages.
Les Nouvelles Litteraires de ce xvi* vol.
nous apprennent ( Art. de Vienne ) , que
les Antiquaires de l'Empereur promettent
de donner incessamment une Edition
exacte du fameux Cabinet des Médailles
des Chartreux de Rome, acquis par S.M.I.
Les Planches excelleront pour la gravûre
et seront bien au dessus de celles que les
Chartreux avoient déja données dans lesquelles
il y avoit des fautes si visibles , que
les moindres connoisseurs , sans voir les
Médailles , pouvoient s'en appercevoir.
L'explication des Figures , dont on a
orné une Edition des oeuvres de M. de
Fontenel , faite à la Haye , occupe une
place considérable dans ces Nouvelles , er
mérite l'attention des Lecteurs intelligens.
On imprime à la Rochefoucault, en in 80 , chez
la veuve Débrouée ; Un Traité de l'humilité, aveg
an autre , de la Soumission respectueuse que les
Domestiques doivent avoir pour leurs Maitres , et
du Retour de tendresse des Maîtres à l'égard de
leurs Domestiques . Par M. Roubauld , Abbé de
S. Léonard , près la Rochelle , Chanoine de la
Rochefoucault.
Les Amateurs de la Médecine, de la Phisique,
de
MARS, 1732 . 543
de l'Histoire Naturelle , et de tout ce qui peut y
avoir quelque rapport , seront bien- aises d'ap
prendre qu'il s'est formé à Nuremberg une Société
des plus habiles Médecins , qui par leurs
correspondances , qu'ils tâchent d'augmenter de
jour en jour , par toute l'Europe , s'occupent à
publier toutes les semaines une Feuille en latin ,
remplie des meilleures et des plus nouvelles Observations
, Problêmes , Extraits , &c. à ce qui
est relatif à ces Sciences. Ils
y ajoutent de temps
en temps des Nouvelles Litteraires les plus inté
ressantes , pour ne rien négliger de ce qui pour-,
roit contribuer à établir une correspondance:
universelle , et par là à perfectionner de plus en
plus la connoissance de la Nature et de l'Art salutaire.
On en voit un Volume entier , pour l'année
1731. qui contient so Feuilles, avec l'Extrait.
des articles , et un Indice des matieres. On a inseré
au commencement de ce Tome , les deux
Consultations , publiées il y a plus d'un an , qui
donnent une idée parfaite du louable dessein des
Membres de cette Société , tant pour
d'y pouvoir Souscrire , que pour ce qui regarde
l'Ouvrage méme. On trouve quelque Exemplaires
de ce Volume , chez M. E. Neaulme ,
Utrecht , chez qui l'on peut faire tenir les Lettres
et autres Piéces sçavantes pour la Société de Nu-
, remberg.
1
la maniere
QUESTIONS qu'on nous prie
de
proposer
.
1. Sçavoir si les anciens Grecs et Romains , &c.
connoissoient ce qu'on appelle aujourd'hui la
Maîtrise dans le Commerce , dans les Arts et les
Métiers , ou s'il étoit permis à toute personne,
Libre d'exercer la profession qui-lui convenoit le
mieux
$44 MERCURE DE FRANCE
mieux ; sçavoir, de plus , si cet usage des Maî
trises dans les differentes professions , étoit connu
sous nos Rois de la premiere et de la seconde
Race ; et quelles sont à present les Nations policées
, qui ont ou qui n'ont pas ce même usage.
II. Sçavoir si l'usage des commoditez publiques
dans les grandes Villes a été connu anciennement
et s'il l'est aujourd'hui dans quelque
Ville bien policée , &c.
2
›
III. Sçavoir si le nombre des peuples augmen
te ou diminue dans les differens siécles ; si par
exemple en France il se trouve à present plus
ou s'il se trouve moins de monde qu'il n'y en
avoit il y a 200 ans , il y a 500 ans , il y
a mille :
ans , &c.
IV. En quelques Eglises Paroissiales de France
, on a fait mettre des Bancs , pour que tout le -
monde y soit assis commodément. Ces Bancs
qui sont pour l'ordinaire fort simples , solides et
immobiles , ont un Dossier , avec un Marchepied,
pour se mettre à genoux ; ils occupent pres- '
que toute la Nef, à la réserve d'un espace qu'on
à laissé au milieu et dans les côtez , pour le passage.
On demande si l'on peut imiter cette prati
que , si elle est ancienne , et en general , ce qu'il
en faut penser ?
DEUX QUESTIONS sur la
dénomination des Lettres.
I. QUESTION.
On suppose pour un moment l'ignorance des
Lettres , et que leur Inventeur paroissant pour la
premiere fois , donne les mots cy -dessous , pour.
exprimer les sons d'usage , qui signifient des choses
connues. Il s'agit ensuite de donner des noms
MARS. 17328
$ 45
à ces nouveaux caracteres. Les noms vulgairess
d'aujourd'hui étant proposez , seroient- ils préfé--
rables aux noms que donne le Systême du Bu
Leau Tipographique ?
II. QUESTION..
On demande lequel se feroit le mieux entendre à
une personne qui ne sçait pas lire , de celui qui , -
pour demander les choses signifiées par les mots
cy- dessous , n'en prononceroit que les Lettres ,
selon la Méthode vulgaire ; ou de celui qui n'en
prononceroit que les sons , selon la Méthode da
Bureau Typographique .
EXEMPLES de la Méthode.
Vulgaire. Typographique.
Mots.. Lettres nommées. Noms des Lettres, -
Réputa erre e pe u te ate is
tion . o enne
Ailleurs. ai elle elle e u erre
esse.
ache e erre i esse esse Hérisson.
O enne
Café .. ce a effe e
Becasse. be e ce a esse esse e
Quicon- qu u i ce o enne qu
que це
Saucisse esse a u ce i esse
esse e
'Action ac te io enne
ka fé
Re pe u te a ci
A lhe eu re ce
he re i ce
be ka ce
ki ke ō ke
se o ce i cen
a csi õ
Boeuf be o e u effe be eu fe
Phiole pe ache i o elle e fe io le
-Vi£... # consone i effe ye i fe
Joseph
545 MERCURE
DE
FRANCE
Vulgaire. Typographiqus.
Mots. Lettres nommées. Noms des Lettres
Dâuphin
.
Joseph i consone o esse e pe
ache
de a u pe ache i
enne
Favori effe au consone o
je o ze è fe
de o fe i
soient erre i esse o ie
Vive
enne te
ú consone i u consone
e
fe a ve o re i ze è
ve i ve
Phase pe ache
a esse
e fe a ze
Ligaé elle ige u e
Gant ge a enne te
Gigue ge i ge u e
Gigot ge i ge ot
Agde a gende e
Juge i consone u ge
Gagége a ge e
Jaugé 1 consone a u
ge e
leighé
ghe at
ge i ghe
ge i ghe ot
a ghe de
je u je
ghe a gé
je o gé
Lezé elle e zede e le zé
Volé u consone oo elle e ve o lé
Louve
ne e le ou ve
elle a ne i me a leme
è ze o
elle ou u conso-
Animal a enne i emme a
Maison emme a i esse a
enne
Hyper ache i grec pe e
mnestre erre emme enne
e esse terre e
Mnemo emme enne e emsine
me o esse i enne e
He i pe re me ne
fte re
me ne me o zeine
Stockolm
MARS.
17328 547
Vulgaire. Typographie.
Mots. Lettres nommées.
Stockolm
.
esse te o ce ka o elle
emme
Noms des Lettras.
fteo ke keo le me
•
Mou- emme o u te o
ton
enne
None enne o enné e
Ninive enne i enne i u
consone e
Agneau a ge enne e a u
Cha- ce ache a pe e
peau a u
me ou te õ
ne o ne e
ne i ne i've
a gne o
che a pe
ve o
Veau u consone e a u
Pain pe a i enne
pe î Vin u consone i enne ve i
Viande u consone i a enne
de e
ve iã de
Chou ce ache o u
che ou
Volail- u consone a elle a i
le. elle elle e ye o le a lhe
Taxe te a isque e te a kse
Exil e icse i elle e gze i le
Suson esse u esse o enne se u ze õ
Deux de e u isque
de eu ce
Styx
Taxé te a icse e
Perplex pe e erre pe elle e
isque
esse ti grec isque
Voeux u cans.o e u icse
Vivre u cons.i u cons.erre e ve i ve re
Zizanie zede i zede a enne ie
Chuche- ce ache u ce ache e
ICE re e erre
ze i ze a ne ie
che u che te re
te a csé
pere pe le ksce
fte i кse
ve eu ce
Milhau
548 MERCURE DE FRANCE
Vulgaire.
Mots. Lettres nommées.
Typographique.
Noms des Lettres
Milhau emme i elle ache a ume il he o
Vigneu cons. i ge enne e ve igne.
Proven- pe erre o u consone
e enne ce a elle çal
Langue- elle a enne ge u e de
pe erre o ve a ce
a le
dochien e ce ache ie enne le a ghe de o che
Bour- be o u erre ge u ités
gui- i ge enne o enne
gnon
Castil- ce a esse te i elle elle
lan. a enne
be ou re ghigne
õ
ka fte i lhe a
Si quelqu'un dit qu'on a choisi exprès les mots
les plus propres, pour faire voir la supériorité de
la Méthode Typographique , sur la Méthode
vulgaire ; on lui répondra, en convenant du fait,
et en défiant tous les Maîtres , sans exception , de
pouvoit trouver un seul mot , en aucune languei
vivante ou morte , dans lequel la dénomination.
et la Méthode vulgaire , ayent aucun avantage
sur la Méthode du Bureau. Si le fait est tel
comment se peut - il trouver un seul critique
contre la Pratique de la dénomination des sons
et des Lettres ?
C'est l'effet de la prevention qui met souvent
audessus de la raison de très -grans génies , et
à plus forte raison , de petits esprits incapables de
saisir , de suivre et de retenir les principes et les
raisonnemens sur le moindre sujet , & c.
L'Académie de Chirurgie , établie à Paris ,
sous la protection du Roy , désirant contribuer
aux
MARS. 1732.
549
aux progrès de cet Art , et à l'utilité publique ,
propose pour sujet du Prix de l'année 1732. la
question suivante : Pourquoi certaines Tumeurs
doivent être extirpées , et d'autres simplement ou
vertes. Dans l'une et l'autre de ces Opérations , quels
sont les cas où le Cautere est préferable à l'Instrument
tranchant , et les raisons de préférence:
On a appris par des Lettres de Suede , un fait
extrémement singulier. Un enfant de onze ans ,
né aveugle à Torna , a recouvré la vûë le 13
jour d'une petite verole. Belle matiere à Dissertation
sur les maladies et les accidens qui peuvent
être utiles au Corps humain.
On apprend de Corfou , par la voye de Venise
, qu'il y étoit tombé pendant trois jours une
pluye si abondante , que plusieurs Villages voisins
avoient été submergez ; que cette pluye
avoit été précédée d'une secousse assez vive de
tremblement de terre , accompagnée d'un grand
bruit , qu'on avoit entendu du côté du Port , où
la Mer avoit paru se gonfler ; que dans un seul
jour le tonnerre étoit tombé cinq fois sur un
même Vaisseau de Guerre , où il n'avoit tué que
deux Matelots , et que pendant la tempête , l'air
étoit tout rempli de Hiboux , de Chauve- souris
et d'autres Oiseaux Nocturnes , qui venoient se
percher sur les Mats et les Vergues des Bâtimens
du Port.
Il paroît chez la veuve Chereau , ruë S. Jac.
ques , aux deux Pilliers , et chez Surugues , Graveur
du Roy , rue des Noyers , une Estampe ,
nouvellement gravée , d'après un Tableau de
Watteau , representant une sainte Famille , dont
le
55 MERCURE DE FRANCE
le public connoisseur , aura tout lieu d'être satisfait.
Il va encore paroître dans peu 4 Estampes
d'après les 4 Saisons , peintes par ledit Watteau,
et dont les compositions gálantes pourront
plaire généralement
On continue à graver sans relâche , d'après
plusieurs Tableaux de grande composition , du
même Auteur ; entr'autres , le fameux Enseigue
qu'il fit pour M. Gersain , son ami , et qui fut
exposé pour les curieux , pendant quelque
temps , au Pont Notre- Dame .
La profession que nous faisons d'honorer les
Beaux Arts , et de faire connoître les sujets qui ›
s'y sont distinguez , nous oblige de publier un
Mémoire , qui nous a été communiqué , au sujet
de Jacques- Philippe Férrand , Peintre , mort à
Paris depuis peu.
Il naquit à Joigny , en Bourgogne , le 26 Juillet
1653. et eut pour pere Louis Ferrand , Médecin
du Roy Louis XIII.lequel en mourant laissa
son fils dans un âge fort tendre. Le jeune Ferrand
fut mené à Paris , où il marqua de gran
des dispositions pour la Peinture. Il apprit d'abord
a dessiner chez M. Mignard , ensuite à
peindre en Miniature , de Samuel Bernard ou
Besnard ; enfin il se forma de lui - même à peindre
en Email , à quoi son génie le portoit , et il
y excella.
En l'année 1684. il fut reçu en la Charge de
Valet de Chambre du Roy Louis XIV.En 1688 .
il fut agréé à l'Académie Royale de Peinture et
de Sculpture , et il fut reçu le 27 May 1690.
Il fit ensuite plusieurs Voyages en Italie , en
Allemagne , en Angleterre. Il étoit à Turin sur
la
3
MARS. 1732. 551
Aa fin de l'année 1695. et fit un tres-beau Por
trait en Email du Duc de Savoye . Ce Prince
en fut si content , qu'il fit l'honneur au Peintre
François , d'aller jusques dans son logement , lui
témoigner sa satisfaction , et lui offrir un appar
tement dans son Palais ; ce qu'il accepta. Son séjour
à Turin -fut d'environ deux années , pendant
1equel temps S. A. R. lui donna des marques
continuelles de bonté et d'une particuliere satis
faction.
Arrivé à Génes peu de temps après, il reçut du
Doge , qui aimoit la Peinture , et qui favorisoit
le mérite , les mêmes honneurs et les mêmes distinctions
dont il avoit été comblé à Turin.
De Génes il passa à Florence , où il fut presenté
au Grand Prince ( leGrand Duc étant absent
) par l'Ambassadeur de France . S. A. lui fit
voir elle- même toutes les magnifiques curiositez
de son Palais , et fit tous ses efforts pour le rete
nir à sa Cour.
Son séjour à Rome fut de 13 mois . Il fit le
Portrait du Pape Innocent XII . celui de la Princesse
Pamphile , et quelques autres qui augmenterent
sa réputation.
En revenant en France , il s'arrêta encore à
Turin pendant quelques mois . Il arriva enfin à
Paris sur la fin de l'année 1698. Le Roy lui ardonna
quelques Ouvrages , dont S. M.parût fort
satisfaite. Des chagrins domestiques qui survinrent
et dont le Mémoire fait le détail , ne permirent
plus guére à M. Ferrand de travailler. Il
donna cependant au public en 1723. un Traité
curieux , intitulé : L'Art du Feu, ou la maniere de
peindre en Email ; 'qui contient un petit Traité
de Miniature , &c. Ce Livre se vend à Paris, chez
Collombat , ruë saint Jacques.
552 MERCURE DE FRANCE
Il est mort à Paris le 5. Janvier de cette année
1732. âgé d'environ 78. ans , et inhumé dans
l'Eglise de S. Jean en Gréve , ne laissant de plusieurs
enfans de son Marige avec Jeanne Colin
de Tours , qu'Antoine Ferrand , aussi Peintre.
André- Charles Boulle , natif de Paris , Archi
tecte , Peintre et Sculpteur en Mosaïque , Ebeniste-
Ciseleur et Marqueteur ordinaire du Roy , né
en l'année 1642. le 10. Novembre , est mort le
29. Février 1734. à Paris dans les Galleries du
Louvre , où il avoit l'honneur d'être logé depuis
Pannée 1672. Get illustre Artiste , dont le mérite
étoit connu en France et dans les Pays Etrangers,
-est infiniment regretté par les Amateurs des Beaux-
- Arts. Il laisse des fils de sa Profession heritiers
de ses talens et de son logement aux Galleries du
Louvre.
La Dame Pariso , pourvûe du Privilege du
sieur Renty , pour le Métal qui imite l'Or , donne
avis qu'elle demeure ruë de Grenelle - Saint-
Honoré , en entrant par la rue S. Honoré à
gauche , vis - à vis l'Hôtel de Vivaretz , où est
son Tableau , et où elle tient son Magazin , composé
de toutes sortes d'Ouvrages ; sçavoir , Lustres
, Surtous de Tables , Girandolles , Bras à
deux et à une branche , Chandeliers de toute
- grandeur , Sucrier , Moutardier, Cuillere , Fourchette
, Manche de Couteau , Garniture de Fen à
figure et autres , uni et cizelé , Seaux à rafraî
chir le vin , Ecritoire , Garde d'Epée , Pomme
de Canne , Tabatiere , Etuy , Boucle de Soulier ,
Sonnettes , Cachet , Garniture de Commode , de
Pendule , le tout ciselé en bas et haut relief,
uni , &c₁
Elle
MARS . 1732.
553
C
3
Elle donne aussi avis aux Ecclesiastiques et
Communautez, qu'on fait des Ornemens d'Eglise
des plus propres , tels que Chandeliers de toute
grandeur , Croix , Tabernacles , Crosses, &c. On
fait géneralement toutes sortes d'Ouvrages , comme
en or et en argent et autres Métaux. On les
nettoye ; sçavoir , s'il y a de la cire ou du suif sur
la Piece , il faut la mettre devant le feu / pour la
faire fondre et la bien essuyer et frotter.
Quand la Piece a servi très- long - temps , ou
qu'elle est trop montée en couleur , pour la mettre
dans son premier état , comme sortant du
Magazin , il faut prendre du Vinaigre de vin ,
y mettre du Tripoly ou Blanc d'Espagne dedans,
prendre une éponge ou du linge doux , bien frots
ter la Piece avec ledit Vinaigre et Tripoly, com
me si on écuroit un Chandelier de Cuivre , sans
craindre d'ôter la dorure qui revient d'elle - même;
après l'avoir ainsi nettoyée , il la faut jetter dans
l'eau claire , la retirer et la bien essuyer avec un
linge sec ; plus on la frottera , plus elle deviendra
belle ; si on ne la trouvoit pas assez dorée , il
faudra la mettre bouillir trois ou quatre minutes
dans l'eau de Riviere , et en la retirant de l'eau
la bien frotter avec un linge sec.
Ceux qui ne voudront pas se donner la peine
de nettoyer ces Ouvrages , n'auront qu'à les envoyer
audit Magazin , on les leur rendra propres
et nettoyez gratis , le Métail n'est point cassant,
CHAN554
MERCURE DE FRANCE
Bacchus
CHANSON.
Acchus et Cupidon , cessez d'être ennemis,
Er ne vous séparez jamais pour votre gloire.
J'étois indifferent , Aminthe m'a fait boire ;
Le vin à l'Amour m'a soumis ,
Le jus divin fit entrer dans mon ame;
Les feux qui partoient de ses yeux.3
L'Amour , au vin qui fit naître ma flâme,
Me fit trouver le goût de la boisson des Dieux ;
J'étois indifferent , Aminthe m'a fait boire ;
Le vin à l'Amour m'a soumis ;
Bacchus et Cupidon , cessez d'être ennemis ;
Et ne vous séparez jamais pour votre gloire.
L. C. D. N. D. M.
XXXXXXXXXXXX:X :XX
SPECTACLES.
EXTRAIT de la Tragi-Comedie de
Danaüs , de M. de Lisle , représentée
sur le Théatre de l'Hôtel de Bourgogne ,
le 21. Janvier 1732.
L'AU
' Auteur a conservé dans cette Piece toute
l'Histoire des Danaïdes , elles y égorgent
leurs Epoux par l'ordre de Danaüs ; la seule Hyper
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
1
E
J'
M
J'
ZA A4
Ba
TAD
SW
YORK PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
*
E
L
lew
MARS. 1732.
555
permnestre sauve Lincée ; et pour traiter d'ane
maniere nouvelle ce Sujet , qui est connu sur notre
Théatre , l'Auteur n'y fait point paroître Lin
ée , qui cependant est le mobile de tout ce qui
se passe sur la Scene ; l'Episode d'Argée y produit
des interêts nouveaux et des situations toutes
differentes de celles où jusqu'ici l'on a fait
voir Hypermnestre ; ce même Argée est supposé
fils de Gelanor, Roy d'Argos , et qui fut déposé
dans le temps que ses Sujets rebelles choisirent
Danaus pour lui succeder. Ce jeune Prince ignore
sa naissance ; et Créon , son Gouverneur, qui
passe pour être son pere , en a seul te secret. I
est amoureux d'Hypermnestre , et il est aimé ;
Danaus qui lui doit une partie de ses victoires ,
l'avoit destiné à l'Hymen d'Hypermnestre , qu'il
n'a suspendu que pour envelopper dans la mort
de tous ses Neveux , celui dont l'Oracle l'avoit
inenacé le caractere d'Argée est grand et même
nouveau, sa generosité superieure à l'Amour et à
l'Ambition , se réunit naturellement avec les sentimens
de devoir , ausquels Hypermnestre se livre
absolument . On voit par tout dans cette Piece
une vertu épurée , opposée au crime et à l'injustice
; les innocens sont couronnez par la Catastrophe
et les Criminels punis.
Cette Tragédie n'est qu'en trois A ctes ; on n'y
a ajoûté des Intermedes que par rapport au Théatre
Italien . Ils sont ingénieux et l'idée en est
nouvelle , ils composent une petite Comédie qui
naît du plus grand tragique ; elle présente une
ébauche des maux que les crimes des Grands font
tomber sur le Public.
Quidquid delirant Reges , plectuntur Achivi.
L'Auteur fait jouer sur le même Sujet la Tra-
G gédic
L
h
$ 56 MERCURE DE FRANCE
gédie à la Cour , et la Comédie à la Ville , et
chaque Acte tragique en produit un comique.
Au premier Acte , la Scene se passe dans la
nuit, et commence au moment que Danaus compte
que ses Neveux sont morts. Créon et Idas ouvrent
la Scene ; le premier est un ancien Capitaine
du Roy Gelanor , et crû pere d'Argée , et l'autre
est aussi un vieux Officier attaché au même Roy.
Il revient de l'exil que sa fidelité pour son Prince
lui avoit attiré. Ces deux amis se retrouvent
dans Argos après une longue absence ; et dans le
détail de leurs avantures , ils exposent le Sujet
par l'Histoire de Gelanor et de Danaüs , celle
d'Argée , son amour pour Hypermnestre , et le
Mariage de cette Princesse avec Lincée , qui dé--
truit sans ressource toutes les esperances d'Argée.
Cete Scene finit par le récit que fait Créon d'un
prodige arrivé dans le Temple au moment de la
solemnité du Mariage des Princes avec les Princesses
, &c.
Danaus , accompagné d'Antenor , son Confi.
dent et Sacrificateur , apprend que ses Neveux
ont été égorgez ; il se livre à tous les remords
dont il est agité , rappelle à Antenor que c'est lui
qui par ses conseils l'a déterminé à ces forfaits .
Il appréhende que le Soleil ne découvre bientôt
aux Mortels les horreurs que les tenebres de la nuit
lui ont cachez. Il prévoit que son Frere ya bientot
arriver avec toutes les forces de l'Egypte pour
venger la mort de ses fils , et il ajoûte qu'il veut
( en couronnant la tendresse d'Argée ) opposer
sa valeur aux efforts d'Egyptus , et qu'il a mandé
cet Amant malheureux , & c.
Argée arrive , Danaus lui fait entrevoir qu'il
est sur le point d'être heureux . Argée en est fort
surpris , scachant que la Princesse est entre les
bras
MARS . 17320 557
bras de son Epoux.Danaüs lui rappelle l'histoire
de sa vie , et celle d'Egyptus , les raisons qui le
firent sortir de l'Egypte , et celles de la haine
qui étoit entre son Frere et lui ; et enfin comme il
est parvenu au Thrône d'Argos, où il se voit encore
menacé par des nouveaux périls , &c . Argée
étonné de ce qu'il vient d'entendre , dit à Danaüs,
que l'alliance qu'il vient de contracter avec
Egyptus , le met au dessus de tout ce que ses
ennemis pourroient entreprendre. Danaus lui
apprend enfin que l'Oracle l'a averti qu'il devoit
périr par la main d'un de ses Neveux , que c'est
pour le prévenir que sous les noms de Paix et
d'Hymenée , il les a attiré dans Argos , et que
ses filles viennent de les égorger.
Argée épouvanté , demande à Danaus si Hypermnestre
a été capable d'un si noir attentat.Danaus
lui fait entendre qu'elle lui rend par là son
coeur.
Argée déteste encore dans un Monologue le
crime de Danaus , il frémit de ce qu'il veut lui
rendre une Amante, teinte du sang de son Epoux,
il préfere la mort à cet hymen , et n'est sensible
qu'à la haine des forfaits , qui révoltent son ame
contre la Princesse . Elle arrive ; il ne la voit
qu'avec horreur. La Princesse lui apprend qu'elle
a sauvé son Epoux , contre les Ordres du Roy ;
quoiqu'il l'eut flaté de l'espoir d'épouser Argée.
Hypermnestre dit à Argée qu'elle n'a recours
qu'à sa générosité , pour sauver son rival. Argée
charmé de voir que la Princesse n'est point criminelle
, se livre au plaisir de la voir toujours
digne de lui ; il veut seconder sa vertu , aux dépens
de son amour et de sa vie , et part pour
exécuter ce gencreux dessein .
Dans le premier Intermede , Arlequin et Eu-
Gij phro
558 MERCURE DE FRANCE
phrosine sa future épouse , viennent au lever. de
l'Aurore , dans un Bois consacré à l'Hymen ; le
pere d'Euphrosine saisit la naissance d'un si
beau jour , pour achever leur hymen , trouvant
que l'aspect du Ciel est favorable à l'Amour. Il
en juge par l'Hymen des Princes d'Egypte ,
avec les Filles de Danaüs ; et appuye son jugement
sur la réfléxion qu'il fait , que nous sommes
necessairement entraînez par la destinée
nos Rois , et que nous partageons leurs malheurs
comme leurs félicités . On chante, on danse
; mais dans le plus fort de la fête , la mere
d'Euphrosine vient apprendre que les Fils d'E
gyptus ont été tuez par leurs Epouses , &c. Arlequin
fait divers Lazzis de frayeur , et prend la
fuite.
Au second Acte , Argée arrive , accompagné
de Créon . Ce Prince lit l'Acte public , par lequel
Géanor le reconnoît pour son fils. Créon lui apprend
les raisons qu'il a eues de lui cacher sa naissance
, et l'exhorte à profiter du crime de Danaus
, pour remonter sur le Thrône ; il lui dit que
tous ses amis assiégent les Portes du Palais , et
qu'ils n'attendent que lui pour punir le Tyran.
Argée surmontant l'amour et l'ambition , lui répond
que Danaus n'a point eu de part à l'exil de
son Pere , &c. qu'il doit toujours reconnoître
en lui le Pere d'Hypermnestre , qu'il veut même
le servir , puisque ce Prince lui offre encore ia
Princesse et l'Empire , et qu'il se déshonorerojt
s'il lui ravissoit avec la vie,des biens qu'il veut lui
rendre , &c.
Créon admire la grandeur d'ame de ce Prince
et voulant le conserver pour le bien de sa Patrie
il sort pour donner le signal de l'attaque et faire
agir Lyncée contre Danaus , &c.
Danaus
MARS. 1732
559
き
Danaus entre avec un Officier qui lui apprend
que Lyncée est échapé , et qu'il l'a vû escorté
du seul Argée , et que le bruit se répand que ce
dernier est le fils de Gélanor. Danaus frappé de
ces circonstances , ordonne qu'on arrête Argée et
Créon , et fait chercher Hypermnestre. Danaus
se livre ensuite à ses craintes et à ses temords .
Hypermnestre vient joindre Danaus . Ce Prin
ce lui demande si son Epoux est mort ou vivant.
La Princesse répond fierement qu'elle l'a
sauvé. Danaus furieux , lui demande quelle récompense
elle en attend ? La mort , dit- elle . Danaus
la lui promet d'abord ,mais combattu par
la
crainte , il tâche finement de séduire la Princesse,
en lui faisant envisager que l'action de générosité
qu'elle vient de faire , entraîne nécessairement
la mort de son pere , sans compter les malheurs
de sa patrie , par les efforts qu'Egyptus va faire'
pour vanger la mort de ses fils . Danaus toujours
irrité , lui dit encore qu'il est informé de tous ses
crimes, et que c'est Argée qui a sauvé son Epoux .
Hypermnestre épouvantée , lui répond de ne pas
mettre le comble aux horreurs de son injustice ,
et que son crime seul suffit pour son supplice.
Antenor vient apprendre à Danaus que son Palais
est attaqué. Ses Gardes forcés , et que son
Neveu est à la tête des conjurez , assemblez par
les soins de Créon. La Princesse étonnée des périls
qui menacent son pere , le conjure d'avoir
recours à la valeur d'Argée. Danaus furieux , lui
dit que pour épouvanter les Rebelles , il le va faire
immoler à leurs yeux , et forme le dessein de
la faire immoler elle - même sur l'Autel des Euménides
; il commande à ses Gardes de l'y conduire
, il se retire pour aller s'opposer aux Rebelles
, &c.
G iij Dans
560 MERCURE DE FRANCE.
Dans l'Intermede du second Acte, Arlequin armé
de toutes Pieces , paroît tremblant de peur, muni
d'une Bouteille de vin ; comme il se croit en lieu
de sureté , il fait des réfléxions comiques et satiriques
sur tout ce qui se passe actuellement dans
Argos . Dans le temps qu'il boit pour prendre
courage , un bruit de guerre , et les clameurs des
combatans l'interrompent ; il veut prendre la fuite
, mais il est empêché par l'entrée de ces mêmes
combattans , qui font un combat en forme
de Balet, dans lequel le parti de Danaüs est battu ,
et celui d'Argée celebre la victoire par de nouvelles
Danses. On apperçoit Arlequin , caché à
un coin du Théatre , qui contrefait le mort. Un
des combattans lui enterre sa Bouteille et l'oblige
de le suivre au combat. Arlequin dit en
s'en allant , que s'il y rencontre la Victoire , la.
peur ne manquera pas de la conduire sur ses pas.
Cette Scene est tres- comique et dans le vrai ca.
ractere d'Arlequin ..
Le troisiéme Acte commence par un Monolo
gue d'Hypermnestre ; elle a été conduite à l'Au
tel des Eumenides , pour y être sacrifiée ; elle
s'abandonne à sa douleur. Argée , dit- elle, va être
immolé pour elle , son Epoux est armé , et son
Pere va périr ; elle ne sçait pour qui faire des
voeux ; quand Idas arrive , il lui apprend qu'Argée
est sauvé , et que tout a changé de face. La
Princesse demande d'abord ce que son Pere et son
Epoux sont devenus ; Idas lui dit qu'il les a vûs .
engagez dans le combat , et lui en fait le détail
qu'Argée s'est armé avec précipitation et que
suivi de l'Elite de ses libérateurs , îl s'est mêlé
tout furieux , parmi les combattans. Hypermnestre
craint d'abord que ce Prince n'ait dessein de
se vanger de son Pere ; mais sa générosité la ras--
sure
MARS. 1732 561
sure. Elle ordonne à Idas de l'aller joindre dans
un si grand péril. Antenor arrive , suivi d'une
Troupe supérieure , et se rend maître du Temple
; il dit à la Princesse qu'il faut qu'elle en rétire
son Pere elle - même par son sang , puisque
c'est son infidelité qui cause tous ses malheurs et
que le Roy prêt à périr , veut que tous ses ennemis
l'emmenent aux enfers . La Princesse se détermine
généreusement à la mort , et se jette au
pieds de l'Autel pour être immolée. Antenor fait
son invocation , et dans le temps qu'il leve les
bras pour la sacrifier , Danaus arrive , blessé à
mort et soutenu par Argée et par Créon. Il dit
qu'un sang plus criminel doit appaiser les Dieux ,
et ordonne aux Prêtres de sacrifier Antenor.
Danaus dit que c'est pour la premiere fois qu'il
entend ce que les Dieux commandent , et qu'en
périssant , il doit finir par un trait de justice. Il
apprend à Hypermnestrè que son Epoux ( qui l'a
blessé à mort est mort de sa main , qu'Argée
Pa retiré ( lui Danaüs ) des mains de ceux qui
alloient lui ravir ce reste de vie . Il dit enfin à la
Princesse qu'elle est libre , par la mort de son
Epoux , et l'exhorte à épouser Argée. Danaus
expire avec tous les remors que la grandeur de
ses crimes doivent lui causer.
L'arrivée d'Arlequin fait le troisième Intermede
; il revient du combat , fier et rempli de
lui même ; son Monologue est fort comique. Euphrosine
, sa Maîtresse , vient le joindre ; on ce-
Tebre leur mariage par des Chants et des Danses
qui finissent la Picce. La Musique de ces trois
Intermedes , qui très - bien caractérisée , est de
la composition de M. Mouret.
Le Vendredy, 7. de ce mois , on donna
G iiij 30
562 MERCURE DE FRANCE
し
au Théatre François.la premiere Représentation
de la Tragédie d'Eryphile , de
M. de Voltaire , que le Public a trouvée
pleine d'harmonie et d'élégance dans les
Vers et de pensées nobles et élevées, la diction
en est mâle , et les traits heureux , les
descriptions, les images, les réfléxions , les
maximes neuves et hardies. Nous entrerons
point dans quelques détails sur tout
cela, ainsi que sur le fonds et l'economie
de la Tradédie , qui est extrémement applaudie
par de nombreuses assemblées.
Nous comptions ne donner l'Extrait
de ce Poëme que dans le mois d'Avril ,
mais le Memoire qu'on va lire , dans les
mêmes termes qu'il nous a été envoyé ,
nous dispense de ce soin. Nous ajouterons
seulement que cette Tragédie est
parfaitement bien représentée par la Dile
Balicour , qui y jouë le principal Rôle , et
par les Srs Dufréne , Sarrazin et le Grand
qui remplissent ceux d'Alcmeon ; d'Hermogide
et du Grand Prêtre. Voici le Memoire.
ERYPHILE est de la composition de l'illustre
M.de Voltaire,connu dans l'Europe
comme le seul Poëte Epique de nos jours
et comme l'Auteur Tragique , qui , sans
contredit , est le plus précis dans les pensées
et le plus harmonieux dans la diction
,
MARS. 1732. 563
, ་
tion ; on peut encore ajoûter , depuis son
Histoire de Charles XII. qu'il est l'Historien
de son siecle , le plus ingénieux er
le plus élegant ; son stile est plus vif et
plus nourri que celui de l'Abbé de Vertot
, et les Refléxions sont aussi profondes
et aussi bien liées au Sujet que celles
de l'Abbé de S. Réal. Il faut avouer la
verité , il n'y a eu personne dans l'Antiquité
ni dans le temps present, qui se soit
distingué à la fois par tant de côtez , et qui
ait fait de bons Ouvrages dans des genres
si differens. M. de la Motte avoit voulu être
universel , mais avec bien de l'esprit , il
n'avoit réussi qu'à être médiocre dans bien
des genres , et ne s'étoit élevé au sublime
dans aucun. Il y a bien parû quand il voulut
, pour dégradér l'Oedipe de M. de Voltaire
, en donner un de sa façon . On vit en
cette occasion la difference de ces deux gé
nies , et tout le mérite de M.de la Motte le
laissa bien au- dessous de son jeune Rival .
Il paroît que le Sujet d'Eriphile est presque
tout de l'invention de M. de Voltaire
; il n'a pris de la Fable autre chose
si-non quEriphile fut la cause de la mort
d'Amphiarus son mari , et fut tué part
Alcmeon son fils. Voilà sur quel fondement
M. de Voltaire a construit une Tragédie
dans un gout entierement nouveau .
Gv Jamais
564 MERCURE DE FRANCE
Jamais Piece ne fut plus vive et n'eut
plus d'action , sans devoir sa vivacité à
une multitude d'évenemens qui n'est que:
la ressource des Auteurs sans génie. L'Auteur
a osé suivre le gout Grec ; on voit
dans sa Piece un Peuple assemblé devant
lequel on demande la Couronne ; l'Om--
bre d'Amphiarus apparoît sur le Théa
tre , on entend les cris de la mere et
ceux de son fils qui l'égorge. Et toutes.
ces hardiesses si neuves n'ont réüssi que
parce qu'elles sont conduites avec une :
extreme sagesse..
Vous voyez d'abord dans cette Piece si
originale , une femme qui avoue qu'elle:
a eû autrefois de la foiblesse pour un
Prince qui l'a trompée ; cette foiblesse :
a été cause de la mort de son mari et des
malheurs d'Argos. Cet Amant nommé
Hermogide , encouragé par les esperances
que
lui a données la foible et malheureuse
Eriphile , a assassiné Amphiarus. En quels
Vers moelleux et patetiques cette triste.:
avanture est contée !
C'est cet âge fatal et sans experience ,
Ouvert aux passions , foible , plein d'imprudence
C'est cet âge indiscret qui fit tout mon malheur ;
Un traître avoit surpris le chemin de mon coeur.
P
Une::
C
MARS. 565 1732.
Une main impie ,
Ou plutôt má foiblesse a terminé sa vie.
Hermogide en secret immola sous ses coups ,
Le cruel tout couvert du sang de mon Epoux ,
Vint armé de ce fer , instrument de sa rage ,
Qui des droits à l'Empire étoit l'auguste gagey
Et d'un assassinat pour moi seul entrepris ,
Au pied de nos Autels il demanda le prix.
Grands Dieux ! qui m'inspirez mes remords le
gitimes ;
Mon coeur , vous le sçavez , n'est point fait
les crimes ;
Il est né vertueux .. .. je vis avec horreur
Le coupable ennemi qui fut mon séducteurs
Je détestai l'Amour et le Trône et la vie. ·
pour
Voilà quel est le caractere coupable
et interressant de cette Princesse malheureuse
; les Dieux la punirent de sa
faute et empêcherent Hermogide d'en
cueillir le fruit. Argos fut desolée par des
Guerres Civiles ; les Oracles furent con--
sultez , ils ordonnerent que la Reine ne
chosit un Roy que lorsque deux Roys
seroient vaincus auprès d'Argos ; ils ajoûterent
que ce jour seroit la fin de tant
de malheurs , mais qu'il en couteroit la
vie à Eriphile , et qu'elle mourroit de la
main même du fils qu'elle avoit eu d'Am-
Gvj phiarus.
"
1
566 MERCURE DE FRANCE
phiarus. La Reine fir alors éloigner ce fils
qui étoit dans sa tendre enfance ; elle le
tint dans l'ignorance de son rang , de
peur que l'envie de regner ne le portât
un jour à accomplir ces malédictions ct
à commettre un parricide. Cependant
après beaucoup de malheurs et de guerres,
le jour prédit arrive où deux Rois sont
vaincus par un jeune Guerrier , Licutenant
d'Hermogide nommé Alcmeon.Voici
le temps où il faut nommer un Roy ;
Argos le demande, les Dieux Fordonnent.
Hermogide , à qui il ne manquoit que le
nom de Souverain , compte sur son pouvoir
, sur la foiblesse de la Reine , et
même sur ses crimes ; il lui parle et la
fait trembler ; Eriphile qui consulte le
Ciel sur sa destinée , apprend que son
fils vit encore ; elle assemble les Chefs
et le Peuple ; elle déclare devant eux que
ce fils est vivant ; elle indique les lieux
qu'elle croit qu'il habite , et le nomme
Roy en presence même d'Hermogide . Cet
audacieuxPrince privé dans ce moment de
la Couronne où il touchoit , déclare publiquement
à la Reine et au peuple , qu'il
a tué lui- même cet Enfant que les Dieux
réservoient au parricide. Il s'écrie devant
cette grande Assemblée.
J'atteste
MARS. 1732 .
567
J'atteste mes Ayeux et ce jour qui m'éclaire ,
Que j'immolai le fils pour conserver la mere ;
Que si ce sang coupable a coulé sous mes coups,
J'ai prodigué le mien pour la Grece et pour
yous.
Vous m'en devez le prix ; vous voulez tous us
Maître ; 1
L'Oracle en promet un , je vais périr ou l'être ;
Je vais vanger mes droits contre un fils supposé;
Je vais rompre un vain charme à moi seul opposé.
Soldat
par mes travaux et Roy par ma naissance,
De vingt ans de Combats j'attends la récompense ,
Je vous ai tous servis ; ce rang des demi Dieux ,
Deffendu par mon bras , fondé par mes Ayeux ,
Cent fois teint de mon sang , doit être mon partage
;
Je le tiendrai de vous , de moi , de mon courage;
De ces Dieux dont je sors et qui seront pour moi.
Amis , suivez mes pas , et servez votre Roy.
A cette découverte affreuse , la Reine
menacée d'être détrônée par son ancien
Amant , privée de son fils et obligée de
faire un choix , se tourne vers Alcmeon ,
ce jeune Guerrier qu'elle aime en secret
malgré elle , et lui ordonnant de venger
son fils , le chosit pour son Epoux. Cet
Hymen à qui tout le Peuple applaudit ,
se prépare ; ces deux Amans heureux
vont
588 MERCURE DE FRANCE
vont s'unir au Temple , mais dans l'ins
tant qu'ils se vont donner la main , l'Om
bre d'Amphiarus sort de son Tombeau au
milieu du Tonnerre et des Eclairs , et
ordonne à Alcmeon de le venger de
sa mere. Cet ordre obscur et épou--
ventable , est un coup de foudre pour
Eriphile , pour Alcmeon , et pour le
Peuple.
Alcmeon qui n'a plus de mere , et
qui s'est toujours crû fils d'un Esclave ,
avoüe enfin ce secret humiliant ; mais cet
aveu ne fait qu'augmenter l'horreur et
l'attendrissement de la Reine ; elle se ressouvient
qu'elle a autrefois donné son
propre fils à élever à une Esclave. Pendant
que la Reine et Alcmeon se font
mutuellement des questions qui les jettent
dans un trouble nouveau , arrive
le Grand- Prêtre , une épée à la main ; lại
Reine reconnoît l'épée Royale d'Amphiarus
; c'est cette même épée dont Her.
mogide s'étoit emparé , et dont il avoit
percé le jeune Alcmeon dans son Berceau.
Voici , dit le Grand- Prêtre ::
Voici ce même fer qui frappa votre enfance ,
Qu'un cruel, malgré lui, Ministre du Destin ,
Troublé par ses forfaits , laissa dans votre sein,
Le Dieu qui dans le crime effraya cet Impie,
Qui
MARS. 1732. 5699
Qui fit trembler son bras , qui sauva votre vie , ›
Qui commande à la mort , ouvre et ferme le flane,,
Vange un meurtre par l'autre , et le sang par le
sang ,
M'ordonna de garder ce fer toûjours funeste."
→
La Reine alors reconnoît son fils , mais
dans quel moment , dans quelle situation
nouvelle , lorsque ce fils est prêt de
l'épouser , et qu'il se trouve armé pour
l'immoler . Eriphile veut appaiser l'Ombre
d'Amphiarus , elle va sur son Tombeau
pour offrir un Sacrifice ; mais c'est
là que les Dieux l'attendent pour punir
une foiblesse criminelle par la vengeance
la plus terrible. Alcmeon possedé des Furies
, tuë Hermogide sur cette Tombe ;;
et prenant sa mere pour Hermogide même
, qui blessé à mort , lui demande :
la vie , il croit achever Hermogide et il
massacre sa mere qui expire dans ses bras,
en lui pardonnant sa mort , et en l'accablant
des marques les plus touchantes de
sa tendresse maternelle .
Ce sujet a quelque chose d'Electre
ou plutôt de Clitermnestre tuée par Ores
te ; les anciens traitoient l'un et l'autre
indifféremment. Mais combien la manie.
re interessante dont M. de Voltaire a
ménagé cette : Tragédie est elle au-dessus
de l'attrocité de l'Electre, -
$70 MERCURE DE FRANCE
Il a sur tout donné à Eriphile , une
vie immortelle par les beaux Vers dont
elle est remplie. Voici ceux qui sont sur la
Naissance,qui ont reçû tant d'applaudissemens
et qui ne sont pas cependant les
plus travaillez et les plus parfaits de la
Piece.
Eh ! c'est ce qui m'accable et qui me désespere :
Il faut rougir de moi , trembler au nom d'un
Pere ,
Me cacher par foiblesse aux moindres Citoyens,
Et reprocher ma vie à ceux dont je la tiens.
Préjugé malheureux , éclatante chimere ,
Que l'orgueil inventa , que, la fable révere ,
Dar qui j'ai vu languir le mérite abatu ,
Aux pieds d'un Prince indigne ou d'un Grand
sans vertu.
Les Mortels sont égaux ; ce n'est point la naissance
,
C'est la seule vertu qui fait leur difference ,
C'est elle qui met l'homme au rang des demi
Dieux ,
Et qui sert son Pays n'a pas besoin d'Ayeux.
Princes , Rois , la fortune a fait votre partage ;
Mes grandeurs sont à moi , mon sort est mon
ouvrage ,
Et ces fers si honteux , ces fers où je nâquis ,
Je les ai fait porter aux mains des Ennemis ;
Je n'ai plus rien du Sang qui m'a donué la vie ;
MARS.
571
1732.
Il a dans les Combats coulé pour la Patrie.
Je vois ce que je suis et non ce que je fus ,
Et crois valoir au moins des Rois que j'ai vaincus
L. D. M.
Le Samedi is. de ce mois , les Comédiens
François lûrent et reçurent dans leur Assemblée
unanimement, une Tragédie nouvelle de M.Piron,
qui a pour titre , Gustave Vasa.
L'Académie Royale de Musique donna
la premiere Representation de Jephie ,
Tragédie , tirée de l'Ecriture sainte , le
premier Jeudy de Carême ; la nouveauté
du genre en avoit rendu le succès si
douteux, qu'on ne croioit pas qu'elle pût
être jouée deux fois ; cette prévention
presque générale n'a pas tenu contre les
beautez du Poëme et de la Musique , et
M. l'Abbé Pellegrin et M. de Monteclair
qui en sont les Auteurs , peuvent
se vanter qu'il y a tres - peu d'Opéra que
le Public ait honoré de plus d'applaudissemens.
Nos Lecteurs pourront juger du
Poëme par cet Extrait. Pour la Musique ,
les plus grands connoisseurs la trouvent
tres-digne de Lully , et on ne les contredit
point.
Au Prologue , le Théatre représente
un lieu orné pour des Spectacles , c'està
dire ,
*
72 MERCURE DE FRANCE
à- dire , le Théatre même de l'Académie,
dont tous les Dieux fabuleux se sont em
parez , comme du seul Temple qui leur
reste depuis l'extinction du Paganisme :
Apollon invite Polhymnie et Terpsicore à
le seconder dans le dessein qu'il a de
maintenir le culte qu'on leur rend encore
sur ce Théatre. Il s'exprime ainsi :
>
Vous , qu'avec Apollon , en ces lieux on adore ,
Sçavante Polhymnie , aimable Terpsicore
Par vos chants , par vos jeux , secondez mes´
désirs ;
Ce Temple seul , nous reste encore ;
Faisons-y regner les plaisirs.
Les deux Muses exécutent ces ordres ;*
elles étalent , à l'envi , ce qu'elles ont de
plus flateur , pour séduire les mortels ;
mais leur regne n'est pas de longue durée;
la Verité descend des Cieux , suivie
des vertus qui forment sa brillante Cour.
Elle leur parle ainsi :
Phantômes séduisans , Enfans de l'imposture
Osez-vous soûtenir ma clarté vivé et pure ›
Cachez, vous dans l'obscurité ,
Où mon brillant aspect vous plonge ;
Il est temps que la verité ,
Fasseévanouir le mensonge.
C'est
MARS.
1732. $73 .
C'est trop abuser l'Univers ;
Rentrez dans les Enfers.
Les faux Dieux , dont l'Ecriture dit :-
Dii autem Gentium dæmonia , sont forcez
de s'abîmer.
La verité expose le Sujet de la Tragédie
qu'on va representer , par ces Vers
qu'elle addresse aux Vertus qui l'accompagnent.
Troupe , immortelle comme moy ;
Vertus , ornez ces lieux pour un nouveau Spec
tacle ;
Annoncez aux Mortels la redoutable loy ,
9.3 Du Dieu seul , dont je suis l'Oracle
Retirez du Tombeau le malheureux Jephté ;,
Rappellez son voeu téméraire ;
Au soin d'instruire , ajoutez l'art de plaire
Vous pouvez adoucir votre sévérité ;
Mais qu'aucun faux brillant n'altere
La splendeur de la vérité.
Le Choeur des Vertus , Suivantes de la
Verité , l'invite à faire briller sur la Terre
sa celeste lumiere. Le Prologue finit par
cet éloge, d'autant plus beau qu'il est dans
la bouche de la Vérité même,
Un Roy qui me chérit dès l'âge le plus tendre
,
Bait
son
unique
soin
de
marcher
sur
mes
pas.
M
$74 MERCURE DE FRANCE
Il veut qu'en ces heureux climats ,
Ma seule voix se fasse entendre.
Qu'il triomphe par moi , quand je regne par lui,
Que la terre , le ciel , qu'à l'envi tout conspires
A faire fleurir un Empire ,
Dont je suis le plus ferme appuy .
La Dile Herremens , qui remplit le Rôle
dè la Vérité , y réussit parfaitement ; mais
passons à la Tragédie.
Le Théatre représente d'abord le Fleuve
du Jourdain , dont les Flots séparent
l'Armée des Israëlites de celle des Ammonites.
Jephté ouvre la Scene ; il témoigne d'abort
le plaisir qu'il a de revoir Maspha
sa chere Patrie , après un long exil ; la
tristesse succede à la joye quand il voit
les Etendards des Ammonites plantez sur
les bords du Jourd in.
Abdon , l'un des Officiers Généraux
de l'Armée Israëlite , lui vient ` annoncer
que l'Arche sainte va paroître à la
tête des Troupes , dont on lui a donné le
commandement. A cette heureuse nouvelle
Jephté est transporté de joie et
rempli de confiance. C'est icy la Scene
d'exposition ; l'Auteur y apprend aux
Spectateurs des choses essentielles à sa
Piece , et qui servent de base à la situation
MARS.
57.5 1732.
tion la plus frappante ; sçavoir , qu'il n'a
point vû sa fille depuis son enfance ; et
qu'il ne veut la voir qu'après qu'il aura
rempli son premier devoir . Il s'exprime
ainsi :
La gloire du Seigneur , fait mon premier devoir ;
Nos Tribus , mes Soldats , sont toute ma Famille.
Quoi ? lui dit Abdon , l'amour ni le
sang , ne peut vous émouvoir ?
Jephte lui répond !
Dis plutôt que je me défie ,
D'un coeur trop prompt à s'attendrir ;
Non ; je ne veux rien voir qui m'attache à la vie,
Quand pour sauver mon Peuple , il faut vaincre
ou mourir.
Le Grand Prêtre Phinée vient annoncer
à Jephté que la voix du Seigneur confirme
le choix que les Hebreux ont fait
de lui , pour regner sur eux ; il lui apprend
qu'Ammon , Fils du Roy des Ammonites
et Prisonnier dans Maspha , a corrompu
la Tribu d'Ephraim , ce qui donné
lieu à un très - beau duo:
Les Guerriers Israëlites , assemblez par
l'ordre de Jephté , viennent attendre
l'Arche sainte. Le Grand-Prêtre et Jephté
leur annoncent les prodiges que Dieu a
faits
$76 MERCURE DE FRANCE
faits en faveur de son Peuple. Les Guerriers
se mêlent à ce récit. Voicy les Vers
qui forment ce beau Choeur , qui fait
Fadmiration de tout Paris .
Phinée.
Ennemis du Maître suprême ,
Redoutez son couroux vangeur
La Terre , l'Enfer , le Ciel même
Tout tremble devant le Seigneur.
Le Choeur répete : La terre , & c.
Phinée et Fephté.
Le Jourdain retourne en arriere
Le Soleil suspend sa carriere ;
La Mer désarme sa fureur ,
En faveur d'un Peuple qu'il aime.
Le Choeur reprend : La terre , &c.
Phinée et Jephté.
La bruyante Trompette , à l'égal du Tonnerre
Brise les Murs d'airain , jette les Tours par terre ,
Et déclare Israël vainqueur ;
Elle va porter la terreur
Chez l'Idolatre qui blasphême .
Le Choeur.
La Terre , l'Enfer , le Ciel même ,
Tout tremble devant le Seigneur.
L'Arche
MARS. 1732.
577
L'Arche paroît de loin aux yeux dụ
Grand - Prêtre ; il ordonne aux Guerriers
de détourner la vûë ; un nuage lumineux
la couvre , comme il arriva la premiere
fois Moïse la voulut offrir aux yeux
du Peuple.
que
Abdon annonce à Jephté que les Ammonites
viennent de fondre sur le Camp
des Israëlites. Jephté ordonne qu'on assemble
ses Guerriers sous ses Etendards
au son de la Trompette sacrée ; et c'est
dans ce pressant péril qu'il fait ce serment.
Grand Dieu , sois attentif au serment que je fais
Contre tes Ennemis , si je soûtiens ta gloire ,
Le premier qu'à mes yeux offrira mon Palais
Sera sur tes Autels le prix de ma victoire.
Je jure de te l'immoler ;
C'est à toy de choisir le sang qui doit couler
A peine le serment est - il prononcé
que le Jourdain se sépare en deux , et
forme deux remparts , au travers desquels
l'armée Israëlite passe au son des
Trompettes.
Au II. Acte , le Théatre représente le
Palais de Jephté ; Ammon ouvre la Scene.
Abner , son confident , l'exhorte à
mettre à profit la liberté que la Tribu
d'Ephraim vient de lui rendre , et à se
sauver
3-8 MERCURE DE FRANCE
sauver d'un lieu où il périra , si Jephté revient
victorieux. Ammon lui dit qu'il ne
sçauroit quitter Iphise , fille de Jephté ,
dont il est amoureux. Iphise vient ; Am-
'mon lui déclare son amour. Eile le veut
fuïr ; il la retient ; et comme il blaspheme
contre le Dieu des Hébreux , elle lui dit :
Arrête . A l'Univers craint de servir d'exemple ;
Outrage à ton gré tes faux Dieux
Mais au Dieu d'Israël ne livre point la guerre ,
Il régit la terte et les cieux.
;
+
Et sur le Sacrilege , il lance le tonnerrè ;
Tremble , son bras vangeur , est prêt à t'im .
moler.
Elle lui ordonne de se retirer ; il lui
obéit. Iphise fait connoître dans un Monologue
l'amour qu'elle sent, malgré elle,
pour Ammon ; elle s'exprime ainsi :
Mes yeux , éteignez dans vos larmes
Des feux qui dans mon coeur s'allument malgré
moi .
Tu vois mes mortelles allarmes ,
Dieu puissant , j'ai recours à toy.
Pourquoi faut- il , hélas ! que je trouve des char-
: mes
Dans un fatal panchant , condamné par ta loy ?
Mes yeux , &c.
Almasie , mere d'Iphise , vient s'affliger
avec
MARS. 1732 . 579
avec sa fille , d'un songe terrible qu'elle
a fait , et dans lequel elle a vû tomber
la foudre sur elle : Iphise ne doute point.
que ce ne soit un châtiment que Dieu lui
destine pour la punir de son amour pour
un Idolâtre ; elle en fait un aveu à sa
mere à la fin de la Scene . Abdon leur annonce
la victoire de Jephté ; les Peuples
viennent s'en réjouir dans leur Palais. Almasie
ordonne à sa Fille de présider aux
jeux , tandis qu'elle va dans le Temple
rendre graces à Dieu d'une si heureuse
victoire. Iphise lui dit qu'elle ira bientôt
l'y trouver dans un même esprit de
reconnoissance envers Dieu. Un bruit de
Trompettes annonce l'arrivée de Jephté ;
les Peuples se mettent en état d'aller au
devant de lui ; Iphise ne peut s'empêcher
d'y aller à son tour ; elle le fait connoître
par ces Vers qu'elle addresse à Dieu :
Je ne puis résister à mon impatience ;
Seigneur , un seul moment , je ne veux que le
voir ,
Et je vole où m'appelle un plus sacré devoir.
C'est-à- dire , au Temple , où elle a promis
à sa mere de l'aller joindre.
Le Théatre représente au troisiéme Ac
te une avant- court du Palais de Jephté ,
ornée d'Arcs de Triomphe ; on y a élevé
H au
$80 MERCURE DE FRANCE
un Trône.Jephté troublé de son serment,
fait retirer tous ceux qui le suivent. 11
fait entendre qu'il a vû sa Victime et
qu'il n'a osé lui prononcer l'Arrêt de sa
mort. Il ne sçait pas que cette Victime
est sa propre fille. Il se représente , en frémissant
, quelle eût été la rigueur de son
sort si son Epouse ou sa fille eussent paru
les premieres à ses yeux ; on lui à dit
qu'elles sont dans le Temple , ce qui le
met dans une entiere securité ; cependant
il plaint les parens de celle qu'il a vüe
la premiere par ces Vers :
O toi que mon ame attendrie ,
A laissé sans obstacle éloigner de ces lieux ,
Quel pleurs tu vas coûter aux Auteurs de ta vie,
S'il faut que je remplisse un serment odieux !
Almasie vient ; Jephté la prie d'excuser
le trouble dont elle le trouve agité ; elle
lui confirme que sa fille est dans le Temple.
Iphise arrives Jephté frémit en la
voyant , parce qu'il la reconnoît pour
celle qu'il a vûë la premiere ; mais de
quel coup n'est- il pas frappé quand il
entend ces mots d'Almasie !
Approchez - vous , ma fille,
. Cette situation à tiré des larmes ; voici
la fin de cette interessante Scene .
Iphise
MARS.
581 1732.
Iphise.
Votre présence m'est si chere ,
Pourquoi détournez -vous les yeux ?
Fephré.
Je devrois les fermer à la clarté des Cieux.
Iphise.
O mon pere , envers vous de quoi suis - je coupable
?
Ai-je à vos yeux montré trop peu d'amour
Au bruit de votre heureux retour
J'ai volé la premiere.
Jephté.
Eh ! c'est ce qui m'accable ;
Et mon malheur est confirmé.
Iphise.
Votre malheur ! Parlez ; quelle douleur vous
presse ?
Me reprochez vous ma tendresse a
Jephie.
Vous ne m'avez que trop aimé ?
Hela's !
Iphise .
Jephte.
Votre présence augmente mon supplices
Eloignez-vous.
Almasie.
Quelle est votre injustice !
Hij Jephti
•
82 MERCURE DE FRANCE
Jephte.
Otez-moi çet objet ; il me perce le coeur. &c.
La Scene entre Jephté et Almasie n'est
gueres moins interressante. Jephté lui
apprend son serment ; elle lui répond
avec transport :
Non , Dieu n'accepte pas un voeu si témeraire.
Mais pensez- vous, cruel, que nos saintes Tribus ,
Malgré vos ordres absolus ,
Ne conserveront pas une fille à sa mere ?
Tout Israël lui servira de pere ,
·Puisqu'enfin vous ne l'êtes plus. &c .
Ce troisiéme Acte finit par cette leçon
, que Phinée fait à Jephté , après la
Fête du Couronnement.
Phinée.
“Jephté , si tu veux qu'on te craigne ,
La crainte du Seigneur doit regler tes projets.
Ce n'est pas toi , c'est Dieu qui regne ;
Sois le premier de ses Sujets.
Grave au fond de ton coeur sa parole éternelle ;
Tiens sans cesse tes yeux attachez sur sa Loy ;
Dans ses sermens il est fidelle ;
Ne lui manque jamais de foy .
Ces dernieres paroles prononcées au
hazard
MA'R S. 1732. 58.3
hasard , rappellent à Jephté le fatal serment
, et font finir l'Acte d'une maniere
plus interressante et plus propre à augmenter
le péril.
Au quatriéme Acte , le Théatre représente
un Jardin, où Almasie a dit à sa fille
dans l'Acte précedent de l'aller attendre.
Iphise ouvre la Scene par ce Monologue
qui convient à sa situation .
Ruisseaux, qui serpentez sur ces fertiles bords ,
Allez loin de mes yeux répandre les trésors ,
Qu'on voit couler avec votre Onde.
Dans le cours de vos flots, l'un par l'autre chassez,
Ruisseaux , hélas ! vous me tracez ,
L'image des grandeurs du monde.
Ruisseaux , & c.
Les Bergers et les Bergeres des Rives
du Jourdain , viennent rendre hommage.
à la fille de leur nouveau Souverain , et lui
présentent les prémices de leurs Champs,
qu'elle rapporte à Dieu par ces Vers :
J'aime à voir vos soins empressez ;
Mais à l'Auteur de la Nature ,
Vos chants doivent être adressez .
Ces fruits , ces fleurs , cette verdure ,
Tout appartient à ce supréme Roy ;
Il en demande les prémices.
H iij
Pour
$ 84 MERCURE DE FRANCE
J
Pour attirer sur vous des regards plus propices ,
Immolez-lui vos coeurs , c'est sa premiere Loys
Puissiez -vous dans vos Sacrifices *
Estre plus fidelle que moi !
Cetre Fête , qui est , sans contredit , l'a
plus gracieuse de la Piece , et qu'on compare
, à bon droit , à celle du quatriéme
Acte de l'Opera de Roland , est interrompue
par Almasie , qui après avoir fait
éloigner les Bergers , annonce à 1phise
qu'elle doit être sacrifiée. Voici comme
elle lui parle :
Par le Grand- Prêtre et par Jephté ,
L'Eternel à mes yeux vient d'être consulté.
Que d'horreurs à la fois ! je tremble à te le dire.
Le Ciel gronde , l'Autel que je vois s'ébranler ,
Semble se refuser au sang qui doit couler .
Le Voile sacré se déchire ;
Le Grand- Prêtre saisi d'effroi ,
Jene un sombre regard sur ton pere et sur moi.
Vers l'Arche redoutable en tremblant il s'avanee;
Il l'interroge sur ton sort.
L'Arche garde un triste silence ,
Et ce silence est l'Arrêt de ta mort.
Iphise apprenant que són sang est le
prix de la victoire qui a sauvé le Peuple,
se
MARS. 173-2 585
se dévotie à la mort avec joye ; Almasie
sort pour aller du moins retarder le fatal
Sacrifice. Iphise refléchit sur sa triste situation
par ce Monologue.
C'en est donc fait ! bientôt cette Terre , ces Cieux ,
Ce Soleil , pourjamais tout se voile à mes yeux !
Malheureux un coeur qui se livre ,
Au vain bonheur qui vient s'offrir !
A peine je commence à vivre ,
Qu'il faut me résoudre à mourir.
Du comble des grandeurs dont l'éclat m'envi
ronne ,
Je cours d'un pas rapide à mes derniers instans;
Je ressemble à ces fleurs que l'Aquilon moissonne
?
Dès les premiers jours du Printemps.
Malheureux un coeur , &c.
L'Acte finit
que
les Con- une Scene
par
noisseurs
trouvent
la plus belle de la Pie- ce. Ammon
veut sauver Iphise ; elle re- fuse le secours
qu'il vient lui offrir , sou- tenu de toute la Tribu d'Ephraïm
; le désespoir
d'Ammon
qui veut perir , lui arrache
des sentimens
qui Aattent
l'amour
dont il brule pour elle , mais elle lui ôte toute esperance
par ces Vers :
Apprens que pour sentir une fatale flamme ,
Un grand coeur n'est pas abbattu.
Hiiij L'A586
MERCURE DE FRANCE
L'Amour peut entrer dans une ame ,
Sans triompher de la vertu.
Ammon désesperé , lui dit qu'il entrera
dans le Temple , la vengeance à la main
elle se résout à aller se livrer à l'Autel
pour prévenir la fureur de son Amant.
Comme cet Extrait n'est déja que trop
long , nous ne dirons plus que ce qui concerne
l'Action théatrale du V. Acte.
Jephté déplore sa situation , et la comparant
à celle d'Abraham , il demande à
Dieu la même clémence qu'il fit autrefois
éclater en faveur de ce Patriarche.
Iphise vient se livrer à l'Autel malgré le
Peuple qui veut la retenir ; la Scene envers
son Pere est des plus touchantes.
Un bruit de guerre oblige Jephté à aller
deffendre le Temple qu'Ammon assiege
avec la Tribu d'Ephraïm . Ammon
entre dans la partie exterieure du Temple
pour enlever Iphise ; elle se sauve
dans l'interieure. Ammon la suit jusques
dans le Sanctuaire , en blasphemant.
Jephté revient , l'épée à la main , et
voyant le Temple forcé , y veut entrer.
Phinée l'arrête , en lui disant, que le Dieu
des Armées n'a pas besoin du secours
d'un foible Mortel ; l'Ange Exterminateur
descend dans un Globe de feu. Ammon
MARS. 1732.
587
par
mon et les Rebelles font entendre
des voix mourantes qu'ils périssent tous .
•
On amene Iphise pour la sacrifier ; la
résignation de la fille , l'étonnement du
Grand- Prêtre , et la douleur du Pere et
de la Mere , font un tableau qui inspire
tout- à- la fois la pieté et la terreur. Iphise
est sauvée par une inspiration du Grand-
Prêtre , qui lui annonce que Dieu luj
fait grace en faveur de son repentir.
On a ajoûté une Fête en action de
grace , dont on convient que le Poëme
n'avoit pas besoin pour s'assurer un succès
des plus complets.
Au surplus cet Opera est executé d'une
maniere à satisfaire les Spectateurs les
plus difficiles et les plus délicats . Le sieur
Chassé fait voir dans le premier Rôle ,
par l'expression de son jeu et par la fléxibilité
de sa voix , qu'il est capable de
remplir avantageusement tous les Rôles
dont il voudra se charger. La Dile Antier
ne dément point la grande réputation
qu'elle s'est si justement acquise jusqu'aujourd'hui
, et la Dile le Maure , dans le
Rôle d'Iphise , joint à la plus belle voix
du monde , toutes les graces , toute la
sensibilité et toute la noblesse qu'on peut
souhaiter. Tous les autres Acteurs , tant
chantans que dansans , se sont distin-
H v guez
588 MERCURE DE FRANCE
guez;et le sieurBlondi s'est fait un honneur
infini dans la composition d'un Balet , dont
le genre etoit inconnu à ses Prédeceseurs ;
les Diles Camargo et Salé , l'y ont secondé
avec leur legereté et leurs graces ordinaires.
Nous apprenons que le succès de cet
Opera augmente de jour en jour , et le
Public se promet avec plaisir de le revoir
le Carême prochain .
Le Lundi troisiéme Mars , sept Députez des
Comédiens François ayant fait avertir l'Académie
, qu'ils étoient dans son Anti - Chambre et
qu'ils souhaitoient lui parler , elle les reçut de
la maniere qu'elle a coûtume de recevoir les Etrangers
qui ont quelque chose à lui proposer. Les
Députez étant assis , M. Quinault l'aîné dit :
MESSIEURS
Il y a long-temps que nous desirions faire la démarche
que nous faisons. La crainte d'un refus
nous à retenus jusqu'à present , mais aujourd'hui
que nous apprenons que vous ne dédaignerez pas
d'accepter l'entrée de notre Spectacle , nous venons
vous l'offrir. En l'acceptant vous nous honorerez
infinimen . Il ne nous reste plus , Messieurs , qu'a
vous supplier de nous venir entendre le plus souvent
qu'il vous sera possible et de nous faire part de vos
lumieres dans les occasions où nous aurons besoin.
des secours d'une Compagnie aussi illustre et aussi
respectable que la vôtre.
L'Académicien qui ce jour- là présidoit à la
Compagnie , leur répondit, qu'elle entendoit avec
plaisir leur Compliment , qui passeroit dans be
1 monde
MARS, 1732. 589
monde pour une marque de leur reconnoissance;
que le progrès des Arts qu'elle cultive , a beaucoup
contribué à la perfection où ils ont porté
leur Profession ; que les bons Acteurs font valoir
les bonnes Pieces , mais que ce sont les bonnes
Pieces qui forment les bons Acteurs , et que
la plus ancienne des Tragédies qui sont demeurées
au Théatre , est le Cid , qui parut peu de temps
après l'établissement de l'Académie Françoise . "
Que ce sont les Ouvrages du grand Corneille
de Racine et de plusieurs autres Académiciens
qui ont fait changer de face au Théatre François,
assez grossier auparavant ; que depuis ce tempslà
notre Scene s'est rendue digne de l'attention
des Etrangers mêmes , et qu'on voit en Allemagne
et en d'autres Pays encore plus éloignez , des
Théatres François plus fréquentez , que ceux où
l'on représente des Pieces composées dans la Langue
vulgaire du lieu.
Celui qui présidoit à l'Académie finit son Discours,
en disant , qu'au reste elle rendroit compte
aa Roy , son Protecteur , de l'offre obligeante
qui lui étoit faite.
La réponse du Roy à l'Académie , a été que
S. M. trouvoit bon qu'elle acceptât l'offre des
Comédiens François..
NOUVELLES ETRANGERES.
TURQUIE ET PERSE.
ON
N apprend du Levant , que la derniere Bataille
qui s'étoit donnée entre les Turcs et les
Persans, près d'Amadan, avoit été très - sanglante;
H vj que
590 MERCURE DE FRANCE
que la perte avoit été égale de part et d'autre ,
mais que le Champ de bataille étoit demeuré aux
Turcs que cette Bataille avoit déterminé le Roy
de Perse à écouter les propositions qui lui avoient
été faites de la part du Grand- Seigneur , qu'on
attendoit incessamment la nouvelle de la signature
du Traité de Paix ou de Trévé , et qu'il paroissoit
que S. H. avoit projetté quelque grande entreprise
, puisqu'elle continuoit de faire travailler
à des Armemens considerables par Mer et par
Terre.
Les Lettres reçues depuis de Constantinople ,
portent qu'on y avoit fait pendant trois jours
des Réjouissances publiques à l'occasion de la
cessation d'armes , dont le Pacha de Babylone est
convenu avec le Roy de Perse , pendant laquelle
on ne doute plus qu'on ne trouve les moyens
d'accommoder les differends des deux Nations . Le
bruit court même que les Préliminaires du Traité
de Paix que ce Pacha a envoyez , ont été approuvez
par le G. S. et que S. H. les a renvoyez en
Perse après les avoir signez. Cette Paix a causé
tant de joye aux Habitans de cette Capitale et aux
Janissaires , qu'ils ont perdu le souvenir de tout
ce qui s'est passé l'année derniere , et que jamais
on n'a vû à Constantinople des Réjouissances
plus complettes en tout genre , sans qu'il soit arrivé
aucun désordre .
Le 4. de Janvier , on tint au Serrail un Divan
extraordinaire , à la fin duquel on donna la liberté
à l'Ambassadeur du Roy de Perse , qu'on
tenoit prisonnier depuis plusieurs mois.
On continue sans interruption les travaux ordinaires
de l'Arsenal , et la Flote qu'on équipe dans
le Port , sera en état de mettre à la voile dans
le commencement du mois de May prochain .
On
MARS. 17328 591
On assure que cette Flote est déja de 60. Sultanes
et de près de 80. Galeres.
Le G. S. a envoyé ses ordres aux Regens d'Alger
, de Tripoli et de Tunis , de tenir prêts pour
le même temps, les secours qu'elles doivent fournir
à S. H. en cas de guerre contre les Chrétiens .
Les Troupes qui arrivent des Provinces de
l'Empire , sont assez bien équipées , et on en fait
défiler la plus grande partie du côté de la Transilvanie
, où on publie que le G. S. aura cette année
deux Armées considerables , sans compter
celle qui paroît destinée à servir contre les Moscovites
en faveur du Roy de Perse.
On écrit de Barbarie , que les Troupes du Roy
de Maroc , Muley- Abdallah, avoient entierement
défait les Arabes Rebelles de ce Royaume , qu'on
ne croyoit pas qu'ils pussent se remettre en campagne
, et que le Pacha de Tanger avoit reçû ordre
d'assembler une armée considerable près de
cette Ville .
EXTRAIT d'une Lettre de Constantinople
, écrite le 10. Novembre 1731 .
y a quelques jours qu'il se répandit ici un
bruit que les Turcs avoient été battus par les
Troupes de Schah Thamas , du côté de Tauris ,
mais cette nouvelle , bien loin d'avoir été confirmée,
s'est trouvée entierement fausse , et inventée
sur ce qu'on avoit été un très long temps sans
recevoir des Lettres du Seraskier - Aly Pacha.
On a sçû depuis que ce qui avoit donné lieu à
ce bruit , est le mouvement de quelques Partis de
Milice Turque , qui s'étant soustraits à l'obéïssance
du Seraskier , s'étoient déba ndez pour piller
et saccager le Pays , ayant laissé ce Pacha avec
trente
$ 92 MERCURE DE FRANCE
trente mille hommes seulement. Ce General s'é
tant retiré à quelques journées de Tauris , il for
ma le blocus de cette Place, et ferma tous les passages
pour empêcher qu'elle ne reçût aucun se-
Cours , ce qui fait présumer qu'elle se rendra -
bientôt. Le Pacha même en a écrit en ces termes
à la Porte , ajoûtant que les Habitans étoient
fort portez à se rendre , ne voulant pas s'exposer
à être faits Esclaves , comme cela leur est déja
arrivé.
On a reçû ici des nouvelles qu'on croit beau
coup plus certaines et plus favorables du Camp
près d'Hamadan. Les Lettres du 23. Septembre
portent qu'Achmet - Pacha étant campé à six
lieues de cette Ville , eut avis que Schah- Thamas,
en personne, s'approchoit dans le dessein de l'at
taquer avec une armée de 60. mille hommes , 30%
Pieces de gros Canons , des Bombes et beaucoup
d'autre Artillerie , portée par des Chameaux ; que
sur cet avis ce Pacha suspendit l'attaque de la
Place, et qu'il fit marcher son Armée du côté des
Ennemis , que quand les deux Armées furent en
présence , Schah- Thamas envoya un Ambassadeur
, lequel entra en conférence avec le Pacha ;
mais on fat surpris d'apprendre que dans le même
temps , non- seulement l'Armée Persanne avoir
continué sa marche , mais qu'elle avoit même
déja attaqué l'avant- Garde de l'Armée Othomane
, et que plusieurs des principaux Officiers-
Turcs avoient été tuez dans cette attaque. Ach,
met- Pacha , surpris d'un pareil procedé , en de→
manda la raison à l'Ambassadeur , lequel répondit
que l'intention du Roy son Maître , étoit de
continuer les hostilitez jusqu'à ce que le Pacha
eût signé les conditions du Traité qui avoit été
proposé par ie dernier Vizir Ibrahim ; sur quoi
ا ع
MAR S. 173.2. 593-
Le Pacha ayant congedié l'Ambassadeur , il se
prépara sur le champ à livrer bataille. Le combat
dura sept heures entieres , sçavoir deux heu
res avec l'Artillerie ou les Armes à feu , et cinq
heures le Sabre à la main ; les Turcs demeurerent
enfin les maîtres du Champ de bataille , presque
toute l'Infanterie Persanne étant demeurée
sur la place. Les Turcs se sont emparez de tout
le Bagage , des Munitions , de l'Artillerie et generalement
de tout ce qui étoit dans le Camp des
Persans , sans avoir perdu que fort peu de monde.
On a trouvé parmi le butin sept Pieces de gros
Canons , qui avoient été transportez d'Ispaham ,
traînés chacune par so. Buffles , cinq autres Canons
fabriquez à Chiras , d'un fort beau Bronze,
dont les Boulets étoient marquez du nom de
Schah Thamas. Après la Bataille , ce Prince s'est
retiré à Casbin avec une petite partie de sa Cavalerie
, le reste s'étant dispersé.
Les mêmes Lettres portent que la nuit préce
dente , la plus grande partie de la Garnison:
d'Hamadan s'étoit jointe à l'Armée du Roy de
Perse , mais qu'après la victoire remportée par
Achmet Pacha , la Forteresse de cette Place s'étoit
rendue à discretion ; que le Pacha y étoit entré
en victorieux , et qu'ayant visité les Portes ,
ik
avoit trouvé cent pieces de Cañon , dont trente
avoient été apportées d'Hispaham pour la deffense
de la Place , les autres 70. y ayant été laissées
-l'année passées enfin qu'on avoit envoyé à Constantinople
plusieurs Drapeaux et d'autres dépouilles
qui passoient pour une marque assurée de
l'entiere défaite des Persans. Si la saison n'eût pas
été si avancée , l'Armée auroit , dit - on, pû marcher
sans obstacle vers Ispaham ; cependant cette
Armée , après avoir suffisamment fortifié la Ci-
✨tadelle594
MERCURE DE FRANCE
tadelle d'Amadan , se trouve campée aux environs
de cette Ville , sans que l'on sçache encore où
elle hyvernera.
Malgré tant de mauvais succès de la part des
Persans , on souhaite ici la Paix , et si on ne peut
pas la conclure , la Porte prendra , dit-on , le
Parti de faire démolir toutes les Places Frontieres,
pour laisser entre les deux Empires un grand espace
de Pays inhabité , qui servira de barriere aux
Etats du G. S, mais on ne sera bien éclairci sur
les résolutions que prendra la Cour Ottomane ,
qu'après le succès de mouvemens qui se font encore
du côté de Tauris .
Avant hier le Tefterdar ou le Grand- Trésorier,
fut fait Vizir à trois queues , et son Emploi de
Trésorier lui a été conservé ; il a reçû cet honneur
par la faveur du nouveau Grand- Vizir , à
l'occasion des nouvelles agréables venuës d'Hamadam.
Constantin Bey , fils de feu Nicolas Mauro
Cordato , qui avoit été dépouillé de la Principauté
de Valaquie , après la mort de son pere , dans
le temps de la derniere Révolution , a été nommé
avant hier de nouveau à cette Principauté par
la protection du même G. V. auprès de qui toute
la Famille des Cordato est en très - grande faveur.
Ali- Kalvoda , qui avoit joui de la Principauté
environ un an , a été déposé , et il y a apparence
qu'il sera mis en prison à son arrivée à Cons
tantinople. Sa personne est devenue suspecte parce
qu'il avoit été élevé à cette Dignité par les
Chefs des Rebelles ,
RUSSIE
MARS. 17320 595
RUSSIE.
A Czarine arriva fort tard le 28. Janvier
LePetersbourg. Elle passa la nuit dans un des
Fauxbourgs , et le lendemain vers les onze heures
du matin , elle fit son Entrée publique au bruit
des salves réïterées de l'Artillerie et aux accla
mations du Peuple. Le soir il y eut des Feux
des Illuminations et d'autres marques de réjouis ,
sance dans toutes les rues de la Ville , ce qui a
duré pendant huit nuits consécutives.
DE POLOGNE.
N écrit de Warsovie , qu'on y avoit appris
de Dublin , que le feu ayant pris la nuit dú
17. au 18. de Février , dans la Cellule d'une Religieuse
du Convent de la Visitation , s'étoit
communiqué avec tant de rapidité aux apparte
mens voisins , et particulierement à celui où
étoient les Pensionaires , que ces jeunes Demoiselles
n'ayant pas eu le temps de se sauver
avoient été devorées par les flammes ou étouffées
par la fumée , au nombre de 18. toutes personnes
de condition , avec trois ou quatre Servantes ;
que cinq Religieuses avoient aussi perdu la vie ,
mais que P'Abbesse et quelques autres avoient eu
le bonheur de se sauver , tout le Convent ayant
été entierement consumé avec l'Eglise , d'où on
n'avoit pû emporter que les Vases sacrez et quelques
Ornemens.
On apprend de Copenhague que trois personnes
qui y sont dans les Prisons depuis quelque tems ,
l'occasion d'une fausse Lettre de Change
viennent d'être condamnées ; sçavoir, celui qui
?
-
faita.
596 MERCURE DE FRANCE
fait la Lettre , et celui qui s'en est servi , à avoir
la main coupée , et à être bannis du Royaume
avec confiscation de tous leurs biens ; le 3e , qui
a fait , à ce sujet , un faux serment , aura les trois
doigts coupez , et sera pareillement banni des
Etats de S. M. Danoise.
ALLEMAGNE.
L est tombé en huit jours une si grande
I quantité de Neige dans le Bannat de Belgrade,
à ce qu'on écrit de Vienne , au commencement
de ce mois , qu'il y en a eu près de cinq pieds ;
la fonte de ces Neiges , qui est arrivée subite
ment , a fait déborder la Save , dont le Pont a été
emporté , avec 13 personnes qui étoient dessus
dans le temps de sa chute.
On a reçu avis de Dresden que le Roy de Pologne,
avoit donné des Ordres à tous les Officiers
des Bailliages de son Electorat , de bien recevoir
les Réfugiez de l'Evêché de Saltzbourg, et de leur
procurer , aux frais de S. M. tous les soulagemens
nécessaires .
Le 25 du mois dernier , il y eut à Berlin une
grande Chasse , à laquelle le Roy de Prusse n'assista
point , à cause d'un grand rhume ; la Chasse
fut des plus magnifiques. Le Duc de Lorraine y,
tira avec beaucoup d'adresse . On tua 400 Dains ,
22 Sangliers , un desquels pesoit 560 liv.
ITALI E.
N écrit de Rome , que par un Edit du Cardinal
Camerlingue , publié le 16 de Février
, le Port d'Ancone a été déclaré Port
fran: pour tous les Vaisseaux Etrangers , qui n'y
paycMARS.
1132.
797
payeront à l'avenir qu'un droit d'Ancrage , fort
modique , lequel est reglé par le même Edit .
Le Duc de S. Aignan , Ambassadeur de France
auprés du Pape , arriva à Livourne le 15 Février
avec trois Galeres de France. Après les
Saluts réciproques du Pavillon du Roy et de la
Place , et celui fait par les Galeres de S. M. pour
l'Infant Don Carlos. L'Ambassadeur fut salué
de 30 coups , et lorsqu'il mit pied à terre , il le
fut encore de 21 coups,
+ Le Duc de S. Aignan alla au Palais de l'Infant
Don Carlos , qui le reçut avec toutes les marques
de distinction imaginables , s'étant rendu ensuite
à l'Hôtel du Consul de France , le Comte de
Charni, Commandant des Troupes du Roy d'Espagne
, en Italie , envoya un Officier , avec un
détachement de Soldats , pour monter la Garde
à la porte de son Hôtel , mais le Duc de S. Aignan
les renvoya , et le fit remercier de cette
marque d'honneur.
Le 22 , Don Carlos partit de Livourne vers les
heures après midi , au bruit de l'Artillerie ,
&c. f
Son A. R. arriva à Pise vers les heures du
soir , et s'étant rendue à l'Eglise Métropolitai
ne , elle y fut reçue par l'Archevêque , à la tête
des Chanoines. Toute l'Eglise étoit magnifiquement
illuminée ; on y chanta le Te Deum à plusieurs
Choeurs de Musique. Après le Te Deum ,
P'Infant Don Carlos alla voir les Illuminations
de la Ville ; et ensuite la Représentation de l'Opera.
Le 23 , ce Prince prit le divertissement de
la Chasse ; au retour de laquelle le Duc Salviati
Grand-Veneur du Grand Duc de Toscane, lui fit
présent de deux Dains blancs , de la part de ce
Prince .
La Noblesse et les autres habitans du rivage de
l'Aino
8 MERCURE DE FRANCE
l'Arno , ont donné à l'Infant Don Carlos , le divertissement
du combat qu'on appelle à Pise , le
Combat du Pont , dont ce Prince a paru tressatisfait.
Le 2 de Mars , S. A. R. soupa chez le Sénateur
Baluzzi , et dansa ensuite avec plusieurs Dames
qui eurent l'honneur de lui baiser la main.
Ce Prince visita l'Eglise des Chevaliers de l'Ordre
Militaire de S. Etienne , et celle du Dôme , dont
l'Archevêque de Pise lui fit voir le trésor. Le 3 , à
10 heures du matin , S. A. R. partit pour l'Ambrogiana
, Maison de Plaisance du Grand-Duc ,
où elle restera jusqu'au 6, qu'elle se rendra à Flo
rence , &c.
Les Lettres de l'Isle de Corse , de la fin de Jan
vier , portent , qu'à la requisition de quelques
Religieux Corses , le Gouverneur de Calvi ayant
envoyé 400 hommes de sa Garnison, pour s'emparer
du Bourg de Cabezzana , dont on l'avoit
assuré que les habitans demandoient ce secours ,
pour se soumettre en sureté à la République de
Génes , ce détachement avoit été surpris près de
ce Bourg , par un grand nombre de Rebelles , qui
s'étoient mis en embuscade , et qu'il avoit été
taillé en pièces.
On a appris depuis que les Troupes de l'Empereur
y étoient diminuées de la moitié , tant par
les maladies , que par les pertes qu'elles ont faites
en differentes rencontres, de sorte qu'elles avoient
été obligées d'abandonner plusieurs Postes, dont
les Rebelles s'étoient emparez depuis
On écrit de Naples , que les bruits qui s'étoient
répandus de l'accommodement du Cardinal Coscia
, avec le S. Siége , étoit sans fondement, et on
prétend qu'il n'a aucun dessein de risquer le
voyage de Rome.
On a apris par des Lettres de Lisbonne , que le
Roy
MARS. 1732. 599
Roy de Portugal avoit privé de tout Honneur ,
Privilege et Noblesse , ceux de ses Sujets , qul
pendant le tempsdes derniers differends de S.M.P.
avec le S. Siége , ont accepté du Pape quelques
Benefices.
ESPAG « N» E .
LERoy a donné des Ordres pourfaire assembler
12000 hommes , du côté de la Catalogne
; on les croit destinez pour un embarquement
, et on arme plusieurs Vaisseaux de
Guerre à Cadix , à Malaga et à Barcelone.
.
Les Troupes qui sont en marche pour cette,
expédition , consistent en 26 Bataillons ; sçavoir,
6 du Regiment des Gardes Espagnoles , 6 de celui
des Gardes Walones , 2 du Regiment des Asturies
, 2 de celui de Hainault , 2 de celui de Soria;
2 du Regiment d'Arragon, 2 de celui de Batavia
et un de celui de Victoria; trois Regimens de
Cavalerie, qui sont ceux de Bourbon , de la Reine
et de S. Jacques , et les quatre Regimens de Dra-.
gons de Lusitanie ou Portugal, de Belgia , de Sagunte
et de Numance.
O
GRANDE BRETAGNE.
N apprend de Londres, que le Duc de Cum
berland a formé une Compagnie de Grénadiers
, qui est composée de jeunes gens de la premiere
distinction , qu'il a fait habiller de l'uni
forme du second Régiment des Gardes Infanterie.
Le fils du Colonel Carskarh a l'honneur de
commander cette Compagnie , dont le Duc de
Cumberland n'a voulu être que le Caporal. Le 2
Mars , elle fit ses exercices devant le Roy et la
Reine , qui en furent tres- satisfaits .
M
600 MERCURE DE FRANCE
M. Hammond arriva de la Haye le 25 de Février
, de la part du Comte de Chesterfied , avec
la coppie de l'Acte d'Approbation des Etats Généraux
, du Traité conclu à Vienne , le 16 Mars
de l'année derniere , lequel avoit été signé le 20
Là la Haye.
XX:XXXXXXXX-XXXXX
MORT ET MARIAGES.
LR
E Cardinal Prosper Marefoschi , Vicaire de ,
Rome et Cardinal Prêtre , du Titre de Sainte
Calixte , mourut à Rome le 24 Février , dans la
78e année de son âge , étant né à Macerata le
29 Septembre 1653. son Corps fut inhumé le
lendemain dans l'Eglise de sainte Marie de Lo
rette ; et le 27 , le Cardinal Guadagni , Evêque
d'Arezzo et neveu du Pape,fut nommé à sa place ,
Vicaire General de Rome.
Le ro Mars , vers les 7 heures du soir , la Cere
monie des Fiançailles du Prince Royal de Prusse
avec la Princesse Elizabeth- Christine de Beveren,
qui est dans la 17me année de son âge , se fit à
Berlin en presence de L.M. et des Princes et Princesses
de la Famille Royale,du Duc et de la Duchesse
de Beveren, et du Prince leur fils . Après le
souper , qui fut servi sur une Table de 300 cou
verts , on recommença le Bal , qui avoit été ouvert
avant le souper par le Prince Royal et la
Princesse de Beveren.
1
On a appris de Vienne , que M. Von - Holm ,
Envoyé du Duc d'Holstein , avoit eu une Audiance
particuliere de l'Empereur , dans laquelle
on assure qu'il a fait part à S. M. Imp. de la résolu-
Sabote Prenk
MARS. 1732. 601
solution que ce Prince a prise d'épouser en secondes
nôces sa belle soeur la Princesse Elizabeth
de Moscovie , fille du feu Czar Pierre I. et de la
feu Czarine Catherine .
L
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &C.
E 9 de ce mois , les Députez des Etats
d'Artois eurent audiance du Roy ,
étant présentés par le Duc d'Elbeuf, Gouverneur
de la Province , et par M. d'Angervilliers
, Ministre et Secretaire d'Etat.
Ils y furent conduits en la maniere accoutumée
, par le Grand - Maître et le Maî
tre des Cérémonies . La Députation étoit
composée de l'Abbé de Ruissauvaille
pour le Clergé , qui porta la parole ; du
Comte de Louvignies pour la Noblesse
et de M. Henin , Echevin de la Ville
d'Arras pour le Tiers Etat.
La Princesse de Conti , seconde Douairiere
, ayant demandé par son Testament
d'être enterrée sans aucune des Cérémo
nies qui s'observent après la mort des Princesses
du Sang, son corps qui avoit été embaumé
le 22 de Fév. ne fut exposé dans
son Hôtel que le 28. Ce jour- là , vers les
9 heures du soir , il fut porté en Carosse
à
602 MERCURE DE FRANCE
à l'Eglise de S. André des Arcs , et il furt
presenté au Curé par l'Evêque de Leitoure
qui étoit accompagné du Curé de
la Paroisse de S. Sulpice. La Princesse de
de Conty , troisiéme Doüairiere , accòmpagnée
de la Princesse de Conty, sa bellefille
, de la Princesse de Lambesc , et de
la Princesse de Lixin , menoit le Deüil.
Après les Prieres ordinaires , le Corps de
la Princesse de Conty fut mis dans le
Caveau où est le Corps du Prince son
Epoux.
Le Marquis de Vaugrenant , que le
Roi a nommé son Ambassadeur auprès
du Roy de Sardaigne , prit congé de
S. M. le 18. de ce mois , et il partira incessamment
pour se rendre à Turin .
Le Roy a donné le Gouvernement de
Boüay au Comte de Beauvau , Chevalier
des Ordres de S. M. Lieutenant General
de ses Armées , et Directeur General
de Cavalerie , et celui des Iles de
sainte Marguerite et de S. Honorat , au
Marquis de Dreux , Grand - Maître des
Ceremonies de France , et Lieutenant
General des Armées du Roy.
Le premier Mars , les Comédiens Ita-
Hens représenterent à la Cour la Double
InMARS.
17328
63
Inconstance , et la petite Piece nouvelle
de la Critique.
Le 8. Le Prince Travesti , et la Veuve
Coquette.
Le 15. La Piéce nouvelle du Triomphe
de l'Amour , et Agnès de Chaillot.
+
Le 22: Démocrite , prétendu Fon , et le
Retour de Tendresse.
Le Mardy 4. les Comédiens François
représenterent à la Cour , Esprit folet, et
l'Esprit de contradiction.
Le 6. Les Ménechmes , et le Deuil.
Le 11. Agrippa , ou le Faux Tiberinus,
et Crispin , Rival de son Maître.
Le 13. Le Flateur , et le Mariage force."
Le 18. Phedre et Hyppolite, et la Comtesse
d'Escarbagnas.
Le 20. La Réconciliation Normande , et
La Tontine.
Le 22 de ce mois , la Reine qui étoit
entrée depuis quelques jours dans le 9
mois de sa grossesse , sentit quelques.douleurs
pour accoucher. On dépêcha un
Courrier au Roy , qui étoit à la Chasse
dans les Bois de Verrieres , à quatre lieuës
de Versailles, S.M. quitta la Chasse et revint
dans l'instant au Château de Versaille
, et sans s'arrêter , le Roy monta à l'ap
I parte
694 MERCURE DE FRANCE
,
partement de la Reine. Cependant les
douleurs , quoique vives , se calmerent ,
et la Reine passa la nuit tranquillement ;
mais le Dimanche 23 Mars , les douleurs
ayant recommencé à une heure après
midi , la Reine accoucha heureusement à
cinq heures , d'une Princesse qui fut ondoyée
par le Cardinal de Rohan , Grand-
Aumônier de France, en présence du Curé
de la Paroisse du Château de Versailles.
Après la Cérémonie , cette Princesse fut
portée dans son appartement , par la Duchesse
de Talard , Gouvernante des Enfans
de France. La Reine se porte aussibien
qu'on puisse le désirer .
Le 24 Mars , la Lotterie de la Compa
gnie des Indes , établie pour le rembour
sement des Actions , fut tirée en la maniere
accoutumée , à l'Hôtel de la Compagnie.
La Liste des Numeros gagnans ,
des Actions et dixièmes d'Actions , qui
doivent être remboursées , a été renduë
publique. Elle fait en tout le nombre de
304 Actions.
Le 25 , Fête de l'Annonciation de la
Vierge , il y eut Concert spirituel au Château
des Tuilleries. Il commença par
Exurgat Deus, Motet de M. de la Lande.
尊
On
MARS. 1732 605
On chanta ensuite plusieurs petits Motets
, qui furent suivis de differentés
pieces
de Symphonies , exécutées d'une maniere
tres brillante , par d'excellens Maî
Le Concert fut terminé par le Cantate, tres. Le
qui est un des beaux Motets du même
Auteur .
Les Vers qu'on va lire sont tres convenables
en ce temps de Carême , propre
aux Réfléxions sérieuses ; ils sont faits sur
les mêmes rimes d'une Epître à Uranic ,
qui a couru le monde et qui a fait assez
de bruit.
EPITRE A URANIE
Contre les Impies..
Vous voulez donc , sage Uranie ,
Que je m'érige en Apôtre nouveau
Contre l'Impiété . qui d'une voix hardie
S'expliquant sans détour , sans voile , sans ban
deau ,
Nous offre l'horrible tableau
Des fureurs dont elle est remplie ·
Maudit orgueil ! fausse Philosophie !
Que servent tes Leçons à l'aspect du tombeau
Quand on n'a point pensé qu'il est une autre,
vie ,
Et que l'on n'a suivi que l'empire des sens ş
I ij Dans
1
26 MERCURE DE FRANCE
Dans ses derniers momens , l'incrédule prophane
,
Gémit , peut- être tard , de ses égaremens.
Tout l'intimide et le condamne.
Heureux qui sur soi - même attentif , scrupuleux
,
Ne connoît que la foy , quand il voit un Mystere
,
Marchant d'un pas respectueux
Dans le chemin qui mene au Sanctuaire
Du Dieu mort sur la Croix , que le monde révere.
Ce Dieu Tout- puissant laisse en une affreuse
nuit ,
L'orgueilleux et le temeraire.
Implorons son secours , sa bonté nous conduit.
Gémissons et prions , sa grace nous éclaire ;
Les coeurs ingrats en font un Dieu sévere
Mais nous-mêmes plutôt nous devons nous haïr,
Nous , que le péché seul a rendus misérables
Nous seuls , qui devenus coupables
Sentons le droit qu'il a de nous punir.
Nous , enfin , qui, créés à lui-même semblables
Nous éloignons de lui , pour nous mieux ayilir .
On déshonore son Image,
;
Les crimes redoublez , chassent le repentir ,
Et le plus grand des maux est de ne pas sentir
Que cet Etre indulgent , pour sauver son Qurage
Par
MARS. 1732 607
$
Par mille doux bienfaits ; cherche à nous pré
venir .
Les hommes ont armé leur fareur meurtriere
De la Religion sappé les fondemens ,
Ils devoient tous périr en même- temps se
Mais la bonté de Dieu , sauve des habitans
Pour instruire la Terre entiere ,
De la punition de ses déréglemens .
Le Déluge causa d'utiles changemens .
La Race qui devoit bien - tôt voir la lumiere
Sur des exemples innocens ,
Auroit dû de son coeur , regler les mouvemens.
Mais l'homme oublie encor qu'il est cendre et
poussiere ,
La Révolte , l'Orgueil , produisent des Titans
Qui dans leurs noirs forfaits , dans leurs empor
temens ,
Surpassent les horreurs de la Race premiere.
Dieu , loin de retirer ses bienfaits éclatans ,
Et par des châtimens sévéres ;
Contre ces coeurs ingrats , armer les Elemens.
!ô O prodige de grace ! 8 Tendresse ! ô Mysteres !!
O !
Ce qu'il avoit promis à la foy de leurs Peres
Fidele en sa parole , il l'accorde aux Enfans.
Quand sonpeuple devient volage ,
Amateur insensé des superstitions
Il l'abandonne à l'esclavage ,
Ile rend le mépris des autres Nations ,
3
I iij Mais
608 MERCURE DE FRANCE
Mais aux yeux du Sauveur , qui montre sa Puissance
,
Tous les coeurs ne sont pas criminels , odieux :
Dans les Flancs d'une Vierge , il vient prendre
. naissance ,
La lumiere qui doit briller à tous les yeux
Se découvre déja sous les traits de l'enfance
Dans l'Etable de Betléhem.
Il fait de notre bien , son plus doux exercice
Mais , ô comble d'horreur ! l'ingrat Iduméen ,
Prépare au Saint des Saints , le plus honteux supplice
!
Le Sang d'un Dieu coule pour nous.
Quelle victime , et plus noble et plus rare !
Tremblez, coeurs endurcis, et redoutez les coups,
Que sa justice vous prépare.
Dieu veut mourir pour le salut de tous.
Votre incrédulité , rend sa mort inutile,
Avez- vous mérité sa clémence facile ,
Vous qui n'êtes qu'objets de haine et de cou
roux ?
Vous courez vous plonger en d'éternels abîmes
veut vous en tirer à force de bienfaits . ·
Peuple sans foy , lui seul peut compter tous vos
crimes ,
Vous n'avez pas compté les biens qu'il vous a
faits.
Ce Dieu vous abandonne en sa juste colere ,
Mais, ( ce qu'il a promis à notre premier Pere)
Le
MARS. 1732. вод
Le salut va passer à cent Peuples divers.
La Vérité détruira le mensonge ,
Dieu dissipe la nuit où le crime les plonge ,
L'Evangile et la Grace éclairent l'Univers.
Amerique , vastes contrées ;
Peuples que Dieu fit naître aux portes du Soleil
,
Vous , Nations hyperborées ,
Qui languites long - temps dans un profond som
: merl ,
De toutes vos erreurs , vous serez délivrées ,
Vous ouvrirez les yeux , apprenant qu'autrefois
Dieu daigna se faire Homme , aux plaines Idu--
mées ,
Vous ne rougirez point , le voyant sur la Croix ,
Et vous reconnoîtrez à cette digne Image ,
Le Dieu que l'on doit adorer.
Vous chercherez à l'honorer
Par un culte assidu , par un pieux hommage :..
Ce Vainqueur de la mort , entend du haut des
Cieux ,
Une voix plaintive et sincere ;
Ouy , l'incrédulité peut seule lui déplaire ,
L'Impie est seul exécrable à ses yeux.
Qui ne connoîtra pas son Sauveur et son Pere ,
Ne méritera pas d'en être connu mieux.
Quels objets éclatans , viennent frapper ma vûë ?
Je vois le CHRIST puissant et glorieux ,
Auprès de lui , dans une nuë ,
I j
Sa
ro MERCURE DE FRANCE..
Sa Croix se découvre à mes yeux ;
Sous ses pieds triomphans , la mort est abbatuë ,
Des Portes de l'Enfer , il sort victorieux ,
Son regne est annoncé par la foy des Oracles ;
Son Trône est cimenté par le Sang des Martyrs ;
Tous les pas de ses Saints , sont autant de Miracles;
Il leur promet des biens plus grands que leurs
désirs .
Ses Exemples sont saints , sa Morale est divine }
Il console en secret les coeurs qu'il illumine,
Par d'inexprimables plaisirs ;
Sa Sagesse éternelle a fondé sa doctrine ,
t
Nul n'est heureux , ni sage que par
Vous voyez pourtant , Uranic ,
Qu'on tâche d'obscurcir la sainte verité ,
lui.
Mais quel pouvoir , quel effort , quel génie ,
Détruira ja mais sa beauté ?
も
Le Tres-haut a parlé ; sa Lumiere immortelle
Eclaire , frappe, allume au fond de notre coeur
Pour le vrai Culte , une ardeur naturelle.
La foy , l'humilité , la bonté , la douceur ,
Habiteront sa demeure éternelle.
Devant son Trône , en tout temps , en toys.
lieux ,
Le coeur du Juste est précieux..
Il nous a déclaré qu'une ame charitable ,
Trouve toujours grace à ses yeux ,
Mais il hait l'orgueilleux , le coeur impitoyable ,
Et
MARS. 611
1732.
Et le superbe ambitieux.
Pour le prix de son sang , est - ce trop qu'on l'im
plore ?
Ce Dieu que la vertu , que la foy seule honore :
Il régit l'Univers , et ses soins assidus ,
Daignent le conserver malgré nos injustices. "
Adorons ses bontez , offrons -lui des vertus ;
C'est le plus éloquent de tous les Sacrifices.
MORTS , NAISSANCES
et Mariages.
,
E 9. de Février 1732. mourut à Paris
en son Hôtel , M. Jean de Vins d'A
goult de Montauban , Chevalier , Marquis
de Vins et de Savigny , Baron de Forqualqueret
, de S. Savournin , de Rous
sillon , de Castelnau , & c. Lieutenant General
des Armées du Roy , Gouverneut
pour S. M. des Pays , Ville et Citadelle :
de Broüage , cy-devant Capitaine- Lieute
nant de la seconde Compagnie des Mousquetaires
de la Garde du Roy, un des plus
anciens Officiers de guerre du Royaume
et le dernier de sa Maison. Il étoit second
fils de Melchier , Marquis de Vins , et de
Dame Laurence de Paulien de Veyrac . Il
avoit été reçû Chevalier de Malte ; il étoit
Iv prêct
612 MERCURE DE FRANCE
prêt à faire ses voeux , lorsque son frere
aîné , François de Vins , fut tué dans une
Occasion près d'Utrech en 1672. l'un et
l'autre avoient fait leurs premieres Campagnes
en Hongrie, et l'aîné étant repassé en
France , le Cadet demeura pendant quelque
temps au service de l'Empereur.
Il se trouva en 1665. à la tête d'une
Compagnie de Cavalerie Allemande , à la
Bataille de Montesclaros en Portugal, où il
fut blessé dangereusement , et c'est la seule
fois qu'il l'ait été. Depuis il alla à Malte et
fit ses Caravanes. Il eut une Compagnie de
Cavalerie en 1667. It servit en 1672 .
dans le Regiment de Cavalerie de son
frere aîné , qui fut tué , comme on vient
de le dire ; par-là devenu l'aîné , il eut
l'agrément pour un Régiment de Cavalerie
, qu'il acheta .
L'Espagne jalouse des progrès de la
France , lui déclara la guerre après la
Prise de Mastric , et le Marquis de Vins
passa en Catalogne avec son Régiment.
Il épousa en 1674. Mad . Lavocat , et
traita de la Lieutenance de la seconde
Compagnie des Mousquetaires , où il a
servi , soit en cette qualité , soit en celle
de Capitaine- Lieutenant , pendant 43 ans .
On peut se représenter les Batailles , les
Assauts et les autres occasions où il s'est
trouvé
MARS. 17326 613
trouvé étant dans ce Corps , les Sieges de
Besançon , de Condé , d'Aire , de Valenciennes
, d'Ypre , de Gand , la Bataille de
Cassel . Il fut fait Brigadier des Armées
du Roy à la prise de Valenciennes , où
les Mousquetaires se signalerent d'une
maniere si surprenante , qu'il entrerent
pêle mêle dans la Place avec les ennemis.
Le Marquis de Vins les contint par sa
prudence , et empêcha qu'ils ne se répandissent
dans la Ville ; on a toûjours vanté
son intrépidité et ce sang froid qu'il conservoit
dans les actions les plus périlleuses.
Il fut fait Maréchal de Camp au mois
d'Août 1688. et comme il devoit commander
le Détachement de la seconde
Compagnie des Mousquetaires qui accompagna
MONSEIGNEUR , le Roy lui fit
l'honneur de le présenter à ce Prince avec
cet éloge , que c'étoit un des plus sages Officiers
de son Royaume , et que Monseigneur
pouvoit prendre ses conseils et les suivre.
Cette Campagne est la derniere qu'il ait
faite avec les Mousquetaires , il a toûjours
servi depuis comme Officier General .
Il fut envoyé en 1689 .. en Bresse , pour
y commander . Il avoit très- peu de mon .
de , mais sa prudence suppléoit à tout ;
c'est le témoignage que lui a rendu sou-
I vj vent
614 MERCURE DE FRANCE
vent le Maréchal de Catinat. Il y a peu
de Troupes de ce côté- là , écrit- il , le Marquis
de Vins y est , et j'ai l'esprit en repos.
En 1690. M. de S. Ruth et le Marquis
de Vins , s'avançerent dans la Tarentaise ,
entre Conflans et Monstier , où ils forcerent
le Baron de Sales , qui s'y étoit retranché
avec un Corps considerable de
Troupes ; ils le défirent et le prirent
lui-même prisonnier : après ce Combat
ils soumirent presque toute la Savoye ,
et l'année suivante il servit seul de Maréchal
de Camp sous M. de Catinat au
Siege de Nice.
Cette même année il fut nommé par
le Roi pour couvrir les Frontieres de Dauphiné
et de Provence, Il battit le Sicur
Julien dans la Vallée de Barcelonete , et
soumit toutes ces Montagnes , prit Sos
pelle , Broglio , Saorgio , et autres Places,
jusqu'à la Mer et au Col de Tende .
op
Pendant que le Maréchal de Catinat
veilloit en 1692. sur tous les Passages des
Montagnes , le Marquis de Vins étoit
posé avec un Camp volant , aux desseins
du Duc de Savoye et de ses Alliez , qur
ne se proposoient pas moins que d'envahir
le Dauphiné et la Provence ; avec fort
peu de Troupes , il rendit leurs efforts
inutiles ou très - peu efficaces.
Cette
1
MAR S. 1732. 615
Cette année lui fut fatale ; il fut fait
Capitaine-Lieutenant de la seconde Compagne
des Mousquetaires , par le décès
de M. de Jonvelle , qui la commandoit ,,
mais il perdit son fils unique , jeune Seigneur
d'une très -grandees perance, lequel
fut tué au Combat de Steinkerque , à sa
quatriéme Campagne.Il avoit servi l'année
précédente d'Ayde- de-Camp à son Pere
qui en avoit été très- content. Le Marquis
de Vins eut besoin de tout son courage
et de toute sa religion pour soutenir
ce-coup , qu'il a senti toute sa vie .
Il fut fait Lieutenant General des Ar
mées du Roy en 1593. et en cette quafité
, il commanda l'aîle droite à la Bataille
de la Marsaille. Le Duc de Vendôme
voulut être à l'aile gauche , et chargea
Paîle droite des Ennemis avec cette va
leur , que tout le monde lui connoissoit,
et il la chargea jusqu'à quatre fois. Il
trouva toûjours pareille résistance ; le
Corps de Bataille où étoit le Maréchal de
Catinat , qui commandoit l'Armée , souffroit
beaucoup. Il pressoit le Marquis de
Vins , qui s'ébranla si à propos , et fit
donner , la Bayonnette au bout du fusil ,
avec tant de vigueur , que toute l'aîle
gauche des Ennemis plia et fut entierement
défaite , ce qui décida de la Victoire.
Si
616 MERCURE DE FRANCE
Si Asdrubal a reproché à Annibal qu'il
sçavoit vaincre , mais qu'il ne sçavoit pas.
profiter de la victoire , on peut dire du
Marquis de Vins , qu'il servoit bien
mais qu'il ne sçavoit pas faire valoir ses
services ; ennemi de tout faste et de toute
ostentation , modeste à l'excès , il parloit
peu et jamais de lui ni contre personne ;
ayant en horreur les cabales et les intri
gues de quelque genre que ce fût. Il étoit
d'une droiture et d'une probité à toute
épreuve , mettant l'homme d'honneur et
le Chrétien beaucoup au- dessus du Capitaine
et du General d'Armée .
Content des biens considerables qu'il
avoit eus de ses Peres , il ne se soucioit
pas d'en avoir davantage , et il croyoit
qu'il suffisoit de bien faire pour mériter
les graces . Jamais il ne s'est plaint de la
Fortune , c'étoit une Divinité qu'il ne
connoissoit pas. Toujours prêt d'aller audevant
des besoins de ses amis , il n'at--
tendoit pas qu'ils lui demandassent des
secours pour les soulager. Tel étoit l'hon-,
nête homme , mais le Chrétien alloit bien
plus loin . Il donnoit à son rang tout ce
que la bienséance pouvoit exiger ; sa Maison
reglée comme il convenoit,ayant beaucoup
d'ordre et d'arrangement dans ses.
affaires , son superflu étoit considerable
et
MAR S. 1732. 617
de-là ses
et tout étoit pour les pauvres ;
liberalitez aux Hôpitaux et des Fondations
d'Ecoles Chrétiennes dans toutes ses
Terres ; à peine s'y sentoit- on des années
de calamité , tant il avoit soin que
la veuve et l'orphelin et generalement
tous les nécessiteux fussent soulagez , sans
que jamais la main gauche sçût ce que
faisoit la droite.
Après la Paix de Riswick , il envoya
dans les Vallées de Barcelonete et autres
lieux où il avoit fait la guerre , des
sommes considerables pour aider aux Habitans
à se rétablir. Lorsqu'en 1717. il
se démit de la Compagnie des Mousquetaires
, on lui offrit une pension de douze
mille livres. Il remercia , et dit qu'il n'en
avoit pas besoin , et qu'il valoit mieux
la distribuer à de pauvres Officiers.
Pendant la Peste de Provence , il envoya
des sommes considerables dans les
Terres qu'il avoit en ce Pays -là. Dans
toutes ces bonnes oeuvres il étoit secondé
par son Epouse ; jamais il n'y eut une plus
grande conformité de sentimens , et l'on
peut trouver dans la maniere dont ils ont
vécu ensemble pendant 58.ans de mariage,
l'idée de la plus parfaite union conjugale.
Tant de vertus ont été récompensées d'une
longue vie. Il est mort âgé de 9o . ans, muni
de
348 MERCURE DE FRANCE
-de tous les Sacremens , avec cette édification
qu'on devoit attendre d'un homme
qui avoit vécu comme il à fait."
Il a institué le Comte du Luc , de la
Maison de Vintimille , son parent et son
ami particulier , son Légataire universel,
avec substitution pour son fils et son petit
fils.
Dme Marie- Renée de Berthemet , veuve de M
Gilbert Colbert de S. Poüanges , Commandeur er
Grand Trésorier des Ordres du Roy, mourut à
Paris , le 28 de Fevrier , âgée d'eviron 85 ans.
et
M. Pierre Chirac , Premier Medecin du Roy
Sur-Intendant du Jardin Royal des Plantes ,
Associé Libre de l'Academie Röyale des Scien
ces , mourut à Marly , le 1 de ce mois , âgé de
82 ans. Il avoit été Premier Médecin de feue S.
A. R. M. le Duc d'Orleans.
I
Dne Charlote - Angelique Courtin , veuve de
Jacques Roque , Chevaher , Marquis de Varan
geville , Seigneur de Galleville , Dendeville , & ct
Ambassadeur de France à Venise , mourut le 6 ≤
Mars , âgée de 73 ans...
Jean -Baptiste, François Johanne , Marquis de
Saumery , Baron de Chemerol , &c . Chevalier de
S. Louis , Maréchal des Camps et Armées du Roy,
Gouverneur des Isles de sainte Marguerite et de
S. Honorat de Lerins , Gouverneur du Château :
Royal de Chambord , mourut le 19 , âgé d'environ
5 ans.
François Comte d'Esteing , Marquis de Murole
, Baron de Spoix , &c. Chevalier des Ordres du
Roy , Lieutenant General des Armées de S. M.
Gouverneur de Douay et de la Ville de Châlons
sur Marne , mourut à Paris , le 20 de ce mois ,
âgé de près de 81 ans.
Alexan
MARS. 17328
Alexandre- César de Cauchon , Baron de la
sainte Ampoule , Seigneur de Neuflize , mourut
le 22 Mars , dans la 57 année de son âge , et fur
inhumé à S. Eustache. On prie les Personnes qui
sçavent quelle est l'origine des Barons de la sain
te Ampoule, de vouloir bien en instruire le public.
Dane Marie- Anne Françoise de Montmorin ,
Epouse de Pierre de Champon , Marquis d'Arbouville
, Capitaine des Grenadiers au Regiment
des Gardes Françoises , accoucha le 21 Mars ,
d'un Fils , qui fut nommé Pierre- Nicolas , par
Nicolas de Campon , Mestre de Camp , Lieute- .
nant des Grenadiers , et par Dme Angelique Cecile
de Montmorin , veuve de -François d'Har
ville , Marquis de Pailoiseau .
François Michel - César le Tellier , Marquis de
Montmirel , Capitaine Colonel des Cent Suisses
de la Garde du Roy , fils mineur de François
Macé le Tellier , Marquis de Louvois , &c . et de :
Dme Anne - Louise de Noailles , épousa le 25 Février
, Dme Loüise- Antonine de Gontault de Bi- .
ton , fille mineure d'Armand de Gontault , Duc
de Biron , Pair de France , Colonel du Regiment
d'Anjou Cavalerie, Brigadier des Armées du Roy;
et de Dme Adelaide de Grammont , Dame du Palais
de la Reine.
Joachim-Louis de Montaigu , Marquis de Bouzol
, &c. Lieutenant General de la Province de la
Basse- Auvergne , fils mineur de feu Joseph de
Montaigu , Comte de Bouzol , Maréchal de
Camp , Inspecteur general de la Cavalerie , et des
Dragons , et de Dme Jeanne - Henriette Doreilhet
de Colombines , epousa le 11 Mars , Dme Laure
Fitz-James, fille mineure de M. Jacques , Duc
de Fitz-James de Beryick , Xezica , et de Liria
Pair
820 MERCURE DE FRANCE
Pair et Maréchal de France , Genéral des Armées
du Roy, Grand - d'Espagne , Chevalier des Ordres
de S. M. de la Toison d'Or , et de la Jarretiere
, Gouverneur et Lieutenant General du
Haut et Bas Limousin , et de la Ville de Strasbourg
, et de Dme Anne Bulkeley.`
A CHICHON,
Chienne de Madam: de l'Hôpital.
CHÍCH HICHON
vos beautez ,
l'on me permet de louer
Tout en vous me paroît charmant incompa
rable ,
Museau fin , belle Oreille , il vif , poil admirable
,
Mais ce qui met le comble à vos félicitez
C'est qu'une Maîtresse adorable ,
-Yous honore de ses bontez .
T
ARRESTS NOTABLES , & c,
A&
RREST et Lettres Patentes sur icelui , des 4.
et 18 Decembre 1731. qui ordonne que le
droit d'Indemnité du par les Gens de main -morte
, pour raison d'acquisitions d'heritages dans la
Directe de Sa Majesté , ou dans l'étendue de ses
Hautes Justices , sera payé en Especes quand il
sera au-dessous de soixante livres , et qu'il en sera
créé des rentes quand il se trouvera monter à
soixante livres et plus,
AUTRE
MAR S. 1732 . 621
AUTRE du premier Janvier , qui proro
ge jusqu'au dernier Decembre 1732. le délay
porté par celui du 2. Janvier 173 1. pour la moderation
à moitié des droits de marc d'or et autres
frais de provisions , reception et installation
des Offices taxez vacans , ou de nouvelles créations
qui se leveront auxRevenus Casuels pendant
le courant de la presente année 1732. ,
SENTENCE DE POLICE , du 4. Janvier , qui
condamne le sieur Brunet , Fils , Marchand Libraire
à Paris , en trois mille livres d'amende
pour avoir vendu et débité plusieurs Livres imprimez
sans permission .
AUTRE du même jour , portant défenses
à tous Chartiers , Voituriers , Portefaix et
autres , de brûler des Pailles dans aucun endroit
des Halles, ni de composer de ces mêmes Pailles
des torches pour les allumer.
ARREST du Parlement , contre 35.Accusez
'dont 4. par Contumace. Portant condamnation
de mort , préalablement appliquez à la question
ordinaire et extraordinaire , contre Jean Collor;
Claude- Thomas Hurel , Jacques Falconet et Nicolas
Quierceau , accusez de vol avec effraction ;
et surcis à l'égard des autres accusez jusqu'après
l'execution dudit Arrêt . Du 21. Fevrier 172 3 .
ORDONNANCE DU ROY , au sujet du Cimetiere
de S. Medard.
Sa Majesté étant informée de tout ce qui s'est
passé , et de ce qui se passe encore journellement
dans l'un desCimetieres de la Paroisse de S. Medard ,
et notamment à l'occasion des mouvemens et agitations
622 MERCURE DE FRANCE
rations prétendues involontaires de differens Particuliers
qui affectent de s'y donner en spectacle ;
Sa Majesté auroit jugé à propos de donner ses.
ordres pour en faire arrêter plusieurs et les faire
examiner par un nombre considerable de Medecins
et Chirurgiens , pour en dresser leur rapport
, et porter leur jugement sur la cause et la
nature desdits mouvemens et agitations : ce
qui ayant été executé , lesdits Medecins et Chyrurgiens
ont attesté et déclaré unanimemènt
que lesdits mouvemens n'ont rien de convulsif
ni de surnaturel , et qu'ils sont entierement volontaires
de la part desdits particuliers ; doù il
resulte qu'on a cherché manifestement à faire il
lusion , et à surprendre la credulité du peuple. Sa
Majesté a jugé necessaire de faire absolument cesser
un tel scandale , et le concours du peuple , qui
est devenu d'ailleurs une occasion continuelle de
discours licentieux , de vols et de libertinage , et
Elle s'est portée d'autant plus volontiers à pren
dre cette resolution , qu'Elle empèchera par là
- toute contravention et désobéissance au Mandement
donné par le sieur Archevêque de Paris le
15. Juillet dernier. Vû les rapports , en datte des
11. 15. 17. 18. 19. et 23. Janvier , signez par
les Medecins et Chirurgiens y dénommez ; SA
MAJESTE a ordonné et ordonne que la porte
du petit Cimetiere de la Paroisse de S. Medard ,
fera et demeurera toujours fermée; fait défenses de
l'ouvrir , si ce n'est pour cause d'inhumation ; et
défend pareillement à toutes personnes , de quelque
état et qualité qu'elles soient , de s'assemblerdans
les rues qui environment ledit Cimetiere , et
autres rues , places ou maisons , le tout à peine
de désobéissance , même de punition exemplaire,
s'il y échet. Enjoint au sieur Herault , Con-
-
seiller
MARS. 1732 623
seiller d'Etat , Lieutenant General de Police
de la Ville , Prevôté et Vicomté de Paris , de tenir
la main à l'execution de la presente Ordonnance,
qui sera lûë, publiée et affichée par tout où
besoin sera.FAIT à Versailles le 27.Janvier 1732.
signé Louis. Et plus bas , Phelipeaux .
ARREST du 19. Février , qui proroge pendant
une année seulement , la permission accordée
aux Negocians des Ports et Villes Maritimes
du Royaume , d'envoyer leurs Vaisseaux directement
en Irlande , pour y acheter des Boeufs salez
& les transporter ensuite aux Ifles et Colonies
Françoises de l'Amerique.
AUTRE du 11. Mars , qui ordonne et homologue
tout ce qui a été fait , tant à Paris que
dans les Provinces , à l'occasion des secours donnez
par S. M. à celles qui ont été attaquées de la
peste.
Nomme et autorise M. d'Ormesson , Conseiller
d'Etat ordinaire et Intendant des Finances ,
P'effet d'arrêter le compte du sieur Géoflroy ,
Caissier general de ce service.
Ordonne que les Pieces des comptes particu
Tiers arrêtez dans les dites Provinces , et qui
avoient été envoyées au Conseil seront renvoyées
aux sieurs Intendan's , pour être jointes à
la mmute d'iceux , sur laquelle et sur les doubles
qu triples, sera fait mention de ce dépôt.
AUTRE du même jour , qui deffend l'entrée
dans le Royaume , des vieux habits de Soldats et
autres de fabrique étrangere.
C
AUTRE du même jour , qui déclare subreptices
824 MERCURE
DE FRANCE
ces et obreptices les Brevets de dons faits en faveur
de divers Particuliers , des portions des Casuels
des Domaines réservez à S. M. par l'Edit
du mois de Decembre 1701 .
>
AUTRE du 18. Mars , qui ordonne que tous
les Ouvrages de Coutellerie qui seront ou auront
été fabriquez dans la Ville de Thiers , auront
outre la marque particuliere, dont chaque Coutelier
a coûtume de se servir pour marquer ses
Ouvrages , une seconde marque , dont l'emprein
te portera
le mot THIERS.
JAY
APPROBATION.
'Ay lû par ordre de Monseigneur le Garde
des Sceaux , le Mercure de France du mois de
Mars , et j'ay crû qu'on pouvoit en permettre
Pimpression. A Paris , le trois Avril 1732.
HARDIO N.
TABLE .
PIECES FUGITIVES : L'Age d'or , Poëme , 412
Réponse sur l'Explication de l'Akousmate d'Ansacq
,
Idyle ,
416
426
Lettre écrite de Barege , nouvelle Fontaine découverte
,
Epitaphe du Frere Hilarion , &c.
430
1434
ExExplication
d'une Médaille de . Carausius , &c
437
453
Epitalame au Comte de Marigni- Pibrac ,
Question jugée au Parlement , sur un Appel
comme d'abus de Mariage
458 Remerciment à Mad. ***,
463
Réponse sur S. Front , 467
Le Serin et la Linote , Fable , 485
Lettre au sujet de l'Ordonnance de Bacchus ,
487
Bout- Rimez donnez sur les Vapeurs ,
493
Autre sur les mêmes Rimes , 494
Réponse sur la Philosophie Hermetique , 495
Enigmes , Logogryphes , & c. 505
Nouvelles Litteraires ,
108
Recueil de Pieces d'Histoire et de Litterature
& c. ibid,
La Critique, Comédie , &c. 524
Refléxions diverses , 535
Societé de Medecine ,
542
Questions ,
543
Autres Questions sur la Dénomination des Lettres
, &c.
Académie de Chirurgie , &c.
Estampes nouvelles ,
Chanson notée ,
Spectacles. Danaus , Extrait ,
La Tragédie d'Eriphile ; Extrait ,
Extrait de l'Opéra de Jephté ,
Offre des Comédiens François à l'Académie
Françoise ,
Nouvelles Etrangeres , de Turquie et Perse ,
Lettre de Contantinople ,
589
591
De Russie , de Pologne , d'Allemagne et d'Italie ,
544
548
550
554
ibid.
562
571
88
595
Grande
Grande- Bretagne , &c. 199
Morts , Mariages ,
600
France , Nouvelles de la Cour , de Paris, &c. 601
Couches de la Reine ,
603
Epitre à Uranie ,
605
Morts , Naissances et Mariages , &c.
611
Arrêts notables , & c.
620
Errata de Janvier.
Page 124. ligne 1. Nascott , lisez Nascoti .
Errata de Février.
PAge 257. ligne 2. Titulaires , lisex Tutelaires.
P. 366 1. 27. constante , l. constance.
P 371. 1. 2. du bas , fondé , l. fonde.
P. 408.. 30. Motasque Couray. , 1. Nolasque
Couvay.
P. 542. l . 16. Milords ses Freres , l. Milords
Freres du Soutenant.
Fautes à corriger dans ce Livre.
PAge 525. ligne 23. Secle , Lisez Siecle.
P. 560. 1. 15. enterre , 1. enleve .
P. 562. 1. 9. point , ôtez ce mot.
P. 570. 1. 14. la fable , l. le foible.
P. 587. 1. 7 pieté , l. pitié.
La Médaille doit regarder la page
La Chanson notée à la page
440
554
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
AVRIL. 1732.
CURICOLLIGIT
SPARGIT
Chez
Papillon
A PARIS ,
IR
GUILLAUME CAVELIER
ruë S. Jacques.
LA VEUVE PISSOT , Quay de
Conty , à la descente du Pont -Neuf.
JEAN DE NULLY, au Palais.
M. DCC . XXXII .
Avec Approbation et Privilege du Roy
L'A
A VIS.
થી 'ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU , Commis an
Mercure , vis- à - vis la Comedie Frangoife
, à Paris, Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets ca- .
chetez aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très- inftamment , quand on adreffe
des Lettres où Paquets par la Pofte , d'avoir
foin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toujours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non-feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie,
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , où les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau ,
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire porter fur
T'heure à la Pofte , ou aux Meffageries qu'on
lui indiquera,
PRIX XXX. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
AVRIL. 1732a
PIECES FUGITIVES .
en Vers et en Prose .
A L'AUTEUR
DE L'EPITRE A URANIE.
Uelle audace effrenée ! ô Ciel !
qu'ai-je entendu ?
Qui que tu sois , dont le systême
impie ,
Insulte à la foi d'Uranie,
Par un și vain effort as-tu donc prétendu ,
Arracher de nos coeurs les profondes racines ,
Qu'y jetterent jadis les Semences divines ,
D'un culte antique et du Ciel descendu ?
A ij Pour
626 MERCURE DE FRANCE
Pour la Religion que mon ame respecte ,
Ta haine me paroît suspecte.
La destruction des Autels ,
Flatte nos penchants criminels ;
Que ces penchants sont doux ! que le vice est
aimable ,
Dès qu'on ne connoît plus d'avenir redoutable !
Quelques soient tes raisonnemens
Certes , pour moi je me deffie ,
De l'étrange Philosophie ,
Qui dans les Passions puise ses Argumens .
La Vertu tyrannise. Un Dieu vengeur nous gêne
Et le coeur vicieux qui redoute sa haine ,
Pour mieux s'en garentir ,
Voudroit pouvoir l'anéantir.
Nul frein , pour lors , à la licence,
Gardez l'équilibre un moment,
De quel côté penchera la balance ,
Si le vice est sans châtiment ,
Et la Vertu sans récompense ?
Loin d'ici tes projets dans le crime enfantez ;
E mille fois en naissant avortez.
Les saints dogmes de l'Evangile ,
Surchargent ta raison débile ;
Elle ne peut , dis - tu , les accorder ;
Avec ce qu'on doit demander ,
D'un Dieu juste et débonnaire ;
J'en tire un Argument contraire,
Et
AVRIL. 17328 6207
Ét s'il est un Dieu juste et bon ,
Tout est certain dans ma Religion.
Quelle foule de témoignages ,
Dans tous les tems , dans tous les âges ,
De Jesus Christ prouvent la Mission !
La foi d'un Dieu Sauveur en Miracles féconde
A commencé les Annales du Monde.
Ouvre les Volumes sacrez ,
De ces Ecrivains inspirez ,
Qui , dans ce qu'ils ont sçû prédire ,
Du divin Auteur des Chrétiens ,
Semblent être à qui veut les lire ,
Moins Prophetes qu'Historiens.
Quel autre que Dieu même a pû les faire écrire
Juge enfin sans prévention.
Que te produit la Revelation ?
Des Prodiges incontestables
Et des témoins irreprochables ;
Du Monde converti le Miracle éclattant ,
Du Peuple vagabond , détruit et subsistant ,
Qui porte dans cent Républiques ,
Du salut des Humains les gages authentiques.
D'humbles Pecheurs que l'on charge de fers ,
Troupe aux yeux des Mortels et vile et mépri
sable ,
A peine ont répandu leur doctrine adorable ,
Que les Vertus inondent l'Univers.
Als déposent au fond , qu'après que le Messie ,
A iij Suv
628 MERCURE DE FRANCE
Sur l'Autel de la Croix eut immolé sa vie ,
De la Grace nouvelle allumant le flambeau ,
Il sortit triomphant de la nuit du Tombeau,
Et que montant au Ciel , une brillante nuë ,
Vint comme un Trône d'or l'enlever à leur vûë.
Je croirai , quoiqu'ici l'Impie ose en juger ,
Je croirai des Témoins qui se font égorger.
Je n'ai pas entrepris de retracer l'Histoire ,
De l'Evangile et de sa gloire ;
De sublimes Ecrits pleins de force et de sens
En conservent les Monumens ;
Mais tous ces faits sont de nature ,
A n'être point soupçonnez d'imposture
Dieu qui les a permis ne peut être trompeur
Il le seroit pourtant , au gré de ton erreur
Si du vrai dont il est le pere ,
Le
mensonge odieux portoit le caractére.
Sa bonté , je l'ai dit , doit m'être un sûr garand ;
Des merveilles qu'enfin l'Evangile m'apprend
Sur cent vertus sa doctrine se fonde ,
Et ton systême fait horreur ,
Qui par la porte de l'erreur ,
Veut les faire entrer dans le monde.
L'Eclat dont luit la Révelation ,
Et les tenebres du Mystere ,
C'est la Nuée obscure et claire ,
Qui des Hébreux guidoit la Nation.
Tu ne peux concevoir la chute déplorable ,
Qui
AVRIL. 1732. 629
Qui de l'Homme innocent fit un homme cou
pable.
Tu ne peux concevoir qu'un Dieu soit mort
pour nous ,
Sans toutesfois nous sauver tous';
Et cet adorable Mystere ,
Pour ta raison est un joug trop austere ;
Mais quand tu veux t'en affranchir ,
La Révelation , source de l'évidence ,
Malgré toi , l'oblige à fléchir ,
Sous une immortelle Puissance.
De Lucrece aujourd'hui dangereux Nourrisson ,
Sauve- toi des écarts de l'humaine raison ,
Son devoir n'est pas de comprendre ,
· Ce que Dieu nous a revelé ,
Mais de se taire et de se rendre
S'il est vrai qu'il nous ait parlé.
Cette raison reçoit des bornes legitimes ;
C'est agir contre ses maximes ,
ปี
Que de restraindre ainsi Dieu même et son pou
voir ,
A ce qu'elle en peut concevoir.
Dépouille donc ici l'orgueil de ton Deïsme ,
Et crois - moi , rends ton vieux sophisme,
A Celse , à Porphire , à Julien ,
Quoique leurs plumes criminelles ,
En eussent armé leurs Libelles ,
Le monde entier n'en fut pas moins chrétien.
A iiij
Où
63300 MERCURE DE FRANCE
Où suis - je ? ô Ciel ! quelle terreur subite ,
Se répand au fond de mon coeur ?
Tout s'ébranle. La Mer s'agite ,
Et les flots irritez font un bruit plein d'horreur ;
Les antres au loin en mugissent.´
Le Soleil perd ses feux, les Astres s'obcurcissent
détachez , Da Firmament tous ces corps
S'envont - ils fondre sur ma tête ?
Qù fuir l'effroyable tempête
Terre ouvre -moi tes abymes cachez.
De tout secours mon ame est- elle dénuée ;
Mais tout à coup les Cieux sont éclaircis ,
Le Tonnerre et les feux partent de la Nuée ,
Où le fils de l'Homme est assis.
Crains l'Eternel ; crains ses vengeances &
Par un prompt repentir appaise son courroux ;
Sçache qu'il doit , ce Dieu jaloux ,.
Te juger sur ta foi comme sur tes offenses.
M. Tanevot..
SUITE
AVRIL 1732. 637
XXXXXXXXXXXX:X :XX
SUITE du Voyage de Basse Normandie .
LETTRE VIII.
M
'R Foucault , Intendant de la Géneralité
de Caën , bien persuadé ,
Monsieur , que la Tradition du Pays touchant
le lieu de Vieux, n'étoit point vaine,
avoit toûjours eu envie de s'en assurer
par quelque recherche ; mais il étoit bien
aise qu'il se présentât une occasion un
peu plausible de la faire , lorsqu'au mois
de Mars de l'année 1705. le Seigneur de
Vieux vint lui donner avis qu'on avoit
trouvé deux Pierres avec des Inscriptions,
ajoûtant que des Maçons en avoient déja
pris une à son insçû , pour employer à
quelques réparations et en avoient gâté
les Lettres que Fautre étant plus difficile
à tirer , avoit été abandonnée , et recouverte
de terre, ne doutant point qu'on
ne fit en cet endroit quelque découverte
plus considerable. M. l'Intendant , qui
étoit alors avec M. Belain , Curé de Blainville
, et Secretaire de l'Académie de
Caën , résolut d'aller sur les lieux le lendemain
, l'engageant de l'y accompagner,
ce qui fut executé ,
י
AV Oh
632 MERCURE DE FRANCE
On chercha en vain la Pierre en question
, elle ne fut point retrouvée ; on déterra
seulement quelques Médailles. Tandis
qu'on faisoit ce travail inutile , un
Laboureur vint dire que dans sa Piece de
terre il emportoit souvent avec la Charrue
de fort belles Briques , dont quelquesunes
étoient ornées de feuillages , ce qui
détermina de faire creuser dans ce Champ..
En y entrant on apperçut une petite élevation
couverte de ronces , et tout au
près quantité de morceaux de Brique ,
ornées de feuilles d'Acanthe. M. Belin
ayant poussé sa Canne dans un trou , en
remuant ces Briques , trouva une liberté
de tourner dans ce même trou , ce qui
fit juger et déterminer qu'il falloit commencer
par là à foüiller .
Les Paysans ne travaillerent pas longtemps
sans decouvrir un Mur d'environ
cinq pieds d'épaisseur , et en continuant
de creuser à trois pieds de profondeur ,
on découvrit environ vingt pieds de long
du même Mur , au bout duquel travail
il se trouva une espece d'Angle er de
Contour qui étoit de neuf pieds. M. Foucault
crut d'abord que c'étoient des fondations
, mais M. Belin pensa le contraire
sur ce que ce Mur étoit crêpi fort proprement,
et conjectura que ce reste d'élevation
AVRIL: 17320 633
levation d'un Bâtiment iroit jusqu'au niveau
d'un Ruisseau qui coule au bas de
ce Champ ; de quoi on convint. Commet
l'heure de partir pressoit , on ne put pour
cette premiere fois en faire davantage .
M. Foucault pria M. de Vieux , de mettre
dès le lendemain le plus d'Ouvriers
qu'il pourroit et de faire travailler diligemment
jusqu'à la huitaine qu'il y retourneroit.
Il n'y manqua pas , en effet , toûjours
accompagné de M. Belln , et trouva qu'en
creusant jusqu'au bout de la trace qu'on
avoit marquée et jusqu'à l'extremité du
Champ , on avoit découvert un beau
Bassin de pierre , d'environ douze pieds
de diametre , entouré de trois rangs de
Sieges , avec une ouverture par laquelle ,
au moyen d'un degré de cinq marches ,
on descendoit dans ce Bassin , dont le
fond étoit fort uni et formé de belles pierres
blanches , jointes ensemble avec un
mortier très -poli , dans lequel on voyoit
de petits morceaux de Marbre rouge. Ce
mortier étoit si dur qu'on eut bien de la
peine à l'entamer avec une Pince , pour
voir surquoi ce Bassin étoit assis . Il l'étoit
sur d'autres pierres , posées de côté sur
du sable , au- dessous duquel il y avoir
encore un lit du même mortier , et entre
A vj
ces
634 MERCURE DE FRANCE
ces pierres on voyoit plusieurs Tuyaux
de Brique.
Ce qui avoit paru un Angle dans le
Mur , d'abord découvert , se trouva être
une voute qui couvroit une Etuve , dans
laquelle on trouva encore le Fourneau qui
l'échauffoit , tout noirci de fumée , dans
une petite fenêtre plusieurs petits Instrumens
d'Yvoire qui servoient dans l'usage
des Bains à la propreté du corps , &c.
Comme la terre avoit couvert le debris
du grand Bâtiment , dont le Bassin
et l'Etuve ne faisoient qu'une partie , on
découvrit aussi en remuant cette même
terre et en continuant de creuser , plu
sieurs parties de très- belles voûtes , la
pluspart renversées , sous lesquelles on
avoit enfermé des Tuyaux de Brique . Le
mortier étoit si bien lié et uni avec les
pierres , qu'on les cassoit plutôt que de
les séparer de ce mortier.
Les Murs du Bâtiment principal dont
on vient de parler , ayant plus de 200 .
pieds de longueur et 4 à 5. pieds d'é
paisseur , étoient construits alternativement
d'un lit de Briques d'un pied en quar
ré , de trois pouces d'épaisseur , et d'un
très beau rouge , et d'un lit de pierres
blanches , toutes d'un même échantillon ,
liées avec du ciment. L'ordre fut donné
de
AVRIL. 1732. 635
de continuer le creusement et le remuage
des terres , et d'augmenter le nombre
des Ouvriers , ce qui fut executé pendant
huit autres jours.
י
Au bout de ce temps- là M. Foucault
et M. Belin retournerent sur les lieux et
trouverent qu'au moyen d'un grand travail
, on avoit découvert un second Bassin
construit comme le premier de ces
belles Pierres blanches qu'on voit à Caen,
et ayant les mêmes accompagnemens . Če
Bassin avoit ses écoulemens par des tuyaux
de Brique , qui portoient les eaux jusques
dans le Ruisseau dont il est parlé cydessus.
On avoit aussi découvert le commencement
d'un Aqueduc , qui selon sa
direction , devoit passer sous le Village
de Vieux , pour recevoir l'eau d'une Fontaine
qu'on voit encore auprès. On ne
put pas découvrir davantage de cet Aqueduc
, il auroit fallu pour cela renverser
une partie du Village.
Au lieu d'un travail inutile , on creusa
encore jusqu'à une des extremitez du
Champ, ce qui acheva de faire découvrir
toute l'enceinte de l'Edifice entier , qui
devoit être d'une grande étendue , er
qu'on crut , avec raison , avoir été un
Gymnase , ou lieu des Exercices que les
Romains avoient bâti en cet endroit et
qu'ils
836 MERCURE DE FRANCE
qu'ils avoient accompagné de Thermes
de Commoditez et d'autres ornemens utiles
et en usage chez les Anciens . Pour
s'y moins tromper , M. Foucault avoit
apporté son Vitruve , dont la lecture sur
la construction de pareils Bâtimens , appliquée
à l'examen des Monumens dont
on vient de parler , acheva de constater
ce qu'on n'avoit encore fait que conjecturer
par leur conformité avec les descrip
tions exactes et les regles données par cet
Auteur.
On trouva au reste des Antiquitez de
plus d'une espece dans ce remuement des
terres ; d'abord un grand Tombeau de
pierre, dans lequel étoient enfermez un
Squelete humain et quelques Médailles.
Romaines , ensuite le Fust d'une Colomne
de Marbre , dont on ne peut découvrir
la bize ni le chapiteau. La Statuë d'une
femme , ayant la tête voilée et la plus
belle qu'on puisse voir tenant de la
main droite une Patere ou Coupe , servant
aux Libations , la Statue étoit tron
quée par le bas. On découvrit aussi plusieurs
fragmens d'Inscriptions , ceux- cy
entre autres .
و
MEMO RIAM
MAGNINI
SENICIONIS
MEAVRIL.
1732 . 637
MEMORIA
VASSIONI
Q: K.
La plus entiere de ces Inscriptions étoit
gravée sur une Cyppe ou espece de Piedestal
quarré , en forme de petit Autel
et contenoit ces mots :
DEO MARTI
C. VICTORIVS
FELIX PROSEET
IVNIO FILIO SVO
ET MATERNAE VIC
TORIS CONIVGIS
MÆ E. V. S. L. M. DIALE
ET. BASSO . COS. IDIBVS
MARTI S.
Celle qui suit n'est pas moins entiere
, elle étoit gravée sur un Bloc de
Marbre rougeâtre , comme celui de la
Carriere dont j'ai parlé.
NOVIVS VIC
TOR MEMO
RIAE DOMI
TIAE PANFILE
M Galland prétend dans une de ses Lettres ,
qu'il falloit Sax , au lieu de Mex , mais qu'on a
employé ce dernier mot pour éviter toute équivoque..
Voici
338 MERCURE DE FRANCE
Voici encore deux fragmens d'Inscriptions
, aussi sur du Marbre..
D M
SEX. SENODIO SEVERO
VESTIARIO HEREDES POSVEVN...
Ꭰ M
LERONTIO IVNIANO DEFVNCTO
L.FRONTIVS IVNIVS. PATER.V.S.P.
Enfin dans ces differens travaux , où
l'on avoit creusé considerablement en
divers endroits , il se trouva beaucoup
de Médailles de bronze de toutes les
grandeurs , et quelques- unes d'argent ,
d'Empereurs , d'Imperatrices , de Cesars,.
&c. depuis le plus haut Empire jusqu'aux
Constantins ; mais ce qui surprit beau
coup , ce fut de découvrir parmi ces Médailles
un Diadumenien Grec , avec un revers
qui rendoit la Médaille encore plus
singuliere. Voici , Monsieur , de quelle
maniere M. Galland m'écrivit sur cette:
Découverte , dans une de ses Lettres datée
de Caën le 13. Juillet 1705.
>> Au retour de mon voyage de Paris
>>M. Foucault , qui avoit fait travailler à
Vieux pendant mon absence, me donna
à
AVRIL. 1732. 639
à examiner un grand nombre de Mé-
»dailles fort crasseuses qu'on y avoit déter-
» rées . Il s'en est trouvé une de moyen
» Bronze , où l'on n'appercevoit presque
» rien , ni du côté de la tête , ni au re-
» vers ; je la nettoyai et je vis paroître
» une très - belle Médaille Grecque de Dia-
» dumenien, ayant d'un côté la tête de cet
» Empereur avec cette Legende M ONEA
»
ΔΙΑΔΟΥΜΕΝIANOC. et sur le revers ,
»le Philosophe Heraclite de bout avec
» le Manteau de Philosophe , et une Mas-
» suë qu'il tient de la main gauche , et
» ces deux mots , ΕΦΕΣΙΩΝ ΗΡΑΚΛΕΙΤΟΣ .
» Cette Médaille a donné lieu à une Dissertation
que je mets actuellement au
» net , et dont je me propose de vous
» faire part.
M. Galland tint sa parole : il m'envoya
peu de temps après cette Dissertation
, avec un dessein exact de la Médaille
en question , que j'ai depuis vûë
en original dans le Cabinet de M. Foucault
, je vous communiquerai l'une et
l'autre en son temps ; je reviens cependant
à mon narré.
Quand M. Foucault jugea qu'il avoit
fait assez travailler à Vieux , et assez découvert
de ruine et de Monumens , il
fit faire de toutes ces Ruines et de l'état
des
640 MERCURE DE FRANCE
des lieux en question , une espece d'Iconographie
, pour en mieux conserver l'idée
, prévoyant bien que tout cela changeroit
bien- tôt de face et que les Proprieraires
remettroient les choses dans leur
prémier état , pour continuer de labourer
la terre , &c. Cette Iconographie , est
une élevation de tout l'Ouvrage sur une
Table d'environ 12. pieds de longueur
et de largeur proportionnée , sur laquelle
avec du gros carton diversement coloré ,
on avoit représenté au naturel la figure
de ces Ruines en petit , il y avoit sur
ces Cartons des Enduits et de la terre
élevée autour pour les soutenir et pour
mieux figurer les endroits creusez , &c .
M. Foucault fit porter cette Représen
tation à sa Maison d'Atie , située à quatre
lieuës de Paris , avec les Marbres contenant
les Inscriptions et les autres fragmens
d'antiquité trouvez à Vieux , parmi
lesquels il y avoit un Mercure de pierre
d'un pied et demi de hauteur , parfaitement
beau et très -bien conservé ; ce Morceau
fut trouvé en curant un Puits du Village,
peu de temps avant les autres Découver
tes . C'est à Atie que plusieurs Curieux
ont vû et examiné ces Monumens d'Antiquité
, qui en seront aussi de la sagacité
de M. Foucault , de son bon goût et de
son amour pour les Lettres .
AVRIL, 1732. 64r
Voilà , Monsieur , tout ce qu'on peut
sçavoir , et tout ce qui se peut dire de plus
exact sur les découvertes de Vieux. Elles
confirment la tradition ancienne et universelle
du Païs , sur le séjour des Romains
, dans le même Païs , et sur l'existence
d'une Ville , qui , comme beaucoup
d'autres , n'ayant pû résister à la vicissitude
des temps , a perdu jusqu'à son nom
permettez -moi d'ajouter quelques Remarques
à ma Narration .
REMARQUES sur les ruines
de Vieux.
L'un des plus Sçavans Hommes que la
Normandie ait porté , je veux dire M.
Huet,Evêque d'Avranches ,n'auroit peutêtre
pas écrit , comme il a fait , au sujet
de Vieux , si les découvertes dont je viens
de parler , avoient précédé la composition
de ses Origines de Caen , l'un des plus
curieux Ouvrages qui ayent été écrits en
ce genre , et le plus rempli de recherches
historiques , géographyques , étymologiques,
&c. ensortequ'il seroit à souhaiter
que chaque Ville un peu importante
, et de quelque ancienneté , eut un
Historien à peu près semblable. Il est cependant
arrivé à ce grand critique de n'avoir
pas toujours écrit avec la même jus
tesse
642 MERCURE DE FRANCE
tesse , dans le Livre dont je viens de parler
; cela se remarque sur tout dans l'Article
de Vieux ; soit amour de la Patrie ;
qui ne lui a pas permis de reconnoître
dans le même canton une Ville plus an
cienne que Caën , qui de son aveu ne l'est
pas beaucoup , soit prévention ou éloignement
de penser , comme on a toujours
fait dans le Païs , à l'égard des ruines de
Vieux, M.Huet ne veut pas que ce soient
les restes d'une ancienne Ville ; et on n'y
voit , selon lui , tout au plus que les vestiges
d'un Camp des Romains.
Il est inutile d'entrer icy dans un détail
des raisons , ou plutôt des conjectures
que rapporte ce Sçavant Ecrivain`,
pour ne point reconnoître une Ville ancienne
dans les ruines de Vieux , parce
que ces raisons tombent d'elles - mêmes
depuis les monumens qui y ont été découverts
, avant, durant et après les Recherches
de M. Foucault ; monumens qui
ne peuvent convenir qu'à une Ville et
à une Ville considérable .
Le plus remarquable de ces monumens ,
et qui fait icy , selon moy , une démons
tration ; c'est , sans doute, le fameux Marbre
de Joigny , trouvé à Vieux , il y a déja
bien des années. Ce Marbre , tout à -fait
semblable à celui de la Carriere deVieux ;
est
AVRIL 1732 843
est , comme je l'ai dit ailleurs , le Piédestal
, sur lequel étoit élevée la Statuë de
T. SENNIUS SOLENNIS , Grand- Prêtre Gaulois
, Homme des plus distinguez dans sa
Nation , lequel étoit originaire de la cité
des Viducassiens. Cette Cité est nommée
trois fois dans la longue Inscription
, gravée sur le Piédestal dont je vous
ai envoyé une coppie , avec ma Ive Lettre,
en sorte qu'on ne peut se refuser à
une preuve si évidente.
M. Huet qui a senti la force de cette
preuve , a cru l'affoiblir , en disant que
quoique ce Marbre soit semblable à celui de
Vieux , il peut bien avoir été tiré de quelqu'autre
Carriere de Marbre pareil , qui
aura depuis été épuisée ou recouverte et abandonnée.
Tout le Marbre blanc ne vient pas
de Paros, Je vous laisse , Monsieur , à juger
de la solidité de ce raisonnement ; et
en attendant , on peut , je crois , s'en raporter
au témoignage de quantité de
personnes éclairées , qui ont vu le Piédestal
de Torigny , et qui l'ayant comparé
à plusieurs Marbres , tirez de la Carriere
de Vieux entr'autres , avec les Colomnes
qui sont dans les Eglises de S. Jean et des
Carmes de Caen, assurent toutes que c'est
la même nature , la même qualité , &c.
Il est vrai que tout le Marbre blanc ne
vient
344 MERCURE DE FRANCE
-
vient pas
de Paros ; mais il est aussi vrai
que comme
nos Connoisseurs
, nos Marbriers
même
, distinguent
fort bien le
Marbre
de cette
Isle , d'avec
les autres.
Marbres
blancs
par la difference
du grain,
du poli , de la dureté
, &c. On peut
distinguer
de même
le Marbre
rougeâtre
et
veiné
, de Vieux
, d'avec
les autres
Marbres
de pareille
espece
. Celui
de Vieux
a
cela de particulier
, que le poli n'en est
nullement
beau.
>
Quant au témoignage de l'Inscription,
notre sçavant Prélat y répond en disant
que: Civitas viducassium , signifie là
comme en cent autres lieux des anciens
un Peuple , et non une Ville, Mais je ne
sçai si cette interpretation éludera un témoignage
si formel ; on peut bien accorder
que Viducasses , est le nom d'un Peuple
; mais les Peuples ayant bâti les Villes,
ausquelles ils ont donné des noms particuliers
, il est communément arrivé que
dans la suite ces noms particuliers ont
cessé d'être usitez , et qu'on n'a employé
dans le discours que le nom du Peuple
qui les avoit bâties , où dont elles avoient
été capitales. C'est ce qu'on peut reconnoître
par la lecture de César , de Pline
de Ptolomée , &c. chez lesquels les noms
de nos Villes d'aujourd'hui,sont des noms
de
AVRIL 1732 645
1
de Peuples , de Nations. Les Viducassiens
ou une partie de ce Peuple ont donc construit
la Cité dont il s'agit icy. Il est vrai
que nous ne sçavons pas le nom particulier
qu'ils lui donnerent , aussi parfaite
ment que nous sçavons que la Capitale
des Lexoviens s'appelloit Neomagus ; mais
les Monumens trouvez en ce même lieu ,
témoignent évidemment que c'étoit une
Ville ; et les termes de la fameuse Inscription
de T. S. Solennis , déterminent à
croire que c'étoit une Ville des Viducassiens.
Au reste , Monsieur , quand je vous
ai dit , en vous envoyant cette Inscription
, qu'elle ne se trouve nulle
part dans
les differens , Recueils imprimez , je n'ai
pas parlé avec exactitude ; je l'ai depuis
trouvée moi-même , dans le Recueil de
M. Spon , intitulé : Miscellanea erudite
Antiquitatis , & c. 1. vol . fol . Lyon , 1685 .
à la page 82. Mais elle y est rapportée
tres-imparfaitement , sur une coppie envoyée
à M. Spon , qui ne contenoit que
ce qui se trouve sur les deux côtez du
Piedestal , et rien du tout de ce qui est
gravé sur la face , et qui est pourtant le
plus remarquable et le plus instructif de
ce Monument. J'aurai occasion de vous
en parler encore une fois , mais revenons
à M. Huet,
Cet
45 MERCURE DE FRANCE
Cet habile Ecrivain oppose le silence
'des Historiens , celui de Ptolomée , de
Itineraire d'Antonin , et des Tables de
Peutinger , à ceux qui veulent que Vieux
ait été la Ville des Viducassiens , et qui
outre la tradition du Païs , citent un Passage
de Pline , dont je vais parler . Mais on
peut lui répondre avec fondement , que
nous n'avons pas tous les Historiens et
tous les Géographes anciens , que nous
n'avons pas les Ouvrages entiers de tous
ceux qui restent , et que ceux - cy ont encore
fait bien des omissions , ce qui ne
peut jamais former qu'un Argument négatif;
Argument qui tombe à la vûë des
Monumens découverts à Vieux.
Le silence , au reste , de Ptolomée , est
icy fort mal allégué , puisqu'il est du
moins certain que ce fameux Géographe
liv. 11. chap . 8. en traitant de la Gaule
Lyonnoise : Celto Galatia Lugdunensis situs
; et faisant l'énumeration des Peuples
qui bordent l'Ocean depuis la Seine jusqu'au
fond de la basse Bretagne , à l'endroit
appellé alors Gobeum Promontorium ,
met parmi ces Peuples , Biducenses , qui
est la même chose que s'il avoit mis viducenses
, lequel terme de Biducenses ou
Viducenses , a une égale analogie avec
Vieux , comme Viducasses,
Le
AVRIL 1732% 847.
Le passage de Pline se trouve dans le
18 ch . du 4 liv . M. Huet le rapporte et
en jugé de cette maniere : » Ceux qui
» veulent , dit - il , que Vieux ait été une
Ville , se fondent sur ce Passage de Pli
>> ne , où il met entre les Peuples de la
» Gaule Lyonnoise , Parrhisios , Trecasses,
» Andegavos , Viducasses , Vadicasses; d'où
ils inferent que ces derniers , désignant
» les Peuples du Bessin , les Viducasses
marquent la Ville de Vieux ... Mais il
» est tres - probable que dans le Passage de
» Pline , Viducasses ou Fadicasses , sont
» un même nom , qui signifie le Bessin
* et qu'un de ces mots est une diverse
» leçon de l'autre , qui a passé de la mar-
» ge dans le texte , comme il est arrivé
» dans une infinité de lieux des anciens
» Autheurs . De plus , Pline marque des
» Peuples en cet endroit , et non pas des
» Villes.
Avant que de réfléchir sur cette Critique
de M. Huet , il est bon d'observer
que le Passage de Pline est different dans
toutes les Editions que j'ai vûës , de celui
qu'on vient de lire ; mais pour ne point
entrer icy dans un détail ennuyeux des
Variations , et de différentes leçons qu'on
trouve sur ce sujet , je me contente de
rapporter ce même Passage , pris dans l'EB
dition
18 MERCURE DE FRANCE
dition du P. Hardouin , la plus récente , et
qu'on a lie de croire la plus correcte de
toutes , l'Auteur ayant consulté les meilleurs
Manuscrits , et n'ayant ignoré aucunes
des Editions imprimées . Or ce Påssage
est tel : Parisi , Trecosse's , Andegavi,
Viducasses , Bodiocasses , & c. Par ce der
nier terme , toute la probabilité de M.
Huet disparoît ; on ne croira jamais en
effet que Bodiocasses et Viducasses ne sont
qu'un même nom , qui signifie le Bessin ,
&c. Bodiocasses peut le signifier fort naturellement
, et beaucoup mieux que Vadicasses
, ainsi toute la conjecture du sçavant
Prélat devient plus ingénieuse que
solide .
J'ai répondu cy - dessus à ce qu'il ajoute
, qu'en cet endroit Pline marque des
Peuples et non pas des Villes , au sujet de
l'interprétation qu'il donne au terme de
Civitas Viducassium , de l'Inscription de
Torigny trouvée à Vieux ; ainsi , Monsieur,
au lieu d'une répetition inutile,jeme
contente de remarquer icy que le P. Hardouin
, dans une Note qu'il a faite sur
Pendroit de Pline , dont nous venons de
parler , reconnoît que Ptolomée a parlé
des Viducassiens ; mais on ne sçait sur
quelle autorité il place , comme il fait ,
ce Peuple dans la Basse - Bretagne , et les
reconAVRIL
1132 649
reconnoît pour les Fondateurs de la Ville
de Dinan ; l'idée en doit paroître singuliere
aux bas Normands , sur tout depuis
les Découvertes de Vieux,
la
On voit cependant , que selon les anciens
Auteurs , les Viducassiens étoient
un Peuple de la Gaule Lyonnoise , et que
ce Peuple étoit où est Vieux , ou aux environs
, vers le Midy et le Couchant..
L'Inscription de Torigny confirme ces
autoritez . Il est plus que probable par
circonstance du lieu où cette Inscription
a été trouvée , que la Ville en question ,
étoit assise sur le Terrain , dont le Village
de Vieux , occupe encore une partie
entre la Riviere d'Orne , appellée O'λiva
dans Ptolomée et celle d'Odon.
- Vous sçavez , Monsieur , qu'après la
conquête des Gaules par les Romains
les Monumens publics ne furent plus
gueres érigez dans ce Païs , que dans la
Langue , et selon l'usage et le génie des
Vainqueurs Outre l'Inscription Romaine
, dont je viens de parler , qui est toute
à la gloire d'un Prêtre Gaulois , vous
avez vû dans ma Lettre , qu'on a trouvé
dans le même lieu , d'autres Inscriptions
Romaines , qui , en prouvant cet usage ,
prouvent aussi que les Romains ont été
long- temps les Maîtres de la Ville des Vi-
Bij ducas-
*
750 MERCURE DE FRANCE
ducassiens. Celle qui commence ainsi :
DEO MARTI, &c.indique assez le bas Empire
et la décadence des Arts . Plusieurs
Lettres y sont mal formées , et sur tout
les Lettres A. L. o . M. Galland la croïoit
environ du temps de Claude le Gothique,
mort vers 271.11 croïoit aussi qu'il y avoit
là un Temple dédié au Dieu Mars . Des
deux Consuls , Dialis et Bassus , sommez
dans l'Inscription , le nom du premier ne
se trouve point ,dans les Fastes que nous
avons. On en voit du nom du second
Bassus , sous plusieurs Empereurs , mênie
du haut Empire . Il est vrai que dans les
Fastes , les noms des Consuls subrogez ou
substituez sont souvent omis . Le Consul
Dialis , de l'Inscription , étoit peut- être
de cette espece. Au reste, l'ignorant ouvrier
a gravé sur le Marbre DIALÆ , au
lieu de DIALE. Ce même nom se lit
dans Gruter , 8 Inscript. Edit. de 1707.
pag. 307.
12
.ن ا ر
Les autres Inscriptions , quoique mutilées
, marquent une plus haute Antiquité,
par la beauté et par la correction des caracteres
; on y voit les noms de quelques
anciennes Familles Romaines ; entre- autres
des Familles Domitia , Novia , Comu
ficia , &c.
Je crois que vous trouverez juste l'obserAVRIL.
17523
servation de M. G. au sujet du mot MEMORIA
, qui se trouve dans les deux Fragmens
d'Inscription , cy devant rapportez
; il signifie là la même chose que Monumentum
et Sepulcrum ; on le trouve en
effet, employé en ce sens dans Suetone, qui
dit qu'Othon , avant que de se donner la
mort , laissa le soin de sa Sépulture et de
ses Funérailles à Messaline. Commendans ,
Reliquias suas et Memoriam.
Ce Sçavant Antiquaire pensoit aussi
que Magninus Senecio , dont le nom est
gravé dans l'un de ces Fragmens , pouvoit
bien être le fils et le descendant de ce Senecion
, dont parle assez plaisamment le
Rhereur Sénéque , lequel étoit surnommé
Grandio, par Sobriquet , à cause de son
affectation ridicule pour tout ce qui
étoit grand dans les choses de son usage
les plus communes . Grands. Vases à boire,
grands Souli rs , grosses Figures , grands
Esclaves , et jusqu'à sa Maîtresse , qui tenoit
du Colosse . Le surnom de Magninus
de l'Inscription , ne revient pas mal à célui
de Grandio.
La grande quantité de Médailles trouvées
à Vieux , et celles qu'on y déterre
tous les jours , méritent une attention
particuliere ; elles démontrent concur-
Biij remment
652 MERCURE DE FRANCE
•
remment avec les Inscriptions et les autres
Monumens , découverts au même
lieu , que les Romains ont été long - tems
en possession de la Ville des Viducassiens .
Ces Médailles , comme je l'ai déja observé
, sont depuis les premiers Empereurs
jusqu'aux enfans de Constantin . On peut
donc raisonnablement présumer que cette
Ville a subsisté jusques dans le rv siécle ;
on pourroit former des conjectures
moins solides sur les causes et le temps
plus précis de sa destruction ; circonstances
omises par les Historiens ; mais je
ne m'engagerai point dans cette recherche
aussi pénible qu'inftuctueuse .
Je me dispense aussi d'examiner si la
Ville de Caen a été bâtie , comme quelques-
uns le prétendent , des ruines de
celle des Viducassiens , ou de Vieux . M.
Huet tient pour la négative et soutient
que Caën , du temps de Charles le Chauve
, c'est- à- dire , vers 840. n'étoit guéres
plus qu'un Village.
Je finis mes Remarques , en observant
que ce Sçavant Homme , malgré la prevention
dont j'ai parlé , semble revenir
au sentiment qu'il a prétendu combattre
au sujet des ruines de Vieux : Voici com
ment il s'exprime , après avoir beaucoup
discouru là- dessus .
» IL
AVRIL. 17321 653
Il est donc beaucoup plus apparent ,
" par tous ces Monumens d'antiquité, qué
» Vieux étoit autrefois un Camp des Ro
»mains , placé sur la Riviere d'Orne ,
» pour y conserver un passage ,
tendant
» vers le Païs ( a ) d'Hiesmes . Ce Camp
» ayant été fixé en ce lieu , donna l'occa-
» sion et le loisir aux Soldats d'y bâtir des
» Maisons , et un Aqueduc , pour leur
رد
commodité , dont il reste des ruines.
» La même chose est arrivée en plusieurs
» autres endroits et quelquefois ces .
Camps sont devenus Villes , et quoi-
» que Villes , ils ont retenu le nom de
» Camps , témoin la Ville de Constance ,
qui étoit dans le commencement le
Camp de Constantius Chlorus , Pere de
» Constantin le Grend , et qui dans la suite
est devenu une Ville celebre et floris-
» sante. Témoin encore la Ville de Cou
» tance, qui quoique Ville , s'appelle com-
» me la premiere : Constantia Castra. Cela
» se confirme encore par ce grand chemin
» pavé , qui alloit du Bessin dans l'Hies- "
» mois , et qui passe par Vieux-, bâti dơ
» Brique , ainsi que l'Aqueduc.
C'est toujours beaucoup de convenir
Vieux a pu
être une Ville , dont un
que
( a ) Le Païs d'Hiesmes est un Canton qui comprend
une partie du Diocèse de Bayeux.
Biiij Camp
64 MERCURE DE FRANCE
Camp des Romains ait été l'origine. Pour
moi , je croirois plutôt le contraire ; sçavoir
, qu'auprès de la Ville Gauloise des
Viducassiens , les Romains la trouvant
bien située , suivant leurs veuës , & c . auroient
établi un de leurs Camps , conjecture
que j'abandonne encore à votre critique
, et que je n'entreprens pas de soutenir..
Outre l'aveu que nous venons de remarquer
de la part de M. Huet , il n'est
pas indifferent de rapporter icy ce qu'il
nous apprend dans le même chapitre sur
la dénomination de Vieux. Vieux , dit it ,
est appellée Vedioca et Veoca , dans les
vieux titres de l'Abbaye de Fontenay. I
est assez incertain , continue - t - il , si
Veoca et Vedioca ont été formez du mot
de Vieux, ou Vieca de Vedioca, et de Veoce.
Le nom de Bayeux ne vient pas de
Bajoca , mais de Biducasses , &c. je ne le
suivrai pas dans le reste de cette discussion
étymologique , où notre Auteur ne
dit rien , ce me semble , de solide , n'apprend
qu'à douter et ne fait que conjecturer.
Mais vous me prévenez sans doute icy ,
Monsieur , sur le nom de Vedioca , pour
signifier Vieux , qui se trouve dans les
titres d'une ancienne Abbaye voisine.; et
vous.
AVRIL 1732 . 655
vous m'allez dire qu'on ne peut guéres
méconnoître dans ce nom les Biducenses
de Ptolomée , et les Badiocasses de
Pline , et le Civitas viducassium de l'Inscription
trouvée à Vieux. Votre réfléxion
est juste , et me dispense d'examiner si le
nom de Vieux , ne viendroit point de Vetera
Castra ; en supposant dans ce lieu ,
avec M. Huet , un Camp des Romains ';
ou de Ve , du Latin , Vadum , un Gué ;
supposant encore qu'il y en avoit un dans
le même lieu , lequel mot , Ve , s'exprimoit
autrefois par Vien ; comme pour
André , on disoit Andrieu , c. toutes
conjectures des plus frivoles , qui ne méritoient
pas de sortir d'une pareille plume,
et qui tombent d'elles - mêmes par ce
que vous venez de voir.
On peut , ce me semble , conclure de
toutes ces observations , que la Ville des
Viducassiens dont deux anciens Ecrivains
ont parlé , étoit située à peu près dans le
terrain , dont le Village de Vieux occupe
aujourd'hui une partie , entre les Rivie
res d'Orne et d'Odon , et que les ruines
découvertes dans ce terrain sont celles de
cette ancienne Ville , qu'elle a été considérable
du temps que les Romains l'ont
occupée , comme il paroît sur tout par les
beaux restes de son Gymnase , et des ac-
By com656
MERCURE DE FRANCE
compagnemens de cet Edifice public ,
( qu'on n'en voyoit de pareils que dans
les bonnes Villes ) et par les autres Monumens
dont on a parlé ; que cette Ville
étoit avantageusement située , à cause des
deux Rivieres , dont l'une lui donnoit la
communication avec la Mer Oceane , l'éloignement
n'étant que d'environ 5 lieuës;
que la même Ville devoit être florissante
par le commerce et par la communication
qu'elle pouvoit avoir avec les Nations
les plus éloignées.
La Médaille Grecque de Diaduménien
en est une preuve indirecte, et cette preu
ve est fortifiée par d'autres Médailles
Grecques et de fabrique étrangere , par
rapport aux Romains , découvertes depuis
au même lieu , dont j'espere de vous
entretenir dans une autre Lettre. Celle - cy
s'est allongée beaucoup plus que je ne
croyois ; je soumets à vos lumieres tout ce
qu'elle renferme , et je suis,Monsieur , & c.
POEM E
Sur les progrès de l'Art des Jardins..
Sous LoüiS LE GRAND.
D U siécle de Louis , les prodiges divers,
Sont l'étude du nôtre , et l'objet de nos Vers.
Muscs ›
AVRIL. 1732. 657
Muses , qui de ce Roy , chérissez la mémoire ,
Pour prix de notre ardeur à conserver sa gloire.
Vous nous devez vos soins , j'implore votre appui
,
Inspirez-moy des Vers , tels qu'on les fit sous
lui.
Si le gout de son siecle
est banni
de mes rimes
,
Muses
, n'exaucez
point
des voeux
illégitimes
."
Le Laurier
, où j'aspire
, est un affront
pour
moy ,
S'il n'est coupé d'un Tronc, planté sous ce grand
Roy.
Chassez de mes Ecrits , toute vaine peinture ,
Le fard est inutile , à qui peint la nature.
L'art doit l'orner de fleurs , mais non pas l'en
charger ,
C'est ainsi , sous Louis , qu'on sçut la ménager.
C'est sous ce regne heureux , si fécond en miracles
,
Que la Nature et l'Art s'unirent sans obstacles .
La raison en régla l'accord selon ses voeux ,
Et la perfection naquit de ces beaux noeuds.
Ainsi des sages Grecs , le sublime Génie ,
A cet amant discret , l'avoit jadis unie.
Sure du gout exquis de ce discret Amant ,
Gout formé sur le sien , et sobre en arnement.
La Déesse , toujours simple , naïve et pure ,
Laissoit aux mains de l'Art , le soin de sa pasure
B vj L'Art
6,8 MERCURE DE FRANCE
L'Art content de ce soin , et l'oeil sur ses appas ›
La faisoit briller seule , et ne se montroit pas.
Si la Nature en pleurs soupiroit sur la Scéne ,
Les malheurs d'Hyppolite , ou ceux de Polixéne.
L'Art d'une main cachée et prompte en ses besoins
,
Lui chaussoit le Cothurne , et bornoit là ses
soins .
Mais que cet age d'or fut prompt à disparoître ?
Louis , en ta faveur , le Ciel la fit renaître.
Tout , jusques aux Jardins, sous ce Roy si vanté,
Atteignit le haut point de sa juste bonté.
Ce n'est plus ces Jardins , que , voisins du Tonė ,
nerre ,
Suspendit dans les airs , au mépris de la terre.
L'Epouse de Ninus , l'Amante de son fils ,
De la Nature , hélas ! connut elle le prix ?
L'Emphrate sur son Urne , en ses Grottes profondes
,
Plaiguit ces bois , privez du secours de ses Ondes
.
Sur ses bords sabloneux , prodigua ce secours ,
Et les rendit si beaux , qu'on désertà ces tours .
Au gout de la raison , noble , simple , et sensée ,
Louis a des humains , ramené la pensée.
Deux Vertumnes fameux , à son
regne donnez ,
Firent voir aux vivans les Jardins fortunez ,
Où les ombres d'Achille et d'Hector réunies >
Réposent dans la paix , sur l'Email' des Prairies.
L'un
AVRIL. 17320
659
L'un , des beautés de l'Ordre instruit par le bon
goût ,
Mit la Nature en regle et la fit voir en tout.
De naïfs ornemens , Dispensateur habile ,
Il donna même au faste un air simple et facile ,
Apprit par un secret que lui seul
sçut trouver ,
Aux Chênes sourcilleux l'art de faire rêver,
Se fit suivre à son gré de l'Element humide ,
Ingénieux , forma de ce Cristal liquide
Mille Jeux séducteurs , cent Théatres divers ;
Plus qu'aucun avant lui l'élança dans les Airs ;
Des Graces et des Jeux accompagné sans cesse ,
Fit au triste Cyprès respirer la temiresse ;
Dans un Dédale heureux de Myrthes verdoyans,
Emprisonna les Ris sous les fleurs s'égayans ;
Et d'un Peuple de Dieux , ou palis ou sauvages,
Avec art disposez , anima ses Boccags ;
Puis ouvrant des Vallons les lo ntains gracieux,
Sçut finir ses Jardins où commencent les Cieux ,
Et presentant au loin mile oby ts à la vûë ,
Prêter aux Champs étroits une immense étenduë.
De Nymphes , cependant un jeune et tendre
Essein ,
Le suivoit pas à pas la Guirlande à la main ;
D'où tirant avec choix mille fleurs éclatantes ,
Flore en semoit par tout les couleurs differentes.
De Pomone au sein riche , auteint frais et fleuri,
L'autre , sçayant Eleve , et Confident chéri ,,
Du
50 MERCURE DE FRANCE
Du fruit , vrai gland jadis insipide et sauvage ,
Triptoleme nouveau , bannit l'austere usage ,
Corrigea de nos Champs les Sels contagieux ,
Et versant dans la séve un Nectar précieux,
Nous rendit ces beaux fruits que, Roy de la Na
ture ,
L'homme , aux Vergers d'Edem ; cueilloit d'une
main pure.
La branche obeissante et souple à ses leçons ,
Prit sous ses doctes mains cent diverses façons.
Du Lierre rampant le verd mélancolique ,
Scut couvrir les débris de quelque tombe antique,,
Où ses bras tortueux , par dinquiets efforts ,
Vont jusques dans leur cendre importuner les -
Morts.
Tandis que les amours de Flore et de Pomone ,
Étalant à la fois le Printemps et l'Automne ,
Le Citronier docile à notre oeil enchanté
Déroboit de nos murs l'informe nudité ;
Et dans ses bras , qu'il ouvre aux traits de l'oeil
du monde ,
En reçoit à l'abri l'influence féconde.
Vous n'avilirez point le prix des mes accens , ·
Vous, de nos bons Ayeux les repas innocens
Herbages fortunez , que ce Mortel si sage ,
A la Cour , chez les Rois , ramena du Village.
Mases , tel est le fruit du gout qu'on a pous
vous.
Tout objet fait ses soins , il les embellit tous .
Et
AVRIL. 17322 661
Et si l'appui du Trône est le prix de vos veilles ,
ne portez- vous pas vos sublimes merveilles !
Où
PRIERE POUR LEROT.
20
Tels que sur le penchant d'une aimable Coline-
Sous un Ciel favorable un Olivier planté ,
Voit d'heureux rejettons sa féconde racine ,
L'environner de tout côté.
Tel , Seigneur , chaque jour par un exemple uni
*que ,
LOUIS, se voit renaitre et combler de ses dons ;
Mais pour rendre éternels les biens que nousgoutons
,
Sous son Empire pacifique ,
Conserve , Dieu de Paix , sous ta main magnifique
,
Et la Tige et les Rejettons.
Auteurs , en écrivant , imitez la Nature:
EXPLICATION Physico-Mathematique
du Principe des Machines. Par L.P.C.J.
Dpendus aux deux extrémitez d'un
Eux Corps égaux ou inégaux , sus-
Levier , ou d'un Bâton ou d'une Barre de
fer , lequel Levier de fer ou de bois ap
puyé
-662 MERCURE DE FRANCE
puyé sur un Pivot aigu , fixe et inébranlable
, qui partage sa longueur en raison
réciproque des deux poids ; ces deux Corps
sont en équilibre et restent en repos ; aucun
des deux ne pouvant descendre
parce qu'aucun ne peut prévaloir à lautre
, à cause de l'égalité absolue de leurs
forces relatives. Voilà le fait et tout l'état
de la question présente.
Or cette égalité de forces relatives ,
fondée sur la réciprocité des Corps et de
leur distance du point fixe , Descartes et
les Cartesiens , l'établissent sur ce que ,
que
?
si ces Corps venoient à se remuer , leurs
mouvemens seroient égaux , les espaces.
parcourus ou les vitesses compensant les
masses , parce que la disposition de la
Machine détermine à un mouvement circulaire
, d'autant plus grand que le Rayon
est plus long
C'est là une raison mathématique , tout
à - fait géometrique et abstraite , et mề-
me de la plus basse espece , et de celles
qui convainquant l'esprit sans l'éclairer ,
sans même le persuader , s'appell nt des
Réductions à l'absurde . Car si vous alliez
prétendre que ces Corps. devroient se remuer
, on calculeroit leur mouvement
et leur force , et les trouvant absolument
égaux, on concluroit qu'une force égale
à
AVRIL 1732. 603
2 donc prévalu à une force égale ; ce qui
est absurde.
Les Géometres peuvent donc s'en contenter
comme d'une démonstration qui¨
constate le fait ; mais les Physiciens venlent
et demandent depuis long- temps une
raison qui l'explique . Il est bien question en
effet de la force qu'auroient ces Corps s'ils
venoient à se remuer. Ils ne se remuënt
pas et sont pourtant en équilibre ; il s'agit
de la force qu'ils ont actuellement et à
tous les instans pour s'y maintenir.
Descartes n'avoit garde d'aller plus loin.
Il étoit naturel d'expliquer cet équilibre
par l'effort actuel que font à chaque instant
ces deux Corps pour descendre et se
surmonter. Mais ce celebre Philosophe ne
connoissoit point d'effort au mouvement
qui fut un mouvement actuel ; lui pourtant,
qui par tout ailleurs , expliquoit tout
par le mouvement. Il est vrai qu'ici même
il recouroit au mouvement,mais à un mou--
vement possible et sensible , comme si les
mouvemens primitifs de la Nature , et
tout ce qui s'appelle forces méchaniques
et efforts , ne consistoient pas essentiellement
dans des mouvemens secrets et
très -insensibles.
Les yeux ne vont pas là ; mais la rai
son , ou du moins le raisonnement y va
et
664 MERCURE DE FRANCE
et nous apprend que tout Corps pesant
étant toujours pesant , soit qu'il tombe
soit qu'il soit arrêté , soit qu'il soit forcé
même de monter , tend toûjours et fait
toûjours effort pour tomber , et a par
consequent toûjours un mouvement secret
qui le sollicite à la chute , un mouvement
naissant et sans cesse renaissant
à coups redoublez , qui ne demande qu'à
se développer et à se changer en un mouvement
continu , et par là sensible vers
le centre.
J'ai démontré ce mouvement secret des
Corps pesans dans mon Traité de Physique
, imprimé à Paris , chez Cailleau. Et
il m'a parû que cette Démonstration avoit
passé sans contradiction ; et que tous
ceux , au moins dont j'ai eu occasion de
connoître les sentimens , l'avoient adop
tée. Il est temps de porter cela un peu
plus loin.
la
On confond trop , ce me semble ,
pesanteur avec la chute ; et l'idée des Aneiens
qui croyoient les Elemens quittes.
er exempts de pesanteur dans ce qu'ils
appelloient leurs Spheres propres ; l'Eau ,
par exemple , dans la Mer , l'Air dans
l'Atmosphere ; cette idée ne me paroît
que trop regner encore dans les esprits.
Je dois donc remarquer que la pesanteur
AVRIL. 1732. 665
teur est la cause , et que la chute n'est
qu'un effet ; qu'un Corps tombe parce
qu'il est pesant; mais que lors même qu'il
ne tombe pas , il est toûjours pesant , et
que dans aucun instant il ne cesse de l'ê
tre. C'est-là ce qu'il faut bien sentir.
En quelque temps que vous tâchiez à
soulever un Corps pesant , vous le trouvez
pesant , il vous résiste de toute sa
force , et il vous faut toute la vôtre pour
en venir à bout. Portez - le quelque temps
entre vos bras ou sur vos épaules , peuà
peu il vous devient tout à fait insupportable
et vous force à lâcher prise . Si
vous le suspendez à un fil , à une corde,
dès le moment que vous tranchez le fil ,
il tombe , il n'attend pas vos ordres pour
cela , il tire , il tiraille le fil ou la corde ,
et après en avoir surmonté peu à peu le
tissu et rompu en détail tous les fila
mens , il la rompt tout - à - fait et tombe
lourdement .
S'il est posé sur la terre , avec le temps
il l'enfonce et s'y enterre ; et si tout d'un
coup vous sappez sous lui cette terre qui
le porte , tout du même coup il tombe
plus bas , et toûjours aussi bas qu'il le
peut. Si vous coupez cette terre en plan
incliné , de quelque côté que vous fassiez
la pente , il y roule et gagne l'endroit
le plus bas.
666 MERCURE DE FRANCE
L'Eau même la plus immobile et la
plus croupissante , va couler tout de suite
si vous lui ouvrez une rigole en pente
à côté de son Båssin. Toutes les Rivieres
coulent et la Mer même a des Courans
et des Goufres soûterrains qui l'appel
lent d'abîme en abîme vers le centre
de la terre. Il est vrai que les abîmes n'étant
pas infinis , l'eau ne tombe toûjours
que parce qu'elle remonte aussi toûjours
par
d'autres conduits soûterrains dans
les Sources d'où elle recommence à con
ler vers le centre . Mais c'est qu'il y a
dans le corps de la Terre , comme dans
nos corps,un Principe de circulation qui,
sans ôter à l'eau la pesanteur , l'entretient/
dans une perpetuelle mobilité. Tout cela
est établi dans le Traité déja cité .
L'Air même , qu'on ne s'y trompe pas,
ne demande qu'à couler et à tomber : à
mesure qu'on creuse dans la terre , il y
entre et remplit les plus petites excavations.
Dès que l'eau ou tout autre corps
quitte une place, l'Air la prend aussi - tôt.
Nous sentons nous - mêmes assez le
poids des Corps toûjours subsistant , toû
jours agissant. Nos jambes se lassent de
nous porter. Notre col , nos épaules pliroient
sous notre tête , si elle n'avoit ses
momens de repos . Et puis il faut bien- tôt
οὐ κ
1
AVRIL. -1732. 1 667
ou tard ,
que l'affaissement
de nos membres
devenant
general
, nous rentrions
dans la poussiere
, d'où un soufle de vie
qui s'exhale , nous avoit fait sortir. Tout
le monde sçait tout cela , je le crois.
Tous les Corps font donc un effort et
ont une tendance continuelle vers le centre.
Cette tendance étoit la qualité occulte
de nos Anciens. Ils la concevoient
comme un appétit et presque comme une
volonté naturelle de se réunir à leur centre.
Descartes a fort bien remarqué que
la matiere pure n'avoit point de ces
sortes d'appétits et de volontez . Mais cette
tendance et cet effort étant pourtant- quelque
chose de réel et de toûjours subsistant
, il auroit dû , en supprimant une
mauvaise façon de les expliquer , y sub-
2
stituer un mouvement secret et insensible
, qui est la seule façon dont un Corps
peut tendre et faire effort . M. de Leibnis
y reconnoissoit une force morte.
Mais il n'y a point ici de mort , et l'effort
que les Corps font pour regagner
leur centre , est toûjours , sinon vivant ,
du moins très - vif et très - animé , et mê
me très- sensible , au moins dans ses effats.
:
J'ai expliqué cet effort méchanique
dans l'Ouvrage en question , et j'ai fair
voir
68 MERCURE DE FRANCE
voir qu'il consistoit dans un mouvement
non continu , parce qu'il est empêché ;
mais continuel et sans cesse redoublé
de vibration , de battement , d'oscillation
qui est le vrai mouvement primigénie de
la pesanteur , et l'unique cause tout- àfait
primitive de la chute des Corps qui
ont la liberté de tomber.
Pour rendre même ce Principe plus
sensible , j'ai fait voir que c'étoit le Principe
general de la Nature , l'agent primitif
de tous les Méchanismes , et que.
tout se faisoit dans l'Univers par l'impression
d'un mouvement secret de vibration
, tous les Corps étant buttez les
uns contre les autres, et faisant des efforts
et des contr'efforts continuels , d'où résultoit
l'équilibre general.
Descartes se bornoit trop à son Principe
de simple impulsion , qui étoit pourtant
un beau Principe ou un demi Principe.
Car point d'impulsion sans Répulsion.
A bien prendre même les choses ,
l'impulsion n'est qu'un Principe secondaire
et un effet sensible , un Phénomene
de la Répulsion.
Cui , tout ce que j'appelle cause Physique
, cffort méchanique , action naturelle
, est dû à la répulsion , au repoussement
, et consiste formellement dans.
8
un
AVRIL: 17320 669
peu
un mouvement de vibration, vif , prompt,
étendu et sans cesse redoublé.
Nous pouvons sans sortir de nous-mêmes
, nous en appercevoir avec un peu
d'attention . Nous ne sçaurions rien pousser
, non pas même notre corps , notre
bras , notre jambe en avant , si nous ne
repoussons en même - temps en arriere
quelque chose de fixe et d'immobile qui
nous repousse en avant.
Par exemple , en marchant , nous repoussons
le terrain , et il faut que ce terrain
soutienne le repoussement et nous
le rende pour que nous avancions. Un
sable mouvant qui nous cede en partie ,
une terre labourée nous épuisent bientôt.
Un pavé glissant qui ne nous oppose
aucune inégalité pour soutenir l'effort
de nos pieds , nous laisse tomber.
Nous ne sçaurions marcher sur l'eau .
Je ne me lasse point d'inculquer ce
Principe , sans lequel je ne connois point
de vraye Physique . Un Oiseau qui vole
ne vole en avant qu'en repoussant l'Air
avec ses aîles en arriere . Celui qui nâge
repousse l'eau avec ses bras , la Rame re.
pousse aussi l'eau ou le terrain . Et le vent
qui fait voguer un Vaisseau , quoiqu'il
semble n'avoir qu'un simple mouvement
d'impulsion directe , doit dans son origine
670 MERCURE DE FRANCE
-
rigine , avoir un Principe de répulsion ,
un point d'appui fixe qui l'empêche de
rétrograder. Et c'est par là que je crois
être en état de démontrer que tous les
vents prennent leur origine dans l'interieur
même de la Terre et dans la réaction
même du centre , qui est comme un
ressort toûjours bandé qui se débande du
côté où il trouve le moins de résistance.
Cela soit dit en passant.
Voyez deux hommes d'égale force buttez
l'un contre l'autre , et qui font effort.
pour se culbuter . On les voit , après s'ê→
tre roidis par les jambes contre le terrain , "
agitez de vibrations assez sensibles , se
pousser et se repousser , avancer et reculer
, ceder et reprendre le dessus avec
une alternative , qui seule maintient l'équilibre
.
Voilà l'état précis de deux Corps plaecz
en équilibre aux deux extrémitez
d'un Levier , partagé par le point fixe
mitoyen , en raison réciproque de leurs
pesanteurs. Toûjours pesant , toûjours fai-
Sant effort pour se surmonter ou pour
rompre le Levier qui les arrête , ils sont
agitez d'un mouvement actuel de batrement
ou de vibration qui fait leur force
actuelle et leur équilibre actuel.
Car cette force est égale de part et
d'autre
AVRIL 1732 678
d'autre, parce que le mouvement est égal.
Or , il est égal , parce qu'il est proportionné
à la longueur des Leviers , tout
comme le mouvement sensible auquel
les Cartésiens ont recours et auquel il est,
je pense , démontré désormais qu'on n'a
nul besoin de recourir.
Tous les équilibres de l'Univers se font
par là , et il n'y a nul autre Principe Physique
de tous les Méchanismes , soit naturels
, soit artificiels. Toute puissance
appliquée à un Levier ou à toute autre
Machine , agit par les efforts qu'elle fait
à chaque instant , et tout effort agit par
secousses et par vibrations. Qu'on se rende
tant soit peu attentif à l'effet de ses
propres mains et de ses bras , lorsqu'on
en fait , on y sentira , on y verra ces secousses
et une espece de tremoussement ,
d'ébranlement vif et redoublé. J'avertirai
même, en finissant, que lorsqu'on voudra
se donner dans ce cas un peu plus
de force , on n'a qu'à donner à son bras,
à ses pieds , à son corps un pareil tremblement
encore plus sensible et plus
prompt , cela aide tout- à - fait , et c'est la
Nature même qui nous indique ce secret,
qui est son secret.
THE672
MERCURE DE FRANCE
THERESE,
ODE.
Par M. de Soultrait , Maître des Comptes
de la Chambre de Nevers.
L'Amou Amour vient de monter ma Lire ;
Therese anime mes Concerts.
Guidé par le feu qui m'inspire ,
Je vois à flots couler mes Vers.
Fuyez d'ici , Troupe égarée
Des sentiers de la verité.
Cherchez une Idole parée ;
Pour moi je veux du temps d'Astrée ;
Rappeller la simplicité.
M
Achile , aux Rives du Scamandre ;
A
Brisco
offrit des voeux.
A
Glicere , Horace
sçut rendre ,
Tout ce qu'on doit à de beaux yeux ;
L'un et l'autre , de la parure ,
Evitant l'appas médité
Echapperent à l'imposture ;
Et
3.
AVRIL. 1732. 673
Et placerent dans la Nature ,
Le Trône de la Volupté.
龍
Seroit- ce au brillant étalage ,
De quelque frivole ornement ,
Que mon coeur fixeroit l'hommage ,
A la beauté dû seulement.
Mais j'entends l'instinct qui s'explique.
Il me fait dire par mes sens ,
Que votre coeur au vrai s'applique ;
Tout autre culte est fanatique ,
Et flétriroit vos sentimens
Lecteurs , de Cyrus , de Clelie ,
Vous ne goutez pas mes Leçons
Votre ame est trop enorgueillie ,
Pour vous prêter à mes raisons
Voyez Venus fendant les Nuës ,
Qui vient approuver mes accens.
Et , se mocquant de vos bévûës
Voyez les Graces demi nuës ,
Rejetter vos fades encens.
Décorez-vous , Héros du Tasse ,
De la vertu des Paladins ,
Morfondez- vous suivant leur trace
C1
Je
774 MERCURE DE FRANCE
Je vous suis par d'autres chemins ;
Horace que je prends pour guide ,
Présente Therese à mes feux.
Un air naïf , fimple , timide
Vaut mieux que les faveurs d'Armide
Pour l'Amant qui veut être heureux,
Enfant chéri de la Nature ,
Therese , objet de tous ses dons;
Je veux que la Race future ,
Te connoisse par mes Chansons,
Si la Fortune qui nous joue,
Dans sa colere a fait ton sort ;
Te voyant au bas de sa Roue ,
Est-il un Mortel qui n'avoue ,
Qu'elle est aveugle et qu'elle a tort.
"
REPLIQUE à la Réponse de M, L. B
sur son Explication de l'Inscription
d'Auxerre.
Ay lû ce que M. L. B. oppose aux
Remarques que j'ai données dans le
mois de Juillet dernier , sur son Explication
de l'Inscription d'Auxerre. Sa Réponse
est d'un homme du métier qui
écrit d'une maniere aussi spirituelle que
sçavante ;
AVRIL. 1732. 675
sçavante ; mais les raisonnemens qu'il
employe pour soutenir sa prétendue association
d'Ovinius , ne me paroissent pas
solides , et il m'accuse d'ailleurs assez légerement
de lui faire dire au sujet de la
Guerre d'Allemagne , ce qu'il ne dit pas,
et cela dans la vûë de combattre son sentiment
; il me permettra donc , s'il lui
plaît, de m'expliquer sur ces deux articles.
Premierement,pour ce qui regarde Ovinius
, je soutiens , comme je l'ai déja fait,
que la lecturo seule du Texte de Lampride
, qui nous rapporte l'association de ce
Sénateur à l'Empire , suffit pour nous
convaincre de la fausseté de cet Evenement.
En effet a-t'on jamais vû qu'un
Prince puissant et paisible , à la premiere
nouvelle qu'un de ses Sujets est dans le
dessein de brouiller l'Etat , ait aussi - tôt .
sans autre consideration et par une foiblesse
indigne , partagé avec lui son pouvoir
, l'ait associé au Trône, et lui ait voulû
de plus laisser le commandement des
Armées , c'est-à-dire en bon François
se livrer entierement à sa discretion . Voilà
pourtant la conduite de Severe Alexandre
, si l'on s'en rapporte à Lampride.
Cum quidam Ovinius ... rebellare voluisset...
participem imperii appellavit ... &
eam expeditio barbarica esset nunciata
Ciij vel
676 MERCURE DE FRANCE
vel ipsum, si vellet ire, vel ut secum proficis
ceretur hortatus est. Un tel récit révolte le
Lecteur le plus crédule , aussi ne suis-je
pas le seul qui le révoque en doute. It
me suffira pour la de
preuve , rapporter
ici les paroles de M. de Tillemont , sur
l'action qui fait la dispute. Nous ne vou
lons pas omettre ici , ( dit cet Auteur , p.
214. du Tome 3. de l'Hist. des Empereurs
) un Evenement qui semble apparte
nir plus que tout autre à l'an 228. S'il est
veritable dans toutes les circonstances que
l'on en dit ; car il est vrai qu'il y en a qui
paroissent tenir de la fable.
Secondement , non- seulement les Auteurs
qui vivoient sous Severe Alexandre
et dont les Ouvrages sont parvenus jusqu'à
nous , comme Dion et Herodien , (a)
ne nous disent rien de l'Association d'O
vinius ; mais par la maniere dont ils nous
marquent que Severe Alexandre agit dans
des temps de Révolte , il nous font assez
connoître ce que nous devons penser du
(a) En citant Herodien , je réponds incidemment
à une Observation de M. L. B. qui prétend
que le silence des Historiens sur le sujet d'Ovinius
, ne vient que de ce que ces Auteurs n'ont
écrit que de simples abregez. Herodien seurement
ne passera jamais pour un Epitomiste , et le
silence d'un Ecrivain aussi exact , balancera toujours
l'autorité de Lampride,
récit
AVRIL. 1732.
677
récit de Lampride . Puisque chez eux Severe
Alexandre est un Prince ferme et
vigilant , qui au premier bruit de quel¬
que entreprise contre son autorité , a
soin de la réprimer avec courage et d'en
punir les auteurs . Conduite qui convient
parfaitement à un Empereur , que M.L.B.
lui-même compare à Trajan. Voici les
Passages des Auteurs que j'ai citez . Per
id tempus ( dit Dion ) multa rebellionesfacte
sunt , quarum cum fuissent formidolosa ,
repressa ac restincta sunt. Et selon Hérodien
: Nequi non in Syria res novas contra
Imperium moliti alii , sed universioppressi
statim supplicioque affecti sunt.
En troisiéme lieu , ce qui s'observoit
d'abord dans l'association d'un Prince à
l'Empire , étoit de frapper des Monnoyes
(a) au coin du nouveau Souverain , ç'a
été un usage constamment
gardé sous tous
les Empereurs ; soit que ces Associations
ayent été libres , comme celles de Trajan
par Nerva , d'Elius par Hadrien , soit
qu'elles ayent.été forcées , comme quand
Balbin et Puppien furent obligez de déclarer
Cesar le jeune Gordien , ou que
(a) Et vero simul Imperii summam adepti erant ,
Imperatores ) prima hac cura fuit nummos sua ,
mox conjugum denique et liberorum effigie insignire.
Anton, Augustinus. Dial. T. de Vet . Num . antiq..
Cij
Ma678
MERCURE DE FRANCE
Maximien Hercule fut contraint par Galere
, d'accorder le même titre à Severe .
Il nous reste des Médailles de tous ces
Princes. Ovinius seroit- il le seul pour qui
on eut négligé une coûtume si essentielle
et si continue? Sur tout ce Sénateur ayant
vécu plus de 7 ans , après sa prétendue
association , si l'on s'en rapporte à M.L.B.
qui ne le fait mourir qu'après Severe
Aléxandre .
Enfin pour me servir des armes que
M. L. B. me fournit lui-même , je ferai
remarquer que si Ovinius avoit effectivement
été associé par Severe Alexandre ;
les Loix que ce dernier donna la même
année de cet Evénement , n'auroient pas
manqué de faire mention d'Ovinius , ou
nommément ou en nom collectif , ce qui
n'est pas. , Severe Aléxandre y étant seul
nommé , et cela contre la Regle générale
, s'il avoit cu un Collégue ; puisque
nous voyons dans toutes les Loix des Empereurs
qui nous restent , le nombre des
Augustes qui regnoient ,' exactement marqué.
Divi FRATRES AA. IMP. Severus
ET ANTON. A.A. IMPP.GRATIANUS VALENS
ET THEODOSIUS AAA.
Mais , dit M. L. B. l'association d'Ovinius
nous est racontée par un Auteur de
réputation , qui vivoit seulement cent ans
après
AVRIL 17320 679
après Severe Alexandre , et qui comme il
le dit lui-même , avoit emprunté ce fait
des Mémoires de quatre Courtisans de ce
Prince ; en faut- il davantage pour autoriser
cet Evenement ? Je réponds , que ces
quatre Auteurs n'étant point connus autrement
que par ce que nous en dit Lampride
, ou les autres Auteurs de l'Histoire
Auguste on n'en sçauroit tirer aucun avantage
, s'il est vrai qu'on soit en droit de
révoquer en doute ce que ces Ecrivains
avancent , quand il ne se trouve pas d'ail
leurs confirmé , du moins pour le fonds ;.
et c'est ce qu'il est aisé de prouver.
teurs ,
Le corps d'Histoire, appellée Auguste, est
l'ouvrage d'un Compilateur , demi sçavant
, qui sans choix , et sans ordre , a
mêlé ensemble les Narrations des Audont
son Recueil porte les noms
et de quelques autres , peut-être encore ,
qui nous sont inconnus. C'est le sentiment
de ( a ) Casaubon , de ( b ) Saumaise , et
de M. de ( c ) Tillemont , qui suffit pour
nous convaincre, qu'à moins que les faitsqu'on
trouve dans cette compilation , ne
se rencontrent ailleurs , on est toujours
(a ) Casaub. Pref. in Hist. Augustë”-
( b ) Saum. Idem .
(c ) Till. tom . 4. pag. 66.
Cly bien
680 MERCURE DE FRANCE
reçu , comme je l'ai dit, à ne les point
bien
recevoir comme véritables.
د
Mais M. L. B. qui veut absolument
donner la Pourpre à Ovinius , a trouvé
une maniere de le faire , sans inter
resser le Prince. C'est de dire que du côté
de Severe Alexandre , l'association d'O
vinius pouvoit n'être que simulée . J'ai
honte de rapporter un expédient aussi
foible et qui tout mysterieux qu'il est , s'il
étoit même véritable , ne changeoit rien .
aux inconveniens , que n'auroit pas manqué
d'emporter avec elle une action aussi
publique , et d'une aussi grande consé→
quence , du moins pour les peuples , qui
conduit par les apparences , auroient tou
jours été dans la bonne foy.
Je passe donc à la seconde partie de la
réponse de M. L. B. mais je dois conve
nir auparavant avec lui,que le mot Vulgi,
que j'ai cité dans ma Lettre du mois de
Juillet , se rapporte moins à l'associa
tion d'Ovinius , qu'au temps où elle peutavoir
été faite , sous Trajan ou sous Seve
re Alexandre. C'est un manque d'atten
tion de ma part , mais qui n'ôte rien à mes
preuves , et que je ne veux pas excuser.
M. L. B. nous dit que par l'expedition
qui suivit l'association d'Ovinius, il a entendu
la guerre d'Illyrie , qu'on peut appeller
:
AVRIL. 1732. 681
peller la Guerre d'Allemagne , et que je
suppose que c'est de la derniere guerre
d'Allemagne dans laquelle périt Severe
Alexandre , dont il a voulu parler . Qu'il
me soit permis de dire que jamais repro
che ne fut plus mal fondé. 1º . En parlant
simplement d'une guerre contre les Allemans
, comme a fait M. L. B. dans sa
Lettre du mois de May , il est naturel
`d'entendre la derniere contre ces peuples,
comme la plus considérable , et celle où
ils sont désignez par leur nom dans Lam- "
pride. 2 °. C'est , qu'en suivant cet Auteur
, comme il a fait , on ne peut l'en- "
rendre autrement. Je m'explique : Lampride
nous dit que Severe Alexandre "
ayant appris l'irruption de quelques Barbares
sur les Terres de l'Empire , marcha
en personne contre eux , et que dans ce
voyage il mena Ovinius ; or cecy ne peut
convenir à l'expédition d'Illyrie où ce
Prince ne se trouva pas , et qui fut conduite
par ses Généraux ; le Texte de Lam
pride y est précis. Acta sunt res feliciter et
in Mauretania per Durium Celsum , et in
Illyrico per Varium Macrinum. Ainsi , s'il
s'agit d'Allemans , et que Severe Alexan - 1
dre ait marché contre eux ; ce ne peutêtre
que dans la seconde guerre , et j'ai euraison
d'avancer que quand même l'associa
Cvj tion
682 MERCURE DE FRANCE
tion d'Ovinius ne seroit pas insoutenable.
M. L. B. se seroit toujours trompé à
cet égard .
Voilà ce que j'avois à dire pour ma deffence
; mais avant que de finir ,je dois rapporter
une Inscription , qui fait , au sujet
qui nous divise, M. L. B. et moi. Elle se
trouve à Rome , dans les Jardins du Palais
Giustiniani , et c'est Reinesius qui la
rapporte.
Syntag. Inscrip. Antiq . cxIx. Part. I.
FORTVNE AVG..
PRO. SAL VTE FERENDINE
DOMINORVM. NN.
SEVERI. PIL. AV G.
FIL. IVLIÆ. AVG. MATRIS
و
Dans cette Inscription , comme on le
voit, Antonin Caracalle et Julie sa mere
sont appellez Domini nostri, ce qui est une
confirmation tout- à- fait décisive de l'ex-.
plication que j'ai donnée de Dominorum
nostrorum , de l'Inscription d'Auxerre , en
l'entendant de Severe Alexandre et de:
Mammée , mere de ce Prince. Tout est
semblable dans ces deux Monumens ; j'ajoute
seulement que quoiqu'il semble d'abord
qu'on puisse aussi - bien expliquer
celle
AVRIL. 17320 6·831
celle d'Auxerre par rapport à Severe Alexandre
et à Sallustia Bårbia Osbiana " son.
épouse ; et que je paroisse en quelque façon
donner dans mes Remarques l'alternative
sur ce sujet. Je suis néanmoins trèspersuadé
que c'est de Mammée seule , que.
I'Inscription peut parler, parce que les(a )
Médailles Grecques qui nous restent d'Orbiana
, et qui sont marquées des années.
du Regne de son Mary, nous offrent seu--
lement la cinquième année de ce Prince ;
et comme l'Inscription a été posée la septiéme,
il n'y a pas d'apparence d'y trou
ver Orbiana, que Herodion , sans la nommer
, nous dit avoir été renvoyée peu de
temps après son mariage , aux instances
de sa belle-mere , j'alouse qu'une autre
partageat avec elle les honneurs de la
Cour. Dedit autem ( Mammée ) filio in matrimonium
puellam ... eadempaulo post aula
per omnem contumeliam exegit , et quum ipsa
tantum vocari angusta vellet , &c.
A Orleans , ce 7 Fev. 1732.D.P..
(a)Vaillant. Nusmism. Graca
ARIANE.
684 MERCURE DE FRANCE
ARIAN E
CANTATE
L'Infidele Thésée , épris de nouveaux charmes ;
Avoit laissé la fille de Minos
Exposée aux fureurs des Monstres de Naxos
Şans espoir de tarir la source de ses larmes ;
La trifte Ariane en ces mots ,
Aux Echos d'alentour annonçoit ses allarmes,
Le souvenir odieux
De l'ingrat qui m'abandonne‚¨
M'est un tourment plus affreux
Que la mort qui m'environne,
Quand de més jaloux transports
Je suis la seule victime , *
Mon perfide sans remords ,
Goute les fruits de son crime
Mais que mille objets divers ;
Pour prix de son inconstance
Dédaignent , les voeux offerts ,
Du volage qui m'offense.
Lex
AVRIL. 1732. 685
Le souvenir odieux
De l'ingrat qui m'abandonne ,
M'est un tourment plus affreux
Que la mort qui m'environne.
Tandis qu'Ariane outragée ,
Aux Rochers attendris racontoit ses malheurs
Foibles soulagemens à ses vives douleurs !
L'amour pour consoler cette amante affligée
De la perte du fils d'Egée ,
7
Soumet Bacchus à ses attraits
Et ce fier. Dieu , blessé de mille traits ,
Vient ainsi rendre hommage à sa beauté vangée.
Lorsqu'à chasser vos déplaisirs
Un Dieu lui - même s'y interesse
Pour un ingrat qui vous délaisse
Osez-vous pousser des soupirs ?
Laisserez- vous , belle Ariane ,
Ternir l'éclat de vos appas
Dans l'obscurité du trépas •
です
Où votre douleur les condamnes ??
Mortelle , oubliez les mortels ,
Un Dieu que l'Univers adore ,
A votre douleur qu'il implore ,
Dresse lui- même des Autels.
Qui
686 MERCURE DE FRANCE
Qui l'eût cru! pour bruler d'une flame nouvelle
L'Amante de Thésée éteint ses premiers feux ;
Mais malgré les efforts de Bacchus amoureux
A sa premiere ardeur Ariane fidelle ,
N'auroit pas ressenti cet heureux changement ;
Si l'amour qui veilloit à leur contentement
N'avoit effacé de son ame
L'injurieux oubli dont son perfide amant™
Avoit payé l'ardeur de la plus belle flame.
*
Jeunes Beautez , si quelque amant ve
lage ,
De votre joug dédaigne lès douceurs ,
L'Amour,soigneux de vanger cet outrage,
Vous comblera de nouvelles faveurs.
A ses desseins rendez-vous favorables ,
Il tarira la source de vos pleurs ,
Brulez de nouveaux feux , et ces feux plus du--
rables ,
Vous feront oublier l'objet de vos douleurs.
Jeunes Beautéz , si quelque Amant volage
,
Dé votre joug dédaigne les douceurs ,
L'Amour , soigneux de vanger cet outrage
,
Vous comblera de nouvelles faveurs.
J. M. GAULT DE R.
$
REMAR
AVRIL. 1732. 687
***********: ****
REMARQUE sur un endroit de
l'Histoire de l'Eglise de Meaux. Par
Dom du Plessis.
Es Nouvellistes du Parnasse nous ré-
Lgalent
galent si souvent de ce qui leur paroît
réjouissant dans l'Histoire de l'Eglise.
de Meaux ; comme Epitaphes, Articles de
Testamens , Titres d'Eglises , &c. que cela
m'a fait naître l'envie de lire cette Histoire.
En me donnant cette satisfaction ,
je suis tombé dès le second jour sur une
circonstance particuliere qui regarde l'an
tiquité d'un Prieuré de ce Diocèse.Quoique
l'Auteur ne manque pas de preuves ,
qui établissent cette antiquité , il en va
chercher une jusques sur une Cloche ;
mais par malheur il ne prend pas, le veritable
sens de l'Inscription qu'on y lit.
Et afin que vous n'en doutiez pas , il faut
vous nommer le Prieuré dont il est question
. C'est celui de Nanteuil le Haudoin ,
qui est sur les limites du Valois et du
Mulcien. Dom Toussaints du Plessis en
parle à la page 120. de son premier vo-
Tume.
Il nous dit qu'une des deux Tours de
l'Eglise
·
683 MERCURE DE FRANCE
2.
l'Eglise de ce Prieuré , appellée la Tour
de Saint-Babylas , contient deux grosses
Cloches , sur l'une desquelles on lit ces
mots : Mentem sanctam , spontaneam , bo
norem Deo et patria liberationem. Radulfus
Silvanectensis nos fecit.Ces derniers mots,
dit- il , signifient : Raoul , Comte de Senlis
nous afaitfondre ; et il tire delà une seconde
preuve de l'ancienneté de ce Monastere
; car , ajoute- t- il , le seul Raoul de
Senlis ou de Crépy , qui ait été Seigneur
de Nanteuil, vivoit sur la fin du dixième
siécle. Pour moy , en finissant de lire cet
endroit , je n'ai point hésité de dire que
Dom du Plessis ne donnoit point à l'Inscription
de la Cloche , le sens qu'elle doir
avoir. Plein des noms personnels des Seigneurs
du voisinage de Meaux , il a cru
en trouver jusques sur cette Cloche ; et
quoique le Titre de Comes ne soit point
employé dans l'Inscription , il a cru pouvoir
le sous - entendre .
Je ne sçai si Dom Toussains a visité ce
Prieuré en personne , et s'il a vû la Cloche
dont il tire sa Preuve. Quelque soit
le caractere de l'fascription , il ne peut
être d'un siècle si reculé que le dixième.
Les Cloches sont sujettes à tant d'accidens
, que ce seroit une merveille d'en
voir une grosse subsister depuis 7 à 8 cens
ans
AVRIL. 689 1732.
ans. Il n'y a qu'à faire attention aux differens
malheurs , qui dans l'espace seulement
d'un siecle , peuvent arriver à une
Eglise et à un Clocher, pour comprendre.
que dans l'espace de huit siécles , ces accidens
sont présumez, à plus forte raison ,
avoir pu arriver. Comme l'Edifice de l'Eglise
de Nanteuil , que j'ai vû et examiné,
n'est point d'une si haute date, quoiqu'il
soit ancien ; il faudroit dire encore ,
que cette Cloche proviendroit d'un Clocher
de la Basilique précédente (a ) ; mais
non , il n'y a qu'à s'en tenir au sens naturel
de l'Inscription : Radulphus , Silvanectensis
nos fecit , signifie tout naturellement
: Raoul de Senlis nous a fonduës.
C'étoit un Fondeur , nommé Raoul , et
surnommé ou originaire de Senlis, qui fit
l'opération , et qui dirigea l'Inscription
de la Cloche.
Il n'y faut pas entendre plus de finesse
, que dans les Inscriptions qu'on lit
au dessous des Statues , ou au bas des Tableaux.
N N. sculpsit. N N. pinxit ; et
jamais on ne s'avisa de croire que les noms
propres , marquez au bas de ces ouvrages
soient ceux des personnes qui ont fait faire
les Tableaux ou les Statues . Chacun com-
(a ) Il m'aparu que dans le côté droit , il ne
restoit que deux Pilliers de la permiere Eglise.
prend
90 MERCURE DE FRANCE
prend que c'est celui des ouvriers .
Sa Sentence qui est avant la Note du
Fondeur,consiste dans l'Epitaphe de sainte
Agathe. On la trouve dans la Légende
de cette Sainte , et on la chante encore
dans l'Office en plusieurs Eglises , le
jour du Martyre , de cette Vierge.
Tout ce que je puis en dire , est que
cette Inscription se mettoit communé
ment sur les Cloches,au quinziéme siècle.
L'Histoire des Evêques de Montpellier ,
du sieur Gariel , nous apprend qu'une
Cloche fondue , vers l'an 1450. pour les
Cordeliers de cette Ville , portoit la même
Sentence : Mentem Sanctam , & c. Je
me souviens aussi qu'en l'an 1711. lorsqu'on
eut descendu du Clocher de certains
Religieux du même Ordre ( mais
d'une autre Province ) une Cloche cassée,
du poids d'environ 5 à 6 cens , j'y lûs les
mêmes paroles , en Lettres Gothiques , Capitales
: MENTEM SANCTAM , &c. avec le
chiffre , M. CCCCXXV. Soit donc que ce fût
la Sentence favorite de quelques Fondeurs
de Cloches au quinziéme siecle ,
soit que le Clergé ait eu en cela l'intention
de mettre ces Cloches sous la
protection
de sainte Agathe ; cela ne contribuë
pas davantage à faire croire que le Radul
phus de l'Inscription , fût un Comte de
Senlis ou de Crépy..
Il
AVRIL. €91 1732.
Il est vrai que l'on a pû être au quinziéme
siécle dans l'usage d'opposer aux
accidens des Foudres et des Ouragans cette
venerable Inscription qui a tant excité
la foy des Catanois , contre les périls menaçans
du Mont Etna : Mais sans rafiner
dans la spiritualité plus qu'il ne convient ,
le Cloche en question , ne viendroit- elle
point de l'Eglise de sainte Agathe de Crépy
en Valois , qui n'est qu'à trois lieuës de
Nanteuil, et qui est tres- ancienne , à en juger
par le Portail ? Il n'est pas rare de
voir une Cloche déplayée et portée d'un
Clocher dans un autre. Dom Toussaint
sçait à merveille que les Cloches de la
Cathedrale d'Orleans sont en vente , depuis
que la Tour est abbatuë ; et que l'on
a eu quelques pensées de les transferer dans
les deux Tours de S. Laumer de Blois.On
pourroit produire des exemples de translation
de Cloches d'une Eglise à une autre
; mais cette matiere est trop peu intéressante
pour s'y étendre.
Vous pouvez juger , M , par ce que j'ai
dit cy dessus , que je n'aurois aucune peine
à croire qu'une petite Cloche , qui ne
seroit point d'usage , n'y exposée aux accidens
, ne pût subsister des milliers d'années.
Telle est celle que l'on montre à
S. Jean de Laon , et qu'on croit être du
temps
692 MERCURE DE FRANCE
peçe que
temps de Sainte Salaberge , Abbesse, c'està-
dire , du septième siècle. Mais ce n'est
pas proprement une Cloche , c'est plutôt
une Sonnette en forme de Timbre,de l'esde
celles les Soldats François, du
temps de la premiere Race , attachoient
au col de leurs Chevaux, lorsqu'ils les faisoient
paître dans les Campagnes et dans
les Bois voisins du Camp. Il en est parlé
dans les Articles de la Loy Salique , sous
le nom de Skilla.
Le Pere Daniel en fait aussi mention
à l'an 593. Ce nom de Skilla a passé dans
le langage vulgaire de quelque Province
pour signifier une Cloche . Le College de
Equille , comme on parle à Toulouse ,
est un des principaux de cette Ville.
SONNET
Sur les Bouts - Rimez proposez dans
le Mercure , par une Dame.
Commencer Ommencer un Sonnet par l'affreux mot de
Mort.
Quand on ne veut parler de Cercücil ni de
C'est de gayeté de coeur vouloir périr au
Et se faire à soi- même une rude
Biere ,
Port .
Carricre.
Cet
AVRIL. 693 1732 .
•
Cet ouvrage sublime independant du
Ne se fait pas si -tôt qu'un tour de
Sort ,
Gibeciere,
Et s'il ne nous plaît pas , quoique court ,
il en
Dort ,
Cotin , dans ses Ecrits , l'apprend mieux que
Moliere
Il doit faire adoucir d'un Censeur l'oeil Hagard,
Et contenter le goût du jeune et du
Rien ne doit y manquer , pas même une
Vieillard ;
Apostrophe
;
Si l'Auteur n'en bannit et le froid et le
Il aura sûrement , avec Echec et
·Plat ›
Mast ,
D'un Poëte crotté la triste Catastrophe.
THEVEN ART , Amiens.
LETTRE de M. Bouguer , à M. Meynier
, au sujet d'un Ecrit inseré dans le
Mercure de France du mois de Février
dernier, page 274. et suiv .
MON
ONSIEUR,
La plupart des personnes qui jetteront
les yeux sur l'Ecrit que vous avez fait
inserer dans le Mercure de France de
Fevrier
4 MERCURE DE FRANCE
Fevrier dernier , ne pourront jamais découvrir
pourquoi vous exagerez si fort
la faute dont vous m'accusez , ni pourquoi
vous poussez si loin vos plaintes.
Ils verront , non - seulement que je ne
pouvois pas découvrir toutes les particularitez
de votre demi Cercle , dans une
Description qui ne les contenoit pas , ils
verront encore que si je n'en ai pas donné
une idée assez exacte , je n'avois aucune
mauvaise intention , et ils ne comprendront
point ce qui peut vous avoir fait
prendre pour une censure , ce qu'on ne
doit regarder que comme une espece d'approbation
. Je n'ai pas une notion assez
distincte de votre demi Cercle ; il me
semble qu'il est sujet à un inconvénient,
et j'affirme aussi- tôt sur la connoissance
que j'ai de vos lumieres , que vous avez
trouvé le moyen de l'éviter : Nous ne
connoissons ce demi Cercle , ce sont mes
propres termes , que pour en avoir vu une
description très - succincte ; mais nous ne dontons
point que son sçavant Auteur ne lui
procure une situation constamment horisontale
, malgré le poids de la Pinule qui est
située sur la circonference. Je le demande à
tout le monde , je le demande même à
vos amis les plus intimes , si c'est- là le
langage d'un homme qui cherche à vous
offenser
AVRIL. 1732 695
offenser , et si ce ne sont pas là plutôt les
termes de la prédilection et de l'estime .
Mais puisque vous me forcez à expHquer
l'Enigme ; je vais montrer comment
Fai , malgré moi , donné occasion à votre
chagrin. Tous les Instrumens dont on peut
se servir en Mer pour observer la hau
teur des Astres , se réduisent à deux especes
; ou ils se mettent de niveau par
leur propre pesanteur , ou c'est le Pilote
qui les met dans cette situation , en vi
sant à l'horison sensible. Je me suis trouvé
dans la nécessité d'examiner ces di
vers Instrumens ; cet examen fait le sujet
de la premiere Partie d'un petit Traité
publié en 1729. qui remporta le Prix proposé
par l'Académie Royale des Sciences.
Je me déclarai dans cet Ouvrage pour les
Instrumens de la seconde espece , lesquels
sont en usage depuis longtemps dans la
Marine , et je justifiai mon choix par des
raisons , qui , parcequ'elles sont generales,
donnent l'exclusion à votre demi Cercle,
comme à tous les autres Instrumens qui
sont suspendus de la même maniere . Vollà
, je pense , ce qui vous a indisposé contre
moi ; car je mets à part tous les autres
motifs. Vous avez trouvé mes raisons trop
fortes , quoique j'aye eu la politesse de >
n'en faire aucune application particuliere;
D elles
695 MERCURE DE FRANCE
elles vous ont fâché en même - temps qu'elles
vous ont paru utiles ; et comme vous
avez senti qu'il n'étoit point à propos
d'y répondre , vous vous êtes à la fin crû
obligé d'écrire au moins contre l'endroit
où je parlois avantageusement de
vous. Il vous est facile de me réfuter de
cette sorte , et vous pouvez continuer
tant que vous le voudrez , à m'apprendre
toutes les particularitez de votre demi
cercle , avec tout l'appareil d'une réprimande.
Il vous importe peu d'ailleurs de
le faire sans aucune apparence de necessité
, pouvû que vous puissiez faire croire
qu'il ne s'agis point entre nous d'autre
chose. Mais comme on ne peut point en
imposer au Public , qui est un Juge trop
éclairé , il s'appercevra bien que vous
abandonnez réellement la deffense de votre
cause, et que vous ne touchez point du
tout au sujet.
Il n'importe point en effet , que j'aye
bien ou mal décrit votre demi Cercle ,
puisque j'ay déclaré moi- même que je ne
le connoissois pas parfaitement. Toute
la question est de sçavoir si j'ai pû cependant
le condamner avec tous les autres
Instrumens de la même espece. Or
il me suffiroit pour avoir ce droit , de
sçavoir qu'il se plaçoit de niveau par sa
construc
AVRIL. 1732. 697
construction et qu'il étoit suspendu par
sa partie superieure. Car dès lors je pouvois
le regarder comme un Pendule dont
l'agitation est continuelle , puisque le Navire
est sans cesse sujet pendant sa marche
; ou au tangage ou au roulis , ou à
faire quelques élans , et que son mouvement
n'est jamais parfaitement uniforme.
Si l'Instrument étoit suspendu par son
centre de gravité , toutes ses parties participeroient
en même temps aux secousses
; mais aussi tôt qu'il est suspendu par
un autre endroit , une de ses extrémitez
doit toûjours recevoir par l'entremise des
Ressorts et des Balanciers , l'agitation
du Vaisseau , pendant que les autres parties
n'auront encore que leur premier
mouvement , et ainsi il doit être sujet à
faire sans cesse des vibrations , lesquelles
seront encore perpetuées par la main de
l'Observateur , qui est obligé presque
chaque instant de toucher à la Boëte pour
l'orienter , ou à l'Allidade pour la diriger.
Remarquez de plus que quelques foibles
que soient ces vibrations , elles feront
toûjours que l'Instrument perdra sa situa-
*
à
★ Les Balanciers sont des especes de Cercles ou
de Quadres de cuivre , dont on se sert avec des
Pivots à l'oposite l'un de l'autre , pour suspendre
en Mer les Boussoles.
Dij
tion
98 MERCURE DE FRANCE
tion verticale de plusieurs degrez , et qu'll
la perdra dans divers sens , à cause de
Pirrégularité des secousses. Or en voilà
assez pour rendre deffectueuses presque
toutes les Observations qu'on fera au
Soleil ; d'autant plus que le temps absolument
propre à les faire , s'échappe avec
rapidité. Mais ce sera encore toute autre
chose , lorsqu'on voudra la nuit prendre
la hauteur des Etoiles. Car comment voulez
vous pendant que votre demi Cercle
sera agité et que l'Observateur sera aussi
exposé de son côté à un grand mouvement
et à un mouvement qui n'a aucune
conformité avec celui du demi Cercle ,
puisque l'Observateur est toûjours obligé
de s'incliner d'un côté lorsque le Navire
s'incline de l'autre, comment voulez- vous
que pendant cette complication de deux
ou trois mouvemens qui ne s'accordent
point , le Pilote puisse appliquer l'oeil à
une Pinule extrémement étroite , et viser
à un objet aussi difficile à saisir qu'une
Etoile Vous devez bien sentir que cela
est absolument impossible avec tous les
Instrumens de l'espece du vôtre , sans
aucune exception ; et que pour réüssir
dans une pareille Observation , on est
obligé , comme je l'ai toûjours soutenu ,
d'employer ceux qui sont actuellement
›
en
A VRIE 17327 699
en usage. Car il faut qu'on puisse ôter
à l'Instrument dont on se sert , tous ses
balancemens particuliers et l'assujettir
contre l'oeil et il faut parçonséquent
que le Pilote se charge de tout le soin
de le disposer en visant à l'horison sensible.
>
Mais je serois obligé de transcrire
presque toute la premiere Partie de mon
petit Traité , si je voulois vous rapporter
toutes les choses qui vous interessent et
auxquelles vous n'entreprenez point de
répondre. Je pourrois cependant encore
ajouter, maintenant que je connois mieux
votre demi Cercle , que comme une de
ses graduations est conforme à celle de
l'Anneau Astronomique , il doit être extrémement
difficile de distinguer avec
exactitude les scrupules du degré , et que
ce n'a pû être que par hazard , ou parce
que vous sçaviez d'avance la hauteur que
vous deviez trouver , que vous ne vous
êtes trompé à Brest que d'environ une
minute. Je pourrois encore vous montrer
combien est inutile la suspension que
vous employez , faute d'avoir fait attention
qu'on ne doit se servir de Balancier
que lorsqu'on veut suspendre quelque
chose par un point qui est interieur et
qui ne se presente pas aisément. Est- il
Diij question
700 MERCURE DE FRANCE
question de suspendre une Boussole où
une Lampe par un point qu'on ne peut
point aller chercher au - dedans , il faut
dans cette rencontre mettte un Balancier
par dehors . Mais ce n'est plus la même.
chose , aussi- tôt qu'il s'agit de suspendre
un corps par un endroit qui est exterieur
et qu'on peut saisir sans peine . Car tous
les Balanciers que vous mettriez , ne serviroient
qu'à rendre immobile un certain
point par rapport à la Boëte et aussi- tôt
que vous en avez la commodité, vous devez
bien plutôt suspendre l'Instrument
immédiatement à ce point , sans rendre
inutilement la Machine plus composée et
plus sujette à se déranger . J'insisterois
sur toutes ces choses et je tâcherois de les
porter jusqu'à la derniere évidence, si je ne.
voyois que vous ne donnez aucune atteinte
à mes premieres Remarques , et que vous
les laissez subsister dans toute leur force..
Je vois d'ailleurs qu'elles ont fait quelque
impression sur vous , et qu'elles ne
vous ont pas été inutiles. Car vous avez
depuis changé d'avis dans la construction
d'un autre Instrument destiné encore à
des usages nautiques. Il s'agit , dans un
Ouvrage que vous venez de donner au
Public , de la suspension des Boussoles , et
quoiqu'elles ayent déja un Balancier comme
AVRIL. 1732. 701
me votre demi Cercle , vous reconnoissez
néanmoins que tant qu'elles sont appliquées
sur quelque chose qui tient au
Vaisseau , elles en reçoivent tous les mou
vemens , et que les Observations se trouvent
par là dérangées ; parce que , ditesvous
, (a) tantôt le Soleil ne peut être vû
par la fenêtre qui est du côté de l'Observateur
, que beaucoup au- dessus ou aux côtez
de lafenêtre opposée à cause du mouvement,
comme lorsque le Vaisseau est incliné du côté
du Soleil on à la droite ou à la gauche, de
PObservateur , lorsqu'il fait Observation ;
et tantôt , & c. C'est pourquoi vous aimez
mieux maintenant laisser au Pilote le soin
de donner à l'Instrument la situation
qu'il doit avoir, et cela parce que (b) le
Pilote , par une habitude qui lui est en par
tie devenuë naturelle à la Mer , entretenant
assez bien son corps en équilibre , et en même
temps l'Instrument qui lui sert
qui lui sert pour observer
la latitude , quoique dans ce temps - la
le Vaisseau incline considerablement , tantôt
d'un côté, tantôt de l'autre , à cause du roulis
et du Tangage , il entretiendra cet Instrument
dans le même équilibre de son corps.
lorsqu'il s'en servira pour observer la déclinaison
de l'Aiguille aimantée , tant au Soleil
qu'aux Etoiles , ce qui rendra l'Obser-
(a) Au bas de la page 6. (b) Page 17.
Diiij vation
702 MERCURE DE FRANCE
vation bien plus seure. Je vous félicite,
Monsieur , sur votre changement , mais
souffrez en même- temps que je m'en pré
vale ; puisque vous mettez vous même le
sceau à votre condamnation en employant
contre les Boussoles ordinaires ,
les mêmes raisons , aux termes près , que
j'avois déja employées contre votre demi-
Cercle.
•
Après cela je ne suis plus étonné si vous
ne lui donnez plus la préference sur l'Arbalestrille
ni sur le quartier Anglois ordinaire
, et si vous n'entreprenez pas même
de la comparer à un Instrument que
j'ai proposé , qui est soutenu par son centre
de gravité et qui est parconsequent
de même espece que le vôtre , quoique
je le croye beaucoup mieux suspendu .
Tout ce que vous prétendez faire , c'est
de montrer que je me suis mépris lorsque
j'ai préferé le quart de Cercle formé
d'un seul Arc , non - pas à votre demi Cercle
, dont il n'étoit plus question , mais
au quartier Anglois ordinaire. Que j'aye
cependant bien ou mal choisi dans cette
derniere circonstance , le sort de votre
Instrument ne change point ; et si je ne
me suis trompé que dans cette rencontre,
j'ai toûjours eu l'avantage de rendre un
service assez considerable au Public , en
prosA-
V R- IL. 17.320 703
·
proscrivant toutes ces diverses suspensions
, dons on vouloit , mal à propos
lui faire embrasser l'usage. Mais de quelle
manieré prouvez - vous que le quart de
Cercle formé d'un seul Arc , est moins
exact que le quartier Anglois ? La nature
de vos preuves me dispense d'y répondre.
Il s'agit d'un changement fait il y a plus
d'un siecle ; il s'agit de sçavoir les motifs
qui ont déterminé à le faire , et vous m'alleguez
pour cela l'experience des Marins
d'aujourd'hui . Nous avons une suite de
Traités de Navigation, qui nous marquent
les divers progrès du Pilotage ; Pierre de
Médine et Pierre Nonius en Espagne et
en Portugal ; Willebrod Snellius et plusieurs
autres en Hollande ; M. Denis et
les P. Fournier et Dechales en France ,
ont écrit sur cet Art , et nous en ont représenté
tous les differens âges. Mais vous
ne consultez point ces Livres ; vous vous
adressez à nos Pilotes , pour qu'ils vous
rendent compte d'une chose qu'ils doivent
encore moins sçavoir que vous , puisqu'elle
ne s'est point passée sous leurs
yeux ni de leur temps , et qu'elle n'est
pour eux qu'un point de pure spéculation
. De grace , Monsieur , ne renversez
pas ainsi une autre fois l'ordre des cho
ses ou si à la honte des Professeurs
Dv VOUS
2
My
704 MERCURE DE FRANCE
vous suivez encore une pareille conduite,
faites au moins assez usage de vos lumieres
, pour peser les réponses que les Pilotes
vous feront. Ils vous ont assuré ,
dites-vous , qu'on a abandonné l'usage du
quart de Cerclé formé d'un seul " Arc ,
parce qu'on a experimenté que cet Instrument
est sujet à tel et tel inconvenient.
Mais ne deviez- vous pas penser qu'on ne
peut rien établir sur une experience que
personne n'a vûë et que personne ne peut
attester ? ne deviez - vous pas encore examiner
si les inconveniens dont on vous
parloit , étoient réels , et s'il n'étoit pas
possible de les lever ?
Je finis , Monsieur , en vous assurant
que comme je n'ai que faire d'en venir
à l'experience pour sçavoir ce que je dois
penser de votre demi Cercle , je ne crois
pas que je me donne jamais la peine d'en
faire l'essai. Je m'imagine bien que vous
me ferez encore un crime de ce que je
persiste ainsi à condamner une Production
qui a été approuvée par une Compagnie
, dont je suis plus interessé que
personne au monde , à faire valoir les
Jugemens. Ce reproche me toucheroit ,
s'il n'étoit aussi mal fondé que les autres;
et si l'Académie des Sciences , qui prononce
toûjours avec autant de prudence
que
AVRIL 1732 705
que de lumieres , n'avoit pas eu le soin
de mettre de sages restrictions à l'Approbation
qu'elle vous donna . Cette Compagnie
a , outre cela , assez montré depuis
qu'elle ne prétendoit point avoir décidé
la question en votre faveur , puisqu'elle
en a fait le sujet du Prix qui fut distri-,
bué en 1729. et dont elle m'honora . Objectez-
moi encore , si vous le voulez , que
je n'ai point été en Mer ; je vous répondrai
que si dans certaines matieres de Marine
, la premiere chose est d'acquerir des
connoissances de fait , et de se former
une juste idée des mouvemens de la Mer
et de ceux du Vaisseau , le point le plus
essentiel et en même- temps le plus dif.
ficile , est de penetrer la cause de tous
ces mouvemens et d'être en état d'en prévoir
les divers effets ; et j'ajouterai qu'on
peut s'appliquer à tout cela avec autant
de succès à Terre que dans tout autre
endroit. Je dois aussi me rendre ce bon
témoignage , puisque vous m'y obligez ,
que quoique je connusse tout le péril
qu'il y avoit à venir remplir une place
que vous aviez occupée , vous qui avez
- fait un voyage de long cours ; personne
ne s'est encore apperçu ici que je n'aye
cultivé l'Hydrographie que dans le Cabinet.
J'ai l'honneur d'être , malgré tous
D vj nos
7c6 MERCURE
DE FRANCE
nos differends , avec bien de la conside
ration , Monsieur , votre , &c. -
Au Havre , le premier d'Avril 1732.
A M. FOURMONT ,
En lui envoyant un Ouvrage en Vers:
Vous , en quí délicatesse innée ,
Et d'agrément raison assaisonnée ; .
Önt fait ici tant d'illustres amis ,
Sur mon talent , Fourmont , daignez m'instruire ;
Puis-je au Parnasse esperer d'être admis. ?
Dois -je accorder, ou démonter ma Lyre !!
Tel est le sort des Enfans d'Apollon ,.
Ou tout ou rien , ou Voltaire , ou Gacon...
Prêtez- moi donc vos yeux pour me connoître ;
Si par les fleurs on peut juger des fruits ::
Vous pouvez bien sur le peu que je suis
Juger aussi de ce que je dois être ;
C'est là- dessus que j'attens vos avis ;
Sans doute aussi , vos amis , gens d'élite ,
Verront l'Essay , si l'Essay le mérite ;
Mais à quoi bon recueillir tant de voix -
Si vous pouvez , sans courir par la Ville ,
>
En
AVRIL 1732. 707
En un seul lieu le montrer à la fois ,
A * Quinte-Curce , à Sophocle , à Virgile.
* M. de Voltaire.
bsistitetet
SECONDE LETTRE dun Professeur
de l'Université de Paris , à un Principal
de Province , sur le Bureau Typographyque.
Jau
E viens présentement , Monsieur , à l'Abregé´
que nous donne le Buraliste de la petite Piece
du Professeur de Seconde , intitulée , Le Parnasse
réformé, ou Apollon à l'Ecole , qu'on pourroit
aussi nommer la Critique des Charlatans de la
menuë Litterature. Or afin que vous puissiez
mieux juger si cet abregé est exact et si la censure
de notre Docteur Abecediste est raisonnable , je
vais vous exposer d'abord le sujet de ce petit Dra
me, auquel il a jugé à propos de donner lui seul le
nom de Farce. La chose ne me sera pas difficile ,
puisque , malgré le secret synderetique recommandé
aux Acteurs , je n'ai pas laissé d'avoir communication
des Personnages , surtout de celui de
Buriver....
Occasion et Sujet de la Piece.
Le jeudi 22. Août dernier , au College du Ples
sis-Sorbonne , à la fin de la Répresentation ordinaire
de la Tragedie et avant la distribution des
Prix , on joua cette petite Piece qui est d'environ
huit cent Vers. Elle est de la composition de
Meta
708 MERCURE DE FRANCE
M. le Beau , Regent de Seconde, et a été applaus
die par l'Assemblée qui étoit , comme de coûtume
, très nombreuse et composée de toutes sortés
de personnes d'élite. La nouveauté du sujet ,
jointe à la maniere dont il est traité, causa de fréquentes
acclamations , et bien des personnes d'esprit
et de distinction , avoüoient ingénument que
depuis long-temps elles n'avoient tant ri . Il est
clair que l'Auteur a prétendu tourner en ridicule
les gens à systême , qui depuis environ vingt ans
ne sont occupez qu'à parler et à écrire contre les
Colleges , à en décrier la maniere d'enseigner , et
à louer la leur sans mesure et sans retenue .
Ceux qui sont l'objet principal de la Critique
se réduisent à trois ou quatre. 1º . Celui , qui à
l'aide d'une Machine de bois appellée Bureau Ty
pographique ou Imprimerie en Colombier , et divisée
en 180. Logettes ou Boulins , prétend enseigner
à un enfant toutes sortes de Langues et tou--
res les Sciences , comme il s'en vante lui même ,-
sur tout à la page 62. de sa 4º . Lettre . Ce Personnage
est nommé Buriver. 2 ° . Celui qui par sa
Regle Monosyllabique ad et son unique leçon
d'une demie heure , ne promet rien moins que de
mettre un Septiéme en état de faire la leçon
aux autres et de leur expliquer toutes sortes
d'Auteurs Latins. C'est lui qui est appellés
Mr de la Minute. 3 °. Celui qui veut que les
Nourrices mêmes enseignent le Latin, et qui pour
faire gouter et apprendre plus facilement et plus
agréablement les lettres de l'Alphabeth aux enfans
, conseille de leur faire avaler des Lettres de
Pain d'Epice , est nommé M. de l'Enthimeme.
4. Le Restaurateur et Réformateur des Gloses
interlineaires , qui ne fait pas un personnage à
part , mais à qui se rapportent ces six Vers de la
seconde Scene DeAVRIL.
1732. 709
De peur que vieux Auteurs, Hebreux , Grecs , on
Latins,
› N'osent se soulever et faire les mutins ,
On les menace tous , s'ils ne veulent se taire ,
D'un supplice nommé Glöse Interlineaire ;
Où gênez , empallez , difloquez , pourfendus ,
De leurs meilleurs amis ils seront méconnus.
Ces trois Réformateurs , Buriver , M. de la
Minute et de l'Enthimeme , avec Thibaud , Menuisier
, et les trois Dieux , Jupiter , Apollon ets
Momus , sont en tout sept Personnages ou Acteurs
qui parlent dans ce petit Drame , divisé en,
huit Scenes , dont voici le contenu.
Dans la première paroît Jupiter , qui étant tout
étourdi du tintamare et du frácas des marteaux et
des Rabots dont on se sert pour fabriquer des Bureaux
Typographiques , descend du Ciel sur le
Parnasse pour voir ce que c'est , et dit avoir dépêché
Mercure vers son fils Apollon , pour avoir
là- dessus quelque nouvelle certaine .
Dans la seconde Scene Momus échappé des
Charlatans de la menuë Litterature , entre sur le
Théatre en courant , sans appercevoir Jupiter ,
qui l'oblige à s'arrêter et à lui dire de point en
point la raison du tapage qu'il entend sur le Pars
nasse. Momus la lui explique ainsi .
Je fumois dans un coin ma pipe d'ambroisie , ·
De mille mots confus la barbare énergie ,
Mefrappe tout-à-coup , Candiac , Cassetin ,
Blictric , bonnet picqué , Colombier , Magazin.”
Te cours de ce côté : si j'ai bonne memoire , ›
Je
710 MERCURE DE FRANCE
Je vais vous retracer ici toute l'histoire.
Un homme pale , sec , monté sur deux treteaux ,.
Faisoit le diable à quatre , et chargé d'écriteaux ,
Crioit desonfaucet ; Orvietan specifique
Logico-Physico , Graco - Typographique
Antidote. d'erreur et de prévention ,
Par le moyen duquel sans application ,
Un enfant de deux ans , voire de deux semaines ,
Peut apprendre en joüant trois ou quatre douzaines
D'Arts liberaux Hebreu , Syriaque , Chinois ,
Arabe , Provençal, Grec , Picard , Ilinois ,
ĽA , Bé , Cé réformé , pilotage , Chimie ,
Le jeu de l'Oye , Algebre , Histoire , Astronomie z
Point de Livre sur tout , l'enfant enfera ; mais
Il ne lira jamais que ceux qu'il aura faits .
Devant notre homme étoit une Table magique ,
Qu'il nomme par honneur , Table Encyclopedique.
Sur la Table regnoit un joli Colombier ,
Etiqueté par tout de morceaux de papier.
Chaque Boulin caré , large et long d'une carte ,
Niche au lieu de Pigeon , mainte belle Pancarte. ~
La les Suppins galans et les Conjugaisons ,
Dans ces compartimens de petites maisons ,
Sur leur Carte couchez d'une encre non pareille ,
Gisent en attendant que l'enfant les éveille.
Enfin , l'enfant parut avec un tablier ;
Notez ce point , Seigneur , ear depuis le soulier ;
Jusqu'au bout du bonnet tout tient dans ce systême ,
•
, .
L'Auteur
AVRIL. 1732 .
751
L'Auteur du Tablier fit le patron lui-même ;
Et cet homme plaisant et d'agréable humeur,
L'appelle joliment Barette de Docteur.
Momus continuant de raconter ce qu'il a vû, les
trois Charlatans sont amenez sur la Scene à point
nommé et d'une maniere très - vrai - semblable .
Car Jupiter ayant dit : oh la belle couvée !
Eh! comment peuvent - ils sçavoir mon arrivée ?
Momus répond :
Ils ont des Espions , vous dis-je , en tout endroit ,
Et puis à vous cacher 1 vous n'êtes pas adroit.
1
Dans la troisiéme Scene paroissent donc les
trois nouveaux Méthodistes qui demandent à Jupiter
la Ferme des Sciences et des Beaux- Arts.
Buriver , dont le personnage nous a été commu
niqué en entier , parle ainsi :
Le Seigneur Jupiter est un très -galant homme ,
Je l'estimai toujours ; mais je ne sçais pas comme ,
Un pere peut si mal élever ses enfans
Ils sont pour la plupart ineptes , ignorans ,
En bécare , en bémol. En un mot pour tout dire ...
Je gage qu'Apollon même ne sçait pas lire :
Ne sçaitpas lire ? Non . Je veux pour votre honneur,
Moi Buriver , en faire un prodige , un Docteur ;
Si deux ans seulement , sans nulle redevances ,
Vous me voulez donner la Ferme des Sciences ;
Oui , je réformerai le Parnasse , et cela ,
Sans Livre aucun , sinon ce jeu de Cartes-là.
Il tire des Cartes de sa poche,
712 MERCURE
DE FRANCE
Momus , en s'avançant vers lui ,
Honneur à l'As de Pique.
Buriver .
Ehpoint de mommerie ;
Parlez raison , Momus , une fois en la vie.
Ces Cartes sur leur dos portent mon Alphabet.
Tenez, lisez d'un ton intelligible et net.
Momus prend les Cartes et lit :
A. bé. cé. dé. e. fé.....fé?
Buriver.
Cela vous étonne ?
Momus.
C'est ef apparemment.
Buriver.
Voyez comme il raisonne
Mais mon petit ami , dites-vous pas bé, dé?
Sans doute.
Momus.
Buriver se fachant..
Eh pourquoi donc ne direz-vous pas fé
Vous prétendez dans bé transposer la voyelle ,
Pourquoi , pourquoi dans efse préposera-t'elle ?
Quel abus ? quelle erreur ? quelle stupidité ?
Moije veux redresser cette inégalité.
Je veux comme Amadis , courir toute la Terre ,
Au vulgaire alphabet ,faire une illustre guerre :
Da Lance aupoing, à pied, on s'il veut à cheval,
Lui
AVRIL. 1732 713
Lui faire confesser qu'il n'est qu'un animal ;
Et dans tout le Païs de la Litterature ,
L'envoyer faire aveu de sa déconfiture
Il jette Momus à terre.
Momus couché par terre et embrassant
le pied de Buriver.
Dom Alphabeticos , genereux Chevalier ,
Réparateur des torts ; je suis vaincu , quartier.
Modere les transports de ton ardente bile ,
Je blâme comme toi la voyelle incivile.
Buriver ôte son pied.
Je suis ton prisonnier.
Momus saute sur son dos.
Ce maudit turlupix
Buriver.
Laissez-moi , finissez,
Jupiter fait finir à Momus ses badineries , ets
P'envoye chercher Apollon , à la décision duquel
il remet toute cette affaire. Jupiter dans la quatriéme
Scene adresse la parole aux trois contendans
, et leur dit :
Messieurs , votre projet me semble merveilleux ;
Mais ce projet pour vous est un peu périlleux.
Je connois Apollon , pour vous parler sans feinte,
Il est un peu mutin et sujet à la quintė.
Le pauvre Marsias le traita d'ignorant,
Il l'écorcha tout vif; s'il en faisoit autant ,
Malgré vos grands secrets , votre litterature ,
Vous
714 MERCURE DE FRANCE
Pous seriez , ce me semble , en mauvaise posture.
Chacun des trois répond à son tour et de la'
maniere qui convient à son caractere. Buriver
dit :
Pour moije ne crains rien , et ma Philosophie ,.
Me met seul à l'abri des craintes de la vie.
Après tout , Apollon n'est pas un querelleur ,
Et c'est un ignorant d'une fort douce humeur.
Je l'ai dit quelque part , et la pensée est belle.- 1
Si contre mon Projet l'Univers se rebelle ,
Je m'en étonne , aussi c'est un projet tout d'or ;·´
Et s'il le reçoit bien . je m'en étonne encor ;
Mais la Race future à son tour étonnée ,
Exaltant mes efforts , dira dans telle année ,
Parut Jean Buriver , un dédale nouveau ,
Incomparable Auteur du merveilleux Bureau,
Qui rabattit l'orgueil des Sciences antiques ,
Et des Arts liberaux fit des Arts mécaniques.
Par lui le Savetier gai sur son tabouret ,
Peut en Hebreu siffler ainsi qu'un Massoret ;
Par lui les Perroquets , les Linottes , les Merles ;
Sçavent parler latin comme enfiler des perles.
Ah ! s'il eût plus vécu , l'on eût par ses secrets ,
Vi parler les Boiteux et marcher les Muets .
Voilà ce qu'on dira ; me nommant Trismegiste ,
Ou l'Hercule gaulois ; et le Chronologiste , ·
Frappé de mon grand nom oubliera son dîné ,
Pour sçavoir à quelle heure , en queljour je suis né
Et
AVRIL. 173.2.
715
Et les petits garçons instruits à ma maniere ,
Feront sur mon tombeau l'école buissonniere.
Pour depareils honneures, oui , je m'exposerai.
Au milieu du Parnasse , ici je dresserai ,
Ma Table, mes Boulins , mes Cartes , mon Systême
En dépit d'Apollon et de la raison même;
Si les Muses en corps osent me chicanner ,
Je les empêcherai bien-tôt de raisonner.
Je vous prendrois Talie , Euterpe , Calliope ,
Et les amenuisant à grands coups de varlope.
Chacune en son Boulin je vous les taperois ,
Et la montrant le col , écarquillant les doigts ,
Comme Pigeons patus , ces Déesses si fieres ,
Apprendront à parler le jargon des Volieres.
Cependant dans la cinquiéme Scene arrive
Apollon , que Momus , par ordre de Jupiter ,
avoit mis au fait , en lui expliquant les trois Systêmes
, et lui contant en chemin toute l'affaire
sur quoi il devoit prononcer. Il se contente donc
de leur faire expliquer tour-à-tour les utilitez de
leurs Systêmes.lls disent tous des choses plus ridicules
les unes que les autres.
Buriver.
Pour les utilitez que contient mon Ouvrage,
J'en vois trois cens dix-huit, quelque peu davantage.
Primo. J'ai remarqué que les jeunes enfans ,
Entre les mains de qui l'on met des Rudimens ,
Marmotant leurs leçons et dodinant la tête,
Mangent leur Livre ains que pâtez de Requêtes.
J'ai
716 MERCURE DE FRANCE
î
J'ai vu même un enfant qui n'étant qu'à bonus ,
Avoit déja mangé musa , vir , Dominus.
Je vous laisse à penser si c'est viande indigeste ;
Et quatre mois après il eut mangé le reste.
Momus.
Comment ! il avala les cinq déclinaisons ?
Buriver.
Baste ! et Noms et Pronoms , quatre Conjugaisons,
Syntaxe , tout étoit passé par l'Esophage.
Vous voyez comme moi , quel étrange ravage,
Fit dans son estomac ce mets empoisonneur ,
Plus coriace encor qu'un sac de Procureur.
Moi , toujours attentif au bien de la Patrie ,
Pour rompre les effets de cette fantaisie ,
Je m'évertue et dis trouvons des Rudimens ,
Durs , solides , massifs , à l'épreuve des dents.
Des Rudimens de bois ; et sur cette pensée ,
Bientôt de mon Bureau je me formai l'idée.
Secundo. Dans le cours de mes Refléxions ,
Carje suis très-fécond en Observations ,
Je voyois que l'enfant par coûtume abusive ,
Pour tourner les feuillets consumoit sa salive ,
Et dessechoit par là tous les sucs nourriciers ,
Qui de son petit corps arrosent les sentiers.
La chose me parut d'un préjudice extrême ;
Je rêvai là- dessus , et me dis à moi-même,
Invente, Buriver, quelque Livre nouveau ,
DuqueL
AVRIL.
717 -17320
Duquel tous les feuillets se rangent de niveau ;
L'enfant de sa leçon verra tout l'étalage ,
Sans se mouiller le pouce et sans tourner la page.
Fe restai fort long- temps à rêver sur ce point.
Tout ce queje trouvois ne me contentoit point ;
Enfin , par un effort de l'imaginative ,
Que j'ai , sans vanité , très- brillante et très -vive ,
Je m'avisai qu'un Jeu de Cartes de Piquet
Venoit comme de cire à remplir mon Projet.
Les Cartes à present sont le livre à la mode ;
C'est des honnêtes gens le Digeste et le Code.
Leurs précieux feuillets volans et détachez ,
- Tout le long d'un Bureau l'un de l'autre approchez ,
N'auront pour se tourner aucun besoin du pouce.
L'enfant conservera cette subtile mousse ,
Qu'il dépensoit jadis en dépit des poulmons ,
Et d'un coup d'oeil , à sec , apprendra ses leçons ,
Augrand contentement des glandes salivaires.
Ces deux utilitez , je crois , sont assez claires.
Assurément.
Apollon.
Buriver.
Et si vous n'étiez pas contens ,
Je vous dirois encor ....
Apollon .
Nous n'avons pas le temps.
Buriver.
Que mon Systême apprend à faire des capelles
Qu'il
718 MERCURE DE FRANCE
Qu'il affermit les reins , soulage les aisselles « …«
Il suffit:
Apollon.
Buriver.
Que l'enfant , ferme sur ses talons ,
Sçaura pirouetter , marcher à reculons ....
C'en est trop
Apollon.
Buriver.
Que le monde admirant ma maniere,
Mefera des Beaux Arts le grand Porte Banniere ,
Et que je passerai pour un Confucius.
Sur ces entrefaites Thibaud , Menuisier de Buriver
, revient du Parnasse et raconte en patois
et d'une maniere fort plaisante , comment les
Muses ont renversé et brisé les Bureaux qu'il
faisoit sur le Parnasse pour M. Buriver. Apollon
donne de l'argent à Thibaut pour r'avoir des Outils
, approuve ce que les Muses ont fait, comme
étant fait par son ordre , et conseille aux trois
Réformateurs de s'en retourner dans leur famille ,
à l'exemple de Thibaut , ou bien d'aller habiter
l'Ile des Perroquets , et là ,
Au Peuple bigarré débiter leurs caquets.
Ils se recrient sur ce Jugement , sur tout Bu
river , qui en appelle à Jupiter , M. de l'Enthi
meme ayant
dit :
Prononça-t'on jamais Jugement plus inique !
Buriver de son côté répond :
Non, votre procedé n'est point abécédique .
Et
AVRIL. 719 17320
Et je dirai toûjours qu'injustement honni ,
Victrix causa Diis , sed victa Catoni.
Après le départ des Charlatans , la Piece finit
par ces deux Scenes.
Jupiter.
Bon, les voilà partis ; desormais du Parnasse ,
Ayez soin , Apollon , d'éloigner cette race ,
Se sont autant de rats , qui la bourse rongeans ,
Tournent à leur profit la sottise des gens.
Momus.
Pour les attraper tous , mettez sur les lisieres,
Tout autour du Vallon beaucoup de sourissieres.
Suspendez en dedans des bourses pour appas ;
Mesgens y viendront mordre, ils n'y manquerontpas,
Et la trape sur eux incontinent baissée ,
La machine dûment sassée et ressassée ;
Envoyez-les någer dans le fond du bourbier.
Je m'en vais de ce pas en faire expedier ,
De toutes les grandeurs.
Jupiter.
J'approuve ton idée.
Momus.
Si nous allions la haut boire quelque gorgée ,
De doux et frais Nectar , car l'air est si salé!
Et puis leurs sots discours m'ont sifort alteré . . •
Jupiter.
Momus dit d'or , allons.
E
Apollon
720 MERCURE DE FRANCE
Apollon seul .
Je vous suis tout à l'heure ;
Mais je ne voudrois pas quitter cette demeure
Sans récompenser ceux dont le sage travail ,
De tous ces Triacleurs ignore l'attirail,
Et dont l'esprit guidépar des gens pleins de zele
N'a point d'autresecret qu'une étude réelle.
Venez , Enfans chéris , recevoir ces Présens ,
Dont j'aime à couronner vos succès tous les ans.
Vous voyez à present bien clairement , Monsieur
, que ce petit Poëme n'est pas si méprisable
qu'une Partie interessée le vouloit faire croire
et que
le stile en est un peu plus agréable que
celui des lettres sur le Bureau Typographique,
C'est ce qui a donné lieu à une refléxion très judicieuse
, d'une personne en place, et qui se connoît
à ces sortes de Pieces ; sçavoir , que pour ré
futer parfaitement cette Lettre- cy et toutes les
autres , il ne faudroit que faire imprimer la petite
Piece de M. le Beau. Ecoutons présentement le
Buraliste, et voyons s'il parlera mieux que le Poëte
ne le fait parler.
2
Pour revenir à cette petite Piece dont le sujet
devoit , disoit- on , s'annoncer de lui-même , die
notre Docteur , après la longue et inutile digression
sur la chute d'un petit Echaffaut ; Momus
ouvre la Scène en se tenant les côtez de rire du
projet ridicule de certains Avanturiers de la menue
Litterature , qui s'érigeant en Réformateurs du Parnasse
, voudroient renvoyer les Muses à l'école et remettre
Apollon lui-même à l'abécé. Jupiter , person—
nage entierement inutile , et qui ne sert au plus qu
multiplic
AVRIL 17320 721
du multiplier les Rôles de la Piece pour le compte
Régent qui en est l'Auteur , vient demander à Momus
quel est le bruit des scies et des marteaux qu'on
entend sur le Parnasse ? Momus lui répond, que c'est
une Manufacture de Bureaux Typographiques qu'on
•veut y établir et dont un visionnaire nommé M.Bu.
river , vient demander à Apollon le privilege ;Apol
lon survient, et entendant parler de Buriver, demande
à Momus , quelle espece d'homme est ce Buriver !
Momus lui dit que c'est un fol sérieux , qui croit
avoir une mission pour changer le nom des lettres de
l'Alphabet , et qui a tellement à coeur de mettre à
profit les premieres années de l'enfance qu'il veut
absolument , au dire de l'Auteur , qu'on apprenne à
lire aux enfans dès le maillot , pour réparer le temps
qu'ils ont perdu dans le ventre de leur mere.
Ce n'est point Momus qui ouvre la Scene, c'est
comme on l'a vû , Jupiter , qui pour les raisons
marquées , descend du Ciel. C'est lui aussi qui , à
proprement parler , ferme la Scene en confirmant
le Jugement rendu par Apollon ; c'est lui qui reste
sur la Scene du commencement à la fin , qui
envoye chercher son fils Apollon , et qui le premier
donne audiance aux Charlatans , et qui les
entend encore parler après l'arrivée d'Apollon.
Bien loin donc que Jupiter soit un personnage
entierement inutile. C'est , à le bien prendre , le
plus utile et le plus nécessaire de toute la Piece ,
puisque selon qu'il convient à sa nature et à sa
souveraineté , il agit en tout et par tout comme
cause premiere.
Il faut que le Buraliste soit bien ignorant ou
bien soubçonneux , et qu'il juge des autres par
hui- même , quand il avance avec assurance que la
multiplication des Rôles est pour le compte du
Régent. S'il eut voulu prendre la peine de s'in-
Eij former
22 MERCURE DE FRANCE
former de la coûtume de ce College par rapport
aux Tragédies , comme il le pouvoit facilement ,
et comme il le devoit ; voulant en parler , il auroit
appris que ce sont les Acteurs qui font la dépense
, et que , soit qu'il y ait une petite Piece,
soit qu'il n'y en ait point , soit qu'elle soit longue
, soit qu'elle soit courte ; soit qu'il y ait deux
ou trois Rêles , soit qu'il y en ait six ou sept , i
ne leur en coute ni plus ni moins , et que par
consequent le Régent n'y trouve ni plus ni moin
son compte. Tout ce qui lui en reste c'est le tra
vail de la composition et la gloire du succès.
Enfin il paroît par toute cette exposition du
sujet que le Docteur Abécédiste ne sçait pas
mieux les regles de la Comédie que celles de l'ortographe
, et qu'il ignore parfaitement que
M. Racine dans la Préface sur la Comédie des
Plaideurs , soutient que les Poëtes Comiques ont
raison d'outrer le ridicule et de le pousser au-delà
de la vrai - semblance. Je le renvoye donc à cer
ilustre Auteur et aux autres que j'ai citez dans
les regles de poëtique en traitant de la Comédie
page 326 342 .
Apollon , continue le Buraliste , ayant donné or
dre de l'introduire , on voit entrer M. Buriver ,
suivi de deux autres Réformateurs ausquels on ne
somprend rien , et qui n'étant là que pour faire nombre
, ne servent, comme on a dit de Jupiter , qu'a
multiplier les personnages de la Piece . L'Auteurfaiz
ensuite exposer à M. Buriver le projet et la pratique
de sa Reforme , de la maniere du monde la plus
platte et la plus insipide aux yeux des Spectateurs -
mais d'une maniere très - ingénieuse aux yeux des
Régens , qui trouvent que cette Piece pétille d'espriz.
On en peutjuger par l'exemple suivant ; pour epêcher
les enfans de ronger leurs Livres, Buriver ,
hiton
AVRIL. 1732:
dit-on , a imaginé de leur donner des Rudimens de
bois , et d'en mettre les leçons sur des Cartes détachées
, pour les empêcher d'épuiser leur salive et
d'user leur pouce à en tourner les feuillets . Voilà les
gentillesses que l'Auteur met dans la bouche de
M.Buriver , et il n'a eu garde de faire un mauvais
usage de son esprit , en lui faisant dire , pour prou
ver les effets merveilleux de sa Méthode , que c'étoit
par son moyen que la Chienne de la Foire S. Germain
avoit appris à lire , tant il a eu soin d'éviter
les basses plaisanteries , quoique plus naturelles et
plus propres à son sujet.
Pour réfuter en peu de mots cet exposé , il suffit
de relire ce que nous venons de dire . Ce n'est
point Apollon qui donne ordre d'introduire le
seul Buriver ; les trois Charlatans sont depuis
long-temps sur la Scene , lorsque ce Dieu amené
par Momus , arrive pour les juger . On comprend
partement bien pourquoi deux autres Réformateurs
suivent Buriver ; c'est pour lui disputer
la victoire et engager Jupiter à prononcer contre
son Systême en faveur du leur ; ils mettent en
pratique le principe qu'ils ont lû dans la seconde
Lettre , page 27. où ils parlent ainsi : On voit
tant de Charlatans , de visionnaires et d'imposteurs
de toute classe , qu'il y auroit de la foiblesse , de l'imprudence
et même de la folie , à les croire tous sur
leur parole : C'est à dire en deux mots , qu'ils se
regardent et se traitent tous réciproquement de
Charlatans , de visionnaires et d'imposteurs.
Si le Buraliste dit que le Poëte fait exposer
Buriver les utilitez de son Systême de la maniere
du monde la plus platte et la plus insipide aux
yeux des Spectateurs ; vous comprenez aisément ,
M. qu'il n'a garde de dire autrement , et que c'est
plutôt son propre interêt que la verité qui le fait
parler , &c.
E iij Pour
724 MERCURE DE FRANCE
Pour ce qui est de la Chienne de la Foire , qui
n'avoit point du tout affaire ici , le Buraliste en
parle avec une certaine complaisance , parce qu'il
croit avoir mis en poudre l'objection que lui
avoit faite à ce sujet le Grammairien de Ventabren,
c'est- à- dire, qu'il s'étoit faite à lui-même.
Pour moi je pense qu'il auroit fait bien plus săgement
de n'en point parler du tout , et que biendes
personnes pourroient , avec raison , mettre
cette objection bien au-dessus de la réponse.
a
Enfin , dit le Buraliste , un Menuisier nommé Thibaut,
annoncepour dénouement que les Muses viennent
de mettre enpieces tous ses Bureaux, de briser ses Outils
et de lui rompre ses Regles surle dos , et ilfinit la
Piece en se proposant de retourner à sa Boutique, et en
conseillant à M.Buriver de le suivre et de devenir son
garçon. C'est ainsi que desgens de College s'efforcent
de tourner en ridicule la Méthode du Bureau , pendant
que les personnes les plus sages de la Villet de
la Cour ,font gloire d'en reconnoître l'utilité , et que
cette Méthode a l'avantage d'être employée à l'instruction
des Enfans de France.
Pour avoir le véritable dénouëment , donnezvous
seulement la peine de relire les deux dernieres
Scenes rapportées plus haut ; vous verrez que
du commencement à la fin le sujet de la Piece
s'arrange , s'explique, et s'annonce de lui - même
comme l'avoit promis le Professeur . C'est ce qui
arrive dans toutes les bonnes Pieces , même dans .
celles qu'on représente pour la premiere fois et
dont on sçait à peine le nom. Cependant le nouveau
Méthodiste ne trouve cette petite Comédie
très ingénieuse qu'aux yeux des Régens du College
, mais la plus platte et la plus insipide du
monde à ceux des Spectateurs. M. le Beau
M. Gaullyer, et tous ceux q ne sont pas pour
Le
?
AVRIL. 1732. 735
le Bureau , sont des gens ignorans , vains , présomptueux,
entêtex , envieux , de mauvaise foi , c.
Ce sont de vains Déclamateurs , de petits génies.
des Maîtres mercenaires , indifferens pour le bien
public et pour la bonne éducation , &c. C'est ainsi
qu'un homme sans science et sans autorité s'efforce
de calomnier sans modération et sans pudeur
, une infinité de très - honnêtes et très- habiles
gens , et de mépriser toutes les meilleures et
les plus anciennes Méthodes tandis que les personnes
les plus illustres et les plus sçavantes de la
Ville et de la Cour , de l'Epée et de la Robe ; en
un mot , de tous les differens Etats , se sont toujours
fait honneur d'en reconnoître l'utilité ,
que ces Méthodes ont toujours eu et ont encore
l'avantage d'être employées à l'instruction de
toute l'Europe , et même à celle des Princes ,
Rois et des Empereurs de l'Univers , & c.
et
des
***: ***:*********
V
MADRIGAL.
Traduit de l'Italien du Marini.
Enus , je sçai qu'Amour a fui de ton Empire.
Et qu'en proye au plus vifchagrin ,
Tu promets un baiser à qui te pourra dire ,
Ou se cache ce Dieu málin , *
Ah ! cesse les regrets où ton coeur s'abandonne ,
* Le Poëte dans ces quatre Vers a fait allusion
au commencement de la premiere Idille de Moschus,
et ce Madrigal est , à vrai dire , une Réponse à
cette Idille.
E iiij
Déesse
726 MERCURE DE FRANCE
Déesse , donne- moi ce doux baiser promis ,
Ou fais qu'Ismene me le donne ;
C'es dans ses beaux yeux qu'est ton Fils.
M. COQUARD , Avocat au Parlement .
de Dijon.
DOUZIEME LETTRE sur la
Bibliotheque des Enfans et sur les dimensions
du Bureau Typographique .
Ous voulez , Monsieur , juger du Systême
Typographique par l'experience et par la
pratique, ou enfin par des exemples et des autoritez
modernes. Cela paroît raisonnable jusqu'à un
certain point , je n'ignore pas que les preuves
sensibles ne frappent davantage , mais je sçai
aussi que ces prétendues preuves sensibles sont
souvent plus sujettes à l'erreur que les preuves de
raisonnement. J'avoue que lorsqu'il s'agit d'un
effet prompt et physique , l'experience est le
moyen le plus sur pour en décider ; supposons
par exemple , une dispute sur deux sortes de Poudre
à Canon , où il s'agit de sçavoir laquelle a
plus de force et porte plus loin ; tous les raisonnemens
sur la composition de cette Poudre , ne
feront jamais sur un bon esprit la même impression
que l'experience réïterée, et après laquelle ces
raisonnemens serviront à confirmer , ou pour
mieux dire , à expliquer cette même experience.
Il en est de même de la circulation du sang et de
bien d'autres choses.
AVRIL. 1732 727
une
Mais quand il s'agit de Méthode et d'institution
litteraire ou d'une experience soumise à
infinité de combinaisons physiques et morales ,
il faut pour lors que la raison soit de la partie
et qu'elle serve par provision à discerner la bonté
et la superiorité de cette Méthode sur les autres ;
je croi que c'est ici le cas du Bureau Tipographique
, malgré le raisonnement de ceux qui disent
qu'il faut juger de la bonté de cette Méthode
par le grand nombre des Sçavans qu'elle produi
ra , c'est - à- dire , selon eux , attendre 20. 30. ou
de se déterminer.So.ans avant que Raisonner ainsi
n'est- ce pas raisonner à peu près comme si l'on
eut dit autrefois ? 1º . Qu'il falloit juger de la
bonté et de l'excellence de la nouvelle Medecine
par le plus grand nombre de Vieillards de l'un et
del'autre Sexe, auquel cas la Medecine des Patriarches
auroit été préferable à toutes les autres.
2°. Qu'il falloit juger de la bonté des Loix de
chaque Païs , et de la probité de chaque Nation ,
par le plus petit nombre de procès et par le
moindre casuel des Executeurs de la haute Justice.
3° . Qu'il falloit juger de la politique et de la
science Militaire d'un siecle , par le nombre des
Héros , des grands Souverains et des Peuples heureux
qu'ils gouvernoient.
4°. Qu'il falloit juger des avantages de l'Im
primerie , par le plus grand nonbre des Sçavans
et des Livres modernes préferables à ceux des
anciens:
5. Juger des avantages de la Boussole , de la
nouvelle Navigation et de la découverte du nouveau
Monde , par le plus grand bonheur et le
meilleur être des Nations qui jouissent des fruits
de cette découverte.
6. Juger de la bonté de l'Horlogerie et même
EV des
724 MERCURE DE FRANCE
Pour ce qui est de la Chienne de la Foire , qui
n'avoit point du tout affaire ici , le Buraliste en
parle avec une certaine complaisance , parce qu'il
croit avoir mis en poudre l'objection que lui
avoit faite à ce sujet le Grammairien de Ventabren,
c'est- à- dire, qu'il s'étoit faite à lui - même.
Pour moi je pense qu'il auroit fait bien plus să--
gement de n'en point parler du tout , et que bien
des personnes pourroient , avec raison , mettre
cette objection bien au-dessus de la réponse .
Enfin , dit le Buraliste , un Menuisier nommé Thi
baut,annonce pour dénouement que lesMuses viennent
de mettre enpieces tous ses Bureaux, de briser ses Outils
et de lui rompre ses Regles surle dos , et ilfinit la
Piece en se proposant de retourner à sa Boutique, et en
Conseillant à M.Buriver de le suivre et de devenir son ,
garçon. C'est ainsi que des gens de College s'efforcent
de tourner en ridicule la Méthode du Bureau , pendant
que les personnes les plus sages de la Ville et de
la Cour ,font gloire d'en reconnoître l'utilité , et que
cette Méthode a l'avantage d'être employée à l'ins--
truction des Enfans de France.
"
Pour avoir le véritable dénouement , donnezvous
seulement la peine de relire les deux dernieres
Scenes rapportées plus haut ; vous verrez que
du commencement à la fin le sujet de la Piece
s'arrange , s'explique, et s'annonce de lui- même
comme l'avoit promis le Professeur. C'est ce qui
arrive dans toutes les bonnes Pieces , même dans .
celles qu'on représente pour la premiere fois et
dont on sçait à peine le nom. Cependant le nouveau
Méthodiste ne trouve cette petite Comédie
très ingénieuse qu'aux yeux des Régens du College
, mais la plus platte et la plus insipide du
monde à ceux des Spectateurs. M. le Beau
M. Gaullyer, et tous ceux q ne sont pas pour
le
?
AVRIL. 1732. 785
le Bureau , sont des gens ignorans , vains , présomptueux,
entêtez , envieux , de mauvaise foi , &c.
Ce sont de vains Déclamateurs , de petits génies
des Maîtres mercenaires , indifferens pour le bien
public et pour la bonne éducation , &c. C'est ainsi
qu'un homme sans science et sans autorité s'efforce
de calomnier sans modération et sans pudeur
, une infinité de très- honnêtes et très-habiles
gens , et de mépriser toutes les meilleures et
les plus anciennes Méthodes tandis que les personnes
les plus illustres et les plus sçavantes de la
Ville et de la Cour , de l'Epée et de la Robe ; en
un mot , de tous les differens Etats , se sont toujours
fair honneur d'en reconnoître l'utilité , et
que ces Méthodes ont toujours eu et ont encore
l'avantage d'être employées à l'instruction detoute
l'Europe , et même à celle des Princes , des
Rois et des Empereurs de l'Univers , &¢
***: ***:***********
V
MADRIGAL.
Traduit de l'Italien du Marini.
Enus , je sçai qu'Amour a fui de ton Empire,
Et qu'en proye au plus vifchagrin ,
Tu promets un baiser à qui te pourra dire ,
Ou se cache ce Dieu malin , *
Ah ! cesse les regrets où ton coeur s'abandonne ,
* Le Poëte dans ces quatre Vers a fait allusion
au commencement de la premiere Idille de Moschus,
et ce Madrigal est , à vrai dire , une Réponse à
cette Idille.
E iiij
Déesse
726 MERCURE DE FRANCE
Déesse , donne- moi ce doux baiser promis ,
Ou fais qu'Ismene me le donne ;
C'es dans ses beaux yeux qu'est ton Fils.
M. COQUARD , Avocat au Parlement .
de Dijon.
DOUZIEME LETTRE sur la
Bibliotheque des Enfans et sur les dimensions
du Bureau Typographique .
VOU
Ous voulez , Monsieur , juger du Systême
Typographique par l'experience et par la
pratique, ou enfin par des exemples et des autoritez
modernes. Cela paroît raisonnable jusqu'à un
certain point , je n'ignore pas que les preuves
sensibles ne frappent davantage , mais je sçai
aussi que ces prétendues preuves sensibles sont
souvent plus sujettes à l'erreur que les preuves de
raisonnement. J'avoue que lorsqu'il s'agit d'un
effet prompt et physique , l'experience est le
moyen le plus sur pour en décider ; supposons ,
par exemple , une dispute sur deux sortes de Poudre
à Canon , où il s'agit de sçavoir laquelle a
plus de force et porte plus loin ; tous les raisonnemens
sur la composition de cette Poudre , ne
feront jamais sur un bon esprit la même impression
que l'experience réïterée, et après laquelle ces
raisonnemens serviront à confirmer , ou pour
mieux dire , à expliquer cette même experience.
Il en est de même de la circulation du sang et de
bien d'autres choses.
AVRIL . 17321 727
Mais quand il s'agit de Méthode et d'institution
litteraire ou d'une experience soumise à une
infinité de combinaisons physiques et morales ,
il faut pour lors que la raison soit de la partie
et qu'elle serve par provision à discerner la bonté
et la superiorité de cette Méthode sur les autres ;
je croi que c'est ici le cas du Bureau Tipographique
, malgré le raisonnement de ceux qui disent
qu'il faut juger de la bonté de cette Méthode
par le grand nombre des Sçavans qu'elle produi
c'est- à- dire , selon eux , attendre 20. 30. ou
de se déterminer. Raisonner ainsi So.ans avant que
n'est- ce pas raisonner à peu près comme si l'on
eut dit autrefois ? 1 °. Qu'il falloit juger de la
bonté et de l'excellence de la nouvelle Medecine
par le plus grand nombre de Vieillards de l'un et
del'autre Sexe,auquel cas la Medecine des Patriarches
auroit été préferable à toutes les autres .
ra ,
2º. Qu'il falloit juger de la bonté des Loix de
chaque Païs , et de la probité de chaque Nation ,
par le plus petit nombre de procès et par le
moindre casuel des Executeurs de la haute Justice.
3 °. Qu'il falloit juger de la politique et de la
science Militaire d'un siecle , par le nombre des
Héros , des grands Souverains et des Peuples heureux
qu'ils gouvernoient.
4°. Qu'il falloit juger des avantages de l'Im
primerie , par le plus grand nonbre des Sçavans
et des Livres modernes préferables à ceux desanciens:
5. Juger des avantages de la Boussole , de la
nouvelle Navigation et de la découverte du nouveau
Monde , par le plus grand bonheur et le
meilleur être des Nations qui jouissent des fruits
de cette découverte.
6. Juger de la bonté de l'Horlogerie et même
B-v des
728 MERCURE DE FRANCE
des Prédicateurs ,, par le meilleur emploi du tems.
. De la préference et superiorité morale des
Nations et de leur commerce , par le plus grand
nombre des honnêtes gens,par le plus grand nomnombre
des riches , et le plus petit nombre des
miserables .
8". Juger de la bonté des Systêmes de morale ,
de politique et même de Religion , par le plus
grand nombre des gens de bien, des gens de probité
et de pieté , &c.
Vous voyez par là , Monsieur , qu' est plus --
aisé de juger des effets de pure Mécanique , que
de juger des effets combinez à l'infini dans le Physique
et dans le Moral. Que d'incertitudes dans
l'enquête et dans le témoignage des hommes !
sur la complexion et le temperament des enfans !
sur les dispositions de leur esprit sur la Méthode
qu'ils ont suivie ! sur les moyens , la capacité ,
les talens , et les soins des parens , des Maîtres et
même des domestiques ! sur l'usage et les Coûtumes
de chaque Pays, et enfin sur tous les accidens
de la vie !
Descartes , Pascal , Baile , Newton , Leibnits ,
&c. ont été de grands hommes , s'ensuit- il que
leurs Abécé et leurs Rudimens fussent les meilleurs
De quel Rudiment , de quelle Méthode se
servoient a utrefois les Hébreux , les Grecs et les
Latins , et de quelle Méthode se servent aujourd'hui
les E spagnols et les Portugais , les Anglois
et les Hollandois ; en faut- il juger par le plus
grand nombre de leurs Sçavans ? Il n'est donc
pas toujours aisé de prouver la bonté d'un Systême
ou d'une Méthode, par le plus grand nombre
des habiles gens qu'elle a produits , et si on peut
le dir e à p resent de la Méthode de Décartes , elle
me lai ssoit pas de porter par elle- même la preuve
morale
AVRIL 1732. 729
•
2
morale et géométrique de son excellence et de sa
superiorité sur les autres Méthodes. On juge fa 、
cilement de la bonté et de l'abondance des récoltes
par la qualité , la quantité et le prix des denrées.
Il n'en est pas tout - à - fait de même des Méthodes
des Sçavans , ni de leurs Ouvrages. Concluons
qu'il en est d'une Méthode comme d'un
outil ; un bon Ecrivain écrira mieux avec une
mauvaise plume , qu'an mauvais Ecrivain avec la
meilleure plume du monde. On n'apporte pas
assez de soin sur le choix des Maîtres , voilà un
inconvenient. Les Maîtres ne cherchent pas assez
les rapports et les proportions entre la doctrine
et les enfans , voilà un autre inconvenient. Il n'est
donc pas absolument vrai qu'on puisse toûjours
juger de l'outil ou de la Méthode par l'Ouvrage
et par l'Eleve.
Pour vous donner cependant , comme vous le
souhaitez , Monsieur , des témoignages rendus
en faveur de la Méthode du Bureau , je puis vous
assurer que de toutes les personnes qui ont vu
cette Machine , il n'y en a point qui n'ait avoüé
de bonne foi que cette maniere de montrer les
premiers élemens des Lettres étoit ingénieuse et
plus à la portée des petits enfans que les Méthodes
vulgaires ; en passant sous silence le détail des
témoignages de quelques Particuliers, je pourrois
vous nomnier ici un des plus intelligens Magistrats
et des plus zelez pour le bien de la République
des Lettres , qui cut la curiosité de voir par
lui même l'exercice et les operations du Bureau
Typographique. M. Gallyot , accompagna ce
Magistrat au College du Plessis , où M. Rollin et
M. l'Abbé de S. Pierre , avoient déja pris la peine
de se rendre. Tous ces Messieurs parlerent favorablement
de cette Méthode et je me flatte qu'en
-Evj -favcut
730 MERCURE DE FRANCE
faveur de notre cause ils voudront bien me par
donner la liberté que je viens de prendre de les
nommer. Le R. P. Buffier , le Régent de Quatrié
me du College de Louis le Grand , le P. Bouche
ron , Prêtre de l'Oratoire , M. Thomé , Conseiller
au Parlement de Grenoble et d'autres Messieurs
, se trouverent une autre fois ensemble au
Bureau du College du Plessis et rendirent également
témoignage à la verité ; je pourrois vous
citer le Principal et les deux Sous - Principaux du
même College, qui , exempts de prévention , pen
sent favorablement de la Méthode Typographique.
Je pourrois vous nommer le Proviseur et le
Principal du College d'Harcourt où le jeune Seigneur
Dom Ventura de Liria , a déja fait et
' heureuse experience du Bureau Typographi
que. Je pourrois vous parler de M. Chom
pré , Maître de Pension , et depuis peu Maître
de petite Ecole , qui fait usage actuellement
des classes du Bureau Typographique , dans le
rue des Carmes ou saint Jean de Beauvais.;
exemple qui va être suivi par plusieurs. Maîtres
d'Ecoles.
Je pourrois vous rapporter l'exemple d'une petite
fille de trois ans , vis - à - vis sainte Catherine ,
rue S.Denis,qui imprime joliment à son Bureau,la
copie qu'on lui donne sur des cartes. Il y a plusieurs
autres enfans qui s'amusent utilement au
Bureau Typographique ; cela devroit fermer la.
bouche aux Critiques , retenir leur plume et leur
apprendre enfin à en faire un meilleur usage pour
le Public..
Je pourrois vous rapporter le Certificat de la
Societé des Arts , inseré dans le Mercure du mois
de Septembre dernier , et vous dire qu'à la Cour
même , Qn. fair usage du Bureau pour Monseigneur
AVRIL. 1732. 732
gneur le Dauphin et pour Mesdames de France .
Mais il faut vous dire le fort et le foible , un
Grammairien de Ventabren , donna dans le Mercure
du mois de Janvier dernier , une Critique
contre le Bureau , et il en parut une autre dans le
mois de Février suivant , dont le Public fut en◄
core plus mécontent ; enfin M. Gaullier , Régent
de Quatriéme au Plessis , dans les Notes sur la
Méthode de M.le Févre, et M.le Beau , Regent de
Seconde au même College , dans sa petite Piece
comique du mois d'Août dernier , ont pris le
parti de se déclarer hautement contre le Systême
et contre l'Auteur du Bureau Typographique .
C'est à vous , Monsieur , à present d'aprécier ,
d'estimer et d'évaluer chaque témoignage ; si
vous voulez compter les voix avant que de péser
les raisons ; vous avez trois Maîtres qui se sont
déclarez contre le Bureau et contre ses Partisans
de la Cour et de la Ville . De ces trois Maîtres
le premier étant, dit- on ,imaginé et fait à plaisir ,
il n'en reste que deux ; de ces deux il ne faut pas
compter M. le Beau , qui par licence poëtique
plutôt qu'à mauvais dessein , a préferé le Bureau
pour le sujet de sa petite Piece ; on le lui auroit
même prêté avec plaisir, pour rendre plus sensible
aux Spectateurs, la Critique qu'il en vouloit
faire ;on auroit pû fournir bien des pensées comiques
sur cette matiere , et on en auroit ri comme
les autres , sans approuver neanmoins l'affectation
des personalitez indécentes contre les morts
et les vivans ; conduite qui fait toujours tort au
jugement et au coeur , quelque honneur qu'elle
puisse faire d'ailleurs à l'esprit du Poëte.
2.
De ces trois Maîtres , il ne nous reste donc à
craindre contre le Bureau , que les Critiques de
M. Gaullier , ce laborieux et infatigable Professeur
732 MERCURE DE FRANCE
seur , dont les Notes sur la Méthode de M. le
Fevre , p . 104. parlant de la lecture de Terence ,
et croyant avoir pour lui l'autorité de M. le Fevre
, du P. Jouvency , des Statuts de l'Université ,
de M. M. et R. P. des P. de l'Eglise , enfin du
Monde entier, pense- t'il , bors le seul M. Rollin ,
a voulu peut-être à son tour et dans cette occasion
, se singulariser contre le jugement du Public
, de la Cour , de la Ville , des Colleges , des
Maîtres d'Ecole , de la Societé des Arts , de l'experience
, il a peut - être voulu qu'on pût aussi
dire de lui ce que l'Ecriture dit d'Ismaël. Gen. 16.
12. qu'il leva la main contre tous , Manus ejus
contra omnes ; et ajoûter que tous leveront aussi la
main contre lui , Et manus omnium contra eum ;
article et paroles que M. Gaullier rapporte dans
sa Lettre inserée dans le Mercure du mois d'Octobre
dernier , contre quelques lignes du Nouvelliste
du Parnasse , dont il ne paroît pas qu'il
eût tant à se plaindre par un long et ennuyeux
Commentaire. Bien des Auteurs à Paris , se sont
déclarez contre les Critiques de ce Professeur.
L'Auteur des Tropes attend sa réponse , 1 ° . sur
la difference des Colleges bien ou mal montez,
2. Sur la veritable diference de la Méthode de
Mile Fevre et de la Méthode des Colleges . 3 ° . Sur
la contradiction de ceux qui, selon leur Méthode ,
exigent l'âge de dix ou douze ans pour l'étude
des Rudimens et qui néanmoins les accablent d'une
infinité de Regles Grammaticales avant cet âge
là. 4°. Sur les Charlatans de la menuë Litterature,
qui donnent le Catalogue fastueux de leurs petites
compilations. . Sur l'imparfaite division et
l'injuste accusation d'heresie ou de folie. 6° . Sur
les Longins connus et inconnus. 7 ° . Sur les Livres
de compilation , imprimez exprès en lettres
fort
"
AVRIL. 1732. 733
fort menuës , pour faciliter la grosse et grande
Litterature . 8. Sur la veritable définition des
mots Pedant et Pedenterie . 9 ° Et enfin , sur la
difference d'un vain Déclamateur, et d'un vrai et
utile Critique.
Un Auteur de Rennes en Bretagne s'est déclaré
contre ce Regent de quatriéme . M. Perquis autre
Breton , a donné une Réponse à la Lettre d'un
Profeffeur anonyme que M. Gaullier avoue être
de lui , petite consolation que l'honneur de tant
d'adversaires , tant qu'un fameux et ancien Recteur
de l'Université de Paris , ne daignera pas en
augmenter le nombre , et que méprisant les vaines
déclamations de ses critiques, il continuera ses
dignes et pénibles travaux pour enrichir la République
des Lettres de la suite du cours historique
que le public attend toujours avec impatience , et
qu'il reçoit et lit avec empressement.
1
Je vous envoie , Mr. les nouvelles dimensions
du Bureau , afin que vous puissiez en faire faire
selon la mesure des Cartes et des Lettres dont
vous voudrez vous servir . Vous avez dans le Mercure
de Novembre la suite des Jeux , des opérations
, des exercices et des leçons du Sistême Typografique
; et dans le premier Volume du mois s
de Decembre dernier, la maniere d'étiqueter et degarnir
un Bureau complet .
Dimension du Bureau Typografique , composé
d'un Casseau de six rangs , de trente
logètes chacun , et d'une Table brisée en s
deux parties inégales , dont la petite sert
d'appui au Casseau , et l'autre sert à le
fermer.
A l'exemple des Imprimeurs , on appelle Cas
seau
734 MERCURE DE FRANCE
seau une Caisse, divisée en petits compartimens our
Cassetins , dans lesquels on tient les Lettres nécessaires
pour imprimer. Les Casseaux des Imprimeries
sont à plat ou inclinez pour la commodité
des Compositeurs , et le Casseau du Bureau
est appuyé perpendiculairement et en forme
de Colombier contre la tringle du derriere de la
plus petite et la plus courte partie de la Table, où
on le retient par deux Crochets et deux Pitons à
vis. Ce Casseau est composé ainsi qu'il a été
dit de six rangs de Logètes , trente pour chacun ,
-de sorte qu'il y a les deux montans extrêmes , de
l'épaisseur de ces traverses , et 29 petits montans
qui séparent et divisent les 30 Logètes de chaque
rang. On peut faire les petits montans d'une ou
de plusieurs pieces , mais la maniere la plus solide
et la plus propre c'est de donner à chaque Logète
son petit montant de séparation , entaillé
dans ses deux traverses , et ainsi au lieu de 29 petits
montans d'une piéce , il y en aura 6 fois 29,
ou 174. Ceux qui voudront des Casseaux plus
courts , pourront faire faire de petites Cartes et
des Montans de fer blanc à leur fantaisie , et à
proportion du lieu qu'ils destineront à cette machine.
Les dimensions du Bureau Typographique
doivent donc se regler sur les dimensions des
Cartes à jouer et des caracteres à jour dont on
veut se servir pour imprimer les Etiquettes sur
les traverses , au bas de chaque Cassetin . Les Cartes
de Paris ont environ 25 lignes de largeur, sur
38 lignes de longueur , et je suppose icy, des caracteres
de 8 lignes de hauteur pour les Capitales
et pour les Lettres à tête et ਠqueuë. -
IoA
VRIL , 73 1732.
§. 1. Longueur du Casseau et du Bureau .
·
Premier Montant de 9 lignes ,-
30 Logètes , à 25 lignes ,
30 fois le jeu ou l'aisance des
Cartes mises dans la Logète,
à deux lignes par Logète
,
3
9 ligne
62 pouc. 6
S
29 petits Montans à lign. 7
Dernier Montant , de 9 lignes ,
Ajoutant 2 pouces à
fa longueur du Casseau
pour l'excedant des extrémitez
de la Table qui
retiennent et qui ferment
ce Casseau , vous trouverez
pour toute la longueur
de la Table ,
>
39
76 pouces 3 lign.
ou 6 piés, 4 pouces
, lignes.
6 pieds , 6 pouc. 3. lign
§. 2. Hauteur ou largeur du Casseau.
Six rangs de Logêtes par co-
Ione , à 18 lignes , le vuide ou
la hauteur d'une Logète font 9 pouc.
Sept traverses , à 9 lignes
shacune ,
3 lign.
14 pouc.3
S. 3.
736 MERCURE DE FRANCE
S. 3. Epaisseur ou profondeur du Casseau.
Longueur de la Carte pour
la Logète ,
L'aisance ou l'excedant de
chaque Logète ,
Epaisseur du Bois du derricre
ou du fond du Casseau ,
Epaisseur de la Tringle qui
sert de rebord à la petite partie
de la Table , et qui retient
la Casseau
,
Epaisseur de la grande partie
de la Table qui sert à fermer
le Casseau ,
3 pouc. lignes .
s pouc. - 2 lignes,
Pour fermer le Bureau on ferre les deux piéees
de la Table avec trois Fiches ou trois Couplets
; on met un Crochet sur le premier et le
dernier Montant , et un Piton à vis sur chaque
console aux extrêmitez de la Table.
On met aussi une Serrure plate au milieu de
la Table fermée , et son Moraillon au milieu de
la plus haute traverse . Voilà , Monsieur , les nouvelles
dimensions du Bureau Typografique ; je
vous prie au surplus d'user toujours de votre
indulgence à mon égard , et de vouloir bien me
pardonner les fautes de langage , et d'expression
en faveur des sentimens et des intentions que
vous me connoissez pour le bien litteraire du public
, et pour la premiere institution des enfans
qui font la partie la plus chere , la plus aimable
et la plus innocente du genre humain. J'ai l'honneur
d'être , Monsieur , &c.-
Les
AVRIL. 1732. 737
Les mots de l'Enigme et des Logogry .
phes du mois de Mars sont Palais , Pepin,
Montferrat , Balance.
** :********:*****
ENIGM E.
DE mes soeurs je suis la derniere ,
Nous sommes deux fois douze , un homme ess
notre pere ;
Son nom , je ne m'en souviens pas ;
Pour me reconnoître , en tout cas ,
Ce nom n'est pas bien necessaire.
J'avoue ici de bonne foy ,
Que de rire à chacun je fais naître l'envie ;
Car un Nain , un Pigmée à taille mal polic ,
De le railler , si l'on a la manie 9
On dit qu'il est fait comme moi.
Quoiqu'il en soit , j'ai sçû me couronner de
gloire ,
En me trouvant toûjours dans les hazards.
Je m'offre aux yeux de toutes parts ;
Et ( ce qu'on aura peine à croire )
Je ne suis point dans l'eau , dans le feu , dans les
Airs ,
Ni même dans tout l'Univers.
Je vais pourtant , et sans me contredire ,
Vous
738 MERCURE DE FRANCE
Vous dire où l'on peut me trouver ;
C'est toujours avec le Zéphire ,
Au Zodiaque encor ... Fort bien , allez vous dire
Je n'rrai
pas vous y chercher.
Par M. V.J. A. Ľ.
SECONDE ENIGME.
Mon
origine est
incertaine ,
Mais on me dit communément ,
Ou Chinoise ou Napolitaine.
Je navige très-fréquemment ,
Et l'Empire affreux de Neptune ,
Que mon sexe a tant en horreur ,
Ne m'inspire point de terreur ;
Quand l'homme y va chercher fortune ,
Il ne l'entreprend pas sans moi ;
Sans moi , foible est son esperance.
Je possede sa confiance ,
Sans que je devine pourquoi ;
Car chez moi ce n'est qu'inconstance
Que foiblesse et fragilité ;
Souvent une vivacité ,
Qu'on prendroit pour extravagance.
A me consulter empressé ,
Malgré ces deffauts , plus d'un sage ,
A très- souvent eu l'avantage ,
De 'se voir par moi redressé.
P.D. F. de Granville , en Normandie.
AVRIL. ∙173·2. 739
V
LOGOGRIP HE.
Ous allez voir à l'instant qui je suis,
Puisque mon gîte est dans la rue ;
Ma tête à bas , je vous saluë.
Dès
que mon chefsera remis ,
Si vous retranchez ma finale ,
Je serai Ville Capitale .
Que ledit membre retranché ,
Soit à present après mon chef niché,
Lecteur , alors je vous suis chose chere.
Qu'en cet état , je sois encor décapité ,
Je soutiens avec verité ,
Qu'au corps humain je suis très necessaire.
SECOND LOGOGRYPHE
Sept Lettres composent mon nom ;
Je suis d'une obscure naissance ;
Je vis sans gloire et sans renom ,
Mais du sein de mon abondance ,
Avec l'aide du chiffre , un Lecteur curieux
Pourra facilement tirer des noms fameux .
Cinq,six , un , sept , trois , deux , je passe dans
l'Histoire ,
Pour un vaillant Héros , plein de force et de
gloire.
Quatre
736 MERCURE DE FRANCE
§. 3. Epaisseur ou profondeur du Casseau .
Longueur de la Carte pour
la Logète ,
L'aisance ou l'excedant de
chaque Logète ,
Epaisseur du Bois du derrie- -
re ou du fond du Casseau ,
Epaisseur de la Tringle qui
sert de rebord à la petite partie
de la Table , et qui retient
la Casseau >
Epaisseur de la grande partie
de la Table qui sert à fermer
le Casseau ,
3 pouc. 1 lignes .
&
s pouc. 2 lignes,
Pour fermer le Bureau on ferre les deux piéces
de la Table avec trois Fiches ou trois Cou̟-
plets ; on met un Crochet sur le premier et le
dernier Montant , et un Piton à vis sur chaque
console aux extrêmitez de la Table.
On met aussi une Serrure plate au milieu de
la Table fermée , et son Moraillon au milieu de
la plus haute traverse. Voilà , Monsieur , les nouvelles
dimensions du Bureau Typografique ; je
vous prie au surplus d'user toujours de votre
indulgence à mon égard , et de vouloir bien me
pardonner les fautes de langage , et d'expression
en faveur des sentimens et des intentions que
vous me connoissez pour le bien litteraire du
blic , et pour la premiere institution des enfans
qui font la partie la plus chere , la plus aimable
et la plus innocente du genre humain. J'ai l'hon-``-
neur d'être , Monsieur , &c.
pu-
Les *
AVRIL. 1732. 737
Les mots de l'Enigme et des Logogry.
phes du mois de Mars sont Palais , Pepin,
Montferrat , Balance .
X*X*::X*XXXXXXX:XXXXX
ENIGM E.
DE mes soeurs je suis la derniere ,
Nous sommes deux fois douze , un homme est
notre pere ;
Son nom , je ne m'en souviens pas ;
Pour me reconnoître , en tout cas ,
Ce nom n'est pas bien necessaire.
J'avoue ici de bonne foy,
Que de rire à chacun je fais naître l'envie ;
Car un Nain , un Pigmée à taille mal polie ,
De le railler , si l'on a la manie ,
On dit qu'il est fait comme moi.
Quoiqu'il en soit , j'ai sçû me couronner de
gloire ,
En me trouvant toûjours dans les hazards.
Je m'offre aux yeux de toutes parts ;
Et ( ce qu'on aura peine à croîre )
Je ne suis point dans l'eau , dans le feu , dans les
Airs ,
Ni même dans tout l'Univers.
Je vais pourtant, et sans me contredire ,
Vous
738 MERCURE DE FRANCE
Vous dire où l'on peut me trouver ;
C'est toujours avec le Zéphire ,
Au Zodiaque encor ... Fort bien , allez vous dire
Je n'rrai pas vous y chercher.
Par M. V.J. A. L.
SECONDE ENIG ME.
Mon origine est incertaine¸
Mais on me dit communément ,
Ou Chinoise ou Napolitaine.
Je navige très -fréquemment ,
Et l'Empire affreux de Neptune ,
Que mon sexe a tant en horreur,
Ne m'inspire point de terreur ;
Quand l'homme y va chercher fortune ,
Il ne l'entreprend pas sans moi ;
Sans moi , foible est son esperance.
Je possede sa confiance ,
Sans que je devine pourquoi ;
Car chez moi ce n'est qu'inconstance
Que foiblesse et fragilité ;
Souvent une vivacité ,
Qu'on prendroit pour extravagance.
A me consulter empressé ,
Malgré ces deffauts , plus d'un sage ,
A très souvent eu l'avantage ,
De se voir par moi redressé.
P.D. F. de Granville , en Normandie.
>
AVRIL. -1732.
739
V
LOGOGRIPHE.
Ous allez voir à l'instant qui je suis,
Puisque mon gîte est dans la ruë ;
Ma tête à bas , je vous saluë.
Dès que mon chef sera remis ,
Si vous retranchez ma finale ,
Je serai Ville Capitale .
Que ledit membre retranché ,
Soit à present après mon chef niché,
Lecteur , alors je vous suis chose chere.
Qu'en cet état , je sois encor décapité ,
Je soutiens avec verité ,
Qu'au corps humain je suis très necessaire,
SECOND LOGOGRYPHE.
Sept Lettres composent mon nom ;
Je suis d'une obscure naissance ;
Je vis sans gloire et sans renoms
Mais du sein de mon abondance ,
Avec l'aide du chiffre , un Lecteur curieux ,
Pourra facilement tirer des noms fameux .
Cinq , six , un , sept , trois , deux , je passe dans
l'Histoire
Pour un vaillant Héros , plein de force et de
gloire.
Quatre
740 MERCURE DE FRANCE
Quatre , cinq, six et deux , me rendent toûjours
..cher.
Un , trois , quatre , cinq , six , je sers pour le
voyage ;
Mais il faut , pour me voir marcher ,
Ajouter à ma queue un nombre davantage ;
Cinq , trois , sept , six , tantôt je suis vil instru→
ment ,
Et tantôt je reçois le monde poliment.
Mes extrémes coupez , le timide Pilote ,
Craint ma rencontre avec raison.
Mon dernier membre ôté , je fais hater la note.
Quatre , trois , deux , le chien connoît mon son.
Quatre , cinq , trois et un , j'ai l'humeur martiale.
Et je réduis souvent un Guerrier aux abois.
Six et trois , je n'ai que la voix.
Cinq , trois , un , je suis bas , et sens un peu la
Hale.
Quatre , trois , sept et six , le Sexe feminin ,
De moi tire son origine .
Sept , cinq et six , on me prend le matin.
Sous differens états j'habite la Cuisine ;
Quatre , deux , trois et un , d'une étrange ma
niere ,
De m'y prendre on se fait un jeu.
Deux , trois et sept , une maia meurtriere;
M'y fait passer par le fer et le feu.
Retranchant mon membre premier ,
J'accompagne toujours un Evêque à l'Eglise.
Ajoutant
AVRIL.
17327 741
Ajoûtant mon membre dernier ,
A deux , trois , un , je suis utile en marchandise.
Six , un , trois , sept , au Cabaret ,
On me trouve toujours à la fin de la table ,
Deux , trois et sept , je rends un son desagréable.
Je finis ; si tu peux , devine mon secret.
Par un Ecclesiastique de Senlis.
NOUVELLES LITTERAIRES
H
DES BEAUX ARTS , &c.
ISTOIRE ECCLESIASTIQUE , pour servir
de continuation à celle de M. l'Ab.
bé Fleury , Tome 29. depuis l'an 1545.
jusqu'en 1550. et Tome 30. depuis 1550.
jusqu'en 1555. A Paris , che Hyppolite
Louis Guerin , rue S. Jacques.
DISSERTATIONS Sur des Questions qui
naissent de la contrarieté des Loix et
des Coûtumes . Par M. Louis Boullenois
ancien Avocat au Parlement. A Paris ,
che Mesnier, rue S. Severin , 1732. in 4.
de 146. pages.
EXPOSITION ANATOMIQUE de la structure
42 MERCURE DE FRANCE
ture du Corps humain , par M. Winslow,
in 4. un vol. et 5. vol . in 12. Chez Guill
Desprez et Jean Desessarts , ruë S. Jacques
, 1732.
J où HISTOIRE DES FLAGELLANS
l'on fait voir le bon et le mauvais usage
des Flagellations parmi les Chrétiens ;
traduite du Latin de M. l'Abbé Boileau ,
Docteur de Sorbonne , seconde Edition ,
revûë et corrigée . A Paris , chez Musier,
Quay des Augustins , 1732. in 12.
INTRODUCTION GENERALE à l'Etude
des Sciences et des Belles- Lettres , en faveur
des personnes qui ne sçavent que
le
François. A la Haye , chez Isaac Beanregard
, et se vend à Paris , rue S. Jacques,
chez Briasson , 1731. in 12. de près de
700. pages , sans l'Epitre Dédicatoire à
M. Herault , Conseiller d'Etat , la Préface
et la Table.
TRAITE' de la Révocation des Donations
, par la naissance ou survenance des
Enfans . Par M. A..D..L .. R .. Avocat
au Parlement de Provence. A Paris , au
Palais , chez Nic. Gosselin , 1732. in folie
de $7. pages.
CASAVRIL.
17328
743
CASSANDRE , de M. de la Calprenede.
AParis , Quay des Augustins, chez Monalant
, 10..vol. in 12 .
Le même Libraire vient de réimprimer
de même les fameux Romans de Clelie ,
Cyrus , Pharamond , Cléopatre , Astrée, &c.
LE POLITIQUE DON FERDINAND le Catholique
, traduit de l'Espagnol de Baltazar
Gracien , avec des Notes . Chez Rolin
, fils , Quay des Augustins , 1732. in 12.
RETRAITE du P. Salazar , de la Compagnie
de Jesus , 14. Edition . Traduit de
I'Espagnol par le P. Marga , de la même
Compagnie , Missionnaire des Ifles de
P'Amerique. Chez Rollin , 1732. in 12 .
>
VOYAGES en Anglois et en François ,
d'A. de la Motraye , en diverses Provinces
et Places de la Prusse Ducale et
Royale ; de la Russie , de la Pologne ,
&c. Imprimé pour l'Auteur , et se vend
à la Haye, chez Moetjens ; à Londres ,
chez Round et Meighan , &c. 1732. in
folio de 480. pages , sans les Planches.
THEATRO CRITICO UNIVERSAL , ò Discurso
varios en toto genero de Materias para
Desengano de Errores communes , & c. Tome
F Tercero
744 MERCURE DE FRANCE
Tercero , &c. c'est- à - dire : THEATRE CRITIQUE
UNIVERSEL , ou Discours divers sur
toute sorte de sujets , pour désabuser des
Erreurs vulgaires. Dédié au Monastére
Royal de S. Julien de Samos , composé
par le R. P. Benoît- Jérôme Feijoo , Maître
General des Etudes dans l'Ordre de
S. Benoît , et Professeur en Théologie , de
l'Université d'Oviedo.Tome 3.feconde Edition
1. vol. in 4. A Madrid , chez François
del Hierro , 1730. pag. 366. sans la Préface
et la Table.
Cet Ouvrage est déja connu de nos
Lecteurs , par ce qui en a été dit dans le
premier vol , du Mercure de Juin dernier,
à l'égard des deux premiers Tomes. 11
nous reste à rendre compte des deux derniers
, lesquels, comme les précédens , nous
ont été obligeamment communiqués par
M. Boyer , Médecin de la Faculté de
Montpellier et Docteur Regent en celle
de Paris , qui les a apportez de Madrid.
On trouve à la tête de ce 3 Tome une
Epître dédicatoire , adressée au R.P. Abbé
et au Monastere de S. Julien , laquelle
contient l'éloge de ce Royal Monastere
l'un des plus celebres de toute l'Espagne
et des plus privilégiez par le S. Siége , auquel
il est immédiatement soumis et sans
subordination à aucun Métropolitain.
Il
AVRIL 1732 . 745
Il paroît par une Charte de Privilege du
Roy D. Ordon II . de l'année 922. que ce
fut dans cette Maison que le Roy D.Fruela
trouva dequoi former l'éducation du
Prince D. Alonse son Fils , surnommé le
Chaste. L'Auteur de l'Epître n'oublie pas
d'y faire remarquer comme un bonheur
singulier pour ce Monastere , de n'avoir
jamais eu d'Abbé Commandataire : La
singularfelicidal de no haver tenido jamas
Abad Comendatario esse Monasterso , &c.
Trois magnifiques Approbations des
Théologiens d'Oviedo et d'Alcala suivent
cette Dédicace , sans parler de la permission
de l'Ordinaire et de celle du Général
des Bénédictins de la Congrégation de
S.Benoît , établie en Espagne et en Angle
terre.
:: Suit une Préface de plus de 30 pages ,
que notre Auteur a eu raison d'intitulers
Prologo Apologetico ; car il s'y défend avec
force , et dans le détail convenable, contre
quelques Ecrivains de son Païs , qui l'ont
attaqué assez rudement, faute , dit- il, d'a
voir bien entendu ses Ouvrages. Nous ne
le suivrons pas dans cette deffense , qui
roule principalement sur ce que le R. P.
Feijoo a dit au sujet de Savanorole , dans
le 1. vol . du Théatre Critique. On remar
quera seulement qu'il accable ses adver-
Fij saires
MERCURE DE FRANCE
saires de raisons , de preuves et d'autoritez.
;
Treize Discours ou Dissertations , divisées
en plusieurs Paragraphes , font la
matiere de ce troisiéme Tome. Nous en
Indiquerons seulement les Titres. 1. Les
Conjureurs ou Enchanteurs. 2. Les › Secrets
de la Nature. 3. La Sympathie es
l'Antipathie. 4. Les Lutins ou Esprits familliers.
5. La Baguete devinatoire , et les
Yeux de Lynx. 6. Les Miracles supposez..
7. Paradoxes Mathématiques. 8. La Pierre
Philosophale. 9. Le Raisonnement des
Bêtes. 15. L'Amour de la Patrie. 11. La.
Balance d'Astrée , ou la droite Administration
de la Justice. 12. L'Ambition des
Souverains. 13. Le Sceptisme Philosophi
que.
Tous ces Sujets sont parfaitement bien
traitez ; l'ordre et la clarté y accompa
gnent toujours une agréable érudition
et il y a beaucoup à profiter dans cette
lecture, Nous avons traduit le titre Saludadores
, du 1. Discours, par les termes de
Conjureurs ou d'Enchanteurs ; parce qu'en -
general , c'est ce que signifie le nom Espagnol
, quoiqu'il ne s'agisse icy que de
Hydrophobie , ou de la rage , qui inspire
de l'horreur pour l'eau , &c. malgré la
prétention de quelques- uns qui croyent
ан
AVRIL 17320
au contraire , que l'eau est un remede assuré
contre ce mal ; ce que notre Auteur
met au nombre des erreurs vulgaires.
C'est encore s'égarer , selon lui , de croire
qu'il y a des personnes qui ont la vertu
inhérante et particuliere de guérir l'affreuse
maladie dont il s'agit dans cette
Dissertation ; et c'est ces mêmes personnes
qu'il appelle Saludadores .
Le Titre du se Discours est : Vara divinatoriay
Zabories , que nous avons rendu
par la Baguete devinatoire , et les Yeux
de Lynx.
Pour justifier cette derniere expression ,
le Lecteur sçaura que le P. Feijoo , après
avoir expédié tout ce qui regarde la Baguete
devinatoire , qu'il croit chose - tresabusive
, &c. traite aussi d'une espece
d'hommes, parmi les Espagnols , dont on
dit ( a ) que la vûë est si perçante, qu'elle
penetre les corps opaques , et distingue
même ce qui se trouve de caché dans la
terre à une certaine profondeur. Ces Homimes
sont appellez Zabories , nom que
l'Auteur croit avec beaucoup de vraisemblance
, être Arabe d'origine. Il croit
(a ) De quienes se dice que con laperspicacia de
su vista penetran los cuerpos opacos haciendose de
este modo patente quanto à algunas brazas debajo
de laTierra esta ocultos s
Fiij
aussi
748 MERCURE DE FRANCE
aussi que les Espagnols ont reçû cette
opinion, qu'il traite de chimere, des Maures
qui avoient envahi l'Espagne : opinion
qu'il observe ne se trouver répanduë
que chez la Nation Espagnole.
و
Cette croyance est apparemment passée
dans le Portugal par proximité et par
conformité de génie , surquoi nous renvoyons
les Lecteurs à ce que nous avons
publié dans quelques-uns de nos Journaux
, au sujet d'une Femme Portugaise ,
à vûë de Lynx ou Zahorie:
Nous avons remarqué en rendant
compte des deux premiers Tomes de cet
ouvrage , que quelque temps après la publication
du 1. vol . il parut une Critique
de ce que notre Auteur avoit écrit au sujet
de la Medecine et des Medecins. Cette
Critique , écrite en latin , étoit intitulée
Medicina Vindicata. Le P. Feijoo у répondit
dans la même langue , et fit imprimer
sa Réponse dans le 2 Tome , promettant
d'en donner une Traduction Espagnole
dans le Volume suivant . Il a tenu
parole. Le 3 Tome finit par cette Traduction
, intitulée : La Verdad Vindicada
contra la Medecina Vindicada, Respuesta
Apologetica , traducida de Latin en Castellano
, y añadida por el Amor. Nous
n'avons rien à ajouter à l'égard de cette
Piéce
AVRIL. 17320 749
Piece , à ce que nous en avons dit dans le
Mercure du mois de Juin dernier .
Les trois Tomes du Théatre Critique ,
dont nous avons rendu compte , sont suivis
d'un 4 vol . qui porte pour Titre :
ILUSTRACION Apologetica al Primero y segundo
Tomo del Theatrocritico, & c.vol.4.de
207 pages. A Madrid , chez le même Libraire
, 1729.
-
Une Préface de 9 à 10 pag. instruit le
Lecteur de ce qui a donné lieu à la composition
de ce volume particulier , et au
Titre qu'il porte. Voici le précis de cette
instruction. A peine le 3 Tome du Théatre
Critique eût- il été publié , qu'il parût
contre le 1 et 2 vol. un Livre intitulé :
Anti-Theatro Critico , imprimé à Madrid ,
sous le nom de Don Salvador Joseph
Mañer. La premiere pensée qui vint à
notre Auteur , ce fut de répondre à cette
Critique , dès qu'elle lui seroit tombée
entre les mains ; mais il en fut détourné
par quelques amis , qui lui écrivirent de
Madrid , que l'Antithéatre n'étoit qu'un
amas d'inepties , de puerilitez , d'équivoques
, d'ignorances , en un mot , d'im .
pertinences ( a ) ; conseillant aur P.F. de ne
point perdre un temps , trop précieux
(2 ) Materialidades impertinentės.
Fiiij d'ail750
MERCURE DE FRANCE
d'ailleurs , pour la continuation de son
grand ouvrage , à réfuter un pareil Libelle
; l'Adversaire ne s'étant apparemment
mis en campagne que , pour se procurer
l'honneur d'une réponse , & c.
D'ailleurs , le sçavant Benedictin crût
voir un nom supposé dans celui de Don
Joseph Mañer , ses amis ne connoissant
personne à la Cour , ni ailleurs , qui porte
ce nom - là . D'autres lui manderent que
l'Anti -Théatre étoit l'ouvrage de huit
Ecrivains , du nombre desquels est ce Don
Mañer , veritable ou supposé , lui marquant
même la Maison où ces Mrs s'assemblent
et tiennent leurs Conferences
litteraires au surplus , que cette ' Critique
ne méritoit aucune réponse.
Cependant des avis posterieurs apprirent
à notre Auteur que l'Ouvrage de Don
Mañer étoit applaudi à la Cour et ailleurs ,
et que ceux à qui il étoit tombé en charge
de l'examiner , l'avoient loüé dans leurs
Approbations ; malgré le peu de cas qu'en
faisoient les Personnes intelligentes .Alors
le P. F. prit le sage parti d'attendre la reception
de cet Ouvrage , et de l'examiner
par lui- même, pour se déterminer en connoissance
de cause. Son étonnement ne
fût pas petit après avoir fait cet examen ,
qui lui confirma ce qu'on lui avoit déja
marAVRIL
751 1732
marqué du
en question .
peu
de mérite de l'Ouvrage
Il fut , surtout , frapé de s'y voir accusé
d'avoir emprunté de D. Antoine de Literes
tout ce qui est dit de la Musique et
du Docteur Martinez , tout ce qui concerne
la Médecine dans le 1 vol . du Théatre
Critique ; ce que notre Auteur soutient
non seulement être tres - faux , mais
il démontre , en passant , dans cette Préface,
la fausseté de l'accusation . Au reste ,
après avoir fait réfléxion que le Théatre
Critique n'a été entrepris que pour com
battre les erreurs vulgaires , et pour en
désabuser les hommes , il a crû enfin que
ce seroit mal -exécuter un tel projet s'il ne
faisoit pas une Réponse exacte et dans
l'étendue convenable à l'Auteur de l'Anti-
Théatre, qui semble n'avoir mis la main
à la plume que pour se déclarer le Pros
tecteur des mêmes erreurs , et pour maintenir
le vulgaire dans son ancienne possession
; outre que cette Apologie , dit le
P. F. sera non seulement une deffense pu
blique contre les prétentions fausses et
abusives du Seigneur Mañer; mais elle
pourra devenir aussi un préservatif qui
empêchera peut- être la continuation d'un
pareil travail.
Le fruit de ce travail est icy appellé par
Fv Botrs
752 MERCURE DE FRANCE
notre Auteur un jeu de Théatre, une Chimere
Critique , une Comédie de 8 Acteurs
, une illusion des simples , un marché
de petits enfans , une fabrique en
l'air , sans fondement , sans vérité , sans
raison. Il proteste enfin qu'au cas que le
même Ecrivain ou d'autres , continuent
d'attaquer le Théatre Critique , il continuera
tranquillement son ouvrage , sans daigner
répondre à des objections aussi frivoles
que celles qui ont paru jusqu'icy.
1.
Cette Apologie est dédiée par une belle
Epître , au R. P. François de Berganza ,
General de la Congrégation de saint
Benoît , établie en Espagne et en Angle
terre. La Dédicace est suivie de plusieurs
Approbations raisonnées et remplies d'érudition
, qui font également honneur
aux Docteurs qui les ont données , et à
l'Ouvrage qui en fait le sujet , et qui sans
doute les mérite bien.
BIBLIOTHEQUE , contenant presque tous
les Livres et les Ecrivains , dressée par ordre
alphabétique , depuis le commencement
du monde , jusqu'en l'année 1533 .
Recueillie par F. Alphonse Ciaconius
Docteur en Théologie , de l'Ordre des
FF . Précheurs , imprimé pour la premiere
fois par les soins et avec les Observations
de
AVRIL.
1732. 753
de François - Denis Camusat de Besançon .
A Paris , chez la veuve George Jouvenel
1731. in fol . de 976 pag. Tout l'Ouvrage
est en latin.
MYTHOLOGIE , Ou l'Histoire des Dieux,
des Demi - Dieux et des plus illustres Héros
de l'Antiquité Payenne , contenant
l'explication de la Fable et de la Métamorphose
, avec la Relation de la destruction
de Troye . Par Darés Phrigien , nouvellement
traduite en François , sur la traduction
latine de Cornelius Nepos. Par M.
Dupuy , 2 vol. in 12. A Paris , rue S.Facques
, chez Huart l'aîné.
Ce nouveau Mythologue avertit dans
une assez longue Préface , qu'il rapporte
tous les sentimens des Poëtes Grecs et Latins
sur la naissance des Dieux et des Hê-
7
ros , et sur leursavantures , sans s'ériger eh
Juge de ces Auteurs.
Les Moralitez qu'il débite , en expliquant
la Fable, paroissent sensées.Phaeton ,
fils du Soleil , est , dit-il , l'image d'un
jeune Seigneur , témeraire et ambitieux ,
à qui le désir de regner , fait concevoir
une vaine idée de suffisance pour gouverner
un Etat , et qui fait pour cela tout
ses efforts , nonobstant les sages remontrances
de son Pere , qui lui représente le
F vj péril
754 MERCURE DE FRANCE
péril , et sa foiblesse , d'ailleurs trop iné
gal au pésant fardeau dont il veut se charger;
il dit, l'ambition ne suffit pas pourentreprendre
de regner,qu'il faut une longue
expérience pour sçavoir gouverner un
Etat,que faute de bien mesurer ses forces,
on perd la réputation , et on s'ensevelit enfin
dans les ruines d'une trop haute entreprise.
Les véritez historiques qu'il tire de son
sujet , ne sont pas à ometre : Il remarque
Phaeton fut un Prince de Ligurie , qui
que
s'appliqua à étudier particulierement le
cours du Soleil ; que de son temps l'Italie
fut embrasée du côté du Pô , de chaleurs
si extraordinaires, que la terre en devint
séche et stérile pendant plusieurs années.
Pour prouver que les Fables , le Culte ,
et les Mysteres du Paganisme , sont des
copies des Histoires , des Usages et des
Traditions des Hébreux , il compare le
Sacrifice d'Iphigénie avec celui de la Fille
de Jephté; l'Inondation arrivée sous Deu
calion avec le Déluge universel de Noé ;
Hercule avec Samson , & c..
Il décrit ensuite l'origine des Jeux , des
Fêtes et des Sacrifices, instituez en l'honneur
des Faux - Dieux .
Il rapporte tous les differens noms.que
les Payens leur donnoient. Il joint au
même
AVRIL 1732.
755
même article les Etimologies de ces noms,
ce qui peut être fort utile à ceux qui lisent
les Poëtes Grecs , Latins et François ,
&c.
Il nomme les Paï's où les différentes Divinitez
ont été le plus honorées. Il paroit
que l'Auteur a employé tous ses soins
pour plaire au Public ; on assure même
qu'il les continue , et qu'il veut augmen
ter son ouvrage de plusieurs Divinitez
qui y manquent ; en ajoutant quelques
Traitez également curieux et instructifs.
LETTRES EDIFIANTES ET CURIEUSES
écrites des Missions Etrangeres, par quelques
Missionnaires de la Compagnie de
Jesus . 4. Paris , rue de A la Vieille Bouclerie,
et rue S. Jacques , chez M. le Clerc et P. G
Mercier, fils , 1731. in. 12. de 449 pages
sans l'Epître de 48. Tome XX,
BIBLIOTHEQUE des Gens de Cour , ou
Mélange curieux des bons mots d'Henry
IV. de Louis XIV. de plusieurs Princes et
Seigneurs de la Cour , et autres person
nes Illustres. Avec un choix des bons mots
des Anciens , et un assemblage amusant
de traits naifs , Gascons et Comiques , de
plusieurs petites Pieces de Poésie et de
pensées ingénieuses , propres à orner l'esprit
756 MERCURE DE FRANCE
prit et à le remplir d'idées vives et riantes.
Dédié à S. A. S. Madame la Duchesse ;
nouvelle Edition , considerablement augmentée.
A Paris , chez Theod. le Gras
au Palais , 1732. 6 vol.in 12 .
LES ORAISONS DE CICERON , traduites en
François , sur la nouvelle édition d'Hollande
, de 1724. avec des Remarques . Par
M. de Villefort. A Paris , Quai des Augustins
, chez P. Gandoüin. 1732. 8 vol. in
12.
M. l'Evêque de Luçon , ( Michel Celse
Roger de Rabutin de Bussy ) , ayant été
élu
par Messieurs de l'Académie Françoise
, à la place de feu M. Houdar de la
Motte ; y prit séance le Jeudi , 6 Mars
1732 , et prononça un Discours de remerciment
, également convenable à sa dignité
et à sa naissance ; un Discours dont le
caractére est une Eloquencé grave , noble
et simple. Ce Discours , quoique prononcé
avec beaucoup de grace ,
fit moins de
plaisir aux Auditeurs , qu'il n'en a fait depuis
aux Lecteurs . C'est le sort des Ouvrages
excellens qui gagnent toujours à
être approfondis. La mesure d'attention
que peut donner l'Auditeur , ne suffit
pas pour sentir dans toute leur étendue
J
les.
'AVRIL. 797 1732.
que
les beautez d'un certain ordre . M. l'Evêde
Luçon commence en ces termes :
MESSIEURS ,
Ce n'est point avec des sentimens ordinaires
que je reçois l'honneur que vous
me faites aujourd'hui. Attentif , dès mon
enfance , au récit de vos exercices , accoutumé
à entendre exalter vos talens , né
dans une Maison où je croyois partager
vos avantages et votre gloire : Disciple de
ces Hommes celebres, qui formoient alors
l'Académie ; je n'ai jamais pensé que je
fusse étranger pour vous ; et quoique persuadé
de mon insuffisance , je me suis fa
miliarisé avec l'idée , que je pourrois vous
appartenir quelque jour . Souffrez donc
Messieurs , que sans rien perdre de l'admiration
que vous méritez , j'ose me présenter
à Vous , avec la confiance d'un
homme.élevé sous vos auspices.
·
1
Ensuite M. l'Evêque de Luçon , par un
tour très heureux , fait l'éloge du Cardinal
de Richelieu , comme d'après les
Grands Hommes qui l'ont souvent entretenu
des qualitez éminentes de ce fameux
Ministre et des merveilles de son
Ministere. Il saisit la circonstance de le
compter au nombre de ses Prédécesseurs
dans l'Evêché de Luçon , et le loue, comme
758 MERCURE DE FRANCE
me Evêque , après l'avoir loué comme
Ministre d'Etat.
Deux Monumens immortaliseront à jamais
le C. de R. La Sorbonne et l'Académie.
La Sorbonne , qui sera toujours la
Mere et la Maîtresse des Forts d'Israel ; la
Dépositaire fidelle de la saine Doctrine.
L'Académie Françoise , destinée , non à
L'unique emploi de polir le Langage , mais encore
à former le goût en tout genre de Litterature.
Tels furent , Messieurs , continue l'élo
quent Prélat, les nobles Emplois que vous ·
destina votre illustre Fondateur. Il voyoit
approcher les temps où vous deveniez
plus necessaires à la France ; il présageoit
les merveilles du Regne suivant , parce
qu'il les avoit préparées. il falloit donc
une Société d'Hommes choisis pour les
recueillir ; il falloit une juste proportion
entre ces merveilles et ceux qui devoient
les célébrer ; il falloit pour un nouvel Au
guste , des Ecrivains dignes du siécle
d'Auguste même.
Vous l'avez fait revivre , Messieurs , ce
siécle admirable . Eh ! qui pourroit exprimer
aujourd'hui ce que la France vousdoit
d'éclat et de splendeur. Je ne parle pas
seulement de ces Ouvrages comparables à
ceux de la Grece et de l'ancienne Rome ,
mais
AVRIL. 1732: 759
mais encore de ce nombre infini de grandes
actions , que nous devons au désir de
l'Immortalité , dont vous êtes les dispensateurs.
Semblables à ce fameux Tribunal
des Egyptiens , où la vie des Princes mêmes
étoit jugée après leur mort ; c'est
vous qui pesez les actions des plus grands
personages ; c'est icy que le vrai merite
peut esperer le juste tribut qui lui est dû.
Noms celebres , réputations éclatantes
vous n'auriez jamais été sans l'amour de
la gloire. C'est cet amour qui a produit
les Héros ; et à la honte de la Nature hu
maine , c'est à ce même amour que la vertu
est souvent redevable de ses plus grands
efforts .
A la fin de l'éloge du feu Roy , M. de
Luçon parle de sa mort en ces termes :
Courageux sans ostentation , tendre sans
foiblesse ; il fut occupé , comme Roy et
comme Pere , à préparer à ses sujets un
Regne qui , avec les avantages du sien
eut encore ceux ausquels il n'avoit pû
parvenir. Bien éloigné de cet Empereur
qui se ménagea le plaisir barbare de se
faire regretter par les défauts de son successeur,
il ne fut point jaloux qu'un autre
rendit ses peuples plus heureux . Assuré
d'être à jamais célébré dans une Nation
qu'il avoit élevée au dessus des autres ; il
n'en760
MERCURE DE FRANCE
n'envia point à son successeur le bonheur
de la faire jouir de toutes les douceurs de
la paix. Dans ces derniers momens , où
l'on voit si nettement le faux des opinions
des hommes , il connut que la
Guerre ne peut passer aux yeux du Sage
que pour un mal quelquefois nécessaire ,
et que la paix qui en doit étre l'unique
objet , est presque toujours trop achetée ,
même par
la Guerre la plus heureuse .
Cependant vous n'étiez encore qu'un
bien stérile pour nous , poursuit l'Orateur
plus bas , en parlant du Roy , et de
Louis XIV. Si ce grand Roy , qui connoissoit
si parfaitement les talens necessaires
à chaque place , n'avoit choisi le Ministre
le plus digne pour être le dépositaire
de l'éducation de cet Auguste Enfant
, de ce gage précieux de la sureté de
toutes les Nations. Que ne devient point
le plus heureux naturel , cultivé par des
mains si habiles ? De là , toutes ces vertus
, qui font aujourd'hui le bonheur de
la France ; cette piété tendre et égale , dont
l'exemple a plus de force que les Loix :
une justice qui garentit les Sujets de toutes
oppression. De - là , cette Sagesse qui
contient les hommes , et cette douceur
qui les concilie ; enfin cette modération
qui fait l'assurance de nos voisins , et la
tranquillité de l'Europe,
Quelle
AVRIL 1732. 761
Quelle entreprise pour moi , ( dit M.de
Luçon sur la fin de son Discours , en parlant
de M. de la Motte ) que l'éloge d'un
homme de tous les talens , et à qui ses
ennemis , ou plutôt ses envieux , ne refuseront
pas l'excellence en plusieurs genres
, et des places honorables en tous les
autres. Content de jetter quelques fleurs
sur son Tombeau , je ne m'attacherai
donc qu'à vous rappeller ici les qualitez
estimables qu'il possedoit..
Avant lui peu d'Auteurs avoient connu
la moderation et la douceur dans la
dispute. On voyoit souvent l'homme de
Lettre écrire avec grossiereté , le Philosophe
avec emportement , le Chrétien
même , en combattant pour la Religion ,
oublier la charité. M. de la Motte , Maître
en cet Art presque inconnu , nous
apprit que dans les disputes les plus vives,
on peut conserver toute la grace et toute
la moderation d'un homme du monde.
Dans cette fameuse querelle , où il
entreprit d'élever les Modernes au - dessus
des Anciens , s'il ne remporta pas la victoire
, du moins un jour ses Ouvrages devenus
anciens , serviront à leur tour de
preuves à ceux qui soutiendront l'opinion
contraire à la sienne. Jamais la force de
ses raisons ne prit rien sur la politesse
qui
762 MERCURE DE FRANCE
qui les accompagnoit , son Adversaire négligea
cet avantage et si leur cause avoit
été jugée sur leur maniere d'écrire , elle
ne seroit pas restée indécise , &c.
Après le Discours de M. l'Evêque de
Luçon , M. de Fontenelle , Directeur , répondit
au nom de l'Académie.
MONSIEUR ,
Il arrive quelquefois que sans examiner
les motifs de notre conduite , on nous
accuse d'avoir dans nos Elections beaucoup
d'égard aux noms et aux dignitez ,
et de songer du moins autant à décorer
notre Liste , qu'à fortifier solidement la
Compagnie. Aujourd'hui nous n'avons
point cette injuste accusation à craindre ;
il est vrai que vous portez un beau nom,
il est vrai que vous êtes revêtu d'une
dignité respectable ; on ne nous reprochera
cependant ni l'un ni l'autre. Le
nom vous donneroit presque un droit
hereditaire , la dignité vous a donné lieu
de fournir vos veritables titres , ces Ouvrages
où vous avez traité des matieres
qui , très-épineuses par elles- mêmes , le
sont devenues encore davantage par les
circonstances présentes , &c.
t
3
Ici , Monsieur , je ne puis resister à la
vanité de dire que vous n'avez pas dédaigné
AVRIL. 1732 . 75.3
gné de m'admettre au plaisir que votre ›
commerce faisoit à un nombre de personnes
mieux choisies, et je rendrois graces
avec beaucoup de joye au sort qui m'a
place de vous en marquer publiquement
ma reconnoissance , si ce même
sort ne me chargeoit aussi d'une autre
fonction très- douloureuse et très pénible.
Il faut que je parle de votre illustre Prédecesseur
, d'un ami qui m'étoit extrémement
cher , et que j'ai perdu ; il faut que
j'en parle , que j'appuye sur tout ce qui
cause mes regrets , et que je mette du
soin à rendre la playe de mon coeur encore
plus profonde . Je conviens qu'il y
a toujours un certain plaisir à dire ce
que
que l'on sent , mais il faudroit le dire
dans cette Assemblée d'une maniere digne
d'elle et digne du sujet , et c'est à quoi
je ne crols pas pouvoir suffire , quelque
aidé que je sois par un tendre souvenir,
par ma douleur même , et par mon zele
pour la memoire de mon ami.
Le plus souvent on est étrangement
borné par la Nature. On ne sera qu'un.
bon Poëte , c'est être déja assez réduit ,
mais de plus on ne le sera que dans un
certain genre ; la Chanson même en est
un où on peut se trouver renfermé. M. de
la . Motre a traité presque tous les genres
de
764 MERCURE DE FRANCE
de Poësie. L'Ode étoit assez oubliée de
puis Malherbe , l'élevation qu'elle demande,
les contraintes particulieres qu'elle
impose , avoient causé sa disgrace
quand un jeune Inconnu parut subitement
avec des Odes à la main , dont plusieurs
étoient des Chef- d'oeuvres , et les
plus foibles avoient de grandes beautez.
Pindare , dans les siennes , est toujours
Pindare , Anacreon toujours Anacreon
et ils sont tous deux très - opposez . M. de
la Motte , après avoir commencé
par être
Pindare , sçut devenir Anacreon .
Il passa au Théatre Tragique , et il y
fut universellement applaudi dans trois
Pieces de caracteres differens . Les Machas
bées ont le sublime et le majestueux qu'exige
une Religion divine ; Romulus réprésente
la grandeur Romaine , naissante
et mêlée de quelque ferocité ; Inés de
Castro , exprime les sentimens les plus
tendres , les plus touchans , les plus adroitement
puisez dans le sein de la Nature.
Aussi l'Histoire du Théatre n'a - t'elle
point d'exemple d'un succès pareil à celui
d'Inés. C'en est un grand pour une Piece
que d'avoir attiré une fois chacun de ceux
qui vont aux Spectacles ; Inés n'a peutêtre
pas eu un seul Spectateur qui ne l'ait
été qu'une fois . Le desir de la voir renaissoit
après la curiosité satisfaite.
AVRIL 1732 765
Un autre Théatre a encore plus souvent
occupé le même Auteur , c'est celui
où la Musique , s'unissant à la Poësie , la
pare quelquefois et la tient toujours dans
un rigoureux esclavage. De grands Poëtes
ont fierement méprisé ce genre , dont
leur génie trop roide et trop flexible , les
excluoit ; et quand ils ont voulu prouver
que leur mépris ne venoit pas d'incapacité
, ils n'ont fait que prouver par des
efforts malheureux , que c'est un genre
très - difficile . M. de la Motte eût été aussi
en droit de le mépriser ; mais il a fait
mieux , il y a beaucoup reüssi , & c .
Lorsque ses premiers Ouvrages parurent
, il n'avoit point passé par de foibles
Essais , propres seulement à donner des
esperances , on n'étoit point averti , et
on n'eut point le loisir de se précautionner
contre l'admiration , mais dans la
suite on se tint sur ses gardes , on l'attendoit
avec une indisposition secrette
contre lui. Il en eût coûté trop d'estime
pour lui rendre une justice entiere. Il fit
une Iliade , en suivant seulement le plan
general d'Homere , et on trouva mauvais
qu'il touchât au divin Homere sans l'adorer.
Il donna un Recueil de Fables ,
dont il avoit inventé la plupart des sujets
, et on demanda pourquoi il faisoit
des
66 MERCURE DE FRANCE
des Fables après la Fontaine. Sur ces raisons
on prit la résolution de ne lire ni
I'lliade , ni les Fables , et de les condamner
, & c.
Il n'a manqué , poursuit plus bas le célébre
Académicien , à un Poëte si universel
, qu'un seul genre , la Satyre , et il
est plus glorieux pour lui qu'elle lui manque
, qu'il ne l'est d'avoir eu tout les
autres genres à sa disposition.
Malgré tout cela , M. de la M. n'étoit
pas Poëte ( ont dit quelques - uns , et mille
echos l'ont repeté, ) Ce n'étoit point un
enthousiasme involontaire qui le saisît ,
une fureur divine qui l'agitât , c'étoit seulement
une volonté de faire des Vers qu'il
executoit , parce qu'il avoit beaucoup
d'esprit. Quoi ce qu'il y aura de plus
estimable en nous , sera- ce donc ce qui
dépendra le moins de nous , ce qui agira
le plus en nous , sans nous - mêmes ? ce
qui aura le plus de conformité avec l'instinct
des animaux? car cet enthousiasme ,
cette fureur bien expliquez , se réduiront
à de veritables instincts, & c.
Après avoir parlé éloquemment sur
cette foule de Censeurs que son mérite
lui avoit faits , et dont les coups partoient
de trop bas pour aller jusqu'à lui,
dit M. de Fontenelle , il continuë en cette
maniere. Quand
AVRIL. 1732. 767
Quand on a été le plus avare de louanges
sur son sujet , on lui a accordé un ,
premier rang dans la Prose , pour se dispenser
de lui en donner un pareil dans
la Poësie ; et le moyen qu'il n'eût pas excellé
en Prose ! lui , qui avec un esprit
• nourri de refléxions , plein d'idées bien
saines et bien ordonnées , avoit une force,
une noblesse et une élegance singuliere
d'expression , même dans son discours
ordinaire.
1
Cependant cette beauté d'expression ,
ces refléxions , ces idées , il ne les devoit
presque qu'à lui - même. Privé dès sa jeunesse
de l'usage de ses yeux et de ses jambes
, il n'avoit pû guere profiter ni du
grand commerce du monde , ni du secours
des Livres. Il ne se servoit que des
yeux d'un Neveu , dont les soins constans
et perpetuels pendant 24. années qu'il
a entierement sacrifiées à son Oncle , méritent
l'estime , et en quelque sorte la reconnoissance
de tous ceux qui aiment les
Lettres , ou qui sont sensibles à l'agréa
ble Spectacle que donnent des devoirs d'amitié
bien remplis . Ce qu'on peut se faire,
lire , ne va pas foin ; et M. de la Motte
étoit donc bien éloigné d'être sçavants
Mais sa gloire en redouble. Il seroit luimême
dans la dispute des Anciens et des
G Mo768
MERCURE DE FRANCE
Modernes , un assez fort argument contre
l'indispensable necessité dont on prétend
que soit la grande connoissance des Anciens,
si ce n'est qu'on pourroit fort légi
timement répondre qu'un homme si rare
ne tire pas à conséquence.
Nous esperons que nos Lecteurs ne desapprouveront
pas la longueur de ces Extraits
ou plutôt nous nous flattens qu'ils nous en
sçauront gré.Nous finirons par cet Article.
Un des plus celebres incidens de la
querelle sur Homere , fut celui où l'on
vit paroître dans la lice , d'un côté le
Sçavoir , sous la figure d'une Dame illustre
; de l'autre l'Esprit , je ne veux pas
dire la Raison , car je ne pétens point
toucher au fond de la dispute , mais seulement
à la maniere dont elle fut traitée.
En vain le Sçavoir voulut se contraindre
à quelques dehors de moderation dont
notre siecle impose la nécessité , il retomba
malgré lui dans son ancien stile , et
laissa échapper de l'aigreur , de la hauteur
et de l'emportement. L'Esprit au
-contraire fut doux , modeste , tranquille
même enjoi é , toûjours respectueux pour
le venerable Sçavoir , et encore plus pour
celle qui le représentoit.Si M.de la Morte
eût par art le ton qu'il prit , il eût fait
un Chef d'oeuvre d'habileté ; mais les effets
AVRIL. 17320 789
7 forts de l'Art ne vont pas si loin , et
son caractere naturel eut beaucoup de
part à la victoire complette qu'il rem
porta.
LA SOIRE'E DU LABYRINTE , Débauche
d'Esprit , suivie du Portefeuille Galant
, avec figures. Cet Ouvrage est composé
d'Histoires et Lettres critiques , mêlées
de Vers . A Paris , chez Charles Guillaume
Quay des Augustins , proche le Pont
S Michel, à S. Charles , et chez la veuve
Guillaume , à l'entrée de la rue Dauphine ,
au Nom de Jesus .
HYACINTE , ou le Marquis de Celtas
Dirorgo , Histoire Espagnole . 2. vol . in
12. o née de figures. Chez les mêmes.··
.
DISSERTATION CRITIQUE Sur la Comédie
du Glorieux . Chez les mêmes.
M. Aubert a fait paroître depuis peu sa quatriéme
Suite de Concerts de Symphonie en Trio,
qui a un très gran i succès, Ón la vend 3 livres
2. sols , chez l'Auteur , rue S. Honoré , vis - avis
la rue de Grenelle ; à la Regle d'Or , et à la
Croix d'or , rue S Honoré et ruë du Roule , ou
l'on trouve tous les Ouvrages de l'Auteur.
On a obmis dans les précedens Mercures de
faire mention du Volume contenant la Ceremonie,
en Estampes , du Sacre du Roy , qui ut pré-
Gijsenté
770 MERCURE DE FRANCE
1
senté à Sa Majesté le Lundi 24. Decembre der
nier , par le Duc de Trême , premier Gentilhom.
me de la Chambre , suivi de M. Dulin , Peintre
ordinaire du Roy et de l'Académie Royale de
Peinture , fequel en a fait les Desseins , d'après
lesquels 18. des meilleurs Graveurs de la même
Académie, ont travaillé. Ce Volume in folio , sur
du papier grand Aigle , représente les principaux
momens de l'Auguste Ceremonie du Sacre , tant
par les grandes Planches , que par les Lettres
Grises ; il a été enrichi de Sujets allegoriques et
de Devises qui répondent aux Momens histori
ques. Et comme dans ces Momens historiques les
figures sont petites par rapport à leur multitude
de sieur Dulin a aussi dessiné 30. figures particu
lieres , de grandeur à pouvoir caracteriser tous
les differents habillemems que les Seigneurs,
Grands-Officiers et autres , portent dans leurs
fonctions , à cette Royale Céremonie.
Le Frontispice annonce le sujet du Volume ;
et tous les Discours qui expliquent chaque Estampe
, ainsi que la Dédicace et l'Avertissement
sont renfermez dans des Bordures symboliques
très- riches et toutes differentes. L'Avertissement
qui est à la tête du Recueil , rend compte de la
maniere dont l'Ouvrage a été conduit."
Il paroît une seconde Estampe du Portrait de
Ja Dlle Dangeville , dont le Public aura lieu d'ê
are plus satisfait que de la premiere.
Ce n'est pas sans fondement que le Public
avoit bien auguré de la capacité du sieur Grégoire
, sur les Tableaux de la Croisée de Notre-
Dame , qui viennent d'être posez , après avoir vû
de quelle maniere il s'étoit tiré de ceux de da ?
Nef
AVRÍL. 1732.® 771
Nef, applaudis universellement par tous les Con
noisseurs.On peut même dire qu'il a été au - delà de
ce qu'on pouvoit attendre de lui , principalement
sur les Tableaux de Mr le Brun , et sur ceux de
Mrs Corneille , Höüasse et Jouvenet , parce qu'ils
avoient été si fort gâtez par de mauvaises drogues
, qu'on avoit perdu toute esperance d'en
pouvoir jamais appercevoir aucun vestige ; d'autant
que jamais personne n'avoit osé se hazarder
d'y retoucher , et qu'on les regardoit comme Ta
bleaux abandonnez et perdus.
Cependant le sieur Grégoire , Eleve de M.Restout
, dont on a parle à ce sujet dans le Mercure
de Janvier dernier , page 177. par un secret particulier
qu'il a trouvé , vient de les rétablir entierement
, et leur a rendu leur ancien lustre , en³
les rendant tels qu'ils sortirent jadis des main's
de leurs celebres Auteurs.
Si le Public ne se lasse point d'admirer et d'ap
plaudir un Ouvrage regardé de tout le monde
comme une espece de Chef-d'oeuvre , il a cela de
commun avec presque toute l'Académie Royale
de Peinture , puisque M. de Boullogne , premier
Peintre du Roy et Directeur de l'Académie , en a
été le premier surpris , et n'a pû lui refuser ses
suffrages , ainsi que Mrs Vancleve , de Largilliere,
Halle , Rigaud , Christophle , Restout , &c. qui
tous ont applaudi et loué le talent du sieur Grégoire
sur le rétablissement de ces magnifiques
Tableaux.
Au reste , le sieur Grégoire réussit également
sur tous les Tableaux de Cabinet , tant grands
que petits , quelques gâtez , défiguréz et troüez
qu'ils puiseent être. Sa demeure est Parvis de
Notre- Dame , à Paris , du côté de la grande Porte
du Cloître , entre un Notaire et un Perruquier.
G iij
LETTRE
772 MERCURE DE FRANCE
LETTRE écrite à l'Académie Royale
de Peinture et de Sculpture , par M.Van-
Schuppen , Peintre du Roy , et Conseiller
de la même Académie au sujet de l'Académie
Impériale de Peinture et de Sculpti-·
re , de laquelle il est Directeur.
MESSIEURS ,
L'honneur que j'ai d'être Membre de votre it
lustre Académie , me fait un devoir de vous informer
de l'avancement de celle de Vienne . J'ai
été exact à vous apprendre que S. M. I. dans la
vue de contribuer au progrès des Arts Liberaux ,
ayant résolu de rétablir l'Académie publique de
Peinture et de Sculpture , telle qu'elle étoit du
temps de l'Empereur Joseph , m'avoit honoré de
la place de Directeur , avec les attributions des
Privileges, Prérogativés et Immunitez y annexés .
J'ai depuis conduit cette Académie avec succès;
mais elle n'avoit point encore de forme et manquoit
de bien des choses. Cependant l'Empereur
qui aime les Beaux - Arts et qui en connoît l'agrément
et l'utilité , s'en étant déclaré le Protecteur
, j'ai fait de très humbles remontrances pour
obtenir un Logement et des augmentations qui
m'ont été accordés. L'Académie occupe présentement
une maison convenable , qu'il m'a été
permis de choisir dans le plus beau quartier de la
Ville , et pour laquelle on paye cinq mille livres ;
elle en a autant pour son entretien , avec quarante
voyes de bois pour le chauffage ; ensorte que
la dépense de notre Académie passe quatorze
mille
NERVA
AVC
mille
AVRIL. 1732 . 773
mille francs , sans comprendre les appointemens
du Directeur , qui ont été augmentés jusqu'a cinq
mille livres , non - plus que ceux du Secretaire ,
qui sont aujourd'hui de dix - huit cens livres. Ita
aussi été frappé des Médailles pour les Prix ,
elles ont d'un côté la tête de l'Empereur , avec
cette Legende , IMP . CAES. CAROLUS VI. P. FEL.
AUG. PATER. ARTIUM. et au Revers , Minerve
assise , tenant une Corne d'abondance , d'où il
sort des Médailles pour récompenser la Peinture
et la Sculpture , désignées par deux Enfans , dont
Pun tient des Pinceaux avec une Palette , et lautre
un Compas , mesurant une Statue , on lit
autour AUGUSTA DONA MINERVA. En voici
l'empreinte en taille- douce.
La premiere distribution de ces Médailles , an
nombre de quatre ; sçavoir , deux d'or et deux
d'argent , se fit publiquement le jour de l'Octave
de S. Charles , Patron de l'Empereur , au bruit
des Trompettes et des Timbales. L'Assemblée
fut très- nombreuse , notre Vice- Protecteur M. le
Comte d'Althan , Sur- Intendant des Bâtimens ,
et M. le Comte de Sinzendorff , Grand Chancelier
, s'y trouverent avec les Ministres et les personnes
les plus considerables de la Cour. L'Empereur
a voulu voir les Ouvrages de Peinture et
de Sculpture qui ont remporté ces Prix , et j'ai
eu l'honneur de présenter à S. M. 1. les Eleves
qui les ont faits.
Je vous dois , Messieurs , ce détail , puisque
c'est dans votre sçavante Ecole que j'ai puisé les
Principes de la Peinture , et que c'est l'honneur
d'être d'une Académie aussi celebre , qui m'a fait
connoître à la Cour de Vienne, et qui m'a procuré
la Direction de la nouvelle Académie Imperiale
de Peinture et de Sculpture . Je vous de-
Giiij mande
774 MERCURE DE FRANCE
mande la continuation de votre affection , et j'espere
que vous voudrez bien me l'accorder , personne
n'étant avec plus de respect et de veneration,
Messieurs, Votre très-humble et très- obéissant
serviteur , J. VAN- SCHUPPEN.
A Vienne le 9. de Janvier 1732.
Le 15. du mois dernier , M. l'Abbé Terrasson;
de l'Académie Royale des Sciences , fut élu par
l'Académie Françoise , pour remplir la place vacante
par la mort du Comte de Morville.
M. de la Nauze , de l'Académie Royale des
Inscriptions et Belles- Lettres , a été élû depuis
peu Membre de la Societé Royale de Londres.
On écrit de Luxembourg , qu'on a découvert
depuis peu aux environs de cette Ville , une Mine
d'Antimoine , aussi bon que celui qu'on tire de
Hongrie , qui a toûjours passé pour le meilleurs
il est , comme on sçait , d'un rouge obscur , et a
ses veines fort longues et fort huisantes.
On mande de Petersbourg , que la Czarine alla
au commencement du mois dernier , voir dans le
Jardin de l'Académie des Sciences de cette Ville ,
les nouvelles Plantes des Pays Etrangers qu'on y
cultive, et cette Princesse eut le plaisir d'y cueillir
elle-même deuxÀnanas dans leur parfaite maturité
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX***X*
CHANSON.
LE jour que mon Iris me rangea sous ses Loix,
Le verre en main, Dieux ! qu'elle étoit brillante ;
Bacchus
THE NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX TILDEN
FOUNDATIONS
.
I
I
Bacchus
AVRIL
1732. 775
L'Amour , par sa Liqueur charmanté ,
Bacchus,t'avoit servi bien plus que ton Carquois.
D'un vainqueur entre vous , je n'ose faire choix ”, ›
Mais d'une ame reconnoissante ,
Depuis ce temps j'aime et je bois .
M. D. L. F.
****:**** ***:****
SPECT À CLE S.
' Amais le goût, pour la déclamation et
les, réprésentions Théatrales n'a été .
si fort ni si général , non seulement en
France , mais dans les Païs Etrangers. A
Paris et dans quelques belles Maisons de
Campagne des environs , on compte plus
de cinquante Théatres , fort bien ajustez
et ornez proprement , où des Sociétez
particulieres se font un plaisir de joüer´
des Piéces Tragiques et Comiques , avec
beaucoup d'intelligence et de finesse ; et
les gens de la premiere qualité s'en mêlent
comme les Bourgeois. Quelqués sujets
de l'un et de l'autre sexe , brillent part
de tres-heureux talens , et s'attirent des
applaudissemens bien meriteż ; une jeune
personne sur tout , du quartier du Lu--
xembourg , joue plusieurs Rôles avec
4
2
Gy tout
776 MERCURE DE FRANCE
tout le naturel , les graces et la noblesse
possible.
En Allemagne on se fait un grand
plaisir de ce même amusement ; et on apprend
de Vienne , que le 13 du mois dernier
quelquesCavaliers et Pages de la Cour
de l'Empereur, représenterent devant L.M.
Imp. une Comédie Italienne , qui fut fort
applaudie.
On écrit de Dresde qu'on y avoit joué
chez la Duchesse d'Holstein , en présence
du Roy de Pologne , une Comédie Françoise
, intitulée : L'Ami de tout le monde ;
dont les principaux Rôles étoient remplis
par les Comtesses de Bilinsken et de
Beuckling , par le Duc de Holstein , le
Pr. Lubomiski et le Comte Rutouski.
L'amour des Spectacles et de la Musique
a enfin percé jusques dans le Nord .
On se pique à present en Russie de cultiver
les beaux Arts , et la Czarine a donné
des ordres , pour faire construire incessemment
à Petersbourg , une Salle et un
Théatre , pour y représenter l'Opéra.
Ce Bâtiment sera achevé vers les Fêtes.
de la Pentecôte , et on ouvrira ce Spectacle
aussi-tôt que les Musiciens qu'on
fait
AVRIL. 1732. 777
fait venir d'Italie seront arrivez .
3
Le 3 Mars , l'Opera Comique joua une
Piéce nouvelle en un Acte , qui a pour
titre , les deux Eleves ; elle fut précédée
de l'Ecole des Amans , Piéce remise au
Théatre , et du Pot Pourry Pantomime
dont il a été parlé dans le dernier Mercure.
Ces deux Pieces furent suivies du
Ballet Anglois Pantomime , exécuté par
les petits Comédiens , qui ont été trèsapplaudis
, et singulierement le petit Sabotier
, qui danse un pas de deux , avec
la petite Delle Cheret , avec autant de graces
et de précision qu'on peut en attendre
de deux enfans de leur âge.
Le 20 , on donna encore une petite Pie-
-ce nouvelle d'un Acte , avec un Divertis-
-sement , intitulée : Le Triomphe de l'ignorance,
qui a été continué jusqu'au 29, jour
de la clôture du Théatre.
Le 24 et le 29 Mars , l'Académie Koyale
de Musique donna deux Réprésentations
de l'Opéra d' Amadis , pour les Acteurs
, comme cela se pratique toutes les
années avant la cloture du Théatre , le
brillant Pas de trois fut dansé à la fin J
par la De Camargo , et par les Sr. Dumoulin
et Laval , avec un applaudissement
general,
Gvj Or
778 MERCURE DE FRANCE
On a donné sur ce Théatre , le Mardi
21 de ce mois, la Tragedie deJephté, qu'on
avoit interrompuë pendant la Quinzaine
de Pâques. Cette Piéce est toujours hono
rée des mêmes applaudissemens..
Le Publica aussi applaudi aux nouveaux
ornemens , dont on a embelli la Salle de
l'Opera , dont nous pourrons parler plus.
au long,
Le S' Benozi , Vénitien , nouvel Acteur ,
frere de la Dlle Silvia , debuta , le 3 Mars,
sur le Theatre de l'Hôtel de Bourgogne ,
et y joüa le Rôle de Scaramouche , dans :
la Comédie de Colombine , Avocat pour &
contre ; il a joué encore le même Rôle ,
dans d'autres Piéces , dans lesquelles il a
été applaudi. Outre les talens que ce nouvel
Acteur a pour le Theatres il est tresbon
Musicien et tres- habile Symphoniste,,
pour le dessus de Violon.
Les Comédiens. Italiens donnerent le
12 Mars , la premiere Représentation ‹
d'une Comédie en trois Actes , en Prose,
intitulée : Le Triomphe de l'Amour ; cette
Piéce n'a pas eu le succès qu'elle méritoit ;
c'est une des mieux intriguées qui soient
sorties de la plume de M. de Marivaux :
voicy un Argument qui doit tenir lieu
d'Extrait.
Une
AVRIL. 1732. 779
Une jeune Princesse ,
amoureuse d'un
Prince opprimé , auquel un
Philosophe
a donné un azyle chez lui , pour le dérober
au péril qui menaceroit sa vie, sil
la passoit dans l'éclat qui convient à sa
naissance , se travestit en homme , pour
s'introduire chez
Hermocratè , ( c'est le nom
du Philosophe qui l'a élevé chez lui dès
sa plus tendre enfance. ) Ce Philosophe a
une soeur , appellée Léontine , d'une humeur
encore plus austere. La Princesse déguisée
sous le nom de Phocion , commence
par mettre la soeur du Philosophe dans
ses interêts, en lui faisant croire qu'il l'aime,
et que ce n'est que par le bruit de ses
perfections , qui lui tiennent lieu de tout
ce que la beauté a de plus piquant , qu'il
est venu la chercher dans sa retraite; l'aústerité
de cette prude est d'abord effarouchée
; elle ne sçauroit consentir à laisser
entrer et séjourner chez elle , un homme
dont elle est aimée ; mais l'amour qui
commence à triompher de son coeur , lui
fait
insensiblement oublier ce qu'elle doit
à sa gloire ; elle lui promet de faire con--
sentir
Hermocrate son Frere , à le recevoir
chez lui et à l'y souffrir pour quelques
jours , par droit d'hospitalité ; ce
premier obstacle franchi , le prétendu
Phocion n'a pas beaucoup de peine à lier
4
›
un
م ل ا
780 MERCURE DE FRANCE
1
un commerce d'amitié avec Agis , c'est le
nom de son amant ; cependant comme
tout est suspect aux yeux
d'Hermocrate ,
ce Philosophe ne consent pas encore à recevoir
Phocion dans sa retraite ; les jours
d'Agis lui sont trop chers pour le laisser
approcher de qui que ce soit ; nouvel embarras
pour Phocion ; mais il a pourvû à
tout , et sa batterie est dressée de loin. Il a
une conversation avec Hermocrate : Autre
incident , par un hazard que l'Auteur a
pris soin d'expo.er dans la premiere Scene.
Hermocrate a vû Phocion depuis peu dans
la Forêt prochaine , sous les habits de son
sexe ; il reconnoît ses traits malgré son
travestissement ; le faut Cavalier a pris
ses mesures contre cet inconvenient ; il se
donne pour ce qu'il est , et joue avec le
Frere le même Rôle qui lui a si -bien réüssi
avec la soeur ; deux portraits qu'il a fait
faire de l'un er de l'autre , présentez à
propos , le font passer pour l'amant le
plus passionné , et l'amante la plus sincere
qui fut jamais .
Egalement aimé de la Prude et du Phi-
-losophe , il ne lui reste plus que de l'être
de son cher Agis ; dans une Scene ingénieusement
traitée , l'ami prétendu se déclare
tendre amant ; l'amitié d'Agis devient
amour , et l'amour produit en lui la jalousie
AVRIL. 1732 781
lousie dès qu'il apprend qu'Hermocrate
est aimé . Leonide , c'est le veritable nom
de la Princesse , n'a pas beaucoup de pei
ne à dissiper ses soupçons ; le nom de
fide que son Amant lui a donné dans sa
colere , ne sert qu'à lui faire voir qu'elle
est aimée autant qu'elle aime.
per.
Le dénouement de cette avanture est
des plus Comiques . Léonide , pour écar
ter le Philosophe et sa soeur , leur dit de
l'aller attendre à Athénes , où elle doit
les épouser solemnellement ; ils se font
une confidence reciproque de leut amour
qu'ils cessent d'envisager comme une foiblesse.
Léontine nomme son vainqueur
au Philosophe qui ne lui répond que par
un grand éclat de rire ; il lui dit
que Phocion
est une fille , et que c'est l'amour
qu'elle a pour lui qui l'a obligée à déguiser
son sexe ; mais le pauvre Philosophe
est confondu à son tour , quand il aprend
de la bouche d'Agis , que c'est lui qui est
l'Amant favorisé et qui doit devenir son
heureux Epoux. Hermocrate a beau vouloir
s'y opposer et prendre le ton de Maître
; on vient lui dire que sa Maison est
entourée de Soldats , commandez par le
Capitaine des Gardes de la Princesse . Léonide
vient et se fait reconnoître pour la
Princesse de Sparthe ; elle rend à son cher
Agis ,
782 MERCURE DE FRANCE
Agis , Fils de Cléomene , le Thrône que
son Pere avoit usurpé sur lui . Voilà à peu
près le sujet de cette Comédie ; tout le
monde convient que les Scenes en sont
parfaitement bien dialoguées et remplies
de pensées et de sentimens ; mais on croit
que cette intrigue auroit encore mieux
convenu à une simple Bourgeoise qu'à une
Princesse de Sparthe.
Le 29 , les mêmes Comédiens donnerent
la Tragi- Comédie de Samson , pour
la clôture du Théatre .
Le 21 Avril , ils rouvrirent le Théatre
par une Comédie- nouvelle en Vers et en
trois Actes , de la composition des sieurs,
Romagnesy et Lélio le fils , intitulée , les
Amusemens à la mode , précédée d'un Prologue.
La Dile Silvia fit le complimen.
qu'on a accoutumé de faire toutes les an
nées à la rentrée du Théatre , lequel fut
fort applaudi , ainsi que la Piece dont on
parlera plus au long.
Le même jour , les Comédiens François
ouvrirent leur Sale par la Tragédie
de Polieucte , et par la petite Comédie de
l'Amour Diable , du feu sieur le Grand ,
qu'ils ont remise au Théatre .
Le Jeudy 24. de ce mois , on reprit lá
Tragédie d'Eryphile de M. de Voltaire ,
avec plusieurs changemens que le Public
AVRIL. 1732. 783
a approuvez. Le sieur Dufresne , prononça
avant la Piece un Discours en Vers ,
composé par l'Auteur , qui fut fort applaudi
NOUVELLES ETRANGERES
DE TURQUIE ET BARBARIE,
N apprend de Constantinople , que le Grand-
Visir avoit fait dire aux Ambassadeurs de
France , d'Angleterre et de Hollande , que le
Grand- Seigneur avoit donné ordre qu'on ne levât
dorénavant sur les Marchandises de leurs
Pays que les droits d'entrée reglez par le Tarif
de 1701.
Les Lettres de Barbarie portent que les Ha
bitans des Montagnes du côté de sainte Croix ,
se faisoient une guerre cruelle , sans se donner
de quartier les uns aux autres ; qu'il y avoit ea
deux Combats sanglans à une journée de la Ville
de Maroc , entre l'Armée du Roy Muley Ab
dallah et celle des Arabes ; que quelques jours
après , ces deux Armées s'étant approchées dans
la Plcine , leur Combat general avoit duré deux
heures ; que la perte avoit été presque égale de
part et d'autre ; mais que cependant l'Armée des
Noirs , qui est celle du Roy , étoit restée maîtresse
du Champ de bataille , et que le Roy avoit
résolu de continuer le Siege de Maroc.
On apprend par d'autres Lettres que la guerre
Civile continuoit à faire de grands ravages , que
les Montagnards mettoient à feu et à sang les
Provinces , exposées à leurs courses , et que les
Arabes
784 MERCURE DE FRANCE
>
Arabes s'étant encore rassemblez en corps , nonobstant
leur derniere deffaite , avoient attaqué à
deux reprises l'Armée du Roy Muley Abdallah ,
aux environs de Maroc , avec une perte égale ,
les Negres n'ayant eu d'autre avantage que celui
d'avoir conservé le Champ de bataille , et que le
Roy avoit été obligé de renforcer considerablement
son Armée , afin d'être en état de pouvoir
continuer le Siege de Maroc.
RUSSIE.
E Baron de Schaffirof , Ambassadeur de la
Czarine à Ispahan, a écrit que le Roy de
Perse, avoit donné des ordres pour faire marcher
son Armée composée de roo . mille hommes , du
côté des Places conquises par les Moscovites , et
qu'il faisoit rassembler des provisions dans la
basse Armenie , où ce Prince avoit envoyé un
train d'Artillerie de 150. Pieces de Canon..
Depuis qu'on a appris par les Lettres de Ber-
Jin , que le Roy de Prusse avoit conclu le Maria.
ge du Prince Royal son fils , avec la Princesse
de Beveren ; on publie que la Princesse de Meckelbourg
, Niece de la Czarine , épousera le fils
du Margrave Albert de Brandebourg,
O
DE POLOGNE.
N écrit de Warsovie , que le Roy y arriva
le S. du mois dernier , et de Dantzick , qu'il
y avoit passé depuis un mois plusieurs Courriers
allant de Berlin à Petersbourg , où on dit qu'il
se négocie une triple Alliance entre l'Empereur
, la Czarine et le Roy de Prusse pour la
garantie et la deffense réciproque de leurs Etats ,
en
AVRIL. 1722. 7°5
de guerre avec quelque Puissance que ce
être .
a dépêché depuis peu un Officier à Peters-
; , pour porter à la Czarine une Lettre du
par laquelle S M. la prie de retirer ses
pes des environs de la Curlande , parce que
Séjour près de ce Duché cause de l'inquiéa
la République et pourroit faire naître de la
ntelligence entre les deux Nations. On dit
i cette Lettre du Roy ne produit pas l'effer
en espere , les Sénateurs ont résolu de faire
her les Troupes de la Couronne , pour oblis
Moscovites à se retirer.
écrit de Stokolm , que par le Traité d'Alqui
a été conclu depuis entre le Roi de
et le Roi de Dannemarc , il a été stipulé
yes deux Puissances réuniroient leurs Fotes
observer les mouvemens de celle de la Czaet
s'opposer aux entreprises que cette Prin-
, ou ses Alliez pourroient faire sur les Etats
Roy de Suede ou du Roy de Dannemarc .
ALLEMAGNE.
Es Lettres de Vienne , portent que les instances
du Roy de Suede en faveur des Protestans
Diocèce de Saltzbourg avoient déterminé
pereur à prendre des mesures contre l'Evêpour
l'obliger à observer les Constitutions
Empire , et à donner des dédommagemens
ux de ses Sujets qu'il a forcez de quitter leur
j.
e Duc de Lorraine doit arriver incessamt
à Vienne pour remercier l'Empereur du
de Viceroy de Hongrie , Pays et Terres délans
de ce Royaume , que S. M. Imp. lui
donna
786 MERCURE DE FRANCE
donna le 31. du mois de Mars dernier , par un
Decret Imperial qui fut lû er publié le même
jour dans le Conseil ; on dit que ce Prince fera
son séjour ordinaire àPresbourg , où l'on travaille
aux préparatifs necessaires pour son installation
en qualité de Viceroy de Hongrie. On croit que
l'Empereur s'y rendra pour en faire la cerémonie.
On fait dans le Royaume de Hongrie un Chemin
Royal , qui conduira à Trieste , en traversant
l'Esclavonie et la Croatie ; ces Provinces ont
été taxées pour cela à un contingent payable en
argent,et à des corvées d'hommes et de Voitures.
C'est une entreprise des plus considerables qui se
soit faite en Europe depuis plus de 200. ans.
Ans
TA LIE!
Ddinal Choist roposa 3. Mars,le Cant
dinal Otthoboni proposa l'Abbaye de saint
Per-en - Vallée , Diocèse de Chartres , pour l'Ab
bé de la Farre- Lopis ; il préconisa l'Evêque d'Autun
pour l'Archevêché de Besançon ; l'Abbé de
Premeaux , pour l'Evêché de Perigueux ; l'Abbé
de Fruquelay de Kervers , pour celui de Treguier.
Le 13. Mars , vers les heures du soir , le
Duc de S. Aignan , Ambassadeur Extraordinaire
du Roy Tr.Ch. arriva à Rome avec la Duchesse
son Epouse , et alla descendre au Palais du Cardinal
de Polignac , qui le lendemain fit donner
part au Sacré College de l'arrivée de cet Ambassadeur
, et le lendemain le Cardinal de Polignac
mena le Duc de S. Aignan chez le Cardinal Secretaire
d'Etat.
Le 1. ce Cardinal eut une Audience particuliere
du Pape , dans laquelle il lui présenta les
Officiers des Galeres de France , qui ont accompagné
AVRI L. 1732. 787
pagné à Rome l'Ambassadeur de S.M. T. Chr.
Le Roy de Porttugal a fait présent d'un Diamant
du poids de 35. grains au Cardinal Cienfuegos
, et de quatre barres ou lingots d'or à
M. d'Acquilla , Auditeur de ce Cardinal , qui a
remis depuis peu aux Prêtres Portugais l'administration
de leur Eglise Nationale de S. Antoine.
Les Religieux Dominicains ont obtenu du
Pape la permission de faire exhumer le Corps du
feu Pape Benoît XIII. qui est dans l'Eglise de
S. Pierre , pour le faire transporter dans leur
Eglise de sainte Marie sur la Minerve.
Le 31. Mars , on reçut avis que le Cardinal
Coscia étoit parti de Naples à bord d'une Galere
qui l'avoit conduit à Procida , d'où il se rendra
dans peu à Nettuno , pour aller ensuie à Rome
se soumettre aux ordres du Pape .
L'Infant Don Carlos , qui étoit parti de Pise
le 3. Mars , accompagné dans son Carrosse du
Comte de San-Estévan et du Prince Corsini , arriva
vers les onze heures du matin à Pontadere
où il dina , et à cinq heures du soir à l'Ambro
giana , Maison de Plaisance du Grand- Duc. Il
se rendit d'abord à PEglise , dite des Espagnols ,
où l'on chanta le Te Deum , et ensuite il se promena
dans les Jardins.
Le 4. ce Prince donna audiance aux Secretaires
d'Etat du Grand- Duc , qui étoient venus le complimenter
de sa part.
200
Le s . un Détachement de la Garnison du Fort
de S. Jean- Baptiste se rendit au Palais pour monter
la garde.
Le 9. jour qu'on attendoit l'Infant à Florence,
on sonna toutes les cloches de la Ville dès le
point du jour. A sept heures , le Grand- Prieur
Del- Bene , les Secretaires d'Etat , le Prieur Garaldi
788 MERCURE DE FRANCE
di , le Marquis de Monteleon et le Duc de Tursis
, se rendirent à Montepulci pour complimen
ter l'Infant , qni vers les 6. heures du soir arriva
et fit son Entrée dans l'ordre suivant.
Les Cuirassiers et les Grenadiers Allemands du
Grand- Duc, commencerent la marche ; ils étoient
suivis de 40. Trabans , ayant leurs Officiers à
leur tête , de 6. Carrosses à 6. Chevaux qui pré,
cedoient le Carrosse de l'Infant , lequel étoit suivi
de 80. de ses Gardes à Cheval , ayant leur
Etendart , Timbales et Trompettes , Ce Prince se
rendit d'abord à l'Eglise Métropolitaine , au bruit
des salves generales de l'Artillerie des deux Citadelles.
Il fut reçû par les Sénateurs en habit de
ceremonie , à l'enrrée de l'Eglise , et en dedans
par l'Archevêque , à la tête de son Chapitre ; on
chanta le Te Deum à huit Choeurs de Musique ,
et après le Te Deum ; S. A. R. remonta en Carresse
et se rendit dans le même ordre au Palais
Ducal , où elle fut saluée d'une salve Royale de
l'Artillerie du Château de S. George , l'Electrice
Douairiere Palatine , Gouvernante de Sienne ,
reçut ce Prince à l'entrée de l'Appartement qui
lui étoit destiné et après l'avoir embrassé et
complimenté , elle se retira dans son Appartement
, où peu de temps après elle reçut la visite
de l'Infant , qu'elle conduisit ensuite chez le
Grand- Duc , avec lequel il resta plus d'une heure.
Après cette entrevûe , l'Infant Don Carlos
reconduisit la Princesse dans son Appartement ,
où il trouva un cercle de plus de 60 Dames avec
lesquelles il resta quelque temps . Lors qu'il fut
retiré dans son Appartement , il donna audiance
à l'Archevêque de Florence et à l'Evêque de Fiesole.
Le soir on tira des Feux d'artifice dans diverses
Places ; toute la Ville fut illuminée , et les
RéA
V RI L.
017325
789.
Réjouissances publiques durerent jusqu'à quatre
heures du matin.
Le 10. Les Sénateurs , accompagnez du Corps,
de Ville , se rendirent à l'Eglise Métropolitaine
où la Messe du S, Esprit tut celebrée pontificalement
par Archevêque, après la Messe , les Sénateurs
allerent en corps complimenter S. A. R.
sur son arrivée , M. Gaetani , Lieutenant du Sénat
, portant la parole ; les Députez de Sienne ,
de Parme et de Plaisance eurent ensuite audience
de l'Infant.
Le 11.l'Infant reçut les Complimens des Chanoines
de l'Eglise Métropolitaine , ces Députez
de plusieurs Vill´s de la Toscane et de la princi
pale Nobicsse de Florence,
Le 12. Ce Prince après avoir écrit la à L. M.
Cath. alla voir les Ecuries du Grand Duc , après
quoi il prit le divertissement de la Chasse.
Le 13. il rendit visite à l'Electric Douairiere
Palatine.
Le if. il alla avec toute sa Cour entendre la
Messe dans l'Eglise des Religieuses de l'Annon- .
ciade.
- L'execution des ordres de l'Empereur pour le
dénom rement des Familles dans le Royaume de
Naples , continue d'exciter le mécontentement de
la Noblesse et du Peuple . Les Seigneurs des anciennes
Baronies prétendant avoir des exemp
tions particulieres par lesquelles ils sont dispensez
de s'y soumettre , ont refusé de donner leurs Déclarations
; et s'étant assemblez , ils ont dressé
un Mémoire qu'ils ont envoye à Vienne et au
Conseil Collateral de Naples .
On écrit de Milan , qu'il en étoit parti pour
Genes un Corps de Troupes de 6500. hommes
qui doivent être suivis incessamment par le Prin790
MERCURE DE FRANCE
ce Louis de Wirtemberg ; par le Prince de Culmbach
et par le General Smettaw , nommez pour
commander les Troupes de l'Empereur dans l'Ife.
de Corse pendant la Campagne prochaine.
On apprend de Venise , que le 25. Mars , le
'Doge , accompagné du Nonce du Pape et de la
Seigneurie , alla tenir Chapelle dans l'Eglise Ducale
de S. Marc , où on chanta le Te Deum , en
memoire de la Fondation de cette Ville , qu'on
dit avoir été commencée à pareil jour de l'année
421. suivant quelques Auteurs , et selon d'autres
de l'année 450.
On a appris par plusieurs Lettres de l'Ile de
Corse du commencement du mois de Mars , que
1200. Rebelles , commandez par Chiaffero , Pun
de leurs Chefs , ayant été renforcez par un plus
grand nombre , étoient entrez dans la Plaine
d'Almetta ; que le Gouverneur d'Ajaccio en ayant
été informé , avoit envoyé contre eux le Colonel
Arnaud avec une partie de sa Garnison , qui
'avoit contraint les Rebelles à prendre la fuite
après un leger combat ; que ce Colonel étoit entré
ensuite dans le Bourg de Bactelia , où il avoir
brulé plusieurs Granges pleines de grains , et enlevé
plus de soo. Bêtes à corne.
On a reçû avis depuis de la Bastia , que les Re
belles étoient revenus en plus grand nombre dans
la Plaine d'Almetta ; qu'ils avoient pris la petite
Ville de ce nom , et qu'ils assiegoient actuellefement
celle de Sarsaine qu'on ne croyoit pas pouvoir
secourir ; qu'une partie s'étant détachée
avoit tenté d'enlever le poste de San- Pelegrino
mais inutilement ; que les Rebelles avoient passé
quelques jours après le Torrent de Plincho, dans
le dessein d'assieger Biguglia ; que le Baron de
Wachtendonc étoit allé au secours de cette Place
"
A V RIL. 1732. 791
que les ayant rencontrez dans une Vallée à la
portée du fusil , il les avoit fait attaquer par tous
les Grenadiers du Détachement qu'il commandoit
, par deux Bataillons des Régimens de Zumjungen
et de Culmbach , et par trois Bataillons
de ceux de Lewingstein , de Walsegg et de Wachtendonc.;
que les Rebelles étant dans un poste
avantageux , avoient fait d'abord quelque résistance;
mais qu'après deux heures de combat assez
opiniâtre , ils avoient été contraints de prendre
la fuite et de se retirer par des défilez impraticables
et inconnus aux Troupes Allemandes ; desorte
qu'on n'avoit pas jugé à propos de les pour
suivre , de crainte de quelque embuscade. Le Baron
Wachtendonc n'a perdu dans cette occasion
que trois Hussarts et cinq Soldats.
·
Depuis ces nouvelles, la République de Gennes
a fait publier une Amnistie generale pour engager
les Rebelles à rentrer dans leur devoir ; mais
on a appris qu'ils ont refusé l'Amnistie , quoique
Leurs Chefs y fussent compris ; desorte que n'y
ayant plus d'esperance de les ramener à leur de
voir par la voye de la négociation , on a fait partir
une partie des Troupes de l'Empereur à bord
de plusieurs Bâtimens de transport , escortez par
deux Galeres de la République , et le General
Schmettau s'est embarqué depuis pour aller reconnoître
les principaux défilez de l'Ile de Cor
se , où le Prince Louis de Wirtemberg se rendra
avec le reste du secours des Troupes Imperiales
qu'on attend avec quelques Officiers Prussiens
qui vont servir en qualité de Volontaires .
On apprend de Villefranche , que les Galeres
du Roy de Sardaigne y étoient arrivées avec plusieurs
Bâtimens de transport , pour y prendre les
Troupes que ce Prince a résolu d'envoyer dans
H la
792 MERCURE DE FRANCE
la Sardaigne , sous les ordres du General de
Schulembourg.
E
ESPAGNE IT PORTUGAL.
pour commander les Troupes qui s'assembloient
en Catalogne , et qui ont reçû ordre de
puis peu de défiler du côté de Malaga et d'Alicant.
Le Marquis de Villadarias , le Marquis de
Santa-Cruz , le Comte de Suedegen et le Baron.
de Saudraski , Maréchaux de Camp , qui doi
vent servir sous le General Comte de Montemar,
sont partis pour s'y rendre. Toute la jeune Noblesse
de la Cour , sollicite des Permissions pour.
aller servir dans cette Armée , qui s'embarquera
dans le courant du mois d'Avril , sans qu'on sça-
The encore à quelle Expedition elle est destinée. 42
Ce Corps d'Armée qui est composé de 32. Bataillons
à 700. hommes et de 24. Escadrons à
720. hommes , d'une Compagnie de Travailleurs.
et de 33. Ingénieurs , est déja en marche vers la
Valence , pour s'y embarquer sur l'Escadre composée
de 12. Vaisseaux de guerre et de deux
Gallions à Bombes , sans les Galeres et les Bâtimens
de transport ; l'Artillerie consiste en fo.
Pieces de Canon de 24. livres , 10. Pieces de 16.
livres , 8. Pieces de Campagne , 8 , Pieces qu'on
peut transporter sur des Mulets , 8. Mortiers à
Bombes , et 4. autres pour jetter des pierres ;
L'Escadre qu'on équipe à Cadix , est prête à
mettre en Mer , le bruit court même qu'elle a
déja mis à la voile. On mande de Barcelone, que
les Equipages et les autres choses necessaires pour
éette Expedition , sont presque prêts , et qu'on
travailloit avec toute la diligence possible pour
achever
AVRIL. 1732. 793
chever le peu qui reste encore à faire . Les Ba
taillons respectifs des Gardes Walonnes et Espagnoles
, ayant eu ordre de tirer au sort pour
servir dans cette Expedition , les premieres l'ont
déja fait , le sort étant tombé sur le premier , le
aet le 4 Bataillon , et les autres sont occupez
à le faire : on assure qu'on doit encore y joindre
un 4 Bataillon des Gardes Walonnes . Tous les
Régimens d'Infanterie ont été mis à deux Batail-
Fons de 700. hommes chacun. Les Escadrons ne
sont que de 120. Maîtres
. On a aussi
formé
plu
sieurs Bataillons d'Invalides , qui seront mis en
garnison à la place des Troupes reglées .
Le Comte de Montemar , après avoir pris con
gé du Roy, partit le 22. du mois dernier.
Le Roi de Portugal offrit à la nouvelle
Compagnie des Indes Orientales , établie à Stoc
olm , sa protection pour la réussite de son
Commerce , et le Port de Goa pour la retraite
de ses Vaisseaux , avec la permission d'y bâtiz
des Magazins pour ses Marchandises.
MORS DES PAYS ETRANGERS. |
LE
E - Duc de Saxe Gotha est mort sur la fin dir
mois dernier , dans la 56. année de son âge ,
laissant sept Princes et deux Princesses .
Frederic,Prince hereditaire de Bade- Dourlach,
mourut à Dourlach le 26. Mars , âgé de 28. ans
et quelques mois , étant né au mois de Juillet
1703. Il laisse de la Princesse de Nassau - Diez
son Epouse , deux Princes , dont le plus jeune
'a qu'environ trois mois.
Hij FRANCE
94 MERCURE DE FRANCE
Atttt t
titatett
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Lat
' Office de Bailly de Sarreloüis , va
cant par la mort de M. le Comte
de Lommont , a été donné le premier de
ce mois , au Marquis du Chastelet , Colonel
du Régiment d'Hainault.
Le Gouvernement du Château de
Chambord au Chevalier de Saumery , &
le Marquis de Pifon , fon frere , a eu la
Charge de Grand-Bailly de la ville de
Blois.
Le Roi a nommé pour fon premier
Medecin M. Chicoineau ; il étoit depuis
quelque tems Medecin des Enfans de
France , & M. Bouillac lui fuccede dans
cette place.
S. M. a accordé la Charge de Grand-
Pannetier de France au Chevalier de Brif
fae qui est à present Duc de Brissac.
*
Le 2. Avril le Jardin du Roi a été mis
dans le département du Secretaire d'Etat
de la Maison du Roi , et la Charge d'Inrendant
vacante par la mort de M. Chirac
, a été donné à M. Dufay , de l'Académie
Royale des Sciences.
Le
AVRIE, 17323 795
Le 3. Mars , il y eut Concert chez la
Reine ; M. Destouches , Surintendant de la
Musique du Roi , fit chanter le Prologue
et le premier Acte de l'Opera d'Amadis
de Grèce , qui est de sa composition : cetge
Piéce fut continuée le 5. et le 10. Les
principaux Rôles furent chantez par les
Dlles Lenner et Courvasier , et par les
sieurs D'Angerville et le Prince , avec
beaucoup d'applaudissemens.
Le12 , le 17 et le 19 on chanta l'Opera
de Telemaque , du même Auteur. La Dlle
Lenner fit le rôle de Minerve dans le
Prologue , et la Dile Mathieu celui de
Amour. La Dlle Antier fut fort applaudie
dans le rôle de Calypso , ainsi que
la Dlle Pelissier dans celui d'Eucharis. Les
sieurs Petillot er Dangerville executerent
ceux de Telemaque et d'Astrate avec beaucoup
de vivacité. La Simphonie et les
Choeurs furent rendus avec la même précision
.
Le 6. Avril , Dimanche des Rameaux
le Roi accompagné du Duc du Maine et
du Comte d'Eu , se rendit dans la Chapelle
du Château , où S.M. assista à la Bénediction
des Palmes , qui fut faite par
L'Abbé Brosseau , Chapellain ordinaire de
la Chapelle de Musique , qui en présenta
Hiij un e
796 MERCURE DE FRANCE
1
ane au Roi ; S. M. allà à la Procession , et
après l'Evangile elle adora la Croix, Le
Roi entendit ensuite la Grand- Messe célebrée
par le même Chapellain , et cham
tée par la Musique. L'après midy le Roi
assista à la Prédication du P. Segaudi
après quoi S. M. entendit les Vêpres
chantées par la Musique.
Le Jeudy saint , le Roi entendit le Ser
mon de l'Abbé Pichaud , Theologal de
Eglise Cathedrale de Meanx , après quoi ,
l'Evêque de Dol fit l'Absoute. Ensuite le
Roi lava les pieds à 12 pauvres, et les seri
vit à table : le Duc de Bourbon , Grand-
Maître de la Maison du Roi , à la tête des
Maîtres d'Hotel ,précedoit le Service dont
les plats étoient portez par le Comte de
Charolois , le Prince de Conty , le Prince
de Dombes, le Comte d'Eu, et par les prin
cipaux Officiers de S. M. Après cette Cé
remonie , le Roi se rendit à la Chapelle
du Château , où S. M. entendit la Grande.
Messe , assista à la Procession et ensuite..
aux Vêpres. L'après midy le Roi assista
à l'Office des Tenebres.
Le 8. de ce mois , le Marquis Doria
Envoyé extraordinaire de la Republique
de Genes , eut sa premiere audience publique
du Roi , étant conduit par M. Hebers
AVRIL. 1732. 797
bert , Introducteur des Ambassadeurs ; il
alla le prendre dans les Carosses du Roiet
de la Reine ; après avoir été traité par
les Officiers du Roi , il fut reconduit à
Paris dans les carosses de L. M. avec les
céremonies accoutumées.
M. Mendez , chargé des affaires du Roi
de Portugal , se rendit le 27. Mars à
là Fonderie pour y voir les six cloches
destinées pour S. M. Port. qu'on sonna
et tinta en présence d'un grand nombre
d'habiles connoisseurs sur les fontes et
l'alliage des métaux , et elles furent trouvées
fort harmonieuses , et du ton que le
Roi de Portugal les a demandées ; on
trouva seulement quelque chose à dire
aux deux gros battans qu'on sera obligé
de refaire : l'un de ces battans pese 732 liv.
et l'autre 4831
Le 30. Mars , Dimanche de la Passion
il y eut Concert spirituel au Château des
Thuilleries , qui a été continué tous les
jours jusques et compris le Dimanche de
Quasimodo. M. Mouret y a fait executer
les plus beaux Moters à grand choeur , des
feu M. de la Lande et d'autres Maîtres
modernes. On a chanté aussi avec succès
differens petits Motets nouveaux, conve-
Hij nables
798 MERCURE DE FRANCE
>
nables au tems de Pâques , à une , à deux
et à trois voix. On a aussi exécuté tous
les jours differens Concerto sur le Violon
la Flute et le Basson , avec autant de vivacité
que de justesse. Le sieur Batiste excellent
Simphoniste , s'y est distingué , et
a joué sur le Violon differentes Pieces de
sa composition avec beaucoup d'applaudissemens.
***** ** :* : *******
MORTS , NAISSANCES
C
et Mariages
Laude François Pellot,Comte deTrevieres
&c. ancien Maître des Requêtes
, mourut le 27. Mars âgé de 76. ans .
M. Jacques Bigaut , Docteur en Theo
logie ,Curé de sainte Marie Madeleine de
la Ville-Levêque , mourut le 30 Mars ,
âgé de 58 ans.
D. Madelaine d'Archi , veuve de M.
René Duvernet, sieur de la Vallée, Ecuyer
ordinaire de la Grande Ecurie du Roi ,
mourut à Paris le 1. Avril, âgée d'environ
82 ans.
Charles -Armand de Gontaut de Biron ,
Abbé Commandataire de l'Abbaye de
S. Bertrand de Chaumont , mourut le 5.
Avril âgé de 29. ans.
Le
AVRIL 1732. 799
་
Le Prince Frederic , frere de l'Archevêque
de Vienne , mourut à Strasbourg le
de ce mois , âgé de so ans. Il étoit Grand
Doyen et Chanoine de l'Eglise Cathedrale
de Strasbourg , Grand- Prévor de celle de
Liege , et Prieur du Pont S.Esprit , de Nan
tua en Bugey , et de la Charité sur Loire.
D. Angelique Marguerite de Battefort
Delaubepin , veuve de Charle Marie de
Montmorency , Chevalier , Premier Baron
Chrétien en France , Seigneur de Neuvy-
Pailloux , mourut le 15 Avril , âgée de
Sans.
Charles - Thimoleon - Louis de Cossé ,
Duc de Brissac , Pair et Grand Panetier
de France , Baron de Montreuil - Bellai ,
Seigneur de Lugni , Martigni , Briant ,
Bregue , Vaucretien , la Lande &c , mourut
à Paris géneralement regretté , le 18
Avril âgé de 39 ans.
Le 21. de ce mois mourut M. Antoine
le Moine, Docteur de la Maison et Societé
de Sorbonne , Chanoine de S. Benoît et
Censeur Royal , âgé de 65 ans , fort regretté
par sa candeur et son érudition.
D. Louise de Crevant d'Humieres , veuve
de M. Charles- Louis d'Hautefort, Marquis
de Surville , Lieutenant Géneral des
Armées du Roi , mourut le 22 Avril dans
fa 72me année de son âge. Elle étoit veuve
Hv en
800 MERCURE DE FRANCE
en premieres nôces du Comte de Vassé
Vidame du Mans , mort le 7 Août 1684.
Charles- Louis Auguste le Tonnelier-
Breteuil , Evêque de Rennes , Abbé de
S. Pierre de Chaumes , Prieur Comman→
dataire de Deüil et d'Escarmeil , et Grand-
Maître de la Chapelle de Musique du Roi,
mourut dans son Diocèse le 24 de ce mois ,
âgé de 4 ans accomplis.
Il étoit fils de François le Tonnelier dé
Breteuil, Marquis de Fontenay- Tresigny,
Sire de Vill bert , Baron de Boitron , Seigneur
des Chapelles Breteüil &c. Conseiller
d'Etat ordinaire , Intendant des Finances
, et de Anne de Calonne de Courrebourne
, er frere de François-Victor lo
Tonnelier Breteüil , Marquis de Fonte
nay-Tresigni & c . Commandeur des Or. ,
dres du Roi , Chancelier de la Reine
cy-devant Secretaire d'Etat au departe .
ment de la Guerre .
4
La Maison de Breteuil est trop connue,
pour qu'on entre ici dans le détail de sa
Genealogie .
D. Marie Therese Emmanuel Casimire
Geneviève de Bethune , Epouse de Char
les Louis -Auguste Fouquet , Comte de
Belle Isle , Lieutenant Général des Armées
du Roi , Mestre de Camp General
,
des
AVRIL. 1732: 801
ས
des Dragons de France , Gouverneur des
Ville et Fort d'Huningue , Commandant
en chef dans les trois Evêchez , frontieres
de la Lorraine , de l'Alsace et du Duché
de Luxembourg , accoucha le 27 Mars
d'un fils qui fut nommé Louis Marie par
Louis Fouquet , Marquis de Belle- Isle son
Ayeul , et par D. Jeanne- Marie Guion
veuve de Miximilien - Henri de Bethune
Duc de Sully , Pair de France , Chevalier
des Ordres du Roi & c.
- D. Marie- Anne Petit de Villeneuve
fille de feu M. Petit de Villeneuve , Président
de la Cour des Aides , Epouse de
M. Jean-Baptiste le Feron , Chevalier Seigneur
du Plessis- aux Bois, de Cuisy , d'Iverni
, Conseiller du Roi en ses Conseils,
Maître des Requêtes, accoucha le 11 Avril
d'un fils qui fut tenu le même jour sur les
Fonts Baptismaux , et nommé Jean- Bap
tiste Evrard , par M. Evrard Titou Du
tillet , Maître d'Hôtel de feüe Madame la
Dauphine , Mere du Roi et Commissaire :
Provincial des Guerres, son grand Oncle
et par D. Marie- Anne Foucault , veuve
de M. Petit de Villeneuve , Conseiller de
La Cour des Aides , sa Bisayeule.
Le Samedi 12 Avril , Jean- Charles de
Crussol , Duc d'Uzés , premier Pair de
France , Chevalier des Ordres du Roi ,,
H &vj Gou
802 MERCURE DE FRANCE
Gouverneur des Provinces de Saintonges
et d'Angoumois , et D. Anne Julie- Françoise
de Crussol d'Uzés , Epouse de M.
Louis Cesar de la Baume , le Blanc de la
Valiere , Duc de Vaujour , Gouverneur et
Grand Sénechal en survivance de la Province
de Bourbonnois , Colonel du Regiment
de la Valiere , tinrent sur les Fonts
de Baptême en l'Eglise de S. Eustache , une
petite Juive âgée de trois ans et demi
fille d'Eléazard Levi , Juif Hollandois et
de Fronoca Jacob , sa femme , et lui don
nerent le nom d'Anne Julie Françoise.
4 D. Marie-Therese de Baillon , Epouse
d'Antoine- François de la Tournelle,Comte
de la Tournelle , & c. accoucha le 13
Avril d'une fille, qui fut nommée Jeanne'
Charlotte par Jean de Baillon , Conseiller
au Parlement de Paris , et par D. Jeanne
Charlotte du Deffant de la Lande , veuve
de Roger de la Tournelle , Marquis de
Courancy.
D. Jeanne Marie-Joseph Guyon , Epou
se d'Anne de Lugnac de Reuilly , accou
cha le 19. Avril d'une fille qui fut nommée
Marie-Louise par Louis de Gand de
Merodes de Montmorency , Prince d'Isen
ghien , Chevalier des Ordres du Roi
Lieutenant Géneral de ses Armées et de la
Province d'Artois , Gouverneur des Ville
et
AVRIL. 17328 80%
et Citadelle d'Arras , et par D. Jeanne-
Marie Guyon , veuve de Maximilien-
Henry de Bethune , Duc de Sully , Pair de
France , Prince Souverain d'Henrichemont
et de Boissel , Chevalier des ordres
du Roi & c .
ར Augustin Joseph , Comte de Mailly
fils de Joseph , Marquis de Mailly , Baron
de S. Amant &c. et de Louise Magdelaine-
Joseph-Marie de la Riviere, de la
Roche-de-Vaux , épousa le zr Avril D.
Constance Colbert de Torcy , fille de-
Jean- Baptiste Colbert, Marquis de Torcy,
de Croisy &c. Ministre d'Etat, Comman
deur des Ordres du Roi , et de D: Cathe
rine Felicité Arnaud de Pomponne.
ADDIT Ï O N.
Terre Chirac , Conseiller d'Etat, Sur
PIntendant du Jardin Royal des Plantes
, et des Eaux Minérales , Bains et Fontaines
Médicinales du Royaume , Profes--
seur Royal de Médecine en l'Université
de Montpellier , Membre de l'Académic
Royale des Sciences de Paris , et premier
Médecin du Roy , mourut à Marly , le
a du mois de Mars dernier.
Quoique son Eloge soit renfermé dans
son
804 MERCURE DE FRANCE
son Nom, nous ne sçaurions nous dispenser
de dire qu'il est mort , généralement
regretté du Public , dont il avoit mérité
depuis long- temps l'estime et la confiance
: c'est un témoignage que nous devons
à sa Mémoire.
Il se fit admirer depuis l'année 1687.
qu'il fut reçu Professeur Royal de Médecine
en l'Université de Montpellier ,
où il avoit pris ses dégrez. Il s'y distingua
d'abord par les Leçons publiques et
les Cours particuliers qu'il faisoit sur tou
tes les Parties de la Médecine, qu'il a trai
tées chacune en détail ; ses écrits étoient
enrichis des découvertes qu'il faisoit dans
L'Anatomie, Science qu'il aimoit et qu'il
cultivoit particulierement, et qui lui servie
toujours de guide pour rectifier la prati❤
que de la Médecine.
Nous n'avons de cet excellent homme
que quelques petits Traitez particu
liers , imprimez en forme de Dissertation,
n'ayant jamais eu assez de loisir pour
pouvoir mettre ses écrits en état d'être
imprimez en un Corps d'Ouvrage.
En effet ses talens l'enleverent bien- tôt
à l'Ecole de Montpellier , dont il faisoie
l'ornement. Cette Ecole n'a eu d'autre
dédommagement de son absence que l'établissement
d'une doctrine refléchie , dont
PAA
3
AVRIL 1732. 8051
1'Anatomie étoit la baze , et que plusieurs
Experiences et Observations réïterées
avoient confirmée .
La Méthode analytique est celle qu'il
avoit employée , comme la plus propre
conduire à la vérité.
Il sortit pour la premiere fois de Montpelier,
en l'année 1692. pour aller en qualité
de Medecin de l'Armée , au Siege de
Rose , où il sauva au Roy beaucoup de
Soldats attaquez d'une Dissenterie Epidémique
, dont il arrêta heureusement le
cours par le changement de nourriture
&c. Ce ne fut pas là la seule occasion
où il signala son zéle pour le service du
Roy ; car ayant été envoyé à Rochefort
où regnoit une maladie pestilentielle ...
inconnue jusqu'alors , il en découvrit la
cause par les fréquentes ouvertures des
Gadavres. Après avoir établi un genre de
Traitement convenable à ce te maladie
par rapport à la cause prochaine et aux
accidens qui l'accompagnoient , il reme
dia à la cause commune par le change
ment de nourriture , et prescrivit un regime
préservatif pour ceux qui avoient
été épargnez jusques là ; mais à qui la violence
de cette maladie avoit fait perdre
tout espoir d'échaper à ses coups .
Après qu'il eut mis tout en regle à
Rem
80s MERCURE DE FRANCE
Rochefort pour l'établissement et la fourniture
des Hôpitaux , sans oublier la Police
necessaire dans une Ville désolée ,
dequor M. Bégon , Intendant de la Province
et de la Marine , l'avoit laissé le
Maître , prévoyant qu'il pourroit bien
être attaqué lui - même de la même maladie
Epidémique , à laquelle un travail
et une application continuelle , mais indispensables
, l'exposoient à tout moment;
il dicta à un Chirurgien qu'il avoit auprès
de lui en qualité de Secretaire , une
Methode particuliere et relative à son
temperamment , suivant laquelle il voulbit
être traité , en cas qu'il tomba malade
, ce qui arriva effectivement ; il fut
tres - long- temps à se remettre , et il vint
achever sa convalescence à Montpellier.
Dès qu'il fut rétabli , il reprit ses exercices
de l'Ecole , toujours avec le même
plaisir et la même application . Le succès
de sa pratique enMedecine dédommageoit
alors les habitans de Montpellier et les
Etrangers de la perte du fameux M. Barbeyrac
, le plus grand Praticien du siecle
passé.
En l'année 1706. S.A. R. le Duc d'Orléans
lui fit l'honneur de le mander pour:
aller en Italie avec lui en qualité de son
Medecin de confiance; il ne fut pas lọngtemps
AVRIL 1732. 807
temps à mériter cet honneur , car il sauva
à cePrince un bras qu'on étoit sur le point
de lui couper , à cause d'une blessure tresdangereuse
qu'il avoit reçue au poignet au
Siege de Turin. L'année suivante S.A.R :
ne mena point d'autre Medecin que lup
en Espagne.
Il fut très - utile par lui - même et par ses
conseils à l'Armée des deux Couronnes.
M. Chirac revint à Paris , après avoir
demeuré quelque temps en Espagne , et
dès que le fameux M.Homberg fut mort,
S. A. R. lui donna la place de premier
Medecin de sa Personne.
I
Le Roy lui donna à la mort de M. Fagon
, la Sur- Intendance du Jardin du
Roy. Sa Majesté lui accorda des Lettres
de Noblesse en 1728. ses longs services et
la supériorité de ses talens en furent le
motif. Enfin le Roy le choisit pour son
premier Medecin , au mois de Decembre
1730. Tout le monde a été témoin de son
attachement pour la Personne du Roy ;
mais on verra , avec beaucoup plus d'étendue
, tout ce que M. Chirac avoit de
grand , dans l'Eloge qu'en donnera Pillustre
Académicien , à qui , avec des ta-"
lens au dessus des loüanges , il a été
particulierement donné de transmettre
à la posterité , la mémoire des grands
hom868
MERCURE DE FRANCE
hommes , avec toute la gloire qu'ils se
sont acquise pendant leur vie, ce qui nous
dispense d'en dire davantage..
.
M. François Chicoineau , Conseiller
er Medecin du Roy , Professeur Royal
d'Anatomie et de Botanique , Chancelier
et Juge de l'Université de Medecine de
Montpellier, Intendant du Jardin du Roy,
Membre de la Societé Royale des Sciences
, Conseiller en la Cour des Aydes de
la même Ville , depuis peu premier Medecin
de Monseigneur le Dauphin et des
Entans de France , gendre de M.Chirac ,
a été nommé par le Roy , le 2 de ce mois,
pour remplir la place de son premier
Medecin. Tout le monde . sçait avec quel
zele M. Chicoineau a signalé sa capacité
er sa charité , à la tête des Medecins envoyez
à Marseille , lors de la derniere
Peste: Il a laissé M. son Fils à Montpellier,.
digne heritier de ses talens ; et qui avoit
dès l'année, 1723. la survivance, de toutes
ses Charges, qu'il a exercées sous les yeux
de son pere , depuis ce temps - là.
C'est le cinquiéme de ce nom , de pere
en fils que la celebre Ecole de Montpellier
, voit avec plaisir à sa tête , en qua
lité de Chancelier et Juge de l'Universi❤ .
té, Place à laquelle est toujours attachée
l'Intendance du Jardin du Roy , avec
une :
AVRIL 173.2. 869
une Charge de Professeur Royal de Bo
tanique et une d'Anatomie , qui font
l'exercice et la pension annuelle du Chancelier.
Tous les Titres cy- dessus ont été transmis
à M. Chicoineau , aujourd'hui pre
mier Medecin du Roy, et Conseiller d'E
tat après la mort de ses deux freres aînez,
tous deux ayant été successivement déco .
résparfeu M.MichelChicoineau leur pere,
Conseiller en la Cour des Aydes de Montpellier,
un des plus sçavans Medecins du
siecle dernier , et l'ornement de l'Ecole de
Montpellier.
A MADEMOISELLE PINSON
SONNET.
De l'hyver importun , la picquante froidure ,
De ses tristes frimats vient desoler nos Bords ,
L'hyver fuit , le Printems ranime la Nature ,
Et dans nos Prez fleuris étale ses trésors.
Utile avantcoureur de l'aimable Pomone ,
L'Eté de ses moissons vient couvrir nos guerets,
L'Eté fuit , et déja je vois naître l'Automne ,
Qui joint ses dons chéris aux présens de Cerès.
La nuit d'un cours reglé succede à la journée ,
808 MERCURE DE FRANCE
hommes , avec toute la gloire qu'ils se
sont acquise pendant leur vie, ce qui nous
dispense d'en dire davantage..
M. François Chicoineau , Conseiller
er Medecin du Roy , Professeur Royal.
d'Anatomie et de Botanique , Chancelier
et Juge de l'Université de Medecine de
Montpellier,Intendant du Jardin du Roy,
Membre de la Societé Royale des Sciences
, Conseiller en la Cour des Aydes de
la même Ville , depuis peu premier Medecin
de Monseigneur le Dauphin et des
Entans de France , gendre de M.Chirac ,
a été nommé par le Roy , le 2 de ce mois,
pour remplir la place de son premier
Medecin. Tout le monde sçait avec quel
zele M. Chicoineaus a signalé sa capacité
et sa charité , à la tête des Medecins ens
voyez à Marseille , lors de la derniere
Peste: Il a laissé M. son Fils à Montpellier,
digne heritier de ses talens ; et qui avoit
dès l'année, 1723. la survivance, de toutes
ses Charges , qu'il a exercées sous les yeux
de son pere , depuis ce temps- là.
F "
pere C'est le cinquiéme de ce nom, de
en fils que la celebre Ecole de Montpellier
, voit avec plaisir à sa tête , en qualité
de Chancelier et Juge de l'Universi
te, Place à laquelle est toujours attachée
l'Intendance du Jardin du Roy , avec :
"
une :
AVRIL 173.2. 869
une Charge de Professeur Royal de Bo
tanique et une d'Anatomie , qui font
l'exercice et la pension annuelle du Chan--
celier.
Tous les Titres cy- dessus ont été transmis
à M. Chicoineau , aujourd'hui pres
mier Medecin du Roy, et Conseiller d'E
tat après la mort de ses deux freres aînez ,
tous deux ayant été successivement déco .
résparfeu M.MichelChicoineau leur pere,,
Conseiller en la Cour des Aydes de Montpellier,
un des plus sçavans Medecins du
siecle dernier , et l'ornement de l'Ecole de
Montpellier.
A MADEMOISELLE PINSON
SONNET.
De l'hyver importun , la picquante froidure ;
De ses tristes frimats vient desoler nos Bords,
L'hyver fuit , le Printems ranime la Nature ,
Et dans nos Prez fleuris étale ses trésors.
Utile avantcoureur de l'aimable Pomone ,
L'Eté de ses moissons vient couvrir nos guerets,
L'Eté fuit , et déja je vois naître l'Automne ,
Qui joint ses dons chéris aux présens de Cerès.
La nuit d'un cours reglé succede à la journée ,
8ro MERCURE DE FRANCE
Au dernier an succede une nouvelle année ,
Le siecle où nous vivons aura són successeur.
Tout rencontre ici bas un terme inévitable
L'amour que j'ay pour vous sera seul immuable,
Le temps qui change tout , ne peut changer mon
coeur.
J. M. Gaultier.
REMARQUES fur l'Estampe de la
Demoiselle Camargo.
Ous serez sans doute surpris , Mon
sieur , qu'on ose critiquer l'Estampe
de la Dile Camargo. Seroit - il possible
qu'un Ouvrage si applaudi fut susceptible
de quelques défauts et comment ces
défauts auront- ils échappé aux yeux des
connoisseurs , sur tout des Maîtres de
l'Art? Rien cependant de plus facile . On
reconnoît aisément dans cette Estampe
les traits de la Demoiselle. Il n'en a pas
fallu davantage pour retracer dans l'imagination
les perfections de cette excellente
Danseuse ; mais le plaisir que les idées
de l'original ont fait à l'esprit , a empêché
de faire attention aux défauts qui peuvent
être dans la coppie : voici ce que
j'en pense.
Es
AVRIL. 1732. 理
La Figure éffaçant à droit , la Tête ne
doit pas suivre l'effacé . Lors qu'on efface
d'un côté ou d'un autre,la Tête doit demeurer
dans sa place naturelle; par consequent
une figure qui efface à droit , doit
nous montrer une Tête gracieusement
placée vers l'épaule gauche, j'entens dans
le serieux , car dans le comique le gracieux
perd ses regles , pour ainsi dire . On
trouve d'ailleurs de la disproportion dans
la hauteur des bras. Les coudes d'un Danseur
doivent être , à peu de chose prés
sur la même ligne , ce qui n'est pas ob
servé.
1
Les deux mains paroissent de face :
quand le contraste d'un Danseur est terminé
, comme l'est celui de la Dlle Camargo
, ses bras ne doivent jamais se faire
voir qu'aux trois quarts , c'est- à-dire , le
dedans de la main du bras ouvert , presque
tourné vers la terre, et le dedans de
la main du bras fermé presque vers le
Ciel. Les mains ne doivent paroître de
face que dans le tems qu'on passe d'un
contraste à un autre .
Je ne crois pas qu'il soit possible de
contraster moëlleusement les bras dans
la situation où sont ceux-ci , sans pren .
dre de fausses paissances ou fausses déterminations
? Peut- être l'habile Peintre , car
jc
812 MERCURE DE FRANCE
5
je connois ses grands talens , suppose - t'il
comme la figure représente Flore ) que
son cher Zephire soufle entre les arbres ,
et qu'elle cherche à l'embrasser ; en ce
cas les bras sont fort bien ; mais s'il n'a
pas eu cette intention , ou quelque autre
équivalente , ils pechent contre les regles
de la danse noble et gracieuse.
L'attitude du pouce et de l'Index de
chaque main n'est pas bien ; cette situation
de doigts n'est bonne que quand
une figure tient une guirlande ou autre
chose.
pas
On trouve encore que l'attitude n'est
bien dans son équilibre . Si elle y étoit,
une perpendiculaire sur l'horisontalle
( j'appelle horisontalle l'endroit sur quoi
elle danse ) passant par le point d'appuy
de la figure , qui est le milieu du pied
gauche , devroit la couper en deux parties
égales ; ce qui ne se trouve pas , puisque
cette ligne aboutit à l'oreille gauche,
et cela laisse beaucoup plus de poids sur
la jambe en l'air ; ce qui n'est pas possible
, à moins que d'avoir recours à quelque
contorsion de hanche . Une preuve
encore que la figure n'est pas bien à son
aise , c'est que le genouil de la jambe qui
la porte , paroît plié. Or il n'est pas natuel
qu'une Danseuse qui reste en repos
Sur
A VRIL. 1732. 18 rs
sur un Pas , pour donner le temps à un
Peintre de saisir son attitude , puisse demeurer
assez de tems sur une jambe dont
le genoüil est plié.
2.
La jambe en l'air seroit la chose qui me
flateroit le plus , après la parfaite ressemblance
, si les regles de l'Art , fondées sur
le naturel , pouvoient me laisser supposer
qu'on puisse la tourner en dehors de la
façon de celle- ci ; il est vrai que l'original
fait des choses surnaturelles ; mais il
auroit bien de la peine d'imiter sa copie ,
sans se contorsionner , et peut - être sans
se blesser.
Les Estampes des Dies Subligni , Desmatins
, &c. antiennes Danseuses de l'Opera
, ne sont pas à beaucoup près si bien
gravées , ni si -bien historiées ; mais elles
sont presque sans défauts à l'égard des regles
de la Danse.
La belle posture du corps en repos est
sans doute la situation de toutes ses parties
dans l'ordre le plus naturel , et ses
mouvemens les plus agréables à la vuë ,
sont ceux qui se font par la voie qui s'en
éloigne le moins , c'est à dire , par la voïe c'est-à- dire ,
la plus simple. Il est même étonnant
nous aïons besoin de Maîtres pour nous
faire appercevoir ces veritez , et qu'il soit
necessaire de se donner tant de peines
que
pour
$ 14 MERCURE DE FRANCE
pour acquerir ce qui est en nous naturellement
: on n'en peut trouver la raison
que dans notre propre ignorance , et notre
manque de discernement et de goût .
L'ame commande au corps en maîtresse,
mais elle ignore les voies par lesquelles
ses ordres s'executent. Peu instruite de la
Mechanique simple qui doit produire un
mouvement , elle y employe souvent des
parties qui n'y furent jamais destinées ;
et plus elle trouve de difficulté dans l'execution
, plus elle croit devoir employer
de force. Delà naissent presque toûjours
les grimaces et les differentes contorsions
désagréables. On reste souvent dans l'opinion
que ces secours étrangers sont necessaires
; l'habitude devient une seconde
nature , et pour comble de disgrace nous
ne nous appercevons point de nos défauts;
la necessité d'en être instruit nous prouve
celle d'avoir recours à des personnes qui
nous les fassent remarquer
.
Les pieds doivent être placez environ
à dix pouces de distance l'un de l'autre ;
ils ne doivent être ni plus serrez ni plus
écartez , parce que dans l'une ou dans
l'autre situation la tête de l'os du fermur
ne seroit pas perpendiculairement dans
sa cavité , et de cette façon les jambes ne
soutiendroient pas le corps avec tout l'avantage
AVRIL. 17327 815
vantage qu'il est possible , dans une figure
debout et dans l'inaction .
Les bras n'étant d'aucun usage pour
renir le corps en repos , ils doivent alors
être considerés comme inutiles ; on doit
donc les abandonner à eux - mêmes, et être
assuré qu'en cet état ils occuperont la
place qui leur convient ; mais une
fausse prévention de l'esprit qui croit
qu'il faut employer des forces pour ne
rien faire , nous empêche quelquefois de
mettre en pratique ces veritez : peut - être
aussi quelqu'un par un goût bizarre , our
pour affecter une methode particuliere ,
youdra til faire passer pour bonne une
attitude qui ne sera rien moins que natu
relle . Quand on croit qu'il n'y a point
de regle établie pour une chose , chacun
croit en pouvoir faire à sa fantaisie ; il
est donc à propos de sçavoir à quoy s'en
.tenir.
Il est aisé de voir dans les Observa
tions osteologiques de M. de Winflow
que le bras ne doit point être absolument
tendu en ligne droite , qu'on doit
le laisser pendre naturellement , le dedans
de la main tourné du côté de la
-cuisse , la main un peu oblique sur la li
gne du bras , et les doigts ni trop serrez
ni trop écartez. Ce sont là les maximes
I des
816 MERCURE DE FRANCE
des meilleurs Maîtres , qui ont parfaitement
suivi l'ordre de la nature , peut-être
sans l'avoir trop étudiée . C'est ainsi que
nous admirons fort souvent des consequences
dont nous ignorons le principe .
Nous ne sçavons pas combien la verité a
pour nous de charmes , puisqu'il se trouve
des occasions où nous l'aimons sans
presque la connoître.
pas
Puisque la situation naturelle du corps
demande que toutes les parties qui le
composent soient tellement disposées que
se soutenans perpendiculairement les
unes les autres , elles souffrent le moins
d'effort qu'il soit possible , il ne faut
qu'il s'en trouve une plus grande quantité
d'un côté que d'un autre , ou ce qui
est la même chose , la ligne qui passe par
le centre de gravité du ccoorrppss,doit
doit passer
justement dans son milieu de façon
qu'un plan qui passeroit par cette ligne ,
le couperoit de tous les côtez en deux
parties égales . La maniere de marcher des
personnes qui sont chargées de quelques
poids nous fait sentir la verité de ce
principes elles sont obligées de déranger
da situation ordinaire du corps , et d'en
avancer quelques parties pour faire équi-
1bre avec le poids ; car si -tôt que tout
est dans un parfait équilibre , tout est
›
aussi
AVRIL. 1732. 817
aussi dans une situation naturelle.
C'est ce second principe qu'on ne doit
jamais perdre de vue dans tous les mouvemens
qu'on fait faire au corps , qui re
gle ces mouvemens , et qui leur donne
des bornes : c'est aussi ce même principe
qui fait quelquefois changer de situation
à des parties qui ne paroîtroient pas cependant
devoir contribuer au mouvement
qu'on a dessein d'executer. Car à
mesure qu'on se trouve obligé de détruire
l'équilibre , en faisant changer de situation
à quelque partie du corps , on doit
emploïer une autre partie à le rétablir.
Si on a donc attention en faisant un
mouvement de n'emploïer que les parties
du corps qui doivent le produire , et
en même temps celles qui doivent
rétablir l'équilibre que ce mouvement
auroit rompu , on est certain que ce
mouvement paroîtra gracieux , et que
l'on n'y verra rien de contraint et de
gêné. En suivant exactement ce principe ,
soit qu'on marche , ou qu'on danse , on
aura le corps aussi ferme et aussi assuré
sur ses jambes , que si on ne remuoit pas
d'une place.
C'est l'harmonie et la liaison de ces
mouvemens qui font admirer la justesse
etla précision d'un Danseur ; l'art de con-
I ij duire
818 MERCURE DE FRANCE
duire le corps sans rompre l'équilibre , le
iet en état de tout entreprendre , sans
craindre d'échouer , et la parfaite imitation
de la nature qu'il doit suivre , sans
jamais s'en écarter , lui donne toute la
grace qu'il peut avoir. Je suis, Monsieur,
& c.
A
A.Caen , ce 28. Mars 1732 .
IDYLL E,
Traduite du Grec de Bion.
Τα Μοῖσαι τον Ερωτα ,
Vec un zele extreme, au malin Dieu d'Amour
Les Filles de Memoire en tous lieux font leur
cour .
Aussi , qu'un. Insensible ose s'approcher d'elles ,
Il les fait toutes fuir et les trouve rebelles ;
Mais dès que fléchissant sous le joug amoureux,
D'un air tendre il commence à soupirer ses feux, 85°
Elles lui vont soudain offrir leur assistance.
On peut s'en rapporter à mon experience ;
Si je chante un Heros ou quelqu'autre des Dieux,
Les accens de ma voix n'ont rien de gracieux ;
Mais quand je veux chanter ou l'Amour ou Silvie,
De ma bouche les Vers coulent pleins d'har
monie,
Par M. CoCQUARD , Avocat an Par
lement de Dijon.
AVRIL. 17328 819
Le sieur Lancret , Peintre de l'Académie
, compte de donner incessamment au
Public le Portrait historie de Mlle Sallé ,
pour servir de pendant à celui qu'il a
fait de Made Camargo . Ces deux cele .
bres Rivales , qui par la diversité de leurs
talens , n'en concourent que mieux à la
gloire de leur Art , et qui partagent également
les suffrages du Public , meritent
la même immortalité .
Il nous est venu un Madrigal , qui
fut fait chez le Peintre , lorsqu'il dessinoit
une attitude d'après cette Danseuse ;
le Public ne sera pas fâché qu'on lui en
fasse part. L'ingenieux Poëte parle à
M. Lancret .
MADRIGAL.
MA plume et ton Pinceau , doivent par d'hewreux
traits ,
Former une image brillante ;
Apallon nous inspire et Sallé se présente ;
Je peindrai ses vertus , tu peindras ses attraits.
Incertain sur le choix des Graces ,
Ton oeil épie en vain ses traces ,
Et l'Art tient dans tes mains ses Crayons suspendus,
La peindre est un secret que l'Art confus ignore.
Console-toi , je suis encore ,
Plus incertain sur le choix des Vertus.
I`ij LA
818 MERCURE DE FRANCE
duire le corps sans rompre l'équilibre , le
iet en état de tout entreprendre , sans
craindre d'échouer , et la parfaite imitation
de la nature qu'il doit suivre , sans
jamais s'en écarter , lui donne toute la
grace qu'il peut avoir. Je suis , Monsieur,
& c. J
A Caen , ce 28. Mars 1732 .
Av
IDYLLE.
Traduite du Grec de Bion.
Τα Μοῖσαι τον Ερωτα ,
Vec un zele extreme, au malin Dieu d'Amour
Les Filles de Memoire en tous lieux font leur
cour .
Aussi , qu'un. Insensible ose s'approcher d'elles ,
Il les fait toutes fuir et les trouve rebelles ;
Mais des que fléchissant sous le joug amoureux ,
D'un air tendre il commence à soupirer ses feux,
Elles lui vont soudain offrir leur assistance,
On peut s'en rapporter à mon experience ;
Si je chante un Heros ou quelqu'autre des Dieux,
Les accens de ma voix n'ont rien de gracieux ;
Mais quand je veux chanter ou l'Amour ou Silvie,
De ma bouche les Vers coulent pleins d'har
monie.
Par M. COCQUARD , Avocat an Pare
lement de Dijon .
AVRIL. 1732. 879
Le sieur Lancret , Peintre de l'Académie
, compte de donner incessamment au
Public le Portrait historié de Mlle Sallé
pour servir de pendant à celui qu'il a
fait de Made Camargo . Ces deux cèle
bres Rivales , qui par la diversité de leurs
talens , n'en concourent que mieux à la
gloire de leur Art , et qui partagent également
les suffrages du Public , meritent
la même immortalité.
Il nous est venu un Madrigal, qui
fut fait chez le Peintre , lorsqu'il dessinoit
une attitude d'après cette Danseuse ;
le Public ne sera pas fâché qu'on lui en
fasse part. L'ingenieux Poëte parle à
M. Lancret .
MA
MADRIGAL.
A plume et ton Pinceau, doivent par d'heu
reux traits ,
Former une image brillante ;
Apallon nous inspire et Sallé se présente ;
Je peindrai ses vertus , tu peindras ses attraits.
Incertain sur le choix des Graces ,
Ton oeil épie en vain ses traces ,
Et l'Art tient dans tes mains ses Crayons sus
pendus,
La peindre est un secret que l'Art confus ignore.
Console- toi , je suis encore ,
Plus incertain sur le choix des Vertus .
Iij
LA
$20 MERCURE DE FRANCE
LAVIE du B. Vincent de Paul ,
en Tableaux &c.
A
Près la Béatification du B. Vincent ·
de Paul , premier Instituteur de lá
Congrégation des Prêtres de la Mission de
S. Lazare , M. Bonnet , qui en est aujour
d'hui le Superieur General , homme d'un
mérite distingué , et rempli de zelé pour
la gloire du saint Fondateur , a entrepris
de faire peindre l'Histoire de sa vie en
plusieurs Tableaux placez dans le Choeur
et dans la Nef de l'Eglise de la Maison de
S. Lazare de Paris , par plusieurs Peintres
célebres .
Le premier et le plus grand de tous ces
Tableaux se voit actuellement dans la Nef.
Il a été peint par le F. André , Parisien
Religieux Dominicain du Noviciat . Ce
Peintre s'est acquis une grande reputation
par quantité de beaux et pieux ouvrages
que
les Curieux visitent avec empressement
dans l'Eglise et dans l'interieur de
son Monastere.
Ce Tableau , qui est de 14 pieds de hau
teur, sur 1 de largeur, représente l'Apotheose
du B. V. de Paul donnant sa béné
diction aux Superieurs Generaux qui l'ont.
suivi depuis l'Etablissement de la Maison,
et
AVRIL.. 173-28 821
et qui sont à genoux . On voit aussi dans
le fond du Tableau les Soeurs de la charité
, dont le saint homme a été pareillement
l'Instituteur , ayant à leur tête la
pieuse Mad. le Gras , qui a beaucoup contribué
à cet Etablissement. Tout cela
frappe par son harmonie et par la beauté
de sa composition , aussi les Ĉonnoisseurs
Festiment parfaitement, Ce Tableau sera
seul dans la Nef où il fait un effet mer
veilleux.
Le même Religieux a peint avec le même
succès un autre Tableau , placé dans
le Choeur . On y voit representé le pieux.
Fondateur dans un fauteuil , prêchant aux
pauvres de l'Hôpital du nom deJesus , qu'il
a aussi fondé. Če second Tableau de dix
pieds de hauteur sur à 9 de largeur ,
n'est pas moins estimé que le précedent :
on y distingue sur tout un vrai naturel
dans les Figures.
9
Quatre autres Tableaux ayant les mêmes
dimensions , et aussi placez dans le
Choeur , ont été peints par M. de Troy
dont le nom seul fait l'éloge de ses Ouvra
ges. Le premier represente le saint Homme
, comme il fait la Mission étant Curé.
Le second exprime , par rapport au sulet
general , la mort du Roi Louis XIII . Let
I iiij
troj.
822 MERCURE DE FRANCE
troisiéme la Conference des Ecclésiasti
ques. Et le quatrieme le Conseil de la Reine
Mere , dans lequel le B. Fondateur est
représenté. Toutes les expressions de ces
Tableaux sont très nobles et d'un beau
pinceau ; on reconnoit par tout le célebre
Auteur.
Du côté opposé , toûjours dans le
Choeur , est un cinquiéme Tableau , qui
représente le saint Missionnaire prêchant
aux Galeriens. C'étoit un de ses exercices
"favoris , et dont l'execution demandoit
une main aussi habile que celle de M.
Rhetou , qui n'a rien oublié pour exprimer
d'une maniere parfaite cet Acte pénible
et laborieux d'une charité consommée.
Ce Tableau est suivi d'un septiéme de
M. Baptiste ; et M. Galloche travaille actuellement
au huitième et dernier.
CONTE.
UN Viellard qui , sur ses vieux jours ;
Voulant recommencer le métier des Amours ,
Fit l'insigne folie
De prendre à soixante ans femme jeune et jolie ,
Trouva dans son chemin par hazard un Meunier.
Bon jour , ami , dit- il , au bon pere l'ânier ;
Dans
AVRIL 823
1732.
Dans quel endroit du corps , sçais-tu par avan
ture
Que l'Asne a la peau la plus dure ?
Ouy , Monsieur , reprit - il , d'un air railleur et
prompt ,
"
Je vous apprens que c'eſt au front.
Il eft certaine expérience
Qui prouve assez ce que j'avance .
Mirez-vous , et voyez , si vous êtes sensé ,
Que vos cornes au front n'ont point encor
percé
A
D'AUTEFEUILLE.
į įį į į ƒ ƒ ƒ į ž
EXTRAIT d'une Lettre , écrite de Rennes, ·
au sujet d'une nouvelle Pompé , pour·la
plus prompte extinction des Incendies.
Près avoir travaillé long- temps à la
construction de plusieurs morceaux
de Mécanique , aussi nouveaux que reconnus
utiles dans la pratique ; je me
suis appliqué à construire une Pompe aspirante
, et foulante sans Balancier , capable
d'éteindre en peu de minutes les
flames de quelque Incendie que ce soit ,
en la maniant adroitement. Elle est por
tative , et un seul homme peut la faire
mouvoir. Feu mon Frere , Officier des
Milices Bourgeoises , qui s'employà utile
Iy
ment
1
824 MERCURE DE FRANCE.
ment lors de l'Incendie general de cetre
Ville , vint à bout par ce moyen ,
de sauver
entierement son quartier.Ce qui a été
depuis suivi de plusieurs autres experien
ces aussi heureuses , que j'ai faites moimême.
La premiere,chez M. de Ligouyer,
Conseiller de ce Parlement ; et tout récemment
à la Maison du sieur Perrineau ,
près de l'Intendance, où un feu violent s'é
toit pris dans une Cheminée , adhérante
à une Charpente qui joignoit celle de
mon Presbitere. Trois injections de ma.
Pompe l'éteignirent tout- à -fait ; ce qui
fut fait en presense du sieur Abbeille, Ingenieur
de la Ville , logé dans la même
maison , lequel admira cette machine et
son succès.
Beaucoup de personnes s'en sont également
servies , avec le même succès ,
pour éteindre des Incendies cachez , dont
il y avoit beaucoup à craindre , et qui
n'ont point cu de suite.
Si cette Pompe , d'autant plus à considerer
qu'elle n'est point chargée de res
sorts , construite avec art , dans la simplicité
de l'hydraulique , est agréée du public
, j'en ferai tenir à Paris , à Padresse
qu'on trouvera bon de me donner. La façon
de s'en servir est aussi très- simple ;
la jonction étroite du peu de ressorts qui
la
AVRIL 1732. 825
a composent , est d'ailleurs à l'épreuves
de l'eau et impenetrable à l'air . Le corps
de la Machine est d'un Métail sonnant et
leger .
Cependant on distribuera de ces Pompes
, à Rennes , chez le sieur Bolleret ,
Marchand Planneur, ruë de la Frocassiere,.
lequel donnera en même temps une Instruction
imprimée sur la maniere de s'en
servir. Leur prix , à Rennes, sera de liv.
et à Paris , de 18 liv . le port compris . J'ai
plusieurs autres Machines et Ouvrages de ..
Mécanique , également utiles, que je communiquerai
en temps et lieu .
Mon adresse est à M. Bouros , Vicaire
perpetuel de S. Jean , lez Rennes , à son
Presbitere , près l'Intendance .
le 29 Fe A Rennes en Bretagne , le 29:1
vrier 1731.
1
BOUTS RIMEZ ,
Proposez dans le Mercure de Decembre
dernier.
Le bon homme Lucas boira jusqu'à la Mort¸´,
Il n'aime pas plus l'eau que l'aspect d'une Biere;``
Pour le vin seul il païe et l'entrée et le
1 vj
Port
7
Est
826 MERCURE DE FRANCE
Et sa cave est profonde autant qu'une Carrière .
Il y va tous les jours lorsque sa femme Sort ,
Jouer des Gobelets , sans sac ni Gibeciere ;
Aprés quoi notre ami chancele , tombe et Dort ,
D'un somme plus profond que ne faisoit Moliere
Sa Moitié quelquefois descend d'un air Hagard
,
Vieillard , Pour troubler le repos du fortuné
Et de cent maudissons , lui fait longue Apostophe.
Mat ,
Mais Lucas de sa main , lui presentant le Plat ,
Lui donne sur la jouë un rude échec et
Puis reboit et redort , sans autre
Catastrophe.
Le Mardy 22. de ce mois , l'Académie
Royale des Belles- Letrres tint son Assemblée
publique . M. l'Abbé Bignon y
présida.
M. l'Abbé Canaye ouvrit la séance par
la lecture d'une Dissertation ; sur la Personne
, les Sentimens , et les Ouvrages
d'Anaximandre , Philosophe Grec , Disciple
de Thales .
M. l'Abbé Sallier lut pour M. Racine
absent , un parallele de l'Andromaque
d'Eurypide , et de celle de M. Racine ,
pere.
M.
AVRIL. 1732 . 827
M. de Foncemagne lut un Discours ,
dans lequel il examine et refute le sentiment
du Comte de Boulinvilliers , au
´sujet de l'Election des Generaux de l'Armée
, que cet Auteur donne à la Nation
Françoise pendant la premiere Race , et
qu'il croyoit être une chose essentiellement
separée de la Royauté.
M. l'Abbé Sallier , lut une Ode de Pindare
, traduite en François , avec des Remarques
historiques et critiques , suivant
la Methode du feu Abbé Massieu .
M.Bonami, termina la Séance par l'histoire
de la guerre que Cesar soûtint dans
Alexandrie contre Ptolemée et les Egyptiens
, après la mort de Pompée , et la
Bataille de Pharsale , conformément aux
Plans de la ville d'Alexandrie , ancienne
et moderne , et de ses deux Ports , & c.
dont il avoit donné l'explication dans une
Dissertation lue à l'Académie.
Le Mecredi 23 , l'Académie Royale des
Sciences , tint aussi son Assemblée publique
d'après Pâques.
M. de Fontenelle ouvrit lá scéance par
PEloge de M. de Maisons , Président
du Parlement , et honoraire de cette
Académie , mort l'année derniere.
M.d'Ons-embrai lut après la description
et la maniere de construire un Instrument
propre
868 MERCURE DE FRANCE
propreà faire éxecuter les Airs deMusique
dans le vrai mouvement qu'ils ont été
composez.
,
M. de Reaumur lut ensuite un Mémoire
d'Histoire naturelle , sur l'insecte appellé
Teigne des arbres.
Après celà M. Dufay lut un Mémoire
sur la maniere de colorer le marbre..
M. Buache donna la Description d'un s
Instrument propre à observer la variation
de l'aiguille aimantée , et en même
tems sa déclinaison .
M. Duhamel finit la scéance par la lecture
d'un Mémoire sur la formation d'un
sel , & c. Nous donnerons un Extrait de
ces Mémoires.
Le 25 Avril , la Lotterie de la Compagnie dess
Indes , établie pour le remboursement des Actions
, fut tirée en la maniere accoutumée à l'Hô-3
tel de la Compagnie. La Liste des Números ga
gnans , des Actions et Dixièmes d'Actions qui
doivent être remboursés , a été rendue publique.
faisant en tout le nombre de 304 Actions.
PRIX proposé par l'Académie Royale
des Sciences pour l'année 1734.
Fu
Eu M. Roüillé de Meslay , ancien Conseiller
au Parlement de Paris , ayant conçû le noble
dessein de contribuer au progrès des Sciences , et
à l'utilité que le Public en doit retirer , a légué à
PAca
AVRIL: 1732 829
l'Académie Royale des Sciences , un fonds pour
deux Prix , qui seront distribuez à ceux , qui au
jugement de cette Compagnie , auront le mieux
réussi sur deux differentes sortes de Sujets , qu'il
a indiqués dans son Testament, et dont il a donné
des exemples."
Les Sujets du premier Prix regardent le sistême.
general du Monde , et PAstronomie Phisique.
Ce Prix devoit être de 2000. livres , aux termes
du Testament , et se distribuer tous les ans.
Mais la diminution des Rentes a obligé de ne le
donner que tous les deux ans , afin de le rendre
plus considerable , et il sera de 2 5oo . livres ,
Les Sujets du second Prix regardent la Naviga-:
tion & le Commerce.
Il ne se donnera que tous les deux ans, et sera- a
de 2000. livres.
Les Scavans de toutes les Nations sont invitez
à travailler sur les Sujets qui seront proposez , et
même les Associez Etrangers de l'Académie. Elle
s'est fait la Loi d'exclure les Académiciens regnicoles
de prétendre aux Prix.
Ceux qui composeront sont invitez à écrire en
François ou en Latin , mais sans aucune obliga-...
tion. Ils pourront écrire en telle Langue qu'ils
voudront , et l'Académie ferâ traduire leurs Ou
vrages
On les prie que leurs écrits soient fort lisibles ,
sur - tout quand il y aura des Calculs d'Algebre.
Ils ne mettront point leur nom à leurs Ouvrages
, mais seulement une Sentence ou Devise . Ils
pourront , s'ils veulent , attacher à leur Ecrit un »
Billet séparé et cacheté par eux , où seront avec
cette même Sentence , leur nom , leurs qualitez et
leur adresse , et ce Billet ne sera ouvert par l'Académie
, qu'en cas que la Piece ait remporté le
Prix.
30 MERCURE DE FRANCE .
Ceux qui travailleront pour le Prix , adresse
ront leurs Ouvrages à Paris au Secretaire perpe
tuel de l'Académie , ou les lui feront remettre end
tre les mains- Dans le second cas le Secretaire en
donnera en même temps à celui qui les lui aura
remis , son Recepissé , où sera marquée la Sen
tence de l'Ouvrage et son numero selon l'ordre
ou le temps dans lequel il aura été reçû .
S'il y a un Recepissé du Secretaire pour la Piece
qui aura remporté le Prix , le Trésorier de
P'Académie délivrera la somme du Prix à celui
qui lui rapportera ce Recepissé . Il n'y aura à cela
nulle autre formalité.
S'il n'y a pas de Recepissé du Secretaire , le
Trésorier ne délivrera le Prix qu'à l'Auteur mê¹
me , qui se fera connoître , ou au Porteur d'une
Procuration de sa part.
Le Sujet proposé pour le Prix de l'année 1732
étoit , Quelle est la Cause Physique de l'inclinaison
des Plans des Orbites des Planettes ; par rapport au
plan de l'Equateur de la révolution du Soleil autour
de son axe, et d'où vient que les inclinaisons de
ces Orbites sont differentes entr'elles .
Quoique dans les Pieces qui ont été envoyées
pour concourrir à ce Prix , il s'en soit trouvé
quelques- unes qui paroissent avoir été faites par
des personnes sçavantes , et où il y a des Recherches
curieuses , cependant comme on n'y a rien
trouvé d'assez précis ni d'assez ' clair sur la ques
tion proposée , on n'a pas cru devoir adjuger le
Prix
Une matiere aussi importante pour l'Astrono.
mie Physique étant très digne d'êtie approfondie,
l'Académie a jugé devoir proposer de nouvean
le même Sujet pour l'année 1734. dont le Prix
sera double , c** -à - dire de sooo . livres, suivant
les dispositions de M. de Meſlay .
AVRIL. 1732 83·2
Les Auteurs des Pieces qui ont été déja envoyées
pour 1732. pourront y faire tels changes
mens , ou les mettre sous telle forme nouvelle
qu'ils voudront , mais en marquant que ce se
ront les Pieces auxquelles ils avoient donne telle
Sentence ou Devise , et ils les renvoyeront écris
tes tout de nouveau.
S'ils n'y font aucun changement , ils n'auront
rien à dire , ni à faire sçavoir , et leurs Pieces
Concourront encore avec toutes les autres.
A plus forte raison les Pieces absolument nouvelles
seront reçûës.
On ne recevra les unes et les autres que jus
qu'au premier Septembre 1733 .
L'Académie , à son Assemblée publique d'après
Pâques 1734. proclamera la Piece qui aura ce
Prix,
:
ARRETS NOTABLES.
DIT DU ROY, portant réduction dés
E trois offices de Trésoriers Generate deta
Marine , à deux seuls Corps d'Offices. Et suppression
d'un desdits trois Offices. Donné à Versailles
au mois de Mars 1732. Registré en Parlelement
le 23. Avrik.
ARREST du 29. Mars , qui modere à trois
livres du cent pesant , ét lés quatre sols pour livre
, les droits d'entrées des Cinq Grosses Fermes
, sur les Cires blanchies dans la Rafinerie
établie par le sieur Macs dans la basse Ville de
Dunquerque.
Le
832 MERCURE DE FRANCE
Le 29. Mars dernier, les Chambres étant assem
blées à la Tournelle , il fut rendu un Arrêt entre
le Marquis d'Hautefort et la Dle de Kerbabu ,
dont voici le Prononcé.
La Cour faisant droit sur le tout , et sans s'ar
rêter aux requêtes et demandes de Marie- Jeanne
Belingant de Kerbabu , en ce qui concerne les
plaintes et accusations par elle formées , dont elle :
est déboutée , met l'appellation et Sentence de laquelle
a été appellé au néant ; émendant , renvoye
Emmanuel d'Hautefort de l'accusation contre
lui intentée ; condamne ladite Belingant de
Kerbabu en 2000 liv. de dommages et interêts.
vers ledit Emmanuel d'Hautefort ; ordonne
que les termes injurieux portez ès requêtes de la..
dite de Kerbabu , seront et demeureront suppri
mez , renvoye pareillement lesdits Pierre Mandex
, Jean Gasselin , Claude Martinon , Etienne
Thomas et Paul Martin , de l'accusation contre
eux intentée ; condamne ladite Kerbabu en 50 liv ..
de dommages et interêts vers chacun desdits . Mar
tinon , Thomas et Martin , en 30. liv. aussi de
dommages et interêts vers chacun desdits Mandex
et Gasselin , décharge la succession er heritiers
Soutet , des demandes de ladite Kerbabu résultantes
de l'accusation , formée contre ledit feu
Antoine Soutet ; condamne ladite Kerbabu en 30
liv. de dommages et interêts à cet égard vers les
heritiers Soutet , et en outre ladite Kerbabu en
tous les dépens , tant des causes principales que
d'appel et demandes vers ledit Emmanuel d'Hau
tefort , et vers lesdits Mandex , Gasselin , Marti-
Thomas , Martin et heritiers Soutet , même
en ceux réservez ; sauf à ladite Kerbabu à
se pourvoir sur ses demandes à fins civiles ,
ainsi qu'elle avisera bon être , défenses dunon
,
2
dit
AVRIL. 8335 1732.
•
2
dit Emmanuel d'Hautefort au contraire ; permer
audit Emmanuel d'Hautefort de faire imprimer ,
le present Arrêt. Fait en Parlement , & c.
Arrêt du premier Avril , par lequel il est dit
que le Roy étant informé de l'abus qui se prati
que depuis quelques années dans le Royaume , en
subtituant à la Rhubarbe la racine de Rhapontic
étranger , qui , à la verité , a des qualitez qui approchent
de celles de la Rhubarbe , mais qui lui
sont fort inferieures ; que cette racine ayant la ·
forme de la Rhubarbe , l'on est en usage de la déguiser
, en répandant dessus de la poudre de Rhubarbe
veritable , ensorte qu'en ayant la couleur
exterieure et l'odeur , le Public est facilement
trompé ; qu'il en résulte des inconveniens trèspréjudiciables
, tant parce que ce Rhapontic ne
produit pas des effets aussi utiles que la Rhubaṛ-
be , que parce que le Public qui croit acheter de
la Rhubarbe veritable , paye le Rhapontic infiniment
plus qu'il ne vaut , à quoi Sa Majesté desi- ~
tant pourvoir. Vû Pavis de l'Académie Royale
des Sciences , ensemble celui des Députez du :
Commerce , &c. Le Roy a interdit et prohibé,
interdit et prohibe , à commencer du jour de la
publication du present Arrêt , l'entrée dans le
Royaume par tous les Ports , Passages , Provinces
, Pays , Terres et Seigneuries de son obéissance,
de la racine appellée Rhapontic ; en conse
quence , fait S.. M. deffenses à tous Marchands
Négocians et autres personnes de quelque quali é
condition qu'elles soient , d'en faire entrer ni
introduire dans le Royaume , sous quelque dénomination
que ce puisse être , soit qu'elle vienne
de Moscovie , ou autres Pays Etrangers , à
peine de confiscation , et de cinq cens livres d'amende
834 MERCURE DE FRANCE
mende contre chacun des contrevehans , &c.´¨
JUGEMENT rendu par M. Herault , Conseil
ler d'Etat , Lieutenant General de Police , et
M's les Conseillers au Siege Présidial du Châte-
Jet , Commissaires du Conseil en cette partie ; an
sujet de 875. Exemplaires imprimez , intitulez ;
Nouvelles Ecclesiastiques .
Il est dit par déliberation de Conseil et Jugement
en dernier ressort , 'ony sur ce le Procureur
General de la Commission , que ladite Marie
Reaubourg est déclarée dûement atteinte et con
vaincue d'avoir été arrêtée trouvée saisie de 875
Exemplaires, imprimez , Libelles intitulez Nou
velles Ecclesiastiques , qu'elle colportoit et introduisoit
dans Paris ; pour réparation , la condamnons
à être bannie pour cinq ans de la Ville ,
Prévôté et Vicomté de Paris , et en outre la
condamnons en trois livres d'amende envers le
Roy , a prendre sur ses biens. Ordonnons que
conformément à ce qui a été prononcé par l'Arrêt
du Parlement du 9. Fevrier 1731. les 871.
Exemplaires imprimez ayant en titre , Nouvelles
Ecclesiastiques , étant au Greffe de la Commission,
seront lacerez et brulez par l'Executeur de la haure
Justice , en Place de Greve . Ordonnons en ou
tre que le present Jugement sera , à la diligence
du Procureur General de la Commission , imprimé,
lû, publié et affiché , &c. Jugé le 23
Avril 1732.
ARREST du 24. Avril , pat lequel il est dit
ce qui suit.
Le Roy étant informé qu'entre plusieurs écrits
C'on affecte de répandre continuellement dans le
Public , sur les affaires présentes de l'Eglise , il
en
AVRIL. 1732. 835
en paroît deux sous le nom de Seconde et de Troi
siéme Lettre de M. l'Abbé de Lifle , sur les Miracles
de M.de Paris , où l'on trouve reünis plus que dans
aucun autre , tous les caracteres de Libelles veritablement
diffamatoires et séditieux , soit par la li
cence et la malignité avec laquelle l'Archevêque"
de la Capitale de ce Royaume y est témerairement
attaqué , sans aucun respect , ni pour sa
personne , ni pour sa dignité,,, soit par les traits
artificieux que l'Auteur de ces Ouvrages y a semez
, pour soulever les Fidelles du Diocèse de
Paris contre leur Superieur légitime , et pour
leur inspirer en même - temps le mépris de toute
authorité ; Sa Majesté auroit jugé à propos pour
faire cesser un si grand scandale , de fetrir promptement
les Libelles qui renferment en eux mêmes
le motif de leur condamnation , en attendant
que ceux qui en ont été les Auteurs , les
Imprimeurs ou les Distributeurs , étant connus
par une procedure régulière , ils puissent être puiis
avec toute la séverité qu'ils méritent , à quoi
étant nécessaire de pourvoir , SA MAJESTE
ESTANT EN SON CONSEIL , a ordonné et ordonne
, que lesdits Libelles intitulez Pun Seconde
Lettre de M. l'Abbé de Lifle sur les Miracles de
M. de Paris , et l'autre Troisiéme Lettre de M. l'Abm
bé de Life , sur les Miracles de M. de Paris , &c.
seront lacerez et brulez dans la Place du Parvis
de l'Eglise de Notre- Dame , par l'Executeur de
la haute Justice ; enjoint à tous ceux qui en ont
des Exemplaires , de les remettre incessamment
au Greffe du sieur Herault Conseiller d'Etat
Lieutenant General de Police , pour y être lacerez
et supprimez , &C.
TABLE
.
Ieces Fugitives. Uranie , &c. Epitre ,
Plo Voyage de Normandie , VIIIe Lettre ,
Remarques sur les Ruines de Vieux ,
L'Art des Jardins , Poëme ,
625
631
641
1656
Explication du Principe des Machines , &c. 661
Therese , Ode ,
672
Réplique sur l'Inscription d'Auxerre ,
674.
Ariane , Cantate ,
684
Remarques sur l'Eglise de Meaux ,
687
692
·693
706
Sonnet sur les Bouts - Rimez proposez ,
Réponse de M. Bouguer à M. Meynier ,
Vers à M. Fourmont >
Lettre d'un Professeur de l'Université , sur le Bureau
Typographique ,
Madrigal ,
707
721
Douzième Lettre sur la Bibliotheque des Enfans
, &c.
Dimentions du Bureau Typographique ,
Enigmes , Logogryphes , & c.
726
733
$737
Nouvelles Litteraires , des Beaux Arts , &c. 74%
Théatre Critique , Universel , &c .
Mythologie ou Histoire des Dieux , &c .
743
753
756
Discours de M. l'Evêque de Luçon à l'Académic
Françoise , &c.
Cerémonie en Estampes du Sacre du Roy, &c. 769
Lettre écrite à l'Académie de Peinture et Médail .
le gravée ,
Chanson notée ,
Spectacles ,
77
771
Le Triomphe de l'Amour , Piece nouvelle , Ex
trait ,
Nouvelles Etrangeres ; de Turquie , Russie ,
77%
Po
Jogne
fogne et Allemagne ;
D'Italie ,
7783
786
Espagne et Portugal , 792
Morts des Pays Etrangers , 793
France , Nouvellles de la Cour , & c. 794
Morts , Naissances et Mariages , 798
Addition , Mort de M Chirac , sa place remplie
par M. Chicoineau , 803
Sonnet à Mile
+809
Remarques sur une Estampe , &c
810
Idylle ,
818
Portrait de la Dile Sallé ,
819
Madrigal ,
ibid.
La vie du B. Vincent de Paul en Tableaux , 820
Conte
Lettre sur une nouvelle Pompe ,
Bouts Rimez ,
Ouverture des Académies ,
82:2
1823
825
826
Prix proposé par l'Académie des Sciences , 328
Arrêts notables ,
Errata de Mars.
831
Age 430. ligne 25. du Roy , lisez du Puy.
Fautes à corriger dans ce Livre.
PAge626. ligne 8.quelques , lisez quels que. P. 657. 1. 4. du bas , arnement , 1. ornement.
s'interesse. P. 685.1. 14. s'y interesse ,
P. 691. 1. 8..le , l . la.
Ibid. 1. 13. déployée , l. dépayséc.
P. 730. 1. 15. et , ôtez ce mot.
P. 754. 1. 3. l'ambition , l. que l'ambition.
P. 768. 1. 2. du bas , eût par , 1. eût eu par.
P. 775. 1. 1. l'Amour par sa , l. Bacchus soutint
que sa. Ibid. 1. 2. Bacchus , l . Amour. P. 780 .
J.16. le fant, 7.le faux . P.789 1.16. la, ôtex.cemm.
**********************
LISTE DES LIBRAIRES
qui débitent le Mercure dans les
Provinces du Royaume , &c.
A Toulouse , chez Enaut et Forest.
Bordeaux , chez Raymond Labottiere , chez
Etienne Labottiere , et chez Chapui , fils , au
Palais , et à la Poste.
Nantes , chez Julien Maillard , et chez du Verger.
Rennes , chez Joseph Vatar , Julien Vatar , Guil
laume Jouanet Vatar et la veuve Garnier.
-Blois , chez Masson.
Tours , chez Masson.
Rouen , chez Herault.
Châlons- sur- Marne , chez Seneuse.
Amiens , chez la veuve François , Godard et Redé
le fils.
Arras , shez C. Duchamp.
Orleans chez Rouzeaux .
Angers , chez Fourreau et à la Poste.
Chartres , chez Fetil , et chez J. Roux.
Dijon , chez la veuve Armil , et à la Poste.
Versailles , chez Pigeon.
Besançon , chez Briffaut , à la Poste.
Saint Germain , chez Doré.
'Lyon , à la Poste.
Reims , chez Godard .
A Vitry-le-François , chez Vitalis.
Beauvais , chez De Saint.
Douay , chez Willerval.
Charleville , chez P. Thesin.
Moulins , chez Faure.
La Médaille gravée doit regarder la page
*La Chanson notée,
778
774
Qualité de la reconnaissance optique de caractères