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1731, 04 (et supplément Relation historique, exacte et detaillée, de la derniere Révolution arrivée à Constantinople), 05
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John
Bigelow
tothe
Century
Association
*
DM
Mercure
1
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*
IM
My
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROT
AVRIL. 1731 .
QUE
COLLIGIT
STARCIT
Chez
A PARIS ,
( GUILLAUME CAVELIER
rue S. Jacques , au Lys d'Or.
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conty,
à la descente du Pont-Neuf , au coin
de la rue de Nevers, à la Croix d'Or.
JEAN DE NULLY , au Palais ,
à l'Ecu de France et à la Palme,
M. DCC. XXX I..
Avec Approbation & Privilege du Roy.
THE NEW XXXXXXXXXXXXXXX OK
PUBLIC LIBRARY
335166 .
AV IS.
ASTOR , LENOX D
TILDEN'FOUNDATIONS ADRESSE generale eft à
1905 Monfieur MOREAU , Commis au
Mercure , vis - à - vis la Comedie Frangoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très- inftamment , quand on adreſſe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
oin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
oûjours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non-feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la
premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau ,
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire porter fur
t'heure à la Pofte , ou aux MeJageries qu'on
lui indiqueza
•
PRIX XX X. SOLS.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROT.
AVRIL
. 1731 .
XXXXXXXX*************
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Prose.
A S. E. M.
LE CARDINAL DE FLEURY,
MINISTRE D'ETAT ,
"
Sur la liberalité qu'il a faite à l'Université
de Caën , pour l'augmentation de sa Bibliotheque.
D
O D E.
' Ou naît la soudaine allegresse
Qui transporte ici tous les coeurs ?
ON Un nouveau Mécene au Permesse
'Accorde aujourd'hui ses faveurs..
A ij Vien,
628 MERCURE DE FRANCE
Vien , mes délices , vien , ma Lyre ;
Sers la vive ardeur qui m'inspire :
Pour lui formons nos plus beaux Airs ;
Je veux que leur noble cadence
Annonce ma reconnoissance
Au Prince , au Peuple , à l'Univers
Chante un Prélat que voit la Seine
D'honneurs justement revêtu ,
Qui joint à la Pourpre Romaine
L'éclat d'une rare vertu ,
Qui sage , bienfaisant , affable ;
Tel que ce Mentor de la Fable ,
Fait chérir son autorité ,
Qui placé près du Diadême ,
Se montre auguste par
lui- même
Autant que par sa dignité.
Dans la Grandeur qui l'environne
Nul objet n'échape à ses soins ;
S'il veille aux droits de la Couronne ,
Il veille encore à nos besoins ;
Par lui la Foi , la Paix fleurissent ,
Les Loix de Thémis s'affermissent ;
Tout nous offre des jours plus beaux ;
Et de ce bonheur qu'il ménage ,
Laissant aux Sujets l'avantage ,
LEURY n'en prend que les travaux ,
Digne
AVRIL 1731. 629
Digne Emule du grand Fabrice , *
On le voit marcher sur ses pas ;
De la séduisante avarice
Son coeur méprise les appas.
Mortels ! qu'il en est peu d'exemples :
tes Trésors consacrés aux Temples
tedressent leurs murs chancelans ,
bu vont par
Dans
des routes secretes
cent tenébreuses retraites
Porter des secours consolans.
Quel riche trait pour son Histoire
Que l'apui qu'il donne aux beaux Arts f
Sur eux du milieu de sa gloire
Il jette ses plus doux regards :
Muses , troupe à ses yeux si chere
Vous n'êtes point une chimere ,
Ni des noms pleins d'un faux éclat §
Mais les filles de la Sagesse ,
Les meres de la Politesse ,
L'utile ornement d'un Eta
Un Temple fécond en miracles
Fait sur l'Orne admirer vos sons ;
* Consul Romain , le plus désinteréssé qu'ait
jamais vû la République.
L'Université.
A iij On
630 MERCURE DE FRANCE
On y voit de sçavans Oracles
Dicter vos plus pures leçons ;
Embrassant diverses matieres ,
Chacun de ses doctes lumieres
Augmente la splendeur du corps ;
Mais par combien dé découvertes
Ces fources qui leur sont offertes *
Vont-elles groffir leurs Trésors !
A quels travaux inimitables
Vois- je nos Neveux s'exciter ?
L'un écrit les faits mémorables ,
L'autre se forme à les chanter ;
Celui- ci creusant la nature ,
De l'oeil et du compas mesure
Les Eaux , l'Air , la Terre et les Cieux
Et , jusqu'à l'invisible Effence
L'autre élevant fa connoiffance
Ya fonder les Décrets des Dieux.
(
C'eft pour toi , Ville fortunée ,
Que FLEURY prodigue ses biens :
Quelle riante Destinée
Se prépare à tes Citoyens !
Tu verras tes Remparts superbes
La Bibliotheque.
En.
AVRIL. ' 1731. -631
Enfanter de nouveaux Malherbes ( a )
Des Huets , (b ) des Pyrons , ( c) des Calys ( d )
Sous l'Empire tranquile et juste
Qu'offre à nos voeux un autre Auguste ,
Tes lauriers orneront ses Lys.
Dans ton sein , Ecole sçavante ,
Faut-il qu'un noble empressement
Ne, puisse au Prélat que je vante
Dresser un pompeux monument !
Du moins signalant notre żele ,
Plaçons -y le portrait fidele ( e )
D'un si génereux Protecteur ;
Que cette immortelle Peinture
Instruise la race future
Du bienfait et du Bienfaicteur.
FLEURY , puisse un succés durable
Suivre vos projets glorieux !
(a ) Fameux Poëte.
(b) Evêque d'Avranches , et Précepteur de
M. le Dauphin , Ayeul du Roi.
$
(c) Professeur de Rhétorique au College du
Bois , et Editeur de Claudien , pour l'usage de
M. le Dauphin.
(d ) Celebre Professeur de Philosophie au
"College du Bois , Auteur de divers Ouvrages ,
centr'autres du Commentaire sur Boëce , pour
l'usage de M. le Dauphin. Tous de Caën .
(e ) Le Portrait de S. E. sera placé dans la
Bibliotheque.
A iij Puiffe
632 MERCURE DE FRANCE
Puisse la Parque inexorable.
Respecter vos jours précieux !
Soyez long- tems l'amour du PRINCE
Les délices de la Province ,
Le respect des Peuples épars ;
Soyez des Autels la défense ,
Vivez pour le bien de la France ,
Vivez pour l'honneur des beaux Arts .'
Par M. Heurtauld , Prêtre , Professeur an
College du Bois de l'Université de Caën.
XXXXXX :XX :XX :XXXXX
REFLEXIONS à l'occasion du Brutus
de M. de Voltaire , et de son Dis
cours sur la Tragédie..
I
'L ne faut pas être surpris que M. de
Voltaire aye saisi l'occasion que sa nouvelle
Tragédie lui a présentée naturèllement
, de donner dans un Discours préliminaire
ses idées sur cette espece d'ouvrage.
On doit être obligé aux Auteurs
qui se distinguent dans un Art de ce qu'ils
veulent bien ouvrir leur secret , et mettre
leurs Lecteurs dans les voyes qu'ils
se sont frayées ; ils aident ainsi eux-mêmes
au jugement qu'ils attendent , et ils
éclairent cette même critique qui doit
montrer
A V RIL. 1731. 633
montrer leurs beautés et leurs deffauts ;
car il y a par tout à louer et à reprendre :
les Auteurs du premier ordre sont seulement
ceux qui donnent moins de prise
à la censure.
On devoit encore s'attendre que M. de
Voltaire ne manqueróit pas de réclamer
les droits que la Versification et la rime
' ont pris depuis long - tems sur nos Piéces
de Théatre , et qu'un Ecrivain judicieux
et séduisant vient d'attaquer,comme contraires
aux succés des Auteurs , et par
conséquent au plaisir de ceux qui les lìsent
il sied bien à un bel esprit qui ,
comme M. de Voltaire , nous a fait sentir
si souvent le charme des beaux Vers¸
d'en proteger le mérite ; et quand même
ce mérite ne seroit pas aussi réél qu'il le
croit , ou aussi necessaire qu'il le supose
dans nos Tragédies , il faudroit lui pardonner
sa sensibilité pour un genre d'écrire
qui lui a acquis tant de gloire. Let
Public y a contribué de ses applaudissemens
, et nous avons par notre plaisir
notre part à sa reconnoissance pour un
tálent qu'il cultive avec succès , et qu'on
seroit fâché de lui voir negliger.
Il a si bien senti lui - même combien la
continuité du travail est utile à la perfec
tion , qu'il avouë à Mylord Bolingbrooke,
que lors qu'après son retours à Paris , il
Asy
3
4 MERCURE DE FRANCE
a voulu rentrer dans la carriere françoise
dont il étoit sorti durant deux années ; les
expressions et les Phrases de sa langue
naturelle se refusoient à ses recherches ;
l'habitude qu'il avoit contractée de penser
en Anglois rendoit sa nouvelle composition
difficile ; ensorte qu'en bien des
endroits on croit découvrir la contrainte
de la Traduction .
de
Le principal obstacle qu'il a trouvé ,
son aveu , à la facilité de l'execution , a
été la severité de notre Poësie , et l'esclavage
de la rime. Lors qu'il avoit écrit
en Anglois , il avoit joui de cette heureuse
liberté qui donne à l'esprit toute son
étendue , et qui le laissant arbitre de la
mesure des Phrases et de la longueur des
mots , le remplit seulement de l'importance
des choses .
>
Cependant M. de Voltaire , tout persuadé
qu'il est de la dureté de l'assujetissement
à la rime , quoiqu'il sente le poids
de ses chaînes et ce qu'elles peuvent
coûter à la justesse de l'expression , à la
vivacité du sentiment et à la liberté de la
pensée , ne veut pas permettre qu'on s'en
affranchisse. Je ne veux pas prouver directement
combien il seroit utile et raisonnable
de laisser les Auteurs à leur aise
sur cet article ; ce dessein a été executé
avec beaucoup de force , de précision et
d'éleAVRIL.
1731.
635
d'élegance par son ingénieux Auteur. ,
J'examinerai seulement les raisons sur lesquelles
M. de Voltaire se fonde dans son
nouveau discours , pour détourner un
usage ou une nouveauté qu'il n'approuve
point , et dont ses talens l'ont appris à se
passer.
Il ne faut point , dit-il , s'écarter de la
route que les grands Maîtres nous ont
tracée ; s'en faire une nouvelle , seroit
moins une marque de génie que de foiblesse.
Mais il me semble , au contraire , que
plus les Tragédies de Corneille et de Racine
, toutes écrites en Vers rimés , ont
eu de succès , plus elles l'ont mérité ; plus
on trouve de beautés dans ces Piéces , et
plus il y auroit du mérite de se procurer
un succès égal sans le secours de la rime.
Car si la rime prête des beautés réelles aux
Piéces de Théatre , ceux qui auront abandonné
cette voye auront dû prendre ailleurs
, pour nous plaire également , des
compensations heureuses qui nous empêchent
de regreter la Poësie rimée.
M. de Voltaire ne peut pas supposer
comme une chose certaine , qu'on ne peut
faire une bonne Tragédie sans Vers rimés ,
car c'est là précisément la question ; il
prétend que l'habitude que nous avons
aux Vers de Corneille et de Racine nous
A vj rend
636 MERCURE DE FRANCE
rend ce nombre et cette harmonie si nécessaires
dans toutes les Tragédies , qu'une
Piéce dans laquelle on trouveroit une
disposition sage , un interêt vif continu ,
et bien conduit , de grandes idées , des
sentimens élevés , une diction noble et
majestueuse , n'auroit que peu ou point
de succès , si elle étoit privée de l'agré--
ment de la rime.
Il suppose que c'est un agrément sur la
foi de l'usage dont il paroît ailleurs ne
faire pas grand cas . Mais bien des gens
prétendent que ce retour perpetuel de
deux grands Vers féminins et masculins
les fatigue & les ennuye , et que s'ils n'étoient
aidés d'ailleurs par l'interêt , par
les sentimens et par l'action de l'Acteur ,
ils ne soutiendroient point un aussi long
Ouvrage sans peine.
D'où peut venir que M. de Voltaire lui
même trouve nos Tragédies trop longues
, comme les Tragédies Angloises ?
Est- ce que nous n'en avons point de bonnes
? Mais il fait profession d'admirer
Corneille
et Racine ; il les propose l'un
et l'autre comme les grands modeles .
Ne seroit-ce pas par la même raison
qui a empêché que le Poëme Epique ne
réussit en France , et qui a toujours fait
trouver longs & insipides ceux qu'on a
asé composer. Ce n'eft. pas que l'on manque
AVRIL; 1731. 637
que de sujets à traiter , ni peut-être de
génies capables de le faire , M. de Voltaire
a montré ses ressources dans ce genre
; mais il faut convenir qu'il l'a un peú
alteré , et que sa Henriade , pleine de tres
beaux morceaux et des plus beaux Vers ,
n'est pas un veritable Poëme Epique.
C'est cette alternative necessaire et insuportable
à la longue de deux rimes masculines
et de deux rimes féminines qui
nous prive d'un bon Poëme , et qui affoiblit
surement le plaisir naturel d'une
action qui se passe sur le Théatre entre
des grands ou entre des gens ordinaires.
Ce qui fait que le même défaut n'ôte
pas aux Comédies et aux Tragédies tout
feur succès , tandis qu'il se fait perdre aux
Poëmes , c'est que dans les Piéces de Théatre
on est reveillé , comme nous l'avons
dit , par une action vive et animée ; les
Acteurs nous échauffent , et nous lès confondons
, à proportion de leurs talens
avec les personnages qu'ils représentent,
Qui s'est jamais avisé de dire que l'Enéïde
est un trop long Poëme , que cette
lecture est fatigante et difficile à soûtenir
? assurément l'interêt est bien foible ,
puisqu'on le trouvoit tel du tems même .
de Virgile , et que l'on sçait que Didon
et Enée furent séparés par plusieurs siecles.
Ses Vers y sont de la même mesure que
Tes
638 MERCURE DE FRANCE
les nôtres , tous Alexandrins , mais sans
rimes , et voilà qui les sauve de l'ennui ;
cette uniformité de sons que l'on appelle
harmonie , lorsqu'on en a besoin , ne se
trouve pas dans l'Enéïde , et dès là cette
lecture est toujours agréable.
Je conviendrai pourtant d'une chose ,
et c'est peut- être ce que veut dire M. de
Voltaire , lorsqu'il nous oppose les exemples
de Corneille , de Despreaux et de
Racine ; je conviens avec lui que les Ouvrages
que ces Auteurs celebres ont donnés
en Vers rimés ne seroient pas supportables
en Vers sans rimes ou en pure
Prose. C'est là que la raison de la coutume
se trouve dans toute sa force : quelque
belle que fut la traduction en Prose que
l'on feroit de ces Vers , on y reviendroit
toujours ; ils se présenteroient sans cesse
à l'esprit , et l'oreille accoutumée à l'impression
flateuse des beaux Vers de ces
trois hommes , souffriroit du déguisement
, parceque la mémoire rappelleroit
à mesure les Vers originaux .
Mais il faut aussi que l'on demeure
d'accord avec moi que cet évenement
seroit réciproque , si l'on traduisoit en Vers
un Ouvrage bien écrit en Prose , et qui
eut déja emporté, les suffrages. Il ne faut
pas douter que ce ne fut une entreprise
téméraire que de réduire en Vers l'Histoire
AVRIL. 1731. 639
toire de Zaïde , la Princesse de Cléves ,
les Exilés de Madame de Ville - Dieu , et
quelques autres Ouvrages de ce caractere
qui seroient susceptibles par eux- mêmes
d'une Versification noble , mais que l'on
voudroit toujours lire tels qu'ils nous ont
été donnés.
et
Ainsi on ne doit pas prétendre de faire
accepter une traduction en Prose des Ouvrages
écrits en beaux Vers , moins encore
des Vers de M. Racine que de tout
autre. Ce n'est pas que M. Racine par
un effet prodigieux de son habileté n'ait
donné aux Phrases dans presque tous ses
Vers la construction la plus naturelle ,
c'est parceque cesVers sont un effet surpre
nant de l'art, c'est parceque les Ve.s de M.
Racine sont les plus beaux Vers François
qui ayent jamais été faits , qu'il n'en faut
rien ôter ; il n'y faut pas toucher. Il faut
les voir tels qu'ils sont sortis de la main de
l'Auteur , ces Ouvrages immortels , où
malgré la gêne de la Versification et l'assujetissement
scrupuleux à rimer richement
, M. Racine a tout dit , selon M. de
Voltaire lui-même , de la meilleure maniere
, et bien mieux que tous ceux qui
ont écrit dans son genre avant et après
lui.
C'est aussi ce qui me fit dire à M. de la
Mothe , il y a environ deux années
lors
2
640 MERCURE DE FRANCE
lorsqu'il me fit la grace de me faire part´
de son Essai de Prose sur la premiere
Scene de Mithridate , que c'étoit bien le
moyen de faire entendre sa pensée , mais
non pas de faire recevoir son dessein :
que les Vers de M. Racine étoient construits
de façon qu'on ne pouvoit pas esperer
de les faire oublier , et qu'en les
décomposant , pour essayer l'effet de la:
Prose , on les feroit seulement admirer
davantage.
Il est bien certain que M. de la Mothe
n'a jamais eu en vue de diminuer le prixdes
Vers de M. Racine ; en les réduisant
en Prose , il a prétendu faire voir que les
choses que M. Racine nous a laissées en
Vers pourroient se passer de cette parure
sans rien perdre de leur mérite , ni de
l'impression qu'elles font sur nous. Je
crois entrer dans son sens et entendre sa
pensée ; mais j'avoue que je ne sçaurois
l'adopter. Il ne faut point essayer la Prose
sur des beaux Vers -connus de tout le monde
: on y reviendra par goût , et sur- tout
par habitude. C'est des nouvelles Piéces
en Prose que l'on doit attendre un grand.
succès , pourvû qu'elles soient écrites
comme il convient.
Je dis pourvû qu'elles soient écrites >
comme il convient ; car en démontant
les Vers de M. Racine de la maniere que
M
AVRIL: 1737. 641
›
M.de la Mothe l'a fait, il n'en résulte point
une belle Prose . M. de Racine auroit écrít
autrement , auroit mieux écrit , et M. de
la Mothe aussi . C'est donc à tort qu'après
nous avoir donné cette épreuve il interpelle
les gens sensez et déprévenus , et
qu'il les sollicite d'avouer qu'ils n'ont
rien perdu à ce renversement , et que
l'impression à leur égard est toûjours la
même. Ils répondent que non , ils redemandent
les Vers de M. Racine , comme
ils redemanderoient sa Prose , s'il avoit
écrit Mithridate en Prose , et que quelqu'un
le donnât en Vers .
Qu'une Tragedie , belle d'ailleurs , et
digne d'être applaudie , ne soit connuë
qu'en Prose ; on l'écoutera on la lira
après un certain tems tout comme si elle
étoit en Vers. Qui est-ce qui ne lit pas
le Telemaque , et qui ne l'admire pas en
le lisant ? Je ne doute pourtant pas que
s'il eût été donné en beaux Vers par un
homme tel que M. Racine , avant qu'il
parût en Prose , tel que nous l'avons aujourd'hui
; je ne doute pas , dis je , que le
Telemaque de Racine n'eût obscurci le
Telemaque de Fenelon . Maintenant il ne
seroit plus tems ; le gout pour le Telemaque
est universel , l'habitude est inalterable
, et les plus beaux Vers , les Vers
les plus heureux et les plus accomplis
ne
642 MERCURE DE FRANCE
ne seroient regardez que comme une Traduction
imparfaite ; je croi même qu'elle
ne sçauroit être bonne .
Par exemple encore , M. de la Mothe
lui- même , vient de hazarder une Ode en
Prose ; on voit dans cette Ode tout le
feu , toute l'élevation et toute la magnificence
de la Poësie. Pourquoi la lit- on
telle qu'elle est ? Parce qu'on ne l'a pas
autrement. Mais que M. de la Mothe nous
donne cette même Ode en beaux Vers
Lyriques , tels que ceux de l'Astrée et de
presque toutes ses Odes , il verra que ses
Vers feront oublier sa Prose , quelque
noble et quelque harmonieuse qu'elle
nous paroisse. Pourquoi cela ? Parce que
nous ne sommes pas encore accoûtumez
à lire des Odes en Prose , et jusqu'à nouvel
ordre il faudra pardonner à ceux
qui exigeront qu'elles soient en Poësie
rimée.
M. de Voltaire , qui sent ses avantages,
ne veut point se désaisir de la Versification
, et la rime ne l'effraye point. M. de
la Mothe , qui est sans interêt dans cette
querelle , puisqu'il nous a fait voir qu'il
sçavoit tout écrire en Vers et en Prose ;
M. de la Mothe , dis-je , et bien des gens
avec lui , demandent au Public la liberté
de faire parler des Rois , des Reines , des
Ministres d'Etat , des Generaux d'Armée,
en
AVRIL. 1731. 643
en belle Prose , telle qu'ils sont censez
la parler et telle qu'il la sçauroit , faire
lui - même. Car il faut demeurer d'accord
qu'il écrit avec beaucoup de pureté , beaucoup
de clarté , de noblesse et d'élegance .
Ce seroit un vrai modele , s'il étoit permis
d'en imiter quelqu'un.
Qu'est- ce donc que l'on prétend lorsqu'on
veut faire recevoir des Tragédies
en Prose , et quel est le dessein de ceux
qui appuyent cette idée ? Le voici. Les
Tragedies qui ont parû depuis M. Racine
, sont toutes inferieures aux siennes
dans tous les sens ; c'est une verité dure,
mais incontestable. Un grand nombre
d'Auteurs de nom et de mérite ont courru
cette carriere avec un médiocre succès.
Je ne sçai si dans ce genre un succès
médiocre ne peut pas être compté pour
mauvais ; on a cherché les causes de ce
décroissement ; on a trouvé que parmi
ces Auteurs, quelques -uns avoient tout le
génie qui est nécessaire pour faire une
bonne Tragedie ; on a vû qu'ils sçavoient
disposer les évenemens , soutenir les caracteres
, jetter de l'interêt , qu'ils avoient
de la chaleur et du sentiment ; qu'ils sçavoient
faire à propos des portraits affreux
du vice , des peintures agreables de la
vertu qu'ils étoient fideles à la faire
triompher du crime et de la trahison .
噩
On
644 MERCURE DE FRANCE
On a vû qu'indépendamment des beautez
génerales qui constituent essentiellement
une bonne Tragedie , ils avoient
mis des beautez de détail , qui , quoiqu'elles
ne fassent pas le principal du
Poëme Dramatique , servent pourtant
beaucoup à le soutenir.
Malgré tous ces avantages , ces Poëmes
ne plaisent point , ne plaisent pas longtems
, ou ne plaisent pas toujours . On ne
les lit point , on y cherche quelques morceaux
détachez , on laisse le reste ; et le
gout seul
que l'on a pour la nouveauté
ou le grand Art d'un Acteur, soutenu par
quelques grands traits , par quelques tirades
brillantes , ou par l'interêt de l'action
, ont fait la réussite de toutes ces differentes
Pieces durant quelques Réprésentations.
Il ne restoit plus pour les excuser , que
d'attribuer le foible succès d'un Ouvrage,
bon d'ailleurs , à une diction défectueuse
›
età une expression
languissante
ou forcée.
Cependant
ces Auteurs connoissent
leur
langue ; ils parlent bien ils écrivent
bien en Prose ; ils donnent
des regles et
des exemples
dans l'Art de bien dire.
Il faut donc que ce soit la contrainte
de la rime et de la mesure des Vers qui entraîne
ces vices de l'expression
, et qui
coute aux Auteurs un plein succès , à
nous
AVRIL. 1731. 645
nous des Ouvrages plus accomplis.
Essayons , a-t'on dit , d'écrire ces mêmes
Ouvrages en Prose. Affranchissonsnous
du méchanisme de la Poësie , qui ,
aussi -bien nous fait perdre un tems précieux
que nous employerons à trouver des
choses ; et si après cette épreuve , on ne
réüissit pas mieux , nous serons forcez
d'attribuer ces affoiblissemens à la déca-
Edance des esprits.
Il n'y a rien que de raisonnable dans
ce Plan ; car enfin on n'a pas besoin de
Vers ; on peut se passer de Poësie ; mais
on ne peut pas se passer de Pieces de
Théatre . On sçait combien d'utilité et de
plaisir ce Spectacle apporte dans la societé
et dans les grandes Villes , il seroit
dangereux de le supprimer. Il faut
donc laisser aux Auteurs qui se sentiront
du génie pour le Théatre , mais qui seront
sans talens pour la Poësie rimée , il
faut leur laisser laliberté de nous amuser et
de nous instruire par le langage ordinaire,
pourvû qu'il soit noble et élegant. On ne
prétend pas pour cela ôter aux Poëtes , nez
Poëtes, la gloire qui les attend . On ne demande
pas mieux que de voir entre les Dramatiques
Poëtes et les Dramatiques Prosateurs,
cette émulation qui les excitera mutuellement
; ils en auront plus de gloire ,
et le Public plus de plaisir.
Qu'on
646 MERCURE DE FRANCE
Qu'on ne dise point que c'est proposer
une diminution de plaisir ; c'est supposer
ce qui est en question . Il est question
de sçavoir si le plaisir que les Vers nous
donnent dans la Tragedie , est un plaisir
d'habitude. Il n'y a qu'à essayer de faire
des Tragedies en Prose ; et si après l'essay,
toutes choses d'ailleurs égales , la Poësie rimée
l'emporte,il faudra encore en attendre
que l'habitude à la Prose ait été formée ,
pour que l'on puisse juger sans prévention .
Dailleurs il s'en faut bien que ce soit
proposer au Public de diminuer son plaisir
. En premier lieu , il est supposé que
ceux qui donneront des Tragedies en
Prose , ne les auroient point données en
Vers , parce qu'ils n'en sçavent pas faire.
'Ainsi le Public ne perd rien de ce côté ,
et il y gagne de l'autre des nouvelles Pieces
que sa condescendance lui procurera ,
et qu'il aura le plaisir singulier de comparer
avec les Poëmes Dramatiques rimez
qui sont déja en possession de son estime,
et les nouveaux qui la meriteront.
Je ne dis rien pour deffendre les Vers
François sans rimes ; on n'en a que faire.
Tout ce que M. de Voltaire a dit sur cela
est vrai , mais ne fait rien contre nous ;
nous voulons plus que cela ; c'est à- dire
de la Prose , mais belle , élegante , nombreuse.
Il
AVRIL. 1731 . 647
Il ne faut pas que l'on craigne de voir
paroître un trop grand nombre de Tragedies
en Prose. Nous avons vû jusqu'à
present que le nombre de ceux qui ont
bien écrit en prose à un certain point ,
n'est pas plus grand que le nombre des
bons Poëtes . La belle Prose est aussi rare
que la belle Poësie , et a bien autant de
merite. Elle est , du moins , plus propre.
à persuader , à convaincre , à émouvoir ,
à penetrer ; s'il en étoit autrement , la Poësie
rimée devroit être aussi le langage du
Barreau , et sur tout de la Chaire. Si la
Poësie réussissoit mieux à inspirer la terreur
et à remuer les ressorts du coeur , la
Prose devroit être interdite aux Prédicateurs
, et à proportion de la necessité
de l'importance et de l'immensité l'interêt
, la regle devroit être à leur égard ,
plus sacrée et plus inviolable.
Pour revenir à nos Tragedies , pourquoi
assujettirions- nous les Auteurs qui .
sont capables d'en faire de bonnes , quoiqu'ils
ne sçachent pas faire des Vers à cet
arrangement bizarre et pénible , puisque
les autres Nations qui ont aussi des Tragédies
, n'imposent pas la même contrainte
?
Qu'on ne réponde pas que la Langue
Françoise est plus bizarre elle-même , et
plus difficile à manier ; cela prouve pour la
Prose
648 MERCURE DE FRANCE
Prose contre la Versification . Est- il sage
d'ajouter de nouvelles difficultez à ce qui
n'en a déja que trop ? Selon M. de Voltaire
, l'Anglois , par exemple , a plus de
liberté dans sa Langue , il peut faire des
mots nouveaux , il peut , à son gré , étendre
ou resserrer les termes connus. Quelle
plus grande liberté un Poëte peut-il desirer,
à qui conviendroit- il mieux de s'assujettir
àla mesure et à la rime ?LesAnglois
s'accoutumeroient aux Vers rimés ; les
François s'accoutumeroient aux Tragedies
en Prose : pourquoi ne s'y accoutumeroient-
ils pas ? M. de Voltaire le dit avec
nous ; la Nature n'est- elle pas la même
dans tous les hommes ? Il faut qu'il convienne
aussi que c'est l'habitude que nous
avons aux Tragedies en Vers , qui nous
fait regarder cette forme comme necessaire
.
rez ; ils
La belle Prose est noble , douce , facile
, naturelle ; elle persuade , elle touche
; c'est le langage de la raison et l'or
gane de la verité .... Ne faisons point
d'énumeration des prodiges qu'elle a opepassent
ceux que la Fable a prêtez
à la Poësie. La Poësie peint avec force
mais elle outre les caracteres. Elle lou
avec emphase , ses Panegyriques sont des
apothéoses ; elle blâme avec rigueur ; tous
ses traits sont enflammez ; elle exager
égale
AVRIL.
1731.
649
également les vertus et les vices. Elle est
magnifique dans ses images et dans ses
descriptions ; mais pour vouloir embellir
la Nature , elle la cache ou la rend méconnoissable.
La rime est capricieuse , et
la mesure est un veritable esclavage . La
Prose plaît à tout le monde ; la Versification
déplaît à ceux qui n'y sont pas
accoutumez , c'est un fait d'experience.
Disons donc avec M. de Voltaire , quoiqu'il
ne le dise pas toujours, c'est à la coûtume
, qui est la Reine du monde , à changer
le gout des Nations , et à tourner en plaisirs
les objets de notre aversion.
Mais , dit M. de Voltaire , cette coûtume
est devenue un plaisir , et les François
aiment les Vers , même dans les Comedies.
Qui le conteste ? Je dis plus ,
qui conteste qu'ils ne doivent les aimer ?
Car je le repete , on ne veut point exclure
la rime du Théatre , et le Public sollicite
M. de Voltaire en particulier , de
cultiver l'heureux talent qu'il a reçû pour
ce genre d'écrire. On veut introduire la
Prose seulement en faveur de ceux qui
ont du génie pour le Théatre, et qui n'ont
point le talent des Vers. On ne sçauroit
douter que ces deux especes de mérite
ne puissent être divisées ; autrement il
en faudroit conclure , que tous ceux qui
sçavent faire des Vers , sçavent aussi faire
B dès
650 MERCURE DE FRANCE.
des Tragedies , ce qui est contre l'experience.
Ainsi il ya à gagner pour les Poëtes
Dramatiques et pour le Public. Le Public
aura un plus grand nombre de Tragedies
, à force de repetitions les anciennés
sont un peu usées . Les Poëtes Dramatiques
auront la gloire d'effacer les Dramatiques
Prosateurs , si en effet ceux - cy
n'ont pas d'aussi grands succès.
Des Comedies en Prose plaisent tous
les jours. On auroit souhaité que M. de
Voltaire eût bien voulu marquer quelles
sont les Comedies de Moliere écrites
en Prose , que l'on a été , dit - il , obligé
de mettre en Vers. Il y a de nouvelles
Comedies en Prose , où l'on va avec grand
plaisir. Cette disposition du Public ne
fait-elle pas augurer pour le succès de la
Tragedie en Prose ? Alors on aura moins
à craindre que jamais , ce dont M. de
Voltaire se plaint , que des Pieces mal
écrites ont cû un succès plus grand que
Cinna et Britannicus .
>
Qu'il me soit permis de dire en passant
que je crois être fondé à supposer
bien des beautez dans une Piece , qui
quoique mal écrite , a un succès plus
grand que les meilleures des plus grands
Maîtres . Car enfin c'est le Public qui
P'on écrit : doit juger ; c'est
pour lui que
et
AVRI L. 1731 .
651
et s'il a fait grace quelquefois à l'expression
en faveur de l'interêt et du sentiment
, que ne devroit - on pas attendre de
sa justice , si l'on y joignoit encore la pureté
de la diction et l'éloquence des
roles ?
pa-
Il ne faut pas qu'on tire avantage de
ce que les plus belles Pieces de Théatre
sont en Vers , et l'on ne peut pas dire
que les plus beaux Ouvrages sont en Poësie
rimée. En premier lieu , l'usage de la
Prose n'est point établi pour de certains
genres ; il faut la voir faire pour la comparer.
De plus , je ne crois pas qu'il soit
bien décidé que ce soit à la contrainte
des Vers rimez que l'on doit ces excellens
morceaux.
En second lieu , tant s'en faut que l'on
puisse avancer que les plus beaux Ouvrages
sont en Vers rimez , que la plûpart
de ceux qui sont écrits ainsi , sont
des Ouvrages frivoles.
Enfin , M. de Voltaire frappe le grand
coup pour détourner des Auteurs de faire
des Tragedies en Prose , et le Public de
les recevoir et de les entendre . » Si au
» milieu des Tableaux de Rubens , dit-
» il , ou de Paul Veroneze , quelqu'un ve-
»noit placer ses Desseins au crayon , n'au-
» roit- il pas tort de s'égaler à ces Peintres ?
>> On est accoûtumé dans les Fêtes à des
Bij >> Danses
652 MERCURE DE FRANCE.
» Danses et à des Chants ; seroit- ce assez
» de marcher et de parler , sous prétexte
» qu'on marcheroit et qu'on parleroit bien
»et que cela seroit plus aïsé et plus na-
>> turel.
J'étendrois trop ces Refléxions , si je
marquois toutes les raisons de difference
que l'on trouve dans les paralleles . J'admettrai
le premier lorsque M. de Voltaire.
m'aura fait comprendre qu'un Dessein
au crayon est un Tableau ; car il n'a pas
besoin qu'on lui montre qu'une Tragedie
en Prose est une Tragedie .
On est accoûtumé dans les Fêtes à chanter
et à danser , ainsi il ne suffiroit pas de
marcheret de parler, cela est incontestable;
parce que la danse et le chant entrent necessairement
dans l'idée d'une Fête . Ensorte
que la Danse ôtée , les pas que formeroient
un grand nombre de personnes
assemblées , ne seroient qu'une promenade
triste , froide et insupportable ; le
Chant ôté , ce ne seroit plus qu'une conversation
fade et ennuyeuse. Mais a- t'on
jamais dit que la rime et la mesure des
Vers constituent essentiellement une Tragedie.
En France même , qui est le seul
Pays où l'on voit des Tragedies en Vers
rimez , a-t'on jamais défini la Tragedie
en Poëme à Vers Alexandrins à rimes
plates ? M. de Voltaire sçait parfaitement
ce
+
AVRIL. 1731. 653
e qui constitue le Poëme Dramatique ;
j'en prendrai volontiers la définition de
sa main , et je suis déja sûr qu'il n'y fera
seulement mention ni des Vers ni de
la rime.
pas
A quelle sorte d'ouvrage la rime et les
Vers semblent-ils appartenir plus specialement
qu'au Poëme Epique ? La Poësie
qui y est absolument necessaire et dont
on doit presque toujours se garder dans
la Tragedie , exige , ce semble , ce nombre
qui sert à l'embellir ; cependant nous
avons un Poëme en Prose que personne
ne trouve trop long , et que personne
n'entreprendra apparamment de mettre
en Vers.
Ainsi le Chant et la Danse sont nécessaires
aux Fêtes , parce qu'où il n'y
a ni Chant ni Danse , il n'y a plus de
Fête , du moins de cette espece de Fête
que M. de Voltaire suppose. Mais il ne
s'ensuit pas que que les Vers soient essentiels
à la Poësie Dramatique qui subsisteroit
bien sans leur secours ; ainsi la rime peut
bien être necessaire aux Vers François ,
soit à cause que l'habitude est formée
soit à cause du génie même de notre Langue
; mais elle n'est point necessaire au
Poëme Dramatique .
Voilà mes idées sur la dispute qui s'est
élevée dequis quelque tems au sujet des
Biij Tra654
MERCURE DE FRANCE .
que
Tragedies en Prose. Les endroits où M. de
Voltaire a touché cette question dans son
Discours sur la Tragedie , m'ont donné
occasion de les développer. Idées ébauchées
qui serviront peut- être de Canevas
à quelque personne plus éclairée moi
et plus exercée à écrire. Il y a sur tout
de la sincerité dans mes Refléxions et
dans le temperamment que j'ai pris entre
la Prose et la Versification . Ceux qui
me connoissent ne me soupçonneront pas
de prévention ; car quoique je ne sçache
pas faire des Vers , ( du moins je ne le
crois pas ) j'ai une passion si forte pour
la déclamation , et je suis d'ailleurs si
persuadé qu'elle sera difficile ou changée
sensiblement dans les Tragedies en Prose
, que je ne puis m'empêcher de la regretter.
Cependant il me paroît qu'elle ne sed
roit pas impraticable , sur tout aux Ccmédiens
de Paris. On en a perdu deux
qui, chacun, auroient guidé leur sexe; mais
il en reste , qui avec de la docilité et de la
patience pourroient y réussir , les autres
s'y accoutumeroient avec le tems , quand
ce ne seroit que par imitation. Le Public
auroit d'abord de l'indulgence , il s'accoutumeroit
lui- même , et il parviendroit enfin
à voir représenter indifferemment des
Tragedies en Vers et des Tragedies en
Prose
A
AVRIL.´ 1731 . 1731 655
Prose , comme il voit tous les jours des
Comedies dans ces deux genres.
J'ai essayé moi - même de déclamer de
la belle Prose , et il m'a parû qu'il ne
falloit pas desesperer. Ceux qui font une
profession publique d'exercer ce talent ,
doivent avoir plus de ressources . Plus on
s'est appliqué en déclamant , à rompre
la mesure des Vers , moins on y trouve
de la difficulté . Cette maniere avoit bien
réussi , on la devoit à l'art admirable du
grand Maître de la Déclamation , que
l'on regrettera long- temps ; on peut la
faire revivre et accoutumer ainsi insensiblement
à la Prose.
Or n'entendons- nous point quelquefois
de certains Orateurs déclamer leurs Pieces
d'Eloquence ? Et qu'étoit donc cette
action si vive , si pathetique du celebre
Orateur de la Grece , qui causa tant d'admiration
à son Rival même ; qu'étoit - ce
si - non une Déclamation animée qui aidoit
à la persuasion , et qui alloit au coeur ?
On donnera le mois prochain les Reflexions
sur la Tragedie de Brutus.
B iiij
SUITE
656 MERCURE DE FRANCE
'SUITE des Nouvelles de Paphos ,
l'An de l'Amour 1731 .
ONN a reçû des Lettres de Paris ,
Qui portent en substance ,
Qu'Iris est en convalescence.
Et ces jours passez , quelques Ris ,'
Sont arrivez à tire d'aîle ,
Pour en confirmer la nouvelle.
On pense ici differemment ,
Sur cet heureux évenement.
L'Amour en montre une allegresse entiere ,
Mais on remarque que sa mere ,
Reçoit la chose froidement ;
Que sans trop en faire mistere ,
Au rapport des Courriers elle entra brusquement
Dans son Appartement.
Cependant le Dieu de Cythere ,
Vient d'ordonner par un Edit ,
Dans les Païs de son obéissance ,
Trois jours pleins de réjouissance .
Et lui même , à ce que l'on dit ,
Dans sa Cour prépare une Fête ,
Dont Vénus à martel en tête.
Concert , Comedie , Opera ,
Bals , Jeux , Festin , et catera ,
Y
AVRIL.
1731 657
Y feront chacun leur office.
On y joint un Feu d'artifice ,
Et Vulcain le composera.
Ce Dieu ne fut jamais dans l'ame ,
Tout- à-fait content de sa femme ,
Et n'est pas fâché par ce feu ,
De la mortifier un peu.
On doit d'Iris y placer la Statuë :
De l'Echarpe divine elle sera vétuë ,
Les Graces la couronneront ,
Et les Plaisirs l'entoureront.
Ces quatre Vers se feront lire ,
Sur un Piedestal de Porphire.
Des Dieux, ainsi que des Mortels ,
Se réunit ici l'hommage ,
La Beauté dont on voit l'image ,
Mérite un culte et des Autels.
SUITE de la Réponse à la Lettre sur
la gloire des Orateurs et des Poëtes.
L'Eloquence
de la Chaire et du Bary
reau sont d'une si grande utilité
qu'on a une obligation infinie à ceux qui
veulent bien y employer leurs talens ; il
n'en est pas de même des Poëtes , et
quelque préference que vous vous effor-
Bv
ciez
658 MERCURE DE FRANCE.
ciez de donner à Racine sur M. Flechier,
dans l'endroit où ils peignent tous les
deux la puissance du souverain Maître
de l'Univers , je crois que le Discours a
plus fructifié que le Poëme , et si l'un
paroît plus élevé que l'autre , c'est que
les pensées ne sont pas précisement les
mêmes , et que la Chaire de verité qui ne
souffre rien d'enflé , rien d'empoulé , rien
d'allambiqué , ne permettoit pas au sçavant
Evêque de Nîmes , de donner dans
le Phebus ; d'ailleurs on conviendra que
ces images monstrueuses d'un Dieu , tendent
plus à surprendre , qu'à émouvoir
à frapper l'esprit , qu'à toucher le coeur
et à effrayer l'Auditoire , qu'à le convaincre
de la Puissance divine.
Pour fasciner les yeux du Lecteur , vous
analisez les chefs- d'oeuvres des plus grands
Maîtres de la Poësie , vous mettez en oeuvre
tout ce qu'on peut imaginer de speeleux
pour étayer un sentiment ruineux,
et je vois bien qu'on ne pourroit vous
convaincre ' de l'hereticité de votre opinion
, qu'avec l'autorité des exemples ;
mais comme le grand nombre que j'aurois
à citer , si je ne voulois jamais finir ,
m'effraye ; j'ai fermé les yeux sur une
infinité d'éloquens Ouvrages que nous
voyons sortir de l'Académie Françoise
comme les Ruisseaux de leur source
و
et
$
AVRIL 1731. 659
y
et je me suis borné à ce qui suit.
Un de nos Rois qui marchoit à la tête
de son armée , voyant l'Ennemi et l'heure
du combat s'approcher , fait une Harangue
à ses Soldats. J'en appelle au jugement
des fameux Poëtes de l'Antiquité ;
n'invoqueroient-ils pas toutes les Puissances
du Parnasse pour faire parler dignement
ce grand Prince ? Oui , sans doute ,
ils le prépareroient par un talia fatur ou
par quelque chose d'équivalant , à circonstancier
l'approche de l'Ennemi , sans
oublier le son bruyant des Trompettes,
ni l'éclat que leurs Armes reçoivent de
la refléxion du Soleil ; après avoir promené
les Soldats dans tous les endroits
signalez par leurs anciennes Victoires , ils
les reconduiroient au Champ de bataille ,
où par une exageration fastueuse de l'honneur
qu'ils ont d'avoir le Roi à leur tête
et des récompenses qu'ils en peuvent attendre
, ils employeroient tout le tems
du combat à les haranguer. Que ces Nourrissons
des Muses , qui font descendre
leurs Héros dans un détail trop poëtique,
apprennent de ce grand Roi, à ne plus
dégrader l'Eloquence héroïque , il parle
moins qu'eux , et il dit davantage ; écou
tons comme il s'explique. Voila l'Ennemi,
Vous êtes François , je suis votre Roi. Quelle
dignité quelle majesté ! quelle sublimité
B vj tous
660 MERCURE DE FRANCE
tous les Poëtes ensemble feroient de vains
efforts pour nous donner quelque chose
qui approchât de ce Discours ; jamais si
peu de paroles n'ont renfermé un si grand
sens , et cette citation ne vous laissant rien'
à desirer , Monsieur , je me contente de
renvoyer les curieux aux Oraisons Funebres
de M. Flechier , aux Plaidoyers de
Patru , aux Oeuvres de S. Evremont , aux
Caracteres de la Bruyere , et à mille autres
Ouvrages de ce genre , qui préconisent
d'eux- mêmes l'Eloquence , et dont
les beautez frappantes font assez son
éloge.
و J'avoue Monsieur , à la honte du
Christianisme , que l'on fréquente plus
volontiers les Jeux et les Spectacles que
la Maison du Seigneur , et qu'on s'y plaît
davantage ; le fruit qu'on en tire est cependant
bien funeste , et nos Pieces comiques
dont une intrigue amoureuse est
toûjours le mobile , soüillent l'ame , énervent
l'esprit , et corrompent le coeur de
quiconque n'a pas assez de discernement
pour voir que la verité y est toûjours fardée
, et que le crime y prend un caractere
d'héroïsme qu'on ne doit
dre avec la vertu .
pas confon-
Cet abus vient encore de ce qu'on veut
être touché à la Comedie , et se plaire
au Sermon ; si on y assistoit dans un autre
esprit
AVRIL. 1731. 661
esprit , on sortiroit sain et sauf du Spectacle
, et on rapporteroit toûjours de l'Eglise
un exterieur content , un coeur penetré
, un esprit docile et une ame exemte
de soüillure ; la Chaire même et le Bareau
, ont des Sujets capables de nous dédommager
de toute la Poësie du monde ,
il ne faut pas un si grand effort de la raison
pour leur rendre cette justice.
L'indigence des Poëtes n'enrichit certainement
pas leur Panegyrique , et le
langage du Renard de la Fable à l'aspect
d'un Raisin qu'il desire et qu'il ne sçauroit
avoir , contribuë fort peu à leur justification
; il est plus vrai de dire que la
Poësie n'est utile aux Poëtes qu'autant
qu'ils le sont eux-mêmes au Public. L'Eloquence
rend, au contraire , l'Orateur
puissant et recommandable , parce qu'elle
sert à tout. Elle s'occupe aux interêts de
la Religion et à ceux de l'Etat , elle s'attache
à la Campagne aussi- bien qu'au Cabinet
, elle préside aux Etats , elle opine
dans les Conseils de Guerre ,va au combat,
et elle a plus de part au gouvernement
des Royaumes et au Ministere , que les
Ministres mêmes.
les
Jugez après cela si ce n'est pas compromettre
gens d'esprit et de bon gout ,
les Héros et le beau Sexe que de se vanter
de leur suffrage dans une aussi mauvaise
cause,
662 MERCURE DE FRANCE
se . Je suis persuadé qu'ils desavoüent unanimement
votre Lettre , les Dames y ont
sur tout un interêt fort sensible , la Poësie
en fait des portraits grotesques où la
vraisemblance est si peu gardée , que
leur merite seroit encore inconnu , si une
Prose élegante n'avoit pris soin de peindre
le beau Sexe tel qu'il est , c'est- à-dire,
joignant à toutes les
du graces corps les
plus puissans charmes de l'esprit , et cet
usage du monde qu'il faut avoir pour
être parfaitement éloquent , n'étant autre
chose que le commerce des Dames , j'ose
assurer qu'elles prennent plus de part à
la gloire des Orateurs qu'à celle des
Poëtes.
A Dieu ne plaise cependant que j'aye
intention de dégrader la Poësie , je sçais
trop l'estime qu'ont eu pour elle de tout
rems les hommes les plus illustres , mais
je suis bien aise de vous apprendre que
Fes Orateurs étoient si distinguez parmi
les Grecs et les Romains , qu'on faisoit
faire souvent des images , des Statuës et
des Inscriptions à leur honneur , que
leur mérite étoit une voye de parvenir
à tout , même au souverain pouvoir , et
qu'ainsi tout le crédit qu'avoient les Poëtes
à la Cour des plus grands Princes ,
peut s'entendre de l'honneur qu'ils recevoient
le plus souvent de ceux que ?
PE
AVRIL. 173.1 . 663
l'Eloquence avoit élevez à la souveraineté
.
Au reste on peut encore juger de l'éclat
des Orateurs pour l'importance des
personnages que l'on compte parmi eux,
comme les Cesars , les Scipions , les
Gachques , et tant d'autres Romains illustres
d'ailleurs par les plus grands exploits .
La Chaire retentit aussi tous les jours du
nom respectable des Chrisostômes , des
Ambroises , des Gregoires et des saints
Prédicateurs , dont l'eloquence victorieuse
a ravagé tant de consciences , subjugué
tant d'esprits et conquis tant d'ames.
La France enfin nous fournit assez de
preuves , et sans aller plus loin , nous
voyons les trois premiers emplois du
Royaume si bien distribuez , qu'on diroit
que l'Eloquence elle même en estrevêtuë,
Episcopat , le Ministere et les Charges
de Magistrature n'ont rien de trop élevé,
et à quoi ne puisse parvenir un homme
éloquent ; les Poëtes , au contraire , re
sont jamais que des Poëtes , ils n'ont de
rang , de crédit et d'autorité qu'au Par
nasse , tout leur bonheur consiste dans-
Festime qu'on fait d'eux lorsqu'ils s'en
rendent dignes ; et ce prétendu langage
des Dieux , que vous ne pouvez préconiser
qu'avec celui des hommes, c'est-à- dire,
sans le secours de l'Eloquence dont votre
Lettre
664 MERCURE DE FRANCE
Lettre est un modele parfait , suffit pour
faire respecter un talent qu'on ne sçauroit
attaquer qu'en l'opposant à lui - même
; pour moi , Monsieur , qui n'ai d'autre
mérite que le zele , je m'estimerai
très-heureux si le desir que j'ai eu de
vous desabuser , peut vous persuader de
l'estime particuliere avec laquelle j'ai
l'honneur d'être , &c.
J. G. Duchasteau , Bachelier en Droit.
PARAPHRASE DE L'ODE XIV .
DU SECOND LIVRE D'HORACE,
Sur la necessité de la Mort.
LEE tems s'écoule incessamment
Tel est l'ordre des destinées ;
La Parque si rapidement ,
Des Humains file les années ,
Que de leurs déplorables jours ,
Souvent dans leur printems se termine le cours
En vain pour nous rendre propices ,
Les Deitez des tristes bords ,
Nous consumons en Sacrifices ,
Nos revenus et nos trésors
A
AVRIL. 1731. 665
A tous nos voeux inexorables ,
Rien ne peut arrêter leurs decrets implacables.
A ce superbe Souverain ,
Atropos ravit la lumiere ,
Un Berger sous la même main ,
Ferme sa mourante paupiere ,
En abordant le Phlegeton ,
Ils sont au même rang sous les Loix de Pluton.
Pourrois- je m'exempter de boire ,
De l'eau dont burent mes Ayeux ?
Ils ont tous passé l'Onde noire ,
Je la dois passer après eux ;
En me transmettant leur fortune ,
Ne m'ont-ils pas soumis à cette Loi commune è
Un Guerrier sort des Champs de Mars ,
Couronné des mains de la Gloire ,
Il a triomphé des hazards ,
Dont on peut payer la victoire ,
Sous une legere langueur ,
Je vois l'instant d'aprés succomber sa valeur.
Remarquez ce Nocher habile ;
Au gré des Matelots contens ,
Eviter et Caribde et Scille ,
Triompher
666 MERCURE DE FRANCE
Triompher des flots et des vents ;
Au Port il revient dans sa Barque ,
Chercher le trait mortel que lui garde la Parque.
Tel échappe au poison fatal ,
Sous une maligne influence ,
Que bien- tôt au Fleuve infernal ,
Précipite une défaillance ;
Heureux s'il sçait sans murmurer ,
Se soumettre à l'Arrêt qu'il ne peut differer !
C'est en vain que sur tes Boccages ,
Ton coeur s'égare avec ton oeil ;
Qu'attends- tu de ton Jardinage ,
Que l'arbre qui fait ton cercueil ?
Seul de sa livide verdure ,
Le funeste Cyprès couvre ta Sépulture.
Hélas ! digne objet de mes voeux ,
Celimene allumoit ma flamme ;
Quel Mortel étoit plus heureux ?
Mon ardeur embrasoit son ame;
Jaloux de ma felicité,
Le Destin la conduit sur les bords du Lethé.
> De tes amis illegitimes ,
Qui n'ont satisfait que tes yeux ,
Quem
AVRIL. 1731. 667
Qu'emportes-tu dans les abîmes ,
Où tu vas trouver tes Ayeux ?
Fruits et principes de tout crime ,
Tes avides neveux t'en rendent la victime.
Gardois- tu pour tes heritiers ,
Tes vins délicats de Falerne ?
Pour eux s'enfoncent tes Celliers ,
Pour toi s'ouvre le sombre Averne ;
La mort te frappe ce matin ,
Ce soir sur ton Cercueil ils feront un festin.
Le Chevalier de Montador.
*********X *XX *XXXX
MEMOIRES HISTORIQUES
sur les personnes originaires du Comté
d'Eu , qui se sont distinguées par leur ver
tu , par leur science , par leur valeur &c.
Par M. Capperon , Ancien Doyen de
J
S. Maxent.
E vous envoye , Monsieur , les Mémoires
que vous m'avez demandés au
sujet des personnes originaires du Comté
d'Eu , et qui se sont distinguées par quelque
chose de singulier .
Le premier dont j'ai à parler est Geofroi
second du nom , Evêque d'Amiens .
né
668 MERCURE DE FRANCE
né à Eu à la fin du XII . siécle. Il fut nommé
Geofroi d'Eu , suivant ce qui s'observoit
alors à l'égard des gens de Lettres ,
qui prenoient tous leur nom de celui du
lieu de leur naissance , car son nom de
famille étoit le Valet ou le Varlet , ce qui
se prouve par l'obituaire de l'Eglise de
Notre- Dame d'Amiens , où son frere est
nommé Walterius le Valet de Lugo . Ils
étoient tous deux fils d'un bon Bourgeois
de la Ville d'Eu ; en quoi de la Morliere
s'est trompé dans son Livre des Antiquités
d'Amiens , supposant que cet Evêque
étoit de la famille des Comtes d'Eu .
Si cela eut été , les titres de la Çathédrale
n'eussent pas oublié de distinguet
expressément une naissance aussi illustre
que celle de la Maison de Lusignan , qui
possedoit alors le Comté d'Eu , et les Historiens
qui ont parlé de lui ne l'auroient
pas non plus oublié ; au lieu que Du Boulay
dans son Histoire de l'Université de
Paris, n'en parle que comme d'un simple
Docteur , distingué seulement par sa
grande érudition : Doctor insignis.
Ce fut à Eu , il est vrai , que ce Prélat
prit naissance ; mais il est à propos d'observer
que ce fut dans la Paroisse de cette
Ville , qui est dépendante du Diocèse d'A-
* Lenom decettefamille subsiste encore à Eu.
miens
AVRI L. 1731. 669
miens , ainsi que le fait connoître le Pere
Ignace dans son Histoire Ecclesiastique
de Ponthieu , Chap. 34. Après ses premieres
études il alla à Paris , y prit le dégré
de Docteur en Théologie , et s'appliqua
ensuite à l'étude de la Medecine , où il se
rendit également habile , ce qui ne doit
pas vous surprendre , n'y ayant alors que
les seuls Ecclesiastiques qui exerçassent
en France cette Profession ; on convient
même qu'il n'y a pas eu de Medecins
mariés dans ce Royaume avant 1452 .
Comme Geofroi s'étoit fait connoître
par
son mérite extraordinaire , l'Evêché d'Amiens
étant venu à vaquer , et les Evêques
se faisant alors par élection , notre
Geofroi fut élû Evêque de ce Diocèse ,
P'an 1223. ( a )
A peine eut- il pris possession de son
Evêché qu'il se trouva avec tous les Evêques
du Royaume à l'Assemblée qui fut
tenue à Paris par ordre du Pape Honoré
III. à l'occasion de l'Heresie des Albigeois.
De retour dans son Diocèse , étant prié
de confirmer la fondation de quelques
Chapelles , érigées dans l'Eglise de Saint
Jean des Prés d'Abbeville , il ne le fit
qu'avec cette reserve si conforme aux
saints Canons , sçavoir , que ceux qui en
,
,
( a ) La Morliere , Antiq. d'Amiens.
seroient
670 MERCURE DE FRANCE
seroient pourvûs ne pourroient posseder
aucun autre Benéfice avec ces Chapelles.
( a )
د
Comme les Habitans de la Ville d'Eu
sollicitoient la Canonisation de S. Laurent
, Archevêque de Dublin , dans les
premiers tems de l'Episcopat de l'Evêque
Geofroi , ce Prélat s'y interessa d'autant
plus qu'il étoit né dans cette Ville peu
de tems après que cet illustre Saint y eut
fini ses jours , et qu'il avoit été le témoin
de plusieurs miracles operés par son intercession
, et qu'une partie de la Ville
étoit de son Diocèse , tout cela , dis- je
lui fit prendre beaucoup de part à la joye
que recurent les Habitans d'Eu , lorsqu'ils
eurent obtenu la Bulle de Canonisation .
L'onzième jour de Décembre 1226. ayant
donc été invité à la translation solemnelle
que l'Archevêque de Rouen devoir faire
du corps de ce Saint , il s'y trouva volontiers
, et la solemnité en fut faite par
ces deux Prélats le dixième jour de Mai
de la même année. ( b ) En 1233. voyant
qu'il y avoit peu d'ordre dans l'Hôtel-
Dieu d'Amiens , il regla les choses sur le
pié qu'elles ont été depuis , et y ayant
établi des Religieuses , il leur donna des
( a) Hist. Eccles. de Ponthieu , L. 1. Ch. 34.
(b) Vie originale de S. Laurent , Chap. 39 .
ConsAVRIL.
1731. 671
Constitutions qui furent dans la suite approuvées
au Concile de Lyon par le Pape
Innocent IX. En 1235. il assista au Concile
de la Province de Reims , qui fut tenu
à Senlis ; ce qui rendra sa mémoire
recommandable à la posterité , est l'Eglise
Cathédrale d'Amiens , un des plus
beaux Vaisseaux qu'il y ait dans le Royaume
, dont il a fait élever l'Edifice depuis
le rez de chaussée presque jusqu'à la voute.
Enfin comblé de mérites et de benedictians
, il mourut l'an 1238. on le voit
encore aujourd'hui représenté sur un tombeau
de bronze , soutenu par six petits
Lions , de même métal , posé à l'entrée
de la nef de cette Eglise , autour duquel
on lit cette Epitaphe :
Ecce premunt humile Gaufridi membra cubile
Seu minus aut simile nobis parat omnibus ille
Quem laurus gemina decoraverat , in Medicina
Legeque divina , decuerunt cornua bina
Clare vir Augensis , quo sedes Ambianensis
Crevit in immensis , in coelis auctus , amen , sis,
Dans le siécle suivant , le Comté d'Eu
donna encore un Evêque à l'Eglise de
France , ce fut Jean , Evêque d'Auxerre
lequel étoit né au Bourg de Blangy , situé
dans ce Comté , à cinq lieuës de la Ville
d'Eu , Suivant l'usage qui s'observoit encore
672 MERCURE DE FRANCE .
core , il prit son nom , comme l'Evêque
Geofroi , du lieu où il étoit né , et s'appella
Jean de Blangy , Joannes de Blangiaco.
Après avoir fait ses études à Paris ,
il fut reçû Docteur de la Maison de Navarre
; (a ) en cette qualité il assista à
l'Assemblée des Docteurs qui fut tenuë
à Paris par ordre du Roi Philippe de Valois
pour y examiner le sentiment du Pape
Jean XXII . touchant la vision béatifique ,
lequel y fut déclaré heterodoxe. Jean de
Blangy fut fait Archidiacre du Vexin ,
dans l'Archevêché de Rouen ; et parcequ'il
avoit fait ses études à Paris avec
le Pape Benoît XII. lorsqu'il n'etoit
encore que simple Religieux de l'Ordre
de Citeaux , ce qui avoit formé une
amitié particuliere entre eux , ce Pontife
lui procura l'Evêché d'Auxerre , l'an
1338. ( a ) En 1340. il se trouva de la part
du même Roi au Traité d'Arras , où la
tréve fut concluë pour trois ans avec le
Roi d'Angleterre , et l'année suivante
l'Abbé de Pontigny jura entre ses mains
obéissance à son Siége , et au Chapitre de
sa Cathédrale. Fatigué du fardeau de l'Episcopat
, il obtint du Pape Clement VI .
la permission de se démetre de son Evê-
(a) M. de Launoy.
( b ) Labbe , Bibliot. des Mss . T. 1 .
ché
AVRIL. 1731. 673
ché , et il voulut se retirer à Paris ; mais
s'étant mis dans un bateau pour y descendre
la Riviere , il y gagna un rhume
qui se termina en fiévre continuë lors
qu'il fut arrivé à Paris , laquelle l'emporta
peu de jours après , sçavoir le 15. de
Mars de l'année 1344. Il fut inhumé dans
l'Eglise des Chartreux , sous une tombe
de cuivre , sur laquelle est gravée cette
Epitaphe :
Hic jacet recolende memoria Johannes de
Blangiaco , Rothomagensis Diocesis , Doctor
in Sacra Theologia , Episcopus Autissiodorensis
quondam , cujus anima qui scat in
pace , qui obiit anno Domini 1344.
M. de Launoy , dans son Histoire de
la Maison de Navarre , parle de deux autres
Sçavans , originaires du Comté d'Eu;
le premier est Michel d'Eu , Michaël
Augensis , qui fut fait Docteur de là même
Maison en 149. et Doyen de la Faculté
de Theologie en 1530. il mourut
fort avancé en âge. Le second étoit natif
du Bourg de Treport , proche la Ville
d'Eu , et se nommoit Jean Daval ; il fut
fait aussi Docteur de cette Maison , l'an
-1527. et composa quelques Ouvrages , en
petit nombre , à la verité ; mais ( dit M.
de Launoi ) il pouvoit , s'il avoit voulu ,
en composer davantage.
C Le
1
74 MERCURE DE FRANCE
Le P. Ignace , dans l'Histoire Ecclesiastique
du Ponthieu , fait beaucoup d'éloge
d'un autre Docteur natif de la Ville d'Eu,
nommé Jean Avril , qu'il dit avoir été
un des plus sçavans de son siècle , et
Prédicateur si fameux , qu'il surpassa presque
tous ceux qui excelloient alors dans
l'éloquence de la Chaire . Il fut fait Recteur
de l'Université de Paris le 16. Decembre
1586 ; en 1596. il accepta la digrité
de Doyen de la Collegiale de Saint
Vulfrain d'Abbeville . Enfin après avoir
donné dans cette Ville des preuves continuelles
de sa rare érudition et de son zele
infatigable à annoncer la parole de Dieu ;
le jour de la Nativité de la Vierge de l'an
1611. ayant fait le Service , et assisté à
tout l'Office , il se retira sur le soir dans
son Cabinet , où après avoir legérement
soupé , on le trouva mort le lendemain
matin .
Le siecle dernier a donné encore des
personnes distinguées par leur érudition,
qui ont pris naissance au Comté d'Eu .
Il y a eu un Pere Mithon , Religieux des
Pénitens de l'Ordre de S. François , nommé
dans son Ordre le P. Irenée d'Eu , fils
de Richard Mithon , Ancien Baillif du
Comté d'Eu , lequel mérita par sa science
et par ses vertus de remplir les premieres
places de son Ordre , telles que
celles
AVRIL: 1731. 679
celles de Gardien , de Définiteur et de
Provincial. Il en donna des preuves par
differens Ouvrages , particulierement par
trois gros Volumes in folio , qu'il composa
sur la Vie Spirituelle et Chrétienne ,
qui furent imprimés à Paris en 1659. chez
George Josse l'Auteur mourut cette
même année .
›
On a une Traduction Françoise de la
Vie de S. Laurent , Archevêque de Dublin
, écrite en Latin par un Chanoine de
Notre-Dame d'Eu , so. ans après la mort
de ce Saint , laquelle a été mise au jour
par le Pere Nicolas le Carpentier , Prieur
de l'Abbaye d'Eu , natif de la même Ville,
imprimée à Rouen en 1618. Plus une autre
Vie du même Saint beaucoup plus
étendue , composée par le Pere Jean Guignon
, né aussi à Eu , et imprimée pareillement
à Rouen en 1653. Enfin François
le Beuf , Lieutenant Genéral au Bailliage
d'Eu , né dans le même lieu , mort vers
l'an 1659. après avoir donné des preuves
de ses lumieres et de son équité dans l'exercice
de sa Charge , a composé une Histoire
abregée des Comtes d'Eu , qui est
restée en Manuscrit. Il avoit d'ailleurs
fait peindre un Tableau Historique des
mêmes Comtes , où sont leurs Portraits
avec leurs Armes en migniature , sur du
velin , et un abregé de leur vie , le tout
Cij par676
MERCURE DE FRANCE
parfaitement bien travaillé . Ce Tableau
est présentement chez M. le Duc du
Maine.
Nous avons eu de nos jours un autre
Jean Daval , né à Eu , qui s'est distingué
par l'étendue de ses lumieres , et par son
habileté dans l'étude et dans la pratique
de la Medecine. Il fut premierement Docteur
dans cette Faculté en l'Université
d'Angers , ensuite il prit la même qualité
dans celle de Paris en 1683. où il professa
pendant les années 1685 et 1686. un Cours
d'Anatomie et de Physiologie , et les deux
années suivantes un Cours de Botanique ,
lesquels Traités ont été estimés de tous
les Connoisseurs. Il étoit en même tems
Medecin de l'Hôpital de la Charité et des
Paroisses de S. Jean , de S. Gervais et de
S. Sauveur , où il prenoit soin des Pauvres
. Il se rendit particulierement recommandable
à l'occasion des fiév res malignes
qui regnerent à Paris pendant l'année
1699. dont il penétra si bien la cause , et
en découvrit si justement les remedes ,
qu'il les guerissoit à coup sûr , ce qui le
mit dans un si grand crédit,que M. Fagon
parla de lui au Roi Louis XIV. pour qu'il
pût lui succeder dans la place de Premier
Medecin de S. M. Il lui en fit même tenir
le Brevet d'agrément, lequel lui fut ensuite
envoyé par un Gentilhomme de la part du
Roi ;
AVRIL. 17318 677
>
Roi ; mais trop jaloux de sa liberté , il alla
en faire ses très humbles remercimens
s'excusant sur la délicatesse de son temperament.
Il est mort âgé de 64. ans¸ le
23. Juin 1719 .
,
Après tous ces Sçavans , qui sont sortis
du Comté d'Eu on sera moins surpris
de trouver une fille sçavante du même
Pays , quoique la chose soit plus rare ;
plusieurs Auteurs en ont parlé dans leurs
Ouvrages , tels que La Croix du Maine
dans sa Bibliotheque Françoise, Louis Jacob
dans un Ouvrage semblable , et Augustin
de la Chieza dans son Théatre des
Dames Sçavantes. Ils ont tous fait l'éloge
d'Anne Marquet , Religieuse du Monastere
de Poissy de l'Ordre de S. Dominique
, native du Comté d'Eu . Elle parloit
les Langues Sçavantes ' , la Grecque et la
Latine , et composoit élegamment en Prose
et en Vers. Les Poëtes les plus fameux
de son tems , tels que Dorat , Ronsard -
& c. estimoient beaucoup les Piéces de sa
façon ; il en parut quelques - unes imprimées
en l'année 1561. accompagnée d'une
Préface faite par une Religieuse du
même Ordre , nommée Marie de Fortia.
Anne Marquet mourut l'onzième jour
de Mai 1588 .
Les effets singuliers de la pieté chrétienne
ne méritant pas moins d'être ob-
Ciij servés
878 MERCURE DE FRANCE
servés que ceux des Sciences , des Armes
et des Arts , je ne dois pas oublier dans
re Mémoire la généreuse résolution que
prit Laurent Villedor , natif de cette Ville,
Docteur de Sorbonne , Theologal de
Noyon , d'abandonner sa Patrie , ses biens
et sa dignité pour passer à la Chine , dans
la vue d'y travailler à la conversion des
Infideles de ce vaste Empire. S'étant donc
embarqué dans ce dessein l'année 1701 .
au Port- Louis , et ayant mis à la voile le
5. de Fevrier , après cinq mois quatorze
jours de navigation , le Vaisseau moüilla
à Pondicheri , sur la côte de Coromandel
; là Dieu le traitant comme un autre
Xavier , content du sacrifice de ses desirs,
il ne permit pas qu'il en vit l'execution ;
car après avoir prêché dans une grande
solemnité qui fut faite en cette Ville où
assisterent les Jesuites , les Capucins et toutes
les personnes de consideration, il tomba
malade quelques jours après , et mourut.
Les Voyageurs qui l'accompagnoient dans
le Vaisseau ont rapporté que ce qui l'avoit
épuisé étoit le trop grand travail qu'il
s'étoit donné sur la route pour apprendre
la Langue Chinoise , qu'il leur faisoit fréquemment
des discours de pieté , et qu'il
les avoit édifiés par toute sa conduite . *
* Relat. d'un Voyage aux Indes. Paris ,
Moreau 1703 .
chet
Ne
AVRIL . 1731. 679
Ne puis -je pas joindre à ce zelé Docteur
celui qui par sa rare pieté , ses austerités
et sa prudence a merité d'être placé en
qualité d'Abbé de la Trappe pour gouverner
cette nombreuse Communauté qui
édifie toute l'Eglise : il se nomme François
Augustin Gouche , né à Eu , et élû
Abbé en 1727.
Nous donnerons la suite de ces Mémoires
le mois prochain.
akakakakakakakakakakakakakik
L'AMOUR MUSICIEN ,
CANTAT E.
PRés d'un Temple fameux par son antiquité ,
Où les Mortels qui veulent plaire
A la Déesse de Cythere
Vont offrir leur encens à sa Divinité ,
Est une Forêt solitaire ,
Qu'environne une sombre et sainte obscurité :
C'est là qu'aux bords d'une Fontaine
Dans les bras du sommeil j'oubliois mes soucis
Lorsque Venus avec son fils
Vint par sa présence soudaine
Troubler l'heureux repos que goutoient mes esprits.
C iiij Les
680 MERCURE DE FRANCE
Les Ris , les Jeux suivoient ses traces ;
Les Amours voloient sur ses pas ;
Sa présence dans ces climats.
Leur donnoit de nouvelles graces.
Dans ces Bois sombres et charmans
A Venus tout rendoit hommage' ;
Les Oiseaux mêmes du Bocage
A l'envi redoubloient leurs Chants.
Les Jeux , les Ris suivoient ses traces ;
Les Amours voloient sur ses pas ;
Sa présence dans ces Climats
Leur donnoit de nouvelles graces.
Je veux me dit alors la Mere des Amours ; >
Que par tes soins mon fils apprene
Cet Art qui d'Arion a conservé les jours ,
Et du Chantre de Thrace a soulagé la peine."
Flatté du choix de Venus ,
Je chantai le combat de Pan et de Phoebus ,
Et Pallas d'Arachné punissant l'arrogance ;
Mais l'Amour dégouté de ces chants ennuyeux
! Chanta d'un ton harmonieux
Les Dieux et les Mortels soumis à fa puiffance.
Fixês
AVRIL:
1731 . 681
Fixés par ces accens ,
Les Zéphirs moins volages
Laifferent
pour un tems
Reposer les feuillages ,
Les hôtes de ces Bois
Devenus moins sauvages
Aux charmes de sa voix
Joignirent leurs ramages ;
Cachés sous les ombrages ,
Les échos d'alentour
Repetent aux Boccages
Les accens de l'amour.
Touché comme eux des chants de l'enfant de
Cypris ,
Je demeurai frappé de toutes ces merveilles ,
Confus , immobile , furpris ,
A peine en crus - je alors mes yeux et mes oreilles,
Et sans me rappeller les airs que je chantois ,
Je devins Ecolier de Maître que j'étois.
Jeunes Beautés , l'Amour est un grand Maître ,
Ce Dieu sçait tout sans avoir rien appris ;
Courez à lui , vous pourrez tout connoître ;
Rien n'eft caché pour un coeur bien épris.
Les autres Dieux ont chacun leur partage ,
Mars eft Guerrier , Phoebus eft Dieu des Vers;
Cv Le
882 MERCURE DE FRANCE.
Le feul Amour par un rare aſſemblage
Unit en lui tous leurs talens divers.
Jeunes Beautez &c.
XXXXXXXXXXXXXXX
LETTRE écrite à M. D. L. R. Par
le R. P. Michel le Quien , Dominicain
Bibliothequaire du Convent de S. Honoré,
au sujet du dernier Ouvrage du P. Le
Courayer&c.
L m'importe peu à présent , Monsieur,
que le P. Le Courayer veüille encore,
comme ses amis l'assurent , continuer
d'écrire pour ses Ordinations ; j'ai déclaré
que dorénavant je garderois le silence sur
ce sujet. Cependant , qu'il me réplique et
qu'il défende sa cause avec la solidité et
a sincerité que le sujet l'exige , je serai le
premier à lui applaudir ; je ne suis prévenu
en faveur de la mienne que parceque
j'en ai établi les preuves sur les principes
qu'il avoit lui-même posés . J'ai
de l'aveu même de ceux qu'il avoit éblouis
par sa défense , satisfait à tous les points
capitaux qu'il avoit exigé qu'on lui prouvât.
Il a demandé » qu'on lui citât des
» Historiens qui contredisent les Actes
» qu'il produisoit , ou qu'on rapportât
des
4
AVRIL: 1731. 683
» des Actes contraires aux siens , ou qu'on
fit voir qu'on ne peut concilier les Ac-
» tes avec des faits reconnus pour cer-
» tains. J'ai admis toutes ces disjonctives;
j'ai cité un bon nombre d'Auteurs contemporains
et oculaires qui contredisent
ouvertement la Relation qu'on a produite
du prétendu sacre de Mathieu Parker pour
l'Archevêché de Cantorberi. Le seul fait
du procès que l'Evêque de Londres Edmond
Bonner a soutenu contre le faux
Evêque de Winchester Robert Horn , suffisoit
pour ôter toute croyance à cette
Histoire , et la faire passer pour ce qu'elle
est , c'est-à-dire , pour un Roman.Le Prélat
Catholique y verifia contradictoirement
devant les Juges que les nouveaux
Evêques de la Reine Elizabeth avoient
envahi en cachete les Siéges d'Angleterre
sans avoir reçû l'imposition des mains
d'aucun Evêque , et tout haï qu'il étoit
des Protestans , le Parlement à qui l'affaire
avoit été déferée , le renvoya absous .
Quoi de plus C'est en lisant les Historiens
Anglicans que j'ai verifié
que le Registre
de Cranmer a été falsifié. Ces mêmes
Auteurs m'ont fourni des Actes autentiques
dans lesquels on trouve Mathieu
Parker reconnu pour Archevêque veritable
, anterieurement au tems auquel on
veut qu'il ait été ordonné ; j'en ai conclu
C vj
par
684 MERCURE DE FRANCE.
par une juste conséquence qu'il ne l'a
point été du tout; je ne me suis point
aheurté à soutenir son sacre dans une Auberge
; mais j'ai soutenu que si ce fait est
fabuleux , la Relation ne l'est pas moins.
me ,
J'ai verifié que le Registre qu'on vante
tant , est composé de feuilles détachées
qu'on n'a assemblées et reliées que longtems
après la mort de Parker , d'où j'ai
inferé qu'il a été aisé d'y mêler de faux
Actes. On a vû le refus que les Prélats
Anglicans ont fait à des Prêtres Catholiques
d'examiner ce Registre à loisir et à
tête reposée , dans le tems même qu'ils
ont commencé à l'annoncer . D'autres
personnes dignes de foi , mais qui ne ju
gent pas encore à propos qu'on les nomveulent
qu'on déclare au Public qu'étant
parties de France, et étant allées à Londres
depuis nos disputes contre le Docteur
d'Oxford pour avoir la satisfaction
de consulter les péces dont il est question,
elles s'en sont retournées sans l'avoir pû obtenir
de ceux qui en sont les Dépositaires.
Le Docteur d'Oxford a donc tort de se
vanter qu'étant à présent sur les lieux , it
est plus en état de justifier leur authenticité.
Je lui ai dit, et je le repéte , que sa
présence et son témoignage n'y servirone
de rien ; il n'est ni assez habile connoisseur
en anciennes Ecritures , ni assez
déAVRIL
1731. 685
désinteressé , ni peut- être assez sincere ,
pour qu'on doive déferer à son témoignage.
Enfin, quoiqu'il avance désormais
pour faire valoir ses prétendus Actes , tout
bien pe é dans une juste balance , tout ce
qu'il a allegué , ou qu'il pourra alleguer
dans la suite , ne l'emportera jamais sur les
preuves que je lui ai opposées , et cela me
suffit.
Quand même je lui passerois sa Relation
de Lambeth , outre les témoins que
j'ai cités contre l'Episcopat de Guillaume
Barlow , qu'il nous donne pour Consécrateur
de Parker , j'ai démontré clair
comme le jour, que puisque lui et les Anglois
sont obligés de convenir que ce Prélat
de la Réforme ne fut jamais sacré pour
le Siége de Saint Asaph , auquel il avoit
été nommé d'abord , il ne l'a point nonplus
été pour celui de Saint Davids où il
fut tran feré. Il est bon de repéter en
deux mots ma démonstration ; la voici :
Notre Docteur a lui-même publié les
Actes de la confirmation de ce faux Evêque
pour ce second Siége , avec le certificat
qu'en donna au Roi Henri VIII.
l'Archevêque Cranmer. Son grand Auteur
François Masson avoit auparavant
imprimé les Lettres Patentes de ce Prince,
par lesquelles , en vertu du certificat , il
fut mis en possession de l'Evêché , pour
jouir
686 MERCURE DE FRANCE
;
jouir du temporel et de tous les droits et
honneurs qui y étoient attachés ; le Brevet
de Henri qui ordonnoit à Cranmer
de faire à l'égard de Barlou , élû Evêque
de Saint Davids , tout ce qui étoit de
son office , omne quod tui officii est , c'està
dire , de le confirmer et de le sacrer ensuite
, s'il ne l'étoit pas , est du 21. Avril
.1536. les Actes de la confirmation sont
dattés du lendemain qui étoit un Vendredi
le Certificat est datté du même
jour 22. Avril ; enfin les Lettres Patentes
du Roi ont pour datte le 27. qui étoit
le Mercredi suivant . Cranmer auroit attendu
du moins au Dimanche 24. pour
donner son Certificat après l'avoir sacré,
s'il avoit eu envie d'en faire la cerémonie,
et attester par ce même Acte qu'il l'avoit
confirmé et sacré : il n'en a rien fait , il
n'a attesté que la confirmation , sans parler
de consécration , aussi ne l'auroit-il
pû faire un Vendredi. Le Roi lui même
dans ses Lettres Patentes données sur le
Certificat , ' ne fait aucune mention du Sacre
, mais seulement de la confirmation
ensorte qu'on ne peut plus supposer qu'il
y eut un Certificat de Sacre pour obtedans
ce
nir ces Lettres.
De tout cela j'ai conclu que
malheureux tems de schisme et de confusion
, Barlow Herétique , comme son
ArcheAVRIL
1731 687
pas-
Archevêque , de concert avec lui et avec
Thomas Cromwel , homme Seculier et
Vicaire General de Henri VIII. pour toutes
les affaires de l'Eglise , se sera fait
ser dans le monde pour veritable Evêque
sans avoir été sacré , et aura pris scéance
au Parlement sur les Lettres Patentes de
son Prince , en qualité de Pair et de Ba →
ron du Royaume. Voilà ce que je n'ai pas
craint d'appeller une démonstration contre
l'Episcopat de Guillaume Barlow ,
je me suis flatté que toutes les personnes
judicieuses en jugeront de même.
et
Ce que j'ai encore soutenu dans la se
conde Partie , de l'invalidité des formes.
d'Ordination , usitées par la Secte Anglicanne
depuis le Regne d'Edouard VI.
ne fait plus de difficulté , et il n'y a point
de Catholique qui ne convienne que leur
Episcopat Protestant est absolument nul
de ce côté- là. En vain leur Doffenseur
ose t il les comparer avec celui des Chrétiens
du Levant. J'en ai fait sentir la difference
en les comparant les unes avec les
autres et avec les Latines.Les Théologiens
Catholiques me sçauront sans doute gré
de leur avoir expliqué en quoi consiste
veritablement la forme de l'Ordination
dans toutes les Eglises d'Orient. La question
du Sacrifice n'est pas moins bien
éclaircie , et je doute que le Docteur d'Or
ford veüille encore y revenir.
388 MERCURE DE FRANCE
Il nous menace , dit on , de publier un
Ouvrage qui justifiera de Schisme , et les
Grecs et les Anglois. L'entreprise est digne
de son Auteur. Comme j'espere , avec
l'aide de Dieu , de publier l'Oriens Christianus
, il me sera aisé d'y trouver quelque
place pour réfuter ce Livre , et pour
redresser l'Auteur , qui ne peut gueres
manquer de s'égarer dans un Pays qu'il
ne connoît pas ; je finis , Monsieur , en
disant que la meilleure réponse qu'on
puisse opposer à ses déclamations , c'est
de les mépriser. La Satyre , les railleries ,
les insultes , sont ordinairement ses preuves
et ses argumens les plus forts , argumens
, je l'avouë , ausquels il est difficile
de répondre ; c'est à ces lieux communs
qu'ont d'ordinaire recours les Partisans
de l'erreur. Quia veritate non possunt , lacerant
conviciis , dit S. Jerôme.
Je suis , Monsieur , &c.
A Paris le 14. Fevrier 1731 .
U
CONTE.
N bon Badaut , s'il en fut un en France ,
Et d'esprit assez dépourvû ;
L'un de ces gens qui n'ont jamais rien vû ,
Un
AVRIL
689 1731 .
Un beau matin partit pour la Provence.
Qu'alloit-il faire en ce beau Pays-là ,
Me direz-vous ? vouloit-il , le bon homme ,
Se mettre en mer , aller ensuite à Rome ,
Voir le Saint Pere ? Oh ! rien de tout cela ;
Il avoit autre chose en tête ,
Projet nouveau , dont il se faisoit fête ,
Depuis long- temps , mais il n'en sonnoit mot
C'étoit , dit-on , d'aller manger des Figues.
Certain Gascon , qui n'étoit pas manchot ,
Né pour former de pareilles intrigues ,
Et qui vouloit aux dépens du Marmot ,
Faire voyage et bonne chere ,
L'assiegeoit les jours et les nuits ,
Et lui vantoit la Provence et ses fruits.
Oui , disoit - il , la Provence est la mere ,
Des plaisirs innoccns que l'on goute ici bas ,
Les fleurs y naissent sous les pas ;
Elle fournit en abondance ,
Tout ce qu'on peut et veut avoir ,
Tout est bon à manger, tout est charmant à voir.'
Cadedis , vive la Provence ;
Il exaltoit sur tout la Figue et sa douceur ,
Son gout exquis , son extréme grosseur
Gascon sçait à propos employer l'hyperbole ,
Faire Elephant d'un Moucheron ;
Badaut croyoit sur sa parole ,
Que Figue étoit un fruit gros comme un Potiron,
Car
690 MERCURE DE FRANCE
Car il n'en avoit de sa vie ,
Vu ni mangé , mais plutôt que plus tard ,
Il veut contenter son envie.
Bientôt tout est prêt , et l'on part ;
Non sans avoir la bourse bien garnic ;
Car après tout vous aurez beau chercher ,
De quoi voyager à votre aise ;
Foin d'un Carosse ou d'une Chaise ,
Si l'argent ne sert de Cocher.
Le Gascon chargé de la bourse ,
L'avoit fait remplir jusqu'au haut ,
>
Et plus qu'il ne falloit pour achever la course
Qu'il méditoit de faire avec notre Badaut.
Enfin on arrive en Provence ,
Badaut crut être au bout de l'Univers ,
Gascon conduit son Excellence ,
En un Jardin tout planté d'arbres verds.
Du haut de leurs branches chargées ,
Pendoient comme festons des Citrouilles rangées ,
Dont l'énorme grosseur venoit frapper les yeux;
Voilà , dit le Gascon , le fruit délicieux
Qu'on vous destine ici ; mangez sur ma parole ,
Pendant que mon Badaut sur ses deux piés planté ,
Admire l'objet si vanté ,
Gascon commence un autre rôle ,
Et sans Trompette délogeant ,
Emporte la bourse et l'argent ,
Faisant à son ami la Figue ;
Mais
AVRIL.
9 1731.
Mais le Badaut qui n'étoit pas si fin ,
Et qui prenoit courge pour Figue
Fait saut en l'air , en saisit une enfin ,
Il la fend d'un coup de mâchoire ,
Mais le mal fut qu'ayant grand faim ,
Il fit un grand repas sans boire ,
en mange à crever , et se sentant rendu ,
Il se couche à terre étendu.
Ce n'est pas fait , une affreuse colique ,
Soit venteuse , soit néphretique ,
Je n'en sçais rien , à l'instant l'assaillit .
Le Malade s'agite , il frissonne , il pâlit ,
Son coeur palpite et la tête lui groüille &
On entend son ventre de loin ,
Croasser comme une Grenouille :
Tant la malheureuse Citroüille ,
Fait de dégât ; En ce pressant besoin ,
De tous côtez on vient à la récousse.
Le Médecin portant l'Apoticaire en trousse ,
Arrive , ordonne un Anodin ,
Monsieur Cussifle avec la flute en main
Fait son devoir en galant Mousquetaire ;
Car pour seringuer un clistere ,
Il n'est pas dans le monde entier ,
De Mortel plus habile en ce noble métier ;
Le succès passa l'esperance ,
Ventre se vuide et malade guérit.
Le mal passé , chacun en rit ;
Mais
592 MERCURE DE FRANCE
Mais voici bien autre chevance ,
Il faut compter , Gascon ne paroît plus ;
Gousset est vuide , et les écus ,
Ont avec lui pris la volée.
Voilà notre Badaut réduit à l'Hôpital ,
Et tombé de fievre en chaud mal.
Chagrin au coeur et l'ame desolée ,
Ayant rendu plus qu'il n'a pris ;
Purgé bien et dûment il retourne à Paris ,
Non sans avoir pour son apprentissage ,
Dont il a payé tous les frais ,
Fait voir aux Provençaux assez mal satisfaits ,
Son grand génie et son double visage.
REPONSE d'un partisan de la nouvèle
ortografe , et du bureau tipografique
à la letre d'un gramairien de Provance
, datée de Ventabrén le 2. d'octobre
1730. et insérée dans le Mercure du
mois de Janvier 1731 .
' èn des jins sansés , Monsieur , ont
Betcru que votre critique étoit une fixion
de l'auteur des lètres sur la bibliotèque
des anfans ; d'autres ont dit qu'elle
étoit sortie d'un fameus colège , et sans
aucun fondemant l'ont atribuée à un très
habile professeur , dont la vraie critique
n'a
AVRIL. 1731. 693
n'a paru que dans le mois de fevrier.
De quelque androit qu'elle viène , d'autres
l'aïant trouvée pitoyable , ont dit
que ce seroit lui faire trop d'honeur que
d'y répondre sérieusement : d'autres , et
c'est le vulgaire , ont cru que par cette
critique le bureau aloit ètre ranversé de
fond en conble. La réponse n'est donc
nécessaire que pour ceus qui donent toujours
l'avantage au dernier qui parle ; mais
meritent- ils cette atancion ? oui , il faut
écouter tout le monde , bien loin de rebuter
quelcun ; le nonbre des persones
prévenues contre les nouvèles métodes , et
des adversaires du bureau tipografique ,
n'est ancore que trop grand , il faut avoir
de la condesçandance mème pour les esprits
les plus foibles , c'est donc en leur
faveur que je done cette petite réponse
assés inutile pour les vrais lecteurs qui
lisent avec reflexion .
Les homes divisés presque sur tout ,
ne le sont pas moins sur la nature deş
critiques et sur celle des ouvrages critiqués
. Les uns croient que les meilleurs
t livres gagnent par les critiques , ils n'en
exceptent pas le Cid , et les autres pensent
qu'une critique augmante toujours
en quelque manière la prévansion de la
splupart des lecteurs , mème sur la Pucelle
, etc. il pouroit y avoir du vrai dans
ces
394 MERCURE DE FRANCE
ces deus jugemans , les combinaisons du
fisic et du moral ou des circonstances an
décident ordinairemant.
Quoiqu'il an soit , on étoit déja surpris
qu'il n'ût paru aucun adversaire contre
la métode du bureau tipografique , anoncée
et expliquée dans tous les Mercures de
France , depuis le segond volume de juîn
dernier car le préjujé pour mètre tout
à profit , tire d'abor avantage du silance
gardé sur la nouveauté de quelque métode
, et conclut de ce silance , qu'elle ne
merite pas d'être critiquée : et si au contraire
il paroit des critiques , les esprits
prévenus ne saisissent et n'adoptent gue
res de ces critiques , que les raisons specieuses
qui paroissent favorables à leur
prévansion ; aveuglés sur la suite des plus
forts raisonemans , ils s'acoutument à une
espece de voile au travers duquel ne peuvent
passer les rayons les plus lumineus .
Si l'on avoit done gardé un profond
silance sur la métode du bureau tipografique
, beaucoup de persones l'auroint
peut- être mise au rang des métodes avanturées
, dont la seule lecture a dégouté et
mal prévenu le public , c'est donc un
avantage pour le sistème tipografique de
trouver des adversaires , qui contre leur
insinuation , randent le bureau plus conu
et plus recherché , après la lecture des
critiques et des réponses.
AVRIL. 1731.
69.5
Pour revenir à votre lètre , j'aurai l'honeur
de vous dire , Monsieur , que la cour
et la vile en donant favorablement audiance
aus diferans invanteurs an fait
d'art et de sciance , prouvent le bon gour
du siecle et celui du ministre. Les plus
grans personages du royaume , santent la
foiblesse de l'esprit humain , ils voient
tous les jours les besoins où nous somes
de cantité de choses pour la comodité
du public , devez -vous donc ètre surpris
d'aprendre qu'ils écoutent tout ce qu'on
leur propose; qu'ils donent toujours du
courage , souvant des éloges et mème
quelquefois des récompanses aus homes
ingenieus et invantifs , cette généreuse
conduite de la part des grans et de la
cour , inspire de nobles sentimens d'émulation
et nous raproche peu à peu de
la perfection des arts. il n'y a rien là qui
ne fasse honeur aus protecteurs et aus persones
protegées. Les plaintes contre les
abus et l'imperfection des métodes vulgaires
sont des mieus fondées , le mal est
reconu du public qui en fait l'experiance,
cela vous regarde , Monsieur, et м vos confreres
, il s'agit de trouver du remede au
mal conu , et c'est la principale fin que
s'est proposée l'auteur du sistème tipogra
fique.
rs
Je n'antre point dans le détail des afi
ches
696 MERCURE DE FRANCE
ches qui promètent des miracles literaires
, et dont vous paroissés scandalisé ,
mais j'aurois du moins souhaité que vous
ussiés atandu d'ètre mieus instruit sur la
métode du bureau tipografique , que vous
ussiés un peu plus médité votre matiere,
ou un peu plus déferé au témoignage de
l'experiance , car c'est la meilleure des afiches.
Bien loin de vous contanter de simples
exclamacions et de lieus comuns qui
ne prouvent rien , vous auriés du ataquer
le fond du sistème tipografique , mais
coment ataquer ce qu'on ne comprant
pas ? tâchez donc de comprandre , je me
Alate que la lecture des neuf lètres sur la
bibliotèque des enfans vous donera tous
les éclaircissemans que vous demandés ; il
vous est licite et permis , au reste , d'ètre
dificile et peu crédule sur les ouvrages des
nouvèles métodes , mais vous me permetrés
, s'il vous plait , de vous dire que
vous ne devriés pas paroître si extasié des
vieilles métodes dont le decri est de notorieté
publique dans votre province et
peut ètre à Véntabrén mème .
Un critique , M. a beau vouloir faire
le plaisant , il n'est pas toujours sur d'avoir
les rieurs de son côté . voici ce qu'une
persone d'esprit, après avoir lu votre critique
, écrivit à l'auteur des lètres sur la
bibliotèque des enfans.
Je
AVRIL: 1731. 697
Je vous fais mon conpliment , monsieur , sur
la bèle satire que j'ai lue contre vous dans le mercure
de France du mois de janvier ; je ne saí si avec
votre bon esprit vous feriés mieus santir le faus
et le ridicule de ces critiques et de leurs métodes
que le fait cette lètre , quel domage si on l'avoit
suprimée ! il est pourtant vrai que c'est le conble
de l'extravagance.
Je vois avec regret que vous n'avés
pas bien conpris ce que l'auteur a dit sur
l'ortografe des sons ou de l'oreille , vous
avés cela de comun avec le plus grand
nonbre des maîtres de paris mème , come
vous , ils se scandalisent , ils s'anportent,
ils donent des sènes dignes du métier ,
plutôt que de rougir utilemant , et de
songer à s'instruire , du moins en secret ,
de ce qu'ils ignorent , la chose leur seroit
aisée , puisque des enfans en peu de
mois devienent docteurs sur l'article
des sons de la langue et de l'ortografe
de l'oreille qui doit préceder la pratique
de l'ortografe des ïeus et de
l'usage. ces maitres prévenus et obstinés
autant que vous pouriez l'ètre , bien loin
de dire au Seigneur , Domine ut videam ,
apèlent lumiere leurs propres tenèbres et
ne font que batre la campagne sans comprandre
, sans saisir , sans retenir et sans
Suivre le point essenciel du burau tipografique.
vous serés peut- être convaincu
de cette verité quand vous aurés lu les
derniers мercures. D Je
*
698 MERCURE DE FRANCE
Je ne saí quelle idée vous avés du mot
charlatan , mais je doute que vous vou-
Jussiés califier ainsi un home qui au lieu
d'aler chés lui ou dans votre voisinage
jouir de toutes les comodités de la vie
et de la douceur du climat , soufre patiament
le rude séjour de paris dans la
seule esperanse de faire gouter au public
l'ouvrage qu'il souhaite de lui ofrir ; un
home qui emploie ses épargnes à faire
copier , graver , imprimer bien des choses
qu'il distribue ansuite gratis aus rìches
come aus pauvres , aus enemis come
aus amis du burau tipografique , ainsi
qu'il l'a déja pratiqué à l'égard de la brochure
donée en 1711. sur la transposition
de la musique instrumentale ; un home
qui bien loin de demander ou d'accepter
le privilege exclusif pour la vante
des buraus et de leurs garnitures , ofre
de mettre tout le monde au fait de cet
ouvrage et de cette métode ; enfin un
home qui jusqu'ici n'a pas touché un sou
pour les buraus et qui au contraire les a
pretés à ceus qui an ont voulu faire l'experiance.
si vous disiés qu'un tel auteur
est frapé et entousiasme de son ouvrage
et de la chimere du bien public , votre
reflexion aus feus de bien des jans auroit
pour lors plus de fondemant ; mais c'est
une injustice de confondre sous le nomde
charAVRI
L.. 1731.
699
charlatan , ccus qui agissent de bone foi
et par gout pour le bien public.
Vous n'ètes pas plus heureus , M. dans
le comentaire sur la celebre Charmante
de la foire , que sur l'ortografe des sons
que vous ignorés come le plus grand nonbre
de м M. vos confreres. il apert donc
visiblement que vous ne vous ètes jamais
élevé au- dessus de la métode vulgaire et
que vous devriés la respecter cette métode
, mème dans la fameuse chiène , car
je doute qu'une bète dressée par un maitre
ordinaire , pût jamais operer selon le
sistème des sons aussi aisément que selon
le sistème des lètres ; mais remarqués ,
s'il vous plaît , que la métode d'inprimer
lètre à lètre et de ranger , par example ,
sèt cartes pour le mot ouaille , est propremant
la métode vulgaire , la métode
de la chiène lètrée , ou la vôtre qui est
la segonde et moindre des quatre classes
du burau tipografique ; c'est pourquoi
l'auteur conseille de la passer vite come
presque inutile et peu instructive , au lieu
qu'inprimant son à son , et selon la troisième
classe du burau , un enfant de trois
à quatre ans ne metra que trois cartes
pour les trois sons du mot ou- a- ille , lequel
exercice done d'abord la lecture ,
puisque nomer les trois sons ou - a- ille , oų
lire le mot ouaille , c'est la mème chose ,
D ij apa-
380106
700 MERCURE DE FRANCE
aparamant vous ne comprandrés pas ceci ,
et la posterité canine ne poura jamais antreprandre
de l'imiter, que quand ce sistèmedes
sons sera devenu vulgaire.
Je ne vous suis point , M..dans toutes
vos reflexions , elles ont été faites à paris
come à Véntabrén , il y a ici du préjugé,
de la prévention , ect. mais il y a aussi
du gout pour la verité , pour la justice
et pour le bien public , après tout je me
flate que la suite des Mercures et la critique
du savant professeur anonime de
l'université de Paris , vous auront réconcilié
avec le burau tipografique , suposé
que vous soyés bien intancioné et que
vous aimiés la verité , sur tout quand vous
aprandrés par le témoignage mème de
cet habile professeur , que des principaus
de mérite et des plus respectables de l'université
ont laissé introduire l'usage du
burau dans leurs colèges , si malgré cette
de fait et d'autorité , preuve assés
forte pour les maitres qui se piquent bien
plus de latinité et d'autorité que de justesse
de raisonement , si malgré votre
droiture et ce témoignage de la bouche
d'un critique home d'esprit et de merite,
vous regimbés contre l'aiguillon , s'il
vous reste quelque doute et que vous en
fassiés part au public , je tacheraí d'y répondre
de mon mieus , dans la vue de
preuve
conAVRIL.
1731. 701
concourir à la perfection du sistème tipografique
et de vous persuader combien
je suis , etc.
D'un Cabinet tipografique ce 26.Mars 1731
LE LION ET LA BREBIS ,
V
FABLE.
Ous qui des grands recherchez l'assistance ,
N'allez pas avec eux vous lier d'interêt , ´
Si vous donnez plus que la reverence 2
Vous êtes perdus pour jamais.
Un Lion , mais Lion du plus sublime étage ,
Et des plus nobles d'alentour ,
Lion puissant Siegneur , qui par haut parentage ,
Etoit des mieux venus en Cour ,
Joua , dit- on , un vilain tour ,
A la Brebis , sa voisine , peu sage.
Voici le cas ; le bêlant animal ,
Voulant s'avancer , se produire ,
Pour maîtriser ceux qui pouvoient lui naire ,
Et l'emporter sur maint et maint Rival ;
Il faut , dit- il , choisir une Puissance ,
Envers et contre tous qui puisse nous munir ,
Et réprimer l'insolence ,
De l'Escroqueur , qui contre notre engeance®,
Diij
Aima
702 MERCURE DE FRANCE
Aima toûjours tant à sevir.
Ainsi pensoit la Bête à Laine ,
Aussi-tôt dit , aussi-tôt fait ;
Elle court à perte d'haleine ,
Chez le Lion , pour le voir à souhait ,
Et lui faire sa réverence .
Celui- cy de bonne accointance ,.
Avec beaucoup d'affectation ,
Lui promet sa protection.
Grande amitié de part et d'autre ,
Mais par présens falloit l'entretenir ,
Seigneur Lion , le bon apôtre ,
Eût voulu déja les tenir.
D'abord on n'exigea que la simple courbette ,
Que constante assiduité :
Mais bien-tôt la Bête sujette ,
N'en fut quitte à si bon marché ;
Laissant là sa délicatesse ,
Notre Patron s'arma de hardiesse
Et la pria de lui prêter ,
Maintes feuilles qu'avoit amassé la pécore ,
Pour subsister durant l'âpre saison
Cette demande qui l'honore ,
Lui fait donner au Patron 2.
Le feuillage ,
Qu'elle avoit fait à son Village ,
Voiturer à grands frais par Maître Aliboron..
Ce ne fur tout , et comme dit l'adage ,
Plus
AVRIL. 703 1731 .
Plus on a , plus on veut avoir ,
Chez tous les Grands c'est maxime en usage.
Ainsi donc le Lion venant à concevoir ,
Que s'approchoit le tems de la froidure ,
Pensa comment d'une saison si dure ,
Il éviteroit les rigueurs ;
Puis tout à coup songeant à sa Cliente ,
>
En vain, dit- il , je me tourmente ,
Pour de chimeriques malheurs ;
Notre Brebis de sa véture ,
Nous fera chaude couverture.
Bien disoit vrai , le benin animal
De sa Toison lui fait une fourure ,
Si bien que tant que l'hyver dure ,
Le Protecteur ne ressent aucun mal.
A sa porte souvent l'autre cria misere ,
Voulut qu'on la payât et qu'on finît l'affaire .
Pas le moindre petit retour ;
Et qui pis est , la pécore bêlante ,
N'osa plaider pour un si vilain tour ;
Trop bien sçavoit que la Justice est lente ,
A condamner les gens de Cour.
Tout ce que fit la bête aux frimats exposée ,
C'est qu'à son dain déniaisée ,
N'ayant de quoi manger , ni se vétir ,
Elle jura bien fort de n'y plus revenir..
Cet Apologue est pour confondre ,
Ceux qui se livrent trop à de puissans amis ,
D. iiij
Car
704 MERCURE DE * FRANCE
A
Car il est plus d'une Brebis ,
Quipar les Grands se laisse tondre.'
Par René-Vincent Desf *** .
XXXXXX:XX:XX:XXXXX
SOURIS nourrie par une Chatte. Extrait
d'une Lettre écrite à M. D. L. R..
par M. A. C. D. V. D. le 19. Fanvier
1731.
Lie
E fait qu'on vous a rapporté plusieurs
fois , en passant et en repassant
par notre Ville , lorsque vous fréquentiez
la Normandie , et que vous me
rappellez dans votre derniere Lettre ,
avec prière de vous en bien marquer tou
tes les circonstances ; ce fait , dis -je , est
très-certain , et tel que je vais vous le
narrer.
En l'année 1664. dans cette Ville d'Evreux
, une Chatte ayant mis bas ses petits
chez le nommé Dupuis, ruë Trienne;
ce Dupuis trouva dans le même temps
une nichée de Souris dans sa maison
qu'il porta à sa Chatte. Elle les mangea
toutes , à la réserve d'une seule , qui
par hazard se trouva cachée sous elle ;
la petite Souris sucçoit le lait qui dégou
toit de la gueule des petits Chats , qui
tettoient
AVRIL. 1731. 701
tettoient leur mere. Cette Souris n'eut
pas plutôt gouté du lait de la Chatte
que celle- cy dépoüilla , pour ainsi dire ,
sa ferocité et son antipatie naturelle , caressa
la Souris et la nourrit , avec ses petits
Chats . Quelques Vieillards de ce temslà
certifient la chose comme témoins oculaires
; on la trouve écrite à peu près de
même dans les Memoires de feu M.Ruault,
Avocat d'Evreux , homme des plus sçavans
, des plus curieux , des moins crédules
de notre Province , qui a laissé quantité
de Memoires historiques , et dont
vous connoissez la réputation et les enfans
; voici comment finit le narré de notre
illustre Compatriote sur ce fait singulier.
»Presque toute la Ville alla voir
»cette Souris nourrie par une Chatte , j'y
allai moi-même , et je vis un Particu
lier prendre la Souris sous la Chatte er
>> la mettre au milieu de la Chambre. La
>> Chatte sortit aussi-tôt du lieu où elle
» étoit , reprit la Souris dans sa gueule ,
» la reporta sans lui faire aucun mal avec
» ses petits Chats , et lui fit des caresses
» surprenantes .
Ce fait , encore une fois , dont j'ai en
tendu parler toute ma vie , et dont nous
avons encore des temoins , se trouve tel que
je viens de vous le dire dans les Memoires
d'un vrai Sçavant , reconnu pour
tel
Dv
et
706 MERCURE DE FRANCE
et incapable d'en imposer au Public. M
fait même là - dessus quelques Refléxions
en Physicien , et en particulier sur la force
du fait , qui a , dit il , produit un effet
si contraire à la nature de ces deux Animaux
; mais je supprime et les Reflexions.
et les consequences qu'il en tire par rapport
aux Meres et aux Nourrices , pour
Jaisser à nos Physiciens modernes une entiere
liberté de méditer et de s'expliquer
sur un fait si extraordinaire.
********************
JE
ENIG ME.
E suis un beau petit Palais,
Bâti d'une aimable structure ,
Sans employer pour moi l'Art de l'Architecture;
On me construit à peu de frais.
J'ai cependant gentille couverture ;
Mansarde quelquefois , fenêtres et tréineaux
Et tous les ornemens des Palais les plus beaux.
Je n'ai jamais qu'un seul étage ,
Et qu'un Salon pour tout Appartement :
C'est là qu'une Beauté , quoiqu'en mince équi
page ,
Vient se loger superbement..
Je fus jadis compagne inséparable
D'un Sage de l'Antiquité.
2
Mais
AVRIL 1731. 707
J Mais quelle calomnie inhumaine , execrable
N'ont point fait les Mortels de moi , de ma
beauté !
> Ils ont poussé la cruauté
Jusques me tacher de cet Art, redoutable ,
Dont on brule àRouen quiconque en est coupable.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
LOGOGRYPHE à Madame de G.
Par M. du P. d'Arras.
OU
Qui
Ui , j'ose , Iris , me flater en secret ,
Que ce présent aura de quoi vous plaire :
Je le puis bien sans être témeraire ,
Puisque chez vous j'en ai pris le sujet.
On me prend en deux sens ; le premier vous
presente ,
Le nom de plus d'une Beauté ,
Au second je suis qualité ,
Qui rend le vin brillant et l'Onde transparente
Six lettres font mon tout ; prises diversement ,
Elles vous formeront maint objet different ,
Prenez- les enchiffrez ; la route est plus aisée ;.
Un, trois, quatre, cinq, six , je suis Ville vantée
Trois , quatre , cinq , sans moi nul ne peut respirer
;
Trois , quatre , cinq , puis six , double Ville -de
France 2
De mon sein vous tirez tous votre subsistance ;
Quatre , cinq , six , je suis deffaut à eviter,
Dvj Deux.
708 MERCURE DE FRANCE.
Deux, quatre , trois , je fus femme de Patriarche
Trois, quatre , deux et six, chose utile à l'Oiseau,
Deux , quatre , six , je naîs dans le fond d'un
tonneau.
Trois , quatre , la douleur avec moi toujours
marche ,
Quatre , trois , cinq et six , jeune présomptueux,
Je péris en quittant les traces de mon pere ;
Deux , trois , quatre , puis six , je suis bête très→
fiere ;
Un, quatre, six et deux , l'objet de tous vos voeux;
Cinq , six , ou bien deux , trois , je sers à la Musique
;
Deux, quatre, un, six , heureux qui ne me court
en vain ;
Trois , cinq et un , jadis funeste au genre hu
main ;
Je sçais plaire à present au plus mélancolique ,
Trois , un, cinq , six , j'aurai de quoi picquer le
goût ,
Mille en païs lointain , mesure en Normandie ;
Un , trois , cinq , quatre , six , Province de l'Asie.
Deux, trois , quatre , cinq , six , refrein connu
par tout ,
Un , trois , deux , six , malheur à qui je sers de
gîte ;
Un , cinq et quatre , on peut m'entendre de bien ,
loin.
Un , quatre, cinq et six , une Mouche avec soin
Me forme et m'embellit ; un , trois , deux , d'aller
vîte ; Je
AVRIL.
1731. 709
Je puis bien empêcher le plus leger pieton :
Deux , trois , un > vous voyez qantité d'eau dor →
mante ;
Trois , quatre , deux , je suis d'une odeur trèspicquante..
Un , deux et six , sans moi nul n'entre en sa
maison ;
Deux , quatre , cinq et six , on me voit toujours.
lire.
Un , deux, trois , quatre , cinq , je suis nom mas◄
culin ;
P
Deux , trois , quatre , puis un , au Service divin
Je ne puis qu'assister ... je n'ai plus rien à dire.
AÚTRE LOGO GRYP HE .
Cinq
membres
composent mon corps ;,
Je nomme une fameuse Ville ,
Qui vit sa Campagne fertile ,
Pleine de Captifs et de Morts.
Pour trouver une Ville en France ,
Prenez mes trois membres premiers ;
Vous verrez dans mes trois derniers .
Par où l'homme a son existence,
"
I1 naît un magnifique fruit ,
Des quatre premieres parties ;
Les deux dernieres assorties
A ma tête qui les conduit ,
Font d'un animal volatile,
2.
Re
710 MERCURE
DE FRANCE
Reconnoître aisément le nom .
( Tel se nommoit en grand renom ,
Le Coursier d'un Guerrier habile . )
La troisiéme de mon tout
part
Au mot précedent ajoûtée ,
Est l'instrument d'une Jettée ,
Quand on l'éguize par un bout.
Retranches de ma forme entiere ,
Mes membres , troisième et second
Combinez , c'est l'étui fécond ,
D'une nourrissante matiere ...
Par Anagrame , un vêtement ,
S'offre en ôtant mon second membre.
Deux lettres dont on me démembre
Font éclore un amusement..
Supprimez ma derniere lettre
Transposez mes membres divers
Alors remanié , je sers ,
A regarder par la fenêtre .
Enfin arrachez - moi le coeur
Mon reste devient le salaire ,
Qui de l'indigent militaire ,
Nourrit la force et la vigueur.
2:
Par M. le Besgue , Chanoine de Gerberoy
L'Enigme et les deux Logogryphes du
mois dernier se doivent expliquer par
Gironate , Sanglier et Aigle,
NOUAVRIL
1731. 711
****************
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &c,
SUITE de l'Article de Pierre Ramus.
Es que Ramus se vit Professeur
DRoyal , il se sentit un nouveau zele
pour perfectionner les Sciences , et il y
travailla avec encore plus d'ardeur qu'il
n'avoit fait jusques- là , malgré la hainede
ses ennemis , qui ne pouvoient le laisser
en repos..
Il eut alors part à une affaire assez singuliere
pour être rapportée ici . Vers l'an-
150. les Professeurs Royaux avoient
commencé à corriger quelques abus qui
s'étoient glissez dans la prononciation de
la Langue Latine ; cetre réforme embrassée
par quelques Ecclesiastiques , déplut
à d'autres , qui deffendirent avec chaleur
l'ancienne prononciation à laquelle ils
étoient accoutumez. La chose alla même
si loin , qu'un Beneficier fut dépouillé de
ses revenus par la Faculté de Théologie ,
pour avoir prononcé Quisquis, Quanquam,
suivant la nouvelle réforme , et non par
Kiskis , Kankam , selon l'ancien usage..
Ce Beneficier s'étant pourvû en Parle
ment , les Professeurs Royaux , et entre
autre
712 MERCURE DE FRANCE .
autres Ramus , craignant qu'il ne succombât
sous le crédit de la Faculté , se crurent
obligés de le secourir ; ils allerent
donc à l'Audience , et représenterent si
vivement à la Cour l'indignité d'un tel
procès , que l'Accusé fut absous , et qu'on
faissa la liberté de prononcer comme on
voudroit.
Ramus avoit été élevé et instruit dès
sa plus tendre jeunesse dans la Religion
Catholique , mais la lecture des Livres
des Protestans l'avoit séduit , et lui avoit
donné du gout pour leur Doctrine. Il
commença à faire connoître ses sentimens
en ôtant les Images de la Chapelle de son
College de Prêle. C'étoit en 1552. que
les Religionnaires commencerent à remuer
, et comme on ne vouloit souffrir
dans l'Université que des personnes d'une
Doctrine saine , il en fut chassé la mê
me année et destitué de sa Charge.
}
*
La crainte qu'il eut de quelque chose
de pis , l'obligea alors à se retirer , et il
alla, sous le bon plaisir du Roi qui le
protegeoit , se cacher à Fontainebleau
où , à la faveur des Livres qu'il y trouva
dans la Bibliotheque Royale , il continua
ses travaux Géometriques et Astronomiques
, qui l'occupoient beaucoup depuis
quelque tems.
*Felibien , Hist. de Paris , t. 2. p. 1084.
Mais
AVRIL.
1731. 713
Mais il ne demeura pas long- tems
tranquille en ce lieu . On découvrit qu'il
y étoit , et cette découverte ne lui permit
pas d'y rester davantage. Il fallut
qu'il s'allât cacher successivement en divers
endroits . Pendant ce tems-là son Col
lege fut pillé , et il perdit la riche Bibliotheque
qu'il y avoit amassée.
Lorsque la Paix eut été conclue l'an
1563. entre le Roi Charles IX . et les
Protestans , il reprit possession de sa Charge
, s'y maintint avec vigueur et s'attacha
principalement à faire fleurir les études
des Mathématiques . Nous trouvons dans
l'Histoire de la Ville de Paris une preuve
éclatante de son zele en cette matiere,
qu'il ne faut pas omettre.
» L'intention du Roi François Premier,
» dit l'Auteur , en fondant le College
» Royal , avoit été que les places de Pro-
» fesseurs ne fussent occupées que par des
» gens capables de les remplir avec hon-
>> neur. Des gens sans mérite avoient en-
» fin trouvé moyen , par amis , et par in-
» trigues d'en occuper quelques- unes , et
>> de ce nombre étoit Dampestre , qui s'é-
» toit chargé d'enseigner les Mathémati-
» ques , dont il sçavoit à peine les pre-
» miers Elemens. Pierre de la Ramée l'en-
>> treprit , et l'accusant d'insuffisance , la
* Felib. +, 2. p. 1106.
n.tra
714 MERCURE DE FRANCE.
» traduisit au Parlement , où l'indigne
>> Professeur fut condamné à subir l'exa-
» men . La Raméé ne fe contenta pas de
» cela , il écrivit au Roi , à la Reine , au
» Cardinal de Chatillon , Conservateur
» de l'Université de Paris , à l'Evêque de
» Valance , et à plusieurs autres Seigneurs
>> du Conseil du Roi , et en obrint une
Ordonnance en datte du 24. Janvier
1566. par laquelle il fut reglé que Dam-
» pestre et tous les autres Professeurs qui
» se presenteroient desormais pour être
admis au College Reyal , seroient examinez
publiquement par tous les autres
» Lecteurs. Dampestre , pour n'avoir pas
» l'affront d'être convaincu d'insuffisance,
» ceda sa place à de certaines conditions
à Charpentier , Docteur en Medecine ,
encore moins versé que lui dans les Ma
» thématiques , mais homme d'intrigue et
artificieux. La Ramée l'attaqua plus
» vivement que l'autre , et se donna tant
» de mouvemens , que le Roi fit expedier
» des Lettres Parentes du 7 ..... de la
» même année , données à Moulins , par
lesquelles après le récit des soins que
s'étoit donné Pierre de la Ramée , Doyen
» des Professeurs Royaux , contre Dampestre
, le Roi veut que quand il vaquera
une place de Professeur Royal ,
on le fasse sçavoir à toutes les Univer-
5
"
» sitez.
AVRIL. 1731. 715
.
sitez les plus fameuses , afin que ceux
» qui se sentiront dans la disposition de
»la disputer au concours , viennent se
>> présenter à l'examen des autres Profes-
» seurs du même College , et disputer la
>> Chaire vacante , laquelle sera donnée
» par le Roi à celui , qui , au rapport du
» Doyen et des Lecteurs , aura fait pa-
» roître plus de capacité dans ce combat
Litteraire. Ces Lettres furent enregis
» trées le 2. Avril suivant , avec l'Eloge
que méritoit la protection que donnoit
» le Roi aux Belles Lettres . Pierre de la
Ramée ne laissa pas plus Charpentier
>> en paix que celui qui l'avoit précedé
» dans la Chaire de Mathématique. Il le
>>fit comparoître à la Cour , où le nou-
» veau Professeur obtint par ses larmes
» et par son éloquence , de ne pas subir
»
"
l'examen . Le Parlement lui prescrivit
» des conditions qu'il n'executa point ,
» dont il s'acquitta de mauvaise foi ; ce
» qui obligea la Ramée de le traduire au
» Conseil , où par les artifices de Char-
» pentier , il se trouva lui - même dans la
» necessité de faire son apologie. Toutes
» ces démarches de la Ramée lui furent
>> funestes dans la suite.
Les Guerres Civiles ayant recommencé
en 1557. Ramus fut de nouveau obligé
de quitter Paris ; il se réfugia auprès du
Prince
716 MERCURE DE FRANCE
Prince de Condé , qui avoit son armée a
S. Denis , et y étoit pendant la bataille
qui se donna en ce lieu.
La Paix qui se fit peu de tems après ,
l'engagea à revenir à Paris , où il fut retabli
dans sa Charge ; mais il forma le
dessein de se retirer en un lieu de sureté,
pour n'être point exposé à de nouveaux
dangers.
Il demanda pour cela au Roi la per-
. mission d'aller visiter les Académies d'Almagne
, et elle lui fut accordée. Il fit ce
voyage en 1568. et reçut par tout de fort
grands honneurs. Il fit pendant quelque
tems des Leçons à Heidelberg. André
Dudith , qui avoit beaucoup de crédit
auprès du Roi de Pologne , l'invita à se
rendre à Cracovie ; Jean Zapol Vaivode
de Transilvanie , lui offrit aussi des appointemens
considerables , avec le Rectorat
de l'Académie de Weissembourg ;
mais il ne jugea pas à propos d'accepter
leurs offres .
Pendant son séjour à Heidelberg , il fuc
assidu aux Sermons que les Réformez
y faisoient en François , et ce fut dans
feur Eglise qu'il communia pour la premiere
fois , après avoir publié sa profession
de foi.
L'attachement qu'il avoit pour sa Pa
trie , l'y ramena pour son malheur en
1571
AVRIL. 1731. 717
1571. car il fut assassiné le 25. Août 1572 .
au massacre de la S. Barthelemi . Il s'étoit
caché dans une cave pendant le tumulte,
mais il en fut tiré par des Assassins que
lui envoya Charpentier , son Competiteur
, et après qu'il eut donné beaucoup
d'argent pour tâcher de se tirer de leurs
mains et reçû quelques blessures , il fut
jetté par la fenêtre dans la cour , et ses
entrailles étant sorties de son corps par
cette chute , les Ecoliers animez par leurs
Maîtres , qui le haïssoient , les répandirent
dans les rues et traînerent ignomigneusement
son corps, en le frappant avec
des verges.
Il avoit fait son Testament , qui est
daté de Paris le premier Août 1568. avant
que de partir pour l'Allemagne . Par ce
Testament il ordonnoit que de sept cens
livres de rente qu'il avoit sur l'Hôtel de
Ville , cinq cens serviroient de gages à
un Professeur qui enseigneroit en trois
ans l'Arithmetique , la Musique , la Géometrie
, l'Optique, l'Astrologie et la Géographie
, dans le College Royal ; au bout
du quel tems on en choisiroit un autre
avec les circonstances qu'il prescrit pour
faire le même cours d'Etudes . Et il nommoit
pour le premier Professeur qui joüiiroit
de ce revenu , Frederic Reisnerus qui
- étoit son ami .
•
Mais
718 MERCURE DE FRANCE.
«
>>
Mais cette Fondation n'eut point d'abord
son effet , comme elle l'eut dans la
suite ; car le Prevôt des Marchands et
les Echevins presenterent le 17. Mars
1573. une Requête au Parlement , où ils
remontrerent que » M. Pierre de la Ra-
» mée par son Testament avoit legué la
» somme de cinq cens livres tournois de
>> rente , qu'il avoit sur ladite Ville , au
» Lecteur de Mathématique , qui seroit
élû par les Supplians , le Premier Presi-
» dent de la Cour et le premier Avocat
» du Roi , qui étoit chose superfluë , vû
» la multitude des Lecteurs en Mathéma-
» tique , stipendiez par le Roi et par les
» Colleges , et qu'il seroit plus expedient
» d'employer ladite rente aux gages d'u-
» ne personne capable , qui seroit élûë par
lesdits dessusdits , et par le Procureur
General du Roi , pour continuer l'His-
» toire de France de Paul Emile , depuis
le commencement de Charles VIII.
»jusqu'au Roi alors regnant . La Cour
oui le Premier President , le second
Avocat du Roi , en l'absence du pre-
» mier , et vûës les Conclusions du Pro-
» cureur General du Roi , par provision
» et jusqu'à ce que le Suppliant avec le
»Premier President et le premier Avocat
» du Roi eussent advisé de choisir un
» Lecteur suffisant pour lire les Mathéma-
>> tiques
))
>>
33
">
,
AVRIL. 1731 .
719
» tiques , s'il est trouvé expedient pour
>> le bien public , ordonna que ladite ren-
>> te et les arrerages d'icelle jusqu'à ce jour,
» seroient bailles à M. Jacques Gohory ,
» Avocat en la Cour , pour continuer en
Langue Latine l'Histoire de France de
» Paul Emile , et à cette fin prendre Pan-
» cartés autentiques , bons Memoires et
instructions , titres et autres papiers né-
» cessaires pour composer au vrai ladite
» Histoire. *.
Je ne sçai comment accorder la Requête
du Prevôt des Marchands et des
Échevins , avec le Testament de Ramus ;
car il n'y est pas dit que ce seront eux
qui nommeront le Professeur pour remplir
la Chaire qu'il fondoit , il en donna ,
au contraire , le choix aux Professeurs
Royaux ; il dit seulement que le Premier
President , le premier Avocat du Roi et
le Prevôt des Marchands , assisteront , ou
du moins seront invitez à assister à l'examen
des Prétendans .
enga- Au reste Gohory s'acquitta des
gemens que lui imposoit la pension qu'on
- lui avoit accordée , et continua en Latin
l'Histoire de Paul Emile ; mais sa continuation
est demeurée manuscrite et n'a
jamais été imprimée.
* Extrait des Registres du Parlement, dans les
Preuves de l'Histoire de Paris , Part. 2. p . 8301
Ramus
720 MERCURE DE FRANCE .
Ramus étoit un hommede belle taille ,
de bonne mine et d'une complexion vigoureuse
et infatigable dans le travail.
Il n'avoit d'autre lit que de la paille , sur
laquelle il coucha toûjours depuis son enfance
jusqu'à sa vieillesse. Il se levoit ordinairement
de grand matin . Comme il
employoit tout le jour à lire , à écrire ,
et à méditer , afin de se conserver l'esprit
plus libre , il ne prenoit le matin
qu'un leger repas ; le soir il mangeoit un
peu davantage , et après souper il se promenoit
pendant deux ou trois heures, ou
s'entretenoit avec ses amis. Son aliment
ordinaire étoit de la viande bouillie , et
il ne commença à boire du vin que dans
un âge un peu avancé , et par ordre des
Medecins. L'aversion qu'il avoit pour le
vin , venoit d'un accident qui lui étoit
arrivé dans sa premiere jeunesse ; car étant
alors entré dans la cave à l'insçû de ses
parens , il but si abondamment , qu'on le
trouva près du tonneau sans connoissance
et comme mort. L'état où il s'étoit mis
fit depuis tant d'impression sur lui , qu'il
fut plus de 20. ans sans vouloir boire de
vin.
Il garda toute sa vie le célibat avec une
pureté qui ne fut pas même soupçonnée
de la moindre tache , et il évitoit comme
un poison les conversations trop libres.
II
HOMA AVRIL.
1731. 721
conserva sa santé , et se guérit de ses
indispositions , non point par l'usage des
remedes , mais par la sobrieté , par l'abs
tinence et par l'exercice , sur tout par
celui du Jeu de Paume , qui étoit son
divertissement ordinaire.
Il étoit parfaitement desinteressé , et si
liberal , qu'il distribuoit une partie de
son bien , à ceux de ses Ecoliers qui en
avoient besoin .
Il avoit un génie fort vaste et un sçavoir
profond ; il avoit embrassé toutes
les sciences, et ne se proposoit pas moins
que de les réformer toutes ; mais c'étoit
une entreprise qui surpassoit ses forces.
L'envie de se distinguer , son penchant
naturel à contredire , et son opiniâtreté ,
l'ont engagé dans des disputes et des embarras
qu'il auroit pû s'épargner. La hardiesse
qu'il eut de soutenir à la fin de
sa Philosophie , que tout ce qu'Aristote
avoit dit étoit faux , étoit une action de
jeune homme , qu'il se fit cependant un
point d'honneur de soutenir dans la suite,
mais qui ne le rendoit gueres moins ridicule
que l'étoient ses Adversaires , en
soutenant que tout ce que Aristote avoit
avancé étoit vrai .
On loue beaucoup son éloquence , dont
Brantome rapporte une preuve singu-
* Mem. des Hommes illustres , T. 2. p. 55.
E liere.
722 MERCURE
DE FRANCE
liere. » M. Ramus , dit-il , étoit un fort
»disert et éloquent Orateur , et peu s'en
» est il vû de semblables ; car il avoit une
» grace inégale à tout autre , qui secou-
>> roit davantage son éloquence , jusqueslui
» là qu'au bout de quelque tems ,
s'étant rendu Hugenot , et étant en la
» compagnie de Messieurs le Prince et
l'Amiral , au voyage de Lorraine , et
»leurs Reitres , qu'ils avoient fait venir ,
»ne voulant passer vers la France qu'ils
»n'eussent de l'argent , après qu'ils en
neurent un peu touché par quelques bour-
»cillemens que les Huguenots eurent faits
entre eux , et que M. Ramus les eut ha-
>>ranguez, ils en furent gagnez et amenez
>>au coeur de la France , pour faire assez
» de maux .
Il falloit qu'on lui connût du talent
pour gagner les esprits , puisqu'on voulut
l'engager par de grandes promesses
à aller en Pologne en 1572. après la mort
du Roi Sigimond Auguste , pour prévenir
par son éloquence les Polonnois en
faveur du Duc d'Anjou , qui fut élû Pannée
suivante ; mais il le refusa , sous prétexte
que l'éloquence ne devoit point être
mercenaire . Il ne prévoyoit pas le malheur
qu'il lui arriva peu de jours après ,
et qu'il auroit évité en faisant ce voyage.
Quoique les Mathématiques
ayent été
son
AVRIL. 1731.
23
son fort , et ayent fait sa principale étu
de , on a fait depuis lui tant de nouveldes
découvertes dans cette Science , qu'on
ne tient pas à présent grand compte de
ce qu'il à laissé sur cette matiere.
Il se mêla aussi de Théologie, et voulut
se rendre en quelque maniere Chef de
Parti , en changeant la discipline qui étoit
en usage dans les Eglises Calvinistes. Il se
proposa d'y introduire le Gouvernement
Démocratique , et prétendit que la puissance
des Chefs , conferée au Peuple par
Jesus- Christ , ne devoit être mise aux
Consistoires , qu'afin qu'ils formassent les
premieres déliberations ou les premiers
jugemens qui seroient ensuite proposez
au Peuple , et qui ne pourroient passer
pour Loi qu'en cas qu'ils fussent confirmez
par les suffrages des Chefs de famille ;
-il disoit que sans cela on introduiroit dans
P'Eglise l'Oligargie et la Tyrannie, Mais
son sentiment ayant été examiné dans un
Synode National , tenu à Nîmes au mois
de May 1572. fut rejetté comme une
chose qui n'étoit propre qu'à causer de la
confusion , et qu'à produire une veritable
Anarchie . Il est à présumer que Ramus
avoit d'autres vûës , et que , s'il eût obtenu
ce qu'il demandoit , il eût été plus
loin , et se fût servi de son éloquence
pour engager l'Assemblée du Peuple à
E ij
faire
7
724 MERCURE DE FRANCE
faire encore d'autres changemens plus
considerables. C'est ce qu'appréhendoit
Théodore de Beze , qui opina fortement
contre lui dans le Synode de Nîmes.
Les disgraces , les traverses et les cha
grins que Ramus eut à soutenir pendant
le cours de sa vie , et qu'il se procura souvent
à lui-même , trouverent en lui un
courage et une constance capable de les
soutenir. Ses ennemis qui n'oublierent
rien pour le chagriner , se servirent quelquefois
pour
cela de ses Ecoliers . La premiere
fois qu'il expliqua sa Logique dans
le College de Cambray en 1552. on le
siffla, on fit des huées , on battit des mains
et des pieds . Mais il ne se déconcerta pas ;
il s'arrêtoit de tems- en-tems , jusqu'à - ce
que le bruit cessât , il acheva ainsi sa Leçon
à plusieurs reprises. Cette fermeté
étonna ceux qui vouloient par là lui faire
de la peine , et rabattit dans la suite leur
audace. On lui fit les mêmes insultes à
Heidelberg , et avec aussi peu de succès
pendant les Leçons qu'il y fit l'an 1568.
Nous nous dispensons d'ajoûter ici le
Catalogue raisonné des Ouvrages de P.
Ramus , divisé dans le Livre du P. Niceron
en 50. Articles , encore n'y sontils
pas tous rapportez . Cette prolixité setoit
ennuyeuse dans notre Journal , il y
a d'ailleurs peu de Gens de Lettres qui
no
>
AVRIL. 1731. 725
ne soient au fait des Ouvrages de cet infatigable
et celebre Ecrivain.
Il s'est glissé une faute d'impression ,
sans doute , mais qui n'est point marqué
dans l'Errata , Omar Talon , pour Omer
Talon ; Omar est un nom Mahométan
Omer est le nom d'un Saint , Audomarus
; cette faute est au bas de la page 291 .
A propos de faute , qu'il nous soit
permis de réparer ici une omission faite
dans le Catalogue des Ouvragès manuscrits
d'Eusebe Renaudot , lequel se trouve
imprimé dans le Mercure de Janvier
dernier ; on a oublié la Vie de Sultan Saladin
, ce fameux Conquerant de l'Egypte,
de la Syrie , &c. le même qui reprit Jerusalem
sur les Princes Croisez , écrite
d'après les meilleurs Historiens Orientaux.
Cette Histoire donnera un grand jour
à celle de la seconde Croisade , et fera
connoître un Prince doüé de qualitez
magnifiques, et qui n'avoit presque que le
deffaut ou le malheur d'être né dans une
fausse Religion.
OBSERVATION sur une maladie
de M. Manot de Bergerat , Bourgeois dans
le Diocèse de Couserans , en Guyenne
à M. Chicoyneau , &c. Brochure in 12. de
17. pages , sans nom d'Imprimeur.
Cette Observation est de M. de Vicus-
E iij
sens ,
اي
726 MERCURE DE FRANCE
sens , Medecin à S. Lizier , d'où elle est
datée du 28. Juin 1730. au sujet d'une
maladie extraordinaire , causée par un
Ver plat , d'un pouce de large depuis la
tête jusqu'à la distance de 3. pans ou 27.
pouces vers la queue , et de plus de cinq
aunes de longueur , sorti mort par enbas
, en deux morceaux , du corps du Malade.
Tout le corps étoit fort luisant et
formé à diverses reprises , de la même maniere
qu'on auroit pû joindre plusieurs
Vers à la queue les uns des autres , de la
longueur d'un demi pouce , et réunis par
une couture assez relevée .
RETRAITE SPIRITUELLE sur les
Vertus de J. C. avec un Discours sur la
necessité de le connoître et de l'aimer. A
Paris , chez Rollin , fils , Quay des Augus→
tins , 1731. in 12 .
MEDITATIONS sur la Passion de
N. S. J. Ch. par feu le R. P. Nic. Sanadon
, de la Compagnie de Jesus , avec une
préparation à la mort . Chez Greg. Dupuis,
rue S. Jacques , 1731. in 18.
VERITEZ DE FOY ET DE MORALE , pour
tous les états , tirées des seules paroles
de l'Ancien et du Nouveau Testament.
A Paris , ruë S. Severin , chez Jacques
Vincent, in 12.
ELE
AVRIL. 17313727
ELEMENS HISTORIQUES , ou Méthode
courte et facile pour apprendre l'Histoire
aux Enfans. Dédiez à S. A. S. M. le Duc
de Chartres. Place du Pont S. Michel ,
chez And. Cailleau , 1730..2 . vol . in 12,
de près de 500. pages , compris l'Avertissement
, les Tables Chronologiques.
MEDITATION SUR L'EVANGILE , Ouvrage
postume de M. Jacques Benigne Bossuet,
Evêque de Meaux , &c . Rue S. Jacques
chez P. J. Mariette , 1731. 4. vol . in 12 .
PREMIER LIVRE DE SONATES pour
deux
FlutesTraversieres , et qui viennent au Violon
, Hautbois , Viele et Musette en ravalement.
Dédié au Marquis de Sourdis,
par M. des Hayes le fils , l'un des Vingtquatre
de la Chambre du Roi. A Paris ,
chez l'Auteur , rue Patourel , & c. prix
3. livres 10. sols en blanc.
ου
LETTRE DE M. DE SAL... Medecin ,
à M. l'Abbé de M. D. L. ou Dissertation
Critique sur l'Apparition des Esprits. A
Paris , au bout du Pont-Neuf, chez, Fram
le Breton , 1731 .
LE THEATRE DE LA FOIRE , ou l'O÷
pera Comique , contenant les meilleures
Pieces qui ont été représentées aux Foires
E iiij
de
728 MERCURE DE FRANCE
de S. Germain et de S. Laurént , enrichies
d'Estampes en Taille - douce , avec une
Table des Vaudevilles et autres Airs gravez-
notez à la fin de chaque Volume ,
recueillies , revûës et corrigées. Par Mrs le
Sage et d'Orneval. Tome VII . Quay des
Augustins , chez P. Gandouin , 1731 .
Nous croyons avec l'Approbateur , que
ce Volume fera autant de plaisir au Public
que les précedens en ont fait. Il contient
neuf Pieces ; sçavoir :
Penelope Moderne .
1
Les Amours de Protée , Parodie.
La Princesse de la Chine.
Le Corsaire de Salé .
Les Spectacles malades.
L'Impromptu du Pont- Neuf.
La Reine du Barostan .
Les Couplets en Procès.
L'Opera Comique assiegé .
Il paroît un nouveau Sistême sur la maniere
de deffendre les Places par le moyen des
Contremines. Ouvrage postume de M. D***
imprimé et donné au Public , par M. De
marne ,Graveur ordinaire de la Reine , vol.
in 12. avec figures , dédié au Roi ; il se
vend à Paris chez Jacques Clousier , ruë
S. Jacques , à l'Ecu de France. Le Discours
Préliminaire qui fait la moitié du
Livre , est du R. P. Castel , Jesuite.
M,
AVRIL. 1731. 729
M. D *** a servi le Roi pendant 40.
années dans la fonction d'Ingénieur
ainsi il parle en homme consommé ; et en
effet son Systême est une nouveauté qui
mérite beaucoup d'attention . Jusqu'ici
la plupart des Ingénieurs avoient réduit
presque tout l'Art des Fortifications et de
la deffense des Places , à la construction
du Trait , c'est-à- dire , des Fossez et des
Ramparts, des Bastions et des Demilunes,
des Couronnes des Carnes et Contre
gardes. Mais ce Trait ne met une Place
à couvert que contre le Canon , qui après
tout n'est pas son unique , ni même son
plus grand ennemi. La Mine est la maîtresse
clef de toutes les Places. On a cependant
fort
peu travaillé pour les en
garantir. L'Art des Contremines est ce
pendant un bel Art , tout aussi régulie
que celui du Trait ; et du reste son im
portance est extrême , non-seulement à
cause de la violence des Mines , mais surtout
à cause de la facilité qu'il y a de s'en
garentir. Car heureusement pour l'As
siegé , qu'on croiroit poussé à bout par là,
c'est-là , au contraire , son vrai champ de
bataille , comme M. D*** le fait voir par
le fait même , et comme le P. Castel l'établit
solidement par ce Raisonnement..
Naturellement , dit ce Pere , l'attaque
se fait à force ouverte , au lieu que de
Ev
soi
730 MERCURE DE FRANCE .
soi la deffense est secrette , cachée et
souterraine . Or dans les Combats souterrains
, l'Assiegeant perd son avantage du
nombre , et l'Assiegé peut lui offrir un
front égal et même superieur ; chacun
est maître chez soi. Dans les Contremines
l'Assiegé est chez soi , et l'Assiegeant est
en païs tout à fait ennemi . Celui là connoît
tout son terrain ; celui cy en fait à
chaque pas la découverte à ses risques ,
périls et fortunes. L'Assiegé peut attendre
I'Assiegeant de pied ferme et le prendre
au moment et au lieu qu'il veut , comme
le chat guette la souris. Le Mineur
ne travaille qu'à genoux , il est gêné et
embarrassé de sa personne , quand il n'auroit
qu'à se tenir là les bras croisez sans
rien faire , sans rien craindre . Du côté de
la crainte le pauvre Mineur a mille ennemis
réels , mille ennemis imaginaires à
combattre. Le terrain est tantôt dur et
le roc même,tantôt mol , liquide, boueux,
quelquefois fragile , capricieux , qui s'éboule
et l'étouffe , quand ce ne seroit que
par la poussiere ou par la mauvaise odeur.
Du reste il a toujours à craindre de donner
dans la Contremine. Le bruit qu'il
excite lui- même malgré lui l'épouvante
et lui fait à chaque instant appréhender
la rencontre de l'ennemi , et l'ennemi qu'on
croit voir ou entendre , est toujours plus redoutable
AVRIL. 173. 731
J
doutable que celui qu'on voit en effet. On
combat bien mal des hommes , lorsqu'en même-
tems on a tant de chimeres à combattre.
La maniere dont M. D*** deffend le
chemin couvert , en mettant la Palissade
au niveau du Parapet du Glacis , ce qui
l'empêche d'être vue et abbatue par le
Canon ennemi , est une excellente deffense.
Les Bombes qu'il enterre sous le Glacis
sont préferables aux Fourneaux. Le
succès en est plus assuré et sa construction
plus prompte et plus facile. La contre-
garde qu'il donne à la Demi - lune , aura
l'approbation de tous les Connoisseurs,
La fausse Braye même qu'il détache dứ
corps de sa place , n'a pas l'inconvenient
des fausses Brayes ordinaires , et vaut les
Contregardes des Bastions , surtout avec
les Cavaliers que cet Ingenieur met aux
angles saillans . Les Cavaliers couvrent absolument
les flancs hauts et bas du corps
de la Place.
Du reste tout est contreminé dans ce
Systême , le Chemin couvert , sa Demi-
June , la Contregarde , la fausse Braye ,
le corps de la Place. Le Fossé même a
au milieu une espece de Cunete souterraine
ou voute , de laquelle partent des
Rameaux qui vont sous le Glacis. L'avantage
general de ces Contremines vousées
est 1 °. qu'il faut que leMineur passe
Evi par
732 MERCURE DE FRANCE .
par là , et y essaye le coup de main de la
part de gens frais et bien préparez à le
recevoir. 2 ° . que lorsque l'ennemi s'est
emparé de ce passage , on peut le murer
à droit et à gauche , et se réserver tout
le reste de galerie , où l'on peut même
creuser pour prendre le dessous du passage,
et y faire sauter l'ennemi . 3 °. Que ces
voutes ont desCreneaux qui donnent dans
les fossez voisins , et d'où on peut prendre
des revers et par derriere l'ennemi ,
qui fait son passage du fossé. 4° . Enfin
on peut par ces voutes faire sauter les
Ouvrages et les Logemens des ennemis .
Dans le Discours Préliminaire qui sert
d'introduction et de Supplement à l'Ouvrage
de M. D*** , le P. Castel traite du
Trait de la Fortification , et il rend raison
de la construction de ce Trait et de la
position ancienne et moderne de la Face,
du Flanc et de la Courtine. Il compare
nos Bastions avec les Tours rondes er
quarrées des Anciens.
Il fait voir les avantages des uns et les
inconvéniens des autres. Une chose qui
me paroît nouvelle et fort heureusement
remarquée , c'est que nos Bastions sont la
suite naturelle des Tours des Anciens ;
car aux Tours rondes succederent les
Tours quarrées , posées à plat , et à cette
position platte succeda la position saillante
AVRIL 1731. 733
Fante des mêmes Tours quarrées . Les Bastions
d'Errard , un de nos premiers Ingénieurs
étoient des Tours quarrées , posées
en saillie hors des courtines ; peu
peu on redressa les Flancs et on aggrandit
le corps de ces Tours transformées en
Bastions.
à
H ne tiendra pas au R. P. Castel , qu'il
ne ressuscite les seconds Flancs , autrefois.
si vantez dans la Fortification Hollandoise
, mais tout-à- fait décriez par le.
Comte de Pagan , et abandonnez par le
Maréchal de Vauban . Notre Auteur fait
voir par une Géometrie aussi solide que
facile , que ce n'est qu'un mal entendu
et un manque de raisonnement et de calcul
trigonometrique , qui a fait regarder
ees Flancs comme inutiles et nuisibles . Le
R. P. Castel les trouve au contraire trèsutiles
et tout-à-fait avantageux..
qu'u
De la construction du Trait , il passe
aux Bombes et aux Mines , et il fait voir
qu'une Place a trois ennemis que la Poudre
lui suscite ; le Canon , qui la rase horisontalement
et de niveau , la Bombe , qui'
l'écrase de haut en bas , et la Mine qui
la souleve et la bouleverse de fond en comble,
c'est le Trait qui garantit du Canon .
Le R. P. Castel propose des demi - voutes,
ou des quarts de voutes pour garantir des.
Bombes. Mais c'est sur les Contremines
que
734 MERCURE DE FRANCE
que roule principalement son Discours ,
comme tout l'Ouvrage de M. D *** . Ce
Pere y traite plusieurs questions curieuses
, comme si le corps de la Place est
capable d'une meilleure deffense que tous
les dehors ; s'il vaut mieux après une médiocre
deffense de ses dehors réserver sa
principale force pour le corps de la Place,
ou , &c.
On est redevable à M. de Marne , des
dépenses et de mille soins qu'il s'est donnez
pour procurer un si bon Ouvrage au
Public. On trouve chez lui toutes les Figures
de la Bible , Ancien et Nouveau
Testament , gravé d'après les grands Maî
tres en 530. Planches , avec une explication
Latine et Françoise. Il a fait à cet
Ouvrage depuis peu des changemens et
des augmentations. On a trouvé aussi chez
ledit sieur toute la Bible avec les mêmes
Estampes , 6. vol. in folio et in quarto . Il
demeure rue du Foin , près la rue de la Har
pe , au Heaume , quartier de Sorbonne à
Paris.
HISTOIRE DES INSECTES D'EUROPE
dessinée d'après nature , et expliquée par
Marie Sibille Merian ; on y traite de la
generation et des differentes métamorphoses
des Chenilles , Vers , Papillons ,
Mouches et autres Insectes , comme aussi
des
AVRIL. 1731. 735
des Plantes , des Fleurs et des fruits dont
ils se nourrissent. Traduite du Hollandois
par Jean Marret , Docteur en Medecine ,
augmentée par le même d'une Descrip
tion exacte des Plantes dont il est parlé
dans cette Histoire , et des explications
de 18. nouvelles Planches dessinées par
la même Dame , et qui n'ont point encore
parû , forme d'Atlas. A Amsterdam ,
chez J. Frederic Bernard , 1730.
HISTOIRE DE DANNEMACK , avant et
après l'établissement de la Monarchie .
Par M. des Roches , Ecuyer et Avocat
General du Roi Tr. Chr. au Bureau des
Finances et Chambre du Domaine de la
Generalité de la Rochelle. A Amsterdam ,
chez waesberge , 1730. 6. vol. grand in 12.
→
J. LAUNOII , Constantiensis , &c.
Opera omnia ad selectiorem Ordinem
revocata &c. C'est- à-dire , RECUEIL
de tous les Ouvrages de Jean de Launoy ,
de Coutance , Docteur en Théologie de
la Faculté de Paris , de la Societé de Na--
varre , réduits en ordre ; augmentez et
enrichis de quelques Ouvrages qui n'ont
point encore paru , de plusieurs Notes
Dogmatiques , Historiques & Critiques ;
de la vie de l'Auteur , de differens Monumens
qui regardent M. de Launoy luimême.
736 MERCURE DE FRANCE .
l
même ou ses Ecrits ; de Préfaces mises à
la tête de chaque volume , et d'Index trèsamples.
On y a joint une Dissertation des
differens succès des Ouvrages de M. de
Launoy. Cette Edition est divisée en cinq
Tomes , qui composeront dix volumes in
folio.Elle est proposée par Souscription. A
Geneve , aux dépens de Fabre et de Barillot ,
Associez , et de Marc-Michel Bousquet et
de ses Associez , 1731.
Les Editeurs de cet Ouvrage font distribuer
un Prospectus imprimé en Latin
de 12. pages in folio , par lequel on peut
juger non-seulement de la beauté des caracteres
et du papier , mais encore de la
richesse de l'Edition , du sçavoir et de la
sagacité des Editeurs. Ce Prospectus comprend
sous le nom de Prodrome , l'ordre
qu'on a suivi en donnant les Ouvrages de
ce celebre Docteur ; on y justifie aussi
M. de Launoy sur plusieurs choses que
ses Adversaires lui ont imputé. Le Prospectus
comprend encore la Liste de
tous ses Ouvrages , les conditions des
Souscriptions , et les Libraires des differens
Royaumes chez qui on pourra souscrire
.
L'Ouvrage entier comprendra 1800 .
feuilles de la même grandeur et des mêmêmes
caracteres que le Prospectus . Les
Editeurs avertissent que si le nombre des
feuilles.
AVRIL. 1731. 737
feuilles étoit moindre que le nombre de
1800. l'argent que l'on donnera en dernier
lieu sera moins considerable à proportion
; mais que si au contraire le nombre
des feuilles devient plus grand , la
derniere somme n'augmentera pas à moins
le nombre des feuilles de surcroît
ne passe celui de dix , auquel cas on augmentera
la somme qu'on payera à la fin
par proportion avec le prix des Souscripque
tions.
La somme totale des Souscriptions
montera à 75. livres , monnoye commune
de Genève , que l'on payera dans le tems
marqué. En souscrivant , on payera 15.
livres , et on recevra le premier Tome
divisé en deux Parties , au mois d'Avril
1731. pour lequel on payera 15. autres
livres . Pour le cinquéme Tome , divisé en
deux Parties , et qui comprend les Lettres
, on le distribuera dans le mois de
Juillet de cette année 1731. 12. livres.
Pour le second Tome , aussi divisé en deux
Parties , qu'on recevra au mois de Décembre
de la même année , 12. livres . Pour
le troisiéme Tome , divisé en deux Parties,
qu'on recevra au mois de Juillet de
Fannée 1732. 12. livres. Et 9. livres
pour le quatriéme Tome , divisé aussi en
deux Parties , qu'on recevra au mois de
Decembre 1732. Somme totale. 75.
liv
Qn
738 MERCURE DE FRANCE:
On pourra souscrire depuis le premier
de Janvier jusqu'à la fin du mois de Juil
let de l'année 1731. ceux qui n'auront
pas souscrit payeront cent livres , monnoye
commune de Genêve . On souscrira
à Paris , chez Coignard , fils ; Montalant,
Cavelier , fils , N. L. Guerin , Briasson , et
de Bure, le fils . A Lyon , chez de Ville , et
Chalmette , Perisse , du Plain , Plaignard,
Bruysset et Journet . A Marseille , chez
Carry et Berte.
Les Jardiniers de Chelsea près de Londres
, ont fait imprimer in folio , chez
Rivington et du Barril , un Catalogue des
Arbres et des Arbrisseaux , tant naturels
qu'étrangers , qui soutiennent en plein air
le froid du climat. Il les ont représentez
avec leurs couleurs naturelles en 20. Plan
ches gravées , ou environ. Les noms sont
en Latin et en Anglois.
On a imprimé à Montpellier un Extrait
de ce qui s'est passé à l'Assemblée
publique de la Societé Royale des Sciences
, tenuë le 7. Décembre 1730. dans lá
grande Salle de l'Hôtel de Ville , MM . les
Consuls y assistant en Chaperon. Nous
allons donner un précis de ce qui s'y
passa.
La Seance fut ouverte par M. l'Evêque
AVRIL. 1731. 739
que qui y presidoit. M. Riviere parla le
premier , et fit part à la Compagnie des
Observations qu'il a faite sur l'Opium , et
donna une idée de celles qu'il doit faire
dans la suite sur le même suc , sur la Plante
qui le produit , et sur celles qu'on peur
appeller Analogues , comme le Papaver
Rheas , le Papaver Corniculatum , et les
differentes especes de Jusquiame. Il finit
en avertissant qu'il se propose de donner
une nouvelle préparation du Laudanum,
encore plus effective que celles dont on
s'est servi jusqu'ici .
M. Haguenot lut ensuite un Memoire
sur l'Hydrophobie , ou l'horreur des Liquides
, qui arrive ordinairement après la
morsure d'un animal enragé , à l'occasion
d'un Malade attaqué de ce mal , vvûũ pat
M. Haguenot.
*
M. de Plantade lut après lui un Memoire
détaché du grand Ouvrage Historique
, auquel il travaille , dans lequel
Memoire il établit la veritable position
d'une Ville Romaine dont on ne connoissoit
que le nom. Cette Ville est le Forum
Domitii , marquée dans l'Itineraire d'Antonin
, sur laquelle plusieurs Sçavans ont
fait jusqu'ici des recherches inutiles. M.de
Plantade place cette Ville à un quart de
lieuë à l'Orient de Fabregues , où il a dé-
Couvert en effet les ruines d'une ancienng
740 MERCURE DE FRANCE
ne Ville dans un lieu inculte et sauvage ;
c'est ce que l'habile Académicien prouve
fort au long d'une maniere qui fera plaisir
à tous les amateurs de l'Antiquité.
A la fin de l'Extrait imprimé à Montpellier
, on lit que ces Memoires , fort
interessans chacun dans leur espece , furent
très- goutez par l'Assemblée . M. le
Président , en les récapitulant , en fit
l'éloge , il fit aussi celui des Académiciens
qui les avoient lûs.
L'Abbé Seguy , prêcha le Jeudy- Saint
la Cêne devant le Roy. Nous avons
crû qu'on seroit bien aise de voir ici
l'Analyse de son Discours ; mais nous.
n'avons pû obtenir de lui que le Texte
et l'Exorde.
Exemplum dedi vobis, ut quemadmodum
ego feci ita et vos faciatis. Je vous ai donné
l'exemple, afin que vous fassiez ce que
Vous avez vû que j'ai fait . En S. Jean ,
Chap. 13 .
SIRE .
Divin exemple qui nous fait voir le
Fils unique du Très - Haut , exerçant aux
pieds de ses Apôtres surpris, les plus humbles
fonctions d'un Serviteur ! exemple
puissant , dont la force subjugant les Potentats
AVRIL. 1731. 741
tentats les plus fiers , les a fait descendre
du faîte de leur grandeur, pour exercer à
leur tour envers les derniers de leurs Sujets
, ce vil ministere ! Voilà , Grands , qui
m'écoutez , ce qui m'authorise à vous venir
prêcher l'humilité , oui l'humilité
l'humilité chrétienne. Je sçai que vous
ne paroissez pas faits pour entendre ce
langage ; mais je sçai que nous n'avons
point pour vous d'Evangile particulier ,
je sçai que cette Religion dont l'esprit est
un esprit d'anéantissement volontaire , est
indistinctement la regle infléxible de tous;
que l'Homme Dieu , souverainement
humble , qu'elle vous presente , n'est pas
moins votre modele que celui de vos inferieurs
, et qu'après tout pour pouvoir
alleguer avec quelque prétexte apparent
votre grandeur, vous n'êtes pas plus grands
que votre Roi , qui ne se dispense pas de
la Loi de l'humilité , et qui va vous en
donner l'exemple .
Pour vous en inspirer les sentimens , je
ne viens pas ici vous rappeller les foiblesses
et les miseres qui vous sont communes
avec le reste des hommes. Vous avez
des raisons bien plus particulieres de pratiquer
l'humilité chrétienne ; vous avez
toutes celles que peuvent avoir les autres
hommes , mais ils n'ont pas toutes celles
que vous avez , et c'est à ces dernieres
que
742 MERCURE DE FRANCE.
>
que je me borne. Je laisse des idées qu'on
vous a presentées cent fois, et m'attachant
à un motif , qui pour paroître singulier
n'en est pas moins solide , je viens vous
dire que vous devez vous abbaisser par
la raison même que vous êtes élevez . Ne
vous étonnez pas de cette proposition , toute
surprenante qu'elle est d'abord pour le
préjugé et pour l'amour propre ; elle est
fondée sur le mystere dont tout vous retrace
le souvenir , et dont il est si convenable
que je vous entretienne . C'est dans
ce mystere que vous allez voir les raisons
particulieres qui vous engagent à vous
humilier ; car vous y allez voir et l'obligation
qu'impose la grandeur de pratiquer
Thumilité chrétienne et les avantages que
P'humilité chrétienne procure à la grandeur.
Deux considerations bien capables
de préparer vos coeurs à une vertu peut
être plus necessaire encore pour vous, quoique
pour vous plus difficile , sans doute.
C'est cette vertu , SIRE , que va prêcher
bien plus efficacement le grand exem
ple que votre pieté nous prépare. L'au-
Torité suprême asservie en vous et par
vous aux plus abjectes fonctions de l'humilité
; que ce Spectacle est touchant et
qu'il est digne de la Religion qui en est
le motifunique ! Par elle seule vous vous
disposez à le donner , ce saint Spectacle ,
comme
AVRIL: 1731
743
si vocomme
par elle seule vous nous en donnez
tant d'autres non moins chrétiens ;
si vous sçavez vous garantir des pieges
nombreux qui environnent le Trône , des
écueils de la jeunesse et du souverain pouvoir
, si la volupté irritée n'a point de
traits qui ne s'émoussent sur vous ,
tre coeur , ce coeur si renfermé pour le
secret politique , est si ouvert à vos Peuples
pour la bonté , si par votre pieté
vous nous faites de si grandes leçons à
nous-mêmes , Ministres du Dieu vivant ,
dans une telle conduite je reconnois la
Religion ; c'en est là l'ouvrage : et si vous
joüiissez des benedictions du Ciel les plus
marquées , si avec la douceur d'être uni
à une Epouse digne de vous , vous goutez
celle de voir croître heureusement ,
parmi les charmes de la Paix , votre Famille
auguste et déja nombreuse , si
vos mains , en conduisant cet Empire ,
sont si bien secondées par celles qui formerent
votre enfance ; en cela je reconnois
aussi la Religion ; c'en est pour vous,
SIRE , dès cette vie même , la récompense.
Penetré de reconnoissance pour
tant de bienfaits , vous venez aux pieds
de ces Pauvres de J. C. qui vous le représentent
lui- même , rendre un hommage
plus solemnel au Dieu de bonté , et cela
dans tous les sentimens qu'inspire l'humilité
744 MERCURE DE FRANCE.
milité chrétienne. Puissai - je lui soumettre,
à cette humilité , tous les coeurs à l'aide
d'un tel exemple.
Nous venons de recevoir de Constantinople
, un Essai d'un nouveau Dictionnaire
qu'on y imprime , dont voici le
Titre : DICTIONNAIRE François Italien
, Grec vulgaire , Latin , Turc , Arabe
et Persan; enrichi , tant de l'explication des
mots François et des exemples convenables
pour une plus grande intelligence de ces mois,
que d'un trés-grand nombre de phrases Tur
ques , tirées des plus celebres Auteurs dans
cette Langue , pour donner à connoître avec
facilité la proprieté , la force et l'application
des mots , foit Turcs , foit Arabes , foit Persans.
Fait dans le College des Capucins
de Constantinople , par les soins et sous
la direction du R. P. Romain de Paris
Conseiller des Missions de Grece , et Préfet
des Jeunes de Langues de France . A
CONSTANTINOPLE , de l'Imprimerie
de la Porte Ottomane , M. DCC . XXX.
On apprend de Naples , que Dom
Hyacinte Gimma , Docteur en Droit et
Promoteur General de la Societé d'Egli
Incuriosi , a fait imprimer chez Mosca ,
une Histoire generale des Pierres , des
Mineraux et des Pierreries dont il est
parlé
AVRIL.
1731. 745
け
1
parlé dans l'Ecriture , il explique tout ce
qui regarde ce genre , il parle en mêmetemps
des Métaux , des Terres , des Sels ,
des Eaux , Bitumes , Eaux Minerales , et
de tout ce qui appartient aux Fossiles. Il
n'oublie point les Cavernes , les Feux et
Eaux souterraines , les Volcans , et generalement
les parties de la Physique souterraine
, outre quelques Traitez propres
éclairer l'Histoire Vegetale , Minerale et
Animale. Le tout divisé en six Livres
compris en deux Tomes in 4. 1730 .
à
On écrit de Florence , qu'on y a entrepris
, non -seulement de faire graver
tout ce que renferme de Monumens d'Antiquité
le Cabinet du Grand Duc , mais
encore tout ce qui se trouve de rare et
de précieux en ce genre dans les Cabinets
et dans les Maisons des Particuliers
à Florence. Michel Nestenus et François
Moucke , sont actuellement chargez de
l'impression des Estampes , lesquelles seront
accompagnées des Explications de
M. Gori , celebre Professeur en Histoire.
Ce curieux Recueil doit paroître sous
le titre de Museum Florentinum ; il sera
de dix Volumes in folio , grand papier
Imperial , et chaque Volume contiendra
au moins cent Planches gravées , sans
compter les Explications qui seront imprimées
séparément.
F Les
746 MERCURE DE FRANCE
Les deux premiers Volumes renferme
ront les Pierres gravées antiques de toute
espece.
Le troisiéme sera destiné pour les Statuës
de Marbre , arrangées dans un ordre
convenable.
Le quatrième pour les Bustes,
Le cinquième pour les petites Statuës
et autres Monumens en bronze.
Les sixième , septième et huitiéme comprendront
les Médailles choisies et les
plus rares , sur tout celles qui n'ont point
encore parû.
Dans le neuvième et dixième , seront
les Portraits des plus fameux Peintres qui
se sont peints eux -mêmes , et dont les
Originaux font l'ornement du Palais Mcdicis,
Toutes les Planches qui composent ce
Recueil , seront dessinées par un habile
Maître , et gravées par les plus excellens
Graveurs d'Italie , qui doivent les graver
d'après les Originaux,
Comme cette entreprise est d'une grande
dépense , on a jugé à propos de proposer
l'Ouvrage par souscription ; mais
avant que de s'engager dans de plus grands
frais , on ne propose actuellement que
les deux premiers Volumes qui sont déja
presque achevez , et pour la souscription
desquels on demande 18. écus , monnoye
de
AVRIL. 1731. 747
de Florence . On payera six écus en souscrivant
, six autres en recevant l'Exemplaire
du premier Volume , et le reste en
recevant l'Exemplaire du second. Il n'y
auta en tout que 300. Souscriptions , et
da Souscription ne sera ouverte que jusqu'à
la fin du mois de Juin prochain.
Il faut s'adresser à M. Vittorio Francheschini
, Marchand à Florence , ou à quelqu'autre
Négociant , en faisant remettre
les fonds sans frais.
Comme ces differens Volumes contiennent
des sujets qui n'ont aucun rapport
entr'eux , et qui ne font point de suite
on sera libre de les acheter séparément ,
en observant cependant de ne point diviser
les deux Volumes de Pierres gravées
, les trois Volumes de Médailles et
les deux de Portraits.
Les Curieux sont avertis qu'il paroît
depuis peu cinq Estampes nouvellement
gravées d'après les Tableaux de feu Antoine
Watteau , par les soins de M. de
Julienne , dont la beauté soutient la réputation
que ce gracieux Peintre s'est acquise
; elles ont pour titre : les Plaisirs du
Bal, Entretiens amoureux , Escorte d'Equipages
, l'Occupation selon l'âge , le Portrait
de watteau. La vente s'en fait à Paris , chez
La Veuve de F. Chereau , Graveur du Roi ,
Fij ruč
748 MERCURE DE FRANCE
rue S. Jacques , aux deux Piliers d'Or
et chez Surugues , Graveur du Roi , ruë
des Noyers , vis -à - vis S. Yves.
On trouve chez les mêmes toutes les
Estampes que l'on a gravées jusqu'ici d'après
cet Auteur,
M. l'Epicier , un des meilleurs Graveurs
que nous ayons , vient de mettre au jour
une petite Estampe qui lui fait autant
d'honneur qu'elle fait de plaisir aux plus
fins connoisseurs. Elle se vend chez l'Auteur
, rue S. Jacques , près les Jacobins.
Ce tendre et précieux morceau a été gravé
d'après un excellent Tableau du Cabinet
du Comte de Morville , dans lequel l'illustre
Signora Roza - Alba Carriera , Venitienne
, a peint au pastel, une très - belle
femme avec des fleurs , représentant le
Printems. On lit ces quatie Vers au bas
de l'Estampe,
L'éclat des fleurs est peu durable ,
La beauté s'altére aisement ;
Il n'est qu'un instant favorable ,
Et cet instant est le present.
L'Abbé de la Grive , Auteur du nouveau
Plan de Paris , en six feuilles , vient
de mettre au jour la seconde feuille de
sa Carte des environs de Paris , qui comprend
AVRIL. 1731. 749
prend le cours de la Marne jusqu'à cinq
lieuës de cette Ville , et 57. tant Villages
que Hameaux , grosses Fermes et
Châteaux détachez , depuis le Château
de Vincennes jusques à Torcy , d'Occident
en Orient , et depuis la Forêt de
Livri jusqu'aux Bois de S. Martin en Brie,
du Nord au Midi , avec les Chemins qui
communiquent des uns aux autres. Le
tout levé sur les lieux et détaillé de sorte
qu'on y reconnoît distinctement les Plans
des belles Maisons comprises dans cette
étenduë. Elle se vend chez l'Auteur , Cloître
S. Benoît. Il donnera la troisiéme feuille
qui comprendra le côté de la Brie à la fin
de cette année.
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Soissons,
au sujet d'un Saint inconnu.
Nou
Ous vous prions , Messieurs , de
nous procurer quelque éclaircissement
sur un Saint dont nous ne connoissons
guéres que le nom ; c'est S. Front ,
qui est appellé Evêque et Confesseur dans
le Calendrier du Breviaire de Soissons ,
où l'on en fait memoire le 25. Octobre.
Comm. S. Frontonis , Episcop. et Confess.
Il. y a dans le même Diocèse un Village
assez considerable , dont l'Eglise Paroissiale
est sous l'invocation de ce Saint. Le
Fiij Village
750 MERCURE DE FRANCE
Village en porte le même nom ; c'est sans
doute pour le distinguer de plusieurs autres
Neüillis , qu'on le nomme communement
Neüilli S. Front.
J'ai quelque legere idée d'avoir vû
ce nom dans d'autres Calendriers , mais
bien differemment. Si quelques Sçavans
vouloient bien nous donner quelque chose
de clair là - dessus , nous leur en serions
Très- reconnoissans ; leurs recherches feront
plaisir à plusieurs personnes qui por
tent ce nom là , et qui seront ravis de voir
leur Patron tiré de l'obscurité où il étoit
resté jusqu'à present.
On nous écrit de Florence , qu'on va
bien- tôt donner au Public le second Tome
, in folio , del nuovo Vocabolario della
Crousca. L'Imprimerie établie à Urbain ,
par les soins du Cardinal Annibal Albani ,
continue à donner au Public des Ouvrages
considerables ; on imprime actuellement
une Traduction Italienne , in Verso
sciolto , des Comédies de Terence , par
M. Fortiguerra , dont on loue beaucoup
Fexactitude et l'élegance. Le même Prélat
avoit été chargé par Clement XI . d'exè
traire de la grande collection des Actes.
d'Angleterre par Rimer , tout ce qui pouvoit
être favorable , ou seulement avoir
quelque rapport au S.Siege , et d'y ajoûter
qé ,
AVRIL. 17312 731
quelques Notes. Cet Ouvrage est achevé
, et on assure qu'il ne tardera pas
voir le jour.
Inscription trouvée sur un Autel de pierre
quarré, de 4. pieds environ de hauteur et
de 2. de largeur, à Thein,prés de Tournon,
On lit an haut :
• DOM V VSQ DIVI
NAE COLON COPIAE CLAVD AVG LVG
J
TAVROBOLIVM FECIT QAQVIVS ANTONIA
NYS PONTIF PEPET V V S.
EX
Au bas.
VATICINATIONE PVSONI IVLIANI ARCHI
GALLI INCHOATVM XII . KAL . MAI. CONSVM
MATVM VIIII . KAL. MAI. L. EGGIO MARV LEO
CN PA ..... AELIANO COS PRAEEVNTE AELIO
SACERDOTE TIBICINE ALBIO
VERINO.
Des Lettres de Lisbonne , du commencement
du mois passé , portent que
la derniere Tempête avoit fait échouet
sur la Côte , entre la Ville de Condé et
celle de Varzin , un Poisson d'une forme
extraordinaire , et inconnu à tous les Pêcheurs
et gens de Mer ; ce Poisson avoit
11. pieds 4. pouces de haut , et 46. pieds
8. pouces de circonference.
Ĉes Lettres ajoûtent , qu'on avoit ap
pris de Cadix , que quelques jours après
Fiiij la
752 MERCURE DE FRANCE
la même tempête on avoit trouvé sur le
bord de la Mer les ruines d'un ancien
Temple des Payens , avec une Statuë de
bronze et quelques Médailles qui font
conjecturer que ce Temple avoit été bâti
par les Carthaginois , et que c'étoit l'ancien
Temple d'Hercule.
que
On mande de Londres , que la nouvelle
Machine M. Pinchbek y a faite , est
aussi curieuse que surprenante , ingenieu
se et magnifique. On voit sur le devant
deux objets mouvans d'une grande beauté
, dont l'un represente Orphée joüant
de la Lire dans une Forêt , marquant de
la tête et du pied l'exacte mesure de chaque
chant. Il est entouré d'un grand nom
bre de Bêtes sauvages , qui par leurs differens
mouvemens, semblent être animez
et charmez de l'harmonie de sa Musique.
En même- tems on entend jouer sur
plusieurs Instrumens un grand nombre
de differentes Pieces d'une Musique trèsexquise,
composée par Mr Handet , Corelli
et autres Maîtres celebres ; et dans une si
grande perfection , que quelque Instrument
de main que ce soit , auroit peine
à les égaler. On entend aussi l'agréable
harmonie d'un Concert d'Oiseaux , si
parfaitement imitée , qu'on ne pourroit
La distinguer de la Nature même .
L'autre
AVRIL. 1731. 753 .
L'autre Piece fait voir la Mer et la Terre
avec une vûë sur la Mer , qui se termine
insensiblement à une très-grande distance;
on voit voguer des Vaisseaux virant au
vent, en diminuant peu-à-peu , à mesure
qu'ils s'éloignent , jusqu'à ce qu'enfin ils
disparoissent. On apperçoit aussi des Marsoins
qui se roulent et se jouent dans l'eau.
Sur la Terre on voit des gens à cheval,
des Chariots , des Chaises , &c. .qui s'avancent
, et dont les rouës tournent com
me on le voit dans les grands chemins .
Les Cavaliers et leurs Chevaux changent
de posture pour se tenir droits en descendans
une Colline escarpée , d'où ils
passent au travers une Valée , &c . On
voit encore dans une Riviere des Cignes
qui cherchent à attraper des Poissons ; on
les voit aussi arranger leurs plumes d'une
maniere aussi naturelle que s'ils étoient
en vie ; on voit enfin des Chiens qui poursuivent
des Canards dans l'eau , &c.
Rentrée des Academies.
l'Abbé Bannier , Directeur de l'Acadé-
Mimie des Inscriptions et Belles - Lettres , présida
à l'Assemblée publique qui se tient à l'ordinaire
au Louvre , le Mardi 3. Avril .
La Seance commença par la lecture d'une Dissertation
de M. de Chamborty sur la Vie et sur la
Famille de Labienus , l'un des Lieutenans Geneneraux
de Cesar , et celui qui eut le plus de part
F v
754 MERCURE DE FRANCE
à la Conquête des Gaules , dans laquelle il com→
mandoit l'Armée Romaine , sous les ordres de
Cesar. Cette Dissertation fut suivie d'une autre
de M. Bonami , sur le Musaum et sur la Bibliotheque
d'Alexandrie. Ce Museum étoit un espece
de College ou Académie de Gens de Lettre , rassemblez
de toutes les parties de la Grece , par les
soins de Ptolemée , Fondateur du Royaume d'E→
gypte.
La Séance fut terminée par la lecture que fir
M. l'Abbé Fourmont , de la Relation du Voyage
qu'il a fait dans la Grece , par l'ordre du Roi.
Comme il a parcouru avec soin et en homme de
Lettre l'Attique , l'Argolide , la Messenie et le
Pays de Lacedemone , il en a rapporté un trèsgrand
nombre d'Inscriptions qu'il a déterrées
lui-même , et dont le Recueil sera très - interes
cant pour la République des Lettres.
Le Mercredy 19. Avril , l'Académie Royale des
Sciences tint son Assemblée publique , à laquelle
présida M. d'Argenson . M. de Fontenelle ouvrit
la Seance par déclarer que la Piece qui a remporté
le Prix de cette année , est celle de M. Bouguer,
Professeur d'Hydrographie.
M. de Fontenelle lût ensuite l'Eloge de M Géofroy
, Pensionnaire Chimiste , mort dans le dernier
semestre. M. Petit , le Chirurgien , lût après
gela une Dissertation sur les differens moyens
que la Chirurgie a employez jusqu'à present pour
arrêter les Emorragies dans les grandes emputa
tions ; ces moyens sont les Stiptiques , les Escarotiques
, les Caustiques et la compression ; il
préfère à toutes les autres cette derniere qu'il a
perfectionnée,en inventant un Instrument qui sert
de bandage , et dont il donne la description.
M. Buache lût ensuite une Dssertation qui a
pour
AVRIL: 1731. 755
pour titre , Recherches Géographiques sur l'étendue
de l'Empire d'Alexandre et sur les routes
parcourues par ce Prince dans ses differentes Expeditions
, pour servir à la Carte de cet Empire ,
dressée à l'usage du Roi , par feu M. de Lisle.
M. Morand finit la Séance par la lecture d'un'
Memoire sur la maniere de faire l'operation de là
Taille , pratiquée anciennement par Frere Jac
ques , et depuis quelques années rétablie et perfectionnée
par M. Cheselden , celebre Chirurgien-
Anglois , et par M. Morand à Paris , qui depuis
D8. mois la pratique avec grand succès.
On donnera des Extraits de ces Memoires.
PRIX proposé par l'Académie Royale
des Sciences , pour l'année 1733.
Eu M. Rouillé de Meslay , ancien Conseiller
au Parlement de Paris , ayant conçu le noble
dessein de contribuer au progrés des Sciences , et
Putilité que le Public en doit retirer , a legué à
P'Académie Royale des Sciences un fonds pour
deux Prix , qui seront distribuez à ceux , qui au
jugement de cette Compagnie auront le mieux
réussi sur deux differentes sortes de Sujets qu'il a
indiquez dans son Testament , et dont il a donné
des exemples.
Les Sujets du premier Prix regardent le Sistê
me general du Monde et l'Astronomie Phisique.
Ce Prix devroit être de 2000. livres , aux ter
mes du Testament , et se distribuer tous les ansi
Mais la diminution des Rentes a obligé de ne le
donner que tous les deux ans , afin de le rendre
plus considerable , il sera de z çoo. livres.
Les Sujets du second Prix regardent la Navigation
& le Commerce,
E vj II
756 MERCURE DE FRANCE.
Il ne se donnera que tous les deux ans , et sera
'de 2000. livres.
L'Académie se conformant aux vûës et aux
intentions du Testateur , propose pour Sujet du
second Prix , qui tombe dans l'année 1733 .
Quelle est la meilleure maniere de mesurer
sur Mer le chemin ou le sillage du Vaisseau ,
indépendamment des observations astronomiques.
Les Sçavans de toutes les Nations sont invitez
à travailler sur ces Sujets , et même les Associez
étrangers de l'Académie. Elle s'est fait la Loi
d'exclure les Académiciens regnicoles de prétendre
aux Prix.
Ceux qui composeront sont invitez à écrire en
François ou en Latin , mais sans aucune obligation.
Ils pourront écrire en telle Langue qu'ils.
voudront , et l'Académie fera traduire leurs Ouvrages.
On les prie que leurs Ecrits soient fort lisibles ,
sur tout quand il y aura des Calculs d'Algébre.
Ils ne mettront point leur nom à leurs Ouvrages
,
mais seulement une Sentence ou Devise. Ils
pourront , s'ils veulent , attacher à leur Ecrit un.
Billet séparé , et cacheté par eux ,
cette même Sentence , leur nom , leurs qualitez
et leur adresse , et ce Billet ne sera ouvert par
l'Académie , qu'en cas que la Piece ait remporté
le Prix.
où seront avec.
Ceux qui travailleront pour le Prix , adresseront
leurs Ouvrages à Paris au Secretaire perpetuel
de l'Académie , ou les lui feront remettre entre
les mains. Dans ce second cas , le Secretaire
en donnera en même tems à celui qui les lui aura.
remis , son Recepissé , où sera marquée la Sentence
de l'Ouvrage et son numero , selon l'ordre
ou lé tems dans lequel il aura été reçû ,
Les
AVRIL:
1731. 757
Les Ouvrages ne seront reçûs que jusqu'au premier
Septembre 1732. exclusivement.
L'Académie à son Assemblée publique d'aprés
Pâques 1733. proclamera la Piece qui aura remporté
ce Prix..
S'il y a un Recepissé du Secretaire pour la
Piece qui aura remporté le Prix , le Trésorier de
l'Académie délivrera la somme du Prix à celui
qui lui rapportera ce Recepissé . Il n'y aura à cela. ~
Inulle autre formalité.
Sil n'y a pas de Recepissé du Secretaire , le
Trésorier ne délivrera le Prix qu'à l'Auteur même
, qui se fera connoître , ou au Porteur d'une
Procuration de sa part.
M. Bouguer, Hidrographe du Roi , au Croisie
en Bretagne , a remporté le Prix de 1731 .
On a reçû par un Bâtiment Anglois arrivé depuist
peu à Genes , des Lettres de S. Christoval de la
Laguna , Capitale de l'Isle . Tenerife , l'une des
Isles Canaries , dattées du 8. Decembre dernier ,
qui portent en substance que le 30. du mois
de Novembre précedent , on avoit ressenti deux
violentes secousses de Tremblement de terre dans
l'Isle Graciosa , située à l'Orient ; qu'à peine eurent-
elles cessé , que la terre s'étoit ouverte en
cinq endroits differens , qu'il en étoit sorti des
tourbillons de flammes , mêlez de pierres calcinées
et de matieres bitumeuses , que le feu s'étant
communiqué aux habitations , elles avoient été
réduites en cendres en moins d'une demie heure ;
que
le premier Decembre vers les neuf heures du
foir , ces Gouffres avoient cessé de jetter du feu
mais que le 2. l'embrasement avoit recommencé
avec tant de violence, que les maisons épargnées
par le premier , avoient été détruites , et que le
vent ayant porté le feu dans une grande Forêt.
voisineelle bruloit encore au départ des Lettres;
que
78 MERCURE DE FRANCE
que le 6. un nouveau Tremblement de terre s'étoit
fait sentir à la pointe Occidentale de l'Isle de
Tenerife , qu'il s'étoit fait une ouverture dans une
Plaine située à dix lieues de la Ville Capitale de
PIsle ; que ce Gouffre s'étant agrandi les jours
suivans , une petite Montagne qui étoit sur le
bord , avoit été ébranlée et étoit tombée dedans,
et qu'il continuoit de sortir beaucoup de fumée
de cette ouverture .
On écrit de Rome , que la Princesse Giustiniani
étant dangereusement malade , sa Famille avoit
fait venir de Bologne le Docteur Pozzi , celebre
Medecin , qui lui avoit ordonné un Bain d'huile,
cette Dame l'a pris deux fois , et la petite Verole
qui étoit presque rentrée , a cû son progrès ordi,
naire , desorte qu'elle est presentement hors de
danger .
REGLEMENT de M. le premier Medecin
du Roi , aufujet des Eaux
Minerales.
Pierre Chirac , Conseiller d'Etat ordinaire
premier Medecin du Roi , et Surintendant des
Eaux Minerales et Medecinales de France : A
tous ceux qui ces presentes Lettres verront , Salut.
La Surintendance des Eaux Minerales dont
le Roi nous a fait l'honneur de nous charger , et
le grand usage qu'on fait d'un remède aussi utile
et aussi nécessaire au Public , exigeant de notre
ministere une attention particuliere pour faire
puiser les Eaux dans les tems les plus favorables
et à les faire distribuer avec toutes les précautions
nécessaires pour rassurer le Public sur toutes sor→
tes de fraudes , nous aurions pris sur cela routes
les mesures possibles pour remplir nos obligations
"
AVRIL. 1731.
759
la satisfaction du Public et au bien des Malades
; et la longue experience que nous avons des
grands avantages que tirent les Malades de l'usage
des Eaux Minerales et Medecinales pour fa
guerison des Maladies chroniques nous engageant
à en faciliter l'usage à toutes sortes de
sonnes ,. nous avons jugé nécessaire d'en moderer
le prix de la maniere suivante , et de le fixer
SCAVOIR.
>
per-
Les Eaux de Forges , qui viennent par relais ,.
la bouteille , a liv. 15. S.
Eaux de Forges qui arrivent par voiture ordi--
naire , la bouteille à
IS S.
Eaux de Sainte - Reine , la bouteille à
Eaux de Valhs , de quatre pintes la bouteille , à
15 S.
Eaux de Balaruc ,de quatre pintes la bouteille, à
12. 1.
Eaux de Cransac, de quatre pintes la bouteille , à
12 1..
121
Eaux Savonneuses de Plombieres de cinq pintes
, la bouteille à
Eaux de Bourbonne , la pinte à
Eaux de Vichi , les 5. pintes à
Eaux de Spa , la pinte, à
1.2.1.
2 t.
lor
2. l. 10 S.-
Surquoi nous défendons trés - expressément aux
Directeurs desdites Eaux Minerales et Distributeurs
d'icelles , d'exiger du Public autre prix que
celui du Tarif ci - dessus marqué , à peine d'être
révoqués sur la premiere plainte qui en sera faite..
Défendons pareillement ausdits Distributeurs des
Eaux Minerales , d'en vendre aucune bouteille
que cachetée du cachet de nos Armes sur l'atta
che du bouchon , à commencer dans trois mois:
du jour du présent Reglement , et ils nous communiqueront
incessamment les Lettres de recep
tion des cachets de nos Armes , qu'il recevront
des
760 MERCURE DE FRANCE
des Fontainiers et autres personnes préposées au
puisage des differentes Eaux Minerales. Voulons
en outre être informés par lesdits Directeurs er
Distributeurs de toutes les voitures d'Eaux Minerales
qu'ils recevront , et de la quantité de bouteilles
qu'elles contiendront relativement à leurs
Lettres d'avis,dont ils nous remettront copie ; et
pour l'execution des articles ci - dessus , avons
nommé pour notre Inspecteur le Sieur Boyer
Docteur en Medecine de la Faculté de Paris et de
Montpellier , pour nous informer de tout ce qui
concernera l'état du Bureau desdites Eaux Minerales
et de leur distribution , et sera le present Reglement
affiché dans ledit Bureau et par tout où
besoin sera. Donné à Versailles ce vingt - huitiéme
Fevrier mil sept cens trente-un. Signé
CHIRA C. Par le premier Medecin du Roi ,
Signé , JOUBERT. Monfieur DU CHASTELET,
Rapporteur.
Enregistré ès Registres du Grand Conseil du
Roi pour être executé selon sa forme & teneur, &
jouir parles Sieurs Alleaume, Duhamel ,la Salle,
Delage , Hennecart & Joubert , de l'effet & contenu
en icelui , suivant l'Arrêt dudit Conseil de
cejourd'hui dix - neuf Mars mil fept cens trente-
un. Signé , VERDUC.
Brevet pour l'Eaufans pareille , & vertus.
Parrêts du Conseil d'Etat du Roi , du 3. Juil-
ERMIS par la commission et vertu des
inlet
, et 25. Octobre 1728. au Sieur Roussier ,
venteur de l'Eau sans pareille en 1717. de continuer
de la vendre et distribuer , tant dans Paris
que dans tout le Royaume , avec défenses à qui
que ce soit de la composer et contrefaire , excep-
MM. les Apotiquaires , vendre et débiter sous
ledit
AVRIL. 1731 761
ledit nom , à peine de cinq cens livres d'amende
conformément ausdits Arrêts et audit Sieur
Roussier de vendre et distribuer , sous la même
amende , d'autres remedes. DONNE' à Paris au
Château des Thuilleries , MM. les Commissaires
assemblez , ce zz. jour d'Octobre 1729. Signé ,
DODART , &c.
Elle guérit les maux de tête , vapeurs , migra
ne , et étourdissemens , en s'en frottant les deux
mains et les portant au nez , pour la respirer , et
ne point ôter les mains tant qu'il y aura de la
force.
Pour l'apoplexie , il en faut boire plein une
cuilliere à caffé , pure.
Pour la colique , vents dans l'estomach , indigestions
, et points de côté , il faut mettre deux
doigts d'eau commune dans un verre , et quinze
de cette Eau , et boire le tout mêlé en- gouttes
semble.
Pour le mal de mere , avaler huit gouttes de
cette Eau dans une cuilliere à bouche pleine d'eau
commune.
>
Pour le mal des yeux , il s'en faut frotter les
mains et les
devant les yeux , en les ou- porter
vrant , pour en recevoir l'esprit , et ne point ôter
les mains tant qu'il y aura de la force ; et en cas
de fluxion , il en faut mettre le même nombre de
huit gouttes dans deux doigts d'eau commune, et
la laver le soir et le matin avec un linge blanc.
La rougeur et les fluxions s'en iront en en mettant
le matin en se levant , et le soir à la fin du
jour.
Pour les vûës couvertes et troubles , et pour
les
yeux larmoyans , l'on s'en servira de même.comme
il est dit ci - dessus , dans les deux mains ; cela
éclaicira la vûë sur le champ , et la fortifiera.
Et pour le mal de dents , il en faut frotter les
gencives
762 MERCURE DE FRANCE
1
·
gencives en dedans et en dehors ; et en cas qu'elles
soient creuses , imbiber un linge pour mettredessus.
Le Sieur ROUSSIER demeure à Paris , ruë
Jean- Saint-Denys , à l'image Sainte Genevieve ,
prochè le Palais Royal.
Il y a des Bouteilles depuis dix fols juſqu'à
vingt livres la pinte.
Le Sieur LESCURE , Chirurgien Major des
Gardes du Corps de la Reine d'Espagne , IL
Douairiere , donne avis au Public , qu'il continue
de distribuer , avec beaucoup de succez , un
Sel specifique pour la guerison des maladies convulsives
, vapeurs , épilepsie , ou mal caduc , paralisie
, &c. ce remede fort facile à prendre
est souverain pour toutes les maladies qui attaquent
le genre nerveux ; son action est fort dou
ce , il conserve toûjours sa vertu , et peut se
transporter par tout , il donne un imprimé où il
est expliqué la maniere de s'en servir.
› Le Sieur Lescure demeure rue du jour à
Pimage S. Louis , vis - à- vis le grand portail
de S. Eustache ; il prie ceux qui lui écriront de
Province , d'avoir soin d'afranchir leurs lettres.
NOUVEAU MEMOIRE du Sieur de
la Gache, fur le Mouvement perpetuel, &c.
Il a été parlé dans le Mercure de France da
mois de Juillet 1730. d'un instrument de Mathématique
, déja annoncé dans les Mercures de
Mars et Novembre 1729. avec lequel on trouve
sur le champ la quadrature de toute sorte de
cercles , les jeaugeages de toute sorte de tonneaux
et cubes , et encore la racine quarrée de toute sorte
de plombs et figures Géométriques ; cet instrument
f
AVRIL. 1731. 753
trument étant marqué de toutes les mesures ne
cessaires pour les operations qu'on vient de dire.
Le même Mercure de Juillet 1730. parle aussi
d'une idée du mouvement perpetuel, du même Auteur
, laquelle ayant été examinée à Paris , plusieurs
connoisseurs ont jugé qu'on ne pouvoit
bien trouver le mouvement perpetuel que par ce
principe.
Depuis ce temps-là l'Auteur a fait un nouveau
modele à peu près sur le même principe , mais l'execution
en est beaucoup plus facile, il n'y a point
de chambres comme au premier,il est plus simple
et plus naturel , puisqu'il n'y a pas de frottement
même des deux pivots , et que les chutes des pesanteurs
, ou des leviers s'en font comme des boules
, qui tombent d'enhaut l'une sur l'autre de fortprès
, et remontent par leur centre , pour redescendre
continuellement par la circonference ou
l'extrémité du cercle , et donner ainsi le mouve,
ment à toute la machine.
L'Auteur offre d'envoyer à Paris ce nouveau
modele de mouvement perpetuel à MM . de la
Societé Royale des Arts Mechaniques , pour
P'examiner et en faire l'expérience , esperant de
leur présenter encore les autres découvertes qu'il
a ci-devant faites. Il n'y a point d'artiste , habile
et curieux, qui ne se fasse un plaisir d'executer ce
dernier mouvement , il n'y aura que de la justesse
à observer. Le modele en question est de
cuivre , et n'a que cinq pouces de diametre , les
boules d'étain sont plates , et l'arbre ou livots
surquoi la machine tourne , d'acier. Le tout ne
pese pas plus de trois ou quatre livres. Signé ,
LA GACH E.
A Amiens le 9. Fevrier 1731 .
Le Sicur Tessier , connu pour les Portraits au
рем
764 MERCURE DE FRANCE
petit point , vient de donner de nouvelles preuves
de son habileté , et du goût qu'il a toûjours eu
pour ces sortes d'Ouvrages , par deux morceaux
qu'il a présenté à la Societé des Arts , de laquelle
il a l'honneur d'être Membre.
L'approbation que cette Compagnie lui en a
donnée , fera connoître le mérite de cet Ouvrage.
t :
Ce jourd'hui le Sieur Tessier , Peintre & Tapissier
, Associé en la Classe des Arts de
goût de ladite Societé , a présenté à la Compagnie
deux Tableaux enpetit point , représentant
le Roi & la Reine en Buste , de grandeur naturelle
, lesquels ont parû être executez avec une
grande régularité ; l'aiguille y afondu les nuan
ces des laines avec la même harmonie que le
pinceau méle & réunit les couleurs , la Societé
a jugé que ces fortes d'Ouvrages feroient plaifir
aux amateurs des beaux Arts & aux personnes
de goûts en consequence & pour faire cennoitre
le mérite & le talent admirable du Sieur
Tessier , elle a trouvé à propos de lui délivrer
le présent Extrait , à Paris ce 28. Novembre
1730.
Le Sieur Tessier a lieu d'esperer que les Curieux
s'adresseront à lui pour faire fabriquer ce
dont ils auront besoin en ce Genre . Il a actuelle
lement chez lui le Portrait du Roi et de la Reiné ,
une Vierge et une Madeleine , d'après M. le
Brun.
Sa demeure est sur le Pont Notre- Dame , près
la Pompe au Tapis de Turquie , à Paris .
Le Sieur Boulangé , Maître et Marchand Doreur
à Paris , demeurant , au milieu de la ruë
de la Verrerie , à l'enseigne du S. Esprit
Nous prie de donner avis que c'est lui qui le pre-
>
mier
AVRIL. 1731. 765
mier a trouvé le secret d'une Lanterne de réflexion
qui éclaire de plusieurs côtés , et d'un calibre
plus correct , et meilleur que celles qui ont paru
jusqu'à present , même approuvé par MM . de
de l'Académie des Sciences.
Il dit aussi avoir le premier trouvé le secret de
la faire éclairer sur le derriere , de façon qu'une
personne en Carosse ou en Chaise peut lire , sans
que la clarté l'offusque , et toutes celles qu'il
vend sont marquées au bord du dedans , des lettres
G. B. et d'un S. Esprit Couronné.
On écrit du Fort S. Pierre , que l'Isle Martinique
, la plus ancienne et la plus peuplée des Isles
Françoises, se pollit tout les jours davantage ; que
les belles manieres de M. le Marquis de Champigny,
Gouverneur , et de celles de M. d'Orgeville,
Intendant , n'y ont pas peu contribué ; surtout
depuis que ce dernier ayant fixé son séjour au
Fort S. Pierre , y a non- seulement facilité les affaires
de Commerce , par son exacte diligence à
prévenir , ou à terminer les differends inévitables
dans un trafic aussi considerable que celui qui s'y
fait , mais encore il y a réuni les esprits , par la
douceur de son caractere , en leur procurant certains
amusemens necessaires à la Societé civile.
On vient d'y établir une Académie de Musique
composé de cent des Principaux Habitans de S.
Pierre ; cette Academie , formée sur le modele de
celles de France , s'assemble deux fois la semaine ;
les voix et les instrumens de toutes especes , et en
grand nombre, y donnent un plaisir qui se feroit
rechercher dans les plus belles Provinces de l'Europe.
Il semble que l'amour des Arts et des Let´
tres ait passé aux Isles avec M. d'Orgeville,
CHANSON
6 MERCURE DE FRANCE
****************
CHANSON,
Depuis long - temps votre absence ,
Me fait languir nuit et jour ,
Mais votre aimable presence ,
Récompense mon amour.
Si ma peine fut extrême ,
C'est un songe en ce moment.
Quand on revoit ce qu'on aime ,
Le plaisir est plus charmant.
CHANSON sur le séjour de Me J. Mi
D.V.en sa Maison de Campagne ,
près de Bayonne.
Mortels , redoutez
d'approcher ,
Ce séjour solitaire ,
Le Dieu de l'Amour , pour s'y cacher ,
Vient de quitter Cithere ;
Il y rencontra son malheur,
Le petit témeraire ,
D..V .... a vaincu le Vainqueur
Des Vainqueurs de la Terre..
Lorsqu'il entra dans ces beaux lieux ,
Lassé de son voyage,
11
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
1
AVRIL.
767
་
1731 .
Il s'assit , dévoila ses yeux ,,
Admira cet ombrage ,
Et pour ne point jetter d'effroy ,
Dans cet aimable azile ,
Il quitta l'Arc et le Carquois ,
Et s'endormit tranquille.
La Belle pendant son sommeil ,
Prit tout son Equipage ,
L'Enfant Divin à son réveil ,
Lui dit , pleurant de rage :
Que voulez -vous faire des Traits
Par qui l'on me reyére ,
C'est assez d'avoir plus d'attraits ,
Que ma Divine Mere.
Mais si je ne puis vous toucher ,
Si vous gardez mes Armes ,
Permettez - moi de me cacher ,
Sous quelqu'un de vos charmes ,
D..V .... lui ceda ses yeux ,
Il les remplit de flamme ,
Pour se venger il eût fait mieux ,
D'en embraser son ame.
Le Chevalier de Montador:
SPECS
768 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLE S.
E Mardi 3. de ce mois , les Comédiens
François ouvrirent leur Theatre
par la Tragedie de Polyeucte , qui fut
suivie de la Comedie d'Alcibiade. Le
Sieur de Montemenil fit un compliment
au Public qui fut fort bien reçu .
Quelques jours après ils remirent au
theatre la Comédie en vers , et en trois
Actes , de l'Ecole des Amans de M. Joli ,
qu'on revoit avec un extrême plaisir ; car
outre que c'est un très bon ouvrage ,
dont les honnêtes, gens et les gens d'esprit
et de goût font beaucoup de cas ,
on peut dire que cette piece est jouée dans
la plus grande perfection . Le Sieur Quinaut
y joue le principal rôle , et le Sieur
de Grandval celui de son rival . Les
Diles Labat et Quinaut y remplis
sent ceux de la Maîtresse et de la Gouvernante
, et les Sieurs Poisson et Montmenil
, joüent les deux valets.
Il vient de paroître une nouvelle edition
de cette Piece , chez Chaubert , Quai
des Augustins , qui doit faire honneur
au Libraire non seulement la correction
, mais par la beauté du papier
, par
ct
AVRIL. 1731. 769
+
et par la netteté des caracteres .
On apprend dans l'avertissement que
M. Joly , auteur de cette excellente Piece
, a non seulement refondu plusieurs
vers , mais encore rétabli des rimes qui
n'étoient pas exactes. Je sçai , dit- il , que
de celebres Poëtes modernes se croyent en
droit de regarder la rime comme un vain
ornement dont notre Poësie peut se pas
ser , ou plutôt comme une servitude incommode
, dont il sied bien à des esprits
superieurs de secouer le joug : présomption
qui seule les affranchit d'une
regle que nos plus grands Maîtres ont respectée.
Pour moi j'ai suivi autant qu'il
m'a été possible , l'exemple de ceux- ci ,
étant bien persuadé qu'un Auteur dont
les Ouvrages ne sont pas sans défauts ,
doit du moins faire ensorte qu'on ne puisse
pas lui reprocher la négligence ou la
singularité.
C
>
Le 14. Les mêmes Comédiens remirent
au Theatre la Tragedie de Saul ,
de M. l'Abbé Nadal , qui eut un fort
grand succez dans sa nouveauté il y a
25. ans , elle n'en a pas moins aujourd'hui.
Le Sieur Dufresne y joüe le principal
rôle. La Dlle Balicour y remplit
celui de la Pythonisse.
Le 3: Avril les Comédiens Italiens
G firent
770 MERCURE DE FRANCE
firent l'ouverture de leur Theatre par
la Comédie de Timon le Misantrope , avec
tous ses agrémens , elle fut suivie de la
petite Piece de l'Isle des Efclaves. Le
Sieur Sticotti fit le compliment qu'on
fait ordinairement toutes les années à la
rentrée du Theatre.
Le 7. ils représenterent à la Cour la
-Double Inconftance , et Arlequin poli par
l'Amour , et le 21. Arlequin Sauvage et
l'Isle des Efclaves.
Le : 11. ils remirent au Théatre le
Trefor fuppofe , Comédie en trois actes ,
avec dés divertissemens , joüée dans sa
nouveauté en Fevrier 1720 .
>
On a représenté à Londres sur les Thea
tres de Drury- Lane et de Lincolns-
Infields , deux Comedies nouvelles , intitulées
le Reffentiment des femmes , et La
Femme Campagnarde .
Le 3. Avril l'Académie Royale de Musique
donna pour l'ouverture du Thea
tre une représentation de Phaeton avec
un très grand concours ; il paroît que
le public ne se lasse point de revoir
ce magnifique Opera.
Le 12. on donna une représentation
de Thesée pour les Acteurs , comme cela
se pratique toutes les années ; la Die.Camargo
AVR FL. 1731 .
77¹
margo , les Sieurs Blondi et Dumoulins
danserent le pas de Trois à la fin de la Piece
, qui fait toûjours beaucoup de plaisir.
Le s . Avril on donna la Tragedie
d'Idomenée , qui avoit été donnée dans sa
-nouveauté le 1 2. Janvier 1712. Le Poëme
est de M. Danchet , et la Musique de
M. Campra.
Au Prologue le Théatre représente les
Antres d'Eole ; ce Dieu y paroît au milieu
des vents , qui sont enchaînés à des
rochers. Ils veulent sortir de leurs prisons
; Eole les y retient malgré eux. Venus
annoncée par une douce symphonie ,
se présente à Eole , et lui parle ainsi :
Un vainqueur des Troyens fend la liquide plaine
;
Des rives de la Créte écarte ses vaisseaux ;
Ordonne aux Aquillons de soulever les eaux
Et de servir ma juste haine.
Eole.
Brisez vos fers ; pártez , vents orageux ;
De la Mere d'Amour allez remplir les voeux.
Les Aquilions sortent des Antres où ils
étoient renfermez , et s'élancent dans les
airs pour aller servir la haine de Venus.
Gij La
772 MERCURE
DE FRANCE
La fête de ce prologue est ordonnée
par Venus : en voici le motif.
Je vai remplir ta Cour
Des Nymphes et des Dieux soumis à ma puissance
;
Tandis que tes sujets exercent ma vengeance ,
Les miens viendront t'offrir les charmes de l'Amour.
?
les Plaisirs Venus appelle l'Amour
et les Jeux. Ce prologue a paru d'autant
plus heureusement imaginé, qu'ilannonce
la Tragedie,
Au premier Acte , le Théatre représente
le magnifique Palais des Rois de Crete,
Ilione , fille d'Agamemnon
, Roy d'Argos
et de Mycene , ouvre la Scene. Elle
fait connoître qu'elle est arrivée en Crete
dans un seul vaisseau que la tempête avoit
séparé de la flotte d'Idomenée ; elle ajoûte
qu'elle a méprisé l'amour de ce Roi , mais
qu'elle n'a pas été aussi insensible à celui
d'Idamante son fils qui ignore encore sa
victoire ; elle appelle la gloire et la fierté
à son secours,
Idamante ordonne à sa suite d'assembler
les Troyens ; il dit à Ilione qu'il est
rassuré sur le sort de son Pere que Minerve
a protegé contre la fureur de Neptune
; il lui annonce qu'il va délivrer les
Troyens
1
AVRIL: 1731. 773
Troyens en attendant le retour du Roi ,
persuadé qu'il les auroit lui-même remis.
en liberté , si les vents lui avoient permis
d'aborder en Créte ; il fui déclare son
amour ; elle en 'paroît offensée ; il lui réproche
l'injustice quelle a de vouloir pu
nir en lui ce qui n'est que le crime des
Dieux , ennemis des Troyens. Les Crétois
et les Troyens font le divertissement
de ce premier Acte ; on brise les chaînes
de ces derniers.
Arbas vient troubler la fête par une
fausse nouvelle de la mort d'Idomenée
qu'il annonce comme certaine . Electre qui
survient trouve fort étrange qu'on ait remis
les Troyens en liberté. Cette Princesse
Grecque , ne doutant point que cette
liberté ne soit l'ouvrage de l'amour d'Idamante
pour Ilione , s'abandonne à sa
jalouse rage, et ne respire que vengeance.
Au second Acte , le Théatre représente
les bords de la mer agitée par une tempê
te affreuse ; tout le fond est rempli de
vaisseaux qui ont fait ou qui vont faire
naufrage. Un choeur de Peuples prêts à
périr , ouvre la scene par ces deux vers :
O Dieux , ô justes Dieux , donnez -nous du se
cours' ;
Les vents , les mers , le ciel , tout menace nes
jours
Ciij Neptun
774 MERGURE DE FRANCE
Neptune sort de la mer , et dit à Idomenée
Ne crains plus les outrages
Des flots et des vents ennemis ;
Mais offre moi sur ces rivages
L'hommage que tu m'as promis.
Idomenée fait entendre à Arcas , qui
s'est sauvé du naufrage comme lui , le
funeste voeu qu'il a fait à Neptune ; voici
comme il s'explique :
Dans l'horreur du naufrage ,
Pour ravir à la mort mes sujets allarmés ,
Apprens les voeux que j'ai formés.
Voeux indiscrets , trop tard vous troublez mon
courage ;
Si Neptune en courroux faisoit cesser l'orage ,
J'ai promis d'immoler le premier des humains
Que je verrai sur le rivage.
Dans le sang innocent dois-je tremper res
mains.
Il voit paroître sa victime ; c'est son
propre fils qu'il ne connoît pas › attendu
la longueur du siege de Troye. Idamante
qui ne peut pas non plus le connoître , et
qui le prend pour un de ces malheureux
qui viennent de faire naufrave , lui offre
genereusement son secours ; la Scene est
trésAVRIL.
1731. 773
très -touchante de part et d'autre, et menagée
avec beaucoup d'art jusqu'au moment
de la reconnoissance. Idomenée saisi
d'horreur et accablé de tristesse , dit à
son fils qui le veut suivre,pour sçavoir ce
qui l'oblige à se refuser à ses embrassemens
:
Gårdez Vous de me suivre.
Pourquoi m'avez vous vû ? craignez de me revoir.
Idamante ne laisse pas de marcher sur
ses pas. Electre qui arrive croi qu'il la fuit;
elle implore Venus . La Déesse fait entendre
à Electre qu'elle va la vanger. Venus
évoque la jalousie qui vient avec sa suite ,
et fait la fête de ce second Acte , qui finit
par ces vers que Venus adresse à la jalousie.
Au coeur d'Idomenée inspirez la terreur
Contre son propre Fils allumez sa fureur,
La décoration du troisiéme Acte représente
le Port de Sydonie,
Idomenée ne se peut résoudre à donner
à Neptune la victime qu'il lui a promise
; de la tendresse de Pere , il passe
à la fureur d'un rival ; la liberté que son
fils a rendue aux Troyens lui persuade
qu'il aime Ilione , Arcas lui conseille d'éloigner
ce Prince ; Idomenće prend ce
G iiij parti ;
776 MERCURE DE FRANCE
parti ; Arcas par ses ordres va tout prépa
rer pour le départ d'Idamante qui selon
ce nouveau projet doit conduire Electre
à Argos et la vanger d'Egyste qui a usurpé
sur elle le thrône de ses yeux.
Ilione vient ; Idomenée la veut fuir
mais il demeure malgré lui ; il n'apprend
que trop ce qu'il avoit voulu ignorer , il
fait entendre à Ilione qu'elle a tout à craindre
pour son Amant , qui n'a pas besoin
pour périt du nom odieux de Rival .
>
Electre vient remercier Idomenée du
secours qu'il lui offre contre ses tyrans
Idomenée la quitte en lui disant que son
fils s'est chargé de la conduire et de la
vanger. Electre s'abandonne à sa joye ; les
Matelots grecs et tous ceux qui doivent
suivre cette Princesse viennent celebrer
leur retour dans leur Patrie après la fête ,
Prothée sort du fond des flots et annonce
à Idamenée la vengeance de Neptune
prête à tomber sur lui pour le punir de
son parjure ; l'orage empêche Electre de
partir ; Idomenée proteste qu'il n'immo .
lera jamais la victime que Neptune lui
demande . Un Monstre sorti de la mer ,
commence la vengeance de ce Dieu irrité.
Au quatriéme Acte , le Theatre représente
une campagne agréable , et dans l'éloignement
le Temple de Neptune.
Ilione
AVRIL. 1731. 777
Ilione fait des imprécations contre les
Crétois, et prie les Dieux de les faire tous
périr par le monstre ; son amour lui fait
excepter Idamante qui veut le combattre.
Idamanre vient faire ses derniers adieut
à Ilione , ne doutant point qu'il ne périsse
dans le projet que son désespoir lui fait
entreprendre ; le péril où ce Prince va
s'exposer , par la seule raison qu'il est
odieux à sa chere Ilione , détermine cette
Princesse à rompre un trop long silence
, et à déclarer son amour ; elle apprend
à son Amant qu'il a un rival re- .
doutable ; Idamante reconnoît par-là que
c'est le Roi.
Idomenée vient offrir un sacrifice à
Neptune ; il éloigne son fils du Temple
de ce Dieu , sans lui déclarer le funeste
voeu qu'il a fait.
Après cette premiere fête , qui consiste
en des hymnes chantez à la gloire de
Neptune , on entend des chants de victoire
derriere le Théatre ; Arcas vient apprendre
à Idomenée que le monstre a suc- ,
combé sous les coups d'Idamante ; Idomenée
se flatte d'avoir fléchi le Dieu des ,
flots,puisqu'il a permis que son fils triom
phât de ce monstre. Des Bergers et des
Bergeres , mêlés avec les habitans de Sydonie
, viennent celebrer la victoire d'I
damante. Après cette derniere fête , Ido-
G vj
menée
1
778 MERCURE DE ERANCE
menée se surmonte lui- même , et forme
la résolution de ceder Ilione à son fils ; il
n'en demeure pas là , il lui cede encore le
Trône , il en explique le motif
vers ;
par
ces
Le Roi seul fit un voeu fatal à tout mon sang ,
Cessons de l'etre ; il faut que mon fils dans mon
rang
:
Ait pour sa sureté la grandeur souveraine.
L'action du dernier Acte se passe dans
un lieu préparé pour le couronnement d'I
damante ; Electre au désespoir de l'hymen
dont on fait les apprêts , déclare sont
amour au Prince de Créte et voyant
qu'il ne l'écoute pas , elle sort pour aller
irriter la colere de Neptune contre tous
les Auteurs des outrages qu'elle a reçus en
ce jour .
Ilione et Idamante s'applaudissent de
leur prochain bonheur. Idomenée déclare
à ses Peuples que c'est son fils qui doit
désormais leur dispenser des loix ' ; il dit
galamment à Ilione qu'il se fait un plus
grand effort en la cedant à son fils , qu'en
lui remettant le pouvoir suprême. Les
Crétois font leur cour à leur nouveau
Maître , par des chants convenables à la
fête. Idomenée dépose sur un carreau son
Sceptre et sa Couronne. Nemesis sort des
Enfers
AVRIL. 1731. 779
1
par ces vers Enfers et trouble la fête
qu'elle adresse à Idomenée :
Du souverain des mers Ennemi temeraire ,
'Penses - tu donc ainsi désarmer sa colere ?
Voi Nemesis , les Dieux m'ont imposé la loi
D'exercer leur vengeance :
Que l'Univers avec effroi
Apprenne à respecter leur suprême puissance .
Nemesis rentre dans les Enfers ; le thrône
se brise , et les furies emportent le
pavillon qui le couvroit. Idomenée devenu
furieux , se croit transporté dans un
lieu où l'on offre un sacrifice à Neptune ;
il veut avoir l'honneur de porter le coup
mortel à la victime ; cette prétendue victime
est son propre fils , qu'il immole
de sa propre main ; après cet affreux
sacrifice , les Dieux lui rendent la
raison , pour lui découvrir son parricide ,
il veut s'en punir ; on lui arrache l'épée.
Ilione finit la Tragedie par ces vers .
Pour le punir , laissez le vivre ;
C'est à moi seul de mourir.
V
lc
Les Comédiens François ont représenté
à Versailles pendant ce mois
Légataire, et la Sérénade. Saul Tragédie
et Attendez - moi sous Porne. L'Ecole des
Amans , et Chrispin Medecin. Andronic ,
et l'Esprit de contradiction . L'Esprit folet ,
et la Comtesse d'Escarbagnas .
780 MERCURE DE FRANCE
****************
NOUVELLES ETRANGERES.
TURQUI E..
}
Es lettres de Constantinople confirment les.
Davis qu'on avoit déja cus , que Mehemet
Selichtar Pascha , qui avoit été fait Grand Vizir
dans les premiers jours de la derniere révolution ,
avoit été déposé , et que Ibrahim Pacha , ci- devant
Kihaia de Cuprogli , Pacha du Caire , avoit
été choisi pour lui succeder.
On a reçu avis du Grand Caire , que les Missionnaires
en avoient été chassés par le nouveau
Pacha , que le Grand Seigneur a envoyé dans.
cette Ville , et que la plupart s'étoient retirés à
Jerusalem et dans les environs .
:
D'autres lettres d'Egypte portent que le Pacha
Cuprogli avoit défait l'Armée des Rebelles d'Egypte
qu'il avoit fait couper la tête à tous leurs
Chefs , pris dans le combat , et accordé une Amnistie
generale aux autres ; que la tranquillité
étoit rétablie dans le pays , et le commerce enție:
rement libre pour tous les Etrangers..
On a appris par les lettres de Syrie , du mois
d'Octobre dernier , que dans le College de l'Ors
dre de S. François de la Ville de Damas , où les
Religieux Espagnols enseignent les Langues Aràbe
et Turque , ils avoient établi une Ecole particuliere
pour instruire dans la Religion Catholique
les enfans des Maronites qui y étoient déja
au nombre de 15000. ce qui leur avoit attiré une
persécution de la part des Turcs , qui vouloient
chasser ces Religieux de la Ville , où ils n'avoient
pû se conserver qu'en payant une somme considerable
;
AVRIL. 1731. 7:1
sable ; qu'ils avoient employé les charités des
Pelerins à finir l'Hôpital qu'ils avoient commencé
depuis long-temps ; qu'ils avoient fait achever
aussi le Convent de Nazareth , dont la dépense
montoit à plus de 9c000 . écus , et que le Gardien
avoit été fort maltraité par les Turcs le jour
de la Dédicace de la nouvelle Eglise.
RUSSIE.
On mande des Frontieres de Perse , que les
Turcs qui étoient dans Ardebil , l'avoient abandonné
aux Persans , et qu'ils s'étoient mis sous
la protection des Moscovites , lesquels , du consentement
du Roi de Perse , devoient les conduire
à Tiflis , Capitale de la Georgie.
Par les lettres reçûës de Constantinople , on
paroît être certain que le Grand Seigneur prem
dra toutes les mesures necessaires pour éviter d'entrer
en guerre avec les Moscovites , et pour prévenir
celle qu'ils pourroient avoir avec les Persans.
LE
POLOGNE.
E 27. Fevrier , l'Envoyé Extraordinaire du
Grand Seigneur , eut son Audience de congé
avec les ceremonies observées le jour de sa premiere
Audience publique. Ce Ministre alla dîner
ensuite chez le Grand - Maréchal de la Couronne.
Le Roi et la République lui ont fait present d'un
très - beau Carosse attelé de six Mules . Il a fait
au Roi , de la part du G. S. et du Gr. Viz. de six
Chevaux de Selle , pami lesquels il y a un Cheval
Arabe , qu'on estime 2000. Ducats . Leurs Harnois
sont à la Turque et d'une grande magnificence.
Le Roi a envoyé en Hongrie un Capitaine dus
Regiment de Saxe Weimar , pour lever oo. Hus-
Sats
82 MERCURE DE FRANCE
sars que l'Empereur lui a permis de prendre à son
service.
Le Ministre de la Czarine a donné au Primat
du Royaume un Memoire contenant les prétentions
de S. M. Cz . Les principales sont la repetition
des sommes avancées à la République par le
feu Czar Pierre I. et qu'on fait monter à prés de
huit millions , la demande qu'elle fait de l'entiere
execution du Traité d'Oliva , tant au sujet des
Privileges accordez aux Protestans de ce Royaume
, que par rapport à la liberté du Duché de
Curlande , qu'elle ne veut pas permettre qu'on
divise en Palatinats.
A
DANNEM A R˚C K.
derickstadt , à l'occasion de la mort du Roi de
Suede Charles XII. doit être incessamment abbatuë
et les Inscriptions ôtées par ordre du Roi ,
qui a résolu de vivre en bonne intelligence avec
la Couronne de Suede.
ALLEMAGNE.
E bruit s'est répandu depuis peu à Vienne ,
que l'Empereur avoit pris la résolution d'aller
àu mois de Juin prochain à Ratisbonne , pour
regler la succession future de ses Etats , de l'avis
et du consentement des Electeurs , Princes et Etats
de l'Empire.
Le 17. du mois dernier , l'Empereur et l'Im-1
peratrice fe rendirent , selon la coûtume , dans
I'Eglise Aulique des Augustins Déchaussez , où
L. M. I. entendirent les cinq Sermons sur les
Misteres de la Passion , dont trois furent prêchez
en Allema et deux en Italien.
Le
C
AVRIL 1731. 783
Le 22. Jeudí Saint , P'Empereur lava les pieds
à douze pauvres Vieillards , qui faisoient tous ensemble
971. ans , et l'Imperatrice à douze pauvres
vieilles femmes , âgées aussi toutes ensemble
dé 1028. ans.
La Ville de Gratz en Stirie , fut réduite en
cendre la nuit du 19. au 30. du mois dernier.
ITALIE.
E s. Mars , le Pape tint un Consistoire , dans
Llequel le Cardinal Ottoboni proposa l'Archevêché
de Sens pour l'Evêque de Soissons ; l'Abbaye
de S. Jacques de Provins , pour l'Evêque de
Nîmes , et celle de S. Pierre en Valée , Diocèse
de Chartres , pour l'Abbé de la Farre -Lopis.
Le 12. on fit partir de Rome pour Civitavechia,
une Chaîne de 64. Criminels condamnez aux
Galeres , parmi lesquels il y a un Ecclesiastique
qui y retourne pour la troisième fois.
Les Dominicains du Convent de sainte Marie
sur la Minerve de Rome , ont obtenu du Pape la
permission de faire inhumer dans leur Eglise
lé Corps du feu Pape Benoît XIII . pour lequel
ils font faire un superbe Mausolée.
Le Pape a fait prier les Cardinaux de n'avoir
aucun commerce avec les Cardinaux Coscia et
Fini , jusqu'à ce que leur affaire soit jugée par la
Congrégation de Non Nullis , qui est occupée
presentement à examiner leurs Memoires justificatifs
, et ceux des Abbez Prati et Ramoni.
Les Habitans de Nettimo ont refusé de se soumettre
aux Ordonnances qui ont été publiées
contre le luxe , prétendant avoir d'anciens Privileges
qui permettent de s'habiller aussi magnifi-´
quement qu'ils le jugeront à propos.
On a appris de Naples sur la fin du mois der-´
nier,
784 MERCURE DE FRANCE
nier , qu'il y avoit eu un Tremblement de Terre
considerable à Toggia , dans la Pouille , que cette
petite Ville étoit totalement renversée , et qu'il y
avoit eu 25oo. Habitans écrasez sous les ruines.
La Cour de Turin s'est opposée avec beaucoup
de vigueur à l'execution de quelques Bulles accordées
par le Pape pour la Coadjutorerie de
certains Benefices consistoriaux , situez dans le
Piémont.
ON
ESPAGNE.
N apprend de Cadix , qu'on y avoit reçû
avis que le Trésor de Lima étoit arrivé à
Panama dans le mois de Decembre dernier , qu'on
esperoit que la Foire de Porto- Bello se tiendroit
dans le courant du mois du Mars , et que le tiers.
de l'Equipage des Gallions étoit mort dans la
traversée de la même maladie qui regnoit l'Automne
dernier à Cadix , et qu'on nommoit le
Vomissement noir.
ON
PORTUGAL..
N mande de Lisbonne qu'on y reçoit presque
tous les jours de fâcheuses nouvelles du dom
mage que la tempête du 7. de Février a causé
dans plusieurs Provinces. On apprend d'Abrantes
, que l'inondation y avoit été si considerable ,
que depuis cent ans on n'en avoit point vu de
semblable , et qu'à Porto il y avoit plus de quatre
pieds de neige dans les rues.
8. et le
Les Lettres des Algarves , portent que le 7. le
9. la Mer étoit montée infiniment plus.
haut que dans les plus grandes Marées , qu'ayant
fait remonter l'eau des Rivieres , elles s'étoient répandues
dans les Plaines à la hauteur de 6. à 7 .
pieds ; que les maisons d'un grand nombre de
villages.
AVRIL. RIL. 1731 783
#
Villages avoient été entraînées par les torrens ,
ainsi que la plupart des maisons de la Ville d'Albufeira
; qu'il n'étoit pas resté pierre sur pierre
dans celle d'Alvor , où il y avoit des Magazins
de Sel considerables ; que tous les arbres le long
de la Côte avoient été déracinez ; qu'une partie
du mur de la Tour de S. Laurent avoit été renversée
par les vagues de la Mer , et qu'elles avoient
passé pardessus les murs de la Forteresse de S. Julien.
GRANDE BRETAGNE.
E 16. du mois on apprit à Londres par les
Lettres de Winchester , que le Chevalier Ba
ronet Simon Clark et M. Robert Arnot , Lieutenant
d'Infanterie , y avoient été jugez et con→
damnez à mort pour vol de grand chemin.
On a appris depuis que le Grand- Scherif et le
Grand-Juré du Comté de Southampton , ont envoyé
une Adresse au Roi , pour le prier d'accor
der des Lettres de grace à ces deux Criminels
Gentilshommes de ce Comté. Le Roi a renvoyé
cette Adresse aux douze Grands-Juges pour examiner
cette affaire et lui en faire leur rapport , et
S. M. a accordé un répit sans terme limité.
Le Roi a accordé au Comte d'Essex , son Ambassadeur
Extraordinaire à la Cour du Roi de
Sardaigne , 1500. livres sterlins pour ses Equipages
, et 8. liv. sterl . par jour pour son entretien
ordinaire pendant le temps de son Ambassade.
Le premier Avril , un Courrier de Vienne ar
riva à Londres avec la copie d'un Traité conclu
entre l'Empereur et S. M. Brit.
La Chambre des Pairs , ayant fait deux
Fectures du Bil passé dans la Chambre des Communes
,pour exclure de cette Chambre les Membres
qui jouissent des Pensions du Roi , ou qui
786 MERCURE DE FRANCE
ont des Charges à la Cour , il y eut des contesta
tions qui durerent jusqu'à huit heures du soir
et ce Bill fut rejetté à la pluralité de 36.voix contre
40. Le lendemain , 27.. Membres de cette
Chambre signerent la protestation qu'ils avoient
faite la veille contre cette résolution , et ils firent
enregistrer leur Protestation .
Quelques Membres de la Chambre des Communes
ayant proposé de dresser une Liste de ceux
qui jouissent des Pensions de la Cour directement
ou indirectement, ou qui ont des Charges auprès
du Roy , sous le nom de Titulaires supposez ,
cette proposition fut rejettée à la pluralité de 2 06.
voix contre 143 .
La même Chambre a passé un Bill par lequel
il est ordonné de faire dorénavant les Procedures
en Anglois dans tous les Tribunaux de ce
Royaume.
Le 13. de ce mois , le Prince de Galles , la
Princesse Royale et la Princesse Caroline , allerent
au Théatre de Drury- Lane , voir la Tragedie
intitulée > Tout pour l'Amour , ou le Monde
bien perdu.
Le 31. du mois dernier , le feu prit dans la petite
Ville d'Enniscorthy , du Comté de Wexford,
et en moins de trois heures , il y eut 42. Maisons
de Manufacturiers qui ne purent rien sauver
de leurs Effets.
* Le Roi Guillaume I. Duc de Normandie ,
après avoir conquis l'Angleterre , introduisit
plusieurs Loix de Normandie , ordonnant qu'elles
seroient écrites en Langue Françoise, et que
les Causes seroient plaidées aussi en François,
et que les matieres importantes qui demandoient
quelque formalité , seroeint aussi expediées en
François. La plupart des termes de Pratique sont
encore aujourd'hui en Latin ou en François .
ADAVRIL.
1731. 787
ADDITION.
ON apprend de Moscou , que le rs. Mars , les
Ambassadeurs de l'Empereur de la Chine eu→
rent leur Audiance de congé de laCzarine, qui leur
fait préparer des présens magnifiques ; le bruit
court qu'ils ont signé unTraite de Commerce qui
sera très-ayantageux aux deux Nations.
De Coppenhague , que le 2. Avril , le Marquis
de Plelo , Ambassadeur du Roi de France , eut
une Audience particuliere du Roi , dans laquelle
il lui donna part que pour l'avantage du Coinmerce
des deux Nations , S. M. T. Ch. avoit déchargé
de tous les droits d'Entrée dans les Ports
lés Bâtimens Danois ou Norwegiens qui y apporteroient
dorénavant des Bois propres à construire
des Vaisseaux .
De Constantinople , que le Grand-Seigneur
continuoit de faire punir les Auteurs de la derniere
Rebellion ; que le Capitan - Pacha devoit
partir dans peu avec huit Sultanes et quatre au¬´¸
tres Bâtimens , pour aller recueillir les Tributs
de la Morée et des Isles de l'Archipel , et que le
Gr. Vizir s'étoit plaint au Ministre de la Czarine
de ce que des Officiers Moscovites avoient pris
de l'emploi dans les Troupes du Roi de Perse ,
malgré les conventions faites il y a quelques an
nées entre le G. S. déposé et le feu Czar Pierre I.
De Cadix , qu'à la fin de ce mois , on y délivrera
les effets de la Flotille, et que le Roi ayant été
obligé de se servir d'une partie de l'argent , S. M.
remboursera les interessez sur le produit du retour
88 MERCURE DE FRANCÉ
tour des Gallions qui sont actuellement aux Indes
Occidentales , avec l'interêt à six pour cent.
De Rome que l'accommodement des differents
du S. Siege avec le Roi de Portugal , est prêt d'ê
tre conclu ; que M. Bichi , cy devant Noncé à
Lisbonne , qui doit être arrivé à Sienne , y restera
jusqu'à-ce que cet accommodement soit signé ,
et qu'ensuite il ira à Rome pour y recevoir le
Chapeau de Cardinal.
La nuit du 31. du mois dernier , au premier
de ce nois , le Cardinal Coscia sortit de Rome
incognito , avec une suite de quatre personnes , et
il prit la route de Naples Le neveu de M. Firrao
le rencontra le lendemain , traversant la Ville de
Terracine , et on a sçû depuis qu'il étoit allé à
Naples sous le nom de l'Abbé Cibo . Depuis sa
fuite , l'Evêque de Targa , son frere , a eu ordre
de se rendre au Convent de S. Praxede , qu'on
lui a donné pour prison.
Le 24. M. Fioreli alla par ordre de la Congré
gation de Non Nullis au Palais du Cardinal Cos
cia , faire une sommation pour l'obliger à se représenter
dans un terme limité.
Le Cardinal Banchieri , Secretaire d'Etat , a
dépêché un Courrier à M. Guillelmi , qui étoit
parti pour Turin , avec deffense d'entrer dans les
Etats du Roi de Sardaigne , parce qu'on a
craint qu'il n'y fût pas bien reçû , et que son caractere
n'y fût pas respecté.
De Naples , que la derniere secousse de Tremblement
de Terre de la nuit du 16. au 17. du
mois dernier , avoit causé tant d'effroi , qu'une
grande partie des Habitans de cette Ville alla le
Lendemain coucher à la campagne. La Noblesse
envoya le même jour ses plus précieux Meubles
et
AVRIL. 1731. 789
et ses Carosses sur l'Esplanade du Château neuf,
et sur celle de la Porte du S. Esprit pour les mettre
en sureté ; cependant il n'y eut point de
Tremblement de Terre le 18. le 19. ni le 20.
mais le 21. vers les 9. heures du matin , on en
ressentit une legere secousse qui ne caușa aucup
dommage.
Le même jour on reçut avis que le 20. au matin
les deux tiers de la Ville de Foggia avoient été
renversez par le même Tremblement qui s'est fait
sentir avec violence dans les autres Villes de la
Pouille , dans la terre de Labour, dans la Basilicate
et dans une partie de la Calabre citerieure. Le
Viceroi a écrit aux Présidens ou Intendans des
Provinces voisines de la Poüille, d'envoyer des secours
aux Habitans qui se sont sauvez de Foggia,
où ily a eu plus de 2000. personnes d'écrasées , de
ly
faire enlever les décombres et de faire conserver
les Effets des Particuliers qu'on retrouvera en
fouillant.
une
La nuit du 22. au 23. on ressentit encore
legere secousse de Tremblement de terre , de même
que les deux nuits du 28. et du 29. de sorte
que l'on est à Naples dans de continuelles alfarmes.
D'autres Lettres de Naples portent que les
Tremblemens de terre devenoient très frequens
dans la plupart des Provinces du Royaume ; que
les Villes de Lucera , de Troje et d'Aquila étoient
presque renversées ; qu'il y avoit des maladies
Epidemiques qui faisoient périr beaucoup de monde
à la Cainpagne , et que les Troupes de l'Empereur
commençoient d'en être attaquées.
De Genes , que Mrs Jean- Baptiste Grimaldi et
Charles de Fornari , sont partis pour l'Isle de
Corse avec des pleins pouvoirs de la République
ct
790 MERCURE DE FRANCE
et les instructions necessaires pour terminer l'affaire
de la révolte des Habitans de cette Isle qu
paroissent disposez à quitter les armes,
De Bruxelles , que l'Archiduchesse Gouvernante
, ayant eû avis que le Duc de Lorraine de
voit venir passer quelques jours avec le Prince
Charles son frere , pour se rendre ensuite en
Hollande , et à ce qu'on croit , en Angleterre ,
cette Princesse a donné ses ordres pour lui faire
meubler un Hôtel. Ce Prince gardera l'incognito
sous le nom de Comte de Blamont,
MORTS, BAPTEMES, MARIAGES
des Pays Etrangers.
Nophite Narry ,Archevêque de Sedijana en
Sorie , né Alep ,, et ancien Missionnaire
dans le Levant , mourut
le 24. de Fevrier , âgé de
62. ans ; il fut inhumé
le lendemain
avec beaucoup
de céremonie
dans l'Eglise du College de
Propaganda
fide , ou la Messe fut celebrée
, et
l'Abfoute
fut faite par M. Fouquet , Evêque Ti
tulaire d'Eleutheropolis
, et on celebra pendant
la
matinée
dans la même Eglise , des Messes
, suivant
les Rits Latin , Grec , Arménien
, Syriaque
,
Copthe
, Chaldéen
et Maronite
.
M. Nastri , Prelat Grec , Archevêque de Samarie
, qui a été pendant long- tems Missionnaire
dans le Levant , ayant été renversé par un des
Carosses du cortege le jour de l'Entrée publique
de l'Ambassadeur de Malte à Rome , mourut je
lendemain de ses blessures son corps qui a été
Exposé pendant quatre jours dans l'Eglise du
College
A V RIL. 1731. 791
College de Propaganda fide , rendant une sueur
qu'on disoit être d'une odeur douce et agréable ,
le Pape y envoya ses Medecins et ses Chirurgiens
pour l'examiner , et après qu'ils en ont eu fait
leur rapport à Sa Sainteté , ce corps a été inhumé
dans la même Eglise auprès de celui du feu
Cardinal de Tournon.
Le 23. Mars , le Duc Auguste Guillaume de
Brunswick Wolfembutel , mourut à Wolfembutel
, âgé de 69. ans et quinze jours , étant né le 8.
Mars 1662. ce Prince n'ayant point laissé d'enfans
des trois Princesses qu'il a épousées , le Duc
Louis Rodolphe de Brunswix Blankemberg , pere
de l'Imperatrice et de la Princesse , Epouse du
Duc Ferdinand Albert de Brunsvick Bevern , suçcede
à ses Etats.
La Princesse d'Anhalt , et Epouse du Comte
d'Hanau , soeur de la Reine d'Angleterre , est
morte sur la fin du mois dernier.
Le Cardinal Jacques Boncompagno , mourut
subitement à Rome le 24 , Mars dans sa soixantedix-
neuvième année,étant né les.Mai1652 . Il étoit
fils de Hugues Boncompagno troisiéme Duc de
Sora , mort au mois d'Octobre 1676. et de Dona
Marie Ruffo , fille de François Marie , second
Duc de Bagnara. Il étoit frere du Duc de Sora ,
set beaufrere de la Princesse Piombino. Le Pape
Innocent XII. le fit Cardinal dans le Consistoire
du 12. Decembre 1695. et dans un des Consistoires
suivans , Sa Sainteté lui donna le titrs
de Sainte Marie in via lata. Ce Cardinal étoit
Archevêque de Bologne et Evêque d'Albano ; il
avoit séance dans les Congrégations des Evêques
et Reguliers , du Concile et de la visite Apostolique.
Son corps fut porté le lendemain dans l'Eglise
de Sainte Brigite , où il fut mit en dépôt,
Il a fait un Testament par lequel il laisse 300c,
Ecus
792 MERCURE DE FRANCE
Ecus à ses Domestiques , et un Tableau de grand
prix à Sa Sainteté. Il fait quelques legs de vaisselle
d'argent au Duc de Friano et à la Princesse
de Piombino , et il institue le Duc de Sora heritier
de tous ses biens. 11 vaque par cette mort un
septiéme lieu dáus le Sacré College.
Le 28. le Corps du Cardinal Boncompagno fur
transporté dans l'Eglise de S. André della Valle ,
où il fut inhumé avec beaucoup de cérémonie.
BAPTESME solemnellement adminiftré à
une Famiile Mahometane. Extrait d'une
Lettre écrite de Toulon le 14. Mars
1731 .
>
Vous ne serez sans doute pas fâché , Monsieur ,
d'apprendre la cérémonie qui s'est faite aujour
d'hui dans l'Eglise Cathedrale de cette Ville à
l'occasion de la conversion d'un François qui
avoit embrassé la Religion Mahometane , et du
Baptême de sa famille ; ce François s'appelle
François Brailli natif d'Abbeville en Picardie.
Il y a plusieurs de ses parens Marchands Libraires
établis à Paris . Il eût le malheur d'être
fait Esclave en 1719. et d'être conduit à Cons-
Lantinople : mais ce qui fut le comble de son
malheur , c'est qu'entraîné par les tristes suites
de sa captivité , il renonça à la Religion de ses
Peres : son Apostasie fut suivie de son mariage
avec une fille originaire de Tartarie et Mahometane
de Religion , qu'il épousa en 1722. Dieu
voulut bien ne le pas abandonner ; il permit qu'agité
de remords et touché par la grace ,
songea plus qu'à réparer l'énormité de sa faute
Et à se dérober à l'infidelité et à la tyrannie . Il
sommença la réparation de sa faute , en instruiil
ne
sant
C
4
AVRIL. 1731. 793
sant sa femme , et en la préparant à recevoir les
lumieres de l'Evangile . Enfin il saisit l'occasion :
que Dieu lui présenta , et il se sauva de Turquie
sur une barque Françoise qui est arrivée le mois
dernier dans le port de cette Ville.
By
Dès que le tems de la Quarantaine a été expiré
, et que les Intendans de la Santé ont appris
que cet homme désiroit de rentrer dans le seim
de l'Eglise , et que sa femme demandoir avec em- :
pressement d'être baptisée avec ses deux petits
enfans , ils en ont pris un soin particulier , et les
ont faît conduire à l'Hôpital General , où l'on a
instruit la femme avec succez . Lorsque l'on a
trouvé cette Catechumene assez instruite, et qu'on
a crû pouvoir lui accorder le baptême qu'elle ne
cessoit de demander , les Intendans de la Santé
ont invité MM . les Consuls , Lieutenans de Roi
de la Ville à tenir sur les fonts de Baptême la
femme et les deux petits enfans. Trois Dames
qualifiées de cette Ville, furent priées de leur servir
de Marraines . Tout étant ainsi disposé , la cérémonie
a été indiquée à ce jour. Elle a commencé
par une Procession generale qui s'est renduë
à l'Eglise Cathedrale , et à laquelle Brailli a assisté
avec sa femme et ses enfans. Les Consuls à
la tête du Corps de Ville , précedés des Tambours
, des Trompettes et des Hautbois , & c. sont
ensuite allés prendre M. l'Evêque à son Palais
Episcopal , d'où ce Prélat s'est rendu avec eux å
la Cathedrale , pour faire lui- même la cérémonie.
L'Eglise étoit remplie du Corps entier de la Marine
, des Officiers de la Garnison et de toutes les
personnes qualifiées de la Ville.
L'Evêque a commencé par la cérémonie des
Catéchumenes ; et la manière pieuse avec laquelle
cette femme a répondu selon les instructions qu'elle
avoit reçûës , a touché toutes les personnes qui
étoient présentes . H On
794 - MERCURE DE FRANCE.
On proceda ensuite à la cérémonie du baptê
me. M. de Portalis Premier Consul et Lieute
nant de Roi de la Ville , nomma la Mere sur les
fonts : elle fur mariée aussi- tôt après , avec François
Brailly. Les deux petites filles furent tenues
ensuite séparement par le second, et par le troisiéme
Consul. La cérémonie finie , M. l'Evêque:
fut reconduit au Palais Episcopal par les Consuls
au son des instrumens , et aux acclamations du
Peuple. Delà les Consuls se rendirent dans le
même ordre à l'Hôtel de Ville , où un repas magnifique
étoit préparé pour les Dames , & c. La
conversion de cette famille a causé dans toute la
Ville une grande joye , et a excité en sa faveur
la charité des personnes de distinction et du
peuble même.
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour, de Paris , & c.
LE
E lundi 26.Mars , les députez des Etats
de la Province d'Artois , eurent leur
audience du Roi. Ils furent présentez à
S.M. par le Duc d'Elbeuf,Gouverneur de
la Province , précedez par le Marquis de
Dreux , Grand Maître des Cérémonies ,
et par M. Desgranges , Maître des Cérémonies.
La députation étoit composée
de l'Evêque d'Arras pour le Clergé de
part de la Noblesse , du Marquis dė
Wignacourt ,
la
>
AVRIL.
795
1731.
Wignacourt , et de M. Garson de Que-
Vaussart , Avocat , Echevin d'Aire pour
le tiers Etat.
M. Daube , Intendant de Soissons
ayant demandé son rappel , sa place a été
donnée à M. de
Lesseville ,
Intendant de
Pau , lequel est remplacé par M. de Pommereu
, Intendant à Tours ; et le Roi a
nommé à cette derniere
Intendance , M.
de la Galisiere , beaufrere de M. Orri
Controlleur General.
Le premier de ce mois , Dimanche de
Quasimodo ,
l'Archiconfrerie de Jerusalem
, établie chez les Grands Cordeliers .
fit sa
Procession annuelle , et délivra , en
passant devant les Prisons du Châtelet ,
et autres , 54. Prisonniers pour dettes ,
lesquels furent conduits à la suite de la
Procession jusqu'aux Cordeliers : Après
la Messe , on les fit dîner , et on les ren-.
voya avec une piéce d'argent .
Suivant la
cérémonie qui se pratique tous
les ans les vendredi de la semaine de Pâ
ques. Messieurs du
Parlement et de la
Chambre des Comptes invitez par les Prevôt
des
Marchandset
Echevins , se rendi- '
rent en robes
ordinaires , et précedez de
leurs huissiers , en l'Eglise de Notre -Da
me , placez sur un même banc , tenans même
ligne et mêlez
ensemble , ensorte que'
le
Président du
Parlement avoit après lui
Hij
le
796 MERCURE DE FRANCE
le Président de la Chambre des Comptes ,
le Conseiller de la Cour , un Officier de
la Chambre , et ainsi de suite , tant qu'ils
firent nombre , et ils assisterent à une
Messe chantée en Musique à la Chapelle
de la Vierge , en memoire de l'expulsion
des Anglois du Royaume de France , sous
le Regne de Charles VII. L'origine de
cette cérémonie est , que la nouvelle de
la défaite des Anglois s'étant répanduë
dans Paris , le vendredi d'après Pâques de
Fannée 1436. Messieurs du Parlement et
de la Chambre des Comptes , au milieu
des acclamations du Peuple , se rendirent
confusément , et sans garder entr'eux ni
pas ni rang dans l'Eglise Notre - Dame
poury rendre graces graces à Dieu , devant l'Autel
de la Vierge , de l'heureuse nouvelle
qu'on venoit de leur apprendre.
›
On assure que le Roi a accordé à l'Ordre
Hospitalier du S. Esprit de Montpelier
des Lettres Patentes , portant réiinion
du Prieuré de S. Nicolas de Bar-sur-
Aube à l'Hôpital du S. Esprit de cette
Ville , qui est du même Ordre.
Le 4 Avril , il y eut Concert à la Cour ;
M. Destouches , Sur- Intendant de la Musique
de la Chambre du Roi de semestre ,
fit chanter devant la Reine , dans son Salon
, le Prologue et le premier Acte de
POpera
AVRIL. 1731. 797
par
l'Opera de Thésée , qui fut continué le 9
le second et troisiéme Acte , et le 11.
on finit par le quatrième et le dernier Acte.
La Dile Julie chanta le Rôle de Médée ,
et la Dile Lenner celui d'Eglé , dans les
trois premiers Actes avec beaucoup de
succès ; une indisposition survenue à cette
Actrice l'empêcha de continuer. La Dlle
Pelissier la remplaça ; et y reçût de grands
applaudissemens. Les Sieurs d'Angerville
et Guidon chanterent les Rôles d'Egée et
de Thésée , et les Diles Barbier et Robelin ,
firent les Confidentes , à la satisfaction de
la Reine et de toute la Cour.
! Le 16 , on chanta dans le même Salon
le Prologue et le premier Acte de l'Opera
de Tarsis et Zelie , dont le Poëme est de
M. de la Serre , et la Musique des Sieurs
Rebel et Francoeur.
ศ
9
Le 18 et le 23. on continua le même
Opera , dans lequel les Des Lenner et
Pellissier chanterent les Rôles de Zelie et
d'Arelife avec beaucoup d'applaudissement
, de même que la De Erremens
qui plût infiniment dans le Rôle de la Sybille
, et dans d'autres mòrceaux qu'elle
chanta avec beaucoup de graces et de legereté.
Les deux Auteurs de cet Opera
furent présentez à la Reine par M. Destouches
; ils reçûrent de S. M. des témoignages
pleins de bonté , de la satisfaction
Hiij qu'elle
798 MERCURE DE FRANCE
t
qu'elle avoit eû d'entendre cet Opera
dont l'exécution fut parfaite , et la Musi
que extrêmement goûtée.
pre Le 25. on chanta le Prologue et le
mier Acte d'Atys , qu'on continua le Lundy
, dernier jour du mois.
Le 8 Avril , l'Abbé Lanti , Nonce Extraordinaire
du Pape , fit son Entrée publique
à Paris. Le Prince de Guise , et
M. Hebert , Introducteur des Ambassa→
deurs , allerent le prendre dans les Carosses
du Roi et de la Reine , au Convent de
Picpus , d'où la marche se fit en cet ordre :
Le Caroffe de l'Introducteur , ceux du
Prince de Guise , précedez de son Ecuyer
et de ses Pages à cheval ; un Suiffe du Nonce
à cheval ; les Estafiers du Nonce à
pied quatre Officiers , l'Ecuyer et quatre
Pages à cheval ; le Carosse du Roi , à
côté duquel marchoient la Livrée du Prince
, et celle de M. Hebert ; le Caroffe de
la Reine et celui de Madame la Duchessed'Orleans
, Douairiere , ceux du Duc
d'Orleans , de la Duchesse de Bourbon
Douairiere , du Duc et de la Duchesse de
Bourbon , du Comte de Charolois , du
Comte de Clermont , de la Princesse de
Conty, premiere Doüairiere , de la Princesse
de Conty , seconde Doüairiere , de
la Princesse de Conty , troisiéme Douairierc
>
9.
AVRIL 1731 799
riere , du Prince de Conty , du Duc et de
la Duchesse du Maine , du Prince de Dombes
, du Comte d'Eu , du Comte et de
la Comtesse de Toulouse et celui de
M. Chauvelin , Garde des Sceaux ; Ministre
et Secretaire d'Etat , ayant le département
des Affaires Etrangeres : et à une
distance de 30 à 40 pas , les quatre Caros-
.ses du Nonce.
Après qu'il fut arrivé à son Hôtel , il
fut complimenté de la part du Roy par le
Duc de Tresmes , Premier Gentilhomme
de la Chambre ; de la de la Reine ,
part
par le Marquis de Villacerf , son premier
Maître d'Hôtel , et de la part de Madame
la Duchesse d'Orleans le Marquis
de Crevecoeur , son premier Ecuyer.
2
, par
Le 10 , le Prince de Guise et M. Hebert ,
allerent prendre le Nonce Extraordinaire
du Pape en son Hôtel , et le conduisirent
dans les Carosses du Roi et de la Reine à
Versailles où il eut sa premiere Audience
publique du Roi. Il trouva à son
passage , dans l'avant- cour du Château
les Compagnies des Gardes Françoises et
Suisses , en haye et sous les armes , les
Tambours appellant , et dans la Cour , les
Gardes de la Porte et ceux de la Prévôté
aussi en haye et sous les armes , à leurs
postes ordinaires. Il fut reçû au bas de l'escalier
par le Grand- Maître et le Maître
Hii des
800 MERCURE DE FRANCE
des Cérémonies ; les cent Suisses étant sur
l'escalier en habit de cérémonie , la Hallebarde
à la main , et à la porte et en dedans
de la Salle des Gardes , par le Duc
de Bethune , Capitaine des Gardes du
Corps , qui étoient en haye et sous les
armes.
Après l'Audience , le Roi passa dans
son Cabinet , où il fut suivi par le Nonce,
et S. M. vit les langes benits par le Pape ,
pour Monseigneur le Dauphin , qui sont
très- riches , et dont l'ouvrage est d'une
grande beauté. Ces Langes consistent en
trois langes , dont deux sont de drap écarlate
, brodez d'or en plein des deux côtez
, avec des fleurs de Lys , des Couronnes
et des Dauphins ; le troisième est de
Moire bleue et argent , brodé d'or , et
doublé de drap d'or : la bande est de même
étoffe , et brodée d'or avec des perles :
Les Chemises , Mouchoirs , &c. sont par
douzaines , et garnis des plus belles dantelles
d'Angleterre et de Malines , avec
une grande Couverture de Moire bleu et
argent , brodée d'or , avec des Trophées
et Attributs de l'Eglise : la Couverture
pour mettre sur le Berceau est de pareille
étoffe ; et brodée de même , ainsi que deux
grands oreillers de satin bleu brodé , dont
les glands sont d'or trait : la Corbeille dans
laquelle étoit le linge , est faite en forme
de
·
AVRIL. 1731. 801 ·
de Châsse , doublée de Damas bleu , brodé
d'or , et le tout enfermé dans deux
grands coffres de velours cramoisi , brodé
à galons d'or , dont les pieds , les ances et
les fermetures sont d'argent massif.
Le Nonce fut conduit à l'Audience de
la Reine , avec les mêmes cérémonies.
S. M. s'étant rendue chez Monseigneur
le Dauphin , le Nonce y alla , et dans
Audience qu'il eut de Monseigneur le
Dauphin , il lui présenta de la
part da
Pape , les Langes bénits par S. S. Après
avoir été traité par les Officiers du Roi ,
il fut reconduit à son Hôtel par M. Hebert
, dans les Carosses de L. M. avec les
cérémonies accoûtumées.
Le 20. les Députez des Etats de Bourgogne
eurent Audience du Roi , étant conduits
en la maniere accoûtumée par le
Marquis de Dreux , Grand-Maître des
Cérémonies , et par M. Desgranges , Maî
tre des Cérémonies. Ils furent présentez
à S. M. par le Duc de Bourbon ; Gouverneur
de la Province , et par le Comte de
Florentin , Secretaire d'Etat. La Députation
étoit composée de l'Abbé Moreau.
Doyen du Chapitre de l'Eglise Cathedrale
d'Auxerre pour le Clergé , qui porta
la
parole ; du Comte de Guitaud pour la
Noblesse et de M. Barrault , Maire de
Hy la
802 MERCURE DE FRANCE.
rs.
la Ville d'Autun , pour le Tiers Etat ; de
M. de Blancey , Secretaire de M. de Montigny
, Trésorier , et de M Ribou et Baron
, Syndics des Provinces de Bresse et
de Pugey. Ils furent conduits ensuite à
l'Audience de la Reine , et à celle de Monseigneur
le Dauphin , de Monseigneur le
Duc d'Anjou , et de Mesdames de France.
>
Le 25. la Loterie de la Compagnie des
Indes , pour le remboursement des Actions
, fut tirée en la maniere accoûtumée
, à l'Hôtel de la Compagnie . La Liste
des Numero gagnans des Actions et dixiémes
d'Actions qui doivent être remboursées
, a été rendue publique , faisant
en tout le nombre de 294 Actions ..
,
La Loterie établie par Arrêt du Conseil
du 29 Août dernier , pour le remboursement
des dettes de la Province de Languedoc
, fut tirée à Nismes dans la Grande
Salle des Etats , en présence des Commissaires
de S. M. et de l'Assemblée desdits
Etats les 9. 11 et 13 Janvier dernier..
Les arrérages ont été payez pour les trois.
premiers mois de cette année , avec le
remboursement des Capitaux à Bureau
ouvert , à Paris , à Toulouse , et à Monpellier.
On a imprimé ici la Liste des remboursemens
qui ont été faits par le Tré-
"
sorier
AVRIL. 1731. 803
sorier des Etats de ladite Province , suivant
les Numero gagnans de la Loterie.
Il paroît par cette Liste que la totalité
des Billets qui ont été tirez dans les trois
Séances est de 814. pour le remboursement
de 800932 livres 12 sols , huit deniers
, sur laquelle somme il a été retenu
12 pour cent , conformément à l'Arrêt
du 29 Août 1730.
M. Jeard , Premier Secretaire du Marquis
de Villeneuve , Ambassadeur de
France à Constantinople , après avoir
abordé à Toulon , et y avoir fait quarantaine
, arriva à Versailles au commencement
de ce mois , chargé d'une Lettre
du Grand Seigneur , dans laquelle Sa
Hautesse donne part au Roi de son Avenement
au Trône de ses Ancêtres , et d'une
Lettre du Grand Visir pour S. M. Il
fut présenté au Roi par le Cardinal de
Fleury , et il en fut reçû avec beaucoup
de bonté , après avoir rendu à Son Eminence
, une Lettre du Grand Visir.
BENEFICES DONNEZ.
L'Abbaye de Vigny , Ordre de S. Au-
,
gustin , Diocèse d'Autun vacante
par le décès de M. l'Archevêque de Sens ,
en faveur de M. d'Autichamp , Prêtre et
H vj Doyen
804 MERCURE DE FRANCE .
Doyen de la Cathedrale d'Angers.
L'Abbaye de Ferrieres , Ordre de S. Augustin
, Diocèse de Poitiers , vacante par
le décès de M. de la Boissiere , en faveur
de M. de Menou , Prêtre et Grand Vicaire
de Nantes.
L'Abbaye de Cagnotte , Ordre de Saint
Benoît , Diocèse de Cix , vacante par le
décès de M. de Digier , en faveur de
M. Prudent de Bouexie de Becdelievre
Prêtre au Diocèse de Nantes .
L'Abbaye d'Auberives , Ordre de Citeaux
, Diocèse de Langres , vacante par
le décès de M. de Champigny , en faveur
de M. de Fontenilles , Prêtre et Grand-
Vicaire d'Amiens .
و
>
L'Abbaye de Vierzon , Ordre de Saint
Benoît Diocèse de Bourges vacante
par le décès du dernier Titulaire , en faveur
de M. de Bernot de Chavent , Chanoine
Honoraire de la Cathedrale de
Bourges.
-L'Abbaye de Château- Landon , Ordre
de S. Augustin , Diocèse de Sens , vacante
par le décès de M. de la Grange , en faveur
de M. d'Aigreville de Millancour
son Diacre .
L'Abbaye Réguliere de S. Leger de
Soissons , Ordre de S. Augustin , vacante
par le décès de M. de Niceron , en faveur
de M. Jean René Biet , Prêtre et Reli
gieux dudit Ordre.
AVRIE 1731. 805
L'Abbaye de S. Loup , Ordre de Ci
teaux , Diocèse d'Orleans , vacante par le
décès de la Dame de Châtillon , en faveur
de la Dame Gabriel de Bouville , Religieuse
au Prieuré de Villervaux.
A M. HERAULT,
CONSEILLER D'ETAT ,
ET LIEUTENANT GENERAL DE POLICE
LE LYNX. Fable.
Au milieu des travaux , où brille ta prudence ,
Herault , je te demande un instant d'audiance ;
Daigne me l'accorder , et souffre que ma voix ,
Loin du monde et du bruit t'appelle dans les bois ;
D'autres pour acquerir l'honneur de ton estime ,
Pourront avec éclat prendre un essor sublime ,
Mon style manque d'art , mais sa simplicité ,
Sçait rendre à la vertu ce qu'elle a merité.
Certaine Chronique rapporte ,
Que dans une Forêt pleine d'Oiseaux divers
Et d'animaux de toute sorte ,
Entra jadis l'esprit pervers :
Aussi- tôt les larcins , les meurtres ,
Les trahisons , le brigandage ,
le
carnage ,
Y vinrent déployer leurs coupables fureurs ;
La
806 MERCURE DE FRANCE
La raison du plus fort emportoit la balance ,
Le vice triomphoit , la timide innocence ,
Perdoit ses soupirs et ses pleurs :
Sultan Lyon , dont l'ame genereuse ,
Souffroit avec chagrin de pareils attentats »»
Résolut d'extirper du sein de ses Etats ,
Cette licence dangereuse ;
Pour remplir un projet si beau ,
Il se servit du ministere
D'un Lynx qui suivoit le flambeau ,
De l'Equité la plus austere..
A son aspect les crimes confondus ,
Chercherent en vain un azile
Sa vigilance et ses soins assidus.
Rendirent la Forêt tranquille ;
Le Pigeon du Vautour méprisa la fureur ,
Et l'innocent Agneau vit le Loup sans terreur.
Sage Magistrat , cette Fable ,
N'a point l'obscurité des Enigmes du Sphynx ,
Paris de son repos à tes soins redevable ,
Verra facilement que ma Muse équitable ,
Ne songeoit qu'à toi seul en dépeignant le Lynx
I Par M.de Gastera..
FESTE
AVRIL 1735. 807
FESTE donnée à M. le Vicomte de
Polignac , à l'occasion de sa convalescence.
R
Ien n'est plus flateur pour un Maître
digne d'être aimé , que l'interêt vif
et sensible que prennent ses Domestiques
à tout ce qui les regarde ; ceux de M. le
Vicomte de Polignac ont témoigné leur
zele pour lui , non - seulement dans le cours
de la maladie de ce Seigneur, si justement
cheri et respecté ; mais encore ils ont célebré
sa convalescence d'une maniere qui
a charmé tous ceux qui en furent les témoins.
Leur zele et leur amour pour
leur Maître ont été leurs seuls guides.
Dimanche au soir 22. d'Avril , l'Hôtel
fut illuminé sur la façade du dehors depuis
le haut jusqu'enbas. Le Temple de
la Santé s'élevoit au fond de la cour dont:
les côtez étoient tendus de riches Tapisseries
; neuf Portiques formoient l'enceinte,
ornez de Guirlandes, Lustres , Giron
doles , &c. Au- dessous de chaque Pillastre
étoient les Armes de Polignac ; elles :
brilloient au fond sur le Portique du
milieu , dans un grand Tableau éclairé de
chaque côté de deux Piramides , de Lampions
,
ainsi que tout le corps du Plan ;
au bas on lisoit les Vers suivans de M. l'Abbé
de Neuville.
Enfin
808 MERCURE DE FRANCE
Enfin nos voeux sont exaucez ;
Le Ciel vous rend à nous; et pour nous c'est assez.
Agréez en ce jour notre public hommage ;
Vous en auriez de plus pompeux,
Si nous sçavions exprimer mieux ,
De notre coeur le vrai langage ;
C'est le coeur seul que demandent les Dieux ;
Nous ne sçaurions vous offrir davantage ;
D'autres que nous diront en Vers harmonieux
Par combien de vertus vous êtes estimable ,
Mais nous avouerons que les Cieux ,
Ne formerent jamais de Maître plus aimable.
Le tour de l'enceinte du Plan étoit chargé
et illuminé de fambaeux de cire blanche.
La Fête fut annoncée par une décharge
de quantité de Boëtes , suivie d'un Feu
d'artifice trés - bien entendu , et enfin
terminée par une seconde décharge de
Boëtes, le tout au bruit des Trompettes et
au son des Basses et des Violons , Le Peuple
fut ensuite admis au Bal et aux rafraîchissemens
qui durerent jusqu'à quatre
heures du matin.
L'Auteur et Conducteur de la Fête est
le sieur Chabanet de la Combe , qui en
cette occasion n'a pas moins manqué de
goût et d'intelligence que de zele et d'amour
pour son Maître.
A
MARS. 80-9
1731.
A M. J. D.
à
Amiens ,
Sur la rareté des Canards.
ONN dit ( mais je ne le puis croire )
Que chez vous les froids sont si grands ,
Que les Canards à triples rangs ,
Pour n'avoir pu trouver à boire ,
Ont fui si bien , qu'il n'est resté ,
Pas de quoi faire un seul Pâté .
Pour vous , si l'on dit vrai , la chose est affli
geante ,
Car enfin ne comptez de
vous porter si bien ,
Comme vous avez fait en l'an mil sept cens
trente ,
Si vous ne payez pas à C ... sa rente ;
C... de sa part pour vous ne fera rien.
L'an passé qu'il reçut l'honnête redevance ; ´
Par huit ou neuf de ses Supots ,
Tous gens à Janus fort dévots ,
Il fit faire pour vous des voeux en abondance ;
Le Temple de Bacchus en diroit verité ;
A votre intention mainte razade buë ,
Et tant que chez quelqu'un raison en fut perdue,
Vous auriez pour l'année acquis force santé .
Cet an- cy n'ira pas de même :
Sans que rien ait parú voici le Carnaval ,
Ma
810 MERCURE DE FRANCE
i
Ma foi craignez la mort ou la fievre au teint
blême ,
Si vous ne prévenez le mal ;
Hazard si vous allez jusqu'à la mi-carême.
XXXXXXX:XXX:XX:XXXXX*
MORTS , NAISSANCES ,
et Mariages.
Perétaire du Roi , Maison Couronne ,
Ierre Perrin , Ecuyer , Conseiller Se-
&c. Honoraire , Avocat en Parlement ès-
Conseils du Roi , mourut le 33. Mars ,
âgé de 75. ans.
Henry Doresmieux , Ecuyer , Avocat
au Parlement , Intendant de feuë Mada
me la Dauphine , et Chef du Conseil de
feu M. le Duc de Berry , mourut le 4.
de ce mois , âgé de 80. ans.
M. Augustin André , Ecuyer , Conseiller
Secretaire du Roi , Maison , &c. Conseiller
à la Cour des Aydes , mourut le
4: Avril , dans la 49. année de son âge.
Antoine le Prêtre , Chevalier , Comte
de Vauban , de Busseul et de Boyer , Marquis
de Magny , Seigneur d'Essertine
Moulins sur l'Arconse , Poisson , la Bastie
, & c. Lieutenant Général des Armées du
Roy , Grand Croix de l'Ordre Militaire
de S. Louis , Gouverneur des Ville et
ChâA
V RIL. 1731.
8ir
Château de Bethune , Ingénieur General
et Directeur des Fortifications des Places
d'Artois , mourut en son Gouvernement
le 10. d'Avril , universellement regretté.
On lui donna en entrant au service du
Roi en 1672. une Lieutenance au Regi
ment de Champagne en 1674. il eut
une Compagnie dans celui de Normandie
; il fut fait Brigadier d'Infanterie au
mois de Mars 1693. Maréchal de Camp.
en 1702. Lieutenant General en 1704.
Il commença à servir en qualité d'Ingénieur
en 1674. au Siége de Besançon où
il fut blessé de deux coups de de fusil , en
faisant le logement de la contrescarpe. It
servit ensuite avec le Maréchal de Vauban
son oncle , à tous ceux qu'il fit depuis..
Il suivit cet illustre Général dans presque
toutes les visites qu'il fit des Places du
Royaume , travaillant sous lui aux projets
de fortifications qui ont été execu--
tez sur ses desseins. Ce travail embrassoit
la construction de plus de soixante
nouvelles Places , et la réparation de plus
de quatre-vingt anciennes ; après cela '
il fut chargé de faire en Chef plusieurs.
Siéges à celui de Courtrai , en 1683 .
il fut blessé d'un coup de fusil à la main
droite , dont il est demeuré estropić .
:
Il servit en 1702. à la défense de Keservert
, sous les ordres de Monseigneur
le
>
812 MERCURE DE FRANCE
,
le Duc de Bourgogne. En 1703. au Siege
de Brisack , où il conduisit l'attaque de
la gauche , avec une approbation generale
, ce qui opera la réddition de la place.
En 1708. à la défense de l'Isle , sous les
ordres du Maréchal de Bouflers. Il défendit
en 1710. Bethune dont il étoit Gouverneur
у tint contre l'attente du Roi
et celle des deux armées , quarante deux
jours de tranchée ouverte quoique la
place fut petite , mauvaise , mal munie ;
et la garnison fort foible. En 1714. il fut
choisi par les Rois de France et d'Espagne
, pour faire en Chef, sous les ordres
du Maréchal de Bervick , le Siege de
Barcelone , où il reçut un coup de fusil
au travers du corps.
>
Malgré tous les périls où il a été expo
sé pendant ses longs services ; il a été de
bonne heure à la tête du Corps du Génie ,
et en a été long- temps le Doyen ; Il a
vû périr plus de 600. Ingenieurs. Il s'étoit
trouvé à 44. Sieges d'attaque ou de
défenses de Places , de Villes , de Citadelle
, ou de Châteaux , et à grand nombre
d'autres actions où il avoit reçû seize
blessures considerables. Il a perdu au
service du Roi , son pere , deux freres
un beau frere , deux oncles , et onze cousins
germains , ou issus de germains , ensorte
qu'il y a peu de famille dans le Royau
me
1
AVRIL. 1731. 813
me qui ait tant essuyé de feu , et répandu
tant de sang que llaa sienne , dont il ne
restoit que lui de son nom et ses deux
fils , dont l'aîné est guidon de Gendarmerie
, et le cadet Lieutenant au Regiment
du Roi , Infanterie.
M. Louis Teissier , ancien Fermier Général
, mourut à Paris le 12. de ce mois ,
âgé de 77. ans.
>
Jacques de Barberie , Chevalier Marquis
de Courteille Maître des Requêtes
honoraire , ci- devant Intendant d'Alençon
, et ensuite du Berry , décedé de
17. Avril , âgé de 56. ans.
•
Dame Marie Anne d'Espinay de S. Luc,
Epouse de M. François , Marquis de Rochechouart
, mourut le 24. de ce mois ,
dans la 58. année de son âge.
Frere Michel Forbin de Janson , Chevalier
Profez de l'Ordre de S. Jean de Jerusalem
, Commandeur de la Commanderie
de Borderes , du Prieuré de Toulouse
, et Brigadier des Armées du Roi , mourut
à Paris le même jour , âgé d'environ
60. ans.
Mlle des Barres âgé d'onze ans , a re
çûë les cérémonies du Baptême le deuxiéme
Avril , dans l'Eglise de S. Roch ,
et a été nommée Bonne Benigne , par
la Comtesse de Saint Chamans sa Grand-
Mere ,
314 MERCURE DE FRANCE
J
Mere , et par le Marquis de Baufremon ;
Chevalier de la Toison d'Or , Brigadier
des Armées du Roi. Elle est fille du
Comte des Barres , qui est d'une noble
et ancienne Maison de Bourgogne , et de
Judith de Saint Chamans , son épouse.
Le 6. Avril les Cérémonies du Baptême
furent suppléées à René Prosper , né
le 27. Mars précédent , fils de M. Jean
René de Longueil , Marquis de Maisons
et de Poissy , & c. Président à Mortier
du Parlement de Paris ; et de Dame Jeanne
Louise , Baüyn ' d'Argenvilliers. Il a
été nommé par M. Nicolas Prosper
Baüyn d'Argenvilliers , Ministre et Secretaire
d'Etat , et par Dame Charlote
Angelique Coursin veuve de M. Jacques
Roque , Seigneur de Varangeville, et
Ambassadeur du Roi à Venise .
>
Dame Louise Adelaide Sabligoton d'Epinay
, épouse de M. Guy , Louis , Charles
Delaval Montmorency , accoucha le
13. de ce mois d'une fille , qui fut tenuë
sur les Fonts , et nommé Louise
Adelaide Philippine , par L. A. S. Monseigneur
Louis Duc d'Orleans , premier
Prince du Sang , et par Mademoiselle
Philippine Elizabeth d'Orleans. La Cérémonie
fut faite en la Chapelle du Palais
Royal , par le Curé de S. Eustache.
Jean
1
AVRIL. 1731.
815
Jean Baptiste le Clerc , Seigneur de
Boisguiche , & c. épousa le 24. Avril Da
me Marie Therese le Bas de Givangis ,
fille de Louis le Bas de Givangis , Trésorier
des Gardes Françoises , et de Dame
Catherine Quentin.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
REPONSE à l'Epitre de M. Carrelet
d'Hautefeuille , imprimée dans le Mercure
de Janvier dernier , par Me de
Malcrais de la Vigne , du Croissic en
Bretagne.
Gent Cavalier, bien grammercî vous dis ,
Du soin courtois que votre veine a pris ,
De parfumer mes tendres Hirondelles ,
Du pur encens de ses mets trés-exquis.
Peut être même en passant iront-elles ,
Quelque matin , le Soleil paroissant ,
Sur la fenêtre ou sur la cheminée ,
Vous begayer d'un ton reconnoissant ,
Une Chanson longuement fredonnée ,
Dont pesterez dans votre entendement ,
Vous qui dormez la grasse matinée ,
Et maudirez leur aigu compliment.
Scachez pourtant qu'à mon ordre est allée,
Dans vos cantons cette Amdassade aîlée.
Par quoi j'ai cru qu'admonesté dûment ,
Ne leurs feriez sur ce querelle aucune ;
Ains
816 MERCURE DE FRANCE
Ains daignericz les traiter poliment.
Mais si de près voulez avec quelqu'une ,
Avoir Colloque ; oyez ; voici comment.
N'allez d'abord vous mettre en la memoire ,'
Que de Merluche ( 1 ) ou de telles Circez , ( 2 )
Ou d'Agrippa (3 ) j'entende le Grimoire.
Point n'ai porté sur mes doigts renversez ,
De Jacque Aimard ( 4 ) l'outil divinatoire ;
Point n'est en moi d'intelligence assez ,
Pour penetrer les sombres Clavicules , (s )
Dont on nous fait des contes ridicules,
Crus neanmoins de beaucoup d'insensez.
Onc n'ai tenté des routes inconnuës , ( 6 )
Dans la nuit brune allant les pieds graissez
Sur un balai galoppant par les ruës.
Tout le secret dont allez être instruit ,
N'est Art magique , ains chose naturelle .
Si voulez donc happer une Hirondelle ,
Marcher yous faut à pas comptez , sans bruit ;
Puis sur la queue un grain de sel lui mettre ;
1 ) Celebre Fée connue dans les Contes de
Ma d'Aunoy.
(2) Fille du Soleil ,fameuse Magicienne.
(3 ) Henry Corneille Agrippa , a fait des Livres
de Magie.
(4) Voyez la Baguette divinatoire de M. de
Vallemont.
(s )Livrefaussement attribué à Salomon .
(6) Contes que débitent les Vieilles de ce
Pays-cy.
Ainst
AVRIL. 817 1731.
Ainsi prendrez , j'ose vous le promettre ,
L'Oiseau sysdit , ou je perdrai mon nom.
Voyez qu'ici n'est aucun sortilege.
Les Croisiquois n'ont le vilain renom ,
(Je le proteste et m'en donne pour plége )
D'être Sorciers : bien sont- ils gens imbus ,
D'Arts Libèraux , forts sur les impromtus ,
Le sel piquant qu'exalent nos Salines , ( 1 )
Rarefié par petites bruines ,
Porte en leur sang cette vivacité ,
D'où germe en eux la cointe urbanité.
Quant au beau Sexe , il n'a d'autre Magic ,
Que l'air divin de ses appas charmans ,
Et les beautez d'un merveilleux génie.
Leurs yeux actifs sont les fins Négromans
Dont un regard prend et rend asservie ,
La liberté des moins tendres Amans
Mieux qu'aucun Philtre ; et ces aimables Muses ,
Comme chez vous ne sont pas des Méduses , (2)
Leur caractere est sur tout la douceur ,
Que suit de près la franchise de coeur.
Table de Jeu faite en façon gentille ,
Est leur Parnasse , et Cartes de Quadrille ,
Les Livres sont qu'elles ont dans les mains ,
Le fier Plutus ( 3 ) Dieu respecté de maints
( 1 ) Notre Péninsule est presque environnée
de Salines.
(2 ) Voyez les Metamorphoses d'Ovide.
(3) Plutus , Dien des Richesses,
I EC
18 MERCURE DE FRANCE.
Est l'Apollon , Fortune est la Minerve ,
Dont leur ferycur implore le secours ,
Les conjurant de seconder leur verve.
Point on n'y gronde , et chez elles toujours ,
Joyeuse humeur se voit entrer en danse ,
Fors quand du jeu la quinteuse inconstancë ,
Vient par malheur déranger leur finance ;
Mais il paroît qu'aux lieux d'où m'écrivéz ,
Ne sont par trop les Muses enjouées ;
Ains bien plutôt d'autre humeur sont dotées,
Quoi pour avoir dans mon cerveau trouvez ,
Tendres blasons ; leurs coeurs sont aggravez,
En contre moi ; les voilà dire émués
Et sur le champ Méduses devenues ,
Me menaçant faire un mauvais parti.
Siecles futurs , le pourrez- vous bien croires
Tel brin d'ouvrage être si mal lotti !
Ai-je appellé , le cas est-il notoire ?
Le Corbeau blanc et la Colombe noire à
O sort fatal ! si pour de galants Vers ,
Aller me font le capot à l'envers . રે
En outre , ô Ciel ! détournez-en l'augure;
Je meurs d'effroi , quand mon oeil se figure ;
Voir tout à coup leurs blonds cheveux changez
En longs Serpens de me mordre enragez.
Or desormais , ô prodige !ô merveille !
Comme il se lit de l'Eve de Milton , ( f )
(1) Voyez le Paradis perda de Milton.
Dormir
AVRIL.
$ 19 131.
Dormir s'en vont le Serpent sous l'oreille:
Hélas ! je songe au milieu du frisson ,
Qui me saisit , que déqualifiée ,
Toute ma chair est ja pétrifiée , (1 )
Ce nonobstant rappellant ma raison ,
Je vois qu'à tort crainte est chez moi montée ,
Car leur colere a beau s'être pointec ,
Pòur m'abîmer , leurs coups sont superflus ;
Jusqu'au Croissic n'en viendra la portée ,
S'étendra-t'elle aussi loin même , et plus
Que Pistolets , Fusils et Carabines ,
Que Fauconneaux , Canons et Couleuvrines .
Mais en lisant ces propos my gaulois ,
Monsieur , peut-être avez bâaillé six fois ,
Et souhaitez à la pauvre Rimeuse ,
Papier humide , ancre blanche ou bourbeuse ,
Plume essorée avec la goutte aux doigts ,
Puis ajoûtez , comme un certain Valois , ( 1)
Dit quelque part , que femmes sont verbenses s
Donc sans délai cette Epitre finis ,
Vous repettant mon Antienne premiere :
Des Vers qu'avez pour moi mis en lumieres
Gent Cavalier , bien grommerci vous dis.
(1 ) Méduse pétrifioit ceux qui la regar
deient.
(2) Henri de Valois disoit que les femmer
étoient werbenses. Voyez le Valesiana.
Tij AR820
MERCURE DE FRANCE
XXXXXXXXXXXXXXX
ARRESTS , DECLARATIONS
ORDONNANCES , &c.
RREST du 21. Novembre 1730. qui or-
Adonne que le sieur Jacques Auriol et ses
Associez , jouiront pendant dix années à commencer
au premier Janvier 1731. au lieu & place
de la Compagnie des Indes , du commerce de la
Côte de Barbarie , pour en jouir et y faire le
commerce exclusif , sous le nom de COMPAGNIE
D'AFRIQUE.
" DECLARATION DU ROY , concernant
les Scellez des Officiers Militaires. Donnée
à Versailles le 3. Février 1731. Registrée en
Parlement. Par laquelle S. M. établit un nouveau
Reglement pour prévenir toutes les difficul
tez qui pourroient survenir sur cette matiere.
ARREST du 11. Fevrier , portant . Reglement
pour les Toiles , Batistes et Linons qui se
fabriquent dans les Generalitez de Paris et de
Soissons.
AUTRE , du 13. Fevrier , qui ordonne que
les Acquereurs des Offices sur les Quais , Ports et
Halles de Paris , rétablis par Edit du mois de Juin
1730 seront mis en possession des fonctions et
Droits y attribuez , lorsque tous les Offices auront
été acquis ; que les acquereurs des Offices
d'une Communauté , dont la totalité n'aura point
encore été levée , jouiront seulement de la portion
AVRIL. 1731. 821
tion des droits attachez à leurs Offices ; et qu'en
attendant que la totalité des Offices de chaque
Communauté soit levée , Remy Barbier et ses
Cautions continueront la perception desdits droits
à la charge de payer tous les mois à chaque acquereur
d'Office la portion des droits à lui revenante.
DECLARATION DU ROY , sur les
Insinuations. Donnée à Versailles le 17. Fevrier
1731. Registrée en Parlement le 9. Mars , par
laquelle S. M. a . jugé nécessaire de rappeller les
dispositions des anciens Reglemens à cet égard, et
même de fixer d'une maniere encore plus précise
qu'il n'a été fait jusqu'à present, les Bureaux dans
lesquels les Insinuations des Donations entre-vifs
doivent êtres faites , &c.
ARREST du 5. Mars , qui regle la distribution
des fonds destinez au soulagement des pauvres
Maisons et Communautez de filles Religieuses
du Royaume.
AUTRE du 6. Mars , par lequel Sa Majesté
accorde une Loterie d'Etoffes de Soye , Or et
Argent , en faveur des Créanciers de Gazon -Galpin.
Et veut qu'elle soit , composée de 133000.
Billets de 3. livres chacun , et que les Lots desdites
Etoffes soient, en nombre proportionné,suivant
la division qu'il conviendra faire desdites
Marchandises , dont sera dressé un Etat visé du
Lieutenant General de Police. Ladite Loterie a été
ouverte le 19. Mars et doit être tirée pour la premiere
fois le 11. May suivant , et ensuite de mois
en mois . On a publié differens Avis pour
former le Public de la disposition de ladite Loterie
, avec un Etat des Marchandises qui doivent
la composer , et une Liste de ceux qui ont été
I j commis
in822
MERCURE DE FRANCE
commis par M. Herault , pour la distribution
des Billets.
2
2
ORDONNANCE DU ROI , du io . Mars
concernant les Cavaliers , Dragons et Soldats ,
qui aprés avoir obtenu leurs Congez absolus
voudront prendre de nouveaux Engagemens. Par
laquelle il est dit , que Sa Majesté étant informée
que la plus grande partie des Cavaliers , Dragons
et Soldats , qui sont dans le cas d'obtenir des
Congez absolus , aprés avoir rempli le temps de
leurs engagemens , au lieu d'en prendre de nouveaux
avec leurs Capitaines , lorsqu'ils ont intention
de continuer leurs services dans les Troupes
, en sont souvent détournez par les proposi
tions qui leur sont faites avant l'expiration desdits
Congez , par d'autres Capitaines de la même
garnison , pour les attirer dans leurs Compagnies
; Et voulant remedier à un abus égaleanent
contraire au bien de son Service , et à la
bonne intelligence qui doit regner entre les differens
corps et les Officiers dont ils sont composez
, 5. M. a défendu et défend très expressement
à tous Capitaines d'Infanterie , Cavalerie et
Dragons , d'engager et recevoir en leurs Compagnies
aucun Cavalier , Dragon ou Saldat des
autres Compagnies , avec lesquelles ils seront en
garnison , quoique porteur d'un Congé absolu ;
à peine ausdits Capitaines d'être cassez , et de
perdre ce qu'ils auront payé pour lesdits engagemens
, et ausdits Soldats , Cavaliers ou Dragons
, de continuer à servir dans la Compagnie
qu'ils auront quitté , pendant le temps porté par
leur nouvel engagement , et d'être punis comme
déserteurs s'ils s'en absentent sans Congé. Défend
pareillement Sa Majesté à tous Capitaines ,
quoique de garnison differente , de recevoir en
·
leurs
AVRIL. 1731. 823
Jeurs Compagnies aucun Cavalier , Dragon on
Soldat sortant d'une autre Compagnie avec Congé
absolu , pendant le temps d'un mois , à compter
du jour de la date dudit Congé : Permet Sa
Majesté , en cas de contravention , au Capitaine
de la Compagnie que ledit Cavalier , Dragon ou
Soldat aura quitté , de le reprendre en celle on it
aura passé avant ledir terme expiré , pour continuer
ses services en sa premiere Compagnie pen-
"dant le tems de son nouvel enrollement , ainsi
qu'il est dit ci-dessus , en restituant au nouveau
Capitaine la somme de trente livres seulement
pour le prix d'icelui. Veur au surplus , Sa Majesté
, qu'après ledit terme d'un mois passé , il soit
libre à tous Cavaliers , Dragons et Soldats por
teurs de Congez absolus , de prendre partie en
telle Compagnie qu'ils jugeront à propos , à
l'exception seulement de celles avec lesquelles ils
étoient en garnison lors de l'expedition de leurs
Congez absolus ; et à tous Capitaines étant en
garnisons , ou, quartiers differens , de les recevoir
en leurs Compagnies , sans pouvoir être repetez
sous quelque prétexte que ce puisse être , &c.
ARREST du Conseil du 17. Mars , concermant
la Discipline et la Police des trois Corps
de la Medecine .
Le Roi s'étant fait représenter les Arrêts de
son Conseil , des trois Juillet , vingt-cinq Octobré
mil sept cent vingt-huit , et onze Mars mil
sept cent trente-un , Par lesquels sa Majesté , pour
prévenir les dangereux inconveniens de la distribution
d'un nombre considerable de Remedes appellez
Specifiques et autres , qui se fait par diffesens
Particuliers , auroit ordonné qu'ils seroient
examinez , et auroit à cet effet choisi son prenier
Medecin et son premier Chirurgien , avec
I iiij
ceur:
824 MERCURE DE FRANCE
ceux des differens Corps de la Medecine , de la
Chirurgie et des Apotiquaires , qu'Elle a jugé les
-plus capables pour proceder à cet examen. Vu
PAvis du Sieur Herault , Conseiller d'Etat , Lieutenant
General de Police , Oui le rapport , Sa
Majesté étant en son Conseil , a ordonné et or
donne , que les Arrêts des 3. Juillet , 25. Octobre
1728. , et 11. Mars 1731. seront executez selon
leur forme et teneur , et en consequence ordonné
la
I. Qu'il ne sera à l'avenir expedié ni délivré
aucuns Brevets par son Premier Medecin pour
distribution des Remedes particuliers , qu'aprés
avoir été examinez à la Commission , et en conséquence
d'une Déliberation signée de tous ceux
qui la composent ; et que pour plus grande sûreté
dans l'usage desdits Remedes , les Maladies et
les circonstances ausquelles ils seront jugez applicables
, soient specifiez dans lesdits Brevets et
Privileges.
II. Ne pourront lesdits Brevets et Privileges
être accordez que pour le tems et espace de trois
ans , passé lequel temps , seront tenus ceux en
faveur de qui ils auront été expedicz , de les rapporter
, pour en obtenir le renouvellement , qui
ne sera délivré que sur les Certificats donnez par
les Medecins et Chirurgiens des lieux où lesdits
Remedes auront été employez , sur le bon effet
qu'ils auront produit ; Et en cas qu'aucuns desdits
Brevets on Privileges ayent été expediez pour
un temps indéfini , ils ne pourront avoir lieu que
pendant ledit temps de trois années , à compter
du jour de leur date , le tout à peine de nullité
mille livres d'amende applicable aux Hôpitaux
des Lieux , même de punition exemplaire contre
ceux qui auront , ledit temps passé , continué à
distribuer leurs Remedes sans avoir obtenu le
renouAVRIL.
1731. 825
renouvellement de leurs Brevets dans la forme
prescrite ci dessus. 2
III . Veut Sa Majesté que les Minutes desdies
Brevets et Privileges , ainsi que le Registre
qui en sera tenu ,
demeurent entre les mains du
Premier Medecin , pour y avoir recours en cas de
besoin.
2
IV. Et pour éviter toute surprise dans le Public
de la part des Distributeurs desdits Remedes
qui auront été examinez et approuvez , ordonne
Sa Majesté que l'Original des Affiches sera conforme
à la teneur des Brevets qui les autoriseront,
et visé du Premier Medecin , ou de tel autre qui
sera par lui préposé à cet effet à peine de cing
cens livres d'amende.
,
V. Ordonne Sa Majesté que son Premier Me,
decin sera tenu d'adresser un double Imprimé de
chaque Brevet ou Privilege , aux Doyens des Facultez
ou Aggregations de Medecine lesquels
auront soin de l'informer exactement du succès
ou des inconveniens desdits Remedes.
2
VI. Entend pareillement Sa Majesté , que lorsqu'il
arrivera des Maladies Epidemiques ou des
cas extraordinaires jusqu'ici inconnus soit en
fait de Medecine ou de Chirurgie dans la Ville
de Paris , il en soit donné avis à la Commission
par les Medecins ou Chirurgiens chargez du soin
des Malades , lesquels seront invitez , s'il est ainsi
jugé à propos , a venir faire le détail de ladite
Maladie ou desdits cas extraordinaires à ladite
Commission , à laquelle les Medecins et Chirurgiens
des Provinces seront pareillement tenus dans
les mêmes cas d'en envoyer le récit , qui sera
adressé au Premier Medecin , et qui contiendra
aussi la maniere dont les Malades auront été trai
tez , et du tout en sera tenu Registre , dans le
quel sera fait mention du progrès et de l'issue de
la
$26 MERCURE DE FRANCE
la Maladie ou desdits cas extraordinaires.
VII. Enjoint trés-expressément Sa Majesté
tous les Corps des Facultez de Medecine et d'Aggregations
du Royaume , ainsi qu'à tous les
Lieutenans du Premier Chirurgien , de dénoncer
ladite Commission tous Distributeurs de Remedes
, et Colporteurs qui ne se trouveront munis
d'aucun Brevet du Premier Medecin dans
la forme ci - dessus prescrite .
VIII. Et pour prévenir toutes sortes de contestations
et de procès entre les trois professions ,
des Medecins , Chirurgiens et Apoticaires en co
qui peut regarder les differens objets et la police
desdites Professions , veut Sa Majesté que ladite
Commission aprés s'être fait représenter les Statuts
et Reglemens , donne son Avis sur les difficultez
nées ou à naître , concernant l'exercice
la discipline et les limites de chacune desdites
Professions , pour , ledit avis vû et rapporté , y
être pourvû par Sa Majesté.
>
IX. Fait Sa Majesté défenses à tous Gouverneurs
et Magistrats des Villes dans les Provinces,
de permettre à des gens sans qualité comme
Operateurs ou autres , de distribuer et débiter aucuns
Remedes s'ils n'ont été approuvez de
la Commission , et qu'il ne leur soit apparu de
Pexpedition des Brevets ou Privileges dans les
formes 'ci dessus , &c.
AUTRE du 20. Mars , portant Reglement
pour le droit d'Amortissement des sommes données
aux gens de main- morte , à charge de fondation
perpetuelle , quoique sans stipulation
d'emploi.
ORDONNANCE du Roi
Mars , qui fixe à dix ans , la résidence des
du 21.
NégoAVRIL.
173.1 . 827
Négocians et Artisans François dans les Eschelles
du Levant et de Barbarie. Par laquelle S. M.
ordonne ce qui suit.
1. Les Négocians François , qui sont présentement
établis dans les Eschelle's du Levant et de
Barbarie , sur les permissions de la Chambre du
Commerce de Marseille , pourront y continuer
leur résidence pendant dix années , à compter du
jour que la présente Ordonnance aura été enregistrée
dans les Chancelleries de chacune desdites
Eschelles ; aprés lequel temps de dix années , Sa
Majesté enjoint ausdits Negocians de revenir dans
le Royaume , à peine de désobéissance , et aux
Consuls et Vice - Consuls de les y contraindre.
II. Les Negocians qui voudront à l'avenir passer
en Levant et en Barbarie pour s'y établir
prendront le Certificat de la Chambre du Cominerce
de Marseille , en la maniere ordinaire , er:
ne pourront résider que dix ans dans l'Eschelle
qu'ils auront choisie , lesquels dix ans ne compteront
que du jour de leur arrivée sur l'Eschelle
dont le Chancelier adressera son Certificat à ladite
Chambre,
III. Veut et entend Sa Majesté , que les dis
positions des deux précedens Articles ayent licu
et soient observées à l'égard des Artisans et gens
de mêtier , de quelque Profession qu'ils soient
lesquels se trouvent présentement établis dans les
Eschelles de Levant êt de Barbarie , au qui pourront
s'y établir dans la suite,
IV. Les Marchands et Artisans , qui après
avoir résidé en Levant et en Barbarie seront revenus
en France , ne pourront y retourner qu'à
prés un terme de cinq ans au moins , comp
ter du jour de leur départ desdits Pays.
V. Les Commis des Négocians ne seront point
soumis aux mêmes dispositions , pendant tout le
temps
828 MERCURE DE FRANCE.
temps qu'ils seront au service desdits Négocians
François , et qu'ils s'instruiront pour se rendre
capables de participer à leur commerce , et les
remplacer lors de leur retraite , ou en cas de mort,
ou de tout autre évennement.
VI.. Les Domestiques pourront demeurer chez
leurs Maîtres autant de temps qu'ils voudront
les garder ; mais lorsqu'ils leur donneront congé
, et qu'ils seront inutiles sur les Eschelles , les
Consuls les teront embarquer sur le premier bâtiment
destiné pour France.
AVIS.
On donnera dans peu de jours à ce Volu
me un fupplément qui est exacte , actuellement
sous Presse contenan: la RELATION
HISTORIQUE , éxecutée & détaillée
de la derniere Révolution arrivée à Constantinople
, faite en Turc , par un Effendi &
traduite en François ; avec plusieurs circ nstances
de ce grand Evenement , tirées d'autres
memoires fournis par des témoins oculaires,&c.
P
TABLE.
Ieces fugitives , Ode au Cardinal de Fleury ,
627
Réflexions sur Brutus , et sur le discours de M.
de Voltaire ,
Nouvelles de Paphos , Epitre en vers ,
632
656
suite
uite de la Réponse sur la gloire des Auteurs er
des Poëtes "
Paraphrase d'une Ode d'Horace
657
664
Memoire Historique sur les personnes illustres
du Comté d'Eu , & c.
L'Amour Musicien , Cantate ,
667
679
Lettres sur les derniers ouvrages du P. le Courrayer
, &c.
Conte ,
682
688
Réponse d'un Partisan de la nouvelle orthogra
phe , et du Bureau Typographique , à la lettre
d'un Grammairien , &c. ,
Le Lyon et la Brebis , Fable.
Souris nourrie par une Chate ,
Enygme , Logogryphes ,
692
701
704
706
Nouvelles Litteraires , des beaux Arts , &c. L'ar
ticle du P. Ramus , des Hommes Illustres ,
& c. 711
Observation sur une maladie causée par un ver
extraordinaire ,
Nouveau Théatre de l'Opera Comique ,
Nouveau Systême pour attaquer les Places
des Contremines , &c.
725
729
avec >
Histoire des insectes d'Europe , & c.
728
734
735
Recueil de tous les Ouvrages de M. de Launoy ,
&c.
Assemblée publique de la Societé Royale de
Montpelier ,
Sermon prêché devant le Roi ' , par
gui , &c
739
l'Abbé Se-
A 740
Dictionnaire imprimé à Constantinople , &c.
744
Histoire Generale des Pierres , des Mineraux et
des Pierreries , & c. ibid.
Musaum Florentinum. Le Cabinet du Grand Duc
& c, en Estampes , 745
Nouvelles Estampes de Watteau , et autres , 747
NouNouveau
Plan de Paris 748
Lettre au sujet d'un Saint inconnu , 749
Inscriptions anciennes , trouvées nouvellement
751
Ancien Temple d'Hercule découvert , &c. 71t.
Machine mouvante fort singaliere , &c.
Rentrée des Académies ,
75.2
753
Prix proposé par l'Académie des Sciences , 755
Nouveau Voleur ,
Reglement sur les Eaux Minerales ,
Eau sans pareille , Sel specifique , &c.
Memoire sur le mouvement perpetuel
Tableaux en petit point ,
Lanternes de Réflexion >
Chanson Notée ,
Spectacles ,
Idomenée , Opera remis , Extrait ,
757
758
760
762
763
764
766
768
771
Nouvelles Étrangeres. Turquie , Russie , de Pologne
, et de Danemarck , 780
d'Allemagne , d'Italie , d'Espagne , de Portugal
, d'Angleterre ; 782
Addition aux Nouvelles Etrangeres 787
Morts , Mariages , & Baptêmes , 790
Nouvelles de la Cour , &c. 794
Cérémonie du Parlement et de la Chambre des
Comptes , 795
Entré du Nonce , son Audience , et description
des Langes ,
798
Benefices donnez ,
803
Le Linx , Fable,
805
Fête donnée au Vicomte de Polignac , 807
Vers sur la rareté des Canars ,
Morts , Naissances , et Mariages ,
Réponse de Mile de Malcrais de la Vigne
M. Carelet ,
Arrêts Notables , Déclarations , &c.
Avis sur la Relation de Constantinople ,
809
810
M
816
822
830
Errata
Errata de Mars
Age 485. ligne 29. Montour lisez Mautour.
Pr. 16. 1. 28. précédé , l. ils sont précédez.
P 539; L. 2. coutumes , 1. fortunes.
P. 541. 1. 9. simple , L. seule.
P. 43. 1. 23. il est ,
1. c'est.
P. 148. 1. 20. font , l. sont.
P. 55o. 1. 9. l'échauffent , 1. l'étouffent;
190. 1 15. Altique 1. Attique,
P. 197. 1. 20. Cuproglie
1. Cuprugli
P, 620. l. 17. sacite
1. tačite.
Fautes à corriger dans ce Livre.
Page 673. ligne 41. 1409. l. 14. 9. P. 703. 1. 24. Dain , /. Dam.
P. 706. I. 4. fait , l. lait.
P. 707. 1. 20. enchiffrez , 1. et chiffrez.
L'dir noté doit regarderin page 788
LISTE DES LIBRAIRES
qui débitent le Mercure dans les
Provinces du Royaume , &c.
A Toulouſe , chez Enaut & Foreſt.
Bordeaux , chez Raymond Labottiere , chez
Etienne Labottiere , & chez Chapui , fils
au Palais, & à là Pofte.
Nantes , chez Julien Maillard , & chez du
Verger. S
Rennes , chez Jofeph Vattar , Julien Vatar ,
Guillaume Vatar , Jouanet Vatar & la veuve
Garniet.
Blois , chez Maffon.
Tours , chez Maſſon.
Roüen , chez Herault.
Châlons-fur-Marne , chez Seneuze
Amiens , chez la veuve François , Godard &
Redé le fils.
Arras , chez C. Duchamp.:
Orleans , chez Rouzeaux .
Angers , chez Fourreau & à la Pofte.
Chartres , chez Fetil , & chez J. Roux.
Dijon , chez la veuve Armil , & à la Pofte
Verfailles , chez Pigeon.
Befançon , chez Briffaut , & à la Pofte.
Saint Germain , chez Doré.
Lyon , à la Pofte.
Reims , chez Godard.
A Vitry-le-François , chez Vitalis.
Beauvais , chez De Saint.
Douay , chez Willerval.
Charleville , chez P. Thefin.
RELATION
HISTORIQUE ,
EXACTE ET DETAILLEE ,
De la derniere Révolution arrivée à
Constantinople, écrite d'abord en Turc
par un Effendi ; avec plusieurs circonstances
de cet Evenement , tirées d'autres
Memoires.
SUPLEMENT
DU MERCURE DE FRANCE ,
du mois d'Avril 1731 .
Ony a joint une Lettre sur les differentes
Pêches qui se font en Egypte , un Memoire
sur les Villes de la Mecque et de Medine
et quelques Pieces de Poësie.
Chez
A PARIS ,
TGUILLAUME CAVELIER,
ruë S. Jacques , au Lys d'Or.
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conty,
à la descente du Pont-Neuf , au coin
de la rue de Nevers, à la Croix d'Or .
JEAN DE NULLY , au Palais ,
à l'Ecu de France et à la Palme.
M. DC C. X X X I.
Avec Approbation & Privilege du Roy:
XXX:XXXXXXXXXXXX
L
A VIS.
' ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU , Commis au
Mercure , vis - à - vis la Comedie Françoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour
les faire tenir.
On prie très-inftamment , quand on adreffe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
oin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
oujours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non-feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiterant
avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , de les faire porter fur
Pheure à la Pofte , ou aux Mi fageries qu'on
lui indiquera.
PRIX XXIV . SOLS.
>
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AV
ROT.
RELATION
HISTORIQUE ;
exacte et détaillée de la derniere Révolution
arrivée à
Contantinople ; écrite d'abord
en Turc par un Effendi , avec plusieurs
circonstances de cet Evenement , tirées
d'autres Memoires.
L
A décadence des affaires enPerse ,
faute par le Grand Vizir Ibrahim-
Pacha , d'y avoir fait passer
des secours tels que les conjonctures le demandoient
, et l'oppression dans laquelle
le peuple gémissoit depuis long-temps par
les vexations des Ministres , ou de ceux
qui les exerçoient sous leur autorité et
par
l'établissement de plusieurs Impôts
jusqu'alors inconnus en Turquie , sont
A lcs
830 MERCURE DE FRANCE .
les deux causes principales de la Révotion
arrivée le 28. Septembre 1730.
Ce jour qui répond à l'année de l'Egire
1143. le 13. de la Lune de Rebiul Euvel,
un Jeudi à 9. heures du matin , Patrona-
Kalil, (a ) de Nation Albanoise, et quelques
autres gens sans aveu et de la lie du peuple
de Constantinople , comme Mouslouh
Emir- Ali , &c. produisirent ce grand
Evenement , qui par ses circonstances
mérite d'être transmis jusqu'aux siecles
les plus reculez ; il peut servir d'exemple
aux personnes revêtues d'éminens Emplois
, pour leur apprendre que quelques
élevez qu'ils soient , ils ne doivent jamais
perdre de vûë le vil état d'où on les a
tirez , (b) et que le dépôt du Gouvernement
de l'Empire leur étant confié , ils
doivent se comporter d'une maniere à s'attirer
l'approbation generale , comme s'ils
étoient toûjours environnez de vengeurs
de leur mauvaise administration , tels que
Patrona et ses Adhérans , qui tout inca-
(a) Il avoit été autrefois Leventy , c'est- à- dire
Soldat de Marine , et avoit servi sur le Vaisseau
la Patrone , d'où lui est venu le sobriquet de
Patrona. Depuis quelque temps il étoit Jannissaire
, ainsi que Mousloub et Emir- Ali.
(b) L'auteur fait cette refléxion , sur ce que n'y
ayant presque point de Noblesse en Turquie , ce
sont communément des gens de rien qui parvien
nent aux plus grands Emplois.
pables
AVRIL. 1731 . 831
pables qu'ils paroissoient d'une haute
entreprise , ont pourtant forcé le Sultan
Achmet III . d'abandonner le Trône de
ses Ancêtres.
Patrona-Kalil avoit merité plusieurs
fois la mort par ses actions de scelerat.
Il étoit âgé de 40. à 45. ans , de moyenne
taille , dégagée et bien prise , la mine
haute et fiere , portant moustache noire.
Mouslouh , et Emir- Ali , ne valoient pas
mieux que lui ; cependant ces hommes
si méprisables en apparence , tramant
depuis long-temps les moyens d'exciter
le peuple à la révolte , enfin parvinrent à
l'execution de leur dessein execrable . (a)
Voici comme ils s'y prirent.
Ils s'attrouperent d'abord en petit nombre
près d'une Fontaine dans la grande
Place qui est devant la Mosquée de Sultan
Bajazer ; là ils convinrent entr'eux de
se diviser en trois troupes , dont l'une iroit
au Bezestin , qu'elle traverseroit ; l'autre
sortiroit par la Porte de Bacché- Capi ; (b)
la troisiéme par la ruë de Divan Joleu, (c)
(a) Il paroît par cette expression et plusieurs
autres qu'on trouvera dans la suite , que l'Auteur
Turc n'approuve pas la Révolte , quelque bien
qu'elle ait apporté à l'Etat.
(b) Porte de Constantinople , appellée Porte
du Jardin .
(‹) C'est la grande ruë qui conduit au Serrail ,
A iij et
32 MERCURE DE FRANCE
et qu'ensuite elles se joindroient toutes
trois à la Place d'Etmeïdan. (a )
Cet arrangement pris , la Troupe de
Patrona - Kalil , partit la premiere ; ils
avoient un petit Drapeau déployé , le
Sabre à la main , et crioient par tout où ils
passoient , que les Marchands et Artisans
fermassent leurs Boutiques , et que tout
bon Musulman suivît leur Enseigne à
Etmeïdan , où l'on avoit à leur communiquer
de justes prétentions contre le Ministere
présent ; les deux autres Troupes
en ayant fait de- même dans la route qui
leur étoit prescrite , l'allarme se répandit
bien- tôt par tout Constantinople , les
Boutiques furent fermées , et la plus grande
partie des Turcs qui les occupoient
au lieu d'aller au rendez - vous , furent
se cacher dans leurs maisons , (b) ainsi
que les Chrétiens et les Juifs.
Le Grand -Seigneur et le Grand- Vizir
étoient au Camp de Scutary pendant ces
troubles naissants : Mustapha , Capitaneu
se tient le Divan du G. S. d'où elle tire son
aom , comme qui diroit la rue du Conseil.
(4) Etmeidan est une grande Place sur laquelle
donnent les Cazernes des Janissaires , et où on leur
distribue la viande.
(6) La plupart des Marchands et Artisans en.
Turquie , ne logent pas au même endroit où sont
Jeurs Boutiques,
Pacha
AVRIL. 1731 833
Pacha et Kaïmakan , qui en cette derniere
qualité devoit être instruit à porter un
prompt remede , se trouvoit près des Châteaux,
dans le Canal de la Mer Noire,à une
de ses Maisons de Campagne , où il s'amusoit
à faire planter des Oignons de
Tulipes ; et le Reys- Effendy , Secretaire
d'Etat , étoit pareillement à une de ses
Maisons du même Canal , où livré à son
indolence naturelle , il traitoit de bagatelles
ou de fable tous les avis qu'on venoit
lui donner de ce qui se passoit à
Constantinople ; de sorte qu'il n'y avoit
alors dans la Ville aucun Grand d'une certaine
autorité , pour y rétablir l'ordre ,
que le Janissaire Aga et le Kiaya du G.V.
Ce dernier ne fut pas plutôt averti de
l'émeute , dont il avoit plus lieu que
personne de redouter la fureur , que perdant
la tramontane , il fut s'embarquer à
P'Echelle la plus prochaine de son Palais,
et s'enfuit à Eyoup dans le fond du Port.
Quant aù Janissaire Aga , homme
venerable par son grand âge , il assembla
d'abord sa Garde ordinaire , se mit
à la tête et courut au-devant des Rebelles
, pour tâcher de les dissiper ou de
les ramener par la douceur ; mais voyant
qu'il ne faisoit que les aigrir davantage ;
que sa propre Garde , bien loin d'être disposée
à le seconder, murmuroit de ce qu'il
A iiij
ne
834
MERCURE
DE
FRANCE
.
ne se rangeoit pas de leur côté comme
ceux - cy l'y invitoient , et quelqu'un l'étant
venu avertir qu'une autre Troupe
de Séditieux marchoit droit à son Palais.
pour le piller , il ne songea plus qu'à sa
sureté personnelle ; il s'esquiva dans la
foule , se travestit , s'embarqua dans un
Bateau à une seule paire de Rames , afin
d'être moins reconnu et passa à Scutary ,
où il fut s'enfermer secretement dans une
maison qui lui appartenoit , sans informer
de rien le G. V.tant il avoit peur que
ce Ministre ne le fit mourir sur le champ,
pour n'avoir pas prévenu et étouffé dans
sa naissance ce soulevement.
Cependant les Rebelles ayant le champ
libre , leur nombre croissoit à vûë d'oeil;
ils entraînoient comme un Torrent tous
les Turcs qu'ils rencontroient , menaçant
de tuer ceux qui refuseroient de les suivre,
comme effectivement ils en massacrerent
plusieurs qui aimerent mieux mourir
fideles que de vivre traitres à leur
Souverain . Ils forcerent les Prisons et se
firent des Compagnons de fortune d'autant
de Turcs criminels qu'ils y trouverent.
D'ailleurs beaucoup de gens , qui
quoiqu'animez de leur même esprit ,
n'avoient pourtant encore osé se déclater
, n'hesiterent plus à se rendre sous
leurs Drapeaux , dès qu'ils virent des.
com
A V RIL. 1731. 833
mencemens si favorables et si prompts.
Or le feu de la sédition avoit déja fait
de grands progrès avant que le G.V. en fut
instruit,ceux qui étoient venus dans la matinée
de Constantinople à Scutary , et qui
n'avoient vû , pour ainsi dire, que les premieres
étincelles de ce grand incendie ,
lui ayant seulement rapporté que quelques
Bandits s'étoient battus devant le
Bezestin , sur quoi les Marchands naturellement
peureux, avoient pris l'épouvente,
et fermé leurs Boutiques ; mais que le Janissaire
Aga y étant accouru avec da
monde , les avoit fait r'ouvrir, avoit écar
té la canaille , et qu'il n'y avoit plus rien
à craindre. Ensorte que le G. V. trompé
et tranquillité par ces faux rapports , ne
sçût au vrai la cho e que vers les 4. heures
après midy , que le Mufty , le Kaïmakan,
le Kiaya et d'autres principaux Ministres
ou Officiers , vinrent à Scutary lui en faire
le funeste détail
Le Kaïmakan sur tout cherchant à se
disculper , lui dit qu'ayant appris le tumulte
entre 10 et 11. heures , il étoit
venu à Constantinople et qu'aussi - têt
il avoit monté à cheval pour rétablir la
tranquillité , mais qu'à mesure qu'il
faisoit r'ouvrir les Boutiques , les Rebelles
qui le suivoient , les faisoient re
fermer , et que n'étant soutenu d'aucu-
A v ne
836 MERCURE DE FRANCE
nes Troupes pour réprimer leur insolence,
il avoit été obligé de se retirer.
On tint Conseil sur le champ ; mais les
avis y furent si divers et si débattus , qu'il
dura jusqu'à l'entrée de la nuit , et qu'on
n'y résolut rien , sinon d'en aller tenir un
autre chez le G.S. Le résultat de celui - cy
fut qu'il falloit que Sa Hautesse et toute
sa Cour passassent à Constantinople où
l'on seroit plus à portée de remedier à
tout.Pour cet effet on envoya chercher une
Galere , sur laquelle s'embarqua le G. S.
et le G. V. le reste de la Cour les suivit
dans des Caïques , et tous furent débarquer
à minuit à l'Echelle de Top- Capy ,
qui est à la pointe du Serrail..
Le Sultan étant monté à la Kasoda ou
Chambre Imperiale , s'assit dans un coin
du Sopha , d'où il pouvoit entendre tout
ce qui se disoit dans un Appartement voisin
, où le G. V. les autres Ministres , les
Gens de Loy et autres Grands de l'Empire
s'assemblerent déliberer de nouveau
sur le parti qu'il y avoit à prendre dans
une si pressante extrémité ; mais les sentimens
y furent encore plus partagez
qu'au premier Conseil , et l'heure fatale
marquée par le sort pour la fin de
leur Regne étant venu , leurs délibepour
Fchelle du Canon , parce qu'il y en a là em
Baterie,
rations
A VRIL. 1735. 837
rations n'aboutirent qu'à précipiter leurs
destinées ; ils convinrent cependant tous
unanimement à la fin , que le nombre des
Rebelles n'étant pas encore assez.considerable
pour que l'on ne pût esperer de
les mettre à la raison , il falloit avant qu'ils.
se multipliaffent davantage , leur opposer
un Corps de Troupes , et les aller attaquer.
Quoique cet avis fût peut- être le meilleur
, s'il avoit été suivi sans differer , le
G. S. avant de s'y rendre , voulut tenter
une autre voye. Dès qu'il fut jour Sa Hautesse
envoya un Bach Asseski ( c'est un
des principaux Officiers du Corps des
Bostandgis ) à Etmeïdan , ordonner aux
Rebelles de se retirer et les menacer qu'on
feroit main-basse sur eux s'ils n'obéïssoient
promptement. Ils répondirent sans.
marquer la moindre crainte , qu'ils s'étoient
assemblez pour le bien et l'honneur
de l'Etat ; qu'ils avoient des représentations
équitables à faire à leur Émpereur
, et qu'ils ne quitteroient point les
armes qu'on ne leur eût rendu justice.
Sultan Achmet , indigné d'une réponse
si audacieuse , s'emporta fort contre le
G. V. ce qu'il avoit déja fait la veille , et
Paccusa de nouveau d'être la cause de
tout ce desordre . Le Ministre s'en disculpa
et en jetta , comme il avoit déja fait , la
A vj faute
838 MERCURE DE FRANCE
faute toute entiere aussi sur le Kaïmakans
il accabla même ce dernier des reproches
les plus durs en presence de Sa Hautesse ,
vers laquelle se tournant tout d'un coup :
Seigneur, lui dit-il avec transport , souffriras-
tu qu'une ame si vile et qu'un miserable
tel que celui- cy jouisse encore de la
lumiere.
Le Sultan frappé de ce qu'il venoit d'entendre
fit aussi- tôt arrêter le Kaïmakan
puis prenant un ton plus radouci , donna
divers ordres au G. V. sur la situation
des affaires ; l'habile Ministre qui les jugea
impraticables ou inutiles à suivre ,
lui répliqua sans s'amuser à combattre
ses sentimens : Seigneur, dans la crise où se
trouve l'Empire , je ne vois que deux choses
à hazarder, ou que Sa Hautesse se mette
elle-même à la tête de sa Maison et aille
fondre sur les Rebelles , étant persuadée que
sa seule presence pourra les désunir et les déconcerter
, ou qu'elle me permette d'y aller à
sa place , me flattant que je suis assez aimé
des Troupes pour me faire un Party considerable
dès que je paroîtrai.
Le craintif G. S. n'ayant goûté ni l'une
ni l'autre de ces propositions , essaya
vainement de s'attirer du secours du dehors
; il fit déployer le Sangiak- Cherif *
J
* C'est-à- dire le saint Etendart , qui selon les ,
Turs , fut apporté du Ciel à Mahomet par l'Ang
ge Gabriel.
AVRIL. 1737. 83
à la porte du Serail , et fit crier du haut
des murailles que tout Soldat qui voudroit
venir sous cette Baniere pour aider
l'Empereur à soumettre les Rebelles , auroit
30. écus de gratification et qu'on
lui augmenteroit sa paye de deux Aspres *
par jour.
Ces belles promesses ne gagnant le coeur
de personne , il fallut en revenir , mais,
trop tard , au dernier projet du Conseil ,
qui étoit , comme on a dit , de former un.
Corps deTroupes . On choisit les Bostangis
par préference à toute autre Milice
non-seulement parce qu'ils sont les gar
diens naturels du Serail , mais aussi parce
que les Ministres avoient toûjours eû.
quelques égards pour eux, au lieu que les.
Janissaires , les Spahis , les Tobgis et
Dgebedgis , ayant été maltraitez ou méprisez
( sur tout par le Kyaya , qui pendant
son orgueilleuse prosperité les avoit
menacés plusieurs fois en public de les
détruire entierement ) on ne devoit pas.
esperer d'en tirer beaucoup de secours.
dans cette occasion ..
2.
On s'adressa donc aux Bosdtangis , mais.
quand il fut question de les assembler
ceux sur qui l'on pouvoit compter pour
une action de vigueur s'étoient cachez ,
ou avoient pris la fuite , de maniere que
L'Aspre vaut deux Liards.
ne
840 MERCURE DE FRANCE .
ne se trouvant plus que des enfans , des
malingres , ou des gens sans courage , incapables
de faire tête aux Rebelles , on
vît bien qu'il falloit se tourner d'un autre
côté. On jetta les yeux sur le Corps de la
Marine , et le G. S. ayant honoré de la
Charge de Capitan Pacha Abdi- Capoudan
, qui avoit la Charge de Maître du
Port de Constantinople , homme de résolution
; il l'envoya à l'Arsenal pour s'y
faire reconnoître en cette qualité : on lui
tira à cet effet cinq coups de Canon de ce
lieu , et tous les Vaisseaux arborant leur
Pavillon , lui en tirerent chacun un. Ce
nouveau General de la Mer, pour donner à
son Souverain des preuves de sa reconnoissance
et de son zele , ordonna aux Galeres
de se rendre à la pointe du Serrail , et fit en
même-tems battre la Caisse au nom du G.S.
›
en'
Cette opération cut d'abord assez
de succés et l'on avoit déja débarqué
au Sérrail environ 300 Leventis , ou
Soldats de Marine , lorsque Patrona Kalil ,
tombant tout à coup sur l'Arsenal
chassa le Capitan Pacha , et fit sçavoir aux
Léventis que s'ils embrassoient la deffense.
de la Cour , il ne leur feroit aucun quar-`
tier , et qu'il brûleroit tout à la fois leurs.
maisons , les Vaisseaux et les Galeres de Sa
Hautesse. Ces menaces firent de si fortes:
impressions sur les Soldats de la Marine ,
que
AVRIL. 1731. 841
que ceux qui alloient encore au Serrail
pour s'enroller , s'en retournerent , et la
plûpart de ceux qui y étoient déja , et qui
avoient reçû chacun 25 écus de présent ,
trouverent le moyen de s'évader de côté
et d'autres , sous divers prétextes .
Patrona- Kalil se ressouvenant qu'il avoit
été autrefois condamné à mort , pour un
assasinat , lors qu'il étoit Léventis sur le
Vaisseau que commandoit alors le même
Abdi - Capoudan , et que cet Officier lui
avoit sauvé la vie , saisit cette occasion
pour lui en marquer sa gratitude : il le fit
revenir à l'Arsenal , le rétablit dans sa di
gnité de Capitan- Pacha , et l'assura de sa
protection ; mais il emmena avec lui le se
cours que ce dernier avoit destiné au Sultan
, et l'augmenta de tous les malfaiteurs.
Turcs qui etoient , tant dans le Bagne
lieu où l'on enferme la Chiourme , que
sur deux Galères , d'où il les retira , et à
la faveur desquels , contre son intention
plusieurs Esclaves Chrétiens se sauverent ;
si bien que Sa Hautesse se voyant totalement
frustrée de ses esperances du côté
des armes fut obligée d'avoir recours à
la négociation.
J
د
On n'entrera point ici dans le détail de
toutes les allées et venues des Agens de
l'Empereur et de Patrona , non plus que·
des menaces verbales et par écrit , qui fu
rent
42 MERCURE DE FRANCE
›
rent faites de part et d'autre durant ces
jours de discussions intestines , mais nous
renfermant à rapporter l'essentiel de tout
cela , nous dirons que le vendredy , vers
le soir , S. H. renvoya le Bach- Assekу
un des principaux Officiers des Bostangis
demander aux Rebelles ce qu'ils voufoient
> et quelles étoient leurs intentions.
Ils répondirent qu'ils prioient le
Sultan de leur faire remettre en vie le
Mufty , le G. V. Ibrahim-Pacha , avec
Mustapha-Pacha , Caïmacan , et le Kyaya
Mehemel , tous deux Gendres du G. V.
et qu'à l'égard de S. H. ils étoient trèssatisfaits
de son Régne , et lui souhaittoient
toutes sortes de prospéritez .
Le G. S. sur cette réponse , fit arrêter le
Kyaya ; que l'on consigna aux Bostangis
, comme on leur avoit déja consigné
Te Kaïmacam ; pour le Mufty et le G. Vizir
, le Bach Assesky eut ordre de retourner
vers les Rebelles , et de leur dire que
le Sultan alloit déposer et exiler ces deux
Ministres ; qu'il les prioit de vouloir bien
se contenter de cette punition , et ne pas
exiger qu'on les privât du jour , en reconnoissance
de ce qu'il leur livreroit les
deux autres pour en faire ce qu'ils jugeroient
à propos .
Le Bach-Asseky rapporta , que les Rebelles
se contentoient bien de la déposition
AVRIL. 1731. 843
tion et de l'éxil du Mufty , mais qu'ils persistoient
à vouloir le G. V. L'Empereur ,
malgré son affection pour ce Ministre
qui d'ailleurs étoit son Gendre , voyant
après avoir tenu plusieurs conseils avec
les Gens de Loy , qu'il ne pouvoit le sauver
sans risquer de se perdre lui- même
lui envoya demander son cachet par le
Kislar Aga, et le fit ensuite conduire dans
l'Appartement qu'on nomme Musafir-
Oda , ( ou Chambre des Etrangers ) sans
lui faire aucun mauvais traitement. Cela
arriva le Samedy à midy , et la Charge
de G. V. demeura vacante depuis ce moment
jusqu'à 9 heures du soir , que S. H.
en honora Mehemet - Pacha , aussi l'un
de ses Gendres. Il avoit été Selictar- Aga ,
ou Porte-Sabre du G. S. et étoit sorti depuis
peu du Sértail avec la qualité de Vizir
à trois queues , qui le faisoit conseiller
cubé ou de voute , c'est - à- dire , qu'il
avoit séance au Conseil qui se tient dans
un lieu vouté.
Pendant que tout étoit en agitation dans
le Sérrail , fes Rebelles n'étoient pas oisifs
dans la Ville ; ils détachercnt plusieurs
partis , dont les uns furent piller quelques
maisons de proscrits , ( c'est- à- dire de
ceux qui avoient eu directement ou indirectement
quelque part au Ministere )
entr'autres à Galata , celle du Vaivode →
on
844
MERCURE
DE
FRANCE
où ils trouverent beaucoup d'argent
qu'ils jetterent par les fenêtres , ainsi que
tous les meubles , disant que des Musulmans
ne devoient pas profiter des rapines
et des extorsions que cet indigne Officier
avoit fait sur les Dgiaours , ou Infideles ,
& comme c'étoit leur bien , qu'il étoit
juste qu'ils le reprissent , effectivement
nombre de Grecs et d'Arméniens et de
Juifs ramasserent ce qu'ils voulurent
sans que les Turcs s'y oposassent ni prissent
rien pour eux .
2
D'autres furent crier de nouveau par les
rues , car ils avoient déja crié , sur les me
naces que le G. S. avoit faites , d'appeller
ses sujets Chrétiens à son secours , ) que
pourvû queles Infideles nes'attroupassent
point , et qu'ils se tinssent tranquillement
chez eux , il ne leur seroit pas fait le
moindre tort , et cela s'observa religieusement
en general. Patrona ayant exigé
par serment de tous ses Camarades , qu'ils
ne commettroient aucun excès , il y cut
pourtant quelques coquins qui le fausserent
, mais ceux que l'on reconnut ou que
l'on prit sur le fait furent punis de mort
par
l'ordre même des Chefs de la rebel-
* Cette Charge réunit les fonctions de Gou
verneur et de Lieutenant de Police , le Vaivode de
Galata étend son distric jusqu'à la Mer Noire , le
long de la côte d'Europe.
lion.
AVRIL. 1731. 845
fion. Ils firent publier aussi que les Boutiques
où se débitent les choses necessaires
à la vie fussent toujours ouvertes , et
si bien garnies , que cette Capitale du
monde et ses vastes Fauxbourgs ne souffrissent
aucune disette .
Quoique toutes les Milices fussent dèslong-
tems révoltées dans le coeur , cependant
les deux premiers jours de la sédition
, il ne paroissoit pas que les Jannissaires
, les Topgis et Dgebedgis y rempassent
, du moins ouvertement , affectant
au contraire une espece de neutralité , qui ,
à la verité , ne les excusoit pas envers leur
Souverain.
,
Mais les Rebelles s'étant emparés du
Dgebe-Kané, ils se partagerent en deux
bandes , les uns furent inviter les Jannissaires
à se joindre à eux pour les aider
leur dirent- ils , à consommer une entreprise
aussi utile et aussi glorieuse à l'Empire
qu'étoit celle qu'ils avoient commencée
, tandis que les autres étant passez
à
Top-Hana, sollicitoient la même union auprès
des Topgis , et Dgebedgis ; ces differens
corps firent mine quelque tems par
un reste de bienséance , de ne vouloir pas
se prêter à leurs instances réïterées , mais.
* Gebé- Cavé , Magazin proche le Serail , on
sont les poudres , le plomb , et autres munitions,
de Guerre.
846 MERCURE DE FRANCE
y cédant à la fin ils y consentirent , a
moins tacitement.
Les Rebelles qui n'en demandoient pas
davantage , entrerent alors dans les Odas,
ou chambres des Cazernes de ces Troupes
,
d'où ils enleverent sans obstacle , les
tentes , les grandes marmites , et autres
ustanciles qu'ils transporterent à la place
d'Etmeïdan , où ils dresserent un Camp
dans les formes . Bientôt après , les Jannissaires
et les autres Milices les suivirent ,
faisant pourtant toujours semblant d'y
être forcez , quoiqu'ils courussent à l'envi
les uns des autres , pour arriver des premiers
au lieu de l'Assemblée , excepté les
Officiers , qui demeurerent constamment
attachées au G. S. et dont la plûpart s'étoient
déja retirez au Sérrail.
Cette jonction de la Soldatesque aux
Rebelles , acheva de déconcerter la Cour :
l'Empereur voulut cependant faire encore
une tentative auprès d'eux pour en obtenir
la grace d'Ibrahim - Pacha , mais ils
répondirent insolemment qu'ils avoient
assez fair , de pardonner au Mufty, à quoi
ils ne s'étoient même déterminez qu'en
consideration de son sçavoir , et de la
qualité de Chef de la Loy , et qu'ils vouloient
absolument qu'on leur remit le
G. V. et ses deux Gendres , pour leur faire
rendre compte de leur administration .
Le
AVRIL: 1731.
847
Le Sultan convaincu par l'opiniâtreté
de ces mutins , qu'il qu'il ne lui étoit
pas possible de soustraire son Ministre à
leur fureur , le fit condamner par le Kadilisker
d'Asie avec le Kaïmacan et le
Kyaya, à être étranglés, et ordonna qu'on
porteroit leurs corps à Etmeïdan .
,
Le Kyaya Mehemel , n'eut pas plutôt
appris , quand on vint le tirer de sa prison
, que c'étoit pour le mener au Kapon-
Orasy , endroit du Serail où l'on execute
les criminels d'Etat , que la frayeur dont
il fut saisi prévint les Bourreaux , et lui fit
rendre l'ame sur le champ ; ils ne laisserent
pas de le traîner au lieu du suplice ;
où par formalité pour l'éxecution de la
Sentence , on lui passa une corde d'arc au
col , ou corde de boyau ; à l'égard du
Vizir et du Kaïmakam , ils conserverent
leur fermeté jusqu'à la fin . Ce dernier fit
tranquillement ses ablutions et ses prieres,
mais le Visir ne fit ni l'un ni l'autre , disant
qu'étant si prés de perdre la vie , il
ne vouloit pas se donner tant de peine.
Ainsi finirent ces fléaux du peuple le
Is
de la Lune
de Rebiul
- Euvel
à 9 heures
du soir , du 30 Septembre
, dans le tems
même
que Sa Hautesse
faisoit
Mehemet
Pacha
G. V.
, Le lendemain matin , les trois cadavres
presque nuds , furent chargez chacun sur
un
$48 MERCURE DE FRANCE
un Chariot , et conduits à Etmeïdan ; le
peuple qui les suivoit , après avoir exercé
sur eux mille infamies , criant le long du
chemin , que tous les ennemis de l'empire
et de la Religion puissent avoir le même
sort. Quand les Rebelles les virent arriver,
ils entrerent dans une colere inexprimable
, se récriant sur ce qu'on ne leur avoit
livré ces traîtres en vie comme le
G. S. le leur avoit promis. On leur répondit
, qu'il n'étoit pas d'usage qu'un Sultan
remit ses Ministres vifs entre les mains
de leurs ennemis , et qu'ils devoient être
contents de ce que S. H. avoit eu la condescendance
de faire pour eux.
pas >
Les Rebelles qui avoient leurs veuës ;
n'eurent garde de se payer de ces raisons ;
ils redoublerent de fureur , et déclarerent
sans ménagement , qu'ils vouloient
qu'Achmet III. fut déposé , et que Mahmoud
, son Neveu fut mis sur le
Thrône.
>
Leur propre sûreté les entraîna dans cet
excès de révolte; faisant réfléxion qu'Ach
met étoit naturellement cruel ; qu'il avoit
fait mourir tous ceux qui avoient détrôné
son frere le Sultan Mustapha II. en 1703 .
pour lui donner sa place ; qu'ainsi ils n'en
devoient pas attendre de meilleur traitement
s'ils le laissoient en état de se venger
des outrages qu'ils venoient de lui
faire
AVRIL. 1731. 849
faire , au lieu qu'en élisant Mahmoud
qui languissoit depuis 27 ans en prison ,
ils auroient sujet d'esperer que ce Prince ,
par reconnoissance de ce qu'il leur devroit
sa liberté et son élevation , n'attenteroit
point à leur vie.
Mais comme il falloit au moins quelque
prétexte spécieux , pour colorer une
infidelité si formelle , non contents des
plaintes ameres qu'ils avoient déja faites'
contre leur Souverain , de ce qu'il leur
avoit manqué de parole en leur envoyant
morts les trois Ministres ; ils feignirent de
croire ( et peut-être le crurent- ils effectivement
) que ce n'étoit pas même le corps
du G. V. qu'on leur avoit apporté , mais
celui d'un forçat de Galere , qui lui ressembloit
, et que l'on avoit substitué à sa
place.
La verité est que ce Ministre étoit si
méconnoissable après sa mort , ( ce qui
avoit même fait répandre dans le public
qu'il s'étoit empoisonné ) que son premier
Batelier qui le voyoit tous les jours depuis
long- tems , affirma que ce n'étoit pas lui.
et qu'on verifia d'ailleurs qu'il n'étoit pas
circoncis . Il est vrai que Ibrahim étoit né
Chrétien , et que dans le fond , n'ayant
aucune Religion , il ne s'étoit pas embarrassé
de se faire circoncire quand il vint
d'Asie à Constantinople , professer l'exte
rieur du Mahometisme.
850 MERCURE DE FRANCE
que
Quoiqu'il en soit , les Rebelles se crurent
suffisamment authorisez à soûtenir
le G. S. les avoit doublement trompez
; ainsi , après avoir assouvi leur rage
sur les cadavres du Kaïmakam et du
Kyaya , qu'ils pendirent ensuite à deux
arbres , pour en donner le spectacle à tout
le peuple , ils attacherent à la queuë d'un
cheval celui du malheureux Ibrahim , et
le traînerent jusqu'à la porte du Serrail ;
là, par des clameurs affreuses , ils demanderent
qu'on leur remit en vie le veritable
Ibrahim , avec le Deys- Effendi , et
toutes les créatutes du premier , ajoûtant
que puisqu'on ne pouvoit compter sur
les promesses d'Achmet , et qu'il s'obstinoit
contre toutes les Loix à proteger un
monstre qui avoit désolé l'Empire , il n'étoit
plus digne de régner , et qu'il falloit
le renverser du Thrône pour y placer
Mahmoud , qu'ils avoient déja proclamé
Empereur.
Le Sultan - Achmet mit en vain tout
en oeuvre pour tâcher de les calmer , leur
faisant offrir des récompenses considérables
, et de leur sacrifier toutes les victimes
qu'ils demanderoient ; ils furent infléxibles
, et s'en retournant à Etmeïdan
ils jetterent en chemin le cadavre d'Ibrahim
auprès d'une belle Fontaine , que
se Ministre , qui étoit magnifique en
tout ,
AVRIL. 1731. 851
tout , avoit fait construire depuis deux
ans pour l'ornement de la Ville et la
commodité du Public.
>
l'é-
Les Rebelles , quoique résolus à ne se
point relâcher sur la déposition d'Achmet
, avoient pourtant besoin , pour
xécution d'un projet de cette importance,
d'être guidez par quelqu'un qui eût des
lumieres et du crédit , et qui entrât en
même-tems dans leurs sentimens . Ils trouverent
ce qu'ils cherchoient lorsqu'ils s'y
attendoient le moins , dans la personne de
Ispiri-Zadé , Prédicateur ordinaire de la
Cour et de Sainte Sophie . Cet hipocrite ,
qui , sous un air simple et mortifié , cachoit
une ambition démésurée , et qui
avoit reçû dans cent occasions des bienfaits
de l'Empereur , s'abandonnant à
l'ingratitude la plus noire , fut lui - même
trouver les conjurez ; il les confirma par
ses pernicieux conseils dans leur abominable
dessein leva toutes les difficultez
qu'ils croyoient le pouvoir faire échouer ,
et se chargeant de conduire l'affaire , il
fut au Serrail vers le soir du 16 de la Lune
( le premier Octobre ) dans le tems que
le G. S. étoit à la Kas- Oda , et que tous
les Ministres , les gens de Loi , et autres
Grands de l'Etat , étoient dans un
Kiosk ( espece de Pavillon ) consternez et
violemment agitez.
,
B Dès
852
MERCURE
DE FRANCE
Dès qu'il parut , chacun s'empressa de
le questionner sur ce qui se passoit dans.
la Ville ; il dit , contrefaisant l'homme
abbatu de tristesse , que les Rebelles ne
vouloient plus en aucune façon , qu'Achmet
restât sur le Trône ; et qu'après tout ce qu'il
avoitfait enfaveur de ce Prince , pour vaincre
leur animosité contre lui , il étoit inutile de
se flatter qu'on put les faire changer de réfolution.
A ces paroles toute l'Assemblée devint
comme immobile , et n'eut pas la force de
proferer un mot ; le perfide Ispiri -Zadé
voyant que personne ne se mettoit en devoir
d'aller annoncer cette nouvelle au
Sultan , il y fut de lui- même.
Hé bien , qu'y-a- t'il , lui dit Achmet ;
les Rebelles font- ils toujours à Etmeidan ?
Pourquoi ne se retirent-ils pas , pour vaquer
chacun à ses affaires ? Je les aifavorisez audelà
de ce que je devois , je leur ai offert des
préfens , et de leurfaire justice de tous ceux
dont ils croyent avoir à se plaindre , que veu
lent- ils , que souhaittent-ils encore ?
Seigneur , lui répondit cet homme pervers
,d'un ton ferme, et pourtant composé
, ton régne est fini , et tous tes sujets révol
tez ne te veulent plus pour Empereur, Alors,
Achmet se levant brusquement , répliqua
, et pourquoi ne me le disiez- vous pas
plutôt ? Vous vene ici tous les jours , d'où
و
vient
AVRIL. 1731. 853
vient tant tarder à me l'apprendre ? Puis sans
hésiter il courut à l'Appartement du Prince
Mahmoud , son Neveu ; le prit par la
main , le conduisit à la Kasoda , où il le
plaça lui-même sur le Trône , le salua Empereur
le premier , et lui dit entr'autres
choses fort touchantes : Souvenez - vous
que votre pere ne perdit la place que je vous
céde aujourd'hui , que par son aveugle complaisance
pour le Mufty Feyz -Oullah Effendi
, et que je ne la perds aujourd'hui moimême
que pour m'être trop confié à Ibrahim-
Pacha , mon Vizir , profitez de ces deux
grands exemples ; ne vous attachez à vos
Ministres , et ne vous reposez sur eux qu'avec
beaucoup de circonspection. Si j'avois
toujours suivi mon ancienne politique de ne
jamais laisser les miens trop long-tems en place
ou de leurfaire rendre souvent un compte
exact des affaires de l'Empire , j'aurois peutêtre
fini mon régne aussi glorieusement que je
Pai commencé. Adien , je souhaite que le
vêtre soit plus heureux ; je vous recommande
mes enfans et ma personne. Ensuite , l'infortuné
Achmet fût s'enfermer de lui-même
dans la prison , d'où il venoit de tirer son
Neveu .
Les fils d'Achmet s'enfermerent avec
lui ce jour- là ; Mahmoud l'ayant ainsi
ordonné pour consoler son Oncle , mais
le lendemain ces Princes furent logez ail-
Bij leurs ,
854 MERCURE DE FRANCE .
leurs , les trois plus jeunes ensemble , et
les trois aînez , chacun dans un Appartement
séparé.
Cette abdication se fit le 2 Octobre à
deux heures du matin : tout ce qui se
trouva dans le Serrail de Ministres et de
Gens de marque , fut admis cette nuit
même à baiser la veste du nouveau Sultan
.
Le jour venu , on lui éleva un Trône de
vant le Babiseadet , ou la Porte heureuse ;
c'est une porte du Serrail qui conduit à
l'Appartement où le G. S. donne Audien-.
ce aux Ministres Etrangers ; et c'est dans
cet Appartement que tous les Grands de
l'Empire , en Corps , vinrent le reconnoître
Empereur, et lui baiser la veste . Aussitôt
les Crieurs publics annoncerent son
Avénement par toute la Ville.
Le même jour , une Galere transporta le
Mufty à Tenedos , lieu de son exil, Les
Rebelles l'avoient redemandé de nouveau
pour le faire mourir , mais les Gens de
Loy agirent si efficacement , qu'ils lui sauverent
la vie ; dans le fond c'est un fort
bon homme , dont la viellesse et la douceur
naturelle ont peut-être été les seules
causes du seul crime qu'on lui a reproché,
de ne s'être pas opposé avec la vigueur
qu'éxigeoit son caractere , aux malversa
tions qu'il voyoit commettre,
Le
AVRIL 1731. 855
Le 3 Octobre , le G. S. curieux de connoître
le premier Chef de ces gens téméraires
, à qui il devoit l'Empire , commanda
qu'on lui fit venir Patrona-Kalil , lequel
se présenta comme il étoit vêtu ordinairement
, c'est - à- dire , en simple Janissaire
, et les jambes nuës. Il s'avança d'un
air assûré jusqu'au Trône du Sultan , et
lui baisa la main : Que puis -je faire pour
toi , lui dit Mahmout , tu es en droit de me
demander toutes les graces que tu voudras.
Cet homme de néant , et chargé de crimes
, mais subtil et plein d'artifice , montrant
alors des sentimens plus nobles et
plus élevez, que sa naissance et sa vie passée
ne sembloient en devoir promettre ,
répondit à l'Empereur , que jusqu'à présent
il avoit tout ce qu'il avoit le plus désiré
, qui étoit de le voir sur le Trône
Ottoman et que pour l'avenir
sçavoit bien qu'il n'avoit rien à attendre
de Sa Hautesse qu'une mort honteuse et
prochaine. Je te jures par les manes de mes
Ancêtres , répondit le G. S. que je ne te ferai
jamais de mal ; demande moi seulement
quelle récompense je te puis donner , je te
l'accorde d'avance. Puisque votre bonté
Imperiale est sans bornes , répondit Patrona
, je vous prie de vouloir bien supprimer
tous les nouveaux impots dont vos fideles sujets
ont été accablez sous le précédent Minis-
,
B iij
*
,
il
tere.
856 MERCURE DE FRANCE
>
tere. Mahmout y souscrivit sans hésiter
et sur le champ cette suppression fut publiée
par tout .
Ce jour- là , le G. S. confirma Mehemet-
Pacha , dans la Charge de G. V. et lui
nomma pour Kyaya le vieux -Nik-Deli-
Hali-Aga , qui avoit été fort attaché à
l'Empereur Mustapha , pere de Sa Hautesse
.
Le 4. les Rebelles furent piller quelques
maisons de proscrits , et rompirent
le Sceau Imperial qu'on y avoit apposé.
Le Sultan fut vivement picqué de ce manque
de respect ; mais n'étant pas en état
d'en marquer son ressentiment , il les envoya
prier de cesser ces sortes d'éxecutions
, et leur fit représenter , que puisqu'ils
l'avoient mis sur le Trône , ils lui
devoient laisser le soin et l'autorité de punir
les coupables de la maniere qu'il conviendroit.
Bien loin de se rendre à ses
remontrances , et si douces et si justes ,
ils répondirent qu'ils ne discontinueroient
point leurs vengeances qu'ils ne l'eussent
satisfaite eux - mêmes et demanderent
pour la seconde fois qu'on leur remit le
Reys Effendi , le Tchiaoux Bachy , et plu
sieurs autres , ce que la Cour ne pût et ne
jugea pas à propos de faire , le Reys - Ef
fendi , entr'autres , étant alors si bien ca
ché qu'on le croyoit en fuite.
,
Le
AVRIL. 1731. 857
,
Le 5. ils pillerent encore deux grands
Palais , en Asie , sur le Canal de la
Mer Noire et cependant le Grand-
Seigneur ne laissa pas de confirmer dans
leurs emplois , tous ceux qu'ils en avoient
revêtus , comme les nouveaux Janissaire-
Aga , Topgi -Bachi , &c .
Il est d'usage , selon les constitutions de
l'Empire Ottoman , que quand ' un Sultan
vient à mourir de mort naturelle , et
que le Prince qui doit lui succeder monte
sur le Trône , celui - ci n'est point obligé
de faire aucune gratification aux Troupes
; mais que lorsque par une révolution
comme celle-ci , un Prince parvient à
l'Empire , il doit leur augmenter leur
paye et leur faire un présent , ce
qui se pratique de la maniere suivante.
2
Chaque Cavalier a 1000. aspres de présent
( 25. liv . ) et deux aspres dé paye , de
plus qu'il n'avoit par jour , ou s'il l'aime
mieux , car cela est à son choix , que le
présent soit converti en paye journaliere ,
alors on la lui augmente de trois aspres au
lieu de deux ; de même les Janissaires ,
les Tobdgis , et les Dgedbedgis , ont cinq
aspres d'augmentation de solde , et point
de présent , ou s'ils préferent de le tou
cher , on leur donne 3000. aspres pour
ce présent , ou 75. liv . et leur solde n'est
B iiij aug858
MERCURE DE FRANCE
augmentée que de deux aspres.
Le nouveau Sultan , étant dans le cás
de ces libéralitez d'obligation , fit venir
le Tefterdar , ou le Grand Trésorier , et
les autres personnes chargées du maniement
des deniers Imperiaux , et ordonna
de tenir prêt l'argent qu'il falloit pour
P'acquitter envers les Milices. Ces Officiers
dans la vûë de faire leur cour , ne voulurent
point toucher aux Trésors de l'Etat
quoique depuis l'établissement de l'Empire
, ils n'eussent jamais été si remplis
étant assurez de trouver dans ceux que
le
Grand Vizir , son Kyaya et le Capitan
Pacha avoient amassez des fonds plus
que suffisans pour le payement en question
.
J
Ils firent chercher avec soin , quelquesuns
des plus affidez Officiers de ces trois
Ministres , pour en tirer des lumieres touchant
le bien de leurs Maîtres . On amena
d'abord au Tefterdar un jeune homme
qui avoit été L'Anactar- Oglan du Grand
Vizir , ( c'est comme qui diroit un gentilhomme
de la Clef, ) et qui en avoit eu
toute l'amitié et toute la confiance ; il dit
que pourvû qu'on ne lui fit point de
mal ,il découvriroit de grandes richesses ;
on l'assura que bien loin de le maltraiter ,
on le recompenseroit . L'Anactar un peu
remis de son trouble , et d'ailleurs ne pouvant
AVRIL. 1731. 859
*
vant mieux faire , puisque s'il eut voulu
garder le secret , on le lui eut arraché
par les tourmens , conduisit le Tefterdar
dans une cour du Serrail du Grand Vizir
, où ce Ministre avoit fait bâtir un
Colombier ; on creusa dessous , à l'endroit
qu'il indiqua , et l'on en tira quatre
cofres de fer , dont trois fort grands ,
renfermoient chacun 18. longues bourses
de cuir , de 60. mille Sequins Fondoukli
chacune. Le Sequin Fondoukli , étant évalué
à 400. afpres fait 10. livres monnoye
de France , ces trois coffres contenoient
la somme de 32. millions 400 .
mille livres.
A l'égard du quatrième , il étoit à la
vérité beaucoup plus petit , mais il étoit en
récompense rempli de pierres précieuses
d'une beauté singuliere , et d'un prix inestimable
, aussi bien que les riches étoffes et
les tapis de Perse et des Indes,les fourures ,
les Bijoux , les curiositez de tous les Pays ; en
un mot, les hardes et les meubles superbes
que l'on trouva en profusion dans ce Palais.
On se saisit ensuite du Kyaya du Harem:
un Eunuque noir , ayant l'Intendance de
l'appartement des femmes de Mehemet ,
Kiaya d'Ibrahim - Pacha , qui avoit aussi une
connoissance parfaite des grands biens de
cette sangsuë de peuple. Dès qu'il fut pré-
Bv senté
860 MERCURE DE FRANCE
senté au Tefterdar , il lui confessa tout , et
le mena dans les differens Souterains que
son Maître avoit fait construire pour enfoüir
ses trésors. Il dit que quand Mehemet
avoit fait remplir un coffre , il le
faisoit porter par des portefaix jusqu'à une
certaine distance du lieu où il vouloit que
son argent fut déposé , et que lui , Kyaya
du Harem se travestissoit
> par son
ordre la nuit ; vuidoit ce coffre à diver
ses reprises et emportoit le contenu
dans la cache , sans que personne s'en fût
jamais apperçu.
,
en
Suivant le compte du Tefterdar on
fait monter à 30. mille Bourses l'argent
comptant de cet infame monopoleur ;
et ses autres biens à présqu'autant ; soic
en pierreries , en Palais , maisons
fonds de terre , en rentes , en habits , ou
soit en denrées ou marchandises , dont il
faisoit commerce. Chaque bourse de soo .
piastres , évaluée 1500. liv. les 30. mille
bourses font 45. millions, de notre monnoye.
3
Quant au Capitan Pacha , il n'a pas
paru qu'il fut à beaucoup près si riche en
especes que
les autres mais outre ses
Palais qui étoient dignes de loger des
Sultans , il avoit une grande quantité
de pierreries plus belles et plus parfaites,
AVRIL. 1731. 861
tes , que celles du Grand Vizir et du
Kyaya , parce qu'il les payoit aussi bien ,
et il s'y connoissoit mieux qu'eux : enfin les
richesses que l'on a trouvées chez ces trois
Miniftres , sont si prodigieuses , que le
Roi Cresus , si fameux dans l'Histoire par
ses Trésors , auroit pû passer pour pauvre
auprès d'eux .
Le Sultan Achmet n'ignoroit pas que
le Kyaya , entre-autres , s'enrichissoit infiniment
au- delà de ce qu'avoit jamais fait
aucun particulier de l'Empire , surtout
d'une aussi basse origine que l'étoit celuilà
, mais au lieu de mettre un frein à ses
concussions , cet avare Empereur , lui facilitoit
les moyens d'en faire tous les jours
de plus criantes , parce qu'il se flattoit que
le vieux Ibrahim son Vizir , mourroit bientôt
; et qu'alors n'étant plus retenu par
aucune considération , il feroit étrangler
le Kyaya , et s'empareroit de tous ses
biens.
Avant que de finir sur le compte de cet
odieux Ministre, il ne sera pas hors de propos
de rapporter une particularité assez singuliere
; sa fille unique étoit promise au
jeune Anactar Oglan , dont on a parlé. It
avoit fait de magnifiques préparatifs pour
la célebration de la nôce , qui avoit été
fixée précisément au soir du jeudi , que la
sédition éclata ,et suivant la coutume tous
B vj les
862 MERCURE DE FRANCE:
les grands de l'Empire lui avoient fait à
ce sujet des présens considerables ; la bienséance
vouloit, ce semble , dans le trouble
et le désordre où la Cour et la Ville
étoient plongées , et dont il avoit paru
lui- même si fort effrayé , quand il se sauva
le matin , que ces nôces fussent remises
à un temps plus tranquille et plus
propre à la joye ; cependant , soit qu'il
se flatât que la rebellion n'auroit point de
suites fâcheuses , ou que son orgueil l'aveuglât
, il passa outre , et insultant au
peuple pour la derniere fois , le mariage
fut consommé à l'heure marquée ; mais
il fut d'un sinistre augure , puisque tandis
que la fille entroit au lit nuptial , le
pere mettoit déja le pied dans celui de la
mort.
}
7
Les richesses du Grand Vizir et de ses
deux Gendres , étant immenses , comme
on l'a pû voir par le petit détail que nous
en avons fait , elles étoient plus que suffis
ntes pour le payement des troupes ; on
déploya donc cinq étendarts à Atmerdam
, sous lesquels vinrent se ranger, et se
fire écrire,tous ceux qui devoient, ou pour
mieux dire , qui voulurent participer à
cette gratification ; car il est bon de remarquer
que d'ordinaire un Sultan , n'est
tenu à faire le présent de son avenement
à l'Empire , qu'aux Militaires en exercice
,
AVRIL 1731. 863
ze , et déja enrolez du temps de son Prédécesseur
, et non à ceux qui ne venant
s'engager , la plupart dans cette occasion ,
que pour profiter du benefice qui l'accompagne
, disparoissent après l'avoir reçû
parce que supposé que parmi ces
derniers , il s'en trouve , qui s'enrollent
avec l'intention de servir , ils doivent
s'estimer assez heureux d'être reçûs au
nombre des Kouls ou Esclaves de sa
Hautesste , avec la paye qu'on leur assigne
; mais le Sultan Mahmout , voulant
commencer son regne par un acte de générosité
, pour se concilier davantage le
coeur des Milices et du peuple
d'ôter tout prétexte aux mal intentionnez
, de continuer la révolte , donna un
Katcherifs pour que les nouveaux Soldats
reçussent également la gratification
comme les anciens , et qu'on délivrât
également aux uns et aux autres deux
quartiers de leur solde.
,
et afin
Malgré cet ordre , cependant le Lieutenant
General des Janissaires , par probité
, ou par reconnoissance de ce que
l'Empereur l'avoit confirmé dans cette
Charge , qu'il tenoit des Rebelles , ne
put voir sans indignation qu'ils abusassent
des bontez de Sa Hautesse , jusqu'au
point d'admettre à cette gratification
comme ils faisoient , un nombre infini de
و
petits
$64 MERCURE DE FRANCE
,
petits enfans , de vieillards et de gens
éclopez ou contrefaits ; il crut donc pouvoir
représenter à Patrona , que si l'on
continuoit de la sorte tous les trésors:
du Grand Seigneur ne suffiroient pas
gratifier tant de gens qui le méritoient
si peu ; mais celui- ci lui dit avec un ton
de Maître , que ce n'étoit pas à lui à vouloir
diriger des finances qui ne lui appartenoient
point et dont il n'étoit pas
chargé de rendre compte , et sans autres
discours , il commanda sur le champ
qu'on mit en pieces ce malheureux Officier
, qui par trop de zéle et de probité
perdit en un instant la vie , et sa nouvelle
dignité.
,
Le Grand Seigneur voyant de plus en
plus par ce qui venoit de se passer , qu'il
ne lui seroit pas possible de rétablir l'ordre
et la tranquillité dans Constantinople
, tant que Patrona y resteroit en armes
, et n'osant entreprendre de s'en défaire
, de crainte de causer une seconde révolution
aussi fatale pour lui , lui , que
que la premiere
l'avoit été pour son oncle , il tenta
de l'éloigner de la Capitale , en lui offrant
un des plus considerables Gouvernement
de l'Empire , et d'y attacher toutes
les marques d'honneur qu'il souhaiteroit.
Mais Fatrona se défiant avec raison
que
AVRIL. 1731. 865
réque
des offres si avantageuses ne cachassent
un piége , répondit qu'il ne se
soucioit pas de dignitez , et qu'il n'étoit
avide que du sang des proscrits , dont
il avoit fait une longue liste. Le Janissaire
Aga qui étoit présent , s'avisa de
vouloir conseiller à l'Empereur,de donner
à Patrona 100. mille Sequins , et de le
laisser le maître de se retirer où bon lui
sembleroit.Je n'ai pas besoin d'argent,
,, pondit ce fier Rebelle , puisque toutes les
bourses de Constantinople sont à mon service
; et lançant un regard terrible sur
le Janissaire Aga , il lui recommanda d'un
ton , et d'un air si impérieux , de ne se
jamais mêler de ce qui le regardoit , s'il
ne vouloit avoir le même sort de son Lieutenant
, que sans rien répliquer , ce General
de l'Infanterie , se prosterna trois
fois devant lui .
ور
"
> et à
Le 6. Patrona nomma de son chef de
nouveaux Officiers , à la plupart des principaux
emplois dans les troupes
mesure qu'ils se présentoient devant lui
il les faisoit revêtir de Pelisses de Samour
de Martre Zibeline , qu'on avoit prises
au pillage des maisons des proscrits . On
publia de nouveau ce jour-là de sa pare
que tous ceux qu'on trouveroit commettant
du désordre , seroient punis de mort
sur le champ. Cette Ordonnance produi
sit
865 MERCURE DE FRANCE
>
sit un si bon effet , que , quoique Gala
ta grand Fauxbourg de Constantinople,
fut plusieurs jours sans Commandant,
le Vaivode , dont la tête avoit été mise à
prix , s'étant sauvé , et que presque tous
les Marchands François qui y demeurent
fussent alors aux Isles des Princes , avec
leurs familles , les Rebelles qui vinrent
piller quelques maisons de Juifs , ne firent
aucunes insultes à celle des François.
Il est vrai , que ce qui contribua beaucoup
à les garantir des brigandages de la canaille,
fut la précaution que leur nation prit d'établir
et de payer une gardepour leur pro
pre sureté , composée des Rebelles mêmes.
Le 7. le Sultan Mahmout' , fut avant
midi à la Mosquée d'Eyoup , qui est dans
le fond du Port de Constantinople , à
environ deux heures de chemin du Serrail,
se faire ceindre le Sabre Imperial ; céré
monie qui tient lieu de couronnement aux
Sultans. Son cortege étoit fort nombreux ,
mais il y avoit beaucoup de confusion ; la
Marche défila entre deux hayes de Janissaires
de Topgis , et de Dgebedgis , en
simple Doloma , qui est l'habit long que
portent ordinairement les Janissaires , en
Calote rouge , sans bonnets de cérémo
nie , et sans armes , comme l'Empereur
l'avoit ordonné ; car il y eut la veille de
grandes contestations à ce sujet ; entre
la
•
t
AVRIL. 1731 867
la Cour et les Rebelles , Sa Hautesse ne
voulant point que personne vint armé à
cette Cavalcade , et ceux- ci au contraire
ne prétendant pas devoir mettre bas les
armes , qu'on ne leur eut donné satisfaction
sur les proscrits , et qu'ils n'eussent
été payez de ce qu'on leur devoit , tant
du présent , que de ce qu'on leur devoit
d'ailleurs ; de sorte que malgré les défenses
du Sultan ils y vinrent bien armez ;
Patrona monté sur un beau Cheval magnifiquement
harnaché , y précedoit le
Grand Vizir , et avoit à sa gauche un
autre Chef de son parti . Ces deux hommes
affectant de mépriser le faste
n'avoient
qu'un petit Turban , l'habit de Janissaire
, et les jambes nuës ; ils jettoient
des Sequins au peuple , et quatre Dervi- .
ches , qui marchoient à pied à leurs côtez,
faisoient les mêmes largesses de leur part.
Le Sultan se distingua aussi par sa generosité
, ayant fait jetter ou distribuer pareillement
50. bourses , au lieu de douze qu'il
en coûte d'ordinaire à un nouveau Grand-
Seigneur dans cette occasion . On revint
par terre comme on étoit allé , le mauvais
temps n'ayant pas permis qu'on prit la
voye de la Mer , comme c'est l'usage.
Le peuple avoit compté qu'après cette
céremonie la tranquilité se rétabliroit , et
qu'on r'ouvriroit les Boutiques; mais l'autorité
868 MERCURE DE FRANCE
, que
torité du Grand Seigneur étoit encore si
mal affermie , qu'on n'osa exposer les
Marchands aux nouveaux désordres
cette ouverture auroit pû attirer; les principaux
Officiers des Rebelles étant même
venus à la Porte le 8. Octobre , et le Grand
Visir leur ayant fait distribuer des Cafetans
et des Chevaux , ils se prirent de paroles
, & et se tiraillerent l'un l'autre , chacun
voulant saisir le meilleur Cheval,
cela jetta d'abord l'effroi par tout
parce
qu'on craignit que ce ne fût une feinte
concertée entre eux , pour exciter une
nouvelle sédition ; heureusement se querellant
de bonne foi , ils se reconcilierent
de même .
د
Patrona , vint aussi peu après voir le
Grand Visir , accompagné seulement de
trois de ses camarades , qui le suivoient à
pied comme des domestiques. Dès que ce
Ministre , tout gendre qu'il est d'un Sultan,
et qui ne se seroit pas levé pour l'Ambassadeur
d'un Souverain , sçut que cet
illustre scelerat arrivoit , il courut vite au
devant de lui jusqu'au bas de l'escalier ,
le mena dans son appartement , où ils resterent
deux heures ensemble , et il le reconduisit
bien civilement au lieu où il étoit
venu le prendre.
Dans le temps que Patrona alloit par
tir , un Bach Asseky , domestique favori
du
AVRIL. 1731. 869
du Grand Seigneur , vint lui parler en secret
de la part de Sa Hautesse : il ne daigna
pas descendre de Cheval pour cela ,
mais se courbant un peu seulement , leur
conversation dura un quart d'heure , après
quoi il s'en retourna d'un air résolu à son
Camp d'Etmeïdan .
Il s'étoit répandu ce jour-là dans la Ville
, que le Grand Seigneur devoit honorer
d'un nouveau Cafetan , Abdi Capoudan
, et le confirmer dans la dignité de
Capitan Pacha ; mais il arriva au contraire
que Sa Hautesse le déposa et mit à sa
place Kafis Mehemet Pacha , jeune homme
de 35. ans , qui n'a aucune experience
dans la Marine : aussi n'étoit-ce qu'en
attendant l'arrivée de Dgianum Codeca ,
un des plus braves et des plus grands
hommes de Mer qui soit dans l'Empire.
Ce même jour , les Ministres Etrangers
eurent permission de la Porte d'expédier
à leurs cours , pour donner avis de
l'avenement de Sultan Mahmout à l'Empire
, et plusieurs Tribunaux de justice reprirent
leurs cours ordinaires , au moyen
des nouveaux Officiers , qu'on y mit pour
remplacer ceux que les Rebelles avoient
proscrits , comme entre-autres , le Vaivode
de Galata , qui fut remplacé par un
ancien Officier du Corps des Baltadgis
lequel avoit déja exercé autrefois le même
870 MERCURE DE FRANCE
me emploi , avec l'approbation generale.
Il est fils de Cherkez - Osman-Pacha
qui dans tous les grands emplois , qui lui
ont été confiez , a donné des marques de
son amitié pour les François , et surtout
dans l'affaire de la restauration du Temple
de Jerusalem.
Le 9. on commanda 20. Janissaires sans
armes , de chaque compagnie , pour aller
prendre à la Porte, l'argent destiné au présent
, et escorter les 150. chariots , chargez
chacun de so . Bourses , qu'on conduisit
en cérémonie chez le Janissaire
Aga , ou la répartition s'en fit pendant
trois jours à 100. mille hommes ; sçavoir
40. mille Janissaires , 18. mille Topgis ,
22. mille Dgebedgis , et 20. mille Spahis
, ce qui fait en tout 11250000. liv .
Le Grand Visir fut importuné de quelques
plaintes au sujet de cette distribution :
plusieurs Officiers deshonorant leur carac
tere , s'aviserent de retenir pour eux une
partie de ce qui revenoit à leurs Soldats :
une conduite si indigne en tout temps , et
si dangereuse dans les circonstances presentes
, méritoit sans doute une punition
exemplaire , cependant ils en furent quittes
pour restituer à qui il appartenoit ,
tout ce qu'ils s'étoient si injustement approprié
; mais il pensa arriver entre les
Rebelles un autre affaire de même espece
,
AVRIL. 1731. 871
ce , qui , pour peu qu'elle eut eu de suites
auroit été capable de ruiner entierement
leur parti .
2
Patrona , qui jusqu'alors s'étoit montré
en public , sous le caractere d'un hommé
désinteressé , faisant apparemment réflexion
, que la gloire toute seule n'étoit
que fumée , voulut lui donner plus de
consistance en y joignant les richesses.
Beaucoup de proscrits cachez , le firent
sonder , pour obtenir leur grace , et lui
offrirent des presens proportionnez à leurs
facultez ; il leur accorda la liberté de se
retirer où ils voudroient , et reçut de l'un
20. bources , de l'autre 30. &c. le tout
sans en faire part à ses Camarades ; ceuxci
n'en eurent pas plutôt connoissance
qu'ils s'en plaignirent avec aigreur. Vous
fçavez bien , lui reprocherent-ils , que nous
n'avons tous pris les armes que pour tirerle
peuple d'oppression, et le délivrer d'une
troupe de Loups raviffants qui le rongeoient
depuis 14. années ; que par l'assistance divine
nous sommes venus à bout de ce
grand et perilleux ouvrage ; cependant
,, vous , Patrona , qui comme notre Chef devriez
nous montrer l'exemple
et être
plus religieux obfervateur du serment que
vous avez exigé de nous , et que vous avez
fait vous même de ne pardonner à aucun
des ennemis de la Patrie , Vous êtes le
د و
و و
ر و
د و
ر و
ور
"
و ر
و
premier
872 MERCURE DE FRANCE
mier qui pour un vil interêt , rompez de fi
saints engagemens. Un peuple infini adresse
ses prieres au Ciel pour nous , en reconnoissance
de notre juste entreprise , et vous êtes
le seul qui s'oppose à son entiere perfection ,
en vendant vosfaveurs aux tyrans de l'Etat
mais ajoûterent - ils , en élevant la
voix : bien loin que vous puissiez rencontrer
en nous des coeurs capables d'applaudir
à cette bassesse , fachez , que fi dans deux
jours vous ne faites retrouver ceux que vous
avez fait évader , nous vous mettrons nous
même en pieces.
,
Patrona , étourdi de la harangue répondit
avec douceur à ses camarades , leur protestant
que malgré le crime dont ils le
chargeoient , sur lequel il ne se mit pourtant
pas fort en peine de se juftifier , son
dessein avoit toûjours été d'exterminér
tous ceux qui étoient sur l'état des proscrits
, et qu'il alloit travailler à leur
donner une pleine satisfaction à cet
égard.
Les pillages , les recherches , les persécutions
continuant donc à Constantinople
et aux environs , le Sultan en fut si
penetré , qu'il convoqua au Serrail `un
grand Conseil , composé de tous les Gens
de loy , à la tête desquels étoit , Mirza-
Zade, nouveau Mufty , et des principaux
Officiers de l'Empire. Il y fut résolu que
le
AVRIL. 1731. 873
le Grand Seigneur donneroit un Katcherif
fulminant , qui seroit adressé et porté
aux Rébelles , par l'Asseky- Aga ou Bacha-
Asseky , et que le Mufty rendroit une
Sentence ou Feiza en conformité , dont
on chargeroit à Ballach Effendi , Lieute
nant General de Police de la Ville.
Il eft bon de remarquer , que cet Officier
qui étoit une espece de fou turbulent
, avoit d'abord pris le parti des Rebelles
, qui l'établirent dans ce poste , et
que la Cour sçachant qu'il étoit en grand
crédit parmi eux , avoit trouvé le secret
de le gagner et de se servir de lluuii ,
pour
porter les Janissaires à plier leurs étendarts
et à rentrer dans leurs cazernes ; effectivement
le Istamboul- Effendi ou
Abdollah Effendi , malgré le dérangement
de son cerveau , avoit si bien negocié
cette affaire , que les plus anciens et
les plus sensez de cette Milice و serendant
à ses avis , s'étoient retirez dans leurs
chambres , avec promesse de se soumettre
aux ordres de la Cour,
Le parti des Révoltez étant considerablement
affoibli par cette désertion ,
l'Istamboul- Effendi , et l'Asseкy- Aga , vinrent
à leur camp ; ce dernier leur demanda
s'ils n'avoient pas reçû leur paye , et
pourquoi n'ayant plus rien à exiger du
Grand Seigneur , ils ne se retiroient pas ;
ensuite
874 MERCURE DE FRANCE .
ensuite il leur présenta le Kacherif , qui
fut lû à haute voix. Il contenoit en substance
, que puisqu'ils avoient fait eux-même
Sultan Mahmout Empereur , et qu'en
consequence ils se reconnoissoient ses
Esclaves , ils devoient lui obéir aveuglement
, et sans délai , qu'ayant d'ailleurs
sujet d'être satisfaits de Sa Hautesse´, qui
leur avoit accordé au- delà de ce qu'ils
avoient souhaité , il étoit juste qu'à leur
tour ils lui donnassent des marques de
leur soumission , afin de rendre le calme
à la Capitale de l'Empire où elle vouloit
absolument faire cesser tous désordres :
que si après avoir eu connoissance de ses
intentions par ce sublime commandement
, ils étoient encore assez ingrats et
assez témeraires , pour ne s'y pas conformer
, elle feroit déployer l'Etendart du
Prophete à la porte du Serrail , et publier
de toutes parts que tout bon Musulman
eut à venir le joindre , pour aller
contre les Séditieux , qui dès ce moment-
là seroient déclarez traîtres , infidelles
et répudiez de leurs femmes , et
qu'on poursuivroit leur destruction jusqu'à
ce qu'il n'en restât pas un seul.
Le Feta du Mufti fut lû ensuite , et
s'exprimant d'une maniere aussi forte , les
Rébelles commencerent à s'ébranler ; mais
ze qui acheva de les réduire du moins
.
en
4
AVRIL. 1731. 875
›
en apparence , fut la déclaration que leur
firent faire les Janissaires . , qui s'étoient
déja rangez à leur devoir ; que s'ils ne
se retiroient pas comme eux ils les
avertissoient que dès que la Baniere
de Mahomet paroîtroit , ils iroient la
défendre et les combattre , jusqu'à la derniere
goute de leur fang.
Les plus mutins intimidez par ces avertissemens
, soit qu'ils rentrassent sincerement
en eux- mêmes , ou que la plûpart
dissimulassent , comme la conduite qu'ils
tinrent depuis donne assez lieu de le penset
, se soumirent enfin , mais à deux conditions
; que la Cour , dans l'esperance
d'avoir la paix , fut encore obligée de
leur accorder la premiere , que le Grand
Seigneur ne feroit jamais mourir aucun
d'eux pour avoir excité la sédition ; la
seconde , qu'ils auroient toûjours cinq
étendarts déployez , pour être en état de
se défendre , si on vouloit entreprendre
quelque chose contre eux.
Ce traité fait , le Mufty se rendit garand
de la parole de Sa Hautesse , et l'Istamboul-
Effendi de celle des Rébelles
qui promirent de ne plus commettre
aucun désordre ; plierent leurs étendarts ,
à l'exception des cinq qu'on leur avoit
accordez , et se retirerent , les uns dans
les cazernes , les autres où ils voulurent .
C Cela
876 MERCURE DE FRANCE
Cela fe passa le douze Octobre.
Conséquemment à cet accord le Grand
Seigneur ayant ordonné le 13. qu'on r'ouvrit
les boutiques , l'affluence du monde y
fut si grande , ainsi que dans les marchez
, sans qu'il y arrivât ni tumulte ni
bruit , qu'il sembloit que la bonne harmonie
fut rétablie ; cependant le même
jour il se commit encore des violences et
des meurtres , dans quelques endroits de
la Ville , qui firent assez juger que le
calme n'étoit pas si général qu'on s'en
étoit flatté , comme on va le voir.
Les Caffez étant à Constantinople ,
comme ailleurs , des lieux où toutes sortes
de gens s'assemblent sans se connoître
, et où il se trouve d'ordinaire beaucoup
de faineants , qui n'ont d'autre occupation
que de parler de nouvelles ; il
y en eut plusieurs de cette espece qui
payerent de leurs vies l'intemperance de
leurs langues. Comme les Révoltez étoient
fort éloignez de se croire criminels , et
qu'ils se consideroient,au contraire, comme
de glorieux liberateurs de la Patrie ,
ils s'étoient eux-mêmes qualifiez du titre
de Serdengueschtis , c'est- à-dire enfans ›
* Serdengueschti , signifie proprement un homme
qui sacrifie sa tête. Quand les Turcs vont à la
guerre , surtout contre les Chrétiens , ils ont toû
jours un corps de ces zelez combattans , dont les
perdus ,
1
AVRIL. 1731.
877
<
C
>
perdus , ou dans un sens plus figuré, Gens
d'honneur , qui se sacrifient pour le bien
public tellement qu'à leurs manieres.
de penser ,, la qualité de Rébelles leur
étoit tout-à- fait odieuse . Il vint donc dans
ces Caffez de ces imprudens Nouvellistes ,
qui tout haut et sans ménagement des affaires
d'Etat , traiterent de Zorbas ou de
Rébelles tous ceux qui avoient pris les
armes contre Achmet ; par malheur pour
eux il s'y trouva de ces enfans perdus
qui les écharperent sur le champ.
, Un de ces derniers , s'étant enivré à
Galata , repaffa le Port , et alla droit à la
Douane de Constantinople , avec deux Domestiques
, il y prit dans la caisse , devant
tout le monde , environ 300. piastres
, dont il donna une partie à ses valets
, et leur fit signe de se saisir de deux
filles esclaves que l'on avoit amenées au
Bureau pour en payer les droits , et trouvant
à la porte un Cheval tout fcellé
monta dessus et s'enfuit ; il fit tout cela
sans que personne s'y opposât , parce que
dans ces temps de trouble on ne sçavoit
à qui s'adresser pour avoir justice , et que
les gens de la Douane ne connoissant point
Officiers s'appellent Serdengueschtis Agalar ,
qui signifie les Messieurs , ou les Chefs des enfans
perdus , et c'est aussi le titre que prenoient
Patrona & les autres Chefs de la Rébellion.
Cij
cet
878 MERCURE DE FRANCE
cet hardi voleur , craignirent qu'ils ne
leur arrivât pis , s'ils lui faisoient la moindre
chose .
Le lendemain 14. un autre inconnu
bien vêtu , et bien monté , vint aussi descendre
à la Doüane , accompagné de six
domestiques ; il entre seul , et va s'asseoir
auprès de la Caisse ; les Commis qui s'attendoient
à une avanture au moins aussi
fâcheuse que celle de la veille , lui font
civilité, et l'invitent à se mettre dans l'angle
du Sopha , qui est la place d'honneur
; notre homme s'y met les saluë
de la tête , et prenant alors la parole :
Qu'est ce donc ,Messieurs , que vous est- il
arrivé hier : le récit lui en ayant été fait ,
tel qu'on l'a rapporté , il appelle un de
ses valets , et lui commande d'aller dans
un endroit de la Ville , qu'il lui désigne ,
et de faire prendre et tuer sur le champ
une personne qu'il lui nomme, Cet ordre
donné , il en donne deux ou trois
autres à peu prés semblables à ses autres
domestiques ; puis s'adressant aux Commis
, qui aussi surpris qu'effrayez , n'osoient
pas ouvrir la bouche. Sçavez vous
bien qui je suis leur demanda-t'il je
m'appelle Mouslouh : à ce nom l'assembléc
frémit sans rien répondre. J'ai , continua-
t'il , un talent tout particulier pour
connoître les honnêtesgens , et les fripons , et
, ,
j'estime
ㄢ
६
AVRIL. 17318 879
Festime autant les premiers , que les derniers
me sont en horreur ; ainsi c'est pour proteger
les uns et pour exterminer les autres que je
viens de donner les ordres que vous avez
entendus. Ensuite il s'informa du nom et
de la demeure de tous ceux qui étoient
présents , et leur promit que si quelqu'un
venoit encore les inquiéter , ils
n'avoient qu'à lui en écrire un mot ;
que dans l'instant même il les vangeroit
des coupables ; après quoi remontant
à Cheval , au grand soulagement de
la compagnie , que ces beaux discours
n'avoient point rassurée , il fut dans un
autre quartier faire la même manoeuvre.
Ce Mouslouh , ci- devant simple Janissaire
, et Marchand de Melons , étoit un
des principaux Chefs des Révoltez , comme
on l'a déja dit au commencement de
cette Relation ; outre qu'il avoit naturellement
de l'esprit et de l'éloquence , il
s'étoit encore rendu recommandable à son
parti , parce qu'il sçavoit passablement
lire et écrire , mérite d'autant plus révéré
dans ce pays -là , qu'il est rare surtout
parmi les gens du peuple.
,
Quand les Rébelles créerent des Officiers
dans les Troupes , pour remplacer
ceux qui n'avoient pas voulu être leurs
Complices , Mouslouh se nomma lui même
Kyaya du nouveau Janissaire Aga , ou
C iij
In88%
MERCURE DE FRANCE
;
Intendant de toutes les affaires de ce
General de l'Infanterie , qui fut élevé à
cette Charge Eminente d'une maniere
assez singuliere. Mehemet Aga , c'est le
nom de ce General , étoit un vieillard
qui de Janissaire étoit parvenu au Grade
d'Hassexi , qui est une espece de Prevôt
qu'il y a dans chaque Compagnie , et qui
est au rang des bas Officiers. Un poste si
modique ne lui fournissant pas dequoi
subsister , il faisoit le métier de Sellier
les Rébelles dans leur Conseil Payant
fait Janissaire Aga , il racommodoit une
vieille Selle lorsque leurs députez vinrent
lui annoncer son élection . Mes amis
leur dit- il , il faut que vous vous soyez
mépris , ou qu'on vous ait mal adressez , car
jefuis le Curé du quartier * ; cette profession
comme vous voyez , ne quadre point du tout
avec la Charge dont vous dites que vos
Messieurs m'ont honoré ; les députez en
convinrent , et en furent rendre compte
à leurs Chefs ; on rassembla le Conseil
une seconde fois , et toutes les voix ayant
encore été pour Mehemet Aga on le
renvoya chercher avec ordre de l'amener
de gré ou de force ; le bon homme fut
obligé d'obéïr , et avoua que ne se sentant
pas assez de force , pour se charger
d'un emploi d'un si grand poids , it
* Ou Iman d'une Mosquée.
>
s'étoit
AVRIL. 1731. 881
s'étoit avisé de feindre qu'il étoit Curé ,
dans l'esperance qu'on le laisseroit tranquille
; mais malgré sa modestie et sa
vieillesse , il donna pourtant dans la
suite des marques qu'il n'étoit pas indigne
de cette place , puisqu'on peut dire que
son activité , sa prudence , et sa fermeté ,
sauverent Constantinople d'une seconde
sédition , qui pensa s'allumer , comme
on le va voir au principal endroit où la
premiere avoit pris feu.
Les 14. 15. et 16. d'Octobre , les Rébelles
firent encore quelques désordres en
divers endroits. Un Emir, entre- autres , ce
dernier jour-là , marchanda quelques pieces
de drap chez un Grec au Bizestin , et
ne pouvant convenir de prix avec lui , le
menaça de le tuer ; le Grec effrayé cria
au secours , ferma sa boutique , les autres
Marchands en firent de même , et tout
alloit rentrer dans la confusion , quand le
Janissaire Aga arrivant à propos , se saisit
de l'Emir , et le fit executer sur le champ ;.
ce qui rassura tout le monde .
Ĉette nouvelle alla bientôt jusqu'au
Mufti, qui voyant avec douleur que le levain
de la révolte fermentoit toûjours, envoya
chercher Patrona - Kalil , Mouslouh
Aga , et quelques autres Chefs ; il leur dit ,
qu'il étoit vrai que la Patrie leur avoit l'obligation
de la liberté qu'elle commençoit
C iiij
182 MERCURE DE FRANCE
respirer , que le Grand - Seigneur reconnoissoit
pareillement qu'il leur étoit redevable
de son élevation au Trône ; mais
que de même , qu'ils ne pouvoient douter
par les graces que leur avoit fait Sa
Hautesse , qu'elle sçavoit récompenser les
bonnes actions , ils devoient craindre d'éprouver
qu'elle ne sçut aussi punir les
mauvaises ; que s'ils avoient bien fait d'abord
de prendre les armes pour détruire
un Ministre tiranique , ils faisoient trèsmal
à present de continuer à s'en servir ,
pour fomenter les troubles et la discorde
dans l'Etat ; puisqu'au lieu de le soulager
réellement , ce n'étoit que substituer aux
calamitez dont ils l'avoient délivrée , d'autres
calamitez encore plus affligeantes ;
qu'enfin s'ils ne se déterminoient à se retirer
paisiblement , où le devoir de chacun
les appelloit , ils alloient perdre nonseulement
tout le mérite du bien qu'ils
avoient procuré , mais que devenant des
objets d'indignation au Sultan , et d'horreur
à tout le peuple , la Cour et la Ville
agiroient de concert , et prendroient des
mesures pour les traitter avec autant de
rigueur , qu'ils avoient traité cux-mêmes
les derniers Ministres et leurs Suppôts
.
Patrona et les autres Chefs firent semblant
d'être touchez de ce que le Mufti
venoit
AVRIL 1731. 883
venoit de leur dire ; ils lui témoignerent
beaucoup de respect , et beaucoup de chagrin
du mal que quelques coquins , contre
leurs intentions, avoient pû faire ; enfin ils
lui promirent tout ce qu'il voulut exiger
d'eux , mais ils n'en continuerent pas
moins à se comporter avec leur audace
et leur insolence ordinaire.
Comme il n'est pas permis , sous quelque
prétexte que ce soit,de boire du vin , ni
de faire aucun désordre dans les Chambres
des Janissaires , ceux des Rébelles qui y
étoient rentrez , ainsi qu'on l'a dit , ne
pouvant s'assujettir long- temps à une discipline
si rigoureuse , prirent bientôt des
Maisons en Ville ; Patrona , entre plusieurs
qu'on lui offrit , donna la préference
à celle du Tefterdar , parce qu'elle est
voisine des cazernes des Janissaires.
>
Plus de 400. de ses camarades vinrent
se loger avec lui , ou aux environs . Là ses
Messieurs bien armez , se plongeant jour
et nuit dans toutes sortes de débauches
étoient ivres la plupart du tems ; il se rendirent
dans cet état à la Porte , s'asseyoient
d'eux-mêmes éfrontement auprès du Grand
Vizir ; lui demandoient des graces , ou
des emplois pour des créatures que leur
Chefhonoroit de sa protection , et ce Ministre
, au mépris de la justice et de sa dignité
, étoit forcé de déferer toûjours à
Cy leurs
884 MERCURE DE FRANCE
•
leurs requêtes , et sans délai . On ne finiroit
pas si on vouloit rapporter tous les traits
d'impudence de cette canaille ' ; mais en
voici un assez singulier. Après qu'on eut
étranglé le dernier Grand Vizir , Ibrahim
Pacha ,Mehemet-Pacha son fils, qui de même
que son Pere , étoit gendre du Sultan
Achmet , ayant été répudié par la Sultane sa
femme,et la Cour le regardant comme un
homme sans consequence , parce qu'il est
jeune , sujet à tomber du haut mal , d'un
esprit borné , et qui n'avoit eu aucune
partau Ministere ; le Grand Seigneur crut
que ce seroit assez punir ce malheureux
Pacha , en le releguant à Nicomédie avec
l'appanage de cette Ville pour sa subsistance.
La chose ne parut pourtant pas de même
aux Rébetles , qui trouvant au contraire
que cette peine étoit trop douce
Patrona vint déclarer au Grand Vizir que
les Agas et lui avoient jugé à propos d'exiler
Mehemet Pacha à Mouchkara , pour
y vivre des revenus que son Pere y avoit
laissez , et qu'il lui demandoit un ordre
pour cela ; le Ministre n'ayant garde de
rien refuser aux Agas , c'est -à-dire aux .
Chefs des Rébelles , l'ordre fut expedié et
executé aussi tôt.
,
Mais pour bien sentir le rafinement de
leurs vengeances contre Ibrahim dans
cette
AVRIL. 1731. 885
,
cette occasion , il faut sçavoir que Mouhs-
Kara étoit autrefois un mauvais Village
d'Asie , où ce grand homme étoit né d'un
pauvre Arménien
et qu'aspirant à immortaliser
son nom , comme il y seroit
parvenu , s'il eut plutôt fini ses jours , et
d'une mort naturelle , il avoit si fort orné
ce lieu , par les Colleges , les Mosquées
, les Bains , les Fontaines , les Kams ,
et autres Edifices publics et particuliers
qu'il y avoit fait bâtir durant son Viziariat
, que depuis quelques années on ne
l'appelloit plus que Neucheher , qui veut
dire nouvelle Ville ; or les Rébelles ne
voulant rien laisser subsister , autant qu'il
dépendroit d'eux , de tout ce qui pourroît
transmettre à la posterité , la memoire
d'Ibrahim , ordonnerent que tous ces
embellissemens fussent détruits , que Neucheher
redevint un miserable Village comme
il étoit auparavant, qu'il reprit son ancien
nom de Mouhs- Kara , et que l'infortuné
Mehemet y fut exilé pour toûjours
, afin qu'après avoir été le spectateur
de cette désolation , il n'eut continuellement
devant les yeux que des objets qui
pussent l'entretenir dans des réflexions
douloureuses , et qu'il ne lui restât
pour tout bien que les materiaux et
les décombres de cette Ville démolie.
C vj
Un
886 MERCURE DE FRANCE
h
Un Poste de Capidgy-Bachi étant venu
à vacquer , le G. V. en disposa en faveur
d'une de ses Créatures ; mais Patrona en
voulant disposer aussi , il fallut que ce
Ministre le donnât au Sujet presenté par
ce Rebelle , et qu'il révoquât la personne
qu'il en avoit déja pourvûë.
Un jour le G. V. tenant son Divan , fut
averti que Mouslouh , qui étoit déja ve
nu l'interrompre la veille à la même heure
, arrivoit chez lui avec un grand nom
bre de ses Agas ; il quitta d'abord le
Conseil , et vint le recevoir ; ils parlerent
pendant quelque temps tout bas ensemble
; ensuite ce Ministre passa chez le
G. S. et dans le temps que le Peuple assemblé
s'informoit avec empressement du
sujet de toutes ces démarches , on vit
sortir du Serrail un nouveau Kyaya nom .
mé Mustapha-Bey , lequel avoit été autrefois
Capigilar Kyayasy , ou Grand-
Maître des Ceremonies , et étoit depuis
peu Bujuk-Imbrahor , ou Grand- Ecuyer
du Sultan déposé. Son prédecesseur immédiat,
Nikdelihali- Aga , fut envoyé sur
le champ dans la Prison Bachbaki-Koulou
, c'est le Chef de ceux qui poursuipayement
des deniers dûs au Trévent
le
sor de l'Empire .
On rapporte plusieurs motifs de la disgrace
de ce dernier ; en premier lieu, que
s'étant
AVRIL. 1731. 887
s'étant livré aux conseils mal digerez d'un
de ses amis , il avoit formé le dessein de
détruire lui-même les Rebelles , et que
ceux - cy en ayant été informez , le prévinrent
et le firent déposer , comme on
vient de le dire , à la premiere requisition
de Mouslouh , Secondement cet hom- .
me étoit si avide , que sans être retenu.
par l'exemple récent et tragique de son
devancier , il prenoit de toutes mains et
avoit déja amassé plus de so . mille écus
en 15. jours seulement qu'il étoit en place.
On ajoûte à cela qu'on l'accusoit d'avoir
détourné des Effets de la succession
du feu G. V. Ibrahim , deux Ceintures
de diamans , un Couteau garni de diamans
et plus d'un million en argent.
Le 19. on fit dans le Serrail la paye de
deux quartiers aux Troupes , comme il
a été dit que le G. S. l'avoit ordonné
lorsqu'il leur accorda le present , et l'usage
étant aussi dans ces occasions qu'on
leur fasse manger le Pilau , Sa Hautesse
qui étoit venuë voir les sacs d'argent pour
la forme , commanda qu'on servît ce
Pilau dans des plats neufs , ne voulant
pas , dit-elle , que ce qui avoit été
employé sous le regne de son oncle le fût
encore sous le sien ; mais sur ce qu'on
lui représenta qu'il seroit impossible qu'on
f trouvât dans une matinée autant de vaisselle
888 MERCURE DE FRANCE
selle neuve qu'on en avoit besoin pour un
si grand nombre de personnes, elle répondit
qu'il falloit toûjours aller chercher
toute celle qu'on pourroit trouver , et
suppléer à ce qui en manqueroit par une
partie de la vieille qu'on feroit étammer
de nouveau , et cela fut executé avec une
promptitude dont il semble que les Turcs
seuls soient capables.
Comme on faisoit la paye , Patrona vint
au Serrail , il passa dans les rangs des
Janissaires , et les salua à droit et à
gauche
, et continua sa route jusqu'à l'Appartement
du G. S. La Validé ou Sultane
Mere , qui l'appelloit son second fils ,
parce qu'il avoit mis Sultan Mamouth sur
le Trône , fut quelque temps en conversation
avec lui , par l'organe d'un de ses
Eunuques, et lui donna 2000 Sequins , dont
il distribua la plus grande partie en sortant
aux Domestiques de cette Princesse.
Après la tenue du Divan , le G. V. revint
chez lui conferer la Principauté de
Valachie à Milka -Voda , qui avoit déja été
plusieurs fois Prince de Moldavie pendant
20. ans , et qui vivoit depuis quelques années
qu'on l'avoit déposé en simple Particulier
dans un Village du Canal de la
Mer Noire; il a succedé à Mauro-Cordato-
Roda , Prince d'un grand mérite , et sur
tout fort estimé pour son sçavoir , qui
mourut
AVRIL 1731. 889
mourut au commencement de Septembre
dernier.
Le Drogman de la Porte , à l'occasion
de cette ceremonie où il fallut qu'il assistât
, reçut un Caffetan , qui le confirmoit
dans son poste. Depuis le commencement
de la révolte il avoit toûjours
prié le G. V. de differer à lui faire cet
honneur , de crainte que les Rebelles le
voyant en fonction sous le nouveau Ministere
, comme sous l'ancien , ne le
fissent périr , ou n'exigeassent de lui des
sommes qu'il n'étoit pas en état de payer:
et de fait , Patrona l'ayant menacé en diverses
rencontres de le poignarder , il
n'osoit presque plus se montrer , et il fut
dans des frayeurs continuelles jusqu'au
jour que ce Barbare persecuteur de tous
ceux qui avoient eu part au dernier Gouvernement
, a subi lui- même la fin tragique
qu'il avoit déja fait souffrir aux uns ,
et qu'il destinoit encore aux autres .
Pour revenir à Milkavoda , sa Principauté
de Valachie lui avoit coûté 1500.
mille liv. sans compter les presens considerables
que suivant l'usage il avoit été
obligé de faire aux Ministres de la Porte ,
dès que lui , son fils et son Capy- Kyaya , *
* C'est un Homme d'Affaire , que les Princes
de Valachie et de Moldavie et même les Pachas
des Provinces entretiennent toûjours à la Porte
pour avoir soin de leurs interêts.
890 MERCURE DE FRANCE
eurent été revêtus du Cafetan d'honneur;
il fut conduit par les Principaux de la
Nation Grecque à leur Eglise Patriarchale ,
pour se faire reconnoître Prince . Le Patriarche
à la tête de son Clergé , vint le
recevoir à la Porte, et celebra la Messe en
habits Pontificaux , après quoi ce petit
Souverain s'embarqua dans un Bateau à
cinq paires de Rames , pour marque de
sa dignité , et retourna en pompe à son
Village.
Ce nouveau Prince fournit l'occasion
de parler ici d'un certain Manolaki, Grec
extrémement riche , et qui étoit Curtchi-
Bachi , ou Chef des Foureurs . Les Rebelles
, à cause des grandes liaisons qu'il
avoit eu avec Mehemet l'ancien Kyaya ,
l'ayant soupçonné d'avoir entre ses mains
beaucoup d'Effets de ce Ministre , furent
piller ses maisons , où ils ne le trouverent
pas. Il avoit d'abord pris la fuite et s'étoit
caché successivement en differens endroits,
d'où il faisoit agir secretement ses Emissaires
auprès de Patrona , pour avoir fa
permission de reparoître en sureté. On
prétend que ce dernier en reçut de grands
presens ; mais ces sortes de graces n'étoient
pas approuvées par ses Camarades ,
comme nous l'avons dit.
Le Curtchi- Bachi , qui vit que l'orage
qu'il croyoit avoir excité , étoit prêt à
tomber
AVRIL. 1731. 89 %
mer ,
tomber de nouveau sur sa tête , crut pouvoir
s'en garentir en se sauvant dans une
maison privilégiée , qu'il regardoit comme
un azile assuré pour lui ; mais malheureusement
peu de jours après on sçut
sa retraite , et la Porte l'ayant fait reclaon
ne put se dispenser de le re- .
mettre aussi-tôt à la Garde du Bostandgi-
Bachi , qui l'alla chercher. On le conduisit
et on le mit aux fers dans la Prison
du Bach-Baks -Coulou. Il fut interrogé
sur les biens du Kyaya , qu'on prétendoit
qu'il avoit en dépôt ; il répondit qu'il
n'en avoit qu'une petite cassette pleine
de papiers , que ce Ministre lui remit luimême
le jour de la révolte , parmi lesquels
on trouveroit un Etat détaillé de
toutes les affaires du Kyaya , qui faisoit
foi de la verité de sa déposition. Il ajoûta
que quant à lui , Curtchi - Bachi , il ne
désavoüoit pas qu'il ne fût fort opulent
, mais que ces richesses lui étoient
venues ou des heritages de sa famille ou
des gains legitimes qu'il faisoit depuis
long - temps dans son commerce de Pelleterie,
et que si quelqu'un pouvoit lui prouver
qu'il eût jamais rien pris injustement , il
étoit prêt à le restituer au triple. Par ces
raisons , appuyées de beaucoup d'argent
I qu'il fit glisser sous main à ceux qui le
pouvoient tirer d'embarras , il avoit enfin
recouvre
892 MERCURE DE FRANCE
recouvré sa liberté , lorsque notre nouveau
Prince venant à la traverse , l'accusa
à la Porte de lui avoir pris des sommes
considerables , dans le temps que lui Mikal
, étoit Prince de Moldavie , et que
Manolaki étoit dans la grande faveur du
Kyaya , et c'en fut assez pour que l'on
le remenât à la même Prison , d'où il sortit
pourtant cinq semaines après.
Le 23. le G. S. déposa Mengheli Chiray ,
Kam des Tartares de Crimée , et lui nomma
pour successeur son frere Kaplan-
Chiray , homme de tête et de coeur , et
qui avoit déja occupé ce Trône autrefois.
S. H. lui envoya son Grand - Ecuyer à
Brousse , où il étoit en exil , pour lui
annoncer cette agréable nouvelle , et une
Galere à Modenia , Port d'Asie , à une
journée de Brousse , pour le transporter à
Constantinople.
Ce Prince y étant arrivé le 31. Octobre
, on fit aussi- tôt publier une deffense
aux femmes et aux enfans de paroître dans
les rues , de peur que la curiosité ne les
y attirant pour voir son Entrée , il n'ar- ·
rivât quelques desordres. La Cour le logea
dans un Serrail du deffunt Kyaya . Le
6. Novembre il fut rendre visite au G. V.
qui le mena après chez le Sultan . S. H.
lui fit un gracieux accueil , et le fit revêtir
d'une Pelice de Martre Zibeline ; elle lui
4
1
fit
AVRIL. 1731 . 893
fit aussi donner un Cheval de son Ecurie
magnifiquement harnaché ; on le reconduisit
ensuite en ceremonie à son Palais ;
et dès le même jour le G. V. et les principaux
Ministres le vinrent voir, et lui firent
de magnifiques presens.
Le 24. on tint plusieurs Conseils sur
ce qu'il y avoit à faire pour parvenir à
dissiper les Rebelles. Il fut arrêté de leur
proposer , et on leur proposa en effet de
se retirer sur telle Frontiere de l'Empire
qu'ils voudroient ; bien loin de gouter
cette proposition , ils demanderent que
le G. V. fut déposé ; mais Mouslouh Aga,
qui n'étoit pas d'abord avec eux , arriva
et les fit changer de sentiment .
Le lendemain ils se présenterent au
Serrail en plus grand nombre que la veille
, ils se plaignirent de ce qu'on continuoit
à conserver et à rétablir des personnes
indignes des places qu'on leur faisoit
occuper , comme Mehemet-Effendi ,
ancien Reys Effendy , que la Porte venoit
de faire Dester - Emini , ou Gardien des
Registres de l'Empire pour ce qui regarde
les Troupes , et par le canal duquel les
Pensions Militaires s'obtiennent . Îls ajoûterent
qu'ils voyoient bien qu'on avoit
envie de faire revivre la derniere administration
, mais qu'ils y mettroient bon
ordre.
On
894 MERCURE DE FRANCE
On ne peut éviter de faire ici une disgression
sur les diverses agitations que
souffrit la fortune de ce Ministre pendant
la Révolte. Après avoir été caché les premiers
jours , il reparoît à la Cour tout
d'un coup , s'étant accommodé avec Patrona
; mais les autres Rebelles ayant
trouvé cela mauvais , il fut contraint de
s'éclipser de nouveau . Ensuite par le
moyen d'un Emir qui lui avoit obligation
et qui étoit intime ami de Mouslouh
il eut la liberté de revenir chez lui ,
pourvû qu'il ne fréquentât qui que ce
fût de dehors.
Le Kyaya-Nikdeli- Ali - Aga , dont nous
avons parlé , fâché de ce que cet ancien
Secretaire d'Etat qu'il n'aimoit pas , et dont
la capacité lui faisoit ombrage , n'eut pas
péri comme les autres , résolut de le perdre.
Pour y parvenir il lui fit faire des
complimens de félicitation , il le fit prier
avec les instances les plus vives de revenir
à la Porte , où l'on ne pouvoit , disoitil
, se passer de son secours , sur tout par
rapport aux affaires de Perse , que personne
ne possedoit comme lui.
Le vieux Mehemet-Effendi , fit rendre
mille graces au Kyaya , de toutes ses politesses
, et de l'opinion avantageuse qu'il
témoignoit avoir de son peu de lumieres ;
mais il le fit prier à même- temps de le
"
1
disAVRIL.
1731. 895
dispenser de se plus mêler de rien , s'en
excusant sur son grand âge et sur ses
infirmitez , qui le rendoient incapable
d'aucune application.
-
Le Kyaya voyant qu'il ne pouvoit attirer
tout seul son Ennemi dans le piege,
fit agir le G. V. qui envoya un ordre à
Mehemet Effendi de se rendre à la
-Porte ; il fallut obéïr ; il y fut donc , on
l'accabla de caresses chez ces deux Ministres
, et au bout de quelques jours le
G. S. le fit Defter Emini.
Le Kyaya sçavoit bien que les Rebelles
ne le souffriroient pas long- temps dans ce
poste ,aussi ne tarderent- ils pas long- temps
à s'en plaindre , comme nous l'avons rapporté
; on tint Conseil sur leurs menaces;
et pour en prévenir les effets , on déposa
plusieurs Officiers , dont Mehemet- Effendi
fut du nombre , et de plus exilé à
Tenedos.
Mais à peine étoit- il parti , que le reconnoissant
Emir qui l'avoit déja si bien
servi , s'employa une seconde fois en sa
faveur auprès de Mouslouh , et obtint
son rappel , desorte qu'il revint encore
dans sa maison , mais toûjours sous la
condition de ne communiquer avec personne
, ce qu'il observa fidelement jusqu'à
l'entiere abolition des Rebelles ,
Revenons à ces derniers ; après qu'ils
eurent
896 MERCURE DE FRANCE
eurent marqué leur mécontentement à la
Porte , de ce qu'on employoit encore des
proscrits , ils demanderent que Ruslan-
Pacha , qu'ils avoient fait venir de Bosnie ,
fut nommé General de l'Armée de Perse.
Le G. S. y consentit , moyennant qu'ils
voulussent y suivre ce Pacha. Ils promirent
de le faire ; mais comme ils ne cherchoient
qu'à amuser S. H. , cela n'empêcha
pas qu'ils ne fissent entre- eux les jours
suivans de nouvelles assemblées , et qu'ils
ne parussent à la Porte le 29. pour y demander
que Patrona-Kalil fût fait Capi- ,
tan Pacha , le Janissaire Aga G. V. et que
Mouslouh eût la Charge de ce dernier.
La Cour surprise au dernier point de ce
nouveau trait de la teméraire audace des
Rebelles , ne pût se persuader qu'ils se
portassent d'eux-mêmes à des prétentions
si déraisonnables , et crut que quelques
Gens de Loi , qui étoient très- suspects au
Gouvernement , étoient les secrets Promoteurs
de toutes leurs démarches outrées.
Elle jetta d'abord tous ses soupçons
sur Zulalizade-Effendi , Kadilesker d'Asie,
en exercice .
On se rappella , 1 ° . qu'Achmet III.
étant encore sur le Trône , avoit reproché
en face à ce Kadilisker , qu'il étoit
un traître et un des principaux Auteurs
de la premiere Révolte ; que celui- cy au
lieu
AVRIL. 1731. 897
lieu de se disculper de cette accusation ,
avoit reproché à son tour au G. S. que
depuis long- temps il étoit déchu de la
Souveraineté , et que du moment même
qu'il signa le Traité de Passorouvits , par
lequel il avoit cedé honteusement Bellegrade
aux Allemans , il ne l'avoit plus
consideré comme Empereur.
2º. Qu'Achmet ayant assemblé les
Gens de Loy pour les consulter sur les
moyens de conserver la vie à son G. V.
il lui avoit dit que les séditieux lui demandoient
trois personnes , le Vizir , le
Kyaya et le Capitan - Pacha . Qu'à l'égard
des deux derniers il consentoit à les leur
abandonner , mais que pour Ibrahim , il
vouloit tâcher de le sauver ; qu'il étoit
même dans le dessein d'écrire aux Rebelles
pour en obtenir la grace , et que
cependant il souhaitoit auparavant qu'ils
lui dissent leur avis là- dessus ; que Zulali
Zadé prenant alors la parole , avoit répondu
au Sultan qu'il entreprenoit là une
chose bien difficile , et que le mal étoit
devenu trop grand pour pouvoir y porter
du remede ; que le G. V. ayant aussi voulu
hazarder son avis , ce Kadilisker l'interrompit
, et s'emportant comme
furieux , lui dit qu'il étoit réprouvé des
hommes et de Dieu , et qu'un méchant
comme lui méritoit la mort la plus
igno398
MERCURE DE FRANCE
> ignominieuse. Sur quoi Ibrahim sans
rien répliquer , se leva , les larmes aux
yeux , et se retira . Que le G. S. outré de
douleur et de dépit , s'étoit pareillement
levé et avoit dit au Kadilesker, que puisque
tout étoit désesperé , qu'il rendît
donc sa Sentence de mort contre le Visir
comme contre les deux autres , ce que
Zulalizadé avoit fait sur le champ.
Ces refléxions et plusieurs autres du
Sultan et de ses Ministres , sur le procedé ,
dace Kadilesker , firent regarder comme
des preuves les indices qu'on avoit de ses
pratiques avec les Rebelles ; mais comme
on n'avoit pas encore pris les arrangemens
necessaires pour leur châtiment et
leur destruction , on se contenta de répondre
qu'on ne pouvoit leur accorder
les changemens qu'ils demandoient qu'on
fit dans le Ministere .
Lc 2. Novembre le G. S. donna un
Katcherif, qui leur enjoignit de prendre
bien garde de faire aucun desordre ; S. H.
étant résoluë de punir de mort tous ceux
qui en seroient coupables ; et comme ils
s'étoient distinguez de ses autres Sujets
en portant des Turbans rouges , ce qui
ne faisoit qu'entretenir la division et l'esprit
de parti dans Constantinople , elles
prétendoient qu'ils en prissent chacun de
conformes à leurs differentes Professions,
#
(
= afin
AVRI L. 1731. 899
afin que rien ne démentît en cux l'obéi'ssance
et la fidelité qu'ils devoient.
Les Rebelles firent honneur au Katcherif
, quant à ce dernier article qui ne
regardoit qu'une soumission exterieure
mais quant à ce premier qui touchoit à
la réforme de leur conduite , ils ne tarderent
pas à marquer qu'elle étoit toûjours
la même.
Patrona Kalil , refléchissant dans sa
haute prosperité , qu'il avoit fait du bien.
à tous ceux à qui il avoit obligation ,
excepté à un Boucher Grec nommé Tanaki
, lequel s'étoit avanturé de lui fournir
abondamment , tant à lui qu'à ses Camarades
, d'excellente viande , lorsqu'ils
étoient campez à Etmeïdan , et que cet
homme d'ailleurs lui avoit autrefois prêté
deux écus dont il avoit eu la discretion
de ne lui jamais parler , il l'envoya chercher
, et lui dit : qu'étant très sensible à
l'assistance qu'il avoit reçûë de lui , il
vouloit lui en témoigner sa reconnoissance
d'une maniere autentique. Il lui fic
d'abord present de 1000. Sequins , valant
près de 1oooo. liv. puis lui dit, en riant :
Ne vous souciez- vous pas de vivre plus
Long-temps que moi ; Yanaki répondit aussitôt
, que , lui mort , il ne se soucioit plus
de la vie. He bien, puisque cela est ainsi,
reprit Patrona , charmé de cette réponse :
D dites
goo MERCURE DE FRANCE .
dites-moi ce que vous souhaitez que je fasse
pour vous , et soyez sûr de l'obtenir. Alors
mille désirs confus s'élevant dans le coeur
du Boucher , et ne sçachant auquel s'arrêter,
il dit à son Bien- faicteur : Que pour
le present il ne sçavoir que lui demander ,
mais qu'il alloit consulter ses amis , et qu'il
lui rendroit bien tôt réponse. Yanaki fut
trouver le Kasab- Bachy , qui est comme
le Fermier ou Inspecteur general des
Boucheries ; et après lui avoir exposé sa
bonne fortune : Que me conseillez vous ,
lui dit-il , j'ai envie de porter Patrona
qu'il fasse revivre en ma faveur la Charge
de Surdgy- Bachi , * qu'on a supprimée,
elle est de mon état et j'en connois tout
l'exercice . Celui- cy qui vie qu'il alloit per
dre la plus grande partie de ses droits ,
si cette Charge dont il avoit réüni les
fonctions à la sienne , étoit rétablie , répondit
au Boucher : Vous n'y pensez past
à quoi vous amusez vous ? votre Protecteur
est tout-puissant , il vous met en état par
ses offres et par son crédit , d'aspirer aux
Postes les plus brillans , et vous allez vous
borner à une petite Charge de rien , sou-
* C'étoit une Ferme et en même temps une Ingpection
sur les Boeufs , Moutons , &c. à peu près
comme la Ferme du Pied- Fourché à Paris , et
qui rapportoit au Fermier par an environ 106.
mille livres.
vent
AVRIL: 1731 .
vent même plus ruineuse que lucrative :
Que lui demanderai- je donc? Demandez
lui , reprit l'autre , qu'ils vous fasse Prin
ce de Moldavie ; et si vous n'avez pas assez
d'argent pour payer cette Principauté
, que cela ne vous embarrasse pas , je
vous fournirai tout ce qu'il vous en faudra.
La vanité qui est comme incarnée chez
les Grecs , tourna en un moment si bien
la cervele à celui-ci , qu'oubliant la dis
tance de sa bassesse , au rang qu'on lui
proposoit , il s'en revint chez Patrona , et
-lui dit que puisque l'affection dont il
l'honoroit étoit sans égale , et qu'il avoit
tout pouvoir dans l'Empire , il le prioit
de le faire Prince de Moldavie . Soit , ré-
-pondit Patrona , et sur le champ , il l'en
voya avec un de ses gens chez le G. V.
Ce Ministre étonné d'une pareille proposition
, resta muet quelque-tems ; ensuite
reprenant ses esprits , il dit que ce que deamandoit
l'Aga Patrona étoit impossible
qu'on ne nommoit à ces sortes de Principautez
que des gens de naissance , ou qui
avoient rendu de grands services à l'Etat ,
qu'outre que le sujet qu'on lui présentoit
, n'étoit dans l'un ni dans l'autre cas ,
'Empereur n'ayant confirmé que depuis
quatre jours Gregorasko - Ghika , dans sa
Principauté , il n'étoit ni de l'honneur ,
Dij
ni
jo MERCURE DE FRANCE
ni de la justice de Sa Hautesse , de déposer
ce Prince , dont elle étoit satisfaite , pour
mettre un vil Artisan à sa place.
pas
Le tout ayant été rapporté à Patrona :
Bon, bon , voilà de belles raisons , dit- il ,
qu'est-ce que cela signifie ? Gregorasko
n'est- il pas Dgiaour ? Yanaki n'est- il
Dgiaour aussi ? Que l'un ou l'autre
soit Prince , n'est - ce pas toujours
la même chose ? En un mot , je veux que
mon ami soit préferé. Là- dessus il renvoya
le Boucher au G. V. et le fit accom-
Mouslouh.
pagner par
it
Ce second Chef parla si haut , que le
Gr. V. ne sçachant plus quel parti prendre
, dit qu'une affaire de cette importance
ne dépendoit pas de lui , qu'il alloit
la communiquer au Sultan , et sçavoir sa
volonté : Allez donc , répondit Mouslouh,
mais songez toujours à complaire à Pafrona.
Le G. S. ne fut pas moins surpris , ni
indigné que l'avoit été son Vizir ; cependant
, jugeant bien que dans peu tout
changeroit de face , et qu'on seroit alors
en état de faire payer cherement au Bou
cher et à son protecteur leur impudence ;
il dit à son Ministre qu'il n'y avoit qu'à
les contenter. Ainsi maître Yanaky fut
revêtu du Caftan de Prince de Moldavie
le 2 Novembre et reçût tous les au-
?
tres
་
{
AVRIL. 1731. 903
tres honneurs usitez en pareille occasion
tant à la Porte , qu'à l'Eglise Patriar
chale .
Ce fut un coup de foudre pour la Nation
Grecque l'orgueil humilié , et le désespoir
étoient peints sur tous les visages
pendant la cérémonie , à laquelle il fallut
que le Drogman de la Porte eut la mortification
d'assister. Comme c'est un fort
honnête homme , tout le monde prit
part au juste chagrin qu'il avoit d'être
obligé par le devoir de sa Charge de concourir
, quoi qu'indirectement,à la déposition
de son propre frere , que le Boy
Yanaky alloit relever.
Mais la grandeur de ce Prince-Boucher
passa comme un songe; il ne pût parvenir à
ramasser que 30 Bourses,qu'il donna , et qui
furent perdues,au lieu de près d'un million
dont il avoit besoin , pour satisfaire la Porte
et ses Ministres , ainsi que Patrona qui lui
demandoit 60 Bourses , et les autres Agas
qui en vouloient avoir presque autant. Le
Kasab- Bachi , qui ne lui avoit offert de luimême
son secours , que pour l'engager
dans ce mauvais pas , et l'y laisser , s'éclipsa
subitement , et Patrona même , son
zelé protecteur , en apparence , l'ayant
fait Prince moins par reconnoissance
que pour son interêt particulier , et pour
braver le G. S. en faisant parade de son
Diij -au-
,
904 MERCURE DE FRANCE
autorité , l'abandonna comme l'autre; ensorte
que ce Prince , en idée , au lieu d'être
conduit pompeusement auTrône,fut traî
né honteusement en prison , où nous le
laisserons déplorer sa folie , jusqu'à ce
qu'une plus grande punition l'en tire.
Le même jour , 2 Novembre , l'Ambassadeur
de France étant allé rendre sa
premiere visite à Kafis - Mehemet , noųveau
Capitan- Pacha , pour le complimen
ter sur són Avenement à cette dignité ;
le Janis aire Aga se figura que les Ministres
Etrangers en devoient faire autant à
son égard. Il envoya chercher un Drogman
au Palais de France , et lui demanda
pourquoi son Ambassadeur ne l'étoit pas.
venu voir , comme c'étoit l'usage . Le
Drogman lui répondit , qu'on l'avoit sans
doute mal informé , puisque cela ne s'étoit
jamais pratiqué envers les Janissaires.
Agas , et que sûrement son Ambassadeur
n'établiroit pas cette nouveauté. On conduisit
ensuite le Drogman chez Mouslouh
, qui s'étoit fait de lui-même , comme
on a dit , Kyaya de ce General de
P'Infanterie il dit à ce Drogman' que
puisque l'Ambassadeur de France ne vou
loit pas venir voir con Maître , il devoit
au moins envoyer à lui Kyaya , les présens
usitez. Je ne sç che pas, répondit l'In
terprete , que les Ambassadenrs de Fran-
:
AVRIL. 1731. 905
"
ce en ayent jamais fait aux Agas des Janissaires
, ni à leurs Kyayas ; cependant ,
ajouta- t-il , j'en parlerai à son Excellence.
Je vous en prie , répliqua Mouslouh ;
car après tout , il me semble que le bon
ordre que j'ai fait observer pendant les
troubles , mérite bien quelque récompense.
Le 5. il y eut une grande altercation
entre les Serdingueschtis , et les plus anciens
Officiers et Soldats des Janissaires.
Un de ces premiers prit querelle avec un
Capitaine de cette Milice , et le tua, Ceçte
action irrita si fort les Janissaires, qu'ils
furent en grand nombre s'artrouper à
Orta-Dgiani , Mosquée où les Janissaires
tiennent leurs Assemblées tumultueuses ,
et ils convinrent entr'eux de chasser de
leurs chambres tous les enfans perdus .
Ils en étoient sur cette déliberation
quand Patrona , qui avoit été averti du
tumulte , arriva avec une vingtaine des
siens , et leur ayant demandé , comme
s'il l'avoit ignoré le sujet de leur assemblée
, un Hoda -Bachi , de la 32 Compa
gnie , ou Chef de chambrée , prenant la
parole , lui répondit qu'ils s'étoient assemblez
dans le dessein de n'avoir plus
aucune societé avec ses camarades qui
deshonoroient journellement leur Corps ,
par leurs crimes , et que s'il ne se rangeoit
>
Dij lui
906 MERCURE DE FRANCE
>
>
3
>
lui même à son devoir , on lui feroit un
mauvais parti. Patrona répliqua qu'il ne
les craignoit guéres , que s'ils étoient assez
hardis pour venir l'attaquer lui et ses
gens , qu'ils trouveroient à qui parler , et
qu'il avoit dans Constantinople 12000.
Albanois prêts à se joindre à lui. Quand
tu ferois venir toute l'Albanie à ton secours
répondit courageusement Lodabach
- nous ne l'èn exterminerions pas moins toi et
les tiens . Mon ami , répondit Patrona
vous avez tort de vous emporter contre moi
puisque je ne fais de mal à personne. Il ne
suffit pas,dit alors cet Officier,que tu nefasse
point de mal, il ne te convient pas non plus,
comme tu fais , de te mêler des affaires de
Etat. Il semble à te voirfourrer le nez par
tout , que le Sultan et son Vizir ayent besoin
de tes lumieres pour se conduire. Si tu es Janissaire
, tu dois te comporter en Janissaire ,
et non pas en Ministre , ni le laisser faire
à ton camarade Mouslouh , qui vient tous
les jours à la Porte avec autant de faste et de
fierté que le défunt Kyaya. Mais , interrompit
Patrona , si je ne m'informe pas de
ce qui se passe , il arrivera infailliblement
qu'on remettra en place des infames qui renouvelleront
la tiranie du dernier
gouvernement
; tous les mouvemens que je me donne
n'ont d'autre objet que de procurer le soulagement
du peuple. Ce n'est pas d'un homme tel
C
que
1
1
1
AVRIL. 1731 .
907
que toi , répondirent plusieurs Janissaires ,
que le peuple doit attendre du soulagement ;
notre Empereur est assez juste et assez éclairé
pour gouverner et pour rendre ses sujets beureux
; c'est à lui feul à disposer des emplois
et des Charges en faveur de ceux qu'il croit
les mériter quant à nous , ce que nous
avons à défirer , c'est qu'il régne , et qu'il
vive long- tems , et qu'on nous paye toujours
avec exactitude ; nous n'avons jusqu'à présent
qu'à nous louerde ce côté-là , aussi -bien
que
des liberalitez de S. H. Ce seroit nous
en rendre tout-àfait indignes , si notre Corps
qui est le plus ancien et le plus illustre de l'Etat,
souffroit qu'un Particulier , quel qu'il pût
être , osat s'ingerer de partager l'authorité
fouveraine.
>
Ainsi , continuerent-ils , s'adressant toujours
à Patrona nous te donnons encore
trois jours , pour réduire , on dissiper tes
gens ; si ce terme expiré nous entendons encore
parler de quelques désordres de leur part ,
nous ferons main basse sur eux par tout où
nous les trouverons . Ces dernieres paroles ,
prononcées d'une voix plus forte , finirent
l'Assemblée , et on se sépara.
Quoique Patrona fut un déterminé , et
qu'il ne craignît pas que les Janissaires ,
parmi lesquels il étoit sûr d'avoir encore
un gros parti , missent à exécution leurs
menaces , il ne laissa pourtant pas de com-
DY prendre
908 MERCURE DE FRANCE
prendre par le discours qu'on lui avoit tenu
, que les esprits étoient fort échaufez
contre lui , et qu'il avoit plus d'ennemis
qu'il ne croyoit. Pour s'en mieux éclaircir
, il fut voir Damud- Zadé , ancien Kadelisker
, qui le reçût froidement , et même
avec mépris . Nonobstant cet accueil
peu favorable , il ne se rebuta point , et
faisant tomber la conversation sur tout ce
qui s'étoit passé , il dit à cet Effendi d'un
ton hypocrite , qu'il n'avoit pris les armes
que pour la cause commune , que
Dieu avoit bien voulu se servir de son foible
bras pour tirer le peuple Musulman
de l'oppression du précédent Ministere
et que lui-même Damudzadé , étant un
personage saint et éclairé , et qui pouvoit
Tire jusques dans les replis les plus secrets
de son coeur , il lui étoit aisé de reconnoître
que ses intentions avoient été bon
nes. Cependant , ajoûta -t- il , en soupirant ,
je trouve tous les jours en mon chemin de manvais
esprits , qui donnent des interprétations
criminelles à tout ce que je fais , et qui ne
travaillent qu'à me noircir auprès de mon
Empereur , pour lequel j'ai tant de fois exposé
ma vie. Souffrez , grand Effendi , queje
vous demande votre protection contre eux s'ils
continuent à me calomnier dans l'esprit de Sa:
Hautesse.
Damudzadé , qui est effectivement un
hom
AVRIL. 1731. ୨୦୨
Homme de beaucoup de merite , et surtout
plein de droiture , lui répondit qu'il
ne rougiroit jamais de dire la verité , et
qu'ayant le mensonge en horreur , il pouvoit
s'assurer que quand on lui demande
roit ce qu'il pense sur son compte , il le
diroit sans le moindre déguisement.
Patrona dont la curiosité n'eut pas
trop lieu d'être satisfaite par cette réponse
ambigue , affecta pourtant d'en être fort
content , comme si le Kadilesker ne pou
voit que parler avantageusement de lui ,
il lui baisa la main , se retira , et répandit
en sortant une poignée de Seguins à ses
Domestiques. Damudzade Payant appris,
ordonna que tous ceux qui en avoient
tamassez les jettassent dans la Mer devant
lui , et regardant Patrona comme un scelerat
, dont la seule présence avoit souillé
sa maison , il fit balayer et froter par tout
sur le champ où il avoir mis les pieds.
Le 10 Novembre , le G. S. déposa Kafis-
Mehemet Pacha , de la Charge de Ca
pitan-Pacha , et l'honora en échange d'une
Pelisse de Martre- Zibeline, et du Gouver
nement de Seyde , que son pere avoit eu
autrefois ; mais soir que les Rebelles entrevissent
une partie de ce qu'ils avoient
à craindre de la réputation et de la capacité
de Codgea Dgianon , qu'on
attendoit et auquel ils soupçonnoient
D vj
*
-
qu'on
910 MERCURE DE FRANCE:
qu'on destinoit cette importante Charge
ou soit que Patrona qui la briguoit pour
lui-même , voulut en éloigner un concurrent
si redoutable , ils firent tant de bruit
de la déposition de Kafis -Mehemet , que
la Cour , pour les leurrer , le rétablit dès
le lendemain.
On prétend que ce dernier avoit d'abord
sollicité les Rebelles , afin d'empê
cher qu'on ne le dépouillât de cette dignité
, mais que dans la suite , voyant d'un
côté que Patrona y aspiroit , et que de
l'autre Sa Hautesse faisoit venir Dgiannum-
Codgea pour la lui donner , il demanda
secretement à la Porte sa démission
lui- même , et le Pachalik de Seyde ,
ce qu'il obtint aisément par l'entremise
du nouveau Kam des Tartares , dont son
pere avoit été esclave ; de sorte que quoi-
Kafis-Mehemet revint à l'Arsenal le
lendemain avec tous ses effets , qu'il en
ayoit déja fait enlever la veille , et qu'il
y reçût les complimens de tous les Officiers
de la Marine sur son rétablissement
il n'exerça pourtant plus le Generalat de
la Mer que par intern , et jusqu'au 21
jour que Dgiannum. Codgea en prit posque
session.
Comme il étoit impossible que les affaires
subsistassent encore long- tems dans
la confusion , où la continuation de la Ré-
7
volte
AVRIL. 1731. gif
volte les avoit mises , et qu'il falloit
ou qu'elles bouleversassent totalement
l'Etat , ou qu'elles reprissent leurs cours
ordinaires , la Cour et les Rebelles , chacun
suivant ses differentes vuës , songerent
à appliquer les remedes convenables au
mal.
,
>
Les Chefs de ceux-ci voyant bien que
pour se maintenir dans l'autorité , qu'ils
avoient commencé d'usurper , il leur étoit
essentiel de ne point abandonner le séjour
de Constantinople , et de s'y fixer au contraire
, en partageant entr'eux les principaux
emplois de l'Empire. Ils tinrent un
Conseil le 16 Novembre , et convinrent
qu'il falloit d'abord faire élire Mouslouh ,
Koul - Kyassi
ou Lieutenant General
des Janissaires ; mais prévoyant qu'ils
y trouveroient de grands obstacles , parl'on
ne parvient d'ordinaire à ce
Grade qu'après avoir passé par tous les
autres qui lui sont inferieurs , tellement
que celui qui y arrive est toujours un homme
respectable par son âge et par son experience
, et que Mouslouh n'étant qu'un
homme de rien , de 25 à 30 ans , et simple
Janissaire , n'avoit aucune des qualitez
requises , ils eurent recours à l'argent ,
qui , en Turquie , applanit presque toutes
les difficultez .
ce que
Ils firent distribuer so mille Piastres
aux
912 MERCURE DE FRANCE
>
aux plus anciens et plus accréditez des
Janissaires , et leur firent entendre que
s'ils vouloient favoriser l'Election deMous
Jouh , il leur feroit payer le présent de la
Reine - Mere. Pour l'intelligence de ce fait,
il est nécessaire de dire que cette Princesse
, dans les premiers transports de sa
joye , de voir son fils Mahmout sur le
Trône avoit promis aux Troupes , qui
lui en avoient frayé la route , une récompence
de cinq écus à chaque Soldat , mais
que quelque tems après , les refléxions
lui ayant fait trouver cette promesse in
considerée , elle ne parla plus de l'executer
, soit qu'elle n'eut pas assez de fond
Pour y satisfaire ou que le Kislar-
Aga , qui a beaucoup d'empire sur soir
esprit , l'en détournất , en lui
tant que l'Empereur avoit assez marqué
sa reconnoissance aux Milices par les grandes
liberalitez qu'il leur avoit faites , sans
qu'elle y en ajoûtât de son chef qui n'étoient
point d'usage.
} ›
represen-
Quoiqu'il en soit de ces conseils , ils
penserent causer la perte du Kislar-Aga
Les Janissaires vouloient qu'il fut déposé
et murmuroient hautement contre la Va
lidé , regardant ce qu'elle leur avoir
promis , non comme une grace , mais
comme une dette , dont elle ne pouvoit
se dispenser de s'acquitter ; ainsi , ceux
*
2
AVRIL 1731. 913
aqui les so mille écus des Rebelles furent
partagez , consentirent volontiers à
l'élection de Mouslouh ; ceux qui n'en eurent
rien ne lui en donnerent pas moins
leurs voix , parce que les uns et les autres
esperoient que dès qu'il les auroit fair
payer de ce présent , ils se déferoient de
lui sans peine , et nommeroient à sa place
le plus digne de leurs Officiers.
Les esprits préparez de la sorte , Mouslouh
fut chez le G. V. le 18. lui demander
le Caftan pour la Charge de Koul-
Kyassy. Le Ministre le lui refusa , disant
qu'il n'étoit ni d'un rang , ni d'une ancienneté
à y prétendre , que le Corps des
Janissaires ne le soufriroit jamais , et que
l'Empereur ne pouvoit sans blesser sa dignité
et sa ju tice , instaler dans un poste
si considérable quelqu'un qui ne fut pas
au gré de ce Corps. Ce Rebelle répondit
sans se rebuter , qu'il avoit pourvû à
tout , qu'il lui donnât seulement le Cafetan
, sans s'embarasser du reste. Le G. V.
s'obstinant à le lui refuser , Mouslouh le
quitta fort irrité.
Dès que ses Camarades sçûrent le peu
de succès de sa négociation , ils jurerent
avec lui de se vanger du G. V. et s'en fu
rent comme des forcenez , au nombre d'une
trentaine , chez le Kam des Tartares ,
ils lui déclarerent absolument qu'ils vou
loient
914 MERCURE DE FRANCE
loient que Mouslouh fut Koul- Kyasty , et
lui firent entendre que si leG.V.continuoit
dans ses refus , ce Ministre ne le porteroit
pas loin. Ce Prince vit bien à leur air
qu'ils seroient gens à tenir parole , et qu qu'il
étoit de la prudence de céder au torrent ,
jusqu'à ce qu'on pût lui opposer une Digue.
Il les appaisa de son mieux , leur dit
qu'il alloit de ce pas à la Porte , que ne
doutant point que le G. V. ne se conformât
aux representations qu'il lui feroit
ils pouvoient compter d'avance , qu'il
leur obtiendroit ce qu'ils souhaittoient.
Il courut effectivement chez le G. V.
et après lui avoir exposé en peu de mots
le sujet de sa visite : A quoi pensez - vous ,
lui dit- il , de vous roidir contre ces coquinslà
, ne voyez- vous pas qu'ils travaillent euxmêmes
à leur perte , et que plus ils se rendent
odieux aux Troupes et au et au Peuple .
plus ils vous préparent de facilité à les détruire
: Croiez-moi , ajoûta -t- il , donnez à
Mousloub , non -seulement la Charge qu'il
vous demande , mais une plus éminente encore
, s'il vous en témoigne la moindre envie ;
il n'en jouira pas assez long-tems pour que
votre complaisance en cette occasion vous soit
jamais un motifde repentir.
Le Vizir entra dans ses raisons ; ils passerent
ensemble chez le G. S. et S. H. s'en
rapportant à leurs avis , on envoya chercher
AVRIL. 1731. 915
cher Mouslouh; cet orgüeilleux et insolent
Rebelle , se rendit à la Porte avec une măgnificence
et un Equipage de Pacha à
trois queues,on le revêtit du Cafetan , qui
le faisoit Koul-Kyassy ; après quoi il s'en
retourna triomphant à son Palais , où ses
Confreres et ceux qui le craignoient , vinrent
le feliciter sur les faveurs qu'il avoit
reçûës , poussant la flaterie jusqu'à lui dire
qu'elles étoient encore fort au- dessous de
son mérite.
Ce premier coup frappé , les Rebelles
s'assemblerent le 19 , et remirent sur le
tapis leur ancien projet , de faire Patrona
Capitan - Pacha , Mouslouh Janissaire-
Aga , et le Janissaire- Aga Grand-Vizir :
moyennant cela , dirent-ils , nous serons
entierement les maîtres, et ils raisonnoient
fort juste , car ils avoient dans leur Cabale
plusieursGens deLoy d'un grand pouvoir :
entr'autres , le Zulali-Kadé Kadilesker
d'Asie , et Abdollah- Effendi , Lieutenant
General de Police , dont on a parlé. Quant
au G. S. ajoûterent- ils , nous en ferons ce
que nous voudrons , parce qu'étant sans
experience, il nous redoutera , et que d'ailleurs
il nous doit tout , puisque sans nous .
il auroit peut-être gémi toute sa vie en
prison.
,
Cependant , soit qu'ils crussent devoir
penser plus d'une fois à l'éxecution de ce
plan ,
915 MERCURE DE FRANCE
plan , ou qu'ils eussent d'autres raisons
pour la retarder de quelques jours , ils tinrent
fort secret le Résultat de cette derniere
Conférence; mais la Cour , qui comme
nous l'avons die , travailloit à secouer e
le joug honteux que sembloit lui vouloir
imposer cette Ligue de traîtres , se détermina
tout- à- fait à s'en vanger promptėment
, et d'une maniere éclatante.
Le Kan des Tartares , sur- tout , fut celui
qui poussa le plus à la roue. Il avoit
été outré en plusieurs rencontres , de ce
que Patrona et ses pareils , qui n'avoient
aucune teinture des affaires , avoient vou-
·lu que leurs avis extravagans prévalussent
aux siens ; Dgiannum Codgea arriva dans
le même-tems à Constantinople , et aussi
zanimé contre eux que le Kam , il excita
de nouveau l'Empereur à les exterminer.
S. H. lui avoüia ingénument qu'elle appréhendoit
qu'ils ne fussent soutenus par
les Troupes , si l'on en venoit à cette extrémité
, et que ce qui l'avoit obligé à
temporiser , c'étoit la crainte de voir
Constantinople replongé dans de plus
grands désordres .
Dgiannum- Codgea , sans trop s'attacher
aux termes , dit alors au Sultan , avec une
liberté genereuse : Seigneur , dès que tu te
seras défait des principaux Chefs , personne
me branlera , outre qu'une action de vigueur
est
(
4.
AVRIL. 1731. 917
est nécessaire pour t'affermir sur le Trône , elle
sera agréable à ton. Peuple , qui ne supporte
qu'avec une peine extrême les violences où il
est journellement exposé. De plus , cela te
mettra en honneur chez toutes les Nations
qui ont les yeux fixez sur toi , dans le commencement
de ton Régne ; au lieu qu'elles
n'auront aucune considération pour ta personne
, si tu ne montres assez de force pour bri
ser les entraves où quelques séditieux osent
retenir ton autorité. Ces paroles du General
de la Mer , prononcées avec feu , pénétrerent
S. H. et lui firent juret de se prêter
et de concourir à ce que luf et le Kam
des Tartares jugeroient nécessaire pour exterminer
ces audacieux ennemis domestiques
, perturbateurs du repos public.
Le 22. Dgiannum- Codgca , que le G. S.
avoit déclaré la veille Capitan Pacha
vint à l'Arsenal , où il reçûr les complimens
des Officiers des Vaisseaux , et des
Beys des Galeres , mais on ne lui tira point
' de Canon , parce qu'il deffendit qu'on lui
rendit ces honneurs.
Le 23. Patrona convoqua un Conseil
extraordinaire à la Porte , auquel le G. S.
" admit le Kam des Tartares , le Mufty , et
generalement tous les Gens de Loy et les
Officiers des Milices. Patrona y vint toujours
en simple Janissaire , les jambes
nuës , et avec environ 40 Serdenguetchis
OLL
918 MERCURE DE FRANCE
ou enfans perdus , et Mouslouh vêtu superbement
, avec le cortege attaché à son
nouveau rang de Koul - Kyassy.
du
›
›
que
Patrona ouvrit le premier l'assemblée ,
et s'adressant au Kam , lui dit : J'ai convoqué
ce conseil , pour un pressant besoin
de l'Empire je sçai que nos affaires en
Perse vont toujours plus mal Parce que
les Moscovites donnent de continuels fecours
aux Persans , ainsi mon avis est › qu'on
leur déclare la guerre , et que pour tirer vens
geance sang Musulman qu'ils sont cause
qu'on a répandu , on envoye incessament
une grande armée contre eux tandis Les
Tartares entrant d'un autre côté dans le pays
de ces Infidelles , le ravageront et en emmeneront
tous les habitans en esclavage 3 je pense
pareillement , qu'il est d'une nécessité absoluë
de réprimer les malversations des Pachas
des Frontieres , qui , bien loin d'avoir
soin des Troupes , et de regarder les Janissaires
comme leurs enfans , et le plus ferme
appuy de cette Monarchie les maltraitent
et retiennent leurpaye pour l'appliquer à leur
propre usage, ou en gratifier leurs Créatures :
il tint encore beaucoup d'autres discours de
la même nature , et sans égard pour les per
fonnes qui assistoient à ce Conseil.
J
Tout le monde gardant un morne
silence , déploroit en secret de voir la
conduite de l'Etat tombée , en de si
<
1
AVRIL. 1731. 919
si mauvaises mains ; et il revenoit toujours
à sa premiere idée de porter le fer
et le feu chez les Moscovites , proposant
même d'en faire arrêter les deux
Résidens *.
و
→
Le Kam des Tartares , fatigué d'entendre
tant d'impertinences , que personne
n'osoit relever : Mais vous , lui dit ce
Prince , qui parlez tant de guerre , sçavez
vous ce que c'est ? pour quelle raison voulez
vous que Sa Hautesse la déclare aux
Moscovites ? Ignorez- vous quelle est en paix
avec eux et que sans de justes motifs elle ne
sçauroit la rompre. Il faut , poursuivit-il
avant que de se résoudre à rien , être bien sûr
des nouvelles que vous nous débitez sans preuves,
après quoi on verrapar de mures déliberations
ce qui sera le plus utile,et le plus honorable
à l'Empire de la guerre ou de la paix et ce
sont là des choses qui ne se décident pas à la
legere , ni sur le champ comme vous venez de
le demanders d'ailleurs dites-moi parquel endroit
penetrerez vous en Moscovie ? Par quel
endroit ! interrompt Patrona plaisante
question ! par les endroits où nous y pénétrions
autrefois , vous d'un côté et nous de l'autre :
Doucement, répondit le Kam : autrefois nous
allions par la Pologne , parce que nous étions
→
* Il y en a deux à Constantinople , depuis environ
un an , M. Neplieuf, et M. Visnacoff , venu
pour relever ce premier.
en
20 MERCURE DE FRANCE
enguerre avec les Polonois , mais aujourd'hui
qu'ils sont de nos amis , est- il juste d'aller
porter la désolation chez des peuples dons
nous n'avons aucun sujet de nous plaindre
Sçavez- vous que conduire 100. mille Tar
tares dans un pays , c'est le perdre entierement
, et que par tout où ilsfoulent l'herbe , il
n'y croit rien de sept années : Tant mieux
dit Patrona , c'est de cette façon que j'aime
àfaire laguerre. Je ne demanderois pas mieux
ni mes sujets , reprit ce Prince, car outre que
la guerre est notre véritable élement , elle est
la source de toutes nos richesses ; et dès
que
cette source taritpar la paix , renfermés dans
la Krimée , steriles et sans commerce , nous
retombons dans l'indigence ; mais nous sçavons
la supporter , et sacrifier à la droiture
nos interêtsparticuliers : ilfaut refléchir avant
que de prendre les armes , afin de n'avoirpas
lieu de s'en repentir en les quittant , et ce ne
sont pas de ces petites affaires qui se termi→
ment en une ou deux assemblées .
Je trouve que celle - ci est bien nombreuse
répliqua Patrona ; je n'atendois pas que tant
de gens y assistassent ; j'avois compté au
Contraire que le Conseil ne seroit composé que
de vous , de Monsloub , du Janissaire Aga ,
du Grand Vizir , de quelques autres personnes
et de moi ; et à l'avenir il faudra , s'il
vous plaît,que cela soit ainsi , autrement plus
de secret , et les Infideles seront bientôt instruits
AVRIL: 1731. 921
et de toutes nos
truits de tous nos discours
démarches.
Quand il s'agit d'entreprendre la guerre ,
ou de continuer la paix , répondit le Roi
des Tartares , c'est une maxime fagement.
établie , que de faire degrandes assemblées .
pour y mieux débattre des matieres si gra
ves , et d'y appeller sur tout les Gens de loi ;
parce qu'étant plus éclairez que les autres , es
les dépositaires de la justice , les résolutions
qu'on prend par leurs avis , sont plus équitables
, et le succès qui les suit plus heureux ;
au lieu que quand on les exclut des Conseils ,
et qu'onfait rouler tous les interêts de l'Empi
re sur trois ou quatre têtes seulement , il arrive
d'ordinaire ce que vous venez de voir
sous le regne d' Ibrahim Pacha , qui pourn'avoir
voulu se conduire que par ses foibles lu
mieres et celles de ces deux gendres, a mis l' Etat
à deux doigts de sa pertes aussi pour les
punir de leur trop grande présomption , Dien
a t'il permis , que ces trois Ministres , après
avoir souffert une mort ignominieuse , n'ayent
trouvé d'autres sépultures que les entrailles des
Chiens , dont leurs cadavres ont été la
proye.
Il est étonnant , continua ce Prince
qu'un exemple si récent et si terrible , ne vous
corrige pas de la manie que vous avez de tout
regler, et de toutfaire par vous-même , mais si
sela continue , je vous déclare dés- à - present
queje supplierai Sa Hautesse de me renvoyer
922 MERCURE DE FRANCE
à Brousse pour y vivre en repos , dans la
folitude , et n'être plus témoin des attentats
qui se commettent ici impunément tous les
jours contre son honneur et le bien de son
service.
D
.
On voit par ce qui vient d'être rappor
té , qu'il n'y eut que le Kam et Patrona ,
qui parlerent dans ce Conseil , et qu'on
n'y conclut rien . Le premier se retira
bien résolu de redoubler ses instances auprès
du Grand Seigneur , pour hâter la
destruction des Rébelles ; tous les autres
assistans se retirerent le coeur ulceré
contre eux. Ceux- ci s'en furent chez le Janissaire
Aga , où ils s'applaudirent de
tout ce qui venoit de se passer , et prirent
de nouvelles mesures pour mettre
la derniere main à leur grand oeuvre ,
qui étoit , comme nous l'avons déja dit ,
de s'emparer des premieres Charges du
Gouvernement.
Patrona fut le lendemain 24 à l'Arsenal
de la Marine , rendre une visite de
politique , à Dgiannum-Codgea , pour lui
faire compliment sur sa nouvelle dignité,
qu'il comptoit de lui ravir bientôt , ne se
doutant pas que la foudre fut si prête d'é
clater sur sa tête . Le Capitan Pacha , aussi
fin et plus prudent que lui , le reçut
avec des honneurs extraordinaires , et lui
fat l'accueil du monde le plus gracieux ;
ik
AVRIL. 1731. 923'
3
Hs s'entretinrent ensemble avec toutes les
démonstrations d'une estime et d'une ami
tié réciproque , et lorsque Patrona l'eut
quitté pour s'embarquer dans un Bateau
à trois paires de Rames seulement accompagné
de deux autres , où se mirent
six personnes qui composoient toute sa
suite ; la foule fut si grande qu'il fut
comme porté jusqu'à l'Echelle , d'où il
jetta encore , ainsi qu'il avoit fait en sortant
, des poignées de Sequins au peuple :
en remarqua qu'il étoit chaussé ce jour -là,
contre son ordinaire , et que sa chaussu
re consistoit en un demi bas qui s'agraffe
sur le gras de la jambe , comme en portent
les Officiers de Mer.
•
Ce même jour qui étoit un vendredi ,
le Grand Seigneur vint faire sa priere du
midi , à la Mosquée de Topana de
l'autre côté du Port ; de- là Sa Hautesse fut
visiter la Fonderie de l'Arsenal où l'on
fabrique les Canons ,, dont on avoit
fait une décharge . générale à son débarquement
; ensuite prenant par les der
rieres de Pera , elle monta avec un grand
cortége au Serrail des Itchoglans , où elle
dîna. On avoit compté que le Sultan traverseroit
le Fauxbourg,à son retour, mais
des flateurs courtisans , et de faux dévots
en détournerent Sa Hautesse
représentant d'un air empressé , quand
elle E
>
>
cn lui
924 MERCURE
DE FRANCE
elle voulut se remettre en marche , que
ces ruës n'étoient habitées que par des
Infideles , et que leurs regards pourroient
lui être d'un sinistre présage. Cet avis
supersticieux lui ayant fait changer de
sentiment , elle reprit la même route par
où elle étoit venue , aprés avoir donné
75. mille livres aux jeunes gens de ce
Serrail qu'on y éleve pour son service , et
dont elle emmena quelques uns avec elle
des mieux faits et des plus capables.
Pendant que l'Empereur se promenoit
ainsi avec la plus grande partie de sa
Cout , et qu'il ne paroissoit pas qu'on
songeat qu'il y cut des Rébelles à Constantinople
, le Kam des Tartares , le G.
V. le Mufty , Dgianum-Codgca , et quelassemblez
secret- ques autres Ministres ,
tement au Serrail prononçoient leur
Sentence de mort. Ils travaillerent jusà
trouver ques bien avant dans la nuit ,
les moyens de l'executer , car ils furent
long- temps embarrassez sur le choix des
Acteurs de cette Tragedie.
›
}
Le Capitan - Pacha avoit d'abord proposé
d'en charger ses Leventis , mais on
fit réflexion que la plupart des Révoltez
étoient Janissaires , et que ce seroit jete
ter une semence de haine implacable entre
ces deux corps , qui ne finiroit peutêtre
que par l'extinction de l'un ou de
l'autre
AVRIL 1731. 985
T'autre ; enfin après s'être tournez de tous
les côtez , ils convinrent qu'il falloit don
ner cette expedition à faire aux Bostangis
, et autres domestiques du Serrail
parce que ,étant particulierement attachez
à la personne du G. S. les Janissaires ne
pourroient pas se formaliser de leur obéissance,
aux ordres deS.H.d'autant plus qu'il
y a plusieurs exemples que les Bostangis
ont été commis à de pareilles executions.
Le 25 au matin , tout étant préparé
le G. V. envoya inviter Patrona , Mouslouh
, et le Janissaire Aga , de venir au
Serrail , pour y rendre compte au Sultan
, de la conference qui avoit été tenue
le 23. et pour prendre des arrangemens
avec eux , tant sur les affaires de Perse
que sur toutes les autres qui regardoient
l'Empire. Ils s'y rendirent sur les onze
heures avec 26. personnes seulement , qui
resterent dans la premiere cour . Pour
eux ils furent introduits dans l'interieur
de ce Palais , à la Chambre nomméc
Sunnet- Odassi , où ils trouverent le Kam
des Tartares , le Mufty , le G. V. Dgianum
- Codgca , les deux Kadileskers en e
xercice , l'Istamboul-Effendi, et grand nombre
de Gens de Loy, tous assis sur le Sopha ,
chacun selon son rang ; ils s'y mirent aus,
C'est la Chambre où l'on fait la cérémonie de
la Circoncision des Princes Ottomans.
E ij si
916 MERCURE DE FRANCE
si selon le leur , et quoiqu'il y eut
dans la même Chambre ↑
beaucoup
d'Officiers, Dasseskis , et de Bostangis , qui
se tenoient de bout , ils ne soupçonerent
rien de la catastrophe qui leur de
voit arriver , parce que n'étant pas permis
à ceux qui entrent dans le Conseil de
faire entrer leurs gens dans cet endroit ,
ce sont toûjours des domestiques du G.
S. qui les servent en ce dont ils peu
vent avoir besoin ; de sorte que par la
grande quantité de Maîtres qu'il y avoit
alors , celle des Officiers et des domestiques
de S. H. ne devoit point paroître
extraordinaire aux Rébelles.
9
Tout le monde étant donc en ordre , le
G. V. prit la parole , et la portant d'abord
à Patrona , S. H. lui dit- il , vous
fait Bieylierbey de Romele , et vous donne
le Commandement de 30. mille hommes ,pour
aller joindre Achmet , Pacha de Babilone ,
avec lequel vous agirez de concert contre les
Persans.
1 Il s'adressa ensuite à Mouslouh et au Janissaire
Aga; il dit au premier,que l'Empereur
lui donnoit la qualité de Bieylierbey
de Natolie , avec un Commandement de
Troupes aussi , et au second qu'on le faisoit
Pacha à trois queues . Quant à vous ,
ajoûta- t'il ,se tournant vers Zulali - Zadé
Kadilisker- d'Asie , et vers Abdollach - Ef
fendį .
AVRIL. 1731. 927
-
fendi, Lieutenant General de Police , le G.
vous fait présent d'une queue à chacun .
A peine ce Ministre eut-il proferé ces
derniers mots , que Mustapha-Aga , dont
nous parlerons dans la suite cria , qu'on
extermine tous ces ennemis de l'Empereur et.
de l'Empire : aussi- tôt plus de trente personnes
se jettant le sabre à la main sur
Patrona , Mouslouh , et le Janissaire
Aga , les tuerent avant qu'ils eussent le
tems de se reconnoître.
On raconte ce massacre de differentes
manieres ; il y en a qui prétendent que
ces trois Rébelles se voyant perdus , vendirent
cher leurs vies , en blessant à mort
plusieurs Bostangis , et que Dgianum ,
Codgea fut le premier qui porta un coup
au Janissaire Aga , lequel se mettoit en
devoir de le tuer; d'autres rapportent qu'il
ne fit seulement que lui saisir les mains ,
et cela est assez vrai - semblable ; on dir
les Leventis furent enployez
dans cette affaire ; il est vrai que le Capitan
- Pacha , en avoit amené beaucoup
avec lui , mais ils resterent dans la premiere
Cour , et ne penetrerent point plus
encore que
avant.
Il y a peut être lieu de s'étonner que Patrona
, rusé et prévoyant comme il étoit,
se fut exposé à entrer dans le Serrail' sans
armes et sans suite , d'autant plus que les
E iij autres
928 MERCURE DE FRANCE
autres fois qu'il y étoit allé , il avoit toû
jours porté son sabre et ses pistolets , er
s'étoit fait accompagner par beaucoup de
ses camarades ; mais on répond à cela que
le G. V. pour le faire mieux tomber
dans le piége , lui avoit fait dire en
particulier , qu'ayant cette fois ci des matieres
à traiter de la derniere importance ,
et que reconnoissant qu'il avoit en raison
de se plaindre dans le dernier Conseil que
F'assemblée étoit trop nombreuse , il le
prioit de ne mener que peu de monde avec
Jui , afin que les secrets de l'Etat ne fussent
pas divulguez aux Infideles ; si bien
que Patrona , flatté de ce que ce Ministre
donnoit dans son sens , se livra avec tant
de confiance, qu'il fit même rester ses gens.
dans la premiere cour , et qu'il n'avoit
d'autre armes qu'un espece de Couperet ,
caché sous sa Pelisse , encore ne lui servitil
de rien , car ayant voulu le prendre ,
quand il vit qu'on venoit sur lui , Mustapha
Aga le prévint et lui abatit un bras
d'un coup
de Sabre.
و
A l'égard de Mouslouh qu'il avoit
aussi engagé à venir comme lui sans atmes
, il s'enveloppa dans ses Pelisses magnifiques
, et se laissa tuer sans faire le
moindre mouvement.
Quoiqu'il en soit de toutes ces cir
constances , dès que ces séditieux furent
J morts
AVRIL. 1731. 929
s
morts , on jetta leurs cadavres dans la
troisiéme cour , où est la chambre de Sunnet
- Odassi et l'on fut chercher les
26. enfans perdus , qui étoient demeurez
dans la premiere . On leur dit avec
politesse , que le G. V. qui venoit de donner
des Pelisses à leurs Chefs , les demandoit
pour leur donner aussi à chacun un
Caftan ; mais on ne les fit entrer que trois
ou quatre à la fois , à diverses reprises
sous prétexte de faire cette cérémonie
avec plus de décence , mais à mesure que
ces miserables étoient passez dans la seconde
cour , on les assomoit. Cependant au
bout d'une demie heure , quelques uns de
ceux qui restoient encore , ne voyant revenir
aucun de leurs camarades eurent
quelque soupçon de ce qui se passoit , et
voulurent se sauver , mais trouvant toutes
les portes fermées , ils furent investis
et tuez comme les autres .
,
Le bruit s'étant répandu par la Ville ,
que les Chefs des Rebelles étoient depuis
long- tems au Serrail, dont on avoit fermé
les Portes ; cela réveilla quelques- uns de
leur partisans qui y vinrent avec précipitation
, mais les Portes ayant été ouvertes ,
ces Agas , qui faisoient tant les braves , ne
virent pas plutôt des Chariots chargez de
corps massacrez , que saisis d'épouvante ,
Eij
›
ils
930 MERCURE DE FRANCE.
ils s'en furent , et abandonnerent même
leurs Chevaux.
Tous ces cadavres furent étalez dans
la rue ; il s'y amassa
>
ruë il s'y amassa un peuple innombrable
, pour les considerer , surtout
celui de Patrona , que chacun voulut voir
préferablement
aux autres ; ils ne furent
pourtant exposez que deux heures , après
quoi on fut les jetter dans la Mer , de
crainte qu'un spectacle si effrayant n'eut
des suites dangereuses , et que les Rébelles
, qu'on sçavoit être en grandnombre ,
se sentant aussi coupables que ceux dont
ils voyoient les tristes restes n'excitassent
un second soulevement populaire
dans l'esperance d'éviter un pareil sort
à la faveur des nouveaux désordres
en effet il y en eut plusieurs qui furent
au Bezestin pour en faire fermer les boutiques
, mais ils n'y purent jamais parvenir
, le G. S. ayant pris le devant par un
Katcherif adressé au Bt zestin Kyassi ,.
( c'est à peu près comme le Prevôt des
Marchands , ) qui menaçoit de mort
quiconque fermeroit ou souffriroit que
Fon fermât les boutiques pour quelque
cause que ce fut.
>
On vient de voir que les dons imaginaires
. que le G. V. avoit faits de la part du
Sultan , à Patrona , à Mouslouk`, et au
Janissaire Aga , avoient été le signal de
leus
AVRIL 17313 931
perte , mais comme tout le monde ne
comprendra pas , que ce ministre en disant
ensuite à Zulali - Kadé , et Abdollah-
Effendi , que Sa Hautesse leur faisoit présent
d'une queue , leur anfonçoit aussi la
mort ; il ne sera pas hors de propos
d'expliquer
cette espece d'Enygme..
Les Effendi , ou Gens de Loy , sont en
si grande vénération dans cet Empire
sur tout par rapport à leur sçavoir, que les
Empereurs les ayans toûjours honorez jus
qu'à la superstition , il y a très - peu d'exemples
qu'ils en ayent fait mourir. Ainsi
quoique ceux dont il s'agit ici , pour
avoir été les Arcsboutans de la Révolte ,
méritassent le dernier supplice ; S. H. qui
ne voulut point violer leur caractere ,
fut obligée de les en dépouiller , afin d'àvoir
la liberté de satisfaire à sa justice ,
et ce fut en leur donnant cette queue que
se fit leur dégradation , parce que ce signe
d'honneur , qui est incompatible avec
l'état d'homme de Loy , les faisants passer
dans celui d'homme de guerre , auquel
il est particulierement affecté , le
Sultan n'étoit plus arrêté par aucun scrupule
, et pouvoit disposer à son gré de
leur vie , dés le moment qu'ils avoient
cessé d'être Effendi ..
Il sembleroit par cette raison , que
S. H. auroit donc dû les faire périr sur le
Ev champ
32 MERCURE DE FRANCE
champ comme les autres , mais un reste
de menagement pour leur dignité , et la
présence de leurs confreres l'engagea à les
faire executer ailleurs .
Dès que le G. V. leur eut donné la funeste
marque de distinction , dont on
vient de parler , on les conduisît à la pri
son du Bostangis- Bachi ; ils y trouverent
beaucoup de personnes de l'ancien ministere
, que Patrona et Mouslouh y avoient
fait mettre , et Abdoullah- Effendi , que
les approches de la mort ne rendoient
pas plus sage , appercevant parmi ces pri
sonniers le Vaivode de Galata , qui après
avoir été long-temps caché avoit enfin
été pris , lui dit , Vous l'avez tous échapez
belle , car nous étions bien résolus de
vous envoyer en l'autre monde ; heureusementpour
vous on nous a prévenus. Le vieux.
Vaivode piqué , lui répondit d'un air gra
ve ,
.
et colere tout ensemble ; je me sousie
si peu de la vie , que je mourrois satisfait
, si je pouvois auparavant avoir le plai..
sir de teindre ma barbe blanche de ton
sang. Leur conversation n'en seroit pas
demeurée là , mais des Officiers vinrent
l'interrompre pour conduire ces deux
Effendi degradés sur une Galere qui
étoit à la pointe du Serrail , et de laquelle
, après les avoir étranglez , on les
jetta dans la Mer.
La
AVRIL. 1731% 933
La nouvelle de toutes ces exécutions
templit d'une joye universelle tout Constantinople
et ses Fauxbourgs ; la plûpart
des Turcs égorgerent des Moutons en sacrifice
, de leur propre mouvement , et
devancerent les ordres du G. S. qui fit
publier que tout le monde rendit grace à
Dieu , de ce que par sa misericorde , l'Etat
étoit enfin délivré des traîtres et perfides
Chefs de la rébellion .
S. H. commanda en même- tems qu'on
eut à dénoncer et à saisir tous ceux qu'on
reconnoîtroit avoir été de leurs compli
ces , pour leur faire souffrir les mêmes
châtimens ; de sorte qu'en trois ou quatre
jours il périt par differens genres de
mort , la plupart dans le silence de la nuit,
près de 6000 de ces malheureux . Ils ne
sçavoient où fuir , ni à qui se confier ; on
les trouvoit on les arrêtoit , on les
déceloit par tout.
›
Il y en eut pourtant sept des plus criminels
, qui se sauverent chez le Kam des
Tartares ; ce Prince les garantit de la main
des bourreaux , moins par un effet de sa
compassion , dont ils étoient indignes.
que pour conserver à son Palais le droit
qu'il a d'azile inviolable ; mais il prit la
précaution de faire poser des Gardes à
toutes ses portes , afin qu'à l'avenir son
équité ne fut plus compromise en réfus
Evj giant
934 MERCURE DE FRANCE
giant chez lui de pareils scelerats .
Sultan Mahmout , encore plus attentif´
à récompenser qu'à punir , donna le même
jour la dignité de Janissaire- Aga , à
Mussin- Oglou - Abdullah , Pacha de Nisse,
qu'on avoit fait venir depuis peu , et dont
on se servit utilement dans ces conjonctures.
S. H. le fit outre celá Vizir à tros
queues. Il est vrai que la Charge de Ja- ·
nissaire Aga donne bien ce rang par ellemême,
mais quand on en est honoré indépendamment
de la Charge , celui qui´là .
pos ede en a plus de relief et d'autorité
et c'est par cette raison , que sous le précédent
Ministere , on n'a jamais fait de
Jani saires Agas , que des Pachas à deux
queues , afin qu'ils n'eussent pas tant dė
crédit. Dgannum Codgea , qui venoit
d'être fait Capitan Pacha , n'avoit aussi
qquuee deux queues ; mais le G. S. satisfait
de ses bons conseils et de son courage , lui :
en donna une troi iéme.
Mustapha Aga , dont nous avons promis
de parler , reçût pareillement des
marques dé la bien -veillance du G. S. On
le connoissoit autrefois sous le nom dè
Pehlivan , qui veut dire le Lutteur , parce
qu'en effet son adresse et sa force à là
lutte , et dans tous les autres exercices du
corps , jetterent les premiers fondements .
de sa fortune. Il avoit été dès son bass
âgé
AVRIL 17317 935
་
age créature du Kan des Tartares , à présent
régnant , qui le fit ensuite Officier
dans les Janissaires , et il se trouvoit Capitaine
de la 17 Compagnie , lorsque la ré
volte éclata. Pelivan s'enfuit: aussi tôt à
Brousse , auprès de son ancien Maître ' ,
pour n'être point impliqué dans tous les
forfaits qui s'alloient commettre ; puis
étant revenu à la Cour avec le Kam , ce
Prince le présenta au G. S. comme un su
jet fidele , et d'une valeur éprouvée : ce
*fut lui , comme nous l'avons dit , qui fut
chargé d'annoncer l'ordre du massacre
des Rebelles , et qui le commença le pre
mier , en coupant un bras à Patrona. S.
H. voulant donc reconnoître ce service ,
ket se souvenant aussi des rapports avantageux
que le Kam lui en avoit fait , le nomma
Lieutenant General des Janissaires , à
la place de Mouslouh. Sa modestie lui fit
d'abord refuser cette faveur; il representa
qu'il n'étoit pas assez ancien dans son
Corps , qu'il n'avoit pas assez de méri
te pour remplir une Charge si distinguée,
et que cela pourroit lui attirer l'envie et :
la haine des autres Officiers , qui en étoient :
plus digne que lui ; mais le G. S: passant
pat- dessus toutes ces considérations , lui
commanda d'obéir , ce qu'il fit en rendant
mille graces à S. H.
8
Le lendemain 26 Novembre , l'Empe →
reur
936 MERCURE DE FRANCE
reur envoya des Katcherifs à tous les
Chefs des differentes Milices , pour leur
faire part de ses heureux succès , et leur
enjoindre de faire observer une exacte discipline
à leurs Soldats ces commandemens
furent accompagnez de sommes considerables
, dont S. H. voulut qu'on fe
distribution dans chaque Corps . Elle envoya
so mille écus aux Janissaires , 60
mille livres aux Tobgdgis , et 75 mille
aux Gbedgis. Les Troupes , charmées des
génerositez de leur Souverain , firent des
prieres pour sa conservation et sa prospérité
, et durant toute cette journée , Constantinople
fut dans l'allegresse , excepté
les Rebelles , dont on prit un grand nombre
, qui ne survêcurent que peu d'heures
à leur emprisonnement .
Le miserable Yanuki eut aussi la tête
coupée , pour le punir de la témerité qu'il
avoit euë , de vouloir devenir Prince de
Moldavie malgré le G. S. Ainsi l'espece
de prédiction de Patrona , quand il demanda
à ce Boucher s'il ne se soucioit pas.
de vivre plus long-tems que lui , s'accomplit
presqu'à la lettre , puisqu'ils moururent
à un jour l'un de l'autre.
Le 27. les principaux Ministres , et les
premiers Officiers des Troupes , donnerent
toute leur application à redoubler
leurs recherches et leurs poursuites contre
le
*
AVRIL 1731.
937
"
Te reste des Rebelles , surtout pour empê
cher les incendies , car Patrona avoit déclaré
plusieurs fois , que si jamais on attentoit
à ses jours , il feroit mettre le feu
aux quatre coins de Constantinople , et
pour y mieux parvenir , il avoit placé
dans tous les Bains , des gens qui lui étoient
dévoüez entierement. Effectivement , la
plupart des gens qui les servent sont Albanois
, comme il l'étoit or il y a
une grande quantité de cette Nation parmi
la populace , et l'on remarquoit en eux
un certain air d'arrogance et de révolté ;
jusques- là , que ceux qui tiroient d'eux.
quelques services , étoient obligés de les.
payer au double , encore les menaçoientils
de Patrona , dont la prosperité rapide
et brillante , les avoit si fort éblouis , qu'ils
croyoient tous faire fortune par son cainal
; mais depuis sa mort , ces rustres glo
ricux sont devenus si humbles , et si craintifs
, qu'on n'en voit presque plus paroî
tre dans les rues . Le G. V. en a beaucoup
fait pendre , et pour des fautes les plus légeres
, on leur donne de cruelles bastonades
, afin qu'ils n'oublient pas si - tôt l'auteur
de leurs biens chimeriques , er de
leurs maux réels .
Le 28 Novembre , jour auquel nous finirons
cette Relation et auquel
ent aussi fini les suites de la Révolté
,
сем
9
938 MERCURE DE FRANCE
commencée à pareil jour du mois de Sep
tembre précédent , toutes les personnes
de l'ancien Ministere qui étoient encore
en prison , furent élargies , moyennant
des taxes modiques , et le G. S. fermant
l'oreille à la séverité , pour n'écouter plus
que la clémence , accorda une amnistie
generale à tous ceux qu'on pouvoit encore
accuser d'avoir eu part et d'avoir contribué
aux troubles de l'Erat; avec cette modifica--
tion pourtant , que ceux qui seroient reconnus
pour avoir été du nombre des premiers
conjurez , et qui auroient persisté?
dans la rébellion jusqu'à la fin , n'auroient
que la vie sauve , et subiroient l'éxil qu'on
leur prescriroit.
XXXXXX:XX :XX:XXXXX
LETTRE écrite de Paris le 30 Avril 1731..
au sujet de la Révolution de Constantinople
, contenant quelquesfaits Anecdotes
et qui peut servir de récapitulation à la
Relation de cet événement
C
و
" Est avec quelque sorte de peine ,
Monsieur , que je me suis déterminé
à rendre publique une Lettre que je reçois
de Constantinople. Les récits qu'on lit.
dans vos Mercures de la Révolution arrivée
en Turquie , semblent ne laisser rien
AVRIL. 17312 939
désirer pour constater un évenement
aussi extraordinaire ; cependant en les
comparant avec le détail que l'on m'en fait
dans cette Lettre ; j'y ai appris deux cir
constances essentielles , dont on n'a point
encore parlé. On y verra le motif de la sédition
, et les progrès insensibles d'un dessein
d'abord témeraire , mais apuyé sous
main par le Capitan- Bacha , et porté à un
succès inesperé , par l'inaction du Grand
Vizir et du Sultan. Ces nouvelles au
reste , ne sçauroient être révoquées en
doute ; celui dont je les tiens fait depuis
plusieurs années un séjour actuel à Constantinople
, y est connu et consideré des
plus grands Pachas de la Porte , et a lié
une amitié étroite avec un des premiers
Officiers du nouveau Sultan..
31
Le Prince Thamas s'étoit à peine affermi
sur le Thrône de ses Ancêtres , qu'il
s'êtoit pressé d'envoyer une Ambassade
célebre à la Porte , pour redemander la
restitution des Provinces et Places dont
les Turcs s'étoient emparez pendant la
Révolution.
Il avoit soutenu cette Ambassade d'une
grosse Armée , dont les progrès continuels
rendirent les Turcs plus traitables , et les
forcerent à écouter une proposition ,
qu'ils auroient rejettée avec hauteur dans
un autre tems. Il fut résolu dans un grand
Divan
740 MERCURE DE FRANCE.
Divan que l'on remettroit ces Provinces
au Roi de Perse.
Le Roi de Perse n'avoit pas oublié les
cruautez exercées par les Turcs durant la
Conquête de ces Provinces . Cette plaïe recente
saignoit encore , et les dégats que
son Armée avoit causés sur les Terres des
Turcs , ne l'en avoient pas assez pleinement
dédomagé ; aussi saisit- il l'occasion
d'assouvir la vengeance qu'il méditoit
et quelques Soldats restez à la garde des
Places , furent les malheureuses victimes
de sa colere.
+
Ils furent arrêtez , on leur coupa le nez
et les oreilles , et on les embarqua sur un
Bâtiment du païs au nombre de 300-
Le Grand Vizir en fut informé à propos
; il avoit été l'Auteur de la guerre
pendant la Révolution de Perse , il venoit
de conclure la paix malgré les oppositions
de tout le Divan : il craignit avec raison
qu'une execution de cette nature
n'eut des suites fâcheuses ; il dépêcha
des Courriers et des ordres précis aux
Gouverneurs des Places situées à l'embouchure
de la Mer Noire , de couler à
fond le premier Vaisseau qu'ils appercevroient.
le
Le succès répondit à son attente ,
Vaisseau fut englouti , et cette affaire n'auroit
point éclaté , si un nommé Patrona ,
1
qui
AVRIL. 1731. 941
qui avoit été témoin de l'éxecution en
Perse et qui (à ce que prétendent quelquesuns
you comme d'autres le veulent ) avoit
échappé au naufrage , n'eut découvert ce
qu'il importoit au Grand Vizir de tenir
caché.
Ce Patrona arrive à Constantinople ;
marche vers la grande Place , attache un
Drapeau au bout d'un bâton , dont il
étoit armé , ordonne à tous les vrais fideles
de se ranger autour de lui .
Le Peuple ne parut pas d'abord bien
disposé à la révolte ; on ne répondit à
Patrona que par un grand silence , et depuis
le matin jusqu'à midi , il n'avoit rassemblé
que 10 à 12 personnes. Il eut été
facile de dissiper ce petit nombre de factieuxs
mais la lenteur du Capitan Bacha
que l'on soupçonna depuis d'être d'intelligence
avec Patrona d'ailleurs ennemi-
déclaré du G. V. et les peintures vives
et affreuses que Patrona présentoit au peuple
des indignitez commises sur le petit
nombre des Soldats Turcs , entraîna enfin
le peuple. On ferme les Boutiques , on
s'atroupe , on court au quartier des Jánissaires
, et on tourne droit au Serrail
en criant justice et vengeance .
3
>
Le Sultan Achmet étoit enfermé avec le
Grand Vizir et le Capitan-Bacha , et ne
décidoit rien lorsque les cris de la popu-
Lace
942 MERCURE DE FRANCE
lace épouvanterent le Grand Vizir ; qui ,
désesperant de remedier à un mal si pressant
, accusa le Capitan - Bacha. C'est ce
chien , dit- il , au Grand Seigneur , qui est
cause de tout ce désordre . Le Grand Amiral
picqué , rendit compte à l'Empereur
des motifs secrets , qui avoient occasionné
la paix et la guerre avec la Perse.
Le Sultan pressé par le peuple qui lui
demandoit justice , et indigné de se voir
trompé par ses deux Ministres , les fit
étrangler sur le champ et livra leurs corps
à la Populace qui les mit en pieces. Cer
Acte de Justice auroit dû naturellement
appaiser les Mécontens . Mais l'avarice ,
Foisiveté et la molesse du G. S. avoient
fort indisposé les Peuples contre lui ; aussi
Pattaquerent-ils ensuite , le détrônerent
et éleverent sur le Trêne Sultan Mah .
moud , son neveu , confié depuis longtemps
à la Garde des Janissairés .
Patrona devint bien- tôt le maître ; rien
me se décidoit que par ses ordres ; ik assistoit
à tous les Divans ; son avis y étoit
le seul suivi , il alla même jusqu'à nommer
un Janissaire-Aga . Le Sultan nouvellement
élû supportoit impatiamment une
autorité égale à la sienne ; il chercha à
abbatre un Sujet si craint et si redouté.
Il y réussit par une voye qui sembloit
assurer à Patrona le pouvoir qu'il venoit
d'usurper.
AVRIL. 1731. 943
Le Selicktar , ou Porte- Enseigne du Sultan
déposé , avoit obtenu du Sultan Mahmoud
, la place de G. Visir , loind'être lié
d'interêt avec Patrona , il servoit d'obstacle
à ses desseins. Sa perte fut résoluë ;
il n'osa s'y prendre ouvertement et crut
qu'il en viendroit mieux à bout en cachant
son projet.
Il insinua donc au Sultan de rappeller
auprès de sa Personne un certain Dgianum
-Codgia , honoré déja de la place de
Capitan - Bacha , et exilé depuis long-temps
comme ennemi déclaré du G. V. massacré ;
homme de tête et propre pour un coup
d'état. Le G. S. y consentit ; il le décora
une seconde fois de la place de Grand-
Amiral. Il indiqua un Divan où les Bachas
de la Porte et les principaux Chefs
des Rebelles devoient assister , sous prétexte
qu'il étoit à propos de prendre des
mesures promptes et sures dans la guerre
que l'on alloit déclarer aux Moscovites .
C'est une ceremonie pratiquée journellement
chez les Turcs , de revétir avant
la tenne du Divan , le nouveau Grand-
* Amiral d'un Caftan , en presence du G. S.
le Ceremonial prescrit aussi qu'il en soit
revétu par le Janissaire - Aga.
I On avoit déterminé à ce moment la
punition des factieux , et le Janissaire-Aga'
devoit être la première victime. Tout
étant
944 MERCURE DE FRANCE
étant préparé, le Janissaire Aga s'approche
du Grand- Amiral , lui présenta la Veste.
Celui-cy lui porte un coup de Sabre qu'il
avoit caché sous sa Robbe , l'étend sur le
carreau ; on prétend qu'il tomba mort ,
d'autres veulent que blessé mortellement,
il se releva , tira son poignard , dont il atteignit
Dgianum- Codgia , qui muni d'u
ne armure , ne fut point blessé.
Au signal on se jette sur les factieux;
surpris et desesperez , ils se deffendent
vaillamment , mais ils succombent enfin
au nombre de 30. tandis que l'on massacre
ceux qui étoient restez au- dedans
du Serrail et dans les cours.
Le Peuple ne marqua par aucun
mouvement qu'il y prît part. On ne
s'en est point tenu à cette simple execution
; on poursuit vivement les séditieux,
leurs têtes sont mises à prix et on renouvelle
ces fameux tems des anciennes Proscriptions.
On prétend , au reste , que bien en å
pris au nouveau Sultan , d'avoir fait cet
exemple, et que le dessein de Patrona étoit
de remettre deux jours plus tard l'ancien
Sultan sur le Trône. On ignore quel en
pouvoit être le motif.
Les Révoltes sont assez ordinaires en
Turquie. La Canée n'en a pas été exempte;
un Impôt mis sur l'huile en a été
le
AVRIL. 1731 945
+
le prétexte. 300. hommes étoient déja
assemblez dans une Mosquée , et méditoient
de massacrer le Receveur ; mais
les soins du Bacha et du Janissaire Aga ,
ont arrêté ces premiers mouvemens , et
sous prétexte de presenter une Requête à
la Porte, ils les ont congédiez et renvoyez
chez eux .
Il seroit peu necessaire , Monsieur , de
faire remarquer ce qui differencie cette
Relation des autres données au Public ;
lui seul en doit juger. Je me flatte que
vous voudrez bien lui donner promptement
une place dans votre Mercure; dans
cette attente je suis , &c.
200
JUDITH ,
POEME ,
Tiré de l'Ecriture Sainte ,
Qui parlejugement de l'Académie des Jeux
Floraux a remporté cette année 1731 .
Toulouze , le Prix destiné à ce genre de
Poësie . Il est de M. l'Abbé Poncy de
Neuville.
Ux Aux coeurs humiliez l'Eternel est propice ;
Superbes Conquerans , redoutez sa Justice ,
46 MERCURE DE FRANÇE
Il change quand il veut , pour punir votre or
gueil ,
Les Lauriers en Cyprès et les Fêtes en deüil.
Holopherne , des Juifs méditoit la ruine ,
Sa fureur ravageoit la triste Palestine ,
La seule Bethulie ose lui résister ,
Mais helas ! que peut- elle ? et comment l'arrêter?
La faim , la soif , l'horreur
murailles ,
regnent
dans ses
Et la peste se joint au démon des Batailles.
Déja l'Assirien croit tenir sous ses Loix ,
Ces Juifs si renommez par de nombreux Exploits
Ces Juifs dont la valeur , maîtresse des obstacles ,
Tant de fois enfanta les plus fameux Miracles.
Superbe illusion : ô prophanes Humains ,
Adarez le Très-Haut , respectez ses desseins ;
Plus éloignez de vous que n'est dans sa carriere ;
L'Astre qui fait les jours et répand la lumiere ;
Que ne sont dans leurs cours ces Globes radieux ;
Dont sa magnificence a décéoré les Cieux.
Le Dieu des Juifs n'est point un Juge inexo
rable ,
11 va tendre à son Peuple une main secourable ,
Le cri de leur misere à son Trône est monté ,
Sa Justice s'appaise et cede à sa bonté ;
Mais quoi ! pour dissiper cette innombrable Ar
mée ,
Parmi des tourbillons de flamme et de fumée ,
Dien fera- t'il voler devant lui la terreur ?
En
1
AVRIL 1731. 947
Envoyera -t'il des Cieux l'Ange Exterminate ur ?
Non , non ; mais une Veuve obscure et solitaire ,
S'arrache par son ordre à sa retraite austere .
Judith va devenir l'instrument glorieux ,
Qui doit faire éclater sa grandeur à nos yeux.
De son Esprit Divin , cette Juive remplie ,
Elle seule entreprend de sauver Béthulie ,
Et le Dieu qui l'envoye ajoûte à ses beautez ,
Des riches ornemens les secours empruntez ;
Aux Tentes du Vainqueur elle arrive , il l'admire
Ce farouche Guerrier s'attendrit et soupire ;
Les Hebreux , lui dit- elle , ont mérité vos coups,
Seigneur , n'étendez pas sur moi votre courroux;
J'abandonne des murs que le Ciel abandonne ,
Où réside la mort et qu'un Camp environne.
Je viens vous découvrir des secrets importans.
Le Barbare l'écoute , il l'observe long-temps.
Judith lit dans ses yeux une ardeur témeraire :
Que cette ardeur coupable augmente sa colere !
La nuit succede au jour , un Festin fomptueux ,
Etale du Vainqueur le luxe fastueux
Des mets les plus exquis les tables sont comblées,
Les plus rares odeurs à l'Encens sont mêlées ;
"1Tout anime aux plaisirs ; des vins délicieux ,
Couronnent à l'envi des Vafes précieux .
Le Chef et les Soldats ont déposé leurs armes ,
La molesse triomphe , et ses perfides charmes ,
Enervent les esprits et versent dans les coeurs >
(
F D'un
948 MERCURE DE FRANCE
2
D'un poison dangereux les funestes douceurs.
Le superbe Holopherne ébloui de sa gloire
Va laisser de ses mains échapper la victoire.
Aveugle , il ne sent pas que pour les vrais Héros
Il n'est point d'ennemi pire que le repos.
Dans un calme trompeur , tel un Nocher peu sage,
S'abandonne à la joye et méprise l'orage.
Sur la foi des Zéphirs il dort paisiblement
Sa Nef semble regner sur l'humide Element
Les flots impétueux s'abbaissent devant elle ;
Mais tout à coup quel bruit ! ô disgrace cruelle!
Tous les vents déchaînez troublent le sein des
Mers ,
La nuit d'un voile obscur enveloppe les Airs ;
3 La Tempête , la Foudre et l'Onde mugissante ;
Des Eclairs redoublez la lueur palissante ,
Arrache, mais trop tard , le Nocher au sommeil.
Des fiers Affiriens tel sera le réveil ,
Ils sont ensevelis dans une longue yvresse ,
Les feux sont presque éteints et partout le bruit
cesse.
Judith veille , elle est seule , elle sent la terreur ;
Pour la premiere fois s'emparer de son coeur:
Mais bien-tôt bannissant cette crainte coupable
Elle ose envisager l'Ennemi redoutable ,
Sans suite et sur un lit lâchement étendu ,
Son large Coutelas y brille suspendu ;
Judith le prend , approche et son ame s'écrie ,
Dieu
AVRIL. 1731. 949
•
Dieu puissant , soutiens -moi , dêlivre Béthulie a
Toi dont jamais en vain je n'implorai le nom
Qui jadis mis le Glaive aux mains de Simeon ,
Pour punir de Sichem l'audace criminelle ,
Qui toûjours de ton Peuple embrassant la querelle
,>
Ouvris les vastes Mers à nos Ayeux errans ,
Et réunis leurs flots pour perdre leurs Tyrans
Toi qu'on nomme l'Arbitre et le Dieu des Batailles
;
Toi par qui Jericho vit tomber ses murailles
Jahel de Sisara termina le destin ;
David trancha les jours de l'altier Philistin
Le genereux Ahed illustra sa memoire .
Débora de mon sexe éternisa la gloire ;
Fais tomber sous mes coups dans l'infernale.nuit,
Le superbe vainqueur que ton courroux poursuit.
Que son trépas apprenne à craindre ton Empire.
Elle dit , elle frappe , et ce Vainqueur expire.
L'Hébreu met à son tour l'Idolâtre en ses fers ,
Quand le Ciel est pour nous , que peuvent les
Enfers
Si Deus pro nobis , quis contrà nos ?
LET
950 MERCURE DE FRANCE
LETTRE du R. P. Sicard , Jesuite ,
sur les differentes Pêches qui se font
en Egypte.
d'executer vos ordres , je ne sçai s'il
sera en mon pouvoir de faire entierement
ce que vous desirez de moi. L'Egypte ,
dites- vous , a la Mer Méditerranée au
Nord , la Mer Rouge à l'Est ; elle est
coupée par le Nil ; elle a une infinité de
Lacs d'une étendue prodigieuse. Vous
avez lû dans plusieurs Auteurs qu'il y a
des Peuples entiers dans la Basse Égypte ,
qui ne vivent que de Poisson . Ainsi vous
ne doutez point que le Poisson ne soit
en Egypte en plus grande abondance
qu'en tout autre pays de la Terre ; sur
quoi vous me faites deux questions , sçavoir
, quel est le commerce de Poisson
que font les Egyptiens , tant en Egypte
que hors l'Egypte , et quelles sont les
denrées qu'ils en tirent des Pays Etrangers
; outre cela , quelles sont les especes
de Poissons que l'on pêche , soit dans le
Nil , soit dans les Lacs .
.
Le premier article m'est fort inconnu,
et un pareil détail ne convient gueres à
ma
AVRIL. 1731. 951
un Missionnaire , ni a un homme de ma
profession . Tout ce que j'ai pû faire , a
été d'interroger sur cela les plus fameux»
et les plus habiles Négocians du Grand-
Caire, et de quelques autres Villes d'Egypte.
Ce n'est donc que sur leur rapport que.
j'ai l'honneur de vous dire que ce sont uniquement
les Négocians de Damiette et de
Rosette , qui transportent sur les Côtes
de la Syrie , la Saline qui sort d'Egypte ;
et que ce sont les seuls Riverains des Lacs
de Manzalé , de Brulla et de la Beheiré
qui fournisent la Saline qui est transportée
hors du Royaume. Les Riverains des
autres Lacs ne vendent que du Poisson
frais qu'ils débitent sur les lieux.
Je conçois qu'une idée aussi generale
que celle là du Commerce que fait l'Egypte
du Poisson salé , ne vous donneroit
pas beaucoup de lumieres pour le
dessein que vous avez ; je vais donc m'étendre
plus au long sur certaines particu
laritez qui ont rapport à cela. Je les connois
par moi-même , et elles vous mettront
en partie au fait , ou du moins elles vous
seront de quelque utilité pour éclaircir
cette matiere. Je commence par les trois
Lacs dont on tire tout le Poisson que l'on
sale et que l'on fume ; au reste , ce que
je dirai de l'un , vous pourrez le
dire des autres , à proportion de leur
grandeur.
Fiij Le
952 MERCURE DE FRANCE
Le Lac de Brullos a 15. à 18. lieuës de
longueur , et 4. à 5. lieues de largeur. Il
est situé entre Damiette et Rosette.
Le Lac de Beheiré n'a tout au plus que
sept lieues de tour , et est situé entre Rosette
et Alexandrie.
Le Lac de Manzalé commence à l'Est,
à demie lieuë de Damiette , autrefois Thamiathis
, et finit au Château de Thiné ,
anciennement Peluse. Il a 22. lieuës de
long à l'Est-Ouest , et 5. à . lieuës de
large au Nord - Sud. Le fond en est boüeux
et plein d'herbes . Il n'y a que 4. pieds
d'eau ou environ , en quelque endroit
que ce soit , et il n'est séparé de la Mer
que par une langue de Sable , qui a tout
au plus une lieuë de large.
Cela n'empêche pas que ce Lac n'ait
communication avec la Mer.Il l'a au Nord
par trois Embouchures ; sçavoir , par celle
de Thimé , qui est la plus Orientale
nommée autrefois l'Embouchure du Nit
Pelusiaque , par Eummefurrege , autrefois
nommée la Tanitique ; et par Dibé
ou Pesquiere , autrefois Mendezić.
Outre cette communication avec la
Mer , le Nil tombe dans ce Lac par pluseurs
Canaux au Sud. C'est ce qui fait
pendant deux ou trois mois de l'année ,
c'est-à- dire pendant l'Automne , qui est
le tems de l'accroissement du Nil , les
<
eaux
AVRIL. 1731. 953
eaux du Lac Manzalé sont douces ; au
lieu que dans autres neuf mois de l'année
, elles sont salées et approchantes de
celles de la Mer ; ce qui n'est pas surprenant
, car alors les Canaux du Nil sont
à sec ou si peu remplis d'eau , qu'à peine
en coule t'il dans le Lac.
Tout le monde n'a pas droit de pêcher
ce droit est affermé , l'on compte 2000.
Pêcheurs. Chaque Pêcheur paye par an
soo Medins, c'est-à- dire près de 40 francs.
L'Aga du Lac tire cette somme , et en
rend compte au Pacha du Caire. Ce n'est
pas tout , le tiers de la pêche , tant fraîche
que salée , appartient au Fisc ou Trésor
Royal. L'on paye pour le reste cettains
droits de Doüanne ; de sorte que Ic
tout monte à 80. Bourses par an ; par
consequent le seul Lac Manzalé produir
par an 40000. écus au Grand Seigneur.
J'ai été surpris de voir là quantité de
Bateaux qui sont employez continuellement
à la Pêche sur le Lac Manzalé ; l'on
en compte jusqu'à mille. La verité est
que ces Bateaux sont peu de chose , ils
ont tout au plus quatre brasses de long
et une brasse de large. Ils sont plus plats
par dessous , et pointus par la Poupe et
par la Proie.
La maniere de pêcher est particuliere
et assez divertissante . Les Pêcheurs en-
F iiij tou954
MERCURE DE FRANCE.
entourent d'un Seine ou long Filet , des
enceintes de jonc qu'ils ont plantez dans
le Lac pour engager et retenir le Poisson.
Ces enceintes se nomment Gabez . Chaque
Pêcheur est proprietaire d'un ou plusieurs
de ces Gabez, Ce sont autant de divers
Domaines , dans lesquels tout autre que
le Proprietaire n'oseroit aller pêcher.
Quelquefois ils se contentent de pêcher
avec un Filet rond . Alors avant que de
se servir du filet , ils jettent dans l'eau ,
à dix pas d'eux , une corde longue de
deux brasses , qui a à un bout une grosse
pierre propre à aller au fond , et à l'autre
un morceau de bois qui surnâge ; ils
le couvrent ensuite de leur filet . Le Pois.
son qui s'est rassemblé vers la pierre comme
une proye qu'il cherche à devorer
se trouve pris dans le filet .
Vous remarquerez que le Lac Manzalé
est rempli de petites Ifles couvertes de Roseaux
, de Joncs et de broussailles . Or
c'est dans ces Illes que les Pêcheurs portent
leurs Pêches lorsqu'ils veulent habiller
, saler et boucanner le Poisson . Pour
le Poisson qu'ils veulent vendre frais , ils
le portent à Damiette ou aux Villes et
Villages qui sont aux environs du Lac ,
Ces Ifles dont je viens de vous parler vous
enchanteroient par la multitude d'oiseaux
differens , et d'une beauté surprenante
•
qui
AVRIL 1731. 955.
qui n'en sortent que pour voler d'une
ille à l'autre. Le Pelican , la Poule de Ris
la Macreuse , la Poule d'eau , l'Oye du
Nil , à plumes dorées , le Canard commun
, le Canard à tête verte , la Sarcelle,
l'Ibis noir , l'Ibis blanc et noi le Cormoran
gris blanc , le Cormoran blanc à
bec rouge, le Chevalier , le Plongeon , la
Grüe , entr'autres Oiseaux , y sont à
milliers..
*
و
Il y a un article dans notre Memoire
qui ne m'occupera pas beaucoup, et je n'ai
point à craindre de ne me pas expliquer
clairement : cet article concerne les vête→
mens des Pêcheurs. Ils sont tous et en tout
tems en simple Caleçon , et ont le reste du
corps absolument nud , ce que j'attribuë
à la chaleur du Climat , qui est excessive.
Il n'y a pas dans les Lacs de Manzalé
de Bulos , de Beheiré, une si grande quantité
de Poissons de differentes especes que,
vous pourriez vous l'imaginer. J'ai examiné
la chose de près , et j'ai fait sur cela
toutes les perquisitions possibles. Après,
bien des recherches , j'ai trouvé que tout
se réduisoit à 7. ou 8. sortes de Poissons ;
sçavoir , le Queiage , le Sourd , le Jamal
le Geran , le Nogt , le Karous , le Bouri
autrement le Muge , et le Dauphin .
Le Queiage , qui est , sans contredit , le
meilleur Poisson du Lac , est de la gros
Fy SCU
956 MERCURE DE FRANCE .
seur d'une Alose , et est verd sous le mu
seau. Le Sourd et le Jamal , sont beaucoup
plus gros que le Queiage , et sont d'excellents
Poissons. Le Geran , le Karous , et le
Nogt , qui a cela de particulier , qu'il est
picoté , peuvent passer pour de bons Poissons
, ayant ce gout exquis et fin que donnent
naturellement les eaux du Lac Manzalé
à tout le Poisson qu'on y pêche . Les
Dauphins sont des Poissons si communs
et si connus , que si je vous en parle , c'est
parce qu'il y en a une si grande abondance,
qu'on pourroit bien dire qu'ils y fourmillent
, sur tout vers les Embouchures
qui communiquent à la Mer. Le Bouri
neanmoins est encore en plus grand nom
bre que le Dauphin . C'est le Poisson dominant
du Lac , et la quantité en est si
prodigieuse qu'on a peine à le croire.
On sale le Bouri , tant mâle que femelle,
et on le fait secher ou au Soleil ou à la fumée
, avec cette difference qu'on vend
quelquefois du Bouri mâle frais ; mais jamais
du Bouri femelle , parce qu'aussi-tôt
qu'on a pêché on en leve la boutargue ;
ainsi il n'est plus temps de l'exposer cn
vente , et on est obligé de le saler .
1
On sale aussi le Queiage. Ce sont donc
là les deux sortes de Poissons dont les
Egyptiens font proprement leur commerce
de Poisson salé, aussi bien que de la boutargue
AVRIL 1731. 957
targue. Ils portent l'un et l'autre dans la
Syrie , en Chypre , à Constantinople , et
ils en fournissent toute l'Egypte en st
grande abondance , que des Marchands
Européens qui voudroient apporter iei du
Thon , de l'Esturgeon , ou autre Poisson
salé , pourroient s'assurer qu'ils n'en auroient
pas le débit.
Je ne connois en Egypte de Poisson
salé , apporté des Pays Etrangers , que la
Caviar , qui vient de la Mer Noire. On
le vend aux Négocians de Damiette et
de Rosette , en argent comptant et non
pas en échange.
Vous concevez par là qu'ils entendent
fort peu le commerce et qu'ils n'en tirent
pas un grand profit. En effet je ne
scache pas qu'ils apportent d'autres Mar
chandises de Chipre que du Carrouge
du Lodanum er du vin ; de Syrie , du
Coton et du Tabac ; de l'Archipel , des
Eponges. Mais par la Mer Rouge , les
autres Négocians ant de l'Encens , du
Caffé et des Etoffes des Indes.
Il ne tiendroit qu'à eux de faire par la
même Mer un grand commerce de Perles,
et souvent on le leur a proposé . Cela n'est
pas de leur goût , et s'ils en font venir
e'est en petite quantité , et ce n'est même
que de la semence de Perles . Quand les
Européens apportent de l'Ambre jaune et
2
F vj du
958 MERCURE DE FRANCE
du Corail , ils n'achetent ces Marchandi
ses que pour les porter au Caire , er de- là
dans l'lemen et en Ethiopie. En un mot
il seroit très- difficile de marquer de quelle
sorte de Marchandises nos Négocians
pourroient faire quelque commerce considerable
avec les Egyptiens , surtout avec
ceux de Damiette er de Rosette. Leur vie
frugale et leur. éloignement de tout luxe ,
font qu'ils n'ont besoin de rien ..
Voilà ce qui regarde le Poisson salé dont
Egypte fait un commerce réglé,
J
J
et Le Poisson frais est très - commun
ceux qui demeurent aux environs des
Lacs , en font leur nourriture ordinaire..
La chaleur du climat est cause qu'on ne
peut le transporter , comme on fait en
France aux Villes un peu éloignées . I
seroit gâté et puant avant que d'arriver.
Le Caire , par exemple , qui est une si
belle Ville , si marchande et si peuplée ,
ne tire aucun secours de tant de Pêches
que l'on fait dans les Lacs de Manzalé , de
Brullos , de Beheiré , de la Marest , de la
Corne , Maris , Cheib , et dans les deix
Mers , la Mer Rouge , et la Méditerannée.
Les habitans de cette grande Ville
par la même raison ne voyent jamais de
Marée , et ils ne mangent jamais de Poissons
frais que celui qu'on pêche dans le
Nils , par conséquent , que d'un Poisson
.
€
་
د
qui
AVRIL. 1731. 952
qui , en géneral n'est ni de bon goût , ni
d'une bonne qualité. Le Nil a dans son
lit beaucoup de limon : les Poissons s'en
nourrissent et en conservent l'odeur ; entr'autres
le Bolti , qui est une espece de
Carpe , le Bouri , le Bayad , le Chalbé , la
Ray , le Chilon , le Lebis , Alose , qui
sont les principaux Poissons du Nil , en
sont si infectez , que tout autre que la
peuple du Caire , n'en mangeroit pas.
$
•
Les riches du Caire ont de quoi se consoler
le Nil leur fournit quatre especes
de Poissons d'un goût exquis , d'une bonté
si grande , que les Egyptiens , anciennement
leur ont élevé des Temples , et
ont bâti des Villes de leur nom . Ces
qua
tre especes sont , la Variole , le Quechoué
le Bunni et la Quarmoud.
La Variole , que les Arabes nomment
Quecher , ou Latés , est d'une grosseur.
prodigieuse , et pese jusqu'à 100. et 200 .
livres. Vous la connoîtrez micux sous le
nom de DATO E dont les Auteurs font
si souvent mention .
Le Quechoué est de la grandeur d'uns
Alose , et a un museau fort pointu . C'est
POxirinchus des Anciens..
Le Bunni est assez gros , et j'en ai vû de
20 et 30 livres pesant. On ne peut s'y
méprendre , et on connoît à sa figure
qu'il est le Lepidorus , si vanté par les An
ciens Egyptiens.
25
960 MERCURE DE FRANCE
Le Quarmoud , connu dans les Auteurs
sous le nom de PHAYOB , est noir , et
un des Poissons les plus voraces qu'il y
ait , on en trouve d'aussi gros et d'aussi
pesans que le Bunni.
Deux choses augmentent fort l'avantage
que les habitans du Caire tirent de
cette pêche. La premiere est , que ce ne
sont point là de ces Poissons passagers que
F'on n'a qu'en certain temps : pendant le
cours de l'année on en trouve en abondance
dans le Nil. La seconde est , que la
Pêche en est facile. Quelque gros que soir
le Quecher et le Bunni , on les prend avec
un simple filer , et tendu de la même ma
niere que l'on fait en France.
Il ne tiendroit qu'aux Egyptiens de faire
une autre sorte de profit , que nous ne
négligerons assurément pas ; sçavoir , de
prendre des Oiseaux de Mer , et de Rivie
re , comme sont les Macreuses , les Plongeons
, et autres semblables animaux
dont le Nil est souvent couvert. Mais les
Pêcheurs , tant du Nil que des Lacs - Manzalé
et de Brullos s'attachent uniquement
à prendre des Macreuses. Pour cela , le
Pêcheur , pendant la nuit se met dans
F'eau jusqu'au col , ayant la tête couverte
d'un bonnet noir ; il s'approche doucement
et sans bruit des Macreuses , et lorsqu'il
en est proche , il jette sur elles son
filet.
›
AVRIL. 1731.901
Mon dessein étoit d'en demeurer-là , er
de finir ma Lettre , qui n'est déja que trop
longue , d'autant plus que je ne vous dirai
rien davantage sur la Pêche , que l'on fait
tant en Egypte , que dans le Nil en particulier.
Mais j'ai fait refléxion que les Oiseaux
et les Monstres , qui sont comme propres
du Nil , et dont les Européens n'ont point
assez de connoissance , méritent bien que
je vous en fasse un article séparé ; vous
m'en sçaurez gré , et je juis surpris que
vous ne m'ayez pas vous-même interrogé
sur ce point. Cependant , pour ne vous
pas ennuyer par le récit de choses qui ne
sont peut- être pas de votre goût , ou du
moins que vous ne regardez que comme
de simples curiositez , ausquelles vous ne
prenez nul interrêt , je ne vous en ferai le
détail qu'en géneral et en peu
de mots.
L'on voit sur le Nil deux sortes d'Oiseaux
, et en si grand nombre , que cela
est surprenant. Les uns sont communs
et connus en Europe ; sçavoir , le Flaman
le Chevalier , le Courlis le Courlis à
bec recourbé en haut , le Heron , le Heron
à bec sans espatule , le Pelican , la
Gruë , la Beccassine , le Pluvier , le Be
chor , la Sarcelle , le Canard à tête verte
la Macreuse , le Cormoran , le Plongeon ;
plusieurs de ces Oiseaux , comme vous
>
**
و
Voyez
981 MERCURE DE FRANCE
voyez , sont bons à manger , et l'on devroit
ici aller à la chasse , et en tuer . Mais
les Egyptiens ne chassent point , et au
Caire les Paysans n'apportent que des Canards
et des Şarcelles qu'ils prennent au
lacet. Ils y sont fort adroits . Aussi les.
Marchez sont- ils pour l'ordinaire remplis
de ces deux sortes de Gibier. Ils prennent
de la même maniere le Pelican. Les autres
Oiseaux ont beau multiplier à l'infini , ils
n'en tuent ni n'en prennent point.
L'Ibis , FOye à plumage doré , la Poule
de ris , ou Poule de Diamette , le Saqsaq ,
connu autrefois sous le nom de Trochilus ,
sont ce que j'appelle proprement les Oiseaux
du Nil. Car s'il y en a autre part
par exemple , sur le Lac Manzalé , c'est
parce qu'ils y sont venus du Nil , et que
La communication qu'il y a de l'un à l'autre
, par le moyen des canaux , les y a at
tirez.
Je ne connois dans le Nil que les Hippopotames
et les Crocodiles qui puissent
êrre appellez Monstres Marins , et je ne
sçai ou certains faiseurs de Voyages ont
trouvé ces differens Monstres Marins
dont ils prétendent que le Nil est rempli .
Apparemment que c'étoit pour embellir
leurs Relations , et pour attendrir leurs
Lecteurs par le récit fabuleux des dangers
qu'ils ont courus.
Les
AVRIL. 1731. 983
>
Les Hippopotames , ou Chevaux Marins
sont très-communs dans la haute
Egypte , surtout vers les Cataractes. A
peine en paroît - il , soit aux environs du
Caire , soit dans toute la Basse Egypte .
Ces animaux ne vont jamais en troupe , et
rarement on en voit deux ensemble . Ils
sont si défians , et ils s'échappent avec tant
de vitesse de ceux qui les poursuivent ,
que personne ne songe à aller à cette chas
se , et ne tente d'en prendre , ni par adresse
, ni autrement. Ce n'est néanmoins pas
une chose impossible , puisque les Empereurs
Romains en ont fait paroître dans
les jeux séculaires qu'ils donnoient au
Peuple.
Il n'en est pas de même des Crocodiles.
On les prend de deux manieres. La premiere
est toute simple . On prend la fres
sure d'une Vache , ou d'un Bufle , ou de
quelqu'autre animal : au milieu de cet
appas , on met un croc , on l'attache ensuite
à une longue corde , dont un bout
est amaré à terre ; on jette dans le Nil l'autre
bout , auquel est attachée la fressure ;
comme elle flotte sur l'eau , le Crocrodile
se jette dessus , et gobe l'hameçon ; alors
le Pêcheur tire sa corde , amene le Crocodile
jusqu'au bord , ' où les Arabes qui
sont stilez à cela , l'assomment.
L'autre maniere est plus dangereuse
on
964 MERCURE DE FRANCE
on épie le Crocodile , lorsqu'il est à terre
, et qu'il dort étendu le long de quelque
butte de sable : un homme se coule
doucement derriere la butte , et dès qu'il
est à portée de l'animal , il lui darde sous
l'aisselle , ou sous le ventre , un épieu qui
est armé d'un crampon qui tient à une
longue corde. Le Crocodile blessé court se
plonger dans le Nil , et entraîne avec lui
l'épieu . Le Pêcheur le suit , se saisit de la
corde , la tire , et amene le Monstre Marin
sur le rivage , où il le tuë. La Pêche
du Marsoüin a quelque chose qui approche
de cette maniere de prendre le Crocodile.
La chair du Crocodile est blanche
grasse , et est un mets exquis quand l'animal
est jeune. Les Arabes du Saïd en sont
friands , et l'aiment avec passion.
Les femelles ne fond jamais leurs oeufs
que sur le sable , chose bien singuliere.
C'est que leurs petits ne sont pas si - tôt
éclos , qu'ils ont la force de courir à toutes
jambes vers le Nil . La mere n'a pas be
soin de les deffendre , et de prendre garde
qu'on ne les lui enleve .
Les Crocodiles croissent assez vîte , et
ils ont ordinairement 20 à 25. pieds de
Jong.
Je ne vous déciderai pas combien de
sems ils vivent ; je sçai que Plutarque ne
leur
AVRIL. 1731. 955
(
leur donne que 40 ans de vie ; mais d'un
autre côté , j'entens dire à nos Arabes qui
sont croyables en cela par
les connoissances
journalieres qu'ils en ont , qu'il y a
des Crocodiles qui vivent jusqu'à cent
ans. Je suis , & c.
XXXXXXXX:XXXXXX:X
LA RENOMME'E,
O D E.
Ymphe qui d'une aîle legere ,
Parcours sans cesse l'Univers ,
Qui , diligente Messagere ,
Annonces nos succès divers ,
Interrompt la route inconstante ,
De ta Trompette impatiente ,
Suspends le son audacieux ,
Sois attentive à ta loüange ,
Et va de l'Hebre jusqu'au Gange ,
Reprendre mes Vers en tous lieux.
M
Cent fois dans un foible courage ,
Tu fis naître un noble transport ,
Cent fois jaloux de ton suffrage
Il brava les fers et la mort ;
De l'honneur Arbitre suprême
T*
$ 66 MERCURE DE FRANCE
Ta voix peut à la vertu même ,
Ajoûter un éclat nouveau ;
Et tes cent bouches immortelles ,
Sçavent mieux que l'Art des Apelles ;
Affranchir un nom du tombeau.
Pourquoi ce Guerrier intrépide,'
Court- il affronter le trépas ?
En vain ta valeur qui le guide ,
Voit l'abyme ouvert sous ses pas ;
Est-ce le mépris de la vie ,
Est -ce l'amour de la Patrie ,
Qui conduit le jeune Vainqueur ?
Non , mais sous les yeux d'une armée ,
• Il combat pour sa Renommée ;
Seule elle anime son grand coeur.
Quel Mortel ici se presente ,
Dont la docte tranquillité ,
Par une route differente ,
Sçait trouver l'immortalité
Sa voix enfante des miracles ,
Et des misterieux Oracles ,
Sa plume éclaircit le cahos ;
Quel espoir le flatte et l'anime ?
C'est de se voir dans notre estime ,
A côté même des Heros,
Qui
AVRIL:
967 1731.
Oui, l'équitable Renommée ,
A placé dans un rang égal ,
Le Chantre (a) de Troye enflammée ,
Et le fier vainqueur (b) d'Annibal :
Ces grands hommes dignes d'un Temple ;
Serviront à jamais d'exemple ,
Aux coeurs jaloux d'un nom fameux
Les vertus qu'ils ont fait paroître ,
De leurs cendres semblent renaître ,
Et parmi nous vivre pour eux.
Mais que cette estime est trompeuse !
Que mal à propos notre orgueil ,
Porte sa vûë ambitieuse ,
Au-delà même du cercueil !
Vains efforts ! frivole esperance !
Nous cherchons une récompense ,
Dont nous ne serons plus témoins ;
Ah ! plutôt d'un prix si sterile ,
Dédaignons l'honneur inutile ;
Bornons nous à nos vrais besoins
Loin ce pernicieux langagé ,
Triste fruit des Reflexions ;
Suivons d'un favorable usage
Les flateuses impressions ,
>
(a) Virgile. (b) Scipion
Pro
968
MERCURE DE
FRANCE
Proposons - nous ces grands modeles ,
Qui malgré les Parques cruelles ,
A leur trépas ont survécu :
Aspirons à la même gloire ,
Et pour atteindre à leur memoire ,
Osons imiter leur vertu.
粥
Heureux qui peut pendant sa vie,
Recueillir le fruit précieux ,
Des Eloges qu'envain l'envie ,
Dispute à son nom glorieux !
Témoin du tribut legitime ,
Qu'à ses écrits rend notre estime ;
Lui-même en goute les douceurs ;
Déja ses sublimes ouvrages ,
S'attirent autant de suffrages ,
Qu'ils trouvent de nouveaux Lecteurs.
Comme un Fleuve auprès de sa source ;
Voit se perdre mille Ruisseaux ,
Superbe au milieu de sa course ,
Voit tout à coup enfler ses eaux ;
Ou comme la neige en la Trace,
Des floccons voisins qu'elle entasse
Grossit et roule en augmentant ,
Telle est plus abondante encore ,
D'un nom que notre estime honoré
La gloire croît à chaque instant,
Vous
AVRIL. 1731.
969
•
Vous donc , qu'un noble feu consume
'Auteurs , redoublez vos travaux
Que desormais chacun rallume ,
L'ardeur de vaincre ses Rivaux ;
Méprisez les vils Plagiaires ,
Ces Chantres dont les Airs vulgaires ,
Sçavent moins toucher qu'ébloüir ;
Et malgré l'envie allarmée ,
Faites-vous une Renommée ,
Dont vous-mêmes puissiez joüir.
Par M. de M. D. S. d'Aix la Chapelle:
MEMOIRE sur les Villes de la Mecque ;
et de Medine , sur le Pelerinage des Mabometans
, &c. Par M. D. L. R.
L
A Mecque est une ville de l'Arabie ;
pour laquelle les Mahometans ont
une telle vénération , qu'ils croyent que
tous ceux qui ne sont pas de leur secte
sont indignes d'y entrer ; ainsi ils ne leur
permettent pas d'en approcher , même
de quelques journées ; et si un Chrétien
étoit surpris sur cette terre , ce seroit un
sacrilege que le feu seul pourroit expier ,
ou le changement de Religion.
La dévotion porte quantité de Musulmang
70 MERCURE DE FR ANCE.
mans à entreprendre ce Pelerinage : Il y
en a cependantbeaucoup qui le font pour
trafiquer car les Marchands viennent de
tous les côtez du monde Mahometan , débarquer
au Port de Gedda . ou Zieden >
sur la Mer Rouge , éloigné d'environ 15.
lieues de la Mecque.
>
Ce voyage absout de tout , et quand
on l'a fait on ne sçauroit plus être recherché
pour aucune sorte de haine.
,
Il part tous les ans cinq principales Ca
Lavanes qui vont à la Mecque ; sçavoir ,
celle du Grand Caire , qui est composée
des Egyptiens , et de tous ceux qui viennent
de Constantinople et des lieux circonvoisins.
Celle de Damas , qui emmene
tous ceux qui sont de Syrie ; celle des Magrebins
ou Ponentois , comprenant tous
les Pelerins de Barbarie , de Fez , de Maroc
, &c. qui s'assemblent au Caire ; cellede
Perse et celle des Indes , ou du Pays
du Mogol , &c. On s'arrêtera particulierement
ici à celle du Caire , qui servira
d'instruction pour les autres.
Après diverses cérémonies qui durent
plusieurs jours au Caire , on va camper
à douze milles de la Ville , proche d'un
Etang appellé la Birque : C'est le rendez-
vous de toute la Caravane qui est
souvent composé de cent mille Perfonnes.
On
}
AVRIL. 1731. 971
On ne marche que la nuit , pour éviter
la chaleur ; et lorsque la Lune n'éclaire
pas , on porte des Falots ; les Chameaux
sont attachez queuë à queuë , l'un à l'autre
, et il n'est pas besoin de les conduire.
Il y a trente-sept journées de chemin
du Caire à la Mecque , et tout ce chemin
se fait les déserts de l'Arabie on ne
par
mange que ce que l'on a porté; il y a peu
d'eau , encore est- elle bien mauvaise ; mais
ce qui est de plus fâcheux , ce sont des
vents chauds qui ôtent presque la respiration
; cependant beaucoup de femmes
d'enfans , et de vieillards font le voyage.
Durant toute la marche , on chante des
versets de l'Alcoran , avec tant de zele et
d'application , que l'on voit quantité de
personnes tomber tout à coup de leurs
Chameaux , par l'excessive fatigue , et
mourir en les chantant.
·
Deux jours avant que d'arriver à la Mecque
, chacun se dépouille presque nud
par plus de respect , et prend des Sandales,
pour ne pas fouler une terre qu'ils estiment
Sainte. Ils demeurent ainsi huit jours
à vivre dans la plus exacte régularité : les
Malades font des Aumônes au lieu de se
dépoüiller comme les autres .
La Mecque est une Ville à peu près de
la grandeur de Marseille , environnée de
G hautos
972 MERCURE DE FRANCE.
re ,
hautes Montagnes , et toute bâtie de pierdans
laquelle est une grande Mosquée,
au milieu de laquelle est le Kyabé ou Beit-
Allah , c'est-à- dire , Maison de Dieu
que les Mahometans disent avoir été bâ
tie par les Anges, visitée par Adam , trans,
portée au Ciel durant le Déluge , et depuis
rebâtie par Abraham sur le modele
de l'autre , qui lui fut envoyé du Ciel :
Ils ont une grande vénération pour ce
Temple , ainsi que pour une Pierre noire
qui est à main droite , en entrant prochę
de la Porte.
Ils prétendent qu'elle n'est devenuë noire
que par le péché des hommes ; qu'elle
étoit blanche , lorsque l'Ange Gabriel
l'apporta à Abraham ; qu'elle lui servoit
d'échafaut lorsqu'il bâtissoit cette maison ,
se haussant et se baissant à sa volonté
afin qu'il ne fit aucuns trous à la muraille.
Cette Maison est haute d'environ trente.
pieds , longue de quinze pas , et large de
douze. Le Seuil de la Porte est fort élevé
de terre , un homme pouvant à peine y
atteindre avec la main : la Porte est d'argent
massif, s'ouvrant à deux battans ;
large d'environ cinq pieds , et haute
de neuf à dix ; l'on y monte avec une
Echelle que soutiennent quatre rouës
Quand on veut entrer dans le Kyâbé ,
on
I
AVRIL.
1731 .. 973
on approche l'Echelle de la muraille par
le moyen de ces rouës .
Trois Colomnes ou Piliers de figure octogone,
d'environ vingt pieds de haute ir,
soutiennent cette maison ; elles sont de
bois d'Aloës, de la grosseur d'un homme
et chacune d'une seule piece.
Le dedans est orné d'Etoffes de soye
rouge et blanche , et le dehors d'une étoffe
de soye noire , façon de Damas : il y a
tout autour une muraille qui en empêche
l'abord , avec un certain espace entre la
muraille et la Maison.
Deux Ceintures brochées d'or , ceignent
exterieurement le Kyâbé ; l'une est vers
le bas , et l'autre vers le haut ; et à l'un
des côtez de la Terrasse qui le couvre , on
voit une goutiere d'or massif qui avance
en dehors d'environ six pieds , pour jetter
loin les eaux de la pluye , qui tombent
de la Terrasse dans cette goutiere.
Il y a dans le même Temple un autre
objet d'une grande dévotion pour les Ma
hometans'; sçavoir, le Puits ou la Fontaine
de Zemzem ; c'est , disent-ils , cetteEau
merveilleuse que Dieu fit paroître en faveur
d'Agar et de son fils Ismaël dans le
désert , après qu'Abraham l'eut obligée de
s'y retirer avec son fils : ils en boivent par
dévotion , et lui attribuent de grandes
vertus.
Gij
Les
974 MERCURE DE FRANCE
Les Pelerins passent trois jours à la Mecque
, et celui qui peut baiser le premier ta
-Pierre noire , est tenu pour Saint. Mais il
faut qu'il le fasse le Vendredi , qui se rencontre
toûjours pendant les trois jours , et
à la fin d'une priere publique : chacun se
jette à ses pieds pour les lui baiser ; et
souvent il est étouffé par la trop grande
foule.
• Pendant ce même temps , il faut faire
en cérémonie un chemin assez long qui
va autour du Kyâbé. Un Iman précéde
les Pelerins , et leur montre comme ils
doivent faire. Il s'agit de plusieurs genuflexions
, prosternations , &c.
Tous les ans on ôte les vieilles étoffes
qui entourent le Kyâbé , pour y en mettre
de neuves , et elles sont pour le G. S. et
pour le Sultan Scherif qui commande à
la Mecque ; elles servent à la dédicace
des Mosquées neuves , et à faire de
prétendues Reliques que ce Scherif vend
au prix de plusieurs Sequins.
Après les trois jours passez à la Mecque
, les Pelerins vont coucher à un lieu
nommé Minnet , où ils arrivent la veille
du petit Bayran ; et le lendemain ils font
un Sacrifice de Moutons qui sont distribués
aux Pauvres. Ce jour la même ils
reprennent leurs habits."
De-là , ils vont au Mont Arafat , éloigué
AVRIL. 1731. 975
gné d'une journée ; et ils s'y arrêtent aussi
trois jours; jettant chaque jour sept pierres
sur cette Montagne ; ils disent que
ces pierres sont jettées à la tête du Diable
qui vint tenter Abraham en cet endroit
Lorsqu'il étoit prêt de sacrifier son fils Ismaël
, et non pas Isaac ; Ils content de pareilles
Histoires d'Adam et d'Eveà l'occa
sion de cette Montagne.
›
Après plusieurs prieres faites dans la
Plaine , le Sultan Scherifles benit , et chacun
répond Amen, Ce Gouverneur de la
Mecque , tant pour le spirituel , que pour
le temporel , est soumis aux ordres du G.
S. quoiqu'il ait une très-grande autorité.
Après cette cérémonie on revient auVil-
Lage de Minnet , situé dans une Plaine où
il y a une Roche , dans laquelle on voit
une Caverne,où les Mahometans tiennent
que leur prétendu Prophete faisoit sou-,
vent oraison ; et ils montrent dans la partie
superieure de cette caverne un enfoncement
, qui represente la forme du haut
de la tête d'un homme , qu'ils assûrent y
avoir été fait lorsque Mahomet s'étant
prosterné en ce lieu , touchoit de la tête
en se relevant contre le haut de la caverne ;
ils veulent que la pierre s'amolît , &c .
Pour conserver la memoire de ce prétendu
Miracle , ils ont bâti une Mosquée en
ce même lieu Giij La
976 MERCURE DE FRANCE
La plupart de ceux qui vont à la Mecque
, font en même temps le voyage de
Medine ; mais ce n'est pas une obligation.
- Medine est aussi une Ville de l'Arabie ;
elle est à trois journées de la Mer Rouge
; et beaucoup moins grande que la
Mecque.
›
ap-
Au milieu de cette Ville est une Mosquée
, au coin de laquelle on voit le sépulchre
de Mahomet , il est de Marbre
blanc , avec les Tombeaux d'Abubeker
d'Omar &c. Califes ses Successeurs.
Il y a là un très-grand nombre de Lampes
qui brûlent toûjours ; ce Sépulchre est
dans une petite cour , ou bâtiment rond ,
couvert d'un Dôme que les Orientaux -
pellent Turbé : ce bâtiment est ouvert depuis
le milieu jusqu'à ce Dôme, et tout au-
Four il y a une Galerie , dont la muraille de
dehors est percée de plusieurs fenêtres , qui
ont des grilles d'argent. Celle de dedans
qui est la muraille de la Tour , est parée d'une
infinité de pierres précieuses à l'endroit
où paroît la tête du Sépulchre . On y voit
entre -autres un gros Diamant large de deux
doigts , et long à proportion ; et au dessus
est le Diamant que le Sultan Osman , fils
d'Achmet , y envoya pareil à celui que portent
les Empereurs Ottomans. Ces deux
Diamans n'en faisoient autrefois qu'un , que
2
ca
AVRIL. 1731.
977
ce Sultan fit couper par le milieu.
Il y a plus bas une demie Lune d'or , ou
sont attachés d'autres Diamans de fort grand
prix . La Porte par où l'on entre dans la Galerie
, qui est autour du Turbé , est d'argent
maffif , aussi bien que celle par où l'on entre
de la Galerie dans le Turbé : on ne l'ouvre
que quand il n'y a point de confusion
d'Etrangers ; c'est - à - dire quelques temps
après le départ des Pelerins , qui ne voyent
que la Galerie et les richesses qui sont ` dedans
par les fenêtres , et les grilles d'argent.
Le Tombeau est élevé sur trois dégrés du
Rez-de-Chaussée ; et ces dégrez sont aussi
de Marbre blanc.
J'aurois pû rapporter dans ce Memoire
plusieurs autres circonstances , mais j'ai
voulu n'y faire entrer précisement que ce
que j'ai appris ici de deux personnes de mérite
et dignes de créance ; sçavoir , Hadgy
Mehemet , Envoyé du Dey d'Alger au feu
Roi , lequel avoit fait tout récemment le
voyage de la Mecque ; et Mehemet- Effendi
, envoyé au même Prince , sur la fin de
son regne , par la Regence de Tripoly de
Barbarie , et depuis encore envoyé à la Cour
de France dans la minorité du Roi. Il étoit
Secretaire d'Etat , ou du Divan , et avoit
une instruction particuliere , très- bien écrite
en langue Turque , sur le sujet dont il
s'agit ici. Nous nous voyions presque tous
les Gin
278 MERCURE DE FRANCE
les jours , et ce qu'ils m'ont rapporté l'un
et l'autre se trouve conforme à ce que j'ai
appris là- dessus dans mon voyage du Leyant.
A Paris le 23. Juillet 1727.
akakakakakabS
LOGOGRYPHE.
On corps de sept lettres
formé
MDans
tous les coeurs est
renfermé
Je gâte le plus grand mérite ,
Et quoi qu'avec soin l'on m'évite ,
Dans la Religion et la Societé,
Si je me sçais cacher , je suis accrédité
Mais écoutés moi : je m'explique ,
Par diverses combinaisons.
Deux , un , cinq , quatre ; ici
3.
s'applique ,
Je sçais marquer les variations
que votre esprit
Et la legereté de l'aveugle Déesse.
Quatre , un , six , sept , cinq , aux Vaisseaux ;
Je sers à donner la vîtesse ,
Quatre , un , sept , cinq , deux , des Oiseaux
J'exprime la prérogative :
Un , deux , qui fait mon chef est de tous recherché
:
Et malheureux celui que la fortune en prive.
Un, deux , trois , quatre , & cinq , lorsque je suis
touché , I
AVRIL.
979
1731.
Je fais grand bruit , dans une Eglise,
Retranchez moi quatre , et soudain
Je deviens matiere d'un Pain ,
Dont la pâte est de couleur bise.
Six , un , fera le nom sans plus
De celle que gardoit Argus.
Arangez , un , cinq , quatre , avec mes deux der
nieres,
Et vous direz bientôt Sans cela le Soleil
Donneroit en vain ses lumieres :
Etje ne sai rien de pareil.
Six , sept , cinq , je parois élevé dessus l'onde,
Deux , un , quatre , avec trois et cinq de même
rang ,
C'est la couleur de votre sang.
Quatre joint à six , cinq , vous fait rester au mons
de;
Deux , un , six , font un Souverain.
Cinq, trois , un , quatre ,
offrent soudain
Un endroit sale et plein d'ordure.
Un , deux , sept , cinq , est fort connu dans le
blason :
Et suit , en dedans , la figure ,
Qu'on veut donner à l'Ecusson ..
Cinq , deux
‚ trois , un , latin tire une conse «?»
quence
J'cat
980 MERCURE DE FRANCE
J'en sai bien encore quelqu'un :
Mais je crains ton impatience
Lecteur , depuis long- tems je te suis importun
Le Chevalier de Montador.
Ᏹ Ᏹ
METAMORPHOSE
DU PRINCE CAULO
ET
DE LA NIMPHE ORITHIE.
Par M. de Verrieres , de l'Académie Royale
des Belles Lettres de Caen , lûë dans l'Académie
le 18. Janvier 1731.
A
ir
Vant que de m'engager dans la lecture
de cette Métamorphose , je crois
qu'il ne sera pas inutile de la faire préceder
de quelques Remarques qui pourront servir
à l'intelligence du sujet.
L'Enlevement de la Nimphe Orithie par
Borée , est un point de l'Histoire fabuleuse
si généralement connu , que je croirois blesser
les lumieres des personnes qui m'écoutent
, si j'entrois là- dessus dans le moindre
détail. Je dis même les lumieres des Dames.
Je dois croire que celles qui honorent aujour-
A
1
AVRIL. 1731. 981
jourd'hui l'Académie de leur présence ont
du goût pour les Lettres , et qu'au moins
ne sont elles pas ignorantes dans les Sciences
légeres. C'est ainsi que j'appelle les Sciences
où elles peuvent entrer par des lectures
simplement amusantes ; des lectures , disje
, détachées de ces Sciences abstraites , où
f'on trouve à chaque pas des ronces des
épines , et des terres immenses à défricher ,
avant que de jouir de son travail.
L'Histoire Poëtique, et les Métamorphoses
d'Ovide sont entre les mains de tout le
monde. A la verité elles n'ont pas tout dit.
Quand on veut pousser ses recherches dans
'Histoire fabuleuse , on trouve encore à glaner
abondamment dans d'autres Auteurs .
La Métamorphose dont je viens de lire le
titre est une preuve. Si l'Héroine est géné
ralement connue , il n'en est peut-être pas
de même du Héros . On le chercheroit envain
chez les Grecs et les Romains , source
ordinaire où l'on a recours pour les faits anciens.
Caulo étoit d'un Païs où les uns ni les
autres ne pénetrerent jamais . Le Nord leur
étoit inconnu , et pour leur honneur ils auroient
mieux fait de s'en taire , que d'en rapporter
le peur qu'ils en ont dit sur des Mémoires
qui se refutoient d'eux-mêmes par le
merveilleux incroyable dont ils étoient remplis.
A la verité je dirois peut-être trop , si
Passurois que les peuples de ces Païs glacés
Gvj
ont
982 MERCURE DE FRANCE
1 ont de tout tems cultivé les Sciences : mais au
moins avoient ils soin de ne pas laisser dans
P'oubli les faits mémorables de leur tems
Ils les gravoient sur des rochers pour les
garantir de l'injure des siecles , et les transmettre
à la posterité. Les monumens qui en
restent dans le Nord, en font foi . Ils les
écrivoient en Vers , préjugé favorable pour
eux. Apollon ne dédaignoit pas d'éclairer
ces Climats sauvages , et les Muses y trou
voient des Sectateurs de leur culte. Que
penserai- je de ces Peuples ? L'augure en ess
facile à tirer : Capables de Science , malheu
reux de n'être pas éclairés par des lumieres
supérieures , il ne leur manquoit qu'un Pro+
tecteur éloquent , judicieux , poli , zélé pour
les Lettres , tel enfin que le nôtre , pour
disputer peut-être de prééminence avec l'Académie
si vantée d'Athénes:
Je ne balance point à prendre ici l'affir
mative : Puis- je moins faire pour la mémoi
re de nos ayeux : je dis nos ayeux ; ils le sont
sans doute , et n'est- ce pas de ces Peuples
que nous tirons notre origine ? N'est-ce pas
d'eux qu'est descendu jusqu'à nous ce génie
si propre à cultiver les Muses , et dont la
Province , et cette Ville en particulier , ont
donné tant de grands exemples .
Les Chroniques d'Iflande remontent aux
tems les plus reculés . Elles ont leurs differens
âges , ainsi que l'Histoire des Grecs
avoir
AVRIL. 1731. 983
avoit les siens. Age fabuleux , âge historique.
Il étoit des Herodotes , des Diodores
en Norvege , en Laponie , et dans la fameu
se Thulé , comme il en étoit en Grece et en
Sicile : Ces Chroniques , quoiqu'en partie
défectueuses , subsistent encore , et c'est où
j'ai puisé.mon sujet.
XXXXXXXXXXXXXX**
METAMORPHOSE
DU PRINCE CAULO
ET
DE LA NIMPHE ORITHIE
A
U monde il n'est plages si reculées
Qui de l'Amour ne sentent les ardeurs :
Torrens glacés , neiges amoncelées ,
Ne sont remparts.contre ses traits vainqueurs
Sa chaleur n'est par le froid amartie ,
D'un seul regard il fondroit un glaçon.
Témoin le Dieu qui par rapt fait moisson
Des doux appas de la belle ORITHIE.
Ce fut BORE'E. En des Climats déserts
Il conduisit son amoureuse Proye ,
Climats affreux d'où ce Dieu nous envoye!
Et les frimats et les tristes hivers,
984 MERCURE
DE FRANCE .
Là , par raisons que l'Amour lui dictoit ,
Il essayoit d'aprivoiser la Belle ;
?
Mais sur ce point guéres ne profitoit
Assez galant , ni jeune assez n'étoit
Pour adoucir fillette un peu cruelle
Et sa Captive à ses soupirs rebelle ,
Du rapt commis , toujours se lamentoit.
Tant fit oüir clameurs sur ce rivage ,
A ce's clameurs tant l'Echo répondit
Que l'Heritier d'un Roi du voisinage
Par un beau jour enfin les entendit .
CAULO , c'étoit le nom du personnage :
En son maintien , en sa taille , en son air ,
Caulo n'avoit les graces de JocoNDE ;
Mais sur un corps d'embonpoint peu couvert,
Son col portoit tête massive et ronde ,
3
De coeur au reste et noble et genereux ,
Sensible aussi , trop bien le sçut apprendre ,
Sensible , dis-je , aux tourmens amoureux ,
Plus fortuné s'il eut pû s'en défendre.´
Aux tons plaintifs , aux douloureux accens
Dont bien au loin retentistoit la Rive >
Caulo s'avance , il voit notre Captive ,
Poussant au Ciel mille cris languissans.
L'Amour alors , de la froide Scythie
D'un vol leger traversant les hauts Monts ,
Alloit sous l'Ourse enflammer les Lampons ::
Il voit Caulo contemplant Orithie.
A
AVRIL.
1731. 985
A cet aspect il s'arrête soudain ,
Puis méditant un moment en soi-même, ..
Sur ce mortel essayons notre main ,
Pour Orithie embrasons- lui le sein ,
Qu'il rende homage à mon pouvoir suprême.
Il dit : un trait à l'instant fut lancé.
Du trait fatal déja Caulo blessé ,
Se sent ému de pitié pour la Belle :
Il s'intéresse au sujet de fes pleurs ,
Il s'attendrit , il s'afflige avec elle.
Tandis qu'il plaint son destin , ses malheurs ,
Un feu brûlant qu'il ne peut plus contraindre
Déja l'agite , et trouble son repos :
Son propre mal le force de se plaindre ,
Et pour lui-même il s'explique en ces mots :
Quand trop touché de votre peine extrême ,
Je prens sur moi de vos maux la moitié,
Vos yeux , helas ! me contraignent moi-même
A demander pour moi votre pitié.
Un feu cuisant dans mes veines s'allume ,
Ce feu pour vous me brûle , et me consume
Jusqu'en mon coeur sa flâme s'est fait jour ;
Je sens déja mille ardeurs inquiétes ::
J'ai plaint vós maux , daignez à votre tour
Etre sensible à ceux que vous me faites.
A ce début la Belle resta court
>
Tant se trouva du compliment surprise
Caulo n'étoit formé de telle guise
Là
186 MERCURE DE FRANCE
A faire tôt goûter propos d'Amour.
L'objet cruel de sa pudeur blessée
Par les efforts de son premier Amant ,
Revint d'abord s'offrir à sa pensée ,
Et sans lui dire un adieu seulement ,
Caulo la vit , d'une course empressée j
Bien loin de lui s'enfuir légerement.
Par de longs cris envain il la rapelle ,
Envain il veut par ses pleurs l'arrêter ,
Pour mieux courir , loin de les écouter
Elle reprend une force nouvelle .
Loin d'Orithie , une triste langueur
Saisit Caulo , lui dévore le coeur;'
Tous les matins il venoit sur la rive
Où de la Nimphe il avoit vû les yeux ,
Recommencer en ces sauvages lieux ,
De ses tourmens la légende plaintive.
Que ne peut point une ardeur jeune et vive ,
Quand un Amant sçait se plaindre à propos ›
Caulo croyoit ne parler qu'aux Echos ,
Mais Orithie à ses cris attentive ,
Tout entendoit. Tant et tant en ouit
Que de son coeur la trempe s'amollit.
Comme au hazard elle s'offre à sa vuë
Un vif éclat qui sur son tein brilloit
Effet certain du feu qui la brûloit ,
D'attraits nouveaux sembloit l'avoir pourvûë.
D'un air timide où son amour est peint ,
Caule
AVRIL. 173.1.
Canlo s'approche , à ses genoux il tombe ,
Pressé du mal dont son coeur est atteint :
Est-ce pitié des maux où je succombe ,
Dit cet Amant , qui guide ici vos pas ?
Où venez-vous , peu sensible à mes larmes ,
N'offrir encore à mes yeux tant de charmes
Que pour hâter l'instant de mon trépas.
A ces doux mots plus ne fuit Orithie ;
D'une union par l'Amour assortie ,
: Leurs coeurs déja pressentoient les plaisirs
Lorsque Borée à travers un nuage ,
Dont il venoit de chasser les Zéphirs ,
Jusques aux bords de l'Affriquain rivage ,
Vit nos Amans ,, entendit leurs soupirs.
Dans la fureur dont cet objet l'anime
Ce fier Rival si prompt à s'irriter ,
Fond sur un Chêne , en releve la cime ,
Et mesurant le coup qu'il va porter ,
Prend ORITHIE et CAULO pour
Le bruit fut tel qu'au loin il s'épandit.
Du haut des Cieux Appollon l'entendit
Sur nos Amans ce Dieu jette la vûë.
Ce triste objet sa course suspendit.
Pour eux enfin sa pitié fut émuë.
Des noeuds , dit- il , qui sçurent les unir
Ne laissons pas éteindre la mémoire ,
Par mes bienfaits conservons - en l'histoire ,
t la portons aux siécles à venir,
victime
Que
988 MERCURE DE FRANCE
Qué , chacun d'eux devenu plante utile ,
Ils soient l'honneur des Jardins potagers
Et que tous deux n'ayant qu'un même azile ,
Bravent toujours Borée et ses dangers.
Il dit alors leurs corps se retrécissent
De longs filets leurs jambes se hérissent.
Caulo déja n'est plus en ce moment
Qu'un tronc grossier surmonté pésammen
D'un lourd amas de feuilles entassées ;
Par cent replis entr'elles enlassées.
Aux mêmes loix soumise également ,
La tendre Nimphe encor peu
rassurée
Contre le coup qui vient de l'accabler
Erre sous terre , et và s'y receler ,
Ponr éviter les fureurs de Borée.
Là , de frayeur s'enfonçant jusqu'au cou ,
Tandis que l'autre à ses côtez s'éleve ,
Dans le moment que leur destin s'acheve ,
L'une devient CAROTTE , et l'autre CHOU.
AVRIL. 1731. 989.
A Fable qui fournit ordinairement
Lies sujets de Cantate , ne fait point
celui de celle cy. Une simple peinture
des situations du Jour naturel dans les
trois aspects , ausquels on peut se réduire ,
étoit d'abord l'objet de l'Auteur. Ce partage
, qui est aussi celui des Cantates , lui
a donné l'idée d'en faire une qui s'est
trouvée achevée au moyen de trois Ariet
tes qu'il y a ajoûtées.
Morte
LE
JOUR ,
CANTATE.
L'AURORE.
Ortels , c'est trop languir dans les bras diz
sommeil ,
Le Jour va commencer d'éclore ,
Venez, sortez , qu'un prompt réveil ,
Dissipant les erreurs qui vous troublent encore ,
Presente à vos regards le pompeux appareil ,
De la naissance de l'Aurore.
Lir. Tendre Philomele , chantez ;
Eveillez toute la Nature.
Vous
90 MERCURE DE FRANCE
Vous , divine Aurore , arrêtez ;
C'est Flore qui vous en conjure.
Mais , hélas ! déja vous partez !
Tendre Amour , avec moi soyez d'intelligence ,
Déesse brillante , arrêtez !
Cephale dans ces lieux s'avance.
Tendre Philomene , chantez , &
LE MIDT.
Le Dieu dont la sagesse , ainsi que la puissance,
Anime et regle l'Univers ,
Phébus est de retour , et du milieu des airs,
Il verse en tous lieux l'abondance.
Que sur le Mont Sacré ses heureux nourrissons ,
Chantent les biens dont ils jouissent
Que les Peuples se réjouissent ,
1 leur a préparé les plus riches moissons.
Venez , Bacchus , avec Pomone ,
Embellir les Jeux des Mortels !
Celebrez le Fils de Latone ,
C'est le soutien de vos Autels.
Et toi , vole Amour dans nos Fêtes ,
Apollon même fait tes Loix ;
Son exemple dans nos Bois
Favo
AVRIL. 1731. 991
Favorise tes conquêtes.
Venez , Bacchus , avec Pomone , &ç
LE SOIR.
L'Astre qui nous éclaire a dans le sein de l'Onde
Eteint la moitié de ses feux.
Déja la nuit traînant ses voiles ténebreux ,
Partage l'Empire du Monde ;
Et bien-tôt des Oiseaux la troupe vagabonde ;
Va finir ses chants amoureux.
C'est dans ces doux instans , dans ces momen
paisibles ,
Que vous goutez le fruit de vos travaux pénibles,
Bergers heureux , rentrez , et que dans vos Ha
meaux .
La fin du jour s'annonce au son des Chalumeaux }
Air.
Hesperus brille , et dans la Plaine
Les dociles Agneaux ,
Descendus des Côteaux ,
Suivent le Pasteur qui les mene
Heureux s'il les a sauvez tous
De la dent cruelle des Loups !
Mais plus heureux encore
Si celle qu'il adore ,
Le récompense à son retour ,
De ses soins et de son amour !
992 MERCURE DE FRANCE
C
AVIS de PAuteur des Reflexions
à Poccasion du Brutus , & c. inserées
dans le dernier Mercure.
>
Es Reflexions que l'on a promises dans
le Mercure d'Avril, sur la Tragedie de
Brutus , sont toutes prêtes. L'Auteur alloit
les donner , lorsqu'il a appris que M. de
Voltaire retouchoit à sa Piece. Comme
M.de Voltaire a toûjours bien réüssi aux
corrections quil a faites à ses differens
Ouvrages , et que l'Auteur des Reflexions
ne critique pas pour le plaisir de critiquer,
il attendra la nouvelle Edition du Brutus,
Si , comme il y a apparence , M. de
Voltaire a reparé les principales fautes
de sa Tragedie , on renfermera sans peine
des
Reflexions qui n'avoient pour princiep
que le desir de voir un bon Ouvrage
devenir meilleur. Si les corrections
ne répondent pas aux Reflexions , quant
aux Vers , et sur tout quant à la conduite
de la Piece , on les donnera toûjours dans
le même motif de
contribuer à la perfec
sion de cet
Ouvrage. ,
PORTRAIT
AVRI L. 1731. 993
****************
PORTRAIT
De Pibrac , Comte de Marigny .
Noblepar sesAyeux , encor plus par luiḍ
même ,
Pibrac est sage , doux , sincere , Officieux ,
Charitable , judicieux ,
Pour les sçavantes Soeurs son amour est extrê
me ;
Prudent , on le consulte en toute occasion
Et , ce qui plus que tout le reste'
Est digne d'admiration ,
Pibrac est Gascon et modeste.
COCQUARD.
R
TABLE.
Elation Historique de la Révolution de
Constantinople , &c. 829
Lettre sur le même sujet , contenant quelques
Anecdotes , &c.
Judith , Poëme ,
938
945
Lettre sur les differentes Pêches qui se font en
Egypte ,
La Renommée , Ode ,
950
965
Memoire sur les Villes de la Mecque , &c. 969
Logogryphe , 978
Métamorphose du Prince Caulo et d'Orithie
Le Jour , Cantate,
Avis sur Brutus ,
Portrait ,
986
289
992
993
Errata du Mercure d'Avril.
Age 803. ligne 10. Jeard , lisez Icard.
P. 808. 1. 3. du bas , manqué , 1. marquéi
P. 810. l. 10. 33 , 1. 31.
-P. 816. l . 15. ruës , 1. Nuës.
P. 818. 1. 13. dire , l. d'ire.
P. 823. 1. 16. partie , . parti.
P. 828. 1. 14. exacte , ôtez ce mot.
Ibid. 1. 16. executée , l. exacte.
A la Table , Nouveau voleur , ôtex ces motsi
Fautes à corriger dans ce Livre.
Page 873. ligne 6. à Bollach, lisez , Abdollah, Istamboul- Effendi ,
?
P. 886. 1. 1. Post , 1. Poste.
P. 902. 1. 22. ni indigné , l . ni moins indignée
P. 906. 1. 9. Ladabach , l. l'Hoda- Bachi,
P. 920. l . 15. steriles , 1. sterile .
P. 926. 1. 19. Romole , 1. Romelie,
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
MA Y. 1731 .
QUE
COLLIGIT
ΣΤΑ
ARGIT
Chez
A PARIS ,
R
GUILLAUME CAVELIER,
rue S. Jacques.
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conty,
à la descente du Pont Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais ,
›
M. DC C. X X X. I.
Avec Approbation & Privilege du Roy.
XXX:XXXXXXX :XXXXX
L
A VIS.
' ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU , Commis au
Mercure , vis - à - vis la Comedie
Frangoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront
remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires
qui vendent le Mercure,
à Paris , peuventfe fervir de cette voye
pour les faire tenir,
On prie très - inftamment , quand on adreſſe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
oin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
oûjours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non-feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie,
›
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire porter fur
Pheure à la Pofte , ou aux Meffageries qu'on
lui indiquera.
A
PRIX XXX. SOL'S.
LE
MERCURE
DE FRANCE
,
DÉDIÉ AU ROT
XXXX
MAY.
PIECES
1731 .
XXXX
FUGITIVES ,
en Vers & en Prose.
LA METEMPSICOSE ,
FABLE.
Ui du monde connoit la Carte,
Spait qu'il abonde en prestiges
divers ;
De la droite raison plus ou moins on s'écarte ,
Et les Humains ont chacun leurtravers.
Il est sur tout certaine engeance ,
Qui
994 MERCURE
3
DE FRANCE
Qui défigure l'homme et qui pullula en France .
Que l'on fuit dans tous les climats ,
Lt que ces Vers ne corrigeront
pas.
Un vieux Singe étant mort , son ombre Calotine,
Sollicita l'Epoux de Proserpine ,
Pour revoir la clarté du jour“ ;
Le Roi du tenebreux séjour,
Lui voulant ôter sa souplesse ,
Sa malice sur tour , et sa vivacité ,
Du corps d'un Asne alloit la faire hôtesse ;
Ainsi l'avoit -il arrêté :
Mais l'Ombre après quelques gambades
Et deux ou trois Pantalonades ,
Dont le bon Pluton rit bien fort ,
Obtient du Dieu de se choisir un sort
Et lui demande avec instance ,
La faveur de passer au corps d'un Perroquet .
C'est , disoit- elle , mon paquet ;
Carje pourrai du moins dans cette résidence ;
Conserver avec l'homme un peu de ressemblance
On sçait qu'étant Singe autrefois ,
J'imitois son air et son geste ;
Et joiiant ici de mon reste ,
Je le copierai de la voix.
L'ame du Singe à peine anime un verd plumage;
Qu'une vieille Fachette et le met dans la cage.
Bayard comme elle , il charmoit son ennui
Au
AMAY. 1731.998.
Aux Passans il chantoit leur game ,
Causoit le long du jour avec la bonne femme,,
Qui ne parloit plus sensément que lui.
Le Sire en fit aisément la conquête...
A son nouveau talent d'étourdir le quartier ,
Il joint , je ne sçai quoi , de son premier métier:
En Arlequin il remuoit la tête ,
Faisoit craquer son bec , formoit differens sons
Il agitoit sa queue en cent et cent façons ,
Et joüoit les Marionnettes.
La vieille mettant ses Lunettes ,
Ne se lassoit de l'admirer ,
Triste d'être un peu sourde ,et souvent d'ignorer,
Ce qu'avoit dit son Peroquet fertile.
Au demeurant , suivant son stile
Le drôle aimoit à sirotter >
La vieille aussi ; l'âge de radotter
Est assez la saison de boire;
L'une tint bon , l'autre s'en trouva mal .
Notre emplumé pour n'être assez frugal ,
Se vit encor contraint de passer l'Onde noire .
Il reparut devant Pluton ,
Qui le privant de la parole ,
Vouloit le renvoyer dans le corps d'une Sole.
L'autre craignant sur tout de devenir Poisson ,
Eut recours à son Protocole ,
Vous fit nouvelle cabriole ,
Joia sa farce, et plut. On sçait que quelquefois ,
A iij
Peu
996 MERCURE DE FRANCE
Peu de chose amuse les Rois.
Selon son goût , enfin le Dieu le fit renaître ,
Et de l'homme lui donna l'être :
> Mais n'osant pas en faire un Mortel vertueux
Un sage , il le destine au corps d'un petit Maître,
D'un brouillon , d'un présomptueux ,
Portant la tête au vent , de soi-même idolâtre ,
Importun , fanfaron , d'ennuyeux entretien ,
Parlant beaucoup , ne disant rien ;
Vrai personnage de Théatre ,
It d'ordinaire aussi personnage de Cour."
Mercure , en cet état , le rencontrant un jour ;
Je t'ai vû n'aguere au Tenare ,
S'écria -t'il , tu n'es qu'un composé bizarre ,
Et du Singe , et du Perroquet.
Grace à ton geste , ainsi qu'à ton caquet ,
Ton ridicule se consomme.
D'un semblable mêlange on ne fait qu'un so
homme ,
Et nul n'est pris à cet appas .
Ainsi le Dieu traita la chose.
O ! combien de gens ici bas ,
Me feroient croire à la Métempsicose.
M. Tanevot..
LET
MA Y. 1731.
୨୭ 7
のみ
LETTRE écrite de Seyde le premier
Décembre 1730. par M. du Bellis , sur
un Voyage fait en Galilée , & c.
Dieur, Voyage que je
E retour depuis peu de jours , Monsieur
, d'un Voyage que je viens de
faire , je ne perds point de temps à vous
faire un récit succint de ce que j'ai vû ,
pour prévenir vos reproches. Dispensezmoi
de Dissertations , et permettez que
je vous renvoye une foule de Voyageurs
qui ont écrit des mêmes Pays où
j'ai été.
Les Révolutions de 18. siecles ont extrémement
simplifié la Galilée ; Flavius
Joseph , qui en a été Gouverneur , écrit
qu'il y avoit dans cette Province 204.
Bourgs ou Villages , dont plusieurs étoient
bien fortifiez , et dont le moindre avoit
environ 15000. hommes , sans parler des
grandes Villes de Tiberiade , de Sephoris
et de Gabara .
Hiram , Roi de Tyr , se trouva fort
mal payé de 20. Villes de la Galilée que
Salomon lui donna pour les Bois de Cedres
, de Sapins et autres Materiaux
ce Roi avoit fournis pour la construction.
du Temple de Jerusalem.
A iiij
que
La
998 MERCURE DE FRANCE
La Charuë a passé sur presque toutes
les Villes , Bourgs et Villages , et ceux
qui restent aujourd'hui , ne sont plus
situez aux mêmes lieux où étoient les
anciens . On n'y voit plus que quelques
monceaux de pierres et décombres de
maisons ruinées .
En partant de Seides , je ne m'étois pro
posé que d'aller à Acre ; j'étois en compagnie
de trois Négocians , dont deux
étoient les Députez de la Nation . Le Valet
d'un de ces Députez, est fils d'un Curé
Maronite de Seyde ; et comme il est au
fait de la Tradition , et qu'il sçait lire et
écrire le Syriaque , je le pris en affection
pour les secours que j'en attendois.
Après trois lieues de marche ,
Docteur domestique , me fit observer que
j'étois sur les ruines de Sarepta , et me
fit arrêter à une petite Mosquée , bâtie
au lieu même où étoit la maison de cette
Veuve, qui ayant bien voulu partager son
petit pain avec Elie , obtint de ce Prophete
la multiplication de sa farine , de
son huile , et là résurrection de son fils.
mon
A une lieuë et demie de cette Mosquée
nous passâmes la Riviere nommée la Hasemiech
, sur un fort beau Pont de Pierre ,
qu'Osman , Pacha de Seyde , a fait bâtir.
Que cette Riviere soit le Fleuve Eleuthere
des
MA Y. 1731. 999
des Anciens , ou non , je laisse cette discussion
aux Sçavans ; ce qu'il y a de certain
, c'est qu'elle séparoit autrefois les
Royaumes de Tyr et de Sidon.
Comme je souhaitois voir les fameux
Puits appellez les Puits de Salomon , parce
que ce Roi en parle dans le Cantique
des Cantiques , nous ne prîmes point le
chemin de Tyr , et nous marchâmes droit
à une Mosquée que les Maronites prétendent
être le Tombeau de Daniel . Nous
passâmes à cette Mosquée une partie de la
nuit.
Au lever du Soleil nous arrivâmes aux
Puits . Nous avions découvert en traversant
la vaste Plaine de Tyr , des restes
des Aqueducs qui conduisoient l'eau
de ces Puits dans cette Ville , qui en est
éloignée d'une lieuë.
Le plus grand de ces Puits subsiste en
son entier ; les deux autres sont ruinez.
L'eau monte jusqu'au bord , ce qui le fait
ressembler à un Réservoir , et en sortant
elle fait tourner des Moulins à blé , ce
qui le rend d'une grande utilité..
A deux lieues de ces Puits , on trouve
le chemin appellé aujourd'hui Anakoura;
il est taillé dans le Roc , sur le milieu
d'une Montagne qui n'a presque point de
pente ; il a environ une demie licuë de
A v long
-
1000 MERCURE DE FRANCE:
long : c'est un Ouvrage d'Alexandre le
Grand , le garde fou en est ruiné, le préci
pice en est affreux ; la Mer et des Rochers:
escarpez, sont au bas à une si grande
distance, qu'on ne peut presque en soutenir
la vûë; ce chemin,au reste, est si ruiné
et si mauvais , qu'on est obligé de mettre
pied à terre à chaque bout de champ .
Au sortir de ce passage , on trouve
un grand tas de pierres et quelques restes
de Murs . Ces ruines s'appellent Scandarete
, ce qui signifie petit Château d'Alexandre.
On arrive enfin au Cap Blanc , que les
'Anciens nommoient le Mont Saron . Delà
on découvre la Plaine d'Acre , bornée
au Sud par le Mont Carmel , qui avançant
dans la Mer , semble simétriser avec
le Cap Blanc , et entourer circulairement
avec les Montagnes de l'Est cette immense
Plaine . La Ville d'Acre paroît au
milieu sur le Rivage de la Mer ; et quoiqu'il
semble qu'on doive bien- tôt atteindre
à cette Ville , il faut pourtant émployer
quatre bonnes heures pour y arriver
, marchant toujours en ligne directe.
La Ville d'Acre ou de Ptolemaide , fait
pitié aujourd'hui , en voyant les ruines
des étonnantes Fortifications qui entouroient
cette grande Ville. L'Eglise de
S.
MAY. 1731. ΥΘΟΥ
S. André , celle de S. Jean , le Palais et la
Chapelle du Grand-Maître des Hospitaliers,
doivent être des Edifices admirables .
Il reste encore de ces superbes Edifices ,
quelques pans de murailles dans leur entier
, qui font juger de leur ancienne
beauté.
Trois jours après notre arrivée à Acre
un Négociant de Seyde , étant dans le
dessein d'aller à Tiberiade pour rendre
visite aux Cheiks qui ont la Ferme gene-
- rale de ce Pays , me proposa de l'accompagner
dans ce voyage , ce que j'acceptai
avec plaisir.
Ce Négociant avoit rendu un service
important au Cheik Saad , aîné de la
Famille des Cheiks de la Tiberiade. Ce
Cheik Saad , avec un des ses freres , informé
de l'arrivée de mon ami à Acre
se rendit à Nazareth ; et ayant appris
qu'il devoit les aller voir , il lui envoya
dix Cavaliers bien armez pour l'accompagner.
Après trois heures de marche vers l'Orient
, dans la Plaine d'Acre , nous entrâmes
dans les Montagnes de la Phénicie ,
et de-là dans les Verres de la Tribu de
Zabulon ; nous passâmes la belle Plaine
de cette Tribu ; et étant parvenus à un
Village nommé Saffoury , notre Cavalier
A vi con1002
MERCURE DE FRANCE
conducteur me fit observer le lieu oùétoit
la Maison de S.Joachim et de sainte Anne ,.
et le reste d'une fort belle Eglise à trois
Nefs , que sainte Helene avoit fait bâtirtout
auprès.
Cette dévote Imperatrice avoit rempli
toute la Terre- Sainte de Monumens de
sa pieté au commencement du IVe siecle.
Ce pauvre Village de Saffoury étoit autrefois
la fameuse Ville de Sephoris.
Au reste , vous remarquerez que le Cavalier
dont je parle , est un homme encore
plus important que
le Valet que
j'ai déja cité ; il sçait sa Terre- Sainte par
coeur , il conduit depuis 30. ans les Religieux
et les Pelerins . Ce Cavalier , nommé
Jacoub , connoît et explique tous les
lieux Saints.
Après avoir traversé Monts et Vallées ,
nous vîmes Nazareth dans un petit Valon.
entouré de Montagnes. Il est sur le penchant
d'une de ces Montagnes , regardant
l'Orient , et ne consiste qu'en quelques.
Cahutes dispersées sur une petite Esplanade.
Nous passâmes auprès de la Fontaine
où la sainte Vierge venoit prendre de
l'eau , n'y ayant point de Puits dans Nazareth
, mais seulement quelques Citernes .
Cette Fontaine est à 4. ou 500. pas du
Village
MAY . 1731.
1003
Village ; il en est de même de tous les
Villages de la Galilée. Les Habitans de
Saffoury vont chercher l'eau à un quart.
de lieuë.
La nouvelle Eglise que les Religieux de
la Terre-Sainte ont fait bâtir à Nazareth ,
est située au même lieu où s'est operé le
Mistere de l'Incarnation ; cette Eglise a
été consacrée depuis peu , et on y fait actuellement
l'Office divin.LeConvent n'est
pas encore achevé ; nous logeâmes dans
les chambres du vieux Monastere .
Comme nous arrivâmes bien avant le
coucher du Soleil , j'eus le temps d'aller
visiter l'Eglise. Elle est à trois Nefs et
fort éclairée.
La sainte Grote où s'est operé le Mistere
, se presente d'abord en entrant , on
y descend par un spacieux Escalier de
douze marches ; et après avoir traversé
l'espace où étoit la Maison qui a été transportée
à Lorette , on entre dans la Grotte
taillée dans le Roc.
Le Ceintre extérieur de cette Grotte est:
tout couvert de Marbre , et sous l'Autel
isolé qui est au milieu , on y lit ces mots :
Hic Verbum caro factum est.
A gauche en entrant , il y a deux grosses
Colomnes d'un Marbre singulier ; elles.
sont placées comme sont les Colomnes
Cou
}
1004 MERCURE DE FRANCE
couplées dans les Edifices. Sainte Helene
les fit poser lorsqu'elle fit bâtir une superbe
Eglise à Nazareth , pour désigner
la place où étoient la sainte Vierge et l'Ange
Gabriel , dans l'instant de l'Annonciation
; l'une de ces Colomnes demeuresuspendue,
adhérante à la voute de la Grotte
, ayant été brisée vers sa base par un
Pacha de Damas , qui pensant qu'elle étoit
creuse , croyoit y trouver un trésor .
On monte par deux Escaliers de 12. marches
, situez aux deux côtez du vieux Escalier
qui conduit à cette Grotte ; au grand
Autel de l'Eglise , qui est à la Romaine , et
placé précisément sur la voute de la Grotte
; le Choeur est derriere l'Autel .
M. Bergeret , Négociant François , Résident
à Acre , qui a donné le dessein de
cette Eglise , m'a dit qu'elle avoit dix toises
de longueur , neuf de largeur , et huit
et demie de hauteur. Les Maçons Turcs.
qui l'ont élevée , ont commis mille défauts
grossiers contre le Dessein de M.Bergeret.
On voit dans les cours du Convent
quelques anciens Chapiteaux Corinthiens
de l'Eglise de sainte Heleine , dont les
feuilles d'acanche et les autres ornemens
sont admirables.
Le lendemain j'allai visiter l'ancienne
SyMAY.
1731 1005
Synagogue de Nazareth ; cet Edifice s'est
bien conservé, mais il sert aujourd'hui d'écurie.
Je vis aussi les ruines d'une petite ,
Eglise bâtie où étoit la Boutique de S. Joseph
, et la Table de pierre sur laquelle le
Sauveur mangeoit quelquefois avec ses
Apôtres ; elle est à present renverseé .
Je négligeai d'aller voir le Précipice
qui est à un quart de lieuë de Nazareth ,
parce qu'il n'est pas décidé si ce fut à ce
lieu où au haut de la Montagne même ,
au penchant de laquelle le Village est
place , que les Juifs au sortir de la Synagogue
, conduisirent le Seigneur pour le
précipiter.
Nous partîmes avec les Cheiks de la
Tiberiade pour nous rendre chez eux. Ils
avoient pour leur suite 60. Cavaliers armez
de lances , de fusils , de sabres et de
pistolets à la ceinture , desorte qu'avec
nos dix Cavaliers et nos gens , nous étions
plus de 80. personnes à cheval.
A peine eûmes- nous marché une heure,
que nous nous arrêtâmes pour attendre
un Cavalier que nous voyons venir à toute
bride ; il rendit une Lettre aux Cheiks,
qu'on leur écrivoit d'Acre , par laquelle
on les informoit que le jour d'auparavant
21. de Novembre , il étoit arrivé à
Seyde un Capigi , porteur d'un Commandement
TOOG MERCURE DE FRANCE
•
dement pour arrêter Soliman- Pacha et
s'assurer de son bien ; que le Pacha de
Damas , son frere , avoit été également
arrêté avec le Pacha de Tripoli , fils de ce
dernier , le Gouverneur de Lataquie , fils
du Pacha de Tripoli , et celui de Mara.
Le Cavalier ajoûta que depuis un quart
d'heure qu'il étoit parti de Nazareth , il
y étoit arrivé un Capigi qui étoit descendu
chez les PP: de la Terre- Sainte .
Les Cheiks retournerent sur leurs pas
pour sçavoir le sujet de ce dernier Ĉapigi
, et nous rejoindre ensuite au Kanaintujar,
qui est au - dessous du Thabor , dans
la Plaine d'Esdrelon ; ils nous laisserent
20. Cavaliers .
Continuant notre route , nous vîmes
en passant une Mosquée , où l'on dit que
le Prophete Jonas est enterré ; de-là nous
allâmes à Cana.
L'Eglise et le Monastere que sainte He
lene avoit fait bâtir au lieu même où étoit
la Maison des Nôces où se fit le Miracle
sont aux trois quarts démolis. Je bus à
F'unique Fontaine du Village , de cette eau
qui fut convertie en vin . On voit auprès
les restes d'une Chapelle.
Aux environs de Cana , nous traversâmes
le Champ des Epis , où les Pharisiens
scandalisez de voir les Apôtres manger
dess
MAY. 1731 1057
des grains de froment le jour du Sabat ,
furent repris par le Sauveur.
Après avoir marché dans de beaux Va-.
lons , dont les Montagnes sont couvertes
de Chênes verds , nous entrâmes dans
la Plaine d'Esdrelon , nous nous trouvâmes
dans peu presque au pied du Thabor,
mais la forme piramidale de cette fameuse
Montagne , est encore la plus admirable
vûë de la Plaine. C'est ici où le docte
Cavalier Jacoub donna une grande satisfaction
à mes yeux et à mon imagination
. D'abord il m'instruisit des ruines
qui subsistent au sommet du Thabor ,
reste des Edifices que sainte Helene et le
Prince Tancrede avoient fait bâtir.
Il me montra ensuite les Monts Here
mon et Hermonien , et me fit appercevoir
de fort loin les Montagnes arides et pellées
de Gelboé , me de igna derriere le
Thabor le lieu où étoit la Ville de Naïm
au pied d'Hermonoüm . La Ville d'Ador,
où Saül alla consulter la Devineresse .
Il me rapella les évenemens de l'Ecriture .
arrivez in Campo magno Esdrelon , la Bataille
de Josué contre le Roi de Maggedo ,
la défaite de Sisara par Barac , assisté de
Débora ; la mort d'Ochozias par Jehu
et celle de Josias par Pharaon Nechao .
Nous nous rendîmes ensuite au Kanaintujar
1008 MERCURE DE FRANCE
naïntujar , c'est à-dire , le Kan de la Source
des Marchands ; c'est un très - bel Edifice:
construit par les Turcs , et qu'ils laissent
tomber en ruine ; il a été bâti pour la
commodité des Caravanes de Damas qui:
passent par la Plaine d'Esdrelon . Il s'y
tient un Bazar ou Marché toutes les se
maines. Les Pierres qui ont servi à cet
Edifice , avoient été tirées de la démolition
d'une Forteresse que les Chrétiens
avoient bâtie.
Les murailles et les tours de cette Forteresse
, qui est à une portée de fusil du
Kan , subsistent encore à une toise d'élevation
; rien n'est si admirable que les
Edifices , que les Croisez avoient élevés
dans ces Pays.
Les Cheiks nous joignirent une heure
après, et nous apprirent que le Capigi arrivé
à Nazareth , venoit de Jerusalem ,
où il avoit été envoyé pour examiner un
nouvel Edifice des Arméniens , sur lequel
il y avoit eu des plaintes à la Porte,
que les Latins , les Grecs et les Arméniens
lui avoient fait ensemble un present de
onze Bourses , afin qu'il fit à la Porte des
Relations inconsequentes de leurs Eglises
et de leurs Monasteres , et que les Religieux
de Nazareth lui avoient donné cent
Sequins pour le même sujet .
Au
MAY. 1731. 1009.
Au Soleil couchant nous arrivâmes à
la Tiberiade. On ne voit la Mer
que lorsqu'on
est parvenu
au haut de la Monta- gne, où l'on arrive
par une Plaine
; il faut descendre
après pendant
une demie
heure
pour
arriver
à la Ville.
Cette Ville bâtie par Hérode en l'honneur
de Tibere , devoit être superbe ; elle
étoit fort longue , mais peu large , parce
que la montagne la serre vers le bord de
la Mer.
Il. y a apparence que la Maison des
Cheiks où nous descendîmes , étoit un
ancien Palais , à en juger par ce qui reste
des Murailles , au bas desquelles la Mer
bat , et sur lesquelles ils ont pratiqué des
logemens à la façon du Pays. Toutes les
pierres de ces Murailles sont taillées en
pointe de diamants.
>
On voit sur le Rivage trois petits Ouvrages
d'une toise en quarré , revêtus des
mêmes pierres placées sur une même ligne
, et elevez sur des Colomnes enfoncées
dans terre , l'une touchant l'autre
à la façon de nos Pilotis. On présume que
ces Ouvrages soutenoient quelque Peristile
ou Galerie saillante du Palais. Il y a
quelques morceaux de Frise et autres fragmens
sur la Gréve , dont la Sculpture n'a
rien de remarquable.
Auprès
Toro MERCURE DE FRANCE
Auprès de ce Palais il y avoit une Forteresse
dont les ruines font aujourd'hui
un très-bel objet pittoresque ; le Palais et
la Forteresse étoient précisément au milieu
de la Ville. On ne sçait si l'enceinte de
murailles qui renferme avec ces antiques
Masures , 40. ou 50. Chaumieres , est un
Ouvrage d'Hérode ou des Croisez.
Ce sont ces murailles que le Pacha canona
le mois d'Avril dernier et devant
lesquelles il se posta avec 4000. hommes.
Elles forment un quarré long de 5. ou
600. pas , et ont tout au plus trois pieds
d'épaisseur et trois toises d'élevation . Les
Assiegez étoient au nombre de 170. mal
armez et le Chekdair joüoit aux Echecspendant
le Siege.
Ce Cheik et ses freres , au nombre de
cinq , nous régalerent de leur mieux ; et
le lendemain matin nous allâmes à cheval,
marchant toujours dans des ruines aux
Bains chauds qui étoient au bout de la
Ville du côté du Midy.
Au retour j'examinai ce Lac ou cette
Mer , sur les bords de laquelle et sur
laquelle même le Seigneur a operé tant
de prodiges. Le Cavalier Jacoub me dit
qu'elle n'avoit pas six à sept milles de
largeur et 18. à 19. milles de longueur.
Elle est toute entourée de Montagnes très
roides.
MAY. 1731. 1011
nides Il me fit observer du côté du Nord
P'endroit où le Jourdain entre dans cette
Mer , et quelques tas de pierres au lieu
où étoient Capharnaum et Betsaïde .
Au sommet d'une haute Montagne du
même côté , au Nord , je voyois parfaifaitement
la Ville de Saphet avec sa Citadelle.
Cette Ville est actuellement en
grande veneration parmi les Juifs , à cause
que leurs Rabbins , Auteurs du Talmud
, y sont enterrez . Elle donne lieu à
une grande question pour sçavoir si elle
est l'ancienne Bethulie.
En descendant vers l'Est sur la même
Montagne , on voit le Puits où Joseph fut
mis par ses freres , ou pour mieux dire
le Kan auprès duquel est ce Puits. On ne
voit rien du Corosaim ni de Gerasa , de
l'autre côté du Lac.
Il y a dans les murs de Tiberiade une
Chapelle qui sert de Magazin aux Cheiks ,
que le Prince Tancrede a fait bâtir,et qui
fut dédiée à S. Pierre , parce que ce fut
là où le Seigneur après sa Résurrection ,
apparut à ses Apôtres. Les Cheiks permettent
à nos Religieux d'y dire la Messe
quand ils vont à Tiberiade.
Nous quittâmes les Cheiks après le
diné , et nous laissâmes les dix Cavaliers
qui nous avoient escortez en allant , nous
prîmes
fo12 MERCURE DE FRANCE
prîmes notre route par la Plaine de la
multiplication des cinq Pains d'Orge et
des deux Poissons , nous passâmes au pied
de la petite Montagne sur laquelle le Seigneur
prononça les Beatitudes , auprès
de laquelle est le Village d'Athin : la
charue a passé sur le lieu où étoit le
Bourg de Jotapa , situé aux environs , et
dans lequel Flavius - Joseph fut pris par
les Romains. On ne reconnoît ce lieu
que par quelques Cîternes qu'on y trouve.
Nous arrivâmes à deux heures après
minuit à Acre , d'où je partis deux jours
après pour Seyde. Je passai à Tyr , et je
vis que les Propheties d'Ezechiel étoient
pleinement accomplies à l'égard de cette
Ville ; Dieu l'a effacée de dessus la terres
je n'y trouvai de remarquable qu'une
triple Colomne de Marbre grande de 40.
à so. pieds de longueur , qui est dans les
décombres d'une Eglise dont il subsiste
encore quelque portion de muraille . Origene
étoit enterré dans cette Eglise. Les
sables ont couvert la Digue par laquelle
Alexandre joignit la Ville à la Terre ferme
; on diroit qu'elle a toûjours été unie
au Continent. Il n'y a actuellement qu'environ
20. ou 25. personnes à Tyr.
J'aurois été au Mont Carmel , si trois
eu quatre mille Arabes n'étoient venus.
camper
M
Qu
des
able
MAY. 1731. 1013
dans la Plaine un jour après mon
camper
arrivée de Galilée , sur la nouvelle de la
disgrace des Pachas de Damas et de Seyde.
Ces descendans d'Ismaël , sous prétexte
qu'Abraham n'a laissé aucun heritage à
leur pere , s'emparent par droit d'aubeine,
des habits et des Effets des Voyageurs ,
qu'ils regardent comme leur patrimoine.
Je suis , Monsieur , &c.
**
LES TOURTERELLES ,
IDILL E.
Par Me de Malcrais de la Vigne , du
Croisie , en Bretagne.
A Madame Deshoulieres.
H Elas constantes Tourterelles ,
Que vos carresses et vos jeux
Ont des attraits touchans pour un coeur amoureux
!
Redoublez , s'il se peut , vos flammes mutuelles
2
-Pâ mez - vous , languissez , mourez dans les plaisirs
,
Ah j'entends yos petits soupirs ,
De
1014 MERCURE DE FRANCE ,
De vos transports secrets , interprètes fidelles,
Profitez de la vie heureux couple d'Amans ,
Joüissez d'un bonheur dont la source est si
pure ;
L'instinct que vous donna la prudente Na
ture ,
Vaut mieux que tous nos sentimens.
Sans vous embarrasser dans d'inutiles peines ,
Le sang qui coule dans vos veines ,
Nous instruit cent fois mieux que tout l'Art des
Romans.
Plus votre ardeur vieillit , plus vous la trouvez
belle ,
Malgré l'effort des ans , vos coeurs sont enflam
mez ,
Et pour une autre Tourterelle ,
Vous ne quittez jamais celle que vous aimez.
Si les Amans , et les Amantes
Avoient pour s'envoler des aîles comme vous ,
On verroit encor parmi nous ,
Plus d'inconstans , et d'inconstantes.
C'est vous que l'on doit appeller
De vrais modéles de tendresse ,
Vous avez seulement des aîles pour voler
Après le cher objet qui vous charme sane
cesse.
Dans votre commerce amoureux
La défiante jalousie ,
Ne
MAY. 1731 .
Ne répandit jamais le poison dangéreux ,
Qui parmi nous brise les noeuds
De l'amitié la plus unic.
Si vous paroissiez quelquefois
Disputer et hausser la voix ,
Je n'y découvre rien que la loüable envie
De deux Amans ambitieux ,
Du prix de s'entr'aimer le mieux ;
Et de pareils débats toute aigreur est bannie.
Vous fréquentez les mêmes lieux ,
Vous ne cherchez jamais nulle autre compa
gnie.
Vous bûvez au même ruisseau ,
Vous vous perchez toujours sur le même rameau
,
Quand vos paupieres sont forcées ,
De céder aux pavots que le sommeil répand ,
Vous craignez de vous perdre , et vos plumes
pressées
Paroissoient être entrelassées .
Que votre langage est charmant !
Qu'il a
land !
› je ne sçai quoi , d'honnête et de ga-
Que vos accens plaintifs sont poussez d'un air
tendre !
Ce n'est qu'aux coeurs comme le mien ,
A qui Venus permet d'entendre
Et de goûter votre entretien.
B Après
016 MERCURE DE FRANCE ,
Après avoir cueilli des douceurs infinies
Dans vos embrassemens savourez à longs traits ;
Si vos forces sont affoiblies ,
Votre amitié ne l'est jamais .
Ah ! quand vous vous plaignez , c'est un regret
extrême ,
Qui vous fait l'une à l'autre adresser ce discours
:
Faut-il , mon petit coeur , toujours aimer de
même ,
Sans pouvoir cependant se carresser toujours ?
Depuis le lever de l'Aurore ,
Vous sçavez vous donner jusques à son retour ,
Differentes marques d'amour.
Recommencez vos jeux , recommencez encore ,
Hôtes légers des Bois il n'est rien sous les
Cieux
>
Qui puisse tant flatter et mon coeur et mes
усих .
Mais , si le Berger que j'adore
N'avoit plus aujourd'hui pour moi le même
coeur ,
Si l'Amour avoit fait éclore
Dans son ame changée une nouvelle ardeur.
Tourmens affreux ! douleurs cruelles !
Soupçons persuasifs ! doutes impérieux !
Cessez , helas ! cessez, constantes Tourterelles ,
N'offrez pas désormais ces plaisirs à mes yeux.
S'ils leur doivent coûter des larmes éternelles .
Du
1
MAY. 1017 1731.
Du beau Séxe François , ô la gloire et l'honneur
,
Deshoulieres , dont le génie
Sçut chanter des Amans la douce maladie ,
Et des Heros Guerriers célébrer la valeur ;
Du Pinde où tu jouis d'une meilleur vie ,
Regarde ici bas , et reçoi
L'Idille que je te dédie >
C'est à ton goût que je la doi .
Si je puis aujourd'hui mériter ton suffrage ,
Phébus et les neuf Soeurs s'unissant avec toi ,
Avoûront ce galant Ouvrage.
LETTRE de M. Chompré , Maître de
Pension dans la rue S. Jean de Bauvais ,
à M. D. L. R. touchant le Bureau Tipographique
.
B
Ien des personnes , Monsieur , me
trouvant cité dans l'espece de Procès
Litteraire , intenté contre l'Auteur du
Bureau Tipographique , ont jugé différemment
de l'article qui me regarde en
particulier , et je crois devoir détromper
ceux qui de part et d'autre, voudroient
m'y engager pour plus que je ne dois y
être.
Bij II
1018 MERCURE DE FRANCE
Il est vrai qu'après avoir connu les
avantages du Bureau Typographique , auquel
j'avois vû travailler le petit Candiac,
j'en fis faire un l'année derniere pour un
enfant âgé de deux ans mais peu après
on me proposa un établissement , dont
les pénibles commencemens ne paroissoient
guéres compatibles avec ce travail ,
qui demande un certain loisir , et une
certaine attention , suivie et réfléchie : de
plus , l'enfant tomba malade avant que
d'être mis au Bureau , et est demeuré
presque dans l'inaction jusqu'à présent,
>
L'Auteur du Bureau Typographique
sans distinguer mes Pensionnaires , ni meş
Externes qui vont en Classe , du petit
enfant pour lequel j'avois fait faire ce Bureau
, avança pour lors dans le Mercure
de Juillet , que je n'avois pas négligé de me
donner un Bureau Typographique pour accélerer
les premieres études des enfans. Il est
visible que ces premieres études ne regardoient
point les Pensionnaires ni les Externes
, mais seulement le petit enfant
dont il est question . Je craignis cependant
qu'on ne donnât à cela une fausse interl'Auprétation
, et j'aurois souhaitté que
teur du Bureau eut rectifié cet endroit
dans une autre Lettre : mais on ne présuma
pas qu'il se trouveroit quelqu'un pour
rele-
C
"
MAY. 1731 . 1019
relever une expérience qui n'étoit pas encore
commencée. L'Auteur du Bureau a
dit simplement que je n'avois pas négligé
de m'en donner un , et non pas que
j'y fisse travailler.
Un des Adversaires du Systême voulant
Fefuter cette Méthode , a conclu du pouvoir
à l'Acte , quand dans le dernier Mercure
de Février , après avoir rapporté
plusieurs exemples , il ajoûte ( parlant de
Auteur ) il n'oubliera pas M. Chompré ,
Maître de Pension , qui se sert du Bureau
Typographique pour les enfans. Si ce Critique
avoit voulu prendre la peine de se
bien informer de la chose , il auroit appris
que je n'ai point d'Ecoliers qui n'aillent
au College , ausquels par conséquent
le Bureau ne soit inutile ; c'est un fait.
Pourquoi donc avance- t-il que je m'en sers
pour les enfans ? Est-ce pour faire croire
ce qui n'est pas ? Si cependant il avoit été
curieux d'une exacte perquisition , il n'en
auroit pas sûr été content ; car il à coup
auroit appris que quoique l'enfant soit
toujours languissant , il n'a pas laissé de
faire quelques progrès.
Il sçait parfaitement
bien non- sculement
ses lettres , mais encore les chiffres ,
esa mere et sa soeur lui ont fait apprendre
en le tenant assis vis- à-vis le Bureau , /
que sa n
B iij pour
1020 MERCURE DE FRANCE
pour l'amuser , lorsque ses douleurs lui
donnoient un peu de repis , et il en est
présentement à ce que l'Auteur appelle
la seconde Classe . Comme il commence
à se mieux porter , il marque une inclination
constante pour ce jeu , et ne paroît
aucunement touché des objets qu'on présente
ordinairement aux enfans de son
âge : mais quand il se porteroit bien , l'ap
plication continuelle que je dois à l'éducation
des jeunes gens qu'on me confie , et
le bon ordre qu'il faut entretenir dans
ma Pension , ne me permettent pas de le
suivre au reste , il en attrapera ce qu'il
pourra ; c'est toujours beaucoup de pou
voir l'instruire de bonne heure , en l'amusant
et sans se fatiguer par trop d'attention
, ce qui ne paroit pas possible
avec les Alphabets ordinaires. Si l'éducation
particuliere de cet enfant n'est pas
des plus favorables à l'Auteur duSystême ,
elle l'est encore moins à ses Critiques . Je
vous prie donc , Monsieur , de trouver
bon que je détrompe ici ceux , qui captieusement,
ou mal informés , voudroient
encore faire mention de moi , et qui grossiroient
, ou qui diminueroient l'exemple
pour l'accommoder selon leur besoin , ce
qui n'arrive que trop communément
quand nous nous déclarons contre une
chose
MAY. 1731. 1021
chose qui ne nous plaît pas . On devroiť
du moins convenir genereusement du
bon qui se trouve dans le Systême du Bureau
Typographique , et refuter par des
raisons solides ce qu'on croit qui doit être
censuré.
Je sçai , comme bien d'autres , que l'Auteur
Typographe est de bonne foi , et
qu'il ne veut tromper personne. Sa probité
, son parfait désinteressement et son
extrême modestie , soutenus d'un sçavoir
qui n'est pas médiocre sur cette matiere ,
sont de bons préjugez pour son Systême :
néanmoins , entre plusieurs objections
qu'on peut lui faire. J'en vois une ou
deux qui me paroissent mériter quelque
attention. C'est la difficulté de trouver
des Maîtres , qui après avoir long - tems
étudié , et se croyant par conséquent en
état d'instruire , soient assez humbles pour
se mettre à l'A , B , C. C'est une étude
qui ne flatte assurément pas l'amour propre
, il faut cependant y revenir pour faire
usage du Bureau , car il ne s'agit pas
seulement de l'A , B , C , comme on l'entend
communément , mais d'une Doctrine
à laquelle on ne s'est guere appliqué
je veux dire la propre dénomination des
lettres , et les sons de la Langue , au moïen
de quoi l'enfant ne trouve plus dans son
Biiij che1012
MERCURE DE FRANCE.
2
chemin les ronces ni les épines qu'il rencontre
inévitablement avec la méthode
ordinaire . Outre la difficulté de trouver
des Maîtres capables , bien assidus et
bien patiens , il y en a encore une bien
plus forte c'est l'oeconomie du plus
grand nombre des parens , en fait d'éducation
, lesquels ne faisant pas souvent
difficulté de dépenser dix , vingt , trente
pistolles , et quelquefois des sommes bien
plus considérables , mal- à- propos
,
>
он
pour leurs plaisirs , ne pourront se résoudre
à en dépenser trois ou quatre pour
avoir un Bureau avec tout son attirail.
Un petit Alphabet de deux ou trois sols
est un peu moins difficile à acquerir .
La question est donc de sçavoir si ce
Systême réussira . Adhuc subjudice lis est.
Quoiqu'il en soit , n'y eut- il ici que les
verges et les férules de moins , c'est un
grand avantage. Ces sortes d'instrumens
sans lesquels l'enfant profite tout autant ,
et même plus qu'avec le petit Alphabet ,
et qui ne servent qu'à inspirer aux enfans
du dégoût pour l'étude des Lettres , deviennent
absolument inutiles avec cette
Méthode ; l'Auteur , sagement n'en conseille
l'usage que pour les fautes ausquelles
le coeur seul à plus de part que l'esprit.
Enfin , il est certain que ce Systême
a
ne
MA Y. 1731. 1023
ne regarde que ceux qui font profession
d'enseigner les premiers élémens des lettres
, depuis l'A , B , C , jusqu'aux basses
Classes , et qu'un enfant y apprend aisément
à lire les Langues Françoises , Latines
, Grecques , Hebraïques , et telles autres
, que le Maître est capable d'enseigner
: mais il ne peut convenir , ni à un
Professeur , ni à un Maître qui répéte les
Humanitez : en effet , quelle apparence y
auroit- il de dresser cette machine dans un
endroit où les jeunes gens sont plus pour
écouter et pour écrire que pour voir ? Le
Bureau Typographique est fait pour être
vû , et non pour être entendu , c'est ce
qui en fait le principal mérite ; car ce Ru
diment sensible , frappant les yeux , s'inculque
mieux que ce qu'on entend seule
ment raconter , et l'on y peut bien appliquer
cette Maxime d'Horace :
Segnius irritant animos demissa per aurem ,
Quam qua sunt oculis subjecta fidelibus
J'ai l'honneur d'être , & c.
Ce 18 Avril , 1731.
Bv
Le
1024 MERCURE DE FRANCE.
****** :*:***** :***
LE FA UNE
{
EGLOGUE.
A M. le Come de Saint Florentin , pendant
son séjour à Châteauneuf.
M
Uses , qui vous plaisez dans les gras pêturages
,
Et vous entretenir de Bois et de Rivages ,
Donnez à vos chansons un peu de dignité ;
On n'aime pas toujours tant de simplicité ,
Le lierre rampant et la verte fougere ,
>
Aux grands , ainsi qu'à nous , n'ont pas le droit
de plaire ,
Offrez d'autres objets , et sçachez - en choisir
Qui puissent d'un Ministre amuser le loisir.
2
pro-
Dans le creux d'un Vallon , solitude
fonde ,
Lieux ignorant encor le tumulte du monde ,
Le jeune Celadon , et Daphnis , son ami ,
Virent sous un Tilleüil un vieux Faune endormi.
'Aussi - tôt se coulant à travers le Bocage ,
Tous deux de ce sommeil saisissent l'avantage ,
Et d'une chaîne faite , et de sauge et de Thym ;
Pour arrêter le Dieu , l'embarrassent soudain.
Car
MA Y. 1731 .
1025
Car il avoit souvent par force , ou par adresse ,
En fuyant de leurs mains éludé sa promesse ,
Et differé toujours de leur chanter les Vers
Qu'il avoit composés sur le vaste Univers.
Cette fois les Bergers craignent peu son caprice
,
Il s'éveille , et comme eux riant de leur malice
:
C'est assez , leur dit- il , enfans , rompez ces
noeuds ,
Il est juste à la fin de contenter vos voeux.
Les Bergers à ces mots s'asseyent pour entendre
,
Et le Faune commencé ainsi sans se deffendre.
Avant que le Soleil eut l'Empire des airs ,
Et qu'on peut distinguer et la Terre et les
Mers ,
Tout ce qu'offre à vos yeux avec tant d'artifice
,
De l'Univers entier le superbe édifice ,
Dans un commun principe ensemble confondu ,
`N'étoit qu'un noir brouillard vainement étendu
Une eau presqu'insensible , et sombre d'ellemême
,
Que d'un stérile noeud lioit un froid extrême.
Mais si- tôt que l'esprit qui voloit sur les
flots ,
Eût dans son vaste sein embrassé ce cahos ,
Sa féconde chaleur digerant la matiere , .
De l'Extrait qu'elle en fit composa la lumiere.
B vj
De
1026 MERCURE DE FRANCE
De ce jour toutefois , l'immortelle clarté ,
Ne fut point en tous lieux d'égale pureté :
La haute région plus vive et plus legere ,
En un feu tout divin vît transformer sa Sphere ,
La plus basse languit , et sa fausse vigueur ,
Ne pût précipiter un reste de vapeur .
Entre ces deux excès , la suprême sagesse ,
Bien tôt d'un ciel moyen fit briller la richesse
le Firmament conduisit les secours ,
Que sur nous l'Empirée épanche tous les jours.
Cependant par le feu , vers le centre chassées ,
Les tenebres s'étoient tout- à- fait condensées ,
Et d'un Globe solide inondé par dehors ,
Avoient pris sous les eaux la figure et le corps :
Mais lorsque resserrée en de justes limites ,
La Mer à son courroux eut des bornes pres
crites ,
Et par
La Terre s'éleva brillante des couleurs ,
Dont l'ornoient en naissant la verdure et les
fleurs.
Nul animal d'abord ne peupla les Montagnes ,.
Et les seules Forêts couvrirent les Campagnes :
Du jour trop répandu la molle impression ,
Bornoit au vegetable une foible action ,
Et n'eût produit jamais que d'inutiles Plantes ,
Si pour en ranimer les forces languissantes ,
De ses feux dispersés l'esprit avec succès ,
Dans le corps du Soleil n'eût réüni les traits,
AussiMAY.
1731. 1027
Aussi-tôt la Nature achevant ses Ouvrages ,
Les Oyseaux de leurs Chants remplirent les Boccages
,
Le Taureau rumina sur le bord des Ruisseaux ,
La Chevre et la Brebis chercherent les Côteaux ,
Le Loup du Bois voisin sortit pour les surprendre,,
Et le Chien accourut ardent à les deffendre.
Enfin pour couronner ces Miracles divers ,
Vous vintes , vous Mortels , habiter l'Univers .
Chef-d'oeuvre merveilleux de la Toute- Puissance,
Qui voulut sur vos fronts tracer sa ressemblance,
Tout reconnut vos Loix , tout servit vos desirs ,
Et tout brigua l'honneur d'entrer dans vos plaisirs.
Heureux si de vos champs , par un triste caprice,
Jamais l'ambition n'eût banni la justice ;
L'innocence et la paix , ineffables présens :
Que l'Olimpe ne rend qu'à ses plus chers enfans,
Devoient combler vos jours d'une joye éternelle ?
Ainsi l'avoit reglé sa bonté paternelle .
Rappellez des biensfaits à regret enlevez
>
Et les connoissez mieux , vous qui les recevez ; .
Mais déja ces Vallons me paroissent plus sombres
,
Bergers , et le Soleil laisse grandir les ombres ,.
Avant que tout-à- fait il passe sous ces eaux
Allez et retournez tous deux à vos Troupeaux.
M. de Richebourg-
¡LET1028
MERCURE DE FRANCE
XXXX:XXXXXXX : XXXX
LETTRE écrite à M. de la R. par
M. P **** Commissaire des Poudres ,
à C **** le 25. Mars 1731. sur le
bruit d'Ansacq.
L
Es Lettres , Monsicur , qui sont insérées
dans les deux derniers Mercures
sur le bruit entendu à Ansacq , ne me
satisfont point. Il y a cependant dans la
premiere une nouvelle preuve des Acousmates
, mais dans la seconde on n'attribuë
ce bruit qu'à l'habileté d'un Disciple
des Philibert , des Laüillets , et de leurs
semblables ; je vous avoue franchement
que je ne trouve pas ia comparaison exacte.
Une seule personne peut bien dans
une chambre , derriere un Paravant , faire
un bruit considerable et varié de sons qui
imitent des voix d'hommes , de femmes,
d'enfans et de differens animaux ; si l'on
y mêle des Poëles , des pincettes , & c . La
confusion de toutes ces choses pourra imi
ter le tintamare d'un ménage en rumeur;
mais cela ne répresentera pas dans le même
instant plusieurs voix mêlées ; la gravité
de l'une ne sera que successive à
l'éclat de l'autre ; le chant du Cocq , ne
sera point confondu avec le japement du
Chien
MAY. 1731. 1029
Chien ; chacune de ces choses seront divisées
, et l'une ne se trouvera jamais bien
unie à l'autre , comme le son d'un accord
que l'on forme sur un Clavecin.
J'ai entendu le charivari de Læillet ; il
m'a fort réjoui , mais quelque vif que fûc
son jeu , l'on distinguoit aisément qu'il
ne partoit que de la même personne. La
poële , les pincettes les chaises , qu'il ,
mettoit en mouvement , ne formoient à
chaque instant , que le bruit de chacune
de ces choses , et ne produisoit dans la
chambre et aux environs , que la valeur
de chaque son qui auroit été entendu
distinctement l'un après l'autre .
Supposé que Loüillet eût fait son tintamare
dans un lieu où il y eût cu un Echo
capable de réfléchir le bruit , il n'auroit
jamais frappé l'ouie aussi fortement que
celui que les Témoins d'Ansacq déposent
avoir entendu dans une distance considerable,
il n'auroit point effrayé les chiens
et dispersé les Troupeaux ; d'ailleurs on
sçait que la réfléxion de l'Echo ne frappe
l'oreille que dans une certaine position ,
et qu'elle varie proportionément à la sérenité
ou à l'humidité de l'Air ; enfin le
son que l'Echo rend , n'est jamais si fort
que celui qui le produit. Supposé encore
que le bruit du Disciple de Loüillet cût
τέτ
rozo MERCURE DE FRANCE
répondu à quelque voute ou à quelque
Caverne qui seroit sur le Côteau opposé au
Château d'Ansacq ; en ce cas je conviendrai
que le son peut être augmenté , mais
qu'on convienne aussi qu'il faudroit
que ce qui fait le premier bruit , fût bien
exactement placé à certaine distance , et
que le son suivit précisément le rayon de
direction jusqu'au lieu où se fait le retentissement.
Voyez Vitruve , Liv. V.
Chap. V. dans la Description des anciens
Théatres , où il y avoit differens Vases
d'airain , selon l'étendue des tons de la
voix et des Instrumens qui réfléchissoient
le son ; mais il falloit que ces Théatres
fussent Eliptiques , car s'ils avoient été
quarrez , ou qu'on eût placé les Vases en
ligne droite , et qui n'eût pas eu une certaine
direction , ils n'auroient produit aucun
effet.
On objectera peut-être que le Disciple
de Loüillet peut avoir reconnu une Caverne
sur le Côteau d'Ansacq , et avoir
si bien pris ses mesures , que d'un certain
lieu du Château il ait poussé sa voix
directement à cette Caverne : soit ; mais
comment le bruit qu'il a pû faire dans
cette situation aura- t'il été également entendu
lorsqu'il aura changé de place et
parcouru la parallele à la rue de l'Eglise ?
S'il
MAY. 1731.
1031
S'il a abandonné le foyer , comment les
rayons ont-ils conservé leur correspondance
avec la Caverne , où l'on suppose
que se forme l'Echo ? Il n'y a pas
sibilité.
de
pos-
Les loix de la réfléxion sont communes
à la vûë et à louie , avec cette difference
(quoiqu'en dise l'Auteur de la Lettre du
mois de Mars ) que la sensation de loüye
est plus exacte que celle de la vûë . Pour
comparer il faut des choses de même genre
. Si l'on meut circulairement un tison
alumé , il est vrai que les yeux seront
trompez par l'activité ; on croira voir un
cercle de feu. Mais Correlly , Batiste , &c .
qui ont poussé au plus haut degré de
vitesse l'expression des Nottes sur leurs
Violons , ne sont point parvenus à représenter
un seul son de plusieurs qu'ils expriment
en un instant , soit sur differens
tons , soit sur le même divisez par des
coups d'Archet redoublez : l'oreille distingue
toûjours cette division ; et si l'on
se méprend sur le lieu d'où part le bruit
d'une Cloche , ce n'est point un vice de
l'oreille , c'est que le son est détourné par
l'agitation de l'Air.
Il est donc certain que le bruit entendu
à Ansacq , ne peut être produit
par une seule personne ; je ne prétends
pas
1032 MERCURE DE FRANCE
pas prouver qu'il le soit par des Esprits
Aëriens , mais je vais rapporter ce que
des personnes dignes de foy ont entendu
l'année derniere ; ce fait pourra conduire
à quelque conjecture plus vrai- semblable
que celui que contient la Lettre rapportée
dans le Mercure du mois de Mars .
M. D *** étoit à F. l'Automne dernier
, le 3. Octobre , entre 2. et 3. heures
du matin ; elle fut éveillée par un bruit
de voix et d'Instrumens discords . Elle
s'imagina d'abord que c'étoit ses Domestiques
qui se divertissoient dans une Salle
au rez -de- chaussée du corps de logis . Elle
appella sa Femme de Chambre pour leur
faire dire de se retirer ; la pauvre Créature
éveillée par le même bruit , s'étoit
enfoncée dans son lit , tremblante de
peur ; la voix de sa Maîtresse la rassura ;
elle la joignit , et ayant l'une et l'autre
redoublé leur attention , elles crurent que
ce bruit se faisoit dans la cour . M. P ***
frere de Mad. D *** , que le même bruit
avoit aussi éveillé , crut qu'il se faisoit
dans la chambre de sa soeur , ne sçachant
que s'imaginer, il y accourut. Mad . D ****
le pria d'aller gronder ses gens , et de les
faire coucher. Il descendit dans la cour ,
mais il ny trouva personne ; toutes les
portes étoient fermées , les lumieres éteintes
, ch can dormoit.
.
་་
MAY. 1731 .
1033
Cependant entendant toûjours le même
bruit , il croyoit qu'il pourroit y avoir
quelqu'un dans les Vignes qui sont visà-
vis de la maison . Il monte sur la hauteur
de ces Vignes , mais il ne voit qui
que ce soit ; il écoute attentivement et
n'entend plus qu'un brouhaha , comme
si c'eût été plusieurs hommes qui parloient
bas , sans qu'il pût distinguer aucune
articulation , mais les voix lui semblerent
venir du Jardin de Mad. D **** .
Il rentre dans la maison , parcourt ce
Jardin et ne trouve personne ; pendant
qu'il va et revient , la conversation Aërienne
devient moins vive ; M. P ***
montoit le Peron pour rentrer dans le
Logis , lorsqu'un nouvel Acousmate l'étonne
autant que ce qu'il venoit d'enten◄
dre. Un bruit pareil à celui de beaucoup
de Sifflets de differens tons réunis , remplit
l'Ar et s'y perdit en s'éloignant
comme par ondulation . Mad. D **** et
sa Femme de Chambre en furent encore
effrayées . M. P *** quoiqu'esprit fort et
bon Physicien , m'a avoué qu'il avoit été
extremement surpris.
Le lieu où ces choses ont été entenduës
est situé au bas d'une Montagne opposée
au Midi, laquelle s'étend de l'Est à l'Ouest,
en forme de Croissant imparfait , dont
128
1034 MERCURE DE FRANCE
les extremitez diminuant insensiblement
de hauteur , se perdent dans une grande
Plaine. Plusieurs Monticules qui s'élevent
les unes sur les autres , forment cette Montagne
,dont la surface est plantée d'Arbres
et de Vignes. Ne se pourroit- il pas que
differens tourbillons frappant de differentes
manieres cette surface inégale , tantôt
platte , tantôt convexe et tantôt creuse ,
eussent produit l'Acousmate dont je viens
de vous faire part. Je suis , & c.
康康
L'AMOUR ET PLUTUS ,
POEM E.
Par M. Cavaliés , de Montpellier , Avocat
à la Cour des Aydes de la même Ville.
Muse , raconte moi par- quel destin contraire ,
Plutus malgré l'Amour s'empara de Cythere ,
Et vrai tyran des coeurs dans son funeste emploi
Leur fit de s'enrichir une suprême loi .
Jadis avec l'Amour , avec ce Maître aimable
La Terre entretenoit un commerce agréable ;
Il en fit un séjour charmant , délicieux ,
Pour elle il dédaignoit la demeure des Cieux.
Sans contraindre les coeurs à changer de nature ,
Par
MAY. 1731.
1035
Par la simple équité , par l'exacte droiture ,
Il n'en fit que regler les secrets mouvemens,
Ses volontez étoient les Loix des premiers tems ;
Les Belles consultant le cristal d'une eau claire ,
Epioient leurs attraits et ne vouloient que plaire ,
Par son éclat encor , un métal odieux ,
N'avoit point fasciné ni leurs coeurs ni leur yeux;
Le respect , la candeur , la constante tendresse ,
D'un Amant jusqu'alors composoient la finesse.
Les Belles se rendoient à d'innocens vainqueurs.
Tems heureux ! où les coeurs étoient le prix des
coeurs.
Tel étoit le bonheur d'une innocente vie ,
Et rien n'en alteroit la parfaite harmonie ;
Quand Plutus contemplant du celeste Lambris ,
L'Empire fortuné de l'enfant de Cypris :
Jusqu'à quand l'Univers , dit- il , plein de colere ,
Subira t'il donc le joug d'un jeune témeraire ?
Le plus petit des Dieux, en usurpant mes droits ,
Aux crédules Mortels imposera des loix !
Mais son triomphe est vain et ma gloire exposée ,
Trouve dans mes trésors une ressource aisée ;
Assez et trop long-tems sans culte et sans Autels,
Je ne fus regardé que comme un des Mortels.
Il faut à notre tour que l'on nous rende hommage.
Désormais dans leurs eaux le Pactole et le Tage ,
Ne feront plus rouler d'inutiles trésors ,
Et
1036 MERCURE DE FRANCE.
Et bien - tôt les Mortels , à l'envi sur leurs bords ,
Méprisant de l'Amour tous les bienfaits stériles ,
Viendront cueillir des biens plus surs et plus
utiles.
>
Il appelle à ces mots , pour servir sa fureur ,
L'infame trahison à l'oeil sombre et trompeur ,
L'orgueil , l'ambition au regard témeraire ,
L'ardente soif du gain , l'interêt mercenaire ,
L'artifice flateur au langage affecté ,
L'usure au front d'airain , le parjure effronté ,
`Et l'avarice enfin mere de tous les crimes ;
Ces Monstres odieux des plus profonds abîmes ;
Du Dieu leur Souverain entendirent la voix
Et l'Univers les vit pour la premiere fois.
La terre s'en émut , étonnée , éperduë ,
La Nature trembla , frémit à cette vûë ,
La lumiere pâlit , l'air en fut infecté.
A leur aspect le Dieu lui- même épouventé ,
Pour en cacher l'horreur à la Terre éplorée ,
Répandit sur leurs traits une couche dorée.
Hélas ! sous ce vernis jusqu'alors inconnu ,
Le crime cût à nos yeux l'éclat de la vertu .
Enfin Plutus suivi de ce cortege étrange ,
Et chargé des trésors et de l'Inde et du Gange ,
Se presente aux Humaius et leur tient ce discours.
Ovous , foibles Mortels , esclaves des Amours
C'est pour romprc vos fers qu'une Troupe immortelle,
Vient
MAY. 1731 .
1037
Vient donner à la terre une face nouvelle.
Gouterez-vous toujours une insipide paix ?
Le Carquois d'un Enfant remplit - il vos souhaits ?
Sous l'espoir d'un plaisir que suivent mille
peines ,
Ignorez - vous encor qu'il vous charge de
chaînes ?
Reconnoissez ma voix ; le plus riche des Dieux,
Suivi de ses trésors , Plutus vient en ces lieux.
J'en bannis à jamais l'inutile tendresse ;
J'amene le plaisir , j'amene la richesse ,
Vous me verrez bien- tôt , secondant vos desseins
,
Répandre mes bienfaits sur vous à pleines
mains .
Il dit et dans les coeurs son langage perfide ,
A son gré fait couler un poison homicide ,
De ce fatal poison les Mortels enyvrez ,
Aux folles passions dès - lors furent livrez.
Le desir d'acquerir s'établit à Cythére ,
La richesse aux Humains apporta la misere ;
Et l'avide interêt vainqueur de l'Univers ,
Combattit la raison et la mit dans les fers .
Cependant Cupidon méprisé sur la terre ,
S'envole et prend l'essor vers le Dieu du Tonnerre.
Puissant pere , dit - il , des hommes et des Dieux ,
Sur l'Enfant de Cipris , daigne jetter les yeux.
Détourne les malheurs qu'un Dieu jaloux m'apprête
,
rc38 MERCURE DE FRANCE
Plutus m'ose des coeurs disputer la conquête ,
Tu vois, par son éclat les Mortels éblouis ,
Ne rendre qu'à lui seul des honneurs inoüis.
Non , jamais ces ingrats , cette race infidele ,
Ne fit pour m'honorer éclater tant de zele.
Les desirs effrenez , et les voeux criminels ,
Les conduisent en foule au pied de ses Autels.
Là , parmi les horreurs , le trouble , les allarmes ,
D'un métal à leurs yeux , il fait briller les char
mes.
Là l'Avare à son gré se repaît , s'assouvit ,
Et fait provision d'un bien qui l'asservit ;
En vain je cherchois sur la terre un azile ;
La discorde a rendu mon Carquois inutile ;
En vain je l'ai vuidé pour rétablir la paix ;
Les coeurs avec dédain ont repoussé mes Traits.
Tu peux seul , Jupiter , rétablir mon Empire ;
Et la paix dans les coeurs que Plutus vient séduire
A ces mots Jupiter , le visage serain ,
Apprens , dit- il , Amour , les Arrêts du Destin ,
Les temps sont arrivez que , regnant sur la terre
Plutus doit la livrer au démon de la
guerre.
Déja peu satisfaits de tes dons bienfaisants ,
Les Mortels ont reçû ses funestes présens.
Ils adorent Plutus ; que Plutus les conduise ;
Et les comble d'un bien dont l'éclat les séduise .
Le crime qui grossit leurs coupables trésors
Te
M A Y.
1039 1731 .
Te vengera sur eux par les cuisans remords.
Pour toi, fils de Venus , regne dans l'Empirée ,
Regnes -y de concert avec l'aimable Astrée ;
Le Destin a fixé ton séjour dans les Cieux ,
Tu soumis les Mortels , tu soumettras les Dieux .
Depuis pour nous cacher notre propre esclavage,
Plutus prit de l'Amour la taille et le visage ,
Et s'armant de Traits d'or, et d'un Carquois doré,
Il asservit les coeurs , il en fut adoré ;
Mais qu'il a mal rempli leurs desirs trop avides ,
Plus ils sont pleins de lui , plus ils se trouvent
vuides ;
Accablez des trésors qu'ils ont tant demandez ,
Ils les possedent moins qu'ils n'en sont possedez.
XXX:XXXXXXXXX :XXX
CANTIQUE d'Anne , Mere du
Prophete Samuel , Lib. 1. Chap. 2 .
des Rois , traduit de l'Hebreu en Prose
Poëtique Françoise , par M. l'Abbé le
Camus de Provence , suivant l'idée de
M.de la Motte, de l'Académie Françoise.
Fdans mon coeur, exhalez vous en sain-
Eu pur et sacré que l'amour allume
tes louanges.
C'est toi , Dieu tout puissant et bon ;
quis releves ma force abbattuë ;
C Mes
1040 MERCURE DE FRANCE
Mes ennemis étonnez , m'entendent
élever la voix . Joye douce qui me vient
de tes bontez secourables !
Non , il n'est de Saint que notre Dieu ;
non , il n'est que toi de rampart assuré.
Que l'impieté se taise ; et vous , superbes
, écoutez-moi.
Connoissez le Dieu de Jacob. La sagesse
est son partage inaliénable ; point
de projet heureux qu'il ne l'ait formé.
C'est par lui que l'Arc du Fort est
brisé ;
Que les pieds incertains du foible sont
affermis.
C'est lui qui livre au travail ingrat
à la misere imprévûë , désespérante
le Riche amolli dans la volupté.
.
Mais , les jours du pauvre tristes et laborieux
, il les change en des jours de Fêtes.
Une troupe inesperée d'enfans badins
entourent une mere n'aguéres sterile. La
joye inonde son coeur ;
Tandis que cette autre , fiere d'une posterité
flatteuse, languit dans l'abbattement
et le désespoir,
Fehova conduit au tombeau , et ramené
des portes du trépas.
Dans tes mains toutes- puissantes sont
la mort et la vie , la richesse et la
vreté ,
pau-
11
MAY. 1731. 1041
Il abbaisse , il éleve .
Et d'un tas de poudre et d'ordure sort
à sa voix l'affreuse indigence.
Lui même il la place sur un Trône , et
Les Grands s'empressent à l'entour , éblouis
de ce naissant éclat .
Mon Dieu tient d'une main les bases
profondes sur lesquelles il a posé la Terre.
Et de l'autre main il guide les pas du
Juste.
L'Impie le voit en frémissant , du fond
de l'obscurité , où il croupit.
Force humaine , tu n'es que foiblesse ;
jamais tu n'enfantas les succès .
Mais , ô Dieu fort , ne perds point de
vue ton Christ , ni ses envieux obstinez .
Verse sur eux la terreur et la ruine .
Que ton Tonnerre gronde , que les
Cieux s'ébranlent en sa faveur.
D'un bout de la Terre à l'autre , tu
juges les foibles Mortels.
Tu fortifies ton Christ , et la gloire brille
sur son front couronné .
M. l'Abbé le Camus , qui sçait bien
l'Hébreu , pourroit , s'il vouloit , donner
au Public une Traduction des Pseaumes
de la même maniere.
Cij
STAN
1042 MERCURE DE FRANCE
శ్రీ శ్రీ
STANCE S.
SUR LA FIEVRE.
Monstre produit par les Enfers ,
Triste fruit des amours d'une horrible Furie ,
Noir fleau , dont la barbarie ,
Se plaît à desoler tout ce vaste Univers ,
Contre toi je brûle d'écrire ,
( Muses , Phébus , je ne veux rien de vous , )
Le feu que sa rage m'inspire ,
Mieux que le Dieu des Vers , peut servir mon
conrroux,
Jusques à quand , Fievre maudite ,
Eprouverai -je encor tes brulantes fureurs ?
Je cede enfin à tes horreurs ,
N'est-il pas temps , helas ! que ton ardeur nie
quitte ?
Depuis qu'à mon débile corps ,
Tu fais sentir une guerre cruelle ;
Déja sur ces aimables bords ,
La saison du Printemps deux fois se renouvelle,
Sous mille divers changemens ;
A me persecuter toujours ingenieuse ;
Je
M A Y 1043
17318
Je vois ta malice odieuse ,
Se plaire à mépriser les plus cruels tourmens :
Tantôt, de même qu'en nos Plaines ,
Se précipite un Torrent furieux ,
Tuviens dans mes brulantes veines ,
Répandre ton poison en cent bouillons de feux .
Je te vois changeant de nature ,
Du plus affreux hyver emprunter les glaçons ;
Je ressens tes mortels frissons ,
Porter jusqu'en mon coeur une ardente froidure,
Au milieu même de l'Eté ,
Mon sang glacé , se fige dans ma veine
L'Air par mon soufle est infecté ,
;
Mes poumons oppressez le respirent à peine.
粥
Tantôt appaisant ses rigueurs ,
Tu caches dans mon sein le venin qui me tuë ,
Jusqu'en mon coeur il s'insinuë ,
J'y sens bien-tôt couler de mortelles langueurs ;
La pâleur , l'affreuse tristesse ,
Le noir chagrin , l'ennui , suivent tes pas ,
Enfin une prompte foiblesse ,
Me conduit à pas lents aux portes du trépas?
Ma foible raison offensée ,
Ciij Par
1044 MERCURE DE FRANCE
Par le poison brulant de tes noires fureurs ,
1
S'égare enfin dans les horreurs ,
Dont la sombre vapeur la tient embarassée ,
Je vois des Monstres odieux ,
Mille dangers, mille erreurs passageres ,
Souvent des transports furieux ,
Sont les tristes effets de tes noires chimeres.
$2
A qui pourrois-je avoir recours ?
J'implore en vain le fils du Dieu qui nous
éclaire ;
Ses herbes , son Art salutaire ;
Rien ne peut arrêter ton redoutable
cours
Si quelquefois
ta barbarie
,
Pour un moment semble se ralentir ,
Bien- tôt avec plus de furie ,
Ta renaissante ardeur vient se faire sentir.
Le mortel poison qui m'enflâme
Envenime pour moi les jeux et les plaisirs ;
Le dégout suit tous mes desirs ,
L'Amour même , l'Amour ne peut rien sur mon
ame
Ah ! c'est trop vivre sous ta Loi ;
Bien - tôt la mort doit être mon partage ,
Cruelle , je l'attends de toi ,
Mais je meurs trop content de voir périr ta rage,
*
Esculape.
R. D. R. de Dijon.
MAY. 1045 1731.
XXXXXX :XX:XXXXX:XX
LETTRE de M. le B. Chanoine et Sous-
Chantre d'Auxerre , à M. de la Roque ;
au sujet d'une Inscription Romaine , découverte
le 10. May 1731. proche de
cette Ville.
J'Ay déja fait remarquer dans un petit
livre imprimé , il y a huit ans , que nôtre
Ville étoit originairement fort petite ,
et qu'elle n'est devenuë grande, et du circuit
d'environ une lieue ; que par l'accroissement
des Bourgs , qui se sont formés
autour des Monastéres et des Eglises
que la pieté des Evéques fonda autour des
anciens murs. Entre- autres Eglises , nous
avons au Septentrion de nôtre Ville , la
Basilique de S. Germain , dont le contour
souterrain est rempli de tous côtés de sépultures
de Chrétiens , qui se faisoient inhumer
au déhors de cette Eglise par devotion
envers ce grand Evêque , le second de
toute la France qui ait été le plus fameux
en miracles aprés le celebre S. Martin , et
dont aucunDiocese de France ne peut ignorer
les vertus et les merveilles , à moins
qu'il ne soit tout -à - coup privé des connoissances
les plus communes. Nous avons
C iiij ensuite
1046 MERCURE DE FRANCE
•
ensuite au midi , un Bourg surnommé de
Saint-Amatre , que son éloignement du
quartier de la Cité, n'a fait renfermer encore
que dans nos murs construits au douziéme
siècle. Quiconque connoît S. Germain
Gouverneur pour les Romains dans
la Gaule Celtique , ne peut manquer de
connoître celui qui lui confera la tonsure.
C'est S. Amateur. Il fût inhumé dans le
lieu où il avoit livré la guerre au reste
des Payens , et où quelques- uns de ses
prédecesseurs avoient été pareillement
inhumés , poury attirer le concours des
fideles à la place des dévotions précédentes
de l'Idolâtric. On trouve que ce lieu fût
appellé Autricum , ou bien Mons Autricus.
Il y a une prairie au bas : ce qui sert à appuyer
la pensée sur l'origine des noms locaux
, où la syilabe au est contenuë , que
M. Huet , ancien Evêque d'Avranches , a
avancée , et qui a été suivie depuis par
M. l'Abbé des Thuilleries : et c'est , selon
que je le prouve ailleurs , vers cette prairie
qu'ont existé les commencemens des
Villes Payennes , dont a été depuis formé
Auxerre Chrétien . Le côteau qui fait face
à cette prairie vers l'Occident , n'est pas
moins rempli de tombeaux de pierre , que
celui du Bourg Septentrional de Saint Germain.
Mais il est arrivé à presque tous ces
tombeaux
MAY. 173 P. 1047
tombeaux, tant à ceux de Saint - Germain'
qu'à ceux de Saint Amatre , la même chose
qu'à ceux que de nos jours l'on a trouvés
à Paris autour de l'Eglise de Saint- Germain
des Prez , et que l'on a vû rompre
pour faire place à des fondations de bâtimens.
L'éloignement des temps ayant fait
perdre la mémoire des personnes inhumées
dans ces lieux , la necessité de bâtir
ou de cultiver , a été cause que dépuis
plusieurs siecles , ce qui servoit de cimetière
est devenu un lieu profane ; c'està-
dire, qu'il a été changé ou en jardin , ou
en vigne , ou bien en place publique ; desorte
qu'on n'a plus fait aucun cas des
morts qui pouvoient y réposer. Il en est
arrivé de même en plusieurs Villes. Le
besoin où Monsieur Carouge , Chanoine
régulier , Prieur et Seigneur de Saint- Amatre
lez- Auxerre , a été de se fermer de
murs , parceque toutes les anciennes murailles
et bâtimens de son Monastere furent
démolis dans le temps fâcheux de la Ligue ,
qui causa des maux extrêmes en ce payscy
, l'a obligé de faire curer toutes les anciennes
fondations d'édifices , de ramasser
toutes les démolitions , et de lever tous
les obstacles au plan de bâtir qu'il s'est
formé. Entre le grand nombre de tombeaux
qui se présenterent l'an passé sous
C v
la
1048 MERCURE DE FRANCE
la main des ouvriers , on n'en a trouvé
qu'un seul , où il y eût une inscription.
Elle me parût être du moyen âge , et un
peu frivole , parcequ'elle n'est que commencée
: cependant je n'ai pas laissé d'en
dire un mot à un sçavant Antiquaire Ecclesiastique
, dans une lettre que je lui ai
adressée surdifferentes matieres , le dixième
jour du mois dernier. Mais hier matin nous
nous sommes trouvés plus riches , et nous
avons éprouvé la verité de ce qui arrive
souvent à Rome , qu'en levant un tombeau
de Chrétien , on rencontre en dedans
ou en déhors une Inscription Payenne .
Celle que nous avons trouvée , est au déhors
d'un tombeau : mais il n'est pas difficile
de juger par ce qu'elle contient , que
l'inscription n'a pas été faite pour le tombeau
, et qu'elle est beauconp plus ancienne
que le tombeau même. Cette pierre
étoit un gros bloc de la hauteur d'un pied
dix pouces , large de quatre pieds et demi
sur deux pieds six pouces de travers. Il
ya apparence qu'il y avoit un sacrifice representé
à l'une des deux faces , qui n'ont
que deux pieds et demi ; on y voit encore
sur les bords de la rainure qui y régnoit
une moitié de tête de Belier d'un côté , et
de l'autre comme une moitié de roue avec
des restes de rayons . Si l'on n'y apperçoit
pas
MAY. 1731. 1049
pas davantage de sculpture , c'est que la
pierre fût creusée dépuis , et vuidée pour
servir à former les deux tiers d'un sépulchre
à commencer par le côté de la tête ,
ensorte que ce reste de sepulture dont je
viens de parler , est du côté qui devoit
être réuni à un autre bloc creusé, et destiné
pour contenir les pieds du défunt . Mais
comme toute l'inscription ne s'est pas trouvée
dans le superflu que l'ouvrier du sépulchre
a cru devoir ôter , on y lit heureusement
sur le haut d'une des deux fácès
les plus larges , ces deux lignes trés bien
gravées, et en caractéres romains trés beaux
et de la hauteur d'un pouce et demi .
PRO SALUTE DOMINORUM. V. S. L. M.
DEDICAVIT MODESTO ET PROBO CÓS.
Il n'y a pas à hésiter dans la date de cette
inscription : elle est sûrement de l'année
228. de Jesus- Christ , puisque c'est à
cette année que se rapporte selon les Fastes
le Consulat de Modeste et de Probus . C'étoit
en partie la sixième et septième année
de l'Empire d'Alexandre Severe , et la
trentiéme avant que nôtre premier Evêque
S. Pelerin fût envoyé dans les Gaules ;
mais ne pouvoit-on pas en tirer quelque
avantage pour l'éclaircissement de l'his-
C vj toire
1050 MERCURE DE FRANCE
toire de cet empereur ? On paroît embarrassé
à assurer positivement que ce fût l'an
228.qu'Alexandre Sevére s'associa Ovindus
Camillus. On croit que la médaille rapportée
par
Occon
, n'est pas suffisante pour
prouver le temps du départ de ces deux
Princes contre les Barbares , et l'on dit
qu'il faudroit qu'il y eut clairement sur
cette médaille Profectio Augg. au plurier ,
et non simplement Profectio Aug. qui ne
veut dire que Profectio Augusti. Vôtre inscription
s'exprime nettement au Plurier ,
ainsi que vous le voyez : et l'on ne peut
guére entendre Dominorum , d'autres que
d'Alexandre , et de Camillus qui étoit regardé
comme un nouveau César depuis
l'honneur qu'Alexandre lui avoit fait de
l'associer à l'Empire. J'ai donc dans la
sée , que cette Pierre vient d'un Autel
érigé en mémoire de quelque Taurobole ,
ou de quelque Criobole , cerémonie qui
avoit marqué le zéle des habitans de nos
cantons , pour la prosperité de ces deux
Princes. Les Tailleurs de pierre réconnoissent
dans ce bloc le grain de la pierre du
pays , c'est à dire d'une carriere qui est à
quatre ou cinq lieües d'icy , et y auroit- il
apparence qu'une pierre qui pesoit bien
trois ou quatre muids de vin avant qu'elle
fût cavée , eût été apportée icy d'une aupentre
MAY . 1731. 1051
>
tre Ville trés éloignée ? Quoiqu'il en soit
le reste d'inscription qu'elle contient
peut servir non seulement à confirmer ce
que l'on apprend par la Médaille d'Occo ,
mais il appuye encore le raisonnement ,
par lequel Lampride , auteur de la vie
d'Alexandre , réfute l'opinion populaire ,
qui attribuoit à Trajan l'association de ce
Camillus. Lampride après avoir rappor
té le fait , ajoûte que ni Fabius Marcellinus
, ni Aurelius Verus , ni Statius Valens
dont il avoit les écrits sous les yeux , n'attribuoient
l'élevation de Camillus à Trajan
; et qu'au contraire Septimius, Acholius
et Encolpius , écrivains de la vie d'Alexandre
Severe , disoient de lui le fait singulier
de cette association subite , et im.
prevue , et de cette expedition militaire
qu'ils firent en commun contre les Barba
res. Je ne vous retracerai pas icy ce que
Lampride rapporte de cette guerre. On a
des preuves que ce fût contre les Allemans
qu'Alexandre et Camillus partirent l'an
228. ce qui est curieux à lire , et qu'-
Alexandre partit à pied, invitant son nouvel
associé d'en faire de même , Camillus
qui n'étoit point accoutumé , comme
Alexandre , à cette voiture , se trouva trés
fatigué au bout de cinq mille pas , c'est-àdire
, aprés avoir fait deux lieues ou envi .
ron.
A
1052 MERCURE DE FRANCE
ron. Alexandre lui fit donner un cheval ,
qu'il ne pût supportet que pendant deux
journées , parcequ'il étoit d'un temperament
trés delicat ; enfin le chariot ne lui
convint pas davantage , et il fût obligé de
renoncer au métier de la guerre , sans cependant
abandonner sesprétentions à l'Empire.
On voit par là que la santé de cet associé
avoit un peu plus besoin des voeux du
peuple envers les Dieux , que celle d'Alexandre
, qui étoit robuste et vigoureuse:
mais on ne les separa point dans la ceremonie
qui fût faite à Auxerre à leur intention
, et les voeux furent portés également
pour la santé de ces deux Maîtres
pro falute Dominorum .
Si vous, ou vos amis, avez une autre explication
à donner à nôtre inscription , qui
ne fait que commencer à voir le jour , je
ne m'y oppose aucunement ; je l'attendrai
avec plaisir , principalement celle qui sera
donnée des quatre lettres initiales de la
premiere ligne , sur lesquelles je laisse à
d'autres à deviner ce qu'elles signifient.
Je ne vous parle point d'une autre inscription
aussi trouvée avant hier au même
lieu , parcequ'elle est encore plus mutilée
que la précedente . Elle est egalement
d'un trés-beau'caractére Romain, et on y lit
lecommencement du mot de LUPERC alia
PeutMAY.
1731. 1053
Peut-être trouvera- t- on dans la suite les
autres morceaux de ces inscriptions ; en
ce cas je ne manquerai pas de vous en donner
avis , étant &c.
A Auxerre ce 11. May 1731.
****************
ODE SACRE'E ,
Tirée du Pseaume
In Exitu Israël de Ægypto , &c.
QUand Israël quitta la Terre
Des barbares Egyptiens ,
Celui qui commande au Tonnerre ,
Brisa ses funestes liens :
Il le prit pour son héritage ;
La Mer s'ouvrit à son passage ,
Le Jourdain suspendit ses Eaux ;
Les Colines et les Montagnes ,
Sauterent comme en nos Campagnes
Nous voyons bondir les Troupeaux.
O Mer en nauffrages féconde ,
A l'aspect du Camp des Hébreux ,
Pourquoi retiras-tu ton Onde ?
Jour1054
MERCURE DE FRANCE
Jourdain , pourquoi fuir devant eux ?
Monts orgueilleux , et vous , Colines ,
Les Moutons des Plaines voisines ,
Vous virent imiter leurs sauts ;
Grand Dieu ! la Terre en ta presence ,
S'émeut en voyant ta puissance ,
Un Rocher forme des Ruisseaux.
諾
Etre éternel ! que la memoire ,
De tant de Miracles divers ,
Ne tourne point à notre gloire ,
Qu'elle t'annonce à l'Univers ;
Que ta Verité , ta clémence ,
Ta Sagesse et ta Providence ,
Te manifestent aux Humains ;
Qu'ils sçachent qu'Israël révere ,
Le Maître du Ciel , qui sçait faire ,
Tout ce qu'embrassent ses desseins.
Les Gentils ont des Dieux frivoles
Qu'ils se sont eux-mêmes formez ,
Sourdes et trompeuses Idoles ,
Dont les yeux sont toujours fermez ;
Leurs pieds , leurs mains sont immobiles ;
De Métal masses inutiles ,
Vous êtes des Etres muets ;
Puissent
MAY.
1055 1731.
Puissent vous devenir semblables ,
Tous ceux qui croiront secourables ,
Des Dieux que les hommes ont faits.
Israël mit son esperance ,
Dans l'assistance du Seigneur ;
Aron invoqua sa puissance ,
Il s'est montré leur Protecteur ;
Celui qui craint de lui déplaire
Dans sa bonté sans cesse espere ,
Et toujours éprouve ses soins :
Combien de fois ce tendre Pere ,
Sans attendre notre Priere
A-t'il prévenu nos besoins ?
,
;
Son Peuple , de sa bienveillance ,
Mille fois sentit les effets ;
Ceux qui réverent sa puissance ,
Par lui sont comblez de bienfaits
Dans la splendeur ou l'indigence ,
Son incomparable clémence ,
Ecoute également leurs voeux .
Puissent vos enfans et vous- même ,
Etre benis du Dieu suprême ,
Qui créa la Terre et les Cieux !
Son
1056 MERCURE DE FRANCE
Son Trône au-delà du Tonnerre ,
Brille dans la celeste Cour :
Du néant il tira la Terre ,
Pour en faire notre séjour ,
Seigneur , dans la nuit éternelle ,
Tombeau de l'Ame criminelle ,
On ne benit point tes faveurs ;
Mais nous qui suivons ta lumiere ,
Durant l'Eternelle carriere ,
Nous celebrerons tes grandeurs.
Par M. de Sainte Palaye , de Montfort-
Lamaury
SUITTE des Memoires historiques sur les
perfonnes illustres originaires du Comté
d'En.
A
Prés avoir fait connoître les Personnes
originaires du Comté d'Eu qui
se sont distinguées par leurs sciences, ou
par leur pieté , je vais presentement parler
de celles qui par leur valeur , ou par
leur habileté dans les Arts , ont merité
d'être particulicrement estimées. Je commence
par Guillaume d'Eu , fils ainé d'Eustache
d'Eu ; Seigneur de la Chaussée ,
Chevalier
MAY. 1057 1731 .
1
Chevalier et Vicomte hereditaire du Comté
d'Eu , et d'Alix de Piquigni . Ce Seigneur
avoit pris naissance dans un Châ-
Iteau qui subsistoit alors au fauxbourg de
la chaussée d'Eu , dont on voit encore les
vestiges , et qui faisoit le chef- lieu et le domicile
ordinaire de cette ancienne et illustre
maison qui descend des premiers Comtes
d'Eu ; et parceque ce fief de la chaussée
d'Eu,quoique membre du Comté d'Eu
et de la Province de Normandie , est néanmoins
situé du côté de la Picardie , et du
Diocèse d'Amiens , les Historiens ont
donné quelquefois à ce Seigneur le nom
de brave et vaillant Picard .
Elevé d'une maniere conforme à sa naissance
, il ne fut pas plutôt en âge d'exercer
la profession des Armes , qu'il l'embrassa.
Il est vrai que l'Histoire * ne nous
a pas transmis tout ce que ce Seigneur a fait
de singulier et d'heroïque , où nous eussions
sans doute trouvé des preuves abondantes
de sa valeur : elle ne nous fournit
qu'une seule action ; mais qui , quoique
seule , est plus que suffisante pour justifier
quel étoit , l'excès de son courage.
C'est de la fameuse bataille de Nicopolis
en Bulgarie , donnée l'an 1396.
* Froiffart. T. IV. Ch. 72.
Nicopolis
to58 MERCURE DE FRANCE
dont je veux parler , le jeune Seigneur
ayant suivi en .... le Comte d'Eu Phillipe
d'Artois , Connétable de France .
On voit dans ce que l'Histoire rapporte
de cette bataille , que la trop grande
vivacité du Comte d'Eu , ayant engagé
mal à propos les troupes Françoises à marcher
indiscrettement vers l'armée ennemie
, sans être suivie de l'armée chrétienne
, elles se trouverent à l'instant envelopées
par soixante mille Turcs. Ce fût dans
cette funeste occasion que Guillaume d'Eu
fit connoître jusqu'où alloit son intrépidité
et sa valeur ; car les Historiens ont particulierement
remarqué que pendant l'horrible
massacre que les Turcs faisoient des
François , Guillaume d'Eu se fit jour deux
fois , l'épée à la main , au travers de cette
nombreuse armée ; ce qui lui donnoit , s'il
avoit voulu une entiere liberté de se tirer
du peril ; mais persuadé qu'il étoit indigne
pour lui de survivre à la perte du Corps
des
troupes Françoises , il aima mieux
retourner daus la mêlée , où il perit avec
les autres. ( a )
Je vais maintenant parler d'un autre
Seigneur du Comté d'Eu qui s'est rendu
fameux pour avoir été le premier qui a
(a) Froiff. ibid. Baudier, Hist . des Turcs L. 2 .
Ch. 1.
tenté
MAY. 1731 . 1059
tenté la découverte d'un nouveau Monde ;
et qui a ouvert un chemin pour passer dans
l'Amerique. Ce Seigneur est Jean de
Bethencourt, Baron deS. Martin leGaillard ,
au Comté d'Eu , lequel a commencé le
premier établissement qui s'est fait aux
ifles des Canaries . ( a ) Ces Ifles , à la verité
,avoient été connuës des Anciens sous
le nom des Ifles Fortunées ; et quelques
Avanturiers sétant hazardés d'y aborder
y avoient quelquefois réussi ; mais l'usage
de la Boussole n'étant pas encore connu,
peu avoient osé se hazarder à faire un
semblable voiage, Lorsqu'enfin la direction
de l'éguille aimantée vers le Nord fût découverte,
et l'usage qu'on en pouvoit faire
pour régler sa route sur Mer confirmé ;
Jean de Bethencourt fût le premier qui
entreprit de tenter par cette voye l'accès
de ces Ifles , qui étoient alors abandonnées.
Robert de Bracquemont son cousin y
donna lieu ; comme il avoit de l'inclination
pour les expeditions de Mer , il forma
le dessein d'aborder ces Isles, et de s'en
mettre en possession . C'est pourquoi il
obtint en 1401. du Roy de Castille Jean
II. la permission d'en faire la Conquête :
ce qui lui fût accordé en consideration des
services qu'il avoit rendus à ce Prince dans
(a) Jean de Verrier,Hist, des Canaries,
les
1060 MERCURE DE FRANCE
les guerres contre le Portugal . Mais soit
que dans la suite il eût prit son parti d’avancer
plutôt sa fortune en France , que
de l'aller chercher si loin , comme en effet
il y fût pourvû quelque tems aprés de la
qualité d'Amiral ; soit enfin qu'il voulût
donner la gloire de cette découverte à Jean
de Bethencourt son parent , et lui procurer
un établissement , il lui en donna la
commission , et lui ceda ses droits qui lui
furent confirmés par la Reine Catherine ,
veuve du Roy Jean II.
Le Baron de S. Martin aiant pris toutes
ses mesures pour son embarquement , mit
enfin à la voile dans l'été de l'année 1402 .
et aborda heureusement aux Canaries ,
dont il conquit d'abord quelques Isles .
Mais ne se trouvant pas assés fort pour
se rendre Maître des autres , il revint en
Espagne où il reçût des munitions et de
l'argent de Henry III . Roy de Castille ,
qui lui donna la souveraineté de ces Isles ,
à condition qu'il lui en feroit hommage ;
étant retourné il se saisit encore de quelques
unes , et en particulier de celle qui
se nomme Lancelote , où il fit bâtir un Fort.
Il y prit même la qualité de Roy : mais
étant mort peu de tems aprés , il y laissa
Y
pour surcesseur son neveu nommé Me-
Baut , avec la même qualité . Tout le monde
MAY. 1731. 1061
de convient que ce voyage est le premier
qui se soit fait avec ordre , et le plus loin
vers la ligne. Ce qui donna lieu ensuite aux
Portugais , et aux Castillans de hazarder
d'autres voyages de long cours ; comme
de doubler le cap de BonneEsperance pour
passer aux Indes , et de faire enfin la découverte
de l'Amerique.
Je ne doute pas que ceux qui ont par
la lecture quelque connoissance du fameux
armateur Jacques Sore dont je vais présentement
parler , ne soient surpris que je
lui donne place dans le rang des personnes
illustres qui sont sorties du Comté d'Eu
parceque la pluspart des Historiens qui
en parlent , le regardent comme un insigne
Pirate , et un veritable scelerat : mais
c'est justement ce qui doit m'y engager ;
car il ne paroît pas que les Historiens
` lui aient rendu la justice qui lui est duë.
Deux choses , il est vrai , ont contribué
à le rendre odieux de son vivant. La premiere,
parcequ'il étoit Calviniste , et protegé
des principaux Chefs de cette secte.
La seconde , en ce que s'étant un jour rendu
maître d'un Bâtiment Espagnol qui alloit
au Bresil , sur lequel étoient embarquez
des Jesuites qui y passoient pour annoncer
la foy , il les fit tous mourir et jetter ensuite
dans la mer,
J'avoije
ト
1062 MERCURE DE FRANCE
>
J'avoue que ce fût un malheur pour
Jacques Sore d'avoir vêcu dans l'héresie
dont les funestes sentimens ont pû contribuer
à l'animer contre les Jesuites : c'est
surquoy je ne prétend s pas le disculper ;
mais à cela près , il peut avoir eu d'ailleurs
de bonnes qualités naturelles , lesquelles
ont pû le mettre fort audessus du commun.
C'est aussi sous cet aspect que je
pretends le faire régarder,apuïé comme je
suis sur ce qu'en a pensé un excellent connoisseur
qui devoit bien sçavoir ce qu'il
étoit , puisqu'il vivoit de son tems , qu'il
étoit en place pour en juger , et qu'il
ne peut être soupçonné de lui avoir été
favorable par la conformité de réligion :
sçavoir Pierre Bourdeille , Abbé de Brantome
, connu sous ce dernier nom ; lequel
parlant par occasion dans ses Mémoires
de Jacques Sore , fait son éloge en´
deux mots , en disant qu'il avoit été un
des bons hommes de Mer qui fût de
son tems , ajoûtant même qui eût été
depuis. (a)
Jacques Sore étoit natif du village de
Floques , situé proche de la Mer à une
petite lieuë de la Ville d'Eu , il avoit
comme j'ai dit , cu le malheur d'être élevé
>
(a)Mem . de Brant. Eloge de M. de Mont-luc.
dans
ΜΑΥ. 1731. 1063
dans la secte de Calvin ; mais étant d'un
esprit vif , et hardi , né avec quelques
biens , voyant la guerre déclarée contre
la France et l'Angleterre lors du Siége
du Havre de grace en 1563. il prit le
parti d'armer une frégate pour aller en
course contre les ennemis de l'Etat , sur
lesquels il ne tarda pas à faire des prises
considerables , et à se rendre formidable
sur la mer. Mais la paix ayant été faite
plutôt qu'il ne le souhaittoit , il lui fallût
chercher un prétexte qui l'autorisat à continuer
une profession de son goût , et
où il se voioit en état d'avancer sa fortune.
Il le trouva , ce prétexte , dans son protecteur
le fameux Amiral de Châtillon
lequel non content de lui faire une pension
, lui procura des lettres de Jeanne
d'Albret , Reine de Navarre , par les
quelles elle l'établissoit Amiral de Navarre
, ce qui lui donnoit droit de courir
sur les vaisseaux Espagnols , comme il
fit en effet. Pour y mieux reüssir il prit
avec lui un autre Armateur nommé
Didacus d'Andrada , s'engageant de par
tager le butin. ( a )
Ce für alors qu'il donna vigoureusement
la chasse aux vaisseaux d'Espagne ,
(a) Flarim, de Raim. Hist, de l'Heresie. L.
5. p. 738.
D
of
1664 MERCURE DE FRANCE
·
et qu'il prit celui dont les Historiens
ont fait tant de bruit, Il est vrai que ce
bâtiment alloit au Bresil , et qu'il y por
toit des Jesuites destinés pour les Missions
du Pays , dont le Chef s'appelloit
Ignace , du nom du Fondateur de sa
Compagnie. Les Auteurs varient sur le
nombre , les uns disent qu'il y en avoit
douze , les autres trente- huit , d'autres
enfin quarante . N'importe , il est toûjours
certain que Jacques Sore prit ce bâtiment
l'an 1570. et qu'il fit mourir les
Jesuites , comme je l'ai dit plus haut,
( a ) Je sçay que tous les Auteurs crient
avec raison contre cette action pleine de
cruauté , et qu'ils la regardent comme
un effet de la haine de Jacques Sore
contre la Catholicité. Les anciens de ce
pays-cy rapportoient la chose d'une maniere
qui la rendoit un peu moins odieuse ;
sçavoir , que Jacques Sore n'en avoit
agi ainsi que par réprésailles , en ce que
les Espagnols aiant traité de la même
maniere un particulier qui lui appartenoit
, et qui étoit tombé entre leurs
mains , il crût d'ailleurs que les Jesuites
y avoient eu part. Mais cela ne sçauroit
jamais le disculper.
fc) Florim, de Raim, ibid, Hist. gener. d'Hora
griz, liv, 15,
Nôtre
MAY. 1731. 1065
Nôtre Amiral de Navarre fit , au rapport
de Brantôme , une autre prise qui
fit beaucoup de bruit pour le bien et
le mal qu'elle causa au parti Calviniste.
Ce fût un vaisseau Venitien , du port
de douze à treize cens tonneaux , qu'il
aborda , et qu'il prit en déçà du détroit
de Gibraltar , lequel faisoit voile vers
l'Angleterre. L'ayant conduit à la Rochelle
, les Calvinistes le firent passer
quelque tems aprés au Port de Broüage
dont ilsvouloient se rendre les maîtres . Če
qui en effet leue facilita la prise de cette
place , est que s'étant avisé de placer
de l'artillerie sur la hune de ce vaisseau
qu'il avoit extrémement large , ils
tuoient de-là à coup sûr tous ceux qui
se présentoient pour défendre la bréche ;
mais aiant malheureusement pour eux
laissé le vaisseau désarmé dans ce Port ,
et le Roy Charles IX . étant venu assiéger
peu de temps aprés la Rochelle
, il
ly fit repasser
; et l'ayant
fait couler à
fond à l'entrée
du Port , il fit placer dessus
une batterie
qui fit des merveilles
battre la Ville , et pour empêcher
le secours
d'y entrer.
,
pour
Enfin l'Amiral Sore , las d'une vie si
agitée , prit le parti d'abandonner la Marine
, et de se retirer au Comté d'Eu ,
Dij son
+
1066 MERCURE DE FRANCE
son pays , pour y finir le reste de ses
jours dans le repos , et encore mieux ,
si on en croit la tradition du même pays,
pour y rentrer dans le sein de l'Eglise .
On tient qu'il y est mort , et qu'il a été
inhumé comme Catholique dans l'Eglise
du Village de Floques , qui étoit, comme
j'ay dit , le lieu de sa naissance ; au
moins est- il certain , que c'est une insigne
calomnie ce qu'a avancé celui qui
à fait les Additions à l'Histoire de Portugal
par Jerôme Ozorius ( a ) ,sçavoir , que
le Capitaine Sore se retira dans sa patrie ,
pour y mourir comme enragé , écumant
sa mort comme un Sanglier , ce qui
n'a nulle vrai- semblance, puisque qui que
ce soit dans le pays n'a jamais entendu
parler de pareille chose , le tems n'en
étant pas si éloigné , moi- même m'étant
souvent entretenu des Avantures de Jacques
Sore avec ceux dont les Peres l'avoient
parfaitement connu , et dont les
proches parens avoient eû part à ses expeditions.
D'ailleurs les habitans de cette
ville ayant toûjours été fort opposés
au Calvinisme , et Jacques Sore étant
mort à leur porte , il n'est pas vrai- semblable
qu'une mort si tragique eût
échapé à leur connoissance , et à leur
mémoire ; ils n'auroient pas ignorés
(4) Liv. ag. ch. 3.
même
MAY. 1731. 1067
même , fameux comme il étoit , le lieu
profane où on l'auroit inhumé , s'il étoit
mort Calviniste .
Voici encore un autre Capitaine de
vaisseau , et depuis Chef d'Escadre , natifdu
Comté d'Eu , lequel a dû aussi son
élevation à la seule force de son génie
sçavoir,Abraham Du Quesne , Pere de l'illustre
Du Quesne , Géneral des Armées
Navales de France. Il naquit au Bourg
de Blangi, dans le Comté d'Eu , de parens
peu favorisés de la Fortune , et qui
avoient le malheur , comme ceux de l'Amiral
Sore, d'être infectés, de l'héresie de
Calvin ; ce qui est assez particulier , vû le
peu de progrès que cette héresie avoit
fait dans le Comté d'Eu. Il y a apparen
ce que ce fût ce qui lui donna lieu de se
retirer à Dieppe où le Calvinisme étoit
plus en vogue. Il y apprit la Carte Marine
, se mit sur les vaisseaux et se rendit
capable d'être Pilote .
Aprés avoir exercé cette profession
pendant quelque temps , il passa en Sue -
de , où s'étant fait connoître , il obtint une
place de Pilote dans les vaisseaux de la
• Reine Christine. Comme cette Princesse
trouva à propos d'envoyer quelques
vaisseaux en France , il fut choisi préferablement
à d'autres pour les conduire
D iij parcequ'il
1068 MERCURE DE FRANCE
parcequ'il étoit François. S'étant distingué
dans cette occasion , il fut fait Capitaine
de vaisseau du Roy dans l'Armée
navale de France , où il se signala de maniere
, que le Roy Louis XIV. ne fit. pas
difficulté de l'envoyer en Suede avec une
Escadre pour y ménager des affaires qui
regardoient la Marine. Comme la France
étoit alors en guerre avec l'Espagne ,
Abraham Du Quesne ne pouvoit guére
éviter d'être attaqué par les vaisseaux
Espagnols qui tenoient la Mer , lesquels
d'ailleurs le surpassoient de beaucoup en
nombre. En effet , comme il revenoit en
France , il se donna un combat entre les
deux Flottes ; et quoique Du Quesne fit
des prodiges de valeur , il reçut une blessure
considerable , et fut fait Prisonnier.
Ayant été conduit à Dunkerque , il y
mourut peu aprés de sa blessure , l'an
1535. dans les sentimens de la Réligion
Prétendue Reformée.
,
Il ne me reste presentement qu'à parler
des deux freres Anguier , qui ont excellé
dans la Sculture , et qui ont primé de
nos jours dans ce bel Art. Ils naquirent
tous deux à Eu dans la Paroisse de S. Jean,
d'un pere menuisier. Nés tous deux pour
la Sculture , et le Dessein ; dès qu'ils commencerent
à faire usage de leur esprit ,
on
MAY. 1731 . 1069
on les vit s'occupper à faire de petites
figures de bois ou de pierre avec leurs coû
teaux , en quoy ils réussissoient passablement
bien , ce qui frappa un honnête
Bourgeois de la ville , et l'engagea à en
prendre soin par charité. Voyant enfin
qu'ils commençoient d'être en âge à pouvoir
travailler , et que le goût pour la
Sculture se fortifioit de plus en plus en
eux , il obtint d'un Jesuite qui alloit à
Paris , qu'il les y meneroit pour les placer
chez un Maître où ils pussent se perfectionner
, ce que ce Pere fit en effet.
A peine eurent-ils commencé à modeler
des figures , que le Maître s'apperçût
bientôt qu'ils iroient fort loin un
jour , s'ils continuoient de travailler. Il
le connût encore mieux , lorsqu'ils eurent
commencé à se servir du cizeau sur le
bois et sur la pierre. Après s'être ainsi
formés quelque tems à Paris , ils allerent
à Rome, afin qu'il ne leur manquât rien
pour se perfectionner dans leur Art .
Etant enfin de rétour à Paris , ils y acquirent
une telle réputation , qu'ils furent
employés pour les plus considerables morceaux
de Sculture ; tels que le grand Crucifix
de marbre qui tient lieu de Tableau
à l'Autel de l'Eglise de Sorbonne , tous
les ornemens et les bas- reliefs de la porte
D iiij
de
D070 MERCURE DE FRANCE
de S. Denis , et les deux figures de celle
de S. Antoine dans l'Eglise des Celestins
le Tombeau du Duc de Rohan , et l'Obelisque
du Duc de Longueville. Tous
les Ornemens de l'Autel de l'Eglise du
Val de grace , et sur le même Autel le
petit Jesus dans la Crèche , avec la Sainte
Vierge et S. Joseph , et quantité d'autres
ouvrages dont on peut voir le détail
dans la Déscription de Paris par Germain
Brice.
Enfin , aprés avoir si dignement employé
le talent que Dieu leur avoit donné ,
ils finirent leurs jours ; sçavoir , François
qui étoit l'ainé le 8. Août 1669. et Michel
le 11. Juillet 1686. Ils furent tous
deux inhumez dans la Nef de l'Eglise de
S. Roch leur Paroisse , sous une Tombe
de marbre blanc , sur laquelle fût gravée
I'Epitaphe suivante ,
Dans sa concavité ce funeste Tombeau
Tient les os renfermés de l'un et l'autre frere ;
Il leur étoit aisé d'en avoir un plus beau
Si de leurs propres mains ils l'eussent voulu faire
Mais il importe peu de loger noblement
Ce qu'aprés le trépas un corps laisse de reste
Et pourvûque ce Corps quittant le logement
L'Ame trouve le sien dans le séjour celeste..
VULCAIN
MAY. 1731 .
1071
VULCAIN VANGE.
Αν
CANTATE.
U Dieu qui forge le Tonnere
L'Hymen avoit uni la Déesse Cypris ,
Et Vulcain de l'Olympe éxilé sur la Terre
Esperoit dans ses bras oublier ses soucis ;
Mais l'Amour indigné que l'hymen témeraire
Sans consulter son choix eût formé ces liens ,
S'abandonne aux transports d'une juste colere ,
t frappe de ces cris les bois Idaliens . E
Si désormais , usurpant ma puissance
Le seul hymen enchaîne tous les coeurs ;
Où sont mes droits ? qui de mes traits vain
queurs
Voudra sentir la douce violence
Ainsi qu'aux Dieux , inutile aux Mortels
Je chérirois une lâche indolence !
Non; par
Rétablissons
l'honneur
de nos Autels...
Si désormais
, usurpant
ma puissance.
Le seulhymen enchaîne
tous les Cours ;,
l'éclat d'une illustre vangeance
D V Oth
1072 MERCURE DE FRANCE
Où sont mes droits ? qui de mes traits vainqueurs
Voudra sentir la douce violence ?
Il exale en ces mots la douleur qui le presse ,
Et de son Isle abandonnant les bords.
Il vole vers les lieux où l'aimable Déesse
De son nouvel époux secondoit les transports.
Mais pour le frere de Bellone
Bientôt la fille de Dione
Brûle par les soins de l'Amour ,
Et Mars qui ne se plaît qu'au milieu des allarmes,
Oubliant sa fureur dans ses yeux pleins de char- mes
>
L'assure d'un tendre retour..
'Alors l'Amour vangé comtemplant son ouvrage
Au Dieu de l'hymenée adresse ce langage.
Que cet exemple t'apprenne
Qu'aux coeurs rangés sous tes Loix
Hymen , ta faveur est vaine
Si je n'approuve leur choix.
De ta coupable imprudence
Vois les funestes effets ;
Vois échouer ta puissance
Contre
MAY. 1731 1073 .
Contre l'effort de mes traits.
Que cet exemple t'apprenne
Qu'aux coeurs rangés sous tes Loix,
Hymen , ta faveur est vaine
Si je n'approuve leur choix.
Tandis que l'Enfant de Cythere
De l'hymen impuissant irritoit les douleurs ,
Vulcain entre sans bruit dans le bois solitaire ,
Où Venus au Dieu Mars prodiguoit ses faveurs
Que ne peut inspirer la noire jalousie !
Pour vanger cet affront employant l'industrie
Vulcain dans ses filets tendus de toutes parts
Enveloppe à la fois l'Amour , Venus , et Mars.
Que la paix de retour
Régne enfin sur la terre.
Pour enchaîner l'Amour
Vulcain cesse en ce jour
L'Ouvrage du Tonnerre ,
Et le Dieu de la Guerre
Est Captif à son tour,
Que la paix de retour
Régne enfin sur la Terre
D vij
PROJET
1074 MERCURE DE FRANCE
XXXXXXXXXXXXXXX
PROJET
D'un Traité complet du Droit Public.
Eu M. le Maréchal d'Huxelles , au-
Froit fort souhaité de voir paroître
pendant sa vie un Traité du Droit public.
Le besoin qu'il en avoit éprouvé à
la Guerre , dans ses Gouvernemens , et
dans les Conseils du Roy , excitoit son
zéle là - dessus. Il disoit que la litterature
étoit féconde en livres excellens ; mais
que , pour le malheur du monde , le plus
excellent de tous les livres , celui qui devoit
apprendre aux hommes à comman
der et à obeir , étoit encore à désirer.
Entrons ici dans la plainte de ce grand
Ministre. Elle est juste , et peut -être
va-t'elle devenir utile. L'Europe se plaît
à mettre les sciences dans leur plus haut
éclat , et elle ne daigne pas jetter les yeu
sur celle- cy. Les Académies retentissent
des bruits harmonieux de la Philosophie,
de la Medecine , du Droit Civil ; Il est
peu d'Ecoles pour le Droit Public. Les
Sages de tous les tems semblent s'être entendus
à ne nous en donner que de simples
notions ; rien n'est achevé à cet égard
dans
MA Y. 1737. 1075
peu
dans leurs ouvrages. Le grand Legisla
teur , qui a si dignement parlé du Droit
divin , et du Droit humain , n'a touché
que legerement le Droit public; et le
qui lui en est échapé ,forme à peine quelque
partie du Droit particulier des Juifs.
Platon et Aristote ne nous ont pas donné
des Traitez complets de politique. Les
belles parties qu'ils nous en ont laissées ,
font seulement desirer un tout accompli
Leurs maximes d'ailleurs sont souvent
accommodées à leurs tems , à leurs pays ,
à leurs moeurs , et ne portent guére audelà
du Danube , et du Gange. Les Romains
, qui dans les liens de l'Empire ou
de l'alliance , contenoient tous les Peuples
de la Terre devoient à leur gloire
un corps du Droit public , comme ils en
ont donné un excellent du Droit particu
fier. Ils ne manquoient ni de grands Maitres
ni d'habiles Praticiens. Les Scipions
et les Papiniens naissoient chez eux à
l'ombre des faisseaux et des lauriers . Cependant
les Romains ont été steriles sur
le Droit public, et leur zéle si vanté pour
le bien commun , n'a pas excedé les bornes
de la patrie . Les politiques d'aprés
eux , ceux , qui dans la ruine de leur Êmpire
, ont recueilli les restes de leur sagesse
; Les Morus , les Campanelle , les Bodim
1076 MERCURE DE FRANCE .
din , les Grotius , les Puffendorff , tous
ces heritiers de leur sçavoir , se sont contentez
de nous transmettre quelques parties
du Droit public. Nul d'entre- eux ne
nous en a donné le corps achevé. Une prévention
même a resisté chez eux à l'en
treprise ; c'est qu'à l'exemple des Grecs ,
ils se sont asservis aux pays , et aux moeurs.
Le Droit public entre leurs mains est devenu
une politique Européene . Les peuples
éloignés , les voisins , les Turcs même
ont refusé d'y souscrire , et ce qui est
affligeant , les Sauvages n'ont pas été instruits
, et les Athées ( s'il fût jamais des
Athées au monde ) sont demeurés dans
leurs illusions.
Il manque donc à la terre un Traité du
Droit Public , qui soit universel , et que
nul homme ne puisse décliner. Ce Droit
estau- dessus des temps,des lieux , des conjonctures
, des usages. Il part du sein de
la Divinité , et raporte tout à la Divinité,
C'est lui qui nous découvre un premier
Etre invisible à nos sens , visible à nôtre
esprit , qui a tout fait , qui conserve tour
etqui appelle tout à lui . C'est lui qui nous
apprend que la Loi de ce premier Erre
est stable comme l'axe du monde : qu'elle
est douce , interessante , propre à lier les
Nations , les familles , les Personnes ; ca←
pable
MAY. 1731 . 1077
1
pable d'assurer la paix , de prévenir la
discorde , de faire régner le paisible travail
, et le repos laborieux ; propre à concilier
l'homme avec son auteur , et avec
lui même. C'est lui enfin qui dégageant
l'ame du poids de la cupidité , et des passions
, l'éleve à la pureté de son état , et
à la possession du bien souverain.
Ces hautes prérogatives m'ont presque
fait rencherir sur le zéle du Marêchal
d'Huxelles. J'ai souhaité de voir le Droit
public non seulement dans l'état des autres
Sciences ; mais dans un état plus facile
, plus agréable , plus simple ; tel que
les Maîtres du monde , ceux qui peuvent
le devenir , les Magistrats , les personnes
de toutes conditions , de tout sexe , de
tout age , en recherchassent avidement la
connoissance. J'ai attendu ce Chef- d'oeu
vre du celebre M. Domat , qui sembloit
l'avoir promis , et qui étoit si capable de
l'accomplir. Une mort trop prompte nous
l'a enlevé. Mes esperances ont tourné du
côté du Barreau , et de l'Académie , où
la vertu ne céde en rien à la science ; Mais
les Illustres de ces ordres ont été , comme
les Demosténes et les Cicerons , jettés
par leur merite dans le torrent des affaires
; et le Droit public est demeuré.
Ainsi lassé d'attendre , et d'ailleurs persuadé
T078 MERCURE DE FRANCE.
>
suadé par une longue meditation , que
l'ouvrage , quelque grand qu'il paroisse
n'est pas impossible , et que même il est
facile et agreable à quiconque ose l'entreprendre
; je fais moi- même ce que mes
voeux ont long-temps déferé aux autres ,
et j'offre à l'Univers le Traité complet du
Droit Public.
Pour le presenter dignement , je crois
en devoir tirer ici l'Analise , et la faire
passer dans tous les pays , où la raison est
connuë, afin que les sages soient par tout
invitez à m'honorer de leurs avis critiques
, et à me communiquer leurs lumieres,
Le Droit public est l'Art de commander
et d'obéir ; on peut encore le définir Art
de civiliser les hommes et de les conduire au
souverain bien.
Il se divise en quatre parties, la premicre
a pour objet la constitution des Etats ,
et des Ordres qui les composent,
La seconde traite du Gouvernement
interieur des Etats.
La troisième du Gouvernement exterieur.
La quatrième de la Guerre et de la Paix.
PREMIERE
MAY. 1079 1731
Premiere Partie,de la Constitution des Etats,
et des Ordres qui les composent.
1 Chap. L'ordre de l'Univers est là
régle fondamentale du Droit public , et
de la Politique.
2. La destination des hommes dans
l'ordre de l'Univers , est de cultiver la
terre , et d'aspirer au souverain bien.
3. Pour accomplir cette destination ,
les hommes ont besoin de s'unir en so
cieté .
4. Pour s'unir en societé les hommes
sont obligés d'ériger au dessus d'eux une
puissance publique,
5. Droits de la puissance publique sur
les hommes qui l'ont érigée.
6. Ces droits s'étendent sur quelques.
hommes même qui ne l'ont pas érigée.
7. Ressorts de la puissance publique.
8. La puissance publique est déférée à
un seul homme ou à plusieurs ensemble
ou séparement.
9. la puissance publique est déférée à
une femme.
10. Engagemens de celui et de ceux
à qui la puissance publique est déferée ..
11. Engagemens de ceux qui ont déferé
la puissance publique ,, et de leurs
successeurs..
12
1080 MERCURE DE FRANCE
12. Portrait d'un Prince accompli.
13. Portrait d'un sage Citoyen.
14. Le dépôt de la puissance publique
forme un Corps politique appellé Etat.
15. Etat Monarchique.
16. Etat Aristocratique .
17. Etat Démocratique ou populaire .
18. Etat composé.
19. Parallele de ces différens Etats .
20. Splendeur , variation décadence ,
dissolution des Etats.
21. Des Monarques , Rois , Chefs_de
Nations .
22. Des Rois mineurs.
23. De la Tutele , Curatele et éduca
sation des Rois mineurs.
24. De la Régence des Royaumes pendant
la minorité , la maladie , l'absence ,
la détention des Rois .
25. Du pouvoir des Régens .
26. Du Sacre et Couronnement des
Rois.
27. De la majorité des Rois .
28. Du Mariage des Rois .
29. Des Epouses des Rois.
30. Du Mariage des Reines , qui regnent
par elles -mêmes .
31. Des Epoux de ces Reines .
32. De l'union des Rois , et des Reines,
de leur résidence , et du raport de leurs
Etats. 33.
MAY. 17317 1081
.
33. Des Conseils des Rois.
34. Des Ministres des Rois.
35. Des Confidens des Rois.
36. Des Amis et des Favoris des Rois.
37. Des Courtisans.
38. Des Magistrats , Chefs de Républiques
, de leur pouvoir et de leurs personnes.
39. De la veneration due à tous ceux
qui exercent la puissance publique par
eux-mêmes ou par commission.
40. Des égards dûs aux Palais , et à
tous les lieux où s'exerce la puissance
publique.
41. Des infirmitez naturelles et accidentelles
de quelques Rois.
42. Des Absences , Voyages et Caprivité
des Rois.
43. Des Cessions et Abdications des
Rois , et de leur retour à la Couronne .
44. Des Testamens des Rois.
45. De la Mort des Rois.
46. Des Enfans des Rois et des Reines,
et de leur maniere de succeder aux Couronnes
paternelles et maternelles.
47. Des Heritiers Patrimoniaux , Légitimes
, Testamenraires , Directs et Collateraux
des Rois.
48. Des Princes et Princesses du Sang
des Rois.
49.
1082 MERCURE DE FRANCE
49. Des Prêtres.
fo . Des Juges .
51. Des Guerriers.
52. Des Officiers , Vicerbis et Gouverneurs
de Villes et de Provinces.
53. Des Nobles.
54. Des Bourgeois.
55. Des Agriculteurs et Laboureurs.
56. Des Artisans .
57. Des Serviteurs et Esclaves , où il
est démontré , contre les Loix Romaines ,
que l'Esclavage est contraire , non- seulement
au Droit naturel , mais au Droit
des Gens .
Voila exactement l'Analyse de la premiere
Partie dans le sens et l'ordre que je
destine à l'impression , si je ne suis réformé
par quelque judicieux avis . Je ne
donnerai pas les semblables Analyses des
trois autres ies.
Idée de la seconde Partie.
Le Gouvernement interieur des Etats
est le culte de Dieu , la Législation , l'execution
et la dispense des Loix , la Jurisdiction
, la clémence publique , la distribution
des Emplois , des rangs , des dignitez
, des honneurs , des graces ; l'institution
et la destitution des Officiers , la
direction des moeurs , le soin du repos
public ,
MAY. 17318 1083
public , de l'abondance du travail , de
l'Agriculture , du Commerce domestique
et étranger , des chemins , de la Navigation
, de l'industrie , des Monnoyes , du
Patrimoine public , des Subsides , des
Sciences , des Arts , des Métiers, de la santé
, de la décoration , des plaisirs publics.
Idée de la troisième Partie,
Le Gouvernement exterieur consiste
principalement à régir les affaires étrangeres
, à regler les limites , à entretenir
correspondances avec les Puissances Etrangeres
, à négocier avec ces Puissances , à
former des Ligues , des Alliances , des
Mariages , des Traitez de Commerce et
de Neutralité ; à nommer et à instruire
des Ambassadeurs , des Envoyez , des
Consuls , des Résidens , des Agens , des
Procureurs , des Secretaires ; à proteger
les Nations opprimées ; à porter chez les
Peuples barbares ou sauvages ; la connoissance
du Créateur et l'usage de la
raison.
Idée de la quatrième Partie,
Le Droit de la Guerre et de la Paix ,
est le pouvoir de fortifier et munir les
Places , de lever les Milices , de construire
et d'armer les Vaisseaux , de donner
les Sauf-conduits , les Amnisties , les réprésailles
1084 MERCURE DE FRANCE
pré sailles ; de déclarer une Guerre juste
ou injuste , de la dénoncer à l'Ennemi ,
de commander l'Armée , d'exercer les
hostilitez , d'user du droit de conquête ,
de pardonner aux Vaincus, de reconnoître
le Vainqueur , de récompenser les Guerriers
, d'évacuer les Places , de licentier
l'Armée , de proposer , accepter ou refuser
des Préliminaires de Paix , de faire des
Tréves , de donner et recevoir des ôtages,
de négocier , arrêter et executer des conditions
de Paix.
SUR cela je prens la liberté de demander
, 1º . S'il paroît que mon Systême soit
complet , et que toutes les parties du
Droit public y soient exactement renfermées.
2º . Si la division en est juste ; ou s'il
s'en peut imaginer une plus simple , plus
sensible , plus génerale.
3. Les quatre Analyses des quatre premiers
Chapitres cy- dessus , sont des principes
très nouveaux qui paroissent pour
la premiere fois dans la Litterature. Ils
influent sur toutes les parties du Droit
public dont ils sont la source évidente,
Leur plénitude fait naître une infinité de
principes sous ordonnez et des conséquences
aussi graves que lumineuses , qui
·
n'éMAY.
1085 1731.
n'échapperont pas aux hommes accoutu
mez à penser. Ce sont ces hommes que
je consulte singulierement ici , et que je
prie de ne me pas refuser leur sentiment
sur ces quatre Analyses.
4°. Comme mon entreprise est grande
et que je suis en tout sens fort borné , je
prie les Sçavans de m'accorder une libre
entrée dans leurs Cabinets , pour y puiser
les lumières , les conseils , les Livres ,
les Monumens , les Actes , les Memoires
qui peuvent me manquer sur les impor
tantes matieres que je traite , par rapport
seulement à la politique,
5°. J'ay fait et je continuerai de faire
très- volontiers lecture de mes Ouvrages
à ceux qui voudront bien se donner la
peine de les entendre dans mon Cabinet..
Il y en a provision pour une juste critique.
Si mon entreprise est goûtée , je donnerai
la premiere Partie de l'Ouvrage en
un volume in 4. dans l'année prochaine
1732. La seconde en un pareil volume
en 1733. La troisiéme en 1734. La quatrième
et derniere en 1735. et si Dieu
soutient mon zele , j'oserai en 1736 presenter
à Monseigneur le Dauphin le Droit
Public de la France avec ses Preuves,
Heureux si par ce travail je parviens
à glorifier Dieu , à servir mon Roi et à
rendre
"
1086 MERCURE DE FRANCE
rendre aux hommes le tribut d'amour et
de reconnoissance que je confesse leur
devoir .
Par M. Pasquier , Avocat au Parlement
, Conseiller au Conseil Souverain de
Dombes.
EXPLICATION des deux
Logogryphes d'Avril.
CHer ami , sans courir d'ici jusqu'à Pavie ;
Vous avez deviné les deux mots proposez.
La chose est Claire , et sur ma vie ,
Ces mots pour vous sont trop aisez.
J
D. M.
EXPLICATION de l'Enigme.
E crois que Mercure nous berne ,
Et nous prend pour de vrais Fallots ;
Pour trouver de semblables mots ,
Il n'est pas besoin de Lanterne.
D. M.
Le Logogryphe du Supplement du
Mercure d'Avril , s'explique par Orgueil.
ENIGME
MAY . 1731. 1087
XXXXXXXXXXXXXXX
ENIGM E.
Dumoment que je viens de naître , U
L'homme devient prudent , ou du moins il doit
l'être ,
Mais qu'il est peu reconnoissant !
A peine me voit-il paroître ,
Que son desir le plus pressant ,
Est de m'étouffer en naissant ,
O temps ! ô siecle ! ô moeurs ! quelle injustice
extrême !
Il n'est dans l'Univers qu'un seul Peuple qui
m'aime ;
Tous les autres en moi condamnent la grandeur;
Qui me faisoit jadis desirer des Rois même ;
J'inspirois le respect et j'inspire l'horreur.
On prend le fer en main pour me faire la guerre ;
On me noye; on m'arrache ; on me jette par terre;
Lecteur , si de mon nom tu parois curieux ,
Mire-toi ; je suis sous tes yeux.
J
LOGOGR Y P HE.
Habite les Palais , et nâquis dans les Bois ,
Six Lettres en mon nom s'épelent en deux fois.
Je présente d'abord une malpropre bête ;
Mais de mon corps entier si vous ôtez la tête ,
On peut par mon secours se passer de tonneau.
E Etant
1088 MERCURE DE FRANCE
Etant en cet état tranchez mon chef nouveau ,
Deux Notes de Musique aussi- tôt je présente.
Par cinq , deux , trois , et six , les méchans j'épouvante
;
Par un , deux , cinq et quatre , on évite nauffrage;
Quatre et deux,tro is et cinq, est des Massons l'ouvrage
;
Trois , six , cinq , est l'effet de la corruption .
Un , six , quatre , a souvent causé confusion .
De mon chef abatu , le cinq prenant la place ,
Il faut me suivre alors , mais le choix embarasse.
Mettez cinq , deux et quatre , au milieu du festin ;
Prenez un , deux et quatre , emplissez - le de vin ;
Je contiens Fleuve , Ville , et ce qui la rend close.
Avec un , six et trois , je serois peu de chose ;
Cinq , trois et quatre , agite un certain animal .
Mon corps entier tombant , peut guerir de tout
mal.
La Motte:
J
AUTRE LOGOGRYPHE.
' Ai dix lettres en tout ; laissez les dix entieres,
Mon origine est Grecque, ou du moins on le dit ,
Chez Mercure j'ai du crédit.
Retranchez mes quatre premieres ,
Lecteur prends garde à toi , si tu n'es aux aguets,
Je te tiens sous ma griffe, à l'ortographe près.
NOUM
A Y. 1731. 1089
の
NOUVELLES LITTERAIRES
1
DES BEAUX ARTS , & c.
B contient les Livres pour apprendre le
IBLIOTHEQUE GRAMMATICALE , qui
Latin sans le secours d'aucun Maître . Par
M. de Vallange. A Paris , Quai des Augustins
, chez Antoine Gandouin , 1731 .
brochure de 24 pag. in - 12.
Les petits volumes énoncez dans ce
Titre , contiennent.
1. Alphabet symbolique , ou la dénomination
des Lettres , par des Figures natu →
relles , propres à divertir les enfans.
2. Usage de l'Oribolexie , ou l'Art qui
enseigne à lire le Latin par régles et par
principes.
3 Ortholexie Latine , ou l'Art qui en>
seigne à lirole Latin par régles et par principes.
4. Ortholexie Françoise ou l'Art qui
enseigne à lire le François , par régles et
par principes.
5. Ortholexie Latine , génerale et universelle
, qui comprend la Méthode qui
enseigne le Latin en peu de tems , sans le
E ij secours
1092 MERCURE DE FRANCE
XIV. du mois d'Avril 1669. mise en
Conférence avec les anciennes Ordonnances
, Edits , Déclarations , Arrêts
Réglemens et autres Jugemens rendus
sur le fait des Chasses , où l'on a joint les
Notes des meilleurs Auteurs , et de nouvelles
Remarques pour l'intelligence de
cette Jurisprudence . Nouvelle édition
augmentée. Chez les mêmes . 2 vol . in- 12 .
prix , 5 liv.
LES CURIOSITEZ DE PARIS , de Versailles
, de Marly , de Vincennes , de Saint
Cloud et des environs , avec les Antiquitez
justes et précises sur chaque sujet , et
les adresses pour trouver facilement tout
ce qu'ils renferment d'agréable et d'utile.
Ouvrage enrichi d'un grand nombre de
Figures en taille- douce. Chez les mêmes
3 vol. in- 12, prix , 9. liv.
•
RELATION HISTORIQUE , exacte et détaillée
de la derniere Révolution arrivée
à CONSTANTINOPLE , écrite d'abord en
Turc par un Effendi , avec plusieurs circonstances
de ce grand évenement , tirées
d'autres Mémoires , avec une Lettre du
P. S. sur les differentes Pêches qui se font
en Egypte , un Mémoire sur les Villes de
la Mecque et de Medine , &c. A Paris ,
ruë
M A - Y. 1731 . 1093
ruë S. Jacques , Quai de Conti , et au P.-
lais , chez Cavelier , veuve Pissat et Neuilly
, 1731. in- 12. prix , 24 sols .
ESSAI SUR L'ESPRIT , ses divers caracteres
et ses differentes opérations , divisé
en six Discours , &c . A Paris , chez Cailleau
, Place du Pont S. Michel , à côté du
Quai des Augustins , à S. André , 1731 .
Quelques personnes nous ayant priés
de donner une idée de cet Ouvrage , nous
n'avons pû le refuser. Il est divisé en six
Discours , comme le titre le porte. Le premier
Discours traite de la nature du veritable
Esprit. Le second , des causes de la
fausseté de l'Esprit. Le troisième , du bel
Esprit. Le quatrième , roule sur le bon
Esprit , consideré métaphysiquement. Le
cinquiéine , sur le bon Esprit , consideré
.comme vertu civile . Le sixième , enfin ,
traite de l'Esprit superficiel.
L'Auteur examinant dans le premier
Discours la nature du veritable Esprit ,
le prend dans le sens ordinaire de la conversation
, et le définit. Le talent de
pense
juste , et de s'exprimer de même. L'Auteur
trouve cette définition triomphante par sa
briéveté : deux mots l'expédient ; ce sont ses
termes par sa clarté ; car , dit-il , qui ne
sçait , au moins en géneral , ce que c'est
E iiij que
1094 MERCURE DE FRANCE
›
que penser juste? Le reste du Discours est
employé à prouver et à étendre la définition
de l'Esprit. L'Auteur tâche d'y prouver
d'abord qu'il est un talent. Ensuite
il définit ce que c'est que penser juste .
Penser , selon lui , c'est avoir des idées , des
Tableaux d'un Sujet. De là l'Auteur s'attache
à faire voir que la justesse de l'expression
est aussi nécessairement un car
ractere du veritable Esprit. L'ambiguité
ou l'obscurité avec laquelle on expose un
Sujet , est , comme il le remarque trèsbien
, une preuve certaine de la confusion
des pensées ; on trouve quelques
exemples de cette régle dans ces mêmes
Discours. Les expressions pour être justes
doivent être propres au Sujet que l'on traite ,.
vives , nobles , et élevées.
Dans le second Discours , l'Auteur définit
l'Esprit faux. C'est , dit -il , celui qui
a des idées opposées à l'essence de son Sujet.
Pour soutenir cette définition , il s'applique
à
prouver 1 ° . que nous avons plusieurs
idées d'une même chose : en second
lieu , que ces idées , que ces Tableaux ne
sont pas tous justes. Il entend par idées
justes celles qui embrassant leur sujet en entier
l'expriment parfaitement. Après quetques
écarts sur la Logique et là Rhetori
que , l'Auteur passe aux causes du faux
Esprit
MAY. 1731 .
1095
,
Esprit , qui sont , selon lui ,
,
selon lui , l'ignorance
La multiplicité des idées , la distraction , l'envie
de briller et de dire des choses que les autres
ne disent
pas
la contradiction , le préjugé
et le goût , enfin , l'authorité et l'exemple.
Le Lecteur remarquera qu'il y a
quelques-unes de ces causes du faux Esprit
qui en sont plutôt de veritables effets
, comme la distraction , l'envie de dire
des choses neuves , la contradiction . Nous
n'accorderons pas à cet Auteur que la
multiplicité des idées ou Tableaux d'un
même Sujet soit une cause du faux Esprit
: autrement , plus nous aurions d'idées
représentatives d'un objet , plus notre
esprit seroit susceptible de fausseté
ce qui est contre l'expérience et la raison
qui nous apprennent que la multiplicité
des Tableaux d'un même être ne sert qu'à
nous le representer plus parfaitement .
Mais ce qui est très - singulier , et que l'an
ne peut passer à l'Auteur , c'est qu'il apporte
ici pour cause du faux Esprit , ce
qu'il apporte dans le troisiéme Discours ,
comme un caractere du bel Esprit .
و
Pour définir ce que c'est que le bel Esprit
qui fait le sujet du troisiéme Discours
, l'Auteur examine ce que c'est que
nous appellons beau. Il le considere 1º.
en lui - même . 2 ° . Dans nos jugemens ,
+
E v 3
1096 MERCURE DE FRANCE
3. dans ses espéces. 4° . dans ses parties .
5 °. enfin dans ses degrez. Il applique ensuite
toutes ces notions du beau à l'Esprit
, et le regarde sous les mêmes points
de vûë. Delà il passe aux caracteres du
bel Esprit la netteté des idées , leur élévation
, leur multiplicité , ce qui est remarquable
, et leur étenduë ; le nombre et la
beauté des connoissances : enfin , Pintelligence
parfaite des Langues , et particulierement
de celle dans laquelle on parle on on
écrit.
:
que
Le quatriéme Discours roule sur le bon
Esprit consideré métaphysiquement , c'està-
dire , comme distingué seulement , et
non opposé au bel Esprit . L'Esprit regardé
de ce côté-là , est , dit l'Auteur , la
raison même la refléxion et l'étude ont
éclairée, et qui par- là juge sainement des objets
qui se présentent. Il examine sa définition
par parties , ce qui l'engage à faire
une digression sur les préjugez qu'il définit
ainsi. Les Préjugez sont des opinions
particulieres que nous avons sur les Sujets
qui se proposent , et qui ne sont appuyés que
sur des notions ou vagues on obscures , ou imparfaites
on fausses. Après avoir examiné
la cause des préjugez , qu'il dit être la paresse
dans les jugemens simples et absolus
, et la précipitation dans les jugemens
de
MAY. 1731. 1097
de comparaison , l'Auteur passe aux effets
des préjugez qu'il développe , et sur lesquels
il s'étend beaucoup . Il revient ensuite
au bon Esprit , dont il considere le
principe ou la cause , les productions et
les effets : enfin , les moyens qui servent
à l'entretenir et à l'étendre .
Le bon Esprit qui avoit été consideré
métaphysiquement dans le quatriéme
Discours , est regardé dans le cinquième
comme une vertu civile. Le bon Esprit
dit-il , est cette heureuse disposition , qui
dans toutes les occasions de la vie nous
fait prendre le parti de la sagesse et de la
raison. L'Auteur entre ensuite dans le détail
des avantages et des effets du bon Esprit
, soit dans la societé civile , soit dans
la societé domestique .
L'Esprit superficiel qui est la matiere
du dernier Discours , est , dit l'Auteur
celui qui n'ayant que les premieres idées d'un
Sujet , n'en embrasse, et n'en peut exprimer
que l'écorce . Le seul remede que l'on puisse
apporter pour se guérir de cet esprit
superficiel est le travail , qui entraîne avec
lui beaucoup de tems , et de difficultez ,
soit par la disposition de notre esprit , soit
par l'ignorance des qualitez du Sujet , sur
lequel l'esprit s'exerce , soit P'incertitude
du succès : mais il faut une applica-
E vj
par
tion
1098 MERCURE DE FRANCE
tion perseverante dans son travail , pour
ne pas perdre en un tems ce qu'on à acquis
avec peine dans un autre. L'Auteur
finit en proposant des moyens pour se
précautionner contre l'oubli de ce qu'on
a appris. Le stile de cet Ouvrage fait assez
connoître que l'Auteur est comme il
en avertit dans sa Préface ) d'un âge qui
ouvre naturellement une assez vaste carriere
aux refléxions et au travail.
,
DISCOURS SUR LA COMEDIE , ou Traité
Historique et Dogmatique des Jeux de
Théatre , et autres Divertissemens Comiques
, soufferts ou condamnez depuis le
premier siécle de l'Eglise jusqu'à présent ,
avec un Discours sur les Piéces de Théatre
tirées de l'Ecriture - Sainte . in- 12.
360. pages , sans les Préfaces et la Table
des Matieres. Seconde édition , augmentée
de plus de la moitié . Par le R. P. Le Brun ,
Prêtre de l'Oratoire . A Paris , chez la
veuve Delaune , rae S. Jacques , à l'Empereur
, 1731. in- 12 . de 360 pages , sans
P'Epitre , la Préface et les Tables.
Ĉer Ouvrage avoit déja paru anonime
en 1694. sous ce titre : Discours sur la Comédie
, où l'on voit la Réponse au Théologien
qui la défend , avec l'Histoire du Théatre
, et les sentimens des Docteurs de l'Eglise
MAY. 1731. 1099
se , depuis le premier siécle jusqu'à présent .
C'étoient deux Discours prononcez par
le P. le Brun , au Seminaire de S. Magloire
, le 26 Avril , le 3 et le 7 Mai 1694.
par ordre de M. De Harlay , Archevêque
de Paris , à l'occasion de la Lettre du
P. Caffaro , qui parût à la tête du Théatre
de M. Boursault. Mais quoique le Public
eut bien reçû l'Ouvrage du Pere le
Brun , ce sçavant homme , peu content
de cette ébauche,pensa dès -lors à le perfectionner.
A mesure qu'il étudioit l'Antiquité
Ecclesiastique , il ramassoit ce qui
avoit quelque rapport aux Jeux de Theatre.
C'est ce qui a produit le Traité qu'on
donne aujourd'hui , à l'exception du premier
Discours , où il y a peu d'additions ;
les autres peuvent passer pour entierement
nouveaux par les augmentations considérables
dont ils sont enrichis , l'Auteur
ayant recueilli avec soin ce qu'il a trouvé
depuis Auguste jusqu'à Justinien . L'Editeur
nous apprend qu'il a lui- même inseré
quelques faits que le P. le Brun avoit
oublié , et qu'il a extrait tout ce qui se
trouve contre les divertissemens Comi
dans le Recueil de Rituels et de Statuts
Synodaux , que M. De Launoy a laissé
aux P P. Minimes de la Place Royale.
Le troisiéme Discours , sur les Piéces de
ques
Théa
1100 MERCURE DE FRANCE
Théatre tirées de l'Ecriture , n'avoit point
paru dans la premiere édition , ayant été
prononcé un an après. Il ne contribuë pas
à enrichir celle ci . Donnons une idée
de chacune des parties de cet Ouvrage
en exposant le plan que l'Editeur a
peu
suivi.
>
Après une Préface où l'Editeur rend
compte de plusieurs circonstances nécessaires
à l'intelligence de cet Ouvrage , on
trouve la rétractation que le P. Caffaro
fît de sa Lettre en faveur de la Comédie .
et qu'il envoya à M. De Harlay , dattéc
du 11 Mai 1694. et imprimée à Paris
dans la même année . Comme cette Piéce
est peu connue , et que d'ailleurs l'Ouvrage
du P. Caffaro a fait beaucoup de
bruit , il paroissoit avantageux à la République
des Lettres , et à la mémoire de ce
Theologien , de faire connoître par cette
rétractation et ce désaveu , le mépris qu'il
faisoit lui-même de cet Ouvrage. Et c'est
ce que l'Editeur a fait en la donnant ici
enLatin et enFrançois . Il y a joint une Lettre
du P. le Brun du 20 Mai 1694. dans
laquelle il marque à un de ses amis le
peu d'empressement qu'il avoit à faire
imprimer ses Discours , et où il parle de
la rétractation du P. Caffaro comme d'u
ne Piéce qui le remplit de consolation .
A
M.A Y.
1731 . 1101
l'EA
la suite de cette Letrre est une seconde
Préface , où l'on examine s'il faut , ou
que l'on ferme les Théatres , ouou que
glise cesse de condamner ceux qui les fréquentent
; car tel a été le but du P. le
Brun dans ses Discours de justifier la conduite
de l'Eglise en excommuniant les
Comédiens , et en tolérant ceux qui assistent
aux Spectacles. On y représente le
Théatre comme l'Ecole de l'impureté , la
nourriture des passions , l'assemblage des
ruses du Démon pour les réveiller , où les
yeux sont environnez d'objets séducteurs , les
oreilles ouvertes à des discours souvent obscenes
et toujours prophanes , qui infectent le
coeur et l'esprit.
Cette Préface commence ainsi : Il paroît
bizarre , que dans un Etat Chrétien , on
prêche et on écrive contre la Comédie , qu'on
déclare excommuniez ceux qui font profession
de monter sur le Théatre , et qu'unefoule
de Chrétiens ne laissent pas de s'assembler
presque tous les jours pour applaudir à ces
Excommuniez , & c. Elle est suivie de deux
Discours. Dans le premier , le P. le Brun
s'attache plus particulierement à répondre
à la Lettre du Theologien , défenseur
de la Comédie. Nous souhaitterions que
les bornes d'un Extrait nous permissent
de rapporter ici quelques traits qui fassent
1102 MERCURE DE FRANCE
sent connoître la solidité de cette réfutation.
Nous renvoyons au Livre même , où
le Lecteur verra avec plaisir le Theologien
, défenseur de la Comédie , refuté
en plusieurs endroits par ses propres paroles.
Le second Discours a six parties . Les
trois premieres comprennent l'Histoire
des Jeux de Théatre et autres Divertissemens
Comiques , soufferts ou condamnez
depuis Auguste jusqu'à l'extinction de
l'idolâtrie , au commencement du sixiéme
siècle. La quatriéme comprend le jugement
que les Auteurs , tant sacrés que
profanes ont porté sur les Spectacles , depuis
Auguste jusqu'à Justinien . La cinquiéme
Partie reprend l'Histoire des Jeux
de Théatre à l'extinction de l'idolâtrie , et
la continue jusqu'à la naissance des Scolastiques
; et la derniere comprend l'Histoire
des Jeux de Théatre , depuis les Scholastiques
, c'est-à- dire , depuis le milieu
du XIII . siécle jusqu'à nous.
Le second Discours est suivi d'une Lettre
, où le P. le Brun répond à quelques
difficultez qu'on lui avoit proposées . On
trouve ensuite le troisiéme Discours que
le P. le Brun prononça à S. Magloire en
1695. à l'occasion de la Judith de M. Boyer
de l'Académie Françoise. Il y examine s'il
F
MAY, 1731
1103
y a lieu d'approuver que les Piéces de
Théatre soient tirées de l'Ecriture Sainte.
Ce Discours est divisé en deux parties.
Dans la premiere , le P. le Brun fait voir
que l'Ecriture ne peut paroître sur le
Théatre sans être défigurée et alterée considerablement.
La seconde est employée
à prouver , que quand on feroit quelque
Tragédie où l'Ecriture - Sainte seroit conservée
dans toute sa force et toute sa pureté
, le Théatre des Comédiens ne seroit
point le lieu de les représenter.
,
L'Editeur a placé après ce Discours un
Mandement de M. Fléchier , Evêque de
Nismes , contre les Spectacles , adressé
aux Fideles de son Diocèse le 8 Septembre
1758. On trouve à la fin une Table
Alphabétique des Matieres contenues dans
cer Ouvrage.
On ne peut témoigner à l'Editeur trop
de reconnoissance du soin qu'il a bien
voulu prendre de réunir et de ramasser
des morceaux si précieux. Il est certain
que nous n'avons point encote vû d'ouvrage
plus complet et plus curieux sur
cette matiere ; et on peut dire qu'il fait
honneur à son Auteur , et qu'il répond
parfaitement à la réputation qu'il s'est acquise
d'ailleurs. Nous ne pouvons nous
empêcher de dire en passant que le P. le
Brun
1104 MERCURE DE FRANCE
Brun a refuté par avance le Discours d'un
Auteur récent , défenseur de la Comédie ,
dont nous avons parlé le mois passé. Cet
Auteur qui s'étoit proposé de réfuter
M. le Prince de Conty , M. Bossuet et
M. Nicole , ne les a frappez par aucuns
endroits ; et on remarque qu'il n'a fait ,
pour ainsi dire , que réchauffer et étendre
les raisons du Théologien Apologiste du
Theatre .
L'Editeur avertit le Public dans sa
Préfice qu'il a réservé l'Eloge Historique
du P. le Brun pour un autre Ouvrage du
même Auteur , qui est actuellement sous
presse , et qui a pour titre : Traité du discernement
des effets naturels d'avec ceux qui
ne le sont pas , avec l'Histoire critique des
pratiques superstitieuses qui ont séduit les
Peuples , et qui embarrassent les Sçavans.
Il ajoute qu'outre des augmentations considerables
l'Auteur a refondu entierement
son Ouvrage , et l'a rendu plus . méthodique.
Mais nos Lecteurs ne seroient peut- être
pas contens , si après avoir piqué leur
curiosité sur ce que cet Ouvrage contient
de singulier et de recherché , nous n'entrions
dans quelque détail . Pour les satisfaire
nous allons donner un peu plus
d'étendue à cet Extrait.
›
Dans
>
MAY. 1731. 1105
Dans la premiere partie de l'Histoire
des Jeux de Théatre , l'Auteur remarque
qu'on en vît de très- superbes sous Auguste.
Ce grand Prince les aimoit avec passion
, dit-il , et surtout assûre qu'il ne
dissimuloit pas cette foiblesse. Il inventa
lui- même des Jeux. Pausanias rapporte
au Livre VIII. qu'Auguste fut l'Auteur
de la Danse des Pantomimes , et M. de
Pontac dans les Notes sur la Chronique
d'Eusebe , dit que c'étoit là les Jeux Augustaux
, Ludi Augustales. Cet Empereur
établit quelques Loix touchant les Spectacles.
Il défendit aux jeunes gens de l'un
et de l'autre sexe d'aller à ceux qui se faisoient
la nuit , à moins que de proches
parens âgez ne les y menassent , et il empêcha
que les femmes assistassent jamais
aux Jeux des Athlétes , parce qu'ils combattoient
ordinairement nuds.
A l'égard des Comédiens , il leur prescrivit
des régles , et leur laissa une liberté
dont il ne souffrit pas qu'ils abusassent.
Dès qu'il sçut qu'un Acteur , nommé Stephanion
, avoit pour serviteur une femme
déguisée en garçon , il le fit foüetter par
les trois Théatres de la Ville , et le bannit.
Il ne désaprouvoit pas qu'on siflat les
Acteurs , car il en bannit un de Rome et
de toute l'Italie , pour avoir osé montrer
au
1106 MERCURE DE FRANCE
au doigt un des Spectateurs qui le sifloit,
et on sifloit souvent pour une seule faute
contre la cadence ou contre la quantité.
Quoique Néron ne s'appliquât presque
jamais à mettre l'ordre en aucun endroit,
il se trouva pourtant obligé de chasser
d'Italie tous les Histrions,après leur avoir
donné trop de liberté; mais il voulut aller
lui-même faire le Comédien et le Chantre
dans plusieurs Villes de la Grece, pour
faire paroitre sa belle voix . Il commença
par Naples , qui étoit une Ville Grecque ;
et revenant à Rome , il voulut se montrer
au Théatre. Le Senat , pour éviter l'infamie
dont il s'alloit flétrir , s'il étoit vû sur
la Scene , lui décerna le prix de Musique,
et celui d'Eloquence avant le commencement
des Jeux ; mais Néron prétendoit
l'emporter par son merite , et non pas par
la faveur du Sénat . Il monta donc sur la
Scene , où il récita un Poëme , après quoi
il joüa de la Lyre , obéït à toutes les loix
du Theatre , comme de ne se reposer , de
ne cracher , ni se moucher durant toute
Paction , fléchit un genou et salua l'Assemblée
, en attendant la Sentence des
Juges . Le Peuple , et sur tout les Etrangers
rougirent pour lui d'une telle infamie.
Vespasien témoigna de l'horreur pour
les
MAY. 1731 . 1107
les Jeux des Gladiateurs. Il se plut à ceux
du Théatre , et de son tems les Pantomimes
étoient si fort à la mode , qu'on en
avoit aux funérailles , pour leur faire représenter
les actions de celui qu'on enterroit.
Domitien deffendit aux Danseurs et
Pantomimes de monter sur le Theatre.
Nerva les rétablit . Trajan les supprima
encore , mais on ne sçait pas s'ils furent
bannis des Théatres d'Orient ; on voit
seulement que cet Empereur fit bâtir un
Théatre à Antioche. Cette malheureuse
Ville , si passionnée pour les Spectacles ,
étoit souvent punie par les tremblemens
de terre qui la renversoient presque entierement.
Elle en souffrit un terrible sous
Trajan . En faisant rétablir la Ville , ce
Prince fit aussi rétablir les Théatres.
Adrien batit aussi un grand Théatre aurès
d'Antioche , à la Fontaine de Daphné.
Il avoit fait à cette Fontaine un grand Reservoir
d'eau, qu'on pouvoit voir du Théatre
; et il mit plusieurs Statues en l'honneur
des Naïades , c'est -à- dire des Nimphes
on Déesses de l'eau . Ce fut à ce Réservoir
que l'on s'avisa de faire nager des
femmes pour représenter les Naïades ; ce
que S. Chrysostome condamna avec tant
de zele et d'éloquence ,
HelioT108
MERCURE DE FRANCE
> Heliogabale fit lui - même le Comédien
et ne craignit pas de représenter des fables
avec des nuditez et des peintures deshonêtes
.Il honora les Comédiens, leur donna
des habits de soye , et en choisit un pour
être Prefet du Prétoire.
Alexandre Severe ôta aux Comédiens
les robes précieuses , et ne leur donna ni
or ni argent , mais tout au plus quelques
pieces de monnoye de cuivre. Ce Prince
ne souffrit jamais les divertissemens Sceniques
à sa table. Il aimoit pourtant les
Spectacles , mais sans y faire des largesses ;
il vouloit qu'on traitat toujours comme
des esclaves les Comédiens , et tous ceux
qui servoient aux plaisirs publics.
Les Comédiens eurent un puissant Protecteur
vers la fin du troisiéme siecle , dans
la personne de l'Empereur Carin , etc . Son
regne se distingua par la pompe avec laquelle
il celebra les Jeux Romains . Il y
avoit cent Joueurs de Flute qui s'accordoient
, autant de Sonneurs de Cors , cent
Chantres qui dansoient en même-tems
autant de personnes qui frapoient sur des
Cymbales ,mille Pantomimes et autant de
Luteurs . Le feu ayant pris à une toile
qu'il avoit fait tendre , consuma le Théatre,
que Diocletien fit ensuite rebâtir avec
plus de magnificence. Carin avoit fait venir
MAY. 1731. 1109
nir des Comédiens de tous côtés . Ceux qui
avoient travaillé aux décorations , les Luteurs
, les Histrions , et les Musiciens eurent
en present de l'or et de l'argent , et
des habits de soye .
Ce fut sous l'Empereur Maxime que
Gelasin , Comédien , fut martyrisé à Héliopolis
dans Phénicie . Il s'étoit jetté dans
un bain d'eau tiéde , pour tourner en ridicule
le Baptême des Chrétiens ; au sortir
du bain , il parut habillé de blanc. Alors
il refusa de faire le Comédien ; et adressant
la parole à tout le peuple , il s'écria
qu'il étoit Chrétien , qu'il avoit vu dans
ce bain la redoutable Majesté de Dieu , et
qu'il mourroit Chrétien . Tous les Spectateurs
saisis de fureur , monterent sur le
Théatre , et ayant pris Gelasin , ils le lapiderent.
Nous pourrons donner un second Extrait
de cet Ouvrage, pour ce qui regarde le Theatre
François.
ALCIBIADE , Comédie en trois Actes
, par M. Poisson . A Paris , chez Fr. le
Breton, au bout du Pont- Neuf, près la ruë de
Guenegaud , 1731. in 12. de 80 pages.
Cette Piece est tirée des Amours des
Grands Hommes de Madame de Ville-Dieu :
l'Auteur le dit dans un petit Avertissement,
1110 MERCURE DE FRANCE
ment , et il ajoute qu'il n'a cru en pouvoir
conserver les graces , qu'en conservant la simplicité
du Roman , et en mettant en vers les
pensées et souvent même la Prose de Madame
de Ville- Dieu . M. Poisson n'est pas
moins modeste , en parlant des applaudissemens
donnez à sa Picce. Je me ferois scrupule
, dit- il , d'en tirer aucun avantage ; je
sçai qu'ils ne sont dûs qu'aux beautez de l'original
, et aux talens des Acteurs qui l'ont
representée.
ACTEURS.
Alcibiade , Seigneur
Athénien . Le sieur Dufresne.
Socrate , Philosophe.
Le sieur
Quinault.
Mirto femme de Socrate. La De la Mothe.
Aglaunice, Astrologue.
La Dle Dubreuil.
Timandre , jeune Phrigienne.
La Die Dufresne.
Cephise , Confidente de
Timandre. La De Quinault.
Amicles , Confident
d'Alcibiade. Le sieur Poisson.
Esclaves.
LA SCENE est dans un Bois , près d'Athènes.
ACTE I.
Socrate demande d'abord des nouvelles
à
MA Y. 1731. IIII
à l'Astrologue Aglaunice , de Timandre ,
jeune Phrygienne , dont il est amoureux ;
il lui fait un mystere de cet amour qu'il
doit cacher , d'autant plus que Mirto sa
femme est encore en vie ; il lui fait entendre
que c'est un dépôt précieux qu'un de
ses meilleurs amis lui mit entre les mains
en expirant. Aglaunice lui dit qu'elle a
chargé une Esclave du soin de Timandre ;
elle ajoute que cette Esclave lui a paru
d'autant plus digne de sa confiance , que
son esprit est naturel et sans art . Socrate
témoigne qu'il approuve ce choix , par
ces deux Vers :
Vous avez fort bien fait ; une compagne habile
D'une fille souvent rend la garde inutile.
L'approche d'un voyageur inconnu, les
oblige à se retirer.
Amicles Esclave et Confident d'Alcibia
de , paroît seul ; il ne sçait que penser du
dessein d'Alcibiade , qu'un désir curieux
a porté à se travestir en Phrigien , pour
venir chercher dans ce bois une certaine
Timandre , dont on lui a vanté les appas.
Voici le portrait qu'il fait d'Alcibiade :
Il n'en démordra point , je connois son humeur,
Dans l'espoir de brûler d'une nouvelle ardeur ,
F Quel#
112 MERCURE DE FRANCE
Quelque soit une belle , en un mot , brune ou
blonde ,
Il iroit pour la voir, jusques au bout du monde
etc.
A ses bouillants transports , il ose tout permettre
;
Et parce qu'il est jeune et né pour commander ›
Ce n'est qu'à ses désirs qu'il croit qu'il faut ceder.
Alcibiade vient joindre Amicles ; il lui
explique le sujet de son expédition amoureuse
, qu'il attribue à une simple curiosité
de jeune homme ; il acheve de faire
son portrait, tel que l'Histoire l'a transmis
jusqu'à nous.Voici comment il s'explique:
D'ailleurs regarde- t- on le rang dans une belle ?
C'est la beauté qui frappe , et l'on fait tout pour
'elle.
L'amour dans les douceurs de sa félicité ,
N'a pas besoin du rang ni de la dignité ;
Qu'un tel objet soit né dans le plus simple étage,
Il est charmant , il plaît ; en faut-il davantage
Je puis te dire encore , pour mieux m'ouvrir à
toy ,
Qu'il n'est point de plaisir plus charmant , selon
moy ,
Que celui d'exciter dans un coeur jeune et tendre,
Ces premiers mouvemens qu'il ne sçauroit com
prendre ,
Ces
MAY. 1731. 1113
Ces désordres secrets , ces désirs inconnus
Par la crainte chassés , par l'amour reteaus ,
Et qui font attaquer avec plus de paissance ,
Toute cette pudeur que donne l'innocence,
L'approche de Socrate et de sa femme ,
oblige Alcibiade et Amicles à se retirer.
Mirto fait des reproches à Socrate qui
marquent cette humeur acariâtre, qui , au
rapport de l'Histoire ,a donné tant d'exercice
à la Philosophie de son Epoux . Elle
trouve fort mauvais qu'il prenne soin de
l'éducation d'une jeune fille , plus propre
à être sa Maîtresse que son Ecoliere. Socrate
se justifie autant qu'il lui est possible
; elle n'en est pas radoucie,et le quitte
brusquement , en lui disant :
J'en ai , pour mon malheur , des preuves trop
certaines ,
Et j'en vais de ce pas instruire tout Athénes.
Alcibiade aborde Socrate et l'embarasse
par sa présence ; il le raille pendant tout
Teur entretien , et le fait trembler au seul
nom de Timandre , qu'il prononce malicieusement.
Socrate quitte Alcibiade et
prétexte son départ sur ces deux vers :
Fij J'aime
114 MERCURE DE FRANCE
J'aimerais à rester dans ces endroits rustiques ,
Mais je dois satisfaire à mes leçons publiques .
Alcibiade ne démord point de sa poursuite
amoureuse , commeAmicles l'a prévu
dès le commencement de cet Acte , qu'il
termine par ces vers :
Cette Timandre est belle ; il n'en faut point dou
ter ;
Pour la voir , Amicles , je prétends tout tenter.
Dans Athénes rentrons sans tarder davanrage ;
Je ne veux point donner à Socrate d'ombrage ,
Et dans l'espoir flateur dont je suis agité ,
Sui-moi , je te dirai ce que j'ai projetté.
Timandre ouvre la Scene du second Acte
avec Cephise , qui n'est rien moins que
cet esprit sans art , dont Aglaunice a flatté
Socrate ; elle va d'abord au fait et propose
à Timandre pour premier coup d'essai ,
d'aller courir le monde pour y chercher
de jolis hommes ; elle demande à Timandre
si elle n'a jamais aimé. Timandre lui
confesse ingénûment , qu'elle a vû chez
Socrate un jeune Athénien qui lui parût
tres-aimable.
Aglaunice interrompt cette tendre conversation
,pour venir faire un superbe étar
Jage de son Astrologie; elle chasse Timandre
MAY. 1731 .
irrs
dre et Cephise comme des profanes.
La premiere vûë d'Alcibiade enflamme
Aglaunice comme il lui demande des
nouvelles de Timandre , qu'il dit n'avoir
jamais vûë ; Aglaunice pour profiter de
sa prévention , se donne elle - même pour
cette Timandre , qu'il cherche avec tant
d'ardeur ; Alcibiade étonné de trouver un
objet si défectueux et si contraire aux perfections
qu'on lui avoit fait attendre dans
la personne de Timandre , ne songe plus
qu'à s'en retourner à Athénes. Aglaunice
n'oublie rien pour le retenir ; elle lui
vante sa science. Alcibiade lui en demande
une preuve , et veut sçavoir d'elle ce
que fait actuellement un de ses amis , qui
s'appelle Alcibiade. Aglaunice, après avoir
consulté ses Ephémérides , lui dit hardiment
qu'Alcibiade est presentement en
rendez - vous avec la plus belle femme
d'Athénes. Alcibiade ne peut s'empêcher
d'éclater de rire , et se dispose à partir
pour Athénes.
Aglaunice surprise , lui dit :
Mais quoi vous n'avez donc rien à dire à Ti
mandre ?
Socrate lui répond :
Fiij Ah !
1116 MERCURE DE FRANCE.
Ah ! ma foy , non . Avant que m'offrir à ses yeux ,
Elle seule occupoit mon esprit en ces lieux ;
Et j'avois , il est vrai , cent choses à lui dire ;
Mais j'ai tout oublié , Madame , et me retire.
Aglaunice ne sçait que penser de la
brusque retraite d'Alcibiade , qu'elle ne
connoît point en core . Socrate vient lui
apprendre que c'est à Alcibiade même à
qui elle vient de parler. Aglaunice n'est
pas long- tems à se remettre de sa surprise.
Elle dit à Socrate qu'elle a prudemment
donné le change à Alcibiade , en lui faisant
accroire qu'elle étoit elle- même cette
Timandre qu'il cherchoit avec tant d'empressement.
Socrate s'étant retiré , Aglaunice refléchit
sur le mauvais accueil qu'Alcibiade
lui a fait ; mais elle ne désespere pas de
s'en faire aimer , fondée sur la profondeur
et l'infaillibilité de sa science.
Comme le dernier Acte est le plus chargé
d'action , nous avons crû qu'on nous
dispenseroit d'en donner un détail qui
grossiroit trop cet Extrait ; nous y supplérons
par une espece d'argument : le
voici de la maniere la plus succincte qu'il
nous a été possible.
Timandre apprend à Cephife que ce Cavalier
qu'elles viennent de voir, est ce même
MAY. 1731. Itty
à
me inconnu dont elle lui a parlé , et qui
lui est apparu autrefois avec tant d'avantage
chez Socrate.Cephise soupçonne que
c'est Alcibiade , parce qu'elle a entendu
plusieurs fois prononcer ce nom à Aglaunice,
d'une maniere à lui persuader qu'elle
en est amoureuse . Elle conseille à Timandre
de faire tenir un Billet de sa part
l'objet de son amour. Timandre n'y consent
pas ; mais la maniere dont la fin de
cette Scene est traitée , prépare les Spectateurs
aux effets que ce Billet produit quelque
temps après. En effet il est aporté à
Alcibiade , et mal reçu de lui, parce qu'il
le croit de la fausse Timandre , qui vient
de lui en envoyer un , dont il a fait fi peu
de cas qu'il l'a jetté par terre. Cephise
qui vient lui apporter le Billet de la veritable
, picquée du mauvais accueil qu'il
lui fait,lui répond d'une maniere à le faire
réfléchir ; il ne doute point que celle qui
s'est donnée pour Timandre ne lui en ait
imposé ; il est au désespoir d'avoir refusé
le second Billet. Il ordonne à Amicles de
se travestir , pour tâcher de donner à la
véritable Timandre un Billet qu'il va écrire,
pour lui faire entendre que le mauvais
accueil qu'il a fait à sa Messagere n'est
qu'un effet de son erreur . Ce projet s'exécute
; Amicles se déguise en Marchand
Fiiij Etran18
MERCURE DE FRANCE
•
Etranger. Timandre picquée contre Alcibiadé
, refuse avec fierté la lettre qu'A- micles
veut lui rendre de sa part. Alcibiade
impatient , arrive lui- même ; on s'éclaircit
: Il ne s'agit plus que d'amour d'une et
d'autre part. Socrate arrive ; il trouve Alcibiade
aux pieds de son aimable Ecoliere
; il en essuie quelques railleries qui
l'obligent à prendre son parti de bonne
grace. Aglaunice qui survient, ne soutient
pas cette aventure avec la même Philosophie.
Elle est convaincuë d'amour et d'imposture.
Alcibiade promet à Timandre de
lui faire un destin digne d'elle , par l'Hymen
qu'il lui propose et qu'elle accepte
avec beaucoup de plaisir. Socrate y consent,
et fait entendre qu'il a triomphé de
sa foiblesse.
M. Buache , Gendre de feu M. Delisle ,
premier Géographe du Roy , de l'Académie
Royale des Sciences , nommé par
l'Académie pour remplir la place d'Académicien
Géographe, créée par le Roy ,
lût à la derniere Assemblée publique de
cette Académie , un Mémoire sur la Carte
de l'Empire d'Alexandre , dressé par M.
Delisle son Beau- pere , pour l'usage de Sa
Majesté.
Il marqua en commençant que ce qui
l'avoit déterminé à choisir ce Mémoire
préférablement
MAY. 1731 . 1119
préférablement à plusieurs autres , c'étoit
non seulement l'importance des changements
faits à la Géographie des Pays.
Orientaux par M. Delisle , mais encore le
dessein qu'il avoit eu de rendre compte à
l'Académie des raisons de ces mêmes
changemens. M. Buache s'est , comme il
le dit , fait un devoir d'exécuter le projet
de son Beau-pere , duquel il remplit
la place , et de consacrer ses premiers travaux
à la gloire d'un homme, aux instructions
duquel il reconnût qu'il devoit tout
ce qu'il pouvoit sçavoir.
Quoique M. Delisle eût formé le dessein
de faire un Mémoire sur ce sujet,
comme il n'avoit encore rien écrit , M.
Buache a été obligé de rechercher dans les
Extraits et dans les Mémoires que ce sçavant
Géographe avoit laissés , quelles
avoient été les raisons sur lesquelles il s'étoit
déterminé.
Mais comme il y a dans la Géographie
un grand nombre de positions conjecturales
que l'on ne détermine presque que
par l'estime, par voye de tâtonnement , et
souvent même en mettant la derniere main
à la Carte , M.Delisle n'avoit rien écrit des
motifs qui l'avoient déterminé dans ces
occasions , et par là M. Buache n'avoit pas
trouvé tous les secours qu'il pouvoit espe
F v rer
1120 MERCURE DE FRANCE
rer dans les Mémoires de M. Delisle sur
cette partie de sa Carte qui étoit la plus
difficile , comme le sçavent ceux qui ont
quelque connoissance de la Géographie :
ainsi il a été obligé de se rapeller,et d'imaginer
quelquefois , pour ainsi dire , les.
raisons qui avoient déterminé M. Delisle
dans ces occasions.
Pour rendre plus sensibles les changements
faits par M. Delisle à la Géographie
des Pays Orientaux dans sa Carte de
l'Empire d'Alexandre , M. Buache avoit
dessiné le Plan de cet Empire suivant la
Carte de M. Moulard- Sanson , publiée en
1712 : et sur le même Plan il avoit marqué
les differents Pays,suivant le nouveau
systéme , par cette méthode déja employée
par M. Delisle , dans un mémoire lût à
l'Académie des Sciences en 1714. sur la
Carte d'Italie. On apperçoit d'un coupd'oeil
la différence des deux Cartes ; le
Meridien de Constantinople ou de Bysance
est commun à l'une et à l'autre ?
mais comme M. Moulard donnoit une
trop grande étendue aux differents pays ,.
les mêmes Provinces et les mêmes Villes
se trouvent placées deux fois avec des
longitudes differentes .
Supposant Constantinople à 26. degrés
30 minutes du Méridien de Paris , conformément
MAY. 1731. [ 121
formément aux observations , l'extré
mité de l'Epire , ou la côte de la Grece
se trouvera , selon M. Delisle, au 17. degré
de Paris , et selon M. Moulard au 14.
avec une difference de prés d'un sixième .
M. Moulard- Sanson plaçant avec Ptolomée
Constantinople au 43. degré de
latitude , et l'extrémité Méridionale du
Peloponése au 35. degré , donnoit à la
Grece 8. degrés , ' du Nord au Sud , par
les observations Constantinople étant au
41. dégrés 6. minutes , et l'Ile du Mile
à l'Orient du Cap Malée à 36. dégrés 41 .
minutes , l'intervale entre ces deux extremités
de la Grece n'est que de 4. degrés
25. minutes , ce qui fait une difference
de prés de moitié , entre la Carte de
M. Sanson et celle de M. Delisle , et une
difference de 2. degrés ou de so. lieuës
dans la latitude de Constantinople.
A mesure que l'on s'avance vers l'Orient
la différence se trouve encore plus
sensible , parceque les différences s'accu
mulants , la somme devient plus considerable.
On voit par l'inspection des deux
Cartes que la Mer Rouge sur le Plan de
M. Sanson se trouve marquée dans les
pays qui font la Terre Ferme d'Arabie
dans le Plan de M. Delisle que le Golphe
Persique est tout entier dans le Continent
F vj
de
1122 MERCURE DE FRANCE
de la Perse , et que la Mer des Indes, entre
Mascaté et Diou , occupe la place de
la Presqu'Isle de l'Inde . La Mer Caspienne
est de même toute entiere sur la Terreferme
de Tartarie . Il faut en dire autant
de la Mer Noire , qui couvre toute la
Circassie et toute la Géorgie .
Outre une Carte en très grand point ,
qui étoit exposée aux yeux de l'Assemblée ,
M. Buache en avoit fait graver une petite
qu'il distribua , et sur laquelle les marches
d'Alexandre étoient tracées. Comme l'objet
de M. Buache n'étoit point d'entrer
dans les discussions des Pays et Provinces
qui composoient les Frontieres et l'étenduë
de l'Empire d'Alexandre , il se contenta
d'indiquer les Pays où ce Prince
avoit borné ses Conquêtes. Il remarque
d'abord que , quoyqu'il eût porté ses
Armes jusques au Danube, il n'avoit point.
soumis les pays des Triballes au Midy de
ce Fleuve , il observa ensuite que l'Atique.
et le Peloponése n'obeissoient à Alexandre
que comme au Chef et au Général de.
la Nation Grecque , et non comme à leur
Souverain ; que Bysance et la Bythynie ,.
non plus que le Pont , l'Arménie , et
l'Atropatene ne furent point soumises par.
ce Prince. La Scytie au delà du Jaxartes .
conserva sa liberté , de même que les ;
Peuples
MAY. 1731. TF2F
Peuples de l'Hyrcanie , situés à la partie
Orientale de cette Mer. Les Peuples de
l'Arabie , ausquels Alexandre alloit déclarer
la Guerre lorsqu'il mourût , conserverent
leur liberté.
Les preuves rapportées par M. Buache
de la veritable position de ces differents
Pays , sont les Observations Astronomi
ques faites à Constantinople , à Smyrne ,
à Candie , à Rhodes , à Alexandrette et
à Alexandrie d'Egypte par les Astronomes
François , enfin celle qui fut faite par
le P. Grueber à Agra et à Dely sur le Gemené
, Riviere qui tombe dans le Gange
, et dont le résultat est conforme aux
diverses Observations faites à Goa , et en
differents lieux de la Presqu'Isle de l'Inde.
et par les Observateurs François et Anglois..
Comme ces observations donnent seu-
Tement la Position des extrémités de l'Em--
pire d'Alexandre , et que d'Alexandrie à
Agra nous n'avons aucunes observations .
modernes , M. Buache ayant remarqué
que M. Delisle s'étoit servi de celles des
Astronomes Orientaux , montra que ces .
observations étoient assés exactes , 1 ° ..
parcequ'elles mettent entre Antioche et
Lahor la même distance à peu prés que
celle qui résulte des observations modernes
entre Alexandrette voisine d'Antio--
che
# 124 MERCURE DE FRANCE
, che et l'extrémité Orientale de l'Inde
comme Guzurate, Goa, &c. 2º . Parceque
les mêmes observations s'accordent à peu
prés avec celles des Voyageurs éxacts pour
les latitudes et pour les distances Itineraires
des Villes de Perse .
Les Longitudes et les Latitudes de
Ptolomée qui sont celles que les Géographes
ont suivies jusqu'à M. Delisle
s'écartent également des observations
des Astronomes modernes , et de celles
que nous donnent les Orientaux ; suivant
les Géographes qui ont précédé M. Delisle
, les Frontieres Orientales de l'Empire
d'Alexandre seroient à 58. degrés
de Bysance , au lieu que suivant la Carte
de M. Delisle elles ne sont qu'à 48. degrés
, c'est une erreur de 10. degrés ou
de plus de 200. lieuës , dans laquelle ces
Géographes sont tombés .
M. Buache montra que les Positions:
résultantes de ces observations Orientales
et de celles des Voyageurs modernes comparées
avec les Itineraires , ayant donné à
M. Delisle le moyen de fixer les principales
Villes de la Perse , dont plusieurs
portent encore avec peu de changement.
les noms qu'elles avoient au tems d'Alexandre
; il passa ensuite à l'examen de la distance
de ces mêmes Villes , suivant les
marches
MAY. 1731. 1125
marches de l'Armée de ce Prince. Cette
partie de la Carte a demandé un plus
grand travail . Ces distances mésurées
éxactement par les Arpenteurs que ce
Prince menoit avec lui , sont exprimées
en stades , et si l'on avoit évalué ces stades
sur le pied de 5oo . au degré d'un
grand Cercle comme Ptolomée , ou même
sur le pied de 700. comme Eratostene
et Hipparque , on se seroit trouvé fort
loin de compte. M. Buache montra que
les stades des Arpenteurs d'Alexandre
étoient les mêmes que ceux des Astronomes
dont Aristote , Précepteur de ce Prince,
rapporte la mesure de la Terre , et qui
étoient de plus de onze cens au degré. 11
étoit naturel ,comme le remarque M. Buache
, que ce Prince dans le projet duquel
la Conquête du Monde entier étoit entrée
, se servit pour mésurer l'étendue de
ses Conquêtes des mêmes stades dans lesquels
on avoit déterminé de son tems la
mésure de la Terre , afin de connoître
où en étoit l'éxécution de son projet.
M. Delisle avoit déja fait quelque usage
de ces stades de onze cens au degré dans
son Mémoire sur la Carte de l'expédition
de Xenophon,qu'il a donnée dans les Mémoires
de l'Académie desSciences en 1721 .
mais M. Buache montra par des preuves
trés
L116 MERCURE DE FRANCE
trés fortes , que l'on ne pouvoit se dispenser
de reconnoître que c'étoit ceux dont
Ies Arpenteurs d'Alexandre s'étoient
servis.
Il fit voir que supposant des stades de
onze cens au degré , les routes d'Alexandre
se rapportent avec beaucoup de précision
aux Positions des Astronomes.
Orientaux , et à celles qui résultent des
distances Itineraires marquées par les Voyageurs
les plus exacts. Il observa de plas
que les marches forcées de ce Prince qui
supposoient que ces Troupes auroient
fait 54. lieues communes par jour , et
cela plusieurs jours de suite dans l'Hypothése
des Anciens , deviennent non - sculement
vrai -semblables dans l'Hypothése
des stades de onze cens au degré adopté.
par M. Delisle , mais se trouvent même
moins fortes que certaines marches extraordinaires
qui se sont faites de nos
jours. Il fit la même remarque au sujet
de la largeur de l'Hydaspe qu'Alexandre
passa en présence de l'Armée des Per
ses , et montra que cette largeur étant
diminuée de prés de moitié dans l'opinion
que M. Delisle avoit suivie , l'ac
tion d'Alexandre n'a plus rien qui passe
la vrai- semblance .
Il donna plusieurs autres preuves dont
le:
MAY . 1731 . 1127
le détail ne peut s'abréger , ni même se
retenir , et en . finissant sa dissertation
il parla d'une faute de Graveur qui s'est
glissée sur la Carte de la Mer Caspienne
en 2. feuilles , publiée par M. Delisle en
1722. Dans une Note sur cette Carte le
Méridien est marqué au 67. degré deLongitude
à l'Orient de Paris , au lieu de dire an
67. du premier Meridien et au 47. à l'Orient
de Paris. Cette méprise étoit facile à
corriger par toutes les autres Cartes de
M. Delisle antérieures et postérieures.
M. Buache se crût obligé de faire cette
Remarque , parceque dans le nouveau
Recueil des observations faites aux Indes
et à la Chine , publié en 1729. on
a relevé cette position d'Astracan comme
une erreur de M. Delisle ; et pour donner
l'éclaicissement au sujet de la longitude
d'Astracan , il rémarqua qu'elle étoit déterminée
sur une Eclipse observée à Astracan
par Burrough Anglois , et à Vranibourg
par Tycho le 15. Janvier 1580 .
و
La Carte de l'Empire et de l'Expedition
d'Alexandre , dressée par feu M. Delisle
pour l'usage du Roy , laquelle étoit l'objet du
Mémoire de M. Buache , paroîtra incessament
en une feuille et demi , et se trouvera
chez Madame Delisle , Veuve de l'Auteur ,
Quay de l'Horloge..
Livres
1128 MERCURE DE FRANCE
i
६
Livres que Cavelier , Libraire , ruë S. Jacques
, a nouvellement reçus des Païs Etrangers.
Harvei ( Gedeonis ) Ars curandi morbos expectatione,
item , de Dois et Mendaciis Medicorum
, accedit Ernesti Stohl Ars sanandi cum
Expectatione fides et veritas Peritorum Medicorum
, Satyra Harveana , i'em , Fluxus Haemorrhoïdum
, 3. vol. 8. ffenbaci , 1730.
Havers ( Clopton ) de Ossibus , versio nova cui
accessit Heyne Tentamen Chirurgico - Medicum
de præcipuis ossium morbis. 8.Fig. Amst.
1731.
Fundamenta Pharmacia Chymicæ manu methodoque
Stahliana posita. 8. Budinga . 1728.
Wepseri ( Jo. Jac. ) Historia Apoplecticorum ,
cum observationibus celebr . Medicorum . 8.
Amst. 1724.
Vink ( Dan. Amanitates Philologico Medica ,
in quibus Medicina servitute liberatur. in 8.
Trajecti. 1730.
Stahlii ( Georg. Ern. ) Experimenta , observationes
Animadversiones Chymicæ et Physica.
in 8. Berolini. 1731 .
Livres nouveaux , qui se
vendent chez
André Cailleau , Quai des Augustins , à
Image saint André.
Histoire du Théatre Italien, depuis la décadence
de la Comédie Latine ; avec un Catalogue des
Tragédies et Comédies Italiennes , imprimées
depuis l'an 1500.jusqu'à l'an 1660 et une Dissertation
sur la Tragédie moderne , avec les
Figures
MA Y. 1731. 1129
Figures qui en représentent leurs différents
habillemens. Par Louis Ricoboni , in 8. 1730.
Suite de l'Histoire du Théatre Italien, avec une
Lettre de M. Rousseau à l'Auteur ; et l'explication
des figures , in 8. sous presse .
Elemens Historiques , ou Méthode courte et facile
pour apprendre l'Histoire aux enfans , par
M. l'Abbé de Maupertuis , in 12. 2.vol 1730 .
Description Historique des Château , Bourg et
Forêt de Fontainebleau , contenant une Explication
historique des Peintures , Tableaux ,
Bas - Reliefs, Statues, Ornemens qui s'y voient ;
et la vie des Architectes , Peintres et Sculpteurs
qui y ont travaillé , avec Plan et Figures , par
M. l'Abbé Guilbert , in 12. 2. vol . 1731 .
LES PRINCIPES de la Nature ou de la Generation
des choses , par feu M. Colomiez ,
in 12.
1731.
OBSERVATIONS curieuses sur toutes les Parties
de la Physique, extraites et recueillies des meilleurs
Mémoires , in 12. 3. vol. 1730
Suite des Annales de Tacite , avec des Notes politiques
et historiques , tom. 5. et 6. par M.L.
C. D. G✶✶✶ 1731.
Charles Guillaume , Libraire à Paris, ruë d'Hurpois
, près le Pont S. Michel , à S. Charles , a
imprimé et débite depuis peu : Le Coureur de
nuit , oɑ L'aventurier nocturne , traduit de
l'Espagnol de Dom Francisco de Quevedo. Le
prompt debit de ce petit Ouvrage l'a engagé de
mettre sous presse le reste des Oeuvres de cet
Auteur,qu'il promet de donner incessamment
Le soin qu'il prend de cet Ouvrage , le fera
préferer à l'édition de Hollande.
Le même Libraire vend la nouvelle Edition des
AvanL130
MERCURE DE FRANCE
Avantures de Dona Rusine , dite la Foüine
de Seville , ou l'Ameçon des Bourses. 2 vol.
in 12. enrichie de Figures en taille douce.
On va imprimer un Ouvrage de M. le Cat , Chirurgien
, qui a pour titre : Essai Medico- Phisique,
sur les effets de la Saignée ; dans lequel
il établit sur les Loix de la Mécanique et de
P'Hydrautique, les principes generaux des effetsde
la Saignée , l'acceleration, la dérivation , la
révulsion, et réfute plusieurs Ouvrages, récemment
publiez , sur la Saignée, entr'autres celui
de M. Quenet.
On vendra incessamment en détail , la Bibliotheque
de feu M. Géoffroy , celebre Medecin
de la Faculté de Paris , Professeur Royal en
Médecine et en Chymie , Associé , Pensionnaire
de l'Académie Royale des Sciences , et de
la Societé Koyale d'Angleterre. Le Catalogue
imprimé de cette Bibliotheque se distribue chez
Gabriel Martin, Libraire, ruëfaint Jacques,
à l'Etoile..
On vient de recevoir le Projet imprimé du
Cabinet Florentin , qui doit être composé de dix
volumes in folio. Il contiendra tout ce qu'il y a
de plus rare en tout genre d'Antiquité ; non seulement
chez le Grand Duc, mais encore chez tous
les particuliers de Florence ,
Le premier volume contiendra les Pierres gravées
en relief , autrement Camei . Le second , les
Pierres gravées en creux. Le troisième , les Statues.
Le quatrième , les Bustes. Le cinquième , les
Cachets de Bronze. Le six , sept et huit , les Médailles.
Le neuf et le dix , les Portraits des Peintres
qui
MAY. 1731 . 1137
qui ont fait eux- mêmes leurs Portraits . Tous ces
volumes peuvent faire des corps séparez . Le premier
et second , pour les Pierres gravées. Le six ,
sept , huit , pour les Médailles. Le neuf et dix ,
pour les Portraits des Peintres , et pourront être
vendus séparément. Chaque volume contiendra
au moins cent Flanches , avec des Observations
ou Explications d'Antoine- François Gori , écrites
en Latin. On promet d'employer les meilleurs
Graveurs, et de ne rien négliger pour donner à cet
important Recueil toutes les beautez dont il peut
être susceptible . Le premier volume est déja imprimé
, et pour faciliter l'impression des autres ,
on propose des Souscriptions , aux conditions
suivantes.On donnera dix - huit écus de Florence ,
qui font à peu près trente- six écus de notre monnoye.
Pour les deux premiers volumes qui seront
vendus un quart
de plus, à ceux qui n'auront pas
souscrit.
On mande de Rome que le Pape vient d'ac
querir toutes les Planches de cuivre qui avoient
servi lorsqu'on imprima la Roma Soiteranea ,du
Bosio et de l'Aringhy.Il a chargé l'Abbé Bottari,
Florentin , de procurer une nouvelle Edition de
ces deux Ouvrages, à laquelle il se trouve en état
de travailler avec succès , d'autant mieux qu'il a
pris sagement le parti de les refondre et de les remanier
entierement .
La seconde Partie du troisiéme volume de la
Bibliotheque Orientale Clémentine , paroît à Rome
depuis peu .
De Venise. On a traduit et on imprime en
Cette Ville PHistoire Romaine du P. Câtrou.
De Florence. L'Edition de l'Eustathe sur Homere
1132 MERCURE DE FRANCE
mere , traduit et enrichi de Notes , par le P. Polity
, s'avance fort à Florence . On en est au troisiéme
Tome.
Les OEuvres du feu Pape Benoît XIII. que le
Cardinal Marini avoit fait imprimer à Ravennes ,
sont actuellement en vente â Rome , en trois volumes
in folio.
On apprend d'Allemagne , que M. Martini ,
donne dans une Brochure qu'il a publiée , quelques
raisons naturelles de l'extraordinaire сара-
Cité de l'illustre enfant, Chrétien- Henry Heinecken
, né à Lubeck en 1721. et mort en 1725.
Il parloit à dix mois ; et ayant observé les
mouvemens de ceux qui lui expliquoient diverses
figures , suivant le désir qu'il en avoit marqué , il
prononçoit d'après eux les sillabes ; à un an , il
sçavoit les principaux évenemens du Pentateuque
; à treize mois , l'histoire de l'ancien Testament
; à quatorze , celle du Nouveau ; à deux
ans et demi il répondoit pertinemment aux
questions de la Géographie et de l'Histoire ancienne
et moderne ; il parla bien - tôt Latin avec
facilité, puis le François passablement , et à la fin
de sa troisième année , il connoissoit les Généa–
logies des principales Maisons de l'Europe ; il expliquoit
avec esprit et avec jugement les Passages
et les Sentences de l'Ecriture Sainte. Il voyagea en
Dannemack pendant une bonne partie de sa quatriéme
année , et il y harangua de fort bonne
grace le Roy et les Princes du Sang. Au retour
il apprit à écrire , pouvant à peine tenir la Plume.
Il étoit délicat , infirme , souvent malade , et
même dangereusement , il haïssoit tout autre aliment
que le lait , et que celui de sa nourrice ; il ne
fut sevré que peu de mois avant sa mort , qui arriva
MAY. 1731 .
1133
riva le 27 Juin 1725.et qu'il envisagea d'une ma
niere si chrétienne , qu'il étonna encore plus par
cette fermeté, que par l'immensité de ses progrès
pendant une si courte vie. M. Chrétien jde Schoneich
, son Précepteur , a écrit sa vie. M.Behm
aussi publié une Brochure sur son sujet. M. Seclen
a parlé de lui dans un article de ses Selecte
Litteraria.
a
D'Upsal. Que le Docteur Wallin , expose dans
une Dissertation , l'Art d'écrire avec du feu : De
Arte trithemiana scribendi per ignem.
De Dresde. Que M. Faesch , Major des Ingénieurs
, au service du Roy de Pologne , compose
en Allemand , une Bibliotheque Militaire , où il
traitera de tous les Livres qui parlent de ce qui
appartient à cet Art , avec ses observations sur
ceux qu'il a vûs.
De Nuremberg. Que l'on publie la Traduction
en Allemand des Ouvrages du fameux Gerard de
Lairesse , sur le Dessein et la Peinture , écrits en
Hollandois.
Que M. Jean-Jacques Schubler a fait imprimer
depuis peu, quelques Traitez Allemands, sur
la construction des Colomnes , des Fourneaux à
échaufer les Poëles ; et sur une nouvelle maniere
de placer avantageusement de grandes Lucarnes
dans les Gréniers , &c.
De Rostock. Que M. Schultz a publié une longue
Dissertation sur l'usage de la Musique , dans
'Eglise Chrétienne.
L'Académie Royale des Belles-Lettres , établie
1134 MERCURE DE FRANCE
à Marseille , a donné dans le mois d'Avril dernier,
les deux Prix d'Eloquence et de Poësie qu'elle
avoit a distribuer . M. d'Ardene , Associé
étranger, de la même Académie , a remporté l'un
et l'autre .
Cette Académie nous prie d'avertir , que le
Prix d'Eloquence qu'elle distribuera le premier
Mercredy après le Dimanche de Quasimodo , de
l'année prochaine , 1732. a pour sujet ce passage
de Séneque : Que l'adversité n'abat que ceux que
la prosperité avoit aveuglez. Neminem adversa
fortuna comminuit , nisi quem secunda decepit.
Lib. de Const. ad Helv . cap 1. On sçait
que ce Prix consiste en une Médaille d'or , de la
valeur de trois cent livres .
Le Mercredi , onze Avril , Mess. Maraldi et
Grand-Jean ont été élus à l'Académie Royale
des Sciences , pour remplir la place d'Ajoint Astronome
, vacante par M. Gaudin , devenu Associé
depuis quelque temps. Ces deux sujets ont
été choisis par le Roy , l'un pour remplir la place
vácante , et l'autre pour tenir lieu de M. Delisle
de la Croyere , absent depuis plusieurs années ,
par congé de la Cour , sans néanmoins que ce
dernier cesse d'être de l'Académie , mais la premiere
place d'Ajoint Astronome qui viendra à
vaquer , ne sera point remplie.
Le Mercredi 18. Mess. Borave et Morgagni ,
ont été élus , pour remplir la place d'Associé
étranger , vacante par la mort du Comte de
Marsigli. Le choix du Roy est tombé sur Monsieur
Borave .
Le Samedy 28. M. Bourdelin , Ajoint Chimiste
, et M. Grost , externe , ont été élus pour
remplir la place d'Associé Chimiste , vacante
" par
MAY.
1731. ་ ་ ༣ ་
par M. Dufay , devenu Pensionaire depuis quel
que temps. Le choix du Roy est tombé sur Monsieur
Bourdelin.
On écrit de Londres que le 9. de ce mois , le
sieur Wood fit ses expériences pour tirer du Fer de
la Mine de Charbon de terre , en présence du
Comte d'Islay , du Chevalier Charles Wager , du
Chevalier Jean Eyles , et d'autres personnes que
le Conseil Privé du Roy avoit nommées . Il employa
172 livres de cette Mine , et il en retira une
Barre de 35 liy. qui parut être de tres - bon fer .
Ces Lettres ajoutent que le 13 de ce mois , le
Marquis de Braekly , fils aîné du Duc de Brigewater
, âgé d'environ 7 ans , mourut de la petite
Verole , dont on lui avoit fait l'insertion quel
ques jours auparavant, comme à son frere le Lord
Jean , qui est à present hors de danger.
EXTRAIT d'une Lettre , écrite de Paris
, le 14 May 1731. au sujet de l'Opération
de la Taille.
On fit l'Opération de la Taille Vendredi dernier
, dans l'Hôpital de la Charité des Hommes.
M. Maréchal , premier Chirurgien du Roy , toujours
plein de zéle et d'affection pour les pauvres ,
voulut non seulement y être present , mais encore
y opérer.Il fit trois Tailles . M.de la Perronie, premier
Chirurgien du Roy en survivance , en fit
aussi trois .
M. Morand , Chirurgien Major de cet Hôpital
, en fit deux .
M. Guérin pere , Chirurgien Major des Gardes
Françoises , et ancien Chirurgien Major de
cet Hôpital , en fit une.
M. Guérin fils , Substitut du même Hôpital ,
en fit une ; enfin M. Perché , gagnant Maîtrise
G au
1135 MERCURE DE FRANCE
au même Hôpital,fit la derniere. Le tout se passa
sous la direction de M. Rénéaume , Médecin en
quartier de cet Hôpital .
La Taille,par l'Opération Latérale que M. Morand
avoit promis de faire , avoit attiré beaucoup
de curieux ; mais M. Maréchal qui connoît les
inconveniens de cette Opération , en disposa autrement
, en exécutant lui - même , et faisant exécuter
l'Opération , à la maniere ordinaire ; et,
il confia le soin de cet Hôpital à M. Guérin.
Pere. Vous voïez par là qu'on ne sçauroit
trop louer la sagesse et la charité de M. Maréchal.
Par là les pauvres serviront d'instruction an
Eleves , sans être leurs victimes.
QUESTION.
Si l'Amour et la Raison peuvent se trouver en
même-temps dans la même personne ? ou si l'Amour
et la Raison sont compatibles !
On demande aussi la cause Fisique ou morale
de l'éfet qui arive dans les enfans qui meurent
jeunes , après avoir doné de grandes esperances
dans leur premiere enfance, et de l'éfet qui arrive
dans les enfans dont la vivacité s'est changée en
stupidité , et si on doit atribuer ces deus sors
au grand soin que l'on a pris de leur éducation.
On souhaiteroit bien de voir sur cette question
les refléxions de quelque habile Filosofe , puisqu'on
voit des enfans de tous caracteres mourir
en bas âge , aussi bien que des enfans d'esprit ;
et que l'on voit des enfans d'esprit , dont on a
cultivé l'enfance , venir dans un âge adulte et mûr,
aussi -bien que d'autres qui n'ont point été chargez
de trop d'esprit ni de trop d'étude .
Il paroît une très- belle Etampe gravée par
M.
་
MAY. 1731.
1137
1
M. Laur. Cars , dont le Public connoît déja le
talens. Elle répresente Suzanne et les deux Vieillards
, d'après un excellent Tableau de M. de
Troy , d'une belle et riche composition. On
la vend chez l'Auteur , ruë neuve des Petits-
Champs , et chez Duchange , ruë S. Jacques.
M. Silvestre , vient d'achever une Estampe
qu'il a gravée d'après un Tableau de M. François
Te Moine , représentant Ubalde et le Chevalier
Danois, allant chercher Renaud, enchanté dans
le Palais d'Armide. Ce Tableau est dans le Cabinet
de M. le Premier ; tout le monde connoît
le mérite de ce Peintre , et l'on peut dire que l'Estampe
est gravée d'un gout et d'une touche admirable.
Cette Estampe se distribuë chez M.Surugue
Graveur du Roi , ruë des Noyers , entre
les deux premieres Portes Cocheres , vis - à - vis
l'Eglise de S. Yves , à Paris . M. Surugue donnera
incessament , L'arrivée de l'Operateur en l'Hôtellerie
, et Ragotin déclamant ; des Paysans
croyent qu'il prêche : ce sont les six et septiéme
du Roman Comique de Scaron.
qua-
Jean - Baptiste le Brun , ancien Ecclesiatique
du Diocèse de Rouen , retiré depuis plus de
Tante ans à Orléans , et connu par plusieurs Ouvrages
, entr'autres par la nouvelle Edition des
Oeuvres de S. Paulin de Nole , est décedé dans
la même Ville d'Orleans , le 20. du mois de Mars
âgé de 75. ans.
Le Sieur Dugeron , ancien Chirurgien d'Armée
, continue de donner avis qu'il a un Remede
sans gout , qui préserve les dents de se gâter et de
tomber ; ceux qui s'en servent en rendront té-
Gij moi1138
MERCURE DE FRANCE
moignage . On donne la maniere facile de s'en
servir , son nom et le prix sont sur ses Boëtes ,
il en a de deux , de trois et de quatre livres ; sa
demeure , avec Tableau , est à Paris , rue Comtesse
d'Artois, au Dauphin , proche la Comedie
Italienne.
CHANSON.
PEre du jour , quitte le sein de l'Onde ,
Viens , hâtes-toi , lance tes feux chéris ,
Fais que les Mortels endormis
Soient ranimez par ta chaleur féconde.
C'est par toi que les Dieux brillent dans leur
séjour ,
Par toi que les Humains respirent sur la terre ;
Mais si sur nos Côteaux tu répans ta lumiere ,
Une seconde fois nous te devrons le jour ,
Q
AUTRE.
Ue t'ais- je fait , cruel Amour ?
Viens-tu pour prix de ma constance
Redoubler les maux de l'absence ,
Par un plus funeste retour ?
Mon Amant revient en ce jour .
Que dis- je ? mon Amant ! ah ! c'est mon infidelė
Il revoit ce fatal séjour ;
Mais ma Rivale le rappelle,
Que t'ais-je fair , cruel Amour ;
Grave
C
THE
NER
YORK
PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
,
MAY . 1731. 1139
SPECTACLES.
LRO
E Jeudi 21. de ce mois , l'Académie
Royale de Musique,donna la premiere
Représentation d'Endymion , Pastorale héroïque
, sans Prologue. Les paroles sont
de M. de Fontenelle , et la Musique , de
M.de Blamont. On apprend dans un petit
Avertissement à la tête du Poëme imprimé
, que cette Piece n'est pas entierement
telle que le Public l'avoit depuis longtemps
imprimée avec d'autres Ouvrages
de la même main.
Pan ouvre la Scene , suivi d'un Satyre
et de Lycoris , Confidente de Diane ; ils
tâchent de le détourner de l'amour qu'il
a pour Diane ; il ne se rend pas à leurs sages
conseils , et s'exprime ainsi .
Je ne sens point mon coeur effrayé des obstacles ,
Pour les surmonter tous, il est d'heureux moiens;
Mais quand l'Amour fait des miracles ,
Ce n'est pas en faveur des timides Amans .
Pan se retire ; Diane vient , Lycoris lui
dit qu'elle est heureuse de ne point trouver
Pan qui vient de quitter ces lieux ,
Giij
ct
140 MERCURE DE FRANCE
et qui n'auroit pas manqué de l'entretenir
d'un amour importun .
La Bergere Ismene vient prier Diane
de la recevoir parmi ses Nymphes. L'indifference
d'Endymion , qu'elle aime encore
, quoiqu'elle se flatte de ne le plus
aimer , est le motif qui la porte à cette
résolution ; Diane se défie d'un desseinsi
précipité , et dit à Ismene qu'elle aime
encore Endymion ; Ismene se sentant trop
presser , dit enfin à la Déesse :
Si j'aime encor , helas ! permettez que j'implora
Votre secours pour n'aimer plus.,
Diane appelle ses Nymphes à qui elle
ordonne de recevoir Ismene parmi elles..
La ceremonie de cette reception fait la
Fête de ce premier Acte ; la Déesse `donne
l'Arc et le Carquois à la nouvelle-
Nymphe..
Après la Fête , Diane qui aime en secret
Endymion, fait entendre qu'Ismene choisit
mal son azile , dans une Cour dont
la Souveraine n'a pû se deffendre d'aimer..
Lycoris n'oublie rien pour la dégager
d'un amour indigne d'un coeur aussi
grand que le sien ; elle lui répond :
Je rougis de ma tendresse ,.
Et non pas de son objet.;,
L'aie
MAY. 1147 17312
L'aimable Berger que j'adore ,
N'a pas besoin d'un rang qui s'attire les yeux
Il a mille vertus que lui-même il ignore ,
Et qui feroient l'orgueil des Dieux.
Le premier Acte finit par ces beaux
Diane chante . Vers
que
Un éternel silence ,
Cachera cet amour dont ma gloire s'offense
En secret seulement j'oserai soupirer :
Je languirai sans esperance ,
Et craindrai même d'esperer.
Au second Acte le Théatre représente
un Temple rustique que les Bergers ont
élevé pour Diane , et qui n'est pas encore
consacré.
Endymion fait connoître ce qui l'engage
à consacrer ce Temple à Diane par
ces Vers qu'il dit à Eurylas, son Confident.
Jamais par des soupirs mon amour ne s'exprime;
par des Autels je le marque sans crine ;
Ce détour , ce déguisement ,
Du moins
Convient à mon respect extrême ,
Et mon coeur pour cacher qu'il aime ,
Feint qu'il adore seulement.
Eurylas combat autant qu'il lui est
Giiij possible
1142 MERCURE DE FRANCE
possible , un amour qui ne peut que condamner
son ami à un supplice éternel.
La consécration du Temple fait la Fête
de ce second Acte ; comme les Bergers
pour faire leur cour à l'insensible Déesse ,
déclament contre l'Amour ; elle vient
elle-même leur imposer silence par ces
Vers :
Bergers , jusqu'en ces lieux votre hommage
m'attire ;
De sinceres respects sçavent charmer les Dieux ;
Mais je dois arrêter des chants audacieux ,
Que trop de zele vous inspire.
Il suffit de fuir les Amours ร
Et d'éviter leur esclavage ;
Mais par de superbes discours ,
Il ne faut pas leur faire outrage.
Diane congédie les Bergers , et fait connoître
à Lycoris pourquoi elle vient de
leur imposer silence ; voici comme elle
s'explique :
Endymion ordonnoit cette Fête ,
Lui , dont mon coeur est la conquête ;
En outrageant l'Amour il croyoit me flatter ;
Excuse ma foiblesse ;
Son erreur blessoit ma tendresse ,
Etje n'ai pû la supporter.
Comme
MAY. 1731 . 1143
Comme Lycoris lui fait entendre qu'elle
veut par là enhardir Endymion à soupirer
pour elle ; la Déesse lui répond ;
Pourrois-je le vouloir, Ciel ! quelle honte ! helas!
Du moins si je le veux , ne le penetre pas.
al-
Le Théatre représente un lieu champêtre
au troisiéme Acte . Le silence que
Diane vient d'imposer aux Bergers dans
l'Acte précedent , occasionne ce qui se
passe dans celui- dans celui - cy . Pan se flatte que la
Déesse n'est plus insensible , puisqu'elle
prend le parti de l'Amour , et ne doute
point que ce ne soit lui qui ait produit
ce grand changement dans le plus superbe
de tous les coeurs ; il sort pour
ler préparer une Fête à l'honneur de la
Déesse , dont il se croit aimé. Endymion
qui vient d'être témoin du triomphe chimerique
du Dieu des Bois , a assez de
facilité pour le croire réel ; il ne peut
supporter que Diane ait fait un choix.
si indigne d'elle ; il se détermine à redemander
Ismene à la Déesse , d'autant plus
que cette Nymphe lui avoit été destinée
pour épouse ; voici comment il s'explique
en parlant à Eurylas :
Toi-même, tu m'as dit qu'en épousant Ismene ;
Et son amour , et mon devoir ,
G v Se
1144 MERCURE DE FRANCE
Se seroient opposez au penchant qui m'en
traîne ;
Je veux essayer leur pouvoir ;
Je veux redemander Ismene à la Déesse ;
Heureux si de ses mains je pouvois recevoir ;
Ce qui doit venger, ma tendresse !;
Diane vient ; Endymion lui redemande
Ismene ; la Déesse en est mortellement
frappée mais elle dissimule sa douleur ,,
et dit à Endymion :
;
Allez ,je résoudrai ce qu'il faut que je fasse ;;
Et vous sçaurez mes volontez.
Diane se trouvant seule , exprime sa
douleur er sa jalousie par ce Monologue ,
Ou suis-je ? Endymion pour Ismene soupire !!
Et moi , je me livrois au charme qui m'attire !
Déja je trahissois le secret de mon feu;
Après une foiblesse inutile et honteuse ,,
Après avoir en vain commencé cet aveu.15.
Quelle vengeance rigoureuse. .....
Mais quoi? ne dois- je pas me croire trop heureuse .
Que l'ingrat m'entende si peu , &c..
Elle forme la résolution de ne point
rendre Ismene, de redevenir Diane , c'està-
dire , mortelle ennemie de l'Amour et
des,
MA Y. 1731. 1145
des Amans ; elle finit cette Scene par ces
deux Vers :
Je vois le Dieu des Bois ; faut- il que je l'entende ?
Ma peine ,ô Ciel ! n'est donc pas assez grande.
Pan , suivi des Faunes , des Sylvains:
et des Driades , déclare hautement son
amour à la Déesse ; il la fait reconnoître
pour Souveraine des lieux où il regne
lui- même ; la Fête étant finie , Diane lui
répond froidement ::
A recevoir vos soins j'ai voulu me contraindre ;
Peut-être en les fuyant j'aurois párû les craindre;
Quan don est trop severe, on se croit en danger ::
Je veux vous annoncer d'une ame plus tranquille
Que votre amour est inutile ,
Et qu'il faut vous en dégager..
Diane se retire ; Pan ne respire que
vengeance , mais le Satyre , son Confident,
lui conseille de ne se venger de cette superbe
Déesse , qu'en formant une nouvelle
chaîne.
Ismene commence le quatrième Acte,,
elle expose ce qui se passe dans son coeur
par ce beau Monologue :
Sombres Forêts , qui charmez la Déesse 7 ,
Doux azile ou coulent mes jours ;
Gvj Plaisirs
1143 MERCURE DE FRANCE
1
Plaisirs nouveaux qui vous offrez sans cesse ,
Pourquoi ne pouvez- vous surmonter ma tristesse
Ah ! j'attendois de vous un plus puissant secours.
Qui peut me rendre encor incertaine , inquiéte §
J'aimois un insensible , et ce que j'ai quitté ,
Ne doit pas être regretté ;
Cependant sans sçavoir ce que mon coeur regrette,
Je le sens toujours agité.
Sombres Forêts , & c.
Diane vient annoncer à Ismene qu'En-
'dymion la redemande ; elle lui ordonne
de lui parler sans feinte ; Ismene n'ose
croire ce que la Déesse lui dit : Diane la
de lui dire si elle veut renoncer à
presse
vivre sous ses loix ; Ismene lui répond :
Vous sçavez qu'à jamais je m'y suis asservie ;
Rien ne peut ébranler ma foi :
A suivre d'autres loix , si l'Amour me convie ,
L'Amour , sans votre aveu , ne peut plus rien sur
moi.
Diane la congédie en lui donnant une
esperance équivoque.
Lycoris felicite Diane de la victoire
qu'elle vient de remporter sur l'Amour
Diane fait connoître la violence qu'elle
se fait par des Vers très passionnez .
Endymion vient ; Diane lui dit qu'elle
lui
MAY. 1731. 1117
lui accorde Ismene ; Endymion est frappé
de ce bienfait comme d'un coup mortel
; il se plaint d'avoir obtenu ce qu'il a
demandé ; il fait entendre à la Déesse
qu'elle n'auroit pas dû exaucer des voeux
mal conçûs ; il lui déclare qu'il aime un
objet adorable , mais que du moins il a
tenu son crime secret , et qu'il n'a jamais
été assez audacieux pour en faire l'aveu :
emporté par sa passion , il en dit plus
qu'il ne croit , l'étonnement de Diane
qu'il prend pour un sentiment de colere ,
lui persuade qu'il est criminel à ses yeux;
il l'exprime par ces Vers :
Qu'ai-je dit ? quel transport !
Ciel ai - je rompu le silence ?
L'amour à mon respect a-t'il fait violence ?
Ah ! vos yeux irritez m'instruisant de mon soft
J'y vois tout mon malheur et toute mon offenses
Mon feu s'est découvert , j'ai mérité la mort.
Diane est retirée du doux embarras où
elle se trouve par une des heures de la
nuit , qui vient l'avertir que le Soleil est
prêt à se plonger dans l'Onde et qu'il
est temps qu'elle le remplace pour éclairer
l'Univers ; la D'esse ordonne que son
Char descende , les vents à qui elle commande,
executent ses loix, pendant qu'une
partic
1148 MERCURE DE FRANCE
partie des heures de la nuit prend soin
d'atteler son Char , les autres celebrent
une Fête , dans laquelle son insensibilité
est chantée ; voici comment cet Hymne
est composé ::
Quand la nuit dans les airs répand ses voilea
sombres ,
Vous recommencez votre cours ;:
D'un seul de vos regards vous dissipez les ombres,
Qui favorisoient les Amours .
Du Dieu qui regne dans Gythére ,.
Vous troublez les soins les plus doux
Vous en bannissez le mystere ; .
Vous éclairez les yeux jaloux..
Après la Fête , Diane monte dans son
Char ; Endymion desesperé , forme la résolution
d'aller finir ses jours dans le fond
de quelque Antre affreux ..
La Décoration du cinquiéme Acte ,.
représente un Antre du Mont Latmos .
Les Amours endorment Endymion ; une
clarté qui perce les voiles de la nuit leur
annonce Diane Amante ; ils se retirent de :
peur de l'empêcher de se montrer.
Diane fait connoître le dessein qui l'a--
mene en ces lieux ; elle craint qu'Endymion
ne se livre trop à son desespoir ,.
elle balance entre sa gloire et son amour ;
Ce
M A Y.. 17312 1749
ee dernier l'emporte; Endymion se reveil
le ; à l'aspect de Diane , il ne doute pointque
cette Divinité offensée ne soit venuë
pour le punir de sa témerité ; Diane le
rassure. Leur Dialogue finit par ces Vers
Endymion .
Je ne vois point que vous êtes Déesse .
Diane.
I ne vois point que vous êtes Berger..
Ils forment le dessein de dérober lenre
amours au reste de l'Univers ; l'Amour
paroît , et leur dit qu'il ne veut pas que
l'Univers ignore sa plus brillante victoi
re ; tout ce que Diane peut obtenir de
lui , c'est qu'il ne triomphera que dans
ces lieux témoins de sa tendresse ; il or
donne à l'Antre et à la Nuit de disparoî
tre . Le Theatre change et représente un
Jardin délicieux ; les Amours , les Jeux .
et les Plaisirs , celebrent le triomphe de
l'Amour ; Diane rend graces à l'Amour:
par ces Vers :.
Dieu favorable ,,
Dieu secourable ,,
Dieu des Amants
Que tes biens sont charmants 4 !
Ta douce flamme,
Bannit
1150 MERCURE DE FRANCE
.
Bannit d'une ame ,
Le souvenir de ses tourmens,
Si dans tes chaînes ,
Il est des peines ,
Que de plaisirs ,
Succedent aux soupirs !
Douceur extréme ,
Bonheur supreme
Tu vas plus loin que les desirs
Dieu favorable , &c .
La Dlle. Pelissier et le sieur Tribou
joüent les principaux Roles de cet Opera
avec toute l'intelligence et la finesse pos
sible. Les Roles de Pan et d'Ismene sont
remplis par le sieur Chassé , et par la Dlle.
Julie , ceux de Lycoris et d'Eurylas , par
la Dlle . Petitpas et par le sieur Dun.
Les deux Décorations du cinquième
'Acte sont du Signor Alexandre Mauri ,
Peintre Italien , nouvellement arrivé en
France.
On joua à Londres le 17. du mois dernier
un nouvel Opera Italien sous le
titre de Rénaud et Armide , qui a beaucoup
de succez .
On mande de la même Ville que quelques
jours auparavant on représenta sur
lc
MAY. 17317 115
le Théatre de Lincols - inn - fields , la Comedie
des Fourberies de Scapin , au profit
de la Dlle. Marie Salé , fameuse Danseuse
de l'Opera de Paris , que le Roy , la Reine
et les Princesses honorerent de leur
présence , et que le concours des Spectateurs
fût si grand , que malgré les Echaffauts
dressez sur le Théatre , où quantité
de Dames se placerent , on fût obligé de
renvoyer bien du monde. Cela faisoit un
spectacle des plus agréables , et la noblesse
, les graces , la finesse et l'Art enfin
avec lequel cette excellente Danseuse
executa les Entrées qu'elle dansa dans differens
Caractéres , la firent généralement
applaudir ; outre la recette entiere de
cette Representation , elle a encore receu
quantité de présens considerables . On sera
sans doute bien aise d'apprendre que la
Dlle. Salé reviendra à Paris au mois de
Juillet prochain,
Le samedi 28. du mois dernier , les
Comédiens François joüerent la Tragédie
de Britannicus , dans laquelle la Dlle . Gossin
,jeune Personne qui a joué en Provinet
en dernier lieu sur le Théatre de
ce ?
Lille parut pour la premiere fois , dans
le Rôle de Junie , qu'elle a joué trois fois ,
y a toûjours été de plus en plus
et elle
aplaudie.
152 MERCURE DE FRANCE
aplaudie. Elle est d'une jolie figure , avec
la voix fort agréable et de l'intelligence .
Elle a joué dépuis le Rôle de Chimene
dans le Cid , et elle a fait voir qu'elle
avoit encore plus de talens qu'on n'avoit
crû. Elle a soutenu la bonne opinion qu'on
a de son merite dans le Rôle de Monime ,
dans Mithridate, dans ceux d'Andromaque
et d'Iphigenie , et elle l'a beaucoup augmentée
dans le Rôle d'Agnés de l'Ecole des
Femmes. Elle danse et chante quelques
couplets dans la Comédie nouvelle de
Italie Galante.
Les Comédiens représenterent le 11.
de ce mois une Piece nouvelle intitulée
PItalie Galante , ou les Contes . Ce sont
trois Comédies differentes , où M. Delamotte
, s'est fait un plaisir d'accomoder
au Théatre , et de ramener aux bonnes
moeurs er aux bienséances , trois Contes
de la Fontaine ; l'Oraison de S. Julien
Richard Minutolo , et le Magnifique.
*
L'Oraison de S. Julien changée en Talisman
, dont on avoit déja vû trois Répre
sentations il y a quelques années , fût r‹ -
ceue avec beaucoup de plaisir.
Le Magnifique en deux Actes , eût le
succès le plus eclatant qu'un Autheur
puisse souhaitter : mais il arriva à Minu
tolo l'inconvenient de n'être pas entendu .
Un
MAY. 1737 TIT
Un des Acteurs principaux , et même le
plus nécessaire pour faire entendre la
Piéce , fût surpris d'une extinction de
voix , qui ne lui permit pas de prononcer
un seul mot de son Rôle : le tumulte que
ce contre-temps excita dans l'Assemblée ,
ne laissa point entendre les autres Acteurs:
ainsi l'on peut dire que la Piéce ne fût
pas representée ce jour- là ; elle le fut deux
jours aprés , et elle fut géneralement aplau
die. Le Public donne de jour en jour de
nouvelles louanges à tout l'ouvrage , et
le trouve digne de son Auteur
Chaque Piéce est ornée d'un Divertis
sement , la Musique est vive , enjoüée ,
ou tendre , selon que les caractéres l'éxigent
: elle est de M. Quinaut. Le Balet est
galand , et comique : il est de M. Dangeville.
La Fête de Renaud d'Ast est un Bal.
Le Vaudeville roule sur les Talismans ,
en voici deux Couplets.
Four surmonter l'Indifference ,
Il est tant de secrets charmants.
Faut il que contre l'Inconstance
L'Amour n'ait point de Talismans.
Pour bon gîte et bonne avanture
Faut-il
1154 MERCURE DE FRANCE
Faut- il des Aneaux et des Sorts ?
Soyez aimable , et je vous jure ,
Vous ne coucherez pas déhors.
La Fête de Minutolo est une Fête cham
pêtre. Le Vaudeville roule fur le bonheur
des Bergers , en voici trois Couplets:
Vous de qui la Richesse
Flate en vain les désirs ,
Vous cherchés les plaisirs ,
Et les manqués sans cesse ;
Nos Amours sont tout nôtre bien
Et nous ne vous envions rien.
Le Ciel a fait aux Hommes
Des Destins differents :
Vous paroissez contens :
Mais c'est nous qui le sommes ,
Nos Amours & c.
Au Parterre .
Si nos soins , pour vous plaire ,
N'avoient pas été vains ,
Vous auriés dans vos mains
Nôtre plus doux salaire ;
Vos
MAY. 1731
1159
Vos plaisirs sont tout nôtre bien
Hors delà nous n'envions rien.
2
La Fête du Magnifique : ce sont differents
Peuples qui offrent à Lucille les Richesses
de leur pays. Le Vaudeville rou
le sur la Magnificence. En voiçi trois
Couplets:
L'Amant avare et tiranique
Verra rebutter ses désirs :
Mais si l'Amour a des plaisirs ;
Ils sont pour l'Amant Magnifique,
Donnés , Amants ; mais donnés bien
Donner mal , c'est ne donner rien.
粥
La maniere ajoûte au service :
Il faut que les dons soient adroits ;
Les présens même quelquefois
Offensent plus que l'avarice .
Donnés , Amants &c.
Au Parters .
ន
W
Soyez avares de Critiques ,
Si vous ne sortés pas contens :
Ce n'est qu'en applaudissemen,
Qu'il
156 MERCURE DE FRANCE
Qu'il vous sied d'être Magnifiques.
Applaudissez pour nôtre bien :
Critiqués , mais si peu que rien.
Ce Couplet , que chante la Dlle. Gossin
avec beaucoup de grace, est fort applaudi :
les autres Couplets sont chantez vivement
et trés-bien exprimez . Les Dilles . Labate .
et Dangeville
font un très grand plaisir
dans le Balet , au milieu duquel la petite
Dlle. Dubreuil, en Sauve-Souris , danse ,
toujours; poursuivie
par ceux qui veulent
l'attrapper. Toutes ces Piéces, au reste,sont
trés bien représentées. Ce qui a fait remarquer
par plusieurs bons connoisseurs
que depuis fort long- temps , il n'y avoit
cu à la Comédie Françoise , tant ni de si
excellens sujets . Nous nous abstenons de
les nommer icy de peur de décourager
ceux dont les talens ne sont pas encore dévelopés
, et dont le Public empêche souvent
les progrés par trop peu d'indulgence.
NOUVELLES
MAY. 1731.
1157
*******X*X:XXXXXX:X
NOUVELLES ETRANGERES.
TURQUIE.
N mande de Constantinople que la punition
Origoureuse des Auteurs de la derniere
te , n'avoit pas empeché qu'il n'y eût encore des
troubles dans divers endroits de l'Asie , où les
Janissaires aprés avoir massacré la plupart de
leurs Chefs , se portoient aux dernieres extrémi
tés , sous pretexte qu'on leur retenoit leur solde ;
et que Sa Hautesse , pour prévenir les suites fàcheuses
de cette disposition à la révolte , avoit
fait tirer du Trésor vingt millions qu'on devoit
leur distribuer.
Mais voici ce que nous venons d'apprendre d'une
nouvelle revolte , par des Lettres de Constantinople
, dattées du 14. Avril , venues par la voye
de Vienne.
Le 25. Mars dernier , un Turc Albanois , de
la faction de Patrona Kalil , avoit assemblé 2000.
hommes de la même Nation dans la Place de la
Mosquée de Sultan Bajazet , et à l'heure de
minuit, cette Troupe avoit marché en corps chez
le Janissaire Aga , pour l'engager de se joindre
à eux , dans le dessein de détrôner le nouveau
Sultan , et de remettre à sa place le Sultan Achmet;
le Janissaire Aga s'étoit fort opposé à ce projet
séditieux , et il étoit allé la même nuit en
informer le Grand Seigneur. Ce Prince ordonna
sur le champ au Grand-Visir , au Mufty , et au
Capitan
1158 MERCURE DE FRANCE
Capitan Pacha d'assembler un Corps de Troupes,
et de les faire marcher dès la pointe du jour ,
pour dissiper ces Rébelles . Ces Troupes marche--
rent en bon ordre vers la place d'Atmeydan où
les Rébelles étoient campés , cette place étant
beaucoup plus spacieuse que celle du Sultan Ba
jazet où ils s'étoient d'abord affemblés . Le Grand-
Visir , le Mufty et le Capitan Pacha étoient à la
tête des Troupes du Grand- Seigneur , parmi lesquelles
il y avoit 600. Leventis ou Soldats de
Marine trés bien armés , le Mufty avoit à côté
de lui le fameux Etendart de Mahomet.
Les Rébelles sans s'étonner de voir arriver les
Troupes du G. S. en bon ordre , et bien disposés
à les charger , tirerent eux mêmes les premiers ,
avec cette circonstance qu'une bâle de Mousquet ,
ayant persé l'Etendart du Prophête , le Mufty en
fút si indigné , qu'il prononça sur le champ une
Sentence de mort contre tous les Rébelles ; ce
qui anima tellement les Troupes du G. S. qu'il
y cût un sanglant Combat , dans lequel plus de
300. Rébelles resterent sur la place , et les autres
furent dissipés.
Aprés cette expédition , le Grand Visir partagea
ses Troupes en deux corps, dont l'un resta
sur la même Place , et l'autre fût comandé pour
faire la Patrouille dans la Ville , et veiller à la
seureté publique,
Ces Letres ajoûtent que tous ceux qui furent
trouvés armés dans Constantinople fûrent étran
glés sur le champ . On croit que cette nouvelle
révolte a été suscitée par la Veuve du dernier G.
V.fille du Sultan déposé : elle a été , dit - on , étran
glée , mise dans un sac et jettée dans la Mer avec
une de ses confidentes .
Le G. S, a donné une Déclaration portant que
tous
MAY. 1731.
1159
tous ceux qui viendroient dénoncer des Rébelles
ou d'autres personnes qui pourroient avoir eu
quelque part à cette derniere révolte , auroient
quinze Aspres par jours de rente viagere. Cette
récompense a operé et opére tous les jours de
nouveaux châtimens exemplaires. Nous attendons
de plus amples circonstances de cet évenement ,
par des Vaisseaux partis de Constantinople le
30. Mars dernier.
L
RUSSIE.
E Baron de Schafiroff , envoyé extraordinai
re de la Czarine en Perse , a écrit qu'il étoit
revenu à Hispahan , que le Roy de Perse ui avoit
fait donner pour son logement un Palais situé
dans le Fauxbourg où demeurent les Facteurs
des Commerçans François , Anglois et Hollandois
, qu'il étoit défrayé avec toute sa suite ,
et qu'on lui avoit donné par honneur une garde
de 40. Sokats de la Garde du Roi de Perse ;
qu'il n'y avoit pas encore de Traité conclu entre
le Roy de Perse et le Grand Seigneur , mais qu'ils
étoient convenus d'une suspension d'Armes pendant
six mois.
On mande de Moscou , qu'au commencement
du mois dernier , la Duchesse de Meckelbourg
dépêcha un de ses Principaux Officiers avec des
rémises considérables pour le Die Charles Leopold
son époux , auquel S. M. Cz . fait esperer
de puissants secours , si l'Empereur réfuse de lui
être favorable lorsqu'il s'agira de terminer ses
contestations avec les Princes de la Commission
de Rostoc .
On assure que le Traité conclu entre l'Empereur
et le feu Czar II . a été renouvellé dépuis ptu
H
ITO MERCURE DE FRANCE
et que le Comte de Wratislau , Ambassadeur extraordinaire
de S. M. Cz. , l'a envoyé à Vienne
pour le taire ratifier.
Tefterdar Said Mehemet Effendi , Envoyé
extraordinaire du Grand Seigneur , fit son Entrée
Publique à Moscou le 31. Mars ; le lendemain
il eût une Conférence avec le Grand - Chancelier,
auquel il rémit une Lettre du Grand Visir.
On écrit de Moscou que toute la Famille du
Prince de Menzixoff est revenue de son éxil ; ainsi
que d'autres personnes qui avoient été réléguées
en Siberie sous le Kégne précedent.
La Czarine doit faire publier l'Edit , rendu de
l'Avis de son Conseil,pour punir sévérement ceux
qui seront convaincus de malversations. S. M,
Cz. déclare par cet Edit,que la Famille des coupables
ne sera plus comprise dans leur disgrace,
DANNEMARCK.
chant les fonctions de ceux qui ont rang au
Couronnement du Roy , et on a fait frapper à
cette occasion 300co. Risdales de Médailles
d'or , pour être distribuées aux Ministres Etrangers,
aux Seigneurs de la Cour , et à la principale
Noblesse . On en frappe actuellement en argent ,
pour donner aux Bourgeois de Coppenhague ,
Suivant l'ancien usage.
doit nouveau
Le Roy a chargé M. de Gram , Grand-Veneur
du Royaume , de choisir douze des plus beaux
Chevaux de ses Haras , et plusieurs Chiens de
Chasse , dont S M. a dessein de faire présent an
Roy Tres- Chrétien.
On a reçu avis que la moitié de la Ville de Rotschild
, où est la Sépulture des Rois de Dannemarck
, avoit été réduite en cendres au commencement
du mois dernier.
MAY. 1731. 15Y
ALLEMAGNE.
E 20. du mois dernier , on reçut à Vienne
Lepar un Courrier dépêché de Londres , la ra
tification du Traité conclu le 16. Mars , entre
l'Empereur et le Roy d'Angleterre.
!
Le 6 May , le Conseil Aulique jugea le Procès
du Duc de Modéne , contre le Prince et les
Princesses de Carignan , au sujet de la succession
du feu Prince Foreste d'Est. Tous les immeubles
ont été adjugez au Duc de Modéne , et les effets
mobiliers au Prince et aux Princesses de Carignan.
On fait revenir d'Italie 6000 hommes de Cavalerie
, et 8000 d'Infanterie qui passeront en
Hongrie , où l'on veut assembler une armée considérable
, parce qu'on a reçu des avis certains de
Constantinople , que le G. S. pourroit être contraint
de ceder aux instances réiterées des Janissaires
et du peuple , qui paroissent toujours disposez
à la révolte , parce que S. H. refuse de déclarer
la guerre aux Chrétiens.
On écrit de Berlin que les grandes Revuës des
plus belles Troupes du Roy de Prusse , et pour
lesquelles on fait de grands préparatifs , ne se feront
qu'au commencement du mois prochain .On
assure que le Roy de Pologne et le Prince Royal
son fi's y sont invitez , ainsi que quantité d'autres
Princes , comme le Duc regnant de Wirtemberg
, le Duc de Saxe Eisenach , le Duc de Beveren
, le Prince Charles son fils , le Landgrave de
Hesse Darmstadt, les Pr . Héréditaires de Bareith,
et les Princes de la Maison d'Anhalt ; ils sont attendus
à Berlin , vers le 24 de May.
On mande de Dresde que le Cointe d'Hoim ,
premier Ministre du Roy de Pologne , a deman-
Hij
dé
116 MERCURE DE FRANCE
dé et obtenu de S.M.des Commissaires pour examiner
ses comptes , afin d'avoir ensuite sa liberté,
étant toujours relégué dans une de ses Terres.
ITALIE.
Lier
E Pape a nommé une Congrégation particuliere
, composée de quatre Cardinanx et de
quelques Prélats , pour examiner quelics ont été ,
les raisons qui ont déterminé le fou Pape a défendre
les Jeux ou Lotteries de Génes , et a fait
publier une Bulle d'excommunication contre ceux
qui prendroient interêt à ces Lotteries, ou qui en
distribueroient des Billets , et le bruit court que
ces Lotteries pourront être rétablies au profit de
la Chambre Apostolique , et que l'excommuni-
'cation ne subsistera que contre ceux qui se serviront
des moyens superstitieux , détendus par les
Canons , dans l'esperance de faire un choix plus
sûr des Numeros qui doivent leur faire gagner
des Lots.
Sur les grandes contestations du Chap, general
des Carmes Déchaussez , assemblé à Rome, le Pape
Bomma le 10 Avril , le Cardinal Impériali pour
y assister de sa part ; et le 14. ces Religieux élurent
en sa présence le Pere Robert de sainte Anne
pour Général de toute la Congrégation d'Italie.
Ce Religieux qui est né à Bruxelles , où il se
nommoit Arroud de Roy , avant que d'entrer
dans cet Ordre , étoit actuellement Définiteur
Général , et il avoit été auparavant Provincial
de la Province des Pais - Bas.
On mande de Rome qu'on y avoit reçu des dépêches
de M.Guillelmi , que le Pape avoit envoyé
à Turin , portant , qu'étant arrivé à Alexandrie,
il y avoit d'abord été reçu avec beaucoup de dis
tinction , et traité magnifiquement à dîner par le
Gouyer
M A Y. 1731. 1763
Gouverneur, qui, après le repas, lui dit qu'il avoit
ordre du Roy de le faire ressortir de ses Etats, et
de lui donner des Gardes pour le conduire jusques
sur les Frontieres ; ce qui avoit été exécuté .
Dins le Consistoire secret , du 9 Avril , le Pape
proposa l'érection de l'Evêché de Dijon , et les
Bulles de cet Evêché , pour l'Abbé Bouhier.
Le Cardinal Cibo , qu'on croyoit être allé à
Massa, pour y passer quelque temps, s'est rendu
à Gaete , dans le dessein de finir ses jours dans
P'Hermitage de Castellone , aux environs de cette
• Ville ; mais le Pape qui l'aime beaucoup , l'a rapellé
, il est arrivé à Pérouse , où S. S. lui a permis
de passer quelque temps.
Le bruit court que la Congrégation de l'Immunité
a reçu ordre d'agir contre le Cardinal
Fini , qu'on accuse d'être le premier auteur de
tous les différends du S. Siége , avec le Roy de
Sardaigne. On a appris depuis que ce Cardinal a
reçu ordre du Pape de se présenter devant cette
Congrégation , composée des trois Cardinaux ,
Chefs d'Ordres , de M. Fiorelli , et d'un Notaire,
Ces Cardinaux auront des Fauteuils à bras avec
des tapis de pied ; et le Cardinal Fini , une simple
Chaise à dos , sans tapis.
-
Le Monitoire qui a été affiché contre le Cardinal
Coscia , contient un ordre du Pape à ce
Cardinal,de se représenter dans six semaines , et
en cas qu'il refuse de s'y soumettre , on le menace
de le traiter comme rebelle et désobéissant au
S.Siége, et de le condamner par contumace . Le 4.
Avril le Card. Coscia arriva à Naples , er alla descendre
chez M. Martino , son parent. On a appris
depuis que le Nonce du Pape ayant fait citer
devant le Tribunal de la Nonciature , les voitu
riers qui avoient conduit ce Cardinal , et les voi-
Hij
sins
1164 MERCURE DE FRANCE
sins de la maison de M. Martino , il les fit - interroger
par M. d'Asti , Ministre de ce Tribunal
mais le Conseil collatéral en ayant été instruit
députa au Nonce , pour se plaindre de cette procedure
; et le Nonce répondit qu'elle ne devoit
pas être regardée comme un Acte de Jurisdiction ,
puisqu'il n'avoit fait faire serment à aucun
des interrogez , ne les ayant fait citer que pour
satisfaire aux Ordres du Pape , qui vouloit être
"informé de certaines circonstances de la fuite dua
Cardinal Coscia .
pas
On a appris de Naples , que le tremblement de
Terre, du o Mars , qui renversa la Ville de Foggia
, située dans la Province de la Capitanatte ,
sar la Riviere de Cervaro , à quatre lieues de
Manfredonia , n'a épargné aucune des Eglises de
la Ville , de sorte que les habitans, qui se sont
sauvez , ont été obligez d'élever en pleine Campagne
un Autel sur lequel ils ont placé une Image
miraculeuse de la Vierge , qui n'a point été
endommagée , et on y célébré une Messe tous
les jours.
Les Religieuses , dont tous les Monasteres ont
été détruits , se sont rassemblées dans le Cloître
de saint Pascal,où elles n'ont,pour se mettre à l'abri
des injures de l'air , que de méchantes Cabanes
, construites de Planches , ramassées à la
hâte.
La plupart des Religieux se sont dispersez
dans les Campagnes pour chercher de quoi vivre.
Les autres habitans sont dans une misére affreuse
, n'ayant ni vivres , ni moulins , ni fours ; plusieurs
d'entr'eux ont perdu la vue par les vapeurs
malignes,sorties des ouvertures de la terre,
pendant le tremblement.
Les Travailleurs n'ont pû encore retirer que
8:
MAY. 1731. 1165
8 à 900 corps morts , et il leur est presque impossible
de donner du soulagement à ceux qu'ils
entendent sous les décombres , demander du secours
et crier miséricorde,parce qu'ils courroient
risque eux -mêmes d'être écrasez sous les ruines ,
par la chute imprévue des murailles , dont tous
Ies fondemens sont ébranlez .
Dom Vincent del Pezzo , Auditeur Royal de
Foggia , qui ne fut retiré que le 23. de dessous
les décombres de sa maison , où il vivoit encore,
mourut le 24 au soir,et tout le reste de sa famille
a péri.
On a remarqué , avec étonnement , que l'eau
des Puits et des Citernes s'est élevée de plusieurs
pieds au dessus de la surface de la terre, et qu'elle
a inondé les jardins et les vignes des environs.
Le même tremblement de terre s'est fait sentir
à Barletta avec la même violence , mais il n'y a
pas causé tant de dommage. La seule Eglise des
Carmes a souffert en quelques endroits , et l'une
des Portes de la Ville est tombée.
A Cérignola, presque toutes les Eglises ont été
renversées , et la plupart des Maisons à demi rui-
* nées par les 25 secousses de tremblement de terre
qu'on y a ressenties , mais il n'y a péri que sept
personnes .
Les Villes de Canosa et d'Andria ont beaucoup
souffert ; à Molfetta il n'y a eu que trois Maisons
renversées et trois personnes tuées . A Bari , les
secousses ont été presque continuelles , depuis le
20 jusqu'au 21, mais elles y ont seulement endommagé
quelques murailles, et entr'autres celles
de l'Eglise de S.Nicolas ; quelques Bâtimens de la
Chartreuse voisine de Manfredonia ont été abbatus
, et le P.Tarno , Procureur de la Maison , a
péri avec vingt autres personnes.
H iiij
La
1166 MERCURE DE FRANCE
La Foire de Foggia se tiendra pourtant cette
année comme à l'ordinaire , malgré la destruction
de cette Ville, et les Ministres de l'Empereur
y font construire des Baraques de bois pour la
commodité des Marchands. S. M. Imp. a accordé
aux habitans de cette malheureuse Ville , qui
ont pû échaper , une exemption de tous droits
taxes et impôts pendant dix années ; et elle leur
fait fournir une certaine quantité de matériaux
pour les aider à rétablir leurs maisons. On travaille
encore à démolir , le reste des maisons de
>
Foggia , parce que les fondemens de celles que le
tremblement de terre n'a point renversées , sont
entierement ébranlez. Le nombre des morts , ensevelis
sous les ruines , monte à 3600 ,y compris
les enfans , les vieillards et les malades.
Le 11 Avril, on fit à Naples une Procession solemnelle
, dans laquelle on porta le Chef de saint
Janvier. Toute la Noblesse y assista en habits
noirs , sans domestiques et sans épées .
On mande d'Aversa , qu'un Religieux Minime
, qui a prêché le Carême dernier dans l'une
des Paroisses dépendante des Terres du Prince
d'Avelino , y avoit été assassiné par un Particu
lier , au desespoir de ce que les Sermons de ce
Pere avoient déterminé à la pénitence une Courtisanne
à laquelle cet Assassin étoit attaché . On
ajoûte qu'il a été arrêté.
On a appris qu'il est arrivé au commencement
du mois dernier dans le port d'Alger , un
Vaisseau de Guerre Suedois et deux autres Bâtimens
de transport , chargez du Present que le
Roi de Suede devoit envoyer à la Régence , conformément
au dernier Traité conclu avec le Dey,
Ce Présent consistoit en 8co. Barils de Poudre ,
8. gros Cables d'Ancre , so. Mats , 800. Fusils ,
800.
MAY. 173T. 1167
800. Sabres , 40. Canons, dont 12. sont de douze
livres de bales , 14. de 18. livres, 14. de
6000. Boulets.
24.et
Les Lettres de Genes portent que plusieurs
Familles de la Bastia , Capitale de l'Isle de Corse,
s'étoient sauvées dans l'Ile de Capraia avec leurs
meilleurs Effers ,pour se soustraire à a fureur des
Rebelles, qui ayant repris les armes , s'étoient emparez
de Feringoli , Poste avantageux , situé près
de la Bastia ; qu'ils avoient brulé le Bourg d'Araliola
, qu'ils avoient surpris la petite Ville de
San Fiorenzo , et menacé le Commandant de la
Tour de cette Ville , de faire mourir sa mere et
sa niece , arrêtées dans la Ville , s'il ne se rendoit
dans un certain temps.
On écrit de Turin , que le Roi de Sardaigne
a fait arrêter et conduire au Chateau de Miolans,
le Comte de Sales , qu'on accuse d'avoir parle
trop indiscretement des differends de la Cour avec
le Saint Siege.
LEFTRE écrite de Turin le 19. May ,
par M. L. D.
Α
LA partque vous prenez aux progrès de la
Scene Françoise , Monsieur , me fait esperer
que vous recevrez avec plaisir la Lettre que j'ai
l'honneur de vous écrire , et que vous aurez la
bonté d'en faire usage dans le Mercure de ce mois.
Nous avons à Turin une Troupe de Comédiens
François , recommandable par le choix et par
le nombre des Acteurs et des Actrices qui
a composent cette Troupe a é é demandée
pour la troisiéme fois dans cette Cour ; clie
y est goutée plus que jamais , et notre Noblesse
voit avec plaisir représenter les Chefs - d'oeuvres
qu'elle a admirez autrefois en les lisant. Le Roi
Hv les
1168 MERCURE DE FRANCE
les honore très -souvent de sa presence au Théatre
du Prince de Carignan , et l'on a fait construire
un Théatre magnifique dans les Appartemens
du Palais , pour en donner le divertissement
à la Reine , à qui ils ont eu le bonheur de plaire .
Ils y représentent deux fois la semaine , et Sa
Majesté n'a cessé de les voir que par son heureux
accouchement d'un Prince , qui nâquit Jeu
dy 17. May ; il fut nommé le lendemain sur les
Fonts , joseph- Charles- Emmanuel , par le Prince
Louis de Carignan , et par la Princesse sa:
soeur. Nos Comédiens , pour marquer la partqu'ils
prennent au bonheur public , donnent aujourd'hui
19. la Comedie gratis . J'ai l'honneur:
d'être , &c..
Ν
ESPAGNE
ON apprend de Seville , que M. Kéene , Ministre
du Roy d'Angleterre , a. remis aux
Ministres du Roi la copie du Traité conclu à Vienne
entre l'Empereur et S.M. Britanique;qu'il y a eu
à ce sujet plusieurs Conferences des Ministres,dans
le Cabinet du Roi, et que
le bruit court que S.M.
a refusé jusqu'à present d'y prendre part .
HOLLANDE ET PAYS- BAS.
Ans la derniere Vente de la Compagnie d'Os
tende , le meilleur Thé s'y est vendu depuis .
42 sols jusqu'à 47. et le moindre depuis 30. jusqu'à
40. sols la livre ; tout le Thé a été vendu ,
ainsi que la plus grande partie des autres Marchandises
de la même Compagnie , dont les Actions
sont tombées à 104 .
Le 29. du mois dernier , vers les 9. heures du
sair , le Duc de Lorraine arriva à Bruxelles in-
Goo
MAÝ. 1731. 1169
cognito , sous le nom de Comte de Blamont. Ce
Prince qui avoit été reçû hors la Porte par le
Comte de Visconty , Grand-Maître de la Maison
de l'Archiduchesse Gouvernante , alla descendre
à l'Hôtel de Salazar , que cette Princesse lui avoit
fait préparer. Le lendemain matin , il alla rendre
visite à l'Archiduchesse , et ensuite dîner chez le
Comte de Visconti.
Dona Therese de Castro , soeur de Don Rhuy de
Figuereido, d'Alacaon , Seigneur d'Ota , cy- devant
Gouverneur des Armes dans la Province de
Beyra , et de Don Manuel de Souza - Figuereido,
qui alla aux Indes en 1612, est morte depuis peu
a Lisbone, dans le Monastere de sainte Monique,
âgée de 120. ans accomplis.
MORTS DES PAYS ETRANGERS:
Maivier Cromwel , mourut à Londres le 19.
adile Elizabeth Cromwel , petite fille d'Os
Avril , âgée de 82 , ans.
C
Le Duc de Saxe Mersbourg , est mort à Colo→
gne sans enfans , dans la 44 année de son âge.
Le Duc Spremberg , qui lui succede , a déja pris
possession de ses Etats.
おののの
FRANCE
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c..
E Roi a accordé le Gouvernement
Lde la Ville de S. Quentin , vacant
par la mort de M. de Montesson , à M. de
Billarderie , Maréchal des Camps ,
Hvj Come
1170 MERCURE DE FRANCE
Commandeur de l'Ordre Royal et Militaire
de S. Louis , et Major des Gardes
du Corps ; et le Gouvernement des Ports
et Fort de Brescou , qu'il à remis , a été
donné par S. M.au Chevalier de Montesson
, Lieutenant des Gardes du Corps.
Le Comte de Berenger , Colonel réfromé
d'Infanterie , a été nommé Colonel du
Régiment de Vivarais , et S. M. a accordé
au Comte de la Suze , Grand - Maréchal
des Logis , l'agrément du Régiment de
Dragons , dont le Comte de Sommery ,
étoit Mestre de Camp .
Le Roi a fait expédier un Brevet à
l'Archevêque de Rouen , Directeur des
Economats , pour l'autoriser à retirer pendant
six ans , les revenus de l'Abbaye vaconte
de Fécamp , pour les employer aux
réparations du College de Navarre et des
maisons qui en dépendent.
Le 7. Avril , M. l'Archevêque de Paris
donna un Mandement qui ordonne des
des Prieres pour la conservation des biens
de la terre , en voici la teneur :
CHARLES-GASPARD -GUILLAUME , &c.'
Dans la crainte qu'une longue secheresse ne
nuisit aux Fruits de la Terre , et que nous n'eussions
la douleur de voir augmenter la misere des
Pauvres , qui doivent être le premier objet de
notre charité , nous nous sommes addressez à
celui
MAY. 1731 1171
"
celui qui dispense à son gré les biens et les maux,
l'abondance et la sterilité , et nous avons ordonné
à tous les Prêtres de notie Diocèse de réciter
à la Messe la Collecte inserée dans le Missel ,
pour demander à Dieu la pluye dont nos Campagnes
ont besoin. Nous voyons avec consolation
que le Seigneur , sensible à nos Prieres , commence
à les exaucer , et c'est ce qui doit nous engager
à les redoubler avec autant de ferveur que
de confiance , pour conjurer le Pere des misericordes
, d'ouvrir ses trésors et de répandre sur
la Terre ces rosées de benediction , d'où dépend
la fécondité . Implorons l'intercession de nos
saints Patrons , si puissante auprès de Dieu , et
dont nous avons tant de fois éprouvé les salutaires
effers ; mais souvenons- nous que ce sont nos pe-
*
chez qui arrêtent le cours des graces et des bienfaits
de Dieu , que c'est parce que nous l'irritons
continuellement par nos desordres , que selon ses
menaces , le Ciel devient d'airain , et la Terre
de fer. Appaisons donc sa colere , par une conversion
sincere , par nos gémissemens et par nos
larmes ; que les Prêtres et les Ministres sacrez ,
prosternez entre le Vestibule et l'Autel , prient le
Seigneur de pardonner à son Peuple , et que les
Pécheurs penetrez du plus amer regret de leurs
fautes , s'efforcent d'en obtenir le pardon par de
dignes fruits de pénitence.
A ces causes , après en avoir conferé avec nos
venerables Freres les Doyen , Chanoines et Cha-
* Deut. 28. 12. Aperiet Dominus thesaurum
suum optimum , Coelum , ut tribuat pluviam
terra tua in tempore suo.
* Deuter. 28. 23. Sit calum , quod supra te
est , aneum ; et terra , quam calcas , ferrea.
pitre
1172 MERCURE DE FRANCE
pitre de notre Eglise Métropolitaine , ayant égard
à la priere des premiers Magistrats , nous ordonnons
que dans toutes les Eglises de cette Ville et de
ce Diocèse, outre la Collecte intitulée , Ad petendam
pluviam , on dise à l'issue de la principale
Messe le Trait , Domine , non secundùm , &c.
avec le Verset , Ostende nobis , &c. et l'Oraison
Effunde , &c. Et à l'issue des Vêpres les Litanies
des Saints pendant neuf jours , à compter du jour
de la réception de notre present Mandement. Exhortons
le Clergé et le Peuple de visiter , soit en
Procession, soit en particulier , l'Eglise de Notre-
Dame et celle de sainte Geneviève du Mont , Ou
les Châsses de S. Marcel et de cette Sainte seront
découvertes pour exciter la ferveur et la confiance
des Fideles . Afin que tout se fasse avec ordre ,,
et sans interrompre le service de ces Eglises , les
Curez et autres Superieurs conviendront avec
nosdits Venerables Freres de notre Eglise Métropolitaine
, et les Sieur Abbé , Prieur et Religieux
de sainte Geneviève du Mont , des jours et heures,
ausquels chaque Procession pourra se rendre,,
aprés la Fête de l'Ascension , dans lesdites Eglises.
Si vous mandons , &c.
Le 24. Avril , le Prévôt des Marchands
et Echevins , à la tête du Corps de Ville ,
précedez des Gens du Roi , se rendirent
à la Grand'Chambre du Parlement , pour
demander à la Cour un Arrêt pour découvrir
totalement la Châsse de sainte
Genevieve , pour obtenir de la pluye
par son intercession ; l'Arrêt fut rendu
sur le champ , et la Châsse découverte à
six
MAY. 1731. 1573
six heures du soir avec les ceremonies
accoutumées ; depuis ce tems - là on a vû
continuellement des Processions de la
Ville , des Fauxbourgs et de la Campagne
, aller à l'Eglise de sainte Geneviève..
Le 29. Avril , le Marquis d'Antin ,
Petit- fils du Duc d'Antin , fils de la
Comtesse de Toulouze , et frere du Duc
d'Epernon , Capitaine de Vaisseau , prêta
serment de fidelité entre les mains du
Roi , pour la Charge de Vice- Amiral du
Ponant , vacante par la démission volontaire
du Maréchal Duc d'Estrées , auquel
S. M. a conservé les fonctions de cette
Charge pendant dix ans. Ce jeune Selgneur
partit d'ici le 6. de ce mois pour
s'aller embarquer à Toulon , sur l'Esca--
dre commandée par M. du Gué Trouin ,,
Lieutenant General , qui doit mettre en
Mer vers la fin du mois pour aller sur
les Côtes de Barbarie , dans toutes les
Echelles du Levant , &c.
Le premier May , les Hautbois de la
Chambre du Roy joüerent au levé de :
Sa Majesté , plusieurs airs de Symphonie
de M. de Lully , et les 24. Violons
de la Chambre donnerent au diné du Roy
une suite de symphonie de la composition
de
1174 MERCURE DE FRANCE
de M. Destouches Sur Intendant de la
Musique du Roy en Semestre , dont l'execution
fût trés brillante .
Le s . il y eût Concert à Marly , on y
chanta les deux derniers Actes de l'Opera'd'Atys.
Le 7 , on chanta devant la Reyne le
Prologue du Balet des Stratagêmes de
l'Amour , dont les vers sont de M. Roy ,
et la Musique de M. Destouches . Ce Prologue
, fait à l'occasion du mariage de L.
M. fut chanté par la Dile. Lenner qui fit
le Rôle de la Prétresse de la Gloire , avec
tout le succès qu'on en pouvoit attendre ,
les Choeur et les Symphonies firent le
même plaisir.
Le 16 , on chanta devant la Reyne la
premiere Entrée du même Balet , intitulée
Scamandre , dont le Rôle fût rempli
par le sieur d'Angerville , et celui de-
Callirée par la Die Barbier , ces deux sujets
rendirent ccs Caractéres avec beaud'Art.
coup
·
Le 19 , on donna la seconde Entrée ,
qui a pour titre les Abderites , le sieur
Guedon y chinta le Rôle de Timante , le
sieurLe Prince celuy d'Iphis , et la Dlle
Couvassier c lui d'Irene , dans lequelelle
plût infiniment.
Le 21 , on finit le Balet par la troisiéme
MAY. 1735. 1175
me Entrée intitulée la Fête de Philotis ; la
Die Lenner et le sieur d'Argervile chanterent
les Rôles d'Albine et d'Emile au
contentement de la Reyne et de toute la
Cour , et le sieur Le Prince fit le Rôle de
Lycas , avec autant de précision que de
legereté .
Le 3. jour Fêre de l'Ascension , et le 1 3 .
Fête de la Pentecôte , il y eût Concert spirituel
au Château des Thuilleries ; on y
chanta differents Motets de M. de la Lande
qui furent parfaitement bien executés,
de même que d'autres petits Motets à une
et deux voix de differents Auteurs.
Le 24 , jour de la Fête- Dieu , on chanta
Exaltabo te Deus , Motet de M. de la
Lande , et Venite exultemus , du sieur du
Bous et. Les Diles. Erremens et Lenner ,
chanterent O Sacrum convivium , Motet
de M. Mouret , qui fût trés aplaudi , de
même qu'un autre petit Motet de M. le
Maire , chanté par la Dlle . Petit- pas ; ce
dernier Concert fût terminé par le Te
Deum de M. de la Lande ,avec Timballes
et Trompettes , précedé d'une trés belle
Symphonie.
Le 8. de ce mois , les Officiers des Gardes
du Corps allerent par la premiere fois
prendre l'Ordre de M. le Dauphin , en
l'absence du Roy.
Le
1176 MERCURE DE FRANCE
Le Roy a accordé à M. le Comte de
Guiry , cy- devant Exempt des Gardes du
Corps de Sa Majesté, un Brevet de retenuë
de scooo. I. sur la Lieutenance Generale de
la Province d'Aunix , dont ce Seigneur
fût pourvu aprés la mort de son Pere ,
arrivée à Clagny prés Versailles , le 17.
Juin 1711. aussi bien que du Gouvernement
des Tours , Ports , Havres et Chitnes
de la Rochelle , et ce en faveur de
Madame la Comtesse de Guiry née à Malésieux
, Dame d'Honneur de Son A. S.
Mademoiselle du Maine , réversible à
Mademoiselle de Guiry leur fille ,àprésent
unique , dont l'aînée morte en 1725 avoit
épousé M. Eugêne Pierre De Surbeck
Colonel commandant la Génerale des
Suisses et Grisons , dont le Pere est mort
Lieutenant General des Armées du Roy ,
Colonel du Régiment de son nom , et
Inspecteur d'Infanterie .
même
La Maison de Guiry a l'avantage d'être
alliée à plusieurs Maisons illustres ,
à celle de France , puisqu'en 1525. Philippe
de Guiry épousa Marguerite de Dreux,
fille de François de Dreux , Seigneur de
Morainville , Estalleville , issuë par plusieurs
degrés du Roy Louis le Gros un
des Ancêtres de M. de Guiry , fut donné
en ôtage pour le Roy Jean , aprés la Bataille
MAY. 1731. 1177
2
taille de Poitiers ; et en remontant plus
haut , on a trouvé une Mabille de Guiry ,
qui en 1243. donna à l'Abbaïe du Trésor
, prés Magni , le Quint de ses Propres
, ce qui fut confirmé par la Reine
Blanche et par le Roy S. Louis , par lettre
donnée à Vincenne en Juillet de ladite
année.
Quant à Made de Guiry , on fait son
éloge quand on dit qu'elle est de la Maison
de Malésieux , où le merite et la vertu
sont heréditaires .
Le 9. aprés mydi , le Roy se rendit du
Château de Marly à la Plaine des Sablons ,
où S. M, fit la revue des Regimens des
Girdes Françoises et Suisses , qui aprés
avoir fait l'Exercice , défilerent devant
le Roy. La Reine se trouva à cette revuë ,
et S. M. alla ensuite se promener au Cours.
Le to. May le Procez du Comte d'Agenois
fut jugé à la Grand'Chambre , l'Arrêt
porte que sans s'arrêter aux opositions
des 22. Ducs et Pairs de France , il sera
passé outre à la réception du Comte
d'Agenois en la dignité de Duc d'Aiguillon
, Pair de France , pour avoir rang et
stance au Parlement du jour de sa réception
, suivant l'Article 3. de l'Edit de
17 11. Dépens compensés.
Le
1178 MERCURE DE FRANCE
Le 13. jour de la Pentecôre ,. le; Che
valiers , Commandeurs et Officiers des
Ordres du Roy , s'étant , rendus vers les
onze heures dins le Cabinet de S. M.
le Roy tint un Chapitre dans lequel le
Duc de Duras et le Comte de Broglie qui
avoit été compris dans la promotion des
Chevaliers de l'Ordre du S. Esprit , proposés
par S. M. le 1. du mois de Janvier
dernier , furent admis , ainsi que le Comte
de Rottembourg , auquel S. M. a ordonné
qu'on envoya la Croix et le Cordon
bleu. Le Chapitre étant fini , le Duc de
Duras , le Comte de Broglie et le Marquis
de la Fare qui avoient été admis dans
le Chapitre tenu le 2 , de Fevrier dernier ,
s'étant rendus dans l'appartement du Roy
en habit, de Novices , furent introduits
dans le Cabinet , où S. M. les fit Chevaliers
de l'Ordre de S. Michel. Le Roy
sortit ensuite de son appartement pour
aller à la Chapelle du Château. S. M.
étoit précedée du Duc d'Orleans , du
Duc de Bourbon , du Comte de Charolois
, du Duc du Maine , du Prince de
Dombes , du Comte d'Eu , du Comte de
Toulouse , et des Chevaliers , Commandeurs
et Officiers de l'Ordre : les Novices
marchoient entre les Chevaliers et les
Officiers. Le Roy devant lequel les deux
Huissiers
MAY. 1731. 1179
Huissiers de la Chambre portoient leurs
Masses , étoit en manteau , le Collier de
l'Ordre par dessus , ainsi. que les Chevaliers
; et le Cardinal de Bissy , Prelat Commandeur
de l'Ordre du S. Esprit , marchoit
derriere S. M. Le Roy assista à la
Grande Messe , et lorsqu'elle fut finie ,.
S. M. quitta son Prie Dieu et monta à son
Trône auprés de l'Autel , où les trois nonveaux
Chevaliers furent réçûs avec les
Ceremonie; ordinaires , ayant pour Parrains
le Duc de Levy e le Marquis de
Brancas. Les Chevaliers qui venoient
d'être reçus , ayant pris leurs places suivant
leur rang , le Roy sortit de la Chipelle
, et fut réconduit dans son appartement
avec les Ceremonics accoutumées.
les La Reine qui avoit communié par
mains du Cardinal de Fleury , son Grand
Aumônier , se rendit avec les Dames de
Sa Cour dans la Tribune , où S. M. entendit
la Grande Messe .
,
L'aprés mydi , le Roy et la Reine accompagnés
du Duc d'Orleans , du Prince
de Conty , du Duc du Maine , du Prince
de Dombe , du Comte d'Eu et du Comte
de Toulouse , entendirent le Sermon
l'Abbé Causse , et ensuite les Vêpres.
Le14 le Roy révêtu du grand Collier de
FOrdre du S. Esprit , se rendit à la Chapelle
180 MERCURE DE FRANCE
pelle du Château , où S. M. entendit la
Messe et communia par les mains de l'Abbé
de Bellefons , Aumônier du Roy en
quartier. Ensuite le Roy toucha un grand
nombre de Malades.
Le jour de la Fête Dieu , le Roy accompagné
du Duc d'Orleans , du Prince de
Dombes , du Comté d'Eu , et de ses
Principaux Officiers , se rendit à l'Eglise
de la Paroisse de Versailles , où S. M. entendit
la Grande Messe , aprés avoir assisté
à la Procession qui vint suivant l'usage
à la Chapelle du Château . La Reine s'étoit
renduë å sa Tribune , avant que la Procession
arrivat , et S. M. y entendit la
Messe. Monseigneur le Dauphin , Monseigneur
le Duc d'Anjou , et Mesdames de
France , aprés avoir vû passer la Procession
, allerent à la Chapelle , où ils assisterent
à la Messe.
Le17. aprés mydi , le Roy fit au champ
de Mars prés du Château de Marly , la
revue des quatre Compagnies des Gardes
du Corps et de celle des Grenadiers à
cheval.
Le 22. le Duc de Bouflers prêta serment
prit séance au Parlement en qualité de
Pair de France.
Le 25. la Loterie de la Compagnie des
Indes , pour le remboursement des Actions
MAY. 1731 . 1181
tions ,fut tirée en la maniere accoutumée ,
à l'Hôtel de la Compagnie. La Liste des
Numeros gagnans des Actions , et dixiémes
d'Actions qui doivent être remboursées
, a été renduë publique ; faisant en
tout le nombre de 294. Actions.
L'Hyver qui a été assez rude cette année
, n'a point encore fait place à la belle
Saison , le vent du Nord régne toûjours ,
et presque point de puye dépuis trés
longtemps , ce qui et géneral dans toute
PEurope ; on se plaint par tout du grand
froid de l'Hyver , et de la longue secheresse.
On écrit de Milan qu'elle y étoit
si grande au commencement du mois dernier
, qu'on n'en avoit jamais vû de pareille
au plus fort de l'Eté , tout paroissant
brûlé à la Campagne comme dans
l'ardeur de la Canicule.
****************
A MADAME LA DUCHESSE DE ..
Qui avoit demandé pour le jour de l'An des
Vers à M. d'Hautefeuille.
Q
Uels Charmes ont pour vous les Vers d'un
malheureux ?
Accablé sous le poids d'une longue disgrace ,
Sa
1182 MERCURE DE FRANCE
>
Sa Muse ne peut plus s'expliquer avec grace ;
Il ne lui reste que des voeux .
M
Qu'est- ce aujourd'hui parmi les Hommes
?
Ce mot de voeu n'est plus qu'un mot,
s'il est impuissant dans le Siécle où nous sommis
,
Son impuissance est un défaut.
Mais vous ne pensés pas de même.
Avec un goût certain , un vrai discernement,
Que donne la Vertu qu'on aime
On pense bien differemment;
On sort de la route vulgaire
Du Dieu de l'interêt on méconnoît l'Autel.
Et le plus malheureux Mortel
Quand il a du mérite a celui de nous plaire.
On l'aime ... on rend l'espoir à son coeur abbatu
,
La disgrace par tout porte le fruit du crime ,
Et la sienne pour lui nous donne de l'estime :
Il est heureux pour nous s'il a de la vertu.
Muse chagrine arrête, et vois où tu m'entraînes;
Remplis mieux mes intentions?
Et songe un peu que des Etrennes
Ne sont pas des Réflexions ?
'Arrête ? on sçait ton zéle , on louera ton silence.
Mais sentir et se taire est un trop grand effort.
Le
MAY. 1731. 1183
Le respect n'y peut rien , le Coeur est le plus fort
Quand il est plein d'estime et de reconnoissance.
M. de Vauban dont nous avons annoncé
la mort dans le Mercure d'Avril , a été
inhumé dans l'Eglise des Capucins de
Bethune. On lit cette Epitaphe , gravée
sur un beau marbre blanc. Les Armes de
Vauban sont en haut.
CY GIT
Haut et Puissant Seigneur , Messire
Antoine le Prêtre de Vauban , Lieutenant
Général des Armées du Roy , Ingénieur-
Géneral , Directeur des Fortifications des
Places d'Artois , Gouverneur des Ville et
Château de Bethune .
Digne neveu , digne Disciple du Maréchal
de Vauban !
Elevé successivement à tous les Grades Militaires
;
Toujours mérites , toûjours remplis avec distinction.
D'un génie superieur pour les fortifications ,
l'attaque , et la déffense des Places:
Modele des Ingenieurs dans la déffense de
*
Bethune.
Prompt , exact et intrepide , quand il a obei :
I Vigilant ,
1184 MERCURE DE FRANCE
Vigilant , plein de resources et de fermeté ,
quand il a commandé.
Courtisan seulement par ses services .
Cytoyen dans toutes ses vuës ;
Utile à la patrie dans ces emplois ,
Utile aux particuliers dans sa vie privée ;
To jours estimé , toûjours aimé,
Et toujours d'autant plus qu'il étoit vû de
plus prés.
Il mourut plein de jours et d'honneurs , en
homme qui n'avoit jamais craint que Dieu ;
plein de resignation à ses ordres et de confiance
en sa bonté, le 10. Avril l'an de grace 173 I.
et de son âge le soixante et dix - septième .
Quoy qu'il soit déffendu aux Capucins
d'enterrer qui que ce soit dans leur
Eglise , sans la permission du Géneral
le Pere Gardien , par reconnoissance ,
et par devoir , s'est soustrait dans cette
occasion , à la régle génerale. La Ville de
Bethune , voulut rendre à l'illustre Mort
qui avoit été Gouverneur de cette Place
pendant 28. ans tous les honneurs imaginables.
Le Chapitre de la Collegiale , le
Bailliage et le Magistrat , assisterent en
corps au Convoy , en crêpes , avec des
flambeaux , de même que tous les Officiers
des Régiments de Mailly , Infanterie , et
Dragons
MAY. 1731. 1185
Dragons d'Orleans , qui composoient la
Garnison , et ceux de Royal Italien , et
d'un Bataillon de Piémont , qui se trouverent
y avoir séjour: les coins du Poële
étoient portés par les principaux Officiers,
toute la Garnison étant sous les Armes ,
les Tambours ayant leurs caisses couvertes
de crêpes , toute la Noblesse et la Bourgeoisie
à la suite du Clergé. La Cerémoniè
fût terminée par une décharge du Canon
des remparts et par trois décharges de
Mousqueterie . Un Service solemnel fûr
celébré le lendemain dans l'Eglise de saint
Barthelemy , Paroisse du Déffunt.
Portez d'inclination à celébrer le mérite
distingué et les Grands Hommes en genéral
,et le nom de Vauban en particulier, nous
allons insérer ici en leur entier des Lettres
Patentes qui nous sont heureusement
tombées entre les mains , aussi dignes de
la curiosité du Public , que propres à
illustrer la posterité de M. de Vauban.
Lo
OUIS , par la de Dieu , Roy de France
grace
et de Navarre : A tous présens et à venir :
Salut. Le témoignage
le plus certain que nous
puissions donner de notre Justice et de notre esti
me à ceux de nos Sujets,dont les services ont fair
connoître la vertu , est de leur accorder des mar
ques d'honneur qui puissent passer à leur posterité
; ces récompenses
servent à soûtenir le plus
I ij
1.4
1185 MERCURE DE FRANCE.
solide éclat des familles, ' en remettant devant les
yeux des descendans ceux qui les ont méritez, les
exemples des belles actions de leurs peres ; ce qui
animé le zéle de plusieurs Sujets à continuer la
longue suite des services de leurs Auteurs , qui
ont exposez leur vie au service du Prince ; et nous
le remarquons particulierement en la personne de
notre cher et amé Antoine le Prêtre de Vauban
Lieutenant General de nos Armées, Grand Croix
de l'Ordre militaire de S. Louis , Gouverneur de
notre Ville et Château de Béthune , Ingénieur
general , ayant la direction des Places de notre
Province d'Artois , qui sert depuis cinquantedeux
ans , et s'est trouvé à 44 Siéges , d'attaques
Du défenses de Places , Villes , Citadelles ou Châteaux
, et dans un grand nombre d'actions , où il
a reçu en divers temps , seize blessures considérables.
Il servit à la défense de Lille , en 1708.
Il défendit en chef son Gouvernement de Bethu
ne , en 1710. ou contre l'attente des ennemis
aussi-bien que des François , il tint 42 jours de
tranchée ouverte ; et en 1714 il fut choisi par le
feu Roy , notre Bisayeul , et par notre cher Frere
et Oncle le Roy d'Espagne , pour faire en chef
fe Siége de Barcelonne , sous les ordres de notre
Cousin le Maréchal de Bervick.Dans toute cette
longue suite de service il a suivi les exemples de
notre cher et bien amé Cousin Sébastien le Prêtre
, Maréchal de Vauban , son oncle , issu de la
branche cadette de sa Maison, qui a servi pendant
plus de soixante ans , d'une guerre presque contimuelle
, réiinissant en sa personne les talens du
Cabinet dans la paix , avec la valeur et la capacité
dans la Guerre ; ce qui auroit engagé notre
Bisayeul de l'élever à la Dignité de Maréchal de
France , et de Chevalier de nos Ordres; Dignitez
qui
ΜΑΥ. 1731 1187
qui sont le comble des honneurs de la Noblesse
de France ; et étant informé que ledit sieur de
Vauban , du chef de Dame Anne - Henriette de
Busseul son Epouse , fille unique et héritiere du
sieur Comte de S. Sernin , d'une des plus ancienne
Maison de notre Province de Bourgogne , qui
étoit illustre dès le regne de l'Empereur Othon
et de Hugues Capet, qui s'est toujours soûtenue
par ses services , possede la Terre et Seigneurie
de S. Sernin , située dans le Mâconois , dans .la
quelle il a tout droit de Justice , Haute, Moyen-,
ne et Basse , s'étendant en plusieurs Paroisses
ayant titre de Baronie depuis plus de deux cens
ans , et qu'il possede la Terre et Seigneurie de
Boyer qui y est joignante et contigué , dans laquelle
il a aussi tout droit de Justice , relevant de .
Nous , à cause de notre Duché de Bourgogne , à
cause de laquelle il a droit de séance aux Etats de
ladite Province , et dans laquelle il a deux beaux
Châteaux , plus de 500 arpens de Bois ; tout droit
de Cens et Rentes Nobles, servies en argent et en
grains , droits de Lots et Ventes , et de Retrait et
Retenue aux Mutations , Corvées d'Hommes et
de Bestiaux , droits de Guets et Gardes , et tous
autres droits utiles et honorifiques, Chasse, Pêche,
dans laquelle la plupart des habitans sont tailliables
, et de main morte, ayant seul droit d'y vendre
et d'y faire vendre du Vin pendant le mois de
Juillet de chaque année ; et qu'il est Engagiste du,
droit d'Aide , dans l'étenduë de ladite Paroisse de
S. Sernin , plusieurs Fermes , Terres , Vignes ,
Bois et autres héritages qui composent un reve
nu considérable et capable de porter le Titre de
Comté, qu'il nous a très-humblement supplié de
lui accorder sous le nom de Comté de Vauban
que ladite Terre portera à l'avenir,au lieu de ce-
I iij lui
1188 MERCURE DE FRANCE
lui de S. Sernin . A ces causes , voulant donner
audit sieur de Vauban des marques de notre
bienveillance par un Titre d'honneur qui puisse
faire connoître à la posterité l'estime que nous
faisons de sa personne , en considération de ses
longs services, et de ceux de notre Cousin le Maréchal
de Vauban son Oncle , pour animer ses
descendans : de l'avis de notre Conseil , Nous
avons changé et commué , changeons et commuons
ledit nom de S. Sernin , qu'a porté cydevant
ladite Terre , en celui de Vanban , et à la◄
quelle Nous avons joint et uni , annexé et incor
poré, et par ces Présentes , signées de notre main,
joignons , unissons , annéxons et incorporons sa
dite Terre et Seigneurie de Boyer , avec ses reve-
-nus et droits , circonstances et dépendances ,pour
ne composer à l'avenir qu'une seule même Terre
et Seigneurie ; laquelle nous avons de notre grace
spéciable , pleine puissance et autorité Royale,
créé, érigé , élevé et décoré ; créons , érigeons,
élevons et décorons par ces Présentes , à nom ,
titre , dignitez et prééminence de Comté , sous
la dénomination du Comté de Vauban , pour en
jouir par ledit s Antoine le Prêtre de Vauban,ses
enfans et posterité mále, nez et à naître en légitime
mariage , audit nom , titre et dignité de Comté :
Voulons et Nous plaît qu'ils puissent se nommer
et qualifier Comtes de Vauban en tous Actes, tanɛ
en jugement que dehors , et qu'ils jouissent de
pareils honneurs , droits d'Armes , Blasons , Autoritez
, Prérogatives , Prééminences en fait de
Guerre , Assemblées d'Etat , de Noblesse et autrement
, tout ainsi que les autres Comtes de notre
Royaume et Province de Bourgogne , encore
qu'il ne soit icy particulierement exprimé ; que
sous les Vassaux , arriere-Vassaux , et autres tenans
MAY. 1731. 1189
hans noblement et en roture dudit Comté de
Vauban , le reconnoiss nt pour Comte , fassent
Jeur toy et hommage , baillent leurs aveux et dénombremens
, et déclarations , le cas y échêant ;
sous le même nom et Ture de Comré de Vauban;
et que les Officiers exerçans la Justice de ladite
Terre , intitulent leurs Sentences et Jugemens
sous le même nom et Titre de Comté de Vau→
ban , et scellent leurs Sentences et jugemens du
sceau de ses Armes , sans toutefois aucune muta
tion ni changement de mouvance , ni de ressort ,
ni contrevenir aux cas Royaux dont la Jurisdic-
.tion appartient à nos Baillifs et Sénéchaux , ni
que pour raison de la prés nte union , érection et
changement de nom et Titre , leait sicur Comte
de Vauban , ses enfans et descendans soient tenus
envers Nous , ni leurs Vassaux et Tenanciers envers
eux , à autres , ni plus grands droits que
ceux qu'ils doivent à présent , à la charge de
relever de Nous , à une seule foy et hommage
à cause de notre Duché de Bourgogne, avec mèmes
droits et devoirs accoutumez , sans aussi déroger
ni préjudicier aux droits et devoirs si aucuns
sont dûs à autres qu'à Nous , ni qu'à défaut
d'hoirs mâles , nez en légitime mariage , nous
puissions ni nos successeurs Rois , prétendre lad .
Terre être réunie à notie Domaine , en vertu de
l'Edit de 1566. auquel Edit et autres précédens
et subsequens , des années 1981. et 1582. Nous
avons dérogé et dérogeons ; mais en ce cas ou
celui de la désunion des Terres unies par ces Présentes
, elles retourneront en leur premier état et
Titre. Si donnons en mandement à nos amez et
féaux Conseillers , les Gens tenans nos Cours de
Parlement de Paris , Chambre de nos Comptes à
Dijon , Présidens , Trésoriers de France au Bu-
Liuj reau
1190 MERCURE DE FRANCE
reau de nos Finances à Dijon , Baillif du Mâconnois
ou son Lieutenant General,et autres nos Officiers
qu'il appartiendra , que ces Présentes, nos
Lettres d'erection , ils ayent à faire enregistrer ,
lire et publier , garder et observer , et de tout le
contenu en icelles jouir et user ledit sieur Antoime
le Prêtre de Vauban , ses heritiers et successeurs
mâles ; ensemble les Vassaux relevant dudit
Comté; cessant et faisant cesser tout troubles et
empêchemens contraires . Car tel est notre plaisir,
nonobstant tous Edits et Ordonnances,même celle
du mois de Juillet 1666. et auttes,portant réünion
à notre Domaine , des Duchez , Comtez ,
Marquisats et autres Dignitez , à défaut d'hoirs
males , Statuts, Arrêts,Constitutions , Coûtumes,
Mandemens. Restrictions et défenses au contraire
, ausquelles ensemble aux dérogatoires , y contenues:
Nous avons dérogé et dérogeons ; et afin
que ce soit chose ferme et stable à toujours,Nous
avons fait mettre notre Scel à cesdites Présentes.
Donné à Chantilly , au mois d'Aoust , l'an de
grace 1725. en de notre Regne le dixiéme.
Signé LOUIS. Et plus bas : Par le Roy ,
PHELIPPIAUX.
A MADEMOISELLE C****
Sur la Mort de sa Chienne.
LA douceur , la beauté , l'agréable jeunesse ,
Ne peuvent point fléchir la Mort ,
Rien ne touche cette tigresse
Zerbinette a fini son sort.
E
11
T
P
C
Su
La
Si
Cro
Un seule fois en sa vie ,
De
ZerMAY.
1731. \ 1191
Zerbinette éprouva l'amoureuse chaleur ,
Cette foiblesse fut suivie ,
De la plus amere douleur.
Le souvenir des maux que lui causa Lucine ,
De son coeur allarmé devint la guérison ,
Helas ! qu'il est d'Iris dont la foible raison ,
Ne vaut pas l'instint de Zerbine.
De vous aimer elle fit son étude
Sortez- vous , son inquiétude
Découvroit son attachement ,
Tout ce qui vous plaisoit avoit droit de lui plaire,
Et. les effets de sa colere ,
Tomboient sur l'importun, et jamais sur l'Amant.
Certain Toutou pouroit bien nous le dire ,
Il fut toujours en butte à son courroux ,
Tandis qu'un Levrier , beau parleur et beau Sire ,
Pouvoit, sans le choquer, se mettre à vos genoux.
Combien de fois d'une façon folâtre ,
Sur un sein plus blanc que l'albâtre ,
La friponne se chamailla ,
Si pour un seul baiser elle en recevoit mille ,
Croyez-vous qu'il soit difficile ,
De vous aimer à ce prix - là.
L'Epicier.
I v MORTS
1192 MERCURE DE FRANCE
MORTS , NAISSANCES
L
et Mariages..
E LI. Avril , Pierre Jardin , Laboureur
de Rachecourt , sur Marne , Election
de Joinville , y mourut âgé de cent
ans accomplis .
Dame Marie -Anne d'Espinay de S. Luc,
Epouse de François Marquis de Rochechouart,
décedée le 24. Avril,âgée de 58 .
ans.
Jean Baptiste , Comte de Montesson
Lieutenant General des Armées du Roi ,
Gouverneur de S. Quentin , cy- devant
premier Lieutenant des Gardes du Corps ,
mourut à Paris , le 25. d'Avril , âgé de
85. ans.
Louis - François de la Beaune le Blanc
de la Valliere , Comte de la Valliere , Colonel
du Régiment de Vivarais , fils de
Charles François de la Baume le Blanc de
la Valliere , Duc de la Valliere , Pair de
France, Gouverneur pour le Roi et Grand-
Sénechal de la Province de Bourbonnois ,
Lieutenant General des Armées de S. M.
cy-devant Mestre de Camp General de sa
Cavalerie Legere de France , et Menin de
MesMAY.
r193 1731.
Messeigneurs les Dauphins , fils et petitfils
de Louis XIV. et de Dame Marie-
Therese de Noailles , Duchesse de la Valliere
, Dame du Palais de Madame la Dauphine
, Marie-Adelaide de Savoye , decedé
garçon le 30. Avril , âgé de 21. ans ,
5. mois , 25. jours , étant né le s . Octobre
170 ) .
M. François de la Beuvine , Ecuyer ,
Maréchal des Logis de feu Monsieur
Frere unique du Roi , dicédé le 3. May,
âgé de 88. ans .
M. Ambroise Ferrand , Doyen du Parlement
, mourut à Paris le 3. de ce mois,
dans la 83 ° année de son âge. M. Nau
Conseiller de la cinquième Chambre , à
present de la Grand'Chambre , est aujour
d'hui Doyen du Parlement.
Dame Marie Hyacinte de Levi , Abbesser
de l'Abbaye de N. Dame de Nevers , soeur
du Duc de Levi , mourut le 4. âgée de
44. ans.
M. Etienne Aymon , Ecuyer , Porte-
Manteau du Roy , mourut à Versailles ?
où il servoit son Quartier , le 5. de ce
mois , âgé d'environ 73. ans , generale
ment regretté.
99
Le 9. de ce mois , mourut à l'âge de
48. ans , Dame Louise de Louvecourt
veuve de M. Georges Danes , Maître des
Ivi Com
vj
1194 MERCURE DE FRANCE
Comptes ; elle étoit connue par ses bonnes
oeuvres et par ses grandes aumônes.
Son Mari étoit arriere petit- neveu de
Pierre Danes , Evêque de Lavaur , Ambassadeur
de François I. au Concile de
Trente , Précepteur et Confesseur de
François second , qui s'est rendu celebre
par la répartie vive qu'il fit dans le même
Concile : Utinam ad galli cantum , & c.
Palavicin , dans l'Histoire de ce Concile ,
avoue qu'elle servit comme d'un aiguillon
pour déterminer les Peres du Concile
à travailler sérieusement pour la réfor
mation de la Discipline . On a oüi dire
à Maurice le Tellier , Archevêque de
Rheims , qu'il auroit mieux aimé faire
cette réponse dans le Concile de Trente
que d'être Cardinal.
Jacques Danes , de la même Famille ,
en premier lieu Président de la Cham
bre des Comptes , et Intendant en Languedoc
, puis Evêque de Toulon , Maître
de l'Oratoire du Roi , Conseiller d'Etat
ordinaire , mourut en 1662, en odeur de
sainteté , que l'on prétend avoir été manifestée
par des miracles avérez.
Quoique le nom de cette Famille se
prononce comme ayant un E ouvert , cependant
il s'écrit sans aucun accent , selon
l'ancien usage suivi par les Sçavans , an
ciens.
MA Y. 1731. 1195
ciens et modernes , qui ont parlé de l'Evêque
de Lavaur , lesquels ne sont pas en
petit nombre , c'est l'usage constant dans
la Famille de ce Prélat , à quoi l'on a crâ
devoir se conformer.
Jean Marquis Dacigné , issu des Comtes
de Rennes , qui étoient Cadets des.
Souverains de Bretagne , est mort à Rennes
le 12. May , d'une révolution de
Goutte. Il étoit le dernier de cette ancienne
et illustre Maison : dans sa Branche
on a porté le nom de Marquis de
Carnavalet , jusqu'à l'extinction de la
Branche aînés , dont l'héritiere avoit
épousé feu M. le Duc de Richelieu. Elle
étoit mere de M. le Duc de Richelieu
d'aujourd'hui . Le Marquis d'Acigné avoit
été marié trois fois ; en premieres Nôces
avec l'heritiere de la Maison de la Menseliere
Coëtquin dont il n'a pas eu
d'enfans ; en secondes Nôces , avec la fille
unique du Comte de Langle , et de sa
premiere femme , soeur du Marquis de
Goëtanfão , morte en couche ; et en troisiemes
Nôces , une des filles du Président
de Rochefort , dont il reste une fille unique
, âgée d'environ onze ans.
"
Henry - François de Paule le Febvre
d'Armesson , Conseiller du Roi en sa
Cour de Parlement , décédé le 14. Mars ,
âgé de 24. ans.
F96 MERCURE DE FRANCE
Le 22. M. Jean- Baptiste Bochard , Chevalier
, Seigneur de Sarron , Président en
la premiere Chambre des Enquêtes , est
mort dans la 29 année de son âge.
Dame Marie- Gabrielle le Cirier de Neuchelles
, Epouse de M. Samuel- Jacques le-
Clerc , Chevalier , Seigneur , Marquis de
Juigné , accoucha le 6. May , d'un fils
qui fut tenu sur les Fonts , et nommé
Armand- Louis , par M. Armand - Gabriel,
Marquis de Craon , et par Dme Louise-
Christine Eugenie le Cirier de Neuchelles ,
veuve de M. Charles , Marquis de Brion ..
D. Marie- Anne Cherouvrier des Grassieres
, Epouse de M. Galiot , Maître des
Requêtes , accoucha le 7. d'un fils qui fut
tenu sur les Fonts et nommé Antoine-
Jean par M. Jacques - Antoine Herinx
Prieur de Ligny , et par Dame Jeanne-
Claude Cherouvrier des Grassieres , Epouse
de M. Aubert de Tourny , Maître des
Requêtes.
*
Dame Françoise Louise de Laurans ,
Epouse de M. Louis - François de Laurans,
Comte de Montserin , accoucha le même
jour d'une fille qui fut nommée Louise
Elisabeth , par Christophe de Brague ;
Comte de Loches , et par D. Elizabeth-
Michelle de Givry , Epouse de M. Claude-
Henry
MAY. 1731. 1197
Henry le Pelletier de la Houssaye.
Le 1. May , D. Barbe - Charlotte Aubourg
, Epouse de Guillaume Aubourg
Marquis de Bourg , Conseiller du Roi en
ses Conseils , Gardes des Rolles des Offices
de France , accoucha d'une fille , qui
le sur-lendemain fut tenue sur les Fonts
et nommée Marie- Charlotte , par Charles
Aubourg , Marquis de Boury , Conseiller
du Roi en ses Conseils , Garde
des Rôles des Offices .de France , Ayeul
Paternel , et par D. Marie Poupard , Epou
se de M. François-Nicolas Aubourg , Conseiller
du Roi en ses Conseils , Trésorier
General des Bâtimens du Roi , Ayeule
Maternelle ..
Claude -François - Léonor de S.Maurice,.
Comte de Savigny , &c. épousa le 26.
Avril D. Marie-Thérese- Léonor du Maine
du Bourg.
Le Vicomte d'Epinoy , Mestre de Camp
de Cavalerie , d'une des plus anciennes.
Maisons de la Province de Champagne,
a épousé sur la fin de ce mois D. N ....
de Launoy , fille du Comte de ce nom ..
Le Comte de Lannoy descend des Ayeuls
les plus illustres ; on trouve dans les dif
ferentes Branches de sa Maison un grand
nombre de Seigneurs attachez ou aux
Rois
1198 MERCURE DE FRANCE
Rois de France , ou aux Ducs de Bourgogne
, ou aux Empereurs , ou aux Rois
d'Espagne. On compte de ce nom plusieurs
Chevaliers des Ordres du Roi ,
18. de la Toison d'Or , des Vicerois de:
Navarre et de Naples , des Gouverneurs
Generaux de Génes , de Flandres , de
Hollande , de la Comté de Namur , &c .
sans parler de plusieurs Grands Officiers
de la Couronne, Generaux d'Armées, &c.
Le Comte de Lannoy , avoit épousé
D. N... de Furtemberg , fille d'Antoine
Egon , Landgrave de Furtemberg , Prince
du S. Empire , mort Regent de l'Electorat
de Saxe.
VERS
Envoyez à M. le Président Bouhier ,
de l'Académie Françoise ,
Le jour de sa Fête.
Illustre Favori de Thémis et des Muses ,
Cher Bouhier , reçois mes excuses.
En ce jour solemnel , où chacun à l'envi ,
S'empresse à t'aller rendre hommage ,
Purgon , qui sous ses loix tient mon corps asservi ,
Me prive de cet avantage.
Encor si dans ces Vers , pour bien peindre à tes
yeux ,
Les.
MAY. 1731. 1199
Les divers sentimens qu'ont fait naftre en mon
ame ,
Tes talens , tes vertus , ton accueil gracieux ,
Apollon m'inspiroit sa poëtique flâme !
Mais par un sort fatal en lui ,
Au lieu du Dieu des Vers, qui souvent me domine,
Je ne puis trouver aujourd'hui ,
Que le Dieu de la Medecine. (A)
Je croyois du moins qu'à mon gré ,
Je pourrois recourir aux richesses de Flore ;
Mais ce matin Zéphire ayant peu soupiré ,
Et l'Aurore encor moins pleuré ,
Ils n'ont dans nos Jardins presque rien fait éclore;
Et l'on n'a pupar-tout cueillir que quelques Acurs,
Peu dignes d'être entrelacées ,
Parmi celles que les neuf Soeurs ,
Sur ta tête Sçavante avec art ont placées.
(a) Apollon est le Dieu des Vers et le Dieu
de la Medecine; c'est ce qu'il dit lui-même
dans Ovide , Liv. 1. de ses Métam.
Per me concordant carmina nervis . . ....
Inventum Medicina meum est , opiferque per
orbem ,
Dicor , et herbarum est subjecta potentia nobis.
Par M. Cocquard , Avocat au Parlement
de Dijon .
AR1200
MERCURE DE FRANCE
********************
ARRESTS , DECLARATIONS ,
ORDONNANCES , &c.
ARR
RREST du 13.Février, qui ordonne que
tous Particuliers, gens du commun des Villes
et lieux où les Aydes ont cours, seront sujets aux
Droits de détail comme les Cabaretiers , sur les
Vins et autres Boissons qu'ils consommeront au
de- là de ce qui est nécessaire pour leur provision ,
eû égard à leur état , condition , famille et impositions
à la Taille et Capitation : Et qui attribue
à Messieurs les Intendans la connoissance
des contestations qui pourront naître à ce sujet.
>
ARREST du 13 Mars , portant Reglement
pour la fabrique des Toiles et Etoffes de fil , fil
et coton et tout coton , teints ; par lequel il est
dit ce qui suit : Sur ce qui a été représenté au
Roy , que la fabrique des toiles et étoffes de fil ,
fil et coton , et tout coton , teints , quoique reglée
par Arrêt de son Conseil , du → Aoust 17 1 8.
n'a pû encore être portée à toute la perfection
qu'elle peut naturellement acquerir , parce qu'il
se trouve souvent de la difficulté dans l'exécution
de quelques articles de ce Réglement; et que pour
rendre cette manufacture aussi utile à l'Etat qu'elle
le peut être, il conviendroit de donner une forme
nouvelle audit Réglement, et d'y ajoûter plusieurs
dispositions nécessaires , pour assurer la
bonne qualité des Marchandises y spécifiées , et
en augmenter lé commerce . A quoi S.M. voulant
pourvoir : Elle auroit nommé les sieurs Pomeraye
1
1
1
MAY. 120F
1731 .
raye , Cecile , le Planquais , Desportes , Prié , le
Moyne , Beard et Poret , négocians à Rouen,faisant
commerce desdites toiles et étoffes , pour ,
conjointement avec le sieur Fosse Inspecteur géneral
des Manufactures de toiles , projetter les
Articles qui doivent composer le nouveau Réglement;
ce qui ayant été fait, et les principaux Fabriquans
desdites Marchandises , et les Merciers-
Drapiers ayant été entendus : Vû les observations
des Inspecteurs desdites Manufactures , et celles
que les Syndics de la Chambre du Commerce de
Normandie ont faites sur tout ce qui a été proposé
pour parvenir à faire le Réglement dont il
s'agit , ensemble l'avis du sieur de Gasville , Maî
tre des Requêtes , Intendant et Commissaire départi
pour l'exécution des Ordres de Sa Majesté
dans la Généralité de Rouen , et celui des Députez
du commerce , &c . Ce nouveau Rég.ement
qui contient cinquante articles , a été inseré à la
suite duditArrêt. S M.ordonne aux sieurs Intendans
et Commissaires départis pour l'exécution
de ses Ordres dans les Généralitez de Rouen ,
Caën et Alençon, et dans les autres Provinces du
Royaume , de tenir la main à l'exécution de
l'Arrest , & c.
ORDONNANCE DU ROI , du 2c Mars
Pour fixer le nombre de Congez limitez, qui pourront
être accordez pendant l'Eté , dans chaque
Bataillon et dans chaque Escadron de Cavalerie
ou de Dragons.
ORDONNANCE DE POLICE , du 21 Mars,
Concernant la Jurisdiction de M. le Lieutenant
General de Police , et le droit et possession où il
est de connoître seul de la Marchandise de Foin
pour
1
1202 MERCURE DE FRANCE
pour la provision de Paris, à l'exclusion dés Offciers
du Bureau de l'Hôtel de Ville et de tous autres.
ARREST , du 27 Mars , concernant l'entrée
dans le Royaume par les Bureaux y désignez , et
les visites et marques , tant des Draps et autres
Etoffes de laine , ou fabriquées avec de la laine et
autres matieres, que des Etoffes de soye, ou mêlées
de soye , or et argent, venant des pays étrangers,
et dont le commerce et usage sont permis .
SENTENCE DE POLICE , du 13 Avril , qui'
condamne la Dame Guibert en 3000 1. d'amende,
pour avoir donné à jouer au Jeu de Pharaon
et le sieur de la Marque en 1000 liv. d'amende
pour avoir joué audit Jeu de Pharaon.
ORDONNANCE DU ROY, du 20 Avril,pour
faire faire par les Intendans , ou ceux qui seront
par eux commis , une Revue générale des Troupes
de Milice.
SENTENCE DE POLICE du 27 Avril. Qui
condamne Jean Moynat , Edme Moynat et Louis
le Maire , Marchands de Foin , en cinq cens
livres d'amende chacun , pour avoir discontinué
la fourniture de Foin sur les Ports de cette Ville.
ARREST du 29. Avril , qui authorise les
Sieurs Commissaires du Conseil nommez par les
Arrests des 17. Decembre 1726. et 3. Mars 1728.
à liquider jusqu'au dernier May 173 1. les finan
ces des Offices supprimez : et les Gardes du
Trésor Royal à en faire les Remboursemens jusqu'au
dernier Juin suivant
ARREST du même jour , concernant la
marque des Etoffes d'or , d'argent et de soye ,
ou mêlées d'autres matieres , qui se fabriquent
dans le Royaume,
>
<
MA Y. 1731. 1203
ARREST du 6. May , qui commet le Sicur
Louis- Alexandre de Barillon , pour , au lieu et
place du feu sieur le Cordier, continuer la Recette
generale du droit d'un pour cent , qui se perçoit
sur les marchandises des Isles etColonies Françoises
de l'Amerique, et en rendre comte au Conseil.
ARREST du Conseil d'Etat du Roy , du
10. May , dont voici la teneur. Le Roy étant
informé qu'on a affecté de répandre dans le public
un Mémoire inprimé sans nom d'Auteur ni
d'Imprimeur , sans privilege ni permission , sous
le titre d'Observations sur le Brefdu Pape , qui
établit M le Cardinal de Bissy et M. l'Archevêque
de Rouen , Commissaires Apostoliques
pour legouvernement et la réformation de l'Ordre
de Cluny. M. DCCXXXI, Șa Majesté auroit
jugé à propos de faire examiner ce Memoire en
son Conseil; et par le compte qui luy en a été
rendu , Elle auroit reconnu que cet ouvrage n'est
qu'un tissu de déclamations d'invectives , de traits
satyriques et injurieux , temerairement hazardez
contre des personnes que leur caractere personnel,
leur dignité , et la confiance dont ils ont été
honorez d'abord par Sa Majesté , et ensuite par
nôtre S. Pere le Pape , devoient mettre à couvert
d'une licence si criminelle , et qu'ainsi un tel ou-.
vrage ne pouvant être regardé que comme un
libelle diffamatoire , Sa Majesté ne doit pas differer
de le fletrir comme il le merite , en se reservant
de faire une justice exemplaire des auteurs de
ce libelle , lorsqu'ils seront connus par une procedure
reguliere: à quoy étant necessaire de pour-.
voir , oùy le rapport , et tout considere , $ A
MAJESTE ESTANT EN SON CONSEIL , a ordonné
* ordonne que l'Imprimé , qui a pour titre ,
Obe
1204 MERCURE DE FRANCE
P
Observations sur le Bref du Pape , qui établit
M. le Cardinal de Bissy et M. l'Archevêque de
Rouen , Commissaires Apostoliques pour le gouvernement
et la réformation de l'Ordre de Čluny.
M.DCCXXXI. sera et demeurera supprimé ;
et en consequence ordonne que tous les exemplaires
dudit Memoire , qui ont été repandus dans le
Public , seront incessament rapportez au Greffe
du Sieur Herault Conseiller d'Etat , Lieutenant
General de Police , pour y être lacerez. Fait Sa
Majesté très expresses inhibitions et deffenses à
tous ses Sujets , de quelque état ou condition qu'-
ils soient , d'en vendre , debiter , ou autrement
distribuer , même d'en retenir aucuns , à peine
de punition exemplaire contre ceux qui s'en trouveront
saisis : Ordonne en outre Sa Majesté ,
qu'à la requête du Sicur Moreau son Procureur
au Châtelet de Paris , il sera informé par ledit
Sieur Herault Lieutenant General de Police , contre
tous ceux qui ont composé, imprimé , vendu ,
debité , ou autrement distribué ledit libelle
pour être par luy , avec les Officiers du Châtelet;
Je Procès fait et parfait en dernier ressort aux
coupables , suivant la rigueur des Ordonnances ,
Sa Majesté leur attribuant à cette fin toute cour ,
jurisdiction et connoissance , et icelle interdisant
à toutes ses Cours ou autres Juges, &c .
On donnera deux volumes du Mercure de
France le mois prochain , pouravoir lieu d'employerquelques
Pieces dont onn'a pas pû encore
faire usage , a cause de l'abondance des
Matieres du tems , et qui nous paroisssent
dignes de la curiosité du Public.
Table
>
TABLE .
Pieces Fugitives. Le Misantrope , Fable , 993 Lettre sur un voyage en Galilée , fait au mois
de Décembre dernier , 997
Les Tourterelles, I dille de Mlle de la Vigne, 1013
Lettre sur le Bureau Tipographique , 1017
Le Faune , Eglogue ,
1024
Lettre sur le bruit d'Ansacq , 1028
L'Amour et Plutus , Poëme , 1035
Cantique traduit de l'Hebreu en Prose Françoise,
1039
Stances sur la Fievre , 1042
le mois dernier , 1045
Lettre sur une Inscription Romaine découverte
Ode Saciée ,
IOS
Suite des personnes Illustres du Comte d'Eu, 1056 .
Vulcain vangé , Cantate ,
1071
Projet d'un Traité complet du Droit Public , 1074
Enigmes et Logogryphes , & c.
1086
Nouvelles Litteraires , des Beaux Arts , & c . Bibliotheque
Grammaticale
›
Relation de la Révolution de Constantinople ,
& c.
Essay sur l'Esprit , &c .
Discours sur la Comedie , & c.
Alcibiade , Comédie ,
1089
1092
1093
1098
1109
1118
Memoire sur la Carte de l'Empire d'Alexandre ,
Livres nouveaux des Pays Etrangers , &c. 1128
Enfant illustre par son sçavoir ,
1132
Operation de la Taille , &c. 1135
Questions proposées , &c. 1136
Nouvelles Estampes ,
1137
Chanson notée , 1138
Spectacles , Endymion , Extrait 1139
L'Italie Galante , ou les Contes ,
&C. 1152
Nouvelles Etrangeres , nouvelle Révolution â
Constantinople , & c . 1157
De Russie , Dannemark , Allemagne , 1159
Italie , &c. Lettre écrite de Turin , 1162
D'Espagne , d'Hollande et Pays Bas , 1168
Morts des Pays Etrangers , 1169
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c. Ibid.
Mandement de l'Archevêque de Paris ,
A Mad. la Duchesse *** Vers ,
Epitaphe et Funerailles de M.de Vauban, &c , 1183
1170
1181
•
Vers à Mille✶ ✶✶
Morts , Naissances , &c.
Vers au President Bouhier ,
Arrets Notables ,
Erata du dernier volume.
1190
1192
1198
1200
Palace dite Atmeidan , ou l'Hipodreme des
Age 832. ligne 2. la Place d'Etméïdan , lisez
Grecs , & c. P. 833. I. 2. instruit à porter , 1. instruit,
et apporter, &c . P. 835. 1. 27. avoit monté,
lil étoit monté. P. 965. l . 18.Reprendre , 1. Répandie.
P. 970. 1. 10, haine , I. depte.
4.
Fautes à corriger dans ce Livre.
P. , du bas , Verres , 1. Terres, P. 1004. 1. 3 .
Age 1001. ligne 3. doivent , L. devoient. Ibid.
du bas, d'acauche, 1. d'Acanthe. Pro15.1. 4. paroissies
, . paroissez . Ibid . 1. 20. Paroissoient , l.
l .
paroissent. P. 1024. 1. 7. et , l. à. P. 1050. l. 11.
votre, l. notre. P.1068. l.s. Louis XIV . I. Louis
XIII. P. 1105. 1. 5. et sur tout , 1. et Suetone.
P. 1107. 1. derniere , fassent , l. fissent. P. 1109.
1. 8. dans , l. en. P. 1120. 1. 18. lût , 1. qu'il lût
p. 1130. 1. 1. Rusine , l . Rafine. Ibid. 1. 8. l'Hydrautique.
. ' Hydraulique. P. 1138. 1. 8. que
rais-je , l . que t'ay. je. P. 1 145. l. 13. Quan don,
1. quand on. P. 1182. l . 20. nous , 1. vous,
Air noté dait regarder la page 1138
John
Bigelow
tothe
Century
Association
*
DM
Mercure
1
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*
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MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROT
AVRIL. 1731 .
QUE
COLLIGIT
STARCIT
Chez
A PARIS ,
( GUILLAUME CAVELIER
rue S. Jacques , au Lys d'Or.
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conty,
à la descente du Pont-Neuf , au coin
de la rue de Nevers, à la Croix d'Or.
JEAN DE NULLY , au Palais ,
à l'Ecu de France et à la Palme,
M. DCC. XXX I..
Avec Approbation & Privilege du Roy.
THE NEW XXXXXXXXXXXXXXX OK
PUBLIC LIBRARY
335166 .
AV IS.
ASTOR , LENOX D
TILDEN'FOUNDATIONS ADRESSE generale eft à
1905 Monfieur MOREAU , Commis au
Mercure , vis - à - vis la Comedie Frangoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très- inftamment , quand on adreſſe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
oin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
oûjours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non-feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la
premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau ,
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire porter fur
t'heure à la Pofte , ou aux MeJageries qu'on
lui indiqueza
•
PRIX XX X. SOLS.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROT.
AVRIL
. 1731 .
XXXXXXXX*************
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Prose.
A S. E. M.
LE CARDINAL DE FLEURY,
MINISTRE D'ETAT ,
"
Sur la liberalité qu'il a faite à l'Université
de Caën , pour l'augmentation de sa Bibliotheque.
D
O D E.
' Ou naît la soudaine allegresse
Qui transporte ici tous les coeurs ?
ON Un nouveau Mécene au Permesse
'Accorde aujourd'hui ses faveurs..
A ij Vien,
628 MERCURE DE FRANCE
Vien , mes délices , vien , ma Lyre ;
Sers la vive ardeur qui m'inspire :
Pour lui formons nos plus beaux Airs ;
Je veux que leur noble cadence
Annonce ma reconnoissance
Au Prince , au Peuple , à l'Univers
Chante un Prélat que voit la Seine
D'honneurs justement revêtu ,
Qui joint à la Pourpre Romaine
L'éclat d'une rare vertu ,
Qui sage , bienfaisant , affable ;
Tel que ce Mentor de la Fable ,
Fait chérir son autorité ,
Qui placé près du Diadême ,
Se montre auguste par
lui- même
Autant que par sa dignité.
Dans la Grandeur qui l'environne
Nul objet n'échape à ses soins ;
S'il veille aux droits de la Couronne ,
Il veille encore à nos besoins ;
Par lui la Foi , la Paix fleurissent ,
Les Loix de Thémis s'affermissent ;
Tout nous offre des jours plus beaux ;
Et de ce bonheur qu'il ménage ,
Laissant aux Sujets l'avantage ,
LEURY n'en prend que les travaux ,
Digne
AVRIL 1731. 629
Digne Emule du grand Fabrice , *
On le voit marcher sur ses pas ;
De la séduisante avarice
Son coeur méprise les appas.
Mortels ! qu'il en est peu d'exemples :
tes Trésors consacrés aux Temples
tedressent leurs murs chancelans ,
bu vont par
Dans
des routes secretes
cent tenébreuses retraites
Porter des secours consolans.
Quel riche trait pour son Histoire
Que l'apui qu'il donne aux beaux Arts f
Sur eux du milieu de sa gloire
Il jette ses plus doux regards :
Muses , troupe à ses yeux si chere
Vous n'êtes point une chimere ,
Ni des noms pleins d'un faux éclat §
Mais les filles de la Sagesse ,
Les meres de la Politesse ,
L'utile ornement d'un Eta
Un Temple fécond en miracles
Fait sur l'Orne admirer vos sons ;
* Consul Romain , le plus désinteréssé qu'ait
jamais vû la République.
L'Université.
A iij On
630 MERCURE DE FRANCE
On y voit de sçavans Oracles
Dicter vos plus pures leçons ;
Embrassant diverses matieres ,
Chacun de ses doctes lumieres
Augmente la splendeur du corps ;
Mais par combien dé découvertes
Ces fources qui leur sont offertes *
Vont-elles groffir leurs Trésors !
A quels travaux inimitables
Vois- je nos Neveux s'exciter ?
L'un écrit les faits mémorables ,
L'autre se forme à les chanter ;
Celui- ci creusant la nature ,
De l'oeil et du compas mesure
Les Eaux , l'Air , la Terre et les Cieux
Et , jusqu'à l'invisible Effence
L'autre élevant fa connoiffance
Ya fonder les Décrets des Dieux.
(
C'eft pour toi , Ville fortunée ,
Que FLEURY prodigue ses biens :
Quelle riante Destinée
Se prépare à tes Citoyens !
Tu verras tes Remparts superbes
La Bibliotheque.
En.
AVRIL. ' 1731. -631
Enfanter de nouveaux Malherbes ( a )
Des Huets , (b ) des Pyrons , ( c) des Calys ( d )
Sous l'Empire tranquile et juste
Qu'offre à nos voeux un autre Auguste ,
Tes lauriers orneront ses Lys.
Dans ton sein , Ecole sçavante ,
Faut-il qu'un noble empressement
Ne, puisse au Prélat que je vante
Dresser un pompeux monument !
Du moins signalant notre żele ,
Plaçons -y le portrait fidele ( e )
D'un si génereux Protecteur ;
Que cette immortelle Peinture
Instruise la race future
Du bienfait et du Bienfaicteur.
FLEURY , puisse un succés durable
Suivre vos projets glorieux !
(a ) Fameux Poëte.
(b) Evêque d'Avranches , et Précepteur de
M. le Dauphin , Ayeul du Roi.
$
(c) Professeur de Rhétorique au College du
Bois , et Editeur de Claudien , pour l'usage de
M. le Dauphin.
(d ) Celebre Professeur de Philosophie au
"College du Bois , Auteur de divers Ouvrages ,
centr'autres du Commentaire sur Boëce , pour
l'usage de M. le Dauphin. Tous de Caën .
(e ) Le Portrait de S. E. sera placé dans la
Bibliotheque.
A iij Puiffe
632 MERCURE DE FRANCE
Puisse la Parque inexorable.
Respecter vos jours précieux !
Soyez long- tems l'amour du PRINCE
Les délices de la Province ,
Le respect des Peuples épars ;
Soyez des Autels la défense ,
Vivez pour le bien de la France ,
Vivez pour l'honneur des beaux Arts .'
Par M. Heurtauld , Prêtre , Professeur an
College du Bois de l'Université de Caën.
XXXXXX :XX :XX :XXXXX
REFLEXIONS à l'occasion du Brutus
de M. de Voltaire , et de son Dis
cours sur la Tragédie..
I
'L ne faut pas être surpris que M. de
Voltaire aye saisi l'occasion que sa nouvelle
Tragédie lui a présentée naturèllement
, de donner dans un Discours préliminaire
ses idées sur cette espece d'ouvrage.
On doit être obligé aux Auteurs
qui se distinguent dans un Art de ce qu'ils
veulent bien ouvrir leur secret , et mettre
leurs Lecteurs dans les voyes qu'ils
se sont frayées ; ils aident ainsi eux-mêmes
au jugement qu'ils attendent , et ils
éclairent cette même critique qui doit
montrer
A V RIL. 1731. 633
montrer leurs beautés et leurs deffauts ;
car il y a par tout à louer et à reprendre :
les Auteurs du premier ordre sont seulement
ceux qui donnent moins de prise
à la censure.
On devoit encore s'attendre que M. de
Voltaire ne manqueróit pas de réclamer
les droits que la Versification et la rime
' ont pris depuis long - tems sur nos Piéces
de Théatre , et qu'un Ecrivain judicieux
et séduisant vient d'attaquer,comme contraires
aux succés des Auteurs , et par
conséquent au plaisir de ceux qui les lìsent
il sied bien à un bel esprit qui ,
comme M. de Voltaire , nous a fait sentir
si souvent le charme des beaux Vers¸
d'en proteger le mérite ; et quand même
ce mérite ne seroit pas aussi réél qu'il le
croit , ou aussi necessaire qu'il le supose
dans nos Tragédies , il faudroit lui pardonner
sa sensibilité pour un genre d'écrire
qui lui a acquis tant de gloire. Let
Public y a contribué de ses applaudissemens
, et nous avons par notre plaisir
notre part à sa reconnoissance pour un
tálent qu'il cultive avec succès , et qu'on
seroit fâché de lui voir negliger.
Il a si bien senti lui - même combien la
continuité du travail est utile à la perfec
tion , qu'il avouë à Mylord Bolingbrooke,
que lors qu'après son retours à Paris , il
Asy
3
4 MERCURE DE FRANCE
a voulu rentrer dans la carriere françoise
dont il étoit sorti durant deux années ; les
expressions et les Phrases de sa langue
naturelle se refusoient à ses recherches ;
l'habitude qu'il avoit contractée de penser
en Anglois rendoit sa nouvelle composition
difficile ; ensorte qu'en bien des
endroits on croit découvrir la contrainte
de la Traduction .
de
Le principal obstacle qu'il a trouvé ,
son aveu , à la facilité de l'execution , a
été la severité de notre Poësie , et l'esclavage
de la rime. Lors qu'il avoit écrit
en Anglois , il avoit joui de cette heureuse
liberté qui donne à l'esprit toute son
étendue , et qui le laissant arbitre de la
mesure des Phrases et de la longueur des
mots , le remplit seulement de l'importance
des choses .
>
Cependant M. de Voltaire , tout persuadé
qu'il est de la dureté de l'assujetissement
à la rime , quoiqu'il sente le poids
de ses chaînes et ce qu'elles peuvent
coûter à la justesse de l'expression , à la
vivacité du sentiment et à la liberté de la
pensée , ne veut pas permettre qu'on s'en
affranchisse. Je ne veux pas prouver directement
combien il seroit utile et raisonnable
de laisser les Auteurs à leur aise
sur cet article ; ce dessein a été executé
avec beaucoup de force , de précision et
d'éleAVRIL.
1731.
635
d'élegance par son ingénieux Auteur. ,
J'examinerai seulement les raisons sur lesquelles
M. de Voltaire se fonde dans son
nouveau discours , pour détourner un
usage ou une nouveauté qu'il n'approuve
point , et dont ses talens l'ont appris à se
passer.
Il ne faut point , dit-il , s'écarter de la
route que les grands Maîtres nous ont
tracée ; s'en faire une nouvelle , seroit
moins une marque de génie que de foiblesse.
Mais il me semble , au contraire , que
plus les Tragédies de Corneille et de Racine
, toutes écrites en Vers rimés , ont
eu de succès , plus elles l'ont mérité ; plus
on trouve de beautés dans ces Piéces , et
plus il y auroit du mérite de se procurer
un succès égal sans le secours de la rime.
Car si la rime prête des beautés réelles aux
Piéces de Théatre , ceux qui auront abandonné
cette voye auront dû prendre ailleurs
, pour nous plaire également , des
compensations heureuses qui nous empêchent
de regreter la Poësie rimée.
M. de Voltaire ne peut pas supposer
comme une chose certaine , qu'on ne peut
faire une bonne Tragédie sans Vers rimés ,
car c'est là précisément la question ; il
prétend que l'habitude que nous avons
aux Vers de Corneille et de Racine nous
A vj rend
636 MERCURE DE FRANCE
rend ce nombre et cette harmonie si nécessaires
dans toutes les Tragédies , qu'une
Piéce dans laquelle on trouveroit une
disposition sage , un interêt vif continu ,
et bien conduit , de grandes idées , des
sentimens élevés , une diction noble et
majestueuse , n'auroit que peu ou point
de succès , si elle étoit privée de l'agré--
ment de la rime.
Il suppose que c'est un agrément sur la
foi de l'usage dont il paroît ailleurs ne
faire pas grand cas . Mais bien des gens
prétendent que ce retour perpetuel de
deux grands Vers féminins et masculins
les fatigue & les ennuye , et que s'ils n'étoient
aidés d'ailleurs par l'interêt , par
les sentimens et par l'action de l'Acteur ,
ils ne soutiendroient point un aussi long
Ouvrage sans peine.
D'où peut venir que M. de Voltaire lui
même trouve nos Tragédies trop longues
, comme les Tragédies Angloises ?
Est- ce que nous n'en avons point de bonnes
? Mais il fait profession d'admirer
Corneille
et Racine ; il les propose l'un
et l'autre comme les grands modeles .
Ne seroit-ce pas par la même raison
qui a empêché que le Poëme Epique ne
réussit en France , et qui a toujours fait
trouver longs & insipides ceux qu'on a
asé composer. Ce n'eft. pas que l'on manque
AVRIL; 1731. 637
que de sujets à traiter , ni peut-être de
génies capables de le faire , M. de Voltaire
a montré ses ressources dans ce genre
; mais il faut convenir qu'il l'a un peú
alteré , et que sa Henriade , pleine de tres
beaux morceaux et des plus beaux Vers ,
n'est pas un veritable Poëme Epique.
C'est cette alternative necessaire et insuportable
à la longue de deux rimes masculines
et de deux rimes féminines qui
nous prive d'un bon Poëme , et qui affoiblit
surement le plaisir naturel d'une
action qui se passe sur le Théatre entre
des grands ou entre des gens ordinaires.
Ce qui fait que le même défaut n'ôte
pas aux Comédies et aux Tragédies tout
feur succès , tandis qu'il se fait perdre aux
Poëmes , c'est que dans les Piéces de Théatre
on est reveillé , comme nous l'avons
dit , par une action vive et animée ; les
Acteurs nous échauffent , et nous lès confondons
, à proportion de leurs talens
avec les personnages qu'ils représentent,
Qui s'est jamais avisé de dire que l'Enéïde
est un trop long Poëme , que cette
lecture est fatigante et difficile à soûtenir
? assurément l'interêt est bien foible ,
puisqu'on le trouvoit tel du tems même .
de Virgile , et que l'on sçait que Didon
et Enée furent séparés par plusieurs siecles.
Ses Vers y sont de la même mesure que
Tes
638 MERCURE DE FRANCE
les nôtres , tous Alexandrins , mais sans
rimes , et voilà qui les sauve de l'ennui ;
cette uniformité de sons que l'on appelle
harmonie , lorsqu'on en a besoin , ne se
trouve pas dans l'Enéïde , et dès là cette
lecture est toujours agréable.
Je conviendrai pourtant d'une chose ,
et c'est peut- être ce que veut dire M. de
Voltaire , lorsqu'il nous oppose les exemples
de Corneille , de Despreaux et de
Racine ; je conviens avec lui que les Ouvrages
que ces Auteurs celebres ont donnés
en Vers rimés ne seroient pas supportables
en Vers sans rimes ou en pure
Prose. C'est là que la raison de la coutume
se trouve dans toute sa force : quelque
belle que fut la traduction en Prose que
l'on feroit de ces Vers , on y reviendroit
toujours ; ils se présenteroient sans cesse
à l'esprit , et l'oreille accoutumée à l'impression
flateuse des beaux Vers de ces
trois hommes , souffriroit du déguisement
, parceque la mémoire rappelleroit
à mesure les Vers originaux .
Mais il faut aussi que l'on demeure
d'accord avec moi que cet évenement
seroit réciproque , si l'on traduisoit en Vers
un Ouvrage bien écrit en Prose , et qui
eut déja emporté, les suffrages. Il ne faut
pas douter que ce ne fut une entreprise
téméraire que de réduire en Vers l'Histoire
AVRIL. 1731. 639
toire de Zaïde , la Princesse de Cléves ,
les Exilés de Madame de Ville - Dieu , et
quelques autres Ouvrages de ce caractere
qui seroient susceptibles par eux- mêmes
d'une Versification noble , mais que l'on
voudroit toujours lire tels qu'ils nous ont
été donnés.
et
Ainsi on ne doit pas prétendre de faire
accepter une traduction en Prose des Ouvrages
écrits en beaux Vers , moins encore
des Vers de M. Racine que de tout
autre. Ce n'est pas que M. Racine par
un effet prodigieux de son habileté n'ait
donné aux Phrases dans presque tous ses
Vers la construction la plus naturelle ,
c'est parceque cesVers sont un effet surpre
nant de l'art, c'est parceque les Ve.s de M.
Racine sont les plus beaux Vers François
qui ayent jamais été faits , qu'il n'en faut
rien ôter ; il n'y faut pas toucher. Il faut
les voir tels qu'ils sont sortis de la main de
l'Auteur , ces Ouvrages immortels , où
malgré la gêne de la Versification et l'assujetissement
scrupuleux à rimer richement
, M. Racine a tout dit , selon M. de
Voltaire lui-même , de la meilleure maniere
, et bien mieux que tous ceux qui
ont écrit dans son genre avant et après
lui.
C'est aussi ce qui me fit dire à M. de la
Mothe , il y a environ deux années
lors
2
640 MERCURE DE FRANCE
lorsqu'il me fit la grace de me faire part´
de son Essai de Prose sur la premiere
Scene de Mithridate , que c'étoit bien le
moyen de faire entendre sa pensée , mais
non pas de faire recevoir son dessein :
que les Vers de M. Racine étoient construits
de façon qu'on ne pouvoit pas esperer
de les faire oublier , et qu'en les
décomposant , pour essayer l'effet de la:
Prose , on les feroit seulement admirer
davantage.
Il est bien certain que M. de la Mothe
n'a jamais eu en vue de diminuer le prixdes
Vers de M. Racine ; en les réduisant
en Prose , il a prétendu faire voir que les
choses que M. Racine nous a laissées en
Vers pourroient se passer de cette parure
sans rien perdre de leur mérite , ni de
l'impression qu'elles font sur nous. Je
crois entrer dans son sens et entendre sa
pensée ; mais j'avoue que je ne sçaurois
l'adopter. Il ne faut point essayer la Prose
sur des beaux Vers -connus de tout le monde
: on y reviendra par goût , et sur- tout
par habitude. C'est des nouvelles Piéces
en Prose que l'on doit attendre un grand.
succès , pourvû qu'elles soient écrites
comme il convient.
Je dis pourvû qu'elles soient écrites >
comme il convient ; car en démontant
les Vers de M. Racine de la maniere que
M
AVRIL: 1737. 641
›
M.de la Mothe l'a fait, il n'en résulte point
une belle Prose . M. de Racine auroit écrít
autrement , auroit mieux écrit , et M. de
la Mothe aussi . C'est donc à tort qu'après
nous avoir donné cette épreuve il interpelle
les gens sensez et déprévenus , et
qu'il les sollicite d'avouer qu'ils n'ont
rien perdu à ce renversement , et que
l'impression à leur égard est toûjours la
même. Ils répondent que non , ils redemandent
les Vers de M. Racine , comme
ils redemanderoient sa Prose , s'il avoit
écrit Mithridate en Prose , et que quelqu'un
le donnât en Vers .
Qu'une Tragedie , belle d'ailleurs , et
digne d'être applaudie , ne soit connuë
qu'en Prose ; on l'écoutera on la lira
après un certain tems tout comme si elle
étoit en Vers. Qui est-ce qui ne lit pas
le Telemaque , et qui ne l'admire pas en
le lisant ? Je ne doute pourtant pas que
s'il eût été donné en beaux Vers par un
homme tel que M. Racine , avant qu'il
parût en Prose , tel que nous l'avons aujourd'hui
; je ne doute pas , dis je , que le
Telemaque de Racine n'eût obscurci le
Telemaque de Fenelon . Maintenant il ne
seroit plus tems ; le gout pour le Telemaque
est universel , l'habitude est inalterable
, et les plus beaux Vers , les Vers
les plus heureux et les plus accomplis
ne
642 MERCURE DE FRANCE
ne seroient regardez que comme une Traduction
imparfaite ; je croi même qu'elle
ne sçauroit être bonne .
Par exemple encore , M. de la Mothe
lui- même , vient de hazarder une Ode en
Prose ; on voit dans cette Ode tout le
feu , toute l'élevation et toute la magnificence
de la Poësie. Pourquoi la lit- on
telle qu'elle est ? Parce qu'on ne l'a pas
autrement. Mais que M. de la Mothe nous
donne cette même Ode en beaux Vers
Lyriques , tels que ceux de l'Astrée et de
presque toutes ses Odes , il verra que ses
Vers feront oublier sa Prose , quelque
noble et quelque harmonieuse qu'elle
nous paroisse. Pourquoi cela ? Parce que
nous ne sommes pas encore accoûtumez
à lire des Odes en Prose , et jusqu'à nouvel
ordre il faudra pardonner à ceux
qui exigeront qu'elles soient en Poësie
rimée.
M. de Voltaire , qui sent ses avantages,
ne veut point se désaisir de la Versification
, et la rime ne l'effraye point. M. de
la Mothe , qui est sans interêt dans cette
querelle , puisqu'il nous a fait voir qu'il
sçavoit tout écrire en Vers et en Prose ;
M. de la Mothe , dis-je , et bien des gens
avec lui , demandent au Public la liberté
de faire parler des Rois , des Reines , des
Ministres d'Etat , des Generaux d'Armée,
en
AVRIL. 1731. 643
en belle Prose , telle qu'ils sont censez
la parler et telle qu'il la sçauroit , faire
lui - même. Car il faut demeurer d'accord
qu'il écrit avec beaucoup de pureté , beaucoup
de clarté , de noblesse et d'élegance .
Ce seroit un vrai modele , s'il étoit permis
d'en imiter quelqu'un.
Qu'est- ce donc que l'on prétend lorsqu'on
veut faire recevoir des Tragédies
en Prose , et quel est le dessein de ceux
qui appuyent cette idée ? Le voici. Les
Tragedies qui ont parû depuis M. Racine
, sont toutes inferieures aux siennes
dans tous les sens ; c'est une verité dure,
mais incontestable. Un grand nombre
d'Auteurs de nom et de mérite ont courru
cette carriere avec un médiocre succès.
Je ne sçai si dans ce genre un succès
médiocre ne peut pas être compté pour
mauvais ; on a cherché les causes de ce
décroissement ; on a trouvé que parmi
ces Auteurs, quelques -uns avoient tout le
génie qui est nécessaire pour faire une
bonne Tragedie ; on a vû qu'ils sçavoient
disposer les évenemens , soutenir les caracteres
, jetter de l'interêt , qu'ils avoient
de la chaleur et du sentiment ; qu'ils sçavoient
faire à propos des portraits affreux
du vice , des peintures agreables de la
vertu qu'ils étoient fideles à la faire
triompher du crime et de la trahison .
噩
On
644 MERCURE DE FRANCE
On a vû qu'indépendamment des beautez
génerales qui constituent essentiellement
une bonne Tragedie , ils avoient
mis des beautez de détail , qui , quoiqu'elles
ne fassent pas le principal du
Poëme Dramatique , servent pourtant
beaucoup à le soutenir.
Malgré tous ces avantages , ces Poëmes
ne plaisent point , ne plaisent pas longtems
, ou ne plaisent pas toujours . On ne
les lit point , on y cherche quelques morceaux
détachez , on laisse le reste ; et le
gout seul
que l'on a pour la nouveauté
ou le grand Art d'un Acteur, soutenu par
quelques grands traits , par quelques tirades
brillantes , ou par l'interêt de l'action
, ont fait la réussite de toutes ces differentes
Pieces durant quelques Réprésentations.
Il ne restoit plus pour les excuser , que
d'attribuer le foible succès d'un Ouvrage,
bon d'ailleurs , à une diction défectueuse
›
età une expression
languissante
ou forcée.
Cependant
ces Auteurs connoissent
leur
langue ; ils parlent bien ils écrivent
bien en Prose ; ils donnent
des regles et
des exemples
dans l'Art de bien dire.
Il faut donc que ce soit la contrainte
de la rime et de la mesure des Vers qui entraîne
ces vices de l'expression
, et qui
coute aux Auteurs un plein succès , à
nous
AVRIL. 1731. 645
nous des Ouvrages plus accomplis.
Essayons , a-t'on dit , d'écrire ces mêmes
Ouvrages en Prose. Affranchissonsnous
du méchanisme de la Poësie , qui ,
aussi -bien nous fait perdre un tems précieux
que nous employerons à trouver des
choses ; et si après cette épreuve , on ne
réüissit pas mieux , nous serons forcez
d'attribuer ces affoiblissemens à la déca-
Edance des esprits.
Il n'y a rien que de raisonnable dans
ce Plan ; car enfin on n'a pas besoin de
Vers ; on peut se passer de Poësie ; mais
on ne peut pas se passer de Pieces de
Théatre . On sçait combien d'utilité et de
plaisir ce Spectacle apporte dans la societé
et dans les grandes Villes , il seroit
dangereux de le supprimer. Il faut
donc laisser aux Auteurs qui se sentiront
du génie pour le Théatre , mais qui seront
sans talens pour la Poësie rimée , il
faut leur laisser laliberté de nous amuser et
de nous instruire par le langage ordinaire,
pourvû qu'il soit noble et élegant. On ne
prétend pas pour cela ôter aux Poëtes , nez
Poëtes, la gloire qui les attend . On ne demande
pas mieux que de voir entre les Dramatiques
Poëtes et les Dramatiques Prosateurs,
cette émulation qui les excitera mutuellement
; ils en auront plus de gloire ,
et le Public plus de plaisir.
Qu'on
646 MERCURE DE FRANCE
Qu'on ne dise point que c'est proposer
une diminution de plaisir ; c'est supposer
ce qui est en question . Il est question
de sçavoir si le plaisir que les Vers nous
donnent dans la Tragedie , est un plaisir
d'habitude. Il n'y a qu'à essayer de faire
des Tragedies en Prose ; et si après l'essay,
toutes choses d'ailleurs égales , la Poësie rimée
l'emporte,il faudra encore en attendre
que l'habitude à la Prose ait été formée ,
pour que l'on puisse juger sans prévention .
Dailleurs il s'en faut bien que ce soit
proposer au Public de diminuer son plaisir
. En premier lieu , il est supposé que
ceux qui donneront des Tragedies en
Prose , ne les auroient point données en
Vers , parce qu'ils n'en sçavent pas faire.
'Ainsi le Public ne perd rien de ce côté ,
et il y gagne de l'autre des nouvelles Pieces
que sa condescendance lui procurera ,
et qu'il aura le plaisir singulier de comparer
avec les Poëmes Dramatiques rimez
qui sont déja en possession de son estime,
et les nouveaux qui la meriteront.
Je ne dis rien pour deffendre les Vers
François sans rimes ; on n'en a que faire.
Tout ce que M. de Voltaire a dit sur cela
est vrai , mais ne fait rien contre nous ;
nous voulons plus que cela ; c'est à- dire
de la Prose , mais belle , élegante , nombreuse.
Il
AVRIL. 1731 . 647
Il ne faut pas que l'on craigne de voir
paroître un trop grand nombre de Tragedies
en Prose. Nous avons vû jusqu'à
present que le nombre de ceux qui ont
bien écrit en prose à un certain point ,
n'est pas plus grand que le nombre des
bons Poëtes . La belle Prose est aussi rare
que la belle Poësie , et a bien autant de
merite. Elle est , du moins , plus propre.
à persuader , à convaincre , à émouvoir ,
à penetrer ; s'il en étoit autrement , la Poësie
rimée devroit être aussi le langage du
Barreau , et sur tout de la Chaire. Si la
Poësie réussissoit mieux à inspirer la terreur
et à remuer les ressorts du coeur , la
Prose devroit être interdite aux Prédicateurs
, et à proportion de la necessité
de l'importance et de l'immensité l'interêt
, la regle devroit être à leur égard ,
plus sacrée et plus inviolable.
Pour revenir à nos Tragedies , pourquoi
assujettirions- nous les Auteurs qui .
sont capables d'en faire de bonnes , quoiqu'ils
ne sçachent pas faire des Vers à cet
arrangement bizarre et pénible , puisque
les autres Nations qui ont aussi des Tragédies
, n'imposent pas la même contrainte
?
Qu'on ne réponde pas que la Langue
Françoise est plus bizarre elle-même , et
plus difficile à manier ; cela prouve pour la
Prose
648 MERCURE DE FRANCE
Prose contre la Versification . Est- il sage
d'ajouter de nouvelles difficultez à ce qui
n'en a déja que trop ? Selon M. de Voltaire
, l'Anglois , par exemple , a plus de
liberté dans sa Langue , il peut faire des
mots nouveaux , il peut , à son gré , étendre
ou resserrer les termes connus. Quelle
plus grande liberté un Poëte peut-il desirer,
à qui conviendroit- il mieux de s'assujettir
àla mesure et à la rime ?LesAnglois
s'accoutumeroient aux Vers rimés ; les
François s'accoutumeroient aux Tragedies
en Prose : pourquoi ne s'y accoutumeroient-
ils pas ? M. de Voltaire le dit avec
nous ; la Nature n'est- elle pas la même
dans tous les hommes ? Il faut qu'il convienne
aussi que c'est l'habitude que nous
avons aux Tragedies en Vers , qui nous
fait regarder cette forme comme necessaire
.
rez ; ils
La belle Prose est noble , douce , facile
, naturelle ; elle persuade , elle touche
; c'est le langage de la raison et l'or
gane de la verité .... Ne faisons point
d'énumeration des prodiges qu'elle a opepassent
ceux que la Fable a prêtez
à la Poësie. La Poësie peint avec force
mais elle outre les caracteres. Elle lou
avec emphase , ses Panegyriques sont des
apothéoses ; elle blâme avec rigueur ; tous
ses traits sont enflammez ; elle exager
égale
AVRIL.
1731.
649
également les vertus et les vices. Elle est
magnifique dans ses images et dans ses
descriptions ; mais pour vouloir embellir
la Nature , elle la cache ou la rend méconnoissable.
La rime est capricieuse , et
la mesure est un veritable esclavage . La
Prose plaît à tout le monde ; la Versification
déplaît à ceux qui n'y sont pas
accoutumez , c'est un fait d'experience.
Disons donc avec M. de Voltaire , quoiqu'il
ne le dise pas toujours, c'est à la coûtume
, qui est la Reine du monde , à changer
le gout des Nations , et à tourner en plaisirs
les objets de notre aversion.
Mais , dit M. de Voltaire , cette coûtume
est devenue un plaisir , et les François
aiment les Vers , même dans les Comedies.
Qui le conteste ? Je dis plus ,
qui conteste qu'ils ne doivent les aimer ?
Car je le repete , on ne veut point exclure
la rime du Théatre , et le Public sollicite
M. de Voltaire en particulier , de
cultiver l'heureux talent qu'il a reçû pour
ce genre d'écrire. On veut introduire la
Prose seulement en faveur de ceux qui
ont du génie pour le Théatre, et qui n'ont
point le talent des Vers. On ne sçauroit
douter que ces deux especes de mérite
ne puissent être divisées ; autrement il
en faudroit conclure , que tous ceux qui
sçavent faire des Vers , sçavent aussi faire
B dès
650 MERCURE DE FRANCE.
des Tragedies , ce qui est contre l'experience.
Ainsi il ya à gagner pour les Poëtes
Dramatiques et pour le Public. Le Public
aura un plus grand nombre de Tragedies
, à force de repetitions les anciennés
sont un peu usées . Les Poëtes Dramatiques
auront la gloire d'effacer les Dramatiques
Prosateurs , si en effet ceux - cy
n'ont pas d'aussi grands succès.
Des Comedies en Prose plaisent tous
les jours. On auroit souhaité que M. de
Voltaire eût bien voulu marquer quelles
sont les Comedies de Moliere écrites
en Prose , que l'on a été , dit - il , obligé
de mettre en Vers. Il y a de nouvelles
Comedies en Prose , où l'on va avec grand
plaisir. Cette disposition du Public ne
fait-elle pas augurer pour le succès de la
Tragedie en Prose ? Alors on aura moins
à craindre que jamais , ce dont M. de
Voltaire se plaint , que des Pieces mal
écrites ont cû un succès plus grand que
Cinna et Britannicus .
>
Qu'il me soit permis de dire en passant
que je crois être fondé à supposer
bien des beautez dans une Piece , qui
quoique mal écrite , a un succès plus
grand que les meilleures des plus grands
Maîtres . Car enfin c'est le Public qui
P'on écrit : doit juger ; c'est
pour lui que
et
AVRI L. 1731 .
651
et s'il a fait grace quelquefois à l'expression
en faveur de l'interêt et du sentiment
, que ne devroit - on pas attendre de
sa justice , si l'on y joignoit encore la pureté
de la diction et l'éloquence des
roles ?
pa-
Il ne faut pas qu'on tire avantage de
ce que les plus belles Pieces de Théatre
sont en Vers , et l'on ne peut pas dire
que les plus beaux Ouvrages sont en Poësie
rimée. En premier lieu , l'usage de la
Prose n'est point établi pour de certains
genres ; il faut la voir faire pour la comparer.
De plus , je ne crois pas qu'il soit
bien décidé que ce soit à la contrainte
des Vers rimez que l'on doit ces excellens
morceaux.
En second lieu , tant s'en faut que l'on
puisse avancer que les plus beaux Ouvrages
sont en Vers rimez , que la plûpart
de ceux qui sont écrits ainsi , sont
des Ouvrages frivoles.
Enfin , M. de Voltaire frappe le grand
coup pour détourner des Auteurs de faire
des Tragedies en Prose , et le Public de
les recevoir et de les entendre . » Si au
» milieu des Tableaux de Rubens , dit-
» il , ou de Paul Veroneze , quelqu'un ve-
»noit placer ses Desseins au crayon , n'au-
» roit- il pas tort de s'égaler à ces Peintres ?
>> On est accoûtumé dans les Fêtes à des
Bij >> Danses
652 MERCURE DE FRANCE.
» Danses et à des Chants ; seroit- ce assez
» de marcher et de parler , sous prétexte
» qu'on marcheroit et qu'on parleroit bien
»et que cela seroit plus aïsé et plus na-
>> turel.
J'étendrois trop ces Refléxions , si je
marquois toutes les raisons de difference
que l'on trouve dans les paralleles . J'admettrai
le premier lorsque M. de Voltaire.
m'aura fait comprendre qu'un Dessein
au crayon est un Tableau ; car il n'a pas
besoin qu'on lui montre qu'une Tragedie
en Prose est une Tragedie .
On est accoûtumé dans les Fêtes à chanter
et à danser , ainsi il ne suffiroit pas de
marcheret de parler, cela est incontestable;
parce que la danse et le chant entrent necessairement
dans l'idée d'une Fête . Ensorte
que la Danse ôtée , les pas que formeroient
un grand nombre de personnes
assemblées , ne seroient qu'une promenade
triste , froide et insupportable ; le
Chant ôté , ce ne seroit plus qu'une conversation
fade et ennuyeuse. Mais a- t'on
jamais dit que la rime et la mesure des
Vers constituent essentiellement une Tragedie.
En France même , qui est le seul
Pays où l'on voit des Tragedies en Vers
rimez , a-t'on jamais défini la Tragedie
en Poëme à Vers Alexandrins à rimes
plates ? M. de Voltaire sçait parfaitement
ce
+
AVRIL. 1731. 653
e qui constitue le Poëme Dramatique ;
j'en prendrai volontiers la définition de
sa main , et je suis déja sûr qu'il n'y fera
seulement mention ni des Vers ni de
la rime.
pas
A quelle sorte d'ouvrage la rime et les
Vers semblent-ils appartenir plus specialement
qu'au Poëme Epique ? La Poësie
qui y est absolument necessaire et dont
on doit presque toujours se garder dans
la Tragedie , exige , ce semble , ce nombre
qui sert à l'embellir ; cependant nous
avons un Poëme en Prose que personne
ne trouve trop long , et que personne
n'entreprendra apparamment de mettre
en Vers.
Ainsi le Chant et la Danse sont nécessaires
aux Fêtes , parce qu'où il n'y
a ni Chant ni Danse , il n'y a plus de
Fête , du moins de cette espece de Fête
que M. de Voltaire suppose. Mais il ne
s'ensuit pas que que les Vers soient essentiels
à la Poësie Dramatique qui subsisteroit
bien sans leur secours ; ainsi la rime peut
bien être necessaire aux Vers François ,
soit à cause que l'habitude est formée
soit à cause du génie même de notre Langue
; mais elle n'est point necessaire au
Poëme Dramatique .
Voilà mes idées sur la dispute qui s'est
élevée dequis quelque tems au sujet des
Biij Tra654
MERCURE DE FRANCE .
que
Tragedies en Prose. Les endroits où M. de
Voltaire a touché cette question dans son
Discours sur la Tragedie , m'ont donné
occasion de les développer. Idées ébauchées
qui serviront peut- être de Canevas
à quelque personne plus éclairée moi
et plus exercée à écrire. Il y a sur tout
de la sincerité dans mes Refléxions et
dans le temperamment que j'ai pris entre
la Prose et la Versification . Ceux qui
me connoissent ne me soupçonneront pas
de prévention ; car quoique je ne sçache
pas faire des Vers , ( du moins je ne le
crois pas ) j'ai une passion si forte pour
la déclamation , et je suis d'ailleurs si
persuadé qu'elle sera difficile ou changée
sensiblement dans les Tragedies en Prose
, que je ne puis m'empêcher de la regretter.
Cependant il me paroît qu'elle ne sed
roit pas impraticable , sur tout aux Ccmédiens
de Paris. On en a perdu deux
qui, chacun, auroient guidé leur sexe; mais
il en reste , qui avec de la docilité et de la
patience pourroient y réussir , les autres
s'y accoutumeroient avec le tems , quand
ce ne seroit que par imitation. Le Public
auroit d'abord de l'indulgence , il s'accoutumeroit
lui- même , et il parviendroit enfin
à voir représenter indifferemment des
Tragedies en Vers et des Tragedies en
Prose
A
AVRIL.´ 1731 . 1731 655
Prose , comme il voit tous les jours des
Comedies dans ces deux genres.
J'ai essayé moi - même de déclamer de
la belle Prose , et il m'a parû qu'il ne
falloit pas desesperer. Ceux qui font une
profession publique d'exercer ce talent ,
doivent avoir plus de ressources . Plus on
s'est appliqué en déclamant , à rompre
la mesure des Vers , moins on y trouve
de la difficulté . Cette maniere avoit bien
réussi , on la devoit à l'art admirable du
grand Maître de la Déclamation , que
l'on regrettera long- temps ; on peut la
faire revivre et accoutumer ainsi insensiblement
à la Prose.
Or n'entendons- nous point quelquefois
de certains Orateurs déclamer leurs Pieces
d'Eloquence ? Et qu'étoit donc cette
action si vive , si pathetique du celebre
Orateur de la Grece , qui causa tant d'admiration
à son Rival même ; qu'étoit - ce
si - non une Déclamation animée qui aidoit
à la persuasion , et qui alloit au coeur ?
On donnera le mois prochain les Reflexions
sur la Tragedie de Brutus.
B iiij
SUITE
656 MERCURE DE FRANCE
'SUITE des Nouvelles de Paphos ,
l'An de l'Amour 1731 .
ONN a reçû des Lettres de Paris ,
Qui portent en substance ,
Qu'Iris est en convalescence.
Et ces jours passez , quelques Ris ,'
Sont arrivez à tire d'aîle ,
Pour en confirmer la nouvelle.
On pense ici differemment ,
Sur cet heureux évenement.
L'Amour en montre une allegresse entiere ,
Mais on remarque que sa mere ,
Reçoit la chose froidement ;
Que sans trop en faire mistere ,
Au rapport des Courriers elle entra brusquement
Dans son Appartement.
Cependant le Dieu de Cythere ,
Vient d'ordonner par un Edit ,
Dans les Païs de son obéissance ,
Trois jours pleins de réjouissance .
Et lui même , à ce que l'on dit ,
Dans sa Cour prépare une Fête ,
Dont Vénus à martel en tête.
Concert , Comedie , Opera ,
Bals , Jeux , Festin , et catera ,
Y
AVRIL.
1731 657
Y feront chacun leur office.
On y joint un Feu d'artifice ,
Et Vulcain le composera.
Ce Dieu ne fut jamais dans l'ame ,
Tout- à-fait content de sa femme ,
Et n'est pas fâché par ce feu ,
De la mortifier un peu.
On doit d'Iris y placer la Statuë :
De l'Echarpe divine elle sera vétuë ,
Les Graces la couronneront ,
Et les Plaisirs l'entoureront.
Ces quatre Vers se feront lire ,
Sur un Piedestal de Porphire.
Des Dieux, ainsi que des Mortels ,
Se réunit ici l'hommage ,
La Beauté dont on voit l'image ,
Mérite un culte et des Autels.
SUITE de la Réponse à la Lettre sur
la gloire des Orateurs et des Poëtes.
L'Eloquence
de la Chaire et du Bary
reau sont d'une si grande utilité
qu'on a une obligation infinie à ceux qui
veulent bien y employer leurs talens ; il
n'en est pas de même des Poëtes , et
quelque préference que vous vous effor-
Bv
ciez
658 MERCURE DE FRANCE.
ciez de donner à Racine sur M. Flechier,
dans l'endroit où ils peignent tous les
deux la puissance du souverain Maître
de l'Univers , je crois que le Discours a
plus fructifié que le Poëme , et si l'un
paroît plus élevé que l'autre , c'est que
les pensées ne sont pas précisement les
mêmes , et que la Chaire de verité qui ne
souffre rien d'enflé , rien d'empoulé , rien
d'allambiqué , ne permettoit pas au sçavant
Evêque de Nîmes , de donner dans
le Phebus ; d'ailleurs on conviendra que
ces images monstrueuses d'un Dieu , tendent
plus à surprendre , qu'à émouvoir
à frapper l'esprit , qu'à toucher le coeur
et à effrayer l'Auditoire , qu'à le convaincre
de la Puissance divine.
Pour fasciner les yeux du Lecteur , vous
analisez les chefs- d'oeuvres des plus grands
Maîtres de la Poësie , vous mettez en oeuvre
tout ce qu'on peut imaginer de speeleux
pour étayer un sentiment ruineux,
et je vois bien qu'on ne pourroit vous
convaincre ' de l'hereticité de votre opinion
, qu'avec l'autorité des exemples ;
mais comme le grand nombre que j'aurois
à citer , si je ne voulois jamais finir ,
m'effraye ; j'ai fermé les yeux sur une
infinité d'éloquens Ouvrages que nous
voyons sortir de l'Académie Françoise
comme les Ruisseaux de leur source
و
et
$
AVRIL 1731. 659
y
et je me suis borné à ce qui suit.
Un de nos Rois qui marchoit à la tête
de son armée , voyant l'Ennemi et l'heure
du combat s'approcher , fait une Harangue
à ses Soldats. J'en appelle au jugement
des fameux Poëtes de l'Antiquité ;
n'invoqueroient-ils pas toutes les Puissances
du Parnasse pour faire parler dignement
ce grand Prince ? Oui , sans doute ,
ils le prépareroient par un talia fatur ou
par quelque chose d'équivalant , à circonstancier
l'approche de l'Ennemi , sans
oublier le son bruyant des Trompettes,
ni l'éclat que leurs Armes reçoivent de
la refléxion du Soleil ; après avoir promené
les Soldats dans tous les endroits
signalez par leurs anciennes Victoires , ils
les reconduiroient au Champ de bataille ,
où par une exageration fastueuse de l'honneur
qu'ils ont d'avoir le Roi à leur tête
et des récompenses qu'ils en peuvent attendre
, ils employeroient tout le tems
du combat à les haranguer. Que ces Nourrissons
des Muses , qui font descendre
leurs Héros dans un détail trop poëtique,
apprennent de ce grand Roi, à ne plus
dégrader l'Eloquence héroïque , il parle
moins qu'eux , et il dit davantage ; écou
tons comme il s'explique. Voila l'Ennemi,
Vous êtes François , je suis votre Roi. Quelle
dignité quelle majesté ! quelle sublimité
B vj tous
660 MERCURE DE FRANCE
tous les Poëtes ensemble feroient de vains
efforts pour nous donner quelque chose
qui approchât de ce Discours ; jamais si
peu de paroles n'ont renfermé un si grand
sens , et cette citation ne vous laissant rien'
à desirer , Monsieur , je me contente de
renvoyer les curieux aux Oraisons Funebres
de M. Flechier , aux Plaidoyers de
Patru , aux Oeuvres de S. Evremont , aux
Caracteres de la Bruyere , et à mille autres
Ouvrages de ce genre , qui préconisent
d'eux- mêmes l'Eloquence , et dont
les beautez frappantes font assez son
éloge.
و J'avoue Monsieur , à la honte du
Christianisme , que l'on fréquente plus
volontiers les Jeux et les Spectacles que
la Maison du Seigneur , et qu'on s'y plaît
davantage ; le fruit qu'on en tire est cependant
bien funeste , et nos Pieces comiques
dont une intrigue amoureuse est
toûjours le mobile , soüillent l'ame , énervent
l'esprit , et corrompent le coeur de
quiconque n'a pas assez de discernement
pour voir que la verité y est toûjours fardée
, et que le crime y prend un caractere
d'héroïsme qu'on ne doit
dre avec la vertu .
pas confon-
Cet abus vient encore de ce qu'on veut
être touché à la Comedie , et se plaire
au Sermon ; si on y assistoit dans un autre
esprit
AVRIL. 1731. 661
esprit , on sortiroit sain et sauf du Spectacle
, et on rapporteroit toûjours de l'Eglise
un exterieur content , un coeur penetré
, un esprit docile et une ame exemte
de soüillure ; la Chaire même et le Bareau
, ont des Sujets capables de nous dédommager
de toute la Poësie du monde ,
il ne faut pas un si grand effort de la raison
pour leur rendre cette justice.
L'indigence des Poëtes n'enrichit certainement
pas leur Panegyrique , et le
langage du Renard de la Fable à l'aspect
d'un Raisin qu'il desire et qu'il ne sçauroit
avoir , contribuë fort peu à leur justification
; il est plus vrai de dire que la
Poësie n'est utile aux Poëtes qu'autant
qu'ils le sont eux-mêmes au Public. L'Eloquence
rend, au contraire , l'Orateur
puissant et recommandable , parce qu'elle
sert à tout. Elle s'occupe aux interêts de
la Religion et à ceux de l'Etat , elle s'attache
à la Campagne aussi- bien qu'au Cabinet
, elle préside aux Etats , elle opine
dans les Conseils de Guerre ,va au combat,
et elle a plus de part au gouvernement
des Royaumes et au Ministere , que les
Ministres mêmes.
les
Jugez après cela si ce n'est pas compromettre
gens d'esprit et de bon gout ,
les Héros et le beau Sexe que de se vanter
de leur suffrage dans une aussi mauvaise
cause,
662 MERCURE DE FRANCE
se . Je suis persuadé qu'ils desavoüent unanimement
votre Lettre , les Dames y ont
sur tout un interêt fort sensible , la Poësie
en fait des portraits grotesques où la
vraisemblance est si peu gardée , que
leur merite seroit encore inconnu , si une
Prose élegante n'avoit pris soin de peindre
le beau Sexe tel qu'il est , c'est- à-dire,
joignant à toutes les
du graces corps les
plus puissans charmes de l'esprit , et cet
usage du monde qu'il faut avoir pour
être parfaitement éloquent , n'étant autre
chose que le commerce des Dames , j'ose
assurer qu'elles prennent plus de part à
la gloire des Orateurs qu'à celle des
Poëtes.
A Dieu ne plaise cependant que j'aye
intention de dégrader la Poësie , je sçais
trop l'estime qu'ont eu pour elle de tout
rems les hommes les plus illustres , mais
je suis bien aise de vous apprendre que
Fes Orateurs étoient si distinguez parmi
les Grecs et les Romains , qu'on faisoit
faire souvent des images , des Statuës et
des Inscriptions à leur honneur , que
leur mérite étoit une voye de parvenir
à tout , même au souverain pouvoir , et
qu'ainsi tout le crédit qu'avoient les Poëtes
à la Cour des plus grands Princes ,
peut s'entendre de l'honneur qu'ils recevoient
le plus souvent de ceux que ?
PE
AVRIL. 173.1 . 663
l'Eloquence avoit élevez à la souveraineté
.
Au reste on peut encore juger de l'éclat
des Orateurs pour l'importance des
personnages que l'on compte parmi eux,
comme les Cesars , les Scipions , les
Gachques , et tant d'autres Romains illustres
d'ailleurs par les plus grands exploits .
La Chaire retentit aussi tous les jours du
nom respectable des Chrisostômes , des
Ambroises , des Gregoires et des saints
Prédicateurs , dont l'eloquence victorieuse
a ravagé tant de consciences , subjugué
tant d'esprits et conquis tant d'ames.
La France enfin nous fournit assez de
preuves , et sans aller plus loin , nous
voyons les trois premiers emplois du
Royaume si bien distribuez , qu'on diroit
que l'Eloquence elle même en estrevêtuë,
Episcopat , le Ministere et les Charges
de Magistrature n'ont rien de trop élevé,
et à quoi ne puisse parvenir un homme
éloquent ; les Poëtes , au contraire , re
sont jamais que des Poëtes , ils n'ont de
rang , de crédit et d'autorité qu'au Par
nasse , tout leur bonheur consiste dans-
Festime qu'on fait d'eux lorsqu'ils s'en
rendent dignes ; et ce prétendu langage
des Dieux , que vous ne pouvez préconiser
qu'avec celui des hommes, c'est-à- dire,
sans le secours de l'Eloquence dont votre
Lettre
664 MERCURE DE FRANCE
Lettre est un modele parfait , suffit pour
faire respecter un talent qu'on ne sçauroit
attaquer qu'en l'opposant à lui - même
; pour moi , Monsieur , qui n'ai d'autre
mérite que le zele , je m'estimerai
très-heureux si le desir que j'ai eu de
vous desabuser , peut vous persuader de
l'estime particuliere avec laquelle j'ai
l'honneur d'être , &c.
J. G. Duchasteau , Bachelier en Droit.
PARAPHRASE DE L'ODE XIV .
DU SECOND LIVRE D'HORACE,
Sur la necessité de la Mort.
LEE tems s'écoule incessamment
Tel est l'ordre des destinées ;
La Parque si rapidement ,
Des Humains file les années ,
Que de leurs déplorables jours ,
Souvent dans leur printems se termine le cours
En vain pour nous rendre propices ,
Les Deitez des tristes bords ,
Nous consumons en Sacrifices ,
Nos revenus et nos trésors
A
AVRIL. 1731. 665
A tous nos voeux inexorables ,
Rien ne peut arrêter leurs decrets implacables.
A ce superbe Souverain ,
Atropos ravit la lumiere ,
Un Berger sous la même main ,
Ferme sa mourante paupiere ,
En abordant le Phlegeton ,
Ils sont au même rang sous les Loix de Pluton.
Pourrois- je m'exempter de boire ,
De l'eau dont burent mes Ayeux ?
Ils ont tous passé l'Onde noire ,
Je la dois passer après eux ;
En me transmettant leur fortune ,
Ne m'ont-ils pas soumis à cette Loi commune è
Un Guerrier sort des Champs de Mars ,
Couronné des mains de la Gloire ,
Il a triomphé des hazards ,
Dont on peut payer la victoire ,
Sous une legere langueur ,
Je vois l'instant d'aprés succomber sa valeur.
Remarquez ce Nocher habile ;
Au gré des Matelots contens ,
Eviter et Caribde et Scille ,
Triompher
666 MERCURE DE FRANCE
Triompher des flots et des vents ;
Au Port il revient dans sa Barque ,
Chercher le trait mortel que lui garde la Parque.
Tel échappe au poison fatal ,
Sous une maligne influence ,
Que bien- tôt au Fleuve infernal ,
Précipite une défaillance ;
Heureux s'il sçait sans murmurer ,
Se soumettre à l'Arrêt qu'il ne peut differer !
C'est en vain que sur tes Boccages ,
Ton coeur s'égare avec ton oeil ;
Qu'attends- tu de ton Jardinage ,
Que l'arbre qui fait ton cercueil ?
Seul de sa livide verdure ,
Le funeste Cyprès couvre ta Sépulture.
Hélas ! digne objet de mes voeux ,
Celimene allumoit ma flamme ;
Quel Mortel étoit plus heureux ?
Mon ardeur embrasoit son ame;
Jaloux de ma felicité,
Le Destin la conduit sur les bords du Lethé.
> De tes amis illegitimes ,
Qui n'ont satisfait que tes yeux ,
Quem
AVRIL. 1731. 667
Qu'emportes-tu dans les abîmes ,
Où tu vas trouver tes Ayeux ?
Fruits et principes de tout crime ,
Tes avides neveux t'en rendent la victime.
Gardois- tu pour tes heritiers ,
Tes vins délicats de Falerne ?
Pour eux s'enfoncent tes Celliers ,
Pour toi s'ouvre le sombre Averne ;
La mort te frappe ce matin ,
Ce soir sur ton Cercueil ils feront un festin.
Le Chevalier de Montador.
*********X *XX *XXXX
MEMOIRES HISTORIQUES
sur les personnes originaires du Comté
d'Eu , qui se sont distinguées par leur ver
tu , par leur science , par leur valeur &c.
Par M. Capperon , Ancien Doyen de
J
S. Maxent.
E vous envoye , Monsieur , les Mémoires
que vous m'avez demandés au
sujet des personnes originaires du Comté
d'Eu , et qui se sont distinguées par quelque
chose de singulier .
Le premier dont j'ai à parler est Geofroi
second du nom , Evêque d'Amiens .
né
668 MERCURE DE FRANCE
né à Eu à la fin du XII . siécle. Il fut nommé
Geofroi d'Eu , suivant ce qui s'observoit
alors à l'égard des gens de Lettres ,
qui prenoient tous leur nom de celui du
lieu de leur naissance , car son nom de
famille étoit le Valet ou le Varlet , ce qui
se prouve par l'obituaire de l'Eglise de
Notre- Dame d'Amiens , où son frere est
nommé Walterius le Valet de Lugo . Ils
étoient tous deux fils d'un bon Bourgeois
de la Ville d'Eu ; en quoi de la Morliere
s'est trompé dans son Livre des Antiquités
d'Amiens , supposant que cet Evêque
étoit de la famille des Comtes d'Eu .
Si cela eut été , les titres de la Çathédrale
n'eussent pas oublié de distinguet
expressément une naissance aussi illustre
que celle de la Maison de Lusignan , qui
possedoit alors le Comté d'Eu , et les Historiens
qui ont parlé de lui ne l'auroient
pas non plus oublié ; au lieu que Du Boulay
dans son Histoire de l'Université de
Paris, n'en parle que comme d'un simple
Docteur , distingué seulement par sa
grande érudition : Doctor insignis.
Ce fut à Eu , il est vrai , que ce Prélat
prit naissance ; mais il est à propos d'observer
que ce fut dans la Paroisse de cette
Ville , qui est dépendante du Diocèse d'A-
* Lenom decettefamille subsiste encore à Eu.
miens
AVRI L. 1731. 669
miens , ainsi que le fait connoître le Pere
Ignace dans son Histoire Ecclesiastique
de Ponthieu , Chap. 34. Après ses premieres
études il alla à Paris , y prit le dégré
de Docteur en Théologie , et s'appliqua
ensuite à l'étude de la Medecine , où il se
rendit également habile , ce qui ne doit
pas vous surprendre , n'y ayant alors que
les seuls Ecclesiastiques qui exerçassent
en France cette Profession ; on convient
même qu'il n'y a pas eu de Medecins
mariés dans ce Royaume avant 1452 .
Comme Geofroi s'étoit fait connoître
par
son mérite extraordinaire , l'Evêché d'Amiens
étant venu à vaquer , et les Evêques
se faisant alors par élection , notre
Geofroi fut élû Evêque de ce Diocèse ,
P'an 1223. ( a )
A peine eut- il pris possession de son
Evêché qu'il se trouva avec tous les Evêques
du Royaume à l'Assemblée qui fut
tenue à Paris par ordre du Pape Honoré
III. à l'occasion de l'Heresie des Albigeois.
De retour dans son Diocèse , étant prié
de confirmer la fondation de quelques
Chapelles , érigées dans l'Eglise de Saint
Jean des Prés d'Abbeville , il ne le fit
qu'avec cette reserve si conforme aux
saints Canons , sçavoir , que ceux qui en
,
,
( a ) La Morliere , Antiq. d'Amiens.
seroient
670 MERCURE DE FRANCE
seroient pourvûs ne pourroient posseder
aucun autre Benéfice avec ces Chapelles.
( a )
د
Comme les Habitans de la Ville d'Eu
sollicitoient la Canonisation de S. Laurent
, Archevêque de Dublin , dans les
premiers tems de l'Episcopat de l'Evêque
Geofroi , ce Prélat s'y interessa d'autant
plus qu'il étoit né dans cette Ville peu
de tems après que cet illustre Saint y eut
fini ses jours , et qu'il avoit été le témoin
de plusieurs miracles operés par son intercession
, et qu'une partie de la Ville
étoit de son Diocèse , tout cela , dis- je
lui fit prendre beaucoup de part à la joye
que recurent les Habitans d'Eu , lorsqu'ils
eurent obtenu la Bulle de Canonisation .
L'onzième jour de Décembre 1226. ayant
donc été invité à la translation solemnelle
que l'Archevêque de Rouen devoir faire
du corps de ce Saint , il s'y trouva volontiers
, et la solemnité en fut faite par
ces deux Prélats le dixième jour de Mai
de la même année. ( b ) En 1233. voyant
qu'il y avoit peu d'ordre dans l'Hôtel-
Dieu d'Amiens , il regla les choses sur le
pié qu'elles ont été depuis , et y ayant
établi des Religieuses , il leur donna des
( a) Hist. Eccles. de Ponthieu , L. 1. Ch. 34.
(b) Vie originale de S. Laurent , Chap. 39 .
ConsAVRIL.
1731. 671
Constitutions qui furent dans la suite approuvées
au Concile de Lyon par le Pape
Innocent IX. En 1235. il assista au Concile
de la Province de Reims , qui fut tenu
à Senlis ; ce qui rendra sa mémoire
recommandable à la posterité , est l'Eglise
Cathédrale d'Amiens , un des plus
beaux Vaisseaux qu'il y ait dans le Royaume
, dont il a fait élever l'Edifice depuis
le rez de chaussée presque jusqu'à la voute.
Enfin comblé de mérites et de benedictians
, il mourut l'an 1238. on le voit
encore aujourd'hui représenté sur un tombeau
de bronze , soutenu par six petits
Lions , de même métal , posé à l'entrée
de la nef de cette Eglise , autour duquel
on lit cette Epitaphe :
Ecce premunt humile Gaufridi membra cubile
Seu minus aut simile nobis parat omnibus ille
Quem laurus gemina decoraverat , in Medicina
Legeque divina , decuerunt cornua bina
Clare vir Augensis , quo sedes Ambianensis
Crevit in immensis , in coelis auctus , amen , sis,
Dans le siécle suivant , le Comté d'Eu
donna encore un Evêque à l'Eglise de
France , ce fut Jean , Evêque d'Auxerre
lequel étoit né au Bourg de Blangy , situé
dans ce Comté , à cinq lieuës de la Ville
d'Eu , Suivant l'usage qui s'observoit encore
672 MERCURE DE FRANCE .
core , il prit son nom , comme l'Evêque
Geofroi , du lieu où il étoit né , et s'appella
Jean de Blangy , Joannes de Blangiaco.
Après avoir fait ses études à Paris ,
il fut reçû Docteur de la Maison de Navarre
; (a ) en cette qualité il assista à
l'Assemblée des Docteurs qui fut tenuë
à Paris par ordre du Roi Philippe de Valois
pour y examiner le sentiment du Pape
Jean XXII . touchant la vision béatifique ,
lequel y fut déclaré heterodoxe. Jean de
Blangy fut fait Archidiacre du Vexin ,
dans l'Archevêché de Rouen ; et parcequ'il
avoit fait ses études à Paris avec
le Pape Benoît XII. lorsqu'il n'etoit
encore que simple Religieux de l'Ordre
de Citeaux , ce qui avoit formé une
amitié particuliere entre eux , ce Pontife
lui procura l'Evêché d'Auxerre , l'an
1338. ( a ) En 1340. il se trouva de la part
du même Roi au Traité d'Arras , où la
tréve fut concluë pour trois ans avec le
Roi d'Angleterre , et l'année suivante
l'Abbé de Pontigny jura entre ses mains
obéissance à son Siége , et au Chapitre de
sa Cathédrale. Fatigué du fardeau de l'Episcopat
, il obtint du Pape Clement VI .
la permission de se démetre de son Evê-
(a) M. de Launoy.
( b ) Labbe , Bibliot. des Mss . T. 1 .
ché
AVRIL. 1731. 673
ché , et il voulut se retirer à Paris ; mais
s'étant mis dans un bateau pour y descendre
la Riviere , il y gagna un rhume
qui se termina en fiévre continuë lors
qu'il fut arrivé à Paris , laquelle l'emporta
peu de jours après , sçavoir le 15. de
Mars de l'année 1344. Il fut inhumé dans
l'Eglise des Chartreux , sous une tombe
de cuivre , sur laquelle est gravée cette
Epitaphe :
Hic jacet recolende memoria Johannes de
Blangiaco , Rothomagensis Diocesis , Doctor
in Sacra Theologia , Episcopus Autissiodorensis
quondam , cujus anima qui scat in
pace , qui obiit anno Domini 1344.
M. de Launoy , dans son Histoire de
la Maison de Navarre , parle de deux autres
Sçavans , originaires du Comté d'Eu;
le premier est Michel d'Eu , Michaël
Augensis , qui fut fait Docteur de là même
Maison en 149. et Doyen de la Faculté
de Theologie en 1530. il mourut
fort avancé en âge. Le second étoit natif
du Bourg de Treport , proche la Ville
d'Eu , et se nommoit Jean Daval ; il fut
fait aussi Docteur de cette Maison , l'an
-1527. et composa quelques Ouvrages , en
petit nombre , à la verité ; mais ( dit M.
de Launoi ) il pouvoit , s'il avoit voulu ,
en composer davantage.
C Le
1
74 MERCURE DE FRANCE
Le P. Ignace , dans l'Histoire Ecclesiastique
du Ponthieu , fait beaucoup d'éloge
d'un autre Docteur natif de la Ville d'Eu,
nommé Jean Avril , qu'il dit avoir été
un des plus sçavans de son siècle , et
Prédicateur si fameux , qu'il surpassa presque
tous ceux qui excelloient alors dans
l'éloquence de la Chaire . Il fut fait Recteur
de l'Université de Paris le 16. Decembre
1586 ; en 1596. il accepta la digrité
de Doyen de la Collegiale de Saint
Vulfrain d'Abbeville . Enfin après avoir
donné dans cette Ville des preuves continuelles
de sa rare érudition et de son zele
infatigable à annoncer la parole de Dieu ;
le jour de la Nativité de la Vierge de l'an
1611. ayant fait le Service , et assisté à
tout l'Office , il se retira sur le soir dans
son Cabinet , où après avoir legérement
soupé , on le trouva mort le lendemain
matin .
Le siecle dernier a donné encore des
personnes distinguées par leur érudition,
qui ont pris naissance au Comté d'Eu .
Il y a eu un Pere Mithon , Religieux des
Pénitens de l'Ordre de S. François , nommé
dans son Ordre le P. Irenée d'Eu , fils
de Richard Mithon , Ancien Baillif du
Comté d'Eu , lequel mérita par sa science
et par ses vertus de remplir les premieres
places de son Ordre , telles que
celles
AVRIL: 1731. 679
celles de Gardien , de Définiteur et de
Provincial. Il en donna des preuves par
differens Ouvrages , particulierement par
trois gros Volumes in folio , qu'il composa
sur la Vie Spirituelle et Chrétienne ,
qui furent imprimés à Paris en 1659. chez
George Josse l'Auteur mourut cette
même année .
›
On a une Traduction Françoise de la
Vie de S. Laurent , Archevêque de Dublin
, écrite en Latin par un Chanoine de
Notre-Dame d'Eu , so. ans après la mort
de ce Saint , laquelle a été mise au jour
par le Pere Nicolas le Carpentier , Prieur
de l'Abbaye d'Eu , natif de la même Ville,
imprimée à Rouen en 1618. Plus une autre
Vie du même Saint beaucoup plus
étendue , composée par le Pere Jean Guignon
, né aussi à Eu , et imprimée pareillement
à Rouen en 1653. Enfin François
le Beuf , Lieutenant Genéral au Bailliage
d'Eu , né dans le même lieu , mort vers
l'an 1659. après avoir donné des preuves
de ses lumieres et de son équité dans l'exercice
de sa Charge , a composé une Histoire
abregée des Comtes d'Eu , qui est
restée en Manuscrit. Il avoit d'ailleurs
fait peindre un Tableau Historique des
mêmes Comtes , où sont leurs Portraits
avec leurs Armes en migniature , sur du
velin , et un abregé de leur vie , le tout
Cij par676
MERCURE DE FRANCE
parfaitement bien travaillé . Ce Tableau
est présentement chez M. le Duc du
Maine.
Nous avons eu de nos jours un autre
Jean Daval , né à Eu , qui s'est distingué
par l'étendue de ses lumieres , et par son
habileté dans l'étude et dans la pratique
de la Medecine. Il fut premierement Docteur
dans cette Faculté en l'Université
d'Angers , ensuite il prit la même qualité
dans celle de Paris en 1683. où il professa
pendant les années 1685 et 1686. un Cours
d'Anatomie et de Physiologie , et les deux
années suivantes un Cours de Botanique ,
lesquels Traités ont été estimés de tous
les Connoisseurs. Il étoit en même tems
Medecin de l'Hôpital de la Charité et des
Paroisses de S. Jean , de S. Gervais et de
S. Sauveur , où il prenoit soin des Pauvres
. Il se rendit particulierement recommandable
à l'occasion des fiév res malignes
qui regnerent à Paris pendant l'année
1699. dont il penétra si bien la cause , et
en découvrit si justement les remedes ,
qu'il les guerissoit à coup sûr , ce qui le
mit dans un si grand crédit,que M. Fagon
parla de lui au Roi Louis XIV. pour qu'il
pût lui succeder dans la place de Premier
Medecin de S. M. Il lui en fit même tenir
le Brevet d'agrément, lequel lui fut ensuite
envoyé par un Gentilhomme de la part du
Roi ;
AVRIL. 17318 677
>
Roi ; mais trop jaloux de sa liberté , il alla
en faire ses très humbles remercimens
s'excusant sur la délicatesse de son temperament.
Il est mort âgé de 64. ans¸ le
23. Juin 1719 .
,
Après tous ces Sçavans , qui sont sortis
du Comté d'Eu on sera moins surpris
de trouver une fille sçavante du même
Pays , quoique la chose soit plus rare ;
plusieurs Auteurs en ont parlé dans leurs
Ouvrages , tels que La Croix du Maine
dans sa Bibliotheque Françoise, Louis Jacob
dans un Ouvrage semblable , et Augustin
de la Chieza dans son Théatre des
Dames Sçavantes. Ils ont tous fait l'éloge
d'Anne Marquet , Religieuse du Monastere
de Poissy de l'Ordre de S. Dominique
, native du Comté d'Eu . Elle parloit
les Langues Sçavantes ' , la Grecque et la
Latine , et composoit élegamment en Prose
et en Vers. Les Poëtes les plus fameux
de son tems , tels que Dorat , Ronsard -
& c. estimoient beaucoup les Piéces de sa
façon ; il en parut quelques - unes imprimées
en l'année 1561. accompagnée d'une
Préface faite par une Religieuse du
même Ordre , nommée Marie de Fortia.
Anne Marquet mourut l'onzième jour
de Mai 1588 .
Les effets singuliers de la pieté chrétienne
ne méritant pas moins d'être ob-
Ciij servés
878 MERCURE DE FRANCE
servés que ceux des Sciences , des Armes
et des Arts , je ne dois pas oublier dans
re Mémoire la généreuse résolution que
prit Laurent Villedor , natif de cette Ville,
Docteur de Sorbonne , Theologal de
Noyon , d'abandonner sa Patrie , ses biens
et sa dignité pour passer à la Chine , dans
la vue d'y travailler à la conversion des
Infideles de ce vaste Empire. S'étant donc
embarqué dans ce dessein l'année 1701 .
au Port- Louis , et ayant mis à la voile le
5. de Fevrier , après cinq mois quatorze
jours de navigation , le Vaisseau moüilla
à Pondicheri , sur la côte de Coromandel
; là Dieu le traitant comme un autre
Xavier , content du sacrifice de ses desirs,
il ne permit pas qu'il en vit l'execution ;
car après avoir prêché dans une grande
solemnité qui fut faite en cette Ville où
assisterent les Jesuites , les Capucins et toutes
les personnes de consideration, il tomba
malade quelques jours après , et mourut.
Les Voyageurs qui l'accompagnoient dans
le Vaisseau ont rapporté que ce qui l'avoit
épuisé étoit le trop grand travail qu'il
s'étoit donné sur la route pour apprendre
la Langue Chinoise , qu'il leur faisoit fréquemment
des discours de pieté , et qu'il
les avoit édifiés par toute sa conduite . *
* Relat. d'un Voyage aux Indes. Paris ,
Moreau 1703 .
chet
Ne
AVRIL . 1731. 679
Ne puis -je pas joindre à ce zelé Docteur
celui qui par sa rare pieté , ses austerités
et sa prudence a merité d'être placé en
qualité d'Abbé de la Trappe pour gouverner
cette nombreuse Communauté qui
édifie toute l'Eglise : il se nomme François
Augustin Gouche , né à Eu , et élû
Abbé en 1727.
Nous donnerons la suite de ces Mémoires
le mois prochain.
akakakakakakakakakakakakakik
L'AMOUR MUSICIEN ,
CANTAT E.
PRés d'un Temple fameux par son antiquité ,
Où les Mortels qui veulent plaire
A la Déesse de Cythere
Vont offrir leur encens à sa Divinité ,
Est une Forêt solitaire ,
Qu'environne une sombre et sainte obscurité :
C'est là qu'aux bords d'une Fontaine
Dans les bras du sommeil j'oubliois mes soucis
Lorsque Venus avec son fils
Vint par sa présence soudaine
Troubler l'heureux repos que goutoient mes esprits.
C iiij Les
680 MERCURE DE FRANCE
Les Ris , les Jeux suivoient ses traces ;
Les Amours voloient sur ses pas ;
Sa présence dans ces climats.
Leur donnoit de nouvelles graces.
Dans ces Bois sombres et charmans
A Venus tout rendoit hommage' ;
Les Oiseaux mêmes du Bocage
A l'envi redoubloient leurs Chants.
Les Jeux , les Ris suivoient ses traces ;
Les Amours voloient sur ses pas ;
Sa présence dans ces Climats
Leur donnoit de nouvelles graces.
Je veux me dit alors la Mere des Amours ; >
Que par tes soins mon fils apprene
Cet Art qui d'Arion a conservé les jours ,
Et du Chantre de Thrace a soulagé la peine."
Flatté du choix de Venus ,
Je chantai le combat de Pan et de Phoebus ,
Et Pallas d'Arachné punissant l'arrogance ;
Mais l'Amour dégouté de ces chants ennuyeux
! Chanta d'un ton harmonieux
Les Dieux et les Mortels soumis à fa puiffance.
Fixês
AVRIL:
1731 . 681
Fixés par ces accens ,
Les Zéphirs moins volages
Laifferent
pour un tems
Reposer les feuillages ,
Les hôtes de ces Bois
Devenus moins sauvages
Aux charmes de sa voix
Joignirent leurs ramages ;
Cachés sous les ombrages ,
Les échos d'alentour
Repetent aux Boccages
Les accens de l'amour.
Touché comme eux des chants de l'enfant de
Cypris ,
Je demeurai frappé de toutes ces merveilles ,
Confus , immobile , furpris ,
A peine en crus - je alors mes yeux et mes oreilles,
Et sans me rappeller les airs que je chantois ,
Je devins Ecolier de Maître que j'étois.
Jeunes Beautés , l'Amour est un grand Maître ,
Ce Dieu sçait tout sans avoir rien appris ;
Courez à lui , vous pourrez tout connoître ;
Rien n'eft caché pour un coeur bien épris.
Les autres Dieux ont chacun leur partage ,
Mars eft Guerrier , Phoebus eft Dieu des Vers;
Cv Le
882 MERCURE DE FRANCE.
Le feul Amour par un rare aſſemblage
Unit en lui tous leurs talens divers.
Jeunes Beautez &c.
XXXXXXXXXXXXXXX
LETTRE écrite à M. D. L. R. Par
le R. P. Michel le Quien , Dominicain
Bibliothequaire du Convent de S. Honoré,
au sujet du dernier Ouvrage du P. Le
Courayer&c.
L m'importe peu à présent , Monsieur,
que le P. Le Courayer veüille encore,
comme ses amis l'assurent , continuer
d'écrire pour ses Ordinations ; j'ai déclaré
que dorénavant je garderois le silence sur
ce sujet. Cependant , qu'il me réplique et
qu'il défende sa cause avec la solidité et
a sincerité que le sujet l'exige , je serai le
premier à lui applaudir ; je ne suis prévenu
en faveur de la mienne que parceque
j'en ai établi les preuves sur les principes
qu'il avoit lui-même posés . J'ai
de l'aveu même de ceux qu'il avoit éblouis
par sa défense , satisfait à tous les points
capitaux qu'il avoit exigé qu'on lui prouvât.
Il a demandé » qu'on lui citât des
» Historiens qui contredisent les Actes
» qu'il produisoit , ou qu'on rapportât
des
4
AVRIL: 1731. 683
» des Actes contraires aux siens , ou qu'on
fit voir qu'on ne peut concilier les Ac-
» tes avec des faits reconnus pour cer-
» tains. J'ai admis toutes ces disjonctives;
j'ai cité un bon nombre d'Auteurs contemporains
et oculaires qui contredisent
ouvertement la Relation qu'on a produite
du prétendu sacre de Mathieu Parker pour
l'Archevêché de Cantorberi. Le seul fait
du procès que l'Evêque de Londres Edmond
Bonner a soutenu contre le faux
Evêque de Winchester Robert Horn , suffisoit
pour ôter toute croyance à cette
Histoire , et la faire passer pour ce qu'elle
est , c'est-à-dire , pour un Roman.Le Prélat
Catholique y verifia contradictoirement
devant les Juges que les nouveaux
Evêques de la Reine Elizabeth avoient
envahi en cachete les Siéges d'Angleterre
sans avoir reçû l'imposition des mains
d'aucun Evêque , et tout haï qu'il étoit
des Protestans , le Parlement à qui l'affaire
avoit été déferée , le renvoya absous .
Quoi de plus C'est en lisant les Historiens
Anglicans que j'ai verifié
que le Registre
de Cranmer a été falsifié. Ces mêmes
Auteurs m'ont fourni des Actes autentiques
dans lesquels on trouve Mathieu
Parker reconnu pour Archevêque veritable
, anterieurement au tems auquel on
veut qu'il ait été ordonné ; j'en ai conclu
C vj
par
684 MERCURE DE FRANCE.
par une juste conséquence qu'il ne l'a
point été du tout; je ne me suis point
aheurté à soutenir son sacre dans une Auberge
; mais j'ai soutenu que si ce fait est
fabuleux , la Relation ne l'est pas moins.
me ,
J'ai verifié que le Registre qu'on vante
tant , est composé de feuilles détachées
qu'on n'a assemblées et reliées que longtems
après la mort de Parker , d'où j'ai
inferé qu'il a été aisé d'y mêler de faux
Actes. On a vû le refus que les Prélats
Anglicans ont fait à des Prêtres Catholiques
d'examiner ce Registre à loisir et à
tête reposée , dans le tems même qu'ils
ont commencé à l'annoncer . D'autres
personnes dignes de foi , mais qui ne ju
gent pas encore à propos qu'on les nomveulent
qu'on déclare au Public qu'étant
parties de France, et étant allées à Londres
depuis nos disputes contre le Docteur
d'Oxford pour avoir la satisfaction
de consulter les péces dont il est question,
elles s'en sont retournées sans l'avoir pû obtenir
de ceux qui en sont les Dépositaires.
Le Docteur d'Oxford a donc tort de se
vanter qu'étant à présent sur les lieux , it
est plus en état de justifier leur authenticité.
Je lui ai dit, et je le repéte , que sa
présence et son témoignage n'y servirone
de rien ; il n'est ni assez habile connoisseur
en anciennes Ecritures , ni assez
déAVRIL
1731. 685
désinteressé , ni peut- être assez sincere ,
pour qu'on doive déferer à son témoignage.
Enfin, quoiqu'il avance désormais
pour faire valoir ses prétendus Actes , tout
bien pe é dans une juste balance , tout ce
qu'il a allegué , ou qu'il pourra alleguer
dans la suite , ne l'emportera jamais sur les
preuves que je lui ai opposées , et cela me
suffit.
Quand même je lui passerois sa Relation
de Lambeth , outre les témoins que
j'ai cités contre l'Episcopat de Guillaume
Barlow , qu'il nous donne pour Consécrateur
de Parker , j'ai démontré clair
comme le jour, que puisque lui et les Anglois
sont obligés de convenir que ce Prélat
de la Réforme ne fut jamais sacré pour
le Siége de Saint Asaph , auquel il avoit
été nommé d'abord , il ne l'a point nonplus
été pour celui de Saint Davids où il
fut tran feré. Il est bon de repéter en
deux mots ma démonstration ; la voici :
Notre Docteur a lui-même publié les
Actes de la confirmation de ce faux Evêque
pour ce second Siége , avec le certificat
qu'en donna au Roi Henri VIII.
l'Archevêque Cranmer. Son grand Auteur
François Masson avoit auparavant
imprimé les Lettres Patentes de ce Prince,
par lesquelles , en vertu du certificat , il
fut mis en possession de l'Evêché , pour
jouir
686 MERCURE DE FRANCE
;
jouir du temporel et de tous les droits et
honneurs qui y étoient attachés ; le Brevet
de Henri qui ordonnoit à Cranmer
de faire à l'égard de Barlou , élû Evêque
de Saint Davids , tout ce qui étoit de
son office , omne quod tui officii est , c'està
dire , de le confirmer et de le sacrer ensuite
, s'il ne l'étoit pas , est du 21. Avril
.1536. les Actes de la confirmation sont
dattés du lendemain qui étoit un Vendredi
le Certificat est datté du même
jour 22. Avril ; enfin les Lettres Patentes
du Roi ont pour datte le 27. qui étoit
le Mercredi suivant . Cranmer auroit attendu
du moins au Dimanche 24. pour
donner son Certificat après l'avoir sacré,
s'il avoit eu envie d'en faire la cerémonie,
et attester par ce même Acte qu'il l'avoit
confirmé et sacré : il n'en a rien fait , il
n'a attesté que la confirmation , sans parler
de consécration , aussi ne l'auroit-il
pû faire un Vendredi. Le Roi lui même
dans ses Lettres Patentes données sur le
Certificat , ' ne fait aucune mention du Sacre
, mais seulement de la confirmation
ensorte qu'on ne peut plus supposer qu'il
y eut un Certificat de Sacre pour obtedans
ce
nir ces Lettres.
De tout cela j'ai conclu que
malheureux tems de schisme et de confusion
, Barlow Herétique , comme son
ArcheAVRIL
1731 687
pas-
Archevêque , de concert avec lui et avec
Thomas Cromwel , homme Seculier et
Vicaire General de Henri VIII. pour toutes
les affaires de l'Eglise , se sera fait
ser dans le monde pour veritable Evêque
sans avoir été sacré , et aura pris scéance
au Parlement sur les Lettres Patentes de
son Prince , en qualité de Pair et de Ba →
ron du Royaume. Voilà ce que je n'ai pas
craint d'appeller une démonstration contre
l'Episcopat de Guillaume Barlow ,
je me suis flatté que toutes les personnes
judicieuses en jugeront de même.
et
Ce que j'ai encore soutenu dans la se
conde Partie , de l'invalidité des formes.
d'Ordination , usitées par la Secte Anglicanne
depuis le Regne d'Edouard VI.
ne fait plus de difficulté , et il n'y a point
de Catholique qui ne convienne que leur
Episcopat Protestant est absolument nul
de ce côté- là. En vain leur Doffenseur
ose t il les comparer avec celui des Chrétiens
du Levant. J'en ai fait sentir la difference
en les comparant les unes avec les
autres et avec les Latines.Les Théologiens
Catholiques me sçauront sans doute gré
de leur avoir expliqué en quoi consiste
veritablement la forme de l'Ordination
dans toutes les Eglises d'Orient. La question
du Sacrifice n'est pas moins bien
éclaircie , et je doute que le Docteur d'Or
ford veüille encore y revenir.
388 MERCURE DE FRANCE
Il nous menace , dit on , de publier un
Ouvrage qui justifiera de Schisme , et les
Grecs et les Anglois. L'entreprise est digne
de son Auteur. Comme j'espere , avec
l'aide de Dieu , de publier l'Oriens Christianus
, il me sera aisé d'y trouver quelque
place pour réfuter ce Livre , et pour
redresser l'Auteur , qui ne peut gueres
manquer de s'égarer dans un Pays qu'il
ne connoît pas ; je finis , Monsieur , en
disant que la meilleure réponse qu'on
puisse opposer à ses déclamations , c'est
de les mépriser. La Satyre , les railleries ,
les insultes , sont ordinairement ses preuves
et ses argumens les plus forts , argumens
, je l'avouë , ausquels il est difficile
de répondre ; c'est à ces lieux communs
qu'ont d'ordinaire recours les Partisans
de l'erreur. Quia veritate non possunt , lacerant
conviciis , dit S. Jerôme.
Je suis , Monsieur , &c.
A Paris le 14. Fevrier 1731 .
U
CONTE.
N bon Badaut , s'il en fut un en France ,
Et d'esprit assez dépourvû ;
L'un de ces gens qui n'ont jamais rien vû ,
Un
AVRIL
689 1731 .
Un beau matin partit pour la Provence.
Qu'alloit-il faire en ce beau Pays-là ,
Me direz-vous ? vouloit-il , le bon homme ,
Se mettre en mer , aller ensuite à Rome ,
Voir le Saint Pere ? Oh ! rien de tout cela ;
Il avoit autre chose en tête ,
Projet nouveau , dont il se faisoit fête ,
Depuis long- temps , mais il n'en sonnoit mot
C'étoit , dit-on , d'aller manger des Figues.
Certain Gascon , qui n'étoit pas manchot ,
Né pour former de pareilles intrigues ,
Et qui vouloit aux dépens du Marmot ,
Faire voyage et bonne chere ,
L'assiegeoit les jours et les nuits ,
Et lui vantoit la Provence et ses fruits.
Oui , disoit - il , la Provence est la mere ,
Des plaisirs innoccns que l'on goute ici bas ,
Les fleurs y naissent sous les pas ;
Elle fournit en abondance ,
Tout ce qu'on peut et veut avoir ,
Tout est bon à manger, tout est charmant à voir.'
Cadedis , vive la Provence ;
Il exaltoit sur tout la Figue et sa douceur ,
Son gout exquis , son extréme grosseur
Gascon sçait à propos employer l'hyperbole ,
Faire Elephant d'un Moucheron ;
Badaut croyoit sur sa parole ,
Que Figue étoit un fruit gros comme un Potiron,
Car
690 MERCURE DE FRANCE
Car il n'en avoit de sa vie ,
Vu ni mangé , mais plutôt que plus tard ,
Il veut contenter son envie.
Bientôt tout est prêt , et l'on part ;
Non sans avoir la bourse bien garnic ;
Car après tout vous aurez beau chercher ,
De quoi voyager à votre aise ;
Foin d'un Carosse ou d'une Chaise ,
Si l'argent ne sert de Cocher.
Le Gascon chargé de la bourse ,
L'avoit fait remplir jusqu'au haut ,
>
Et plus qu'il ne falloit pour achever la course
Qu'il méditoit de faire avec notre Badaut.
Enfin on arrive en Provence ,
Badaut crut être au bout de l'Univers ,
Gascon conduit son Excellence ,
En un Jardin tout planté d'arbres verds.
Du haut de leurs branches chargées ,
Pendoient comme festons des Citrouilles rangées ,
Dont l'énorme grosseur venoit frapper les yeux;
Voilà , dit le Gascon , le fruit délicieux
Qu'on vous destine ici ; mangez sur ma parole ,
Pendant que mon Badaut sur ses deux piés planté ,
Admire l'objet si vanté ,
Gascon commence un autre rôle ,
Et sans Trompette délogeant ,
Emporte la bourse et l'argent ,
Faisant à son ami la Figue ;
Mais
AVRIL.
9 1731.
Mais le Badaut qui n'étoit pas si fin ,
Et qui prenoit courge pour Figue
Fait saut en l'air , en saisit une enfin ,
Il la fend d'un coup de mâchoire ,
Mais le mal fut qu'ayant grand faim ,
Il fit un grand repas sans boire ,
en mange à crever , et se sentant rendu ,
Il se couche à terre étendu.
Ce n'est pas fait , une affreuse colique ,
Soit venteuse , soit néphretique ,
Je n'en sçais rien , à l'instant l'assaillit .
Le Malade s'agite , il frissonne , il pâlit ,
Son coeur palpite et la tête lui groüille &
On entend son ventre de loin ,
Croasser comme une Grenouille :
Tant la malheureuse Citroüille ,
Fait de dégât ; En ce pressant besoin ,
De tous côtez on vient à la récousse.
Le Médecin portant l'Apoticaire en trousse ,
Arrive , ordonne un Anodin ,
Monsieur Cussifle avec la flute en main
Fait son devoir en galant Mousquetaire ;
Car pour seringuer un clistere ,
Il n'est pas dans le monde entier ,
De Mortel plus habile en ce noble métier ;
Le succès passa l'esperance ,
Ventre se vuide et malade guérit.
Le mal passé , chacun en rit ;
Mais
592 MERCURE DE FRANCE
Mais voici bien autre chevance ,
Il faut compter , Gascon ne paroît plus ;
Gousset est vuide , et les écus ,
Ont avec lui pris la volée.
Voilà notre Badaut réduit à l'Hôpital ,
Et tombé de fievre en chaud mal.
Chagrin au coeur et l'ame desolée ,
Ayant rendu plus qu'il n'a pris ;
Purgé bien et dûment il retourne à Paris ,
Non sans avoir pour son apprentissage ,
Dont il a payé tous les frais ,
Fait voir aux Provençaux assez mal satisfaits ,
Son grand génie et son double visage.
REPONSE d'un partisan de la nouvèle
ortografe , et du bureau tipografique
à la letre d'un gramairien de Provance
, datée de Ventabrén le 2. d'octobre
1730. et insérée dans le Mercure du
mois de Janvier 1731 .
' èn des jins sansés , Monsieur , ont
Betcru que votre critique étoit une fixion
de l'auteur des lètres sur la bibliotèque
des anfans ; d'autres ont dit qu'elle
étoit sortie d'un fameus colège , et sans
aucun fondemant l'ont atribuée à un très
habile professeur , dont la vraie critique
n'a
AVRIL. 1731. 693
n'a paru que dans le mois de fevrier.
De quelque androit qu'elle viène , d'autres
l'aïant trouvée pitoyable , ont dit
que ce seroit lui faire trop d'honeur que
d'y répondre sérieusement : d'autres , et
c'est le vulgaire , ont cru que par cette
critique le bureau aloit ètre ranversé de
fond en conble. La réponse n'est donc
nécessaire que pour ceus qui donent toujours
l'avantage au dernier qui parle ; mais
meritent- ils cette atancion ? oui , il faut
écouter tout le monde , bien loin de rebuter
quelcun ; le nonbre des persones
prévenues contre les nouvèles métodes , et
des adversaires du bureau tipografique ,
n'est ancore que trop grand , il faut avoir
de la condesçandance mème pour les esprits
les plus foibles , c'est donc en leur
faveur que je done cette petite réponse
assés inutile pour les vrais lecteurs qui
lisent avec reflexion .
Les homes divisés presque sur tout ,
ne le sont pas moins sur la nature deş
critiques et sur celle des ouvrages critiqués
. Les uns croient que les meilleurs
t livres gagnent par les critiques , ils n'en
exceptent pas le Cid , et les autres pensent
qu'une critique augmante toujours
en quelque manière la prévansion de la
splupart des lecteurs , mème sur la Pucelle
, etc. il pouroit y avoir du vrai dans
ces
394 MERCURE DE FRANCE
ces deus jugemans , les combinaisons du
fisic et du moral ou des circonstances an
décident ordinairemant.
Quoiqu'il an soit , on étoit déja surpris
qu'il n'ût paru aucun adversaire contre
la métode du bureau tipografique , anoncée
et expliquée dans tous les Mercures de
France , depuis le segond volume de juîn
dernier car le préjujé pour mètre tout
à profit , tire d'abor avantage du silance
gardé sur la nouveauté de quelque métode
, et conclut de ce silance , qu'elle ne
merite pas d'être critiquée : et si au contraire
il paroit des critiques , les esprits
prévenus ne saisissent et n'adoptent gue
res de ces critiques , que les raisons specieuses
qui paroissent favorables à leur
prévansion ; aveuglés sur la suite des plus
forts raisonemans , ils s'acoutument à une
espece de voile au travers duquel ne peuvent
passer les rayons les plus lumineus .
Si l'on avoit done gardé un profond
silance sur la métode du bureau tipografique
, beaucoup de persones l'auroint
peut- être mise au rang des métodes avanturées
, dont la seule lecture a dégouté et
mal prévenu le public , c'est donc un
avantage pour le sistème tipografique de
trouver des adversaires , qui contre leur
insinuation , randent le bureau plus conu
et plus recherché , après la lecture des
critiques et des réponses.
AVRIL. 1731.
69.5
Pour revenir à votre lètre , j'aurai l'honeur
de vous dire , Monsieur , que la cour
et la vile en donant favorablement audiance
aus diferans invanteurs an fait
d'art et de sciance , prouvent le bon gour
du siecle et celui du ministre. Les plus
grans personages du royaume , santent la
foiblesse de l'esprit humain , ils voient
tous les jours les besoins où nous somes
de cantité de choses pour la comodité
du public , devez -vous donc ètre surpris
d'aprendre qu'ils écoutent tout ce qu'on
leur propose; qu'ils donent toujours du
courage , souvant des éloges et mème
quelquefois des récompanses aus homes
ingenieus et invantifs , cette généreuse
conduite de la part des grans et de la
cour , inspire de nobles sentimens d'émulation
et nous raproche peu à peu de
la perfection des arts. il n'y a rien là qui
ne fasse honeur aus protecteurs et aus persones
protegées. Les plaintes contre les
abus et l'imperfection des métodes vulgaires
sont des mieus fondées , le mal est
reconu du public qui en fait l'experiance,
cela vous regarde , Monsieur, et м vos confreres
, il s'agit de trouver du remede au
mal conu , et c'est la principale fin que
s'est proposée l'auteur du sistème tipogra
fique.
rs
Je n'antre point dans le détail des afi
ches
696 MERCURE DE FRANCE
ches qui promètent des miracles literaires
, et dont vous paroissés scandalisé ,
mais j'aurois du moins souhaité que vous
ussiés atandu d'ètre mieus instruit sur la
métode du bureau tipografique , que vous
ussiés un peu plus médité votre matiere,
ou un peu plus déferé au témoignage de
l'experiance , car c'est la meilleure des afiches.
Bien loin de vous contanter de simples
exclamacions et de lieus comuns qui
ne prouvent rien , vous auriés du ataquer
le fond du sistème tipografique , mais
coment ataquer ce qu'on ne comprant
pas ? tâchez donc de comprandre , je me
Alate que la lecture des neuf lètres sur la
bibliotèque des enfans vous donera tous
les éclaircissemans que vous demandés ; il
vous est licite et permis , au reste , d'ètre
dificile et peu crédule sur les ouvrages des
nouvèles métodes , mais vous me permetrés
, s'il vous plait , de vous dire que
vous ne devriés pas paroître si extasié des
vieilles métodes dont le decri est de notorieté
publique dans votre province et
peut ètre à Véntabrén mème .
Un critique , M. a beau vouloir faire
le plaisant , il n'est pas toujours sur d'avoir
les rieurs de son côté . voici ce qu'une
persone d'esprit, après avoir lu votre critique
, écrivit à l'auteur des lètres sur la
bibliotèque des enfans.
Je
AVRIL: 1731. 697
Je vous fais mon conpliment , monsieur , sur
la bèle satire que j'ai lue contre vous dans le mercure
de France du mois de janvier ; je ne saí si avec
votre bon esprit vous feriés mieus santir le faus
et le ridicule de ces critiques et de leurs métodes
que le fait cette lètre , quel domage si on l'avoit
suprimée ! il est pourtant vrai que c'est le conble
de l'extravagance.
Je vois avec regret que vous n'avés
pas bien conpris ce que l'auteur a dit sur
l'ortografe des sons ou de l'oreille , vous
avés cela de comun avec le plus grand
nonbre des maîtres de paris mème , come
vous , ils se scandalisent , ils s'anportent,
ils donent des sènes dignes du métier ,
plutôt que de rougir utilemant , et de
songer à s'instruire , du moins en secret ,
de ce qu'ils ignorent , la chose leur seroit
aisée , puisque des enfans en peu de
mois devienent docteurs sur l'article
des sons de la langue et de l'ortografe
de l'oreille qui doit préceder la pratique
de l'ortografe des ïeus et de
l'usage. ces maitres prévenus et obstinés
autant que vous pouriez l'ètre , bien loin
de dire au Seigneur , Domine ut videam ,
apèlent lumiere leurs propres tenèbres et
ne font que batre la campagne sans comprandre
, sans saisir , sans retenir et sans
Suivre le point essenciel du burau tipografique.
vous serés peut- être convaincu
de cette verité quand vous aurés lu les
derniers мercures. D Je
*
698 MERCURE DE FRANCE
Je ne saí quelle idée vous avés du mot
charlatan , mais je doute que vous vou-
Jussiés califier ainsi un home qui au lieu
d'aler chés lui ou dans votre voisinage
jouir de toutes les comodités de la vie
et de la douceur du climat , soufre patiament
le rude séjour de paris dans la
seule esperanse de faire gouter au public
l'ouvrage qu'il souhaite de lui ofrir ; un
home qui emploie ses épargnes à faire
copier , graver , imprimer bien des choses
qu'il distribue ansuite gratis aus rìches
come aus pauvres , aus enemis come
aus amis du burau tipografique , ainsi
qu'il l'a déja pratiqué à l'égard de la brochure
donée en 1711. sur la transposition
de la musique instrumentale ; un home
qui bien loin de demander ou d'accepter
le privilege exclusif pour la vante
des buraus et de leurs garnitures , ofre
de mettre tout le monde au fait de cet
ouvrage et de cette métode ; enfin un
home qui jusqu'ici n'a pas touché un sou
pour les buraus et qui au contraire les a
pretés à ceus qui an ont voulu faire l'experiance.
si vous disiés qu'un tel auteur
est frapé et entousiasme de son ouvrage
et de la chimere du bien public , votre
reflexion aus feus de bien des jans auroit
pour lors plus de fondemant ; mais c'est
une injustice de confondre sous le nomde
charAVRI
L.. 1731.
699
charlatan , ccus qui agissent de bone foi
et par gout pour le bien public.
Vous n'ètes pas plus heureus , M. dans
le comentaire sur la celebre Charmante
de la foire , que sur l'ortografe des sons
que vous ignorés come le plus grand nonbre
de м M. vos confreres. il apert donc
visiblement que vous ne vous ètes jamais
élevé au- dessus de la métode vulgaire et
que vous devriés la respecter cette métode
, mème dans la fameuse chiène , car
je doute qu'une bète dressée par un maitre
ordinaire , pût jamais operer selon le
sistème des sons aussi aisément que selon
le sistème des lètres ; mais remarqués ,
s'il vous plaît , que la métode d'inprimer
lètre à lètre et de ranger , par example ,
sèt cartes pour le mot ouaille , est propremant
la métode vulgaire , la métode
de la chiène lètrée , ou la vôtre qui est
la segonde et moindre des quatre classes
du burau tipografique ; c'est pourquoi
l'auteur conseille de la passer vite come
presque inutile et peu instructive , au lieu
qu'inprimant son à son , et selon la troisième
classe du burau , un enfant de trois
à quatre ans ne metra que trois cartes
pour les trois sons du mot ou- a- ille , lequel
exercice done d'abord la lecture ,
puisque nomer les trois sons ou - a- ille , oų
lire le mot ouaille , c'est la mème chose ,
D ij apa-
380106
700 MERCURE DE FRANCE
aparamant vous ne comprandrés pas ceci ,
et la posterité canine ne poura jamais antreprandre
de l'imiter, que quand ce sistèmedes
sons sera devenu vulgaire.
Je ne vous suis point , M..dans toutes
vos reflexions , elles ont été faites à paris
come à Véntabrén , il y a ici du préjugé,
de la prévention , ect. mais il y a aussi
du gout pour la verité , pour la justice
et pour le bien public , après tout je me
flate que la suite des Mercures et la critique
du savant professeur anonime de
l'université de Paris , vous auront réconcilié
avec le burau tipografique , suposé
que vous soyés bien intancioné et que
vous aimiés la verité , sur tout quand vous
aprandrés par le témoignage mème de
cet habile professeur , que des principaus
de mérite et des plus respectables de l'université
ont laissé introduire l'usage du
burau dans leurs colèges , si malgré cette
de fait et d'autorité , preuve assés
forte pour les maitres qui se piquent bien
plus de latinité et d'autorité que de justesse
de raisonement , si malgré votre
droiture et ce témoignage de la bouche
d'un critique home d'esprit et de merite,
vous regimbés contre l'aiguillon , s'il
vous reste quelque doute et que vous en
fassiés part au public , je tacheraí d'y répondre
de mon mieus , dans la vue de
preuve
conAVRIL.
1731. 701
concourir à la perfection du sistème tipografique
et de vous persuader combien
je suis , etc.
D'un Cabinet tipografique ce 26.Mars 1731
LE LION ET LA BREBIS ,
V
FABLE.
Ous qui des grands recherchez l'assistance ,
N'allez pas avec eux vous lier d'interêt , ´
Si vous donnez plus que la reverence 2
Vous êtes perdus pour jamais.
Un Lion , mais Lion du plus sublime étage ,
Et des plus nobles d'alentour ,
Lion puissant Siegneur , qui par haut parentage ,
Etoit des mieux venus en Cour ,
Joua , dit- on , un vilain tour ,
A la Brebis , sa voisine , peu sage.
Voici le cas ; le bêlant animal ,
Voulant s'avancer , se produire ,
Pour maîtriser ceux qui pouvoient lui naire ,
Et l'emporter sur maint et maint Rival ;
Il faut , dit- il , choisir une Puissance ,
Envers et contre tous qui puisse nous munir ,
Et réprimer l'insolence ,
De l'Escroqueur , qui contre notre engeance®,
Diij
Aima
702 MERCURE DE FRANCE
Aima toûjours tant à sevir.
Ainsi pensoit la Bête à Laine ,
Aussi-tôt dit , aussi-tôt fait ;
Elle court à perte d'haleine ,
Chez le Lion , pour le voir à souhait ,
Et lui faire sa réverence .
Celui- cy de bonne accointance ,.
Avec beaucoup d'affectation ,
Lui promet sa protection.
Grande amitié de part et d'autre ,
Mais par présens falloit l'entretenir ,
Seigneur Lion , le bon apôtre ,
Eût voulu déja les tenir.
D'abord on n'exigea que la simple courbette ,
Que constante assiduité :
Mais bien-tôt la Bête sujette ,
N'en fut quitte à si bon marché ;
Laissant là sa délicatesse ,
Notre Patron s'arma de hardiesse
Et la pria de lui prêter ,
Maintes feuilles qu'avoit amassé la pécore ,
Pour subsister durant l'âpre saison
Cette demande qui l'honore ,
Lui fait donner au Patron 2.
Le feuillage ,
Qu'elle avoit fait à son Village ,
Voiturer à grands frais par Maître Aliboron..
Ce ne fur tout , et comme dit l'adage ,
Plus
AVRIL. 703 1731 .
Plus on a , plus on veut avoir ,
Chez tous les Grands c'est maxime en usage.
Ainsi donc le Lion venant à concevoir ,
Que s'approchoit le tems de la froidure ,
Pensa comment d'une saison si dure ,
Il éviteroit les rigueurs ;
Puis tout à coup songeant à sa Cliente ,
>
En vain, dit- il , je me tourmente ,
Pour de chimeriques malheurs ;
Notre Brebis de sa véture ,
Nous fera chaude couverture.
Bien disoit vrai , le benin animal
De sa Toison lui fait une fourure ,
Si bien que tant que l'hyver dure ,
Le Protecteur ne ressent aucun mal.
A sa porte souvent l'autre cria misere ,
Voulut qu'on la payât et qu'on finît l'affaire .
Pas le moindre petit retour ;
Et qui pis est , la pécore bêlante ,
N'osa plaider pour un si vilain tour ;
Trop bien sçavoit que la Justice est lente ,
A condamner les gens de Cour.
Tout ce que fit la bête aux frimats exposée ,
C'est qu'à son dain déniaisée ,
N'ayant de quoi manger , ni se vétir ,
Elle jura bien fort de n'y plus revenir..
Cet Apologue est pour confondre ,
Ceux qui se livrent trop à de puissans amis ,
D. iiij
Car
704 MERCURE DE * FRANCE
A
Car il est plus d'une Brebis ,
Quipar les Grands se laisse tondre.'
Par René-Vincent Desf *** .
XXXXXX:XX:XX:XXXXX
SOURIS nourrie par une Chatte. Extrait
d'une Lettre écrite à M. D. L. R..
par M. A. C. D. V. D. le 19. Fanvier
1731.
Lie
E fait qu'on vous a rapporté plusieurs
fois , en passant et en repassant
par notre Ville , lorsque vous fréquentiez
la Normandie , et que vous me
rappellez dans votre derniere Lettre ,
avec prière de vous en bien marquer tou
tes les circonstances ; ce fait , dis -je , est
très-certain , et tel que je vais vous le
narrer.
En l'année 1664. dans cette Ville d'Evreux
, une Chatte ayant mis bas ses petits
chez le nommé Dupuis, ruë Trienne;
ce Dupuis trouva dans le même temps
une nichée de Souris dans sa maison
qu'il porta à sa Chatte. Elle les mangea
toutes , à la réserve d'une seule , qui
par hazard se trouva cachée sous elle ;
la petite Souris sucçoit le lait qui dégou
toit de la gueule des petits Chats , qui
tettoient
AVRIL. 1731. 701
tettoient leur mere. Cette Souris n'eut
pas plutôt gouté du lait de la Chatte
que celle- cy dépoüilla , pour ainsi dire ,
sa ferocité et son antipatie naturelle , caressa
la Souris et la nourrit , avec ses petits
Chats . Quelques Vieillards de ce temslà
certifient la chose comme témoins oculaires
; on la trouve écrite à peu près de
même dans les Memoires de feu M.Ruault,
Avocat d'Evreux , homme des plus sçavans
, des plus curieux , des moins crédules
de notre Province , qui a laissé quantité
de Memoires historiques , et dont
vous connoissez la réputation et les enfans
; voici comment finit le narré de notre
illustre Compatriote sur ce fait singulier.
»Presque toute la Ville alla voir
»cette Souris nourrie par une Chatte , j'y
allai moi-même , et je vis un Particu
lier prendre la Souris sous la Chatte er
>> la mettre au milieu de la Chambre. La
>> Chatte sortit aussi-tôt du lieu où elle
» étoit , reprit la Souris dans sa gueule ,
» la reporta sans lui faire aucun mal avec
» ses petits Chats , et lui fit des caresses
» surprenantes .
Ce fait , encore une fois , dont j'ai en
tendu parler toute ma vie , et dont nous
avons encore des temoins , se trouve tel que
je viens de vous le dire dans les Memoires
d'un vrai Sçavant , reconnu pour
tel
Dv
et
706 MERCURE DE FRANCE
et incapable d'en imposer au Public. M
fait même là - dessus quelques Refléxions
en Physicien , et en particulier sur la force
du fait , qui a , dit il , produit un effet
si contraire à la nature de ces deux Animaux
; mais je supprime et les Reflexions.
et les consequences qu'il en tire par rapport
aux Meres et aux Nourrices , pour
Jaisser à nos Physiciens modernes une entiere
liberté de méditer et de s'expliquer
sur un fait si extraordinaire.
********************
JE
ENIG ME.
E suis un beau petit Palais,
Bâti d'une aimable structure ,
Sans employer pour moi l'Art de l'Architecture;
On me construit à peu de frais.
J'ai cependant gentille couverture ;
Mansarde quelquefois , fenêtres et tréineaux
Et tous les ornemens des Palais les plus beaux.
Je n'ai jamais qu'un seul étage ,
Et qu'un Salon pour tout Appartement :
C'est là qu'une Beauté , quoiqu'en mince équi
page ,
Vient se loger superbement..
Je fus jadis compagne inséparable
D'un Sage de l'Antiquité.
2
Mais
AVRIL 1731. 707
J Mais quelle calomnie inhumaine , execrable
N'ont point fait les Mortels de moi , de ma
beauté !
> Ils ont poussé la cruauté
Jusques me tacher de cet Art, redoutable ,
Dont on brule àRouen quiconque en est coupable.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
LOGOGRYPHE à Madame de G.
Par M. du P. d'Arras.
OU
Qui
Ui , j'ose , Iris , me flater en secret ,
Que ce présent aura de quoi vous plaire :
Je le puis bien sans être témeraire ,
Puisque chez vous j'en ai pris le sujet.
On me prend en deux sens ; le premier vous
presente ,
Le nom de plus d'une Beauté ,
Au second je suis qualité ,
Qui rend le vin brillant et l'Onde transparente
Six lettres font mon tout ; prises diversement ,
Elles vous formeront maint objet different ,
Prenez- les enchiffrez ; la route est plus aisée ;.
Un, trois, quatre, cinq, six , je suis Ville vantée
Trois , quatre , cinq , sans moi nul ne peut respirer
;
Trois , quatre , cinq , puis six , double Ville -de
France 2
De mon sein vous tirez tous votre subsistance ;
Quatre , cinq , six , je suis deffaut à eviter,
Dvj Deux.
708 MERCURE DE FRANCE.
Deux, quatre , trois , je fus femme de Patriarche
Trois, quatre , deux et six, chose utile à l'Oiseau,
Deux , quatre , six , je naîs dans le fond d'un
tonneau.
Trois , quatre , la douleur avec moi toujours
marche ,
Quatre , trois , cinq et six , jeune présomptueux,
Je péris en quittant les traces de mon pere ;
Deux , trois , quatre , puis six , je suis bête très→
fiere ;
Un, quatre, six et deux , l'objet de tous vos voeux;
Cinq , six , ou bien deux , trois , je sers à la Musique
;
Deux, quatre, un, six , heureux qui ne me court
en vain ;
Trois , cinq et un , jadis funeste au genre hu
main ;
Je sçais plaire à present au plus mélancolique ,
Trois , un, cinq , six , j'aurai de quoi picquer le
goût ,
Mille en païs lointain , mesure en Normandie ;
Un , trois , cinq , quatre , six , Province de l'Asie.
Deux, trois , quatre , cinq , six , refrein connu
par tout ,
Un , trois , deux , six , malheur à qui je sers de
gîte ;
Un , cinq et quatre , on peut m'entendre de bien ,
loin.
Un , quatre, cinq et six , une Mouche avec soin
Me forme et m'embellit ; un , trois , deux , d'aller
vîte ; Je
AVRIL.
1731. 709
Je puis bien empêcher le plus leger pieton :
Deux , trois , un > vous voyez qantité d'eau dor →
mante ;
Trois , quatre , deux , je suis d'une odeur trèspicquante..
Un , deux et six , sans moi nul n'entre en sa
maison ;
Deux , quatre , cinq et six , on me voit toujours.
lire.
Un , deux, trois , quatre , cinq , je suis nom mas◄
culin ;
P
Deux , trois , quatre , puis un , au Service divin
Je ne puis qu'assister ... je n'ai plus rien à dire.
AÚTRE LOGO GRYP HE .
Cinq
membres
composent mon corps ;,
Je nomme une fameuse Ville ,
Qui vit sa Campagne fertile ,
Pleine de Captifs et de Morts.
Pour trouver une Ville en France ,
Prenez mes trois membres premiers ;
Vous verrez dans mes trois derniers .
Par où l'homme a son existence,
"
I1 naît un magnifique fruit ,
Des quatre premieres parties ;
Les deux dernieres assorties
A ma tête qui les conduit ,
Font d'un animal volatile,
2.
Re
710 MERCURE
DE FRANCE
Reconnoître aisément le nom .
( Tel se nommoit en grand renom ,
Le Coursier d'un Guerrier habile . )
La troisiéme de mon tout
part
Au mot précedent ajoûtée ,
Est l'instrument d'une Jettée ,
Quand on l'éguize par un bout.
Retranches de ma forme entiere ,
Mes membres , troisième et second
Combinez , c'est l'étui fécond ,
D'une nourrissante matiere ...
Par Anagrame , un vêtement ,
S'offre en ôtant mon second membre.
Deux lettres dont on me démembre
Font éclore un amusement..
Supprimez ma derniere lettre
Transposez mes membres divers
Alors remanié , je sers ,
A regarder par la fenêtre .
Enfin arrachez - moi le coeur
Mon reste devient le salaire ,
Qui de l'indigent militaire ,
Nourrit la force et la vigueur.
2:
Par M. le Besgue , Chanoine de Gerberoy
L'Enigme et les deux Logogryphes du
mois dernier se doivent expliquer par
Gironate , Sanglier et Aigle,
NOUAVRIL
1731. 711
****************
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &c,
SUITE de l'Article de Pierre Ramus.
Es que Ramus se vit Professeur
DRoyal , il se sentit un nouveau zele
pour perfectionner les Sciences , et il y
travailla avec encore plus d'ardeur qu'il
n'avoit fait jusques- là , malgré la hainede
ses ennemis , qui ne pouvoient le laisser
en repos..
Il eut alors part à une affaire assez singuliere
pour être rapportée ici . Vers l'an-
150. les Professeurs Royaux avoient
commencé à corriger quelques abus qui
s'étoient glissez dans la prononciation de
la Langue Latine ; cetre réforme embrassée
par quelques Ecclesiastiques , déplut
à d'autres , qui deffendirent avec chaleur
l'ancienne prononciation à laquelle ils
étoient accoutumez. La chose alla même
si loin , qu'un Beneficier fut dépouillé de
ses revenus par la Faculté de Théologie ,
pour avoir prononcé Quisquis, Quanquam,
suivant la nouvelle réforme , et non par
Kiskis , Kankam , selon l'ancien usage..
Ce Beneficier s'étant pourvû en Parle
ment , les Professeurs Royaux , et entre
autre
712 MERCURE DE FRANCE .
autres Ramus , craignant qu'il ne succombât
sous le crédit de la Faculté , se crurent
obligés de le secourir ; ils allerent
donc à l'Audience , et représenterent si
vivement à la Cour l'indignité d'un tel
procès , que l'Accusé fut absous , et qu'on
faissa la liberté de prononcer comme on
voudroit.
Ramus avoit été élevé et instruit dès
sa plus tendre jeunesse dans la Religion
Catholique , mais la lecture des Livres
des Protestans l'avoit séduit , et lui avoit
donné du gout pour leur Doctrine. Il
commença à faire connoître ses sentimens
en ôtant les Images de la Chapelle de son
College de Prêle. C'étoit en 1552. que
les Religionnaires commencerent à remuer
, et comme on ne vouloit souffrir
dans l'Université que des personnes d'une
Doctrine saine , il en fut chassé la mê
me année et destitué de sa Charge.
}
*
La crainte qu'il eut de quelque chose
de pis , l'obligea alors à se retirer , et il
alla, sous le bon plaisir du Roi qui le
protegeoit , se cacher à Fontainebleau
où , à la faveur des Livres qu'il y trouva
dans la Bibliotheque Royale , il continua
ses travaux Géometriques et Astronomiques
, qui l'occupoient beaucoup depuis
quelque tems.
*Felibien , Hist. de Paris , t. 2. p. 1084.
Mais
AVRIL.
1731. 713
Mais il ne demeura pas long- tems
tranquille en ce lieu . On découvrit qu'il
y étoit , et cette découverte ne lui permit
pas d'y rester davantage. Il fallut
qu'il s'allât cacher successivement en divers
endroits . Pendant ce tems-là son Col
lege fut pillé , et il perdit la riche Bibliotheque
qu'il y avoit amassée.
Lorsque la Paix eut été conclue l'an
1563. entre le Roi Charles IX . et les
Protestans , il reprit possession de sa Charge
, s'y maintint avec vigueur et s'attacha
principalement à faire fleurir les études
des Mathématiques . Nous trouvons dans
l'Histoire de la Ville de Paris une preuve
éclatante de son zele en cette matiere,
qu'il ne faut pas omettre.
» L'intention du Roi François Premier,
» dit l'Auteur , en fondant le College
» Royal , avoit été que les places de Pro-
» fesseurs ne fussent occupées que par des
» gens capables de les remplir avec hon-
>> neur. Des gens sans mérite avoient en-
» fin trouvé moyen , par amis , et par in-
» trigues d'en occuper quelques- unes , et
>> de ce nombre étoit Dampestre , qui s'é-
» toit chargé d'enseigner les Mathémati-
» ques , dont il sçavoit à peine les pre-
» miers Elemens. Pierre de la Ramée l'en-
>> treprit , et l'accusant d'insuffisance , la
* Felib. +, 2. p. 1106.
n.tra
714 MERCURE DE FRANCE.
» traduisit au Parlement , où l'indigne
>> Professeur fut condamné à subir l'exa-
» men . La Raméé ne fe contenta pas de
» cela , il écrivit au Roi , à la Reine , au
» Cardinal de Chatillon , Conservateur
» de l'Université de Paris , à l'Evêque de
» Valance , et à plusieurs autres Seigneurs
>> du Conseil du Roi , et en obrint une
Ordonnance en datte du 24. Janvier
1566. par laquelle il fut reglé que Dam-
» pestre et tous les autres Professeurs qui
» se presenteroient desormais pour être
admis au College Reyal , seroient examinez
publiquement par tous les autres
» Lecteurs. Dampestre , pour n'avoir pas
» l'affront d'être convaincu d'insuffisance,
» ceda sa place à de certaines conditions
à Charpentier , Docteur en Medecine ,
encore moins versé que lui dans les Ma
» thématiques , mais homme d'intrigue et
artificieux. La Ramée l'attaqua plus
» vivement que l'autre , et se donna tant
» de mouvemens , que le Roi fit expedier
» des Lettres Parentes du 7 ..... de la
» même année , données à Moulins , par
lesquelles après le récit des soins que
s'étoit donné Pierre de la Ramée , Doyen
» des Professeurs Royaux , contre Dampestre
, le Roi veut que quand il vaquera
une place de Professeur Royal ,
on le fasse sçavoir à toutes les Univer-
5
"
» sitez.
AVRIL. 1731. 715
.
sitez les plus fameuses , afin que ceux
» qui se sentiront dans la disposition de
»la disputer au concours , viennent se
>> présenter à l'examen des autres Profes-
» seurs du même College , et disputer la
>> Chaire vacante , laquelle sera donnée
» par le Roi à celui , qui , au rapport du
» Doyen et des Lecteurs , aura fait pa-
» roître plus de capacité dans ce combat
Litteraire. Ces Lettres furent enregis
» trées le 2. Avril suivant , avec l'Eloge
que méritoit la protection que donnoit
» le Roi aux Belles Lettres . Pierre de la
Ramée ne laissa pas plus Charpentier
>> en paix que celui qui l'avoit précedé
» dans la Chaire de Mathématique. Il le
>>fit comparoître à la Cour , où le nou-
» veau Professeur obtint par ses larmes
» et par son éloquence , de ne pas subir
»
"
l'examen . Le Parlement lui prescrivit
» des conditions qu'il n'executa point ,
» dont il s'acquitta de mauvaise foi ; ce
» qui obligea la Ramée de le traduire au
» Conseil , où par les artifices de Char-
» pentier , il se trouva lui - même dans la
» necessité de faire son apologie. Toutes
» ces démarches de la Ramée lui furent
>> funestes dans la suite.
Les Guerres Civiles ayant recommencé
en 1557. Ramus fut de nouveau obligé
de quitter Paris ; il se réfugia auprès du
Prince
716 MERCURE DE FRANCE
Prince de Condé , qui avoit son armée a
S. Denis , et y étoit pendant la bataille
qui se donna en ce lieu.
La Paix qui se fit peu de tems après ,
l'engagea à revenir à Paris , où il fut retabli
dans sa Charge ; mais il forma le
dessein de se retirer en un lieu de sureté,
pour n'être point exposé à de nouveaux
dangers.
Il demanda pour cela au Roi la per-
. mission d'aller visiter les Académies d'Almagne
, et elle lui fut accordée. Il fit ce
voyage en 1568. et reçut par tout de fort
grands honneurs. Il fit pendant quelque
tems des Leçons à Heidelberg. André
Dudith , qui avoit beaucoup de crédit
auprès du Roi de Pologne , l'invita à se
rendre à Cracovie ; Jean Zapol Vaivode
de Transilvanie , lui offrit aussi des appointemens
considerables , avec le Rectorat
de l'Académie de Weissembourg ;
mais il ne jugea pas à propos d'accepter
leurs offres .
Pendant son séjour à Heidelberg , il fuc
assidu aux Sermons que les Réformez
y faisoient en François , et ce fut dans
feur Eglise qu'il communia pour la premiere
fois , après avoir publié sa profession
de foi.
L'attachement qu'il avoit pour sa Pa
trie , l'y ramena pour son malheur en
1571
AVRIL. 1731. 717
1571. car il fut assassiné le 25. Août 1572 .
au massacre de la S. Barthelemi . Il s'étoit
caché dans une cave pendant le tumulte,
mais il en fut tiré par des Assassins que
lui envoya Charpentier , son Competiteur
, et après qu'il eut donné beaucoup
d'argent pour tâcher de se tirer de leurs
mains et reçû quelques blessures , il fut
jetté par la fenêtre dans la cour , et ses
entrailles étant sorties de son corps par
cette chute , les Ecoliers animez par leurs
Maîtres , qui le haïssoient , les répandirent
dans les rues et traînerent ignomigneusement
son corps, en le frappant avec
des verges.
Il avoit fait son Testament , qui est
daté de Paris le premier Août 1568. avant
que de partir pour l'Allemagne . Par ce
Testament il ordonnoit que de sept cens
livres de rente qu'il avoit sur l'Hôtel de
Ville , cinq cens serviroient de gages à
un Professeur qui enseigneroit en trois
ans l'Arithmetique , la Musique , la Géometrie
, l'Optique, l'Astrologie et la Géographie
, dans le College Royal ; au bout
du quel tems on en choisiroit un autre
avec les circonstances qu'il prescrit pour
faire le même cours d'Etudes . Et il nommoit
pour le premier Professeur qui joüiiroit
de ce revenu , Frederic Reisnerus qui
- étoit son ami .
•
Mais
718 MERCURE DE FRANCE.
«
>>
Mais cette Fondation n'eut point d'abord
son effet , comme elle l'eut dans la
suite ; car le Prevôt des Marchands et
les Echevins presenterent le 17. Mars
1573. une Requête au Parlement , où ils
remontrerent que » M. Pierre de la Ra-
» mée par son Testament avoit legué la
» somme de cinq cens livres tournois de
>> rente , qu'il avoit sur ladite Ville , au
» Lecteur de Mathématique , qui seroit
élû par les Supplians , le Premier Presi-
» dent de la Cour et le premier Avocat
» du Roi , qui étoit chose superfluë , vû
» la multitude des Lecteurs en Mathéma-
» tique , stipendiez par le Roi et par les
» Colleges , et qu'il seroit plus expedient
» d'employer ladite rente aux gages d'u-
» ne personne capable , qui seroit élûë par
lesdits dessusdits , et par le Procureur
General du Roi , pour continuer l'His-
» toire de France de Paul Emile , depuis
le commencement de Charles VIII.
»jusqu'au Roi alors regnant . La Cour
oui le Premier President , le second
Avocat du Roi , en l'absence du pre-
» mier , et vûës les Conclusions du Pro-
» cureur General du Roi , par provision
» et jusqu'à ce que le Suppliant avec le
»Premier President et le premier Avocat
» du Roi eussent advisé de choisir un
» Lecteur suffisant pour lire les Mathéma-
>> tiques
))
>>
33
">
,
AVRIL. 1731 .
719
» tiques , s'il est trouvé expedient pour
>> le bien public , ordonna que ladite ren-
>> te et les arrerages d'icelle jusqu'à ce jour,
» seroient bailles à M. Jacques Gohory ,
» Avocat en la Cour , pour continuer en
Langue Latine l'Histoire de France de
» Paul Emile , et à cette fin prendre Pan-
» cartés autentiques , bons Memoires et
instructions , titres et autres papiers né-
» cessaires pour composer au vrai ladite
» Histoire. *.
Je ne sçai comment accorder la Requête
du Prevôt des Marchands et des
Échevins , avec le Testament de Ramus ;
car il n'y est pas dit que ce seront eux
qui nommeront le Professeur pour remplir
la Chaire qu'il fondoit , il en donna ,
au contraire , le choix aux Professeurs
Royaux ; il dit seulement que le Premier
President , le premier Avocat du Roi et
le Prevôt des Marchands , assisteront , ou
du moins seront invitez à assister à l'examen
des Prétendans .
enga- Au reste Gohory s'acquitta des
gemens que lui imposoit la pension qu'on
- lui avoit accordée , et continua en Latin
l'Histoire de Paul Emile ; mais sa continuation
est demeurée manuscrite et n'a
jamais été imprimée.
* Extrait des Registres du Parlement, dans les
Preuves de l'Histoire de Paris , Part. 2. p . 8301
Ramus
720 MERCURE DE FRANCE .
Ramus étoit un hommede belle taille ,
de bonne mine et d'une complexion vigoureuse
et infatigable dans le travail.
Il n'avoit d'autre lit que de la paille , sur
laquelle il coucha toûjours depuis son enfance
jusqu'à sa vieillesse. Il se levoit ordinairement
de grand matin . Comme il
employoit tout le jour à lire , à écrire ,
et à méditer , afin de se conserver l'esprit
plus libre , il ne prenoit le matin
qu'un leger repas ; le soir il mangeoit un
peu davantage , et après souper il se promenoit
pendant deux ou trois heures, ou
s'entretenoit avec ses amis. Son aliment
ordinaire étoit de la viande bouillie , et
il ne commença à boire du vin que dans
un âge un peu avancé , et par ordre des
Medecins. L'aversion qu'il avoit pour le
vin , venoit d'un accident qui lui étoit
arrivé dans sa premiere jeunesse ; car étant
alors entré dans la cave à l'insçû de ses
parens , il but si abondamment , qu'on le
trouva près du tonneau sans connoissance
et comme mort. L'état où il s'étoit mis
fit depuis tant d'impression sur lui , qu'il
fut plus de 20. ans sans vouloir boire de
vin.
Il garda toute sa vie le célibat avec une
pureté qui ne fut pas même soupçonnée
de la moindre tache , et il évitoit comme
un poison les conversations trop libres.
II
HOMA AVRIL.
1731. 721
conserva sa santé , et se guérit de ses
indispositions , non point par l'usage des
remedes , mais par la sobrieté , par l'abs
tinence et par l'exercice , sur tout par
celui du Jeu de Paume , qui étoit son
divertissement ordinaire.
Il étoit parfaitement desinteressé , et si
liberal , qu'il distribuoit une partie de
son bien , à ceux de ses Ecoliers qui en
avoient besoin .
Il avoit un génie fort vaste et un sçavoir
profond ; il avoit embrassé toutes
les sciences, et ne se proposoit pas moins
que de les réformer toutes ; mais c'étoit
une entreprise qui surpassoit ses forces.
L'envie de se distinguer , son penchant
naturel à contredire , et son opiniâtreté ,
l'ont engagé dans des disputes et des embarras
qu'il auroit pû s'épargner. La hardiesse
qu'il eut de soutenir à la fin de
sa Philosophie , que tout ce qu'Aristote
avoit dit étoit faux , étoit une action de
jeune homme , qu'il se fit cependant un
point d'honneur de soutenir dans la suite,
mais qui ne le rendoit gueres moins ridicule
que l'étoient ses Adversaires , en
soutenant que tout ce que Aristote avoit
avancé étoit vrai .
On loue beaucoup son éloquence , dont
Brantome rapporte une preuve singu-
* Mem. des Hommes illustres , T. 2. p. 55.
E liere.
722 MERCURE
DE FRANCE
liere. » M. Ramus , dit-il , étoit un fort
»disert et éloquent Orateur , et peu s'en
» est il vû de semblables ; car il avoit une
» grace inégale à tout autre , qui secou-
>> roit davantage son éloquence , jusqueslui
» là qu'au bout de quelque tems ,
s'étant rendu Hugenot , et étant en la
» compagnie de Messieurs le Prince et
l'Amiral , au voyage de Lorraine , et
»leurs Reitres , qu'ils avoient fait venir ,
»ne voulant passer vers la France qu'ils
»n'eussent de l'argent , après qu'ils en
neurent un peu touché par quelques bour-
»cillemens que les Huguenots eurent faits
entre eux , et que M. Ramus les eut ha-
>>ranguez, ils en furent gagnez et amenez
>>au coeur de la France , pour faire assez
» de maux .
Il falloit qu'on lui connût du talent
pour gagner les esprits , puisqu'on voulut
l'engager par de grandes promesses
à aller en Pologne en 1572. après la mort
du Roi Sigimond Auguste , pour prévenir
par son éloquence les Polonnois en
faveur du Duc d'Anjou , qui fut élû Pannée
suivante ; mais il le refusa , sous prétexte
que l'éloquence ne devoit point être
mercenaire . Il ne prévoyoit pas le malheur
qu'il lui arriva peu de jours après ,
et qu'il auroit évité en faisant ce voyage.
Quoique les Mathématiques
ayent été
son
AVRIL. 1731.
23
son fort , et ayent fait sa principale étu
de , on a fait depuis lui tant de nouveldes
découvertes dans cette Science , qu'on
ne tient pas à présent grand compte de
ce qu'il à laissé sur cette matiere.
Il se mêla aussi de Théologie, et voulut
se rendre en quelque maniere Chef de
Parti , en changeant la discipline qui étoit
en usage dans les Eglises Calvinistes. Il se
proposa d'y introduire le Gouvernement
Démocratique , et prétendit que la puissance
des Chefs , conferée au Peuple par
Jesus- Christ , ne devoit être mise aux
Consistoires , qu'afin qu'ils formassent les
premieres déliberations ou les premiers
jugemens qui seroient ensuite proposez
au Peuple , et qui ne pourroient passer
pour Loi qu'en cas qu'ils fussent confirmez
par les suffrages des Chefs de famille ;
-il disoit que sans cela on introduiroit dans
P'Eglise l'Oligargie et la Tyrannie, Mais
son sentiment ayant été examiné dans un
Synode National , tenu à Nîmes au mois
de May 1572. fut rejetté comme une
chose qui n'étoit propre qu'à causer de la
confusion , et qu'à produire une veritable
Anarchie . Il est à présumer que Ramus
avoit d'autres vûës , et que , s'il eût obtenu
ce qu'il demandoit , il eût été plus
loin , et se fût servi de son éloquence
pour engager l'Assemblée du Peuple à
E ij
faire
7
724 MERCURE DE FRANCE
faire encore d'autres changemens plus
considerables. C'est ce qu'appréhendoit
Théodore de Beze , qui opina fortement
contre lui dans le Synode de Nîmes.
Les disgraces , les traverses et les cha
grins que Ramus eut à soutenir pendant
le cours de sa vie , et qu'il se procura souvent
à lui-même , trouverent en lui un
courage et une constance capable de les
soutenir. Ses ennemis qui n'oublierent
rien pour le chagriner , se servirent quelquefois
pour
cela de ses Ecoliers . La premiere
fois qu'il expliqua sa Logique dans
le College de Cambray en 1552. on le
siffla, on fit des huées , on battit des mains
et des pieds . Mais il ne se déconcerta pas ;
il s'arrêtoit de tems- en-tems , jusqu'à - ce
que le bruit cessât , il acheva ainsi sa Leçon
à plusieurs reprises. Cette fermeté
étonna ceux qui vouloient par là lui faire
de la peine , et rabattit dans la suite leur
audace. On lui fit les mêmes insultes à
Heidelberg , et avec aussi peu de succès
pendant les Leçons qu'il y fit l'an 1568.
Nous nous dispensons d'ajoûter ici le
Catalogue raisonné des Ouvrages de P.
Ramus , divisé dans le Livre du P. Niceron
en 50. Articles , encore n'y sontils
pas tous rapportez . Cette prolixité setoit
ennuyeuse dans notre Journal , il y
a d'ailleurs peu de Gens de Lettres qui
no
>
AVRIL. 1731. 725
ne soient au fait des Ouvrages de cet infatigable
et celebre Ecrivain.
Il s'est glissé une faute d'impression ,
sans doute , mais qui n'est point marqué
dans l'Errata , Omar Talon , pour Omer
Talon ; Omar est un nom Mahométan
Omer est le nom d'un Saint , Audomarus
; cette faute est au bas de la page 291 .
A propos de faute , qu'il nous soit
permis de réparer ici une omission faite
dans le Catalogue des Ouvragès manuscrits
d'Eusebe Renaudot , lequel se trouve
imprimé dans le Mercure de Janvier
dernier ; on a oublié la Vie de Sultan Saladin
, ce fameux Conquerant de l'Egypte,
de la Syrie , &c. le même qui reprit Jerusalem
sur les Princes Croisez , écrite
d'après les meilleurs Historiens Orientaux.
Cette Histoire donnera un grand jour
à celle de la seconde Croisade , et fera
connoître un Prince doüé de qualitez
magnifiques, et qui n'avoit presque que le
deffaut ou le malheur d'être né dans une
fausse Religion.
OBSERVATION sur une maladie
de M. Manot de Bergerat , Bourgeois dans
le Diocèse de Couserans , en Guyenne
à M. Chicoyneau , &c. Brochure in 12. de
17. pages , sans nom d'Imprimeur.
Cette Observation est de M. de Vicus-
E iij
sens ,
اي
726 MERCURE DE FRANCE
sens , Medecin à S. Lizier , d'où elle est
datée du 28. Juin 1730. au sujet d'une
maladie extraordinaire , causée par un
Ver plat , d'un pouce de large depuis la
tête jusqu'à la distance de 3. pans ou 27.
pouces vers la queue , et de plus de cinq
aunes de longueur , sorti mort par enbas
, en deux morceaux , du corps du Malade.
Tout le corps étoit fort luisant et
formé à diverses reprises , de la même maniere
qu'on auroit pû joindre plusieurs
Vers à la queue les uns des autres , de la
longueur d'un demi pouce , et réunis par
une couture assez relevée .
RETRAITE SPIRITUELLE sur les
Vertus de J. C. avec un Discours sur la
necessité de le connoître et de l'aimer. A
Paris , chez Rollin , fils , Quay des Augus→
tins , 1731. in 12 .
MEDITATIONS sur la Passion de
N. S. J. Ch. par feu le R. P. Nic. Sanadon
, de la Compagnie de Jesus , avec une
préparation à la mort . Chez Greg. Dupuis,
rue S. Jacques , 1731. in 18.
VERITEZ DE FOY ET DE MORALE , pour
tous les états , tirées des seules paroles
de l'Ancien et du Nouveau Testament.
A Paris , ruë S. Severin , chez Jacques
Vincent, in 12.
ELE
AVRIL. 17313727
ELEMENS HISTORIQUES , ou Méthode
courte et facile pour apprendre l'Histoire
aux Enfans. Dédiez à S. A. S. M. le Duc
de Chartres. Place du Pont S. Michel ,
chez And. Cailleau , 1730..2 . vol . in 12,
de près de 500. pages , compris l'Avertissement
, les Tables Chronologiques.
MEDITATION SUR L'EVANGILE , Ouvrage
postume de M. Jacques Benigne Bossuet,
Evêque de Meaux , &c . Rue S. Jacques
chez P. J. Mariette , 1731. 4. vol . in 12 .
PREMIER LIVRE DE SONATES pour
deux
FlutesTraversieres , et qui viennent au Violon
, Hautbois , Viele et Musette en ravalement.
Dédié au Marquis de Sourdis,
par M. des Hayes le fils , l'un des Vingtquatre
de la Chambre du Roi. A Paris ,
chez l'Auteur , rue Patourel , & c. prix
3. livres 10. sols en blanc.
ου
LETTRE DE M. DE SAL... Medecin ,
à M. l'Abbé de M. D. L. ou Dissertation
Critique sur l'Apparition des Esprits. A
Paris , au bout du Pont-Neuf, chez, Fram
le Breton , 1731 .
LE THEATRE DE LA FOIRE , ou l'O÷
pera Comique , contenant les meilleures
Pieces qui ont été représentées aux Foires
E iiij
de
728 MERCURE DE FRANCE
de S. Germain et de S. Laurént , enrichies
d'Estampes en Taille - douce , avec une
Table des Vaudevilles et autres Airs gravez-
notez à la fin de chaque Volume ,
recueillies , revûës et corrigées. Par Mrs le
Sage et d'Orneval. Tome VII . Quay des
Augustins , chez P. Gandouin , 1731 .
Nous croyons avec l'Approbateur , que
ce Volume fera autant de plaisir au Public
que les précedens en ont fait. Il contient
neuf Pieces ; sçavoir :
Penelope Moderne .
1
Les Amours de Protée , Parodie.
La Princesse de la Chine.
Le Corsaire de Salé .
Les Spectacles malades.
L'Impromptu du Pont- Neuf.
La Reine du Barostan .
Les Couplets en Procès.
L'Opera Comique assiegé .
Il paroît un nouveau Sistême sur la maniere
de deffendre les Places par le moyen des
Contremines. Ouvrage postume de M. D***
imprimé et donné au Public , par M. De
marne ,Graveur ordinaire de la Reine , vol.
in 12. avec figures , dédié au Roi ; il se
vend à Paris chez Jacques Clousier , ruë
S. Jacques , à l'Ecu de France. Le Discours
Préliminaire qui fait la moitié du
Livre , est du R. P. Castel , Jesuite.
M,
AVRIL. 1731. 729
M. D *** a servi le Roi pendant 40.
années dans la fonction d'Ingénieur
ainsi il parle en homme consommé ; et en
effet son Systême est une nouveauté qui
mérite beaucoup d'attention . Jusqu'ici
la plupart des Ingénieurs avoient réduit
presque tout l'Art des Fortifications et de
la deffense des Places , à la construction
du Trait , c'est-à- dire , des Fossez et des
Ramparts, des Bastions et des Demilunes,
des Couronnes des Carnes et Contre
gardes. Mais ce Trait ne met une Place
à couvert que contre le Canon , qui après
tout n'est pas son unique , ni même son
plus grand ennemi. La Mine est la maîtresse
clef de toutes les Places. On a cependant
fort
peu travaillé pour les en
garantir. L'Art des Contremines est ce
pendant un bel Art , tout aussi régulie
que celui du Trait ; et du reste son im
portance est extrême , non-seulement à
cause de la violence des Mines , mais surtout
à cause de la facilité qu'il y a de s'en
garentir. Car heureusement pour l'As
siegé , qu'on croiroit poussé à bout par là,
c'est-là , au contraire , son vrai champ de
bataille , comme M. D*** le fait voir par
le fait même , et comme le P. Castel l'établit
solidement par ce Raisonnement..
Naturellement , dit ce Pere , l'attaque
se fait à force ouverte , au lieu que de
Ev
soi
730 MERCURE DE FRANCE .
soi la deffense est secrette , cachée et
souterraine . Or dans les Combats souterrains
, l'Assiegeant perd son avantage du
nombre , et l'Assiegé peut lui offrir un
front égal et même superieur ; chacun
est maître chez soi. Dans les Contremines
l'Assiegé est chez soi , et l'Assiegeant est
en païs tout à fait ennemi . Celui là connoît
tout son terrain ; celui cy en fait à
chaque pas la découverte à ses risques ,
périls et fortunes. L'Assiegé peut attendre
I'Assiegeant de pied ferme et le prendre
au moment et au lieu qu'il veut , comme
le chat guette la souris. Le Mineur
ne travaille qu'à genoux , il est gêné et
embarrassé de sa personne , quand il n'auroit
qu'à se tenir là les bras croisez sans
rien faire , sans rien craindre . Du côté de
la crainte le pauvre Mineur a mille ennemis
réels , mille ennemis imaginaires à
combattre. Le terrain est tantôt dur et
le roc même,tantôt mol , liquide, boueux,
quelquefois fragile , capricieux , qui s'éboule
et l'étouffe , quand ce ne seroit que
par la poussiere ou par la mauvaise odeur.
Du reste il a toujours à craindre de donner
dans la Contremine. Le bruit qu'il
excite lui- même malgré lui l'épouvante
et lui fait à chaque instant appréhender
la rencontre de l'ennemi , et l'ennemi qu'on
croit voir ou entendre , est toujours plus redoutable
AVRIL. 173. 731
J
doutable que celui qu'on voit en effet. On
combat bien mal des hommes , lorsqu'en même-
tems on a tant de chimeres à combattre.
La maniere dont M. D*** deffend le
chemin couvert , en mettant la Palissade
au niveau du Parapet du Glacis , ce qui
l'empêche d'être vue et abbatue par le
Canon ennemi , est une excellente deffense.
Les Bombes qu'il enterre sous le Glacis
sont préferables aux Fourneaux. Le
succès en est plus assuré et sa construction
plus prompte et plus facile. La contre-
garde qu'il donne à la Demi - lune , aura
l'approbation de tous les Connoisseurs,
La fausse Braye même qu'il détache dứ
corps de sa place , n'a pas l'inconvenient
des fausses Brayes ordinaires , et vaut les
Contregardes des Bastions , surtout avec
les Cavaliers que cet Ingenieur met aux
angles saillans . Les Cavaliers couvrent absolument
les flancs hauts et bas du corps
de la Place.
Du reste tout est contreminé dans ce
Systême , le Chemin couvert , sa Demi-
June , la Contregarde , la fausse Braye ,
le corps de la Place. Le Fossé même a
au milieu une espece de Cunete souterraine
ou voute , de laquelle partent des
Rameaux qui vont sous le Glacis. L'avantage
general de ces Contremines vousées
est 1 °. qu'il faut que leMineur passe
Evi par
732 MERCURE DE FRANCE .
par là , et y essaye le coup de main de la
part de gens frais et bien préparez à le
recevoir. 2 ° . que lorsque l'ennemi s'est
emparé de ce passage , on peut le murer
à droit et à gauche , et se réserver tout
le reste de galerie , où l'on peut même
creuser pour prendre le dessous du passage,
et y faire sauter l'ennemi . 3 °. Que ces
voutes ont desCreneaux qui donnent dans
les fossez voisins , et d'où on peut prendre
des revers et par derriere l'ennemi ,
qui fait son passage du fossé. 4° . Enfin
on peut par ces voutes faire sauter les
Ouvrages et les Logemens des ennemis .
Dans le Discours Préliminaire qui sert
d'introduction et de Supplement à l'Ouvrage
de M. D*** , le P. Castel traite du
Trait de la Fortification , et il rend raison
de la construction de ce Trait et de la
position ancienne et moderne de la Face,
du Flanc et de la Courtine. Il compare
nos Bastions avec les Tours rondes er
quarrées des Anciens.
Il fait voir les avantages des uns et les
inconvéniens des autres. Une chose qui
me paroît nouvelle et fort heureusement
remarquée , c'est que nos Bastions sont la
suite naturelle des Tours des Anciens ;
car aux Tours rondes succederent les
Tours quarrées , posées à plat , et à cette
position platte succeda la position saillante
AVRIL 1731. 733
Fante des mêmes Tours quarrées . Les Bastions
d'Errard , un de nos premiers Ingénieurs
étoient des Tours quarrées , posées
en saillie hors des courtines ; peu
peu on redressa les Flancs et on aggrandit
le corps de ces Tours transformées en
Bastions.
à
H ne tiendra pas au R. P. Castel , qu'il
ne ressuscite les seconds Flancs , autrefois.
si vantez dans la Fortification Hollandoise
, mais tout-à- fait décriez par le.
Comte de Pagan , et abandonnez par le
Maréchal de Vauban . Notre Auteur fait
voir par une Géometrie aussi solide que
facile , que ce n'est qu'un mal entendu
et un manque de raisonnement et de calcul
trigonometrique , qui a fait regarder
ees Flancs comme inutiles et nuisibles . Le
R. P. Castel les trouve au contraire trèsutiles
et tout-à-fait avantageux..
qu'u
De la construction du Trait , il passe
aux Bombes et aux Mines , et il fait voir
qu'une Place a trois ennemis que la Poudre
lui suscite ; le Canon , qui la rase horisontalement
et de niveau , la Bombe , qui'
l'écrase de haut en bas , et la Mine qui
la souleve et la bouleverse de fond en comble,
c'est le Trait qui garantit du Canon .
Le R. P. Castel propose des demi - voutes,
ou des quarts de voutes pour garantir des.
Bombes. Mais c'est sur les Contremines
que
734 MERCURE DE FRANCE
que roule principalement son Discours ,
comme tout l'Ouvrage de M. D *** . Ce
Pere y traite plusieurs questions curieuses
, comme si le corps de la Place est
capable d'une meilleure deffense que tous
les dehors ; s'il vaut mieux après une médiocre
deffense de ses dehors réserver sa
principale force pour le corps de la Place,
ou , &c.
On est redevable à M. de Marne , des
dépenses et de mille soins qu'il s'est donnez
pour procurer un si bon Ouvrage au
Public. On trouve chez lui toutes les Figures
de la Bible , Ancien et Nouveau
Testament , gravé d'après les grands Maî
tres en 530. Planches , avec une explication
Latine et Françoise. Il a fait à cet
Ouvrage depuis peu des changemens et
des augmentations. On a trouvé aussi chez
ledit sieur toute la Bible avec les mêmes
Estampes , 6. vol. in folio et in quarto . Il
demeure rue du Foin , près la rue de la Har
pe , au Heaume , quartier de Sorbonne à
Paris.
HISTOIRE DES INSECTES D'EUROPE
dessinée d'après nature , et expliquée par
Marie Sibille Merian ; on y traite de la
generation et des differentes métamorphoses
des Chenilles , Vers , Papillons ,
Mouches et autres Insectes , comme aussi
des
AVRIL. 1731. 735
des Plantes , des Fleurs et des fruits dont
ils se nourrissent. Traduite du Hollandois
par Jean Marret , Docteur en Medecine ,
augmentée par le même d'une Descrip
tion exacte des Plantes dont il est parlé
dans cette Histoire , et des explications
de 18. nouvelles Planches dessinées par
la même Dame , et qui n'ont point encore
parû , forme d'Atlas. A Amsterdam ,
chez J. Frederic Bernard , 1730.
HISTOIRE DE DANNEMACK , avant et
après l'établissement de la Monarchie .
Par M. des Roches , Ecuyer et Avocat
General du Roi Tr. Chr. au Bureau des
Finances et Chambre du Domaine de la
Generalité de la Rochelle. A Amsterdam ,
chez waesberge , 1730. 6. vol. grand in 12.
→
J. LAUNOII , Constantiensis , &c.
Opera omnia ad selectiorem Ordinem
revocata &c. C'est- à-dire , RECUEIL
de tous les Ouvrages de Jean de Launoy ,
de Coutance , Docteur en Théologie de
la Faculté de Paris , de la Societé de Na--
varre , réduits en ordre ; augmentez et
enrichis de quelques Ouvrages qui n'ont
point encore paru , de plusieurs Notes
Dogmatiques , Historiques & Critiques ;
de la vie de l'Auteur , de differens Monumens
qui regardent M. de Launoy luimême.
736 MERCURE DE FRANCE .
l
même ou ses Ecrits ; de Préfaces mises à
la tête de chaque volume , et d'Index trèsamples.
On y a joint une Dissertation des
differens succès des Ouvrages de M. de
Launoy. Cette Edition est divisée en cinq
Tomes , qui composeront dix volumes in
folio.Elle est proposée par Souscription. A
Geneve , aux dépens de Fabre et de Barillot ,
Associez , et de Marc-Michel Bousquet et
de ses Associez , 1731.
Les Editeurs de cet Ouvrage font distribuer
un Prospectus imprimé en Latin
de 12. pages in folio , par lequel on peut
juger non-seulement de la beauté des caracteres
et du papier , mais encore de la
richesse de l'Edition , du sçavoir et de la
sagacité des Editeurs. Ce Prospectus comprend
sous le nom de Prodrome , l'ordre
qu'on a suivi en donnant les Ouvrages de
ce celebre Docteur ; on y justifie aussi
M. de Launoy sur plusieurs choses que
ses Adversaires lui ont imputé. Le Prospectus
comprend encore la Liste de
tous ses Ouvrages , les conditions des
Souscriptions , et les Libraires des differens
Royaumes chez qui on pourra souscrire
.
L'Ouvrage entier comprendra 1800 .
feuilles de la même grandeur et des mêmêmes
caracteres que le Prospectus . Les
Editeurs avertissent que si le nombre des
feuilles.
AVRIL. 1731. 737
feuilles étoit moindre que le nombre de
1800. l'argent que l'on donnera en dernier
lieu sera moins considerable à proportion
; mais que si au contraire le nombre
des feuilles devient plus grand , la
derniere somme n'augmentera pas à moins
le nombre des feuilles de surcroît
ne passe celui de dix , auquel cas on augmentera
la somme qu'on payera à la fin
par proportion avec le prix des Souscripque
tions.
La somme totale des Souscriptions
montera à 75. livres , monnoye commune
de Genève , que l'on payera dans le tems
marqué. En souscrivant , on payera 15.
livres , et on recevra le premier Tome
divisé en deux Parties , au mois d'Avril
1731. pour lequel on payera 15. autres
livres . Pour le cinquéme Tome , divisé en
deux Parties , et qui comprend les Lettres
, on le distribuera dans le mois de
Juillet de cette année 1731. 12. livres.
Pour le second Tome , aussi divisé en deux
Parties , qu'on recevra au mois de Décembre
de la même année , 12. livres . Pour
le troisiéme Tome , divisé en deux Parties,
qu'on recevra au mois de Juillet de
Fannée 1732. 12. livres. Et 9. livres
pour le quatriéme Tome , divisé aussi en
deux Parties , qu'on recevra au mois de
Decembre 1732. Somme totale. 75.
liv
Qn
738 MERCURE DE FRANCE:
On pourra souscrire depuis le premier
de Janvier jusqu'à la fin du mois de Juil
let de l'année 1731. ceux qui n'auront
pas souscrit payeront cent livres , monnoye
commune de Genêve . On souscrira
à Paris , chez Coignard , fils ; Montalant,
Cavelier , fils , N. L. Guerin , Briasson , et
de Bure, le fils . A Lyon , chez de Ville , et
Chalmette , Perisse , du Plain , Plaignard,
Bruysset et Journet . A Marseille , chez
Carry et Berte.
Les Jardiniers de Chelsea près de Londres
, ont fait imprimer in folio , chez
Rivington et du Barril , un Catalogue des
Arbres et des Arbrisseaux , tant naturels
qu'étrangers , qui soutiennent en plein air
le froid du climat. Il les ont représentez
avec leurs couleurs naturelles en 20. Plan
ches gravées , ou environ. Les noms sont
en Latin et en Anglois.
On a imprimé à Montpellier un Extrait
de ce qui s'est passé à l'Assemblée
publique de la Societé Royale des Sciences
, tenuë le 7. Décembre 1730. dans lá
grande Salle de l'Hôtel de Ville , MM . les
Consuls y assistant en Chaperon. Nous
allons donner un précis de ce qui s'y
passa.
La Seance fut ouverte par M. l'Evêque
AVRIL. 1731. 739
que qui y presidoit. M. Riviere parla le
premier , et fit part à la Compagnie des
Observations qu'il a faite sur l'Opium , et
donna une idée de celles qu'il doit faire
dans la suite sur le même suc , sur la Plante
qui le produit , et sur celles qu'on peur
appeller Analogues , comme le Papaver
Rheas , le Papaver Corniculatum , et les
differentes especes de Jusquiame. Il finit
en avertissant qu'il se propose de donner
une nouvelle préparation du Laudanum,
encore plus effective que celles dont on
s'est servi jusqu'ici .
M. Haguenot lut ensuite un Memoire
sur l'Hydrophobie , ou l'horreur des Liquides
, qui arrive ordinairement après la
morsure d'un animal enragé , à l'occasion
d'un Malade attaqué de ce mal , vvûũ pat
M. Haguenot.
*
M. de Plantade lut après lui un Memoire
détaché du grand Ouvrage Historique
, auquel il travaille , dans lequel
Memoire il établit la veritable position
d'une Ville Romaine dont on ne connoissoit
que le nom. Cette Ville est le Forum
Domitii , marquée dans l'Itineraire d'Antonin
, sur laquelle plusieurs Sçavans ont
fait jusqu'ici des recherches inutiles. M.de
Plantade place cette Ville à un quart de
lieuë à l'Orient de Fabregues , où il a dé-
Couvert en effet les ruines d'une ancienng
740 MERCURE DE FRANCE
ne Ville dans un lieu inculte et sauvage ;
c'est ce que l'habile Académicien prouve
fort au long d'une maniere qui fera plaisir
à tous les amateurs de l'Antiquité.
A la fin de l'Extrait imprimé à Montpellier
, on lit que ces Memoires , fort
interessans chacun dans leur espece , furent
très- goutez par l'Assemblée . M. le
Président , en les récapitulant , en fit
l'éloge , il fit aussi celui des Académiciens
qui les avoient lûs.
L'Abbé Seguy , prêcha le Jeudy- Saint
la Cêne devant le Roy. Nous avons
crû qu'on seroit bien aise de voir ici
l'Analyse de son Discours ; mais nous.
n'avons pû obtenir de lui que le Texte
et l'Exorde.
Exemplum dedi vobis, ut quemadmodum
ego feci ita et vos faciatis. Je vous ai donné
l'exemple, afin que vous fassiez ce que
Vous avez vû que j'ai fait . En S. Jean ,
Chap. 13 .
SIRE .
Divin exemple qui nous fait voir le
Fils unique du Très - Haut , exerçant aux
pieds de ses Apôtres surpris, les plus humbles
fonctions d'un Serviteur ! exemple
puissant , dont la force subjugant les Potentats
AVRIL. 1731. 741
tentats les plus fiers , les a fait descendre
du faîte de leur grandeur, pour exercer à
leur tour envers les derniers de leurs Sujets
, ce vil ministere ! Voilà , Grands , qui
m'écoutez , ce qui m'authorise à vous venir
prêcher l'humilité , oui l'humilité
l'humilité chrétienne. Je sçai que vous
ne paroissez pas faits pour entendre ce
langage ; mais je sçai que nous n'avons
point pour vous d'Evangile particulier ,
je sçai que cette Religion dont l'esprit est
un esprit d'anéantissement volontaire , est
indistinctement la regle infléxible de tous;
que l'Homme Dieu , souverainement
humble , qu'elle vous presente , n'est pas
moins votre modele que celui de vos inferieurs
, et qu'après tout pour pouvoir
alleguer avec quelque prétexte apparent
votre grandeur, vous n'êtes pas plus grands
que votre Roi , qui ne se dispense pas de
la Loi de l'humilité , et qui va vous en
donner l'exemple .
Pour vous en inspirer les sentimens , je
ne viens pas ici vous rappeller les foiblesses
et les miseres qui vous sont communes
avec le reste des hommes. Vous avez
des raisons bien plus particulieres de pratiquer
l'humilité chrétienne ; vous avez
toutes celles que peuvent avoir les autres
hommes , mais ils n'ont pas toutes celles
que vous avez , et c'est à ces dernieres
que
742 MERCURE DE FRANCE.
>
que je me borne. Je laisse des idées qu'on
vous a presentées cent fois, et m'attachant
à un motif , qui pour paroître singulier
n'en est pas moins solide , je viens vous
dire que vous devez vous abbaisser par
la raison même que vous êtes élevez . Ne
vous étonnez pas de cette proposition , toute
surprenante qu'elle est d'abord pour le
préjugé et pour l'amour propre ; elle est
fondée sur le mystere dont tout vous retrace
le souvenir , et dont il est si convenable
que je vous entretienne . C'est dans
ce mystere que vous allez voir les raisons
particulieres qui vous engagent à vous
humilier ; car vous y allez voir et l'obligation
qu'impose la grandeur de pratiquer
Thumilité chrétienne et les avantages que
P'humilité chrétienne procure à la grandeur.
Deux considerations bien capables
de préparer vos coeurs à une vertu peut
être plus necessaire encore pour vous, quoique
pour vous plus difficile , sans doute.
C'est cette vertu , SIRE , que va prêcher
bien plus efficacement le grand exem
ple que votre pieté nous prépare. L'au-
Torité suprême asservie en vous et par
vous aux plus abjectes fonctions de l'humilité
; que ce Spectacle est touchant et
qu'il est digne de la Religion qui en est
le motifunique ! Par elle seule vous vous
disposez à le donner , ce saint Spectacle ,
comme
AVRIL: 1731
743
si vocomme
par elle seule vous nous en donnez
tant d'autres non moins chrétiens ;
si vous sçavez vous garantir des pieges
nombreux qui environnent le Trône , des
écueils de la jeunesse et du souverain pouvoir
, si la volupté irritée n'a point de
traits qui ne s'émoussent sur vous ,
tre coeur , ce coeur si renfermé pour le
secret politique , est si ouvert à vos Peuples
pour la bonté , si par votre pieté
vous nous faites de si grandes leçons à
nous-mêmes , Ministres du Dieu vivant ,
dans une telle conduite je reconnois la
Religion ; c'en est là l'ouvrage : et si vous
joüiissez des benedictions du Ciel les plus
marquées , si avec la douceur d'être uni
à une Epouse digne de vous , vous goutez
celle de voir croître heureusement ,
parmi les charmes de la Paix , votre Famille
auguste et déja nombreuse , si
vos mains , en conduisant cet Empire ,
sont si bien secondées par celles qui formerent
votre enfance ; en cela je reconnois
aussi la Religion ; c'en est pour vous,
SIRE , dès cette vie même , la récompense.
Penetré de reconnoissance pour
tant de bienfaits , vous venez aux pieds
de ces Pauvres de J. C. qui vous le représentent
lui- même , rendre un hommage
plus solemnel au Dieu de bonté , et cela
dans tous les sentimens qu'inspire l'humilité
744 MERCURE DE FRANCE.
milité chrétienne. Puissai - je lui soumettre,
à cette humilité , tous les coeurs à l'aide
d'un tel exemple.
Nous venons de recevoir de Constantinople
, un Essai d'un nouveau Dictionnaire
qu'on y imprime , dont voici le
Titre : DICTIONNAIRE François Italien
, Grec vulgaire , Latin , Turc , Arabe
et Persan; enrichi , tant de l'explication des
mots François et des exemples convenables
pour une plus grande intelligence de ces mois,
que d'un trés-grand nombre de phrases Tur
ques , tirées des plus celebres Auteurs dans
cette Langue , pour donner à connoître avec
facilité la proprieté , la force et l'application
des mots , foit Turcs , foit Arabes , foit Persans.
Fait dans le College des Capucins
de Constantinople , par les soins et sous
la direction du R. P. Romain de Paris
Conseiller des Missions de Grece , et Préfet
des Jeunes de Langues de France . A
CONSTANTINOPLE , de l'Imprimerie
de la Porte Ottomane , M. DCC . XXX.
On apprend de Naples , que Dom
Hyacinte Gimma , Docteur en Droit et
Promoteur General de la Societé d'Egli
Incuriosi , a fait imprimer chez Mosca ,
une Histoire generale des Pierres , des
Mineraux et des Pierreries dont il est
parlé
AVRIL.
1731. 745
け
1
parlé dans l'Ecriture , il explique tout ce
qui regarde ce genre , il parle en mêmetemps
des Métaux , des Terres , des Sels ,
des Eaux , Bitumes , Eaux Minerales , et
de tout ce qui appartient aux Fossiles. Il
n'oublie point les Cavernes , les Feux et
Eaux souterraines , les Volcans , et generalement
les parties de la Physique souterraine
, outre quelques Traitez propres
éclairer l'Histoire Vegetale , Minerale et
Animale. Le tout divisé en six Livres
compris en deux Tomes in 4. 1730 .
à
On écrit de Florence , qu'on y a entrepris
, non -seulement de faire graver
tout ce que renferme de Monumens d'Antiquité
le Cabinet du Grand Duc , mais
encore tout ce qui se trouve de rare et
de précieux en ce genre dans les Cabinets
et dans les Maisons des Particuliers
à Florence. Michel Nestenus et François
Moucke , sont actuellement chargez de
l'impression des Estampes , lesquelles seront
accompagnées des Explications de
M. Gori , celebre Professeur en Histoire.
Ce curieux Recueil doit paroître sous
le titre de Museum Florentinum ; il sera
de dix Volumes in folio , grand papier
Imperial , et chaque Volume contiendra
au moins cent Planches gravées , sans
compter les Explications qui seront imprimées
séparément.
F Les
746 MERCURE DE FRANCE
Les deux premiers Volumes renferme
ront les Pierres gravées antiques de toute
espece.
Le troisiéme sera destiné pour les Statuës
de Marbre , arrangées dans un ordre
convenable.
Le quatrième pour les Bustes,
Le cinquième pour les petites Statuës
et autres Monumens en bronze.
Les sixième , septième et huitiéme comprendront
les Médailles choisies et les
plus rares , sur tout celles qui n'ont point
encore parû.
Dans le neuvième et dixième , seront
les Portraits des plus fameux Peintres qui
se sont peints eux -mêmes , et dont les
Originaux font l'ornement du Palais Mcdicis,
Toutes les Planches qui composent ce
Recueil , seront dessinées par un habile
Maître , et gravées par les plus excellens
Graveurs d'Italie , qui doivent les graver
d'après les Originaux,
Comme cette entreprise est d'une grande
dépense , on a jugé à propos de proposer
l'Ouvrage par souscription ; mais
avant que de s'engager dans de plus grands
frais , on ne propose actuellement que
les deux premiers Volumes qui sont déja
presque achevez , et pour la souscription
desquels on demande 18. écus , monnoye
de
AVRIL. 1731. 747
de Florence . On payera six écus en souscrivant
, six autres en recevant l'Exemplaire
du premier Volume , et le reste en
recevant l'Exemplaire du second. Il n'y
auta en tout que 300. Souscriptions , et
da Souscription ne sera ouverte que jusqu'à
la fin du mois de Juin prochain.
Il faut s'adresser à M. Vittorio Francheschini
, Marchand à Florence , ou à quelqu'autre
Négociant , en faisant remettre
les fonds sans frais.
Comme ces differens Volumes contiennent
des sujets qui n'ont aucun rapport
entr'eux , et qui ne font point de suite
on sera libre de les acheter séparément ,
en observant cependant de ne point diviser
les deux Volumes de Pierres gravées
, les trois Volumes de Médailles et
les deux de Portraits.
Les Curieux sont avertis qu'il paroît
depuis peu cinq Estampes nouvellement
gravées d'après les Tableaux de feu Antoine
Watteau , par les soins de M. de
Julienne , dont la beauté soutient la réputation
que ce gracieux Peintre s'est acquise
; elles ont pour titre : les Plaisirs du
Bal, Entretiens amoureux , Escorte d'Equipages
, l'Occupation selon l'âge , le Portrait
de watteau. La vente s'en fait à Paris , chez
La Veuve de F. Chereau , Graveur du Roi ,
Fij ruč
748 MERCURE DE FRANCE
rue S. Jacques , aux deux Piliers d'Or
et chez Surugues , Graveur du Roi , ruë
des Noyers , vis -à - vis S. Yves.
On trouve chez les mêmes toutes les
Estampes que l'on a gravées jusqu'ici d'après
cet Auteur,
M. l'Epicier , un des meilleurs Graveurs
que nous ayons , vient de mettre au jour
une petite Estampe qui lui fait autant
d'honneur qu'elle fait de plaisir aux plus
fins connoisseurs. Elle se vend chez l'Auteur
, rue S. Jacques , près les Jacobins.
Ce tendre et précieux morceau a été gravé
d'après un excellent Tableau du Cabinet
du Comte de Morville , dans lequel l'illustre
Signora Roza - Alba Carriera , Venitienne
, a peint au pastel, une très - belle
femme avec des fleurs , représentant le
Printems. On lit ces quatie Vers au bas
de l'Estampe,
L'éclat des fleurs est peu durable ,
La beauté s'altére aisement ;
Il n'est qu'un instant favorable ,
Et cet instant est le present.
L'Abbé de la Grive , Auteur du nouveau
Plan de Paris , en six feuilles , vient
de mettre au jour la seconde feuille de
sa Carte des environs de Paris , qui comprend
AVRIL. 1731. 749
prend le cours de la Marne jusqu'à cinq
lieuës de cette Ville , et 57. tant Villages
que Hameaux , grosses Fermes et
Châteaux détachez , depuis le Château
de Vincennes jusques à Torcy , d'Occident
en Orient , et depuis la Forêt de
Livri jusqu'aux Bois de S. Martin en Brie,
du Nord au Midi , avec les Chemins qui
communiquent des uns aux autres. Le
tout levé sur les lieux et détaillé de sorte
qu'on y reconnoît distinctement les Plans
des belles Maisons comprises dans cette
étenduë. Elle se vend chez l'Auteur , Cloître
S. Benoît. Il donnera la troisiéme feuille
qui comprendra le côté de la Brie à la fin
de cette année.
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Soissons,
au sujet d'un Saint inconnu.
Nou
Ous vous prions , Messieurs , de
nous procurer quelque éclaircissement
sur un Saint dont nous ne connoissons
guéres que le nom ; c'est S. Front ,
qui est appellé Evêque et Confesseur dans
le Calendrier du Breviaire de Soissons ,
où l'on en fait memoire le 25. Octobre.
Comm. S. Frontonis , Episcop. et Confess.
Il. y a dans le même Diocèse un Village
assez considerable , dont l'Eglise Paroissiale
est sous l'invocation de ce Saint. Le
Fiij Village
750 MERCURE DE FRANCE
Village en porte le même nom ; c'est sans
doute pour le distinguer de plusieurs autres
Neüillis , qu'on le nomme communement
Neüilli S. Front.
J'ai quelque legere idée d'avoir vû
ce nom dans d'autres Calendriers , mais
bien differemment. Si quelques Sçavans
vouloient bien nous donner quelque chose
de clair là - dessus , nous leur en serions
Très- reconnoissans ; leurs recherches feront
plaisir à plusieurs personnes qui por
tent ce nom là , et qui seront ravis de voir
leur Patron tiré de l'obscurité où il étoit
resté jusqu'à present.
On nous écrit de Florence , qu'on va
bien- tôt donner au Public le second Tome
, in folio , del nuovo Vocabolario della
Crousca. L'Imprimerie établie à Urbain ,
par les soins du Cardinal Annibal Albani ,
continue à donner au Public des Ouvrages
considerables ; on imprime actuellement
une Traduction Italienne , in Verso
sciolto , des Comédies de Terence , par
M. Fortiguerra , dont on loue beaucoup
Fexactitude et l'élegance. Le même Prélat
avoit été chargé par Clement XI . d'exè
traire de la grande collection des Actes.
d'Angleterre par Rimer , tout ce qui pouvoit
être favorable , ou seulement avoir
quelque rapport au S.Siege , et d'y ajoûter
qé ,
AVRIL. 17312 731
quelques Notes. Cet Ouvrage est achevé
, et on assure qu'il ne tardera pas
voir le jour.
Inscription trouvée sur un Autel de pierre
quarré, de 4. pieds environ de hauteur et
de 2. de largeur, à Thein,prés de Tournon,
On lit an haut :
• DOM V VSQ DIVI
NAE COLON COPIAE CLAVD AVG LVG
J
TAVROBOLIVM FECIT QAQVIVS ANTONIA
NYS PONTIF PEPET V V S.
EX
Au bas.
VATICINATIONE PVSONI IVLIANI ARCHI
GALLI INCHOATVM XII . KAL . MAI. CONSVM
MATVM VIIII . KAL. MAI. L. EGGIO MARV LEO
CN PA ..... AELIANO COS PRAEEVNTE AELIO
SACERDOTE TIBICINE ALBIO
VERINO.
Des Lettres de Lisbonne , du commencement
du mois passé , portent que
la derniere Tempête avoit fait échouet
sur la Côte , entre la Ville de Condé et
celle de Varzin , un Poisson d'une forme
extraordinaire , et inconnu à tous les Pêcheurs
et gens de Mer ; ce Poisson avoit
11. pieds 4. pouces de haut , et 46. pieds
8. pouces de circonference.
Ĉes Lettres ajoûtent , qu'on avoit ap
pris de Cadix , que quelques jours après
Fiiij la
752 MERCURE DE FRANCE
la même tempête on avoit trouvé sur le
bord de la Mer les ruines d'un ancien
Temple des Payens , avec une Statuë de
bronze et quelques Médailles qui font
conjecturer que ce Temple avoit été bâti
par les Carthaginois , et que c'étoit l'ancien
Temple d'Hercule.
que
On mande de Londres , que la nouvelle
Machine M. Pinchbek y a faite , est
aussi curieuse que surprenante , ingenieu
se et magnifique. On voit sur le devant
deux objets mouvans d'une grande beauté
, dont l'un represente Orphée joüant
de la Lire dans une Forêt , marquant de
la tête et du pied l'exacte mesure de chaque
chant. Il est entouré d'un grand nom
bre de Bêtes sauvages , qui par leurs differens
mouvemens, semblent être animez
et charmez de l'harmonie de sa Musique.
En même- tems on entend jouer sur
plusieurs Instrumens un grand nombre
de differentes Pieces d'une Musique trèsexquise,
composée par Mr Handet , Corelli
et autres Maîtres celebres ; et dans une si
grande perfection , que quelque Instrument
de main que ce soit , auroit peine
à les égaler. On entend aussi l'agréable
harmonie d'un Concert d'Oiseaux , si
parfaitement imitée , qu'on ne pourroit
La distinguer de la Nature même .
L'autre
AVRIL. 1731. 753 .
L'autre Piece fait voir la Mer et la Terre
avec une vûë sur la Mer , qui se termine
insensiblement à une très-grande distance;
on voit voguer des Vaisseaux virant au
vent, en diminuant peu-à-peu , à mesure
qu'ils s'éloignent , jusqu'à ce qu'enfin ils
disparoissent. On apperçoit aussi des Marsoins
qui se roulent et se jouent dans l'eau.
Sur la Terre on voit des gens à cheval,
des Chariots , des Chaises , &c. .qui s'avancent
, et dont les rouës tournent com
me on le voit dans les grands chemins .
Les Cavaliers et leurs Chevaux changent
de posture pour se tenir droits en descendans
une Colline escarpée , d'où ils
passent au travers une Valée , &c . On
voit encore dans une Riviere des Cignes
qui cherchent à attraper des Poissons ; on
les voit aussi arranger leurs plumes d'une
maniere aussi naturelle que s'ils étoient
en vie ; on voit enfin des Chiens qui poursuivent
des Canards dans l'eau , &c.
Rentrée des Academies.
l'Abbé Bannier , Directeur de l'Acadé-
Mimie des Inscriptions et Belles - Lettres , présida
à l'Assemblée publique qui se tient à l'ordinaire
au Louvre , le Mardi 3. Avril .
La Seance commença par la lecture d'une Dissertation
de M. de Chamborty sur la Vie et sur la
Famille de Labienus , l'un des Lieutenans Geneneraux
de Cesar , et celui qui eut le plus de part
F v
754 MERCURE DE FRANCE
à la Conquête des Gaules , dans laquelle il com→
mandoit l'Armée Romaine , sous les ordres de
Cesar. Cette Dissertation fut suivie d'une autre
de M. Bonami , sur le Musaum et sur la Bibliotheque
d'Alexandrie. Ce Museum étoit un espece
de College ou Académie de Gens de Lettre , rassemblez
de toutes les parties de la Grece , par les
soins de Ptolemée , Fondateur du Royaume d'E→
gypte.
La Séance fut terminée par la lecture que fir
M. l'Abbé Fourmont , de la Relation du Voyage
qu'il a fait dans la Grece , par l'ordre du Roi.
Comme il a parcouru avec soin et en homme de
Lettre l'Attique , l'Argolide , la Messenie et le
Pays de Lacedemone , il en a rapporté un trèsgrand
nombre d'Inscriptions qu'il a déterrées
lui-même , et dont le Recueil sera très - interes
cant pour la République des Lettres.
Le Mercredy 19. Avril , l'Académie Royale des
Sciences tint son Assemblée publique , à laquelle
présida M. d'Argenson . M. de Fontenelle ouvrit
la Seance par déclarer que la Piece qui a remporté
le Prix de cette année , est celle de M. Bouguer,
Professeur d'Hydrographie.
M. de Fontenelle lût ensuite l'Eloge de M Géofroy
, Pensionnaire Chimiste , mort dans le dernier
semestre. M. Petit , le Chirurgien , lût après
gela une Dissertation sur les differens moyens
que la Chirurgie a employez jusqu'à present pour
arrêter les Emorragies dans les grandes emputa
tions ; ces moyens sont les Stiptiques , les Escarotiques
, les Caustiques et la compression ; il
préfère à toutes les autres cette derniere qu'il a
perfectionnée,en inventant un Instrument qui sert
de bandage , et dont il donne la description.
M. Buache lût ensuite une Dssertation qui a
pour
AVRIL: 1731. 755
pour titre , Recherches Géographiques sur l'étendue
de l'Empire d'Alexandre et sur les routes
parcourues par ce Prince dans ses differentes Expeditions
, pour servir à la Carte de cet Empire ,
dressée à l'usage du Roi , par feu M. de Lisle.
M. Morand finit la Séance par la lecture d'un'
Memoire sur la maniere de faire l'operation de là
Taille , pratiquée anciennement par Frere Jac
ques , et depuis quelques années rétablie et perfectionnée
par M. Cheselden , celebre Chirurgien-
Anglois , et par M. Morand à Paris , qui depuis
D8. mois la pratique avec grand succès.
On donnera des Extraits de ces Memoires.
PRIX proposé par l'Académie Royale
des Sciences , pour l'année 1733.
Eu M. Rouillé de Meslay , ancien Conseiller
au Parlement de Paris , ayant conçu le noble
dessein de contribuer au progrés des Sciences , et
Putilité que le Public en doit retirer , a legué à
P'Académie Royale des Sciences un fonds pour
deux Prix , qui seront distribuez à ceux , qui au
jugement de cette Compagnie auront le mieux
réussi sur deux differentes sortes de Sujets qu'il a
indiquez dans son Testament , et dont il a donné
des exemples.
Les Sujets du premier Prix regardent le Sistê
me general du Monde et l'Astronomie Phisique.
Ce Prix devroit être de 2000. livres , aux ter
mes du Testament , et se distribuer tous les ansi
Mais la diminution des Rentes a obligé de ne le
donner que tous les deux ans , afin de le rendre
plus considerable , il sera de z çoo. livres.
Les Sujets du second Prix regardent la Navigation
& le Commerce,
E vj II
756 MERCURE DE FRANCE.
Il ne se donnera que tous les deux ans , et sera
'de 2000. livres.
L'Académie se conformant aux vûës et aux
intentions du Testateur , propose pour Sujet du
second Prix , qui tombe dans l'année 1733 .
Quelle est la meilleure maniere de mesurer
sur Mer le chemin ou le sillage du Vaisseau ,
indépendamment des observations astronomiques.
Les Sçavans de toutes les Nations sont invitez
à travailler sur ces Sujets , et même les Associez
étrangers de l'Académie. Elle s'est fait la Loi
d'exclure les Académiciens regnicoles de prétendre
aux Prix.
Ceux qui composeront sont invitez à écrire en
François ou en Latin , mais sans aucune obligation.
Ils pourront écrire en telle Langue qu'ils.
voudront , et l'Académie fera traduire leurs Ouvrages.
On les prie que leurs Ecrits soient fort lisibles ,
sur tout quand il y aura des Calculs d'Algébre.
Ils ne mettront point leur nom à leurs Ouvrages
,
mais seulement une Sentence ou Devise. Ils
pourront , s'ils veulent , attacher à leur Ecrit un.
Billet séparé , et cacheté par eux ,
cette même Sentence , leur nom , leurs qualitez
et leur adresse , et ce Billet ne sera ouvert par
l'Académie , qu'en cas que la Piece ait remporté
le Prix.
où seront avec.
Ceux qui travailleront pour le Prix , adresseront
leurs Ouvrages à Paris au Secretaire perpetuel
de l'Académie , ou les lui feront remettre entre
les mains. Dans ce second cas , le Secretaire
en donnera en même tems à celui qui les lui aura.
remis , son Recepissé , où sera marquée la Sentence
de l'Ouvrage et son numero , selon l'ordre
ou lé tems dans lequel il aura été reçû ,
Les
AVRIL:
1731. 757
Les Ouvrages ne seront reçûs que jusqu'au premier
Septembre 1732. exclusivement.
L'Académie à son Assemblée publique d'aprés
Pâques 1733. proclamera la Piece qui aura remporté
ce Prix..
S'il y a un Recepissé du Secretaire pour la
Piece qui aura remporté le Prix , le Trésorier de
l'Académie délivrera la somme du Prix à celui
qui lui rapportera ce Recepissé . Il n'y aura à cela. ~
Inulle autre formalité.
Sil n'y a pas de Recepissé du Secretaire , le
Trésorier ne délivrera le Prix qu'à l'Auteur même
, qui se fera connoître , ou au Porteur d'une
Procuration de sa part.
M. Bouguer, Hidrographe du Roi , au Croisie
en Bretagne , a remporté le Prix de 1731 .
On a reçû par un Bâtiment Anglois arrivé depuist
peu à Genes , des Lettres de S. Christoval de la
Laguna , Capitale de l'Isle . Tenerife , l'une des
Isles Canaries , dattées du 8. Decembre dernier ,
qui portent en substance que le 30. du mois
de Novembre précedent , on avoit ressenti deux
violentes secousses de Tremblement de terre dans
l'Isle Graciosa , située à l'Orient ; qu'à peine eurent-
elles cessé , que la terre s'étoit ouverte en
cinq endroits differens , qu'il en étoit sorti des
tourbillons de flammes , mêlez de pierres calcinées
et de matieres bitumeuses , que le feu s'étant
communiqué aux habitations , elles avoient été
réduites en cendres en moins d'une demie heure ;
que
le premier Decembre vers les neuf heures du
foir , ces Gouffres avoient cessé de jetter du feu
mais que le 2. l'embrasement avoit recommencé
avec tant de violence, que les maisons épargnées
par le premier , avoient été détruites , et que le
vent ayant porté le feu dans une grande Forêt.
voisineelle bruloit encore au départ des Lettres;
que
78 MERCURE DE FRANCE
que le 6. un nouveau Tremblement de terre s'étoit
fait sentir à la pointe Occidentale de l'Isle de
Tenerife , qu'il s'étoit fait une ouverture dans une
Plaine située à dix lieues de la Ville Capitale de
PIsle ; que ce Gouffre s'étant agrandi les jours
suivans , une petite Montagne qui étoit sur le
bord , avoit été ébranlée et étoit tombée dedans,
et qu'il continuoit de sortir beaucoup de fumée
de cette ouverture .
On écrit de Rome , que la Princesse Giustiniani
étant dangereusement malade , sa Famille avoit
fait venir de Bologne le Docteur Pozzi , celebre
Medecin , qui lui avoit ordonné un Bain d'huile,
cette Dame l'a pris deux fois , et la petite Verole
qui étoit presque rentrée , a cû son progrès ordi,
naire , desorte qu'elle est presentement hors de
danger .
REGLEMENT de M. le premier Medecin
du Roi , aufujet des Eaux
Minerales.
Pierre Chirac , Conseiller d'Etat ordinaire
premier Medecin du Roi , et Surintendant des
Eaux Minerales et Medecinales de France : A
tous ceux qui ces presentes Lettres verront , Salut.
La Surintendance des Eaux Minerales dont
le Roi nous a fait l'honneur de nous charger , et
le grand usage qu'on fait d'un remède aussi utile
et aussi nécessaire au Public , exigeant de notre
ministere une attention particuliere pour faire
puiser les Eaux dans les tems les plus favorables
et à les faire distribuer avec toutes les précautions
nécessaires pour rassurer le Public sur toutes sor→
tes de fraudes , nous aurions pris sur cela routes
les mesures possibles pour remplir nos obligations
"
AVRIL. 1731.
759
la satisfaction du Public et au bien des Malades
; et la longue experience que nous avons des
grands avantages que tirent les Malades de l'usage
des Eaux Minerales et Medecinales pour fa
guerison des Maladies chroniques nous engageant
à en faciliter l'usage à toutes sortes de
sonnes ,. nous avons jugé nécessaire d'en moderer
le prix de la maniere suivante , et de le fixer
SCAVOIR.
>
per-
Les Eaux de Forges , qui viennent par relais ,.
la bouteille , a liv. 15. S.
Eaux de Forges qui arrivent par voiture ordi--
naire , la bouteille à
IS S.
Eaux de Sainte - Reine , la bouteille à
Eaux de Valhs , de quatre pintes la bouteille , à
15 S.
Eaux de Balaruc ,de quatre pintes la bouteille, à
12. 1.
Eaux de Cransac, de quatre pintes la bouteille , à
12 1..
121
Eaux Savonneuses de Plombieres de cinq pintes
, la bouteille à
Eaux de Bourbonne , la pinte à
Eaux de Vichi , les 5. pintes à
Eaux de Spa , la pinte, à
1.2.1.
2 t.
lor
2. l. 10 S.-
Surquoi nous défendons trés - expressément aux
Directeurs desdites Eaux Minerales et Distributeurs
d'icelles , d'exiger du Public autre prix que
celui du Tarif ci - dessus marqué , à peine d'être
révoqués sur la premiere plainte qui en sera faite..
Défendons pareillement ausdits Distributeurs des
Eaux Minerales , d'en vendre aucune bouteille
que cachetée du cachet de nos Armes sur l'atta
che du bouchon , à commencer dans trois mois:
du jour du présent Reglement , et ils nous communiqueront
incessamment les Lettres de recep
tion des cachets de nos Armes , qu'il recevront
des
760 MERCURE DE FRANCE
des Fontainiers et autres personnes préposées au
puisage des differentes Eaux Minerales. Voulons
en outre être informés par lesdits Directeurs er
Distributeurs de toutes les voitures d'Eaux Minerales
qu'ils recevront , et de la quantité de bouteilles
qu'elles contiendront relativement à leurs
Lettres d'avis,dont ils nous remettront copie ; et
pour l'execution des articles ci - dessus , avons
nommé pour notre Inspecteur le Sieur Boyer
Docteur en Medecine de la Faculté de Paris et de
Montpellier , pour nous informer de tout ce qui
concernera l'état du Bureau desdites Eaux Minerales
et de leur distribution , et sera le present Reglement
affiché dans ledit Bureau et par tout où
besoin sera. Donné à Versailles ce vingt - huitiéme
Fevrier mil sept cens trente-un. Signé
CHIRA C. Par le premier Medecin du Roi ,
Signé , JOUBERT. Monfieur DU CHASTELET,
Rapporteur.
Enregistré ès Registres du Grand Conseil du
Roi pour être executé selon sa forme & teneur, &
jouir parles Sieurs Alleaume, Duhamel ,la Salle,
Delage , Hennecart & Joubert , de l'effet & contenu
en icelui , suivant l'Arrêt dudit Conseil de
cejourd'hui dix - neuf Mars mil fept cens trente-
un. Signé , VERDUC.
Brevet pour l'Eaufans pareille , & vertus.
Parrêts du Conseil d'Etat du Roi , du 3. Juil-
ERMIS par la commission et vertu des
inlet
, et 25. Octobre 1728. au Sieur Roussier ,
venteur de l'Eau sans pareille en 1717. de continuer
de la vendre et distribuer , tant dans Paris
que dans tout le Royaume , avec défenses à qui
que ce soit de la composer et contrefaire , excep-
MM. les Apotiquaires , vendre et débiter sous
ledit
AVRIL. 1731 761
ledit nom , à peine de cinq cens livres d'amende
conformément ausdits Arrêts et audit Sieur
Roussier de vendre et distribuer , sous la même
amende , d'autres remedes. DONNE' à Paris au
Château des Thuilleries , MM. les Commissaires
assemblez , ce zz. jour d'Octobre 1729. Signé ,
DODART , &c.
Elle guérit les maux de tête , vapeurs , migra
ne , et étourdissemens , en s'en frottant les deux
mains et les portant au nez , pour la respirer , et
ne point ôter les mains tant qu'il y aura de la
force.
Pour l'apoplexie , il en faut boire plein une
cuilliere à caffé , pure.
Pour la colique , vents dans l'estomach , indigestions
, et points de côté , il faut mettre deux
doigts d'eau commune dans un verre , et quinze
de cette Eau , et boire le tout mêlé en- gouttes
semble.
Pour le mal de mere , avaler huit gouttes de
cette Eau dans une cuilliere à bouche pleine d'eau
commune.
>
Pour le mal des yeux , il s'en faut frotter les
mains et les
devant les yeux , en les ou- porter
vrant , pour en recevoir l'esprit , et ne point ôter
les mains tant qu'il y aura de la force ; et en cas
de fluxion , il en faut mettre le même nombre de
huit gouttes dans deux doigts d'eau commune, et
la laver le soir et le matin avec un linge blanc.
La rougeur et les fluxions s'en iront en en mettant
le matin en se levant , et le soir à la fin du
jour.
Pour les vûës couvertes et troubles , et pour
les
yeux larmoyans , l'on s'en servira de même.comme
il est dit ci - dessus , dans les deux mains ; cela
éclaicira la vûë sur le champ , et la fortifiera.
Et pour le mal de dents , il en faut frotter les
gencives
762 MERCURE DE FRANCE
1
·
gencives en dedans et en dehors ; et en cas qu'elles
soient creuses , imbiber un linge pour mettredessus.
Le Sieur ROUSSIER demeure à Paris , ruë
Jean- Saint-Denys , à l'image Sainte Genevieve ,
prochè le Palais Royal.
Il y a des Bouteilles depuis dix fols juſqu'à
vingt livres la pinte.
Le Sieur LESCURE , Chirurgien Major des
Gardes du Corps de la Reine d'Espagne , IL
Douairiere , donne avis au Public , qu'il continue
de distribuer , avec beaucoup de succez , un
Sel specifique pour la guerison des maladies convulsives
, vapeurs , épilepsie , ou mal caduc , paralisie
, &c. ce remede fort facile à prendre
est souverain pour toutes les maladies qui attaquent
le genre nerveux ; son action est fort dou
ce , il conserve toûjours sa vertu , et peut se
transporter par tout , il donne un imprimé où il
est expliqué la maniere de s'en servir.
› Le Sieur Lescure demeure rue du jour à
Pimage S. Louis , vis - à- vis le grand portail
de S. Eustache ; il prie ceux qui lui écriront de
Province , d'avoir soin d'afranchir leurs lettres.
NOUVEAU MEMOIRE du Sieur de
la Gache, fur le Mouvement perpetuel, &c.
Il a été parlé dans le Mercure de France da
mois de Juillet 1730. d'un instrument de Mathématique
, déja annoncé dans les Mercures de
Mars et Novembre 1729. avec lequel on trouve
sur le champ la quadrature de toute sorte de
cercles , les jeaugeages de toute sorte de tonneaux
et cubes , et encore la racine quarrée de toute sorte
de plombs et figures Géométriques ; cet instrument
f
AVRIL. 1731. 753
trument étant marqué de toutes les mesures ne
cessaires pour les operations qu'on vient de dire.
Le même Mercure de Juillet 1730. parle aussi
d'une idée du mouvement perpetuel, du même Auteur
, laquelle ayant été examinée à Paris , plusieurs
connoisseurs ont jugé qu'on ne pouvoit
bien trouver le mouvement perpetuel que par ce
principe.
Depuis ce temps-là l'Auteur a fait un nouveau
modele à peu près sur le même principe , mais l'execution
en est beaucoup plus facile, il n'y a point
de chambres comme au premier,il est plus simple
et plus naturel , puisqu'il n'y a pas de frottement
même des deux pivots , et que les chutes des pesanteurs
, ou des leviers s'en font comme des boules
, qui tombent d'enhaut l'une sur l'autre de fortprès
, et remontent par leur centre , pour redescendre
continuellement par la circonference ou
l'extrémité du cercle , et donner ainsi le mouve,
ment à toute la machine.
L'Auteur offre d'envoyer à Paris ce nouveau
modele de mouvement perpetuel à MM . de la
Societé Royale des Arts Mechaniques , pour
P'examiner et en faire l'expérience , esperant de
leur présenter encore les autres découvertes qu'il
a ci-devant faites. Il n'y a point d'artiste , habile
et curieux, qui ne se fasse un plaisir d'executer ce
dernier mouvement , il n'y aura que de la justesse
à observer. Le modele en question est de
cuivre , et n'a que cinq pouces de diametre , les
boules d'étain sont plates , et l'arbre ou livots
surquoi la machine tourne , d'acier. Le tout ne
pese pas plus de trois ou quatre livres. Signé ,
LA GACH E.
A Amiens le 9. Fevrier 1731 .
Le Sicur Tessier , connu pour les Portraits au
рем
764 MERCURE DE FRANCE
petit point , vient de donner de nouvelles preuves
de son habileté , et du goût qu'il a toûjours eu
pour ces sortes d'Ouvrages , par deux morceaux
qu'il a présenté à la Societé des Arts , de laquelle
il a l'honneur d'être Membre.
L'approbation que cette Compagnie lui en a
donnée , fera connoître le mérite de cet Ouvrage.
t :
Ce jourd'hui le Sieur Tessier , Peintre & Tapissier
, Associé en la Classe des Arts de
goût de ladite Societé , a présenté à la Compagnie
deux Tableaux enpetit point , représentant
le Roi & la Reine en Buste , de grandeur naturelle
, lesquels ont parû être executez avec une
grande régularité ; l'aiguille y afondu les nuan
ces des laines avec la même harmonie que le
pinceau méle & réunit les couleurs , la Societé
a jugé que ces fortes d'Ouvrages feroient plaifir
aux amateurs des beaux Arts & aux personnes
de goûts en consequence & pour faire cennoitre
le mérite & le talent admirable du Sieur
Tessier , elle a trouvé à propos de lui délivrer
le présent Extrait , à Paris ce 28. Novembre
1730.
Le Sieur Tessier a lieu d'esperer que les Curieux
s'adresseront à lui pour faire fabriquer ce
dont ils auront besoin en ce Genre . Il a actuelle
lement chez lui le Portrait du Roi et de la Reiné ,
une Vierge et une Madeleine , d'après M. le
Brun.
Sa demeure est sur le Pont Notre- Dame , près
la Pompe au Tapis de Turquie , à Paris .
Le Sieur Boulangé , Maître et Marchand Doreur
à Paris , demeurant , au milieu de la ruë
de la Verrerie , à l'enseigne du S. Esprit
Nous prie de donner avis que c'est lui qui le pre-
>
mier
AVRIL. 1731. 765
mier a trouvé le secret d'une Lanterne de réflexion
qui éclaire de plusieurs côtés , et d'un calibre
plus correct , et meilleur que celles qui ont paru
jusqu'à present , même approuvé par MM . de
de l'Académie des Sciences.
Il dit aussi avoir le premier trouvé le secret de
la faire éclairer sur le derriere , de façon qu'une
personne en Carosse ou en Chaise peut lire , sans
que la clarté l'offusque , et toutes celles qu'il
vend sont marquées au bord du dedans , des lettres
G. B. et d'un S. Esprit Couronné.
On écrit du Fort S. Pierre , que l'Isle Martinique
, la plus ancienne et la plus peuplée des Isles
Françoises, se pollit tout les jours davantage ; que
les belles manieres de M. le Marquis de Champigny,
Gouverneur , et de celles de M. d'Orgeville,
Intendant , n'y ont pas peu contribué ; surtout
depuis que ce dernier ayant fixé son séjour au
Fort S. Pierre , y a non- seulement facilité les affaires
de Commerce , par son exacte diligence à
prévenir , ou à terminer les differends inévitables
dans un trafic aussi considerable que celui qui s'y
fait , mais encore il y a réuni les esprits , par la
douceur de son caractere , en leur procurant certains
amusemens necessaires à la Societé civile.
On vient d'y établir une Académie de Musique
composé de cent des Principaux Habitans de S.
Pierre ; cette Academie , formée sur le modele de
celles de France , s'assemble deux fois la semaine ;
les voix et les instrumens de toutes especes , et en
grand nombre, y donnent un plaisir qui se feroit
rechercher dans les plus belles Provinces de l'Europe.
Il semble que l'amour des Arts et des Let´
tres ait passé aux Isles avec M. d'Orgeville,
CHANSON
6 MERCURE DE FRANCE
****************
CHANSON,
Depuis long - temps votre absence ,
Me fait languir nuit et jour ,
Mais votre aimable presence ,
Récompense mon amour.
Si ma peine fut extrême ,
C'est un songe en ce moment.
Quand on revoit ce qu'on aime ,
Le plaisir est plus charmant.
CHANSON sur le séjour de Me J. Mi
D.V.en sa Maison de Campagne ,
près de Bayonne.
Mortels , redoutez
d'approcher ,
Ce séjour solitaire ,
Le Dieu de l'Amour , pour s'y cacher ,
Vient de quitter Cithere ;
Il y rencontra son malheur,
Le petit témeraire ,
D..V .... a vaincu le Vainqueur
Des Vainqueurs de la Terre..
Lorsqu'il entra dans ces beaux lieux ,
Lassé de son voyage,
11
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
1
AVRIL.
767
་
1731 .
Il s'assit , dévoila ses yeux ,,
Admira cet ombrage ,
Et pour ne point jetter d'effroy ,
Dans cet aimable azile ,
Il quitta l'Arc et le Carquois ,
Et s'endormit tranquille.
La Belle pendant son sommeil ,
Prit tout son Equipage ,
L'Enfant Divin à son réveil ,
Lui dit , pleurant de rage :
Que voulez -vous faire des Traits
Par qui l'on me reyére ,
C'est assez d'avoir plus d'attraits ,
Que ma Divine Mere.
Mais si je ne puis vous toucher ,
Si vous gardez mes Armes ,
Permettez - moi de me cacher ,
Sous quelqu'un de vos charmes ,
D..V .... lui ceda ses yeux ,
Il les remplit de flamme ,
Pour se venger il eût fait mieux ,
D'en embraser son ame.
Le Chevalier de Montador:
SPECS
768 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLE S.
E Mardi 3. de ce mois , les Comédiens
François ouvrirent leur Theatre
par la Tragedie de Polyeucte , qui fut
suivie de la Comedie d'Alcibiade. Le
Sieur de Montemenil fit un compliment
au Public qui fut fort bien reçu .
Quelques jours après ils remirent au
theatre la Comédie en vers , et en trois
Actes , de l'Ecole des Amans de M. Joli ,
qu'on revoit avec un extrême plaisir ; car
outre que c'est un très bon ouvrage ,
dont les honnêtes, gens et les gens d'esprit
et de goût font beaucoup de cas ,
on peut dire que cette piece est jouée dans
la plus grande perfection . Le Sieur Quinaut
y joue le principal rôle , et le Sieur
de Grandval celui de son rival . Les
Diles Labat et Quinaut y remplis
sent ceux de la Maîtresse et de la Gouvernante
, et les Sieurs Poisson et Montmenil
, joüent les deux valets.
Il vient de paroître une nouvelle edition
de cette Piece , chez Chaubert , Quai
des Augustins , qui doit faire honneur
au Libraire non seulement la correction
, mais par la beauté du papier
, par
ct
AVRIL. 1731. 769
+
et par la netteté des caracteres .
On apprend dans l'avertissement que
M. Joly , auteur de cette excellente Piece
, a non seulement refondu plusieurs
vers , mais encore rétabli des rimes qui
n'étoient pas exactes. Je sçai , dit- il , que
de celebres Poëtes modernes se croyent en
droit de regarder la rime comme un vain
ornement dont notre Poësie peut se pas
ser , ou plutôt comme une servitude incommode
, dont il sied bien à des esprits
superieurs de secouer le joug : présomption
qui seule les affranchit d'une
regle que nos plus grands Maîtres ont respectée.
Pour moi j'ai suivi autant qu'il
m'a été possible , l'exemple de ceux- ci ,
étant bien persuadé qu'un Auteur dont
les Ouvrages ne sont pas sans défauts ,
doit du moins faire ensorte qu'on ne puisse
pas lui reprocher la négligence ou la
singularité.
C
>
Le 14. Les mêmes Comédiens remirent
au Theatre la Tragedie de Saul ,
de M. l'Abbé Nadal , qui eut un fort
grand succez dans sa nouveauté il y a
25. ans , elle n'en a pas moins aujourd'hui.
Le Sieur Dufresne y joüe le principal
rôle. La Dlle Balicour y remplit
celui de la Pythonisse.
Le 3: Avril les Comédiens Italiens
G firent
770 MERCURE DE FRANCE
firent l'ouverture de leur Theatre par
la Comédie de Timon le Misantrope , avec
tous ses agrémens , elle fut suivie de la
petite Piece de l'Isle des Efclaves. Le
Sieur Sticotti fit le compliment qu'on
fait ordinairement toutes les années à la
rentrée du Theatre.
Le 7. ils représenterent à la Cour la
-Double Inconftance , et Arlequin poli par
l'Amour , et le 21. Arlequin Sauvage et
l'Isle des Efclaves.
Le : 11. ils remirent au Théatre le
Trefor fuppofe , Comédie en trois actes ,
avec dés divertissemens , joüée dans sa
nouveauté en Fevrier 1720 .
>
On a représenté à Londres sur les Thea
tres de Drury- Lane et de Lincolns-
Infields , deux Comedies nouvelles , intitulées
le Reffentiment des femmes , et La
Femme Campagnarde .
Le 3. Avril l'Académie Royale de Musique
donna pour l'ouverture du Thea
tre une représentation de Phaeton avec
un très grand concours ; il paroît que
le public ne se lasse point de revoir
ce magnifique Opera.
Le 12. on donna une représentation
de Thesée pour les Acteurs , comme cela
se pratique toutes les années ; la Die.Camargo
AVR FL. 1731 .
77¹
margo , les Sieurs Blondi et Dumoulins
danserent le pas de Trois à la fin de la Piece
, qui fait toûjours beaucoup de plaisir.
Le s . Avril on donna la Tragedie
d'Idomenée , qui avoit été donnée dans sa
-nouveauté le 1 2. Janvier 1712. Le Poëme
est de M. Danchet , et la Musique de
M. Campra.
Au Prologue le Théatre représente les
Antres d'Eole ; ce Dieu y paroît au milieu
des vents , qui sont enchaînés à des
rochers. Ils veulent sortir de leurs prisons
; Eole les y retient malgré eux. Venus
annoncée par une douce symphonie ,
se présente à Eole , et lui parle ainsi :
Un vainqueur des Troyens fend la liquide plaine
;
Des rives de la Créte écarte ses vaisseaux ;
Ordonne aux Aquillons de soulever les eaux
Et de servir ma juste haine.
Eole.
Brisez vos fers ; pártez , vents orageux ;
De la Mere d'Amour allez remplir les voeux.
Les Aquilions sortent des Antres où ils
étoient renfermez , et s'élancent dans les
airs pour aller servir la haine de Venus.
Gij La
772 MERCURE
DE FRANCE
La fête de ce prologue est ordonnée
par Venus : en voici le motif.
Je vai remplir ta Cour
Des Nymphes et des Dieux soumis à ma puissance
;
Tandis que tes sujets exercent ma vengeance ,
Les miens viendront t'offrir les charmes de l'Amour.
?
les Plaisirs Venus appelle l'Amour
et les Jeux. Ce prologue a paru d'autant
plus heureusement imaginé, qu'ilannonce
la Tragedie,
Au premier Acte , le Théatre représente
le magnifique Palais des Rois de Crete,
Ilione , fille d'Agamemnon
, Roy d'Argos
et de Mycene , ouvre la Scene. Elle
fait connoître qu'elle est arrivée en Crete
dans un seul vaisseau que la tempête avoit
séparé de la flotte d'Idomenée ; elle ajoûte
qu'elle a méprisé l'amour de ce Roi , mais
qu'elle n'a pas été aussi insensible à celui
d'Idamante son fils qui ignore encore sa
victoire ; elle appelle la gloire et la fierté
à son secours,
Idamante ordonne à sa suite d'assembler
les Troyens ; il dit à Ilione qu'il est
rassuré sur le sort de son Pere que Minerve
a protegé contre la fureur de Neptune
; il lui annonce qu'il va délivrer les
Troyens
1
AVRIL: 1731. 773
Troyens en attendant le retour du Roi ,
persuadé qu'il les auroit lui-même remis.
en liberté , si les vents lui avoient permis
d'aborder en Créte ; il fui déclare son
amour ; elle en 'paroît offensée ; il lui réproche
l'injustice quelle a de vouloir pu
nir en lui ce qui n'est que le crime des
Dieux , ennemis des Troyens. Les Crétois
et les Troyens font le divertissement
de ce premier Acte ; on brise les chaînes
de ces derniers.
Arbas vient troubler la fête par une
fausse nouvelle de la mort d'Idomenée
qu'il annonce comme certaine . Electre qui
survient trouve fort étrange qu'on ait remis
les Troyens en liberté. Cette Princesse
Grecque , ne doutant point que cette
liberté ne soit l'ouvrage de l'amour d'Idamante
pour Ilione , s'abandonne à sa
jalouse rage, et ne respire que vengeance.
Au second Acte , le Théatre représente
les bords de la mer agitée par une tempê
te affreuse ; tout le fond est rempli de
vaisseaux qui ont fait ou qui vont faire
naufrage. Un choeur de Peuples prêts à
périr , ouvre la scene par ces deux vers :
O Dieux , ô justes Dieux , donnez -nous du se
cours' ;
Les vents , les mers , le ciel , tout menace nes
jours
Ciij Neptun
774 MERGURE DE FRANCE
Neptune sort de la mer , et dit à Idomenée
Ne crains plus les outrages
Des flots et des vents ennemis ;
Mais offre moi sur ces rivages
L'hommage que tu m'as promis.
Idomenée fait entendre à Arcas , qui
s'est sauvé du naufrage comme lui , le
funeste voeu qu'il a fait à Neptune ; voici
comme il s'explique :
Dans l'horreur du naufrage ,
Pour ravir à la mort mes sujets allarmés ,
Apprens les voeux que j'ai formés.
Voeux indiscrets , trop tard vous troublez mon
courage ;
Si Neptune en courroux faisoit cesser l'orage ,
J'ai promis d'immoler le premier des humains
Que je verrai sur le rivage.
Dans le sang innocent dois-je tremper res
mains.
Il voit paroître sa victime ; c'est son
propre fils qu'il ne connoît pas › attendu
la longueur du siege de Troye. Idamante
qui ne peut pas non plus le connoître , et
qui le prend pour un de ces malheureux
qui viennent de faire naufrave , lui offre
genereusement son secours ; la Scene est
trésAVRIL.
1731. 773
très -touchante de part et d'autre, et menagée
avec beaucoup d'art jusqu'au moment
de la reconnoissance. Idomenée saisi
d'horreur et accablé de tristesse , dit à
son fils qui le veut suivre,pour sçavoir ce
qui l'oblige à se refuser à ses embrassemens
:
Gårdez Vous de me suivre.
Pourquoi m'avez vous vû ? craignez de me revoir.
Idamante ne laisse pas de marcher sur
ses pas. Electre qui arrive croi qu'il la fuit;
elle implore Venus . La Déesse fait entendre
à Electre qu'elle va la vanger. Venus
évoque la jalousie qui vient avec sa suite ,
et fait la fête de ce second Acte , qui finit
par ces vers que Venus adresse à la jalousie.
Au coeur d'Idomenée inspirez la terreur
Contre son propre Fils allumez sa fureur,
La décoration du troisiéme Acte représente
le Port de Sydonie,
Idomenée ne se peut résoudre à donner
à Neptune la victime qu'il lui a promise
; de la tendresse de Pere , il passe
à la fureur d'un rival ; la liberté que son
fils a rendue aux Troyens lui persuade
qu'il aime Ilione , Arcas lui conseille d'éloigner
ce Prince ; Idomenće prend ce
G iiij parti ;
776 MERCURE DE FRANCE
parti ; Arcas par ses ordres va tout prépa
rer pour le départ d'Idamante qui selon
ce nouveau projet doit conduire Electre
à Argos et la vanger d'Egyste qui a usurpé
sur elle le thrône de ses yeux.
Ilione vient ; Idomenée la veut fuir
mais il demeure malgré lui ; il n'apprend
que trop ce qu'il avoit voulu ignorer , il
fait entendre à Ilione qu'elle a tout à craindre
pour son Amant , qui n'a pas besoin
pour périt du nom odieux de Rival .
>
Electre vient remercier Idomenée du
secours qu'il lui offre contre ses tyrans
Idomenée la quitte en lui disant que son
fils s'est chargé de la conduire et de la
vanger. Electre s'abandonne à sa joye ; les
Matelots grecs et tous ceux qui doivent
suivre cette Princesse viennent celebrer
leur retour dans leur Patrie après la fête ,
Prothée sort du fond des flots et annonce
à Idamenée la vengeance de Neptune
prête à tomber sur lui pour le punir de
son parjure ; l'orage empêche Electre de
partir ; Idomenée proteste qu'il n'immo .
lera jamais la victime que Neptune lui
demande . Un Monstre sorti de la mer ,
commence la vengeance de ce Dieu irrité.
Au quatriéme Acte , le Theatre représente
une campagne agréable , et dans l'éloignement
le Temple de Neptune.
Ilione
AVRIL. 1731. 777
Ilione fait des imprécations contre les
Crétois, et prie les Dieux de les faire tous
périr par le monstre ; son amour lui fait
excepter Idamante qui veut le combattre.
Idamanre vient faire ses derniers adieut
à Ilione , ne doutant point qu'il ne périsse
dans le projet que son désespoir lui fait
entreprendre ; le péril où ce Prince va
s'exposer , par la seule raison qu'il est
odieux à sa chere Ilione , détermine cette
Princesse à rompre un trop long silence
, et à déclarer son amour ; elle apprend
à son Amant qu'il a un rival re- .
doutable ; Idamante reconnoît par-là que
c'est le Roi.
Idomenée vient offrir un sacrifice à
Neptune ; il éloigne son fils du Temple
de ce Dieu , sans lui déclarer le funeste
voeu qu'il a fait.
Après cette premiere fête , qui consiste
en des hymnes chantez à la gloire de
Neptune , on entend des chants de victoire
derriere le Théatre ; Arcas vient apprendre
à Idomenée que le monstre a suc- ,
combé sous les coups d'Idamante ; Idomenée
se flatte d'avoir fléchi le Dieu des ,
flots,puisqu'il a permis que son fils triom
phât de ce monstre. Des Bergers et des
Bergeres , mêlés avec les habitans de Sydonie
, viennent celebrer la victoire d'I
damante. Après cette derniere fête , Ido-
G vj
menée
1
778 MERCURE DE ERANCE
menée se surmonte lui- même , et forme
la résolution de ceder Ilione à son fils ; il
n'en demeure pas là , il lui cede encore le
Trône , il en explique le motif
vers ;
par
ces
Le Roi seul fit un voeu fatal à tout mon sang ,
Cessons de l'etre ; il faut que mon fils dans mon
rang
:
Ait pour sa sureté la grandeur souveraine.
L'action du dernier Acte se passe dans
un lieu préparé pour le couronnement d'I
damante ; Electre au désespoir de l'hymen
dont on fait les apprêts , déclare sont
amour au Prince de Créte et voyant
qu'il ne l'écoute pas , elle sort pour aller
irriter la colere de Neptune contre tous
les Auteurs des outrages qu'elle a reçus en
ce jour .
Ilione et Idamante s'applaudissent de
leur prochain bonheur. Idomenée déclare
à ses Peuples que c'est son fils qui doit
désormais leur dispenser des loix ' ; il dit
galamment à Ilione qu'il se fait un plus
grand effort en la cedant à son fils , qu'en
lui remettant le pouvoir suprême. Les
Crétois font leur cour à leur nouveau
Maître , par des chants convenables à la
fête. Idomenée dépose sur un carreau son
Sceptre et sa Couronne. Nemesis sort des
Enfers
AVRIL. 1731. 779
1
par ces vers Enfers et trouble la fête
qu'elle adresse à Idomenée :
Du souverain des mers Ennemi temeraire ,
'Penses - tu donc ainsi désarmer sa colere ?
Voi Nemesis , les Dieux m'ont imposé la loi
D'exercer leur vengeance :
Que l'Univers avec effroi
Apprenne à respecter leur suprême puissance .
Nemesis rentre dans les Enfers ; le thrône
se brise , et les furies emportent le
pavillon qui le couvroit. Idomenée devenu
furieux , se croit transporté dans un
lieu où l'on offre un sacrifice à Neptune ;
il veut avoir l'honneur de porter le coup
mortel à la victime ; cette prétendue victime
est son propre fils , qu'il immole
de sa propre main ; après cet affreux
sacrifice , les Dieux lui rendent la
raison , pour lui découvrir son parricide ,
il veut s'en punir ; on lui arrache l'épée.
Ilione finit la Tragedie par ces vers .
Pour le punir , laissez le vivre ;
C'est à moi seul de mourir.
V
lc
Les Comédiens François ont représenté
à Versailles pendant ce mois
Légataire, et la Sérénade. Saul Tragédie
et Attendez - moi sous Porne. L'Ecole des
Amans , et Chrispin Medecin. Andronic ,
et l'Esprit de contradiction . L'Esprit folet ,
et la Comtesse d'Escarbagnas .
780 MERCURE DE FRANCE
****************
NOUVELLES ETRANGERES.
TURQUI E..
}
Es lettres de Constantinople confirment les.
Davis qu'on avoit déja cus , que Mehemet
Selichtar Pascha , qui avoit été fait Grand Vizir
dans les premiers jours de la derniere révolution ,
avoit été déposé , et que Ibrahim Pacha , ci- devant
Kihaia de Cuprogli , Pacha du Caire , avoit
été choisi pour lui succeder.
On a reçu avis du Grand Caire , que les Missionnaires
en avoient été chassés par le nouveau
Pacha , que le Grand Seigneur a envoyé dans.
cette Ville , et que la plupart s'étoient retirés à
Jerusalem et dans les environs .
:
D'autres lettres d'Egypte portent que le Pacha
Cuprogli avoit défait l'Armée des Rebelles d'Egypte
qu'il avoit fait couper la tête à tous leurs
Chefs , pris dans le combat , et accordé une Amnistie
generale aux autres ; que la tranquillité
étoit rétablie dans le pays , et le commerce enție:
rement libre pour tous les Etrangers..
On a appris par les lettres de Syrie , du mois
d'Octobre dernier , que dans le College de l'Ors
dre de S. François de la Ville de Damas , où les
Religieux Espagnols enseignent les Langues Aràbe
et Turque , ils avoient établi une Ecole particuliere
pour instruire dans la Religion Catholique
les enfans des Maronites qui y étoient déja
au nombre de 15000. ce qui leur avoit attiré une
persécution de la part des Turcs , qui vouloient
chasser ces Religieux de la Ville , où ils n'avoient
pû se conserver qu'en payant une somme considerable
;
AVRIL. 1731. 7:1
sable ; qu'ils avoient employé les charités des
Pelerins à finir l'Hôpital qu'ils avoient commencé
depuis long-temps ; qu'ils avoient fait achever
aussi le Convent de Nazareth , dont la dépense
montoit à plus de 9c000 . écus , et que le Gardien
avoit été fort maltraité par les Turcs le jour
de la Dédicace de la nouvelle Eglise.
RUSSIE.
On mande des Frontieres de Perse , que les
Turcs qui étoient dans Ardebil , l'avoient abandonné
aux Persans , et qu'ils s'étoient mis sous
la protection des Moscovites , lesquels , du consentement
du Roi de Perse , devoient les conduire
à Tiflis , Capitale de la Georgie.
Par les lettres reçûës de Constantinople , on
paroît être certain que le Grand Seigneur prem
dra toutes les mesures necessaires pour éviter d'entrer
en guerre avec les Moscovites , et pour prévenir
celle qu'ils pourroient avoir avec les Persans.
LE
POLOGNE.
E 27. Fevrier , l'Envoyé Extraordinaire du
Grand Seigneur , eut son Audience de congé
avec les ceremonies observées le jour de sa premiere
Audience publique. Ce Ministre alla dîner
ensuite chez le Grand - Maréchal de la Couronne.
Le Roi et la République lui ont fait present d'un
très - beau Carosse attelé de six Mules . Il a fait
au Roi , de la part du G. S. et du Gr. Viz. de six
Chevaux de Selle , pami lesquels il y a un Cheval
Arabe , qu'on estime 2000. Ducats . Leurs Harnois
sont à la Turque et d'une grande magnificence.
Le Roi a envoyé en Hongrie un Capitaine dus
Regiment de Saxe Weimar , pour lever oo. Hus-
Sats
82 MERCURE DE FRANCE
sars que l'Empereur lui a permis de prendre à son
service.
Le Ministre de la Czarine a donné au Primat
du Royaume un Memoire contenant les prétentions
de S. M. Cz . Les principales sont la repetition
des sommes avancées à la République par le
feu Czar Pierre I. et qu'on fait monter à prés de
huit millions , la demande qu'elle fait de l'entiere
execution du Traité d'Oliva , tant au sujet des
Privileges accordez aux Protestans de ce Royaume
, que par rapport à la liberté du Duché de
Curlande , qu'elle ne veut pas permettre qu'on
divise en Palatinats.
A
DANNEM A R˚C K.
derickstadt , à l'occasion de la mort du Roi de
Suede Charles XII. doit être incessamment abbatuë
et les Inscriptions ôtées par ordre du Roi ,
qui a résolu de vivre en bonne intelligence avec
la Couronne de Suede.
ALLEMAGNE.
E bruit s'est répandu depuis peu à Vienne ,
que l'Empereur avoit pris la résolution d'aller
àu mois de Juin prochain à Ratisbonne , pour
regler la succession future de ses Etats , de l'avis
et du consentement des Electeurs , Princes et Etats
de l'Empire.
Le 17. du mois dernier , l'Empereur et l'Im-1
peratrice fe rendirent , selon la coûtume , dans
I'Eglise Aulique des Augustins Déchaussez , où
L. M. I. entendirent les cinq Sermons sur les
Misteres de la Passion , dont trois furent prêchez
en Allema et deux en Italien.
Le
C
AVRIL 1731. 783
Le 22. Jeudí Saint , P'Empereur lava les pieds
à douze pauvres Vieillards , qui faisoient tous ensemble
971. ans , et l'Imperatrice à douze pauvres
vieilles femmes , âgées aussi toutes ensemble
dé 1028. ans.
La Ville de Gratz en Stirie , fut réduite en
cendre la nuit du 19. au 30. du mois dernier.
ITALIE.
E s. Mars , le Pape tint un Consistoire , dans
Llequel le Cardinal Ottoboni proposa l'Archevêché
de Sens pour l'Evêque de Soissons ; l'Abbaye
de S. Jacques de Provins , pour l'Evêque de
Nîmes , et celle de S. Pierre en Valée , Diocèse
de Chartres , pour l'Abbé de la Farre -Lopis.
Le 12. on fit partir de Rome pour Civitavechia,
une Chaîne de 64. Criminels condamnez aux
Galeres , parmi lesquels il y a un Ecclesiastique
qui y retourne pour la troisième fois.
Les Dominicains du Convent de sainte Marie
sur la Minerve de Rome , ont obtenu du Pape la
permission de faire inhumer dans leur Eglise
lé Corps du feu Pape Benoît XIII . pour lequel
ils font faire un superbe Mausolée.
Le Pape a fait prier les Cardinaux de n'avoir
aucun commerce avec les Cardinaux Coscia et
Fini , jusqu'à ce que leur affaire soit jugée par la
Congrégation de Non Nullis , qui est occupée
presentement à examiner leurs Memoires justificatifs
, et ceux des Abbez Prati et Ramoni.
Les Habitans de Nettimo ont refusé de se soumettre
aux Ordonnances qui ont été publiées
contre le luxe , prétendant avoir d'anciens Privileges
qui permettent de s'habiller aussi magnifi-´
quement qu'ils le jugeront à propos.
On a appris de Naples sur la fin du mois der-´
nier,
784 MERCURE DE FRANCE
nier , qu'il y avoit eu un Tremblement de Terre
considerable à Toggia , dans la Pouille , que cette
petite Ville étoit totalement renversée , et qu'il y
avoit eu 25oo. Habitans écrasez sous les ruines.
La Cour de Turin s'est opposée avec beaucoup
de vigueur à l'execution de quelques Bulles accordées
par le Pape pour la Coadjutorerie de
certains Benefices consistoriaux , situez dans le
Piémont.
ON
ESPAGNE.
N apprend de Cadix , qu'on y avoit reçû
avis que le Trésor de Lima étoit arrivé à
Panama dans le mois de Decembre dernier , qu'on
esperoit que la Foire de Porto- Bello se tiendroit
dans le courant du mois du Mars , et que le tiers.
de l'Equipage des Gallions étoit mort dans la
traversée de la même maladie qui regnoit l'Automne
dernier à Cadix , et qu'on nommoit le
Vomissement noir.
ON
PORTUGAL..
N mande de Lisbonne qu'on y reçoit presque
tous les jours de fâcheuses nouvelles du dom
mage que la tempête du 7. de Février a causé
dans plusieurs Provinces. On apprend d'Abrantes
, que l'inondation y avoit été si considerable ,
que depuis cent ans on n'en avoit point vu de
semblable , et qu'à Porto il y avoit plus de quatre
pieds de neige dans les rues.
8. et le
Les Lettres des Algarves , portent que le 7. le
9. la Mer étoit montée infiniment plus.
haut que dans les plus grandes Marées , qu'ayant
fait remonter l'eau des Rivieres , elles s'étoient répandues
dans les Plaines à la hauteur de 6. à 7 .
pieds ; que les maisons d'un grand nombre de
villages.
AVRIL. RIL. 1731 783
#
Villages avoient été entraînées par les torrens ,
ainsi que la plupart des maisons de la Ville d'Albufeira
; qu'il n'étoit pas resté pierre sur pierre
dans celle d'Alvor , où il y avoit des Magazins
de Sel considerables ; que tous les arbres le long
de la Côte avoient été déracinez ; qu'une partie
du mur de la Tour de S. Laurent avoit été renversée
par les vagues de la Mer , et qu'elles avoient
passé pardessus les murs de la Forteresse de S. Julien.
GRANDE BRETAGNE.
E 16. du mois on apprit à Londres par les
Lettres de Winchester , que le Chevalier Ba
ronet Simon Clark et M. Robert Arnot , Lieutenant
d'Infanterie , y avoient été jugez et con→
damnez à mort pour vol de grand chemin.
On a appris depuis que le Grand- Scherif et le
Grand-Juré du Comté de Southampton , ont envoyé
une Adresse au Roi , pour le prier d'accor
der des Lettres de grace à ces deux Criminels
Gentilshommes de ce Comté. Le Roi a renvoyé
cette Adresse aux douze Grands-Juges pour examiner
cette affaire et lui en faire leur rapport , et
S. M. a accordé un répit sans terme limité.
Le Roi a accordé au Comte d'Essex , son Ambassadeur
Extraordinaire à la Cour du Roi de
Sardaigne , 1500. livres sterlins pour ses Equipages
, et 8. liv. sterl . par jour pour son entretien
ordinaire pendant le temps de son Ambassade.
Le premier Avril , un Courrier de Vienne ar
riva à Londres avec la copie d'un Traité conclu
entre l'Empereur et S. M. Brit.
La Chambre des Pairs , ayant fait deux
Fectures du Bil passé dans la Chambre des Communes
,pour exclure de cette Chambre les Membres
qui jouissent des Pensions du Roi , ou qui
786 MERCURE DE FRANCE
ont des Charges à la Cour , il y eut des contesta
tions qui durerent jusqu'à huit heures du soir
et ce Bill fut rejetté à la pluralité de 36.voix contre
40. Le lendemain , 27.. Membres de cette
Chambre signerent la protestation qu'ils avoient
faite la veille contre cette résolution , et ils firent
enregistrer leur Protestation .
Quelques Membres de la Chambre des Communes
ayant proposé de dresser une Liste de ceux
qui jouissent des Pensions de la Cour directement
ou indirectement, ou qui ont des Charges auprès
du Roy , sous le nom de Titulaires supposez ,
cette proposition fut rejettée à la pluralité de 2 06.
voix contre 143 .
La même Chambre a passé un Bill par lequel
il est ordonné de faire dorénavant les Procedures
en Anglois dans tous les Tribunaux de ce
Royaume.
Le 13. de ce mois , le Prince de Galles , la
Princesse Royale et la Princesse Caroline , allerent
au Théatre de Drury- Lane , voir la Tragedie
intitulée > Tout pour l'Amour , ou le Monde
bien perdu.
Le 31. du mois dernier , le feu prit dans la petite
Ville d'Enniscorthy , du Comté de Wexford,
et en moins de trois heures , il y eut 42. Maisons
de Manufacturiers qui ne purent rien sauver
de leurs Effets.
* Le Roi Guillaume I. Duc de Normandie ,
après avoir conquis l'Angleterre , introduisit
plusieurs Loix de Normandie , ordonnant qu'elles
seroient écrites en Langue Françoise, et que
les Causes seroient plaidées aussi en François,
et que les matieres importantes qui demandoient
quelque formalité , seroeint aussi expediées en
François. La plupart des termes de Pratique sont
encore aujourd'hui en Latin ou en François .
ADAVRIL.
1731. 787
ADDITION.
ON apprend de Moscou , que le rs. Mars , les
Ambassadeurs de l'Empereur de la Chine eu→
rent leur Audiance de congé de laCzarine, qui leur
fait préparer des présens magnifiques ; le bruit
court qu'ils ont signé unTraite de Commerce qui
sera très-ayantageux aux deux Nations.
De Coppenhague , que le 2. Avril , le Marquis
de Plelo , Ambassadeur du Roi de France , eut
une Audience particuliere du Roi , dans laquelle
il lui donna part que pour l'avantage du Coinmerce
des deux Nations , S. M. T. Ch. avoit déchargé
de tous les droits d'Entrée dans les Ports
lés Bâtimens Danois ou Norwegiens qui y apporteroient
dorénavant des Bois propres à construire
des Vaisseaux .
De Constantinople , que le Grand-Seigneur
continuoit de faire punir les Auteurs de la derniere
Rebellion ; que le Capitan - Pacha devoit
partir dans peu avec huit Sultanes et quatre au¬´¸
tres Bâtimens , pour aller recueillir les Tributs
de la Morée et des Isles de l'Archipel , et que le
Gr. Vizir s'étoit plaint au Ministre de la Czarine
de ce que des Officiers Moscovites avoient pris
de l'emploi dans les Troupes du Roi de Perse ,
malgré les conventions faites il y a quelques an
nées entre le G. S. déposé et le feu Czar Pierre I.
De Cadix , qu'à la fin de ce mois , on y délivrera
les effets de la Flotille, et que le Roi ayant été
obligé de se servir d'une partie de l'argent , S. M.
remboursera les interessez sur le produit du retour
88 MERCURE DE FRANCÉ
tour des Gallions qui sont actuellement aux Indes
Occidentales , avec l'interêt à six pour cent.
De Rome que l'accommodement des differents
du S. Siege avec le Roi de Portugal , est prêt d'ê
tre conclu ; que M. Bichi , cy devant Noncé à
Lisbonne , qui doit être arrivé à Sienne , y restera
jusqu'à-ce que cet accommodement soit signé ,
et qu'ensuite il ira à Rome pour y recevoir le
Chapeau de Cardinal.
La nuit du 31. du mois dernier , au premier
de ce nois , le Cardinal Coscia sortit de Rome
incognito , avec une suite de quatre personnes , et
il prit la route de Naples Le neveu de M. Firrao
le rencontra le lendemain , traversant la Ville de
Terracine , et on a sçû depuis qu'il étoit allé à
Naples sous le nom de l'Abbé Cibo . Depuis sa
fuite , l'Evêque de Targa , son frere , a eu ordre
de se rendre au Convent de S. Praxede , qu'on
lui a donné pour prison.
Le 24. M. Fioreli alla par ordre de la Congré
gation de Non Nullis au Palais du Cardinal Cos
cia , faire une sommation pour l'obliger à se représenter
dans un terme limité.
Le Cardinal Banchieri , Secretaire d'Etat , a
dépêché un Courrier à M. Guillelmi , qui étoit
parti pour Turin , avec deffense d'entrer dans les
Etats du Roi de Sardaigne , parce qu'on a
craint qu'il n'y fût pas bien reçû , et que son caractere
n'y fût pas respecté.
De Naples , que la derniere secousse de Tremblement
de Terre de la nuit du 16. au 17. du
mois dernier , avoit causé tant d'effroi , qu'une
grande partie des Habitans de cette Ville alla le
Lendemain coucher à la campagne. La Noblesse
envoya le même jour ses plus précieux Meubles
et
AVRIL. 1731. 789
et ses Carosses sur l'Esplanade du Château neuf,
et sur celle de la Porte du S. Esprit pour les mettre
en sureté ; cependant il n'y eut point de
Tremblement de Terre le 18. le 19. ni le 20.
mais le 21. vers les 9. heures du matin , on en
ressentit une legere secousse qui ne caușa aucup
dommage.
Le même jour on reçut avis que le 20. au matin
les deux tiers de la Ville de Foggia avoient été
renversez par le même Tremblement qui s'est fait
sentir avec violence dans les autres Villes de la
Pouille , dans la terre de Labour, dans la Basilicate
et dans une partie de la Calabre citerieure. Le
Viceroi a écrit aux Présidens ou Intendans des
Provinces voisines de la Poüille, d'envoyer des secours
aux Habitans qui se sont sauvez de Foggia,
où ily a eu plus de 2000. personnes d'écrasées , de
ly
faire enlever les décombres et de faire conserver
les Effets des Particuliers qu'on retrouvera en
fouillant.
une
La nuit du 22. au 23. on ressentit encore
legere secousse de Tremblement de terre , de même
que les deux nuits du 28. et du 29. de sorte
que l'on est à Naples dans de continuelles alfarmes.
D'autres Lettres de Naples portent que les
Tremblemens de terre devenoient très frequens
dans la plupart des Provinces du Royaume ; que
les Villes de Lucera , de Troje et d'Aquila étoient
presque renversées ; qu'il y avoit des maladies
Epidemiques qui faisoient périr beaucoup de monde
à la Cainpagne , et que les Troupes de l'Empereur
commençoient d'en être attaquées.
De Genes , que Mrs Jean- Baptiste Grimaldi et
Charles de Fornari , sont partis pour l'Isle de
Corse avec des pleins pouvoirs de la République
ct
790 MERCURE DE FRANCE
et les instructions necessaires pour terminer l'affaire
de la révolte des Habitans de cette Isle qu
paroissent disposez à quitter les armes,
De Bruxelles , que l'Archiduchesse Gouvernante
, ayant eû avis que le Duc de Lorraine de
voit venir passer quelques jours avec le Prince
Charles son frere , pour se rendre ensuite en
Hollande , et à ce qu'on croit , en Angleterre ,
cette Princesse a donné ses ordres pour lui faire
meubler un Hôtel. Ce Prince gardera l'incognito
sous le nom de Comte de Blamont,
MORTS, BAPTEMES, MARIAGES
des Pays Etrangers.
Nophite Narry ,Archevêque de Sedijana en
Sorie , né Alep ,, et ancien Missionnaire
dans le Levant , mourut
le 24. de Fevrier , âgé de
62. ans ; il fut inhumé
le lendemain
avec beaucoup
de céremonie
dans l'Eglise du College de
Propaganda
fide , ou la Messe fut celebrée
, et
l'Abfoute
fut faite par M. Fouquet , Evêque Ti
tulaire d'Eleutheropolis
, et on celebra pendant
la
matinée
dans la même Eglise , des Messes
, suivant
les Rits Latin , Grec , Arménien
, Syriaque
,
Copthe
, Chaldéen
et Maronite
.
M. Nastri , Prelat Grec , Archevêque de Samarie
, qui a été pendant long- tems Missionnaire
dans le Levant , ayant été renversé par un des
Carosses du cortege le jour de l'Entrée publique
de l'Ambassadeur de Malte à Rome , mourut je
lendemain de ses blessures son corps qui a été
Exposé pendant quatre jours dans l'Eglise du
College
A V RIL. 1731. 791
College de Propaganda fide , rendant une sueur
qu'on disoit être d'une odeur douce et agréable ,
le Pape y envoya ses Medecins et ses Chirurgiens
pour l'examiner , et après qu'ils en ont eu fait
leur rapport à Sa Sainteté , ce corps a été inhumé
dans la même Eglise auprès de celui du feu
Cardinal de Tournon.
Le 23. Mars , le Duc Auguste Guillaume de
Brunswick Wolfembutel , mourut à Wolfembutel
, âgé de 69. ans et quinze jours , étant né le 8.
Mars 1662. ce Prince n'ayant point laissé d'enfans
des trois Princesses qu'il a épousées , le Duc
Louis Rodolphe de Brunswix Blankemberg , pere
de l'Imperatrice et de la Princesse , Epouse du
Duc Ferdinand Albert de Brunsvick Bevern , suçcede
à ses Etats.
La Princesse d'Anhalt , et Epouse du Comte
d'Hanau , soeur de la Reine d'Angleterre , est
morte sur la fin du mois dernier.
Le Cardinal Jacques Boncompagno , mourut
subitement à Rome le 24 , Mars dans sa soixantedix-
neuvième année,étant né les.Mai1652 . Il étoit
fils de Hugues Boncompagno troisiéme Duc de
Sora , mort au mois d'Octobre 1676. et de Dona
Marie Ruffo , fille de François Marie , second
Duc de Bagnara. Il étoit frere du Duc de Sora ,
set beaufrere de la Princesse Piombino. Le Pape
Innocent XII. le fit Cardinal dans le Consistoire
du 12. Decembre 1695. et dans un des Consistoires
suivans , Sa Sainteté lui donna le titrs
de Sainte Marie in via lata. Ce Cardinal étoit
Archevêque de Bologne et Evêque d'Albano ; il
avoit séance dans les Congrégations des Evêques
et Reguliers , du Concile et de la visite Apostolique.
Son corps fut porté le lendemain dans l'Eglise
de Sainte Brigite , où il fut mit en dépôt,
Il a fait un Testament par lequel il laisse 300c,
Ecus
792 MERCURE DE FRANCE
Ecus à ses Domestiques , et un Tableau de grand
prix à Sa Sainteté. Il fait quelques legs de vaisselle
d'argent au Duc de Friano et à la Princesse
de Piombino , et il institue le Duc de Sora heritier
de tous ses biens. 11 vaque par cette mort un
septiéme lieu dáus le Sacré College.
Le 28. le Corps du Cardinal Boncompagno fur
transporté dans l'Eglise de S. André della Valle ,
où il fut inhumé avec beaucoup de cérémonie.
BAPTESME solemnellement adminiftré à
une Famiile Mahometane. Extrait d'une
Lettre écrite de Toulon le 14. Mars
1731 .
>
Vous ne serez sans doute pas fâché , Monsieur ,
d'apprendre la cérémonie qui s'est faite aujour
d'hui dans l'Eglise Cathedrale de cette Ville à
l'occasion de la conversion d'un François qui
avoit embrassé la Religion Mahometane , et du
Baptême de sa famille ; ce François s'appelle
François Brailli natif d'Abbeville en Picardie.
Il y a plusieurs de ses parens Marchands Libraires
établis à Paris . Il eût le malheur d'être
fait Esclave en 1719. et d'être conduit à Cons-
Lantinople : mais ce qui fut le comble de son
malheur , c'est qu'entraîné par les tristes suites
de sa captivité , il renonça à la Religion de ses
Peres : son Apostasie fut suivie de son mariage
avec une fille originaire de Tartarie et Mahometane
de Religion , qu'il épousa en 1722. Dieu
voulut bien ne le pas abandonner ; il permit qu'agité
de remords et touché par la grace ,
songea plus qu'à réparer l'énormité de sa faute
Et à se dérober à l'infidelité et à la tyrannie . Il
sommença la réparation de sa faute , en instruiil
ne
sant
C
4
AVRIL. 1731. 793
sant sa femme , et en la préparant à recevoir les
lumieres de l'Evangile . Enfin il saisit l'occasion :
que Dieu lui présenta , et il se sauva de Turquie
sur une barque Françoise qui est arrivée le mois
dernier dans le port de cette Ville.
By
Dès que le tems de la Quarantaine a été expiré
, et que les Intendans de la Santé ont appris
que cet homme désiroit de rentrer dans le seim
de l'Eglise , et que sa femme demandoir avec em- :
pressement d'être baptisée avec ses deux petits
enfans , ils en ont pris un soin particulier , et les
ont faît conduire à l'Hôpital General , où l'on a
instruit la femme avec succez . Lorsque l'on a
trouvé cette Catechumene assez instruite, et qu'on
a crû pouvoir lui accorder le baptême qu'elle ne
cessoit de demander , les Intendans de la Santé
ont invité MM . les Consuls , Lieutenans de Roi
de la Ville à tenir sur les fonts de Baptême la
femme et les deux petits enfans. Trois Dames
qualifiées de cette Ville, furent priées de leur servir
de Marraines . Tout étant ainsi disposé , la cérémonie
a été indiquée à ce jour. Elle a commencé
par une Procession generale qui s'est renduë
à l'Eglise Cathedrale , et à laquelle Brailli a assisté
avec sa femme et ses enfans. Les Consuls à
la tête du Corps de Ville , précedés des Tambours
, des Trompettes et des Hautbois , & c. sont
ensuite allés prendre M. l'Evêque à son Palais
Episcopal , d'où ce Prélat s'est rendu avec eux å
la Cathedrale , pour faire lui- même la cérémonie.
L'Eglise étoit remplie du Corps entier de la Marine
, des Officiers de la Garnison et de toutes les
personnes qualifiées de la Ville.
L'Evêque a commencé par la cérémonie des
Catéchumenes ; et la manière pieuse avec laquelle
cette femme a répondu selon les instructions qu'elle
avoit reçûës , a touché toutes les personnes qui
étoient présentes . H On
794 - MERCURE DE FRANCE.
On proceda ensuite à la cérémonie du baptê
me. M. de Portalis Premier Consul et Lieute
nant de Roi de la Ville , nomma la Mere sur les
fonts : elle fur mariée aussi- tôt après , avec François
Brailly. Les deux petites filles furent tenues
ensuite séparement par le second, et par le troisiéme
Consul. La cérémonie finie , M. l'Evêque:
fut reconduit au Palais Episcopal par les Consuls
au son des instrumens , et aux acclamations du
Peuple. Delà les Consuls se rendirent dans le
même ordre à l'Hôtel de Ville , où un repas magnifique
étoit préparé pour les Dames , & c. La
conversion de cette famille a causé dans toute la
Ville une grande joye , et a excité en sa faveur
la charité des personnes de distinction et du
peuble même.
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour, de Paris , & c.
LE
E lundi 26.Mars , les députez des Etats
de la Province d'Artois , eurent leur
audience du Roi. Ils furent présentez à
S.M. par le Duc d'Elbeuf,Gouverneur de
la Province , précedez par le Marquis de
Dreux , Grand Maître des Cérémonies ,
et par M. Desgranges , Maître des Cérémonies.
La députation étoit composée
de l'Evêque d'Arras pour le Clergé de
part de la Noblesse , du Marquis dė
Wignacourt ,
la
>
AVRIL.
795
1731.
Wignacourt , et de M. Garson de Que-
Vaussart , Avocat , Echevin d'Aire pour
le tiers Etat.
M. Daube , Intendant de Soissons
ayant demandé son rappel , sa place a été
donnée à M. de
Lesseville ,
Intendant de
Pau , lequel est remplacé par M. de Pommereu
, Intendant à Tours ; et le Roi a
nommé à cette derniere
Intendance , M.
de la Galisiere , beaufrere de M. Orri
Controlleur General.
Le premier de ce mois , Dimanche de
Quasimodo ,
l'Archiconfrerie de Jerusalem
, établie chez les Grands Cordeliers .
fit sa
Procession annuelle , et délivra , en
passant devant les Prisons du Châtelet ,
et autres , 54. Prisonniers pour dettes ,
lesquels furent conduits à la suite de la
Procession jusqu'aux Cordeliers : Après
la Messe , on les fit dîner , et on les ren-.
voya avec une piéce d'argent .
Suivant la
cérémonie qui se pratique tous
les ans les vendredi de la semaine de Pâ
ques. Messieurs du
Parlement et de la
Chambre des Comptes invitez par les Prevôt
des
Marchandset
Echevins , se rendi- '
rent en robes
ordinaires , et précedez de
leurs huissiers , en l'Eglise de Notre -Da
me , placez sur un même banc , tenans même
ligne et mêlez
ensemble , ensorte que'
le
Président du
Parlement avoit après lui
Hij
le
796 MERCURE DE FRANCE
le Président de la Chambre des Comptes ,
le Conseiller de la Cour , un Officier de
la Chambre , et ainsi de suite , tant qu'ils
firent nombre , et ils assisterent à une
Messe chantée en Musique à la Chapelle
de la Vierge , en memoire de l'expulsion
des Anglois du Royaume de France , sous
le Regne de Charles VII. L'origine de
cette cérémonie est , que la nouvelle de
la défaite des Anglois s'étant répanduë
dans Paris , le vendredi d'après Pâques de
Fannée 1436. Messieurs du Parlement et
de la Chambre des Comptes , au milieu
des acclamations du Peuple , se rendirent
confusément , et sans garder entr'eux ni
pas ni rang dans l'Eglise Notre - Dame
poury rendre graces graces à Dieu , devant l'Autel
de la Vierge , de l'heureuse nouvelle
qu'on venoit de leur apprendre.
›
On assure que le Roi a accordé à l'Ordre
Hospitalier du S. Esprit de Montpelier
des Lettres Patentes , portant réiinion
du Prieuré de S. Nicolas de Bar-sur-
Aube à l'Hôpital du S. Esprit de cette
Ville , qui est du même Ordre.
Le 4 Avril , il y eut Concert à la Cour ;
M. Destouches , Sur- Intendant de la Musique
de la Chambre du Roi de semestre ,
fit chanter devant la Reine , dans son Salon
, le Prologue et le premier Acte de
POpera
AVRIL. 1731. 797
par
l'Opera de Thésée , qui fut continué le 9
le second et troisiéme Acte , et le 11.
on finit par le quatrième et le dernier Acte.
La Dile Julie chanta le Rôle de Médée ,
et la Dile Lenner celui d'Eglé , dans les
trois premiers Actes avec beaucoup de
succès ; une indisposition survenue à cette
Actrice l'empêcha de continuer. La Dlle
Pelissier la remplaça ; et y reçût de grands
applaudissemens. Les Sieurs d'Angerville
et Guidon chanterent les Rôles d'Egée et
de Thésée , et les Diles Barbier et Robelin ,
firent les Confidentes , à la satisfaction de
la Reine et de toute la Cour.
! Le 16 , on chanta dans le même Salon
le Prologue et le premier Acte de l'Opera
de Tarsis et Zelie , dont le Poëme est de
M. de la Serre , et la Musique des Sieurs
Rebel et Francoeur.
ศ
9
Le 18 et le 23. on continua le même
Opera , dans lequel les Des Lenner et
Pellissier chanterent les Rôles de Zelie et
d'Arelife avec beaucoup d'applaudissement
, de même que la De Erremens
qui plût infiniment dans le Rôle de la Sybille
, et dans d'autres mòrceaux qu'elle
chanta avec beaucoup de graces et de legereté.
Les deux Auteurs de cet Opera
furent présentez à la Reine par M. Destouches
; ils reçûrent de S. M. des témoignages
pleins de bonté , de la satisfaction
Hiij qu'elle
798 MERCURE DE FRANCE
t
qu'elle avoit eû d'entendre cet Opera
dont l'exécution fut parfaite , et la Musi
que extrêmement goûtée.
pre Le 25. on chanta le Prologue et le
mier Acte d'Atys , qu'on continua le Lundy
, dernier jour du mois.
Le 8 Avril , l'Abbé Lanti , Nonce Extraordinaire
du Pape , fit son Entrée publique
à Paris. Le Prince de Guise , et
M. Hebert , Introducteur des Ambassa→
deurs , allerent le prendre dans les Carosses
du Roi et de la Reine , au Convent de
Picpus , d'où la marche se fit en cet ordre :
Le Caroffe de l'Introducteur , ceux du
Prince de Guise , précedez de son Ecuyer
et de ses Pages à cheval ; un Suiffe du Nonce
à cheval ; les Estafiers du Nonce à
pied quatre Officiers , l'Ecuyer et quatre
Pages à cheval ; le Carosse du Roi , à
côté duquel marchoient la Livrée du Prince
, et celle de M. Hebert ; le Caroffe de
la Reine et celui de Madame la Duchessed'Orleans
, Douairiere , ceux du Duc
d'Orleans , de la Duchesse de Bourbon
Douairiere , du Duc et de la Duchesse de
Bourbon , du Comte de Charolois , du
Comte de Clermont , de la Princesse de
Conty, premiere Doüairiere , de la Princesse
de Conty , seconde Doüairiere , de
la Princesse de Conty , troisiéme Douairierc
>
9.
AVRIL 1731 799
riere , du Prince de Conty , du Duc et de
la Duchesse du Maine , du Prince de Dombes
, du Comte d'Eu , du Comte et de
la Comtesse de Toulouse et celui de
M. Chauvelin , Garde des Sceaux ; Ministre
et Secretaire d'Etat , ayant le département
des Affaires Etrangeres : et à une
distance de 30 à 40 pas , les quatre Caros-
.ses du Nonce.
Après qu'il fut arrivé à son Hôtel , il
fut complimenté de la part du Roy par le
Duc de Tresmes , Premier Gentilhomme
de la Chambre ; de la de la Reine ,
part
par le Marquis de Villacerf , son premier
Maître d'Hôtel , et de la part de Madame
la Duchesse d'Orleans le Marquis
de Crevecoeur , son premier Ecuyer.
2
, par
Le 10 , le Prince de Guise et M. Hebert ,
allerent prendre le Nonce Extraordinaire
du Pape en son Hôtel , et le conduisirent
dans les Carosses du Roi et de la Reine à
Versailles où il eut sa premiere Audience
publique du Roi. Il trouva à son
passage , dans l'avant- cour du Château
les Compagnies des Gardes Françoises et
Suisses , en haye et sous les armes , les
Tambours appellant , et dans la Cour , les
Gardes de la Porte et ceux de la Prévôté
aussi en haye et sous les armes , à leurs
postes ordinaires. Il fut reçû au bas de l'escalier
par le Grand- Maître et le Maître
Hii des
800 MERCURE DE FRANCE
des Cérémonies ; les cent Suisses étant sur
l'escalier en habit de cérémonie , la Hallebarde
à la main , et à la porte et en dedans
de la Salle des Gardes , par le Duc
de Bethune , Capitaine des Gardes du
Corps , qui étoient en haye et sous les
armes.
Après l'Audience , le Roi passa dans
son Cabinet , où il fut suivi par le Nonce,
et S. M. vit les langes benits par le Pape ,
pour Monseigneur le Dauphin , qui sont
très- riches , et dont l'ouvrage est d'une
grande beauté. Ces Langes consistent en
trois langes , dont deux sont de drap écarlate
, brodez d'or en plein des deux côtez
, avec des fleurs de Lys , des Couronnes
et des Dauphins ; le troisième est de
Moire bleue et argent , brodé d'or , et
doublé de drap d'or : la bande est de même
étoffe , et brodée d'or avec des perles :
Les Chemises , Mouchoirs , &c. sont par
douzaines , et garnis des plus belles dantelles
d'Angleterre et de Malines , avec
une grande Couverture de Moire bleu et
argent , brodée d'or , avec des Trophées
et Attributs de l'Eglise : la Couverture
pour mettre sur le Berceau est de pareille
étoffe ; et brodée de même , ainsi que deux
grands oreillers de satin bleu brodé , dont
les glands sont d'or trait : la Corbeille dans
laquelle étoit le linge , est faite en forme
de
·
AVRIL. 1731. 801 ·
de Châsse , doublée de Damas bleu , brodé
d'or , et le tout enfermé dans deux
grands coffres de velours cramoisi , brodé
à galons d'or , dont les pieds , les ances et
les fermetures sont d'argent massif.
Le Nonce fut conduit à l'Audience de
la Reine , avec les mêmes cérémonies.
S. M. s'étant rendue chez Monseigneur
le Dauphin , le Nonce y alla , et dans
Audience qu'il eut de Monseigneur le
Dauphin , il lui présenta de la
part da
Pape , les Langes bénits par S. S. Après
avoir été traité par les Officiers du Roi ,
il fut reconduit à son Hôtel par M. Hebert
, dans les Carosses de L. M. avec les
cérémonies accoûtumées.
Le 20. les Députez des Etats de Bourgogne
eurent Audience du Roi , étant conduits
en la maniere accoûtumée par le
Marquis de Dreux , Grand-Maître des
Cérémonies , et par M. Desgranges , Maî
tre des Cérémonies. Ils furent présentez
à S. M. par le Duc de Bourbon ; Gouverneur
de la Province , et par le Comte de
Florentin , Secretaire d'Etat. La Députation
étoit composée de l'Abbé Moreau.
Doyen du Chapitre de l'Eglise Cathedrale
d'Auxerre pour le Clergé , qui porta
la
parole ; du Comte de Guitaud pour la
Noblesse et de M. Barrault , Maire de
Hy la
802 MERCURE DE FRANCE.
rs.
la Ville d'Autun , pour le Tiers Etat ; de
M. de Blancey , Secretaire de M. de Montigny
, Trésorier , et de M Ribou et Baron
, Syndics des Provinces de Bresse et
de Pugey. Ils furent conduits ensuite à
l'Audience de la Reine , et à celle de Monseigneur
le Dauphin , de Monseigneur le
Duc d'Anjou , et de Mesdames de France.
>
Le 25. la Loterie de la Compagnie des
Indes , pour le remboursement des Actions
, fut tirée en la maniere accoûtumée
, à l'Hôtel de la Compagnie . La Liste
des Numero gagnans des Actions et dixiémes
d'Actions qui doivent être remboursées
, a été rendue publique , faisant
en tout le nombre de 294 Actions ..
,
La Loterie établie par Arrêt du Conseil
du 29 Août dernier , pour le remboursement
des dettes de la Province de Languedoc
, fut tirée à Nismes dans la Grande
Salle des Etats , en présence des Commissaires
de S. M. et de l'Assemblée desdits
Etats les 9. 11 et 13 Janvier dernier..
Les arrérages ont été payez pour les trois.
premiers mois de cette année , avec le
remboursement des Capitaux à Bureau
ouvert , à Paris , à Toulouse , et à Monpellier.
On a imprimé ici la Liste des remboursemens
qui ont été faits par le Tré-
"
sorier
AVRIL. 1731. 803
sorier des Etats de ladite Province , suivant
les Numero gagnans de la Loterie.
Il paroît par cette Liste que la totalité
des Billets qui ont été tirez dans les trois
Séances est de 814. pour le remboursement
de 800932 livres 12 sols , huit deniers
, sur laquelle somme il a été retenu
12 pour cent , conformément à l'Arrêt
du 29 Août 1730.
M. Jeard , Premier Secretaire du Marquis
de Villeneuve , Ambassadeur de
France à Constantinople , après avoir
abordé à Toulon , et y avoir fait quarantaine
, arriva à Versailles au commencement
de ce mois , chargé d'une Lettre
du Grand Seigneur , dans laquelle Sa
Hautesse donne part au Roi de son Avenement
au Trône de ses Ancêtres , et d'une
Lettre du Grand Visir pour S. M. Il
fut présenté au Roi par le Cardinal de
Fleury , et il en fut reçû avec beaucoup
de bonté , après avoir rendu à Son Eminence
, une Lettre du Grand Visir.
BENEFICES DONNEZ.
L'Abbaye de Vigny , Ordre de S. Au-
,
gustin , Diocèse d'Autun vacante
par le décès de M. l'Archevêque de Sens ,
en faveur de M. d'Autichamp , Prêtre et
H vj Doyen
804 MERCURE DE FRANCE .
Doyen de la Cathedrale d'Angers.
L'Abbaye de Ferrieres , Ordre de S. Augustin
, Diocèse de Poitiers , vacante par
le décès de M. de la Boissiere , en faveur
de M. de Menou , Prêtre et Grand Vicaire
de Nantes.
L'Abbaye de Cagnotte , Ordre de Saint
Benoît , Diocèse de Cix , vacante par le
décès de M. de Digier , en faveur de
M. Prudent de Bouexie de Becdelievre
Prêtre au Diocèse de Nantes .
L'Abbaye d'Auberives , Ordre de Citeaux
, Diocèse de Langres , vacante par
le décès de M. de Champigny , en faveur
de M. de Fontenilles , Prêtre et Grand-
Vicaire d'Amiens .
و
>
L'Abbaye de Vierzon , Ordre de Saint
Benoît Diocèse de Bourges vacante
par le décès du dernier Titulaire , en faveur
de M. de Bernot de Chavent , Chanoine
Honoraire de la Cathedrale de
Bourges.
-L'Abbaye de Château- Landon , Ordre
de S. Augustin , Diocèse de Sens , vacante
par le décès de M. de la Grange , en faveur
de M. d'Aigreville de Millancour
son Diacre .
L'Abbaye Réguliere de S. Leger de
Soissons , Ordre de S. Augustin , vacante
par le décès de M. de Niceron , en faveur
de M. Jean René Biet , Prêtre et Reli
gieux dudit Ordre.
AVRIE 1731. 805
L'Abbaye de S. Loup , Ordre de Ci
teaux , Diocèse d'Orleans , vacante par le
décès de la Dame de Châtillon , en faveur
de la Dame Gabriel de Bouville , Religieuse
au Prieuré de Villervaux.
A M. HERAULT,
CONSEILLER D'ETAT ,
ET LIEUTENANT GENERAL DE POLICE
LE LYNX. Fable.
Au milieu des travaux , où brille ta prudence ,
Herault , je te demande un instant d'audiance ;
Daigne me l'accorder , et souffre que ma voix ,
Loin du monde et du bruit t'appelle dans les bois ;
D'autres pour acquerir l'honneur de ton estime ,
Pourront avec éclat prendre un essor sublime ,
Mon style manque d'art , mais sa simplicité ,
Sçait rendre à la vertu ce qu'elle a merité.
Certaine Chronique rapporte ,
Que dans une Forêt pleine d'Oiseaux divers
Et d'animaux de toute sorte ,
Entra jadis l'esprit pervers :
Aussi- tôt les larcins , les meurtres ,
Les trahisons , le brigandage ,
le
carnage ,
Y vinrent déployer leurs coupables fureurs ;
La
806 MERCURE DE FRANCE
La raison du plus fort emportoit la balance ,
Le vice triomphoit , la timide innocence ,
Perdoit ses soupirs et ses pleurs :
Sultan Lyon , dont l'ame genereuse ,
Souffroit avec chagrin de pareils attentats »»
Résolut d'extirper du sein de ses Etats ,
Cette licence dangereuse ;
Pour remplir un projet si beau ,
Il se servit du ministere
D'un Lynx qui suivoit le flambeau ,
De l'Equité la plus austere..
A son aspect les crimes confondus ,
Chercherent en vain un azile
Sa vigilance et ses soins assidus.
Rendirent la Forêt tranquille ;
Le Pigeon du Vautour méprisa la fureur ,
Et l'innocent Agneau vit le Loup sans terreur.
Sage Magistrat , cette Fable ,
N'a point l'obscurité des Enigmes du Sphynx ,
Paris de son repos à tes soins redevable ,
Verra facilement que ma Muse équitable ,
Ne songeoit qu'à toi seul en dépeignant le Lynx
I Par M.de Gastera..
FESTE
AVRIL 1735. 807
FESTE donnée à M. le Vicomte de
Polignac , à l'occasion de sa convalescence.
R
Ien n'est plus flateur pour un Maître
digne d'être aimé , que l'interêt vif
et sensible que prennent ses Domestiques
à tout ce qui les regarde ; ceux de M. le
Vicomte de Polignac ont témoigné leur
zele pour lui , non - seulement dans le cours
de la maladie de ce Seigneur, si justement
cheri et respecté ; mais encore ils ont célebré
sa convalescence d'une maniere qui
a charmé tous ceux qui en furent les témoins.
Leur zele et leur amour pour
leur Maître ont été leurs seuls guides.
Dimanche au soir 22. d'Avril , l'Hôtel
fut illuminé sur la façade du dehors depuis
le haut jusqu'enbas. Le Temple de
la Santé s'élevoit au fond de la cour dont:
les côtez étoient tendus de riches Tapisseries
; neuf Portiques formoient l'enceinte,
ornez de Guirlandes, Lustres , Giron
doles , &c. Au- dessous de chaque Pillastre
étoient les Armes de Polignac ; elles :
brilloient au fond sur le Portique du
milieu , dans un grand Tableau éclairé de
chaque côté de deux Piramides , de Lampions
,
ainsi que tout le corps du Plan ;
au bas on lisoit les Vers suivans de M. l'Abbé
de Neuville.
Enfin
808 MERCURE DE FRANCE
Enfin nos voeux sont exaucez ;
Le Ciel vous rend à nous; et pour nous c'est assez.
Agréez en ce jour notre public hommage ;
Vous en auriez de plus pompeux,
Si nous sçavions exprimer mieux ,
De notre coeur le vrai langage ;
C'est le coeur seul que demandent les Dieux ;
Nous ne sçaurions vous offrir davantage ;
D'autres que nous diront en Vers harmonieux
Par combien de vertus vous êtes estimable ,
Mais nous avouerons que les Cieux ,
Ne formerent jamais de Maître plus aimable.
Le tour de l'enceinte du Plan étoit chargé
et illuminé de fambaeux de cire blanche.
La Fête fut annoncée par une décharge
de quantité de Boëtes , suivie d'un Feu
d'artifice trés - bien entendu , et enfin
terminée par une seconde décharge de
Boëtes, le tout au bruit des Trompettes et
au son des Basses et des Violons , Le Peuple
fut ensuite admis au Bal et aux rafraîchissemens
qui durerent jusqu'à quatre
heures du matin.
L'Auteur et Conducteur de la Fête est
le sieur Chabanet de la Combe , qui en
cette occasion n'a pas moins manqué de
goût et d'intelligence que de zele et d'amour
pour son Maître.
A
MARS. 80-9
1731.
A M. J. D.
à
Amiens ,
Sur la rareté des Canards.
ONN dit ( mais je ne le puis croire )
Que chez vous les froids sont si grands ,
Que les Canards à triples rangs ,
Pour n'avoir pu trouver à boire ,
Ont fui si bien , qu'il n'est resté ,
Pas de quoi faire un seul Pâté .
Pour vous , si l'on dit vrai , la chose est affli
geante ,
Car enfin ne comptez de
vous porter si bien ,
Comme vous avez fait en l'an mil sept cens
trente ,
Si vous ne payez pas à C ... sa rente ;
C... de sa part pour vous ne fera rien.
L'an passé qu'il reçut l'honnête redevance ; ´
Par huit ou neuf de ses Supots ,
Tous gens à Janus fort dévots ,
Il fit faire pour vous des voeux en abondance ;
Le Temple de Bacchus en diroit verité ;
A votre intention mainte razade buë ,
Et tant que chez quelqu'un raison en fut perdue,
Vous auriez pour l'année acquis force santé .
Cet an- cy n'ira pas de même :
Sans que rien ait parú voici le Carnaval ,
Ma
810 MERCURE DE FRANCE
i
Ma foi craignez la mort ou la fievre au teint
blême ,
Si vous ne prévenez le mal ;
Hazard si vous allez jusqu'à la mi-carême.
XXXXXXX:XXX:XX:XXXXX*
MORTS , NAISSANCES ,
et Mariages.
Perétaire du Roi , Maison Couronne ,
Ierre Perrin , Ecuyer , Conseiller Se-
&c. Honoraire , Avocat en Parlement ès-
Conseils du Roi , mourut le 33. Mars ,
âgé de 75. ans.
Henry Doresmieux , Ecuyer , Avocat
au Parlement , Intendant de feuë Mada
me la Dauphine , et Chef du Conseil de
feu M. le Duc de Berry , mourut le 4.
de ce mois , âgé de 80. ans.
M. Augustin André , Ecuyer , Conseiller
Secretaire du Roi , Maison , &c. Conseiller
à la Cour des Aydes , mourut le
4: Avril , dans la 49. année de son âge.
Antoine le Prêtre , Chevalier , Comte
de Vauban , de Busseul et de Boyer , Marquis
de Magny , Seigneur d'Essertine
Moulins sur l'Arconse , Poisson , la Bastie
, & c. Lieutenant Général des Armées du
Roy , Grand Croix de l'Ordre Militaire
de S. Louis , Gouverneur des Ville et
ChâA
V RIL. 1731.
8ir
Château de Bethune , Ingénieur General
et Directeur des Fortifications des Places
d'Artois , mourut en son Gouvernement
le 10. d'Avril , universellement regretté.
On lui donna en entrant au service du
Roi en 1672. une Lieutenance au Regi
ment de Champagne en 1674. il eut
une Compagnie dans celui de Normandie
; il fut fait Brigadier d'Infanterie au
mois de Mars 1693. Maréchal de Camp.
en 1702. Lieutenant General en 1704.
Il commença à servir en qualité d'Ingénieur
en 1674. au Siége de Besançon où
il fut blessé de deux coups de de fusil , en
faisant le logement de la contrescarpe. It
servit ensuite avec le Maréchal de Vauban
son oncle , à tous ceux qu'il fit depuis..
Il suivit cet illustre Général dans presque
toutes les visites qu'il fit des Places du
Royaume , travaillant sous lui aux projets
de fortifications qui ont été execu--
tez sur ses desseins. Ce travail embrassoit
la construction de plus de soixante
nouvelles Places , et la réparation de plus
de quatre-vingt anciennes ; après cela '
il fut chargé de faire en Chef plusieurs.
Siéges à celui de Courtrai , en 1683 .
il fut blessé d'un coup de fusil à la main
droite , dont il est demeuré estropić .
:
Il servit en 1702. à la défense de Keservert
, sous les ordres de Monseigneur
le
>
812 MERCURE DE FRANCE
,
le Duc de Bourgogne. En 1703. au Siege
de Brisack , où il conduisit l'attaque de
la gauche , avec une approbation generale
, ce qui opera la réddition de la place.
En 1708. à la défense de l'Isle , sous les
ordres du Maréchal de Bouflers. Il défendit
en 1710. Bethune dont il étoit Gouverneur
у tint contre l'attente du Roi
et celle des deux armées , quarante deux
jours de tranchée ouverte quoique la
place fut petite , mauvaise , mal munie ;
et la garnison fort foible. En 1714. il fut
choisi par les Rois de France et d'Espagne
, pour faire en Chef, sous les ordres
du Maréchal de Bervick , le Siege de
Barcelone , où il reçut un coup de fusil
au travers du corps.
>
Malgré tous les périls où il a été expo
sé pendant ses longs services ; il a été de
bonne heure à la tête du Corps du Génie ,
et en a été long- temps le Doyen ; Il a
vû périr plus de 600. Ingenieurs. Il s'étoit
trouvé à 44. Sieges d'attaque ou de
défenses de Places , de Villes , de Citadelle
, ou de Châteaux , et à grand nombre
d'autres actions où il avoit reçû seize
blessures considerables. Il a perdu au
service du Roi , son pere , deux freres
un beau frere , deux oncles , et onze cousins
germains , ou issus de germains , ensorte
qu'il y a peu de famille dans le Royau
me
1
AVRIL. 1731. 813
me qui ait tant essuyé de feu , et répandu
tant de sang que llaa sienne , dont il ne
restoit que lui de son nom et ses deux
fils , dont l'aîné est guidon de Gendarmerie
, et le cadet Lieutenant au Regiment
du Roi , Infanterie.
M. Louis Teissier , ancien Fermier Général
, mourut à Paris le 12. de ce mois ,
âgé de 77. ans.
>
Jacques de Barberie , Chevalier Marquis
de Courteille Maître des Requêtes
honoraire , ci- devant Intendant d'Alençon
, et ensuite du Berry , décedé de
17. Avril , âgé de 56. ans.
•
Dame Marie Anne d'Espinay de S. Luc,
Epouse de M. François , Marquis de Rochechouart
, mourut le 24. de ce mois ,
dans la 58. année de son âge.
Frere Michel Forbin de Janson , Chevalier
Profez de l'Ordre de S. Jean de Jerusalem
, Commandeur de la Commanderie
de Borderes , du Prieuré de Toulouse
, et Brigadier des Armées du Roi , mourut
à Paris le même jour , âgé d'environ
60. ans.
Mlle des Barres âgé d'onze ans , a re
çûë les cérémonies du Baptême le deuxiéme
Avril , dans l'Eglise de S. Roch ,
et a été nommée Bonne Benigne , par
la Comtesse de Saint Chamans sa Grand-
Mere ,
314 MERCURE DE FRANCE
J
Mere , et par le Marquis de Baufremon ;
Chevalier de la Toison d'Or , Brigadier
des Armées du Roi. Elle est fille du
Comte des Barres , qui est d'une noble
et ancienne Maison de Bourgogne , et de
Judith de Saint Chamans , son épouse.
Le 6. Avril les Cérémonies du Baptême
furent suppléées à René Prosper , né
le 27. Mars précédent , fils de M. Jean
René de Longueil , Marquis de Maisons
et de Poissy , & c. Président à Mortier
du Parlement de Paris ; et de Dame Jeanne
Louise , Baüyn ' d'Argenvilliers. Il a
été nommé par M. Nicolas Prosper
Baüyn d'Argenvilliers , Ministre et Secretaire
d'Etat , et par Dame Charlote
Angelique Coursin veuve de M. Jacques
Roque , Seigneur de Varangeville, et
Ambassadeur du Roi à Venise .
>
Dame Louise Adelaide Sabligoton d'Epinay
, épouse de M. Guy , Louis , Charles
Delaval Montmorency , accoucha le
13. de ce mois d'une fille , qui fut tenuë
sur les Fonts , et nommé Louise
Adelaide Philippine , par L. A. S. Monseigneur
Louis Duc d'Orleans , premier
Prince du Sang , et par Mademoiselle
Philippine Elizabeth d'Orleans. La Cérémonie
fut faite en la Chapelle du Palais
Royal , par le Curé de S. Eustache.
Jean
1
AVRIL. 1731.
815
Jean Baptiste le Clerc , Seigneur de
Boisguiche , & c. épousa le 24. Avril Da
me Marie Therese le Bas de Givangis ,
fille de Louis le Bas de Givangis , Trésorier
des Gardes Françoises , et de Dame
Catherine Quentin.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
REPONSE à l'Epitre de M. Carrelet
d'Hautefeuille , imprimée dans le Mercure
de Janvier dernier , par Me de
Malcrais de la Vigne , du Croissic en
Bretagne.
Gent Cavalier, bien grammercî vous dis ,
Du soin courtois que votre veine a pris ,
De parfumer mes tendres Hirondelles ,
Du pur encens de ses mets trés-exquis.
Peut être même en passant iront-elles ,
Quelque matin , le Soleil paroissant ,
Sur la fenêtre ou sur la cheminée ,
Vous begayer d'un ton reconnoissant ,
Une Chanson longuement fredonnée ,
Dont pesterez dans votre entendement ,
Vous qui dormez la grasse matinée ,
Et maudirez leur aigu compliment.
Scachez pourtant qu'à mon ordre est allée,
Dans vos cantons cette Amdassade aîlée.
Par quoi j'ai cru qu'admonesté dûment ,
Ne leurs feriez sur ce querelle aucune ;
Ains
816 MERCURE DE FRANCE
Ains daignericz les traiter poliment.
Mais si de près voulez avec quelqu'une ,
Avoir Colloque ; oyez ; voici comment.
N'allez d'abord vous mettre en la memoire ,'
Que de Merluche ( 1 ) ou de telles Circez , ( 2 )
Ou d'Agrippa (3 ) j'entende le Grimoire.
Point n'ai porté sur mes doigts renversez ,
De Jacque Aimard ( 4 ) l'outil divinatoire ;
Point n'est en moi d'intelligence assez ,
Pour penetrer les sombres Clavicules , (s )
Dont on nous fait des contes ridicules,
Crus neanmoins de beaucoup d'insensez.
Onc n'ai tenté des routes inconnuës , ( 6 )
Dans la nuit brune allant les pieds graissez
Sur un balai galoppant par les ruës.
Tout le secret dont allez être instruit ,
N'est Art magique , ains chose naturelle .
Si voulez donc happer une Hirondelle ,
Marcher yous faut à pas comptez , sans bruit ;
Puis sur la queue un grain de sel lui mettre ;
1 ) Celebre Fée connue dans les Contes de
Ma d'Aunoy.
(2) Fille du Soleil ,fameuse Magicienne.
(3 ) Henry Corneille Agrippa , a fait des Livres
de Magie.
(4) Voyez la Baguette divinatoire de M. de
Vallemont.
(s )Livrefaussement attribué à Salomon .
(6) Contes que débitent les Vieilles de ce
Pays-cy.
Ainst
AVRIL. 817 1731.
Ainsi prendrez , j'ose vous le promettre ,
L'Oiseau sysdit , ou je perdrai mon nom.
Voyez qu'ici n'est aucun sortilege.
Les Croisiquois n'ont le vilain renom ,
(Je le proteste et m'en donne pour plége )
D'être Sorciers : bien sont- ils gens imbus ,
D'Arts Libèraux , forts sur les impromtus ,
Le sel piquant qu'exalent nos Salines , ( 1 )
Rarefié par petites bruines ,
Porte en leur sang cette vivacité ,
D'où germe en eux la cointe urbanité.
Quant au beau Sexe , il n'a d'autre Magic ,
Que l'air divin de ses appas charmans ,
Et les beautez d'un merveilleux génie.
Leurs yeux actifs sont les fins Négromans
Dont un regard prend et rend asservie ,
La liberté des moins tendres Amans
Mieux qu'aucun Philtre ; et ces aimables Muses ,
Comme chez vous ne sont pas des Méduses , (2)
Leur caractere est sur tout la douceur ,
Que suit de près la franchise de coeur.
Table de Jeu faite en façon gentille ,
Est leur Parnasse , et Cartes de Quadrille ,
Les Livres sont qu'elles ont dans les mains ,
Le fier Plutus ( 3 ) Dieu respecté de maints
( 1 ) Notre Péninsule est presque environnée
de Salines.
(2 ) Voyez les Metamorphoses d'Ovide.
(3) Plutus , Dien des Richesses,
I EC
18 MERCURE DE FRANCE.
Est l'Apollon , Fortune est la Minerve ,
Dont leur ferycur implore le secours ,
Les conjurant de seconder leur verve.
Point on n'y gronde , et chez elles toujours ,
Joyeuse humeur se voit entrer en danse ,
Fors quand du jeu la quinteuse inconstancë ,
Vient par malheur déranger leur finance ;
Mais il paroît qu'aux lieux d'où m'écrivéz ,
Ne sont par trop les Muses enjouées ;
Ains bien plutôt d'autre humeur sont dotées,
Quoi pour avoir dans mon cerveau trouvez ,
Tendres blasons ; leurs coeurs sont aggravez,
En contre moi ; les voilà dire émués
Et sur le champ Méduses devenues ,
Me menaçant faire un mauvais parti.
Siecles futurs , le pourrez- vous bien croires
Tel brin d'ouvrage être si mal lotti !
Ai-je appellé , le cas est-il notoire ?
Le Corbeau blanc et la Colombe noire à
O sort fatal ! si pour de galants Vers ,
Aller me font le capot à l'envers . રે
En outre , ô Ciel ! détournez-en l'augure;
Je meurs d'effroi , quand mon oeil se figure ;
Voir tout à coup leurs blonds cheveux changez
En longs Serpens de me mordre enragez.
Or desormais , ô prodige !ô merveille !
Comme il se lit de l'Eve de Milton , ( f )
(1) Voyez le Paradis perda de Milton.
Dormir
AVRIL.
$ 19 131.
Dormir s'en vont le Serpent sous l'oreille:
Hélas ! je songe au milieu du frisson ,
Qui me saisit , que déqualifiée ,
Toute ma chair est ja pétrifiée , (1 )
Ce nonobstant rappellant ma raison ,
Je vois qu'à tort crainte est chez moi montée ,
Car leur colere a beau s'être pointec ,
Pòur m'abîmer , leurs coups sont superflus ;
Jusqu'au Croissic n'en viendra la portée ,
S'étendra-t'elle aussi loin même , et plus
Que Pistolets , Fusils et Carabines ,
Que Fauconneaux , Canons et Couleuvrines .
Mais en lisant ces propos my gaulois ,
Monsieur , peut-être avez bâaillé six fois ,
Et souhaitez à la pauvre Rimeuse ,
Papier humide , ancre blanche ou bourbeuse ,
Plume essorée avec la goutte aux doigts ,
Puis ajoûtez , comme un certain Valois , ( 1)
Dit quelque part , que femmes sont verbenses s
Donc sans délai cette Epitre finis ,
Vous repettant mon Antienne premiere :
Des Vers qu'avez pour moi mis en lumieres
Gent Cavalier , bien grommerci vous dis.
(1 ) Méduse pétrifioit ceux qui la regar
deient.
(2) Henri de Valois disoit que les femmer
étoient werbenses. Voyez le Valesiana.
Tij AR820
MERCURE DE FRANCE
XXXXXXXXXXXXXXX
ARRESTS , DECLARATIONS
ORDONNANCES , &c.
RREST du 21. Novembre 1730. qui or-
Adonne que le sieur Jacques Auriol et ses
Associez , jouiront pendant dix années à commencer
au premier Janvier 1731. au lieu & place
de la Compagnie des Indes , du commerce de la
Côte de Barbarie , pour en jouir et y faire le
commerce exclusif , sous le nom de COMPAGNIE
D'AFRIQUE.
" DECLARATION DU ROY , concernant
les Scellez des Officiers Militaires. Donnée
à Versailles le 3. Février 1731. Registrée en
Parlement. Par laquelle S. M. établit un nouveau
Reglement pour prévenir toutes les difficul
tez qui pourroient survenir sur cette matiere.
ARREST du 11. Fevrier , portant . Reglement
pour les Toiles , Batistes et Linons qui se
fabriquent dans les Generalitez de Paris et de
Soissons.
AUTRE , du 13. Fevrier , qui ordonne que
les Acquereurs des Offices sur les Quais , Ports et
Halles de Paris , rétablis par Edit du mois de Juin
1730 seront mis en possession des fonctions et
Droits y attribuez , lorsque tous les Offices auront
été acquis ; que les acquereurs des Offices
d'une Communauté , dont la totalité n'aura point
encore été levée , jouiront seulement de la portion
AVRIL. 1731. 821
tion des droits attachez à leurs Offices ; et qu'en
attendant que la totalité des Offices de chaque
Communauté soit levée , Remy Barbier et ses
Cautions continueront la perception desdits droits
à la charge de payer tous les mois à chaque acquereur
d'Office la portion des droits à lui revenante.
DECLARATION DU ROY , sur les
Insinuations. Donnée à Versailles le 17. Fevrier
1731. Registrée en Parlement le 9. Mars , par
laquelle S. M. a . jugé nécessaire de rappeller les
dispositions des anciens Reglemens à cet égard, et
même de fixer d'une maniere encore plus précise
qu'il n'a été fait jusqu'à present, les Bureaux dans
lesquels les Insinuations des Donations entre-vifs
doivent êtres faites , &c.
ARREST du 5. Mars , qui regle la distribution
des fonds destinez au soulagement des pauvres
Maisons et Communautez de filles Religieuses
du Royaume.
AUTRE du 6. Mars , par lequel Sa Majesté
accorde une Loterie d'Etoffes de Soye , Or et
Argent , en faveur des Créanciers de Gazon -Galpin.
Et veut qu'elle soit , composée de 133000.
Billets de 3. livres chacun , et que les Lots desdites
Etoffes soient, en nombre proportionné,suivant
la division qu'il conviendra faire desdites
Marchandises , dont sera dressé un Etat visé du
Lieutenant General de Police. Ladite Loterie a été
ouverte le 19. Mars et doit être tirée pour la premiere
fois le 11. May suivant , et ensuite de mois
en mois . On a publié differens Avis pour
former le Public de la disposition de ladite Loterie
, avec un Etat des Marchandises qui doivent
la composer , et une Liste de ceux qui ont été
I j commis
in822
MERCURE DE FRANCE
commis par M. Herault , pour la distribution
des Billets.
2
2
ORDONNANCE DU ROI , du io . Mars
concernant les Cavaliers , Dragons et Soldats ,
qui aprés avoir obtenu leurs Congez absolus
voudront prendre de nouveaux Engagemens. Par
laquelle il est dit , que Sa Majesté étant informée
que la plus grande partie des Cavaliers , Dragons
et Soldats , qui sont dans le cas d'obtenir des
Congez absolus , aprés avoir rempli le temps de
leurs engagemens , au lieu d'en prendre de nouveaux
avec leurs Capitaines , lorsqu'ils ont intention
de continuer leurs services dans les Troupes
, en sont souvent détournez par les proposi
tions qui leur sont faites avant l'expiration desdits
Congez , par d'autres Capitaines de la même
garnison , pour les attirer dans leurs Compagnies
; Et voulant remedier à un abus égaleanent
contraire au bien de son Service , et à la
bonne intelligence qui doit regner entre les differens
corps et les Officiers dont ils sont composez
, 5. M. a défendu et défend très expressement
à tous Capitaines d'Infanterie , Cavalerie et
Dragons , d'engager et recevoir en leurs Compagnies
aucun Cavalier , Dragon ou Saldat des
autres Compagnies , avec lesquelles ils seront en
garnison , quoique porteur d'un Congé absolu ;
à peine ausdits Capitaines d'être cassez , et de
perdre ce qu'ils auront payé pour lesdits engagemens
, et ausdits Soldats , Cavaliers ou Dragons
, de continuer à servir dans la Compagnie
qu'ils auront quitté , pendant le temps porté par
leur nouvel engagement , et d'être punis comme
déserteurs s'ils s'en absentent sans Congé. Défend
pareillement Sa Majesté à tous Capitaines ,
quoique de garnison differente , de recevoir en
·
leurs
AVRIL. 1731. 823
Jeurs Compagnies aucun Cavalier , Dragon on
Soldat sortant d'une autre Compagnie avec Congé
absolu , pendant le temps d'un mois , à compter
du jour de la date dudit Congé : Permet Sa
Majesté , en cas de contravention , au Capitaine
de la Compagnie que ledit Cavalier , Dragon ou
Soldat aura quitté , de le reprendre en celle on it
aura passé avant ledir terme expiré , pour continuer
ses services en sa premiere Compagnie pen-
"dant le tems de son nouvel enrollement , ainsi
qu'il est dit ci-dessus , en restituant au nouveau
Capitaine la somme de trente livres seulement
pour le prix d'icelui. Veur au surplus , Sa Majesté
, qu'après ledit terme d'un mois passé , il soit
libre à tous Cavaliers , Dragons et Soldats por
teurs de Congez absolus , de prendre partie en
telle Compagnie qu'ils jugeront à propos , à
l'exception seulement de celles avec lesquelles ils
étoient en garnison lors de l'expedition de leurs
Congez absolus ; et à tous Capitaines étant en
garnisons , ou, quartiers differens , de les recevoir
en leurs Compagnies , sans pouvoir être repetez
sous quelque prétexte que ce puisse être , &c.
ARREST du Conseil du 17. Mars , concermant
la Discipline et la Police des trois Corps
de la Medecine .
Le Roi s'étant fait représenter les Arrêts de
son Conseil , des trois Juillet , vingt-cinq Octobré
mil sept cent vingt-huit , et onze Mars mil
sept cent trente-un , Par lesquels sa Majesté , pour
prévenir les dangereux inconveniens de la distribution
d'un nombre considerable de Remedes appellez
Specifiques et autres , qui se fait par diffesens
Particuliers , auroit ordonné qu'ils seroient
examinez , et auroit à cet effet choisi son prenier
Medecin et son premier Chirurgien , avec
I iiij
ceur:
824 MERCURE DE FRANCE
ceux des differens Corps de la Medecine , de la
Chirurgie et des Apotiquaires , qu'Elle a jugé les
-plus capables pour proceder à cet examen. Vu
PAvis du Sieur Herault , Conseiller d'Etat , Lieutenant
General de Police , Oui le rapport , Sa
Majesté étant en son Conseil , a ordonné et or
donne , que les Arrêts des 3. Juillet , 25. Octobre
1728. , et 11. Mars 1731. seront executez selon
leur forme et teneur , et en consequence ordonné
la
I. Qu'il ne sera à l'avenir expedié ni délivré
aucuns Brevets par son Premier Medecin pour
distribution des Remedes particuliers , qu'aprés
avoir été examinez à la Commission , et en conséquence
d'une Déliberation signée de tous ceux
qui la composent ; et que pour plus grande sûreté
dans l'usage desdits Remedes , les Maladies et
les circonstances ausquelles ils seront jugez applicables
, soient specifiez dans lesdits Brevets et
Privileges.
II. Ne pourront lesdits Brevets et Privileges
être accordez que pour le tems et espace de trois
ans , passé lequel temps , seront tenus ceux en
faveur de qui ils auront été expedicz , de les rapporter
, pour en obtenir le renouvellement , qui
ne sera délivré que sur les Certificats donnez par
les Medecins et Chirurgiens des lieux où lesdits
Remedes auront été employez , sur le bon effet
qu'ils auront produit ; Et en cas qu'aucuns desdits
Brevets on Privileges ayent été expediez pour
un temps indéfini , ils ne pourront avoir lieu que
pendant ledit temps de trois années , à compter
du jour de leur date , le tout à peine de nullité
mille livres d'amende applicable aux Hôpitaux
des Lieux , même de punition exemplaire contre
ceux qui auront , ledit temps passé , continué à
distribuer leurs Remedes sans avoir obtenu le
renouAVRIL.
1731. 825
renouvellement de leurs Brevets dans la forme
prescrite ci dessus. 2
III . Veut Sa Majesté que les Minutes desdies
Brevets et Privileges , ainsi que le Registre
qui en sera tenu ,
demeurent entre les mains du
Premier Medecin , pour y avoir recours en cas de
besoin.
2
IV. Et pour éviter toute surprise dans le Public
de la part des Distributeurs desdits Remedes
qui auront été examinez et approuvez , ordonne
Sa Majesté que l'Original des Affiches sera conforme
à la teneur des Brevets qui les autoriseront,
et visé du Premier Medecin , ou de tel autre qui
sera par lui préposé à cet effet à peine de cing
cens livres d'amende.
,
V. Ordonne Sa Majesté que son Premier Me,
decin sera tenu d'adresser un double Imprimé de
chaque Brevet ou Privilege , aux Doyens des Facultez
ou Aggregations de Medecine lesquels
auront soin de l'informer exactement du succès
ou des inconveniens desdits Remedes.
2
VI. Entend pareillement Sa Majesté , que lorsqu'il
arrivera des Maladies Epidemiques ou des
cas extraordinaires jusqu'ici inconnus soit en
fait de Medecine ou de Chirurgie dans la Ville
de Paris , il en soit donné avis à la Commission
par les Medecins ou Chirurgiens chargez du soin
des Malades , lesquels seront invitez , s'il est ainsi
jugé à propos , a venir faire le détail de ladite
Maladie ou desdits cas extraordinaires à ladite
Commission , à laquelle les Medecins et Chirurgiens
des Provinces seront pareillement tenus dans
les mêmes cas d'en envoyer le récit , qui sera
adressé au Premier Medecin , et qui contiendra
aussi la maniere dont les Malades auront été trai
tez , et du tout en sera tenu Registre , dans le
quel sera fait mention du progrès et de l'issue de
la
$26 MERCURE DE FRANCE
la Maladie ou desdits cas extraordinaires.
VII. Enjoint trés-expressément Sa Majesté
tous les Corps des Facultez de Medecine et d'Aggregations
du Royaume , ainsi qu'à tous les
Lieutenans du Premier Chirurgien , de dénoncer
ladite Commission tous Distributeurs de Remedes
, et Colporteurs qui ne se trouveront munis
d'aucun Brevet du Premier Medecin dans
la forme ci - dessus prescrite .
VIII. Et pour prévenir toutes sortes de contestations
et de procès entre les trois professions ,
des Medecins , Chirurgiens et Apoticaires en co
qui peut regarder les differens objets et la police
desdites Professions , veut Sa Majesté que ladite
Commission aprés s'être fait représenter les Statuts
et Reglemens , donne son Avis sur les difficultez
nées ou à naître , concernant l'exercice
la discipline et les limites de chacune desdites
Professions , pour , ledit avis vû et rapporté , y
être pourvû par Sa Majesté.
>
IX. Fait Sa Majesté défenses à tous Gouverneurs
et Magistrats des Villes dans les Provinces,
de permettre à des gens sans qualité comme
Operateurs ou autres , de distribuer et débiter aucuns
Remedes s'ils n'ont été approuvez de
la Commission , et qu'il ne leur soit apparu de
Pexpedition des Brevets ou Privileges dans les
formes 'ci dessus , &c.
AUTRE du 20. Mars , portant Reglement
pour le droit d'Amortissement des sommes données
aux gens de main- morte , à charge de fondation
perpetuelle , quoique sans stipulation
d'emploi.
ORDONNANCE du Roi
Mars , qui fixe à dix ans , la résidence des
du 21.
NégoAVRIL.
173.1 . 827
Négocians et Artisans François dans les Eschelles
du Levant et de Barbarie. Par laquelle S. M.
ordonne ce qui suit.
1. Les Négocians François , qui sont présentement
établis dans les Eschelle's du Levant et de
Barbarie , sur les permissions de la Chambre du
Commerce de Marseille , pourront y continuer
leur résidence pendant dix années , à compter du
jour que la présente Ordonnance aura été enregistrée
dans les Chancelleries de chacune desdites
Eschelles ; aprés lequel temps de dix années , Sa
Majesté enjoint ausdits Negocians de revenir dans
le Royaume , à peine de désobéissance , et aux
Consuls et Vice - Consuls de les y contraindre.
II. Les Negocians qui voudront à l'avenir passer
en Levant et en Barbarie pour s'y établir
prendront le Certificat de la Chambre du Cominerce
de Marseille , en la maniere ordinaire , er:
ne pourront résider que dix ans dans l'Eschelle
qu'ils auront choisie , lesquels dix ans ne compteront
que du jour de leur arrivée sur l'Eschelle
dont le Chancelier adressera son Certificat à ladite
Chambre,
III. Veut et entend Sa Majesté , que les dis
positions des deux précedens Articles ayent licu
et soient observées à l'égard des Artisans et gens
de mêtier , de quelque Profession qu'ils soient
lesquels se trouvent présentement établis dans les
Eschelles de Levant êt de Barbarie , au qui pourront
s'y établir dans la suite,
IV. Les Marchands et Artisans , qui après
avoir résidé en Levant et en Barbarie seront revenus
en France , ne pourront y retourner qu'à
prés un terme de cinq ans au moins , comp
ter du jour de leur départ desdits Pays.
V. Les Commis des Négocians ne seront point
soumis aux mêmes dispositions , pendant tout le
temps
828 MERCURE DE FRANCE.
temps qu'ils seront au service desdits Négocians
François , et qu'ils s'instruiront pour se rendre
capables de participer à leur commerce , et les
remplacer lors de leur retraite , ou en cas de mort,
ou de tout autre évennement.
VI.. Les Domestiques pourront demeurer chez
leurs Maîtres autant de temps qu'ils voudront
les garder ; mais lorsqu'ils leur donneront congé
, et qu'ils seront inutiles sur les Eschelles , les
Consuls les teront embarquer sur le premier bâtiment
destiné pour France.
AVIS.
On donnera dans peu de jours à ce Volu
me un fupplément qui est exacte , actuellement
sous Presse contenan: la RELATION
HISTORIQUE , éxecutée & détaillée
de la derniere Révolution arrivée à Constantinople
, faite en Turc , par un Effendi &
traduite en François ; avec plusieurs circ nstances
de ce grand Evenement , tirées d'autres
memoires fournis par des témoins oculaires,&c.
P
TABLE.
Ieces fugitives , Ode au Cardinal de Fleury ,
627
Réflexions sur Brutus , et sur le discours de M.
de Voltaire ,
Nouvelles de Paphos , Epitre en vers ,
632
656
suite
uite de la Réponse sur la gloire des Auteurs er
des Poëtes "
Paraphrase d'une Ode d'Horace
657
664
Memoire Historique sur les personnes illustres
du Comté d'Eu , & c.
L'Amour Musicien , Cantate ,
667
679
Lettres sur les derniers ouvrages du P. le Courrayer
, &c.
Conte ,
682
688
Réponse d'un Partisan de la nouvelle orthogra
phe , et du Bureau Typographique , à la lettre
d'un Grammairien , &c. ,
Le Lyon et la Brebis , Fable.
Souris nourrie par une Chate ,
Enygme , Logogryphes ,
692
701
704
706
Nouvelles Litteraires , des beaux Arts , &c. L'ar
ticle du P. Ramus , des Hommes Illustres ,
& c. 711
Observation sur une maladie causée par un ver
extraordinaire ,
Nouveau Théatre de l'Opera Comique ,
Nouveau Systême pour attaquer les Places
des Contremines , &c.
725
729
avec >
Histoire des insectes d'Europe , & c.
728
734
735
Recueil de tous les Ouvrages de M. de Launoy ,
&c.
Assemblée publique de la Societé Royale de
Montpelier ,
Sermon prêché devant le Roi ' , par
gui , &c
739
l'Abbé Se-
A 740
Dictionnaire imprimé à Constantinople , &c.
744
Histoire Generale des Pierres , des Mineraux et
des Pierreries , & c. ibid.
Musaum Florentinum. Le Cabinet du Grand Duc
& c, en Estampes , 745
Nouvelles Estampes de Watteau , et autres , 747
NouNouveau
Plan de Paris 748
Lettre au sujet d'un Saint inconnu , 749
Inscriptions anciennes , trouvées nouvellement
751
Ancien Temple d'Hercule découvert , &c. 71t.
Machine mouvante fort singaliere , &c.
Rentrée des Académies ,
75.2
753
Prix proposé par l'Académie des Sciences , 755
Nouveau Voleur ,
Reglement sur les Eaux Minerales ,
Eau sans pareille , Sel specifique , &c.
Memoire sur le mouvement perpetuel
Tableaux en petit point ,
Lanternes de Réflexion >
Chanson Notée ,
Spectacles ,
Idomenée , Opera remis , Extrait ,
757
758
760
762
763
764
766
768
771
Nouvelles Étrangeres. Turquie , Russie , de Pologne
, et de Danemarck , 780
d'Allemagne , d'Italie , d'Espagne , de Portugal
, d'Angleterre ; 782
Addition aux Nouvelles Etrangeres 787
Morts , Mariages , & Baptêmes , 790
Nouvelles de la Cour , &c. 794
Cérémonie du Parlement et de la Chambre des
Comptes , 795
Entré du Nonce , son Audience , et description
des Langes ,
798
Benefices donnez ,
803
Le Linx , Fable,
805
Fête donnée au Vicomte de Polignac , 807
Vers sur la rareté des Canars ,
Morts , Naissances , et Mariages ,
Réponse de Mile de Malcrais de la Vigne
M. Carelet ,
Arrêts Notables , Déclarations , &c.
Avis sur la Relation de Constantinople ,
809
810
M
816
822
830
Errata
Errata de Mars
Age 485. ligne 29. Montour lisez Mautour.
Pr. 16. 1. 28. précédé , l. ils sont précédez.
P 539; L. 2. coutumes , 1. fortunes.
P. 541. 1. 9. simple , L. seule.
P. 43. 1. 23. il est ,
1. c'est.
P. 148. 1. 20. font , l. sont.
P. 55o. 1. 9. l'échauffent , 1. l'étouffent;
190. 1 15. Altique 1. Attique,
P. 197. 1. 20. Cuproglie
1. Cuprugli
P, 620. l. 17. sacite
1. tačite.
Fautes à corriger dans ce Livre.
Page 673. ligne 41. 1409. l. 14. 9. P. 703. 1. 24. Dain , /. Dam.
P. 706. I. 4. fait , l. lait.
P. 707. 1. 20. enchiffrez , 1. et chiffrez.
L'dir noté doit regarderin page 788
LISTE DES LIBRAIRES
qui débitent le Mercure dans les
Provinces du Royaume , &c.
A Toulouſe , chez Enaut & Foreſt.
Bordeaux , chez Raymond Labottiere , chez
Etienne Labottiere , & chez Chapui , fils
au Palais, & à là Pofte.
Nantes , chez Julien Maillard , & chez du
Verger. S
Rennes , chez Jofeph Vattar , Julien Vatar ,
Guillaume Vatar , Jouanet Vatar & la veuve
Garniet.
Blois , chez Maffon.
Tours , chez Maſſon.
Roüen , chez Herault.
Châlons-fur-Marne , chez Seneuze
Amiens , chez la veuve François , Godard &
Redé le fils.
Arras , chez C. Duchamp.:
Orleans , chez Rouzeaux .
Angers , chez Fourreau & à la Pofte.
Chartres , chez Fetil , & chez J. Roux.
Dijon , chez la veuve Armil , & à la Pofte
Verfailles , chez Pigeon.
Befançon , chez Briffaut , & à la Pofte.
Saint Germain , chez Doré.
Lyon , à la Pofte.
Reims , chez Godard.
A Vitry-le-François , chez Vitalis.
Beauvais , chez De Saint.
Douay , chez Willerval.
Charleville , chez P. Thefin.
RELATION
HISTORIQUE ,
EXACTE ET DETAILLEE ,
De la derniere Révolution arrivée à
Constantinople, écrite d'abord en Turc
par un Effendi ; avec plusieurs circonstances
de cet Evenement , tirées d'autres
Memoires.
SUPLEMENT
DU MERCURE DE FRANCE ,
du mois d'Avril 1731 .
Ony a joint une Lettre sur les differentes
Pêches qui se font en Egypte , un Memoire
sur les Villes de la Mecque et de Medine
et quelques Pieces de Poësie.
Chez
A PARIS ,
TGUILLAUME CAVELIER,
ruë S. Jacques , au Lys d'Or.
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conty,
à la descente du Pont-Neuf , au coin
de la rue de Nevers, à la Croix d'Or .
JEAN DE NULLY , au Palais ,
à l'Ecu de France et à la Palme.
M. DC C. X X X I.
Avec Approbation & Privilege du Roy:
XXX:XXXXXXXXXXXX
L
A VIS.
' ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU , Commis au
Mercure , vis - à - vis la Comedie Françoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour
les faire tenir.
On prie très-inftamment , quand on adreffe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
oin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
oujours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non-feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiterant
avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , de les faire porter fur
Pheure à la Pofte , ou aux Mi fageries qu'on
lui indiquera.
PRIX XXIV . SOLS.
>
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AV
ROT.
RELATION
HISTORIQUE ;
exacte et détaillée de la derniere Révolution
arrivée à
Contantinople ; écrite d'abord
en Turc par un Effendi , avec plusieurs
circonstances de cet Evenement , tirées
d'autres Memoires.
L
A décadence des affaires enPerse ,
faute par le Grand Vizir Ibrahim-
Pacha , d'y avoir fait passer
des secours tels que les conjonctures le demandoient
, et l'oppression dans laquelle
le peuple gémissoit depuis long-temps par
les vexations des Ministres , ou de ceux
qui les exerçoient sous leur autorité et
par
l'établissement de plusieurs Impôts
jusqu'alors inconnus en Turquie , sont
A lcs
830 MERCURE DE FRANCE .
les deux causes principales de la Révotion
arrivée le 28. Septembre 1730.
Ce jour qui répond à l'année de l'Egire
1143. le 13. de la Lune de Rebiul Euvel,
un Jeudi à 9. heures du matin , Patrona-
Kalil, (a ) de Nation Albanoise, et quelques
autres gens sans aveu et de la lie du peuple
de Constantinople , comme Mouslouh
Emir- Ali , &c. produisirent ce grand
Evenement , qui par ses circonstances
mérite d'être transmis jusqu'aux siecles
les plus reculez ; il peut servir d'exemple
aux personnes revêtues d'éminens Emplois
, pour leur apprendre que quelques
élevez qu'ils soient , ils ne doivent jamais
perdre de vûë le vil état d'où on les a
tirez , (b) et que le dépôt du Gouvernement
de l'Empire leur étant confié , ils
doivent se comporter d'une maniere à s'attirer
l'approbation generale , comme s'ils
étoient toûjours environnez de vengeurs
de leur mauvaise administration , tels que
Patrona et ses Adhérans , qui tout inca-
(a) Il avoit été autrefois Leventy , c'est- à- dire
Soldat de Marine , et avoit servi sur le Vaisseau
la Patrone , d'où lui est venu le sobriquet de
Patrona. Depuis quelque temps il étoit Jannissaire
, ainsi que Mousloub et Emir- Ali.
(b) L'auteur fait cette refléxion , sur ce que n'y
ayant presque point de Noblesse en Turquie , ce
sont communément des gens de rien qui parvien
nent aux plus grands Emplois.
pables
AVRIL. 1731 . 831
pables qu'ils paroissoient d'une haute
entreprise , ont pourtant forcé le Sultan
Achmet III . d'abandonner le Trône de
ses Ancêtres.
Patrona-Kalil avoit merité plusieurs
fois la mort par ses actions de scelerat.
Il étoit âgé de 40. à 45. ans , de moyenne
taille , dégagée et bien prise , la mine
haute et fiere , portant moustache noire.
Mouslouh , et Emir- Ali , ne valoient pas
mieux que lui ; cependant ces hommes
si méprisables en apparence , tramant
depuis long-temps les moyens d'exciter
le peuple à la révolte , enfin parvinrent à
l'execution de leur dessein execrable . (a)
Voici comme ils s'y prirent.
Ils s'attrouperent d'abord en petit nombre
près d'une Fontaine dans la grande
Place qui est devant la Mosquée de Sultan
Bajazer ; là ils convinrent entr'eux de
se diviser en trois troupes , dont l'une iroit
au Bezestin , qu'elle traverseroit ; l'autre
sortiroit par la Porte de Bacché- Capi ; (b)
la troisiéme par la ruë de Divan Joleu, (c)
(a) Il paroît par cette expression et plusieurs
autres qu'on trouvera dans la suite , que l'Auteur
Turc n'approuve pas la Révolte , quelque bien
qu'elle ait apporté à l'Etat.
(b) Porte de Constantinople , appellée Porte
du Jardin .
(‹) C'est la grande ruë qui conduit au Serrail ,
A iij et
32 MERCURE DE FRANCE
et qu'ensuite elles se joindroient toutes
trois à la Place d'Etmeïdan. (a )
Cet arrangement pris , la Troupe de
Patrona - Kalil , partit la premiere ; ils
avoient un petit Drapeau déployé , le
Sabre à la main , et crioient par tout où ils
passoient , que les Marchands et Artisans
fermassent leurs Boutiques , et que tout
bon Musulman suivît leur Enseigne à
Etmeïdan , où l'on avoit à leur communiquer
de justes prétentions contre le Ministere
présent ; les deux autres Troupes
en ayant fait de- même dans la route qui
leur étoit prescrite , l'allarme se répandit
bien- tôt par tout Constantinople , les
Boutiques furent fermées , et la plus grande
partie des Turcs qui les occupoient
au lieu d'aller au rendez - vous , furent
se cacher dans leurs maisons , (b) ainsi
que les Chrétiens et les Juifs.
Le Grand -Seigneur et le Grand- Vizir
étoient au Camp de Scutary pendant ces
troubles naissants : Mustapha , Capitaneu
se tient le Divan du G. S. d'où elle tire son
aom , comme qui diroit la rue du Conseil.
(4) Etmeidan est une grande Place sur laquelle
donnent les Cazernes des Janissaires , et où on leur
distribue la viande.
(6) La plupart des Marchands et Artisans en.
Turquie , ne logent pas au même endroit où sont
Jeurs Boutiques,
Pacha
AVRIL. 1731 833
Pacha et Kaïmakan , qui en cette derniere
qualité devoit être instruit à porter un
prompt remede , se trouvoit près des Châteaux,
dans le Canal de la Mer Noire,à une
de ses Maisons de Campagne , où il s'amusoit
à faire planter des Oignons de
Tulipes ; et le Reys- Effendy , Secretaire
d'Etat , étoit pareillement à une de ses
Maisons du même Canal , où livré à son
indolence naturelle , il traitoit de bagatelles
ou de fable tous les avis qu'on venoit
lui donner de ce qui se passoit à
Constantinople ; de sorte qu'il n'y avoit
alors dans la Ville aucun Grand d'une certaine
autorité , pour y rétablir l'ordre ,
que le Janissaire Aga et le Kiaya du G.V.
Ce dernier ne fut pas plutôt averti de
l'émeute , dont il avoit plus lieu que
personne de redouter la fureur , que perdant
la tramontane , il fut s'embarquer à
P'Echelle la plus prochaine de son Palais,
et s'enfuit à Eyoup dans le fond du Port.
Quant aù Janissaire Aga , homme
venerable par son grand âge , il assembla
d'abord sa Garde ordinaire , se mit
à la tête et courut au-devant des Rebelles
, pour tâcher de les dissiper ou de
les ramener par la douceur ; mais voyant
qu'il ne faisoit que les aigrir davantage ;
que sa propre Garde , bien loin d'être disposée
à le seconder, murmuroit de ce qu'il
A iiij
ne
834
MERCURE
DE
FRANCE
.
ne se rangeoit pas de leur côté comme
ceux - cy l'y invitoient , et quelqu'un l'étant
venu avertir qu'une autre Troupe
de Séditieux marchoit droit à son Palais.
pour le piller , il ne songea plus qu'à sa
sureté personnelle ; il s'esquiva dans la
foule , se travestit , s'embarqua dans un
Bateau à une seule paire de Rames , afin
d'être moins reconnu et passa à Scutary ,
où il fut s'enfermer secretement dans une
maison qui lui appartenoit , sans informer
de rien le G. V.tant il avoit peur que
ce Ministre ne le fit mourir sur le champ,
pour n'avoir pas prévenu et étouffé dans
sa naissance ce soulevement.
Cependant les Rebelles ayant le champ
libre , leur nombre croissoit à vûë d'oeil;
ils entraînoient comme un Torrent tous
les Turcs qu'ils rencontroient , menaçant
de tuer ceux qui refuseroient de les suivre,
comme effectivement ils en massacrerent
plusieurs qui aimerent mieux mourir
fideles que de vivre traitres à leur
Souverain . Ils forcerent les Prisons et se
firent des Compagnons de fortune d'autant
de Turcs criminels qu'ils y trouverent.
D'ailleurs beaucoup de gens , qui
quoiqu'animez de leur même esprit ,
n'avoient pourtant encore osé se déclater
, n'hesiterent plus à se rendre sous
leurs Drapeaux , dès qu'ils virent des.
com
A V RIL. 1731. 833
mencemens si favorables et si prompts.
Or le feu de la sédition avoit déja fait
de grands progrès avant que le G.V. en fut
instruit,ceux qui étoient venus dans la matinée
de Constantinople à Scutary , et qui
n'avoient vû , pour ainsi dire, que les premieres
étincelles de ce grand incendie ,
lui ayant seulement rapporté que quelques
Bandits s'étoient battus devant le
Bezestin , sur quoi les Marchands naturellement
peureux, avoient pris l'épouvente,
et fermé leurs Boutiques ; mais que le Janissaire
Aga y étant accouru avec da
monde , les avoit fait r'ouvrir, avoit écar
té la canaille , et qu'il n'y avoit plus rien
à craindre. Ensorte que le G. V. trompé
et tranquillité par ces faux rapports , ne
sçût au vrai la cho e que vers les 4. heures
après midy , que le Mufty , le Kaïmakan,
le Kiaya et d'autres principaux Ministres
ou Officiers , vinrent à Scutary lui en faire
le funeste détail
Le Kaïmakan sur tout cherchant à se
disculper , lui dit qu'ayant appris le tumulte
entre 10 et 11. heures , il étoit
venu à Constantinople et qu'aussi - têt
il avoit monté à cheval pour rétablir la
tranquillité , mais qu'à mesure qu'il
faisoit r'ouvrir les Boutiques , les Rebelles
qui le suivoient , les faisoient re
fermer , et que n'étant soutenu d'aucu-
A v ne
836 MERCURE DE FRANCE
nes Troupes pour réprimer leur insolence,
il avoit été obligé de se retirer.
On tint Conseil sur le champ ; mais les
avis y furent si divers et si débattus , qu'il
dura jusqu'à l'entrée de la nuit , et qu'on
n'y résolut rien , sinon d'en aller tenir un
autre chez le G.S. Le résultat de celui - cy
fut qu'il falloit que Sa Hautesse et toute
sa Cour passassent à Constantinople où
l'on seroit plus à portée de remedier à
tout.Pour cet effet on envoya chercher une
Galere , sur laquelle s'embarqua le G. S.
et le G. V. le reste de la Cour les suivit
dans des Caïques , et tous furent débarquer
à minuit à l'Echelle de Top- Capy ,
qui est à la pointe du Serrail..
Le Sultan étant monté à la Kasoda ou
Chambre Imperiale , s'assit dans un coin
du Sopha , d'où il pouvoit entendre tout
ce qui se disoit dans un Appartement voisin
, où le G. V. les autres Ministres , les
Gens de Loy et autres Grands de l'Empire
s'assemblerent déliberer de nouveau
sur le parti qu'il y avoit à prendre dans
une si pressante extrémité ; mais les sentimens
y furent encore plus partagez
qu'au premier Conseil , et l'heure fatale
marquée par le sort pour la fin de
leur Regne étant venu , leurs délibepour
Fchelle du Canon , parce qu'il y en a là em
Baterie,
rations
A VRIL. 1735. 837
rations n'aboutirent qu'à précipiter leurs
destinées ; ils convinrent cependant tous
unanimement à la fin , que le nombre des
Rebelles n'étant pas encore assez.considerable
pour que l'on ne pût esperer de
les mettre à la raison , il falloit avant qu'ils.
se multipliaffent davantage , leur opposer
un Corps de Troupes , et les aller attaquer.
Quoique cet avis fût peut- être le meilleur
, s'il avoit été suivi sans differer , le
G. S. avant de s'y rendre , voulut tenter
une autre voye. Dès qu'il fut jour Sa Hautesse
envoya un Bach Asseski ( c'est un
des principaux Officiers du Corps des
Bostandgis ) à Etmeïdan , ordonner aux
Rebelles de se retirer et les menacer qu'on
feroit main-basse sur eux s'ils n'obéïssoient
promptement. Ils répondirent sans.
marquer la moindre crainte , qu'ils s'étoient
assemblez pour le bien et l'honneur
de l'Etat ; qu'ils avoient des représentations
équitables à faire à leur Émpereur
, et qu'ils ne quitteroient point les
armes qu'on ne leur eût rendu justice.
Sultan Achmet , indigné d'une réponse
si audacieuse , s'emporta fort contre le
G. V. ce qu'il avoit déja fait la veille , et
Paccusa de nouveau d'être la cause de
tout ce desordre . Le Ministre s'en disculpa
et en jetta , comme il avoit déja fait , la
A vj faute
838 MERCURE DE FRANCE
faute toute entiere aussi sur le Kaïmakans
il accabla même ce dernier des reproches
les plus durs en presence de Sa Hautesse ,
vers laquelle se tournant tout d'un coup :
Seigneur, lui dit-il avec transport , souffriras-
tu qu'une ame si vile et qu'un miserable
tel que celui- cy jouisse encore de la
lumiere.
Le Sultan frappé de ce qu'il venoit d'entendre
fit aussi- tôt arrêter le Kaïmakan
puis prenant un ton plus radouci , donna
divers ordres au G. V. sur la situation
des affaires ; l'habile Ministre qui les jugea
impraticables ou inutiles à suivre ,
lui répliqua sans s'amuser à combattre
ses sentimens : Seigneur, dans la crise où se
trouve l'Empire , je ne vois que deux choses
à hazarder, ou que Sa Hautesse se mette
elle-même à la tête de sa Maison et aille
fondre sur les Rebelles , étant persuadée que
sa seule presence pourra les désunir et les déconcerter
, ou qu'elle me permette d'y aller à
sa place , me flattant que je suis assez aimé
des Troupes pour me faire un Party considerable
dès que je paroîtrai.
Le craintif G. S. n'ayant goûté ni l'une
ni l'autre de ces propositions , essaya
vainement de s'attirer du secours du dehors
; il fit déployer le Sangiak- Cherif *
J
* C'est-à- dire le saint Etendart , qui selon les ,
Turs , fut apporté du Ciel à Mahomet par l'Ang
ge Gabriel.
AVRIL. 1737. 83
à la porte du Serail , et fit crier du haut
des murailles que tout Soldat qui voudroit
venir sous cette Baniere pour aider
l'Empereur à soumettre les Rebelles , auroit
30. écus de gratification et qu'on
lui augmenteroit sa paye de deux Aspres *
par jour.
Ces belles promesses ne gagnant le coeur
de personne , il fallut en revenir , mais,
trop tard , au dernier projet du Conseil ,
qui étoit , comme on a dit , de former un.
Corps deTroupes . On choisit les Bostangis
par préference à toute autre Milice
non-seulement parce qu'ils sont les gar
diens naturels du Serail , mais aussi parce
que les Ministres avoient toûjours eû.
quelques égards pour eux, au lieu que les.
Janissaires , les Spahis , les Tobgis et
Dgebedgis , ayant été maltraitez ou méprisez
( sur tout par le Kyaya , qui pendant
son orgueilleuse prosperité les avoit
menacés plusieurs fois en public de les
détruire entierement ) on ne devoit pas.
esperer d'en tirer beaucoup de secours.
dans cette occasion ..
2.
On s'adressa donc aux Bosdtangis , mais.
quand il fut question de les assembler
ceux sur qui l'on pouvoit compter pour
une action de vigueur s'étoient cachez ,
ou avoient pris la fuite , de maniere que
L'Aspre vaut deux Liards.
ne
840 MERCURE DE FRANCE .
ne se trouvant plus que des enfans , des
malingres , ou des gens sans courage , incapables
de faire tête aux Rebelles , on
vît bien qu'il falloit se tourner d'un autre
côté. On jetta les yeux sur le Corps de la
Marine , et le G. S. ayant honoré de la
Charge de Capitan Pacha Abdi- Capoudan
, qui avoit la Charge de Maître du
Port de Constantinople , homme de résolution
; il l'envoya à l'Arsenal pour s'y
faire reconnoître en cette qualité : on lui
tira à cet effet cinq coups de Canon de ce
lieu , et tous les Vaisseaux arborant leur
Pavillon , lui en tirerent chacun un. Ce
nouveau General de la Mer, pour donner à
son Souverain des preuves de sa reconnoissance
et de son zele , ordonna aux Galeres
de se rendre à la pointe du Serrail , et fit en
même-tems battre la Caisse au nom du G.S.
›
en'
Cette opération cut d'abord assez
de succés et l'on avoit déja débarqué
au Sérrail environ 300 Leventis , ou
Soldats de Marine , lorsque Patrona Kalil ,
tombant tout à coup sur l'Arsenal
chassa le Capitan Pacha , et fit sçavoir aux
Léventis que s'ils embrassoient la deffense.
de la Cour , il ne leur feroit aucun quar-`
tier , et qu'il brûleroit tout à la fois leurs.
maisons , les Vaisseaux et les Galeres de Sa
Hautesse. Ces menaces firent de si fortes:
impressions sur les Soldats de la Marine ,
que
AVRIL. 1731. 841
que ceux qui alloient encore au Serrail
pour s'enroller , s'en retournerent , et la
plûpart de ceux qui y étoient déja , et qui
avoient reçû chacun 25 écus de présent ,
trouverent le moyen de s'évader de côté
et d'autres , sous divers prétextes .
Patrona- Kalil se ressouvenant qu'il avoit
été autrefois condamné à mort , pour un
assasinat , lors qu'il étoit Léventis sur le
Vaisseau que commandoit alors le même
Abdi - Capoudan , et que cet Officier lui
avoit sauvé la vie , saisit cette occasion
pour lui en marquer sa gratitude : il le fit
revenir à l'Arsenal , le rétablit dans sa di
gnité de Capitan- Pacha , et l'assura de sa
protection ; mais il emmena avec lui le se
cours que ce dernier avoit destiné au Sultan
, et l'augmenta de tous les malfaiteurs.
Turcs qui etoient , tant dans le Bagne
lieu où l'on enferme la Chiourme , que
sur deux Galères , d'où il les retira , et à
la faveur desquels , contre son intention
plusieurs Esclaves Chrétiens se sauverent ;
si bien que Sa Hautesse se voyant totalement
frustrée de ses esperances du côté
des armes fut obligée d'avoir recours à
la négociation.
J
د
On n'entrera point ici dans le détail de
toutes les allées et venues des Agens de
l'Empereur et de Patrona , non plus que·
des menaces verbales et par écrit , qui fu
rent
42 MERCURE DE FRANCE
›
rent faites de part et d'autre durant ces
jours de discussions intestines , mais nous
renfermant à rapporter l'essentiel de tout
cela , nous dirons que le vendredy , vers
le soir , S. H. renvoya le Bach- Assekу
un des principaux Officiers des Bostangis
demander aux Rebelles ce qu'ils voufoient
> et quelles étoient leurs intentions.
Ils répondirent qu'ils prioient le
Sultan de leur faire remettre en vie le
Mufty , le G. V. Ibrahim-Pacha , avec
Mustapha-Pacha , Caïmacan , et le Kyaya
Mehemel , tous deux Gendres du G. V.
et qu'à l'égard de S. H. ils étoient trèssatisfaits
de son Régne , et lui souhaittoient
toutes sortes de prospéritez .
Le G. S. sur cette réponse , fit arrêter le
Kyaya ; que l'on consigna aux Bostangis
, comme on leur avoit déja consigné
Te Kaïmacam ; pour le Mufty et le G. Vizir
, le Bach Assesky eut ordre de retourner
vers les Rebelles , et de leur dire que
le Sultan alloit déposer et exiler ces deux
Ministres ; qu'il les prioit de vouloir bien
se contenter de cette punition , et ne pas
exiger qu'on les privât du jour , en reconnoissance
de ce qu'il leur livreroit les
deux autres pour en faire ce qu'ils jugeroient
à propos .
Le Bach-Asseky rapporta , que les Rebelles
se contentoient bien de la déposition
AVRIL. 1731. 843
tion et de l'éxil du Mufty , mais qu'ils persistoient
à vouloir le G. V. L'Empereur ,
malgré son affection pour ce Ministre
qui d'ailleurs étoit son Gendre , voyant
après avoir tenu plusieurs conseils avec
les Gens de Loy , qu'il ne pouvoit le sauver
sans risquer de se perdre lui- même
lui envoya demander son cachet par le
Kislar Aga, et le fit ensuite conduire dans
l'Appartement qu'on nomme Musafir-
Oda , ( ou Chambre des Etrangers ) sans
lui faire aucun mauvais traitement. Cela
arriva le Samedy à midy , et la Charge
de G. V. demeura vacante depuis ce moment
jusqu'à 9 heures du soir , que S. H.
en honora Mehemet - Pacha , aussi l'un
de ses Gendres. Il avoit été Selictar- Aga ,
ou Porte-Sabre du G. S. et étoit sorti depuis
peu du Sértail avec la qualité de Vizir
à trois queues , qui le faisoit conseiller
cubé ou de voute , c'est - à- dire , qu'il
avoit séance au Conseil qui se tient dans
un lieu vouté.
Pendant que tout étoit en agitation dans
le Sérrail , fes Rebelles n'étoient pas oisifs
dans la Ville ; ils détachercnt plusieurs
partis , dont les uns furent piller quelques
maisons de proscrits , ( c'est- à- dire de
ceux qui avoient eu directement ou indirectement
quelque part au Ministere )
entr'autres à Galata , celle du Vaivode →
on
844
MERCURE
DE
FRANCE
où ils trouverent beaucoup d'argent
qu'ils jetterent par les fenêtres , ainsi que
tous les meubles , disant que des Musulmans
ne devoient pas profiter des rapines
et des extorsions que cet indigne Officier
avoit fait sur les Dgiaours , ou Infideles ,
& comme c'étoit leur bien , qu'il étoit
juste qu'ils le reprissent , effectivement
nombre de Grecs et d'Arméniens et de
Juifs ramasserent ce qu'ils voulurent
sans que les Turcs s'y oposassent ni prissent
rien pour eux .
2
D'autres furent crier de nouveau par les
rues , car ils avoient déja crié , sur les me
naces que le G. S. avoit faites , d'appeller
ses sujets Chrétiens à son secours , ) que
pourvû queles Infideles nes'attroupassent
point , et qu'ils se tinssent tranquillement
chez eux , il ne leur seroit pas fait le
moindre tort , et cela s'observa religieusement
en general. Patrona ayant exigé
par serment de tous ses Camarades , qu'ils
ne commettroient aucun excès , il y cut
pourtant quelques coquins qui le fausserent
, mais ceux que l'on reconnut ou que
l'on prit sur le fait furent punis de mort
par
l'ordre même des Chefs de la rebel-
* Cette Charge réunit les fonctions de Gou
verneur et de Lieutenant de Police , le Vaivode de
Galata étend son distric jusqu'à la Mer Noire , le
long de la côte d'Europe.
lion.
AVRIL. 1731. 845
fion. Ils firent publier aussi que les Boutiques
où se débitent les choses necessaires
à la vie fussent toujours ouvertes , et
si bien garnies , que cette Capitale du
monde et ses vastes Fauxbourgs ne souffrissent
aucune disette .
Quoique toutes les Milices fussent dèslong-
tems révoltées dans le coeur , cependant
les deux premiers jours de la sédition
, il ne paroissoit pas que les Jannissaires
, les Topgis et Dgebedgis y rempassent
, du moins ouvertement , affectant
au contraire une espece de neutralité , qui ,
à la verité , ne les excusoit pas envers leur
Souverain.
,
Mais les Rebelles s'étant emparés du
Dgebe-Kané, ils se partagerent en deux
bandes , les uns furent inviter les Jannissaires
à se joindre à eux pour les aider
leur dirent- ils , à consommer une entreprise
aussi utile et aussi glorieuse à l'Empire
qu'étoit celle qu'ils avoient commencée
, tandis que les autres étant passez
à
Top-Hana, sollicitoient la même union auprès
des Topgis , et Dgebedgis ; ces differens
corps firent mine quelque tems par
un reste de bienséance , de ne vouloir pas
se prêter à leurs instances réïterées , mais.
* Gebé- Cavé , Magazin proche le Serail , on
sont les poudres , le plomb , et autres munitions,
de Guerre.
846 MERCURE DE FRANCE
y cédant à la fin ils y consentirent , a
moins tacitement.
Les Rebelles qui n'en demandoient pas
davantage , entrerent alors dans les Odas,
ou chambres des Cazernes de ces Troupes
,
d'où ils enleverent sans obstacle , les
tentes , les grandes marmites , et autres
ustanciles qu'ils transporterent à la place
d'Etmeïdan , où ils dresserent un Camp
dans les formes . Bientôt après , les Jannissaires
et les autres Milices les suivirent ,
faisant pourtant toujours semblant d'y
être forcez , quoiqu'ils courussent à l'envi
les uns des autres , pour arriver des premiers
au lieu de l'Assemblée , excepté les
Officiers , qui demeurerent constamment
attachées au G. S. et dont la plûpart s'étoient
déja retirez au Sérrail.
Cette jonction de la Soldatesque aux
Rebelles , acheva de déconcerter la Cour :
l'Empereur voulut cependant faire encore
une tentative auprès d'eux pour en obtenir
la grace d'Ibrahim - Pacha , mais ils
répondirent insolemment qu'ils avoient
assez fair , de pardonner au Mufty, à quoi
ils ne s'étoient même déterminez qu'en
consideration de son sçavoir , et de la
qualité de Chef de la Loy , et qu'ils vouloient
absolument qu'on leur remit le
G. V. et ses deux Gendres , pour leur faire
rendre compte de leur administration .
Le
AVRIL: 1731.
847
Le Sultan convaincu par l'opiniâtreté
de ces mutins , qu'il qu'il ne lui étoit
pas possible de soustraire son Ministre à
leur fureur , le fit condamner par le Kadilisker
d'Asie avec le Kaïmacan et le
Kyaya, à être étranglés, et ordonna qu'on
porteroit leurs corps à Etmeïdan .
,
Le Kyaya Mehemel , n'eut pas plutôt
appris , quand on vint le tirer de sa prison
, que c'étoit pour le mener au Kapon-
Orasy , endroit du Serail où l'on execute
les criminels d'Etat , que la frayeur dont
il fut saisi prévint les Bourreaux , et lui fit
rendre l'ame sur le champ ; ils ne laisserent
pas de le traîner au lieu du suplice ;
où par formalité pour l'éxecution de la
Sentence , on lui passa une corde d'arc au
col , ou corde de boyau ; à l'égard du
Vizir et du Kaïmakam , ils conserverent
leur fermeté jusqu'à la fin . Ce dernier fit
tranquillement ses ablutions et ses prieres,
mais le Visir ne fit ni l'un ni l'autre , disant
qu'étant si prés de perdre la vie , il
ne vouloit pas se donner tant de peine.
Ainsi finirent ces fléaux du peuple le
Is
de la Lune
de Rebiul
- Euvel
à 9 heures
du soir , du 30 Septembre
, dans le tems
même
que Sa Hautesse
faisoit
Mehemet
Pacha
G. V.
, Le lendemain matin , les trois cadavres
presque nuds , furent chargez chacun sur
un
$48 MERCURE DE FRANCE
un Chariot , et conduits à Etmeïdan ; le
peuple qui les suivoit , après avoir exercé
sur eux mille infamies , criant le long du
chemin , que tous les ennemis de l'empire
et de la Religion puissent avoir le même
sort. Quand les Rebelles les virent arriver,
ils entrerent dans une colere inexprimable
, se récriant sur ce qu'on ne leur avoit
livré ces traîtres en vie comme le
G. S. le leur avoit promis. On leur répondit
, qu'il n'étoit pas d'usage qu'un Sultan
remit ses Ministres vifs entre les mains
de leurs ennemis , et qu'ils devoient être
contents de ce que S. H. avoit eu la condescendance
de faire pour eux.
pas >
Les Rebelles qui avoient leurs veuës ;
n'eurent garde de se payer de ces raisons ;
ils redoublerent de fureur , et déclarerent
sans ménagement , qu'ils vouloient
qu'Achmet III. fut déposé , et que Mahmoud
, son Neveu fut mis sur le
Thrône.
>
Leur propre sûreté les entraîna dans cet
excès de révolte; faisant réfléxion qu'Ach
met étoit naturellement cruel ; qu'il avoit
fait mourir tous ceux qui avoient détrôné
son frere le Sultan Mustapha II. en 1703 .
pour lui donner sa place ; qu'ainsi ils n'en
devoient pas attendre de meilleur traitement
s'ils le laissoient en état de se venger
des outrages qu'ils venoient de lui
faire
AVRIL. 1731. 849
faire , au lieu qu'en élisant Mahmoud
qui languissoit depuis 27 ans en prison ,
ils auroient sujet d'esperer que ce Prince ,
par reconnoissance de ce qu'il leur devroit
sa liberté et son élevation , n'attenteroit
point à leur vie.
Mais comme il falloit au moins quelque
prétexte spécieux , pour colorer une
infidelité si formelle , non contents des
plaintes ameres qu'ils avoient déja faites'
contre leur Souverain , de ce qu'il leur
avoit manqué de parole en leur envoyant
morts les trois Ministres ; ils feignirent de
croire ( et peut-être le crurent- ils effectivement
) que ce n'étoit pas même le corps
du G. V. qu'on leur avoit apporté , mais
celui d'un forçat de Galere , qui lui ressembloit
, et que l'on avoit substitué à sa
place.
La verité est que ce Ministre étoit si
méconnoissable après sa mort , ( ce qui
avoit même fait répandre dans le public
qu'il s'étoit empoisonné ) que son premier
Batelier qui le voyoit tous les jours depuis
long- tems , affirma que ce n'étoit pas lui.
et qu'on verifia d'ailleurs qu'il n'étoit pas
circoncis . Il est vrai que Ibrahim étoit né
Chrétien , et que dans le fond , n'ayant
aucune Religion , il ne s'étoit pas embarrassé
de se faire circoncire quand il vint
d'Asie à Constantinople , professer l'exte
rieur du Mahometisme.
850 MERCURE DE FRANCE
que
Quoiqu'il en soit , les Rebelles se crurent
suffisamment authorisez à soûtenir
le G. S. les avoit doublement trompez
; ainsi , après avoir assouvi leur rage
sur les cadavres du Kaïmakam et du
Kyaya , qu'ils pendirent ensuite à deux
arbres , pour en donner le spectacle à tout
le peuple , ils attacherent à la queuë d'un
cheval celui du malheureux Ibrahim , et
le traînerent jusqu'à la porte du Serrail ;
là, par des clameurs affreuses , ils demanderent
qu'on leur remit en vie le veritable
Ibrahim , avec le Deys- Effendi , et
toutes les créatutes du premier , ajoûtant
que puisqu'on ne pouvoit compter sur
les promesses d'Achmet , et qu'il s'obstinoit
contre toutes les Loix à proteger un
monstre qui avoit désolé l'Empire , il n'étoit
plus digne de régner , et qu'il falloit
le renverser du Thrône pour y placer
Mahmoud , qu'ils avoient déja proclamé
Empereur.
Le Sultan - Achmet mit en vain tout
en oeuvre pour tâcher de les calmer , leur
faisant offrir des récompenses considérables
, et de leur sacrifier toutes les victimes
qu'ils demanderoient ; ils furent infléxibles
, et s'en retournant à Etmeïdan
ils jetterent en chemin le cadavre d'Ibrahim
auprès d'une belle Fontaine , que
se Ministre , qui étoit magnifique en
tout ,
AVRIL. 1731. 851
tout , avoit fait construire depuis deux
ans pour l'ornement de la Ville et la
commodité du Public.
>
l'é-
Les Rebelles , quoique résolus à ne se
point relâcher sur la déposition d'Achmet
, avoient pourtant besoin , pour
xécution d'un projet de cette importance,
d'être guidez par quelqu'un qui eût des
lumieres et du crédit , et qui entrât en
même-tems dans leurs sentimens . Ils trouverent
ce qu'ils cherchoient lorsqu'ils s'y
attendoient le moins , dans la personne de
Ispiri-Zadé , Prédicateur ordinaire de la
Cour et de Sainte Sophie . Cet hipocrite ,
qui , sous un air simple et mortifié , cachoit
une ambition démésurée , et qui
avoit reçû dans cent occasions des bienfaits
de l'Empereur , s'abandonnant à
l'ingratitude la plus noire , fut lui - même
trouver les conjurez ; il les confirma par
ses pernicieux conseils dans leur abominable
dessein leva toutes les difficultez
qu'ils croyoient le pouvoir faire échouer ,
et se chargeant de conduire l'affaire , il
fut au Serrail vers le soir du 16 de la Lune
( le premier Octobre ) dans le tems que
le G. S. étoit à la Kas- Oda , et que tous
les Ministres , les gens de Loi , et autres
Grands de l'Etat , étoient dans un
Kiosk ( espece de Pavillon ) consternez et
violemment agitez.
,
B Dès
852
MERCURE
DE FRANCE
Dès qu'il parut , chacun s'empressa de
le questionner sur ce qui se passoit dans.
la Ville ; il dit , contrefaisant l'homme
abbatu de tristesse , que les Rebelles ne
vouloient plus en aucune façon , qu'Achmet
restât sur le Trône ; et qu'après tout ce qu'il
avoitfait enfaveur de ce Prince , pour vaincre
leur animosité contre lui , il étoit inutile de
se flatter qu'on put les faire changer de réfolution.
A ces paroles toute l'Assemblée devint
comme immobile , et n'eut pas la force de
proferer un mot ; le perfide Ispiri -Zadé
voyant que personne ne se mettoit en devoir
d'aller annoncer cette nouvelle au
Sultan , il y fut de lui- même.
Hé bien , qu'y-a- t'il , lui dit Achmet ;
les Rebelles font- ils toujours à Etmeidan ?
Pourquoi ne se retirent-ils pas , pour vaquer
chacun à ses affaires ? Je les aifavorisez audelà
de ce que je devois , je leur ai offert des
préfens , et de leurfaire justice de tous ceux
dont ils croyent avoir à se plaindre , que veu
lent- ils , que souhaittent-ils encore ?
Seigneur , lui répondit cet homme pervers
,d'un ton ferme, et pourtant composé
, ton régne est fini , et tous tes sujets révol
tez ne te veulent plus pour Empereur, Alors,
Achmet se levant brusquement , répliqua
, et pourquoi ne me le disiez- vous pas
plutôt ? Vous vene ici tous les jours , d'où
و
vient
AVRIL. 1731. 853
vient tant tarder à me l'apprendre ? Puis sans
hésiter il courut à l'Appartement du Prince
Mahmoud , son Neveu ; le prit par la
main , le conduisit à la Kasoda , où il le
plaça lui-même sur le Trône , le salua Empereur
le premier , et lui dit entr'autres
choses fort touchantes : Souvenez - vous
que votre pere ne perdit la place que je vous
céde aujourd'hui , que par son aveugle complaisance
pour le Mufty Feyz -Oullah Effendi
, et que je ne la perds aujourd'hui moimême
que pour m'être trop confié à Ibrahim-
Pacha , mon Vizir , profitez de ces deux
grands exemples ; ne vous attachez à vos
Ministres , et ne vous reposez sur eux qu'avec
beaucoup de circonspection. Si j'avois
toujours suivi mon ancienne politique de ne
jamais laisser les miens trop long-tems en place
ou de leurfaire rendre souvent un compte
exact des affaires de l'Empire , j'aurois peutêtre
fini mon régne aussi glorieusement que je
Pai commencé. Adien , je souhaite que le
vêtre soit plus heureux ; je vous recommande
mes enfans et ma personne. Ensuite , l'infortuné
Achmet fût s'enfermer de lui-même
dans la prison , d'où il venoit de tirer son
Neveu .
Les fils d'Achmet s'enfermerent avec
lui ce jour- là ; Mahmoud l'ayant ainsi
ordonné pour consoler son Oncle , mais
le lendemain ces Princes furent logez ail-
Bij leurs ,
854 MERCURE DE FRANCE .
leurs , les trois plus jeunes ensemble , et
les trois aînez , chacun dans un Appartement
séparé.
Cette abdication se fit le 2 Octobre à
deux heures du matin : tout ce qui se
trouva dans le Serrail de Ministres et de
Gens de marque , fut admis cette nuit
même à baiser la veste du nouveau Sultan
.
Le jour venu , on lui éleva un Trône de
vant le Babiseadet , ou la Porte heureuse ;
c'est une porte du Serrail qui conduit à
l'Appartement où le G. S. donne Audien-.
ce aux Ministres Etrangers ; et c'est dans
cet Appartement que tous les Grands de
l'Empire , en Corps , vinrent le reconnoître
Empereur, et lui baiser la veste . Aussitôt
les Crieurs publics annoncerent son
Avénement par toute la Ville.
Le même jour , une Galere transporta le
Mufty à Tenedos , lieu de son exil, Les
Rebelles l'avoient redemandé de nouveau
pour le faire mourir , mais les Gens de
Loy agirent si efficacement , qu'ils lui sauverent
la vie ; dans le fond c'est un fort
bon homme , dont la viellesse et la douceur
naturelle ont peut-être été les seules
causes du seul crime qu'on lui a reproché,
de ne s'être pas opposé avec la vigueur
qu'éxigeoit son caractere , aux malversa
tions qu'il voyoit commettre,
Le
AVRIL 1731. 855
Le 3 Octobre , le G. S. curieux de connoître
le premier Chef de ces gens téméraires
, à qui il devoit l'Empire , commanda
qu'on lui fit venir Patrona-Kalil , lequel
se présenta comme il étoit vêtu ordinairement
, c'est - à- dire , en simple Janissaire
, et les jambes nuës. Il s'avança d'un
air assûré jusqu'au Trône du Sultan , et
lui baisa la main : Que puis -je faire pour
toi , lui dit Mahmout , tu es en droit de me
demander toutes les graces que tu voudras.
Cet homme de néant , et chargé de crimes
, mais subtil et plein d'artifice , montrant
alors des sentimens plus nobles et
plus élevez, que sa naissance et sa vie passée
ne sembloient en devoir promettre ,
répondit à l'Empereur , que jusqu'à présent
il avoit tout ce qu'il avoit le plus désiré
, qui étoit de le voir sur le Trône
Ottoman et que pour l'avenir
sçavoit bien qu'il n'avoit rien à attendre
de Sa Hautesse qu'une mort honteuse et
prochaine. Je te jures par les manes de mes
Ancêtres , répondit le G. S. que je ne te ferai
jamais de mal ; demande moi seulement
quelle récompense je te puis donner , je te
l'accorde d'avance. Puisque votre bonté
Imperiale est sans bornes , répondit Patrona
, je vous prie de vouloir bien supprimer
tous les nouveaux impots dont vos fideles sujets
ont été accablez sous le précédent Minis-
,
B iij
*
,
il
tere.
856 MERCURE DE FRANCE
>
tere. Mahmout y souscrivit sans hésiter
et sur le champ cette suppression fut publiée
par tout .
Ce jour- là , le G. S. confirma Mehemet-
Pacha , dans la Charge de G. V. et lui
nomma pour Kyaya le vieux -Nik-Deli-
Hali-Aga , qui avoit été fort attaché à
l'Empereur Mustapha , pere de Sa Hautesse
.
Le 4. les Rebelles furent piller quelques
maisons de proscrits , et rompirent
le Sceau Imperial qu'on y avoit apposé.
Le Sultan fut vivement picqué de ce manque
de respect ; mais n'étant pas en état
d'en marquer son ressentiment , il les envoya
prier de cesser ces sortes d'éxecutions
, et leur fit représenter , que puisqu'ils
l'avoient mis sur le Trône , ils lui
devoient laisser le soin et l'autorité de punir
les coupables de la maniere qu'il conviendroit.
Bien loin de se rendre à ses
remontrances , et si douces et si justes ,
ils répondirent qu'ils ne discontinueroient
point leurs vengeances qu'ils ne l'eussent
satisfaite eux - mêmes et demanderent
pour la seconde fois qu'on leur remit le
Reys Effendi , le Tchiaoux Bachy , et plu
sieurs autres , ce que la Cour ne pût et ne
jugea pas à propos de faire , le Reys - Ef
fendi , entr'autres , étant alors si bien ca
ché qu'on le croyoit en fuite.
,
Le
AVRIL. 1731. 857
,
Le 5. ils pillerent encore deux grands
Palais , en Asie , sur le Canal de la
Mer Noire et cependant le Grand-
Seigneur ne laissa pas de confirmer dans
leurs emplois , tous ceux qu'ils en avoient
revêtus , comme les nouveaux Janissaire-
Aga , Topgi -Bachi , &c .
Il est d'usage , selon les constitutions de
l'Empire Ottoman , que quand ' un Sultan
vient à mourir de mort naturelle , et
que le Prince qui doit lui succeder monte
sur le Trône , celui - ci n'est point obligé
de faire aucune gratification aux Troupes
; mais que lorsque par une révolution
comme celle-ci , un Prince parvient à
l'Empire , il doit leur augmenter leur
paye et leur faire un présent , ce
qui se pratique de la maniere suivante.
2
Chaque Cavalier a 1000. aspres de présent
( 25. liv . ) et deux aspres dé paye , de
plus qu'il n'avoit par jour , ou s'il l'aime
mieux , car cela est à son choix , que le
présent soit converti en paye journaliere ,
alors on la lui augmente de trois aspres au
lieu de deux ; de même les Janissaires ,
les Tobdgis , et les Dgedbedgis , ont cinq
aspres d'augmentation de solde , et point
de présent , ou s'ils préferent de le tou
cher , on leur donne 3000. aspres pour
ce présent , ou 75. liv . et leur solde n'est
B iiij aug858
MERCURE DE FRANCE
augmentée que de deux aspres.
Le nouveau Sultan , étant dans le cás
de ces libéralitez d'obligation , fit venir
le Tefterdar , ou le Grand Trésorier , et
les autres personnes chargées du maniement
des deniers Imperiaux , et ordonna
de tenir prêt l'argent qu'il falloit pour
P'acquitter envers les Milices. Ces Officiers
dans la vûë de faire leur cour , ne voulurent
point toucher aux Trésors de l'Etat
quoique depuis l'établissement de l'Empire
, ils n'eussent jamais été si remplis
étant assurez de trouver dans ceux que
le
Grand Vizir , son Kyaya et le Capitan
Pacha avoient amassez des fonds plus
que suffisans pour le payement en question
.
J
Ils firent chercher avec soin , quelquesuns
des plus affidez Officiers de ces trois
Ministres , pour en tirer des lumieres touchant
le bien de leurs Maîtres . On amena
d'abord au Tefterdar un jeune homme
qui avoit été L'Anactar- Oglan du Grand
Vizir , ( c'est comme qui diroit un gentilhomme
de la Clef, ) et qui en avoit eu
toute l'amitié et toute la confiance ; il dit
que pourvû qu'on ne lui fit point de
mal ,il découvriroit de grandes richesses ;
on l'assura que bien loin de le maltraiter ,
on le recompenseroit . L'Anactar un peu
remis de son trouble , et d'ailleurs ne pouvant
AVRIL. 1731. 859
*
vant mieux faire , puisque s'il eut voulu
garder le secret , on le lui eut arraché
par les tourmens , conduisit le Tefterdar
dans une cour du Serrail du Grand Vizir
, où ce Ministre avoit fait bâtir un
Colombier ; on creusa dessous , à l'endroit
qu'il indiqua , et l'on en tira quatre
cofres de fer , dont trois fort grands ,
renfermoient chacun 18. longues bourses
de cuir , de 60. mille Sequins Fondoukli
chacune. Le Sequin Fondoukli , étant évalué
à 400. afpres fait 10. livres monnoye
de France , ces trois coffres contenoient
la somme de 32. millions 400 .
mille livres.
A l'égard du quatrième , il étoit à la
vérité beaucoup plus petit , mais il étoit en
récompense rempli de pierres précieuses
d'une beauté singuliere , et d'un prix inestimable
, aussi bien que les riches étoffes et
les tapis de Perse et des Indes,les fourures ,
les Bijoux , les curiositez de tous les Pays ; en
un mot, les hardes et les meubles superbes
que l'on trouva en profusion dans ce Palais.
On se saisit ensuite du Kyaya du Harem:
un Eunuque noir , ayant l'Intendance de
l'appartement des femmes de Mehemet ,
Kiaya d'Ibrahim - Pacha , qui avoit aussi une
connoissance parfaite des grands biens de
cette sangsuë de peuple. Dès qu'il fut pré-
Bv senté
860 MERCURE DE FRANCE
senté au Tefterdar , il lui confessa tout , et
le mena dans les differens Souterains que
son Maître avoit fait construire pour enfoüir
ses trésors. Il dit que quand Mehemet
avoit fait remplir un coffre , il le
faisoit porter par des portefaix jusqu'à une
certaine distance du lieu où il vouloit que
son argent fut déposé , et que lui , Kyaya
du Harem se travestissoit
> par son
ordre la nuit ; vuidoit ce coffre à diver
ses reprises et emportoit le contenu
dans la cache , sans que personne s'en fût
jamais apperçu.
,
en
Suivant le compte du Tefterdar on
fait monter à 30. mille Bourses l'argent
comptant de cet infame monopoleur ;
et ses autres biens à présqu'autant ; soic
en pierreries , en Palais , maisons
fonds de terre , en rentes , en habits , ou
soit en denrées ou marchandises , dont il
faisoit commerce. Chaque bourse de soo .
piastres , évaluée 1500. liv. les 30. mille
bourses font 45. millions, de notre monnoye.
3
Quant au Capitan Pacha , il n'a pas
paru qu'il fut à beaucoup près si riche en
especes que
les autres mais outre ses
Palais qui étoient dignes de loger des
Sultans , il avoit une grande quantité
de pierreries plus belles et plus parfaites,
AVRIL. 1731. 861
tes , que celles du Grand Vizir et du
Kyaya , parce qu'il les payoit aussi bien ,
et il s'y connoissoit mieux qu'eux : enfin les
richesses que l'on a trouvées chez ces trois
Miniftres , sont si prodigieuses , que le
Roi Cresus , si fameux dans l'Histoire par
ses Trésors , auroit pû passer pour pauvre
auprès d'eux .
Le Sultan Achmet n'ignoroit pas que
le Kyaya , entre-autres , s'enrichissoit infiniment
au- delà de ce qu'avoit jamais fait
aucun particulier de l'Empire , surtout
d'une aussi basse origine que l'étoit celuilà
, mais au lieu de mettre un frein à ses
concussions , cet avare Empereur , lui facilitoit
les moyens d'en faire tous les jours
de plus criantes , parce qu'il se flattoit que
le vieux Ibrahim son Vizir , mourroit bientôt
; et qu'alors n'étant plus retenu par
aucune considération , il feroit étrangler
le Kyaya , et s'empareroit de tous ses
biens.
Avant que de finir sur le compte de cet
odieux Ministre, il ne sera pas hors de propos
de rapporter une particularité assez singuliere
; sa fille unique étoit promise au
jeune Anactar Oglan , dont on a parlé. It
avoit fait de magnifiques préparatifs pour
la célebration de la nôce , qui avoit été
fixée précisément au soir du jeudi , que la
sédition éclata ,et suivant la coutume tous
B vj les
862 MERCURE DE FRANCE:
les grands de l'Empire lui avoient fait à
ce sujet des présens considerables ; la bienséance
vouloit, ce semble , dans le trouble
et le désordre où la Cour et la Ville
étoient plongées , et dont il avoit paru
lui- même si fort effrayé , quand il se sauva
le matin , que ces nôces fussent remises
à un temps plus tranquille et plus
propre à la joye ; cependant , soit qu'il
se flatât que la rebellion n'auroit point de
suites fâcheuses , ou que son orgueil l'aveuglât
, il passa outre , et insultant au
peuple pour la derniere fois , le mariage
fut consommé à l'heure marquée ; mais
il fut d'un sinistre augure , puisque tandis
que la fille entroit au lit nuptial , le
pere mettoit déja le pied dans celui de la
mort.
}
7
Les richesses du Grand Vizir et de ses
deux Gendres , étant immenses , comme
on l'a pû voir par le petit détail que nous
en avons fait , elles étoient plus que suffis
ntes pour le payement des troupes ; on
déploya donc cinq étendarts à Atmerdam
, sous lesquels vinrent se ranger, et se
fire écrire,tous ceux qui devoient, ou pour
mieux dire , qui voulurent participer à
cette gratification ; car il est bon de remarquer
que d'ordinaire un Sultan , n'est
tenu à faire le présent de son avenement
à l'Empire , qu'aux Militaires en exercice
,
AVRIL 1731. 863
ze , et déja enrolez du temps de son Prédécesseur
, et non à ceux qui ne venant
s'engager , la plupart dans cette occasion ,
que pour profiter du benefice qui l'accompagne
, disparoissent après l'avoir reçû
parce que supposé que parmi ces
derniers , il s'en trouve , qui s'enrollent
avec l'intention de servir , ils doivent
s'estimer assez heureux d'être reçûs au
nombre des Kouls ou Esclaves de sa
Hautesste , avec la paye qu'on leur assigne
; mais le Sultan Mahmout , voulant
commencer son regne par un acte de générosité
, pour se concilier davantage le
coeur des Milices et du peuple
d'ôter tout prétexte aux mal intentionnez
, de continuer la révolte , donna un
Katcherifs pour que les nouveaux Soldats
reçussent également la gratification
comme les anciens , et qu'on délivrât
également aux uns et aux autres deux
quartiers de leur solde.
,
et afin
Malgré cet ordre , cependant le Lieutenant
General des Janissaires , par probité
, ou par reconnoissance de ce que
l'Empereur l'avoit confirmé dans cette
Charge , qu'il tenoit des Rebelles , ne
put voir sans indignation qu'ils abusassent
des bontez de Sa Hautesse , jusqu'au
point d'admettre à cette gratification
comme ils faisoient , un nombre infini de
و
petits
$64 MERCURE DE FRANCE
,
petits enfans , de vieillards et de gens
éclopez ou contrefaits ; il crut donc pouvoir
représenter à Patrona , que si l'on
continuoit de la sorte tous les trésors:
du Grand Seigneur ne suffiroient pas
gratifier tant de gens qui le méritoient
si peu ; mais celui- ci lui dit avec un ton
de Maître , que ce n'étoit pas à lui à vouloir
diriger des finances qui ne lui appartenoient
point et dont il n'étoit pas
chargé de rendre compte , et sans autres
discours , il commanda sur le champ
qu'on mit en pieces ce malheureux Officier
, qui par trop de zéle et de probité
perdit en un instant la vie , et sa nouvelle
dignité.
,
Le Grand Seigneur voyant de plus en
plus par ce qui venoit de se passer , qu'il
ne lui seroit pas possible de rétablir l'ordre
et la tranquillité dans Constantinople
, tant que Patrona y resteroit en armes
, et n'osant entreprendre de s'en défaire
, de crainte de causer une seconde révolution
aussi fatale pour lui , lui , que
que la premiere
l'avoit été pour son oncle , il tenta
de l'éloigner de la Capitale , en lui offrant
un des plus considerables Gouvernement
de l'Empire , et d'y attacher toutes
les marques d'honneur qu'il souhaiteroit.
Mais Fatrona se défiant avec raison
que
AVRIL. 1731. 865
réque
des offres si avantageuses ne cachassent
un piége , répondit qu'il ne se
soucioit pas de dignitez , et qu'il n'étoit
avide que du sang des proscrits , dont
il avoit fait une longue liste. Le Janissaire
Aga qui étoit présent , s'avisa de
vouloir conseiller à l'Empereur,de donner
à Patrona 100. mille Sequins , et de le
laisser le maître de se retirer où bon lui
sembleroit.Je n'ai pas besoin d'argent,
,, pondit ce fier Rebelle , puisque toutes les
bourses de Constantinople sont à mon service
; et lançant un regard terrible sur
le Janissaire Aga , il lui recommanda d'un
ton , et d'un air si impérieux , de ne se
jamais mêler de ce qui le regardoit , s'il
ne vouloit avoir le même sort de son Lieutenant
, que sans rien répliquer , ce General
de l'Infanterie , se prosterna trois
fois devant lui .
ور
"
> et à
Le 6. Patrona nomma de son chef de
nouveaux Officiers , à la plupart des principaux
emplois dans les troupes
mesure qu'ils se présentoient devant lui
il les faisoit revêtir de Pelisses de Samour
de Martre Zibeline , qu'on avoit prises
au pillage des maisons des proscrits . On
publia de nouveau ce jour-là de sa pare
que tous ceux qu'on trouveroit commettant
du désordre , seroient punis de mort
sur le champ. Cette Ordonnance produi
sit
865 MERCURE DE FRANCE
>
sit un si bon effet , que , quoique Gala
ta grand Fauxbourg de Constantinople,
fut plusieurs jours sans Commandant,
le Vaivode , dont la tête avoit été mise à
prix , s'étant sauvé , et que presque tous
les Marchands François qui y demeurent
fussent alors aux Isles des Princes , avec
leurs familles , les Rebelles qui vinrent
piller quelques maisons de Juifs , ne firent
aucunes insultes à celle des François.
Il est vrai , que ce qui contribua beaucoup
à les garantir des brigandages de la canaille,
fut la précaution que leur nation prit d'établir
et de payer une gardepour leur pro
pre sureté , composée des Rebelles mêmes.
Le 7. le Sultan Mahmout' , fut avant
midi à la Mosquée d'Eyoup , qui est dans
le fond du Port de Constantinople , à
environ deux heures de chemin du Serrail,
se faire ceindre le Sabre Imperial ; céré
monie qui tient lieu de couronnement aux
Sultans. Son cortege étoit fort nombreux ,
mais il y avoit beaucoup de confusion ; la
Marche défila entre deux hayes de Janissaires
de Topgis , et de Dgebedgis , en
simple Doloma , qui est l'habit long que
portent ordinairement les Janissaires , en
Calote rouge , sans bonnets de cérémo
nie , et sans armes , comme l'Empereur
l'avoit ordonné ; car il y eut la veille de
grandes contestations à ce sujet ; entre
la
•
t
AVRIL. 1731 867
la Cour et les Rebelles , Sa Hautesse ne
voulant point que personne vint armé à
cette Cavalcade , et ceux- ci au contraire
ne prétendant pas devoir mettre bas les
armes , qu'on ne leur eut donné satisfaction
sur les proscrits , et qu'ils n'eussent
été payez de ce qu'on leur devoit , tant
du présent , que de ce qu'on leur devoit
d'ailleurs ; de sorte que malgré les défenses
du Sultan ils y vinrent bien armez ;
Patrona monté sur un beau Cheval magnifiquement
harnaché , y précedoit le
Grand Vizir , et avoit à sa gauche un
autre Chef de son parti . Ces deux hommes
affectant de mépriser le faste
n'avoient
qu'un petit Turban , l'habit de Janissaire
, et les jambes nuës ; ils jettoient
des Sequins au peuple , et quatre Dervi- .
ches , qui marchoient à pied à leurs côtez,
faisoient les mêmes largesses de leur part.
Le Sultan se distingua aussi par sa generosité
, ayant fait jetter ou distribuer pareillement
50. bourses , au lieu de douze qu'il
en coûte d'ordinaire à un nouveau Grand-
Seigneur dans cette occasion . On revint
par terre comme on étoit allé , le mauvais
temps n'ayant pas permis qu'on prit la
voye de la Mer , comme c'est l'usage.
Le peuple avoit compté qu'après cette
céremonie la tranquilité se rétabliroit , et
qu'on r'ouvriroit les Boutiques; mais l'autorité
868 MERCURE DE FRANCE
, que
torité du Grand Seigneur étoit encore si
mal affermie , qu'on n'osa exposer les
Marchands aux nouveaux désordres
cette ouverture auroit pû attirer; les principaux
Officiers des Rebelles étant même
venus à la Porte le 8. Octobre , et le Grand
Visir leur ayant fait distribuer des Cafetans
et des Chevaux , ils se prirent de paroles
, & et se tiraillerent l'un l'autre , chacun
voulant saisir le meilleur Cheval,
cela jetta d'abord l'effroi par tout
parce
qu'on craignit que ce ne fût une feinte
concertée entre eux , pour exciter une
nouvelle sédition ; heureusement se querellant
de bonne foi , ils se reconcilierent
de même .
د
Patrona , vint aussi peu après voir le
Grand Visir , accompagné seulement de
trois de ses camarades , qui le suivoient à
pied comme des domestiques. Dès que ce
Ministre , tout gendre qu'il est d'un Sultan,
et qui ne se seroit pas levé pour l'Ambassadeur
d'un Souverain , sçut que cet
illustre scelerat arrivoit , il courut vite au
devant de lui jusqu'au bas de l'escalier ,
le mena dans son appartement , où ils resterent
deux heures ensemble , et il le reconduisit
bien civilement au lieu où il étoit
venu le prendre.
Dans le temps que Patrona alloit par
tir , un Bach Asseky , domestique favori
du
AVRIL. 1731. 869
du Grand Seigneur , vint lui parler en secret
de la part de Sa Hautesse : il ne daigna
pas descendre de Cheval pour cela ,
mais se courbant un peu seulement , leur
conversation dura un quart d'heure , après
quoi il s'en retourna d'un air résolu à son
Camp d'Etmeïdan .
Il s'étoit répandu ce jour-là dans la Ville
, que le Grand Seigneur devoit honorer
d'un nouveau Cafetan , Abdi Capoudan
, et le confirmer dans la dignité de
Capitan Pacha ; mais il arriva au contraire
que Sa Hautesse le déposa et mit à sa
place Kafis Mehemet Pacha , jeune homme
de 35. ans , qui n'a aucune experience
dans la Marine : aussi n'étoit-ce qu'en
attendant l'arrivée de Dgianum Codeca ,
un des plus braves et des plus grands
hommes de Mer qui soit dans l'Empire.
Ce même jour , les Ministres Etrangers
eurent permission de la Porte d'expédier
à leurs cours , pour donner avis de
l'avenement de Sultan Mahmout à l'Empire
, et plusieurs Tribunaux de justice reprirent
leurs cours ordinaires , au moyen
des nouveaux Officiers , qu'on y mit pour
remplacer ceux que les Rebelles avoient
proscrits , comme entre-autres , le Vaivode
de Galata , qui fut remplacé par un
ancien Officier du Corps des Baltadgis
lequel avoit déja exercé autrefois le même
870 MERCURE DE FRANCE
me emploi , avec l'approbation generale.
Il est fils de Cherkez - Osman-Pacha
qui dans tous les grands emplois , qui lui
ont été confiez , a donné des marques de
son amitié pour les François , et surtout
dans l'affaire de la restauration du Temple
de Jerusalem.
Le 9. on commanda 20. Janissaires sans
armes , de chaque compagnie , pour aller
prendre à la Porte, l'argent destiné au présent
, et escorter les 150. chariots , chargez
chacun de so . Bourses , qu'on conduisit
en cérémonie chez le Janissaire
Aga , ou la répartition s'en fit pendant
trois jours à 100. mille hommes ; sçavoir
40. mille Janissaires , 18. mille Topgis ,
22. mille Dgebedgis , et 20. mille Spahis
, ce qui fait en tout 11250000. liv .
Le Grand Visir fut importuné de quelques
plaintes au sujet de cette distribution :
plusieurs Officiers deshonorant leur carac
tere , s'aviserent de retenir pour eux une
partie de ce qui revenoit à leurs Soldats :
une conduite si indigne en tout temps , et
si dangereuse dans les circonstances presentes
, méritoit sans doute une punition
exemplaire , cependant ils en furent quittes
pour restituer à qui il appartenoit ,
tout ce qu'ils s'étoient si injustement approprié
; mais il pensa arriver entre les
Rebelles un autre affaire de même espece
,
AVRIL. 1731. 871
ce , qui , pour peu qu'elle eut eu de suites
auroit été capable de ruiner entierement
leur parti .
2
Patrona , qui jusqu'alors s'étoit montré
en public , sous le caractere d'un hommé
désinteressé , faisant apparemment réflexion
, que la gloire toute seule n'étoit
que fumée , voulut lui donner plus de
consistance en y joignant les richesses.
Beaucoup de proscrits cachez , le firent
sonder , pour obtenir leur grace , et lui
offrirent des presens proportionnez à leurs
facultez ; il leur accorda la liberté de se
retirer où ils voudroient , et reçut de l'un
20. bources , de l'autre 30. &c. le tout
sans en faire part à ses Camarades ; ceuxci
n'en eurent pas plutôt connoissance
qu'ils s'en plaignirent avec aigreur. Vous
fçavez bien , lui reprocherent-ils , que nous
n'avons tous pris les armes que pour tirerle
peuple d'oppression, et le délivrer d'une
troupe de Loups raviffants qui le rongeoient
depuis 14. années ; que par l'assistance divine
nous sommes venus à bout de ce
grand et perilleux ouvrage ; cependant
,, vous , Patrona , qui comme notre Chef devriez
nous montrer l'exemple
et être
plus religieux obfervateur du serment que
vous avez exigé de nous , et que vous avez
fait vous même de ne pardonner à aucun
des ennemis de la Patrie , Vous êtes le
د و
و و
ر و
د و
ر و
ور
"
و ر
و
premier
872 MERCURE DE FRANCE
mier qui pour un vil interêt , rompez de fi
saints engagemens. Un peuple infini adresse
ses prieres au Ciel pour nous , en reconnoissance
de notre juste entreprise , et vous êtes
le seul qui s'oppose à son entiere perfection ,
en vendant vosfaveurs aux tyrans de l'Etat
mais ajoûterent - ils , en élevant la
voix : bien loin que vous puissiez rencontrer
en nous des coeurs capables d'applaudir
à cette bassesse , fachez , que fi dans deux
jours vous ne faites retrouver ceux que vous
avez fait évader , nous vous mettrons nous
même en pieces.
,
Patrona , étourdi de la harangue répondit
avec douceur à ses camarades , leur protestant
que malgré le crime dont ils le
chargeoient , sur lequel il ne se mit pourtant
pas fort en peine de se juftifier , son
dessein avoit toûjours été d'exterminér
tous ceux qui étoient sur l'état des proscrits
, et qu'il alloit travailler à leur
donner une pleine satisfaction à cet
égard.
Les pillages , les recherches , les persécutions
continuant donc à Constantinople
et aux environs , le Sultan en fut si
penetré , qu'il convoqua au Serrail `un
grand Conseil , composé de tous les Gens
de loy , à la tête desquels étoit , Mirza-
Zade, nouveau Mufty , et des principaux
Officiers de l'Empire. Il y fut résolu que
le
AVRIL. 1731. 873
le Grand Seigneur donneroit un Katcherif
fulminant , qui seroit adressé et porté
aux Rébelles , par l'Asseky- Aga ou Bacha-
Asseky , et que le Mufty rendroit une
Sentence ou Feiza en conformité , dont
on chargeroit à Ballach Effendi , Lieute
nant General de Police de la Ville.
Il eft bon de remarquer , que cet Officier
qui étoit une espece de fou turbulent
, avoit d'abord pris le parti des Rebelles
, qui l'établirent dans ce poste , et
que la Cour sçachant qu'il étoit en grand
crédit parmi eux , avoit trouvé le secret
de le gagner et de se servir de lluuii ,
pour
porter les Janissaires à plier leurs étendarts
et à rentrer dans leurs cazernes ; effectivement
le Istamboul- Effendi ou
Abdollah Effendi , malgré le dérangement
de son cerveau , avoit si bien negocié
cette affaire , que les plus anciens et
les plus sensez de cette Milice و serendant
à ses avis , s'étoient retirez dans leurs
chambres , avec promesse de se soumettre
aux ordres de la Cour,
Le parti des Révoltez étant considerablement
affoibli par cette désertion ,
l'Istamboul- Effendi , et l'Asseкy- Aga , vinrent
à leur camp ; ce dernier leur demanda
s'ils n'avoient pas reçû leur paye , et
pourquoi n'ayant plus rien à exiger du
Grand Seigneur , ils ne se retiroient pas ;
ensuite
874 MERCURE DE FRANCE .
ensuite il leur présenta le Kacherif , qui
fut lû à haute voix. Il contenoit en substance
, que puisqu'ils avoient fait eux-même
Sultan Mahmout Empereur , et qu'en
consequence ils se reconnoissoient ses
Esclaves , ils devoient lui obéir aveuglement
, et sans délai , qu'ayant d'ailleurs
sujet d'être satisfaits de Sa Hautesse´, qui
leur avoit accordé au- delà de ce qu'ils
avoient souhaité , il étoit juste qu'à leur
tour ils lui donnassent des marques de
leur soumission , afin de rendre le calme
à la Capitale de l'Empire où elle vouloit
absolument faire cesser tous désordres :
que si après avoir eu connoissance de ses
intentions par ce sublime commandement
, ils étoient encore assez ingrats et
assez témeraires , pour ne s'y pas conformer
, elle feroit déployer l'Etendart du
Prophete à la porte du Serrail , et publier
de toutes parts que tout bon Musulman
eut à venir le joindre , pour aller
contre les Séditieux , qui dès ce moment-
là seroient déclarez traîtres , infidelles
et répudiez de leurs femmes , et
qu'on poursuivroit leur destruction jusqu'à
ce qu'il n'en restât pas un seul.
Le Feta du Mufti fut lû ensuite , et
s'exprimant d'une maniere aussi forte , les
Rébelles commencerent à s'ébranler ; mais
ze qui acheva de les réduire du moins
.
en
4
AVRIL. 1731. 875
›
en apparence , fut la déclaration que leur
firent faire les Janissaires . , qui s'étoient
déja rangez à leur devoir ; que s'ils ne
se retiroient pas comme eux ils les
avertissoient que dès que la Baniere
de Mahomet paroîtroit , ils iroient la
défendre et les combattre , jusqu'à la derniere
goute de leur fang.
Les plus mutins intimidez par ces avertissemens
, soit qu'ils rentrassent sincerement
en eux- mêmes , ou que la plûpart
dissimulassent , comme la conduite qu'ils
tinrent depuis donne assez lieu de le penset
, se soumirent enfin , mais à deux conditions
; que la Cour , dans l'esperance
d'avoir la paix , fut encore obligée de
leur accorder la premiere , que le Grand
Seigneur ne feroit jamais mourir aucun
d'eux pour avoir excité la sédition ; la
seconde , qu'ils auroient toûjours cinq
étendarts déployez , pour être en état de
se défendre , si on vouloit entreprendre
quelque chose contre eux.
Ce traité fait , le Mufty se rendit garand
de la parole de Sa Hautesse , et l'Istamboul-
Effendi de celle des Rébelles
qui promirent de ne plus commettre
aucun désordre ; plierent leurs étendarts ,
à l'exception des cinq qu'on leur avoit
accordez , et se retirerent , les uns dans
les cazernes , les autres où ils voulurent .
C Cela
876 MERCURE DE FRANCE
Cela fe passa le douze Octobre.
Conséquemment à cet accord le Grand
Seigneur ayant ordonné le 13. qu'on r'ouvrit
les boutiques , l'affluence du monde y
fut si grande , ainsi que dans les marchez
, sans qu'il y arrivât ni tumulte ni
bruit , qu'il sembloit que la bonne harmonie
fut rétablie ; cependant le même
jour il se commit encore des violences et
des meurtres , dans quelques endroits de
la Ville , qui firent assez juger que le
calme n'étoit pas si général qu'on s'en
étoit flatté , comme on va le voir.
Les Caffez étant à Constantinople ,
comme ailleurs , des lieux où toutes sortes
de gens s'assemblent sans se connoître
, et où il se trouve d'ordinaire beaucoup
de faineants , qui n'ont d'autre occupation
que de parler de nouvelles ; il
y en eut plusieurs de cette espece qui
payerent de leurs vies l'intemperance de
leurs langues. Comme les Révoltez étoient
fort éloignez de se croire criminels , et
qu'ils se consideroient,au contraire, comme
de glorieux liberateurs de la Patrie ,
ils s'étoient eux-mêmes qualifiez du titre
de Serdengueschtis , c'est- à-dire enfans ›
* Serdengueschti , signifie proprement un homme
qui sacrifie sa tête. Quand les Turcs vont à la
guerre , surtout contre les Chrétiens , ils ont toû
jours un corps de ces zelez combattans , dont les
perdus ,
1
AVRIL. 1731.
877
<
C
>
perdus , ou dans un sens plus figuré, Gens
d'honneur , qui se sacrifient pour le bien
public tellement qu'à leurs manieres.
de penser ,, la qualité de Rébelles leur
étoit tout-à- fait odieuse . Il vint donc dans
ces Caffez de ces imprudens Nouvellistes ,
qui tout haut et sans ménagement des affaires
d'Etat , traiterent de Zorbas ou de
Rébelles tous ceux qui avoient pris les
armes contre Achmet ; par malheur pour
eux il s'y trouva de ces enfans perdus
qui les écharperent sur le champ.
, Un de ces derniers , s'étant enivré à
Galata , repaffa le Port , et alla droit à la
Douane de Constantinople , avec deux Domestiques
, il y prit dans la caisse , devant
tout le monde , environ 300. piastres
, dont il donna une partie à ses valets
, et leur fit signe de se saisir de deux
filles esclaves que l'on avoit amenées au
Bureau pour en payer les droits , et trouvant
à la porte un Cheval tout fcellé
monta dessus et s'enfuit ; il fit tout cela
sans que personne s'y opposât , parce que
dans ces temps de trouble on ne sçavoit
à qui s'adresser pour avoir justice , et que
les gens de la Douane ne connoissant point
Officiers s'appellent Serdengueschtis Agalar ,
qui signifie les Messieurs , ou les Chefs des enfans
perdus , et c'est aussi le titre que prenoient
Patrona & les autres Chefs de la Rébellion.
Cij
cet
878 MERCURE DE FRANCE
cet hardi voleur , craignirent qu'ils ne
leur arrivât pis , s'ils lui faisoient la moindre
chose .
Le lendemain 14. un autre inconnu
bien vêtu , et bien monté , vint aussi descendre
à la Doüane , accompagné de six
domestiques ; il entre seul , et va s'asseoir
auprès de la Caisse ; les Commis qui s'attendoient
à une avanture au moins aussi
fâcheuse que celle de la veille , lui font
civilité, et l'invitent à se mettre dans l'angle
du Sopha , qui est la place d'honneur
; notre homme s'y met les saluë
de la tête , et prenant alors la parole :
Qu'est ce donc ,Messieurs , que vous est- il
arrivé hier : le récit lui en ayant été fait ,
tel qu'on l'a rapporté , il appelle un de
ses valets , et lui commande d'aller dans
un endroit de la Ville , qu'il lui désigne ,
et de faire prendre et tuer sur le champ
une personne qu'il lui nomme, Cet ordre
donné , il en donne deux ou trois
autres à peu prés semblables à ses autres
domestiques ; puis s'adressant aux Commis
, qui aussi surpris qu'effrayez , n'osoient
pas ouvrir la bouche. Sçavez vous
bien qui je suis leur demanda-t'il je
m'appelle Mouslouh : à ce nom l'assembléc
frémit sans rien répondre. J'ai , continua-
t'il , un talent tout particulier pour
connoître les honnêtesgens , et les fripons , et
, ,
j'estime
ㄢ
६
AVRIL. 17318 879
Festime autant les premiers , que les derniers
me sont en horreur ; ainsi c'est pour proteger
les uns et pour exterminer les autres que je
viens de donner les ordres que vous avez
entendus. Ensuite il s'informa du nom et
de la demeure de tous ceux qui étoient
présents , et leur promit que si quelqu'un
venoit encore les inquiéter , ils
n'avoient qu'à lui en écrire un mot ;
que dans l'instant même il les vangeroit
des coupables ; après quoi remontant
à Cheval , au grand soulagement de
la compagnie , que ces beaux discours
n'avoient point rassurée , il fut dans un
autre quartier faire la même manoeuvre.
Ce Mouslouh , ci- devant simple Janissaire
, et Marchand de Melons , étoit un
des principaux Chefs des Révoltez , comme
on l'a déja dit au commencement de
cette Relation ; outre qu'il avoit naturellement
de l'esprit et de l'éloquence , il
s'étoit encore rendu recommandable à son
parti , parce qu'il sçavoit passablement
lire et écrire , mérite d'autant plus révéré
dans ce pays -là , qu'il est rare surtout
parmi les gens du peuple.
,
Quand les Rébelles créerent des Officiers
dans les Troupes , pour remplacer
ceux qui n'avoient pas voulu être leurs
Complices , Mouslouh se nomma lui même
Kyaya du nouveau Janissaire Aga , ou
C iij
In88%
MERCURE DE FRANCE
;
Intendant de toutes les affaires de ce
General de l'Infanterie , qui fut élevé à
cette Charge Eminente d'une maniere
assez singuliere. Mehemet Aga , c'est le
nom de ce General , étoit un vieillard
qui de Janissaire étoit parvenu au Grade
d'Hassexi , qui est une espece de Prevôt
qu'il y a dans chaque Compagnie , et qui
est au rang des bas Officiers. Un poste si
modique ne lui fournissant pas dequoi
subsister , il faisoit le métier de Sellier
les Rébelles dans leur Conseil Payant
fait Janissaire Aga , il racommodoit une
vieille Selle lorsque leurs députez vinrent
lui annoncer son élection . Mes amis
leur dit- il , il faut que vous vous soyez
mépris , ou qu'on vous ait mal adressez , car
jefuis le Curé du quartier * ; cette profession
comme vous voyez , ne quadre point du tout
avec la Charge dont vous dites que vos
Messieurs m'ont honoré ; les députez en
convinrent , et en furent rendre compte
à leurs Chefs ; on rassembla le Conseil
une seconde fois , et toutes les voix ayant
encore été pour Mehemet Aga on le
renvoya chercher avec ordre de l'amener
de gré ou de force ; le bon homme fut
obligé d'obéïr , et avoua que ne se sentant
pas assez de force , pour se charger
d'un emploi d'un si grand poids , it
* Ou Iman d'une Mosquée.
>
s'étoit
AVRIL. 1731. 881
s'étoit avisé de feindre qu'il étoit Curé ,
dans l'esperance qu'on le laisseroit tranquille
; mais malgré sa modestie et sa
vieillesse , il donna pourtant dans la
suite des marques qu'il n'étoit pas indigne
de cette place , puisqu'on peut dire que
son activité , sa prudence , et sa fermeté ,
sauverent Constantinople d'une seconde
sédition , qui pensa s'allumer , comme
on le va voir au principal endroit où la
premiere avoit pris feu.
Les 14. 15. et 16. d'Octobre , les Rébelles
firent encore quelques désordres en
divers endroits. Un Emir, entre- autres , ce
dernier jour-là , marchanda quelques pieces
de drap chez un Grec au Bizestin , et
ne pouvant convenir de prix avec lui , le
menaça de le tuer ; le Grec effrayé cria
au secours , ferma sa boutique , les autres
Marchands en firent de même , et tout
alloit rentrer dans la confusion , quand le
Janissaire Aga arrivant à propos , se saisit
de l'Emir , et le fit executer sur le champ ;.
ce qui rassura tout le monde .
Ĉette nouvelle alla bientôt jusqu'au
Mufti, qui voyant avec douleur que le levain
de la révolte fermentoit toûjours, envoya
chercher Patrona - Kalil , Mouslouh
Aga , et quelques autres Chefs ; il leur dit ,
qu'il étoit vrai que la Patrie leur avoit l'obligation
de la liberté qu'elle commençoit
C iiij
182 MERCURE DE FRANCE
respirer , que le Grand - Seigneur reconnoissoit
pareillement qu'il leur étoit redevable
de son élevation au Trône ; mais
que de même , qu'ils ne pouvoient douter
par les graces que leur avoit fait Sa
Hautesse , qu'elle sçavoit récompenser les
bonnes actions , ils devoient craindre d'éprouver
qu'elle ne sçut aussi punir les
mauvaises ; que s'ils avoient bien fait d'abord
de prendre les armes pour détruire
un Ministre tiranique , ils faisoient trèsmal
à present de continuer à s'en servir ,
pour fomenter les troubles et la discorde
dans l'Etat ; puisqu'au lieu de le soulager
réellement , ce n'étoit que substituer aux
calamitez dont ils l'avoient délivrée , d'autres
calamitez encore plus affligeantes ;
qu'enfin s'ils ne se déterminoient à se retirer
paisiblement , où le devoir de chacun
les appelloit , ils alloient perdre nonseulement
tout le mérite du bien qu'ils
avoient procuré , mais que devenant des
objets d'indignation au Sultan , et d'horreur
à tout le peuple , la Cour et la Ville
agiroient de concert , et prendroient des
mesures pour les traitter avec autant de
rigueur , qu'ils avoient traité cux-mêmes
les derniers Ministres et leurs Suppôts
.
Patrona et les autres Chefs firent semblant
d'être touchez de ce que le Mufti
venoit
AVRIL 1731. 883
venoit de leur dire ; ils lui témoignerent
beaucoup de respect , et beaucoup de chagrin
du mal que quelques coquins , contre
leurs intentions, avoient pû faire ; enfin ils
lui promirent tout ce qu'il voulut exiger
d'eux , mais ils n'en continuerent pas
moins à se comporter avec leur audace
et leur insolence ordinaire.
Comme il n'est pas permis , sous quelque
prétexte que ce soit,de boire du vin , ni
de faire aucun désordre dans les Chambres
des Janissaires , ceux des Rébelles qui y
étoient rentrez , ainsi qu'on l'a dit , ne
pouvant s'assujettir long- temps à une discipline
si rigoureuse , prirent bientôt des
Maisons en Ville ; Patrona , entre plusieurs
qu'on lui offrit , donna la préference
à celle du Tefterdar , parce qu'elle est
voisine des cazernes des Janissaires.
>
Plus de 400. de ses camarades vinrent
se loger avec lui , ou aux environs . Là ses
Messieurs bien armez , se plongeant jour
et nuit dans toutes sortes de débauches
étoient ivres la plupart du tems ; il se rendirent
dans cet état à la Porte , s'asseyoient
d'eux-mêmes éfrontement auprès du Grand
Vizir ; lui demandoient des graces , ou
des emplois pour des créatures que leur
Chefhonoroit de sa protection , et ce Ministre
, au mépris de la justice et de sa dignité
, étoit forcé de déferer toûjours à
Cy leurs
884 MERCURE DE FRANCE
•
leurs requêtes , et sans délai . On ne finiroit
pas si on vouloit rapporter tous les traits
d'impudence de cette canaille ' ; mais en
voici un assez singulier. Après qu'on eut
étranglé le dernier Grand Vizir , Ibrahim
Pacha ,Mehemet-Pacha son fils, qui de même
que son Pere , étoit gendre du Sultan
Achmet , ayant été répudié par la Sultane sa
femme,et la Cour le regardant comme un
homme sans consequence , parce qu'il est
jeune , sujet à tomber du haut mal , d'un
esprit borné , et qui n'avoit eu aucune
partau Ministere ; le Grand Seigneur crut
que ce seroit assez punir ce malheureux
Pacha , en le releguant à Nicomédie avec
l'appanage de cette Ville pour sa subsistance.
La chose ne parut pourtant pas de même
aux Rébetles , qui trouvant au contraire
que cette peine étoit trop douce
Patrona vint déclarer au Grand Vizir que
les Agas et lui avoient jugé à propos d'exiler
Mehemet Pacha à Mouchkara , pour
y vivre des revenus que son Pere y avoit
laissez , et qu'il lui demandoit un ordre
pour cela ; le Ministre n'ayant garde de
rien refuser aux Agas , c'est -à-dire aux .
Chefs des Rébelles , l'ordre fut expedié et
executé aussi tôt.
,
Mais pour bien sentir le rafinement de
leurs vengeances contre Ibrahim dans
cette
AVRIL. 1731. 885
,
cette occasion , il faut sçavoir que Mouhs-
Kara étoit autrefois un mauvais Village
d'Asie , où ce grand homme étoit né d'un
pauvre Arménien
et qu'aspirant à immortaliser
son nom , comme il y seroit
parvenu , s'il eut plutôt fini ses jours , et
d'une mort naturelle , il avoit si fort orné
ce lieu , par les Colleges , les Mosquées
, les Bains , les Fontaines , les Kams ,
et autres Edifices publics et particuliers
qu'il y avoit fait bâtir durant son Viziariat
, que depuis quelques années on ne
l'appelloit plus que Neucheher , qui veut
dire nouvelle Ville ; or les Rébelles ne
voulant rien laisser subsister , autant qu'il
dépendroit d'eux , de tout ce qui pourroît
transmettre à la posterité , la memoire
d'Ibrahim , ordonnerent que tous ces
embellissemens fussent détruits , que Neucheher
redevint un miserable Village comme
il étoit auparavant, qu'il reprit son ancien
nom de Mouhs- Kara , et que l'infortuné
Mehemet y fut exilé pour toûjours
, afin qu'après avoir été le spectateur
de cette désolation , il n'eut continuellement
devant les yeux que des objets qui
pussent l'entretenir dans des réflexions
douloureuses , et qu'il ne lui restât
pour tout bien que les materiaux et
les décombres de cette Ville démolie.
C vj
Un
886 MERCURE DE FRANCE
h
Un Poste de Capidgy-Bachi étant venu
à vacquer , le G. V. en disposa en faveur
d'une de ses Créatures ; mais Patrona en
voulant disposer aussi , il fallut que ce
Ministre le donnât au Sujet presenté par
ce Rebelle , et qu'il révoquât la personne
qu'il en avoit déja pourvûë.
Un jour le G. V. tenant son Divan , fut
averti que Mouslouh , qui étoit déja ve
nu l'interrompre la veille à la même heure
, arrivoit chez lui avec un grand nom
bre de ses Agas ; il quitta d'abord le
Conseil , et vint le recevoir ; ils parlerent
pendant quelque temps tout bas ensemble
; ensuite ce Ministre passa chez le
G. S. et dans le temps que le Peuple assemblé
s'informoit avec empressement du
sujet de toutes ces démarches , on vit
sortir du Serrail un nouveau Kyaya nom .
mé Mustapha-Bey , lequel avoit été autrefois
Capigilar Kyayasy , ou Grand-
Maître des Ceremonies , et étoit depuis
peu Bujuk-Imbrahor , ou Grand- Ecuyer
du Sultan déposé. Son prédecesseur immédiat,
Nikdelihali- Aga , fut envoyé sur
le champ dans la Prison Bachbaki-Koulou
, c'est le Chef de ceux qui poursuipayement
des deniers dûs au Trévent
le
sor de l'Empire .
On rapporte plusieurs motifs de la disgrace
de ce dernier ; en premier lieu, que
s'étant
AVRIL. 1731. 887
s'étant livré aux conseils mal digerez d'un
de ses amis , il avoit formé le dessein de
détruire lui-même les Rebelles , et que
ceux - cy en ayant été informez , le prévinrent
et le firent déposer , comme on
vient de le dire , à la premiere requisition
de Mouslouh , Secondement cet hom- .
me étoit si avide , que sans être retenu.
par l'exemple récent et tragique de son
devancier , il prenoit de toutes mains et
avoit déja amassé plus de so . mille écus
en 15. jours seulement qu'il étoit en place.
On ajoûte à cela qu'on l'accusoit d'avoir
détourné des Effets de la succession
du feu G. V. Ibrahim , deux Ceintures
de diamans , un Couteau garni de diamans
et plus d'un million en argent.
Le 19. on fit dans le Serrail la paye de
deux quartiers aux Troupes , comme il
a été dit que le G. S. l'avoit ordonné
lorsqu'il leur accorda le present , et l'usage
étant aussi dans ces occasions qu'on
leur fasse manger le Pilau , Sa Hautesse
qui étoit venuë voir les sacs d'argent pour
la forme , commanda qu'on servît ce
Pilau dans des plats neufs , ne voulant
pas , dit-elle , que ce qui avoit été
employé sous le regne de son oncle le fût
encore sous le sien ; mais sur ce qu'on
lui représenta qu'il seroit impossible qu'on
f trouvât dans une matinée autant de vaisselle
888 MERCURE DE FRANCE
selle neuve qu'on en avoit besoin pour un
si grand nombre de personnes, elle répondit
qu'il falloit toûjours aller chercher
toute celle qu'on pourroit trouver , et
suppléer à ce qui en manqueroit par une
partie de la vieille qu'on feroit étammer
de nouveau , et cela fut executé avec une
promptitude dont il semble que les Turcs
seuls soient capables.
Comme on faisoit la paye , Patrona vint
au Serrail , il passa dans les rangs des
Janissaires , et les salua à droit et à
gauche
, et continua sa route jusqu'à l'Appartement
du G. S. La Validé ou Sultane
Mere , qui l'appelloit son second fils ,
parce qu'il avoit mis Sultan Mamouth sur
le Trône , fut quelque temps en conversation
avec lui , par l'organe d'un de ses
Eunuques, et lui donna 2000 Sequins , dont
il distribua la plus grande partie en sortant
aux Domestiques de cette Princesse.
Après la tenue du Divan , le G. V. revint
chez lui conferer la Principauté de
Valachie à Milka -Voda , qui avoit déja été
plusieurs fois Prince de Moldavie pendant
20. ans , et qui vivoit depuis quelques années
qu'on l'avoit déposé en simple Particulier
dans un Village du Canal de la
Mer Noire; il a succedé à Mauro-Cordato-
Roda , Prince d'un grand mérite , et sur
tout fort estimé pour son sçavoir , qui
mourut
AVRIL 1731. 889
mourut au commencement de Septembre
dernier.
Le Drogman de la Porte , à l'occasion
de cette ceremonie où il fallut qu'il assistât
, reçut un Caffetan , qui le confirmoit
dans son poste. Depuis le commencement
de la révolte il avoit toûjours
prié le G. V. de differer à lui faire cet
honneur , de crainte que les Rebelles le
voyant en fonction sous le nouveau Ministere
, comme sous l'ancien , ne le
fissent périr , ou n'exigeassent de lui des
sommes qu'il n'étoit pas en état de payer:
et de fait , Patrona l'ayant menacé en diverses
rencontres de le poignarder , il
n'osoit presque plus se montrer , et il fut
dans des frayeurs continuelles jusqu'au
jour que ce Barbare persecuteur de tous
ceux qui avoient eu part au dernier Gouvernement
, a subi lui- même la fin tragique
qu'il avoit déja fait souffrir aux uns ,
et qu'il destinoit encore aux autres .
Pour revenir à Milkavoda , sa Principauté
de Valachie lui avoit coûté 1500.
mille liv. sans compter les presens considerables
que suivant l'usage il avoit été
obligé de faire aux Ministres de la Porte ,
dès que lui , son fils et son Capy- Kyaya , *
* C'est un Homme d'Affaire , que les Princes
de Valachie et de Moldavie et même les Pachas
des Provinces entretiennent toûjours à la Porte
pour avoir soin de leurs interêts.
890 MERCURE DE FRANCE
eurent été revêtus du Cafetan d'honneur;
il fut conduit par les Principaux de la
Nation Grecque à leur Eglise Patriarchale ,
pour se faire reconnoître Prince . Le Patriarche
à la tête de son Clergé , vint le
recevoir à la Porte, et celebra la Messe en
habits Pontificaux , après quoi ce petit
Souverain s'embarqua dans un Bateau à
cinq paires de Rames , pour marque de
sa dignité , et retourna en pompe à son
Village.
Ce nouveau Prince fournit l'occasion
de parler ici d'un certain Manolaki, Grec
extrémement riche , et qui étoit Curtchi-
Bachi , ou Chef des Foureurs . Les Rebelles
, à cause des grandes liaisons qu'il
avoit eu avec Mehemet l'ancien Kyaya ,
l'ayant soupçonné d'avoir entre ses mains
beaucoup d'Effets de ce Ministre , furent
piller ses maisons , où ils ne le trouverent
pas. Il avoit d'abord pris la fuite et s'étoit
caché successivement en differens endroits,
d'où il faisoit agir secretement ses Emissaires
auprès de Patrona , pour avoir fa
permission de reparoître en sureté. On
prétend que ce dernier en reçut de grands
presens ; mais ces sortes de graces n'étoient
pas approuvées par ses Camarades ,
comme nous l'avons dit.
Le Curtchi- Bachi , qui vit que l'orage
qu'il croyoit avoir excité , étoit prêt à
tomber
AVRIL. 1731. 89 %
mer ,
tomber de nouveau sur sa tête , crut pouvoir
s'en garentir en se sauvant dans une
maison privilégiée , qu'il regardoit comme
un azile assuré pour lui ; mais malheureusement
peu de jours après on sçut
sa retraite , et la Porte l'ayant fait reclaon
ne put se dispenser de le re- .
mettre aussi-tôt à la Garde du Bostandgi-
Bachi , qui l'alla chercher. On le conduisit
et on le mit aux fers dans la Prison
du Bach-Baks -Coulou. Il fut interrogé
sur les biens du Kyaya , qu'on prétendoit
qu'il avoit en dépôt ; il répondit qu'il
n'en avoit qu'une petite cassette pleine
de papiers , que ce Ministre lui remit luimême
le jour de la révolte , parmi lesquels
on trouveroit un Etat détaillé de
toutes les affaires du Kyaya , qui faisoit
foi de la verité de sa déposition. Il ajoûta
que quant à lui , Curtchi - Bachi , il ne
désavoüoit pas qu'il ne fût fort opulent
, mais que ces richesses lui étoient
venues ou des heritages de sa famille ou
des gains legitimes qu'il faisoit depuis
long - temps dans son commerce de Pelleterie,
et que si quelqu'un pouvoit lui prouver
qu'il eût jamais rien pris injustement , il
étoit prêt à le restituer au triple. Par ces
raisons , appuyées de beaucoup d'argent
I qu'il fit glisser sous main à ceux qui le
pouvoient tirer d'embarras , il avoit enfin
recouvre
892 MERCURE DE FRANCE
recouvré sa liberté , lorsque notre nouveau
Prince venant à la traverse , l'accusa
à la Porte de lui avoir pris des sommes
considerables , dans le temps que lui Mikal
, étoit Prince de Moldavie , et que
Manolaki étoit dans la grande faveur du
Kyaya , et c'en fut assez pour que l'on
le remenât à la même Prison , d'où il sortit
pourtant cinq semaines après.
Le 23. le G. S. déposa Mengheli Chiray ,
Kam des Tartares de Crimée , et lui nomma
pour successeur son frere Kaplan-
Chiray , homme de tête et de coeur , et
qui avoit déja occupé ce Trône autrefois.
S. H. lui envoya son Grand - Ecuyer à
Brousse , où il étoit en exil , pour lui
annoncer cette agréable nouvelle , et une
Galere à Modenia , Port d'Asie , à une
journée de Brousse , pour le transporter à
Constantinople.
Ce Prince y étant arrivé le 31. Octobre
, on fit aussi- tôt publier une deffense
aux femmes et aux enfans de paroître dans
les rues , de peur que la curiosité ne les
y attirant pour voir son Entrée , il n'ar- ·
rivât quelques desordres. La Cour le logea
dans un Serrail du deffunt Kyaya . Le
6. Novembre il fut rendre visite au G. V.
qui le mena après chez le Sultan . S. H.
lui fit un gracieux accueil , et le fit revêtir
d'une Pelice de Martre Zibeline ; elle lui
4
1
fit
AVRIL. 1731 . 893
fit aussi donner un Cheval de son Ecurie
magnifiquement harnaché ; on le reconduisit
ensuite en ceremonie à son Palais ;
et dès le même jour le G. V. et les principaux
Ministres le vinrent voir, et lui firent
de magnifiques presens.
Le 24. on tint plusieurs Conseils sur
ce qu'il y avoit à faire pour parvenir à
dissiper les Rebelles. Il fut arrêté de leur
proposer , et on leur proposa en effet de
se retirer sur telle Frontiere de l'Empire
qu'ils voudroient ; bien loin de gouter
cette proposition , ils demanderent que
le G. V. fut déposé ; mais Mouslouh Aga,
qui n'étoit pas d'abord avec eux , arriva
et les fit changer de sentiment .
Le lendemain ils se présenterent au
Serrail en plus grand nombre que la veille
, ils se plaignirent de ce qu'on continuoit
à conserver et à rétablir des personnes
indignes des places qu'on leur faisoit
occuper , comme Mehemet-Effendi ,
ancien Reys Effendy , que la Porte venoit
de faire Dester - Emini , ou Gardien des
Registres de l'Empire pour ce qui regarde
les Troupes , et par le canal duquel les
Pensions Militaires s'obtiennent . Îls ajoûterent
qu'ils voyoient bien qu'on avoit
envie de faire revivre la derniere administration
, mais qu'ils y mettroient bon
ordre.
On
894 MERCURE DE FRANCE
On ne peut éviter de faire ici une disgression
sur les diverses agitations que
souffrit la fortune de ce Ministre pendant
la Révolte. Après avoir été caché les premiers
jours , il reparoît à la Cour tout
d'un coup , s'étant accommodé avec Patrona
; mais les autres Rebelles ayant
trouvé cela mauvais , il fut contraint de
s'éclipser de nouveau . Ensuite par le
moyen d'un Emir qui lui avoit obligation
et qui étoit intime ami de Mouslouh
il eut la liberté de revenir chez lui ,
pourvû qu'il ne fréquentât qui que ce
fût de dehors.
Le Kyaya-Nikdeli- Ali - Aga , dont nous
avons parlé , fâché de ce que cet ancien
Secretaire d'Etat qu'il n'aimoit pas , et dont
la capacité lui faisoit ombrage , n'eut pas
péri comme les autres , résolut de le perdre.
Pour y parvenir il lui fit faire des
complimens de félicitation , il le fit prier
avec les instances les plus vives de revenir
à la Porte , où l'on ne pouvoit , disoitil
, se passer de son secours , sur tout par
rapport aux affaires de Perse , que personne
ne possedoit comme lui.
Le vieux Mehemet-Effendi , fit rendre
mille graces au Kyaya , de toutes ses politesses
, et de l'opinion avantageuse qu'il
témoignoit avoir de son peu de lumieres ;
mais il le fit prier à même- temps de le
"
1
disAVRIL.
1731. 895
dispenser de se plus mêler de rien , s'en
excusant sur son grand âge et sur ses
infirmitez , qui le rendoient incapable
d'aucune application.
-
Le Kyaya voyant qu'il ne pouvoit attirer
tout seul son Ennemi dans le piege,
fit agir le G. V. qui envoya un ordre à
Mehemet Effendi de se rendre à la
-Porte ; il fallut obéïr ; il y fut donc , on
l'accabla de caresses chez ces deux Ministres
, et au bout de quelques jours le
G. S. le fit Defter Emini.
Le Kyaya sçavoit bien que les Rebelles
ne le souffriroient pas long- temps dans ce
poste ,aussi ne tarderent- ils pas long- temps
à s'en plaindre , comme nous l'avons rapporté
; on tint Conseil sur leurs menaces;
et pour en prévenir les effets , on déposa
plusieurs Officiers , dont Mehemet- Effendi
fut du nombre , et de plus exilé à
Tenedos.
Mais à peine étoit- il parti , que le reconnoissant
Emir qui l'avoit déja si bien
servi , s'employa une seconde fois en sa
faveur auprès de Mouslouh , et obtint
son rappel , desorte qu'il revint encore
dans sa maison , mais toûjours sous la
condition de ne communiquer avec personne
, ce qu'il observa fidelement jusqu'à
l'entiere abolition des Rebelles ,
Revenons à ces derniers ; après qu'ils
eurent
896 MERCURE DE FRANCE
eurent marqué leur mécontentement à la
Porte , de ce qu'on employoit encore des
proscrits , ils demanderent que Ruslan-
Pacha , qu'ils avoient fait venir de Bosnie ,
fut nommé General de l'Armée de Perse.
Le G. S. y consentit , moyennant qu'ils
voulussent y suivre ce Pacha. Ils promirent
de le faire ; mais comme ils ne cherchoient
qu'à amuser S. H. , cela n'empêcha
pas qu'ils ne fissent entre- eux les jours
suivans de nouvelles assemblées , et qu'ils
ne parussent à la Porte le 29. pour y demander
que Patrona-Kalil fût fait Capi- ,
tan Pacha , le Janissaire Aga G. V. et que
Mouslouh eût la Charge de ce dernier.
La Cour surprise au dernier point de ce
nouveau trait de la teméraire audace des
Rebelles , ne pût se persuader qu'ils se
portassent d'eux-mêmes à des prétentions
si déraisonnables , et crut que quelques
Gens de Loi , qui étoient très- suspects au
Gouvernement , étoient les secrets Promoteurs
de toutes leurs démarches outrées.
Elle jetta d'abord tous ses soupçons
sur Zulalizade-Effendi , Kadilesker d'Asie,
en exercice .
On se rappella , 1 ° . qu'Achmet III.
étant encore sur le Trône , avoit reproché
en face à ce Kadilisker , qu'il étoit
un traître et un des principaux Auteurs
de la premiere Révolte ; que celui- cy au
lieu
AVRIL. 1731. 897
lieu de se disculper de cette accusation ,
avoit reproché à son tour au G. S. que
depuis long- temps il étoit déchu de la
Souveraineté , et que du moment même
qu'il signa le Traité de Passorouvits , par
lequel il avoit cedé honteusement Bellegrade
aux Allemans , il ne l'avoit plus
consideré comme Empereur.
2º. Qu'Achmet ayant assemblé les
Gens de Loy pour les consulter sur les
moyens de conserver la vie à son G. V.
il lui avoit dit que les séditieux lui demandoient
trois personnes , le Vizir , le
Kyaya et le Capitan - Pacha . Qu'à l'égard
des deux derniers il consentoit à les leur
abandonner , mais que pour Ibrahim , il
vouloit tâcher de le sauver ; qu'il étoit
même dans le dessein d'écrire aux Rebelles
pour en obtenir la grace , et que
cependant il souhaitoit auparavant qu'ils
lui dissent leur avis là- dessus ; que Zulali
Zadé prenant alors la parole , avoit répondu
au Sultan qu'il entreprenoit là une
chose bien difficile , et que le mal étoit
devenu trop grand pour pouvoir y porter
du remede ; que le G. V. ayant aussi voulu
hazarder son avis , ce Kadilisker l'interrompit
, et s'emportant comme
furieux , lui dit qu'il étoit réprouvé des
hommes et de Dieu , et qu'un méchant
comme lui méritoit la mort la plus
igno398
MERCURE DE FRANCE
> ignominieuse. Sur quoi Ibrahim sans
rien répliquer , se leva , les larmes aux
yeux , et se retira . Que le G. S. outré de
douleur et de dépit , s'étoit pareillement
levé et avoit dit au Kadilesker, que puisque
tout étoit désesperé , qu'il rendît
donc sa Sentence de mort contre le Visir
comme contre les deux autres , ce que
Zulalizadé avoit fait sur le champ.
Ces refléxions et plusieurs autres du
Sultan et de ses Ministres , sur le procedé ,
dace Kadilesker , firent regarder comme
des preuves les indices qu'on avoit de ses
pratiques avec les Rebelles ; mais comme
on n'avoit pas encore pris les arrangemens
necessaires pour leur châtiment et
leur destruction , on se contenta de répondre
qu'on ne pouvoit leur accorder
les changemens qu'ils demandoient qu'on
fit dans le Ministere .
Lc 2. Novembre le G. S. donna un
Katcherif, qui leur enjoignit de prendre
bien garde de faire aucun desordre ; S. H.
étant résoluë de punir de mort tous ceux
qui en seroient coupables ; et comme ils
s'étoient distinguez de ses autres Sujets
en portant des Turbans rouges , ce qui
ne faisoit qu'entretenir la division et l'esprit
de parti dans Constantinople , elles
prétendoient qu'ils en prissent chacun de
conformes à leurs differentes Professions,
#
(
= afin
AVRI L. 1731. 899
afin que rien ne démentît en cux l'obéi'ssance
et la fidelité qu'ils devoient.
Les Rebelles firent honneur au Katcherif
, quant à ce dernier article qui ne
regardoit qu'une soumission exterieure
mais quant à ce premier qui touchoit à
la réforme de leur conduite , ils ne tarderent
pas à marquer qu'elle étoit toûjours
la même.
Patrona Kalil , refléchissant dans sa
haute prosperité , qu'il avoit fait du bien.
à tous ceux à qui il avoit obligation ,
excepté à un Boucher Grec nommé Tanaki
, lequel s'étoit avanturé de lui fournir
abondamment , tant à lui qu'à ses Camarades
, d'excellente viande , lorsqu'ils
étoient campez à Etmeïdan , et que cet
homme d'ailleurs lui avoit autrefois prêté
deux écus dont il avoit eu la discretion
de ne lui jamais parler , il l'envoya chercher
, et lui dit : qu'étant très sensible à
l'assistance qu'il avoit reçûë de lui , il
vouloit lui en témoigner sa reconnoissance
d'une maniere autentique. Il lui fic
d'abord present de 1000. Sequins , valant
près de 1oooo. liv. puis lui dit, en riant :
Ne vous souciez- vous pas de vivre plus
Long-temps que moi ; Yanaki répondit aussitôt
, que , lui mort , il ne se soucioit plus
de la vie. He bien, puisque cela est ainsi,
reprit Patrona , charmé de cette réponse :
D dites
goo MERCURE DE FRANCE .
dites-moi ce que vous souhaitez que je fasse
pour vous , et soyez sûr de l'obtenir. Alors
mille désirs confus s'élevant dans le coeur
du Boucher , et ne sçachant auquel s'arrêter,
il dit à son Bien- faicteur : Que pour
le present il ne sçavoir que lui demander ,
mais qu'il alloit consulter ses amis , et qu'il
lui rendroit bien tôt réponse. Yanaki fut
trouver le Kasab- Bachy , qui est comme
le Fermier ou Inspecteur general des
Boucheries ; et après lui avoir exposé sa
bonne fortune : Que me conseillez vous ,
lui dit-il , j'ai envie de porter Patrona
qu'il fasse revivre en ma faveur la Charge
de Surdgy- Bachi , * qu'on a supprimée,
elle est de mon état et j'en connois tout
l'exercice . Celui- cy qui vie qu'il alloit per
dre la plus grande partie de ses droits ,
si cette Charge dont il avoit réüni les
fonctions à la sienne , étoit rétablie , répondit
au Boucher : Vous n'y pensez past
à quoi vous amusez vous ? votre Protecteur
est tout-puissant , il vous met en état par
ses offres et par son crédit , d'aspirer aux
Postes les plus brillans , et vous allez vous
borner à une petite Charge de rien , sou-
* C'étoit une Ferme et en même temps une Ingpection
sur les Boeufs , Moutons , &c. à peu près
comme la Ferme du Pied- Fourché à Paris , et
qui rapportoit au Fermier par an environ 106.
mille livres.
vent
AVRIL: 1731 .
vent même plus ruineuse que lucrative :
Que lui demanderai- je donc? Demandez
lui , reprit l'autre , qu'ils vous fasse Prin
ce de Moldavie ; et si vous n'avez pas assez
d'argent pour payer cette Principauté
, que cela ne vous embarrasse pas , je
vous fournirai tout ce qu'il vous en faudra.
La vanité qui est comme incarnée chez
les Grecs , tourna en un moment si bien
la cervele à celui-ci , qu'oubliant la dis
tance de sa bassesse , au rang qu'on lui
proposoit , il s'en revint chez Patrona , et
-lui dit que puisque l'affection dont il
l'honoroit étoit sans égale , et qu'il avoit
tout pouvoir dans l'Empire , il le prioit
de le faire Prince de Moldavie . Soit , ré-
-pondit Patrona , et sur le champ , il l'en
voya avec un de ses gens chez le G. V.
Ce Ministre étonné d'une pareille proposition
, resta muet quelque-tems ; ensuite
reprenant ses esprits , il dit que ce que deamandoit
l'Aga Patrona étoit impossible
qu'on ne nommoit à ces sortes de Principautez
que des gens de naissance , ou qui
avoient rendu de grands services à l'Etat ,
qu'outre que le sujet qu'on lui présentoit
, n'étoit dans l'un ni dans l'autre cas ,
'Empereur n'ayant confirmé que depuis
quatre jours Gregorasko - Ghika , dans sa
Principauté , il n'étoit ni de l'honneur ,
Dij
ni
jo MERCURE DE FRANCE
ni de la justice de Sa Hautesse , de déposer
ce Prince , dont elle étoit satisfaite , pour
mettre un vil Artisan à sa place.
pas
Le tout ayant été rapporté à Patrona :
Bon, bon , voilà de belles raisons , dit- il ,
qu'est-ce que cela signifie ? Gregorasko
n'est- il pas Dgiaour ? Yanaki n'est- il
Dgiaour aussi ? Que l'un ou l'autre
soit Prince , n'est - ce pas toujours
la même chose ? En un mot , je veux que
mon ami soit préferé. Là- dessus il renvoya
le Boucher au G. V. et le fit accom-
Mouslouh.
pagner par
it
Ce second Chef parla si haut , que le
Gr. V. ne sçachant plus quel parti prendre
, dit qu'une affaire de cette importance
ne dépendoit pas de lui , qu'il alloit
la communiquer au Sultan , et sçavoir sa
volonté : Allez donc , répondit Mouslouh,
mais songez toujours à complaire à Pafrona.
Le G. S. ne fut pas moins surpris , ni
indigné que l'avoit été son Vizir ; cependant
, jugeant bien que dans peu tout
changeroit de face , et qu'on seroit alors
en état de faire payer cherement au Bou
cher et à son protecteur leur impudence ;
il dit à son Ministre qu'il n'y avoit qu'à
les contenter. Ainsi maître Yanaky fut
revêtu du Caftan de Prince de Moldavie
le 2 Novembre et reçût tous les au-
?
tres
་
{
AVRIL. 1731. 903
tres honneurs usitez en pareille occasion
tant à la Porte , qu'à l'Eglise Patriar
chale .
Ce fut un coup de foudre pour la Nation
Grecque l'orgueil humilié , et le désespoir
étoient peints sur tous les visages
pendant la cérémonie , à laquelle il fallut
que le Drogman de la Porte eut la mortification
d'assister. Comme c'est un fort
honnête homme , tout le monde prit
part au juste chagrin qu'il avoit d'être
obligé par le devoir de sa Charge de concourir
, quoi qu'indirectement,à la déposition
de son propre frere , que le Boy
Yanaky alloit relever.
Mais la grandeur de ce Prince-Boucher
passa comme un songe; il ne pût parvenir à
ramasser que 30 Bourses,qu'il donna , et qui
furent perdues,au lieu de près d'un million
dont il avoit besoin , pour satisfaire la Porte
et ses Ministres , ainsi que Patrona qui lui
demandoit 60 Bourses , et les autres Agas
qui en vouloient avoir presque autant. Le
Kasab- Bachi , qui ne lui avoit offert de luimême
son secours , que pour l'engager
dans ce mauvais pas , et l'y laisser , s'éclipsa
subitement , et Patrona même , son
zelé protecteur , en apparence , l'ayant
fait Prince moins par reconnoissance
que pour son interêt particulier , et pour
braver le G. S. en faisant parade de son
Diij -au-
,
904 MERCURE DE FRANCE
autorité , l'abandonna comme l'autre; ensorte
que ce Prince , en idée , au lieu d'être
conduit pompeusement auTrône,fut traî
né honteusement en prison , où nous le
laisserons déplorer sa folie , jusqu'à ce
qu'une plus grande punition l'en tire.
Le même jour , 2 Novembre , l'Ambassadeur
de France étant allé rendre sa
premiere visite à Kafis - Mehemet , noųveau
Capitan- Pacha , pour le complimen
ter sur són Avenement à cette dignité ;
le Janis aire Aga se figura que les Ministres
Etrangers en devoient faire autant à
son égard. Il envoya chercher un Drogman
au Palais de France , et lui demanda
pourquoi son Ambassadeur ne l'étoit pas.
venu voir , comme c'étoit l'usage . Le
Drogman lui répondit , qu'on l'avoit sans
doute mal informé , puisque cela ne s'étoit
jamais pratiqué envers les Janissaires.
Agas , et que sûrement son Ambassadeur
n'établiroit pas cette nouveauté. On conduisit
ensuite le Drogman chez Mouslouh
, qui s'étoit fait de lui-même , comme
on a dit , Kyaya de ce General de
P'Infanterie il dit à ce Drogman' que
puisque l'Ambassadeur de France ne vou
loit pas venir voir con Maître , il devoit
au moins envoyer à lui Kyaya , les présens
usitez. Je ne sç che pas, répondit l'In
terprete , que les Ambassadenrs de Fran-
:
AVRIL. 1731. 905
"
ce en ayent jamais fait aux Agas des Janissaires
, ni à leurs Kyayas ; cependant ,
ajouta- t-il , j'en parlerai à son Excellence.
Je vous en prie , répliqua Mouslouh ;
car après tout , il me semble que le bon
ordre que j'ai fait observer pendant les
troubles , mérite bien quelque récompense.
Le 5. il y eut une grande altercation
entre les Serdingueschtis , et les plus anciens
Officiers et Soldats des Janissaires.
Un de ces premiers prit querelle avec un
Capitaine de cette Milice , et le tua, Ceçte
action irrita si fort les Janissaires, qu'ils
furent en grand nombre s'artrouper à
Orta-Dgiani , Mosquée où les Janissaires
tiennent leurs Assemblées tumultueuses ,
et ils convinrent entr'eux de chasser de
leurs chambres tous les enfans perdus .
Ils en étoient sur cette déliberation
quand Patrona , qui avoit été averti du
tumulte , arriva avec une vingtaine des
siens , et leur ayant demandé , comme
s'il l'avoit ignoré le sujet de leur assemblée
, un Hoda -Bachi , de la 32 Compa
gnie , ou Chef de chambrée , prenant la
parole , lui répondit qu'ils s'étoient assemblez
dans le dessein de n'avoir plus
aucune societé avec ses camarades qui
deshonoroient journellement leur Corps ,
par leurs crimes , et que s'il ne se rangeoit
>
Dij lui
906 MERCURE DE FRANCE
>
>
3
>
lui même à son devoir , on lui feroit un
mauvais parti. Patrona répliqua qu'il ne
les craignoit guéres , que s'ils étoient assez
hardis pour venir l'attaquer lui et ses
gens , qu'ils trouveroient à qui parler , et
qu'il avoit dans Constantinople 12000.
Albanois prêts à se joindre à lui. Quand
tu ferois venir toute l'Albanie à ton secours
répondit courageusement Lodabach
- nous ne l'èn exterminerions pas moins toi et
les tiens . Mon ami , répondit Patrona
vous avez tort de vous emporter contre moi
puisque je ne fais de mal à personne. Il ne
suffit pas,dit alors cet Officier,que tu nefasse
point de mal, il ne te convient pas non plus,
comme tu fais , de te mêler des affaires de
Etat. Il semble à te voirfourrer le nez par
tout , que le Sultan et son Vizir ayent besoin
de tes lumieres pour se conduire. Si tu es Janissaire
, tu dois te comporter en Janissaire ,
et non pas en Ministre , ni le laisser faire
à ton camarade Mouslouh , qui vient tous
les jours à la Porte avec autant de faste et de
fierté que le défunt Kyaya. Mais , interrompit
Patrona , si je ne m'informe pas de
ce qui se passe , il arrivera infailliblement
qu'on remettra en place des infames qui renouvelleront
la tiranie du dernier
gouvernement
; tous les mouvemens que je me donne
n'ont d'autre objet que de procurer le soulagement
du peuple. Ce n'est pas d'un homme tel
C
que
1
1
1
AVRIL. 1731 .
907
que toi , répondirent plusieurs Janissaires ,
que le peuple doit attendre du soulagement ;
notre Empereur est assez juste et assez éclairé
pour gouverner et pour rendre ses sujets beureux
; c'est à lui feul à disposer des emplois
et des Charges en faveur de ceux qu'il croit
les mériter quant à nous , ce que nous
avons à défirer , c'est qu'il régne , et qu'il
vive long- tems , et qu'on nous paye toujours
avec exactitude ; nous n'avons jusqu'à présent
qu'à nous louerde ce côté-là , aussi -bien
que
des liberalitez de S. H. Ce seroit nous
en rendre tout-àfait indignes , si notre Corps
qui est le plus ancien et le plus illustre de l'Etat,
souffroit qu'un Particulier , quel qu'il pût
être , osat s'ingerer de partager l'authorité
fouveraine.
>
Ainsi , continuerent-ils , s'adressant toujours
à Patrona nous te donnons encore
trois jours , pour réduire , on dissiper tes
gens ; si ce terme expiré nous entendons encore
parler de quelques désordres de leur part ,
nous ferons main basse sur eux par tout où
nous les trouverons . Ces dernieres paroles ,
prononcées d'une voix plus forte , finirent
l'Assemblée , et on se sépara.
Quoique Patrona fut un déterminé , et
qu'il ne craignît pas que les Janissaires ,
parmi lesquels il étoit sûr d'avoir encore
un gros parti , missent à exécution leurs
menaces , il ne laissa pourtant pas de com-
DY prendre
908 MERCURE DE FRANCE
prendre par le discours qu'on lui avoit tenu
, que les esprits étoient fort échaufez
contre lui , et qu'il avoit plus d'ennemis
qu'il ne croyoit. Pour s'en mieux éclaircir
, il fut voir Damud- Zadé , ancien Kadelisker
, qui le reçût froidement , et même
avec mépris . Nonobstant cet accueil
peu favorable , il ne se rebuta point , et
faisant tomber la conversation sur tout ce
qui s'étoit passé , il dit à cet Effendi d'un
ton hypocrite , qu'il n'avoit pris les armes
que pour la cause commune , que
Dieu avoit bien voulu se servir de son foible
bras pour tirer le peuple Musulman
de l'oppression du précédent Ministere
et que lui-même Damudzadé , étant un
personage saint et éclairé , et qui pouvoit
Tire jusques dans les replis les plus secrets
de son coeur , il lui étoit aisé de reconnoître
que ses intentions avoient été bon
nes. Cependant , ajoûta -t- il , en soupirant ,
je trouve tous les jours en mon chemin de manvais
esprits , qui donnent des interprétations
criminelles à tout ce que je fais , et qui ne
travaillent qu'à me noircir auprès de mon
Empereur , pour lequel j'ai tant de fois exposé
ma vie. Souffrez , grand Effendi , queje
vous demande votre protection contre eux s'ils
continuent à me calomnier dans l'esprit de Sa:
Hautesse.
Damudzadé , qui est effectivement un
hom
AVRIL. 1731. ୨୦୨
Homme de beaucoup de merite , et surtout
plein de droiture , lui répondit qu'il
ne rougiroit jamais de dire la verité , et
qu'ayant le mensonge en horreur , il pouvoit
s'assurer que quand on lui demande
roit ce qu'il pense sur son compte , il le
diroit sans le moindre déguisement.
Patrona dont la curiosité n'eut pas
trop lieu d'être satisfaite par cette réponse
ambigue , affecta pourtant d'en être fort
content , comme si le Kadilesker ne pou
voit que parler avantageusement de lui ,
il lui baisa la main , se retira , et répandit
en sortant une poignée de Seguins à ses
Domestiques. Damudzade Payant appris,
ordonna que tous ceux qui en avoient
tamassez les jettassent dans la Mer devant
lui , et regardant Patrona comme un scelerat
, dont la seule présence avoit souillé
sa maison , il fit balayer et froter par tout
sur le champ où il avoir mis les pieds.
Le 10 Novembre , le G. S. déposa Kafis-
Mehemet Pacha , de la Charge de Ca
pitan-Pacha , et l'honora en échange d'une
Pelisse de Martre- Zibeline, et du Gouver
nement de Seyde , que son pere avoit eu
autrefois ; mais soir que les Rebelles entrevissent
une partie de ce qu'ils avoient
à craindre de la réputation et de la capacité
de Codgea Dgianon , qu'on
attendoit et auquel ils soupçonnoient
D vj
*
-
qu'on
910 MERCURE DE FRANCE:
qu'on destinoit cette importante Charge
ou soit que Patrona qui la briguoit pour
lui-même , voulut en éloigner un concurrent
si redoutable , ils firent tant de bruit
de la déposition de Kafis -Mehemet , que
la Cour , pour les leurrer , le rétablit dès
le lendemain.
On prétend que ce dernier avoit d'abord
sollicité les Rebelles , afin d'empê
cher qu'on ne le dépouillât de cette dignité
, mais que dans la suite , voyant d'un
côté que Patrona y aspiroit , et que de
l'autre Sa Hautesse faisoit venir Dgiannum-
Codgea pour la lui donner , il demanda
secretement à la Porte sa démission
lui- même , et le Pachalik de Seyde ,
ce qu'il obtint aisément par l'entremise
du nouveau Kam des Tartares , dont son
pere avoit été esclave ; de sorte que quoi-
Kafis-Mehemet revint à l'Arsenal le
lendemain avec tous ses effets , qu'il en
ayoit déja fait enlever la veille , et qu'il
y reçût les complimens de tous les Officiers
de la Marine sur son rétablissement
il n'exerça pourtant plus le Generalat de
la Mer que par intern , et jusqu'au 21
jour que Dgiannum. Codgea en prit posque
session.
Comme il étoit impossible que les affaires
subsistassent encore long- tems dans
la confusion , où la continuation de la Ré-
7
volte
AVRIL. 1731. gif
volte les avoit mises , et qu'il falloit
ou qu'elles bouleversassent totalement
l'Etat , ou qu'elles reprissent leurs cours
ordinaires , la Cour et les Rebelles , chacun
suivant ses differentes vuës , songerent
à appliquer les remedes convenables au
mal.
,
>
Les Chefs de ceux-ci voyant bien que
pour se maintenir dans l'autorité , qu'ils
avoient commencé d'usurper , il leur étoit
essentiel de ne point abandonner le séjour
de Constantinople , et de s'y fixer au contraire
, en partageant entr'eux les principaux
emplois de l'Empire. Ils tinrent un
Conseil le 16 Novembre , et convinrent
qu'il falloit d'abord faire élire Mouslouh ,
Koul - Kyassi
ou Lieutenant General
des Janissaires ; mais prévoyant qu'ils
y trouveroient de grands obstacles , parl'on
ne parvient d'ordinaire à ce
Grade qu'après avoir passé par tous les
autres qui lui sont inferieurs , tellement
que celui qui y arrive est toujours un homme
respectable par son âge et par son experience
, et que Mouslouh n'étant qu'un
homme de rien , de 25 à 30 ans , et simple
Janissaire , n'avoit aucune des qualitez
requises , ils eurent recours à l'argent ,
qui , en Turquie , applanit presque toutes
les difficultez .
ce que
Ils firent distribuer so mille Piastres
aux
912 MERCURE DE FRANCE
>
aux plus anciens et plus accréditez des
Janissaires , et leur firent entendre que
s'ils vouloient favoriser l'Election deMous
Jouh , il leur feroit payer le présent de la
Reine - Mere. Pour l'intelligence de ce fait,
il est nécessaire de dire que cette Princesse
, dans les premiers transports de sa
joye , de voir son fils Mahmout sur le
Trône avoit promis aux Troupes , qui
lui en avoient frayé la route , une récompence
de cinq écus à chaque Soldat , mais
que quelque tems après , les refléxions
lui ayant fait trouver cette promesse in
considerée , elle ne parla plus de l'executer
, soit qu'elle n'eut pas assez de fond
Pour y satisfaire ou que le Kislar-
Aga , qui a beaucoup d'empire sur soir
esprit , l'en détournất , en lui
tant que l'Empereur avoit assez marqué
sa reconnoissance aux Milices par les grandes
liberalitez qu'il leur avoit faites , sans
qu'elle y en ajoûtât de son chef qui n'étoient
point d'usage.
} ›
represen-
Quoiqu'il en soit de ces conseils , ils
penserent causer la perte du Kislar-Aga
Les Janissaires vouloient qu'il fut déposé
et murmuroient hautement contre la Va
lidé , regardant ce qu'elle leur avoir
promis , non comme une grace , mais
comme une dette , dont elle ne pouvoit
se dispenser de s'acquitter ; ainsi , ceux
*
2
AVRIL 1731. 913
aqui les so mille écus des Rebelles furent
partagez , consentirent volontiers à
l'élection de Mouslouh ; ceux qui n'en eurent
rien ne lui en donnerent pas moins
leurs voix , parce que les uns et les autres
esperoient que dès qu'il les auroit fair
payer de ce présent , ils se déferoient de
lui sans peine , et nommeroient à sa place
le plus digne de leurs Officiers.
Les esprits préparez de la sorte , Mouslouh
fut chez le G. V. le 18. lui demander
le Caftan pour la Charge de Koul-
Kyassy. Le Ministre le lui refusa , disant
qu'il n'étoit ni d'un rang , ni d'une ancienneté
à y prétendre , que le Corps des
Janissaires ne le soufriroit jamais , et que
l'Empereur ne pouvoit sans blesser sa dignité
et sa ju tice , instaler dans un poste
si considérable quelqu'un qui ne fut pas
au gré de ce Corps. Ce Rebelle répondit
sans se rebuter , qu'il avoit pourvû à
tout , qu'il lui donnât seulement le Cafetan
, sans s'embarasser du reste. Le G. V.
s'obstinant à le lui refuser , Mouslouh le
quitta fort irrité.
Dès que ses Camarades sçûrent le peu
de succès de sa négociation , ils jurerent
avec lui de se vanger du G. V. et s'en fu
rent comme des forcenez , au nombre d'une
trentaine , chez le Kam des Tartares ,
ils lui déclarerent absolument qu'ils vou
loient
914 MERCURE DE FRANCE
loient que Mouslouh fut Koul- Kyasty , et
lui firent entendre que si leG.V.continuoit
dans ses refus , ce Ministre ne le porteroit
pas loin. Ce Prince vit bien à leur air
qu'ils seroient gens à tenir parole , et qu qu'il
étoit de la prudence de céder au torrent ,
jusqu'à ce qu'on pût lui opposer une Digue.
Il les appaisa de son mieux , leur dit
qu'il alloit de ce pas à la Porte , que ne
doutant point que le G. V. ne se conformât
aux representations qu'il lui feroit
ils pouvoient compter d'avance , qu'il
leur obtiendroit ce qu'ils souhaittoient.
Il courut effectivement chez le G. V.
et après lui avoir exposé en peu de mots
le sujet de sa visite : A quoi pensez - vous ,
lui dit- il , de vous roidir contre ces coquinslà
, ne voyez- vous pas qu'ils travaillent euxmêmes
à leur perte , et que plus ils se rendent
odieux aux Troupes et au et au Peuple .
plus ils vous préparent de facilité à les détruire
: Croiez-moi , ajoûta -t- il , donnez à
Mousloub , non -seulement la Charge qu'il
vous demande , mais une plus éminente encore
, s'il vous en témoigne la moindre envie ;
il n'en jouira pas assez long-tems pour que
votre complaisance en cette occasion vous soit
jamais un motifde repentir.
Le Vizir entra dans ses raisons ; ils passerent
ensemble chez le G. S. et S. H. s'en
rapportant à leurs avis , on envoya chercher
AVRIL. 1731. 915
cher Mouslouh; cet orgüeilleux et insolent
Rebelle , se rendit à la Porte avec une măgnificence
et un Equipage de Pacha à
trois queues,on le revêtit du Cafetan , qui
le faisoit Koul-Kyassy ; après quoi il s'en
retourna triomphant à son Palais , où ses
Confreres et ceux qui le craignoient , vinrent
le feliciter sur les faveurs qu'il avoit
reçûës , poussant la flaterie jusqu'à lui dire
qu'elles étoient encore fort au- dessous de
son mérite.
Ce premier coup frappé , les Rebelles
s'assemblerent le 19 , et remirent sur le
tapis leur ancien projet , de faire Patrona
Capitan - Pacha , Mouslouh Janissaire-
Aga , et le Janissaire- Aga Grand-Vizir :
moyennant cela , dirent-ils , nous serons
entierement les maîtres, et ils raisonnoient
fort juste , car ils avoient dans leur Cabale
plusieursGens deLoy d'un grand pouvoir :
entr'autres , le Zulali-Kadé Kadilesker
d'Asie , et Abdollah- Effendi , Lieutenant
General de Police , dont on a parlé. Quant
au G. S. ajoûterent- ils , nous en ferons ce
que nous voudrons , parce qu'étant sans
experience, il nous redoutera , et que d'ailleurs
il nous doit tout , puisque sans nous .
il auroit peut-être gémi toute sa vie en
prison.
,
Cependant , soit qu'ils crussent devoir
penser plus d'une fois à l'éxecution de ce
plan ,
915 MERCURE DE FRANCE
plan , ou qu'ils eussent d'autres raisons
pour la retarder de quelques jours , ils tinrent
fort secret le Résultat de cette derniere
Conférence; mais la Cour , qui comme
nous l'avons die , travailloit à secouer e
le joug honteux que sembloit lui vouloir
imposer cette Ligue de traîtres , se détermina
tout- à- fait à s'en vanger promptėment
, et d'une maniere éclatante.
Le Kan des Tartares , sur- tout , fut celui
qui poussa le plus à la roue. Il avoit
été outré en plusieurs rencontres , de ce
que Patrona et ses pareils , qui n'avoient
aucune teinture des affaires , avoient vou-
·lu que leurs avis extravagans prévalussent
aux siens ; Dgiannum Codgea arriva dans
le même-tems à Constantinople , et aussi
zanimé contre eux que le Kam , il excita
de nouveau l'Empereur à les exterminer.
S. H. lui avoüia ingénument qu'elle appréhendoit
qu'ils ne fussent soutenus par
les Troupes , si l'on en venoit à cette extrémité
, et que ce qui l'avoit obligé à
temporiser , c'étoit la crainte de voir
Constantinople replongé dans de plus
grands désordres .
Dgiannum- Codgea , sans trop s'attacher
aux termes , dit alors au Sultan , avec une
liberté genereuse : Seigneur , dès que tu te
seras défait des principaux Chefs , personne
me branlera , outre qu'une action de vigueur
est
(
4.
AVRIL. 1731. 917
est nécessaire pour t'affermir sur le Trône , elle
sera agréable à ton. Peuple , qui ne supporte
qu'avec une peine extrême les violences où il
est journellement exposé. De plus , cela te
mettra en honneur chez toutes les Nations
qui ont les yeux fixez sur toi , dans le commencement
de ton Régne ; au lieu qu'elles
n'auront aucune considération pour ta personne
, si tu ne montres assez de force pour bri
ser les entraves où quelques séditieux osent
retenir ton autorité. Ces paroles du General
de la Mer , prononcées avec feu , pénétrerent
S. H. et lui firent juret de se prêter
et de concourir à ce que luf et le Kam
des Tartares jugeroient nécessaire pour exterminer
ces audacieux ennemis domestiques
, perturbateurs du repos public.
Le 22. Dgiannum- Codgca , que le G. S.
avoit déclaré la veille Capitan Pacha
vint à l'Arsenal , où il reçûr les complimens
des Officiers des Vaisseaux , et des
Beys des Galeres , mais on ne lui tira point
' de Canon , parce qu'il deffendit qu'on lui
rendit ces honneurs.
Le 23. Patrona convoqua un Conseil
extraordinaire à la Porte , auquel le G. S.
" admit le Kam des Tartares , le Mufty , et
generalement tous les Gens de Loy et les
Officiers des Milices. Patrona y vint toujours
en simple Janissaire , les jambes
nuës , et avec environ 40 Serdenguetchis
OLL
918 MERCURE DE FRANCE
ou enfans perdus , et Mouslouh vêtu superbement
, avec le cortege attaché à son
nouveau rang de Koul - Kyassy.
du
›
›
que
Patrona ouvrit le premier l'assemblée ,
et s'adressant au Kam , lui dit : J'ai convoqué
ce conseil , pour un pressant besoin
de l'Empire je sçai que nos affaires en
Perse vont toujours plus mal Parce que
les Moscovites donnent de continuels fecours
aux Persans , ainsi mon avis est › qu'on
leur déclare la guerre , et que pour tirer vens
geance sang Musulman qu'ils sont cause
qu'on a répandu , on envoye incessament
une grande armée contre eux tandis Les
Tartares entrant d'un autre côté dans le pays
de ces Infidelles , le ravageront et en emmeneront
tous les habitans en esclavage 3 je pense
pareillement , qu'il est d'une nécessité absoluë
de réprimer les malversations des Pachas
des Frontieres , qui , bien loin d'avoir
soin des Troupes , et de regarder les Janissaires
comme leurs enfans , et le plus ferme
appuy de cette Monarchie les maltraitent
et retiennent leurpaye pour l'appliquer à leur
propre usage, ou en gratifier leurs Créatures :
il tint encore beaucoup d'autres discours de
la même nature , et sans égard pour les per
fonnes qui assistoient à ce Conseil.
J
Tout le monde gardant un morne
silence , déploroit en secret de voir la
conduite de l'Etat tombée , en de si
<
1
AVRIL. 1731. 919
si mauvaises mains ; et il revenoit toujours
à sa premiere idée de porter le fer
et le feu chez les Moscovites , proposant
même d'en faire arrêter les deux
Résidens *.
و
→
Le Kam des Tartares , fatigué d'entendre
tant d'impertinences , que personne
n'osoit relever : Mais vous , lui dit ce
Prince , qui parlez tant de guerre , sçavez
vous ce que c'est ? pour quelle raison voulez
vous que Sa Hautesse la déclare aux
Moscovites ? Ignorez- vous quelle est en paix
avec eux et que sans de justes motifs elle ne
sçauroit la rompre. Il faut , poursuivit-il
avant que de se résoudre à rien , être bien sûr
des nouvelles que vous nous débitez sans preuves,
après quoi on verrapar de mures déliberations
ce qui sera le plus utile,et le plus honorable
à l'Empire de la guerre ou de la paix et ce
sont là des choses qui ne se décident pas à la
legere , ni sur le champ comme vous venez de
le demanders d'ailleurs dites-moi parquel endroit
penetrerez vous en Moscovie ? Par quel
endroit ! interrompt Patrona plaisante
question ! par les endroits où nous y pénétrions
autrefois , vous d'un côté et nous de l'autre :
Doucement, répondit le Kam : autrefois nous
allions par la Pologne , parce que nous étions
→
* Il y en a deux à Constantinople , depuis environ
un an , M. Neplieuf, et M. Visnacoff , venu
pour relever ce premier.
en
20 MERCURE DE FRANCE
enguerre avec les Polonois , mais aujourd'hui
qu'ils sont de nos amis , est- il juste d'aller
porter la désolation chez des peuples dons
nous n'avons aucun sujet de nous plaindre
Sçavez- vous que conduire 100. mille Tar
tares dans un pays , c'est le perdre entierement
, et que par tout où ilsfoulent l'herbe , il
n'y croit rien de sept années : Tant mieux
dit Patrona , c'est de cette façon que j'aime
àfaire laguerre. Je ne demanderois pas mieux
ni mes sujets , reprit ce Prince, car outre que
la guerre est notre véritable élement , elle est
la source de toutes nos richesses ; et dès
que
cette source taritpar la paix , renfermés dans
la Krimée , steriles et sans commerce , nous
retombons dans l'indigence ; mais nous sçavons
la supporter , et sacrifier à la droiture
nos interêtsparticuliers : ilfaut refléchir avant
que de prendre les armes , afin de n'avoirpas
lieu de s'en repentir en les quittant , et ce ne
sont pas de ces petites affaires qui se termi→
ment en une ou deux assemblées .
Je trouve que celle - ci est bien nombreuse
répliqua Patrona ; je n'atendois pas que tant
de gens y assistassent ; j'avois compté au
Contraire que le Conseil ne seroit composé que
de vous , de Monsloub , du Janissaire Aga ,
du Grand Vizir , de quelques autres personnes
et de moi ; et à l'avenir il faudra , s'il
vous plaît,que cela soit ainsi , autrement plus
de secret , et les Infideles seront bientôt instruits
AVRIL: 1731. 921
et de toutes nos
truits de tous nos discours
démarches.
Quand il s'agit d'entreprendre la guerre ,
ou de continuer la paix , répondit le Roi
des Tartares , c'est une maxime fagement.
établie , que de faire degrandes assemblées .
pour y mieux débattre des matieres si gra
ves , et d'y appeller sur tout les Gens de loi ;
parce qu'étant plus éclairez que les autres , es
les dépositaires de la justice , les résolutions
qu'on prend par leurs avis , sont plus équitables
, et le succès qui les suit plus heureux ;
au lieu que quand on les exclut des Conseils ,
et qu'onfait rouler tous les interêts de l'Empi
re sur trois ou quatre têtes seulement , il arrive
d'ordinaire ce que vous venez de voir
sous le regne d' Ibrahim Pacha , qui pourn'avoir
voulu se conduire que par ses foibles lu
mieres et celles de ces deux gendres, a mis l' Etat
à deux doigts de sa pertes aussi pour les
punir de leur trop grande présomption , Dien
a t'il permis , que ces trois Ministres , après
avoir souffert une mort ignominieuse , n'ayent
trouvé d'autres sépultures que les entrailles des
Chiens , dont leurs cadavres ont été la
proye.
Il est étonnant , continua ce Prince
qu'un exemple si récent et si terrible , ne vous
corrige pas de la manie que vous avez de tout
regler, et de toutfaire par vous-même , mais si
sela continue , je vous déclare dés- à - present
queje supplierai Sa Hautesse de me renvoyer
922 MERCURE DE FRANCE
à Brousse pour y vivre en repos , dans la
folitude , et n'être plus témoin des attentats
qui se commettent ici impunément tous les
jours contre son honneur et le bien de son
service.
D
.
On voit par ce qui vient d'être rappor
té , qu'il n'y eut que le Kam et Patrona ,
qui parlerent dans ce Conseil , et qu'on
n'y conclut rien . Le premier se retira
bien résolu de redoubler ses instances auprès
du Grand Seigneur , pour hâter la
destruction des Rébelles ; tous les autres
assistans se retirerent le coeur ulceré
contre eux. Ceux- ci s'en furent chez le Janissaire
Aga , où ils s'applaudirent de
tout ce qui venoit de se passer , et prirent
de nouvelles mesures pour mettre
la derniere main à leur grand oeuvre ,
qui étoit , comme nous l'avons déja dit ,
de s'emparer des premieres Charges du
Gouvernement.
Patrona fut le lendemain 24 à l'Arsenal
de la Marine , rendre une visite de
politique , à Dgiannum-Codgea , pour lui
faire compliment sur sa nouvelle dignité,
qu'il comptoit de lui ravir bientôt , ne se
doutant pas que la foudre fut si prête d'é
clater sur sa tête . Le Capitan Pacha , aussi
fin et plus prudent que lui , le reçut
avec des honneurs extraordinaires , et lui
fat l'accueil du monde le plus gracieux ;
ik
AVRIL. 1731. 923'
3
Hs s'entretinrent ensemble avec toutes les
démonstrations d'une estime et d'une ami
tié réciproque , et lorsque Patrona l'eut
quitté pour s'embarquer dans un Bateau
à trois paires de Rames seulement accompagné
de deux autres , où se mirent
six personnes qui composoient toute sa
suite ; la foule fut si grande qu'il fut
comme porté jusqu'à l'Echelle , d'où il
jetta encore , ainsi qu'il avoit fait en sortant
, des poignées de Sequins au peuple :
en remarqua qu'il étoit chaussé ce jour -là,
contre son ordinaire , et que sa chaussu
re consistoit en un demi bas qui s'agraffe
sur le gras de la jambe , comme en portent
les Officiers de Mer.
•
Ce même jour qui étoit un vendredi ,
le Grand Seigneur vint faire sa priere du
midi , à la Mosquée de Topana de
l'autre côté du Port ; de- là Sa Hautesse fut
visiter la Fonderie de l'Arsenal où l'on
fabrique les Canons ,, dont on avoit
fait une décharge . générale à son débarquement
; ensuite prenant par les der
rieres de Pera , elle monta avec un grand
cortége au Serrail des Itchoglans , où elle
dîna. On avoit compté que le Sultan traverseroit
le Fauxbourg,à son retour, mais
des flateurs courtisans , et de faux dévots
en détournerent Sa Hautesse
représentant d'un air empressé , quand
elle E
>
>
cn lui
924 MERCURE
DE FRANCE
elle voulut se remettre en marche , que
ces ruës n'étoient habitées que par des
Infideles , et que leurs regards pourroient
lui être d'un sinistre présage. Cet avis
supersticieux lui ayant fait changer de
sentiment , elle reprit la même route par
où elle étoit venue , aprés avoir donné
75. mille livres aux jeunes gens de ce
Serrail qu'on y éleve pour son service , et
dont elle emmena quelques uns avec elle
des mieux faits et des plus capables.
Pendant que l'Empereur se promenoit
ainsi avec la plus grande partie de sa
Cout , et qu'il ne paroissoit pas qu'on
songeat qu'il y cut des Rébelles à Constantinople
, le Kam des Tartares , le G.
V. le Mufty , Dgianum-Codgca , et quelassemblez
secret- ques autres Ministres ,
tement au Serrail prononçoient leur
Sentence de mort. Ils travaillerent jusà
trouver ques bien avant dans la nuit ,
les moyens de l'executer , car ils furent
long- temps embarrassez sur le choix des
Acteurs de cette Tragedie.
›
}
Le Capitan - Pacha avoit d'abord proposé
d'en charger ses Leventis , mais on
fit réflexion que la plupart des Révoltez
étoient Janissaires , et que ce seroit jete
ter une semence de haine implacable entre
ces deux corps , qui ne finiroit peutêtre
que par l'extinction de l'un ou de
l'autre
AVRIL 1731. 985
T'autre ; enfin après s'être tournez de tous
les côtez , ils convinrent qu'il falloit don
ner cette expedition à faire aux Bostangis
, et autres domestiques du Serrail
parce que ,étant particulierement attachez
à la personne du G. S. les Janissaires ne
pourroient pas se formaliser de leur obéissance,
aux ordres deS.H.d'autant plus qu'il
y a plusieurs exemples que les Bostangis
ont été commis à de pareilles executions.
Le 25 au matin , tout étant préparé
le G. V. envoya inviter Patrona , Mouslouh
, et le Janissaire Aga , de venir au
Serrail , pour y rendre compte au Sultan
, de la conference qui avoit été tenue
le 23. et pour prendre des arrangemens
avec eux , tant sur les affaires de Perse
que sur toutes les autres qui regardoient
l'Empire. Ils s'y rendirent sur les onze
heures avec 26. personnes seulement , qui
resterent dans la premiere cour . Pour
eux ils furent introduits dans l'interieur
de ce Palais , à la Chambre nomméc
Sunnet- Odassi , où ils trouverent le Kam
des Tartares , le Mufty , le G. V. Dgianum
- Codgca , les deux Kadileskers en e
xercice , l'Istamboul-Effendi, et grand nombre
de Gens de Loy, tous assis sur le Sopha ,
chacun selon son rang ; ils s'y mirent aus,
C'est la Chambre où l'on fait la cérémonie de
la Circoncision des Princes Ottomans.
E ij si
916 MERCURE DE FRANCE
si selon le leur , et quoiqu'il y eut
dans la même Chambre ↑
beaucoup
d'Officiers, Dasseskis , et de Bostangis , qui
se tenoient de bout , ils ne soupçonerent
rien de la catastrophe qui leur de
voit arriver , parce que n'étant pas permis
à ceux qui entrent dans le Conseil de
faire entrer leurs gens dans cet endroit ,
ce sont toûjours des domestiques du G.
S. qui les servent en ce dont ils peu
vent avoir besoin ; de sorte que par la
grande quantité de Maîtres qu'il y avoit
alors , celle des Officiers et des domestiques
de S. H. ne devoit point paroître
extraordinaire aux Rébelles.
9
Tout le monde étant donc en ordre , le
G. V. prit la parole , et la portant d'abord
à Patrona , S. H. lui dit- il , vous
fait Bieylierbey de Romele , et vous donne
le Commandement de 30. mille hommes ,pour
aller joindre Achmet , Pacha de Babilone ,
avec lequel vous agirez de concert contre les
Persans.
1 Il s'adressa ensuite à Mouslouh et au Janissaire
Aga; il dit au premier,que l'Empereur
lui donnoit la qualité de Bieylierbey
de Natolie , avec un Commandement de
Troupes aussi , et au second qu'on le faisoit
Pacha à trois queues . Quant à vous ,
ajoûta- t'il ,se tournant vers Zulali - Zadé
Kadilisker- d'Asie , et vers Abdollach - Ef
fendį .
AVRIL. 1731. 927
-
fendi, Lieutenant General de Police , le G.
vous fait présent d'une queue à chacun .
A peine ce Ministre eut-il proferé ces
derniers mots , que Mustapha-Aga , dont
nous parlerons dans la suite cria , qu'on
extermine tous ces ennemis de l'Empereur et.
de l'Empire : aussi- tôt plus de trente personnes
se jettant le sabre à la main sur
Patrona , Mouslouh , et le Janissaire
Aga , les tuerent avant qu'ils eussent le
tems de se reconnoître.
On raconte ce massacre de differentes
manieres ; il y en a qui prétendent que
ces trois Rébelles se voyant perdus , vendirent
cher leurs vies , en blessant à mort
plusieurs Bostangis , et que Dgianum ,
Codgea fut le premier qui porta un coup
au Janissaire Aga , lequel se mettoit en
devoir de le tuer; d'autres rapportent qu'il
ne fit seulement que lui saisir les mains ,
et cela est assez vrai - semblable ; on dir
les Leventis furent enployez
dans cette affaire ; il est vrai que le Capitan
- Pacha , en avoit amené beaucoup
avec lui , mais ils resterent dans la premiere
Cour , et ne penetrerent point plus
encore que
avant.
Il y a peut être lieu de s'étonner que Patrona
, rusé et prévoyant comme il étoit,
se fut exposé à entrer dans le Serrail' sans
armes et sans suite , d'autant plus que les
E iij autres
928 MERCURE DE FRANCE
autres fois qu'il y étoit allé , il avoit toû
jours porté son sabre et ses pistolets , er
s'étoit fait accompagner par beaucoup de
ses camarades ; mais on répond à cela que
le G. V. pour le faire mieux tomber
dans le piége , lui avoit fait dire en
particulier , qu'ayant cette fois ci des matieres
à traiter de la derniere importance ,
et que reconnoissant qu'il avoit en raison
de se plaindre dans le dernier Conseil que
F'assemblée étoit trop nombreuse , il le
prioit de ne mener que peu de monde avec
Jui , afin que les secrets de l'Etat ne fussent
pas divulguez aux Infideles ; si bien
que Patrona , flatté de ce que ce Ministre
donnoit dans son sens , se livra avec tant
de confiance, qu'il fit même rester ses gens.
dans la premiere cour , et qu'il n'avoit
d'autre armes qu'un espece de Couperet ,
caché sous sa Pelisse , encore ne lui servitil
de rien , car ayant voulu le prendre ,
quand il vit qu'on venoit sur lui , Mustapha
Aga le prévint et lui abatit un bras
d'un coup
de Sabre.
و
A l'égard de Mouslouh qu'il avoit
aussi engagé à venir comme lui sans atmes
, il s'enveloppa dans ses Pelisses magnifiques
, et se laissa tuer sans faire le
moindre mouvement.
Quoiqu'il en soit de toutes ces cir
constances , dès que ces séditieux furent
J morts
AVRIL. 1731. 929
s
morts , on jetta leurs cadavres dans la
troisiéme cour , où est la chambre de Sunnet
- Odassi et l'on fut chercher les
26. enfans perdus , qui étoient demeurez
dans la premiere . On leur dit avec
politesse , que le G. V. qui venoit de donner
des Pelisses à leurs Chefs , les demandoit
pour leur donner aussi à chacun un
Caftan ; mais on ne les fit entrer que trois
ou quatre à la fois , à diverses reprises
sous prétexte de faire cette cérémonie
avec plus de décence , mais à mesure que
ces miserables étoient passez dans la seconde
cour , on les assomoit. Cependant au
bout d'une demie heure , quelques uns de
ceux qui restoient encore , ne voyant revenir
aucun de leurs camarades eurent
quelque soupçon de ce qui se passoit , et
voulurent se sauver , mais trouvant toutes
les portes fermées , ils furent investis
et tuez comme les autres .
,
Le bruit s'étant répandu par la Ville ,
que les Chefs des Rebelles étoient depuis
long- tems au Serrail, dont on avoit fermé
les Portes ; cela réveilla quelques- uns de
leur partisans qui y vinrent avec précipitation
, mais les Portes ayant été ouvertes ,
ces Agas , qui faisoient tant les braves , ne
virent pas plutôt des Chariots chargez de
corps massacrez , que saisis d'épouvante ,
Eij
›
ils
930 MERCURE DE FRANCE.
ils s'en furent , et abandonnerent même
leurs Chevaux.
Tous ces cadavres furent étalez dans
la rue ; il s'y amassa
>
ruë il s'y amassa un peuple innombrable
, pour les considerer , surtout
celui de Patrona , que chacun voulut voir
préferablement
aux autres ; ils ne furent
pourtant exposez que deux heures , après
quoi on fut les jetter dans la Mer , de
crainte qu'un spectacle si effrayant n'eut
des suites dangereuses , et que les Rébelles
, qu'on sçavoit être en grandnombre ,
se sentant aussi coupables que ceux dont
ils voyoient les tristes restes n'excitassent
un second soulevement populaire
dans l'esperance d'éviter un pareil sort
à la faveur des nouveaux désordres
en effet il y en eut plusieurs qui furent
au Bezestin pour en faire fermer les boutiques
, mais ils n'y purent jamais parvenir
, le G. S. ayant pris le devant par un
Katcherif adressé au Bt zestin Kyassi ,.
( c'est à peu près comme le Prevôt des
Marchands , ) qui menaçoit de mort
quiconque fermeroit ou souffriroit que
Fon fermât les boutiques pour quelque
cause que ce fut.
>
On vient de voir que les dons imaginaires
. que le G. V. avoit faits de la part du
Sultan , à Patrona , à Mouslouk`, et au
Janissaire Aga , avoient été le signal de
leus
AVRIL 17313 931
perte , mais comme tout le monde ne
comprendra pas , que ce ministre en disant
ensuite à Zulali - Kadé , et Abdollah-
Effendi , que Sa Hautesse leur faisoit présent
d'une queue , leur anfonçoit aussi la
mort ; il ne sera pas hors de propos
d'expliquer
cette espece d'Enygme..
Les Effendi , ou Gens de Loy , sont en
si grande vénération dans cet Empire
sur tout par rapport à leur sçavoir, que les
Empereurs les ayans toûjours honorez jus
qu'à la superstition , il y a très - peu d'exemples
qu'ils en ayent fait mourir. Ainsi
quoique ceux dont il s'agit ici , pour
avoir été les Arcsboutans de la Révolte ,
méritassent le dernier supplice ; S. H. qui
ne voulut point violer leur caractere ,
fut obligée de les en dépouiller , afin d'àvoir
la liberté de satisfaire à sa justice ,
et ce fut en leur donnant cette queue que
se fit leur dégradation , parce que ce signe
d'honneur , qui est incompatible avec
l'état d'homme de Loy , les faisants passer
dans celui d'homme de guerre , auquel
il est particulierement affecté , le
Sultan n'étoit plus arrêté par aucun scrupule
, et pouvoit disposer à son gré de
leur vie , dés le moment qu'ils avoient
cessé d'être Effendi ..
Il sembleroit par cette raison , que
S. H. auroit donc dû les faire périr sur le
Ev champ
32 MERCURE DE FRANCE
champ comme les autres , mais un reste
de menagement pour leur dignité , et la
présence de leurs confreres l'engagea à les
faire executer ailleurs .
Dès que le G. V. leur eut donné la funeste
marque de distinction , dont on
vient de parler , on les conduisît à la pri
son du Bostangis- Bachi ; ils y trouverent
beaucoup de personnes de l'ancien ministere
, que Patrona et Mouslouh y avoient
fait mettre , et Abdoullah- Effendi , que
les approches de la mort ne rendoient
pas plus sage , appercevant parmi ces pri
sonniers le Vaivode de Galata , qui après
avoir été long-temps caché avoit enfin
été pris , lui dit , Vous l'avez tous échapez
belle , car nous étions bien résolus de
vous envoyer en l'autre monde ; heureusementpour
vous on nous a prévenus. Le vieux.
Vaivode piqué , lui répondit d'un air gra
ve ,
.
et colere tout ensemble ; je me sousie
si peu de la vie , que je mourrois satisfait
, si je pouvois auparavant avoir le plai..
sir de teindre ma barbe blanche de ton
sang. Leur conversation n'en seroit pas
demeurée là , mais des Officiers vinrent
l'interrompre pour conduire ces deux
Effendi degradés sur une Galere qui
étoit à la pointe du Serrail , et de laquelle
, après les avoir étranglez , on les
jetta dans la Mer.
La
AVRIL. 1731% 933
La nouvelle de toutes ces exécutions
templit d'une joye universelle tout Constantinople
et ses Fauxbourgs ; la plûpart
des Turcs égorgerent des Moutons en sacrifice
, de leur propre mouvement , et
devancerent les ordres du G. S. qui fit
publier que tout le monde rendit grace à
Dieu , de ce que par sa misericorde , l'Etat
étoit enfin délivré des traîtres et perfides
Chefs de la rébellion .
S. H. commanda en même- tems qu'on
eut à dénoncer et à saisir tous ceux qu'on
reconnoîtroit avoir été de leurs compli
ces , pour leur faire souffrir les mêmes
châtimens ; de sorte qu'en trois ou quatre
jours il périt par differens genres de
mort , la plupart dans le silence de la nuit,
près de 6000 de ces malheureux . Ils ne
sçavoient où fuir , ni à qui se confier ; on
les trouvoit on les arrêtoit , on les
déceloit par tout.
›
Il y en eut pourtant sept des plus criminels
, qui se sauverent chez le Kam des
Tartares ; ce Prince les garantit de la main
des bourreaux , moins par un effet de sa
compassion , dont ils étoient indignes.
que pour conserver à son Palais le droit
qu'il a d'azile inviolable ; mais il prit la
précaution de faire poser des Gardes à
toutes ses portes , afin qu'à l'avenir son
équité ne fut plus compromise en réfus
Evj giant
934 MERCURE DE FRANCE
giant chez lui de pareils scelerats .
Sultan Mahmout , encore plus attentif´
à récompenser qu'à punir , donna le même
jour la dignité de Janissaire- Aga , à
Mussin- Oglou - Abdullah , Pacha de Nisse,
qu'on avoit fait venir depuis peu , et dont
on se servit utilement dans ces conjonctures.
S. H. le fit outre celá Vizir à tros
queues. Il est vrai que la Charge de Ja- ·
nissaire Aga donne bien ce rang par ellemême,
mais quand on en est honoré indépendamment
de la Charge , celui qui´là .
pos ede en a plus de relief et d'autorité
et c'est par cette raison , que sous le précédent
Ministere , on n'a jamais fait de
Jani saires Agas , que des Pachas à deux
queues , afin qu'ils n'eussent pas tant dė
crédit. Dgannum Codgea , qui venoit
d'être fait Capitan Pacha , n'avoit aussi
qquuee deux queues ; mais le G. S. satisfait
de ses bons conseils et de son courage , lui :
en donna une troi iéme.
Mustapha Aga , dont nous avons promis
de parler , reçût pareillement des
marques dé la bien -veillance du G. S. On
le connoissoit autrefois sous le nom dè
Pehlivan , qui veut dire le Lutteur , parce
qu'en effet son adresse et sa force à là
lutte , et dans tous les autres exercices du
corps , jetterent les premiers fondements .
de sa fortune. Il avoit été dès son bass
âgé
AVRIL 17317 935
་
age créature du Kan des Tartares , à présent
régnant , qui le fit ensuite Officier
dans les Janissaires , et il se trouvoit Capitaine
de la 17 Compagnie , lorsque la ré
volte éclata. Pelivan s'enfuit: aussi tôt à
Brousse , auprès de son ancien Maître ' ,
pour n'être point impliqué dans tous les
forfaits qui s'alloient commettre ; puis
étant revenu à la Cour avec le Kam , ce
Prince le présenta au G. S. comme un su
jet fidele , et d'une valeur éprouvée : ce
*fut lui , comme nous l'avons dit , qui fut
chargé d'annoncer l'ordre du massacre
des Rebelles , et qui le commença le pre
mier , en coupant un bras à Patrona. S.
H. voulant donc reconnoître ce service ,
ket se souvenant aussi des rapports avantageux
que le Kam lui en avoit fait , le nomma
Lieutenant General des Janissaires , à
la place de Mouslouh. Sa modestie lui fit
d'abord refuser cette faveur; il representa
qu'il n'étoit pas assez ancien dans son
Corps , qu'il n'avoit pas assez de méri
te pour remplir une Charge si distinguée,
et que cela pourroit lui attirer l'envie et :
la haine des autres Officiers , qui en étoient :
plus digne que lui ; mais le G. S: passant
pat- dessus toutes ces considérations , lui
commanda d'obéir , ce qu'il fit en rendant
mille graces à S. H.
8
Le lendemain 26 Novembre , l'Empe →
reur
936 MERCURE DE FRANCE
reur envoya des Katcherifs à tous les
Chefs des differentes Milices , pour leur
faire part de ses heureux succès , et leur
enjoindre de faire observer une exacte discipline
à leurs Soldats ces commandemens
furent accompagnez de sommes considerables
, dont S. H. voulut qu'on fe
distribution dans chaque Corps . Elle envoya
so mille écus aux Janissaires , 60
mille livres aux Tobgdgis , et 75 mille
aux Gbedgis. Les Troupes , charmées des
génerositez de leur Souverain , firent des
prieres pour sa conservation et sa prospérité
, et durant toute cette journée , Constantinople
fut dans l'allegresse , excepté
les Rebelles , dont on prit un grand nombre
, qui ne survêcurent que peu d'heures
à leur emprisonnement .
Le miserable Yanuki eut aussi la tête
coupée , pour le punir de la témerité qu'il
avoit euë , de vouloir devenir Prince de
Moldavie malgré le G. S. Ainsi l'espece
de prédiction de Patrona , quand il demanda
à ce Boucher s'il ne se soucioit pas.
de vivre plus long-tems que lui , s'accomplit
presqu'à la lettre , puisqu'ils moururent
à un jour l'un de l'autre.
Le 27. les principaux Ministres , et les
premiers Officiers des Troupes , donnerent
toute leur application à redoubler
leurs recherches et leurs poursuites contre
le
*
AVRIL 1731.
937
"
Te reste des Rebelles , surtout pour empê
cher les incendies , car Patrona avoit déclaré
plusieurs fois , que si jamais on attentoit
à ses jours , il feroit mettre le feu
aux quatre coins de Constantinople , et
pour y mieux parvenir , il avoit placé
dans tous les Bains , des gens qui lui étoient
dévoüez entierement. Effectivement , la
plupart des gens qui les servent sont Albanois
, comme il l'étoit or il y a
une grande quantité de cette Nation parmi
la populace , et l'on remarquoit en eux
un certain air d'arrogance et de révolté ;
jusques- là , que ceux qui tiroient d'eux.
quelques services , étoient obligés de les.
payer au double , encore les menaçoientils
de Patrona , dont la prosperité rapide
et brillante , les avoit si fort éblouis , qu'ils
croyoient tous faire fortune par son cainal
; mais depuis sa mort , ces rustres glo
ricux sont devenus si humbles , et si craintifs
, qu'on n'en voit presque plus paroî
tre dans les rues . Le G. V. en a beaucoup
fait pendre , et pour des fautes les plus légeres
, on leur donne de cruelles bastonades
, afin qu'ils n'oublient pas si - tôt l'auteur
de leurs biens chimeriques , er de
leurs maux réels .
Le 28 Novembre , jour auquel nous finirons
cette Relation et auquel
ent aussi fini les suites de la Révolté
,
сем
9
938 MERCURE DE FRANCE
commencée à pareil jour du mois de Sep
tembre précédent , toutes les personnes
de l'ancien Ministere qui étoient encore
en prison , furent élargies , moyennant
des taxes modiques , et le G. S. fermant
l'oreille à la séverité , pour n'écouter plus
que la clémence , accorda une amnistie
generale à tous ceux qu'on pouvoit encore
accuser d'avoir eu part et d'avoir contribué
aux troubles de l'Erat; avec cette modifica--
tion pourtant , que ceux qui seroient reconnus
pour avoir été du nombre des premiers
conjurez , et qui auroient persisté?
dans la rébellion jusqu'à la fin , n'auroient
que la vie sauve , et subiroient l'éxil qu'on
leur prescriroit.
XXXXXX:XX :XX:XXXXX
LETTRE écrite de Paris le 30 Avril 1731..
au sujet de la Révolution de Constantinople
, contenant quelquesfaits Anecdotes
et qui peut servir de récapitulation à la
Relation de cet événement
C
و
" Est avec quelque sorte de peine ,
Monsieur , que je me suis déterminé
à rendre publique une Lettre que je reçois
de Constantinople. Les récits qu'on lit.
dans vos Mercures de la Révolution arrivée
en Turquie , semblent ne laisser rien
AVRIL. 17312 939
désirer pour constater un évenement
aussi extraordinaire ; cependant en les
comparant avec le détail que l'on m'en fait
dans cette Lettre ; j'y ai appris deux cir
constances essentielles , dont on n'a point
encore parlé. On y verra le motif de la sédition
, et les progrès insensibles d'un dessein
d'abord témeraire , mais apuyé sous
main par le Capitan- Bacha , et porté à un
succès inesperé , par l'inaction du Grand
Vizir et du Sultan. Ces nouvelles au
reste , ne sçauroient être révoquées en
doute ; celui dont je les tiens fait depuis
plusieurs années un séjour actuel à Constantinople
, y est connu et consideré des
plus grands Pachas de la Porte , et a lié
une amitié étroite avec un des premiers
Officiers du nouveau Sultan..
31
Le Prince Thamas s'étoit à peine affermi
sur le Thrône de ses Ancêtres , qu'il
s'êtoit pressé d'envoyer une Ambassade
célebre à la Porte , pour redemander la
restitution des Provinces et Places dont
les Turcs s'étoient emparez pendant la
Révolution.
Il avoit soutenu cette Ambassade d'une
grosse Armée , dont les progrès continuels
rendirent les Turcs plus traitables , et les
forcerent à écouter une proposition ,
qu'ils auroient rejettée avec hauteur dans
un autre tems. Il fut résolu dans un grand
Divan
740 MERCURE DE FRANCE.
Divan que l'on remettroit ces Provinces
au Roi de Perse.
Le Roi de Perse n'avoit pas oublié les
cruautez exercées par les Turcs durant la
Conquête de ces Provinces . Cette plaïe recente
saignoit encore , et les dégats que
son Armée avoit causés sur les Terres des
Turcs , ne l'en avoient pas assez pleinement
dédomagé ; aussi saisit- il l'occasion
d'assouvir la vengeance qu'il méditoit
et quelques Soldats restez à la garde des
Places , furent les malheureuses victimes
de sa colere.
+
Ils furent arrêtez , on leur coupa le nez
et les oreilles , et on les embarqua sur un
Bâtiment du païs au nombre de 300-
Le Grand Vizir en fut informé à propos
; il avoit été l'Auteur de la guerre
pendant la Révolution de Perse , il venoit
de conclure la paix malgré les oppositions
de tout le Divan : il craignit avec raison
qu'une execution de cette nature
n'eut des suites fâcheuses ; il dépêcha
des Courriers et des ordres précis aux
Gouverneurs des Places situées à l'embouchure
de la Mer Noire , de couler à
fond le premier Vaisseau qu'ils appercevroient.
le
Le succès répondit à son attente ,
Vaisseau fut englouti , et cette affaire n'auroit
point éclaté , si un nommé Patrona ,
1
qui
AVRIL. 1731. 941
qui avoit été témoin de l'éxecution en
Perse et qui (à ce que prétendent quelquesuns
you comme d'autres le veulent ) avoit
échappé au naufrage , n'eut découvert ce
qu'il importoit au Grand Vizir de tenir
caché.
Ce Patrona arrive à Constantinople ;
marche vers la grande Place , attache un
Drapeau au bout d'un bâton , dont il
étoit armé , ordonne à tous les vrais fideles
de se ranger autour de lui .
Le Peuple ne parut pas d'abord bien
disposé à la révolte ; on ne répondit à
Patrona que par un grand silence , et depuis
le matin jusqu'à midi , il n'avoit rassemblé
que 10 à 12 personnes. Il eut été
facile de dissiper ce petit nombre de factieuxs
mais la lenteur du Capitan Bacha
que l'on soupçonna depuis d'être d'intelligence
avec Patrona d'ailleurs ennemi-
déclaré du G. V. et les peintures vives
et affreuses que Patrona présentoit au peuple
des indignitez commises sur le petit
nombre des Soldats Turcs , entraîna enfin
le peuple. On ferme les Boutiques , on
s'atroupe , on court au quartier des Jánissaires
, et on tourne droit au Serrail
en criant justice et vengeance .
3
>
Le Sultan Achmet étoit enfermé avec le
Grand Vizir et le Capitan-Bacha , et ne
décidoit rien lorsque les cris de la popu-
Lace
942 MERCURE DE FRANCE
lace épouvanterent le Grand Vizir ; qui ,
désesperant de remedier à un mal si pressant
, accusa le Capitan - Bacha. C'est ce
chien , dit- il , au Grand Seigneur , qui est
cause de tout ce désordre . Le Grand Amiral
picqué , rendit compte à l'Empereur
des motifs secrets , qui avoient occasionné
la paix et la guerre avec la Perse.
Le Sultan pressé par le peuple qui lui
demandoit justice , et indigné de se voir
trompé par ses deux Ministres , les fit
étrangler sur le champ et livra leurs corps
à la Populace qui les mit en pieces. Cer
Acte de Justice auroit dû naturellement
appaiser les Mécontens . Mais l'avarice ,
Foisiveté et la molesse du G. S. avoient
fort indisposé les Peuples contre lui ; aussi
Pattaquerent-ils ensuite , le détrônerent
et éleverent sur le Trêne Sultan Mah .
moud , son neveu , confié depuis longtemps
à la Garde des Janissairés .
Patrona devint bien- tôt le maître ; rien
me se décidoit que par ses ordres ; ik assistoit
à tous les Divans ; son avis y étoit
le seul suivi , il alla même jusqu'à nommer
un Janissaire-Aga . Le Sultan nouvellement
élû supportoit impatiamment une
autorité égale à la sienne ; il chercha à
abbatre un Sujet si craint et si redouté.
Il y réussit par une voye qui sembloit
assurer à Patrona le pouvoir qu'il venoit
d'usurper.
AVRIL. 1731. 943
Le Selicktar , ou Porte- Enseigne du Sultan
déposé , avoit obtenu du Sultan Mahmoud
, la place de G. Visir , loind'être lié
d'interêt avec Patrona , il servoit d'obstacle
à ses desseins. Sa perte fut résoluë ;
il n'osa s'y prendre ouvertement et crut
qu'il en viendroit mieux à bout en cachant
son projet.
Il insinua donc au Sultan de rappeller
auprès de sa Personne un certain Dgianum
-Codgia , honoré déja de la place de
Capitan - Bacha , et exilé depuis long-temps
comme ennemi déclaré du G. V. massacré ;
homme de tête et propre pour un coup
d'état. Le G. S. y consentit ; il le décora
une seconde fois de la place de Grand-
Amiral. Il indiqua un Divan où les Bachas
de la Porte et les principaux Chefs
des Rebelles devoient assister , sous prétexte
qu'il étoit à propos de prendre des
mesures promptes et sures dans la guerre
que l'on alloit déclarer aux Moscovites .
C'est une ceremonie pratiquée journellement
chez les Turcs , de revétir avant
la tenne du Divan , le nouveau Grand-
* Amiral d'un Caftan , en presence du G. S.
le Ceremonial prescrit aussi qu'il en soit
revétu par le Janissaire - Aga.
I On avoit déterminé à ce moment la
punition des factieux , et le Janissaire-Aga'
devoit être la première victime. Tout
étant
944 MERCURE DE FRANCE
étant préparé, le Janissaire Aga s'approche
du Grand- Amiral , lui présenta la Veste.
Celui-cy lui porte un coup de Sabre qu'il
avoit caché sous sa Robbe , l'étend sur le
carreau ; on prétend qu'il tomba mort ,
d'autres veulent que blessé mortellement,
il se releva , tira son poignard , dont il atteignit
Dgianum- Codgia , qui muni d'u
ne armure , ne fut point blessé.
Au signal on se jette sur les factieux;
surpris et desesperez , ils se deffendent
vaillamment , mais ils succombent enfin
au nombre de 30. tandis que l'on massacre
ceux qui étoient restez au- dedans
du Serrail et dans les cours.
Le Peuple ne marqua par aucun
mouvement qu'il y prît part. On ne
s'en est point tenu à cette simple execution
; on poursuit vivement les séditieux,
leurs têtes sont mises à prix et on renouvelle
ces fameux tems des anciennes Proscriptions.
On prétend , au reste , que bien en å
pris au nouveau Sultan , d'avoir fait cet
exemple, et que le dessein de Patrona étoit
de remettre deux jours plus tard l'ancien
Sultan sur le Trône. On ignore quel en
pouvoit être le motif.
Les Révoltes sont assez ordinaires en
Turquie. La Canée n'en a pas été exempte;
un Impôt mis sur l'huile en a été
le
AVRIL. 1731 945
+
le prétexte. 300. hommes étoient déja
assemblez dans une Mosquée , et méditoient
de massacrer le Receveur ; mais
les soins du Bacha et du Janissaire Aga ,
ont arrêté ces premiers mouvemens , et
sous prétexte de presenter une Requête à
la Porte, ils les ont congédiez et renvoyez
chez eux .
Il seroit peu necessaire , Monsieur , de
faire remarquer ce qui differencie cette
Relation des autres données au Public ;
lui seul en doit juger. Je me flatte que
vous voudrez bien lui donner promptement
une place dans votre Mercure; dans
cette attente je suis , &c.
200
JUDITH ,
POEME ,
Tiré de l'Ecriture Sainte ,
Qui parlejugement de l'Académie des Jeux
Floraux a remporté cette année 1731 .
Toulouze , le Prix destiné à ce genre de
Poësie . Il est de M. l'Abbé Poncy de
Neuville.
Ux Aux coeurs humiliez l'Eternel est propice ;
Superbes Conquerans , redoutez sa Justice ,
46 MERCURE DE FRANÇE
Il change quand il veut , pour punir votre or
gueil ,
Les Lauriers en Cyprès et les Fêtes en deüil.
Holopherne , des Juifs méditoit la ruine ,
Sa fureur ravageoit la triste Palestine ,
La seule Bethulie ose lui résister ,
Mais helas ! que peut- elle ? et comment l'arrêter?
La faim , la soif , l'horreur
murailles ,
regnent
dans ses
Et la peste se joint au démon des Batailles.
Déja l'Assirien croit tenir sous ses Loix ,
Ces Juifs si renommez par de nombreux Exploits
Ces Juifs dont la valeur , maîtresse des obstacles ,
Tant de fois enfanta les plus fameux Miracles.
Superbe illusion : ô prophanes Humains ,
Adarez le Très-Haut , respectez ses desseins ;
Plus éloignez de vous que n'est dans sa carriere ;
L'Astre qui fait les jours et répand la lumiere ;
Que ne sont dans leurs cours ces Globes radieux ;
Dont sa magnificence a décéoré les Cieux.
Le Dieu des Juifs n'est point un Juge inexo
rable ,
11 va tendre à son Peuple une main secourable ,
Le cri de leur misere à son Trône est monté ,
Sa Justice s'appaise et cede à sa bonté ;
Mais quoi ! pour dissiper cette innombrable Ar
mée ,
Parmi des tourbillons de flamme et de fumée ,
Dien fera- t'il voler devant lui la terreur ?
En
1
AVRIL 1731. 947
Envoyera -t'il des Cieux l'Ange Exterminate ur ?
Non , non ; mais une Veuve obscure et solitaire ,
S'arrache par son ordre à sa retraite austere .
Judith va devenir l'instrument glorieux ,
Qui doit faire éclater sa grandeur à nos yeux.
De son Esprit Divin , cette Juive remplie ,
Elle seule entreprend de sauver Béthulie ,
Et le Dieu qui l'envoye ajoûte à ses beautez ,
Des riches ornemens les secours empruntez ;
Aux Tentes du Vainqueur elle arrive , il l'admire
Ce farouche Guerrier s'attendrit et soupire ;
Les Hebreux , lui dit- elle , ont mérité vos coups,
Seigneur , n'étendez pas sur moi votre courroux;
J'abandonne des murs que le Ciel abandonne ,
Où réside la mort et qu'un Camp environne.
Je viens vous découvrir des secrets importans.
Le Barbare l'écoute , il l'observe long-temps.
Judith lit dans ses yeux une ardeur témeraire :
Que cette ardeur coupable augmente sa colere !
La nuit succede au jour , un Festin fomptueux ,
Etale du Vainqueur le luxe fastueux
Des mets les plus exquis les tables sont comblées,
Les plus rares odeurs à l'Encens sont mêlées ;
"1Tout anime aux plaisirs ; des vins délicieux ,
Couronnent à l'envi des Vafes précieux .
Le Chef et les Soldats ont déposé leurs armes ,
La molesse triomphe , et ses perfides charmes ,
Enervent les esprits et versent dans les coeurs >
(
F D'un
948 MERCURE DE FRANCE
2
D'un poison dangereux les funestes douceurs.
Le superbe Holopherne ébloui de sa gloire
Va laisser de ses mains échapper la victoire.
Aveugle , il ne sent pas que pour les vrais Héros
Il n'est point d'ennemi pire que le repos.
Dans un calme trompeur , tel un Nocher peu sage,
S'abandonne à la joye et méprise l'orage.
Sur la foi des Zéphirs il dort paisiblement
Sa Nef semble regner sur l'humide Element
Les flots impétueux s'abbaissent devant elle ;
Mais tout à coup quel bruit ! ô disgrace cruelle!
Tous les vents déchaînez troublent le sein des
Mers ,
La nuit d'un voile obscur enveloppe les Airs ;
3 La Tempête , la Foudre et l'Onde mugissante ;
Des Eclairs redoublez la lueur palissante ,
Arrache, mais trop tard , le Nocher au sommeil.
Des fiers Affiriens tel sera le réveil ,
Ils sont ensevelis dans une longue yvresse ,
Les feux sont presque éteints et partout le bruit
cesse.
Judith veille , elle est seule , elle sent la terreur ;
Pour la premiere fois s'emparer de son coeur:
Mais bien-tôt bannissant cette crainte coupable
Elle ose envisager l'Ennemi redoutable ,
Sans suite et sur un lit lâchement étendu ,
Son large Coutelas y brille suspendu ;
Judith le prend , approche et son ame s'écrie ,
Dieu
AVRIL. 1731. 949
•
Dieu puissant , soutiens -moi , dêlivre Béthulie a
Toi dont jamais en vain je n'implorai le nom
Qui jadis mis le Glaive aux mains de Simeon ,
Pour punir de Sichem l'audace criminelle ,
Qui toûjours de ton Peuple embrassant la querelle
,>
Ouvris les vastes Mers à nos Ayeux errans ,
Et réunis leurs flots pour perdre leurs Tyrans
Toi qu'on nomme l'Arbitre et le Dieu des Batailles
;
Toi par qui Jericho vit tomber ses murailles
Jahel de Sisara termina le destin ;
David trancha les jours de l'altier Philistin
Le genereux Ahed illustra sa memoire .
Débora de mon sexe éternisa la gloire ;
Fais tomber sous mes coups dans l'infernale.nuit,
Le superbe vainqueur que ton courroux poursuit.
Que son trépas apprenne à craindre ton Empire.
Elle dit , elle frappe , et ce Vainqueur expire.
L'Hébreu met à son tour l'Idolâtre en ses fers ,
Quand le Ciel est pour nous , que peuvent les
Enfers
Si Deus pro nobis , quis contrà nos ?
LET
950 MERCURE DE FRANCE
LETTRE du R. P. Sicard , Jesuite ,
sur les differentes Pêches qui se font
en Egypte.
d'executer vos ordres , je ne sçai s'il
sera en mon pouvoir de faire entierement
ce que vous desirez de moi. L'Egypte ,
dites- vous , a la Mer Méditerranée au
Nord , la Mer Rouge à l'Est ; elle est
coupée par le Nil ; elle a une infinité de
Lacs d'une étendue prodigieuse. Vous
avez lû dans plusieurs Auteurs qu'il y a
des Peuples entiers dans la Basse Égypte ,
qui ne vivent que de Poisson . Ainsi vous
ne doutez point que le Poisson ne soit
en Egypte en plus grande abondance
qu'en tout autre pays de la Terre ; sur
quoi vous me faites deux questions , sçavoir
, quel est le commerce de Poisson
que font les Egyptiens , tant en Egypte
que hors l'Egypte , et quelles sont les
denrées qu'ils en tirent des Pays Etrangers
; outre cela , quelles sont les especes
de Poissons que l'on pêche , soit dans le
Nil , soit dans les Lacs .
.
Le premier article m'est fort inconnu,
et un pareil détail ne convient gueres à
ma
AVRIL. 1731. 951
un Missionnaire , ni a un homme de ma
profession . Tout ce que j'ai pû faire , a
été d'interroger sur cela les plus fameux»
et les plus habiles Négocians du Grand-
Caire, et de quelques autres Villes d'Egypte.
Ce n'est donc que sur leur rapport que.
j'ai l'honneur de vous dire que ce sont uniquement
les Négocians de Damiette et de
Rosette , qui transportent sur les Côtes
de la Syrie , la Saline qui sort d'Egypte ;
et que ce sont les seuls Riverains des Lacs
de Manzalé , de Brulla et de la Beheiré
qui fournisent la Saline qui est transportée
hors du Royaume. Les Riverains des
autres Lacs ne vendent que du Poisson
frais qu'ils débitent sur les lieux.
Je conçois qu'une idée aussi generale
que celle là du Commerce que fait l'Egypte
du Poisson salé , ne vous donneroit
pas beaucoup de lumieres pour le
dessein que vous avez ; je vais donc m'étendre
plus au long sur certaines particu
laritez qui ont rapport à cela. Je les connois
par moi-même , et elles vous mettront
en partie au fait , ou du moins elles vous
seront de quelque utilité pour éclaircir
cette matiere. Je commence par les trois
Lacs dont on tire tout le Poisson que l'on
sale et que l'on fume ; au reste , ce que
je dirai de l'un , vous pourrez le
dire des autres , à proportion de leur
grandeur.
Fiij Le
952 MERCURE DE FRANCE
Le Lac de Brullos a 15. à 18. lieuës de
longueur , et 4. à 5. lieues de largeur. Il
est situé entre Damiette et Rosette.
Le Lac de Beheiré n'a tout au plus que
sept lieues de tour , et est situé entre Rosette
et Alexandrie.
Le Lac de Manzalé commence à l'Est,
à demie lieuë de Damiette , autrefois Thamiathis
, et finit au Château de Thiné ,
anciennement Peluse. Il a 22. lieuës de
long à l'Est-Ouest , et 5. à . lieuës de
large au Nord - Sud. Le fond en est boüeux
et plein d'herbes . Il n'y a que 4. pieds
d'eau ou environ , en quelque endroit
que ce soit , et il n'est séparé de la Mer
que par une langue de Sable , qui a tout
au plus une lieuë de large.
Cela n'empêche pas que ce Lac n'ait
communication avec la Mer.Il l'a au Nord
par trois Embouchures ; sçavoir , par celle
de Thimé , qui est la plus Orientale
nommée autrefois l'Embouchure du Nit
Pelusiaque , par Eummefurrege , autrefois
nommée la Tanitique ; et par Dibé
ou Pesquiere , autrefois Mendezić.
Outre cette communication avec la
Mer , le Nil tombe dans ce Lac par pluseurs
Canaux au Sud. C'est ce qui fait
pendant deux ou trois mois de l'année ,
c'est-à- dire pendant l'Automne , qui est
le tems de l'accroissement du Nil , les
<
eaux
AVRIL. 1731. 953
eaux du Lac Manzalé sont douces ; au
lieu que dans autres neuf mois de l'année
, elles sont salées et approchantes de
celles de la Mer ; ce qui n'est pas surprenant
, car alors les Canaux du Nil sont
à sec ou si peu remplis d'eau , qu'à peine
en coule t'il dans le Lac.
Tout le monde n'a pas droit de pêcher
ce droit est affermé , l'on compte 2000.
Pêcheurs. Chaque Pêcheur paye par an
soo Medins, c'est-à- dire près de 40 francs.
L'Aga du Lac tire cette somme , et en
rend compte au Pacha du Caire. Ce n'est
pas tout , le tiers de la pêche , tant fraîche
que salée , appartient au Fisc ou Trésor
Royal. L'on paye pour le reste cettains
droits de Doüanne ; de sorte que Ic
tout monte à 80. Bourses par an ; par
consequent le seul Lac Manzalé produir
par an 40000. écus au Grand Seigneur.
J'ai été surpris de voir là quantité de
Bateaux qui sont employez continuellement
à la Pêche sur le Lac Manzalé ; l'on
en compte jusqu'à mille. La verité est
que ces Bateaux sont peu de chose , ils
ont tout au plus quatre brasses de long
et une brasse de large. Ils sont plus plats
par dessous , et pointus par la Poupe et
par la Proie.
La maniere de pêcher est particuliere
et assez divertissante . Les Pêcheurs en-
F iiij tou954
MERCURE DE FRANCE.
entourent d'un Seine ou long Filet , des
enceintes de jonc qu'ils ont plantez dans
le Lac pour engager et retenir le Poisson.
Ces enceintes se nomment Gabez . Chaque
Pêcheur est proprietaire d'un ou plusieurs
de ces Gabez, Ce sont autant de divers
Domaines , dans lesquels tout autre que
le Proprietaire n'oseroit aller pêcher.
Quelquefois ils se contentent de pêcher
avec un Filet rond . Alors avant que de
se servir du filet , ils jettent dans l'eau ,
à dix pas d'eux , une corde longue de
deux brasses , qui a à un bout une grosse
pierre propre à aller au fond , et à l'autre
un morceau de bois qui surnâge ; ils
le couvrent ensuite de leur filet . Le Pois.
son qui s'est rassemblé vers la pierre comme
une proye qu'il cherche à devorer
se trouve pris dans le filet .
Vous remarquerez que le Lac Manzalé
est rempli de petites Ifles couvertes de Roseaux
, de Joncs et de broussailles . Or
c'est dans ces Illes que les Pêcheurs portent
leurs Pêches lorsqu'ils veulent habiller
, saler et boucanner le Poisson . Pour
le Poisson qu'ils veulent vendre frais , ils
le portent à Damiette ou aux Villes et
Villages qui sont aux environs du Lac ,
Ces Ifles dont je viens de vous parler vous
enchanteroient par la multitude d'oiseaux
differens , et d'une beauté surprenante
•
qui
AVRIL 1731. 955.
qui n'en sortent que pour voler d'une
ille à l'autre. Le Pelican , la Poule de Ris
la Macreuse , la Poule d'eau , l'Oye du
Nil , à plumes dorées , le Canard commun
, le Canard à tête verte , la Sarcelle,
l'Ibis noir , l'Ibis blanc et noi le Cormoran
gris blanc , le Cormoran blanc à
bec rouge, le Chevalier , le Plongeon , la
Grüe , entr'autres Oiseaux , y sont à
milliers..
*
و
Il y a un article dans notre Memoire
qui ne m'occupera pas beaucoup, et je n'ai
point à craindre de ne me pas expliquer
clairement : cet article concerne les vête→
mens des Pêcheurs. Ils sont tous et en tout
tems en simple Caleçon , et ont le reste du
corps absolument nud , ce que j'attribuë
à la chaleur du Climat , qui est excessive.
Il n'y a pas dans les Lacs de Manzalé
de Bulos , de Beheiré, une si grande quantité
de Poissons de differentes especes que,
vous pourriez vous l'imaginer. J'ai examiné
la chose de près , et j'ai fait sur cela
toutes les perquisitions possibles. Après,
bien des recherches , j'ai trouvé que tout
se réduisoit à 7. ou 8. sortes de Poissons ;
sçavoir , le Queiage , le Sourd , le Jamal
le Geran , le Nogt , le Karous , le Bouri
autrement le Muge , et le Dauphin .
Le Queiage , qui est , sans contredit , le
meilleur Poisson du Lac , est de la gros
Fy SCU
956 MERCURE DE FRANCE .
seur d'une Alose , et est verd sous le mu
seau. Le Sourd et le Jamal , sont beaucoup
plus gros que le Queiage , et sont d'excellents
Poissons. Le Geran , le Karous , et le
Nogt , qui a cela de particulier , qu'il est
picoté , peuvent passer pour de bons Poissons
, ayant ce gout exquis et fin que donnent
naturellement les eaux du Lac Manzalé
à tout le Poisson qu'on y pêche . Les
Dauphins sont des Poissons si communs
et si connus , que si je vous en parle , c'est
parce qu'il y en a une si grande abondance,
qu'on pourroit bien dire qu'ils y fourmillent
, sur tout vers les Embouchures
qui communiquent à la Mer. Le Bouri
neanmoins est encore en plus grand nom
bre que le Dauphin . C'est le Poisson dominant
du Lac , et la quantité en est si
prodigieuse qu'on a peine à le croire.
On sale le Bouri , tant mâle que femelle,
et on le fait secher ou au Soleil ou à la fumée
, avec cette difference qu'on vend
quelquefois du Bouri mâle frais ; mais jamais
du Bouri femelle , parce qu'aussi-tôt
qu'on a pêché on en leve la boutargue ;
ainsi il n'est plus temps de l'exposer cn
vente , et on est obligé de le saler .
1
On sale aussi le Queiage. Ce sont donc
là les deux sortes de Poissons dont les
Egyptiens font proprement leur commerce
de Poisson salé, aussi bien que de la boutargue
AVRIL 1731. 957
targue. Ils portent l'un et l'autre dans la
Syrie , en Chypre , à Constantinople , et
ils en fournissent toute l'Egypte en st
grande abondance , que des Marchands
Européens qui voudroient apporter iei du
Thon , de l'Esturgeon , ou autre Poisson
salé , pourroient s'assurer qu'ils n'en auroient
pas le débit.
Je ne connois en Egypte de Poisson
salé , apporté des Pays Etrangers , que la
Caviar , qui vient de la Mer Noire. On
le vend aux Négocians de Damiette et
de Rosette , en argent comptant et non
pas en échange.
Vous concevez par là qu'ils entendent
fort peu le commerce et qu'ils n'en tirent
pas un grand profit. En effet je ne
scache pas qu'ils apportent d'autres Mar
chandises de Chipre que du Carrouge
du Lodanum er du vin ; de Syrie , du
Coton et du Tabac ; de l'Archipel , des
Eponges. Mais par la Mer Rouge , les
autres Négocians ant de l'Encens , du
Caffé et des Etoffes des Indes.
Il ne tiendroit qu'à eux de faire par la
même Mer un grand commerce de Perles,
et souvent on le leur a proposé . Cela n'est
pas de leur goût , et s'ils en font venir
e'est en petite quantité , et ce n'est même
que de la semence de Perles . Quand les
Européens apportent de l'Ambre jaune et
2
F vj du
958 MERCURE DE FRANCE
du Corail , ils n'achetent ces Marchandi
ses que pour les porter au Caire , er de- là
dans l'lemen et en Ethiopie. En un mot
il seroit très- difficile de marquer de quelle
sorte de Marchandises nos Négocians
pourroient faire quelque commerce considerable
avec les Egyptiens , surtout avec
ceux de Damiette er de Rosette. Leur vie
frugale et leur. éloignement de tout luxe ,
font qu'ils n'ont besoin de rien ..
Voilà ce qui regarde le Poisson salé dont
Egypte fait un commerce réglé,
J
J
et Le Poisson frais est très - commun
ceux qui demeurent aux environs des
Lacs , en font leur nourriture ordinaire..
La chaleur du climat est cause qu'on ne
peut le transporter , comme on fait en
France aux Villes un peu éloignées . I
seroit gâté et puant avant que d'arriver.
Le Caire , par exemple , qui est une si
belle Ville , si marchande et si peuplée ,
ne tire aucun secours de tant de Pêches
que l'on fait dans les Lacs de Manzalé , de
Brullos , de Beheiré , de la Marest , de la
Corne , Maris , Cheib , et dans les deix
Mers , la Mer Rouge , et la Méditerannée.
Les habitans de cette grande Ville
par la même raison ne voyent jamais de
Marée , et ils ne mangent jamais de Poissons
frais que celui qu'on pêche dans le
Nils , par conséquent , que d'un Poisson
.
€
་
د
qui
AVRIL. 1731. 952
qui , en géneral n'est ni de bon goût , ni
d'une bonne qualité. Le Nil a dans son
lit beaucoup de limon : les Poissons s'en
nourrissent et en conservent l'odeur ; entr'autres
le Bolti , qui est une espece de
Carpe , le Bouri , le Bayad , le Chalbé , la
Ray , le Chilon , le Lebis , Alose , qui
sont les principaux Poissons du Nil , en
sont si infectez , que tout autre que la
peuple du Caire , n'en mangeroit pas.
$
•
Les riches du Caire ont de quoi se consoler
le Nil leur fournit quatre especes
de Poissons d'un goût exquis , d'une bonté
si grande , que les Egyptiens , anciennement
leur ont élevé des Temples , et
ont bâti des Villes de leur nom . Ces
qua
tre especes sont , la Variole , le Quechoué
le Bunni et la Quarmoud.
La Variole , que les Arabes nomment
Quecher , ou Latés , est d'une grosseur.
prodigieuse , et pese jusqu'à 100. et 200 .
livres. Vous la connoîtrez micux sous le
nom de DATO E dont les Auteurs font
si souvent mention .
Le Quechoué est de la grandeur d'uns
Alose , et a un museau fort pointu . C'est
POxirinchus des Anciens..
Le Bunni est assez gros , et j'en ai vû de
20 et 30 livres pesant. On ne peut s'y
méprendre , et on connoît à sa figure
qu'il est le Lepidorus , si vanté par les An
ciens Egyptiens.
25
960 MERCURE DE FRANCE
Le Quarmoud , connu dans les Auteurs
sous le nom de PHAYOB , est noir , et
un des Poissons les plus voraces qu'il y
ait , on en trouve d'aussi gros et d'aussi
pesans que le Bunni.
Deux choses augmentent fort l'avantage
que les habitans du Caire tirent de
cette pêche. La premiere est , que ce ne
sont point là de ces Poissons passagers que
F'on n'a qu'en certain temps : pendant le
cours de l'année on en trouve en abondance
dans le Nil. La seconde est , que la
Pêche en est facile. Quelque gros que soir
le Quecher et le Bunni , on les prend avec
un simple filer , et tendu de la même ma
niere que l'on fait en France.
Il ne tiendroit qu'aux Egyptiens de faire
une autre sorte de profit , que nous ne
négligerons assurément pas ; sçavoir , de
prendre des Oiseaux de Mer , et de Rivie
re , comme sont les Macreuses , les Plongeons
, et autres semblables animaux
dont le Nil est souvent couvert. Mais les
Pêcheurs , tant du Nil que des Lacs - Manzalé
et de Brullos s'attachent uniquement
à prendre des Macreuses. Pour cela , le
Pêcheur , pendant la nuit se met dans
F'eau jusqu'au col , ayant la tête couverte
d'un bonnet noir ; il s'approche doucement
et sans bruit des Macreuses , et lorsqu'il
en est proche , il jette sur elles son
filet.
›
AVRIL. 1731.901
Mon dessein étoit d'en demeurer-là , er
de finir ma Lettre , qui n'est déja que trop
longue , d'autant plus que je ne vous dirai
rien davantage sur la Pêche , que l'on fait
tant en Egypte , que dans le Nil en particulier.
Mais j'ai fait refléxion que les Oiseaux
et les Monstres , qui sont comme propres
du Nil , et dont les Européens n'ont point
assez de connoissance , méritent bien que
je vous en fasse un article séparé ; vous
m'en sçaurez gré , et je juis surpris que
vous ne m'ayez pas vous-même interrogé
sur ce point. Cependant , pour ne vous
pas ennuyer par le récit de choses qui ne
sont peut- être pas de votre goût , ou du
moins que vous ne regardez que comme
de simples curiositez , ausquelles vous ne
prenez nul interrêt , je ne vous en ferai le
détail qu'en géneral et en peu
de mots.
L'on voit sur le Nil deux sortes d'Oiseaux
, et en si grand nombre , que cela
est surprenant. Les uns sont communs
et connus en Europe ; sçavoir , le Flaman
le Chevalier , le Courlis le Courlis à
bec recourbé en haut , le Heron , le Heron
à bec sans espatule , le Pelican , la
Gruë , la Beccassine , le Pluvier , le Be
chor , la Sarcelle , le Canard à tête verte
la Macreuse , le Cormoran , le Plongeon ;
plusieurs de ces Oiseaux , comme vous
>
**
و
Voyez
981 MERCURE DE FRANCE
voyez , sont bons à manger , et l'on devroit
ici aller à la chasse , et en tuer . Mais
les Egyptiens ne chassent point , et au
Caire les Paysans n'apportent que des Canards
et des Şarcelles qu'ils prennent au
lacet. Ils y sont fort adroits . Aussi les.
Marchez sont- ils pour l'ordinaire remplis
de ces deux sortes de Gibier. Ils prennent
de la même maniere le Pelican. Les autres
Oiseaux ont beau multiplier à l'infini , ils
n'en tuent ni n'en prennent point.
L'Ibis , FOye à plumage doré , la Poule
de ris , ou Poule de Diamette , le Saqsaq ,
connu autrefois sous le nom de Trochilus ,
sont ce que j'appelle proprement les Oiseaux
du Nil. Car s'il y en a autre part
par exemple , sur le Lac Manzalé , c'est
parce qu'ils y sont venus du Nil , et que
La communication qu'il y a de l'un à l'autre
, par le moyen des canaux , les y a at
tirez.
Je ne connois dans le Nil que les Hippopotames
et les Crocodiles qui puissent
êrre appellez Monstres Marins , et je ne
sçai ou certains faiseurs de Voyages ont
trouvé ces differens Monstres Marins
dont ils prétendent que le Nil est rempli .
Apparemment que c'étoit pour embellir
leurs Relations , et pour attendrir leurs
Lecteurs par le récit fabuleux des dangers
qu'ils ont courus.
Les
AVRIL. 1731. 983
>
Les Hippopotames , ou Chevaux Marins
sont très-communs dans la haute
Egypte , surtout vers les Cataractes. A
peine en paroît - il , soit aux environs du
Caire , soit dans toute la Basse Egypte .
Ces animaux ne vont jamais en troupe , et
rarement on en voit deux ensemble . Ils
sont si défians , et ils s'échappent avec tant
de vitesse de ceux qui les poursuivent ,
que personne ne songe à aller à cette chas
se , et ne tente d'en prendre , ni par adresse
, ni autrement. Ce n'est néanmoins pas
une chose impossible , puisque les Empereurs
Romains en ont fait paroître dans
les jeux séculaires qu'ils donnoient au
Peuple.
Il n'en est pas de même des Crocodiles.
On les prend de deux manieres. La premiere
est toute simple . On prend la fres
sure d'une Vache , ou d'un Bufle , ou de
quelqu'autre animal : au milieu de cet
appas , on met un croc , on l'attache ensuite
à une longue corde , dont un bout
est amaré à terre ; on jette dans le Nil l'autre
bout , auquel est attachée la fressure ;
comme elle flotte sur l'eau , le Crocrodile
se jette dessus , et gobe l'hameçon ; alors
le Pêcheur tire sa corde , amene le Crocodile
jusqu'au bord , ' où les Arabes qui
sont stilez à cela , l'assomment.
L'autre maniere est plus dangereuse
on
964 MERCURE DE FRANCE
on épie le Crocodile , lorsqu'il est à terre
, et qu'il dort étendu le long de quelque
butte de sable : un homme se coule
doucement derriere la butte , et dès qu'il
est à portée de l'animal , il lui darde sous
l'aisselle , ou sous le ventre , un épieu qui
est armé d'un crampon qui tient à une
longue corde. Le Crocodile blessé court se
plonger dans le Nil , et entraîne avec lui
l'épieu . Le Pêcheur le suit , se saisit de la
corde , la tire , et amene le Monstre Marin
sur le rivage , où il le tuë. La Pêche
du Marsoüin a quelque chose qui approche
de cette maniere de prendre le Crocodile.
La chair du Crocodile est blanche
grasse , et est un mets exquis quand l'animal
est jeune. Les Arabes du Saïd en sont
friands , et l'aiment avec passion.
Les femelles ne fond jamais leurs oeufs
que sur le sable , chose bien singuliere.
C'est que leurs petits ne sont pas si - tôt
éclos , qu'ils ont la force de courir à toutes
jambes vers le Nil . La mere n'a pas be
soin de les deffendre , et de prendre garde
qu'on ne les lui enleve .
Les Crocodiles croissent assez vîte , et
ils ont ordinairement 20 à 25. pieds de
Jong.
Je ne vous déciderai pas combien de
sems ils vivent ; je sçai que Plutarque ne
leur
AVRIL. 1731. 955
(
leur donne que 40 ans de vie ; mais d'un
autre côté , j'entens dire à nos Arabes qui
sont croyables en cela par
les connoissances
journalieres qu'ils en ont , qu'il y a
des Crocodiles qui vivent jusqu'à cent
ans. Je suis , & c.
XXXXXXXX:XXXXXX:X
LA RENOMME'E,
O D E.
Ymphe qui d'une aîle legere ,
Parcours sans cesse l'Univers ,
Qui , diligente Messagere ,
Annonces nos succès divers ,
Interrompt la route inconstante ,
De ta Trompette impatiente ,
Suspends le son audacieux ,
Sois attentive à ta loüange ,
Et va de l'Hebre jusqu'au Gange ,
Reprendre mes Vers en tous lieux.
M
Cent fois dans un foible courage ,
Tu fis naître un noble transport ,
Cent fois jaloux de ton suffrage
Il brava les fers et la mort ;
De l'honneur Arbitre suprême
T*
$ 66 MERCURE DE FRANCE
Ta voix peut à la vertu même ,
Ajoûter un éclat nouveau ;
Et tes cent bouches immortelles ,
Sçavent mieux que l'Art des Apelles ;
Affranchir un nom du tombeau.
Pourquoi ce Guerrier intrépide,'
Court- il affronter le trépas ?
En vain ta valeur qui le guide ,
Voit l'abyme ouvert sous ses pas ;
Est-ce le mépris de la vie ,
Est -ce l'amour de la Patrie ,
Qui conduit le jeune Vainqueur ?
Non , mais sous les yeux d'une armée ,
• Il combat pour sa Renommée ;
Seule elle anime son grand coeur.
Quel Mortel ici se presente ,
Dont la docte tranquillité ,
Par une route differente ,
Sçait trouver l'immortalité
Sa voix enfante des miracles ,
Et des misterieux Oracles ,
Sa plume éclaircit le cahos ;
Quel espoir le flatte et l'anime ?
C'est de se voir dans notre estime ,
A côté même des Heros,
Qui
AVRIL:
967 1731.
Oui, l'équitable Renommée ,
A placé dans un rang égal ,
Le Chantre (a) de Troye enflammée ,
Et le fier vainqueur (b) d'Annibal :
Ces grands hommes dignes d'un Temple ;
Serviront à jamais d'exemple ,
Aux coeurs jaloux d'un nom fameux
Les vertus qu'ils ont fait paroître ,
De leurs cendres semblent renaître ,
Et parmi nous vivre pour eux.
Mais que cette estime est trompeuse !
Que mal à propos notre orgueil ,
Porte sa vûë ambitieuse ,
Au-delà même du cercueil !
Vains efforts ! frivole esperance !
Nous cherchons une récompense ,
Dont nous ne serons plus témoins ;
Ah ! plutôt d'un prix si sterile ,
Dédaignons l'honneur inutile ;
Bornons nous à nos vrais besoins
Loin ce pernicieux langagé ,
Triste fruit des Reflexions ;
Suivons d'un favorable usage
Les flateuses impressions ,
>
(a) Virgile. (b) Scipion
Pro
968
MERCURE DE
FRANCE
Proposons - nous ces grands modeles ,
Qui malgré les Parques cruelles ,
A leur trépas ont survécu :
Aspirons à la même gloire ,
Et pour atteindre à leur memoire ,
Osons imiter leur vertu.
粥
Heureux qui peut pendant sa vie,
Recueillir le fruit précieux ,
Des Eloges qu'envain l'envie ,
Dispute à son nom glorieux !
Témoin du tribut legitime ,
Qu'à ses écrits rend notre estime ;
Lui-même en goute les douceurs ;
Déja ses sublimes ouvrages ,
S'attirent autant de suffrages ,
Qu'ils trouvent de nouveaux Lecteurs.
Comme un Fleuve auprès de sa source ;
Voit se perdre mille Ruisseaux ,
Superbe au milieu de sa course ,
Voit tout à coup enfler ses eaux ;
Ou comme la neige en la Trace,
Des floccons voisins qu'elle entasse
Grossit et roule en augmentant ,
Telle est plus abondante encore ,
D'un nom que notre estime honoré
La gloire croît à chaque instant,
Vous
AVRIL. 1731.
969
•
Vous donc , qu'un noble feu consume
'Auteurs , redoublez vos travaux
Que desormais chacun rallume ,
L'ardeur de vaincre ses Rivaux ;
Méprisez les vils Plagiaires ,
Ces Chantres dont les Airs vulgaires ,
Sçavent moins toucher qu'ébloüir ;
Et malgré l'envie allarmée ,
Faites-vous une Renommée ,
Dont vous-mêmes puissiez joüir.
Par M. de M. D. S. d'Aix la Chapelle:
MEMOIRE sur les Villes de la Mecque ;
et de Medine , sur le Pelerinage des Mabometans
, &c. Par M. D. L. R.
L
A Mecque est une ville de l'Arabie ;
pour laquelle les Mahometans ont
une telle vénération , qu'ils croyent que
tous ceux qui ne sont pas de leur secte
sont indignes d'y entrer ; ainsi ils ne leur
permettent pas d'en approcher , même
de quelques journées ; et si un Chrétien
étoit surpris sur cette terre , ce seroit un
sacrilege que le feu seul pourroit expier ,
ou le changement de Religion.
La dévotion porte quantité de Musulmang
70 MERCURE DE FR ANCE.
mans à entreprendre ce Pelerinage : Il y
en a cependantbeaucoup qui le font pour
trafiquer car les Marchands viennent de
tous les côtez du monde Mahometan , débarquer
au Port de Gedda . ou Zieden >
sur la Mer Rouge , éloigné d'environ 15.
lieues de la Mecque.
>
Ce voyage absout de tout , et quand
on l'a fait on ne sçauroit plus être recherché
pour aucune sorte de haine.
,
Il part tous les ans cinq principales Ca
Lavanes qui vont à la Mecque ; sçavoir ,
celle du Grand Caire , qui est composée
des Egyptiens , et de tous ceux qui viennent
de Constantinople et des lieux circonvoisins.
Celle de Damas , qui emmene
tous ceux qui sont de Syrie ; celle des Magrebins
ou Ponentois , comprenant tous
les Pelerins de Barbarie , de Fez , de Maroc
, &c. qui s'assemblent au Caire ; cellede
Perse et celle des Indes , ou du Pays
du Mogol , &c. On s'arrêtera particulierement
ici à celle du Caire , qui servira
d'instruction pour les autres.
Après diverses cérémonies qui durent
plusieurs jours au Caire , on va camper
à douze milles de la Ville , proche d'un
Etang appellé la Birque : C'est le rendez-
vous de toute la Caravane qui est
souvent composé de cent mille Perfonnes.
On
}
AVRIL. 1731. 971
On ne marche que la nuit , pour éviter
la chaleur ; et lorsque la Lune n'éclaire
pas , on porte des Falots ; les Chameaux
sont attachez queuë à queuë , l'un à l'autre
, et il n'est pas besoin de les conduire.
Il y a trente-sept journées de chemin
du Caire à la Mecque , et tout ce chemin
se fait les déserts de l'Arabie on ne
par
mange que ce que l'on a porté; il y a peu
d'eau , encore est- elle bien mauvaise ; mais
ce qui est de plus fâcheux , ce sont des
vents chauds qui ôtent presque la respiration
; cependant beaucoup de femmes
d'enfans , et de vieillards font le voyage.
Durant toute la marche , on chante des
versets de l'Alcoran , avec tant de zele et
d'application , que l'on voit quantité de
personnes tomber tout à coup de leurs
Chameaux , par l'excessive fatigue , et
mourir en les chantant.
·
Deux jours avant que d'arriver à la Mecque
, chacun se dépouille presque nud
par plus de respect , et prend des Sandales,
pour ne pas fouler une terre qu'ils estiment
Sainte. Ils demeurent ainsi huit jours
à vivre dans la plus exacte régularité : les
Malades font des Aumônes au lieu de se
dépoüiller comme les autres .
La Mecque est une Ville à peu près de
la grandeur de Marseille , environnée de
G hautos
972 MERCURE DE FRANCE.
re ,
hautes Montagnes , et toute bâtie de pierdans
laquelle est une grande Mosquée,
au milieu de laquelle est le Kyabé ou Beit-
Allah , c'est-à- dire , Maison de Dieu
que les Mahometans disent avoir été bâ
tie par les Anges, visitée par Adam , trans,
portée au Ciel durant le Déluge , et depuis
rebâtie par Abraham sur le modele
de l'autre , qui lui fut envoyé du Ciel :
Ils ont une grande vénération pour ce
Temple , ainsi que pour une Pierre noire
qui est à main droite , en entrant prochę
de la Porte.
Ils prétendent qu'elle n'est devenuë noire
que par le péché des hommes ; qu'elle
étoit blanche , lorsque l'Ange Gabriel
l'apporta à Abraham ; qu'elle lui servoit
d'échafaut lorsqu'il bâtissoit cette maison ,
se haussant et se baissant à sa volonté
afin qu'il ne fit aucuns trous à la muraille.
Cette Maison est haute d'environ trente.
pieds , longue de quinze pas , et large de
douze. Le Seuil de la Porte est fort élevé
de terre , un homme pouvant à peine y
atteindre avec la main : la Porte est d'argent
massif, s'ouvrant à deux battans ;
large d'environ cinq pieds , et haute
de neuf à dix ; l'on y monte avec une
Echelle que soutiennent quatre rouës
Quand on veut entrer dans le Kyâbé ,
on
I
AVRIL.
1731 .. 973
on approche l'Echelle de la muraille par
le moyen de ces rouës .
Trois Colomnes ou Piliers de figure octogone,
d'environ vingt pieds de haute ir,
soutiennent cette maison ; elles sont de
bois d'Aloës, de la grosseur d'un homme
et chacune d'une seule piece.
Le dedans est orné d'Etoffes de soye
rouge et blanche , et le dehors d'une étoffe
de soye noire , façon de Damas : il y a
tout autour une muraille qui en empêche
l'abord , avec un certain espace entre la
muraille et la Maison.
Deux Ceintures brochées d'or , ceignent
exterieurement le Kyâbé ; l'une est vers
le bas , et l'autre vers le haut ; et à l'un
des côtez de la Terrasse qui le couvre , on
voit une goutiere d'or massif qui avance
en dehors d'environ six pieds , pour jetter
loin les eaux de la pluye , qui tombent
de la Terrasse dans cette goutiere.
Il y a dans le même Temple un autre
objet d'une grande dévotion pour les Ma
hometans'; sçavoir, le Puits ou la Fontaine
de Zemzem ; c'est , disent-ils , cetteEau
merveilleuse que Dieu fit paroître en faveur
d'Agar et de son fils Ismaël dans le
désert , après qu'Abraham l'eut obligée de
s'y retirer avec son fils : ils en boivent par
dévotion , et lui attribuent de grandes
vertus.
Gij
Les
974 MERCURE DE FRANCE
Les Pelerins passent trois jours à la Mecque
, et celui qui peut baiser le premier ta
-Pierre noire , est tenu pour Saint. Mais il
faut qu'il le fasse le Vendredi , qui se rencontre
toûjours pendant les trois jours , et
à la fin d'une priere publique : chacun se
jette à ses pieds pour les lui baiser ; et
souvent il est étouffé par la trop grande
foule.
• Pendant ce même temps , il faut faire
en cérémonie un chemin assez long qui
va autour du Kyâbé. Un Iman précéde
les Pelerins , et leur montre comme ils
doivent faire. Il s'agit de plusieurs genuflexions
, prosternations , &c.
Tous les ans on ôte les vieilles étoffes
qui entourent le Kyâbé , pour y en mettre
de neuves , et elles sont pour le G. S. et
pour le Sultan Scherif qui commande à
la Mecque ; elles servent à la dédicace
des Mosquées neuves , et à faire de
prétendues Reliques que ce Scherif vend
au prix de plusieurs Sequins.
Après les trois jours passez à la Mecque
, les Pelerins vont coucher à un lieu
nommé Minnet , où ils arrivent la veille
du petit Bayran ; et le lendemain ils font
un Sacrifice de Moutons qui sont distribués
aux Pauvres. Ce jour la même ils
reprennent leurs habits."
De-là , ils vont au Mont Arafat , éloigué
AVRIL. 1731. 975
gné d'une journée ; et ils s'y arrêtent aussi
trois jours; jettant chaque jour sept pierres
sur cette Montagne ; ils disent que
ces pierres sont jettées à la tête du Diable
qui vint tenter Abraham en cet endroit
Lorsqu'il étoit prêt de sacrifier son fils Ismaël
, et non pas Isaac ; Ils content de pareilles
Histoires d'Adam et d'Eveà l'occa
sion de cette Montagne.
›
Après plusieurs prieres faites dans la
Plaine , le Sultan Scherifles benit , et chacun
répond Amen, Ce Gouverneur de la
Mecque , tant pour le spirituel , que pour
le temporel , est soumis aux ordres du G.
S. quoiqu'il ait une très-grande autorité.
Après cette cérémonie on revient auVil-
Lage de Minnet , situé dans une Plaine où
il y a une Roche , dans laquelle on voit
une Caverne,où les Mahometans tiennent
que leur prétendu Prophete faisoit sou-,
vent oraison ; et ils montrent dans la partie
superieure de cette caverne un enfoncement
, qui represente la forme du haut
de la tête d'un homme , qu'ils assûrent y
avoir été fait lorsque Mahomet s'étant
prosterné en ce lieu , touchoit de la tête
en se relevant contre le haut de la caverne ;
ils veulent que la pierre s'amolît , &c .
Pour conserver la memoire de ce prétendu
Miracle , ils ont bâti une Mosquée en
ce même lieu Giij La
976 MERCURE DE FRANCE
La plupart de ceux qui vont à la Mecque
, font en même temps le voyage de
Medine ; mais ce n'est pas une obligation.
- Medine est aussi une Ville de l'Arabie ;
elle est à trois journées de la Mer Rouge
; et beaucoup moins grande que la
Mecque.
›
ap-
Au milieu de cette Ville est une Mosquée
, au coin de laquelle on voit le sépulchre
de Mahomet , il est de Marbre
blanc , avec les Tombeaux d'Abubeker
d'Omar &c. Califes ses Successeurs.
Il y a là un très-grand nombre de Lampes
qui brûlent toûjours ; ce Sépulchre est
dans une petite cour , ou bâtiment rond ,
couvert d'un Dôme que les Orientaux -
pellent Turbé : ce bâtiment est ouvert depuis
le milieu jusqu'à ce Dôme, et tout au-
Four il y a une Galerie , dont la muraille de
dehors est percée de plusieurs fenêtres , qui
ont des grilles d'argent. Celle de dedans
qui est la muraille de la Tour , est parée d'une
infinité de pierres précieuses à l'endroit
où paroît la tête du Sépulchre . On y voit
entre -autres un gros Diamant large de deux
doigts , et long à proportion ; et au dessus
est le Diamant que le Sultan Osman , fils
d'Achmet , y envoya pareil à celui que portent
les Empereurs Ottomans. Ces deux
Diamans n'en faisoient autrefois qu'un , que
2
ca
AVRIL. 1731.
977
ce Sultan fit couper par le milieu.
Il y a plus bas une demie Lune d'or , ou
sont attachés d'autres Diamans de fort grand
prix . La Porte par où l'on entre dans la Galerie
, qui est autour du Turbé , est d'argent
maffif , aussi bien que celle par où l'on entre
de la Galerie dans le Turbé : on ne l'ouvre
que quand il n'y a point de confusion
d'Etrangers ; c'est - à - dire quelques temps
après le départ des Pelerins , qui ne voyent
que la Galerie et les richesses qui sont ` dedans
par les fenêtres , et les grilles d'argent.
Le Tombeau est élevé sur trois dégrés du
Rez-de-Chaussée ; et ces dégrez sont aussi
de Marbre blanc.
J'aurois pû rapporter dans ce Memoire
plusieurs autres circonstances , mais j'ai
voulu n'y faire entrer précisement que ce
que j'ai appris ici de deux personnes de mérite
et dignes de créance ; sçavoir , Hadgy
Mehemet , Envoyé du Dey d'Alger au feu
Roi , lequel avoit fait tout récemment le
voyage de la Mecque ; et Mehemet- Effendi
, envoyé au même Prince , sur la fin de
son regne , par la Regence de Tripoly de
Barbarie , et depuis encore envoyé à la Cour
de France dans la minorité du Roi. Il étoit
Secretaire d'Etat , ou du Divan , et avoit
une instruction particuliere , très- bien écrite
en langue Turque , sur le sujet dont il
s'agit ici. Nous nous voyions presque tous
les Gin
278 MERCURE DE FRANCE
les jours , et ce qu'ils m'ont rapporté l'un
et l'autre se trouve conforme à ce que j'ai
appris là- dessus dans mon voyage du Leyant.
A Paris le 23. Juillet 1727.
akakakakakabS
LOGOGRYPHE.
On corps de sept lettres
formé
MDans
tous les coeurs est
renfermé
Je gâte le plus grand mérite ,
Et quoi qu'avec soin l'on m'évite ,
Dans la Religion et la Societé,
Si je me sçais cacher , je suis accrédité
Mais écoutés moi : je m'explique ,
Par diverses combinaisons.
Deux , un , cinq , quatre ; ici
3.
s'applique ,
Je sçais marquer les variations
que votre esprit
Et la legereté de l'aveugle Déesse.
Quatre , un , six , sept , cinq , aux Vaisseaux ;
Je sers à donner la vîtesse ,
Quatre , un , sept , cinq , deux , des Oiseaux
J'exprime la prérogative :
Un , deux , qui fait mon chef est de tous recherché
:
Et malheureux celui que la fortune en prive.
Un, deux , trois , quatre , & cinq , lorsque je suis
touché , I
AVRIL.
979
1731.
Je fais grand bruit , dans une Eglise,
Retranchez moi quatre , et soudain
Je deviens matiere d'un Pain ,
Dont la pâte est de couleur bise.
Six , un , fera le nom sans plus
De celle que gardoit Argus.
Arangez , un , cinq , quatre , avec mes deux der
nieres,
Et vous direz bientôt Sans cela le Soleil
Donneroit en vain ses lumieres :
Etje ne sai rien de pareil.
Six , sept , cinq , je parois élevé dessus l'onde,
Deux , un , quatre , avec trois et cinq de même
rang ,
C'est la couleur de votre sang.
Quatre joint à six , cinq , vous fait rester au mons
de;
Deux , un , six , font un Souverain.
Cinq, trois , un , quatre ,
offrent soudain
Un endroit sale et plein d'ordure.
Un , deux , sept , cinq , est fort connu dans le
blason :
Et suit , en dedans , la figure ,
Qu'on veut donner à l'Ecusson ..
Cinq , deux
‚ trois , un , latin tire une conse «?»
quence
J'cat
980 MERCURE DE FRANCE
J'en sai bien encore quelqu'un :
Mais je crains ton impatience
Lecteur , depuis long- tems je te suis importun
Le Chevalier de Montador.
Ᏹ Ᏹ
METAMORPHOSE
DU PRINCE CAULO
ET
DE LA NIMPHE ORITHIE.
Par M. de Verrieres , de l'Académie Royale
des Belles Lettres de Caen , lûë dans l'Académie
le 18. Janvier 1731.
A
ir
Vant que de m'engager dans la lecture
de cette Métamorphose , je crois
qu'il ne sera pas inutile de la faire préceder
de quelques Remarques qui pourront servir
à l'intelligence du sujet.
L'Enlevement de la Nimphe Orithie par
Borée , est un point de l'Histoire fabuleuse
si généralement connu , que je croirois blesser
les lumieres des personnes qui m'écoutent
, si j'entrois là- dessus dans le moindre
détail. Je dis même les lumieres des Dames.
Je dois croire que celles qui honorent aujour-
A
1
AVRIL. 1731. 981
jourd'hui l'Académie de leur présence ont
du goût pour les Lettres , et qu'au moins
ne sont elles pas ignorantes dans les Sciences
légeres. C'est ainsi que j'appelle les Sciences
où elles peuvent entrer par des lectures
simplement amusantes ; des lectures , disje
, détachées de ces Sciences abstraites , où
f'on trouve à chaque pas des ronces des
épines , et des terres immenses à défricher ,
avant que de jouir de son travail.
L'Histoire Poëtique, et les Métamorphoses
d'Ovide sont entre les mains de tout le
monde. A la verité elles n'ont pas tout dit.
Quand on veut pousser ses recherches dans
'Histoire fabuleuse , on trouve encore à glaner
abondamment dans d'autres Auteurs .
La Métamorphose dont je viens de lire le
titre est une preuve. Si l'Héroine est géné
ralement connue , il n'en est peut-être pas
de même du Héros . On le chercheroit envain
chez les Grecs et les Romains , source
ordinaire où l'on a recours pour les faits anciens.
Caulo étoit d'un Païs où les uns ni les
autres ne pénetrerent jamais . Le Nord leur
étoit inconnu , et pour leur honneur ils auroient
mieux fait de s'en taire , que d'en rapporter
le peur qu'ils en ont dit sur des Mémoires
qui se refutoient d'eux-mêmes par le
merveilleux incroyable dont ils étoient remplis.
A la verité je dirois peut-être trop , si
Passurois que les peuples de ces Païs glacés
Gvj
ont
982 MERCURE DE FRANCE
1 ont de tout tems cultivé les Sciences : mais au
moins avoient ils soin de ne pas laisser dans
P'oubli les faits mémorables de leur tems
Ils les gravoient sur des rochers pour les
garantir de l'injure des siecles , et les transmettre
à la posterité. Les monumens qui en
restent dans le Nord, en font foi . Ils les
écrivoient en Vers , préjugé favorable pour
eux. Apollon ne dédaignoit pas d'éclairer
ces Climats sauvages , et les Muses y trou
voient des Sectateurs de leur culte. Que
penserai- je de ces Peuples ? L'augure en ess
facile à tirer : Capables de Science , malheu
reux de n'être pas éclairés par des lumieres
supérieures , il ne leur manquoit qu'un Pro+
tecteur éloquent , judicieux , poli , zélé pour
les Lettres , tel enfin que le nôtre , pour
disputer peut-être de prééminence avec l'Académie
si vantée d'Athénes:
Je ne balance point à prendre ici l'affir
mative : Puis- je moins faire pour la mémoi
re de nos ayeux : je dis nos ayeux ; ils le sont
sans doute , et n'est- ce pas de ces Peuples
que nous tirons notre origine ? N'est-ce pas
d'eux qu'est descendu jusqu'à nous ce génie
si propre à cultiver les Muses , et dont la
Province , et cette Ville en particulier , ont
donné tant de grands exemples .
Les Chroniques d'Iflande remontent aux
tems les plus reculés . Elles ont leurs differens
âges , ainsi que l'Histoire des Grecs
avoir
AVRIL. 1731. 983
avoit les siens. Age fabuleux , âge historique.
Il étoit des Herodotes , des Diodores
en Norvege , en Laponie , et dans la fameu
se Thulé , comme il en étoit en Grece et en
Sicile : Ces Chroniques , quoiqu'en partie
défectueuses , subsistent encore , et c'est où
j'ai puisé.mon sujet.
XXXXXXXXXXXXXX**
METAMORPHOSE
DU PRINCE CAULO
ET
DE LA NIMPHE ORITHIE
A
U monde il n'est plages si reculées
Qui de l'Amour ne sentent les ardeurs :
Torrens glacés , neiges amoncelées ,
Ne sont remparts.contre ses traits vainqueurs
Sa chaleur n'est par le froid amartie ,
D'un seul regard il fondroit un glaçon.
Témoin le Dieu qui par rapt fait moisson
Des doux appas de la belle ORITHIE.
Ce fut BORE'E. En des Climats déserts
Il conduisit son amoureuse Proye ,
Climats affreux d'où ce Dieu nous envoye!
Et les frimats et les tristes hivers,
984 MERCURE
DE FRANCE .
Là , par raisons que l'Amour lui dictoit ,
Il essayoit d'aprivoiser la Belle ;
?
Mais sur ce point guéres ne profitoit
Assez galant , ni jeune assez n'étoit
Pour adoucir fillette un peu cruelle
Et sa Captive à ses soupirs rebelle ,
Du rapt commis , toujours se lamentoit.
Tant fit oüir clameurs sur ce rivage ,
A ce's clameurs tant l'Echo répondit
Que l'Heritier d'un Roi du voisinage
Par un beau jour enfin les entendit .
CAULO , c'étoit le nom du personnage :
En son maintien , en sa taille , en son air ,
Caulo n'avoit les graces de JocoNDE ;
Mais sur un corps d'embonpoint peu couvert,
Son col portoit tête massive et ronde ,
3
De coeur au reste et noble et genereux ,
Sensible aussi , trop bien le sçut apprendre ,
Sensible , dis-je , aux tourmens amoureux ,
Plus fortuné s'il eut pû s'en défendre.´
Aux tons plaintifs , aux douloureux accens
Dont bien au loin retentistoit la Rive >
Caulo s'avance , il voit notre Captive ,
Poussant au Ciel mille cris languissans.
L'Amour alors , de la froide Scythie
D'un vol leger traversant les hauts Monts ,
Alloit sous l'Ourse enflammer les Lampons ::
Il voit Caulo contemplant Orithie.
A
AVRIL.
1731. 985
A cet aspect il s'arrête soudain ,
Puis méditant un moment en soi-même, ..
Sur ce mortel essayons notre main ,
Pour Orithie embrasons- lui le sein ,
Qu'il rende homage à mon pouvoir suprême.
Il dit : un trait à l'instant fut lancé.
Du trait fatal déja Caulo blessé ,
Se sent ému de pitié pour la Belle :
Il s'intéresse au sujet de fes pleurs ,
Il s'attendrit , il s'afflige avec elle.
Tandis qu'il plaint son destin , ses malheurs ,
Un feu brûlant qu'il ne peut plus contraindre
Déja l'agite , et trouble son repos :
Son propre mal le force de se plaindre ,
Et pour lui-même il s'explique en ces mots :
Quand trop touché de votre peine extrême ,
Je prens sur moi de vos maux la moitié,
Vos yeux , helas ! me contraignent moi-même
A demander pour moi votre pitié.
Un feu cuisant dans mes veines s'allume ,
Ce feu pour vous me brûle , et me consume
Jusqu'en mon coeur sa flâme s'est fait jour ;
Je sens déja mille ardeurs inquiétes ::
J'ai plaint vós maux , daignez à votre tour
Etre sensible à ceux que vous me faites.
A ce début la Belle resta court
>
Tant se trouva du compliment surprise
Caulo n'étoit formé de telle guise
Là
186 MERCURE DE FRANCE
A faire tôt goûter propos d'Amour.
L'objet cruel de sa pudeur blessée
Par les efforts de son premier Amant ,
Revint d'abord s'offrir à sa pensée ,
Et sans lui dire un adieu seulement ,
Caulo la vit , d'une course empressée j
Bien loin de lui s'enfuir légerement.
Par de longs cris envain il la rapelle ,
Envain il veut par ses pleurs l'arrêter ,
Pour mieux courir , loin de les écouter
Elle reprend une force nouvelle .
Loin d'Orithie , une triste langueur
Saisit Caulo , lui dévore le coeur;'
Tous les matins il venoit sur la rive
Où de la Nimphe il avoit vû les yeux ,
Recommencer en ces sauvages lieux ,
De ses tourmens la légende plaintive.
Que ne peut point une ardeur jeune et vive ,
Quand un Amant sçait se plaindre à propos ›
Caulo croyoit ne parler qu'aux Echos ,
Mais Orithie à ses cris attentive ,
Tout entendoit. Tant et tant en ouit
Que de son coeur la trempe s'amollit.
Comme au hazard elle s'offre à sa vuë
Un vif éclat qui sur son tein brilloit
Effet certain du feu qui la brûloit ,
D'attraits nouveaux sembloit l'avoir pourvûë.
D'un air timide où son amour est peint ,
Caule
AVRIL. 173.1.
Canlo s'approche , à ses genoux il tombe ,
Pressé du mal dont son coeur est atteint :
Est-ce pitié des maux où je succombe ,
Dit cet Amant , qui guide ici vos pas ?
Où venez-vous , peu sensible à mes larmes ,
N'offrir encore à mes yeux tant de charmes
Que pour hâter l'instant de mon trépas.
A ces doux mots plus ne fuit Orithie ;
D'une union par l'Amour assortie ,
: Leurs coeurs déja pressentoient les plaisirs
Lorsque Borée à travers un nuage ,
Dont il venoit de chasser les Zéphirs ,
Jusques aux bords de l'Affriquain rivage ,
Vit nos Amans ,, entendit leurs soupirs.
Dans la fureur dont cet objet l'anime
Ce fier Rival si prompt à s'irriter ,
Fond sur un Chêne , en releve la cime ,
Et mesurant le coup qu'il va porter ,
Prend ORITHIE et CAULO pour
Le bruit fut tel qu'au loin il s'épandit.
Du haut des Cieux Appollon l'entendit
Sur nos Amans ce Dieu jette la vûë.
Ce triste objet sa course suspendit.
Pour eux enfin sa pitié fut émuë.
Des noeuds , dit- il , qui sçurent les unir
Ne laissons pas éteindre la mémoire ,
Par mes bienfaits conservons - en l'histoire ,
t la portons aux siécles à venir,
victime
Que
988 MERCURE DE FRANCE
Qué , chacun d'eux devenu plante utile ,
Ils soient l'honneur des Jardins potagers
Et que tous deux n'ayant qu'un même azile ,
Bravent toujours Borée et ses dangers.
Il dit alors leurs corps se retrécissent
De longs filets leurs jambes se hérissent.
Caulo déja n'est plus en ce moment
Qu'un tronc grossier surmonté pésammen
D'un lourd amas de feuilles entassées ;
Par cent replis entr'elles enlassées.
Aux mêmes loix soumise également ,
La tendre Nimphe encor peu
rassurée
Contre le coup qui vient de l'accabler
Erre sous terre , et và s'y receler ,
Ponr éviter les fureurs de Borée.
Là , de frayeur s'enfonçant jusqu'au cou ,
Tandis que l'autre à ses côtez s'éleve ,
Dans le moment que leur destin s'acheve ,
L'une devient CAROTTE , et l'autre CHOU.
AVRIL. 1731. 989.
A Fable qui fournit ordinairement
Lies sujets de Cantate , ne fait point
celui de celle cy. Une simple peinture
des situations du Jour naturel dans les
trois aspects , ausquels on peut se réduire ,
étoit d'abord l'objet de l'Auteur. Ce partage
, qui est aussi celui des Cantates , lui
a donné l'idée d'en faire une qui s'est
trouvée achevée au moyen de trois Ariet
tes qu'il y a ajoûtées.
Morte
LE
JOUR ,
CANTATE.
L'AURORE.
Ortels , c'est trop languir dans les bras diz
sommeil ,
Le Jour va commencer d'éclore ,
Venez, sortez , qu'un prompt réveil ,
Dissipant les erreurs qui vous troublent encore ,
Presente à vos regards le pompeux appareil ,
De la naissance de l'Aurore.
Lir. Tendre Philomele , chantez ;
Eveillez toute la Nature.
Vous
90 MERCURE DE FRANCE
Vous , divine Aurore , arrêtez ;
C'est Flore qui vous en conjure.
Mais , hélas ! déja vous partez !
Tendre Amour , avec moi soyez d'intelligence ,
Déesse brillante , arrêtez !
Cephale dans ces lieux s'avance.
Tendre Philomene , chantez , &
LE MIDT.
Le Dieu dont la sagesse , ainsi que la puissance,
Anime et regle l'Univers ,
Phébus est de retour , et du milieu des airs,
Il verse en tous lieux l'abondance.
Que sur le Mont Sacré ses heureux nourrissons ,
Chantent les biens dont ils jouissent
Que les Peuples se réjouissent ,
1 leur a préparé les plus riches moissons.
Venez , Bacchus , avec Pomone ,
Embellir les Jeux des Mortels !
Celebrez le Fils de Latone ,
C'est le soutien de vos Autels.
Et toi , vole Amour dans nos Fêtes ,
Apollon même fait tes Loix ;
Son exemple dans nos Bois
Favo
AVRIL. 1731. 991
Favorise tes conquêtes.
Venez , Bacchus , avec Pomone , &ç
LE SOIR.
L'Astre qui nous éclaire a dans le sein de l'Onde
Eteint la moitié de ses feux.
Déja la nuit traînant ses voiles ténebreux ,
Partage l'Empire du Monde ;
Et bien-tôt des Oiseaux la troupe vagabonde ;
Va finir ses chants amoureux.
C'est dans ces doux instans , dans ces momen
paisibles ,
Que vous goutez le fruit de vos travaux pénibles,
Bergers heureux , rentrez , et que dans vos Ha
meaux .
La fin du jour s'annonce au son des Chalumeaux }
Air.
Hesperus brille , et dans la Plaine
Les dociles Agneaux ,
Descendus des Côteaux ,
Suivent le Pasteur qui les mene
Heureux s'il les a sauvez tous
De la dent cruelle des Loups !
Mais plus heureux encore
Si celle qu'il adore ,
Le récompense à son retour ,
De ses soins et de son amour !
992 MERCURE DE FRANCE
C
AVIS de PAuteur des Reflexions
à Poccasion du Brutus , & c. inserées
dans le dernier Mercure.
>
Es Reflexions que l'on a promises dans
le Mercure d'Avril, sur la Tragedie de
Brutus , sont toutes prêtes. L'Auteur alloit
les donner , lorsqu'il a appris que M. de
Voltaire retouchoit à sa Piece. Comme
M.de Voltaire a toûjours bien réüssi aux
corrections quil a faites à ses differens
Ouvrages , et que l'Auteur des Reflexions
ne critique pas pour le plaisir de critiquer,
il attendra la nouvelle Edition du Brutus,
Si , comme il y a apparence , M. de
Voltaire a reparé les principales fautes
de sa Tragedie , on renfermera sans peine
des
Reflexions qui n'avoient pour princiep
que le desir de voir un bon Ouvrage
devenir meilleur. Si les corrections
ne répondent pas aux Reflexions , quant
aux Vers , et sur tout quant à la conduite
de la Piece , on les donnera toûjours dans
le même motif de
contribuer à la perfec
sion de cet
Ouvrage. ,
PORTRAIT
AVRI L. 1731. 993
****************
PORTRAIT
De Pibrac , Comte de Marigny .
Noblepar sesAyeux , encor plus par luiḍ
même ,
Pibrac est sage , doux , sincere , Officieux ,
Charitable , judicieux ,
Pour les sçavantes Soeurs son amour est extrê
me ;
Prudent , on le consulte en toute occasion
Et , ce qui plus que tout le reste'
Est digne d'admiration ,
Pibrac est Gascon et modeste.
COCQUARD.
R
TABLE.
Elation Historique de la Révolution de
Constantinople , &c. 829
Lettre sur le même sujet , contenant quelques
Anecdotes , &c.
Judith , Poëme ,
938
945
Lettre sur les differentes Pêches qui se font en
Egypte ,
La Renommée , Ode ,
950
965
Memoire sur les Villes de la Mecque , &c. 969
Logogryphe , 978
Métamorphose du Prince Caulo et d'Orithie
Le Jour , Cantate,
Avis sur Brutus ,
Portrait ,
986
289
992
993
Errata du Mercure d'Avril.
Age 803. ligne 10. Jeard , lisez Icard.
P. 808. 1. 3. du bas , manqué , 1. marquéi
P. 810. l. 10. 33 , 1. 31.
-P. 816. l . 15. ruës , 1. Nuës.
P. 818. 1. 13. dire , l. d'ire.
P. 823. 1. 16. partie , . parti.
P. 828. 1. 14. exacte , ôtez ce mot.
Ibid. 1. 16. executée , l. exacte.
A la Table , Nouveau voleur , ôtex ces motsi
Fautes à corriger dans ce Livre.
Page 873. ligne 6. à Bollach, lisez , Abdollah, Istamboul- Effendi ,
?
P. 886. 1. 1. Post , 1. Poste.
P. 902. 1. 22. ni indigné , l . ni moins indignée
P. 906. 1. 9. Ladabach , l. l'Hoda- Bachi,
P. 920. l . 15. steriles , 1. sterile .
P. 926. 1. 19. Romole , 1. Romelie,
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
MA Y. 1731 .
QUE
COLLIGIT
ΣΤΑ
ARGIT
Chez
A PARIS ,
R
GUILLAUME CAVELIER,
rue S. Jacques.
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conty,
à la descente du Pont Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais ,
›
M. DC C. X X X. I.
Avec Approbation & Privilege du Roy.
XXX:XXXXXXX :XXXXX
L
A VIS.
' ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU , Commis au
Mercure , vis - à - vis la Comedie
Frangoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront
remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires
qui vendent le Mercure,
à Paris , peuventfe fervir de cette voye
pour les faire tenir,
On prie très - inftamment , quand on adreſſe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
oin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
oûjours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non-feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie,
›
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire porter fur
Pheure à la Pofte , ou aux Meffageries qu'on
lui indiquera.
A
PRIX XXX. SOL'S.
LE
MERCURE
DE FRANCE
,
DÉDIÉ AU ROT
XXXX
MAY.
PIECES
1731 .
XXXX
FUGITIVES ,
en Vers & en Prose.
LA METEMPSICOSE ,
FABLE.
Ui du monde connoit la Carte,
Spait qu'il abonde en prestiges
divers ;
De la droite raison plus ou moins on s'écarte ,
Et les Humains ont chacun leurtravers.
Il est sur tout certaine engeance ,
Qui
994 MERCURE
3
DE FRANCE
Qui défigure l'homme et qui pullula en France .
Que l'on fuit dans tous les climats ,
Lt que ces Vers ne corrigeront
pas.
Un vieux Singe étant mort , son ombre Calotine,
Sollicita l'Epoux de Proserpine ,
Pour revoir la clarté du jour“ ;
Le Roi du tenebreux séjour,
Lui voulant ôter sa souplesse ,
Sa malice sur tour , et sa vivacité ,
Du corps d'un Asne alloit la faire hôtesse ;
Ainsi l'avoit -il arrêté :
Mais l'Ombre après quelques gambades
Et deux ou trois Pantalonades ,
Dont le bon Pluton rit bien fort ,
Obtient du Dieu de se choisir un sort
Et lui demande avec instance ,
La faveur de passer au corps d'un Perroquet .
C'est , disoit- elle , mon paquet ;
Carje pourrai du moins dans cette résidence ;
Conserver avec l'homme un peu de ressemblance
On sçait qu'étant Singe autrefois ,
J'imitois son air et son geste ;
Et joiiant ici de mon reste ,
Je le copierai de la voix.
L'ame du Singe à peine anime un verd plumage;
Qu'une vieille Fachette et le met dans la cage.
Bayard comme elle , il charmoit son ennui
Au
AMAY. 1731.998.
Aux Passans il chantoit leur game ,
Causoit le long du jour avec la bonne femme,,
Qui ne parloit plus sensément que lui.
Le Sire en fit aisément la conquête...
A son nouveau talent d'étourdir le quartier ,
Il joint , je ne sçai quoi , de son premier métier:
En Arlequin il remuoit la tête ,
Faisoit craquer son bec , formoit differens sons
Il agitoit sa queue en cent et cent façons ,
Et joüoit les Marionnettes.
La vieille mettant ses Lunettes ,
Ne se lassoit de l'admirer ,
Triste d'être un peu sourde ,et souvent d'ignorer,
Ce qu'avoit dit son Peroquet fertile.
Au demeurant , suivant son stile
Le drôle aimoit à sirotter >
La vieille aussi ; l'âge de radotter
Est assez la saison de boire;
L'une tint bon , l'autre s'en trouva mal .
Notre emplumé pour n'être assez frugal ,
Se vit encor contraint de passer l'Onde noire .
Il reparut devant Pluton ,
Qui le privant de la parole ,
Vouloit le renvoyer dans le corps d'une Sole.
L'autre craignant sur tout de devenir Poisson ,
Eut recours à son Protocole ,
Vous fit nouvelle cabriole ,
Joia sa farce, et plut. On sçait que quelquefois ,
A iij
Peu
996 MERCURE DE FRANCE
Peu de chose amuse les Rois.
Selon son goût , enfin le Dieu le fit renaître ,
Et de l'homme lui donna l'être :
> Mais n'osant pas en faire un Mortel vertueux
Un sage , il le destine au corps d'un petit Maître,
D'un brouillon , d'un présomptueux ,
Portant la tête au vent , de soi-même idolâtre ,
Importun , fanfaron , d'ennuyeux entretien ,
Parlant beaucoup , ne disant rien ;
Vrai personnage de Théatre ,
It d'ordinaire aussi personnage de Cour."
Mercure , en cet état , le rencontrant un jour ;
Je t'ai vû n'aguere au Tenare ,
S'écria -t'il , tu n'es qu'un composé bizarre ,
Et du Singe , et du Perroquet.
Grace à ton geste , ainsi qu'à ton caquet ,
Ton ridicule se consomme.
D'un semblable mêlange on ne fait qu'un so
homme ,
Et nul n'est pris à cet appas .
Ainsi le Dieu traita la chose.
O ! combien de gens ici bas ,
Me feroient croire à la Métempsicose.
M. Tanevot..
LET
MA Y. 1731.
୨୭ 7
のみ
LETTRE écrite de Seyde le premier
Décembre 1730. par M. du Bellis , sur
un Voyage fait en Galilée , & c.
Dieur, Voyage que je
E retour depuis peu de jours , Monsieur
, d'un Voyage que je viens de
faire , je ne perds point de temps à vous
faire un récit succint de ce que j'ai vû ,
pour prévenir vos reproches. Dispensezmoi
de Dissertations , et permettez que
je vous renvoye une foule de Voyageurs
qui ont écrit des mêmes Pays où
j'ai été.
Les Révolutions de 18. siecles ont extrémement
simplifié la Galilée ; Flavius
Joseph , qui en a été Gouverneur , écrit
qu'il y avoit dans cette Province 204.
Bourgs ou Villages , dont plusieurs étoient
bien fortifiez , et dont le moindre avoit
environ 15000. hommes , sans parler des
grandes Villes de Tiberiade , de Sephoris
et de Gabara .
Hiram , Roi de Tyr , se trouva fort
mal payé de 20. Villes de la Galilée que
Salomon lui donna pour les Bois de Cedres
, de Sapins et autres Materiaux
ce Roi avoit fournis pour la construction.
du Temple de Jerusalem.
A iiij
que
La
998 MERCURE DE FRANCE
La Charuë a passé sur presque toutes
les Villes , Bourgs et Villages , et ceux
qui restent aujourd'hui , ne sont plus
situez aux mêmes lieux où étoient les
anciens . On n'y voit plus que quelques
monceaux de pierres et décombres de
maisons ruinées .
En partant de Seides , je ne m'étois pro
posé que d'aller à Acre ; j'étois en compagnie
de trois Négocians , dont deux
étoient les Députez de la Nation . Le Valet
d'un de ces Députez, est fils d'un Curé
Maronite de Seyde ; et comme il est au
fait de la Tradition , et qu'il sçait lire et
écrire le Syriaque , je le pris en affection
pour les secours que j'en attendois.
Après trois lieues de marche ,
Docteur domestique , me fit observer que
j'étois sur les ruines de Sarepta , et me
fit arrêter à une petite Mosquée , bâtie
au lieu même où étoit la maison de cette
Veuve, qui ayant bien voulu partager son
petit pain avec Elie , obtint de ce Prophete
la multiplication de sa farine , de
son huile , et là résurrection de son fils.
mon
A une lieuë et demie de cette Mosquée
nous passâmes la Riviere nommée la Hasemiech
, sur un fort beau Pont de Pierre ,
qu'Osman , Pacha de Seyde , a fait bâtir.
Que cette Riviere soit le Fleuve Eleuthere
des
MA Y. 1731. 999
des Anciens , ou non , je laisse cette discussion
aux Sçavans ; ce qu'il y a de certain
, c'est qu'elle séparoit autrefois les
Royaumes de Tyr et de Sidon.
Comme je souhaitois voir les fameux
Puits appellez les Puits de Salomon , parce
que ce Roi en parle dans le Cantique
des Cantiques , nous ne prîmes point le
chemin de Tyr , et nous marchâmes droit
à une Mosquée que les Maronites prétendent
être le Tombeau de Daniel . Nous
passâmes à cette Mosquée une partie de la
nuit.
Au lever du Soleil nous arrivâmes aux
Puits . Nous avions découvert en traversant
la vaste Plaine de Tyr , des restes
des Aqueducs qui conduisoient l'eau
de ces Puits dans cette Ville , qui en est
éloignée d'une lieuë.
Le plus grand de ces Puits subsiste en
son entier ; les deux autres sont ruinez.
L'eau monte jusqu'au bord , ce qui le fait
ressembler à un Réservoir , et en sortant
elle fait tourner des Moulins à blé , ce
qui le rend d'une grande utilité..
A deux lieues de ces Puits , on trouve
le chemin appellé aujourd'hui Anakoura;
il est taillé dans le Roc , sur le milieu
d'une Montagne qui n'a presque point de
pente ; il a environ une demie licuë de
A v long
-
1000 MERCURE DE FRANCE:
long : c'est un Ouvrage d'Alexandre le
Grand , le garde fou en est ruiné, le préci
pice en est affreux ; la Mer et des Rochers:
escarpez, sont au bas à une si grande
distance, qu'on ne peut presque en soutenir
la vûë; ce chemin,au reste, est si ruiné
et si mauvais , qu'on est obligé de mettre
pied à terre à chaque bout de champ .
Au sortir de ce passage , on trouve
un grand tas de pierres et quelques restes
de Murs . Ces ruines s'appellent Scandarete
, ce qui signifie petit Château d'Alexandre.
On arrive enfin au Cap Blanc , que les
'Anciens nommoient le Mont Saron . Delà
on découvre la Plaine d'Acre , bornée
au Sud par le Mont Carmel , qui avançant
dans la Mer , semble simétriser avec
le Cap Blanc , et entourer circulairement
avec les Montagnes de l'Est cette immense
Plaine . La Ville d'Acre paroît au
milieu sur le Rivage de la Mer ; et quoiqu'il
semble qu'on doive bien- tôt atteindre
à cette Ville , il faut pourtant émployer
quatre bonnes heures pour y arriver
, marchant toujours en ligne directe.
La Ville d'Acre ou de Ptolemaide , fait
pitié aujourd'hui , en voyant les ruines
des étonnantes Fortifications qui entouroient
cette grande Ville. L'Eglise de
S.
MAY. 1731. ΥΘΟΥ
S. André , celle de S. Jean , le Palais et la
Chapelle du Grand-Maître des Hospitaliers,
doivent être des Edifices admirables .
Il reste encore de ces superbes Edifices ,
quelques pans de murailles dans leur entier
, qui font juger de leur ancienne
beauté.
Trois jours après notre arrivée à Acre
un Négociant de Seyde , étant dans le
dessein d'aller à Tiberiade pour rendre
visite aux Cheiks qui ont la Ferme gene-
- rale de ce Pays , me proposa de l'accompagner
dans ce voyage , ce que j'acceptai
avec plaisir.
Ce Négociant avoit rendu un service
important au Cheik Saad , aîné de la
Famille des Cheiks de la Tiberiade. Ce
Cheik Saad , avec un des ses freres , informé
de l'arrivée de mon ami à Acre
se rendit à Nazareth ; et ayant appris
qu'il devoit les aller voir , il lui envoya
dix Cavaliers bien armez pour l'accompagner.
Après trois heures de marche vers l'Orient
, dans la Plaine d'Acre , nous entrâmes
dans les Montagnes de la Phénicie ,
et de-là dans les Verres de la Tribu de
Zabulon ; nous passâmes la belle Plaine
de cette Tribu ; et étant parvenus à un
Village nommé Saffoury , notre Cavalier
A vi con1002
MERCURE DE FRANCE
conducteur me fit observer le lieu oùétoit
la Maison de S.Joachim et de sainte Anne ,.
et le reste d'une fort belle Eglise à trois
Nefs , que sainte Helene avoit fait bâtirtout
auprès.
Cette dévote Imperatrice avoit rempli
toute la Terre- Sainte de Monumens de
sa pieté au commencement du IVe siecle.
Ce pauvre Village de Saffoury étoit autrefois
la fameuse Ville de Sephoris.
Au reste , vous remarquerez que le Cavalier
dont je parle , est un homme encore
plus important que
le Valet que
j'ai déja cité ; il sçait sa Terre- Sainte par
coeur , il conduit depuis 30. ans les Religieux
et les Pelerins . Ce Cavalier , nommé
Jacoub , connoît et explique tous les
lieux Saints.
Après avoir traversé Monts et Vallées ,
nous vîmes Nazareth dans un petit Valon.
entouré de Montagnes. Il est sur le penchant
d'une de ces Montagnes , regardant
l'Orient , et ne consiste qu'en quelques.
Cahutes dispersées sur une petite Esplanade.
Nous passâmes auprès de la Fontaine
où la sainte Vierge venoit prendre de
l'eau , n'y ayant point de Puits dans Nazareth
, mais seulement quelques Citernes .
Cette Fontaine est à 4. ou 500. pas du
Village
MAY . 1731.
1003
Village ; il en est de même de tous les
Villages de la Galilée. Les Habitans de
Saffoury vont chercher l'eau à un quart.
de lieuë.
La nouvelle Eglise que les Religieux de
la Terre-Sainte ont fait bâtir à Nazareth ,
est située au même lieu où s'est operé le
Mistere de l'Incarnation ; cette Eglise a
été consacrée depuis peu , et on y fait actuellement
l'Office divin.LeConvent n'est
pas encore achevé ; nous logeâmes dans
les chambres du vieux Monastere .
Comme nous arrivâmes bien avant le
coucher du Soleil , j'eus le temps d'aller
visiter l'Eglise. Elle est à trois Nefs et
fort éclairée.
La sainte Grote où s'est operé le Mistere
, se presente d'abord en entrant , on
y descend par un spacieux Escalier de
douze marches ; et après avoir traversé
l'espace où étoit la Maison qui a été transportée
à Lorette , on entre dans la Grotte
taillée dans le Roc.
Le Ceintre extérieur de cette Grotte est:
tout couvert de Marbre , et sous l'Autel
isolé qui est au milieu , on y lit ces mots :
Hic Verbum caro factum est.
A gauche en entrant , il y a deux grosses
Colomnes d'un Marbre singulier ; elles.
sont placées comme sont les Colomnes
Cou
}
1004 MERCURE DE FRANCE
couplées dans les Edifices. Sainte Helene
les fit poser lorsqu'elle fit bâtir une superbe
Eglise à Nazareth , pour désigner
la place où étoient la sainte Vierge et l'Ange
Gabriel , dans l'instant de l'Annonciation
; l'une de ces Colomnes demeuresuspendue,
adhérante à la voute de la Grotte
, ayant été brisée vers sa base par un
Pacha de Damas , qui pensant qu'elle étoit
creuse , croyoit y trouver un trésor .
On monte par deux Escaliers de 12. marches
, situez aux deux côtez du vieux Escalier
qui conduit à cette Grotte ; au grand
Autel de l'Eglise , qui est à la Romaine , et
placé précisément sur la voute de la Grotte
; le Choeur est derriere l'Autel .
M. Bergeret , Négociant François , Résident
à Acre , qui a donné le dessein de
cette Eglise , m'a dit qu'elle avoit dix toises
de longueur , neuf de largeur , et huit
et demie de hauteur. Les Maçons Turcs.
qui l'ont élevée , ont commis mille défauts
grossiers contre le Dessein de M.Bergeret.
On voit dans les cours du Convent
quelques anciens Chapiteaux Corinthiens
de l'Eglise de sainte Heleine , dont les
feuilles d'acanche et les autres ornemens
sont admirables.
Le lendemain j'allai visiter l'ancienne
SyMAY.
1731 1005
Synagogue de Nazareth ; cet Edifice s'est
bien conservé, mais il sert aujourd'hui d'écurie.
Je vis aussi les ruines d'une petite ,
Eglise bâtie où étoit la Boutique de S. Joseph
, et la Table de pierre sur laquelle le
Sauveur mangeoit quelquefois avec ses
Apôtres ; elle est à present renverseé .
Je négligeai d'aller voir le Précipice
qui est à un quart de lieuë de Nazareth ,
parce qu'il n'est pas décidé si ce fut à ce
lieu où au haut de la Montagne même ,
au penchant de laquelle le Village est
place , que les Juifs au sortir de la Synagogue
, conduisirent le Seigneur pour le
précipiter.
Nous partîmes avec les Cheiks de la
Tiberiade pour nous rendre chez eux. Ils
avoient pour leur suite 60. Cavaliers armez
de lances , de fusils , de sabres et de
pistolets à la ceinture , desorte qu'avec
nos dix Cavaliers et nos gens , nous étions
plus de 80. personnes à cheval.
A peine eûmes- nous marché une heure,
que nous nous arrêtâmes pour attendre
un Cavalier que nous voyons venir à toute
bride ; il rendit une Lettre aux Cheiks,
qu'on leur écrivoit d'Acre , par laquelle
on les informoit que le jour d'auparavant
21. de Novembre , il étoit arrivé à
Seyde un Capigi , porteur d'un Commandement
TOOG MERCURE DE FRANCE
•
dement pour arrêter Soliman- Pacha et
s'assurer de son bien ; que le Pacha de
Damas , son frere , avoit été également
arrêté avec le Pacha de Tripoli , fils de ce
dernier , le Gouverneur de Lataquie , fils
du Pacha de Tripoli , et celui de Mara.
Le Cavalier ajoûta que depuis un quart
d'heure qu'il étoit parti de Nazareth , il
y étoit arrivé un Capigi qui étoit descendu
chez les PP: de la Terre- Sainte .
Les Cheiks retournerent sur leurs pas
pour sçavoir le sujet de ce dernier Ĉapigi
, et nous rejoindre ensuite au Kanaintujar,
qui est au - dessous du Thabor , dans
la Plaine d'Esdrelon ; ils nous laisserent
20. Cavaliers .
Continuant notre route , nous vîmes
en passant une Mosquée , où l'on dit que
le Prophete Jonas est enterré ; de-là nous
allâmes à Cana.
L'Eglise et le Monastere que sainte He
lene avoit fait bâtir au lieu même où étoit
la Maison des Nôces où se fit le Miracle
sont aux trois quarts démolis. Je bus à
F'unique Fontaine du Village , de cette eau
qui fut convertie en vin . On voit auprès
les restes d'une Chapelle.
Aux environs de Cana , nous traversâmes
le Champ des Epis , où les Pharisiens
scandalisez de voir les Apôtres manger
dess
MAY. 1731 1057
des grains de froment le jour du Sabat ,
furent repris par le Sauveur.
Après avoir marché dans de beaux Va-.
lons , dont les Montagnes sont couvertes
de Chênes verds , nous entrâmes dans
la Plaine d'Esdrelon , nous nous trouvâmes
dans peu presque au pied du Thabor,
mais la forme piramidale de cette fameuse
Montagne , est encore la plus admirable
vûë de la Plaine. C'est ici où le docte
Cavalier Jacoub donna une grande satisfaction
à mes yeux et à mon imagination
. D'abord il m'instruisit des ruines
qui subsistent au sommet du Thabor ,
reste des Edifices que sainte Helene et le
Prince Tancrede avoient fait bâtir.
Il me montra ensuite les Monts Here
mon et Hermonien , et me fit appercevoir
de fort loin les Montagnes arides et pellées
de Gelboé , me de igna derriere le
Thabor le lieu où étoit la Ville de Naïm
au pied d'Hermonoüm . La Ville d'Ador,
où Saül alla consulter la Devineresse .
Il me rapella les évenemens de l'Ecriture .
arrivez in Campo magno Esdrelon , la Bataille
de Josué contre le Roi de Maggedo ,
la défaite de Sisara par Barac , assisté de
Débora ; la mort d'Ochozias par Jehu
et celle de Josias par Pharaon Nechao .
Nous nous rendîmes ensuite au Kanaintujar
1008 MERCURE DE FRANCE
naïntujar , c'est à-dire , le Kan de la Source
des Marchands ; c'est un très - bel Edifice:
construit par les Turcs , et qu'ils laissent
tomber en ruine ; il a été bâti pour la
commodité des Caravanes de Damas qui:
passent par la Plaine d'Esdrelon . Il s'y
tient un Bazar ou Marché toutes les se
maines. Les Pierres qui ont servi à cet
Edifice , avoient été tirées de la démolition
d'une Forteresse que les Chrétiens
avoient bâtie.
Les murailles et les tours de cette Forteresse
, qui est à une portée de fusil du
Kan , subsistent encore à une toise d'élevation
; rien n'est si admirable que les
Edifices , que les Croisez avoient élevés
dans ces Pays.
Les Cheiks nous joignirent une heure
après, et nous apprirent que le Capigi arrivé
à Nazareth , venoit de Jerusalem ,
où il avoit été envoyé pour examiner un
nouvel Edifice des Arméniens , sur lequel
il y avoit eu des plaintes à la Porte,
que les Latins , les Grecs et les Arméniens
lui avoient fait ensemble un present de
onze Bourses , afin qu'il fit à la Porte des
Relations inconsequentes de leurs Eglises
et de leurs Monasteres , et que les Religieux
de Nazareth lui avoient donné cent
Sequins pour le même sujet .
Au
MAY. 1731. 1009.
Au Soleil couchant nous arrivâmes à
la Tiberiade. On ne voit la Mer
que lorsqu'on
est parvenu
au haut de la Monta- gne, où l'on arrive
par une Plaine
; il faut descendre
après pendant
une demie
heure
pour
arriver
à la Ville.
Cette Ville bâtie par Hérode en l'honneur
de Tibere , devoit être superbe ; elle
étoit fort longue , mais peu large , parce
que la montagne la serre vers le bord de
la Mer.
Il. y a apparence que la Maison des
Cheiks où nous descendîmes , étoit un
ancien Palais , à en juger par ce qui reste
des Murailles , au bas desquelles la Mer
bat , et sur lesquelles ils ont pratiqué des
logemens à la façon du Pays. Toutes les
pierres de ces Murailles sont taillées en
pointe de diamants.
>
On voit sur le Rivage trois petits Ouvrages
d'une toise en quarré , revêtus des
mêmes pierres placées sur une même ligne
, et elevez sur des Colomnes enfoncées
dans terre , l'une touchant l'autre
à la façon de nos Pilotis. On présume que
ces Ouvrages soutenoient quelque Peristile
ou Galerie saillante du Palais. Il y a
quelques morceaux de Frise et autres fragmens
sur la Gréve , dont la Sculpture n'a
rien de remarquable.
Auprès
Toro MERCURE DE FRANCE
Auprès de ce Palais il y avoit une Forteresse
dont les ruines font aujourd'hui
un très-bel objet pittoresque ; le Palais et
la Forteresse étoient précisément au milieu
de la Ville. On ne sçait si l'enceinte de
murailles qui renferme avec ces antiques
Masures , 40. ou 50. Chaumieres , est un
Ouvrage d'Hérode ou des Croisez.
Ce sont ces murailles que le Pacha canona
le mois d'Avril dernier et devant
lesquelles il se posta avec 4000. hommes.
Elles forment un quarré long de 5. ou
600. pas , et ont tout au plus trois pieds
d'épaisseur et trois toises d'élevation . Les
Assiegez étoient au nombre de 170. mal
armez et le Chekdair joüoit aux Echecspendant
le Siege.
Ce Cheik et ses freres , au nombre de
cinq , nous régalerent de leur mieux ; et
le lendemain matin nous allâmes à cheval,
marchant toujours dans des ruines aux
Bains chauds qui étoient au bout de la
Ville du côté du Midy.
Au retour j'examinai ce Lac ou cette
Mer , sur les bords de laquelle et sur
laquelle même le Seigneur a operé tant
de prodiges. Le Cavalier Jacoub me dit
qu'elle n'avoit pas six à sept milles de
largeur et 18. à 19. milles de longueur.
Elle est toute entourée de Montagnes très
roides.
MAY. 1731. 1011
nides Il me fit observer du côté du Nord
P'endroit où le Jourdain entre dans cette
Mer , et quelques tas de pierres au lieu
où étoient Capharnaum et Betsaïde .
Au sommet d'une haute Montagne du
même côté , au Nord , je voyois parfaifaitement
la Ville de Saphet avec sa Citadelle.
Cette Ville est actuellement en
grande veneration parmi les Juifs , à cause
que leurs Rabbins , Auteurs du Talmud
, y sont enterrez . Elle donne lieu à
une grande question pour sçavoir si elle
est l'ancienne Bethulie.
En descendant vers l'Est sur la même
Montagne , on voit le Puits où Joseph fut
mis par ses freres , ou pour mieux dire
le Kan auprès duquel est ce Puits. On ne
voit rien du Corosaim ni de Gerasa , de
l'autre côté du Lac.
Il y a dans les murs de Tiberiade une
Chapelle qui sert de Magazin aux Cheiks ,
que le Prince Tancrede a fait bâtir,et qui
fut dédiée à S. Pierre , parce que ce fut
là où le Seigneur après sa Résurrection ,
apparut à ses Apôtres. Les Cheiks permettent
à nos Religieux d'y dire la Messe
quand ils vont à Tiberiade.
Nous quittâmes les Cheiks après le
diné , et nous laissâmes les dix Cavaliers
qui nous avoient escortez en allant , nous
prîmes
fo12 MERCURE DE FRANCE
prîmes notre route par la Plaine de la
multiplication des cinq Pains d'Orge et
des deux Poissons , nous passâmes au pied
de la petite Montagne sur laquelle le Seigneur
prononça les Beatitudes , auprès
de laquelle est le Village d'Athin : la
charue a passé sur le lieu où étoit le
Bourg de Jotapa , situé aux environs , et
dans lequel Flavius - Joseph fut pris par
les Romains. On ne reconnoît ce lieu
que par quelques Cîternes qu'on y trouve.
Nous arrivâmes à deux heures après
minuit à Acre , d'où je partis deux jours
après pour Seyde. Je passai à Tyr , et je
vis que les Propheties d'Ezechiel étoient
pleinement accomplies à l'égard de cette
Ville ; Dieu l'a effacée de dessus la terres
je n'y trouvai de remarquable qu'une
triple Colomne de Marbre grande de 40.
à so. pieds de longueur , qui est dans les
décombres d'une Eglise dont il subsiste
encore quelque portion de muraille . Origene
étoit enterré dans cette Eglise. Les
sables ont couvert la Digue par laquelle
Alexandre joignit la Ville à la Terre ferme
; on diroit qu'elle a toûjours été unie
au Continent. Il n'y a actuellement qu'environ
20. ou 25. personnes à Tyr.
J'aurois été au Mont Carmel , si trois
eu quatre mille Arabes n'étoient venus.
camper
M
Qu
des
able
MAY. 1731. 1013
dans la Plaine un jour après mon
camper
arrivée de Galilée , sur la nouvelle de la
disgrace des Pachas de Damas et de Seyde.
Ces descendans d'Ismaël , sous prétexte
qu'Abraham n'a laissé aucun heritage à
leur pere , s'emparent par droit d'aubeine,
des habits et des Effets des Voyageurs ,
qu'ils regardent comme leur patrimoine.
Je suis , Monsieur , &c.
**
LES TOURTERELLES ,
IDILL E.
Par Me de Malcrais de la Vigne , du
Croisie , en Bretagne.
A Madame Deshoulieres.
H Elas constantes Tourterelles ,
Que vos carresses et vos jeux
Ont des attraits touchans pour un coeur amoureux
!
Redoublez , s'il se peut , vos flammes mutuelles
2
-Pâ mez - vous , languissez , mourez dans les plaisirs
,
Ah j'entends yos petits soupirs ,
De
1014 MERCURE DE FRANCE ,
De vos transports secrets , interprètes fidelles,
Profitez de la vie heureux couple d'Amans ,
Joüissez d'un bonheur dont la source est si
pure ;
L'instinct que vous donna la prudente Na
ture ,
Vaut mieux que tous nos sentimens.
Sans vous embarrasser dans d'inutiles peines ,
Le sang qui coule dans vos veines ,
Nous instruit cent fois mieux que tout l'Art des
Romans.
Plus votre ardeur vieillit , plus vous la trouvez
belle ,
Malgré l'effort des ans , vos coeurs sont enflam
mez ,
Et pour une autre Tourterelle ,
Vous ne quittez jamais celle que vous aimez.
Si les Amans , et les Amantes
Avoient pour s'envoler des aîles comme vous ,
On verroit encor parmi nous ,
Plus d'inconstans , et d'inconstantes.
C'est vous que l'on doit appeller
De vrais modéles de tendresse ,
Vous avez seulement des aîles pour voler
Après le cher objet qui vous charme sane
cesse.
Dans votre commerce amoureux
La défiante jalousie ,
Ne
MAY. 1731 .
Ne répandit jamais le poison dangéreux ,
Qui parmi nous brise les noeuds
De l'amitié la plus unic.
Si vous paroissiez quelquefois
Disputer et hausser la voix ,
Je n'y découvre rien que la loüable envie
De deux Amans ambitieux ,
Du prix de s'entr'aimer le mieux ;
Et de pareils débats toute aigreur est bannie.
Vous fréquentez les mêmes lieux ,
Vous ne cherchez jamais nulle autre compa
gnie.
Vous bûvez au même ruisseau ,
Vous vous perchez toujours sur le même rameau
,
Quand vos paupieres sont forcées ,
De céder aux pavots que le sommeil répand ,
Vous craignez de vous perdre , et vos plumes
pressées
Paroissoient être entrelassées .
Que votre langage est charmant !
Qu'il a
land !
› je ne sçai quoi , d'honnête et de ga-
Que vos accens plaintifs sont poussez d'un air
tendre !
Ce n'est qu'aux coeurs comme le mien ,
A qui Venus permet d'entendre
Et de goûter votre entretien.
B Après
016 MERCURE DE FRANCE ,
Après avoir cueilli des douceurs infinies
Dans vos embrassemens savourez à longs traits ;
Si vos forces sont affoiblies ,
Votre amitié ne l'est jamais .
Ah ! quand vous vous plaignez , c'est un regret
extrême ,
Qui vous fait l'une à l'autre adresser ce discours
:
Faut-il , mon petit coeur , toujours aimer de
même ,
Sans pouvoir cependant se carresser toujours ?
Depuis le lever de l'Aurore ,
Vous sçavez vous donner jusques à son retour ,
Differentes marques d'amour.
Recommencez vos jeux , recommencez encore ,
Hôtes légers des Bois il n'est rien sous les
Cieux
>
Qui puisse tant flatter et mon coeur et mes
усих .
Mais , si le Berger que j'adore
N'avoit plus aujourd'hui pour moi le même
coeur ,
Si l'Amour avoit fait éclore
Dans son ame changée une nouvelle ardeur.
Tourmens affreux ! douleurs cruelles !
Soupçons persuasifs ! doutes impérieux !
Cessez , helas ! cessez, constantes Tourterelles ,
N'offrez pas désormais ces plaisirs à mes yeux.
S'ils leur doivent coûter des larmes éternelles .
Du
1
MAY. 1017 1731.
Du beau Séxe François , ô la gloire et l'honneur
,
Deshoulieres , dont le génie
Sçut chanter des Amans la douce maladie ,
Et des Heros Guerriers célébrer la valeur ;
Du Pinde où tu jouis d'une meilleur vie ,
Regarde ici bas , et reçoi
L'Idille que je te dédie >
C'est à ton goût que je la doi .
Si je puis aujourd'hui mériter ton suffrage ,
Phébus et les neuf Soeurs s'unissant avec toi ,
Avoûront ce galant Ouvrage.
LETTRE de M. Chompré , Maître de
Pension dans la rue S. Jean de Bauvais ,
à M. D. L. R. touchant le Bureau Tipographique
.
B
Ien des personnes , Monsieur , me
trouvant cité dans l'espece de Procès
Litteraire , intenté contre l'Auteur du
Bureau Tipographique , ont jugé différemment
de l'article qui me regarde en
particulier , et je crois devoir détromper
ceux qui de part et d'autre, voudroient
m'y engager pour plus que je ne dois y
être.
Bij II
1018 MERCURE DE FRANCE
Il est vrai qu'après avoir connu les
avantages du Bureau Typographique , auquel
j'avois vû travailler le petit Candiac,
j'en fis faire un l'année derniere pour un
enfant âgé de deux ans mais peu après
on me proposa un établissement , dont
les pénibles commencemens ne paroissoient
guéres compatibles avec ce travail ,
qui demande un certain loisir , et une
certaine attention , suivie et réfléchie : de
plus , l'enfant tomba malade avant que
d'être mis au Bureau , et est demeuré
presque dans l'inaction jusqu'à présent,
>
L'Auteur du Bureau Typographique
sans distinguer mes Pensionnaires , ni meş
Externes qui vont en Classe , du petit
enfant pour lequel j'avois fait faire ce Bureau
, avança pour lors dans le Mercure
de Juillet , que je n'avois pas négligé de me
donner un Bureau Typographique pour accélerer
les premieres études des enfans. Il est
visible que ces premieres études ne regardoient
point les Pensionnaires ni les Externes
, mais seulement le petit enfant
dont il est question . Je craignis cependant
qu'on ne donnât à cela une fausse interl'Auprétation
, et j'aurois souhaitté que
teur du Bureau eut rectifié cet endroit
dans une autre Lettre : mais on ne présuma
pas qu'il se trouveroit quelqu'un pour
rele-
C
"
MAY. 1731 . 1019
relever une expérience qui n'étoit pas encore
commencée. L'Auteur du Bureau a
dit simplement que je n'avois pas négligé
de m'en donner un , et non pas que
j'y fisse travailler.
Un des Adversaires du Systême voulant
Fefuter cette Méthode , a conclu du pouvoir
à l'Acte , quand dans le dernier Mercure
de Février , après avoir rapporté
plusieurs exemples , il ajoûte ( parlant de
Auteur ) il n'oubliera pas M. Chompré ,
Maître de Pension , qui se sert du Bureau
Typographique pour les enfans. Si ce Critique
avoit voulu prendre la peine de se
bien informer de la chose , il auroit appris
que je n'ai point d'Ecoliers qui n'aillent
au College , ausquels par conséquent
le Bureau ne soit inutile ; c'est un fait.
Pourquoi donc avance- t-il que je m'en sers
pour les enfans ? Est-ce pour faire croire
ce qui n'est pas ? Si cependant il avoit été
curieux d'une exacte perquisition , il n'en
auroit pas sûr été content ; car il à coup
auroit appris que quoique l'enfant soit
toujours languissant , il n'a pas laissé de
faire quelques progrès.
Il sçait parfaitement
bien non- sculement
ses lettres , mais encore les chiffres ,
esa mere et sa soeur lui ont fait apprendre
en le tenant assis vis- à-vis le Bureau , /
que sa n
B iij pour
1020 MERCURE DE FRANCE
pour l'amuser , lorsque ses douleurs lui
donnoient un peu de repis , et il en est
présentement à ce que l'Auteur appelle
la seconde Classe . Comme il commence
à se mieux porter , il marque une inclination
constante pour ce jeu , et ne paroît
aucunement touché des objets qu'on présente
ordinairement aux enfans de son
âge : mais quand il se porteroit bien , l'ap
plication continuelle que je dois à l'éducation
des jeunes gens qu'on me confie , et
le bon ordre qu'il faut entretenir dans
ma Pension , ne me permettent pas de le
suivre au reste , il en attrapera ce qu'il
pourra ; c'est toujours beaucoup de pou
voir l'instruire de bonne heure , en l'amusant
et sans se fatiguer par trop d'attention
, ce qui ne paroit pas possible
avec les Alphabets ordinaires. Si l'éducation
particuliere de cet enfant n'est pas
des plus favorables à l'Auteur duSystême ,
elle l'est encore moins à ses Critiques . Je
vous prie donc , Monsieur , de trouver
bon que je détrompe ici ceux , qui captieusement,
ou mal informés , voudroient
encore faire mention de moi , et qui grossiroient
, ou qui diminueroient l'exemple
pour l'accommoder selon leur besoin , ce
qui n'arrive que trop communément
quand nous nous déclarons contre une
chose
MAY. 1731. 1021
chose qui ne nous plaît pas . On devroiť
du moins convenir genereusement du
bon qui se trouve dans le Systême du Bureau
Typographique , et refuter par des
raisons solides ce qu'on croit qui doit être
censuré.
Je sçai , comme bien d'autres , que l'Auteur
Typographe est de bonne foi , et
qu'il ne veut tromper personne. Sa probité
, son parfait désinteressement et son
extrême modestie , soutenus d'un sçavoir
qui n'est pas médiocre sur cette matiere ,
sont de bons préjugez pour son Systême :
néanmoins , entre plusieurs objections
qu'on peut lui faire. J'en vois une ou
deux qui me paroissent mériter quelque
attention. C'est la difficulté de trouver
des Maîtres , qui après avoir long - tems
étudié , et se croyant par conséquent en
état d'instruire , soient assez humbles pour
se mettre à l'A , B , C. C'est une étude
qui ne flatte assurément pas l'amour propre
, il faut cependant y revenir pour faire
usage du Bureau , car il ne s'agit pas
seulement de l'A , B , C , comme on l'entend
communément , mais d'une Doctrine
à laquelle on ne s'est guere appliqué
je veux dire la propre dénomination des
lettres , et les sons de la Langue , au moïen
de quoi l'enfant ne trouve plus dans son
Biiij che1012
MERCURE DE FRANCE.
2
chemin les ronces ni les épines qu'il rencontre
inévitablement avec la méthode
ordinaire . Outre la difficulté de trouver
des Maîtres capables , bien assidus et
bien patiens , il y en a encore une bien
plus forte c'est l'oeconomie du plus
grand nombre des parens , en fait d'éducation
, lesquels ne faisant pas souvent
difficulté de dépenser dix , vingt , trente
pistolles , et quelquefois des sommes bien
plus considérables , mal- à- propos
,
>
он
pour leurs plaisirs , ne pourront se résoudre
à en dépenser trois ou quatre pour
avoir un Bureau avec tout son attirail.
Un petit Alphabet de deux ou trois sols
est un peu moins difficile à acquerir .
La question est donc de sçavoir si ce
Systême réussira . Adhuc subjudice lis est.
Quoiqu'il en soit , n'y eut- il ici que les
verges et les férules de moins , c'est un
grand avantage. Ces sortes d'instrumens
sans lesquels l'enfant profite tout autant ,
et même plus qu'avec le petit Alphabet ,
et qui ne servent qu'à inspirer aux enfans
du dégoût pour l'étude des Lettres , deviennent
absolument inutiles avec cette
Méthode ; l'Auteur , sagement n'en conseille
l'usage que pour les fautes ausquelles
le coeur seul à plus de part que l'esprit.
Enfin , il est certain que ce Systême
a
ne
MA Y. 1731. 1023
ne regarde que ceux qui font profession
d'enseigner les premiers élémens des lettres
, depuis l'A , B , C , jusqu'aux basses
Classes , et qu'un enfant y apprend aisément
à lire les Langues Françoises , Latines
, Grecques , Hebraïques , et telles autres
, que le Maître est capable d'enseigner
: mais il ne peut convenir , ni à un
Professeur , ni à un Maître qui répéte les
Humanitez : en effet , quelle apparence y
auroit- il de dresser cette machine dans un
endroit où les jeunes gens sont plus pour
écouter et pour écrire que pour voir ? Le
Bureau Typographique est fait pour être
vû , et non pour être entendu , c'est ce
qui en fait le principal mérite ; car ce Ru
diment sensible , frappant les yeux , s'inculque
mieux que ce qu'on entend seule
ment raconter , et l'on y peut bien appliquer
cette Maxime d'Horace :
Segnius irritant animos demissa per aurem ,
Quam qua sunt oculis subjecta fidelibus
J'ai l'honneur d'être , & c.
Ce 18 Avril , 1731.
Bv
Le
1024 MERCURE DE FRANCE.
****** :*:***** :***
LE FA UNE
{
EGLOGUE.
A M. le Come de Saint Florentin , pendant
son séjour à Châteauneuf.
M
Uses , qui vous plaisez dans les gras pêturages
,
Et vous entretenir de Bois et de Rivages ,
Donnez à vos chansons un peu de dignité ;
On n'aime pas toujours tant de simplicité ,
Le lierre rampant et la verte fougere ,
>
Aux grands , ainsi qu'à nous , n'ont pas le droit
de plaire ,
Offrez d'autres objets , et sçachez - en choisir
Qui puissent d'un Ministre amuser le loisir.
2
pro-
Dans le creux d'un Vallon , solitude
fonde ,
Lieux ignorant encor le tumulte du monde ,
Le jeune Celadon , et Daphnis , son ami ,
Virent sous un Tilleüil un vieux Faune endormi.
'Aussi - tôt se coulant à travers le Bocage ,
Tous deux de ce sommeil saisissent l'avantage ,
Et d'une chaîne faite , et de sauge et de Thym ;
Pour arrêter le Dieu , l'embarrassent soudain.
Car
MA Y. 1731 .
1025
Car il avoit souvent par force , ou par adresse ,
En fuyant de leurs mains éludé sa promesse ,
Et differé toujours de leur chanter les Vers
Qu'il avoit composés sur le vaste Univers.
Cette fois les Bergers craignent peu son caprice
,
Il s'éveille , et comme eux riant de leur malice
:
C'est assez , leur dit- il , enfans , rompez ces
noeuds ,
Il est juste à la fin de contenter vos voeux.
Les Bergers à ces mots s'asseyent pour entendre
,
Et le Faune commencé ainsi sans se deffendre.
Avant que le Soleil eut l'Empire des airs ,
Et qu'on peut distinguer et la Terre et les
Mers ,
Tout ce qu'offre à vos yeux avec tant d'artifice
,
De l'Univers entier le superbe édifice ,
Dans un commun principe ensemble confondu ,
`N'étoit qu'un noir brouillard vainement étendu
Une eau presqu'insensible , et sombre d'ellemême
,
Que d'un stérile noeud lioit un froid extrême.
Mais si- tôt que l'esprit qui voloit sur les
flots ,
Eût dans son vaste sein embrassé ce cahos ,
Sa féconde chaleur digerant la matiere , .
De l'Extrait qu'elle en fit composa la lumiere.
B vj
De
1026 MERCURE DE FRANCE
De ce jour toutefois , l'immortelle clarté ,
Ne fut point en tous lieux d'égale pureté :
La haute région plus vive et plus legere ,
En un feu tout divin vît transformer sa Sphere ,
La plus basse languit , et sa fausse vigueur ,
Ne pût précipiter un reste de vapeur .
Entre ces deux excès , la suprême sagesse ,
Bien tôt d'un ciel moyen fit briller la richesse
le Firmament conduisit les secours ,
Que sur nous l'Empirée épanche tous les jours.
Cependant par le feu , vers le centre chassées ,
Les tenebres s'étoient tout- à- fait condensées ,
Et d'un Globe solide inondé par dehors ,
Avoient pris sous les eaux la figure et le corps :
Mais lorsque resserrée en de justes limites ,
La Mer à son courroux eut des bornes pres
crites ,
Et par
La Terre s'éleva brillante des couleurs ,
Dont l'ornoient en naissant la verdure et les
fleurs.
Nul animal d'abord ne peupla les Montagnes ,.
Et les seules Forêts couvrirent les Campagnes :
Du jour trop répandu la molle impression ,
Bornoit au vegetable une foible action ,
Et n'eût produit jamais que d'inutiles Plantes ,
Si pour en ranimer les forces languissantes ,
De ses feux dispersés l'esprit avec succès ,
Dans le corps du Soleil n'eût réüni les traits,
AussiMAY.
1731. 1027
Aussi-tôt la Nature achevant ses Ouvrages ,
Les Oyseaux de leurs Chants remplirent les Boccages
,
Le Taureau rumina sur le bord des Ruisseaux ,
La Chevre et la Brebis chercherent les Côteaux ,
Le Loup du Bois voisin sortit pour les surprendre,,
Et le Chien accourut ardent à les deffendre.
Enfin pour couronner ces Miracles divers ,
Vous vintes , vous Mortels , habiter l'Univers .
Chef-d'oeuvre merveilleux de la Toute- Puissance,
Qui voulut sur vos fronts tracer sa ressemblance,
Tout reconnut vos Loix , tout servit vos desirs ,
Et tout brigua l'honneur d'entrer dans vos plaisirs.
Heureux si de vos champs , par un triste caprice,
Jamais l'ambition n'eût banni la justice ;
L'innocence et la paix , ineffables présens :
Que l'Olimpe ne rend qu'à ses plus chers enfans,
Devoient combler vos jours d'une joye éternelle ?
Ainsi l'avoit reglé sa bonté paternelle .
Rappellez des biensfaits à regret enlevez
>
Et les connoissez mieux , vous qui les recevez ; .
Mais déja ces Vallons me paroissent plus sombres
,
Bergers , et le Soleil laisse grandir les ombres ,.
Avant que tout-à- fait il passe sous ces eaux
Allez et retournez tous deux à vos Troupeaux.
M. de Richebourg-
¡LET1028
MERCURE DE FRANCE
XXXX:XXXXXXX : XXXX
LETTRE écrite à M. de la R. par
M. P **** Commissaire des Poudres ,
à C **** le 25. Mars 1731. sur le
bruit d'Ansacq.
L
Es Lettres , Monsicur , qui sont insérées
dans les deux derniers Mercures
sur le bruit entendu à Ansacq , ne me
satisfont point. Il y a cependant dans la
premiere une nouvelle preuve des Acousmates
, mais dans la seconde on n'attribuë
ce bruit qu'à l'habileté d'un Disciple
des Philibert , des Laüillets , et de leurs
semblables ; je vous avoue franchement
que je ne trouve pas ia comparaison exacte.
Une seule personne peut bien dans
une chambre , derriere un Paravant , faire
un bruit considerable et varié de sons qui
imitent des voix d'hommes , de femmes,
d'enfans et de differens animaux ; si l'on
y mêle des Poëles , des pincettes , & c . La
confusion de toutes ces choses pourra imi
ter le tintamare d'un ménage en rumeur;
mais cela ne répresentera pas dans le même
instant plusieurs voix mêlées ; la gravité
de l'une ne sera que successive à
l'éclat de l'autre ; le chant du Cocq , ne
sera point confondu avec le japement du
Chien
MAY. 1731. 1029
Chien ; chacune de ces choses seront divisées
, et l'une ne se trouvera jamais bien
unie à l'autre , comme le son d'un accord
que l'on forme sur un Clavecin.
J'ai entendu le charivari de Læillet ; il
m'a fort réjoui , mais quelque vif que fûc
son jeu , l'on distinguoit aisément qu'il
ne partoit que de la même personne. La
poële , les pincettes les chaises , qu'il ,
mettoit en mouvement , ne formoient à
chaque instant , que le bruit de chacune
de ces choses , et ne produisoit dans la
chambre et aux environs , que la valeur
de chaque son qui auroit été entendu
distinctement l'un après l'autre .
Supposé que Loüillet eût fait son tintamare
dans un lieu où il y eût cu un Echo
capable de réfléchir le bruit , il n'auroit
jamais frappé l'ouie aussi fortement que
celui que les Témoins d'Ansacq déposent
avoir entendu dans une distance considerable,
il n'auroit point effrayé les chiens
et dispersé les Troupeaux ; d'ailleurs on
sçait que la réfléxion de l'Echo ne frappe
l'oreille que dans une certaine position ,
et qu'elle varie proportionément à la sérenité
ou à l'humidité de l'Air ; enfin le
son que l'Echo rend , n'est jamais si fort
que celui qui le produit. Supposé encore
que le bruit du Disciple de Loüillet cût
τέτ
rozo MERCURE DE FRANCE
répondu à quelque voute ou à quelque
Caverne qui seroit sur le Côteau opposé au
Château d'Ansacq ; en ce cas je conviendrai
que le son peut être augmenté , mais
qu'on convienne aussi qu'il faudroit
que ce qui fait le premier bruit , fût bien
exactement placé à certaine distance , et
que le son suivit précisément le rayon de
direction jusqu'au lieu où se fait le retentissement.
Voyez Vitruve , Liv. V.
Chap. V. dans la Description des anciens
Théatres , où il y avoit differens Vases
d'airain , selon l'étendue des tons de la
voix et des Instrumens qui réfléchissoient
le son ; mais il falloit que ces Théatres
fussent Eliptiques , car s'ils avoient été
quarrez , ou qu'on eût placé les Vases en
ligne droite , et qui n'eût pas eu une certaine
direction , ils n'auroient produit aucun
effet.
On objectera peut-être que le Disciple
de Loüillet peut avoir reconnu une Caverne
sur le Côteau d'Ansacq , et avoir
si bien pris ses mesures , que d'un certain
lieu du Château il ait poussé sa voix
directement à cette Caverne : soit ; mais
comment le bruit qu'il a pû faire dans
cette situation aura- t'il été également entendu
lorsqu'il aura changé de place et
parcouru la parallele à la rue de l'Eglise ?
S'il
MAY. 1731.
1031
S'il a abandonné le foyer , comment les
rayons ont-ils conservé leur correspondance
avec la Caverne , où l'on suppose
que se forme l'Echo ? Il n'y a pas
sibilité.
de
pos-
Les loix de la réfléxion sont communes
à la vûë et à louie , avec cette difference
(quoiqu'en dise l'Auteur de la Lettre du
mois de Mars ) que la sensation de loüye
est plus exacte que celle de la vûë . Pour
comparer il faut des choses de même genre
. Si l'on meut circulairement un tison
alumé , il est vrai que les yeux seront
trompez par l'activité ; on croira voir un
cercle de feu. Mais Correlly , Batiste , &c .
qui ont poussé au plus haut degré de
vitesse l'expression des Nottes sur leurs
Violons , ne sont point parvenus à représenter
un seul son de plusieurs qu'ils expriment
en un instant , soit sur differens
tons , soit sur le même divisez par des
coups d'Archet redoublez : l'oreille distingue
toûjours cette division ; et si l'on
se méprend sur le lieu d'où part le bruit
d'une Cloche , ce n'est point un vice de
l'oreille , c'est que le son est détourné par
l'agitation de l'Air.
Il est donc certain que le bruit entendu
à Ansacq , ne peut être produit
par une seule personne ; je ne prétends
pas
1032 MERCURE DE FRANCE
pas prouver qu'il le soit par des Esprits
Aëriens , mais je vais rapporter ce que
des personnes dignes de foy ont entendu
l'année derniere ; ce fait pourra conduire
à quelque conjecture plus vrai- semblable
que celui que contient la Lettre rapportée
dans le Mercure du mois de Mars .
M. D *** étoit à F. l'Automne dernier
, le 3. Octobre , entre 2. et 3. heures
du matin ; elle fut éveillée par un bruit
de voix et d'Instrumens discords . Elle
s'imagina d'abord que c'étoit ses Domestiques
qui se divertissoient dans une Salle
au rez -de- chaussée du corps de logis . Elle
appella sa Femme de Chambre pour leur
faire dire de se retirer ; la pauvre Créature
éveillée par le même bruit , s'étoit
enfoncée dans son lit , tremblante de
peur ; la voix de sa Maîtresse la rassura ;
elle la joignit , et ayant l'une et l'autre
redoublé leur attention , elles crurent que
ce bruit se faisoit dans la cour . M. P ***
frere de Mad. D *** , que le même bruit
avoit aussi éveillé , crut qu'il se faisoit
dans la chambre de sa soeur , ne sçachant
que s'imaginer, il y accourut. Mad . D ****
le pria d'aller gronder ses gens , et de les
faire coucher. Il descendit dans la cour ,
mais il ny trouva personne ; toutes les
portes étoient fermées , les lumieres éteintes
, ch can dormoit.
.
་་
MAY. 1731 .
1033
Cependant entendant toûjours le même
bruit , il croyoit qu'il pourroit y avoir
quelqu'un dans les Vignes qui sont visà-
vis de la maison . Il monte sur la hauteur
de ces Vignes , mais il ne voit qui
que ce soit ; il écoute attentivement et
n'entend plus qu'un brouhaha , comme
si c'eût été plusieurs hommes qui parloient
bas , sans qu'il pût distinguer aucune
articulation , mais les voix lui semblerent
venir du Jardin de Mad. D **** .
Il rentre dans la maison , parcourt ce
Jardin et ne trouve personne ; pendant
qu'il va et revient , la conversation Aërienne
devient moins vive ; M. P ***
montoit le Peron pour rentrer dans le
Logis , lorsqu'un nouvel Acousmate l'étonne
autant que ce qu'il venoit d'enten◄
dre. Un bruit pareil à celui de beaucoup
de Sifflets de differens tons réunis , remplit
l'Ar et s'y perdit en s'éloignant
comme par ondulation . Mad. D **** et
sa Femme de Chambre en furent encore
effrayées . M. P *** quoiqu'esprit fort et
bon Physicien , m'a avoué qu'il avoit été
extremement surpris.
Le lieu où ces choses ont été entenduës
est situé au bas d'une Montagne opposée
au Midi, laquelle s'étend de l'Est à l'Ouest,
en forme de Croissant imparfait , dont
128
1034 MERCURE DE FRANCE
les extremitez diminuant insensiblement
de hauteur , se perdent dans une grande
Plaine. Plusieurs Monticules qui s'élevent
les unes sur les autres , forment cette Montagne
,dont la surface est plantée d'Arbres
et de Vignes. Ne se pourroit- il pas que
differens tourbillons frappant de differentes
manieres cette surface inégale , tantôt
platte , tantôt convexe et tantôt creuse ,
eussent produit l'Acousmate dont je viens
de vous faire part. Je suis , & c.
康康
L'AMOUR ET PLUTUS ,
POEM E.
Par M. Cavaliés , de Montpellier , Avocat
à la Cour des Aydes de la même Ville.
Muse , raconte moi par- quel destin contraire ,
Plutus malgré l'Amour s'empara de Cythere ,
Et vrai tyran des coeurs dans son funeste emploi
Leur fit de s'enrichir une suprême loi .
Jadis avec l'Amour , avec ce Maître aimable
La Terre entretenoit un commerce agréable ;
Il en fit un séjour charmant , délicieux ,
Pour elle il dédaignoit la demeure des Cieux.
Sans contraindre les coeurs à changer de nature ,
Par
MAY. 1731.
1035
Par la simple équité , par l'exacte droiture ,
Il n'en fit que regler les secrets mouvemens,
Ses volontez étoient les Loix des premiers tems ;
Les Belles consultant le cristal d'une eau claire ,
Epioient leurs attraits et ne vouloient que plaire ,
Par son éclat encor , un métal odieux ,
N'avoit point fasciné ni leurs coeurs ni leur yeux;
Le respect , la candeur , la constante tendresse ,
D'un Amant jusqu'alors composoient la finesse.
Les Belles se rendoient à d'innocens vainqueurs.
Tems heureux ! où les coeurs étoient le prix des
coeurs.
Tel étoit le bonheur d'une innocente vie ,
Et rien n'en alteroit la parfaite harmonie ;
Quand Plutus contemplant du celeste Lambris ,
L'Empire fortuné de l'enfant de Cypris :
Jusqu'à quand l'Univers , dit- il , plein de colere ,
Subira t'il donc le joug d'un jeune témeraire ?
Le plus petit des Dieux, en usurpant mes droits ,
Aux crédules Mortels imposera des loix !
Mais son triomphe est vain et ma gloire exposée ,
Trouve dans mes trésors une ressource aisée ;
Assez et trop long-tems sans culte et sans Autels,
Je ne fus regardé que comme un des Mortels.
Il faut à notre tour que l'on nous rende hommage.
Désormais dans leurs eaux le Pactole et le Tage ,
Ne feront plus rouler d'inutiles trésors ,
Et
1036 MERCURE DE FRANCE.
Et bien - tôt les Mortels , à l'envi sur leurs bords ,
Méprisant de l'Amour tous les bienfaits stériles ,
Viendront cueillir des biens plus surs et plus
utiles.
>
Il appelle à ces mots , pour servir sa fureur ,
L'infame trahison à l'oeil sombre et trompeur ,
L'orgueil , l'ambition au regard témeraire ,
L'ardente soif du gain , l'interêt mercenaire ,
L'artifice flateur au langage affecté ,
L'usure au front d'airain , le parjure effronté ,
`Et l'avarice enfin mere de tous les crimes ;
Ces Monstres odieux des plus profonds abîmes ;
Du Dieu leur Souverain entendirent la voix
Et l'Univers les vit pour la premiere fois.
La terre s'en émut , étonnée , éperduë ,
La Nature trembla , frémit à cette vûë ,
La lumiere pâlit , l'air en fut infecté.
A leur aspect le Dieu lui- même épouventé ,
Pour en cacher l'horreur à la Terre éplorée ,
Répandit sur leurs traits une couche dorée.
Hélas ! sous ce vernis jusqu'alors inconnu ,
Le crime cût à nos yeux l'éclat de la vertu .
Enfin Plutus suivi de ce cortege étrange ,
Et chargé des trésors et de l'Inde et du Gange ,
Se presente aux Humaius et leur tient ce discours.
Ovous , foibles Mortels , esclaves des Amours
C'est pour romprc vos fers qu'une Troupe immortelle,
Vient
MAY. 1731 .
1037
Vient donner à la terre une face nouvelle.
Gouterez-vous toujours une insipide paix ?
Le Carquois d'un Enfant remplit - il vos souhaits ?
Sous l'espoir d'un plaisir que suivent mille
peines ,
Ignorez - vous encor qu'il vous charge de
chaînes ?
Reconnoissez ma voix ; le plus riche des Dieux,
Suivi de ses trésors , Plutus vient en ces lieux.
J'en bannis à jamais l'inutile tendresse ;
J'amene le plaisir , j'amene la richesse ,
Vous me verrez bien- tôt , secondant vos desseins
,
Répandre mes bienfaits sur vous à pleines
mains .
Il dit et dans les coeurs son langage perfide ,
A son gré fait couler un poison homicide ,
De ce fatal poison les Mortels enyvrez ,
Aux folles passions dès - lors furent livrez.
Le desir d'acquerir s'établit à Cythére ,
La richesse aux Humains apporta la misere ;
Et l'avide interêt vainqueur de l'Univers ,
Combattit la raison et la mit dans les fers .
Cependant Cupidon méprisé sur la terre ,
S'envole et prend l'essor vers le Dieu du Tonnerre.
Puissant pere , dit - il , des hommes et des Dieux ,
Sur l'Enfant de Cipris , daigne jetter les yeux.
Détourne les malheurs qu'un Dieu jaloux m'apprête
,
rc38 MERCURE DE FRANCE
Plutus m'ose des coeurs disputer la conquête ,
Tu vois, par son éclat les Mortels éblouis ,
Ne rendre qu'à lui seul des honneurs inoüis.
Non , jamais ces ingrats , cette race infidele ,
Ne fit pour m'honorer éclater tant de zele.
Les desirs effrenez , et les voeux criminels ,
Les conduisent en foule au pied de ses Autels.
Là , parmi les horreurs , le trouble , les allarmes ,
D'un métal à leurs yeux , il fait briller les char
mes.
Là l'Avare à son gré se repaît , s'assouvit ,
Et fait provision d'un bien qui l'asservit ;
En vain je cherchois sur la terre un azile ;
La discorde a rendu mon Carquois inutile ;
En vain je l'ai vuidé pour rétablir la paix ;
Les coeurs avec dédain ont repoussé mes Traits.
Tu peux seul , Jupiter , rétablir mon Empire ;
Et la paix dans les coeurs que Plutus vient séduire
A ces mots Jupiter , le visage serain ,
Apprens , dit- il , Amour , les Arrêts du Destin ,
Les temps sont arrivez que , regnant sur la terre
Plutus doit la livrer au démon de la
guerre.
Déja peu satisfaits de tes dons bienfaisants ,
Les Mortels ont reçû ses funestes présens.
Ils adorent Plutus ; que Plutus les conduise ;
Et les comble d'un bien dont l'éclat les séduise .
Le crime qui grossit leurs coupables trésors
Te
M A Y.
1039 1731 .
Te vengera sur eux par les cuisans remords.
Pour toi, fils de Venus , regne dans l'Empirée ,
Regnes -y de concert avec l'aimable Astrée ;
Le Destin a fixé ton séjour dans les Cieux ,
Tu soumis les Mortels , tu soumettras les Dieux .
Depuis pour nous cacher notre propre esclavage,
Plutus prit de l'Amour la taille et le visage ,
Et s'armant de Traits d'or, et d'un Carquois doré,
Il asservit les coeurs , il en fut adoré ;
Mais qu'il a mal rempli leurs desirs trop avides ,
Plus ils sont pleins de lui , plus ils se trouvent
vuides ;
Accablez des trésors qu'ils ont tant demandez ,
Ils les possedent moins qu'ils n'en sont possedez.
XXX:XXXXXXXXX :XXX
CANTIQUE d'Anne , Mere du
Prophete Samuel , Lib. 1. Chap. 2 .
des Rois , traduit de l'Hebreu en Prose
Poëtique Françoise , par M. l'Abbé le
Camus de Provence , suivant l'idée de
M.de la Motte, de l'Académie Françoise.
Fdans mon coeur, exhalez vous en sain-
Eu pur et sacré que l'amour allume
tes louanges.
C'est toi , Dieu tout puissant et bon ;
quis releves ma force abbattuë ;
C Mes
1040 MERCURE DE FRANCE
Mes ennemis étonnez , m'entendent
élever la voix . Joye douce qui me vient
de tes bontez secourables !
Non , il n'est de Saint que notre Dieu ;
non , il n'est que toi de rampart assuré.
Que l'impieté se taise ; et vous , superbes
, écoutez-moi.
Connoissez le Dieu de Jacob. La sagesse
est son partage inaliénable ; point
de projet heureux qu'il ne l'ait formé.
C'est par lui que l'Arc du Fort est
brisé ;
Que les pieds incertains du foible sont
affermis.
C'est lui qui livre au travail ingrat
à la misere imprévûë , désespérante
le Riche amolli dans la volupté.
.
Mais , les jours du pauvre tristes et laborieux
, il les change en des jours de Fêtes.
Une troupe inesperée d'enfans badins
entourent une mere n'aguéres sterile. La
joye inonde son coeur ;
Tandis que cette autre , fiere d'une posterité
flatteuse, languit dans l'abbattement
et le désespoir,
Fehova conduit au tombeau , et ramené
des portes du trépas.
Dans tes mains toutes- puissantes sont
la mort et la vie , la richesse et la
vreté ,
pau-
11
MAY. 1731. 1041
Il abbaisse , il éleve .
Et d'un tas de poudre et d'ordure sort
à sa voix l'affreuse indigence.
Lui même il la place sur un Trône , et
Les Grands s'empressent à l'entour , éblouis
de ce naissant éclat .
Mon Dieu tient d'une main les bases
profondes sur lesquelles il a posé la Terre.
Et de l'autre main il guide les pas du
Juste.
L'Impie le voit en frémissant , du fond
de l'obscurité , où il croupit.
Force humaine , tu n'es que foiblesse ;
jamais tu n'enfantas les succès .
Mais , ô Dieu fort , ne perds point de
vue ton Christ , ni ses envieux obstinez .
Verse sur eux la terreur et la ruine .
Que ton Tonnerre gronde , que les
Cieux s'ébranlent en sa faveur.
D'un bout de la Terre à l'autre , tu
juges les foibles Mortels.
Tu fortifies ton Christ , et la gloire brille
sur son front couronné .
M. l'Abbé le Camus , qui sçait bien
l'Hébreu , pourroit , s'il vouloit , donner
au Public une Traduction des Pseaumes
de la même maniere.
Cij
STAN
1042 MERCURE DE FRANCE
శ్రీ శ్రీ
STANCE S.
SUR LA FIEVRE.
Monstre produit par les Enfers ,
Triste fruit des amours d'une horrible Furie ,
Noir fleau , dont la barbarie ,
Se plaît à desoler tout ce vaste Univers ,
Contre toi je brûle d'écrire ,
( Muses , Phébus , je ne veux rien de vous , )
Le feu que sa rage m'inspire ,
Mieux que le Dieu des Vers , peut servir mon
conrroux,
Jusques à quand , Fievre maudite ,
Eprouverai -je encor tes brulantes fureurs ?
Je cede enfin à tes horreurs ,
N'est-il pas temps , helas ! que ton ardeur nie
quitte ?
Depuis qu'à mon débile corps ,
Tu fais sentir une guerre cruelle ;
Déja sur ces aimables bords ,
La saison du Printemps deux fois se renouvelle,
Sous mille divers changemens ;
A me persecuter toujours ingenieuse ;
Je
M A Y 1043
17318
Je vois ta malice odieuse ,
Se plaire à mépriser les plus cruels tourmens :
Tantôt, de même qu'en nos Plaines ,
Se précipite un Torrent furieux ,
Tuviens dans mes brulantes veines ,
Répandre ton poison en cent bouillons de feux .
Je te vois changeant de nature ,
Du plus affreux hyver emprunter les glaçons ;
Je ressens tes mortels frissons ,
Porter jusqu'en mon coeur une ardente froidure,
Au milieu même de l'Eté ,
Mon sang glacé , se fige dans ma veine
L'Air par mon soufle est infecté ,
;
Mes poumons oppressez le respirent à peine.
粥
Tantôt appaisant ses rigueurs ,
Tu caches dans mon sein le venin qui me tuë ,
Jusqu'en mon coeur il s'insinuë ,
J'y sens bien-tôt couler de mortelles langueurs ;
La pâleur , l'affreuse tristesse ,
Le noir chagrin , l'ennui , suivent tes pas ,
Enfin une prompte foiblesse ,
Me conduit à pas lents aux portes du trépas?
Ma foible raison offensée ,
Ciij Par
1044 MERCURE DE FRANCE
Par le poison brulant de tes noires fureurs ,
1
S'égare enfin dans les horreurs ,
Dont la sombre vapeur la tient embarassée ,
Je vois des Monstres odieux ,
Mille dangers, mille erreurs passageres ,
Souvent des transports furieux ,
Sont les tristes effets de tes noires chimeres.
$2
A qui pourrois-je avoir recours ?
J'implore en vain le fils du Dieu qui nous
éclaire ;
Ses herbes , son Art salutaire ;
Rien ne peut arrêter ton redoutable
cours
Si quelquefois
ta barbarie
,
Pour un moment semble se ralentir ,
Bien- tôt avec plus de furie ,
Ta renaissante ardeur vient se faire sentir.
Le mortel poison qui m'enflâme
Envenime pour moi les jeux et les plaisirs ;
Le dégout suit tous mes desirs ,
L'Amour même , l'Amour ne peut rien sur mon
ame
Ah ! c'est trop vivre sous ta Loi ;
Bien - tôt la mort doit être mon partage ,
Cruelle , je l'attends de toi ,
Mais je meurs trop content de voir périr ta rage,
*
Esculape.
R. D. R. de Dijon.
MAY. 1045 1731.
XXXXXX :XX:XXXXX:XX
LETTRE de M. le B. Chanoine et Sous-
Chantre d'Auxerre , à M. de la Roque ;
au sujet d'une Inscription Romaine , découverte
le 10. May 1731. proche de
cette Ville.
J'Ay déja fait remarquer dans un petit
livre imprimé , il y a huit ans , que nôtre
Ville étoit originairement fort petite ,
et qu'elle n'est devenuë grande, et du circuit
d'environ une lieue ; que par l'accroissement
des Bourgs , qui se sont formés
autour des Monastéres et des Eglises
que la pieté des Evéques fonda autour des
anciens murs. Entre- autres Eglises , nous
avons au Septentrion de nôtre Ville , la
Basilique de S. Germain , dont le contour
souterrain est rempli de tous côtés de sépultures
de Chrétiens , qui se faisoient inhumer
au déhors de cette Eglise par devotion
envers ce grand Evêque , le second de
toute la France qui ait été le plus fameux
en miracles aprés le celebre S. Martin , et
dont aucunDiocese de France ne peut ignorer
les vertus et les merveilles , à moins
qu'il ne soit tout -à - coup privé des connoissances
les plus communes. Nous avons
C iiij ensuite
1046 MERCURE DE FRANCE
•
ensuite au midi , un Bourg surnommé de
Saint-Amatre , que son éloignement du
quartier de la Cité, n'a fait renfermer encore
que dans nos murs construits au douziéme
siècle. Quiconque connoît S. Germain
Gouverneur pour les Romains dans
la Gaule Celtique , ne peut manquer de
connoître celui qui lui confera la tonsure.
C'est S. Amateur. Il fût inhumé dans le
lieu où il avoit livré la guerre au reste
des Payens , et où quelques- uns de ses
prédecesseurs avoient été pareillement
inhumés , poury attirer le concours des
fideles à la place des dévotions précédentes
de l'Idolâtric. On trouve que ce lieu fût
appellé Autricum , ou bien Mons Autricus.
Il y a une prairie au bas : ce qui sert à appuyer
la pensée sur l'origine des noms locaux
, où la syilabe au est contenuë , que
M. Huet , ancien Evêque d'Avranches , a
avancée , et qui a été suivie depuis par
M. l'Abbé des Thuilleries : et c'est , selon
que je le prouve ailleurs , vers cette prairie
qu'ont existé les commencemens des
Villes Payennes , dont a été depuis formé
Auxerre Chrétien . Le côteau qui fait face
à cette prairie vers l'Occident , n'est pas
moins rempli de tombeaux de pierre , que
celui du Bourg Septentrional de Saint Germain.
Mais il est arrivé à presque tous ces
tombeaux
MAY. 173 P. 1047
tombeaux, tant à ceux de Saint - Germain'
qu'à ceux de Saint Amatre , la même chose
qu'à ceux que de nos jours l'on a trouvés
à Paris autour de l'Eglise de Saint- Germain
des Prez , et que l'on a vû rompre
pour faire place à des fondations de bâtimens.
L'éloignement des temps ayant fait
perdre la mémoire des personnes inhumées
dans ces lieux , la necessité de bâtir
ou de cultiver , a été cause que dépuis
plusieurs siecles , ce qui servoit de cimetière
est devenu un lieu profane ; c'està-
dire, qu'il a été changé ou en jardin , ou
en vigne , ou bien en place publique ; desorte
qu'on n'a plus fait aucun cas des
morts qui pouvoient y réposer. Il en est
arrivé de même en plusieurs Villes. Le
besoin où Monsieur Carouge , Chanoine
régulier , Prieur et Seigneur de Saint- Amatre
lez- Auxerre , a été de se fermer de
murs , parceque toutes les anciennes murailles
et bâtimens de son Monastere furent
démolis dans le temps fâcheux de la Ligue ,
qui causa des maux extrêmes en ce payscy
, l'a obligé de faire curer toutes les anciennes
fondations d'édifices , de ramasser
toutes les démolitions , et de lever tous
les obstacles au plan de bâtir qu'il s'est
formé. Entre le grand nombre de tombeaux
qui se présenterent l'an passé sous
C v
la
1048 MERCURE DE FRANCE
la main des ouvriers , on n'en a trouvé
qu'un seul , où il y eût une inscription.
Elle me parût être du moyen âge , et un
peu frivole , parcequ'elle n'est que commencée
: cependant je n'ai pas laissé d'en
dire un mot à un sçavant Antiquaire Ecclesiastique
, dans une lettre que je lui ai
adressée surdifferentes matieres , le dixième
jour du mois dernier. Mais hier matin nous
nous sommes trouvés plus riches , et nous
avons éprouvé la verité de ce qui arrive
souvent à Rome , qu'en levant un tombeau
de Chrétien , on rencontre en dedans
ou en déhors une Inscription Payenne .
Celle que nous avons trouvée , est au déhors
d'un tombeau : mais il n'est pas difficile
de juger par ce qu'elle contient , que
l'inscription n'a pas été faite pour le tombeau
, et qu'elle est beauconp plus ancienne
que le tombeau même. Cette pierre
étoit un gros bloc de la hauteur d'un pied
dix pouces , large de quatre pieds et demi
sur deux pieds six pouces de travers. Il
ya apparence qu'il y avoit un sacrifice representé
à l'une des deux faces , qui n'ont
que deux pieds et demi ; on y voit encore
sur les bords de la rainure qui y régnoit
une moitié de tête de Belier d'un côté , et
de l'autre comme une moitié de roue avec
des restes de rayons . Si l'on n'y apperçoit
pas
MAY. 1731. 1049
pas davantage de sculpture , c'est que la
pierre fût creusée dépuis , et vuidée pour
servir à former les deux tiers d'un sépulchre
à commencer par le côté de la tête ,
ensorte que ce reste de sepulture dont je
viens de parler , est du côté qui devoit
être réuni à un autre bloc creusé, et destiné
pour contenir les pieds du défunt . Mais
comme toute l'inscription ne s'est pas trouvée
dans le superflu que l'ouvrier du sépulchre
a cru devoir ôter , on y lit heureusement
sur le haut d'une des deux fácès
les plus larges , ces deux lignes trés bien
gravées, et en caractéres romains trés beaux
et de la hauteur d'un pouce et demi .
PRO SALUTE DOMINORUM. V. S. L. M.
DEDICAVIT MODESTO ET PROBO CÓS.
Il n'y a pas à hésiter dans la date de cette
inscription : elle est sûrement de l'année
228. de Jesus- Christ , puisque c'est à
cette année que se rapporte selon les Fastes
le Consulat de Modeste et de Probus . C'étoit
en partie la sixième et septième année
de l'Empire d'Alexandre Severe , et la
trentiéme avant que nôtre premier Evêque
S. Pelerin fût envoyé dans les Gaules ;
mais ne pouvoit-on pas en tirer quelque
avantage pour l'éclaircissement de l'his-
C vj toire
1050 MERCURE DE FRANCE
toire de cet empereur ? On paroît embarrassé
à assurer positivement que ce fût l'an
228.qu'Alexandre Sevére s'associa Ovindus
Camillus. On croit que la médaille rapportée
par
Occon
, n'est pas suffisante pour
prouver le temps du départ de ces deux
Princes contre les Barbares , et l'on dit
qu'il faudroit qu'il y eut clairement sur
cette médaille Profectio Augg. au plurier ,
et non simplement Profectio Aug. qui ne
veut dire que Profectio Augusti. Vôtre inscription
s'exprime nettement au Plurier ,
ainsi que vous le voyez : et l'on ne peut
guére entendre Dominorum , d'autres que
d'Alexandre , et de Camillus qui étoit regardé
comme un nouveau César depuis
l'honneur qu'Alexandre lui avoit fait de
l'associer à l'Empire. J'ai donc dans la
sée , que cette Pierre vient d'un Autel
érigé en mémoire de quelque Taurobole ,
ou de quelque Criobole , cerémonie qui
avoit marqué le zéle des habitans de nos
cantons , pour la prosperité de ces deux
Princes. Les Tailleurs de pierre réconnoissent
dans ce bloc le grain de la pierre du
pays , c'est à dire d'une carriere qui est à
quatre ou cinq lieües d'icy , et y auroit- il
apparence qu'une pierre qui pesoit bien
trois ou quatre muids de vin avant qu'elle
fût cavée , eût été apportée icy d'une aupentre
MAY . 1731. 1051
>
tre Ville trés éloignée ? Quoiqu'il en soit
le reste d'inscription qu'elle contient
peut servir non seulement à confirmer ce
que l'on apprend par la Médaille d'Occo ,
mais il appuye encore le raisonnement ,
par lequel Lampride , auteur de la vie
d'Alexandre , réfute l'opinion populaire ,
qui attribuoit à Trajan l'association de ce
Camillus. Lampride après avoir rappor
té le fait , ajoûte que ni Fabius Marcellinus
, ni Aurelius Verus , ni Statius Valens
dont il avoit les écrits sous les yeux , n'attribuoient
l'élevation de Camillus à Trajan
; et qu'au contraire Septimius, Acholius
et Encolpius , écrivains de la vie d'Alexandre
Severe , disoient de lui le fait singulier
de cette association subite , et im.
prevue , et de cette expedition militaire
qu'ils firent en commun contre les Barba
res. Je ne vous retracerai pas icy ce que
Lampride rapporte de cette guerre. On a
des preuves que ce fût contre les Allemans
qu'Alexandre et Camillus partirent l'an
228. ce qui est curieux à lire , et qu'-
Alexandre partit à pied, invitant son nouvel
associé d'en faire de même , Camillus
qui n'étoit point accoutumé , comme
Alexandre , à cette voiture , se trouva trés
fatigué au bout de cinq mille pas , c'est-àdire
, aprés avoir fait deux lieues ou envi .
ron.
A
1052 MERCURE DE FRANCE
ron. Alexandre lui fit donner un cheval ,
qu'il ne pût supportet que pendant deux
journées , parcequ'il étoit d'un temperament
trés delicat ; enfin le chariot ne lui
convint pas davantage , et il fût obligé de
renoncer au métier de la guerre , sans cependant
abandonner sesprétentions à l'Empire.
On voit par là que la santé de cet associé
avoit un peu plus besoin des voeux du
peuple envers les Dieux , que celle d'Alexandre
, qui étoit robuste et vigoureuse:
mais on ne les separa point dans la ceremonie
qui fût faite à Auxerre à leur intention
, et les voeux furent portés également
pour la santé de ces deux Maîtres
pro falute Dominorum .
Si vous, ou vos amis, avez une autre explication
à donner à nôtre inscription , qui
ne fait que commencer à voir le jour , je
ne m'y oppose aucunement ; je l'attendrai
avec plaisir , principalement celle qui sera
donnée des quatre lettres initiales de la
premiere ligne , sur lesquelles je laisse à
d'autres à deviner ce qu'elles signifient.
Je ne vous parle point d'une autre inscription
aussi trouvée avant hier au même
lieu , parcequ'elle est encore plus mutilée
que la précedente . Elle est egalement
d'un trés-beau'caractére Romain, et on y lit
lecommencement du mot de LUPERC alia
PeutMAY.
1731. 1053
Peut-être trouvera- t- on dans la suite les
autres morceaux de ces inscriptions ; en
ce cas je ne manquerai pas de vous en donner
avis , étant &c.
A Auxerre ce 11. May 1731.
****************
ODE SACRE'E ,
Tirée du Pseaume
In Exitu Israël de Ægypto , &c.
QUand Israël quitta la Terre
Des barbares Egyptiens ,
Celui qui commande au Tonnerre ,
Brisa ses funestes liens :
Il le prit pour son héritage ;
La Mer s'ouvrit à son passage ,
Le Jourdain suspendit ses Eaux ;
Les Colines et les Montagnes ,
Sauterent comme en nos Campagnes
Nous voyons bondir les Troupeaux.
O Mer en nauffrages féconde ,
A l'aspect du Camp des Hébreux ,
Pourquoi retiras-tu ton Onde ?
Jour1054
MERCURE DE FRANCE
Jourdain , pourquoi fuir devant eux ?
Monts orgueilleux , et vous , Colines ,
Les Moutons des Plaines voisines ,
Vous virent imiter leurs sauts ;
Grand Dieu ! la Terre en ta presence ,
S'émeut en voyant ta puissance ,
Un Rocher forme des Ruisseaux.
諾
Etre éternel ! que la memoire ,
De tant de Miracles divers ,
Ne tourne point à notre gloire ,
Qu'elle t'annonce à l'Univers ;
Que ta Verité , ta clémence ,
Ta Sagesse et ta Providence ,
Te manifestent aux Humains ;
Qu'ils sçachent qu'Israël révere ,
Le Maître du Ciel , qui sçait faire ,
Tout ce qu'embrassent ses desseins.
Les Gentils ont des Dieux frivoles
Qu'ils se sont eux-mêmes formez ,
Sourdes et trompeuses Idoles ,
Dont les yeux sont toujours fermez ;
Leurs pieds , leurs mains sont immobiles ;
De Métal masses inutiles ,
Vous êtes des Etres muets ;
Puissent
MAY.
1055 1731.
Puissent vous devenir semblables ,
Tous ceux qui croiront secourables ,
Des Dieux que les hommes ont faits.
Israël mit son esperance ,
Dans l'assistance du Seigneur ;
Aron invoqua sa puissance ,
Il s'est montré leur Protecteur ;
Celui qui craint de lui déplaire
Dans sa bonté sans cesse espere ,
Et toujours éprouve ses soins :
Combien de fois ce tendre Pere ,
Sans attendre notre Priere
A-t'il prévenu nos besoins ?
,
;
Son Peuple , de sa bienveillance ,
Mille fois sentit les effets ;
Ceux qui réverent sa puissance ,
Par lui sont comblez de bienfaits
Dans la splendeur ou l'indigence ,
Son incomparable clémence ,
Ecoute également leurs voeux .
Puissent vos enfans et vous- même ,
Etre benis du Dieu suprême ,
Qui créa la Terre et les Cieux !
Son
1056 MERCURE DE FRANCE
Son Trône au-delà du Tonnerre ,
Brille dans la celeste Cour :
Du néant il tira la Terre ,
Pour en faire notre séjour ,
Seigneur , dans la nuit éternelle ,
Tombeau de l'Ame criminelle ,
On ne benit point tes faveurs ;
Mais nous qui suivons ta lumiere ,
Durant l'Eternelle carriere ,
Nous celebrerons tes grandeurs.
Par M. de Sainte Palaye , de Montfort-
Lamaury
SUITTE des Memoires historiques sur les
perfonnes illustres originaires du Comté
d'En.
A
Prés avoir fait connoître les Personnes
originaires du Comté d'Eu qui
se sont distinguées par leurs sciences, ou
par leur pieté , je vais presentement parler
de celles qui par leur valeur , ou par
leur habileté dans les Arts , ont merité
d'être particulicrement estimées. Je commence
par Guillaume d'Eu , fils ainé d'Eustache
d'Eu ; Seigneur de la Chaussée ,
Chevalier
MAY. 1057 1731 .
1
Chevalier et Vicomte hereditaire du Comté
d'Eu , et d'Alix de Piquigni . Ce Seigneur
avoit pris naissance dans un Châ-
Iteau qui subsistoit alors au fauxbourg de
la chaussée d'Eu , dont on voit encore les
vestiges , et qui faisoit le chef- lieu et le domicile
ordinaire de cette ancienne et illustre
maison qui descend des premiers Comtes
d'Eu ; et parceque ce fief de la chaussée
d'Eu,quoique membre du Comté d'Eu
et de la Province de Normandie , est néanmoins
situé du côté de la Picardie , et du
Diocèse d'Amiens , les Historiens ont
donné quelquefois à ce Seigneur le nom
de brave et vaillant Picard .
Elevé d'une maniere conforme à sa naissance
, il ne fut pas plutôt en âge d'exercer
la profession des Armes , qu'il l'embrassa.
Il est vrai que l'Histoire * ne nous
a pas transmis tout ce que ce Seigneur a fait
de singulier et d'heroïque , où nous eussions
sans doute trouvé des preuves abondantes
de sa valeur : elle ne nous fournit
qu'une seule action ; mais qui , quoique
seule , est plus que suffisante pour justifier
quel étoit , l'excès de son courage.
C'est de la fameuse bataille de Nicopolis
en Bulgarie , donnée l'an 1396.
* Froiffart. T. IV. Ch. 72.
Nicopolis
to58 MERCURE DE FRANCE
dont je veux parler , le jeune Seigneur
ayant suivi en .... le Comte d'Eu Phillipe
d'Artois , Connétable de France .
On voit dans ce que l'Histoire rapporte
de cette bataille , que la trop grande
vivacité du Comte d'Eu , ayant engagé
mal à propos les troupes Françoises à marcher
indiscrettement vers l'armée ennemie
, sans être suivie de l'armée chrétienne
, elles se trouverent à l'instant envelopées
par soixante mille Turcs. Ce fût dans
cette funeste occasion que Guillaume d'Eu
fit connoître jusqu'où alloit son intrépidité
et sa valeur ; car les Historiens ont particulierement
remarqué que pendant l'horrible
massacre que les Turcs faisoient des
François , Guillaume d'Eu se fit jour deux
fois , l'épée à la main , au travers de cette
nombreuse armée ; ce qui lui donnoit , s'il
avoit voulu une entiere liberté de se tirer
du peril ; mais persuadé qu'il étoit indigne
pour lui de survivre à la perte du Corps
des
troupes Françoises , il aima mieux
retourner daus la mêlée , où il perit avec
les autres. ( a )
Je vais maintenant parler d'un autre
Seigneur du Comté d'Eu qui s'est rendu
fameux pour avoir été le premier qui a
(a) Froiff. ibid. Baudier, Hist . des Turcs L. 2 .
Ch. 1.
tenté
MAY. 1731 . 1059
tenté la découverte d'un nouveau Monde ;
et qui a ouvert un chemin pour passer dans
l'Amerique. Ce Seigneur est Jean de
Bethencourt, Baron deS. Martin leGaillard ,
au Comté d'Eu , lequel a commencé le
premier établissement qui s'est fait aux
ifles des Canaries . ( a ) Ces Ifles , à la verité
,avoient été connuës des Anciens sous
le nom des Ifles Fortunées ; et quelques
Avanturiers sétant hazardés d'y aborder
y avoient quelquefois réussi ; mais l'usage
de la Boussole n'étant pas encore connu,
peu avoient osé se hazarder à faire un
semblable voiage, Lorsqu'enfin la direction
de l'éguille aimantée vers le Nord fût découverte,
et l'usage qu'on en pouvoit faire
pour régler sa route sur Mer confirmé ;
Jean de Bethencourt fût le premier qui
entreprit de tenter par cette voye l'accès
de ces Ifles , qui étoient alors abandonnées.
Robert de Bracquemont son cousin y
donna lieu ; comme il avoit de l'inclination
pour les expeditions de Mer , il forma
le dessein d'aborder ces Isles, et de s'en
mettre en possession . C'est pourquoi il
obtint en 1401. du Roy de Castille Jean
II. la permission d'en faire la Conquête :
ce qui lui fût accordé en consideration des
services qu'il avoit rendus à ce Prince dans
(a) Jean de Verrier,Hist, des Canaries,
les
1060 MERCURE DE FRANCE
les guerres contre le Portugal . Mais soit
que dans la suite il eût prit son parti d’avancer
plutôt sa fortune en France , que
de l'aller chercher si loin , comme en effet
il y fût pourvû quelque tems aprés de la
qualité d'Amiral ; soit enfin qu'il voulût
donner la gloire de cette découverte à Jean
de Bethencourt son parent , et lui procurer
un établissement , il lui en donna la
commission , et lui ceda ses droits qui lui
furent confirmés par la Reine Catherine ,
veuve du Roy Jean II.
Le Baron de S. Martin aiant pris toutes
ses mesures pour son embarquement , mit
enfin à la voile dans l'été de l'année 1402 .
et aborda heureusement aux Canaries ,
dont il conquit d'abord quelques Isles .
Mais ne se trouvant pas assés fort pour
se rendre Maître des autres , il revint en
Espagne où il reçût des munitions et de
l'argent de Henry III . Roy de Castille ,
qui lui donna la souveraineté de ces Isles ,
à condition qu'il lui en feroit hommage ;
étant retourné il se saisit encore de quelques
unes , et en particulier de celle qui
se nomme Lancelote , où il fit bâtir un Fort.
Il y prit même la qualité de Roy : mais
étant mort peu de tems aprés , il y laissa
Y
pour surcesseur son neveu nommé Me-
Baut , avec la même qualité . Tout le monde
MAY. 1731. 1061
de convient que ce voyage est le premier
qui se soit fait avec ordre , et le plus loin
vers la ligne. Ce qui donna lieu ensuite aux
Portugais , et aux Castillans de hazarder
d'autres voyages de long cours ; comme
de doubler le cap de BonneEsperance pour
passer aux Indes , et de faire enfin la découverte
de l'Amerique.
Je ne doute pas que ceux qui ont par
la lecture quelque connoissance du fameux
armateur Jacques Sore dont je vais présentement
parler , ne soient surpris que je
lui donne place dans le rang des personnes
illustres qui sont sorties du Comté d'Eu
parceque la pluspart des Historiens qui
en parlent , le regardent comme un insigne
Pirate , et un veritable scelerat : mais
c'est justement ce qui doit m'y engager ;
car il ne paroît pas que les Historiens
` lui aient rendu la justice qui lui est duë.
Deux choses , il est vrai , ont contribué
à le rendre odieux de son vivant. La premiere,
parcequ'il étoit Calviniste , et protegé
des principaux Chefs de cette secte.
La seconde , en ce que s'étant un jour rendu
maître d'un Bâtiment Espagnol qui alloit
au Bresil , sur lequel étoient embarquez
des Jesuites qui y passoient pour annoncer
la foy , il les fit tous mourir et jetter ensuite
dans la mer,
J'avoije
ト
1062 MERCURE DE FRANCE
>
J'avoue que ce fût un malheur pour
Jacques Sore d'avoir vêcu dans l'héresie
dont les funestes sentimens ont pû contribuer
à l'animer contre les Jesuites : c'est
surquoy je ne prétend s pas le disculper ;
mais à cela près , il peut avoir eu d'ailleurs
de bonnes qualités naturelles , lesquelles
ont pû le mettre fort audessus du commun.
C'est aussi sous cet aspect que je
pretends le faire régarder,apuïé comme je
suis sur ce qu'en a pensé un excellent connoisseur
qui devoit bien sçavoir ce qu'il
étoit , puisqu'il vivoit de son tems , qu'il
étoit en place pour en juger , et qu'il
ne peut être soupçonné de lui avoir été
favorable par la conformité de réligion :
sçavoir Pierre Bourdeille , Abbé de Brantome
, connu sous ce dernier nom ; lequel
parlant par occasion dans ses Mémoires
de Jacques Sore , fait son éloge en´
deux mots , en disant qu'il avoit été un
des bons hommes de Mer qui fût de
son tems , ajoûtant même qui eût été
depuis. (a)
Jacques Sore étoit natif du village de
Floques , situé proche de la Mer à une
petite lieuë de la Ville d'Eu , il avoit
comme j'ai dit , cu le malheur d'être élevé
>
(a)Mem . de Brant. Eloge de M. de Mont-luc.
dans
ΜΑΥ. 1731. 1063
dans la secte de Calvin ; mais étant d'un
esprit vif , et hardi , né avec quelques
biens , voyant la guerre déclarée contre
la France et l'Angleterre lors du Siége
du Havre de grace en 1563. il prit le
parti d'armer une frégate pour aller en
course contre les ennemis de l'Etat , sur
lesquels il ne tarda pas à faire des prises
considerables , et à se rendre formidable
sur la mer. Mais la paix ayant été faite
plutôt qu'il ne le souhaittoit , il lui fallût
chercher un prétexte qui l'autorisat à continuer
une profession de son goût , et
où il se voioit en état d'avancer sa fortune.
Il le trouva , ce prétexte , dans son protecteur
le fameux Amiral de Châtillon
lequel non content de lui faire une pension
, lui procura des lettres de Jeanne
d'Albret , Reine de Navarre , par les
quelles elle l'établissoit Amiral de Navarre
, ce qui lui donnoit droit de courir
sur les vaisseaux Espagnols , comme il
fit en effet. Pour y mieux reüssir il prit
avec lui un autre Armateur nommé
Didacus d'Andrada , s'engageant de par
tager le butin. ( a )
Ce für alors qu'il donna vigoureusement
la chasse aux vaisseaux d'Espagne ,
(a) Flarim, de Raim. Hist, de l'Heresie. L.
5. p. 738.
D
of
1664 MERCURE DE FRANCE
·
et qu'il prit celui dont les Historiens
ont fait tant de bruit, Il est vrai que ce
bâtiment alloit au Bresil , et qu'il y por
toit des Jesuites destinés pour les Missions
du Pays , dont le Chef s'appelloit
Ignace , du nom du Fondateur de sa
Compagnie. Les Auteurs varient sur le
nombre , les uns disent qu'il y en avoit
douze , les autres trente- huit , d'autres
enfin quarante . N'importe , il est toûjours
certain que Jacques Sore prit ce bâtiment
l'an 1570. et qu'il fit mourir les
Jesuites , comme je l'ai dit plus haut,
( a ) Je sçay que tous les Auteurs crient
avec raison contre cette action pleine de
cruauté , et qu'ils la regardent comme
un effet de la haine de Jacques Sore
contre la Catholicité. Les anciens de ce
pays-cy rapportoient la chose d'une maniere
qui la rendoit un peu moins odieuse ;
sçavoir , que Jacques Sore n'en avoit
agi ainsi que par réprésailles , en ce que
les Espagnols aiant traité de la même
maniere un particulier qui lui appartenoit
, et qui étoit tombé entre leurs
mains , il crût d'ailleurs que les Jesuites
y avoient eu part. Mais cela ne sçauroit
jamais le disculper.
fc) Florim, de Raim, ibid, Hist. gener. d'Hora
griz, liv, 15,
Nôtre
MAY. 1731. 1065
Nôtre Amiral de Navarre fit , au rapport
de Brantôme , une autre prise qui
fit beaucoup de bruit pour le bien et
le mal qu'elle causa au parti Calviniste.
Ce fût un vaisseau Venitien , du port
de douze à treize cens tonneaux , qu'il
aborda , et qu'il prit en déçà du détroit
de Gibraltar , lequel faisoit voile vers
l'Angleterre. L'ayant conduit à la Rochelle
, les Calvinistes le firent passer
quelque tems aprés au Port de Broüage
dont ilsvouloient se rendre les maîtres . Če
qui en effet leue facilita la prise de cette
place , est que s'étant avisé de placer
de l'artillerie sur la hune de ce vaisseau
qu'il avoit extrémement large , ils
tuoient de-là à coup sûr tous ceux qui
se présentoient pour défendre la bréche ;
mais aiant malheureusement pour eux
laissé le vaisseau désarmé dans ce Port ,
et le Roy Charles IX . étant venu assiéger
peu de temps aprés la Rochelle
, il
ly fit repasser
; et l'ayant
fait couler à
fond à l'entrée
du Port , il fit placer dessus
une batterie
qui fit des merveilles
battre la Ville , et pour empêcher
le secours
d'y entrer.
,
pour
Enfin l'Amiral Sore , las d'une vie si
agitée , prit le parti d'abandonner la Marine
, et de se retirer au Comté d'Eu ,
Dij son
+
1066 MERCURE DE FRANCE
son pays , pour y finir le reste de ses
jours dans le repos , et encore mieux ,
si on en croit la tradition du même pays,
pour y rentrer dans le sein de l'Eglise .
On tient qu'il y est mort , et qu'il a été
inhumé comme Catholique dans l'Eglise
du Village de Floques , qui étoit, comme
j'ay dit , le lieu de sa naissance ; au
moins est- il certain , que c'est une insigne
calomnie ce qu'a avancé celui qui
à fait les Additions à l'Histoire de Portugal
par Jerôme Ozorius ( a ) ,sçavoir , que
le Capitaine Sore se retira dans sa patrie ,
pour y mourir comme enragé , écumant
sa mort comme un Sanglier , ce qui
n'a nulle vrai- semblance, puisque qui que
ce soit dans le pays n'a jamais entendu
parler de pareille chose , le tems n'en
étant pas si éloigné , moi- même m'étant
souvent entretenu des Avantures de Jacques
Sore avec ceux dont les Peres l'avoient
parfaitement connu , et dont les
proches parens avoient eû part à ses expeditions.
D'ailleurs les habitans de cette
ville ayant toûjours été fort opposés
au Calvinisme , et Jacques Sore étant
mort à leur porte , il n'est pas vrai- semblable
qu'une mort si tragique eût
échapé à leur connoissance , et à leur
mémoire ; ils n'auroient pas ignorés
(4) Liv. ag. ch. 3.
même
MAY. 1731. 1067
même , fameux comme il étoit , le lieu
profane où on l'auroit inhumé , s'il étoit
mort Calviniste .
Voici encore un autre Capitaine de
vaisseau , et depuis Chef d'Escadre , natifdu
Comté d'Eu , lequel a dû aussi son
élevation à la seule force de son génie
sçavoir,Abraham Du Quesne , Pere de l'illustre
Du Quesne , Géneral des Armées
Navales de France. Il naquit au Bourg
de Blangi, dans le Comté d'Eu , de parens
peu favorisés de la Fortune , et qui
avoient le malheur , comme ceux de l'Amiral
Sore, d'être infectés, de l'héresie de
Calvin ; ce qui est assez particulier , vû le
peu de progrès que cette héresie avoit
fait dans le Comté d'Eu. Il y a apparen
ce que ce fût ce qui lui donna lieu de se
retirer à Dieppe où le Calvinisme étoit
plus en vogue. Il y apprit la Carte Marine
, se mit sur les vaisseaux et se rendit
capable d'être Pilote .
Aprés avoir exercé cette profession
pendant quelque temps , il passa en Sue -
de , où s'étant fait connoître , il obtint une
place de Pilote dans les vaisseaux de la
• Reine Christine. Comme cette Princesse
trouva à propos d'envoyer quelques
vaisseaux en France , il fut choisi préferablement
à d'autres pour les conduire
D iij parcequ'il
1068 MERCURE DE FRANCE
parcequ'il étoit François. S'étant distingué
dans cette occasion , il fut fait Capitaine
de vaisseau du Roy dans l'Armée
navale de France , où il se signala de maniere
, que le Roy Louis XIV. ne fit. pas
difficulté de l'envoyer en Suede avec une
Escadre pour y ménager des affaires qui
regardoient la Marine. Comme la France
étoit alors en guerre avec l'Espagne ,
Abraham Du Quesne ne pouvoit guére
éviter d'être attaqué par les vaisseaux
Espagnols qui tenoient la Mer , lesquels
d'ailleurs le surpassoient de beaucoup en
nombre. En effet , comme il revenoit en
France , il se donna un combat entre les
deux Flottes ; et quoique Du Quesne fit
des prodiges de valeur , il reçut une blessure
considerable , et fut fait Prisonnier.
Ayant été conduit à Dunkerque , il y
mourut peu aprés de sa blessure , l'an
1535. dans les sentimens de la Réligion
Prétendue Reformée.
,
Il ne me reste presentement qu'à parler
des deux freres Anguier , qui ont excellé
dans la Sculture , et qui ont primé de
nos jours dans ce bel Art. Ils naquirent
tous deux à Eu dans la Paroisse de S. Jean,
d'un pere menuisier. Nés tous deux pour
la Sculture , et le Dessein ; dès qu'ils commencerent
à faire usage de leur esprit ,
on
MAY. 1731 . 1069
on les vit s'occupper à faire de petites
figures de bois ou de pierre avec leurs coû
teaux , en quoy ils réussissoient passablement
bien , ce qui frappa un honnête
Bourgeois de la ville , et l'engagea à en
prendre soin par charité. Voyant enfin
qu'ils commençoient d'être en âge à pouvoir
travailler , et que le goût pour la
Sculture se fortifioit de plus en plus en
eux , il obtint d'un Jesuite qui alloit à
Paris , qu'il les y meneroit pour les placer
chez un Maître où ils pussent se perfectionner
, ce que ce Pere fit en effet.
A peine eurent-ils commencé à modeler
des figures , que le Maître s'apperçût
bientôt qu'ils iroient fort loin un
jour , s'ils continuoient de travailler. Il
le connût encore mieux , lorsqu'ils eurent
commencé à se servir du cizeau sur le
bois et sur la pierre. Après s'être ainsi
formés quelque tems à Paris , ils allerent
à Rome, afin qu'il ne leur manquât rien
pour se perfectionner dans leur Art .
Etant enfin de rétour à Paris , ils y acquirent
une telle réputation , qu'ils furent
employés pour les plus considerables morceaux
de Sculture ; tels que le grand Crucifix
de marbre qui tient lieu de Tableau
à l'Autel de l'Eglise de Sorbonne , tous
les ornemens et les bas- reliefs de la porte
D iiij
de
D070 MERCURE DE FRANCE
de S. Denis , et les deux figures de celle
de S. Antoine dans l'Eglise des Celestins
le Tombeau du Duc de Rohan , et l'Obelisque
du Duc de Longueville. Tous
les Ornemens de l'Autel de l'Eglise du
Val de grace , et sur le même Autel le
petit Jesus dans la Crèche , avec la Sainte
Vierge et S. Joseph , et quantité d'autres
ouvrages dont on peut voir le détail
dans la Déscription de Paris par Germain
Brice.
Enfin , aprés avoir si dignement employé
le talent que Dieu leur avoit donné ,
ils finirent leurs jours ; sçavoir , François
qui étoit l'ainé le 8. Août 1669. et Michel
le 11. Juillet 1686. Ils furent tous
deux inhumez dans la Nef de l'Eglise de
S. Roch leur Paroisse , sous une Tombe
de marbre blanc , sur laquelle fût gravée
I'Epitaphe suivante ,
Dans sa concavité ce funeste Tombeau
Tient les os renfermés de l'un et l'autre frere ;
Il leur étoit aisé d'en avoir un plus beau
Si de leurs propres mains ils l'eussent voulu faire
Mais il importe peu de loger noblement
Ce qu'aprés le trépas un corps laisse de reste
Et pourvûque ce Corps quittant le logement
L'Ame trouve le sien dans le séjour celeste..
VULCAIN
MAY. 1731 .
1071
VULCAIN VANGE.
Αν
CANTATE.
U Dieu qui forge le Tonnere
L'Hymen avoit uni la Déesse Cypris ,
Et Vulcain de l'Olympe éxilé sur la Terre
Esperoit dans ses bras oublier ses soucis ;
Mais l'Amour indigné que l'hymen témeraire
Sans consulter son choix eût formé ces liens ,
S'abandonne aux transports d'une juste colere ,
t frappe de ces cris les bois Idaliens . E
Si désormais , usurpant ma puissance
Le seul hymen enchaîne tous les coeurs ;
Où sont mes droits ? qui de mes traits vain
queurs
Voudra sentir la douce violence
Ainsi qu'aux Dieux , inutile aux Mortels
Je chérirois une lâche indolence !
Non; par
Rétablissons
l'honneur
de nos Autels...
Si désormais
, usurpant
ma puissance.
Le seulhymen enchaîne
tous les Cours ;,
l'éclat d'une illustre vangeance
D V Oth
1072 MERCURE DE FRANCE
Où sont mes droits ? qui de mes traits vainqueurs
Voudra sentir la douce violence ?
Il exale en ces mots la douleur qui le presse ,
Et de son Isle abandonnant les bords.
Il vole vers les lieux où l'aimable Déesse
De son nouvel époux secondoit les transports.
Mais pour le frere de Bellone
Bientôt la fille de Dione
Brûle par les soins de l'Amour ,
Et Mars qui ne se plaît qu'au milieu des allarmes,
Oubliant sa fureur dans ses yeux pleins de char- mes
>
L'assure d'un tendre retour..
'Alors l'Amour vangé comtemplant son ouvrage
Au Dieu de l'hymenée adresse ce langage.
Que cet exemple t'apprenne
Qu'aux coeurs rangés sous tes Loix
Hymen , ta faveur est vaine
Si je n'approuve leur choix.
De ta coupable imprudence
Vois les funestes effets ;
Vois échouer ta puissance
Contre
MAY. 1731 1073 .
Contre l'effort de mes traits.
Que cet exemple t'apprenne
Qu'aux coeurs rangés sous tes Loix,
Hymen , ta faveur est vaine
Si je n'approuve leur choix.
Tandis que l'Enfant de Cythere
De l'hymen impuissant irritoit les douleurs ,
Vulcain entre sans bruit dans le bois solitaire ,
Où Venus au Dieu Mars prodiguoit ses faveurs
Que ne peut inspirer la noire jalousie !
Pour vanger cet affront employant l'industrie
Vulcain dans ses filets tendus de toutes parts
Enveloppe à la fois l'Amour , Venus , et Mars.
Que la paix de retour
Régne enfin sur la terre.
Pour enchaîner l'Amour
Vulcain cesse en ce jour
L'Ouvrage du Tonnerre ,
Et le Dieu de la Guerre
Est Captif à son tour,
Que la paix de retour
Régne enfin sur la Terre
D vij
PROJET
1074 MERCURE DE FRANCE
XXXXXXXXXXXXXXX
PROJET
D'un Traité complet du Droit Public.
Eu M. le Maréchal d'Huxelles , au-
Froit fort souhaité de voir paroître
pendant sa vie un Traité du Droit public.
Le besoin qu'il en avoit éprouvé à
la Guerre , dans ses Gouvernemens , et
dans les Conseils du Roy , excitoit son
zéle là - dessus. Il disoit que la litterature
étoit féconde en livres excellens ; mais
que , pour le malheur du monde , le plus
excellent de tous les livres , celui qui devoit
apprendre aux hommes à comman
der et à obeir , étoit encore à désirer.
Entrons ici dans la plainte de ce grand
Ministre. Elle est juste , et peut -être
va-t'elle devenir utile. L'Europe se plaît
à mettre les sciences dans leur plus haut
éclat , et elle ne daigne pas jetter les yeu
sur celle- cy. Les Académies retentissent
des bruits harmonieux de la Philosophie,
de la Medecine , du Droit Civil ; Il est
peu d'Ecoles pour le Droit Public. Les
Sages de tous les tems semblent s'être entendus
à ne nous en donner que de simples
notions ; rien n'est achevé à cet égard
dans
MA Y. 1737. 1075
peu
dans leurs ouvrages. Le grand Legisla
teur , qui a si dignement parlé du Droit
divin , et du Droit humain , n'a touché
que legerement le Droit public; et le
qui lui en est échapé ,forme à peine quelque
partie du Droit particulier des Juifs.
Platon et Aristote ne nous ont pas donné
des Traitez complets de politique. Les
belles parties qu'ils nous en ont laissées ,
font seulement desirer un tout accompli
Leurs maximes d'ailleurs sont souvent
accommodées à leurs tems , à leurs pays ,
à leurs moeurs , et ne portent guére audelà
du Danube , et du Gange. Les Romains
, qui dans les liens de l'Empire ou
de l'alliance , contenoient tous les Peuples
de la Terre devoient à leur gloire
un corps du Droit public , comme ils en
ont donné un excellent du Droit particu
fier. Ils ne manquoient ni de grands Maitres
ni d'habiles Praticiens. Les Scipions
et les Papiniens naissoient chez eux à
l'ombre des faisseaux et des lauriers . Cependant
les Romains ont été steriles sur
le Droit public, et leur zéle si vanté pour
le bien commun , n'a pas excedé les bornes
de la patrie . Les politiques d'aprés
eux , ceux , qui dans la ruine de leur Êmpire
, ont recueilli les restes de leur sagesse
; Les Morus , les Campanelle , les Bodim
1076 MERCURE DE FRANCE .
din , les Grotius , les Puffendorff , tous
ces heritiers de leur sçavoir , se sont contentez
de nous transmettre quelques parties
du Droit public. Nul d'entre- eux ne
nous en a donné le corps achevé. Une prévention
même a resisté chez eux à l'en
treprise ; c'est qu'à l'exemple des Grecs ,
ils se sont asservis aux pays , et aux moeurs.
Le Droit public entre leurs mains est devenu
une politique Européene . Les peuples
éloignés , les voisins , les Turcs même
ont refusé d'y souscrire , et ce qui est
affligeant , les Sauvages n'ont pas été instruits
, et les Athées ( s'il fût jamais des
Athées au monde ) sont demeurés dans
leurs illusions.
Il manque donc à la terre un Traité du
Droit Public , qui soit universel , et que
nul homme ne puisse décliner. Ce Droit
estau- dessus des temps,des lieux , des conjonctures
, des usages. Il part du sein de
la Divinité , et raporte tout à la Divinité,
C'est lui qui nous découvre un premier
Etre invisible à nos sens , visible à nôtre
esprit , qui a tout fait , qui conserve tour
etqui appelle tout à lui . C'est lui qui nous
apprend que la Loi de ce premier Erre
est stable comme l'axe du monde : qu'elle
est douce , interessante , propre à lier les
Nations , les familles , les Personnes ; ca←
pable
MAY. 1731 . 1077
1
pable d'assurer la paix , de prévenir la
discorde , de faire régner le paisible travail
, et le repos laborieux ; propre à concilier
l'homme avec son auteur , et avec
lui même. C'est lui enfin qui dégageant
l'ame du poids de la cupidité , et des passions
, l'éleve à la pureté de son état , et
à la possession du bien souverain.
Ces hautes prérogatives m'ont presque
fait rencherir sur le zéle du Marêchal
d'Huxelles. J'ai souhaité de voir le Droit
public non seulement dans l'état des autres
Sciences ; mais dans un état plus facile
, plus agréable , plus simple ; tel que
les Maîtres du monde , ceux qui peuvent
le devenir , les Magistrats , les personnes
de toutes conditions , de tout sexe , de
tout age , en recherchassent avidement la
connoissance. J'ai attendu ce Chef- d'oeu
vre du celebre M. Domat , qui sembloit
l'avoir promis , et qui étoit si capable de
l'accomplir. Une mort trop prompte nous
l'a enlevé. Mes esperances ont tourné du
côté du Barreau , et de l'Académie , où
la vertu ne céde en rien à la science ; Mais
les Illustres de ces ordres ont été , comme
les Demosténes et les Cicerons , jettés
par leur merite dans le torrent des affaires
; et le Droit public est demeuré.
Ainsi lassé d'attendre , et d'ailleurs persuadé
T078 MERCURE DE FRANCE.
>
suadé par une longue meditation , que
l'ouvrage , quelque grand qu'il paroisse
n'est pas impossible , et que même il est
facile et agreable à quiconque ose l'entreprendre
; je fais moi- même ce que mes
voeux ont long-temps déferé aux autres ,
et j'offre à l'Univers le Traité complet du
Droit Public.
Pour le presenter dignement , je crois
en devoir tirer ici l'Analise , et la faire
passer dans tous les pays , où la raison est
connuë, afin que les sages soient par tout
invitez à m'honorer de leurs avis critiques
, et à me communiquer leurs lumieres,
Le Droit public est l'Art de commander
et d'obéir ; on peut encore le définir Art
de civiliser les hommes et de les conduire au
souverain bien.
Il se divise en quatre parties, la premicre
a pour objet la constitution des Etats ,
et des Ordres qui les composent,
La seconde traite du Gouvernement
interieur des Etats.
La troisième du Gouvernement exterieur.
La quatrième de la Guerre et de la Paix.
PREMIERE
MAY. 1079 1731
Premiere Partie,de la Constitution des Etats,
et des Ordres qui les composent.
1 Chap. L'ordre de l'Univers est là
régle fondamentale du Droit public , et
de la Politique.
2. La destination des hommes dans
l'ordre de l'Univers , est de cultiver la
terre , et d'aspirer au souverain bien.
3. Pour accomplir cette destination ,
les hommes ont besoin de s'unir en so
cieté .
4. Pour s'unir en societé les hommes
sont obligés d'ériger au dessus d'eux une
puissance publique,
5. Droits de la puissance publique sur
les hommes qui l'ont érigée.
6. Ces droits s'étendent sur quelques.
hommes même qui ne l'ont pas érigée.
7. Ressorts de la puissance publique.
8. La puissance publique est déférée à
un seul homme ou à plusieurs ensemble
ou séparement.
9. la puissance publique est déférée à
une femme.
10. Engagemens de celui et de ceux
à qui la puissance publique est déferée ..
11. Engagemens de ceux qui ont déferé
la puissance publique ,, et de leurs
successeurs..
12
1080 MERCURE DE FRANCE
12. Portrait d'un Prince accompli.
13. Portrait d'un sage Citoyen.
14. Le dépôt de la puissance publique
forme un Corps politique appellé Etat.
15. Etat Monarchique.
16. Etat Aristocratique .
17. Etat Démocratique ou populaire .
18. Etat composé.
19. Parallele de ces différens Etats .
20. Splendeur , variation décadence ,
dissolution des Etats.
21. Des Monarques , Rois , Chefs_de
Nations .
22. Des Rois mineurs.
23. De la Tutele , Curatele et éduca
sation des Rois mineurs.
24. De la Régence des Royaumes pendant
la minorité , la maladie , l'absence ,
la détention des Rois .
25. Du pouvoir des Régens .
26. Du Sacre et Couronnement des
Rois.
27. De la majorité des Rois .
28. Du Mariage des Rois .
29. Des Epouses des Rois.
30. Du Mariage des Reines , qui regnent
par elles -mêmes .
31. Des Epoux de ces Reines .
32. De l'union des Rois , et des Reines,
de leur résidence , et du raport de leurs
Etats. 33.
MAY. 17317 1081
.
33. Des Conseils des Rois.
34. Des Ministres des Rois.
35. Des Confidens des Rois.
36. Des Amis et des Favoris des Rois.
37. Des Courtisans.
38. Des Magistrats , Chefs de Républiques
, de leur pouvoir et de leurs personnes.
39. De la veneration due à tous ceux
qui exercent la puissance publique par
eux-mêmes ou par commission.
40. Des égards dûs aux Palais , et à
tous les lieux où s'exerce la puissance
publique.
41. Des infirmitez naturelles et accidentelles
de quelques Rois.
42. Des Absences , Voyages et Caprivité
des Rois.
43. Des Cessions et Abdications des
Rois , et de leur retour à la Couronne .
44. Des Testamens des Rois.
45. De la Mort des Rois.
46. Des Enfans des Rois et des Reines,
et de leur maniere de succeder aux Couronnes
paternelles et maternelles.
47. Des Heritiers Patrimoniaux , Légitimes
, Testamenraires , Directs et Collateraux
des Rois.
48. Des Princes et Princesses du Sang
des Rois.
49.
1082 MERCURE DE FRANCE
49. Des Prêtres.
fo . Des Juges .
51. Des Guerriers.
52. Des Officiers , Vicerbis et Gouverneurs
de Villes et de Provinces.
53. Des Nobles.
54. Des Bourgeois.
55. Des Agriculteurs et Laboureurs.
56. Des Artisans .
57. Des Serviteurs et Esclaves , où il
est démontré , contre les Loix Romaines ,
que l'Esclavage est contraire , non- seulement
au Droit naturel , mais au Droit
des Gens .
Voila exactement l'Analyse de la premiere
Partie dans le sens et l'ordre que je
destine à l'impression , si je ne suis réformé
par quelque judicieux avis . Je ne
donnerai pas les semblables Analyses des
trois autres ies.
Idée de la seconde Partie.
Le Gouvernement interieur des Etats
est le culte de Dieu , la Législation , l'execution
et la dispense des Loix , la Jurisdiction
, la clémence publique , la distribution
des Emplois , des rangs , des dignitez
, des honneurs , des graces ; l'institution
et la destitution des Officiers , la
direction des moeurs , le soin du repos
public ,
MAY. 17318 1083
public , de l'abondance du travail , de
l'Agriculture , du Commerce domestique
et étranger , des chemins , de la Navigation
, de l'industrie , des Monnoyes , du
Patrimoine public , des Subsides , des
Sciences , des Arts , des Métiers, de la santé
, de la décoration , des plaisirs publics.
Idée de la troisième Partie,
Le Gouvernement exterieur consiste
principalement à régir les affaires étrangeres
, à regler les limites , à entretenir
correspondances avec les Puissances Etrangeres
, à négocier avec ces Puissances , à
former des Ligues , des Alliances , des
Mariages , des Traitez de Commerce et
de Neutralité ; à nommer et à instruire
des Ambassadeurs , des Envoyez , des
Consuls , des Résidens , des Agens , des
Procureurs , des Secretaires ; à proteger
les Nations opprimées ; à porter chez les
Peuples barbares ou sauvages ; la connoissance
du Créateur et l'usage de la
raison.
Idée de la quatrième Partie,
Le Droit de la Guerre et de la Paix ,
est le pouvoir de fortifier et munir les
Places , de lever les Milices , de construire
et d'armer les Vaisseaux , de donner
les Sauf-conduits , les Amnisties , les réprésailles
1084 MERCURE DE FRANCE
pré sailles ; de déclarer une Guerre juste
ou injuste , de la dénoncer à l'Ennemi ,
de commander l'Armée , d'exercer les
hostilitez , d'user du droit de conquête ,
de pardonner aux Vaincus, de reconnoître
le Vainqueur , de récompenser les Guerriers
, d'évacuer les Places , de licentier
l'Armée , de proposer , accepter ou refuser
des Préliminaires de Paix , de faire des
Tréves , de donner et recevoir des ôtages,
de négocier , arrêter et executer des conditions
de Paix.
SUR cela je prens la liberté de demander
, 1º . S'il paroît que mon Systême soit
complet , et que toutes les parties du
Droit public y soient exactement renfermées.
2º . Si la division en est juste ; ou s'il
s'en peut imaginer une plus simple , plus
sensible , plus génerale.
3. Les quatre Analyses des quatre premiers
Chapitres cy- dessus , sont des principes
très nouveaux qui paroissent pour
la premiere fois dans la Litterature. Ils
influent sur toutes les parties du Droit
public dont ils sont la source évidente,
Leur plénitude fait naître une infinité de
principes sous ordonnez et des conséquences
aussi graves que lumineuses , qui
·
n'éMAY.
1085 1731.
n'échapperont pas aux hommes accoutu
mez à penser. Ce sont ces hommes que
je consulte singulierement ici , et que je
prie de ne me pas refuser leur sentiment
sur ces quatre Analyses.
4°. Comme mon entreprise est grande
et que je suis en tout sens fort borné , je
prie les Sçavans de m'accorder une libre
entrée dans leurs Cabinets , pour y puiser
les lumières , les conseils , les Livres ,
les Monumens , les Actes , les Memoires
qui peuvent me manquer sur les impor
tantes matieres que je traite , par rapport
seulement à la politique,
5°. J'ay fait et je continuerai de faire
très- volontiers lecture de mes Ouvrages
à ceux qui voudront bien se donner la
peine de les entendre dans mon Cabinet..
Il y en a provision pour une juste critique.
Si mon entreprise est goûtée , je donnerai
la premiere Partie de l'Ouvrage en
un volume in 4. dans l'année prochaine
1732. La seconde en un pareil volume
en 1733. La troisiéme en 1734. La quatrième
et derniere en 1735. et si Dieu
soutient mon zele , j'oserai en 1736 presenter
à Monseigneur le Dauphin le Droit
Public de la France avec ses Preuves,
Heureux si par ce travail je parviens
à glorifier Dieu , à servir mon Roi et à
rendre
"
1086 MERCURE DE FRANCE
rendre aux hommes le tribut d'amour et
de reconnoissance que je confesse leur
devoir .
Par M. Pasquier , Avocat au Parlement
, Conseiller au Conseil Souverain de
Dombes.
EXPLICATION des deux
Logogryphes d'Avril.
CHer ami , sans courir d'ici jusqu'à Pavie ;
Vous avez deviné les deux mots proposez.
La chose est Claire , et sur ma vie ,
Ces mots pour vous sont trop aisez.
J
D. M.
EXPLICATION de l'Enigme.
E crois que Mercure nous berne ,
Et nous prend pour de vrais Fallots ;
Pour trouver de semblables mots ,
Il n'est pas besoin de Lanterne.
D. M.
Le Logogryphe du Supplement du
Mercure d'Avril , s'explique par Orgueil.
ENIGME
MAY . 1731. 1087
XXXXXXXXXXXXXXX
ENIGM E.
Dumoment que je viens de naître , U
L'homme devient prudent , ou du moins il doit
l'être ,
Mais qu'il est peu reconnoissant !
A peine me voit-il paroître ,
Que son desir le plus pressant ,
Est de m'étouffer en naissant ,
O temps ! ô siecle ! ô moeurs ! quelle injustice
extrême !
Il n'est dans l'Univers qu'un seul Peuple qui
m'aime ;
Tous les autres en moi condamnent la grandeur;
Qui me faisoit jadis desirer des Rois même ;
J'inspirois le respect et j'inspire l'horreur.
On prend le fer en main pour me faire la guerre ;
On me noye; on m'arrache ; on me jette par terre;
Lecteur , si de mon nom tu parois curieux ,
Mire-toi ; je suis sous tes yeux.
J
LOGOGR Y P HE.
Habite les Palais , et nâquis dans les Bois ,
Six Lettres en mon nom s'épelent en deux fois.
Je présente d'abord une malpropre bête ;
Mais de mon corps entier si vous ôtez la tête ,
On peut par mon secours se passer de tonneau.
E Etant
1088 MERCURE DE FRANCE
Etant en cet état tranchez mon chef nouveau ,
Deux Notes de Musique aussi- tôt je présente.
Par cinq , deux , trois , et six , les méchans j'épouvante
;
Par un , deux , cinq et quatre , on évite nauffrage;
Quatre et deux,tro is et cinq, est des Massons l'ouvrage
;
Trois , six , cinq , est l'effet de la corruption .
Un , six , quatre , a souvent causé confusion .
De mon chef abatu , le cinq prenant la place ,
Il faut me suivre alors , mais le choix embarasse.
Mettez cinq , deux et quatre , au milieu du festin ;
Prenez un , deux et quatre , emplissez - le de vin ;
Je contiens Fleuve , Ville , et ce qui la rend close.
Avec un , six et trois , je serois peu de chose ;
Cinq , trois et quatre , agite un certain animal .
Mon corps entier tombant , peut guerir de tout
mal.
La Motte:
J
AUTRE LOGOGRYPHE.
' Ai dix lettres en tout ; laissez les dix entieres,
Mon origine est Grecque, ou du moins on le dit ,
Chez Mercure j'ai du crédit.
Retranchez mes quatre premieres ,
Lecteur prends garde à toi , si tu n'es aux aguets,
Je te tiens sous ma griffe, à l'ortographe près.
NOUM
A Y. 1731. 1089
の
NOUVELLES LITTERAIRES
1
DES BEAUX ARTS , & c.
B contient les Livres pour apprendre le
IBLIOTHEQUE GRAMMATICALE , qui
Latin sans le secours d'aucun Maître . Par
M. de Vallange. A Paris , Quai des Augustins
, chez Antoine Gandouin , 1731 .
brochure de 24 pag. in - 12.
Les petits volumes énoncez dans ce
Titre , contiennent.
1. Alphabet symbolique , ou la dénomination
des Lettres , par des Figures natu →
relles , propres à divertir les enfans.
2. Usage de l'Oribolexie , ou l'Art qui
enseigne à lire le Latin par régles et par
principes.
3 Ortholexie Latine , ou l'Art qui en>
seigne à lirole Latin par régles et par principes.
4. Ortholexie Françoise ou l'Art qui
enseigne à lire le François , par régles et
par principes.
5. Ortholexie Latine , génerale et universelle
, qui comprend la Méthode qui
enseigne le Latin en peu de tems , sans le
E ij secours
1092 MERCURE DE FRANCE
XIV. du mois d'Avril 1669. mise en
Conférence avec les anciennes Ordonnances
, Edits , Déclarations , Arrêts
Réglemens et autres Jugemens rendus
sur le fait des Chasses , où l'on a joint les
Notes des meilleurs Auteurs , et de nouvelles
Remarques pour l'intelligence de
cette Jurisprudence . Nouvelle édition
augmentée. Chez les mêmes . 2 vol . in- 12 .
prix , 5 liv.
LES CURIOSITEZ DE PARIS , de Versailles
, de Marly , de Vincennes , de Saint
Cloud et des environs , avec les Antiquitez
justes et précises sur chaque sujet , et
les adresses pour trouver facilement tout
ce qu'ils renferment d'agréable et d'utile.
Ouvrage enrichi d'un grand nombre de
Figures en taille- douce. Chez les mêmes
3 vol. in- 12, prix , 9. liv.
•
RELATION HISTORIQUE , exacte et détaillée
de la derniere Révolution arrivée
à CONSTANTINOPLE , écrite d'abord en
Turc par un Effendi , avec plusieurs circonstances
de ce grand évenement , tirées
d'autres Mémoires , avec une Lettre du
P. S. sur les differentes Pêches qui se font
en Egypte , un Mémoire sur les Villes de
la Mecque et de Medine , &c. A Paris ,
ruë
M A - Y. 1731 . 1093
ruë S. Jacques , Quai de Conti , et au P.-
lais , chez Cavelier , veuve Pissat et Neuilly
, 1731. in- 12. prix , 24 sols .
ESSAI SUR L'ESPRIT , ses divers caracteres
et ses differentes opérations , divisé
en six Discours , &c . A Paris , chez Cailleau
, Place du Pont S. Michel , à côté du
Quai des Augustins , à S. André , 1731 .
Quelques personnes nous ayant priés
de donner une idée de cet Ouvrage , nous
n'avons pû le refuser. Il est divisé en six
Discours , comme le titre le porte. Le premier
Discours traite de la nature du veritable
Esprit. Le second , des causes de la
fausseté de l'Esprit. Le troisième , du bel
Esprit. Le quatrième , roule sur le bon
Esprit , consideré métaphysiquement. Le
cinquiéine , sur le bon Esprit , consideré
.comme vertu civile . Le sixième , enfin ,
traite de l'Esprit superficiel.
L'Auteur examinant dans le premier
Discours la nature du veritable Esprit ,
le prend dans le sens ordinaire de la conversation
, et le définit. Le talent de
pense
juste , et de s'exprimer de même. L'Auteur
trouve cette définition triomphante par sa
briéveté : deux mots l'expédient ; ce sont ses
termes par sa clarté ; car , dit-il , qui ne
sçait , au moins en géneral , ce que c'est
E iiij que
1094 MERCURE DE FRANCE
›
que penser juste? Le reste du Discours est
employé à prouver et à étendre la définition
de l'Esprit. L'Auteur tâche d'y prouver
d'abord qu'il est un talent. Ensuite
il définit ce que c'est que penser juste .
Penser , selon lui , c'est avoir des idées , des
Tableaux d'un Sujet. De là l'Auteur s'attache
à faire voir que la justesse de l'expression
est aussi nécessairement un car
ractere du veritable Esprit. L'ambiguité
ou l'obscurité avec laquelle on expose un
Sujet , est , comme il le remarque trèsbien
, une preuve certaine de la confusion
des pensées ; on trouve quelques
exemples de cette régle dans ces mêmes
Discours. Les expressions pour être justes
doivent être propres au Sujet que l'on traite ,.
vives , nobles , et élevées.
Dans le second Discours , l'Auteur définit
l'Esprit faux. C'est , dit -il , celui qui
a des idées opposées à l'essence de son Sujet.
Pour soutenir cette définition , il s'applique
à
prouver 1 ° . que nous avons plusieurs
idées d'une même chose : en second
lieu , que ces idées , que ces Tableaux ne
sont pas tous justes. Il entend par idées
justes celles qui embrassant leur sujet en entier
l'expriment parfaitement. Après quetques
écarts sur la Logique et là Rhetori
que , l'Auteur passe aux causes du faux
Esprit
MAY. 1731 .
1095
,
Esprit , qui sont , selon lui ,
,
selon lui , l'ignorance
La multiplicité des idées , la distraction , l'envie
de briller et de dire des choses que les autres
ne disent
pas
la contradiction , le préjugé
et le goût , enfin , l'authorité et l'exemple.
Le Lecteur remarquera qu'il y a
quelques-unes de ces causes du faux Esprit
qui en sont plutôt de veritables effets
, comme la distraction , l'envie de dire
des choses neuves , la contradiction . Nous
n'accorderons pas à cet Auteur que la
multiplicité des idées ou Tableaux d'un
même Sujet soit une cause du faux Esprit
: autrement , plus nous aurions d'idées
représentatives d'un objet , plus notre
esprit seroit susceptible de fausseté
ce qui est contre l'expérience et la raison
qui nous apprennent que la multiplicité
des Tableaux d'un même être ne sert qu'à
nous le representer plus parfaitement .
Mais ce qui est très - singulier , et que l'an
ne peut passer à l'Auteur , c'est qu'il apporte
ici pour cause du faux Esprit , ce
qu'il apporte dans le troisiéme Discours ,
comme un caractere du bel Esprit .
و
Pour définir ce que c'est que le bel Esprit
qui fait le sujet du troisiéme Discours
, l'Auteur examine ce que c'est que
nous appellons beau. Il le considere 1º.
en lui - même . 2 ° . Dans nos jugemens ,
+
E v 3
1096 MERCURE DE FRANCE
3. dans ses espéces. 4° . dans ses parties .
5 °. enfin dans ses degrez. Il applique ensuite
toutes ces notions du beau à l'Esprit
, et le regarde sous les mêmes points
de vûë. Delà il passe aux caracteres du
bel Esprit la netteté des idées , leur élévation
, leur multiplicité , ce qui est remarquable
, et leur étenduë ; le nombre et la
beauté des connoissances : enfin , Pintelligence
parfaite des Langues , et particulierement
de celle dans laquelle on parle on on
écrit.
:
que
Le quatriéme Discours roule sur le bon
Esprit consideré métaphysiquement , c'està-
dire , comme distingué seulement , et
non opposé au bel Esprit . L'Esprit regardé
de ce côté-là , est , dit l'Auteur , la
raison même la refléxion et l'étude ont
éclairée, et qui par- là juge sainement des objets
qui se présentent. Il examine sa définition
par parties , ce qui l'engage à faire
une digression sur les préjugez qu'il définit
ainsi. Les Préjugez sont des opinions
particulieres que nous avons sur les Sujets
qui se proposent , et qui ne sont appuyés que
sur des notions ou vagues on obscures , ou imparfaites
on fausses. Après avoir examiné
la cause des préjugez , qu'il dit être la paresse
dans les jugemens simples et absolus
, et la précipitation dans les jugemens
de
MAY. 1731. 1097
de comparaison , l'Auteur passe aux effets
des préjugez qu'il développe , et sur lesquels
il s'étend beaucoup . Il revient ensuite
au bon Esprit , dont il considere le
principe ou la cause , les productions et
les effets : enfin , les moyens qui servent
à l'entretenir et à l'étendre .
Le bon Esprit qui avoit été consideré
métaphysiquement dans le quatriéme
Discours , est regardé dans le cinquième
comme une vertu civile. Le bon Esprit
dit-il , est cette heureuse disposition , qui
dans toutes les occasions de la vie nous
fait prendre le parti de la sagesse et de la
raison. L'Auteur entre ensuite dans le détail
des avantages et des effets du bon Esprit
, soit dans la societé civile , soit dans
la societé domestique .
L'Esprit superficiel qui est la matiere
du dernier Discours , est , dit l'Auteur
celui qui n'ayant que les premieres idées d'un
Sujet , n'en embrasse, et n'en peut exprimer
que l'écorce . Le seul remede que l'on puisse
apporter pour se guérir de cet esprit
superficiel est le travail , qui entraîne avec
lui beaucoup de tems , et de difficultez ,
soit par la disposition de notre esprit , soit
par l'ignorance des qualitez du Sujet , sur
lequel l'esprit s'exerce , soit P'incertitude
du succès : mais il faut une applica-
E vj
par
tion
1098 MERCURE DE FRANCE
tion perseverante dans son travail , pour
ne pas perdre en un tems ce qu'on à acquis
avec peine dans un autre. L'Auteur
finit en proposant des moyens pour se
précautionner contre l'oubli de ce qu'on
a appris. Le stile de cet Ouvrage fait assez
connoître que l'Auteur est comme il
en avertit dans sa Préface ) d'un âge qui
ouvre naturellement une assez vaste carriere
aux refléxions et au travail.
,
DISCOURS SUR LA COMEDIE , ou Traité
Historique et Dogmatique des Jeux de
Théatre , et autres Divertissemens Comiques
, soufferts ou condamnez depuis le
premier siécle de l'Eglise jusqu'à présent ,
avec un Discours sur les Piéces de Théatre
tirées de l'Ecriture - Sainte . in- 12.
360. pages , sans les Préfaces et la Table
des Matieres. Seconde édition , augmentée
de plus de la moitié . Par le R. P. Le Brun ,
Prêtre de l'Oratoire . A Paris , chez la
veuve Delaune , rae S. Jacques , à l'Empereur
, 1731. in- 12 . de 360 pages , sans
P'Epitre , la Préface et les Tables.
Ĉer Ouvrage avoit déja paru anonime
en 1694. sous ce titre : Discours sur la Comédie
, où l'on voit la Réponse au Théologien
qui la défend , avec l'Histoire du Théatre
, et les sentimens des Docteurs de l'Eglise
MAY. 1731. 1099
se , depuis le premier siécle jusqu'à présent .
C'étoient deux Discours prononcez par
le P. le Brun , au Seminaire de S. Magloire
, le 26 Avril , le 3 et le 7 Mai 1694.
par ordre de M. De Harlay , Archevêque
de Paris , à l'occasion de la Lettre du
P. Caffaro , qui parût à la tête du Théatre
de M. Boursault. Mais quoique le Public
eut bien reçû l'Ouvrage du Pere le
Brun , ce sçavant homme , peu content
de cette ébauche,pensa dès -lors à le perfectionner.
A mesure qu'il étudioit l'Antiquité
Ecclesiastique , il ramassoit ce qui
avoit quelque rapport aux Jeux de Theatre.
C'est ce qui a produit le Traité qu'on
donne aujourd'hui , à l'exception du premier
Discours , où il y a peu d'additions ;
les autres peuvent passer pour entierement
nouveaux par les augmentations considérables
dont ils sont enrichis , l'Auteur
ayant recueilli avec soin ce qu'il a trouvé
depuis Auguste jusqu'à Justinien . L'Editeur
nous apprend qu'il a lui- même inseré
quelques faits que le P. le Brun avoit
oublié , et qu'il a extrait tout ce qui se
trouve contre les divertissemens Comi
dans le Recueil de Rituels et de Statuts
Synodaux , que M. De Launoy a laissé
aux P P. Minimes de la Place Royale.
Le troisiéme Discours , sur les Piéces de
ques
Théa
1100 MERCURE DE FRANCE
Théatre tirées de l'Ecriture , n'avoit point
paru dans la premiere édition , ayant été
prononcé un an après. Il ne contribuë pas
à enrichir celle ci . Donnons une idée
de chacune des parties de cet Ouvrage
en exposant le plan que l'Editeur a
peu
suivi.
>
Après une Préface où l'Editeur rend
compte de plusieurs circonstances nécessaires
à l'intelligence de cet Ouvrage , on
trouve la rétractation que le P. Caffaro
fît de sa Lettre en faveur de la Comédie .
et qu'il envoya à M. De Harlay , dattéc
du 11 Mai 1694. et imprimée à Paris
dans la même année . Comme cette Piéce
est peu connue , et que d'ailleurs l'Ouvrage
du P. Caffaro a fait beaucoup de
bruit , il paroissoit avantageux à la République
des Lettres , et à la mémoire de ce
Theologien , de faire connoître par cette
rétractation et ce désaveu , le mépris qu'il
faisoit lui-même de cet Ouvrage. Et c'est
ce que l'Editeur a fait en la donnant ici
enLatin et enFrançois . Il y a joint une Lettre
du P. le Brun du 20 Mai 1694. dans
laquelle il marque à un de ses amis le
peu d'empressement qu'il avoit à faire
imprimer ses Discours , et où il parle de
la rétractation du P. Caffaro comme d'u
ne Piéce qui le remplit de consolation .
A
M.A Y.
1731 . 1101
l'EA
la suite de cette Letrre est une seconde
Préface , où l'on examine s'il faut , ou
que l'on ferme les Théatres , ouou que
glise cesse de condamner ceux qui les fréquentent
; car tel a été le but du P. le
Brun dans ses Discours de justifier la conduite
de l'Eglise en excommuniant les
Comédiens , et en tolérant ceux qui assistent
aux Spectacles. On y représente le
Théatre comme l'Ecole de l'impureté , la
nourriture des passions , l'assemblage des
ruses du Démon pour les réveiller , où les
yeux sont environnez d'objets séducteurs , les
oreilles ouvertes à des discours souvent obscenes
et toujours prophanes , qui infectent le
coeur et l'esprit.
Cette Préface commence ainsi : Il paroît
bizarre , que dans un Etat Chrétien , on
prêche et on écrive contre la Comédie , qu'on
déclare excommuniez ceux qui font profession
de monter sur le Théatre , et qu'unefoule
de Chrétiens ne laissent pas de s'assembler
presque tous les jours pour applaudir à ces
Excommuniez , & c. Elle est suivie de deux
Discours. Dans le premier , le P. le Brun
s'attache plus particulierement à répondre
à la Lettre du Theologien , défenseur
de la Comédie. Nous souhaitterions que
les bornes d'un Extrait nous permissent
de rapporter ici quelques traits qui fassent
1102 MERCURE DE FRANCE
sent connoître la solidité de cette réfutation.
Nous renvoyons au Livre même , où
le Lecteur verra avec plaisir le Theologien
, défenseur de la Comédie , refuté
en plusieurs endroits par ses propres paroles.
Le second Discours a six parties . Les
trois premieres comprennent l'Histoire
des Jeux de Théatre et autres Divertissemens
Comiques , soufferts ou condamnez
depuis Auguste jusqu'à l'extinction de
l'idolâtrie , au commencement du sixiéme
siècle. La quatriéme comprend le jugement
que les Auteurs , tant sacrés que
profanes ont porté sur les Spectacles , depuis
Auguste jusqu'à Justinien . La cinquiéme
Partie reprend l'Histoire des Jeux
de Théatre à l'extinction de l'idolâtrie , et
la continue jusqu'à la naissance des Scolastiques
; et la derniere comprend l'Histoire
des Jeux de Théatre , depuis les Scholastiques
, c'est-à- dire , depuis le milieu
du XIII . siécle jusqu'à nous.
Le second Discours est suivi d'une Lettre
, où le P. le Brun répond à quelques
difficultez qu'on lui avoit proposées . On
trouve ensuite le troisiéme Discours que
le P. le Brun prononça à S. Magloire en
1695. à l'occasion de la Judith de M. Boyer
de l'Académie Françoise. Il y examine s'il
F
MAY, 1731
1103
y a lieu d'approuver que les Piéces de
Théatre soient tirées de l'Ecriture Sainte.
Ce Discours est divisé en deux parties.
Dans la premiere , le P. le Brun fait voir
que l'Ecriture ne peut paroître sur le
Théatre sans être défigurée et alterée considerablement.
La seconde est employée
à prouver , que quand on feroit quelque
Tragédie où l'Ecriture - Sainte seroit conservée
dans toute sa force et toute sa pureté
, le Théatre des Comédiens ne seroit
point le lieu de les représenter.
,
L'Editeur a placé après ce Discours un
Mandement de M. Fléchier , Evêque de
Nismes , contre les Spectacles , adressé
aux Fideles de son Diocèse le 8 Septembre
1758. On trouve à la fin une Table
Alphabétique des Matieres contenues dans
cer Ouvrage.
On ne peut témoigner à l'Editeur trop
de reconnoissance du soin qu'il a bien
voulu prendre de réunir et de ramasser
des morceaux si précieux. Il est certain
que nous n'avons point encote vû d'ouvrage
plus complet et plus curieux sur
cette matiere ; et on peut dire qu'il fait
honneur à son Auteur , et qu'il répond
parfaitement à la réputation qu'il s'est acquise
d'ailleurs. Nous ne pouvons nous
empêcher de dire en passant que le P. le
Brun
1104 MERCURE DE FRANCE
Brun a refuté par avance le Discours d'un
Auteur récent , défenseur de la Comédie ,
dont nous avons parlé le mois passé. Cet
Auteur qui s'étoit proposé de réfuter
M. le Prince de Conty , M. Bossuet et
M. Nicole , ne les a frappez par aucuns
endroits ; et on remarque qu'il n'a fait ,
pour ainsi dire , que réchauffer et étendre
les raisons du Théologien Apologiste du
Theatre .
L'Editeur avertit le Public dans sa
Préfice qu'il a réservé l'Eloge Historique
du P. le Brun pour un autre Ouvrage du
même Auteur , qui est actuellement sous
presse , et qui a pour titre : Traité du discernement
des effets naturels d'avec ceux qui
ne le sont pas , avec l'Histoire critique des
pratiques superstitieuses qui ont séduit les
Peuples , et qui embarrassent les Sçavans.
Il ajoute qu'outre des augmentations considerables
l'Auteur a refondu entierement
son Ouvrage , et l'a rendu plus . méthodique.
Mais nos Lecteurs ne seroient peut- être
pas contens , si après avoir piqué leur
curiosité sur ce que cet Ouvrage contient
de singulier et de recherché , nous n'entrions
dans quelque détail . Pour les satisfaire
nous allons donner un peu plus
d'étendue à cet Extrait.
›
Dans
>
MAY. 1731. 1105
Dans la premiere partie de l'Histoire
des Jeux de Théatre , l'Auteur remarque
qu'on en vît de très- superbes sous Auguste.
Ce grand Prince les aimoit avec passion
, dit-il , et surtout assûre qu'il ne
dissimuloit pas cette foiblesse. Il inventa
lui- même des Jeux. Pausanias rapporte
au Livre VIII. qu'Auguste fut l'Auteur
de la Danse des Pantomimes , et M. de
Pontac dans les Notes sur la Chronique
d'Eusebe , dit que c'étoit là les Jeux Augustaux
, Ludi Augustales. Cet Empereur
établit quelques Loix touchant les Spectacles.
Il défendit aux jeunes gens de l'un
et de l'autre sexe d'aller à ceux qui se faisoient
la nuit , à moins que de proches
parens âgez ne les y menassent , et il empêcha
que les femmes assistassent jamais
aux Jeux des Athlétes , parce qu'ils combattoient
ordinairement nuds.
A l'égard des Comédiens , il leur prescrivit
des régles , et leur laissa une liberté
dont il ne souffrit pas qu'ils abusassent.
Dès qu'il sçut qu'un Acteur , nommé Stephanion
, avoit pour serviteur une femme
déguisée en garçon , il le fit foüetter par
les trois Théatres de la Ville , et le bannit.
Il ne désaprouvoit pas qu'on siflat les
Acteurs , car il en bannit un de Rome et
de toute l'Italie , pour avoir osé montrer
au
1106 MERCURE DE FRANCE
au doigt un des Spectateurs qui le sifloit,
et on sifloit souvent pour une seule faute
contre la cadence ou contre la quantité.
Quoique Néron ne s'appliquât presque
jamais à mettre l'ordre en aucun endroit,
il se trouva pourtant obligé de chasser
d'Italie tous les Histrions,après leur avoir
donné trop de liberté; mais il voulut aller
lui-même faire le Comédien et le Chantre
dans plusieurs Villes de la Grece, pour
faire paroitre sa belle voix . Il commença
par Naples , qui étoit une Ville Grecque ;
et revenant à Rome , il voulut se montrer
au Théatre. Le Senat , pour éviter l'infamie
dont il s'alloit flétrir , s'il étoit vû sur
la Scene , lui décerna le prix de Musique,
et celui d'Eloquence avant le commencement
des Jeux ; mais Néron prétendoit
l'emporter par son merite , et non pas par
la faveur du Sénat . Il monta donc sur la
Scene , où il récita un Poëme , après quoi
il joüa de la Lyre , obéït à toutes les loix
du Theatre , comme de ne se reposer , de
ne cracher , ni se moucher durant toute
Paction , fléchit un genou et salua l'Assemblée
, en attendant la Sentence des
Juges . Le Peuple , et sur tout les Etrangers
rougirent pour lui d'une telle infamie.
Vespasien témoigna de l'horreur pour
les
MAY. 1731 . 1107
les Jeux des Gladiateurs. Il se plut à ceux
du Théatre , et de son tems les Pantomimes
étoient si fort à la mode , qu'on en
avoit aux funérailles , pour leur faire représenter
les actions de celui qu'on enterroit.
Domitien deffendit aux Danseurs et
Pantomimes de monter sur le Theatre.
Nerva les rétablit . Trajan les supprima
encore , mais on ne sçait pas s'ils furent
bannis des Théatres d'Orient ; on voit
seulement que cet Empereur fit bâtir un
Théatre à Antioche. Cette malheureuse
Ville , si passionnée pour les Spectacles ,
étoit souvent punie par les tremblemens
de terre qui la renversoient presque entierement.
Elle en souffrit un terrible sous
Trajan . En faisant rétablir la Ville , ce
Prince fit aussi rétablir les Théatres.
Adrien batit aussi un grand Théatre aurès
d'Antioche , à la Fontaine de Daphné.
Il avoit fait à cette Fontaine un grand Reservoir
d'eau, qu'on pouvoit voir du Théatre
; et il mit plusieurs Statues en l'honneur
des Naïades , c'est -à- dire des Nimphes
on Déesses de l'eau . Ce fut à ce Réservoir
que l'on s'avisa de faire nager des
femmes pour représenter les Naïades ; ce
que S. Chrysostome condamna avec tant
de zele et d'éloquence ,
HelioT108
MERCURE DE FRANCE
> Heliogabale fit lui - même le Comédien
et ne craignit pas de représenter des fables
avec des nuditez et des peintures deshonêtes
.Il honora les Comédiens, leur donna
des habits de soye , et en choisit un pour
être Prefet du Prétoire.
Alexandre Severe ôta aux Comédiens
les robes précieuses , et ne leur donna ni
or ni argent , mais tout au plus quelques
pieces de monnoye de cuivre. Ce Prince
ne souffrit jamais les divertissemens Sceniques
à sa table. Il aimoit pourtant les
Spectacles , mais sans y faire des largesses ;
il vouloit qu'on traitat toujours comme
des esclaves les Comédiens , et tous ceux
qui servoient aux plaisirs publics.
Les Comédiens eurent un puissant Protecteur
vers la fin du troisiéme siecle , dans
la personne de l'Empereur Carin , etc . Son
regne se distingua par la pompe avec laquelle
il celebra les Jeux Romains . Il y
avoit cent Joueurs de Flute qui s'accordoient
, autant de Sonneurs de Cors , cent
Chantres qui dansoient en même-tems
autant de personnes qui frapoient sur des
Cymbales ,mille Pantomimes et autant de
Luteurs . Le feu ayant pris à une toile
qu'il avoit fait tendre , consuma le Théatre,
que Diocletien fit ensuite rebâtir avec
plus de magnificence. Carin avoit fait venir
MAY. 1731. 1109
nir des Comédiens de tous côtés . Ceux qui
avoient travaillé aux décorations , les Luteurs
, les Histrions , et les Musiciens eurent
en present de l'or et de l'argent , et
des habits de soye .
Ce fut sous l'Empereur Maxime que
Gelasin , Comédien , fut martyrisé à Héliopolis
dans Phénicie . Il s'étoit jetté dans
un bain d'eau tiéde , pour tourner en ridicule
le Baptême des Chrétiens ; au sortir
du bain , il parut habillé de blanc. Alors
il refusa de faire le Comédien ; et adressant
la parole à tout le peuple , il s'écria
qu'il étoit Chrétien , qu'il avoit vu dans
ce bain la redoutable Majesté de Dieu , et
qu'il mourroit Chrétien . Tous les Spectateurs
saisis de fureur , monterent sur le
Théatre , et ayant pris Gelasin , ils le lapiderent.
Nous pourrons donner un second Extrait
de cet Ouvrage, pour ce qui regarde le Theatre
François.
ALCIBIADE , Comédie en trois Actes
, par M. Poisson . A Paris , chez Fr. le
Breton, au bout du Pont- Neuf, près la ruë de
Guenegaud , 1731. in 12. de 80 pages.
Cette Piece est tirée des Amours des
Grands Hommes de Madame de Ville-Dieu :
l'Auteur le dit dans un petit Avertissement,
1110 MERCURE DE FRANCE
ment , et il ajoute qu'il n'a cru en pouvoir
conserver les graces , qu'en conservant la simplicité
du Roman , et en mettant en vers les
pensées et souvent même la Prose de Madame
de Ville- Dieu . M. Poisson n'est pas
moins modeste , en parlant des applaudissemens
donnez à sa Picce. Je me ferois scrupule
, dit- il , d'en tirer aucun avantage ; je
sçai qu'ils ne sont dûs qu'aux beautez de l'original
, et aux talens des Acteurs qui l'ont
representée.
ACTEURS.
Alcibiade , Seigneur
Athénien . Le sieur Dufresne.
Socrate , Philosophe.
Le sieur
Quinault.
Mirto femme de Socrate. La De la Mothe.
Aglaunice, Astrologue.
La Dle Dubreuil.
Timandre , jeune Phrigienne.
La Die Dufresne.
Cephise , Confidente de
Timandre. La De Quinault.
Amicles , Confident
d'Alcibiade. Le sieur Poisson.
Esclaves.
LA SCENE est dans un Bois , près d'Athènes.
ACTE I.
Socrate demande d'abord des nouvelles
à
MA Y. 1731. IIII
à l'Astrologue Aglaunice , de Timandre ,
jeune Phrygienne , dont il est amoureux ;
il lui fait un mystere de cet amour qu'il
doit cacher , d'autant plus que Mirto sa
femme est encore en vie ; il lui fait entendre
que c'est un dépôt précieux qu'un de
ses meilleurs amis lui mit entre les mains
en expirant. Aglaunice lui dit qu'elle a
chargé une Esclave du soin de Timandre ;
elle ajoute que cette Esclave lui a paru
d'autant plus digne de sa confiance , que
son esprit est naturel et sans art . Socrate
témoigne qu'il approuve ce choix , par
ces deux Vers :
Vous avez fort bien fait ; une compagne habile
D'une fille souvent rend la garde inutile.
L'approche d'un voyageur inconnu, les
oblige à se retirer.
Amicles Esclave et Confident d'Alcibia
de , paroît seul ; il ne sçait que penser du
dessein d'Alcibiade , qu'un désir curieux
a porté à se travestir en Phrigien , pour
venir chercher dans ce bois une certaine
Timandre , dont on lui a vanté les appas.
Voici le portrait qu'il fait d'Alcibiade :
Il n'en démordra point , je connois son humeur,
Dans l'espoir de brûler d'une nouvelle ardeur ,
F Quel#
112 MERCURE DE FRANCE
Quelque soit une belle , en un mot , brune ou
blonde ,
Il iroit pour la voir, jusques au bout du monde
etc.
A ses bouillants transports , il ose tout permettre
;
Et parce qu'il est jeune et né pour commander ›
Ce n'est qu'à ses désirs qu'il croit qu'il faut ceder.
Alcibiade vient joindre Amicles ; il lui
explique le sujet de son expédition amoureuse
, qu'il attribue à une simple curiosité
de jeune homme ; il acheve de faire
son portrait, tel que l'Histoire l'a transmis
jusqu'à nous.Voici comment il s'explique:
D'ailleurs regarde- t- on le rang dans une belle ?
C'est la beauté qui frappe , et l'on fait tout pour
'elle.
L'amour dans les douceurs de sa félicité ,
N'a pas besoin du rang ni de la dignité ;
Qu'un tel objet soit né dans le plus simple étage,
Il est charmant , il plaît ; en faut-il davantage
Je puis te dire encore , pour mieux m'ouvrir à
toy ,
Qu'il n'est point de plaisir plus charmant , selon
moy ,
Que celui d'exciter dans un coeur jeune et tendre,
Ces premiers mouvemens qu'il ne sçauroit com
prendre ,
Ces
MAY. 1731. 1113
Ces désordres secrets , ces désirs inconnus
Par la crainte chassés , par l'amour reteaus ,
Et qui font attaquer avec plus de paissance ,
Toute cette pudeur que donne l'innocence,
L'approche de Socrate et de sa femme ,
oblige Alcibiade et Amicles à se retirer.
Mirto fait des reproches à Socrate qui
marquent cette humeur acariâtre, qui , au
rapport de l'Histoire ,a donné tant d'exercice
à la Philosophie de son Epoux . Elle
trouve fort mauvais qu'il prenne soin de
l'éducation d'une jeune fille , plus propre
à être sa Maîtresse que son Ecoliere. Socrate
se justifie autant qu'il lui est possible
; elle n'en est pas radoucie,et le quitte
brusquement , en lui disant :
J'en ai , pour mon malheur , des preuves trop
certaines ,
Et j'en vais de ce pas instruire tout Athénes.
Alcibiade aborde Socrate et l'embarasse
par sa présence ; il le raille pendant tout
Teur entretien , et le fait trembler au seul
nom de Timandre , qu'il prononce malicieusement.
Socrate quitte Alcibiade et
prétexte son départ sur ces deux vers :
Fij J'aime
114 MERCURE DE FRANCE
J'aimerais à rester dans ces endroits rustiques ,
Mais je dois satisfaire à mes leçons publiques .
Alcibiade ne démord point de sa poursuite
amoureuse , commeAmicles l'a prévu
dès le commencement de cet Acte , qu'il
termine par ces vers :
Cette Timandre est belle ; il n'en faut point dou
ter ;
Pour la voir , Amicles , je prétends tout tenter.
Dans Athénes rentrons sans tarder davanrage ;
Je ne veux point donner à Socrate d'ombrage ,
Et dans l'espoir flateur dont je suis agité ,
Sui-moi , je te dirai ce que j'ai projetté.
Timandre ouvre la Scene du second Acte
avec Cephise , qui n'est rien moins que
cet esprit sans art , dont Aglaunice a flatté
Socrate ; elle va d'abord au fait et propose
à Timandre pour premier coup d'essai ,
d'aller courir le monde pour y chercher
de jolis hommes ; elle demande à Timandre
si elle n'a jamais aimé. Timandre lui
confesse ingénûment , qu'elle a vû chez
Socrate un jeune Athénien qui lui parût
tres-aimable.
Aglaunice interrompt cette tendre conversation
,pour venir faire un superbe étar
Jage de son Astrologie; elle chasse Timandre
MAY. 1731 .
irrs
dre et Cephise comme des profanes.
La premiere vûë d'Alcibiade enflamme
Aglaunice comme il lui demande des
nouvelles de Timandre , qu'il dit n'avoir
jamais vûë ; Aglaunice pour profiter de
sa prévention , se donne elle - même pour
cette Timandre , qu'il cherche avec tant
d'ardeur ; Alcibiade étonné de trouver un
objet si défectueux et si contraire aux perfections
qu'on lui avoit fait attendre dans
la personne de Timandre , ne songe plus
qu'à s'en retourner à Athénes. Aglaunice
n'oublie rien pour le retenir ; elle lui
vante sa science. Alcibiade lui en demande
une preuve , et veut sçavoir d'elle ce
que fait actuellement un de ses amis , qui
s'appelle Alcibiade. Aglaunice, après avoir
consulté ses Ephémérides , lui dit hardiment
qu'Alcibiade est presentement en
rendez - vous avec la plus belle femme
d'Athénes. Alcibiade ne peut s'empêcher
d'éclater de rire , et se dispose à partir
pour Athénes.
Aglaunice surprise , lui dit :
Mais quoi vous n'avez donc rien à dire à Ti
mandre ?
Socrate lui répond :
Fiij Ah !
1116 MERCURE DE FRANCE.
Ah ! ma foy , non . Avant que m'offrir à ses yeux ,
Elle seule occupoit mon esprit en ces lieux ;
Et j'avois , il est vrai , cent choses à lui dire ;
Mais j'ai tout oublié , Madame , et me retire.
Aglaunice ne sçait que penser de la
brusque retraite d'Alcibiade , qu'elle ne
connoît point en core . Socrate vient lui
apprendre que c'est à Alcibiade même à
qui elle vient de parler. Aglaunice n'est
pas long- tems à se remettre de sa surprise.
Elle dit à Socrate qu'elle a prudemment
donné le change à Alcibiade , en lui faisant
accroire qu'elle étoit elle- même cette
Timandre qu'il cherchoit avec tant d'empressement.
Socrate s'étant retiré , Aglaunice refléchit
sur le mauvais accueil qu'Alcibiade
lui a fait ; mais elle ne désespere pas de
s'en faire aimer , fondée sur la profondeur
et l'infaillibilité de sa science.
Comme le dernier Acte est le plus chargé
d'action , nous avons crû qu'on nous
dispenseroit d'en donner un détail qui
grossiroit trop cet Extrait ; nous y supplérons
par une espece d'argument : le
voici de la maniere la plus succincte qu'il
nous a été possible.
Timandre apprend à Cephife que ce Cavalier
qu'elles viennent de voir, est ce même
MAY. 1731. Itty
à
me inconnu dont elle lui a parlé , et qui
lui est apparu autrefois avec tant d'avantage
chez Socrate.Cephise soupçonne que
c'est Alcibiade , parce qu'elle a entendu
plusieurs fois prononcer ce nom à Aglaunice,
d'une maniere à lui persuader qu'elle
en est amoureuse . Elle conseille à Timandre
de faire tenir un Billet de sa part
l'objet de son amour. Timandre n'y consent
pas ; mais la maniere dont la fin de
cette Scene est traitée , prépare les Spectateurs
aux effets que ce Billet produit quelque
temps après. En effet il est aporté à
Alcibiade , et mal reçu de lui, parce qu'il
le croit de la fausse Timandre , qui vient
de lui en envoyer un , dont il a fait fi peu
de cas qu'il l'a jetté par terre. Cephise
qui vient lui apporter le Billet de la veritable
, picquée du mauvais accueil qu'il
lui fait,lui répond d'une maniere à le faire
réfléchir ; il ne doute point que celle qui
s'est donnée pour Timandre ne lui en ait
imposé ; il est au désespoir d'avoir refusé
le second Billet. Il ordonne à Amicles de
se travestir , pour tâcher de donner à la
véritable Timandre un Billet qu'il va écrire,
pour lui faire entendre que le mauvais
accueil qu'il a fait à sa Messagere n'est
qu'un effet de son erreur . Ce projet s'exécute
; Amicles se déguise en Marchand
Fiiij Etran18
MERCURE DE FRANCE
•
Etranger. Timandre picquée contre Alcibiadé
, refuse avec fierté la lettre qu'A- micles
veut lui rendre de sa part. Alcibiade
impatient , arrive lui- même ; on s'éclaircit
: Il ne s'agit plus que d'amour d'une et
d'autre part. Socrate arrive ; il trouve Alcibiade
aux pieds de son aimable Ecoliere
; il en essuie quelques railleries qui
l'obligent à prendre son parti de bonne
grace. Aglaunice qui survient, ne soutient
pas cette aventure avec la même Philosophie.
Elle est convaincuë d'amour et d'imposture.
Alcibiade promet à Timandre de
lui faire un destin digne d'elle , par l'Hymen
qu'il lui propose et qu'elle accepte
avec beaucoup de plaisir. Socrate y consent,
et fait entendre qu'il a triomphé de
sa foiblesse.
M. Buache , Gendre de feu M. Delisle ,
premier Géographe du Roy , de l'Académie
Royale des Sciences , nommé par
l'Académie pour remplir la place d'Académicien
Géographe, créée par le Roy ,
lût à la derniere Assemblée publique de
cette Académie , un Mémoire sur la Carte
de l'Empire d'Alexandre , dressé par M.
Delisle son Beau- pere , pour l'usage de Sa
Majesté.
Il marqua en commençant que ce qui
l'avoit déterminé à choisir ce Mémoire
préférablement
MAY. 1731 . 1119
préférablement à plusieurs autres , c'étoit
non seulement l'importance des changements
faits à la Géographie des Pays.
Orientaux par M. Delisle , mais encore le
dessein qu'il avoit eu de rendre compte à
l'Académie des raisons de ces mêmes
changemens. M. Buache s'est , comme il
le dit , fait un devoir d'exécuter le projet
de son Beau-pere , duquel il remplit
la place , et de consacrer ses premiers travaux
à la gloire d'un homme, aux instructions
duquel il reconnût qu'il devoit tout
ce qu'il pouvoit sçavoir.
Quoique M. Delisle eût formé le dessein
de faire un Mémoire sur ce sujet,
comme il n'avoit encore rien écrit , M.
Buache a été obligé de rechercher dans les
Extraits et dans les Mémoires que ce sçavant
Géographe avoit laissés , quelles
avoient été les raisons sur lesquelles il s'étoit
déterminé.
Mais comme il y a dans la Géographie
un grand nombre de positions conjecturales
que l'on ne détermine presque que
par l'estime, par voye de tâtonnement , et
souvent même en mettant la derniere main
à la Carte , M.Delisle n'avoit rien écrit des
motifs qui l'avoient déterminé dans ces
occasions , et par là M. Buache n'avoit pas
trouvé tous les secours qu'il pouvoit espe
F v rer
1120 MERCURE DE FRANCE
rer dans les Mémoires de M. Delisle sur
cette partie de sa Carte qui étoit la plus
difficile , comme le sçavent ceux qui ont
quelque connoissance de la Géographie :
ainsi il a été obligé de se rapeller,et d'imaginer
quelquefois , pour ainsi dire , les.
raisons qui avoient déterminé M. Delisle
dans ces occasions.
Pour rendre plus sensibles les changements
faits par M. Delisle à la Géographie
des Pays Orientaux dans sa Carte de
l'Empire d'Alexandre , M. Buache avoit
dessiné le Plan de cet Empire suivant la
Carte de M. Moulard- Sanson , publiée en
1712 : et sur le même Plan il avoit marqué
les differents Pays,suivant le nouveau
systéme , par cette méthode déja employée
par M. Delisle , dans un mémoire lût à
l'Académie des Sciences en 1714. sur la
Carte d'Italie. On apperçoit d'un coupd'oeil
la différence des deux Cartes ; le
Meridien de Constantinople ou de Bysance
est commun à l'une et à l'autre ?
mais comme M. Moulard donnoit une
trop grande étendue aux differents pays ,.
les mêmes Provinces et les mêmes Villes
se trouvent placées deux fois avec des
longitudes differentes .
Supposant Constantinople à 26. degrés
30 minutes du Méridien de Paris , conformément
MAY. 1731. [ 121
formément aux observations , l'extré
mité de l'Epire , ou la côte de la Grece
se trouvera , selon M. Delisle, au 17. degré
de Paris , et selon M. Moulard au 14.
avec une difference de prés d'un sixième .
M. Moulard- Sanson plaçant avec Ptolomée
Constantinople au 43. degré de
latitude , et l'extrémité Méridionale du
Peloponése au 35. degré , donnoit à la
Grece 8. degrés , ' du Nord au Sud , par
les observations Constantinople étant au
41. dégrés 6. minutes , et l'Ile du Mile
à l'Orient du Cap Malée à 36. dégrés 41 .
minutes , l'intervale entre ces deux extremités
de la Grece n'est que de 4. degrés
25. minutes , ce qui fait une difference
de prés de moitié , entre la Carte de
M. Sanson et celle de M. Delisle , et une
difference de 2. degrés ou de so. lieuës
dans la latitude de Constantinople.
A mesure que l'on s'avance vers l'Orient
la différence se trouve encore plus
sensible , parceque les différences s'accu
mulants , la somme devient plus considerable.
On voit par l'inspection des deux
Cartes que la Mer Rouge sur le Plan de
M. Sanson se trouve marquée dans les
pays qui font la Terre Ferme d'Arabie
dans le Plan de M. Delisle que le Golphe
Persique est tout entier dans le Continent
F vj
de
1122 MERCURE DE FRANCE
de la Perse , et que la Mer des Indes, entre
Mascaté et Diou , occupe la place de
la Presqu'Isle de l'Inde . La Mer Caspienne
est de même toute entiere sur la Terreferme
de Tartarie . Il faut en dire autant
de la Mer Noire , qui couvre toute la
Circassie et toute la Géorgie .
Outre une Carte en très grand point ,
qui étoit exposée aux yeux de l'Assemblée ,
M. Buache en avoit fait graver une petite
qu'il distribua , et sur laquelle les marches
d'Alexandre étoient tracées. Comme l'objet
de M. Buache n'étoit point d'entrer
dans les discussions des Pays et Provinces
qui composoient les Frontieres et l'étenduë
de l'Empire d'Alexandre , il se contenta
d'indiquer les Pays où ce Prince
avoit borné ses Conquêtes. Il remarque
d'abord que , quoyqu'il eût porté ses
Armes jusques au Danube, il n'avoit point.
soumis les pays des Triballes au Midy de
ce Fleuve , il observa ensuite que l'Atique.
et le Peloponése n'obeissoient à Alexandre
que comme au Chef et au Général de.
la Nation Grecque , et non comme à leur
Souverain ; que Bysance et la Bythynie ,.
non plus que le Pont , l'Arménie , et
l'Atropatene ne furent point soumises par.
ce Prince. La Scytie au delà du Jaxartes .
conserva sa liberté , de même que les ;
Peuples
MAY. 1731. TF2F
Peuples de l'Hyrcanie , situés à la partie
Orientale de cette Mer. Les Peuples de
l'Arabie , ausquels Alexandre alloit déclarer
la Guerre lorsqu'il mourût , conserverent
leur liberté.
Les preuves rapportées par M. Buache
de la veritable position de ces differents
Pays , sont les Observations Astronomi
ques faites à Constantinople , à Smyrne ,
à Candie , à Rhodes , à Alexandrette et
à Alexandrie d'Egypte par les Astronomes
François , enfin celle qui fut faite par
le P. Grueber à Agra et à Dely sur le Gemené
, Riviere qui tombe dans le Gange
, et dont le résultat est conforme aux
diverses Observations faites à Goa , et en
differents lieux de la Presqu'Isle de l'Inde.
et par les Observateurs François et Anglois..
Comme ces observations donnent seu-
Tement la Position des extrémités de l'Em--
pire d'Alexandre , et que d'Alexandrie à
Agra nous n'avons aucunes observations .
modernes , M. Buache ayant remarqué
que M. Delisle s'étoit servi de celles des
Astronomes Orientaux , montra que ces .
observations étoient assés exactes , 1 ° ..
parcequ'elles mettent entre Antioche et
Lahor la même distance à peu prés que
celle qui résulte des observations modernes
entre Alexandrette voisine d'Antio--
che
# 124 MERCURE DE FRANCE
, che et l'extrémité Orientale de l'Inde
comme Guzurate, Goa, &c. 2º . Parceque
les mêmes observations s'accordent à peu
prés avec celles des Voyageurs éxacts pour
les latitudes et pour les distances Itineraires
des Villes de Perse .
Les Longitudes et les Latitudes de
Ptolomée qui sont celles que les Géographes
ont suivies jusqu'à M. Delisle
s'écartent également des observations
des Astronomes modernes , et de celles
que nous donnent les Orientaux ; suivant
les Géographes qui ont précédé M. Delisle
, les Frontieres Orientales de l'Empire
d'Alexandre seroient à 58. degrés
de Bysance , au lieu que suivant la Carte
de M. Delisle elles ne sont qu'à 48. degrés
, c'est une erreur de 10. degrés ou
de plus de 200. lieuës , dans laquelle ces
Géographes sont tombés .
M. Buache montra que les Positions:
résultantes de ces observations Orientales
et de celles des Voyageurs modernes comparées
avec les Itineraires , ayant donné à
M. Delisle le moyen de fixer les principales
Villes de la Perse , dont plusieurs
portent encore avec peu de changement.
les noms qu'elles avoient au tems d'Alexandre
; il passa ensuite à l'examen de la distance
de ces mêmes Villes , suivant les
marches
MAY. 1731. 1125
marches de l'Armée de ce Prince. Cette
partie de la Carte a demandé un plus
grand travail . Ces distances mésurées
éxactement par les Arpenteurs que ce
Prince menoit avec lui , sont exprimées
en stades , et si l'on avoit évalué ces stades
sur le pied de 5oo . au degré d'un
grand Cercle comme Ptolomée , ou même
sur le pied de 700. comme Eratostene
et Hipparque , on se seroit trouvé fort
loin de compte. M. Buache montra que
les stades des Arpenteurs d'Alexandre
étoient les mêmes que ceux des Astronomes
dont Aristote , Précepteur de ce Prince,
rapporte la mesure de la Terre , et qui
étoient de plus de onze cens au degré. 11
étoit naturel ,comme le remarque M. Buache
, que ce Prince dans le projet duquel
la Conquête du Monde entier étoit entrée
, se servit pour mésurer l'étendue de
ses Conquêtes des mêmes stades dans lesquels
on avoit déterminé de son tems la
mésure de la Terre , afin de connoître
où en étoit l'éxécution de son projet.
M. Delisle avoit déja fait quelque usage
de ces stades de onze cens au degré dans
son Mémoire sur la Carte de l'expédition
de Xenophon,qu'il a donnée dans les Mémoires
de l'Académie desSciences en 1721 .
mais M. Buache montra par des preuves
trés
L116 MERCURE DE FRANCE
trés fortes , que l'on ne pouvoit se dispenser
de reconnoître que c'étoit ceux dont
Ies Arpenteurs d'Alexandre s'étoient
servis.
Il fit voir que supposant des stades de
onze cens au degré , les routes d'Alexandre
se rapportent avec beaucoup de précision
aux Positions des Astronomes.
Orientaux , et à celles qui résultent des
distances Itineraires marquées par les Voyageurs
les plus exacts. Il observa de plas
que les marches forcées de ce Prince qui
supposoient que ces Troupes auroient
fait 54. lieues communes par jour , et
cela plusieurs jours de suite dans l'Hypothése
des Anciens , deviennent non - sculement
vrai -semblables dans l'Hypothése
des stades de onze cens au degré adopté.
par M. Delisle , mais se trouvent même
moins fortes que certaines marches extraordinaires
qui se sont faites de nos
jours. Il fit la même remarque au sujet
de la largeur de l'Hydaspe qu'Alexandre
passa en présence de l'Armée des Per
ses , et montra que cette largeur étant
diminuée de prés de moitié dans l'opinion
que M. Delisle avoit suivie , l'ac
tion d'Alexandre n'a plus rien qui passe
la vrai- semblance .
Il donna plusieurs autres preuves dont
le:
MAY . 1731 . 1127
le détail ne peut s'abréger , ni même se
retenir , et en . finissant sa dissertation
il parla d'une faute de Graveur qui s'est
glissée sur la Carte de la Mer Caspienne
en 2. feuilles , publiée par M. Delisle en
1722. Dans une Note sur cette Carte le
Méridien est marqué au 67. degré deLongitude
à l'Orient de Paris , au lieu de dire an
67. du premier Meridien et au 47. à l'Orient
de Paris. Cette méprise étoit facile à
corriger par toutes les autres Cartes de
M. Delisle antérieures et postérieures.
M. Buache se crût obligé de faire cette
Remarque , parceque dans le nouveau
Recueil des observations faites aux Indes
et à la Chine , publié en 1729. on
a relevé cette position d'Astracan comme
une erreur de M. Delisle ; et pour donner
l'éclaicissement au sujet de la longitude
d'Astracan , il rémarqua qu'elle étoit déterminée
sur une Eclipse observée à Astracan
par Burrough Anglois , et à Vranibourg
par Tycho le 15. Janvier 1580 .
و
La Carte de l'Empire et de l'Expedition
d'Alexandre , dressée par feu M. Delisle
pour l'usage du Roy , laquelle étoit l'objet du
Mémoire de M. Buache , paroîtra incessament
en une feuille et demi , et se trouvera
chez Madame Delisle , Veuve de l'Auteur ,
Quay de l'Horloge..
Livres
1128 MERCURE DE FRANCE
i
६
Livres que Cavelier , Libraire , ruë S. Jacques
, a nouvellement reçus des Païs Etrangers.
Harvei ( Gedeonis ) Ars curandi morbos expectatione,
item , de Dois et Mendaciis Medicorum
, accedit Ernesti Stohl Ars sanandi cum
Expectatione fides et veritas Peritorum Medicorum
, Satyra Harveana , i'em , Fluxus Haemorrhoïdum
, 3. vol. 8. ffenbaci , 1730.
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accessit Heyne Tentamen Chirurgico - Medicum
de præcipuis ossium morbis. 8.Fig. Amst.
1731.
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Stahliana posita. 8. Budinga . 1728.
Wepseri ( Jo. Jac. ) Historia Apoplecticorum ,
cum observationibus celebr . Medicorum . 8.
Amst. 1724.
Vink ( Dan. Amanitates Philologico Medica ,
in quibus Medicina servitute liberatur. in 8.
Trajecti. 1730.
Stahlii ( Georg. Ern. ) Experimenta , observationes
Animadversiones Chymicæ et Physica.
in 8. Berolini. 1731 .
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vendent chez
André Cailleau , Quai des Augustins , à
Image saint André.
Histoire du Théatre Italien, depuis la décadence
de la Comédie Latine ; avec un Catalogue des
Tragédies et Comédies Italiennes , imprimées
depuis l'an 1500.jusqu'à l'an 1660 et une Dissertation
sur la Tragédie moderne , avec les
Figures
MA Y. 1731. 1129
Figures qui en représentent leurs différents
habillemens. Par Louis Ricoboni , in 8. 1730.
Suite de l'Histoire du Théatre Italien, avec une
Lettre de M. Rousseau à l'Auteur ; et l'explication
des figures , in 8. sous presse .
Elemens Historiques , ou Méthode courte et facile
pour apprendre l'Histoire aux enfans , par
M. l'Abbé de Maupertuis , in 12. 2.vol 1730 .
Description Historique des Château , Bourg et
Forêt de Fontainebleau , contenant une Explication
historique des Peintures , Tableaux ,
Bas - Reliefs, Statues, Ornemens qui s'y voient ;
et la vie des Architectes , Peintres et Sculpteurs
qui y ont travaillé , avec Plan et Figures , par
M. l'Abbé Guilbert , in 12. 2. vol . 1731 .
LES PRINCIPES de la Nature ou de la Generation
des choses , par feu M. Colomiez ,
in 12.
1731.
OBSERVATIONS curieuses sur toutes les Parties
de la Physique, extraites et recueillies des meilleurs
Mémoires , in 12. 3. vol. 1730
Suite des Annales de Tacite , avec des Notes politiques
et historiques , tom. 5. et 6. par M.L.
C. D. G✶✶✶ 1731.
Charles Guillaume , Libraire à Paris, ruë d'Hurpois
, près le Pont S. Michel , à S. Charles , a
imprimé et débite depuis peu : Le Coureur de
nuit , oɑ L'aventurier nocturne , traduit de
l'Espagnol de Dom Francisco de Quevedo. Le
prompt debit de ce petit Ouvrage l'a engagé de
mettre sous presse le reste des Oeuvres de cet
Auteur,qu'il promet de donner incessamment
Le soin qu'il prend de cet Ouvrage , le fera
préferer à l'édition de Hollande.
Le même Libraire vend la nouvelle Edition des
AvanL130
MERCURE DE FRANCE
Avantures de Dona Rusine , dite la Foüine
de Seville , ou l'Ameçon des Bourses. 2 vol.
in 12. enrichie de Figures en taille douce.
On va imprimer un Ouvrage de M. le Cat , Chirurgien
, qui a pour titre : Essai Medico- Phisique,
sur les effets de la Saignée ; dans lequel
il établit sur les Loix de la Mécanique et de
P'Hydrautique, les principes generaux des effetsde
la Saignée , l'acceleration, la dérivation , la
révulsion, et réfute plusieurs Ouvrages, récemment
publiez , sur la Saignée, entr'autres celui
de M. Quenet.
On vendra incessamment en détail , la Bibliotheque
de feu M. Géoffroy , celebre Medecin
de la Faculté de Paris , Professeur Royal en
Médecine et en Chymie , Associé , Pensionnaire
de l'Académie Royale des Sciences , et de
la Societé Koyale d'Angleterre. Le Catalogue
imprimé de cette Bibliotheque se distribue chez
Gabriel Martin, Libraire, ruëfaint Jacques,
à l'Etoile..
On vient de recevoir le Projet imprimé du
Cabinet Florentin , qui doit être composé de dix
volumes in folio. Il contiendra tout ce qu'il y a
de plus rare en tout genre d'Antiquité ; non seulement
chez le Grand Duc, mais encore chez tous
les particuliers de Florence ,
Le premier volume contiendra les Pierres gravées
en relief , autrement Camei . Le second , les
Pierres gravées en creux. Le troisième , les Statues.
Le quatrième , les Bustes. Le cinquième , les
Cachets de Bronze. Le six , sept et huit , les Médailles.
Le neuf et le dix , les Portraits des Peintres
qui
MAY. 1731 . 1137
qui ont fait eux- mêmes leurs Portraits . Tous ces
volumes peuvent faire des corps séparez . Le premier
et second , pour les Pierres gravées. Le six ,
sept , huit , pour les Médailles. Le neuf et dix ,
pour les Portraits des Peintres , et pourront être
vendus séparément. Chaque volume contiendra
au moins cent Flanches , avec des Observations
ou Explications d'Antoine- François Gori , écrites
en Latin. On promet d'employer les meilleurs
Graveurs, et de ne rien négliger pour donner à cet
important Recueil toutes les beautez dont il peut
être susceptible . Le premier volume est déja imprimé
, et pour faciliter l'impression des autres ,
on propose des Souscriptions , aux conditions
suivantes.On donnera dix - huit écus de Florence ,
qui font à peu près trente- six écus de notre monnoye.
Pour les deux premiers volumes qui seront
vendus un quart
de plus, à ceux qui n'auront pas
souscrit.
On mande de Rome que le Pape vient d'ac
querir toutes les Planches de cuivre qui avoient
servi lorsqu'on imprima la Roma Soiteranea ,du
Bosio et de l'Aringhy.Il a chargé l'Abbé Bottari,
Florentin , de procurer une nouvelle Edition de
ces deux Ouvrages, à laquelle il se trouve en état
de travailler avec succès , d'autant mieux qu'il a
pris sagement le parti de les refondre et de les remanier
entierement .
La seconde Partie du troisiéme volume de la
Bibliotheque Orientale Clémentine , paroît à Rome
depuis peu .
De Venise. On a traduit et on imprime en
Cette Ville PHistoire Romaine du P. Câtrou.
De Florence. L'Edition de l'Eustathe sur Homere
1132 MERCURE DE FRANCE
mere , traduit et enrichi de Notes , par le P. Polity
, s'avance fort à Florence . On en est au troisiéme
Tome.
Les OEuvres du feu Pape Benoît XIII. que le
Cardinal Marini avoit fait imprimer à Ravennes ,
sont actuellement en vente â Rome , en trois volumes
in folio.
On apprend d'Allemagne , que M. Martini ,
donne dans une Brochure qu'il a publiée , quelques
raisons naturelles de l'extraordinaire сара-
Cité de l'illustre enfant, Chrétien- Henry Heinecken
, né à Lubeck en 1721. et mort en 1725.
Il parloit à dix mois ; et ayant observé les
mouvemens de ceux qui lui expliquoient diverses
figures , suivant le désir qu'il en avoit marqué , il
prononçoit d'après eux les sillabes ; à un an , il
sçavoit les principaux évenemens du Pentateuque
; à treize mois , l'histoire de l'ancien Testament
; à quatorze , celle du Nouveau ; à deux
ans et demi il répondoit pertinemment aux
questions de la Géographie et de l'Histoire ancienne
et moderne ; il parla bien - tôt Latin avec
facilité, puis le François passablement , et à la fin
de sa troisième année , il connoissoit les Généa–
logies des principales Maisons de l'Europe ; il expliquoit
avec esprit et avec jugement les Passages
et les Sentences de l'Ecriture Sainte. Il voyagea en
Dannemack pendant une bonne partie de sa quatriéme
année , et il y harangua de fort bonne
grace le Roy et les Princes du Sang. Au retour
il apprit à écrire , pouvant à peine tenir la Plume.
Il étoit délicat , infirme , souvent malade , et
même dangereusement , il haïssoit tout autre aliment
que le lait , et que celui de sa nourrice ; il ne
fut sevré que peu de mois avant sa mort , qui arriva
MAY. 1731 .
1133
riva le 27 Juin 1725.et qu'il envisagea d'une ma
niere si chrétienne , qu'il étonna encore plus par
cette fermeté, que par l'immensité de ses progrès
pendant une si courte vie. M. Chrétien jde Schoneich
, son Précepteur , a écrit sa vie. M.Behm
aussi publié une Brochure sur son sujet. M. Seclen
a parlé de lui dans un article de ses Selecte
Litteraria.
a
D'Upsal. Que le Docteur Wallin , expose dans
une Dissertation , l'Art d'écrire avec du feu : De
Arte trithemiana scribendi per ignem.
De Dresde. Que M. Faesch , Major des Ingénieurs
, au service du Roy de Pologne , compose
en Allemand , une Bibliotheque Militaire , où il
traitera de tous les Livres qui parlent de ce qui
appartient à cet Art , avec ses observations sur
ceux qu'il a vûs.
De Nuremberg. Que l'on publie la Traduction
en Allemand des Ouvrages du fameux Gerard de
Lairesse , sur le Dessein et la Peinture , écrits en
Hollandois.
Que M. Jean-Jacques Schubler a fait imprimer
depuis peu, quelques Traitez Allemands, sur
la construction des Colomnes , des Fourneaux à
échaufer les Poëles ; et sur une nouvelle maniere
de placer avantageusement de grandes Lucarnes
dans les Gréniers , &c.
De Rostock. Que M. Schultz a publié une longue
Dissertation sur l'usage de la Musique , dans
'Eglise Chrétienne.
L'Académie Royale des Belles-Lettres , établie
1134 MERCURE DE FRANCE
à Marseille , a donné dans le mois d'Avril dernier,
les deux Prix d'Eloquence et de Poësie qu'elle
avoit a distribuer . M. d'Ardene , Associé
étranger, de la même Académie , a remporté l'un
et l'autre .
Cette Académie nous prie d'avertir , que le
Prix d'Eloquence qu'elle distribuera le premier
Mercredy après le Dimanche de Quasimodo , de
l'année prochaine , 1732. a pour sujet ce passage
de Séneque : Que l'adversité n'abat que ceux que
la prosperité avoit aveuglez. Neminem adversa
fortuna comminuit , nisi quem secunda decepit.
Lib. de Const. ad Helv . cap 1. On sçait
que ce Prix consiste en une Médaille d'or , de la
valeur de trois cent livres .
Le Mercredi , onze Avril , Mess. Maraldi et
Grand-Jean ont été élus à l'Académie Royale
des Sciences , pour remplir la place d'Ajoint Astronome
, vacante par M. Gaudin , devenu Associé
depuis quelque temps. Ces deux sujets ont
été choisis par le Roy , l'un pour remplir la place
vácante , et l'autre pour tenir lieu de M. Delisle
de la Croyere , absent depuis plusieurs années ,
par congé de la Cour , sans néanmoins que ce
dernier cesse d'être de l'Académie , mais la premiere
place d'Ajoint Astronome qui viendra à
vaquer , ne sera point remplie.
Le Mercredi 18. Mess. Borave et Morgagni ,
ont été élus , pour remplir la place d'Associé
étranger , vacante par la mort du Comte de
Marsigli. Le choix du Roy est tombé sur Monsieur
Borave .
Le Samedy 28. M. Bourdelin , Ajoint Chimiste
, et M. Grost , externe , ont été élus pour
remplir la place d'Associé Chimiste , vacante
" par
MAY.
1731. ་ ་ ༣ ་
par M. Dufay , devenu Pensionaire depuis quel
que temps. Le choix du Roy est tombé sur Monsieur
Bourdelin.
On écrit de Londres que le 9. de ce mois , le
sieur Wood fit ses expériences pour tirer du Fer de
la Mine de Charbon de terre , en présence du
Comte d'Islay , du Chevalier Charles Wager , du
Chevalier Jean Eyles , et d'autres personnes que
le Conseil Privé du Roy avoit nommées . Il employa
172 livres de cette Mine , et il en retira une
Barre de 35 liy. qui parut être de tres - bon fer .
Ces Lettres ajoutent que le 13 de ce mois , le
Marquis de Braekly , fils aîné du Duc de Brigewater
, âgé d'environ 7 ans , mourut de la petite
Verole , dont on lui avoit fait l'insertion quel
ques jours auparavant, comme à son frere le Lord
Jean , qui est à present hors de danger.
EXTRAIT d'une Lettre , écrite de Paris
, le 14 May 1731. au sujet de l'Opération
de la Taille.
On fit l'Opération de la Taille Vendredi dernier
, dans l'Hôpital de la Charité des Hommes.
M. Maréchal , premier Chirurgien du Roy , toujours
plein de zéle et d'affection pour les pauvres ,
voulut non seulement y être present , mais encore
y opérer.Il fit trois Tailles . M.de la Perronie, premier
Chirurgien du Roy en survivance , en fit
aussi trois .
M. Morand , Chirurgien Major de cet Hôpital
, en fit deux .
M. Guérin pere , Chirurgien Major des Gardes
Françoises , et ancien Chirurgien Major de
cet Hôpital , en fit une.
M. Guérin fils , Substitut du même Hôpital ,
en fit une ; enfin M. Perché , gagnant Maîtrise
G au
1135 MERCURE DE FRANCE
au même Hôpital,fit la derniere. Le tout se passa
sous la direction de M. Rénéaume , Médecin en
quartier de cet Hôpital .
La Taille,par l'Opération Latérale que M. Morand
avoit promis de faire , avoit attiré beaucoup
de curieux ; mais M. Maréchal qui connoît les
inconveniens de cette Opération , en disposa autrement
, en exécutant lui - même , et faisant exécuter
l'Opération , à la maniere ordinaire ; et,
il confia le soin de cet Hôpital à M. Guérin.
Pere. Vous voïez par là qu'on ne sçauroit
trop louer la sagesse et la charité de M. Maréchal.
Par là les pauvres serviront d'instruction an
Eleves , sans être leurs victimes.
QUESTION.
Si l'Amour et la Raison peuvent se trouver en
même-temps dans la même personne ? ou si l'Amour
et la Raison sont compatibles !
On demande aussi la cause Fisique ou morale
de l'éfet qui arive dans les enfans qui meurent
jeunes , après avoir doné de grandes esperances
dans leur premiere enfance, et de l'éfet qui arrive
dans les enfans dont la vivacité s'est changée en
stupidité , et si on doit atribuer ces deus sors
au grand soin que l'on a pris de leur éducation.
On souhaiteroit bien de voir sur cette question
les refléxions de quelque habile Filosofe , puisqu'on
voit des enfans de tous caracteres mourir
en bas âge , aussi bien que des enfans d'esprit ;
et que l'on voit des enfans d'esprit , dont on a
cultivé l'enfance , venir dans un âge adulte et mûr,
aussi -bien que d'autres qui n'ont point été chargez
de trop d'esprit ni de trop d'étude .
Il paroît une très- belle Etampe gravée par
M.
་
MAY. 1731.
1137
1
M. Laur. Cars , dont le Public connoît déja le
talens. Elle répresente Suzanne et les deux Vieillards
, d'après un excellent Tableau de M. de
Troy , d'une belle et riche composition. On
la vend chez l'Auteur , ruë neuve des Petits-
Champs , et chez Duchange , ruë S. Jacques.
M. Silvestre , vient d'achever une Estampe
qu'il a gravée d'après un Tableau de M. François
Te Moine , représentant Ubalde et le Chevalier
Danois, allant chercher Renaud, enchanté dans
le Palais d'Armide. Ce Tableau est dans le Cabinet
de M. le Premier ; tout le monde connoît
le mérite de ce Peintre , et l'on peut dire que l'Estampe
est gravée d'un gout et d'une touche admirable.
Cette Estampe se distribuë chez M.Surugue
Graveur du Roi , ruë des Noyers , entre
les deux premieres Portes Cocheres , vis - à - vis
l'Eglise de S. Yves , à Paris . M. Surugue donnera
incessament , L'arrivée de l'Operateur en l'Hôtellerie
, et Ragotin déclamant ; des Paysans
croyent qu'il prêche : ce sont les six et septiéme
du Roman Comique de Scaron.
qua-
Jean - Baptiste le Brun , ancien Ecclesiatique
du Diocèse de Rouen , retiré depuis plus de
Tante ans à Orléans , et connu par plusieurs Ouvrages
, entr'autres par la nouvelle Edition des
Oeuvres de S. Paulin de Nole , est décedé dans
la même Ville d'Orleans , le 20. du mois de Mars
âgé de 75. ans.
Le Sieur Dugeron , ancien Chirurgien d'Armée
, continue de donner avis qu'il a un Remede
sans gout , qui préserve les dents de se gâter et de
tomber ; ceux qui s'en servent en rendront té-
Gij moi1138
MERCURE DE FRANCE
moignage . On donne la maniere facile de s'en
servir , son nom et le prix sont sur ses Boëtes ,
il en a de deux , de trois et de quatre livres ; sa
demeure , avec Tableau , est à Paris , rue Comtesse
d'Artois, au Dauphin , proche la Comedie
Italienne.
CHANSON.
PEre du jour , quitte le sein de l'Onde ,
Viens , hâtes-toi , lance tes feux chéris ,
Fais que les Mortels endormis
Soient ranimez par ta chaleur féconde.
C'est par toi que les Dieux brillent dans leur
séjour ,
Par toi que les Humains respirent sur la terre ;
Mais si sur nos Côteaux tu répans ta lumiere ,
Une seconde fois nous te devrons le jour ,
Q
AUTRE.
Ue t'ais- je fait , cruel Amour ?
Viens-tu pour prix de ma constance
Redoubler les maux de l'absence ,
Par un plus funeste retour ?
Mon Amant revient en ce jour .
Que dis- je ? mon Amant ! ah ! c'est mon infidelė
Il revoit ce fatal séjour ;
Mais ma Rivale le rappelle,
Que t'ais-je fair , cruel Amour ;
Grave
C
THE
NER
YORK
PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
,
MAY . 1731. 1139
SPECTACLES.
LRO
E Jeudi 21. de ce mois , l'Académie
Royale de Musique,donna la premiere
Représentation d'Endymion , Pastorale héroïque
, sans Prologue. Les paroles sont
de M. de Fontenelle , et la Musique , de
M.de Blamont. On apprend dans un petit
Avertissement à la tête du Poëme imprimé
, que cette Piece n'est pas entierement
telle que le Public l'avoit depuis longtemps
imprimée avec d'autres Ouvrages
de la même main.
Pan ouvre la Scene , suivi d'un Satyre
et de Lycoris , Confidente de Diane ; ils
tâchent de le détourner de l'amour qu'il
a pour Diane ; il ne se rend pas à leurs sages
conseils , et s'exprime ainsi .
Je ne sens point mon coeur effrayé des obstacles ,
Pour les surmonter tous, il est d'heureux moiens;
Mais quand l'Amour fait des miracles ,
Ce n'est pas en faveur des timides Amans .
Pan se retire ; Diane vient , Lycoris lui
dit qu'elle est heureuse de ne point trouver
Pan qui vient de quitter ces lieux ,
Giij
ct
140 MERCURE DE FRANCE
et qui n'auroit pas manqué de l'entretenir
d'un amour importun .
La Bergere Ismene vient prier Diane
de la recevoir parmi ses Nymphes. L'indifference
d'Endymion , qu'elle aime encore
, quoiqu'elle se flatte de ne le plus
aimer , est le motif qui la porte à cette
résolution ; Diane se défie d'un desseinsi
précipité , et dit à Ismene qu'elle aime
encore Endymion ; Ismene se sentant trop
presser , dit enfin à la Déesse :
Si j'aime encor , helas ! permettez que j'implora
Votre secours pour n'aimer plus.,
Diane appelle ses Nymphes à qui elle
ordonne de recevoir Ismene parmi elles..
La ceremonie de cette reception fait la
Fête de ce premier Acte ; la Déesse `donne
l'Arc et le Carquois à la nouvelle-
Nymphe..
Après la Fête , Diane qui aime en secret
Endymion, fait entendre qu'Ismene choisit
mal son azile , dans une Cour dont
la Souveraine n'a pû se deffendre d'aimer..
Lycoris n'oublie rien pour la dégager
d'un amour indigne d'un coeur aussi
grand que le sien ; elle lui répond :
Je rougis de ma tendresse ,.
Et non pas de son objet.;,
L'aie
MAY. 1147 17312
L'aimable Berger que j'adore ,
N'a pas besoin d'un rang qui s'attire les yeux
Il a mille vertus que lui-même il ignore ,
Et qui feroient l'orgueil des Dieux.
Le premier Acte finit par ces beaux
Diane chante . Vers
que
Un éternel silence ,
Cachera cet amour dont ma gloire s'offense
En secret seulement j'oserai soupirer :
Je languirai sans esperance ,
Et craindrai même d'esperer.
Au second Acte le Théatre représente
un Temple rustique que les Bergers ont
élevé pour Diane , et qui n'est pas encore
consacré.
Endymion fait connoître ce qui l'engage
à consacrer ce Temple à Diane par
ces Vers qu'il dit à Eurylas, son Confident.
Jamais par des soupirs mon amour ne s'exprime;
par des Autels je le marque sans crine ;
Ce détour , ce déguisement ,
Du moins
Convient à mon respect extrême ,
Et mon coeur pour cacher qu'il aime ,
Feint qu'il adore seulement.
Eurylas combat autant qu'il lui est
Giiij possible
1142 MERCURE DE FRANCE
possible , un amour qui ne peut que condamner
son ami à un supplice éternel.
La consécration du Temple fait la Fête
de ce second Acte ; comme les Bergers
pour faire leur cour à l'insensible Déesse ,
déclament contre l'Amour ; elle vient
elle-même leur imposer silence par ces
Vers :
Bergers , jusqu'en ces lieux votre hommage
m'attire ;
De sinceres respects sçavent charmer les Dieux ;
Mais je dois arrêter des chants audacieux ,
Que trop de zele vous inspire.
Il suffit de fuir les Amours ร
Et d'éviter leur esclavage ;
Mais par de superbes discours ,
Il ne faut pas leur faire outrage.
Diane congédie les Bergers , et fait connoître
à Lycoris pourquoi elle vient de
leur imposer silence ; voici comme elle
s'explique :
Endymion ordonnoit cette Fête ,
Lui , dont mon coeur est la conquête ;
En outrageant l'Amour il croyoit me flatter ;
Excuse ma foiblesse ;
Son erreur blessoit ma tendresse ,
Etje n'ai pû la supporter.
Comme
MAY. 1731 . 1143
Comme Lycoris lui fait entendre qu'elle
veut par là enhardir Endymion à soupirer
pour elle ; la Déesse lui répond ;
Pourrois-je le vouloir, Ciel ! quelle honte ! helas!
Du moins si je le veux , ne le penetre pas.
al-
Le Théatre représente un lieu champêtre
au troisiéme Acte . Le silence que
Diane vient d'imposer aux Bergers dans
l'Acte précedent , occasionne ce qui se
passe dans celui- dans celui - cy . Pan se flatte que la
Déesse n'est plus insensible , puisqu'elle
prend le parti de l'Amour , et ne doute
point que ce ne soit lui qui ait produit
ce grand changement dans le plus superbe
de tous les coeurs ; il sort pour
ler préparer une Fête à l'honneur de la
Déesse , dont il se croit aimé. Endymion
qui vient d'être témoin du triomphe chimerique
du Dieu des Bois , a assez de
facilité pour le croire réel ; il ne peut
supporter que Diane ait fait un choix.
si indigne d'elle ; il se détermine à redemander
Ismene à la Déesse , d'autant plus
que cette Nymphe lui avoit été destinée
pour épouse ; voici comment il s'explique
en parlant à Eurylas :
Toi-même, tu m'as dit qu'en épousant Ismene ;
Et son amour , et mon devoir ,
G v Se
1144 MERCURE DE FRANCE
Se seroient opposez au penchant qui m'en
traîne ;
Je veux essayer leur pouvoir ;
Je veux redemander Ismene à la Déesse ;
Heureux si de ses mains je pouvois recevoir ;
Ce qui doit venger, ma tendresse !;
Diane vient ; Endymion lui redemande
Ismene ; la Déesse en est mortellement
frappée mais elle dissimule sa douleur ,,
et dit à Endymion :
;
Allez ,je résoudrai ce qu'il faut que je fasse ;;
Et vous sçaurez mes volontez.
Diane se trouvant seule , exprime sa
douleur er sa jalousie par ce Monologue ,
Ou suis-je ? Endymion pour Ismene soupire !!
Et moi , je me livrois au charme qui m'attire !
Déja je trahissois le secret de mon feu;
Après une foiblesse inutile et honteuse ,,
Après avoir en vain commencé cet aveu.15.
Quelle vengeance rigoureuse. .....
Mais quoi? ne dois- je pas me croire trop heureuse .
Que l'ingrat m'entende si peu , &c..
Elle forme la résolution de ne point
rendre Ismene, de redevenir Diane , c'està-
dire , mortelle ennemie de l'Amour et
des,
MA Y. 1731. 1145
des Amans ; elle finit cette Scene par ces
deux Vers :
Je vois le Dieu des Bois ; faut- il que je l'entende ?
Ma peine ,ô Ciel ! n'est donc pas assez grande.
Pan , suivi des Faunes , des Sylvains:
et des Driades , déclare hautement son
amour à la Déesse ; il la fait reconnoître
pour Souveraine des lieux où il regne
lui- même ; la Fête étant finie , Diane lui
répond froidement ::
A recevoir vos soins j'ai voulu me contraindre ;
Peut-être en les fuyant j'aurois párû les craindre;
Quan don est trop severe, on se croit en danger ::
Je veux vous annoncer d'une ame plus tranquille
Que votre amour est inutile ,
Et qu'il faut vous en dégager..
Diane se retire ; Pan ne respire que
vengeance , mais le Satyre , son Confident,
lui conseille de ne se venger de cette superbe
Déesse , qu'en formant une nouvelle
chaîne.
Ismene commence le quatrième Acte,,
elle expose ce qui se passe dans son coeur
par ce beau Monologue :
Sombres Forêts , qui charmez la Déesse 7 ,
Doux azile ou coulent mes jours ;
Gvj Plaisirs
1143 MERCURE DE FRANCE
1
Plaisirs nouveaux qui vous offrez sans cesse ,
Pourquoi ne pouvez- vous surmonter ma tristesse
Ah ! j'attendois de vous un plus puissant secours.
Qui peut me rendre encor incertaine , inquiéte §
J'aimois un insensible , et ce que j'ai quitté ,
Ne doit pas être regretté ;
Cependant sans sçavoir ce que mon coeur regrette,
Je le sens toujours agité.
Sombres Forêts , & c.
Diane vient annoncer à Ismene qu'En-
'dymion la redemande ; elle lui ordonne
de lui parler sans feinte ; Ismene n'ose
croire ce que la Déesse lui dit : Diane la
de lui dire si elle veut renoncer à
presse
vivre sous ses loix ; Ismene lui répond :
Vous sçavez qu'à jamais je m'y suis asservie ;
Rien ne peut ébranler ma foi :
A suivre d'autres loix , si l'Amour me convie ,
L'Amour , sans votre aveu , ne peut plus rien sur
moi.
Diane la congédie en lui donnant une
esperance équivoque.
Lycoris felicite Diane de la victoire
qu'elle vient de remporter sur l'Amour
Diane fait connoître la violence qu'elle
se fait par des Vers très passionnez .
Endymion vient ; Diane lui dit qu'elle
lui
MAY. 1731. 1117
lui accorde Ismene ; Endymion est frappé
de ce bienfait comme d'un coup mortel
; il se plaint d'avoir obtenu ce qu'il a
demandé ; il fait entendre à la Déesse
qu'elle n'auroit pas dû exaucer des voeux
mal conçûs ; il lui déclare qu'il aime un
objet adorable , mais que du moins il a
tenu son crime secret , et qu'il n'a jamais
été assez audacieux pour en faire l'aveu :
emporté par sa passion , il en dit plus
qu'il ne croit , l'étonnement de Diane
qu'il prend pour un sentiment de colere ,
lui persuade qu'il est criminel à ses yeux;
il l'exprime par ces Vers :
Qu'ai-je dit ? quel transport !
Ciel ai - je rompu le silence ?
L'amour à mon respect a-t'il fait violence ?
Ah ! vos yeux irritez m'instruisant de mon soft
J'y vois tout mon malheur et toute mon offenses
Mon feu s'est découvert , j'ai mérité la mort.
Diane est retirée du doux embarras où
elle se trouve par une des heures de la
nuit , qui vient l'avertir que le Soleil est
prêt à se plonger dans l'Onde et qu'il
est temps qu'elle le remplace pour éclairer
l'Univers ; la D'esse ordonne que son
Char descende , les vents à qui elle commande,
executent ses loix, pendant qu'une
partic
1148 MERCURE DE FRANCE
partie des heures de la nuit prend soin
d'atteler son Char , les autres celebrent
une Fête , dans laquelle son insensibilité
est chantée ; voici comment cet Hymne
est composé ::
Quand la nuit dans les airs répand ses voilea
sombres ,
Vous recommencez votre cours ;:
D'un seul de vos regards vous dissipez les ombres,
Qui favorisoient les Amours .
Du Dieu qui regne dans Gythére ,.
Vous troublez les soins les plus doux
Vous en bannissez le mystere ; .
Vous éclairez les yeux jaloux..
Après la Fête , Diane monte dans son
Char ; Endymion desesperé , forme la résolution
d'aller finir ses jours dans le fond
de quelque Antre affreux ..
La Décoration du cinquiéme Acte ,.
représente un Antre du Mont Latmos .
Les Amours endorment Endymion ; une
clarté qui perce les voiles de la nuit leur
annonce Diane Amante ; ils se retirent de :
peur de l'empêcher de se montrer.
Diane fait connoître le dessein qui l'a--
mene en ces lieux ; elle craint qu'Endymion
ne se livre trop à son desespoir ,.
elle balance entre sa gloire et son amour ;
Ce
M A Y.. 17312 1749
ee dernier l'emporte; Endymion se reveil
le ; à l'aspect de Diane , il ne doute pointque
cette Divinité offensée ne soit venuë
pour le punir de sa témerité ; Diane le
rassure. Leur Dialogue finit par ces Vers
Endymion .
Je ne vois point que vous êtes Déesse .
Diane.
I ne vois point que vous êtes Berger..
Ils forment le dessein de dérober lenre
amours au reste de l'Univers ; l'Amour
paroît , et leur dit qu'il ne veut pas que
l'Univers ignore sa plus brillante victoi
re ; tout ce que Diane peut obtenir de
lui , c'est qu'il ne triomphera que dans
ces lieux témoins de sa tendresse ; il or
donne à l'Antre et à la Nuit de disparoî
tre . Le Theatre change et représente un
Jardin délicieux ; les Amours , les Jeux .
et les Plaisirs , celebrent le triomphe de
l'Amour ; Diane rend graces à l'Amour:
par ces Vers :.
Dieu favorable ,,
Dieu secourable ,,
Dieu des Amants
Que tes biens sont charmants 4 !
Ta douce flamme,
Bannit
1150 MERCURE DE FRANCE
.
Bannit d'une ame ,
Le souvenir de ses tourmens,
Si dans tes chaînes ,
Il est des peines ,
Que de plaisirs ,
Succedent aux soupirs !
Douceur extréme ,
Bonheur supreme
Tu vas plus loin que les desirs
Dieu favorable , &c .
La Dlle. Pelissier et le sieur Tribou
joüent les principaux Roles de cet Opera
avec toute l'intelligence et la finesse pos
sible. Les Roles de Pan et d'Ismene sont
remplis par le sieur Chassé , et par la Dlle.
Julie , ceux de Lycoris et d'Eurylas , par
la Dlle . Petitpas et par le sieur Dun.
Les deux Décorations du cinquième
'Acte sont du Signor Alexandre Mauri ,
Peintre Italien , nouvellement arrivé en
France.
On joua à Londres le 17. du mois dernier
un nouvel Opera Italien sous le
titre de Rénaud et Armide , qui a beaucoup
de succez .
On mande de la même Ville que quelques
jours auparavant on représenta sur
lc
MAY. 17317 115
le Théatre de Lincols - inn - fields , la Comedie
des Fourberies de Scapin , au profit
de la Dlle. Marie Salé , fameuse Danseuse
de l'Opera de Paris , que le Roy , la Reine
et les Princesses honorerent de leur
présence , et que le concours des Spectateurs
fût si grand , que malgré les Echaffauts
dressez sur le Théatre , où quantité
de Dames se placerent , on fût obligé de
renvoyer bien du monde. Cela faisoit un
spectacle des plus agréables , et la noblesse
, les graces , la finesse et l'Art enfin
avec lequel cette excellente Danseuse
executa les Entrées qu'elle dansa dans differens
Caractéres , la firent généralement
applaudir ; outre la recette entiere de
cette Representation , elle a encore receu
quantité de présens considerables . On sera
sans doute bien aise d'apprendre que la
Dlle. Salé reviendra à Paris au mois de
Juillet prochain,
Le samedi 28. du mois dernier , les
Comédiens François joüerent la Tragédie
de Britannicus , dans laquelle la Dlle . Gossin
,jeune Personne qui a joué en Provinet
en dernier lieu sur le Théatre de
ce ?
Lille parut pour la premiere fois , dans
le Rôle de Junie , qu'elle a joué trois fois ,
y a toûjours été de plus en plus
et elle
aplaudie.
152 MERCURE DE FRANCE
aplaudie. Elle est d'une jolie figure , avec
la voix fort agréable et de l'intelligence .
Elle a joué dépuis le Rôle de Chimene
dans le Cid , et elle a fait voir qu'elle
avoit encore plus de talens qu'on n'avoit
crû. Elle a soutenu la bonne opinion qu'on
a de son merite dans le Rôle de Monime ,
dans Mithridate, dans ceux d'Andromaque
et d'Iphigenie , et elle l'a beaucoup augmentée
dans le Rôle d'Agnés de l'Ecole des
Femmes. Elle danse et chante quelques
couplets dans la Comédie nouvelle de
Italie Galante.
Les Comédiens représenterent le 11.
de ce mois une Piece nouvelle intitulée
PItalie Galante , ou les Contes . Ce sont
trois Comédies differentes , où M. Delamotte
, s'est fait un plaisir d'accomoder
au Théatre , et de ramener aux bonnes
moeurs er aux bienséances , trois Contes
de la Fontaine ; l'Oraison de S. Julien
Richard Minutolo , et le Magnifique.
*
L'Oraison de S. Julien changée en Talisman
, dont on avoit déja vû trois Répre
sentations il y a quelques années , fût r‹ -
ceue avec beaucoup de plaisir.
Le Magnifique en deux Actes , eût le
succès le plus eclatant qu'un Autheur
puisse souhaitter : mais il arriva à Minu
tolo l'inconvenient de n'être pas entendu .
Un
MAY. 1737 TIT
Un des Acteurs principaux , et même le
plus nécessaire pour faire entendre la
Piéce , fût surpris d'une extinction de
voix , qui ne lui permit pas de prononcer
un seul mot de son Rôle : le tumulte que
ce contre-temps excita dans l'Assemblée ,
ne laissa point entendre les autres Acteurs:
ainsi l'on peut dire que la Piéce ne fût
pas representée ce jour- là ; elle le fut deux
jours aprés , et elle fut géneralement aplau
die. Le Public donne de jour en jour de
nouvelles louanges à tout l'ouvrage , et
le trouve digne de son Auteur
Chaque Piéce est ornée d'un Divertis
sement , la Musique est vive , enjoüée ,
ou tendre , selon que les caractéres l'éxigent
: elle est de M. Quinaut. Le Balet est
galand , et comique : il est de M. Dangeville.
La Fête de Renaud d'Ast est un Bal.
Le Vaudeville roule sur les Talismans ,
en voici deux Couplets.
Four surmonter l'Indifference ,
Il est tant de secrets charmants.
Faut il que contre l'Inconstance
L'Amour n'ait point de Talismans.
Pour bon gîte et bonne avanture
Faut-il
1154 MERCURE DE FRANCE
Faut- il des Aneaux et des Sorts ?
Soyez aimable , et je vous jure ,
Vous ne coucherez pas déhors.
La Fête de Minutolo est une Fête cham
pêtre. Le Vaudeville roule fur le bonheur
des Bergers , en voici trois Couplets:
Vous de qui la Richesse
Flate en vain les désirs ,
Vous cherchés les plaisirs ,
Et les manqués sans cesse ;
Nos Amours sont tout nôtre bien
Et nous ne vous envions rien.
Le Ciel a fait aux Hommes
Des Destins differents :
Vous paroissez contens :
Mais c'est nous qui le sommes ,
Nos Amours & c.
Au Parterre .
Si nos soins , pour vous plaire ,
N'avoient pas été vains ,
Vous auriés dans vos mains
Nôtre plus doux salaire ;
Vos
MAY. 1731
1159
Vos plaisirs sont tout nôtre bien
Hors delà nous n'envions rien.
2
La Fête du Magnifique : ce sont differents
Peuples qui offrent à Lucille les Richesses
de leur pays. Le Vaudeville rou
le sur la Magnificence. En voiçi trois
Couplets:
L'Amant avare et tiranique
Verra rebutter ses désirs :
Mais si l'Amour a des plaisirs ;
Ils sont pour l'Amant Magnifique,
Donnés , Amants ; mais donnés bien
Donner mal , c'est ne donner rien.
粥
La maniere ajoûte au service :
Il faut que les dons soient adroits ;
Les présens même quelquefois
Offensent plus que l'avarice .
Donnés , Amants &c.
Au Parters .
ន
W
Soyez avares de Critiques ,
Si vous ne sortés pas contens :
Ce n'est qu'en applaudissemen,
Qu'il
156 MERCURE DE FRANCE
Qu'il vous sied d'être Magnifiques.
Applaudissez pour nôtre bien :
Critiqués , mais si peu que rien.
Ce Couplet , que chante la Dlle. Gossin
avec beaucoup de grace, est fort applaudi :
les autres Couplets sont chantez vivement
et trés-bien exprimez . Les Dilles . Labate .
et Dangeville
font un très grand plaisir
dans le Balet , au milieu duquel la petite
Dlle. Dubreuil, en Sauve-Souris , danse ,
toujours; poursuivie
par ceux qui veulent
l'attrapper. Toutes ces Piéces, au reste,sont
trés bien représentées. Ce qui a fait remarquer
par plusieurs bons connoisseurs
que depuis fort long- temps , il n'y avoit
cu à la Comédie Françoise , tant ni de si
excellens sujets . Nous nous abstenons de
les nommer icy de peur de décourager
ceux dont les talens ne sont pas encore dévelopés
, et dont le Public empêche souvent
les progrés par trop peu d'indulgence.
NOUVELLES
MAY. 1731.
1157
*******X*X:XXXXXX:X
NOUVELLES ETRANGERES.
TURQUIE.
N mande de Constantinople que la punition
Origoureuse des Auteurs de la derniere
te , n'avoit pas empeché qu'il n'y eût encore des
troubles dans divers endroits de l'Asie , où les
Janissaires aprés avoir massacré la plupart de
leurs Chefs , se portoient aux dernieres extrémi
tés , sous pretexte qu'on leur retenoit leur solde ;
et que Sa Hautesse , pour prévenir les suites fàcheuses
de cette disposition à la révolte , avoit
fait tirer du Trésor vingt millions qu'on devoit
leur distribuer.
Mais voici ce que nous venons d'apprendre d'une
nouvelle revolte , par des Lettres de Constantinople
, dattées du 14. Avril , venues par la voye
de Vienne.
Le 25. Mars dernier , un Turc Albanois , de
la faction de Patrona Kalil , avoit assemblé 2000.
hommes de la même Nation dans la Place de la
Mosquée de Sultan Bajazet , et à l'heure de
minuit, cette Troupe avoit marché en corps chez
le Janissaire Aga , pour l'engager de se joindre
à eux , dans le dessein de détrôner le nouveau
Sultan , et de remettre à sa place le Sultan Achmet;
le Janissaire Aga s'étoit fort opposé à ce projet
séditieux , et il étoit allé la même nuit en
informer le Grand Seigneur. Ce Prince ordonna
sur le champ au Grand-Visir , au Mufty , et au
Capitan
1158 MERCURE DE FRANCE
Capitan Pacha d'assembler un Corps de Troupes,
et de les faire marcher dès la pointe du jour ,
pour dissiper ces Rébelles . Ces Troupes marche--
rent en bon ordre vers la place d'Atmeydan où
les Rébelles étoient campés , cette place étant
beaucoup plus spacieuse que celle du Sultan Ba
jazet où ils s'étoient d'abord affemblés . Le Grand-
Visir , le Mufty et le Capitan Pacha étoient à la
tête des Troupes du Grand- Seigneur , parmi lesquelles
il y avoit 600. Leventis ou Soldats de
Marine trés bien armés , le Mufty avoit à côté
de lui le fameux Etendart de Mahomet.
Les Rébelles sans s'étonner de voir arriver les
Troupes du G. S. en bon ordre , et bien disposés
à les charger , tirerent eux mêmes les premiers ,
avec cette circonstance qu'une bâle de Mousquet ,
ayant persé l'Etendart du Prophête , le Mufty en
fút si indigné , qu'il prononça sur le champ une
Sentence de mort contre tous les Rébelles ; ce
qui anima tellement les Troupes du G. S. qu'il
y cût un sanglant Combat , dans lequel plus de
300. Rébelles resterent sur la place , et les autres
furent dissipés.
Aprés cette expédition , le Grand Visir partagea
ses Troupes en deux corps, dont l'un resta
sur la même Place , et l'autre fût comandé pour
faire la Patrouille dans la Ville , et veiller à la
seureté publique,
Ces Letres ajoûtent que tous ceux qui furent
trouvés armés dans Constantinople fûrent étran
glés sur le champ . On croit que cette nouvelle
révolte a été suscitée par la Veuve du dernier G.
V.fille du Sultan déposé : elle a été , dit - on , étran
glée , mise dans un sac et jettée dans la Mer avec
une de ses confidentes .
Le G. S, a donné une Déclaration portant que
tous
MAY. 1731.
1159
tous ceux qui viendroient dénoncer des Rébelles
ou d'autres personnes qui pourroient avoir eu
quelque part à cette derniere révolte , auroient
quinze Aspres par jours de rente viagere. Cette
récompense a operé et opére tous les jours de
nouveaux châtimens exemplaires. Nous attendons
de plus amples circonstances de cet évenement ,
par des Vaisseaux partis de Constantinople le
30. Mars dernier.
L
RUSSIE.
E Baron de Schafiroff , envoyé extraordinai
re de la Czarine en Perse , a écrit qu'il étoit
revenu à Hispahan , que le Roy de Perse ui avoit
fait donner pour son logement un Palais situé
dans le Fauxbourg où demeurent les Facteurs
des Commerçans François , Anglois et Hollandois
, qu'il étoit défrayé avec toute sa suite ,
et qu'on lui avoit donné par honneur une garde
de 40. Sokats de la Garde du Roi de Perse ;
qu'il n'y avoit pas encore de Traité conclu entre
le Roy de Perse et le Grand Seigneur , mais qu'ils
étoient convenus d'une suspension d'Armes pendant
six mois.
On mande de Moscou , qu'au commencement
du mois dernier , la Duchesse de Meckelbourg
dépêcha un de ses Principaux Officiers avec des
rémises considérables pour le Die Charles Leopold
son époux , auquel S. M. Cz . fait esperer
de puissants secours , si l'Empereur réfuse de lui
être favorable lorsqu'il s'agira de terminer ses
contestations avec les Princes de la Commission
de Rostoc .
On assure que le Traité conclu entre l'Empereur
et le feu Czar II . a été renouvellé dépuis ptu
H
ITO MERCURE DE FRANCE
et que le Comte de Wratislau , Ambassadeur extraordinaire
de S. M. Cz. , l'a envoyé à Vienne
pour le taire ratifier.
Tefterdar Said Mehemet Effendi , Envoyé
extraordinaire du Grand Seigneur , fit son Entrée
Publique à Moscou le 31. Mars ; le lendemain
il eût une Conférence avec le Grand - Chancelier,
auquel il rémit une Lettre du Grand Visir.
On écrit de Moscou que toute la Famille du
Prince de Menzixoff est revenue de son éxil ; ainsi
que d'autres personnes qui avoient été réléguées
en Siberie sous le Kégne précedent.
La Czarine doit faire publier l'Edit , rendu de
l'Avis de son Conseil,pour punir sévérement ceux
qui seront convaincus de malversations. S. M,
Cz. déclare par cet Edit,que la Famille des coupables
ne sera plus comprise dans leur disgrace,
DANNEMARCK.
chant les fonctions de ceux qui ont rang au
Couronnement du Roy , et on a fait frapper à
cette occasion 300co. Risdales de Médailles
d'or , pour être distribuées aux Ministres Etrangers,
aux Seigneurs de la Cour , et à la principale
Noblesse . On en frappe actuellement en argent ,
pour donner aux Bourgeois de Coppenhague ,
Suivant l'ancien usage.
doit nouveau
Le Roy a chargé M. de Gram , Grand-Veneur
du Royaume , de choisir douze des plus beaux
Chevaux de ses Haras , et plusieurs Chiens de
Chasse , dont S M. a dessein de faire présent an
Roy Tres- Chrétien.
On a reçu avis que la moitié de la Ville de Rotschild
, où est la Sépulture des Rois de Dannemarck
, avoit été réduite en cendres au commencement
du mois dernier.
MAY. 1731. 15Y
ALLEMAGNE.
E 20. du mois dernier , on reçut à Vienne
Lepar un Courrier dépêché de Londres , la ra
tification du Traité conclu le 16. Mars , entre
l'Empereur et le Roy d'Angleterre.
!
Le 6 May , le Conseil Aulique jugea le Procès
du Duc de Modéne , contre le Prince et les
Princesses de Carignan , au sujet de la succession
du feu Prince Foreste d'Est. Tous les immeubles
ont été adjugez au Duc de Modéne , et les effets
mobiliers au Prince et aux Princesses de Carignan.
On fait revenir d'Italie 6000 hommes de Cavalerie
, et 8000 d'Infanterie qui passeront en
Hongrie , où l'on veut assembler une armée considérable
, parce qu'on a reçu des avis certains de
Constantinople , que le G. S. pourroit être contraint
de ceder aux instances réiterées des Janissaires
et du peuple , qui paroissent toujours disposez
à la révolte , parce que S. H. refuse de déclarer
la guerre aux Chrétiens.
On écrit de Berlin que les grandes Revuës des
plus belles Troupes du Roy de Prusse , et pour
lesquelles on fait de grands préparatifs , ne se feront
qu'au commencement du mois prochain .On
assure que le Roy de Pologne et le Prince Royal
son fi's y sont invitez , ainsi que quantité d'autres
Princes , comme le Duc regnant de Wirtemberg
, le Duc de Saxe Eisenach , le Duc de Beveren
, le Prince Charles son fils , le Landgrave de
Hesse Darmstadt, les Pr . Héréditaires de Bareith,
et les Princes de la Maison d'Anhalt ; ils sont attendus
à Berlin , vers le 24 de May.
On mande de Dresde que le Cointe d'Hoim ,
premier Ministre du Roy de Pologne , a deman-
Hij
dé
116 MERCURE DE FRANCE
dé et obtenu de S.M.des Commissaires pour examiner
ses comptes , afin d'avoir ensuite sa liberté,
étant toujours relégué dans une de ses Terres.
ITALIE.
Lier
E Pape a nommé une Congrégation particuliere
, composée de quatre Cardinanx et de
quelques Prélats , pour examiner quelics ont été ,
les raisons qui ont déterminé le fou Pape a défendre
les Jeux ou Lotteries de Génes , et a fait
publier une Bulle d'excommunication contre ceux
qui prendroient interêt à ces Lotteries, ou qui en
distribueroient des Billets , et le bruit court que
ces Lotteries pourront être rétablies au profit de
la Chambre Apostolique , et que l'excommuni-
'cation ne subsistera que contre ceux qui se serviront
des moyens superstitieux , détendus par les
Canons , dans l'esperance de faire un choix plus
sûr des Numeros qui doivent leur faire gagner
des Lots.
Sur les grandes contestations du Chap, general
des Carmes Déchaussez , assemblé à Rome, le Pape
Bomma le 10 Avril , le Cardinal Impériali pour
y assister de sa part ; et le 14. ces Religieux élurent
en sa présence le Pere Robert de sainte Anne
pour Général de toute la Congrégation d'Italie.
Ce Religieux qui est né à Bruxelles , où il se
nommoit Arroud de Roy , avant que d'entrer
dans cet Ordre , étoit actuellement Définiteur
Général , et il avoit été auparavant Provincial
de la Province des Pais - Bas.
On mande de Rome qu'on y avoit reçu des dépêches
de M.Guillelmi , que le Pape avoit envoyé
à Turin , portant , qu'étant arrivé à Alexandrie,
il y avoit d'abord été reçu avec beaucoup de dis
tinction , et traité magnifiquement à dîner par le
Gouyer
M A Y. 1731. 1763
Gouverneur, qui, après le repas, lui dit qu'il avoit
ordre du Roy de le faire ressortir de ses Etats, et
de lui donner des Gardes pour le conduire jusques
sur les Frontieres ; ce qui avoit été exécuté .
Dins le Consistoire secret , du 9 Avril , le Pape
proposa l'érection de l'Evêché de Dijon , et les
Bulles de cet Evêché , pour l'Abbé Bouhier.
Le Cardinal Cibo , qu'on croyoit être allé à
Massa, pour y passer quelque temps, s'est rendu
à Gaete , dans le dessein de finir ses jours dans
P'Hermitage de Castellone , aux environs de cette
• Ville ; mais le Pape qui l'aime beaucoup , l'a rapellé
, il est arrivé à Pérouse , où S. S. lui a permis
de passer quelque temps.
Le bruit court que la Congrégation de l'Immunité
a reçu ordre d'agir contre le Cardinal
Fini , qu'on accuse d'être le premier auteur de
tous les différends du S. Siége , avec le Roy de
Sardaigne. On a appris depuis que ce Cardinal a
reçu ordre du Pape de se présenter devant cette
Congrégation , composée des trois Cardinaux ,
Chefs d'Ordres , de M. Fiorelli , et d'un Notaire,
Ces Cardinaux auront des Fauteuils à bras avec
des tapis de pied ; et le Cardinal Fini , une simple
Chaise à dos , sans tapis.
-
Le Monitoire qui a été affiché contre le Cardinal
Coscia , contient un ordre du Pape à ce
Cardinal,de se représenter dans six semaines , et
en cas qu'il refuse de s'y soumettre , on le menace
de le traiter comme rebelle et désobéissant au
S.Siége, et de le condamner par contumace . Le 4.
Avril le Card. Coscia arriva à Naples , er alla descendre
chez M. Martino , son parent. On a appris
depuis que le Nonce du Pape ayant fait citer
devant le Tribunal de la Nonciature , les voitu
riers qui avoient conduit ce Cardinal , et les voi-
Hij
sins
1164 MERCURE DE FRANCE
sins de la maison de M. Martino , il les fit - interroger
par M. d'Asti , Ministre de ce Tribunal
mais le Conseil collatéral en ayant été instruit
députa au Nonce , pour se plaindre de cette procedure
; et le Nonce répondit qu'elle ne devoit
pas être regardée comme un Acte de Jurisdiction ,
puisqu'il n'avoit fait faire serment à aucun
des interrogez , ne les ayant fait citer que pour
satisfaire aux Ordres du Pape , qui vouloit être
"informé de certaines circonstances de la fuite dua
Cardinal Coscia .
pas
On a appris de Naples , que le tremblement de
Terre, du o Mars , qui renversa la Ville de Foggia
, située dans la Province de la Capitanatte ,
sar la Riviere de Cervaro , à quatre lieues de
Manfredonia , n'a épargné aucune des Eglises de
la Ville , de sorte que les habitans, qui se sont
sauvez , ont été obligez d'élever en pleine Campagne
un Autel sur lequel ils ont placé une Image
miraculeuse de la Vierge , qui n'a point été
endommagée , et on y célébré une Messe tous
les jours.
Les Religieuses , dont tous les Monasteres ont
été détruits , se sont rassemblées dans le Cloître
de saint Pascal,où elles n'ont,pour se mettre à l'abri
des injures de l'air , que de méchantes Cabanes
, construites de Planches , ramassées à la
hâte.
La plupart des Religieux se sont dispersez
dans les Campagnes pour chercher de quoi vivre.
Les autres habitans sont dans une misére affreuse
, n'ayant ni vivres , ni moulins , ni fours ; plusieurs
d'entr'eux ont perdu la vue par les vapeurs
malignes,sorties des ouvertures de la terre,
pendant le tremblement.
Les Travailleurs n'ont pû encore retirer que
8:
MAY. 1731. 1165
8 à 900 corps morts , et il leur est presque impossible
de donner du soulagement à ceux qu'ils
entendent sous les décombres , demander du secours
et crier miséricorde,parce qu'ils courroient
risque eux -mêmes d'être écrasez sous les ruines ,
par la chute imprévue des murailles , dont tous
Ies fondemens sont ébranlez .
Dom Vincent del Pezzo , Auditeur Royal de
Foggia , qui ne fut retiré que le 23. de dessous
les décombres de sa maison , où il vivoit encore,
mourut le 24 au soir,et tout le reste de sa famille
a péri.
On a remarqué , avec étonnement , que l'eau
des Puits et des Citernes s'est élevée de plusieurs
pieds au dessus de la surface de la terre, et qu'elle
a inondé les jardins et les vignes des environs.
Le même tremblement de terre s'est fait sentir
à Barletta avec la même violence , mais il n'y a
pas causé tant de dommage. La seule Eglise des
Carmes a souffert en quelques endroits , et l'une
des Portes de la Ville est tombée.
A Cérignola, presque toutes les Eglises ont été
renversées , et la plupart des Maisons à demi rui-
* nées par les 25 secousses de tremblement de terre
qu'on y a ressenties , mais il n'y a péri que sept
personnes .
Les Villes de Canosa et d'Andria ont beaucoup
souffert ; à Molfetta il n'y a eu que trois Maisons
renversées et trois personnes tuées . A Bari , les
secousses ont été presque continuelles , depuis le
20 jusqu'au 21, mais elles y ont seulement endommagé
quelques murailles, et entr'autres celles
de l'Eglise de S.Nicolas ; quelques Bâtimens de la
Chartreuse voisine de Manfredonia ont été abbatus
, et le P.Tarno , Procureur de la Maison , a
péri avec vingt autres personnes.
H iiij
La
1166 MERCURE DE FRANCE
La Foire de Foggia se tiendra pourtant cette
année comme à l'ordinaire , malgré la destruction
de cette Ville, et les Ministres de l'Empereur
y font construire des Baraques de bois pour la
commodité des Marchands. S. M. Imp. a accordé
aux habitans de cette malheureuse Ville , qui
ont pû échaper , une exemption de tous droits
taxes et impôts pendant dix années ; et elle leur
fait fournir une certaine quantité de matériaux
pour les aider à rétablir leurs maisons. On travaille
encore à démolir , le reste des maisons de
>
Foggia , parce que les fondemens de celles que le
tremblement de terre n'a point renversées , sont
entierement ébranlez. Le nombre des morts , ensevelis
sous les ruines , monte à 3600 ,y compris
les enfans , les vieillards et les malades.
Le 11 Avril, on fit à Naples une Procession solemnelle
, dans laquelle on porta le Chef de saint
Janvier. Toute la Noblesse y assista en habits
noirs , sans domestiques et sans épées .
On mande d'Aversa , qu'un Religieux Minime
, qui a prêché le Carême dernier dans l'une
des Paroisses dépendante des Terres du Prince
d'Avelino , y avoit été assassiné par un Particu
lier , au desespoir de ce que les Sermons de ce
Pere avoient déterminé à la pénitence une Courtisanne
à laquelle cet Assassin étoit attaché . On
ajoûte qu'il a été arrêté.
On a appris qu'il est arrivé au commencement
du mois dernier dans le port d'Alger , un
Vaisseau de Guerre Suedois et deux autres Bâtimens
de transport , chargez du Present que le
Roi de Suede devoit envoyer à la Régence , conformément
au dernier Traité conclu avec le Dey,
Ce Présent consistoit en 8co. Barils de Poudre ,
8. gros Cables d'Ancre , so. Mats , 800. Fusils ,
800.
MAY. 173T. 1167
800. Sabres , 40. Canons, dont 12. sont de douze
livres de bales , 14. de 18. livres, 14. de
6000. Boulets.
24.et
Les Lettres de Genes portent que plusieurs
Familles de la Bastia , Capitale de l'Isle de Corse,
s'étoient sauvées dans l'Ile de Capraia avec leurs
meilleurs Effers ,pour se soustraire à a fureur des
Rebelles, qui ayant repris les armes , s'étoient emparez
de Feringoli , Poste avantageux , situé près
de la Bastia ; qu'ils avoient brulé le Bourg d'Araliola
, qu'ils avoient surpris la petite Ville de
San Fiorenzo , et menacé le Commandant de la
Tour de cette Ville , de faire mourir sa mere et
sa niece , arrêtées dans la Ville , s'il ne se rendoit
dans un certain temps.
On écrit de Turin , que le Roi de Sardaigne
a fait arrêter et conduire au Chateau de Miolans,
le Comte de Sales , qu'on accuse d'avoir parle
trop indiscretement des differends de la Cour avec
le Saint Siege.
LEFTRE écrite de Turin le 19. May ,
par M. L. D.
Α
LA partque vous prenez aux progrès de la
Scene Françoise , Monsieur , me fait esperer
que vous recevrez avec plaisir la Lettre que j'ai
l'honneur de vous écrire , et que vous aurez la
bonté d'en faire usage dans le Mercure de ce mois.
Nous avons à Turin une Troupe de Comédiens
François , recommandable par le choix et par
le nombre des Acteurs et des Actrices qui
a composent cette Troupe a é é demandée
pour la troisiéme fois dans cette Cour ; clie
y est goutée plus que jamais , et notre Noblesse
voit avec plaisir représenter les Chefs - d'oeuvres
qu'elle a admirez autrefois en les lisant. Le Roi
Hv les
1168 MERCURE DE FRANCE
les honore très -souvent de sa presence au Théatre
du Prince de Carignan , et l'on a fait construire
un Théatre magnifique dans les Appartemens
du Palais , pour en donner le divertissement
à la Reine , à qui ils ont eu le bonheur de plaire .
Ils y représentent deux fois la semaine , et Sa
Majesté n'a cessé de les voir que par son heureux
accouchement d'un Prince , qui nâquit Jeu
dy 17. May ; il fut nommé le lendemain sur les
Fonts , joseph- Charles- Emmanuel , par le Prince
Louis de Carignan , et par la Princesse sa:
soeur. Nos Comédiens , pour marquer la partqu'ils
prennent au bonheur public , donnent aujourd'hui
19. la Comedie gratis . J'ai l'honneur:
d'être , &c..
Ν
ESPAGNE
ON apprend de Seville , que M. Kéene , Ministre
du Roy d'Angleterre , a. remis aux
Ministres du Roi la copie du Traité conclu à Vienne
entre l'Empereur et S.M. Britanique;qu'il y a eu
à ce sujet plusieurs Conferences des Ministres,dans
le Cabinet du Roi, et que
le bruit court que S.M.
a refusé jusqu'à present d'y prendre part .
HOLLANDE ET PAYS- BAS.
Ans la derniere Vente de la Compagnie d'Os
tende , le meilleur Thé s'y est vendu depuis .
42 sols jusqu'à 47. et le moindre depuis 30. jusqu'à
40. sols la livre ; tout le Thé a été vendu ,
ainsi que la plus grande partie des autres Marchandises
de la même Compagnie , dont les Actions
sont tombées à 104 .
Le 29. du mois dernier , vers les 9. heures du
sair , le Duc de Lorraine arriva à Bruxelles in-
Goo
MAÝ. 1731. 1169
cognito , sous le nom de Comte de Blamont. Ce
Prince qui avoit été reçû hors la Porte par le
Comte de Visconty , Grand-Maître de la Maison
de l'Archiduchesse Gouvernante , alla descendre
à l'Hôtel de Salazar , que cette Princesse lui avoit
fait préparer. Le lendemain matin , il alla rendre
visite à l'Archiduchesse , et ensuite dîner chez le
Comte de Visconti.
Dona Therese de Castro , soeur de Don Rhuy de
Figuereido, d'Alacaon , Seigneur d'Ota , cy- devant
Gouverneur des Armes dans la Province de
Beyra , et de Don Manuel de Souza - Figuereido,
qui alla aux Indes en 1612, est morte depuis peu
a Lisbone, dans le Monastere de sainte Monique,
âgée de 120. ans accomplis.
MORTS DES PAYS ETRANGERS:
Maivier Cromwel , mourut à Londres le 19.
adile Elizabeth Cromwel , petite fille d'Os
Avril , âgée de 82 , ans.
C
Le Duc de Saxe Mersbourg , est mort à Colo→
gne sans enfans , dans la 44 année de son âge.
Le Duc Spremberg , qui lui succede , a déja pris
possession de ses Etats.
おののの
FRANCE
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c..
E Roi a accordé le Gouvernement
Lde la Ville de S. Quentin , vacant
par la mort de M. de Montesson , à M. de
Billarderie , Maréchal des Camps ,
Hvj Come
1170 MERCURE DE FRANCE
Commandeur de l'Ordre Royal et Militaire
de S. Louis , et Major des Gardes
du Corps ; et le Gouvernement des Ports
et Fort de Brescou , qu'il à remis , a été
donné par S. M.au Chevalier de Montesson
, Lieutenant des Gardes du Corps.
Le Comte de Berenger , Colonel réfromé
d'Infanterie , a été nommé Colonel du
Régiment de Vivarais , et S. M. a accordé
au Comte de la Suze , Grand - Maréchal
des Logis , l'agrément du Régiment de
Dragons , dont le Comte de Sommery ,
étoit Mestre de Camp .
Le Roi a fait expédier un Brevet à
l'Archevêque de Rouen , Directeur des
Economats , pour l'autoriser à retirer pendant
six ans , les revenus de l'Abbaye vaconte
de Fécamp , pour les employer aux
réparations du College de Navarre et des
maisons qui en dépendent.
Le 7. Avril , M. l'Archevêque de Paris
donna un Mandement qui ordonne des
des Prieres pour la conservation des biens
de la terre , en voici la teneur :
CHARLES-GASPARD -GUILLAUME , &c.'
Dans la crainte qu'une longue secheresse ne
nuisit aux Fruits de la Terre , et que nous n'eussions
la douleur de voir augmenter la misere des
Pauvres , qui doivent être le premier objet de
notre charité , nous nous sommes addressez à
celui
MAY. 1731 1171
"
celui qui dispense à son gré les biens et les maux,
l'abondance et la sterilité , et nous avons ordonné
à tous les Prêtres de notie Diocèse de réciter
à la Messe la Collecte inserée dans le Missel ,
pour demander à Dieu la pluye dont nos Campagnes
ont besoin. Nous voyons avec consolation
que le Seigneur , sensible à nos Prieres , commence
à les exaucer , et c'est ce qui doit nous engager
à les redoubler avec autant de ferveur que
de confiance , pour conjurer le Pere des misericordes
, d'ouvrir ses trésors et de répandre sur
la Terre ces rosées de benediction , d'où dépend
la fécondité . Implorons l'intercession de nos
saints Patrons , si puissante auprès de Dieu , et
dont nous avons tant de fois éprouvé les salutaires
effers ; mais souvenons- nous que ce sont nos pe-
*
chez qui arrêtent le cours des graces et des bienfaits
de Dieu , que c'est parce que nous l'irritons
continuellement par nos desordres , que selon ses
menaces , le Ciel devient d'airain , et la Terre
de fer. Appaisons donc sa colere , par une conversion
sincere , par nos gémissemens et par nos
larmes ; que les Prêtres et les Ministres sacrez ,
prosternez entre le Vestibule et l'Autel , prient le
Seigneur de pardonner à son Peuple , et que les
Pécheurs penetrez du plus amer regret de leurs
fautes , s'efforcent d'en obtenir le pardon par de
dignes fruits de pénitence.
A ces causes , après en avoir conferé avec nos
venerables Freres les Doyen , Chanoines et Cha-
* Deut. 28. 12. Aperiet Dominus thesaurum
suum optimum , Coelum , ut tribuat pluviam
terra tua in tempore suo.
* Deuter. 28. 23. Sit calum , quod supra te
est , aneum ; et terra , quam calcas , ferrea.
pitre
1172 MERCURE DE FRANCE
pitre de notre Eglise Métropolitaine , ayant égard
à la priere des premiers Magistrats , nous ordonnons
que dans toutes les Eglises de cette Ville et de
ce Diocèse, outre la Collecte intitulée , Ad petendam
pluviam , on dise à l'issue de la principale
Messe le Trait , Domine , non secundùm , &c.
avec le Verset , Ostende nobis , &c. et l'Oraison
Effunde , &c. Et à l'issue des Vêpres les Litanies
des Saints pendant neuf jours , à compter du jour
de la réception de notre present Mandement. Exhortons
le Clergé et le Peuple de visiter , soit en
Procession, soit en particulier , l'Eglise de Notre-
Dame et celle de sainte Geneviève du Mont , Ou
les Châsses de S. Marcel et de cette Sainte seront
découvertes pour exciter la ferveur et la confiance
des Fideles . Afin que tout se fasse avec ordre ,,
et sans interrompre le service de ces Eglises , les
Curez et autres Superieurs conviendront avec
nosdits Venerables Freres de notre Eglise Métropolitaine
, et les Sieur Abbé , Prieur et Religieux
de sainte Geneviève du Mont , des jours et heures,
ausquels chaque Procession pourra se rendre,,
aprés la Fête de l'Ascension , dans lesdites Eglises.
Si vous mandons , &c.
Le 24. Avril , le Prévôt des Marchands
et Echevins , à la tête du Corps de Ville ,
précedez des Gens du Roi , se rendirent
à la Grand'Chambre du Parlement , pour
demander à la Cour un Arrêt pour découvrir
totalement la Châsse de sainte
Genevieve , pour obtenir de la pluye
par son intercession ; l'Arrêt fut rendu
sur le champ , et la Châsse découverte à
six
MAY. 1731. 1573
six heures du soir avec les ceremonies
accoutumées ; depuis ce tems - là on a vû
continuellement des Processions de la
Ville , des Fauxbourgs et de la Campagne
, aller à l'Eglise de sainte Geneviève..
Le 29. Avril , le Marquis d'Antin ,
Petit- fils du Duc d'Antin , fils de la
Comtesse de Toulouze , et frere du Duc
d'Epernon , Capitaine de Vaisseau , prêta
serment de fidelité entre les mains du
Roi , pour la Charge de Vice- Amiral du
Ponant , vacante par la démission volontaire
du Maréchal Duc d'Estrées , auquel
S. M. a conservé les fonctions de cette
Charge pendant dix ans. Ce jeune Selgneur
partit d'ici le 6. de ce mois pour
s'aller embarquer à Toulon , sur l'Esca--
dre commandée par M. du Gué Trouin ,,
Lieutenant General , qui doit mettre en
Mer vers la fin du mois pour aller sur
les Côtes de Barbarie , dans toutes les
Echelles du Levant , &c.
Le premier May , les Hautbois de la
Chambre du Roy joüerent au levé de :
Sa Majesté , plusieurs airs de Symphonie
de M. de Lully , et les 24. Violons
de la Chambre donnerent au diné du Roy
une suite de symphonie de la composition
de
1174 MERCURE DE FRANCE
de M. Destouches Sur Intendant de la
Musique du Roy en Semestre , dont l'execution
fût trés brillante .
Le s . il y eût Concert à Marly , on y
chanta les deux derniers Actes de l'Opera'd'Atys.
Le 7 , on chanta devant la Reyne le
Prologue du Balet des Stratagêmes de
l'Amour , dont les vers sont de M. Roy ,
et la Musique de M. Destouches . Ce Prologue
, fait à l'occasion du mariage de L.
M. fut chanté par la Dile. Lenner qui fit
le Rôle de la Prétresse de la Gloire , avec
tout le succès qu'on en pouvoit attendre ,
les Choeur et les Symphonies firent le
même plaisir.
Le 16 , on chanta devant la Reyne la
premiere Entrée du même Balet , intitulée
Scamandre , dont le Rôle fût rempli
par le sieur d'Angerville , et celui de-
Callirée par la Die Barbier , ces deux sujets
rendirent ccs Caractéres avec beaud'Art.
coup
·
Le 19 , on donna la seconde Entrée ,
qui a pour titre les Abderites , le sieur
Guedon y chinta le Rôle de Timante , le
sieurLe Prince celuy d'Iphis , et la Dlle
Couvassier c lui d'Irene , dans lequelelle
plût infiniment.
Le 21 , on finit le Balet par la troisiéme
MAY. 1735. 1175
me Entrée intitulée la Fête de Philotis ; la
Die Lenner et le sieur d'Argervile chanterent
les Rôles d'Albine et d'Emile au
contentement de la Reyne et de toute la
Cour , et le sieur Le Prince fit le Rôle de
Lycas , avec autant de précision que de
legereté .
Le 3. jour Fêre de l'Ascension , et le 1 3 .
Fête de la Pentecôte , il y eût Concert spirituel
au Château des Thuilleries ; on y
chanta differents Motets de M. de la Lande
qui furent parfaitement bien executés,
de même que d'autres petits Motets à une
et deux voix de differents Auteurs.
Le 24 , jour de la Fête- Dieu , on chanta
Exaltabo te Deus , Motet de M. de la
Lande , et Venite exultemus , du sieur du
Bous et. Les Diles. Erremens et Lenner ,
chanterent O Sacrum convivium , Motet
de M. Mouret , qui fût trés aplaudi , de
même qu'un autre petit Motet de M. le
Maire , chanté par la Dlle . Petit- pas ; ce
dernier Concert fût terminé par le Te
Deum de M. de la Lande ,avec Timballes
et Trompettes , précedé d'une trés belle
Symphonie.
Le 8. de ce mois , les Officiers des Gardes
du Corps allerent par la premiere fois
prendre l'Ordre de M. le Dauphin , en
l'absence du Roy.
Le
1176 MERCURE DE FRANCE
Le Roy a accordé à M. le Comte de
Guiry , cy- devant Exempt des Gardes du
Corps de Sa Majesté, un Brevet de retenuë
de scooo. I. sur la Lieutenance Generale de
la Province d'Aunix , dont ce Seigneur
fût pourvu aprés la mort de son Pere ,
arrivée à Clagny prés Versailles , le 17.
Juin 1711. aussi bien que du Gouvernement
des Tours , Ports , Havres et Chitnes
de la Rochelle , et ce en faveur de
Madame la Comtesse de Guiry née à Malésieux
, Dame d'Honneur de Son A. S.
Mademoiselle du Maine , réversible à
Mademoiselle de Guiry leur fille ,àprésent
unique , dont l'aînée morte en 1725 avoit
épousé M. Eugêne Pierre De Surbeck
Colonel commandant la Génerale des
Suisses et Grisons , dont le Pere est mort
Lieutenant General des Armées du Roy ,
Colonel du Régiment de son nom , et
Inspecteur d'Infanterie .
même
La Maison de Guiry a l'avantage d'être
alliée à plusieurs Maisons illustres ,
à celle de France , puisqu'en 1525. Philippe
de Guiry épousa Marguerite de Dreux,
fille de François de Dreux , Seigneur de
Morainville , Estalleville , issuë par plusieurs
degrés du Roy Louis le Gros un
des Ancêtres de M. de Guiry , fut donné
en ôtage pour le Roy Jean , aprés la Bataille
MAY. 1731. 1177
2
taille de Poitiers ; et en remontant plus
haut , on a trouvé une Mabille de Guiry ,
qui en 1243. donna à l'Abbaïe du Trésor
, prés Magni , le Quint de ses Propres
, ce qui fut confirmé par la Reine
Blanche et par le Roy S. Louis , par lettre
donnée à Vincenne en Juillet de ladite
année.
Quant à Made de Guiry , on fait son
éloge quand on dit qu'elle est de la Maison
de Malésieux , où le merite et la vertu
sont heréditaires .
Le 9. aprés mydi , le Roy se rendit du
Château de Marly à la Plaine des Sablons ,
où S. M, fit la revue des Regimens des
Girdes Françoises et Suisses , qui aprés
avoir fait l'Exercice , défilerent devant
le Roy. La Reine se trouva à cette revuë ,
et S. M. alla ensuite se promener au Cours.
Le to. May le Procez du Comte d'Agenois
fut jugé à la Grand'Chambre , l'Arrêt
porte que sans s'arrêter aux opositions
des 22. Ducs et Pairs de France , il sera
passé outre à la réception du Comte
d'Agenois en la dignité de Duc d'Aiguillon
, Pair de France , pour avoir rang et
stance au Parlement du jour de sa réception
, suivant l'Article 3. de l'Edit de
17 11. Dépens compensés.
Le
1178 MERCURE DE FRANCE
Le 13. jour de la Pentecôre ,. le; Che
valiers , Commandeurs et Officiers des
Ordres du Roy , s'étant , rendus vers les
onze heures dins le Cabinet de S. M.
le Roy tint un Chapitre dans lequel le
Duc de Duras et le Comte de Broglie qui
avoit été compris dans la promotion des
Chevaliers de l'Ordre du S. Esprit , proposés
par S. M. le 1. du mois de Janvier
dernier , furent admis , ainsi que le Comte
de Rottembourg , auquel S. M. a ordonné
qu'on envoya la Croix et le Cordon
bleu. Le Chapitre étant fini , le Duc de
Duras , le Comte de Broglie et le Marquis
de la Fare qui avoient été admis dans
le Chapitre tenu le 2 , de Fevrier dernier ,
s'étant rendus dans l'appartement du Roy
en habit, de Novices , furent introduits
dans le Cabinet , où S. M. les fit Chevaliers
de l'Ordre de S. Michel. Le Roy
sortit ensuite de son appartement pour
aller à la Chapelle du Château. S. M.
étoit précedée du Duc d'Orleans , du
Duc de Bourbon , du Comte de Charolois
, du Duc du Maine , du Prince de
Dombes , du Comte d'Eu , du Comte de
Toulouse , et des Chevaliers , Commandeurs
et Officiers de l'Ordre : les Novices
marchoient entre les Chevaliers et les
Officiers. Le Roy devant lequel les deux
Huissiers
MAY. 1731. 1179
Huissiers de la Chambre portoient leurs
Masses , étoit en manteau , le Collier de
l'Ordre par dessus , ainsi. que les Chevaliers
; et le Cardinal de Bissy , Prelat Commandeur
de l'Ordre du S. Esprit , marchoit
derriere S. M. Le Roy assista à la
Grande Messe , et lorsqu'elle fut finie ,.
S. M. quitta son Prie Dieu et monta à son
Trône auprés de l'Autel , où les trois nonveaux
Chevaliers furent réçûs avec les
Ceremonie; ordinaires , ayant pour Parrains
le Duc de Levy e le Marquis de
Brancas. Les Chevaliers qui venoient
d'être reçus , ayant pris leurs places suivant
leur rang , le Roy sortit de la Chipelle
, et fut réconduit dans son appartement
avec les Ceremonics accoutumées.
les La Reine qui avoit communié par
mains du Cardinal de Fleury , son Grand
Aumônier , se rendit avec les Dames de
Sa Cour dans la Tribune , où S. M. entendit
la Grande Messe .
,
L'aprés mydi , le Roy et la Reine accompagnés
du Duc d'Orleans , du Prince
de Conty , du Duc du Maine , du Prince
de Dombe , du Comte d'Eu et du Comte
de Toulouse , entendirent le Sermon
l'Abbé Causse , et ensuite les Vêpres.
Le14 le Roy révêtu du grand Collier de
FOrdre du S. Esprit , se rendit à la Chapelle
180 MERCURE DE FRANCE
pelle du Château , où S. M. entendit la
Messe et communia par les mains de l'Abbé
de Bellefons , Aumônier du Roy en
quartier. Ensuite le Roy toucha un grand
nombre de Malades.
Le jour de la Fête Dieu , le Roy accompagné
du Duc d'Orleans , du Prince de
Dombes , du Comté d'Eu , et de ses
Principaux Officiers , se rendit à l'Eglise
de la Paroisse de Versailles , où S. M. entendit
la Grande Messe , aprés avoir assisté
à la Procession qui vint suivant l'usage
à la Chapelle du Château . La Reine s'étoit
renduë å sa Tribune , avant que la Procession
arrivat , et S. M. y entendit la
Messe. Monseigneur le Dauphin , Monseigneur
le Duc d'Anjou , et Mesdames de
France , aprés avoir vû passer la Procession
, allerent à la Chapelle , où ils assisterent
à la Messe.
Le17. aprés mydi , le Roy fit au champ
de Mars prés du Château de Marly , la
revue des quatre Compagnies des Gardes
du Corps et de celle des Grenadiers à
cheval.
Le 22. le Duc de Bouflers prêta serment
prit séance au Parlement en qualité de
Pair de France.
Le 25. la Loterie de la Compagnie des
Indes , pour le remboursement des Actions
MAY. 1731 . 1181
tions ,fut tirée en la maniere accoutumée ,
à l'Hôtel de la Compagnie. La Liste des
Numeros gagnans des Actions , et dixiémes
d'Actions qui doivent être remboursées
, a été renduë publique ; faisant en
tout le nombre de 294. Actions.
L'Hyver qui a été assez rude cette année
, n'a point encore fait place à la belle
Saison , le vent du Nord régne toûjours ,
et presque point de puye dépuis trés
longtemps , ce qui et géneral dans toute
PEurope ; on se plaint par tout du grand
froid de l'Hyver , et de la longue secheresse.
On écrit de Milan qu'elle y étoit
si grande au commencement du mois dernier
, qu'on n'en avoit jamais vû de pareille
au plus fort de l'Eté , tout paroissant
brûlé à la Campagne comme dans
l'ardeur de la Canicule.
****************
A MADAME LA DUCHESSE DE ..
Qui avoit demandé pour le jour de l'An des
Vers à M. d'Hautefeuille.
Q
Uels Charmes ont pour vous les Vers d'un
malheureux ?
Accablé sous le poids d'une longue disgrace ,
Sa
1182 MERCURE DE FRANCE
>
Sa Muse ne peut plus s'expliquer avec grace ;
Il ne lui reste que des voeux .
M
Qu'est- ce aujourd'hui parmi les Hommes
?
Ce mot de voeu n'est plus qu'un mot,
s'il est impuissant dans le Siécle où nous sommis
,
Son impuissance est un défaut.
Mais vous ne pensés pas de même.
Avec un goût certain , un vrai discernement,
Que donne la Vertu qu'on aime
On pense bien differemment;
On sort de la route vulgaire
Du Dieu de l'interêt on méconnoît l'Autel.
Et le plus malheureux Mortel
Quand il a du mérite a celui de nous plaire.
On l'aime ... on rend l'espoir à son coeur abbatu
,
La disgrace par tout porte le fruit du crime ,
Et la sienne pour lui nous donne de l'estime :
Il est heureux pour nous s'il a de la vertu.
Muse chagrine arrête, et vois où tu m'entraînes;
Remplis mieux mes intentions?
Et songe un peu que des Etrennes
Ne sont pas des Réflexions ?
'Arrête ? on sçait ton zéle , on louera ton silence.
Mais sentir et se taire est un trop grand effort.
Le
MAY. 1731. 1183
Le respect n'y peut rien , le Coeur est le plus fort
Quand il est plein d'estime et de reconnoissance.
M. de Vauban dont nous avons annoncé
la mort dans le Mercure d'Avril , a été
inhumé dans l'Eglise des Capucins de
Bethune. On lit cette Epitaphe , gravée
sur un beau marbre blanc. Les Armes de
Vauban sont en haut.
CY GIT
Haut et Puissant Seigneur , Messire
Antoine le Prêtre de Vauban , Lieutenant
Général des Armées du Roy , Ingénieur-
Géneral , Directeur des Fortifications des
Places d'Artois , Gouverneur des Ville et
Château de Bethune .
Digne neveu , digne Disciple du Maréchal
de Vauban !
Elevé successivement à tous les Grades Militaires
;
Toujours mérites , toûjours remplis avec distinction.
D'un génie superieur pour les fortifications ,
l'attaque , et la déffense des Places:
Modele des Ingenieurs dans la déffense de
*
Bethune.
Prompt , exact et intrepide , quand il a obei :
I Vigilant ,
1184 MERCURE DE FRANCE
Vigilant , plein de resources et de fermeté ,
quand il a commandé.
Courtisan seulement par ses services .
Cytoyen dans toutes ses vuës ;
Utile à la patrie dans ces emplois ,
Utile aux particuliers dans sa vie privée ;
To jours estimé , toûjours aimé,
Et toujours d'autant plus qu'il étoit vû de
plus prés.
Il mourut plein de jours et d'honneurs , en
homme qui n'avoit jamais craint que Dieu ;
plein de resignation à ses ordres et de confiance
en sa bonté, le 10. Avril l'an de grace 173 I.
et de son âge le soixante et dix - septième .
Quoy qu'il soit déffendu aux Capucins
d'enterrer qui que ce soit dans leur
Eglise , sans la permission du Géneral
le Pere Gardien , par reconnoissance ,
et par devoir , s'est soustrait dans cette
occasion , à la régle génerale. La Ville de
Bethune , voulut rendre à l'illustre Mort
qui avoit été Gouverneur de cette Place
pendant 28. ans tous les honneurs imaginables.
Le Chapitre de la Collegiale , le
Bailliage et le Magistrat , assisterent en
corps au Convoy , en crêpes , avec des
flambeaux , de même que tous les Officiers
des Régiments de Mailly , Infanterie , et
Dragons
MAY. 1731. 1185
Dragons d'Orleans , qui composoient la
Garnison , et ceux de Royal Italien , et
d'un Bataillon de Piémont , qui se trouverent
y avoir séjour: les coins du Poële
étoient portés par les principaux Officiers,
toute la Garnison étant sous les Armes ,
les Tambours ayant leurs caisses couvertes
de crêpes , toute la Noblesse et la Bourgeoisie
à la suite du Clergé. La Cerémoniè
fût terminée par une décharge du Canon
des remparts et par trois décharges de
Mousqueterie . Un Service solemnel fûr
celébré le lendemain dans l'Eglise de saint
Barthelemy , Paroisse du Déffunt.
Portez d'inclination à celébrer le mérite
distingué et les Grands Hommes en genéral
,et le nom de Vauban en particulier, nous
allons insérer ici en leur entier des Lettres
Patentes qui nous sont heureusement
tombées entre les mains , aussi dignes de
la curiosité du Public , que propres à
illustrer la posterité de M. de Vauban.
Lo
OUIS , par la de Dieu , Roy de France
grace
et de Navarre : A tous présens et à venir :
Salut. Le témoignage
le plus certain que nous
puissions donner de notre Justice et de notre esti
me à ceux de nos Sujets,dont les services ont fair
connoître la vertu , est de leur accorder des mar
ques d'honneur qui puissent passer à leur posterité
; ces récompenses
servent à soûtenir le plus
I ij
1.4
1185 MERCURE DE FRANCE.
solide éclat des familles, ' en remettant devant les
yeux des descendans ceux qui les ont méritez, les
exemples des belles actions de leurs peres ; ce qui
animé le zéle de plusieurs Sujets à continuer la
longue suite des services de leurs Auteurs , qui
ont exposez leur vie au service du Prince ; et nous
le remarquons particulierement en la personne de
notre cher et amé Antoine le Prêtre de Vauban
Lieutenant General de nos Armées, Grand Croix
de l'Ordre militaire de S. Louis , Gouverneur de
notre Ville et Château de Béthune , Ingénieur
general , ayant la direction des Places de notre
Province d'Artois , qui sert depuis cinquantedeux
ans , et s'est trouvé à 44 Siéges , d'attaques
Du défenses de Places , Villes , Citadelles ou Châteaux
, et dans un grand nombre d'actions , où il
a reçu en divers temps , seize blessures considérables.
Il servit à la défense de Lille , en 1708.
Il défendit en chef son Gouvernement de Bethu
ne , en 1710. ou contre l'attente des ennemis
aussi-bien que des François , il tint 42 jours de
tranchée ouverte ; et en 1714 il fut choisi par le
feu Roy , notre Bisayeul , et par notre cher Frere
et Oncle le Roy d'Espagne , pour faire en chef
fe Siége de Barcelonne , sous les ordres de notre
Cousin le Maréchal de Bervick.Dans toute cette
longue suite de service il a suivi les exemples de
notre cher et bien amé Cousin Sébastien le Prêtre
, Maréchal de Vauban , son oncle , issu de la
branche cadette de sa Maison, qui a servi pendant
plus de soixante ans , d'une guerre presque contimuelle
, réiinissant en sa personne les talens du
Cabinet dans la paix , avec la valeur et la capacité
dans la Guerre ; ce qui auroit engagé notre
Bisayeul de l'élever à la Dignité de Maréchal de
France , et de Chevalier de nos Ordres; Dignitez
qui
ΜΑΥ. 1731 1187
qui sont le comble des honneurs de la Noblesse
de France ; et étant informé que ledit sieur de
Vauban , du chef de Dame Anne - Henriette de
Busseul son Epouse , fille unique et héritiere du
sieur Comte de S. Sernin , d'une des plus ancienne
Maison de notre Province de Bourgogne , qui
étoit illustre dès le regne de l'Empereur Othon
et de Hugues Capet, qui s'est toujours soûtenue
par ses services , possede la Terre et Seigneurie
de S. Sernin , située dans le Mâconois , dans .la
quelle il a tout droit de Justice , Haute, Moyen-,
ne et Basse , s'étendant en plusieurs Paroisses
ayant titre de Baronie depuis plus de deux cens
ans , et qu'il possede la Terre et Seigneurie de
Boyer qui y est joignante et contigué , dans laquelle
il a aussi tout droit de Justice , relevant de .
Nous , à cause de notre Duché de Bourgogne , à
cause de laquelle il a droit de séance aux Etats de
ladite Province , et dans laquelle il a deux beaux
Châteaux , plus de 500 arpens de Bois ; tout droit
de Cens et Rentes Nobles, servies en argent et en
grains , droits de Lots et Ventes , et de Retrait et
Retenue aux Mutations , Corvées d'Hommes et
de Bestiaux , droits de Guets et Gardes , et tous
autres droits utiles et honorifiques, Chasse, Pêche,
dans laquelle la plupart des habitans sont tailliables
, et de main morte, ayant seul droit d'y vendre
et d'y faire vendre du Vin pendant le mois de
Juillet de chaque année ; et qu'il est Engagiste du,
droit d'Aide , dans l'étenduë de ladite Paroisse de
S. Sernin , plusieurs Fermes , Terres , Vignes ,
Bois et autres héritages qui composent un reve
nu considérable et capable de porter le Titre de
Comté, qu'il nous a très-humblement supplié de
lui accorder sous le nom de Comté de Vauban
que ladite Terre portera à l'avenir,au lieu de ce-
I iij lui
1188 MERCURE DE FRANCE
lui de S. Sernin . A ces causes , voulant donner
audit sieur de Vauban des marques de notre
bienveillance par un Titre d'honneur qui puisse
faire connoître à la posterité l'estime que nous
faisons de sa personne , en considération de ses
longs services, et de ceux de notre Cousin le Maréchal
de Vauban son Oncle , pour animer ses
descendans : de l'avis de notre Conseil , Nous
avons changé et commué , changeons et commuons
ledit nom de S. Sernin , qu'a porté cydevant
ladite Terre , en celui de Vanban , et à la◄
quelle Nous avons joint et uni , annexé et incor
poré, et par ces Présentes , signées de notre main,
joignons , unissons , annéxons et incorporons sa
dite Terre et Seigneurie de Boyer , avec ses reve-
-nus et droits , circonstances et dépendances ,pour
ne composer à l'avenir qu'une seule même Terre
et Seigneurie ; laquelle nous avons de notre grace
spéciable , pleine puissance et autorité Royale,
créé, érigé , élevé et décoré ; créons , érigeons,
élevons et décorons par ces Présentes , à nom ,
titre , dignitez et prééminence de Comté , sous
la dénomination du Comté de Vauban , pour en
jouir par ledit s Antoine le Prêtre de Vauban,ses
enfans et posterité mále, nez et à naître en légitime
mariage , audit nom , titre et dignité de Comté :
Voulons et Nous plaît qu'ils puissent se nommer
et qualifier Comtes de Vauban en tous Actes, tanɛ
en jugement que dehors , et qu'ils jouissent de
pareils honneurs , droits d'Armes , Blasons , Autoritez
, Prérogatives , Prééminences en fait de
Guerre , Assemblées d'Etat , de Noblesse et autrement
, tout ainsi que les autres Comtes de notre
Royaume et Province de Bourgogne , encore
qu'il ne soit icy particulierement exprimé ; que
sous les Vassaux , arriere-Vassaux , et autres tenans
MAY. 1731. 1189
hans noblement et en roture dudit Comté de
Vauban , le reconnoiss nt pour Comte , fassent
Jeur toy et hommage , baillent leurs aveux et dénombremens
, et déclarations , le cas y échêant ;
sous le même nom et Ture de Comré de Vauban;
et que les Officiers exerçans la Justice de ladite
Terre , intitulent leurs Sentences et Jugemens
sous le même nom et Titre de Comté de Vau→
ban , et scellent leurs Sentences et jugemens du
sceau de ses Armes , sans toutefois aucune muta
tion ni changement de mouvance , ni de ressort ,
ni contrevenir aux cas Royaux dont la Jurisdic-
.tion appartient à nos Baillifs et Sénéchaux , ni
que pour raison de la prés nte union , érection et
changement de nom et Titre , leait sicur Comte
de Vauban , ses enfans et descendans soient tenus
envers Nous , ni leurs Vassaux et Tenanciers envers
eux , à autres , ni plus grands droits que
ceux qu'ils doivent à présent , à la charge de
relever de Nous , à une seule foy et hommage
à cause de notre Duché de Bourgogne, avec mèmes
droits et devoirs accoutumez , sans aussi déroger
ni préjudicier aux droits et devoirs si aucuns
sont dûs à autres qu'à Nous , ni qu'à défaut
d'hoirs mâles , nez en légitime mariage , nous
puissions ni nos successeurs Rois , prétendre lad .
Terre être réunie à notie Domaine , en vertu de
l'Edit de 1566. auquel Edit et autres précédens
et subsequens , des années 1981. et 1582. Nous
avons dérogé et dérogeons ; mais en ce cas ou
celui de la désunion des Terres unies par ces Présentes
, elles retourneront en leur premier état et
Titre. Si donnons en mandement à nos amez et
féaux Conseillers , les Gens tenans nos Cours de
Parlement de Paris , Chambre de nos Comptes à
Dijon , Présidens , Trésoriers de France au Bu-
Liuj reau
1190 MERCURE DE FRANCE
reau de nos Finances à Dijon , Baillif du Mâconnois
ou son Lieutenant General,et autres nos Officiers
qu'il appartiendra , que ces Présentes, nos
Lettres d'erection , ils ayent à faire enregistrer ,
lire et publier , garder et observer , et de tout le
contenu en icelles jouir et user ledit sieur Antoime
le Prêtre de Vauban , ses heritiers et successeurs
mâles ; ensemble les Vassaux relevant dudit
Comté; cessant et faisant cesser tout troubles et
empêchemens contraires . Car tel est notre plaisir,
nonobstant tous Edits et Ordonnances,même celle
du mois de Juillet 1666. et auttes,portant réünion
à notre Domaine , des Duchez , Comtez ,
Marquisats et autres Dignitez , à défaut d'hoirs
males , Statuts, Arrêts,Constitutions , Coûtumes,
Mandemens. Restrictions et défenses au contraire
, ausquelles ensemble aux dérogatoires , y contenues:
Nous avons dérogé et dérogeons ; et afin
que ce soit chose ferme et stable à toujours,Nous
avons fait mettre notre Scel à cesdites Présentes.
Donné à Chantilly , au mois d'Aoust , l'an de
grace 1725. en de notre Regne le dixiéme.
Signé LOUIS. Et plus bas : Par le Roy ,
PHELIPPIAUX.
A MADEMOISELLE C****
Sur la Mort de sa Chienne.
LA douceur , la beauté , l'agréable jeunesse ,
Ne peuvent point fléchir la Mort ,
Rien ne touche cette tigresse
Zerbinette a fini son sort.
E
11
T
P
C
Su
La
Si
Cro
Un seule fois en sa vie ,
De
ZerMAY.
1731. \ 1191
Zerbinette éprouva l'amoureuse chaleur ,
Cette foiblesse fut suivie ,
De la plus amere douleur.
Le souvenir des maux que lui causa Lucine ,
De son coeur allarmé devint la guérison ,
Helas ! qu'il est d'Iris dont la foible raison ,
Ne vaut pas l'instint de Zerbine.
De vous aimer elle fit son étude
Sortez- vous , son inquiétude
Découvroit son attachement ,
Tout ce qui vous plaisoit avoit droit de lui plaire,
Et. les effets de sa colere ,
Tomboient sur l'importun, et jamais sur l'Amant.
Certain Toutou pouroit bien nous le dire ,
Il fut toujours en butte à son courroux ,
Tandis qu'un Levrier , beau parleur et beau Sire ,
Pouvoit, sans le choquer, se mettre à vos genoux.
Combien de fois d'une façon folâtre ,
Sur un sein plus blanc que l'albâtre ,
La friponne se chamailla ,
Si pour un seul baiser elle en recevoit mille ,
Croyez-vous qu'il soit difficile ,
De vous aimer à ce prix - là.
L'Epicier.
I v MORTS
1192 MERCURE DE FRANCE
MORTS , NAISSANCES
L
et Mariages..
E LI. Avril , Pierre Jardin , Laboureur
de Rachecourt , sur Marne , Election
de Joinville , y mourut âgé de cent
ans accomplis .
Dame Marie -Anne d'Espinay de S. Luc,
Epouse de François Marquis de Rochechouart,
décedée le 24. Avril,âgée de 58 .
ans.
Jean Baptiste , Comte de Montesson
Lieutenant General des Armées du Roi ,
Gouverneur de S. Quentin , cy- devant
premier Lieutenant des Gardes du Corps ,
mourut à Paris , le 25. d'Avril , âgé de
85. ans.
Louis - François de la Beaune le Blanc
de la Valliere , Comte de la Valliere , Colonel
du Régiment de Vivarais , fils de
Charles François de la Baume le Blanc de
la Valliere , Duc de la Valliere , Pair de
France, Gouverneur pour le Roi et Grand-
Sénechal de la Province de Bourbonnois ,
Lieutenant General des Armées de S. M.
cy-devant Mestre de Camp General de sa
Cavalerie Legere de France , et Menin de
MesMAY.
r193 1731.
Messeigneurs les Dauphins , fils et petitfils
de Louis XIV. et de Dame Marie-
Therese de Noailles , Duchesse de la Valliere
, Dame du Palais de Madame la Dauphine
, Marie-Adelaide de Savoye , decedé
garçon le 30. Avril , âgé de 21. ans ,
5. mois , 25. jours , étant né le s . Octobre
170 ) .
M. François de la Beuvine , Ecuyer ,
Maréchal des Logis de feu Monsieur
Frere unique du Roi , dicédé le 3. May,
âgé de 88. ans .
M. Ambroise Ferrand , Doyen du Parlement
, mourut à Paris le 3. de ce mois,
dans la 83 ° année de son âge. M. Nau
Conseiller de la cinquième Chambre , à
present de la Grand'Chambre , est aujour
d'hui Doyen du Parlement.
Dame Marie Hyacinte de Levi , Abbesser
de l'Abbaye de N. Dame de Nevers , soeur
du Duc de Levi , mourut le 4. âgée de
44. ans.
M. Etienne Aymon , Ecuyer , Porte-
Manteau du Roy , mourut à Versailles ?
où il servoit son Quartier , le 5. de ce
mois , âgé d'environ 73. ans , generale
ment regretté.
99
Le 9. de ce mois , mourut à l'âge de
48. ans , Dame Louise de Louvecourt
veuve de M. Georges Danes , Maître des
Ivi Com
vj
1194 MERCURE DE FRANCE
Comptes ; elle étoit connue par ses bonnes
oeuvres et par ses grandes aumônes.
Son Mari étoit arriere petit- neveu de
Pierre Danes , Evêque de Lavaur , Ambassadeur
de François I. au Concile de
Trente , Précepteur et Confesseur de
François second , qui s'est rendu celebre
par la répartie vive qu'il fit dans le même
Concile : Utinam ad galli cantum , & c.
Palavicin , dans l'Histoire de ce Concile ,
avoue qu'elle servit comme d'un aiguillon
pour déterminer les Peres du Concile
à travailler sérieusement pour la réfor
mation de la Discipline . On a oüi dire
à Maurice le Tellier , Archevêque de
Rheims , qu'il auroit mieux aimé faire
cette réponse dans le Concile de Trente
que d'être Cardinal.
Jacques Danes , de la même Famille ,
en premier lieu Président de la Cham
bre des Comptes , et Intendant en Languedoc
, puis Evêque de Toulon , Maître
de l'Oratoire du Roi , Conseiller d'Etat
ordinaire , mourut en 1662, en odeur de
sainteté , que l'on prétend avoir été manifestée
par des miracles avérez.
Quoique le nom de cette Famille se
prononce comme ayant un E ouvert , cependant
il s'écrit sans aucun accent , selon
l'ancien usage suivi par les Sçavans , an
ciens.
MA Y. 1731. 1195
ciens et modernes , qui ont parlé de l'Evêque
de Lavaur , lesquels ne sont pas en
petit nombre , c'est l'usage constant dans
la Famille de ce Prélat , à quoi l'on a crâ
devoir se conformer.
Jean Marquis Dacigné , issu des Comtes
de Rennes , qui étoient Cadets des.
Souverains de Bretagne , est mort à Rennes
le 12. May , d'une révolution de
Goutte. Il étoit le dernier de cette ancienne
et illustre Maison : dans sa Branche
on a porté le nom de Marquis de
Carnavalet , jusqu'à l'extinction de la
Branche aînés , dont l'héritiere avoit
épousé feu M. le Duc de Richelieu. Elle
étoit mere de M. le Duc de Richelieu
d'aujourd'hui . Le Marquis d'Acigné avoit
été marié trois fois ; en premieres Nôces
avec l'heritiere de la Maison de la Menseliere
Coëtquin dont il n'a pas eu
d'enfans ; en secondes Nôces , avec la fille
unique du Comte de Langle , et de sa
premiere femme , soeur du Marquis de
Goëtanfão , morte en couche ; et en troisiemes
Nôces , une des filles du Président
de Rochefort , dont il reste une fille unique
, âgée d'environ onze ans.
"
Henry - François de Paule le Febvre
d'Armesson , Conseiller du Roi en sa
Cour de Parlement , décédé le 14. Mars ,
âgé de 24. ans.
F96 MERCURE DE FRANCE
Le 22. M. Jean- Baptiste Bochard , Chevalier
, Seigneur de Sarron , Président en
la premiere Chambre des Enquêtes , est
mort dans la 29 année de son âge.
Dame Marie- Gabrielle le Cirier de Neuchelles
, Epouse de M. Samuel- Jacques le-
Clerc , Chevalier , Seigneur , Marquis de
Juigné , accoucha le 6. May , d'un fils
qui fut tenu sur les Fonts , et nommé
Armand- Louis , par M. Armand - Gabriel,
Marquis de Craon , et par Dme Louise-
Christine Eugenie le Cirier de Neuchelles ,
veuve de M. Charles , Marquis de Brion ..
D. Marie- Anne Cherouvrier des Grassieres
, Epouse de M. Galiot , Maître des
Requêtes , accoucha le 7. d'un fils qui fut
tenu sur les Fonts et nommé Antoine-
Jean par M. Jacques - Antoine Herinx
Prieur de Ligny , et par Dame Jeanne-
Claude Cherouvrier des Grassieres , Epouse
de M. Aubert de Tourny , Maître des
Requêtes.
*
Dame Françoise Louise de Laurans ,
Epouse de M. Louis - François de Laurans,
Comte de Montserin , accoucha le même
jour d'une fille qui fut nommée Louise
Elisabeth , par Christophe de Brague ;
Comte de Loches , et par D. Elizabeth-
Michelle de Givry , Epouse de M. Claude-
Henry
MAY. 1731. 1197
Henry le Pelletier de la Houssaye.
Le 1. May , D. Barbe - Charlotte Aubourg
, Epouse de Guillaume Aubourg
Marquis de Bourg , Conseiller du Roi en
ses Conseils , Gardes des Rolles des Offices
de France , accoucha d'une fille , qui
le sur-lendemain fut tenue sur les Fonts
et nommée Marie- Charlotte , par Charles
Aubourg , Marquis de Boury , Conseiller
du Roi en ses Conseils , Garde
des Rôles des Offices .de France , Ayeul
Paternel , et par D. Marie Poupard , Epou
se de M. François-Nicolas Aubourg , Conseiller
du Roi en ses Conseils , Trésorier
General des Bâtimens du Roi , Ayeule
Maternelle ..
Claude -François - Léonor de S.Maurice,.
Comte de Savigny , &c. épousa le 26.
Avril D. Marie-Thérese- Léonor du Maine
du Bourg.
Le Vicomte d'Epinoy , Mestre de Camp
de Cavalerie , d'une des plus anciennes.
Maisons de la Province de Champagne,
a épousé sur la fin de ce mois D. N ....
de Launoy , fille du Comte de ce nom ..
Le Comte de Lannoy descend des Ayeuls
les plus illustres ; on trouve dans les dif
ferentes Branches de sa Maison un grand
nombre de Seigneurs attachez ou aux
Rois
1198 MERCURE DE FRANCE
Rois de France , ou aux Ducs de Bourgogne
, ou aux Empereurs , ou aux Rois
d'Espagne. On compte de ce nom plusieurs
Chevaliers des Ordres du Roi ,
18. de la Toison d'Or , des Vicerois de:
Navarre et de Naples , des Gouverneurs
Generaux de Génes , de Flandres , de
Hollande , de la Comté de Namur , &c .
sans parler de plusieurs Grands Officiers
de la Couronne, Generaux d'Armées, &c.
Le Comte de Lannoy , avoit épousé
D. N... de Furtemberg , fille d'Antoine
Egon , Landgrave de Furtemberg , Prince
du S. Empire , mort Regent de l'Electorat
de Saxe.
VERS
Envoyez à M. le Président Bouhier ,
de l'Académie Françoise ,
Le jour de sa Fête.
Illustre Favori de Thémis et des Muses ,
Cher Bouhier , reçois mes excuses.
En ce jour solemnel , où chacun à l'envi ,
S'empresse à t'aller rendre hommage ,
Purgon , qui sous ses loix tient mon corps asservi ,
Me prive de cet avantage.
Encor si dans ces Vers , pour bien peindre à tes
yeux ,
Les.
MAY. 1731. 1199
Les divers sentimens qu'ont fait naftre en mon
ame ,
Tes talens , tes vertus , ton accueil gracieux ,
Apollon m'inspiroit sa poëtique flâme !
Mais par un sort fatal en lui ,
Au lieu du Dieu des Vers, qui souvent me domine,
Je ne puis trouver aujourd'hui ,
Que le Dieu de la Medecine. (A)
Je croyois du moins qu'à mon gré ,
Je pourrois recourir aux richesses de Flore ;
Mais ce matin Zéphire ayant peu soupiré ,
Et l'Aurore encor moins pleuré ,
Ils n'ont dans nos Jardins presque rien fait éclore;
Et l'on n'a pupar-tout cueillir que quelques Acurs,
Peu dignes d'être entrelacées ,
Parmi celles que les neuf Soeurs ,
Sur ta tête Sçavante avec art ont placées.
(a) Apollon est le Dieu des Vers et le Dieu
de la Medecine; c'est ce qu'il dit lui-même
dans Ovide , Liv. 1. de ses Métam.
Per me concordant carmina nervis . . ....
Inventum Medicina meum est , opiferque per
orbem ,
Dicor , et herbarum est subjecta potentia nobis.
Par M. Cocquard , Avocat au Parlement
de Dijon .
AR1200
MERCURE DE FRANCE
********************
ARRESTS , DECLARATIONS ,
ORDONNANCES , &c.
ARR
RREST du 13.Février, qui ordonne que
tous Particuliers, gens du commun des Villes
et lieux où les Aydes ont cours, seront sujets aux
Droits de détail comme les Cabaretiers , sur les
Vins et autres Boissons qu'ils consommeront au
de- là de ce qui est nécessaire pour leur provision ,
eû égard à leur état , condition , famille et impositions
à la Taille et Capitation : Et qui attribue
à Messieurs les Intendans la connoissance
des contestations qui pourront naître à ce sujet.
>
ARREST du 13 Mars , portant Reglement
pour la fabrique des Toiles et Etoffes de fil , fil
et coton et tout coton , teints ; par lequel il est
dit ce qui suit : Sur ce qui a été représenté au
Roy , que la fabrique des toiles et étoffes de fil ,
fil et coton , et tout coton , teints , quoique reglée
par Arrêt de son Conseil , du → Aoust 17 1 8.
n'a pû encore être portée à toute la perfection
qu'elle peut naturellement acquerir , parce qu'il
se trouve souvent de la difficulté dans l'exécution
de quelques articles de ce Réglement; et que pour
rendre cette manufacture aussi utile à l'Etat qu'elle
le peut être, il conviendroit de donner une forme
nouvelle audit Réglement, et d'y ajoûter plusieurs
dispositions nécessaires , pour assurer la
bonne qualité des Marchandises y spécifiées , et
en augmenter lé commerce . A quoi S.M. voulant
pourvoir : Elle auroit nommé les sieurs Pomeraye
1
1
1
MAY. 120F
1731 .
raye , Cecile , le Planquais , Desportes , Prié , le
Moyne , Beard et Poret , négocians à Rouen,faisant
commerce desdites toiles et étoffes , pour ,
conjointement avec le sieur Fosse Inspecteur géneral
des Manufactures de toiles , projetter les
Articles qui doivent composer le nouveau Réglement;
ce qui ayant été fait, et les principaux Fabriquans
desdites Marchandises , et les Merciers-
Drapiers ayant été entendus : Vû les observations
des Inspecteurs desdites Manufactures , et celles
que les Syndics de la Chambre du Commerce de
Normandie ont faites sur tout ce qui a été proposé
pour parvenir à faire le Réglement dont il
s'agit , ensemble l'avis du sieur de Gasville , Maî
tre des Requêtes , Intendant et Commissaire départi
pour l'exécution des Ordres de Sa Majesté
dans la Généralité de Rouen , et celui des Députez
du commerce , &c . Ce nouveau Rég.ement
qui contient cinquante articles , a été inseré à la
suite duditArrêt. S M.ordonne aux sieurs Intendans
et Commissaires départis pour l'exécution
de ses Ordres dans les Généralitez de Rouen ,
Caën et Alençon, et dans les autres Provinces du
Royaume , de tenir la main à l'exécution de
l'Arrest , & c.
ORDONNANCE DU ROI , du 2c Mars
Pour fixer le nombre de Congez limitez, qui pourront
être accordez pendant l'Eté , dans chaque
Bataillon et dans chaque Escadron de Cavalerie
ou de Dragons.
ORDONNANCE DE POLICE , du 21 Mars,
Concernant la Jurisdiction de M. le Lieutenant
General de Police , et le droit et possession où il
est de connoître seul de la Marchandise de Foin
pour
1
1202 MERCURE DE FRANCE
pour la provision de Paris, à l'exclusion dés Offciers
du Bureau de l'Hôtel de Ville et de tous autres.
ARREST , du 27 Mars , concernant l'entrée
dans le Royaume par les Bureaux y désignez , et
les visites et marques , tant des Draps et autres
Etoffes de laine , ou fabriquées avec de la laine et
autres matieres, que des Etoffes de soye, ou mêlées
de soye , or et argent, venant des pays étrangers,
et dont le commerce et usage sont permis .
SENTENCE DE POLICE , du 13 Avril , qui'
condamne la Dame Guibert en 3000 1. d'amende,
pour avoir donné à jouer au Jeu de Pharaon
et le sieur de la Marque en 1000 liv. d'amende
pour avoir joué audit Jeu de Pharaon.
ORDONNANCE DU ROY, du 20 Avril,pour
faire faire par les Intendans , ou ceux qui seront
par eux commis , une Revue générale des Troupes
de Milice.
SENTENCE DE POLICE du 27 Avril. Qui
condamne Jean Moynat , Edme Moynat et Louis
le Maire , Marchands de Foin , en cinq cens
livres d'amende chacun , pour avoir discontinué
la fourniture de Foin sur les Ports de cette Ville.
ARREST du 29. Avril , qui authorise les
Sieurs Commissaires du Conseil nommez par les
Arrests des 17. Decembre 1726. et 3. Mars 1728.
à liquider jusqu'au dernier May 173 1. les finan
ces des Offices supprimez : et les Gardes du
Trésor Royal à en faire les Remboursemens jusqu'au
dernier Juin suivant
ARREST du même jour , concernant la
marque des Etoffes d'or , d'argent et de soye ,
ou mêlées d'autres matieres , qui se fabriquent
dans le Royaume,
>
<
MA Y. 1731. 1203
ARREST du 6. May , qui commet le Sicur
Louis- Alexandre de Barillon , pour , au lieu et
place du feu sieur le Cordier, continuer la Recette
generale du droit d'un pour cent , qui se perçoit
sur les marchandises des Isles etColonies Françoises
de l'Amerique, et en rendre comte au Conseil.
ARREST du Conseil d'Etat du Roy , du
10. May , dont voici la teneur. Le Roy étant
informé qu'on a affecté de répandre dans le public
un Mémoire inprimé sans nom d'Auteur ni
d'Imprimeur , sans privilege ni permission , sous
le titre d'Observations sur le Brefdu Pape , qui
établit M le Cardinal de Bissy et M. l'Archevêque
de Rouen , Commissaires Apostoliques
pour legouvernement et la réformation de l'Ordre
de Cluny. M. DCCXXXI, Șa Majesté auroit
jugé à propos de faire examiner ce Memoire en
son Conseil; et par le compte qui luy en a été
rendu , Elle auroit reconnu que cet ouvrage n'est
qu'un tissu de déclamations d'invectives , de traits
satyriques et injurieux , temerairement hazardez
contre des personnes que leur caractere personnel,
leur dignité , et la confiance dont ils ont été
honorez d'abord par Sa Majesté , et ensuite par
nôtre S. Pere le Pape , devoient mettre à couvert
d'une licence si criminelle , et qu'ainsi un tel ou-.
vrage ne pouvant être regardé que comme un
libelle diffamatoire , Sa Majesté ne doit pas differer
de le fletrir comme il le merite , en se reservant
de faire une justice exemplaire des auteurs de
ce libelle , lorsqu'ils seront connus par une procedure
reguliere: à quoy étant necessaire de pour-.
voir , oùy le rapport , et tout considere , $ A
MAJESTE ESTANT EN SON CONSEIL , a ordonné
* ordonne que l'Imprimé , qui a pour titre ,
Obe
1204 MERCURE DE FRANCE
P
Observations sur le Bref du Pape , qui établit
M. le Cardinal de Bissy et M. l'Archevêque de
Rouen , Commissaires Apostoliques pour le gouvernement
et la réformation de l'Ordre de Čluny.
M.DCCXXXI. sera et demeurera supprimé ;
et en consequence ordonne que tous les exemplaires
dudit Memoire , qui ont été repandus dans le
Public , seront incessament rapportez au Greffe
du Sieur Herault Conseiller d'Etat , Lieutenant
General de Police , pour y être lacerez. Fait Sa
Majesté très expresses inhibitions et deffenses à
tous ses Sujets , de quelque état ou condition qu'-
ils soient , d'en vendre , debiter , ou autrement
distribuer , même d'en retenir aucuns , à peine
de punition exemplaire contre ceux qui s'en trouveront
saisis : Ordonne en outre Sa Majesté ,
qu'à la requête du Sicur Moreau son Procureur
au Châtelet de Paris , il sera informé par ledit
Sieur Herault Lieutenant General de Police , contre
tous ceux qui ont composé, imprimé , vendu ,
debité , ou autrement distribué ledit libelle
pour être par luy , avec les Officiers du Châtelet;
Je Procès fait et parfait en dernier ressort aux
coupables , suivant la rigueur des Ordonnances ,
Sa Majesté leur attribuant à cette fin toute cour ,
jurisdiction et connoissance , et icelle interdisant
à toutes ses Cours ou autres Juges, &c .
On donnera deux volumes du Mercure de
France le mois prochain , pouravoir lieu d'employerquelques
Pieces dont onn'a pas pû encore
faire usage , a cause de l'abondance des
Matieres du tems , et qui nous paroisssent
dignes de la curiosité du Public.
Table
>
TABLE .
Pieces Fugitives. Le Misantrope , Fable , 993 Lettre sur un voyage en Galilée , fait au mois
de Décembre dernier , 997
Les Tourterelles, I dille de Mlle de la Vigne, 1013
Lettre sur le Bureau Tipographique , 1017
Le Faune , Eglogue ,
1024
Lettre sur le bruit d'Ansacq , 1028
L'Amour et Plutus , Poëme , 1035
Cantique traduit de l'Hebreu en Prose Françoise,
1039
Stances sur la Fievre , 1042
le mois dernier , 1045
Lettre sur une Inscription Romaine découverte
Ode Saciée ,
IOS
Suite des personnes Illustres du Comte d'Eu, 1056 .
Vulcain vangé , Cantate ,
1071
Projet d'un Traité complet du Droit Public , 1074
Enigmes et Logogryphes , & c.
1086
Nouvelles Litteraires , des Beaux Arts , & c . Bibliotheque
Grammaticale
›
Relation de la Révolution de Constantinople ,
& c.
Essay sur l'Esprit , &c .
Discours sur la Comedie , & c.
Alcibiade , Comédie ,
1089
1092
1093
1098
1109
1118
Memoire sur la Carte de l'Empire d'Alexandre ,
Livres nouveaux des Pays Etrangers , &c. 1128
Enfant illustre par son sçavoir ,
1132
Operation de la Taille , &c. 1135
Questions proposées , &c. 1136
Nouvelles Estampes ,
1137
Chanson notée , 1138
Spectacles , Endymion , Extrait 1139
L'Italie Galante , ou les Contes ,
&C. 1152
Nouvelles Etrangeres , nouvelle Révolution â
Constantinople , & c . 1157
De Russie , Dannemark , Allemagne , 1159
Italie , &c. Lettre écrite de Turin , 1162
D'Espagne , d'Hollande et Pays Bas , 1168
Morts des Pays Etrangers , 1169
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c. Ibid.
Mandement de l'Archevêque de Paris ,
A Mad. la Duchesse *** Vers ,
Epitaphe et Funerailles de M.de Vauban, &c , 1183
1170
1181
•
Vers à Mille✶ ✶✶
Morts , Naissances , &c.
Vers au President Bouhier ,
Arrets Notables ,
Erata du dernier volume.
1190
1192
1198
1200
Palace dite Atmeidan , ou l'Hipodreme des
Age 832. ligne 2. la Place d'Etméïdan , lisez
Grecs , & c. P. 833. I. 2. instruit à porter , 1. instruit,
et apporter, &c . P. 835. 1. 27. avoit monté,
lil étoit monté. P. 965. l . 18.Reprendre , 1. Répandie.
P. 970. 1. 10, haine , I. depte.
4.
Fautes à corriger dans ce Livre.
P. , du bas , Verres , 1. Terres, P. 1004. 1. 3 .
Age 1001. ligne 3. doivent , L. devoient. Ibid.
du bas, d'acauche, 1. d'Acanthe. Pro15.1. 4. paroissies
, . paroissez . Ibid . 1. 20. Paroissoient , l.
l .
paroissent. P. 1024. 1. 7. et , l. à. P. 1050. l. 11.
votre, l. notre. P.1068. l.s. Louis XIV . I. Louis
XIII. P. 1105. 1. 5. et sur tout , 1. et Suetone.
P. 1107. 1. derniere , fassent , l. fissent. P. 1109.
1. 8. dans , l. en. P. 1120. 1. 18. lût , 1. qu'il lût
p. 1130. 1. 1. Rusine , l . Rafine. Ibid. 1. 8. l'Hydrautique.
. ' Hydraulique. P. 1138. 1. 8. que
rais-je , l . que t'ay. je. P. 1 145. l. 13. Quan don,
1. quand on. P. 1182. l . 20. nous , 1. vous,
Air noté dait regarder la page 1138
Qualité de la reconnaissance optique de caractères