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1731, 01-03
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Presented by
John
Bigelow
to the
Century
Association
*DM
Mercure
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU
ROT,
JANVIER.
QUE
COLLIGIT
1731 .
STARGIT
Chez
A PARIS ,
R
( GUILLAUME CAVE LIEK , në
S. Jacques , au Lys d'Or .
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conty.
à la defcente du Pont Neuf , au coin
de la rue de Nevers , à la Croix d'Or,
JEAN DE NULLY , au Palais.
à l'Ecu de France & à la Palme.
M. DC C. X X X I
Avec Approbation & Privilege du Roy
魚魚魚魚魚: 蒸鮮魚鮮餅
THE NEW YORK
PUBLIC
LIBRABYRIVILEGE
$
35165
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1005
-
DU RO r.
•
>
LOUTS ,par la race de Dieu , Roi de France & de Navarre à nos Amez & Feaux Confeillers , les
Gens tenans nos Cours de Parlement , Maitres des
Requêtes ordinaires de nôtre Hôtel , Grand - Confeil
Baillifs , Senéchaux , leurs Lieutenans Civils , & autres
nos Officiers & Jufticiers qu'il appartiendra, SA--
LUT : l'applaudiffement que reçoit le MERCURE DE
FRANCE , Cy devant appellé le Mercure Galant
compofé depuis l'année 1672. par le fieur de Vifé , &
autres Auteurs , nous fait croire que le fieur Dufreni
Titulaire du dernier Brevet étant decedé , il ne convient
pas que le Public foit à l'avenir privé d'un ou
vrage auffi utile qu'a réable , tant à nos fujets qu'aux
étrangers ; c'eft dans cette vûë que bien informé des
talens , & de la fageffe du fieur ANTOINE DE LA ROQUE ,
Ecuyer , ancien Gendarme dans la Compagnie des
Gendarmes de notre Garde ordinaire , & Chevalier
de nôtre Ordre Militaire de Saint Louis ; nous l'avons
choisi pour compoſer à l'avenir exclufivement à tout
autre ledit Ouvrage , fous le titre de MERCURE DE
FRANCE , & nous lui en avons à cet effet accordé nôtre
Brevet le 17. Octobre dernier , pour l'execution du.
quel ledit fieur de la Roque nous a fait fupplier de
lui accorder nos Lettres de Privilege fur ce neceffai.
res :A CES CAUSES , conformément audit Brevet , Nous
lui avons permis & permettons par ces Prefentes de
compofer & donner au Public à l'avenir tous les mois ,
à lui feul exclufivement , ledit Mercure de France, qu'il
pourra faire imprimer en tel volume , forme , marge ,
caractere , conjointement , ou ſeparement , & autant
de fois que bon lui femblera , chaque mois , & de le
faire vendre & débiter par tout nôtre Royaume, & ce
pendant le temps de douze années confecutives , à
compter du jour de la datze des Prefentes ; à condi
tion neanmoins que chaque volume portera fon Approbation
expreffè de l'Examinateur , qui aura été com.
9
9
9
mis à cet effet. Faifons défenfes à toutes fortes de
perfonnes , de quelques qualitéz & conditions qu'elles
foient , d'en introduire d'inpreilions étrangeres dans
aucun lieu de nôtre obéi fance , comme auffi à tous
Libraires , Imprimeurs , Graveurs , & autres d'inprimer
, faireimprimer , graver , vendre , faire vendre,
débiter ni contrefaire ledit Livre, ou planches , en tout
ou en parce , ni d'en faire aucun Extrait , fous quel
que prétexte que ce foit , d'augmenta ion corrections
, changement de titre , ou autrement fans la
permiffion expreffe & par écrit de l'Expofant , ou de
ceux qui auront droit de lui ; le tout à peine de confifcation
des exemplaires contrefaits , de 6000. livres
d'amende , payables fans déport par chacun des contrevenans
, dont un ciers à Nous , un tiers à l'Hôtel-
Dieu de Paris , l'autre tiers à l'Expofant , ou à ceux
q i auront droit de lui , & de tous dépens ,
dommages
& interefts ; à la charge que ces Prefentes feront
enregistrées tout au long fur le Regiftre de la Communauté
des Libraires & Imprimeurs de Paris , & ce
dans trois mois de la datte d'icelles ; que l'impretion
de ce Livre fera faite dans notre Royaume , & non
ailleurs , en fin papier , & en beau caractere , conformément
aux Reglemens de la Librairie ; & qu'avant
de l'expofer en vente , le manufcrit ou imprimé qui
aura fervi de copie à l'impreflion dudit Livre fora
remis dans le même état où les Approbacions y au❤
ront été données , ès mains de nôtre très-cher &
Feal Chevalier , Garde des Sceaux de France , le
fieur FLEURIAU D'ARM NON VILLA, Commandeur de nos
ordres , & qu'il en fera enfuite remis deux Exemplai.
res de chacun dans nôtre Bibliotheque publique , un
dans celle de nôtre Château du Louvre , & un dans
celle de notredit très- cher & feal Chevalier , Garde
des Sceaux de France ; le tout à peine de nullité des
Prefentes , du contenu deſquelles Vous enjoignons de
faire jouir ledit Expofant , ou fes ayans caufe pleinement
& paifiblement , fans fouffrir qu'il leur foit fait
aucuns troubles & empêche nens , & à cet effet nous
avons revoqué & revoquons tous autres Privileges
qui pourroient avoir été donnez cy -devant à d'autres
qu'audit Expofant ; Voulons que la copie des Prefentes
qui fera imprimée tout au long au commence nent ou
à la fin dudit Livre foit tenue pour dúëment fignifiée ,
& qu'aux copies collationnées par l'un de nos Amez
& Feaux Confeillers. Secretaires, foy ſoit ajoûtée, &c.
A ij CA
CATALOGUE des Mercures de France,
depuis l'année 1721. jusqu'à present .
Uin et Juillet 1721 .
Août , Septembre , Cctobre, Novembre
2. vol.
et Decembre , 5. vol,
Janvier et Fevrier 1722 . 2. vol.
Mars 1723. 2. vol.
Avril , 1. vol.
May ,
Juin , Juillet & Août ,
2. vol.
Septembre ,
3. vol,
2. vol.
Octobre ,
Novembre ,
1. vol.
Decembre ,
2. vol.
Année 1723
Année 1724. les mois de Juin & de Decembre
doubles ,
Année 1725. les mois de Juin , Septembre
& Decembre doubles ,
le mois de Decembre double,
I. vol.
13. vol.
14. vol.
de
15. vol. 'Année 1726. les mois de Juin & de Decembre
doubles ,
14. vol.
Année 1727. les mois de Juin et de Decembre
doubles ,
Année 1728. les mois de Juin et de De-
14. vol.
cembre doubles ,
Année 1729. les mois de Juin , de Sep-
14. vol.
tembre et Decembre doubles , Is. vol. Année 1730. les mois de Juin et de Decembre
doubles , 14 vol.
Janvier 1731 .
1. vol,
137. vol.
LISTE DES LIBRAIRES
qui debitent le Mercure dans les
Provinces du Royaume , &c.
A Toulouſe , chez Enaut & Foreſt .
Bordeaux , chez Raymond Labottiere , chez
Etienne Labottiere , & chez Chapui , fils ,
au Palais , & à la Pofte.
Nantes , chez Julien Maillard , & chez du
Verger.
Rennes , chez Jofeph ' Vattar , Julien Vatar ,
Guillaume Vatar , Jouanet Vatar & la veuve
Garnier.
Blois , chez Mafſſon .
Tours , chez Gripon , & chez Maffon.
Rouen , chez Herault.
Châlons-fur - Marne , chez Seneuze
Amiens , chez la veuve François , Godard &
Redé le fils.
Arras , chez C. Duchamp.
Orleans , chez Rouzeaux.
Angers , chez Fourreau & à la Pofte.
Chartres , chez Fetil , & chez J. Roux .
Dijon , chez la veuve Armil , & à la Pofte.
Verſailles , chez Pigeon .
Befançon , chez Charmet & à la Pofte.
Saint Germain , chez Doré.
Lyon , à la Pofte.
Reims , chez Godard.
A Vitry- le-François , chez Vitalis.
Beauvais , chez De Saint.
Douay , chez Willerval.
Charleville , chez P. Thefin.
A iij
888 į į į į į į į į į ! ! ! ! &
AVERTISSEMENT.
Voici le cent trente- septième Volume du
Mercure de France , que nous avons
l'honneur de présenter au Public , depuis le
mois de fuin 1721. que nous y travaillons ,
sans que ce Livre ait souffert aucune interruption
, ayant toujours paru régulierement
au tems marqué , et quelquefois même avec
des Supplémens , selon l'exigence des cas ,
de quoi nos Lecteurs ne se sont pas plaint.
Nous
redoublerons nos soins et notre application
,» pour que la lecture du Mercure soit
desarmais encore plus utile et plus amusante.
Nous sommes cependant bien éloignez du
nombre des Mercures de la composition defen
M. de Visé , qui jusques et compris le mois de
May 1710. tems de sa mort , en avoit fait
paroître 483. Volumes , lesquels sont aujour→
d'hui fort recherchez pour quantité de faits
historiques qu'on ne trouve que dans cet Ouvrage
, et dont il n'y a peut être pas de collection
parfaitement complette , si ce n'est
celle qui est à la Bibliotheque du Roi,
il ne manque pas un seul Volume de toute
la suite des Mercures depuis les premiers
que M.de Visé fit paroître jusqu'aujourd'hui.
ой
En remerciant nos Lecteurs du cas qu'ils
daignent faire de ce Livre , nous leur demandons
AVERTISSEMENT
.
mandons toujours quelque indulgence pour
les endroits qui paroîtront négligez et dont
la diction n'est pas assez ehatiée . Le Lecteur
judicieux fera , s'il lui plaît , reflexion
que dans un Ouvrage tel que celui - cy , il est
trés aisé de manquer , même dans les choses
les plus communes , dont chacune en parti
culier est facile , mais qui ramassées , font
une multiplicité si grande , qu'il est bien
malaisé de donner à toutes la même attention
, quelque soin qu'on y apporte ; sur tout
quand une collection est faite en aussi
de tems. Une chose qui paroît un peu
juste , c'est qu'on nous reproche assez souvent
des inattentions , et qu'on ne nous sçache aucun
gré des corrections sans nombre qu'on
fait et des fautes qu'on évite .
pen
in-
Nous faisons de la part du Public de
nouvelles instances aux Libraires qui en- .
voyent des Livres pour les annoncer dans
le Mercure , d'en marquer le prix au juste ;
cela sert beaucoup dans les Provinces aux
personnes qui se déterminent là-dessus à les
acheter, et qui ne sont pas sûrs de l'exactitude
des Messagers et des autres personnes
qu'elles chargent de leurs commissions , qui
souvent les font surpayer,
On invite ici les Marchands et les Onvriers
qui ont quelques nouvelles Modes ,
soitpar des Etoffes nouvelles , Habits Ajustemens
, Perruques , Coëffures , Ornemens de
A iiij tête
AVERTISSEMENT.
que gête et autres parures , ainsi de meubles,
Carosses , Chaises et autres choses , soit pour
P'utilité , soit pour l'agrément , d'en donner
quelques Memoires pour en avertir le Public
, ce qui pourrafaire plaisir à divers Particuliers,
et procurer un débit avantageux
aux Marchans et aux Ouvriers.
Plusieurs Pieces en Prose et en Vers ,
envoyées pour le Mercure , sont souvent si
mal écrites qu'on ne peut les déchifrer , et
elles sont pour cela rejettées ; d'autres sont
bonnes à quelques égards , et défectueuses en
d'autres ; lorsquelles peuvent en valoir la peine
, nous les retouchons avec soin ; mais comme
nous ne prenons ce parti qu'avec peine ,
nous prions les Auteurs de ne le pas trouver
mauvais , et de travailler leurs Ouvrages
avec le plus d'attention qu'il leur sera possible.
Si on sçavoit leur addresse , on leur
indiqueroit les défectuositez et les corrections
à faire.
Les Sçavans et les Curieux sont priez de
vouloir concourir avec nous pour rendre ce
Livre encore plus utile et plus agréable , en
nous communiquant les Memoires et les Pieces
en Prose et en Vers , qui peuvent instruire
et amuser. Aucun point de Litterature
n'est exclus de ce Recueil , où l'on tâche de
mettre une agréable varieté , Poësies , Elaquence
, nouvelles Découvertes dans les Arts
et dans les Sciences , Morale , Antiquités ,
HisAVERTISSEMENT.
Histoire sacrée et profane , Historiette , Mythologie
, Physique et Métaphysique , Pieces
de Théatre, Jurisprudence, Anatomie et Médecine
, Critique, Mathématique, Mémoires,
Projets , Traductions , Grammaire , Pieces
amusantes et récréatives , etc. Quand les
morceaux d'une certaine considération seront
trop longs , on les placera dans un Volume
extraordinaire , on fera ensorte qu'on puisse
les en détacherfacilement , pour la satisfaction
des Auteurs et des personnes qui ne
veulent avoir que certaines Pieces.
Quelques morceaux de Prose et de Vers
rejeitez par bonnes raisons , ont souvent donné
lieu à des plaintes de la part des per
sonnes interessées ; mais nous les prions de
considerer que c'est toujours malgré nous que
certaines Pieces sont rebutées ; nous ne nous
en rapportons pas toujours à notre seul ju
gement dans le choix que nous faisons de
eelles qui méritent l'impression.
Quoiqu'on ait toujours la précaution de
faire mettre un Avis à la tête de chaque
Mercure ,pour avertir qu'on ne recevra point
de Lettres ni Paquets par la Postel dont le
port ne soit affranchi , il en vient cependant
quelquefois qu'on est obligé de rebuter. Ceux
qui n'auront pas pris cette précaution ne doi
vent pas être surpris de ne pas voir paroî
tre les Pieces qu'ils ont envoyées .
Les personnes qui désirent avoir le Mer
A v Curc
AVERTISSEMENT.
cure des premiers , soit dans les Provinces on
dans les Pais Etrangers , n'auront qu'à s'addresser
à M. Moreau , Commis au Mercure,
vis-à- vis la Comedie Françoise , à Paris ,
qui le leur envoyera par la voye la plus convenable
, et avant qu'il soit en vente ici. Les
amis à qui on s'adresse pour cela ne sont
ordinairement fort exacts ; ils n'envoyent
gueres acheter ce Livre précisément dans le
tems qu'il paroît; ils ne manquent pas de lo
Lire , souvent ils le prêtent à d'autres , et ne
l'envoyent que fort tard , sous le prétexte specieux
que le Mercure n'a pas paru plutôt.
pas
Nous renouvellons la priere que nous avons
déja faite , quand on envoye des Pieces , soit
en Vers , soit en Prose , de les faire transcrire
lisiblement sur des papiers séparez , et
d'unegrandeur raisonnable avec des marges,
et que les noms propres , sur tout , soient exactement
écrits.
Nous aurons toujours les mêmes égards
pour les Auteurs qui ne veulent pas se faire
connoître ; mais il seroit bon qu'ils donnassènt
une adresse , sur tout quand il s'agit de
quelque Ouvrage qui peut demander des
éclaircissemens ; car souvent faute d'un tel secours
, des Pieces nous demeurent entre les:
mains , sans pouvoir les faire paroître.
Nous prions ceux qui par le moyen de leurs
correspondances reçoivent des nouvelles d'Affrique
du Levant , de Perse , de Tartarie
dia
G
AVERTISSEMENT.
les
du Japon , de la Chine , des Indes Orientales
et Occidentales et d'autres Pays et Contrées
éloignées , de vouloir nous en faire part
à l'adresse generale du Mercure. Ces nouvelles
peuvent rouler sur les guerres présentes
des Etats voisins , leurs Révolutions ,
Traite de Paix ou de Tréve , les оссира-
tions des Souverains , la Religion des Peuples
,leurs Ceremonies , Coûtumes et Usages,
les Phénomenes et les productions de la Nature
et de l'Art , etc. comme Pierres figurées ,
Marcassites rares , Pétrifications et Christalisations
extraordinaires , Coquillages , etc.
Nous serons plus attentifs que jamais à
apprendre au Public la mort des Sçavans et
de ceux qui se sont distinguez dans les Arts
et dans la Mécanique ; on y joindra le récit
de leurs principales occupations , et des plus
considérables actions de leur vie. L'Histoire
des Lettres et des Arts doit cette marque de
reconnoissance à la mémoire de ceux qui s'y
sont rendus celebres , ou qui les ont cultiveZ
avec soin. Nous esperons que les parens et
les amis de ces illustres Morts aideront volontiers
à leur rendre ce devoir par les instructions
qu'ils voudront bien nous fournir.
Ce que nous venons de dire , regarde nonseulement
Paris , mais encore toutes les Provinces
du Royaume , qui peuvent fournir des
Evenemens considerables Morts , Mariages
, Actes solemnels , Fêtes et autres
A vj Faits
3
AVERTISSEMENT.
Faits dignes d'êtres transmis à la posterité.
Nous prions les personnes qui nous font
l'honneur de nous écrire pour demander des
nouvelles ou des éclaircissemens sur quelque
chose que ce soit , qui se trouve imprimé
dans ce Livre , et à laquelle ils prennent interêt
; nous prions , disje , ces personnes de
vouloir bien citer l'année , le mois , la page
même du Mercure dans lequel ils ont lû ce
qui fait le sujet de leur demande , pour nous
mettre en état de leur donner une plus prompte
satisfaction ; car il est impossible que nous
ayons assez présents toutes les matieres et
tous les arcicles contenus dans un´si grand
nombre de Volumes , pour sçavoir à point
nommé où trouver la chose dont il s'agit.
le tems nous étant d'ailleurs assez précieux.
Cet Avis servira de réponse à la Lettre
qu'on nous a écrite de Villeneuve d'Agenois
le 29. Novembre 1730 .
Il nous reste à marquer notre reconnoissance
et à remercier au nom du Public plusieurs
Sçavans du premier ordre , et quantité
d'autres personnes d'un mérite distingué,
dont les productions enrichissent le Mercure,
et le font lire et rechercher.
島の99
MERMERCURE
DE FRANCE ,
DEDIE AU ROT.
JANVIER.
173 L.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Prose.
LE ROMAN COMIQUE,
CHAPITRE SECOND.
.
POEM E.
Quel homme étoit le Sieur de la Rapiniere:
ADIO Yant donc pris quelque repos ,
A Je vais vous dire en peu
de mots
Que le sieur de la Rapiniere ,
Etoit le Rieur ordinaire
De la bonne Ville du Mans ;
L'on trouve partout de ces gens ,
C'ef
2 MERCURE DE FRANCE.
1
C'est une race trés- fertile ,
Il n'est point de petite Ville ,
Qui n'ait son Rieur importun
Et Paris n'en a pas pour un ;
Souvent le nombre en est extrême`,
Dans chaque quartier , & moi-même ,
Si j'avois voulu , l'on sçait bien ,
Que je le serois dans le mien ,
Mais depuis trop long-tems je gronde ,
Contre les vanitez du monde ,
Et c'eft un fort vilain métier
2
D'être le Rieur d'un quartier.
Revenons à la Rapiniere ,
Qui pour mieux entrer en matiere ,
Reprit la conversation ,
Que les coups et l'émotion ,
Avoient d'abord interrompuë ,
Dans le beau milieu de la ruë
Et s'adressant au sieur Destin ,?
'
" Qui décrotoit son Brodequin ,
Lui conta mainte baliverne ,
Et demanda si la Caverne ,´
Monsieur de la Rancune et lui ,
Dont il vouloit être l'appui ,
Pouvoient composer une Troupe ,
Et s'ils avoient le vent en poupe ;
Notre Troupe , répondit- il ,
En fronçant un peu le sourcil ,
Vaut
JANVIER. 1731.
Vaut bien , sans outrer la louange
Et celle du Prince d'Orange,
Et celle du Duc d'Epernon .
Nous ne manquons pas
de renom
*
Nous déclamons tous avec grace ;
Mais , hélas ! par une disgrace
Qui nous est arrivée à Tours
Je m'en ressouviendrai toujours ,
Car la récolte étoit fertile ,
Dans cette grande et belle,Ville ,
Ou notre étourdi de Portier ,
A mis à mort un Fuzelier ,
De l'Intendant de la Province ,
Sçachant l'Ordonnance du Prince
Chacun s'est enfui tout ému
2
Le pied droit chaussé , l'autre nu ,
Dans un assez triste équipage ,
Comme vous voyez , j'en enrage ;
Les Fuzeliers de l'Intendant ,
A la Fleche en on fait autant ,,
Dit le sieur de la Rapiniere ,
Ventrebleu , dit la Tripotiere ,,
Ces gens me causent des transports .
Que le diable soit dans leurs corps ,
Qu'après mainte et mainte nazarde
Le feu S. Antoine les arde.
Ils méritent ce châtiment ;
Quel terrible dérangement }
97
Au
1
4
MERCURE DE FRANCE.
Aujourd'hui par leur perfidie,
Nous n'aurons point la Comedie ;
Ah ! tout cela ne seroit rien ,
Répond le vieux Comédien ,
Ma peine seroit moins fatale ,
Si j'avois la clef d'une Male,
Où sont la plupart des habits ;
Je serais vraiment bien d'avis ,
De ne pas rester inutile ,
Pour plaire à Messieurs de la Ville ,
Trois ou quatre jours sans faço n ,
Avant de gagner Alençon ,
Où notre Troupe doit se rendre.
Comme on ne devoit pas s'attendre
A cette réponse , aussi - tôt ,
Le sieur Lieutenant de Prévôt ,
Offrit
gayement à la Caverne ,
Robbe qui n'étoit pas moderne ,
Puisque sa femme et ses enfans ,
S'en servoient depuis quatorze ans ;
De son côté la Tripotiere ,
Qui cherchoit à se satisfaire ,
Dit que chez elle on avoit mis ,
gage deux ou trois habits ,
Fort propres pour la Mascarade ,
Que Destin et son Camarade ,
Pouvoient aisément s'en saisir,
Que cela lui feroit plaisir ;
En
Mais
JANVIER.
1731.
Mais quelqu'un de la Compagnie',
Ajoûta que la Comedie ,
Seroit tout d'un coup
aux abois ,
N'étant pour cet effet que
trois ;
Oh oh ! s'écria la Rancune ,
L'avanture est assez commune
Sur les leçons de mon Ayeul ,
Je joue une Piece moi seul ,
Je puis faire sans grande peine ,'
En même-temps le Roi , la Reine ,
Aussi-bien que l'Ambassadeur ;
Je sçai tous les Rôies par coeur
Par exemple dans une Scene ,
Qui doit commencer par la Reine ,
Je garde un moment le tacet ,
Après quoi je parle en faucet ;
Pour l'Ambassadeur je nazonne ,
En me tournant vers ma Couroe ,
Que je mets sur un Tabouret ;
Cependant admirez ce trait :
Pour le Roi , sans aucun cortege ,
Je prens ma Couronne et mon Siege ,
Et grossissant un peu ma voix ,
Je
MERCURE DE FRANCE.
Je parle avec beaucoup de poids ,
Mais qu'ainsi ne soit pour vous plaire ,
Nous voulons bien vous satisfaire
Par un plat de notre métier ;
Messieurs contentez le Chartier ,
Avant qu'il aille à l'Ecurie ,
Et payez notre Hôtellerie J
*
Fournissez à chacun l'habit ,
Et nous joueront avant la nuit ;
Sur ma parole on m'en doit croire ,
Ou bien ma foi nous allons boire ,
Chacun quatre coups seulement ,
Puis reposer tranquilement ;
Car nous n'avons point de l'année
Fait une si grande journée.
Un tel parti si bien conçu ,
Unanimement fut reçû ,
Et le diable de Rapiniere ,
Malicieux à l'ordinaire ,
Dit que sans chercher au taudis ,
Il falloit prendre les habits ,
De deux jeunes gens de la Ville ,
Que la chose étoit fort facile ,
Parce
JANVIER. 1731 .
>
Farce que ces deux jeunes gens ,
Dans le Tripot joüeroient long-temps;
Que la Caverne pourroit faire ,
Avec son habit ordinaire ,
Tel personnage qu'on voudroit ,
Que partout elle passeroit ,
Soit dans une Piece tragique ,
Soit dans une Piece comique ;
Aussi-tôt dit , aussi-tôt fait
Les Comédiens en effet ,
Vuiderent bien vîte une pinte ,
La mesure parut succinte ,
Et s'emparant desdits habits ,
Ils furent bien- tôt travestis ;
L'Assemblée étant fort grossie ,
Par la meilleure Bourgeoisie ,
Prit place dans un Galetas ,
Dont le plancher étoit très-bas ;
On leva d'abord un drap sale ,
D'une maniere originale ,
Et l'on vit sur un matelas ,
Le Destin qui paroissoit las ,
Le Corbillon de quelque Nonne ,
Lui servoit alors de Couronne ,
Il n'avoit pas de quoi choisir ,
Donc il faloit bien s'en servir ;
Se frotant les yeux et l'oreille ,
Comme un homme qui se réveille ,
's MERCURE DE FRANCE.
Il fit un peu le rencheri ,
Et sur un ton de Mondori ,
Parce qu'il étoit à la mode ,
Récita le Rôle d'Herode ,
Qui commence par ces cinq mots ,
Ombre qui troubles mon repos.
Il déclama d'un grand courage ;
Et l'emplâtre de son visage ,
N'empêcha pas qu'on ne vît bien ,
Qu'il étoit bon Comedien ;
La Caverne fit à merveille ,
L'on n'avoit point vû sa pareille ,
Et tout le monde l'approuva ,
Dans les Rôles qu'elle joua ,
De Mariane et de Salome ;
La Rancune n'étoit pas homme ,
A ne point plaire au Spectateur ,
Aussi parut-il bon Acteur ,
En montrant beaucoup de noblesse ,
Dans plusieurs Rôles de la Piece ,
On alloit tirer le Rideau
Ce n'étoit pas la le moins beau ,
Quand le diable , qui rien n'oublie ,
Fit finir cette Tragedie ,
Non-pas par la cruelle mort ,
De Mariane qu'on plaint fort
Ni par les desespoirs d'Hérode ;
Mais si le sieur Scaron ne brode ,
Y
Ce
JANVIER.
1731 .
Ce fut par mille coups complets ,
Du poing , des pieds , sans les soufflets
Par des juremens effroyables ,
Que n'auroient pas fait tous les diables
Dans une telle occasion ,
Et par une information ,
Que fit le sieur la Rapiniere ,
Fort expert en cette matiere ,
Et plus sçavant que .... mais ,
hola !
Notre Chapitre finit là.
Par M. le Tellier d'Orvilliers , Lieutenant
General d'Epée à Vernon.
La suite pour les Mercures suivans.
HUITIEME Lètre sur la bibliotèque
des enfans , etc.
MONSIEUR ,
La plupart des lecteurs ne cherchant
qu'à s'amuser , parcourent un Mercure
sans beaucoup d'atention , au hazard de
ne pas entendre ce qu'ils lisent . Le mal
ne seroit pas grand s'ils s'en tenoìent-là ;
mais ils veulent ensuite parler , raisoner
et mème juger de ce qu'ils avouent
n'avoir
* MERCURE DE FRANCE.
n'avoir pas bien compris : leur défaut,
d'aplication leur fait souvent acuser d'obscurité
et de négligence l'auteur le plus
clair et le plus laborieus ; car la critique
verbale bien ou mal fondée , sera
toujours plus aisée à pratiquer , que la
composition de quelque ouvrage ; il est
dificile de parer le coup. cependant en
faveur des persones bien intentionées qui
n'ont pas le tems de lire tout , et des
persones indulgentes qui voudront bien
me pardoner des repetitions necessaires
sur l'importante matiere de la premiere
éducation des enfans , je vaì récapituler
ici le plus succintement qu'il me sera
possible , ce qui dans les précedentes lètres
a été dit , pour faire voir 1 ° . que
les enfans de deus à trois ans sont capables
des prémières operations litéraìres ; 2 ° .
que les métodes vulgaires ne sont ni sufisantes
, ni proportionées à l'age et à la
foiblesse de la prémière enfance ; 3 ° . que
la métode du bureau tipografique a les
conditions convenables et proportionées
à tout age d'enfant ou d'home mis aus
premiers élémens des lètres .
L'ordre métodique et géométrique n'est
par malheur guere utile que pour le petit
nombre de lecteurs capables de saisir , de
retenir la suite , la liaison et l'enchainement
des idées ; de voir et d'envisager
en
JANVIER. 1731. IF
en mème- tems les principes et les consequences
; mais le comun des lecteurs
à l'exemple des enfans , conte et détache,
pour ainsi- dire , les mots et les idées
sans faire atention aus principes , aus raports
et aus conséquences qu'on en peut
tirer. Les répetitions serviront donc ici
quelquefois à éclaircir les choses , et mème
à rendre souvent plus atentif un lecteur
distrait. que je dise , par exemple ,
à un lecteur vulgaire qu'il y a quatre
triangles dans un quaré divisé par ses deust
diagonales , il m'entendra d'abord ; si je
dis qu'il y en a sis , il comencera à ne
plus voir ; et si j'ajoute qu'il y en a huit ,
il n'en vera peut ètre pas plus clair : mais
si je continue à répeter qu'il y a huit
triangles dans ce quaré , le lecteur obligé
par cète répetition de revenir sur ses pas ,
et d'y penser avec plus de soin , parviendra
enfin sans éfort de génie , à la petite
découverte des huit triangles de ce quaré,
savoir , des quatre grans come des quatre
petits : j'espere que sans beaucoup de sagacité
, on fera à peu près la mème chose
sur le détail des avantages de la métode
du bureau tipografique.
Ceus qui dans l'éducation ne content
presque pour rien la diference de deus
ou trois ans entre des enfans comencés -
plutot ou plus tard , voudront bien me
permètre
12 MERCURE DE FRANCE.
permètre ici une comparaison : je suposo
donc deus enfans comencés l'un de bone
heure par la métode du bureau tipografique
, et l'autre plus tard par la métode
vulgaire , et je dis que , si le premier maitre
a bien semé et bien recueilli la
premiere
anée , il poura semer et recueillir
encore plus la segonde anée , et encore
plus la troisième anée. or , par quel moyen
le segond maitre semant plus tard et recueillant
peut-ètre moins , poura-t'il jamais
ratraper la progression des avantages
réels du bureau tipografique ? Dirat'on
que
la terre négligée , inculte et en
friche , sera ensuite plus fertile ? il faudra
examiner si cète fécondité sera en
bon ou en mauvais grain ; car il y a bien
des chams dont on ne peut jamais extirper
totalement les mauvaises herbes.
Autre comparaison ; un courier , fut- il
des plus robustes , qui part plus tard , qui
prend la plus longue route et qui va plus
lentement , poura- t'il jamais ateindre un
autre courier parti plutot , qui a pris le
chemin le plus court et qui va plus vite ?
il s'agit donc de savoir si la métode du
bureau tipografique a tant d'avantages sur
la métode vulgaire , et c'est ce que je
vai démontrer au lecteur atentif et nulement
prévenu,
1.L'experience m'aïant fait voir depuis
lontems
JANVIER. 1731. 13
,
lontems l'imperfection des métodes vulgaires
qui faute de pouvoir faire
mieus , regardent come perdu le tems .
de la premiere enfance , j'ai cherché
les moyens d'employer utilement les premieres
anées de l'enfant , et j'ai trouvé
qu'on pouvoit sans danger pour le corps,
lui montrer la figure des lètres , et ranger
ces lètres devant lui sur la table du
bureau , mème avant qu'il sut articuler
la moindre silabe , il voudra bientot ,
come les singes , faire la mème chose par
un mouvement organique et machinal ,
sur tout si l'on a la précaution de le presenter
souvent devant le bureau tipografique
, et de lui doner à manger et à
jouer sur cète mème table faite exprès pour
lui , et c'est là un des premiers avantages
du bureau tipografique sur la métode vulgaire
, qui afecte de mépriser cetè diligence
, et se flate de pouvoir ensuite également
enseigner tout , quoique plus tard
et avec plus de tems ou plus de vie.
Dès que l'enfant articulera des sons et
qu'il fera bien l'Eco , on poura lui apren
dre come à un peroquet la veritable
dénomination des lètres , et cète dénomination
metra peu à peu les enfans en état
de lire à trois et à quatre ans , bien mieus
que ne lisent ordinairement les enfans
de sis à sèt ans , par la métode vulg ire.
B LC
14 MERCURE DE FRANCE.
Le premier aïant d'abord été mis dans
l'agréable , la bone et la nouvele route ,
-va toujours gaìment son chemin ; au lieu
que les autres mis dans la triste , l'anciene
et souvent la mauvaise voie , ont
peine à revenir sur leurs pas , et ne sacrifient
pas volontiers leurs amusemens
agréables , quoique frivoles , aus ocupations
literaires qu'ils trouvent pénibles
dans un age plus avancé. Les peres et les
meres sont toujours contens des petits.
enfans qu'ils gâtent , mais ils trouvent
mauvais ensuite qu'un gouverneur ou un
précepteur n'ait pas le talent d'en faire
un prodige : il y a bien du préjugé et de
l'aveuglement sur cet article.
3. Selon la métode du bureau tipografique
un enfant , avant que de savoir lire,
poura imprimer toutes sortes de langues
mortes ou vivantes , il ne faut avoir pour
cela que des ïeus et des mains , car il est
bien plus aisé d'imprimer , par exemple ,
du latin et du françois , qu'il n'est aisé
de les lire. La grande ignorance de la
plupart des compositeurs d'une imprimerie
ne le prouve que trop ; d'ailleurs il
est clair qu'un sourd voyant , pouroit
ètre imprimeur , mème chès M. Ballard
pour la musique.
4. Un enfant de trois à quatre ans
qui conoit par les feus la figure des
lètres,
JANVIER. 1730. IS
>
lètres , et ensuite par l'oreille , le son des
caracteres simples ou combinés , saura
bientot écrire ou imprimer les sons qu'on
lui donera sur des cartes , et ceus qu'on
lui dictera il poura s'ocuper pour lors
avec autant de plaisir que les autres enfans
ont ordinairement de dégout par
les métodes vulgaires . Le premier nouri
dans les lètres , en fait ses amusemens
pendant que les autres , au contraire n'y
trouvent que des crois et des épines . si
les persones zelées et charitables , qui
dirigent les écoles des pauvres , conoissolent
donc le mérite et l'utilité de la métode
tipografique , elles en introduiroìent
bientot l'usage dans les paroisses et dans
les Monasteres , en fesant bâtir ou construire
des amfiteatres où les petits enfans
aprendro ent pour lors presque seuls et
d'eus mèmes , en voyant travailler les
que les grans. J'oserai donc dire
parens
et les maitres bien intentionés , aprouveront
et pratiqueront l'usage du bureau,
dès qu'ils en auront vu les avantages réels,
pratiques , et superieurs à ceus des métodes
vulgaires.
5. Selon cète métode , l'enfant aprendra
facilement et par des principes surs
non captieus ni équivoques , l'ortografe
des sons ou de l'oreille ; ce que la plupart
des maitres ignorent toute leur vie .
Bij L'enj
16 MERCURE DE FRANCE.
L'enfant aprendra par pratique et par téorie
l'ortografe courante et d'usage , anciene
et nouvelle, d'une maniere à bien lire
dans toute sorte de livres , et à se rendre
ensuite capable de faire un bon chois
d'ortografe françoise.
6. L'enfant saura lire dans le manuscrit
en mème- tems que dans les livres ,
et cela par la pratique journalière d'avoir
imprimé des tèmes interlinéaires sur la
table du bureau , non - seulement avec
des caractères romains , mais encore avec
des caracteres italiques et manuscrits.
7. Le petit enfant poura savoir bien
lire le françois , le latin et le grec avant
l'age auquel , selon la métode vulgaire , la
plupart des enfans ne sont pas encore mis
à l'A BC ; avantage inexprimable , qui influe
, non- seulement dans toute la suite
des études , mais dans toute la vie.
8.Les A BC ordinaires , faus ,équivoques
et captieus,induisent les enfans en êreur et
les exposent souvent à des chatimens injustes;
desorte que, sans diminuer en rien le
mérite et la juste réputation des bons
maitres , on peut dire que la métode vulgaire
dans toute l'Europe n'a pas les raports
necessaires entre les lètres et les
sons , ou entre les signes et les sons des
choses signifiées ; au lieu que la métode
du bureau tipografique n'étant fondée que
sur
JANVIER. 1731. 17
sur la verité et sur la justesse de ces mè
mes raports remarqués il y a plus d'un
siecle, par de très - habiles maitres , cète
métode , dis je , atache agréablement au
jeu tipografique le mème enfant qui venoit
de pleurer à la seule vue de la persone
qui lui montroit les lètres selon la
métode des écoles.on ne doit pas craindre,
au reste , que l'enfant ignore dans la suite
la fausse et vulgaire dénomination des
lètres ; il ne l'aprendra que trop tot , en
vironé de persones souvent oficieuses à
contre-tems , quand il s'agit de bien nomer
les lètres.
9. La lecture est d'abord mise à profit
sur la table du bureau : on y aprend à
conoìtre et à sentir les parties du discours
indéclinables , déclinables et conjugables
de la langue françoise et de la langue la
tine , laquelle conoissance dispose les enfans
à employer plutot leur loisir et
d'une maniere plus aisée , plus utile ,
plus sure et plus agréable. Bien des
maitres indépendament de l'usage du
bureau tipografique , ont abandoné la
métode vulgaire des rudimens téoriques,
pour suivre celle du rudiment pratique
dont j'ai doné l'essaì aprouvé des meilleurs
métodistes , filosofes non prévenust
10. Fesant imprimer à l'enfant les deus
langues en glose interlinéaire et mot à
B iij mot
18 MERCURE DE FRANCE.
mot , on dispose et prépare plu - tot son
imagination aus grandes operations literaires
et grammaticales que la métode
vulgaire n'entreprend pas ordinairement
d'enseigner à des enfans de deus à trois.
et à quatre ans.
11. L'enfant aprend par pratique les
terminaisons des noms et des verbes , et
enfin à décliner et à conjuguer ; il aprend
les genres , les déclinaisons , les prêterits
et les supins , les concordances , et partie
de la sintaxe , par les principales règles
donées sur des cartes en glose interlinealre
, et par les exemples pratiques donés
aussi sur des cartes , et expliqués peu à
peu et de vive vois , à mesure qu'il les
imprime sur sa table.
12. On écrit ce qu'on veut dans les
tèmes donés sur des cartes : chaque jour
fournit son sujet , et l'on met à profit
le chois des programes , des afiches , des
placars , des tèses , des avis , des anonces,
des enseignes , et enfin de tous les écritaus
publics ; la table du bureau devient un livre
ouvert à tous les spectateurs ; livre
cheri de l'enfant qui en est le composi
teur , et livre qui n'est jamais nuisible à
sa posture come le sont ordinairement
les petits livres élementaires .
13. Par le moyen du dictionaire du bu--
reau tipografique , l'enfant fera provision
de
JANVIER. 1731 . 19
de plusieurs miliers de mots latins et françois
avant l'age de cinq à sis ans ; avan
tage qui doit nécessairement influer sur
toute la suite des études , et qu'on n'aquiert
que
fort tard par la routine vulgaire.
14. L'enfant aprendra , non -seulement
Portografe de l'oreille et des ïeus par ra
port aus lètres , mais encore l'accentuation
, la ponctuation , les petites abrevia
rions françoises , latines et greques , et
la quantité latine , par la pratique jour
nalière du bureau , où il trouvera les signes
, les voyèles longues et brèves
come caracteres utiles et necessaires pour
Fimpression de la glose interlinéaire ; ce
que la métode vulgaire ne peut faire pratiquer
à l'enfant que lorsqu'il sait écrire,
c'est-à-dire fort tard.
15. L'enfant qui imprimera du latin
avec de beaus caracteres manuscrits , disposera
et préparera son imagination pour
mieus faire imiter ensuite à sa main , les
traits , les figures et les lètres , dont la
parfaite image sera vivement , distinc
tement et profondément gravée dans son
cerveau.
16. Par l'impression des tèmes donés à
l'enfant , il poura aprendre de bone heu
re les élémens de tout ce qu'on pourolt
lui montrer par le moyen de l'écriture ;
B iiij
c'est18
MERCURE DE FRANCE.
mot , on dispose et prépare plu-tot son
imagination aus grandes operations literaires
et grammaticales que la métode
vulgaire n'entreprend pas ordinairement
d'enseigner à des enfans de deus à trois.
et à quatre ans.
11. L'enfant aprend par pratique les
terminaisons des noms et des verbes , et
enfin à décliner et à conjuguer ; il aprend
les genres , les déclinaisons , les prêterits
et les supins , les concordances , et partie
de la sintaxe , par les principales règles
donées sur des cartes en glose interlinéal
re , et par les exemples pratiques donés
aussi sur des cartes , et expliqués peu
peu et de vive vois , à mesure qu'il les
imprime sur sa table.
à
12. On écrit ce qu'on veut dans les
tèmes donés sur des cartes : chaque jour
fournit son sujet , et l'on met à profit
le chois des programes , des afiches , des
placars , des tèses , des avis , des anonces,
des enseignes, et enfin de tous les écritaus
publics ; la table du bureau devient un livre
ouvert à tous les spectateurs ; livre
cheri de l'enfant qui en est le compositeur
, et livre qui n'est jamais nuisible à
sa posture come le sont ordinairement
les petits livres élementaires .
13. Par le moyen du dictionaire du bureau
tipografique , l'enfant fera provision
de
JANVIER. 1731 . 19
de plusieurs miliers de mots latins et françois
avant l'age de cinq à sis ans ; avan➡
tage qui doit nécessairement influer sur
toute la suite des études , et qu'on n'a→
quiert que fort tard par la routine vulgaire.
14. L'enfant aprendra , non-seulement
Portografe de l'oreille et des feus par raport
aus lètres , mais encore l'accentuation
, la ponctuation , les petites abreviations
françoises , latines et greques , et
la quantité latine , par la pratique jour
nalière du bureau , où il trouvera les signes
, les voyèles longues et brèves
come caracteres utiles et necessaires pour
Fimpression de la glose interlinéaire ; ce
que la métode vulgaire ne peut faire pratiquer
à l'enfant que lorsqu'il sait écrire,
c'est-à-dire fort tard.
15. L'enfant qui imprimera du latin
avec de beaus caracteres manuscrits , disposera
et préparera son imagination pour
mieus faire imiter ensuite à sa main , les
traits , les figures et les lètres , dont la
parfaite image sera vivement , distinc
tement et profondément gravée dans son
cerveau.
16. Par l'impression des tèmes donés à
l'enfant , il poura aprendre de bone heu
re les élémens de tout ce qu'on pourolt
lui montrer par le moyen de l'écriture ;
Biiij c'est20
MERCURE DE FRANCE
c'est-à- dire , qu'on poura lui enseigner
tous les principes sensibles , et lui doner
par là les premieres notions des arts et
des siences. Il a été déja démontré que
les enfans de deus à trois ans sont capables
de ces premières notions , par le
moyens des idées et des mèmes opérations
dont il se servent pour aprendre
leur langue ; verité à laquelle les seuls
préjugés empêchent de faire toute l'atention
necessaire. L'experience et l'aveu
des maîtres qui en faveur du corps négligent
, éloignent , diferent et retardent
les premiers soins literaires , au préjudice
de l'esprit prouvent l'insufisance des
métodes vulgaires dans l'éducation diligente
et hâtée des enfans. or la métode
du Bureau tipografique alant toujours ,
pour ainsi dire , de niveau avec l'enfant ,
done les moyens surs et infaillibles de le
suivre pas à pas ,
et de comancer sans
danger , à lui former plutot l'esprit et le
coeur. on peut donc , sans temerité
avancer cète proposition , que les enfans
étant capables d'aprendre , plutot que la
métode vulgaire n'est propre à les enseigner
, on doit aprouver et préferer cele
du Bureau tipogràfique ; ce que je vai tacher
de confirmer encore par le détail
des choses sensibles , que l'on peut montrer
à un petit enfant , avant qu'il soit en
état
JANVIER. 1731 . 21
état d'y ètre conduit par les métodes
ordinaires.
17. Quoique l'erreur , le mensonge ,
l'imposture , la charlatanerie , la chicane
et l'injustice , abusent des mots et dés
expressions de la langue françoise , il
ne s'ensuit pas que dans un ouvrage la
verité , la justice , et la bone foi doivent
s'abstenir de ces mèmes mots et
de ces mèmes expressions ; le zèle pour
le bien public ne perd jamais ses droits ;
c'est pourquoi je demande un peu d'indulgence
, ou de tolerance de la part des
maitres trop prévenus , et qui mal à
propos s'identifiant , pour ainsi dire ,
avec les métodes vulgaires qu'ils pratiquent
, ont le courage de mètre sur leur
conte , ce que je n'ai jamais pretendų
dire que contre les métodes sur l'abus.
desqueles , il y a toujours eu liberté d'écrire
, malgré le respect et le préjugé en
faveur du DESPAUTERE du .......
De tout ce que j'aí , dit jusqu'ici on peut
conclure qu'il sera aisé d'enseigner à l'enfant
le latin , des mèmes mots qu'il aprendra
d'abord en françois , et pour cet éfet
on essayera de suivre peu à peu l'ordre et:
la métode qu'indiquera la langue mater
nele ou d'usage .
etc.
18. On donera à l'enfant , et sur des
cartes , les noms des persones et des ob
By Jets
22 MERCURE DE FRANCE
jets qu'il voit et qu'il conoìt ; cela servira
à le familiariser avec les raports des signes
et des choses signifiées.
19. Les figures de la Bible fournissent
la liste des noms propres des patriarches ,
des juges, des Rois , des pontifes , des grans
homes, etc. ces listes ou suites historiques,
généalogiques , cronologiques et géografiques,
devienent la base de l'histoire universéle
pour un enfant de 3 à 4 ans.
20. La Fable , les Métamorfoses d'ovide
, les Dieus , les Déesses , les demi - Dieus
les Heros du Paganisme fournissent aussi
dequoi varier agréablement l'exercice
tipografique .
21. L'histoire profane fournit également
des époques , des listes , des suites
qui amusent et instruisent l'enfant de 3
à 4 ans. Toutes les cartes étant numé
rotées , pouront ètre lues , et rangées selon
l'ordre cronologique sur la table du
Bureau.
22. On poura doner ainsi les souve-.
rains et les capitales de tous les Etats du
monde , et les capitales des provinces ou
des Gouvernemens de France ; et à l'ocasion
des mots , des choses ou des racines
historiques , on poura amuser et instruire
l'enfant , en essayant peu à peu de lui
doner de tems en tems des idées sensibles
sur le bien et le mal , sur le vice et
la:
JANVIER. 1731 . 23
fa vertu , sur le juste et l'injuste , et sur
Fe vrat et le faus.
23. On peut doner des cartes de bla
son , faire imprimer sur la table du Bureau
les termes héraldiques , et en montrer
tous les objets sensibles quand l'ocasion
s'en presentera.
24. On pratiquera facilement les premières
règles de l'aritmétique et de l'algèbre
sur la table du Bureau , aiant sur
des cartes les chifres et les signes nécessaires
pour ces petites opérations , et
pouvant d'ailleurs employer utilement
des jetons , des marques , et des dés ;
pour rendre les nombres plus sensibles.
25. On peut également doner la conoissance
des premiers élémens de géométrie
sur les lignes , les surfaces et les solides
des corps réguliers , avec lesquels
un enfant se familiarise , et se rend peu
à peu capable de toutes les parties sen
sibles des matématiques , sans en excepter
les sections coniques donées aussi en
relief.
26. La Musique mème trouvera son
avantage sur la table du Bureau. on pou .
ra montrer à l'enfant la game et le dia
pason , sur la tringle ou la règle de bois
mobile qui a servi à l'enfant pour le jeu
de la première classe. on y poura done
mètre les clés , les notes et les signes , que
B.vj L'en
24 MERCURE DE FRANCE
l'enfant aura également sur des cartes ;
qu'il poura ranger vis-à - vis de ces mèmes
signes marqués sur la tringle ou re
gle de bois , il se metra par là en état de
lire et de conoître le clavier d'une épinete
ou d'un clavecin , qui pouront lui
doner ensuite le son et le ton des figures
ou des notes conues, et colées sur les touches
d'un clavier.
,
27. Chaque art peut également ètre
rendu sensible à un petit enfant , si l'on
veut bien prendre la peine de lui démontrer
l'usage des choses , et de lui faire
imprimer le nom des outils , des objets
et des pièces des machines qu'on lui présentera
; c'est ainsi que l'anatomiste , le
botaniste et le machiniste, pouront amuser
et instruire de bone heure leurs petits
enfans ; l'ainé deviendra ensuite le maitre
de ses frères .. Des os , des plantes , des
Machines , des outils , des instrumens
des Balances , des poids , des mesures, des
Jétons , des Dés , des monoies , des médailes
, etc. Tout cela fournit l'abondance.,
la variété , le plaisir du chois, et done par
consequent les moyens de mètre bien à
profit les premieres anées de l'enfance ,.
par toute sorte de métodes , mais non
pas si - tot ni si-bien que par la métode
du Bureau tipografique.
28. On peut faire aprendre l'A , B , C.
Grec
JAVIER. 1731. 25
crec , Ebreu , Arabe , etc. avec l'A , B , C ,
François; faire imprimer du françois avec
les caracteres grecs , et avec les lètres
ébraïques , de droit à gauche , et montrer
ensuite la casse des imprimeurs, avec des
caracteres renversés , lus à rebours ; avantage
considérable pour les enfans des im
primeurs et des graveurs,ausquels on pou
ra doner un casseau , dont les cartes seront
distribuées come les lètres d'un casseau
d'imprimerie , et pour lors en peu de
mois on poura leur enseigner à imprimer
sur le Bureau les racines latines , gre--
ques , ébraïques , caldaïques , et arabes ;
de mème qu'aus enfans destinés à l'église
ou à l'étude des langues saintes et
orientales.
29. On poura faire imprimer en fran
çois , des rimes ou des vers de peu de
silabes , pour sonder , essayer et former
l'oreille de l'enfant dans la lecture soutenue
et dans la déclamation . on poura
jouer au jeu des rimes après avoir fait
déviner les sons et les lètres des mots ..
on peut doner de petites anagrames , et
mème des vers latins , examètres et pen-.
tamètres , pour faire aprendre à conoìtre
, à sentir et à ranger les piés de cète
structure de vers , dont on trouvera tous
les mots sur autant de cartes diférentes
dans la derniere logète du se rang sous.
cele de la
syntaxe
-
26 MERCURE DE FRANCE.
Exemple :
Tot tibi sunt dotes , Virgo , quot sïdërå.
coelo.
omnia sunt hominum , tenůī pēndentia filo
Et subito casu , que valuere ruunt.
30. On metra donc d'abord un en--
fant en état . d'imprimer des mots ,
des lignes , des frases en glose interli
naire , en latin et en françois ; 2° . d'imprimer
et de faire lui - mème la construc
tion du texte de rhèdre chifré ou numeroté.
3 ° . de faire de petites versions.
4. d'imprimer aussi de petites compositions
; et ces quatre exercices fourni
ront au maitre Focasion de doner à l'enfant
plus d'idées et de conoissances literaires
et grammaticales , qu'aucun rudiment
vulgaire n'en poura jamais doner sitôt
et en si peu de tems .
31. Les enfans du Bureau tipografique
seront plutot en état d'exercer leur mé
moire et d'aprendre quelque chose par
coeur , non seulement par Foreille , étant
siflés come des oiseaus , mais encore par
les ïeus , dès qu'ils sauront lire seuls.
32. Un enfant sera plutot en état de
travailler seul avec un domestique ou
avec d'autres persones , pendant que le
maître sera absent , ou ocupé à quelque
autre chose et l'enfant , plutot que de
A
Bester
JANVIER. 1731. 27
et à
rester oisif, vera toujours avec plaisir un
domestique employé à imprimer les cartes
de la garniture du bureau , ou à tailler
rogner des cartes sur un modele de
fer -blanc proportioné aus logetes des petits
bureaus portatifs de 4 piés de long
dont les cartes apelées Etrenes mignones
auront is lignes de largeur , et 2 pouces.
de hauteur , ainsi qu'on l'a déja pratiqué.
33. Non seulement les enfans qui parlent
, mais encore les sours et les muets
pouront aprendre presque tout , excepté
les sons , par les combinaisons pratiques
des signes sensibles , extérieurs , soumis à
la vue, et en passant , pour ainsi dire , des
ïeus du corps à ceus de l'esprit..
34. Les abécédaires de tout age seront
moins honteus sur la table d'un bureau ,.
que sur la crois de pardieu , leur intelligence
et leur empressement les feront lire.
passablement dans un mois ou deus..
35. L'enfant du Bureau conservera_sa
main en aprenant à écrire , et poura sans
préjudicier à l'étude des langues , n'écrire
jamais au comencement que sous
les ieus et sous la main d'un bon maître.
Je parleraí ailleurs d'une métode tres - utile
pour aprendre à écrire en assés peu de
tems.
36. L'enfant conoìtra plu-tot l'usage
des livres , des dictionaires , et des tables
des :
28 MERCURE DE FRANCE.
des matières , qu'on lui aprendra à parcourir
et à feuilleter tout seul ; il aquêra
aussi plu-tôt le gout de la lecture , de
l'étude , du travail , des livres , et des savans
; et il sera enfin plutot et beaucoup
plus sensible à la gloire et à l'émulation
literaire , que ne le sont ordinai
rement les enfans conduits et dirigés par
la métode vulgaire et tardive.
qua-
37. L'enfant aura plu - tôt l'adresse des
doits et des mains ; adresse qui manque
souvent à la plupart des enfans de
lité , peu exercés à l'action de la maîn ;
l'enfant aura plutot le gout , le coup
d'euil , l'esprit d'ordre et l'esprit rangé
si rares parmi les homes , et plus rares encore
parmi les jeunes gens.
38. L'enfant du Bureau est mis en état
d'aler plutot et plus fort au colege, et parconsequent
d'entrer plutot à l'académic
pour y faire tous ses exercices , avantage
considerable pour la jeunesse destinée et
apelée au noble et glorieus métier des
armes.
39. Beaucoup de savans par principe
de santé , travaillent debout , à l'exemple
des imprimeurs et de plusieurs autres nobles
artisans ; or l'action , l'exercice et le
mouvement du jeu tipografique , entre
tenant aussi le corps en santé , done en
mème- tems à l'esprit la meilleure culture
possi
JANVIER. 1730. 2
possible de l'aveu des medecins et de
'ESCULAPE de notre siècle . on ne prétend
pas dire par là que l'exercice du Bureau
rende immortel ou invulnerable ; cette
remarque est pour les bones gens qui ne
jugent des choses que par l'évenement, et
qui regardent souvent come un éfet necessaire
, ce qui n'est qu'un pur accident
40. La métode du Bureau tipografique
donera lieu aus bons maitres d'ètre encore
plus atachés et plus atentifs à leur de
voir , et plus utiles à leurs éleves ; ils auront
plus souvent ocasion de precher
d'exemple ; article essentiel dont se dispensent
volontiers bien des maîtres négligens
et indiferens sur l'éducation d'un
enfant , ou trop ocupés du seul esprit
mercenaire, ces derniers ne manqueront
pas de faire leurs éforts contre la métode
du Bureau , qui les remet,pour ainsi dire,
à l'A , B, C , et qui demande de leur part,
au moins au comancement , plus d'assiduité
et de soins que n'en paroit exiger
la routine vulgaire.
41. Persuadé de la verité , de l'utilité et
de la diligence de cete métode , j'ose assurer
et prédire que toutes choses dail
leurs égales , les viles qui les premieres
feront usage du Bureau tipografique , seront
dans la suite , à proportion des écoles
et des écoliers , les premieres à produi
re
30 MERCURE DE FRANCE.
>
re le plus grand nombre d'enfans et
d'homes celebres dans les arts et dans les
siences.
Si on ne goute point la métode du Bureau
tipografique , je m'en étone , et si on la
goute , je m'en étone de même.
L.A HAINE
ODE
S Cavantes Nymphes du Parnasse ,
Si jamais vous cûtes pitié ,
Des malheurs qu'à l'humaine race
Causa souvent l'Inimitié ;
Déesses , soyez- moi propices.
Contre le plus cruel des vices ,
Armez votre sévérité ;
D'une voix pénétrante et forte,
Blâmez les excès ou se porte ,
L'homme contre l'homme irrité.
Pour le désir de la vengeance ,
Muses , donnez lui tant d'horreur
Qu'enfin une noble indulgence
Succede à sa lâche fureur ;
2
Qu'en ses yeux desormais l'on voye ,
Briller
JANVIER. 1731. 31
Briller l'assurance et la joye ,
Au lieu du trouble et de l'ennui ;
Et qu'au mépris d'un faux sistême
Il devienne ami de soi- même ,
In cessant de hair autrui.
Peuples , dont un instinct sauvage ,
Regle les sentimens pervers ,
Et dont cet orgueilleux rivage.
Est séparé par tant de Mers :
Vous , chez qui l'homme impitoyable
Du corps fumant de son semblable
Se fait de monstrueux festins ;
De vos forfaits , Peuples impies ,
On voit les fidelles copies ,
Dans nos désordres intestins.
•
Oui , ce seroit peu que la Guerre ,
Employant le souphre et le fer ;
Eût tant de fois rendu la Terre ,
L'horrible image de l'Enfer ,
Si l'Entêtement , l'Hérésie ,
L'Ambition , la Jalousie ,
Les faux soupçons , les noirs complots ,
Tirans implacables des Hommes ,
Du triste climat où nous sommes
Ne bannissoient pas le repos.
>
Com(
32 MERCURE
DE FRANCE .
Combien de fois cet Hémisphère ,
Non sans en frémir , a- t-il vú ,
Du sang de son malhûreux frere ,
Le frere indignement repû ?
Est- il parjures , sacriléges ,
Intrigues , fureurs , sortiléges ,
Trahisons , souplesses , détours ,
A qui , dans nos projets iniques ,
Honteux , criminels Politiques ,
Nous n'ayons sans cesse recours ?
Sur tout , quand l'Interêt nous guide ,
Ses absolus commandemens
De l'amitié la plus solide ,
Sappent toûjours les fondemens.
D'Alecton , sanguinaire éleve ,
Il aiguisa le premier Glaive
Et chassant l'équité des coeurs ;
Il substitua par ses ruses ;
Un vil amas de Loix confuses ,
A l'empire des bonnes moeurs.
Et toi , dont l'éloquence outrée ,
Consiste en des cris infernaux ,
Qui de la fugitive Astrée ,
Usurpas les saints Tribunaux ,
Hydre , qu'anime la vengeance ,
Que suit la fatale indigence ,
Que
JANVIER . 1731. 33
Que conduit
l'obstination ,
Chicane , indomtable Génie ,
Quels objets offre ta manie ,
A ma juste indignation !
Les Loix les plus sages détruites ,
Par des Sophismes effrontez ;
Des veuves aux portes réduites ,
Des Orphelins déshéritez ;
L'Impunité vendue au crime
A son possesseur légitime
Un bien pour jamais interdit
L'Innocence qu'on persécute ,
Et le droit le plus ferme en butte
A l'oppression
du crédit.
›
Mais quelle voix audacieuse ,
Eclate , en discours menaçans ?
Quelle langue malicieuse ,
Exerce ici ses traits perçans ?
Lâches Auteurs de ces tempêtes ,
Craignez d'attirer sur vos têtes ,
Les rigueurs du courroux divin ,
Et que le Ciel en sa justice ,
D'Etéocle et de Polinice ,
Ne vous ait réservé la fin.
Témoins d'un Spectacle barbare ;
Que dis-je ! Nous n'esperons pas ,
Que
34 MERCURE DE FRANCE.
Que la haine qui nous sépare ,
Puisse ceder même au trépàs.
L'aigreur qui partage vos ames ,
Un jour partagera les flâmes
Qui doivent consumer vos corps ;
Un jour , vos Ombres fratricides ,
Iront se joindre aux Eumenides ,
- Pour troubler l'Empire des Morts.
=
•
Ainsi donc cedant à la force ,
Du plus exécrable poison ,
Vous faites un honteux divorce ,
Avec votre propre raison.
Malheureux ! prenez pour modeles .
Les Colombes , les Tourterelles ,
Qu'un tendre amour unit toujours ;
Ou bien dans quelque affreux bocage ,
Allez écouter le langage ,
Des Loups , des Tigres et des Ours.
Vous , Muses , allez les premieres ,
Vers ces Animaux ravissans ,
Et daignez de quelques lumieres ,
Eclairer leurs aveugles sens .
Instruits de nos moeurs intraitables ,
De cent reproches équitables .
Ils sçauront bien- tôt nous combler ,
Plus épouvantez de connoître ,
L'Or
JANVIER . 1-31 .
35
i
L'Orgueilleux, qui se dit leur Maître ,
Qu'envieux de lui ressembler.
C'en est trop ; gardez le silence ,
Barbares , hôtes des Forêts ,"
Hélas ! de notre ressemblance ,
Il suffit d'avouer les traits.
Quand la Terre ignoroit encore ,
Les malheurs qu'apporta Pandore.
Les crimes de Thebe et d'Argos ,
L'Homme goûtoit un sort celeste :
Mais quoi ! la discorde funeste ,
Nous a tous rendus vos égaux .
F. M. F. DE VAL GNE
XXXXXX :XXXXXXXXX
LETTRE d'un Grammairien de Provence
, fur le Bureau Tipographique.
E
St-il licite de vous demander , Monsieur
>
pourquoi et comment tant de
charlatans de la République des Lettres
sont écoutés à la Cour et à la Ville ? Votre
Mercure parle toujours de quelqu'un
de ces Messieurs ; divertissent- ils donc le
Public à ses dépens ? Jadis des fols et des
bouffons augmentoient le nombre des
domes
36 MERCURE DE FRANCE.
domestiques des grands Seigneurs , ensuite
par un meilleur goût , on préfera
les Menétriers , les Troubadours , les Baladins
et les Saltinbanques ; ne seroit- ce
point aujourd'hui le tour des Charlatans ?
il semble qu'ils soient devenus à la mode,
( car en France , comme vous sçavez ) la
mode est l'ame et le mobile presque de
tout , et on dit que Paris seul pourroit
fournir plus de troupes de Charlatans
que tout le Royaume ensemble.
·
Je ne vous parle point ici , Monsieur ,
des prétendus inventeurs de la Pierre.
Philosophale , de la Quadrature du Cercle
, du mouvement perpetuel , des longitudes
etc. je n'y prens aucun interêt ;
mais je vous avouë que je ne puis comprendre
comment des gens de Lettres
donnent dans de pareils travers , et comment
ils peuvent être non -seulement tolerés
et protegés, mais encore quelquefois
récompensés.
On dit que tous les jours vous êtes regalés
d'Affiches nouvelles qui annoncent
au Public des Phénomenes litteraires ;
par l'une on promer de mettre une femme
, une nourisse , un Suisse même , en
état de montrer à un François la Langue
Latine en peu de tems , par le secret ou
le moyen de quelques Monosillabes techniques
et de quelques signe sou herissons
hyeroglifiques.
Un
JANVIER. 1731. 37
Un autre Auteur donne les Sciences
dévoilées et le moyen d'apprendre le Latin
et les Sciences sans le secours d'aucun
Maître ; il donne l'art d'enseigner
le Latin aux petits enfans en les divertissant
, et sans qu'ils s'en apperçoivent :
ce même Auteur dit qu'il ne faut pas
plus de six mois pour apprendre le Latin
et faire son droit , six mois pour être en
état d'entrer dans un Seminaire
mois pour le Latin qui regarde la Medecine.
Je m'imagine qu'avec de tels secrets
on ne manque pas de faire rouler carosse
& c .
trois
Ce qui me revolte le plus en lisant votre
Mercure , c'est d'y trouver un de ces
Charlatans qui affecte de décrier les méthodes
des autres pour donner plus de
crédit à la sienne , et l'élever sur le débris
des autres. Il parle toujours d'un
rudiment pratique de bois , par le moyen
duquel il promet de mieux montrer que
les autres la silabisation , l'orthographe
et les rudimens de la Langue Latine . On
dit que ce Bureau pour un enfant de
deux à trois ans a plus d'une toise de
long , et si ce Bureau si nécessaire pour
l'instruction d'un enfant , croit à mesure
que l'écolier avance en âge , il lui
faudra cinq ou six toises avant que
l'enfant
en quitte l'usage ; à ce
compte là
C le
38 MERCURE DE FRANCE
les jeux de paume vont devenir prodigieusement
chers , car où placer ces machines
de bois à moins qu'on n'ait de
grandes Sales , ou des Galeries telles que
celles des Princes et des grands Seigneurs
une voye plus abregée , à mon avis , ce
seroit d'habiter une Bibliotheque. En atrendant
que je sçache bien la construction
de cette machine , je vous suplie de ne pas
me refuser les éclaircissemens que je vous
demande ; car il appert visiblement que
tet Auteur ignore lui-même ce qu'il veur
montrer aux autres .
Quelle plaisante route n'est- ce point
de faire pratiquer une fausse orthographe
qu'il appelle l'orthographe de l'oreille,
pour parvenir enfin à la veritable or
thographe des yeux ou de l'usage ? A quoi
bon ce détour ? Est-ce là cette simplicité
dont il se pique tant ? La méthode vulgaire
n'est- elle pas plus simple d'aller
droit à la veritable orthographe , sans
chercher les détours qu'indique ce rudiment
de bois car enfin c'est abuser de
la tolerance et de la liberté dont on jouit
dans la République des Lettres , que de
donner ainsi au Public une méthode bizarre
et embarassante sur le nom des lettres
, sur la sillabisation , sur l'ortographe
et sur le rudiment de la Langue Latine
, pendant que nous avons d'excellentes
JANVIER. 1731. 39
lentes méthodes sur chacune de ces parties.
Pourquoi les abandonne - t'on , et
pourquoi leur préferer le - sistême de la
chienne lettrée de la Foire , puisque selon
l'exposé de l'Auteur , un enfant travaille
à ce nouveau Bureau de la même
maniere que la chienne en question ; l'enfant
, à ce qu'on dit , prend dans son Bureau
les lettres dont il a besoin pour composer
un mot tout comme la chienne les
prend sur le pavé ou sur le plancher , et
les donne à son Maître,suivant l'ordre de
l'orthographe
, ainsi que l'enfant
les range
l'une après l'autre sur la table de son
Bureau ; et si l'un et l'autre fait est bien
constant , n'y auroit- il point quelque mistere
que nous ne sçaurions penetrer , et
qui n'est entendu que par ces nouveaux
maîtres et par leurs éleves ? Je me défie
extrêmement
de ces merveilles .
Quoiqu'à la rigueur , je ne doute nullement
qu'on ne puisse dresser un enfant
à ces sortes de jeux comme on dresse un
chien ou tout autre animal. Il me reste
toujours un scrupule dont je sens bien
que je ne guerirai que par ma propre experience
, ou par le témoignage de personnes
sensées , et sans prévention ; je
serois curieux , par exemple , de sçavoir
si un enfant dressé par cette nouvelle.
façon pourroit lire dans un Livre impricij
mé
MERCURE DE FRANCE
mé à Paris , et qu'il n'auroit jamais vû ?
ces faits une fois posés , je passe à ce
prétendu rudiment pratique , et je voudrois
sçavoir si ce rudiment de bois , futil
d'ébene , ou de quelqu'autre bois plus
précieux , apprendra à l'enfant les principes
de la Langue Latine suivis , observés
, et scrupuleusement pratiqués depuis
tant de siecles ? nos maîtres qui n'avoient
point ces moyens prestigieux , ne sontils
pas parvenus à un dégré de sçavoir
auquel nous avons bien de la peine à atteindre
, et finalement auquel tous ces
beaux esprits à rechercher ne parviendront
jamais ? Quoi ! nous aurons passé
bien des années à nous tourmenter pour
apprendre des choses que nous sentons
ne sçavoir pas encore bien dans un âge
avancé , et des enfans de quatre ou cinq
des Gouvernantes , des domestiques
apprendront en jouant ce qui nous a
couté tant de peines , tant de pleurs et
et de fatigues ? nous faudra- t'il remettre
à la Croix de pardieu , sous peine d'être
repris par des enfans ?
ans ,
Que je crains , Monsieur , qu'à force
de vouloir rendre les Sciences aisées , on
ne les rende trop communes , et qu'on
ne méprise les Sçavans par la facilité que
l'on aura à tout âge et en toute condition
de se mettre de niveau avec eux.
En
JANVIER. 1731. 41
En verité , Monsieur , on a bien peu d'é
gard pour des personnes qui ont vieilli
sur les livres , et qui se livrent avec tant
de zele à l'instruction de la jeunesse. On
se livre trop aisément à de nouveaux
venus qui nous ravissent nos droits par
des jeux et par des prestiges , car je ne
sçaurois nommer autrement ces inventions
phantastiques.
Despautere , Hannibal Quadret , le
P. Pomey et tant d'autres auront donc
travaillé inutilement pour la Jeunesse
si l'on suit d'autres routes que celles qu'ils
nous ont marquées. L'experience journaliere
nous apprend que la voye de la récitation
et d'apprendre par coeur est la
plus sure pour exercer la mémoire des
enfans ; nous voyons avec satisfaction que
des enfans sçavent à peine lire qu'ils
nous recitent sans faute leur Mufa , leur
Penelope , la femme d'Ulisse , leur Templum
, Pater, Fructus , Cornu , Dies , et
tous les Paradigmes des Rudimens , nous
voyons qu'ils retiennent avec un succès
égal toutes les concordances , les difficultes
sur la particule On , sur le Que relatif
ou particule , les quatre Questions de
lieu , celles de tems , les régimes des Verbes
Celo , rogo , doceo , moneo , posco , flagito
, ceux de refert et interest , des Verbes ,
piget , pudet , penitet , enfin tout ce qu'il,
Ciij y
42 MERCURE DE FRANCE
ya de plus épineux dans la Grammaire
et dans la Syntaxe , et après cela on viendra
nous débiter des préceptes qui sont
de vrais paradoxes , pour ne rien dire
de plus , ceux qui les débitent seront
crus , seront suivis , tandis que l'on rira
de nos raisonnemens et que nos Ecoles
seront desertes : Que deviendra le fruit
de nos veilles et de nos travaux ? Permettez
-moi , Monsieur , de m'écrier ici avec
un Ancien : 0 tempora ! ô mores !
Avant que de finir ma Lettre
, agréez
,
Monsieur
, que je vous demande
un éclaircissement
sur le titre ridicule
que cet Au-
`teur
avoit
dabord
donné
à sa nouvelle
méthode
, l'A , B , C de Candiac
; ce titre
porte
bien
avec
lui un caractere
de
vision
; car ou ce Candiac
est un nom
propre
de Ville
, ou de personne
, quelque
ce puisse
être des deux
, je dis qu'il
est absurde
de vouloir
ériger
ses visions
en dogmes
litteraires
, au préjudice
de
la doctrine
reçuë
depuis
tant de tems
par
lés plus habiles
Maîtres
; et si cette
voye
a lieu il sera donc
permis
à chacun
de
donner
ses idées
au Public
comme
des
régles
infaillibles
. Je n'aurai
donc
qu'à
donner
må maniere
de montrer
à lire et
le Latin
sous le nom de l'A , B , C , ou
du rudiment
de Ventabrén
, un autre
donnera
la Grammaire
d'Auron
, et quelqu'autre
1
JANVIER. 1731. 43
qu'autre aussi la Sintaxe de Vitrole ; tour
le monde doit sentir les inconveniens d'un
tel abus et le ridicule de pareilles maximes.
Cette reflexion m'en fait naître une
autre que je ne dois pas obmettre , vous
jugerez de sa valeur . Toute personne qui
n'est point née à Paris ou à Blois a mauvaise
grace de vouloir donner des regles
d'orthographe françoise , et qui ne possede
pas le Grec et le Latin ne peut écrire
correctement et suivant l'étimologie des
mots françois qui dérivent de ces deux
Langues. Laissons donc à nos Professeurs
des Universités du Royaume , et sur tout
à ceux de notre Capitale , le soin de nous
donner des regles pour la prononciation
et pour l'orthographe françoise ; nourris
depuis leur enfance dans les Langues oríginales
, ils sçavent mieux que tout au
tre la vraye source du françois , ils en
sçavent mieux la prononciation , ils ont
vieilli dans l'étude du Grec et du Latin .
Plus j'y pense , plus je suis frappé de
la singularité du titre de ce nouveau sistême
, l'A , B , C de Candiac , la Biblio
theque des enfans ; un livre ne sçauroit
être une Bibliotheque , car une Bibliotheque
est une grande chambre , ou appartement
où l'on met des livres de touté
de tout genre ; or un Livre sur
C iiij
espece ,
l'a
4 MERCURE DE FRANCE
l'a , b , c , pour des enfans ne sçauroit
composer une Bibliotheque. Ce titre me
fait ressouvenir d'une Epigramme du fameux
Owen , le Martial Anglois , contre.
un certain Rider , Auteur d'un Lexicon
qu'il avoit donné au Public sous le titre
de Bibliotheque ; ne pourroit on pas en
faire une application à ce nouveau sistême
? La voici :
Quid sibi ridendi vult Bibliotheca , Rideri
Unus enim non est Bibliotheca liber ;
Verborum cum theca fit hac , non theca Librorum
,
Lexicon hoc dici , Dictio theca potest.
Un Livre seul est- il une Bibliotheque
Ma foi , Rider , cette pensée est Grecque ;
Tu ne me comprens pas ; voici donc mes raisons;
Ton Livre tout au plus est de mots un repaire ;.
Une aire au plus de Dictions ;
Nommons-le donc Dictionnaire .
Ce Bureau à niches de bois peut encore
moins passer pour une Bibliotheque
puisqu'on n'y doit mettre que des verbes
, des noms substantifs , des adjectifs ,
des indéclinables ; et ces niches continssent-
elles tous les substantifs imaginables ,
ne donneront jamais à un enfant la connoissance
de la nature du substantif , de
l'adjectif, du verbe &c.
Ca
JANVIER. 1731 45
Ce Bureau , ce Colombier , puisque
Colombier y a , ne rendra jamais un enfant
imperturbable sur les déclinaisons ,
les conjugaisons et les genres , sur les concordances
, car si , par exemple , je viens à
lui demander de quel genre est pileus
sçaura t'il me le dire ? et s'il le dit , sera:
t'il en état de répondre au da regulam ?
ce sera là pour lui un langage inconnu
son Bureau ne pouvant lui fournir cette:
maxime si courte , si usitée dans nos Ecoles
, et qui est le fruit des veilles du co…
riphée des Grammairiens.
Omne viro soli quod convenit esto virile .
Mais sans entrer dans ce détail qui
mettroit en déroute ces nouveaux Maîtres
, et leur Bureau en éclats , je me
borne à un raisonnement que peu de
personnes sont en état de faire , parceque
peu de gens prennent un aussi grand
interêt à ces sortes de matieres.
Tout ce qu'un enfant instruit par cette
méthode acquerra de connoissance de la
Langue Latine , de la Grammaire et de
la Syntaxe, ne sera qu'une mémoire locale:
artificielle et méchanique du substantif ,
de l'adjectif et de toutes les parties d'o
raison ; mais il n'aura jamais ce qu'on
appelle la mémoire spirituelle et métaphisique
de ce que ces mots signifient..
Cv Car
46 MERCURE DE FRANCE
Car enfin , lors qu'on lui aura ôté son
Bureau , ses logettes , et qu'on lui demandera
ce que c'est qu'un substantif , un
adjectif , un Verbe &c. il sera entierement
dérouté , et manquant de l'outil
ou de l'instrument qui lui donnoit ce
dont il avoit besoin , il ne sçaura que
devenir. Mais quelle difference à l'égard
d'un enfant instruit par l'ingénieuse méthode
du Rudiment ? avec son Quadret ,
et sans son Quadret , avec son Despautere
, ou sans son Despautere , il répondra
positivement , et ad rem , sur tout ce
qu'on pourra lui demander , parce qu'il
sçaura que ces définitions sont dans ces
Livres , qu'on les lui a expliquées , qu'il
les a apprises par coeur , et vous les recitera
même sans faute , sa mémoire qu'on
a cultivée avec tant de soin ne sçauroit
lui manquer dans une pareille occasion.
C'est , au reste , se tromper lourdement
et donner dans une erreur manifeste , de
croire qu'il faille cultiver autre chose que
la mémoire dans les enfans ; c'est là tout
leur fonds , leur ame , leur esprit n'est
point encore assez formé pour pouvoir
faire toutes les opérations qui conduisent
à l'intelligence . Donnez leur donc beaucoup
de mots beaucoup de termes à
apprendre par coeur , faites les leur recizer
souvent , et vous en ferez des prodi-
>
ga
JANVIER. 1731. 47
ges . On perdra son tems et sa peine quand
on voudra leur donner l'intelligence des
définitions , leur en faire comprendre le
sens ; le tems de les entendre viendra
toujours assez tôt , ne vint-il qu'à l'âge
de quinze ou vingt ans , et c'est justement
alors que leur esprit formé commence
à sentir la valeur des termes qu'ils
ont appris avant ce tems là , et que leur
mémoire conserve comme en depôt ; car
ce n'est que la mémoire qui nous rend
sçavans , et nous fait paroître tels . Autant
que je puis m'en ressouvenir un Ancien
Fa dit avant moi nous ne sommes sçavans
qu'autant que nous avons de la mémoire.
Que ces Tipographistes me font de compassion
, et que je plains les personnes
qui ont à essuyer leurs visions ! Tenonsnous-
en à nos anciennes maximes ; sui
vons les traces qu'on nous a frayées , et
marchons par la voye qu'ils nous ont
indiquée , dussions nous ne jamais arteindre
au but où nous tendons. Et quoique
puisse dire' Seneque , les hommes font
toujours bien de suivre la foule : errer
avec de grands Maîtres , c'est suivre la
bonne tou
, et j'ose le dire , c'e
jours ou presque toujours errer , que
suivre de nouvelles routes . En attendant
C vj
de
l'hort
48 MERCURE DE FRANCE
l'honneur de votre Réponse , j'ai celui
d'être &c.
A Ventabrén , ce 2. Octobre 1730 .
XXXXXXXXXXXX:XXX
EPITRE
A Mile de Malcrais de la Vigne , du
Croisic en Bretagne , sur son Idille des
Hirondelles , inserée dans le premier Volume
du Mercure de Decembre 1730 .
N'Allez point vous facher de ce qu'un inconnu
Sans quelque aveu de vous ose ainsi vous écrire ,
Donnez - vous la peine de lire ,
Vous lui pardonnerez quand vous aurez tout lû..
On est zelé quand on estime ;
Clidamis vous l'apprit ; le dirai - je en passant >-
Votre Hirondelle nous l'apprend .
C'est par vous que l'amour avec la raison rime
Ah ! que l'on aime la raison
-
Quand ce Dieu lui fait sa leçon !
Mais je reviens bien vîte au motif qui m'anime
Il vous regarde de trop près.
Je crains qu'en ce moment sur vos jours on n'át→
tente ;
Votre Hirondelle , helas ! cette Idille charmante
Vous fait sur le Parnasse un terrible procés..
Vous
JANVIER. 1731. 49
Vous sçaurez qu'elle est parvenuë
En droite ligne au Mont facré ;.
Apollon après l'avoir luë
Aux doctes Soeurs a déclaré
Qu'il nommoit sa dixiéme Muse:
L'aimable & digne de Malcrais ;
C'est le plus juste des Arrêts ..
Chacune cependant est comme une „ Méduse ;;
On ne voit plus que des serpens
En place des lauriers qui leur ceignoient la tête ,
Et j'ai lû sur leurs fronts et dans leurs yeux ar
dens
Contre vous tout ce qui s'apprête.
La jalouse fureur porte par tout leurs pas ;
Une femme est alors capable de tout faire ;
Plus d'un Neftor l'a dit ; mais je ne le crois pas,
Quoiqu'il en soit , on doit prevenir leur colere :
L'avis est important ; voyez ce qu'il faut faire ; .
Mais s'il y falloit joindre & mon zele & mes
soins ,
De mon foible pouvoir je romprois la limite
Pour rendre vos yeux les témoins
Du cas que je fais du mérite.
Carrelet d'Hauteculle.
EX
fo MERCURE DE FRANCE
XXXXX:XXXXX*: *XXX: XX
EXTRAIT d'une Lettre écrite par M.
Bourgoin , Maître Chirurgien Juré à
Auxerre , le 26. Decembre 1730. au sujet
d'un enfant monstrueux.
I
Ly a six jours qu'on m'envoya un enfant
de sexe feminin , dont une pauvre
femme venoit d'accoucher. Cet enfant
estoit monstrueux , non par sa grosseur
, puisqu'il étoit comme les autres enfans
nés à neuf mois , mais parcequ'il étoit
sans crâne , sans col , sans moëlle épiniere
, et par conséquent sans nerfs , le
visage étoit situé immédiatement au dessus
des clavicules , à la partie superieure
et anterieure de la poitrine , sans aucune
marque ni vestige de cou , pas même le
moindre espace pour le jeu et le mouvement
de la mâchoire inférieure , qui
étoit immobile , et qui l'auroit toujours
été si cet enfant avoit pû vivre , nonseulement
par l'adherence de la mâchoire
inférieure avec le sternum par le moyen
de la peau et d'autres parties , mais encore
par le défaut du muscle pterigoïdien,
moteur de la mâchoire. Ses deux oreilles
étoient situées à peu près comme dans
l'état naturel , étant seulement plus allongées
JANVIER. 1731. SI
longées et plus saillantes qu'elles ne sont
d'ordinaire aux autres enfans, elles avoient
la conque rabaissée , et retournée en devant
comme celle d'un chat , à la difference
qu'elles n'étoient ni veluës ni
pointues. Le conduit pour l'air externe
n'alloit point se rendre dans des parties
osseuses , telle que la roche , mais seulement
dans une masse de glandes , de
chairs , de graisse , le tout confondu ensemble
, sans pouvoir faire aucune distinction
de parties.
>
Le nez étoit posé presque au sommet
du visage , n'ayant qu'environ une ligne
de saillie dans l'endroit le plus éminent;
les deux narines assez bien disposées communiquoient
dans les fosses nazales sur
la cloison du palais et dans la bouche,
Au côté de la racine du nez tout au
haut du visage , paroissoient vers les paupieres
deux vessies de figure un peu conique
comme deux olives , sous lesquelles
étoient renfermés les yeux , ce qui représentoit
comme deux cornes , principalement
quand on examinoit cet enfant par
sa partie posterieure.
Quant à la bouche , on n'y remarquoit
rien de particulier , sinon qu'elle étoit
toujours ouverte et béante , parceque les
deux levres étoient tendues autour des
gencives , et que le menton étoit attaché
52 MERCURE DE FRANCE
- au sternum , de maniere que cette bouche
étoit plus ronde qu'ovale , et que la
commissure des levres étoit à peine marquée.
Comme cet enfant n'avoit point de
crâne , et par conséquent point de front,
non plus que de parietaux temporaux.
ctc. Il y avoit derriere ce visage , au lieu
et place du crâne , une partie de figure:
triangulaire platte , recouverte de peau
seulement , qui renfermoit un os assez.
dur de la même figure , lequel sembloit
servir de baze et d'appui à ce visage ..
Cette peau étoit couverte de cheveux
assez courts et clairement plantés , qui bordoient
une ouverture oblongue avec de
grosses levres , dans laquelle on introduisoit
facilement une grosse sonde , qui
descendoit tout le long du canal de Pépine
du dos et qui ne contenoit ni
matiere solide ni liquide .
,
J'aurois bien des particularités à faire
observer sur le squelette de cet enfant
tant sur le derriere de la tête qui paroît
être un crâne renversé , que sur la grande
ouverture à la partie supérieure de l'épine
qui regne , comme je viens de le dire
dans tout ce canal , mais je sortirois des
bornes que je me suis prescrites ; je reserve
ce détail pour une description plus
détaillée que j'espere faire du squelette
JANVIER. 1731. 53
lette en question . Ce monstre , au reste,
a attiré tous les curieux de notre Villet
qui ont été surpris de voir un enfant non
corrompu , avec de l'embonpoint et toutes
les parties au-dessous du col bien figurées
, né sans cerveau , sans moële de
l'épine , et sans nerfs .
T
ETRENNES à Madame la
Comtesse de ***
Rouver un coeur bienfait n'est pas chose fa .
cile ;
On court pour le chercher au bout de l'Univers
Et de ses voyages divers
On n'emporte souvent qu'une peine inutile.
Puisse le mien être digne de vous ;
Vous l'avez rencontré sans prendre tant de peine
De l'honneur de vous plaire uniquement jaloux ,
Au votre il s'est lié d'une secrete chaîne ,
Et c'eft dans mes malheurs un remede bien doux
Ma parfaite reconnoissance
S'exprime mieux par un humble silence
Que par les longs détours d'un éloge apprêté ;
L'esprit n'a point de part à mon sincere hommage
Il est du coeur le pur langage ;
Le langage du coeur est toujours écouté.
DIS
$144 MERCURE DE FRANCE
***:************
DISCOURS de M. l'Olivier , Avocat
au Parlement , Substitut de M. le
Procureur General , et l'un des deux
Substituts des Procureurs Generaux ,
Sindics des Etats de Bretagne , prononcé
dans l'Assemblée des Etats.
MESSI ESSIEURS ,
Depuis l'élection que vous avez bien voulu
faire en ma faveur , j'ai 'souhaité avec
empressement qu'il se présentat quelque occasion
de vous en faire mes trés
remercimens.
respectueux
Penetré de la reconnoissance la plus vive,
je m'étois flatté que les expressions qui pou
voient la rendre sensible suivroient de près
les mouvemens de mon coeur ; mais le
respect
at la crainte dont je me sens penetré à la vuë
de cette auguste assemblée , ne me permettent
qu'à peine de vous faire entendre ma timide
voix.
Je ne trouve rien , Messieurs , de comparable
pour moi à la grace dont vous avez
bien voulu m'honorer. La préference que
vous m'avez donnée sur une foule de concurrens
distingués par leur mérite , en rehausse
infiniment le prix . Quelle gloire ne reçois-je
pas
JANVIER. 1731. 58
pas d'une place où je suis chargé de veiller
à la conservation des droits de la patrie ?
quelle satisfaction de pouvoir chaque jour
trouver de nouvelles occasions de la servir ?
L'honneur d'être admis dans vos assemblées
est encore un avantage qui me rend
cette place très précieuse ; c'est cette prérogative
, Messieurs , qui me met à portée de
connoître et d'admirer en même tems la superiorité
de vos lumieres , la penétration de
vos esprits , la sagesse de vos déliberations
c'est cette prérogative qui me rend témoin de
Fart et de la prudence avec lesquels vous
Scavez , Messieurs , concilier le service du
Roi avec les franchises et les libertés de cette
grande Province.
C'est enfin cette prérogative qui me procure
l'inestimable honneur d'approcher les augustes
personnages qui président à vos déliberations.
Un Prélat nourri dans la sagesse et dans
la pieté , également instruit de tous ses devoirs,
et fidele à les observer , qui joignant aux
vertus de l'Episcopat une parfaite connoissance
des affaires , et destiné à remplir
un jour les plus sublimes emplois de l'Eglise
et de l'Etat.
Un Seigneur aussi grand par sa haute
naissance , qu'il est aimable par les graces
naturelles qui l'accompagnent ; un Seigneur
qui dans un âge de tout tems consacré auxe
plaisirs
56 MERCURE DE FRANCE
plaisirs sçait s'occuper avec autant de dignité
que de succès des affaires les plus importantes
d'une Nation dont il est tout à la fois les délices
et la gloire.
Un Magistrat habile , prudent , équitable
qui par ses lumieres et une longue experience
s'est acquis une profonde connoissance des affaires
de la Province , et s'est tant de fois
distingué dans la place qu'il occupe si dignement.
Quelle gloire n'est ce pas pour moi , Messieurs
, de devoir à vos suffrages une place
qui me procure l'honneur de parler devant
des Personnes si illustres .
"
Des témoignages de bonté si marqués et si
éclatans exigent sans doute de ma part des
hommages pleins de respect pour cette majestueuse
assemblée , un zele à toute épreuve
pour les interêts qu'elle confie et une exactitude
scrupuleuse à tous mes devoirs.
C'est aussi , Messieurs , ce que je vous
supplie d'agréer , et en même tems tout ce
que je puis vous offrir. Quoique jeune , jose
esperer et le désir de répondre à votre choix
est le garant de mon esperance , que par mes:
soins et par mon attention à consulter les
maximes et à suivre les exemples de Messieurs
vos Procureurs Generaux Sindics , je
serai dans peu en état de travailler utilement
sous leurs ordres , et de vous donner des preuves
de mon inviolable dévouëment et de ma
respecineuse reconnoissance- Le
JANVIER. 1731. 57
Le Collegue de M. l'Olivier , dans la
même Charge de Subsitut des Procureurs
Generaux Sindics des Etats , est M. Odye,
Avocat au Parlement , et d'une réputation
distinguée.
HHHHHHHHHH:HHHHHXXXXX
CONTE
EPIGRAMMATIQUE.
CErt Ertain Pédant fut choisi par un Fat
Pour vanter ses hauts faits et son vaste génie ,
Sans avoir fait marché , la besogne finie ,
Entr'eux survint un grand débat :
Sur le prix le fat se récrie ,
Payer si cher des Vers ! c'est une mocquerie ,
Pour le particulier il faut être plus doux,
Monsieur , dit le Pédant , vous êtes bon et sage ,
Faites attention , s'il vous plaît , à l'Ouvrage ,
Je ferois moins payer Alexandre que vous ;
J'eusse pour le louer mis en vers son Histoire ;
Mais pour vous j'ai fait du nouveau ,
Et foi d'homme d'honneur en chantant votre
gloire ,
?
J'ai tout tiré de mon cerveau.
2
LET
98 MERCURE DE FRANCE
**
LETTRE écrite de S. Ouin en Picardie,
Le 20. Novembre 1730. sur les Perceoreilles.
1
Ous avez bien voulu , Messieurs ,
inserer dans les Mercures les lettres.
que je me suis donné l'honneur de vous
écrire au sujet du fils du sieur Lafitte
Chirurgien , demeurant au Bourg de Domart-
les-Ponthieu. Ce jeune homme qui
a été incommodé pendant cinq à six ans
par le grand nombre de Perce -oreilles
qui se sont engendrés successivement dans
sa tête , et qui sortoient par ses oreilles et
en partie par le nez , se trouve aujourd'hui
gueri parfaitement , et cela par l'effet
du pur hazard ensorte qu'on peut
dire que sa guerison est aussi surprenante
la maladie même , si toutefois on
que
peut qualifier cette incommodité de maladie.
Voici comme la chose est arrivée.
,
Etant chez un des amis de son pere ,
au mois de Janvier dernier , où on buvoit
de l'Eau de vie , boisson trop familiere
dans notre Province , sur tout parmi
les petites gens , on lui en fit boire
plusieurs verres dont il s'est trouvé yvre,
et cette boisson meurtriere ayant porté
sa fumée à la tête , on en vit sortir une
quantité
JANVIER. 1731. 59
quantité prodigieuse de ces insectes , ce
qui surprit étrangement les personnes
qui étoient présentes , et depuis ce tems
jusqu'à la fin d'Avril il ne ressentit aucun
des piquottemens qui lui faisoient souffrir
de très vives douleurs ; mais enfin il
en restoit un seul qui sortit alors , et depuis
il n'en a plus paru . Son teint devient
beaucoup meilleur , et ses cheveux qui
étoient bruns , et par les extrémités à demi
blancs , reprennent une couleur égale,
J'ai crû , Messieurs , vous faire plaisir de
vous informer de cet évenement. Je suis
toujours etc.
De Savoye , Curé de S. Ouin et Doyen
Rural de Vinacourt.
**
VERS
Faits par un Partisan du Celibat,
VEut- on que je prenne une femme ?
J'y veux trouver ensemble et jeunesse et beauté ,
L'esprit bienfait , une belle ame ,
Agrément et simplicité ,
Coeur sensible sans jalousie ,
Complaisance et sincerité ,
Vivacité sans fantaisie ,
Sagesse
小
o MERCURE DE FRANCE
Sagesse sans austerité ;
Enfin , pour la rendre parfaite ,
A toutes les vertus joignez tous les appas ;
Voila celle que je souhaite ;
Trop heureux cependant de ne la trouver pas !
********* *********
LETTRE écrite à M. Ziorcal au sujet
de sa Réponse à M. Barrés , inserée dans
le Mercure du mois d'Octobre 1730. sur
l'usage interieur de l'Eau de vie.
L n'est pas juste , Monsieur , d'éta-
I blir sur les débris que vous faites de
nos bons sentimens pour le Public , le
grand air de confiance qu'on découvre
d'abord dans votre Réponse à ma Lettre;
pardon , peut- être ne sçavez vous pas que
les gens raisonnables ne se laissent jamais
prévenir follement , & que le ton imposant
d'un Auteur insipide pour s'assurer
leurs suffrages , est moins capable de les
séduire que de les rendre plus scrupuleux
dans leurs décisions . Cela soit dit néanmoins
sans blesser en aucune maniere
l'honneur que vous avez bien voulu nous
faire , en nous proposant brievement vos
doutes , que vous auriez pû , à la verité,
épargner aux dépens d'une plus sérieuse
attenJANVIER.
1731. 61
attention , si sans doute elle n'eut été
trop penible pour vous , ce qui fait que
sans nous détourner beaucoup des devoirs
de notre profession , nous esperons de
vous ramener de votre pirrhonisme.
En premier lieu , quoiqu'on soit assuré
que tous les raisonnemens vagues ne sçauroient
convaincre les personnes raisonnables
de la verité des propositions qu'on
avance , il n'est pas moins à propos cependant
de s'en servir quelquefois , et de
les placer dès l'entrée de la question , où
on les dévelope ensuite , et qu'on ne fait
devancer uniquement que pour disposer
l'esprit du lecteur à la concevoir plus aisément.
Notre Lettre peut fort bien être
l'exemple d'un pareil cas , d'ailleurs ces
grands mots qui vous choquent si rude--
ment n'ont pourtant point blessé le goût:
ni les oreilles des plus fameux Medecins .
de ce tems qui les ont introduits dans leurs
Ouvrages qu'êtes vous , Monsieur
pour ne pas les souffrir ? et pouvez- vous
penser de bonne foi que ces grands Maîtres
de l'Art s'en rapportent à vous quicondamnez
leurs expressions sans les entendre.
Pour moi , je me tiens à l'abri .
des justes reproches qu'on seroit en droit.
de me faire, si j'osois temerairement rien
entreprendre là- dessus , et il me suffit de
trouver dans leur signification autant
D d'éner
-
62 MERCURE DE FRANCE
ト
d'énergie et de force qu'il m'en faut
dans le besoin , pour ne pas en désaprouver
le
sçavant usage ; ainsi vous nous permettrez
, sans doute , de nous en accommoder
dans toutes les occasions favorables
dont vous profiterez aussi , si vous le
pouvez , par la même licence que nous
vous donnons à notre tour . Je serois
beaucoup moins éloigné de bannir des
questions les raisonnemens dénués d'experience
; mais vous ne nous faites jamais
voir que ceux qui viennent de notre part
méritent la rigueur de cet exil. Au reste,
on n'a pas toujours besoin de raisons
fondées sur des principes mathématiques
pour convaincre , ce seroit faire tort à
bien des gens d'esprit qui ne sont point
dans ce goût , quoique pourtant trèsraisonnables
et très judicieux , que de leur
ravir le droit d'une question qui les interesse
avec tout le reste des hommes.
Maintenant sans perdre notre tems à
disputer des termes qu'on peut apprendre.
à l'Ecole , et à discuter de vains raisonnemens
, venons au fait de la question .
Nous assurons que l'Eau de vie est une
eau de mort sur ce qu'elle ne releve les forcés
que pour les abattre peu après , parceque cette
liqueurport: les puissances ou les ressorts des
solides au delà de leur tonus , ou de cettejuste
étendue que la nature leur a donnée,d'où étant
de
JANVIER. 1731. 63
>
on n'ide
retour sur eux mêmes , ils tombent dans la
langueur. Voyons si ce trait de notre Lettre
doit passer justement pour obscur.
Tout le monde sçait ce qu'on entend
par le tonus des parties solides
gnore pas même qu'il n'aille jusqu'à un
certain point , ou qu'il n'ait une, juste
étenduë ; qu'importe qu'on vous l'assigne?
Keil ( a ) et Borelli ( b ) n'ont pas sçû nous
éclaircir touchant l'étendue de la force du
coeur ; a-t'on moins de raison de se persuader
que les ressorts des solides sont
contraints bien souvent de se porter au
delà ? la vessie trop remplie d'urine se
porte au delà de son tonus , les vaisseaux
engorgés de sang souffrent aussi quelquefois
de semblables distensions , dans ces
violens tiraillemens qu'on pratique pour
remettre les os luxés à leur place les
fibres musculaires revenant ensuite sur
elles mêmes, ont-elles cette force d'un arc
bandé qui se débande ? et les membranes
dont elles composent le tissu joüissentt'elles
d'abord après leur retour de leur
premiere vigueur dans le jeu de leur contraction
? qu'en pensez vous , M. le Doc
teur ? Ainsi les ressorts des solides débridés
, pour ainsi dire , ou portés au delà
›
( a ) Jacques Keil donne au coeur une force
de cinq onces.
(b) Alphonse Borelli de trois mille livres.
Dij
de
64 MERCURE DE FRANCE
de leur juste étenduë , se trouvent dans
la langueur ou l'abattement qu'on se sent
après de violens exercices , et après même
l'usage des liqueurs ardentes. En effet , le
corps ayant souffert de trop rudes travaux
se sent fatigué , languissant , ou
pour éviter de passer chez vous pour
obscur , ses ressorts par le jeu continuel
qu'ils ont exercé pendant un assez lorg
tems , se sont comme relâchés , ensorte
que revenant sur eux-mêmes ils ont perdu
leur premiere vigueur , ce qui se fait
infailliblement par l'effort réïteré que
font les liqueurs contre les parois membraneuses
des vaisseaux qu'elles poussent
en dehors avec violence dans leurs cours
acceleré par la contraction continuelle
des muscles qui les envoye au coeur , et
que le coeur leur renvoye de même. Ce
' est donc point ici un arc qui acquiert
d'autant plus de force à se remettre, qu'on
le resserre jusqu'à un certain point , mais
c'est un arc qui en a d'autant moins , que
sa flexion est portée au delà , ou qu'on
le courbe trop , delà vient que dans les
premiers tems de son jeu il se redresse
avec beaucoup de vitesse et de force , et
que dans les derniers elle se trouve molle,
foible et languissante.
Il en est à peu près de même touchant
l'effet que les liqueurs ardentes produisent
JANVIER. 1731. 65
ร
sent dans leur usage interieur ( ce qu'on
reconnoit par le poulx ) d'abord le sang
se gonfle , les parois des vaisseaux sont
repoussées en dehors en tout sens ; les
ressorts des fibres musculaires des tuniques
portés alors au delà de leur tonus ne
pouvant rester constamment dans la même
distension , ni aller plus loin , par l'absence
de la cause qui les a mis en jeu
et qui à force de perdre de son énergie
s'est retirée ( ce qui arrive dans le second
tems de l'action de cette liqueur ) il faut
non seulement que ces puissances revien
nent sur elles- mêmes mais encore que
leur vigueur soit moindre qu'auparavant
pour deux raisons. 1º Parceque les fibres
après cette distension outrée se trouvent
lâches et incapables de repren
dre leur état naturel , si ce n'est après
un certain tems qui est celui de la lan~
gueur.. 20 Que les liqueurs épaissies
étant inhabiles au mouvement , obéïssent
moins à la pression des solides relâ
chés , et leur opposent de plus grandes
résistances à surmonter ; pour lors le sang
ralenti dans son cours passe dans le tissu
des muscles , rend leur contraction laborieuse
qui se force de les en dégager ; delà
ces lassitudes ces langueurs qui ne
manquent jamais de succeder à la force
à la fureur même qu'on observe d'abord
D iij
,
dans
66 MERCURE DE FRANCE
dans ceux qui ont usé des liqueurs ardentes
. Ajoutez à cela que le terme de
tout ce desordre étant le racornissement
des solides et l'épaississement des liquides,
ces langueurs perseverent , augmentent
même tous les jours avec l'usage des eauxde
vie , d'où suit ce nombre prodigieux
de maux qui retranchent une bonne partie
des jours de la durée de l'homme.
L'Eau de vie produit moins cette distension
dont il s'agit par sa quantité que
par sa nature , et vous devriez , Monsieur,
avoir ici plus de honte que dans tout autre
endroit de votre Réponse à ma Lettre,
de sentir mieux que personne qu'un de
mes confreres ne sçache point que ce n'est
pas le seul remede qui pris à petite dose
produit dans le corps de très sensibles
effets. Qu'est - ce qu'un grain d'opium
dans un corps de 160. livres ? Est- ce la
1600 partie de ce même corps ? soyez
surpris après cela , tant qu'il vous plaira ,
qu'on prenne 128. onces d'alimens sans
craindre cette distension qui se fait tou
jours appréhender avec juste raison dans
l'usage de l'Eau de vie qui rarefie le sang,
et qui l'épaissit dans des tems differens.
Le terme des tems que l'Eau de vie parcourt
dans sa maniere d'agir étant surve→
nu , les parties solides se trouvent dépourvues
des sucs lymphatiques qui en
humecJANVIER
. 1731. 67 humectent
le tissu , elles en deviennent
plus seches , plus compactes
, plus fortes,
mais aussi plus rebelles aux causes de leurs
mouvemens
, ou plus difficiles à se mettre
en jeu , ce qui fait voir que la langueur
est une suite de ce qui arrive dans
l'usage des liqueurs ardentes , malgré ces
prétendues
contradictions
dont vous nous
faites un crime , dans le tems que nous
si vous eussiez rapsommes
assurés que
porté plus au long ce trait de notre Lettre
, ou que vous eussiez aimé à méditer
plus attentivement
ce qui se passe dans les differens tems de l'action de l'Eau de
vie , vous auriez été moins scrupuleux
sur vos doutes.
{
Permettez
moi , Monsieur , de vous
dire ici qu'il faut ou que vous n'ayez
jamais pris par excès des liqueurs ardentes
, ou que vous n'ayez jamais vu des
gens
livrés à la débauche de l'Eau de vie
et du vin , pour nier la langueur , l'abattement
qui les ensevelit dans le sommeil,
et qui se fait sentir même quelque tems
après le repos ; sans cela il ne vous seroit
pas difficile par ces grands effets qu'une
quantité considerable
de ces liqueurs peut
produire très sensiblement
, d'inferer ma
thematiquement
par des calculs exacts
que vous faites si bien , quel doit être ce
lui d'une plus petite dose ; que si cepen-
Diiij dant
68
MERCURE DE
FRANCE.
faire
dant l'experience qu'un chacun peut
à ses propres dépens n'est pas un moyen
assuré pour vous convaincre du fait dont
il s'agit, tenez vous en à Regnier qui sçait,
sans doute , mieux que Sidenham & c.
Qu'un jeune Medecin vit moins qu'un vieil yvrogne.
C'est sur ce Vers que le Poëte n'a pas
crû , en le faisant , devoir servir de regle
dans la
Medecine , que vous croyez tout
de bon que le témoignage des buveurs
d'Eau de vie ou de vin ne nous est pas
avantageux , fondé veritablement encore
sur ce que s'ils sont exposés aux maladies
rapportées dans notre Lettre , les buveurs
d'eau n'en sont point exemts . Mais je vous
demande ( à part , s'il vous plaît , votre
grand air de confiance ) lesquels de ces
deux sortes de gens sont plus sujets à ces
mêmes maladies ? parlez sans vous émouvoir.
Quoique vous en disiez , on sçait
fort bien que dans le Pays du Nord ou
l'on se permet trop librement ces sortes
de liqueurs , les habitans se voyent tourmentés
de mille maladies , plus rares dans
tout autre climat où l'on est plus reservé
sur leur usage. Il n'est point question de
l'abus de l'eau simple ou de l'Eau de vie ,
on ne nous apprendra rien là dessus ; il
s'agit seulement de cet usage des Eaux
de
JANVIER. 1731. 69.
de vie qui a scû s'introduire parmi les
hommes , et qui fait voir bien souvent
au prix de la perte de la santé d'un très .
grand nombre , qu'il vaudroit mieux suivre
la saine pratique de Fernel de Sydenham
&c. que toutes les rêveries des
Poëtes que vous pouviez rapporter en,
grand nombre contre de si grands Medecins.
Qu'on ne nous accuse point ici cependant
de desaprouver l'Eau de vie ; nous.
sçavons aussi bien que ceux qui semblent
présomptueusement vouloir nous instruire
sur ce sujet , les bons usages que cette
liqueur spiritueuse remplit dans la Mcdecine
comme remede , soit qu'on l'employe
exterieurement ou interieurement,
nais qu'on la regarde comme necessaire
pour la santé. C'est ce que la Medecine,
ne pardonnera jamais à ceux qui font profession
de suivre sa saine doctrine ; il,
n'est pas possible de penser combien j'ai
été touché de reconnoitre dans un de mes
confreres un si fier ennemi contre un sentiment
qui ne peut qu'être salutaire à
l'homme dans le tems que le sien lui
est très dangereux ; en effet , puisque nous
voyons tous les jours des gens dans l'usage
de l'eau douce route pure joüir d'une
parfaite santé , l'homme ne pourroit-il
pas se passer de l'Eau de vie et se bien
DV porter
70 MERCURE DE FRANCE
porter ? dans les siecles plus reculés où
cette liqueur n'étoit point connue , vivoiton
moins qu'aujourd'hui ? les vieux yvrognes
du tems présent ont-ils une plus
belle vieillesse que ceux qui les ont devancés
loin de l'usage du vin où des liqueurs
ardentes ? que peut- on penser sur
cela ? Enfin doute qui voudra que
la maladie
doive plus à l'Eau de vie que la
santé parfaite dans un doute si dangereux
, il n'y aura que des témeraires et
des insensés qui se livreront au danger.
Malgré toute la sagesse de ces précautions
séduisantes que vous exigez dans l'usage
de l'Eau de vie après des grands repas , sous
le faux prétexte d'aider à la digestion
bien loin d'approuver votre pratique en
pareil cas , nous regardons cette liqueur
comme très contraire à cette fonction ;
et la méchanique que vous faites jouer
dans le secours qu'elle y apporte est toutà
fait ridicule. Cette liqueur acide et spiritueuse
, dites vous , tombant dans l'estomac
, perd son activité dans les parties
graisseuses des alimens , et ne garde qu'une
legere force pour exciter la contraction
de ce viscere affaissé sous leur poids ; comme
s'il se trouvoit dans les alimens divic
sés de petites celulles capables de retenir
ces parties spiritueuses , qu'une bouteille
bien bouchée laissé souvent échaper , et
d'en
JANVIER. 1731 7I
d'en refrener l'énergie. Les rapports vi
neux après une débauche semblent nous
montrer assez vrai semblablement qu'il
doit se passer pour lors dans l'estomac
échauffé en tout sens , farci d'alimens et
de vin , ce qui se passe à peu près dans
un alambic sur le feu , où les parties les
plus volatiles de ce qu'on distile ne sçauroient
se tenir cantonnées , intriquées
bien avant dans la texture du mixte , mais
se trouvent forcées d'obéir aux secousses.
du feu , et de donner lateralement en tout
sens contre ses parois , ou de sortir à la
faveur de la premiere issuë qui se présente.
Maintenant si notre conjecture n'est
pas trop hardie , et si on doit attendre un
semblable effet dans l'estomac après l'usage
du vin , quel sera celui des liqueurs
plus volatiles ? c'est alors que les parois.
de ce viscere continuellement agacées ,
arcelées par un nombre infini de petits
corps rigides effarouchés , qui ne peuvent
que les tourmenter considerablement dans
Feurs rudes et fréquentes atteintes , sont
obligées d'exercer des contractions vio→
lentes et extraordinaires dont la digestion
se passeroit plutôt que d'en recevoir du
secours. Vous direz , sans doute , que lesromac
affaissé sous le poids de trop d'alimens
a besoin d'être reveillé pour s'em
dégager.
D vj
Om
72 MERCURE DE FRANCE
>
On répond à cela que comme cette inhabileté
dans le jeu de ces contractions
ne vient que de trop de résistance qui
s'y oppose il ne faut pour les rendre
plus libres , plus aisées , que la diminuer .
Est- ce par le secours des Liqueurs ardentes
qu'on doit esperer d'y réussir ? Mais
au contraire , elles ne serviroient qu'à
dessecher ou durcir davantage cette masse
d'alimens , soit en interceptant le cours
de la Lymphe stomacale , soit en tarissant
la source de la salive et des autres
sucs lymphatiques qui vaquent à la dijestion
; ce qui augmenteroit la résistance
et rendroit les contractions plus laborieuses
; un bon délayant insipide , propre
à s'insinuer dans la masse des alimens
divisez , à la ramolir , à la détremper ,
à la liquefier et à la rendre ainsi docile
aux pressions de ce Viscere et des parties
voisines , suffit pour l'ouvrage de la digestion
; et comme de tous ceux que la
Nature a toujours offerts à l'homme , il
n'en est point de plus capable de s'acquiter
benignement de cet emploi , que
l'eau douce toute pure ; nous la regardons
comme très - salutaire dans cet usage;
alors les alimens en pâte plus détrempée,
plus mole , résistent moins et cedent aisément
aux contractions de ce Viscere
qui s'en dégage sans peine.
Les:
JANVIER. 1731. 73
·
que la
Les Acides de l'Eau de vie ( continuezvous
) fermentant avec les alimens , se
changent en Sels salez , aident à la division
des viandes , passent dans le sang ,
en accelerent le cours et les sécretions.
Croyez vous de bonne foi
chose se passe de même , et pouvezvous
sur votre même air de confiance
nous proposer publiquement une Méchanique
si mal établie ; de semblables.
raisonnemens ne méritent point de réponse
aux preuves que l'on apporte pour
les soutenir ; car outre qu'il se peut fort.
bien que ces Acides ne rencontrant que
des Acides dans les alimens , vous aurez
beau attendre pour lors de la fermentation
et des changemens en Sels salez
que d'ailleurs le chyle qui résulte après.
la dijestion , étant acide et non point salé,
votre changement est imaginaire , c'est
qu'on ne sçauroit convenir avec vous que
l'Eau de vie est un veritable Acide , et.
que prenant les routes du sang , s'il étoit
vrai que cela fût , loin d'en accelerer le
cours , elle ne dût plutôt le ralentir . Enfin
quand même vous auriez droit d'accuser
votre Sel salé d'augmenter le mouvement
des Liqueurs et des sécretions ,
vous avez oublié, sans doute , qu'on ap-.
prend sur les bancs que le cours des Liqueurs
augmenté , est une maladie dans
leurs
བྱ་
74 MERCURE DE FRANCE
leurs mouvemens que l'Eau de vie occasionne
dans son usage , suivant même
Votre sentiment , qui voudroit la faire
passer pour une Eau de santé.
Puisque vous avez pû vous dispenser
de citer les Auteurs de vos fameuses Experiences
, vous auriez pû aussi beaucoup
mieux vous épargner cette délicatesse affectée
qui vous rend si honteux pour ceux
qui les ignorent , et qui n'en font aucun
cas dans des faits étrangers à notre sujet.
On doit regarder l'Eau de vie dans son
usage interieur , quelque moderé qu'il
soit , comme un remede qui altere le
corps , Pharmaca sunt venena , et non
comme un aliment. Ainsi on peut , sans
craindre de perdre un secours pour
la santé
, s'en priver totalement ; et je conseille
à ceux qui se portent bien sans son usage ,
de ne point envier de se mieux porter
en la pratiquant ; Ovide n'est point une
regle pour nous dans la Medecine`, nous
consultons moins ses Ecrits dans l'Art
de guérir , que dans l'Art de plaire ; et il
faut , à la verité , ou que vous ne connoissiez
nullement vos Auteurs , dont vous
auriez pû préferer l'autorité , ou que vous
croyez que les Poëtes ont droit sur des
hypotheses comme la vôtre .
On reconnoît assez maintenant , sans
no en avertir vous -même , que tout ce
que
JANVIER. 1731.
75
que vous nous dites sur l'Eau de vie , n'est
pas si démonstratif que vous le donnez ;
mais plutôt , puisque vous avoüez ingénument
qu'il vous reste encore bien des
doutes sur ce sujet , n'a-t'on pas raison
de penser que dans cette incertitude des
choses où vous vous trouvez , les gens
raisonnables ne s'en rapportent plus à
vos belles paroles , ainsi ayant déja perdu
par un aveu si sincere de votre part , unebonne
partie de leur confiance , nos éclaircissemens
sur vos doutes , vous ayant entierement
desabusé de la votre propre ;
sera-t'il surprenant qu'il n'en reste à present
du tout point à personne ?
Au reste , Monsieur , on auroit grand
fort de ne pas vous juger digne d'excuse ,
vos doutes ne nous ont amusés que très-peu
de tems , et nous n'avons dérobé à nos
Malades que quelques momens pour les
éclaircir quelque grand que soit cet air
de confiance que vous voulez vous donner
en les proposant , ils ne nous ont
pas paru plus recommandables ; tout au
plus de semblables productions d'esprit ,
suivies d'un si grand bruit , ont sçu nous
rappeller la Fable dont parle Horace.
Quid dignum tanto feret hic promissor hiatus
Parturient montes , nascetur ridiculus mus.
A Pezenas , ce 24. Decembre 1730 .
RE
76 MERCURE DE FRANCE.
*******: * :*: * X *XXXX
REPONSE à l'Epitre en If , de
M. l'Abbé L *** inserée dans le Mercure
du mois d'Août 1730 .
Parbleu Arbleu ! vous faites l'apprentif ,
Et vous montrez le plus chetif,
Malgré l'amusant narratif,
Et le parfait compositif ,
De votre versificatif !
Quoi ! sans aucun émulatif,
Et quittant tout ostentatif ,
Yous êtes annonciatif¸
Que votre renonciatif ,
Est causé par le défestif ,
Du litteraire plumitif ,
Qui n'ayant plus de munitif ,λ
De ces mots qui riment en If ,
Vous rend assez peu restrictif a
Et vous vous tenez inactif ,
Dans ce honteux limitatif?
Mais dans votre imaginatif ,
Ou si l'on veut intellectif ,
Vous n'avez donc pas d'argent vif
Le Dieu Phoebus inspiratif ,
Est donc sourd à tout rogatif
Et d'Hélicon le libatif ,
N'est
JANVIER.
77 1731.
N'est pas pour vous excitatif?
Sans quoi votre cerveau fictif,
Cedant à son operatif,
Auroit été plus inventif;
Et de bien des mots créatif
Dans ce même terminatif,
Dont par aisé cumulatif ,
Vous auriez fait un productif,
A notre gré prolongatif ,
Et de tout Lecteur adoptif.
Des Noms et Pronoms l'ablatif
Auffi bien que le genitif ,
Et des Verbes le gerondif ,
Sans oublier le fubjonctif ,
Et même tout nom possessif ,
Auroient par incorporatif ,
Beaucoup augmenté l'électif,,
De votre borné collectif.
En nous décrivant l'ornatif
Et l'arrangé décoratif ,
De ce repas saturatif,
Qui se trouvant appetitif ,
Vous rendit par trop repletif ,
Ce gros Prieur figuratif,
De son corps peu maceratif ,
"
Ains pour le repas propensif,
L'auroit rendu prorogatif ,
En faisant faire innovatif,
D'assiete , avec exhibitif,
D
D'um
48 MERCURE DE FNANCE
D'un plat garni d'un rôt de bif,
Délicieux et tentatif ,
Malgré le surérogatif ,
Dont son couteau très-incisif
Ayant fait un prompt dissectif,
Vous auriez eu le traditif
Avec pressant invitatif ,
Poussé jusques à l'injonctif ,
D'un morceau très - manducatif ,
Et d'appétit imitatif,
Le vin non falsificatif ,
Dans un sceau de glace immersif ,
Et dans votre verre effusif,
Frais et non réverberatif,
Eut été plus incitatif,
De boire par iteratif , 愿
Et vous cût rendu locutif,
Par forme de gratulatif.
Sur sa fraîcheur exclamatif.
Puis du dessert expectatif ,
Il falloit être informatif,
De quel Vignoble émanatif ,
Ce vin étoit transpositif ;
A combien par supputatif ,
Se montoit le rétributif ,
Du Prieural habitatif ,
S'il avoit un attributif ,
De quelque revenu censif ;
Que coutoit le réparatik ; -
Et
JANVIER.
79 1731.
1
Et de combien par exactif ,
Aux Décimes contributif ,
Il en souffroit le vexatif ,
Sous quel bon Saint invocatif ,
De son Clocher dominatif,
Il se trouvoit occupatif,
Et depuis quel tems obtentif;
Si dans l'Eglise un positif, *
Au maître Autel oppositif ,
Avoit un Jeu bien diversif,
Et de tous sons imitatif;
Si lors de son visitatif ,
Son jeune cheval impassif ,
Faisoit frequent évolutif ,
S'il avoit pas bien progressif.
Et de ce discours mutatif,
Vous l'auriez comme indignatif,
Vû faire le renovatif,
De fait au long explicatif ,
( Avec plus d'un imprécatif,
En terme non mitigatif , )
De certain procès dévictif ,
Qu'un Chicaneur supplicatif,
En Cour de Rome impétratif,
D'un Bref dont l'intitulatif,
Est celui de dévolutif,
Lui fit jadis comme intrusif,
* Petite Orgue posée au bas de la grande.
Par
80 MERCURE DE FRANCE
Par exploit interpellatif,
En haîne du révocatif ,
D'un sien accord permutatif ,
Et contre les Loix extorsif ;
Sur quoi par trop inattentif
Le Chicaneur machinatif ,
Surprit Jugement forclusif;
Mais que par un évocatif,
Suivi d'un examinatif ,
Et d'un très - exact révisif ,
De son droit verificatif ,
Il avoit le procuratif,
D'un bon Arrêt manutentif,
Et de frais adjudicatif,
Dont il étoit exultatif,
Et son Plaideur tribulatif;
Que pourtant fort inclinatif ,
A prévenir tout discussif ,
Et d'âge non retrogressif,
Il formoit le méditatif”,
De faire son résignatif ,
Avec un sur moderatif,
Irritament stipulatif,
Et dans l'Acte même insertif,,
D'une pension rétentif ,
Revétu d'homologatif ,
Non sujet à rétractatif.
- Là , cessant le contemplatif ,
Et de son discours irruptif,.
Votre
JANVIER.
< 1731 .
Votre perçant lamentatif ,
L'auroit rendu stupefactif,
Et vraiment mortificatif ,
De ses fàcheux révolutif,
Vous voyant plaindre d'excessif ,
Et trop incommode oppressif,
D'un violent suffocatif
D'estomac extenuatif;
Qu'en Medecin transformatif,
Et toujours irrésolutif ,
Dans son avis vacillatif ,
Il eût traité d'opilatif,
Et même de vaporatif ,
Venant de ventre inflammatif.
Votre pouls moins élevatif ,
Votre coeur peu palpitatif ,
Eût fait son préoccupatif ;
Sans songer au fomentatif ,
Il eût proposé l'inflictif ,
D'un sanglant scarificatif ;
Et malgré votre déjectif ,
Selon vous , évacuatif ,
Vous auriez par intercessif,
Crainte d'aucun imputatif,
Avalé l'amer infusif ,
D'un gros de Séné transfusif ,
Violent et répercussif,
Avec Sel évaporatif,
Mineral
82 MERCURE DE FRANCE
Mineral et vegetatif,
Qu'il eût dit spécificatif,
Pour operer le digestif,
Par son effet dissolutif,
Et parfaitement abstersif.
Après ce premier purgatif,
Votre sang peu circulatif ,
Et devenu fermentatif ,
Auroit souffert l'introductif
Du remede carminatif ,
Et même du palliatif ;
Quoique du mal peu suppreffif,
Et presque toujours abusif ,
Pour n'être assez liberatif.
Enfin rendant le relatif ,
( A l'aide d'un suppositif ,
Un peu forcé , mais extensif. )
Pour le Lecteur désolatif,
Vous vous seriez , par disjonctif ,
De la terre en mer translatif ,
Embarqué près du Château- d'If , *
Dans un Vaisseau navigatif,
Dont un gros tems tempestatif ,
Ayant fait un rude implusif,
Sur un Rocher laceratif,
Vous auriez , peur du sumèrsif,
Sauté promptement dans l'esquif,
Au gré des eaux dérivatif,
Isle près de Marseille,
酥
JANVIER.
83 1731. Et de
tout secous privatif ,
Ne portant jamais Papefif , *
Et n'ayant besoin d'accoursif ;
Ou seul , et très - anxiatif ,
De mort prochaine appréhensif,
Au bon saint Nicolas votif ,
Et de tous Saints imploratif ,
Mécreant , après maint estrif,
Fer à la main décolatif,
Et très-souvent mutilatif,
Ayant Pair exterminatif ,
Et le geste verberatif,
Vous auroient pris comme furtif
Et comme espion putatif
De son fait dissimulatif,
Mis avec cordon coactif
Vos mains enserré conjonctif ,
Presque jusqu'au dislocatif ;
Et par l'effet consecutif,
Aussi l'on veut subsecutif,
D'un secret déliberatif ,
De votre sort définitif ,
Vous auroient sans exhortatif ,
Et differant votre occisif ,
Traîné dans leur Ville Eleatif.
Là vous auriez vû le Cherif ,
* Partie superieure de la grand Voile.
Passage de la Proie à la Poupe.
* Elcatif, Ville d'Arabie.
Qu'on
84 MERCURE DE FRANCE.
Qu'on dit se nommer Ilgerif ,
Plus fier qu'en France aucun Baillif
L'oeil fixe et jamais conversif
Avec un air rebarbatif
Et le verbe haut et jussif ,
Sans le moindre salutatif,
Vous faire l'abord primitif,
( Ainsi qu'on traite un fugitif, )
Don cruel et numératif,
Sans aucun modificatif ,•
De cent coups d'un bâton massif
Qui des pieds est le destructif ,
Ensuite un interrogatif
Très- sec & très-instigatif,
Par quel veritable motif
Chez lui vous étiez adventif,
De quel Pays étiez natif,
De quel Peuple fréquentatif,
De quel pere generatif,
Et de quel nom appellatif,
Avec certain observatif,
Que fussiez surtout attentif
Dans tout votre déclaratif ,
A n'être du vrai corruptif ,
Mais bien très fidele instructif :
Qu'autrement très reprehensif,
Il feroit faire un erectif,
De votre col très - suspensif ,
Après quoi du corps divisif
Chaque
JANVIER.
85 1731.
Chaque membre séparatif
Occuperoit son locatif
Au bout d'un piquet plantatif .
Si mieux vous n'aimiez l'éversif
D'un plomb fondu plus que frictif ,
Ou qu'un grand brasier très- arsif,
De tout votre corps abstractif,
Fût de vos os calcinatif.
A ce barbare conclusif,
De l'un et l'autre alternatif,
Votre fang coagulatif
Vous eut causé le convulsif ;
Et n'étant rien moins qu'obstructif ,
Un subit et promt soustractif ,
Pour chaque nez très-offensif,
Tout autant qu'un suppuratif ,
Auroit par multiplicatif,
Gâté le purificatif
De votre linge deffensif.
Puis sur la fin constitutif,
Après un simple affirmatif,
De verité confirmatif ,
Vous auriez fait un responsif
Pour votre salut solutif ,
Et votre représentatif
N'ayant rien que de probatif,
Et pas aucun fait négatif ,
Nous aurions vû notre Cherif,
Devenu plus adulatif,
E Yous
8 % MERCURE DE FRANCE.
Vous faire communicatif ,
Ou plutôt gratificatif ,
Par forme de restauratif ,
D'un Sorbet bon et potatif,
Et nullement alteratif .
Dieu vous donne bon reversif ,
Et vous garde du suggestif ,
De tout heritier présomptif ,
Qui , sous un faux démonstratif.
N'aimant que votre successif ,
Et craignant le subrogatif ,
De tout Acte substitutif,
Voudroit avoir l'institutif,
Sans aucun mot dérogatif ,
D'un testament nuncupatif
Pour l'universel lucratif
De maint contract pignoratif.
Or sus , pour peu que processif
Soyez , ou bien vindicatif,
Vous me rendrez le respectif ,
Lequel ( sauf le restitutif )
J'attends en froid speculatif.
Auteur de ces Rimes en If ,
Soyez un peu mémoratif,
Que par avis iteratif,
On affranchit tout productif,
Au Mercure destinatif,
Sans
JANVIER. 1731
Sans quoi le plus bel inventif,
Sera mis au rebutatif.
Soyez aussi plus attentif ,
A ne broncher sur l'élisif ;
Cela rend le Vers bien chetif ,
Mais nous avons fait corrrectif.
****************
REFLEXIONS sur la conjecture
proposée , touchant la correction d'un endroit
des traductions d'Horace.
N raisonnant ces jours passez avec
ENun Gramairien , sur la remarque inprimée
dans le Mercure de Juin , page
1350. la premiere pensée qui m'est venue
a été , qu'il n'est nullement deffendu de
s'opposer au torrent des Traducteurs ou
Interpretes des Aureurs Classiques. Je suis
ensuite allé plus loin , et j'ai cru qu'il
étoit necessaire de faire sentir aux Imprimeurs
le tort qu'ils ont de faire copier
souvent les fautes des manuscrits. Il n'est
pas
étonnant
, disois
-je , que
ceux
qui
lisent
Cornicula
dans
Horace
, traduisent
ce terme
par
celui
de Corneille
. Peut
-être
n'ont
-ils pas
bien
examiné
s'il
faut
veritablement
lire
Cornicula
dans
ce Poëte
,
et si ce
mot
a toujours
été
écrit
ainsi
.
Dès
lors
je
suis
tombé
d'accord
avec
E ij
l'Au-
-
88 MERCURE DE FRANCE.
sert pour
l'Auteur de la conjecture proposée , que
le mot Cornix écarte tout- à- fait l'idée de
Geai ; mais sans user du détour dont il se
faire valoir son sentiment, voicy
la pensée que je hazardois. Je ne prétendois
point qu'il en dût être autrement
de Cornicula par rapport à Cornix , que
de graculus par rapport à gracus et de
hædulus par rapport à heedus. Je présumois
seulement que le substantif corvus
avoit pû avoir dans l'antiquité ses diminutifs
, de même que ces trois autres coravec
l'autre avant
nix ,, gracus et hædus , et qu'ainsi on a pû
'dire corviculus et corvicula. Il seroit ennuyeux
de produire une infinité d'exemples
où l'on voit que la lettre n a été
prise pour la lettre . Ces méprises sont
venues de la ressemblance que l'une avoit
que dans l'écriture latine
on eut inventé une v consone pour
le besoin , et chez les grecs même la ressemblance
de ces deux caracteres est si
grande, que je lisois encore dernierement
dans le Journal des Sçavans du mois de
Juillet, que c'est sur le principe de cette
conformité que M. l'Abbé Sévin s'appuye
pour avoir la veritable lecture d'un
passage d'Hésiode ; ensorte qu'au lieu
de Dion genos , il faut lire, selon lui , Dion
genos.
Dans le texte de notre Poëte , il ne s'agit
JANVIER. 1731. 89
git point de race divine , mais de race.
corvine. Le Geai étant donc compris sub
genere corvino , selon l'Auteur de la Remarque
, qui me paroissoit suffisainment
autorisée , en ce que les bons Dictionaires
rendent le xoλe d'Esope , par le
terme Graculus . J'en concluois que si
Graculus signifie un Geai , xoxoids est
surement cet oiseau , et non pas la Corneille.
Mais comme il n'est pas certain
que graculus soit le Geai . C'est ce qui
doit arrêter toutes les consequences qu'on
pourroit tirer en supposant la chose.
D'ailleurs , la conjecture par laquelle on
prétendoit qu'Horace a mis originaire
ment corvicula, ne peut se soutenir , parce
que le Poëte , pour faire son vers , a
du mettre un mot dont la seconde syllabe
fût longue. Or la seconde de corvi
cula ( si ce mot existoit ) seroit breve , suivant
les regles des dérivez.
Comment donc ajuster tout cela : Ce
ne sera point en suivant l'auteur de la
conjecture dans tous les raisonnemens
qu'il fait , mais seulement dans quelques-
uns. Il a raison d'improuver ceux
qui croyent qu'Horace et Phédre ont
voulu désigner un oiseau different , et ilne
faut pas s'imaginer que le graculus
de celui- ci , soit different du cornicula du
premier.
E iij L'Augo
MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur doit , selon moi , revenir au
sentiment de Furetiere , qui dit que
graculus n'est point le Geai. A la verité
son Dictionaire ne renferme point de
Dissertation pour le prouver ; mais je
suis persuadé qu'il n'a pas pris la négative
sur cet article sans avoir de bonnes
raisons . Laissons donc les Traducteurs
d'Horace dans l'usage de prendre l'oiseau
de la fable pour une corneille ; et
tâchons seulement d'empêcher ceux qui
dans la suite traduiront Phédre , de rendre
le mot graculus par celui de Geai .
Déja il faut avouer que le terme latin
n'a pas grande affinité avec le françois
et c'est un assez grand fondement pour
douter.
J'avoue encore une fois que le noλorde
κολοιός
des Grees , et le graculus des Latins sont
le même oiseau. Il faut attribuer à
gram
eulus tout ce que les Grecs ont dit du ca
quet importun et désagréable du xoxoide.
figure des grands parleurs , qui cherchent
leurs semblables, et qui se plaisent à s'at-
Troupper pour faire grand bruit. Si le
Geai aime à jazer , le Graculus se plait à
grailler. Ces deux sortes d'oiseaux sont
loquaces, pour ainsi dire , et cependant ils
sont differens. Je n'ai point dans ma solitude
tous les Livres des Auteurs Payens
des premiers temps , qui ont parlé de ces
SOEJANVIER.
1731. 9:19
sortes d'animaux ; mais parmi quelques
collections que j'ai faites des Ecrivains
des moyens temps , je trouve un Historien
du huitième siècle , Auteur de la
Vie de S. Frichoux ou Fructueux , Archevêque
de Brague , en Portugal , mort
en 665 , lequel s'exprime ainsi : Nigras
parvasque aves quas usitato nomine vulgus
graculas vocitat , mansuetas in Monasterio
babuisse perhibetur. Il est important de
remarquer icy que selon ce texte , graculus
ou gracula est un oiseau de couleur
noire. Or le Geai n'est pas un oiseau
noir ; il est varié dans sa couleur.
Outre cela le but de l'Auteur de la
fable n'eût pas été assez sensible , ni le
sujer assez exactement traité , s'il eut
pris pour le fond de sa moralité un oi
seau qui eut eu un plumage de diver
ses couleurs , et qui n'eut point été laid
à voir. Il vouloit representer un oiseau
different du Paon, generalement en tou
tes choses , un oiseau peu agréable à la
uë , un oiseau d'un plumage uniforme
et de couleur lugubre et triste , lequet
dégouté de sa propre laideur , qui le faisoit
mépriser , avoit entrepris de se mé
tamorphoser en un autre oiseau infiniment
mieux habillé .
Sur le fondement de la disproportion
des deux oiseaux , la morale étoit ensuite
E iiij bien
92 MERCURE DE FRANCE.
*
bien plus sensible, et tomboit bien plus
visiblement sur ceux qui honteux de leur
pauvreté ou de la sterilité de leurs_talens
, se parent et s'ornent des biens et
des productions d'autrui . Je conclus
donc tout au contraire de la remarque.
inserée dans le Mercure , que ce sont les
Traducteurs de Phédre qui ont tort , et
non pas ceux d'Horace ; et qu'il ne faudroit
point intituler cette fable du Geai
glorieux , mais de la Corneille glorieuſe. Il
me paroît que l'Auteur a eu intention
de parler d'un oiseau semblable à nos
Corneilles. Il ne seroit peut-être pas même
hors de vrai-semblance que cet oinommé
par l'un de nos Auteurs
Latins , graculus , et par l'autre cornicula,
fut la Pie. On trouve dans cet oiseau
la loquacité reconnue par les Anciens.
dans le graculus , et elle est d'une espece
noire. Outre cela c'est un oiseau
qu'on apprivoise facilement ; cela convient
avec le texte de l'Auteur de la
Vie de S, Fructueux , qui écrivoit il y a
mille ans .
seau ,
. La Corneille dont il est fait mention
dans la Vie de S. Sour , Hermite en Périgord
, au sixième siècle , étoit un oiseau
domestique ; mais le nom de Cornicula
employé par l'Ecrivain de cette Vie , fait
croire qu'elle étoit de la couleur de nos
"
CorJANVIER.
1731. 93
Corneilles , et par consequent si on veut
allier en quelque maniere la domesticité
de cet oiseau avec sa couleur , on peut
dire que c'est la Pie . Il est vrai que la Pie:
et le Geal se ressemblent aussi du côté
de la domesticité ; peut-être est- ce pour
cela que les vocabulaires du moyen
temps , tels que celui de Papias de Lom.
bardie , identifient Gaius , Gaia , avec
Picus et Pica. Mais il y a trop de difference
du côté de la couleur , pour pou-.
voir dire que l'un soit l'autre. Et comme
dans la fable , c'est de la variété du
plumage qu'il est question , autant ques
principe de la beauté, je reviens toujours
à dire que l'animal le plus triste en couleur
et le plus laid en plumage , est celui
que nos Poëtes ont eu en vue , et non cefui
dont le plumage est aussi varié que
l'est celui du Geai . Et puisqu'il n'est pas .
rare de trouver des Geais blancs , trèsagréables
à la vue ; c'est une justice
qu'on doit rendre à cette espece d'oiseau
que de ne la pas mettre dans la catégorie:
des oiseaux naturellement laids , qui ont
besoin d'emprunter du Paon ,de quoi se
farder et s'embellir ..
que
Ce 2. Aouft 1730 ..
EV EXPLE
94 MERCURE DE FRANCE .
*****************
EXPLICATION de l'Enigme du
I vol. du Mercure du mois de Decembre
, & des deux premiers Logogryphes.
UN doux maintien , une agréable humeur „
Souris flateur , simple parure ,
Un beau Chef- d'oeuvre de nature ,
Beaucoup d'esprit , d'enjoüment , de douceur.
Un teint vermeil , un brillant coloris ,".
Des Dents plus blanches que l'ivoire ,
Gorge d'albâtre , et point de gloire
C'est le portrait de l'aimable Phylis .
Je crois
En vain m'appelle - t- on Hibou ,
que c'est un avantage ,
De porter le nom de Sauvage ,
Plutot que celui de Cousou.
Le Cul assis près de mon feu
Je laisse passer la gelée ,
Je dors la grasse matinée ;
Je dîne bien , et soupe peu..
F. M. Nic H
On
JANVIER. 1731. 25
On a dû expliquer le dernier Logogrife
du premier vol . du mois dernier
par Aigle.
L'Enigme du deuxième volume s'explique
par Dez; et les Logogrifes par
Maire et Collecteur.
J
ののの
ENIGM E.
E vas vite , et je vas toujours ,
Je ne trouve rien qui m'arrête :
Le vent , la pluye , la tempête ,
S'opposeroient en vain à mon rapide
cours.
Je donne et ravis les richesses ,
Je renverse les Forteresses.
Et mets l'intelligence entre les ennemis ,
Que l'on désesperoit de voir jamais unis.
Contre ses crean ciers , tel mon secours implore ,
Qui se verroit persécuté ,
Si par
bonheur pour lui je n'avois acquité ,
Ce qu'au fond il leur doit encore,
Iv LOGO
96 MERCURE DE FRANCE.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
J
LOGOGRYPHE.
E fais la nourriture ,
Des plus vils animaux.
Un pied de moins , je change de nature ;
Sur la table des Grands , je vais après le rost ,な
Me ranger par figure ;
Partagez ma structure ,
Sur moi jadis , plus d'un Héros
Dans Rome , à ce qu'en dit l'Histoire ,
'Après mille dangers , après mille travaux
Promena son renom , ses exploits et sa gloire.
A qui compte chez soy maint et maint Ducaton,
Je sçais faire rouler Carosse et Phaeton
Deux pieds de plus en font l'affaire ;
Otez-en deux , hélas ! Riches , Grands de la
terre ,
Un jour sera que dans votre saison
Moissonnez par la Parque
Vous quitterez le Phaëton ,
Pour prendre place dans ma Barque.
D.. D..
DEUJANVIER.
1731 97
DEUXIE ME LOGOGRYPHE.
J E suis un breuvage conmu
Mais , qui n'est point par tout egalement couru ;
Une Lettre de moins , je change de substance ,
Et suis divers en forme , aussi bien qu'en cou
1
leur ,
Mais
, si d'un
Element
j'éprouve
la rigueur
C'en est fait de ma consistance :
Si dans cet état actuel ,
Vous abbatez mon chef , je suis péché mortel ;
Qu'autre tête me soit donnée ,
Mon propre est d'expliquer , quand on veut la
pensée.
Arrangez-moi d'un autre sens ,
Je suis la marque des vieux ans.
Choisissez sur mon tout deux membres à ras
battre ,
Je serai piéce de Théatre.
A la Fere , le 16 Aoust 1730,-
D ...
NOU,
98 MER CURE DE FRANCE.
***************
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS, BC,
UVRAGES manuscrits d'Eusebe
Renaudot , de l'Académie Fran-
,
çoise . Extrait d'une Lettre écrite aux Auteurs
du Mercure , le 1 Decembre 1730. I
En continuant de donner des Extraits
des Mémoires pour fervir à l'Hiftoire des
Hommes Illuftres dans la République des
Lettres , & c. recueillis par le R.P. Niceron
, à mesure que chaque volume paroît
, j'ai gouté les choix que vous avez
faits , et je n'ai point désaprouvé les libertez
que vous avez prises en quelques
occasions en faveur de la verité , et pour
l'instruction du Public , persuadé que
l'Editeur même des Mémoires ne peut
que vous en sçavoir bon gré.
On est cependant surpris que dans votre
dernier Extrait qui regarde Eusebe
Renaudot , vous n'ayiez point relevé les.
termes trop durs , dont cet Editeur s'est
servi en parlant de la critique du R. P.de:
Premare , de la Compagnie de Jesus , sur
l'ouvrage de l'Abbé Renaudot , qui concerne
la Chine. Ces termes ont paru
d'auJANVIER.
1731 .
d'autant plus impropres et outrez à plu
sieurs personnes désinteressées , que le
P. de Prémare lui - même , en ne pensant
pas , comme notre Sçavant , sur le sujet
en question , le traite cependant avec
toute la politesse possible , et ne sort jamais
des bienseances. Il est à croire quesi
le livre du P. de Prémare avoit paru
du vivant de l'Abbé Renaudot , celui- cy
auroit pu répondre et donner des éclaireissemens
qui auroient peut-être satisfait
et le Public et son illustre Adversaire.
Le P. Niceron a eu raison en parlant
des Ouvrages manuscrits du Sçavant
Abbé , de dire que leur nombre surpasse
de beaucoup celui des Ouvrages imprimez
; les Benedictins de S. Germain des.
Prez ne les possedent pas encore , mais
cela n'empêche pas qu'on ne sçache bien
en quoi consistent ces Manuscrits . Ap--
paremment l'Editeur des Mémoires n'a
pas pû pénétrer jusques - là . Il est juste
que le public profite de la facilité que
j'ai eue , non seulement d'en voir plu--
sieurs fois le Catalogue , mais encore d'en
prendre une copie du vivant et de l'agrément
de l'Auteur. Je vous envoye cette
copie , et vous pouvez compter qu'elle
est exacte.
Euse
235165
TOO MERCURE DE FRANCE.
EUSEBII Renaudot , Opera Manuscripta
, et nondum edita .
2
L. De Nestorianis et Nestorianæ
Sectæ propagatione ,
vol. cum Apographis.
II. De Jacobitarum circà duarum
in Christo naturarum
unionem sententiâ , Apo- ,
graphum duntaxat..
III. Excerpta variorum Theologorum
Jacobitarum , quibus
suam ipsi doctrinam
explicant de naturarum duarum
in unam coalitione ,
Apographum.
IV. De hymno Trysagio..
V. De Ecclesiâ Copticâ.
VI. Excerptum ex Codice Vaticano
Quæstionum secundùm
doctrinam Ecclesiæ
Copticæ , cum Apographo.
VII. De Linguâ Copticâ tractatus
diversus ab eo quem Author
, Tom. II. Lyturgiarum
Orientalium edidit.
VIII . De Ecclesiâ Æthyopicâ cum
Apographo.
IX. Item. de eâdem
Æthiopicâ.
X. De Maronitis..
Ecclesia
XI..
JANVIER. 1731 口
XI. De Nestorianis cum Apographo
, sed imperfecto.
XII. De Melchitis.
f
XIII. De Theologiâ Orientali .
XIV. De Fide , Moribus et Institurtis
Christianorum Orientalium.
XV. De Eucharistiâ , ubi .
1. Orientalium Theologorum doctrina
de transmutatione elementorum in Corpus
et Sanguinem Christi. *
2. Observationes ad relata huc usque
testimonia, tàm ex publicis officiis, quàm
ex Theologis Orientalibus circa doctrinam
præsentiæ realis.
3. Observationes singulares de modo
transmutationis elementorum in Corpus
et Sanguinem Christi .
A 4. Observationes singulares de modo
transmutationis Corporis et Sanguinis
Christi , comparatione ducta ab Incarnationis
Mysterio.
XVI. De Liturgiis Orientalibus .
XVII. De Poenitentiâ.
XVIII. De Sacris Ordinationibus
Apographum duntaxat : ubi
De Subdiaconis.
De Diaconis..
De Presbyteris , sed imperfectum
.
XIX. Observationes circà quædam
capita
For MERCURE DE FRANCE
X X.
capita exposita Orientalium
de Sacramentis doctrinæ.
De Sacramento Baptismi secundùm
Melchitas , Jaco
bitas et Nestorianos .
XXI. Officium Baptismi secundùm
Ritum Ecclesiæ Alexandrinæ
Copticæ , cum notis .
XXII. Officium Baptismi Sancti ex
codice Colbertino Syriaco
6068. cum notis .
XXIII. Canon prescriptus à Patre
nostro Sancto Abbate Petro
Episcopo Bahuse , pro
consecratione noviBaptismi.
XXIV. De Circumcisione quæ ab
Ægyptiis, Jacobitis et Ætiopibus
observatur .
XXV. De Sacramento Confirmationis.
XXVI. De Sacramento Poenitentiæ
ejusque administrandi apud
Orientales disciplinâ.
XXVII. Ex tractatu Barsabi Dyonisii,
2
Episcopi Amidensis, de suscipiendis
Poenitentibus observationes
XXVIII. Ordo Reconciliationis Poenirentium
compositus à Mar-
Jesuibb , catholico Nestoriano.
XXIX .
JANVIER. 1731. 109
XXIX . Canones Poenitentiales Syrorum
Jacobitarum.
X X X. Ordo observandus circà eos
qui faciunt Confessionem.
XXXI. Orationes Poenitentiales varia
( cuncta hæc quatuor suis
cum Apographis. )
XXXI I. De oleo infirmorum , seu Extremâ-
Unctione.
XXXIII. De Sacris Ordinationibus cum
suo Apographo.
XXXIV . Officium ordinationis Episcoporum
secundùm Ritum
Ecclesiæ Jacobiticæ Alexandrinæ.
X X X V. Officia ordinationum sub ritu
Jacobitarum Orientis, bina,
quorum unum altero proli
xius est..
XXXV I. Admonitio ad ordinandos.
XXXVII. Officium ordinationis Chorepiscoporum
cum notis .
XXXVIII. In officia ordinationum ...
Jacobiticæ , Notæ.
XXXIX. De Sacramento Matrimonii.
X L. Ordo ad sponsalia celebranda
secundùm Ritum Ecclesiæ
coptica Alexandrina.
XLI. Officium Nuptialis benedictionis
secundùm ritum
Ecclesiæ Jacobitica.
XLIE
T04 MERCURE DE FRANCE
-XLII. De collectione Canonum Met
chitarum , seu eorum Christianorum
qui Græci generis
sunt et arabicè loquuntur.
XLIII. De Canonum Nicanorum
Arabicorum authoritate
Apographum duntaxat .
XLIV. De veteri Canonum codice
•
Syne Magni Ducis Etruriæ.
. XLV. De collectionibus Canonum
Orientalibus.
XLVI. De Canonum collectione Cyrilli
filii Laclak , Patriarcha
Alexandrini .
XLVII. De Canonum collectione Gabrielis
filii Tarik, Patriarcha
Alexandrini.
XLVIII. Collectio Canonum Æthyopica.
XLIX . De collectione Canonum quæ
apud Jacobitas in usu est.
De Calendario Ecclesiæ Jacobitica
Alexandrinæ.
L.
L I.
LIL
De Imaginum ' cultu Orientalium
doctrina.
De Linguam vulgarium in
Sacris usu .
LIII. De Scripturæ Sacræ Versionibus
quæ apud Orientales in
usu sunt.
LIV. Iterùm de fide , moribus et
instiJANVIER.
1731. 105
:
L V.
institutisEcclesiarum Orientis
; ubi , de fide apud Orientales
Schismaticos et Hæreticos
propagandâ.
De ratione agendi cum Orientalibus,
Hæreticis , Schismaticis
, ut ad fidem Catholicam
adducantur.
LV I. De Missionibus ad Orientis
Ecclesias faciendis : Triplex
opus cum suis Apographis.
Opuscula aliquot adversus recentiores quosdam
Scriptores heterodoxos et alios.
1. Réplique à l'Apologiste de M.Ludolf.
z. Adversùs Miscellanea Thomæ Smith
Angli .
3. Adversùs Sebastum Trapezuntium .
4. Dissertatio Apologetica adversùs Simeonem
Josephum Assemanum Maronitam
Bibliothecæ Orientalis Scriptorem
.
-'s . Tourneforlii Relationes castigatæ , in
quæ Christianorum his Orientis ritus
spectant.
OPUSCULA ALIA .
6. De Barbaricis Aristotelicorum librorum
interpretationibus.
7. Mémoire pour l'Academie des Inscriptions.
8.
08 MERCURE DE FRANCE
:
8. Du titre de Princeps Juventutis.
9. Mémoire envoyé à Rome au P. Laderchi.
40. De l'antiquité desVersions Orientales
de l'Ecriture Sainte .
OPUSCULA NON ABSOLUTA.
11. Dosithei Patriarchæ Jerosolimitani
adversùs Cariophilum opusculi translatio
imperfecta pauca desunt .
12. Du Mahometisme et de ses progrès .
13. Des Ecrivains Mahometans , tant Arabes
que Bretons et Turcs .
J'aurois pû ajouter ici l'Epitaphe qui
doit être mise sur le Tombeau de notre
Sçavant , mais ce seroit , ce me semble ,
trop entreprendre. Deux personnes trèsdistinguées
, l'une par son éminente Dignité
, l'autre par une érudition reconnuë
de toute l'Europe , en ont composé
chacun une. On choisira apparemment
celle qui conviendra le mieux. A l'égard
des Ouvrages Manuscrits qui font le sujet
de cette Lettre , l'Eglise et la République
des Lettres , ont un égal intérêt
d'en avoir bientôt la publication.
Je la souhaite plus que personne et je
suis toujours , & c.
LA BIBLIOTHEQUE des Poëtes Latins et
François, Ouvrage aussi utile pour former
le
JANVIER . 1731. 107
le coeur , qu'agréable pour orner l'esprit,
Accipite hæc animis, lætasque advertite mentes :
Nemo ex hoc numero mihi non donatus abibit.
Virg. Æn. 5.
AParis , chez Rollin , fils , Quay des Auguftins
, vol. in 12. 1731.
Le Public doit cette compilation à
M. Noblot , Auteur d'une Géographie
universelle , imprimée en 1723. chez
Osmont. Il paroît par le choix des passages
des Poëtes Latins et François sur des
sujets détachez et rangez par ordre alphabetique
, que l'Auteur a eu en vue d'être
également utile aux hommes de Lettres ,
et à ceux qui aspirent à cette qualité , en
fournissant aux uns un délassement agréa
ble au sortir de leur Cabinet , et aux autres
des matériaux pour se former le goût
et sçavoir distinguer dans les Ouvrages
qu'ils lisent , les endroits les plus remarquables.
M. Noblot a eu soin , comme le remarque
la Préface , et comme on peut
s'en convaincre par la lecture de son Recueil
, de ne donner que les plus belles
Maximes dont les Poëtes sont remplis ,
er de mettre à celles qui sont équivoques,
des correctifs suffisans dans le précis qu'il
donne en François de chaque pensée des
Poëtes. Il n'a encore donné qu'un premier
168 MERCURE DE FRANCE.
mier Tome qui finit par la lettre E. en
rapportant les Refléxions et les Passages
des Poëtes sur les envieux ; et il avertit
le Public à la fin de son Livre , que si
ce premier Tome mérite son Approbation
, il donnera incessamment la suite
qui est toute prête d'être imprimée.
Sans prévenir le jugement respectable
du Public , nous croyons pouvoir dire
avec M. le Moine , Docteur de Sorbonne
qui a donné son Approbation à l'Ouvrage,
que cet Auteur y choisit avec discernement
les matieres qu'il traite , qu'il y définit
chaque chose avec justesse et précision , et
qu'il ramasse ce que les meilleurs Poëtes
anciens et modernes , Latins et François ,
ont dit de Moral sur les objets que son
Ouvrage nous présente ; nous ne croyons
pas y devoir ajoûter les Poëtes Grecs que
Auteur n'a pas eu en vûë dans ce Recueil
, quoique M. le Moine les ait joints
aux Poëtes Latins et François dans son
Approbation.M.Noblot aura, sans doute,
plus d'attention dans la suite de són Ouvrage
à faire imprimer avec exactitude
les Passages des Poëtes Latins ; car l'Imprimeur
a glissé dans ce premier Tome
un nombre assez considerable de fautes.
Pour donner une idée du Livre qui
vient de paroître , nous allons rapporter
quelques sujets que traite l'Auteur , et
sans
JANVIER. 17317 109
sans entrer dans un détail qui nous meneroit
trop loin , nous nous bornerons
à quelques traits particuliers . M. Noblot
dit sur l'adversité , qu'elle est un état
fâcheux où l'on se trouve réduit par la
perte de la santé , de l'honneur , ou des
biens. Elle est , pour ainsi dire , la Pierre
de touche de l'amitié.Ovide se plaint ainsi
d'un de ses amis qui l'abandonne dans son
malheur.
Dum meapuppiserat valida fundata carina,
Qui mecum velles currere , primus eras.
Nunc, quia contraxit vultum fortuna , recedis.
Auxilio postquàm scis opus esse tuo .
Dissimulas etiam, nec me vis nosse videri ,
Quisque sit , audito nomine , Naso rogas
&c.
Aut age dic aliquam que te mutaverit iram ;
Nam nisi justa tua est , justa querela
mea est.
De Pont. 1. 4. El. 3 .
Il fait voir ensuite à ce faux ami que
la fortune aussi legere que les feuilles et
que le vent même , peut le jetter dans de
pareilles disgraces. Le même Poëte écrivant
à un fidele ami , lui promet un éternel
souvenir de ses services , et ajoute que
c'est dans l'adversité qu'on reconnoit
quels sont les vrais amis .
F Horace
410 MERCURE DE FRANCE.
Horace , L. 2. Od . 3. exhorte à souffrir
patiemment la mauvaise fortune, et à ne
point abuser de la prosperité.
Æquam memento rebus in arduis
Servare mentem , non secùs in bonis.
Ab insolenti temperatam ,
Latitiâ, moriture Deli
L'adversité est encore la Pierre de touche
qui distingue la vraye grandeur d'ame
de celle qui n'est qu'apparente.
Quo magis in dubiis hominum fpectare periclis,
Convenit, adversisque in rebus noscere quid sit;
Nam vere voces tùm primùm pectore ab imo ,
Ejiciuntur , et eripitur persona, manet res,
Lucret. 1. 3 .
M. Rousseau a heureusement imité
cette derniere pensée dans son Ode sur
la Fortune .
Montrez -nous , Guerriers magnanimes ,
Votre vertu dans tout son jour.
Voyons comment vos coeurs sublimes ,
Du sort soutiendront le retour .
Tant que sa faveur vous seconde ,
Vous êtes les Maîtres du Monde ,
Votre gloire nous éblouit ;
Mais au moindre revers funeste ,
Le masque tombe , l'homme reste ,
Et le Héros s'évanouit.
L'AMJANVIER.
1731. III
L'AMBITION.
L'Ambition est un desir ardent de s'é.
lever au - dessus des autres , et pour y parvenir
on viole souvent les loix les plus
sacrées ; mais à peine est- on sorti d'une
heureuse médiocrité, qu'on perd la trans
quillité et le repos.
Quisquis medium defugit iter ,
Stabili nunquàm tramite curret ;
dit Seneque.
L'Ambition ne finit qu'avec la vie ;
telle est celle de tous les Conquerans ,
et telle fut celle de Pirrhus , Roi d'Epire.
Le conseil que Cineas , son Confident
donnoit à ce Roi ambitieux , étoit plein
de bon sens . Car qu'étoit- il besoin que
ce Prince courût les Terres et les Mers
pour trouver un repos dont il pouvoit
joüir sans sortir de l'Epire.
Le conseil étoit sage et facile à gouter :
Pyrrhus vivoit heureux, s'il eût pû l'écouter :
Mais à l'ambition opposer la prudence ,
C'est aux Prélats de Cour prêcher la résidence;
Despr. Ep. 1.
L'Ambition d'Alexandre n'eut aussi
d'autre terme que sa vie.
Unas Pellao juveni non sufficit orbis :
Fij
Estuat
112 MERCURE DE FRANCE.
Estuat infelix angufto limite mundi ,
Ut Gyara clausus scopulis , parvâque seripho :
Cum tamen àfigulis munitam intraverit urbem,
Sarcophago contentus erit . Mors solafatetur,
Quantula sint hominum corpuscula .
Juvenal. Sat. 10.
Ce fougueux l'Angeli , qui de sang alteré ,
Maître du monde entier , s'y trouvoit trop serré.
Despr. Sat.10.
La vraye grandeur et l'héroïsme des
Princes ne consiste pas à établir leur gloire
sur la ruine des Empires.
Il eft plus d'une gloire. Envain aux Conquerans ,
L'erreur parmi les Rois donne les premiers rangs.
Entre les grands Héros ce sont les plus vulgaires;
Chaque siecle est fécond en heureux Témeraires a
Mais un Roi vraiment Roi , qui sage en ses projets
,
Sçache en un calme heureux maintenir ses Sujets;
Qui du bonheur public ait cimenté sa gloire ,
Il faut pour le trouver courir toute l'Histoire.
Tel fut cet Empereur .
Qui soupiroit le soir si sa main fortunée ,
N'avoit par ses bienfatts signalé sa journée.
Despr. Ep. 1.
JANVIER. 1731. 113
M. Rousseau touche très-bien cet endroit
dans son Ode sur la Fortune.
Juges insensez que nous sommes !
Nous admirons de tels exploits :
Est-ce donc le malheur des hommes
Qui fait la vertu des grands Rois ?
Leur gloire féconde en ruines ,
Sans le meurtre et sans les rapines ,
Ne sçauroit-elle subsister ?
Images des Dieux sur la terre ,
Est- ce par des coups de Tonnerre ,
Que leur grandeur doit éclater ?
Portrait d'un vrai Héros.
Quel est donc le Héros solide ;
Dont la gloire ne soit qu'à lui è
C'est un Roi que l'équité guide ,
Et dont les vertus sont l'appui.
modele , Qui prenant Titus pour
Du bonheur d'un Peuple fidele
Fait le plus cher de ses souhaits ;
Qui fuit la basse flatterie ,
Et qui , Pere de la Patrie ,
Compte ses jours par ses bienfaits."
Pour montrer combien les fruits de
P'ambition produisent d'amertume , M.
Noblot rapporte fort à propos la Fable
du Roi et du Berger, composée par M.de
Fiij la
114 MERCURE DE FRANCE
la Fontaine , et un endroit de du Bartas,
où ce Poëte ancien reproche avec beaucoup
de feu et de vehemence aux Rois
guerriers et avides de sang leur cruel desir
de s'élever sur les débris des autres.
Il faut encore voir ce que l'Auteur
rapporte sur les caracteres du vrai ami ;
on y voit avec plaisir la Fable du même
la Fontaine sur les deux amis , et les paroles
de Socrate à ceux qui trouvoient sa
maison trop petite.
Plût au Ciel
que
de vrais amis
Telle qu'elle est , dit-il , elle put être pleine !
Le bon Socrate avoit raison
De trouver pour ceux là trop grande sa maison
Chacun se dit ami ; mais fol qui s'y repose.
Rien n'est plus commun que le nom ¿
Rien n'est plus rare que la chose.
Vulgare amici nomen ; sedrara est fides. Phæd..
L. 3. F. 9.
Nous souhaiterions que les bornes d'un
Extrait nous permissent de suivre l'Auteur
dans ce qu'il dit sur l'amitié , sur l'avare
&c.
BIENFAIT.
On appelle bienfait un don , une grace,
un bon office et tout ce que l'on fait pour
obliger quelqu'un. M. Noblot apporte
l'exemple
JANVIER . 1731.
l'exemple d'Arcesilais qui montre un
ami prévenant et bienfaisant. Nous ren- >
voyons là- dessus le Lecteur au Livre même.
Nos bienfaits doivent se répandre plutôt
sur les necessiteux que sur d'autres.
Benefacta male locata , malefacta arbitror ,
Dit Ennius , cité par Ciceron. Le bienfait
bien placé n'oblige pas seulement ceux
à qui il est accordé , mais encore tous
les gens de bien.
Beneficium dignis ubi das omnes obligas. Pub
Syr.
Le bien qu'on fait aux personnes vertueuses
n'est jamais perdu.
Bonis quod benefit baud perit. Plaut. Rud.
Faire du bien à un autre , c'est s'en faire
à soi même.
Quid exprobas benè quod fecisti , tibi fecisti,
non mihi. Plaut. Trinum.
En rappeler le souvenir , c'est le reprocher.
Nam istae commemoratio
Quasi exprobratio est iramemoris beneficis.
On perd le mérite du bienfait en le
publiant.
Fiiij Un
16 MERCURE DE FRANCE
Un bienfait perd sa grace à le trop publier ;
Qui veut qu'on s'en souvienne , il le doit oublier.
Corn.
Crede mihi , quamvis ingentia , posthume dona ,
Auctoris pereunt garrulitate sui. Mart.
L. 5. Ep. 52.
Vanter un bienfait , c'est s'en payer.
Si Charles par son crédit
M'a fait un plaisir extrême ,
J'en suis quitte ; il l'a tant dit
Qu'il s'en est payé lui- même.Gomés .
Mais il faut payer les bienfaits au moins
de reconnoissance .
•
Beneficia plura recipit qui sçit reddere . Pubi
Syr.
BONHEUR.
Le bonheur consiste dans la possession
des biens que l'on desire ; mais cette possession
n'est parfaite que dans le Ciel .
L'Auteur auroit pû le prouver par ces
Vers de S. Prosper.
Felices verè faciunt semperque beatos ,
De vero et summo gaudia capta bono.
Il ne consiste point dans la gloire ni
dans les plaisirs . L'homme peut être heureux
sans être puissant et sans être élevé ;
mais
JANVIER.
117
1731.
mais on est assez aveugle pour chercher
le bonheur où il n'est pas.
Eheu quàm miseros tramite devio ,
Abducit ignorantia !
Non aurum in viridi queritis arbore ,
Nec vite gemmas carpitis &c.
Quid dignum stolidis mentibus imprecor ?
Opes , honores ambiunt ;
Et cùm falsa gravi mole paraverint ,
Tùm vera agnoscant bona. Boët. L 30
Metrum . 8.
- M. Noblot auroit pû ajoûter ce beau
passage d'Horace. Od. 8. L. 4.
Non possidentem multa vocaveris
Rectè beatum ; rectiùs occupat
Nomen beati , qui Deorum
Muneribus sapienter uti ,
Duramque callet pauperiem pati ;
Pejusque letho flagitium timet &c.
Cependant les hommes au lieu de s'at
tacher au vrai bonheur , se reposent sur
des biens fragiles. Ici M. Noblot rapporte
le bel endroit de la Tragédie de
Polieucte qui commence par ces Vers..
Source délicieuse , en misere féconde ,
Que voulez-vous de moi , flateuse voluptés
F v
Honteux
118 MERCURE DE FRANCE
Honteux attachement de la chair et du monde ,
Que ne me quittez vous quand je vous ai quitté ?
Toute votre felicité ,
Sujette à l'instabilité ,
En moins de rien tombe par terre
Et comme elle a l'éclat du verre ,
Elle en a la fragilité. &c .
Le bonheur qu'on goute dans le Ciel
est le seul solide , le seul immuable ...
Saintes douceurs du Ciel , adorables idées ,
Vous remplissez un coeur qui vous peut recevoir;
De vos sacrés attraits les ames possedées
Ne conçoivent plus rien qui les puisse émouvoir..
Vous promettez beaucoup, et donnez davantage;
Vos biens ne sont point inconstans
Et l'heureux trépas que j'attends.
Ne sert que d'un heureux passage
Pour nous introduire au partage
Qui nous rend à jamais contens. Ibid.
Sur la CHARITE' . M. Noblot rapporte
le beau Cantique que M. Racine a
composé sur elle. Nous renvoyons au
Recueil même..
L'Article sur DIEU est très bien touché.
Dieu , dit-il , ne peut être défini ,
parcequ'il est incompréhensible.
Nous devons avant toutes choses honorer
Dieu .
ImJANVIER.
1731. 119
Imprimis venerare Deos. Virg. Georg. 1 .
Et commencer par lui toutes nos actions..
Ab Love principium. Idem.
C'est Dieu qui a fait le monde , qui le
gouverne et qui l'entretient dans ce bel
ordre où nous le voyons. L'Auteur cite
ici un beau passage de Boëce , qu'il faut
lire dans l'Ouvrage même. La composi
tion du Monde prouve l'existence de
Dieu , selon Manilius.
2
C
Quis credat tantas operum , sine numine , moles
Ex minimis , coecoque creatum foedere mundum.
Elle montre encore la gloire de Dieu .
L'Ode de M. Rousseau sur le Pseaume
Coeli enarrant gloriam Dei , vient ici très
à propos
.
Les Temples et les Autels qui plaisent
le plus à Dieu , sont nos coeurs ; ce sont
eux qu'il veut pour presens.
Nulla autem effigies , nulli commissa metallo
Forma Dei : mentes habitare et pectora gaudet.
Stat. Thebaid. 1. 12.
Quid Coelo dabimus , quantum est quid veneass
omne ,
Impendendus bomo est
ipso. Manil. 1. 4.-
Deus esse ut possit im
Fvi Dieu
120 MERCURE DE FRANCE.
Dieu nous aime mieux que nous ne
nous aimons nous- mêmes .
Carior est illis , ( superis ) homo quàm sibi.
Juv. Sat. 10.
La confiance qu'on met en Dieu ne
peut être ébranlée . Il faut lire sur ce sujet
l'Ode de M. Rousseau , sur le Pseaume
Qui habitat , que l'Auteur rapporte.
Nous ne pouvons suivre l'Auteur dans
la suite des Passages qu'il réunit sur cet
article , comme sur les autres . On trouve
sur celui -cy des traits de Racine , de
Racan , de Rousseau et d'autres Poëtes
qui conviennent parfaitement au sujet ;
et qui font honneur également aux Poëtes
qui les ont produits , et au judicieux
Auteur qui les rassemble.
On y trouve plusieurs Passages Latins.
qui sont pris dans un sens adapté ; mais
dont l'application , heureuse qu'en fait
M. Noblot , ne fait point de tort ni à la
Citation , ni au corps de l'Ouvrage.
CAS DE CONSCIENCE sur le Jubilé,
et l'administration du Sacrement de Pénitence
, sur le Jeûne du Carême , sur
les Danses , sur l'yvrognerie , décidez par
les Docteurs de la Faculté de Théologie
de Paris ; Brochure in 12. A Paris , ruë
S. Jacques chez Ph. N. Lottn.
CON
JANVIER . 1731. 121
CONDUITE pour sanctifier le jour
Anniversaire du Baptême , avec des Regles
et des Maximes pour vivre chrétiennement
dans chaque état , in 18. Prix
1. livre 5. sols. Chez le même.
CATECHISME des Dimanches et des
Fêtes principales de l'année , où on faiť
connoître la sainteté de ces jours , avec
la maniere de les sanctifier. On y a joint
quelques Instructions sur les Pelerinages ,
les Confreries et les Paroisses . in 18. Prix
20. sols. Idem.
INSTRUCTIONS CHRETIENNES
sur le Carnaval . in 12. Prix 25. sols , Idem
INSTRUCTIONS CHRETIENNES
sur les Bains. Brochure in 8. Idem.
MAXIMES CHRETIENNES sur la
Pénitence , sur la Communion , sur le
Jeûne du Carême , sur les Spectacles ,
sur les devoirs des Ouvriers , & c. Brochure
in 24. Idem.
Le R.P. de la Boissiere, Prêtre de l'Ora
toire , après avoir prêché plus de quarante
ans dans Paris avec un grand succés
, se voyant par son grand âge hors.
d'état de continuer , s'est déterminé à
donner
122 MERCURE DE FRANCE
donner au Public ses Sermons . Les trois
premiers Volumes parurent au commencement
de l'an 1730. chez Henry , Libraire
, rue S. Jacques ; le favorable accueil
que leur a fait le Public , a porté
ce Pere à donner chez le même Libraire
la suite , elle comprend les Misteres , les
Panegyriques et l'Oraison Funebre de
Madame Mollé , Abbesse ; ils sont en
vente depuis peu de jours , et comme
ses Panegyriques ont été toujours regardez
comme des modeles en ce genre ,
il est à présumer que le . Public ne les
recevra pas moins favorablement que ce
qui a précedé. Le tout fait six Volumes
in 12 .
و ت
Barthelemi Alix , Libraire à Paris , vient
de publier les Refléxions politiques de Baltazar
Gracian , sur les plus grands Princes
particulierement sur Ferdinand le Catholi
que. Cet Ouvrage est traduit de l'Espagnol
, avec des Notes Historiques et Cri
tiques.
La seconde Suite des Concerts de Symphonie
, du sieur Aubert , dont nous avons
annoncé la premiere , paroît depuis peu
et a un très-grand succès , ainsi que la
premiere. La troisiéme paroîtra au commencement
de Février , et se vendra ,
comme
JANVIER. 1731. 123
comme les autres , chez l'Auteur , ruë de
la vieille Bouclerie , à la Chaise Royale ,
et chez Boivin et le Clerc.
NOUVEAU PLAN DE PARTS , et
de ses environs , contenant le détail de
ses Faux- Bourgs , Villages et Maisons de
Campagne. Levé géométriquement parle
sieur Roussel , Ingénieur ordinaire de
Sa Majesté. Dédié et présenté au Roi le
6. de ce mois, Se vend 24. livres en
feuilles. A Paris , chez la Veuve Faillot ,
attenant les grands Augustins.
Ce Plan mérite une attention particuliere
; M. Roussel , Ingénieur ordinaire
du Roy , Chevalier de S. Louis , Chef du
- Bureau des Plans et Cartes de S. M..sous
les ordres du Ministre de la Guerre , qui
en est l'Auteur , n'a rien oublié pour le
rendre utile et agréable au Public . Il a
crû qu'après avoir levé , pour le service
du Roi , les Alpes , les Pyrennées , la Sa
voye, partie des Etats de Piémont , de
Mantouë et de Brabant , il lui convenoit ,
après une pratique de 40. années , de
traiter ce dernier Ouvrage avec tout l'Art
et toute la précision possible , en quoi
on peut dire que l'Auteur a réussi , On
ne trouvera point ailleurs un détail plus
varié et plus agréable ; car outre les Fauxbourgs
de Paris , on y voit avec plaisir
dans.
124 MERCURE DE FRANCE
dans le même Plan , tous les Villages et
les Campagnes qui sont compris entre
Vincennes et S. Cloud. Le Plan est en
neufFeüilles , en beau papier, et fort bien
gravé.
Le sieur Willerval , Libraire à Douay,
vend un RECUEIL des Edits , Déclarations
et Reglemens qui sont propres et
particuliers aux Provinces du Ressort du
Parlement de Flandres , imprimé par
l'ordre de M. le Chancelier . C'est un in 4.
de 1050. pages.
Le même Libraire vient d'imprimer
'HISTOIRE du Baïanisme ou de l'Héresie
de Michel Baïus , avec des Notes
Historiques , Chronologiques , Critiques,
&c. suivies d'Eclaircissemens Théologiques
et d'un Recueil de Pieces justificatives.
Par le R. P. J. B. Duchesne , de la
C. de J. Volume in 4. de 800. pages.
EXJANVIER.
1731. 129
EXTRAIT du Mémoire la par M. de
Réaumur, à l'Assemblée publique de l'Académie
Royale des Sciences , du 15 Novembre
1730.sur des Thermomètres d'une
nouvelle Construction , dont les dégrez
donnent des idées d'un chaud et d'un
froid , qui peuvent être rapportez à des
mesures connuës .
Es Thermomètres ne sont pas seule
Live
ment des instrumens à l'usage des
Phisiciens ; generalement on aime à les
consulter , sur tout lorsque le froid de
l'Hyver est rude , ou que la chaleur de
l'Eté est accablante. On aime à comparer
le froid ou le chaud qu'on ressent actuel
lement avec celui des années précédentes.
On aimeroit à sçavoir combien ils sont
éloignez du plus grand froid , ou du plus
grand chaud des autres climats. Mais la
construction des Thermomètres qu'on a
faits jusques icy , ne les rend pas propres
à nous donner sur tout cela des connoissances
bien satisfaisantes.
Il faudroit pouvoir comparer les dégrez
de froid et de chaud , marquez par
differens Thermomètres , en differentes
saisons , en differentes années , et en differens
païs . Or comment faire cette comparaison,
si les Thermomètres , tels que nous
les
126 MERCURE DE FRANCE.
à
les avons aujourd'hui , étant exposez à
un même air , expriment les changemens
de temperature d'air par des nombres de
dégrez differens , er de dégrez dont les
rapports réels nous sont inconnus ! De
deux Thermomètres placez à côté l'un de
Pautre , l'un montera de 7 à 8 dégrez ,
pendant que l'autre ne montera que de
3 à 4 , plus ou moins. Ils parlent tous des
langues differentes ; on n'entend que celle
du Thermomètre qu'on a suivi pendant
plusieurs années; encore ne l'entend-t- on
que très - confusément. On sçait bien le
nombre de dégrez qui se trouve entre le
plus grand froid qu'il a marqué dans une
année , et le plus grand froid qu'il a marqué
dans une autre , mais ces dégrez ne
nous donnent aucune idée distincte d'une
mesure de froid , ou de chaud ; car qu'est
ce qu'un dégré d'un Thermomètre ? On
connoît assez la principale des causes
d'où naist l'irrégularité des marches des
Thermomètres qui sont le plus en usage ,
et qu'on appelle Thermomètres de Florence.
Ils consistent dans une Boule ,
adaptée à un Tube , une certaine quartité
d'esprit de vin coloré y est renfermée
selon que le diamètre de la Boule
est plus ou moins grand , par rapport
celui du Tuyau , la liqueur s'éleve plus
ou moins dans le Tuyau. Pendant te
à
même
JANVIER. 1731. 1 27
même changement de temperature d'air ,
elle marque plus ou moins de dégrez
sur des Thermomètres de même hauteur,
parce que les dégrez sont des parties éga→
dans lesquels la longueur du Tuyau
a été divisée arbitrairement. Comme on
ignore le rapport du Diamètre de la
Boule à celui du Tube , on ignore aussi
les rapports des dégrez des differens
Thermomètres.
Une autre source encore de variétez
considérables , à laquelle on n'a pas pris
assez garde jusques à aujourd'hui , ou du
moins à laquelle on n'a pas cherché à re
medier ; c'est la qualité de l'esprit de vin
qu'on y renferme. M. de Reaumur fait
remarquer que plus les esprits de vins
sont forts , et plus ils sont dilatables , qu'il
y a des Thermomètres remplis d'esprit
de vin très- rectifié , d'autres remplis de
simple Eau- de-vie , et d'autres remplis
d'esprit de vin de biens des qualitez
moyennes entre les deux précédentes . De
sorte que quand on seroit parvenu , ce
qui n'est pas possible, à déterminer exactement
les rapports des diamètres des
Boules à ceux des Tubes , dans differents
Thermomètes , leurs dégrez ne sçauroient
être comparez ensemble , dès qu'ils scroient
remplis d'esprit de vin de differen
tes qualitez , et qu'on ignoreroit , comme
on
128 MERCURE DE FRANCE
on l'a ignoré jusques icy , les differences
qui sont entre les qualitez de ces esprits
de vin. Les Physiciens qui avoient interêt
à perfectionner les Thermomètres en ont
imaginé de bien des formes ; mais celle
des anciens a prévalu ; c'est le Thermomètre
de Florence , qu'on trouve presque
par tout.
M. de Réaumur conserve aussi la même
forme à celui qu'il propose dans ce Mémoire.
L'extérieur en paroît en quelque
sorte le même , quoique sa construction
soit totalement differente. Voici les principes
sur lesquels elle est fondées. Premierement
il détermine le caractere de
l'esprit de vin qu'il fait entrer dans le
Thermomètre , et le détermine de façon
qu'on pourra en tout Païs avoir de pareil
esprit de vin , en reconnoître la qualité.
Secondement , il mesure exactement la
quantité de l'esprit de vin qu'il fait entrer
dans le Thermomètre. Cette quantité
est composée d'un nombre déterminé
de petites mesures connues , de mille
mesures , par exemple .
Troisiémement , les dégrez ne sont
plus des portions arbitraires de la longueur
du Tube , et toutes égales entr'elles
en longueur ; ce sont des portions
du Tube égales entr'elles en capacité , et
égaJANVIER.
1731. 129
égales chacune à une de ces parties ou mesures
, dont le volume total est composé;
chacune est , par exemple , une milliéme
partie de ce volume .
Quatrièmement , il fixe , il détermine
ce volume de mille parties par la congel
lation artificielle de l'eau , c'est à dire ,
par de l'eau qu'il fait geler , autour de
l'esprit de vin . C'est lorsque cet esprit
de vin est condensé par la congellation
artificielle de l'eau que son volume est de
mille parties ou mesures. Or l'esprit de
vin qu'il choisit est tel que son volume
étant mille , lorsqu'il est condensé par la
glace artificielle , il est 1080 lorsqu'il est
dilaté par la plus grande chaleur que l'eau
bouillante puisse lui donner , sans le faire
bouillir.
Ainsi tout est connu , tout est mesuré
dans ces nouveaux Thermomètres. Tous
aussi expriment leurs dégrez de la même
maniere , et toujours d'une maniere intelligible.
On les y compte à commencer
depuis le terme de la congellation de l'eau.
Les dégrez qui sont au dessous sont les
dégrez descendans , ou les dégrez de condensation
; et les dégrez qui sont au dessus
sont les dégrez ascendans ou les dégrez
de dilatation. Tous ces dégrez nous
donnent des idées de mesures de chaleur
telles que nous pouvons les demander.Ils
nous
130 MERCURE DE FRANCE
nous apprennent continuellement combien
s'est dilaté , ou combien s'est condensé
un volume connu d'une liqueur
connuë. Quand la liqueur s'est élevée au
20° dégré au dessus de la congellation de
l'eau ; nous savons qu'un volume de liqueur
qui est mille dans le temps de la
congellation de l'eau , est devenu 1020 ,
c'est-à- dire , que le premier volume s'est
dilaté d'une cinquantième partie , de
même quand la liqueur est descenduë de
20 dégrez au dessous du terme de la
congellation ; nous sçavons que le volume
qui étoit mille , est devenu 980 , ou
qu'il s'est condensé d'une so partie , plus
qu'il ne l'est par la congellation artificielle
de l'eau.
On ne sçauroit entrer icy dans le détail
des pratiques qu'on doit suivre pour
construire exactement ces Thermomètres,
quoiquelles soient simples et faciles ,
on ne pourroit faire entendre tout ce qui
sert à les faciliter , à les abreger , à leur
donner de la précision , sans copier dans
toute leur étendue les explications qui en
ont été rapportées dans le Mémoire même.
Tout se fait , la mesure à la main.
Nous nous contenterons de faire remarquer
que les Tubes et les Boules de ces
Thermomètres ont beaucoup plus de capacité
que les Boules et les Tubes des
TherJANVIER.
1731. 13r
Thermomètres ordinaires . Il seroit im
possible de mesurer exactement les portions
des capacitez égales , qui doivent
marquer les dégrez , dans des Tubes presque
capillaires , tels que sont ceux des
Thermomètres ordinaires. M. de Réaumur
prend pour les siens des Tubes aussi
gros que le sont ceux des bons Baromè
tres simples car les Baromètres simples ,
faits de Tubes capillaires ne valent rien,
et il prend des Boules de trois pouces et
demi , ou quatre pouces de diamètre,
Si on cut commencé faire des monpar
tres,on n'auroit point eu de mesures exactes
du temps , jusques à ce que quelqu'un
cut proposé de faire de plus grandes
Horloges , comme sont les Pendules. C'est
ce qui est arrivé aux Thermomètres . On
a commencé par les construire d'une trespetite
capacité, et on n'a pas pensé assez- tôt
qu'il étoit essentiel de leur donner une
capacité plus grande , si on vouloit en
faire des instrumens exacts pour mesurer
le froid et le chaud.
La solidité des principes sur lesquels
ces nouveaux Thermomètres sont construits
est incontestable, mais on pourroit
douter si la pratique répond icy assez
exactement à la théorie. Les Thermomè
tres qui ont été construits , font voir
qu'elle y répond , même plus exactement
qu'on
132 MERCURE DE FRANCE
qu'on n'eut osé l'attendre. Lorsqu'on en
place 7 à 8 , ou un plus grand nombre ,
les uns à côté des autres ; on a le plaisir
de voir qu'ils marquent tous le même
dégré de froid ou de chaud.A peine trouve-
t-on entre ceux qui s'écartent le plus,
une difference d'un quart de dégré , ou
d'un de dégré.
On vend actuellement de ces Thermomètres
chez les Sieurs Cholets , Marchands Fayanciers
, à la Levrette , rue S. Honoré , vis-àvis
la rue de l'Echelle , et au coin de la ruë
des Fondeurs , qui monte à la Butte saint
Roch.
Comme leur perfection dépend de l'attention
avec laquelle ils ont été construits , et
qu'on auroit pu craindre que les Ouvriers
pour aller plus vite , leur eussent laissé des
deffants. M. Pitot , de l'Academie Royale
des Sciences , s'est chargé de verifier tous
ceux qui se vendent chez les Marchands
ci-dessus , et de les parapher. ་
PRIX d'Eloquence et de Poësie .
pour l'année 1731 .
'Academie Françoise fait sçavoir au
L'public, que le 25 Aoust prochain 1731 .
Fête de S. Louis , elle donnera le Prix
d'Eloquence , fondé par M. de Balzac
de
JANVIER. 1731. 133
de l'Académie Françoise. Le sujet sera
Du plaisir qu'ily a àfaire du bien , suivant
ces paroles de l'Ecriture, tirées du 35 verset
du 20. chap . des Actes des Apôtres :
Beatius est magis dare quàm accipere. Il faudra
que le Discours ne soit que de demiheure
de lecture , tout au plus , et qu'il
finisse par une courte Priére à Jesus- Christ.
On ne recevra aucun Discours sans une
Approbation signée de deux Docteurs
de la Faculté de Théologie de Paris ,
résidant actuellement.
{
et y
Le même jour , elle donnera le prix de
Poësie , fondé par M. de Clermont de
Tonnerre , Evêque et Comte de Noyon ,
Pair de France , et l'un des 40. de l'Académie.
Le sujet sera : Les Progrez de l'Art
des Jardins sous le Regne de LOUIS LE
GRAND. Il sera permis d'y joindre tel autre
sujet de loüange que chacun voudra,
sur quelques actions particulieres du feu
Roy , ou sur toutes ensemble , pourvû
qu'on n'excede point cent Vers. Et on y
ajoutera une courte Priére à Dieu pour le
Roy , séparée du corps de l'ouvrage,et de
telle mesure de Vers qu'on voudra.
Toutes personnes seront reçues à composer
pour ces 2 prix , excepté les 40 de
'Académie qui doivent en être les Juges.
Les Auteurs ne mettront point leur
nom à leurs Ouvrages , mais une marque
G ου
134 MERCURE DE FRANCE.
ou un paraphe , avec un Passage de l'Ecriture
sainte , pour le discours de Prosc;
et telle autre Sentence qu'il leur plaira ,
pour les Pieces de Poësie.
Ceux qui prétendront aux Prix , sont
avertis que les Pieces des Auteurs qui se
seront fait connoître, soit par eux- mêmes,
soit par leurs amis , seront rejettées , et ne
concourront point ; et que tous Mess. les .
Académiciens ont promis de se recuser
eux-mêmes , et de ne point donner leurs
suffrages pour les Pieces dont les Auteurs
leur seront connus.
Les Auteurs seront aussi obligez de remettre
leurs Ouvrages dans le dernier
jour du mois de Juin prochain , entre les
mains de M.Coignardle Fils , Imprimeur
ordinaire du Roy et de l'Académie Françoise
, rue S, Jacques , et d'en affranchir le
port, autrement ils ne seront point retirez .
On apprend de Londres , qu'on y avoit
apporté de Lisbonne une grande quantité
de Diamans de la nouvelle Mine, découverte
au Brésil ; et comme ils sont
d'une aussi belle eau que ceux d'Orient ,
quoique moins durs, on croit que ces derniers
diminueront le prix.
Le 11 Janvier , il y eut à Londres la
plus haute Marée qui ait été veuë depuis
50 ans ; l'eau monta 6 pouces plus que
dans
JANVIER. 1731. 135
dans la Marée extraordinaire , qui causa la
bréche de Dagenham ; ce qui fit un- dommage
incroyable sur le bord de la Tamise,
par l'inondation de plusieurs Chantiers.
On aprend aussi d'Edimbourg que le
25 de ce mois , la femme d'un nommé
Jacques Beabrie , Charpentier de Vaisseau
, qui est âgé de plus de 80 ans , y
étoit accouchée de 3 enfans mâles , qui
avoient été baptisez , et se portoient bien .
On a imprimé à Rome depuis peu un
Livre intitulé : Motivi di credere tuta
via ascoso è non iscoperto l'anno 1695. Il
sacro Corpo di S. Agostino. L'Ouvrage est
bien écrit ; mais feu M. Fontanini , qui
fit imprimer en 1728. une Dissertation
sur la verité de la découverte du Corps
de S. Augustin , y est fort peu ménagé.
Il paroît à Rome une nouvelle édition
du Riposo , di Raphaello Borghini
auquel on a ajouté plusieurs figures. C'est
un Dialogue tres - bien écrit sur la Peinture
et la Sculpture ; l'Auteur y enseigne
tout ce qui concerne l'invention , la disposition
, le choix des attitudes , le dessein
et le coloris . Cet Ouvrage est tresestimé
en Italie.
On a appris de Florence , que le Roy
de Portugal y fait travailler par les plus
Gij ha
136 MERCURE DE FRANCE .
habiles Sculpteurs de cette Ville, aux Statuës
en marbre des 12 Apôtres , de 8
pieds de proportion , pour les placer dans
l'Eglise Métropolitaine de Lisbonne.
Chaque Statue sera payée mille écus
Romains,
On a aussi appris de Florence que
quelques personnes de consideration de
cette Ville ont fait entr'elles une société
pour faire graver la fameuse Galerie du
Grand Duc.Le premier volume de ce beau
Recueil , doit bien- tôt paroître , avec des
Explications curieuses de M. Gori , déja
connu par des Ouvrages dont le public
a été satisfait.
On a frappé à Moscou une Médaille
sur le Couronnement de la Czarine . On
y voit d'un côté le Buste de cette Prin
cesse, et pour Légende, en langueRussier e;
Anne , par la grace de Dieu , Imperatrice
et Souveraine de toutes les Russies . On voit
sur le revers la figure de la Czarine en
pied , avec trois autres figures de femmes
, representant les trois Vertus Cardinales.
La Foy ; désignée par une Croix
qu'elle tient de la main gauche , remet
le Sceptre à la Czarine . L'Esperance ,
qu'on reconnoît à l'Ancre , lui présente
un Globe , surmonté d'une Croix , sya
bole d'un Empire Chrétien , La Charité;
dont
JANVIER. 1731. -137
dont on a exprimé le caractere par un
Enfant qu'elle allaite , met la Couronne
sur la tête de cette Princesse , et pour
légende : Je tiens l'Empire de Dieu , de ma
Naissance , et de ces Peuples ; et à l'Exerque
, ces mots : Couronnée à Moscon le
28 Avril 1730 .
Nous dirons à cette occasion que le
Czar , Pierre le Grand , étant à Paris en
1721. avoit fait l'honneur à l'Académie
Royale des Sciences d'assister à une de
ses Sceances , et de permettre que son
nom fut inscrit dans ses Registres , au
rang des Académiciens honoraires de
cette illustre Compagnie. Le Czar , son
petit-fils , fit il y a plus de deux ans ,
un tres-beau present à la même Acadé
mie , consistant en 60 Medailles d'or
selon l'intention de son Ayeul , et selon
les dernieres dispositions de la feuë Czarine
son épouse.
La distribution de ces Médailles se fit
le 24 Novembre 1728. à tous les Académiciens.
Elles ont toutes la même fice
et le même revers , mais de plusieurs
grandeurs et de poids different. Celles
des Honoraires , au nombre de dix , ont
30 lignes de diametres , et du poids d'environ
15 Louis d'or ; celles des Pensionnaires
pesent environ to Loüis , et celles
des Associez et Adjoints , 7 .
G iij
Cette
13
8 MERCURE DE FRANCE .
Cette Medaille represente d'un côté
le Buste du feu Czar , avec cette Legende
, en langue et en caracteres Russiens :
Pierre I. par la Grace de Dieu , Empereur
et Souverain de toutes les Russies. Au bas
du Buste est l'année de la naissance de
ce Prince , 1672. sur le revers sont les
principaux Symboles des Sciences et des
Arts , avec une Legende en la même langue
, qui en marque l'établissement et les
progrez dans les Etats du Czar. L'année
1725. en laquelle la Medaille a été frappée
, est marquée dans l'Exergue ,
Le Portrait historie et très bien caracterisé
de la Dile Camargo , premiere danseuse
de l'Opera , va paroître en Estampe..
Il a été peint par le sieur Lancret , Peintre
de l'Académie Royale de Peinture..
Le talent que tout le monde lui connoît ,
sur tout pour les sujets de Bals et Fêtes
galantes et champêtres , a été ingenieusement
employé à faire un Tableau des plus.
agréables ; il a si bien sçû saisir ce qu'un
aussi excellent modele a d'inimitable,que
jamais Figure n'a paruë plus dansante.Les
accompagnemens sont traités avec goût
et discernement ; on voit des spectateurs
et des simphoniste placés naturellement,
et un très -beau fond de paysage. Le sieur
Cars , Graveur de la même Académie ,
très,
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
R
W
YORK
MIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
1731
JANVIER. 1731. 139
très-habile dans sa profession , a gravé
ce Portrait de la même grandeur du Tableau
, et avec tant d'art , que les Con- .
noisseurs ne sçavent à qui donner la préference
du pinceau ou du burin. L'Estampe
est en large , et de la même grandeur
du Tableau original ; dont nous pouvions
faire tout d'un coup l'éloge en
disant qu'il est dans le Cabinet de M. de
la Faye. Cette Estampe se vendra chez
l'Auteur , Quay de la Mégisserie , à la
Croix de Perles , et chez le sieur Cars , au
Nom de Jesus .
JETTONS FRAPPE'S pour le
premierjour defanvier 173.1 . avec l'Explication
des Types & c.
I. TRESOR ROYAL.
Astrée descendantsurlaterreو avec
les Attributs de la Paix et de l'Abondance.
Legende : Properat sucurrere Terris.
II. PARTIES CASUELLES.
L'Arbrisseau qui porte la Mirrhe , er
qui la distile sans le secours d'aucune incision
. Legende : Solvere sponte juvat.
III. CHAMBRE AUX DENIERS.
La Louve allaitant Remus et Romulus.
Legende : Prolem alit illa Deorum..
G iiij IV.
140
MERCURE DE
FRANCE
IV.
EXTRAORDINAIRE DES
GUERRES.
Le Dieu Mars qui repose à l'ombre
d'un Laurier , au milieu des armes . Legende
: Non ignava quies.
V.
ORDINAIRE DES
GUERRES.
Des Lions couchés.
Legende : Dones.
suscitet hostis.
VI.
BASTIMENS DU ROY.
Une Ruche à
découvert , où l'on voit
les cellules des
Abeilles .
Legende : Natu
ra ars amula.
VII.
ARTILLERIE.
Des
Canons , Bombes & c.
Legende :
Et muta minantur.
VIII.
MARINE.
Un Aigle prêt à prendre la Foudre
dans ses serres .
Legende :
Expectat Jovis
Imperium.
IX.
GALERES.
Des Arbres dépouillés de leurs feuilles.
Legende : Ver reddet honores.
X.
MAISON DE LA
REINE.
Un Lys élevé sur sa tige d'où
sortent
deux
40
Muzette.
Dans nos paisible
X
T
ongore
bany
JANVIER. 1731. Ι4Ι
deux Rejettons. Legende : Proles geminavit
odorem .
XXXX:
CHANSON,
DAns nos paisibles retraites ,
Occupés du soin de charmer ,
Nous goûtons des douceurs parfaites ,
Et sçavons nous faire aimer.
Aux doux sons de nos Musettes
La plus fiere s'attendrit ,
Et nos vives chansonnetes
De nos desirs nous obtiennent le fruit.
Sans soupirer et sans nous plaindre ,
Sans avoir de jaloux à craindre ,
Nous profitons des beaux jours...
La tendresse
Est pour la jeunesse ;
Livrons-nous sans cesse.
Aux Ris , aux Amours..
La tendresse & c.
Gv SPCE142
MERCURE DE FRANCE
XXXXX:XXXXX: XX: XX
LE
SPECTACLES.
Es Comédiens François ont remis
au Théatre au commencement de ce
mois , la Comédie en Prose et en cinq
Actes du Chevalier à la mode , que le Public
revoit avec beaucoup de plaisir ,
d'autant plus qu'elle est fort bien représentée.
Elle est d'ailleurs des meilleureset
des plus comiques du Theatre François
; feu M. de Saintion en est Auteur
aussi bien que des Bourgeoises à la mode ;.
mais ces deux Pieces n'ont jamais parû
sous son nom. Le S Quinaut y jouë le
principal Rôle. Ceux de Migand , de
Serrefort et de Crispin sont remplis par
les S Dangeville , Du Chemin et Poisson,
Ceux de Madame Patin , de sâ niece , de
la Barone et de la Suivante sont joués par
les Diles Lamote , Labat , Dangeville et
Dangeville la jeune.
Dans la nouveauté de cette Pièce , le
St de Villiers , Acteur Comique , dont:
le Theatre François ne perdra jamais le
souvenir , y joüoit le Rôle dù Chevalier..
Ceux de Madame Patin et de la Barone
étoient remplis par les Diles La Grange et
Durieux , deux Actrices d'un grand talent
JANVIER. 1731. 243
Ient pour ces sortes de Rôles chargés .
Le Jeudi 4. de ce mois , ils représenterent
à la Cour la Tragédie d'Absalon et
la petite Comédie du Medecin malgré lui.
Le 27. la Tragédie d'Amasis et la Serenade.
Le 30. le Chevalier à la mode et le
Cocher supposé.
Ils ont aussi remis la petite Comédie
du Balet Extravagant , de feu M. Palapra .
Le 17. de ce mois ils donnerent la quinziéme
Représentation de Brutus , de M. de
Voltaire, et le surlendemain ils remirent
au Théatre la Tragédie de Médée , de
feu M. de Longepierre , que le Public
revoit avec beaucoup de plaisir.La DeBalicourt
y joue le principal Rôle.
Le 19. ils remirent la Comédie de la
Devineresse ou Madame Jobin , dont les
Représentations attirerent beaucoup de
morde. Le principal Rôle est rempli par
Fa Dlle Dubreuil . Au mois de Février 1722 .
lors de la derniere reprise de cette Piece,
la Dlle Gautier , aujourd'hui Religieuse
Carmelite , à Lyon , joüoit ce Rôle . Les
autres de Dame Françoise , Mathurine , la
Comtesse d'Estragon , Mad Noblet , la
Marquise, Me du Buisson , Mad de Clerimont
, Mad de Troufignac , et la petite
Paysanne , sont jouez par le sieur d'Ange
ville, en femme; et par les Des Jouvenot ,
Labat , Balicour , du Fresne, du Baccage ,
G. vj
d'An144
MERCURE DE FRANCE.
·
d'Angeville , Lamotte et Dangeville la
jeune.Ceux de Duclos, Gosselin, Procureur
Fiscal , le Marquis, la Giraudiere, le Chevalier,
Gilet, M.deTroufignac,sont remplis par
les sieurs Armand , Berci , Quinaut, Montmenil
, du Breuil , Poisson , la Thorilliere fils.
Dans le Mercure Galant du mois de May
1710. on lit cet Article :
» Les Comédiens ayant fort pressé feu
» M. de Visé , Auteur du Mercure , de
>>mettre après la mort de la Dame Voisin,
>> tout ce qui s'étoit passé chez elle pen-
» dant sa vie , à l'occasion du métier dont
>> elle s'étoit mêlée ; il fit un grand nom-
» bre de Scenes qui auroient pû fournir
»de la matiere pour trois ou quatre Pie-
»ces , mais qui ne pouvoient former un
»sujet , parce qu'il étoit trop uniforme ,
» et qu'il ne s'agissoit que de gens qui al-
» loient demander leur bonne avanture, et
» faire des propositions qui la regardoients
>> máis toutes cesScenes ne pouvant former
>> le noeud d'une Comédie , parce que
» toutes ces personnes se fuyant et évitant
» de se parler , il étoit impossible de faire
» une liaison de Scenes , et que la Piece
» pût avoir un noud . M. de Visé donna
» les Scenes qu'il avoit faites à M. Cor-
»> neille,lequel en choisit un certain nom-
» bre avec lesquelles il composa un sujet
»dont le noeud parut des plus agréables ,
» et
JANVIER. 1731. T45
» et qui a été regardé comme un chef- ·
» doeuvre. Le succès de cette Piece a été
» un des plus grands.
>
La Devineresse , ou les faux Enchantemens
de Made Jobin , titre sous lequel
cette Piece étoit représentée sur le Théatre
de Guenegaud , dans sa nouveauté ,
le 19. Novembre 1679. fut joüće 48. fois
de suite sans intermission d'aucune autre
Piece. Les 18. premieres Représentations
furent jouées au double. En ce tems- là le
sieur Hubert remplissoit le Rôle de Mad.
Fobin. On sçait qu'il étoit inimitable dans
ces sortes de Personnages. Les Rôles de
Mad. Pernelle , Mad. Fourdain , Mad. de
Sottenville , Mad. d'Escarbagnas , &c. des
Pieces de Moliere , avoient été faits pour
lui.
Le 23. ils remirent la Tragédie d'Arianne
, que le Public revoit avec gránd
plaisir , d'autant plus que la De Duclos
y joue le principal Rôle. Cette Piéce fut
donnée dans sa nouveauté au mois de
Mars 1672. sur le Théatre du Marets
avec un très grand succès , quoique jouée
en concurrence de la Tragédie de Bajazet
de Racine qui en avoit un prodigieux
sur le Théatre de l'Hôtel de Bourgogne.
>>
Parmi les Tragédies de Th. Corneille,
» dit M. de Visé dans le Mercure déja
acité , Arianne a passé pour un Chefd'oeu
146 MERCURE DE FRANCE.
» d'oeuvre ; jamais Piéce n'a été plus touchante
et plus suivie ; et ce qui doit
>> surprendre tout le monde est que M..
>> Corneille étant retiré à la Campagne
avoit fait cette Piéce en 40. jours. Il
» n'avoit pas moins de facilité à travailler
»à ses Ouvrages de Théatre , que de mémoire
pour les retenir ; tous ceux qui
» l'ont connu particulierement ont été
» témoins, que lorsqu'il étoit prié de lire
» ses Piéces dans quelques compagnies
» ce qui étoit autrefois fort en usage , il
» les récitoit mieux qu'aucun Comédien
» n'auroit pû faire , sans rien lire ; il
» étoit si sûr de sa mémoire , que très
» souvent il ne portoit point ses Piéces
" avec lui.
Les Comédiens François ont reçû une
petite Piece nouvelle en un Acte , intitulée
l'Effet de la Prévention .
Ils ont aussi reçû une autre Comédie
nouvelle , en trois Actes , sous le titre des
Amours d'Alcibiade..
Par les nouveautez qu'ils donnent et
les Pieces anciennes qu'ils remettent , on
voit qu'ils n'oublient rien depuis quelque
tems pour plaire au Public , et pour mériter
ses applaudissemens. Leurs esperances
n'ont pas été trompées ; la derniere
Piece qu'ils ont remise au Théatre le
Lundi 29. de ce mois , fait un extrême
plaisir
JANVIER. 1735. 147
plaisir ; elle est universellement applaudie
par de très nombreuses Assemblées , et
l'interêt qu'on y prend , fait répandre
beaucoup de larmes ; c'est la Tragédied'Amasis
, de M. de la Grange , Piece trèspathetique,
conduite avec un art infini.On.
y trouve des situations heureuses , des
tours ingénieux et des coups de Théatre
aussi touchans qu'admirables , qui surprennent
agréablement . La Picce est d'ail
leurs trés -bien représentée par les Diles Duclos
et du Fresne , etpar les sieurs Sarrazin ,
du Fresne , le Grand et du Breuil , qui y
remplissent les principaux Rôles de Nitocris,
d'Artenice , d'Amasis , de Sesostris , de
Phanés et de Menez . Dans la nouveauté
de cette Tragédie qui fut donnée pour
la
premiere fois le 13.Décembre 1701.Ces six
Rôles étoient remplis par les Diles Beauval
et Desmares , et par les sieurs Salley ,,
Baron , Guerin et Pontcüil , fils..
C'est le second Poëme Dramatique de
M. de la Grange ; il le donna deux ans
après son Orefte et Pilade ; il n'eut point.
alors le succès qu'il meritoit , n'ayant été
joué qu'onze fois , à cause d'un froid:
excessif qui survint aux dernieres Repré
sentations.
Le 6 Janvier , Fête des Rois , l'Aca
démie Royale de Musique , qui continue
toujours
148 MERCURE DE FRANCE
toujours les Représentations de Phaéton ,
avec un tres-grand concours , donna le
premier Bal de cette année sur le Théatre
de l'Opera , qu'elle continuera de
donner differens jours de la semaine ,
pendant le Carnaval .
›
Les Comédiens Italiens ont perdu l'un
de leurs meilleurs sujets , en la personne
de Pierre Alborghet , natif de Venise
connu sous le nom de Pantalon , qui
mourut le 4 de ce mois , âgé d'environ
55 ans , après une longue maladie . C'étoit
un homme d'une probité reconnue ,
et un excellent sujet dans sa profession;
il jouoit ordinairement dans les Pieces
Italiennes , en habit de Noble Venitien ,
et sous le Masque , d'une maniere inimitable.
Les amateurs de la Comedie
Italienne le regrettent fort. Son jeu étoit
naturel , plein d'action , animé et dans
le vrai goût de son païs. Il a été inhumé
à S. Eustache sa Paroisse , aprés avoir
reçu tous ses Sacremens .
,
Le 12. les mêmes Comédiens remirent
au Theatre la Parodie du Mari joueur, et
de la Femme bigotte , Scenes Italiennes
jouées sur le Theatre de l'Opera. La Damoiselle
Thomassin doubla pour la premiere
fois le Rôle de Serpilla , qu'elle
joua avec beaucoup de vivacité , et fut
fort aplaudie.
La
JANVIER. 1731 . 149
Le 24. les mêmes Comediens donnerent
la premiere Représentation d'une
petite Comédie en vers Alexandrins , et
en un acte , intitulée Bolus , qui a été
reçuë fort favorablement du public , C'est
une Parodie de la Tragedie nouvelle de
Brutus , qui a été Jouée au Theatre François.
On en parlera plus au long.
Le 28 Decembre , Fête des SS . Innocens
on ouvrit , selon la coutume
les Theatres de Rome , et on représenta
sur celui de Capranica , l'Opera de l'Adone
, Roy de Chipre ; et sur celui de
Don Dominique Walle , des Comédies
à l'improviste.
XXX:XXXXXXXXX:XX**
NOUVELLES ETRANGERES.
TURQUIE ET PERSE.
ON
Na reçu avis d'une suspension d'armes
entre les Persans et les Turcs ; et l'on ne
croyoit pas que l'armée du Roy de Perse , qui
est campée auprès de Bagdat , fit aucun mouvement
que vers le Printems prochain. '
D'autres Lettres de Perse portent que le Prince
Thamas étoit toujours devant Babilone , avec
son armée ; que le Pacha de cette Ville lui avoit
fait faire des propositions fort avantageuses pour
l'engager à conclure la paix avec la Porte ; mais
que ce Prince , sans les rejetter ni les accepter ,
avoic
150 MERCURE DE FRANCE
avoit déclaré qu'il ne se détermineroit qu'après le
retour d'un Exprès qu'on avoit envoyé à Constantinople
; et qu'en attendant , il tenoit tou .
jours la Ville et les Turcs qui campent sous les
remparts , étroitement bloquez , sans permettre
qu'on y porte aucuns vivres. Il y a quantité d'Etrangers
parmi les Troupes du Roy de Perse.On
y observe aujourd'hui une espece de Discipline ,
qui approche beaucoup de celle des Chrétiens , et
qui étoit inconnue jusques icy aux Persans.
L'Armée de ce Prince est commandée par un
General , qui est aussi son premier Ministre.
C'est un homme des plus intrépides et fort sage,
il est originaire du Daghestan , d'une basse naissance
, et connu sous le nom de Thamas Koulikan,
qu'il a pris depuis qu'il s'est attaché au service
du Roy de Perse ; ce nom signifie le Kan ,
Esclave du Pr. Thamas : c'est lui qui a défait
entierement le Parti d'Acheraf ; et les Persans
P'appellent le Restaurateur de la Perse.
Les Lettres de Constantinople , de la fin du
mois de Novembre dernier , venues par l'Italie,
portent que le 21 du même mois, les Milices
et les Janissaires ayant repris les Armes ,
se rendirent Maîtres de toutes les Places de
la Ville , et poserent des Sentinelles aux avenues
des principales rues et du Port , pour empêcher
le pillage des Magazins et des Boutiques des Marchands
, et on entendit pendant ce jour- là et le
lendemain des cris de´guerre dans differens quartiers.
Le G. V. envoya le 22 , après midi , un de
ses principaux Officiers , dire à ces mutins , que
puisqu'ils avoient tant envie de combattre , ils
n'avoient qu'à traverser le Canal, et joindre l'Armée
qui avoit été assemblée pour faire la
Guerre au Roy de Perse . Cette proposition fut
rejettée avec hauteur et même avec menaces ; les
plus
JANVIER. 1731 .
plus hardis d'entre les Janissaires et les Spahis.
ayant fait entendre , en agitant l'air de leurs
Sabres , qu'ils ne se sépareroient point , et que si
la paix n'étoit pas faite dans deux mois avec les
Persans , ils la concluroient eux -mêmes , et la
signeroient du sang des Principaux de l'Empire ,
puisqu'ils n'avoient déposé le Sultan Achmet III.
que pour l'honneur de la Religion de Mahomet;
ajoutant qu'en les laissant unis , ils marcheroient
de quelque côté qu'on voudroit les conduire
excepté contre leurs freres Musulmans.
>
Le 23 , les Janissaires allerent jusqu'aux Portes
du Serrail , et firent demander à S. H. de
rappeller Cianum -Coggia qui avoit été relegué
par le Gouvernement précedent , dans une Terre
près de Salonique, et de le rétablir dans sa Charge
de Capitan Pacha , ce que le G.S. fit exécuter sur
le champ , en lui dépêchant un Chiaoux pour lui
porter ses Lettres de rappel. Cet Amiral étant
revenu le 26 avec toute sa famille , fut reçu du
G. S. avec beaucoup d'accueil , et renvoyé à son
poste , où par ordre de S. H. il a fait reprendre
la construction de plusieurs Sultanes et Vaisseaux
de Guerre qu'on avoit abandonnés depuis la révolution.
Le 27. les mêmes Janissaires retournerent au
Serrail , et demanderent une récompense pour
leur Chef, que le G. S. fit le même jour Pacha à
trois Queues & Gouverneur de Nizza. Ayant reçû
de S. H. toutes les graces qu'ils demandoient,
ils quitterent les armes et se retirerent dans leurs
quartiers.
Le bruit court que le G S. est déterminé à envoyer
des Agas à Vienne , à Moscou , à Varsovie
et à Venise , pour y donner part de son avenement
au Trône.
On fouille actuellement dans les Jardins des.
principaux
152 MERCURE DE FRANCE .
principaux Ministres du dernier Gouvernement
pour en tirer les sommes qu'on croit y avoir été
cachées.
Ces Lettres ajoûtent qu'il étoit arrivé à Andrinople
12000. hommes d'Infanterie , envoyez
par les Pachas de Dalmatie et de Bosnie ; que le
bruit couroit que chaque Corps de Janissaires
qui n'étoit que de 4000. hommes , seroit aug.
menté jusqu'à 6000. qu'on faisoit de grands préparatifs
de guerre dans tout l'Empire Othoman,
et qu'on avoit promis aux Ambassadeurs de Fran
ce,d'Angleterre, et de Hollande, de diminuer dans
peu les Droits qu'on levoit sur les Marchandises
de leurs Pays.
D'autres Lettres , à peu près de même datte, et
venuës par la même voye , marquent que le nouveau
Sultan avoit donné à l'Auteur du dernier
tumulte , le Gouvernement de Nissa avec la dignité
de Pacha à trois Queues ; et qu'aprés avoir
été comblé d'honneur & de bienfaits par S. H.
s'étant rendu au Serrail , sur l'invitation du G.V.
il y avoit été massacré avec 200. de ses adhérans.
POLOGNE .
E Roi promis à l'Envoyé du Duc de Cur-
Llande ,qu'on n'executera rien de la part
de la République dans les Etats de ce Prince
pendant sa vie , pourvû qu'il veuille de sa part
engager la Czarine à retirer les Troupes Moscovites
qu'elle entretient dans le Duché de Curlande
depuis plusieurs années.
Les Troupes de la Couronne , qu'on avoit fait
partir pour dissiper les Cosaques qui pilloient les
Provinces frontieres , les ont battus en deux rencontres
, et ont même repris les Esclaves et les
Effets qu'ils emmenoient avec eux pour les vendre
aux Turcs , saivant leur coûtume.
SUEDE
JANVIER . 1731. 153
SUEDE.
E Roi a donné ordre au Baron de Crassau ,
Leon Ministre àVienne , de déclarerfau Comte
de Sinzendorf, Grand- Chancelier de la Cour
que la Couronne de Suede s'étant accomodée avec
les Maisons de Brandebourg et de Luxembourg ,
elle ne s'opposeroit plus à l'Investiture des Duchez
de Pomeranie , de Bremen et de Wherden ,
que ces Maisons demandent à l'Empereur depuis
plusieurs années.
DANNEMAR CK.
E Roi a résolu de mettre ses Troupes sur le
Lpied de 40000. hommes , y compris les 4000 .
hommes qui sont en Norwegue.
On a publié à Coppenhague un Edit du Roy,
datté du 30. du mois dernier , par lequel il est
ordonné qu'à commencer du premier Juin prochain
, la Ferme des Doüannes sur le vin , les
Eaux de vies , le Sel & le Tabac , sera supprimée,
et qu'il sera permis , tant aux Danois qu'aux
Norwegiens , d'en faire le commerce.
Su
ALLEMAGNE .
>
Ur les avis certains que les Turcs avoient déja
cómmis quelques hostilitez aux environs de
Carlostadt en Croatie , l'Empereur a résolu
d'augmenter de 40000. hommes les Garnisons
de ses Places Frontieres du côté des Terres du
Grand Seigneur.
On a apporté à Vienne dequis peu des nouvelles
Mines de Dameswar en Hongrie , 4c000 .
Ducats d'or et 6000. Marcs d'argent,
On
1
154 MERCURE DE FRANCE
On a apris deBrunswick, que le Duc deWolfembutel
y avoit aboli ,par une nouvelle Ordonnance,
l'ancien droit en vertu duquel ce Souverain pouvoit
se mettre en possession des biens de tous les
hommes qui mouroient sans s'être mariez.
2
ITA LIE.
E Cardinal Coscia a envoyé au Pape par l'Ab-
LECTesia,con Maitre de Chambre , sa résignation
pure et simple de son Archevêché de Benevent
, pour se soumettre à l'ordre exprès de
Sa Sainteté.
Le 2. Janvier , on afficha au Champ de Mars
et dans les autres Places publiques de Rome unc
Ordonnance du Cardinal Annibal Albani , Evêque
de Sabine , et Camerlingue de la Sainte
Eglise , portant défense , sous peine des Censures
Ecclesiastiques , de faire aucune entreprise directe
ou indirecte sur la Jurisdiction suprême que le
S. Siege prétend avoir dans le Piémont , sur les
Terres et Habitans de Cortanza , Cortanzone >
Montafia , Cisterna et autres Bourgs et Villages
des environs.
Le 3. on reçut avis à Rome que l'Evêque de
Nice avoit été assassiné en retournant de Turin
dans son Diocèse.
On apprend de Venise que le Magistrat de la
Santé a interdit tout commerce avec la Dalmatie
, les grandes Isles de Lago , celles du Quarner
, l'Albanie Venitienne , les Bouches de Cattaro
, l'Etat de Raguse , les côtes de Segni , Buccari
et Fiumé , parce qu'on a eu des avis certains
qu'un des Turcs de la garnison de Nizza a porté
la maladie contagieuse à Seraglio en Bossine
d'où elle a passé à Jayeck , à deux ou trois journées
des Frontieres de la Servie et des Terres
de
JANVIER. 1731. ISS
de la dépendance de l'Empereur. La mortalité y
est très grande , et ceux qui sont attaqués de
cette maladie enflent d'abord et ne passent pas
le troisiéme jour,
MORTS.
des Pays Etrangers .
·
E Prince N. Galitzin , Welt - Maréchal des
TroupesRussiennes , mourut à Moscou vers
la fin du mois de Novembre dernier , universellement
regretté à cause de sa grande experience
dans l'Art Militaire. C'est à ce Capitaine que le
feu Czar Pierre 1. est redevable d'une grande
partie de ses heureux succès dans la derniere.
guerre contre les Suedois.
Dona Marguerite de Lorraine , Duchesse de
Gadaval , veuve en troisiémes noces du Duc
Don Nuño Alvarés Pereira de Mello , qu'elle avoit
épousé le 25. Juin 1675. mort le 28. Janvier.
1727. mourut à Lisbonne le 16. du mois der .
nier , âgée de 68. ans et 29. jours ; elle étoit fille
de Louis de Lorraine , Comté d'Armagnac ,
Grand - Ecuyer de France. Le corps de cette Princesse
a été inhumé dans l'Eglise du Monastere
Royal de Xabregas , où on lui a fait des obseques
magnifiques , ausquelles les Grands du
Royaume et les Seigneurs de la Cour ont assisté.
LET
156 MERCURE DE FRANCE
FESTES données à la Cour de S. Alt.
V
Electorale Palatine , à l'occasion du Mariage
du Prince de Sulzbach avec la
Princesse de Hesse - Rheinfels. Extrait
d'une Lettre écrite de Landau le 24. Janvier
1731. par M. Frezier , Ingenieur
en chef.
>
Ous avez , sans doute , appris , Monsieur ,
par les nouvelles publiques , que le Prince
de Sultzbach , heritier présomptif du Palatinat
vient d'épouser une Princesse de Hesse- Rhinfels ,
qui est soeur de la Reine de Sardaigne , et
de la Duchesse de Bourbon. M. de Josseau
Commandant de cette Place est allé complimenter
ce Prince sur son Mariage , et il a bien
voulu que j'eusse l'honneur de l'accompagner.
Je ne pouvois trouver une occasion plus favorable
pour voir la Cour de S. A. E. le Prince Palatin
et je ne pouvois être présenté à ce Prince par une
personne qui lui fut plus agréable que M. de
Josseau , qu'il considere et qu'il aime. La bonté
avec laquelle S. A. E. l'a reçu , et le bon accueil
qu'il a fait aux Officiers qui l'accompagnoient
cn sont des preuves certaines.
›
Nous arrivâmes trop tard à Manheim pour
voir la Ceremonie du Mariage. Elle fut faite le
11. et nous ne partîmes de Landau que deux
jours après ; mais nous avons vû pendant six
jours une partie des Fêtes qui en sont la suite
et qui doivent durer tout le Carnaval . La plus
singuliere a été une Chasse d'une invention extraordinaire
, qui merite bien qu'on en fasse la
description. Le Lundy 15. de ce mois la Cour
s'embarqua sur le Rhin , au son des Timballes ,
TromJANVIER.
1731. -157
Trompettes et Corps de chasse , dans un Yack
qui contenoit deux chambres magnifiquement
décorées , et debarqua à trois quarts de lieue de
la ville , à deux portées de fusil du lieu où la
chasse s'est faite. C'étoit un Parc de 1400. pas
de longueur sur 200. pas de largeur , fermé de
toilles et de filets bien alignez : le tout formoit
un quarré long.
Au fond de ce Parc étoit un retranchement
orné de décorations peintes sur toilles comme
celle des Theatres , lequel étoit destiné pour la
chasse à pied , et pour le spectacle de la Berne ,
et de la Mascarade des animaux.
- La separation des deux Scenes étoit formée
par un Corps de bâtimens , dont le milieu étoit
une Tente octogone de 32 pieds de diametre ,
qui servoit de vestibule à deux Sales , à droite
et à gauche , dont l'une fort ornée étoit destinée
pour placer la Cour pendant la chasse , qu'elle
pouvoit voir dans l'un et l'autre Parc ; Pautre
Salle étoit occupée par une grande Table où la
Cour vint se rafraîchir. Aux deux côtez de ces
Salles étoient des échafaudages en façon de plateformes
, pour placer les Spectateurs qui n'étoient
pas de la Cour.
La Décoration du petit Parc étoit un Portique
avec des Arcades à jour , dont le fond représensoit
en perspective le plan de la moitié d'un
decagone , au milieu duquel s'élevoient les Armes
de l'Electeur qui en faisoient le point de
vue. Ce Portique étoit élevé sur un Perron formé
par des planches en talud , sur lesquelles les
marches n'étoiens marquées que par des tringles
de bois peu saillantes , afin que les sangliers
n'y pussent monter que très-difficilement. Dans
les deux Angles étoient deux Portes sur un Pan
coupé , où étoient aussi deux Perrons de même
figure.
H
158 MERCURE DE FRANCE
Au dessus des Arcades du fond regnoit un
Cours de tablettes en saillie , d'un pied de large,
destinées pour faire courir le gibier , pour le
donner en spectacle à l'Assemblée , et aux deux
aîles. Il regnoit un pareil Cours au-dessus des
Impostes des Arcades , avec des Rampes pour
y monter , dont celles du fond étoient apparentes
, et celles des aîles étoient cachées derriere la
Décoration . Le gibier y venoit par une porte
pratiquée dans une représentation de nues
il paroissoit tout d'un coup élevé à vingt- cinq
pieds de hauteur , afin qu'il fut dit qu'on avoit
fait sortir des sangliers et des biches des nuës
on auroit pû dire aussi qu'il en pleuvoit ; car
ces animaux en tomboient ondement.
›
> οι
On commença la Chasse par plusieurs troupes
de dix ou douze sangliers , qu'on faisoit entrer
par les portes des angles. Ces animaux effrayez
de voir tant de monde cherchoient à se sauver
du côté des bâtimens , ils étoient repoussez par
des gens armez de fourches ; et du côté de la
Décoration ils cherchoient inutilement à grimper
sur les perrons ; ils glissoient toûjours ,
retomboient les uns sur les autres ; les plus hårdis
alloient attaquer les Chasseurs qui les attendoient
, l'épée à la main , et les tuoient.
et
Après en avoir fait ainsi entrer par les portes
d'enbas ,on en faisoit passer d'autres par les portes
des nuës , par le moyen des rampes cachées. Ces
animaux se trouvant alors sur un chemin trop
étroit , n'osoient avancer ; mais en leur jettant
des serpentaux et des petards; on les effarouchoit
tellement , qu'ils se précipitoient ; les plus adroits
tâchoient de gagner les rampes qui descendoient
au grand Parc , mais ils y parvenoient rarement
sans tomber.
Aprés avoir ainsi diversifié le spectacle , en
haur
JANVIER. 1721. 159
haut et en bas , en faisant perir les bêtes par le
fer ou par les chutes , on rangea au pied du Perron
plus de cent sangliers qui avoient été tuez
pour donner une autre sorte de spectacle moins
sanglant,
On lâcha par les trois portes du fond et par
celles des nues une quantité prodigieuse de renards
et de liévres, tous masquez avec des cartons
et des toilles peintes ; la plupart des renards
étoient déguisez en coqs , avec des becs , des
aîles et des queües de coqs. Ces animaux que
leurs ajustemens rendoient , pour ainsi dire , tout,
sots et fort embarrassez de leur accoutrement
cherchoient de tous côtez à s'enfuïr ; mais le
Parc étant tout couvert de Bernes , ils ne pouvoient
poser les pieds qu'ils ne donnassent dans
les pieges , par lesquels on les faisoit sauter à
douze ou quinze pieds de hauteur. En se relevant
d'une chute ils passoient sur une autre Berne
où on leur jouoit le même tour , jusqu'à ce
qu'à force de tomber et de se blesser , ils restoient
morts sur la place : on en fit perir ainsi
,trois cens de chaque espece , liévres et renards.
Il est necessaire d'expliquer icy- ce qu'il fant
entendre par le terine de Bernes : ce sont des especes
dd'échelles à quatre rangs de cordes de 15.
ou 20. échelons de bois , qui sont des mailles de
six à huit pouces ; deux hommes , un à chaque
bout , les tiennent lâches par terre , et dès que
l'animal passe dessus , ils donnent subitement une
secousse qui l'élance en l'air .
La moyenne grosseur des liévres et des renards
paroissoit assez propre à ce jeu : mais il
est étonnant qu'on ait ainsi fait sauter des sangliers
et des biches. Trente hommes autour d'une
toille , qu'ils tiroient par secousses , élevoient en
l'air les sangliers aussi haut quelquefois que les
Hij licyres &
165 MERCURE DE FRANCE
lievres , et on voyoit ces pesants animaux s'agiter
en l'air comme nos Sauteurs et danseurs de
corde.
5
Après le divertissement de la Berne , la Cour
passa dans la Salle où l'on avoit servi une Halte
de viandes chaudes et froides . Les Dames se mirent
à table , et les Cavaliers mangerent debout
la plus grande partie sous la tente ou un grand
nombre de Valets de pied,magnifiquement vêtus,
servoient abondamment de toutes sortes de vins.
Cet utile intermede dura près d'une heure ,
après quoy le Spectacle recommença par un loup
vétu en Arlequin ; mais comme il faisoit le méchant
, on fut obligé de mettre les chiens à ses
trousses , et de le faire tuer.
On lácha ensuite des plus fiers sangliers , que
fes Cavaliers combattirent , l'épée à la main ; et
parce qu'on avoit ouvert les portes de communication
au grand Parc , les plus farouches s'échappoient
par ces portes , et fournissoient
aux Chasseurs , à cheval , et aux Dames
phaetons , guidez par des Cavaliers , le plaisir de
courir après , et de les combattre à coups de pistolets
, ou de les faire arrêter par les chiens .
>
en
On en tua ainsi plusieurs , et enfin on revint
à la Mascarade. On vit paroître huit ou dix traineaux
en forme de chars , dans chacun desquels
il y avoit un lievre masqué ly en Demoiselle , qui
avoit pour cocher un renard attaché sur son
siege , comme la demoiselle l'étoit sur son
fauteuil ; mais le malin cocher profitant de la liberté
qu'il avoit de tourner la tête , perdoit nonseulement
le respect à sa dame par de mauvaises
grimaces , mais lui lâchoit encore de bons coups
de dents quand il pouvoit l'atteindre. L'animal
attelé à ce char étoit un jeune sanglier , qui conduisoit
sa voiture un peu irregulierement , suiyant
JANVIER . 1731. 161
vant ses caprices , qui donnoient beaucoup à rire
aux Spectateurs : tels avoient déja paru d'autres
sangliers , harnachez comme des élephans portant
de petites figures de carton , peintes de differentes
couleurs.
Enfin on vit de toutes sortes d'animaux masquez
differemment : six bleraux parurent deguisez
en carpes , et une troupe de cocqs -d'Inde
avoient les plumes peintes des couleurs de celles
de cocqs de Bruyere.Ceux-ci furent les seuls qui
s'en retournerent la vie sauve ; car la Princesse
ne voulut pas qu'on tirât , soit par crainte des
accidens qui pourroient arriver , ou de l'incommodité
du bruit.
>
des
Pendant qu'on bernoit les renards , quelquesuns
d'entr'eux plus ruzez que les autres , pour
éviter cette danse forcée , qui aboutissoit à la
mort se refugierent sur les hauteurs des Décorations
, et allerent par le moyen des rampes
sentiers , se percher sur les vases d'Orangers qui
en faisoient le Couronnement . Ceux qui n'y
purent atteindre se blotirent sur les sentiers
S'accumulant les uns sur les autres ; delà ils regardoient
leurs camarades sauter et voltiger en
Pair par les secoussés des bernes ; mais ils se crurent
envain en sureté , on les dénicha à grands
coups de fusils , qui
abatirent les plus élevez , et
laisserent les autres morts sur les sentiers.
Ainsi finit cette ingenieuse et nouvelle Chasse,
de l'invention de M.le Baron deWack, Grand-VCneur
de S.A.E. qui en donne tous les ans , et les
sçait varier d'une infinité de manieres. Tout s'y
passa avec beaucoup d'ordre , les Pages et les
Seigneurs de la Cour , en habits verds galonnez
d'or , en furent les principaux Acteurs , et il n'y
eut que trois hommes de blessez , quoiqu'une
infinité se fussent exposez à l'être. M. le Comte
H iij de
ཐདྷཱ
162 MERCURE DE FRANCE
de Nassau , seigneur d'une aimable figure , pour
qui toutes les Dames s'interessoient , y combatit
plusieurs sangliers avec une adresse extrême , er
´s'en retira sans accident.
Nous vîmes les jours suivans des Divertissemens
de differentes especes se succeder les uns
aux autres. Il y eut deux Bals précedez par un
Soupé de 80. Couverts au premier , et de plus
de cent au second : dans celui - ci les Dames et les
Cavaliers furent alternativement rangez , suivant
P'ordre dont le sort avoit décidé par des billets
numerotez qu'on avoit tirés au hazard, et qui se
trouvoient attachez à chaque couvert , où chacun
alloit reconnoître sa place. J'eus le bonheur
d'y être associé à une des plus belles Dames de
la Cour , appellée Madame la Baronne de Feningre
, dont la conversation me fit connoître que
la nature ne l'avoit pas moins bien partagée en
esprit qu'en beauté et en naissance. Lorsque
j'eus l'honneur de lui donner la main pour enzrer
dans la Salle , je me souvins de la pensée de
ce Grand d'Espagne , qui en pareille rencontre
s'écria : que les Etoilles disparoissent , voici le
Soleil , Apartense las Estrellas , viene el Sol.
Aprés le Soupé , S. A. E. ordonna que chacun
prit le rang de son numero avec sa Dame , et il
commença lui - même le Bal à la tête de
quarante
quatre Couples , par une Danse Polonoise , qui
n'est qu'une espece de marche assez grave. Le
Prince de Sultbach suivoit S. A. E. avec les jeunes
Princesses , pendant que la Princesse son
Epouse , qui n'aime pas la Danse , demeura dans
un fauteuil , d'où elle la voyoit tranquillement.
Après cette ouverture du Bal S. A. E. dansa le
Menuet avec une grace et une noblesse admirable
, je dois même ajoûter avec une legereté surprenante
à l'âge de 70. A voir cet aimable Prince,
sans
JANVIER. 1731. 163
sans le connoître , il n'est pas difficile de deviner
qu'il est le premier de la Cour. Le jour suivant
on joua la Comedie de Tartuffe , en François :
cette Langue n'est guere moins commune à la
Cour que l'Allemande,qui est la naturelle du pays .
La Langue Italienne n'y est pas ignorée , mais
ellest entenduë d'un petit nombre de personnes
je le remarquai le le jour suivant , lorsqu'on joua
une Pastorale en Musique , où je servois d'Interprete
à plusieurs de mes voisins. La plus grande
partie des Danseurs de ce Ballet étoient les Pages
de la Cour , les Acteurs étoient les Musiciens de
S. A. E.
Je n'ai parlé jusqu'à present que des plaisirs
qui terminoient la journée , je ne dois pas
oublier
ceux de la bonne chere que nous avons faite à
cette Cour. Les Seigneurs animez par l'exemple
du Prince , et par l'estime qu'ils ont pour M. de
Josseau , qui n'est guere moins aimé dans les
Cours des Princes voisins de Landau , que dans
Landau même , nous regalerent magnifiquement.
M. le Comte de Nassau qui soutient la grandeur
de sa Naissance par tout ce qui peut le distinguer ,
nous donna un Repas superbe. Mrs le Baron de
Bevren , Grand- Maréchal , et le Baron Deschal ,
Grand-Ecuyer de la Princesse , nous firent connoître
que les meilleurs vins du monde et tes
mets les plus exquis fe trouvoient rassemblez
Manheim ,
Enfin notre cher Commandant rappellé par fon
devoir , revint à Landau comblé des bontez du
Prince & des politesses de toute la Cour ; chacun
de nous partageoit avec lui cette fatisfaction , car
S. A. E. nous avoit aussi donné des marques de
sa bonté. Il me fit l'honneur de m'adresser plusieurs
fois la parole ; et reconnoissant par la naïveté
de mes réponses la sincerité dont je fais pro-
Hiiij
fession ,
164 MERCURE DE FRANCE
fession , il me dit qu'il aimoit les François ;
parce qu'ils disoient naturellement leur pensée ,
sur quoy il releva un trait de Morale qui m'étoit
échapé d'une maniere qui me fit connoître la
justesse de son esprit et la droiture de son coeur.
Le tems de retourner à notre garnison étant
arrivé , je priai le Gouverneur de la Place de me
permettre d'en voir les Fortifications , quoiqu'il
me connut pour être l'Ingenieur en chef de Landau
; il me l'accorda de si bonne grace , qu'il
'voulut que l'Ingenieur subalterne , qui sçait parler
français , nous servit de guide. Je remarquai
une situation des plus avantageuses pour une Place
de guerre, par le confluent de deux grandes
rivieres , le Rhin et le Necre , qui en défendent
les approches , et une Fortification très - proprement
executée sur le sistême de Cocorn , que
nous n'avons point suivi en France , quoiqu'il
soit public depuis près de trente ans .
Je parcourus aussi l'interieur de la ville qui est
nouvellement bâtie , très- propre et très-reguliere
dans l'alignement de ses rues. Les maisons qui
n'ont ordinairement qu'un étage , rarement deux,
sont propres au dehors , mais l'interieur n'a pas
été distribué par de bons Architectes , particulierement
pour les escaliers.
Je vis aussi le nouveau Palais de l'Electeur qui
n'est pas achevé , et deux cabinets de tableaux,
parmi lesquels il y en a d'un grand prix , que S. A.
E. a fait apporter depuis peu de Dusseldort , ou
l'on dit qu'il en a de merveilleux , particulierement
de Rubens. J'ai l'honneur d'être &c.à Lang
dau le 24. Janvier 1731 .
FRANCE
JANVIER. 17312 · 165
****************
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LE
2.
E de Janvier , les Princes et Princesses
du Sang , et les Seigneurs et
Dames de la Cour eurent l'honneur de
complimenter le Roy et la Reine sur la
nouvelle année .
Les Prevot des Marchands et Echevins,
accompagnez des autres Officiers du
Corps de Ville , rendirent à cette occasion
leurs respects à L. M. à Monseigneur
le Dauphin , à Monseign . le Duc
d'Anjou , et à Mesdames de France.
Le même jour , les Chevaliers , Commandeurs
et Officiers de l'Ordre du S.Esprit
, s'étant rendus dans le Cabinet du
Rey , pour l'accompagner à la Messe ;
S. M. tint Chapitre , et proposa pour être
Chevaliers de cet Ordre , le Duc de
Duras , le Duc de Lévy , le Prince de
Tingry , le Comte de Broglio , Ambassadeur
du Roy en Angleterre , le Comte
de Chatillon , le Marquis de Beringhen
premier Ecuyer , le Comte de Rottembourg
, Ambassadeur Extraordinaire du
Roy en Espagne , et le Marquis de la
Fare. Lorsque le Roy en eût signé le
R v Rôle
166 MERCURE DE FRANCE
Rôle , il le remit au Marquis de Breteuil,
Commandeur , Prevôt et Maître des Céremonies
de l'Ordre , qui sortit du Cabinet
pour le faire proclamer par le Hérault.
S. M. se rendit ensuite à la Chapelle
du Château de Versailles , étant précédée
du Duc d'Orleans , du Duc de Bourbon ,
du Comte de Charolois , du Comte de
Clermont , du Duc du Maine , du Pr . de
Dombes , du Comte d'Eu , du Comte de
Toulouse et des Chevaliers , Commandeurs
et Officiers de l'Ordre . Le Roy ,
devant lequel les deux Huissiers de la
Chambre portoient leurs Masses , étoient
en Manteau , le Collier de l'Ordre pardessus
, ainsi que les Chevaliers. S.M.après
avoir assisté à la grande Messe , qui fut
célébrée par l'Abbé Tesnieres, Chapelain
ordinaire de la Chapelle de Musique , fut
reconduit dans son appartement , dans lẹ
même ordre qui avoit été observé en allant
à la Chapelle .
La Reine accompagnée des Dames de
sa Cour , entendit la Messe dans sa Tribune.
L'après midy , L. M. entendirent les
Vêpres , chantées par la Musique,
Le 3. la Reine communia dans la Chapelle
du Château , par les mains du Cardinal
de Fleury , son Grand Aumônier.
Le
JANVIER. 1731. 167
44
mé
Le six , le Pere Boyer , Théatin , nompar
le Roy à l'Evêché de Mirepoix
, fut sacré dans l'Eglise des Minimes
de la Place Royale, par l'Archevêque
de Rouen , assisté des Evêques de Laon et
de Tarbes. Le 12 , ce nouveau Prélat prêta
serment de fidelité entre les mains du
Roy.
Le7 , le Roy et la Reine partirent de
Versailles , pour aller coucher au Château
de Marly , d'où L. M. revinrent à Versailles
le 27. Elles retournerent à Marly
le 3 Février.
Le 14 , l'Abbé de Besons , nommé par
le Roy à l'Evêché de Carcassonne , fut
sacré dans l'Eglise des Théatins , par l'Evêque
Comte de Châlons , assisté de l'Evêque
de Tarbes et de l'Evêque Comte
de Beauvais. Le 21 , il prêta serment de
fidelité entre les mains du Roy.
Le 25 , la Lotterie de la Compagnie des
Indes , pour le remboursement des Actions
, fut tirée en la maniere accoutu
mée , à l'Hôtel de la Compagnie. La Liste
des Num, des Actions et dixième d'Ac-.
tions qui doivent être remboursez , a été
rendue publique , faisant en tout le nom ,
bre de trois cens Actions .
H vj Le
168 MER CURE DE FRANCE
Le 28. l'Abbé de Vaugiraud , ' nommé
par le Roi à l'Evêché d'Angers , fut
sacré dans la Chapelle du Séminaire de
S. Sulpice par l'Evêque de Soissons
nommé à l'Archevêché de Sens , assisté
de l'Evêque Titulaire d'Europée et de
PEvêque de Tarbes. Il prêta serment de
fidelité le 30. entre les mains du Roi.
"
Le 3. de ce mois , il y eut Concert François
au Château des Thuilleries , M. Mouret
fit chanter un Divertissement de sa
composition , qui a pour titre : La Beauté
couronnée. Il fut suivi d'une suite de simphonie
Françoise très bien executée . La
Dile Le Maure chanta la Cantate de Zephire
et Flore , et la De Petitpas la Cantatille
d'Endimion. Le Concert fut terminé
par le Motet Lauda Jerusalem , mis
en Musique par l'Abbé Gaveau.
, Le to. le Sr Toscano Italien , habile
Joueur de Violon , executa un Concerto
qui fut très applaudi. Il y a eu pendant
ce mois Concert tous les Mercredis ; on
y a chanté differens Divertissemens qui
ont toujours été terminés par un Motet
de M. de la Lande.
Le Roi a donné la place de Conseiller
Etat ordinaire , vacante par la mort de
M. Ferrand , à M. d'Harlai , Intendant
da
JANVIER. 1731 . 16.9
de la Generalité de Paris , et S. M. a
nommé Conseiller d'Etat M. Orry , Con
trôleur General des Finances.
On écrit de Tours que l'Académie de
Musique qui y est établie se soutient avec
tant d'émulation , qu'il n'y a plus de place
pour ceux qui désirent s'y agréger . Les
Dames et les Demoiselles de cette Ville
se font un plaisir d'y chanter et concou
rent à l'envi à un divertissement si noble.
Quatre jeunes Académiciens voulurent le
30. de ce mois signaler leur reconnoissance
par un Bal de nuit ; ils choisirent pour
le donner la Sale même du Concert , où
elles avoient merité pendant toute l'année
des applaudissemens toujours nouveaux.
Cette Sale fut ornée des plus beaux
meubles ; toutes les personnes distinguées
de la Ville et des environs furent invitées .
Les Portraits du Roi et de la Reine , placés
dans les endroits les plus éminens
imprimerent le respect et redoublerent
La joye ; neuf grands lustres éclairoient
moins que les autres illuminations qui
furent variées de toutes parts avec autant
de goût que de profusion ; la Cour et la
Façade du Bâtiment étoient ornées de
lampions er de terrines qui produisoient
un très bel effet . Des vins , des liqueurs
et des rafraîchissemens de toute espece
accom
170 MERCURE DE FRANCE ..
accompagnoient les fruits prodigués com- ,
me ils devoient l'être dans le Jardin de
la France ; mais ce qui flatta le plus la
Jeunesse Académicienne qui fit trèsgalament
les honneurs du Bal , c'est la
politesse , la tranquilité et l'ordre avec
lequel il fut executé. Cette Fête brillante ,
qui dura jusqu'à 9. heures du matin , a
reçu tous les applaudissemens qu'elle mérite.
Le Public a été mal informé par les
bruits qui ont couru au sujet de la maladie
dont la Communauté des Religieuses
de l'Abbaye Royale de Montmartre
a été affligée . Il y est mort au commencement
de l'année huit Religieuses du
même mal qui commençoit par un grand
accablement , la fievre et une douleur sous
la mamelle droite , ce qui étoit suivi
d'un crachement de sang qui duroit douze
heures ; ensuite les crachats devenoient
rouillés , la tête lourde et peu doulou-,
reuse , avec un dévoyement. M. Silva y
ayant été envoyé par ordre du Roi , il
reconnut que le fond de la maladie étoit
une fievre maligne , provenant principalement
des mauvaises nourritures , et
en ayant informé la Cour , S. M. toujours
attentive au bien de ses Sujets , a
ouvert sur ce pieux Monastere ses mains
bien
JANVIER. 171 1731.
bien faisantes , et la maladie a cessé.
Le Marquis de Lyonne , incommodé
d'une loupe au bras droit , se mit le mois
passé entre les mains d'un Maréchal ferrand
qu'on lui avoit vanté pour ces sortes
de cures. L'Operateur employa d'abord
des fondans qui ne firent qu'irriter
la tumeur ; les caustiques qu'il appliqua
ensuite réduisirent le malade , après des
douleurs excessives , à la derniere extremité.
Alors on manda le S Faget , Chirurgien
Juré , et de S. A. S. Madame la
Duchesse Doüairiere , qui ayant appellé
les Sr Sylva , Petit et Duphénix , qui virent
l'état déplorable du bras et de la
playe où la gangrene se découvroit avec
tous ses simptômes les plus fâcheux . Dans
le moment le S Faget , du commun avis,
ouvrit le bras depuis la partie supérieure
jusqu'au pli , détacha la tumeur qui pesoit
deux livres , et l'enleva ; l'opération
dura deux minutes. La vigilance de ces
Mrs , secondée du courage et du temperament
du malade font esperer une par
faite guerison..
Le Sieur Rumen Minihy , Maire de
Morlaix , écrivit le 8. Janvier à Paris au
Marquis de Coetanfao , Gouverneur de
cette Ville , que le 6. à midi le feu ayane
pris
172 MERCURE DE FRANCE
pris à l'Hopital General avec violence , il
fut consumé entierement en peu d'heures
, et que delà s'étant communiqué aux
Maisons de la rue aux Fils ,il y avoit brûlé
beaucoup de Magazins remplis de fil et
de toiles. Cinq Maisons de quatre étages
avec des Magazins pleins de marchandises
ont été brûlés de fond en comble ;
cinq autres maisons pareilles ont été à demi
brûlées et ruinées ; quatre maisons dont
la couverture , le comble et les premiers
étages ont été coupés et abbatus pour arrêter
le progrès du feu . Il y a eu 25. personnes
écrasées sous les ruines ou qui ont
péri dans les flammes ,du nombre desquels
sont quelques notables habitans , entr'au
tres le SieurGoüezou , Capitaine de Navire,
Armateur et Négociant. On a fait des Services
solemnels à la Collegiale et dans toutes
les Paroisses de laVille,où tout leClergé
Seculier et Regulier a assisté,pour le repos
de l'ame du Sieur Goüezou et de toutes
les autres personnes qui , à son exemple,
travaillant pour le bien public , ont péri
dans l'incendie.
La Ville de Morlaix est connue pour
être l'une des plus florissantes de la Province
de Bretagne , particulierement pour
le commerce des toiles avec l'Espagne. Il
s'y fabrique aussi une grande quantité de
Tabac .
REJANVIER.
· 1731 .
-173
RECEPTION faite à M. le Dus;
de la Trémoille , dans la Kille de Laval.
R le Duc de la Tremoille arriva le
M14. sa 14. du mois passé en sa Baronie de
Vitré , éloignée de 7. lieues de la Ville de
Laval ; le lendemain la Jeunesse de cette
Ville , au nombre de près de 80. Cavaliers
, bien montez et bien équipez , se
rendit à Vitré , ils avoient à leur tête
Mr Marest , anciens Officiers , et fils de
M.Marest, Conseiller et Garde des Sceaux
au Parlement de Bretagne . Ils étoient tous
en habit uniforme d'écarlate avec la veste
galonnée d'ar , et la polacre de velours
noir , le chapeau bordé avec les cocardes
de la livrée de M. de la Trémoille , chaqué
Maître étoit suivi d'un Valet avec le
chapeau bordé et la cocarde ; ils avoient
les trois Trompettes du Regiment de
Montrevel.
Dans ce leste équipage ' ils firent cortege
au Duc de la Trémoille , qui fit son
Entrée dans la Ville de Laval le Dimanche
sur les six heures du soir , au bruit
du Canon , au son de toutes les Clocheset
des acclamations du Peuple ; toutes les
ruës sur son passage étoient tapissées et
illuminées , la clarté de plus de deux cens
Flambeaux , que portoient les Valets des
Ca174
MERCURE DE FRANCE.
Cavaliers , formoit le plus beau Spectacle
du monde ; les rues étoient bordées des
deux côtez de la Milice Bourgeoise au
rombre de 2000. hommes , divisez en
differentes Compagnies , ayant à leur tête
les principaux Officiers et Bourgeois ,
magnifiquement vêtus ; ils avoient donné
la cocarde à tous leurs Soldats .
Les rues étoient remplies d'une multitude
infinie de Peuple qui prenoit plaisir à
former des embarras et à retarder la Marche
, pour avoir le contentement de voir
plus long-tems un Seigneur si gracieux .
Les Officiers de la Maison de Ville se
trouverent à la premiere Porte, et lui présenterent
les Clefs dans un Bassin d'argent,
aux Armes de la Ville , ils lui présenterent
aussi le Dais , mais il le refusa.
Tous les Corps de Justice , toutes les
Communautez se rendirent au Château et
complimenterent M. de la Trémoille , qui
répondit avec beaucoup de politesse , et
donna des marques d'une parfaite satisfaction
, heureux présage de la paix et de
la tranquillité qu'il devoit procurer le
lendemain ; il retint à souper les principaux
Officiers , la Jeunesse alla prendre
un repas qu'elle s'étoit fait préparer , et
tous les Capitaines de la Milice régalerent
leurs Soldats .
M. le Duc de la Trémoille , qui avoit
eu
<
JANVIER. 1731. 175
eu lieu d'être indisposé contre les Habitans
de Laval , à l'occasion du grand Procès
par eux soutenu contre ses interêts ,
comprit bien-tôt que ces Habitans n'étoient
pas tels qu'on les lui avoit dépeints,
et que ces honneurs extraordinaires et ces
protestations partoient de l'abondance de
leur coeur , il voulut bien les entendre ,
écouter leurs plaintes et leurs demandes.
Il fit pour cela avertir le lendemain
douze des principaux Habitans de se trouver
à trois heures dans la Salle du Châ-
'teau ; ils s'y rendirent à l'heure marquée,
M.de la Trémoille y entra avec le Comte
de Vilaines et deux de ses Officiers , M. le
Duc leur fit sur le champ et sans préparation
, un Discours le plus éloquent , le
mieux suivi et le plus persuasif qu'ils eussent
jamais entendu , ils lui répondirent
avec respect et ils repliquerent à differentes
reprises. La Réplique du Seigneur
fut toujours prête et en des termes si
propres et remplis de tant de bontez , que
les Auditeurs en furent émus et penetrez
des sentimens d'une estime respectueuse
et de la plus vive reconnoissance . On
convint enfin de terminer, amiablement
toutes les contestations , on arrêta les
Articles d'un Projet de Reglement lesquels
furent signez dès le lendemain de
M. le Duc de la Trémoille et des principaux
Habitans. Ces
176 MERCURE DE FRANCE.
j
Ces affaires sérieuses n'interrompirent
point les plaisirs , au contraire la joye en
redoubla , toutes les Dames et les Cavaliers
furent assemblez le Lundy au Châ-
M. de la Trémoille donna la Comédie
, une Troupe étant à Laval depuis
quelques mois , et il voulut bien s'y trou
ver pour satisfaire l'empressement de tous
les Habitans , qui ne pouvoient se lasser
de le voir . Après la Comedie il y eut un
Feu d'artifice , tiré sur la Place , un grand
souper et un Concert au Château , on
tira le Canon à l'entrée et à la sortie de
table , et enfin M. le Duc accorda à la
Milice Bourgeoise l'honneur qu'elle lui
demandoit de passer en Revûë devant lui
dans la Cour de son Château.
Il partit le Mardy en poste sur les deux
heures après midi , et il fut reconduit
par la Jeunesse à cheval , au bruit du Canon
et au travers de la Milice Bourgeoise
qui bordoit toutes les rues , M. le Duc de
la Trémoille , en remerciant la Jeunesse
lorsqu'elle eut pris congé lui donna la
permissión de la Chasse.
Des Réjouissances pour une Paix tant
desirée , ont continué pendant quinze
jours entre les principaux Habitans des
deux Partis qui divisoient la Ville , ils se
sont donnez de fréquens repas et des Fètes
que le Comte de Vilaines a bien vou-
Lu
JANVIER. 1731. 177
u honorer de sa presence , entre autres
un Dîner , où il y avoit 40. des principaux
Officiers de tous les Corps de Justice
et de la Maison de Ville ; on y but
au bruit du Canon et des Tambours la
santé de M. le Duc de la Trémoille, celles
de Madame la Duchesse et du Comte de
Vilaines; enfin tout le monde est content;
on ne peut pas douter de la sincerité de
ccs Réconciliations et de la durée de la
tranquillité publique.
MORT S.
Antoine-François Ferrand, Con-
M'seiller d'Etat Ordinaire , mourut
à Paris , âgé de 77. ans. "
"Frere Eustache de Bernard d'Ayernes ,
Bailly , Grand-Croix , Grand Hospitalier
de l'Ordre de S. Jean de Jerusalem , er
Commandeur de la Commanderie de
Chanterenne , Procureur General et Receveur
du Commun de cet Ordre , au
Grand Prieuré de France , mourut à Paris
le 5. Janvier , âgé de 64. ans.
M. de Figeac , Chevalier de S. Louis ,
Aide- Major de la Ville de Saint Venant ,
y mourut le 5. de Janvier , âgé de 112 .
ans et huit mois , dont il en a servi 96.
dans
178 MERCURE DE FRANCE.
dans les Troupes , ayant porté le Mousquet
dès l'âge de 16. ans. Il fut fait Officier
en 1665. dans le Régiment de Champagne.
M. Etienne François Geoffroy , Docteur
Regent de la Faculté de Medecine
de Paris , Lecteur du Roi au College
Royal , Professeur en Chimie au Jardin
Royal des Plantes , de l'Académie Royale
des Sciences , et de la Societé Royale de
Londres , mourut à Paris le 6. de Janvier
dans la 59. année de son âge.
Dame Eleonore Suzanne de Mavarti
Reagh , Epouse de N. Baron de Hooke,
Maréchal des Camps et Armées du Roi ,
Commandeur de l'Ordre Royal et Militaire
de S. Louis , mourut à Paris le 13 .
de ce mois , âgée d'environ 48. ans.
XXXXXX:X:XXXXX :XXX
ARRESTS , DECLARATIONS ,
ORDONNANCES , &c.
RREST du 3. Octobre , qui proroge jus-
Aqu'au dernier Decembre 1732. l'exemption
de Droits d'entrée sur les Bestiaux venant des
Pays Etrangers.
AUTRE du 7. Novembre , qui permet aux
Marchands et Fabricans de Bas de la Ville de
Saint
JANVIER. 1731. 179
aint Amand d'envoyer tricoter leurs laines dans
a Châtellenic de Tournay , en payant par les
Prevôt et Echevins de ladite Ville de Saint Amand
trois cens livres par an , pour tenir lieu des Droits
d'entrée du Tarif de 1671. et en observant les
formalités prescrites par le présent Arrêt.
SENTENCE de Police du 17. Novembre,
qui renouvelle les défenses à tous Logeurs de
retirer chez eux aucuns Particuliers sans aveu ,
ni Domestiques ou Ouvriers , s'ils ne sont munis
de certificats de leurs Maîtres , et qui condamne
en differentes amendes plusieurs Logeurs , pour
avoir contrevenu aux Reglemens de Police , concernant
la tenuë des Chambres garnies.
2
AUTRE du même jour , qui condamne la
Weuve Constant , Limonadiere en deux cens
Kvres d'amende , et à avoir sa Boutique murée
ndant six mois , pour avoir contrevenu aux
Arrêts , Sentences et Ordonnances de Police ,
concernant les Limonadiers.
DECLARATION du Roi , en faveur de
'Hôpital General , donnée à Marli le 26. Novembre
1730. registrée en Parlement le 9. Decembre
, par laquelle S. M. ordonne que pendant
le courant de l'année prochaine 1731. il soit
perçu au profit dudit Hôpital dix sols par chaque
voye de bois à brûler , et deux sols par chaque
voye de charbon de bois qui seront venduës
sur les Ports , Quais et Chantiers de la Ville de
Paris , lesdits droits payables ainsi qu'il a été
ordonné par nos Déclarations des 3. Janvier ,
21 Decembre 1728. et 20. Decembre 1729. sça .
voir , moitié par les Marchands de bois et de
charbon , et l'autre moitié par les acheteurs.
Voulons
180 MERCURE DE FRANCÉ
Voulons qu'après le dernier Decembre 173 1.
lesdits droits demeurent éteints et supprimés.
du 28
JUGEMENT en dernier ressort ,
Novembre 1736. rendu par M. Hérault , Conseiller
d'Etat , Lieutenant General de Police, et les
Conseillers du Châtelet , Commissaires en cette
partie. Contre Joseph Martin , dit S Martin
au sujet des Cloches fonduës, dont il a été parlé,
par lequel il est dit ce qui suit : Ordonnons que
les 6 Cloches fondues par Joseph Martin,en execution
du marché passé entre le sieur Mendés
de Goës et lui devant de Laleu et son Confrere,
Notaires au Châtelet de Paris , lè 21 Nov. 1729.
Charpente et Ferrure en dépendantes , demeureront
pour le compte dudit Martin et à ses risques
: Et en consequence le condamnons et par
corps , à rendre au sieur Mendés de Goës , la
quantité de 84565 liv. de Cuivre de la même espece
et qualité que celui qui a été fournit audit
Martin , et 18087 liv. d'Etain d'Angleterre en
Saumon , et ce dans huitaine , à compter du jour
de la signification du present Jugement , sinon
et à faute de ce faire dans ledit temps , et icelui
passé , le condamnons par les mêmes voyes ,
payer audit sieur Mendés de Goës la somme
laquelle se trouvera monter le prix desd . Matieres,
suivant le calcul qui en sera fait par M.de Mont-
Hambert , Conseiller , Commissaire Rapporteur ,
sur les factures , marchez et quittances , dont la
representation sera faite audit cas , par le sieur
Mendés , ledit Joseph Martin present ou dúëment
appellé : Condamnons en outre ledit Martin
par les mêmes voyes à rendre et à payer aud.
sieur Mendés de Goës la somme de 22000 l.d'une
part , par lui payée audit Martin , aux termes
dudit Traité, avec les interêts tant de lad, somme
de
JANVIER . 181 1731.
de 22000 liv que de celle à laquelle
montera le
prix desd. matieres
, faute de restitution
d'icelles
en nature , comme
dit est , à compter
du 24 Oct.
dernier , jour de la demande
, et en la somme de
8000 1. d'autre part , à quoi nous avons arbitré
les dommages
, interêts
demandez
par le sieur
Mendés
de Goes. Et pour faciliter le payement
de toutes lesd. condamnations
,ordonnons
qu'à la
requête dud. sieur Mendés de Goes il sera procédé
à la vente desd . 6 Cloches , leurs appartenances
et dépendances
, ledit Joseph Martin present
ou dûement
appellé , après 3 expositions
et
publications
en la maniere
et aux jours accoûtumez
et Affiches
préalablement
apposées, pour
le prix qui en proviendra
être délivré aud. sicur
Menés de Goes , sur et tant moins , ou jusques à
concurrence
des sommes
cy-dessus à lui anjugées
; quoi faisant par lesd. Adjudicataires
, ils en
seront valablement
quittes, et led . Joseph Martin
d'autant
déchargé
. Condamnons
led . Joseph Martin
en tous les dépens,même aux coûts des Rapports
et fraits faits pour y parvenir
, ensemble
aux
dépens reservez . Déclarons
le present Jugement
commun
avec Antoine
Martin
et Claude Regnault
, cautions
dudit Joseph Martin : Ce faisant
, les condamnons
solidairement
avec lui
ainsi qu'ils y sont obligez par l'Acte passé par
devant ledie de Laleu et son Confrere
, Notaires
à Paris , le 20 Janv. dernier , tant à la restitution
desd. matieres
, qu'au payement
cesd. sommes
principales
, aux termes du present Jugement
, interêts
d'icelles
, et dommages
, interêts , avec dépens.
Et attendu les contraventions
et prévarications
dudit Joseph
Martin, déclarons
à son égard
ledit Marché
, cy - devant
datté , nul et résolu
pour l'avenir. Faisons
défenses
audit Joseph
Martin d'entreprendte
tant dans la Ville de Paris
I que
}
182 MERCURE DE FRANCE
que
dans l'étenduë du Royaume, aucun Ouvrage
de Fonte, sous telles peines qu'il appartiendra : Et
faisant droit sur la Requête desd. Antoine Martin
et Claude Regnault, du 20 du present mois, condamnons
ledit Joseph Martin par toutes voyes
dues et raisonnables , à les acquitter , garentir et
indemniser de toutes les condamnations cy - dessus
prononcées contr'eux , avec dépens , &c.
ARREST du même jour , qui décharge du
payement des 4 sols pour livre , le Hareng provenant
de la pêche des habitans de Dunkerque.
AUTRE du même jour , qui renouvelle les
deffenses de l'introduction , port et usage des
Toiles peintes ou teintes , Ecorces d'arbres ou
Etoffes de la Chine , des Indes et du Levant.
EDIT DU ROY portant création d'une
Charge de Garde du Trésor Royal triennal ,pour
entrer en exercice , au 1 Janvier de l'année prochaine
1731.Donné à Marly au mois de Novembre
1730. Registré en Parlement le 16 Decem→
bre.
ARREST du 3 Decembre , qui proroge jusqu'au
dernier Juin 1731. l'exécution de ceux des
Dec. 1729. et 27 Juin 1730. portant que tous
ceux qui remettront aux Hôtels des Monnoyes, en
Piastres ou autres matieres d'Or et d'Argent,une
somme de 1ooo liv . et au dessus , continueront
d'être payez des 4 den. pour liv. jusqu'audit jour
dernier Juin 173 1 .
ORDONNANCE DU ROY du même jour ,
pour regler les differentes Classes de ceux qui se
ront reçûs à l'Hôtel Royal des Invalides , par
laquelle S. M. ordonne ce qui suit :
ART. I.
JANVIER. 171. 183
1
ART. I. Nul ne pourra être reçû à l'Hôtel Royal
des Invalides, s'il n'a,conformément auReglement
du 3 Janvier 1710. au moins vingt ans de service,
consécutifs et sans interruption , ou.qu'il n'ait
été estropié , ou griévement blessé au service du
Roy , suivant les Certificats qui seront rapportez
des Commandans et Majors des Corps , visez des
Directeurs ou Inspecteurs. Pourront, aux termes
de l'Art.VIII.de l'Ordonnance du 10 Mars 1729.
ceux qui auront renouvellé deux fois des Engagemens
de 6 ans, être reçûs après leur expiration:
N'entend neanmoins S. M. que ceux qui auront
servi le temps prescrit , soient admis à l'Hôtel
s'ils se trouvent , par leur âge et par leur santé
en état de continuer.
II. Il n'y aura que trois Classes dans l'Hôtel
Royal des Invalides .
III. La premiere sera composée des Officiers des
Troupes du Roy , des Gardes du Corps , Gendarmes,
Chevaux- Legers, Mousquetaires de la garde,,
des Sergens de la Compagnie des Grenadiers à
Cheval, lorsqu'ils auront servi s ans en lad. qualité
de Sergent , et des Sergens des Regimens des
Gardes-Françoises et Suisses , après 10 ans de
service en ladite qualité . Les Officiers de la Connétablie
et des Maréchaussées , y compris les
Exemps , seront pareillement reçûs , après avoir
été dix ans Officiers. Le traitement de ceux de
cette premiere Classe continuera d'être fait sur
le pied ordinaire et accoûtumé.
IV. La seconde Classe sera composée des Gendarmes
et Chevaux - Legers desCompagnies d'ordonnance,
Grenadiers à Cheval , Maréchaux des
Logis de la Cavalerie et de Dragons , et des Sergens
d'Infanterie , lorsqu'ils auront servi dix ans
dans lesdites qualitez, Ceux qui après avoir été
tirez de la Cavalerie pour entrer dans les Gardes
I j da
14 MERCURE DE FRANCE.
du Corps, sont depuis rentrez -dans la Cavalerie ,
y seront pareillement admis ; de même encore
les Gardes - Magazins , Capitaines et Conducteurs
& Artillerie , après 30 ans de service , dont dix
ans en ladite qualité. Ceux de la presente Classe,
qui est la seconde , auront un habit distingué du
Soldat , suivant qu'il sera plus particulierement
réglé par le Sécrétaire d'Etat , ayant le département
de la Guerre ; ils porteront l'Epée , et recevront
chaque mois 15 sols , pour leurs menuës
dépenses ; ils logeront ensemble , dans un quartier
séparé , mangeront sans aucun mélange, dans
un même Réfectoire où ils seront nourris comme
Les Soldats,avec cette différence néanmoins,qu'ils
auront tous les matins un demi -setier de vin. Les
Gendarmes , Chevaux- Legers et Maréchaux des
Logis cyc-dessus , continueront d'être envoyez
dans la Compagnie créée en 1714.et dont le sieur
Jaquette a actuellement le commandement ; laquelle
Compagnie sera payée sur le pied reglé ,
jusques à concurrence du nombre effectif, quand
même il se trouveroit exceder celui qui a été fixé
lors de sa création. Il sera formé une seconde
Compagnie des Gendarmes , Chevaux - Legers ,
Maréchaux des Logis , Grenadiers à Cheval et
Sergens qui seront en état de servir , et elle sera
employée dans une garnison fixe.
V. La troisiéme Classe sera composée des
Soldats , Cavaliers et Dragons , Archers de la
Connétablie et des Maréchaussées , Maîtres ou
simples Ouvriers et Charretiers d'Artillerie , et
en tout ils continueront de recevoir le traitement
ordinaire.
VI. Les Gendarmes et Chevaux-Legers des
Compagnies d'ordonnance , les Maréchaux des
Logis de la Cavalerie et de Dragons , et les Sersens
d'Infanterie qui se trouveront avoir des
Brevets
JANVIER. 1731. 185
Brevets de Lieutenans , ne pourront être reçûs
comme Officiers , qu'après qu'ils auront servi
cinq ans en ladite qualité,
}
VII. Les Sergens des Grenadiers à Cheval et
ceux des Regimens des Gardes Françoises et Suisses
, lorsqu'ils n'auront pas les services en ladite
qualité marquez en l'Article III. de la presente
Ordonnance , pour la Classe des Officiers , ne
pourront être reçûs que dans la seconde Classe.
مد
VIII. Les Maréchaux des Logis de la Cayalerie
et de Dragons , les Grenadiers à Cheval,
Gendarmes et Chevaux- Legers des Compagnies
d'ordonnance , et les Sergens d'Infanterie , lors
qu'ils n'auront pas servi dans lesdites qualitez le
tems marqué par P'Art. IV. pour entrer dans la
seconde Classe , ne pourront être reçûs que dans
--la troisiéme.
IX. Veut neanmoins Sa Majesté , que les Cavaliers
et les Dragons étant actuellement àl'Hôtel
, ausquels il a été accordé un demi - setier de
vin tous les deux jours , et ceux qui sont appellez
Sergens brevetez , continuent d'être traitez comme
ils le sont actuellement tant qu'ils vivront ,
sans neanmoins qu'aucun autre puisse être admis
nouvellement au même traitement.
X. La presente Ordonnance commencera d'a
voir son execution au 1 Janvier 1731. S. M. dérogeant
à toutes dispositions à ce contraires , &c.
DECLARATION du Roi , portant sup
pression de differentes formules des Actes des
Notaires de la Ville de Paris , et ordonne une
formule uniforme , donnée à Versailles le 5. De
cembre 1730. registrée en la Cour des Aides le
15. Decembre.
ARREST du même jour , qui déclare nuls
I iij après
186 MERCURE DE FRANCE
après le premier Avril prochain les Ordonnances
de Liquidation et Quittances de finances des
Offices supprimés sur les Ports , Quais , Halles,
et Marchés de la Ville de Paris , ensemble les
Recepissés du Tresor Royal , expediés pour remboursement
desdites finances , faute de les avoir
employés conformément à l'Edit du mois de
Juin et à l'Arrêt du 22. Octobre dernier.
AUTRE du même jour , qui ordonne que
les draps , serges et autres étoffes de laine , ou
fil et laine , marqués du plomb de fabrique , et
qui après avoir reçû leur dernier apprêt seront
destinés , soit pour les Villes du Royaume y
mentionnées , ou pour l'Etranger , seront préa-
Jablement apportés dans les Bureaux des Marchands
Drapiers et Merciers desdites Villes , pour
avant leur départ y être visités et marqués du
plomb de Contrôle desdits Bureaux , s'ils se
trouvent fabriqués , teints et apprêtés en confor
mité des Reglemens.
AUTRE du même jour , concernant les
ensaisinemens et enregistrement pour les biens
tenus dans la mouvance du Roi , par lequel S. M.
fait très expresses inhibitions et deffenses aux Receveurs
et Contrôleurs géneraux de ses domaines
de faire aucunes poursuites pour l'ensaisinement
ou enregistrement ordonnés par les Edits dest
mois de Decembre 1701. et Decembre 1727.
Déclarations et Arrêts rendus en consequence ,
et d'en exiger les droits d'ensaisinemens ou enregistremens
et de contrôle d'iceux que dans l'étendue
des Terres qui sont constament et notoirement
du domaine de S. M. par Elle possedées
ou engagées , à peine de restitution du quadruple
des droits qu'ils auront reçus , dont la peine
ne
JANVIER. 1731. 187
ne pourra être remise ni moderée , sauf à eux
d'informer le Sieur Contrôleur Géneral des Finances
des usurpations faites sur le domaine
pour y être pourvû ainsi que S. M. le jugera à
propos , et en cas que les Terres soient déclarées
domaniales , à poursuivre par eux les vassaux et
censitaires desdites Terres , pour satisfaire aux
ensaisinemens ou enregistremens et Contrôle d'iceux
, et pour en payer les droits , ainsi qu'il
est porté par les Edits , Déclarations et Reglemens
& c.
ORDONNANCE du Roi du même jour,
portant nouveau Reglement sur des Voitures qui
seront fournies aux Troupes pendant leur marche.
AUTRE du même jour , portant suppres
sion de la Commission de Colonel Géneral de
Infanterie Françoise et Etrangere , par laquelle
S. M. ordonne que le titre et les fonctions de
Colonel General de son Infanterie Françoise et
Etrangere seront et demeureront doresnavant
supprimés , conformément à l'Edit du mois de
Juillet 1661. sans pouvoir être ci - après rétablis,
soit par commission ou autrement , pour quelque
raison ou sous quelque prétexte que ce
puisse être.
Que les Mestres de Camp de ses Régimens
d'Infanterie Françoise et Etrangere prendront à
l'avenir , et à commencer du jour de la publication
de la présente Ordonnance , la qualité de
Colonels , sans que pour raison de ce change
ment ils soient tenus de prendre de nouvelles
Commissions de S. M. laquelle veut et entend
qu'au moyen de celles qui leur ont été ci devant
expediées , ils continuent de commander lesdits
Regimens en qualité de Colonels , sous l'autorité
de S. M.
I j Que
188 MERCURE DE FRANCE.
Que le Drapeau blanc sera remis le jour de
ladite publication à la suite de la Compagnie
commandée par le Colonel de chaque Régiment,
laquelle sera doresnavant la premiere ; que celle
du Lieutenant Colonel cessera d'être appellée la
Colonelle Génerale , qu'elle ne sera que la seconde
Compagnie , et sera subordonnée sans difficulté
au Colonel du Régiment.
Qu'au surplus , l'ordre et le commandement
seront rétablis dans lesdits Régimens d'Infanterie
Françoise et Etrangere sur le même pied qu'ils
étoient avant l'Ordonnance du 30. May 1721. à
laquelle S. M. a dérogé et déroge expressément
par la présente &c.
AUTRE du ro . Decembre , portant Réglement
sur les Congez qui pourront être donnez
à l'avenir aux Soldats , Cavaliers et Dragons qui
auront besoin de s'absenter.
SENTENCE de Police du 15. Decembre,
concernant la liberté de la Voye publique , et
qui défend à toutes sortes de personnes de se
placer au devant des Maisons avec des Echoppes
et Comptoirs , pour y vendre et étaller des Marchandifes.
ARREST du Parlement , rendu au sujet de
trois Imprimez.
Ce jour les Gens du Roi sont entrez , et Maître
Pierre Gilbert de Voisins , Avocat dudit Seigneur
Roi , portant la parole , ont dit.
MESSIEURS ,
L'Instruction Paftorale & le Mandement de
M. l'Archevêque d'Embrun faisoient trop de bruit
pour ne pas exciter notre attention ; & le genre
de ces deux Ouvrages ne laissoit pas lieu de craindre
JANVIER. 1731. 189
dre que notre miniftere pût les négliger. Le premier
déja sous nos yeux , occupoit nos réflexions ;
Pautre faisoit l'objet de nos recherches , et ne
leur eût pas long - tems échappé , lorsque l'occa
sion s'est presentée à la Cour de nous les remettre
elle- même. Un troisiéme imprimé qui porte
le nom de M. l'ancien Evêque d'Apt , est tombé
depuis entre nos mains. Quoique different par le
titre d'une fimple Lettre , il a dailleurs tant de
rapport à ce qui fait l'objet des deux autres Ouvrages
, que nous n'avons pas crû devoir les sé→
parer.
C'est avec douleur que nous voyons d'abord
deux Ecrits publiez sous un titre respectable , et
tous deux partis de la main du même Prélat , devenir
jusques sous vos yeux un nouveau signal de
discorde , nous rappeller les maux passez, et nous
en faire craindre de nouveaux .
L'Instruction Pastorale de M. l'Archevêque
d'Embrun paroît destinée à combattre les Ecrits
d'un autre Prélat , dont plusieurs ont été suppli
mez par vos Arrêts. Il ne lui eût pas été difficile
de se renfermer dans les avantages de sa cause..
Mais il semble qu'il ait mieux aimé chercher les
écueils. Indépendamment des points de Doctrine
qui ne sçauroient nous regarder , l'étendue et la
diversité de l'ouvrage , offrent tant d'objets differens
à l'attention du Magistrat , qu'il n'est pas
possible de tout relever. On ne se contente pas d'y
opposer les reproches aux reproches , & les termes :
les moins mesurez aux expressions du même genre.
Vous y remarquerez , Messieurs , tantôt um
silence suspect sur nos maximes , et tantôt les at--
teintes plus ou moins marquées qu'elles semblent
recevoir: une affectation à confondre les circons
tances et les tems où les differentes démarches ont:
été placées , dans le cours des dernieres divisions ;:
I V less
190 MERCURE DE FRANCE.
les comparaisons les plus odieuses appliquées à ces
démarches ; & sur les matieres les plus importantes
, des idées et des expressions plus capables.
d'exciter la contradiction des esprits que de les
soumettre.
Comme si les maux de l'Eglise n'étoient pas as
sez grands d'eux-mêmes , cet Ouvrage les exagere
et ne semble propre qu'à en élogner les remedes.
De- là cette opposition continuelle qu'il met entre
ceux qu'il appelle Catholiques , et ceux à qui il
paroît refuser ce nom : ce titre de Secte, ces noms
de parti qu'il repete sans cesse , contre la disposition
des Loix les plus sages sur cette matiere.
On diroit qu'il s'empresse d'annoncer une séparation
, qui ne pouroit être regardée que comme
le dernier des malheurs ; & que par une funeste
impatience , il cherche à nous faire voir au
sein du Royaume , une diversité de Religion , dont
la seule idée devroit allarmer.
Il semble qu'on ne songe pas tant à deffendre
et à maintenir la Constitution Unigenitus , qu'à
y substituer ses propres pensées. Nous sçavons ,
Messieurs , quelle peut être en cette matiere la
fonction du Magistrat , et nous nous ferons toûjours
une religion de nous renfermer dans ses
bornes. Loin de nous la moindre pensée de considerer
la Bulle autrement que par l'exterieur,
sous lequel nous la voyons adressée à tous les fideles
, sous l'appui de l'autorité du Prince Protecteur
de l'Eglise. En se renfermant dans ce point
de vûë , on reconnoît dans ce Decret un jugement
qui censure des propositions en matiere de
Doctrine : Une censure respective sous des qualifications
differentes , sans application d'aucune
en particulier à aucune des propositions : Jugement
dont le caractere est autorisé par la pratique
de l'Eglise , et par l'usage qu'elle a fait souvent
JANVIER. 1731. 191
+
vent de ces sortes de qualifications respectives ,
pour le bien de la Religion. Mais lorsqu'avec des
termes affectez , on public que ce Jugement est...
précisément la regle à laquelle Jesus - Christ
veut que tout Fidele soumette sa croyance :
n'es -ce pas essayer d'en faire une définition ou
une décision des Dogmes de la Foy , passer les
termes du Decret , entreprendre de lui attribuer un
caractere , qu'à l'inspection seule il paroît exclure
: et par là prêter des armes à la résistance qui
s'opiniâtre à le combattre 2
C'est l'esprit que l'on voit regner par- tout dans
P'Instruction Pastorale , et le centre où se rapporte
presque à chaque page l'énergie trop claire de ses
expressions. Triste effet des extremitez où con init
l'ardeur des disputes ! M. l'Archevêque d'Embrun
& M. l'Evêque de Montpellier,si opposez en tout
le reste , paroissoient d'accord sur ce point . On
franchit de part et d'autre les bornes qu'une déference
reglée pour l'autorité légitime devroit
faire reconnoître . On se dissimule l'objet tel qu'il
est , et par des vûës contraires on s'accorde à le
changer , d'un côté pour le soutenir , et de l'autre
pour le combattre..
Si tel est le préjugé de M. l'Evêque de Montpellier
; convenir de ce principe avec lui, le prêter
à tous ceux qu'on voit soumis à la Constitution,
est- ce le moyen d'applanir les difficultez ? Seronsnous
surpris qu'en rapportant quelques - unes de
nos expressions , M. l'Archevêque d'Embrun les
applique à un excès tout contraire à celui qu'elles
* avoient pour objet ? Lorsque nous voyons que
dans les Loix émanées dé l'autorité souveraine, soit
sur la Constitution , soit sur les Appels au futur
Concile , il se flatte de trouver ce qui n'est ni dans .
leurs termes ni dans leur esprit.
Dans cette préocupation de ses pensées , si d'un
Ivj côté
192 MERCURE DE FRANCE.
côté il applaudit au zele des Puissances , de l'autre
il blâme sans détour ce qu'il appeile une pacifique
tolerance de leur part. Il craint un Parallele , il
s'en irrite, et ne cache pas son impatience. Aussi
interessé dans ses plaintes que dans ses éloges , on
voit qu'il rapporte tout à lui- même , et qu'il fait
dépendre sa satisfaction des partis extrêmes que
la charité Episcopale déplore toûjours , lors même
qu'elle les juge nécessaires..
Il est tems de passer au Mandement . Mais
quelles paroles peuvent exprimer ce que fait sentir
sa lecture? Pour l'honneur de l'Episcopat, que
n'est il possible d'effacer ce titre de Mandement
d'un Ouvrage si éloigné d'y répondre Il attaqueen
apparence un Ecrit , et c'est en effet contre les
personnes qu'il se déchaine. Il promet une réfutation
, et en attendant il ne répand que des inju
res. C'est ce qui tient lieu d'Instruction , à la tête
de la condamnation qu'un Evêque se croit en droit.
prononcer.
de
a
dau-
M. l'Archevêque d'Embrun a- t'il pû avec reflexion
faire servir le caractere de sa dignité , et la
sainteté de son ministere , une déclamation si
outrée et à une invective si sanglante? Est-ce pour
édifier ou pour convaincre , qu'il accumule et
qu'il répete sans cesse les termesde révolte ,
dace , de lirence effrenée , d'irreligion,d'impieté,
de blasphemes , de nouveaux monstres , de suffrages
honteux , témeraires , de sujets auda
cieux , de gens décriez ? En quel lieu un pareil
stile passera- t'il pour l'effet de la fermeté Episcopales
? C'est ainsi qu'on s'explique lorsque l'on
cherche à venger ses propres querelles Lezele desinter
ssé parle d'ordinaire un autre langage.
M.I'Archevêque d'Embrun semble oublier ce qu'il :
a dit dans son Instruction Pastorale , que dans de
semblables Ecrits devroient regner selon l'esprit
de:
JANVIER. 17312 193
de Jesus Christ l'humilité, la douceur, la charité.-
Auroit- il aussi oublié les sentimens dont il s'éss
fait honneur au même endroit , d'un Evéque qui
ne songe pas à sa propre défense , lorsque la foi
est en péril ?
On le voit ici , empruntant les termes de saint
Cyprien , sur les pas de ce Saint Martyr , de ce
grand Evêque d'Affrique , de cette Lumiere det
P'Eglise primitive , venir , l'Evangile à la main ,
s'offrir au martyre : Sacerdos Dei Evangelium
tenens , occidi poteft , non poteft vinci. Mais
Pimage disparoît , et il ne reste que l'étonnement
de l'application qu'il se fait d'un si grand exemple
: lors qu'en même tems il se reduit à tonner
contre un nombre de Jurisconsultes qui ne peuvent
avoir d'autres armes que le raisonnement et
le discours.
Ces hommes si méconnoissables dans le portrait
odieux qu'en fait ce Prélat , n'ont besoin:
pour être à couvert de ses atteintes , que de l'accés
qu'ils ont trouvé auprès de la bonté et de la
justice du Roi. Depuis que lui - même a bien
voulu declarer qu'il les regardoit comme de bons
et de fideles sujets ; c'est à M. l'Archevêque d'Embrun
à subir le poids d'un témoignage si auguste..
Auroit-il pensé à le contredire ? Souhaitons plutôt
qu'au 16. Decembre il ait ignoré à Embruns
ce que l'on sçavoit à tant d'autres lieux et présumons
qu'il a regret d'une démarche hazardée :
si à contre-tems.
Inutilement s'occuperoit-t'on à considerer de:
plus près un ouvrage de ce caractere. On ne s'attendra
pas à y trouver plus d'exactitude et de :
précision sur les principes , que de moderation
dans le discours . Un seul trait peut en faire juger..
M. l'Archevêque d'Embrun se plaint de ce qu'on
foumet en tout la Jurisdiction Ecclésiastique à
dess
194 MERCURE DE FRANCE
des Juges feculiers ,foumis eux- mêmes à l'autorité
qu'on blasphême : ce sont ses termes. Entend-
il que les Magistrats comme Chrétiens , et
en qualité de fideles , sont soumis à la puissance
spirituelle de l'Eglise indépendante de tout pouvoir
temporel Il sait qu'ils en font gloire , à
l'exemple du Roi , de qui seul ils tiennent l'autorité
qu'ils exercent , et que personne n'a jamais
pensé que leur état pût les exempter de cette soûmission
. Entend-il que le caractere et le pouvoir
des Magistrats releve de l'autorité spirituelle , et
qu'ils lui soient subordonnez dans leurs fonctions
? il attaque le fondement de nos plus inviolables
maximes , et confond la distinction immuable
que Dieu même a mise entre deux Puissances
immediatement émanées de lui .
Ce seroit peut être assez d'ajoûter que la
Lettre de M. l'ancien Evêque d'Apt , regarde les
mêmes objets que les deux autres Ouvrages , et
qu'on y remarque les mêmes excès. Elle y joint.
cependant des principes sur l'autorité du Pape ,,
qui suffiroient seuls pour nous obliger à nous .
élever contre cet Ecrit.
Mais ce qui surtout la distingue , et met le
comble à tout le reste , c'est que ce Prélat ne
craint point d'y rappeler le scandale d'un appel
qu'il interjetta il y a treize ans , "du Roi, mineur
au Koi majeur. Non content d'avoir alors offensé
la Majeste Royale , dont le caractere est toûjours
le même en France , et toûjours inséparable
de la personne du Roy , il renouvelle la memoire
de cet attentat : il triomphe , pour ainsi .
dire , d'avoir vu subir à cet acte séditieux les der--
nieres peines ; et il porte l'égarement jusqu'à s'en
faire un merite auprès du Roi même.
De quelques persones et de quelques lieux que
nous viennent de parcils Ecriis , ils ne peuvent
être
JANVIER. 1731. 195
être soufferts. A la vue du caractere dont les
deux premiers sont revêtus , nous laissons l'usage
des voyes de droit à ceux qui sont établis
pour les employer de plus près. Il nous suffit
de reclamer les Loix de la Police , l'interêt du
bon ordre et celui du repos public , pour suprimer
et pour proscrire ces Ouvrages Le troisiéme
n'est pas du même genre , et puisqu'il renouvelle
un attentat reprimé la premiere fois
plus severement sur les Lieux , il nous force à
vous demander de renouveller aussi cet exemple.
Ce sont , Messieurs , les differents motifs des
conclusions que nous avons crû devoir prendre ,
et que nous laissons à la Cour , avec des Imprimez
des trois écrits.
Eux retirez :
Vû les deux Imprimez , l'un intitulé : Instruction
Pastorale & Ordonnance de M. l'Arthevêque
Prince d'Embrun , portant défenses de
lire & de garder differens Ecrits publiez sous
le nom de M. l'Evêque de Montpellier à Grenoble
, chez Pierre Faure , Imprimeur- Libraire
de Monseigneur l'Illustrissime & Reverendissime
Archevêque Prince d'Embrun , ruë du
Palais , 1730. dattée du 12. Août 1730.
L'autre intitulé , Mandement de Monseigneur
l'Archevêque Prince d'Embrun , portant condamnation
d'un Ecrit , signé par quarante
Avocats intitulé Memoire pour les sieurs
Samson , Curé d'Olivet , Coïet , Curé d'Arnpis
Gaucher , Chanoine de Jargeau , Diocèse d'Orleans
, & autres Ecclesiastiques de differents
Diocéfes , Appellans comme d'abus contre M,
l'Evêque d'Orleans , autres Archevêques &
Evêques de differens Diocéses , Intimez , sur?
L'effet des Arrêts des Parlemens , tant provisoi-
> :
196 MERCURE DE FRANCE
res que diffinitifs en matiere d'appel comme
d'abus des Censures Ecclesiastiques ; à Grenoble
, chez André Faure , Imprimeur - Libraire
de Monseigneur l'Illustrissime & Reverendissime
Archevêque Prince d'Embrun , ruë du Palais
, 1730 daité du 16. Decembre 1730. Ensemble
l'Imprimé , intitulé , Lettre de Monsei
gneur l'ancien Evêque d'Apt , à Monseigneur
Evéque de Montpellier , en réponse d'une Lettre
Pastorale qu'il a faite contre fon Codicile ; à
Marseille , chez J. P. Brebion , imprimeur du
Roy , de Monseigneur l'Evêque d'Apt , & de la
Ville , dattée à la fin en ces termes : à Marseille,
ce 25 , Ottobre 1730. Ensemble les Conclusions
par écrit du Procureur General du Roy , la matiere
mise en déliberation.
:
La Cour a declaré et declare ledit Imprimé intitulé
Lettre de M. l'ancien Evêque d'Apt
séditieux , témeraire , tendant à la revolte et contraire
à l'autorité du Roy : a ordonné et ordonne
que ledit Ecrit sera laceré et brûlé en la Cour
du Palais , au pied du grand Escalier d'icelui , par
PExecuteur de la haute Justice.Ordonne pareillement
que lesdits deux Imprimez , l'un intitulé :
Instruction Pastorale , et l'autre , Mandement
de M. l'Archevêque d'Embrun , seront et demeu
reront supprimez , comme téméraires , séditieux ,
et tendants à troubler la tranquillité de l'Eglise
et de l'Etat. Enjoint à tous ceux qui auroient des
Exemplaires des susdits Imprimez , de les remettre
incessamment au Greffe de la Cour , pour y
être supprimez. Fait défenses à tous Imprimeurs ,
Libraires , Colporteurs et autres , de les impris
mer , vendre , debiter , ou autrement distribuer
sous peine d'être procedé contre eux extraordinairement.
Ordonne aussi , que Copies collation--
nées du présent Arrest seront envoyées aux Bail,
liages
JANVIER. 1731. 197
fiages et Sénéchaussées du Ressort , pour y être
lues , publiées et registrées. Enjoint aux Substi
tuts du Procureur general du Roi d'y tenir la
main , et d'en certifier la Cour dans un mois .
Fait en Parlement le vingt- neuf Janvier mil sept
cent trente-un. Signé YSABEAU.
Le Mardy trente Janvier mil sept cent trente-
un , à l'heure de midi , en execution de l'Arrêt
ci- deffus , imprimé y mentionné, intitulé :
Lettre de M. l'ancien Evêque d'Apt , a été laceré
et jetté au feu , au bas du grand Escalier du
Palais , par Executeur de la HauteJustice , en
prefence de nous Ellienne Henry fabeau , l'un
des trois premiers & principaux Commis pour
la Grand'Chambre , assisté de deux Huissiers
de ladite Cour. Signé YSABEAU .
ARREST de la Cour du Parlement. Ce jour
les Gens du Roi sont entrez , et Maître Pierre
Gilbert de Voisins , Avocat dudit Seigneur Roi ,
portant la parole , ont dit :
MESSIEURS , Pour peu que le nouveau
Libelle dont nous vous apportons un Exemplaire
ait déja paru sous vos yeux , vos réflexions auront
, sans doute , prévenu ce que nous pouvons
en dire aujourd'hui , et vous auront fait sentir
l'obligation où nous sommes de le déferer à la
Cour.
Sous le titre qu'il porte d'Avis aux Fideles de
PEglise de Paris , sur ce qu'ils ont à craindre
de la part des Confesseurs qui acceptent la
Constitution UNIGENITUS , on ne doit pas être
surpris d'y trouver l'esprit de parti , Pemportement
, les invectives que vos Arrêts ont tant de
fois condamnez dans des Ouvrages de ce genre..
Mais à ces excès qui s'y renouvellent , se joignent
d'autres caractères qui le rendent plus dangereux.
198 MERCURE DE FRANCE.
Son objet est d'éloigner les Fideles du Diocèse
de Paris des Ministres que l'autorité légitime leur
présente pour le Sacrement de la Penitence . Envain,
entre les Confesseurs soumis à la Constitution 2
il affecte de multiplier les classes & les distinctions
: il multiplie encore plus les reproches par
lesquels il cherche à les décrier. Les plus moderez
sont le plus en butte à ses atteintes . Tous universeliement
lui sont odieux , et il semble qu'ils le
lui deviennent davantage par l'approbation qui les
autorise.
Ainsi en travaillant à éloigner des Confesseurs
on ne craint pas d'éloigner de la Confession . On
seme sur les avenues du Tribunal institué par Jesus-
Christ , ce qu'on imagine d'obstacles plus
capables de le rendre inaccessible. On sent cette
conséquence ; on se l'oppose à soi - même ; et on
n'en est pas effrayé. Il n'est point de subtilitez
dangereuses qu'on n'employe pour éluder la nécessité
d'un Sacrement si salutaire. S'agit - il de
s'en approcher , on arrête par un vain phantôme
de difficultez odieuses ; on devient facile et relâché
jusques au scandale , dès qu'il s'agit de l'éviter.
On oublie enfin , on plutôt dissimule le précepte
formel de l'Eglise, et on semble méconnoître l'obligation
qu'elle impose de se presenter tous les ans
aux pieds de ses Ministres legitimes . Quels scandales
, et quels troubles dans les Cloîtres ? quels
desordres dans la vie civile ! fi un levain fi pernicieux
venoit à s'y répandre. Quelle irreligion
peut - être ne verroit- on pas y regner bient - tôt , â
la place des vaines terreurs dont l'Auteur essaye
d'armer sa témerité ?
C'en est trop pour la condamnation d'un Ouvrage
qui déja scandalise le public . Puisse en être
assez , pour ouvrir les yeux à ceux qu'une aveugle
préoccupation pourroit entraîner. Se peut- il
qu'on
JANVIER. 1731. 199
qu'on ne sente pas le danger des extrêmitez, d'où
l'on voit éclore des fruits si funestes ? Et faut - il
un autre motif , pour s'affermir dans la moderation
qui inspire des vues pacifiques , une soumission
legitime et un éloignement de tout excez
› C'est à vous , MESSIEURS , qu'il appartient
d'employer toute l'autorité des Loix contre un
pareil Libelle. Que celui que nous voyons paroître
aujourd'hui éprouve leur sévérité ; qu'il
subisse la derniere peine qu'elles prononcent contre
les Ouvrages qui excitent la juste indignation
du Magistrat. C'est ce que nous nous sommes
proposez dans les Conclusions que nous avons
prises , et que nous laissons à la Cour . Eux retirez
:
Vú le Libelle intitulé : Avis aux Fideles de
l'Eglise de Paris , sur ce qu'ils ont à craindre
de la part des Confesseurs qui acceptent la
Constitution UNIGENITUS . La matiere mise en
Déliberation. LA COUR a ordonné et ordonne
que
ledit Libelle sera lacéré et brûlé en la Cour
du Palais , au pied du grand Escalier d'icelui , par
l'Exécuteur de la Haute Justice. Fait tres - expresses
inhibitions et défenses à tous Imprimeurs etLibraires
, Colporteurs et autres , de l'imprimer ,
vendre , débiter ou autrement distribuer ; enjoint
à tous ceux qui en auroient des Exemplaires , de
les apporter incessamment au Greffe de la Cour
pour y être supprimez : Ordonne qu'à la requête
du Procureur General du Roy , il sera informé
pardevant Maître Louis de Vienne , Conseiller
, pour les témoins qui pourroient être entendus
dans cette Ville de Paris ; et à la poursuite
et diligence des Substituts du Procureur General
du Roy , pardevant les Lieutenans Criminels
ou autres Officiers des Bailliages , pour ceux qui
pourroient y être entendus , contre les Auteurs
dudit
zco MERCURE DE FRANCE.
dudit Libelle , et contre ceux qui Pauroient im
primé , vendu , débité ou autrement distribué ,
pour les informations faites , rapportées et communiquées
au Procureur general du Roy , être
par ledit Procureur general du Roy pris telles.
conclusions , et par la Cour ordonné ce qu'il ap
partiendra . Ordonne en outre que Copies collationnées
du present Arrêt , seront envoyées aux
Bailliages et Sénéchaussées du Ressort , pour y
être lúes , publiées et enregas ées : Enjoint aux
Substituts du Procureur general du Roy d'y tenir
la main et d'en certifier la Cour dans un mois.
Fait en Parlement le 12 Janvier 173 1 .
y
Signé Y SABE A U.
Le Vendredi 12 Janv. 1731 à l'heure de midi,
en exécution de l'Arrêt cy- dessus , l'Ecrit
mentionné a été lacéré et jetté au feu , au bas
du grand Escalier du Palais , par lExécu
teur de la Haute- Justice, en presence de Nous
Etienne- Henri Tsabeau, l'un des trois premiers
et principaux Commis pour la Grand Chambre,
assisté de deux Huissiers de ladite Cour.
ARREST du Parlement. Ce jour les Gens
du Roi sont entrés , et Maître Pierre Gilbert de
Voisins , Avocat dudit Seigneur Roi , portant la
parole , ont dit :
MESSIEURS nous n'avons point encore
vû de Libelle plus outré , ni plus condamnable
que celui qui vient de nous tomber entre les
mains. L'esprit de schisme y regne avec emportement
, et ce que vous avez déclaré le plus so-
Lemnellement abusif s'y trouve allegué , comme
ayant une pleine autorité ; mais ce qui met le
comble à la réprobation de ce Libelle , c'est qu'il
a pour objet d'établir qu'un Evêque , quelque
souris qu'il soit d'ailleurs à la Constitution Uni
genitus
1
JANVIER. 1731. 201
genitus , ne sçauroit communiquer avec ceux
qui y résistent , sans que ses Diocesains soient
en droit de se séparer de sa communion . Telle
est la proposition que porte le titre , et on n'en
sçauroit envisager les conséquences sans quelque
sorte d'effroi ; jamais peut- être on n'a poussé
si loin la révolte , l'égarement , le vertige. Nous
ne pouvons croire qu'un pareil Ecrit soit capable
de faire impression ; mais il n'en est pas moins
coupable ; et puisqu'il ose paroître , ce scandale
ne sçauroit trop - tot être expié par les flammes.
Nous requerons que ce Libelle , sans nom
d'Imprimeur , soit laceré et brûlé en la Cour du
Palais , au pied du grand Escalier , par l'Executeur
de la haute Justice ; que défenses soient
faites à tous Imprimeurs et Libraires , Colporteurs
et autres de l'imprimer , vendre débiter
ou autrement distribuer, Qu'il soit enjoint à
tous ceux qui en auroient des Exemplaires de
les apporter incessamment au Greffe de la Cour
pour y être supprimez. Qu'à notre Requête il
soit informé par devant un de Messieurs , pour
les témoins qui pourront être entendus à Paris
et à la poursuite et diligence de nos Substituts ,
par devant les Lieutenans Criminels , ou autres
Officiers des Bailliages , pour ceux qui pourroient
y être entendus , contre les Auteurs de ce Libelle ,
et contre ceux qui l'auroient imprimé , vendu
debité ou autrement distribué , pour sur les informations
faites , rapportées et à nous communiquées
être par nous pris telles conclusions , et
par la Cour ordonné ce qu'il appartiendra. Ordonne
que copies collationnées de l'Arrêt seront
envoyées aux Bailliages et Senéchaussées du Ressort
pour y être lues , publiées et enregistrées.
Enjoint à nos Substituts d'y tenir la main
d'en certifier la Cour dans un mois. Eux retirés :
>
et
Vû
202 MERCURE DE FRANCE
Vû ledit Libelle , intitulé : Réponse d'un Conseiller
faite au nom des Catholiques du Dio-
´cèse de ••• à Monsieur l'Abbé de *** pour
justifier leur séparation de communion d'avec
leur Evêque , et aux Communicateurs des Hé
retiques ou Schismatiques notoires , daté à la fin
ce 20. Mars 1730. La matiere sur ce mise en
déliberation .
La Cour a arrêté et ordonné , que ledit Libelle
sera laceré et brûlé en la Cour du Palais , au pied
du grand efcalier , par l'Executeur de la haute
Justice : Fait défenses à tous Imprimeurs & Libraires
,Colpolteurs et autres, de l'imprimer, vendre
, débiter ou autrement distribuer ; enjoint à
tous ceux qui en auroient des Exemplaires de les
apporter incessament au Greffe de la Cour pour
y être supprimés ; ordonne qu'à la requête du
Procureur Géneral du Roi il sera informé par
devant Me Louis de Vienne , Conseiller , pour
les témoins qui pourront être entendus à Paris ;
et à la poursuite et diligence des Substituts du
Procureur Géneral du Roi , par devant les Lieutenans
Criminels ou autres Officiers des Bailliages
, pour ceux qui pourroient y être entendus,
contre les Auteurs de ce Libelle et contre ceux
qui l'auroient imprimé , vendu , debité ou autrement
distribué pour , sur les informations faites ,
rapportées et communiquées au Procureur General
du Roi , être par lui pris telles conclusions,
et par la Cour ordonné ce qu'il appartiendra. Ordonne
que copies collationnées du présent Arrêt
seront envoyées aux Bailliages et Sénechaussées
du Ressort pour y être lues , publiées et enregistrées.
Enjoint aux Substituts du Procureur Ge.
neral du Roi d'y tenir la main et d'en certifier
la Cour dans un mois. Fait en Parlement le
trente et un Janvier mil sept cent trente un. Sigiré
, Y SABEAU.
7
JANVIER. 1731. 203
>
Et ledit jour Mercredi trente et un Janvier
mil sept cent trente-un à l'heure de midi ,
en execution de l'Arrêt ci - dessus , l'Ecrit y
mentionné a été laceré et jetté au feu au
bas du grand escalier du Palais , par l'Executeur
de la haute Justice , en présence de
nous Marie Dagobert Ysabeau , l'un des trois
premiers et principaux Commis pour la Grand
Chambre , assisté de deux Huissiers de ladite
Cour. Signé TS A BEAU.
TABLE.
Privilege du Roi. Catalogue de tous les Mercures
jusqu'aujourd'hui. Liste des Libraires
qui le vendent, et Avertissement qu'on peut lire.
Piéces fugitives. Le Roman comique, Poëme, p. I
Huitiéme Lettre, fur la Bibliothèque des Enfans, 9
La Haine , Ode ,
30
Lettre d'un Grammairien de Province , sur le
Bureau Tipographique ,
Epitre à Mlle de Malcrais de la Vigne ,
Enfant monstrueux , Lettre d'Auxerre ,
Etrennes ,
35
48
50
53
Discours prononcé dans l'Assemblée des Etats de
Bretagne , & c.
Conte Epigrammatique ,
Vers sur le Celibat ,
Lettre sur les Perce- oreilles ,
Lettre sur l'usage interieur de l'Eau de vie ,
Réponse à l'Epitre en If,
54
57
58
59
60
76
Refléxions touchant la correction d'un endroit
des Traductions d'Horace ,
Enigmes et Logogryphes ,
Nouvelles Litteraires , &c. Ouvrages manuscrits
de l'Abbé Renaudot ,
Bibliotheque des Poëtes Latins , &c,
87
94
98
106
Nouveau Plan de Paris en 9. Feuilles , & c. 123
Termometres d'une nouvelle construction; Extrait
d'un Memoire. de M. de Reaumur , 125
Prix d'Eloquence et de Poësie de l'Académie
Françoise , pour l'année 1731 . 132
Médailles frappées à Moscou , 136
Portrait de la D'le Camargo >
138
Jettons frappez au premier jour de l'an , 139
Chanson notée 141
142
La Devineresse , Comédie ,
143 Spectacles. Le Chevalier à la mode ,
Ariane , Tragédie , 145
Nouvelles Etrangeres, de Turquie et de Perse , 149
De Pologne , Suede , Dannemarck , Allemagne
et Italie
Morts des Pays Etrangers ,
.152
ISS
156
Fête donnée à l'occasion du Mariage du Prince
de Sultzbach , & c .
France, Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 165
Incendie à Morlaix , 171
Reception du Duc de la Trémoille , dans la Ville
de Laval ,
Morts , & c.
Arrêts notables ,
173
177
178
Errata du second volume de Decembre.
PAge 2946. ligne 10. Bamat , liſex Baunat.
Fautes à corriger dans ce Livre.
Page 135. ligne 8. âgé , lisez , âgéc.
1. 19. attirerent , 4. attirent.
P. 147. 1. 21. fils, ôtez ce mot & lisez Baron fils .
P. 158. 1. 15. ondement , I. ordinairement.
La Planche des Jettons doit regarder la page 139
L'Air noté doit regarder la page 141
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU
ROT.
FEVRIER. 1731 .
QUE
COLLIGIT
STARCIT
Chez
A PARIS ,
( GUILLAUME CAVE LIEK , në
S. Jacques , au Lys d'Or.
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conty.
à la defcente du Pont Neuf , au coin
de la rue de Nevers , à la Croix d'Or,
JEAN DE NULLY , au Palais .
à l'Ecu de France & à la Palme.
M. DC C. X X X I.
Avec Approbation & Privilege du Roy.
XXX:XXXXXXX : XXXXX
A VIS.
,
'ADRESSE generale eft à
Monfieur MORE AU Commis au
Mercure vis - à - vis la Comedie Françoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour lesfaire tenir.
On prie très- inftamment , quand on adreffe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
oin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
oûjours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non -feulement de´ne
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie.
Y
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la
premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau ,
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps, de les faire porter fur
P'heure à la Pofte , ou aux Meffageries qu'on
lui indiquera.
PRIX XX X. SOLS.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROT.
FEVRIER
. 1731 .
*********************
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Prose.
ENVOY d'un pâté de Canards d'Amiens
à M. M. D. M. sous le nom de
Damon , par un de ses Parens , Prieur
en Picardie.
C
Anards rodoient dans nos fossés ,
Troupe importune et barboteuse ;
De leur voix aigre et raboteuse ;
Nos mâtins la nuit agacés ,
En maison tranquile et peureuse ,
Mettoient l'allarme ; et le Béfroi
Sonnant tocsin dans les tenebres,
A ij N'ins204
MERCURE DE FRANCE
N'inspira jamais plus d'éfroi ,
Par ses sons bruyans et funebres.
De la gent au gozier glouton ,
A grand kan kan,, dans notre mare
Il fallut supprimer le ton.
Fut dit , fut fait ; on se prépare ;
Notre gros Cuisinier plus rond
Que son billot , en criant gare ,
Haussant le bras , ridant le front ,
A pauvre peuple tintamare
Coupa le col : oh ! le barbare ,
S'écriera Belle , qu'à M ... our
Troupe kankane et caressée ,
Va visiter cent fois le jour
Pour avoir d'elle la becquée.
Mais dût-elle en triste chanson ;
En bémol , ou bien en bécare ,
Se plaindre de l'acte félon
A sa plainte on dira tarare.
De nos Canards bien trépassés ,
Et que Degan en grosse croute
A bien et duëment enchassés
De
peur
›
de malencontre en route ,
Damon voilà le guet - à- pand ,
Qui n'est cas prévôtal , je pense :
Oncque Canard ni Hallebran
Ne fit pendre son homme en France.
Fameux faiseur de pâtés.
Dans 4
FEVRIER.
1731. 205
Dans nos fossés leur Archipel ,
Pápas Sultans , mamans Sultanes ,
Chaque hyver , au premier d'égel ,
Recommençoient leurs caravanes ,
Pour aller honorer Degan ;
Et c'étoit lors nouveau kan kan
Qu'à chaque instant pendant l'Office
On leur entendoit frédonner :
Pour gens dévots c'est un supplice
D'entendre sans cesse entonner
Musique à désoler un Suisse ,
Qui n'aime point à raisonner.
Pour le cas , non pour autre chose ,
Peuple kan kan , grace à Degan ,
Et grace à la Métamorphose ,
Devient pâté du nouvel an.
Je te le dépêche , beau Sire ,
Et l'aurois dépêché plutôt
Si mal qui des maux n'est le pire ,
Quand il ne mene qu'au seul trot
Pauvre Chrétién , souffre martire
Ne m'eut mené le grand galop.
Lecorps fondu comme la cire ,
Et plus foible qu'un Escargot ,
Je ne sçavois parler , écrire
A nul au monde un petit mot.
Lachesis , que rien n'amadouë
Hâtoit déja son noir fuseau
"
La vieille laide , à grosse mouë ,
>
A iij Ap
206 MERCURE DE FRANCE
•
Apprêtoit le fatal ciseau ,
Quand un matin , Maître Esculape
Un affreux breuvage à la main
Me dit , avale ; je le happe ;
2
Et drogues dès le lendemain ,
D'aller dans mon corps à la sappe
Chercher l'ennemi souterrain ,
Mieux n'auroit fait
pour
Prince ou Pape.
Enfin , cher Damon , me voici ,
A titre encor de bail à vie ,
Habitant de ce monde ci ;
Mais , helas ! que j'aurois envie
D'assister à tout le convoi
De ma deffunte volatille
Dont je te fais d'ici l'envoi !
Que j'aime à me voir en famille ,
Et sur tout quand je suis chez toi ;
Ou Cousin , Oncle , Mere et Fille
Paroissent gens de bon alloi ;
Tante aussi fraîche qu'une Rose ,
Fait les honneurs de la maison ;
La sagesse en son coeur repose ;
C'est le flambeau de sa raison.
Un Abbé , fruit de l'Himenée ,
Et maître de sa destinée ,
Qui joint à l'aimable enjoûment.
La politesse et l'agrément.
D'un frere orné des mêmes charmes ,
Ami
FEVRIER. 1731. 207
Ami d'Apollon et de Mars ,
Qui du même air qu'il court aux armes
Vole à l'étude des beaux arts.
Quand reverrai - je donc l'image ?
Que dans nos doux embrassemens ,
Réchauffant un cher cousinage ,
Nous en rendrons les noeuds constans !
Damon , favori de Minerve ,
y
Qui sçait mettre à prix les bons Vers ,
Si peut-être en suivant ma verve
J'ai pris ma route de travers ;
Si raisonnant Canards et Cannes ,
J'ai raisonné comme un Oison ;
Si sur la riine tu chicanes ,
Et plus encor sur la raison ,
Pardonne à ma Muse badine
L'écart d'un coeur reconnoissant.
Rimeur à pâle et seche mine ,
A peine encor convalescent ,
Ne peut un jour de Medecine
Rimer des Vers qu'en s'efforçant.
Docte Censeur , qui ne fais grace
Qu'à la raison , qu'aux bons Ecrits ,
Epluche ici , gronde , ressasse "
Déchire , brûle , ou bien fais pis.
Oui , malgré l'orgueil Poetique ,
Je sens qu'un Censeur tel que toi
Vaut une prise d'émetique
A iiij A
208 MERCURE DE FRANCE
A Rimeur qui trouve chez soi
Bien moins de rime que de bile ,
Et dont l'enthousiasme vain ,
S'il ne peut faire un homme habile
Fait toujours un sot Ecrivain.
Avec l'honneur du parentage ,
Que n'ai-je ton heureux talent ,
Et ton élegant badinage
Si délicat , si décevant
Que dans le feu Moine sauvage
Plus bouru que tout son Couvent
T'a fait jetter , et dont je gage
Que la cendre est allée au vent ?
Peste du Moine prédicant ,
2
;
Qui pour te rendre un peu trop sage
Te fait mourir dès ton vivant !
Non non , Damon , sur le Parnasse
Tes Vers gravés en lettres d'or ,
Auprès de Catulle et d'Horace
Des neuf Soeurs s'y font lire encor.
Mais des miens ici je t'ennuyè ,
Et Muse me dit , Hallebran ,
Tais- toi , faut-il qu'un docte essuye
En même jour tant de kan kan ;
Peut- être aussi la compagnie
De gens choisis et délicats ,
* Vers qui n'étoient qu'un pur jeu d'esprit
et qui ont été brûlés.
Qui
FEVRIER. 1731. 209
Qui s'en vient en cerémonie
Visiter Oiseaux à pieds plats ,
'A leur aspect
à bon droit peste
Contre rimailleur importun ,
Qui pour un rien , pour moins qu'un zeste
Laisse son appétit à jeun.
Adieu , cher Damon , je t'embrasse ,
Et Tante et Cousin et Maman ;
D'aimable fille que Dieu fasse
De fille femme au bout de l'an.
F, P. Ce 20. Janvier 1731 .
XXXXXXX:XX: XXXXXX
NEUVIEME
LETRE touchant
l'essai de l'ortografe passagère dans les
lètres sur la biblioteque des enfans .
I
L est tems , Monsieur , que je vous
rende conte de l'ortografe passagère
dont j'ai fait l'essaì dans les précédentes
lètres. La raison distingue non -seulement
l'home de la bète , mais elle distingue
encore l'home de l'home. il y a bien des
gens qui ne voient que par les feus d'autrui
; et ceus là pour la plupart , quoique
très ignorans , ou peu instruits sur la
bonté des ieus des autres , croient ordinairement
ètre les mieus dirigés. si l'on
A v tient
210 MERCURE DE FRANCE
3r
tient quelquefois cète conduite dans les
afaires de la dernière importance , nous
ne devons pas ètre surpris de la voir
tenir en fait d'ortografe : ce qu'il y a détonant
, c'est de voir qu'un grand nombre
de ceus qui se piquent de la savoir
et d'en pouvoir raisoner , ne peuvent ensuite
doner aucune bone raison sur la
moindre des dificultés qu'on leur propose.
on ne se pique pas d'ètre géometre ni
architecte quand on ne s'est apliqué ni à
la géometrie ni à l'architecture ; pourquoi
se pique t- on de savoir l'ortografe ,
si l'on n'y a jamais fait de sérieuses refle
xions , et qu'on n'ait qu'une ortografe de
hazard , d'habitude idiotique et de sìmple
copie ? il y a des choses qui se décident
par l'autorité et par l'usage , cela est
très vrai en fait d'ortografe ; mais dans
un tems de trouble , de confusion , en
un mot, de schisme ortografique , quelle
règle suivre pour ariver enfin à l'uniformité
sur cette matiere il n'y en a aucune
qui puisse obliger et soumetre tous
les partis ; on suivra plusieurs ortografes.
tant que l'autorité de l'usage sera divisée .
une règle néanmoins que la prudence
semble indiquer par provision et par interim
, c'est de répresenter le vrai son
des mots et d'avoir de tems en tems
plus d'égard pour l'oreille que pour les
*
?
ieus
FEVRIER. 1731. 2fr
que
feus , surtout , quand les noms des lètres
seront faus , captieus ou équivoques.
cète règle sera dificile à pratiquer par les
persones qui ne savent pas bien lire , et
F'on peut , je pense , metre de ce nombre
, celles qui écrivent , par ex. gaife de
bones piques et lourag aue pasianse etc. au
lieu d'écrire j'ai fait des bonets piqués , et
Pouvrage avec passiance , ou pacience ou
patience etc. Je conclus
la raison peut
seule décider pendant le conflict de jurisdiction
ortografique , et que les parties
doivent ètre écoutées avant et plutôt que
d'ètre condanées sans examen , on ne doit
point s'obstiner à doner pour règle sure
générale, et universellement reçue de vieus
préjugés , et des lieus comuns refutés il y
a lontems par de très habiles auteurs qui
avoient peut ètre plus médité et plus re
fléchi , sur cète matière, que la plupart de
leurs adversaires . L'autorité et la raison
ne marchent pas toujours ensemble .
On doit avoir quelque égard pour les
ieus des lecteurs ; il est bon mème de les
consulter avant que d'en venir aus grandes
innovations ; c'est pourquoi je n'aí
fait que peu à peu les petits changemens
d'ortografe dans la suite des lètres sur la
biblioteque des enfans ; j'ai conduit insensiblement
, le lecteur déprevenu, u point
sur lequel je souhaiterois savoir ce qu'il
A vj pense
212 MERCURE DE FRANCE
pense de cet essai d'ortografe passagère ;
je n'ai pas cru le devoir prévenir là -dessus
par aucun avis préliminaire , parceque
j'ai interèt de savoir son propre sentiment
, indépendament de l'avis que j'aurois
pu doner à la tète de l'ouvrage , come
je le done ici mais j'ai cru qu'il étoit
bon de faire passer un peu de pratique
avant la téorie ; le lecteur par ce moyen.
bien instruit et plus au faìt , est ce me
semble , en état de mieus comparer et de
mieus décider ; l'experience en paroit
favorable. Bien des lecteurs non prévenus
et de bone foi , avouent qu'ils s'acoutument
sans peine à la vue de cète ortografe
, quoiqu'ils sentent qu'ils ne seroient
pas d'abord en état de la suivre dans leurs
écritures , faute de bien savoir les principes
necessaires pour l'observation de
toutes ces minuties : d'autres m'ont assuré
que l'impression des lètres sur la bibliotèque
des enfans paroissant plus nète et
enfin plus belle que celle du reste du мerils
ont conclu que c'étoit un èfer
de l'essai d'ortografe passagère , moins
herissée de lètres à tète ou à queue et de
capitales.
cure ,
Quoiqu'il paroisse que j'afecte de me
servir d'une nouvelle ortografe, je ne laisse
pas, dans un sens, d'aprouver ou de tolerer
les autres, il est mème nécessaire qu'un
enfant
FEVRIER. 1731. * 213
enfant qui travaille au bureau tipografique
sache bien la vieille ortografe , afin
de pouvoir lire toute sorte de livres et de
pouvoir se servir des dictionaires et des
livres classiques qui suivent encore cète
mème vieille ortografe. Mais je supose ,
avec raison , que pour montrer et pour
aprendre à lire , il est beaucoup mieus de
comancer par l'ortografe des sons ou de
l'oreille , qui tolere , par exemple , çaje ,
chapo etc. au lieu de sage , chapeau etc.
avant que de passer à l'ortografe des ieus
ou de l'usage , et cela m'a mème fait croire
qu'il sera beaucoup mieus de metre un
enfant de deus à trois ans sur la lecture
du latin plutôt que sur celle du françois,
parcequ'il y a plus de justesse et de verité
de raport entre la prononciation du
latin et le nom ou le son des lètres , qu'il
n'y en a entre la prononciation du françois
et le nom ou le son de ces mèmes.
lètres : d'ailleurs le latin les prononce pres →→
que toutes, et au contraire, le françois en a
beaucoup de muetes ; c'est pourquoi dans
la segonde classe du bureau tipografique
que j'apèle bureau lain , je conseille de
faire imprimer des mots latins préferablement
aus mots françois , et c'est dans
la troisième classe du bureau que l'enfant
trouvera ensuite les sons de la langue
françoise, mais je parlerai plus au long de
cet
214 MERCURE DE FRANCE.
cet article dans l'ouvrage des A B C la
tins et françois .
Je supose encore qu'après l'ortografe
de l'oreille ou des sons il sera mieus de
montrer l'ortografe la plus vraie , la plus
régulière et la plus conforme aus sons de
la langue , et de diferer la lecture et l'étude
d'une ortografe fausse , irréguliere ,
captieuse , équivoque quoiqu'anciene
parceque quand il s'agit de montrer à
lire à un enfant ; la première , la plus sìm--
ple et la meilleure règle à suivre , c'est
celle qui induit le moins en erreur l'enfant
qui aprend à lire ; or le principe des
partisans de la nouvèle ortografe est de
ne pas induire le lecteur en erreur , et
d'ètre sensible à la peine des enfans qui
aprènent à lire , au lieu que le principe
des partisans de l'anciène ortografe est de
mépriser toutes les facilités des nouvèles
métodes , de comancer par des règles
fausses , équivoques ou captieuses , et cela
avec un air et un ton d'autorité denué
de toute raison ; la seule qu'on allegue ,
et qui paroit assés mauvaise , est tirée de
l'exemple et de l'usage vulgaire ; on allegue
sans cesse que nos ancètres ont passé
par là , qu'ils n'ont pas apris autrement,
et que nous ne devons pas chercher des
métodes plus aisées que celles dont ils
se sont servis eus mèmes. La bonté et la
charité
FEVRIER. 173
2F5
charité éclairée n'aprouveront jamais ce
langage , qui n'est dicté que par l'esprit
de paresse , d'indiférence ou de préven
tion .
Si l'on prend la peine de faire réflexion:
sur la métode des anciens , on vèra qu'ils
ont écrit , lu et prononcé treu- ver , bonnes-
te etc. s'ensuit- il qu'il faille les imiter
à présent en cela il faudroit donc
écrire come on lit et come on prononce ,
puisque leur prononciation dictoit et regloit
l'écriture. si l'on veut suivre l'ortografe
des anciens , n'en doit- on pas aussi
conserver la prononciation , pourquoi diviser
cela , et se rendre esclave de l'un
plutôt que de l'autre A quoi bon citer
toujours l'exemple des anciens dont on
ne parle plus , et dont on n'écrit plus le:
langage ? Les anciens écrivolent tiltre , aulne
, cognoistre etc. parcequ'ils prononçolent
toutes les lètres de ces mots là ; ils suivoient
donc en cela le principe des modernes
ortografistes qui veulent un plus
grand raport de verité et de justesse entre
l'écriture et la parole , entre le langage
prononcé et le langage écrit , ou entre les
sons et les signes qui les représentent. il
est donc vrai de dire que l'ortografe des
anciens répondolt à leur prononciation
plus exactement que l'ortografe d'aujourdui
ne répond au langage d'apré
sent
216 MERCURE DE FRANCE
sent ; et la prétendue verité de ce dernier
raport ne peut se soutenir que par un
esprit de prévention , d'aveuglement ou
d'indiférence sur cète matière, persone
jusqu'ici , que je sache , n'a prouvé que
le changement de prononciation dans les
mots n'endoit jamais produire aucun dans
la manière de les écrire ; c'est tout ce que
l'on pouroit prétendre d'une langue sainte
et morte come l'ébraïque ; mais en fait
de langue profane et vivante , l'experien .
ce crie tous les jours contre la tiranie ortografique
de la plupart des maîtres d'école
cète meme experience oblige
souvent les partisans de la vieille ortografe
à se taire , quelque touchés et sensibles
qu'ils aient paru à la vue des moindres
innovations ortografiques , elle les
réduit et les force encote malgré eus à
se soumetre de tems en tems à la règle
des sons , et à suivre en bien des ocasions
le courant de l'usage moderne.
>
On
peut
donc
conclure
que le droit
et le fait sont
contre
les esclaves
de la
vieille
ortografe
; ils craignent
toujours
que le langage
françois
ne perde
ses marques
de jargon
et de servitude
; ils ont
beau
faire
, cela
arivera
tot ou tard
à la
gloire
de la nation
et de la langue
françoise
, il ne faudroit
pour
cela que
l'aten
.
tiondes
s upérieurs
sur
l'impression
des
ouvràFEVRIER.
1731. 217
ouvrages classiques , académiques et périodiques.
Du plus au moins , il est permis
de raisoner sur les petites choses come
sur les grandes ; or malgré l'autorité
où la force du préjugé , n'a- t-on pas en
partie secoué le joug des anciens en fait
des arts et des siences ? N'a- t on pas réformé
les maisons , les cuisines , les équipages
, les modes , les usages etc. pourquoi
l'ortografe resteroìt - elle invariable ,
pendant que le langage mème auroit ses
changemens ? Je persiste donc à dire qu'on
doit faire passer la pratique et l'étude de
la nouvèle ou de la vraie ortografe qui
facilite la lecture ; avant que de faire pratiquer
la vieille ou la fausse ortografe qui
induit trop souvent en erreur les enfans ,
les fames , les gens de la campagne et les
étrangers , portés naturèlement à lire tout
et à prononcer toutes les lètres , bien loin
de les rendre muètes , et c'est pour lors la
vieille ortografe , et par surcroit la vieille
métode qui leur tendent des pieges au
moins à chaque ligne , pour ne pas
dire
à chaque mot.
Je dois , au reste , déclarer ici que je
ne répondraí à aucun de mes critiques
qu'autant que leurs dificultés ou leurs objections
iront contre la métode du bureau
tipografique , et contre la manière que
j'indique et que je propose pour bien montrer
218 MERCURE DE FRANCE
trer à lire aus petits enfans ; car pour ce qui
ne regarde en général que le sistème de l'anciène
ou de la nouvèle ortografe , j'aurai
souvent lieu d'en parler dans les réflexions
des A B C françois , sur tous les
sons de notre langue , sur l'ortografe de
quelques dictionaires , sur le traité d'ortografe
de feu M. l'Abé R. et sur les dife
rens extraits que j'ai faits d'une trentaine
d'auteurs ortografistes des deus derniers
siecles . En atendant ce petit ouvrage ,
voici l'avis que je donaí au compositeur
des lètres sur la biblioteque des enfans , et
que je n'ai pas cru devoir laisser imprimer
plutot par les raisons alleguées cidessus
.
Avis à l'imprimeur ou au compositeur des
lètres sur la bibliotèque des enfans , etc.
Le principal et peut-ètre le meilleur
avis que je puisse vous doner , c'est de
suivre exactement le manuscrit corigé
selon l'essai de cète ortografe . voici cependant
quelques règles qui vous metront
d'abord au fait de l'ortografe passagere ,
sur laquele j'ai interêt de pressentir le
gout des lecteurs non prévenus , afin de
pouvoir m'y conformer ensuite dans l'impression
de la bibliotèque des enfans.
Je demande que vous ne metiés sur les
voyeles , ni accent , ni chevron , ni les
deus
FEVRIER. 1731. 219
蒽
il
deus points que vous apelés trema , ou que
vous en pratiquiés bien l'usage et les diferences
, come dans les mots procès , bontés
, batême , ciguë , etc.... le chevron paroit
à present inutile sur les mots age ,
agé , etc....il ne faut jamais marquer
Pè
ouvert qu'avec l'accent grave et jamais
avec le circonflexe , à moins que l'e ne
soit long , come dans tête , etc.... à l'égard
des diftongues oculaires ai , ei , oi ,
qui ne font entendre que l'è ouvert ,
faudra essayer d'y metre l'i grave , come
dans les mots maitre , reine , il conoìt , etc.
afin de pouvoir faire distinguer les diftongues
des ieus et celles de l'oreille , surtout
lorsque la quantité et le son n'exigeront
pas l'usage du chevron. Je ne suis.
pas toujours la regle de l'accent circonflexe
, je préfere quelquefois l'i grave au
chevron , à cause des logètes du bureau
tipografique , en atendant l'usage des diftongues
chevronées entre les deus voyeles .
on metra aussi l'ì grave lorsqu'il fait entendre
l'e ouvert dans les voyeles nazales
ìn , ain , ein , etc. des mots lìn , vain ,
sein , etc..... et lorsque la diftongue ai
sonera come l'é fermé , vous ferés emploi
de l'i aigu , come dans les mots j'ai , plaisir,
je ferai , etc....il ne faut donc jamais
employer le chevron sur les voyeles , que:
pour marquer la longueur de leur durée
Qu
220 MERCURE DE FRANCE.
ou de leur quantité : car la regle d'em
ployer le chevron sur la voyele à côté de
Jaquelle on a suprimé quelque lètre , n'est
peut ètre pas toujours vraie ni sure, come
dans les mots sûre , vûe , ûë , etc. pour
seure , veue , eue , etc. qu'il sufit d'écrire
ue , etc. sans chevron ni trema;
quoique les imprimeurs aient les signes
sure , vue ,
pour marquer les voyeles longues
, brèves et douteuses , il n'en font
pas usage sur tout le latin qu'ils impriment
, et le françois n'est pas arivé au
point de caracteriser et de noter localement
le son de toutes les voyeles d'un
discours imprimé. il est donc inutile d'être
si scrupuleus sur une voyele, pendant
qu'on néglige les autres ; c'est l'usage et
la pratique du discours qui montrent les
longues et les breves ; c'est une erreur de
s'imaginer que la vieille ortografe avec des
lètres non prononcées ou muetes , puisse
indiquer aux ieus la quantité que l'oreille
demande.
Il faut donc employer le veritable accent
pour chaque voyele , ou n'en point
mètre , il paroit même inutile de le mar-.
quer toujours dans les mots qui revienent
souvent,come dans être , èlle, même ,
etc. et sur les silabes toujours suivies d'une
autre silabe avec l'e muet final qui oblige
d'ouvrir l'e des pénultiemes silabes , come
cètte
dans
FEVRIER. 1731 . 221
dans pere , bele , ils vienent , etc. L'usage
fréquent du chevron et de l'accent , rend
le caractere trop hérissé , et mème selon
quelques -uns , il le rend encore trop pédant
, surtout au milieu des mots , ou sur
l'e des monosilabes qui revienent souvent
et sans équivoque ; il sufit peut ètre d'en
mètre de tems en tems pour instruire les
lecteurs novices : mais vous ne devés
pas
oublier l'accent lorsqu'il sert à déterminer
le sens d'un mot , et que sans ce secours
le mot pouroit quelquefois ètre équivoque
ou induire en erreur la persone qui
lit , come dans les mots près , prés , tanté,
tante , etc. l'accent paroit toujours bien
employé sur les e finaus algus ou graves ,
en faveur des enfans et des étrangers ,
come dans bonté , bontés , procès , succès ,
étc. L'accent semble moins nécessaire pour
la lecture des premiers e des mots anée ,
créée , etc. mais il ne choque pas les ieus
acoutumés depuis lontems à cète varieté
et distinction d'e. Les anciens , dont on
s'autorise tant , metoient-ils des accens
sur les e et sur les autres voyeles ? à peine
fesolent- ils la dépense des points sur les
i. Nous- mèmes suivons-nous à l'égard des
voyeles capitales , l'usage des accens que
nous exigeons sur les petites voyeles ou
cèles du bas de casse , cependant la
plupart des lecteurs très- foibles sur la
lecture
222 MERCURE DE FRANCE
lecture des capitales , auroient là , plus
besoin d'accent que sur les petites lètres ;
on pouroit dire qu'un lecteur bien instruit
sur les mots en petites lètres , doit
ètre moins embarassé à lire sans accens
ces mèmes mots en lètres capitales . Je
parlerai de cet article dans les A B C françois
, il sufit à present de vous faire
remarquer ici que les E capitaus sans
accent choquent bien moins que les E
capitaus mal accentués et défigurés par
des apostrofes ou par des fragmens de l
en guise d'accens mal adaptés , come dans
LETRE PRETERIT , etc. au lieu
de LETRE , PRETERIT , etc.
bien des artisans mètent des points sur
les I capitaus en serrurerie , menuiserie,
cizelure , etc. le tout sans principes.
Les voyeles apelées trema n'ont jamais
été necessaires dans les mots ruë , conuë
ou rüe , conüe , etc. puisqu'il n'y a jamais
eu danger qu'on lût avec le son du v ,
rve , conve , etc. ce qui fait voir l'ignorance
idiotique de bien des auteurs et de
bien des imprimeurs. Les voyeles apelées
trema necessaires avant l'usage des j et des
v , sont donc apresent devenues inutiles
dans les mots boue , ouaille , etc. qu'on ne
sera plus exposé à lire bove , ovaille , etc.
les auteurs qui en continuent encore la
pratique dans bouë , onaille, etc. montrent,
sans
FEVRIER. 1731. 223
sans le vouloir , leur ignorance ou leur
préjugé idiotique ; profitera qui voudra
de l'avis , c'est leur afaire. Les trema sont
bons dans les mots Lais , Emmaüs , Saül,
Moïse , ciguë , etc. pour distinguer la prononciation
des autres mots lais , emaus >
moisi , saul , figue , etc. dont la lecture est
diférente. La seule ignorance des principes
a introduit l'usage de l'i trema pour
deus i dans les mots pai-is , abai- ie ;
moi- ien , etc. qu'on écrit abusivement
pais , abaie , moien , ou pa-is , aba-ïe ,
mo-ien , etc. se corigera encore là-dessus
qui voudra , mais cète ignorance est sensible
quand on voit et qu'on lit les mots
laïs, lais, hair, haine , païen, paien, paient,
etc. suposer que le point redoublé , redouble
sa voyele dans un endroit , qu'ailleurs
il unit , qu'ailleurs il divise les voyeles
, qu'ailleurs il indique les voyeles muetes
; c'est , ce me semble , faire un mauvais
usage du trema , et lui doner en mème-
tems trop de proprietés diferentes et
contraires les unes aus autres , come dans
païs , lais , ouailles , caën , etc. Je suis persuadé
que sans le préjugé idiotique , en
Holande , come en France , on auroìt honte
de s'obstiner à pratiquer un tel abus
et de préferer le mauvais usage , pendant
que le bon est le plus généralement suivi.
J'aurai souvent ocasion de reparler de cela
dans les A B C françois. Vous
224 MERCURE DE FRANCE
Vous n'emploirés donc jamais le y que
pour le double i , come dans moiien
paiis , etc. que j'écris moyen , pays , etc.
pour déferer à l'usage quand il n'induit
point en erreur . on pouroit aussi écrire
péis , abéie , etc. sans équivoque. Je tolere
le y dans la particule ey locale il y a , par
déference pour l'usage , et en faveur d'un
mot composé d'une seule lètre , quoique
nous ayons encore les mots a , o , en françois
, et les mots a , e , i , o , en latin . Ne
metés donc jamais l'i trema pour le y , ou
pour deus i. Quand j'écris aiant avec l'i
trema , pour a- iant , c'est en suposant
qu'on le prononce ainsi , car autrement
j'écrirois ai-iant avec un double i ou ayant
avec un y ; je soumets apresent , du moins
en partie , le principe de l'ortografe au
principe de la prononciation ; et mon erreur
ou mon ignorance sur le fait de la
prononciation , ne doit point infirmer le
principe sur l'ortografe , disctinction
qu'un lecteur équitable ne manquera pas
de suposer. Je ne parle pas ici des y finaus
employés dans les monossilabes roi , loi ,
quoi , ni , lui , etc. que bien des gens écrivent
encore roy , loy , quoy , ny , luy , etc.
c'est un reste des mauvais principes qu'on
suit chés les maitres écrivains.
Il faut condaner le ph de deus lètres
et préferer le simple ƒ d'une lètre, à moins
que
FEVRIER. 1731. 225
que ce ne soit dans un nom propre come
dans Joseph , Philipe , etc. encore bien des
gens écrivent Josef, Filipe , etc. et ils n'en
font peut-être pas plus mal. vous metrés
donc avec le ƒd'une lètre , les mots sfère,
filosofe , etc. au lieu de sphere , philosophe
etc. avec le ph de deus lètres , et cela en
faveur des enfans , des étrangers , et par
honeur pour la langue françoise , langue
d'un peuple franc , aussi libre et aussi maitre
de son ortografe que ses voisins les
italiens et les espagnols , un peu plus afranchis
que nous de la marque servile en fait
de langage ... vous laisserés toujours la
lètre h dans les mots où elle s'aspire , come
dans heros , etc. et lorsqu'elle sert à diviser
les voyeles et les silabes come dans
souhaits , etc. vous pourés la tolerer initiale
dans les mots humeur , honète , etc.
et quelquefois médiale dans aujourd'hui ,
etc. quoiqu'elle n'y soit point aspirées
mais il faut banir le b des mots chronologie
, cahot , écho , phiole , rhume , phantaisie
, theme , etc. qu'il faut écrire cronologie,
caot , éco , fiole , rume , fantaisie , ième , etc.
faute de caractère particulier la lètre h
est toujours nécessaire après le c pour indiquer
le son françois che des mots chiche,
chu heter, chou , etc. et cète raison de nécessité
confirme l'utilité de la réforme de
cète lètre dans les mots où elle est cap-
B tieuse
226 MERCURE DE FRANCE
tieuse , et où elle peut induire en erreur ,
come dans les mots cholere , Bachus , paschal
, etc.....
>
Je n'emploie la lètre double x , que
dans les endroits où elle fait la fonction
des deus lètres fortes cs , come dans axe ,
stix , etc. ou des deus lètres foibles ༡༢
come dans exil , examen , etc. et qu'on
pouroit écrire selon leur prononciation
acse , sticse , etc. egzil , egzamen , etc. et
cela sans induire en erreur ; avantage qui
n'est pas indiferent aus ieus des esprits
bons et bienfesans . vous ne devés jamais
employer la lètre double x pour les lètres
simples s ou z ; ainsi vous pourés im
primer ieus , sis , sisième , soissante , etc.
aulieu de ieux , six , sixième , soixante
etc. on trouve déja cète réforme dans
bien des livres anciens et modernes, dont
les auteurs avolent remarqué l'imperfection
de l'usage qui done quatre valeurs
diferentes à la lètre x.
Il faut rejeter l'emploi des consones inutilement
redoublées , lorsque cère double
consone est muère , ou qu'on ne la prononce
point dans le discours le plus soutenu
, come dans les mots abbé, accord
addoner, etc. que j'écris abé , acord , adoner,
etc. malgré la prétendue regle de
quantité françoise , qui n'est pas toujours
vraie à l'égard de toutes les consones redoublées
FEVRIER. 1731. 227
doublées . D'où vient qu'esclave de la lanque
latine qui alonge les voyèles suivies
de deus consones , on a cru qu'en françois
ce devoit être tout le contraire , et
que la double consone muète servoit à
faire conoitre que la voyele étoit bréve ?
cète regle fût - elle vraie , en demanderoit
une autre qui indicât quand la
double consone doit ètre muete ou prononcée
; l'usage montrera l'un come l'autre.
cependant par un reste d'égard pour
les ieus , je tolere encore la consone muete
inutilement redoublée dans de petits mots,
come dans cette , elle , qu'elle , etc. qu'il
sera bon d'écrire quelquefois avec une
seule consone et avec l'è grave , come
dans cète , cèle , qu'èle , etc. mais quand la
consone est redoublée dans la prononciation
, il faut la laisser dans l'ortografe,
come Pallas , Apollon , immodeste , etc. les
espagnols graves et sensés écrivent et prononcent
Palas, Apolon , quoiqu'ils sachent
bien qu'on dit et qu'on écrit en latin Pale
, las , et Apole , lon , etc.... Bien que
le double paroisse nécessaire dans les
mots je courrois , je courraí , etc. à cause
de la contraction des mots courerois
coureraí , etc. je ne mets cependant qu'un
avec le chevron sur la voyele où , come
jecoûrois , je coûrai , qu'on prononce fort
Cour-ois, cour-ai , fesant soner ler dans
Bij la
228 MERCURE DE FRANCE
>
la premiere silabe , etc. je parleraí de cela
dans l'ouvrage , des A B C françois. cependant
si les deus r se font entendre dans
ces exemples come dans le mot Varron ,
on peut y laisser le double r sans chevron.
Vous pouvés retrancher aussi la plupart
des lètres muètes inutiles , mème dans la
prononciation la plus soutenue , come
dans les mots asne , mesme , isle , coste
fluste , advocat , clef , baptesme , sept , ptisane,
vuide,paon , caën etc. que j'écris quelquefois
avec le chevron ou avec l'accent,
âne , mème , île , côte , flûte , avocat , clé ,
batême, sèt, tisane, vide, pân, cân , etc. et cela
en faveur des enfans , des étrangers , et de
la lecture ... selon le mème principe je
substitue les lètres prononcées aus lètres
non prononcées , come dans les mots lecon
, secrets , second , convent , que j'écris
Leçon , segrets, segond , couvent , j'écris aussi
par la mème raison , condâner , conoltre ,
etc. au lieu de condempner , cognoistre , ou
de condemner, connoistre , etc.... Je préfere
l'és avec l'accent aigu et le s , à l'ez avec
un z , par les raisons détaillées dans les
ABC françois ; la distinction des verbes ,
des participes , des noms pluriels , n'exige
point cète diference , l'Académie Françoise
ne l'a point admise dans la segonde
édition de son dictionaìre , et les partisans
de la vieille ortografe comancent d'écrire
FEVRIER. 1731. 229
crire avec l'è grave procès , succès , etc. aulieu
de procés , succés , avec l'é aigu ou avec
lez , procez , succez , etc. et les prés , aulieu
de prez , etc , il faut esperer qu'il n'en
resteront pas là.
"
Lorsqu'un mot aura plusieurs lètres à
tète ou à queue , come les mots diftinctif,
jurifdiction , infenfibles , style , inftructifs
fillabes , etc. il faut préferer les petits s et
les ct de deus lètres aus grans et aus
d'une piece , pour diminuer le nombre
des tètes et des queues , qui d'un mot en
font une espece de hérisson nuisible au
coup d'euil , et mètre distinctif, jurisdiction
, insensibles , stile , instructif, silabes ,
etc. Quand un mot avec des fou des &
liés se trouve environé d'autres mots
aïant des lètres à tète et à queue , soit
dans la ligne immédiatement au - dessus ,
soit dans la ligne immédiatement au- dessous
, soit dans la mème ligne à droite et
à gauche , il faut encore exclure et banir
les flons , simples ou doubles , la ligature
& , et leur préferer les petits s et les ct
de deus lètres . Je crois que pour pousser
encore un peu plus loin l'essai de la réforme
ortografique , et pour vous épargner
l'examen et la discussion sur l'emploi
, l'usage et le chois des consones courtes
ou longues , simples ou doubles , il
faudra banir totalement dès aujourdui les
Biij lètres
o MERCURE DE FRANCE.
lètres doubles inutiles , les ligatures , et rejeter
parconséquent les & , f, f , f,f, & ,
et leurs semblables , et leur préferer les
ct , st , ss , si , s , et. J'employois la conjonction
et en deus lètres après la virgule ,
et je tolerois ailleurs l' d'une piece ;
mais bien des persones de bon gout , disent
que cet & fait tort aus autres lètres
´et qu'on devroit l'abandoner , de mème
que les autres superfluités , aus maitres
écrivains et aus esprits gotiques , amateurs
et partisans des ligatures et des abréviations
. vous pouvés donc couvrir et condaner
ces sis cassetins pendant l'impression
de la suite des lètres sur la bibliotèque
des enfans , nous vêrons l'éfet que cet essai
produira sur le papier et sur les ieus
des lecteurs , je me regleraí ensuite làdessus
pour l'impression de mon ouvrage.
Je ne voudrois presque jamais employer
les lètres capitales ou majuscules.
dans la suite d'une frase et d'une période
que pour les noms propres , come
Paul , Mogel , Paris , etc. et non dans les
mots apellatifs de quelque nature qu'ils
pussent ètre , come prince , province , cordonier
, cheval , etc. les capitales après un
point et dans la mème frase , doivent
ètre du corps, paraleles aus autres letres,
de mème hauteur et plus petites que la
capitale qui comence la période en chef
et
FEVRIER. 1731. 231
et à la ligne. Lorsque cète petite majuscule
choqueta la vue, come dans les mots
il, on , etc. vous pourés mètre un plus
grand I ou un i du bas de casse , etc.
pour voir sur l'impression l'efet de cète
nouveauté.
و
Je dois dire ici un mot touchant l'exemple
que j'ai doné de la vieille et très -vieille
ortografe à la fin de la sisième lètre ; pour
faire voir d'une maniere sensible que l'ortografe
se raproche peu à peu de la prononciation
, j'ai mis le lecteur , pour ainsi
dire , entre deus extremités , afin de le rendre
plus atentif , et pour lui épargner la
peine d'aler feuilleter les vieus livres que
J'aurois pu citer , je renvoie cte discussion
à la suite des ABC françois. Les petsiones
scandalisées de cete nouvèle et de
cète vieille ortografe , sont priées de ne
pas fournir malgré elles des raisons contre
leur sentiment et leur préjugé .
Tachons de ne pas imiter l'ortografe de
ces fameus écrivains , qui prodigant l'usage
des lètres capitales , come s'ils donoient
des cronogrames , ne font
ne pas dificulté
d'écrire et de faire graver CaBinet , Re-
Ligion , InConftance , MaGiftrat , etc. qui
afectent d'employer le j et le v , au lieu
de l'i et de l'u voyeles dans les silabes initiales
, jl , jls, vn, jlluſtre, vnion, etc. qu'ils
devroient écrire il , ils, un , illustre , union ,
Biiij
..
etc.
232 MERCURE DE FRANCE
etc. ce sont là des fautes dans lesquèles les
imprimeurs ne tombent plus. il y a certains
maitres écrivains , des secretaires ,
des comis et des clercs , qui chérissent encore
leur ignorance sur cet article , il
est mème à craindre qu'ils ne se corigent
point tant que les grans seigneurs et les
maitres de ces scribes seront indiferens
ou prévenus sur l'exactitude de ces remarques
ortografiques.
Quoique le blanc des espaces bien pratiqués
serve à faire paroitre l'impression
plus bèle , on doit éviter le trop grand
nombre de ces espaces qui choquent la
vue lorsqu'ils forment des colones et des
zig- zag qui coupent les lignes ; c'est un
autre défaut que de vouloir remedier à
celuilà en metant des virgules où il n'en
faut point du tout. un compositeur de
bon gout , use sobrement et judicieusement
de la proportion et du nombre des
espaces et de l'usage des virgules , afin de ne
faire aucun tort au coup d'oeil de la bèle
impression , ni au sens du discours .Je trouve
quelquefois dans les livres les quinze
lignes de suite comancées par des lètres
à tète ou à queue , ce qui choque aussi
le coup d'euil , cela n'arivera pas lorsque
vous prendrés de petits s , des et , et des
at de deus lètres , étant dificile qu'il ne
s'en rencontre point à la tète d'une des
quinze
FEVRIER. 1731. 233
fblf
quinze lignes.un défaut encore plus grand
et que vous devés tâcher d'éviter , c'est
la rencontre des queues de la ligne d'en
haut avec les tètes de la ligne d'en bas
come PP , etc. on doit aussi regarder
come un défaut le mélange de
plusieurs lètres à petit ou à gros euil ,
de plusieurs lètres de diferente frape ,
quoique du mème corps ; le mèlange des
caractères neufs avec de vieus caractères
usés , pochés et mutilés , qui ne peuvent
jamais bien marquer tout le corps de la
lètre , ni d'une maniere nète et distincte,,
qui satisfasse le coup d'euil . L'imprimeur
a beau exalter son ouvrage imparfait , il
n'en sera pas cru , et il s'exposera à ètre
soupçoné d'ignorance ou de mauvaise foi.
Je sais bien que tout le monde n'y regarde
pas de si près , mais je sais aussi
qu'il y a de bons et de mauvais ouvriers
dans toute sorte de professions , et que les
bons come vous , qui visent à la perfecsion
, ne négligent rien de ce qui peut
les y conduire ; aucontraire , les ouvriers:
ignorans, indociles , obstinés, pleins d'eusmèmes
et indiferens sur le mieus , vieillissent
dans l'habitude de mal faire ; la
seule avidité du gain s'empare de leur
esprit et les aveugle si fort sur tout le
reste , qu'ils n'ont pas seulement la liberté
de voir que le gain mème se trouve
plus
234 MERCURE DE FRANCE
plus grand à mesure qu'on est plus habile
or on ne peut devenir habile qu'en
cultivant le bon gout et en observant
beaucoup de choses petites séparement ,
mais dont la totalité et l'ensemble , donent
la perfection , et c'est là- dessus que
le public pour son argent a le droit d'admirer
, de choisir , d'aprouver et d'acheter
; ou de mépriser , de condaner et de
rebuter l'ouvrage des auteurs , des imprimeurs
et des relieurs , come des autres
artisans. on poura continuer cète matiere
dans quelque autre ocasion .
Pour
AVIS.
la comodité du public , on a divisé le
bureau tipografique en quatre classes qui pouront
ètre vendues et achetées séparément , et les
unes après les autres à mesure que l'enfant croitra
en age et en conoissance.
La premiere classe contient 1 °. une table sans
pié , avec ses rebors dans les deus extremités , er
la tringle ou la regle du derriere sur laquelle on a
imprimé les grandes et les petites lètres dans l'ordre
abécédique , ainsi qu'il a été dit en parlant du
premier bureau tipografique pour un enfant de
deus à trois ans. 2 °. Deus jeus de cartes élémentaires
, c'est- à-dire au dos desquelles on a mis
les grandes et les petites lètres que l'enfant aprend
a. ranger vis-à-vis cèles de la regle sur la table
de ce premier bureau. 3 °. Deus petits cartons élémentaires
contenant huit leçons abécédiques , et
le vrai nom ou la vraiè dénomination des lètres
dans
FEVRIER . 235 1731.
dans un ordre nouveau métodique et facile.
4. Là feuille élémentaire des mèmes combinai
sons et en placard pour le segond exemplaire.
5. Une planche gravée pour le plan des quatre
classes , et du dictionaire du bureau tipografique.
6. une brochure de neuf feuilles sur la
bibliotèque des enfans , etc. et pour l'instruction
préliminaire touchant la métode du bureau tipografique.
7. une cassète de gros cartón , renforcée
de parchemin à tous les angles exterieurs ,
bordés de papier de couleur , et couverte des huir
leçons de la feuille élémentaire. cette cassète sert
à tenir le petit atirail literaire qui doit servir d'a
musement instructif à un enfant de deus à trois:
ans ou au - dessus de cer age. Le tout ne coutera
que
la some de dis livres.
La segonde classe consiste , 1 ° . en une table
sans pié , un peu plus large que celle de la premiere
classe. 2 °. En un casseau de deus rans de cas--
setins. 3 °. En leurs étiquetes tipografiques au bas
de chaque logète pour indiquer l'espece des .
cartes que l'on doit tenir dans ces mèmes logètes.
4. En une garniture de cartes imprimées
pour l'atirail des soissantes logètes , et le tout pour
le pris de vint livres . on rabatra quatre francs à
ceus qui rendront la table de la premiere classe
desorte que la segonde ne leur reviendra qu'à scise:
livres.
La troisieme classe comprend , 1. une table
sans pié. 2 ° . un casseau de quatre rans de logè..
tés ou de cent-vint cassetins. 3. Leurs étiquetes.
tipografiques au bas de chaque celule pour indiquer
les cartes qu'on y doit tenir. 4° . La garniture
des cartes imprimées pour les 120. cassetins:
contenant les grandes et les petites lètres de la
segonde classe , plus les sons simples et compo
sés , les chifres , et tous les signes nécessaires pour
imprimer du latin er du françois sur la table du
B vj
bureau
236 MERCURE DE FRANCE
bureau ; le tout pour la some de
quarante livres , et
l'on rabatra vint francs à ceus qui rendront le bu
reau de la deusième classe , ainsi celui de la
troisième ne leur reviendra qu'à vint livres.
D
La quatrième classe comprend , r . une table
brisée et ferrée , sans pié . 2 ° . Un casseau de sis
rans de cassetins , c'est-à- dire , les quatre rans de.
la troisiéme classe , et les deus rans du rudiment.
pratique. 3º . Les etiquètes de 180. celules. 4
L'assortiment necessaire pour garnir les quatre
rans de l'imprimerie, et les deus rans du rudiment:
pratique de la langue françoise et de la langue latine,
ainsi qu'on l'a détaillé dans la sètiéme lètre
de la bibliotèque des enfans , et cela pour le pris
de quatre-vint dis livres , sur lesquèles on rabatra.
quarante livres aus persones qui rendront le bu
reau de la troisième classe , de sorte que celui de
la quatrième ne leur reviendra qu'à so. livres.
Ceus qui voudront le bureau complet avec un
pié pour la table brisée , ferrée et fermant à clé
doneront une pistole de plus , c'est -à- dire en tout
cent francs ou soissante livres en rendant le bureau.
de la troisième classe ou de quarante livres.
NM le grammairien de Ventabrèn en Provence
, trouvera pour son instruction dans le
Mercure du mois prochain, la critique d'un Professeur
anonime de l'Université de Paris, ennemi
déclaré de la metode du bureau tipografique , et:
fameus champion des métodes vulgaires : en atendant
la réponse à ces deus critiques , le grammairien
est, prié de lire les sis dernieres lètres
sur la bibliotèqu des enfans inserées dans les
Mercures depuis le mois d'octobre dernier jusqu'au
present mois de fevrier. On se flate que
cète ètre radoucira un peu les, adversaires du
bureau tipografique, du moins ceus qui sans prévention
n'agiront que de bone foi et dans la
soule vue du bien public, sur lequel influra ton
jours lapremiere éducation des enfans.
FEVRIER.
173.1. 237
§. 13. A BC FRANÇOIS- LATIN..
Carac- Noms vul. Nomséfectifs ,
teres . gaires et valeur réele.
Figures. souvert veritable
Signes. faus , équi- dénomination
Letres. voques ou
captieus.
Exemplest
A.. a..
B.. b.
a.
be.
ce. C. c.
D. d. de.
E. e.
هن
a.
be.
de.
ce-ka- qu.
c muet.
é fermé.
è ouvert.
Aaron.
bombe.
cecrops.
ode:
juste.
bonté.
procès.
F. f.
effe..
fe. vif.
G.
g. ge. ge-ga-gu.
H. h. ache. he.
gigot.
héros.
I. i. i. i. if.
J. j. j. consone. je -ja .
K. k. Ka, ka-qu.
L. 1. elle. le.
jauge.
quiconque
seul.
M m. emme . me. ame,
N. n. enne. ne. mine.
O. o.
P. P
Q.
q.
R. r.
pe.
qu .
erre
0. 0.
coq..
pe.
qu-ka.
Gap.
quand.
re.
S. f. esse. se- ze.
rire.
Suson.
T. t. t. te- ci.. intention.
U. u. u. u. busc.
V. v. V. consone. ve. vive .
X. X. icse. kse-gze. axe. exil.
Y.
Y. y. grec.
i-ïe.
ny. payen
Z. z. zede . ze -ce.. zést . Usez...
EL & Cle &-et etc. et lui.
Letra
238 MERCURE DE FRANCE
Letres. Noms
vulgaires.
a. a.
e.
Noms Exem
éfectifs.
a . Bala.
e muet. vie.
§.14. TRENTE -DEUS SONS DELA LANGUE FRANÇOISE .
18. sons avec les consones françoises ,
J
1.vfo4ry.aenlçeosises
-V
amouillés 4liquides .12. sons ,6.forts ,6.forbles .s.voyeles naz .9.ordinaires .
i..
éfermé. clarté.
è ouvert
. accès.
Isaïe.
mot. Οι
u. u. une./
eu.se ,
ou. O ,
ü. cu . feu.
ü.. ou. cou.
ajenneja,titre.a.
é, enne;e , titre.é.
i, ennesi, titre.ĩ.
o,enne;o,titre.o.
u,enne;u,titre.ú.
tát.
bié
igrat.
pot.
"
ludi..
d .
come dans l'ABC'françoislatin..
BASEÒN BOX NATÉ
ch. ce , ache. che. chiche
come dans l'AB C. françoislatin.
三晶
ill. i , elle, elle. lhe paille
gn. ( g , enne .. gne, vigne
FEVRIER. 1731. 2397
S. 15. ABC PRONONCE'.
Initial Médial. Final
i.
1..
n.
P
ASJIJE BCAA62
abé,. téatre. Goá.
b. benir. Abel. Raab
cerise. recevoir. croc.
d..
dépit.
élant.
femele.
perdreaus jod
javelot. poste
rafle.. vif.
géất , gai. regard. Agag..
heron.
idée..
j. jujube.
k. kiriele .
Chathuant. ah !
élire . ni.
rejouir.
alkali . talk.
levreau: Alexis. bal.
m.. Mnemosine. Homere. Sem.
Nevers. anerie. Himen.
ognoi. adorer. Cacao.
pelican. adopter. Cap.
q: queue. aquerir. coq.
r. renard.
perdris. mer.
S. saucisse. Samson. as.
t. teton. rectitude. brut.
u. Uranic. chathuant. cocu.
V. Venus. revenir. verve..
X. Xénophon. Alexandre. styx .
y..
Z.
yeus. moyen. Henry.
Zenon. azile. dez à joue
eu. heureus.. demeure. jeu.
1
ou. ouaille.
jalousie.
hibou.
ch . cheval. acheter. hache.
gn. gniole. magnifique. regne.
ill. ailleurs. paille.
oi. oie. envoyé. \ loi.
ui. huile. reduire. lui.
ã. ange, enfance, an.
240 MERCURE DE FRANCE
ĕ. chrétienté. mien.
i. ingrat.
distincte.. vin.
ö. onde.
répondre.
thon .
Hun. lundi. brun.
&t. Ctesias. arctique. aspect.
ft. stile. histoire.
protest.
6. 16 . A B C MUET.
Initial Medial. Final
2. Août. Saone.
b. debte.
plomb.
Jacques .
banc.
d.
advis. nord.
Europe.
nuement. vie.
£. juifve . cléf
Magdelaine. loing.
habit. Jehan.
i.
gaigner..
j.
k. } nul exemple.
1. tiltre. baril.
m.
n.
commode, Montcalm
donner.
Θα oeconome.. choeur.
P. ptisane. baptême. camp.
coqdinde. cocq .
arriver. monsieur.
asne.
paradis.
chathuant .
vuide.
r.
S..
t.
u..
v, &c. nul exemple.
,
& , ét.
Voilà ce que j'avois à dire touchant l'essai de
Portografe passagère , et sur la métode du bureau
tipografique. Il faut apresent se mètre en garde
et songer à parer les coups que l'ignorance , la
prévention et peut -ètrel'envie ou la mauvaise for
méditent de porter contre la nouveauté , la simplicité
et l'utilité decète métode. J'ai l'honeur.etc.
ODE.
FEVRIER. 1731. 247
XXX: XXXXXXXXX : XXX
O D E.
Sur la Canonisation des Saints Stanislas
Kostka et Louis de Gonzague.
Q Uelle Cour pompeuse et brillante
Se dévoile à mes yeux surpris ?
Dans quelle Région charmante
Un Dieu ravit- il mes esprits ?
Que vois-je ? Ce n'est plus la Terre ;
Au-dessus même du Tonnerre
Je porte de libres regards..
Un Temple brille dans la Nuë :
Quel jour ! une main inconnuë
M'ouvre les Cieux de toutes parts.
Ce n'est point la Cour fabuleuse
Des Dieux que l'erreur a vantés ,
Séjour d'une foule orgueilleuse
De lubriques Divinités ;;
Il n'est plus ce culte coupable :
Dans le Sanctuaire adorable
Que soutient la voûte des airs ,
Un seul Maître , un seul Dieu réside
Sa Majesté sainte y préside ,
Et veille au sort de l'Univers,
247 MERCURE DE FRANCE
Inclinés au pied de son Thrône
Les Anges saisis de respect ,
De la splendeur qui l'environne ,
Ne peuvent soutenir l'aspect.
Mais quoi ! vers ce Trône terrible ,
A tout Mortel inaccessible ,
Dans un char plus brillant que
Par une route de lumiere ,
Quittant la terrestre carriere ,
l'or ,
Deux Mortels prennent leur essor !
M
Volez , Vertus , et sur vos aîles
Enlevez leur char radieux ;
Jusqu'aux demeures immortelles
Portez ces jeunes demi- Dieux :
Ils vont , ils entrent dans la Gloire ,
'Au milieu des chants de victoire
De tous les celestes Esprits ;
Frappé de cent voix unanimes ,
L'air retentit des noms sublimes
De Stanislas et de Louis.
Tout le Ciel avec allegrésse
Reçoit ces Habitans nouveaux
La Religion s'interesse
Au Triomphe de ses Héros ;
La Pieté leur dresse un Trône
La
FEVRIER.
243 1731.
La Pudeur forme leur couronne
De ses Myrrhes toujours fleuris
Et dans cette fête charmante
Chaque Vertu retrouve et vante
Ses plus fideles favoris.
L'éclat de leur saint diadême
Leur cause de moins doux transports
Que le pur amour que Dieu même ...
Mais quel bras suspend mes accords ?
Une secrette violence
Force ici ma Lyre au silence
Sur ce bonheur Mysterieux ;
Dans ses Conseils impénetrables
Dieu seul voit les dons inéfables
Que sa main répand dans les Cieur.
潞
Nouveaux Saints , ames fortunées
Regnez , jouissez , sans désirs ;
La Mort abrégea vos années
Pour éterniser vos plaisirs.
Jaloux d'une immortelle vie ,
La fleur de vos jours est ravie
Sans vous causer de vains regrets
Vous tombez dans la nuit profondé
Trop tôt pour l'ornement du monde ;
Trop tard encor pour vos souhaits.
Da
244 MERCURE DE FRANCE
Du haut des sacrés tabernacles ,
Par mille prodiges nouveaux ,
Couronnez les anciens miracles ,
Qui font l'honneur de vos tombeaux ;
Sur l'encens de nos sacrifices
Attirez les regards propices
Du Maître absolu des humains ;
Eteignez le feu du Tonnerre ,
Que l'impieté de la Terre
Allume souvent dans ses mains.
Pour un Roi pacifique et juste
Offrez nos voeux au Roi des Rois ;
Veillez sur une Reine auguste ,
Le
sang * exige ici ses droits.
Les fruits d'un heureux hymenée
Dont la France se voit ornée ,
De l'Eternel sont les bienfaits :
Soyez les Anges tutelaires
Et les premiers dépositaires
Des dons chéris qu'il nous a faits.
諾
Tout change. Aux mortelles contrées
Faut-il donc ramener mes yeux ?
Pourquoi les portes azurées
Me referment - elles les Cieux ?
* La Reine est parente de ces deux Saints:
Toug
FEVRIER. 1731 .
245
Tout a disparu comme un songe ;
Mais ce n'est point un vain mensonge
Qui trompe mes sens éblouis :
Rome a parlé tout doit l'en croire ;
Son Oracle a marqué la gloire
De Stanislas et de Louis.
M
Peuples , retracez dans vos fêtes
La Pompe du divin séjour ;
Que tout applaudisse aux conquêtes
Que le Ciel fait en ce beau jour .
- Unissons des chants de louanges
Aux Concerts que le choeur des Anges
Consacre aux nouveaux Immortels ;
Et que sous ces voutes sacrées
Leurs images de fleurs parées
Tiennent un rang sur nos Autels .
讚
Jeunes coeurs , troupe aimable et tendre
'Accourez , offrez votre encens ;
Deux jeunes Saints ont droit d'attendre
Vos hommages reconnoissans.
A leur héroïque courage.
L'Univers a vû que votre âge ,
Capable d'illustres travaux ,
Peut aux Enfers livrer la guerre ,
Etre
246 MERCURE DE FRANCE.
Etre l'exemple de la Terre ,
Et peupler le Ciel de Héros .
Gresset Jésuite .
.
LETTRE d'un Professeur de l'Univer
sité de Paris à un Principal de College
de Province , sur l'ABC DE CANDIAC,
OU LA BIBLIOTHEQUE DES ENFANS , ou
LES PREMIERS ELEMENS DES LETTRES, & C
Vous voulez donc , Monsieur, que jevous dise mon sentiment sur cette nouvelle Méthode
dont vous avez appris qu'on fait beaucoup
de bruit à Paris depuis environ six mois , que
quelques Principaux ont laissé introduire dans
deux ou trois celebres Colleges de l'Université
et sur laq le Mercure de France a fait imprimer
cinq Lettres dont la premiere est
du mois de Mai , et la cinquiéme du mois d'Octobre
de la presente année 1730.
J'avois cependant résolu de garder un silence
constant à l'égard de l'Anonime , Auteur de ce
nouveau sistême Abécedique , comme je l'ai gardé
à l'égard de tant d'autres Charlatans de la
menuë litterature , qui ont jugé plus à propos
de faire connoître leur nom au Public , en le
faisant imprimer au Frontispice de leurs Livres.
Mais les prieres réïterées que vous me faites , le
désir que j'ai d'empêcher , autant qu'il sera en
moi , plusieurs Enfans de famille , particulierement
ceux qui sont confiés à vos soins , d'être la
dupe de ce nouvel avanturier , l'occasion favorable
FEVRIER . 1731. 247
Table de venger l'insulte qu'il fait à tous les habiles
et honnêtes gens qui suivent une autre maniere
d'enseigner que la sienne , en les accusant
d'ignorance , d'injustice et de vanité ; tout cela
m'engage à parler malgré l'inclination que j'avois
à me taire.
Je vais donc faire trois choses. 1° J'expliquerai
la structure de son Bureau Tipographique , suivant
une Carte imprimée qui m'est tombée entre
les mains , sans quoi vous ne pouvez rien comprendre
non plus que bien d'autres à ce qui en
est dit dans le Mercure que vous avez lû. 2° Je
ferai voir qu'il est impossible d'enseigner et d'apprendre
bien aucune Langue et aucune Science
par le moyen de ce Bureau . 3 ° Qu'un bon Alphabet
est une Méthode au moins aussi facile
aussi courte , aussi avantageuse et bien plus
›
commode pour bien montrer à lire à un Enfant.
.
Figurez -vous donc d'abord , Monsieur , un
ouvrage de menuiserie en forme de Colombier
qu'on attache à un mur à la hauteur d'un Enfant
de 4. à 5. ans. Ce Colombier de bois est
coupé ou partagé en 210. petits ous , sept en
hauteur , et trente en longueur. in nteur de
cette belle piece de menuiserie les appelle tantôt
cassetins et cassetes , tantôt cellules et logetes . Un
de mes amis qui a lû les cinq Lettres sans en
comprendre ni la beauté ni l'utilité , soutient
qu'on devroit plutôt les appeller Boulins , puisque
toute la boisure se nomme Colombier.
Mais quelque nom qu'on veuille donner à ces
trous , il faut sçavoir qu'ils sont à peu près quarrés
selon les trois dimensions , et de telle grandeur
qu'un Enfant y peut faire entrer aisément
sa main. On met dans ces trous des cartes , sur
lesquelles sont écrites differentes choses, La premiere
rangée de 30. trous est posée sur la table
du
248 MERCURE DE FRANCE.
du Bureau , qui est au-dessous , et de la même
longueur ; elle est appellée par l'Auteur Premier
Bureau Abécedique , c'est - à -dire Alphabetique.
Les 26. premiers trous contiennent sur des
cartes les 24. lettres de l'Alphabet , tant petites
que majuscules , et l'j et l'v consonnes ; les 4 .
derniers sont pour l'E æ , l'E ∞ , &t , ff , ft
ch , ph , rh , th : on ne voit pas la raison pourquoi
on appelle premier ce Bureau Abécedique ,
puisqu'il n'y en a point de second qui porte ce
nom.
Quoiqu'il en soit , les deux rangées de trente
logettes ou boulins chacune , qui sont immédiatement
au dessus de la premiere , portent le nom
de Bureau Latin , qu'on auroit pû aussi bien ,
et même encore mieux , nommer Bureau Franfois
, puisque les 2. premieres logettes ne renferment
que les lettres de l'Alphabet , grandes et
petites , Romaines et Italiques , qui sont communes
au François aussi bien qu'au Latin , et que
les 4. suivantes sont pour les e ouverts et fermés
, qui sont propres seulement à la Langue
Françoise. Les 4. dernieres cellules sont destinées
à l'Histoire Sainte et Prophane , à la Géographie
et à la Fable. Vous connoissez donc déja
bien en détail le contenu des 90. premiers cassetins
compris dans les trois premieres rangées.
Montons présentement aux 120. qui nous restent
, et qui sont et dominent les uns sur les au
tres.
La quatrième et cinquiéme rangée porte le beau
titre de Bureau François - Latin , cependant on
ne trouve dans les 60. cellules qui le composent
rien qui soit particulier au Latin , si ce n'est la
Io et la 11. intitulées Tèmes à faire , Tèmes
faits. Voici les étiquetes des 58. autres : 1. à , à ,
2 bb , bb , la 3 , 4 , 7 , 12 , 16 contiennent c ,
>
FEVRIER. 1731. 249
mm ,
d , g , 1 , p doublés comme le b'en Romain et en
Italique. La 5 , 6 , 9 , 17 , 18 , 20 , 21 , 23 , 24
contiennent aussi en Romain et en Italique he ,
ph , hi , qu , rh , th , hu , xc , hy ; la 8. est intitulée
Magasin ; je ne sçais pas pourquoi. La 13
m ; la 14 ñ , nn ; la 15 eau , au ; la 19 ç ;
fç , ff , la 2 2 W , w
, W, vv ; la 25 Livrèt , au
dessus duquel mot il y a écrit 10 10 , et au dessous
15 15 ; cette cassete est aparemment un
reservoir de chifres . ) La 26 &c , & c ; la 27 ai ,
aient , oient ; la 28 æ
et ; la 29 S *
; la 30 contient trois signes
de l'Algebre , qui signifient le moins , le plus ,
l'égalité ; ils ont été mis là , sans doute , afin de
pouvoir faire accroire au Public que par le moyen
de ce Bureau on apprend les principes de l'Algebre
, comme tout le reste . Voilà la rangée inférieure
du prétendu Bureau François-Latin ;
voici la superieure.
J;
> oe , et ,
>
,
,
On trouve dans les I 2
? 3 4 , 6 , 8 et g
cellules les marques ou signes de ponctuation , ;
: .? ! ' apostrophe : les 5 , 7 , 10 , 12 , 13 , 14
et 15 renferment eu , gn , ch , ill , ui , oi , où en
Romain et en Italique. La 11 a les parentheses
( et les crochets [ ] . La 16 20 ã‚ẽ‚í‚õ ,
en Romain et en Italique ; la 21 30 les dix premiers
chiffres , soit Romains , soit Arabiques.
Les deux rangées superieures du Bureau Tipographique
qui sont chacune de 30. cellules comme
les autres portent,pour titreRudiment pratique de
la Langue Latine. C'est là ce qu'on regarde particulierement
comme un Chef- d'oeuvre d'invention
, qui est bien au- dessus de toutes les Méthodes
dont on s'est servi jusqu'à présent pour
enseigner le Latin. Voici néanmoins tout ce que
c'est dans les six premieres logettes de ces deux
dernieres rangées : on voit les cinq Déclinaisons
C latines
250 MERCURE DE FRANCE ,
>
>
as,
Latines a æ &c . les Pronoms latins et françois
ego , je , tu , tu , vous ; ille , il , elle , l'article
hic , ce , cette , ( on auroit du dire le Pronom
demonstratif; ) le Pronom relatif qui , qui , lequel
; les terminaisons , Pronoms , piam , re , les
termin . Noms orum , ibus . Les cinq logettes suivantes
, soit d'enhaut , soit d'enbas contiennent
le Présent , l'Imparfait , le Parfait , le Plusqueparfait
et le Futur , tant de l'Indicatif que du
Subjonctif des Verbes sum , amo , et aparemment
des trois autres Conjugaisons . Voilà déja 22 .
logettes bien marquées. Les deux suivantes sont
pour l'Impératif et l'Infinitif, esto , ama , esse .
amare. Les 25 et 26. pour les Gérondifs et Supins,
amando , amatu , et les Participes ans , ens,
Les 27 et 28 pour les terminaisons actives, o >
α amus , et les passives, or , aris , atur , amur.
Les 29 38. sont pour les Verbes Actifs , Passifs ,
Neutres , Irreguliers , Déponens , Communs
Substantifs , Vocatifs , Reciproques , Irreguliers
( qui sont ici marqués pour la seconde fois )
Defectueux , Impersonels. Les 39 et 40. sont
pour les terminaisons françoises des Verbes , er
des Noms et Pronoms. Les 41 et 42 pour les
Verbes Auxiliaires François. Les 43 et 44. pour
les Noms Substantifs et Articles françois. Les
45 et 46. pour les Adjectifs , Positifs , Comparatifs
et Superlatifs . Les 47 et 48. pour les Pronoms
demonstratifs et Possessifs . Les 49 et 50. pour
les Verbes François et Particules Françoises. Les
51 et 52. pour les Indéclinables in , úbi , vel ,
et autres aparemment. Les 53 et 54. pour les
genres hic homo. Les 55 et 56. pour les Déclinaisons
homo inis. Les 57 et 58. pour les
Conjugaisons amo , avi Atum are. Enfin les
59 et 60. po la Syntaxe , ego amo Deum.
Je ne dou point que cette énumeration des
>
>
logettes
FEVRIER. 17310
251
logettes et de ce qui y est contenu , ne vous ait
fort ennuyé ; je vous en demande pardon ; mais
j'en avois besoin pour prouver la deuxième proposition
que j'avois avancée. Je dis donc en second
lieu que par cette machine de bois en Colombier
, et par tous les Boulins et toutes les lo
gettes dont elle est composée , aucune Langue
ni aucune Science ne peut être bien enseignée
et bien apprise , quoiqu'en disent ses inventeurs
ou ses approbateurs.
Faut-il se mettre en frais pour le prouver , et
n'est-il pas évident à quiconque a du bon sens
que ni la Philosophie , ni la Rhétorique , ni la
Poëtique , ni les Auteurs Grecs et Latins , même
les plus faciles , qu'on fait expliquer dans les
plus basses Classes des Colleges , n'entreront ja
mais dans la tête d'un enfant à l'aide de cette
pure méchanique. Que dis- je ? il est même impossible
d'apprendre à écrire par ce moyen ; aussi
nos bonnes gens paroissent - ils avoir entierement
renoncé d'eux -mêmes à toutes ces connoissances
, puisqu'ils n'y ont pas même consacré une
seule petite logette.
>
Mais du moins diront- ils on apprendra
P'Histoire Sainte et Prophane , la Géographie er
la Fable ; car elles ont chacune leur cellule , qui
sont les quatre dernieres du Bureau Latin.
A cela je réponds qu'on les apprendra à peu
près comme l'Arithmétique et l'Algebre , ausquelles
sont destinées les 25 et 30. logettes de
la deuxième rangée du Bureau François- Latin ;
c'est-à-dire , que quelques Noms propres d'Empereurs
et de Rois , de grands Royaumes et de
grandes Villes , tirés des cellules où on les met-
, pourront entrer et rester dans la mémoire
de l'enfant , s'il en a , et si on a coin de lui rebatre
plusieurs fois la même che Or c'est un
tra
C avanta
252 MERCURE DE FRANCE
avantage qu'on trouvera pour le moins aussi grand
dans quelque Méthode que ce soit , si tout est égal,
soit de la part de l'enfant , soit de celle du Maître
, à moins qu'on ne veuille croire , comme le
croyent, sans doute, ces Messieurs , que les principes
des Arts et des Sciences ont une vertu particuliere
pour s'insinuer dans l'idée et dans la
mémoire d'un enfant , parcequ'ils sont écrits sur
des cartes , et qu'ils ont eu l'attouchement de sa
petite main , et du bois des cellules étroites qui
les tiennent comme en prison.
Mais qui peut douter , diront encore nos gens
enthousiasmés de leur Rudiment Pratique de la
Langue Latine , composé de 60. logettes et d'autant
de cartes pour le moins , qui peut douter
qu'avec un tel secours on n'enseigne et on n'apprenne
bien mieux les déclinaisons des Noms et
des Pronoms , les Conjugaisons de toutes sortes
de Verbes , les Genres , les Préterits , les Supins
et la Syntaxe Latine, qu'on ne les enseigneroit et
ne les apprendroit avec le secours du Rudiment
et des Maîtres ordinaires .
Qui en peut douter ? moi certainement , tant
je suis incrédule. Pour faire voir combien mon
doute est raisonnable , je ne veux que comparer
un endroit de la cinquiéme Lettre de l'Auteur
avec un autre du celebre M. le Fevre , sur la
maniere de faire des interrogations aux enfans.
כ כ
ラン
Lorsqu'on voudra interroger l'écolier sur les
Déclinaisons et sur les Conjugaisons ( dit ´notre
Abécediste dans le Mercure d'Octobre page
» 2123. ) il ne faut pas suivre la Méthode peu
judicicuse de ces Maîtres qui demandent troptôt
, par exemple : Comment fait Musa à
l'accusatif plurier ? Quel est le genitif plurier
de Dominus ? Quelle est la troisiéme personne
» du Futur Indicatif du Verbe amo ? Cominent
dit -on en Latin ils auroient aimé ? &c.
50
FEVRIER. 1731. 253
Voilà les propres paroles du Docteur Tipografique
dont nous avons pris la liberté de changer
l'ortographe , quoique sa troisième partie
du Volume du Maître contienne dit-il , en
trente et tant de pages une Réponse aux raisonnemens
ou aux préjugés de M. l'Abbé Regnier ,
dans son Traité de l'ortografe , et quelques reflexions
sur l'ortographe des Dictionaires de
Richelet , de Furetiere , de Trévoux , de l'Académie
Françoise et de l'Académie d'Espagne.
Ecoutons presentement M. le Fevre. » Comme
de toutes les parties mobiles de l'Oraison ,
n'y en a point de plus difficile que les Verbes
, ( dit-il dans sa Méthode pour commencer
les Humanités , à Paris 1701. page 12. ) il
5
il
faut s'y arrêter aussi beaucoup plus que
» sur les noms , jusqu'à ce que l'enfant puisse
répondre sur le champ , et sans varier , à ces
» petites Questions , par exemple : où est audiet?
et que veut-il dire en françois ? où est audivisset
? Audire ne se trouve - t'il point en plus
d'un ou de deux endroits où est amatum iri?
» &c. Quand une fois l'enfant est bien assuré
là- dessus , il est en beau chemin , si le Maître
» a les qualités qu'il doit avoir.
Ne voit-on pas une manifeste contradiction
entre ces deux manieres d'enseigner les premiers
principes ? Ainsi nous voici dans un défilé d'où
nous ne pouvons sortir qu'en disant que l'une
de ces deux Méthodes est bien plus judicieuse que
l'autre.
Le Buraliste ne manquera pas de soutenir har→
diment que c'est la sienne , et il citera en sa faveur
l'exemple de M. de la Valette , petit-fils de
M. Chirac , qu'il appelle un enfant celebre du
Bureau tipographique , ( page 19. de la seconde
des quatre premieres Lettres qu'il a fait impri-
Cij mer
54 MERCURE DE FRANCE
mer séparément ) ; il citera encore le petit Gos
sard , fils d'un Marchand Tapissier , le fils de
M. Durand , le petit Espagnol Hernandez del
Valle , le petit Guillot , un Savoyard de zo . ans
qui a appris à lire le latin à cet âge , par le moyen
de cette Méthode , ibid. page 20. et 21. Quel
miracle ! Il n'oubliera pas M. Chompré , Maître
de Pension dans la rue des Carmes , qui se sert
du Bureau tipographique pour les enfans ( page
22 ) , ni M. & Mad . Hervé , qui étant , dit-il ,
témoins du progrés surprenant de l'exercice du
Bureau typographique , en ont fait faire un de
quatre rangées de logettes pour Mlle leur fille
page 28 , ni enfin le Cardinal Lugo , qui dés
l'âge de trois ans sçavoit lire les imprimez et les
manuscrits ; ni le Tasse , qui à l'âge de trois ans
commença à étudier la Grammaire , qui fut envoyé
au College des Jesuites dès l'âge de quatre
ans , et fit sous ces habiles Maîtres de si grands.
progrès , qu'à sept ans il sçavoit parfaitement le
Latin et très-passablement le Grec ; ni le petit
Jean- Philippe Baratier de Schwalbach , qui commença
d'apprendre les Lettres avant l'âge de deux
ans , page II . 12. et 20.
Mais sans vouloir examiner tout ce qu'on dit de
tous ces enfans celebres , ni rien rabattre de leur
science prématurée , ne puis-je pas dire avec verité
que tous ces exemples ne font rien en faveur
du Bureau typographique , puisque certainement
ni le petit Lugo , ni le Taffe , ni Baratier , qui
sont les trois plus rares exemples cités , ne sont
point du tout redevables de leurs miraculeux progrès
aux cellules de bois dont la rare invention
est posterieure a
Quant aux autres , outre qu'on ne nous dit
point que le petit Durand et le petit Hernandez
me soient servis du Bureau , et qu'on nous fait
entendre
FEVRIER.
1731. 255
Entendre au contraire qu'ils ont suivi une autre
Méthode ; n'est-il pas évident que leur érudition ,
quelle qu'elle soit , vient plutôt de leur heureux
naturel et de l'habileté de leurs Maîtres , que de la
nouvelle machine Alphabetique.
11 n'en eft pas de même de la Méthode de M. le
Févre , qui étant toute fondée sur la raison et
l'experience , a dû produire et a produit des miracles
, sur tout dans la personne de Mad. Dacier,
sa fille , et d'un fils , qui ayant commencé a apprendre
le Latin et le Grec â dix ans seulement
suivant la pratique de M. le Fevre , qui me paroît
bien fondée , et sçachant alors seulement bien lire
et bien écrire, » lorsqu'il mourut vers la fin de
sa 14 année , avoit lû et expliqué deux fois l'I-
» liade d'un bout à l'autre , et rendoit raison des
parties aussi prestement qu'auroit pû faire un
assez bon Maîrre , sans balancer et sans hesiter
jamais. Il sçavoit aussi l'Eneide de Virgile de
même , Terence , Phedre , les Métamorphoses
» d'Ovide, Saluste, la premiere Comedie de Plau-
» te , la premiere et la seconde d'Aristophane ,
avec les trois premiers Livres de Tite- Live ,
outre les autres petits Auteurs qu'il faut sça-
» voir pour entendre ceux -ci , Eutrope , Aurelius
Victor , Justin , les Fables d'Esope , et les cinq
» Livres Historiques du Nouveau Testament. Ù
avoit encore appris à fond de son pere , qui étoit
aussi son Précepteur , la Grammaire Latine et la
Grecque, et il avoit entamé même l'Hébraïque à
T'âge de 13. ans. Enfin il n'ignoroit ni la Géogra
phie , ni la Chronologie , ni l'Histoire.
Voilà des faits certains et exposez au grand
jour ; voilà des témoins illustres et non suspects
de la bonté de la Méthode de M. le Fevre , qui a
été presque entierement suivie et même perfectionnée
en quelques points dans les meilleurs Col-
Ciiij leges
256 MERCURE DE FRANCE
ges de l'Université. Nos Méchanistes avec leur
Bureau typographique , pousseront- ils un enfant
aussi loin et en si peu de temps, et l'instruiront -ils
d'une maniere aussi solide des premiers principes
de la Langue Grecque , de la Latine , et de la
Françoise ? S'ils sont assez présomptueux , pour
ne pas dire assez fous , pour le promettre, se trous
verat- il quelqu'un qui soit assez sot et assez duppe
pour le croire ? Peut-être que oui , puisque selon
le Poëte Satirique , mais véridique ,
Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire.
Quoiqu'il en soit , nous pouvons conclure présentement
que les Méthodes ordinaires , sur tout
si elles sont semblables à celles de M. le Févre 2
sont bien au-dessus du Rudiment pratique de la
Langue Latine , qui est le troisiéme ou quatrième
Bureau de 60. Logettes , qui fait partie du Bureau
zypographique et general . Je pourois apporter encore
plusieurs raisons invincibles de cette même
verité ; mais je les omets pour abreger et passer
ma troisiéme proposition , d'autant plus que si
je la prouve , comme je l'espere j'aurai prouvé
encore une fois celle -ci . En effet si le Bureau typographique
n'apprend pas mieux à lire qu'un
bon Alphabet , à combien plus forte raison apprendra-
t-il encore moins bien qu'une bonne Mé
thode , les principes des Langues et des Sciences ?
Je dis donc en troisiéme lieu , quand nos Bibliothecaires
typographistes devroient se fâcher ,
que tout cet attirail de cartes écrites sur le dos ,
et de cassettes d'Imprimerie , n'est pas aussi bon
pour apprendre à lire , qu'un Alphabet en bon
ordre et bien digeré. On a vu dans la description
détaillée que nous avons faite du Bureau , qu'on
a sacrifié près de 100. cellules aux Lettres grandes
et petites , Romaines et Italiques , aux consonmes
doubles bb , ce , & c . et à la ponctuation . Un
bon
FEVRIER. 1731 . 257
ba ,
,
bon Alphabet dans les trois ou quatre premieres
pages, contient non - seulement les lettres simples,
mais encore presque toutes les syllabes qu'on peut
former par l'assemblage d'une voyelle et d'une ou
plufieurs consones, comme ,
be bi, bo , bu,
&c. bla, ble, bli, blo, blu , &c . ab , eb, ib, ob , ub ,
&c. ar , er , ir , or , ur , &c. stra , stre , stri ,
stro , stru, &c. L'Enfant les voit d'un coup d'oeil,
et s'accoutume à les prononcer presque lui seul.
par routine , avec le moindre secours du plus petit
Maître d'Ecole.
Or tout cela demande bien du temps dans le
nouveau Systême. Il faut que l'Enfant aille prendre
dans les logettes differentes les lettres qui
composent ces syllabes ; il faut un Maître bien
assidu et bien patient , tel qu'on en trouve peu ,
pour être toujours là present , et empêcher que
Enfant ne se trompe , ou le corriger quand il
s'est trompé.
Un seul Maître d'un médiocre sçavoir et d'une
médiocre exactitude , peut montrer à lire tout
à la fois à une cinquantaine d'Enfans , les obliger
à avoir tous ensemble les fixez sur le
yeux
même endroit , et les faire reprendre les uns par
les autres , ce qui les pique d'honneur et d'émulation
; et quand la leçon est achevée , chacun peut
emporter fon Livre avec foi à la maison , à l'Eglise
, à la promenade , et repasser ce qu'on lui a
fait lire. Le Bureau , au contraire , est très -embarassant
, on ne peut le faire fervir à trois ou
quatre tout à la fois ; il n'est pas portatif , et
P'Enfant , quand il le voudroit , ne pourroit pas
le mettre dans sa poche , il est d'une toute autre
mesure.
Un Alphabet s'achette 4 ou 5. sols ; un Bureau
est d'un bien plus haut prix , sur tout si on le fait
faire d'Ebene, comme l'Auteur semble le conseil-
Cv ley
258 MERCURE DE FRANCE
9A
ler aux Curieux et aux riches , vers la fin de sa
seconde Lettre , page 29. Un Alphabet ordinaire
contient 30 ou 40. pages , il est très -court et
très -clair. L'A B C de Candiac , dont on a obtenu
le privilege , mais qui n'est pas encore imprimé
est divisé en deux volumes qui contiennent 250.
leçons pour trois A B C Latins et trois François,.
et plus de cinq ou six cens pages , suivant le calcul
détaillé fait par l'Auteur , premiere Lettre
page 2 , 3 , 4 et 5. et seconde Let. page 23.et 24 ) .
Ce qu'on a mis dans le Mercure , pour donner
une idée et un précis de cet Ouvrage , est assez
obscur et confus , et à peu près du même gout
que l'Art de transposer toute sorte de Musique
donné au Public par le même Auteur en 1711.
dont deux celebres Musiciens qui l'ont depuis peu
examiné , à ma priere , avec attention , ont jugé
qu'il n'est pas clair , et que la plus grande utilité
qu'on en puisse tirer ,est de l'ignorer Parfaitement.
9%
Enfin un Alphabet ou on trouve des pages.
toutes entieres de syllabes et d'exemples de lectures
qui y sont proposez , peut servir aux Enfans
à bien employer ces premieres années de la vie ,
qui sont si précieuses , et donner matiere d'exercice
à leur mémoire , qui est alors la plus saine et
la plus parfaite de leurs facultez et presque la seule
dont ils puissent faire usage. Par lå on observe ce
beau précepte de Quintilien , ( L. 1. C. 1. ) Non
perdamus primum statim tempus atque eò
minus quod initia litterarum solâ memoriâ
constant; qua non modo jam est in parvis , sed
tum etiam tenacissima est . » Ne souffrons .
point qu'un Enfant perde ses premieres années,
et souffrons-le d'autant moins , que pour ces
commencemens de lettres il ne faut que de la
» mémoire , et que non-seulement les Enfans
en ont , mais qu'ils l'ont même très bonne et
très- fidele.
FEVRIER. 1731. 259
L'Auteur,qui cite quelquefois Quintilien quand
il croit qu'il lui est favorable , ne paroît pas faire
grand cas de ce précepte , puisqu'il ne parle jamais
d'exercer la mémoire des Enfans , et qu'il
paroît même peu approuver cette pratique , Lettre
5. page 2133. Ce qui est de certain , c'est
que son Systême et son Bureau typographique
n'y est point du tout favorable .
En voilà assez pour faire voir que ma troisiéme
proposition n'est pas moins veritable que la seconde,
et que l'Imprimerie en Colombier ne vaut
pas un A B C. bien composé et bien imprimé.
Avant que de finir cette Lettre , je fais une re
marque sur ce que l'Auteur dit , ( L. 2. p. 22. )
» que l'exercice du Bureau tipographique , bien
loin d'exposer les Enfans à être malades et à
rester nains et noüez , faute d'action , les entre
tient au contraire dans une bonne santé, dissipe
» peu à peu l'humeur noueuse qui les empêche de
> croître et leur allonge le corps , les bras et les
»jambes , dans la necessité où ils sont de prendre
» et de remettre les cartes aux plus hauts casse-
» tins du Bureau Typographique.
92
95
ود
Si cet avantage est aussi réel qu'on voudroit
nous le faire croire , pourquoi les Enfans gouvernez
par les Inventeurs de ce Bureau sont -ils
morts entre leurs mains ? Pourquoi le petit Candiac
, qui est si souvent cité dans ces Lettres comme
un prodige , et qui aimoit tant l'exercice du
Bureau Abecedique , n'a-t - il pas vécu au delà de
sa 8 ou 10 année? Au reste cette mort, qui d'une
part a été très-desavantageuse à l'Auteur de l'A
BC de Candiac , en lui enlevant un cher Disci →
ple ; lui a été d'une autre part assez avantageuse,,
puisqu'il peut nous alleguer sans cesse en faveur
de sa Méthode , un témoin que nous ne pouvons
ressusciter. D'ailleurs si on fait tant valoir le Bur
Cvj
ream
26 MERCURE DE FRANCE
reau , parce qu'il donne de l'exercice et de la santé
aux enfans , combien ne doit- on pas estimer
par cet endroit la coutume de les faire aller à pié
matin et soir aux petites Ecoles et aux Colleges ?
Je finis cette Lettre , qui vous paroîtra peutêtre
trop longue , par une reflexion de l'Auteur ,
qui m'a frappé , et qui ne peut manquer d'être
très-utile à un Lecteur judicieux et qui sçait faire
son profit de tout ce qu'il lit. On doit , dit - il ,
» ( L. 2. P. 27. ) regarder comme suspectes les
Méthodes mysterieuses et hierogliphiques , qui
annoncent & promettent des miracles , ou des.
choses au-delà de l'esprit humain : une bonne
Méthode exige la franchise et la generosité
» qu'inspire l'amour du bien public... L'incrédu
→ lité du Public n'est pas sans fondement, on voit
» tant de Charlatans , de visionnaires et d'impos-
» teurs , de toute classe , qu'il y auroit de la foiblesse
, de l'imprudence et même de la folie à
» les croire sur leur parole.
30
à
Quintilien ( L. 1. C. 1. ) après avoir recommandé
aux peres et aux meres de choisir pour
leurs enfans les meilleures Nourrices pour les allaiter
, et les meilleurs enfans de leur âge pour
leur tenir compagnie , ajoûte sur le choix des
Maîtres un précepte qui a beaucoup de rapport
ce qu'on vient de lire . A l'égard des Précepteurs
» qu'on donne aux Eafans , ce que j'ai , dit- il , à
recommander le plus , c'est qu'ils soient veritablement
habiles , ou qu'ils sçachent du moins
qu'ils ne le sont pas car je ne vois rien de
pire au monde , que ces gens , qui parce qu'ils
ont quelque legere teinture de Lettres , s'imaginent
être fort sçavans , et se donnent pour
tels . C'est en vain que vous voudrez les redresser;
ils croyent en sçavoir plus que tous les
Maîtres , et fiers de leur autorité comme ils
sont
FEVRIER . 2.61
173 .
"
5)
» sont ordinairement, ils enseignent leurs sottises
jusqu'à se mettre en fureur contre qui ose les
» contredire , souvent même leur ignorance ne
» nuit pas moins aux moeurs. De padagogis hoc
amplius ( dictum sit, ) ut aut sint eruditi planè,
quam primam esse curam velim aut se non
esse eruditos , sciant. Nihil enim pejus est irs
qui paulum aliquid ultra primas litteras pregressi
, falsam sibi scientia persuasionem induerunt.
Nam et credere pracipiendi peritis
indignantur , er jure quodam potestatis , que
ferè hoc hominum genus intumescit , imperiosi
atque interim savientes , stultitiam suam perdocent.
On voit par là , comme dit un de nos plus excellens
Poëtes , que le monde n'a jamais , manqué
de Charlatans , et que cette Science de tout tems
fut en Professeurs très - fertiles . Je suis , Monsieur
, &c..
LE ROMAN COMIQUE ,
CHAPITRE TROISIE'ME ,
POEME BURLESQUE..
Le déplorable succés qu'eut la Comédie..
Dans Ans chaque Ville du Royaume ,.
Pour l'ordinaire un Jeu de Paume ,
Est le plus noble passe - temps ,
D'un grand nombre de faineans ;
C'est-là tous les jours qu'on s'assemble
Ceux +
262 MERCURE DE FRANCE..
Ceux-cy pour y jouer ensemble ,
Ceux-là pour voir ; c'est dans ce lieu ,
Qu'on rime richement en Dieu ,
Que subtilement on harangue ,
Qu'on donne de bons coups de langue ,
Qu'on épargne peu le Prochain ,
Et qu'on jure souvent en vain ;
On n'y fait quartier à personne ,
Et chacun se perfectionne ,
Selon le bon talent railleur ,
Que l'on a reçû du Seigneur ;
On s'y pille et l'on se devore ,.
Enfin l'on vit de Turc à More ,
C'est dans un de ces Tripots - là ,
Je n'ai pas oublié cela ,
Que j'ay laissé trois gens comiques ,
Qui devroient passer pour tragiques ,
Récitant d'un ton merveilleux ,
La Mariane aux blonds cheveux ,
Devant une Assemblée entiere ,
Ou présidoit la Rapiniere ,
Vous jugerez dans un instant ,
Qu'il étoit fort bon Président ,
Ou du moins qu'il avoit bon crâne 3
Au tems qu'Hérode et Mariane ,
Sans aucunes formalitez ,
S'entredisoient leurs veritez ,
Et s'échauffoient un peu la bile,
Les
FEVRIER. 1731. 263
Les deux jeunes gens de la Ville ,
Dont on avoit pris les habits
Accoururent dans le Taudis
En calleçons , en chemisettes ,
Et tenant encor leurs Raquettes ;-
Ils ne s'étoient point fait froter ,
Négligeant de se rajuster ,
Pour venir à la Comedie ;
Ce fut belle ceremonie ,
Els devinrent tous deux bouffis ,
Si -tôt qu'ils virent leurs habits ,
Que portoient Hérode et Pharore ,
Fils de chienne , double Pécore ,
Dit l'un d'eux qui n'etoit pas sot ,
Parlant au Valet du Tripot ,
Je veux te payer ton salaire ,
Qui t'a fait assez témeraire ?
Pour donner ainsi nos habits ,
A ces deux Bâteleurs maudits ,
Il faut morbleu que je t'écrase.
Le Valet étoit en extase ;
Comme il appréhendoit le mal ,
Et qu'il sçavoit que ce brutal ,
Battoit fort souvent sa Servante ,
Il lui dit d'une voix tremblante ,
Que ce n'étoit vrayement pas lui ,
Et qu'il avoit bien de l'ennui ,
De ce qu'on le croyoit capable ,
D'un
£54 MERCURE DE FRANCE.
D'un tour aussi desagréable ;
Et qui donc , barbe de cocu
Ajoûta- t- il tout éperdu.
Le Valet aima mieux se taire ,
Que d'accuser la Rapiniere ,
Mais lui se levant dans l'instant
Répondit d'un ton insolent ,
Comme s'il avoit quelque empire ,
C'est moi , morbleu , qu'en veux-tu dire è
Que tu n'es qu'un sot , qu'un faquin ,
Reprit l'autre , en levant la main ,
Et lâchant un coup de raquette ,
Qui lui fit faire une courbette..
Rapiniere fut si surpris ,
Du forfait de ce mal appris ,
Lui qui dans une telle affaire ,
En usoit ainsi d'ordinaire ,
Qu'il demeura comme endormi ,
Soit pour admirer l'ennemi ,
Ou bien parce que le Compere ,,
N'étoit point assez en colere ,
Pour se batre devant témoins 2
Ne fut-ce qu'à grands coups de poings ;;
C'étoit là le tems d'en découdre ,
Il avoit peine à s'y résoudre ,
Et peut- être que ce débat ,
N'auroit pas fait naître un combat ,
Sidans l'instant son Domestique,
Beau
FEVRIER . 1731. 265
Beaucoup plus que lui colerique ,
N'eût empoigné cet Aggresseur ,
En lui donnant de tout son coeur ,
Sans le marchander davantage,
Dans le beau milieu du vifage ,
Pour mieux dire sur le grouin ,
Un effroyable coup de poing
Avec toutes ses circonstances
Et même avec ses dépendances ,
Ensuite plusieurs autres coups ,
Et pardessus et pardessous ;
De plus le sieur la Rapiniere ,
Le prit finement par derriere ,
Comme étant le plus offensé ,
Il l'avoit déja terrassé ;
Un parent de cet Adversaire ,
Prit de même la Rapiniere ,
Mais ce parent fut investi ,
Par quelqu'un de l'autre parti,
Celui-ci le fut d'un troisième ,
Et celui- là d'un quatriéme ;
Tous dans ce vilain galetas ,
Se batoient comme chiens et chats ;
Chacun juroit à sa maniere ,
Et cependant la Tripotiere ,.
Voyant ses meubles renversez ,
Et plusieurs Escabeaux cassez ;
Faisoit des cris épouventables ,
Donnant
256 MERCURE DE FRANCE
Donnant ces gens à tous les diables.
Il est vrai qu'il faut convenir
Que chacun y devoit périr ,
Par coups de poings , de pieds , de chaises ,
Et cent tapes aussi mauvaises ,
Si quelques -uns des Magistrats ,
Qui promenoient alors leurs rats
Avec le Sénéchal du Maine ,
N'eussent entendu cette Scene
Et ne fussent accourus là ,
Afin d'appaiser tout cela.
On ne sçavoit trop comment faire ,
Dans une si cruelle affaire.
Plusieurs d'entre eux dirent tout beau ,
Qu'on jette deux ou trois sceaux d'eau,
Sur cette chienne de canaille ,
Qui trop rudement se chamaille,
Le remede si bien choisi ,
Auroit peut- être réussi ;
Mais la trop grande lassitude ,
Que causoit un combat si rude ,
Fit séparer tous ces Mutins ,
Outre que deux bons Capucins ,
Bien barbus et de riche taille ,
Vinrent sur le champ de bataille ,
Pour tâcher d'y mettre une paix ,
Non tout-à-fait bien ferme , mais
Pour faire accorder quelque tréve ,
Sur
FEVRIER. 257. 1731 .
Sur une attaque si griéve ,
Et cependant négocier ,
Sans pourtant préjudicier ,
Aux differentes procedures ,
Chacun voulant sur ces blessures ,
Faire des informations ,
Et prendre des conclusions .
Le Destin fit mille proüesses ,
De cent differentes especes ,
Dont on parlera bien long-temps ,
Dans la belle Ville du Mans ,
Aucun des Bourgeois n'en ignore
Même à present l'on parle encore
Du Comédien si vanté ,
Suivant ce qu'en ont rapporté ,
Les deux Auteurs de la querelle
Qu'il releva de sentinelle ,
Et qu'il pensa rouer de coups ,
Pendant qu'il étoit en courroux ,
Outre quantité d'adversaires ,
Qui reçurent les étrivieres ,
En les mettant hors de combat ,
Durant le terrible sabat ,
Il perdit pourtant son emplâtre,
Et ce bel homme de Théâtre ,
Fit voir à tous les Spectateurs ,
Malgré les coups et les clameurs ,
Qu'il avoit aussi bon visage ,
Que
268 MERCURE DE FRANCE.
Que bon air et gentil corsage.
Les nez sanglans furent lavez ,
On changea les collets troüez ,
On appliqua quelques emplâtres ,
Sur tous les plus opiniâtres ;
Un certain Soldat indiscret ,
Perisa quelques - uns du secret ,
L'on fit même des points d'éguille
Et l'on eut besoin de bequille ;
Les meubles furent ramassez "
Non sans être un peu fracassez ;
Le tout étoit vaille que vaille.
Il ne resta de la bataille ,
Malgré ce bel et bon traité ,
Que beaucoup d'animosité ,
Qui paroissoit sur le visage ,
De ces grands faiseurs de tapage ;
Mais les pauvres Comédiens ,
Ne grognant pas moins que des chiens ,
Que l'on veut pincer par derriere ,
Sortirent avec Rapiniere ,
Qui verbalisa le dernier ,
Car il entendoit le mêtier.`
Passant du Tripot sous la Halle
Six ou sept de même cabale ,
S'en vinrent l'épée à la main ,
Et les entourerent soudain ,
Il n'est pas aisé de se batre ,
Quand
FEVRIER. 269 17317
Quand on en voit sept contre quatre ,
La Rapiniere, homme d'honneur ,
A l'ordinaire eut grande peur ,
Il auroit eu bien autre chose ,
C'est - à-dire en Vers comme en Prose .
Qu'on lui donnoit un coup fouré ,
Si le Destin ne l'eût paré ,
Cependant malgré la parade ,
Ce terrible coup d'estocade ,
Lui blessa tant soit peu le bras ,
Mais Destin fit bien du fracas ;
Il pourfendit deux ou trois têtes ,
Ce fut conquêtes sur conquêtes ,
Il rompit deux Estramaçons ,
Dont il fit voler les tronçons ,
Il abatit beaucoup d'oreilles ,
En un mot , il fit des merveilles ,
Et le fameux Comédien ,
Déconfit ces Meffieurs si bien ,
Qu'on disoit que du Mans à Rome ,
Il n'étoit point de plus brave homme,
Ce guet- à-pan bien repoussé ,
Avoit , dit- on , été dressé ,
Au Seigneur de la Rapiniere ,
Qui ne cherchoit point à mal faire ,
Par deux petits Nobles , dont l'un ,
N'estoit presque jamais à jeun ,
Et l'autre étoit , je croi , beau- frere ,
De
27 MERCURE DE FRANCE
De celui qui tout en colere,
Avoit commencé le débat ,
Et livré d'abord le combat ,
Par un très - grand coup de raquette ,
Réellement faisant retraite ,
La Rapiniere étoit gâté ,
Si Dieu n'avoit pas suscité ,
Dans cette affaire formidable ,
Un deffenseur incomparable ,
En ce vaillant Comédien ,
Qui fut son unique soutien.
Un si grand bien-fait sans reproche ;
Trouva place en son coeur de Roche ,
Car il avoit pensé périr ;
Il ne voulut jamais souffrir ,
Que cette Troupe si chérie ,
Logeât dans une Hôtellerie ;
Il mena les Comédiens
Chez lui pour les combler de biens ,
Où le Chartier fort pacifique ,
Mit tout le bagage comique ,
Et s'en alla sans se fâcher ,
Pour moi je m'en vais me coucher.
Par M. le Tellier d'Orvilliers , Lieutenant
General d'Epée , à Vernon.
LETTRE
FEVRIER.
1731. 271
LETTRE de M. le Beuf, Capitaine
de Milice Bourgeoise de la Ville de Joiécrite
aux Auteurs du Mercure sur
gny ,
la bonté des vins de Joigny.
E n'est pas la premiere fois , Mes-
Csieurs ,que le mérite des vins Bourguignons
a occupé votre Journal. On a
lu avec plaisir ce qui parut sur ce sujet
dans les Mercures de Novembre et Decembre
1723. et dans celui de Septembre
1724. on y vit célebrer les vins d'Auxerre
avec tous les ornemens Historiques et
Poëtiques dont on pût s'aviser. L'Auteur
de ces éloges se laissa peut-être un peu
trop prévenir par l'amour de la Pattie ;
dequoi cet amour n'est-il pas capable ?
Pour nous , Messieurs , en vous priant
de rendre public ce que nous prenons la
liberté de vous écrire sur la bonté de nos
vins , nous n'employerons point tant
d'emphase , nous ne prodiguerons pas
l'érudition.
Ornari res ipsa , negat contenta deceri, Hor,'
Notre principal but est de publier
notre reconnoissance envers le Ciel , qui
nous
272 MERCURE DE FRANCE .
nous a donné cette derniere année une
vendange des plus abondantes ; et quelle
vendange encore ! des vins d'une excellente
qualité , des vins qui , pour parler
le langage du Pays , ont eu le bouquet
sur tous les vins des environs , ensorte
que
ceux d'Auxerre même si vantés , comme
on l'a dit , n'en approchent pas ; aussi
Le débit en est si grand , et il s'en fait un
tel transport , qu'à peine en restera - t'il
pour la boisson de nos Habitans.
C'est cette liberalité du Ciel qui m'a
engagé à mettre sur le papier quelques
Remarques que j'ai faites au sujet de la
qualité de nos vins , qui ordinairement
Re cedent en rien à ceux de nos voisins ,
et peuvent aller de pair avec les meilleurs
d'Auxerre , soit qu'on en regarde la force
ou la vigueur , ce qu'on appelle communément
vin , soit qu'on en considere la délicatesse
, étant bons , délicieux , et mousseux
, sans être sujets à tirer sur la graisse,
toutes qualités inséparables d'un vin parfait
, et qui ne se trouvent pas toujours
rassemblées dans les meilleurs vins. Une
autre vertu particuliere aux nôtres , c'est
de pouvoir se marier avec toute sorte de
vins , en les augmentant en force et en
bonté ; en un mot , notre vin est le veritable
vinum generosim et lene de Pline ; on
ne peut pas mieux ni plus brièvement
en
FEVRIER. 1731. 273
en exprimer le mérite et la qualité . Il est
du goût de tout le monde , et nos Emules
même lui ont rendu justice , et l'ont
exalté plus d'une fois .
Par cette expression j'entens , Messieurs
, particulierement les Citoyens
d'Auxerre ; les vignobles de cette Ville
et ceux de Joigny se ressemblent en
plusieurs manieres ; aussi produisent- ils
les uns et les autres de bons et d'excellens
vins . Cette ressemblance et cette production
ont donné lieu à de fréquens paris
entre des personnes de l'une et de l'autre
Ville, et plus d'une fois des Arbitres
désinteressés et sinceres ont adjugé le prix
aux vins de Joigny.
و
le
nom
C'est dommage que Pline qui a
parlé de tant de choses , en donnant ,
comme on vient de l'observer ,
de generosum &c. à un vin parfait , n'ait
pas ajouté que cette grande qualité est capable
d'influer sur la géneration ; j'aurois
par là une autorité pour alleguer ici
notre Proverbe , qui dit que le bon vin
fait faire des Enfans mâles ; je vous prie
cependant de me le passer ,
cela pourra
réjouir les Lecteurs. Si nous manquons
d'autorité , nous avons pour nous l'experience
, qui confirme par son suffrage la
superiorité de nos vins. Nous avons en
effet à Joigny la moitié plus de garçons
Ꭰ
que
274 MERCURE DE FRANCE.
que de filles , et toutes proportions gasdées
, on y compte plus d'Enfans mâles
que dans toute autre Ville de la Province.
Mais revenons à mes Remarques qui
doivent établir les causes Physiques de la
bonté de nos vins.
Le terroir de nos vignes est extrémement
leger , et le sol si délicat , que les
seps ne peuvent supporter la perche, comme
aux autres endroits où la terre est
plus grasse et plus compacte , aussi nos
seps ne se plaisent pas à être disposés en
treille , comme aux vignobles d'Auxerre,
où l'on voit les seps s'étendre de la longueur
d'une toise ; ici chaque sep est
attaché à son échalas , et s'il s'étend , ce
n'est jamais au delà de deux ou trois piés
de sa souche . Ce terrain leger et délicat
au reste , tel que celui de nos vignes , est
le même que Virgile conseille de choisir
pour cette plante .
>
Nunc quoquamque modo possis cognoscere
dicam .
Rara sit , an supra morem si densa requiras :
( Altera frumentis quoniam favet , altera Baccho
;
Densa magis Cereri , rarissimaquaque Lyao . ')
Georg. II.
Il ne faut pas être Vigneron pour convenir
de l'avantage que le fruit d'une vigne
FEVRIER. 1731 275
1
conségne
taillée comme les nôtres à 3. à 4.
piés de terre, a sur le raisin d'une treille ;
le premier meurit sans doute mieux , et
est incomparablement plus doux que
l'autre ; le premier , si cela se peut dire ,
est plus delié , plus leger , et
et par
quent le meilleur. A la verité , nos Vignes
ne sont pas si abondantes qu'ailleurs
dans des terres basses où le bled croîtroit
beaucoup mieux que sur nos côtes extrê
mement élevées ; mais si nos seps en sont
plus courts , les raisins , comme je l'ai
déja dit , en sont plus délicats et plus
doux , les grains en étant moins gros et
moins serrés.
Enfin l'experience apprend que de deux
arbres , l'un extrémement chargé de fruit,
l'autre n'en portant que médiocrement" ,
le fruit de celui- ci se trouve toujours le
meilleur ; l'application est aisée à faire.
Je ne dois pas oublier ici , à l'avantage
de nos vignes , que ce n'est pas le fumier
qui les rend fécondes ; nous ne suivons
point en cela l'exemple de nos voisins
n'ignorant pas que ce secours utile d'un
côté , est pernicieux de l'autre , en ôtant
au vin sa principale vertu , je veux dire
sa qualité. Nous ne fumons que certaines
vignes en certains cantons , dont le vin
est destiné aux Ouvriers et aux Domestiques
; nous nous souvenons trop bien
Dij du
276 MERCURE DE FRANCE .
du fatal exemple des Vignobles de Sillery
: les Proprietaires charmés de la bonté
, de la réputation et du débit de leurs
vins , voulurent , pour ainsi dire , forcer
la nature à augmenter ses dons ; le fumier
leur parut propre à produire cet effet ,
mais l'issue en fut triste , cet excellent
vin a si fort degeneré depuis , qu'il ne
peut plus être comparé avec les bons de
la même Paroisse .
: nous
L
Un autre avantage , qui ne peut
être contesté c'est l'heureuse
exposition des Vignobles de Joigny qui
regardent tous le Soleil Levant ou le Midi
, ce qu'on ne peut pas dire de tous
ceux d'Auxerre. Cette exposition jointe à
la bonté et à l'Analogie du fonds , ne peut
que produire d'excellens vins . En un mot,
les vignes aiment particulierement le
grand Soleil et les hauteurs , le grand
Maître que j'ai déja cité l'a expressément
dit.
•
Denique apertos
Bacchus amat colles &c.
Et un excellent Poëte moderne , * dont
les Géorgiques approchent fort de l'Ouvrage
de Virgile , le confirme en ces termes
:
* Jacobi Vanierii , è Societate Jesu , Prædium
Rusticum L. VII , et VIII.
Optima
FEVRIER.
1731. 277
Optima jejuni colles , largissima campi ·
Vina dabunt .. ·
·
Tu selige collem
Vitis ubi tepidos spectet generosior Austros.
Et ailleurs.
•
Vinum fert nobile collis ad Austros
Editus , invalidum dant aquora plana liquo¬
rem.
Ce grand Poëte s'étoit auparavant expliqué
sur la nature du terroir qui convient
le mieux à la vigne , et son choix ,
conforme à celui de Virgile , confirme ce
que j'ai dit sur la bonté de notre fonds."
Qua levis est tellus , Austrisque obverſa ,
nec ullo ,
Si liceat , lacerum pectus violata ligone ,
Optimus ille ager est ;
Il confirme aussi ce que j'ai observé
de la maniere d'élever nos vignes , dont
les seps ne s'étendent point trop &c.
Melior de vite jugatâ ,
Quò propriore solo fruitur , vindemia pendet.
Caudice qua brevior , terra vicina reflexi ,
Auxilio folis feliciùs excoquit uvas .
Il faut avouer ici que la Providence
nous a bien favorisés , en nous environ
Diij nant
278. MERCURE DE FRANCE .
nant de collines , dont la hauteur et l'exposition
nous répondent de la bonté et
de la fecondité de nos vignobles. Quel
ques unes de ces collines , ou plutôt de
ces heureuses montagnes , sont si roides
et si escarpées , que lors de la vendange
les charois n'y peuvent arriver qu'en farsant
de longs circuits ; au lieu que la plus
élevée colline d'Auxerre , qui n'a pas à
beaucoup près cette pente , est traversée
par le grand chemin dans toute sa largeur.
C'est cependant là que sont situées
ces côtes de Migraine et de Clerion , st
vantées dans le Mercure. A notre égard,
c'est tout le contraire , le plus haut de
nos collines est occupé par les Vignobles
qui s'en trouvent bien mieux , et
les grands chemins sont au pied des collines
.
On ne peut , au reste , passer par là
sans admirer la situation merveilleuse de
ces Vignobles , qui continuent l'espace
de deux grandes lieuës ; on diroit qu'on
en a affecté l'alignement avec beaucoup
d'art , et on a peine à comprendre comment
le Vigneron peut grimper et tiavailler
sur des lieux ainsi situés .
que Je vous ai déja dit , Messieurs ,
l'érudition ne sera pas prodiguée dans cet
Ecrit , ainsi je me dispense de vous dire
que l'origine des Vignes de Joigny est
aussi
FEVRIER. 1731. 279
aussi ancienne que le retour des Gaulois
du pillage de Clusium , en Italie , nous
avons autant de droit de le prétendre que
Mrs d'Auxerre. Nos Emules n'ont rien pû
dire de l'ancienneté de leurs vignobles
que nous ne puissions nous attribuer
nous sommes , en effet , trop voisins pour
que nos Ancêtres n'ayent pas bû leur
bonne part du vin qu'Arunte fit passer
dans les Gaules pour se venger de sa Patrie
, afin d'en attirer les Colons ; ce Peuple
passa bientôt les Alpes , amorcé par
cette précieuse liqueur.. >
Il est , dis-je , fort croyable que nos
Ancêtres et les Sénonois eurent leur part
de ce vin et des dépouüilles de Clusiums
mais aussi est- il à présumer qu'ils partagerent
quelque tems après l'infortune qui
leur arriva , lorsque les Sénonois furent.
taillés en pieces , selon les Historiens.
Je pourrois encore adopter ici en faveur
de nos vins la prétendue étimologie
de Migraine
, nom d'une côte celebre
près d'Auxerre ; le Panegyriste des vins
Auxerrois l'a tiré de Mithra , nom que
les Perses ont donné au Soleil , lequel ,
dit-il , a passé chez les Latins , et par leur
moyen chez les Gaulois &c. nom enfin
qui après bien des variations et des métamorphoses,
a composé celui deMidrana,
puis Migrana et Migraine.
D iiij
Er
280 MERCURE DE FRANCE
En admettant cette étimologie , c'est
encore un sujet d'éloge pour nos meilleurs
vins ; car nous avons aussi nos Migraines,
c'est-à- dire , des côtes qui portent ce même
nom , dérivé , selon le Panegyriste
d'Auxerre , du nom Oriental de l'Astre ,
dont les vignobles en question reçoivent
tous les jours de si benignes influances.
.
Mais en laissant cette conjecture étimologique
et autres semblables , alleguées
dans le Mercure par nos Emules , en fa-.
veur de leurs vins , pour ce qu'elles peuvent
valoir , je ne puis m'empêcher d'en
proposer ici une qui me paroît d'autant
plus vrai semblable qu'elle est plus simple.
Oui , Messieurs , je suis persuadé avecplusieurs
bons esprits que notre Canton
de Balerne dont les vins sont si exquis ,
tire son nom original de Falerne , Mon- .
tagne , comme tout le monde sçait , de la
Campanie , près de Pouzol , à 2. lieues de
Naples , renommée par ses excellens vins,
dont Pline a parlé , et que les meilleurs
Poëtes Latins ont celébrés . Je suis , dis- .
* Le Canton de Baierne est près la Seigneurie
de Looze , où est un Village de méme nom
et un Château de distinction qui appartientavec
la Seigneurie à Madame de Vaiange , Dame
aussi illustre par sa naissance que par son
esprit et par son inclination pour les Belles-
Lettres.
je ,
FEVRIER. 1731. 281
je , persuadé que d'abord , par raison de
convenance , on a nommé ce Canton ou
cette côte une autre Falerne , nom dont
le changement d'une seule lettre a depuis
fait celui de Balerne , qu'on lui donne
aujourd'hui ; on a cent exemples de pareils
changemens
.
na-
Quoiqu'il en soit , je ne crois pas ,
qu'après les observations toutes
turelles que je viens de faire , M" d'Auxerre
soyent fondés à nous rien contester
sur la qualité et sur l'excellence de
nos vins , qui n'ont jamais été inférieurs
aux leurs , et qui souvent les ont surpassés
; nous pourrons leur ceder en autre
chose , quand la raison et la justice
le demanderont : nous n'avons pas trouvé
mauvais qu'ils ayent fait imprimer dans
un Mercure l'avantage prétendu que
leurs joueurs de longue paume remporterent
, selon eux , sur les nôtres , il y a
quelque tems , quoique le narré soit un
peu hyperbolique . Une seule chose auroit
pû nous déplaire ( mais nous l'avons méprisée
comme elle a choqué quantité
d'honnêtes gens , qui en lisant le Couplet
qui termine le Narré dont je viens de
parler , ont été surpris que le bon vin
d'Auxerre n'ait pû produire parmi tant
de gens qui se mêlent de rimer dans cette
Ville , qu'un miserable rapsodie , un vrai
D v Pont
1
282 MERCURE DE FRANCE
Pont-Neuf, je vous en laisse les Juges.
Je ne sçai si , toute rancune à part , on
ne pourroit pas risposter presque sur les
mêmes rimes et sur le même Air des Folies
d'Espagne ou des Folies d'Auxerre , le
Couplet que voici :
Chers Auxerrois, si vous voulez m'en croire
Contre Joigny ne lancez plus vos traits ;
Occupez-vous du noble soin de boire ,
Ou rimez mieux , ou ne rimez jamais.
Je suis , &c.
A Joigny , le 15. Janvier 173 .
****************
LETTRE de M. D. à Mad D ...
au sujet du Cordon Bleu que le Roi a accordé
à M. le Marquis D ...
Ous l'avez voulu Madame
V
quand
et
quand vous commandez quelque
chose , quel moyen de vous resister ? Ce
petit Ouvrage est un enfant d'obéissance;
vous êtes engagée à le soutenir ; s'il y a
quelques fautes , elles ne partent que de
F'esprit , et le coeur n'y a pas la moindre
part. Vous sçavez bien , Madame , qu'il
est plein d'attachement et de respect pour
yous et pour tout ce qui vous touche.
FEVRIER. 1731. 283
Chevalier
A M. le Marquis D ...
des Ordres du Roi.
Q U'il vous sied bien ce grand Manteau
Seigneur , dont la riche parure
Aux dons que vous fit la nature
Ajoûte un ornement nouveau !
Que l'éclat dont vous environne
Un si pompeux habillement
S'accorde en tout parfaitement
Aux graces de votre personne.
Cependant de si beaux dehors ,
Par une grandeur apparente ,
Ne pourroient remplir notre attente
S'ils n'enfermoient d'autres trésors.
1
J'entends une ame bienfaisante ,
Un coeur droit , un fonds de bonté ,
Qui de la génerosité
Fait votre vertu dominante.
C'est par ces rares qualités
Que vous sçavez vous rendre aimable
Et que vous êtes respectable
Autant que par vos dignités ..
Puisse le glorieux salaire
D'une ancienne fidelité ,
Trois fois acquis et merité
Etre chez vous héreditaire.
Seigneur , songez y tout de bon ,
D vj Vous
284 MERCURE DE FRANCE.
Vous sçavez qu'en pareille affaire
Il est besoin d'un Rejetton ,
Et que
c'est à vous à le faire.
Pour mieux assurer vos plaisirs
Par une heureuse destinée ,
Aux douceurs d'un noble hymenée
Excitez vos justes desirs.
Qu'enfin au gré de votre envie
Le Ciel vous fasse un siecle d'or
Et que sur les ans de Nestor
Il regle ceux de votre vie.
Agréez ces voeux les plus doux.
Qu'une Muse reconnoissante ,
Sous le poias des ans chancelante ,
14
Du fond du coeur forme pour vous.
A Paris le 2. Fevrier 1731. A..
のののののの
ELOGE de Madame de Bois de la Pierre.
Lettre écrite à M. D. L. R. par M. A.
D. V. D.
J
E m'acquite , Monsieur , de ce que
je vous ai promis au sujet de la mort
de Madame de Bois de la Pierre . Tout
notre Canton s'interesse tellement à la
Ferte que nous avons faite de cette pieuse
et sçavante Dame , qu'il a fallu laisser
passer
FEVRIER. 1731. 285
passer quelque tems pour recueillir de
ses Parens et de ses amis affligés les instructions
dont j'avois besoin pour rendre
à sa mémoire les devoirs qui lui sont
si legitimement dûs , et pour satisfaire
aussi à mon inclination et à mes engagemens.
,
par
Mais je dois vous dire Monsieur
avant toutes choses, que je n'aurois jamais,
eu cette satisfaction entiere , si je n'avois
pas été particulierement aidé la Lettre
que M. l'Abbé Morel de Breteuil ,
dont vous connoissez le mérite et la réputation
, écrivit sur ce sujet à Madame
de Courteilles , Religieuse Religieuse de Chaize-
Dieu , Monastere celebre de l'Ordre de
Fontevraud , et digne soeur de notre illustre
defunte , laquelle m'a aussi fait
l'honneur de me donner des instructions.
Cet Abbé étoit plus en état que personne
de faire connoître son veritable caractere,
et de parler dignement de ses rares qualités
, aussi a t'il fait un Portrait très - ressemblant
et des mieux executés , comme
vous le verrez dans la suite de ma Lettre.
Louise Marie de Lanfernat nâquit au
Château de Courteilles le 4. Decembre.
1663. de parens nés dans la Religion
P. R. Ils éleverent leurs Enfans dans
cette même secte ; mais Dieu ayant éclairé
en differens tems le Pere et la Mere , it's
firent
286 MERCURE DE FRANCE
firent aussi en differens tems leur abju
ration , exemple qui fut suivi des deux
filles qui composoient alors toute leur
famille , sçavoir , la Dame dont il s'agit
ici , et Madame de Courteilles , sa soeur ,
aujourd'hui, comme je l'ai dit , Religieuse
de Fontevraud ; elles eurent un frere qui
fut tué à l'Armée.
1
>
La premiere se trouvant au décès de
ses pere et mere seule heritiere de son
nom et de sa Maison en Normandie
par conséquent Dame de Courteilles le
Guerin , du Teil , de Chammoteux & c.
épousa François de l'Omosne , Seigneur
de Bois de la Pierre , Exempt des Gardes
du Corps du Roi , Chevalier de S. Louis,
lequel fut tué en 1709. à la Bataille de
Malplaquay , dont elle n'eut point d'Enfans.
Madame de Bois de la Pierre fut sensiblement
touchée de cette perte ; mais
soumise aux ordres du Ciel , elle mit à
profit son adversité , et ne s'occupa presque
plus que de sa Religion . Le tems qui
fui restoit après ses exercices de pieté fur
rempli par l'étude , et destiné à entretenir
un agréable commerce , avec un nombre
choisi de personnes vertueuses et
éclairées , ce qui a duré jusqu'à sa mort.
Pour entrer là- dessus dans quelque détail
, empruntons une meilleure plume
que
FEVRIER . 1735. 287
que la mienne. Trouvez bon , Monsieur,
que j'inserc ici la Lettre de l'illustre Abbé
dont je vous ai parlé au commencement;
vous m'en sçaurez gré , et le Public avec
yous.
גכ
Ce n'est point négligence , Madame,
c'est surprise , si j'ai differé jusqu'à ce
»jour de vous écrire ; on m'avoit assuré
>> qu'on vous avoit caché la perte que vous
avez faite agréez donc que je joigne
>> mes regrets aux vôtres , ils ne sont que
trop justes ; mais je vois un moyen in-
> nocent de les adoucir ; vous trouverez
» bon que je le mette en oeuvre pour
votre consolation et pour la mienne,
» C'est , Madame , de retracer à nos
>>yeux quelques- uns des traits qui ont
>> rendu cette chere defunte si digne de
>> l'amitié et de la veneration des person-
» nes qui la connoissoient , et qui ont eu
avec elle quelque relation ."
» Avec un esprit solide , capable des
» choses les plus relevées , et rempli des
>> lumieres que peut donner une longue
»application , Madame de Bois de la
»Pierre étoit d'une modestie admirable
» et sa bonté naturelle lui faisoit trouver
» du plaisir à converser avec les person-
»nes les plus simples , même avec des
»Enfans.
Un rare talent pour la Poësie qu'elle
avoit
288 MERCURE DE FRANCE
}
et
» avoit cultivé dès sa plus grande Jeu-
» nesse , ne lui enfla point le coeur ,
»les louanges que ce talent lui attira
» non plus que la liaison qu'il mit entre elle
» et les meilleurs esprits de son tems , ne
» la rendirent point présomptueuse. Elle
>> écrivoit en Prose avec une facilité , une
élegance , une précision qui étonnoient
» les plus habiles de ses amis , et elle en
» eut d'un génie fort au - dessus du com-
>>
>> mun.
Consultée sur toute sorte d'Ouvrages ,
» elle donnoit des avis remplis de justesse.
» Par tout y brilloient cette honnêteté et
» ces manieres gracieuses qui la firent tou-
» jours respecter des personnes qui avoient
» quelque goût pour la vraye et naïve po-
» litesse . Ce caractere domina chez elle
» dans tous les tems et dans toute sa con-
» duite.
ןכ
Sa plus forte inclination fut toujours
» d'obliger ceux qui avoient avec elle
quelque societé. Son extrême attention
» à eviter tout ce qui pourroit faire de la
» peine de sa part , lui avoit appris à dis-
» cerner les défauts opposés dans les au-
» tres. Elle y étoit bien sensible, mais elle
» étoit ingénieuse à les excuser ; les Es-
» prits vains , présomptueux , envieux
médisans , critiques , lui étoient fort à
charge ; elle se contentoit dans ces occafions
FEVRIER. 1731. 289
casions de quelques traits délicats , ca-`
» pables de corriger des personnes intel-
» ligentes et attentives , sans choquer
>> inutilement celles qui manquent de ces
» qualités.
La bonté de son coeur éclatoit sur tout
» dans sa Maison , jamais elle ne contrista
>> sans une necessité bien marquée aucun
» de ceux qui la servoient ; rien ne la fla-
» toit plus que de voir regner chez elle
» un air de gayeté et de satisfaction , et
» elle ne dédaignoit pas d'en procurer de
>> tems en tems les innocens moyens.
» A l'égard de ses amis , elle ne croyoit
» jamais avoir assez fait pour eux ; elle
prévenoit leurs demandes avec un soin
qui alloit jusqu'au scrupule , et jamais
» ils ne lui en firent d'inutiles . Elle avoit
»
» pour les pauvres et pour les affligés une
» tendresse de Mere . Nulles paroles ne
» peuvent exprimer les sentimens qu'elle
» eut pour sa très digne soeur.
>>
"
»
Tout cela dans Madame de Bois de la
Pierre paroissoit comme naturel ; mais
» un grand fonds de pieté en relevoit infiniment
le mérite. Elle avoit embrassé
» la Religion Catholique dans toute la
sincerité de son coeur ; elle en avoit
» gouté et penetré l'esprit , et si sa naissance
, une excellente éducation et la
candeur de son ame avoient quelque
">
part
190 MERCURE DE FRANCE.
>
» part à tant d'actions dignes de l'estime
» du monde même , elle n'ignoroit pas
» l'essentiel , qui est de faire tout dans
» la vûë de plaire à Dieu. C'étoit une
>> douceur toute chrétienne une sage
» humilité , une charité éclairée qui for-
» moient une conduite si exemplaire .
» L'apparence , ou si cela se peut dire ,
le phantôme de ces vertus peut bien se
>> rencontrer dans une fausse Religion et
» dans le parti de l'heresie , mais leur réa-
» lité ne se trouve que dans la vraye Egli-
» se , aussi ne se lassoit - elle point de ren-
» dre graces à Dieu de son heureux chan-
» gement.
Elle souhaita d'avoir dans sa Maison
» une Chapelle , afin d'assister tous les
» jours aux saints Mysteres , et de parti-
» ciper plus fréquemment à la victime
» de notre salut , car éloignée de son
» Eglise Paroissiale et des autres Eglises
» de son quartier , il s'en falloit beau-
» coup que sa dévotion ne fut satisfaite
>> sur ces points.
22
Ses longues infirmités et plusieurs
grandes maladies par lesquelles il a plû
à Dieu de la préparer à la mort , ne
»l'avoient point rendue d'une humeur
» sombre et fâcheuse ; on l'a toujours vûe
la même jusqu'à la fin . Je sens bien ,
disoit- elle , un peu avant que Dieu
Pait
FEVRIER. 1731. 29
W
l'ait appellée , que je n'ai plus qu'un
» soufle de vie ; mais par la bonté divine,
»je ne me trouve point fort effrayée de
» cette derniere heure : j'ai une entiere
>> confiance dans le sacrifice du Sauveur.
>>
Enfin Dieu la frappa pour la derniere
»fois , et permit que son esprit fut pres
>> que aussi abbatu que son corps ; mais
" pour lui faire consommer le sacrifice
de sa vie d'une maniere plus parfaite ,
» pour consoler un peu sa Maison deso-
» lée , et pour édifier ceux qui entendroient
» parler de sa mort , il lui rendit toute
» sa raison , afin qu'elle participat aux
» Sacremens de l'Eglise , ce qu'elle fit
» d'une maniere touchante. Elle rendit
» ensuite son esprit à Dieu et mourut
» dans la paix du Seigneur le 14. du mois.
de Septembre dernier dans le même
» lieu où elle avoit pris naissance.
" Je prie Dieu pour elle , bien per-
»suadé qu'elle sera bientôt en état de me
rendre au centuple ce que j'aurai tâché
de faire pour le repos éternel de son
ame. J'ai l'honneur d'être en une sincere
societé de douleur avec vous , et
avec un très profond respect , Madame,
votre &c. figné MOREL , Prêtre.
A Breteuil le 18. Octobre 1739.
Je n'ai , Monsieur , que peu de chose
292 MERCURE DE FRANCE
à ajouter à ce que vous venez de lire . Il
est bon de ne pas vous laisser ignorer
que cette sçavante Dame a fait plusieurs
Ouvrages qui mériteroient d'être publiés.
Voici ceux qui sont venus à ma connoissance.
L'Histoire du Monastere de
Chaize-Dieu , dont elle étoit voisine , et
où demeure aujourd'hui Madame sa soeur,
dont les grandes qualités mériteraient dés
à présent un Eloge. Ce Monastere nommé
dans les Chartes Casa Dei , fut fondé
dans le 12. siecle par l'ancienne Maison
de Laigle ; il est très distingué dans l'Ordre
de Fontevraud , et encore aujourd'hui
il est composé de soixante Dames de
Choeur , de la premiere Noblesse des
quatre Diocèses qui l'environnent. Il est
de celui d'Evreux , et situé à deux lieuës
de Verneuil , de Breteuil et de Laigle , au
milieu de ces trois Villes. Vous en parlerez,
sans doute, dans la suite de votre Voyage
Litteraire de Normandie.
L'Histoire de l'ancienne Maison de Laigle.
La Genealogie avec les preuves de
toute la veritable noblesse de notre Pays;
on y voit la sienne avec toutes les preu-,
ves qu'elle avoit recueillies des Provinces
de Bourgogne et de Champagne , où il
y a encore des Branches de la Maison
de Lanfernat. Elle est originaire de Brie.
Un Gentilhomme de cette Maison vint
s'établir
·
FEVRIER. 1731. 293
s'établir dans le Perche en 1490. c'étoit
le Trisayeul de notre Sçavante . Lanfernat
porte d'Azur à trois Lozanges d'Or , deux
et une , un Casque de front , pour Supports
un Ange et un Sauvage , et pour Cri ou
Devise : QUI FAIT BIEN L'ENFER
N'A.
Elle a de plus rassemblé plusieurs Mémoires
pour servir à l'Histoire de Normandie
, dans lesquels il se trouve quantité
de choses curieuses qui regardent les
Comtes d'Evreux , les Ducs d'Alençon ,
les Comtes de Mortain , de Mortagne
de Ponthieu , de Breteuil & c.
Enfin cette Dame étoit en relation avec
beaucoup de personnes de Lettres d'un
nom distingué , comme le R. P. de Monfaucon
à qui elle a communiqué bien des
choses pour ses Monumens de la Monar
chie & c. M. de Fontenelle et autres
Membres des differentes Académies , dont
on a trouvé plusieurs Lettres dans son
Cabinet. On y a trouvé aussi l'Histoire
Génealogique de la Maison Royale de France
&c. que le feu P. Simplicien lui avoit
envoyée par reconnoissance des Mémoires
qu'elle lui avoit fournis en grand
nombre. Je n'oublierai pas le sçavant
Charles d'Hozier encore vivant , fils du
celebre Pierre d'Hozier , votre compatrioté
, que vous n'avez pas oublié dans
Marseille Sçavante &c.
Elle
294 MERCURE DE FRANCE
Elle étoit petite niéce de l'Abbé Tallemant
l'ancien , et niéce du dernier , dont
elle a gardé quantité de Lettres qui pourront
un jour faire une suite curieuse de
leur commerce Litteraire .
Quand les scellés apposés dans sa Maison
seront levés , j'aurai de plus grands
éclaircissemens à vous donner pour tout
ce qui concerne Histoire , Erudition
Littérature , par rapport à cette illustre
Dame. Je suis toujours , Monsieur &c.
A Evreux le 15. Decembre 1730.
܀܀܀܀
*************
J
PREMIERE ENIGME.
E suis tout seul quelquefois ,
Et j'ai quelquefois un frere ;
Nous suivons les mêmes loix
Par un chemin tout contraire.
Sans regret je suis caché
Dans une sombre demeure ,
Je l'aime tant , que je pleure
Lorsque j'en suis arraché ;
Quoique sans cesse je nage
Sur un perfide élement ;
Je ne crains point le naufrage ,
Et me noye à tout moment.
Je n'ai bras , ni pieds , ni tête ,
Je
FEVRIER . 1731 .
295
Je ne suis de chair ni d'os ,
Et si tôt que l'un m'arrête
L'autre trouble mon repos.
Q
SECONDE ENIGME.
Uand on me met au pied je marche sur la
tête.
Devine promtement , ou tu n'és qu'une bête.
Lamotte.
XXXXXXXXX: XXXXXXXXXXX
J
LOGOGRYPHE.
E ne suis qu'un Etre d'usage ;
L'on ne peut seul me le donner ;
Il faut être au moins deux pour le déterminer.
J'ai quafre membres en partage :
Un de moins , cuit ou crud je puis être mangé,
Voyez alors comme je suis rangé ,
Et faites en à rebours la lecture ,
Lecteur , dans la Sainte Ecriture
Une femme jadis a ce nom là porté.
En cet état transposez une lettre ,
Vous allez voir mon sexe disparoître
Avec le masculin il aura permuté,
Réunissez mon tout ; ôtez l'avant finale ,
Je forme un aimable concours
De
296 MERCURE DE FRANCE
De Ris , de Graces et d'atours ,
Sous deux Chefs revêtus de dignité Royale.
AUTR E.
SIx lettres forment tout mon nom ,
Qui marque le desordre et la confusion .
Dans ma premiere part chacun peut reconnoître
L'épithète d'un petit maître ;
Dans ma derniere il est aisé
De remarquer celui d'un vieux drap tout usé,
Du Vernay.
Le Tems est le mot de l'Enigme de
Janvier , et ceux de Chardon et Cidre
sont ceux des deux Logogryphes,
***************
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &c,
RE
EGLES CHRETIENNES pour faire
saintement toutes ses actions , dressées
en faveur des Enfans qui se font instruire
dans les Ecoles Chrétiennes . Outrès
- utile à toutes sortes de pervrage
sonnes qui veulent vivre dans la vraye
pieté
FEVRIER. 1731 297
pieté en Jesus-Christ , divisé en deux
Parties. Derniere Edition. Qua in juventute
tuâ non congregasti , quomodo in senectute
tuâ invenies ? Eccl. 25. 27. Com- 25.27.
ment trouverez- vous dans votre vieillesse
les vertus que vous n'aurez point acquises
dans votre jeunesse ? A Paris , chez
Gabr. Charles Berton , proche S. Nicolas
du Chardonnet , 1731.
CANTIQUES SPIRITUELS , sut
plusieurs points importans de la Religion
et de la Morale Chrétienne , pour les
Catéchismes et les Missions. Sur les plus
beaux Airs anciens et nouveaux.Vol.in 8.
A Paris , chez le même , 1731 .
INSTRUCTION Chrétienne pour les
personnes qui aspirent au Mariage , ou
qui y sont déja engagées. Avec un Traité
de l'Education Chrétienne des enfans
tirée de S. Jean Chrysostôme. In 12.
Nouvelle Edition , revûë et augmentée.
Idem.
PRIERE qui se chante aux Eglises
de S. Paul et de l'Oratoire , et à plusieurs
Paroisses , depuis le Samedi de devant
le premier Dimanche de l'Avent , jusqu'à
la veille de Noël inclusivement , avec
les Antiennes appellées O de Noël. Chez
le même Libraire.
E Nou298
MERCURE DE FRANCE
NOUVELLE METHODE pour réfùter
l'établissement des Eglises Prétendues
Réformées et de leur Religion , et pour
deffendre la stabilité de l'Eglise et de la
"Religion Catholique , Apostolique , et
Romaine dans sa possession perpetuelle .
Par M. Chardon de Lugny , Prêtre , Député
du Roi et du Clergé de France pour
les Controverses . Quay des Augustins ,
chez les freres Osmont , 1730. in 12 .
MEMOIRE Sur l'Article 497. de la
Coûtume de Bretagne , au sujet de la'
Subornation des filles mineures. A Paris ,
ruë de la Huchette , chez la Veuve Knapen,
1730. Brochure in folio .
OBSERVATIONS CURIEUSES Sur
toutes les parties de la Physique , extraites
et recueillies des meilleurs Auteurs .
Rue S. Jacques , chez Cl. Fombert , 1730 .
in 12. de cinq cens quatre-vingt six pages.
Tome troisiéme.
GRAMMAIRE HEBRAIQUE sans
points. Par M. Masclef, Chanoine d'Amiens.
Seconde Edition , dans laquelle
l'Auteur a ajoûté trois autres Grammaires,
suivant le même Méthode , sçavoir , · la
Chaldaïque , la Syriaque et la Samaritaine .
Chez
FEVRIER. 1731. 299
Chez la veuve Paulus Dumesnil , rue Fromentel
, prés la Puits Certain , 1731. in
12. 2. vol . en Latin.
LES PRINCIPES DE LA NATURE
ou de la Generation des choses , par
M. Colonne . Chez André Cailleau , Pont
S. Michel , 1730. in 12.
INSTRUCTION D'UN PERE A SON FILS ,
sur la maniere de se conduire dans le
monde , dédiée à la Reine . Par M. Dupuy,
cy-devant Secretaire au Traité de la Paix
de Riswick. Chez J. Etienne , ruë S. Jacques
, 1730. in 12 .
HISTOIRE de Mademoiselle de
la Charce , de la Maison de la Tour du
Pin , en Dauphiné , ou Memoires de ce
qui s'est passé sous le Regne de Louis XIV.
Quay des Augustins , chez P. Gandouin,
1731. in 12.
LE NOUVELLISTE DU PARNASSE,
Brochure in 12. Chez Chaubert , Quay
des Augustins.
Ce sont des Lettres qui paroissent tous
les. Lundis de chaque Semaine , où l'on
porte divers jugemens sur tous les Ouvrages
nouveaux. Il a déja paru cinq
Eij оц
300 MERCURE DE FRANCE
1
ou six de ces Lettres , qui font croire que
ce petit Ouvrage périodique se continuera
; il est entrepris par quatre differens
Auteurs . On dit dans l'Avertissement
, que pour n'avoir en rien l'air de
Journalistes , on évitera avec soin de faire
des Extraits de Livres , mais on en fera
des autres Ouvrages d'esprit , &c. le stile
enjoué et picquant de ces Lettres doit les
faire lire avec plaisir. L'Article suivant
se lit à la page dix- neuf de la premiere
Lettre.
» On a imprimé à Venise une Comédie
» nouvelle du Marquis Maffei , connu en
France par sa Tragedie de Merope , que
>> le sieur Riccoboni , dit Lelio , publia il
»y a quelques années avec la Traduction
» Françoise. Cette Comedie est intitulée
»les Ceremonies. C'est une Satire contre
» les ceremonies et les civilitez affectées
» et incommodes des Italiens , qui en cela
» approchent un peu des Chinois. La fa-
» miliarifé nous rend ordinairement mé-
» prisable , parce qu'elle découvre ce que
» nous sommes ; c'est pour cela que ceux
qui sont les plus interessez à cacher leur
caractere , sont souvent les plus cere
» monieux et les plus civils à l'égard de
tout le monde. Ils veulent tromper par
de vaines démonstrations , tantpis pour
>>
» ceux
FEVRIER . 1731 . 301
>> ceux qui se laissent prendre à ce piege ;
» quoi qu'il en soit , je ne sçai si les cere-
>> monieux peuvent faire un bon sujet de
>> Comedie ; ce caractere me paroît bien
froid pour le Théatre. >>
LE TRIOMPHE DE L'INTEREST ,
Comedie . Cette Piece paroît imprimée
in 12. de 48. pages , sans nom d'Auteur ,
de Ville , ni de Libraire.
Le succès qu'elle a eu doit avoir excité
la curiosité du Public , et c'est pour la satisfaire
que nous allons en donner ici
quelques fragmens ; nous nous en tiendrons
aux Scenes dont on a permis la
representation , et dont nous avons déja
dit quelque chose en donnant l'Argument
de la Piece.
Comme le fond de cette Comédie est
tel qu'on le voit dans la plupart des Pieces
à Scenes détachées , il ne nous sera
pas difficile d'en donner une idée en
peu de mots . Il s'agit d'un Combat entre
l'Interêt et l'Honneur ; après plu-.
sieurs Scenes où l'Interêt se trouve toujours
le plus fort , si l'on en excepte une
où Arlequin ne tient ni pour l'un ni pour
l'autre des deux Concurrens ; l'Honneur
suivi de ses Soldats , vient attaquer le
Palais de l'Interêt , et ne menace pas
moins que de le réduire en cendres ; mais,
E ij l'Interêt
302 MERCURE DE FRANCE.
Interêt n'a pas plutôt fait briller ses
trésors aux yeux de ses Ennemis , qu'ils
viennent tous se ranger sous ses Drapeaux
. Voilà le Plan de la Piece ; en veici
Î'Accessoire dans quelques Traits. La Comedie
commence par ce Monologue de
Mercure :
C'est ici le Palais que l'Interêt habite ,
Cette Idole du siecle , à qui tout se soumet .
Qui fonde son pouvoir sur l'équité proscrite ,
De tant de passions , le mobile secret ,
L'ame du monde enfin , et la source maudite ,
De tout le mal qui s'y commet.
Que ces lambris dorez et que ces murs durables ,
Que tous ces Marbres que voilà ,
Ont écrasé de miserables ,
Pour bien loger ce Monstre- là ! &c.
La seconde Scene est entre Mercure et
l'Interêt. Ce dernier est vétù en riche
Financier il prie Mercure de le loüer ,
Mercure prend le ton ironique , que l'interêt
reçoit comme de veritables louanges
, ce qu'il fait connoître par cet hémistiche
:
On ne peut mieux louer ,
A quoi Mercure répond avec plus de
sincerité :
N'en
FEVRIER. 1731. 303
N'en soyez pas plus vain ;
Car mon encens critique.
Fait moins votre Panegyrique ,
Que le procès du genre humain.
L'Interêt porte l'audace jusqu'à choisir.
Mercure pour son
ainsi :
Substitut ; il s'exprime
Toi cependant , ici tu n'as qu'à recevoir ,
Les Mortels qui viendront réverer mon pouvoir,
Et me demander quelque grace ;
Sers-moi de Substitut et remplit bien ma place .
Une jeune personne vient consulter
Pinterêt sur des vûës de fortune dont
elle s'est fait un Plan ; Mercure lui fait
connoître son nouvel emploi de premier
Commis de l'Interêt , par ces Vers :
Je le double ; et dans cette affaire ,
Mercure seul vous conduira ,
Comme Introducteur ordinaire ,
Des Princesses de l'Opera.
Cette Scene est si vive , qu'on ne s'ap
perçoit pas de sa longueurs nous n'en
citerons qu'une tirade de Fanchon , c'est
le nom de la jeune personne qui veut
faire fortune au Théatre en tout bien
et tout honneur. Elle se regarde déja com
E iiij me
304 MERCURE DE FRANCE
me une Actrice du premier ordre. Elle
s'exprime ainsi :
Au Théatie , quelles délices !
Sans cesse je reçoi des applaudissemens ,
Dans les Foyers , des complimens
Et sans oublier les Coulisses ,
Où l'on me conte cent douceurs.
Vous êtes , me dit l'un , la Reine des Actrices ,
Et vous enlevez tous les coeurs.
'Ah ! vous m'avez percé jusques au fond de l'ame ,
Ajoûte un autre tout en pleurs ;
Fanchon , unique objet de mes vives ardeurs , -
Vous m'atendrissez trop , finissez , je me pâme ,
S'écrie un petit Maître , en ces instans flateurs.
Grands Dieux ! quand elle songe à ce bonheur
extrême ,
Peu s'en faut que Fanchon ne se pâme ellemême.
Nous passons sous silence toutes les
Scenes qui n'ont pas fait beaucoup de
plaisir , celles de M. Faquin ne sont pas
de ce nombre ; mais comme elles sont
dans le goût de l'Opera Comiqué , et
qu'elles doivent beaucoup de leur agrément
au chant , nous les supprimons , de
peur qu'elles ne perdent de leur prix à
la simple lecture .
Nous finirons par quelques traits de
la Scene entre Mercure et Arlequin. Voici
le
FEVRIER. 1731. 305
le caractere que l'Auteur a donné à ce
charmant Héros du Théatre Italien ; c'est
Arlequin même qui parle :
Je suis un homme comme un autre :
Je bois , je mange , je dors bien ;
Je vis de peu de chose et n'ai souci de rien.
Mercure lui demande s'il a beaucoup
de joye ? Il lui répond :
J'en ai ma fourniture ,
Et de la bonne et de la pure ,
Car je la tiens de la premiere main.
Mercure.
Au sein de l'indigence , eh ! qui vous la procure
Arlequin.
Belle demande ! La Nature.
Elle m'a bâti de façon ,
Que tout me fait plaisir et rien ne m'inquiete
Je me passe de peu dans ma condition ;
Et je jouis d'une santé parfaite ;
Je puis me dire le garçon ,
De la meilleure pâte , en un mot , qu'elle ait faite..
Mercure lui offrant le choix de l'Inte
rêt ou de l'Honneur , après un Portrait
fidele qu'il lui en a fait ; il lui répond
Ex
quil
305 MERCURE DE FRANCE
qu'il ne veut ni de l'un ni de l'autre ;
Voici la raison laconique qu'il en donne.
L'Interêt est Normand , et l'Honneur est Gas-→
con.
LE BRUTUS de M. de Voltaire , avec
un Discours sur la Tragedie. A Paris ;
ruë S. Jacques , chez J. F. Fosse , 1731 .
in 8. de 110. pages , sans le Discours qui
en contient 29 .
Comme nous avons déja assez parlé de
cette Piece et de ses Représentations ,
nous n'en dirons rien davantage. Mais
nos Lecteurs y perdroient trop si nous
ne disions rien du Discours qu'on lit avec
autant d'avidité que de plaisir. Nous en
allons rapporter quelques traits , et à cette
occasion nous rapporterons aussi quelques
fragmens d'une ancienne Tragédie
qui a assez de rapport à celle de Brutus .
Ce Discours est adressé à Milord Bolinbrook.
M. de Voltaire , après s'être
plaint de la difficulté de notre Versifi
cation , de sa séverité , de l'esclavage de
la rime et de la liberté qu'on a sur les
Théatres d'Italie et d'Angleterre , et de
la tentative qu'on a faite ici de donner
des Tragédies en Prose, il s'exprime ainsi :
» Il y a grande apparence qu'il faudra
» toujours des Vers sur tous les Théatres
» Tragiques , et de plus toujours des Rimes
FEVRIER. 1731. 307
»mes sur le nôtre . C'est même à cette
» contrainte de la Rime et à cette severité
>> extrême de notre versification que nous
>> devons ces excellens Ouvrages que nous
>> avons dans notre Langue.
>> Nous voulons que la Rime ne coûte
jamais rien aux pensées,qu'elle ne soit ni
» triviale , ni trop recherchée , nous exi-
» geons rigoureusement dans un Vers la
» même pureté , la même exactitude que
» dans la Prose. Nous ne permettons pas la
» moindre licence , nous demandons qu'un
»Auteur porte sans discontinuer toutes ces
» chaînes et cependant qu'il paroisse
»toujours libre , et nous ne reconnois-
» sons pour Poëtes que ceux qui ont rem
» pli toutes ces conditions .
>
>>Voilà pourquoi il est plus aisé de faire-
"cent Vers en toute autre Langue , que
quatre Vers en François , &c .
,
» Je sçai combien de disputes j'ai es
suyées sur notre Versification en Angleterre
et quels reproches me fair
» souvent le sçavant Evêque de Rochester,
» sur cette contrainte puerile qu'il pré-
» tend que nous nous imposons de gayeté
de coeur. Mais soyez persuadé , Milord ,
que plus un Etranger connoîtra notre
» Langue , et plus il se réconciliera avec:
» cette Rime qui l'effraye d'abord. Nonseulement
elle est nécessaire à notre
E vj » Tran
ן כ
308 MERCURE DE FRANCE
ง
» Tragédie , mais elle embellit nos Co
» médies même. Un bon mot en Vers en
» est retenu plus aisément , les Portraits de
>> la vie humaine seront toujours plus frap-
20 pants en Vers qu'en Prose , et qui dit
» Vers François , dit necessairement des
» Vers rimez ; en un mot , nous avons
» des Comédies en Prose du celebre Moliere
, que l'on a été obligé de mettre
en Vers après sa mort , et qui ne sont
plus jouées que de cette nouvelle mas
>> niere .
»
» Ne pouvant , Milord , hazarder sug
» le Théatre François des Vers non-rimez,
>> tels qu'ils sont en usage en Italie et en
Angleterre , j'aurois du moins voulu
>> transporter sur notre Scene certaines
» beautez de la vôtre. Il est vrai , et je
» l'avoue , que le Théatre Anglois est bien
» défectueux; j'ai entendu de votre bou-
>> che , que vous n'aviez pas une bonne-
20
Tragédie ; mais en récompense dans ces
» Pieces si monstrueuses , vous avez des
» Scenes admirables. Il a manqué jusqu'à
» present et à presque tous les Auteurs
» Tragiques de votre Nation , cette pu-
» reté , cette conduite réguliere , ces bienséances
de l'action et du stile , cettę
élegance et toutes ce , finesses de l'Art,
qui ont établi la réputation du Théatre
François depuis le grand Corneille. Mais
VOS
FEVRIER. 1731. ༢༠༡
vos Pieces les plus irregulieres ont un
» grand mérite ; c'est celui de l'action .
» Nous avons en France des Tragédies
estimées qui sont plutôt des conversa-
" tions qu'elles ne sont la représentation
» d'un évenement . Un Auteur Italien m'é-
» crivoit dans une Lettre sur les Théatres
" Un Critico del nostro Pastor filo , disse
» che quel componimento era un riassunto di
» bellissimi Madrigali , credo se vivesse
» che direbbe delle Tragedie Francesi , che
» sono un riassunto di belle Elegie et sontuosi
Epitalami & c..
A la dixiéme page , M. de Voltaire se
plaint avec raison du défaut du Théatre ·
François. » L'endroit où l'on joue la Comédie
, dit- il , et les abus qui s'y sont
» glissés sont encore une cause de cette
».secheresse qu'on peut reprocher à quel-
>> ques- unes de nos Piéces. Les bancs qui
» sont sur le Théatre destinés aux spec-
» tateurs retrécissent la scene et rendent
» toute action presque impraticable. Ce
» défaut est cause que les décorations tant
>> recommandées par les Anciens sont ra-
>> rement convenables à laPiéce. Il empêche
» sur tout que les Acteurs ne passent d'un
» appartement dans un autre aux yeux
des spectateurs , comme les Grecs et les
» Romains le pratiquoient sagement pour
conserver à la fois l'unité de lieu et la
vraisemblance & c.. Mais
fro MERCURE DE FRANCE
Mais si les Grecs et vous , vous passez
» les bornes de la bienséance , et si sur-
» tout les Anglois ont donné des specta-
» cles effroyables , voulant en donner de
>>> terribles , nous autres françois aussi
>> scrupuleux que vous avés été témeraires ,
>> nous nous arrêtons trop de peur de nous
» emporter , et quelquefois nous n'arri-
» vons pas au tragique , dans la crainte
» d'en passer les bornes & c.
L'amour dans une Tragédie n'est pas
» plus un défaut essentiel que dans l'E-
» néïde ; il n'est à reprendre que quand
» il est amené mal à propos ou traité sans
art.
39. Les Grecs ont rarement hazardé cette –
» passion sur le Théatre d'Athénes , pre-
>> mierement , parceque leurs Tragédies
» n'ayant roulé d'abord que sur des su-
» jets terribles , l'esprit des spectateurs
» étoit plié à ce genre de spectacles ; se-
» condement , parceque les femmes me
>> noient une vie infiniment plus retirée
» que les nôtres , et qu'ainsi le langage
» de l'amour n'étant pas comme aujour-
» d'hui le sujet de toutes les conversations ,
» les Poëtes en étoient moins invités à
» traiter cette passion , qui de toutes est
» la plus difficile à représenter , par les
» ménagemens infinis qu'elle demande.
Une troisiéme raison qui me paroît
assez
FEVRIER. 1731. 3rr
» assez forte , c'est que l'on n'avoit point
» de Comédienne ; les Rôles de femme
» étoient joués par des hommes masqués .
» Il semble que l'amour eut été ridicule
» dans leur bouche.
D C'est tout le contraire à Londres et
» à Paris , et il faut avouer que les Auteurs
» n'auroient gueres entendu leurs interêts ,
» ni connu leur auditoire , s'ils n'avoient
» jamais fait parler les Oldfield , ou les
» Duclos et les Lecouvreur, que d'ambition
> et de politique.
A
Mais pour terminer cet Extrait quenous
abrégeons à regret , finissons le par
ce trait. Pour que l'amour soit digne
» du Théatre Tragique , dit l'Auteur , il
» faut qu'il soit le noeud necessaire de las
» Piéce , et non qu'il soit amené par force
» pour remplir le vuide de vos Tragédies.
» et des nôtres qui sont toutes trop lon
gues , il faut que ce soit une passion ve-
>> ritablement Tragique , regardée comme
» une foiblesse , et combatuë des repar
mords ; il faut ou que l'amour conduise
» aux malheurs et aux crimes , pour faire
» voir combien il est dangereux , ou que
» la vertu en triomphe , pour montrer
ל כ
qu'elle n'est pas invincible , sans cela
» ce n'est plus qu'un amour d'Eglogue
» ou de Comédie.
En
312 MERCURE DE FRANCE
En 1648. au mois de Mai , il parut sans nom
d'Auteur une Tragédie intitulée La mort des
Enfans deBrute ; elle a été imprimée deux fois
chez Toussaints Quinet.
Cette Piece , quelque defectueuse qu'elle puisse
être , n'est pas sans quelque mérite , et nous eu
parlons ici d'autant plus librement que ni Mademoiselle
Bernard , ni M. de Voltaire ne lui sont
redevables d'aucune des beautés , ni même d'au
cune des situations qu'on a admirées dans leur
Ouvrage.
Le sujet est extrémement chargé , selon la coûttume
de ce tems - là ; mais parmi beaucoup d'incidens
qui ne servent gueres qu'à ralentir l'action
principale , il s'en trouve quelques- uns qui pourroient
interesser des spectateurs moins délicats
qu'ils ne le sont devenus ensuite.
›
On suppose que dans l'instant de la révolution
qui fit perdre la Couronne à Tarquin et qui
Pobligea de prendre la fuite , une partie de sa famille
ne put échaper à la fureur du peuple , et
que Servilie et Tullie , toutes deux filles du Roi ,
y périrent . La premiere avoit épousé Vitellius
qui se trouve en même- tems beau- frere de Brutus
, et la seconde étoit aimée des deux fils du
Consul.
Tandis que ces deux freres , après avoir donné
des regrets à la perte de la Princesse , comptent
n'avoir plus d'autre obstacle à surmonter pour
se livrer tout entiers aux sentimens qu'ils doiven:
à la République , Vitellius , leur oncle , fait
paroître Tullie qu'il a heureusement sauvée , ent
substituant une Esclave & c.
Suivant ce Plan , Tullie se trouve au milieu
de Rome d'une façon assez naturelle , obligée.
qu'elle
FEVRIER. 1731. 313
qu'elle est à demeurer cachée dans le Palais de
son beau- frere , elle a toute la liberté d'appuyer
la conjuration , et l'on sent assez , sans qu'il soit
besoin d'Ambassadeur , les divers interêts qui engagent
Vitellius à conspirer en faveur de Tarquin
dont il est le gendre , et de Tullie , sa belle- soeur.
On voit aussi ce qui le détermine à émouvoir
Titus et Tiberinus , ses neveux , sur le sort d'une
Maîtresse qui venoit de courir un si grand danger.
ན
Il y a peu de vers assez beaux de suite pour
pouvoir en donner des Scenes entieres , cependant
en voici quelques morceaux sur lesquels on
pourra juger.
Acte III. Au milieu de la premiere Scene ,
Titus cherche à raffermir . son frere , et dit en
parlant de Brutus :
Cessons de nous flater ·
L'ennemi des Tarquins , et l'Auteur de leur .
chute ,
De quel oeil verra - t - il que son sang ait osé
Remettre Rome au joug que sa main a brisé ?
Il a crú , suggeré par un fatal génie ,
En bannissant les Rois , bannir la tyrannie î
Blesser par nos complots l'objet de son amour ,
C'est plus que lui ravir la lumiere du jour ,
Et dans son sentiment , à Rome être perfide -
C'est être plus qu'impie et plus que parricide.
44
>
ne
Au même Acte , Scene troisiéme , Vitellius dé-
Couvert et qu'on a mené devant Brutus ,
craint point d'embrasser la querelle du Roi chassé.
Est-ce à vous , dit -il au Consul ,
314 MERCURE DE FRANCE
1
Est- ce à vous à punir ? est- ce à vous àjuger?
Les Dieux portent la foudre et sçavent se venger.
Pourquoi si leur clemence et leurs soins nous
conservent ,
Vouloir vous usurper un droit qu'ils se reservent?
Malgré sa pesanteur , c'est avoir trop osé ,
Que de rompre le joug qu'ils nous ont imposé
& c.
Brutus répond :
Souvent de leur courroux nous sommes les or
ganes ,
Les Dieux ne daignant pas les fraper de leurs
mains
Ont voulu se servir de celle des Romains ;
1
Et s'ils eussent voulu condamner notre Ouvrage
Son retablissement en rendroit témoignage.
Au dernier Acte , Junie , mere de Titus et de
Tiberinus , déplore leur mort avec amertume
Brutus lui dit :
> et
Cache mieux tes douleurs ,
Souviens- toi qu'un Romain punit jusques aux
pleurs.
On peut juger à ce dernier trait que l'Auteur
avoit en vue la Scene d'Horace qui avoit déja été
mise au Théatre , d'autant plus que Brutus le
cite à la premiere Scene où il paroît dans cette
ancienne Tragédie.
LES AVANTURES D'ARISTE'E ET DE
TEFEVRIER.
1731 315
TILASIE , Histoire Galante et Héroïque . A
Paris , chez la veuve Guillaume et Charles
Guillaume , rue du Hurpoix , au Nom de Jesus,
1731. 2. vol . in 12 .
Cet Ouvrage qui est dédié à M. le Marquis
de Nefle , est de M. du Castre d'Auvigni. On
estime l'invention , la disposition , les pensées
, les images , les sentimens et le stile de ce
Roman Poëtique , qu'on pouroit appeller un
Poëme Galant , si on avoit jugé à propos d'y
semer du merveilleux . Le Tragique y domine, sur
tout dans le premier volume , où il y a beaucoup
de sang versé. En general cette Histoire , qui est:
mêlée de beaucoup d'Episodes de differens genres,
est vive , tendre , touchante et bien écrite , il y a
tant de matieres et tant d'évenemens dans ces deux
petits Volumes , que l'Auteur cut pû aisément en
composer six , s'il n'eût préferé l'élegance , l'é
tendue et la précision du stile à l'abondance des
paroles , qui est souvent une source d'ennui , sur
tout dans les fictions. L'Auteur dit dans un
court Avertissement qui est à la tête du Livre
qu'il a mis six mois à le composer , et qu'il a
suivi les conseils de plusieurs personnes habiles ,
témoins de son travail. Il fait sentir aussi l'injustice
qu'on lui fait de ne le croire pas Auteur
des Ouvrages qu'il donne au Public , et qui réüssissent
au- delà de son attente. Ce qu'on estime
le plus dans l'Ouvrage dont il s'agit , est l'Histoire
de Sostrate et d'Hippias , avec les deux
Fontaines des Epreuves , très- ingénieusement
imaginées.
ANECDOTES GRECQUES , ou avantures
secretes d'Aridée frere d'Alexandre le
Grand , traduites d'un manuscrit grec . A Paris
chez la veuve Guillaume , Quay des Augustins ,
au
g16 MERCURE DE FRANCE.
au Nom de Jesus . Se vend 24. sols broché , vol.
in 12. de 224. pages , 1731 .
Le Prince Aridée , mécontent du Roy Alexandre
son frere , prend la resolution de voyager
avec son confident , nommé Linon. Ils sont
attaquez par des voleurs qu'ils terrassent. Ils
vont à Athénes , où Aridée écoute avec plaisir .
un Discours de Platon sur l'abus de la pluralité
des Dieux , et la nécessité absolue d'un seul Etre
suprême ; il passe ensuite à Zagen , dont Tyrus
le Roy l'ayant connu , le fait General de ses
troupes , contre Jadul Roy de Cotatis.
Aridée assicge Cotatis ; pendant le siege , se
promenant avec Linon son favori , il délivre
une jeune fille , nommée Clare , de la main de
ses ravisseurs , et trouve Evandre , fils de Leomatus
, l'un des Lieutenans d'Alexandre. Claro
luy raconte son histoire , et luy apprend qu'Euridice
( fille d'Amyntas , oncle d'Aridée et sa
cousine ) est captive dans le Château de Cotatis.
Aridée en presse le siege , prend la place d'assaut
, et délivre Euridice , qu'il trouve cachée
sous un tombeau.
Euridice luy fait le recit de ses malheurs ;
Aridée revient triomphant chez le Roy Tyrus ,
où il est reçu avec tous les honneurs possibles .
Pendant son sejour , Linon son favori ayant délivré
la fille d'un Seigneur de la fureur d'un lion ,
l'épouse , et fait ainsi sa fortune. Aridée et Euridice
vont ensuite à Calyba , où ils croyoient
trouver Amintas , pere de la Princesse Euridice
lequel étant mort , Euridice consentit d'épouser
Aridée.
Peu de temps après Aridée apprend la mort
d'Alexandre le Grand , son frere ; aussi - tôt it
va à Babilone avec Euridice son épouse , ou
après beaucoup de mouvemens entre les Lieute
nans
FEVRIER.. 1731. 317
mans d'Alexandre , Aridée est enfin élu Roy sous
le nom de Philippes .
>
Olympias
mere d'Alexandre en devient
amoureuse ; elle luy fait proposer , et luy propose
elle-même de repudier Euridice , et de l'épouser
, quoy qu'elle ait été la femme dé
pere ; Aridée luy fait voir , l'horreur de sa
proposition , et par son refus devient son ennemi.
son
Pendant ce temps-là , Yolas fils d'Antipater
devient amoureux de Clare , et rival d'Evandre ,
fils de Leonatus ; mais Clare ayant été reconnue
pour fille d'Antipater , que la Reine Olympias ,
par vengeance , avoit fait enlever à l'âge de deux
ans , et par ce moyen se trouvant sa soeur , elle
épouse Evandre. Icy on trouve un Episode assez
singulier d'une fille , qui justifie son amant accusé
d'assassinat , et confond l'accusateur qu'el
le- même a désarmé comme le plus lâche de tous
les hommes.
Le Roy Aridée et la Reine Euridice se retirent
à Bagdat , où la furieuse Olympias trouve les
moyens de faire étrangler la Reine , et ensuite
assassiner le Roy avec cent Gentilhommes,
après quoi on lui fait subir le châtiment de ses
cruautez.
Ce qui est conforme aux Auteurs qui ont écrit
'Histoire Grecque , et dans un stile tres concis .
On imprime chez Antoine de Heucqueville ,
Libraire , rue Gille - coeur , à la Paix , une petite
Brochure intitulée ; L'Eloge de CAR , dédié à la
Langue Françoise , &c. Il est aisé de juger par le
seul titre de cet Ouvrage , que l'Auteur s'est proposé
tout un autre but que ceux qui ont travaillé
depuis peu dans le même genre. Il a rassemblé
toutes les Anecdotes Litteraires qu'il a cru devoir
êtrè
218 MERCURE DE FRANCE .
être avantageuses au mot dont il a entrepris l'Elos
ge. Il n'a pas oublié non plus de parler des jugemens
que l'on prétend que Mess. de l'Academie
en ont porté. Quant au style , on Pa égaïé autant
que l'a pû permettre une matiere qui d'elle
même est assez sérieuse. -
Livres que Cavelier , Libraire, ruë S. Jacques,
a nouvellement reçus des Païs Etrangers.
Prolegomena ad Novi Testamenti Græci Editionem
accuratissimam è vetutissimis Cod.
MSS. denuò procurandam. 4. Amst. 1730 .
Oeuvres de Boileau Despreaux avec
éclaircissemens historiques et des figures de
Picard , fol. 2 vol. fig. La Haye , 1729 .
+
> des
Cours de Physique , avec une Critique des Lettres
de Lecuvenhock, par Harfsocker , 4. fig. La
Haye 1730.
Avantures du Baron de Fenestre, nouvelle édition
, augmentée de Remarques historiques
2 vol. 8. Cologne , 1729.
Elites de Bons Mots en Ana , nouvelle édition
augmentée, 2 vol. 12. Amst . 1731 .
Abregé Chronologique de l'Histoire d'Angleterre
7 vol. 12. Amst. 1730.
Histoire des Révolutions de l'Empire de Maroc.
depuis l'Empereur Muley Ismaël , en 1727,
traduite de l'Anglois. 12. Amst. 1731 .
Avantures de l'infortuné Florentin , ou Histoi
re de Brufalini , 2 vol . 12. fig. Amst. 1729.
Abregé de l'Histoire Universelle, depuis la création
du monde , jusqu'à l'Empire de Charle
magne; par J. le Cierc. 8. Amst . 1730.
Le mễhe Libraire doit achever d'imprimer pour
le mois prochain.
L'Osteologie de M. Palfin , 12. fig.
Lee
FEVRIER. 1731. 339
Les Operations de Chirurgie , de M. Garengeot.
3. vol. in 12. fig.
Le Cadex Pharmaceuticus Facultatis Pirisiensis
, in 4. On est aux Tables , que l'on imprimé
actuellement.
ABREGE' du Projet de Paix perpetuelle , inventé
par le Roy Henry le Grand , approuvé par la
Reine Elizabeth , par le Roy Jacques son Successeur
, par les Républicains , et par divers autres
Potentats , approprié à l'Etat present des affaires
generales de l'Europe,démontré infiniment avantageux
pour tous les hommes nez et à naître ; en
general et en particulier pour tous les Souverains
et pour les Maisons Souvetaines. Par M. l'Abbé
de S. Pierre, vol . in 12. de 217 pages , sans l'Epitre
dédicatoire au Roy . et l'Avertissement du
Libraire. A Rotterdam , chez F. Daniel Bemen,
et se vend à Paris chez Briasson. 1729
TRAITE DE L'ORGANE DE L'OUIE ,
contenant la Structure, les Usages et les Maladies
de toutes les Parties de l'Oreille. Par M. du Vernay,
de l'Académie Royale des Sciences. A Leyde,
chez J. An. Langerak , 1731. in 12. avec fig.
LES VOYAGES ET
AVANTURES
du Capitaine Robert Boyle , traduit de l'Anglois,
A Amsterdam , chez Westin. 2. vol. in 12 .
ESSAI SUR LA POESIE ET SUR LA
PEINTURE , relativement à l'Histoire Sacrée
et Prophane , avec un Apendix concernant
l'Obcenité chez les Ecrivains et les Peintres. Par
M. Charles Lamette , Docteur en Théologie
Membre de la Societé Royale et de la Societé des
Antiquaires. A Londres , chez Fayrman. in 3.
En Anglois.
TRAITI
320 MERCURE DE FRANCE
7
TRAITE PHILOSOPHIQUE ET PRAG
TIQUE de la Culture des Jardins. Par M. Bradley
, de la Societé Royale. A Londres , chez W.
Mears. Cinquiéme Edition in 8. en Anglois.
On explique dans ce Livre , qui est fort estimé
et d'un grand usage en Angleterre , le mouvement
de la seve des Plantes , et leur géneration ,
avec d'autres découvertes qui n'avoient point encore
été publiées touchant la maniere de cultiver
avec fuccès les Arbres fruitiers , les Fleurs et les
Parteres. On y a joint la description d'un Instrument
, par le moyen duquel on peut trouver en
une heure de temps plus de Plans de Jardins que
n'en contiennent tous les Livres ensemble qui
traitent de cette matiere. Enfin on trouve dans
cet Ouvrage plusieurs beaux secrets tendant à
perfectionner la culture des Vergers , des Jardins
Potagers & des Orangeries.
On écrit de la Haye que Goffe et Neaulme ,
Libraires , ont acheté et débitent une Edition des
Oeuvres de Clement Marot , Valet de Chambre
de François I. revues sur plusieurs Manuscrits et
sur plus de 40 Editions , et augmentée , tant de
diverses Poësies véritables , que de celles qu'on
lui a faussement attribuées ; avec les Ouvrages de
Jean Marot son pere, ceux de Michel Marot son
fils ; et les Piéces du different de Clement avec
François Sagon , accompagnées d'une Préface
historique , et d'Observations critiques sur tour
l'Ouvrage ; en 6 volumes in 12. et en 4 vol.in 4.
avec des Quadres et des Vignettes ; belle Edition .
Ils en ont aussi quelques Exemplaires en grand
Papier Royal et Impérial , d'une grande beauté.
On apprend de Londres que dans l'assemblée
de la Société Royale , qui se tint au commencement
FEVRIER. 1731. 321
ment de cette année, il a été résolu de n'admettre
à l'avenir aucun Candidat , à moins qu'il n'ait
été nommé par trois Membres de la Société,qui
déclareront par écrit le nom , la condition et les
qualités de la personne proposée , et si elle s'est
fait un nom dans le monde par quelque Ouvra
ge imprimé ; et que l'élection par balotage de la
personne proposée , ne pourra se faire que dix
semaines aprés. On ouvrira par cette méthode la
> porte au mérite , et on la fermera à la faveur, selon
l'intention de la premiere institution de cette célébre
Société , qui subsiste depuis 1666.
On mande de la même Ville, que le 9 Janvier ,
le Docteur Cheselden , premier Chirurgien de la
Reine , devoit couper le Timpan de l'oreille à
Charles Rei , un des quatre malfaiteurs, condamnez
à mort , aux dernieres cessions , auquel le
Roy a accordé des Lettres de répit. S. M. ayant
promis de donner la grace à ce criminel , si par
cette opération il guérit de sa surdité. Mais cette
opération n'a pas été faite , parce qu'après un
plus grand examen , elle a été jugée impraticable.
Če malfaiteur sera envoyé dans les Colonies
de l'Amérique.
La Chirurgie a fait une grande perte dans la
personne de M. Bellofte, qui fut Chirurgien Major
des Hôpitaux de l'Armée du Roy en Italie ;
ensuite premier Chirurgien de feuë Madame
Douairiere de Savoye. Il est l'Auteur d'un Livre,
intitulé : Chirurgien d'Hôpital , très - estimé de
ceux qui sçavent la Chirurgie, et tres - utile à ceux
qui veulent la sçavoir . Il est mort à Turin le 15
Juillet dernier , âgé de 80 ans. Il a fait encore sur
la fin de ses jours , la découverte d'un nouvel
Organe , dans le Corps humain , dont on pourra
F donner
322 MERCURE DE FRANCE
donner bien- tôt une Dissertation. S'il est regretté
du public , il ne l'est pas moins de ses
amis ; il en eut d'illustres , et son mérite personnel
lui en eut fait davantage sans sa modestie.
Son habileté dans son Art fut le fruit d'une longue
experience , et d'un travail continuel ; il avoit
Pesprit orné , il aimoit les Lettres et les cultivoit.
Il laisse un fils,seul heritier du secret de la composition
de ses Pilules Mercuriales. C'est un excellent
remede dissolvant et absorbant, dont il a tresamplement
traité dans le second tome du Chirurgien
d'Hôpital , imprimé à Paris en 1725 .
chez Laurent d'Houry.
il
Ceux qui souhaiteront avoir de ces Pilules
pourront s'addresser à M. Belloste à Turin ;
en fourni des Boetes de differentes grandeurs et
de différent prix , pour la commodité du public ,
avec des Mémoires sur la maniere de s'em
servir.
Le Sieur Cottance avertit le public qu'il a un
remede aussi spécifique que simple , pour arrêter
et fixer en moins de deux heures de tems , toutes
sortes de Gangrénes , Bubons , Charbons pestilentiels
et Ulceres invétérez. It demeure à Paris ,
Tue Comteffe d'Artois , au grand Vainqueur.
"
Le 24 du mois dernier , le P. Porée , Professeur
de Rhétorique du College de Louis le Grand,
prononça, en presence du Card. de Bissi , de plasieurs
Prélats et autres presonnes de distinction
un Discours Latin fort éloquent , dans lequel il
prouva que les Critiques sont aussi nécessaires
dans la République des Lettres , que les Juges
le sont dans un Etat que pour être Critique ,
il faut avoir les qualitez d'un bon Juge.
FEVRIER . 1731.
323
AÙ
REVERend pere PORE'E ,
Sur sa
Harangue.
ΕΝΥΟΥ.
Dubon Juge , et du bon Critique ,
Tu nous as , dans ton Oraison ,
Fait la juste comparaison ,
Et par un sel , vraiment attique ,
Uni la grace à la raison.
Joui d'une entiere victoire ,
Tous tes coups , Porée , ont porté ,
Puisqu'aujourd'hui , par équité
Le Ctitique chante ta Gloire.
Il vaque actuellement deux Chaires de Professeurs
Royaux en Medecine ; l'une à Montpellier
, par l'absence de M. Astruc , fameux Professeur
de cette Université , aujourd'hui Professeur
et Lecteur au Collège Royal , à la place de l'illustre
M. Geoffroy. La Dispute de cette Chaire
est annoncée pour le 1. May 1731 , dans un double
Programme , de la part de M. l'Evêque de
Montpellier , Chancelier de l'Université , et de
M. Chicoineau , Conseiller à la Cour des Aydes ,
Professeur d'Anatomie et de Botanique , de l'Academie
Roïale des Sciences de Montpellier, Chancelier
et Juge de l'Université de Medecine de cette
Ville.
L'autre Chaire vaque par le decés de M.Angot
celebre Médecin de Caen , dont la dispute est pareillement
annoncée dans un Programme de la
Faculté de Médecine de Caën.
Fij Nous
324 MERCURE
DE FRANCE
Nous venons de recevoir de Nîmes un Programme
, imprimé à Montpellier , au sujet d'un
Exercice de Belles- Lettres, dans lequel M.de Bernage
, fils de M. de Bernage ,Intendant de la Province
de Languedoc, a donné le 21 du mois passé,
en presence des Etats assemblez ,des preuves d'une
capacité fort audessus de son âge. Il commença
són Exercice par un compliment tres-délicat,addressé
à l'Illustre Assemblée que composoient
Messieurs des Etats.
Voicy le plan, selon ce Programme, que M.de
Bernage a eu en vue de remplir. 1. D'expliquer.
un grand nombre des plus beaux endroits des
Auteurs Latins , Poëtes , Historiens , Orateurs
et autres . 2. De réciter quelques - uns de ceux qui
paroissent les plus propres à orner l'esprit. 3. De
rappeller et de réciter dans le cours de son explication,
quantité de traits choisis dans nos Poëtes
François , qui peuvent avoir quelque rapport
aux Auteurs Latins.4.D'y ajoûterplusieurs Notes
de Chronologie , de Mythologie et d'Histoire.
Entre les Poëtes Latins , ausquels M. Bernage
s'est attaché , sont , 1. Horace , dont il étoit en
état de réciter près de 30 Odes , aprés les avoir
expliquées ; cinq ou six Satyres entieres , sans
compter un nombre considérable de Pieces détachées
des autres Satyres ; plusieurs des Epîtres de
cet Auteur , et un grand nombre de morceaux
détachez des autres Epîtres.
Quant à l'Art Poëtique d'Horace , M, de Bernage
étoit aussi en état d'en réciter les Endroits
les plus remarquables et les plus utiles qui font la
beauté et le prix de ce Traité.
2.Virgile,auquel M.de Bernage s'est attaché avec
une singuliere application . On voit par le Programme
qu'il avoit fait uneAnalyse presque complette
de l'Eneide ; mais il en avoit trois Livres
prinFEVRIER.
1731. 325
principaux en vûë dans son explication ; sçavoir ,
le 1. remarquable par la versification châtiée. Le
4. où les mouvemens du coeur sont mènagez avec
tant d'art. Et le 6. qui est le plus rempli de la
Théologie Payenne. Il n'oublia pas de parcourir.
de même les Géorgiques , dont il pouvoit réciter
plusieurs beaux Endroits , et expliquer le reste ;
préparé d'ailleurs à réciter un nombre prodigieux.
de Piéces de nos Poëtes François qui ont imité
ces celebres Auteurs , ou dont les pensées ont
quelque rapport avec les Passages des Poëtes
Latins.
3. M. de Bernage n'étoit pas moins préparé
sur les Métamorphoses , les Fastes , les Tristes ,
et les Livres de Ponto , d'Ovide . L
4. Pour ne pas passer les bornes d'un Extrait
nous nous contenterons d'indiquer les autres
Poetes , sur lesquels le Répondant étoit préparé.
Tels sont entre les Poëtes Latins , Juvenal, Perse ,
Martial , Catule , Tibule , Pétrone et Phédre . Il
étoit en état d'en réciter un grand nombre de
Piéces , de les expliquer, avec quantité d'autres ,
de rapprocher du Texte latin les endroits de nos
Poetes François qui y ont rapport , sans oublier
les principaux points de Mythologie qui se
trouvent à discuter dans ces Poëtes , et sur lesquels
M. de Bernage étoit prêt de satisfaire.
Entre les Poëtes François qu'il avoit en vûë ,
et que nous rapporterons dans le même ordre
alphabétique , qu'ils se trouvent au commencement
du Programme ; on remarque Boileau ,
Corneille , Deshoulieres , du Cerceau , la Fontaine
, la Mothe , Lingendes , Malherbe , Maynard
, Moliere , Pellegrin, Racan , Racine,Rousseau
, Scarron , Voiture , et un nombre d'autres ,
que nous passons sous silence.
M. de Bernage avoit choisi entre les Orateurs ,
Fiij
Cice316
MERCURE DE FRANCE
Ciceron , dont il pouvoit expliquer un grand
nombre de beaux endroits.
Parmi les Auteurs renommez pour le style
Epistolaire, il s'étoit appliqué à Pline le jeune, et
entre ses Lettres , à celles qui sont les plus remarquables.
;-
Il nous suffira aussi de nommer les Historiens
dont M. de Bernage pouvoit rendre compte ; ils
sont sur l'Histoire Romaine , Tite-Live , Florus ,
Velleius-Paterculus , Salluste , Cesar , Suetone
dans lesquels le Répondant avoit choisi les endroits
les plus considerables , lesquels réunis ,
metrent tout d'un coup sous les yeux une chaîne
et une suite des plus grands Evenemens qui ont
illustré ou obscurci la gloire de Rome , soit pen
dant le tems de ses Rois , soit dans son indépendance
Républicaine , soit pendant le regne de ses.
Empereurs. I joignit à l'Histoire Romaine celled'Alexandre
le Grand , écrite par Quinte -Curce;.
et enfin celle d'un grand nombre de Peuples
écrite par Justin.
Tels sont les principaux Auteurs dont M. de
Bernage rendit compte , dont il récita de mémoi➡
re les endroits les plus beaux et les plus frappans,
qu'il expliqua lorsqu'on le lui demanda Il faut
ajoûter qu'il eut soin à chaque Auteur dont il eut
occasion de parler , de rapporter le jugement
qu'en ont fait les Sçavans et les Critiques.
Entre ceux qui firent à M. Bernage l'honneur
de l'interroger , on distingue MM . les Archevêques
de Toulouse et d'Alby ; et MM . les Evêques
de Beziers , d'Agde , d'Alet , de S. Papoul et de
Viviers ; et pour nous servir des termes d'une
Lettre que nous avons reçûë de Nîmes sur ce sujet ,
il étonna toute l'Assemblée, tant par la quantité des,
choses qu'il sçavoit , que par la maniere aisée avec
laquelle il s'énonça en les expliquant et en les
dé
"
FEVRIER . 1731. 327
développant. Il finit par un remerciment trèscourt
, mais très- bien ménagé à l'Assemblée qui
l'avoit honoré de sa présence et de son attention."
Voici des Stances adressées à M. de Bernage
de S. Maurice , Intendant de Languedoc , à l'oc-'
casion de l'Exercice dont nous venons de rendre
compte. Nous sçavons bon gré à l'Auteur de la
Lettre écrite de Nîmes , qui les a ajoûtées à sa
Lettre en nous envoyant le Programinę.
STANCES.
Quelle injuste Maxime interdit aux Parens
La douce liberté de pouvoir reconnoître ,
Les vertus dont le Ciel a comblé leurs Enfans,
Ils sont Peres et n'osent d'être,
Après l'heureux succès que vient d'avoir ton fils,
Malgré ta modestie et ton génie austere ,
Jouis de ton bonheur , connois en tout le prix ;
Tu peux t'applaudir d'être Pere.
Ose l'être sans honte , et ris des vaines loix ,
Quigênent pour tonfils l'heureuse complaisances
Quand il est éclatant , le mérite a des droits >
Au-dessus de la bienséance.
Afranchis-toi d'unjoug qui n'est pas fait pour
toi.
Pere , goute une joye et si rare et si pure ;
Fiiij
Et
328 MERCURE DE FRANCE.
Et si l'usage altier veut t'imposer sa loi ,
1 Passe à celle de la Nature.
C'est ainsi qu'autrefois un illusre Romainy
Dédaignant cet indigne usage ,
De Scipion sonfils , publia le courage ,
Et le couronna de sa main.
Montre au tien tout l'excès de tajuste tendressei
Arrose en l'ambrassant seslauriers de tes pleurs.
Qy and ton fils nous fait voir des succès sifla-ˆ
teurs ,
Tu peux montrer une foiblesse« »
Ce sont des pleurs bien doux que ceux que tu
répands ;
Et per ce que ton fils vient de nous faire en→
tendre ,
Heureux BERNA GE , je comprends ,
Que tu n'auras jamais d'autres pleurs à xépandre.
Mais pour mieux assurer l'effet de ton amour,
Par l'exemple et les soins que tu lui dois encore,
Gouverne un Peuple qui t'honore ;
~Jusqu'à ce que ton is le gouverne à son tour;
Il n'est encor qu'à son Aurore';
Mais c'est l'Aurore d'un beau jour.
Ол
FEVRIER . 1731. 329
On apprend de Rome , que l'Imperatrice a fait
present à la Princesse Carbognano , d'une Caisse
marquetée d'Agathe et remplie de Porcelaines de
la Manufacture de Vienne , qui sont aussi belles
que celles de la Manufacture de Dresde.
Nous ne connoissions pas cette nouvelle Manu
facture de Porcelaines à Vienne , mais pour
celle qui est établie à Dresde , Capitale de l'Electorat
de Saxe , nous osons assurer sans craindre
qu'on puisse nous accuser d'exagerer
qu'elle a fait un tel progrés depuis deux ou trois
ans , qu'on a envoyé de Paris des Modeles , des
Desseins et des personnes intelligentes , qu'il en
vient aujourd'hui quantité de Pieces comparables
à ce qui vient de plus beau de la Chine et du Japon
, et communément de plus belles formes , les
Figures , les Animaux , les Arbres , les Plantes et
les Fleurs , &c . mieux dessinez et plus de varieté
et d'union dans les couleurs ; les Reliefs , Broderies
et Ornemens , sont traitez avec beaucoup de
cimétrie , de précision et de goût ; de telle sorte
que les plus habiles Connoisseurs sont souvent en
deffaut , prenant cette nouvelle Porcelaine pour
l'ancienne, et souvent même lui donnent la préference,
au grand scandale de divers Curieux d'un
gout trop rafiné , ou peut-être mal sûr, et en qui
abonde quelquefois plus d'entêtement ou d'ostentation
que de justesse, et qui esclaves du préjugé,lui .
laissent exercer sans la moindre résistance , toute
sa tyrannie , et ne sçauroient concevoir qu'on
puisse préferer des Ouvrages modernes , qui coutent
peu, et qu'on est à portée de voir construire ,
à des Morceaux que la venerable Antiquité a ren
dus recommandables , qui coutent fort cher et
qui viennent de trés-loin .
On trouvera la preuve de la beauté des Ouvradont
nous parlons , à Paris même , ruë Dauges
E v phine
}
339 MERCURE DE FRANCE.
•
>
phine , chez le fieur le Brun , Marchand Bijoutier
, interessé à la Manufacture de Porcelaines de
Dresde, qui en fait un grand débit, et à un prix fort
raisonnable, puis qu'il est à deux tiers de moins que
celui des Porcelaines des Indes. On y voit des pie
ces en hauteur , avec ornemens et en couleur ,
d'une grande beauté , des Pots à l'eau , à tabac ,
à pâte , sucre en litron , et autres formes
des Plats , des Assietes , Soucoupes , Drageoires ;
Tabatieres , Tasses et Gobelets de diverses sortes
; Ecuelles , Jattes couvertes à oglio etc. le tout
souffrant la plus violente chaleur du feu , et même
de la lessive bouillante.
•
2
On sçait que la Porcelaine fait un des plus
beaux ornemens des Cabinets des Curieux , et des
Appartemens des Princes et des grands Seigneurs
, sans compter les Services de table , et
autres sortes de Pieces de vaisselle , dont quelques-
unes sont d'un prix au dessus des plus beaux
morceaux d'Orfeverie , en or et en argent. La
Porcelaine étant donc si utile , si précieuse , et si
agréable aux yeux , merite bien que nous en disions
ici quelque chose , pour la faire connoître
à ceux qui ne sont pas à portée d'en avoir , et
d'en appercevoir les beautés et les défauts , et juger
de leur prix . Cela pourra même être utile à
quelques personnes qni en ont , et peut- être dest
morceaux précieux , dont ils ne font pas le cas
qu'ils doivent. Au reste , nous serions bien charmez
si ce petit essay pouvoit exciter quelque bon
Connoisseur , homme d'esprit et de goût , à nous
donner là- dessus quelque chose de plus étendu
de plus methodique et de plus digne de la curiosité
du Public.
Il y a de trois sortes de Porcelaines , de
jaunes , qui sont les moins estimées , parce
que cette couleur ne prend pas un si beau
2.
poli ;
FEVRIER. 1737. 331
poli ; de grises , et souvent hachées d'une infinité
de petites lignes irregulieres , qui se croisent
comme si le vase étoit par tout fêlé , ou tra
vaillé de pieces de rapport ; et enfin de blanches
avec des fleurs bleues : c'est la plus commune
, mais la plus estimée quand elle est dans
sa perfection. Quatre ou cinq choses doivent
concourir à les rendre parfaites , la finesse de la
matiere , la blancheur , le poli , la couleur , le
dessein des figures , et la forme de l'ouvrage.
On connoît la finesse de la matiere quand elle
est transparante , en quoi il faut avoir égard à
l'épaisseur , les bords sont ordinairement plus
minces. Aux grands morceaux , il est difficile d'y
rien connoître , à moins qu'on n'en casse par le
bas quelque petit morceau , pour en voir la cou
leur ou le grain. Une vraie marque de la finesse
et de la dureté de la Porcelaine , c'est quand
on re joint ensemble les deux pieces , et qu'il n'y
paroît aucune fèlure.
La blancheur ne se doit pas confondre avec
l'éclat du vernis dont la Porcelaine est enduite ,
et qui fait une espece de miroir ; cette reflexion
seule est capable de faire mal juger de sa blan
cheur naturelle , il faut la porter au grand jour
pouren connoître la beauté ou les défauts . Quoique
ce vernis soit parfaitement incorporé à la
matiere , et qu'il dure éternellement , il se ternit
neanmoins un peu à la longue , et il perd ce
grand éclat , d'où il arrive que la blancheur påroît
plus douce et plus belle dans les anciennes
Porcelaines , qu'on recherche si fort..
Le poli consiste en deux choses , dans l'éclat
du vernis , et dans l'égalité de la matiere. Le
vernis ne doit pas être épais , autrement il se feroit
une croute , et d'ailleurs l'éclat en seroit trop
grand et trop vif. La matiere est parfaitement
I vi égale
22 MERCURE DE FRANCE
égale , quand elle n'a aucune bosse , qu'on n'y
remarque ni grain , ni sable , ni élevure. Il y a
peu de vases qui n'ayent quelqu'un de ces défauts.
Non seulement on n'y doit pas trouver des
taches , mais il faut encore prendre garde qu'il
n'y ait des endroits plus éclatans les uns que les
autres.
On peut employer toute sorte de couleurs sur
la Porcelaine , mais on ne se sert guere que de
rouge et beaucoup plus de bieu; on ne voit presque,
point de rouge bien vif , mais le bleu est parfaitement
beau , quand on a attrapé ce juste temperament
, dans lequel il n'est ni pâle , ni foncé
ni trop éclatant.. Sur tout que les extrémitez des
figures soient parfaitement terminées , de maniere
que la couleur ne s'étende pas plus loin
le contour , afin que la blancheur de la Porce
laine ne soit pas salie par une certaine cau bleuâ
tre qui s'écoule de la couleur même.
que
Les Fleurs et les Roseaux sont à préferer aux
figures qui sont presque toujours estropiées ,;
et dessinées d'un gout barbare.
Il faut que les Vases soient bien contournez ,
d'une figure hardie , et bien proportionnée , etc..
Maftic excellent pour les Porcelaines.
,
cassées..
1
Mettez en poudre très- fine de la chaux vive
et du Mizium ou mine de plomb , en‹ égale
quantité , et un peu de farine , incorporez avec
du blanc d'oeuf bie battu trempez promptement
les morceaux cassez pour les rejoindre avec
précision. Le vernis ordinaire fait le même effer
du blanc d'oeuf, mais il est plus long temps à
secher..
EXTRAIT
FEVRIER . 1731. 333
J
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Bourgogne
à M.D.L. R. le 4. Fevrier 1731 .
contenant quelquesReflexions sur l'Akousmate
d'Ansacq , dont il est parlé dans le
second Volume du Mercure de Décembre
dernier.
Es deux dernieres Lettres dont vous
LESm'avez honoré contenoient chacune
une preuve , que vous avez fait , des
diligences sur ce que je souhaitois sçavoir
touchant S. Pelerin. Votre ami de Caën a
fort bien pris la chose , aussi est- ce l'ordinaire
des Medecins de raisonner ainsi sur
les faits miraculeux , mais il est étonnant
que le nom reste à ce lieu , et que le culte du
Saint se trouve dans l'oubli , et son image
negligée ; le Curé de la Paroisse est bien
neuf dans l'Antiquité , il n'est peut- être
pas le seul dans ces Cantons là. Je voulois
seulement sçavoir si c'étoit S. Pelerin
premier Evêque d'Auxerre , qui avoit
donné le nom au lieu . Cela se trouve aine
si ; j'y aurai égard en tems et lieu.
Le Mercure de Decembre , second Volume
, est bien plein de Phénomenes ; ce
lui de l'ouie m'a parû tout à fait surpre
nant ; toute la nuit je n'ai fait rêver
que
là- dessus ; je croyois toujours être à Ansacq
, et que j'allois entendre cette diabolique
musique. Je crois avoir passé dans
ce
334 MERCURE DE FRANCE
ce Village en venant un jour de Clermont
à Senlis , ou en allant de Senlis à
Beauvais ; mais j'ignorois cette particularité
ch qui pouvoit la connoîcre
puisque le Curé même qui a dressé la
Relation n'en sçavoit rien ? Je ne me souviens
pas d'avoir rien lû de semblable
dans aucune Chronique. Il faudroit cependant
consulter les fragmens qu'on
peut avoir de la Chronique d'Helinand.
Moine de Froidmont ; j'ai quelque idée
d'avoir lû quelque chose d'étonnant et
d'effrayant dans un de ces fragmens ; mais
je ne saurois me ressouvenir en quel Livre.
Froidmont doit être , je pense , à deux
ou trois lieuës d'Ansacq ; si c'est un effet
Physique , cela ne doit pas être nouveau,
et doit être , au contraire , arrivé dans les
siecles précedens . Vous avez M. d'Auvergne
à Beauvais , qui pourroit rechercher
ces morceaux d'Helinand ; il en est tréscapable
, s'il veut bien s'en donner la
peine. Je vous avois aussi prié autrefois
de sçavoir par lui ce que c'est que Saint
Nerlin , Patron du Prieuré de la Tour du
Lay , en Beauvaisis , en quel jour on en
fait la Fête , et qui on croit qu'il étoit ;
je vous en rafraîchis la mémoire , afin
d'essayer de le sçavoir si on peut; M. Chastelain
n'a pas connu ce Saint. Pour moi ,
je crois que si le tintamare aërien s'est
fait
FEVRIER. 1731. 335
fait entendre autrefois , il faut en attribuer
la cause à quelques dispositions de
Fair qui sont particulieres en ce Pays là.
La Relation où le Procés verbal du Curé
est une Piéce très curieuse ...
Plus je refléchis sur cette histoire , plus
je la trouve extraordinaire. Un Religieuz
de S. Jean de Lone , en Bourgogne , m'a
dit qu'il y a 18. ou 19. ans qu'on entendit
dans les environs de cette Ville là un
mugissement pendant environ un quart
d'heure en Eté durant plusieurs jours ,
bien different de celui du tonnerre , ett
u'on crût ( le Peuple ) que c'étoit la fin
du monde .
Un jeune homme de 18. ans , Catho
lique , natif du Village d'Infergnac , au
Païs des Suisses , à trois lieuës de Grueres,
me dit hier que dans son Village , il y a
eu deux ans au mois d'Août dernier , on
entendit la nuit les mêmes choses qu'à
Ansacq , et aussi long tems , à la diffe
rence cependant que outre la confusion.
de voix de toute espece et d'instrumens
on y distingua fort bien des aboyemens
de chiens , et que la peur fut si grande
même parmi les animaux qui étoient en
Campagne , et qui fournissent le lait pour
les fromages de ces Païs là , qu'ils prirent
tous la fuite , de sorte que le lendemain
il fallut aller de tous côtés les chercher :
les
336 MERCURE DE FRANCE.
les gens du Païs appellerent cela le Sabat,
et crurent que c'étoit une bande de sorciers
voilà un préjugé dont il sera bien
difficile de les faire revenir . Pour moi
je croirois volontiers qu'il n'y a poinɛ
d'explication Physique à chercher en tout
cela , et je pense que comme S. Paul assure
que l'air est rempli de démons , ils
peuvent fort bien s'atrouper de tems en
tems pour faire ce carillon , sans qu'aucun
homme soit de leur bande. Je ne crois pas
tout ce qu'on dit des sorciers , ce sont
des imaginations et des rêves qu'on débite
ordinairement à leur sujet ; mais je
crois plutôt qu'il y a des diables dans l'air,
et comme l'Ecriture les appelle souvent
Princes de tenebres , voilà pourquoi de nos
jours leurs Concerts se trouvent encore arriver
la nuit. Dieu permet peut-être la réalité
du fait d'Ansacq pour obliger les Philosophes
de convenir qu'il y a des esprits
aëriens , conformément à ce qu'en dit l'Apôtre
, et à ne pas nier l'existence des démons,
comme il n'y a que trop de libertins
qui la combattent. J'attends une explication
Physique de ce prodige par quelqu'un
de ceux qui croyent difficilement les choses.
spirituelles ; elle sera curieuse , sans doute :
ne pourrions- nous pas l'attendre , et même
l'exiger de M. Capperon ? qui recherche
avec autant d'attention que de succès
tout
FEVRIER. 1731. 337
1
tout ce qui a rapport à une certaine Physique
un peu singuliere. Au reste , ce qui
me surprend , c'est que ces sortes de musiques
diaboliques ne s'entendent point
dans les Villes , il y auroit bien plus da
témoins pour les attester & c.
و Le31.Janvierl'AcadémieRoyale
des Sciences fit l'élection des trois sujets ,
dont un , au choix du Roi , doit remplir
la place de Pensionaire Chimiste , vacante
par la mort de M. Geoffroi. Les trois sujets
qui ont été élus sont M M. Boulduc
et Dufay , tous deux associés Chimistes
et M. Imbert Externe .
Le 14. Fevrier , le Comte de Maurepas
écrivit à l'Académie , pour lui ap
prendre que le Roi avoit choisi M. Du
fay pour remplir cette place.
L'Estampe de la Dile Camargo que le
Public désire si fort , et dont nous avons
parlé le mois passé , sera en vente dans
les premiers jours du mois de Mars chez
les Auteurs et chez la Veuve Chereau ,
rue S. Jacques , aux deux Piliers d'or.
BRIART demeurant Cour Abbatiale de Saint
Germain des Prez , rue Cardinale , vis - à- vis le
Bailliage , à Paris , fait depuis peu une Essence
appellée d'ogni fiori , ou de toute fleurs , dont un
Parfumeur Napolitain lui a donné le secret..
On.
338 MERCURE DE FRANCE
On en met quelques goutes dans l'eau , dont or
se lave aprés avoir été rasé ; elle produit le mê
me effet que le lait virginal , mais elle est plus
agréable , et a de meilleures qualités , sur tout
pour décrasser , rendre la peau unie , et en ôter
les taches et boutons. On là vend 15. sols l'once.
Il continue avec succès à faire la veritable Essence
de Savon à la Bergamotte et autres odeurs
douces , dont on se sert pour la barbe , au lieu
de Savonnetes ; les Dames s'en servent aussi pour
se laver le visage et les mains. Les bouteilles sont
cachetées de son adresse.
M M. Giraudeau le jeune et Felz , Marchands
à Montpellier , qui font depuis long- tems un
commerce considerable en gros de liqueurs , sirops
, Eau de la Reine d'Hongrie et autres Marchandises
, donnent avis au Public qu'ils ont inventé
depuis peu une nouvelle liqueur fine , à la
quelle ils ont donné le nom d'Eau Dauphine
Cette liqueur est genéralement goutée et reconnue
pour supérieure en bonté à toutes celles qui
ont parû jusqu'à présent. Ceux qui en auront
besoin pourront leur écrire à Montpelier . Ils
vont ordinairement à la Foire de Beaucaire , et
y ont leur Magasin dans la grande rue. Pout
distinguer la liqueur de leur fabrique d'avec celle
qu'on pourroit contrefaire et débiter sous leur
nom , ils avertissent que les étiquetes qu'ils y font
mettre sont gravées en Taille- douce , qu'elles
sont signées d'eux , & qu'elles sont en ces termes:
Eau Dauphine inventée en 1730. par Girau
Leau , lejeune , et Felz , de Montpeliers
CHAN3
HE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS .
+
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
,
FEVRIER. 1731. 339
XXXXXX:X:XXXXX:XXX
CHANSON A BOIRE.
Lucas Ucas ! ma maison brûle , ô douleur sans se
conde !
La flame bouche mon caveau ;
Je verrois sans frémir l'embrasement du monde ,
Et ne puis sans pleurer voir périr mon tonneau.
A mon malheur affreux , cher ami , sois sensible
;
Au travers de ce gouffre ouvrons- nous un cheming
Je rirois du dégat que fait ce feu terrible ,
Si je pouvois sauver mon vin.
Par M. Affichard.
XXXXX:XXXXX:XXX : XX
SPECTACLES.
E Samedi 10. de ce mois , les Comé- ,
Ldiens François donnerent la premiere
Représentation de la Comédie de l'Effet
de la Prévention , en un Acte , en Prose ,.
avec un Divertissement à la fin . Elle n'a
pas été rejoüée.
Lc
340 MERCURE DE FRANCE.
Le 13. ils représenterent à la Cour la
Tragédie d'Ariane et la petite Comédie
du Balet Extravagant. La Dlle La Traverse
joüa le principal Rôle dans la Tragédie ,
et y fut fort applaudie , ainsi que dans
celui de Roxane , dans Bajazet qu'on joiia
le 20. Cette Actrice , petite- fille du feu
sieur Baron , a été reçue sur le pied de
demi-part.
Les mêmes Comédiens joüerent aussi à
la Cour le 15. la Comédie du Médisant
et leMariage forcé. Le 22. la Devineresse , et
le 27. Mědée et le Bon Soldat.
On continue toujours la Tragédie d'Amasis
, dont on a déja donné 16. Représentations
, et le Public ne se lasse pas de
la voir et de l'applaudir . Cette Piéce est
de M. de la Grange ; nous en avons déja
parlé , mais nous nous sommes trompés
en disant que c'étoit sa seconde Tragédie,
c'est la cinquième des huit que nous connoissons
de ce Poëte , qui sont :
Adherbal ,
Oreste et Pilade ,
Meleagre ,
Athenaïs
Amasis ,
Alceste ,
Ino et Melicerte ,
Sophonisbe, qui n'a point été imprimée.
On
FEVRIER . 1731. 341
que
On peut en ajoûter une neuvième du
même Auteur , sous le titre d'Erigone
les Comédiens ont lûë & reçûë depuis
quelques jours et qu'on met au- dessus
d'Amasis pour la diction & pour l'interêt.
Nous en rendrons compte quand on
la jouëra .
>
La Piéce nouvelle d'Alcibiade , en vers
et en trois Actes , fut représentée le Samedi
23 de ce mois , et tres- applaudie du
public.Elle est fort bien écrite et fort bien
representée. Nous en parlerons plus aų
long.
L'Académie Royale de Musique continue
toujours,avec un tres- grand concours,
l'Opéra de Phaeton . On a changé la disposition
de quelques Rôles, et on les trouve
plus avantageusement remplis ; celui
de Climene est joué par la Dlle Herremans,
et celui de Théone , par la De Pélissier
dont on connoît les grands talens pour
le goût du chant et l'action théatrale.
L'interêt qu'elle a sçu mettre dans ce Rôle
, augmente beaucoup le nombre de ses
partisans. La Dlle le Maure , dont la voix
est si admirable , joue toujours le Rôle
de Lybie et la De Petitpas , celui
d'Astrée.
On donna les deux derniers jours de
Carnaval, le Balet du Carnaval et de laFolie,
avec
242 MERCURE DE FRANCE
avec les Divertissemens du Cariselli et de
Pourseaugnac , de M. Lully. Pieces tresconvenables
au tems qu'on les a données,
et dans lesquelles le sieur Tribou met au
tant de vivacité que de gayeté.
Le 7 Janvier , on representa à Naples ;
le nouvel Opéra, d'Arthemise , qui eut
beaucoup de succès .
On a representé à Venise , sur le Theatre
de Saint Ange , le nouvel Opera du
Triomphe de la Constance ; et sur celui de
S. Jean Chrisostome, celui de Sireé, Roy
de Perse.
Le 14 , les Comédiens Italiens donnerent
la premiere Représentation d'une
Piece nouvelle, en Prose et en trois Actes,
qui a pour titre : Lafausse Inconstance , qui n'a pas été goutée
du public
.
Le 15. les mêmes Comédiens représenterent
à la Cour le Jeu de l'Amour et du
Hazard , et Arlequin Hulla.
Le 17.Le Naufrage , et Bolus, Parodie de
la nouvelle Tragedie de Brutus, qu'ils donnerent
pour la premiere fois , et dont
les Sieurs Dominique et Romagnesi sont
les Auteurs .
La Scene est dans l'Ecole de Medecine.
Les Medecins y sont assemblez : Bolus
leur addresse la parole , en commençant
par ces vers : IllusFEVRIER.
1731. 343
Illustres Médecins , dont les divines Loix ,
Disposent du salut des Peuples et des Rois.
Notre ennemi , continue - t - il , commence
à nous connoître , et Tufquin nous
envoye un Frater pour traiter avec nous.
La Sonde , député des Chirurgiens , s'avance ;
Comme un Ambassadeur , il demande Audiance.
Il est dans l'Anti-Chambre à croquer le marmot
,.
Voulez-vous lui parler , ou ne lui dire mot ?
Coclicola répond que puisqu'il se porte
bien , il ne faut point l'entendre .
Tel est mon sentiment , et notre auguste corps ;
Ne voit ses ennemis que malades ou morts.
La cure que votre fils a faite , ajoute-t - il , ap.
prend à ces mutins ,
Qu'ils doivent se restraindre au travail de leurs
mains.
Cependant entraînez par d'extrêmes licences ,
Ils saignoient malgré nous , faisoient des or
donnances.
Enfin il conclut qu'il ne faut point lui
parler ; mais Bolus n'est pas du même
sentiment , et continue ainsi :
La
$ 44 MERCURE DE FRANCE.
La Sonde croit peut-être aux enfans d'Hypocrate
,
Inspirer la pitié , mais en vain il s'en flate ;
Nous avons tous juré de n'en jamais avoir.
Docteurs , c'est pour cela qu'il le faut recévoir.
Qu'il vienne contempler nos superbes Hermines,
Et qu'il tremble à l'aspect de nos augustes mines.
Coclicola approuve l'avis de Bolus , et
ordonne aux Bedeaux d'introduire la Sonde
, par ces deux vers :
Bedeaux , qu'on l'introduise , et par trois révé
rences ,
Qu'il marque le respect qu'il doit à nos presen
ces
La Sonde , Gascon , accompagné par
les Bédéaux , entre avec Syrop , se place
surun Tabouret , et commence ainsi :
Sçavante Faculté , qu'il m'est doux d'être admis
,
Dans ce Cercle fameux de sages ennemis !
Il vient , dit - il , de la part de Tusquin
pour leur offrir la paix ; par où , continue-
t-il.
Mon Maître Tusquin , a- t-il merité
cette fureur extrême ; et qui peut le dépoüiller
de ses droits ?
Luiz
FEVRIER . 1731 .
345.
Lui-même , répond Bolus.
S'il ne s'en fut tenu qu'à l'opération ,
Il n'auroit point perdu notre protection.
La Sonde.
Orgueilleux Medecins , qu'elle est votre manie
N'ose-t-on s'affranchir de votre tyrannie ?
Un malade à nos soins , n'ose-t-il recourir ?
N'est- il permis qu'à vous de le faire mourir a
Bolus.
Ouy-, nous faisons valoir les droits de nos an
cêtres ,
Et vos pareils sont nez pour servir sous des
Maîtres .
Voicy le serment que fait Bolus , et
qu'il adresse à Esculape.
L
Si jamais parmi nous il se trouvoit un traître ;
Qui regretta Tusquin , qui pût le reconnoître ,
Que le perfide meure au milieu des tourmens .
Et que son corps privé de nos médicamens ,
Languisse sans secours, et qu'au lieu d'Emétique,
De la Pierre infernale , on lui fasse un Topique.
t
Tous les Medecins se levent et jurent
sur un grand Livre;ce qui oblige la Sonde
de faire cet autre serment.
G Et
346 MERCURE DE FRANCE
Et moi sur ces Lancettes ,
Instrumens bien plus sûrs , sandis , que vos re
cettes ,
Je vous jure la guerre , au nom du grand Tusquin
,
Comme vous la jurez à tout le genre humain,
13
Bolus finit la Scene déliberative par ces
vers.:
Allons , plus longs discours rendroient la Scene
fade ;
lieu , vous avez fait une belle ambassade !
yous , Docteurs , suivez - moi , c'en est assez ♦
partons :
S'addressant à la Sonde.
Vous devriez sortir , et c'est nous qui sortons.
La Sonde reste avec Syrop , il lui demande
si Massacra osera venir chez Bolus
, et le prie de lui en faire le portrait,
Syrop après avoir exposé son mauvais caractere
, finit par ces vers :
Incrédule à la fois , et sur la Pharmacie
Et sur la Médecine , et sur la Chirurgie ;
Il les détruit , les sert sans aucun fondement ,
C'est un Pirrhonien anté sur un Normant,
Massacra arrive ; la Sonde lui dit qu'il
a pû sien gagner sur l'esprit des Médedecins
;
FEVRIER. 1731
347
decins la Sonde lui demande s'il connoît
quelqu'un qui voulut servir Tusquin , et
conspirer contre les Médecins. Massacra
répond que peu sont de cet avis .
Les esprits prévenus
Des Médecins encor ne sont pas revenus.
Il en est cependant dont la masle constance ,
Brave des Médecins la frivole assistance ,
Et meurent en Héros sans attendre leurs coups
Comptez sur leur appui , ces gens- là sont à vous.
De quel oeil , ajoute la Sonde , Tutie
voit- il l'injustice que les Médecins lui
font , en lui refusant le Bonnet de Docteur;
il est , répond Massacra , tout plein
de cette injure , et adore Tutie , la fille de
Tusquin. Que ne me le disiez -vous d'abord
, répond la Sonde , vous auriez épargné
des Portraits inutiles. Il envoye Syrop
versTusquin, et ils entrent tous deux chez
Tutie, pour tâcher de s'éclaircir et pour
pénétrer les secrets de son coeur.
Tutie apprend à Claudine sa suivante ,
qu'elle va bien-tôt partir , et que son pere
l'a fait revenir pourlui donner un Epoux.
A la sixième Scene , Tetu entre ; Tutie
veut le fuir , mais elle ne peut s'y résoudre.
Puis-je esperer , lui dit Tetu , que vous
recevrez sans colere l'ennemi de M. votr
Gij pere ;
348 MERCURE DE FRANCE
pere ; vous allez partir , je viens vous dire
adien.
Un grand Operateur deviendra votre Epoux ;
C'est le seul Charlatan dont mon coeur soit jaloux
,
Le seul dans l'Univers digne de mon envie,
Tutie.
Cache bien ton amour , malheureuse Tutie !
Sortons , où suis- je ?
Tetu.
Helas , où vais-je m'emporter a
Vous partez , et je viens ici vous en conter !
J'ai perdu l'heureux tems où je devois vous faire
Un aveu qui devient aujourd'hui temeraire.
Avant tout ce procès , imbécile Tetu ,
Tu ne lui disois rien ; à quoi t'amusois-tu ? &c .
Tutie.
Vous attendiez , Monsieur , pour me parler d'amour
Que de mon hymenée on eut marqué le jour.
Elle s'en va,cn lui disant qu'il manque
de respect à son futur Epoux . Tetu reste
desesperé.
Massacra arrive , qui le voyant dans
l'agitation , lui dit qu'il connoît aisément
la cause de son chagrin. L'injuste Faculté
vous refuse le grand nom de Docteur ,
parce-
་
FEVRIER. 1731. 349
parceque vous n'avez pas l'âge , et c'est ,
sans doute , ce refus injurieux qui fait naî
trevotre desespoir.
Ah ! ce n'est pas , répond Tetu , ce qui
me désole le plus , c'est la perte
de Tutie que
l'on m'enleve , et pour qui on a choisi un
Epoux. Ma foi , lui dit Massacra , sij'étois
en votre place j'épouserois Tutie , malgré
les Medecins qui s'y opposent.
Jeser virois Tusquin , même tout au plutôt.
Tetu.
Que dis-tu ? ce conseil est d'un fieffé maraut.
Vous ignorez aparemment , reprend
Massacra , que votre frere est déjà dans
notre parti.
Tutie.
A trahir son devoir il auroit consenti !
Mais la Soude paroît ; adieu , je me retire ,
Autre fripon , qui vient encor pour me séduire :
Evitons les discours d'un fourbe mal adroit
Passons à l'interêt , si tant est qu'il en soit.
>
La Sonde présente une Lettre à Tutie
de la part de Tusquin . N'est- ce point une
attrape , dit Tutie : voici ce que contient
sa lettre
Je ne veux point troubler les jours de votre vie,
G iij
Si
350 MERCURE DE FRANCE
Si vous aimez Tetu , j'en ferai votre Epoux ;
Mais à condition que de la Chirurgie
Il soutienne les droits , et s'unisse avec nous.
Tutie reste avec Claudine , et lui dit
avec empressement d'aller chercher Tetu
, qu'elle veut absolument lui parler.
Claudine rentre ; Tutie reste , et dit les
mêmes Vers qui sont dans la Tragédie .
Toi que je puis aimer , quand pourrai- je t'apprendre
Ce changement du sort où nous n'osions préten
dre !
Quand pourrai-je avec toi , libre dans mes transports
,
T'entendre , t'adorer , te parler sans remords ...
Mettons dans nos discours un peu de modestie ,
Ils ne peuvent passer que dans la Tragédie ,.
Qu'importe , puisqu'enfin ce sont ses propres
mots ;
Je fais la délicate ici mal à propos.
Tetu entre avec précipitation , et com
mence par ces Vers d'Oreste à Hermione ,
qui sont à peu près les mêmes dans la
Tragédie de Brutus .
Ah! Madame , est - il vrai qu'une fois
Je puisse en vous cherchant obéir à vos loix ?
Avez- vous,en effet , souhaité ma personne ¡
Tutie.
FEVRIER.
1731. 3fr
+
Tutie.
Vous me prenez sans doute , ici pour Her
mione ,
,
Et pour parler ainsi que vous vous exprimez.
Hé bien :
Tetu.
Tutie.
Je veux sçavoir , Seigneur , si vous m'aimez.
Tout vous en assure , lui répond tendrement
Tetu , mon sort est en vos mains.
Le mien dépend de vous , réprend Tutie :
Par cet heureux billet nos maux sont appaisés,
Seigneur , sçavez - vous lire ?
Tetu.
Oui , Madame.
Tutie.
Lisez.
Tetu prend la Lettre , et en la lisant
change de visage : vous trouvez -vous mal ,
s'écrie Tutie :
Tetu.
Non , je me porte bien :
Et puis vous épouser ; mais je n'en ferai rien.
G iiij
Tutie.
352 MERCURE DE FRANCE
Tutie .
D'un autre que de vous je serai donc la femme >
Et je vais epouser ...
Tetu.
Non , s'il vous plaît , Madame ;
Et je mourrai plutôt qu'un autre ait votre foi.
Tutie.
Que prétendez -vous donc , Monsieur , faire de
moi?
Je veux , répond Tetu , que vous deveniez
la fille de Bolus. Non , si tu veux
m'obtenir pour ta femme , ajoûte Tutie ,
il faut que tu te déclares en faveur de
Tusquin , ou tu me vas voir expirer à tes
yeux. Ah ! pour le coup ,
c'en est trop
me voilà rendu , réplique Tetu ,
Je ne le cache point , ce noir projet me choque:
La vertu le deffend ; mais mon amour s'en mocque.
Tutie sort ; Tetu reste , et ordonne
qu'on fasse venir Massacra , qui arrive sur
le champ. Tetu le prie de servir la fureur
d'un malheureux Amant : j'ai tout prévû,
répond Massacra , j'ai fait une cabale dans
un Cabaret qu'on nomme la Porte Royale :
Tusquin nous y attend , ne perdons point
des momen's précieux. Lors qu'ils veulent.
partir
FEVRIER. 1731. 3.5.3
partir , Bolus arrive ; il dit à son fils de
se préparer à guerir un malade en danger
, qui loge à la Porte Royale , que certain
Chirurgien doit traiter cette nuit :
ravis lui , continuë- t'il , cet avantage.
En un mot , qu'il guerisse ou qu'il perde la vie;
Quoiqu'il puisse arriver , tu feras mon envie.
;
Tetu ne peut cacher son trouble ; dans
le moment arrive Coclicola , qui prie
Bolus de les faire retirer . Tetu sort avec
Massacra Coclicola apprend à Bolus que
de rebelles enfans de la Faculté conspirent
;aussi-tôt on vient dire à Bolus qu'un
Apoticaire le demande ; Bolus renvoye
Coclicola , et le charge de s'informer des
Conjurés et de venir incessament l'en
éclaircir.
>
Scene 18. M. Fleurant vient , et dit à
Bolus :
Enfin j'ai découvert cette ligue fatale
Ils étoient rassemblés à la Porte Royale :
J'ai conduit avec moi vos fideles bedeaux
Qui portoient des bâtons en guise de faisceaux.
Fapperçois Massacrá , mon zele me transporte
Je le fais entourer soudain par mon escorte
Ne pouvant plus cacher sa noire trahison ,
Il fouille dans sa poche , il en tire un poison ,
Poison qu'à vous , Docteurs , il destinoit peut -être
་ ་ EF
354 MERCURE DE FRANCE.
Et meurt en Medecin , quoiqu'indigne de l'être.
Ah ! quand nous connoîtrons les Auteurs
de cette sédition , il faudra , die
Bolus , les en punir , selon notre serment;
puis s'adressant à Fleurant.
O toi , dont l'ignorance et l'aveugle Destin ,
Au lieu d'un Clistorel , dût faire un Medecin ,
Sois-le , prens ce Bonnet , que ta tête le porte,
Fleurant.
Je ne sçais pas un mot de Latin.
Bolus.
Et qu'importe ?
Coclicola vient avec empressement
présenter des Tablettes à Bolus , où les
noms des conjurez sont écrits . Il lit le
nom de Viperinus , son fils ; ensuite celui
de Tetu ; il témoigne sa douleur et
dit ensuite que cela ne peut être ; bon
répond Coclicola , il est sur la Liste que
Rhubarbus a trouvée chez Massacra ; čela
ne prouve rien , répond Bolus , on peut
par malice avoir écrit son nom ; écoutez
Pautre indice , dit Coclicola.
Sans armes on l'a vû seul qui se promenoit ,
Et qui ne parloit point , le fait est clair et net .
Voilà une plaisante preuve , dit Bolus ;
et
FEVRIER. 1731. 355
et Tutie , qu'est-elle devenue ? Voulezvous
, répond Coclicola , qu'elle vienne
se tuer ici , ou que je vous fasse un récit
de sa mort ; ni l'un ni l'autre , lui dit
Bolus ; mais faites venir mon fils , je veux
l'interroger. Puis s'adressant aux Medecins
, Messieurs , il n'est pas nécessaire
que vous soyez presens à ce que je vais
faire ici.
Adieu , retirez-vous , vos rôles sont remplis ,
Je vous suis obligé de tous vos bons avis.
Bolus reste seul , Coclicola rentre ,, après
avoir annoncé à Bolus que la volonté des
Medecins est qu'il prononce sur son fils ;
ils me font bien de l'honneur , reprend
Bolus ; cependant je doute de son crime ;
tous les conjurez l'accusent , ajoûte Coclicolas
cependant quand on l'a pris , il
étoit desarmé , et ne songeoit à rien , dit
Bolus , je le crois innocent ; cela pouroit
bien être , répond Coclicola , mais le voici
lui - même .
Tetu veut se jetter aux genoux
de son
pere , mais il l'arrête. Tu devrois , lui
dit-il , traiter cette nuit avec Tusquin ,
qu'avois-tu résolu ? je n'ai résolu rien , répond
Tétu .
Bolus.
Un tel discours renferme un sens impenetrable ,
G vj n'ayant
38 MERCURE DE FRANCE
N'ayant résolu rien , tu n'es donc pas coupable.
Si je n'ai plus de fils , tu n'es pas innocent ?
Ergo , ... ceci pour moi devient embarrassant.
Hé bien , voici le fait , répond Tétu ;
Massacra et la Sonde , par leurs mauvais
discours , secondant les transports de Tu
tie, m'ont débauché pour un seul moment.
Disposez de ma vie ;
A de vains préjugez Tétu la sacrific.
Honorez-moi , continuë t'il , de vos em
brassemens.
Bolus.
Pour te les refuser , serois - je assez barbare ...
Qu'on mene de ce pas mon fils à saint Lazare.
Bolus , seul.
Ah !puisqu'on me dictoit un Arrêt si cruel ,
On devoit rendre , au moins , mon fils plus cri
minel.
Coclicola s'avance , Bolus lui dit qu'on
ne voit que lui , et lui demande s'il vient
de la part des Medecins pour le complimenter
? Non , reprend-il , c'est pour
vous garroter,
La sage Faculté , pour de bonnes raisons ,
Yous envoye à l'instant aux petites Maisons.
Bolus.
FEVRIER. 1731. 35T
Bolus
Aux petites Maisons !
Rendons
Coclicola.
Oui , vous dis -je , et pour cause.
Bolus,
graces aux Dieux !
Coclicola.
C'est bien prendre la chose.
Le 22. les mêmes Comédiens donnerent
la premiere Représentation d'Arlequin
Phaeton , Piece en un Acte , mêlée
de Vaudevilles et de Divertissemens; c'est
la Parodie de l'Opera qu'on joue actuel
lement , composée par les S" Dominique
et Romagnesi , dont on parlera plus au
long , ayant été reçue très favorablement
du Public.
Le 3 Février , l'Ouverture de la Foire S. Ger
main fut faite par le Lieutenant General de Police
, en la maniere accoûtumée.
Le même jour , l'Opera Comique fit aussi
P'ouverture de son Théatre , rue de Bussy , par
une Piece nouvelle en trois Actes , composée de
Chants et de Danses , qui a pour titre l'Escla
vage de Psiché , dont voici un petit Extrait.
Au premier Acte , l'Amour seul ouvre la Scene
et se plaint des maux causez par la curiosité de
Psyché
358 MERCURE DE FRANCE
Psiché, et de ce qu'elle est tombée entre les mains
de Venus ; qu'il ne sçait quel traitement elle reçoit
de la Déesse , mais qu'il en sera bien-tôt
me- éclairci par l'ordre qu'il a donné à Pierrot ,
tamorphosé en Zéphire , pour s'informer de ce
qui se passe.
Egle , Confidente de Venus , vient apprendre à
l'Amour que Venus est fort irritée de son Mariage
clandestin , et que la Déesse traite Psiché
avec la derniere rigueur ; P'Amour est penetré de
douleur à cette nouvelle , il dit qu'il est prêt d'oublier
tout ce qu'il doit à sa mère, et qu'elle verra
bien - tôt que son fils est son Maître. Eglé engage
l'Amour à secourir Psyché , et lui conseille de
prendre le parti de la douceur.
Zéphire promet à son Maître de' mettre tout
en usage pour le servir et pour délivrer Psyché
des mauvais traitemens qu'elle reçoit. Eglé demande
à Zéphire si Flore est contente de le voir
dans cet équipage , à quoi Zéphire répond qu'elle
en a été charmée .
Eglé apprend encore à l'Amour que Venus doit
envoyerPsyché à la Fontaine de Jouvence pour lui
en apporter
de l'eau ; mais que comme cette Fontaine
est gardée par un Monstre horrible , elle ne
lui a donné cette commission que pour la faire
périr .
L'Amour voyant le danger où sa chere Psyché
va être exposée , prend le parti de se métamorphoser
lui-même pour la garentir , Zéphire lui
dit qu'il peut prendre relle figure qu'il lui plaira
à l'exemple de son Grand Papa Jupiter , et charte
sur l'Air des Fraises
Pour Europe et pour Leda ,
Soe Amourfut sans bornes ,
Carpour l'une il s'empluma ,
Et
FEVRIER. 1731. 359
Et pour l'autre il emprunta ,
Des cornes , des cornes , des cornes .
Le Théatre change et représente la Fontaine
de Jouvence.
Psyché paroît seule plus touchée de se voir séparée
de son cher Epoux , que du danger où elle
va s'exposer ; elle se met en devoir de s'acquiter
de sa commission ; un Choeur se fait entendre ,
qui lui annoncé qu'elle va périr si elle avance .
Elle approche cependant de la Fontaine ; aspect
du Monstre la fait tomber évanouie sur un gason.
L'Amour et Zéphire paroissent travestis en Musiciens
, Zéphire joue un Menuet Italien qui endort
le Monstre , après quoi l'Amour fait remplir
le vase que Psyché a apporté , et le laisse à
ses pieds. Psyché revenuë de sa frayeur , est fort
étonnée de voir les ordres de Venus executez sans
sçavoir à qui elle est redevable de ce secours.
Elle se retire .
Venus paroît au milieu de sa Cour,dans une profonde
rêverie ; les Graces tâchent de la dissiper et
vantent ses charmes . On annonce le retour de Psyché
qui présente ce Vase rempli d'eau à Venus qui
en est très-étonnée . Elle charge encore Psyché d'une
commiffion qui n'est pas moins difficile. Elle
lui ordonne de concilier une Troupe de Comédiens,
et de chasser la discorde qui regne ordinairement
dans leurs Assemblées: Les Comédiens
paroissent , disputent avec animosité , se querelÎent
sur une distribution de Rôles ; Psychẻ tâche
en vain de les racommoder, et se retire ;
en même
tems un petit Amour paroît en l'air , secouë son
flambeau , aussi – tôt la dispute des Comediens
cesse , et ils sont d'accord
-
Zéphire apprend à Eglé, au second Acte, comment
Psyché a été secourue par l'Amour sous la
figure
360 MERCURE DE FRANCE
figure d'un Berger , contre la fureur des Beliers
du Soleil , ausquels elle vient d'être exposée par
un nouvel ordre de Venus , sous prétexte d'avoir
de leur Toison pour faire une Robbe ; Eglé confeille
à Psyché d'aller porter ce present à la Reine
de Cythere pour la calmer.
Venus irritée de plus en plus contre Psyché
l'expose encore à une nouvelle épreuve . Elle lui
ordonne d'engager à restitution un fameux Usurier
, qui par un Acte falsifié a ruiné une famille
orpheline , et la menace d'une mort certaine si
elle n'en vient pas à bout.L'Amour et Zéphire, en
Robbes , arrivent , et proposent d'accommoder
cette affaire , Zéphire dit à l'Usurier que tôt ou
tard il faut se rendre à l'Arbitre que voilà ( montrant
l'Amour , ) l'Usurier rend le bien qu'il a injustement
acquis , et épouse une fille de la famille
orpheline.
Psyché dit à l'Amour qu'elle lui a trop
d'obli
gation pour ne pas le prier de ne la pas quitter
si - tôt , &c. Venus paroît , qui entend qu'on ne
parle pas d'elle avantageusement . Elle ordonne à
Psyché de se retirer . Zéphire dit à l'Amour que
Venus ne les reconnoît point , et qu'il faut tenir
bon; Vénus continuë de plaisanter avec eux , et leur
sçait bon gré , dit-elle , de s'interesser pour Psyché
, que cependant,afin qu'elle ne soit plus à portée
d'être secouruë , elle va la faire partir pour les
Enfers.
L'Amour accablé de douleur dit qu'il n'est pas
permis aux Dieux de descendre au Royaume som
Bre, et qu'il n'est plus à portée de secourir sa chere
Psyché , il ordonna à Zéphire de rassembler
tous les Zéphirs , afin qu'ils puissent transporter
dans un instant et sans danger Psyché fur les Rives
infernales , Zéphire obéit à cet ordre ; l'Aour
fait une invocation aux Dieux et se retire..
Le
FEVRIER. 1731. 361
Le Théatre représente le Palais de Pluton , on
vient annoncer à ce Dieu l'arrivée d'une Mortelle
dans son Empire. Psyché lui remet une Lettre de
la part de Venus , par laquelle elle le prie de lui
envoyer une Boëte remplie du fard de Porserpine.
Pluton ordonne à ses Sujets de rompre le si
lence, et de celebrer la presence de Psyché par un
Divertissement , après lequel il remet la Boëte à
Psyché , et la renvoye ; il chante sur l'Air la
Curiosité.
Les Dieux vous ont donné plus que toute autre
femme.
La beauté.
Au doux tyran des coeurs , vous causez de la
flâme ,
La rareté !
Pourjouir de ces biens , banissez de votre ame ,
La curiosité.
Le Théatre représente au troisiéme Acte une
Forêt , et dans le fond l'Antre d'Averne.
Apeine Psyché est -elle sortie des Enfers , qu'el
Te est tentée d'ouvrir la Boëte ; les deffenses que
Pluton lui a faites d'y regarder , lui font croire
qu'elle renferme un fard précieux ; elle espere par
ce moyen rétablir ses charmes alterez par le
voyage, elle se met à l'écart crainte d'être apperçue.
L'Amour et Zéphire arrivent en habits de
Chasseurs , ils cherchent Psyché de tous côtez , er
pendant qu'ils s'entretiennent d'elle , ils entendent
une voix plaintive; ils prêtent l'oreille tandis que
Psyché , pâle et défigurée , dit qu'en ouvrant la
Boëte une vapeur lui a offusqué les yeux , que
tout a disparu, et qu'elle n'y a trouvé qu'un Bilfet
qu'elle lit.
Psyche
362 MERCURE DE FRANCE
Psiché , tu n'as plus de beauté ;
Ta vaine curiosité ,
Vient de la faire disparoître 5
Ton visage est affreux , et telle est ta laideur
Que ceuxdont le secours soulageoit ta douleur,
Ne pourront plus te reconnoître.
-
Psyché déplore son malheur , s'accuse elle
même, et dit que les Dieux ne la traitent pas encore
comme elle mérite. L'Amour surpris d'entendre
parler de Psyché â une personne qu'il croit
étrangere , l'aborde dans le dessein d'apprendre
de ses nouvelles ; Psyché 1appelle en peu de mots
tous ses ma.heurs , dont le plus grand est celui
d'avoir ouvert une Boëte qui lui a fait perdre
tous ses charmes. A ce portrait , dit-elle , et aux
pleurs qui coulent de mes yeux , ne reconnoissez-
vous pas cette malheureuse Psyché. L'Amour
saisi d'éteonnement et de tendresse , se fait
connoître et dit à sa chere Psyché , que c'est lui
qui a causé tous ses maux ; mais qu'elle ne doit
point s'allarmer , que sa beauté lui sera renduë
puisqu'il va remonter aux Cieux ; Psyché veut
P'en empêcher , et dit qu'il vaudroit mieux faire
un dernier effort pour toucher Venus. Zéphire
est d'avis d'implorer l'assistance de Cybelle pour
fléchir Vénus . L'Amour prend ce parti et ordonne
à Zéphire de conduire Psyché à Cythere . En
cet endroit le Théatre change et représente les
Jardins de Vénus.
Eglé et une autre Nimphe se plaignent de la
tristesse qui regne dans la Cour de Venus depuis
la division de la Mere et du Fils . Vénus , arrive
qui une foule de mécontens fait les mêmes reproches
, Cybelle , qui survient , se joint à eux et
chante sur l'Air : Ce beau jour ne permet que
l'Aurore , de l'Opera de Phaeton.
FEVRIER . 1731 . 363
Recevez en ces lieux de Cybelle ,
La visite et quelques avis ,
Au sujet de l'Amour votre Fils.
Quelle triste nouvelle ! .
Quels maux ! quels ennuis !
Quelle haine mortelle ,
Dans tous les esprits ;
L'Amour plaît , il est la douceur même ,
Ce Dieu charmant nous enchante tous ;
Lorsque chacun l'aime ,
Le haïrez-vous ?
Venus.
Se peut- il, sage immortelle ,
En verité ,
Que mon Fils rebelle ,
Ait mérité ,
Tant de bonté.
Cybelle.
Du destin des Mortels il dispose ,
Quand je le sers >
Je soutiens la cause ,
De tout l'univers.
L'Amour vient se jetter aux pieds de Vénus
et tâche de la fléchir par des sentimens de soumission
et de tendresse . Venus lui répond et
chante sur l'Air : Quand on a prononcé ce malheureux
ani.
Hous
364 MERCURE DE FRANCE
Vous avez pris plaisir à braver votre Meře ,
Et vous avez détruit tout ce que j'ai sçu fairez
Voyons à cette fois si vous l'emporterez i
Si contre mes desseins vous vous déclarerez.
Voilà , continue Venus , le supplice que j'ai
réservé à votre Amante. Psyché paroît en même-
temps au fond du Théatre dans un lieu enchanté
, environnée des Graces , des Ris et des
Jeux, qui forment le Divertissement , pour celebrer
l'Hymen de l'Amour et de Psyché , après
lequel , Zéphire , qui a suivi Cybelle aux Cieux,
arrive et apporte pour present de Nôces un Brevet
de Déesse et une promesse de la part des
Dieux que la volupté naîtra de Psyché .
L
VAUDEVILLE.
Amour m'a rendu la maîtresse
D'un Plumet rempli d'ardeur ,
Avant de payer sa tendresse ,
Consulte-toi bien , mon coeur ,
Il est galant, attentif à complaire ;
Plaire ,
Est son unique objet ;
Mais rarement on voit un Mousquetaire ,
Taire ,
Les faveurs qu'on lui fait.
Le 12. on donna une autre petite Piece d'un
Acte à la suite de la premiere , intitulée la Fausse
Ridicule , qui fut reçue très favorablement du Public
, et dont nous parlerons plus au long.
Le
FEVRIER. 1731. 365
Le 20. on donna à la place de l'Esclavage de
Pfyché une Piece nouvelle qui a pour titre Cydippe
, précedée d'un Prologue , avec un Divertissement.
On doit construire incessamment une Salle et
un Theatre dans l'Enceinte et sous le couvert de
la Foire S. Germain , pour les Spectacles qui en
dépendent : voici ce qui donne lieu à cet établissement
, autorisé par un Arrêt du Conseil.
Les anciens Sindics er en charge de tous les
Proprietaires des Loges situées dans l'enclos et
sous le couvert de la Foire S. Germain des Prez ,
ayant présenté une Requête au Roy dès l'année
derniere , contenant qu'ils ont remarqué que depuis
que les Loges des Spectacles établis dans le
Preau de ladite Foire ont été démolies , la plûpart
de celles du dedans , tenues par des Marchands
, ont cessé d'être louées , ou ne l'ont été
qu'à très-bas prix ; et que même lors de la derniere
Foire plusieurs Marchands ont préferé de
fermer celles qu'ils y avoient loüées au hazard
de ne point vendre , ni recevoir dequoy se rembourser
de leurs frais ; lesdits Proprietaires à qui
ces Loges tiennent lieu d'un Patrimoine considerable
, ou qui les ont reçues en dot sur la foy
des Privileges de Foire , ont la douleur depuis
quelques années de voir cette portion de leur
subsistance diminuer à chaque Foire ; ce qui les
a obligés à convoquer une assemblée de tous les
Proprietaires , pour aviser aux moyens de remettre
leurs Loges en quelque valeur , et ils ont
crû que le seul expédient , pour prévenir leur
ruine totale , étoit de faire construire une Salle de
Theatre dans l'Enceinte et sous le couvert de la
Foire , ce qui procurera l'agrément et la commodité
du Public , qui depuis quelques années.
cat
1
1
265 MERCURE DE FRANCE.
est obligé d'aller de ladite Foire à des rues éloi
gnées pour assister aux Spectacles qui en dépendent
; ainsi les Marchands pourront trouver dans
la frequentation de la Foire , devenue pour lors
un lieu de Spectacle et de promenade tout en
semble , le debit certain de leurs marchandises
et les Proprietaires rentreront par là dans la
jouissance d'un revenu dont la privation les a
fort incommodés , etc. Sur quoy
LE ROI a homologué , approuvé et autorisé
la déliberation desdits Proprietaires de ladite
Foire , et a permis par Arrest de son Conseil du
25 Novembre dernier l'établissement d'une Salle
de Spectacles dans l'Enceinte et entre les deux
Halles couvertes de ladite Foire , dans les rues
et endroits designés par ladite deliberation ,
nomme le Lieutenant General de Police Com →
missaire en cette partie , en cas de contestations
empêchemens et oppositions , à l'occasion dudit
Etablissement , etc.
et
NOUVELLES ETRANGERES.
ON
TURQUIE ET PERSE.
N a appris par Moscou que le Roy de Perse
avoit envoyé à Ispaham 2000. prisonniers
avec plusieurs pieces d'artillerie prises sur
les Turcs dans la derniere bataille qui a été
donnée du côté de Tauris ; et que ce Prince ne
vouloit écouter les propositions d'accommodement
qui lui ont été faites de la part du nouveau
Sultan , qu'à condition que pour Prélimimaires
de la Paix , les Turcs lui restitueront les
ConFEVRIER
. 173.1.1 367
Conquêtes qu'ils ont faites pendant la derniere
revolution , et lui payeront 30 millions de Roupies
en forme de dédommagement des pertes
qu'ont souffertes les differentes Provinces de la
Perse pendant la guerre,
Les Lettres de Derbent portent , qu'un Deta→
chement de l'armée du Roy de Perse avoit attaqué
le secours que le Bacha du Grand Caire envoyoit
à Bagdad , suivant les ordres du Sultan
déposé , et que les Persans avoient fait un butin
de près d'un million de Ducats.
Quelques Lettres de Constantinople du mois
de Decembre portent qu'Ali surnommé Patrona,
Chef et auteur de la revolution , peu content des
recompenses qu'il avoit reçues du Gr. S. et continuant
de demander avec hauteur les principales
Charges pour sa famille , ou pour ses adherans ,
S. H. avoit pris la resolution de se défaire de cet
importun , mais avec les précautions necessaires
pour prévenir une nouvelle revolution ; que lè
30 de Decembre Cianum Coggia , Capitan Pacha
, avoit eu ordre d'assembler les plus mutins
des Genteniers ou Commandans des bandes des
Jannissaires , qui avoient eu part à la derniere
revolte , et de feindre qu'on vouloit prendre leurs
avis pour décider de la Paix ou de la Guerre,
Après que le Capitan Pacha eut tenu avec 36 de
ces mutins une espece de Conseil , il alla avec
eux au Serrail , où il les engagea à demeurer
jusqu'à ce qu'il eut communiqué au G. S. le resultat
de leur Conference ; mais à peine se fut- il
retiré d'auprès d'eux , que 160 Jannissaires , áffectionnez
au Gouvernement , les environnerent
et les tail ! erent en pieces.
Cette punition n'empêcha pas Ali - Patrona de
demander le lendemain que le nommé Gicca ,
frere de l'Interprete de S. H , dont il avoit reçu
cent
368 MERCURE DE FRANCE
cent Bourses , fut nommé Vaivode de Valachie
à la place de Mauro Cordato. Le G. S. lui accorda
cette nouvelle grace ; mais quelques jours
après l'ayant fait arrêter avec le nouvel Aga des
Jannissaires , ces deux Rebelles furent étranglés ,
et on a trouvé chez eux près de cinq millions en
or ,qui ont été portés au Trésor du Serail.
Le G. S. ayant déposé le Kan des Tartares
tributaires de la Porte , qui avoit été mandé à
Constantinople , sous prétexte d'assister à un
Divan , S. H. a donné le Commandement des
Tartares au frere du Kan déposé , lequel étoit
relegué à Barna depuis quelques années , et le 3
du mois de Decembre dernier il reçut des mains
du G. S. un sabre garni de diamans , et un Caftan
doublé de martes Zebelines.
Le Seraskier Rusteck qui est allé en Perse
pour y negocier un Traité de Pacification , a été
fait Pacha à trois Queuës avant. que de partir .
Le Divan a resolu de demander des sommes
considerables aux Grecs et aux Juifs pour l'avenement
de S. H. au Trône.
Les mêmes Lettres marquent que le Sultan
déposé qui a été renfermé aux sept Tours avec
les Princes ses fils , y étoit traité magnifiquement,
et avec les mêmes honneurs que s'il étoit encore
sur le Trône.
On écrit de Venise , que par les Lettres reçuës
de Constantinople à la fin du mois dernier ; on
avoit apris que le Pacha Rustech,qu'on a envoyé
à Ispaliam , avec des pleins pouvoirs pour la signature
d'un Traité de Paix , avoit emporté avec
lui des présens magnifiques pour les Ministres du
Roy de Perse. Ces Lettres ajoutent que le G. S.
loin de se sur les créatures du Sultan dévanger
posé , de l'affront qui fut fait à Mustapha son
pere , lorsqu'on l'enferma aux sept Tours , employoit
FEVRIER. 1731. 359
ployoit tous ceux qui après avoir reconnu leur
faute, promettoient de le servir avec fidelité ; que
cette conduite lui attiroit tous les coeurs de ses
sujets , qui s'attendant à de grandes cruautez sous
son regne , étoient extrèmement surpris de voir
tant de modération et de clémence dans leur Sou
verain ; qu'on attribue cette douceur aux sages
conseils du nouveau Mufti qui l'a déterminé aus
si à visiter le Sultan déposé, et à le consulter sur
les affaires du Gouvernement, dont S H. ne pour
roit avoir une connoissance parfaite sans ce secours
, parce que le dernier G. V. avoit détourné
les Papiers de conséquence de ses Bureaux avant
que d'être étranglé , et que les autres Ministres
subalternes les ont brulés ou cachés depuis, que le
Sultan déposé,et le G.S. vivoient dans une bonne
intelligence,que le premier avoit la liberté de voir
les Princes ses fils , de manger et de converser
avec eux , et qu'on lui avoit rendu six de ses Sultanes
favorites.
On apprend par les mêmes Lettres qu'un hom
me de la lie du peuple , mais aussi sage et éclairé
qu'il est pauvre , avoit été choisi pour être Lieutenant
de l'Aga des Janissaires ; que S. H. ayant
approuvé ce choix , ce nouvel Officier avoit envoyé
chez tous les Ministres étrangers pour leur
donner part de son avenement, et les faire ressouvenir
de sa pauvreté;que ces Ministres lui avoient
fait,à l'envi, des présens magnifiques , que la Sulta
ne mere lui avoit envoyé 3 Turbans ,des habits et
quelques bourses remplies d'or , pour l'aider à se
mettre en équipage , et que depuis qu'il avoit pris
possession de son nouveau poste , les Janissaires
vivoient dans une parfaite discipline.
H EXTRAIT
370 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT d'une Lettre de Marseille
du 19 Février 1731. au fujet des Troubles
de Constantinople.
N
1
Os Bâtimens commencent à venir du Levant,
Le Capitaine Antoine Rolland arriva
le 16. en ce Port , chargé de 2700 charges de Ble
qu'il a pris au Volo , &c. Je l'ai questionné en
particulier sur la derniere révolution de Constan
tinople.
Notre Capitaine passa le fameux Janon- Coggia
Smirne,avec environ so personnes de sa suite , Er
en y arrivant , Coggia trouva des dépêches de
Constantinople où il étoit demandé, et où il s'est
rendu. Il a été fait de nouveau Capitan Pacha.
Quand il partit de Smirne , le Vaisseau du Capitaine
Rolland et tous les Bâtimens François le
saluerent de plusieurs coups de Canon , avec la
permission de M. le Consul, ce qui fit grand plai
sir au nouvel Amiral Turc,qui en témoigna sa reconnoissance
à notre Capitaine. Il fit distribuer
200 Piastres à l'Equipage.
Depuis , le même Capitaine ayant rencontré en
Mer , le Capitaine Fougasse de Cassis , commandant
un Pinque , lequel étoit parti de Constantinople
, le 13 Janvier. Il apprit de lui que Janon
Coggia avoit été reçu à Constantinople avec de
grandes acclamations , et que le nouveau Sultan`
avoit d'abord voulu le faire G. V. Il s'en étoit
excusé sur ce que la Marine étoit plus à sa bienseance
; qu'on avoit assemblé un grand Divan ,
dans lequel Ali Patrona , auteur de la Révolte
avoit eu l'audace de demander la femme du dernier
G. V , fille du Sultan détrôné ; surquoi Janon
Coggia lui avoit répondu avec mépris; qu'une telle
Dame n'étoit pas destinée à un homme de néant
tel
FEVRIER. 173 F. 370
tel que lui. Surquoi Patrona ayant tiré un Pistolet
de sa poche ; Coggia le prévint et lui fit sauter
la tête d'un coup de Sabre ; que peu de tems après
le même Coggia avoit fait étrangler 30 des principaux
Satellites du Révolté ; ce qui avoit fait
d'abord cesser le trouble , ajoûtant que le nouveau
Capitan Pacha continuoit de faire faire des exécutions
à l'égard de ceux qui ont été du parti des
Rebelles. Le G. S. ne fait rien que par le Conseil
de ce bon serviteur , en attendant l'arrivée de
Kupruli , Pacha du Caire , pour le faire G. V.
Ce qui fait esperer une entiere pacification et le
prompt rétablissement du commerce. Tout ce détail
a encore été confirmé au Capitaine Rolland
dans d'autres lieux où il a touché.
་
,
RELATION de la Ré volté arrivée
à Tripoly de Syrie , contre Hibraim
Pa ha Gouverneur de cette Ville le
26. Octobre 1730. etc. Ecrite par M.
le Maire , Consul de la Nation Françoise.
LBey
E Pacha ayant été informé par Mustapha
Bey son fils , qui commande à la Taquie
que les gens de la Montagne , informés de la Révolution
de Constantinople , s'étoient révoltez
contre lui , et qu'ils avoient fait main - basse sur
ceux qu'il avoit envoyés pour lever les droits dų
G. S. Le Bey voulant mettre les Païsans à la raison,
et n'ayant pas assez de Troupe à la Taquie
expedia icy à son pere un Courrier pour lui demander
du secours . Le Pacha donna aussi-tôt ses
ordres à l'Aga des Janissaires de faire marcher
200 hommes de cette milice à la Taquie , mais
les Janissaires n'ayant pas voulu marcher , le
Hij Corps
372 MERCURE DE FRANCE
Corps se souleva et entraîna avec lui beaucoup de
Soldats et de Populace . Ils al erent attaquer le
Serrail où étoit le Pacha , à grands coups de Fusil
, qui furent suivis d'une grêle de coups de pierres,
ce qui dura jusqu'à la nuit ; il n'y eut cependant
que 7 hommes de tués, de part et d'autre
et 3 de blessés .
Le lendemain 27 , les Rebelles allerent encore
attaquer le Pacha dans son Sérail ; pour les appaiser
, il promit de diminuer le prix de la viande,du
pain , du savon et generalement de toutes les denrées,
ce qui fut exécuté; mais cela ne les ayant pas
satisfais , ils ne discontinuerent point de tirer. Un
parti de quelques Janissaires se détacha de la
Troupe pour aller attaquer la Maison d'un des
principauxOfficiers du Pacha, appellé Cassen Aga,
ils la mirent au pillage , massacrerent cet Officier
'et couperent son corps par petits morceaux , avec
4 de ses domestiques qui s'étoient mis en deffense.
Ils allerent delà à la Maison d'Abdy- Aga, premier
Drogman du Pacha , qu'ils pillerent aussi ,
et étant revenus peu de temps après devant le Serrail
, ils demanderent que le Pacha fut déposé , et
voulurent l'obliger à passer dans le Château , jusques
à ce que les Ordres du G.S. fussent arrivez.
Il leur fit dire qu'il n'iroit point au Château sans
que les Puissances du Païs à leur tête , ne le forcassent
à y entrer.
La Populace lui demanda la tête d'Abdy-Aga
son Drogman pour l'avoir porté à tiranniser le
peuple. Le Pacha ayant fait quelque difficulté d'accorder
à leur demande , tous ses Officiers lui dirent
que s'il ne donnoit pas cette satisfaction aux
Rebelles , sa tête et la leur étoient dans un grand
danger. Le Pacha , à la persuasion de tout son
monde , et par la crainte de perdre la vie , fut le
premier à porter la Ganjarre ou Poignard sur l'es
tomach
FEVRIER. 1-31. 373
tomach de son Drogman. Les Soldats aussi - tôt
le percerent de mille coups et lui firent toute sorte
d'outrages. On le jetta par les Fenêtres du Serrail
et par le moyen d'une Corde passée à son col ,
il fut traîné tout nud par toutes les rues de Tripoly
et son corps jetté ensuite à la voirie.
> Le 28 le Frere du Drogman , ayant entendu
dire qu'on le ménaçoit , défit son Turban ,
n'ayant pas eu le temps de trouver une corde , et
par une Fenêtre du Château , se suspendit à ce
Turban , qui étant d'une Mousseline fine , ne put
résister ; il se rompit bras et jambes en tombant;
quelques Soldats Payant aperçu , coururent à lui
et l'acheverent à coups de Sabre.
Le Capigy qui est venu de Constantinople , de
Concert avec Sidy Ally , Cherif,un des Chefs de la
Justice, et Cader Aga, une autre Puissance, entre→
tiennent secretement la populace mutinée qui fait
une recherche exacte de tous ceux qui ont causé
des avanies par leurs mauvais conseils et qui
ont porté le Pacha à se faire partisan de toutes
sortes de inarchandises , et de denrées.
>
Le Pacha dit hier au Capigy , que si S. H. l'avoit
envoyê pour lui demander sa tête , qu'il
étoit prêt à la donner. Le Capigy lui répondit
qu'il n'avoit point cet ordre , et qu'il pouvoit
rester tranquille de ce côté-là ; mais qu'il ne répondoit
point de la mauvaise intention du peuple
, qui vouloit avoir raison de tous les Avanistes
, sans leur faire aucun quartier , et qu'on
cherchoit actuellement Abraham de Leon , Juif,
son Douanier , un des principaux ; sa maison fut
pillée hier totalement
on le chercha par
;
toute la ville pour le brûler devant la Maison
de la Justice ; mais ce Juif a pris la fuite dès le
comencement des desordres. Les Rebelles le
croyoient refugié dans quelque maison de Francs.
Hiij Les
974 MERCURE DE FRANCE
Les principales ereatures du Pacha qui se sen
toient coupables , ont aussi pris la fuite.
Il me fut rapporté par quelques Jannissaires ,
qu'on vouloit entrer dans les maisons des Fran
çois pour chercher le Juif , et qu'on viendroit .
d'abord à la Maison Consulaire pour me le demander.
t
Je fis dire au Corps des Jannissaires , qu'aucun
François se seroit bien gardé de refugier ce Juif
dans une pareille conjoncture , que c'étoit un
homme proscrit , et d'une Nation qu'on abhor→
roit depuis long- tems ; qu'ainsi il n'y avoit nulle
apparence qu'on lui eût donné azile ; que cependant
pour satisfaire la populace , si elle croyoit
absolument que ce Juif fut dans nos maisons
je me transportérois chez tous les Marchands
avec trois ou quatre personnes de leur troupe ,
pour faire la visite ; mais que si la Milice y ve
noit de force ouverte , je m'opposerois autant
qu'il seroit en mon pouvoir à cette violence , qui
pourroit avoir des suites fâcheuses pour tous les
habitans de la Ville. Cette Réponse leur fit faire
des Reflexions , et on nous laissa tranquilles.
Les Rebelles se transporterent au Makiamé ,
lieu où la Justice se rend ; ils y firent écrire un
Hoget ou Sentence pardevant le nouveau Cady ,
signé de tous les Chefs de la Justice , par lequel
il leur étoit permis de mettre à mort trois per
sonnes de consideration de la Maison du Pacha ,
par tout où ils pourroient les trouver , qui sont
P'Arby Caliby , son premier Secretaire , le Casanadac
, et Adheraman- Aga , Chef de la Justice ,
ce qui leur fut accordé sans difficulté . Ce jour
même , l'après- mid , ils massacrerent quelques
Avani ses, qu'i's traînerent ensuite tout nuds par
les rues : ces corps passerent dans notre quartier,
et nous firent horreur.
Le
FEVRIER.
1731. 375
Le 29 , le party des Rebelles ayant considerament
grossi , se présenta de nouveau devant le
Serrail , sur la nouvelle qu'ils apprirent que le
Pacha avoit demandé secretement main forte
aux deux Capitaines des Sultanes du G. S. qui
ont escorté le Convoy venu de Damiette en cette
Rade , pour se saisir de la personne de Sidy- Ally
Cherif , et de Cadec Aga , comme Chefs de la
Rebellion , pour les conduire à Constantinople ;
mais ces deux Capitaines n'en voulurent rien
faire , et chargerent le Pacha de justes reproches
sur sa mauvaise conduite envers le peuple
qu'il avoit cruellement maltraité , et tirannisé
depuis qu'il étoit dans le Gouvernement , ne
pouvant plus soutenir la misere où il l'avoit réduit
, et dont ils voyoient eux-mêmes la verité
ajoutant qu'ils trouvoient les habitans fondez
demander sa déposition.
Ces Capitaines n'eurent pas plutôt terminé
cette Conference qu'il s'atroupa près de sono,
hommes devant le Serrail , lesquels firent une
décharge de Mousqueterie , et braquerent en
même temps du canon sur l'appartement oa
étoit le Pacha. Ils tirerent cinq coups à boulets,
Ils n'étoient éloignez qu'à demy portée de pistolet
, ce qui fit une si grande breche à la muraille
qui separe le Serrail du Château , que le
Corps des Jannissaires y entra le sabre à la main,
Les Puissances s'y assemblerent à la requisition
de la populace , qui demanda que le Pacha ne se
mêlât plus duGouvernement,jusqu'à nouvel ordre
de la Porte , que Kader- Aga commanderoit pour
ce qui regarde le Commerce et la Police ; que le
Pacha retireroit les droits du G. S. et que Sidy-
Ally seroit Cady pour la Justice.
Le Bacha fut si ému de voir les seditieux si
près de lui , qu'il tomba évanoui . On le fit re-
Hiiij venir,
376 MERCURE DE FRANCE.
venir , et on le fit descendre dans une petite
Mosquée avec une échelle , pour le mettre à l'a
bry des insultes des troupes. Il fut poursuivi jusques
dans cet endroit-là , et Sidy-Mudy , notre
Chef des Messagers , lui sauva la vie. Il se mit à
la porte de la Mosquée , le mousqueton bandé ,
et empêcha les Jannissaires d'entrer , en lenr disant
, que s'ils tuoient le Pacha , ils seroient tous
sevérement punis de la Porte. Son Casanadac ou
Trésorier profita de ce tems- là pour prendre la
fuite. Il sortit lui quinziéme , à cheval , par une
petite porte du Serrail , le pistolet et le sabre à
la main , poussant leurs chevaux à toute bride ;
ils se firent jour à travers ceux qui pouvoient les
arrêter , et passerent du côté de la Marine. Le
Pacha fut conduit le soir dans la maison de ses
femmes, accompagné des Grands du pays, et sous
l'escorte de 60 Jannissaires , et des gens de sa
maison , sans qu'on osât tirer sur lui , ayant
promis au peuple de ne se plus mêler d'aucune
affaire ; ce qui luy fut confirmé aussi par les
Grands du pays. Tout est tranquil e depuis ee
temps-là . Les Jannissaires gardent les portes de
la Ville , pour arrêter ceux qui voudroient fuir. '
On assure que le Pacha a expedié des Couriers
de tous côtez , secretement , pour donner avis à
la Porte , au Pacha de Damas son pere , et à son
oncle , Pacha de Séyde , sur tout ce qui se passe.
L'opinion commune est que ces deux Pachas luy
envoyeront des troupes pour punir tous les Chefs
de cette Révolte ; ce qui me fait croire que les
troubles ne sont point encore finis.
Tripolie de Syrie , ce 30 Octobre 1730.
POLO
FEVRIER. 1731. 3.77
POLOGNE .
>
N apprend de Warsovie que l'Envoyé dư
Kam des Tartares a représenté que le passage
par ce Royaume des 30000. Moscovites
destinés au service de l'Empereur , étoit contraire
au Traité conclu entre la Porte et la Russie , et
aux anciennes conventions faites entre la Répu
blique et les Tartares.
A l'audiance que cet Envoyé , nommé Jasuff
Hora Mussu , eut le 15. Janvier , il entra dans
la Salle où étoit le Roi de Pologne , après avoir
remis son bonnet entre les mains du premier Page
de la Cour, ce que firent aussi son Truchement
et les autres personnes de sa suite . En entrant
dans la Salle , il fit une profonde reverence , tenant
la main devant sa bouche , et se baissant jusqu'à
terre , ce qu'il réïtera trois fois avant que
d'arriver au Trône ; s'étant ensuite retiré quelques
pas , il fit une autre réverence au Sénat , qui
étoit assemblé dans la Salle d'audiance. Après le
premier compliment qu'il fit au Roi pour s'informer
de sa santé au nom de Kaikan Kiray ,
Kam des Tartares , son Maitre , il lui remit une
Lettre de ce Prince , et remercia S. M. de sa part
de la protection qu'elle avoit bien voulu accorder
à un Prince Tartare. Le Vice - Chancelier lui
répondit au nom du Roi que l'affection et l'amis
tié que S. M. portoit au Kam des Tartares l'avoit
engagée à accorder sa protection au Prince
Tartare. Ensuite l'Envoyé acheva son discours
dans lequel il fit mention , entr'autres , du passage
des 30000. Russiens , et se retira après avec les
mêmes cerémonies.
DANG
378 MERCURE DE FRANCE
DANNEMARCK.
E 19. Janvier , M. Titley , Résident du Roi
d'Angleterre , eut une audience particulieredu
Roi , dans laquelle il remit à S M. la ratification
d'une convention particulière qui a été
conclue depuis quelques mois entre L. M. Brit.
et Danoise.
Le Roi a laissé à la Reine Doüairiere la liberté
de former sa Maison comme elle jugera à pro.
pos , et de choisir dans le nombre des Domestiques
du feu Roi ceux qui lui conviendront.
Les Commissaires de l'Amirauté ont reçû ordre
de faire les préparatifs necessaires pour équiper
au Printems prochain une Escadre de 18. Vaisseaux
de guerre et de cinq Frégates , sur lesquels
on embarquera les deux Régimens de Marine qui
sont dans le Zeland.
Le Vaisseau qu'on attendoit d'Islande est enfin
arrivé à Copenhague , ayant à bord 102. Faucons,
parmi lesquels il y en a cinq entierement blancs..
L
ALLEMAGNE.
E 26 Janvier , on fit partir de Vienne M..
d'Harerra , Commissaire Impérial , avec M.
Penkler , Interprete des Langues Orientales , pour
aller recevoir sur la Frontiere l'Effendi que le
G. Seigneur envoye pour donner part à l'Empereur
de l'avenement de Sa Hautesse au Trône
Ottoman. On a appris que cet Envoyé étoit arrivé
à Parakin , petite Ville située dans la Servie,
au-delà de Belgrade , sur la Morave , et la premiere
d Territoire Impérial , venant de Turquie.
Ce fut dans cette Ville que les Commissaires
de S. M. Imp. et du Grand Seigneur reglerent en
1719
FEVRIER. 173T 379
J
faisant
1719. les limites des deux Empires , en y
eriger trois grandes colones de pierre.
Ön mande de Vienne que le grand froid qui
s'y fait sentir depuis environ le 15. de Janvier a
été plus vif pendant quatre jours que le plus
grand froid de 1709. Les campagnes sont couvertes
de neige , et les loups qui n'y trouvent plus
de nourriture viennent enlever les moutons dans
les Villages , où ils ont même devoré quelques
enfans..
:
LE
ITALIE.
E 9. Janvier , on publia à Rome un Decret
du Pape , par lequel il est deffendu aux Ecclesiastiques
habitués des cinq Eglises Basilicales
de cette Ville d'y entrer autrement qu'en soutane.
Vers le soir , quelques prisonniers des prisons
secrettes ayant mis le feu aux portes de leurs .
cachots , dans l'esperance de se sauver , ils furent
tous étoufés par la fumée.
M. Firrao , ci - devant Nonce en Portugal , quis
a été nommé à l'Evêché d'Aversa , ne se rendra
pas dans son Diocèse aussi -tôt qu'on le croyoit ,
parceque le Pape qui prend beaucoup de confiance
en lui , veut le retenir auprès de sa personne .
du
Le Cardinal Fini a reçû ordre de la part
Cardinal Secretaire d'Etat de ne plus se trouver à
la Congrégation du S. Office , et le Pape a approuvé
la résolution que le Cardinal Coscia a
prise de ne plus assister à la même Congrégation
et à celles de l'Immunité et d'Avignon .
Sur la fin du mois dernier , on publia à Rome:
une Constitution du Pape , portant confirmation :
de la Bulle que le Pape Paul IV . donna en 1555%
par laquelle le plus ancien Cardinal Evêque qui
se trouve en cette Ville a droit de faire les fons-
H vj tions
380 MERCURE DE FRANCE
. tions de Doyen du Sacré College , lorsque le
Décanat est vacant , ou que le Doyen du Sacré
College est absent . La même Constitution regle
aussi les prérogatives des autres Cardinaux de
l'ordre des Evêques.
La Princesse Clementine Sobieska a fait venir :
de Flandres douze Religieuses de l'Observance
de la Regle de Sainte Ursule , pour reformer le
Monastere des Ursulines de Rome.
Le 19. du mois dernier , le Cardinal de Poli
gnac fit représenter dans son Palais une Comédie
, à laquelle il avoit fait inviter la principale
noblesse de Rome.
•
Le 20. on fit dans l'Eglise de Sainte Agnez ,
hors des murs , la benediction des deux Agneaux,
dont la laine remise entre les mains du Pape par
le Chapitre de S. Jean de Latran , doit servir à
fabriquer l'étoffe dont on fait les Pallium , que
S. S. donne aux Archevêques et à quelques Evêques
..
On écrit de Naples que le Duc de Monteleon,
Pignatelli ayant fait représenter dans son Palais
une Créche magnifique , autour de laquelle il
avoit fait placer des Joueurs d'instrumens habil
lez en Bergers. Il donna le 3 de Janvier un Concert
magnifique , auquel le Viceroy , la Comtesse
d'Arrach , son Epouse , leurs enfans , et la
principale Noblesse furent invitez , Après le Con
cert il y eut un Bal , qui fut ouvert par la fille
du Comte d'Harrach , et continué par la Duchesse
de Monteleon , er par seize autres Dames :
on y servit toutes sortes de rafraîchissemens , er
le Palais fut illuminé pendant toute la nuit.
Le 4 de ce mois , après midy , le Colonel
Comte de Lineville , Lorrain , envoya chez le
Duc de Monteleon le Colonel Comte de Sinzendorf,
qu'il avoit choisi pour son second , avec
un
FEVRIER . 1731. 381
in Cartel , par lequel il demandoit raison à ce
Duc de ce que la Marquise Viteleschi n'avoit pas
été invitée à la Fête dont on a parlé , le Duc
repondit qu'il étoit prêt de combattre dans la
Place de sainte Marie des Anges , au Bourg de
S. Antoine , et qu'il choisissoit le Colone! Papalardo
, Napolitain , pour son second . L'heure du
combat avoit été marquée au lendemain ; mais
le soir le Comte d'Harrach envoya ordre au
Duc de Monteleon , et à toute sa famille , de ne
point sortir de son Palais , et toute la Noblesse
qui prend part à cette querelle , travaille à un
accommodement , lequel a été fait le 15 , à ce
qu'on a appris depuis , par l'entremise des amis
communs qui ont obligé le Duc de Monteleon-
Pignatelli et le Comte de Lineville de donner
leur parole d'honneur d'oublier le passé .
On a appris de Parme que le surlendemain de
la mort du Duc , le Comte Stampe y arriva de
Milan , et depuis le Comte de Thaun a fait entrer
dans cette Ville quelques- uns dès Regimens
d'Infanterie qui étoient en quartier dans les environs
de cet . Etat.
?
Les Lettres de Genes portent que les Rebelles
de l'Isle de Corse , qu'on croyoit être rentrez
dans leur devoir , étoient venus le 26 Decembre
dernier près de Bastia au nombre de 22000
hommes , dans le dessein de s'emparer du Bourg
de Terra - Vecchia , que l'Evêque de Bastia étant
allé les trouver , les avoit déterminez à se retirer
, en leur promettant d'obtenir le pardon de
quelques-uns de ces Rebelles qu'on tenoit prisonniers
, et dont il fit rendre sur le champ un
certain nombre en échange d'un Officier Genois
et de quelques soldats qui avoient été surpris
dans un poste éloigné de la Ville.
On écrit de Florence , que le s. Janvier , à la
suite
382 MERCURE DE FRANCE
1
suite d'une tempête effroyable , on ressentit
Sienne une violente secousse de tremblement de
terre , qui cependant n'a causé aucun dommage
considerable.
On arrêta au commencement du mois dernier
à Livourne , un Particulier qui donnoit retraite à
quatre voleurs , lesquels depuis deux ans voloient
sur les grands chemins de la Toscane et du Milanez
, en habits de Chasseurs , ayant toujours
sept ou huit chiens et des chevaux avec eux.
Oct
ESPAGNE.
et on a fait des Prieres públiques pour re--
mercier Dieu de la cessation de la derniere maladiè
qui avoit tous les simptomes d'une maladie
contagieuse.
Le bruit court qu'on va établir à Malaga une:
nouvelle Compagnie de Commerce , dont les Directeurs
feront leur sejour ordinaire â Cadix .
La
GRANDE BRETAGNE.
E premier Février , après midi, le Roi se ren
dit à la Chambre des Pairs , et S. M. ayant
mandé les Communes , le Grand - Chancelier par
lant au nom du Roi , fit le Discours suivant :
MILORDS ILORDS ET MESSIEURS ,
Il ne peut vous rester aucun doute les
que
mesures qu'on avoit prises cy devant , et la
conclusion du Traité de Seville , n'ayent prévenu
et déconcerté les suites dangereuses qu'on
avoit si juste sujet d'appréhender du Traité de
Vienne , et non - seulement nous voyons que cetFEVRIER.
1731. 383
te union qui avoit alarmé toute l'Europe , n'a
eu aucun effet , mais encore que les Alliez du
Traité d'Hanover sont fortifiez par l'addition
du pouvoir de la Couronne d'Espagne, Cette
situation des affaires nous faisoit attendre
avec raison , une Facification generale , et
nous donnoit de justes esperances d'un acquies
cement aux conditions du Traité de Seville,
sans être obligés d'en venir à des extremitez ; on
n'a négligé aucun moyen conforme aux engagemens
où je suis entré avec mes Alliez, pour
obtenir une si heureuse fin , mais cet évenement
si desirable , ayant été differé jusqu'à present ,
Le Traité de Séville oblige indispensablement
toutes les Parties contractantes à se préparer
pour le mettre à execution , et nous devons étre
prêts à le faire en ce qui nous regarde , et en
continuant à prendre les mesures convenables ».
il faut convaincre nos Alliez que nous remplirons
fide ement nos engagemens , et qu'aurant
qu'il dépendra de nous , nous leur procurerons
·la satisfaction qui leur est duë, soit par les
moyens qu'il sera à propos de choisir , ou par
ceux qui deviendront absolument necessaires.
Le tems de crise où nous nous trouvons presen
tement , semble devoir mériter votre attention.
d'une maniere particuliere et il est inutile de
vous dire avec combien d'impatience on attend
les résolutions de ce Parlement . Je suis incapable
de vouloir influer ur vos déliberations par
des craintes et par des appréhensions mal fondées
; je suis également incapable de vous amuser
par des attentes et des esperances vaines
mais comme les Négociations qui se font actuellement
dans les differentes Cours de ' Eu-
·rope , sont sur le point d'être terminées , vos
premieres résolutions pourront contribuer à déterminer
384 MERCURE DE FRANCE
•
terminer sur le parti de la Paix ou de la guerre.
Ea continuation du zele et de la vigueur que
vous avez fait paroître jusqu'ici pour me soutenir
et pour m'aider à remplir mes engagemens
, doit être dans ce temps - cy d'un grand
poids et de la derniere importance , tant par
rapport à mes Alliez , qui ne pourront croire
alors que leurs interêts et la cause commune
·sont negligez , avant que les conditions de leurs
Traitez soient accomplis , que par rapport à
ceux qui peuvent être disposez à prévenir par
un acconmodement les consequences fatales
d'une rupture generale , laquelle ils auront peu
de sujet d'apprehender , s'ils trouvent que les
Alliez de Séville ne sont pas préparez à se faire
justice eux mêmes. Le Plan des operations pour
l'execution du Traité de Séville par la force ,
au cas que nous soyons réduits à cette necessité,
est àpresent en déliberation et jusqu'à ce qu'on
Sait entièrement reglé les proportions des forces
confederees & les dispositions convenables pour
les employer , il ne sera pas aisé de déterminer
de combien les dépenses necessaires pour le service
de l'année courante , peuvent exceder les
fonds qui ont été fournis pour le service de
l'année derniere . Cependant je suis persua
de que vous apporterez toute la diligence
possible à finir les affaires publiques , et s'il est
necessaire , je ne manquera pas de demander de
nouveau les voix et 'assistance de mon Parlement
, suivant les circonstames des affaires , et
Lorsqu'uunne occasion convenable le requerera.
Messieurs de la Chambre des Communes , j'ai
donné ordre de préparer et de remettre devant -
vous le estimations nécessaires , et je ne doute
pas que l'affection que vous avez toujours fait
paroître pour moi et pour mon honneur , et que
votre
FEVRIER . 1731. 38
votre juste attachement aux veritables interêts
de votre Patrie , ne vous portent à m'accorder
les subsides necessaires et à me mettre en état
de satisfaire à mes engagemens avec mes Alliez
avec cette joye et cette affection qui convien
nent à une Chambre des Commuues de la Grande
Bretagne , si délicate et si jalouse sur l'honneur
de la Couronne , attentive et interessée à
la gloire et prosperité du Royaume Milords er
Messieurs , le temps de n'admettre plus de nouveaux
délais s'approche , si on peut établir la
tranquillité de l'Europe sans effusion de sang ,
et sans être obligé à de nouvelles depenses , cette
situation sera certainement la plus heureuse
et la plus souhaitable ; mais si on ne peut obter.
mir cette félicité , l'honneur , la justice et la foi
sacrée due auxTraitez solemnels exigent de nous
que nous fassions nos efforts pour procurer par la
force ce qu'on ne pourra obtenir à des conditions
justes et raisonnables.
Le Roy étant retourné au Palais de S. 'James ,
après cette Harangue , les deux Chambres résolu
rent de présenter leur Aidresse de remerciement.
à S. M. mais il y eut à cette occasion de grandes
contestations , parce que quelques - uns des Mem
bres du Parlement vouloient qu'on inserât dans
l'Addresse , que le Roi seroit prié de prendre des
mesures pour empêcher que la guerre ne s'allu
mât sur le Rhin ou dans les Pays- Bas . Cette proposition
ayant été mise en déliberation , elle fur
rejettée dans la Chambre des Seigneurs , à la plu
ralité de 84. voix contre 23. et dans celle des
Communes d'une voix unanime .
Le 2. les Seigneurs présenterent à S. M. l'Ad
dresse suivante :
TRES
386 MERCURE DE FRANCE
T RES- GRACIEUX SOUVERAIN
?
3
NOUS, les tres - obéissans et fideles Sujeta
de V. M. les Seigneurs Spirituels et Temporels
assemblez en Parlement , demandons la permistion
de remercier tres- humblement V. M., de sa
tres-gracieuse Harangue émanée du Trône.
Les suites fatales du Traité de Vienne qui affectoit
toute l'Europe , mais particulierement
cette Nation ne pouvoient être prévenuës que
par la dissolution de cette dangereuse union.
Non seulement ce Projet si sage a été accompli
par les mesures qu'on avoit fy.devant prises
et par la conclusion du Traité de Séville qui
a uni aux Alliez d'Hanover, une des plus grandes
Puissances contractantes du Traité de
Vienne. Ainsi V. M. ayant posé un fondement
assuré de la tranquillité publique , si on cut
arquiesce aux justes conditions du Traité de
Seville ; et ayantfait d'ailleurs toutes sortes
d'efforts pour parvenir à cette tranquillité, con.
formément aux engagemens que vous avez pris
avec vos Alliez ; il est de notre devoir de donner
des preuves de notre zéle pour l'honneur de
V. M. et pour la foy publique de la Nation , afin
que toutes les Puissances contractantes de ce
Traité , qui sont dans des ob igations mutuelles
et indispensables de l'exécuter , puissent connoître
qu'on n'a rien négligé de la part de la
Grande Bretagne ; c'est pourquoi nous deman
dons tres -humblement permission d'assurer V.
M. que le même zele et la méme vigueur qui
ent parujusqu'à present dans cette Chambre ,
pour soutenir V. M. dans l'exécution de ses Engagemens
, continueront dans no; délibérations ,
ahm
FEVRIER. 1731 .
387
afin qu'il ne reste aucun doute aux Puissances
Etrangeres que V. M. ne soit par Nous mise en
état , à tout évenement , de procurer satisfae.
tion à vos Alliez , s'il étoit necessaire de le faire
par la force , étant persuadez de notre part que
V. M. préférera toujours un juste accommodement
aux suites fâcheuses d'une rupture gene
ra'e. Nous expédierens , en attendant les affaires
publiques , avec toute la diligence possible
at lorsqu'il plaira à V. M de demander de nous
veau notre avis et notre assistance ; cette Cham
bre prendra alors les résolutions qui convien
ment à de tres humbles et de tres fideles sujets ,
scrupuleux lorsqu'il s'agit de répandre le sang
et de dépenser les fonds publics , mais inalterablement
fermes orsqu'il faut maintenir l'hon
neur de la Nation et la foy sacrée dûë aux
Traitez publics , ayant toujours dans l'espris
que nous devons la jouissance de notre heureuse
constitution à l'établissement de la Couronne ,
dans la Famille Royale de V.M.et toujours préts
à contribuer de tout notre pouvoir à ce que V.
M puisse porter cette Couronne avec honneur
et sens être troub'ée par les ennemis , tant du
dedans que du dehors du Royaume.
La Chambre des Communes a résolu en grand
Comité d'accorder un subside au Roy, tant pour
l'entretien de 10000 Matelots, à raison de 4 1.sterl .
par mois chacun,que pour l'entretien des Troupes
de Hesse , dont l'Etat qui a été fourni par la Secretaire
des Guerres , est de 2224 Cavaliers, 1836
Dragons , er de 8034 Fantassins , qui sont à la
solde de S. M.
On proposă le 12 de ce mois , dans la même
Chambre des Communes , d'en exclure tous ceux
qui reçoivent des pensions de la Couronne , et
apres
388 MERCURE DE FRANCE.
après de grandes contestations , cette proposi
tion fut approuvée à la pluralité de 140 voix
contre 134 ; ensuite la Chambre s'étant mise en
grand comité , sur l'état des Troupes , il a été résolu
que pour les gardes et garnisons de la Gran
de Bretagne , des Isles de Guernesey et de Jersey ,
on entretiendroit pendant le courant de cette
année 17709 hommes effectifs , y compris les
1815 Invalides , et les 555 hommes qui compo
sent les Compagnies indépendantes , qui sont
dans les Montagnes d'Ecosse , et qu'on accorde→
roit au Roy 657484 liv. sterlin , pour la paye de
ces Troupes et de leurs Officiers en Commission
ou sans Commission.
M. Pultney , Membre du Parlement, pour Heyden
, dans le Comté d'York , reçut le , un
Cartel du Lord Harvey , fils et heritier du Comte
de Bristol , et membre du Parlement , pour S Ede
mond Eury , dans le Comté de Suffolx . S'étant
trouvez l'après midy dans le Parc de S. James ,
avec leurs seconds ; le Lord Harvey fut blessé
et ensuite desarmé. On assure que la cause de
leur querelle provenoit d'une réponse que Monsieur
Paltney a faite à un Ecrit, intitulé : Sédition
et Diffamation développée , dans laquelle le Lord
Harvey est maltraité.
L
PAYS- BAS , HOLLANDE.
A nuit du 3 au 4 Fevrier , le feu prit subite
ment dans les Offices du Palais de Bruxelles ,
où on travailloit aux préparatifs d'une Fête que
l'Archiduchesse , Gouvernante , devoit donner le
5. Ces Offices étant au dessous du grand Appar
tement qu'elle occupoit , le feu s'y communiqua
avec tant de violence et de promptitude , que cette
Princesse eut à peine le temps de prendre sa robede
chambre ,
FEVRIER. 1731. 389
chambre,et de passer seule dans la Chapelle. Le vent
qui étoit fort, ayant porté le feu par tout le Palais,
PArchiduchesse se sauva chez le Pr. de Rubem→
pré , son Grand- Ecuyer , dont l'Hôtel est vis - àvis
le Palais. Le Comte de Visconti , Grand-
Maître de sa Maison , vint y chercher cette Princesse,
et il la conduisit au Palais d'Orange, où elle
fut saignée. Tous les Officiers, les Troupes , et les
Bourgeois de la Ville accoururent au Palais dans
les premiers momens de l'incendie, pour l'arrêter;
mais le feu fit en peu de temps un si grand progrès
, que leur secours fut inutile. L'Appartement
de l'Archiduchesse fut entierement brulé
en moins de deux heures , et le 4. à 8. heures
du matin , tout le Palais qui avoit été achevé en
1445 sous Philippes le Bon , Duc de Bourgogne
, étoit reduit en cendres. Le feu qui s'étoit
communiqué au magazin de bois et de charbon,
a duré plusieurs jours , quoique les murs qui for
ment P'enceinte du Palais eussent rassuré sur la
crainte qu'on avoit que le feu ne se communiquat
dans la Ville , on a prévenu ce malheur en
abbatant quelques maisons. Tous les Meubles.
la Vaisselle , et la Garderobe de l'Archiduchesse
ont été brulez , et on n'a pu sauver qu'une partie
des Pierrèries de l'Archiduchesse , les Registres
du Conseil -Privé et des Archives , et Chartres
anciennes . Tout le reste des Papiers , qui se conservoient
dans un des Pavillons du Palais , a été
brûlé . La Comtesse Elisabeth d'Ullefeld , Dame
de la Clef d'or et du Palais , et fille de la Grande
Maîtresse de la Maison de l'Archiduchesse, ayant
été brûlée à la main et au pied , mourut le
matin. Plusieurs autres personnes ont péri dans
cet incendie.
S au
Le 13. de ce mois , le Comte de S. Severin
Arragon , Envoyé de Parme, eut en long Manteau
300 MERCURE DE FRANCE
reau de deuil une audience particuliere du Roi ,
dans laquelle il donna part à S. M. de la mort
du Duc de Parme. Il fut conduit à cette audience
par M. Hebert , Introducteur des Ambassdeurs.
Le Roi a pris le deuil le 16 pour 8 jours.
08
MORTS
Les
? MARIAGES
des Pais Etrangers.
E 20. Janvier à midi et demi , Antoine Farnese
, Duc de Parme , mourut dans cette Ville
d'une pleuresie, après quelques jours de maladie ,
dans la 52. année de son âge , étant né le 29.
Novembre 1679. Ce Prince avoit succedé à son
frere le 26 Fevrier 1727. et il avoit épousé le
3 Fevrier 1728. Henriette d'Est , fille du Duc
de Modene. Le Duc de Parme dès le second
jour de sa maladie reçut ses sacremens avec autant
de pieté que de resignation à la volonté de
Dieu , et la veille de sa mort il fit un testament
par lequel en déclarant que la Duchesse de Parme
étoit grosse , il l'a nommée Regente de ses
Etats , avec un Conseil de Regence , composé de
einq personnes , du nombre desquelles sont l'E
vêque de Parme et le Secretaire d'Etat. Depuis la
mort de ce Prince , on a publié la nouvelle de
la grossesse de la Duchesse , son Epouse.
Pendant l'année derniere il est mort à Vienne
et dans ses Faubourgs 2382 hommes , 1849
femmes , 2189 enfans mâles et 2073 filles . Le
nombre des enfans nés pendant la même année
monte à 4474 .
Le Comte de Spilemberg , Ministre du Duc
de Guastalla , est arrivé à la Cour de Vienne
avec
FEVRIER. 1731. 391
avec des pleins pouvoirs pour conclure le ma→
riage de ce Prince avec la Princesse d'Holstein.
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c.
L'essedans la Chapelle du Château de Ver
sailles , et S. M. communia par les mains du
Cardinal de Fleuri , son Grand- Aumônier.
E premier de ce mois , la Reine entendit la
Le 2. Fête de la Purification de la Șainte Vierge,
les Chevaliers , Commandeurs et Officiers des
Ordres du Roi s'étant rendus vers les onze heures
dans le Cabinet de S. M. le Roi tint un Cha ,
pitre , dans lequel le Duc de Levi , le Prince de
Tingry , le Comte de Chatillon et le Marquis
de Beringhen , Premier Ecuyer , qui avoient été
compris dans la promotion des Chevaliers de
l'Ordre du S. Esprit , proposés par S. M. le premier
du mois dernier , furent admis après que
l'Abbé de Pompone , Chancelier des Ordres du
Roi , cut rapporté qu'ils avoient satisfait à ce
qui est porté par les Statuts. Le Chapitre étant
fini , les quatre Chevaliers qui venoient d'être
admis , ct qui s'étoient rendus dans l'appartement
du Roi en habits de Novice , furent introduits
dans le Cabinet , où S. M. les fit Chevaliers de
l'Ordre de S. Michel.
Le Roi sortit ensuite de son appartement pour
aller à la Chapelle du Château de Versailles ;
S. M. étoit précedée du Duc d'Orleans , du Duc
de Bourbon , du Comte de Clermont , du Duc
du Maine , du Prince de Dombes , du Comte
› d'Eu ,
2
292 MERCURE DE FRANCE
d'Eu , du Comte de Toulouse et des Chevaliers ,
Commandeurs et Officiers de l'Ordre ; les Novi
ces marchoient entre les Chevaliers et les Officiers.
Le Roi devant lequel les deux Huissiers de
fa Chambre portoient leurs Masses , étoit en
Manteau , le Collier de l'Ordre par dessus , ainsi
les Chevaliers et le Cardinal de Bissi , Prélat,
Commandeur de l'Ordre du S. Esprit , marchoit
derriere S. M.
que
Le Roi assista à la benediction des Cierges , à
Procession et à la Grande Messe , qui fut celébrée
par l'Abbé Tesnieres , Chapelain ordinaire
de la Chapelle de Musique , et lors qu'elle fut finie
, le Roi quitta son Prie - Dieu et monta à son
Trône auprés de l'Autel , où S. M. reçût les nouveaux
Chevaliers , deux à deux, avec les cerémonies
ordinaires . Le Duc de Chaulnes et le Duc de Tal
lard furent Parrains du Duc de Levy et du Prince
de Tingry ; le Marquis de Goebriant et le Marquis
de Livry le furent du Comte de Chatillon
et du Marquis de Beringhen. Les Chevaliers qui
venoient d'être reçûs ayant pris leurs places suivant
leur rang , le Roi sortit de la Chapelle , et
fut reconduit dans son appartement avec les ce →
rémonies accoûtumées. La Reine s'étoit renduë
avec les Dames de sa Cour dans la Tribune , d'où
elle avoit entendu la grande Messe.
Le premier Fevrier , M. Piat , Recteur de l'U
niversité , accompagné des Députés de sa Compagnie
, alla à Versailles présenter , selon l'usage,
un cierge au Roi et à la Reine. Il eut l'honneur
de haranguer L. M. séparément en présence de
leurs Cours . La même cerémonic fut observée à
l'égard de Monseigneur le Dauphin et de M. le
Duc d'Orleans , comme premier Prince du Sangs
de la Université alla chez M. le Cardinal Mi
nistre
FEVRIER. 1731. 393'
nistre , et ensuite chez M. le Chancelier et chez
M. le Garde des Sceaux , comme Chefs de la Justice
, et dans tous ces endroits M. le Recteur fit
des Harangues au nom de sa Compagnie , et
parla avec beaucoup d'éloquence et de dignité.
Le même jour , M. Chirac , Ancien Professeur
de l'Université de Montpellier , ci - devant Premier
Medecin du Duc d'Orleans , aujourd'hui
Premier Medecin du Roi , reçut au sujet de cette
Charge les complimens de la Faculté de Medecine
de Paris. M. Baron , Docteur Regent er
-Doyen de la Faculté , accompagné de huit Docteurs
, portant la parole , il parla en François
fort él quemment , et M. Chirac répondit avec
beaucoup de politesse et d'énergie.
Au commencement de ce mois , le Roi alla à
la Chasse dans le Parc de Versailles , et S. M.
tua en moins de trois heures de tems près de 300.
piéces de gibier , tant Lievres et Lapins que Farsans
et Perdrix.
Le 8, S. M.prit à Marli le divertissement d'une
course de Traîneaux sur la neige , qui représentoit
une chasse ; celui où le Roi étoit seul , étoit
suivi de quantité d'autres remplis de Seigneurs
et de Dames de la Cour. Les chevaux en étoient
singulierement et richement harnachés avec quantité
de noeuds de rubans , des aigrettes de plume
et des grelots. On avoit mis sur un grand Traineau
, conduit par le Comte de Fimarcon , la figure
d'un Cerf poursuivi par des Chiens , avec
des Piqueurs à cheval sonnant du cor , les autres
Traîneaux suivant à la file ; un autre grand Traîneau
en gondole , rempli de Dantes , étoit conduit
par le Comte de Roussi . Ce Divertissement
(I - qui
384 MERCURE DE FRANCE
qui fut fort goûté , dura prés de quatre heures .
La course passa deux fois sous les fenêtres de
l'appartement de la Reine.
> Le 31. du mois dernier vers les dix heures
du matin , le feu prit à une certaine quantité de
poudre et à des artifices qu'on travailloit dans une
maison à un étage du Faubourg S. Marceau , qui
sauta en l'air , et les maisons voisines ont été
fort endommagées. Une femme y a péri et plu
sieurs personnes ont été blessées. Le proprietaire
de ce Magasin est , dit- on , condamné à faire reparer
tous les dommages causés aux maisons cir-
Convoisines , ce qui avec la perte qu'il a faite
montera à plus de 50000. livres .
L'affaire de M. de la Jonchere , ci - devant
Trésorier General de l'Extraordinaire des Guerres
, a été terminée par Arrêt du Conseil du 16
Janvier dernier , qui le décharge des Jugemens
rendus à la Chambre de l'Arcenal , lesquels S M.
a déclaré comme non avenus..
Le 2 , Fête de la Purification de la Vierge , il y
eut Concert Spirituel au Château des Thuilleries,
qui commença par le Motet Exurgat Deus , de
M. de la Lande ; il fut suivi d'une Hymne à la
Vierge , chantée par la Dlle Le Maure. La Dlle
Erremens chanta un petit Motet , mis en Musique
par M. Mouret , qui fit beaucoup de plaisir ,
de même qu'un autre petit Motet nouveau de la
composition du sieur Le Maire. Le Concert fut
terminé par le Motet Dominus regnavit.
Le 15. de ce mois , la Reine accompagnée des
Dames de sa Cour , alla à l'Eglise Paroissiale de
Versailles , où S. M. assista au Sermon du Pere
Julien,
FEVRIER. 1731. 395
Julien , Religieux Recolet , et ensuite au Salut ,
pendant lequel le Te Deum fut chanté à l'occa
sion du jour de la Naissance du Roi.
Le 26 la Lotterie de la Compagnie des Indes
pour le remboursement des Actions fut tirée en
la maniere accoutumée à l'Hôtel de la Compagnie.
La liste des Numeros des Actions et Dixiémes
d'Actions , qui doivent être remboursées ,
a été rendue publique , faisant en tout le nombre
de 300. Actions.
Sur les représentations qui ont été faites que
les provisions du Carême ne sont pas assez abondantes
cette année , l'Archevêque de Paris a donné
un Mandement , par lequel il permet dans
tout son Diocese de manger des oeufs jusqu'au
Dimanche de la Passion. Le Parlement a aussi
rendu un Arrêt sur le même sujet.
Le 1. Janvier , les Hautbois de la Chambre du
Roy jouerent , suivant l'usage ordinaite, au lever
de S. M. plusieurs Airs tirez des oeuvres de M.
de Lully.
Le même jour, M. Destouches , Sur- Intendant
de la Musique de la Chambre du Roy , donna
un Concert formé d'une suite d'Airs de sa composition
, qui fut executé par les 24 Violons de
la Chambre , au dîner du Roy et de la Reine ,
dont Leurs Majestez parurent très- contentes .
Le 8 , M.Destouches fit chanter à Marly ,devant
la Reine , le second et le troisiéme Acte d'Hesione
, dont le premier Acte avoit eté chanté à
la fin de Decembre. La Dile Antier chanta le Rôle
de Venus,et le sieur Dangerville celui d'Anchi e ,
avec beaucoup d'aplaudissemens. La De Lenner
pas moins de plaisir dans le Rôle d' Hesio- ne fit
I ij ne ,
395 MERCURE DE FRANCE.
pe , qu'elle chanta avec autant de gout que de
précision , le reste fut executé d'une façon trèsbrillante.
Le 10 on continua le quatrième et le cinquiéme
Acte du même Opera , le Poëme est de M. Danchet
, et la Musique de M. Campra , dont on
connoît les grands talens.
Le 1s on chanta devant la Reine le Prologue
et le premier Acte de l'Opera de Semiramis , de
la composition de M. Destouches , qu'on conti
nua le 17 et le 22. La De Antier chanta le principal
Rôle dans la plus grande perfection ; la
Die Lenner fit celui d'Amestris avec succès , et
le sieur d'Angerville , dont le talent embrasse
tous les genres de la Declamation Lyrique , merita
les applaudissemens de la Cour , dans le Role
de Zoroastre. Les Airs détachez furent chantez
par les DesRobelin et Barbier ; le sieur Le Prince
chanta ceux du second Acte avec beaucoup de
grace ; l'execution des Choeurs et de la simphonie
fut parfaite. La Reine , qui ne connoissoir
point cet Opera , en marqua , en differentes fois,
son extréme satisfaction à l'Auteur.
Le 24, S. M. ordonna un Concert du Ballet
des Elemens , dont elle entendit le Prologue et
les deux premiers Actes. Le Rôle de Venus ou
Prologue fut chanté par la Dle Julie de Monville
, qui paroissoit pour la premiere fois devant
la Reine , sa voix est forte et a de l'étenduë. L'e
sieur Dangerville chanta les Rôles du Destin êt
d'Ixion , et les Des Erremens , Lenner , et le
sieur Guedon , ceux de Junon , de Leucorie , et
'Arion.
Le 29 on chanta à Versailles les deux derniers
Actes du même Ballet ; les Rôles d'Emilie et de
Pomone furent chantez par la Dlle Antier ,et ceux
de Valere et de Vertumne par les sieurs Dangers
ville et Guedon . Le
FEVRIER. 1731. 327
Le 3. Fevrier , M. Destouches fit chanter à
Marly le Prologue et les deux premiers Actes de
son Ballet du Carnaval et de la Folie , qu'on
continua les , avec une Ariete et un Chour
nouveau , accompagné de Trompettes , de la com
position du même Auteur, lequel fut tres aplaudi
Les Rôles de Junon et de Jupiter furent remplie
par la De Lenner et le sieur Dangerville , ceux
de Mercure et de Momus par les sieurs le Prince
et Godeneche. La De Pelissier chanta le Rôle de
la Folie dans les deux premiers Actes ; mais s'étant
trouvée indisposé : le Lundy suivant , la Dile
Lenner remplit sa place dans les deux derniers
Actes . Le sieur Dangerville chanta avec une noble
gayeté le Rôle du Carnaval, Ceux du Profes
seur de Folie et de l'Ecolier furent chantez par
les sieurs Le Prince et Guedon ; ce premier chan
ta aussi le Rôle de Plutus , et la De Barbier
celui de la Jeunesse. Ce Balet fut tres -bien reçu ,
et fit d'autant plus de plaisir , qu'il convenoit
fort au temps du Carnaval.
Le 12 , la Cour étant à Versailles , la Reine
ordonna pour Concert l'Opera d'Omphale , du
même Auteur , dont S. M. entendit le Prologue
et le premier Acte ; les quatre autres furent continuez
le 14. et le 19. L'execution de cet Opera
fit des plus parfaites les Des Antier et Lenner
chanterent les Rôles d'Argine et d'Omphale avec
grand succés , ainsi que celui d'Hercule par le
sieur Dangerville ; le sieur Guedon fit le Rôle
d'Iphis , et la De Barbier chanta celui d'une des
Graces avec beaucup de legereté et de précision ,
et la De Robelin executa les Airs détachez du
troisiéme Acte avec l'applaudissement des Connoisseurs.
Le dernier Concert de cet Opera fut
terminé par le Choeur de Timballes et Trompettes
qu'on avoit entendu à Marly , et par la
I iij Can
1
{
1
398 MERCURE DE FRANCE
tate de la Musette de M. de Clerambaut , chantée
la Dle de Monville.
par
Le même jour 12 Fevrier , après le Concert
des premiers Actes de cet Opera , la Reine qui
avoit entendu parler avantageusement des Bruwettes
en Duo , à voix égales , de Mrs Cochereau
et Allarius , les demanda . Elles furent chantées
dans la plus grande perfection par les Diles
Antier et Misnier , et firent tant de plaisir , que
S. M. les fit chanter encore par les mêmes Diles
le 20 et le 26.
>
Le 21 la Reine entendit le Prologue et le premier
Acte du Ballet de Prothée , de la composition
de M. Gervais , Maître de Musique de la
Chapelle du Roy. Les Diles Antier et Lenner firent
les Rôles de Pomone et de Therone , et les
sieurs Dangerville et Godoneche ceux de Prothée
et de Vertumne. On a continué le même Balet le
26 , et le dernier du mois on a chanté , par ordre
de la Reine , l'Opera d'Issé , de la compositionde
M. Destouches , qui a terminé les Concerts
qui ont été donnez pendant le Carême .
BENEFICES DONNE Z.
LEV
'Evêché de Soissons , vacant par la démission
de M.Languet de la Villeneuve de Gergy,
a été donné à M. René de Sesmaisons , Aumônier
du Roi , et Vicaire General de Poitiers. "
L'Abbaye de S. Quentin- lès - Beauvais , vacante
par le décès de M. de Mornay de Montchevreuil,
en faveur de M. Louis Labiszensky , Prêtre du
Diocèse de Vladislavie en Pologne , Chanoine de
Lencice , & Confesseur de la Reine.
L'Abbaye de S. Jacques de Provins , Ordre de S. Augustin,
Diocèse de Sens, vacante par le décès de M.
Pajot
FEVRIER. 1731 . 299
Pajot , en faveur de M. Jean-Cezar de la Parisiere
, Evêque de Nîmes .
L'Abbaye de S. Loup , Ordre de S. Augustin ,
Doicése de Troyes , vacante par le décès de M. de
Bouthillier de Chavigny , Archevêque de Sens
en faveur de M. Jean Baptiste Pajot , Soudiacre.
du Diocèse de Paris et Conseiller au Parlement.
L'Abbaye de S. Sauve , de Montreuil, Ordre de
S. Benoît , Diocèse d'Amiens , vacante par le décès
du dernier Titulaire , en faveur de M. Perrinot
de Cernay , Prêtre du Diocése de Bezançon.
L'Abbaye de Valsainte , Ordre de Cîteaux
Diocése d'Apt , vacante par le décès de M. Pajot
en faveur de M. Narbonne Pelet , Prêtre , Vicaire
General d'Arles , et Doyen de Beaucaire.
Le Prieuré de S. Denis de Marnay , vacant par
le décés de M. de Bouthillier de Chavigny , Archevêque
de Sens , en faveur de M. Barthelemy
Gautier de Billancour , Clerc Tonsuré du Diocése
de Paris.
** XXXXXXXXXXXXXXXX
**
1
MORTS , NAISSANCES ,
Proica, sur la Paroisse de
E nommé Sylvain Pruneau , Maçon , mousut
>
La
S. Nicolas des Champs , dans la 111e année de
son âge.
François-Paul de Neuville de Villeroy , Prélat
Commandeur de l'Ordre du S. Esprit, Archevêque
de Lyon & Abbé de Fécamp , mourut dans son
Diocése le 6. de ce mois , dans la 54º année de
son âge.
Dame Catherine -Magdelaine Daniau de Saint
Gilles , Epouse de M.Jean-Louis , Comte d'Haurefort
de Bosein , Maréchal des Camps et Armées
I iiij
du
400 MERCURE DE FRANCE.
}
du Roi , Gouverneur des Ville , Château & Forts
de S. Malo , veuve du Comte de Vertillac , Maréchal
de Camp , Gouverneur de Mons , Lieutenant
de Roi de Périgord , mourut à Paris le 6.
de ce mois , âgée de 68. ans , sans laisser de posterité
de son second Mariage ; il ne lui reste de
sa premiere Alliance qu'une fille mariée au Comte
de Vertillac , Gouverneur & Sénechal de Perigord.
M. Henry Bochard de Champigny , Prévôt de
l'Eglise de S. Pierre de Lille , et Abbé d'Auberive,
Diocese de Langres , mourut à Lille le 11. de ce
mois , dans la 8re année de son âge .
Antoine Grimaldi , Prince de Monaco , Duc
de Valentinois , Pair de France , Chevalier des
Ordres du Roi , mourut à Monaco le 20. de ce
mois , dans la 7 re année de son âge, étant né le 27.
Janvier 1661. Il étoit fils de Louis Grimaldi
Prince de Monaco , mort à Rome le 3. Janvier
1701. et Catherine Charlotte de Grammont F
morte à Paris le . 4. Juin 1678. Il avoit épousé le
12. Juin 1688. Marie de Lorraine , fille de Louis
de Lorraine , Comte d'Armagnac , Grand-Ecuyer
de France , morte le 30. Octobre 1724 I laisse
de ce Mariage la Duchesse de Valentinois et la
Princesse d'Isenghien.
>
M. Nicolas-Remy Frizon , Seigneur de Blamont
cy -devant Président en la quatriéme
Chambre des Enquêtes , et President Honoraire
au Parlement , mourut le 23. Février , dans la 62
année de son âge.
1 D. Catherine Constance - Emilie Arnauld de
Pomponne , Epouse de Jean-Joachim Rouault ,
Comte de Cayeux , Brigadier des Armées du Roi ,
accoucha le 16. Janvier d'un fils , qui fut nommé
Alophe- Félicité , par Louis- Alophe Rouault ,
Conseiller
FEVRIER.. 1731. 451
Conseiller d'Etat , Auditeur de Rotte pour la
France , Abbé de Montmajour , représenté par
Claude-Jean-Baptiste Hyacinte -Joachim Rouault,
Marquis de Gamache , Gouverneur de S. Valery,
&c. Lieutenant General des Armées du Roi , et
par D. Catherine- Félicité Arnauld de Pomponne ,
Epouse de Jean - Baptiste Colbert , Marquis d'
Torcy , Ministre d'Etat , Commandeur des Or
dres du Roy.
D. Marie Megret , Epouse de Claude Pellot ,
Chevalier Comte de Trévieres , Conseiller au Par
lement,accoucha le 28.Fev.d'un fils , qui fut nommé
Auguste- Louis - Denis par Denis Aug. Comte
de la Eare , Maréchal de Camp , Commandeur de
l'Ordre de S. Louis , Gouverneur de Ville- Franche
, et Baron des Etats de Languedoc , et par
D. Louise - Françoise Joly de Fleury , Epouse de
Jean- Nicolas Megret de Serilly , Avocat General
de la Cour des Aydes.
--
Dame Marie Anne Robillard , femme de
M'. Louis - Pierre d'Hozier , Juge d'Armes de
France , Chevalier de l'Ordre du Roi , son Conseiller
, Maître ordinaire en sa Chambre des
Comptes de Paris , et Généalogiste de la Maison.
et des Ecuries de Sa Majesté , et de celles de la
Reine , accoucha le 18 Janv . d'un fils , qui fut
nommé Charles - Pierre , par M. Charles d'Ho
zier , son grand Oncle , âgé de 91 ans.
2
2
D. Catherine Scholastique Bazin de Bezons
épouse de N. Hubert , Vicomte d'Aubusson
Comte de la Feuillade , Premier Baron de la Mar,
che , Seigneur du Duché de Roanez , &c. Mestre
de Camp du Regiment Royal Piémont , Cavalerie
, accoucha le 31. Janv.d'une fille, qui fut tenue:
sur les Fonts , et nommée Louise - Anne - Gabrielle
, par M. Armand Bazin de Bezons , Evê
que de Carcassonne et par D. Louise.- Mader
I V laine
402 MERCURE DE FRANCE
laine le Blanc , veuve d'Esprit -Juvenal de Har
ville , des Ursins , Marquis de Traisnel. La Cé
rémonie du Baptême fut faite par M. César le
Blanc , Evêque d'Avranches .
D. Jeanne-Catherine Coustard , épouse de Basile
- Claude-Henry Anjorrant , Conseiller au Parlement
, accoucha le 7 Fév. d'un fils, qui fut tenu
sur les Fonts , et nommé Claude - Joseph , par
Pierre-Joseph Dufort , Conseiller du Roy , Maître
Ordinaire en sa Chambre des Comptes, et par
D. Catherine Croizet , veuve de François - Guiflaume
Briçonnet , Chevalier , Seigneur de Millemant
, Comte d'Auteuil, Président au Parlement .
Il y a dans l'Article des Morts , du Mercure de
Janvier dernier une faute considérable , pag. 178 .
au sujet de la mort de Dame Eléonore de Maccarti
Réagh, &c. en ce que on a imprimé Mavarti
, au lieu de Maccarti , qui est le veritable
nom de cette Illustre Dame.La faute ne vient pas
de nous , mais de la personne qui a envoyé le
Mémoire sur lequel nous avons imprimé. Ces
sortes de méprises sont presque inévitables à notre
égard , mais elles sont aisées à réparer quand
nous en sommes avertis. Il n'en est pas de même
à l'égard des Registres publics , qui souvent n'en
sont pas exempts. Nous recevons quelquefois des
Extraits de ces Registres , qui ont besoin de correction
; nous rectifions les choses autant que
nous le pouvons ; mais cela ne remedie point à
ce qui pêche dans l'Original ; et la conséquence
en est tres grande.
La Dame qui donne lieu à cette remarque
éroit de la premiere Maison d'Irlande , et de la
Branche aînée de cette Maison , tres- connue en
Fance depuis long- temps ; et depuis peu par
Milord Montcassel , Lieutenant General, &c. son
trèsFEVRIER.
1731. 403
✔
très proche parent , mort au service du Roy
et par M. Maccarty Reagh , frere de cette Dame,
Chef de sa Maison , qui avoit amené en France
étant encore fort jeune, un Régiment , tout composé
de ses vassaux . Il a été tué , ainsi que
frere unique , au service du Roy. On est redevable
de cette instruction à M. l'Abbé Hassett , Irlandois
, Docteur de Sorbonne , & c.
son .
12
ARREST DU PARLEMENT.
CO
E jour les Gens du Roi sont entrez , et Maître
Pierre Gilbert de Voisins , Avocat dudit Seigneur
Roi,portant la parole , ont dit : MESSIEURS,
On voit depuis quelques temps diverses feuilles
imprimées , se succeder dans le Public et se distribuer
sous le titre de Nouvelles Ecclesiastiques .
Un pareil Journal fait clandestinement et sans
aveu , porte son reproche en lui - même. Mais il
semble qu'on s'autorise de notre silence . La li
cence de ce Libelle devient tous les jours plus
marquée. Il faut donc enfin que notre ministere
se déclare ; qu'il fasse éclater sa juste censure ,
ou plutôt qu'il vous donne lieu de faire éclater la
vôtre aux yeux du Public .
On sçait assez que la sagesse des Ordonnances
les plus solemnelles et des Reglemens si souvent
renouvellez par vos Arrêts , condamne toute impression
sans autorité,et toute publication d'écrits
anonimes. On doit aussi se souvenir que celui-ci,
sous le propre tirre qu'il porte , se trouve compris
dans la prohibition expresse d'une Déclaration
du Roi , contre les abus de l'Imprimerie
que vous avez enregistré au mois de Mayde Pan
née 1728.
I vj Mais
J
404 MERCURE DE FRANCE
Mais d'ailleurs à ne consulter que les premiers
principes de l'ordre public , il n'est point de Police
atentive à quelque regle, qui put souffrir qu'un
inconnu s'établît ainsi de son chef , distribuer de
nouvelles, arbitre des faits, sans autre garant que
l'obscurité qui le couvre ; qu'il entreprît sur l'opinion
publique , et que la conduite et la réputation
d'autrui fussent à toute heure exposées à ses
jugemens et à sa censure .
Pour montrer l'abus qu'on fait d'une voïe si
dangereuse , nous n'avons pas besoin de parcourir
toutes les feuilles qui se sont répandues depuis
trois ans.On a eu assez d'occasions d'y remarquer
des faits ramassez au hazard , des imputations
calomnieuses , des soupçons atroces , qu'il n'est
jamais permis de publier sans preuve , moins encore
sans se découvrir ; une liberté de stile , des
traits satyriques , souvent les plus contraires au
respect du aux Puissances séculieres et Ecclesiastiques.
Nous nous réduirons aux dernieres feuilles qui
paroissent depuis le commencement de cette année.
D'abord un préambule qui annonce , que
malgré la contradiction , et au mépris de l'autorité
de toute Puissance , ce Journal va continuer
plus hardiment que jamais : soutenu , dit- on , de
la main de Dieu, dont on s'applique les paroles
sans scrupule. Dans ce qui suit nu le circonspection
, nulles mesures gardées , nulle subordina →
tion, nulle bienséance .
Excitez par la voix publique la moins équivoque
, et la plus universelle , nous vous déferâmes
dans le mois dernier un Ecrit intitulé , Avis aux
Fideles , dont on n'auroit pû esperer de sauver le
scandale qu'en l'abandonnant. Cependant dans
une premiere feuille on avoit essayé de l'excuser ,
P'Arrêt de la Cour du 12. Janvier dernier le condamn
FEVRIER . 1731. 405
damne aux flammes. On s'éleve aujourd'hui contre
votre Arrêt ; et sous prétexte de censurer nos
paroles , c'est l'Arrêt que l'on censure en effet.
A t'on songé que cet Arrêt pour lequel ons.
garde si peu de respect , est l'ouvrage du concert.
des Magistrats , dont on parle ailleurs avec tant
d'éloges Mais les louanges qu'on leur donne
sont peut être encore moins respectueuses. A la
faveur de ces hommages on s'autorise à les faire
parler , au gré d'un Ecrivain , dont l'art est depuis
long-temps , pour s'acréditer , d'abuser des
noms les plus respectables, et dont la plume sçait
envenimer tout ce qu'elle touche.
Mais , Messieurs , depuis quand les assemblées
de la Cour sont-elles destinées à faire le sujet des
récits d'une feuille témeraire ? Ignore-t'on que le
secret y est prescrit sous la religion du serment
le plus solemnel et le plus auguste ? Nous aurions
à nous clever contre un dépositaire peu fidele , qui
auroit été capable d'en divulguer les ministeres ;;
et des
yeux étrangers se croilont permis d'y por
ter des regards prophanes.
Rien n'est plus capable de faire sentir la con- ›
séquence et le danger de ces Libelles . On les couvre
en vain du prétexte de la Religion . Elle n'a
jamais enseigné de telles voïes. Le pur zele qu'elle
anime , n'admet point ces écrits audacieux , et ces
satyres indécentes. Dans un ouvrage qui se vante .
d'être uniquement entrepris pour la defense de la
verité , on ne reconnoît point le caractere insé-.
parable de ses légitimes défenseurs . C'est un dernier
trait qui acheve sa condamnation ; et qui
nous engage d'autant plus à ne rien obmettre
soit pour le proscrire , soit pour exciter les Offi- ·
ciers de Police à redoubler leur vigilance pour le
réprimer. eux retirez ..
Va cinq feuilles imprimées , contenant chacune
quatre
406 MERCURE DE FRANCE
>
quatre pages : La premiere feuille , intitulées.
Nouvelles Ecclesiastiques ou Memoires pour
servir à l'histoire de la Constitution , pour l'année
1731. ( Respondit mihi Dominus , et dixit
scribe visum et explana eum super tabulas ut
percurrat qui legerit eam . Habacuc. c. 2. v. 2..).
Le Seigneur me parla et me dit :Ecrivez ce que
vous voyez, et marquez - le distinctement sur :
des tablettes "
afin qu'on le puisse lire courament
. La deuxième , intitulée : Suite des Nouvel
es Ecclesiastiques , 7. Janvier 1731 .
troisiéme , qui porte le même titre , du 13. jan◄:
vier 1731. La quatrième aussi avec le même
titre , du 19 Janvier 173 1. Et la cinquième , du
25. dudit mois : Ensemble les conclusions par
écrit du Procureur General du Roi : la matiere
sur ce mise en déliberation .
du La
La Cour a arrêté et ordonné , que lesdites
feuilles seront lacerées et brulées en la Cour dus
Palais , au pied du grand Escalier d'icelui , par
l'Executeur de la haute Justice : Fait inhibitions et
défenses à toutes sortes de personnes de composer,
faire imprimer et distribuer aucunes desdites feuilles
ou autres semblables , sous les peines portées
par la Déclaration du 10. Mai 1728. Fait pareilles
défenses à tous Imprimeurs et Libraires , Colporteurs
et autres d'en imprimer , vendre, débiter
ou autrement distribuer sous pareilles peines ; Enjoint
à tous ceux qui auroient des exemplaires desdites
feuilles ou autres pareilles sous ledit titre
de les apporter incessamment au Greffe de la Cour,
pour y être supprimées : ordonne qu'à là requête
du Procureur General du Roi , il sera informé
pardevant Me Louis de Vienne , Conseiller , que
la Cour a commis contre les Auteurs desdites.
feuilles ou autres semblables , qui auroient pû être
faites du passé ou le seroient à l'avenir , ensemble
contre
FEVRIER . 1731 407
et
contre ceux qui les auroient imprimé , vendu ,
debité ou autrement distribué et pareillement informé
contre iceux , par les Lieutenans Criminels,
ou autres Officiers des Bailliages et Sénéchaussées,
pour les témoins qui pourroient s'y trouver ,
les contraventions qui auroient pû être faites dans
lesdits lieux ; pour les informations faites , raportées
en la Cour et communiquées au Procureur
General du Roi, être par lui requis et par la Cour
ordonné ce qu'il appartiendra. Enjoint pareillelement
au Lieutenant General de Police de cette
Ville de Paris et au Substitut du Procureur General
du Roi au Châtelet,de tenir la main à l'execution
du present Arrêt,et de faire toutes les diligences
necessaires à ce sujet ; ordonne en outre
que les copies collationnées dudit Arrêt seront
envoyées aux Bailliages et Sénéchaussées du Ressort
pour y être lûës , publiées et enregistrées. Enjoint
aux Substituts du Procureur General du Roi
d'y tenir la main et d'en certifier la Cour dans un
mois. Fait en Parlement, le neuf Fevrier mil sept
cent trente-un. Signé , YSA BEAU.
Et ledit jour Vendredi 9 Fevrier 1731 à l'heure
de midi , en execution de l'Arrêt cy- dessus ,
lesdites feuilles y mentionnées , ont été lacerées
et jettées au feu au bas du grand Escalier du
Palais , par l'Executeur de la haute Justice , en
presence de nous Marie- Dagobert Ysabeau , l'un
des trois premiers et principaux Commis pour la
Grand Chambre , assisté de deux Huissiers de
ladite Cour. Signé , YSABEAU.
DECLARATION DU ROY. Reglement general
entre les Curez Primitifs et les Curez- Vicai
res perpetuels.
LOUIS , & c Nous avons été informez qu'à
l'occasion du Reglement que Nous avons fait
entre
408 MERCURE DE FRANCE.
entre les Curez primitifs et les Curez-Vicaires
perpetuels , par notre Déclaration du 5 Octobre
1726. il s'est formé de nouvelles difficultez entr'eux
sur l'exercice de leurs fonctions , soit
parce
qu'on a donné à cette Loy des interprétations
contraires à son véritable esprit, soit parce qu'on
a cherché à l'étendre à des cas qu'elle n'a pas prévûs
, et qui ne peuvent être décidez que par notre
autorité ; c'est pour faire cesser ces inconveniens ,
que Nous avons jugé à propos de réunir dans une
seule Loy les dispositions de la Déclaration du s
Octobre 1726. et celles des Loix précédentes , en
y ajoûtant tout ce qui pouvoit manquer à la perfection
de ces Loix , pour assurer également les
droits légitimes des Curez primitifs , et ceux des
Curez-Vicaires perpetuels , sans donner atteinte
aux usages et aux prérogatives de certaines Eglises
principales , qui n'ayant rien de contraire au
bon ordre , méritent d'être conservez par leur
ancienneté. Nous travaillerons par autant pour
Pavantage de l'Eglise , que pour celui de nos sujets
, en prévenant des contestations toujours
onéreuses aux Parties interessées , et qui détournant
les Pasteurs du soin des ames confiées à leur
ministere , sont encore plus contraires au bien
public. A ces causes , et autres à ce Nous mouvans
, de notre certaine science , pleine puissance
et autorité Royale , Nous avons dit , déclaré et
ordonné disons , déclarons et ordonnons , vou→
lons et Nous plaît ce qui suit :
là
ART . I. Les Vicaires perpetuels pourront pren
dre en tous actes et en toutes occasions , le titre
et qualité de Curez - Vicaires perpetuels de leurs
Paroisses , en laquelle qualité ils seront reconnus,
tant dans leurdite Paroisse que par tout ailleurs.
II Ne pourront prendre le titre de Curez primitifs
que ceux dont les droits seront établis
soit
FEVRIER. 1731. 409
soit
par des titres canoniques
, actes ou transactions
valablement autorisez , Arrêts contradictoires
soit sur des actes de possession centenaire .. N'entendons exclure les moyens et voies de droit
qui pourroient avoir lieu contre lesdits Actes.et
Arrêts , lesquels seront cependant exécutez jus
qu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné , soit définitivement
ou par provision , par les Juges
qui en doivent conneître , suivant qu'il sera dit cy-après.
•
III. Les Abbez , Prieurs et autres pourvûs
soit en titre ou en commende du Benefice, auquel
la qualité de Curé primitif sera attaché , pour-.
ront seuls et à l'exclusion des Communautez établies
dans leurs Abbayes , Prieurez ou autres Benefices
, prendre ledit titre du Curez primitifs et
en exercer les fonctions , lesquelles ils ne pourront
remplir qu'en personne , sans qu'en leur absence,
ni même pendant la vacance desd . Abbayes .
Prieurez et autres Benefices , lesdites Communau
tez puissent faire lesdites fonctions , qui ne pour
ront être exercées , dans ledit cas , que par les
Curez-Vicaires perpetuels ; et à l'égard des Communautez
, qui n'ayant point d'Abbez , ni de
Prieurs en titre on en commende , auront les
droits de Curez primitifs , soit par union de Be
nefices ou autrement , les Supérieurs desd. Communautez
pourront seuls en faire les fonctions
le tout nonobstant tous actes , jugemens et pos-/
session à ce contraires,et pareillement sans qu'aucune
prescription puisse être alléguée contre les
Abbez , Prieurs et autres Beneficiers , ou contre
les Superieurs de Communautez qui auroient négligé
ou qui négligeroient de faire lesd. fonctions
de Curez primitifs , par quelque laps de temps.
que ce soit.
IV. Les Curez primitifs , s'ils ont titre ou pos
session
3
410 MERCURE DE FRANCE
session valable , pourront continuer de faire le-
Service Divin les quatre Fêtes Solemnelles et le
jour du Patron ; à l'effet dequoi ils seront tenus
de faire avertir les Curez - Vicaires perpetuels ,
la surveille de la Fête , et de se conformer au Rit
et Chant du Diocese , sans qu'ils puissent même.
ausdits jours , administrer les Sacremens ou prêcher
, sans une mission spéciale de l'Evêque , et »
sera le contenu au present article , exécuté ,
nonobstant tous titres , jugemens ou usages à
contraires .
ce
V. Les droits utiles desd. Curez primitifs de- ..
meureront fixez , suivant la Déclaration du 30
Juin 1690. à la moitié des oblations et offrandes ,
tant en cire qu'en argent , l'autre moitié demeurant
au Curé - Vicaire perpetuel ; lesquels droits
ils ne pourront percevoir , que lorsqu'ils feront le
Service divin en personne , aux jours cy - dessus ?
marquez, le tout à moins que lesd. droits n'ayent
`été autrement reglez en faveur des Curez primitifs
, ou des Curez - Vicaires perpetuels , par des
titres canoniques , actes ou transactions valablement
autorisez , Arrêts contradictoires ou Actes
de possession centenaire.
VI. N'entendons donner atteinte aux usages
des Villes et autres lieux où le Clergé et les peuples
ont accoutumné de s'assembler dans les Eglises
des Abbayes , Prieurez ou autres Benefices , pour
les Te Deum , ou pour les Processions du S. Sacrement
, de la Fête de l'Assomption ou de celle
du Patron , et autres Processions generales qui se
font suivant le Rit du Diocése ou les Ordonnances
des Evêques , lesquels usages seront entretenus
comme par le passé.
VII. N'entendons pareillement rien innover
Sur l'usage où sont plusieurs Paroisses , d'assister
le jour de la Fête du Patron ou autres Fêtes so
lemnelles
FEVRIER. 1731.
lemnelles à l'Office divin , dans les Eglises des Abbayes
, Prieurez ou autres Bénéfices , ou d'y faire"
le Service qu'elles ont accoutumé d'y célébrer .
Voulons qu'en cas de contestation sur le fait
de l'usage et de la possession , par rapport aux
dispositions du present article et du précédent, il
y soit pourvû par les Juges cy- après marquez
sur les titres et actes de possession des Parties ; le
tout sans préjudice aux Archevêques et Evêques
de regler les difficultez qui pourroient naître dans
le cas desd. art. au sujet des Offices ou Cérémo
nies Ecclésiastiques , et seront les Ordonnances
par eux rendues sur ce sujet , exécutées par provision,
nonobstant l'appel simple ou comme d'abus
, et sans y préjudicier.
VIII. Voulons aussi que dans les lieux où la
Paroisse est desservie à un Autel particulier de
l'Eglise dont elle dépend , les Religieux ou Chanoines
Reguliers de l'Abbaye , Prieuré ou autres
Benefices , puissent continuer de chanter seuls
l'Office Canonial dans le Choeur , et de disposer
des bancs ou sépultures dans leursdites Eglises
s'ils sont en possession paisible et immémoriale
de ces prérogatives .
IX. Les difficultés nées ou à naître sur les
heures ausquelles la Messe Paroissiale ou d'autres
parties de l'Office Divin doivent être celebrées
l'Autel et lieux destinés à l'usage de la Paroisse
seront reglés par l'Evêque Diocésain , auquel seul
appartiendra aussi de prescrire les jours et heures
auquel le Saint Sacrement sera ou pourra être exposé
audit Autel , même à celui des Religieux ou
Chanoines Reguliers de la même Eglise , et les
Ordonnances par lui rendues sur le contenu au
présent Article seront executées par provision
pendant l'appel simple ou comme d'abus , et sans
Y préjudicier , et ce nonobstant tous privileges et
exemp
412 MERCURE DE FRANCE
(
exemption , même sous prétexte de Jurisdiction
quasi Episcopale prétendue par lesdites Abbayes ,
Prieurés et autres Benefices , lesdites exemptions
et Jurisdictions ne devant avoir lieu en pareille
matiere.
X. Les Curés primitifs ne pourront , sous quelque
prétexte que ce puisse être , présider ou as
sister aux Conferences ou Assemblées que les Curés
-Vicaires perpetuels tiennent avec les Prêtres
qui desservent leurs Paroisses , par rapport aux
fonctions ou devoirs ausquels ils sont obligés ,
ou autres matieres semblables. Leur défendons
pareillement de se trouver aux Assemblées des
Curés-Vicaires perpetuels et Marguilliers qui regardent
la fabrique ou Padministration des biens
de l'Eglise Paroissiale , ni de s'attribuer la garde
des archives , des titres de la Cure ou Fabrique ,
ou le droit d'en conserver les clefs entre leurs
mains , et ce nonobstant tous Actes , Sentences et
Arrêts ou usages ce contraires. à
XI.LesAbbayes, Prieurés ouCommunautés,ayant
droit de Curés primitifs , ne pourront être dé
chargés du payement des portions congrues des
Curés - Vicaires perpetuels et de leurs Vicaires ,
sous prétexte de l'abandon qu'ils pourroient faire
des dixmes à eux appartenantes , à moins qu'ils
n'abandonnent aussi tous les biens et revenus
qu'ils possedent dans lesdites Paroisses , et qui
sont de l'ancien patrimoine des Curés ; ensemble
le titre et droits des Curés primitifs , le tout
sans préjudice du recours que les Abbés ou Prieurs
et les Religieux pourront exercer reciproquement
en ce cas les uns contre les autres , selon que
biens abandonnés se trouveront être dans la
Manse de l'Abbé ou Prieur , ou dans celle des
Religieux .
les
XII. Les contestations qui concernent. la
qualité
FEVRIER. 1731 413
qualité de Curés Primitifs , et les droits qui en
peuvent dépendre , ou les distinctions et prérogatives
prétendues par certaines Eglises principales
, comme aussi celles qui pourront naître au
sujet des portions congrues , et en genéral toutes
les demandes qui seront formées entre les Curés
Primitifs , les Curés - Vicaires perpetuels et les
gros Décimateurs sur les droits par eux respecti
vement prétendus , seront portés en premiere
instance devant nos Baillifs et Sénéchaux et autres
Juges des cas Royaux , ressortissant nuëment
nos Cours de Parlement dans le territoire desquelles
les Cures se trouveront situées , sans que
Pappel des Sentences et Jugemens par eux rendus
en cette matiere puisse être relevé ailleurs
qu'en nosdites Cours de Parlement , chacune dans
son ressort , et ce nonobstant toutes évocations
qui auroient été accordées par le passé , ou qui
pourroient l'être par la suite à tous Ordres , Congrégations
, Corps , Communautés ou Particuliers
, Lettres Patentes ou Déclarations à ce contraires
, ausquelles nous avons derogé et derogeons
par ces présentes , notamment à celle du
dernier Août 1687. portant que les appellations
des Sentences rendues, par les Baillifs et Senéchaux
au sujet des contestations formées sur le payement
des portions congrues , seront relevées en
notre Grand- Conseil , lorsque les Ordres Religieux
, les Communautés ou les Particuliers qui
ont leurs évocations en ce Tribunal se trouveront
parties dans lesdites contestations.
X III. Les Sentences et Jugemens qui seront
rendus sur les contestations mentionnées dans
l'Article précedent , soit en faveur des Curés primitifs
, soit au profit des Curés - Vicaires perpetuels
, seront exécutés par provision , nonobstant
l'appel , et sans y préjudicier,
XIV.
414 MERCURE DE FRANCE
XIV. Voulons que notre présente Déclara →
tion soit observée , tant pour ce qui regarde les
Curés-Vicaires perpetuels des Villes , que pour
ceux de la Campagne , et qu'elle soit pareillement
executée à l'égard de tous Ordres , Congrégations,
Corps et Communautés Séculieres et Regulieres ,
même à l'égard de l'Ordre de Malthe , de celui
de Fontevrault et tous autres , et pour toutes les
Abbayes , Prieurés et autres Bénéfices qui en dépendent
, sans néanmoins que les Chapitres des
Eglises Cathédrales ou Collegiales soient censés
compris dans la présente disposition , en ce qui
concerne les prééminences , honneurs et distinc--
tions dont ils sont en possession , même celle de
prêcher , avec la permission de l'Evêque , certains .
jours de l'année , desquelles prérogatives ils pourront
continuer de jouir , ainsi qu'ils ont bien et
duement fait par le paffé.
X V. Voulons au furplus que les Déclarations
des 29 Janvier 1686 et celle du 30 Juin 1690 et
P'Article premier de la Déclaration du 30 Juillet
1710 soient executées selon leur forme et teneur
, en ce qui n'est point contraire à notre présente
Déclaration. Si donnons en Mandement à
nos amés et feaux Conseillers les Gens tenans
notre Cour de Parlement , à Paris , que ces présentes
ils fassent lire , publier et enregistrer , et le
contenu en icelles garder et observer selon leur
forme et teneur , nonobstant tous Edits , Décla
rations , Arrêts et autres choses à ce contraires ,
ausquels nous avons dérogé et dérogeons par ces
presentes Car tel est notre plaisir , en témoin
de quoi nous avons fait mettre notre scel à cesdites
presentes. Donné à Marli le quinziéme jour
de Janvier , l'an de grace mi sept cent trente et
un , et de nôtre Regne le seizième . Signé LOUIS,
et plus bas , par le Roi , PHELY PEAUX , et
scellé
FEVRIER. 1731. 415
7
scellé du grand sceau de cire jaune. Registrée ,
ouy , et ce requerant le Procureur General du
Roi pour être executée selon sa forme et teneur,
et copies collationnées envoyées aux Bailliages
et Sénechaussées du Ressort , pour y être
lues , publiées et enregistrées : Enjoint aux Subtituts
du Procureur Genéral du Roi d'y tenir
la main et d'en certifier la Cour dans un
mois , suivant l Arrét de ce jour. A Paris en
Parlement le seize Fevrier mil sept cent trente
et un. Signé Y SA BEAU,
>
TABLE .
Ieces Fugitives , Envoy d'un Pâté , Poëme, 203
Pcuvicing Lettre touchant l'Essai de l'Ortographe
sur la Bibliotheque des Enfans , 209
241
Ode ,
Lettre sur l'A B C ou Bibliotheque
des Enfans , 246
Troisiéme Chap.du Roman Comique en Vers, 261
Lettre sur la bonté des vins de Joigni , & c . 271
Vers au Marquis D.
Eloge de Mad. du Bois de la Pierre ,
Enigmes , Logogryphes ,
283
284
294
Nouvelles Litteraires , des Beaux Arts , &c. 296
Le Nouvelliste du Parnasse , 299
Le Triomphe de l'Interêt , Comedie , 301
Le Brutus , Tragédie , 306
La Mort des Enfans de Brute , Tragédie , 312
Les Avantures d'Aristée et de Telasie , 314
L'Eloge de Car ,
Anecdotes Grecques , &c,
Abregé du Projet de Paix perpetuelle , & c.
Traité de la Gulture des Jardins ,
Programme sur un exercice de Belles Lettres, 324
Stances sur le même sujet , 327
Por-
315
317
319
329
Porcelaines de Dresde , &c. 329
Lettre sur le bruit entendu à Anfacq ; 333
Chanson notée , 339
Spectacles , ibid.
Bolus , Parodie de Brutus , Extrait , 342
L'Esclavage de Psyché , Opera Comique , 357
Nouveau Théatre qu'on va construire ,
Nouvelles de Turquie et Perse ,
36f
366
Extrait de Lettre sur la Révolution de Constantinople
, 370
Relation de la Révolte à Tripoly de Syrie , 371
De Pologne , Dannemarck , Allemagne et Italie
. 377
D'Espagne , Grande -Bretagne , Discours du Roi
au Parlement , & c.
Pays- Bas , Bruxelles , & c.
Morts , Mariages des Pays Etrangers ,
France , Nouvelles de la Cour , de Paris ,
Concerts de la Cour 5
Benefices donnez ,
Morts , Naissances
Arrêts Notables",
382
388
390
&c. 391
395
398
399
403
PAge
Errata de Janvier.
Age 35. figne 14 Yipografique , lisex Tipografique
.
P. 147. 1. 22. second , l. cinquiéme.
P. 178. 1. 13. Mavarti , I. Maccarty.
Fantes à corriger dans ce Livre.
PA , 35.4. Page
Age 3 14. ligne 6. vouloir , lisez voulez- vous.
P. 315. 1. 18. l'élégance , l'étendue , 7. l'élégance
à.
P. 320. 1. 19. acheté , l . achevé.
P. 361. 1. 11. plus que , l. plus qu'à .
La Chanson notée doit regarder la page 339
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT
MAR S. 1731 .
SPARGIT
QUE
COLLE
Chez
A PARIS ,
( GUILLAUME CAVELIER,
rue S. Jacques , au Lys d'Or.
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conty,
à la descente du Pont- Neuf , au coin
de la rue de Nevers , à la Croix d'Or.
JEAN DE NULLY , au Palais ,
à l'Ecu de France et à la Palme.
M. DCC. X X X I,
vec Approbation & Privilege du Roy.
***********:*XXXX
L
AVIS.
'ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU
Commis an
Mercure , vis - à - vis la Comedie Fran-
Coife , à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuventfe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très-inftamment , quand on adreſſe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
oin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
oûjours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non-feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie.
›
Les Libraires des Provinces & des .Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire porter fur
Pheure à la Pofte , ou aux Meffageries qu'on
tui indiquera.
PRIX XX X. SOLS,
MERCURE
DE FRANCE ,
DEDIE AU ROT.
MARS. 1731 .
XXXXX
PIECES FUGITIVES ,
A
en Vers & en Prose.
"
L'HO M M E.
O DE.
Mas de fange et de poussiere ,'
Homme , reconnois ton erreur ;
Jusqu'à quand une Ombre grossiere ,
Aveuglera- t'elle ton coeur ?
De tes passions triomphantes ,
Brise les chaînes séduisantes
Vois tes malheurs , ouvre les yeux :
En proye aux plus honteux caprices ,
A ij E
416
MERCURE DE FRANCE ,
Et toujous esclave des vices ,
N'auras-tu jamais d'autres Dieux ?
Errant d'abord à l'avanture¸
On te vit sans humanité ,
Suivre d'une aveugle Nature ,
Le mouvement précipité.
Bien-tôt d'une nuit si funeste ,
La Raison , ce flambeau celeste ,
Voulût dissiper, les horreurs ;
Mais par une erreur sans égale ,
Mortels , cette clarté fatale ,
Ne fit qu'éclairer vos fureurs,
M
L'Homme devenu moins rustique,
Deserta les Antres obscurs ,
Une cruelle politique ,
a
>
Eleva de superbes murs ;
Ingenieux , mais triste ouvrage !
C'est pour mieux assouvir leur rage ,
Qu'on voit s'assembler les Humains ;
S'ils quittent leurs premiers aziles ,
C'est que rapprochez dans les Villes ,
Ils portent des coups plus certains.
Quelle impitoyable Eumenide ,
Dicte ces projets criminels ?
Quelle
MARS.
1731. 417
Quel est le démon qui préside ,
Au sort des coupables Mortels ?
L'Interêt avec l'Injustice ,
L'Ambition et l'Avarice ,
Ont enchaîné tout l'Univers :
Courbez sous le poids des Entraves
On nous a vûs, lâches Esclaves ,
Adorer jusques à nos fers .
Souverain Maître de la Terre ;
Allume tes feux devorans :
Grand Dieu , de quoi sert ton Tonnerre ,
Si tu n'en frappes les méchans ?
Mais j'implore en vain ta Justice ,
Ta bonté passe la malice ,
Des plus horribles attentats :
Et quand par une erreur extrême ,"
L'Homme veut se perdre lui-même¿
Ta clémence ne le veut pas.
Enfin à la Terre éperduë ,
Le Ciel fit entendre sa voix :
Thémis en ces lieux descenduë ,
Vint pour y rétablir ses droits.
Mais sous l'effort de l'opulence ,
Son glaive tomba , sa balance ,
Des innocents fut le fleau :
A iij
Le
18 MERCURE DE FRANCE
Le crime brava la Sagesse ,
Et pour aveugler la Déesse ,
11 scut
lui donner un bandean.
›
Muse , de ces temps de tenebres
Ne creusons plus l'obscurité :
Passons à ces siècles celebres ,
Où l'on vit briller la clarté .. 2
Foible lueur ! ces tristes Ombres ,
Ces nuages , ces voiles sombres ,
Ne sont point encore.disparus ;
Et si l'on nous croit moins coupables ,
C'est qu'aux vices les plus blamables ,
Nous donnons le nom des Vertus.
C'est en vain que Rome et la Greces
Osent vanter leurs demi Dieux ,
Farouches et pleins de foiblesse ,
Ce sont des Monstres à mes yeux.
Otant l'imposture du masque ,
Je vois que leur valeur fantasque ;
N'est qu'un frénetique transport ;
Et que ce qu'on nomme courage ,
N'est chez eux qu'un accès de rage
Qui les fait courir à la mort.
Lors
MARS. 1731 .
419
Lorsqu'un Romain (4) plein de furie ,
Se jette dans un gouffre affreux ;
Est - ce l'amour de la Patrie ,
Qui lui fait offenser les Dieux ?
Vains admirateurs que nous sommes !
Nous osons honorer des hommes ,
Dont les crimes sont le soutien ;
Et par un jugement injuste ,
L'Assassin ( b ) du Pere d'Auguste ,
Passe pour un bon Citoyen.
Et vous , Sages , ( e ) que dans Athênes
On a crûs des hommes divins ;
Vous dont les apparences vaines ,
Tromperent les foibles Humains ;
Envain votre orgueil hypocrite ,
Déguisé sous un faux mérite ,
Dicta les plus belles leçons ;
Votre sagesse imaginaire ,
Ne fut qu'une folie austere
A qui l'on donna de beaux noms.
Souvent du plus bel héroïsme ,
Le crime ternit la splendeur ;
(a ) Martius Curtius .
( b ) Brutus , qui assassina Jules Cesar dans
le Sénat.
(c) Les Sept Sages de la Grece.
A iiij
Et
420 MERCURE DE FRANCE
Et sa vertu n'est qu'un sophisme ,
Qui cache les deffauts du coeur.
Dans leurs Projets illegitimes ,
Nos Héros font naître leurs crimes
Du sein même de leurs vertus ;
Et leurs qualitez les plus rares ,
Sont souvent les sources bisarres
Des plus détestables abus
諾
Cent fois l'Eloquence hardie
Fit pâlir ces Tyrans hautains ,
Qui dù joug de leur tyrannie ,
Vouloient accabler les Humains.
Mais aussi de ces mêmes armes,
Dont les Tyrans craignoient les charmes,
Elle osa percer l'Innocent ;
Et par un contraste effroyable ,
Il fut permis d'être coupable ,
Aussi- tôt qu'on fut éloquent.
Dans sa fougueuse frenesie ,
Exa tant d'illustres travaux
L'audacieuse Poësie ,
Immortalisa les Héros.
y
Art divin ! si dans ses caprices ,
Il n'eût aux plus infames vices
Dressé de coupables Autels ;
MARS.
421 1731 .
}
Et si sa fureur sacrilege ,
N'eût usurpé le privilege ,
D'encenser des Dieux criminels.
M
De notre aveuglement extrême;
Quels sont les funestes effets !
Je cherche l'homme dans lui-même ,
Je n'y trouve que des forfaits .
L'ambition qui le devore ,
Contre les Rivaux qu'il abhorre ;
Lui prête d'injustes secours ;
Le poison , le fer et les flammes ,
Par ses intrigues , par ses trames
Ont abregé les plus beaux jours.
Mais de ces crimes effroyables ,
Pourquoi retracer les horreurs ?
De tant de projets détestables ,
Oublions les noires fureurs.
De ce Philosophe (a ) d'Athênes ;
Dont les recherches furent vaines ,
J'emprunte aujourd'hui le flambeau ;
Et dans l'ardeur qui me consomme ,
'Ainsi que lui , je cherche un homme ,
Qui soit digne d'un nom si beau.
*
(a) Diogene
A v Laisson
Av
422 MERCURE DE FRANCE
Laissons ces superbes Portiques ,
Du crime ornement fastueux ;
C'est dans les Cabanes rustiques ,
Qu'habite l'homme vertueux.
C'est -là
que retrouvant Astrée,
Je vois l'innocence adorée ,
Par des hommes vraiment Héros
C'est là qu'une belle rudesse ,
Confond cette délicatesse ,
Dont nous couvrons tous nos deffauts.
Par M, R. V. D. ***
REPONSE à la Ettre d'un Grammairien
de Province,sur le Bureau Tipographique,
inserée dans le Mercure de Janvier 1731
page 35. écrite de Rennes le 23. Fevrier
1731.
›
O.
Ntre tant de differens sujets qui font
ENla matiere de votre Mercure , Monsieur
, et qui en rendent la lecture utile
et amusante , il en paroît un depuis quel
que tems dont la nouveauté a , ce semble ,
dû mériter Pattention des Lecteurs qui
aiment le bien public. L'Auteur de cette
ingenieuse invention sentant , comme
on n'en doute pas , l'avantage de son
Bureau
MARS. 1731. 423
Bureau , pouvoit dans l'exposition de son
Systême , ne point tant s'embarasser de
la prévention des hommes , qui seule
peut en surprendre le progrès, et ne point
heurter de front , comme il a fait , la
Métho devulgaire; il n'auroit pas rencon
tré les obstacles ausquels il doit s'atten
dre de la part de ceux qui se sont identi
fiez , comme il dit fort bien dans sa derniere
Lettre avec les anciennes opinions
, lesquelles ont prévalu dans bien
des Provinces jusqu'à present , faute de
mieux.
,
Mettant à part toutes les objections raisonnées
que l'esprit de contradiction , si
naturel à l'homme , et l'amour propre ,
font faire du premier abord , il faut courir
aux experiences. Ce sont- là , si je ne
me trompe , les armes qu'il faut employer
dans ces sortes de combats ; l'Auteur en
presente , reste à sçavoir si elles sont bonnes
, c'est son affaire , et vous en pouvez
mieux juger que nous autres Habitans de
la Province.
Tous les Charlatans , qui jusqu'ici
ont annoncé des nouveautez dans ce genre
, sont tombez d'eux-mêmes ; personne:
n'a pris à tâche de les contrarier , parce
que les absurditez étoient trop manifestes
, et aucun ne produisoit la moindre
experience , l'Auteur du Bureau Ty--
A vj pografique
424 MERCURE DE FRANCE
pographique , dont nous attendons le
dénouement , trouve des gens qui lui disent
, non avant qu'il ait achevé de parler
, ces petits traits de la prévention font
rire le Lecteur ; mais quand on veut les
amplifier par des raisonnemens qui n'ont
ni commencement ni fin , le Lecteur renvoye
le Critique à l'A B C.
Le Grammairien en question devroit
attendre que l'Auteur du Bureau eût tour
dit , qu'il eût donné l'A B C et le Rudiment
Pratique dont il parle , et c'est ce
qu'on doit desirer pour être en état de
juger ; malgré la petite experience que je
fais actuellement , qui est entierement favorable
à l'Auteur , je n'ai point encore
pris de parti ; mais si le reste répond à
ce commencement, on ne peut qu'en bien
augurer ; et je serai avec plaisir au nombre
de ceux qu'il cite pour lui fournir
des armes ; tout homme d'honneur doit
rendre témoignage à la verité , lorsqu'il
est en état de le faire.
Ayant un enfant qui a cû 32. mois le 1 §.
Novembre dernier , et qui ne prononçoit
que le dernier son des mots , je lui fis en
carton un rang de logetes, faute d'ouvriers,
qui pussent faire un Bureau sur l'exposé
que fait l'Auteur dans vos Mercures , je
mis l'étiquette de chaque Lettre , grandes
et petites , au- dessus de chaque Logette
MARS. 1731 42
gette , je les garnis de cartes sur lesquelles
je colai des caracteres que j'avois coupez
d'un côté et d'autre , je me mis à
jouer avec l'enfant , quand il sçût les
voyeles , ce qui se fit du soir au lendemain,
je fus très - surpris de le voir en
quinze jours sûr de toutes ses lettres ; ce
succès me détermina à lui faire un Bureau
tel quel , et maintenant j'en suis aux
sons de la langue dont il n'est pas moins
sûr , et je l'occupe à imprimer des mots
dont il se tire passablement , et qu'il ne
sçauroit cependant encore prononcer. On
ne peut refuser après cela aux judicieuses
refléxions que fait l'Auteur sur la ridicule
prévention où l'on est d'amuser les
enfans à des niaiseries qui ne leur laissent
rien dans la memoire ; celui - ci court
à son Bureau , c'est sa chapelle , et il ne
me paroît pas plus difficile de lui donner
des objets utiles que des Polichinels dont
il ne fera jamais aucun usage. Je ne dis
pas que cette invention puisse être pratiquée
dans un College , je n'en sçais encore
rien ,l'Auteur n'insiste pas là -dessus ;
mais il m'importe peu qu'on l'y reçoive
ou qu'on ne l'y reçoive pas, pourvû que j'y
trouve mon compte et que
l'enfant se
trouve sans y penser débarassé de toutes
les épines qui accompagnent les premiers
principes.
Cette
426 MERCURE DE FRANCE.
Cette ingenieuse Machine qui ne sçauroit
être que l'effet de longues médita
tions , me fait remercier l'Auteur publiquement
et le conjurer de ne se point rebuter
, malgré les vaines déclamations qui
commencent à paroître contre lui , et qui
retombent sur les petits génies remplis
d'eux-mêmes , dont tout le plaisir est de
vouloir faire adopter leur ignorance com
me une science certaine et infaillible . Le
Grammairien , soy - disant, qui s'éleve dans
votre Mercure , devroit avant que d'écrire
, apprendre à penser , et s'il croit avoir
raison , nous démontrer avec politesse
que nous donnons dans l'erreur. Tout
Ecrivain dont le style est grossier , m'est
suspect,et je n'en attends aucune instruc
tion.
Je suis persuadé que l'Auteur trouvera
dans le sein de l'Université de Paris où
sont les Maîtres du bon gout , qui ne
sont occupez qu'à donner une bonne éducation
à la jeunesse , toute la satisfaction
qu'il peut esperer , comme elle a été la
premiere à quitter l'ancienne routine et
à marcher par des chemins plus faciles
pour les jeunes gens , tant qu'elle trouvera
des hommes qui la seconderont et
qui ne dédaigneront pas de s'abaisser pour
faciliter les premiers élemens des Lettres,
elles les favorisera toujours. J'ai l'honneur
d'être , &c.
MARS.
4277 1737.
į į ƒ ƒ f f f f f
SUR UNE GAGEURE..
EN voyant mille attraits parer votre visage ,
Et mille Amans à vos genoux ;
Je gageai que le mariage ,
Etoit , belle Caton , à quatre pas de vous :
Et qu'avant la fin de l'année ,
Le charmant Dieu de l'Hymenée ,
Formant pour vous les noeuds les plus beaux ,
plus doux ,
Uniroit votre destinée
Au plus fortuné des Epoux.
Vous fûtes assez témeraire ,
Four oser gager le contraire
Et vous l'emportez cependant ;
Ce jour où l'on se renouvelle ,
Vous trouve encore Demoiselle ,.
Vous avez gagné , je me rends.
Je sçavois bien que la victoire ,
De vous suivre en tous lieux faisoit profession }
Mais aussi qui n'auroit du croire ,
Qu'elle vous manqueroit en cette occasion ?
Vainement s'excuseroit- elle ,
Sur sa longue habitude à marcher sur vos pas ,
Ce n'étoit point ici le cas ,
De vous paroître si fidele ;
?
less
Et
428 MERCURE DE FRANCE.
Et j'ai peine à lui pardonner ,
Une si grossiere méprise ,
Car en votre personne il n'est rien qui ne dise,
Que je méritois de gagner.
On y trouve un beau caractère.
Un coeur grand , genereux , sincere ,
La vertu , l'esprit , la beauté ,
Les graces et la majesté ,
Les agrémens de la jeunesse ,
Les traits de la délicatesse ,
J'en dirois cent fois plus que j'en dirois trop peų;
Mais enfin plus je considere ,
Moins je vois comment j'ai pû faire ,
Pour perdre avec un si beau jeu.
XXXXXX:X:XXXXX:XXX
LETTRE de Madame la Comtesse
de ... à M. le Chevalier de ... sur la
nouvelle Tragédie de Brutus.
V
Ous m'avez fait un vrai plaisir ,
Monsieur , de m'envoyer le Brutus
de M. de Voltaire ; je l'attendois avec une
impatience que je ne sçaurois vous exprimer.
L'interêt que je prends dans la gloire,
de l'Auteur m'avoit rendue incrédule
sur toutes les relations qu'on m'avoit
envoyées au sujet de sa Piéce , je commençois
MARS. 1731. 429
mençois même à perdre un peu de Cette
confiance que j'ai toujours euë en votre
goût , parceque vous étiez du nombre de
ceux qui vouloient dégrader cet Ouvrage
dans mon esprit. Il est enfin arrivé jusqu'à
moi , et la premiere lecture que j'en
ai faite vous a rendu toute mon estime.
Le jugement que j'en porte ici malgré
moi est d'autant plus au désavantage de
M. de V. que j'étois la personne de France
la plus prévenue en sa faveur ; je vous
avouë même que je m'étois flattée que
cette Tragédie n'auroit déplû aux Spectateurs
que parce qu'elle n'auroit pas
été représentée par des Acteurs tels que
Baron et la Lecouvreur , et qu'elle regagneroit
sous les yeux ce qu'elle avoit perdu
sur le Théatre ; rien de tout cela n'est
arrivé , ou plutôt j'ai éprouvé tout le contraire.
Les grands Vers de la premiere
Scene m'ont presque fait croire que je
lisois un nouveau Chant de la Henriade :
Est- ce là , me suis- je dit , le ton que pren
nent Corneille et Racine , et qu'ils doivent
donner à tous ceux qui entrent dans
une carriere qu'ils ont si dignement
remplie ? Je conviens que M. de V. quitte
quelquefois le ton Epique , mais d'un excès
il tombe dans un autre qui lui fait
encore plus de tort , et l'on a de la peine
à se figurer , qu'aprés s'être élevé si haut
430 MERCURE DE FRANCE
و
;
9
on puisse descendre si bas , d'où je conclus
que sa vocation n'est pas pour le
Théatre. Il ne me seroit pas difficile
Monsieur , de prouver ce que j'avance si
j'écrivois à quelqu'un de ses partisans
outrés ; mais comme nous sommes à peu
près d'un même sentiment , je n'ai pas
bésoin de vous donner des raisons dont
Vous n'avez pas besoin vous même ; ainsi
pour ne pas charger le papier de choses
inutiles permettez que je passe à des
remarques plus essentielles , et que je van
ge M. de V. d'une calomnie contre la
quelle je me suis toujours revoltée . J'avois
reçû à ma Campagne une Piéce Burlesque
, ou espece d'Arrêt de Momus ,
par lequel ce Dieu , qui n'épargne pas les
Dieux mêmes condamnoit M. de V. à la
restitution de sept ou huit cent Vers pillés
dans l'ancien Brutus de Mile Bernard.
J'ai été ravie pour la gloire de mon Héros
versifiant de réduire ce nombre exorbitant
à cinq ou six hemistiches que sa mémoire
lui a dictés à l'insçû de son esprit.
Cette justice que je lui rends ne m'empêche
pourtant pas de convenir avec le
même esprit d'équité , qu'il n'a pas été si
reservé pour le fond que pour le détail
et que le plan
plan du dernier Brutus me paroît
avoir été dressé sur celui du premier.
C'est ce que j'entreprends de vous prouver
MARS. 1731. 435
ver dans l'ignorance où je suis que votre
sentiment soit conforme au mien ; je vais
donc , Monsieur , vous tracer en peu de
mots l'argument du Brutus de Mile B.
pour venir après à la conformité que ce
fond de Tragédie peut avoir avec celui
du nouveau Brutus.
Brutus et Valerius , Consuls des Romains
, ouvrent la Scene au premier Acte ,
dans le Palais même d'où Tarquin a été
chassé ; ils se disposent à entendre Octavius
, Ambassadeur de ce Roi détrôné .
Octavius plaide la cause de son Maître ,
mais inutilement ; il part , chargé d'un
refus pour toute réponse.
Brutus propose à Valerius l'hymen de
Titus , son fils aîné , avec la soeur de Valerius
son Collegue au Consulat ; la
proposition est acceptée . Titus et Tiberinus
mandés par Brutus arrivent ; Valerius
se retire. Brutus déclare à Titus ce qu'il
vient de résoudre avec Valerius ; Titus
s'en défend ; Brutus lui ordonne d'obeïr;
il dit à Tiberinus qu'il prétend l'unir à
la fille d'Acquilius , qui , quoique parent
de Tarquin n'a pas laissé d'étre fidele à
la Patrie ; Tiberinus obéit avec d'autant
-plus de plaisir, qu'il aime cette même Acquilie
que Brutus , son pere , lui destine
pour Epouse.
Titus se plaint à Marcellus , son Confident
,
432 MERCURE DE FRANCE.
sident, de la dure loi que Brutus lui impose
malgré l'amour qu'il a pour cette
même Acquilie qu'il destine à son frere ;
il se retire , voyant approcher Valerie.
Valerie se plaint de l'indifference de
Titus qui la fuit au moment qu'on vient
de lui proposer son hymen ; elle soupçonne
Acquilie d'être sa Rivale , et Rivale
aimée ; elle veut la faire épier par
Vindicius ; autrefois Esclave d'Acquilius
maintenant le sien , et de plus comblé
de ses bienfaits.
Octavius ,
Ambassadeur de Tarquin et
Acquilius , parent de ce Roi banni , commencent
le second Acte. Acquilius apprend
à Octavius qu'il est le chef de cinq
cent Conjurés qui doivent ouvrir la
porte
Quirinale à Tarquin ; il lui dit que Tiberinus
même est de ce nombre , et se
flatte d'engager Titus lui- même dans la
conjuration par le moyen de sa fille Acquilie
dont il est éperdument amoureux.
Octavius exige de lui le nom et le seing
de tous les Conjurés , afin que Tarquin ,
avant que de rien entreprendre , sçache
sur qui il doit compter.
Acquilie vient se jetter aux pieds de son
peres elle le prie de ne la point contraindre
à devenir la femme de Tiberinus
qu'elle hait ; Acquilius lui demande si elle
aime Titus ; il l'engage adroitement à lui
Ouvrir
MARS . 1731. 433
ouvrir son coeur ; elle lui fait l'aveu de
son amour. Acquilius lui dit qu'il voudroit
bien que Titus fut heureux s'il
osoit le mériter ; Acquilie lui répond qu'il
est trop ennemi de Tarquin et trop fidele
à la République ; son pere la presse d'éprouver
ce qu'elle a de pouvoir sur son
coeur , sans pourtant lui rien découvrir
de la conjuration .
Aprés une Scene intermediaire , et qui
ne sert que de liaison , Titus vient ; Acquilie
n'ose lui dire à quel prix il pour
roit l'obtenir de son pere. Titus desesperant
de lui arracher son secret, vá trouver
Acquilius même , pour en être instruit.
Tiberinus qu'on a d'abord peint seument
comme ambitieux , parle à Acqui
lie en Amant desesperé qui veut l'obtenir
malgré elle ; Acquilie a beau lui déclarer
qu'elle aime Titus , et qu'elle l'aimera
toujours , il n'en persiste pas moins
à l'épouser , et va presser l'hymen qui
doit le venger. Les menaces de Tiberinus
déterminent Acquilie à faire un dernier
effort sur Titus.
Au troisiéme Acte , Acquilie exige un
serment de Titus avant que de lui déclarer
le secret que son pere vient de lui
permettre de réveler ; Titus atteste tous
les Dieux que son secret sera enseveli
dans un silence éternel. Rassurée par ce
serment
434 MERCURE DE FRANCE
serment , elle lui déclare qu'il ne peut
l'obtenir d'Acquilius qu'en conspirant
avec lui en faveur de Tarquin ; Titus fré
mit à cette proposition . Cette Scene est
des plus pathetiques ; Acquilie se retire
sans avoir pû ébranler la vertu de son
Amant , quoiqu'elle lui ait fait entendre
que Tiberinus , son frere , est entré dans
la conjuration , et qu'elle doit être à lui
à son refus. Titus flotte entre son amour
et son devoir ; mais ce dernier emporte
la balance .
Tiberinus vient ébranler la vertu de Titus
par une joye insultante et par l'assurance
de son hymen prochain avec Acquilie.
Titus dans un court monologue
fait entendre que sa constance est à bout,
et que la perte d'Acquilie est pour lui le
plus grand des maux.
3
Acquilius vient achever ce que la jalousie
a commencé dans le coeur de Titus;
mais ce qui lui porte le dernier coup ,
c'est le danger d'Acquilie dont il ne peut
plus douter après cette protestation de
son pere , au sujet de la conjuration dont
il s'est déclaré le chef à ses yeux.
sup
Un homme tel que moi n'attend pas lės
plices ;
Vous aimez Acquilie , elle est de mes complices ;
Ce
MARS.
173.1 . 435
e fer en même-tems terminant notre sort ,
Sçaura nous épargner une honteuse mort.
Titus éperdu suit Acquilius , et fait
entendre aux spectateurs le parti indispensable
qu'il va prendre.
Au quatriéme Acte , Valerie paroît
au comble de la joye d'avoir appris de
Vindicius , son esclave , que le Pere de sa
Rivale est chef d'une conjuration tramée
contre Rome , ce qui doit vrai semblablement
mettre un obstacle éternel à l'hymen
de Titus et d'Acquilie,
Brutus vient ; il n'est encore instruit
que confusément de la conspiration ; Valerie
lui apprend que c'est Acquilius que
en est le chef.
Valerius porte le premier coup à Brutus
, en lui apprenant que son fils Tiberinus
est du nombre des Conjurés , et
qu'on a reconnu son nom et son seing
dans la liste que l'Ambassadeur de Tar
quin a exigée.
Tiberinus entouré de Gardes vient lâchement
demander la vie à Brutus , qui
n'est pas moins honteux de sa lâcheté
qu'irrité de sa trahison ; il ordonne qu'on
l'ôte de ses yeux.
-
Titus vient déclarer à son pere qu'il·
est du nombre des coupables , et lui
demande la mort , afin que son châtiment
étonne
436 MERCURE DE FRANCE
étonne tous ceux qui oseroient l'imiter,
Brutus également frappé de son crime
et de son repentir , ne peut s'empêcher
de laisser échaper des mouvemens de tendresse
; il le quitte pour aller sçavoir les
intentions du Sénat , et lui témoigne qu'il
voudroit bien le sauver s'il n'écoutoit
que les mouvemens d'amour et d'estime
qui lui parlent pour lui,
Valerie apprend à Titus que c'est elle
seule qui l'a perdu , puisqu'elle a fait
découvrir la conjuration par Vindicius
et lui proteste qu'elle s'en punira.
Acquilie vient après que Valerie est
sortie ; Titus la prie de se sauver ; Acquilie
lui répond que puisque c'est pour
l'avoir trop aimée qu'il est entré dans la
conjuration d'Acquilius , son pere , elle
vient le justifief , le sauver ou périr avec
lui. Titus la voyant partir pour se livrer
entre les mains des Consuls , la suit pour
la détourner d'un dessein si fineste.
Valerie fait entendre au cinquiéme Acte
que le Sénat est assemblé pour juger les
coupables ; elle tremble pour Titus . Mar
cellus vient rendre l'esperance à Valerie ,
en lui apprenant que le Sénat laisse Brutus
en liberté de condamner ou d'absoudre
ses deux fils .
Brutus vient ; Valerie lui témoigne sa
joye sur ce que le Sénat vient de faire en
Sa
MARS. 1731. 437
sa faveur ; ce Consul lui répond qu'iltâchera
de reconnoître l'honneur que le
Sénat lui fait. Brutus après avoir tout mis
en balance, se détermine à condamner ses
enfans , et préfere les noms de Citoyen et
de Consul à celui de perc.
Titus amené devant Brutus lui témoi
gne toujours la même fermeté ; sa vertu
augmente les regrets de son Juge. La seule
grace que Titus lui demande , c'est de
pardonner à Acquilie et de la sauver ;
Brutus le quitte , en lui disant :
Tu peux esperer tout , hors de me consoler ;
Adieu , mon fils , adieu , je ne puis te parler.
Titus ne tarde point à aller se livrer au
supplice. Son Rôle finit par ces beaux Vers :
Rome , pardonne-moi mon funeste caprice ;
Mon juste repentir , ma mort t'en font justice ;
Si l'amour m'a séduit en un fatal moment ,
Le Komain a bientôt desavoué l'Amant.
La Tragédie finit par la mort de Titus
et de Tiberinus ; Valerie veut suivre son
Amant jusqu'au lieu du supplice , mais
des Gardes la retiennent ; Acquilie meurt
aux yeux de Titus , soit par un poison
qu'elle a pris , soit par l'excès de sa
douleur ; Valerius ayant appris l'execution
, dit ces deux derniers Vers :
B
438 MERCURE DE FRANCE
O tirannique amour ! & funeste journée ;
A quel prix , liberté , nous êtes vous donnée !
Ne vous attendez pas , Monsieur , à
voir l'extrait du nouveau Brutus à la suite
de celui-ci ; ma Lettre n'est déja que trop
longue , et d'ailleurs vous avez encore
présente à la mémoire la Tragédie que
yous m'avez envoyée , au lieu que vous
n'avez peut - être jamais lû celle de M.
Bernard. Quand même vous auriez déja
oublié le dernier Brutus , je ne doute point
l'extrait que vous venez de lire ne
vous l'ait rappellé par la conformité qui
se trouve entre tous les deux , si non dans
le détail , du moins dans le fond.
que
que
En effet , dequoi s'agit- il dans l'une et
l'autre Piéce , si ce n'est du rétablissement
de Tarquin , dont l'esperance est fondée
sur l'amour ? Ces deux Tragédies commencent
à peu près de même . Dans celle
de Mlle B. C'est un Ambassadeur de Tarquin
, avec cette seule difference dans
celle de M. de V. l'Ambassadeur est plus
respectable , parcequ'il vient au nom de
Porsenna. Mile Bernard a établi la Scene
dans le Palais des Tarquins , et M. de Voltaire
la met dans la Maison des Consuls ,
difference très sensible. D'un côté , peu
Titus et Tiberinus , rivaux en amour et
en ambition , agissent également dans la
Piéce ,
MARS. 1731. 439
Piéce , et de l'autre Tiberinus n'est qu'en
récit , et n'agit que derriere le Théatre
autre difference aussi peu sensible que la
précedente. Tiberinus prêt d'épouser la
Maîtresse de Titus détermine ce dernier
à livrer la Porte Quirinale dans l'une et
dans l'autreTragédie. N'avouez-vous pas,
Monsieur , que voilà bien des ressemblances
avec très peu de differences ? vous
me direz peut- être que dans un pareil
sujet on ne peut gueres éviter de se ressembler
; mais ne peut- on pas arriver à
la même fin sans prendre une marche si
égale. Je vous dirai bien plus ; c'est que
si la Piéce de Mlle B. étoit venue après
celle de M. de V. quoique ces deux Piéces
se ressemblassent également , l'Auteur
de la derniere seroit moins accusé de plagianisme.
Voici comme je prétends soûtenir
cet espece de paradoxe.
M. de V. de peur de trop ressembler à
Mile B. a pris le parti de simplifier sa Tragédie
, et c'est par là qu'il a évité de trop
ressembler : quoi de plus facile ? Mais si
Mile B. avoit travaillé après lui , et même
d'après lui , elle pourroit se vanter à juste
titre , d'avoir encheri sur son original ,
par l'addition d'un nombre infini de traits
qui lui sont propres , et qui lui appartiendroient
incontestablement comme en
étant créatrice. Telle est la double riva
›
Bij lité
440 MERCURE DE FRANCE
dité qui donne lieu à plus d'action ; je
conviens avec vous que ces mêmes traits
qui auroient mis un interêt plus vif dans
de nouveau Brutus , ont été comme autant
d'écueils que M. de V. a évités , pour ne
pas tomber dans une trop grande imitation
; ajouterai même qu'une si sage
précaution l'a réduit à une simplicité trop
Seche. Ses partisans ne laissent pas de lui
en faire honneur. Le Tiberinus , disentils
, et la Valerie de Mlle Bernard sont des
personnages à retrancher d'une Piéce
parcequ'ils sont indignes du beau Tragique.
Je conviens de cela par rapport
Tiberinus , tel que Mile B. nous l'a donné;
-mais ne conviendrez - vous pas que si elle
en avoit fait un Pharnace,il auroit parfaitement
bien tenu son coin dans Brutus
comme fait dans Mithridate le digne Rival
de Xipharés ? nous ne l'aurions pas
vû prosterné aux pieds de Brutus , lui
demander la vie , il auroit dit , au contraire
, avec Pharnace :
Seigneur , dût - on offrir mille morts à ma vûe ,
Je n'irai pas chercher une fille inconnuë.
à
>
Quant à Valerie , je ne conviens pas
qu'il y ait de la bassesse dans son caractere
, elle fait obsetver ce qui se passe
chez le pere de sa Rivale , pour profiter
de
MARS. 1731. 44
de tout ce qui pourra servir son amour ; .
Vindicius , son esclave et son espion
découvre une conspiration dont elle ne
se seroit jamais avisée ; elle se sert de cette
découverte pour empêcher Titus d'épouser
la fille d'un ennemi de la Républi
que. L'orage qu'elle excite retombe sur
Titus même elle en demande pardon à
son Amant , et proteste qu'elle s'en punira
elle-même , si Brutus ne le sauve.
de la rigueur des loix. Quoi de plus naturel
? quoi de plus convenable au Théa--
tre ?
Quelle difference entre Tullie et Acquilie
? Tullie ne balance pas un seul moment
à proposer une trahison à Titus , au
lieu qu'Acquilie tremble à lui déclarer
Pintention de son perc , et ne le fait
par son ordre exprès.
que
Combien s'en faut-il que la fatale liste
des Conjurés soit aussi convaincante dans
M. de V. que dans Mlle B. la premiere.
n'est pas signée , au lieu que la derniere
est revêtue de toute la forme qui peut fa
rendre autentique ; d'où il s'ensuit que
dans l'une des deux Tragédies , Brutus est
un Juge équitable , et qu'il est tout à fait
injuste dans l'autre . Je conviens que M.
de V. fait quelquefois de très- beaux Vers ;
mais j'ose avancer qu'en fait de Poëme
Dramatique , Mlle B. en fait de meilleurs ,
B iij parce442
MERCURE DE FRANCE.
de
parcequ'ils sont plus du ton du genre
Poëme qu'elle traite . Je n'en dis pas davantage
, Monsieur , de peur de paroître
trop partiale pour un Auteur de mon
sexe ; je vais me réconcilier avec M. de
V. par une nouvelle lecture de sa Henriade.
Je ne revoi jamais ce charmant Ouvrage
sans en admirer l'Auteur , et il est
le premier des Poëtes François qui ait
trouvé le secret de faire lire et relire un
Poëme Epique , non seulement sans ennui
, mais avec un plaisir infini . Je suis
Monsieur & c..
****************
AU MARECHAL DUC DE VILLARS,
ODE
Toi , qui des Héros de la Grece
Célebras jadis les exploits ,
Viens seconder ma hardiesse ,
Viens , Homere , affermis ma voix.
Qu'un Guerrier que la France admire
M'entende dignement écrire
Ses plus hauts faits dans mes Chansons
Et que les Filles de mémoire
M'aident à consacrer la gloire
De l'appui de leurs nourissons.
Quelle
MARS.
443 1731.
+
Quelle vengeance
meurtriere
,
Quel Dieu jaloux de nos succès
A réuni l'Europe entiere
Pour faire avorter nos projets ?
Quel Démon ardent à nous nuire
Contre Louis , dans son Empire
Arme des sujets inhumains ? *
Les barbares Soeurs de Megere
A cette secte sanguinaire
Inspirent les plus noirs desseins,
On voit des Bataillons perfides
Sortis tout d'un coup des forêts ,
Ainsi que des torrens rapides
Ravager nos riches guerets ;
Les Temples , objets de leur rage ,
Sont détruits , ou pleins de carnage ,
Tout cede à leur férocité :
Quel vaillant guerrier , quel Alcide
Domptera l'audace intrépide
De ces Monstres d'impieté ?
Quoi ! leurs cohortes menaçantes
Qui couvroient nos sillons de morts ,
A l'aspect de Villars tremblantes ,
Cedent à ses premiers efforts !
* Les Fanatiques.
B iiij
Leurs
444 MERCURE DE FRANCE
Leurs Chefs malgré leur arrogance
Ne trouvent que dans sa clémence
Dequoi dissiper leur terreur :
En vain la discorde sans cesse
Chez tous nos ennemis s'empresse
D'armer pour aider leur fureur.
Vous qui dans Thionville allarmée
Voulez foudroyer nos Guerriers ,
Que ne renversez- vous l'Armée
Qui vous ravit tant de lauriers
Le feu de vos Troupes nombreuses ,
Ni du Rhin les ondes fougueuses.
Ne sçauroient arrêter Villars .
Courez au combat ; sa présence
Doit exciter votre vengeance
A tenter les plus grands hazards.
Que vois-je ? déja vers la Flandre
Ils ont précipité leurs pas ;
Est- ce pour ne rien entreprendre
* Campagne de 1705. au commencement de
laquelle le Prince Eugene et M. Malebouroug
joignirent toutes leurs forces pour pénetrerjusqu'en
France par Thionville ; mais M. de Villars
avec des forces très inférieures se campa
de façon qu'il couvrit Thionville et les autres
Places voisines , en sorte qu'ils n'oserent entreprendre
ce Siege ni l'attaquer.
་
Qu'ils
MARS.
445. 1731.
Qu'ils ont armé tant de Soldats ?
Pour vous , grand Héros , que l'Alsące
Vit imiter la noble audace
Du fier Vainqueur de Darius ,
Vous faites voir qu'à la vaillance
Vous sçavez joindre la prudencè ,
Qui fit triompher Fabius. ( b )
Le Dieu qui lance le tonnerre ,
Pour se vanger de nos forfaits
A- t'il pour toujours de la Terre
Exilé Themis et la Paix ?
Que d'Escadrons ! que de cohortes
Ont deja jusques à nos portes
Fait avancer leurs Etendarts !
Mais quel éclat nous environne ?
Est-ce Mars , suivi de Bellonne ,
Qui vient deffendre nos Remparts ?
Fier Eugene , qui jusqu'en France
Prétends signaler tes exploits ,
Tu cours trop tard à la défense
De Denain réduit aux abois ;
Voy ce Camp rempli de carnage ;
(a ) Bataille de Fridelingue , comparée am
passage de Granique d'Alexandre.
(b ) Dictateur qui par sa prudence renvers
soit tous les projets d'Annibal.
B v La
446 MERCURE DE FRANCE
La mort sous une horrible image
Remplit tous tes Soldats d'effroi
Tu fuis toi-même plein d'allarmes
N'osant disputer à nos armes
Douay , Bouchain et le Quenoy.
En vain Mars jaloux de l'hommage
Et des offrandes des Mortels ,
Des Germains foutient le courage
Pour fe conferver des Autels ;
Fribourg et Landau sont en cendre ,
Quoiqu'il s'arme pour les deffendre ,
Nos fiers ennemis font défaits :
Villars , suivi de la Victoire
Dispose pour comble de gloire
*
Et de la guerre et de la paix.
Campagne d'Allemagne de 1713-
Par M. de Sainte Falaye , de Montfort-
Lamaury.
LETTRE
MARS. 1731. 447
XXXXXXXXXXXXXXX
LETTRE sur les bruits Aëriens entendus
près le Village d'Ansacq , écrite de Paris
ce 15. Fevrier 1731.
Ous . voulez
Viosense , Monsieur , au
que je vous dise ce que
je pense , Monsieur , au sujet des
bruits entendus en l'air près le Village
d'Ansacq , dont il est fait mention dans
le second volume du Mercure de Decembre
1730. Vous me demandez si je
crois le fait possible , si je le crois vrai ,
et supposé que je le croye , comment je
puis l'expliquer. Il faut vous satisfaire
je vais vous faire part de mes conjectures.
Le stile de la Relation faite par M. le
Curé d'Ansacq , qui paroît un homme
éclairé , le nombre des témoins dont il a
eu soin de recueillir les dépositions , les
précautions qu'il a prises pour s'assurer
de leur bonne foi , le nom de S. A. S.
Madame la Princesse de Conty , à laquelle
il adresse sa Relation , la multitude des
circonstances sur lesquelles les témoins
ne varient point , ne permettent pas de:
douter de la sincerité , non-seulement de
l'Auteur de la Relation , mais des differens
Particuliers qui ont déposé dans son
information ; ensorte qu'il est hors de
toute vrai-semblance de
"
penser que ni les
B vj uns
448 MERCURE DE FRANCE
uns ni les autres ayent eu desein d'en im
poser.
D'un autre côté le fait tel qu'il est rapporté
, paroît si extraordinaire et si ressemblant
dans son espece aux contes pueriles
du Sabbat , qu'un homme raisonnable
ne peut être tenté d'y ajoûter for.
Mais , dira-t'on , comment des témoins
de bonne foi peuvent- ils déposer d'un
fait visiblement faux ? Il faut donc qu'ils
soient dans l'erreur ; oui , sans doute ; et
quelle peut être la cause d'une erreur
qui roule sur des détails aussi circonstanciez
? sur lesquels les témoins s'accordent
parfaitement sans s'être concertez
? c'est ce qui reste à examiner.
que
S'il n'y avoit eu qu'un ou deux témoins,
il paroîtroit assez vrai-semblable de croire
que la frayeur leur eût fait prendre des cris
de bêtes , d'Oyes , de Canars sauvages ,
ou d'Oiseaux nocturnes pour ce qu'ils
ont crû entendre ; mais comme les témoins
sont en grand nombre et qu'ils ont
assuré M. le Curé qui les a questionnez
sur ce point , qu'ils connoissoient parfaitement
le cri de tous ces animaux et qu'ils
ne s'y étoient certainement pas trompez,
on ne peut s'arrêter à cette conjecture.
Le bruit qu'ils ont entendu sans voir
qui que se soit , ressembloit , disent- ils,
à des voix d'hommes , de femmes et
d'enfans
MARS. 1731. 449
d'enfans , à des éclats de rire et à des sons.
d'Instrumens; voyons s'il n'est pas possible
que sans qu'il y eut une multitude d'hommes
, de femmes, d'enfans ni d'Instrumens,
ils ayent entendu l'apparence de tous ces.
differens bruits par une voie toute simple.
et toute naturelle; c'est cette possibilité que
j'entreprens de
elle est telle que
prouver;
par le moyen que je propose , on peut
faire entendre partout où l'on voudra
les mêmes bruits qui ont été entendus à
Ansacq. Je crois , Monsieur , que vous .
n'en demandez pas davantage , vous de
vez être content de moi si je vous tiens .
parole ; je ne crains pas de vous en
manquer.
M. le Curé d'Ansacq , dans les Refle
xions qui suivent sa Relation , voudroit.
persuader que le sens de l'ouie est moins
sujet à erreur que celui de la vûë , mais
c'est gratuitement qu'il le suppose . Comme
la Sphere d'activité de la vie , pour.
me servir de ses termes , est beaucoup plus
étenduë que celle de l'ouie , il est bien vrai
que les erreurs de la vûë sont quelquefois
plus sensibles et aussi que nous avons
plus d'occasions de les appercevoir. Par .
la même raison il se pourroit encore que
nos yeux se trompassent réellement plus.
fréquemment que nos oreilles parce
que nous faisons plus souvent usage des.
yeux
3.
450 MERCURE DE FRANCE.
yeux , sans qu'on en pût conclure pour
cela que le sens de la vûë en lui- même
et par sa nature , fût plus sujet à l'illu ~
sion que celui de l'ouie ; on pourroit
même, avec autant de vrai -semblance ,
soutenir l'opinion contraire. En effet la
reflexion du son est souvent plus difficile
à reconnoître pour ce qu'elle est ,
que la reflexion de la lumiere. L'Echo
sera plus aisément pris pour une voix humaine
que la reflexion d'un Miroir pour
un objet réel. En general on juge d'ordinaire
beaucoup plus exactement de la
distance et de la situation d'un objet par
la vûë que par l'oüie. On reconnoît à
coup sur de quel côté est parti l'Eclair , et
on ne distingue pas toûjours bien de quel
côté vient le son d'une Cloche,
On se trompe si aisément en jugeant
d'où part le son quand les yeux n'aident
point au jugement qu'on en porte , qu'il
y a des gens que l'on nomme Ventriloques,
qui en se serrant le gosier et faisant une
certaine contraction dans les muscles du
bas ventre , articulent un son de voix
rauque et sourd , tel qu'à un ou deux pas
et même à côté d'eux , en prêtant l'oreil
le , on croit entendre une voix fort éloignée.
J'ai connu un Officier qui avoit ce
talent , j'y ai vû bien de gens trompez
en ma presence , et il m'a assuré qu'il
s'étoit
MARS. 1731. 45i
s'étoit quelquefois réjoui à l'armée aver
ses camarades , en leur donnant par ce
moyen de fausses allarmes.
Mais que le sens de l'oüie soit plus ou
moins trompeur que celui de la vûë , peu
importe à la question presente , pourvû
que l'on convienne ,comme on n'en peut
pas douter que l'un et l'autre sens est
susceptible d'illusion et très sujet à erreur.
C'est en suivant le parallele commencé
que nous pouvons trouver le dénouement
de la question proposée..
Si l'on agite rapidement en rond un
tison , ou un charbon allumé , l'oeil n'appercevra
qu'un cercle de feu non interrompu
; la raison en est sensible ; le char
bon parcourt successivement tous les
point du cercle; l'impression qu'il a faite
sur la vûë quand il étoit en haut , subsiste
encore quand il est en bas. La vîtesse
avec laquelle il est mû , fait que
l'oeil le voit à la fois dans tous les points
de la circonference , et n'apperçoit qu'un
cercle de feu continu. Differens sons qui
se succederoient rapidement les uns aux
autres , pourroient par la même raison
se faire entendre tout à la fois et en mê¬
me-temps. Une seule personne , si elle
pouvoit exprimer tous ces sons differens
et passer successivement, mais très-promp
tement d'un son à l'autre , pourroit donc
imite
452 MERCURE DE FRANCE
imiter le bruit confus et continu de differentes
voix , et par consequent ceux qui
l'entendroient sans voir l'Auteur du bruit,
eroiroient entendre à la fois toutes les
differentes voix qu'il contreferoit.
Mais pourquoi s'arrêter à prouver que
cela pourroit être ? Il y a des choses plus
réelles qu'elles ne semblent possibles. Telle
est celle dont il est question . Abandonnons
la preuve de la possibilité , et que
Pexperience du fait en décide . Il est constant
que bien des gens ont le talent dont
nous parlons. J'ai connu un jeune homme
qui derriere un Paravent imitoit d'une
façon surprenante un Choeur de voix
et d'Instrumens , le fameux Philbert, qui
a apporté en France la Flute Traversiere ;
avec une Poële , dès pincettes et sa voix ,
contrefaisoit , à s'y méprendre , le bruit
d'un ménage en rumeur, les cris du mari,
de la femme , des enfans , des chiens , des
Passans , du Guet et du Commissaire , et
faisoit accourir le voisinage. Depuis deux
ou trois ans la Cour et la Ville ont admiré
le même talent , peut être plus singulier
encore , dans le nommé Laillet ;
il alloit dans les maisons où il étoit mandé
, et sans sortir de la chambre où l'on
étoit , caché derriere uu Paravent ou un
rideau , il faisoit un bruit si varié et si
surprenant , en imitant un Concert , une
bagarre
MAR S. 1731 . 4532
bagarre , des éclats de rire , ou quelqu'au
tre bruit de cette espece , qu'on ne pouvoir
imaginer qu'il fût seul . Etant à souper
tête-à-tête avec un celebre Acteur
de l'Académie Royale de Musique , ona
assuré qu'ils ont fait monter dans la
chambre plus d'une fois le Guet , qui les .
trouvoit tranquillement assis à la table
vis-à-vis l'un de l'autre , et qui rappellé
par le même bruit , revenoit sur ses pasi
le moment d'après , avant que d'avoir
descendu le degré , et les retrouvoit aussi
tranquilles qu'il les avoit laissez.
Il est donc bien vrai et bien confirmé,
par l'experience , qu'un homme seul peut
imiter un bruit confus de voix et d'ins
trumens , assez parfaitement pour s'y mé
prendre. Or je dis qu'il est très possible:
qu'un homme placé derriere le mur audedans
du Parc d'Ansacq , où le bruit a
toûjours été entendu , se soit diverti à
joüer cetteComedie.Et il n'est pas necessaire
pour cela de lui supposer , à beaucoup
près , le talent d'un Philbert ou d'un.
Laillet , si ceux- ci ont pû tromper des
gens clairvoyans quelquefois préve→
nus et avertis , à combien plus forte raison
étoit- il aisé d'en imposer , par le même
moyen , au milieu de la nuit , à des
Paysans surpris , que les premiers sons
ent si fort effrayez , de leur aveu , que
l'un
454 MERCURE DE FRANCE
Fun d'eux ne voulut jamais permettre à
l'autre d'avancer pour chercher à reconnoître
d'où partoit le bruit . En lisant la
Relation dans cet esprit , on reconnoîtra
que tous les détails peuvent aisément s'ajuster
à cette Explication , sur tout si l'on
considere que la frayeur et la préocupa
tion peuvent avoir causé quelques éxagerations
et quelques erreurs même , dans
les circonstances du fait. Il n'est pas étonnant
, par exemple , que les Déposans
ayent jugé que la Scene se passoit en l'air,
puisqu'ils ne voyoient rien sur la terre
d'où ils pussent croire que le bruit partoit
; l'un d'eux dit , cependant , que
quelques-unes de ces voix ne lui avoit
paru qu'à la hauteur d'un homme ordinaire,
ce qui quadre fort à la supposition.
Il faut remarquer encore que c'est toujours
au- dedans du Parc que le bruit a commencé
à se faire entendre. Cette seconde voix
qui répondit sur le champ à la premiere du
fond d'une Gorge entre les deux Montagnes
( ce sont les termes du premier Déposant )
avant la confusion de voix qui se fit entendre
ensuite ; cette seconde voix , dis-je,
pouvoit être ou un Echo contrefait par la
premiere voix , ainsi que les bruits qui
ont suivi , ou peut -être un Echo veritable
qu'on sçait être beaucoup plus sensible la
nuit que le jour ; la refléxion de cet Echo
9
se
MARS. 1731. 455
se pouvoit faire sur la Côte opposée à celle
où se passoit le bruit , et c'est de cette
Côte oposée que l'ont entendu les deux
autres témoins qui alloient à Beauvais,
Il n'est pas étonnant qu'on ne distinguât
rien dans cette multitude de sons variés et
interrompus. Et quant au passage prérendu
de ce bruit le long de la rue et
devant la maison Presbiterale , il n'y a
qu'un ou deux témoins qui en déposent ,
et la frayeur dont ils avoüent qu'il étoient
saisis , pourroit bien leur avoir fait croire
ce bruit plus voisin qu'il n'étoit en effet ;
M. le Curé ne l'ayant pas entendu , quoiqu'il
soit dit qu'il passa devant sa porte.
On pouroit aussi supposer que l'Auteur
du bruit avoit pris ce chemin , ou que
sans sortir du Parc il en avoit suivi un à
peu près parallele à la rue du Village. La
situation du lieu et la connoissance du
Pays , pourroient en faire juger plus exactement.
Il est bien certain que dans ma suppo
sition les témoins auront crû entendre
tout ce qu'ils ont dit avoir entendu , et
qu'ils auront par consequent déposé comme
ils ont fait. M. le Curé d'Ansacq a
placé plusieurs des Habitans de sa Paroisse
, hommes , femmes et enfans , en differens
endroits pour chercher par leur
moyen à imiter les bruits entendus , et
速
456 MERCURE DE FRANCE.
il n'y a pas réussi. D'ailleurs il remarque.
qu'il n'est pas possible d'imaginer qu'il y
eût au milieu de la nuit un concours de
gens qui se fussent accordez pour donner
cette Scene.Nous avons prouvé qu'il n'en
falloit qu'un. C'est à M. le Curé d'Ansacq
à conjecturer qui ce peut être ; cela sera
du moins fort aisé , si la même chose
arrive encore. Quoiqu'il en soit , quelque
part où soient Loeillet ou ses Eleves ,
il est clair qu'ils ont de pareils Akousmates
à leur disposition.
Il n'est pas nécessaire de recourir à cet
te Explication pour chercher la cause de
la frayeur de ce Particulier de Clermont,
dont il est parlé dans l'Addition à la Relation
, lequel se jetta à bas de son che
val et à genoux il y a 15. ans , une nuit
en passant près du Village d'Ansacq, ayant
entendu ou crû entendre un grand bruit.
Je ne crois pas que vous ayez prétendu
me demander compte de toutes les ter
reurs paniques qui peuvent surprendre
un Voyageur ; je me suis seulement engagé
à expliquer comment une cause sim
ple et naturelle pouvoit avoir produit les
prétendus bruits aëriens dont il est parlé
dans la Relation , et je crois . y avoir satisfait:
Voilà , Monsieur , ce que je pense sur
les questions que vous m'avez proposécs
၂၄ ..
MARS. 1731. 457
je souhaite que ma Réponse puisse vous
Satisfaire , je ne vois que ce moyen de
concilier la vrai -semblance avec la bonne
foi des témoins , qui m'a paru ne devoir
Foint être suspecte. Je suis , & c.
1
のの
NOUVELLES DE CYTHERE.
du 14 Décembre 1730. addressées à
Maden D. L. G. à Auch , par M. le
Chevalier D. N. D. M.
DEEs le matin sur le sacré Vallon ,
Pour ton Portrait que je prétendois faire ,
J'allai prier le Seigneur Apollon ,
De m'inspirer ; ce n'est petite affaire ,
Me dit le Dieu , renonce à ton Projet ,
Je la connois , cette fille charmante ,
Je ne sçaurois répondre à ton attente ,
Et l'Amour seul peut peindre cet Objet.
Lors vers l'Amour je courus à Cythere ;
Lui raconter quel étoit mon dessein ,
Il s'occupoit à consoler sa Mere ,
Que tes appas devorent de chagrin ,
Ils étoient seuls ; je n'y vis point les Graces;
Ni les Plaisirs , ni les Jeux , ni les Ris ,
De tout cela je ne fus point surpris ,
Qui ne sçait pas qu'ils volent sur tes traces ?
Et c'est de quoi Cypris versoit des pleurs :
Je
58 MERCURE DE FRANCE
Je m'approchai , par une ample Requête ,
Je crus pouvoir obtenir des couleurs .
Pour ton Portrait , l'Enfant tourna la tête ,
Que sert , dit - il , d'accroître mes douleurs ,
De peindre aux yeux les appas de la Belle ,
Ils sont pour moi dans tous les coeurs;
gravez
L'ingrate , helas ! n'en est pas moins rebelle ,
Sur elle en vain j'émousse tous mes Traits ,
Mais ses mépris excitent ma vengeance ,
Et vient le tems prescrit dans mes Decrets ,
Que ses soupirs vengeront cette offense.
Pour qui ? ... C'est trop , respecte mes secrets ,
Il dit : soudain frappant trois fois la terre,
Il disparut sur les pas de sa Mere ;
Et moi j'ai crû devoir sans differer ,
Vous rapporter en sortant de Cythere ,
L'Arrêt du Dieu , pour vous y préparer ,
Ou prévenir l'effet de sa colere,
X:XXXXXXX:XXXXXXX
LETTRE d'un Philosophe de Provence
à M ** touchant la Lettre du prétendu
Grammairien Provençal , sur le Bureau
Tipographique.
Vous
'Ous avez raison , Monsieur , la Lettre
dont vous me parlez ne doit
point vous empêcher de continuer à faire
usage
MARS. 1731. 459
usage du Bureau pour M. votre fils ; je
ne reconnois point dans cette Lettre l'esprit
naturel des Provenceaux , quoique
L'Auteur se qualifie Grammairien de
Provence , il ne me paroît ni Provençal ,
ni Grammairien , ni Philosophe.
Est-il licite , dit-il d'abord , de vous
demander pourquoi et comment tant de Char
latans de la République des Lettres sont
écoutez à la Cour et à la Ville. Si l'Auteur
avoit quelque usage de laCour et de la bonne
Compagnie de la Ville ,il ne feroit point
cette demande. A la Cour et à la Ville)
on fait quelquefois l'aumône aux Charlatans
, mais on ne les écoute point , ils
n'y sont ni protegez , et encore moins récompensez.
Je ne parle point , dit-il , des prétendus
Inventeurs de la Pierre Philosophale , de
Ja Quadrature du Cercle , &c . Et pourquoi
ne parle- t'il point de ces gens - là ? Sontils
moins nuisibles au Public ? Non , sans
doute , mais c'est que ces sortes de Charlatans
ne blessent point les interêts de
l'Auteur. Je n'y prens , dit-il , aucun in
terêt. Ce qui me révolte , c'est de trouver dans
votre Mercure un de ces Charlatans qui parle
toujours d'un Rudiment pratiqué de bois ..
de la sillabisation , de l'Ortographe , &c.
En verité , s'écrie -t'il , on se livre trop
aisément à de nouveaux venus qui nous ra→
vissent
450 MERCURE DE FRANCE
e
vissent nos droits par des jeux et par des
prestiges .... On viendra nous débiter des
préceptes qui sont de vrais Paradoxes , pour
ne rien dire de plus , ceux qui les débitent
seront crus , seroni suivis , tandis que l'on
rira de nos raisonnemens et que nos Ecoles
seront désertes. Que deviendra le fruit de nos
veilles et de nos travaux ? O tempora ! ô
mores !
Vous voyez , M. que l'Auteur de la
Lettre est apparemment Maître d'Ecole ,
en ce cas il fera bien d'apprendre le nouvel
Alphabet avant que de se mêler de
le montrer. Quoi ! dit- il , nous aurons passé
bien des années à nous tourmenter pour ap
prendre des choses que nous sentons ne sçavoir
pas encore bien dans un âge avancé ,
et des enfans de quatre ou cinq ans apprendront
en jouant ce qui nous a coûté tant de
peines , tant de pleurs et de fatigues ! Nous
faudra til remettre à la Croix de Pardieu
sous peine d'étre repris par des enfans ? Et
pourquoi non ? Il faut aimer à apprendre
à tout âge. Ciceron nous parle de Vieillards
qui apprenoient ce qu'ils avoient
négligé d'apprendre quand ils étoient
jeunes.
>
Mais après tout , quel que puisse être
l'Auteur de la Lettre , et quel que soit
le motif qui l'a fait écrire , il n'est pas
excusable de traiter de Charlatan le Philosophe
MARS. 1731
461
losophe estimable , qui a donné l'invention
du Bureau Tipographique ; car
qu'est-ce qu'un Charlatan ? C'est un homme
, qui par interêt , promet plus qu'il
ne peut tenir , et qui s'embarasse peu de
tromper le Public.
Or prémierement l'Auteur du Bureau
n'agit par aucune vûë d'interêt , il vit
content d'un revenu modique , suffisant
pour lui , et n'est à charge à personne.
Les Ouvriers qui font les Bureaux , ne
sont point en societé avec lui.En un mot ,
il ne lui en revient rien , que bien de la
peine , et si quelqu'autre vient à trouver
quelque Méthode plus facile et plus utile
pour apprendre à lire , il ne se plaindra
point qu'on lui ravit le fruit de ses
travaux et de ses veilles .
En second lieu , il ne peut être soupçonné
de vouloir tromper le Public , au
contraire , il tient ce qu'il promet. Les
enfans se plaisent à travailler sur le Bureau
Tipographique , et s'y instruisent ;
les preuves en sont aisées à trouver , et elles
se multiplient tous les jours. En verité
un tel homme ne peut être traité de
Charlatan que par une basse jalousie ou
par un préjugé bien aveugle. S'il у a des
Charlatans , il faut les mépriser ; mais il
y de l'injustice a confondre sous ce nom
les personnes qui n'ont rien de commun
C
avec
46 MERCURE DE FRANCE -
avec eux. Mais voyons quelles sont les
raisons que l'Auteur de la Lettre allegue
contre la pratique du Bureau.
D'abord il dit qu'il ne sçait pas bien la
construction de cette Machine . Pourquoi
donc se mêle-t'il d'en parler ?
On dit , ajoûte- t'il , que ce Bureau
pour un enfant de deux à trois ans , aplus
d'une toise de long , et que si ce Bureau
croît à mesure que l'Ecolier avance en
âge , il lui faudra cinq ou six toises . Les
Jeux de Paume vont devenir prodigieusement
chers. Quelle fade plaisanterie !
Veut-on que l'enfant porte ce Bureau
pour se plaindre qu'il est ou trop long,
ou trop large , ou trop pesant ; il a les
dimensions nécessaires pour l'instruction
et pour l'usage de l'enfant.
Objection , page 39 .
L'enfant , à ce qu'on dit , prend danst
son Bureau les Lettres dont il a besoin'
pour composer un mot ... et les range
P'une après l'autre sur la table de son Bureau
; si le fait est bien constant , n'y auroit-
il point quelque mistere que nous ne
sgaurions pénetrer , et qui n'est entendu
que par ces nouveaux Maîtres & par
fcurs Eleves ? Je me défie extrémement
de merveilles.
Réponse.
MARS. 1731. 463
Réponse.
Si dès le premier moment que
l'enfant
travaille sur le Bureau , il faisoit l'operation
dont on parle ici , l'Auteur de la
Lettre auroit un motif légitime d'entrer
en méfiance ; mais qu'après qu'un enfant
est exercé à connoître les Lettres , il aille
les prendre chacune dans leurs casseaux,
cela n'est pas plus étonnant , que de voir
qu'il aille prendre du pain quand on lui
dit d'en aller chercher. Avant que de faire
de pareilles objections , l'Auteur , s'il
est à Paris , comme on le dit , devoit aller
voir travailler un enfant en l'absence
de son Maître.
Objection.
Il me reste toûjours un scrupule dont
je sens bien que je ne guérirai que par ma
propre experience , je serois curieux , par
exemple , ( quel style ! ) de sçavoir si un
enfant dressé par cette nouvelle façon ,
pouroit lire dans un Livre imprimé à
Paris , et qu'il n'auroit jamais vû.
Réponse.
L'Auteur de la Lettre peut se guére trèsaisément
de ce scrapule ; qu'il e neure
point d'une maladie dont il y a dea tant
de Medecins. En attendant qu'il veuille
Cij bien
45 MERCURE DE FRANCE .
bien recourir à sa propre experience , je
puis certifier un fait dons je suis témoin ,
qu'en 1725. j'allai à S. Denis avec un enfant
de cinq à six ans , qui avoit appris
à lire le Latin , l'Hébreu , le Grec er le
François , par le Bureau Tipographique.
Nous étions au moins dix personnes de
compagnie. En nous promenant dans le
Cloître , je priai un Religieux que nous
rencontrâmes , de nous mener à la Bibliotheque
. Nous n'avons point encore
de Bibliotheque , dit-il , mais nous avons
des Livres dans nos Chambres. Voudriezvous
bien , lui dis - je , montrer une Bible
Hébraïque à cet enfant qui voudroit y
lire quelque Passage. Le Pere voyant un
enfant en robe , crut que je voulois rire .
Je lui parlai très - sérieusement , et il nous.
mena dans sa Chambre , quyrit une Bible
en Hébreu , et l'enfant lût courament.
Je demandai un Livre Grec , le Pere nous
présenta un Plutarque ; l'enfant lut le
Grec avec la même facilité, On lui présenta
des Manuscrits , il lisoit avec plus
ou moins de facilité , selon que le Grec
étoit écrit plus ou moins lisiblement. Ce
Religieux appela plusieurs de ses Confreres
, qui furent témoins du fait. Le Religieux
dont je parle , s'appelloit , si je ne
me trompe , Dom François Valeran , Il
seroit aisé de donner bien d'autres preu-
1
ves
MARS. 1731. 46 $
ves favorables au Systême du Bureau Ty
pographique ; mais j'ai honte de suivre
sérieusement la Lettre de ce Grammai
rien , qui vous a indigné. J'ai l'honneur
d'être , &c .
REPONSE de M. L. D. à une jeune
Personne trés-aimable , qui lui avoit écrit
une Lettre fort spirituelle.
EN verité , chere Suzette ,
?
Votre Lettre si joliette ,
Est pour moi plus douce amusette
Que tout Roman , qu'Historiette ,
Que Lardon , Mercure ou Gazette
Non , nul Orateur , nul Poëte ,
N'écrit si bien que vous , Suzette
Et j'ai toûjours dit et répette ,
Du Sceptre jusqu'à la Houlette ,
Il n'est femme , fille , fillette ,
Noble , Roturiere , ou pauvrette ,
Soit petite , ou bien grandelette ,
Soit d'âge mûr , ou bien jeunette ,
Soit Demoiselle , soit Grisette ,
Soit sage , discrette , ou Coquette ;
Soit mondaine , ou bien soit Nonnette
Soit enfin blonde , ou soit brunette ,
Cij Si
466 MERCURE DE FRANCE
Si belle que vous , si parfaite ,
Personne aussi tant ne souhaite ,
Faire de votre coeur l'emplette ,
Que moi dont le nom mis en rette
De landriri fait ladrirette . 2
Et dont le coeur en amourette ,
Ne tourne pas en giroüette.
Oui , jeune et charmante Suzette ;
'Absent de vous tout m'inquiette ,
Et s'il me falloit en retraitte ,
Vivre seul avec vous seulette ,
Fût-ce en une pauvre Logette ,
aimable Suzette ,
Avec vous ,
J'aimerois mieux sur nappe nette ,
En gras , Pâtés ragout , blanquette ,
Poulet , Faisan , Perdrix , Mauviette ,
En maigre , Brochet , bonne Laitte ,
Sole , Saumon , Huitre , Crevette ,
Au dessert , Biscuit , Tartelette ,
Bonne Compote de Rainette ,
Que n'aimerois sans vous , Suzette ,
Avec pain bis , avec Piquette ,
En gras , la simple Vinaigrette ,
Bouilli froid , étique Raquette ,
En maigre , Potiron et Bette ,
Harang salé , froide Omelette ,
Et
pour le Fruit , Noix et Noisette .
Ce que je dis n'est point sornette ,
C'est
MARS. 1731. 467
C'est la verité pure et nette ,
Point ne suis conteur de fleurette
Encor moins chanteur de goguette.
gu
Je vous aime , belle Suzette ,
Plus que ne fut une Nannette'
Une Cloris , une Lizette ,
De la plus tendre Historiette ,
Hélas ! si bien- tôt sur l'herbetter ,,
Ensemble assis sur la fleurette ,
Ou bien cueillant la Violette ,
Voyant ma tendresse discrette ,
Vous me disiez de voix doucette
Cher ami , plus ne t'inquiette ,
Au feu de ton ardeur parfaitte ,
Mon coeura pris comme allumette
Je sens ce que ton coeur souhaitte
Ma fortune , aimable Suzette ,
Dans le moment seroit complette ;
Et ce bonheur , mon coeur appette ,
Plus que Crosse , Mitre , Barette
que d'écus plein ma pochette.
Et
Si par vous cette chose est faite ;
Ma langue ne sera muette ,
Et comme assez bien je caquette ,
Sans cesse de voix claire et nette
Mieux que Rossignol et Fauvette
Que Canaris et qu'Allouette ,
Je Chanterai sur la Muzette 1
C iiij Sur
468
MERCURE DE FRANCE
Sur l'Epinette et la Trompette ,
Comme l'ai dit et répette.
Du Sceptre jusqu'à la Houlette ,
Il n'est femme , fille , fillette ,
Noble , aisée , riche ou pauvrette ,
Soit petite ou bien grandelette ,
Soit d'âge mûr , ou soit jeunette ,
Soit sage , discrette ou coquette ,
Soit
Demoiselle , soit grisette
Soit mondaine , ou bien soit Nonnette ,
Soit enfin blonde ou soit brunette ,
Qui soit si bonne , si parfaite ,
Que l'incomparable Suzette.
Dites- moi donc , belle fillette
>
En public ou bien en cachette ,
Va , mon cher , ton affaire est faite
Ainsi soit-il , et vous souhaite ,
Cette nuit en votre couchette ,
Pour deux trop petite et chiquette ,
Rêverie et tendre et complette ,
Sommeil point troublé par clochette
Par puce , carosse , charette ,
Par aboi de Chien ou Levrette ,
Par Larron , Souris ou Chouette
Puis au réveil argent sans dette ,
En tous vos achats bonne emplette
Et qu'en tout soyez satisfaite.
Adieu , trop charmante Suzette
Ma
MARS. 469 1731.
Ma réverence maigrelette ,
Saluant la vôtre douillette , ´
Pour ne pas dire grassoüillette ,
Je suis avec humble épithete ,
Votre serviteur Landrirette ,
D'esprit joyeux , d'humeur folette ,
Mais simple comme enfant qui tette.
REPONSE à la Lettre anonime sur
la gloire des Orateurs et des Poëtes , inserée
dans le Mercure de Novembre 1730.
MONSIE ONSIEUR ,
Quoique vous preniez plaisir à scandaliser
le Public , en hazardant une décision
injuste sur ce qui fait , à peine , la
matiere d'une question , on vous sçait cependant
bon gré de faire marcher les
Orateurs avant les Poëtes à la tête de votre
Lettre , et si vous leur donniez toujours
le pas , elle seroit , ce semble , intitulée
avec plus de raison , sur la gloire des
Orateurs &c. Mais vous vous efforcez de
dégrader
l'Eloquence
par un parallele captieux
qui la représentant
avec ses moindres
attraits , la raproche
d'un enthou ~
siasme dont l'excellence
exagerée se trou-
CV ve
1
470 MERCURE DE FRANCE
ve soutenue des exemples les plus spe
cieux . C'est pourquoi , la seule question
qui se présente aujourd'hui consiste
sçavoir si vous avez atteint à votre but
et je ne crois pas que la décision en soit
difficile.
Pour juger d'abord sainement , il nesuffit
point d'examiner quel est celui des
deux genres , du Discours ou de la Poësie ,
qui demande le plus de talens pour y exceller
? car les plus excellens Poëtes sont
moins redevables de leur mérite à l'art
qu'à la nature , encore en est-il peu du
nombre de ceux dont on peut dire nascuntur
Poeta : nous ne pouvons , au-contraire
, parvenir à la gloire des Orateurs
qu'aprés bien des veilles et bien des travaux:
fiunt Oratores. Il s'agit encore moins
d'examiner quel est le plus utile et le plus
agréable du Discours ou de la Poësie ;
celle- ci peut s'arroger tout au plus l'agréable
, son utilité ne consistant que
dans le plaisir qu'elle donne au Lecteur ;
celui - là , non content de nous plaire ,
nous instruit , nous touche , nous persuade
, et conséquemment tient à des- `
honneur la parité d'objets qu'on lui
donne mal à propos avec la Poësie.
Oiii , Monsieur , la nature semble contribuer
toute seule à la gloire des Poëtes
une naissance heureuse pour la versifica
tion,
MARS. 1731. 471
tion , c'est à quoi peuvent se réduire les
talens des plus illustres , et ils n'ont rien
en cela que de commun avec l'Orateur
qui ne peut être parfait sans avoir des
dispositions naturelles ·la
pour prononciation
, au moins on conviendra que s'il
lui faut pour paroître en Public avec plus
de décence , une voix claire et distincte
et un visage qui n'ait rien de rebutant ;
ce n'est
pas l'Arr qui lui donne ces qualités
; c'est aussi où se termine tout le
parallele qu'on peut faire des Poëtes avec
les Orateurs. L'Eloquence exige bien.
d'autres talens que ceux de la prononciation
, puisqu'elle consiste encore , selon
vous , dans l'invention , la disposition
, l'élocution et la mémoire , que je
ne détaillerai point , il me suffit de vous
dire avec l'Auteur des Refléxions sur l'Eloquence
, qu'outré le naturel , il faut.
encore pour être éloquent beaucoup d'élevation
, un grand feu et une solidité
naturelle d'esprit , qui doit être perfecrionnée
par l'usage du monde , et par une
connoissance profonde des lettres , qu'il
faut aussi une grande étendue de mémoire
et d'imagination , une compréhension
aisée , beaucoup de capacité et d'application
, et que dans cet attachement
au travail et cette assiduité au Cabinet, qui
sont necessaires pour se remplir des connoissances
Cvj
472 MERCURE DE FRANCE
noissances propres à l'Eloquence , il est
bon de puiser dans les sources , d'étudier
à fond les Anciens , principalement ceux
qui sont originaux . Multo labore , assiduo
studio , varia exercitatione , pluribus experimentis
, altissimâ prudentia , potentissimo
consilio constat ars dicendi. * Enfin un enthousiasme
heureux , un beau vertige song
tout le mérite des Poëtes , sic insanire decorum
est. Un Discours Oratoire assujettie
à bien des regles , le bon sens , la prudence
et la sagesse en doivent être le mo
bile , et c'est là ce qu'on peut appeller
des beautés presque toujours inconnuës
aux Poëtes , Eloquentia fundamentum sapientia.
Tout cela n'est encore qu'une foible
ébauche des dispositions requises pour
parvenir à la gloire des Orateurs , et je
ne finirois jamais si j'entrois dans un plus
grand détail ; mais il s'agit de parcourir
votre Lettre .
•
Vous faites d'abord parade des qualités
dont on doit revêtir un Poëme Epique ,
et des beautés qui s'y rencontrent , lorsqu'il
en est revêtu ; si de mon côté je décrivois
ici les regles qu'on doit observer
pour mettre en oeuvre la moindre figure
de Rhétorique , sa beauté , son énergie ,
Fab, L. 2. C. 13.
MARS. 1731. 473
sa force , lorsqu'elle est bien maniée , je
me flatte que cette description ne donneroit
pas moins de relief à ma Lettreque
la peinture du Poëme Epique en donne
à la votre ; mais c'est à quoi je ne m'at
tacherai pas.
Tout ce qui me chagrine , c'est qu'en
parant les Poëtes de tous les talens qui ac
compagnent d'ordinaire l'Eloquence
vous osiez avancer qu'ils les possedent
dans un dégré plus éminent que les Ora
teurs ; car ce prétendu dégré de perfection
ne nous annonce rien autre chose
qu'un enthousiasme , un transport , que Ci
ceron a bien voulu diviniser en faveur
de ceux qui se mêlent de faire des Vers ;
en un mot , un vertige qui renverse l'ordre
de la nature , qui déïfie les plus grands
scelerats ,, qui personifie les choses les
plus idéales , qui change tout enfin , et le
change en faux.
Ce n'eft plus la vapeur qui produit le tonnerré
C'eft Jupiter armé pour effrayer la terre &c.
En verité , Monsieur , je trouve Ciceron
fort à plaindre ; vous vous inscrivez
en faux contre ses Vers , et votre moyen
a Cic. de Orat.
Despr. Art, Poët. Chant fo
est
474 MERCURE DE FRANCE
est fondé sur le deffaut de son imagina→
tion ; vous dépouillez le plus éloquent
des hommes du talent le plus essentiel à
l'Eloquence , et vous refusez une imagi
nation féconde à l'Orateur , dont les discours
sont remplis des plus vives images ;
si vous n'épousiez pas des interêrs Poëtiques
, j'aurois de la peine à vous pardonner
de si grands écarts..
Ignorez- vous qu'un grand Orateur dont
la vraye éloquence n'avoit rien que de
réél , et consistoit à dire les choses comme
elles étoient , qui né dans le sein du Pa
ganisme et de l'idolâtrie avoit néanmoins
sçû préserver son esprit de la contagion ,
et en instruire tout l'Univers par ses Trai
tés admirables de la Nature des Dieux et
de l'immortalité de l'ame , que Ciceron ,
dis-je , ne pouvoit pas astreindre ce mê
me esprit à des fictions ridicules ? il n'étoit
susceptible d'aucuns délires , et sauf
le respect que je dois à Homere , voici
comme s'explique le P. Gautruche : * Les
Grecs inventerent la plupart de ces folies et
de ces superstitions , qui étoient aussi le plus
ordinaire sujet de leurs Foësies , et ensuite
les répandirent par toutes les autres Nations.
Nos Poëtes modernes qui suivant ce
principe n'ont pas le mérite de l'inven-
Hist. Poët. Avantpropos , page 60
tion
MARS. 1731. 475
tion sont réduits à bien peu de choses.
J'avoue qu'il ne faut pas moins d'imagi
nation pour la Poësie que pour l'Eloquence
; mais Ciceron en étoit trop oeconome
pour perdre à cadencer un Vers le
tems précieux que sa docte plume employoit
plus à propos à coucher par écrit
les pensées sublimes qu'un génie fécond
lui suggeroit à tout moment , et si tous
les hommes se le proposoient en cela pour
modele , nous aurions un plus grand nombre
de bons Orateurs et moins de mauvais
Poëtes . La Poësie a d'ailleurs un fort triste
inconvenient , et les magnifiques morceaux
que vous citez n'y apportent aucun
remede ; la mesure d'un Vers qu'il faut
remplir ou qu'il ne faut pas exceder fait
toujours beaucoup perdre à une pensée ou
de sa force ou de sa beauté. Qu'il me soit
permis de vous retorquer ici M. Des
preaux , dont l'autorité cimente mon opinion
; l'excellente Traduction du Rheteur
Longin que nous avons de lui, fait bien
voir le cas qu'il faisoit de l'Eloquence , et
la Satire qu'il adresse à Moliere ne peint
pas avantageusement la Poësie , c'est un
caprice , c'est un Démon qui l'inspire
c'est un feu qui se rallume chez lui , c'est
un torrent qui l'entraîne c'est une de→
mangeaison qui se trouve dans son sang ;
nascuntur Poëta ; et cet excellent Poëte se
récrie
476 MERCURE DE FRANCE.
récrié ainsi dans le fort d'un enthousias
me qui met son esprit à la torture.
Maudit soit le premier dont la verve insensée
Dans les bornes d'un Vers renferma sa pensée,
Et donnant à ses mots une étroite prison
Voulut avec la rime enchaîner la raison.
›
Votre comparaison des Orateurs avec
les Fantassins , et des Poëtes avec les Cavaliers
me réjouit beaucoup , et je com-.
mence à comprendre comment la Prose
n'oblige pas à tant de frais que la Poësie ,
puisque chaque Cavalier doit avoir son
Pegaze , et ce qui m'en plaît davantage
c'est que l'Infanterie est un Corps d'un
plus grand service que la Cavalerie .
De tous les sujets dont vous faites l'énumération
, il n'en est aucun qui ne s'accommodât
aussi bien d'une Prose élegante
que d'une narration Poëtique , et quoique
Moïse , Isaye et David ayent eu quelquefois
recours à la Poësie pour chanter les
loüanges de Dieu , vous ne devez pas bor
ner là toute leur gloire; car ils m'assurent
que lorsqu'il s'agissoit de faire des conquêtes
au Seigneur , ou de contenir les
Peuples qui leur étoient confiés dans le
devoir , ils parloient un tout autre langa
ge- que celui des Muses. Il n'est pas non
plus étonnant que les Héros ayent été flas
τές
MARS. 1731. 477
•
tés de l'espoir de l'immortalité que promet
la Poësie , l'Eloquence n'ayant pas
moins contribué que la valeur à leur Héroïsme
; il n'est , dis -je, pas étonnant que
les Orateurs ayent crû mériter que des
Poëtes employassent leur suffisance et
leurs veilles à les louer dignement.
Plutarque aura de la peine à nous prouver
que les premiers hommes étoient tous
Poëtes , et que l'Histoire même étoit écrite
en Vers. Il ne nous reste aucuns Ouvrages
de ces tèms fabuleux , et le Déluge
universel qui n'épargna rien n'a , ce semble
, respecté Noé et sa famille que parcequ'ils
n'étoient pas Poëtes ; car depuis
eux nous ne voyons plus l'Historien emprunter
le langage des Dieux , et l'Histoire
n'est belle qu'autant qu'elle est
vraye et qu'elle est sincere.
Le Poëme Epique est veritablement le
chef-d'oeuvre de l'esprit humain ; mais
cela ne doit s'entendre que de la Posie ;
car l'Eloquence qui est beaucoup au - dessus
de la Poësie étant aussi du ressort de
l'esprit humain , les chefs-d'oeuvre de
P'Orateur surpassent toujours ceux des
Poëtes. La Poësie elle - même n'est jamais
employée avec plus d'éclat et de succès que
lorsqu'elle est soutenue par l'Eloquence. Y a
t'il , en effet , quelques genres de discours
dont Homere n'ait pris soin de décorer
ses.
478 MERCURE DE FRANCE
ses Poëmes , c'est chez lui qu'on aprend
à estimer les grands Orateurs ; cet illustre
Poëte ne croiroit point la gloire de
ses Héros complette , s'ils ne joignoient'
une éloquence mâle à un courage intrépide
; ce n'est qu'en imitant leurs Harangues
qu'il s'est acquis de la gloire. Pour
se convaincre de ces verités , il suffit de
jetter les yeux sur ses Ouvrages , et l'on
conviendra sans peine que les Orateurs
sont au-dessus des plus grands Poëtes ;
Il fait parler Ulisse , Phenix et Ajax avec
beaucoup de grace , il peint l'art admirable
que le Prince d'Itaque employe à
toucher un homme dur et intraitable
les differentes routes qu'il prend en un
moment pour aller jusqu'au coeur d'Achile
, les differens Rôles qu'il jouë pour
le préparer à ce qu'il veut lui dire , pour´
l'émouvoir , le déterminer enfin et l'entraîner
dans son sentiment ; j'avoue cependant
que le nombre , la cadence et la
mesure qui sont l'attirail ordinaire des
Poëtes , font perdre aur Discours d'Ulisse
beaucoup de sa force et de son énergie ,
et que ces trois illustres personnages qui
étoient députés vers Achille pour l'engager
à reprendre les armes , au lieu de le
toucher et de le convaincre , n'auroient
fait tout au plus que l'émouvoir ou le
réjouir avec un discours revêtu des expressions
MAR. S. 173T.
479%
sions Poëtiques. Quoiqu'il en soit , je veux
croire que la lecture des Poëtes est un
acheminement à l'Eloquence , sur cout
lorsqu'on s'attache à demasquer leurs Ouvrages
et à distinguer l'hyperbole Poërique
d'avec le vrai sublime ; c'est là l'unique
moyen de s'endoctriner avec la Poë--
sie , en lui faisant beaucoup gagner ; l'on
peut même dire que le clinquant des
Poëtes devient un or pur dans les mains
d'un Rhéteur habile..
La suite pour un autre Mercure
******:*:** X * X :XXX
IMITATION
De l'Ode IX. du troisieme Livre d'Horace ..
Donec gratus eram & c.
DIALOGUE ,
Tirsis , Philis.
Tirsis.
PHilis tant que sensible à mes vives tendresses
De tout autre Berger tu dédaignas la foi ,
Je préferois ton coeur à l'éclat des Richesses
Je le préferois même à la pourpre d'un Roi.
Philis
480 MERCURE DE FRANCE
Philis.
Ingrat , jusqu'au moment que je te vis changer
J'estimois plus mon sort que celui d'une Reine ; -
Le beau Médor n'eut pû rendre mon coeur leger
Lorsque tu me quittas pour la jeune Climene..
Tirsis.
Elle chante souvent nos amoureux transports;
Le charme de sa voix tient mon ame ravie ;
Climene me feroit voler à mille morts
Si ma mort ajoûtoit quelques jours à sa vie..
Philis.
Oui , je dois à Medor une ardeur éternelle ,
Malgré mes longs mépris il resta sous ma loi;
Il est respectueux , ardent , tendre , fidelle ,
Je lui jure ma vie est plus à lui qu'à moi.
Tirsis.
Quoique son coeur leger m'ait payé de froideur,
Quoiqu'en appas Venus le cede à ma Bergere ,
Si l'oubliant pour toi je te rendois mon coeur
Flechirois - tu , Philis , ton injuste colere ?
Philis.
Quoique Medor soit beau plus que l'Astre du jour
Quoique le vent soit moins inconstant que ton ame
Hélas!rends-moi ton coeur ,je te rends mon amour ,
Et la mort pourra seule en éteindre la flamme.
Le Chevalier de Montador.
MARS. 1731. 481
OBSERVATIONS sur deux Colomnes
milliaires , adressées à M. D. L. R.
par M. le Benf, Chanoine d'Auxerre.
Co
Omme je crois , Monsieur , que personne
ne s'avise de soutenir. que la
Pierre trouvée proche Carcassonne , de
laquelle il est fait mention dans le Mercure
de Juin 1729. soit un reste de Colomne
milliaire , il seroit inutile d'ajoûter
de nouvelles raisons à celles qui ont été
produites dans ce Journal pour détruire
cette idée. Vous vous êtes servi de l'occasion
que vous a presentée l'Inscription
qui est gravée dessus , pour en publier
une qu'on lit sur une veritable Colonne
milliaire , située entre Langres et Dijon .
Je ne puis me persuader que vous ayez
crû que ce fût une nouvelle découverte,
dont il fût à propos d'instruire le Public
, aussi-tôt qu'elle est venue à votre
connoissance. Je me souviens fort bien
que lorsque je vous envoyai la Description
telle que je l'avois trouvée dans des
Mémoires écrits il y a plus de soixante.
ans , je ne prétendis pas que la Pierre sur
laquelle est gravée cette Inscription , cût
été inconnue jusqu'alors , et vous entrâtes
482 MERCURE DE FRANCE
tes fort bien dans ma pensée, lorsque vous
marquâtes dans votre Journal que
l'Inscription
dont il s'agit avoit été découverte
il y a du temps.
&
Quelques Lecteurs auront , sans doute,
reconnu que par cette époque , j'ai eû
intention de remonter plus haut que la
découverte de la même Inscription , qui
› est annoncée dans les Memoires de Trévoux
de l'an 1703. puisque là copie que
je vous ai envoyée avoit été écrite dès
l'an 1662. Bien plus , je vous avouerai ,
qu'ayant recouru au vaste Recueil de
Gruter , j'y ai trouvé la même Inscrip
tion quant au fond. Ainsi toute l'utilité
qui revient au Public de la part que vous
lui avez faite de l'Inscription de la Colomne
située proche Sacquenay , consiste
à sçavoir que differens Lecteurs l'ont prise
differemment sur les lieux , selon qu'il
étoient plus ou moins au fait de déchiffrer
ces sortes de Monumens exposez aux injures
de l'air depuis tant de siecles.
Il s'agit présentement de décider qui!
sont ceux qui ont lû plus exactement ce
que contient cette Inscription . Gruter l'a
publiée il y a plus d'un siecle , sur les Memoires
de Roussat , mais d'une maniere
si visiblement dépravée , et pleine de tant
de fautes , qu'on ne peut presquen en inferer
autre chose , sinon qu'elle est de
l'EmMARS.
17310 483
l'Empereur Claude , et qu'elle désigne un
éloignement de Langres de vingt- deux
mille pas . Il s'explique encore très-mal ,
lorsqu'il dit qu'elle étoit à Langres , puisqu'il
est absurde de penser qu'un Monument
dressé pour marquer une distance
de plusieurs lieues de cette Ville , fût
placé dans la Ville même d'où se prend
cette distance .
Il faut , sans doute , entendre cette position
de la Colomne en question , de la
même maniere qu'on entend ce que le
même Gruter dit de celle de Solaize, lorsqu'il
marque qu'elle est à Vienne , ( a )
quoiqu'elle en soit à deux bonnes lieuës.
Gruter écrivant hors du Royaume , ne
s'est pas toûjours picqué de parler avec
l'exactitude et la précision convenable
des Inscriptions qui y sont renfermées.
Au reste il est bon et utile que de temps
en temps les mêmes Inscriptions reparoissent
, afin qu'on puisse dans la suite
en développer le contenu avec plus de
certitude , et de parvenir à en donner
une explication qui ne souffre plus de difficulté.
Pour vous épargner la peine de recourir
à Gruter , aux Memoires de Trévoux
, et même à la copie faite sur ce que
le Pere Chifflet a dicté en 1662. je les
représenterai ici telles qu'elles sont imprimées
.
(a ) Page 188.
484 MERCURE DE FRANCE .
Gruter , page 153 .
TI CLAVD DRVSI F.
CAESAR AVG GER
MANIC. T NI XXX
TRIB. POTEST III P M
III P. P. COS. IX.. E
I ... SICNS ... IIII
AND . M. P. XXII.
Copie du Pere Chifflet.
TI. CLAVD. DRVSI F.
CAESAR AVG GER
MANIC. PONT. MAX.
TRIB. POTEST III IMP.
I Р. P. COS. III. DE
SIGN IIII
AND. M. P. XXII.
Memoires de Trévoux , 1703. page 1647 .
TI. CLAVD DRVSI F.
CAESAR AVG. GER
MANIC. PONT. MAX
TRIB. POTEST II. IMP.
III. P. P. COS. II DE
SIGNAT III.
AND. M. P. XXII.
Je suis persuadé , Monsieur , qu'avec
d'attention sur ces trois copies,
un peu on
MARS. 1731. 485
on sera convaincu que c'est la même Inscription
prise differemment differens
par
Lecteurs ; et que comme les Mémoires de
Trévoux, et la Copie du P.Chifflet, ne sont
pas censez citer une autre Inscription ,
que celle du Village de Saquenay , quoiqu'il
y ait de la variation dans les dates ,
celle aussi qu'on trouve dans Gruter n'appartient
pas non - plus à une autre Cofomne
milliaire , et que c'est celle du même
Village . Le nombre égal de sept lignes ,
partagées d'une maniere toute semblable ,
joint à la cotte du milliaire , qui est la
même par tout , est , ce me semble , une
démonstration suffisante de cette identité.
Il est visible que dans Gruter la fin de
la troisième , quatrième et cinquiéme lignes,
et toute la sixième, sont plutôt ébauchées
par des gens qui ont deviné comme
ils ont pû , que bien représentées dans
le style ordinaire ; et ainsi les differences
qu'on y trouve n'établissant rien de solide
, on doit les expliquer par les copies
prises posterieurement.
Il ne resteroit plus qu'à sçavoir qui a
le mieux lû les chiffres du Tribunat dé
Claude , ceux du Consulat et de la désignation
, ou le Pere Chifflet en 166 2. ou
M. Moreau de Montour en 1703. mais on
peut en toute sûreté se reposer sur l'exacritude
de cet habile Académicien , sup-
D posé
46 MERCURE DE FRANCE
posé que ce soit de ses propres yeux qu'il
ait vû la Colomne dont je parle , et non
par les yeux d'autrui . J'ajoûterai seulement
à ce qu'il a écrit sur ce Monument,
les dimensions qu'un de vos amis , à qui
vous avez recommandé la chose , en est
allé prendre sur les lieux , et qu'il m'a
communiquées. La base de cette Colomne
sort de terre environ la hauteur de deux
pieds , et la largeur de la même base est
à peu près égale. La Colomne a en ellemême
six à sept pieds de hauteur et cinq
à six pieds de circonference ; desorte que
d'élevation de tout ce qui paroît hors de
terre est de huit à neuf pieds. Au reste
si quelque Antiquaire a encore des doutes
sur cette Inscription , à cause des variantes
qui paroissent , il peut se contenter
et aller l'éxaminer lui- même dans le
Pays où elle se trouve.
J'invite aussi à faire la même démar•
che , à l'égard de la Colomne milliaire de
Solaize , tous ceux qui ne voudroient pas
ajoûter foi à ce que je suis en état de vous.
en dire. Je l'ai examinée assez long- tems
et avec assez d'attention , pour pouvoir
en parler sçavamment. L'Inscription de
cette Colomne , quoique très-bien conservée
, et très - lisible , à souffert aussi
beaucoup de variantes . Gruter la donne
dans une distribution de lignes toute differente
MARS. 1731. 487
ferente de ce qu'elle est. Outre cela il
obmet le chiffre du milliaire qui est VII.
et il prend les deux lettres P. P. significatives
de Pater Patria , pour toute autre
chose que ce qu'elles désignent. Le
Pere du Bois , Celestin , qui a recueilli
les Inscriptions du Pays Viennois et des
environs, autant qu'il lui a été possible, se
trompe aussi beaucoup sur les derniers caracteres
de cette Inscription , lorsqu'il
la fait finir ainsi : COS II ROM .
J'ajoûterai à tout cela que l'inexactitude
de Gruter a été suivie par quelques Modernes
, et c'est ce qu'il est important
d'observer. Ces derniers ne s'étant pas
donné la peine de recourir à l'Original,
se sont crûs assez autorisez pour conclure
que la fin de cette Inscription signifioit
REFECIT, supposant que Gruter avoit
été fidelement instruit de ce qu'elle contenoit,
et qu'il en falloit juger comme de
celle d'une autre Colomne milliaire qu'on
dit être à Montpellier. Pour moi qui
m'en suis défié , je n'ai pas manqué , en
revenant de Vienne l'année derniere , au
mois d'Octobre , de quitter la route nouvelle
, qui passe à Saint Saphorin d'Ozon ,
pour rentrer dans l'ancienne route militaire
à Solaire , qui n'en est éloigné que
d'un quart de lieuë , à main gauche , et
y ayant trouvé sur le bord de ce grand
Dij chemin
488 MERCURE DE FRANCE
chemin la Colomne dont je vous parle
voici les remarques que j'y ai faites.
- Elle est assise sur quatre degrés de pierre
qui forment autant de cercles . Le chemin
le plus droit , auprès duquel elle est,
conduit à Lyon , l'autre mene au Village
même de Solaize. Sa hauteur , compris la
base et le chapiteau , est de neuf à dix
pieds , et ce chapiteau est surmonté d'une
Croix , qu'on voit bien avoir été mise
là après coup , et apparament pour
contribuer à la conservation du Monument.
Cela n'a pas cependant empêché
que quelques Paysans n'ayent jetté des
pierres contre cette Colomne , ensorte
que les deux premieres lettres de la premiere
ligne et les deux premieres de la
quatrième en ont été un peu défigurées ,
mais elles sont encore suffisament lisibles
; et voici l'arrangement dans lequel
les lignes qui la compsent sont conçuës :
TI. CLAVDIVS DRUSI F.
CAESAR AVGVST.
GERMANICVS
PONT. MAX. TR. POT. III.
IMP. III COS III. P. P.
VII.
Je puis vous protester qu'il n'y a pas
autre chose , et que j'ai pris tout le soin
possible
MARS. 1731. 489
possible pour m'assurer de la yeritable
lecture de cette Inscription . Le RE , que
quelques Sçavans prétendent finir la derniere
ligne , n'y est aucunement. Au lieu
de cela le double P. y est très-visible ;
et pour conclusion , on y voit d'un caractere
un peu plus gros le nombre Romain
VII. qui marque qu'en cet endroit
finit le septiéme milliaire de Vienne à
Lyon. En effet Inscription de la Colomne
est tournée du côté de Vienne , et
elle fait face à ceux qui montent la perite
Montagne , sur laquelle est situé le
Village. Ce septième milliaire fait la moitié
du chemin d'entre les deux grandes
Villes ; et sans doute que c'est parce qu'on
se reposoit en cet endroit, et que les Troupes
y faisoient alte , qu'on l'a appellé Selatium
, et depuis Solaize , en langage vulgaire
, formé sur le Latin.
J'eus l'obligation à M. Baudrand , digne
Curé de la Paroisse , cousin du celebre
Géographe de ce nom , de m'avoir
conduit lui- même dans le lieu de son territoire
où cette Colomne est érigée. On
ne connoît aucunement dans ce Village
la Maison des Bernardins , dans laquelle
le Pere du Bois assuroit en 1605. qu'on
la voyoit. M. le Curé me fit voir aussi
à quelques pas au- dessous de cette Colomine
les restes d'un Canal fait d'une
D iij matiere
490 MERCURE DE FRANCE
matiere qu'on appelle du Bleton , dans le
Pays, et qui n'est que du gravier détrempé
avec de la Chaux. Je ne puis vous
marquer ce que le Pere Ménetrier a dit
de cette Inscription de Solaize dans son
Histoire Consulaire de Lyon. C'est un
Livre qui manque dans nos cantons. J'aime
mieux , au reste , avoir vû par moi-même
l'Original , que beaucoup de copies infideles
, sur lesquelles on ne peut compter
, comme sur celle que j'ai l'honneur
de vous envoyer.
J'ai vu cette année dans un Jardin situé
derriere l'Eglise de l'Abbaye de S. Medard
de Soissons , l'Inscription rapportée
par Dom Martenne , dans son second
Voyage Litteraire , page 18. C'est aussi
une de ces Colomnes milliaires , quoique
le terme de mille ni la lettre initiale ne
s'y trouvent pas ; mais elle n'est pas du
Regne de l'Empereur Claude. Comme
l'injure du temps en a rendu les caracteres
difficiles à suivre , je n'ai pû verifier
les copies qui en ont été faites. Mais pour
le sûr , le mot Leuga , y est employé.
Je vous ai avoué franchement que je
crois qu'il faut abandonner toute idée de
Colomne milliaire à l'égard de la Colomne
de Carcassonne. C'est par où j'ai commencé
cette Lettre. Permettez , en la finissant
, que je revienne à ce qui a été
observé
MARS. 1731. 451
observé sur la Lettre de M. de Murat ,
Juge- Mage de cette Ville , et que je vous
fasse faire attention qu'il y a un exemple
de trop parmi ceux qu'on a apportés à dessein
de prouver que souvent un même
homme avoit un double nom , dont l'un
étoit le dérivé ou le diminutif de l'autre ,
et d'en conclure que le même Prince avoit
pû s'appeller Numerius- Numerianus. C'est
la citation qu'on fait du Martyrologe Romain
au 31 , May. On dit que Cantius et
Cantianus , sont les deux noms d'un même
homme ; mais on l'avance gratis et
contre la foi de l'Histoire. Les Actes que
Dom Mabillon a donné de ces saints Martyrs
à la fin de son Livre de la Liturgie.
Gallicane, sur un Manuscrit deM.Obrecht,
et le Sermon de S. Maxime de Turin ,
font trois personnes de Cantus Cantianus
et Cantianitta S. Maxime dit : Quam benè
et jucundè tres Martyres uno penè vocabulo
nuncupantur ! Les Actes disent : Advenerunt
tres Germani ex urbe Româ , &c. Voilà
qui me paroît décisif. Je suis , &c.
Ce 18. Octobre 1730 .
D iiij
LA
492 MERCURE DE FRANCE
LA PROVIDENCE ,
O DE.
O -Vous , qui méritez les justes anathêmes
Dont l'Eglise vous a frappés ,
Trop aveugles Auteurs , et trop tard détrompés
Allez dans les Enfers abjurer vos sistêmes ;
Dieu n'est point un maître inhumain
Il ne voit point avec dédain
Les ouvrages de sa puissance ;
Il les conserve tous ; l'insecte le plus vil ;
Le juste et le pecheur , le Juif et le Gentil
Annoncent sa magnificence.
諾
S'il est le Roi des Rois , s'il est le Dieu des
Dieux ,
S'il est Juge saint et severe ,
Il veut être nommé mon refuge et mon pere
Et sa bonté remplit et la terre et les Cieux ,
Elle fournit à nos délices ,
Elle asservit à nos caprices
?
La nature et les élemens ;
Seule elle sçait fixer la jeunesse indocile
Et seule elle soutient la vieillesse débile ,
Qui gémit sous le poids des ans.
}
Quelle
MARS. 17318 493
Quelle vive splendeur vient éclairer mon ame a
Grand Dieu ! j'adore tes decrets ,
Tu daignes à mes yeux dévoiler tes secrets ;
Terre , écoutez ; je cede à l'ardeur qui m'enflâme;
Je vois Noë braver les eaux ;
Ici des esprits infernaux
Moïse confond les prestiges ;
Là , triomphe Israël ; ses tyrans sont punis ;
Les flots émus , calmés , divisés , réunis,
M'attestent le Dieu des prodiges.
Qu'aperçois-je ? Joseph indignement lié
Au fond d'une prison obscure ;
Tout innocent qu'il est ,
il souffre sans murmure ,
Mais le Dieu de Jacob ne l'a point oublié ;
> Ses soupirs ont percé la núë :
C'est par une route inconnuë
Qu'il monte aux suprêmes honneurs :
Joseph passe soudain de la honte à la gloire ,
D'une indigne prison sur un char de victoire ;
Il doit sa joye à ses douleurs.
Ciel ! qu'entens- je ! les vents sur la liquide plaine
Se livrent d'horribles combats ;
La mer s'enfle et mugit ; rien ne trouble Jonas ,
il prie , adore , espere au sein de la Baleine.
Seigneur , tu le conduis au port ;
D v Tu
་
494 MERCURE DE FRANCE
Tu te déclares le support
D'un coeur pénitent qui t'implore ;
J'ai moi-même cent fois éprouvé ton secours ;
Pere tendre , déja tu veillois sur mes jours
Qui venoient à peine d'éclore.
粥
La nouvelle Sion en bute à mille assauts ,
Leve sa tête triomphante ;
On la poursuit en vain , les chrétiens qu'elle en
fante
Renaissent de leur cendre , et sur les échafauts
Je la vois toujours immuable ;
Sur ce rocher inébranlable
Ses ennemis sont écrasés ;
L'esprit Saint la dirige , et que peuvent contre elle
Les vents impétueux et leur soufle rebelle ?
Dès qu'il parle , ils sont appaisés.
Pardonne moi , Dieu saint , le murmure coupable
Qu'excita souvent dans mon coeur
De l'impie élevé le fastueux bonheur ;
Ce bonheur doit le rendre un jour plus misérable.
Il est un moment arrêté
Pour confondre l'iniquité :
Que ce moment sera terrible !
Le pêcheur dort au sein d'une trompeuse paix ;
La mort vient et le frappe , il gémit, vains regrets !
Le Juge est pour lors inflexible,
Oui ,
MARS. 1731. 495
Oui , je mets en toi seul et mon unique espoir
Et ma plus ferme confiance ;
De ton Verbe avec nous l'inéfable alliance
M'apprend que ton amour égale ton pouvoir ;
C'est cet amour que je réclame ;
Dans mon coeur allume sa flamme.
Dés lors je ne craindrai plus rien ,
L'indigence , les fers , la honte , la mort même ;
Eh ! Seigneur , quel revers peut craindre un coeur
qui t'aime ,
N'es-tu pas le souverain bien ?
Deus meus et omnia.
Poncy de Neuville , Prêtre.
XXXXXX :X : XXXXXXXX
REPONSE de M. Brubier d'Ablaincourt
, Docteur en Medecine , à la Lettre
de M. Barrés , inserée dans le Mercure
de Novembre 1730.
de
Puisqu'il ne s'agit,Monsieur , que répondre à M. Barrés pour mériter
son estime , qu'il se prépare à doubler la
dose. Si je n'étois pas plus disposé que
lui à expliquer favorablement les intentions
d'autrui , je ferois , sans doute ,
moins de cas d'une estime acquise à si bon
marché , et seulement pour avoir répondu à
D vj Jes
Dv
496 MERCURE DE FRANCE
ses Reflexions ; mais persuadé qu'une personne
dont l'esprit doit être cultivé par
la lecture des bons Auteurs , avantage que
les, plus zelés ennemis de la profession ne
refusent pas aux Medecins , sçait mieux
à quel prix elle doit mettre son estime ;
M. B. me laisse entrevoir que mes Réponses
ont eu le bonheur de lui plaire
ce qui n'est pas incompatible avec la diversité
de nos sentimens ; je vais faire de
mcn mieux pour le contenter encore ; et
comme sa Lettre n'est composée que de
refléxions détachées , vous me dispenserez
, s'il vous plaît , de suivre un ordre
déterminé.
M. B. semble me reprocher d'abord
d'avoir appellé l'autorité à mon secours ;
ce langage a tout lieu de me surprendre
dans une personne qui exerce une profession
dont l'observation fait la base , et
où la raison ne tient que le second rang.
Il se sert ensuite des mêmes armes pour
me combattre ; sept ou huit Auteurs qu'il
me cite , et une infinité d'autres qu'un
c. me fait entrevoir
prouvent avec
moi , si on veut l'en croire , qu'un usage
moderé de l'Eau de vie est loüable dans.
la santé et dans la maladie.
,
Comme je ne me souviens pas d'avoir
avancé ce principe , qui seroit formellement
contraire à la these que j'ai voulu
défenMARS.
1731. 497
défendre , et qu'il me paroît qu'on devoit
conclure tout autrement de ce que je regar
de l'avantage qui peut revenir de l'usage de
l'Eau de vie aux vieillards, auxFlamands et
à quelques autres personnes , comme une
exception à la loi genérale , les autorités
qu'on allegue en faveur de mon prétendu
sentiment, se tournent contre moi ; il faut
donc y répondre.
Je demande d'abord si ces Auteurs par
lent du vin ou de l'Eau de vie , car sans
gasconade , il y en a plusieurs parmi ceux
qu'on cite nommément, que je ne connois
que de nom. A juger par le passage de
Varandaeus qu'on nous donne pour échantillon
de leur sentiment , ils ne parlent
que du vin ; or quelle difference du vin
à l'Eau de vie de quelle quantité de
phlegmes les soufres volatiles du vin ne
sont- ils pas inondés au lieu qu'ils sont
dévelopés dans l'Eau de vie , et raprochés
de maniere qu'un verre de bonnet
Eau de vie renferme peut- être plus d'esprits
qu'une bouteille de bon vin. Varaudous
même ne fait- il pas plutôt pour
moi que pour M. B. puisque suivant cet
Auteur , pour se servir utilement du vin,
il doit être qualitate temperatum , et limphis
refractum , quod generosius est. Ces qualités
se trouvent-elles dans l'Eau de vie ? er en
nous renfermant dans la question que
traite
#
498 MERCURE DE FRANCE
traite l'Auteur , à quoi bon tant de précaution
, si la volatilité des soufres du
vin n'étoit pas nuisible par elle même ?
pour
M. B. applique à l'Eau de vie ce que
Varaudons dit du vin , calefacit , concoctionem
juvat. C'est donc un remede
les estomacs froids , et un poison pour les
estomacs chauds ; dans le dernier cas , il
n'accelere pas la digestion , il la précipite
, il la supprime même en entier , en
donnant aux fibres de l'estomach une
tension spasmodique qui empêche le
mouvement de trituration de ce viscere ,
ou qui resserrant les pores excretoires de
ses glandes , les empêche de filtrer le ferment
stomachal ; l'Eau de vie est donc
également funeste dans l'un et l'autre sentiment.
C'est même ce dont M. B. convient
en quelque maniere , en proposant
son premier Problême : il demande si les
Ouvriers qui boivent du vin bien trempé ont
moins de force que ceux qui ne boivent
de l'eau; c'est reculer étrangement quand
on a conseillé plus haut l'usage de l'Eau
de vie pure. Cette espece de retorqueo ne
tombe pas sur moi , qui n'ai jamais prétendu
que le vin bien trempé fut nuisible
; mais je soutiens , c'est la réponse au
second Problême , et je le prouverai par
la suite , qu'un usage moderé de l'Eau de
vie nuit à la longue , à moins qu'un contrepoison
que
MARS. 1737 . 499
trepoison aussi efficace que l'âge ou la
bierre n'en suspende l'effet.
Voilà ce que j'ai à répondre aux autorités
dont se pare M. B. on ne s'attend
pas , sans doute , que je réponde à celles
d'Ovide et de Regnier , qu'un de ses Con .
freresa cités si judicieusement dans un
Ouvrage de la nature des nôtres ; je renvoye
ce Docteur au Rondeau de Voiture,
qui commence par ces mots : Un buveur
d'eau ; je lui laisse le soin de concilier ces
differentes autorités .
Q
Voici maintenant un autre raisonnement
de M. B. l'Eau de vie s'étant introduite
dans l'art de guerir , ne sçauroit passer
scrupuleusement pour une eau de mort. C'est
ce dont je ne conviens pas par deux raisons
: S'il est vrai que tous les remedes
soient des poisons , suivant cet axiome
d'Hipocrate pharmaca sunt vénena , axiome
adopté par M. B. on peut en conclure
que leur usage est toujours dangereux ,
pour ne pas dire funeste, 2º Les remedes
préparés avec l'Eau de vie sont - ils tou
jours innocens ? il n'y a qu'à consulter
Sydenham , et on le verra se plaindre des
mauvais effets de son Laudanum liquide ,
* M. Ziorcal , Docteur de Montpellier , dans
une réfutation d'une Piéce d'un autre M. Bar
gés , réfutation inserée dans le Mercure d'Oc➡
tobre 1730.
quoi500
MERCURE DE FRANCE.
quoique préparé seulement avec le vin ;
ce qui fait que beaucoup de Praticiens
veulent que T'extrait de l'opium se fasse
avec l'eau. Cette remarque servira de ré
ponse à la critique que fait M. B. du ter
me de mauvais remede que j'ai employé.
Les remedes sont des poisons ; l'Eau de
vie est un remede ; donc &c.
Si ces experiences étoient de son goûr,
je le prierois encore de faire attention à
un défaut que Freind reproche aux teintures
tirées avec l'esprit de vin de tous les
fondans connus sous le nom d'emmenagogues
', qui ont formé un coagulum plus ou
moins épais , pendant que le mixte seul
a parfaitement divisé la partie du sang
à
laquelle on l'a mêlé ; il ne s'ensuit pas ce
pendant qu'il faille rejetter ces sortes de
viandes à cause de cet inconvenient , qui
suivant la remarque du Docteur Anglois,
est compensé par d'assez grands avantages.
De tout cela , je conclus que
clusion de M. Le Hoc ne peut être attaquée
, puisqu'étant genérale , elle n'exclud
pas les exceptions . Donnons un exemple
: De ce que Mithridate s'est accoutumé
aux poisons , auroit - on raison d'attaquer
une conclusion dans laquelle on
diroit qu'ils sont mortels ?
la con
Mais , me dira- t'on , vous citez un
exemple unique , et qui ne peut être ap
pliqué
MARS. 1731. Sot
pliqué à l'Eau de vie dont on fait tous
les jours usage .
Je réponds que cet exemple n'est uni
que que parceque la frayeur attachée à
l'idée de poison a empêché plusieurs per
sonnes , qui peut -être étoient dans le cas
de ce Prince , de vouloir faire une épreu
ve aussi dangereuse. Il en seroit de même
de l'Eau de vie , si une malheureuse familiarité
n'avoit fermé les yeux de ceux
qui s'en servent. Mais comment se persuader
qu'un fruit aussi agréable à la vuë
et au goût que le raisin , puisse par la
fermentation et la distilation conséquente
donner une liqueur traîtresse et funeste i
loin d'en être persuadé , il faut être Phi
sicien ou Medecin pour oser seulement
penser qu'il en puisse être ainsi .
Vous raisonnez toujours , objectera-t'on ,
sur votre même hypothese ; quelle preuve
avez vous que la force du feu n'a pas fait de
l'Eau de vie un composé different de ce-
Fui du vin ?cela n'arrive-t'il pas dans d'autres
cas ?
Je sçais que la décomposition de quel
ques mixtes dépouille souvent les differentes
parties qui en sont le produit des quali
tés qu'avoit le tout ; mais ne puis- je pas
demander à mon tour quelle preuve on
a qu'il en arrive autant au vin ? de plus ,
je conclurai des paroles de M. B. que ce
chan
go2 MERCURE DE FRANCE.
changement n'arrive pas ; car sans répeter
tout ce qu'il a dit du vin et de l'Eau de
vie , n'attribuë- t'il pas à l'un et à l'autre
les mêmes qualités ? c'en est assez , je
crois , pour anéantir son objection.
Nous convenons me dit- il plus bas ,
que l'abus
que le commun des hommes fais
de l'Eau de vie donne origine à mille maux
et à la mort qu'elle anticipe ... c'est à tort
que vous nous accusez d'en favoriser l'abus.
que
و
Je réponds d'abord par un raisonnement
dont j'ai fait usage dans mes Reflexions
, si beaucoup d'Eau de vie est trèsnuisible
, un peu l'est un peu ; je crois
pouvoir user de ce raisonnement sans
qu'on puisse me reprocher un cercle
après avoir prouvé par Varandaeus même
l'Eau de vie doit être funeste dans l'état
de santé, et par Hippocrate, Sydenham
et Freind ,qu'elle est dangereuse dans l'état
de maladie. Je dis en second lieu que son
usage devroit être entierement proscrit
de la vie civile , à cause de la necessité
qu'il impose de le continuer pour entre
tenir la circulation du sang et les forces
de celui qui s'en sert , et du penchant fatal
que donne cette liqueur à en continuer
, et même à en augmenter l'usage ,
lorsqu'on s'est fait une habitude de s'en
servir. M.B. en convient lui - même en disant
par réponse à l'objection que je lui
faisois
MARS. 1731. ၂၁
faisois au sujet des gens de travail qui ne
peuvent tirer d'utilité de l'Eau de vie
que dans l'usage réïteré , c'est précisément
ce qui leur arrive en s'accoutumant peu à peu
à l'usage de cette liqueur. Si ce n'est pas autoriser
l'abus de l'Eau de vie , il faut changer
les idées des termes : car ce n'est pas
un abus manifeste que de conseiller une
pratique dont nos peres se sont passé ,
et dont une infinité de gens de travail se
passent tous les jours.
·
M. B. ne répond pas à la premiere de
ces Refléxions ; ce n'est pas la seule fauted'attention
qu'on remarque dans sa Lettre
; je n'en citerai qu'un seul exemple
c'est le reproche d'obscurité qu'il me fait
sur ce que j'explique tantôt , selon lui ,
Pépaississement
des liqueurs par l'augmentation
du mouvement du sang , caule
désée
par l'Eau de vie , et tantôt
par
velopement de cet acide qui entre dans
la composition de toutes les huiles ; il
lui auroit été fort aisé de remarquer que
je distinguois deux instans , l'un où la
premiere de ces causes opére , et l'autre
où opére la seconde , et en ce cas il n'y
auroit pas trouvé d'obscurité.
Je ne sçais , Monsieur , ce que M. B.
croira que méritent mes nouvelles attentions ;
elles me paroissent suffisantes pour mettre
le Public en état de juger qui de nous
deux
504 MERCURE DE FRANCE
deux a raison. Quoique je sois résolu de
garder doresnavant le silence , cela ne
m'empêchera pas de faire mon profit de.
ce que M. B. pourra dire en réponse ; je
souhaiterois sur tout qu'il voulut bien
donner une explication plus simple que
la mienne des alterations que le vin cause
dans le pouls. Persuadé qu'on approche
d'autant plus de la verité, qu'on approche
de la simplicité , M. B. me doit d'avance
compter parmi ses sectateurs. Je suis &c.
A Paris , le 8. Fevrier 1731 .
On a dû expliquer les deux Enigmes
et les deux Logogriphes du mois dernier
par le Seau du Puits , Clou , Bail et
Fatras.
****************&&&
ENIGM E.
Il semble que je lis dans l'ordre des destins ,
J'annonce le beau tems et la pluye et l'orage :
Et sans avoir la raison en partage ,
J'instruis tous les jours les Humains.
Je suis de forme differente :
Selon que veut l'Ouvrier qui m'enfante.
J'ai des dents , une bouche, une langue, des yeur
Je
MARS. 1731.
305
Je ne vois , je ne parle en aucune maniere.
A peine le Soleil vient éclairer les Cieux ,
Qu'il répand sur moi sa lumiere.
Lecteur , ne vous y trompez pas ,
Je suis femelle ; il est dans la Nature
Maint animal de plus belle structure ,
Et dont on fait bien plus de cas,
Qui me ressemble fort; mais quelle est mon envie $
Laissons cet animal ; cessons de le vanter ;
Charmez de ses attraits, vous pourriez bien quitter
L'Original pour la Copic ,
Soit qu'il veuille marcher, ou derriere , ou devant,
Autant en emporte le vent.
XXXXXXXXXXXXXXXX XXXXX
JE
LOGOGRYPHE.
E suis d'ane humeur solitaire ,
J'évite les Humains autant que je le puis;
Quand ils viennent dans mes réduits ,
S'ils irritent fort ma colere ,
Nous nous causons souvent dé mutuels ennuis ;
Je fus cause autrefois d'une douleur profonde ,
Et fis verser des pleurs aux plus beaux yeux da
monde.
Veux- tu sçavoir mon nom ? voici comme il
est fait :
Il faut pour le former un tiers de l'alphabet ;
Trois voyeles et cinq
consonnes ;
( J'en
Job MERCURE DE FRANCE
J'en dis peut-être trop , Lecteur , tu me soup
çonnes , )
La derniere partie est un infinitif,
Et la premiere un substantif;
Le Verbe est de notre Langage ,
Sans contredit , le plus liant ;
Otez-en la finale , il devient à l'instant ,
Chose qui n'est de nul usage ,
Qui se mêlant au bon , le rend d'abord méchant
Place cette finale après la deuxieme ,
Et qu'elle soit pénultiéme ;
J'exprime par ce changement ,
Un Acte que tu fais , Lecteur , en ce moment;
Retranches-en la capitale ;
C'est un peché mortel qu'aussi -tôt je t'étale ;
Fais-en de même de son nom ,
Reste de quoi former un ton.
Venons au substantif qui fait l'autre partie ;
On ne peut rien sans son concours ;
C'est de lui que dépend le cours ,
Et le destin de cette vie.
Une moitié prise à rebours ,
Est un objet qui plaît toujours ,
"En faisant certaine partie ,
Lorsqu'on voit sa face noircie.
Mes membres combinez , que d'objets differens !
Tantôt je suis , Lecteur , tes premiers vétemens ,
Comme ta premiere parure ;
Tan tôt
MARS. 1731. 507
Tantôt je suis pris dans un sens
D'une bouche les agrémens ;
Pris dans une autre , nourritare.
Je suis un animal de comique figure ;
Je suis Fleuve de grand renom ;
Je suis un bel Oiseau ; je suis un certain nom ,
Que jamais n'accompagne une épithete honnête,
Selon un Femelle Poëte.
Je suis dans l'Ecusson du plus puissant des Rois ;
Je suis aussi tout à la fois,
Etre rempli d'intelligence ,
Et simbole de l'ignorance,
Des Lettres de mon nom que ne feroit -on point?
Ah ! diras-tu , Lecteur , c'est assez , je t'en prie ,
Soit , n'êtes seulement qu'une barre et qu'un
point ;
Tu pourras en former une Duché Pairie.
* Madame des Houliere.
R ....
D
AUTR E.
Ans l'Empire Romain je suis très-remar
quable , 1
Mais on peut lire dans la Fable ,
Que je suis placé près d'un Dieu.
Le feu de mes yeux étincelle ,2.
Otez
Jo8 MERCURE DE FRANCE.
Otez ma lettre du milieu :
Vous ne me verrez plus qu'une afle.
Le Tellier d'Orvilliers , de Vernon.
X:XXXXXXX: XXXXXX : X
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &c,
M
EMOIRES pour servir à l'Histoire
des Hommes Illustres , &c.
T. XIII. de 408. pages. A Paris , chez
Bríasson , à la Science , M. DCC. XXX.
Voici les noms des Sçavans dont les
Vies et le Catalogue des Ouvrages remplissent
ce Volume. Louis Alamanni; Guill.
Amontons ; Jean Barbier d'Aucour; Pierre
de Boissat ; Jean Boscan ; Jean Coras ;
Claude d'Epences ; Melchior Guillandin ;
George - Abraham Merklinus : Etienne le
Moine ; André Navagero ; Bernard Nieu-
Wentit : Sertorio Orsato ; Conrad Peuttinger.
Pierre Ramus ; Jean Russellay ; Joseph
Pompée Sacco ; Nic. Sanson ; Benoît de
Spinosa Guill. Temple ; Robert Titi ; Bernard
Trivisano ; Garsilasso ; de la Vega ;
Gerard Vossius ; Gerard-Jean Vossius; Isaac
Vossius ; André- Chrisostome Zaluski.
Nous exposerons ici à nos Lecteurs ce
que
MARS. 1731. 509
que
l'Editeur des Mémoires rapporte au
sujet du fameux Pierre Ramus , cet article
nous ayant parû l'un des plus curieux
et des plus travaillez.
Pierre Ramus , ou de la Ramée , nâquit
l'an 1515. dans un Village de Vermandois
en Picardie,nommé Cuth . Son Aycul,
qui étoit d'une bonne famille du Pays de
Liege , s'étoit retiré dans ces quartiers-là ,
après avoir perdu tous ses biens , lorsque
sa Patrie fut réduite en cendres par Charles
Duc de Bourgogne. Le triste état où
il se vit alors , l'obligea à gagner sa vie
le reste de ses jours , à faire et à vendre
du Charbon . Il laissa un fils qui gagna
la sienne à labourer , et qui fut le Pere
de celui dont il s'agit ici .
Pierre Ramus ne fut gueres plus heureux
que son Pere et son Ayeul , car sa
vie a été une alternative perpetuelle d'élevation
et d'abaissement , et il a été en
toutes manieres le jouet de la fortune.
A peine étoit-il hors du berceau , qu'il
fut attaqué deux fois de la Peste . A l'âge
de huit ans l'envie d'apprendre le fit ve
nir à Paris ; mais la misere l'ayant obligé
d'en sortir , il y revint le plutôt qu'il put,
et n'y trouvant point les moyens d'y subsister
, il en partit une seconde fois. La
mauvaise réussite de ces deux voyages
ne le découragea pas cependant ; sa pas-
E sion
510 MERCURE DE FRANCE
sion pour l'étude lui en fit entreprendre
un troisième qui fut plus heureux .
Il fut d'abord entretenu pendant quelques
mois par un de ses oncles ; mais ce
secours lui ayant manqué , il fut contraint
d'être Valet au Collegé de Navarre.
Le service qu'il rendoit à son Maître , ne
l'empêchoit pas de s'appliquer à l'étude ,
car il y employoit une partie de la nuit ,
et il y fit
par ce moyen , des progrès considerables
en peu de tems.
Il n'y a aucune vrai- semblance à ce qu'on
Jit dans le premier Scaligeriana , qu'il vécut
jusqu'à l'âge de dix- neuf ans sans sçavoir
lire , qu'il avoit l'esprit hébêté , pesant
et stupide , et qu'il avoit trente ans
lorsqu'il écrivit contre Aristote. Ce dernier
fait est incontestablement faux ; car
son Livre contre Aristote fut condamné
après mille contestations , le 10.May'1543 .
or il n'avoit encore que vingt- huit ans.
Après ses études d'Humanitez et de
Rhéthorique , il fit son cours de Philosophie
, qui dura , selon l'usage de son
tems , trois ans et demi. La These qu'il
soutint pour se faire recevoir Maître- ès-
Arts , révolta bien du monde ; il s'y proposa
de soutenir cette Propostion , que
tout ce qu' Aristote avoit dit étoit faux.
Tous les Professeurs,quine connoissoient
d'autre Philosophe qu'Aristote , & qui
croyoient
MAR S. 173. 511
croyoient qu'on ne pouvoit sans crime aller
contre son autorité, prirent feu, et vinrent
attaquer la These avec toute la force que
leur habileté pouvoit leur fournir.Mais le
Répondant repoussa pendant un jour entier
leurs attaques avec tant de subtilité
et d'adresse , que tout Paris en fut dans
l'étonnement .
Ce succès enhardit Ramus , et lui fit
naître l'envie d'examiner plus à fond la
Doctrine d'Aristote , et de la combattre
vigoureusement ; il se borna cependant à
la Logique , à laquelle il rapporta toutes
ses lectures , et même les leçons d'Eloquence
, qu'il commença alors à faire à
la jeunesse .
- Les deux premiers Livres qu'il publia
sur cette matiere , causerent de grands
troubles dans l'Université de Paris . On le
cita devant les Juges Criminels , comme
un homme qui vouloit renverser la Religion
et les Sciences. Le Parlement voyant
le vacarme que causoit cette affaire , voulut
en prendre connoissance ; mais ses Adversaires
, persuadez qu'elle y seroit examinée
dans toutes les formes et selon les
regles de l'équité , la tirerent de ce Tribunal
, par leurs intrigues , et la firent
évoquer au Conseil du Roi , où ils espe
roient que leur crédit leur seroit d'un .
grand usage.
}
E ij
Le
512 MERCURE DE FRANCE
Le Roi ordonna donc qu'Antoine Govea,
qui étoit son principal Adversaire, et
Ramus choisiroient chacun deux personnes
habiles pour être,avec celui qu'il nommeroit
lui-même , Juges de leur dispute.
En conséquence de cette Ordonnance ,
Govea choisit Pierre Danés et François
à Vincercato, et Ramus nomma Jean Quintin
, Docteur en Droit , et Jean de Beaumont
, Docteur en Medecine. Le Député
de la part du Roi , fut Jean de Salignac ,
Docteur en Théologic.
Ramus , pour obeïr aux ordres du Roi,
comparut
devant les cinq Juges , quoiqu'il
y en eût trois qui fussent ses ennemis
déclarez ; on disputa pendant deux
jours. Il soutint que la Dialectique
d'Aristote
étoit imparfaite , parce qu'elle ne
contenoit
ni définition
ni division . Les
deux Juges qu'il avoit choisis , déclarerent
le premier jour que la définition
étoit necessaire
dans toute dispute bien
reglée ; les trois autres déclarerent
, au
contraire , que la Dialectique
peut être
parfaite sans définition . Le lendemain
ces
derniers reconurent
que la division y étoit
nécessaire ; mais voyant que Ramus en
concluoit
qu'il avoit raison de condamner
la Logique d'Aristote
, puisqu'elle
n'en avoit point , ils renvoyerent
l'affaire
à un autre jour. S'apMARS.
1731. 513
S'appercevant ensuite qu'ils s'étoient
jettez dans un embarras dont ils ne pouvoient
sortir avec honneur , ils déclarerent
qu'il falloit recommencer la dispute
, et tenir pour non avenu tout ce qui
s'étoit passé pendant les deux jours . Ramus
se plaignit hautement de ce procedé,
par lequel les Juges , non - seulement faisoient
paroître ouvertement qu'ils vouloient
le condamner , mais cassoient aussi
eux-mêmes leur Jugement , il les récusa
et appella de tout ce qu'ils pourroient
faire.
Son Appel fut déclaré nul par François
I. qui ordonna que les cinq Juges
prononceroient en dernier ressort et définitivement
sur cette affaire . Les Juges
nommez par Ramus ne voulurent point
assister au Jugement , pour n'être point
témoins de l'injustice qu'on alloit lui faire.
Ainsi les trois autres prononcerent
tout ce que la passion et la prévention
leur suggererent , sans avoir attendu davantage
Ramus , qui ne voulut plus paroître
devant eux , et ils prévinrent tellement
l'esprit du Roi , par de faux rap-.
ports , qu'ils obtinrent de lui la confirmation
de leur Jugement.
C'est ainsi que ce fait est raconté par
Omer Talon , dans un Livre qu'il dédia
au Cardinal de Lorraine. Si on s'arrête à
E iij
son
514 MERCURE DE FRANCE
son récit , comme il y a tout lieu de le
faire , on rejettera comme une Fable ce
qui est rapporté par Pierre Galland , dans
la Vie de Castellan , où il dit que François
I. ayant appris les invectives continuelles
d'un certain Sophiste , contre Aris ,
tote , contre Ciceron et contre Quintilien
, avoit résolu de l'envoyer aux Galeres
; mais que Castellan lui suggera un
autre genre de punition , qui fut d'engager
ce Sophiste à une dispute , où il
feroit voir sa folie par le silence , auquel
on le réduiroit ; que le Roi goûta cet
expedient , et que lorsqu'il eut sçû la confusion
que ce Personnage avoit reçûë , il
se contenta de cette peine. C'est de Ramus
que Galland vouloit parler , mais il
est bon de se souvenir que c'étoit son
grand Ennemi.
Les Lettres Patentes du Roi , qui eonfirment
le Jugement rendu contre Ramus
, renferment assez de particularitez
sur son affaire , pour trouver ici leur
place . On y verra ce qu'on avoit fait entendre
au Roi , sur ce qui le regardoit ,
et la maniere dont on lui avoit fait croire
qu'il avoit été condamné.
FRANÇOIS , par la grace de Dieu ,
Roi de France , à tous ceux qui ces presentes
Lettres verront , Salut . Comme entre
les autres grandes sollicitudes que nous avons
toûjours
MARS. 1731. 515
toujours eues de bien ordonner et établir la
chose publique de notre Royaume , nous avons
mis toute la peine , que possible nous a été ,
de l'accroître et enrichir de toutes bonnes
Lettres et Sciences , à l'honneur et gloire de
Notre Seigneur , et au salut des Fideles ;
puis n'a gueres , avertis du trouble advenn
à notre chere et aimée l'Université de Paris
à cause de deux Livres faits par Maitre
Pierre Ramus , intitulez , l'un , Dialectica
Institutiones , et l'autre , Aristotelicæ animadversiones,
et des procés et differends qui
étoient pendans en notre Cour de Parlement
audit lieu , entre elle et ledit Ramus , pour
raison desdits Livres , nous les eussions évoquez
à nous pour sommairement et promptement
y pourvoir , et à cette fin en eussions
ordonné , que Maître Antoine de Govea ,
qui s'étoit presenté à impugner et débattre
lesdits Livres , et ledit Ramus , qui les soutenoit
et deffendoit , éliroient et nommeroient
de chacun côté , deux bons et notables Personnages
, connoissans les Langues Grecque
et Latine, et experimentez en Philosophie , et
que nous élirions et nommerions un cinquiéme
pour visiter lesdits Livres , ouir lesdits
de Govea et Ramus en leur advis ; suivant
Laquelle notre Ordonnance eût été ledit Govea ,
élu, et nommé Maîtres Pierre Danés et François
à Vincercato 5 et ledit Ramus , Maître
Jean Quintin , Docteur en Decret , et Jean
E iiij
de
516 MERCURE DE FRANCE
de Beaumont , Docteur en Médecine ; et nous
pour le cinquiéme eussions nommé et ordonné
notre cher et aimé Maître Jean de Salignac,
Docteur en Théologie ; pardevant lesquelsiles
dits de Govea et Ramus eussent été ouis en
leurs disputes et débats , jusques à ce que
pour interrompre l'affaire , icelui Ramus se
seroit porté pour Appellant desdits Censeurs,
dont nous advertis , eussions décerné nos Lettres
à notre Prévôt de Paris , ou à son Lieutenant
, pour contraindre lesdits de Govea ,
et Ramus , à parfaire leurs disputes , afin que
par lesdits Censeurs nous fût donné leur advis
, nonobstant ledit Appel et autres appellations
quelconques , suivant lesquelles nos
Lettres , eussent lesdits de Govea et Ramus
derechefcomparu pardevant lesdits Censeurs ,
et voyant que par icelui Ramus , lesdits Lia
vres ne se pourroient soutenir, eût déclaré
n'en vouloir plus disputer , et qu'il les soumettoit
à la censure des susdits ; et comme
on y vouloit proceder , lesdits de Quintin et
Beaumont , Pun aprés l'autre , eussent décla
ré ne s'en vouloir plus entremettre. Au moyen
de quoi eût icelui Ramus été sommé et requis
d'en élire et nommer deux autres . Ce qu'il
n'eût voulu faire , et si fût du tout soumis
aux trois autres dessus nommez , lesquels
après avoir le tout vû et consideré , eussent
été d'avis que ledit Ramus avoit été témeraire,
arrogant et impudent d'avoir réprouvé et
condamné
MARS. 17318 517
condamné le train et Art de Logique reçû
de toutes les Nations , que lui- même ignoroit, et
parce qu'en son Livre des Animadversions il
reprenoit Aristote , étoit évidemment connuë
et manifeste son ignorance . Voire qu'il avoit
mauvaise volonté, de tant qu'il blâmoit plusieurs
choses , à quoi il ne pensa onque. Et
ne contenoit sondit Livre des Animadversions
que tous mensonges , et une maniere de
médits , tellement qu'il sembloit être le grand
bien et profit des Livres et Sciences , que
ledit Livre fût du tout supprimé ; semblablement
l'autre dessusdit intitulé , Dialectica
Institutiones , comme contenant aussi plusieurs
choses fausses et étranges : Scavoirfaisons,
que vû par nous ledit Avis, et eû sur ce
autres avis et déliberations avec plusieurs
sçavans , et notables personnages , étant lés
nous, avons condamné , supprimé et aboli ,
condamnons , supprimons et abolissons lesdits
deux Livres, l'un Institutiones Dialecticæ ,
l'autre , Aristotelica Animadversiones , et
avonsfait et faisons inhibitions et deffenses
à tous Imprimeurs et Libraires de notre Royaume,
Pays , Terres et Seigneuries , et à tous
autres nos Sujets , de quelque état et conditions
qu'ils soient , qu'ils n'ayent plus à imprimer
oufaire imprimer lesdits Livres , ne
publier, vendre , ne debiter en nosdits Royanme
, Pays , Terres et Seigneuries , sous peine
de confiscation desdits Livres , et de puni-
E v tion
418 MERCURE DE FRANCE
tion corporelle , soit qu'ils soient imprimez en
iceux nos Royaume , Pays , Terres et Seigneuries
, ou autres lieux non étant de notre
obéissance; et semblablement audit Ramus , de
neplus lire,ne lesfaire écrire ou copier,publier;
ne semer en aucune maniere , ne lire en Dialectique
, ne Philsophie en quelque maniere
que ce soit , sans notre expresse permission ;
aussi de ne plus user de telles médisances et
invectives contre Aristote , ne autres anciens
Auteurs reçus et approuvez , ne contre noiredite
Fille l'Université, et Suppôts d'icelle , sous
les peines que dessus . Si donnons en Mandement
et comettons par ces Presentes à notre
Prévôt de Paris ou à son Lieutenant , Conservateur
des Privileges , par nous et nos Prédecesseurs
Rois , donnez et octroyez à notredite
Fille l'Université , que notre present Fu
gement et Ordonnance il mette où fasse mettre
à due et entiere execution , selon sa for
me et teneur , et à ce faire souffrir et obeir
contraigne etfasse contraindre tous ceux qu'il
appartiendra , et pour ce feront contraindre
par toutes voyes et manieres dûës et raisonnables
, nonobstant oppositions ou appellations
quelconques , pour lesquelles ne voulons
être differé. Et pour ce qu'il est besoin de fai
re notifier nosdites deffenses en plusieurs lieux
de notre Royaume , Pays , Terres et Seigneuries
, afin de les faire observer ; nous vou
lons qu'au vidimus d'icelle fait sous Scel
Royal,
M.AR S. 1731. 419
2.
Royal , ou signé par collation par l'un de nos
ame et féaux Notaires et Secretaires , soit
ajoûté foi comme au present Original. Mandons
en outre à tous nos autres Justiciers
Officiers et à chacun d'eux , si comme il lui
appartiendra , que nosdites deffenses et injonctions
ils fassent observer , en procedant
par eux contre les infracteurs d'icelle , si au-
Cuns y en a , par les peines cy-dessus indites,
et autres qu'ils verront être àfaire par raison .
En témoin de ce , nous avons fait mettre notre
Scel à cesdites Presentes. DONNE' à
Paris le dixième jour de May , l'an de grace
1543. et de notre Regne le trentiéme.
Les Ennemis de Ramus firent éclater
d'une maniere extraordinaire la joye qu'ils
avoient de sa condamnation . La Sentence
renduë contre lui , fut publiée en Latin
et en François dans toutes les rues de Paris
et dans tous les lieux de l'Europe , où
Pon pût l'envoyer.. On représenta même
des Pieces de Théatre où il fut baffoué
en mille manieres , au milieu des
acclamations et des applaudissemens des
Aristoteliciens. "
L'année suivante 1544. la Peste fit du
ravage dans Paris , et dissipa presque tous
les Ecoliers du College de Prefle ; maist
Ramus s'étant laissé persuader d'y enseigner
, attira bien-tôt un grand nombre
E vj d'Au
120 MERCURE DE FRANCE
d'Auditeurs . La Sorbonne voulut le chasser
de ce College , et ne put en venir
à bout ; il fut confirmé par Arrêt du
Parlement dans la principalité de cette
Maison qu'il avoit déja depuis quelque
tems.
Il, trouva même dans la suite un si bon
Patron dans la personne du Cardinal de
Lorraine , qu'il obtint en 1547. du Roi
Henry II . la permission d'écrire et d'enscigner
, et que ce Prince lui donnat quatre
ans après , c'est-à- dire au mois de Juillet
1551. la Charge de Professeur Royal
en Philosophie et d'Eloquence.
Le Parlement de Paris l'avoit maintenu
quelque tems auparavant dans la liberté
de joindre les Leçons de Philosophie avec
celles de l'Eloquence ; l'Arrêt qu'il avoit
donné à cette occasion , avoit arrêté les
persécutions que Ramus et ses Ecoliers
avoient souffertes , et les chicanes qu'on
lui avoit faites au commencement de
cette année.
La suite pour le Mercure prochain.
MEMOIRES de la Vie du Comte de
Grammont. Par le Comte Antoine Ha
milton , nouvelle Edition , corrigée et
augmentée d'un Discours Préliminaire du
même Auteur . A la Haye , chez P. Gosse
, et J. Neaulme , 1731 , in 12. de 407. pagcsa
MARS. 1731. 421
ges sans le Discours et l'Avertissement ,
qui en contiennent 22. Et se trouve à Paris
, rue S. Jacques , chez Fosse.
*
Cet Ouvrage est tellement chéri de
tous ceux qui le connoissent , qu'on ne
doit pas douter que cette nouvelle Edition
ne soit très-favorablement reçûë du
Public. Outre les Avantures du Comte
de Gr. très- réjouissantes par elles-mêmes ,
ces Memoires contiennent encore l'Histoire
Galante d'Angleterre , sous le Regne
de Charles II . et on peut dire qu'ils
sont écrits d'une maniere suivie et si ingénieuse
, qu'ils ne laisseroient pas de
faire un extréme plaisir , quand même la
matiere seroit mons interessante.
On ne doute pas que le Discours , mêlé
de Prose et de Vers , ne soit du même
Auteur que les Memoires. On le compare
au Voyage de Bachaumont , &c. Les mêmes
graces, le même naturel , la même legereté.
Donnons en quelques exemples, et
résistons à la vive demangeaison de copier
l'Epitre entiere qui est adressée au Comte
de Grammont lui-même.
Indignez que votre caractere soit si peu
connu dans des Provinces où votre nom
l'est tant , nous avons formé le dessein de
donner ici quelque idée de votre mérite ,
mais qui sommes - nous pour l'entreprendre
? Médiocres pour le génie , et rouillez
par
522 MERCURE DE FRANCE.
par une longue interruption de commer
ce avec la Cour , comment seroit-il possible
que nous cussions ce gout et cette politesse
, qui ne se trouvent point ailleurs ,
et qu'il faudroit pourtant avoir
parler de vous ? Car ,
pour
Il ne faut pas un talent ordinaire ,
Pour réussir dans une affaire ,
Où les talens succombent tous :
bien
Et quelqu'empressement que l'on ait à vous plaire,
Dès qu'il faut écrire pour vous ,
Le Projet devient témeraire ;
Et des Campagnards comme nous ,
Sont bien-tôt réduits à se taire.
L'Auteur , embarrassé de trouver quelqu'un
qui puisse parler dignement du
Comte de Grammont , jette les yeux sur
M. Despréaux , il en fait un bel Eloge
qu'il finit ainsi :
Lui seul peut consacrer à l'Immortalité ,
Un mérite comme le vôtre ;
Mais sa Muse a toûjours quelque malignité ,
Et vous caressant d'un côté , ´
Vous égratigneroit de l'autre.
L'expedient qui nous vint en tête après
celui -là , poursuit l'Auteur , fut de vous
mettre tout de votre long au milieu du
Recueil
1
MARS. 1731. 523
Recueil, où l'on voit depuis peu cette belle
Lettre de l'illustre Chefde votre Maison :
et voici l'adresse qu'on nous avoit donpour
cela : née
Non loin des superbes Lambris ,
Qu'habitoient nos Rois à Paris ,
Dans un certain recoin du Louvre ,
7
Est un Bureau fécond , qui s'ouvre ,
A tous Auteurs , à tous Ecrits ,
A des Ouvrages de tout prix ,
Sur tout à ceux des beaux esprits ,
Quand par hazard il s'en découvre.
De ce lieu chaque mois sortent galans Cahiers
Ou tous faiseurs de Chansonnettes ,
( Tendres Héros de leurs quartiers , )
Viennent en Vers familiers ,
Usurper le nom de Poëtes ;
Et sur des tons irreguliers ,
Montant Chalumeaux et Musettes
Content champêtres amourettes ,
Ou couronnent de vains Lauriers ,
Des Ecrivains et des Guerriers ,
Qui sont inconnus aux Gazettes.
De ses atours capricieux ,
C'est-là que l'Enigme se pare ,
Met un masque misterieux ,
Et d'un voile mince et bizarre ,
Ε
Embarrassant les Curieux ,
Est
$ 24 MERCURE DE FRANCE
Est toûjours neuve et jamais rare .
C'est-là qu'on voit en vieux transports ,
Gémir nouvelles Elegies ;
Et là s'impriment tous les Morts ,
Avec leurs Génealogies ,
Leurs Eloges , leurs Effigies ,
Leurs Dignitez et leurs Trésors.
On demande ensuite le secours de deux
excellentes Plumes , en ces termes :
La Fare , et vous Abbé sçavant,
Que Phebus de son influence 2
Anime et soutient en rimant ,
Donnez chacun dans une Stance ;
Quelque relief à ce fragment ,
Nous implorons votre assistance.
Lorsque nous étions ainsi embarassez
poursuit l'Auteur , il parut au milieu de
la chambre où nous écrivions , une figure
qui nous surprit , sans nous effrayer , c'étoit
celle de votre Philosophe , l'inimitable
S. Evremont. Rien de tout ce tintamare
, qui annonce d'ordinaire l'arrivée
des Morts de consequence , n'avoit précedé
son apparition .
L'on ne vit point trembler la Terre ,
Le Ciel resta clair et serain ;
Point de murmure souterrain
Et
་
MARS. 1731. 525
Et pas un seul coup de Tonnerre.
Il n'étoit point couvert de lambeaux mal cousus ,
Tels qu'étala près de Philippe ,
Le Spectre qui de nuit apparut à Brutus.
Il n'avoit point l'air de Laïus ,
Qui ne portoit pour toute nippe ,
Qu'un petit Manteau d'Emaüs ,
Quand il vint accuser Edipe ;
Il n'avoit rien du funeste appareil ,
Que l'on croit voir à ces affreuses Ombres ,
Qui sortent des Royaumes sombres ,
Pour interrompre le sommeil .
Il loüe ce Projet , mais il n'approuve
pas le choix de ces deux Messieurs.
L'un tendre , fidele et gouteux ,
Se révoltant d'un air profane
Contre l'anodyne tisanne ,
Et contre l'objet de ses voeux ,
Ne chante dans ses Vers heureux
Que l'inconstance et la Tocane.
L'autre d'un stile gracieux,
Et digne des bords du Permesse
Par mille traits ingenieux ,
Fait tout céder à la paresse ,
Et de l'indolente molesse ,
Vante le repos glorieux.
Gardez -vous bien , poursuit-il un peu
après,
526 MERCURE DE FRANCE
après , de vouloir rendre ses récits ou ses
bons mots ; le sujet est trop grand pour
vous. Tâchez seulement en parlant de
ses Avantures , de donner des couleurs
à ses deffauts , et du relief à ses vertus.
C'es tainsi qu'autrefois par des routes faciles ,
A l'immortalité j'élevois mon Héros ;
Pour vous , peignez
d'abord en gros ,
Cent Beautez à ses yeux dociles ;
Faites-le voir suivant en tous lieux les Drapeaux
D'un Guerrier égal aux Achilles ;
Qu'au milieu de la paix , ennemi du repos ,
Il donne des leçons utiles ,
Aux Courtisans les plus habiles ;
Et toûjours actif à propos ,
Sans leurs empressemens sèrviles ,
Qu'il efface tous leurs travaux.
Que vos Pinceaux enfin en nouveaux traits fertiles
,
Le fassent voir en differens Tableaux ,
Tyran des fâcheux et des sots ,
Historien d'amour et de guerres civiles ,
Recueil vivant d'antiques Vaudevilles ,
Redoutable par ses complots ,
Aux Amans heureux ou tranquilles ,
Désolateur de ses Rivaux ;
Fleau des discours inutiles ,
Agréable et vif en propos ,
Celebre
MAR S.
327 1731.
Celeb re diseur de bons mots ,
Et sur tout grand preneur de Villes , &c.
Cette Epitre finit ainsi : Nous avons
eu beau changer de stile et de langage
pour en faire quelque chose , vous voyez
combien nous sommes restez au-dessous
de notre sujet ; il faudroit , pour y
réüssir , que celui que nos fictions viennent
de ressusciter , fut encore parmi les
vivans. Mais ,
Il n'est plus de Saint Evremont ,
Et ce Chroniqueur agréable ,
Du sérieux et de la Fable
Ce favori du sacré Mont ,
N'a pû trouver le Cocyte guéable ,
Et de ce Fleuve redoutable ,
Le retour n'est permis qu'au Comte de Grammont.
LA SCIENCE PARFAITE DES
NOTAIRES , ou le moyen de faire un
parfait Notaire , contenant les Ordonnances
, Arrêts et Reglemens rendus tou❤
chant la fonction des Notaires , avec les
Stiles , Protocols , Formules et Instructions
pour dresser toutes sortes d'Actes ,
suivant l'usage des Provinces dù Droit
écrit et de celles du Pays Coutumier
tant en matiere Civile que Beneficiale,
Nou528
MERCURE DE FRANCE
Nouvelle Edition, revuë, corrigée et augmentée
par M. Claude Joseph Deferriere ,
Doyen des Docteurs Regens de la Faculté
des Droits de Paris et Ancien Avocat
au Parlement. A Paris , chez Jacques Clou
sier , rue S. Jacques 1731. 2. Vol . in 4. Le
premier contient 720 pages , le deuxième
en contient 660 .
L'Auteur fait voir dans sa Préface que
de toutes les Professions qui servent à
maintenir la Societé Civile , il n'y en a
gueres de plus délicate , ni de plus importante
que celle de Notaire. Comme il
est le dépositaire des conventions des
Contractans , il assure tout à la fois et la
possession des biens et la tranquillité des
familles ; il rend executoires les Traités
qui se passent entre les hommes , et perpetuë
feur mémoire , en rendant autentiques
leurs dernieres volontés . C'est un
médiateur qui par des temperamens surs
et judicieux concilie les interets de chaque
partie , termine avec équité leurs
contestations , et prévient celles qui pourẻ
roient naître dans la suite .
Mais si la vaste étendue de cet emploi
fait son éloge , on ne sçauroit disconve
nir qu'elle en fait aussi la difficulté ; ainsi
la probité qui fait le caractere essentiel
de tous les hommes , et qui suffit dans
quelques-uns des emplois de la vie Civile,
n'est
MARS. 1731. 529
n'est pas suffisante dans un Notaire , peutêtre
même ne seroit- elle pour lui qu'une
qualité sterile , si elle n'étoit éclairée par
la science; or cette science ne consiste pas
seulement dans le stile ordinaire des Actes
, ni dans l'arrangement de l'usage des
termes consacrés à la Pratique , il faut encore
être instruit des principes et des maximes
de la Jurisprudence ; en effet , il
n'y a qu'elle qui puisse apprendre ce que
c'est qu'une convention legitime , quelle
est la force , l'étenduë , la liaison et la contrarieté
des clauses qu'on y met , et quels
sont les avantages ou les inconveniens qui
en peuvent provenir ; enfin ce n'est que
par son moyen qu'on peut connoître ce
qui est prescrit par les Loix, les Coûtumes
et les Ordonnances , pour rendre un Acte
solemnel et autentique.
Dans la vûë de renfermer tout ce qui
regarde ces deux points , l'Auteur établit
d'abord sur chaque matiere des principes.
qui en expliquent la nature et les effets ;
il donne ensuite des formules d'Actes redigées
avec beaucoup de netteté et de précision
, et sur les formules des Actes qui
lui ont parû être les plus importans , il
fait des observations très utiles et très
curieuses.
Cela posé , cet Ouvrage est absolument
necessaire à ceux qui suivent un Etat ,
dont
330 MERCURE DE FRANCE.
dont il renferme tous les devoirs et toutes
les fonctions . Mais de quelle utilité ne
doit-il pas être aux Praticiens et aux Juges
pour traiter ou pour décider les questions
qui naissent tous les jours au sujet
des Contrats , des Testamens et des autres
Actes. Il n'y a presque point de particulier
qui n'en puisse tirer un trèsgrand
avantage ; comme il explique quelles
conditions sont requises pour la validité
des Actes , quels en sont les effets
et quelles sont les differentes clauses dont
ils sont susceptibles , sa lecture peut mettre
les personnes les moins versées dans
la Pratique , en état de veiller par ellesmêmes
, à la conservation de leurs biens ,
et de ne point passer d'Actes qui soient
contraires à leurs interêts ou à leurs volontés.
Voici l'ordre que l'Auteur a gardé dans
cet Ouvrage , qu'il a divisé en plusieurs
Livres , et chaque Livre en plusieurs Chapitres.
4
Le premier Livre traite de la qualité
de sNotaires; il explique combien il y en a
de sortes , quels sont leurs droits et leurs
privileges , quelles précautions ils doivent
prendre lorsqu'ils passent des Actes
quelles formalités ils y doivent observer , .
et quelles peuvent être les fautes dont ils
sont responsables ; il y est aussi parlé des
>
minuMARS.
1731. 531
.
minutes des Actes , des grosses des Contrats
, des compulsoires et des collations
de Piéces .
Le second traite des Actes en genéral ,
des conditions requises pour les rendre
obligatoires , des clauses que l'on y peut
valablement apposer , des conventions
licites et de celles qui ne le sont pas , de
l'usure , du stellionat , des differentes
clauses apposées dans les Contrats , des
avantages des conventions par écrit , de
l'hypoteque qui naît des Actes passés par
devant Notaires , et de leur execution .
Le troisième est des Contrats , qui se
forment par la tradition de la chose , qui
sont le prêt , le commodat , le dépôt et
le gage.
Le quatrième est du mariage et des conditions
requises pour sa validité , des choses
qui font le principal objet des Contrats
de mariage , sçavoir , la dot , le
douaire , la communauté ; des differentes
clauses dont les Contrats de mariage sont
susceptibles tant en Païs Coûtumier qu'en
Païs de Droit écrit.
Le cinquième comprend ce qui concerne
le Contrat de vente , ses effets , et
tous les Actes qui se font en conséquence
de ce Contrat , ou qui y ont quelque rapport
, comme le Contrat d'échange , les
constitutions de rentes volantes ou foncieres
et autres Actes semblables
532 MERCURE DE FRANCE
Le sixième est du Contrat de loüage
en genéral , et des differentes especes de
Baux , de la societé et de la procuration .
Le septième , des donations tant entrevifs
qu'à cause de mort , du don mutuel
et autres Actes ou clauses qui concernent
les donations , ou qui y ont rapport.
Le huitiéme traite des transports , de
la subrogation , des cessions et abandonnemens
de biens , des saufs- conduits et
attermoyemens , des unions de créanciers
et Contrats de direction.
Le neuvième comprend certaines conventions
et Actes particuliers , comme les
devis et marchés , les conventions pour
apprentissage , protests de lettres de change
, cautionnemens , autorisations , ratifications
, comparutions , certificats , déclarations
, reconnoissances d'écritures
privées , dépots de Piéces et extraits d'Actes.
des
Ledixième est des Arrêtez de comptes,
des payemens , quittances et décharges
de titres et papiers , ou d'autres choses .
L'onziéme traite des testamens
Codiciles , des Institutions d'heritiers
des exheredations , des substitutions , des
Fideicommis et autres Actes de derniere
volonté .
>
Le douzième traite des inventaires , des
rénonciations , des partages , rapports et
licitations. Le
MARS. 1731. 533
Le treizième contient les Actes qui concernent
la tutelle , les comptes et les avis
de
parens.
Le quatorziéme comprend les Actes
qui se font à l'occasion des Procès , ou en
conséquence , comme les compromis , les
transactions et autres semblables.
Le quinziéme renferme les Actes qui
concernent les Fiefs , les Droits Féodaux
Seigneuriaux .
Le seiziéme traite des Benéfices et des
Actes qui se passent en matiere benéficiale
pardevant Notaires.
Le dix-septième et dernier explique ce
qui est de stile , et enseigne ce qu'il faut
observer pour mettre un Acte en forme
executoire.
LA DECOUVERTE de l'Empire de
Cantahar , avec les moeurs et Coûtumes
des Habitans. A Paris , Quai de Gévres,
chez P. Prault , Quai de Conti , chez lá
Veuve Pissot , et chez Nully , au Palais
1730. in 12. de 373. pages.
Les divertissemens ordinaires des jeunes
gens de cet Empire , dit l'Auteur à la 22 .
page , sont la chasse , la lutte et la course
à laquelle ils s'exercent de si bonne heure
que nos meilleurs Coureurs ne pourroient
pas les suivre ; ils aiment la danse où ils
excellent. J'ai remarqué que tout ce qu'ils
F font
334 MERCURE DE FRANCE
font , c'est toujours avec beaucoup plus
d'adresse que nous , ce que j'attribuë à ce
qu'ils obligent les enfans de se servir indistinctement
des deux mains , ce qui leur
donne dans chacune une égale force et fa
cilité d'agir , de sorte qu'ils se battent
avec la même vigueur de la main gauche
que de la droite , et au lieu qu'une
blessure au bras droit nous met hors de
combat , ils ont cet avantage sur nous ,
qu'ils trouvent dans leur gauche un se-
Cours qui leur sert à vaincre leurs ennemis.
,
Le peuple de Cantahar ne connoît point
d'autre Dieu que le Soleil , qu'on appelle
Monski ; il croit que quand un homme
meurt dans le peché , après que son ame
est élevée vers cet astre pour être jugée
au lieu de prendre place dans le Ciel ,
et d'augmenter le nombre des Etoiles ,
elle est chassée de la présence de Monski ,
qui permet quelquefois qu'on voye une
Étoile tomber du Ciel , afin que par la
vûë de cette ame condamnée , les hommes
craignent ses jugemens & c.
›
En parlant du Commerce des habitans
de cet Empire , l'Auteur dit que les contre-
lettres ne sont point permises , et que
les Loix rendent responsables d'une banqueroute
celui qui a des effets à un banqueroutier
, ou qui lui doit , s'il ne les
déMARS.
1731. 139
déclare dans un certain temps , avec la
somme dont il lui est débiteur.
Pour empêcher que les Voyageurs ne
soient rançonnés par les hôtes , ceux - ci
sont obligés de signer le mémoire de la
dépense , et s'ils mettent les choses au-delà
de leur valeur , en envoyant le mémoire
au Juge du lieu , il fait restituer l'excédent
, condamne l'Aubergiste à une grosse
amende , et à fermer sa maison pour toujours
, et cela sans grace et sans retour ;
les amis , les présens ne servent de rien
aussi la certitude du châtiment fait qu'on
trouve rarement des coupables.
Les Carosses vont dans les Villes d'un
pas moderé , et si on en voit rouler trop
vite , le peuple sçait le jugement qu'il
doit porter de la cervelle du maître , qui
répond personnellement de tous les accidens
que son équipage cause , et s'il blesse
quelqu'un , il est condamné à payer
tous les frais , et à une amende au profit
des pauvres , laquelle est évaluée à la dépense
de ce qu'un carosse coûte pendant
cinq années , pendant lesquelles il est
obligé d'aller à pied & c.
Ce Livre pourroit être d'un plus grand
usage si les matieres étoient en quelque
maniere divisées , et s'il y avoit au moins
une Table.
Fij DIS
336 MERCURE DE FRANCE
DISCOURS sur les avantages et la né
cessité de l'Union ; prononcé dans l'Hôtel
de Ville de Lyon , le 21 Decembre 1730.
jour de S. Thomas , la premiere année de
la Prevoté de M. Camille Perrichon , par
Me A. G. Boucher d'Argis , Avocat au
Parlement. A Lyon , chez André Laurent,
Imprimeur de M. le Duc de Villeroy & de
ta Ville , rue Raifin , à la Vérité , 1731 .
in 4.
Tous les ans , le 21 Decembre , il se
fait à Lyon , dans l'Hôtel de Ville , un
Discours public , où assistent en ceremonie
l'Archevêque , le Gouverneur de
la Ville , le Lieutenant de Roy , l'Intendant
, les Comtes de Lyon , la Cour des
Monnoyes , le Bureau des Finances , l'Election
, le Prevôt des Marchans et les
Echevins , les anciens Prevôts des Marchands
et Echevins.
Ce Discours qui roule sur tel sujet qu'il
plaît à l'Orateur de choisir , se termine
par des complimens addressez à chacune
des et à chacune des Compapersonnes
gnies que nous venons de nommer ,
il est précédé d'un Discours au Roy ,
et à present d'un autre à la Reine , et
d'un troisiéme au Dauphin.
६
M. Boucher d'Argis , Avccat au Parlement
de Paris , déja connu par quelques
Plaidoyers qui ont été goutez , fut
choisi
MAR S. 1731. 537
choisi pour faire le Discours du mois de
Decembre dernier , qui est celui dont
nous allons rendre compte.
L'Orateur y prend pour texte ces mots
de Salluste, dans son histoire de la guerre
des Romains contre Jugurtha.
› Concordia parve res crescunt . discordia
maxime dilabuntur. Et après avoir apos
trophé le Roy , la Reine , et Monseigneur
le Dauphin , dont les Portraits étoient
présens ; il apostrophe tout de suite M. le
Duc de Villeroy , Gouverneur de Lyons
M. le Duc de Retz , Lieutenant de Roy ;
M. Pouletier , Intendant ; Messieurs les
Comtes de Lyon , la Cour des Monnoyes ,
le Bureau des Finances,l'Election , M.Perrichon
, Prevôt des Marchands , Mess . les
Echevins , actuellement en charge , et
enfin Mrs les anciens Prevôts des Marchands
et Echevins.
Nous n'avons point nommé M. l'Archevêque
, parce que sa maladie ne lui
permit pas d'être présent.
Quoique le Discours soit françois , les
Apostrophes sont en latin , comme c'ess
Fusage : Les voici.
Rex Christianissime ,
Regina Christianissima.
Serenissime Delphine.
'Summe Provinciæ moderator,
1
Fiij Digni
538 MERCURE DE FRANCE
Dignissime Pro -Rex.
Amplissime Dicoearcha.
Nobilissimi Lugduni Comites.
Præses et Senatores integerrimi.
Præses et Regii Questores ornatissimi,
Tributorum Descriptores sapientissimi,
Clarissime Mercatorum Præses , nec non civitas
tis Præfecte .
Lectissimi ac Providentissimi Consules.
Viri de Patriâ quàm optime meriti.
Caterique Auditores omnium Ordinum commendatissimi.
c'est
Après ces saluts , M. Boucher d'Argis
commence son Discours, où il se propose
de montrer le prix inestimable de l'Union
. Son début est que de tous les avantages
qui contribuent à la splendeur d'un
Etat et au bonheur des Peuples , il n'en
est point de comparable à l'Union , que
par elle
que la fortune des particu
liers s'accroît et se conserve , que les
forces d'un Etat s'augmentent et se perpetuent
, que se forme cette Puissance qui
fait redouter un Empire à tous les autres
Peuples , et les force à le respecter ; que
sans l'Union,toute Société , quelque puissante
qu'elle paroisse à nos yeux , éprouve
bien-tôt que toute cette force apparente
n'étoit qu'une veritable foiblesse , enfin
que
MARS. 1731. $39
que sans l'Union l'on ne peut s'attendre
de voir subsister ni les Coutumes les
mieux établies , ni les Empires les plus
florissans.
,
Pour faire sentir la vérité de ces maximes
M. d'Argis demande quel autre
motif que celui des secours qu'on doit
attendre de l'Union , a engagé les hom
mes dans les siècles les plus reculez à for--
mer entr'eux ces Sociétez , que le temps
et l'experience n'ont pas encore cessé de
perfectionner. N'est- ce pas , dit-il , ce qui
Les a obligez de s'assembler , de bâtir des
Villes , de se faire des Loix pour y amener
FOrdre et la Justice parmi eux. L'Homme,,
continuë- t- il , ce chef- d'oeuvre de la naș
ture , si parfait , si achevé , et que ses prox
pres perfections rendent incompréhensible à
Ini-même; cet être , dont l'intelligence s'étend
·au-delà des bornes de l'Univers ; le croiroiton
, Messieurs , ne peut cependant se suffire
à lui-même il ne sçauroit fournir à tous ses
differens besoins , le secours de ses semblables:
lui est nécessaire ; je ne dis
pas
seulement
pour soutenir la foiblesse de l'enfance , mais
pour suppléer dans tous les âges , aux défauts
qui sont inséparables de sa nature ; ainsi l'a
ordonné le Créateur. Est-ce pour humilier
Homme et lui faire sentir qu'il n'est pas
encore tout àfait hors du neant ? N'est- cepas
plutôt pour lier ensemble les hommes par des
Fij noeuds
$40 MERCURE DE FRANCE.
noeuds d'autant plus indissolubles qu'un inferêt
commun les forme et les serre ? On peut
donc dire de l'Union , qu'elle est aussi nécessaire
qu'avantageuse , puisqu'elle est le
principe et la source de la grandeur d'un
Etat et de la félicité des Peuples .
M.d'Argis prévoit icy l'erreur où pourroit
conduire le mot équivoque d'Union,
et comme rien n'est plus important dans
un point de la conséquence de celui - cy
que de bien définir un terme essentiel sur
lequel roule tout ce qu'on avance , l'Orateur
a soin d'en éloigner jusqu'à la
moindre ambiguité. A
Mais quelle est , dit- il , cette Union désirable
qui peut seule procurer de si grands
avantages ? Ce n'est pas seulement une Sosiété
formée au hazard entre plusieurs hommes
qui se rassembleroient en un même lien
pour réunir leurs forces , leurs talens , leur
industrie, et se préter un secours mutuel.L’Vnion
dans ce point de vûë , ne laisseroit pas
de leur être utile et même nécessaire , mais
elle seroit encore imparfaite ce ne seroit
qu'une assemblée formée par l'interêt à laquelle
souvent le coeur n'auroit point de
part. Ceux qui seroient ainsi rassen.ble ,.
pourroient être divisez interieurement. Ils ne
seroient même que plus à plaindre d'être
réunis dans un même lieu , s'ils n'étoient
encore plus unis de coeur et d'affection.
A
MARS. 1731.
541
A ces trairs l'Auteur en ajoute d'autres
qui ne permettent pas de se méprendre
sur la véritable Union dont il parle .
•
La concorde , dit- il , qui doit nécessairement
procurer la gloire de l'Etat et la félicité
des Peuples , n'est autre chose qu'une société
formée par des liaisons de bienveillance
contractée entre un Peuple entier , qui semble
être convenu de ne composer qu'une simple
famille sous un même Chef: Cette société
est fondée sur les Loix qui reglent les devoirs
de chaque membre de cette famille . L
zele et l'application qu'ils ont à s'acquitter
chacun des fonctions qui leur ont été destinées
, l'attention qu'ils ont de ne point se
troubler les uns les autres , forment cett ?
union parfaite qui procure des avantages
considérables à la société , qu'elle se voit en
état de résister à tous ceux qui voudroient
La détruire. Chaque Membre de cette Société
voit augmenter chaque jour sa fortune et
fouit en paix du fruit de ses travaux et de
son industrie.
si
Après cette explication , M. d'Argis expose
ce que c'est qu'un Etat . Il remarque
que c'est un Corps , et que les Citoyens
en sont les membres ; que le rapport mutuel
que ces Citoyens ont entr'eux,donne
à ce Corps l'ame et la vie , et forme un
composé merveilleux qui ne peut subsiter,
ni conserver son être sans cette heu
F v reuse
$42 MERCURE DE FRANCE
reuse harmonie que l'on admire dans l'U
nivers et dans toutes les Parties qui le
composent.
Il appuye de l'expérience sa réfléxion.
11 demande si l'on n'éprouve pas tous les
jours dans l'éxécution des projets , même
les plus ordinaires , l'avantage et la nécessité
de se réünir plusieurs pour y
réüssir ; il fait observer que souvent un
seul se rebuteroit, et que deux s'animent ;
que l'un a le conseil et l'autre l'exécu
tion ; l'un la force et l'autre l'adresse ;
le se- les talens sont partagez et que que
Cours mutuel vient about de tout, ensorte
que l'Union conduit au succès des entreprises
les plus difficiles.
Nous passons quelques autres refléxions
pour venir à la peinture que M. Boucher
d'Argis, qui ne perd jamais de vûë
son objet , trouve occasion de faire du
bonheur complet d'un Etat. Peinture ,
dont les traits bien considerez , offrent
d'utiles leçons .
Le bonheur de l'Etat , dit-il , est parfait
Lorsque chaque Citoyen se renferme dans de
justes bornes , s'applique uniquement à remplir
ses devoirs , et ne contrevient point aux
Loix qui sont le fondement de la société civile
; car cette douce paix que la concorde
procure aux Peuples , est le fruit de lajus→
tice et l'ouvrage de ceux qui en sont les dér
posiMARS.
1731. 543
›
positaires ; c'est la justice qui apporte par
tout cet ordre , et cette simetrie politique qui
unit les personnes de différentes conditions
les différens corps , les differens états ; c'est
elle qui entretient cette liaison si utile et si
nécessaire entre les différentes nations , c'est
elle qui concilie par la modération l'inégalité
des humeurs et des esprits , et qui entretient
chacun dans son rang et ses droits , c'est
elle qui établit la subordination ; enfin qui
réprime la licence et le désordre enprotegeant
l'innocence et soutenant la vérité.
L'Orateur ajoute que les troubles , les
dissentions , qui interrompent quelquefois
la tranquillité d'un Etat , ou des par
ticuliers , ne viennent que des excès que
la Justice n'a point réprimez ; après quoi
il conclud que ce sont donc les Loix qui
forment et qui entretiennent cette Union
si avantageuse et si nécessaire pour la
gloire et le bonheur des Peuples , que pat
conséquent il est de l'attention des Magis
trats qui sont chargez du soin de faire
exécuter ces Loix , qu'on doit attendre la
conservation d'un bien si précieux, puis
que ce sont eux qui par leur autorité, et
plus encore par leur prudence , doivent
entretenir dans un Etat cet accord , cette
harmonie , cette subordination si désirables
, sans quoi les peuples ne peuvent
être sensibles aux autres biens..
Fvj Telle
་ ་
t
544 MERCURE DE FRANCE
Telle est l'idée que M. Boucher d'Argis
veut qu'on se fasse de la concorde et
de l'Union qui doit regner entre les differens
Peuples d'un même Etat. Tels sont
les fondemens qu'il pose de leur grandeu
er de leur félicité ? Il en appelle icy aux
exemples que fournit là- dessus l'Histoire.
Il veut que l'on jette les yeux sur les
Empires les plus florissans , qu'on les
considere dans leur origine , qu'on les
suive dans leurs différens progrès jusqu'au
dégré de Puissance et de Grandeur où ils
sont parvenus , et il soutient qu'on n'en
découvrira pas un seul qui dans toutes les
occasions importantes ne se soit soutena
et ne se soit élevé par l'effet de l'Union.
Il cite sur ce point l'ancienne Rome
qui par la force de ses armes , soumit
presque toute la terre.
Ce n'étoit d'abord , dit-il , qu'une assemblée
de quelques Bergers & les Nations voisines
étoient puissantes et redoutables ; il paroissoit
difficile qu'une Ville naissante comme
celle- là , pût jamais s'élever au milieu de
tant de Peuples , jaloux de son établissement
; cependant malgré tous les avantages
que les Peuples de l'Italie avoient sur elle ;
P'Union des Romains la rendit plus puissan
te que cette multitude de Nations ennemis
qui l'environnoient de toutes parts. Unis
pour le bien de la Patrie , animez d'un même
zele
MARS. 1731. 545
zéle pour la gloire , ilsfurent toujours invincibles
, et la posterité de cette petite troupe
Bergers conquit tout l'Univers.A
de
Notre Orateur ne manque pas icy
l'occasion qui se présente de rapporter ce
que firent les Romains , pour marquer
combien ils s'estimoient redevables à la-
Concorde. Comme leur Empire , remarque-
t- il , devoit tous ses progrès à l'Union
, ils la regarderent comme un présent
du ciel , et s'en firent une Divinité
qu'ils adorerent sous le nom de la Concorde.
Camille voulut qu'on lui rendit
un culte solennel , et lui éleva un Temple
, où l'on faisoit des Sacrifices pour
la
coujurer de répandre dans tous les coeurs
des sentimens de paix et d'union.
Mais sans s'arrêter à des exemples
étrangers pour faire voir ce que peut
l'Union , M.d'Argis n'en veut point d'autres
que le bonheur dont la France joüit
depuis son origine. Bonheur , dit - il ,
qui n'a souffert d'alteration que dans ces
tems orageux où les furies , je veux dire , les
passions , je veux dire cette ambition qui
rompt les attachemens les plus naturels, vint
soufler dans tous les coeurs le trouble et la
discorde , et causer des désordres que
la sagesse
et la valeur de nos Rois ont tellement
fait évanouir , que nous ne les connoissons
plus que par l'Histoire.
Ainsi
146 MERCURE DE FRANCE
Ainsi la Concorde, continuë notre Orateur
, ( lequel fait toujours servir ses réfléxions
de preuve à son texte, et ne sçait
ce que s'est que de s'écarter à de vaines
digressions. ) Ainsi la Concorde qui avoit
uni pendant tant de siécles toutes les Villes
et toutes les Provinces dont est composé
cet Etat si vaste et si floritsant, cette
même Concorde les réunit encore aujourd'hui
et les lie entr'elles par des liens
d'autant plus parfaits , qu'elles ont mieux
reconnu par une fatale experience, les mal .
heurs qu'entraîne après soi la Discorde.
Ici M. d'Argis , par une de ces tran
sitions, où il y a quelquefois d'autant plus
d'art qu'il y en paroît moins , trouve
moyen , en se tenant toujours renfermé
dans son sujet , de passer à l'éloge de la
Ville de Lyon.
Quelbonheur pour cette Ville , s'écrie - t-il,
de n'avoirjamais éprouvé que les avantages
de l'Union, et qu'il lui est glorieux de s'êtra
toujours élevée par sa sagesse et sa constance ,
au- dessus des exemples pernicieux que lui
donnerent dans les malheureux temps , dont
nous venons de parler , la pluspart des Villes
du Royaume , et d'avoir ainsi surpassé la
Ville même à laquelle seule elle peut ceder le
rang dans l'Etat.
Tout ne paroît- il pas annoncer icy cette
Union désirable , et ne dirait- on pas que la
natura
MARS. 1731. $47
"
nature même y porte les habitans fortune
de cette Ville.
M. d'Argis en appelle là- dessus à la
seule situation de la Ville dont il parle..
- Deux Fleuves superbes et majestueux ,
dit-il , qui après avoir arrosé diverses contrées
, viennent mêler leurs eaux aux pieds
des murs de cette Ville , pour ne faire plus
qu'un Fleuve , malgré l'extrême difference de
leur cours ; ne semblent - ils pas nous appren
dre quel est l'heureux caractere et la disposi
tion naturelle de ceux qui en habitent les
bords.
Cette Ville , située au centre de l'Europe,
ne paroît-elle pas faite pour réunir les diffé
rens Peuples que son commerce florissant y
attire ?
Après ces réfléxions sur la situation
du lieu , l'Orateur entre dans le détail de
plusieurs circonstances glorieuses à la
Ville de Lyon.
·
Il remarque que les Romains distin
guerent toujours cette Ville de tout le
reste de leur domination , qu'ils firent
gloire de contribuer à sa grandeur , et
qu'en reconnoissance
des avantages que
son commerce leur procuroit , ils voulurent
qu'elle fût , pour ainsi dire , unieavec
Rome , et qu'elle fût reconnue pour
Colonie Romaine; que l'Empereur Clau
de qui y étoit né , le proposa lui-même
348 MERCURE DE FRANCE
*
*
au Sénat , et fit à cette occasion la Ha
rangue que cette Ville conserve encore ,
dans laquelle il representa de quelle importance
il étoit pour l'Empire , d'attacher
de plus en plus à la Patrie de tant
d'Illustres Sénateurs , une Alliée fidelle incapable
de manquer à ses engagemens.
Que le Sénat qui connoissoit les avantages
et la nécessité de l'Union , reçut avec
empressement la proposition de l'Empereur,
et fit gloire d'associer Lyon à Rome.
Que ce n'est pas seulement avec les
Peuples voisins que les habitans de cette
celebre Ville sçavent entretenir des liaisons
utiles à leur Commerce , mais que
le succès de ce Commerce dépend encore
bien plus de la bonne intelligence dans
laquelle ces mêmes Habitans vivent entre
eux , et sur tout de ces societez particulieres
qui font l'union des fonds er
des soins de plusieurs Négocians ; societez
qui rendent le Commerce de Lyon
plus considerable et en même tems plus
facile , par le secours mutuel que ceux
qui les composent se prétent en travail,
lant de concert au bien commun.
M.d'Argis n'oublie pas de mettre ici sous
les yeux la justice et l'équité qui président
à ce Commerce ; l'attention des Magistrats
à maintenir par tout le bon ordre ,
l'empressement des Citoyens à observer
les
MARS. 1731. 549
les Loix , leur attachement au Prince 1
qu'ils regardent comme le lien de leur
union , enfin les épreuves que dans les
situations les plus difficiles nos Rois ont
faites de cet inviolable attachement , et
sur lesquelles est fondée cette confiance
singuliere qui se repose de la garde d'u
ne Ville si importante , sur ses seuls Citoyens
, & c.
Tout ce qu'a dit jusqu'ici l'Orateur ;
aboutit à cette conclusion , qu'il n'est rien
de plus avantageux que l'union , et que
c'est elle qui contribuë le plus à la gran,
deur d'un Etat et au bonheur des Peuples.
Concordia parva res crescunt.
Reste à montrer les malheurs qu'entraîne
avec soi la funeste discorde , selon
ces autres paroles du Texte : Discordia
maxima dilabuntur. Et c'est ce que M.d'Argis
fait voir par plusieurs Refléxions et
par plusieurs exemples.
Il veut qu'on se représente d'abord un
Monstre conduit par la rage , les yeux enflammez
, le front couvert de sang , secoüant
dans ses mains de noirs flambeaux,
répandant en tous lieux les soupçons , la
frayeur , les allarmes , traînant après lui
la haîne et l'inhumanité .
Telle est , dit-il , et plus affreuse encore
la Discorde qui ravage un Etat ; on n'y
voit que fuaestes, ligues , qu'intrigues crimi
nelles
5 MERCURE DE FRANCE
nelles , qu'odieuses conspirations ; les Peu
ples , au lieu de réunir leurs forces contre les
ennemis de l'Etat , les tournent contre euxmêmes
et se détruisent. La gloire de l'Etat
s'obscurcit , et bientôt sa grandeur et sa puissance
s'évanoüissent ; mais le plus terrible
effet de la desunion ce sont les Guerres civiless:
ces Guerres qui font frémir la Nature , et qui
pourtant l'échauffent. On suit aveuglément
differens partis , l'unjuste , si l'on veut , l'autre
injuste ; mais ils sont également violens
également cruels ; l'un et l'autre cherche à
verser le sang qu'il devroit deffendre. Le
fils armé contre le pere , le frere contre le freres.
tous aspirent à une victoire dont ils devroient
rongir; le parti que la fortune aveugle favorise,
ne triomphe que sur les ruines de la
Patrie.
M. d'Argis représente ici combien legere
est souvent la cause de tant de maux;
et remontant à l'Histoire Romaine , ildemande
combien les démêlez de Marius:
et de Sylla , devenus une dissension publique
, ne couterent pas de sang à Rome,
tour-à-tour esclave de ces deux Tyrans
? Il remarque comme elle se livre ensuite
à l'ambition de César et de Pompée,
non pour deffendre sa liberté , mais pour
servir la jalousie de deux Rivaux , et
comme le Trophée que César éleve à
Pharsale , devient le tombeau de la liberté
>
· pu
MARS. 1731. $52
publique ; mais une observation essen
tielle qu'il fait à ce sujet , c'est que le
sort de l'Empire fût le même que celui
de la République ; il soutint toute sa
gloire , il conserva toute son étendue
tant qu'il n'eut qu'un Maître absolu
dont l'autorité réunissoit tant de Peuples.
Au lieu le que partage l'affoiblit , en
avilit la majesté , et le rendit la conquête
facile des Barbares qu'il avoit autrefois.
subjuguez .
L'Orateur descend ensuite à la Monar
chie Françoise ; mais c'est pour déclarer
qu'il ne peut se résoudre à parler des périls
où la discorde a mis autrefois cette
Monarchie , qu'à la verité la fidélité de
Lyon paroîtroit avec éclat ; mais que
cette Ville veut bien renoncer à la gloire
qui lui en reviendroit , pourvû qu'on lui
épargne un souvenir si douloureux.
Si des Etats l'on passe à l'interieur des
Familles ; quels maux n'y cause pas la discorde
? Cet article n'échappe pas à M.d'Argis
, il expose aux yeux les desordres qui
surviennent , lorsque l'union , si necessaire
entre ceux que la Nature unit déja par
les liens du sang , cesse de regler leurs dé
marches , et qu'une haine implacable formée
par l'intérêt ou par quelqu'autre pas+
sion aussi funeste , s'empare de leurs es
prits. Plus l'union , dit- il , et l'amitié sant
natu
352 MERCURE DE FRANCE
naturelles entre ces personnes , plus il semble
qu'il soit difficile de les reunir lorsqu'elles
sont malheureusement divisées. La déroute
se met alors dans les fortunes les mieux établies
, les Maisons les plus brillantes et les
plus illustres périssent on voit avec douleur
ceux qui sont particulierement nez pour
se prêter un secours mutuel, prendre plaisir à
se détruire réciproquement delà ces inimitiez
irréconciliables qui se perpetuent dans
et qui se soutiennent encore
sur les ruines même des Maisons qu'elles
ont renversées.
les Familles
--
,
- Notre Auteur , après une suite d'autres
Refléxions sur les malheurs qu'entraîne
la discorde , finit en ces termes :
: Mais ne nous arrêtons pas davantage à
ses objets odieux , écartons ces images funespes
, qui ne doivent servir qu'à nous apprendre
la necessité de l'union. Je n'ai pas
besoin de faire envisager à cette Ville ," les
malheurs de la desunion qu'elle ne connut
jamais. Elle est , au contraire , le modele
d'union le plus parfait qu'on puisse proposer
à toutes les Villes du Royaume . Enfaut- il
d'autre preuve que cette auguste Assemblée
où j'ai l'honneur de voir tant de grands hom
mes et tant de Corps illustres réunis , qui
concourent tous à entretenir l'union parfaite
qui regne dans cette Ville..
Au Discours de M.d'Argis en succedent
qua-
养
MAR S. 1731 .
553
quatorze autres du même Orateur, comme
nous l'avons marqué ; le premier au Roi ,
le second à la Reine , le troisiéme au Dau
phin , et les autres aux differentes personnes
et aux differentes Compagnies que
nous avons nommées au commencement.
Ces Discours ont tous rapport à l'union;
et quoique très - differens entr'eux par
leurs differens sujets , ausquels ils sont si
propres , qu'ils ne peuvent être appliquez
à d'autres , l'Auteur a pris soin de
les tourner de maniere , que nonobstant
cette difference essentielle et absolument
requise,ils se réunissent tous à representer
F'excellence de l'union , ce qui n'est pas
l'effet d'un Art médiocre . Il conviendroit
d'en citer ici quelques uns , mais l'étendue
de notre Extrait ne le comporte pas.
REGLES pour vivre chrétiennement
dans l'engagement du mariage et dans la
conduite d'une famille . Vol. in 12. Ruë
S. Jacques , chez Lettin.
BIBLIOTHEQUE GRAMMATICALE,
qui contient les Livres nécessaires pour
enseigner à lire le Latin et le François aux
petits enfans , et pour leur enseigner le
Latin quand ils aprennent à lire. Par M.
de Vallange . Au Palais , et Quai des Augustins
, chez Mesnier et Antoine Gandonin
1731. brochure de 24. pages.
354 MERCURE DE FRANCE
Toujours abondant en flateuses promesşes
, l'Auteur plein de zele et de tendres
sentimens pour les Ecoliers en fait ici de
nouvelles , et commence ce petit Ouvrage
par la description de la Bibliotheque
Grammaticale , avec son usage propre aux
Académiciennes , chargées de l'éducation de
la Jeunesse. Ne vous pressez pas , dit- il
à ces Dames , de le faire lire dans le Catechisme
, ce Livre doit être respecté ; il ne
ke faut mettre entre les mains des enfans que
quand on voit qu'ils sont capables d'en faire
an bon usage. La lecture des livres de pieté
ne doit pas être mêlée avec les ferules et le
fouet. La haine que l'on a des corrections
passe bientôt aux sujets qui sont la cause de
Ces corrections.
.M. de Vallange trouve qu'il est à propos
de séparer les petits garçons des petites filles
dès la plus tendre Feunesse , comme il convient
de séparer les enfans des Magistrats
et dela Noblesse d'avec les enfans des Bourgeois
; les enfans de familledoivent être sepa→
rés des enfans du petit peuple. Je vous donnerai
¸dit-il, incessamment les moyens de leur enseigner
toutes les Sciences et beaucoup d'Arts
Liberaux et Mécaniques ... Par le moyen
de mes Méthodes que vous pourrez mettre en
pratique , ces enfans au sortir de vos mains
pourront être en état de se passer de maîtres
pour apprendre toutes les Sciences , toutes les
Langues
MARS . 1731. 353
Langues et tous les Arts ; ils seront même en
état de gagner leur vie.
,
Pour enseigner aux personnes qui ont le
jugement formé , je vous donnerai des méthodes
, dit- il aux Maîtres d'école qui
vous mettront en état de leur enfeigner l'Or
thographe , le Latin , l'Arithmetique , la
Géometrie et toutes les Parties des Mathé
matiques , et même le deffein , quand même
vous ne le fçauriez pas.
HISTOIRE DE L'EGLISE GALLICANE
, dédiée à Messeigneurs du Clergé
Par le Pere Jacques Longueval , de la Compagnie
de Jesus. A Paris , rue de la Har
pe , chez P. Simon , 1730. 4. Vol. in 4.
LE THEATRE DES GRECS. Par le
Pere Brumoy , de la Compagnie de Jesus.
Quay des Augustins et Rue S. Facques ,
chez Rollin pere et fils , et chez J. B. Coi
gnard fils , 1730. 3. Vol. in 4.
Ce laborieux Ouvrage , aussi curieux
qu'utile à la République des Lettres , est
extrêmement goûté. Nous tâcherons d'en
donner un Extrait.
HISTOIRE DE L'EGLISE DE MEAUX,
avec des Notes ou Dissertations et les Piéees
justificatives ; on y a joint un Recueil
complet des Statuts Synodaux de la même
Eglise ,
356 MERCURE DE FRANCE
Église , divers Catalogues des Evêques ,
Généraux d'Ordre , Abbés et Abbesses du
Diocèse , et un Poüillé exact . Par Dom
Touffaint Dupleffis , Bénédictin de la Congrégation
de S. Maur , Auteur de l'Histoire
de Couci. A Paris , chez Giffart , ruë
S. Jacques , et Gandoüin , Quay de Conti,
#731. 2. Vol. in 4.
SERMONS DE L'AVENT , du Carême
, et sur differens sujets , par Messire
Antoine Anselme , Abbé de S. Sever , Cap
de Gascogne , Prédicateur Ordinaire du
Roi , de l'Académie Royale des Inscrip
tions et Belles- Lettres. Chez Julien Michel
Gandouin , Quai de Conti , aux trois
Vertus , et Pierre François Giffart , rue Saint
Facques , à l'Image Sainte Therefe 1731. 6.
Vol. in 12. ou 4. Vol. in 8.
L'Abbé Anselme a prêché avec tant de
succès et d'applaudissement à la Cour et
dans les principales Eglises de Paris , et
tant de personnes se souviennent de la
satisfaction qu'ils ont euë de l'entendre
qu'il est inutile de prévenir le Public en
faveur de l'Edition de ses Sermons ; on
dira seulement que ses Panegyriques et
ses Eloges funebres ayant été imprimés
dès l'année 1718. on a reconnu que l'éloquence
de ce pieux et sçavant Abbé n'avoit
pas besoin pour plaire , ni même pour
émouvoir
MARS. 1731 357
émouvoir puissamment , d'être soutenue
par les charmes de la Déclamation . C'est
qu'il joint par tout la solidité du raisonnement
à l'exposition nette des plus
grands principes de la Religion , et aux
mouvemens les plus capables de toucher
d'attendrir et de changer le coeur ; on réussira
toujours quand on réunira ces deux
choses. La beauté de l'impression répond
au mérite des Sermons.
+
LE THEATRE DES PASSIONS ET
DE LA FORTUNE , ou les Avantures
surprenantes de Rosamidor et de Theoglaphire.
Histoire Australe. Par M. de
Castera. A Paris , Quay des Augustins ,
au Palais, et ruë S. Jacques, chez Saugrain,
Brunet , et Henry 1731 .
MEMOIRES SUR LA GUERRE ,
où l'on a rassemblé les maximes les plus
necessaires dans les opérations de l'Art
Militaire. Par M. le Marquis de Fenquis
res , Lieutenant General des Armées du
Roi. Servant de Tome IV. au Code Mi
litaire de M. de Briquet. A Amsterdam ,
et se vend à Paris , Quay des Augustins
chez P. Gandoüin 1731 .
TRAITE DES PRESCRIPTIONS
de l'aliénation des Biens d'Eglise et des
G Dixmes ,
8 MERCURE DE FRANCE
Dixmes , suivant les Droits Civil et Canon
, la Jurisprudence du Royaume et
les Usages du Comté de Bourgogne . Par
M. F. J. Dunod , Ancien Avocat en Parlement
, et Professeur Royal en l'Université
de Besançon . A Dijon , chez Antoine
de Fay , 1730. in 4. pages 52. pour
la Prescription de l'aliénation des Biens
d'Eglise , pages 52. pour le Traité des
Dixmes et de la maniere dont elles se
prescrivent , pages 408. pour le Traité. -
NOUVELLES CONFERENCES ECCLESIASTIQUES
du Diocèse de Luçon
, redigées par M. d'Ortigues , Curé
de ce Diocèse. A Paris , Quai des Augustins
, chez Jacques Guerin 1731. in 12.
Tome premier.
و
DECISIONS Sur chaque Article de la
Coûtume de Normandie et Observations
sur les usages locaux de la même
Coûtume , et sur les Articles placités ou
arrêtés du Parlement de Rouen , avec une
explication des termes difficiles et inusités
qui se trouvent dans le Texte de cette
Coûtume , et aussi les anciens Reglemens
de l'Echiquier de Normandie. Par Me
Pierre de Merville Ancien Avocat au
Parlement. Chez Gabriel Valeyre , ruë de
La Vieille Bouclerie. 1731. in fol.
>
CouMARS.
1731. 559
COUTUMES du Comté et Bailliage
de Montfort-Lamaury , Gambais, Neau-
Hle -le -Chastel , Saint Liger en Yveline
Enclaves et anciens Ressorts d'iceux , avec
le
Commentaire de deffunt M. Claude
Thourette , Avocat au Parlement , et au
Bailliage et Siége Royal de Montfort ,
revû , corrigé et augmenté de nouveau
par M. Claude Thourette , Avocat du Roi
au même Siege &c. Chez Jacques Clousier,
ruë S. Jacques , 1731. in 8 .
DISCOURS à l'occasion d'un Discours
de M. D. L. M. sur les Parodies. A Paris
, rue S. Jacques , chez Briasson , 1731 .
brochure in 12. de 10. pages .
L'ELOGE de la méchante femme , dédié
à Mile Honesta. Au coin de la rue Gitle-
coeur , chez Antoine de Henqueville 1731 .
brochure de so. pages.
,
Bien loin de plaindre la destinée de ceux
qui ont de méchantes femmes , croyons-les
au contraire , trop heureux et demandons
sans cesse au Ciel qu'il nous associe à leur
bonheur. Voilà comment l'Auteur finit cet
Eloge , si on peut l'appeller de ce nom ,
en tout cas on ne l'accusera pas de flater
à l'excès , ni trop obligemment , et peu
de Lecteurs , sans doute , s'uniront avec
lui dans les voeux qu'il fait , non plus
G ij
que
60 MERCURE
DE FRANCE
-
que les femmes , sur tout quand il dit
qu'elles sont ce qu'il y a de plus aimable,
parmi les choses qui ne se sont pas bonnes.
Barthelmi Alix , Libraire , ruë S. Jaçques
, au Griffon , vend seul l'Ecole de
Mars , pour apprendre facilement la Fortification
, suivant le sistême de M. de
Vauban. Par le sieur de la Suze , Gendarme
de la Garde du Roi , gravée en deux
Planches , avec l'explication du jeu .
LES PARODIES DU NOUVEAU
THEATRE ITALIEN , Ou Recueil des
Parodies representées sur le Théatre de
l'Hôtel de Bourgogne , par les Comédiens
Italiens ordinaires du Roi , avec les Airs
gravés. A Paris , ruë S. Jacques , chez
Briasson , 1731 .
LE NOUVELISTE DU PARNASSE,
sixiéme Lettre .
Nous emprunterons
de cette feuille
deux Epitaphes
qui manquent à ce que nous avons dit de la celebre Actrice du
Théatre Anglois dans le Mercure de Novembre
dernier , page 2494. morte à Londres
le 23. Octobre 1730. et inhumée dans
la Chapelle Royale de Westminster
. Le
Nouveliste
compare cette illustre défunte
à notre inimitable
Le Couvreur.
Hic
MARS. 17318 567
Hic juxta requiescit
Tot inter Poëtarum laudata nomina
Anna Oldfield.
>
Nec ipsa minore laude digna
Quippe quæ eorum opera
In Scenam quoties prodivit ,
Illustravit semper et nobilitavit ;
Nunquam ingenium idem ad partes diversissimas
Habilius fuit :
,
Ita tamen ut ad singulas
Non facta , sed nata esse videretur.
In Tragediis
›
Formæ splendor , oris dignitas , incessu
majestas ,
Tanta vocis suavitate temperabantur ,
Ut nemo esset tam agrestis , tam durus
spectator ,
Quin in admirationem totus raperetur ;
In Comoedia autem
Tanta vis , tam venusta hilaritas , tam curiosa
felicitas
Ut neque sufficerent spectando oculi ,
Neque plaudendo manus.
TRADUCTION .
Ici repose parmi les Poëtes les plus renommés
Anne Oldfield , digne de partager leur
gloire , puisqu'elle n'a jamais paru sur la
Scene sans donner un nouvel éclat à leurs
Gj
Onura-
>
562 MERCURE DE FRANCE.
Ouvrages. On ne vit jamais un même génie
saisir tant de Rôles opposés ; elle sembloit
née pour chacun en particulier. Dans le Tragique
, l'éclat de sa beauté , sa noble phisionomie
et son port majestueux étoient temperespar
une voix si charmante , que le plus
feroce spectateur étoit forcé d'admirer ; dans
le Comique , c'étoit une si grande force , un
enjouement si plein de graces , des attraits si
picquans,que les yeux ne pouvoient se lasser
de regarder , ni les mains d'applaudir.
La seconde Epitaphe est en Anglois ;
nous n'en donnerons que cetteTraduction :
Ici repose le corps d'Anne Oldfield , la
plus celebre Actrice , non-seulement de son
tems , mais de tous les tems.
Formée également par la nature et par l'art,
pour plaire , pour engager et interesser tous
les coeurs;
Applaudie dans la vie publique par tous
ceux qui l'ont vuë ,
Aimée dans la vie privée de tous ceux qui
Pont connuë.
{ ELOGE DES NORMANDS , où l'on
trouvera un petit Abregé de leur Histoire
, avec les grands hommes qui en
sont sortis , et les belles qualitês qui doivent
les rendre respectables à l'Univers
entier. Par M. Riviere. A Paris , chez
la
MARS. 1731.
563
la Veuve Guillaume , Quay des Augustins,
1731. broch. de 44. pages in 12.
SIMON et BORDELET , Libraires à Paris, viennent
de réimprîmer les Géorgiques du R. P. Vanier
, Jésuite , avec quelques autres Ouvrages de
cet excellent Poëte Latin , sous ce titre : VANIERII
, Pradium rusticum Editio emendatior cui
accesserunt Libri duo ejusdem opuscula varia.
M.de Pitaval vient de nous donner encore un Livre
nouveau , sous le titre d'Esprit des conversations
agréables, ou nouveau Mélange de Pensées
choisies , en Vers et en Prose , sérieuses et enjouées
, et de plusieurs traits d'Histoires curieux
et interressans , d'Anecdotes singulieres , d'Historiettes
instructives , et de Remarques critiques
sur plusieurs Ouvrages d'esprit. Ouvrage en 3
volumes in 12. Il se vend au Palais , chez le
Gras , dans la Grande Salle , au troisiéme Pilliër
; et dans la rue S. Jacques , chez la veuve
Delaulne , vis- à- vis la ruë des Noyers ; et Cavelier
, proche la Fontaine S. Severin .
"
Rien n'est plus séduisant que le titre ; on ne
peut pas disputer à M. de Pitaval l'art de donner
à ses Onvrages des titres spécieux . Un Censeur
qui sera malin et qui lira dans le dessein de rabaisser
le Livre et son Auteur , sera disposé à
trouver le Frontispice du Livre plus beau que le
Livre. Cependant on ne peut pas nier qu'il n'y
ait dans ces trois Volumes un choix assez heureux
de bonnes choses . Ce qui distingue cet
Ouvrage des autres Livres de ce gehre que l'Auteur
a donnez au public , c'est qu'il y a fait entrer
plusieurs beaux morceaux de l'Histoire qui
font
presque la moitié de l'Ouvrage . Comme il
aime la Poësie , il a fait un choix de plusieurs
Giiij Vers
564 MERCURE DE FRANCE
Vers , qui aident à former cette grande variété
qui regne dans son Livre.
On voit dans le 1 tome des Poësies choisies de
l'Abbé Regnier Desmarais . Ce Poëte n'a pas toujours
été égal. M. de Pitaval nous fait part des
Vers les plus gracieux de cet Abbé, Académicien.
On doit lui être obligé de nous sauver la peine de
les démêler dans les Ouvrages de ce Poëte. Il
nous présente aussi un choix de Vers qu'il a fait
du sieur Roubin , celebre par un Placet qu'il presenta
au Roy , au sujet de la taxe d'une Isle qu'il
possedoit ; on ne connoissoit ce Poëte que par
ce Placet . Plusieurs Vers de Sanlec servent aussi
à diversifier ce Volume. Il rapporte plusieurs
Fables , qu'il dit avoir une teinture de celles de la
Fontaine. Elles ne sont pas connues , on en jugera.
Il y a une petite historiette , sans doute , de
la façon de M. de Pitaval. Elle est singuliere,
C'est une Dame qui raconte ses foiblesses à une
de ses amies. Elle represente une aventure où elle
se trouva au bord du précipice , elle n'y tomba
pourtant point. L'Auteur a fait de grands efforts
pour dépeindre cette situation ; il a voulu la bien
exprimer , en se refusant pourtant à des images
dangereuses. J'ai remarqué qu'il a tâché dans le
morceau d'Histoire qu'il a rapporté , d'y mettre
les du stile ,
graces
la surprise que Chaïs voulut
faire à Xenocrate ; les deux avantures de Stratonice
en fourniront la preuve. Au reste il rentre
zoujours dans son dessein de rapporter plusieurs
bons mots , plusieurs traits vifs. Voilà ce que j'ai
observé en lisant le premier volume.
J'oublie la Préface , par où je devois commencer
; il y fait l'histoire de ses Ouvrages et de ses
critiques. Il donne des coups de dents à ses Censeurs.
Il regne dans ce Prélude un badinage qui
garantira le Lecteur de l'ennui attaché aux Préfaces.
MARS.
1731. 565
A la tête du second tome il y a des traits d'his
toire qui finissent par plusieurs applications heu
reuses de Vers de Virgile. Ce second volume ,
ainsi que le premier , est varié par des traits
d'histoire choisies et par diverses Poësies. On y
voit le portrait d'un Sçavant ridicule , qui est
assez réjouissant . M. de Pitaval a travaillé ce
Portrait d'histoire , ou plutôt le Roman de la
Comtesse de Châteaubriant , qui est de sa façon,
orne ce second volume. Il a fait un Parallèle de
l'Héroïque de Virgile, traduit par M. de Segrais ,
avec le Burlesque de Scarron . Cela forme un contraste
assez plaisant . On trouvera encore dans ce
volume une ou deux historiettes, qu'on soupçonera
facilement être sorties de la plume de M. de Pitaval.
Il n'a rien oublié pour mettre dans son
Livre une grande variété ; si l'uniformité est la
mere de l'ennui , la variété doit être la mere du
plaisir . Ainsi on peut dire que M. de Pitaval a
voulu s'attacher uniquement à la voie de plaire à
son Lecteur.
Le troisiéme Tome est assez dans le goût du
second ; on y voit plusieurs traits d'Histoire
mêlez de Poesies. Il y a une Historiete qui
est sans doute de lui ; elle pourra avoir des Censeurs
qui soutiendront qu'elle pêche contre la
vrai- semblance. On trouve dans ce Volume une
Critique de l'Amour Métaphisique de Madame
de L ***. Il paroît que M.de Pitaval estime beaucoup
cette Dame qu'il critique . On trouvera encore
dans ce volume un Parallele de deux Poëtes ,
dont l'un ne remerciera pas M de Pitaval. Chaque
Volume est terminé par des Vers de l'Auteur.
C'est une transition Poëtique du premier au second,
du second au troisième , qui finit par 1112
adieu en Vers, Ces Volumes , à tous égards ,
GY On
566
MERCURE
DE FRANCE
ont plus droit de plaire au Lecteur que ceux que
l'Auteur a déja donnez dans ce genre.
Pierre Humbert , Libraire à Amsterdam , a
imprimé et débite l'Histoire de la Guerre des
Hussites et du Concile de Bâle , Enrichie de Portraits
et de Vignettes à la tête de chaqué Livre,
qui en representent les principaux Evenemens ;
par M. Lenfant. 2 Vol. in 4. Il débite aussi les
Histoires des Conciles de Pise et de Constance
du même Auteur, 4 vol. in 4.enrichis de 38 Por◄.
traits Il vendra ces Ouvrages , avec et sans
Portraits, à ceux qui voudront les avoir.Ayant
appris qu'on lui contrefaisoit actuellement à Paris
, l'Histoire du Concile de Bâle , dont on retranchoit
les Vignettes , et peut- être bien autre
chose. Il avertit le Public qu'à quel prix qu'on
donne cette Edition contrefaite , il donnera la
sienne à beaucoup meilleur marché, et en feræ
de même de tous les Livres qu'on lui contreferd.
/ J F. Bernard , travaille à donner une nouvelle
Edition des Oeuvres de Rabelais , enrichie et
augmentée de nouvelles notes , avec les figures de
Picart , en 3 vol in 4 , et 6 in 8. aussi propre et
aussi belle qu'il soit possible. Il en publiera dans
peu le Projet, et donnera dans 4 mois les Imaget
des Héros et des Grands Hommes de l'antiquité
, dessinées et gravées par Picar: ; et à la
la fin de l'année , le tome 5. des Ceremonies Religieuses
, &c. contenant les Grecs , les Lutheriens
les Anglicans et les Calvinistes ; tous
dessinés par Picart . Il avertit ainsi qu'il ne lui
reste encore que quelques Exemplaires des 4 premiers
vol . en grand Papier, figures choisies et du
premier tirage. On trouve aussi chez ledit Bernard,
MARS. 1731 .
567
mard les cent Nouvelles , nouvelles , en 2 vol.8.
avec les fig. dessinées par Romain de Hooglie","
celebre par ses desseins .
MEMOIRE Communiqué aux Auteurs du Mercure
, par le R. P. Michel le Quien , de l'Ordre
de S Dominique , au sujet d'une Histoire Ecclesiastique
de l'Orient , &c.
L'Ouvrage que je me propose de donner au Public
aura pour titre : Oriens Christianus et Affrica,
ou Ecclesia Orientalis et Affricana.
C'est une collection de tous les Evêques d'Orient
et d'Afrique , dont on a pû avoir_connoissance
, après une recherche exacte dans toute
sorte de Livres , imprimez et manuscrits . Il est de
même genre que tous ceux que nous avons pour
l'Occident , sous le titre de Gallia Christiana ,
Italia sacra , Anglia sacra
, Loc.
Il est distribué *par Patriarcats pour l'Orient ,
et comprend par conséquent les Patriarcats de
Constantinople
, d'Alexandrie , d'Antioche et de
Jérusalem , avec leurs dépendances.
Le Patriarcat de Constantinople contient quatre
grands Diocèses , celui du Pont , de l'Asie ,
de la Thrace , et de l'Illyrie Orientale.
Chaque Diocèse de chaque Patriarcat est divisé
en Provinces , et chaque Province en Eglises
particulieres. Les Evêques sont placez chacun à
leur Siége ; leur temps et ce qu'on a trouvé qui
les regarde , est marqué exactement , en citant les
Livres et les endroits dont on l'a tiré.
Au Diocèse du Pont est jointe l'Eglise d'Arménie
et celle d'Iberie ; et celui de Thrace est suivi
'du Patriarcat de Russie ou de Moscovie.
Au Patriarcat d'Alexandrie , aussi divisé et
Provinces et Eglises particulieres , est jointe P'Eglise
d'Ethiopie , dont je donne la succession des
G vj Métro
68 MERCURE DE FRANCE .
*
Métropolitains , comme aussi celle de Nubie.
Outre les Patriarches , Métropolitains ex Evê
Grec
ques du Patriarchat ortodoxe , Melchite ,
d'Antioche,je donne les Patriarches et les Evêques
Jacobites de Syrie et de Mésopotamie,distribués de
la même maniere. J'ajoute ensuite le grand Diocèse
des Caldéens ou Nestoriens , qui comprend
une partie de la Mésopotamie , la Babilonie ,
l'ancienne Assyrie , toute la Perse et les Indes ,
jusqu'à la Chine. Un très grand nombre d'Evêques
de tous ces païs- là dont je parle, sont placez
chacun à son Eglise particuliere.
Je donne , outre cela , les Evêques Latins qui
ont occupé les Siéges de l'Orient depuis le commencement
des Croisades . Ils sont distribuez
dans les Eglises des trois Patriarcats de Constantinople,
d'Antioche et de Jerusalem, et enfin ceux
qui ont fondé et gouverné diverses Eglises , dans
les Païs d'Orient les plus reculez , jusqu'à la
Chine , pendant le xiv siécle.
-
Les successions,sur tout des Patriarches de Constantinople
, d'Alexandrie Copte , d'Antioche-
Grecque ou Melchite , de la Secte Jacobite et de
Jérusalem , sont complettes jusqu'aujourd'hui ,
aussi- bien que celles des Catholiques ou Patriar
ches d'Arménie et des Nestoriens ; celles de ceux
d'Alexandrie , d'Antioche et de Jerusalem sont
incomparablement plus amples et plus exactes
que toutes celles qui ont paru jusqu'icy.
Pour ce qni est des Patriarches d'Alexandrie ,
Melchites ou Grecs , il m'en manque un nombre
qui peut monter à 15 ou 16 , mais j'espere les
remplir par les instructions qu'on me fait esperer
du Païs même,
L'Eglise d'Afrique , dont Carthage étoit la
Primatiale , suivra celle d'Orient. Les successions
m'en sont pas longues ; mais tous les Evêques
dont
MARS. 1731. 569
1
dont on peut avoir la connoissance , sont distribuez
de même , et chacun placé à son siege.
La succession des Evêques de Carthage est assez
ample , il m'en manque seulement quelques- uns
des derniers qui ont précedé l'invasion des Sarrasins
et ceux qui l'ont suivie , mais je ne desespere
pas de les avoir.
Outre la Préface generale pour tout l'Ouvrage
, il y aura à la tête de chaque Patriarchat et
de chaque Diocèse , une Dissertation dans laquelle
sont expliquez ses commencemens , ses
progrès , son étendue , ses changemens , sa discipline
particuliere , l'autorité et la Jurisdiction
du Patriarche ou de l'Exarque , &c.
A la tête de l'Ouvrage on mettra diverses Notices
des Patriarchats et des grands Diocèses , et
ensuite une Notice generale de tous les Sieges
dont il est fait mention dans l'Ouvrage. Il y
aura huit ou dix Cartes Géographiques pour
tous les Diocèses , dressées et gravées avec soin.
L'Ouvrage contiendra deux Volumes in folio.
On nous a écrit de Nîmes au mois de Février
dernier , que le 25. Janvier le Professeur de Rhéthorique
du College des Jesuites de cette Ville ,
avoit eu l'honneur de prononcer un Discours
Latin sur la Naissance du Duc d'Anjoù , dans
l'Eglise du même College , en presence des Etats
Generaux de cette Province , assemblez à Nîmes ,
et que l'oeconomie du Discours et l'éloquence de
P'Orateur , y furent fort applaudis par cette illus
tre Assemblée .
On apprend de Lisbonne,qu'on y lût au commencement
du mois dernier dans l'Académie Royale
de l'Histoire,une Lettre de Dom Jean de Saldanha
de Gama , Viceroy des Etablissemens Portugais
dans les Indes Orientales , par laquelle il donne
part
570 MERCURE DE FRANCE.
part d'une découverte qu'il a faite dans ce Païs- là.
Dans une petite Inle du Golfe Persique , connue
sous le nom de Lareca , et peu éloignée de l'Ifle
d'Ormus , il y a une ancienne Mosquée ; et le
bruit couroit depuis long- tems parmi les Mahometans
de ce Pais qu'on avoit déposé dans cette
Mosquée certains Trésors que personne ne pouvoit
en tirer sans s'exposer à mourir subitement.
Des Portugais doutant de cette tradition populaire
, voulurent la verifier au commencement de
l'année derniere , et ils trouverent dans la Mosquée
deux petites Caisses remplies de Manuscrits
anciens écrits tant en Langue Arabe qu'en
Langue Persane : ils les porterent au Viceroi
qui les a fait examiner , et on a trouvé que les
uns traitent de la Medecine , et les autres de
l'Histoire ; que les premiers qui ont plus de
mille ans d'ancienneté , sont d'une trés - belle
écriture. Le Viceroi en fait faire des Extraits
pour les envoyer à l'Academie..
PHE'NOMENES SINGULIERS,
vûs à Briançon en Dauphiné. Extrait
de Lettre.
E 8. Février , immédiatement après une tem-
Lpête ,et un vent épouvantable , il tomba une
quantité prodigieuse de neige , et à l'entrée de la
nuit le Ciel parut tout en feu par des éclairs si
vifs et si fréquens , que les yeux étoient également
éblouis et étonnez , en même tems qu'on étoit
frappé de terreur par le bruit horrible du tonensorte
que les Habitans de ce Païs les.
plus âgez et les Troupes qui étoient en Garnison ,
ont assuré que de mémoire d'homme on n'avoit
vûun spectacle si effraïant , ni entendu un bruit
si capable d'épouvanter.
nerre ,
Dans un Fort , nommé les Trois Têtes , contigu
MARS. 1731. 575
"
tigu à la ville de Briançon on apperçut huit
Phenomenes singuliers , aiant la figure de gros
flambeaux ardens , dont deux étoient placez à
droit et à gauche sur les chaînes du Pont-levis ;
deux autres étoient sur la Chapelle , deux sur le
Magazin des Vivres , et les deux derniers sur les
Cazernes;ces huit lumieres ou especes de globes de
feu ne parurent que pendant un bon quart d'heure. -
On prétend qu'il en parut un neuvième , qu'un
Sentinelle assura avoir vu positivement au bout
de son fusil , mais cela n'a pas été confirmé , parce
qu'il n'a pas été vû par d'autres dans ce même tems..
A un autre Fort de la même ville de Briançon ,
on apperçut un autre Phénomene en forme d'un
Dragon volant , qui se fixa au - dessus des Cazernes
de ce Fort ; on fit prendre les Armes à la
Garnison , composée de neuf Compagnies du
Régiment Dauphin , Infanterie , on essaïa , mais.
en vain de le dissiper par plusieurs coups de fusil
qu'on tira. Le Dragon resta constamment dans
sa place depuis sept heures du soir jusqu'à minuit,
pendant lequel temps il jetta une lumiere si éclatante
, que tout le Fort en fut éclairé , assez pour
le voir distinctement de loin , et même pour lire
très- aisémene ; ensuite le Dragon quitta sa place
et d'un mouvement grave il descendit par-dessus
le premier Fort des Trois Têtes , et on le suivit
des yeux jusques dans un Valon où il disparut.
M. le Comte de Feuquiere se plaint que dans
le Livre des Memoires sur la Guerre , que fen
M. e Marquis de Feuquieres on frere , avoit
fait il y a 25. ans , sans vouloir qu'il parût jamais
, et qui viennent d'être imprimez à Paris
sur une copie volée il y a des obmissions et des
alterations considerables qui défigurent.cet Ouvrage
, et qui feroient tort à la memoire de
M. de Feuquiere, dans l'esprit des Connoisseurs
EX572
MERCURE DE FRANCE
EXTRAIT d'une Lettre de Rouen le
Février 1731. an fujet de quelques Infectes
trouvez dans des Legumes , & c.
T
à
Rouvez bon que je vous fasse part d'un fait
assez singulier , et qui cause bien du dommage
nos Laboureurs ; c'est une vermine dont
se trouvent infectez les Pois de nos Cantons , er
dont on ne s'apperçoit que quand ils sont cuits.
Je viens d'en ouvrir sept ou huit dans lesquels
j'ai vu une espece de Mouche noire de la grosseur
d'un grain de Bled , peu près semblable
àune grosse Mouche que nous voïons en Eté er
que nous nominons Cerfvolant. Les Pois cruds
n'ont aucune marque par où on puisse s'appercevoir
s'ils en sont attaquez , mais quand ils sont
près du feu et qu'ils commencent à s'échauffer ,
ces Mouches qui sentent la chaleur percent le
Pois et en sortent ; on m'a dit que l'année passée
il y eut un Canton du païs de Caux où les Pois
se trouverent remplis de cette vermine que plusieurs
personnes qui en mangerent en furent trèsmalades
, que quelques -uns même en moururent,
Comine je ne le sçai que par oui dire , je ne puis
vous assurer ce dernier fait. Ce qu'il y a de cer-.
tain , c'est que cette année tous les Pois en general
sont attaquez de ces Mouches.
L'Estampe que nous avons déja annoncée du
Portrait historié de la De Camargo , premiere
Danseuse de l'Opera, est en vente, et le grand débit
qu'on en fait , prouve l'applaudissement du
Public .On lit ces quatre Vers au bas de la Planche,
Fidelle aux loix de la cadence ,
Jeforme augréde l'art les pas les plus hardis.
Ori
MARS. 1731. 573
Originale dans ma danse ,
Je puis le disputer aux Balons , aux Blondis .
Deux nouvelles Estampes qui paroissent depuis
peu , sont très - capables de soutenir et d'augmenter
la réputation des Peintres et des Graveurs
François. Les sieurs Charles Coypel et Lepicier ,
en sont les Auteurs. La premiere est d'après un
Tableau en hauteur , du Cabinet du Comte de
Morville; l'ingenieux Peintre y a répresenté l'Amour
Précepteur , sous la figure d'un jeune Doc
teur , gravement assis , qui explique l'Art d'aimer
à une petite fille , d'autres petites personnes
écoutent et étudient leurs leçons. Cette pensée est
excellemment renduë par des expressions fines et
naïves , par des attitudes et par des ajustemens
aussi galans que modestes. L'habile main qui a
gravé ce Morceau , n'a rien laissé desirer aux
Connoisseurs les plus délicats . C'est une touche
tendre , précise , legere et une entente admirable .
On lit ces quatre Vers au bas .
1
L'airgrave que je fais paroître ,
Belles , ne doit point allarmers
Il caracterise le Maître ,
Et ne le fait pas moins aimer.
La seconde Estampe représente une gracieuse
Veuve dont la Toilette n'est pas fort chargée ,
aussi ses appas sont- ils très- naturels , sans la
moindre pincée d'art ni de coquetterie. Elle rêve
devant son Miroir , dont la glace ne court aucun
risque d'être cassée. On lit au bas.
Entre deux mouvemens sans cesse partagée ,
La Veuve en cet instant les exprime à la fois :
LA
574 MERCURE DE FRANCE.
L'un est la liberté de faire un nouveau choix ,
L'autre la peur d'étre changée, í
Le 23. du mois passé M. Vanloo , Peintre
'Histoire , Agregé de l'Académie Royale de
Peinture et de Sculpture , y fut reçû , et donna
pour sa réception un grand Tableau représentant
Diane et Endymion , qui fut generalement approuvé
, et que quantité de Curieux vont voir
avec plaisir.
On écrit de Rome qu'on exposa le 18. du mois
dernier dans l'Eglise de Saint Pierre , le beau Ta--
bleau en Mosaïque , copié par le Cavalier Pierre
Paul Chriftoferi , d'aprés le Tableau Original de
sainte Petronille , peint par le celebre Guarcino
d'Acento , Disciple des Carraches.
On nous a envoïé de Lyon une grande Estampe
qui y a été gravée depuis peu par le sieut
André Houat , d'aprés un dessein à la plume
du Chevalier de Serre , représentant Ariane et
Bacchus. C'est une fort belle et fort riche com
position
LA
SUITE des Medailles du Roy.
A derniere Médaille qui a été frappée pour le
Roy et dont nous donnons ici la gravure ,
fût présentée à S. M. le premier jour de cette Année.
D'un côté on voit la Tête de cet Auguste
Prince couronnée de Laurier , avec la Légende
ordinaire. Nous avons déja donné cette face. Et
sur le revers la France assise et caracterisée par
ses Attributs , tient sur son bras droit LE DUC
' ANJOU , et embrasse de l'autre le DAUPHIN
qui
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
ARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
MARS. 173.1. 575
qui est représenté debout entre ses genoux. Legende
NovUM PERENNITATIS PIGNUS et dans
l'Exergue Dux ANDEGAVENSIS NATUS XXX.
AUGUSTI M. DCC . XXX.
XXX*XXX:X:XXXXX : XX**
CHANSON A BOIRE.
Q
Uel spectacle effraïant pour mon ame épera
duë !
La flâme par Sillons se répand dans les airs ;
Les flots sortis du sein des mers
Sur les aîles du vent s'élancent dans la nuë :
Où fuir Amis courons dans nos caveaux 2
C'est un azile sur quand le tonnerre gronde ;
Vainement il s'obstine à foudroyer le monde ,
Bacchus sçait à ses coups dérober les tonneaux..
SPECTACLES.
Es Comédiens François répresente-
LE
rent le premier de ce mois à la Cour,.
la Comedie du double Veuvage , du feu
sieur Dufresni , et la Comedie nouvelled'Alcibiade,
qui firent beaucoup de plaisir ..
Le 6. la Tragedie de Polieucie , et la petite
Comedie du Deüil.
Le 8. Alcibiade et le double Veuvage .
Le 17. ils donnerent pour la clôture de
leur
576 MERCURE DE FRANCEfeur
Théatre , la Tragedie d'Absalon ;
qui fut bien représentée et fort goutée
par une nombreuse Assemblée. Le sieur
de Montmenil fit un Compliment au Public
, qui fut fort bien reçû .
L'Académie Royale de Musique donna
le s . Mars et le 10. jour de la clôture
du Théatre , deux Représentations de
l'Opera de Thesée , pour les Acteurs
comme cela se pratique toutes les années ;
la Dlle Petitpas chanta une Ariette Italienne
, et la De Camargo dansa à la fin les
caracteres de la Danse avec toute la vivacité
dont elle est capable. On prépare
l'Opera d'Idomenée de M. Campra , pour
être donné à l'ouverture du Théatre.
Le 3. les Comediens
Italiens
représenterent
à la Cour l'Embarras
des Richesses
et le Retour de Tendresse
.
Le 9. ils représenterent à l'Hôtel de
Bourgogne Sanson et la Parodie de Phaeton
, pour la clôture du Théatre ; la De
Thomassin fit le Compliment qu'on fait
ordinairement toutes les années , lequel
fut reçû favorablement.
Le 10. ils jouerent à la Cour la Surprise
de l'Amour et l'Horoscope accompli.
Dile Marguerite Rusca , Epouse du sieur
Thomassin , originaire de Boulogne , l'une
MARS. 1731. 577
ne des Comediennes Italiennes de l'Hôtel
de Bourgogne , connue sous le nom
de Violetta , mourut le dernier Fevrier ,
âgée d'environ 40. ans , après une longue
maladie. Elle joüoit ordinairement dans
les Comedies Italiennes les Rôles de Suivantes
, avec beaucoup de feu. Elle a été
inhumée à S. Laurent sa Paroisse , après
avoir reçû tous ses Sacremens.
LE BOLUS , PARODIE DU BRUTUS.
Par Mr Dominique et Romagnesi , Comédiens
du Roi , représentée le 24. Janvier
dernier , .& c. A Paris , ruë de la
Harpe , chez L. D. Delatour , 1731 .
Nous sommes dispensez de nous arrêter
sur cette Piece, en ayant donné un Extrait
fort étendu dans le Mercure de Février.
1
ARLEQUIN PHAETON , Parodie ,
&c. par les mêmes Auteurs , et chez le
même Libraire , 1731 .
Cette Piece fut donnée sur le Théatre
de l'Hôtel de Bourgogne le 22. Février
et très -favorablement reçûë du Public.
Le Théatre représente la Mer dans le
fond , Libie ouvre la Scene par ces Vers
parodiez , sur l'Air : Ici sont venus ex
personne.
Heureuse une ame indifferente !
Le bonheur dont j'étois contente ,
Le
378 MERCURE DE FRANCE
Ne me sera-t'il point rendu ?
Dans ces beaux lieux tout est paisible .
Helas ! que ne m'est -il possible ,
D'y trouver ce que j'ai perdu !
C'est un petit coeur ingenu ,
C'est un coeur sincere et fidele ,
Dont je n'avois plus de nouvelle.
Quand une fois l'Amour le prend ,
Jamais le traitre ne le rend.
- Théone s'étonne de voir Libie seule et
rêveuse ; celle-cy lui dit qu'elle vient rêver
aussi en ce lieu , et qu'il est à présumer
qu'elle aime ; oui , lui répond- elle ,
je n'en fais aucun mistere.
Il faut aimer pour éprouver ,
Le plaisir de rêver.
Avoüez , ajoûte- t'elle , que vous en te
nez aussi bien que moi ; sur le Chant de
Opera :
Le Fils de Jupiter vous aime.
Libie.
Je ne serois qu'à lui s'il n'étoit qu'à moi-même.
Vous êtes plus heureuse que moi , contiñue-
t'elle , le fils du Soleil vous plaît .
vous joüissez d'un plein repos. Toutes deux.
Ah !
MARS.
1731. 379
Ah! Madame Enroux ,
>
Que l'Amour est fou ,
Et qu'il fait de folles !
Ah ! Madame Enroux ,
Combien de paroles ,
Ici perdons nous ?
Phaeton arrive tout rêveur. Vous passez
sans me voir , lui dit Théone , craignez-
vous ma presence ? Non , répond- il,
je cherche la Reine , ma Mere. Le bon
enfant , dit Théone. Est - il deffendu de
chercher sa mere , ajoûte Phaeton ? Oui ;
c'est sa Maîtresse qu'il faut chercher.Voilà
une Maîtresse , reprend Phaeton , qui
m'embarrasse autant qu'une femme. Il
affecte beaucoup d'indifference , et voyant
venir sa mere , il dit sur l'Air de l'Opera.
La Reine tourne ici ses pas.
Théone.
C'est bien répondre ; allez , ne vous contraignez
pas.
A la quatriéme Scène , Climene arrive
qui demande à son fils le sujet de son
chagrin , il lui répond que le Roi va se
choisir un Gendre qui doit succeder au
Trône; qu'Epaphus en brigue l'honneur, et
quece sont là les motifs de sa tristesse. Il
no
580 MERCURE DE FRANCE.
ne faut pas être envieux , lui répond Cli.
mene , mais il y a une chose qui m'embarrasse
, ajoûte Phaeton . Le Soleil est
mon pere , n'est- ce pas ? Oüi vraiment ,
répart Climene. Phaeton chante sur l'Air
Vous avez bean faire la fiere.
Comment avez- vous pu faire
Pour engager votre foi
Et de vous ma chere mere
>
Que pensé notre bon Roi ?
Avez-vous passé pour neuve ,
Dans l'esprit de ce butord .
Climene.
Il m'a prise comme veuve.
Phaeton.
Mais le Soleil n'est
pas
mort.
Tout cela me chicanne ; taisez-vous
lui dit Climene , vous êtes un épilogueur.
Prothée va venir ici avec ses Moutons
er je veux le consulter sur ce qui vous
regarde ; retirez-vous. Prothée chante ;
Air de M. Mouret.
Heureux qui peut sur les bords de la Seine ,
Se promener sans rien risquer ;
Heureux ceux que l'espoir d'une amoureuse an
baine ,
Ne force point à s'embarquer.
Dangere
ZWA
NOVUM
BRENNITATS
DUX
ANDEGAVENS NATUS
XXXAUGUSTI
M DCC XXX
PIGNUS
B
MARS.
581
1731.
Dangereux en est le voyage :
Jeunes Amans , craignez l'orage ,
Qui vous fait quelquefois ,
Faire nauffrage ,
A Javelle , au Port à Langlois,
Prothée s'endort. Climene dit à sea
frere Triton , qu'il faut l'obliger à s'expliquer
sur le sort de Phaeton . Triton
sur l'Air, A nos voix unissez vos Hautbois.
Bondissez ,
Petits Agneaux , paisser
Sur ces Rivages ;
Vous, Oiseaux ,
Vous , Chalumeaux ,
Et vous , murmure des Eaux ,
Vous , Feuillages ,
Vous , Ombrages ,
Vous , badins Zéphirs ,
Qui rimez à plaisirs ,
Vous , charmans Bocages ,
Vous , tendres desirs ,
Amoureux Soupirs ,
Et Sornettes
Qu'on a faites ,
Depuis si long-temps ,
Qu'on remet tous les ans ,
Dans les Chansonnettes ,
Remplissez nos Chants.
H Prothée
$82 MERCURE DE FRANCE
Prothée s'éveille , en disant qu'il est -eharmé
de cette Musique , mais que son
Troupeau s'égare , et qu'il ne peut rester
davantage; Triton et ses Suivans l'arrêtent
; il se change successivement en Arbre
, en Asne et en Cochon , en vendeur
de Ptisanne , et en pluye de feu ; ensuite
il paroît sous sa forme ordinaire , et se
voyant obligé de parler , il chante ce qui
suit , sur l'Air de l'Opera.
Puisque vous le voulez , je romprai le silence ,
Le sort de Phaeton se découvre à mes yeux :
Dieux ! que d'argent ; quel monde, ô Dieux !
Il ne doit son succés heureux ,
Qu'à sa magnificence , &c .
Phaeton demande à Climene , dans la
septiéme Scene , ce qu'a dit Prothée ; que
vous mourrez bientôt , lui répond Climene.
Adieu , mon fils , j'espere que
l'amour de Théone l'emportera sur l'ambition
. Phaeton chante sur l'Air , Je suis
Mousquetaire , moi.
He! quoi ! ma mere au besoin m'abandonne.
Climene.
Théone à votre foi.
Phaeton.
Je n'en veux plus ; la gloire me talonne ;
J'aime mieux être Roi.
Climene.
MARS. 1731. 583
Climene.
Mais vous mourrez, si vous montez au Trône.
Phaeton en pleurant.
Je veux la Couronne ,
Moi ,
Je veux la Couronne.
Dans la Scene suivante , Epaphus dít
à Libie , que le Roi vient de lui donner
son congé , et qu'un autre la possedera.
Ils chantent le Duo suivant sur
l'Air , Vendôme.
Que mon sort seroit doux ,
Si je passois avec vous ,
La vie , la vie.
Merops , suivi des Rois Tributaires ,
déclare qu'il a fait choix de Phaeton pour
lui succeder , et qu'il lui accorde Libie.
Il chante sur l'Air , du Mirliton.
De ma fille qu'il demande ;
Volontiers je lui fais don ;
De tous côtez qu'on entende ,
Retentir cent fois le nom ,
Du grand Phaeton ,
Mirliton , mirlitaine ,
Du grand Phaeton , ton , ton.
Après les Chants et les Danses , Théo-
Hij
84 MERCURE DE FRANCE.
ne arrive , et fait des reproches à Phaeton
sur son infidelité. Elle chante sur l'Air ,
La charmante Catin me desespere.
Vous aimez la Princesse à la folie ,
Et votre coeur perfide enfin m'oublie
Oui , l'Amour vous transporte ,
Et vous livre à ses appas.
Phaeton.
Non , le diable m'emporte ,
L'Amour ne s'en mêle pas , la , la :
Je n'épouse que ses ducats.
Theone se retire en pleurant. Phaeton
va rendre hommage à la Déesse Isis , et
se persuade qu'elle le recevra à merveille ,
puisqu'elle est la mere de son Rival ;
mais lorsqu'il veut entrer , une Furie
sort du Temple pour l'épouvanter , &c .
Epaphus en sort , et lui demande ce qu'il
prétend ? Epaphus sur l'Air , Ami , ne
parlons plus de guerre. ·
Votre attente sera trompée ,
Phaeton ;
Ca, commençons
Par ôter chacun notre épée ,
En bons poltrons.
Ils ôtent leurs épées ; Phaeton continuë :
Voilà nos mesures bien prises ,
Et
MARS . 1731.
Et nous pouvons ,
Nous dire toutes les sottises ,
Que nous voudrons.
Sçavez- vous bien que Jupiter est mon
Pere , lui dit Epaphus ; et qu'est- ce que
cela me fait ; le Soleil est le mien , répond
Phaeton . Epaphus : Air , Oniche , ouiche ,
et ouida.
Le grand Jupiter est mon Pere ,
Tout le monde sçait cela ,
Pour vous on ne vous connoît guere.
Phaeton.
Le Soleil est mon Papa.
Ah , ah ,
Epaphus.
ah.
Votre Mere vous dit cela ,
Mais elle triche .
Quiche , ouiche ,
Et ouida.
Ils reprennent leurs épées à la fin de la
Scene , et se font de grandes réverences .
Phaeton en pleurant dit à Climene , qui
entre :
Ah ! ma mere ,
A ce que dit Epaphus ,
bis,
Le Soleil n'est pas mon pere.
Ah ! ma mere. bis.
Hiij Quelle
586 MERCURE DE FRANCE
Quelle insolence , s'écrie Climene. Phaeton
chante sur l'Air : A la Foire , à la
Courtille.
Qu'ici votre coeur s'explique :
Confondrons-nous les jaloux ?
La chose est problématique ,
Car on trompe tant d'Epoux !
Dites ma mere ,
N'auriez-vous point , entre nous ,
Trompé mon pere.
Climene lui assure que le Soleil est son
pere. Vous n'en douterez plus , petit incrédule
, ajoûte-t'elle , voilà une voiture qu'il
vous envoye pour vous conduire à son
Palais. Un vent emporte Phaeton sur
ses épaules. Phaeton : Air , des Fraises.
Mon triomphe éclatera ,
De l'un à l'autre Pole.
Climene.
Partez , mon fils.
Phaeton.
M'y voilà.
Je vole , je vole.
Le Théatre change à la quatorzieme
Scene , et représente le Palais du Soleil ;
cette décoration est une des plus brillantes
MARS.
1731. $87
tes qu'on ait encore vûë sur le Théatre
de l'Hôtel de Bourgogne . Le Soleil représenté
par Trivelin , paroît assis sur
un Trône éclatant ; les heures du jour
forment un Divertissement très -gracieux,,
dont M. Mouret a composé la Musique ; .
Phaeton arrive dans le Palais..
Le Soleil l'embrasse , en lui disant qu'il
le reconnoît pour son fils. Phaston : Air
Marote fait bien la fiere.
Puisqu'il m'est permis , mon pere ,
De vous appeller ainsi ,
Faites donc taire ,
Le témeraire ,
Qui dit que ma mere
En a menti.
Le Soleil.
Quelle langue de vipere !
Que le monde est perverti !
biss
Tu n'as , mon fils , qu'à me demander tout
ce que tu voudras , je te l'accorderai , continue
le Soleil.
J'en jure par le Stix , effroïable serment ,
Que ne pourroit pas même enfraindre un Bas
Normand.
Phaeton : Air , Diogene en son tonneaus .
Dans votre beau chariot :
Hiiij Le
588 MERCURE DE FRANCE
Le Soleil.
4
Oh ! oh !
Phaeton.
De l'Orient jusqu'à l'Ourse ,
Je voudrois bien au grand trot :
Le Soleil.
Oh ! oh !
Phaeton.
Faire une petite course.
Le Soleil.
Diablezot ;
L'entreprise est trop témeraire.
Phacton.
Hé bien ! je n'irai , mon cher
Que de Paris à Chaillot :
Le Soleil.
Oh ! oh ! oh !
perc
Vous tomberez comme un sot.
Phacton lui dit qu'il ne peut plus s'en
dédire , pui qu'il a juré par le Seix enfin
le Soleil consent qu'il conduise son char;
Phaeton sort en s'applaudissant de son
bonheur.
Le Théatre change ; le Soleil paroît à
la
MARS. 1731. 589
la 15. Scene. Climene , Merops et leur,
suite chantent sur l'Air de l'Opera :
Que tout chante , que tout réponde &c.
Climene continuë sur l'Air : Oh reguingué
!
Mon fils éclaire ses jaloux ;
C'est lui qui brille aux yeux de tous.
Merops.
Par quel Courier le sçavez -vous ?
Pour moi je ne sçaurois le croire.
Climene.
On l'a vu de l'Observatoire.
Theone arrive en pleurs , et annonce à
Climene et à Merops que son pere Prothée
lui a dit que Phacton alloit périr ; aussitôt
des flammes se répandent dans les airs .
Phaeton paroît dans le Char du Soleil ;
Jupiter descend , et le foudroye en chantant
::
Malheureux , quel dégat tu fais !
On ne pourra plus boire au frais ;
Culbute , culbute à jamais..
Phaeton trébuche avec son Char ; co
qui finit la Parodie.
Le Palais du Soleil dans la décoration
Hv dont
590 MERCURE DE FRANCE
dont nous avons parlé , est en general d'un
ordre composite , et construit sur un
nombre de magnifiques colonnes isolées et
de pilastres , faisant corps avec les mêmes
colonnes , élevées sur des piédestaux ,
qui supportent entre elles les saillies d'une
riche corniche architravée , sur laquelle
s'éleve le plafond ceintré , désignant sur
les cotés un nombre d'arcades ornées de
bas- reliefs allegoriques et historiques. Au
bas des arcades , immédiatement sur la
corniche on voit de grandes consoles
qui soutiennent des festons de laurier et
d'olivier. Au milieu du plafond est un
percé en rond , qui découvre un Altique ,
où les Signes du Zodiaque sont représentés.
>
Dans le fond est un Salon de forme circulaire
, terminé en coupole , sous laquelle
est placé le Trône du Soleil , élevé de
plusieurs dégrés . Sur le devant il y a une
balustrade ornée de riches tapis avec
deux Grouppes de Génies tenant les Attributs
du Soleil .
ر
La partie du devant du Palais représente
une Gallerie en colonnes et pilastres
qui soutiennent les arcades. Dans les
trumeaux , sur des Piédestaux , sont placées
les Statuës du Soltice d'Eté et l'Equinoxe
du Printems sur des nuées ; le Soltice
d'Hyver et l'Equinoxe de l'Automne
sont sur le devant. Tous
MARS. 1731. 591
1
Tous les ornemens de l'Edifice , comme
Colonnes , Chapiteaux , Base , Piédestaux
, Corniche , Plafond et les Figures
sont en or , et toutes les parties ausquelles
sont adossées les Pilastres qui tiennent
aux corps solides et arrieres - corps , sont
en argent. On avoit placé des panneaux
de lapis aux frises de la Corniche , au
Plafond et aux Piédestaux qui portoient
les Figures et bas - reliefs simboliques , Trophées
et autres Attributs du Soleil . Les
Colonnes jusqu'au tiers de leur hauteur'
étoient enrichies par quantité de pierreries
de diverses couleurs , éclatantes , ainsi
que toutes les autres parties de l'Architecture
.
Cette ingénieuse et brillante décoration
est de M. Le Maire , qui en a donné
plusieurs que le Public a applaudies .
Le 19. Fevrier , l'Opera Comique don--
na la premiere Représentation d'une Piéce
, en un Acte , intitulée La Fausse Ridicule
, qui est fort goûtée et fort bien représentée
; la Dlle Le Grand y joue le principal
Rôle , et très bien. Voici un petit
précis de la Piéce .
Lucile est fille de M.et de Madame Jaques -
lin ; elle est promise par son pere à un Gentilhomme
de Province qui a un Château
et une Métairie , et qui ne prend une fem-
H VJ me.
592 MERCURE DE FRANCE
me que pour en avoir soin ; sa mere vcut
la marier à un Marquis qui cherche une
femme intrigante qui pourra contribuer
à le faire vivre plus à son aise , et Orgon,
Oncle de Lucile , vient lui annoncer qu'il
a donné sa parole à Dorante pour être son.
Epoux , sans quoi il desheritera sa niéce
à laquelle il ne laisse son bien qu'à cette
condition. Lucile est fort intriguée d'apprendre
de son pere ; de sa mere et de
son oncle qu'on veut la marier à l'une de
ces trois personnes qu'elle n'a jamais vûes..
Valere , qui est l'Amant aimé , est très allarmé
d'apprendre cette nouvelle , et
trouve le moyen de parler à Lucile ; il
voir ensemble ce qu'on pourra faire dans
cette cruelle , situation . Lucile rassure Valere
, et lui dit qu'elle trouvera bien le
moyen de se défaire de tous ceux que ses
parens veulent qu'elle épouse .
Dorante arrive le premier , et trouve
Lucile , à qui il dit qu'Orgon lui a donnésa
parole pour lui faire épouser sa niéce ;
Lucile prend un air de précieuse et de
ridicule dans toute la conversation qu'elle
á avec Dorante , lequel est tout à fait déconcerté
de trouver dans Lucile un esprit
si extraordinaire , et sort pour aller retirer
sa parole d'Orgon . Le Gentilhomme Campagnardvient
complimenterLucile sur son
futur mariage ; celle- ci affecte un air de
Coquete
MARS. 1731. 193
Coquete outrée › propose au Gentilhomme
de vendre son Château , sa Métairie
et tout le bien qu'il a en Province pour
venir le dépenser à Paris , qui est la source
de tous les plaisirs &c. Le Gentilhomme
aussi étonné que Dorante du caractere de
Lucile , la quitte pour s'en retourner
,
et va trouver M. Jaquelin , pour lui dire
qu'il ne veut plus de sa fille. Le Marquis
arrive enfin , et trouve Lucile qui prend
un air d'innocente
et d'Agnés dans tout
ce qu'elle lui dit ; la conversation
n'est
pas longue ; le Marquis en est si rebuté
qu'il quitte sa future pour aller dire à
Me Jaquelin qu'il n'en veut plus.
Le pere , la mere et l'oncle arrivent un
moment après , avec les trois futurs
Epoux , qui déclarent qu'ils ne s'accomodent
nullement du caractere de Lucile
, et se retirent . Valere survient pour
demander Lucile en mariage à son pere ,
à sa mere et à son oncle , on la lui accorde
sur le champ , d'autant plus que la famille
de Valere est connue de tous les
parens. On célébre le mariage de Lucilo
et de Valere par un Divertissement .
Le 3. Mars , l'Opera Comique donna
une petite Piéce nouvelle d'un Acte , intitulée
Isabelle Arlequin , dans laquelle la
Dule Le Grand a joué le Rôle d'Isabelle
déguisée en Arlequin d'une maniere fort
origi-
X
$94 MERCURE DE FRANCE
originale ; elle a été généralement applau
die par de très nombreuses assemblées.
Cette Piéce a été précedée d'un Prologue,
intitulé Le Badinage , de la Fausse Ridicule,
et des Amours de Nanterre. Ce Divertissement
a continué jusqu'au 17. jour
de la clôture de ce Théatre.
Dans cette Piéce d'Arlequin femelle
Eraste picqué par quelque dépit , quitte
sa Maitresse , et se retire chez Leonor
sa Tante , à une Maison de Campagne.
peu éloignée de Paris . Cette démarche
n'empêche pas que ces deux Amans
ne soient dans une vive impatience de
se revoir , ce qui détermine Isabelle
à se rendre chez Leonor , accompagnée
de son Valet Arlequin ; ne sçachant
comment faire pour voir son cher-
Eraste sans en être connue , elle prend
le parti sur le champ de prendre l'habit
d'Arlequin pour parler à Eraste , et pénétrer
par cette ruse si elle en est toujours
aimée.
”
Isabelle ainsi travestie , arrive chez Leo--
nor , où elle trouve d'abord Olivette aimée
d'Arlequin , et Suivante de Leonor
; le faux Arlequin la prie de lui .
faire parler à Eraste , envoyé , dit-il , de
la part d'Isabelle , sa Maitresse. Eraste ar
rive , et lui demande avec empressement
des nouvelles de sa chere Isabelle , ce Valet
MARS. 1731: 595
let ne manque pas de l'assurer qu'elle conserve
toujours pour lui l'amour le plus
tendre , et qu'elle est dans un mortel dé
plaisir de se voir éloignée de lui &c . Après.
cette conversation qui est fort comique
et fort plaisante de la part d'Arlequin ,
celui- ci dit enfin à Eraste qu'il a une Let
tre à lui remettre de la part d'Isabelle ;
l'Amant transporté de joye à cette nouvelle
, arrache la lettre des mains d'Arlequin
, et apprend enfin que le
la Lettre est Isabelle même. Elle dispaporteur
de
roit après l'avoir renduë. Voici à
peu près
ce que eette Lettre contient :
Jugez de l'excés de mon amour par l'extravagance
du parti que j'ai pris pour sçavoir
vos sentimens à mon égard ; présente
ment que j'en suis convaincuë , je retourne
à Paris , il ne tiendra qu'à vous de me suivre
& c. Eraste sort avec précipitation,
pour aller chercher sa chere Maitresse ..
Le mariage de Lucas , Jardinier de
Leonor , donne lieu au Divertissementqui
termine la Piéce.
NOU$
96 MERCURE DE FRANCE
X** X * X*XX**X **X * XX***
NOUVELLES ETRANGERES .
8.
TURQUIE, ET PERSE.
Ar des Lettres de Constantinople , arrivées le
Po. du mois dernier à Venise , on a appris qu'il
y avoit une suspension d'Armes entre les Turcs
et les Persans ; que le Traité de Paix entre ces
deux Nations seroit conclu dans peu , mais qu'on
croioit que c'étoit à des conditions qui renouvelleroient
la Guerre avec les Moscovites.
> Les mêmes Lettres portent qu'Ali -Patron
Chef et Auteur de la derniere Révolution , s'étant
présenté avec 200 de ses adherans à la porte du
Serrail pour avoir audience du Grand- Seigneur ;
on le renvoïa au lendemain , et qu'étant revenu
avec la même suite , on lui fit dire qu'elle étoit
trop nombreuse ; que cette démarche pourroit
être regardée comme séditieuse ; qu'elle donneroit
quelque soupçon au Sultan , et qu'il lui convenoit
, plutôt que de s'exposer à un nouveau refus
, de choisir dans le nombre de ceux qui l'accompagnoient
, quelques-uns des plus sages , et
que le reste demeureroit dans la premiere Salle .
Il suivit ce conseil après l'avoir rejetté d'abord
et aïant choisi six hommes de sa troupe , il fut
introduit avec les formalitez ordinaires . Il fit un
long discours plein de menaces , dans lequel il
avança entr'autres choses qu'il avoit lû dans l'Alcoran
que tous ceux qui rendoient un service signalé
à l'Etat méritoient de grandes récompenises
; qu'ayant élevé S. H. sur le Trône , il
roïoit lui avoir procuré le plus grand bonheur
du monde , et qu'il venoit pour recevoir le prix
MARS. 1731. 597
>
et le salaire de sa genereuse entreprise . Le Sultan
lui répondit qu'il avoit lû aussi dans l'Alcoran
que tout Rebelle devoit être puni de mort. Sur
quoi aiant mis le Sabre à la main et fait signe
aux Officiers qui l'environnoient , d'en faire autant
, on abbattit la tête d'Ali -Patron et les
autres Députés furent taillés en pieces , ainsi que
ceux de la suite d'Ali qui étoient restés dans la
premiere Salle. Les mêmes Lettres ajoûtent que
le G. S. avoit fait étrangler le nouvel Aga dés
Janissaires et 27. des plus séditieux.
Les Lettres venues par le Vaisseau du Capitaine
Bremond , arrivé à Marseille le 16. Mars
et dattées de Constantinople du 23. Janvier, portent
que le 22. du même mois le Grand- Seigneur
avoit déposé le nouveau Grand - Vizir ,
nommé à cette place par interim ) sur quelques
plaintes qui avoient été faites sur sa mauvaise administration
, et qu'Ibrahim Pacha ci-devant
Kiaia de Cuproglie , Bacha du Caire , avoit été
nommé Grand-Vizir.
RUSSIE.
>
Es Ambassadeurs de l'Empereur de la Chine
Larrives à Moscou , sont chargés de pleins
pouvoirs pour conciure un Traité de Commerce
entre les deux Etats. Les présens qu'ils ont apportés
consistent en Etoffes de soye et en Porce
laines des plus belles . Les difficultez que ces Ambassadeurs
avoient fait naître au sujet de leurs
prétentions , par rapport au Ceremonial , aïantété
reglées , ils firent leur entrée publique le 25 .
de Janvier dans l'ordre suivant.
Sept chevaux de main richement caparaçonnés
et conduits par autant de Palefreniers à cheval ,
commençoient la Marche , ils étoient suivis d'um
Timbalier et de quatre Trompettes marchant à la
tête
598 MERCURE DE FRANCE.
tête d'une Compagnie de Grenadiers du Régi
ment des Gardes de Preobazinski à cheval , de
huit Gentilshommes de Mongale , montés sur des
chevaux Tartares et armés d'arcs et de fleches ,
de huit Carosses à six chevaux des principaux
Seigneurs de la Cour , et d'un Carosse magnifique
de la Czarine, dans lesquels étoient les cinq
Ambassadeurs de l'Empereur de la Chine et les
trois Envoyés du Prince de Mongale qui composent
cette Ambassade.
3
2
Le Chef de l'Ambassade étoit dans le dernier-
Carosse , accompagné de M. Sibin , Président du
College des Mines ; des Officiers Chinois étoient
à cheval aux portieres de ces Garosses, qui étoient
suivis de douze chevaux de main , d'un pareil
nombre de Palefreniers , d'une Compagnie des-
Grenadiers de la Garde des Semenowski , et de
80. Traîneaux chargés des bagages des Ambassadeurs.
Ils furent salués d'onze coups de canon
à l'entrée de la Ville , et conduits dans les Hôtelsqu'on
leur avoit préparés , et dont tous les ap--
partemens étoient tendus de drap rouge. Le premier
de ces Ambassadeurs est Président du Conseil
des Affaires Etrangeres de la Chine ; Iss autres
sont des Mandarins de differentes classes.
POLOGNE .
'Envoyé des Tartares qui eut le 9. Eévrier à
Warsovie son audience de congé du Roi , partit
le lendemain après qu'on lui eut remis la Lettre
du S. M. en réponse à celle du Kam son
Maître. Le Roi lui a fait présent de trois Montres
d'or , de trois paires de Pistolets et d'un fort
beau Fusil : le Régimentaire de la Couronne lui
a aussi fait présent d'une Montre d'or et d'un
Habit ; et on lui a donné un grand Coffre avec
de magnifiques présens pour le Kam.
Le
MARS. 1731. 599
Le 21. l'Envoyé du Grand-Seigneur cut sa
premiere audience publique du Roi , à laquelle il
fut conduit par M. de Sollokub , Grand Veneur
du Duché de Lithuanie, Le Roi le reçut dans la
grande Salle d'Audience , ayant à sa droite le
Grand Maréchal de la Couronne , et le Vice-
Chancelier â sa gauche ; les Senateurs formoient
un cercle devant S. M. et ils étoient assis et cou-*
verts. L'Envoyé après avoir baisé le bord de
l'habit du Roi , remit à S. M. ses Lettres de
Créance , signées de la main du Grand - Seigneur :
il se plaça ensuite sur un Carreau vis - à- vis du
Roi , et il lui fit un Compliment de la part de
S. H. auquel le Vice-Chancelier répondit au nom
de S. M. l'Envoyé se leva ensuite , et ayant salué
le Roi , il fut conduit par le Régimentaire de la
Couronne dans une grande Salle où il fut traité
magnifiquement par les Officiers de S. M. Pendant
le repas le Grand -Maréchal lui porta la
santé du G. S. et l'Envoyé lui porta celle du
Roi ; aprés quoi il fut reconduit au Palais du feu
Grand Trésorier de la Couronne , où le Roi le
fera traiter pendant tout le temps que cet Envoyé :
demeurera à Varsovie.
Le 24. le Ministre- Plenipotentiaire du Duc
Ferdinand de Curlande , reçut des mains du Roi
P'Investiture de ce Duché , avec les ceremonies
ordinaires. S. M. a depuis envoyé à ce Duc le Cordon
de l'Agle blanc.
ON
ALLEMAGNE.
N écrit de Berlin que le Roi de Prusse a
donné ordre à une certaine quantité de ses
plus belles Troupes , Cavalerie et Infanterie , de
se préparer pour former au mois de May pro
chain un Camp prés de cette Ville : ces Troupes
seront habillées de neuf et d'une propreté extraordinaire
: elles y feront diverses évolutions
etz
600 MERCURE DE FRANCE
et autres mouvemens qu'on pratique à la guerre :
outre les Tables de la Cour , chaque General et
Ministre d'Etat , en devra tenir une de douze
Couverts par ordre du Roi, qui veut qu'on procure
toutes sortes d'agrémens aux Etrangers de
distinction qui s'y rendront ; on y attend divers
Princes d'Allemagne , et on croit que les Rois de
Pologne et de Suede y viendront aussi.
L'Effendy qu'on attend à Vienne ne sera point
logé dans le Fauxbourg de Leopoldstad comme
l'ont été les autres Envoyez des précedens Sultans
: on a fixé le temps de son séjour , pendant
lequel il sera défrayé avec toute sa suite qui ne
pourra exceder le nombre de 30. personnes , parce
qu'on a sçu qu'il y avoit beaucoup de gens suspects
qui vouloient venir à Vienne sous sa protection.
ITALF E.
Lordonnance du Cardinal Camerlingue contre
E zo. Février on publia à Rome une seconde
le Luxe , par laquelle il est défendu à toutes personnes
de porter dans toute l'étenduë de l'Etat
Ecclesiastique , aucun galon , franges ou broderies
d'or ou d'argent sur leurs habits.
On écrit de Naples que le 28. Janvier on conduisit
par la rue de Tolede devant le Palais , le
Chariot des Rotisseurs , représentant Junon accompagnée
de Castor et Pollux , habillez en
Guerriers. Ce Chariot qui étoit précedé et suivi
de plusieurs Quadrilles d'Ouvriers de differens
Métiers , à cheval et magnifiquement habillez , fut
abandonné au peuple selon la coutume , mais
deux pauvres eurent le malheur d'en tomber , et
moururent deux heures aprés .
Le 24. de Janvier vers les quatre heures aprés
midi , la neige commença à tomber et dura jusqu'à
quatre heures du matin ; elle a été si abondante
MARS.
1731. бот
dante le Mont Vesuve et les autres montagnes
que
voisines en sont couvertes depuis le sommet jus--
qu'au pied , ce qui est fort extraordinaire dans
ce païs .
Le 4. Février après midi , on conduisit par la
rue de Tolede un Chariot chargé de Poisson sec
et salé , de Fruits secs , de Viande , de Volaille et
de Pain , qui fut abandonné au peuple dans la
place du Palais.
On mande de Milan qu'on y a mis une nouvelle
imposition sur les Lanternes , et que les
Bourgeois étoient obligez de faire marquer par
le Traitant celles dont ils se servent à peine de
100. écus d'amende.
PORTUGAL..
1
-
Na reçu avis du Fort de Sanmadina , an
Cap de Bonne Esperance , que le 23. de Dé
cembre dernier , le Gouverneur de ce Fort , qui
est Indien et Commandant General des Hottentons
, avoit été averti par un pauvre Ouvrier
nommé Mogavatti , que le Commandant d'une
Province voisine avoit prémedité de surprendre
ce Fort la nuit suivante ; que vers les dix heures
du soir la Place avoit été attaquée par 12000.
hommes qui s'étoient emparez de tous les dehors ,
mais que le Gouverneur ayant reçu quelque secours
et mis son artillerie en batterie , les Assiegeans
avoient été repoussez avec perte de 4000.
hommes ; que le Commandant et son Lieutenant
avoient été faits prisonniers , et que le reste des
troupes avoit pris la fuite.
On mande de Lisbonne que les derniers Vaisseaux
qui y sont arrivez de Maranhaon , ont apporté
une Cargaison assez considerable d'un
Caffé qui croît naturellement et sans être cultivé ,
dans les environs de cette place , on le trouve
plus
602 MERCURE DE FRANCE.
plus beau et de meilleur goût que celui qu'on apporte
du Levant , et l'on assure qu'il y en a dans
le païs en assez grande quantité pour en charger
20. Vaisseaux tous les ans.
On apprend de tous côtez que l'Hyver a été extrêmement
rigoureux dans toute l'Europe, et que
les neiges ont été par tout extrêmement abondantes
, même dans les pays les plus méridionaux ,
comme en Espagne et en Portugal où il en esttom
bé en divers endroits de la hauteur d'une toise.
GRANDE BRETAGNE.
E 18. Février au matin , le Lord Jacques Cavendish
, frere du Duc de Devonshire , qui
avoit parié 1000 Guinées contre le Chevalier
Robert Hagi , d'aller à cheval en 65. minutes du
coin d'Hidepark à la Loge de Windsor , gagna
cette gageure , ayant fait en 61. minutes cette
course qui est de 21. milles.
HOLLANDE ET PAYS-BAs.
ON
N apprend de Bruxelles qu'en enlevant les
decombres du Palais , on a trouvé la Cassette
des Bijoux de l'Archiduchesse , avec quelques-
uns de ses diamans , mais on n'a pas encore
trouvé ceux qu'elle avoit fait mettre sur l'habit
de Bal qu'elle s'étoit fait faire , et qui montoient
à près d'un million.
MORTS DES PAYS ETRANGERS.
DMonastere des Dominicaines de laville de
Ona Jeanne d'Azevedo , Religieuse dans le
Santarem en Portugal , y mourut vers la fin de
Janvier , âgée de 102. ans.
Il est mort au commencement de ce mois une
femme âgée de 105. ans passez , dans la petite
ville d'Altensteig près de Vienne.
Dorothée
E
MARS. 1731. 703
Dorothée Frederique de Brandebourg Anspach,
Epouse du Comte Jean de Hanaw Lichtemberg ,
est morte à Francfort le 13. Mars, âgée de
のみのお
FRANCE ,
$4 ans.
Nouvelles de la Cour, de Paris , & c.
L
E Jeudi Saint le Roi entendit le
Sermon de la Cêne de l'Abbé Segui ;
après quoi l'Evêque deLescar'fit l'Absoute,
Ensuite le Roi lava les pieds à douze pauvres
, et S. M. les servit à table. Le Duc
de Bourbon , Grand- Maître de la Maison
du Roi , à la tête des Maîtres d'Hôtel
précedoit le service , dont les plats étoient
portés par le Duc d'Orleans , le Comte
de Charolois , le Comte de Clermont , le
Prince de Dombes , le Comte d'Eu , le
Comte de Toulouse , et par les principaux
Officiers de S.M. Après cette Cerémonie ,
le Roi se rendit à la Chapelle du Château,
où S. M. entendit la grande Messe , et
assista à la Procession et ensuite aux Vêpres.
La Reine assista dans sa Tribune à
tout l'Office.
L'après-midi la Reine entendit le Sermon
de la Cêne de l'Abbé de Ciceri
Prédicateur Ordinaire de S. M. après quoi
l'Evêque de Grasse ayant fait l'Absoute
S. M. lava les pieds à douze pauvres filles,
et
04 MERCURE DE FRANCE
et les servit à table. Le Marquis de Villa
cerf , Premier Maître d'Hôtel de la Rei
ne , à la tête des autres Maîtres d'Hô
de S. M. précedoit le service , dont
plats étoient portés par Mademoiselle
Charolois , Mademoiselle de Clermont
Mademoiselle de la Roche sur - Yon , par
les Dames du Palais de S. M. et par d'autres
Dames de la Cour. Après cette Cerémonie
, le Roi et la Reine entendirent
dans la Chapelle du Château l'Office des
Tenébres , qui fut chanté par la Musique,
Le Duc de Valentinois , à présent Prince
de Monaco , eut l'honneur de saluer le
Roi le 4. de ce mois ; il remit à S. M. le
Collier de l'Ordre du S. Esprit , qu'avoit
le feu Prince de Monaco , son Beau - Pere.
On travaille à abattre et à arracher les
Arbres du Bois de Vincennes ; on n'y
laissera aucun des vieux pieds d'Aubespines
, pour y planter de nouveaux Arbres
en Allées . On dit que ce Parc sera
agrandi de toutes les terres qui sont entre
la vieille enceinte et le Village de
Saint Maur.
Le 11. Mars , Dimanche de la Passion
il y eut Concert Spirituel au Château des
Thuilleries , avec un très grand concours;
OR
MARS. 1731. 605
1
036
on a continué tous les jours de la Semaine
Sainte, et jusques à la fin du mois. M. Mouret
y a fait executer les plus beaux Mobets
à grand choeur de M. de la Lande ,
er quelques autres . On y a chanté aussi
avec succès differens petits Motets nouveaux
, convenables au tems de Pâques ,
à une , à deux et à trois voix , de la composition
des Sieurs Campra , Mouret , Le
Maire et Dubousset , qui ont été chantés
par la Dle Lenner , de la Musique du
Roi , et par les Diles Erremens , Le Maure
et Petitpas , de l'Académie Royale de
Musique. Tous ces morceaux de Musique
ont fait beaucoup de plaisir , ayant été
parfaitement bien executés.
Le 13. et le 21. on chanta deux Motets
à grand choeur , de la composition
de l'Abbé Gaveau , qui furent trouvés
deux excellens morceaux de Musique
aussi furent-ils très- goûtés et très- applau
dis .
On a aussi executé tous les jours differens
Concerto sur le Violon , la Flute et
le Basson, avec autant de vivacité que de
précision .
:: Le 24, la Loterie de la Compagnie des
Indes pour le remboursement des Actions;
fut tirée en la maniere accoutumée à
l'Hôtel de la Compagnie . La liste des nu
Ι mere
656 MERCURE DE FRANCE
meros des Actions et Dixiémes d'Actions
qui doivent être remboursées , a été rendue
publique , faisant en tout le nombre
de 300. Actions.
Voici la Copie d'une Lettre écrite à M. de
Gramont par M. de la Blachette du Monétier
, le 1. Fevrier 1731. que nous don
nons telle qu'elle nous a été envoyée,
L
E soir du jour que j'eus l'honneur de vous
écrire , Monsieur , pour vous donner avis
des desordres que font les loups en ce pays ,
il y
en eut un qui fit une manoeuvre tres-surprenante
dans le village de S. Maurice , et dont je crois
devoir vous informer.
Un habitant du même lieu mariant un fils et
une fille qu'il a , avoit une Tailleuse chez lui
pour leur faire des habits ; le pere étoit malade ,
et le fils s'étoit couché de bonne heure.
'à
La Tailleuse , et la fille qu'on devoit marier
travaillerent jusqu'à minuit ; et voulant aller à
leurs necessitez avant se coucher , la fille sortit
la premiere de la maison ; elle ne fut pas un pas
de la porte , qu'un loup lui sauta dessus , la jetta
par terre , et la saisit au col , qu'il lui déchira
depuis le haut jusqu'en bas.
1
La Tailleuse voulant la secourir fut encore saisie
par ce cruel animal , qui la mit aussi sous
lui , et leur fit à l'une et à l'autre diverses blessures
, ausquelles il s'atsachoit pour en succer le
sang. Le filsde la maison vint au secours ; mais
n'ayant point d'armes , il prit le loup par les
jambes de derriere , et le tirant de toute sa force.
pour dégager ces malheureuses filles , il s'élança
contre lui , lui perça le bas de la cuisse avec les
dents ,
MARS. 1731. 607
sures
2.
dents , et tout de suite voulant aussi le saisir à la
gorge , et ayant la gueule ouverte , ce garçon lui
mit la main et le bras dedans , lui prit la langue,
et de cette sorte il le traîna vers la maison la
plus proche , de laquelle il esperoit avoir quelque
secours ; et n'en ayant point , ( car chacun se
tient fermé , ) et se sentant affoibli par ses blesil
fut contraint d'abandonner et la
langue et le loup , qu'il tenoit toujours embrassé
du bras qu'il avoit déchiré. Alors ce cruel
animal , bien-loin de s'enfuir , revint sur ce gar
çon , lui déchira une oreille et une partie du visage
; ce qui l'ayant mis au desespoir , il fit un
dernier effort pour lui saisir encore la langue , à
quoi il réussit, et il la retint jusqu'à ce que son pere,
aqui on avoit donné le jour précedent l'extreme
Onction , vint en chemise avec une hache , dont
ce loup fut assommé entre les bras de son fils.
Il est arrivé du Levant au Magasin genéral ,
rue Neuve S. Merri , à l'Hôtel de Jabac , une
caisse d'une huile particuliere qui est excellente
pour netoyer la peau et adoucir un teint rude et
grossier , pour entretenir celui qui est délicat et
fin , pour
humecter et rafraîchir celui qui est sec,
et blanchir pour éclaircir un teint brun , et pour
toutes les affections de la peau , comme le hâle ,
boutons , taches de rousseurs , dartres farineuses
&c. Il faut s'adresser à M. Buttier , Commis au
Magasin des étoffes. Les bouteilles sont cachetées
il y en a de douze livres et de vingt- quatre,
On sera bien aise d'aprendre que le St Charles
de a Frenaye , Marchand de Jouailleries , de
Bijouts et de divers Ouvrages de bon goût , recherchés
et précieux , ci- devant établi au Palais,
au grand Dauphin , demeure présentement ruë
Lij de la
608 MERCURE DE FRANCE
de la Monnoye , à la premiere porte Cochere
droité , en venant du Pont- Neuf, où il a un très
beau Magasin.
XXXXX:XXXXX:XX *X: XX
MORTS , MARIAGES,
Mer Pucelle , Chevalier , Seigneur d'Orge-
Men
mont de Darsi & c . Chevalier de l'Ordre
Militaire de S. Louis , Maréchal des Camps et
Armées du Roi , neveu du feu Maréchal de Catinat
, mourut le 28. Fevrier , âgé de 75. ans.
Dame Louise de la Rue-Bernapré , Abbesse de
l'Abbaye du Moncel , Diocèse de Beauvais , y
est morte , âgée de 83. ans.
Marie- Anne Jacquinot , Veuve de Charles de
Barville , Chevalier , Seigneur de Bois - Landry
Baumarfin & c. Colonel d'un Régiment d'Infan
terie , Chevalier de l'Ordre de S. Louis , mourut
le 9. Mars , âgée de 80. ans.
Le 8. Mars , André Fenel de Tierci , Chevalier
de S. Louis , Ancien Maréchal des Logis de
la premiere Compagnie des Mousquetaires
Mestre de Camp de Cavalerie , mourut âgé de
80. ans.
et
Jean Henri Bouchard d'Esparcis de Lussan
Chevalier d'Aubeterre , Brigadier des Armées du
Roi , mourut le 10. Mars , âgé de 46. ans.
Jean , Comte de Montgomeri , Maréchal des
Camps et Armées du Roi , mourut à Paris le 1 1
âgé de 85. ans.
Dame Marie Hyacinthe le Danois , Veuve de
Jean Philippe d'Estaing , Comte de Saillant ,
Lieutenant- Général des Armées du Roi , Lieute
nant- Colonel du Régiment des Gardes Françoi
et Gouverneur des Ville et Citadelle de Mete
MAR S. 1731. 609
et du Pays Messin , mourut à Paris le 20. de ce
mois dans la 48. année de son âge.
M. Michel Ansel Desgranges , Chevalier , Maître
des Cérémonies de France , mourut le 23 .
Mars , âgé de 83. ans .
La nuit du 19 au 20. du mois dernier , le Duc
de Chatillon -Luxembourg épousa Madame Bouchu
, Veuve du Conseiller d'Etat de ce nom.
ARRESTS , DECLARATIONS ,
ORDONNANCES , &c.
RREST du 12. Décembre , portant Rela
Ville et Comté de Laval.
AUTRE du même jour , portant Regle
ment pour la Fabrique des Papiers de la Province
du Limousin.
› AUTRE du 26. Décembre qui ordonne
Pexecution de l'Arrêt du Conseil du 23. Fevrier
1723. En conséquence défend à tous Carriers
Paveurs et autres Ouvriers de fabriquer du pavé
de grès dans l'étendue de la Généralité de Paris,
pour quelques Particuliers que ce soit , autres que
les Entrepreneurs des Ponts et Chaussées &c.
AUTRE du 21. Janvier , concernant les Déclarations
à fournir pour le Café qui entre et sort
de la Ville de Marseille , par lequel S. M. ordon-
I iij he
F
610 MERCURE DE FRANCE
ne que les Capitaines , Maîtres de Navires et Pa →
trons de Barques , seront tenus de fournir dans
les vingt- quatre heures de leur arrivée , et avant
leur départ du Port de Marseille , au Bureau du
poids et casse établi dans ladite Ville , des manifestes
ou déclarations des Cafés chargés sur
leur bord , et de leur destination , sous peine de
mille liv, d'amende. Ordonne en outre S. M. que
les Marchands et Négocians de Marseille , proprietaires
desdits Cafés,seront obligés de faire leur soumission
sur le Registre du Receveur audit Bureau
du poids et casse
de rapporter dans un délai
préfix des Certificats en bonne forme des personnes
qui seront indiquées par ledit Receveur et désignées
par leur soumission , que lesdits Cafés
sortis par Mer auront été déchargés dans le lieu
de leur destination , en telles et pareilles especes
et quantités qu'ils auront été déclarés ; faute de
quoi lesdits Cafés seront réputés être entrés en
fraude dans le Royaume , et en ce cas lesdits
Propriétaires seront condamnés de payer à la
Compagnie des Indes la valeur defdits Caféz pour
tenir lieu de la confifcation d'iceux , et en trois
mille livres d'amende.
AUTRE du 23. Janvier , qui subroge le
sieur Pierre Vacquier au sieur Pierre le Sueur ,
pour faire la regie et exploitation du Privilege de
la vente exclusive du Café dans l'étendue du
Royaume.
AUTRE du même jour , concernant la rétrocession
faite à Sa Majesté par la Compagnie
des Indes , de la concession de la Louisianne et
du pais des Illinois ; par lequel le Roi accepte la
retrocession à elle faite par les Syndics et Directeurs
de la Compagnie des Indes , pour et au nom
de
MARS. 1731. 611
›
de ladite Compagnie, de la proprieté, Seigneurie
et Justice de la Province de la Lottisianne , et de
toutes ses dépendances, ensemble du Païs desSauvages
Illinois, laquelle concession lui avoit été accordée
à temns ou à perpetuité,par lesEdits et Arrêts des
mois d'Août et Septembre 1717.May 1719.Juillet
1720. et Juin 1725. pour être ladité Province réiinie
au Domaine de S. M. ensemble de toutes les
Places , Forts , Batimens , Artillerié , Armemèns
et Troupes qui y sont actuellement. Accepte pareillement
la retrocession du Privilege du commerce
exclusif que ladite Compagne faisoit dans
cette concession ; au moyen de quoi S. M. déclare
le commerce de la Louisiané libre à tous ses Sujets
, sans que la Compagnie en puisse être chatgée
à l'avenir , sous quelque prétexte que ce soit:
Maintient, S.M. ladite Compagnie dans les droits
qu'elle a contre ses débiteurs de ladite Province ,
qu'elle lui permet d'exercer quand et comme elle
jugera à propos.
les
AUTRE du 30. Janvier , qui ordonne que
gages attribuez aux Officiers créez dans l'année
1672. dans les Chancelleries établies près les
Cours de Parlement de Toulouse , Rouen , Bordeaux
, Dij on Rennes , Aix, Grenoble et Metz , et
près les Cours des Aydes d'Aix , Montauban ,
Montpellier , Bordeaux et Clermont- Ferrand
continueront d'être employez dans les Etats du
Roi , comme ils l'ont été jusqu'à present , immédiatement
à la suite du chapitre concernant les
gages et augmentations de gages des Officiers des
Parlemens et Cours Superieures , nonobstant ce
qui est porté par l'Arrêt du Conseil du 3. Septembre
1729 .
ORDONNANCE DU ROY , donnée
I iiij à Ver612
MERCURE DE FRANCE
à Versailles au mois de Février 1731. pour fixer
la Jurisprudence sur la nature , la forme , les
charges ou les conditions des Donations. Regis
trée en Parlement le 9. Mars .
ARREST DU PARLE MENT , sur l'Appel
comme d'abus d'un Mandement de M. l'Evêque
de Laon.
Ce jour les Gens du Roi sont entrez ,
et Maître
Pierre Gilbert de Voisins , Avocat dudit Seigneur
Roi , portant la parole , ont dit :
MESSIEURS ,
Un nouvel objet nous rappelle dans ce Sanctuaire
auguste , pour y porter nos justes plaintes ,
et pour y chercher le secours que le ministere
public ose se promettre de l'autorité de la Cour.
Il est triste pour lui d'avoir à se plaindre , de
ce qui porte en même temps l'impression du caractere
d'un Evêque et de la main d'un Pair de
France. Mais il est encore plus triste de trouver
dans le Mandement de M. l'Evêque de Laon , que
nous remettons à la Cour , ce qu'on devroit le
moins attendre d'un Prélat , qui réunit en sa personne
ces deux qualitez éminentes.
Que n'aurions- nous point à vous dire de cette
peinture odieuse qu'on y voit d'abord de l'état
de la Religion dans le Royaume ? De ce reproche
injurieux fait gratuitement à la France , d'une extinction
presque totale de la Foi . Mais laissons
les divers reproches répandus au hazard dans cet
Ouvrage , et dans lesquels il semble que l'Auteur
ait oublié jusqu'aux bienséances de sa dignité :
aujourd'hui notre attention se doit toute entiere
aux interêts de nos maximes , et aux atteintes
que ce Mandement paroît y porter.
Dans la vue qu'on s'y proposoit de convaincre
et de persuader ceux qui résistent à la Constitu-
'tion
MARS. 1731. 613
on Unigenitus , il semble qu'on devoit surtout
e conformer exactement à ces mêmes maximes ,
et entrer dans tout leur esprit sur les caracteres
d'autorité réunis en faveur de ce Decret.
On louëra toujours en France un Evêque de
marquer son profond respect pour le saint Siege ,
de rendre hommage à ses prérogatives éminentes ,
et d'en relever la grandeur par la dignité de ses
cxpressions. On ne lui enviera jamais d'employer.
à ce sujet les paroles d'un Prélat des derniers
temps , comparable aux grandes lumieres des premiers
siecles , et qui n'a jamais séparé l'attachement
le plus fidele au saint Siege , du zele le plus
sage et le plus pur pour nos libertez.
Mais en même tems on attendra de cet Evêquequ'il
évite de favoriser des prétentions , que la
France si zelée d'ailleurs pour la Chaire de saint
Pierre n'a point appris à reconnoître , et qu'il se
montre inébranlable dans les vrais principes dont
elle ne sçauroit se départir.
En parlant d'un côté de l'autorité du saint
Siege et de l'Eglise Romaine , d'un autre côté de
celle de l'Eglise universelle , devoit-on s'expliquer
sur la premiere , comme si elle ne laissoit rien à
desirer , et ne placer l'autre à la suite , que comme
un accessoire qu'on employe , pour ainsi dire par
surabondance , et pour satisfaire les esprits les
plus difficiles ?
Sous prétexte de faire valoir cette autorité de
PEglise Romaine en faveur de la Constitution , on
tente d'introduire en France un Concile particulier
tenu à Rome , dont nous ne pouvons reconnoître
l'autorité , et dont les expressions telles'
qu'on les rapporte , auroient des conséquences
sur lesquelles nous nous sommes assez expliquez
en dernier lieu.
M. l'Evêque de Laon insere dans son Mande-
I v ment
614 MERCURE DE FRANCE
ment le Decret de ce Concile. Il l'adopte , et il
en parle comme d'une Loi précise , à laquelle inutilement
on essaye d'échaper par des vains détours.
Rien de plus opposé à nos maximes , que
cette publication indirecte de ce qui n'est revêtu
d'aucune forme parmi nous. La Constitution
aura eu besoin de toutes les solemnitez qu'elles
prescrivent , et sans s'embarrasser d'aucune , on
s'autorisera de ce Concile , pour ralumer un nouveau
feu dans une Affaire où le calme des esprits
est surtout à desirer .
Ce n'est pas à cette seule marque qu'on peut
reconnoître l'esprit du Mandement sur les maximès
et sur les libertez de l'Eglise Gallicane. Il le
témoigne ailleurs assez ouvertement. On voit que
l'Auteur les regarde , plutôt comme des précautions
de politiques utiles à opposer à quelque entreprise
de la Cour Romaine contre nos usages ,
et contre les droits de la Couronne , que comme
le précieux reste de la discipline des premiers
siecles et de l'ordre des anciens Canons. Selon lut
elles n'ont rien de commun avec les Decrets que
la Cour de Rome nous envoye , soit pour éclaircirle
dogme soit pour réprimer a témerité des
Novateurs. Que ce principe soit admis , elles se
verront exposées au danger d'être anéanties. A la
faveur d'un tel prétexte , on fera passer jusqu'à
nous ce qui portera l'impression de la Doctrine
et des prétentions Ultramontaines : et quel.es barrieres
nous restera- t'il àleur opposer ?
C'est ainsi que cet Ouvrage s'explique sur ce
qui paroissoit entrer dans son objet. Mais on
cherche exprès une digression , sur une matiere
éloignée , peut- être encore plus capable d'être
une occasion dangereuse de disputes et de dissentions
. C'est , Messieurs , sur ce qu'on appelle la
Jurisdiction Ecclesiastique , objet sur lequel à la
A..
MARS. 1731 . 615
vue de ce Mandement il ne nous est plus permis
de nous taire , et dont en même temps nous ne
sçaurions parler avec trop d'exactitude et de précaution
. Aujourd'hui plus que jamais nous devons
rappeller à ce sujet les maximes si pures de
nos peres , et nous retracer à nous mêmes les
principes dont ils ont transmis le dépôt jusqu'entre
nos mains .
Nous reconnoîtrons toujours la distinction et
l'indépendance , des deux Puissances établies sur
la terre pour la conduite des hommes ; le Sacerdoce
et l'Empire , la Puissance de la Religion , et
celle du Gouvernement temporel . Toutes deux ·
immédiatement émanées de Dieu , elles trouvent ,
chacune en elles - mêmes , le pouvoir qui convient
à leur institution et à leur fin : et s'il est vrai ,
comme on ne sçauroit en douter , qu'elles se
doivent une assistance mutuelle , c'est par voye
de correspondance et de concert , et non pas de
subordination et de dépendance .
La Religion destinée à soumettre les esprits , à
changer les coeurs , est d'un ordre surnaturel , et
conduit les hommes par un pouvoir , qui agissant
sur les ames , est appellé spirituel . En même
temps , suivant l'institution de JESUS- CHRIST
elle forme la Societé visible de l'Eglise Eglise
qui , sur la foi des Oracles Divins , doit subsister
visiblement jusqu'à la fin des siecles , et dont par
conséquent l'economie et la conduite doivent
aussi être visibles dans toute la suite des tems.
Le gouvernement temporel fondé sur l'institution
de Dieu , mais conduit par des voyes hu
maines , a pour objet l'ordre exterieur de la societé
, qui seul est au pouvoir des hommes ; et
employe les moyens humains , de l'autorité publique
, de la force coactive , de la severité des
peines temporelles ; enfin de tout ce qui compose
I vj Pap616
MERCURE DE FRANCE.
l'appareil d'une puissance vraiement exterieure."
Tandis qu'il défend par les armes le Corps de
l'Etat contre les ennemis qui peuvent l'attaquer
au-dehors , il maintient ce même Corps au- dedans
, par l'empire légitime qu'il exerce sur les
Citoïens. Il joint à l'autorité de la Loi , l'execution
forcée indépendamment de la volonté des
Sujets , et soumet par une contrainte effective
ceux qui résistent à son autorité.
L'exercice de cet empire exterieur des Loix ,
l'application de leur puissance aux Sujets , par le
Magistrat armé des moyens necessaires pour les
forcer à obéir , est ce qu'on appelle en termes de
Droit la Jurisdiction . C'est l'idée exacte que nous
en donnent les Jurisconsultes et les Loix. La Jurisdiction
est pleine et entiere , lorsque le pouvoir
de juger est revêtu de toute la force de la
puissance publique. Mais du moins sans quelque
participation de cette force coactive à l'exterieur ,
il n'est point de veritable Jurisdiction. Jurisdictio
sine modicâ coercitione nulla est , dit la Loy
se au Digeste de officio ejus cui mandata est
Jurisdictio, Et les interprêtes nous donnent pour
exemples de cette coercition dont parle la Loy
des châtimens qui affectent le corps , la prison ,
l'imposition de quelques peines pécuniaires.
Ainsi suivant les Loix et les Jurisconsultes ,'
on peut dire que la Jurisdiction prise dans son
sens propre et naturel , est un attribut du Gouvernement
temporel , parce qu'elle emporte une
contrainte au- dehors et une force qu'il est seul
en droit d'employer.
Il n'en est pas moins vrai que l'Eglise a d'ellemême
un autre genre de puissance et d'autorité
réelle , pour connoître et pour décider des matieres
spirituelles qu'elle a droit d'imposer des
peines de même nature , et d'exclute de son Corps
ceu
MARS. 1731. 617
ceux qui refuseroient de s'y soumettre : qu'il lui
appartient d'exercer ce pouvoir non seulement
sous le sceau de la Confession dans le Tribunal
secret de la Penitence , mais encore ouvertement
er d'une maniere visible , sur la connoissance
qu'elle peut avoir des faits. Mais lors même
qu'elle fait connoître et craindre ainsi ses Jugemens
, c'est sans entreprendre sur l'ordre public ,
et sans agir à l'exterieur avec l'empire réservé à
l'autre Puissance. Elle a reçu de JESUS CHRIST
le pouvoir spirituel de lier et de délier , de condamner
et d'absoudre , d'établir des regles et d'en
dispenser ; mais non pas de dominer comme les
Rois.
De-là vient ce qu'observent les Auteurs les
plus exacts que dans les Loix des premiers Empe→
reurs Chrétiens , le titre qui traite des Jugemens
Ecclesiastiques est intitulé , non pas de la Jurisdiction
Episcopale , de Episcopali Jurisdictione ;
mais de Episcopali audientiâ , dans le Code de
Justinien ; de Episcopali Judicio , dans celui de
Theodose : expressions dont le sens est bien different
de celui du terme propre de Jurisdiction
dans le Droit Romain.
Dès - lors cependant la confiance religieuse de
ces Princes , avoit accordé aux Evêques des attributions
qui par elles - mêmes n'étoient point .
comprises dans ce qui dépend du spirituel. On
n'en conservoit pas moins la difference des noms
qui caracterise la difference essentielle , entre le
pouvoir incontestable de l'Eglise , et la vraie Jurisdiction
qui appartient au Magistrat temporel.'
Mais ces attributions s'étant accrues et confir
mées dans la suite , on a emprunté les termes
usitez dans les Tribunaux séculiers , et on s'est
accoutumé à se servir du terme de Jurisdiction
en` parlant de divers Actes qu'exercent les Puissances
618 MERCURE DE FRANCE
sances de l'Eglise . En effet , soit par la concession
expresse , soit par le consentement tacite des
Princes , aujourd'hui plusieurs de ces Actes participent
du caractere de la Jurisdiction exterieure
et proprement dite .
Mais c'est abuser de cet avantage , que de dire
comme fait le Mandement , que le fonds de la
Jurisdiction exterieure et contentieuse est l'heritage
propre de l'Eglise d'insinuer qu'en cette
matiere , l'effet de la puissance de nos Rois se réduit
, soit à de certaines rogles et à de certaines
formes ausquelles il leur a pla .... d'assujettir
les Evêques et les Archevêques du Royaume....
dans l'exercice de leur jurisdiction ; soit à la
simple protection .... accordée par eux à l'Eglise
pour l'execution , on ne dit pas seulement
de ses censures , mais en general même de ses
jugemens d'exiger enfin qu'on reconnoisse un
caractere de Puissance publique exterieure dans
Pautorité qui est propre aux Prélats du premier
Ordre... dans le gouvernement de l'Eglise :
comme si la Puissance publique étoit autre chose
que la Puissance temporelle de qui dépend l'ordre
públic . Parler ainsi f sans explication même et
sans correctif , c'est confondre ce qu'il y a de
notions plus exactes sur la distinction des deux
Puissances , et répandre sur cette matiere des ténebres
qui ne permettent plus d'en reconnoître
les principes.
C'est cependant à la faveur de cette confusion ,
qu'on se porte jusqu'à dire , que refuser à l'Eglise
une Jurisdiction même exterieure qui lui
soit pro re c'est upposer que JESUS- CHRIST
ne l'a établie que sous un gouvernement trèsimparfait
, du moins à l'exterieur. Nous ne repetons
qu'avec répugnance des expressions qui
tendent à faire penser , que sans une Jurisdiction
exMARS.
17318
619
exterieure , telle que nous l'avons expliquée , l'ouvrage
de Jesus - Christ seroit imparfait. L'Institu
tion toute divine de l'Eglise en renfermeroit - elle
moins la puissance de la parole animée de l'Es-`
prit de Dieu , la grace des Sacremens, les rigueurs
salutaires de la Penitence , la sàinte sévérité des
censures , le discernement et la définition de la
Doctrine , le reglement du Spirituel par les Canons
? Un Evêque regardera-t'il comme insuffi
sans ces moyens sublimes , qui font l'essentiel du
pouvoir sacré de son Ministere
Trouvez bon , Messieurs , que sans en dire davantage
de nous-mêmes , nous empruntions les
termes d'un Auteur respecté en France depuis so
ans , initié dans le Sacerdoce , et de qui les laborteuses
veilles ont été si utiles à l'Eglise et à l'Etat.
C'est le sage et sçavant Auteur de l'Institution
au Droit Ecclesiastique. Il employe suivant
l'usage le terme de Jurisdiction , mais voici de
quelle maniere il s'en explique : Il faut revenir
àla distinction de la Jurisdiction propre et essentielle
à l'Eglise , et de celle qui lui est étrangere.
L'Eglise a par elle - même le droit de décider
toutes les questions de Doctrine , soit surla
Foi, soit sur la regle des moeurs. Elle a droit
d'établir de Canons ou regles de discipline pour
sa conduite interieure , d'en dispenser en quelques
occasions particulieres , et de les abroger
quand le bien de la Religion le demande. Elle
a droit d'établir des Pasteurs et des Ministres
pour continuer l'oeuvre de Dieu jusqu'à la fin
des secles , et pour exercer toute cette Jurisdiction
; elle peut les destituer s'il est necessaire.
Elle a droit de corriger tous ses enfan , leur
imposant des Penitences salutaires , soit pour
les pechez secrets qu'ils confessent , soit pour les
pechez publics dont ils sont convaincus . Enfin
620 MERCURE DE FRANCE
a droit de retrancher de son Corps les membres
corrompus , c'est-à - dire les pecheurs incorrigi
bles qui pourroient corrombre les autres . Voilà
les droits essentiels à l'Eglise , dont elle a joüi
sous les Empereurs Payens , et qui ne peuvent
lui être ôtez par aucune Puissance humaine....
tous les autre pouvoirs dont les Ecclesiastiques
ont été en possession et le sont encore en quelques
lieux, ne laissent pas de leur être légitimement
acquis par la concession expresse ou
sacite des Souverains ..et l'Eglise a autant de
raison de conserver ces droits , que ses autres
biens temporels.
•
Ce digne interprete de la doctrine et des maximes
de la France , semble , avoir rassemblé dans
cet endroit , tout ce qu'on trouve avec plus d'étenduë
, soit dans nos Auteurs les plus éclairez
soit dans les Canons et les autres monumens de la
plus venerable antiquité. Tels sont les principes
que nous attendrons toûjours d'un Evêque nourri
dans l'Eglise de France , et sur lesquels notre bouche
ne cessera point d'être de concert avec notre
coeur. L'Eglise a d'elle-même le droit de connoître
des matieres spirituelles , et le jugement qu'elle
en porte émane d'un pouvoir réel qui assujettit
les consciences. Elle a en sa disposition des peines
spisituelles , dont l'excommunication qui retranche
de sa communion est le comble. Elle tient du
Prince tout l'appareil , toute la forme exterieure
tout ce qui constitue le caractere public de jurisdiction
, l'espece de contrainte ou d'obligation civile
qui en est la suite , et les matieres temporelles
dont ont sçait qu'elle connoît aujourd'hui .
Qu'on se renferme dans ces termes , les diffi
cultez disparoîtront, ou s'il s'en élevé quelqu'une,
elle se terminera sans troubler la paix . Pour peu
qu'on se porte plus loin , la contradiction , les
disputes
MARS. 1731 . 621
disputes , les entreprises n'auront plus de fin . Les
écrits se multiplieront , et le fruit en sera peutêtre
d'apprendre à mettre en question ce qui ne
faisoit point de doute auparavant. Ne négligeons
pas d'étouffer dans leur naissance , jusqu'aux
moindres semences de dissension , sur l'autorité
et sur les limites de deux Puissances destinées à
une concorde immortelle. Que l'inquietude et
l'esprit de contention cessent ; fideles au serment
inviolable qui nous consacre aux droits de
l'une de ces deux Puissances , nous sçavons qu'en
même tems il nous engage à conserver les droits
de l'autre et nous n'oublierons jamais que de
leur intelligence dépend et leur propre avantage et
celui des hommes qui leur sont soumis. C'est ce
que disoit autrefois un grand Evêque de France :
Cum regnum et Sacerdotium inter se conveniunt
, benè regitur mundus , foret et fructifi
cat Ecclesia. Cum verò inter se discordant , non
tantum parva res non crescunt , sed etiam ma
gna res miserabiliter dilabuntur.
C'est , Messieurs , dans ces sentimens et par ces
vûes , que nous avons l'honneur de nous adresser
à la Cour pour arrêter les suites d'un ouvrage si
capable de causer de nouveaux troubles . C'est le
Mandement d'un Evêque ; et c'en est assez pour
que nous cherchions à nous renfermer dans la
forme la plus exacte.
Elle nous conduit à la voye de l'appel commé
d'abus , essentielle à l'ordre public du Royaume ,
et consacrée enFrance au maintient réciproque des
Loix de l'Eglise et de celle de l'Etat Ce que nous
venons d'avoir l'honneur de vous dire, vous indique
assez quels peuvent être la plupart des
moyens d'abus. Il suffit d'en avoir jetté les fondemens
, et s'il y a lieu dans la suite nous n'aurons
pas de peine à les développer de plus en plus.
Mais en attendant , vous sentez non -seulement
6,2 MERCURE DE FRANCE.
qu'il seroit dangereux , mais même qu'il est impossible
de souffrir qu'un tel ouvrage continuât
a se répandre et à se distribuer dans le public.
C'est surtout pour y opposer un remede au
moins provisoire , que nous avons crû devoir
nous expliquer dès aujourd'hui ; ét c'est aussi à
quoi tendent les conclusions par écrit qué nous
laissons à la Cour.
Eux retirez : Vût le Mandement imprimé intitulé,
Manlement de Monseigneur l'Evêque de Laon,
second Pair de France , Conte d'Anisy, donné à
Laon le 13. Novembre 1736. ensemble les Conclusions
par écrit du Procureur general du Roi ;
la matiere sur ce mise en déliberation .
La Cour reçoit le Procureur Generál Roi appel
lant comme d'abus dudit Mandement , lui permet
d'intimer sur ledit appel qui bon lui semblera, sur
lequel les parties auront audience au premier jour ;
et cependant fait deffenses de répandre , debiter ,
ou autrement distribuer aucuns exemplaires dudit
Mandement sous telles peines qu'il appartiendra
; que copies collationnées du present Arrêt
seront envoyées aux Bailliages et Sénechaussées
du ressort , pour y être lûës , publiées et registrées
; enjoint aux Substituts du Procureur Gene
ral du Roi , d'y tenir la main et d'en certifier la
Cour dans un mois. Fait en Parlement le 20. Fevrier
1731. Signé , YSABEAU.
ARREST du Parlement sur uñê Lettre Pastorale
de M. l'Evêque de Laon , & c.
Ce jour les Gens du Roi sont entrez , et Maître
Pierre de Gilbert de Voisins , Avocat dudit
Seigneur Roi , portant la parole , ont dit : Messieurs
, nous ne pouvons trop tôt apporter à la
Cour l'Imprimé intitulé , Lettre Pastorale , que
M. l'Evêque de Laon vient de publier dans son
Diocèse et qui nous fut envoyé hier par notre
MARS. 1731. 623
Substitut au Bailliage de Laon. Sa lecture vous
fera sentir la necessité des Conclusions que nous
croyons devoir prendre en ce moment. On voit
que c'est une partie qui cherche à faire insulte à
ses Juges, et qui traite d'entreprise la voye dedroit
de l'appel comme d'abus , sur lequel la Cour nous
ǎ permis de l'intimer par son Arrêt du 20. du
mois dernier. En même tems qu'elle etouffera sur
le champ ce scandale , elle voudra bien nous réserver
la liberté de prendre dans la suite telles Conclusions
que nous jugerons à propos à ce sujet.
Nous requerons qu'il plaise à la Cour ordonner
que l'Ecrit intitulé : Lettre Pastorale de M. l'Evêque
de Laonn , daté du 24. Février 1731. au
sujet de l'Arrêt de la Cour du 20. du même
mois , demeurera supprimé comme séditieux , ate
tentatoire à l'autorité Royale et à l'Arrêst de la
Cour : sauf à nous de prendre au surplus telles
conclusions que nous jugerons à propos , en pro
cedant au jugement de l'appel comme d'abus
reçû par l'Arrêt du 20. Fevrier dernier , à l'effet
de quoi un Exemplaire dudit Ecrit demeurera au
Greffe de la Cour. Ordonner au surplus que
l'Arrêt du 20. Fevrier dernier , sera executé selon
sa forme et teneur , et que copies collationnées de
celui que la Cour rendra aujourd'ui seront envoyées
aux Bailliages et Sénéchaussées du Ressort
pour y être lues , publiées et enregistrées ; enjoint
nos Substituts d'y tenir la main et d'en certifier
la Cour dans un mois.
Eux retirez : Lecture fai e dudit Imprimé ayant
pour titre : Lettre Pastorale de Monseigneur
PEvêque Duc de Laon , second Pair de France
Comte d'Anisy, & c. au sujet de l'Arrêt du Par
lement du Lo. Fevrier 1731. sur son Mandement
du 13. Novembre 1730. La matiere sur ce
mise en déliberation.
La Cour ordonne que ledit Ecrit intitulé : Legł
624 MERCURE DE FRANCE
a
tre Pastorale de M. l'Evêque de Laon , datté du
24. Février 173 1. au sujet de l'Arrêt de la Cour
du 20. du méme mois , demeurera supprimé
comme séditieux, attentatoire à l'autorité Royale
et à l'arrêt de la Cour , sauf au Procureur Géneral
du Roi à prendre au surplus telles conclusions
qu'il jugera à propos en procedant au jugement
de l'appel comme d'abus , reçû par l'Arrêt du 20 .
Février dernier , à l'effet de quoi un Exemplaire
dudit Ecrit demeurera au Greffe de la Cour :
Ordonne au surplus que l'Arrêt d'icelle du 20 .
Fevrier dernier , sera executé selon sa forme et
teneur , et que Copies collationnées du present
Arrêt , seront envoyées aux Bailliages en Sénechaussées
du Ressort , pour y être lûes , publiées
et enregistrées ; enjoint aux Substituts du Procureur
General du Roi , d'y tenir la main , et d'en
certifier la Cour dans un mois . Fait en Parlement
le 2. Mars 1731. Signé , DUFRANC .
1
ARREST du 10. Mars , rendu à l'occasion
des disputes qui se sont élevées au sujet des deux
Puissances & c . dont voici la teneur. Le Roi étant
informé qu'à l'occasion de quelques Ecrits qui
se sont répandus dans le Public , il s'est élevé de
nouvelles disputes sur differentes matieres , et
entr'autres sur ce qui regarde la nature , l'éten
due et les bornes de l'autorité Ecclesiastique et
de la Puissance Séculiere , Sa Majesté attentive
à remplir tout ce que la Religion exige de son
pouvoir , sans manquer à ce qu'elle se doit à
elle -même , regarde comme son premier devoir
d'empêcher qu'à l'occasion de ces disputes on ne
mette en question les droits sacrés d'une Puissance
qui a reçû de Dieu seul l'autorité de décider
les questions de Doctrine sur la Foi , ou sur
la regle des moeurs , de faire des Canons ou
regles de discipline pour la conduite des MinisMARS.
173.1 . 625
>
2
tres de l'Eglise et des Fidelles dans l'Ordre de
la Religion , d'établir ces Ministres , ou de les
destituer , conformément aux inémes regles ; et
de se faire obéir , en imposant aux Fideles , suivant
l'Ordre Canonique , non - sculement des pénitences
salutaires , mais de veritables peines spirituelles
, par les jugemens ou par les censures que
les premiers Pasteurs ont droit de prononcer et
de manifester , et qui sont d'autant plus redou
tables qu'elles produisent leur effet sur l'ame du
coupable , dont la résistance n'empêche pas qu'il
ne porte malgré lui la peine à laquelle il est condamné.
Si la Religion de Sa Majesté l'oblige
comme protecteur de l'Eglise , et en qualité de
Roi Très - Chrétien , à empêcher qu'on ne donne
aucune atteinte à ce qui appartient si essentiellement
à la puissance spirituelle ; son intention
est aussi qu'elle continue de jouir paisiblement
dans ses Etats de tous les Droits ou Privileges
qui lui ont été accordés par les Rois ses prédecesseurs
, sur ce qui regarde l'appareil exterieur
d'un Tribunal public , les formalités de l'ordre
ou du stile judiciaire , l'exécution forcée des Jugemens
sur le corps ou sur les biens , les obligations
ou les effets qui en résultent dans l'ordre.
exterieur de la Societé , et en général tout ce
qui adjoute la terreur des peines temporelles à
la crainte des peines spirituelles . Mais comme les
disputes qui commencent à s'élever pourroient
donner lieu d'agiter sur ces differens points et
sur tous ceux qui peuvent y avoir rapport , des
questions témeraires ou dangereuses , non seule.
ment sur les expressions qui peuvent être differemment
entenduës , mais sur le fond des choses
mêmes , Sa Majesté à crû devoir suivre en cette
occasion l'exemple des Rois ses prédecesseurs ,
en arrêtant d'un côté le cours de ces disputes
maissantes, et en prenant de l'autre toutes les me
626 MERCURE DE FRANCE
eures que sa sagesse et sa pieté lui inspireront
pour les éteindre entierement : A quoi desirane
pourvoir : S. M. étant en son Conseil , a ordonné
et ordonne , que toutes lesdites disputes ou
contestations , et pareillement celles qui peuvent
y avoir rapport , soient et demeurent suspendues
comme S. M. les suspend par le present Arrêt;
imposant par provision un silence general et absolu
sur ce qui fait la matiere desdites cotestations;
et en'consequence , fait S. M. très- expresses inhibitions
et deffenses à toutes les Universitez du
Royaume , notamment aux Facultez de Théologie
et de Droit Civil & Canonique , de permettre
aucunes disputes dans les Ecoles sur cette matiere;
comme aussi d'enseigner ou de souffrir qu'on enseigne
rien de contraire aux principes cy- dessus
marquez sur les deux Puissances. Deffend pareillement
à tous ses Sujets , de quelque êtat , qualité
et condition qu'ils soient , de faire aucunes assein
blées , déliberations , actes ,
déclarations , iequê→
tes , poursuites ou procédures , à l'occasion desdites
disputes , ou de tout ce qui peut les concerner
, et d'écrire , composer , imprimer , vendre,
débiter ou distribuer directement ou indirectement
aucuns Ecrits , Livres , Libelles , Mémoires ou au
tres Ouvrages sur le même sujet , sous quelque
prétexte , et sous quelque titre ou nom que ce puisse
être , le tout à peine contre les contrevenans d'être
traités comme rebelles et désobeïssants aux or→
dres du Roi , séditieux et perturbateurs du repos
public , Sa Majesté se reservant à elle seule , sur
l'avis de ceux qu'elle jugera à propos de choisir in.
cessament dans son Conseil , et même dans l'Ore.
dre Episcopal , de prendre les mesures qu'elle estimera
les plus convenables ' pour conserver toujours
de plus en plus les droits inviolables des deux
Puissances , et maintenir entre elles l'union qui
doit y regner pour le bien commun de l'Eglise et
MARS. 1731. 627
de l'Etat . Exhorte Sa Mejesté , et néanmoins enjoint
à tous les Archevêques et Evêques de son
Royaume de veiller chacun dans leur Diocèse à ce
que la tranquilité qu'elle veut y maintenir par la
cessation de toutes disputes , soit charitablement
et inviolablement conservée &c.
TABLE .
Ieces Fugitives , &c. L'Homme , Odo , 415
PRéponse d'un Grammairien , sur le Bureau
Tipografique ,
Sur une Gageure , Vers ,
Lettre sur la Tragedie de Brutus ,
Qde au Maréchal de Villars ,
Lettre sur les bruits entendus à Ansacq
Nouvelles de Cythere , & c .
Lettre sur le Bureau Typographique , &c.
Epitre en Vers , Réponse ,
422
427
448
441
447
457
458
465
Réponse sur la gloire des Orateurs et des Poëtes
,
Imitation d'une Ode d'Horace ,
469
479
Observation sur deux Colomnes miliaires,&c. 48 x
La Providence , Ode , 492
Réponse à M. B. sur l'usage de l'Eau de vie , 495
Enigmes et Logogriphes , 505
Nouvelles Litteraires , & c. Memoires pour servir
à l'Histoire des Hommes Illustres , 508
Lettres Patentes de François I. contre Ramus , 514
Memoires de la vie du Comte de Grammont, $ 20
La Science parfaite des Notaires , &c .
Découverte de l'Empire de Cantahaṛ , &c.
527
533
Discours sur les avantages et la necessité de l'Union
,
Bibliotheque Grammaticale , & c.
Sermons de l'Abbé Anselme ,
536
553
$56.
Epitaphe de la Dlle Oldfield , Comedienne , 560
L'esprit des conversations agréables , &c.
Histoire Ecclesiastique d'Orient ,
563
567
Phéno mene vú à Briançon , 570
Lettre sur des Insectes trouvez dans des Légumės
,
572
Nouvelles Estampes , 573
Médailles du Roi , & c. 574
Chanson à boire ,
575
Spectacles. Arlequin Phaeton , &c. 577
La fausse Prude , Opera Comique , 591
593
Isabelle Arlequin , &c.
Nouvelles Etrangeres. Turquie et Perse , Russie ,
Pologne , Allemagne ,
Italie , Portugal ,
Grande Bretagne , Hollande et Païs - Bas ,
Morts des Païs Etrangers ,
596
600
602
ibid.
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , & c. 603
Lettre sur un fait très - extraordinaire ,
Morts , Mariages , &c.
Arrêts Notables ,
Errata de Fevrier.
Age 261. ligne 18. fertiles , lisez fertile.
PAP. 293. 1. 25. simplicien
, l. Ange.
Ibid. 1. 27. lui , ôtez ce mot.
P. 338. 1. derniere , fels , l . fils,
Fautes à corriger dans ce Livre.
Age 423. ligne 4. surprendre , l. suspendre.
P. 427. 1. 5. Caton , I. Cateau. PA
Ibid. 1. 15. ou l'on , l. ou l'an.
P. 446. 1. pénultiéme , Falaye , l. Palaye .
P. 458. 1. 6. pour , l. par.
P. 468. 1. 2. et repette , l. et le repette.
P. 521. l. 13. suivie , l. si vive .
P. 525. 1. derniere , poursuit- il , l. pousuivit-il.
P. 526. l . 9. ses yeux , l. ses voeux.
P. 563. 1. 22. le , l . ce.
607
608
609 .
La Médaille gravée doit regarder la page 574
Air noté doit regarder la page
575
John
Bigelow
to the
Century
Association
*DM
Mercure
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU
ROT,
JANVIER.
QUE
COLLIGIT
1731 .
STARGIT
Chez
A PARIS ,
R
( GUILLAUME CAVE LIEK , në
S. Jacques , au Lys d'Or .
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conty.
à la defcente du Pont Neuf , au coin
de la rue de Nevers , à la Croix d'Or,
JEAN DE NULLY , au Palais.
à l'Ecu de France & à la Palme.
M. DC C. X X X I
Avec Approbation & Privilege du Roy
魚魚魚魚魚: 蒸鮮魚鮮餅
THE NEW YORK
PUBLIC
LIBRABYRIVILEGE
$
35165
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1005
-
DU RO r.
•
>
LOUTS ,par la race de Dieu , Roi de France & de Navarre à nos Amez & Feaux Confeillers , les
Gens tenans nos Cours de Parlement , Maitres des
Requêtes ordinaires de nôtre Hôtel , Grand - Confeil
Baillifs , Senéchaux , leurs Lieutenans Civils , & autres
nos Officiers & Jufticiers qu'il appartiendra, SA--
LUT : l'applaudiffement que reçoit le MERCURE DE
FRANCE , Cy devant appellé le Mercure Galant
compofé depuis l'année 1672. par le fieur de Vifé , &
autres Auteurs , nous fait croire que le fieur Dufreni
Titulaire du dernier Brevet étant decedé , il ne convient
pas que le Public foit à l'avenir privé d'un ou
vrage auffi utile qu'a réable , tant à nos fujets qu'aux
étrangers ; c'eft dans cette vûë que bien informé des
talens , & de la fageffe du fieur ANTOINE DE LA ROQUE ,
Ecuyer , ancien Gendarme dans la Compagnie des
Gendarmes de notre Garde ordinaire , & Chevalier
de nôtre Ordre Militaire de Saint Louis ; nous l'avons
choisi pour compoſer à l'avenir exclufivement à tout
autre ledit Ouvrage , fous le titre de MERCURE DE
FRANCE , & nous lui en avons à cet effet accordé nôtre
Brevet le 17. Octobre dernier , pour l'execution du.
quel ledit fieur de la Roque nous a fait fupplier de
lui accorder nos Lettres de Privilege fur ce neceffai.
res :A CES CAUSES , conformément audit Brevet , Nous
lui avons permis & permettons par ces Prefentes de
compofer & donner au Public à l'avenir tous les mois ,
à lui feul exclufivement , ledit Mercure de France, qu'il
pourra faire imprimer en tel volume , forme , marge ,
caractere , conjointement , ou ſeparement , & autant
de fois que bon lui femblera , chaque mois , & de le
faire vendre & débiter par tout nôtre Royaume, & ce
pendant le temps de douze années confecutives , à
compter du jour de la datze des Prefentes ; à condi
tion neanmoins que chaque volume portera fon Approbation
expreffè de l'Examinateur , qui aura été com.
9
9
9
mis à cet effet. Faifons défenfes à toutes fortes de
perfonnes , de quelques qualitéz & conditions qu'elles
foient , d'en introduire d'inpreilions étrangeres dans
aucun lieu de nôtre obéi fance , comme auffi à tous
Libraires , Imprimeurs , Graveurs , & autres d'inprimer
, faireimprimer , graver , vendre , faire vendre,
débiter ni contrefaire ledit Livre, ou planches , en tout
ou en parce , ni d'en faire aucun Extrait , fous quel
que prétexte que ce foit , d'augmenta ion corrections
, changement de titre , ou autrement fans la
permiffion expreffe & par écrit de l'Expofant , ou de
ceux qui auront droit de lui ; le tout à peine de confifcation
des exemplaires contrefaits , de 6000. livres
d'amende , payables fans déport par chacun des contrevenans
, dont un ciers à Nous , un tiers à l'Hôtel-
Dieu de Paris , l'autre tiers à l'Expofant , ou à ceux
q i auront droit de lui , & de tous dépens ,
dommages
& interefts ; à la charge que ces Prefentes feront
enregistrées tout au long fur le Regiftre de la Communauté
des Libraires & Imprimeurs de Paris , & ce
dans trois mois de la datte d'icelles ; que l'impretion
de ce Livre fera faite dans notre Royaume , & non
ailleurs , en fin papier , & en beau caractere , conformément
aux Reglemens de la Librairie ; & qu'avant
de l'expofer en vente , le manufcrit ou imprimé qui
aura fervi de copie à l'impreflion dudit Livre fora
remis dans le même état où les Approbacions y au❤
ront été données , ès mains de nôtre très-cher &
Feal Chevalier , Garde des Sceaux de France , le
fieur FLEURIAU D'ARM NON VILLA, Commandeur de nos
ordres , & qu'il en fera enfuite remis deux Exemplai.
res de chacun dans nôtre Bibliotheque publique , un
dans celle de nôtre Château du Louvre , & un dans
celle de notredit très- cher & feal Chevalier , Garde
des Sceaux de France ; le tout à peine de nullité des
Prefentes , du contenu deſquelles Vous enjoignons de
faire jouir ledit Expofant , ou fes ayans caufe pleinement
& paifiblement , fans fouffrir qu'il leur foit fait
aucuns troubles & empêche nens , & à cet effet nous
avons revoqué & revoquons tous autres Privileges
qui pourroient avoir été donnez cy -devant à d'autres
qu'audit Expofant ; Voulons que la copie des Prefentes
qui fera imprimée tout au long au commence nent ou
à la fin dudit Livre foit tenue pour dúëment fignifiée ,
& qu'aux copies collationnées par l'un de nos Amez
& Feaux Confeillers. Secretaires, foy ſoit ajoûtée, &c.
A ij CA
CATALOGUE des Mercures de France,
depuis l'année 1721. jusqu'à present .
Uin et Juillet 1721 .
Août , Septembre , Cctobre, Novembre
2. vol.
et Decembre , 5. vol,
Janvier et Fevrier 1722 . 2. vol.
Mars 1723. 2. vol.
Avril , 1. vol.
May ,
Juin , Juillet & Août ,
2. vol.
Septembre ,
3. vol,
2. vol.
Octobre ,
Novembre ,
1. vol.
Decembre ,
2. vol.
Année 1723
Année 1724. les mois de Juin & de Decembre
doubles ,
Année 1725. les mois de Juin , Septembre
& Decembre doubles ,
le mois de Decembre double,
I. vol.
13. vol.
14. vol.
de
15. vol. 'Année 1726. les mois de Juin & de Decembre
doubles ,
14. vol.
Année 1727. les mois de Juin et de Decembre
doubles ,
Année 1728. les mois de Juin et de De-
14. vol.
cembre doubles ,
Année 1729. les mois de Juin , de Sep-
14. vol.
tembre et Decembre doubles , Is. vol. Année 1730. les mois de Juin et de Decembre
doubles , 14 vol.
Janvier 1731 .
1. vol,
137. vol.
LISTE DES LIBRAIRES
qui debitent le Mercure dans les
Provinces du Royaume , &c.
A Toulouſe , chez Enaut & Foreſt .
Bordeaux , chez Raymond Labottiere , chez
Etienne Labottiere , & chez Chapui , fils ,
au Palais , & à la Pofte.
Nantes , chez Julien Maillard , & chez du
Verger.
Rennes , chez Jofeph ' Vattar , Julien Vatar ,
Guillaume Vatar , Jouanet Vatar & la veuve
Garnier.
Blois , chez Mafſſon .
Tours , chez Gripon , & chez Maffon.
Rouen , chez Herault.
Châlons-fur - Marne , chez Seneuze
Amiens , chez la veuve François , Godard &
Redé le fils.
Arras , chez C. Duchamp.
Orleans , chez Rouzeaux.
Angers , chez Fourreau & à la Pofte.
Chartres , chez Fetil , & chez J. Roux .
Dijon , chez la veuve Armil , & à la Pofte.
Verſailles , chez Pigeon .
Befançon , chez Charmet & à la Pofte.
Saint Germain , chez Doré.
Lyon , à la Pofte.
Reims , chez Godard.
A Vitry- le-François , chez Vitalis.
Beauvais , chez De Saint.
Douay , chez Willerval.
Charleville , chez P. Thefin.
A iij
888 į į į į į į į į į ! ! ! ! &
AVERTISSEMENT.
Voici le cent trente- septième Volume du
Mercure de France , que nous avons
l'honneur de présenter au Public , depuis le
mois de fuin 1721. que nous y travaillons ,
sans que ce Livre ait souffert aucune interruption
, ayant toujours paru régulierement
au tems marqué , et quelquefois même avec
des Supplémens , selon l'exigence des cas ,
de quoi nos Lecteurs ne se sont pas plaint.
Nous
redoublerons nos soins et notre application
,» pour que la lecture du Mercure soit
desarmais encore plus utile et plus amusante.
Nous sommes cependant bien éloignez du
nombre des Mercures de la composition defen
M. de Visé , qui jusques et compris le mois de
May 1710. tems de sa mort , en avoit fait
paroître 483. Volumes , lesquels sont aujour→
d'hui fort recherchez pour quantité de faits
historiques qu'on ne trouve que dans cet Ouvrage
, et dont il n'y a peut être pas de collection
parfaitement complette , si ce n'est
celle qui est à la Bibliotheque du Roi,
il ne manque pas un seul Volume de toute
la suite des Mercures depuis les premiers
que M.de Visé fit paroître jusqu'aujourd'hui.
ой
En remerciant nos Lecteurs du cas qu'ils
daignent faire de ce Livre , nous leur demandons
AVERTISSEMENT
.
mandons toujours quelque indulgence pour
les endroits qui paroîtront négligez et dont
la diction n'est pas assez ehatiée . Le Lecteur
judicieux fera , s'il lui plaît , reflexion
que dans un Ouvrage tel que celui - cy , il est
trés aisé de manquer , même dans les choses
les plus communes , dont chacune en parti
culier est facile , mais qui ramassées , font
une multiplicité si grande , qu'il est bien
malaisé de donner à toutes la même attention
, quelque soin qu'on y apporte ; sur tout
quand une collection est faite en aussi
de tems. Une chose qui paroît un peu
juste , c'est qu'on nous reproche assez souvent
des inattentions , et qu'on ne nous sçache aucun
gré des corrections sans nombre qu'on
fait et des fautes qu'on évite .
pen
in-
Nous faisons de la part du Public de
nouvelles instances aux Libraires qui en- .
voyent des Livres pour les annoncer dans
le Mercure , d'en marquer le prix au juste ;
cela sert beaucoup dans les Provinces aux
personnes qui se déterminent là-dessus à les
acheter, et qui ne sont pas sûrs de l'exactitude
des Messagers et des autres personnes
qu'elles chargent de leurs commissions , qui
souvent les font surpayer,
On invite ici les Marchands et les Onvriers
qui ont quelques nouvelles Modes ,
soitpar des Etoffes nouvelles , Habits Ajustemens
, Perruques , Coëffures , Ornemens de
A iiij tête
AVERTISSEMENT.
que gête et autres parures , ainsi de meubles,
Carosses , Chaises et autres choses , soit pour
P'utilité , soit pour l'agrément , d'en donner
quelques Memoires pour en avertir le Public
, ce qui pourrafaire plaisir à divers Particuliers,
et procurer un débit avantageux
aux Marchans et aux Ouvriers.
Plusieurs Pieces en Prose et en Vers ,
envoyées pour le Mercure , sont souvent si
mal écrites qu'on ne peut les déchifrer , et
elles sont pour cela rejettées ; d'autres sont
bonnes à quelques égards , et défectueuses en
d'autres ; lorsquelles peuvent en valoir la peine
, nous les retouchons avec soin ; mais comme
nous ne prenons ce parti qu'avec peine ,
nous prions les Auteurs de ne le pas trouver
mauvais , et de travailler leurs Ouvrages
avec le plus d'attention qu'il leur sera possible.
Si on sçavoit leur addresse , on leur
indiqueroit les défectuositez et les corrections
à faire.
Les Sçavans et les Curieux sont priez de
vouloir concourir avec nous pour rendre ce
Livre encore plus utile et plus agréable , en
nous communiquant les Memoires et les Pieces
en Prose et en Vers , qui peuvent instruire
et amuser. Aucun point de Litterature
n'est exclus de ce Recueil , où l'on tâche de
mettre une agréable varieté , Poësies , Elaquence
, nouvelles Découvertes dans les Arts
et dans les Sciences , Morale , Antiquités ,
HisAVERTISSEMENT.
Histoire sacrée et profane , Historiette , Mythologie
, Physique et Métaphysique , Pieces
de Théatre, Jurisprudence, Anatomie et Médecine
, Critique, Mathématique, Mémoires,
Projets , Traductions , Grammaire , Pieces
amusantes et récréatives , etc. Quand les
morceaux d'une certaine considération seront
trop longs , on les placera dans un Volume
extraordinaire , on fera ensorte qu'on puisse
les en détacherfacilement , pour la satisfaction
des Auteurs et des personnes qui ne
veulent avoir que certaines Pieces.
Quelques morceaux de Prose et de Vers
rejeitez par bonnes raisons , ont souvent donné
lieu à des plaintes de la part des per
sonnes interessées ; mais nous les prions de
considerer que c'est toujours malgré nous que
certaines Pieces sont rebutées ; nous ne nous
en rapportons pas toujours à notre seul ju
gement dans le choix que nous faisons de
eelles qui méritent l'impression.
Quoiqu'on ait toujours la précaution de
faire mettre un Avis à la tête de chaque
Mercure ,pour avertir qu'on ne recevra point
de Lettres ni Paquets par la Postel dont le
port ne soit affranchi , il en vient cependant
quelquefois qu'on est obligé de rebuter. Ceux
qui n'auront pas pris cette précaution ne doi
vent pas être surpris de ne pas voir paroî
tre les Pieces qu'ils ont envoyées .
Les personnes qui désirent avoir le Mer
A v Curc
AVERTISSEMENT.
cure des premiers , soit dans les Provinces on
dans les Pais Etrangers , n'auront qu'à s'addresser
à M. Moreau , Commis au Mercure,
vis-à- vis la Comedie Françoise , à Paris ,
qui le leur envoyera par la voye la plus convenable
, et avant qu'il soit en vente ici. Les
amis à qui on s'adresse pour cela ne sont
ordinairement fort exacts ; ils n'envoyent
gueres acheter ce Livre précisément dans le
tems qu'il paroît; ils ne manquent pas de lo
Lire , souvent ils le prêtent à d'autres , et ne
l'envoyent que fort tard , sous le prétexte specieux
que le Mercure n'a pas paru plutôt.
pas
Nous renouvellons la priere que nous avons
déja faite , quand on envoye des Pieces , soit
en Vers , soit en Prose , de les faire transcrire
lisiblement sur des papiers séparez , et
d'unegrandeur raisonnable avec des marges,
et que les noms propres , sur tout , soient exactement
écrits.
Nous aurons toujours les mêmes égards
pour les Auteurs qui ne veulent pas se faire
connoître ; mais il seroit bon qu'ils donnassènt
une adresse , sur tout quand il s'agit de
quelque Ouvrage qui peut demander des
éclaircissemens ; car souvent faute d'un tel secours
, des Pieces nous demeurent entre les:
mains , sans pouvoir les faire paroître.
Nous prions ceux qui par le moyen de leurs
correspondances reçoivent des nouvelles d'Affrique
du Levant , de Perse , de Tartarie
dia
G
AVERTISSEMENT.
les
du Japon , de la Chine , des Indes Orientales
et Occidentales et d'autres Pays et Contrées
éloignées , de vouloir nous en faire part
à l'adresse generale du Mercure. Ces nouvelles
peuvent rouler sur les guerres présentes
des Etats voisins , leurs Révolutions ,
Traite de Paix ou de Tréve , les оссира-
tions des Souverains , la Religion des Peuples
,leurs Ceremonies , Coûtumes et Usages,
les Phénomenes et les productions de la Nature
et de l'Art , etc. comme Pierres figurées ,
Marcassites rares , Pétrifications et Christalisations
extraordinaires , Coquillages , etc.
Nous serons plus attentifs que jamais à
apprendre au Public la mort des Sçavans et
de ceux qui se sont distinguez dans les Arts
et dans la Mécanique ; on y joindra le récit
de leurs principales occupations , et des plus
considérables actions de leur vie. L'Histoire
des Lettres et des Arts doit cette marque de
reconnoissance à la mémoire de ceux qui s'y
sont rendus celebres , ou qui les ont cultiveZ
avec soin. Nous esperons que les parens et
les amis de ces illustres Morts aideront volontiers
à leur rendre ce devoir par les instructions
qu'ils voudront bien nous fournir.
Ce que nous venons de dire , regarde nonseulement
Paris , mais encore toutes les Provinces
du Royaume , qui peuvent fournir des
Evenemens considerables Morts , Mariages
, Actes solemnels , Fêtes et autres
A vj Faits
3
AVERTISSEMENT.
Faits dignes d'êtres transmis à la posterité.
Nous prions les personnes qui nous font
l'honneur de nous écrire pour demander des
nouvelles ou des éclaircissemens sur quelque
chose que ce soit , qui se trouve imprimé
dans ce Livre , et à laquelle ils prennent interêt
; nous prions , disje , ces personnes de
vouloir bien citer l'année , le mois , la page
même du Mercure dans lequel ils ont lû ce
qui fait le sujet de leur demande , pour nous
mettre en état de leur donner une plus prompte
satisfaction ; car il est impossible que nous
ayons assez présents toutes les matieres et
tous les arcicles contenus dans un´si grand
nombre de Volumes , pour sçavoir à point
nommé où trouver la chose dont il s'agit.
le tems nous étant d'ailleurs assez précieux.
Cet Avis servira de réponse à la Lettre
qu'on nous a écrite de Villeneuve d'Agenois
le 29. Novembre 1730 .
Il nous reste à marquer notre reconnoissance
et à remercier au nom du Public plusieurs
Sçavans du premier ordre , et quantité
d'autres personnes d'un mérite distingué,
dont les productions enrichissent le Mercure,
et le font lire et rechercher.
島の99
MERMERCURE
DE FRANCE ,
DEDIE AU ROT.
JANVIER.
173 L.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Prose.
LE ROMAN COMIQUE,
CHAPITRE SECOND.
.
POEM E.
Quel homme étoit le Sieur de la Rapiniere:
ADIO Yant donc pris quelque repos ,
A Je vais vous dire en peu
de mots
Que le sieur de la Rapiniere ,
Etoit le Rieur ordinaire
De la bonne Ville du Mans ;
L'on trouve partout de ces gens ,
C'ef
2 MERCURE DE FRANCE.
1
C'est une race trés- fertile ,
Il n'est point de petite Ville ,
Qui n'ait son Rieur importun
Et Paris n'en a pas pour un ;
Souvent le nombre en est extrême`,
Dans chaque quartier , & moi-même ,
Si j'avois voulu , l'on sçait bien ,
Que je le serois dans le mien ,
Mais depuis trop long-tems je gronde ,
Contre les vanitez du monde ,
Et c'eft un fort vilain métier
2
D'être le Rieur d'un quartier.
Revenons à la Rapiniere ,
Qui pour mieux entrer en matiere ,
Reprit la conversation ,
Que les coups et l'émotion ,
Avoient d'abord interrompuë ,
Dans le beau milieu de la ruë
Et s'adressant au sieur Destin ,?
'
" Qui décrotoit son Brodequin ,
Lui conta mainte baliverne ,
Et demanda si la Caverne ,´
Monsieur de la Rancune et lui ,
Dont il vouloit être l'appui ,
Pouvoient composer une Troupe ,
Et s'ils avoient le vent en poupe ;
Notre Troupe , répondit- il ,
En fronçant un peu le sourcil ,
Vaut
JANVIER. 1731.
Vaut bien , sans outrer la louange
Et celle du Prince d'Orange,
Et celle du Duc d'Epernon .
Nous ne manquons pas
de renom
*
Nous déclamons tous avec grace ;
Mais , hélas ! par une disgrace
Qui nous est arrivée à Tours
Je m'en ressouviendrai toujours ,
Car la récolte étoit fertile ,
Dans cette grande et belle,Ville ,
Ou notre étourdi de Portier ,
A mis à mort un Fuzelier ,
De l'Intendant de la Province ,
Sçachant l'Ordonnance du Prince
Chacun s'est enfui tout ému
2
Le pied droit chaussé , l'autre nu ,
Dans un assez triste équipage ,
Comme vous voyez , j'en enrage ;
Les Fuzeliers de l'Intendant ,
A la Fleche en on fait autant ,,
Dit le sieur de la Rapiniere ,
Ventrebleu , dit la Tripotiere ,,
Ces gens me causent des transports .
Que le diable soit dans leurs corps ,
Qu'après mainte et mainte nazarde
Le feu S. Antoine les arde.
Ils méritent ce châtiment ;
Quel terrible dérangement }
97
Au
1
4
MERCURE DE FRANCE.
Aujourd'hui par leur perfidie,
Nous n'aurons point la Comedie ;
Ah ! tout cela ne seroit rien ,
Répond le vieux Comédien ,
Ma peine seroit moins fatale ,
Si j'avois la clef d'une Male,
Où sont la plupart des habits ;
Je serais vraiment bien d'avis ,
De ne pas rester inutile ,
Pour plaire à Messieurs de la Ville ,
Trois ou quatre jours sans faço n ,
Avant de gagner Alençon ,
Où notre Troupe doit se rendre.
Comme on ne devoit pas s'attendre
A cette réponse , aussi - tôt ,
Le sieur Lieutenant de Prévôt ,
Offrit
gayement à la Caverne ,
Robbe qui n'étoit pas moderne ,
Puisque sa femme et ses enfans ,
S'en servoient depuis quatorze ans ;
De son côté la Tripotiere ,
Qui cherchoit à se satisfaire ,
Dit que chez elle on avoit mis ,
gage deux ou trois habits ,
Fort propres pour la Mascarade ,
Que Destin et son Camarade ,
Pouvoient aisément s'en saisir,
Que cela lui feroit plaisir ;
En
Mais
JANVIER.
1731.
Mais quelqu'un de la Compagnie',
Ajoûta que la Comedie ,
Seroit tout d'un coup
aux abois ,
N'étant pour cet effet que
trois ;
Oh oh ! s'écria la Rancune ,
L'avanture est assez commune
Sur les leçons de mon Ayeul ,
Je joue une Piece moi seul ,
Je puis faire sans grande peine ,'
En même-temps le Roi , la Reine ,
Aussi-bien que l'Ambassadeur ;
Je sçai tous les Rôies par coeur
Par exemple dans une Scene ,
Qui doit commencer par la Reine ,
Je garde un moment le tacet ,
Après quoi je parle en faucet ;
Pour l'Ambassadeur je nazonne ,
En me tournant vers ma Couroe ,
Que je mets sur un Tabouret ;
Cependant admirez ce trait :
Pour le Roi , sans aucun cortege ,
Je prens ma Couronne et mon Siege ,
Et grossissant un peu ma voix ,
Je
MERCURE DE FRANCE.
Je parle avec beaucoup de poids ,
Mais qu'ainsi ne soit pour vous plaire ,
Nous voulons bien vous satisfaire
Par un plat de notre métier ;
Messieurs contentez le Chartier ,
Avant qu'il aille à l'Ecurie ,
Et payez notre Hôtellerie J
*
Fournissez à chacun l'habit ,
Et nous joueront avant la nuit ;
Sur ma parole on m'en doit croire ,
Ou bien ma foi nous allons boire ,
Chacun quatre coups seulement ,
Puis reposer tranquilement ;
Car nous n'avons point de l'année
Fait une si grande journée.
Un tel parti si bien conçu ,
Unanimement fut reçû ,
Et le diable de Rapiniere ,
Malicieux à l'ordinaire ,
Dit que sans chercher au taudis ,
Il falloit prendre les habits ,
De deux jeunes gens de la Ville ,
Que la chose étoit fort facile ,
Parce
JANVIER. 1731 .
>
Farce que ces deux jeunes gens ,
Dans le Tripot joüeroient long-temps;
Que la Caverne pourroit faire ,
Avec son habit ordinaire ,
Tel personnage qu'on voudroit ,
Que partout elle passeroit ,
Soit dans une Piece tragique ,
Soit dans une Piece comique ;
Aussi-tôt dit , aussi-tôt fait
Les Comédiens en effet ,
Vuiderent bien vîte une pinte ,
La mesure parut succinte ,
Et s'emparant desdits habits ,
Ils furent bien- tôt travestis ;
L'Assemblée étant fort grossie ,
Par la meilleure Bourgeoisie ,
Prit place dans un Galetas ,
Dont le plancher étoit très-bas ;
On leva d'abord un drap sale ,
D'une maniere originale ,
Et l'on vit sur un matelas ,
Le Destin qui paroissoit las ,
Le Corbillon de quelque Nonne ,
Lui servoit alors de Couronne ,
Il n'avoit pas de quoi choisir ,
Donc il faloit bien s'en servir ;
Se frotant les yeux et l'oreille ,
Comme un homme qui se réveille ,
's MERCURE DE FRANCE.
Il fit un peu le rencheri ,
Et sur un ton de Mondori ,
Parce qu'il étoit à la mode ,
Récita le Rôle d'Herode ,
Qui commence par ces cinq mots ,
Ombre qui troubles mon repos.
Il déclama d'un grand courage ;
Et l'emplâtre de son visage ,
N'empêcha pas qu'on ne vît bien ,
Qu'il étoit bon Comedien ;
La Caverne fit à merveille ,
L'on n'avoit point vû sa pareille ,
Et tout le monde l'approuva ,
Dans les Rôles qu'elle joua ,
De Mariane et de Salome ;
La Rancune n'étoit pas homme ,
A ne point plaire au Spectateur ,
Aussi parut-il bon Acteur ,
En montrant beaucoup de noblesse ,
Dans plusieurs Rôles de la Piece ,
On alloit tirer le Rideau
Ce n'étoit pas la le moins beau ,
Quand le diable , qui rien n'oublie ,
Fit finir cette Tragedie ,
Non-pas par la cruelle mort ,
De Mariane qu'on plaint fort
Ni par les desespoirs d'Hérode ;
Mais si le sieur Scaron ne brode ,
Y
Ce
JANVIER.
1731 .
Ce fut par mille coups complets ,
Du poing , des pieds , sans les soufflets
Par des juremens effroyables ,
Que n'auroient pas fait tous les diables
Dans une telle occasion ,
Et par une information ,
Que fit le sieur la Rapiniere ,
Fort expert en cette matiere ,
Et plus sçavant que .... mais ,
hola !
Notre Chapitre finit là.
Par M. le Tellier d'Orvilliers , Lieutenant
General d'Epée à Vernon.
La suite pour les Mercures suivans.
HUITIEME Lètre sur la bibliotèque
des enfans , etc.
MONSIEUR ,
La plupart des lecteurs ne cherchant
qu'à s'amuser , parcourent un Mercure
sans beaucoup d'atention , au hazard de
ne pas entendre ce qu'ils lisent . Le mal
ne seroit pas grand s'ils s'en tenoìent-là ;
mais ils veulent ensuite parler , raisoner
et mème juger de ce qu'ils avouent
n'avoir
* MERCURE DE FRANCE.
n'avoir pas bien compris : leur défaut,
d'aplication leur fait souvent acuser d'obscurité
et de négligence l'auteur le plus
clair et le plus laborieus ; car la critique
verbale bien ou mal fondée , sera
toujours plus aisée à pratiquer , que la
composition de quelque ouvrage ; il est
dificile de parer le coup. cependant en
faveur des persones bien intentionées qui
n'ont pas le tems de lire tout , et des
persones indulgentes qui voudront bien
me pardoner des repetitions necessaires
sur l'importante matiere de la premiere
éducation des enfans , je vaì récapituler
ici le plus succintement qu'il me sera
possible , ce qui dans les précedentes lètres
a été dit , pour faire voir 1 ° . que
les enfans de deus à trois ans sont capables
des prémières operations litéraìres ; 2 ° .
que les métodes vulgaires ne sont ni sufisantes
, ni proportionées à l'age et à la
foiblesse de la prémière enfance ; 3 ° . que
la métode du bureau tipografique a les
conditions convenables et proportionées
à tout age d'enfant ou d'home mis aus
premiers élémens des lètres .
L'ordre métodique et géométrique n'est
par malheur guere utile que pour le petit
nombre de lecteurs capables de saisir , de
retenir la suite , la liaison et l'enchainement
des idées ; de voir et d'envisager
en
JANVIER. 1731. IF
en mème- tems les principes et les consequences
; mais le comun des lecteurs
à l'exemple des enfans , conte et détache,
pour ainsi- dire , les mots et les idées
sans faire atention aus principes , aus raports
et aus conséquences qu'on en peut
tirer. Les répetitions serviront donc ici
quelquefois à éclaircir les choses , et mème
à rendre souvent plus atentif un lecteur
distrait. que je dise , par exemple ,
à un lecteur vulgaire qu'il y a quatre
triangles dans un quaré divisé par ses deust
diagonales , il m'entendra d'abord ; si je
dis qu'il y en a sis , il comencera à ne
plus voir ; et si j'ajoute qu'il y en a huit ,
il n'en vera peut ètre pas plus clair : mais
si je continue à répeter qu'il y a huit
triangles dans ce quaré , le lecteur obligé
par cète répetition de revenir sur ses pas ,
et d'y penser avec plus de soin , parviendra
enfin sans éfort de génie , à la petite
découverte des huit triangles de ce quaré,
savoir , des quatre grans come des quatre
petits : j'espere que sans beaucoup de sagacité
, on fera à peu près la mème chose
sur le détail des avantages de la métode
du bureau tipografique.
Ceus qui dans l'éducation ne content
presque pour rien la diference de deus
ou trois ans entre des enfans comencés -
plutot ou plus tard , voudront bien me
permètre
12 MERCURE DE FRANCE.
permètre ici une comparaison : je suposo
donc deus enfans comencés l'un de bone
heure par la métode du bureau tipografique
, et l'autre plus tard par la métode
vulgaire , et je dis que , si le premier maitre
a bien semé et bien recueilli la
premiere
anée , il poura semer et recueillir
encore plus la segonde anée , et encore
plus la troisième anée. or , par quel moyen
le segond maitre semant plus tard et recueillant
peut-ètre moins , poura-t'il jamais
ratraper la progression des avantages
réels du bureau tipografique ? Dirat'on
que
la terre négligée , inculte et en
friche , sera ensuite plus fertile ? il faudra
examiner si cète fécondité sera en
bon ou en mauvais grain ; car il y a bien
des chams dont on ne peut jamais extirper
totalement les mauvaises herbes.
Autre comparaison ; un courier , fut- il
des plus robustes , qui part plus tard , qui
prend la plus longue route et qui va plus
lentement , poura- t'il jamais ateindre un
autre courier parti plutot , qui a pris le
chemin le plus court et qui va plus vite ?
il s'agit donc de savoir si la métode du
bureau tipografique a tant d'avantages sur
la métode vulgaire , et c'est ce que je
vai démontrer au lecteur atentif et nulement
prévenu,
1.L'experience m'aïant fait voir depuis
lontems
JANVIER. 1731. 13
,
lontems l'imperfection des métodes vulgaires
qui faute de pouvoir faire
mieus , regardent come perdu le tems .
de la premiere enfance , j'ai cherché
les moyens d'employer utilement les premieres
anées de l'enfant , et j'ai trouvé
qu'on pouvoit sans danger pour le corps,
lui montrer la figure des lètres , et ranger
ces lètres devant lui sur la table du
bureau , mème avant qu'il sut articuler
la moindre silabe , il voudra bientot ,
come les singes , faire la mème chose par
un mouvement organique et machinal ,
sur tout si l'on a la précaution de le presenter
souvent devant le bureau tipografique
, et de lui doner à manger et à
jouer sur cète mème table faite exprès pour
lui , et c'est là un des premiers avantages
du bureau tipografique sur la métode vulgaire
, qui afecte de mépriser cetè diligence
, et se flate de pouvoir ensuite également
enseigner tout , quoique plus tard
et avec plus de tems ou plus de vie.
Dès que l'enfant articulera des sons et
qu'il fera bien l'Eco , on poura lui apren
dre come à un peroquet la veritable
dénomination des lètres , et cète dénomination
metra peu à peu les enfans en état
de lire à trois et à quatre ans , bien mieus
que ne lisent ordinairement les enfans
de sis à sèt ans , par la métode vulg ire.
B LC
14 MERCURE DE FRANCE.
Le premier aïant d'abord été mis dans
l'agréable , la bone et la nouvele route ,
-va toujours gaìment son chemin ; au lieu
que les autres mis dans la triste , l'anciene
et souvent la mauvaise voie , ont
peine à revenir sur leurs pas , et ne sacrifient
pas volontiers leurs amusemens
agréables , quoique frivoles , aus ocupations
literaires qu'ils trouvent pénibles
dans un age plus avancé. Les peres et les
meres sont toujours contens des petits.
enfans qu'ils gâtent , mais ils trouvent
mauvais ensuite qu'un gouverneur ou un
précepteur n'ait pas le talent d'en faire
un prodige : il y a bien du préjugé et de
l'aveuglement sur cet article.
3. Selon la métode du bureau tipografique
un enfant , avant que de savoir lire,
poura imprimer toutes sortes de langues
mortes ou vivantes , il ne faut avoir pour
cela que des ïeus et des mains , car il est
bien plus aisé d'imprimer , par exemple ,
du latin et du françois , qu'il n'est aisé
de les lire. La grande ignorance de la
plupart des compositeurs d'une imprimerie
ne le prouve que trop ; d'ailleurs il
est clair qu'un sourd voyant , pouroit
ètre imprimeur , mème chès M. Ballard
pour la musique.
4. Un enfant de trois à quatre ans
qui conoit par les feus la figure des
lètres,
JANVIER. 1730. IS
>
lètres , et ensuite par l'oreille , le son des
caracteres simples ou combinés , saura
bientot écrire ou imprimer les sons qu'on
lui donera sur des cartes , et ceus qu'on
lui dictera il poura s'ocuper pour lors
avec autant de plaisir que les autres enfans
ont ordinairement de dégout par
les métodes vulgaires . Le premier nouri
dans les lètres , en fait ses amusemens
pendant que les autres , au contraire n'y
trouvent que des crois et des épines . si
les persones zelées et charitables , qui
dirigent les écoles des pauvres , conoissolent
donc le mérite et l'utilité de la métode
tipografique , elles en introduiroìent
bientot l'usage dans les paroisses et dans
les Monasteres , en fesant bâtir ou construire
des amfiteatres où les petits enfans
aprendro ent pour lors presque seuls et
d'eus mèmes , en voyant travailler les
que les grans. J'oserai donc dire
parens
et les maitres bien intentionés , aprouveront
et pratiqueront l'usage du bureau,
dès qu'ils en auront vu les avantages réels,
pratiques , et superieurs à ceus des métodes
vulgaires.
5. Selon cète métode , l'enfant aprendra
facilement et par des principes surs
non captieus ni équivoques , l'ortografe
des sons ou de l'oreille ; ce que la plupart
des maitres ignorent toute leur vie .
Bij L'enj
16 MERCURE DE FRANCE.
L'enfant aprendra par pratique et par téorie
l'ortografe courante et d'usage , anciene
et nouvelle, d'une maniere à bien lire
dans toute sorte de livres , et à se rendre
ensuite capable de faire un bon chois
d'ortografe françoise.
6. L'enfant saura lire dans le manuscrit
en mème- tems que dans les livres ,
et cela par la pratique journalière d'avoir
imprimé des tèmes interlinéaires sur la
table du bureau , non - seulement avec
des caractères romains , mais encore avec
des caracteres italiques et manuscrits.
7. Le petit enfant poura savoir bien
lire le françois , le latin et le grec avant
l'age auquel , selon la métode vulgaire , la
plupart des enfans ne sont pas encore mis
à l'A BC ; avantage inexprimable , qui influe
, non- seulement dans toute la suite
des études , mais dans toute la vie.
8.Les A BC ordinaires , faus ,équivoques
et captieus,induisent les enfans en êreur et
les exposent souvent à des chatimens injustes;
desorte que, sans diminuer en rien le
mérite et la juste réputation des bons
maitres , on peut dire que la métode vulgaire
dans toute l'Europe n'a pas les raports
necessaires entre les lètres et les
sons , ou entre les signes et les sons des
choses signifiées ; au lieu que la métode
du bureau tipografique n'étant fondée que
sur
JANVIER. 1731. 17
sur la verité et sur la justesse de ces mè
mes raports remarqués il y a plus d'un
siecle, par de très - habiles maitres , cète
métode , dis je , atache agréablement au
jeu tipografique le mème enfant qui venoit
de pleurer à la seule vue de la persone
qui lui montroit les lètres selon la
métode des écoles.on ne doit pas craindre,
au reste , que l'enfant ignore dans la suite
la fausse et vulgaire dénomination des
lètres ; il ne l'aprendra que trop tot , en
vironé de persones souvent oficieuses à
contre-tems , quand il s'agit de bien nomer
les lètres.
9. La lecture est d'abord mise à profit
sur la table du bureau : on y aprend à
conoìtre et à sentir les parties du discours
indéclinables , déclinables et conjugables
de la langue françoise et de la langue la
tine , laquelle conoissance dispose les enfans
à employer plutot leur loisir et
d'une maniere plus aisée , plus utile ,
plus sure et plus agréable. Bien des
maitres indépendament de l'usage du
bureau tipografique , ont abandoné la
métode vulgaire des rudimens téoriques,
pour suivre celle du rudiment pratique
dont j'ai doné l'essaì aprouvé des meilleurs
métodistes , filosofes non prévenust
10. Fesant imprimer à l'enfant les deus
langues en glose interlinéaire et mot à
B iij mot
18 MERCURE DE FRANCE.
mot , on dispose et prépare plu - tot son
imagination aus grandes operations literaires
et grammaticales que la métode
vulgaire n'entreprend pas ordinairement
d'enseigner à des enfans de deus à trois.
et à quatre ans.
11. L'enfant aprend par pratique les
terminaisons des noms et des verbes , et
enfin à décliner et à conjuguer ; il aprend
les genres , les déclinaisons , les prêterits
et les supins , les concordances , et partie
de la sintaxe , par les principales règles
donées sur des cartes en glose interlinealre
, et par les exemples pratiques donés
aussi sur des cartes , et expliqués peu à
peu et de vive vois , à mesure qu'il les
imprime sur sa table.
12. On écrit ce qu'on veut dans les
tèmes donés sur des cartes : chaque jour
fournit son sujet , et l'on met à profit
le chois des programes , des afiches , des
placars , des tèses , des avis , des anonces,
des enseignes , et enfin de tous les écritaus
publics ; la table du bureau devient un livre
ouvert à tous les spectateurs ; livre
cheri de l'enfant qui en est le composi
teur , et livre qui n'est jamais nuisible à
sa posture come le sont ordinairement
les petits livres élementaires .
13. Par le moyen du dictionaire du bu--
reau tipografique , l'enfant fera provision
de
JANVIER. 1731 . 19
de plusieurs miliers de mots latins et françois
avant l'age de cinq à sis ans ; avan
tage qui doit nécessairement influer sur
toute la suite des études , et qu'on n'aquiert
que
fort tard par la routine vulgaire.
14. L'enfant aprendra , non -seulement
Portografe de l'oreille et des ïeus par ra
port aus lètres , mais encore l'accentuation
, la ponctuation , les petites abrevia
rions françoises , latines et greques , et
la quantité latine , par la pratique jour
nalière du bureau , où il trouvera les signes
, les voyèles longues et brèves
come caracteres utiles et necessaires pour
Fimpression de la glose interlinéaire ; ce
que la métode vulgaire ne peut faire pratiquer
à l'enfant que lorsqu'il sait écrire,
c'est-à-dire fort tard.
15. L'enfant qui imprimera du latin
avec de beaus caracteres manuscrits , disposera
et préparera son imagination pour
mieus faire imiter ensuite à sa main , les
traits , les figures et les lètres , dont la
parfaite image sera vivement , distinc
tement et profondément gravée dans son
cerveau.
16. Par l'impression des tèmes donés à
l'enfant , il poura aprendre de bone heu
re les élémens de tout ce qu'on pourolt
lui montrer par le moyen de l'écriture ;
B iiij
c'est18
MERCURE DE FRANCE.
mot , on dispose et prépare plu-tot son
imagination aus grandes operations literaires
et grammaticales que la métode
vulgaire n'entreprend pas ordinairement
d'enseigner à des enfans de deus à trois.
et à quatre ans.
11. L'enfant aprend par pratique les
terminaisons des noms et des verbes , et
enfin à décliner et à conjuguer ; il aprend
les genres , les déclinaisons , les prêterits
et les supins , les concordances , et partie
de la sintaxe , par les principales règles
donées sur des cartes en glose interlinéal
re , et par les exemples pratiques donés
aussi sur des cartes , et expliqués peu
peu et de vive vois , à mesure qu'il les
imprime sur sa table.
à
12. On écrit ce qu'on veut dans les
tèmes donés sur des cartes : chaque jour
fournit son sujet , et l'on met à profit
le chois des programes , des afiches , des
placars , des tèses , des avis , des anonces,
des enseignes, et enfin de tous les écritaus
publics ; la table du bureau devient un livre
ouvert à tous les spectateurs ; livre
cheri de l'enfant qui en est le compositeur
, et livre qui n'est jamais nuisible à
sa posture come le sont ordinairement
les petits livres élementaires .
13. Par le moyen du dictionaire du bureau
tipografique , l'enfant fera provision
de
JANVIER. 1731 . 19
de plusieurs miliers de mots latins et françois
avant l'age de cinq à sis ans ; avan➡
tage qui doit nécessairement influer sur
toute la suite des études , et qu'on n'a→
quiert que fort tard par la routine vulgaire.
14. L'enfant aprendra , non-seulement
Portografe de l'oreille et des feus par raport
aus lètres , mais encore l'accentuation
, la ponctuation , les petites abreviations
françoises , latines et greques , et
la quantité latine , par la pratique jour
nalière du bureau , où il trouvera les signes
, les voyèles longues et brèves
come caracteres utiles et necessaires pour
Fimpression de la glose interlinéaire ; ce
que la métode vulgaire ne peut faire pratiquer
à l'enfant que lorsqu'il sait écrire,
c'est-à-dire fort tard.
15. L'enfant qui imprimera du latin
avec de beaus caracteres manuscrits , disposera
et préparera son imagination pour
mieus faire imiter ensuite à sa main , les
traits , les figures et les lètres , dont la
parfaite image sera vivement , distinc
tement et profondément gravée dans son
cerveau.
16. Par l'impression des tèmes donés à
l'enfant , il poura aprendre de bone heu
re les élémens de tout ce qu'on pourolt
lui montrer par le moyen de l'écriture ;
Biiij c'est20
MERCURE DE FRANCE
c'est-à- dire , qu'on poura lui enseigner
tous les principes sensibles , et lui doner
par là les premieres notions des arts et
des siences. Il a été déja démontré que
les enfans de deus à trois ans sont capables
de ces premières notions , par le
moyens des idées et des mèmes opérations
dont il se servent pour aprendre
leur langue ; verité à laquelle les seuls
préjugés empêchent de faire toute l'atention
necessaire. L'experience et l'aveu
des maîtres qui en faveur du corps négligent
, éloignent , diferent et retardent
les premiers soins literaires , au préjudice
de l'esprit prouvent l'insufisance des
métodes vulgaires dans l'éducation diligente
et hâtée des enfans. or la métode
du Bureau tipografique alant toujours ,
pour ainsi dire , de niveau avec l'enfant ,
done les moyens surs et infaillibles de le
suivre pas à pas ,
et de comancer sans
danger , à lui former plutot l'esprit et le
coeur. on peut donc , sans temerité
avancer cète proposition , que les enfans
étant capables d'aprendre , plutot que la
métode vulgaire n'est propre à les enseigner
, on doit aprouver et préferer cele
du Bureau tipogràfique ; ce que je vai tacher
de confirmer encore par le détail
des choses sensibles , que l'on peut montrer
à un petit enfant , avant qu'il soit en
état
JANVIER. 1731 . 21
état d'y ètre conduit par les métodes
ordinaires.
17. Quoique l'erreur , le mensonge ,
l'imposture , la charlatanerie , la chicane
et l'injustice , abusent des mots et dés
expressions de la langue françoise , il
ne s'ensuit pas que dans un ouvrage la
verité , la justice , et la bone foi doivent
s'abstenir de ces mèmes mots et
de ces mèmes expressions ; le zèle pour
le bien public ne perd jamais ses droits ;
c'est pourquoi je demande un peu d'indulgence
, ou de tolerance de la part des
maitres trop prévenus , et qui mal à
propos s'identifiant , pour ainsi dire ,
avec les métodes vulgaires qu'ils pratiquent
, ont le courage de mètre sur leur
conte , ce que je n'ai jamais pretendų
dire que contre les métodes sur l'abus.
desqueles , il y a toujours eu liberté d'écrire
, malgré le respect et le préjugé en
faveur du DESPAUTERE du .......
De tout ce que j'aí , dit jusqu'ici on peut
conclure qu'il sera aisé d'enseigner à l'enfant
le latin , des mèmes mots qu'il aprendra
d'abord en françois , et pour cet éfet
on essayera de suivre peu à peu l'ordre et:
la métode qu'indiquera la langue mater
nele ou d'usage .
etc.
18. On donera à l'enfant , et sur des
cartes , les noms des persones et des ob
By Jets
22 MERCURE DE FRANCE
jets qu'il voit et qu'il conoìt ; cela servira
à le familiariser avec les raports des signes
et des choses signifiées.
19. Les figures de la Bible fournissent
la liste des noms propres des patriarches ,
des juges, des Rois , des pontifes , des grans
homes, etc. ces listes ou suites historiques,
généalogiques , cronologiques et géografiques,
devienent la base de l'histoire universéle
pour un enfant de 3 à 4 ans.
20. La Fable , les Métamorfoses d'ovide
, les Dieus , les Déesses , les demi - Dieus
les Heros du Paganisme fournissent aussi
dequoi varier agréablement l'exercice
tipografique .
21. L'histoire profane fournit également
des époques , des listes , des suites
qui amusent et instruisent l'enfant de 3
à 4 ans. Toutes les cartes étant numé
rotées , pouront ètre lues , et rangées selon
l'ordre cronologique sur la table du
Bureau.
22. On poura doner ainsi les souve-.
rains et les capitales de tous les Etats du
monde , et les capitales des provinces ou
des Gouvernemens de France ; et à l'ocasion
des mots , des choses ou des racines
historiques , on poura amuser et instruire
l'enfant , en essayant peu à peu de lui
doner de tems en tems des idées sensibles
sur le bien et le mal , sur le vice et
la:
JANVIER. 1731 . 23
fa vertu , sur le juste et l'injuste , et sur
Fe vrat et le faus.
23. On peut doner des cartes de bla
son , faire imprimer sur la table du Bureau
les termes héraldiques , et en montrer
tous les objets sensibles quand l'ocasion
s'en presentera.
24. On pratiquera facilement les premières
règles de l'aritmétique et de l'algèbre
sur la table du Bureau , aiant sur
des cartes les chifres et les signes nécessaires
pour ces petites opérations , et
pouvant d'ailleurs employer utilement
des jetons , des marques , et des dés ;
pour rendre les nombres plus sensibles.
25. On peut également doner la conoissance
des premiers élémens de géométrie
sur les lignes , les surfaces et les solides
des corps réguliers , avec lesquels
un enfant se familiarise , et se rend peu
à peu capable de toutes les parties sen
sibles des matématiques , sans en excepter
les sections coniques donées aussi en
relief.
26. La Musique mème trouvera son
avantage sur la table du Bureau. on pou .
ra montrer à l'enfant la game et le dia
pason , sur la tringle ou la règle de bois
mobile qui a servi à l'enfant pour le jeu
de la première classe. on y poura done
mètre les clés , les notes et les signes , que
B.vj L'en
24 MERCURE DE FRANCE
l'enfant aura également sur des cartes ;
qu'il poura ranger vis-à - vis de ces mèmes
signes marqués sur la tringle ou re
gle de bois , il se metra par là en état de
lire et de conoître le clavier d'une épinete
ou d'un clavecin , qui pouront lui
doner ensuite le son et le ton des figures
ou des notes conues, et colées sur les touches
d'un clavier.
,
27. Chaque art peut également ètre
rendu sensible à un petit enfant , si l'on
veut bien prendre la peine de lui démontrer
l'usage des choses , et de lui faire
imprimer le nom des outils , des objets
et des pièces des machines qu'on lui présentera
; c'est ainsi que l'anatomiste , le
botaniste et le machiniste, pouront amuser
et instruire de bone heure leurs petits
enfans ; l'ainé deviendra ensuite le maitre
de ses frères .. Des os , des plantes , des
Machines , des outils , des instrumens
des Balances , des poids , des mesures, des
Jétons , des Dés , des monoies , des médailes
, etc. Tout cela fournit l'abondance.,
la variété , le plaisir du chois, et done par
consequent les moyens de mètre bien à
profit les premieres anées de l'enfance ,.
par toute sorte de métodes , mais non
pas si - tot ni si-bien que par la métode
du Bureau tipografique.
28. On peut faire aprendre l'A , B , C.
Grec
JAVIER. 1731. 25
crec , Ebreu , Arabe , etc. avec l'A , B , C ,
François; faire imprimer du françois avec
les caracteres grecs , et avec les lètres
ébraïques , de droit à gauche , et montrer
ensuite la casse des imprimeurs, avec des
caracteres renversés , lus à rebours ; avantage
considérable pour les enfans des im
primeurs et des graveurs,ausquels on pou
ra doner un casseau , dont les cartes seront
distribuées come les lètres d'un casseau
d'imprimerie , et pour lors en peu de
mois on poura leur enseigner à imprimer
sur le Bureau les racines latines , gre--
ques , ébraïques , caldaïques , et arabes ;
de mème qu'aus enfans destinés à l'église
ou à l'étude des langues saintes et
orientales.
29. On poura faire imprimer en fran
çois , des rimes ou des vers de peu de
silabes , pour sonder , essayer et former
l'oreille de l'enfant dans la lecture soutenue
et dans la déclamation . on poura
jouer au jeu des rimes après avoir fait
déviner les sons et les lètres des mots ..
on peut doner de petites anagrames , et
mème des vers latins , examètres et pen-.
tamètres , pour faire aprendre à conoìtre
, à sentir et à ranger les piés de cète
structure de vers , dont on trouvera tous
les mots sur autant de cartes diférentes
dans la derniere logète du se rang sous.
cele de la
syntaxe
-
26 MERCURE DE FRANCE.
Exemple :
Tot tibi sunt dotes , Virgo , quot sïdërå.
coelo.
omnia sunt hominum , tenůī pēndentia filo
Et subito casu , que valuere ruunt.
30. On metra donc d'abord un en--
fant en état . d'imprimer des mots ,
des lignes , des frases en glose interli
naire , en latin et en françois ; 2° . d'imprimer
et de faire lui - mème la construc
tion du texte de rhèdre chifré ou numeroté.
3 ° . de faire de petites versions.
4. d'imprimer aussi de petites compositions
; et ces quatre exercices fourni
ront au maitre Focasion de doner à l'enfant
plus d'idées et de conoissances literaires
et grammaticales , qu'aucun rudiment
vulgaire n'en poura jamais doner sitôt
et en si peu de tems .
31. Les enfans du Bureau tipografique
seront plutot en état d'exercer leur mé
moire et d'aprendre quelque chose par
coeur , non seulement par Foreille , étant
siflés come des oiseaus , mais encore par
les ïeus , dès qu'ils sauront lire seuls.
32. Un enfant sera plutot en état de
travailler seul avec un domestique ou
avec d'autres persones , pendant que le
maître sera absent , ou ocupé à quelque
autre chose et l'enfant , plutot que de
A
Bester
JANVIER. 1731. 27
et à
rester oisif, vera toujours avec plaisir un
domestique employé à imprimer les cartes
de la garniture du bureau , ou à tailler
rogner des cartes sur un modele de
fer -blanc proportioné aus logetes des petits
bureaus portatifs de 4 piés de long
dont les cartes apelées Etrenes mignones
auront is lignes de largeur , et 2 pouces.
de hauteur , ainsi qu'on l'a déja pratiqué.
33. Non seulement les enfans qui parlent
, mais encore les sours et les muets
pouront aprendre presque tout , excepté
les sons , par les combinaisons pratiques
des signes sensibles , extérieurs , soumis à
la vue, et en passant , pour ainsi dire , des
ïeus du corps à ceus de l'esprit..
34. Les abécédaires de tout age seront
moins honteus sur la table d'un bureau ,.
que sur la crois de pardieu , leur intelligence
et leur empressement les feront lire.
passablement dans un mois ou deus..
35. L'enfant du Bureau conservera_sa
main en aprenant à écrire , et poura sans
préjudicier à l'étude des langues , n'écrire
jamais au comencement que sous
les ieus et sous la main d'un bon maître.
Je parleraí ailleurs d'une métode tres - utile
pour aprendre à écrire en assés peu de
tems.
36. L'enfant conoìtra plu-tot l'usage
des livres , des dictionaires , et des tables
des :
28 MERCURE DE FRANCE.
des matières , qu'on lui aprendra à parcourir
et à feuilleter tout seul ; il aquêra
aussi plu-tôt le gout de la lecture , de
l'étude , du travail , des livres , et des savans
; et il sera enfin plutot et beaucoup
plus sensible à la gloire et à l'émulation
literaire , que ne le sont ordinai
rement les enfans conduits et dirigés par
la métode vulgaire et tardive.
qua-
37. L'enfant aura plu - tôt l'adresse des
doits et des mains ; adresse qui manque
souvent à la plupart des enfans de
lité , peu exercés à l'action de la maîn ;
l'enfant aura plutot le gout , le coup
d'euil , l'esprit d'ordre et l'esprit rangé
si rares parmi les homes , et plus rares encore
parmi les jeunes gens.
38. L'enfant du Bureau est mis en état
d'aler plutot et plus fort au colege, et parconsequent
d'entrer plutot à l'académic
pour y faire tous ses exercices , avantage
considerable pour la jeunesse destinée et
apelée au noble et glorieus métier des
armes.
39. Beaucoup de savans par principe
de santé , travaillent debout , à l'exemple
des imprimeurs et de plusieurs autres nobles
artisans ; or l'action , l'exercice et le
mouvement du jeu tipografique , entre
tenant aussi le corps en santé , done en
mème- tems à l'esprit la meilleure culture
possi
JANVIER. 1730. 2
possible de l'aveu des medecins et de
'ESCULAPE de notre siècle . on ne prétend
pas dire par là que l'exercice du Bureau
rende immortel ou invulnerable ; cette
remarque est pour les bones gens qui ne
jugent des choses que par l'évenement, et
qui regardent souvent come un éfet necessaire
, ce qui n'est qu'un pur accident
40. La métode du Bureau tipografique
donera lieu aus bons maitres d'ètre encore
plus atachés et plus atentifs à leur de
voir , et plus utiles à leurs éleves ; ils auront
plus souvent ocasion de precher
d'exemple ; article essentiel dont se dispensent
volontiers bien des maîtres négligens
et indiferens sur l'éducation d'un
enfant , ou trop ocupés du seul esprit
mercenaire, ces derniers ne manqueront
pas de faire leurs éforts contre la métode
du Bureau , qui les remet,pour ainsi dire,
à l'A , B, C , et qui demande de leur part,
au moins au comancement , plus d'assiduité
et de soins que n'en paroit exiger
la routine vulgaire.
41. Persuadé de la verité , de l'utilité et
de la diligence de cete métode , j'ose assurer
et prédire que toutes choses dail
leurs égales , les viles qui les premieres
feront usage du Bureau tipografique , seront
dans la suite , à proportion des écoles
et des écoliers , les premieres à produi
re
30 MERCURE DE FRANCE.
>
re le plus grand nombre d'enfans et
d'homes celebres dans les arts et dans les
siences.
Si on ne goute point la métode du Bureau
tipografique , je m'en étone , et si on la
goute , je m'en étone de même.
L.A HAINE
ODE
S Cavantes Nymphes du Parnasse ,
Si jamais vous cûtes pitié ,
Des malheurs qu'à l'humaine race
Causa souvent l'Inimitié ;
Déesses , soyez- moi propices.
Contre le plus cruel des vices ,
Armez votre sévérité ;
D'une voix pénétrante et forte,
Blâmez les excès ou se porte ,
L'homme contre l'homme irrité.
Pour le désir de la vengeance ,
Muses , donnez lui tant d'horreur
Qu'enfin une noble indulgence
Succede à sa lâche fureur ;
2
Qu'en ses yeux desormais l'on voye ,
Briller
JANVIER. 1731. 31
Briller l'assurance et la joye ,
Au lieu du trouble et de l'ennui ;
Et qu'au mépris d'un faux sistême
Il devienne ami de soi- même ,
In cessant de hair autrui.
Peuples , dont un instinct sauvage ,
Regle les sentimens pervers ,
Et dont cet orgueilleux rivage.
Est séparé par tant de Mers :
Vous , chez qui l'homme impitoyable
Du corps fumant de son semblable
Se fait de monstrueux festins ;
De vos forfaits , Peuples impies ,
On voit les fidelles copies ,
Dans nos désordres intestins.
•
Oui , ce seroit peu que la Guerre ,
Employant le souphre et le fer ;
Eût tant de fois rendu la Terre ,
L'horrible image de l'Enfer ,
Si l'Entêtement , l'Hérésie ,
L'Ambition , la Jalousie ,
Les faux soupçons , les noirs complots ,
Tirans implacables des Hommes ,
Du triste climat où nous sommes
Ne bannissoient pas le repos.
>
Com(
32 MERCURE
DE FRANCE .
Combien de fois cet Hémisphère ,
Non sans en frémir , a- t-il vú ,
Du sang de son malhûreux frere ,
Le frere indignement repû ?
Est- il parjures , sacriléges ,
Intrigues , fureurs , sortiléges ,
Trahisons , souplesses , détours ,
A qui , dans nos projets iniques ,
Honteux , criminels Politiques ,
Nous n'ayons sans cesse recours ?
Sur tout , quand l'Interêt nous guide ,
Ses absolus commandemens
De l'amitié la plus solide ,
Sappent toûjours les fondemens.
D'Alecton , sanguinaire éleve ,
Il aiguisa le premier Glaive
Et chassant l'équité des coeurs ;
Il substitua par ses ruses ;
Un vil amas de Loix confuses ,
A l'empire des bonnes moeurs.
Et toi , dont l'éloquence outrée ,
Consiste en des cris infernaux ,
Qui de la fugitive Astrée ,
Usurpas les saints Tribunaux ,
Hydre , qu'anime la vengeance ,
Que suit la fatale indigence ,
Que
JANVIER . 1731. 33
Que conduit
l'obstination ,
Chicane , indomtable Génie ,
Quels objets offre ta manie ,
A ma juste indignation !
Les Loix les plus sages détruites ,
Par des Sophismes effrontez ;
Des veuves aux portes réduites ,
Des Orphelins déshéritez ;
L'Impunité vendue au crime
A son possesseur légitime
Un bien pour jamais interdit
L'Innocence qu'on persécute ,
Et le droit le plus ferme en butte
A l'oppression
du crédit.
›
Mais quelle voix audacieuse ,
Eclate , en discours menaçans ?
Quelle langue malicieuse ,
Exerce ici ses traits perçans ?
Lâches Auteurs de ces tempêtes ,
Craignez d'attirer sur vos têtes ,
Les rigueurs du courroux divin ,
Et que le Ciel en sa justice ,
D'Etéocle et de Polinice ,
Ne vous ait réservé la fin.
Témoins d'un Spectacle barbare ;
Que dis-je ! Nous n'esperons pas ,
Que
34 MERCURE DE FRANCE.
Que la haine qui nous sépare ,
Puisse ceder même au trépàs.
L'aigreur qui partage vos ames ,
Un jour partagera les flâmes
Qui doivent consumer vos corps ;
Un jour , vos Ombres fratricides ,
Iront se joindre aux Eumenides ,
- Pour troubler l'Empire des Morts.
=
•
Ainsi donc cedant à la force ,
Du plus exécrable poison ,
Vous faites un honteux divorce ,
Avec votre propre raison.
Malheureux ! prenez pour modeles .
Les Colombes , les Tourterelles ,
Qu'un tendre amour unit toujours ;
Ou bien dans quelque affreux bocage ,
Allez écouter le langage ,
Des Loups , des Tigres et des Ours.
Vous , Muses , allez les premieres ,
Vers ces Animaux ravissans ,
Et daignez de quelques lumieres ,
Eclairer leurs aveugles sens .
Instruits de nos moeurs intraitables ,
De cent reproches équitables .
Ils sçauront bien- tôt nous combler ,
Plus épouvantez de connoître ,
L'Or
JANVIER . 1-31 .
35
i
L'Orgueilleux, qui se dit leur Maître ,
Qu'envieux de lui ressembler.
C'en est trop ; gardez le silence ,
Barbares , hôtes des Forêts ,"
Hélas ! de notre ressemblance ,
Il suffit d'avouer les traits.
Quand la Terre ignoroit encore ,
Les malheurs qu'apporta Pandore.
Les crimes de Thebe et d'Argos ,
L'Homme goûtoit un sort celeste :
Mais quoi ! la discorde funeste ,
Nous a tous rendus vos égaux .
F. M. F. DE VAL GNE
XXXXXX :XXXXXXXXX
LETTRE d'un Grammairien de Provence
, fur le Bureau Tipographique.
E
St-il licite de vous demander , Monsieur
>
pourquoi et comment tant de
charlatans de la République des Lettres
sont écoutés à la Cour et à la Ville ? Votre
Mercure parle toujours de quelqu'un
de ces Messieurs ; divertissent- ils donc le
Public à ses dépens ? Jadis des fols et des
bouffons augmentoient le nombre des
domes
36 MERCURE DE FRANCE.
domestiques des grands Seigneurs , ensuite
par un meilleur goût , on préfera
les Menétriers , les Troubadours , les Baladins
et les Saltinbanques ; ne seroit- ce
point aujourd'hui le tour des Charlatans ?
il semble qu'ils soient devenus à la mode,
( car en France , comme vous sçavez ) la
mode est l'ame et le mobile presque de
tout , et on dit que Paris seul pourroit
fournir plus de troupes de Charlatans
que tout le Royaume ensemble.
·
Je ne vous parle point ici , Monsieur ,
des prétendus inventeurs de la Pierre.
Philosophale , de la Quadrature du Cercle
, du mouvement perpetuel , des longitudes
etc. je n'y prens aucun interêt ;
mais je vous avouë que je ne puis comprendre
comment des gens de Lettres
donnent dans de pareils travers , et comment
ils peuvent être non -seulement tolerés
et protegés, mais encore quelquefois
récompensés.
On dit que tous les jours vous êtes regalés
d'Affiches nouvelles qui annoncent
au Public des Phénomenes litteraires ;
par l'une on promer de mettre une femme
, une nourisse , un Suisse même , en
état de montrer à un François la Langue
Latine en peu de tems , par le secret ou
le moyen de quelques Monosillabes techniques
et de quelques signe sou herissons
hyeroglifiques.
Un
JANVIER. 1731. 37
Un autre Auteur donne les Sciences
dévoilées et le moyen d'apprendre le Latin
et les Sciences sans le secours d'aucun
Maître ; il donne l'art d'enseigner
le Latin aux petits enfans en les divertissant
, et sans qu'ils s'en apperçoivent :
ce même Auteur dit qu'il ne faut pas
plus de six mois pour apprendre le Latin
et faire son droit , six mois pour être en
état d'entrer dans un Seminaire
mois pour le Latin qui regarde la Medecine.
Je m'imagine qu'avec de tels secrets
on ne manque pas de faire rouler carosse
& c .
trois
Ce qui me revolte le plus en lisant votre
Mercure , c'est d'y trouver un de ces
Charlatans qui affecte de décrier les méthodes
des autres pour donner plus de
crédit à la sienne , et l'élever sur le débris
des autres. Il parle toujours d'un
rudiment pratique de bois , par le moyen
duquel il promet de mieux montrer que
les autres la silabisation , l'orthographe
et les rudimens de la Langue Latine . On
dit que ce Bureau pour un enfant de
deux à trois ans a plus d'une toise de
long , et si ce Bureau si nécessaire pour
l'instruction d'un enfant , croit à mesure
que l'écolier avance en âge , il lui
faudra cinq ou six toises avant que
l'enfant
en quitte l'usage ; à ce
compte là
C le
38 MERCURE DE FRANCE
les jeux de paume vont devenir prodigieusement
chers , car où placer ces machines
de bois à moins qu'on n'ait de
grandes Sales , ou des Galeries telles que
celles des Princes et des grands Seigneurs
une voye plus abregée , à mon avis , ce
seroit d'habiter une Bibliotheque. En atrendant
que je sçache bien la construction
de cette machine , je vous suplie de ne pas
me refuser les éclaircissemens que je vous
demande ; car il appert visiblement que
tet Auteur ignore lui-même ce qu'il veur
montrer aux autres .
Quelle plaisante route n'est- ce point
de faire pratiquer une fausse orthographe
qu'il appelle l'orthographe de l'oreille,
pour parvenir enfin à la veritable or
thographe des yeux ou de l'usage ? A quoi
bon ce détour ? Est-ce là cette simplicité
dont il se pique tant ? La méthode vulgaire
n'est- elle pas plus simple d'aller
droit à la veritable orthographe , sans
chercher les détours qu'indique ce rudiment
de bois car enfin c'est abuser de
la tolerance et de la liberté dont on jouit
dans la République des Lettres , que de
donner ainsi au Public une méthode bizarre
et embarassante sur le nom des lettres
, sur la sillabisation , sur l'ortographe
et sur le rudiment de la Langue Latine
, pendant que nous avons d'excellentes
JANVIER. 1731. 39
lentes méthodes sur chacune de ces parties.
Pourquoi les abandonne - t'on , et
pourquoi leur préferer le - sistême de la
chienne lettrée de la Foire , puisque selon
l'exposé de l'Auteur , un enfant travaille
à ce nouveau Bureau de la même
maniere que la chienne en question ; l'enfant
, à ce qu'on dit , prend dans son Bureau
les lettres dont il a besoin pour composer
un mot tout comme la chienne les
prend sur le pavé ou sur le plancher , et
les donne à son Maître,suivant l'ordre de
l'orthographe
, ainsi que l'enfant
les range
l'une après l'autre sur la table de son
Bureau ; et si l'un et l'autre fait est bien
constant , n'y auroit- il point quelque mistere
que nous ne sçaurions penetrer , et
qui n'est entendu que par ces nouveaux
maîtres et par leurs éleves ? Je me défie
extrêmement
de ces merveilles .
Quoiqu'à la rigueur , je ne doute nullement
qu'on ne puisse dresser un enfant
à ces sortes de jeux comme on dresse un
chien ou tout autre animal. Il me reste
toujours un scrupule dont je sens bien
que je ne guerirai que par ma propre experience
, ou par le témoignage de personnes
sensées , et sans prévention ; je
serois curieux , par exemple , de sçavoir
si un enfant dressé par cette nouvelle.
façon pourroit lire dans un Livre impricij
mé
MERCURE DE FRANCE
mé à Paris , et qu'il n'auroit jamais vû ?
ces faits une fois posés , je passe à ce
prétendu rudiment pratique , et je voudrois
sçavoir si ce rudiment de bois , futil
d'ébene , ou de quelqu'autre bois plus
précieux , apprendra à l'enfant les principes
de la Langue Latine suivis , observés
, et scrupuleusement pratiqués depuis
tant de siecles ? nos maîtres qui n'avoient
point ces moyens prestigieux , ne sontils
pas parvenus à un dégré de sçavoir
auquel nous avons bien de la peine à atteindre
, et finalement auquel tous ces
beaux esprits à rechercher ne parviendront
jamais ? Quoi ! nous aurons passé
bien des années à nous tourmenter pour
apprendre des choses que nous sentons
ne sçavoir pas encore bien dans un âge
avancé , et des enfans de quatre ou cinq
des Gouvernantes , des domestiques
apprendront en jouant ce qui nous a
couté tant de peines , tant de pleurs et
et de fatigues ? nous faudra- t'il remettre
à la Croix de pardieu , sous peine d'être
repris par des enfans ?
ans ,
Que je crains , Monsieur , qu'à force
de vouloir rendre les Sciences aisées , on
ne les rende trop communes , et qu'on
ne méprise les Sçavans par la facilité que
l'on aura à tout âge et en toute condition
de se mettre de niveau avec eux.
En
JANVIER. 1731. 41
En verité , Monsieur , on a bien peu d'é
gard pour des personnes qui ont vieilli
sur les livres , et qui se livrent avec tant
de zele à l'instruction de la jeunesse. On
se livre trop aisément à de nouveaux
venus qui nous ravissent nos droits par
des jeux et par des prestiges , car je ne
sçaurois nommer autrement ces inventions
phantastiques.
Despautere , Hannibal Quadret , le
P. Pomey et tant d'autres auront donc
travaillé inutilement pour la Jeunesse
si l'on suit d'autres routes que celles qu'ils
nous ont marquées. L'experience journaliere
nous apprend que la voye de la récitation
et d'apprendre par coeur est la
plus sure pour exercer la mémoire des
enfans ; nous voyons avec satisfaction que
des enfans sçavent à peine lire qu'ils
nous recitent sans faute leur Mufa , leur
Penelope , la femme d'Ulisse , leur Templum
, Pater, Fructus , Cornu , Dies , et
tous les Paradigmes des Rudimens , nous
voyons qu'ils retiennent avec un succès
égal toutes les concordances , les difficultes
sur la particule On , sur le Que relatif
ou particule , les quatre Questions de
lieu , celles de tems , les régimes des Verbes
Celo , rogo , doceo , moneo , posco , flagito
, ceux de refert et interest , des Verbes ,
piget , pudet , penitet , enfin tout ce qu'il,
Ciij y
42 MERCURE DE FRANCE
ya de plus épineux dans la Grammaire
et dans la Syntaxe , et après cela on viendra
nous débiter des préceptes qui sont
de vrais paradoxes , pour ne rien dire
de plus , ceux qui les débitent seront
crus , seront suivis , tandis que l'on rira
de nos raisonnemens et que nos Ecoles
seront desertes : Que deviendra le fruit
de nos veilles et de nos travaux ? Permettez
-moi , Monsieur , de m'écrier ici avec
un Ancien : 0 tempora ! ô mores !
Avant que de finir ma Lettre
, agréez
,
Monsieur
, que je vous demande
un éclaircissement
sur le titre ridicule
que cet Au-
`teur
avoit
dabord
donné
à sa nouvelle
méthode
, l'A , B , C de Candiac
; ce titre
porte
bien
avec
lui un caractere
de
vision
; car ou ce Candiac
est un nom
propre
de Ville
, ou de personne
, quelque
ce puisse
être des deux
, je dis qu'il
est absurde
de vouloir
ériger
ses visions
en dogmes
litteraires
, au préjudice
de
la doctrine
reçuë
depuis
tant de tems
par
lés plus habiles
Maîtres
; et si cette
voye
a lieu il sera donc
permis
à chacun
de
donner
ses idées
au Public
comme
des
régles
infaillibles
. Je n'aurai
donc
qu'à
donner
må maniere
de montrer
à lire et
le Latin
sous le nom de l'A , B , C , ou
du rudiment
de Ventabrén
, un autre
donnera
la Grammaire
d'Auron
, et quelqu'autre
1
JANVIER. 1731. 43
qu'autre aussi la Sintaxe de Vitrole ; tour
le monde doit sentir les inconveniens d'un
tel abus et le ridicule de pareilles maximes.
Cette reflexion m'en fait naître une
autre que je ne dois pas obmettre , vous
jugerez de sa valeur . Toute personne qui
n'est point née à Paris ou à Blois a mauvaise
grace de vouloir donner des regles
d'orthographe françoise , et qui ne possede
pas le Grec et le Latin ne peut écrire
correctement et suivant l'étimologie des
mots françois qui dérivent de ces deux
Langues. Laissons donc à nos Professeurs
des Universités du Royaume , et sur tout
à ceux de notre Capitale , le soin de nous
donner des regles pour la prononciation
et pour l'orthographe françoise ; nourris
depuis leur enfance dans les Langues oríginales
, ils sçavent mieux que tout au
tre la vraye source du françois , ils en
sçavent mieux la prononciation , ils ont
vieilli dans l'étude du Grec et du Latin .
Plus j'y pense , plus je suis frappé de
la singularité du titre de ce nouveau sistême
, l'A , B , C de Candiac , la Biblio
theque des enfans ; un livre ne sçauroit
être une Bibliotheque , car une Bibliotheque
est une grande chambre , ou appartement
où l'on met des livres de touté
de tout genre ; or un Livre sur
C iiij
espece ,
l'a
4 MERCURE DE FRANCE
l'a , b , c , pour des enfans ne sçauroit
composer une Bibliotheque. Ce titre me
fait ressouvenir d'une Epigramme du fameux
Owen , le Martial Anglois , contre.
un certain Rider , Auteur d'un Lexicon
qu'il avoit donné au Public sous le titre
de Bibliotheque ; ne pourroit on pas en
faire une application à ce nouveau sistême
? La voici :
Quid sibi ridendi vult Bibliotheca , Rideri
Unus enim non est Bibliotheca liber ;
Verborum cum theca fit hac , non theca Librorum
,
Lexicon hoc dici , Dictio theca potest.
Un Livre seul est- il une Bibliotheque
Ma foi , Rider , cette pensée est Grecque ;
Tu ne me comprens pas ; voici donc mes raisons;
Ton Livre tout au plus est de mots un repaire ;.
Une aire au plus de Dictions ;
Nommons-le donc Dictionnaire .
Ce Bureau à niches de bois peut encore
moins passer pour une Bibliotheque
puisqu'on n'y doit mettre que des verbes
, des noms substantifs , des adjectifs ,
des indéclinables ; et ces niches continssent-
elles tous les substantifs imaginables ,
ne donneront jamais à un enfant la connoissance
de la nature du substantif , de
l'adjectif, du verbe &c.
Ca
JANVIER. 1731 45
Ce Bureau , ce Colombier , puisque
Colombier y a , ne rendra jamais un enfant
imperturbable sur les déclinaisons ,
les conjugaisons et les genres , sur les concordances
, car si , par exemple , je viens à
lui demander de quel genre est pileus
sçaura t'il me le dire ? et s'il le dit , sera:
t'il en état de répondre au da regulam ?
ce sera là pour lui un langage inconnu
son Bureau ne pouvant lui fournir cette:
maxime si courte , si usitée dans nos Ecoles
, et qui est le fruit des veilles du co…
riphée des Grammairiens.
Omne viro soli quod convenit esto virile .
Mais sans entrer dans ce détail qui
mettroit en déroute ces nouveaux Maîtres
, et leur Bureau en éclats , je me
borne à un raisonnement que peu de
personnes sont en état de faire , parceque
peu de gens prennent un aussi grand
interêt à ces sortes de matieres.
Tout ce qu'un enfant instruit par cette
méthode acquerra de connoissance de la
Langue Latine , de la Grammaire et de
la Syntaxe, ne sera qu'une mémoire locale:
artificielle et méchanique du substantif ,
de l'adjectif et de toutes les parties d'o
raison ; mais il n'aura jamais ce qu'on
appelle la mémoire spirituelle et métaphisique
de ce que ces mots signifient..
Cv Car
46 MERCURE DE FRANCE
Car enfin , lors qu'on lui aura ôté son
Bureau , ses logettes , et qu'on lui demandera
ce que c'est qu'un substantif , un
adjectif , un Verbe &c. il sera entierement
dérouté , et manquant de l'outil
ou de l'instrument qui lui donnoit ce
dont il avoit besoin , il ne sçaura que
devenir. Mais quelle difference à l'égard
d'un enfant instruit par l'ingénieuse méthode
du Rudiment ? avec son Quadret ,
et sans son Quadret , avec son Despautere
, ou sans son Despautere , il répondra
positivement , et ad rem , sur tout ce
qu'on pourra lui demander , parce qu'il
sçaura que ces définitions sont dans ces
Livres , qu'on les lui a expliquées , qu'il
les a apprises par coeur , et vous les recitera
même sans faute , sa mémoire qu'on
a cultivée avec tant de soin ne sçauroit
lui manquer dans une pareille occasion.
C'est , au reste , se tromper lourdement
et donner dans une erreur manifeste , de
croire qu'il faille cultiver autre chose que
la mémoire dans les enfans ; c'est là tout
leur fonds , leur ame , leur esprit n'est
point encore assez formé pour pouvoir
faire toutes les opérations qui conduisent
à l'intelligence . Donnez leur donc beaucoup
de mots beaucoup de termes à
apprendre par coeur , faites les leur recizer
souvent , et vous en ferez des prodi-
>
ga
JANVIER. 1731. 47
ges . On perdra son tems et sa peine quand
on voudra leur donner l'intelligence des
définitions , leur en faire comprendre le
sens ; le tems de les entendre viendra
toujours assez tôt , ne vint-il qu'à l'âge
de quinze ou vingt ans , et c'est justement
alors que leur esprit formé commence
à sentir la valeur des termes qu'ils
ont appris avant ce tems là , et que leur
mémoire conserve comme en depôt ; car
ce n'est que la mémoire qui nous rend
sçavans , et nous fait paroître tels . Autant
que je puis m'en ressouvenir un Ancien
Fa dit avant moi nous ne sommes sçavans
qu'autant que nous avons de la mémoire.
Que ces Tipographistes me font de compassion
, et que je plains les personnes
qui ont à essuyer leurs visions ! Tenonsnous-
en à nos anciennes maximes ; sui
vons les traces qu'on nous a frayées , et
marchons par la voye qu'ils nous ont
indiquée , dussions nous ne jamais arteindre
au but où nous tendons. Et quoique
puisse dire' Seneque , les hommes font
toujours bien de suivre la foule : errer
avec de grands Maîtres , c'est suivre la
bonne tou
, et j'ose le dire , c'e
jours ou presque toujours errer , que
suivre de nouvelles routes . En attendant
C vj
de
l'hort
48 MERCURE DE FRANCE
l'honneur de votre Réponse , j'ai celui
d'être &c.
A Ventabrén , ce 2. Octobre 1730 .
XXXXXXXXXXXX:XXX
EPITRE
A Mile de Malcrais de la Vigne , du
Croisic en Bretagne , sur son Idille des
Hirondelles , inserée dans le premier Volume
du Mercure de Decembre 1730 .
N'Allez point vous facher de ce qu'un inconnu
Sans quelque aveu de vous ose ainsi vous écrire ,
Donnez - vous la peine de lire ,
Vous lui pardonnerez quand vous aurez tout lû..
On est zelé quand on estime ;
Clidamis vous l'apprit ; le dirai - je en passant >-
Votre Hirondelle nous l'apprend .
C'est par vous que l'amour avec la raison rime
Ah ! que l'on aime la raison
-
Quand ce Dieu lui fait sa leçon !
Mais je reviens bien vîte au motif qui m'anime
Il vous regarde de trop près.
Je crains qu'en ce moment sur vos jours on n'át→
tente ;
Votre Hirondelle , helas ! cette Idille charmante
Vous fait sur le Parnasse un terrible procés..
Vous
JANVIER. 1731. 49
Vous sçaurez qu'elle est parvenuë
En droite ligne au Mont facré ;.
Apollon après l'avoir luë
Aux doctes Soeurs a déclaré
Qu'il nommoit sa dixiéme Muse:
L'aimable & digne de Malcrais ;
C'est le plus juste des Arrêts ..
Chacune cependant est comme une „ Méduse ;;
On ne voit plus que des serpens
En place des lauriers qui leur ceignoient la tête ,
Et j'ai lû sur leurs fronts et dans leurs yeux ar
dens
Contre vous tout ce qui s'apprête.
La jalouse fureur porte par tout leurs pas ;
Une femme est alors capable de tout faire ;
Plus d'un Neftor l'a dit ; mais je ne le crois pas,
Quoiqu'il en soit , on doit prevenir leur colere :
L'avis est important ; voyez ce qu'il faut faire ; .
Mais s'il y falloit joindre & mon zele & mes
soins ,
De mon foible pouvoir je romprois la limite
Pour rendre vos yeux les témoins
Du cas que je fais du mérite.
Carrelet d'Hauteculle.
EX
fo MERCURE DE FRANCE
XXXXX:XXXXX*: *XXX: XX
EXTRAIT d'une Lettre écrite par M.
Bourgoin , Maître Chirurgien Juré à
Auxerre , le 26. Decembre 1730. au sujet
d'un enfant monstrueux.
I
Ly a six jours qu'on m'envoya un enfant
de sexe feminin , dont une pauvre
femme venoit d'accoucher. Cet enfant
estoit monstrueux , non par sa grosseur
, puisqu'il étoit comme les autres enfans
nés à neuf mois , mais parcequ'il étoit
sans crâne , sans col , sans moëlle épiniere
, et par conséquent sans nerfs , le
visage étoit situé immédiatement au dessus
des clavicules , à la partie superieure
et anterieure de la poitrine , sans aucune
marque ni vestige de cou , pas même le
moindre espace pour le jeu et le mouvement
de la mâchoire inférieure , qui
étoit immobile , et qui l'auroit toujours
été si cet enfant avoit pû vivre , nonseulement
par l'adherence de la mâchoire
inférieure avec le sternum par le moyen
de la peau et d'autres parties , mais encore
par le défaut du muscle pterigoïdien,
moteur de la mâchoire. Ses deux oreilles
étoient situées à peu près comme dans
l'état naturel , étant seulement plus allongées
JANVIER. 1731. SI
longées et plus saillantes qu'elles ne sont
d'ordinaire aux autres enfans, elles avoient
la conque rabaissée , et retournée en devant
comme celle d'un chat , à la difference
qu'elles n'étoient ni veluës ni
pointues. Le conduit pour l'air externe
n'alloit point se rendre dans des parties
osseuses , telle que la roche , mais seulement
dans une masse de glandes , de
chairs , de graisse , le tout confondu ensemble
, sans pouvoir faire aucune distinction
de parties.
>
Le nez étoit posé presque au sommet
du visage , n'ayant qu'environ une ligne
de saillie dans l'endroit le plus éminent;
les deux narines assez bien disposées communiquoient
dans les fosses nazales sur
la cloison du palais et dans la bouche,
Au côté de la racine du nez tout au
haut du visage , paroissoient vers les paupieres
deux vessies de figure un peu conique
comme deux olives , sous lesquelles
étoient renfermés les yeux , ce qui représentoit
comme deux cornes , principalement
quand on examinoit cet enfant par
sa partie posterieure.
Quant à la bouche , on n'y remarquoit
rien de particulier , sinon qu'elle étoit
toujours ouverte et béante , parceque les
deux levres étoient tendues autour des
gencives , et que le menton étoit attaché
52 MERCURE DE FRANCE
- au sternum , de maniere que cette bouche
étoit plus ronde qu'ovale , et que la
commissure des levres étoit à peine marquée.
Comme cet enfant n'avoit point de
crâne , et par conséquent point de front,
non plus que de parietaux temporaux.
ctc. Il y avoit derriere ce visage , au lieu
et place du crâne , une partie de figure:
triangulaire platte , recouverte de peau
seulement , qui renfermoit un os assez.
dur de la même figure , lequel sembloit
servir de baze et d'appui à ce visage ..
Cette peau étoit couverte de cheveux
assez courts et clairement plantés , qui bordoient
une ouverture oblongue avec de
grosses levres , dans laquelle on introduisoit
facilement une grosse sonde , qui
descendoit tout le long du canal de Pépine
du dos et qui ne contenoit ni
matiere solide ni liquide .
,
J'aurois bien des particularités à faire
observer sur le squelette de cet enfant
tant sur le derriere de la tête qui paroît
être un crâne renversé , que sur la grande
ouverture à la partie supérieure de l'épine
qui regne , comme je viens de le dire
dans tout ce canal , mais je sortirois des
bornes que je me suis prescrites ; je reserve
ce détail pour une description plus
détaillée que j'espere faire du squelette
JANVIER. 1731. 53
lette en question . Ce monstre , au reste,
a attiré tous les curieux de notre Villet
qui ont été surpris de voir un enfant non
corrompu , avec de l'embonpoint et toutes
les parties au-dessous du col bien figurées
, né sans cerveau , sans moële de
l'épine , et sans nerfs .
T
ETRENNES à Madame la
Comtesse de ***
Rouver un coeur bienfait n'est pas chose fa .
cile ;
On court pour le chercher au bout de l'Univers
Et de ses voyages divers
On n'emporte souvent qu'une peine inutile.
Puisse le mien être digne de vous ;
Vous l'avez rencontré sans prendre tant de peine
De l'honneur de vous plaire uniquement jaloux ,
Au votre il s'est lié d'une secrete chaîne ,
Et c'eft dans mes malheurs un remede bien doux
Ma parfaite reconnoissance
S'exprime mieux par un humble silence
Que par les longs détours d'un éloge apprêté ;
L'esprit n'a point de part à mon sincere hommage
Il est du coeur le pur langage ;
Le langage du coeur est toujours écouté.
DIS
$144 MERCURE DE FRANCE
***:************
DISCOURS de M. l'Olivier , Avocat
au Parlement , Substitut de M. le
Procureur General , et l'un des deux
Substituts des Procureurs Generaux ,
Sindics des Etats de Bretagne , prononcé
dans l'Assemblée des Etats.
MESSI ESSIEURS ,
Depuis l'élection que vous avez bien voulu
faire en ma faveur , j'ai 'souhaité avec
empressement qu'il se présentat quelque occasion
de vous en faire mes trés
remercimens.
respectueux
Penetré de la reconnoissance la plus vive,
je m'étois flatté que les expressions qui pou
voient la rendre sensible suivroient de près
les mouvemens de mon coeur ; mais le
respect
at la crainte dont je me sens penetré à la vuë
de cette auguste assemblée , ne me permettent
qu'à peine de vous faire entendre ma timide
voix.
Je ne trouve rien , Messieurs , de comparable
pour moi à la grace dont vous avez
bien voulu m'honorer. La préference que
vous m'avez donnée sur une foule de concurrens
distingués par leur mérite , en rehausse
infiniment le prix . Quelle gloire ne reçois-je
pas
JANVIER. 1731. 58
pas d'une place où je suis chargé de veiller
à la conservation des droits de la patrie ?
quelle satisfaction de pouvoir chaque jour
trouver de nouvelles occasions de la servir ?
L'honneur d'être admis dans vos assemblées
est encore un avantage qui me rend
cette place très précieuse ; c'est cette prérogative
, Messieurs , qui me met à portée de
connoître et d'admirer en même tems la superiorité
de vos lumieres , la penétration de
vos esprits , la sagesse de vos déliberations
c'est cette prérogative qui me rend témoin de
Fart et de la prudence avec lesquels vous
Scavez , Messieurs , concilier le service du
Roi avec les franchises et les libertés de cette
grande Province.
C'est enfin cette prérogative qui me procure
l'inestimable honneur d'approcher les augustes
personnages qui président à vos déliberations.
Un Prélat nourri dans la sagesse et dans
la pieté , également instruit de tous ses devoirs,
et fidele à les observer , qui joignant aux
vertus de l'Episcopat une parfaite connoissance
des affaires , et destiné à remplir
un jour les plus sublimes emplois de l'Eglise
et de l'Etat.
Un Seigneur aussi grand par sa haute
naissance , qu'il est aimable par les graces
naturelles qui l'accompagnent ; un Seigneur
qui dans un âge de tout tems consacré auxe
plaisirs
56 MERCURE DE FRANCE
plaisirs sçait s'occuper avec autant de dignité
que de succès des affaires les plus importantes
d'une Nation dont il est tout à la fois les délices
et la gloire.
Un Magistrat habile , prudent , équitable
qui par ses lumieres et une longue experience
s'est acquis une profonde connoissance des affaires
de la Province , et s'est tant de fois
distingué dans la place qu'il occupe si dignement.
Quelle gloire n'est ce pas pour moi , Messieurs
, de devoir à vos suffrages une place
qui me procure l'honneur de parler devant
des Personnes si illustres .
"
Des témoignages de bonté si marqués et si
éclatans exigent sans doute de ma part des
hommages pleins de respect pour cette majestueuse
assemblée , un zele à toute épreuve
pour les interêts qu'elle confie et une exactitude
scrupuleuse à tous mes devoirs.
C'est aussi , Messieurs , ce que je vous
supplie d'agréer , et en même tems tout ce
que je puis vous offrir. Quoique jeune , jose
esperer et le désir de répondre à votre choix
est le garant de mon esperance , que par mes:
soins et par mon attention à consulter les
maximes et à suivre les exemples de Messieurs
vos Procureurs Generaux Sindics , je
serai dans peu en état de travailler utilement
sous leurs ordres , et de vous donner des preuves
de mon inviolable dévouëment et de ma
respecineuse reconnoissance- Le
JANVIER. 1731. 57
Le Collegue de M. l'Olivier , dans la
même Charge de Subsitut des Procureurs
Generaux Sindics des Etats , est M. Odye,
Avocat au Parlement , et d'une réputation
distinguée.
HHHHHHHHHH:HHHHHXXXXX
CONTE
EPIGRAMMATIQUE.
CErt Ertain Pédant fut choisi par un Fat
Pour vanter ses hauts faits et son vaste génie ,
Sans avoir fait marché , la besogne finie ,
Entr'eux survint un grand débat :
Sur le prix le fat se récrie ,
Payer si cher des Vers ! c'est une mocquerie ,
Pour le particulier il faut être plus doux,
Monsieur , dit le Pédant , vous êtes bon et sage ,
Faites attention , s'il vous plaît , à l'Ouvrage ,
Je ferois moins payer Alexandre que vous ;
J'eusse pour le louer mis en vers son Histoire ;
Mais pour vous j'ai fait du nouveau ,
Et foi d'homme d'honneur en chantant votre
gloire ,
?
J'ai tout tiré de mon cerveau.
2
LET
98 MERCURE DE FRANCE
**
LETTRE écrite de S. Ouin en Picardie,
Le 20. Novembre 1730. sur les Perceoreilles.
1
Ous avez bien voulu , Messieurs ,
inserer dans les Mercures les lettres.
que je me suis donné l'honneur de vous
écrire au sujet du fils du sieur Lafitte
Chirurgien , demeurant au Bourg de Domart-
les-Ponthieu. Ce jeune homme qui
a été incommodé pendant cinq à six ans
par le grand nombre de Perce -oreilles
qui se sont engendrés successivement dans
sa tête , et qui sortoient par ses oreilles et
en partie par le nez , se trouve aujourd'hui
gueri parfaitement , et cela par l'effet
du pur hazard ensorte qu'on peut
dire que sa guerison est aussi surprenante
la maladie même , si toutefois on
que
peut qualifier cette incommodité de maladie.
Voici comme la chose est arrivée.
,
Etant chez un des amis de son pere ,
au mois de Janvier dernier , où on buvoit
de l'Eau de vie , boisson trop familiere
dans notre Province , sur tout parmi
les petites gens , on lui en fit boire
plusieurs verres dont il s'est trouvé yvre,
et cette boisson meurtriere ayant porté
sa fumée à la tête , on en vit sortir une
quantité
JANVIER. 1731. 59
quantité prodigieuse de ces insectes , ce
qui surprit étrangement les personnes
qui étoient présentes , et depuis ce tems
jusqu'à la fin d'Avril il ne ressentit aucun
des piquottemens qui lui faisoient souffrir
de très vives douleurs ; mais enfin il
en restoit un seul qui sortit alors , et depuis
il n'en a plus paru . Son teint devient
beaucoup meilleur , et ses cheveux qui
étoient bruns , et par les extrémités à demi
blancs , reprennent une couleur égale,
J'ai crû , Messieurs , vous faire plaisir de
vous informer de cet évenement. Je suis
toujours etc.
De Savoye , Curé de S. Ouin et Doyen
Rural de Vinacourt.
**
VERS
Faits par un Partisan du Celibat,
VEut- on que je prenne une femme ?
J'y veux trouver ensemble et jeunesse et beauté ,
L'esprit bienfait , une belle ame ,
Agrément et simplicité ,
Coeur sensible sans jalousie ,
Complaisance et sincerité ,
Vivacité sans fantaisie ,
Sagesse
小
o MERCURE DE FRANCE
Sagesse sans austerité ;
Enfin , pour la rendre parfaite ,
A toutes les vertus joignez tous les appas ;
Voila celle que je souhaite ;
Trop heureux cependant de ne la trouver pas !
********* *********
LETTRE écrite à M. Ziorcal au sujet
de sa Réponse à M. Barrés , inserée dans
le Mercure du mois d'Octobre 1730. sur
l'usage interieur de l'Eau de vie.
L n'est pas juste , Monsieur , d'éta-
I blir sur les débris que vous faites de
nos bons sentimens pour le Public , le
grand air de confiance qu'on découvre
d'abord dans votre Réponse à ma Lettre;
pardon , peut- être ne sçavez vous pas que
les gens raisonnables ne se laissent jamais
prévenir follement , & que le ton imposant
d'un Auteur insipide pour s'assurer
leurs suffrages , est moins capable de les
séduire que de les rendre plus scrupuleux
dans leurs décisions . Cela soit dit néanmoins
sans blesser en aucune maniere
l'honneur que vous avez bien voulu nous
faire , en nous proposant brievement vos
doutes , que vous auriez pû , à la verité,
épargner aux dépens d'une plus sérieuse
attenJANVIER.
1731. 61
attention , si sans doute elle n'eut été
trop penible pour vous , ce qui fait que
sans nous détourner beaucoup des devoirs
de notre profession , nous esperons de
vous ramener de votre pirrhonisme.
En premier lieu , quoiqu'on soit assuré
que tous les raisonnemens vagues ne sçauroient
convaincre les personnes raisonnables
de la verité des propositions qu'on
avance , il n'est pas moins à propos cependant
de s'en servir quelquefois , et de
les placer dès l'entrée de la question , où
on les dévelope ensuite , et qu'on ne fait
devancer uniquement que pour disposer
l'esprit du lecteur à la concevoir plus aisément.
Notre Lettre peut fort bien être
l'exemple d'un pareil cas , d'ailleurs ces
grands mots qui vous choquent si rude--
ment n'ont pourtant point blessé le goût:
ni les oreilles des plus fameux Medecins .
de ce tems qui les ont introduits dans leurs
Ouvrages qu'êtes vous , Monsieur
pour ne pas les souffrir ? et pouvez- vous
penser de bonne foi que ces grands Maîtres
de l'Art s'en rapportent à vous quicondamnez
leurs expressions sans les entendre.
Pour moi , je me tiens à l'abri .
des justes reproches qu'on seroit en droit.
de me faire, si j'osois temerairement rien
entreprendre là- dessus , et il me suffit de
trouver dans leur signification autant
D d'éner
-
62 MERCURE DE FRANCE
ト
d'énergie et de force qu'il m'en faut
dans le besoin , pour ne pas en désaprouver
le
sçavant usage ; ainsi vous nous permettrez
, sans doute , de nous en accommoder
dans toutes les occasions favorables
dont vous profiterez aussi , si vous le
pouvez , par la même licence que nous
vous donnons à notre tour . Je serois
beaucoup moins éloigné de bannir des
questions les raisonnemens dénués d'experience
; mais vous ne nous faites jamais
voir que ceux qui viennent de notre part
méritent la rigueur de cet exil. Au reste,
on n'a pas toujours besoin de raisons
fondées sur des principes mathématiques
pour convaincre , ce seroit faire tort à
bien des gens d'esprit qui ne sont point
dans ce goût , quoique pourtant trèsraisonnables
et très judicieux , que de leur
ravir le droit d'une question qui les interesse
avec tout le reste des hommes.
Maintenant sans perdre notre tems à
disputer des termes qu'on peut apprendre.
à l'Ecole , et à discuter de vains raisonnemens
, venons au fait de la question .
Nous assurons que l'Eau de vie est une
eau de mort sur ce qu'elle ne releve les forcés
que pour les abattre peu après , parceque cette
liqueurport: les puissances ou les ressorts des
solides au delà de leur tonus , ou de cettejuste
étendue que la nature leur a donnée,d'où étant
de
JANVIER. 1731. 63
>
on n'ide
retour sur eux mêmes , ils tombent dans la
langueur. Voyons si ce trait de notre Lettre
doit passer justement pour obscur.
Tout le monde sçait ce qu'on entend
par le tonus des parties solides
gnore pas même qu'il n'aille jusqu'à un
certain point , ou qu'il n'ait une, juste
étenduë ; qu'importe qu'on vous l'assigne?
Keil ( a ) et Borelli ( b ) n'ont pas sçû nous
éclaircir touchant l'étendue de la force du
coeur ; a-t'on moins de raison de se persuader
que les ressorts des solides sont
contraints bien souvent de se porter au
delà ? la vessie trop remplie d'urine se
porte au delà de son tonus , les vaisseaux
engorgés de sang souffrent aussi quelquefois
de semblables distensions , dans ces
violens tiraillemens qu'on pratique pour
remettre les os luxés à leur place les
fibres musculaires revenant ensuite sur
elles mêmes, ont-elles cette force d'un arc
bandé qui se débande ? et les membranes
dont elles composent le tissu joüissentt'elles
d'abord après leur retour de leur
premiere vigueur dans le jeu de leur contraction
? qu'en pensez vous , M. le Doc
teur ? Ainsi les ressorts des solides débridés
, pour ainsi dire , ou portés au delà
›
( a ) Jacques Keil donne au coeur une force
de cinq onces.
(b) Alphonse Borelli de trois mille livres.
Dij
de
64 MERCURE DE FRANCE
de leur juste étenduë , se trouvent dans
la langueur ou l'abattement qu'on se sent
après de violens exercices , et après même
l'usage des liqueurs ardentes. En effet , le
corps ayant souffert de trop rudes travaux
se sent fatigué , languissant , ou
pour éviter de passer chez vous pour
obscur , ses ressorts par le jeu continuel
qu'ils ont exercé pendant un assez lorg
tems , se sont comme relâchés , ensorte
que revenant sur eux-mêmes ils ont perdu
leur premiere vigueur , ce qui se fait
infailliblement par l'effort réïteré que
font les liqueurs contre les parois membraneuses
des vaisseaux qu'elles poussent
en dehors avec violence dans leurs cours
acceleré par la contraction continuelle
des muscles qui les envoye au coeur , et
que le coeur leur renvoye de même. Ce
' est donc point ici un arc qui acquiert
d'autant plus de force à se remettre, qu'on
le resserre jusqu'à un certain point , mais
c'est un arc qui en a d'autant moins , que
sa flexion est portée au delà , ou qu'on
le courbe trop , delà vient que dans les
premiers tems de son jeu il se redresse
avec beaucoup de vitesse et de force , et
que dans les derniers elle se trouve molle,
foible et languissante.
Il en est à peu près de même touchant
l'effet que les liqueurs ardentes produisent
JANVIER. 1731. 65
ร
sent dans leur usage interieur ( ce qu'on
reconnoit par le poulx ) d'abord le sang
se gonfle , les parois des vaisseaux sont
repoussées en dehors en tout sens ; les
ressorts des fibres musculaires des tuniques
portés alors au delà de leur tonus ne
pouvant rester constamment dans la même
distension , ni aller plus loin , par l'absence
de la cause qui les a mis en jeu
et qui à force de perdre de son énergie
s'est retirée ( ce qui arrive dans le second
tems de l'action de cette liqueur ) il faut
non seulement que ces puissances revien
nent sur elles- mêmes mais encore que
leur vigueur soit moindre qu'auparavant
pour deux raisons. 1º Parceque les fibres
après cette distension outrée se trouvent
lâches et incapables de repren
dre leur état naturel , si ce n'est après
un certain tems qui est celui de la lan~
gueur.. 20 Que les liqueurs épaissies
étant inhabiles au mouvement , obéïssent
moins à la pression des solides relâ
chés , et leur opposent de plus grandes
résistances à surmonter ; pour lors le sang
ralenti dans son cours passe dans le tissu
des muscles , rend leur contraction laborieuse
qui se force de les en dégager ; delà
ces lassitudes ces langueurs qui ne
manquent jamais de succeder à la force
à la fureur même qu'on observe d'abord
D iij
,
dans
66 MERCURE DE FRANCE
dans ceux qui ont usé des liqueurs ardentes
. Ajoutez à cela que le terme de
tout ce desordre étant le racornissement
des solides et l'épaississement des liquides,
ces langueurs perseverent , augmentent
même tous les jours avec l'usage des eauxde
vie , d'où suit ce nombre prodigieux
de maux qui retranchent une bonne partie
des jours de la durée de l'homme.
L'Eau de vie produit moins cette distension
dont il s'agit par sa quantité que
par sa nature , et vous devriez , Monsieur,
avoir ici plus de honte que dans tout autre
endroit de votre Réponse à ma Lettre,
de sentir mieux que personne qu'un de
mes confreres ne sçache point que ce n'est
pas le seul remede qui pris à petite dose
produit dans le corps de très sensibles
effets. Qu'est - ce qu'un grain d'opium
dans un corps de 160. livres ? Est- ce la
1600 partie de ce même corps ? soyez
surpris après cela , tant qu'il vous plaira ,
qu'on prenne 128. onces d'alimens sans
craindre cette distension qui se fait tou
jours appréhender avec juste raison dans
l'usage de l'Eau de vie qui rarefie le sang,
et qui l'épaissit dans des tems differens.
Le terme des tems que l'Eau de vie parcourt
dans sa maniere d'agir étant surve→
nu , les parties solides se trouvent dépourvues
des sucs lymphatiques qui en
humecJANVIER
. 1731. 67 humectent
le tissu , elles en deviennent
plus seches , plus compactes
, plus fortes,
mais aussi plus rebelles aux causes de leurs
mouvemens
, ou plus difficiles à se mettre
en jeu , ce qui fait voir que la langueur
est une suite de ce qui arrive dans
l'usage des liqueurs ardentes , malgré ces
prétendues
contradictions
dont vous nous
faites un crime , dans le tems que nous
si vous eussiez rapsommes
assurés que
porté plus au long ce trait de notre Lettre
, ou que vous eussiez aimé à méditer
plus attentivement
ce qui se passe dans les differens tems de l'action de l'Eau de
vie , vous auriez été moins scrupuleux
sur vos doutes.
{
Permettez
moi , Monsieur , de vous
dire ici qu'il faut ou que vous n'ayez
jamais pris par excès des liqueurs ardentes
, ou que vous n'ayez jamais vu des
gens
livrés à la débauche de l'Eau de vie
et du vin , pour nier la langueur , l'abattement
qui les ensevelit dans le sommeil,
et qui se fait sentir même quelque tems
après le repos ; sans cela il ne vous seroit
pas difficile par ces grands effets qu'une
quantité considerable
de ces liqueurs peut
produire très sensiblement
, d'inferer ma
thematiquement
par des calculs exacts
que vous faites si bien , quel doit être ce
lui d'une plus petite dose ; que si cepen-
Diiij dant
68
MERCURE DE
FRANCE.
faire
dant l'experience qu'un chacun peut
à ses propres dépens n'est pas un moyen
assuré pour vous convaincre du fait dont
il s'agit, tenez vous en à Regnier qui sçait,
sans doute , mieux que Sidenham & c.
Qu'un jeune Medecin vit moins qu'un vieil yvrogne.
C'est sur ce Vers que le Poëte n'a pas
crû , en le faisant , devoir servir de regle
dans la
Medecine , que vous croyez tout
de bon que le témoignage des buveurs
d'Eau de vie ou de vin ne nous est pas
avantageux , fondé veritablement encore
sur ce que s'ils sont exposés aux maladies
rapportées dans notre Lettre , les buveurs
d'eau n'en sont point exemts . Mais je vous
demande ( à part , s'il vous plaît , votre
grand air de confiance ) lesquels de ces
deux sortes de gens sont plus sujets à ces
mêmes maladies ? parlez sans vous émouvoir.
Quoique vous en disiez , on sçait
fort bien que dans le Pays du Nord ou
l'on se permet trop librement ces sortes
de liqueurs , les habitans se voyent tourmentés
de mille maladies , plus rares dans
tout autre climat où l'on est plus reservé
sur leur usage. Il n'est point question de
l'abus de l'eau simple ou de l'Eau de vie ,
on ne nous apprendra rien là dessus ; il
s'agit seulement de cet usage des Eaux
de
JANVIER. 1731. 69.
de vie qui a scû s'introduire parmi les
hommes , et qui fait voir bien souvent
au prix de la perte de la santé d'un très .
grand nombre , qu'il vaudroit mieux suivre
la saine pratique de Fernel de Sydenham
&c. que toutes les rêveries des
Poëtes que vous pouviez rapporter en,
grand nombre contre de si grands Medecins.
Qu'on ne nous accuse point ici cependant
de desaprouver l'Eau de vie ; nous.
sçavons aussi bien que ceux qui semblent
présomptueusement vouloir nous instruire
sur ce sujet , les bons usages que cette
liqueur spiritueuse remplit dans la Mcdecine
comme remede , soit qu'on l'employe
exterieurement ou interieurement,
nais qu'on la regarde comme necessaire
pour la santé. C'est ce que la Medecine,
ne pardonnera jamais à ceux qui font profession
de suivre sa saine doctrine ; il,
n'est pas possible de penser combien j'ai
été touché de reconnoitre dans un de mes
confreres un si fier ennemi contre un sentiment
qui ne peut qu'être salutaire à
l'homme dans le tems que le sien lui
est très dangereux ; en effet , puisque nous
voyons tous les jours des gens dans l'usage
de l'eau douce route pure joüir d'une
parfaite santé , l'homme ne pourroit-il
pas se passer de l'Eau de vie et se bien
DV porter
70 MERCURE DE FRANCE
porter ? dans les siecles plus reculés où
cette liqueur n'étoit point connue , vivoiton
moins qu'aujourd'hui ? les vieux yvrognes
du tems présent ont-ils une plus
belle vieillesse que ceux qui les ont devancés
loin de l'usage du vin où des liqueurs
ardentes ? que peut- on penser sur
cela ? Enfin doute qui voudra que
la maladie
doive plus à l'Eau de vie que la
santé parfaite dans un doute si dangereux
, il n'y aura que des témeraires et
des insensés qui se livreront au danger.
Malgré toute la sagesse de ces précautions
séduisantes que vous exigez dans l'usage
de l'Eau de vie après des grands repas , sous
le faux prétexte d'aider à la digestion
bien loin d'approuver votre pratique en
pareil cas , nous regardons cette liqueur
comme très contraire à cette fonction ;
et la méchanique que vous faites jouer
dans le secours qu'elle y apporte est toutà
fait ridicule. Cette liqueur acide et spiritueuse
, dites vous , tombant dans l'estomac
, perd son activité dans les parties
graisseuses des alimens , et ne garde qu'une
legere force pour exciter la contraction
de ce viscere affaissé sous leur poids ; comme
s'il se trouvoit dans les alimens divic
sés de petites celulles capables de retenir
ces parties spiritueuses , qu'une bouteille
bien bouchée laissé souvent échaper , et
d'en
JANVIER. 1731 7I
d'en refrener l'énergie. Les rapports vi
neux après une débauche semblent nous
montrer assez vrai semblablement qu'il
doit se passer pour lors dans l'estomac
échauffé en tout sens , farci d'alimens et
de vin , ce qui se passe à peu près dans
un alambic sur le feu , où les parties les
plus volatiles de ce qu'on distile ne sçauroient
se tenir cantonnées , intriquées
bien avant dans la texture du mixte , mais
se trouvent forcées d'obéir aux secousses.
du feu , et de donner lateralement en tout
sens contre ses parois , ou de sortir à la
faveur de la premiere issuë qui se présente.
Maintenant si notre conjecture n'est
pas trop hardie , et si on doit attendre un
semblable effet dans l'estomac après l'usage
du vin , quel sera celui des liqueurs
plus volatiles ? c'est alors que les parois.
de ce viscere continuellement agacées ,
arcelées par un nombre infini de petits
corps rigides effarouchés , qui ne peuvent
que les tourmenter considerablement dans
Feurs rudes et fréquentes atteintes , sont
obligées d'exercer des contractions vio→
lentes et extraordinaires dont la digestion
se passeroit plutôt que d'en recevoir du
secours. Vous direz , sans doute , que lesromac
affaissé sous le poids de trop d'alimens
a besoin d'être reveillé pour s'em
dégager.
D vj
Om
72 MERCURE DE FRANCE
>
On répond à cela que comme cette inhabileté
dans le jeu de ces contractions
ne vient que de trop de résistance qui
s'y oppose il ne faut pour les rendre
plus libres , plus aisées , que la diminuer .
Est- ce par le secours des Liqueurs ardentes
qu'on doit esperer d'y réussir ? Mais
au contraire , elles ne serviroient qu'à
dessecher ou durcir davantage cette masse
d'alimens , soit en interceptant le cours
de la Lymphe stomacale , soit en tarissant
la source de la salive et des autres
sucs lymphatiques qui vaquent à la dijestion
; ce qui augmenteroit la résistance
et rendroit les contractions plus laborieuses
; un bon délayant insipide , propre
à s'insinuer dans la masse des alimens
divisez , à la ramolir , à la détremper ,
à la liquefier et à la rendre ainsi docile
aux pressions de ce Viscere et des parties
voisines , suffit pour l'ouvrage de la digestion
; et comme de tous ceux que la
Nature a toujours offerts à l'homme , il
n'en est point de plus capable de s'acquiter
benignement de cet emploi , que
l'eau douce toute pure ; nous la regardons
comme très - salutaire dans cet usage;
alors les alimens en pâte plus détrempée,
plus mole , résistent moins et cedent aisément
aux contractions de ce Viscere
qui s'en dégage sans peine.
Les:
JANVIER. 1731. 73
·
que la
Les Acides de l'Eau de vie ( continuezvous
) fermentant avec les alimens , se
changent en Sels salez , aident à la division
des viandes , passent dans le sang ,
en accelerent le cours et les sécretions.
Croyez vous de bonne foi
chose se passe de même , et pouvezvous
sur votre même air de confiance
nous proposer publiquement une Méchanique
si mal établie ; de semblables.
raisonnemens ne méritent point de réponse
aux preuves que l'on apporte pour
les soutenir ; car outre qu'il se peut fort.
bien que ces Acides ne rencontrant que
des Acides dans les alimens , vous aurez
beau attendre pour lors de la fermentation
et des changemens en Sels salez
que d'ailleurs le chyle qui résulte après.
la dijestion , étant acide et non point salé,
votre changement est imaginaire , c'est
qu'on ne sçauroit convenir avec vous que
l'Eau de vie est un veritable Acide , et.
que prenant les routes du sang , s'il étoit
vrai que cela fût , loin d'en accelerer le
cours , elle ne dût plutôt le ralentir . Enfin
quand même vous auriez droit d'accuser
votre Sel salé d'augmenter le mouvement
des Liqueurs et des sécretions ,
vous avez oublié, sans doute , qu'on ap-.
prend sur les bancs que le cours des Liqueurs
augmenté , est une maladie dans
leurs
བྱ་
74 MERCURE DE FRANCE
leurs mouvemens que l'Eau de vie occasionne
dans son usage , suivant même
Votre sentiment , qui voudroit la faire
passer pour une Eau de santé.
Puisque vous avez pû vous dispenser
de citer les Auteurs de vos fameuses Experiences
, vous auriez pû aussi beaucoup
mieux vous épargner cette délicatesse affectée
qui vous rend si honteux pour ceux
qui les ignorent , et qui n'en font aucun
cas dans des faits étrangers à notre sujet.
On doit regarder l'Eau de vie dans son
usage interieur , quelque moderé qu'il
soit , comme un remede qui altere le
corps , Pharmaca sunt venena , et non
comme un aliment. Ainsi on peut , sans
craindre de perdre un secours pour
la santé
, s'en priver totalement ; et je conseille
à ceux qui se portent bien sans son usage ,
de ne point envier de se mieux porter
en la pratiquant ; Ovide n'est point une
regle pour nous dans la Medecine`, nous
consultons moins ses Ecrits dans l'Art
de guérir , que dans l'Art de plaire ; et il
faut , à la verité , ou que vous ne connoissiez
nullement vos Auteurs , dont vous
auriez pû préferer l'autorité , ou que vous
croyez que les Poëtes ont droit sur des
hypotheses comme la vôtre .
On reconnoît assez maintenant , sans
no en avertir vous -même , que tout ce
que
JANVIER. 1731.
75
que vous nous dites sur l'Eau de vie , n'est
pas si démonstratif que vous le donnez ;
mais plutôt , puisque vous avoüez ingénument
qu'il vous reste encore bien des
doutes sur ce sujet , n'a-t'on pas raison
de penser que dans cette incertitude des
choses où vous vous trouvez , les gens
raisonnables ne s'en rapportent plus à
vos belles paroles , ainsi ayant déja perdu
par un aveu si sincere de votre part , unebonne
partie de leur confiance , nos éclaircissemens
sur vos doutes , vous ayant entierement
desabusé de la votre propre ;
sera-t'il surprenant qu'il n'en reste à present
du tout point à personne ?
Au reste , Monsieur , on auroit grand
fort de ne pas vous juger digne d'excuse ,
vos doutes ne nous ont amusés que très-peu
de tems , et nous n'avons dérobé à nos
Malades que quelques momens pour les
éclaircir quelque grand que soit cet air
de confiance que vous voulez vous donner
en les proposant , ils ne nous ont
pas paru plus recommandables ; tout au
plus de semblables productions d'esprit ,
suivies d'un si grand bruit , ont sçu nous
rappeller la Fable dont parle Horace.
Quid dignum tanto feret hic promissor hiatus
Parturient montes , nascetur ridiculus mus.
A Pezenas , ce 24. Decembre 1730 .
RE
76 MERCURE DE FRANCE.
*******: * :*: * X *XXXX
REPONSE à l'Epitre en If , de
M. l'Abbé L *** inserée dans le Mercure
du mois d'Août 1730 .
Parbleu Arbleu ! vous faites l'apprentif ,
Et vous montrez le plus chetif,
Malgré l'amusant narratif,
Et le parfait compositif ,
De votre versificatif !
Quoi ! sans aucun émulatif,
Et quittant tout ostentatif ,
Yous êtes annonciatif¸
Que votre renonciatif ,
Est causé par le défestif ,
Du litteraire plumitif ,
Qui n'ayant plus de munitif ,λ
De ces mots qui riment en If ,
Vous rend assez peu restrictif a
Et vous vous tenez inactif ,
Dans ce honteux limitatif?
Mais dans votre imaginatif ,
Ou si l'on veut intellectif ,
Vous n'avez donc pas d'argent vif
Le Dieu Phoebus inspiratif ,
Est donc sourd à tout rogatif
Et d'Hélicon le libatif ,
N'est
JANVIER.
77 1731.
N'est pas pour vous excitatif?
Sans quoi votre cerveau fictif,
Cedant à son operatif,
Auroit été plus inventif;
Et de bien des mots créatif
Dans ce même terminatif,
Dont par aisé cumulatif ,
Vous auriez fait un productif,
A notre gré prolongatif ,
Et de tout Lecteur adoptif.
Des Noms et Pronoms l'ablatif
Auffi bien que le genitif ,
Et des Verbes le gerondif ,
Sans oublier le fubjonctif ,
Et même tout nom possessif ,
Auroient par incorporatif ,
Beaucoup augmenté l'électif,,
De votre borné collectif.
En nous décrivant l'ornatif
Et l'arrangé décoratif ,
De ce repas saturatif,
Qui se trouvant appetitif ,
Vous rendit par trop repletif ,
Ce gros Prieur figuratif,
De son corps peu maceratif ,
"
Ains pour le repas propensif,
L'auroit rendu prorogatif ,
En faisant faire innovatif,
D'assiete , avec exhibitif,
D
D'um
48 MERCURE DE FNANCE
D'un plat garni d'un rôt de bif,
Délicieux et tentatif ,
Malgré le surérogatif ,
Dont son couteau très-incisif
Ayant fait un prompt dissectif,
Vous auriez eu le traditif
Avec pressant invitatif ,
Poussé jusques à l'injonctif ,
D'un morceau très - manducatif ,
Et d'appétit imitatif,
Le vin non falsificatif ,
Dans un sceau de glace immersif ,
Et dans votre verre effusif,
Frais et non réverberatif,
Eut été plus incitatif,
De boire par iteratif , 愿
Et vous cût rendu locutif,
Par forme de gratulatif.
Sur sa fraîcheur exclamatif.
Puis du dessert expectatif ,
Il falloit être informatif,
De quel Vignoble émanatif ,
Ce vin étoit transpositif ;
A combien par supputatif ,
Se montoit le rétributif ,
Du Prieural habitatif ,
S'il avoit un attributif ,
De quelque revenu censif ;
Que coutoit le réparatik ; -
Et
JANVIER.
79 1731.
1
Et de combien par exactif ,
Aux Décimes contributif ,
Il en souffroit le vexatif ,
Sous quel bon Saint invocatif ,
De son Clocher dominatif,
Il se trouvoit occupatif,
Et depuis quel tems obtentif;
Si dans l'Eglise un positif, *
Au maître Autel oppositif ,
Avoit un Jeu bien diversif,
Et de tous sons imitatif;
Si lors de son visitatif ,
Son jeune cheval impassif ,
Faisoit frequent évolutif ,
S'il avoit pas bien progressif.
Et de ce discours mutatif,
Vous l'auriez comme indignatif,
Vû faire le renovatif,
De fait au long explicatif ,
( Avec plus d'un imprécatif,
En terme non mitigatif , )
De certain procès dévictif ,
Qu'un Chicaneur supplicatif,
En Cour de Rome impétratif,
D'un Bref dont l'intitulatif,
Est celui de dévolutif,
Lui fit jadis comme intrusif,
* Petite Orgue posée au bas de la grande.
Par
80 MERCURE DE FRANCE
Par exploit interpellatif,
En haîne du révocatif ,
D'un sien accord permutatif ,
Et contre les Loix extorsif ;
Sur quoi par trop inattentif
Le Chicaneur machinatif ,
Surprit Jugement forclusif;
Mais que par un évocatif,
Suivi d'un examinatif ,
Et d'un très - exact révisif ,
De son droit verificatif ,
Il avoit le procuratif,
D'un bon Arrêt manutentif,
Et de frais adjudicatif,
Dont il étoit exultatif,
Et son Plaideur tribulatif;
Que pourtant fort inclinatif ,
A prévenir tout discussif ,
Et d'âge non retrogressif,
Il formoit le méditatif”,
De faire son résignatif ,
Avec un sur moderatif,
Irritament stipulatif,
Et dans l'Acte même insertif,,
D'une pension rétentif ,
Revétu d'homologatif ,
Non sujet à rétractatif.
- Là , cessant le contemplatif ,
Et de son discours irruptif,.
Votre
JANVIER.
< 1731 .
Votre perçant lamentatif ,
L'auroit rendu stupefactif,
Et vraiment mortificatif ,
De ses fàcheux révolutif,
Vous voyant plaindre d'excessif ,
Et trop incommode oppressif,
D'un violent suffocatif
D'estomac extenuatif;
Qu'en Medecin transformatif,
Et toujours irrésolutif ,
Dans son avis vacillatif ,
Il eût traité d'opilatif,
Et même de vaporatif ,
Venant de ventre inflammatif.
Votre pouls moins élevatif ,
Votre coeur peu palpitatif ,
Eût fait son préoccupatif ;
Sans songer au fomentatif ,
Il eût proposé l'inflictif ,
D'un sanglant scarificatif ;
Et malgré votre déjectif ,
Selon vous , évacuatif ,
Vous auriez par intercessif,
Crainte d'aucun imputatif,
Avalé l'amer infusif ,
D'un gros de Séné transfusif ,
Violent et répercussif,
Avec Sel évaporatif,
Mineral
82 MERCURE DE FRANCE
Mineral et vegetatif,
Qu'il eût dit spécificatif,
Pour operer le digestif,
Par son effet dissolutif,
Et parfaitement abstersif.
Après ce premier purgatif,
Votre sang peu circulatif ,
Et devenu fermentatif ,
Auroit souffert l'introductif
Du remede carminatif ,
Et même du palliatif ;
Quoique du mal peu suppreffif,
Et presque toujours abusif ,
Pour n'être assez liberatif.
Enfin rendant le relatif ,
( A l'aide d'un suppositif ,
Un peu forcé , mais extensif. )
Pour le Lecteur désolatif,
Vous vous seriez , par disjonctif ,
De la terre en mer translatif ,
Embarqué près du Château- d'If , *
Dans un Vaisseau navigatif,
Dont un gros tems tempestatif ,
Ayant fait un rude implusif,
Sur un Rocher laceratif,
Vous auriez , peur du sumèrsif,
Sauté promptement dans l'esquif,
Au gré des eaux dérivatif,
Isle près de Marseille,
酥
JANVIER.
83 1731. Et de
tout secous privatif ,
Ne portant jamais Papefif , *
Et n'ayant besoin d'accoursif ;
Ou seul , et très - anxiatif ,
De mort prochaine appréhensif,
Au bon saint Nicolas votif ,
Et de tous Saints imploratif ,
Mécreant , après maint estrif,
Fer à la main décolatif,
Et très-souvent mutilatif,
Ayant Pair exterminatif ,
Et le geste verberatif,
Vous auroient pris comme furtif
Et comme espion putatif
De son fait dissimulatif,
Mis avec cordon coactif
Vos mains enserré conjonctif ,
Presque jusqu'au dislocatif ;
Et par l'effet consecutif,
Aussi l'on veut subsecutif,
D'un secret déliberatif ,
De votre sort définitif ,
Vous auroient sans exhortatif ,
Et differant votre occisif ,
Traîné dans leur Ville Eleatif.
Là vous auriez vû le Cherif ,
* Partie superieure de la grand Voile.
Passage de la Proie à la Poupe.
* Elcatif, Ville d'Arabie.
Qu'on
84 MERCURE DE FRANCE.
Qu'on dit se nommer Ilgerif ,
Plus fier qu'en France aucun Baillif
L'oeil fixe et jamais conversif
Avec un air rebarbatif
Et le verbe haut et jussif ,
Sans le moindre salutatif,
Vous faire l'abord primitif,
( Ainsi qu'on traite un fugitif, )
Don cruel et numératif,
Sans aucun modificatif ,•
De cent coups d'un bâton massif
Qui des pieds est le destructif ,
Ensuite un interrogatif
Très- sec & très-instigatif,
Par quel veritable motif
Chez lui vous étiez adventif,
De quel Pays étiez natif,
De quel Peuple fréquentatif,
De quel pere generatif,
Et de quel nom appellatif,
Avec certain observatif,
Que fussiez surtout attentif
Dans tout votre déclaratif ,
A n'être du vrai corruptif ,
Mais bien très fidele instructif :
Qu'autrement très reprehensif,
Il feroit faire un erectif,
De votre col très - suspensif ,
Après quoi du corps divisif
Chaque
JANVIER.
85 1731.
Chaque membre séparatif
Occuperoit son locatif
Au bout d'un piquet plantatif .
Si mieux vous n'aimiez l'éversif
D'un plomb fondu plus que frictif ,
Ou qu'un grand brasier très- arsif,
De tout votre corps abstractif,
Fût de vos os calcinatif.
A ce barbare conclusif,
De l'un et l'autre alternatif,
Votre fang coagulatif
Vous eut causé le convulsif ;
Et n'étant rien moins qu'obstructif ,
Un subit et promt soustractif ,
Pour chaque nez très-offensif,
Tout autant qu'un suppuratif ,
Auroit par multiplicatif,
Gâté le purificatif
De votre linge deffensif.
Puis sur la fin constitutif,
Après un simple affirmatif,
De verité confirmatif ,
Vous auriez fait un responsif
Pour votre salut solutif ,
Et votre représentatif
N'ayant rien que de probatif,
Et pas aucun fait négatif ,
Nous aurions vû notre Cherif,
Devenu plus adulatif,
E Yous
8 % MERCURE DE FRANCE.
Vous faire communicatif ,
Ou plutôt gratificatif ,
Par forme de restauratif ,
D'un Sorbet bon et potatif,
Et nullement alteratif .
Dieu vous donne bon reversif ,
Et vous garde du suggestif ,
De tout heritier présomptif ,
Qui , sous un faux démonstratif.
N'aimant que votre successif ,
Et craignant le subrogatif ,
De tout Acte substitutif,
Voudroit avoir l'institutif,
Sans aucun mot dérogatif ,
D'un testament nuncupatif
Pour l'universel lucratif
De maint contract pignoratif.
Or sus , pour peu que processif
Soyez , ou bien vindicatif,
Vous me rendrez le respectif ,
Lequel ( sauf le restitutif )
J'attends en froid speculatif.
Auteur de ces Rimes en If ,
Soyez un peu mémoratif,
Que par avis iteratif,
On affranchit tout productif,
Au Mercure destinatif,
Sans
JANVIER. 1731
Sans quoi le plus bel inventif,
Sera mis au rebutatif.
Soyez aussi plus attentif ,
A ne broncher sur l'élisif ;
Cela rend le Vers bien chetif ,
Mais nous avons fait corrrectif.
****************
REFLEXIONS sur la conjecture
proposée , touchant la correction d'un endroit
des traductions d'Horace.
N raisonnant ces jours passez avec
ENun Gramairien , sur la remarque inprimée
dans le Mercure de Juin , page
1350. la premiere pensée qui m'est venue
a été , qu'il n'est nullement deffendu de
s'opposer au torrent des Traducteurs ou
Interpretes des Aureurs Classiques. Je suis
ensuite allé plus loin , et j'ai cru qu'il
étoit necessaire de faire sentir aux Imprimeurs
le tort qu'ils ont de faire copier
souvent les fautes des manuscrits. Il n'est
pas
étonnant
, disois
-je , que
ceux
qui
lisent
Cornicula
dans
Horace
, traduisent
ce terme
par
celui
de Corneille
. Peut
-être
n'ont
-ils pas
bien
examiné
s'il
faut
veritablement
lire
Cornicula
dans
ce Poëte
,
et si ce
mot
a toujours
été
écrit
ainsi
.
Dès
lors
je
suis
tombé
d'accord
avec
E ij
l'Au-
-
88 MERCURE DE FRANCE.
sert pour
l'Auteur de la conjecture proposée , que
le mot Cornix écarte tout- à- fait l'idée de
Geai ; mais sans user du détour dont il se
faire valoir son sentiment, voicy
la pensée que je hazardois. Je ne prétendois
point qu'il en dût être autrement
de Cornicula par rapport à Cornix , que
de graculus par rapport à gracus et de
hædulus par rapport à heedus. Je présumois
seulement que le substantif corvus
avoit pû avoir dans l'antiquité ses diminutifs
, de même que ces trois autres coravec
l'autre avant
nix ,, gracus et hædus , et qu'ainsi on a pû
'dire corviculus et corvicula. Il seroit ennuyeux
de produire une infinité d'exemples
où l'on voit que la lettre n a été
prise pour la lettre . Ces méprises sont
venues de la ressemblance que l'une avoit
que dans l'écriture latine
on eut inventé une v consone pour
le besoin , et chez les grecs même la ressemblance
de ces deux caracteres est si
grande, que je lisois encore dernierement
dans le Journal des Sçavans du mois de
Juillet, que c'est sur le principe de cette
conformité que M. l'Abbé Sévin s'appuye
pour avoir la veritable lecture d'un
passage d'Hésiode ; ensorte qu'au lieu
de Dion genos , il faut lire, selon lui , Dion
genos.
Dans le texte de notre Poëte , il ne s'agit
JANVIER. 1731. 89
git point de race divine , mais de race.
corvine. Le Geai étant donc compris sub
genere corvino , selon l'Auteur de la Remarque
, qui me paroissoit suffisainment
autorisée , en ce que les bons Dictionaires
rendent le xoλe d'Esope , par le
terme Graculus . J'en concluois que si
Graculus signifie un Geai , xoxoids est
surement cet oiseau , et non pas la Corneille.
Mais comme il n'est pas certain
que graculus soit le Geai . C'est ce qui
doit arrêter toutes les consequences qu'on
pourroit tirer en supposant la chose.
D'ailleurs , la conjecture par laquelle on
prétendoit qu'Horace a mis originaire
ment corvicula, ne peut se soutenir , parce
que le Poëte , pour faire son vers , a
du mettre un mot dont la seconde syllabe
fût longue. Or la seconde de corvi
cula ( si ce mot existoit ) seroit breve , suivant
les regles des dérivez.
Comment donc ajuster tout cela : Ce
ne sera point en suivant l'auteur de la
conjecture dans tous les raisonnemens
qu'il fait , mais seulement dans quelques-
uns. Il a raison d'improuver ceux
qui croyent qu'Horace et Phédre ont
voulu désigner un oiseau different , et ilne
faut pas s'imaginer que le graculus
de celui- ci , soit different du cornicula du
premier.
E iij L'Augo
MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur doit , selon moi , revenir au
sentiment de Furetiere , qui dit que
graculus n'est point le Geai. A la verité
son Dictionaire ne renferme point de
Dissertation pour le prouver ; mais je
suis persuadé qu'il n'a pas pris la négative
sur cet article sans avoir de bonnes
raisons . Laissons donc les Traducteurs
d'Horace dans l'usage de prendre l'oiseau
de la fable pour une corneille ; et
tâchons seulement d'empêcher ceux qui
dans la suite traduiront Phédre , de rendre
le mot graculus par celui de Geai .
Déja il faut avouer que le terme latin
n'a pas grande affinité avec le françois
et c'est un assez grand fondement pour
douter.
J'avoue encore une fois que le noλorde
κολοιός
des Grees , et le graculus des Latins sont
le même oiseau. Il faut attribuer à
gram
eulus tout ce que les Grecs ont dit du ca
quet importun et désagréable du xoxoide.
figure des grands parleurs , qui cherchent
leurs semblables, et qui se plaisent à s'at-
Troupper pour faire grand bruit. Si le
Geai aime à jazer , le Graculus se plait à
grailler. Ces deux sortes d'oiseaux sont
loquaces, pour ainsi dire , et cependant ils
sont differens. Je n'ai point dans ma solitude
tous les Livres des Auteurs Payens
des premiers temps , qui ont parlé de ces
SOEJANVIER.
1731. 9:19
sortes d'animaux ; mais parmi quelques
collections que j'ai faites des Ecrivains
des moyens temps , je trouve un Historien
du huitième siècle , Auteur de la
Vie de S. Frichoux ou Fructueux , Archevêque
de Brague , en Portugal , mort
en 665 , lequel s'exprime ainsi : Nigras
parvasque aves quas usitato nomine vulgus
graculas vocitat , mansuetas in Monasterio
babuisse perhibetur. Il est important de
remarquer icy que selon ce texte , graculus
ou gracula est un oiseau de couleur
noire. Or le Geai n'est pas un oiseau
noir ; il est varié dans sa couleur.
Outre cela le but de l'Auteur de la
fable n'eût pas été assez sensible , ni le
sujer assez exactement traité , s'il eut
pris pour le fond de sa moralité un oi
seau qui eut eu un plumage de diver
ses couleurs , et qui n'eut point été laid
à voir. Il vouloit representer un oiseau
different du Paon, generalement en tou
tes choses , un oiseau peu agréable à la
uë , un oiseau d'un plumage uniforme
et de couleur lugubre et triste , lequet
dégouté de sa propre laideur , qui le faisoit
mépriser , avoit entrepris de se mé
tamorphoser en un autre oiseau infiniment
mieux habillé .
Sur le fondement de la disproportion
des deux oiseaux , la morale étoit ensuite
E iiij bien
92 MERCURE DE FRANCE.
*
bien plus sensible, et tomboit bien plus
visiblement sur ceux qui honteux de leur
pauvreté ou de la sterilité de leurs_talens
, se parent et s'ornent des biens et
des productions d'autrui . Je conclus
donc tout au contraire de la remarque.
inserée dans le Mercure , que ce sont les
Traducteurs de Phédre qui ont tort , et
non pas ceux d'Horace ; et qu'il ne faudroit
point intituler cette fable du Geai
glorieux , mais de la Corneille glorieuſe. Il
me paroît que l'Auteur a eu intention
de parler d'un oiseau semblable à nos
Corneilles. Il ne seroit peut-être pas même
hors de vrai-semblance que cet oinommé
par l'un de nos Auteurs
Latins , graculus , et par l'autre cornicula,
fut la Pie. On trouve dans cet oiseau
la loquacité reconnue par les Anciens.
dans le graculus , et elle est d'une espece
noire. Outre cela c'est un oiseau
qu'on apprivoise facilement ; cela convient
avec le texte de l'Auteur de la
Vie de S, Fructueux , qui écrivoit il y a
mille ans .
seau ,
. La Corneille dont il est fait mention
dans la Vie de S. Sour , Hermite en Périgord
, au sixième siècle , étoit un oiseau
domestique ; mais le nom de Cornicula
employé par l'Ecrivain de cette Vie , fait
croire qu'elle étoit de la couleur de nos
"
CorJANVIER.
1731. 93
Corneilles , et par consequent si on veut
allier en quelque maniere la domesticité
de cet oiseau avec sa couleur , on peut
dire que c'est la Pie . Il est vrai que la Pie:
et le Geal se ressemblent aussi du côté
de la domesticité ; peut-être est- ce pour
cela que les vocabulaires du moyen
temps , tels que celui de Papias de Lom.
bardie , identifient Gaius , Gaia , avec
Picus et Pica. Mais il y a trop de difference
du côté de la couleur , pour pou-.
voir dire que l'un soit l'autre. Et comme
dans la fable , c'est de la variété du
plumage qu'il est question , autant ques
principe de la beauté, je reviens toujours
à dire que l'animal le plus triste en couleur
et le plus laid en plumage , est celui
que nos Poëtes ont eu en vue , et non cefui
dont le plumage est aussi varié que
l'est celui du Geai . Et puisqu'il n'est pas .
rare de trouver des Geais blancs , trèsagréables
à la vue ; c'est une justice
qu'on doit rendre à cette espece d'oiseau
que de ne la pas mettre dans la catégorie:
des oiseaux naturellement laids , qui ont
besoin d'emprunter du Paon ,de quoi se
farder et s'embellir ..
que
Ce 2. Aouft 1730 ..
EV EXPLE
94 MERCURE DE FRANCE .
*****************
EXPLICATION de l'Enigme du
I vol. du Mercure du mois de Decembre
, & des deux premiers Logogryphes.
UN doux maintien , une agréable humeur „
Souris flateur , simple parure ,
Un beau Chef- d'oeuvre de nature ,
Beaucoup d'esprit , d'enjoüment , de douceur.
Un teint vermeil , un brillant coloris ,".
Des Dents plus blanches que l'ivoire ,
Gorge d'albâtre , et point de gloire
C'est le portrait de l'aimable Phylis .
Je crois
En vain m'appelle - t- on Hibou ,
que c'est un avantage ,
De porter le nom de Sauvage ,
Plutot que celui de Cousou.
Le Cul assis près de mon feu
Je laisse passer la gelée ,
Je dors la grasse matinée ;
Je dîne bien , et soupe peu..
F. M. Nic H
On
JANVIER. 1731. 25
On a dû expliquer le dernier Logogrife
du premier vol . du mois dernier
par Aigle.
L'Enigme du deuxième volume s'explique
par Dez; et les Logogrifes par
Maire et Collecteur.
J
ののの
ENIGM E.
E vas vite , et je vas toujours ,
Je ne trouve rien qui m'arrête :
Le vent , la pluye , la tempête ,
S'opposeroient en vain à mon rapide
cours.
Je donne et ravis les richesses ,
Je renverse les Forteresses.
Et mets l'intelligence entre les ennemis ,
Que l'on désesperoit de voir jamais unis.
Contre ses crean ciers , tel mon secours implore ,
Qui se verroit persécuté ,
Si par
bonheur pour lui je n'avois acquité ,
Ce qu'au fond il leur doit encore,
Iv LOGO
96 MERCURE DE FRANCE.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
J
LOGOGRYPHE.
E fais la nourriture ,
Des plus vils animaux.
Un pied de moins , je change de nature ;
Sur la table des Grands , je vais après le rost ,な
Me ranger par figure ;
Partagez ma structure ,
Sur moi jadis , plus d'un Héros
Dans Rome , à ce qu'en dit l'Histoire ,
'Après mille dangers , après mille travaux
Promena son renom , ses exploits et sa gloire.
A qui compte chez soy maint et maint Ducaton,
Je sçais faire rouler Carosse et Phaeton
Deux pieds de plus en font l'affaire ;
Otez-en deux , hélas ! Riches , Grands de la
terre ,
Un jour sera que dans votre saison
Moissonnez par la Parque
Vous quitterez le Phaëton ,
Pour prendre place dans ma Barque.
D.. D..
DEUJANVIER.
1731 97
DEUXIE ME LOGOGRYPHE.
J E suis un breuvage conmu
Mais , qui n'est point par tout egalement couru ;
Une Lettre de moins , je change de substance ,
Et suis divers en forme , aussi bien qu'en cou
1
leur ,
Mais
, si d'un
Element
j'éprouve
la rigueur
C'en est fait de ma consistance :
Si dans cet état actuel ,
Vous abbatez mon chef , je suis péché mortel ;
Qu'autre tête me soit donnée ,
Mon propre est d'expliquer , quand on veut la
pensée.
Arrangez-moi d'un autre sens ,
Je suis la marque des vieux ans.
Choisissez sur mon tout deux membres à ras
battre ,
Je serai piéce de Théatre.
A la Fere , le 16 Aoust 1730,-
D ...
NOU,
98 MER CURE DE FRANCE.
***************
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS, BC,
UVRAGES manuscrits d'Eusebe
Renaudot , de l'Académie Fran-
,
çoise . Extrait d'une Lettre écrite aux Auteurs
du Mercure , le 1 Decembre 1730. I
En continuant de donner des Extraits
des Mémoires pour fervir à l'Hiftoire des
Hommes Illuftres dans la République des
Lettres , & c. recueillis par le R.P. Niceron
, à mesure que chaque volume paroît
, j'ai gouté les choix que vous avez
faits , et je n'ai point désaprouvé les libertez
que vous avez prises en quelques
occasions en faveur de la verité , et pour
l'instruction du Public , persuadé que
l'Editeur même des Mémoires ne peut
que vous en sçavoir bon gré.
On est cependant surpris que dans votre
dernier Extrait qui regarde Eusebe
Renaudot , vous n'ayiez point relevé les.
termes trop durs , dont cet Editeur s'est
servi en parlant de la critique du R. P.de:
Premare , de la Compagnie de Jesus , sur
l'ouvrage de l'Abbé Renaudot , qui concerne
la Chine. Ces termes ont paru
d'auJANVIER.
1731 .
d'autant plus impropres et outrez à plu
sieurs personnes désinteressées , que le
P. de Prémare lui - même , en ne pensant
pas , comme notre Sçavant , sur le sujet
en question , le traite cependant avec
toute la politesse possible , et ne sort jamais
des bienseances. Il est à croire quesi
le livre du P. de Prémare avoit paru
du vivant de l'Abbé Renaudot , celui- cy
auroit pu répondre et donner des éclaireissemens
qui auroient peut-être satisfait
et le Public et son illustre Adversaire.
Le P. Niceron a eu raison en parlant
des Ouvrages manuscrits du Sçavant
Abbé , de dire que leur nombre surpasse
de beaucoup celui des Ouvrages imprimez
; les Benedictins de S. Germain des.
Prez ne les possedent pas encore , mais
cela n'empêche pas qu'on ne sçache bien
en quoi consistent ces Manuscrits . Ap--
paremment l'Editeur des Mémoires n'a
pas pû pénétrer jusques - là . Il est juste
que le public profite de la facilité que
j'ai eue , non seulement d'en voir plu--
sieurs fois le Catalogue , mais encore d'en
prendre une copie du vivant et de l'agrément
de l'Auteur. Je vous envoye cette
copie , et vous pouvez compter qu'elle
est exacte.
Euse
235165
TOO MERCURE DE FRANCE.
EUSEBII Renaudot , Opera Manuscripta
, et nondum edita .
2
L. De Nestorianis et Nestorianæ
Sectæ propagatione ,
vol. cum Apographis.
II. De Jacobitarum circà duarum
in Christo naturarum
unionem sententiâ , Apo- ,
graphum duntaxat..
III. Excerpta variorum Theologorum
Jacobitarum , quibus
suam ipsi doctrinam
explicant de naturarum duarum
in unam coalitione ,
Apographum.
IV. De hymno Trysagio..
V. De Ecclesiâ Copticâ.
VI. Excerptum ex Codice Vaticano
Quæstionum secundùm
doctrinam Ecclesiæ
Copticæ , cum Apographo.
VII. De Linguâ Copticâ tractatus
diversus ab eo quem Author
, Tom. II. Lyturgiarum
Orientalium edidit.
VIII . De Ecclesiâ Æthyopicâ cum
Apographo.
IX. Item. de eâdem
Æthiopicâ.
X. De Maronitis..
Ecclesia
XI..
JANVIER. 1731 口
XI. De Nestorianis cum Apographo
, sed imperfecto.
XII. De Melchitis.
f
XIII. De Theologiâ Orientali .
XIV. De Fide , Moribus et Institurtis
Christianorum Orientalium.
XV. De Eucharistiâ , ubi .
1. Orientalium Theologorum doctrina
de transmutatione elementorum in Corpus
et Sanguinem Christi. *
2. Observationes ad relata huc usque
testimonia, tàm ex publicis officiis, quàm
ex Theologis Orientalibus circa doctrinam
præsentiæ realis.
3. Observationes singulares de modo
transmutationis elementorum in Corpus
et Sanguinem Christi .
A 4. Observationes singulares de modo
transmutationis Corporis et Sanguinis
Christi , comparatione ducta ab Incarnationis
Mysterio.
XVI. De Liturgiis Orientalibus .
XVII. De Poenitentiâ.
XVIII. De Sacris Ordinationibus
Apographum duntaxat : ubi
De Subdiaconis.
De Diaconis..
De Presbyteris , sed imperfectum
.
XIX. Observationes circà quædam
capita
For MERCURE DE FRANCE
X X.
capita exposita Orientalium
de Sacramentis doctrinæ.
De Sacramento Baptismi secundùm
Melchitas , Jaco
bitas et Nestorianos .
XXI. Officium Baptismi secundùm
Ritum Ecclesiæ Alexandrinæ
Copticæ , cum notis .
XXII. Officium Baptismi Sancti ex
codice Colbertino Syriaco
6068. cum notis .
XXIII. Canon prescriptus à Patre
nostro Sancto Abbate Petro
Episcopo Bahuse , pro
consecratione noviBaptismi.
XXIV. De Circumcisione quæ ab
Ægyptiis, Jacobitis et Ætiopibus
observatur .
XXV. De Sacramento Confirmationis.
XXVI. De Sacramento Poenitentiæ
ejusque administrandi apud
Orientales disciplinâ.
XXVII. Ex tractatu Barsabi Dyonisii,
2
Episcopi Amidensis, de suscipiendis
Poenitentibus observationes
XXVIII. Ordo Reconciliationis Poenirentium
compositus à Mar-
Jesuibb , catholico Nestoriano.
XXIX .
JANVIER. 1731. 109
XXIX . Canones Poenitentiales Syrorum
Jacobitarum.
X X X. Ordo observandus circà eos
qui faciunt Confessionem.
XXXI. Orationes Poenitentiales varia
( cuncta hæc quatuor suis
cum Apographis. )
XXXI I. De oleo infirmorum , seu Extremâ-
Unctione.
XXXIII. De Sacris Ordinationibus cum
suo Apographo.
XXXIV . Officium ordinationis Episcoporum
secundùm Ritum
Ecclesiæ Jacobiticæ Alexandrinæ.
X X X V. Officia ordinationum sub ritu
Jacobitarum Orientis, bina,
quorum unum altero proli
xius est..
XXXV I. Admonitio ad ordinandos.
XXXVII. Officium ordinationis Chorepiscoporum
cum notis .
XXXVIII. In officia ordinationum ...
Jacobiticæ , Notæ.
XXXIX. De Sacramento Matrimonii.
X L. Ordo ad sponsalia celebranda
secundùm Ritum Ecclesiæ
coptica Alexandrina.
XLI. Officium Nuptialis benedictionis
secundùm ritum
Ecclesiæ Jacobitica.
XLIE
T04 MERCURE DE FRANCE
-XLII. De collectione Canonum Met
chitarum , seu eorum Christianorum
qui Græci generis
sunt et arabicè loquuntur.
XLIII. De Canonum Nicanorum
Arabicorum authoritate
Apographum duntaxat .
XLIV. De veteri Canonum codice
•
Syne Magni Ducis Etruriæ.
. XLV. De collectionibus Canonum
Orientalibus.
XLVI. De Canonum collectione Cyrilli
filii Laclak , Patriarcha
Alexandrini .
XLVII. De Canonum collectione Gabrielis
filii Tarik, Patriarcha
Alexandrini.
XLVIII. Collectio Canonum Æthyopica.
XLIX . De collectione Canonum quæ
apud Jacobitas in usu est.
De Calendario Ecclesiæ Jacobitica
Alexandrinæ.
L.
L I.
LIL
De Imaginum ' cultu Orientalium
doctrina.
De Linguam vulgarium in
Sacris usu .
LIII. De Scripturæ Sacræ Versionibus
quæ apud Orientales in
usu sunt.
LIV. Iterùm de fide , moribus et
instiJANVIER.
1731. 105
:
L V.
institutisEcclesiarum Orientis
; ubi , de fide apud Orientales
Schismaticos et Hæreticos
propagandâ.
De ratione agendi cum Orientalibus,
Hæreticis , Schismaticis
, ut ad fidem Catholicam
adducantur.
LV I. De Missionibus ad Orientis
Ecclesias faciendis : Triplex
opus cum suis Apographis.
Opuscula aliquot adversus recentiores quosdam
Scriptores heterodoxos et alios.
1. Réplique à l'Apologiste de M.Ludolf.
z. Adversùs Miscellanea Thomæ Smith
Angli .
3. Adversùs Sebastum Trapezuntium .
4. Dissertatio Apologetica adversùs Simeonem
Josephum Assemanum Maronitam
Bibliothecæ Orientalis Scriptorem
.
-'s . Tourneforlii Relationes castigatæ , in
quæ Christianorum his Orientis ritus
spectant.
OPUSCULA ALIA .
6. De Barbaricis Aristotelicorum librorum
interpretationibus.
7. Mémoire pour l'Academie des Inscriptions.
8.
08 MERCURE DE FRANCE
:
8. Du titre de Princeps Juventutis.
9. Mémoire envoyé à Rome au P. Laderchi.
40. De l'antiquité desVersions Orientales
de l'Ecriture Sainte .
OPUSCULA NON ABSOLUTA.
11. Dosithei Patriarchæ Jerosolimitani
adversùs Cariophilum opusculi translatio
imperfecta pauca desunt .
12. Du Mahometisme et de ses progrès .
13. Des Ecrivains Mahometans , tant Arabes
que Bretons et Turcs .
J'aurois pû ajouter ici l'Epitaphe qui
doit être mise sur le Tombeau de notre
Sçavant , mais ce seroit , ce me semble ,
trop entreprendre. Deux personnes trèsdistinguées
, l'une par son éminente Dignité
, l'autre par une érudition reconnuë
de toute l'Europe , en ont composé
chacun une. On choisira apparemment
celle qui conviendra le mieux. A l'égard
des Ouvrages Manuscrits qui font le sujet
de cette Lettre , l'Eglise et la République
des Lettres , ont un égal intérêt
d'en avoir bientôt la publication.
Je la souhaite plus que personne et je
suis toujours , & c.
LA BIBLIOTHEQUE des Poëtes Latins et
François, Ouvrage aussi utile pour former
le
JANVIER . 1731. 107
le coeur , qu'agréable pour orner l'esprit,
Accipite hæc animis, lætasque advertite mentes :
Nemo ex hoc numero mihi non donatus abibit.
Virg. Æn. 5.
AParis , chez Rollin , fils , Quay des Auguftins
, vol. in 12. 1731.
Le Public doit cette compilation à
M. Noblot , Auteur d'une Géographie
universelle , imprimée en 1723. chez
Osmont. Il paroît par le choix des passages
des Poëtes Latins et François sur des
sujets détachez et rangez par ordre alphabetique
, que l'Auteur a eu en vue d'être
également utile aux hommes de Lettres ,
et à ceux qui aspirent à cette qualité , en
fournissant aux uns un délassement agréa
ble au sortir de leur Cabinet , et aux autres
des matériaux pour se former le goût
et sçavoir distinguer dans les Ouvrages
qu'ils lisent , les endroits les plus remarquables.
M. Noblot a eu soin , comme le remarque
la Préface , et comme on peut
s'en convaincre par la lecture de son Recueil
, de ne donner que les plus belles
Maximes dont les Poëtes sont remplis ,
er de mettre à celles qui sont équivoques,
des correctifs suffisans dans le précis qu'il
donne en François de chaque pensée des
Poëtes. Il n'a encore donné qu'un premier
168 MERCURE DE FRANCE.
mier Tome qui finit par la lettre E. en
rapportant les Refléxions et les Passages
des Poëtes sur les envieux ; et il avertit
le Public à la fin de son Livre , que si
ce premier Tome mérite son Approbation
, il donnera incessamment la suite
qui est toute prête d'être imprimée.
Sans prévenir le jugement respectable
du Public , nous croyons pouvoir dire
avec M. le Moine , Docteur de Sorbonne
qui a donné son Approbation à l'Ouvrage,
que cet Auteur y choisit avec discernement
les matieres qu'il traite , qu'il y définit
chaque chose avec justesse et précision , et
qu'il ramasse ce que les meilleurs Poëtes
anciens et modernes , Latins et François ,
ont dit de Moral sur les objets que son
Ouvrage nous présente ; nous ne croyons
pas y devoir ajoûter les Poëtes Grecs que
Auteur n'a pas eu en vûë dans ce Recueil
, quoique M. le Moine les ait joints
aux Poëtes Latins et François dans son
Approbation.M.Noblot aura, sans doute,
plus d'attention dans la suite de són Ouvrage
à faire imprimer avec exactitude
les Passages des Poëtes Latins ; car l'Imprimeur
a glissé dans ce premier Tome
un nombre assez considerable de fautes.
Pour donner une idée du Livre qui
vient de paroître , nous allons rapporter
quelques sujets que traite l'Auteur , et
sans
JANVIER. 17317 109
sans entrer dans un détail qui nous meneroit
trop loin , nous nous bornerons
à quelques traits particuliers . M. Noblot
dit sur l'adversité , qu'elle est un état
fâcheux où l'on se trouve réduit par la
perte de la santé , de l'honneur , ou des
biens. Elle est , pour ainsi dire , la Pierre
de touche de l'amitié.Ovide se plaint ainsi
d'un de ses amis qui l'abandonne dans son
malheur.
Dum meapuppiserat valida fundata carina,
Qui mecum velles currere , primus eras.
Nunc, quia contraxit vultum fortuna , recedis.
Auxilio postquàm scis opus esse tuo .
Dissimulas etiam, nec me vis nosse videri ,
Quisque sit , audito nomine , Naso rogas
&c.
Aut age dic aliquam que te mutaverit iram ;
Nam nisi justa tua est , justa querela
mea est.
De Pont. 1. 4. El. 3 .
Il fait voir ensuite à ce faux ami que
la fortune aussi legere que les feuilles et
que le vent même , peut le jetter dans de
pareilles disgraces. Le même Poëte écrivant
à un fidele ami , lui promet un éternel
souvenir de ses services , et ajoute que
c'est dans l'adversité qu'on reconnoit
quels sont les vrais amis .
F Horace
410 MERCURE DE FRANCE.
Horace , L. 2. Od . 3. exhorte à souffrir
patiemment la mauvaise fortune, et à ne
point abuser de la prosperité.
Æquam memento rebus in arduis
Servare mentem , non secùs in bonis.
Ab insolenti temperatam ,
Latitiâ, moriture Deli
L'adversité est encore la Pierre de touche
qui distingue la vraye grandeur d'ame
de celle qui n'est qu'apparente.
Quo magis in dubiis hominum fpectare periclis,
Convenit, adversisque in rebus noscere quid sit;
Nam vere voces tùm primùm pectore ab imo ,
Ejiciuntur , et eripitur persona, manet res,
Lucret. 1. 3 .
M. Rousseau a heureusement imité
cette derniere pensée dans son Ode sur
la Fortune .
Montrez -nous , Guerriers magnanimes ,
Votre vertu dans tout son jour.
Voyons comment vos coeurs sublimes ,
Du sort soutiendront le retour .
Tant que sa faveur vous seconde ,
Vous êtes les Maîtres du Monde ,
Votre gloire nous éblouit ;
Mais au moindre revers funeste ,
Le masque tombe , l'homme reste ,
Et le Héros s'évanouit.
L'AMJANVIER.
1731. III
L'AMBITION.
L'Ambition est un desir ardent de s'é.
lever au - dessus des autres , et pour y parvenir
on viole souvent les loix les plus
sacrées ; mais à peine est- on sorti d'une
heureuse médiocrité, qu'on perd la trans
quillité et le repos.
Quisquis medium defugit iter ,
Stabili nunquàm tramite curret ;
dit Seneque.
L'Ambition ne finit qu'avec la vie ;
telle est celle de tous les Conquerans ,
et telle fut celle de Pirrhus , Roi d'Epire.
Le conseil que Cineas , son Confident
donnoit à ce Roi ambitieux , étoit plein
de bon sens . Car qu'étoit- il besoin que
ce Prince courût les Terres et les Mers
pour trouver un repos dont il pouvoit
joüir sans sortir de l'Epire.
Le conseil étoit sage et facile à gouter :
Pyrrhus vivoit heureux, s'il eût pû l'écouter :
Mais à l'ambition opposer la prudence ,
C'est aux Prélats de Cour prêcher la résidence;
Despr. Ep. 1.
L'Ambition d'Alexandre n'eut aussi
d'autre terme que sa vie.
Unas Pellao juveni non sufficit orbis :
Fij
Estuat
112 MERCURE DE FRANCE.
Estuat infelix angufto limite mundi ,
Ut Gyara clausus scopulis , parvâque seripho :
Cum tamen àfigulis munitam intraverit urbem,
Sarcophago contentus erit . Mors solafatetur,
Quantula sint hominum corpuscula .
Juvenal. Sat. 10.
Ce fougueux l'Angeli , qui de sang alteré ,
Maître du monde entier , s'y trouvoit trop serré.
Despr. Sat.10.
La vraye grandeur et l'héroïsme des
Princes ne consiste pas à établir leur gloire
sur la ruine des Empires.
Il eft plus d'une gloire. Envain aux Conquerans ,
L'erreur parmi les Rois donne les premiers rangs.
Entre les grands Héros ce sont les plus vulgaires;
Chaque siecle est fécond en heureux Témeraires a
Mais un Roi vraiment Roi , qui sage en ses projets
,
Sçache en un calme heureux maintenir ses Sujets;
Qui du bonheur public ait cimenté sa gloire ,
Il faut pour le trouver courir toute l'Histoire.
Tel fut cet Empereur .
Qui soupiroit le soir si sa main fortunée ,
N'avoit par ses bienfatts signalé sa journée.
Despr. Ep. 1.
JANVIER. 1731. 113
M. Rousseau touche très-bien cet endroit
dans son Ode sur la Fortune.
Juges insensez que nous sommes !
Nous admirons de tels exploits :
Est-ce donc le malheur des hommes
Qui fait la vertu des grands Rois ?
Leur gloire féconde en ruines ,
Sans le meurtre et sans les rapines ,
Ne sçauroit-elle subsister ?
Images des Dieux sur la terre ,
Est- ce par des coups de Tonnerre ,
Que leur grandeur doit éclater ?
Portrait d'un vrai Héros.
Quel est donc le Héros solide ;
Dont la gloire ne soit qu'à lui è
C'est un Roi que l'équité guide ,
Et dont les vertus sont l'appui.
modele , Qui prenant Titus pour
Du bonheur d'un Peuple fidele
Fait le plus cher de ses souhaits ;
Qui fuit la basse flatterie ,
Et qui , Pere de la Patrie ,
Compte ses jours par ses bienfaits."
Pour montrer combien les fruits de
P'ambition produisent d'amertume , M.
Noblot rapporte fort à propos la Fable
du Roi et du Berger, composée par M.de
Fiij la
114 MERCURE DE FRANCE
la Fontaine , et un endroit de du Bartas,
où ce Poëte ancien reproche avec beaucoup
de feu et de vehemence aux Rois
guerriers et avides de sang leur cruel desir
de s'élever sur les débris des autres.
Il faut encore voir ce que l'Auteur
rapporte sur les caracteres du vrai ami ;
on y voit avec plaisir la Fable du même
la Fontaine sur les deux amis , et les paroles
de Socrate à ceux qui trouvoient sa
maison trop petite.
Plût au Ciel
que
de vrais amis
Telle qu'elle est , dit-il , elle put être pleine !
Le bon Socrate avoit raison
De trouver pour ceux là trop grande sa maison
Chacun se dit ami ; mais fol qui s'y repose.
Rien n'est plus commun que le nom ¿
Rien n'est plus rare que la chose.
Vulgare amici nomen ; sedrara est fides. Phæd..
L. 3. F. 9.
Nous souhaiterions que les bornes d'un
Extrait nous permissent de suivre l'Auteur
dans ce qu'il dit sur l'amitié , sur l'avare
&c.
BIENFAIT.
On appelle bienfait un don , une grace,
un bon office et tout ce que l'on fait pour
obliger quelqu'un. M. Noblot apporte
l'exemple
JANVIER . 1731.
l'exemple d'Arcesilais qui montre un
ami prévenant et bienfaisant. Nous ren- >
voyons là- dessus le Lecteur au Livre même.
Nos bienfaits doivent se répandre plutôt
sur les necessiteux que sur d'autres.
Benefacta male locata , malefacta arbitror ,
Dit Ennius , cité par Ciceron. Le bienfait
bien placé n'oblige pas seulement ceux
à qui il est accordé , mais encore tous
les gens de bien.
Beneficium dignis ubi das omnes obligas. Pub
Syr.
Le bien qu'on fait aux personnes vertueuses
n'est jamais perdu.
Bonis quod benefit baud perit. Plaut. Rud.
Faire du bien à un autre , c'est s'en faire
à soi même.
Quid exprobas benè quod fecisti , tibi fecisti,
non mihi. Plaut. Trinum.
En rappeler le souvenir , c'est le reprocher.
Nam istae commemoratio
Quasi exprobratio est iramemoris beneficis.
On perd le mérite du bienfait en le
publiant.
Fiiij Un
16 MERCURE DE FRANCE
Un bienfait perd sa grace à le trop publier ;
Qui veut qu'on s'en souvienne , il le doit oublier.
Corn.
Crede mihi , quamvis ingentia , posthume dona ,
Auctoris pereunt garrulitate sui. Mart.
L. 5. Ep. 52.
Vanter un bienfait , c'est s'en payer.
Si Charles par son crédit
M'a fait un plaisir extrême ,
J'en suis quitte ; il l'a tant dit
Qu'il s'en est payé lui- même.Gomés .
Mais il faut payer les bienfaits au moins
de reconnoissance .
•
Beneficia plura recipit qui sçit reddere . Pubi
Syr.
BONHEUR.
Le bonheur consiste dans la possession
des biens que l'on desire ; mais cette possession
n'est parfaite que dans le Ciel .
L'Auteur auroit pû le prouver par ces
Vers de S. Prosper.
Felices verè faciunt semperque beatos ,
De vero et summo gaudia capta bono.
Il ne consiste point dans la gloire ni
dans les plaisirs . L'homme peut être heureux
sans être puissant et sans être élevé ;
mais
JANVIER.
117
1731.
mais on est assez aveugle pour chercher
le bonheur où il n'est pas.
Eheu quàm miseros tramite devio ,
Abducit ignorantia !
Non aurum in viridi queritis arbore ,
Nec vite gemmas carpitis &c.
Quid dignum stolidis mentibus imprecor ?
Opes , honores ambiunt ;
Et cùm falsa gravi mole paraverint ,
Tùm vera agnoscant bona. Boët. L 30
Metrum . 8.
- M. Noblot auroit pû ajoûter ce beau
passage d'Horace. Od. 8. L. 4.
Non possidentem multa vocaveris
Rectè beatum ; rectiùs occupat
Nomen beati , qui Deorum
Muneribus sapienter uti ,
Duramque callet pauperiem pati ;
Pejusque letho flagitium timet &c.
Cependant les hommes au lieu de s'at
tacher au vrai bonheur , se reposent sur
des biens fragiles. Ici M. Noblot rapporte
le bel endroit de la Tragédie de
Polieucte qui commence par ces Vers..
Source délicieuse , en misere féconde ,
Que voulez-vous de moi , flateuse voluptés
F v
Honteux
118 MERCURE DE FRANCE
Honteux attachement de la chair et du monde ,
Que ne me quittez vous quand je vous ai quitté ?
Toute votre felicité ,
Sujette à l'instabilité ,
En moins de rien tombe par terre
Et comme elle a l'éclat du verre ,
Elle en a la fragilité. &c .
Le bonheur qu'on goute dans le Ciel
est le seul solide , le seul immuable ...
Saintes douceurs du Ciel , adorables idées ,
Vous remplissez un coeur qui vous peut recevoir;
De vos sacrés attraits les ames possedées
Ne conçoivent plus rien qui les puisse émouvoir..
Vous promettez beaucoup, et donnez davantage;
Vos biens ne sont point inconstans
Et l'heureux trépas que j'attends.
Ne sert que d'un heureux passage
Pour nous introduire au partage
Qui nous rend à jamais contens. Ibid.
Sur la CHARITE' . M. Noblot rapporte
le beau Cantique que M. Racine a
composé sur elle. Nous renvoyons au
Recueil même..
L'Article sur DIEU est très bien touché.
Dieu , dit-il , ne peut être défini ,
parcequ'il est incompréhensible.
Nous devons avant toutes choses honorer
Dieu .
ImJANVIER.
1731. 119
Imprimis venerare Deos. Virg. Georg. 1 .
Et commencer par lui toutes nos actions..
Ab Love principium. Idem.
C'est Dieu qui a fait le monde , qui le
gouverne et qui l'entretient dans ce bel
ordre où nous le voyons. L'Auteur cite
ici un beau passage de Boëce , qu'il faut
lire dans l'Ouvrage même. La composi
tion du Monde prouve l'existence de
Dieu , selon Manilius.
2
C
Quis credat tantas operum , sine numine , moles
Ex minimis , coecoque creatum foedere mundum.
Elle montre encore la gloire de Dieu .
L'Ode de M. Rousseau sur le Pseaume
Coeli enarrant gloriam Dei , vient ici très
à propos
.
Les Temples et les Autels qui plaisent
le plus à Dieu , sont nos coeurs ; ce sont
eux qu'il veut pour presens.
Nulla autem effigies , nulli commissa metallo
Forma Dei : mentes habitare et pectora gaudet.
Stat. Thebaid. 1. 12.
Quid Coelo dabimus , quantum est quid veneass
omne ,
Impendendus bomo est
ipso. Manil. 1. 4.-
Deus esse ut possit im
Fvi Dieu
120 MERCURE DE FRANCE.
Dieu nous aime mieux que nous ne
nous aimons nous- mêmes .
Carior est illis , ( superis ) homo quàm sibi.
Juv. Sat. 10.
La confiance qu'on met en Dieu ne
peut être ébranlée . Il faut lire sur ce sujet
l'Ode de M. Rousseau , sur le Pseaume
Qui habitat , que l'Auteur rapporte.
Nous ne pouvons suivre l'Auteur dans
la suite des Passages qu'il réunit sur cet
article , comme sur les autres . On trouve
sur celui -cy des traits de Racine , de
Racan , de Rousseau et d'autres Poëtes
qui conviennent parfaitement au sujet ;
et qui font honneur également aux Poëtes
qui les ont produits , et au judicieux
Auteur qui les rassemble.
On y trouve plusieurs Passages Latins.
qui sont pris dans un sens adapté ; mais
dont l'application , heureuse qu'en fait
M. Noblot , ne fait point de tort ni à la
Citation , ni au corps de l'Ouvrage.
CAS DE CONSCIENCE sur le Jubilé,
et l'administration du Sacrement de Pénitence
, sur le Jeûne du Carême , sur
les Danses , sur l'yvrognerie , décidez par
les Docteurs de la Faculté de Théologie
de Paris ; Brochure in 12. A Paris , ruë
S. Jacques chez Ph. N. Lottn.
CON
JANVIER . 1731. 121
CONDUITE pour sanctifier le jour
Anniversaire du Baptême , avec des Regles
et des Maximes pour vivre chrétiennement
dans chaque état , in 18. Prix
1. livre 5. sols. Chez le même.
CATECHISME des Dimanches et des
Fêtes principales de l'année , où on faiť
connoître la sainteté de ces jours , avec
la maniere de les sanctifier. On y a joint
quelques Instructions sur les Pelerinages ,
les Confreries et les Paroisses . in 18. Prix
20. sols. Idem.
INSTRUCTIONS CHRETIENNES
sur le Carnaval . in 12. Prix 25. sols , Idem
INSTRUCTIONS CHRETIENNES
sur les Bains. Brochure in 8. Idem.
MAXIMES CHRETIENNES sur la
Pénitence , sur la Communion , sur le
Jeûne du Carême , sur les Spectacles ,
sur les devoirs des Ouvriers , & c. Brochure
in 24. Idem.
Le R.P. de la Boissiere, Prêtre de l'Ora
toire , après avoir prêché plus de quarante
ans dans Paris avec un grand succés
, se voyant par son grand âge hors.
d'état de continuer , s'est déterminé à
donner
122 MERCURE DE FRANCE
donner au Public ses Sermons . Les trois
premiers Volumes parurent au commencement
de l'an 1730. chez Henry , Libraire
, rue S. Jacques ; le favorable accueil
que leur a fait le Public , a porté
ce Pere à donner chez le même Libraire
la suite , elle comprend les Misteres , les
Panegyriques et l'Oraison Funebre de
Madame Mollé , Abbesse ; ils sont en
vente depuis peu de jours , et comme
ses Panegyriques ont été toujours regardez
comme des modeles en ce genre ,
il est à présumer que le . Public ne les
recevra pas moins favorablement que ce
qui a précedé. Le tout fait six Volumes
in 12 .
و ت
Barthelemi Alix , Libraire à Paris , vient
de publier les Refléxions politiques de Baltazar
Gracian , sur les plus grands Princes
particulierement sur Ferdinand le Catholi
que. Cet Ouvrage est traduit de l'Espagnol
, avec des Notes Historiques et Cri
tiques.
La seconde Suite des Concerts de Symphonie
, du sieur Aubert , dont nous avons
annoncé la premiere , paroît depuis peu
et a un très-grand succès , ainsi que la
premiere. La troisiéme paroîtra au commencement
de Février , et se vendra ,
comme
JANVIER. 1731. 123
comme les autres , chez l'Auteur , ruë de
la vieille Bouclerie , à la Chaise Royale ,
et chez Boivin et le Clerc.
NOUVEAU PLAN DE PARTS , et
de ses environs , contenant le détail de
ses Faux- Bourgs , Villages et Maisons de
Campagne. Levé géométriquement parle
sieur Roussel , Ingénieur ordinaire de
Sa Majesté. Dédié et présenté au Roi le
6. de ce mois, Se vend 24. livres en
feuilles. A Paris , chez la Veuve Faillot ,
attenant les grands Augustins.
Ce Plan mérite une attention particuliere
; M. Roussel , Ingénieur ordinaire
du Roy , Chevalier de S. Louis , Chef du
- Bureau des Plans et Cartes de S. M..sous
les ordres du Ministre de la Guerre , qui
en est l'Auteur , n'a rien oublié pour le
rendre utile et agréable au Public . Il a
crû qu'après avoir levé , pour le service
du Roi , les Alpes , les Pyrennées , la Sa
voye, partie des Etats de Piémont , de
Mantouë et de Brabant , il lui convenoit ,
après une pratique de 40. années , de
traiter ce dernier Ouvrage avec tout l'Art
et toute la précision possible , en quoi
on peut dire que l'Auteur a réussi , On
ne trouvera point ailleurs un détail plus
varié et plus agréable ; car outre les Fauxbourgs
de Paris , on y voit avec plaisir
dans.
124 MERCURE DE FRANCE
dans le même Plan , tous les Villages et
les Campagnes qui sont compris entre
Vincennes et S. Cloud. Le Plan est en
neufFeüilles , en beau papier, et fort bien
gravé.
Le sieur Willerval , Libraire à Douay,
vend un RECUEIL des Edits , Déclarations
et Reglemens qui sont propres et
particuliers aux Provinces du Ressort du
Parlement de Flandres , imprimé par
l'ordre de M. le Chancelier . C'est un in 4.
de 1050. pages.
Le même Libraire vient d'imprimer
'HISTOIRE du Baïanisme ou de l'Héresie
de Michel Baïus , avec des Notes
Historiques , Chronologiques , Critiques,
&c. suivies d'Eclaircissemens Théologiques
et d'un Recueil de Pieces justificatives.
Par le R. P. J. B. Duchesne , de la
C. de J. Volume in 4. de 800. pages.
EXJANVIER.
1731. 129
EXTRAIT du Mémoire la par M. de
Réaumur, à l'Assemblée publique de l'Académie
Royale des Sciences , du 15 Novembre
1730.sur des Thermomètres d'une
nouvelle Construction , dont les dégrez
donnent des idées d'un chaud et d'un
froid , qui peuvent être rapportez à des
mesures connuës .
Es Thermomètres ne sont pas seule
Live
ment des instrumens à l'usage des
Phisiciens ; generalement on aime à les
consulter , sur tout lorsque le froid de
l'Hyver est rude , ou que la chaleur de
l'Eté est accablante. On aime à comparer
le froid ou le chaud qu'on ressent actuel
lement avec celui des années précédentes.
On aimeroit à sçavoir combien ils sont
éloignez du plus grand froid , ou du plus
grand chaud des autres climats. Mais la
construction des Thermomètres qu'on a
faits jusques icy , ne les rend pas propres
à nous donner sur tout cela des connoissances
bien satisfaisantes.
Il faudroit pouvoir comparer les dégrez
de froid et de chaud , marquez par
differens Thermomètres , en differentes
saisons , en differentes années , et en differens
païs . Or comment faire cette comparaison,
si les Thermomètres , tels que nous
les
126 MERCURE DE FRANCE.
à
les avons aujourd'hui , étant exposez à
un même air , expriment les changemens
de temperature d'air par des nombres de
dégrez differens , er de dégrez dont les
rapports réels nous sont inconnus ! De
deux Thermomètres placez à côté l'un de
Pautre , l'un montera de 7 à 8 dégrez ,
pendant que l'autre ne montera que de
3 à 4 , plus ou moins. Ils parlent tous des
langues differentes ; on n'entend que celle
du Thermomètre qu'on a suivi pendant
plusieurs années; encore ne l'entend-t- on
que très - confusément. On sçait bien le
nombre de dégrez qui se trouve entre le
plus grand froid qu'il a marqué dans une
année , et le plus grand froid qu'il a marqué
dans une autre , mais ces dégrez ne
nous donnent aucune idée distincte d'une
mesure de froid , ou de chaud ; car qu'est
ce qu'un dégré d'un Thermomètre ? On
connoît assez la principale des causes
d'où naist l'irrégularité des marches des
Thermomètres qui sont le plus en usage ,
et qu'on appelle Thermomètres de Florence.
Ils consistent dans une Boule ,
adaptée à un Tube , une certaine quartité
d'esprit de vin coloré y est renfermée
selon que le diamètre de la Boule
est plus ou moins grand , par rapport
celui du Tuyau , la liqueur s'éleve plus
ou moins dans le Tuyau. Pendant te
à
même
JANVIER. 1731. 1 27
même changement de temperature d'air ,
elle marque plus ou moins de dégrez
sur des Thermomètres de même hauteur,
parce que les dégrez sont des parties éga→
dans lesquels la longueur du Tuyau
a été divisée arbitrairement. Comme on
ignore le rapport du Diamètre de la
Boule à celui du Tube , on ignore aussi
les rapports des dégrez des differens
Thermomètres.
Une autre source encore de variétez
considérables , à laquelle on n'a pas pris
assez garde jusques à aujourd'hui , ou du
moins à laquelle on n'a pas cherché à re
medier ; c'est la qualité de l'esprit de vin
qu'on y renferme. M. de Reaumur fait
remarquer que plus les esprits de vins
sont forts , et plus ils sont dilatables , qu'il
y a des Thermomètres remplis d'esprit
de vin très- rectifié , d'autres remplis de
simple Eau- de-vie , et d'autres remplis
d'esprit de vin de biens des qualitez
moyennes entre les deux précédentes . De
sorte que quand on seroit parvenu , ce
qui n'est pas possible, à déterminer exactement
les rapports des diamètres des
Boules à ceux des Tubes , dans differents
Thermomètes , leurs dégrez ne sçauroient
être comparez ensemble , dès qu'ils scroient
remplis d'esprit de vin de differen
tes qualitez , et qu'on ignoreroit , comme
on
128 MERCURE DE FRANCE
on l'a ignoré jusques icy , les differences
qui sont entre les qualitez de ces esprits
de vin. Les Physiciens qui avoient interêt
à perfectionner les Thermomètres en ont
imaginé de bien des formes ; mais celle
des anciens a prévalu ; c'est le Thermomètre
de Florence , qu'on trouve presque
par tout.
M. de Réaumur conserve aussi la même
forme à celui qu'il propose dans ce Mémoire.
L'extérieur en paroît en quelque
sorte le même , quoique sa construction
soit totalement differente. Voici les principes
sur lesquels elle est fondées. Premierement
il détermine le caractere de
l'esprit de vin qu'il fait entrer dans le
Thermomètre , et le détermine de façon
qu'on pourra en tout Païs avoir de pareil
esprit de vin , en reconnoître la qualité.
Secondement , il mesure exactement la
quantité de l'esprit de vin qu'il fait entrer
dans le Thermomètre. Cette quantité
est composée d'un nombre déterminé
de petites mesures connues , de mille
mesures , par exemple .
Troisiémement , les dégrez ne sont
plus des portions arbitraires de la longueur
du Tube , et toutes égales entr'elles
en longueur ; ce sont des portions
du Tube égales entr'elles en capacité , et
égaJANVIER.
1731. 129
égales chacune à une de ces parties ou mesures
, dont le volume total est composé;
chacune est , par exemple , une milliéme
partie de ce volume .
Quatrièmement , il fixe , il détermine
ce volume de mille parties par la congel
lation artificielle de l'eau , c'est à dire ,
par de l'eau qu'il fait geler , autour de
l'esprit de vin . C'est lorsque cet esprit
de vin est condensé par la congellation
artificielle de l'eau que son volume est de
mille parties ou mesures. Or l'esprit de
vin qu'il choisit est tel que son volume
étant mille , lorsqu'il est condensé par la
glace artificielle , il est 1080 lorsqu'il est
dilaté par la plus grande chaleur que l'eau
bouillante puisse lui donner , sans le faire
bouillir.
Ainsi tout est connu , tout est mesuré
dans ces nouveaux Thermomètres. Tous
aussi expriment leurs dégrez de la même
maniere , et toujours d'une maniere intelligible.
On les y compte à commencer
depuis le terme de la congellation de l'eau.
Les dégrez qui sont au dessous sont les
dégrez descendans , ou les dégrez de condensation
; et les dégrez qui sont au dessus
sont les dégrez ascendans ou les dégrez
de dilatation. Tous ces dégrez nous
donnent des idées de mesures de chaleur
telles que nous pouvons les demander.Ils
nous
130 MERCURE DE FRANCE
nous apprennent continuellement combien
s'est dilaté , ou combien s'est condensé
un volume connu d'une liqueur
connuë. Quand la liqueur s'est élevée au
20° dégré au dessus de la congellation de
l'eau ; nous savons qu'un volume de liqueur
qui est mille dans le temps de la
congellation de l'eau , est devenu 1020 ,
c'est-à- dire , que le premier volume s'est
dilaté d'une cinquantième partie , de
même quand la liqueur est descenduë de
20 dégrez au dessous du terme de la
congellation ; nous sçavons que le volume
qui étoit mille , est devenu 980 , ou
qu'il s'est condensé d'une so partie , plus
qu'il ne l'est par la congellation artificielle
de l'eau.
On ne sçauroit entrer icy dans le détail
des pratiques qu'on doit suivre pour
construire exactement ces Thermomètres,
quoiquelles soient simples et faciles ,
on ne pourroit faire entendre tout ce qui
sert à les faciliter , à les abreger , à leur
donner de la précision , sans copier dans
toute leur étendue les explications qui en
ont été rapportées dans le Mémoire même.
Tout se fait , la mesure à la main.
Nous nous contenterons de faire remarquer
que les Tubes et les Boules de ces
Thermomètres ont beaucoup plus de capacité
que les Boules et les Tubes des
TherJANVIER.
1731. 13r
Thermomètres ordinaires . Il seroit im
possible de mesurer exactement les portions
des capacitez égales , qui doivent
marquer les dégrez , dans des Tubes presque
capillaires , tels que sont ceux des
Thermomètres ordinaires. M. de Réaumur
prend pour les siens des Tubes aussi
gros que le sont ceux des bons Baromè
tres simples car les Baromètres simples ,
faits de Tubes capillaires ne valent rien,
et il prend des Boules de trois pouces et
demi , ou quatre pouces de diamètre,
Si on cut commencé faire des monpar
tres,on n'auroit point eu de mesures exactes
du temps , jusques à ce que quelqu'un
cut proposé de faire de plus grandes
Horloges , comme sont les Pendules. C'est
ce qui est arrivé aux Thermomètres . On
a commencé par les construire d'une trespetite
capacité, et on n'a pas pensé assez- tôt
qu'il étoit essentiel de leur donner une
capacité plus grande , si on vouloit en
faire des instrumens exacts pour mesurer
le froid et le chaud.
La solidité des principes sur lesquels
ces nouveaux Thermomètres sont construits
est incontestable, mais on pourroit
douter si la pratique répond icy assez
exactement à la théorie. Les Thermomè
tres qui ont été construits , font voir
qu'elle y répond , même plus exactement
qu'on
132 MERCURE DE FRANCE
qu'on n'eut osé l'attendre. Lorsqu'on en
place 7 à 8 , ou un plus grand nombre ,
les uns à côté des autres ; on a le plaisir
de voir qu'ils marquent tous le même
dégré de froid ou de chaud.A peine trouve-
t-on entre ceux qui s'écartent le plus,
une difference d'un quart de dégré , ou
d'un de dégré.
On vend actuellement de ces Thermomètres
chez les Sieurs Cholets , Marchands Fayanciers
, à la Levrette , rue S. Honoré , vis-àvis
la rue de l'Echelle , et au coin de la ruë
des Fondeurs , qui monte à la Butte saint
Roch.
Comme leur perfection dépend de l'attention
avec laquelle ils ont été construits , et
qu'on auroit pu craindre que les Ouvriers
pour aller plus vite , leur eussent laissé des
deffants. M. Pitot , de l'Academie Royale
des Sciences , s'est chargé de verifier tous
ceux qui se vendent chez les Marchands
ci-dessus , et de les parapher. ་
PRIX d'Eloquence et de Poësie .
pour l'année 1731 .
'Academie Françoise fait sçavoir au
L'public, que le 25 Aoust prochain 1731 .
Fête de S. Louis , elle donnera le Prix
d'Eloquence , fondé par M. de Balzac
de
JANVIER. 1731. 133
de l'Académie Françoise. Le sujet sera
Du plaisir qu'ily a àfaire du bien , suivant
ces paroles de l'Ecriture, tirées du 35 verset
du 20. chap . des Actes des Apôtres :
Beatius est magis dare quàm accipere. Il faudra
que le Discours ne soit que de demiheure
de lecture , tout au plus , et qu'il
finisse par une courte Priére à Jesus- Christ.
On ne recevra aucun Discours sans une
Approbation signée de deux Docteurs
de la Faculté de Théologie de Paris ,
résidant actuellement.
{
et y
Le même jour , elle donnera le prix de
Poësie , fondé par M. de Clermont de
Tonnerre , Evêque et Comte de Noyon ,
Pair de France , et l'un des 40. de l'Académie.
Le sujet sera : Les Progrez de l'Art
des Jardins sous le Regne de LOUIS LE
GRAND. Il sera permis d'y joindre tel autre
sujet de loüange que chacun voudra,
sur quelques actions particulieres du feu
Roy , ou sur toutes ensemble , pourvû
qu'on n'excede point cent Vers. Et on y
ajoutera une courte Priére à Dieu pour le
Roy , séparée du corps de l'ouvrage,et de
telle mesure de Vers qu'on voudra.
Toutes personnes seront reçues à composer
pour ces 2 prix , excepté les 40 de
'Académie qui doivent en être les Juges.
Les Auteurs ne mettront point leur
nom à leurs Ouvrages , mais une marque
G ου
134 MERCURE DE FRANCE.
ou un paraphe , avec un Passage de l'Ecriture
sainte , pour le discours de Prosc;
et telle autre Sentence qu'il leur plaira ,
pour les Pieces de Poësie.
Ceux qui prétendront aux Prix , sont
avertis que les Pieces des Auteurs qui se
seront fait connoître, soit par eux- mêmes,
soit par leurs amis , seront rejettées , et ne
concourront point ; et que tous Mess. les .
Académiciens ont promis de se recuser
eux-mêmes , et de ne point donner leurs
suffrages pour les Pieces dont les Auteurs
leur seront connus.
Les Auteurs seront aussi obligez de remettre
leurs Ouvrages dans le dernier
jour du mois de Juin prochain , entre les
mains de M.Coignardle Fils , Imprimeur
ordinaire du Roy et de l'Académie Françoise
, rue S, Jacques , et d'en affranchir le
port, autrement ils ne seront point retirez .
On apprend de Londres , qu'on y avoit
apporté de Lisbonne une grande quantité
de Diamans de la nouvelle Mine, découverte
au Brésil ; et comme ils sont
d'une aussi belle eau que ceux d'Orient ,
quoique moins durs, on croit que ces derniers
diminueront le prix.
Le 11 Janvier , il y eut à Londres la
plus haute Marée qui ait été veuë depuis
50 ans ; l'eau monta 6 pouces plus que
dans
JANVIER. 1731. 135
dans la Marée extraordinaire , qui causa la
bréche de Dagenham ; ce qui fit un- dommage
incroyable sur le bord de la Tamise,
par l'inondation de plusieurs Chantiers.
On aprend aussi d'Edimbourg que le
25 de ce mois , la femme d'un nommé
Jacques Beabrie , Charpentier de Vaisseau
, qui est âgé de plus de 80 ans , y
étoit accouchée de 3 enfans mâles , qui
avoient été baptisez , et se portoient bien .
On a imprimé à Rome depuis peu un
Livre intitulé : Motivi di credere tuta
via ascoso è non iscoperto l'anno 1695. Il
sacro Corpo di S. Agostino. L'Ouvrage est
bien écrit ; mais feu M. Fontanini , qui
fit imprimer en 1728. une Dissertation
sur la verité de la découverte du Corps
de S. Augustin , y est fort peu ménagé.
Il paroît à Rome une nouvelle édition
du Riposo , di Raphaello Borghini
auquel on a ajouté plusieurs figures. C'est
un Dialogue tres - bien écrit sur la Peinture
et la Sculpture ; l'Auteur y enseigne
tout ce qui concerne l'invention , la disposition
, le choix des attitudes , le dessein
et le coloris . Cet Ouvrage est tresestimé
en Italie.
On a appris de Florence , que le Roy
de Portugal y fait travailler par les plus
Gij ha
136 MERCURE DE FRANCE .
habiles Sculpteurs de cette Ville, aux Statuës
en marbre des 12 Apôtres , de 8
pieds de proportion , pour les placer dans
l'Eglise Métropolitaine de Lisbonne.
Chaque Statue sera payée mille écus
Romains,
On a aussi appris de Florence que
quelques personnes de consideration de
cette Ville ont fait entr'elles une société
pour faire graver la fameuse Galerie du
Grand Duc.Le premier volume de ce beau
Recueil , doit bien- tôt paroître , avec des
Explications curieuses de M. Gori , déja
connu par des Ouvrages dont le public
a été satisfait.
On a frappé à Moscou une Médaille
sur le Couronnement de la Czarine . On
y voit d'un côté le Buste de cette Prin
cesse, et pour Légende, en langueRussier e;
Anne , par la grace de Dieu , Imperatrice
et Souveraine de toutes les Russies . On voit
sur le revers la figure de la Czarine en
pied , avec trois autres figures de femmes
, representant les trois Vertus Cardinales.
La Foy ; désignée par une Croix
qu'elle tient de la main gauche , remet
le Sceptre à la Czarine . L'Esperance ,
qu'on reconnoît à l'Ancre , lui présente
un Globe , surmonté d'une Croix , sya
bole d'un Empire Chrétien , La Charité;
dont
JANVIER. 1731. -137
dont on a exprimé le caractere par un
Enfant qu'elle allaite , met la Couronne
sur la tête de cette Princesse , et pour
légende : Je tiens l'Empire de Dieu , de ma
Naissance , et de ces Peuples ; et à l'Exerque
, ces mots : Couronnée à Moscon le
28 Avril 1730 .
Nous dirons à cette occasion que le
Czar , Pierre le Grand , étant à Paris en
1721. avoit fait l'honneur à l'Académie
Royale des Sciences d'assister à une de
ses Sceances , et de permettre que son
nom fut inscrit dans ses Registres , au
rang des Académiciens honoraires de
cette illustre Compagnie. Le Czar , son
petit-fils , fit il y a plus de deux ans ,
un tres-beau present à la même Acadé
mie , consistant en 60 Medailles d'or
selon l'intention de son Ayeul , et selon
les dernieres dispositions de la feuë Czarine
son épouse.
La distribution de ces Médailles se fit
le 24 Novembre 1728. à tous les Académiciens.
Elles ont toutes la même fice
et le même revers , mais de plusieurs
grandeurs et de poids different. Celles
des Honoraires , au nombre de dix , ont
30 lignes de diametres , et du poids d'environ
15 Louis d'or ; celles des Pensionnaires
pesent environ to Loüis , et celles
des Associez et Adjoints , 7 .
G iij
Cette
13
8 MERCURE DE FRANCE .
Cette Medaille represente d'un côté
le Buste du feu Czar , avec cette Legende
, en langue et en caracteres Russiens :
Pierre I. par la Grace de Dieu , Empereur
et Souverain de toutes les Russies. Au bas
du Buste est l'année de la naissance de
ce Prince , 1672. sur le revers sont les
principaux Symboles des Sciences et des
Arts , avec une Legende en la même langue
, qui en marque l'établissement et les
progrez dans les Etats du Czar. L'année
1725. en laquelle la Medaille a été frappée
, est marquée dans l'Exergue ,
Le Portrait historie et très bien caracterisé
de la Dile Camargo , premiere danseuse
de l'Opera , va paroître en Estampe..
Il a été peint par le sieur Lancret , Peintre
de l'Académie Royale de Peinture..
Le talent que tout le monde lui connoît ,
sur tout pour les sujets de Bals et Fêtes
galantes et champêtres , a été ingenieusement
employé à faire un Tableau des plus.
agréables ; il a si bien sçû saisir ce qu'un
aussi excellent modele a d'inimitable,que
jamais Figure n'a paruë plus dansante.Les
accompagnemens sont traités avec goût
et discernement ; on voit des spectateurs
et des simphoniste placés naturellement,
et un très -beau fond de paysage. Le sieur
Cars , Graveur de la même Académie ,
très,
THE NEW YORK
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R
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.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
1731
JANVIER. 1731. 139
très-habile dans sa profession , a gravé
ce Portrait de la même grandeur du Tableau
, et avec tant d'art , que les Con- .
noisseurs ne sçavent à qui donner la préference
du pinceau ou du burin. L'Estampe
est en large , et de la même grandeur
du Tableau original ; dont nous pouvions
faire tout d'un coup l'éloge en
disant qu'il est dans le Cabinet de M. de
la Faye. Cette Estampe se vendra chez
l'Auteur , Quay de la Mégisserie , à la
Croix de Perles , et chez le sieur Cars , au
Nom de Jesus .
JETTONS FRAPPE'S pour le
premierjour defanvier 173.1 . avec l'Explication
des Types & c.
I. TRESOR ROYAL.
Astrée descendantsurlaterreو avec
les Attributs de la Paix et de l'Abondance.
Legende : Properat sucurrere Terris.
II. PARTIES CASUELLES.
L'Arbrisseau qui porte la Mirrhe , er
qui la distile sans le secours d'aucune incision
. Legende : Solvere sponte juvat.
III. CHAMBRE AUX DENIERS.
La Louve allaitant Remus et Romulus.
Legende : Prolem alit illa Deorum..
G iiij IV.
140
MERCURE DE
FRANCE
IV.
EXTRAORDINAIRE DES
GUERRES.
Le Dieu Mars qui repose à l'ombre
d'un Laurier , au milieu des armes . Legende
: Non ignava quies.
V.
ORDINAIRE DES
GUERRES.
Des Lions couchés.
Legende : Dones.
suscitet hostis.
VI.
BASTIMENS DU ROY.
Une Ruche à
découvert , où l'on voit
les cellules des
Abeilles .
Legende : Natu
ra ars amula.
VII.
ARTILLERIE.
Des
Canons , Bombes & c.
Legende :
Et muta minantur.
VIII.
MARINE.
Un Aigle prêt à prendre la Foudre
dans ses serres .
Legende :
Expectat Jovis
Imperium.
IX.
GALERES.
Des Arbres dépouillés de leurs feuilles.
Legende : Ver reddet honores.
X.
MAISON DE LA
REINE.
Un Lys élevé sur sa tige d'où
sortent
deux
40
Muzette.
Dans nos paisible
X
T
ongore
bany
JANVIER. 1731. Ι4Ι
deux Rejettons. Legende : Proles geminavit
odorem .
XXXX:
CHANSON,
DAns nos paisibles retraites ,
Occupés du soin de charmer ,
Nous goûtons des douceurs parfaites ,
Et sçavons nous faire aimer.
Aux doux sons de nos Musettes
La plus fiere s'attendrit ,
Et nos vives chansonnetes
De nos desirs nous obtiennent le fruit.
Sans soupirer et sans nous plaindre ,
Sans avoir de jaloux à craindre ,
Nous profitons des beaux jours...
La tendresse
Est pour la jeunesse ;
Livrons-nous sans cesse.
Aux Ris , aux Amours..
La tendresse & c.
Gv SPCE142
MERCURE DE FRANCE
XXXXX:XXXXX: XX: XX
LE
SPECTACLES.
Es Comédiens François ont remis
au Théatre au commencement de ce
mois , la Comédie en Prose et en cinq
Actes du Chevalier à la mode , que le Public
revoit avec beaucoup de plaisir ,
d'autant plus qu'elle est fort bien représentée.
Elle est d'ailleurs des meilleureset
des plus comiques du Theatre François
; feu M. de Saintion en est Auteur
aussi bien que des Bourgeoises à la mode ;.
mais ces deux Pieces n'ont jamais parû
sous son nom. Le S Quinaut y jouë le
principal Rôle. Ceux de Migand , de
Serrefort et de Crispin sont remplis par
les S Dangeville , Du Chemin et Poisson,
Ceux de Madame Patin , de sâ niece , de
la Barone et de la Suivante sont joués par
les Diles Lamote , Labat , Dangeville et
Dangeville la jeune.
Dans la nouveauté de cette Pièce , le
St de Villiers , Acteur Comique , dont:
le Theatre François ne perdra jamais le
souvenir , y joüoit le Rôle dù Chevalier..
Ceux de Madame Patin et de la Barone
étoient remplis par les Diles La Grange et
Durieux , deux Actrices d'un grand talent
JANVIER. 1731. 243
Ient pour ces sortes de Rôles chargés .
Le Jeudi 4. de ce mois , ils représenterent
à la Cour la Tragédie d'Absalon et
la petite Comédie du Medecin malgré lui.
Le 27. la Tragédie d'Amasis et la Serenade.
Le 30. le Chevalier à la mode et le
Cocher supposé.
Ils ont aussi remis la petite Comédie
du Balet Extravagant , de feu M. Palapra .
Le 17. de ce mois ils donnerent la quinziéme
Représentation de Brutus , de M. de
Voltaire, et le surlendemain ils remirent
au Théatre la Tragédie de Médée , de
feu M. de Longepierre , que le Public
revoit avec beaucoup de plaisir.La DeBalicourt
y joue le principal Rôle.
Le 19. ils remirent la Comédie de la
Devineresse ou Madame Jobin , dont les
Représentations attirerent beaucoup de
morde. Le principal Rôle est rempli par
Fa Dlle Dubreuil . Au mois de Février 1722 .
lors de la derniere reprise de cette Piece,
la Dlle Gautier , aujourd'hui Religieuse
Carmelite , à Lyon , joüoit ce Rôle . Les
autres de Dame Françoise , Mathurine , la
Comtesse d'Estragon , Mad Noblet , la
Marquise, Me du Buisson , Mad de Clerimont
, Mad de Troufignac , et la petite
Paysanne , sont jouez par le sieur d'Ange
ville, en femme; et par les Des Jouvenot ,
Labat , Balicour , du Fresne, du Baccage ,
G. vj
d'An144
MERCURE DE FRANCE.
·
d'Angeville , Lamotte et Dangeville la
jeune.Ceux de Duclos, Gosselin, Procureur
Fiscal , le Marquis, la Giraudiere, le Chevalier,
Gilet, M.deTroufignac,sont remplis par
les sieurs Armand , Berci , Quinaut, Montmenil
, du Breuil , Poisson , la Thorilliere fils.
Dans le Mercure Galant du mois de May
1710. on lit cet Article :
» Les Comédiens ayant fort pressé feu
» M. de Visé , Auteur du Mercure , de
>>mettre après la mort de la Dame Voisin,
>> tout ce qui s'étoit passé chez elle pen-
» dant sa vie , à l'occasion du métier dont
>> elle s'étoit mêlée ; il fit un grand nom-
» bre de Scenes qui auroient pû fournir
»de la matiere pour trois ou quatre Pie-
»ces , mais qui ne pouvoient former un
»sujet , parce qu'il étoit trop uniforme ,
» et qu'il ne s'agissoit que de gens qui al-
» loient demander leur bonne avanture, et
» faire des propositions qui la regardoients
>> máis toutes cesScenes ne pouvant former
>> le noeud d'une Comédie , parce que
» toutes ces personnes se fuyant et évitant
» de se parler , il étoit impossible de faire
» une liaison de Scenes , et que la Piece
» pût avoir un noud . M. de Visé donna
» les Scenes qu'il avoit faites à M. Cor-
»> neille,lequel en choisit un certain nom-
» bre avec lesquelles il composa un sujet
»dont le noeud parut des plus agréables ,
» et
JANVIER. 1731. T45
» et qui a été regardé comme un chef- ·
» doeuvre. Le succès de cette Piece a été
» un des plus grands.
>
La Devineresse , ou les faux Enchantemens
de Made Jobin , titre sous lequel
cette Piece étoit représentée sur le Théatre
de Guenegaud , dans sa nouveauté ,
le 19. Novembre 1679. fut joüće 48. fois
de suite sans intermission d'aucune autre
Piece. Les 18. premieres Représentations
furent jouées au double. En ce tems- là le
sieur Hubert remplissoit le Rôle de Mad.
Fobin. On sçait qu'il étoit inimitable dans
ces sortes de Personnages. Les Rôles de
Mad. Pernelle , Mad. Fourdain , Mad. de
Sottenville , Mad. d'Escarbagnas , &c. des
Pieces de Moliere , avoient été faits pour
lui.
Le 23. ils remirent la Tragédie d'Arianne
, que le Public revoit avec gránd
plaisir , d'autant plus que la De Duclos
y joue le principal Rôle. Cette Piéce fut
donnée dans sa nouveauté au mois de
Mars 1672. sur le Théatre du Marets
avec un très grand succès , quoique jouée
en concurrence de la Tragédie de Bajazet
de Racine qui en avoit un prodigieux
sur le Théatre de l'Hôtel de Bourgogne.
>>
Parmi les Tragédies de Th. Corneille,
» dit M. de Visé dans le Mercure déja
acité , Arianne a passé pour un Chefd'oeu
146 MERCURE DE FRANCE.
» d'oeuvre ; jamais Piéce n'a été plus touchante
et plus suivie ; et ce qui doit
>> surprendre tout le monde est que M..
>> Corneille étant retiré à la Campagne
avoit fait cette Piéce en 40. jours. Il
» n'avoit pas moins de facilité à travailler
»à ses Ouvrages de Théatre , que de mémoire
pour les retenir ; tous ceux qui
» l'ont connu particulierement ont été
» témoins, que lorsqu'il étoit prié de lire
» ses Piéces dans quelques compagnies
» ce qui étoit autrefois fort en usage , il
» les récitoit mieux qu'aucun Comédien
» n'auroit pû faire , sans rien lire ; il
» étoit si sûr de sa mémoire , que très
» souvent il ne portoit point ses Piéces
" avec lui.
Les Comédiens François ont reçû une
petite Piece nouvelle en un Acte , intitulée
l'Effet de la Prévention .
Ils ont aussi reçû une autre Comédie
nouvelle , en trois Actes , sous le titre des
Amours d'Alcibiade..
Par les nouveautez qu'ils donnent et
les Pieces anciennes qu'ils remettent , on
voit qu'ils n'oublient rien depuis quelque
tems pour plaire au Public , et pour mériter
ses applaudissemens. Leurs esperances
n'ont pas été trompées ; la derniere
Piece qu'ils ont remise au Théatre le
Lundi 29. de ce mois , fait un extrême
plaisir
JANVIER. 1735. 147
plaisir ; elle est universellement applaudie
par de très nombreuses Assemblées , et
l'interêt qu'on y prend , fait répandre
beaucoup de larmes ; c'est la Tragédied'Amasis
, de M. de la Grange , Piece trèspathetique,
conduite avec un art infini.On.
y trouve des situations heureuses , des
tours ingénieux et des coups de Théatre
aussi touchans qu'admirables , qui surprennent
agréablement . La Picce est d'ail
leurs trés -bien représentée par les Diles Duclos
et du Fresne , etpar les sieurs Sarrazin ,
du Fresne , le Grand et du Breuil , qui y
remplissent les principaux Rôles de Nitocris,
d'Artenice , d'Amasis , de Sesostris , de
Phanés et de Menez . Dans la nouveauté
de cette Tragédie qui fut donnée pour
la
premiere fois le 13.Décembre 1701.Ces six
Rôles étoient remplis par les Diles Beauval
et Desmares , et par les sieurs Salley ,,
Baron , Guerin et Pontcüil , fils..
C'est le second Poëme Dramatique de
M. de la Grange ; il le donna deux ans
après son Orefte et Pilade ; il n'eut point.
alors le succès qu'il meritoit , n'ayant été
joué qu'onze fois , à cause d'un froid:
excessif qui survint aux dernieres Repré
sentations.
Le 6 Janvier , Fête des Rois , l'Aca
démie Royale de Musique , qui continue
toujours
148 MERCURE DE FRANCE
toujours les Représentations de Phaéton ,
avec un tres-grand concours , donna le
premier Bal de cette année sur le Théatre
de l'Opera , qu'elle continuera de
donner differens jours de la semaine ,
pendant le Carnaval .
›
Les Comédiens Italiens ont perdu l'un
de leurs meilleurs sujets , en la personne
de Pierre Alborghet , natif de Venise
connu sous le nom de Pantalon , qui
mourut le 4 de ce mois , âgé d'environ
55 ans , après une longue maladie . C'étoit
un homme d'une probité reconnue ,
et un excellent sujet dans sa profession;
il jouoit ordinairement dans les Pieces
Italiennes , en habit de Noble Venitien ,
et sous le Masque , d'une maniere inimitable.
Les amateurs de la Comedie
Italienne le regrettent fort. Son jeu étoit
naturel , plein d'action , animé et dans
le vrai goût de son païs. Il a été inhumé
à S. Eustache sa Paroisse , aprés avoir
reçu tous ses Sacremens .
,
Le 12. les mêmes Comédiens remirent
au Theatre la Parodie du Mari joueur, et
de la Femme bigotte , Scenes Italiennes
jouées sur le Theatre de l'Opera. La Damoiselle
Thomassin doubla pour la premiere
fois le Rôle de Serpilla , qu'elle
joua avec beaucoup de vivacité , et fut
fort aplaudie.
La
JANVIER. 1731 . 149
Le 24. les mêmes Comediens donnerent
la premiere Représentation d'une
petite Comédie en vers Alexandrins , et
en un acte , intitulée Bolus , qui a été
reçuë fort favorablement du public , C'est
une Parodie de la Tragedie nouvelle de
Brutus , qui a été Jouée au Theatre François.
On en parlera plus au long.
Le 28 Decembre , Fête des SS . Innocens
on ouvrit , selon la coutume
les Theatres de Rome , et on représenta
sur celui de Capranica , l'Opera de l'Adone
, Roy de Chipre ; et sur celui de
Don Dominique Walle , des Comédies
à l'improviste.
XXX:XXXXXXXXX:XX**
NOUVELLES ETRANGERES.
TURQUIE ET PERSE.
ON
Na reçu avis d'une suspension d'armes
entre les Persans et les Turcs ; et l'on ne
croyoit pas que l'armée du Roy de Perse , qui
est campée auprès de Bagdat , fit aucun mouvement
que vers le Printems prochain. '
D'autres Lettres de Perse portent que le Prince
Thamas étoit toujours devant Babilone , avec
son armée ; que le Pacha de cette Ville lui avoit
fait faire des propositions fort avantageuses pour
l'engager à conclure la paix avec la Porte ; mais
que ce Prince , sans les rejetter ni les accepter ,
avoic
150 MERCURE DE FRANCE
avoit déclaré qu'il ne se détermineroit qu'après le
retour d'un Exprès qu'on avoit envoyé à Constantinople
; et qu'en attendant , il tenoit tou .
jours la Ville et les Turcs qui campent sous les
remparts , étroitement bloquez , sans permettre
qu'on y porte aucuns vivres. Il y a quantité d'Etrangers
parmi les Troupes du Roy de Perse.On
y observe aujourd'hui une espece de Discipline ,
qui approche beaucoup de celle des Chrétiens , et
qui étoit inconnue jusques icy aux Persans.
L'Armée de ce Prince est commandée par un
General , qui est aussi son premier Ministre.
C'est un homme des plus intrépides et fort sage,
il est originaire du Daghestan , d'une basse naissance
, et connu sous le nom de Thamas Koulikan,
qu'il a pris depuis qu'il s'est attaché au service
du Roy de Perse ; ce nom signifie le Kan ,
Esclave du Pr. Thamas : c'est lui qui a défait
entierement le Parti d'Acheraf ; et les Persans
P'appellent le Restaurateur de la Perse.
Les Lettres de Constantinople , de la fin du
mois de Novembre dernier , venues par l'Italie,
portent que le 21 du même mois, les Milices
et les Janissaires ayant repris les Armes ,
se rendirent Maîtres de toutes les Places de
la Ville , et poserent des Sentinelles aux avenues
des principales rues et du Port , pour empêcher
le pillage des Magazins et des Boutiques des Marchands
, et on entendit pendant ce jour- là et le
lendemain des cris de´guerre dans differens quartiers.
Le G. V. envoya le 22 , après midi , un de
ses principaux Officiers , dire à ces mutins , que
puisqu'ils avoient tant envie de combattre , ils
n'avoient qu'à traverser le Canal, et joindre l'Armée
qui avoit été assemblée pour faire la
Guerre au Roy de Perse . Cette proposition fut
rejettée avec hauteur et même avec menaces ; les
plus
JANVIER. 1731 .
plus hardis d'entre les Janissaires et les Spahis.
ayant fait entendre , en agitant l'air de leurs
Sabres , qu'ils ne se sépareroient point , et que si
la paix n'étoit pas faite dans deux mois avec les
Persans , ils la concluroient eux -mêmes , et la
signeroient du sang des Principaux de l'Empire ,
puisqu'ils n'avoient déposé le Sultan Achmet III.
que pour l'honneur de la Religion de Mahomet;
ajoutant qu'en les laissant unis , ils marcheroient
de quelque côté qu'on voudroit les conduire
excepté contre leurs freres Musulmans.
>
Le 23 , les Janissaires allerent jusqu'aux Portes
du Serrail , et firent demander à S. H. de
rappeller Cianum -Coggia qui avoit été relegué
par le Gouvernement précedent , dans une Terre
près de Salonique, et de le rétablir dans sa Charge
de Capitan Pacha , ce que le G.S. fit exécuter sur
le champ , en lui dépêchant un Chiaoux pour lui
porter ses Lettres de rappel. Cet Amiral étant
revenu le 26 avec toute sa famille , fut reçu du
G. S. avec beaucoup d'accueil , et renvoyé à son
poste , où par ordre de S. H. il a fait reprendre
la construction de plusieurs Sultanes et Vaisseaux
de Guerre qu'on avoit abandonnés depuis la révolution.
Le 27. les mêmes Janissaires retournerent au
Serrail , et demanderent une récompense pour
leur Chef, que le G. S. fit le même jour Pacha à
trois Queues & Gouverneur de Nizza. Ayant reçû
de S. H. toutes les graces qu'ils demandoient,
ils quitterent les armes et se retirerent dans leurs
quartiers.
Le bruit court que le G S. est déterminé à envoyer
des Agas à Vienne , à Moscou , à Varsovie
et à Venise , pour y donner part de son avenement
au Trône.
On fouille actuellement dans les Jardins des.
principaux
152 MERCURE DE FRANCE .
principaux Ministres du dernier Gouvernement
pour en tirer les sommes qu'on croit y avoir été
cachées.
Ces Lettres ajoûtent qu'il étoit arrivé à Andrinople
12000. hommes d'Infanterie , envoyez
par les Pachas de Dalmatie et de Bosnie ; que le
bruit couroit que chaque Corps de Janissaires
qui n'étoit que de 4000. hommes , seroit aug.
menté jusqu'à 6000. qu'on faisoit de grands préparatifs
de guerre dans tout l'Empire Othoman,
et qu'on avoit promis aux Ambassadeurs de Fran
ce,d'Angleterre, et de Hollande, de diminuer dans
peu les Droits qu'on levoit sur les Marchandises
de leurs Pays.
D'autres Lettres , à peu près de même datte, et
venuës par la même voye , marquent que le nouveau
Sultan avoit donné à l'Auteur du dernier
tumulte , le Gouvernement de Nissa avec la dignité
de Pacha à trois Queues ; et qu'aprés avoir
été comblé d'honneur & de bienfaits par S. H.
s'étant rendu au Serrail , sur l'invitation du G.V.
il y avoit été massacré avec 200. de ses adhérans.
POLOGNE .
E Roi promis à l'Envoyé du Duc de Cur-
Llande ,qu'on n'executera rien de la part
de la République dans les Etats de ce Prince
pendant sa vie , pourvû qu'il veuille de sa part
engager la Czarine à retirer les Troupes Moscovites
qu'elle entretient dans le Duché de Curlande
depuis plusieurs années.
Les Troupes de la Couronne , qu'on avoit fait
partir pour dissiper les Cosaques qui pilloient les
Provinces frontieres , les ont battus en deux rencontres
, et ont même repris les Esclaves et les
Effets qu'ils emmenoient avec eux pour les vendre
aux Turcs , saivant leur coûtume.
SUEDE
JANVIER . 1731. 153
SUEDE.
E Roi a donné ordre au Baron de Crassau ,
Leon Ministre àVienne , de déclarerfau Comte
de Sinzendorf, Grand- Chancelier de la Cour
que la Couronne de Suede s'étant accomodée avec
les Maisons de Brandebourg et de Luxembourg ,
elle ne s'opposeroit plus à l'Investiture des Duchez
de Pomeranie , de Bremen et de Wherden ,
que ces Maisons demandent à l'Empereur depuis
plusieurs années.
DANNEMAR CK.
E Roi a résolu de mettre ses Troupes sur le
Lpied de 40000. hommes , y compris les 4000 .
hommes qui sont en Norwegue.
On a publié à Coppenhague un Edit du Roy,
datté du 30. du mois dernier , par lequel il est
ordonné qu'à commencer du premier Juin prochain
, la Ferme des Doüannes sur le vin , les
Eaux de vies , le Sel & le Tabac , sera supprimée,
et qu'il sera permis , tant aux Danois qu'aux
Norwegiens , d'en faire le commerce.
Su
ALLEMAGNE .
>
Ur les avis certains que les Turcs avoient déja
cómmis quelques hostilitez aux environs de
Carlostadt en Croatie , l'Empereur a résolu
d'augmenter de 40000. hommes les Garnisons
de ses Places Frontieres du côté des Terres du
Grand Seigneur.
On a apporté à Vienne dequis peu des nouvelles
Mines de Dameswar en Hongrie , 4c000 .
Ducats d'or et 6000. Marcs d'argent,
On
1
154 MERCURE DE FRANCE
On a apris deBrunswick, que le Duc deWolfembutel
y avoit aboli ,par une nouvelle Ordonnance,
l'ancien droit en vertu duquel ce Souverain pouvoit
se mettre en possession des biens de tous les
hommes qui mouroient sans s'être mariez.
2
ITA LIE.
E Cardinal Coscia a envoyé au Pape par l'Ab-
LECTesia,con Maitre de Chambre , sa résignation
pure et simple de son Archevêché de Benevent
, pour se soumettre à l'ordre exprès de
Sa Sainteté.
Le 2. Janvier , on afficha au Champ de Mars
et dans les autres Places publiques de Rome unc
Ordonnance du Cardinal Annibal Albani , Evêque
de Sabine , et Camerlingue de la Sainte
Eglise , portant défense , sous peine des Censures
Ecclesiastiques , de faire aucune entreprise directe
ou indirecte sur la Jurisdiction suprême que le
S. Siege prétend avoir dans le Piémont , sur les
Terres et Habitans de Cortanza , Cortanzone >
Montafia , Cisterna et autres Bourgs et Villages
des environs.
Le 3. on reçut avis à Rome que l'Evêque de
Nice avoit été assassiné en retournant de Turin
dans son Diocèse.
On apprend de Venise que le Magistrat de la
Santé a interdit tout commerce avec la Dalmatie
, les grandes Isles de Lago , celles du Quarner
, l'Albanie Venitienne , les Bouches de Cattaro
, l'Etat de Raguse , les côtes de Segni , Buccari
et Fiumé , parce qu'on a eu des avis certains
qu'un des Turcs de la garnison de Nizza a porté
la maladie contagieuse à Seraglio en Bossine
d'où elle a passé à Jayeck , à deux ou trois journées
des Frontieres de la Servie et des Terres
de
JANVIER. 1731. ISS
de la dépendance de l'Empereur. La mortalité y
est très grande , et ceux qui sont attaqués de
cette maladie enflent d'abord et ne passent pas
le troisiéme jour,
MORTS.
des Pays Etrangers .
·
E Prince N. Galitzin , Welt - Maréchal des
TroupesRussiennes , mourut à Moscou vers
la fin du mois de Novembre dernier , universellement
regretté à cause de sa grande experience
dans l'Art Militaire. C'est à ce Capitaine que le
feu Czar Pierre 1. est redevable d'une grande
partie de ses heureux succès dans la derniere.
guerre contre les Suedois.
Dona Marguerite de Lorraine , Duchesse de
Gadaval , veuve en troisiémes noces du Duc
Don Nuño Alvarés Pereira de Mello , qu'elle avoit
épousé le 25. Juin 1675. mort le 28. Janvier.
1727. mourut à Lisbonne le 16. du mois der .
nier , âgée de 68. ans et 29. jours ; elle étoit fille
de Louis de Lorraine , Comté d'Armagnac ,
Grand - Ecuyer de France. Le corps de cette Princesse
a été inhumé dans l'Eglise du Monastere
Royal de Xabregas , où on lui a fait des obseques
magnifiques , ausquelles les Grands du
Royaume et les Seigneurs de la Cour ont assisté.
LET
156 MERCURE DE FRANCE
FESTES données à la Cour de S. Alt.
V
Electorale Palatine , à l'occasion du Mariage
du Prince de Sulzbach avec la
Princesse de Hesse - Rheinfels. Extrait
d'une Lettre écrite de Landau le 24. Janvier
1731. par M. Frezier , Ingenieur
en chef.
>
Ous avez , sans doute , appris , Monsieur ,
par les nouvelles publiques , que le Prince
de Sultzbach , heritier présomptif du Palatinat
vient d'épouser une Princesse de Hesse- Rhinfels ,
qui est soeur de la Reine de Sardaigne , et
de la Duchesse de Bourbon. M. de Josseau
Commandant de cette Place est allé complimenter
ce Prince sur son Mariage , et il a bien
voulu que j'eusse l'honneur de l'accompagner.
Je ne pouvois trouver une occasion plus favorable
pour voir la Cour de S. A. E. le Prince Palatin
et je ne pouvois être présenté à ce Prince par une
personne qui lui fut plus agréable que M. de
Josseau , qu'il considere et qu'il aime. La bonté
avec laquelle S. A. E. l'a reçu , et le bon accueil
qu'il a fait aux Officiers qui l'accompagnoient
cn sont des preuves certaines.
›
Nous arrivâmes trop tard à Manheim pour
voir la Ceremonie du Mariage. Elle fut faite le
11. et nous ne partîmes de Landau que deux
jours après ; mais nous avons vû pendant six
jours une partie des Fêtes qui en sont la suite
et qui doivent durer tout le Carnaval . La plus
singuliere a été une Chasse d'une invention extraordinaire
, qui merite bien qu'on en fasse la
description. Le Lundy 15. de ce mois la Cour
s'embarqua sur le Rhin , au son des Timballes ,
TromJANVIER.
1731. -157
Trompettes et Corps de chasse , dans un Yack
qui contenoit deux chambres magnifiquement
décorées , et debarqua à trois quarts de lieue de
la ville , à deux portées de fusil du lieu où la
chasse s'est faite. C'étoit un Parc de 1400. pas
de longueur sur 200. pas de largeur , fermé de
toilles et de filets bien alignez : le tout formoit
un quarré long.
Au fond de ce Parc étoit un retranchement
orné de décorations peintes sur toilles comme
celle des Theatres , lequel étoit destiné pour la
chasse à pied , et pour le spectacle de la Berne ,
et de la Mascarade des animaux.
- La separation des deux Scenes étoit formée
par un Corps de bâtimens , dont le milieu étoit
une Tente octogone de 32 pieds de diametre ,
qui servoit de vestibule à deux Sales , à droite
et à gauche , dont l'une fort ornée étoit destinée
pour placer la Cour pendant la chasse , qu'elle
pouvoit voir dans l'un et l'autre Parc ; Pautre
Salle étoit occupée par une grande Table où la
Cour vint se rafraîchir. Aux deux côtez de ces
Salles étoient des échafaudages en façon de plateformes
, pour placer les Spectateurs qui n'étoient
pas de la Cour.
La Décoration du petit Parc étoit un Portique
avec des Arcades à jour , dont le fond représensoit
en perspective le plan de la moitié d'un
decagone , au milieu duquel s'élevoient les Armes
de l'Electeur qui en faisoient le point de
vue. Ce Portique étoit élevé sur un Perron formé
par des planches en talud , sur lesquelles les
marches n'étoiens marquées que par des tringles
de bois peu saillantes , afin que les sangliers
n'y pussent monter que très-difficilement. Dans
les deux Angles étoient deux Portes sur un Pan
coupé , où étoient aussi deux Perrons de même
figure.
H
158 MERCURE DE FRANCE
Au dessus des Arcades du fond regnoit un
Cours de tablettes en saillie , d'un pied de large,
destinées pour faire courir le gibier , pour le
donner en spectacle à l'Assemblée , et aux deux
aîles. Il regnoit un pareil Cours au-dessus des
Impostes des Arcades , avec des Rampes pour
y monter , dont celles du fond étoient apparentes
, et celles des aîles étoient cachées derriere la
Décoration . Le gibier y venoit par une porte
pratiquée dans une représentation de nues
il paroissoit tout d'un coup élevé à vingt- cinq
pieds de hauteur , afin qu'il fut dit qu'on avoit
fait sortir des sangliers et des biches des nuës
on auroit pû dire aussi qu'il en pleuvoit ; car
ces animaux en tomboient ondement.
›
> οι
On commença la Chasse par plusieurs troupes
de dix ou douze sangliers , qu'on faisoit entrer
par les portes des angles. Ces animaux effrayez
de voir tant de monde cherchoient à se sauver
du côté des bâtimens , ils étoient repoussez par
des gens armez de fourches ; et du côté de la
Décoration ils cherchoient inutilement à grimper
sur les perrons ; ils glissoient toûjours ,
retomboient les uns sur les autres ; les plus hårdis
alloient attaquer les Chasseurs qui les attendoient
, l'épée à la main , et les tuoient.
et
Après en avoir fait ainsi entrer par les portes
d'enbas ,on en faisoit passer d'autres par les portes
des nuës , par le moyen des rampes cachées. Ces
animaux se trouvant alors sur un chemin trop
étroit , n'osoient avancer ; mais en leur jettant
des serpentaux et des petards; on les effarouchoit
tellement , qu'ils se précipitoient ; les plus adroits
tâchoient de gagner les rampes qui descendoient
au grand Parc , mais ils y parvenoient rarement
sans tomber.
Aprés avoir ainsi diversifié le spectacle , en
haur
JANVIER. 1721. 159
haut et en bas , en faisant perir les bêtes par le
fer ou par les chutes , on rangea au pied du Perron
plus de cent sangliers qui avoient été tuez
pour donner une autre sorte de spectacle moins
sanglant,
On lâcha par les trois portes du fond et par
celles des nues une quantité prodigieuse de renards
et de liévres, tous masquez avec des cartons
et des toilles peintes ; la plupart des renards
étoient déguisez en coqs , avec des becs , des
aîles et des queües de coqs. Ces animaux que
leurs ajustemens rendoient , pour ainsi dire , tout,
sots et fort embarrassez de leur accoutrement
cherchoient de tous côtez à s'enfuïr ; mais le
Parc étant tout couvert de Bernes , ils ne pouvoient
poser les pieds qu'ils ne donnassent dans
les pieges , par lesquels on les faisoit sauter à
douze ou quinze pieds de hauteur. En se relevant
d'une chute ils passoient sur une autre Berne
où on leur jouoit le même tour , jusqu'à ce
qu'à force de tomber et de se blesser , ils restoient
morts sur la place : on en fit perir ainsi
,trois cens de chaque espece , liévres et renards.
Il est necessaire d'expliquer icy- ce qu'il fant
entendre par le terine de Bernes : ce sont des especes
dd'échelles à quatre rangs de cordes de 15.
ou 20. échelons de bois , qui sont des mailles de
six à huit pouces ; deux hommes , un à chaque
bout , les tiennent lâches par terre , et dès que
l'animal passe dessus , ils donnent subitement une
secousse qui l'élance en l'air .
La moyenne grosseur des liévres et des renards
paroissoit assez propre à ce jeu : mais il
est étonnant qu'on ait ainsi fait sauter des sangliers
et des biches. Trente hommes autour d'une
toille , qu'ils tiroient par secousses , élevoient en
l'air les sangliers aussi haut quelquefois que les
Hij licyres &
165 MERCURE DE FRANCE
lievres , et on voyoit ces pesants animaux s'agiter
en l'air comme nos Sauteurs et danseurs de
corde.
5
Après le divertissement de la Berne , la Cour
passa dans la Salle où l'on avoit servi une Halte
de viandes chaudes et froides . Les Dames se mirent
à table , et les Cavaliers mangerent debout
la plus grande partie sous la tente ou un grand
nombre de Valets de pied,magnifiquement vêtus,
servoient abondamment de toutes sortes de vins.
Cet utile intermede dura près d'une heure ,
après quoy le Spectacle recommença par un loup
vétu en Arlequin ; mais comme il faisoit le méchant
, on fut obligé de mettre les chiens à ses
trousses , et de le faire tuer.
On lácha ensuite des plus fiers sangliers , que
fes Cavaliers combattirent , l'épée à la main ; et
parce qu'on avoit ouvert les portes de communication
au grand Parc , les plus farouches s'échappoient
par ces portes , et fournissoient
aux Chasseurs , à cheval , et aux Dames
phaetons , guidez par des Cavaliers , le plaisir de
courir après , et de les combattre à coups de pistolets
, ou de les faire arrêter par les chiens .
>
en
On en tua ainsi plusieurs , et enfin on revint
à la Mascarade. On vit paroître huit ou dix traineaux
en forme de chars , dans chacun desquels
il y avoit un lievre masqué ly en Demoiselle , qui
avoit pour cocher un renard attaché sur son
siege , comme la demoiselle l'étoit sur son
fauteuil ; mais le malin cocher profitant de la liberté
qu'il avoit de tourner la tête , perdoit nonseulement
le respect à sa dame par de mauvaises
grimaces , mais lui lâchoit encore de bons coups
de dents quand il pouvoit l'atteindre. L'animal
attelé à ce char étoit un jeune sanglier , qui conduisoit
sa voiture un peu irregulierement , suiyant
JANVIER . 1731. 161
vant ses caprices , qui donnoient beaucoup à rire
aux Spectateurs : tels avoient déja paru d'autres
sangliers , harnachez comme des élephans portant
de petites figures de carton , peintes de differentes
couleurs.
Enfin on vit de toutes sortes d'animaux masquez
differemment : six bleraux parurent deguisez
en carpes , et une troupe de cocqs -d'Inde
avoient les plumes peintes des couleurs de celles
de cocqs de Bruyere.Ceux-ci furent les seuls qui
s'en retournerent la vie sauve ; car la Princesse
ne voulut pas qu'on tirât , soit par crainte des
accidens qui pourroient arriver , ou de l'incommodité
du bruit.
>
des
Pendant qu'on bernoit les renards , quelquesuns
d'entr'eux plus ruzez que les autres , pour
éviter cette danse forcée , qui aboutissoit à la
mort se refugierent sur les hauteurs des Décorations
, et allerent par le moyen des rampes
sentiers , se percher sur les vases d'Orangers qui
en faisoient le Couronnement . Ceux qui n'y
purent atteindre se blotirent sur les sentiers
S'accumulant les uns sur les autres ; delà ils regardoient
leurs camarades sauter et voltiger en
Pair par les secoussés des bernes ; mais ils se crurent
envain en sureté , on les dénicha à grands
coups de fusils , qui
abatirent les plus élevez , et
laisserent les autres morts sur les sentiers.
Ainsi finit cette ingenieuse et nouvelle Chasse,
de l'invention de M.le Baron deWack, Grand-VCneur
de S.A.E. qui en donne tous les ans , et les
sçait varier d'une infinité de manieres. Tout s'y
passa avec beaucoup d'ordre , les Pages et les
Seigneurs de la Cour , en habits verds galonnez
d'or , en furent les principaux Acteurs , et il n'y
eut que trois hommes de blessez , quoiqu'une
infinité se fussent exposez à l'être. M. le Comte
H iij de
ཐདྷཱ
162 MERCURE DE FRANCE
de Nassau , seigneur d'une aimable figure , pour
qui toutes les Dames s'interessoient , y combatit
plusieurs sangliers avec une adresse extrême , er
´s'en retira sans accident.
Nous vîmes les jours suivans des Divertissemens
de differentes especes se succeder les uns
aux autres. Il y eut deux Bals précedez par un
Soupé de 80. Couverts au premier , et de plus
de cent au second : dans celui - ci les Dames et les
Cavaliers furent alternativement rangez , suivant
P'ordre dont le sort avoit décidé par des billets
numerotez qu'on avoit tirés au hazard, et qui se
trouvoient attachez à chaque couvert , où chacun
alloit reconnoître sa place. J'eus le bonheur
d'y être associé à une des plus belles Dames de
la Cour , appellée Madame la Baronne de Feningre
, dont la conversation me fit connoître que
la nature ne l'avoit pas moins bien partagée en
esprit qu'en beauté et en naissance. Lorsque
j'eus l'honneur de lui donner la main pour enzrer
dans la Salle , je me souvins de la pensée de
ce Grand d'Espagne , qui en pareille rencontre
s'écria : que les Etoilles disparoissent , voici le
Soleil , Apartense las Estrellas , viene el Sol.
Aprés le Soupé , S. A. E. ordonna que chacun
prit le rang de son numero avec sa Dame , et il
commença lui - même le Bal à la tête de
quarante
quatre Couples , par une Danse Polonoise , qui
n'est qu'une espece de marche assez grave. Le
Prince de Sultbach suivoit S. A. E. avec les jeunes
Princesses , pendant que la Princesse son
Epouse , qui n'aime pas la Danse , demeura dans
un fauteuil , d'où elle la voyoit tranquillement.
Après cette ouverture du Bal S. A. E. dansa le
Menuet avec une grace et une noblesse admirable
, je dois même ajoûter avec une legereté surprenante
à l'âge de 70. A voir cet aimable Prince,
sans
JANVIER. 1731. 163
sans le connoître , il n'est pas difficile de deviner
qu'il est le premier de la Cour. Le jour suivant
on joua la Comedie de Tartuffe , en François :
cette Langue n'est guere moins commune à la
Cour que l'Allemande,qui est la naturelle du pays .
La Langue Italienne n'y est pas ignorée , mais
ellest entenduë d'un petit nombre de personnes
je le remarquai le le jour suivant , lorsqu'on joua
une Pastorale en Musique , où je servois d'Interprete
à plusieurs de mes voisins. La plus grande
partie des Danseurs de ce Ballet étoient les Pages
de la Cour , les Acteurs étoient les Musiciens de
S. A. E.
Je n'ai parlé jusqu'à present que des plaisirs
qui terminoient la journée , je ne dois pas
oublier
ceux de la bonne chere que nous avons faite à
cette Cour. Les Seigneurs animez par l'exemple
du Prince , et par l'estime qu'ils ont pour M. de
Josseau , qui n'est guere moins aimé dans les
Cours des Princes voisins de Landau , que dans
Landau même , nous regalerent magnifiquement.
M. le Comte de Nassau qui soutient la grandeur
de sa Naissance par tout ce qui peut le distinguer ,
nous donna un Repas superbe. Mrs le Baron de
Bevren , Grand- Maréchal , et le Baron Deschal ,
Grand-Ecuyer de la Princesse , nous firent connoître
que les meilleurs vins du monde et tes
mets les plus exquis fe trouvoient rassemblez
Manheim ,
Enfin notre cher Commandant rappellé par fon
devoir , revint à Landau comblé des bontez du
Prince & des politesses de toute la Cour ; chacun
de nous partageoit avec lui cette fatisfaction , car
S. A. E. nous avoit aussi donné des marques de
sa bonté. Il me fit l'honneur de m'adresser plusieurs
fois la parole ; et reconnoissant par la naïveté
de mes réponses la sincerité dont je fais pro-
Hiiij
fession ,
164 MERCURE DE FRANCE
fession , il me dit qu'il aimoit les François ;
parce qu'ils disoient naturellement leur pensée ,
sur quoy il releva un trait de Morale qui m'étoit
échapé d'une maniere qui me fit connoître la
justesse de son esprit et la droiture de son coeur.
Le tems de retourner à notre garnison étant
arrivé , je priai le Gouverneur de la Place de me
permettre d'en voir les Fortifications , quoiqu'il
me connut pour être l'Ingenieur en chef de Landau
; il me l'accorda de si bonne grace , qu'il
'voulut que l'Ingenieur subalterne , qui sçait parler
français , nous servit de guide. Je remarquai
une situation des plus avantageuses pour une Place
de guerre, par le confluent de deux grandes
rivieres , le Rhin et le Necre , qui en défendent
les approches , et une Fortification très - proprement
executée sur le sistême de Cocorn , que
nous n'avons point suivi en France , quoiqu'il
soit public depuis près de trente ans .
Je parcourus aussi l'interieur de la ville qui est
nouvellement bâtie , très- propre et très-reguliere
dans l'alignement de ses rues. Les maisons qui
n'ont ordinairement qu'un étage , rarement deux,
sont propres au dehors , mais l'interieur n'a pas
été distribué par de bons Architectes , particulierement
pour les escaliers.
Je vis aussi le nouveau Palais de l'Electeur qui
n'est pas achevé , et deux cabinets de tableaux,
parmi lesquels il y en a d'un grand prix , que S. A.
E. a fait apporter depuis peu de Dusseldort , ou
l'on dit qu'il en a de merveilleux , particulierement
de Rubens. J'ai l'honneur d'être &c.à Lang
dau le 24. Janvier 1731 .
FRANCE
JANVIER. 17312 · 165
****************
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LE
2.
E de Janvier , les Princes et Princesses
du Sang , et les Seigneurs et
Dames de la Cour eurent l'honneur de
complimenter le Roy et la Reine sur la
nouvelle année .
Les Prevot des Marchands et Echevins,
accompagnez des autres Officiers du
Corps de Ville , rendirent à cette occasion
leurs respects à L. M. à Monseigneur
le Dauphin , à Monseign . le Duc
d'Anjou , et à Mesdames de France.
Le même jour , les Chevaliers , Commandeurs
et Officiers de l'Ordre du S.Esprit
, s'étant rendus dans le Cabinet du
Rey , pour l'accompagner à la Messe ;
S. M. tint Chapitre , et proposa pour être
Chevaliers de cet Ordre , le Duc de
Duras , le Duc de Lévy , le Prince de
Tingry , le Comte de Broglio , Ambassadeur
du Roy en Angleterre , le Comte
de Chatillon , le Marquis de Beringhen
premier Ecuyer , le Comte de Rottembourg
, Ambassadeur Extraordinaire du
Roy en Espagne , et le Marquis de la
Fare. Lorsque le Roy en eût signé le
R v Rôle
166 MERCURE DE FRANCE
Rôle , il le remit au Marquis de Breteuil,
Commandeur , Prevôt et Maître des Céremonies
de l'Ordre , qui sortit du Cabinet
pour le faire proclamer par le Hérault.
S. M. se rendit ensuite à la Chapelle
du Château de Versailles , étant précédée
du Duc d'Orleans , du Duc de Bourbon ,
du Comte de Charolois , du Comte de
Clermont , du Duc du Maine , du Pr . de
Dombes , du Comte d'Eu , du Comte de
Toulouse et des Chevaliers , Commandeurs
et Officiers de l'Ordre . Le Roy ,
devant lequel les deux Huissiers de la
Chambre portoient leurs Masses , étoient
en Manteau , le Collier de l'Ordre pardessus
, ainsi que les Chevaliers. S.M.après
avoir assisté à la grande Messe , qui fut
célébrée par l'Abbé Tesnieres, Chapelain
ordinaire de la Chapelle de Musique , fut
reconduit dans son appartement , dans lẹ
même ordre qui avoit été observé en allant
à la Chapelle .
La Reine accompagnée des Dames de
sa Cour , entendit la Messe dans sa Tribune.
L'après midy , L. M. entendirent les
Vêpres , chantées par la Musique,
Le 3. la Reine communia dans la Chapelle
du Château , par les mains du Cardinal
de Fleury , son Grand Aumônier.
Le
JANVIER. 1731. 167
44
mé
Le six , le Pere Boyer , Théatin , nompar
le Roy à l'Evêché de Mirepoix
, fut sacré dans l'Eglise des Minimes
de la Place Royale, par l'Archevêque
de Rouen , assisté des Evêques de Laon et
de Tarbes. Le 12 , ce nouveau Prélat prêta
serment de fidelité entre les mains du
Roy.
Le7 , le Roy et la Reine partirent de
Versailles , pour aller coucher au Château
de Marly , d'où L. M. revinrent à Versailles
le 27. Elles retournerent à Marly
le 3 Février.
Le 14 , l'Abbé de Besons , nommé par
le Roy à l'Evêché de Carcassonne , fut
sacré dans l'Eglise des Théatins , par l'Evêque
Comte de Châlons , assisté de l'Evêque
de Tarbes et de l'Evêque Comte
de Beauvais. Le 21 , il prêta serment de
fidelité entre les mains du Roy.
Le 25 , la Lotterie de la Compagnie des
Indes , pour le remboursement des Actions
, fut tirée en la maniere accoutu
mée , à l'Hôtel de la Compagnie. La Liste
des Num, des Actions et dixième d'Ac-.
tions qui doivent être remboursez , a été
rendue publique , faisant en tout le nom ,
bre de trois cens Actions .
H vj Le
168 MER CURE DE FRANCE
Le 28. l'Abbé de Vaugiraud , ' nommé
par le Roi à l'Evêché d'Angers , fut
sacré dans la Chapelle du Séminaire de
S. Sulpice par l'Evêque de Soissons
nommé à l'Archevêché de Sens , assisté
de l'Evêque Titulaire d'Europée et de
PEvêque de Tarbes. Il prêta serment de
fidelité le 30. entre les mains du Roi.
"
Le 3. de ce mois , il y eut Concert François
au Château des Thuilleries , M. Mouret
fit chanter un Divertissement de sa
composition , qui a pour titre : La Beauté
couronnée. Il fut suivi d'une suite de simphonie
Françoise très bien executée . La
Dile Le Maure chanta la Cantate de Zephire
et Flore , et la De Petitpas la Cantatille
d'Endimion. Le Concert fut terminé
par le Motet Lauda Jerusalem , mis
en Musique par l'Abbé Gaveau.
, Le to. le Sr Toscano Italien , habile
Joueur de Violon , executa un Concerto
qui fut très applaudi. Il y a eu pendant
ce mois Concert tous les Mercredis ; on
y a chanté differens Divertissemens qui
ont toujours été terminés par un Motet
de M. de la Lande.
Le Roi a donné la place de Conseiller
Etat ordinaire , vacante par la mort de
M. Ferrand , à M. d'Harlai , Intendant
da
JANVIER. 1731 . 16.9
de la Generalité de Paris , et S. M. a
nommé Conseiller d'Etat M. Orry , Con
trôleur General des Finances.
On écrit de Tours que l'Académie de
Musique qui y est établie se soutient avec
tant d'émulation , qu'il n'y a plus de place
pour ceux qui désirent s'y agréger . Les
Dames et les Demoiselles de cette Ville
se font un plaisir d'y chanter et concou
rent à l'envi à un divertissement si noble.
Quatre jeunes Académiciens voulurent le
30. de ce mois signaler leur reconnoissance
par un Bal de nuit ; ils choisirent pour
le donner la Sale même du Concert , où
elles avoient merité pendant toute l'année
des applaudissemens toujours nouveaux.
Cette Sale fut ornée des plus beaux
meubles ; toutes les personnes distinguées
de la Ville et des environs furent invitées .
Les Portraits du Roi et de la Reine , placés
dans les endroits les plus éminens
imprimerent le respect et redoublerent
La joye ; neuf grands lustres éclairoient
moins que les autres illuminations qui
furent variées de toutes parts avec autant
de goût que de profusion ; la Cour et la
Façade du Bâtiment étoient ornées de
lampions er de terrines qui produisoient
un très bel effet . Des vins , des liqueurs
et des rafraîchissemens de toute espece
accom
170 MERCURE DE FRANCE ..
accompagnoient les fruits prodigués com- ,
me ils devoient l'être dans le Jardin de
la France ; mais ce qui flatta le plus la
Jeunesse Académicienne qui fit trèsgalament
les honneurs du Bal , c'est la
politesse , la tranquilité et l'ordre avec
lequel il fut executé. Cette Fête brillante ,
qui dura jusqu'à 9. heures du matin , a
reçu tous les applaudissemens qu'elle mérite.
Le Public a été mal informé par les
bruits qui ont couru au sujet de la maladie
dont la Communauté des Religieuses
de l'Abbaye Royale de Montmartre
a été affligée . Il y est mort au commencement
de l'année huit Religieuses du
même mal qui commençoit par un grand
accablement , la fievre et une douleur sous
la mamelle droite , ce qui étoit suivi
d'un crachement de sang qui duroit douze
heures ; ensuite les crachats devenoient
rouillés , la tête lourde et peu doulou-,
reuse , avec un dévoyement. M. Silva y
ayant été envoyé par ordre du Roi , il
reconnut que le fond de la maladie étoit
une fievre maligne , provenant principalement
des mauvaises nourritures , et
en ayant informé la Cour , S. M. toujours
attentive au bien de ses Sujets , a
ouvert sur ce pieux Monastere ses mains
bien
JANVIER. 171 1731.
bien faisantes , et la maladie a cessé.
Le Marquis de Lyonne , incommodé
d'une loupe au bras droit , se mit le mois
passé entre les mains d'un Maréchal ferrand
qu'on lui avoit vanté pour ces sortes
de cures. L'Operateur employa d'abord
des fondans qui ne firent qu'irriter
la tumeur ; les caustiques qu'il appliqua
ensuite réduisirent le malade , après des
douleurs excessives , à la derniere extremité.
Alors on manda le S Faget , Chirurgien
Juré , et de S. A. S. Madame la
Duchesse Doüairiere , qui ayant appellé
les Sr Sylva , Petit et Duphénix , qui virent
l'état déplorable du bras et de la
playe où la gangrene se découvroit avec
tous ses simptômes les plus fâcheux . Dans
le moment le S Faget , du commun avis,
ouvrit le bras depuis la partie supérieure
jusqu'au pli , détacha la tumeur qui pesoit
deux livres , et l'enleva ; l'opération
dura deux minutes. La vigilance de ces
Mrs , secondée du courage et du temperament
du malade font esperer une par
faite guerison..
Le Sieur Rumen Minihy , Maire de
Morlaix , écrivit le 8. Janvier à Paris au
Marquis de Coetanfao , Gouverneur de
cette Ville , que le 6. à midi le feu ayane
pris
172 MERCURE DE FRANCE
pris à l'Hopital General avec violence , il
fut consumé entierement en peu d'heures
, et que delà s'étant communiqué aux
Maisons de la rue aux Fils ,il y avoit brûlé
beaucoup de Magazins remplis de fil et
de toiles. Cinq Maisons de quatre étages
avec des Magazins pleins de marchandises
ont été brûlés de fond en comble ;
cinq autres maisons pareilles ont été à demi
brûlées et ruinées ; quatre maisons dont
la couverture , le comble et les premiers
étages ont été coupés et abbatus pour arrêter
le progrès du feu . Il y a eu 25. personnes
écrasées sous les ruines ou qui ont
péri dans les flammes ,du nombre desquels
sont quelques notables habitans , entr'au
tres le SieurGoüezou , Capitaine de Navire,
Armateur et Négociant. On a fait des Services
solemnels à la Collegiale et dans toutes
les Paroisses de laVille,où tout leClergé
Seculier et Regulier a assisté,pour le repos
de l'ame du Sieur Goüezou et de toutes
les autres personnes qui , à son exemple,
travaillant pour le bien public , ont péri
dans l'incendie.
La Ville de Morlaix est connue pour
être l'une des plus florissantes de la Province
de Bretagne , particulierement pour
le commerce des toiles avec l'Espagne. Il
s'y fabrique aussi une grande quantité de
Tabac .
REJANVIER.
· 1731 .
-173
RECEPTION faite à M. le Dus;
de la Trémoille , dans la Kille de Laval.
R le Duc de la Tremoille arriva le
M14. sa 14. du mois passé en sa Baronie de
Vitré , éloignée de 7. lieues de la Ville de
Laval ; le lendemain la Jeunesse de cette
Ville , au nombre de près de 80. Cavaliers
, bien montez et bien équipez , se
rendit à Vitré , ils avoient à leur tête
Mr Marest , anciens Officiers , et fils de
M.Marest, Conseiller et Garde des Sceaux
au Parlement de Bretagne . Ils étoient tous
en habit uniforme d'écarlate avec la veste
galonnée d'ar , et la polacre de velours
noir , le chapeau bordé avec les cocardes
de la livrée de M. de la Trémoille , chaqué
Maître étoit suivi d'un Valet avec le
chapeau bordé et la cocarde ; ils avoient
les trois Trompettes du Regiment de
Montrevel.
Dans ce leste équipage ' ils firent cortege
au Duc de la Trémoille , qui fit son
Entrée dans la Ville de Laval le Dimanche
sur les six heures du soir , au bruit
du Canon , au son de toutes les Clocheset
des acclamations du Peuple ; toutes les
ruës sur son passage étoient tapissées et
illuminées , la clarté de plus de deux cens
Flambeaux , que portoient les Valets des
Ca174
MERCURE DE FRANCE.
Cavaliers , formoit le plus beau Spectacle
du monde ; les rues étoient bordées des
deux côtez de la Milice Bourgeoise au
rombre de 2000. hommes , divisez en
differentes Compagnies , ayant à leur tête
les principaux Officiers et Bourgeois ,
magnifiquement vêtus ; ils avoient donné
la cocarde à tous leurs Soldats .
Les rues étoient remplies d'une multitude
infinie de Peuple qui prenoit plaisir à
former des embarras et à retarder la Marche
, pour avoir le contentement de voir
plus long-tems un Seigneur si gracieux .
Les Officiers de la Maison de Ville se
trouverent à la premiere Porte, et lui présenterent
les Clefs dans un Bassin d'argent,
aux Armes de la Ville , ils lui présenterent
aussi le Dais , mais il le refusa.
Tous les Corps de Justice , toutes les
Communautez se rendirent au Château et
complimenterent M. de la Trémoille , qui
répondit avec beaucoup de politesse , et
donna des marques d'une parfaite satisfaction
, heureux présage de la paix et de
la tranquillité qu'il devoit procurer le
lendemain ; il retint à souper les principaux
Officiers , la Jeunesse alla prendre
un repas qu'elle s'étoit fait préparer , et
tous les Capitaines de la Milice régalerent
leurs Soldats .
M. le Duc de la Trémoille , qui avoit
eu
<
JANVIER. 1731. 175
eu lieu d'être indisposé contre les Habitans
de Laval , à l'occasion du grand Procès
par eux soutenu contre ses interêts ,
comprit bien-tôt que ces Habitans n'étoient
pas tels qu'on les lui avoit dépeints,
et que ces honneurs extraordinaires et ces
protestations partoient de l'abondance de
leur coeur , il voulut bien les entendre ,
écouter leurs plaintes et leurs demandes.
Il fit pour cela avertir le lendemain
douze des principaux Habitans de se trouver
à trois heures dans la Salle du Châ-
'teau ; ils s'y rendirent à l'heure marquée,
M.de la Trémoille y entra avec le Comte
de Vilaines et deux de ses Officiers , M. le
Duc leur fit sur le champ et sans préparation
, un Discours le plus éloquent , le
mieux suivi et le plus persuasif qu'ils eussent
jamais entendu , ils lui répondirent
avec respect et ils repliquerent à differentes
reprises. La Réplique du Seigneur
fut toujours prête et en des termes si
propres et remplis de tant de bontez , que
les Auditeurs en furent émus et penetrez
des sentimens d'une estime respectueuse
et de la plus vive reconnoissance . On
convint enfin de terminer, amiablement
toutes les contestations , on arrêta les
Articles d'un Projet de Reglement lesquels
furent signez dès le lendemain de
M. le Duc de la Trémoille et des principaux
Habitans. Ces
176 MERCURE DE FRANCE.
j
Ces affaires sérieuses n'interrompirent
point les plaisirs , au contraire la joye en
redoubla , toutes les Dames et les Cavaliers
furent assemblez le Lundy au Châ-
M. de la Trémoille donna la Comédie
, une Troupe étant à Laval depuis
quelques mois , et il voulut bien s'y trou
ver pour satisfaire l'empressement de tous
les Habitans , qui ne pouvoient se lasser
de le voir . Après la Comedie il y eut un
Feu d'artifice , tiré sur la Place , un grand
souper et un Concert au Château , on
tira le Canon à l'entrée et à la sortie de
table , et enfin M. le Duc accorda à la
Milice Bourgeoise l'honneur qu'elle lui
demandoit de passer en Revûë devant lui
dans la Cour de son Château.
Il partit le Mardy en poste sur les deux
heures après midi , et il fut reconduit
par la Jeunesse à cheval , au bruit du Canon
et au travers de la Milice Bourgeoise
qui bordoit toutes les rues , M. le Duc de
la Trémoille , en remerciant la Jeunesse
lorsqu'elle eut pris congé lui donna la
permissión de la Chasse.
Des Réjouissances pour une Paix tant
desirée , ont continué pendant quinze
jours entre les principaux Habitans des
deux Partis qui divisoient la Ville , ils se
sont donnez de fréquens repas et des Fètes
que le Comte de Vilaines a bien vou-
Lu
JANVIER. 1731. 177
u honorer de sa presence , entre autres
un Dîner , où il y avoit 40. des principaux
Officiers de tous les Corps de Justice
et de la Maison de Ville ; on y but
au bruit du Canon et des Tambours la
santé de M. le Duc de la Trémoille, celles
de Madame la Duchesse et du Comte de
Vilaines; enfin tout le monde est content;
on ne peut pas douter de la sincerité de
ccs Réconciliations et de la durée de la
tranquillité publique.
MORT S.
Antoine-François Ferrand, Con-
M'seiller d'Etat Ordinaire , mourut
à Paris , âgé de 77. ans. "
"Frere Eustache de Bernard d'Ayernes ,
Bailly , Grand-Croix , Grand Hospitalier
de l'Ordre de S. Jean de Jerusalem , er
Commandeur de la Commanderie de
Chanterenne , Procureur General et Receveur
du Commun de cet Ordre , au
Grand Prieuré de France , mourut à Paris
le 5. Janvier , âgé de 64. ans.
M. de Figeac , Chevalier de S. Louis ,
Aide- Major de la Ville de Saint Venant ,
y mourut le 5. de Janvier , âgé de 112 .
ans et huit mois , dont il en a servi 96.
dans
178 MERCURE DE FRANCE.
dans les Troupes , ayant porté le Mousquet
dès l'âge de 16. ans. Il fut fait Officier
en 1665. dans le Régiment de Champagne.
M. Etienne François Geoffroy , Docteur
Regent de la Faculté de Medecine
de Paris , Lecteur du Roi au College
Royal , Professeur en Chimie au Jardin
Royal des Plantes , de l'Académie Royale
des Sciences , et de la Societé Royale de
Londres , mourut à Paris le 6. de Janvier
dans la 59. année de son âge.
Dame Eleonore Suzanne de Mavarti
Reagh , Epouse de N. Baron de Hooke,
Maréchal des Camps et Armées du Roi ,
Commandeur de l'Ordre Royal et Militaire
de S. Louis , mourut à Paris le 13 .
de ce mois , âgée d'environ 48. ans.
XXXXXX:X:XXXXX :XXX
ARRESTS , DECLARATIONS ,
ORDONNANCES , &c.
RREST du 3. Octobre , qui proroge jus-
Aqu'au dernier Decembre 1732. l'exemption
de Droits d'entrée sur les Bestiaux venant des
Pays Etrangers.
AUTRE du 7. Novembre , qui permet aux
Marchands et Fabricans de Bas de la Ville de
Saint
JANVIER. 1731. 179
aint Amand d'envoyer tricoter leurs laines dans
a Châtellenic de Tournay , en payant par les
Prevôt et Echevins de ladite Ville de Saint Amand
trois cens livres par an , pour tenir lieu des Droits
d'entrée du Tarif de 1671. et en observant les
formalités prescrites par le présent Arrêt.
SENTENCE de Police du 17. Novembre,
qui renouvelle les défenses à tous Logeurs de
retirer chez eux aucuns Particuliers sans aveu ,
ni Domestiques ou Ouvriers , s'ils ne sont munis
de certificats de leurs Maîtres , et qui condamne
en differentes amendes plusieurs Logeurs , pour
avoir contrevenu aux Reglemens de Police , concernant
la tenuë des Chambres garnies.
2
AUTRE du même jour , qui condamne la
Weuve Constant , Limonadiere en deux cens
Kvres d'amende , et à avoir sa Boutique murée
ndant six mois , pour avoir contrevenu aux
Arrêts , Sentences et Ordonnances de Police ,
concernant les Limonadiers.
DECLARATION du Roi , en faveur de
'Hôpital General , donnée à Marli le 26. Novembre
1730. registrée en Parlement le 9. Decembre
, par laquelle S. M. ordonne que pendant
le courant de l'année prochaine 1731. il soit
perçu au profit dudit Hôpital dix sols par chaque
voye de bois à brûler , et deux sols par chaque
voye de charbon de bois qui seront venduës
sur les Ports , Quais et Chantiers de la Ville de
Paris , lesdits droits payables ainsi qu'il a été
ordonné par nos Déclarations des 3. Janvier ,
21 Decembre 1728. et 20. Decembre 1729. sça .
voir , moitié par les Marchands de bois et de
charbon , et l'autre moitié par les acheteurs.
Voulons
180 MERCURE DE FRANCÉ
Voulons qu'après le dernier Decembre 173 1.
lesdits droits demeurent éteints et supprimés.
du 28
JUGEMENT en dernier ressort ,
Novembre 1736. rendu par M. Hérault , Conseiller
d'Etat , Lieutenant General de Police, et les
Conseillers du Châtelet , Commissaires en cette
partie. Contre Joseph Martin , dit S Martin
au sujet des Cloches fonduës, dont il a été parlé,
par lequel il est dit ce qui suit : Ordonnons que
les 6 Cloches fondues par Joseph Martin,en execution
du marché passé entre le sieur Mendés
de Goës et lui devant de Laleu et son Confrere,
Notaires au Châtelet de Paris , lè 21 Nov. 1729.
Charpente et Ferrure en dépendantes , demeureront
pour le compte dudit Martin et à ses risques
: Et en consequence le condamnons et par
corps , à rendre au sieur Mendés de Goës , la
quantité de 84565 liv. de Cuivre de la même espece
et qualité que celui qui a été fournit audit
Martin , et 18087 liv. d'Etain d'Angleterre en
Saumon , et ce dans huitaine , à compter du jour
de la signification du present Jugement , sinon
et à faute de ce faire dans ledit temps , et icelui
passé , le condamnons par les mêmes voyes ,
payer audit sieur Mendés de Goës la somme
laquelle se trouvera monter le prix desd . Matieres,
suivant le calcul qui en sera fait par M.de Mont-
Hambert , Conseiller , Commissaire Rapporteur ,
sur les factures , marchez et quittances , dont la
representation sera faite audit cas , par le sieur
Mendés , ledit Joseph Martin present ou dúëment
appellé : Condamnons en outre ledit Martin
par les mêmes voyes à rendre et à payer aud.
sieur Mendés de Goës la somme de 22000 l.d'une
part , par lui payée audit Martin , aux termes
dudit Traité, avec les interêts tant de lad, somme
de
JANVIER . 181 1731.
de 22000 liv que de celle à laquelle
montera le
prix desd. matieres
, faute de restitution
d'icelles
en nature , comme
dit est , à compter
du 24 Oct.
dernier , jour de la demande
, et en la somme de
8000 1. d'autre part , à quoi nous avons arbitré
les dommages
, interêts
demandez
par le sieur
Mendés
de Goes. Et pour faciliter le payement
de toutes lesd. condamnations
,ordonnons
qu'à la
requête dud. sieur Mendés de Goes il sera procédé
à la vente desd . 6 Cloches , leurs appartenances
et dépendances
, ledit Joseph Martin present
ou dûement
appellé , après 3 expositions
et
publications
en la maniere
et aux jours accoûtumez
et Affiches
préalablement
apposées, pour
le prix qui en proviendra
être délivré aud. sicur
Menés de Goes , sur et tant moins , ou jusques à
concurrence
des sommes
cy-dessus à lui anjugées
; quoi faisant par lesd. Adjudicataires
, ils en
seront valablement
quittes, et led . Joseph Martin
d'autant
déchargé
. Condamnons
led . Joseph Martin
en tous les dépens,même aux coûts des Rapports
et fraits faits pour y parvenir
, ensemble
aux
dépens reservez . Déclarons
le present Jugement
commun
avec Antoine
Martin
et Claude Regnault
, cautions
dudit Joseph Martin : Ce faisant
, les condamnons
solidairement
avec lui
ainsi qu'ils y sont obligez par l'Acte passé par
devant ledie de Laleu et son Confrere
, Notaires
à Paris , le 20 Janv. dernier , tant à la restitution
desd. matieres
, qu'au payement
cesd. sommes
principales
, aux termes du present Jugement
, interêts
d'icelles
, et dommages
, interêts , avec dépens.
Et attendu les contraventions
et prévarications
dudit Joseph
Martin, déclarons
à son égard
ledit Marché
, cy - devant
datté , nul et résolu
pour l'avenir. Faisons
défenses
audit Joseph
Martin d'entreprendte
tant dans la Ville de Paris
I que
}
182 MERCURE DE FRANCE
que
dans l'étenduë du Royaume, aucun Ouvrage
de Fonte, sous telles peines qu'il appartiendra : Et
faisant droit sur la Requête desd. Antoine Martin
et Claude Regnault, du 20 du present mois, condamnons
ledit Joseph Martin par toutes voyes
dues et raisonnables , à les acquitter , garentir et
indemniser de toutes les condamnations cy - dessus
prononcées contr'eux , avec dépens , &c.
ARREST du même jour , qui décharge du
payement des 4 sols pour livre , le Hareng provenant
de la pêche des habitans de Dunkerque.
AUTRE du même jour , qui renouvelle les
deffenses de l'introduction , port et usage des
Toiles peintes ou teintes , Ecorces d'arbres ou
Etoffes de la Chine , des Indes et du Levant.
EDIT DU ROY portant création d'une
Charge de Garde du Trésor Royal triennal ,pour
entrer en exercice , au 1 Janvier de l'année prochaine
1731.Donné à Marly au mois de Novembre
1730. Registré en Parlement le 16 Decem→
bre.
ARREST du 3 Decembre , qui proroge jusqu'au
dernier Juin 1731. l'exécution de ceux des
Dec. 1729. et 27 Juin 1730. portant que tous
ceux qui remettront aux Hôtels des Monnoyes, en
Piastres ou autres matieres d'Or et d'Argent,une
somme de 1ooo liv . et au dessus , continueront
d'être payez des 4 den. pour liv. jusqu'audit jour
dernier Juin 173 1 .
ORDONNANCE DU ROY du même jour ,
pour regler les differentes Classes de ceux qui se
ront reçûs à l'Hôtel Royal des Invalides , par
laquelle S. M. ordonne ce qui suit :
ART. I.
JANVIER. 171. 183
1
ART. I. Nul ne pourra être reçû à l'Hôtel Royal
des Invalides, s'il n'a,conformément auReglement
du 3 Janvier 1710. au moins vingt ans de service,
consécutifs et sans interruption , ou.qu'il n'ait
été estropié , ou griévement blessé au service du
Roy , suivant les Certificats qui seront rapportez
des Commandans et Majors des Corps , visez des
Directeurs ou Inspecteurs. Pourront, aux termes
de l'Art.VIII.de l'Ordonnance du 10 Mars 1729.
ceux qui auront renouvellé deux fois des Engagemens
de 6 ans, être reçûs après leur expiration:
N'entend neanmoins S. M. que ceux qui auront
servi le temps prescrit , soient admis à l'Hôtel
s'ils se trouvent , par leur âge et par leur santé
en état de continuer.
II. Il n'y aura que trois Classes dans l'Hôtel
Royal des Invalides .
III. La premiere sera composée des Officiers des
Troupes du Roy , des Gardes du Corps , Gendarmes,
Chevaux- Legers, Mousquetaires de la garde,,
des Sergens de la Compagnie des Grenadiers à
Cheval, lorsqu'ils auront servi s ans en lad. qualité
de Sergent , et des Sergens des Regimens des
Gardes-Françoises et Suisses , après 10 ans de
service en ladite qualité . Les Officiers de la Connétablie
et des Maréchaussées , y compris les
Exemps , seront pareillement reçûs , après avoir
été dix ans Officiers. Le traitement de ceux de
cette premiere Classe continuera d'être fait sur
le pied ordinaire et accoûtumé.
IV. La seconde Classe sera composée des Gendarmes
et Chevaux - Legers desCompagnies d'ordonnance,
Grenadiers à Cheval , Maréchaux des
Logis de la Cavalerie et de Dragons , et des Sergens
d'Infanterie , lorsqu'ils auront servi dix ans
dans lesdites qualitez, Ceux qui après avoir été
tirez de la Cavalerie pour entrer dans les Gardes
I j da
14 MERCURE DE FRANCE.
du Corps, sont depuis rentrez -dans la Cavalerie ,
y seront pareillement admis ; de même encore
les Gardes - Magazins , Capitaines et Conducteurs
& Artillerie , après 30 ans de service , dont dix
ans en ladite qualité. Ceux de la presente Classe,
qui est la seconde , auront un habit distingué du
Soldat , suivant qu'il sera plus particulierement
réglé par le Sécrétaire d'Etat , ayant le département
de la Guerre ; ils porteront l'Epée , et recevront
chaque mois 15 sols , pour leurs menuës
dépenses ; ils logeront ensemble , dans un quartier
séparé , mangeront sans aucun mélange, dans
un même Réfectoire où ils seront nourris comme
Les Soldats,avec cette différence néanmoins,qu'ils
auront tous les matins un demi -setier de vin. Les
Gendarmes , Chevaux- Legers et Maréchaux des
Logis cyc-dessus , continueront d'être envoyez
dans la Compagnie créée en 1714.et dont le sieur
Jaquette a actuellement le commandement ; laquelle
Compagnie sera payée sur le pied reglé ,
jusques à concurrence du nombre effectif, quand
même il se trouveroit exceder celui qui a été fixé
lors de sa création. Il sera formé une seconde
Compagnie des Gendarmes , Chevaux - Legers ,
Maréchaux des Logis , Grenadiers à Cheval et
Sergens qui seront en état de servir , et elle sera
employée dans une garnison fixe.
V. La troisiéme Classe sera composée des
Soldats , Cavaliers et Dragons , Archers de la
Connétablie et des Maréchaussées , Maîtres ou
simples Ouvriers et Charretiers d'Artillerie , et
en tout ils continueront de recevoir le traitement
ordinaire.
VI. Les Gendarmes et Chevaux-Legers des
Compagnies d'ordonnance , les Maréchaux des
Logis de la Cavalerie et de Dragons , et les Sersens
d'Infanterie qui se trouveront avoir des
Brevets
JANVIER. 1731. 185
Brevets de Lieutenans , ne pourront être reçûs
comme Officiers , qu'après qu'ils auront servi
cinq ans en ladite qualité,
}
VII. Les Sergens des Grenadiers à Cheval et
ceux des Regimens des Gardes Françoises et Suisses
, lorsqu'ils n'auront pas les services en ladite
qualité marquez en l'Article III. de la presente
Ordonnance , pour la Classe des Officiers , ne
pourront être reçûs que dans la seconde Classe.
مد
VIII. Les Maréchaux des Logis de la Cayalerie
et de Dragons , les Grenadiers à Cheval,
Gendarmes et Chevaux- Legers des Compagnies
d'ordonnance , et les Sergens d'Infanterie , lors
qu'ils n'auront pas servi dans lesdites qualitez le
tems marqué par P'Art. IV. pour entrer dans la
seconde Classe , ne pourront être reçûs que dans
--la troisiéme.
IX. Veut neanmoins Sa Majesté , que les Cavaliers
et les Dragons étant actuellement àl'Hôtel
, ausquels il a été accordé un demi - setier de
vin tous les deux jours , et ceux qui sont appellez
Sergens brevetez , continuent d'être traitez comme
ils le sont actuellement tant qu'ils vivront ,
sans neanmoins qu'aucun autre puisse être admis
nouvellement au même traitement.
X. La presente Ordonnance commencera d'a
voir son execution au 1 Janvier 1731. S. M. dérogeant
à toutes dispositions à ce contraires , &c.
DECLARATION du Roi , portant sup
pression de differentes formules des Actes des
Notaires de la Ville de Paris , et ordonne une
formule uniforme , donnée à Versailles le 5. De
cembre 1730. registrée en la Cour des Aides le
15. Decembre.
ARREST du même jour , qui déclare nuls
I iij après
186 MERCURE DE FRANCE
après le premier Avril prochain les Ordonnances
de Liquidation et Quittances de finances des
Offices supprimés sur les Ports , Quais , Halles,
et Marchés de la Ville de Paris , ensemble les
Recepissés du Tresor Royal , expediés pour remboursement
desdites finances , faute de les avoir
employés conformément à l'Edit du mois de
Juin et à l'Arrêt du 22. Octobre dernier.
AUTRE du même jour , qui ordonne que
les draps , serges et autres étoffes de laine , ou
fil et laine , marqués du plomb de fabrique , et
qui après avoir reçû leur dernier apprêt seront
destinés , soit pour les Villes du Royaume y
mentionnées , ou pour l'Etranger , seront préa-
Jablement apportés dans les Bureaux des Marchands
Drapiers et Merciers desdites Villes , pour
avant leur départ y être visités et marqués du
plomb de Contrôle desdits Bureaux , s'ils se
trouvent fabriqués , teints et apprêtés en confor
mité des Reglemens.
AUTRE du même jour , concernant les
ensaisinemens et enregistrement pour les biens
tenus dans la mouvance du Roi , par lequel S. M.
fait très expresses inhibitions et deffenses aux Receveurs
et Contrôleurs géneraux de ses domaines
de faire aucunes poursuites pour l'ensaisinement
ou enregistrement ordonnés par les Edits dest
mois de Decembre 1701. et Decembre 1727.
Déclarations et Arrêts rendus en consequence ,
et d'en exiger les droits d'ensaisinemens ou enregistremens
et de contrôle d'iceux que dans l'étendue
des Terres qui sont constament et notoirement
du domaine de S. M. par Elle possedées
ou engagées , à peine de restitution du quadruple
des droits qu'ils auront reçus , dont la peine
ne
JANVIER. 1731. 187
ne pourra être remise ni moderée , sauf à eux
d'informer le Sieur Contrôleur Géneral des Finances
des usurpations faites sur le domaine
pour y être pourvû ainsi que S. M. le jugera à
propos , et en cas que les Terres soient déclarées
domaniales , à poursuivre par eux les vassaux et
censitaires desdites Terres , pour satisfaire aux
ensaisinemens ou enregistremens et Contrôle d'iceux
, et pour en payer les droits , ainsi qu'il
est porté par les Edits , Déclarations et Reglemens
& c.
ORDONNANCE du Roi du même jour,
portant nouveau Reglement sur des Voitures qui
seront fournies aux Troupes pendant leur marche.
AUTRE du même jour , portant suppres
sion de la Commission de Colonel Géneral de
Infanterie Françoise et Etrangere , par laquelle
S. M. ordonne que le titre et les fonctions de
Colonel General de son Infanterie Françoise et
Etrangere seront et demeureront doresnavant
supprimés , conformément à l'Edit du mois de
Juillet 1661. sans pouvoir être ci - après rétablis,
soit par commission ou autrement , pour quelque
raison ou sous quelque prétexte que ce
puisse être.
Que les Mestres de Camp de ses Régimens
d'Infanterie Françoise et Etrangere prendront à
l'avenir , et à commencer du jour de la publication
de la présente Ordonnance , la qualité de
Colonels , sans que pour raison de ce change
ment ils soient tenus de prendre de nouvelles
Commissions de S. M. laquelle veut et entend
qu'au moyen de celles qui leur ont été ci devant
expediées , ils continuent de commander lesdits
Regimens en qualité de Colonels , sous l'autorité
de S. M.
I j Que
188 MERCURE DE FRANCE.
Que le Drapeau blanc sera remis le jour de
ladite publication à la suite de la Compagnie
commandée par le Colonel de chaque Régiment,
laquelle sera doresnavant la premiere ; que celle
du Lieutenant Colonel cessera d'être appellée la
Colonelle Génerale , qu'elle ne sera que la seconde
Compagnie , et sera subordonnée sans difficulté
au Colonel du Régiment.
Qu'au surplus , l'ordre et le commandement
seront rétablis dans lesdits Régimens d'Infanterie
Françoise et Etrangere sur le même pied qu'ils
étoient avant l'Ordonnance du 30. May 1721. à
laquelle S. M. a dérogé et déroge expressément
par la présente &c.
AUTRE du ro . Decembre , portant Réglement
sur les Congez qui pourront être donnez
à l'avenir aux Soldats , Cavaliers et Dragons qui
auront besoin de s'absenter.
SENTENCE de Police du 15. Decembre,
concernant la liberté de la Voye publique , et
qui défend à toutes sortes de personnes de se
placer au devant des Maisons avec des Echoppes
et Comptoirs , pour y vendre et étaller des Marchandifes.
ARREST du Parlement , rendu au sujet de
trois Imprimez.
Ce jour les Gens du Roi sont entrez , et Maître
Pierre Gilbert de Voisins , Avocat dudit Seigneur
Roi , portant la parole , ont dit.
MESSIEURS ,
L'Instruction Paftorale & le Mandement de
M. l'Archevêque d'Embrun faisoient trop de bruit
pour ne pas exciter notre attention ; & le genre
de ces deux Ouvrages ne laissoit pas lieu de craindre
JANVIER. 1731. 189
dre que notre miniftere pût les négliger. Le premier
déja sous nos yeux , occupoit nos réflexions ;
Pautre faisoit l'objet de nos recherches , et ne
leur eût pas long - tems échappé , lorsque l'occa
sion s'est presentée à la Cour de nous les remettre
elle- même. Un troisiéme imprimé qui porte
le nom de M. l'ancien Evêque d'Apt , est tombé
depuis entre nos mains. Quoique different par le
titre d'une fimple Lettre , il a dailleurs tant de
rapport à ce qui fait l'objet des deux autres Ouvrages
, que nous n'avons pas crû devoir les sé→
parer.
C'est avec douleur que nous voyons d'abord
deux Ecrits publiez sous un titre respectable , et
tous deux partis de la main du même Prélat , devenir
jusques sous vos yeux un nouveau signal de
discorde , nous rappeller les maux passez, et nous
en faire craindre de nouveaux .
L'Instruction Pastorale de M. l'Archevêque
d'Embrun paroît destinée à combattre les Ecrits
d'un autre Prélat , dont plusieurs ont été suppli
mez par vos Arrêts. Il ne lui eût pas été difficile
de se renfermer dans les avantages de sa cause..
Mais il semble qu'il ait mieux aimé chercher les
écueils. Indépendamment des points de Doctrine
qui ne sçauroient nous regarder , l'étendue et la
diversité de l'ouvrage , offrent tant d'objets differens
à l'attention du Magistrat , qu'il n'est pas
possible de tout relever. On ne se contente pas d'y
opposer les reproches aux reproches , & les termes :
les moins mesurez aux expressions du même genre.
Vous y remarquerez , Messieurs , tantôt um
silence suspect sur nos maximes , et tantôt les at--
teintes plus ou moins marquées qu'elles semblent
recevoir: une affectation à confondre les circons
tances et les tems où les differentes démarches ont:
été placées , dans le cours des dernieres divisions ;:
I V less
190 MERCURE DE FRANCE.
les comparaisons les plus odieuses appliquées à ces
démarches ; & sur les matieres les plus importantes
, des idées et des expressions plus capables.
d'exciter la contradiction des esprits que de les
soumettre.
Comme si les maux de l'Eglise n'étoient pas as
sez grands d'eux-mêmes , cet Ouvrage les exagere
et ne semble propre qu'à en élogner les remedes.
De- là cette opposition continuelle qu'il met entre
ceux qu'il appelle Catholiques , et ceux à qui il
paroît refuser ce nom : ce titre de Secte, ces noms
de parti qu'il repete sans cesse , contre la disposition
des Loix les plus sages sur cette matiere.
On diroit qu'il s'empresse d'annoncer une séparation
, qui ne pouroit être regardée que comme
le dernier des malheurs ; & que par une funeste
impatience , il cherche à nous faire voir au
sein du Royaume , une diversité de Religion , dont
la seule idée devroit allarmer.
Il semble qu'on ne songe pas tant à deffendre
et à maintenir la Constitution Unigenitus , qu'à
y substituer ses propres pensées. Nous sçavons ,
Messieurs , quelle peut être en cette matiere la
fonction du Magistrat , et nous nous ferons toûjours
une religion de nous renfermer dans ses
bornes. Loin de nous la moindre pensée de considerer
la Bulle autrement que par l'exterieur,
sous lequel nous la voyons adressée à tous les fideles
, sous l'appui de l'autorité du Prince Protecteur
de l'Eglise. En se renfermant dans ce point
de vûë , on reconnoît dans ce Decret un jugement
qui censure des propositions en matiere de
Doctrine : Une censure respective sous des qualifications
differentes , sans application d'aucune
en particulier à aucune des propositions : Jugement
dont le caractere est autorisé par la pratique
de l'Eglise , et par l'usage qu'elle a fait souvent
JANVIER. 1731. 191
+
vent de ces sortes de qualifications respectives ,
pour le bien de la Religion. Mais lorsqu'avec des
termes affectez , on public que ce Jugement est...
précisément la regle à laquelle Jesus - Christ
veut que tout Fidele soumette sa croyance :
n'es -ce pas essayer d'en faire une définition ou
une décision des Dogmes de la Foy , passer les
termes du Decret , entreprendre de lui attribuer un
caractere , qu'à l'inspection seule il paroît exclure
: et par là prêter des armes à la résistance qui
s'opiniâtre à le combattre 2
C'est l'esprit que l'on voit regner par- tout dans
P'Instruction Pastorale , et le centre où se rapporte
presque à chaque page l'énergie trop claire de ses
expressions. Triste effet des extremitez où con init
l'ardeur des disputes ! M. l'Archevêque d'Embrun
& M. l'Evêque de Montpellier,si opposez en tout
le reste , paroissoient d'accord sur ce point . On
franchit de part et d'autre les bornes qu'une déference
reglée pour l'autorité légitime devroit
faire reconnoître . On se dissimule l'objet tel qu'il
est , et par des vûës contraires on s'accorde à le
changer , d'un côté pour le soutenir , et de l'autre
pour le combattre..
Si tel est le préjugé de M. l'Evêque de Montpellier
; convenir de ce principe avec lui, le prêter
à tous ceux qu'on voit soumis à la Constitution,
est- ce le moyen d'applanir les difficultez ? Seronsnous
surpris qu'en rapportant quelques - unes de
nos expressions , M. l'Archevêque d'Embrun les
applique à un excès tout contraire à celui qu'elles
* avoient pour objet ? Lorsque nous voyons que
dans les Loix émanées dé l'autorité souveraine, soit
sur la Constitution , soit sur les Appels au futur
Concile , il se flatte de trouver ce qui n'est ni dans .
leurs termes ni dans leur esprit.
Dans cette préocupation de ses pensées , si d'un
Ivj côté
192 MERCURE DE FRANCE.
côté il applaudit au zele des Puissances , de l'autre
il blâme sans détour ce qu'il appeile une pacifique
tolerance de leur part. Il craint un Parallele , il
s'en irrite, et ne cache pas son impatience. Aussi
interessé dans ses plaintes que dans ses éloges , on
voit qu'il rapporte tout à lui- même , et qu'il fait
dépendre sa satisfaction des partis extrêmes que
la charité Episcopale déplore toûjours , lors même
qu'elle les juge nécessaires..
Il est tems de passer au Mandement . Mais
quelles paroles peuvent exprimer ce que fait sentir
sa lecture? Pour l'honneur de l'Episcopat, que
n'est il possible d'effacer ce titre de Mandement
d'un Ouvrage si éloigné d'y répondre Il attaqueen
apparence un Ecrit , et c'est en effet contre les
personnes qu'il se déchaine. Il promet une réfutation
, et en attendant il ne répand que des inju
res. C'est ce qui tient lieu d'Instruction , à la tête
de la condamnation qu'un Evêque se croit en droit.
prononcer.
de
a
dau-
M. l'Archevêque d'Embrun a- t'il pû avec reflexion
faire servir le caractere de sa dignité , et la
sainteté de son ministere , une déclamation si
outrée et à une invective si sanglante? Est-ce pour
édifier ou pour convaincre , qu'il accumule et
qu'il répete sans cesse les termesde révolte ,
dace , de lirence effrenée , d'irreligion,d'impieté,
de blasphemes , de nouveaux monstres , de suffrages
honteux , témeraires , de sujets auda
cieux , de gens décriez ? En quel lieu un pareil
stile passera- t'il pour l'effet de la fermeté Episcopales
? C'est ainsi qu'on s'explique lorsque l'on
cherche à venger ses propres querelles Lezele desinter
ssé parle d'ordinaire un autre langage.
M.I'Archevêque d'Embrun semble oublier ce qu'il :
a dit dans son Instruction Pastorale , que dans de
semblables Ecrits devroient regner selon l'esprit
de:
JANVIER. 17312 193
de Jesus Christ l'humilité, la douceur, la charité.-
Auroit- il aussi oublié les sentimens dont il s'éss
fait honneur au même endroit , d'un Evéque qui
ne songe pas à sa propre défense , lorsque la foi
est en péril ?
On le voit ici , empruntant les termes de saint
Cyprien , sur les pas de ce Saint Martyr , de ce
grand Evêque d'Affrique , de cette Lumiere det
P'Eglise primitive , venir , l'Evangile à la main ,
s'offrir au martyre : Sacerdos Dei Evangelium
tenens , occidi poteft , non poteft vinci. Mais
Pimage disparoît , et il ne reste que l'étonnement
de l'application qu'il se fait d'un si grand exemple
: lors qu'en même tems il se reduit à tonner
contre un nombre de Jurisconsultes qui ne peuvent
avoir d'autres armes que le raisonnement et
le discours.
Ces hommes si méconnoissables dans le portrait
odieux qu'en fait ce Prélat , n'ont besoin:
pour être à couvert de ses atteintes , que de l'accés
qu'ils ont trouvé auprès de la bonté et de la
justice du Roi. Depuis que lui - même a bien
voulu declarer qu'il les regardoit comme de bons
et de fideles sujets ; c'est à M. l'Archevêque d'Embrun
à subir le poids d'un témoignage si auguste..
Auroit-il pensé à le contredire ? Souhaitons plutôt
qu'au 16. Decembre il ait ignoré à Embruns
ce que l'on sçavoit à tant d'autres lieux et présumons
qu'il a regret d'une démarche hazardée :
si à contre-tems.
Inutilement s'occuperoit-t'on à considerer de:
plus près un ouvrage de ce caractere. On ne s'attendra
pas à y trouver plus d'exactitude et de :
précision sur les principes , que de moderation
dans le discours . Un seul trait peut en faire juger..
M. l'Archevêque d'Embrun se plaint de ce qu'on
foumet en tout la Jurisdiction Ecclésiastique à
dess
194 MERCURE DE FRANCE
des Juges feculiers ,foumis eux- mêmes à l'autorité
qu'on blasphême : ce sont ses termes. Entend-
il que les Magistrats comme Chrétiens , et
en qualité de fideles , sont soumis à la puissance
spirituelle de l'Eglise indépendante de tout pouvoir
temporel Il sait qu'ils en font gloire , à
l'exemple du Roi , de qui seul ils tiennent l'autorité
qu'ils exercent , et que personne n'a jamais
pensé que leur état pût les exempter de cette soûmission
. Entend-il que le caractere et le pouvoir
des Magistrats releve de l'autorité spirituelle , et
qu'ils lui soient subordonnez dans leurs fonctions
? il attaque le fondement de nos plus inviolables
maximes , et confond la distinction immuable
que Dieu même a mise entre deux Puissances
immediatement émanées de lui .
Ce seroit peut être assez d'ajoûter que la
Lettre de M. l'ancien Evêque d'Apt , regarde les
mêmes objets que les deux autres Ouvrages , et
qu'on y remarque les mêmes excès. Elle y joint.
cependant des principes sur l'autorité du Pape ,,
qui suffiroient seuls pour nous obliger à nous .
élever contre cet Ecrit.
Mais ce qui surtout la distingue , et met le
comble à tout le reste , c'est que ce Prélat ne
craint point d'y rappeler le scandale d'un appel
qu'il interjetta il y a treize ans , "du Roi, mineur
au Koi majeur. Non content d'avoir alors offensé
la Majeste Royale , dont le caractere est toûjours
le même en France , et toûjours inséparable
de la personne du Roy , il renouvelle la memoire
de cet attentat : il triomphe , pour ainsi .
dire , d'avoir vu subir à cet acte séditieux les der--
nieres peines ; et il porte l'égarement jusqu'à s'en
faire un merite auprès du Roi même.
De quelques persones et de quelques lieux que
nous viennent de parcils Ecriis , ils ne peuvent
être
JANVIER. 1731. 195
être soufferts. A la vue du caractere dont les
deux premiers sont revêtus , nous laissons l'usage
des voyes de droit à ceux qui sont établis
pour les employer de plus près. Il nous suffit
de reclamer les Loix de la Police , l'interêt du
bon ordre et celui du repos public , pour suprimer
et pour proscrire ces Ouvrages Le troisiéme
n'est pas du même genre , et puisqu'il renouvelle
un attentat reprimé la premiere fois
plus severement sur les Lieux , il nous force à
vous demander de renouveller aussi cet exemple.
Ce sont , Messieurs , les differents motifs des
conclusions que nous avons crû devoir prendre ,
et que nous laissons à la Cour , avec des Imprimez
des trois écrits.
Eux retirez :
Vû les deux Imprimez , l'un intitulé : Instruction
Pastorale & Ordonnance de M. l'Arthevêque
Prince d'Embrun , portant défenses de
lire & de garder differens Ecrits publiez sous
le nom de M. l'Evêque de Montpellier à Grenoble
, chez Pierre Faure , Imprimeur- Libraire
de Monseigneur l'Illustrissime & Reverendissime
Archevêque Prince d'Embrun , ruë du
Palais , 1730. dattée du 12. Août 1730.
L'autre intitulé , Mandement de Monseigneur
l'Archevêque Prince d'Embrun , portant condamnation
d'un Ecrit , signé par quarante
Avocats intitulé Memoire pour les sieurs
Samson , Curé d'Olivet , Coïet , Curé d'Arnpis
Gaucher , Chanoine de Jargeau , Diocèse d'Orleans
, & autres Ecclesiastiques de differents
Diocéfes , Appellans comme d'abus contre M,
l'Evêque d'Orleans , autres Archevêques &
Evêques de differens Diocéses , Intimez , sur?
L'effet des Arrêts des Parlemens , tant provisoi-
> :
196 MERCURE DE FRANCE
res que diffinitifs en matiere d'appel comme
d'abus des Censures Ecclesiastiques ; à Grenoble
, chez André Faure , Imprimeur - Libraire
de Monseigneur l'Illustrissime & Reverendissime
Archevêque Prince d'Embrun , ruë du Palais
, 1730 daité du 16. Decembre 1730. Ensemble
l'Imprimé , intitulé , Lettre de Monsei
gneur l'ancien Evêque d'Apt , à Monseigneur
Evéque de Montpellier , en réponse d'une Lettre
Pastorale qu'il a faite contre fon Codicile ; à
Marseille , chez J. P. Brebion , imprimeur du
Roy , de Monseigneur l'Evêque d'Apt , & de la
Ville , dattée à la fin en ces termes : à Marseille,
ce 25 , Ottobre 1730. Ensemble les Conclusions
par écrit du Procureur General du Roy , la matiere
mise en déliberation.
:
La Cour a declaré et declare ledit Imprimé intitulé
Lettre de M. l'ancien Evêque d'Apt
séditieux , témeraire , tendant à la revolte et contraire
à l'autorité du Roy : a ordonné et ordonne
que ledit Ecrit sera laceré et brûlé en la Cour
du Palais , au pied du grand Escalier d'icelui , par
PExecuteur de la haute Justice.Ordonne pareillement
que lesdits deux Imprimez , l'un intitulé :
Instruction Pastorale , et l'autre , Mandement
de M. l'Archevêque d'Embrun , seront et demeu
reront supprimez , comme téméraires , séditieux ,
et tendants à troubler la tranquillité de l'Eglise
et de l'Etat. Enjoint à tous ceux qui auroient des
Exemplaires des susdits Imprimez , de les remettre
incessamment au Greffe de la Cour , pour y
être supprimez. Fait défenses à tous Imprimeurs ,
Libraires , Colporteurs et autres , de les impris
mer , vendre , debiter , ou autrement distribuer
sous peine d'être procedé contre eux extraordinairement.
Ordonne aussi , que Copies collation--
nées du présent Arrest seront envoyées aux Bail,
liages
JANVIER. 1731. 197
fiages et Sénéchaussées du Ressort , pour y être
lues , publiées et registrées. Enjoint aux Substi
tuts du Procureur general du Roi d'y tenir la
main , et d'en certifier la Cour dans un mois .
Fait en Parlement le vingt- neuf Janvier mil sept
cent trente-un. Signé YSABEAU.
Le Mardy trente Janvier mil sept cent trente-
un , à l'heure de midi , en execution de l'Arrêt
ci- deffus , imprimé y mentionné, intitulé :
Lettre de M. l'ancien Evêque d'Apt , a été laceré
et jetté au feu , au bas du grand Escalier du
Palais , par Executeur de la HauteJustice , en
prefence de nous Ellienne Henry fabeau , l'un
des trois premiers & principaux Commis pour
la Grand'Chambre , assisté de deux Huissiers
de ladite Cour. Signé YSABEAU .
ARREST de la Cour du Parlement. Ce jour
les Gens du Roi sont entrez , et Maître Pierre
Gilbert de Voisins , Avocat dudit Seigneur Roi ,
portant la parole , ont dit :
MESSIEURS , Pour peu que le nouveau
Libelle dont nous vous apportons un Exemplaire
ait déja paru sous vos yeux , vos réflexions auront
, sans doute , prévenu ce que nous pouvons
en dire aujourd'hui , et vous auront fait sentir
l'obligation où nous sommes de le déferer à la
Cour.
Sous le titre qu'il porte d'Avis aux Fideles de
PEglise de Paris , sur ce qu'ils ont à craindre
de la part des Confesseurs qui acceptent la
Constitution UNIGENITUS , on ne doit pas être
surpris d'y trouver l'esprit de parti , Pemportement
, les invectives que vos Arrêts ont tant de
fois condamnez dans des Ouvrages de ce genre..
Mais à ces excès qui s'y renouvellent , se joignent
d'autres caractères qui le rendent plus dangereux.
198 MERCURE DE FRANCE.
Son objet est d'éloigner les Fideles du Diocèse
de Paris des Ministres que l'autorité légitime leur
présente pour le Sacrement de la Penitence . Envain,
entre les Confesseurs soumis à la Constitution 2
il affecte de multiplier les classes & les distinctions
: il multiplie encore plus les reproches par
lesquels il cherche à les décrier. Les plus moderez
sont le plus en butte à ses atteintes . Tous universeliement
lui sont odieux , et il semble qu'ils le
lui deviennent davantage par l'approbation qui les
autorise.
Ainsi en travaillant à éloigner des Confesseurs
on ne craint pas d'éloigner de la Confession . On
seme sur les avenues du Tribunal institué par Jesus-
Christ , ce qu'on imagine d'obstacles plus
capables de le rendre inaccessible. On sent cette
conséquence ; on se l'oppose à soi - même ; et on
n'en est pas effrayé. Il n'est point de subtilitez
dangereuses qu'on n'employe pour éluder la nécessité
d'un Sacrement si salutaire. S'agit - il de
s'en approcher , on arrête par un vain phantôme
de difficultez odieuses ; on devient facile et relâché
jusques au scandale , dès qu'il s'agit de l'éviter.
On oublie enfin , on plutôt dissimule le précepte
formel de l'Eglise, et on semble méconnoître l'obligation
qu'elle impose de se presenter tous les ans
aux pieds de ses Ministres legitimes . Quels scandales
, et quels troubles dans les Cloîtres ? quels
desordres dans la vie civile ! fi un levain fi pernicieux
venoit à s'y répandre. Quelle irreligion
peut - être ne verroit- on pas y regner bient - tôt , â
la place des vaines terreurs dont l'Auteur essaye
d'armer sa témerité ?
C'en est trop pour la condamnation d'un Ouvrage
qui déja scandalise le public . Puisse en être
assez , pour ouvrir les yeux à ceux qu'une aveugle
préoccupation pourroit entraîner. Se peut- il
qu'on
JANVIER. 1731. 199
qu'on ne sente pas le danger des extrêmitez, d'où
l'on voit éclore des fruits si funestes ? Et faut - il
un autre motif , pour s'affermir dans la moderation
qui inspire des vues pacifiques , une soumission
legitime et un éloignement de tout excez
› C'est à vous , MESSIEURS , qu'il appartient
d'employer toute l'autorité des Loix contre un
pareil Libelle. Que celui que nous voyons paroître
aujourd'hui éprouve leur sévérité ; qu'il
subisse la derniere peine qu'elles prononcent contre
les Ouvrages qui excitent la juste indignation
du Magistrat. C'est ce que nous nous sommes
proposez dans les Conclusions que nous avons
prises , et que nous laissons à la Cour . Eux retirez
:
Vú le Libelle intitulé : Avis aux Fideles de
l'Eglise de Paris , sur ce qu'ils ont à craindre
de la part des Confesseurs qui acceptent la
Constitution UNIGENITUS . La matiere mise en
Déliberation. LA COUR a ordonné et ordonne
que
ledit Libelle sera lacéré et brûlé en la Cour
du Palais , au pied du grand Escalier d'icelui , par
l'Exécuteur de la Haute Justice. Fait tres - expresses
inhibitions et défenses à tous Imprimeurs etLibraires
, Colporteurs et autres , de l'imprimer ,
vendre , débiter ou autrement distribuer ; enjoint
à tous ceux qui en auroient des Exemplaires , de
les apporter incessamment au Greffe de la Cour
pour y être supprimez : Ordonne qu'à la requête
du Procureur General du Roy , il sera informé
pardevant Maître Louis de Vienne , Conseiller
, pour les témoins qui pourroient être entendus
dans cette Ville de Paris ; et à la poursuite
et diligence des Substituts du Procureur General
du Roy , pardevant les Lieutenans Criminels
ou autres Officiers des Bailliages , pour ceux qui
pourroient y être entendus , contre les Auteurs
dudit
zco MERCURE DE FRANCE.
dudit Libelle , et contre ceux qui Pauroient im
primé , vendu , débité ou autrement distribué ,
pour les informations faites , rapportées et communiquées
au Procureur general du Roy , être
par ledit Procureur general du Roy pris telles.
conclusions , et par la Cour ordonné ce qu'il ap
partiendra . Ordonne en outre que Copies collationnées
du present Arrêt , seront envoyées aux
Bailliages et Sénéchaussées du Ressort , pour y
être lúes , publiées et enregas ées : Enjoint aux
Substituts du Procureur general du Roy d'y tenir
la main et d'en certifier la Cour dans un mois.
Fait en Parlement le 12 Janvier 173 1 .
y
Signé Y SABE A U.
Le Vendredi 12 Janv. 1731 à l'heure de midi,
en exécution de l'Arrêt cy- dessus , l'Ecrit
mentionné a été lacéré et jetté au feu , au bas
du grand Escalier du Palais , par lExécu
teur de la Haute- Justice, en presence de Nous
Etienne- Henri Tsabeau, l'un des trois premiers
et principaux Commis pour la Grand Chambre,
assisté de deux Huissiers de ladite Cour.
ARREST du Parlement. Ce jour les Gens
du Roi sont entrés , et Maître Pierre Gilbert de
Voisins , Avocat dudit Seigneur Roi , portant la
parole , ont dit :
MESSIEURS nous n'avons point encore
vû de Libelle plus outré , ni plus condamnable
que celui qui vient de nous tomber entre les
mains. L'esprit de schisme y regne avec emportement
, et ce que vous avez déclaré le plus so-
Lemnellement abusif s'y trouve allegué , comme
ayant une pleine autorité ; mais ce qui met le
comble à la réprobation de ce Libelle , c'est qu'il
a pour objet d'établir qu'un Evêque , quelque
souris qu'il soit d'ailleurs à la Constitution Uni
genitus
1
JANVIER. 1731. 201
genitus , ne sçauroit communiquer avec ceux
qui y résistent , sans que ses Diocesains soient
en droit de se séparer de sa communion . Telle
est la proposition que porte le titre , et on n'en
sçauroit envisager les conséquences sans quelque
sorte d'effroi ; jamais peut- être on n'a poussé
si loin la révolte , l'égarement , le vertige. Nous
ne pouvons croire qu'un pareil Ecrit soit capable
de faire impression ; mais il n'en est pas moins
coupable ; et puisqu'il ose paroître , ce scandale
ne sçauroit trop - tot être expié par les flammes.
Nous requerons que ce Libelle , sans nom
d'Imprimeur , soit laceré et brûlé en la Cour du
Palais , au pied du grand Escalier , par l'Executeur
de la haute Justice ; que défenses soient
faites à tous Imprimeurs et Libraires , Colporteurs
et autres de l'imprimer , vendre débiter
ou autrement distribuer, Qu'il soit enjoint à
tous ceux qui en auroient des Exemplaires de
les apporter incessamment au Greffe de la Cour
pour y être supprimez. Qu'à notre Requête il
soit informé par devant un de Messieurs , pour
les témoins qui pourront être entendus à Paris
et à la poursuite et diligence de nos Substituts ,
par devant les Lieutenans Criminels , ou autres
Officiers des Bailliages , pour ceux qui pourroient
y être entendus , contre les Auteurs de ce Libelle ,
et contre ceux qui l'auroient imprimé , vendu
debité ou autrement distribué , pour sur les informations
faites , rapportées et à nous communiquées
être par nous pris telles conclusions , et
par la Cour ordonné ce qu'il appartiendra. Ordonne
que copies collationnées de l'Arrêt seront
envoyées aux Bailliages et Senéchaussées du Ressort
pour y être lues , publiées et enregistrées.
Enjoint à nos Substituts d'y tenir la main
d'en certifier la Cour dans un mois. Eux retirés :
>
et
Vû
202 MERCURE DE FRANCE
Vû ledit Libelle , intitulé : Réponse d'un Conseiller
faite au nom des Catholiques du Dio-
´cèse de ••• à Monsieur l'Abbé de *** pour
justifier leur séparation de communion d'avec
leur Evêque , et aux Communicateurs des Hé
retiques ou Schismatiques notoires , daté à la fin
ce 20. Mars 1730. La matiere sur ce mise en
déliberation .
La Cour a arrêté et ordonné , que ledit Libelle
sera laceré et brûlé en la Cour du Palais , au pied
du grand efcalier , par l'Executeur de la haute
Justice : Fait défenses à tous Imprimeurs & Libraires
,Colpolteurs et autres, de l'imprimer, vendre
, débiter ou autrement distribuer ; enjoint à
tous ceux qui en auroient des Exemplaires de les
apporter incessament au Greffe de la Cour pour
y être supprimés ; ordonne qu'à la requête du
Procureur Géneral du Roi il sera informé par
devant Me Louis de Vienne , Conseiller , pour
les témoins qui pourront être entendus à Paris ;
et à la poursuite et diligence des Substituts du
Procureur Géneral du Roi , par devant les Lieutenans
Criminels ou autres Officiers des Bailliages
, pour ceux qui pourroient y être entendus,
contre les Auteurs de ce Libelle et contre ceux
qui l'auroient imprimé , vendu , debité ou autrement
distribué pour , sur les informations faites ,
rapportées et communiquées au Procureur General
du Roi , être par lui pris telles conclusions,
et par la Cour ordonné ce qu'il appartiendra. Ordonne
que copies collationnées du présent Arrêt
seront envoyées aux Bailliages et Sénechaussées
du Ressort pour y être lues , publiées et enregistrées.
Enjoint aux Substituts du Procureur Ge.
neral du Roi d'y tenir la main et d'en certifier
la Cour dans un mois. Fait en Parlement le
trente et un Janvier mil sept cent trente un. Sigiré
, Y SABEAU.
7
JANVIER. 1731. 203
>
Et ledit jour Mercredi trente et un Janvier
mil sept cent trente-un à l'heure de midi ,
en execution de l'Arrêt ci - dessus , l'Ecrit y
mentionné a été laceré et jetté au feu au
bas du grand escalier du Palais , par l'Executeur
de la haute Justice , en présence de
nous Marie Dagobert Ysabeau , l'un des trois
premiers et principaux Commis pour la Grand
Chambre , assisté de deux Huissiers de ladite
Cour. Signé TS A BEAU.
TABLE.
Privilege du Roi. Catalogue de tous les Mercures
jusqu'aujourd'hui. Liste des Libraires
qui le vendent, et Avertissement qu'on peut lire.
Piéces fugitives. Le Roman comique, Poëme, p. I
Huitiéme Lettre, fur la Bibliothèque des Enfans, 9
La Haine , Ode ,
30
Lettre d'un Grammairien de Province , sur le
Bureau Tipographique ,
Epitre à Mlle de Malcrais de la Vigne ,
Enfant monstrueux , Lettre d'Auxerre ,
Etrennes ,
35
48
50
53
Discours prononcé dans l'Assemblée des Etats de
Bretagne , & c.
Conte Epigrammatique ,
Vers sur le Celibat ,
Lettre sur les Perce- oreilles ,
Lettre sur l'usage interieur de l'Eau de vie ,
Réponse à l'Epitre en If,
54
57
58
59
60
76
Refléxions touchant la correction d'un endroit
des Traductions d'Horace ,
Enigmes et Logogryphes ,
Nouvelles Litteraires , &c. Ouvrages manuscrits
de l'Abbé Renaudot ,
Bibliotheque des Poëtes Latins , &c,
87
94
98
106
Nouveau Plan de Paris en 9. Feuilles , & c. 123
Termometres d'une nouvelle construction; Extrait
d'un Memoire. de M. de Reaumur , 125
Prix d'Eloquence et de Poësie de l'Académie
Françoise , pour l'année 1731 . 132
Médailles frappées à Moscou , 136
Portrait de la D'le Camargo >
138
Jettons frappez au premier jour de l'an , 139
Chanson notée 141
142
La Devineresse , Comédie ,
143 Spectacles. Le Chevalier à la mode ,
Ariane , Tragédie , 145
Nouvelles Etrangeres, de Turquie et de Perse , 149
De Pologne , Suede , Dannemarck , Allemagne
et Italie
Morts des Pays Etrangers ,
.152
ISS
156
Fête donnée à l'occasion du Mariage du Prince
de Sultzbach , & c .
France, Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 165
Incendie à Morlaix , 171
Reception du Duc de la Trémoille , dans la Ville
de Laval ,
Morts , & c.
Arrêts notables ,
173
177
178
Errata du second volume de Decembre.
PAge 2946. ligne 10. Bamat , liſex Baunat.
Fautes à corriger dans ce Livre.
Page 135. ligne 8. âgé , lisez , âgéc.
1. 19. attirerent , 4. attirent.
P. 147. 1. 21. fils, ôtez ce mot & lisez Baron fils .
P. 158. 1. 15. ondement , I. ordinairement.
La Planche des Jettons doit regarder la page 139
L'Air noté doit regarder la page 141
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU
ROT.
FEVRIER. 1731 .
QUE
COLLIGIT
STARCIT
Chez
A PARIS ,
( GUILLAUME CAVE LIEK , në
S. Jacques , au Lys d'Or.
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conty.
à la defcente du Pont Neuf , au coin
de la rue de Nevers , à la Croix d'Or,
JEAN DE NULLY , au Palais .
à l'Ecu de France & à la Palme.
M. DC C. X X X I.
Avec Approbation & Privilege du Roy.
XXX:XXXXXXX : XXXXX
A VIS.
,
'ADRESSE generale eft à
Monfieur MORE AU Commis au
Mercure vis - à - vis la Comedie Françoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour lesfaire tenir.
On prie très- inftamment , quand on adreffe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
oin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
oûjours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non -feulement de´ne
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie.
Y
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la
premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau ,
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps, de les faire porter fur
P'heure à la Pofte , ou aux Meffageries qu'on
lui indiquera.
PRIX XX X. SOLS.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROT.
FEVRIER
. 1731 .
*********************
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Prose.
ENVOY d'un pâté de Canards d'Amiens
à M. M. D. M. sous le nom de
Damon , par un de ses Parens , Prieur
en Picardie.
C
Anards rodoient dans nos fossés ,
Troupe importune et barboteuse ;
De leur voix aigre et raboteuse ;
Nos mâtins la nuit agacés ,
En maison tranquile et peureuse ,
Mettoient l'allarme ; et le Béfroi
Sonnant tocsin dans les tenebres,
A ij N'ins204
MERCURE DE FRANCE
N'inspira jamais plus d'éfroi ,
Par ses sons bruyans et funebres.
De la gent au gozier glouton ,
A grand kan kan,, dans notre mare
Il fallut supprimer le ton.
Fut dit , fut fait ; on se prépare ;
Notre gros Cuisinier plus rond
Que son billot , en criant gare ,
Haussant le bras , ridant le front ,
A pauvre peuple tintamare
Coupa le col : oh ! le barbare ,
S'écriera Belle , qu'à M ... our
Troupe kankane et caressée ,
Va visiter cent fois le jour
Pour avoir d'elle la becquée.
Mais dût-elle en triste chanson ;
En bémol , ou bien en bécare ,
Se plaindre de l'acte félon
A sa plainte on dira tarare.
De nos Canards bien trépassés ,
Et que Degan en grosse croute
A bien et duëment enchassés
De
peur
›
de malencontre en route ,
Damon voilà le guet - à- pand ,
Qui n'est cas prévôtal , je pense :
Oncque Canard ni Hallebran
Ne fit pendre son homme en France.
Fameux faiseur de pâtés.
Dans 4
FEVRIER.
1731. 205
Dans nos fossés leur Archipel ,
Pápas Sultans , mamans Sultanes ,
Chaque hyver , au premier d'égel ,
Recommençoient leurs caravanes ,
Pour aller honorer Degan ;
Et c'étoit lors nouveau kan kan
Qu'à chaque instant pendant l'Office
On leur entendoit frédonner :
Pour gens dévots c'est un supplice
D'entendre sans cesse entonner
Musique à désoler un Suisse ,
Qui n'aime point à raisonner.
Pour le cas , non pour autre chose ,
Peuple kan kan , grace à Degan ,
Et grace à la Métamorphose ,
Devient pâté du nouvel an.
Je te le dépêche , beau Sire ,
Et l'aurois dépêché plutôt
Si mal qui des maux n'est le pire ,
Quand il ne mene qu'au seul trot
Pauvre Chrétién , souffre martire
Ne m'eut mené le grand galop.
Lecorps fondu comme la cire ,
Et plus foible qu'un Escargot ,
Je ne sçavois parler , écrire
A nul au monde un petit mot.
Lachesis , que rien n'amadouë
Hâtoit déja son noir fuseau
"
La vieille laide , à grosse mouë ,
>
A iij Ap
206 MERCURE DE FRANCE
•
Apprêtoit le fatal ciseau ,
Quand un matin , Maître Esculape
Un affreux breuvage à la main
Me dit , avale ; je le happe ;
2
Et drogues dès le lendemain ,
D'aller dans mon corps à la sappe
Chercher l'ennemi souterrain ,
Mieux n'auroit fait
pour
Prince ou Pape.
Enfin , cher Damon , me voici ,
A titre encor de bail à vie ,
Habitant de ce monde ci ;
Mais , helas ! que j'aurois envie
D'assister à tout le convoi
De ma deffunte volatille
Dont je te fais d'ici l'envoi !
Que j'aime à me voir en famille ,
Et sur tout quand je suis chez toi ;
Ou Cousin , Oncle , Mere et Fille
Paroissent gens de bon alloi ;
Tante aussi fraîche qu'une Rose ,
Fait les honneurs de la maison ;
La sagesse en son coeur repose ;
C'est le flambeau de sa raison.
Un Abbé , fruit de l'Himenée ,
Et maître de sa destinée ,
Qui joint à l'aimable enjoûment.
La politesse et l'agrément.
D'un frere orné des mêmes charmes ,
Ami
FEVRIER. 1731. 207
Ami d'Apollon et de Mars ,
Qui du même air qu'il court aux armes
Vole à l'étude des beaux arts.
Quand reverrai - je donc l'image ?
Que dans nos doux embrassemens ,
Réchauffant un cher cousinage ,
Nous en rendrons les noeuds constans !
Damon , favori de Minerve ,
y
Qui sçait mettre à prix les bons Vers ,
Si peut-être en suivant ma verve
J'ai pris ma route de travers ;
Si raisonnant Canards et Cannes ,
J'ai raisonné comme un Oison ;
Si sur la riine tu chicanes ,
Et plus encor sur la raison ,
Pardonne à ma Muse badine
L'écart d'un coeur reconnoissant.
Rimeur à pâle et seche mine ,
A peine encor convalescent ,
Ne peut un jour de Medecine
Rimer des Vers qu'en s'efforçant.
Docte Censeur , qui ne fais grace
Qu'à la raison , qu'aux bons Ecrits ,
Epluche ici , gronde , ressasse "
Déchire , brûle , ou bien fais pis.
Oui , malgré l'orgueil Poetique ,
Je sens qu'un Censeur tel que toi
Vaut une prise d'émetique
A iiij A
208 MERCURE DE FRANCE
A Rimeur qui trouve chez soi
Bien moins de rime que de bile ,
Et dont l'enthousiasme vain ,
S'il ne peut faire un homme habile
Fait toujours un sot Ecrivain.
Avec l'honneur du parentage ,
Que n'ai-je ton heureux talent ,
Et ton élegant badinage
Si délicat , si décevant
Que dans le feu Moine sauvage
Plus bouru que tout son Couvent
T'a fait jetter , et dont je gage
Que la cendre est allée au vent ?
Peste du Moine prédicant ,
2
;
Qui pour te rendre un peu trop sage
Te fait mourir dès ton vivant !
Non non , Damon , sur le Parnasse
Tes Vers gravés en lettres d'or ,
Auprès de Catulle et d'Horace
Des neuf Soeurs s'y font lire encor.
Mais des miens ici je t'ennuyè ,
Et Muse me dit , Hallebran ,
Tais- toi , faut-il qu'un docte essuye
En même jour tant de kan kan ;
Peut- être aussi la compagnie
De gens choisis et délicats ,
* Vers qui n'étoient qu'un pur jeu d'esprit
et qui ont été brûlés.
Qui
FEVRIER. 1731. 209
Qui s'en vient en cerémonie
Visiter Oiseaux à pieds plats ,
'A leur aspect
à bon droit peste
Contre rimailleur importun ,
Qui pour un rien , pour moins qu'un zeste
Laisse son appétit à jeun.
Adieu , cher Damon , je t'embrasse ,
Et Tante et Cousin et Maman ;
D'aimable fille que Dieu fasse
De fille femme au bout de l'an.
F, P. Ce 20. Janvier 1731 .
XXXXXXX:XX: XXXXXX
NEUVIEME
LETRE touchant
l'essai de l'ortografe passagère dans les
lètres sur la biblioteque des enfans .
I
L est tems , Monsieur , que je vous
rende conte de l'ortografe passagère
dont j'ai fait l'essaì dans les précédentes
lètres. La raison distingue non -seulement
l'home de la bète , mais elle distingue
encore l'home de l'home. il y a bien des
gens qui ne voient que par les feus d'autrui
; et ceus là pour la plupart , quoique
très ignorans , ou peu instruits sur la
bonté des ieus des autres , croient ordinairement
ètre les mieus dirigés. si l'on
A v tient
210 MERCURE DE FRANCE
3r
tient quelquefois cète conduite dans les
afaires de la dernière importance , nous
ne devons pas ètre surpris de la voir
tenir en fait d'ortografe : ce qu'il y a détonant
, c'est de voir qu'un grand nombre
de ceus qui se piquent de la savoir
et d'en pouvoir raisoner , ne peuvent ensuite
doner aucune bone raison sur la
moindre des dificultés qu'on leur propose.
on ne se pique pas d'ètre géometre ni
architecte quand on ne s'est apliqué ni à
la géometrie ni à l'architecture ; pourquoi
se pique t- on de savoir l'ortografe ,
si l'on n'y a jamais fait de sérieuses refle
xions , et qu'on n'ait qu'une ortografe de
hazard , d'habitude idiotique et de sìmple
copie ? il y a des choses qui se décident
par l'autorité et par l'usage , cela est
très vrai en fait d'ortografe ; mais dans
un tems de trouble , de confusion , en
un mot, de schisme ortografique , quelle
règle suivre pour ariver enfin à l'uniformité
sur cette matiere il n'y en a aucune
qui puisse obliger et soumetre tous
les partis ; on suivra plusieurs ortografes.
tant que l'autorité de l'usage sera divisée .
une règle néanmoins que la prudence
semble indiquer par provision et par interim
, c'est de répresenter le vrai son
des mots et d'avoir de tems en tems
plus d'égard pour l'oreille que pour les
*
?
ieus
FEVRIER. 1731. 2fr
que
feus , surtout , quand les noms des lètres
seront faus , captieus ou équivoques.
cète règle sera dificile à pratiquer par les
persones qui ne savent pas bien lire , et
F'on peut , je pense , metre de ce nombre
, celles qui écrivent , par ex. gaife de
bones piques et lourag aue pasianse etc. au
lieu d'écrire j'ai fait des bonets piqués , et
Pouvrage avec passiance , ou pacience ou
patience etc. Je conclus
la raison peut
seule décider pendant le conflict de jurisdiction
ortografique , et que les parties
doivent ètre écoutées avant et plutôt que
d'ètre condanées sans examen , on ne doit
point s'obstiner à doner pour règle sure
générale, et universellement reçue de vieus
préjugés , et des lieus comuns refutés il y
a lontems par de très habiles auteurs qui
avoient peut ètre plus médité et plus re
fléchi , sur cète matière, que la plupart de
leurs adversaires . L'autorité et la raison
ne marchent pas toujours ensemble .
On doit avoir quelque égard pour les
ieus des lecteurs ; il est bon mème de les
consulter avant que d'en venir aus grandes
innovations ; c'est pourquoi je n'aí
fait que peu à peu les petits changemens
d'ortografe dans la suite des lètres sur la
biblioteque des enfans ; j'ai conduit insensiblement
, le lecteur déprevenu, u point
sur lequel je souhaiterois savoir ce qu'il
A vj pense
212 MERCURE DE FRANCE
pense de cet essai d'ortografe passagère ;
je n'ai pas cru le devoir prévenir là -dessus
par aucun avis préliminaire , parceque
j'ai interèt de savoir son propre sentiment
, indépendament de l'avis que j'aurois
pu doner à la tète de l'ouvrage , come
je le done ici mais j'ai cru qu'il étoit
bon de faire passer un peu de pratique
avant la téorie ; le lecteur par ce moyen.
bien instruit et plus au faìt , est ce me
semble , en état de mieus comparer et de
mieus décider ; l'experience en paroit
favorable. Bien des lecteurs non prévenus
et de bone foi , avouent qu'ils s'acoutument
sans peine à la vue de cète ortografe
, quoiqu'ils sentent qu'ils ne seroient
pas d'abord en état de la suivre dans leurs
écritures , faute de bien savoir les principes
necessaires pour l'observation de
toutes ces minuties : d'autres m'ont assuré
que l'impression des lètres sur la bibliotèque
des enfans paroissant plus nète et
enfin plus belle que celle du reste du мerils
ont conclu que c'étoit un èfer
de l'essai d'ortografe passagère , moins
herissée de lètres à tète ou à queue et de
capitales.
cure ,
Quoiqu'il paroisse que j'afecte de me
servir d'une nouvelle ortografe, je ne laisse
pas, dans un sens, d'aprouver ou de tolerer
les autres, il est mème nécessaire qu'un
enfant
FEVRIER. 1731. * 213
enfant qui travaille au bureau tipografique
sache bien la vieille ortografe , afin
de pouvoir lire toute sorte de livres et de
pouvoir se servir des dictionaires et des
livres classiques qui suivent encore cète
mème vieille ortografe. Mais je supose ,
avec raison , que pour montrer et pour
aprendre à lire , il est beaucoup mieus de
comancer par l'ortografe des sons ou de
l'oreille , qui tolere , par exemple , çaje ,
chapo etc. au lieu de sage , chapeau etc.
avant que de passer à l'ortografe des ieus
ou de l'usage , et cela m'a mème fait croire
qu'il sera beaucoup mieus de metre un
enfant de deus à trois ans sur la lecture
du latin plutôt que sur celle du françois,
parcequ'il y a plus de justesse et de verité
de raport entre la prononciation du
latin et le nom ou le son des lètres , qu'il
n'y en a entre la prononciation du françois
et le nom ou le son de ces mèmes.
lètres : d'ailleurs le latin les prononce pres →→
que toutes, et au contraire, le françois en a
beaucoup de muetes ; c'est pourquoi dans
la segonde classe du bureau tipografique
que j'apèle bureau lain , je conseille de
faire imprimer des mots latins préferablement
aus mots françois , et c'est dans
la troisième classe du bureau que l'enfant
trouvera ensuite les sons de la langue
françoise, mais je parlerai plus au long de
cet
214 MERCURE DE FRANCE.
cet article dans l'ouvrage des A B C la
tins et françois .
Je supose encore qu'après l'ortografe
de l'oreille ou des sons il sera mieus de
montrer l'ortografe la plus vraie , la plus
régulière et la plus conforme aus sons de
la langue , et de diferer la lecture et l'étude
d'une ortografe fausse , irréguliere ,
captieuse , équivoque quoiqu'anciene
parceque quand il s'agit de montrer à
lire à un enfant ; la première , la plus sìm--
ple et la meilleure règle à suivre , c'est
celle qui induit le moins en erreur l'enfant
qui aprend à lire ; or le principe des
partisans de la nouvèle ortografe est de
ne pas induire le lecteur en erreur , et
d'ètre sensible à la peine des enfans qui
aprènent à lire , au lieu que le principe
des partisans de l'anciène ortografe est de
mépriser toutes les facilités des nouvèles
métodes , de comancer par des règles
fausses , équivoques ou captieuses , et cela
avec un air et un ton d'autorité denué
de toute raison ; la seule qu'on allegue ,
et qui paroit assés mauvaise , est tirée de
l'exemple et de l'usage vulgaire ; on allegue
sans cesse que nos ancètres ont passé
par là , qu'ils n'ont pas apris autrement,
et que nous ne devons pas chercher des
métodes plus aisées que celles dont ils
se sont servis eus mèmes. La bonté et la
charité
FEVRIER. 173
2F5
charité éclairée n'aprouveront jamais ce
langage , qui n'est dicté que par l'esprit
de paresse , d'indiférence ou de préven
tion .
Si l'on prend la peine de faire réflexion:
sur la métode des anciens , on vèra qu'ils
ont écrit , lu et prononcé treu- ver , bonnes-
te etc. s'ensuit- il qu'il faille les imiter
à présent en cela il faudroit donc
écrire come on lit et come on prononce ,
puisque leur prononciation dictoit et regloit
l'écriture. si l'on veut suivre l'ortografe
des anciens , n'en doit- on pas aussi
conserver la prononciation , pourquoi diviser
cela , et se rendre esclave de l'un
plutôt que de l'autre A quoi bon citer
toujours l'exemple des anciens dont on
ne parle plus , et dont on n'écrit plus le:
langage ? Les anciens écrivolent tiltre , aulne
, cognoistre etc. parcequ'ils prononçolent
toutes les lètres de ces mots là ; ils suivoient
donc en cela le principe des modernes
ortografistes qui veulent un plus
grand raport de verité et de justesse entre
l'écriture et la parole , entre le langage
prononcé et le langage écrit , ou entre les
sons et les signes qui les représentent. il
est donc vrai de dire que l'ortografe des
anciens répondolt à leur prononciation
plus exactement que l'ortografe d'aujourdui
ne répond au langage d'apré
sent
216 MERCURE DE FRANCE
sent ; et la prétendue verité de ce dernier
raport ne peut se soutenir que par un
esprit de prévention , d'aveuglement ou
d'indiférence sur cète matière, persone
jusqu'ici , que je sache , n'a prouvé que
le changement de prononciation dans les
mots n'endoit jamais produire aucun dans
la manière de les écrire ; c'est tout ce que
l'on pouroit prétendre d'une langue sainte
et morte come l'ébraïque ; mais en fait
de langue profane et vivante , l'experien .
ce crie tous les jours contre la tiranie ortografique
de la plupart des maîtres d'école
cète meme experience oblige
souvent les partisans de la vieille ortografe
à se taire , quelque touchés et sensibles
qu'ils aient paru à la vue des moindres
innovations ortografiques , elle les
réduit et les force encote malgré eus à
se soumetre de tems en tems à la règle
des sons , et à suivre en bien des ocasions
le courant de l'usage moderne.
>
On
peut
donc
conclure
que le droit
et le fait sont
contre
les esclaves
de la
vieille
ortografe
; ils craignent
toujours
que le langage
françois
ne perde
ses marques
de jargon
et de servitude
; ils ont
beau
faire
, cela
arivera
tot ou tard
à la
gloire
de la nation
et de la langue
françoise
, il ne faudroit
pour
cela que
l'aten
.
tiondes
s upérieurs
sur
l'impression
des
ouvràFEVRIER.
1731. 217
ouvrages classiques , académiques et périodiques.
Du plus au moins , il est permis
de raisoner sur les petites choses come
sur les grandes ; or malgré l'autorité
où la force du préjugé , n'a- t-on pas en
partie secoué le joug des anciens en fait
des arts et des siences ? N'a- t on pas réformé
les maisons , les cuisines , les équipages
, les modes , les usages etc. pourquoi
l'ortografe resteroìt - elle invariable ,
pendant que le langage mème auroit ses
changemens ? Je persiste donc à dire qu'on
doit faire passer la pratique et l'étude de
la nouvèle ou de la vraie ortografe qui
facilite la lecture ; avant que de faire pratiquer
la vieille ou la fausse ortografe qui
induit trop souvent en erreur les enfans ,
les fames , les gens de la campagne et les
étrangers , portés naturèlement à lire tout
et à prononcer toutes les lètres , bien loin
de les rendre muètes , et c'est pour lors la
vieille ortografe , et par surcroit la vieille
métode qui leur tendent des pieges au
moins à chaque ligne , pour ne pas
dire
à chaque mot.
Je dois , au reste , déclarer ici que je
ne répondraí à aucun de mes critiques
qu'autant que leurs dificultés ou leurs objections
iront contre la métode du bureau
tipografique , et contre la manière que
j'indique et que je propose pour bien montrer
218 MERCURE DE FRANCE
trer à lire aus petits enfans ; car pour ce qui
ne regarde en général que le sistème de l'anciène
ou de la nouvèle ortografe , j'aurai
souvent lieu d'en parler dans les réflexions
des A B C françois , sur tous les
sons de notre langue , sur l'ortografe de
quelques dictionaires , sur le traité d'ortografe
de feu M. l'Abé R. et sur les dife
rens extraits que j'ai faits d'une trentaine
d'auteurs ortografistes des deus derniers
siecles . En atendant ce petit ouvrage ,
voici l'avis que je donaí au compositeur
des lètres sur la biblioteque des enfans , et
que je n'ai pas cru devoir laisser imprimer
plutot par les raisons alleguées cidessus
.
Avis à l'imprimeur ou au compositeur des
lètres sur la bibliotèque des enfans , etc.
Le principal et peut-ètre le meilleur
avis que je puisse vous doner , c'est de
suivre exactement le manuscrit corigé
selon l'essai de cète ortografe . voici cependant
quelques règles qui vous metront
d'abord au fait de l'ortografe passagere ,
sur laquele j'ai interêt de pressentir le
gout des lecteurs non prévenus , afin de
pouvoir m'y conformer ensuite dans l'impression
de la bibliotèque des enfans.
Je demande que vous ne metiés sur les
voyeles , ni accent , ni chevron , ni les
deus
FEVRIER. 1731. 219
蒽
il
deus points que vous apelés trema , ou que
vous en pratiquiés bien l'usage et les diferences
, come dans les mots procès , bontés
, batême , ciguë , etc.... le chevron paroit
à present inutile sur les mots age ,
agé , etc....il ne faut jamais marquer
Pè
ouvert qu'avec l'accent grave et jamais
avec le circonflexe , à moins que l'e ne
soit long , come dans tête , etc.... à l'égard
des diftongues oculaires ai , ei , oi ,
qui ne font entendre que l'è ouvert ,
faudra essayer d'y metre l'i grave , come
dans les mots maitre , reine , il conoìt , etc.
afin de pouvoir faire distinguer les diftongues
des ieus et celles de l'oreille , surtout
lorsque la quantité et le son n'exigeront
pas l'usage du chevron. Je ne suis.
pas toujours la regle de l'accent circonflexe
, je préfere quelquefois l'i grave au
chevron , à cause des logètes du bureau
tipografique , en atendant l'usage des diftongues
chevronées entre les deus voyeles .
on metra aussi l'ì grave lorsqu'il fait entendre
l'e ouvert dans les voyeles nazales
ìn , ain , ein , etc. des mots lìn , vain ,
sein , etc..... et lorsque la diftongue ai
sonera come l'é fermé , vous ferés emploi
de l'i aigu , come dans les mots j'ai , plaisir,
je ferai , etc....il ne faut donc jamais
employer le chevron sur les voyeles , que:
pour marquer la longueur de leur durée
Qu
220 MERCURE DE FRANCE.
ou de leur quantité : car la regle d'em
ployer le chevron sur la voyele à côté de
Jaquelle on a suprimé quelque lètre , n'est
peut ètre pas toujours vraie ni sure, come
dans les mots sûre , vûe , ûë , etc. pour
seure , veue , eue , etc. qu'il sufit d'écrire
ue , etc. sans chevron ni trema;
quoique les imprimeurs aient les signes
sure , vue ,
pour marquer les voyeles longues
, brèves et douteuses , il n'en font
pas usage sur tout le latin qu'ils impriment
, et le françois n'est pas arivé au
point de caracteriser et de noter localement
le son de toutes les voyeles d'un
discours imprimé. il est donc inutile d'être
si scrupuleus sur une voyele, pendant
qu'on néglige les autres ; c'est l'usage et
la pratique du discours qui montrent les
longues et les breves ; c'est une erreur de
s'imaginer que la vieille ortografe avec des
lètres non prononcées ou muetes , puisse
indiquer aux ieus la quantité que l'oreille
demande.
Il faut donc employer le veritable accent
pour chaque voyele , ou n'en point
mètre , il paroit même inutile de le mar-.
quer toujours dans les mots qui revienent
souvent,come dans être , èlle, même ,
etc. et sur les silabes toujours suivies d'une
autre silabe avec l'e muet final qui oblige
d'ouvrir l'e des pénultiemes silabes , come
cètte
dans
FEVRIER. 1731 . 221
dans pere , bele , ils vienent , etc. L'usage
fréquent du chevron et de l'accent , rend
le caractere trop hérissé , et mème selon
quelques -uns , il le rend encore trop pédant
, surtout au milieu des mots , ou sur
l'e des monosilabes qui revienent souvent
et sans équivoque ; il sufit peut ètre d'en
mètre de tems en tems pour instruire les
lecteurs novices : mais vous ne devés
pas
oublier l'accent lorsqu'il sert à déterminer
le sens d'un mot , et que sans ce secours
le mot pouroit quelquefois ètre équivoque
ou induire en erreur la persone qui
lit , come dans les mots près , prés , tanté,
tante , etc. l'accent paroit toujours bien
employé sur les e finaus algus ou graves ,
en faveur des enfans et des étrangers ,
come dans bonté , bontés , procès , succès ,
étc. L'accent semble moins nécessaire pour
la lecture des premiers e des mots anée ,
créée , etc. mais il ne choque pas les ieus
acoutumés depuis lontems à cète varieté
et distinction d'e. Les anciens , dont on
s'autorise tant , metoient-ils des accens
sur les e et sur les autres voyeles ? à peine
fesolent- ils la dépense des points sur les
i. Nous- mèmes suivons-nous à l'égard des
voyeles capitales , l'usage des accens que
nous exigeons sur les petites voyeles ou
cèles du bas de casse , cependant la
plupart des lecteurs très- foibles sur la
lecture
222 MERCURE DE FRANCE
lecture des capitales , auroient là , plus
besoin d'accent que sur les petites lètres ;
on pouroit dire qu'un lecteur bien instruit
sur les mots en petites lètres , doit
ètre moins embarassé à lire sans accens
ces mèmes mots en lètres capitales . Je
parlerai de cet article dans les A B C françois
, il sufit à present de vous faire
remarquer ici que les E capitaus sans
accent choquent bien moins que les E
capitaus mal accentués et défigurés par
des apostrofes ou par des fragmens de l
en guise d'accens mal adaptés , come dans
LETRE PRETERIT , etc. au lieu
de LETRE , PRETERIT , etc.
bien des artisans mètent des points sur
les I capitaus en serrurerie , menuiserie,
cizelure , etc. le tout sans principes.
Les voyeles apelées trema n'ont jamais
été necessaires dans les mots ruë , conuë
ou rüe , conüe , etc. puisqu'il n'y a jamais
eu danger qu'on lût avec le son du v ,
rve , conve , etc. ce qui fait voir l'ignorance
idiotique de bien des auteurs et de
bien des imprimeurs. Les voyeles apelées
trema necessaires avant l'usage des j et des
v , sont donc apresent devenues inutiles
dans les mots boue , ouaille , etc. qu'on ne
sera plus exposé à lire bove , ovaille , etc.
les auteurs qui en continuent encore la
pratique dans bouë , onaille, etc. montrent,
sans
FEVRIER. 1731. 223
sans le vouloir , leur ignorance ou leur
préjugé idiotique ; profitera qui voudra
de l'avis , c'est leur afaire. Les trema sont
bons dans les mots Lais , Emmaüs , Saül,
Moïse , ciguë , etc. pour distinguer la prononciation
des autres mots lais , emaus >
moisi , saul , figue , etc. dont la lecture est
diférente. La seule ignorance des principes
a introduit l'usage de l'i trema pour
deus i dans les mots pai-is , abai- ie ;
moi- ien , etc. qu'on écrit abusivement
pais , abaie , moien , ou pa-is , aba-ïe ,
mo-ien , etc. se corigera encore là-dessus
qui voudra , mais cète ignorance est sensible
quand on voit et qu'on lit les mots
laïs, lais, hair, haine , païen, paien, paient,
etc. suposer que le point redoublé , redouble
sa voyele dans un endroit , qu'ailleurs
il unit , qu'ailleurs il divise les voyeles
, qu'ailleurs il indique les voyeles muetes
; c'est , ce me semble , faire un mauvais
usage du trema , et lui doner en mème-
tems trop de proprietés diferentes et
contraires les unes aus autres , come dans
païs , lais , ouailles , caën , etc. Je suis persuadé
que sans le préjugé idiotique , en
Holande , come en France , on auroìt honte
de s'obstiner à pratiquer un tel abus
et de préferer le mauvais usage , pendant
que le bon est le plus généralement suivi.
J'aurai souvent ocasion de reparler de cela
dans les A B C françois. Vous
224 MERCURE DE FRANCE
Vous n'emploirés donc jamais le y que
pour le double i , come dans moiien
paiis , etc. que j'écris moyen , pays , etc.
pour déferer à l'usage quand il n'induit
point en erreur . on pouroit aussi écrire
péis , abéie , etc. sans équivoque. Je tolere
le y dans la particule ey locale il y a , par
déference pour l'usage , et en faveur d'un
mot composé d'une seule lètre , quoique
nous ayons encore les mots a , o , en françois
, et les mots a , e , i , o , en latin . Ne
metés donc jamais l'i trema pour le y , ou
pour deus i. Quand j'écris aiant avec l'i
trema , pour a- iant , c'est en suposant
qu'on le prononce ainsi , car autrement
j'écrirois ai-iant avec un double i ou ayant
avec un y ; je soumets apresent , du moins
en partie , le principe de l'ortografe au
principe de la prononciation ; et mon erreur
ou mon ignorance sur le fait de la
prononciation , ne doit point infirmer le
principe sur l'ortografe , disctinction
qu'un lecteur équitable ne manquera pas
de suposer. Je ne parle pas ici des y finaus
employés dans les monossilabes roi , loi ,
quoi , ni , lui , etc. que bien des gens écrivent
encore roy , loy , quoy , ny , luy , etc.
c'est un reste des mauvais principes qu'on
suit chés les maitres écrivains.
Il faut condaner le ph de deus lètres
et préferer le simple ƒ d'une lètre, à moins
que
FEVRIER. 1731. 225
que ce ne soit dans un nom propre come
dans Joseph , Philipe , etc. encore bien des
gens écrivent Josef, Filipe , etc. et ils n'en
font peut-être pas plus mal. vous metrés
donc avec le ƒd'une lètre , les mots sfère,
filosofe , etc. au lieu de sphere , philosophe
etc. avec le ph de deus lètres , et cela en
faveur des enfans , des étrangers , et par
honeur pour la langue françoise , langue
d'un peuple franc , aussi libre et aussi maitre
de son ortografe que ses voisins les
italiens et les espagnols , un peu plus afranchis
que nous de la marque servile en fait
de langage ... vous laisserés toujours la
lètre h dans les mots où elle s'aspire , come
dans heros , etc. et lorsqu'elle sert à diviser
les voyeles et les silabes come dans
souhaits , etc. vous pourés la tolerer initiale
dans les mots humeur , honète , etc.
et quelquefois médiale dans aujourd'hui ,
etc. quoiqu'elle n'y soit point aspirées
mais il faut banir le b des mots chronologie
, cahot , écho , phiole , rhume , phantaisie
, theme , etc. qu'il faut écrire cronologie,
caot , éco , fiole , rume , fantaisie , ième , etc.
faute de caractère particulier la lètre h
est toujours nécessaire après le c pour indiquer
le son françois che des mots chiche,
chu heter, chou , etc. et cète raison de nécessité
confirme l'utilité de la réforme de
cète lètre dans les mots où elle est cap-
B tieuse
226 MERCURE DE FRANCE
tieuse , et où elle peut induire en erreur ,
come dans les mots cholere , Bachus , paschal
, etc.....
>
Je n'emploie la lètre double x , que
dans les endroits où elle fait la fonction
des deus lètres fortes cs , come dans axe ,
stix , etc. ou des deus lètres foibles ༡༢
come dans exil , examen , etc. et qu'on
pouroit écrire selon leur prononciation
acse , sticse , etc. egzil , egzamen , etc. et
cela sans induire en erreur ; avantage qui
n'est pas indiferent aus ieus des esprits
bons et bienfesans . vous ne devés jamais
employer la lètre double x pour les lètres
simples s ou z ; ainsi vous pourés im
primer ieus , sis , sisième , soissante , etc.
aulieu de ieux , six , sixième , soixante
etc. on trouve déja cète réforme dans
bien des livres anciens et modernes, dont
les auteurs avolent remarqué l'imperfection
de l'usage qui done quatre valeurs
diferentes à la lètre x.
Il faut rejeter l'emploi des consones inutilement
redoublées , lorsque cère double
consone est muère , ou qu'on ne la prononce
point dans le discours le plus soutenu
, come dans les mots abbé, accord
addoner, etc. que j'écris abé , acord , adoner,
etc. malgré la prétendue regle de
quantité françoise , qui n'est pas toujours
vraie à l'égard de toutes les consones redoublées
FEVRIER. 1731. 227
doublées . D'où vient qu'esclave de la lanque
latine qui alonge les voyèles suivies
de deus consones , on a cru qu'en françois
ce devoit être tout le contraire , et
que la double consone muète servoit à
faire conoitre que la voyele étoit bréve ?
cète regle fût - elle vraie , en demanderoit
une autre qui indicât quand la
double consone doit ètre muete ou prononcée
; l'usage montrera l'un come l'autre.
cependant par un reste d'égard pour
les ieus , je tolere encore la consone muete
inutilement redoublée dans de petits mots,
come dans cette , elle , qu'elle , etc. qu'il
sera bon d'écrire quelquefois avec une
seule consone et avec l'è grave , come
dans cète , cèle , qu'èle , etc. mais quand la
consone est redoublée dans la prononciation
, il faut la laisser dans l'ortografe,
come Pallas , Apollon , immodeste , etc. les
espagnols graves et sensés écrivent et prononcent
Palas, Apolon , quoiqu'ils sachent
bien qu'on dit et qu'on écrit en latin Pale
, las , et Apole , lon , etc.... Bien que
le double paroisse nécessaire dans les
mots je courrois , je courraí , etc. à cause
de la contraction des mots courerois
coureraí , etc. je ne mets cependant qu'un
avec le chevron sur la voyele où , come
jecoûrois , je coûrai , qu'on prononce fort
Cour-ois, cour-ai , fesant soner ler dans
Bij la
228 MERCURE DE FRANCE
>
la premiere silabe , etc. je parleraí de cela
dans l'ouvrage , des A B C françois. cependant
si les deus r se font entendre dans
ces exemples come dans le mot Varron ,
on peut y laisser le double r sans chevron.
Vous pouvés retrancher aussi la plupart
des lètres muètes inutiles , mème dans la
prononciation la plus soutenue , come
dans les mots asne , mesme , isle , coste
fluste , advocat , clef , baptesme , sept , ptisane,
vuide,paon , caën etc. que j'écris quelquefois
avec le chevron ou avec l'accent,
âne , mème , île , côte , flûte , avocat , clé ,
batême, sèt, tisane, vide, pân, cân , etc. et cela
en faveur des enfans , des étrangers , et de
la lecture ... selon le mème principe je
substitue les lètres prononcées aus lètres
non prononcées , come dans les mots lecon
, secrets , second , convent , que j'écris
Leçon , segrets, segond , couvent , j'écris aussi
par la mème raison , condâner , conoltre ,
etc. au lieu de condempner , cognoistre , ou
de condemner, connoistre , etc.... Je préfere
l'és avec l'accent aigu et le s , à l'ez avec
un z , par les raisons détaillées dans les
ABC françois ; la distinction des verbes ,
des participes , des noms pluriels , n'exige
point cète diference , l'Académie Françoise
ne l'a point admise dans la segonde
édition de son dictionaìre , et les partisans
de la vieille ortografe comancent d'écrire
FEVRIER. 1731. 229
crire avec l'è grave procès , succès , etc. aulieu
de procés , succés , avec l'é aigu ou avec
lez , procez , succez , etc. et les prés , aulieu
de prez , etc , il faut esperer qu'il n'en
resteront pas là.
"
Lorsqu'un mot aura plusieurs lètres à
tète ou à queue , come les mots diftinctif,
jurifdiction , infenfibles , style , inftructifs
fillabes , etc. il faut préferer les petits s et
les ct de deus lètres aus grans et aus
d'une piece , pour diminuer le nombre
des tètes et des queues , qui d'un mot en
font une espece de hérisson nuisible au
coup d'euil , et mètre distinctif, jurisdiction
, insensibles , stile , instructif, silabes ,
etc. Quand un mot avec des fou des &
liés se trouve environé d'autres mots
aïant des lètres à tète et à queue , soit
dans la ligne immédiatement au - dessus ,
soit dans la ligne immédiatement au- dessous
, soit dans la mème ligne à droite et
à gauche , il faut encore exclure et banir
les flons , simples ou doubles , la ligature
& , et leur préferer les petits s et les ct
de deus lètres . Je crois que pour pousser
encore un peu plus loin l'essai de la réforme
ortografique , et pour vous épargner
l'examen et la discussion sur l'emploi
, l'usage et le chois des consones courtes
ou longues , simples ou doubles , il
faudra banir totalement dès aujourdui les
Biij lètres
o MERCURE DE FRANCE.
lètres doubles inutiles , les ligatures , et rejeter
parconséquent les & , f, f , f,f, & ,
et leurs semblables , et leur préferer les
ct , st , ss , si , s , et. J'employois la conjonction
et en deus lètres après la virgule ,
et je tolerois ailleurs l' d'une piece ;
mais bien des persones de bon gout , disent
que cet & fait tort aus autres lètres
´et qu'on devroit l'abandoner , de mème
que les autres superfluités , aus maitres
écrivains et aus esprits gotiques , amateurs
et partisans des ligatures et des abréviations
. vous pouvés donc couvrir et condaner
ces sis cassetins pendant l'impression
de la suite des lètres sur la bibliotèque
des enfans , nous vêrons l'éfet que cet essai
produira sur le papier et sur les ieus
des lecteurs , je me regleraí ensuite làdessus
pour l'impression de mon ouvrage.
Je ne voudrois presque jamais employer
les lètres capitales ou majuscules.
dans la suite d'une frase et d'une période
que pour les noms propres , come
Paul , Mogel , Paris , etc. et non dans les
mots apellatifs de quelque nature qu'ils
pussent ètre , come prince , province , cordonier
, cheval , etc. les capitales après un
point et dans la mème frase , doivent
ètre du corps, paraleles aus autres letres,
de mème hauteur et plus petites que la
capitale qui comence la période en chef
et
FEVRIER. 1731. 231
et à la ligne. Lorsque cète petite majuscule
choqueta la vue, come dans les mots
il, on , etc. vous pourés mètre un plus
grand I ou un i du bas de casse , etc.
pour voir sur l'impression l'efet de cète
nouveauté.
و
Je dois dire ici un mot touchant l'exemple
que j'ai doné de la vieille et très -vieille
ortografe à la fin de la sisième lètre ; pour
faire voir d'une maniere sensible que l'ortografe
se raproche peu à peu de la prononciation
, j'ai mis le lecteur , pour ainsi
dire , entre deus extremités , afin de le rendre
plus atentif , et pour lui épargner la
peine d'aler feuilleter les vieus livres que
J'aurois pu citer , je renvoie cte discussion
à la suite des ABC françois. Les petsiones
scandalisées de cete nouvèle et de
cète vieille ortografe , sont priées de ne
pas fournir malgré elles des raisons contre
leur sentiment et leur préjugé .
Tachons de ne pas imiter l'ortografe de
ces fameus écrivains , qui prodigant l'usage
des lètres capitales , come s'ils donoient
des cronogrames , ne font
ne pas dificulté
d'écrire et de faire graver CaBinet , Re-
Ligion , InConftance , MaGiftrat , etc. qui
afectent d'employer le j et le v , au lieu
de l'i et de l'u voyeles dans les silabes initiales
, jl , jls, vn, jlluſtre, vnion, etc. qu'ils
devroient écrire il , ils, un , illustre , union ,
Biiij
..
etc.
232 MERCURE DE FRANCE
etc. ce sont là des fautes dans lesquèles les
imprimeurs ne tombent plus. il y a certains
maitres écrivains , des secretaires ,
des comis et des clercs , qui chérissent encore
leur ignorance sur cet article , il
est mème à craindre qu'ils ne se corigent
point tant que les grans seigneurs et les
maitres de ces scribes seront indiferens
ou prévenus sur l'exactitude de ces remarques
ortografiques.
Quoique le blanc des espaces bien pratiqués
serve à faire paroitre l'impression
plus bèle , on doit éviter le trop grand
nombre de ces espaces qui choquent la
vue lorsqu'ils forment des colones et des
zig- zag qui coupent les lignes ; c'est un
autre défaut que de vouloir remedier à
celuilà en metant des virgules où il n'en
faut point du tout. un compositeur de
bon gout , use sobrement et judicieusement
de la proportion et du nombre des
espaces et de l'usage des virgules , afin de ne
faire aucun tort au coup d'oeil de la bèle
impression , ni au sens du discours .Je trouve
quelquefois dans les livres les quinze
lignes de suite comancées par des lètres
à tète ou à queue , ce qui choque aussi
le coup d'euil , cela n'arivera pas lorsque
vous prendrés de petits s , des et , et des
at de deus lètres , étant dificile qu'il ne
s'en rencontre point à la tète d'une des
quinze
FEVRIER. 1731. 233
fblf
quinze lignes.un défaut encore plus grand
et que vous devés tâcher d'éviter , c'est
la rencontre des queues de la ligne d'en
haut avec les tètes de la ligne d'en bas
come PP , etc. on doit aussi regarder
come un défaut le mélange de
plusieurs lètres à petit ou à gros euil ,
de plusieurs lètres de diferente frape ,
quoique du mème corps ; le mèlange des
caractères neufs avec de vieus caractères
usés , pochés et mutilés , qui ne peuvent
jamais bien marquer tout le corps de la
lètre , ni d'une maniere nète et distincte,,
qui satisfasse le coup d'euil . L'imprimeur
a beau exalter son ouvrage imparfait , il
n'en sera pas cru , et il s'exposera à ètre
soupçoné d'ignorance ou de mauvaise foi.
Je sais bien que tout le monde n'y regarde
pas de si près , mais je sais aussi
qu'il y a de bons et de mauvais ouvriers
dans toute sorte de professions , et que les
bons come vous , qui visent à la perfecsion
, ne négligent rien de ce qui peut
les y conduire ; aucontraire , les ouvriers:
ignorans, indociles , obstinés, pleins d'eusmèmes
et indiferens sur le mieus , vieillissent
dans l'habitude de mal faire ; la
seule avidité du gain s'empare de leur
esprit et les aveugle si fort sur tout le
reste , qu'ils n'ont pas seulement la liberté
de voir que le gain mème se trouve
plus
234 MERCURE DE FRANCE
plus grand à mesure qu'on est plus habile
or on ne peut devenir habile qu'en
cultivant le bon gout et en observant
beaucoup de choses petites séparement ,
mais dont la totalité et l'ensemble , donent
la perfection , et c'est là- dessus que
le public pour son argent a le droit d'admirer
, de choisir , d'aprouver et d'acheter
; ou de mépriser , de condaner et de
rebuter l'ouvrage des auteurs , des imprimeurs
et des relieurs , come des autres
artisans. on poura continuer cète matiere
dans quelque autre ocasion .
Pour
AVIS.
la comodité du public , on a divisé le
bureau tipografique en quatre classes qui pouront
ètre vendues et achetées séparément , et les
unes après les autres à mesure que l'enfant croitra
en age et en conoissance.
La premiere classe contient 1 °. une table sans
pié , avec ses rebors dans les deus extremités , er
la tringle ou la regle du derriere sur laquelle on a
imprimé les grandes et les petites lètres dans l'ordre
abécédique , ainsi qu'il a été dit en parlant du
premier bureau tipografique pour un enfant de
deus à trois ans. 2 °. Deus jeus de cartes élémentaires
, c'est- à-dire au dos desquelles on a mis
les grandes et les petites lètres que l'enfant aprend
a. ranger vis-à-vis cèles de la regle sur la table
de ce premier bureau. 3 °. Deus petits cartons élémentaires
contenant huit leçons abécédiques , et
le vrai nom ou la vraiè dénomination des lètres
dans
FEVRIER . 235 1731.
dans un ordre nouveau métodique et facile.
4. Là feuille élémentaire des mèmes combinai
sons et en placard pour le segond exemplaire.
5. Une planche gravée pour le plan des quatre
classes , et du dictionaire du bureau tipografique.
6. une brochure de neuf feuilles sur la
bibliotèque des enfans , etc. et pour l'instruction
préliminaire touchant la métode du bureau tipografique.
7. une cassète de gros cartón , renforcée
de parchemin à tous les angles exterieurs ,
bordés de papier de couleur , et couverte des huir
leçons de la feuille élémentaire. cette cassète sert
à tenir le petit atirail literaire qui doit servir d'a
musement instructif à un enfant de deus à trois:
ans ou au - dessus de cer age. Le tout ne coutera
que
la some de dis livres.
La segonde classe consiste , 1 ° . en une table
sans pié , un peu plus large que celle de la premiere
classe. 2 °. En un casseau de deus rans de cas--
setins. 3 °. En leurs étiquetes tipografiques au bas
de chaque logète pour indiquer l'espece des .
cartes que l'on doit tenir dans ces mèmes logètes.
4. En une garniture de cartes imprimées
pour l'atirail des soissantes logètes , et le tout pour
le pris de vint livres . on rabatra quatre francs à
ceus qui rendront la table de la premiere classe
desorte que la segonde ne leur reviendra qu'à scise:
livres.
La troisieme classe comprend , 1. une table
sans pié. 2 ° . un casseau de quatre rans de logè..
tés ou de cent-vint cassetins. 3. Leurs étiquetes.
tipografiques au bas de chaque celule pour indiquer
les cartes qu'on y doit tenir. 4° . La garniture
des cartes imprimées pour les 120. cassetins:
contenant les grandes et les petites lètres de la
segonde classe , plus les sons simples et compo
sés , les chifres , et tous les signes nécessaires pour
imprimer du latin er du françois sur la table du
B vj
bureau
236 MERCURE DE FRANCE
bureau ; le tout pour la some de
quarante livres , et
l'on rabatra vint francs à ceus qui rendront le bu
reau de la deusième classe , ainsi celui de la
troisième ne leur reviendra qu'à vint livres.
D
La quatrième classe comprend , r . une table
brisée et ferrée , sans pié . 2 ° . Un casseau de sis
rans de cassetins , c'est-à- dire , les quatre rans de.
la troisiéme classe , et les deus rans du rudiment.
pratique. 3º . Les etiquètes de 180. celules. 4
L'assortiment necessaire pour garnir les quatre
rans de l'imprimerie, et les deus rans du rudiment:
pratique de la langue françoise et de la langue latine,
ainsi qu'on l'a détaillé dans la sètiéme lètre
de la bibliotèque des enfans , et cela pour le pris
de quatre-vint dis livres , sur lesquèles on rabatra.
quarante livres aus persones qui rendront le bu
reau de la troisième classe , de sorte que celui de
la quatrième ne leur reviendra qu'à so. livres.
Ceus qui voudront le bureau complet avec un
pié pour la table brisée , ferrée et fermant à clé
doneront une pistole de plus , c'est -à- dire en tout
cent francs ou soissante livres en rendant le bureau.
de la troisième classe ou de quarante livres.
NM le grammairien de Ventabrèn en Provence
, trouvera pour son instruction dans le
Mercure du mois prochain, la critique d'un Professeur
anonime de l'Université de Paris, ennemi
déclaré de la metode du bureau tipografique , et:
fameus champion des métodes vulgaires : en atendant
la réponse à ces deus critiques , le grammairien
est, prié de lire les sis dernieres lètres
sur la bibliotèqu des enfans inserées dans les
Mercures depuis le mois d'octobre dernier jusqu'au
present mois de fevrier. On se flate que
cète ètre radoucira un peu les, adversaires du
bureau tipografique, du moins ceus qui sans prévention
n'agiront que de bone foi et dans la
soule vue du bien public, sur lequel influra ton
jours lapremiere éducation des enfans.
FEVRIER.
173.1. 237
§. 13. A BC FRANÇOIS- LATIN..
Carac- Noms vul. Nomséfectifs ,
teres . gaires et valeur réele.
Figures. souvert veritable
Signes. faus , équi- dénomination
Letres. voques ou
captieus.
Exemplest
A.. a..
B.. b.
a.
be.
ce. C. c.
D. d. de.
E. e.
هن
a.
be.
de.
ce-ka- qu.
c muet.
é fermé.
è ouvert.
Aaron.
bombe.
cecrops.
ode:
juste.
bonté.
procès.
F. f.
effe..
fe. vif.
G.
g. ge. ge-ga-gu.
H. h. ache. he.
gigot.
héros.
I. i. i. i. if.
J. j. j. consone. je -ja .
K. k. Ka, ka-qu.
L. 1. elle. le.
jauge.
quiconque
seul.
M m. emme . me. ame,
N. n. enne. ne. mine.
O. o.
P. P
Q.
q.
R. r.
pe.
qu .
erre
0. 0.
coq..
pe.
qu-ka.
Gap.
quand.
re.
S. f. esse. se- ze.
rire.
Suson.
T. t. t. te- ci.. intention.
U. u. u. u. busc.
V. v. V. consone. ve. vive .
X. X. icse. kse-gze. axe. exil.
Y.
Y. y. grec.
i-ïe.
ny. payen
Z. z. zede . ze -ce.. zést . Usez...
EL & Cle &-et etc. et lui.
Letra
238 MERCURE DE FRANCE
Letres. Noms
vulgaires.
a. a.
e.
Noms Exem
éfectifs.
a . Bala.
e muet. vie.
§.14. TRENTE -DEUS SONS DELA LANGUE FRANÇOISE .
18. sons avec les consones françoises ,
J
1.vfo4ry.aenlçeosises
-V
amouillés 4liquides .12. sons ,6.forts ,6.forbles .s.voyeles naz .9.ordinaires .
i..
éfermé. clarté.
è ouvert
. accès.
Isaïe.
mot. Οι
u. u. une./
eu.se ,
ou. O ,
ü. cu . feu.
ü.. ou. cou.
ajenneja,titre.a.
é, enne;e , titre.é.
i, ennesi, titre.ĩ.
o,enne;o,titre.o.
u,enne;u,titre.ú.
tát.
bié
igrat.
pot.
"
ludi..
d .
come dans l'ABC'françoislatin..
BASEÒN BOX NATÉ
ch. ce , ache. che. chiche
come dans l'AB C. françoislatin.
三晶
ill. i , elle, elle. lhe paille
gn. ( g , enne .. gne, vigne
FEVRIER. 1731. 2397
S. 15. ABC PRONONCE'.
Initial Médial. Final
i.
1..
n.
P
ASJIJE BCAA62
abé,. téatre. Goá.
b. benir. Abel. Raab
cerise. recevoir. croc.
d..
dépit.
élant.
femele.
perdreaus jod
javelot. poste
rafle.. vif.
géất , gai. regard. Agag..
heron.
idée..
j. jujube.
k. kiriele .
Chathuant. ah !
élire . ni.
rejouir.
alkali . talk.
levreau: Alexis. bal.
m.. Mnemosine. Homere. Sem.
Nevers. anerie. Himen.
ognoi. adorer. Cacao.
pelican. adopter. Cap.
q: queue. aquerir. coq.
r. renard.
perdris. mer.
S. saucisse. Samson. as.
t. teton. rectitude. brut.
u. Uranic. chathuant. cocu.
V. Venus. revenir. verve..
X. Xénophon. Alexandre. styx .
y..
Z.
yeus. moyen. Henry.
Zenon. azile. dez à joue
eu. heureus.. demeure. jeu.
1
ou. ouaille.
jalousie.
hibou.
ch . cheval. acheter. hache.
gn. gniole. magnifique. regne.
ill. ailleurs. paille.
oi. oie. envoyé. \ loi.
ui. huile. reduire. lui.
ã. ange, enfance, an.
240 MERCURE DE FRANCE
ĕ. chrétienté. mien.
i. ingrat.
distincte.. vin.
ö. onde.
répondre.
thon .
Hun. lundi. brun.
&t. Ctesias. arctique. aspect.
ft. stile. histoire.
protest.
6. 16 . A B C MUET.
Initial Medial. Final
2. Août. Saone.
b. debte.
plomb.
Jacques .
banc.
d.
advis. nord.
Europe.
nuement. vie.
£. juifve . cléf
Magdelaine. loing.
habit. Jehan.
i.
gaigner..
j.
k. } nul exemple.
1. tiltre. baril.
m.
n.
commode, Montcalm
donner.
Θα oeconome.. choeur.
P. ptisane. baptême. camp.
coqdinde. cocq .
arriver. monsieur.
asne.
paradis.
chathuant .
vuide.
r.
S..
t.
u..
v, &c. nul exemple.
,
& , ét.
Voilà ce que j'avois à dire touchant l'essai de
Portografe passagère , et sur la métode du bureau
tipografique. Il faut apresent se mètre en garde
et songer à parer les coups que l'ignorance , la
prévention et peut -ètrel'envie ou la mauvaise for
méditent de porter contre la nouveauté , la simplicité
et l'utilité decète métode. J'ai l'honeur.etc.
ODE.
FEVRIER. 1731. 247
XXX: XXXXXXXXX : XXX
O D E.
Sur la Canonisation des Saints Stanislas
Kostka et Louis de Gonzague.
Q Uelle Cour pompeuse et brillante
Se dévoile à mes yeux surpris ?
Dans quelle Région charmante
Un Dieu ravit- il mes esprits ?
Que vois-je ? Ce n'est plus la Terre ;
Au-dessus même du Tonnerre
Je porte de libres regards..
Un Temple brille dans la Nuë :
Quel jour ! une main inconnuë
M'ouvre les Cieux de toutes parts.
Ce n'est point la Cour fabuleuse
Des Dieux que l'erreur a vantés ,
Séjour d'une foule orgueilleuse
De lubriques Divinités ;;
Il n'est plus ce culte coupable :
Dans le Sanctuaire adorable
Que soutient la voûte des airs ,
Un seul Maître , un seul Dieu réside
Sa Majesté sainte y préside ,
Et veille au sort de l'Univers,
247 MERCURE DE FRANCE
Inclinés au pied de son Thrône
Les Anges saisis de respect ,
De la splendeur qui l'environne ,
Ne peuvent soutenir l'aspect.
Mais quoi ! vers ce Trône terrible ,
A tout Mortel inaccessible ,
Dans un char plus brillant que
Par une route de lumiere ,
Quittant la terrestre carriere ,
l'or ,
Deux Mortels prennent leur essor !
M
Volez , Vertus , et sur vos aîles
Enlevez leur char radieux ;
Jusqu'aux demeures immortelles
Portez ces jeunes demi- Dieux :
Ils vont , ils entrent dans la Gloire ,
'Au milieu des chants de victoire
De tous les celestes Esprits ;
Frappé de cent voix unanimes ,
L'air retentit des noms sublimes
De Stanislas et de Louis.
Tout le Ciel avec allegrésse
Reçoit ces Habitans nouveaux
La Religion s'interesse
Au Triomphe de ses Héros ;
La Pieté leur dresse un Trône
La
FEVRIER.
243 1731.
La Pudeur forme leur couronne
De ses Myrrhes toujours fleuris
Et dans cette fête charmante
Chaque Vertu retrouve et vante
Ses plus fideles favoris.
L'éclat de leur saint diadême
Leur cause de moins doux transports
Que le pur amour que Dieu même ...
Mais quel bras suspend mes accords ?
Une secrette violence
Force ici ma Lyre au silence
Sur ce bonheur Mysterieux ;
Dans ses Conseils impénetrables
Dieu seul voit les dons inéfables
Que sa main répand dans les Cieur.
潞
Nouveaux Saints , ames fortunées
Regnez , jouissez , sans désirs ;
La Mort abrégea vos années
Pour éterniser vos plaisirs.
Jaloux d'une immortelle vie ,
La fleur de vos jours est ravie
Sans vous causer de vains regrets
Vous tombez dans la nuit profondé
Trop tôt pour l'ornement du monde ;
Trop tard encor pour vos souhaits.
Da
244 MERCURE DE FRANCE
Du haut des sacrés tabernacles ,
Par mille prodiges nouveaux ,
Couronnez les anciens miracles ,
Qui font l'honneur de vos tombeaux ;
Sur l'encens de nos sacrifices
Attirez les regards propices
Du Maître absolu des humains ;
Eteignez le feu du Tonnerre ,
Que l'impieté de la Terre
Allume souvent dans ses mains.
Pour un Roi pacifique et juste
Offrez nos voeux au Roi des Rois ;
Veillez sur une Reine auguste ,
Le
sang * exige ici ses droits.
Les fruits d'un heureux hymenée
Dont la France se voit ornée ,
De l'Eternel sont les bienfaits :
Soyez les Anges tutelaires
Et les premiers dépositaires
Des dons chéris qu'il nous a faits.
諾
Tout change. Aux mortelles contrées
Faut-il donc ramener mes yeux ?
Pourquoi les portes azurées
Me referment - elles les Cieux ?
* La Reine est parente de ces deux Saints:
Toug
FEVRIER. 1731 .
245
Tout a disparu comme un songe ;
Mais ce n'est point un vain mensonge
Qui trompe mes sens éblouis :
Rome a parlé tout doit l'en croire ;
Son Oracle a marqué la gloire
De Stanislas et de Louis.
M
Peuples , retracez dans vos fêtes
La Pompe du divin séjour ;
Que tout applaudisse aux conquêtes
Que le Ciel fait en ce beau jour .
- Unissons des chants de louanges
Aux Concerts que le choeur des Anges
Consacre aux nouveaux Immortels ;
Et que sous ces voutes sacrées
Leurs images de fleurs parées
Tiennent un rang sur nos Autels .
讚
Jeunes coeurs , troupe aimable et tendre
'Accourez , offrez votre encens ;
Deux jeunes Saints ont droit d'attendre
Vos hommages reconnoissans.
A leur héroïque courage.
L'Univers a vû que votre âge ,
Capable d'illustres travaux ,
Peut aux Enfers livrer la guerre ,
Etre
246 MERCURE DE FRANCE.
Etre l'exemple de la Terre ,
Et peupler le Ciel de Héros .
Gresset Jésuite .
.
LETTRE d'un Professeur de l'Univer
sité de Paris à un Principal de College
de Province , sur l'ABC DE CANDIAC,
OU LA BIBLIOTHEQUE DES ENFANS , ou
LES PREMIERS ELEMENS DES LETTRES, & C
Vous voulez donc , Monsieur, que jevous dise mon sentiment sur cette nouvelle Méthode
dont vous avez appris qu'on fait beaucoup
de bruit à Paris depuis environ six mois , que
quelques Principaux ont laissé introduire dans
deux ou trois celebres Colleges de l'Université
et sur laq le Mercure de France a fait imprimer
cinq Lettres dont la premiere est
du mois de Mai , et la cinquiéme du mois d'Octobre
de la presente année 1730.
J'avois cependant résolu de garder un silence
constant à l'égard de l'Anonime , Auteur de ce
nouveau sistême Abécedique , comme je l'ai gardé
à l'égard de tant d'autres Charlatans de la
menuë litterature , qui ont jugé plus à propos
de faire connoître leur nom au Public , en le
faisant imprimer au Frontispice de leurs Livres.
Mais les prieres réïterées que vous me faites , le
désir que j'ai d'empêcher , autant qu'il sera en
moi , plusieurs Enfans de famille , particulierement
ceux qui sont confiés à vos soins , d'être la
dupe de ce nouvel avanturier , l'occasion favorable
FEVRIER . 1731. 247
Table de venger l'insulte qu'il fait à tous les habiles
et honnêtes gens qui suivent une autre maniere
d'enseigner que la sienne , en les accusant
d'ignorance , d'injustice et de vanité ; tout cela
m'engage à parler malgré l'inclination que j'avois
à me taire.
Je vais donc faire trois choses. 1° J'expliquerai
la structure de son Bureau Tipographique , suivant
une Carte imprimée qui m'est tombée entre
les mains , sans quoi vous ne pouvez rien comprendre
non plus que bien d'autres à ce qui en
est dit dans le Mercure que vous avez lû. 2° Je
ferai voir qu'il est impossible d'enseigner et d'apprendre
bien aucune Langue et aucune Science
par le moyen de ce Bureau . 3 ° Qu'un bon Alphabet
est une Méthode au moins aussi facile
aussi courte , aussi avantageuse et bien plus
›
commode pour bien montrer à lire à un Enfant.
.
Figurez -vous donc d'abord , Monsieur , un
ouvrage de menuiserie en forme de Colombier
qu'on attache à un mur à la hauteur d'un Enfant
de 4. à 5. ans. Ce Colombier de bois est
coupé ou partagé en 210. petits ous , sept en
hauteur , et trente en longueur. in nteur de
cette belle piece de menuiserie les appelle tantôt
cassetins et cassetes , tantôt cellules et logetes . Un
de mes amis qui a lû les cinq Lettres sans en
comprendre ni la beauté ni l'utilité , soutient
qu'on devroit plutôt les appeller Boulins , puisque
toute la boisure se nomme Colombier.
Mais quelque nom qu'on veuille donner à ces
trous , il faut sçavoir qu'ils sont à peu près quarrés
selon les trois dimensions , et de telle grandeur
qu'un Enfant y peut faire entrer aisément
sa main. On met dans ces trous des cartes , sur
lesquelles sont écrites differentes choses, La premiere
rangée de 30. trous est posée sur la table
du
248 MERCURE DE FRANCE.
du Bureau , qui est au-dessous , et de la même
longueur ; elle est appellée par l'Auteur Premier
Bureau Abécedique , c'est - à -dire Alphabetique.
Les 26. premiers trous contiennent sur des
cartes les 24. lettres de l'Alphabet , tant petites
que majuscules , et l'j et l'v consonnes ; les 4 .
derniers sont pour l'E æ , l'E ∞ , &t , ff , ft
ch , ph , rh , th : on ne voit pas la raison pourquoi
on appelle premier ce Bureau Abécedique ,
puisqu'il n'y en a point de second qui porte ce
nom.
Quoiqu'il en soit , les deux rangées de trente
logettes ou boulins chacune , qui sont immédiatement
au dessus de la premiere , portent le nom
de Bureau Latin , qu'on auroit pû aussi bien ,
et même encore mieux , nommer Bureau Franfois
, puisque les 2. premieres logettes ne renferment
que les lettres de l'Alphabet , grandes et
petites , Romaines et Italiques , qui sont communes
au François aussi bien qu'au Latin , et que
les 4. suivantes sont pour les e ouverts et fermés
, qui sont propres seulement à la Langue
Françoise. Les 4. dernieres cellules sont destinées
à l'Histoire Sainte et Prophane , à la Géographie
et à la Fable. Vous connoissez donc déja
bien en détail le contenu des 90. premiers cassetins
compris dans les trois premieres rangées.
Montons présentement aux 120. qui nous restent
, et qui sont et dominent les uns sur les au
tres.
La quatrième et cinquiéme rangée porte le beau
titre de Bureau François - Latin , cependant on
ne trouve dans les 60. cellules qui le composent
rien qui soit particulier au Latin , si ce n'est la
Io et la 11. intitulées Tèmes à faire , Tèmes
faits. Voici les étiquetes des 58. autres : 1. à , à ,
2 bb , bb , la 3 , 4 , 7 , 12 , 16 contiennent c ,
>
FEVRIER. 1731. 249
mm ,
d , g , 1 , p doublés comme le b'en Romain et en
Italique. La 5 , 6 , 9 , 17 , 18 , 20 , 21 , 23 , 24
contiennent aussi en Romain et en Italique he ,
ph , hi , qu , rh , th , hu , xc , hy ; la 8. est intitulée
Magasin ; je ne sçais pas pourquoi. La 13
m ; la 14 ñ , nn ; la 15 eau , au ; la 19 ç ;
fç , ff , la 2 2 W , w
, W, vv ; la 25 Livrèt , au
dessus duquel mot il y a écrit 10 10 , et au dessous
15 15 ; cette cassete est aparemment un
reservoir de chifres . ) La 26 &c , & c ; la 27 ai ,
aient , oient ; la 28 æ
et ; la 29 S *
; la 30 contient trois signes
de l'Algebre , qui signifient le moins , le plus ,
l'égalité ; ils ont été mis là , sans doute , afin de
pouvoir faire accroire au Public que par le moyen
de ce Bureau on apprend les principes de l'Algebre
, comme tout le reste . Voilà la rangée inférieure
du prétendu Bureau François-Latin ;
voici la superieure.
J;
> oe , et ,
>
,
,
On trouve dans les I 2
? 3 4 , 6 , 8 et g
cellules les marques ou signes de ponctuation , ;
: .? ! ' apostrophe : les 5 , 7 , 10 , 12 , 13 , 14
et 15 renferment eu , gn , ch , ill , ui , oi , où en
Romain et en Italique. La 11 a les parentheses
( et les crochets [ ] . La 16 20 ã‚ẽ‚í‚õ ,
en Romain et en Italique ; la 21 30 les dix premiers
chiffres , soit Romains , soit Arabiques.
Les deux rangées superieures du Bureau Tipographique
qui sont chacune de 30. cellules comme
les autres portent,pour titreRudiment pratique de
la Langue Latine. C'est là ce qu'on regarde particulierement
comme un Chef- d'oeuvre d'invention
, qui est bien au- dessus de toutes les Méthodes
dont on s'est servi jusqu'à présent pour
enseigner le Latin. Voici néanmoins tout ce que
c'est dans les six premieres logettes de ces deux
dernieres rangées : on voit les cinq Déclinaisons
C latines
250 MERCURE DE FRANCE ,
>
>
as,
Latines a æ &c . les Pronoms latins et françois
ego , je , tu , tu , vous ; ille , il , elle , l'article
hic , ce , cette , ( on auroit du dire le Pronom
demonstratif; ) le Pronom relatif qui , qui , lequel
; les terminaisons , Pronoms , piam , re , les
termin . Noms orum , ibus . Les cinq logettes suivantes
, soit d'enhaut , soit d'enbas contiennent
le Présent , l'Imparfait , le Parfait , le Plusqueparfait
et le Futur , tant de l'Indicatif que du
Subjonctif des Verbes sum , amo , et aparemment
des trois autres Conjugaisons . Voilà déja 22 .
logettes bien marquées. Les deux suivantes sont
pour l'Impératif et l'Infinitif, esto , ama , esse .
amare. Les 25 et 26. pour les Gérondifs et Supins,
amando , amatu , et les Participes ans , ens,
Les 27 et 28 pour les terminaisons actives, o >
α amus , et les passives, or , aris , atur , amur.
Les 29 38. sont pour les Verbes Actifs , Passifs ,
Neutres , Irreguliers , Déponens , Communs
Substantifs , Vocatifs , Reciproques , Irreguliers
( qui sont ici marqués pour la seconde fois )
Defectueux , Impersonels. Les 39 et 40. sont
pour les terminaisons françoises des Verbes , er
des Noms et Pronoms. Les 41 et 42 pour les
Verbes Auxiliaires François. Les 43 et 44. pour
les Noms Substantifs et Articles françois. Les
45 et 46. pour les Adjectifs , Positifs , Comparatifs
et Superlatifs . Les 47 et 48. pour les Pronoms
demonstratifs et Possessifs . Les 49 et 50. pour
les Verbes François et Particules Françoises. Les
51 et 52. pour les Indéclinables in , úbi , vel ,
et autres aparemment. Les 53 et 54. pour les
genres hic homo. Les 55 et 56. pour les Déclinaisons
homo inis. Les 57 et 58. pour les
Conjugaisons amo , avi Atum are. Enfin les
59 et 60. po la Syntaxe , ego amo Deum.
Je ne dou point que cette énumeration des
>
>
logettes
FEVRIER. 17310
251
logettes et de ce qui y est contenu , ne vous ait
fort ennuyé ; je vous en demande pardon ; mais
j'en avois besoin pour prouver la deuxième proposition
que j'avois avancée. Je dis donc en second
lieu que par cette machine de bois en Colombier
, et par tous les Boulins et toutes les lo
gettes dont elle est composée , aucune Langue
ni aucune Science ne peut être bien enseignée
et bien apprise , quoiqu'en disent ses inventeurs
ou ses approbateurs.
Faut-il se mettre en frais pour le prouver , et
n'est-il pas évident à quiconque a du bon sens
que ni la Philosophie , ni la Rhétorique , ni la
Poëtique , ni les Auteurs Grecs et Latins , même
les plus faciles , qu'on fait expliquer dans les
plus basses Classes des Colleges , n'entreront ja
mais dans la tête d'un enfant à l'aide de cette
pure méchanique. Que dis- je ? il est même impossible
d'apprendre à écrire par ce moyen ; aussi
nos bonnes gens paroissent - ils avoir entierement
renoncé d'eux -mêmes à toutes ces connoissances
, puisqu'ils n'y ont pas même consacré une
seule petite logette.
>
Mais du moins diront- ils on apprendra
P'Histoire Sainte et Prophane , la Géographie er
la Fable ; car elles ont chacune leur cellule , qui
sont les quatre dernieres du Bureau Latin.
A cela je réponds qu'on les apprendra à peu
près comme l'Arithmétique et l'Algebre , ausquelles
sont destinées les 25 et 30. logettes de
la deuxième rangée du Bureau François- Latin ;
c'est-à-dire , que quelques Noms propres d'Empereurs
et de Rois , de grands Royaumes et de
grandes Villes , tirés des cellules où on les met-
, pourront entrer et rester dans la mémoire
de l'enfant , s'il en a , et si on a coin de lui rebatre
plusieurs fois la même che Or c'est un
tra
C avanta
252 MERCURE DE FRANCE
avantage qu'on trouvera pour le moins aussi grand
dans quelque Méthode que ce soit , si tout est égal,
soit de la part de l'enfant , soit de celle du Maître
, à moins qu'on ne veuille croire , comme le
croyent, sans doute, ces Messieurs , que les principes
des Arts et des Sciences ont une vertu particuliere
pour s'insinuer dans l'idée et dans la
mémoire d'un enfant , parcequ'ils sont écrits sur
des cartes , et qu'ils ont eu l'attouchement de sa
petite main , et du bois des cellules étroites qui
les tiennent comme en prison.
Mais qui peut douter , diront encore nos gens
enthousiasmés de leur Rudiment Pratique de la
Langue Latine , composé de 60. logettes et d'autant
de cartes pour le moins , qui peut douter
qu'avec un tel secours on n'enseigne et on n'apprenne
bien mieux les déclinaisons des Noms et
des Pronoms , les Conjugaisons de toutes sortes
de Verbes , les Genres , les Préterits , les Supins
et la Syntaxe Latine, qu'on ne les enseigneroit et
ne les apprendroit avec le secours du Rudiment
et des Maîtres ordinaires .
Qui en peut douter ? moi certainement , tant
je suis incrédule. Pour faire voir combien mon
doute est raisonnable , je ne veux que comparer
un endroit de la cinquiéme Lettre de l'Auteur
avec un autre du celebre M. le Fevre , sur la
maniere de faire des interrogations aux enfans.
כ כ
ラン
Lorsqu'on voudra interroger l'écolier sur les
Déclinaisons et sur les Conjugaisons ( dit ´notre
Abécediste dans le Mercure d'Octobre page
» 2123. ) il ne faut pas suivre la Méthode peu
judicicuse de ces Maîtres qui demandent troptôt
, par exemple : Comment fait Musa à
l'accusatif plurier ? Quel est le genitif plurier
de Dominus ? Quelle est la troisiéme personne
» du Futur Indicatif du Verbe amo ? Cominent
dit -on en Latin ils auroient aimé ? &c.
50
FEVRIER. 1731. 253
Voilà les propres paroles du Docteur Tipografique
dont nous avons pris la liberté de changer
l'ortographe , quoique sa troisième partie
du Volume du Maître contienne dit-il , en
trente et tant de pages une Réponse aux raisonnemens
ou aux préjugés de M. l'Abbé Regnier ,
dans son Traité de l'ortografe , et quelques reflexions
sur l'ortographe des Dictionaires de
Richelet , de Furetiere , de Trévoux , de l'Académie
Françoise et de l'Académie d'Espagne.
Ecoutons presentement M. le Fevre. » Comme
de toutes les parties mobiles de l'Oraison ,
n'y en a point de plus difficile que les Verbes
, ( dit-il dans sa Méthode pour commencer
les Humanités , à Paris 1701. page 12. ) il
5
il
faut s'y arrêter aussi beaucoup plus que
» sur les noms , jusqu'à ce que l'enfant puisse
répondre sur le champ , et sans varier , à ces
» petites Questions , par exemple : où est audiet?
et que veut-il dire en françois ? où est audivisset
? Audire ne se trouve - t'il point en plus
d'un ou de deux endroits où est amatum iri?
» &c. Quand une fois l'enfant est bien assuré
là- dessus , il est en beau chemin , si le Maître
» a les qualités qu'il doit avoir.
Ne voit-on pas une manifeste contradiction
entre ces deux manieres d'enseigner les premiers
principes ? Ainsi nous voici dans un défilé d'où
nous ne pouvons sortir qu'en disant que l'une
de ces deux Méthodes est bien plus judicieuse que
l'autre.
Le Buraliste ne manquera pas de soutenir har→
diment que c'est la sienne , et il citera en sa faveur
l'exemple de M. de la Valette , petit-fils de
M. Chirac , qu'il appelle un enfant celebre du
Bureau tipographique , ( page 19. de la seconde
des quatre premieres Lettres qu'il a fait impri-
Cij mer
54 MERCURE DE FRANCE
mer séparément ) ; il citera encore le petit Gos
sard , fils d'un Marchand Tapissier , le fils de
M. Durand , le petit Espagnol Hernandez del
Valle , le petit Guillot , un Savoyard de zo . ans
qui a appris à lire le latin à cet âge , par le moyen
de cette Méthode , ibid. page 20. et 21. Quel
miracle ! Il n'oubliera pas M. Chompré , Maître
de Pension dans la rue des Carmes , qui se sert
du Bureau tipographique pour les enfans ( page
22 ) , ni M. & Mad . Hervé , qui étant , dit-il ,
témoins du progrés surprenant de l'exercice du
Bureau typographique , en ont fait faire un de
quatre rangées de logettes pour Mlle leur fille
page 28 , ni enfin le Cardinal Lugo , qui dés
l'âge de trois ans sçavoit lire les imprimez et les
manuscrits ; ni le Tasse , qui à l'âge de trois ans
commença à étudier la Grammaire , qui fut envoyé
au College des Jesuites dès l'âge de quatre
ans , et fit sous ces habiles Maîtres de si grands.
progrès , qu'à sept ans il sçavoit parfaitement le
Latin et très-passablement le Grec ; ni le petit
Jean- Philippe Baratier de Schwalbach , qui commença
d'apprendre les Lettres avant l'âge de deux
ans , page II . 12. et 20.
Mais sans vouloir examiner tout ce qu'on dit de
tous ces enfans celebres , ni rien rabattre de leur
science prématurée , ne puis-je pas dire avec verité
que tous ces exemples ne font rien en faveur
du Bureau typographique , puisque certainement
ni le petit Lugo , ni le Taffe , ni Baratier , qui
sont les trois plus rares exemples cités , ne sont
point du tout redevables de leurs miraculeux progrès
aux cellules de bois dont la rare invention
est posterieure a
Quant aux autres , outre qu'on ne nous dit
point que le petit Durand et le petit Hernandez
me soient servis du Bureau , et qu'on nous fait
entendre
FEVRIER.
1731. 255
Entendre au contraire qu'ils ont suivi une autre
Méthode ; n'est-il pas évident que leur érudition ,
quelle qu'elle soit , vient plutôt de leur heureux
naturel et de l'habileté de leurs Maîtres , que de la
nouvelle machine Alphabetique.
11 n'en eft pas de même de la Méthode de M. le
Févre , qui étant toute fondée sur la raison et
l'experience , a dû produire et a produit des miracles
, sur tout dans la personne de Mad. Dacier,
sa fille , et d'un fils , qui ayant commencé a apprendre
le Latin et le Grec â dix ans seulement
suivant la pratique de M. le Fevre , qui me paroît
bien fondée , et sçachant alors seulement bien lire
et bien écrire, » lorsqu'il mourut vers la fin de
sa 14 année , avoit lû et expliqué deux fois l'I-
» liade d'un bout à l'autre , et rendoit raison des
parties aussi prestement qu'auroit pû faire un
assez bon Maîrre , sans balancer et sans hesiter
jamais. Il sçavoit aussi l'Eneide de Virgile de
même , Terence , Phedre , les Métamorphoses
» d'Ovide, Saluste, la premiere Comedie de Plau-
» te , la premiere et la seconde d'Aristophane ,
avec les trois premiers Livres de Tite- Live ,
outre les autres petits Auteurs qu'il faut sça-
» voir pour entendre ceux -ci , Eutrope , Aurelius
Victor , Justin , les Fables d'Esope , et les cinq
» Livres Historiques du Nouveau Testament. Ù
avoit encore appris à fond de son pere , qui étoit
aussi son Précepteur , la Grammaire Latine et la
Grecque, et il avoit entamé même l'Hébraïque à
T'âge de 13. ans. Enfin il n'ignoroit ni la Géogra
phie , ni la Chronologie , ni l'Histoire.
Voilà des faits certains et exposez au grand
jour ; voilà des témoins illustres et non suspects
de la bonté de la Méthode de M. le Fevre , qui a
été presque entierement suivie et même perfectionnée
en quelques points dans les meilleurs Col-
Ciiij leges
256 MERCURE DE FRANCE
ges de l'Université. Nos Méchanistes avec leur
Bureau typographique , pousseront- ils un enfant
aussi loin et en si peu de temps, et l'instruiront -ils
d'une maniere aussi solide des premiers principes
de la Langue Grecque , de la Latine , et de la
Françoise ? S'ils sont assez présomptueux , pour
ne pas dire assez fous , pour le promettre, se trous
verat- il quelqu'un qui soit assez sot et assez duppe
pour le croire ? Peut-être que oui , puisque selon
le Poëte Satirique , mais véridique ,
Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire.
Quoiqu'il en soit , nous pouvons conclure présentement
que les Méthodes ordinaires , sur tout
si elles sont semblables à celles de M. le Févre 2
sont bien au-dessus du Rudiment pratique de la
Langue Latine , qui est le troisiéme ou quatrième
Bureau de 60. Logettes , qui fait partie du Bureau
zypographique et general . Je pourois apporter encore
plusieurs raisons invincibles de cette même
verité ; mais je les omets pour abreger et passer
ma troisiéme proposition , d'autant plus que si
je la prouve , comme je l'espere j'aurai prouvé
encore une fois celle -ci . En effet si le Bureau typographique
n'apprend pas mieux à lire qu'un
bon Alphabet , à combien plus forte raison apprendra-
t-il encore moins bien qu'une bonne Mé
thode , les principes des Langues et des Sciences ?
Je dis donc en troisiéme lieu , quand nos Bibliothecaires
typographistes devroient se fâcher ,
que tout cet attirail de cartes écrites sur le dos ,
et de cassettes d'Imprimerie , n'est pas aussi bon
pour apprendre à lire , qu'un Alphabet en bon
ordre et bien digeré. On a vu dans la description
détaillée que nous avons faite du Bureau , qu'on
a sacrifié près de 100. cellules aux Lettres grandes
et petites , Romaines et Italiques , aux consonmes
doubles bb , ce , & c . et à la ponctuation . Un
bon
FEVRIER. 1731 . 257
ba ,
,
bon Alphabet dans les trois ou quatre premieres
pages, contient non - seulement les lettres simples,
mais encore presque toutes les syllabes qu'on peut
former par l'assemblage d'une voyelle et d'une ou
plufieurs consones, comme ,
be bi, bo , bu,
&c. bla, ble, bli, blo, blu , &c . ab , eb, ib, ob , ub ,
&c. ar , er , ir , or , ur , &c. stra , stre , stri ,
stro , stru, &c. L'Enfant les voit d'un coup d'oeil,
et s'accoutume à les prononcer presque lui seul.
par routine , avec le moindre secours du plus petit
Maître d'Ecole.
Or tout cela demande bien du temps dans le
nouveau Systême. Il faut que l'Enfant aille prendre
dans les logettes differentes les lettres qui
composent ces syllabes ; il faut un Maître bien
assidu et bien patient , tel qu'on en trouve peu ,
pour être toujours là present , et empêcher que
Enfant ne se trompe , ou le corriger quand il
s'est trompé.
Un seul Maître d'un médiocre sçavoir et d'une
médiocre exactitude , peut montrer à lire tout
à la fois à une cinquantaine d'Enfans , les obliger
à avoir tous ensemble les fixez sur le
yeux
même endroit , et les faire reprendre les uns par
les autres , ce qui les pique d'honneur et d'émulation
; et quand la leçon est achevée , chacun peut
emporter fon Livre avec foi à la maison , à l'Eglise
, à la promenade , et repasser ce qu'on lui a
fait lire. Le Bureau , au contraire , est très -embarassant
, on ne peut le faire fervir à trois ou
quatre tout à la fois ; il n'est pas portatif , et
P'Enfant , quand il le voudroit , ne pourroit pas
le mettre dans sa poche , il est d'une toute autre
mesure.
Un Alphabet s'achette 4 ou 5. sols ; un Bureau
est d'un bien plus haut prix , sur tout si on le fait
faire d'Ebene, comme l'Auteur semble le conseil-
Cv ley
258 MERCURE DE FRANCE
9A
ler aux Curieux et aux riches , vers la fin de sa
seconde Lettre , page 29. Un Alphabet ordinaire
contient 30 ou 40. pages , il est très -court et
très -clair. L'A B C de Candiac , dont on a obtenu
le privilege , mais qui n'est pas encore imprimé
est divisé en deux volumes qui contiennent 250.
leçons pour trois A B C Latins et trois François,.
et plus de cinq ou six cens pages , suivant le calcul
détaillé fait par l'Auteur , premiere Lettre
page 2 , 3 , 4 et 5. et seconde Let. page 23.et 24 ) .
Ce qu'on a mis dans le Mercure , pour donner
une idée et un précis de cet Ouvrage , est assez
obscur et confus , et à peu près du même gout
que l'Art de transposer toute sorte de Musique
donné au Public par le même Auteur en 1711.
dont deux celebres Musiciens qui l'ont depuis peu
examiné , à ma priere , avec attention , ont jugé
qu'il n'est pas clair , et que la plus grande utilité
qu'on en puisse tirer ,est de l'ignorer Parfaitement.
9%
Enfin un Alphabet ou on trouve des pages.
toutes entieres de syllabes et d'exemples de lectures
qui y sont proposez , peut servir aux Enfans
à bien employer ces premieres années de la vie ,
qui sont si précieuses , et donner matiere d'exercice
à leur mémoire , qui est alors la plus saine et
la plus parfaite de leurs facultez et presque la seule
dont ils puissent faire usage. Par lå on observe ce
beau précepte de Quintilien , ( L. 1. C. 1. ) Non
perdamus primum statim tempus atque eò
minus quod initia litterarum solâ memoriâ
constant; qua non modo jam est in parvis , sed
tum etiam tenacissima est . » Ne souffrons .
point qu'un Enfant perde ses premieres années,
et souffrons-le d'autant moins , que pour ces
commencemens de lettres il ne faut que de la
» mémoire , et que non-seulement les Enfans
en ont , mais qu'ils l'ont même très bonne et
très- fidele.
FEVRIER. 1731. 259
L'Auteur,qui cite quelquefois Quintilien quand
il croit qu'il lui est favorable , ne paroît pas faire
grand cas de ce précepte , puisqu'il ne parle jamais
d'exercer la mémoire des Enfans , et qu'il
paroît même peu approuver cette pratique , Lettre
5. page 2133. Ce qui est de certain , c'est
que son Systême et son Bureau typographique
n'y est point du tout favorable .
En voilà assez pour faire voir que ma troisiéme
proposition n'est pas moins veritable que la seconde,
et que l'Imprimerie en Colombier ne vaut
pas un A B C. bien composé et bien imprimé.
Avant que de finir cette Lettre , je fais une re
marque sur ce que l'Auteur dit , ( L. 2. p. 22. )
» que l'exercice du Bureau tipographique , bien
loin d'exposer les Enfans à être malades et à
rester nains et noüez , faute d'action , les entre
tient au contraire dans une bonne santé, dissipe
» peu à peu l'humeur noueuse qui les empêche de
> croître et leur allonge le corps , les bras et les
»jambes , dans la necessité où ils sont de prendre
» et de remettre les cartes aux plus hauts casse-
» tins du Bureau Typographique.
92
95
ود
Si cet avantage est aussi réel qu'on voudroit
nous le faire croire , pourquoi les Enfans gouvernez
par les Inventeurs de ce Bureau sont -ils
morts entre leurs mains ? Pourquoi le petit Candiac
, qui est si souvent cité dans ces Lettres comme
un prodige , et qui aimoit tant l'exercice du
Bureau Abecedique , n'a-t - il pas vécu au delà de
sa 8 ou 10 année? Au reste cette mort, qui d'une
part a été très-desavantageuse à l'Auteur de l'A
BC de Candiac , en lui enlevant un cher Disci →
ple ; lui a été d'une autre part assez avantageuse,,
puisqu'il peut nous alleguer sans cesse en faveur
de sa Méthode , un témoin que nous ne pouvons
ressusciter. D'ailleurs si on fait tant valoir le Bur
Cvj
ream
26 MERCURE DE FRANCE
reau , parce qu'il donne de l'exercice et de la santé
aux enfans , combien ne doit- on pas estimer
par cet endroit la coutume de les faire aller à pié
matin et soir aux petites Ecoles et aux Colleges ?
Je finis cette Lettre , qui vous paroîtra peutêtre
trop longue , par une reflexion de l'Auteur ,
qui m'a frappé , et qui ne peut manquer d'être
très-utile à un Lecteur judicieux et qui sçait faire
son profit de tout ce qu'il lit. On doit , dit - il ,
» ( L. 2. P. 27. ) regarder comme suspectes les
Méthodes mysterieuses et hierogliphiques , qui
annoncent & promettent des miracles , ou des.
choses au-delà de l'esprit humain : une bonne
Méthode exige la franchise et la generosité
» qu'inspire l'amour du bien public... L'incrédu
→ lité du Public n'est pas sans fondement, on voit
» tant de Charlatans , de visionnaires et d'impos-
» teurs , de toute classe , qu'il y auroit de la foiblesse
, de l'imprudence et même de la folie à
» les croire sur leur parole.
30
à
Quintilien ( L. 1. C. 1. ) après avoir recommandé
aux peres et aux meres de choisir pour
leurs enfans les meilleures Nourrices pour les allaiter
, et les meilleurs enfans de leur âge pour
leur tenir compagnie , ajoûte sur le choix des
Maîtres un précepte qui a beaucoup de rapport
ce qu'on vient de lire . A l'égard des Précepteurs
» qu'on donne aux Eafans , ce que j'ai , dit- il , à
recommander le plus , c'est qu'ils soient veritablement
habiles , ou qu'ils sçachent du moins
qu'ils ne le sont pas car je ne vois rien de
pire au monde , que ces gens , qui parce qu'ils
ont quelque legere teinture de Lettres , s'imaginent
être fort sçavans , et se donnent pour
tels . C'est en vain que vous voudrez les redresser;
ils croyent en sçavoir plus que tous les
Maîtres , et fiers de leur autorité comme ils
sont
FEVRIER . 2.61
173 .
"
5)
» sont ordinairement, ils enseignent leurs sottises
jusqu'à se mettre en fureur contre qui ose les
» contredire , souvent même leur ignorance ne
» nuit pas moins aux moeurs. De padagogis hoc
amplius ( dictum sit, ) ut aut sint eruditi planè,
quam primam esse curam velim aut se non
esse eruditos , sciant. Nihil enim pejus est irs
qui paulum aliquid ultra primas litteras pregressi
, falsam sibi scientia persuasionem induerunt.
Nam et credere pracipiendi peritis
indignantur , er jure quodam potestatis , que
ferè hoc hominum genus intumescit , imperiosi
atque interim savientes , stultitiam suam perdocent.
On voit par là , comme dit un de nos plus excellens
Poëtes , que le monde n'a jamais , manqué
de Charlatans , et que cette Science de tout tems
fut en Professeurs très - fertiles . Je suis , Monsieur
, &c..
LE ROMAN COMIQUE ,
CHAPITRE TROISIE'ME ,
POEME BURLESQUE..
Le déplorable succés qu'eut la Comédie..
Dans Ans chaque Ville du Royaume ,.
Pour l'ordinaire un Jeu de Paume ,
Est le plus noble passe - temps ,
D'un grand nombre de faineans ;
C'est-là tous les jours qu'on s'assemble
Ceux +
262 MERCURE DE FRANCE..
Ceux-cy pour y jouer ensemble ,
Ceux-là pour voir ; c'est dans ce lieu ,
Qu'on rime richement en Dieu ,
Que subtilement on harangue ,
Qu'on donne de bons coups de langue ,
Qu'on épargne peu le Prochain ,
Et qu'on jure souvent en vain ;
On n'y fait quartier à personne ,
Et chacun se perfectionne ,
Selon le bon talent railleur ,
Que l'on a reçû du Seigneur ;
On s'y pille et l'on se devore ,.
Enfin l'on vit de Turc à More ,
C'est dans un de ces Tripots - là ,
Je n'ai pas oublié cela ,
Que j'ay laissé trois gens comiques ,
Qui devroient passer pour tragiques ,
Récitant d'un ton merveilleux ,
La Mariane aux blonds cheveux ,
Devant une Assemblée entiere ,
Ou présidoit la Rapiniere ,
Vous jugerez dans un instant ,
Qu'il étoit fort bon Président ,
Ou du moins qu'il avoit bon crâne 3
Au tems qu'Hérode et Mariane ,
Sans aucunes formalitez ,
S'entredisoient leurs veritez ,
Et s'échauffoient un peu la bile,
Les
FEVRIER. 1731. 263
Les deux jeunes gens de la Ville ,
Dont on avoit pris les habits
Accoururent dans le Taudis
En calleçons , en chemisettes ,
Et tenant encor leurs Raquettes ;-
Ils ne s'étoient point fait froter ,
Négligeant de se rajuster ,
Pour venir à la Comedie ;
Ce fut belle ceremonie ,
Els devinrent tous deux bouffis ,
Si -tôt qu'ils virent leurs habits ,
Que portoient Hérode et Pharore ,
Fils de chienne , double Pécore ,
Dit l'un d'eux qui n'etoit pas sot ,
Parlant au Valet du Tripot ,
Je veux te payer ton salaire ,
Qui t'a fait assez témeraire ?
Pour donner ainsi nos habits ,
A ces deux Bâteleurs maudits ,
Il faut morbleu que je t'écrase.
Le Valet étoit en extase ;
Comme il appréhendoit le mal ,
Et qu'il sçavoit que ce brutal ,
Battoit fort souvent sa Servante ,
Il lui dit d'une voix tremblante ,
Que ce n'étoit vrayement pas lui ,
Et qu'il avoit bien de l'ennui ,
De ce qu'on le croyoit capable ,
D'un
£54 MERCURE DE FRANCE.
D'un tour aussi desagréable ;
Et qui donc , barbe de cocu
Ajoûta- t- il tout éperdu.
Le Valet aima mieux se taire ,
Que d'accuser la Rapiniere ,
Mais lui se levant dans l'instant
Répondit d'un ton insolent ,
Comme s'il avoit quelque empire ,
C'est moi , morbleu , qu'en veux-tu dire è
Que tu n'es qu'un sot , qu'un faquin ,
Reprit l'autre , en levant la main ,
Et lâchant un coup de raquette ,
Qui lui fit faire une courbette..
Rapiniere fut si surpris ,
Du forfait de ce mal appris ,
Lui qui dans une telle affaire ,
En usoit ainsi d'ordinaire ,
Qu'il demeura comme endormi ,
Soit pour admirer l'ennemi ,
Ou bien parce que le Compere ,,
N'étoit point assez en colere ,
Pour se batre devant témoins 2
Ne fut-ce qu'à grands coups de poings ;;
C'étoit là le tems d'en découdre ,
Il avoit peine à s'y résoudre ,
Et peut- être que ce débat ,
N'auroit pas fait naître un combat ,
Sidans l'instant son Domestique,
Beau
FEVRIER . 1731. 265
Beaucoup plus que lui colerique ,
N'eût empoigné cet Aggresseur ,
En lui donnant de tout son coeur ,
Sans le marchander davantage,
Dans le beau milieu du vifage ,
Pour mieux dire sur le grouin ,
Un effroyable coup de poing
Avec toutes ses circonstances
Et même avec ses dépendances ,
Ensuite plusieurs autres coups ,
Et pardessus et pardessous ;
De plus le sieur la Rapiniere ,
Le prit finement par derriere ,
Comme étant le plus offensé ,
Il l'avoit déja terrassé ;
Un parent de cet Adversaire ,
Prit de même la Rapiniere ,
Mais ce parent fut investi ,
Par quelqu'un de l'autre parti,
Celui-ci le fut d'un troisième ,
Et celui- là d'un quatriéme ;
Tous dans ce vilain galetas ,
Se batoient comme chiens et chats ;
Chacun juroit à sa maniere ,
Et cependant la Tripotiere ,.
Voyant ses meubles renversez ,
Et plusieurs Escabeaux cassez ;
Faisoit des cris épouventables ,
Donnant
256 MERCURE DE FRANCE
Donnant ces gens à tous les diables.
Il est vrai qu'il faut convenir
Que chacun y devoit périr ,
Par coups de poings , de pieds , de chaises ,
Et cent tapes aussi mauvaises ,
Si quelques -uns des Magistrats ,
Qui promenoient alors leurs rats
Avec le Sénéchal du Maine ,
N'eussent entendu cette Scene
Et ne fussent accourus là ,
Afin d'appaiser tout cela.
On ne sçavoit trop comment faire ,
Dans une si cruelle affaire.
Plusieurs d'entre eux dirent tout beau ,
Qu'on jette deux ou trois sceaux d'eau,
Sur cette chienne de canaille ,
Qui trop rudement se chamaille,
Le remede si bien choisi ,
Auroit peut- être réussi ;
Mais la trop grande lassitude ,
Que causoit un combat si rude ,
Fit séparer tous ces Mutins ,
Outre que deux bons Capucins ,
Bien barbus et de riche taille ,
Vinrent sur le champ de bataille ,
Pour tâcher d'y mettre une paix ,
Non tout-à-fait bien ferme , mais
Pour faire accorder quelque tréve ,
Sur
FEVRIER. 257. 1731 .
Sur une attaque si griéve ,
Et cependant négocier ,
Sans pourtant préjudicier ,
Aux differentes procedures ,
Chacun voulant sur ces blessures ,
Faire des informations ,
Et prendre des conclusions .
Le Destin fit mille proüesses ,
De cent differentes especes ,
Dont on parlera bien long-temps ,
Dans la belle Ville du Mans ,
Aucun des Bourgeois n'en ignore
Même à present l'on parle encore
Du Comédien si vanté ,
Suivant ce qu'en ont rapporté ,
Les deux Auteurs de la querelle
Qu'il releva de sentinelle ,
Et qu'il pensa rouer de coups ,
Pendant qu'il étoit en courroux ,
Outre quantité d'adversaires ,
Qui reçurent les étrivieres ,
En les mettant hors de combat ,
Durant le terrible sabat ,
Il perdit pourtant son emplâtre,
Et ce bel homme de Théâtre ,
Fit voir à tous les Spectateurs ,
Malgré les coups et les clameurs ,
Qu'il avoit aussi bon visage ,
Que
268 MERCURE DE FRANCE.
Que bon air et gentil corsage.
Les nez sanglans furent lavez ,
On changea les collets troüez ,
On appliqua quelques emplâtres ,
Sur tous les plus opiniâtres ;
Un certain Soldat indiscret ,
Perisa quelques - uns du secret ,
L'on fit même des points d'éguille
Et l'on eut besoin de bequille ;
Les meubles furent ramassez "
Non sans être un peu fracassez ;
Le tout étoit vaille que vaille.
Il ne resta de la bataille ,
Malgré ce bel et bon traité ,
Que beaucoup d'animosité ,
Qui paroissoit sur le visage ,
De ces grands faiseurs de tapage ;
Mais les pauvres Comédiens ,
Ne grognant pas moins que des chiens ,
Que l'on veut pincer par derriere ,
Sortirent avec Rapiniere ,
Qui verbalisa le dernier ,
Car il entendoit le mêtier.`
Passant du Tripot sous la Halle
Six ou sept de même cabale ,
S'en vinrent l'épée à la main ,
Et les entourerent soudain ,
Il n'est pas aisé de se batre ,
Quand
FEVRIER. 269 17317
Quand on en voit sept contre quatre ,
La Rapiniere, homme d'honneur ,
A l'ordinaire eut grande peur ,
Il auroit eu bien autre chose ,
C'est - à-dire en Vers comme en Prose .
Qu'on lui donnoit un coup fouré ,
Si le Destin ne l'eût paré ,
Cependant malgré la parade ,
Ce terrible coup d'estocade ,
Lui blessa tant soit peu le bras ,
Mais Destin fit bien du fracas ;
Il pourfendit deux ou trois têtes ,
Ce fut conquêtes sur conquêtes ,
Il rompit deux Estramaçons ,
Dont il fit voler les tronçons ,
Il abatit beaucoup d'oreilles ,
En un mot , il fit des merveilles ,
Et le fameux Comédien ,
Déconfit ces Meffieurs si bien ,
Qu'on disoit que du Mans à Rome ,
Il n'étoit point de plus brave homme,
Ce guet- à-pan bien repoussé ,
Avoit , dit- on , été dressé ,
Au Seigneur de la Rapiniere ,
Qui ne cherchoit point à mal faire ,
Par deux petits Nobles , dont l'un ,
N'estoit presque jamais à jeun ,
Et l'autre étoit , je croi , beau- frere ,
De
27 MERCURE DE FRANCE
De celui qui tout en colere,
Avoit commencé le débat ,
Et livré d'abord le combat ,
Par un très - grand coup de raquette ,
Réellement faisant retraite ,
La Rapiniere étoit gâté ,
Si Dieu n'avoit pas suscité ,
Dans cette affaire formidable ,
Un deffenseur incomparable ,
En ce vaillant Comédien ,
Qui fut son unique soutien.
Un si grand bien-fait sans reproche ;
Trouva place en son coeur de Roche ,
Car il avoit pensé périr ;
Il ne voulut jamais souffrir ,
Que cette Troupe si chérie ,
Logeât dans une Hôtellerie ;
Il mena les Comédiens
Chez lui pour les combler de biens ,
Où le Chartier fort pacifique ,
Mit tout le bagage comique ,
Et s'en alla sans se fâcher ,
Pour moi je m'en vais me coucher.
Par M. le Tellier d'Orvilliers , Lieutenant
General d'Epée , à Vernon.
LETTRE
FEVRIER.
1731. 271
LETTRE de M. le Beuf, Capitaine
de Milice Bourgeoise de la Ville de Joiécrite
aux Auteurs du Mercure sur
gny ,
la bonté des vins de Joigny.
E n'est pas la premiere fois , Mes-
Csieurs ,que le mérite des vins Bourguignons
a occupé votre Journal. On a
lu avec plaisir ce qui parut sur ce sujet
dans les Mercures de Novembre et Decembre
1723. et dans celui de Septembre
1724. on y vit célebrer les vins d'Auxerre
avec tous les ornemens Historiques et
Poëtiques dont on pût s'aviser. L'Auteur
de ces éloges se laissa peut-être un peu
trop prévenir par l'amour de la Pattie ;
dequoi cet amour n'est-il pas capable ?
Pour nous , Messieurs , en vous priant
de rendre public ce que nous prenons la
liberté de vous écrire sur la bonté de nos
vins , nous n'employerons point tant
d'emphase , nous ne prodiguerons pas
l'érudition.
Ornari res ipsa , negat contenta deceri, Hor,'
Notre principal but est de publier
notre reconnoissance envers le Ciel , qui
nous
272 MERCURE DE FRANCE .
nous a donné cette derniere année une
vendange des plus abondantes ; et quelle
vendange encore ! des vins d'une excellente
qualité , des vins qui , pour parler
le langage du Pays , ont eu le bouquet
sur tous les vins des environs , ensorte
que
ceux d'Auxerre même si vantés , comme
on l'a dit , n'en approchent pas ; aussi
Le débit en est si grand , et il s'en fait un
tel transport , qu'à peine en restera - t'il
pour la boisson de nos Habitans.
C'est cette liberalité du Ciel qui m'a
engagé à mettre sur le papier quelques
Remarques que j'ai faites au sujet de la
qualité de nos vins , qui ordinairement
Re cedent en rien à ceux de nos voisins ,
et peuvent aller de pair avec les meilleurs
d'Auxerre , soit qu'on en regarde la force
ou la vigueur , ce qu'on appelle communément
vin , soit qu'on en considere la délicatesse
, étant bons , délicieux , et mousseux
, sans être sujets à tirer sur la graisse,
toutes qualités inséparables d'un vin parfait
, et qui ne se trouvent pas toujours
rassemblées dans les meilleurs vins. Une
autre vertu particuliere aux nôtres , c'est
de pouvoir se marier avec toute sorte de
vins , en les augmentant en force et en
bonté ; en un mot , notre vin est le veritable
vinum generosim et lene de Pline ; on
ne peut pas mieux ni plus brièvement
en
FEVRIER. 1731. 273
en exprimer le mérite et la qualité . Il est
du goût de tout le monde , et nos Emules
même lui ont rendu justice , et l'ont
exalté plus d'une fois .
Par cette expression j'entens , Messieurs
, particulierement les Citoyens
d'Auxerre ; les vignobles de cette Ville
et ceux de Joigny se ressemblent en
plusieurs manieres ; aussi produisent- ils
les uns et les autres de bons et d'excellens
vins . Cette ressemblance et cette production
ont donné lieu à de fréquens paris
entre des personnes de l'une et de l'autre
Ville, et plus d'une fois des Arbitres
désinteressés et sinceres ont adjugé le prix
aux vins de Joigny.
و
le
nom
C'est dommage que Pline qui a
parlé de tant de choses , en donnant ,
comme on vient de l'observer ,
de generosum &c. à un vin parfait , n'ait
pas ajouté que cette grande qualité est capable
d'influer sur la géneration ; j'aurois
par là une autorité pour alleguer ici
notre Proverbe , qui dit que le bon vin
fait faire des Enfans mâles ; je vous prie
cependant de me le passer ,
cela pourra
réjouir les Lecteurs. Si nous manquons
d'autorité , nous avons pour nous l'experience
, qui confirme par son suffrage la
superiorité de nos vins. Nous avons en
effet à Joigny la moitié plus de garçons
Ꭰ
que
274 MERCURE DE FRANCE.
que de filles , et toutes proportions gasdées
, on y compte plus d'Enfans mâles
que dans toute autre Ville de la Province.
Mais revenons à mes Remarques qui
doivent établir les causes Physiques de la
bonté de nos vins.
Le terroir de nos vignes est extrémement
leger , et le sol si délicat , que les
seps ne peuvent supporter la perche, comme
aux autres endroits où la terre est
plus grasse et plus compacte , aussi nos
seps ne se plaisent pas à être disposés en
treille , comme aux vignobles d'Auxerre,
où l'on voit les seps s'étendre de la longueur
d'une toise ; ici chaque sep est
attaché à son échalas , et s'il s'étend , ce
n'est jamais au delà de deux ou trois piés
de sa souche . Ce terrain leger et délicat
au reste , tel que celui de nos vignes , est
le même que Virgile conseille de choisir
pour cette plante .
>
Nunc quoquamque modo possis cognoscere
dicam .
Rara sit , an supra morem si densa requiras :
( Altera frumentis quoniam favet , altera Baccho
;
Densa magis Cereri , rarissimaquaque Lyao . ')
Georg. II.
Il ne faut pas être Vigneron pour convenir
de l'avantage que le fruit d'une vigne
FEVRIER. 1731 275
1
conségne
taillée comme les nôtres à 3. à 4.
piés de terre, a sur le raisin d'une treille ;
le premier meurit sans doute mieux , et
est incomparablement plus doux que
l'autre ; le premier , si cela se peut dire ,
est plus delié , plus leger , et
et par
quent le meilleur. A la verité , nos Vignes
ne sont pas si abondantes qu'ailleurs
dans des terres basses où le bled croîtroit
beaucoup mieux que sur nos côtes extrê
mement élevées ; mais si nos seps en sont
plus courts , les raisins , comme je l'ai
déja dit , en sont plus délicats et plus
doux , les grains en étant moins gros et
moins serrés.
Enfin l'experience apprend que de deux
arbres , l'un extrémement chargé de fruit,
l'autre n'en portant que médiocrement" ,
le fruit de celui- ci se trouve toujours le
meilleur ; l'application est aisée à faire.
Je ne dois pas oublier ici , à l'avantage
de nos vignes , que ce n'est pas le fumier
qui les rend fécondes ; nous ne suivons
point en cela l'exemple de nos voisins
n'ignorant pas que ce secours utile d'un
côté , est pernicieux de l'autre , en ôtant
au vin sa principale vertu , je veux dire
sa qualité. Nous ne fumons que certaines
vignes en certains cantons , dont le vin
est destiné aux Ouvriers et aux Domestiques
; nous nous souvenons trop bien
Dij du
276 MERCURE DE FRANCE .
du fatal exemple des Vignobles de Sillery
: les Proprietaires charmés de la bonté
, de la réputation et du débit de leurs
vins , voulurent , pour ainsi dire , forcer
la nature à augmenter ses dons ; le fumier
leur parut propre à produire cet effet ,
mais l'issue en fut triste , cet excellent
vin a si fort degeneré depuis , qu'il ne
peut plus être comparé avec les bons de
la même Paroisse .
: nous
L
Un autre avantage , qui ne peut
être contesté c'est l'heureuse
exposition des Vignobles de Joigny qui
regardent tous le Soleil Levant ou le Midi
, ce qu'on ne peut pas dire de tous
ceux d'Auxerre. Cette exposition jointe à
la bonté et à l'Analogie du fonds , ne peut
que produire d'excellens vins . En un mot,
les vignes aiment particulierement le
grand Soleil et les hauteurs , le grand
Maître que j'ai déja cité l'a expressément
dit.
•
Denique apertos
Bacchus amat colles &c.
Et un excellent Poëte moderne , * dont
les Géorgiques approchent fort de l'Ouvrage
de Virgile , le confirme en ces termes
:
* Jacobi Vanierii , è Societate Jesu , Prædium
Rusticum L. VII , et VIII.
Optima
FEVRIER.
1731. 277
Optima jejuni colles , largissima campi ·
Vina dabunt .. ·
·
Tu selige collem
Vitis ubi tepidos spectet generosior Austros.
Et ailleurs.
•
Vinum fert nobile collis ad Austros
Editus , invalidum dant aquora plana liquo¬
rem.
Ce grand Poëte s'étoit auparavant expliqué
sur la nature du terroir qui convient
le mieux à la vigne , et son choix ,
conforme à celui de Virgile , confirme ce
que j'ai dit sur la bonté de notre fonds."
Qua levis est tellus , Austrisque obverſa ,
nec ullo ,
Si liceat , lacerum pectus violata ligone ,
Optimus ille ager est ;
Il confirme aussi ce que j'ai observé
de la maniere d'élever nos vignes , dont
les seps ne s'étendent point trop &c.
Melior de vite jugatâ ,
Quò propriore solo fruitur , vindemia pendet.
Caudice qua brevior , terra vicina reflexi ,
Auxilio folis feliciùs excoquit uvas .
Il faut avouer ici que la Providence
nous a bien favorisés , en nous environ
Diij nant
278. MERCURE DE FRANCE .
nant de collines , dont la hauteur et l'exposition
nous répondent de la bonté et
de la fecondité de nos vignobles. Quel
ques unes de ces collines , ou plutôt de
ces heureuses montagnes , sont si roides
et si escarpées , que lors de la vendange
les charois n'y peuvent arriver qu'en farsant
de longs circuits ; au lieu que la plus
élevée colline d'Auxerre , qui n'a pas à
beaucoup près cette pente , est traversée
par le grand chemin dans toute sa largeur.
C'est cependant là que sont situées
ces côtes de Migraine et de Clerion , st
vantées dans le Mercure. A notre égard,
c'est tout le contraire , le plus haut de
nos collines est occupé par les Vignobles
qui s'en trouvent bien mieux , et
les grands chemins sont au pied des collines
.
On ne peut , au reste , passer par là
sans admirer la situation merveilleuse de
ces Vignobles , qui continuent l'espace
de deux grandes lieuës ; on diroit qu'on
en a affecté l'alignement avec beaucoup
d'art , et on a peine à comprendre comment
le Vigneron peut grimper et tiavailler
sur des lieux ainsi situés .
que Je vous ai déja dit , Messieurs ,
l'érudition ne sera pas prodiguée dans cet
Ecrit , ainsi je me dispense de vous dire
que l'origine des Vignes de Joigny est
aussi
FEVRIER. 1731. 279
aussi ancienne que le retour des Gaulois
du pillage de Clusium , en Italie , nous
avons autant de droit de le prétendre que
Mrs d'Auxerre. Nos Emules n'ont rien pû
dire de l'ancienneté de leurs vignobles
que nous ne puissions nous attribuer
nous sommes , en effet , trop voisins pour
que nos Ancêtres n'ayent pas bû leur
bonne part du vin qu'Arunte fit passer
dans les Gaules pour se venger de sa Patrie
, afin d'en attirer les Colons ; ce Peuple
passa bientôt les Alpes , amorcé par
cette précieuse liqueur.. >
Il est , dis-je , fort croyable que nos
Ancêtres et les Sénonois eurent leur part
de ce vin et des dépouüilles de Clusiums
mais aussi est- il à présumer qu'ils partagerent
quelque tems après l'infortune qui
leur arriva , lorsque les Sénonois furent.
taillés en pieces , selon les Historiens.
Je pourrois encore adopter ici en faveur
de nos vins la prétendue étimologie
de Migraine
, nom d'une côte celebre
près d'Auxerre ; le Panegyriste des vins
Auxerrois l'a tiré de Mithra , nom que
les Perses ont donné au Soleil , lequel ,
dit-il , a passé chez les Latins , et par leur
moyen chez les Gaulois &c. nom enfin
qui après bien des variations et des métamorphoses,
a composé celui deMidrana,
puis Migrana et Migraine.
D iiij
Er
280 MERCURE DE FRANCE
En admettant cette étimologie , c'est
encore un sujet d'éloge pour nos meilleurs
vins ; car nous avons aussi nos Migraines,
c'est-à- dire , des côtes qui portent ce même
nom , dérivé , selon le Panegyriste
d'Auxerre , du nom Oriental de l'Astre ,
dont les vignobles en question reçoivent
tous les jours de si benignes influances.
.
Mais en laissant cette conjecture étimologique
et autres semblables , alleguées
dans le Mercure par nos Emules , en fa-.
veur de leurs vins , pour ce qu'elles peuvent
valoir , je ne puis m'empêcher d'en
proposer ici une qui me paroît d'autant
plus vrai semblable qu'elle est plus simple.
Oui , Messieurs , je suis persuadé avecplusieurs
bons esprits que notre Canton
de Balerne dont les vins sont si exquis ,
tire son nom original de Falerne , Mon- .
tagne , comme tout le monde sçait , de la
Campanie , près de Pouzol , à 2. lieues de
Naples , renommée par ses excellens vins,
dont Pline a parlé , et que les meilleurs
Poëtes Latins ont celébrés . Je suis , dis- .
* Le Canton de Baierne est près la Seigneurie
de Looze , où est un Village de méme nom
et un Château de distinction qui appartientavec
la Seigneurie à Madame de Vaiange , Dame
aussi illustre par sa naissance que par son
esprit et par son inclination pour les Belles-
Lettres.
je ,
FEVRIER. 1731. 281
je , persuadé que d'abord , par raison de
convenance , on a nommé ce Canton ou
cette côte une autre Falerne , nom dont
le changement d'une seule lettre a depuis
fait celui de Balerne , qu'on lui donne
aujourd'hui ; on a cent exemples de pareils
changemens
.
na-
Quoiqu'il en soit , je ne crois pas ,
qu'après les observations toutes
turelles que je viens de faire , M" d'Auxerre
soyent fondés à nous rien contester
sur la qualité et sur l'excellence de
nos vins , qui n'ont jamais été inférieurs
aux leurs , et qui souvent les ont surpassés
; nous pourrons leur ceder en autre
chose , quand la raison et la justice
le demanderont : nous n'avons pas trouvé
mauvais qu'ils ayent fait imprimer dans
un Mercure l'avantage prétendu que
leurs joueurs de longue paume remporterent
, selon eux , sur les nôtres , il y a
quelque tems , quoique le narré soit un
peu hyperbolique . Une seule chose auroit
pû nous déplaire ( mais nous l'avons méprisée
comme elle a choqué quantité
d'honnêtes gens , qui en lisant le Couplet
qui termine le Narré dont je viens de
parler , ont été surpris que le bon vin
d'Auxerre n'ait pû produire parmi tant
de gens qui se mêlent de rimer dans cette
Ville , qu'un miserable rapsodie , un vrai
D v Pont
1
282 MERCURE DE FRANCE
Pont-Neuf, je vous en laisse les Juges.
Je ne sçai si , toute rancune à part , on
ne pourroit pas risposter presque sur les
mêmes rimes et sur le même Air des Folies
d'Espagne ou des Folies d'Auxerre , le
Couplet que voici :
Chers Auxerrois, si vous voulez m'en croire
Contre Joigny ne lancez plus vos traits ;
Occupez-vous du noble soin de boire ,
Ou rimez mieux , ou ne rimez jamais.
Je suis , &c.
A Joigny , le 15. Janvier 173 .
****************
LETTRE de M. D. à Mad D ...
au sujet du Cordon Bleu que le Roi a accordé
à M. le Marquis D ...
Ous l'avez voulu Madame
V
quand
et
quand vous commandez quelque
chose , quel moyen de vous resister ? Ce
petit Ouvrage est un enfant d'obéissance;
vous êtes engagée à le soutenir ; s'il y a
quelques fautes , elles ne partent que de
F'esprit , et le coeur n'y a pas la moindre
part. Vous sçavez bien , Madame , qu'il
est plein d'attachement et de respect pour
yous et pour tout ce qui vous touche.
FEVRIER. 1731. 283
Chevalier
A M. le Marquis D ...
des Ordres du Roi.
Q U'il vous sied bien ce grand Manteau
Seigneur , dont la riche parure
Aux dons que vous fit la nature
Ajoûte un ornement nouveau !
Que l'éclat dont vous environne
Un si pompeux habillement
S'accorde en tout parfaitement
Aux graces de votre personne.
Cependant de si beaux dehors ,
Par une grandeur apparente ,
Ne pourroient remplir notre attente
S'ils n'enfermoient d'autres trésors.
1
J'entends une ame bienfaisante ,
Un coeur droit , un fonds de bonté ,
Qui de la génerosité
Fait votre vertu dominante.
C'est par ces rares qualités
Que vous sçavez vous rendre aimable
Et que vous êtes respectable
Autant que par vos dignités ..
Puisse le glorieux salaire
D'une ancienne fidelité ,
Trois fois acquis et merité
Etre chez vous héreditaire.
Seigneur , songez y tout de bon ,
D vj Vous
284 MERCURE DE FRANCE.
Vous sçavez qu'en pareille affaire
Il est besoin d'un Rejetton ,
Et que
c'est à vous à le faire.
Pour mieux assurer vos plaisirs
Par une heureuse destinée ,
Aux douceurs d'un noble hymenée
Excitez vos justes desirs.
Qu'enfin au gré de votre envie
Le Ciel vous fasse un siecle d'or
Et que sur les ans de Nestor
Il regle ceux de votre vie.
Agréez ces voeux les plus doux.
Qu'une Muse reconnoissante ,
Sous le poias des ans chancelante ,
14
Du fond du coeur forme pour vous.
A Paris le 2. Fevrier 1731. A..
のののののの
ELOGE de Madame de Bois de la Pierre.
Lettre écrite à M. D. L. R. par M. A.
D. V. D.
J
E m'acquite , Monsieur , de ce que
je vous ai promis au sujet de la mort
de Madame de Bois de la Pierre . Tout
notre Canton s'interesse tellement à la
Ferte que nous avons faite de cette pieuse
et sçavante Dame , qu'il a fallu laisser
passer
FEVRIER. 1731. 285
passer quelque tems pour recueillir de
ses Parens et de ses amis affligés les instructions
dont j'avois besoin pour rendre
à sa mémoire les devoirs qui lui sont
si legitimement dûs , et pour satisfaire
aussi à mon inclination et à mes engagemens.
,
par
Mais je dois vous dire Monsieur
avant toutes choses, que je n'aurois jamais,
eu cette satisfaction entiere , si je n'avois
pas été particulierement aidé la Lettre
que M. l'Abbé Morel de Breteuil ,
dont vous connoissez le mérite et la réputation
, écrivit sur ce sujet à Madame
de Courteilles , Religieuse Religieuse de Chaize-
Dieu , Monastere celebre de l'Ordre de
Fontevraud , et digne soeur de notre illustre
defunte , laquelle m'a aussi fait
l'honneur de me donner des instructions.
Cet Abbé étoit plus en état que personne
de faire connoître son veritable caractere,
et de parler dignement de ses rares qualités
, aussi a t'il fait un Portrait très - ressemblant
et des mieux executés , comme
vous le verrez dans la suite de ma Lettre.
Louise Marie de Lanfernat nâquit au
Château de Courteilles le 4. Decembre.
1663. de parens nés dans la Religion
P. R. Ils éleverent leurs Enfans dans
cette même secte ; mais Dieu ayant éclairé
en differens tems le Pere et la Mere , it's
firent
286 MERCURE DE FRANCE
firent aussi en differens tems leur abju
ration , exemple qui fut suivi des deux
filles qui composoient alors toute leur
famille , sçavoir , la Dame dont il s'agit
ici , et Madame de Courteilles , sa soeur ,
aujourd'hui, comme je l'ai dit , Religieuse
de Fontevraud ; elles eurent un frere qui
fut tué à l'Armée.
1
>
La premiere se trouvant au décès de
ses pere et mere seule heritiere de son
nom et de sa Maison en Normandie
par conséquent Dame de Courteilles le
Guerin , du Teil , de Chammoteux & c.
épousa François de l'Omosne , Seigneur
de Bois de la Pierre , Exempt des Gardes
du Corps du Roi , Chevalier de S. Louis,
lequel fut tué en 1709. à la Bataille de
Malplaquay , dont elle n'eut point d'Enfans.
Madame de Bois de la Pierre fut sensiblement
touchée de cette perte ; mais
soumise aux ordres du Ciel , elle mit à
profit son adversité , et ne s'occupa presque
plus que de sa Religion . Le tems qui
fui restoit après ses exercices de pieté fur
rempli par l'étude , et destiné à entretenir
un agréable commerce , avec un nombre
choisi de personnes vertueuses et
éclairées , ce qui a duré jusqu'à sa mort.
Pour entrer là- dessus dans quelque détail
, empruntons une meilleure plume
que
FEVRIER . 1735. 287
que la mienne. Trouvez bon , Monsieur,
que j'inserc ici la Lettre de l'illustre Abbé
dont je vous ai parlé au commencement;
vous m'en sçaurez gré , et le Public avec
yous.
גכ
Ce n'est point négligence , Madame,
c'est surprise , si j'ai differé jusqu'à ce
»jour de vous écrire ; on m'avoit assuré
>> qu'on vous avoit caché la perte que vous
avez faite agréez donc que je joigne
>> mes regrets aux vôtres , ils ne sont que
trop justes ; mais je vois un moyen in-
> nocent de les adoucir ; vous trouverez
» bon que je le mette en oeuvre pour
votre consolation et pour la mienne,
» C'est , Madame , de retracer à nos
>>yeux quelques- uns des traits qui ont
>> rendu cette chere defunte si digne de
>> l'amitié et de la veneration des person-
» nes qui la connoissoient , et qui ont eu
avec elle quelque relation ."
» Avec un esprit solide , capable des
» choses les plus relevées , et rempli des
>> lumieres que peut donner une longue
»application , Madame de Bois de la
»Pierre étoit d'une modestie admirable
» et sa bonté naturelle lui faisoit trouver
» du plaisir à converser avec les person-
»nes les plus simples , même avec des
»Enfans.
Un rare talent pour la Poësie qu'elle
avoit
288 MERCURE DE FRANCE
}
et
» avoit cultivé dès sa plus grande Jeu-
» nesse , ne lui enfla point le coeur ,
»les louanges que ce talent lui attira
» non plus que la liaison qu'il mit entre elle
» et les meilleurs esprits de son tems , ne
» la rendirent point présomptueuse. Elle
>> écrivoit en Prose avec une facilité , une
élegance , une précision qui étonnoient
» les plus habiles de ses amis , et elle en
» eut d'un génie fort au - dessus du com-
>>
>> mun.
Consultée sur toute sorte d'Ouvrages ,
» elle donnoit des avis remplis de justesse.
» Par tout y brilloient cette honnêteté et
» ces manieres gracieuses qui la firent tou-
» jours respecter des personnes qui avoient
» quelque goût pour la vraye et naïve po-
» litesse . Ce caractere domina chez elle
» dans tous les tems et dans toute sa con-
» duite.
ןכ
Sa plus forte inclination fut toujours
» d'obliger ceux qui avoient avec elle
quelque societé. Son extrême attention
» à eviter tout ce qui pourroit faire de la
» peine de sa part , lui avoit appris à dis-
» cerner les défauts opposés dans les au-
» tres. Elle y étoit bien sensible, mais elle
» étoit ingénieuse à les excuser ; les Es-
» prits vains , présomptueux , envieux
médisans , critiques , lui étoient fort à
charge ; elle se contentoit dans ces occafions
FEVRIER. 1731. 289
casions de quelques traits délicats , ca-`
» pables de corriger des personnes intel-
» ligentes et attentives , sans choquer
>> inutilement celles qui manquent de ces
» qualités.
La bonté de son coeur éclatoit sur tout
» dans sa Maison , jamais elle ne contrista
>> sans une necessité bien marquée aucun
» de ceux qui la servoient ; rien ne la fla-
» toit plus que de voir regner chez elle
» un air de gayeté et de satisfaction , et
» elle ne dédaignoit pas d'en procurer de
>> tems en tems les innocens moyens.
» A l'égard de ses amis , elle ne croyoit
» jamais avoir assez fait pour eux ; elle
prévenoit leurs demandes avec un soin
qui alloit jusqu'au scrupule , et jamais
» ils ne lui en firent d'inutiles . Elle avoit
»
» pour les pauvres et pour les affligés une
» tendresse de Mere . Nulles paroles ne
» peuvent exprimer les sentimens qu'elle
» eut pour sa très digne soeur.
>>
"
»
Tout cela dans Madame de Bois de la
Pierre paroissoit comme naturel ; mais
» un grand fonds de pieté en relevoit infiniment
le mérite. Elle avoit embrassé
» la Religion Catholique dans toute la
sincerité de son coeur ; elle en avoit
» gouté et penetré l'esprit , et si sa naissance
, une excellente éducation et la
candeur de son ame avoient quelque
">
part
190 MERCURE DE FRANCE.
>
» part à tant d'actions dignes de l'estime
» du monde même , elle n'ignoroit pas
» l'essentiel , qui est de faire tout dans
» la vûë de plaire à Dieu. C'étoit une
>> douceur toute chrétienne une sage
» humilité , une charité éclairée qui for-
» moient une conduite si exemplaire .
» L'apparence , ou si cela se peut dire ,
le phantôme de ces vertus peut bien se
>> rencontrer dans une fausse Religion et
» dans le parti de l'heresie , mais leur réa-
» lité ne se trouve que dans la vraye Egli-
» se , aussi ne se lassoit - elle point de ren-
» dre graces à Dieu de son heureux chan-
» gement.
Elle souhaita d'avoir dans sa Maison
» une Chapelle , afin d'assister tous les
» jours aux saints Mysteres , et de parti-
» ciper plus fréquemment à la victime
» de notre salut , car éloignée de son
» Eglise Paroissiale et des autres Eglises
» de son quartier , il s'en falloit beau-
» coup que sa dévotion ne fut satisfaite
>> sur ces points.
22
Ses longues infirmités et plusieurs
grandes maladies par lesquelles il a plû
à Dieu de la préparer à la mort , ne
»l'avoient point rendue d'une humeur
» sombre et fâcheuse ; on l'a toujours vûe
la même jusqu'à la fin . Je sens bien ,
disoit- elle , un peu avant que Dieu
Pait
FEVRIER. 1731. 29
W
l'ait appellée , que je n'ai plus qu'un
» soufle de vie ; mais par la bonté divine,
»je ne me trouve point fort effrayée de
» cette derniere heure : j'ai une entiere
>> confiance dans le sacrifice du Sauveur.
>>
Enfin Dieu la frappa pour la derniere
»fois , et permit que son esprit fut pres
>> que aussi abbatu que son corps ; mais
" pour lui faire consommer le sacrifice
de sa vie d'une maniere plus parfaite ,
» pour consoler un peu sa Maison deso-
» lée , et pour édifier ceux qui entendroient
» parler de sa mort , il lui rendit toute
» sa raison , afin qu'elle participat aux
» Sacremens de l'Eglise , ce qu'elle fit
» d'une maniere touchante. Elle rendit
» ensuite son esprit à Dieu et mourut
» dans la paix du Seigneur le 14. du mois.
de Septembre dernier dans le même
» lieu où elle avoit pris naissance.
" Je prie Dieu pour elle , bien per-
»suadé qu'elle sera bientôt en état de me
rendre au centuple ce que j'aurai tâché
de faire pour le repos éternel de son
ame. J'ai l'honneur d'être en une sincere
societé de douleur avec vous , et
avec un très profond respect , Madame,
votre &c. figné MOREL , Prêtre.
A Breteuil le 18. Octobre 1739.
Je n'ai , Monsieur , que peu de chose
292 MERCURE DE FRANCE
à ajouter à ce que vous venez de lire . Il
est bon de ne pas vous laisser ignorer
que cette sçavante Dame a fait plusieurs
Ouvrages qui mériteroient d'être publiés.
Voici ceux qui sont venus à ma connoissance.
L'Histoire du Monastere de
Chaize-Dieu , dont elle étoit voisine , et
où demeure aujourd'hui Madame sa soeur,
dont les grandes qualités mériteraient dés
à présent un Eloge. Ce Monastere nommé
dans les Chartes Casa Dei , fut fondé
dans le 12. siecle par l'ancienne Maison
de Laigle ; il est très distingué dans l'Ordre
de Fontevraud , et encore aujourd'hui
il est composé de soixante Dames de
Choeur , de la premiere Noblesse des
quatre Diocèses qui l'environnent. Il est
de celui d'Evreux , et situé à deux lieuës
de Verneuil , de Breteuil et de Laigle , au
milieu de ces trois Villes. Vous en parlerez,
sans doute, dans la suite de votre Voyage
Litteraire de Normandie.
L'Histoire de l'ancienne Maison de Laigle.
La Genealogie avec les preuves de
toute la veritable noblesse de notre Pays;
on y voit la sienne avec toutes les preu-,
ves qu'elle avoit recueillies des Provinces
de Bourgogne et de Champagne , où il
y a encore des Branches de la Maison
de Lanfernat. Elle est originaire de Brie.
Un Gentilhomme de cette Maison vint
s'établir
·
FEVRIER. 1731. 293
s'établir dans le Perche en 1490. c'étoit
le Trisayeul de notre Sçavante . Lanfernat
porte d'Azur à trois Lozanges d'Or , deux
et une , un Casque de front , pour Supports
un Ange et un Sauvage , et pour Cri ou
Devise : QUI FAIT BIEN L'ENFER
N'A.
Elle a de plus rassemblé plusieurs Mémoires
pour servir à l'Histoire de Normandie
, dans lesquels il se trouve quantité
de choses curieuses qui regardent les
Comtes d'Evreux , les Ducs d'Alençon ,
les Comtes de Mortain , de Mortagne
de Ponthieu , de Breteuil & c.
Enfin cette Dame étoit en relation avec
beaucoup de personnes de Lettres d'un
nom distingué , comme le R. P. de Monfaucon
à qui elle a communiqué bien des
choses pour ses Monumens de la Monar
chie & c. M. de Fontenelle et autres
Membres des differentes Académies , dont
on a trouvé plusieurs Lettres dans son
Cabinet. On y a trouvé aussi l'Histoire
Génealogique de la Maison Royale de France
&c. que le feu P. Simplicien lui avoit
envoyée par reconnoissance des Mémoires
qu'elle lui avoit fournis en grand
nombre. Je n'oublierai pas le sçavant
Charles d'Hozier encore vivant , fils du
celebre Pierre d'Hozier , votre compatrioté
, que vous n'avez pas oublié dans
Marseille Sçavante &c.
Elle
294 MERCURE DE FRANCE
Elle étoit petite niéce de l'Abbé Tallemant
l'ancien , et niéce du dernier , dont
elle a gardé quantité de Lettres qui pourront
un jour faire une suite curieuse de
leur commerce Litteraire .
Quand les scellés apposés dans sa Maison
seront levés , j'aurai de plus grands
éclaircissemens à vous donner pour tout
ce qui concerne Histoire , Erudition
Littérature , par rapport à cette illustre
Dame. Je suis toujours , Monsieur &c.
A Evreux le 15. Decembre 1730.
܀܀܀܀
*************
J
PREMIERE ENIGME.
E suis tout seul quelquefois ,
Et j'ai quelquefois un frere ;
Nous suivons les mêmes loix
Par un chemin tout contraire.
Sans regret je suis caché
Dans une sombre demeure ,
Je l'aime tant , que je pleure
Lorsque j'en suis arraché ;
Quoique sans cesse je nage
Sur un perfide élement ;
Je ne crains point le naufrage ,
Et me noye à tout moment.
Je n'ai bras , ni pieds , ni tête ,
Je
FEVRIER . 1731 .
295
Je ne suis de chair ni d'os ,
Et si tôt que l'un m'arrête
L'autre trouble mon repos.
Q
SECONDE ENIGME.
Uand on me met au pied je marche sur la
tête.
Devine promtement , ou tu n'és qu'une bête.
Lamotte.
XXXXXXXXX: XXXXXXXXXXX
J
LOGOGRYPHE.
E ne suis qu'un Etre d'usage ;
L'on ne peut seul me le donner ;
Il faut être au moins deux pour le déterminer.
J'ai quafre membres en partage :
Un de moins , cuit ou crud je puis être mangé,
Voyez alors comme je suis rangé ,
Et faites en à rebours la lecture ,
Lecteur , dans la Sainte Ecriture
Une femme jadis a ce nom là porté.
En cet état transposez une lettre ,
Vous allez voir mon sexe disparoître
Avec le masculin il aura permuté,
Réunissez mon tout ; ôtez l'avant finale ,
Je forme un aimable concours
De
296 MERCURE DE FRANCE
De Ris , de Graces et d'atours ,
Sous deux Chefs revêtus de dignité Royale.
AUTR E.
SIx lettres forment tout mon nom ,
Qui marque le desordre et la confusion .
Dans ma premiere part chacun peut reconnoître
L'épithète d'un petit maître ;
Dans ma derniere il est aisé
De remarquer celui d'un vieux drap tout usé,
Du Vernay.
Le Tems est le mot de l'Enigme de
Janvier , et ceux de Chardon et Cidre
sont ceux des deux Logogryphes,
***************
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &c,
RE
EGLES CHRETIENNES pour faire
saintement toutes ses actions , dressées
en faveur des Enfans qui se font instruire
dans les Ecoles Chrétiennes . Outrès
- utile à toutes sortes de pervrage
sonnes qui veulent vivre dans la vraye
pieté
FEVRIER. 1731 297
pieté en Jesus-Christ , divisé en deux
Parties. Derniere Edition. Qua in juventute
tuâ non congregasti , quomodo in senectute
tuâ invenies ? Eccl. 25. 27. Com- 25.27.
ment trouverez- vous dans votre vieillesse
les vertus que vous n'aurez point acquises
dans votre jeunesse ? A Paris , chez
Gabr. Charles Berton , proche S. Nicolas
du Chardonnet , 1731.
CANTIQUES SPIRITUELS , sut
plusieurs points importans de la Religion
et de la Morale Chrétienne , pour les
Catéchismes et les Missions. Sur les plus
beaux Airs anciens et nouveaux.Vol.in 8.
A Paris , chez le même , 1731 .
INSTRUCTION Chrétienne pour les
personnes qui aspirent au Mariage , ou
qui y sont déja engagées. Avec un Traité
de l'Education Chrétienne des enfans
tirée de S. Jean Chrysostôme. In 12.
Nouvelle Edition , revûë et augmentée.
Idem.
PRIERE qui se chante aux Eglises
de S. Paul et de l'Oratoire , et à plusieurs
Paroisses , depuis le Samedi de devant
le premier Dimanche de l'Avent , jusqu'à
la veille de Noël inclusivement , avec
les Antiennes appellées O de Noël. Chez
le même Libraire.
E Nou298
MERCURE DE FRANCE
NOUVELLE METHODE pour réfùter
l'établissement des Eglises Prétendues
Réformées et de leur Religion , et pour
deffendre la stabilité de l'Eglise et de la
"Religion Catholique , Apostolique , et
Romaine dans sa possession perpetuelle .
Par M. Chardon de Lugny , Prêtre , Député
du Roi et du Clergé de France pour
les Controverses . Quay des Augustins ,
chez les freres Osmont , 1730. in 12 .
MEMOIRE Sur l'Article 497. de la
Coûtume de Bretagne , au sujet de la'
Subornation des filles mineures. A Paris ,
ruë de la Huchette , chez la Veuve Knapen,
1730. Brochure in folio .
OBSERVATIONS CURIEUSES Sur
toutes les parties de la Physique , extraites
et recueillies des meilleurs Auteurs .
Rue S. Jacques , chez Cl. Fombert , 1730 .
in 12. de cinq cens quatre-vingt six pages.
Tome troisiéme.
GRAMMAIRE HEBRAIQUE sans
points. Par M. Masclef, Chanoine d'Amiens.
Seconde Edition , dans laquelle
l'Auteur a ajoûté trois autres Grammaires,
suivant le même Méthode , sçavoir , · la
Chaldaïque , la Syriaque et la Samaritaine .
Chez
FEVRIER. 1731. 299
Chez la veuve Paulus Dumesnil , rue Fromentel
, prés la Puits Certain , 1731. in
12. 2. vol . en Latin.
LES PRINCIPES DE LA NATURE
ou de la Generation des choses , par
M. Colonne . Chez André Cailleau , Pont
S. Michel , 1730. in 12.
INSTRUCTION D'UN PERE A SON FILS ,
sur la maniere de se conduire dans le
monde , dédiée à la Reine . Par M. Dupuy,
cy-devant Secretaire au Traité de la Paix
de Riswick. Chez J. Etienne , ruë S. Jacques
, 1730. in 12 .
HISTOIRE de Mademoiselle de
la Charce , de la Maison de la Tour du
Pin , en Dauphiné , ou Memoires de ce
qui s'est passé sous le Regne de Louis XIV.
Quay des Augustins , chez P. Gandouin,
1731. in 12.
LE NOUVELLISTE DU PARNASSE,
Brochure in 12. Chez Chaubert , Quay
des Augustins.
Ce sont des Lettres qui paroissent tous
les. Lundis de chaque Semaine , où l'on
porte divers jugemens sur tous les Ouvrages
nouveaux. Il a déja paru cinq
Eij оц
300 MERCURE DE FRANCE
1
ou six de ces Lettres , qui font croire que
ce petit Ouvrage périodique se continuera
; il est entrepris par quatre differens
Auteurs . On dit dans l'Avertissement
, que pour n'avoir en rien l'air de
Journalistes , on évitera avec soin de faire
des Extraits de Livres , mais on en fera
des autres Ouvrages d'esprit , &c. le stile
enjoué et picquant de ces Lettres doit les
faire lire avec plaisir. L'Article suivant
se lit à la page dix- neuf de la premiere
Lettre.
» On a imprimé à Venise une Comédie
» nouvelle du Marquis Maffei , connu en
France par sa Tragedie de Merope , que
>> le sieur Riccoboni , dit Lelio , publia il
»y a quelques années avec la Traduction
» Françoise. Cette Comedie est intitulée
»les Ceremonies. C'est une Satire contre
» les ceremonies et les civilitez affectées
» et incommodes des Italiens , qui en cela
» approchent un peu des Chinois. La fa-
» miliarifé nous rend ordinairement mé-
» prisable , parce qu'elle découvre ce que
» nous sommes ; c'est pour cela que ceux
qui sont les plus interessez à cacher leur
caractere , sont souvent les plus cere
» monieux et les plus civils à l'égard de
tout le monde. Ils veulent tromper par
de vaines démonstrations , tantpis pour
>>
» ceux
FEVRIER . 1731 . 301
>> ceux qui se laissent prendre à ce piege ;
» quoi qu'il en soit , je ne sçai si les cere-
>> monieux peuvent faire un bon sujet de
>> Comedie ; ce caractere me paroît bien
froid pour le Théatre. >>
LE TRIOMPHE DE L'INTEREST ,
Comedie . Cette Piece paroît imprimée
in 12. de 48. pages , sans nom d'Auteur ,
de Ville , ni de Libraire.
Le succès qu'elle a eu doit avoir excité
la curiosité du Public , et c'est pour la satisfaire
que nous allons en donner ici
quelques fragmens ; nous nous en tiendrons
aux Scenes dont on a permis la
representation , et dont nous avons déja
dit quelque chose en donnant l'Argument
de la Piece.
Comme le fond de cette Comédie est
tel qu'on le voit dans la plupart des Pieces
à Scenes détachées , il ne nous sera
pas difficile d'en donner une idée en
peu de mots . Il s'agit d'un Combat entre
l'Interêt et l'Honneur ; après plu-.
sieurs Scenes où l'Interêt se trouve toujours
le plus fort , si l'on en excepte une
où Arlequin ne tient ni pour l'un ni pour
l'autre des deux Concurrens ; l'Honneur
suivi de ses Soldats , vient attaquer le
Palais de l'Interêt , et ne menace pas
moins que de le réduire en cendres ; mais,
E ij l'Interêt
302 MERCURE DE FRANCE.
Interêt n'a pas plutôt fait briller ses
trésors aux yeux de ses Ennemis , qu'ils
viennent tous se ranger sous ses Drapeaux
. Voilà le Plan de la Piece ; en veici
Î'Accessoire dans quelques Traits. La Comedie
commence par ce Monologue de
Mercure :
C'est ici le Palais que l'Interêt habite ,
Cette Idole du siecle , à qui tout se soumet .
Qui fonde son pouvoir sur l'équité proscrite ,
De tant de passions , le mobile secret ,
L'ame du monde enfin , et la source maudite ,
De tout le mal qui s'y commet.
Que ces lambris dorez et que ces murs durables ,
Que tous ces Marbres que voilà ,
Ont écrasé de miserables ,
Pour bien loger ce Monstre- là ! &c.
La seconde Scene est entre Mercure et
l'Interêt. Ce dernier est vétù en riche
Financier il prie Mercure de le loüer ,
Mercure prend le ton ironique , que l'interêt
reçoit comme de veritables louanges
, ce qu'il fait connoître par cet hémistiche
:
On ne peut mieux louer ,
A quoi Mercure répond avec plus de
sincerité :
N'en
FEVRIER. 1731. 303
N'en soyez pas plus vain ;
Car mon encens critique.
Fait moins votre Panegyrique ,
Que le procès du genre humain.
L'Interêt porte l'audace jusqu'à choisir.
Mercure pour son
ainsi :
Substitut ; il s'exprime
Toi cependant , ici tu n'as qu'à recevoir ,
Les Mortels qui viendront réverer mon pouvoir,
Et me demander quelque grace ;
Sers-moi de Substitut et remplit bien ma place .
Une jeune personne vient consulter
Pinterêt sur des vûës de fortune dont
elle s'est fait un Plan ; Mercure lui fait
connoître son nouvel emploi de premier
Commis de l'Interêt , par ces Vers :
Je le double ; et dans cette affaire ,
Mercure seul vous conduira ,
Comme Introducteur ordinaire ,
Des Princesses de l'Opera.
Cette Scene est si vive , qu'on ne s'ap
perçoit pas de sa longueurs nous n'en
citerons qu'une tirade de Fanchon , c'est
le nom de la jeune personne qui veut
faire fortune au Théatre en tout bien
et tout honneur. Elle se regarde déja com
E iiij me
304 MERCURE DE FRANCE
me une Actrice du premier ordre. Elle
s'exprime ainsi :
Au Théatie , quelles délices !
Sans cesse je reçoi des applaudissemens ,
Dans les Foyers , des complimens
Et sans oublier les Coulisses ,
Où l'on me conte cent douceurs.
Vous êtes , me dit l'un , la Reine des Actrices ,
Et vous enlevez tous les coeurs.
'Ah ! vous m'avez percé jusques au fond de l'ame ,
Ajoûte un autre tout en pleurs ;
Fanchon , unique objet de mes vives ardeurs , -
Vous m'atendrissez trop , finissez , je me pâme ,
S'écrie un petit Maître , en ces instans flateurs.
Grands Dieux ! quand elle songe à ce bonheur
extrême ,
Peu s'en faut que Fanchon ne se pâme ellemême.
Nous passons sous silence toutes les
Scenes qui n'ont pas fait beaucoup de
plaisir , celles de M. Faquin ne sont pas
de ce nombre ; mais comme elles sont
dans le goût de l'Opera Comiqué , et
qu'elles doivent beaucoup de leur agrément
au chant , nous les supprimons , de
peur qu'elles ne perdent de leur prix à
la simple lecture .
Nous finirons par quelques traits de
la Scene entre Mercure et Arlequin. Voici
le
FEVRIER. 1731. 305
le caractere que l'Auteur a donné à ce
charmant Héros du Théatre Italien ; c'est
Arlequin même qui parle :
Je suis un homme comme un autre :
Je bois , je mange , je dors bien ;
Je vis de peu de chose et n'ai souci de rien.
Mercure lui demande s'il a beaucoup
de joye ? Il lui répond :
J'en ai ma fourniture ,
Et de la bonne et de la pure ,
Car je la tiens de la premiere main.
Mercure.
Au sein de l'indigence , eh ! qui vous la procure
Arlequin.
Belle demande ! La Nature.
Elle m'a bâti de façon ,
Que tout me fait plaisir et rien ne m'inquiete
Je me passe de peu dans ma condition ;
Et je jouis d'une santé parfaite ;
Je puis me dire le garçon ,
De la meilleure pâte , en un mot , qu'elle ait faite..
Mercure lui offrant le choix de l'Inte
rêt ou de l'Honneur , après un Portrait
fidele qu'il lui en a fait ; il lui répond
Ex
quil
305 MERCURE DE FRANCE
qu'il ne veut ni de l'un ni de l'autre ;
Voici la raison laconique qu'il en donne.
L'Interêt est Normand , et l'Honneur est Gas-→
con.
LE BRUTUS de M. de Voltaire , avec
un Discours sur la Tragedie. A Paris ;
ruë S. Jacques , chez J. F. Fosse , 1731 .
in 8. de 110. pages , sans le Discours qui
en contient 29 .
Comme nous avons déja assez parlé de
cette Piece et de ses Représentations ,
nous n'en dirons rien davantage. Mais
nos Lecteurs y perdroient trop si nous
ne disions rien du Discours qu'on lit avec
autant d'avidité que de plaisir. Nous en
allons rapporter quelques traits , et à cette
occasion nous rapporterons aussi quelques
fragmens d'une ancienne Tragédie
qui a assez de rapport à celle de Brutus .
Ce Discours est adressé à Milord Bolinbrook.
M. de Voltaire , après s'être
plaint de la difficulté de notre Versifi
cation , de sa séverité , de l'esclavage de
la rime et de la liberté qu'on a sur les
Théatres d'Italie et d'Angleterre , et de
la tentative qu'on a faite ici de donner
des Tragédies en Prose, il s'exprime ainsi :
» Il y a grande apparence qu'il faudra
» toujours des Vers sur tous les Théatres
» Tragiques , et de plus toujours des Rimes
FEVRIER. 1731. 307
»mes sur le nôtre . C'est même à cette
» contrainte de la Rime et à cette severité
>> extrême de notre versification que nous
>> devons ces excellens Ouvrages que nous
>> avons dans notre Langue.
>> Nous voulons que la Rime ne coûte
jamais rien aux pensées,qu'elle ne soit ni
» triviale , ni trop recherchée , nous exi-
» geons rigoureusement dans un Vers la
» même pureté , la même exactitude que
» dans la Prose. Nous ne permettons pas la
» moindre licence , nous demandons qu'un
»Auteur porte sans discontinuer toutes ces
» chaînes et cependant qu'il paroisse
»toujours libre , et nous ne reconnois-
» sons pour Poëtes que ceux qui ont rem
» pli toutes ces conditions .
>
>>Voilà pourquoi il est plus aisé de faire-
"cent Vers en toute autre Langue , que
quatre Vers en François , &c .
,
» Je sçai combien de disputes j'ai es
suyées sur notre Versification en Angleterre
et quels reproches me fair
» souvent le sçavant Evêque de Rochester,
» sur cette contrainte puerile qu'il pré-
» tend que nous nous imposons de gayeté
de coeur. Mais soyez persuadé , Milord ,
que plus un Etranger connoîtra notre
» Langue , et plus il se réconciliera avec:
» cette Rime qui l'effraye d'abord. Nonseulement
elle est nécessaire à notre
E vj » Tran
ן כ
308 MERCURE DE FRANCE
ง
» Tragédie , mais elle embellit nos Co
» médies même. Un bon mot en Vers en
» est retenu plus aisément , les Portraits de
>> la vie humaine seront toujours plus frap-
20 pants en Vers qu'en Prose , et qui dit
» Vers François , dit necessairement des
» Vers rimez ; en un mot , nous avons
» des Comédies en Prose du celebre Moliere
, que l'on a été obligé de mettre
en Vers après sa mort , et qui ne sont
plus jouées que de cette nouvelle mas
>> niere .
»
» Ne pouvant , Milord , hazarder sug
» le Théatre François des Vers non-rimez,
>> tels qu'ils sont en usage en Italie et en
Angleterre , j'aurois du moins voulu
>> transporter sur notre Scene certaines
» beautez de la vôtre. Il est vrai , et je
» l'avoue , que le Théatre Anglois est bien
» défectueux; j'ai entendu de votre bou-
>> che , que vous n'aviez pas une bonne-
20
Tragédie ; mais en récompense dans ces
» Pieces si monstrueuses , vous avez des
» Scenes admirables. Il a manqué jusqu'à
» present et à presque tous les Auteurs
» Tragiques de votre Nation , cette pu-
» reté , cette conduite réguliere , ces bienséances
de l'action et du stile , cettę
élegance et toutes ce , finesses de l'Art,
qui ont établi la réputation du Théatre
François depuis le grand Corneille. Mais
VOS
FEVRIER. 1731. ༢༠༡
vos Pieces les plus irregulieres ont un
» grand mérite ; c'est celui de l'action .
» Nous avons en France des Tragédies
estimées qui sont plutôt des conversa-
" tions qu'elles ne sont la représentation
» d'un évenement . Un Auteur Italien m'é-
» crivoit dans une Lettre sur les Théatres
" Un Critico del nostro Pastor filo , disse
» che quel componimento era un riassunto di
» bellissimi Madrigali , credo se vivesse
» che direbbe delle Tragedie Francesi , che
» sono un riassunto di belle Elegie et sontuosi
Epitalami & c..
A la dixiéme page , M. de Voltaire se
plaint avec raison du défaut du Théatre ·
François. » L'endroit où l'on joue la Comédie
, dit- il , et les abus qui s'y sont
» glissés sont encore une cause de cette
».secheresse qu'on peut reprocher à quel-
>> ques- unes de nos Piéces. Les bancs qui
» sont sur le Théatre destinés aux spec-
» tateurs retrécissent la scene et rendent
» toute action presque impraticable. Ce
» défaut est cause que les décorations tant
>> recommandées par les Anciens sont ra-
>> rement convenables à laPiéce. Il empêche
» sur tout que les Acteurs ne passent d'un
» appartement dans un autre aux yeux
des spectateurs , comme les Grecs et les
» Romains le pratiquoient sagement pour
conserver à la fois l'unité de lieu et la
vraisemblance & c.. Mais
fro MERCURE DE FRANCE
Mais si les Grecs et vous , vous passez
» les bornes de la bienséance , et si sur-
» tout les Anglois ont donné des specta-
» cles effroyables , voulant en donner de
>>> terribles , nous autres françois aussi
>> scrupuleux que vous avés été témeraires ,
>> nous nous arrêtons trop de peur de nous
» emporter , et quelquefois nous n'arri-
» vons pas au tragique , dans la crainte
» d'en passer les bornes & c.
L'amour dans une Tragédie n'est pas
» plus un défaut essentiel que dans l'E-
» néïde ; il n'est à reprendre que quand
» il est amené mal à propos ou traité sans
art.
39. Les Grecs ont rarement hazardé cette –
» passion sur le Théatre d'Athénes , pre-
>> mierement , parceque leurs Tragédies
» n'ayant roulé d'abord que sur des su-
» jets terribles , l'esprit des spectateurs
» étoit plié à ce genre de spectacles ; se-
» condement , parceque les femmes me
>> noient une vie infiniment plus retirée
» que les nôtres , et qu'ainsi le langage
» de l'amour n'étant pas comme aujour-
» d'hui le sujet de toutes les conversations ,
» les Poëtes en étoient moins invités à
» traiter cette passion , qui de toutes est
» la plus difficile à représenter , par les
» ménagemens infinis qu'elle demande.
Une troisiéme raison qui me paroît
assez
FEVRIER. 1731. 3rr
» assez forte , c'est que l'on n'avoit point
» de Comédienne ; les Rôles de femme
» étoient joués par des hommes masqués .
» Il semble que l'amour eut été ridicule
» dans leur bouche.
D C'est tout le contraire à Londres et
» à Paris , et il faut avouer que les Auteurs
» n'auroient gueres entendu leurs interêts ,
» ni connu leur auditoire , s'ils n'avoient
» jamais fait parler les Oldfield , ou les
» Duclos et les Lecouvreur, que d'ambition
> et de politique.
A
Mais pour terminer cet Extrait quenous
abrégeons à regret , finissons le par
ce trait. Pour que l'amour soit digne
» du Théatre Tragique , dit l'Auteur , il
» faut qu'il soit le noeud necessaire de las
» Piéce , et non qu'il soit amené par force
» pour remplir le vuide de vos Tragédies.
» et des nôtres qui sont toutes trop lon
gues , il faut que ce soit une passion ve-
>> ritablement Tragique , regardée comme
» une foiblesse , et combatuë des repar
mords ; il faut ou que l'amour conduise
» aux malheurs et aux crimes , pour faire
» voir combien il est dangereux , ou que
» la vertu en triomphe , pour montrer
ל כ
qu'elle n'est pas invincible , sans cela
» ce n'est plus qu'un amour d'Eglogue
» ou de Comédie.
En
312 MERCURE DE FRANCE
En 1648. au mois de Mai , il parut sans nom
d'Auteur une Tragédie intitulée La mort des
Enfans deBrute ; elle a été imprimée deux fois
chez Toussaints Quinet.
Cette Piece , quelque defectueuse qu'elle puisse
être , n'est pas sans quelque mérite , et nous eu
parlons ici d'autant plus librement que ni Mademoiselle
Bernard , ni M. de Voltaire ne lui sont
redevables d'aucune des beautés , ni même d'au
cune des situations qu'on a admirées dans leur
Ouvrage.
Le sujet est extrémement chargé , selon la coûttume
de ce tems - là ; mais parmi beaucoup d'incidens
qui ne servent gueres qu'à ralentir l'action
principale , il s'en trouve quelques- uns qui pourroient
interesser des spectateurs moins délicats
qu'ils ne le sont devenus ensuite.
›
On suppose que dans l'instant de la révolution
qui fit perdre la Couronne à Tarquin et qui
Pobligea de prendre la fuite , une partie de sa famille
ne put échaper à la fureur du peuple , et
que Servilie et Tullie , toutes deux filles du Roi ,
y périrent . La premiere avoit épousé Vitellius
qui se trouve en même- tems beau- frere de Brutus
, et la seconde étoit aimée des deux fils du
Consul.
Tandis que ces deux freres , après avoir donné
des regrets à la perte de la Princesse , comptent
n'avoir plus d'autre obstacle à surmonter pour
se livrer tout entiers aux sentimens qu'ils doiven:
à la République , Vitellius , leur oncle , fait
paroître Tullie qu'il a heureusement sauvée , ent
substituant une Esclave & c.
Suivant ce Plan , Tullie se trouve au milieu
de Rome d'une façon assez naturelle , obligée.
qu'elle
FEVRIER. 1731. 313
qu'elle est à demeurer cachée dans le Palais de
son beau- frere , elle a toute la liberté d'appuyer
la conjuration , et l'on sent assez , sans qu'il soit
besoin d'Ambassadeur , les divers interêts qui engagent
Vitellius à conspirer en faveur de Tarquin
dont il est le gendre , et de Tullie , sa belle- soeur.
On voit aussi ce qui le détermine à émouvoir
Titus et Tiberinus , ses neveux , sur le sort d'une
Maîtresse qui venoit de courir un si grand danger.
ན
Il y a peu de vers assez beaux de suite pour
pouvoir en donner des Scenes entieres , cependant
en voici quelques morceaux sur lesquels on
pourra juger.
Acte III. Au milieu de la premiere Scene ,
Titus cherche à raffermir . son frere , et dit en
parlant de Brutus :
Cessons de nous flater ·
L'ennemi des Tarquins , et l'Auteur de leur .
chute ,
De quel oeil verra - t - il que son sang ait osé
Remettre Rome au joug que sa main a brisé ?
Il a crú , suggeré par un fatal génie ,
En bannissant les Rois , bannir la tyrannie î
Blesser par nos complots l'objet de son amour ,
C'est plus que lui ravir la lumiere du jour ,
Et dans son sentiment , à Rome être perfide -
C'est être plus qu'impie et plus que parricide.
44
>
ne
Au même Acte , Scene troisiéme , Vitellius dé-
Couvert et qu'on a mené devant Brutus ,
craint point d'embrasser la querelle du Roi chassé.
Est-ce à vous , dit -il au Consul ,
314 MERCURE DE FRANCE
1
Est- ce à vous à punir ? est- ce à vous àjuger?
Les Dieux portent la foudre et sçavent se venger.
Pourquoi si leur clemence et leurs soins nous
conservent ,
Vouloir vous usurper un droit qu'ils se reservent?
Malgré sa pesanteur , c'est avoir trop osé ,
Que de rompre le joug qu'ils nous ont imposé
& c.
Brutus répond :
Souvent de leur courroux nous sommes les or
ganes ,
Les Dieux ne daignant pas les fraper de leurs
mains
Ont voulu se servir de celle des Romains ;
1
Et s'ils eussent voulu condamner notre Ouvrage
Son retablissement en rendroit témoignage.
Au dernier Acte , Junie , mere de Titus et de
Tiberinus , déplore leur mort avec amertume
Brutus lui dit :
> et
Cache mieux tes douleurs ,
Souviens- toi qu'un Romain punit jusques aux
pleurs.
On peut juger à ce dernier trait que l'Auteur
avoit en vue la Scene d'Horace qui avoit déja été
mise au Théatre , d'autant plus que Brutus le
cite à la premiere Scene où il paroît dans cette
ancienne Tragédie.
LES AVANTURES D'ARISTE'E ET DE
TEFEVRIER.
1731 315
TILASIE , Histoire Galante et Héroïque . A
Paris , chez la veuve Guillaume et Charles
Guillaume , rue du Hurpoix , au Nom de Jesus,
1731. 2. vol . in 12 .
Cet Ouvrage qui est dédié à M. le Marquis
de Nefle , est de M. du Castre d'Auvigni. On
estime l'invention , la disposition , les pensées
, les images , les sentimens et le stile de ce
Roman Poëtique , qu'on pouroit appeller un
Poëme Galant , si on avoit jugé à propos d'y
semer du merveilleux . Le Tragique y domine, sur
tout dans le premier volume , où il y a beaucoup
de sang versé. En general cette Histoire , qui est:
mêlée de beaucoup d'Episodes de differens genres,
est vive , tendre , touchante et bien écrite , il y a
tant de matieres et tant d'évenemens dans ces deux
petits Volumes , que l'Auteur cut pû aisément en
composer six , s'il n'eût préferé l'élegance , l'é
tendue et la précision du stile à l'abondance des
paroles , qui est souvent une source d'ennui , sur
tout dans les fictions. L'Auteur dit dans un
court Avertissement qui est à la tête du Livre
qu'il a mis six mois à le composer , et qu'il a
suivi les conseils de plusieurs personnes habiles ,
témoins de son travail. Il fait sentir aussi l'injustice
qu'on lui fait de ne le croire pas Auteur
des Ouvrages qu'il donne au Public , et qui réüssissent
au- delà de son attente. Ce qu'on estime
le plus dans l'Ouvrage dont il s'agit , est l'Histoire
de Sostrate et d'Hippias , avec les deux
Fontaines des Epreuves , très- ingénieusement
imaginées.
ANECDOTES GRECQUES , ou avantures
secretes d'Aridée frere d'Alexandre le
Grand , traduites d'un manuscrit grec . A Paris
chez la veuve Guillaume , Quay des Augustins ,
au
g16 MERCURE DE FRANCE.
au Nom de Jesus . Se vend 24. sols broché , vol.
in 12. de 224. pages , 1731 .
Le Prince Aridée , mécontent du Roy Alexandre
son frere , prend la resolution de voyager
avec son confident , nommé Linon. Ils sont
attaquez par des voleurs qu'ils terrassent. Ils
vont à Athénes , où Aridée écoute avec plaisir .
un Discours de Platon sur l'abus de la pluralité
des Dieux , et la nécessité absolue d'un seul Etre
suprême ; il passe ensuite à Zagen , dont Tyrus
le Roy l'ayant connu , le fait General de ses
troupes , contre Jadul Roy de Cotatis.
Aridée assicge Cotatis ; pendant le siege , se
promenant avec Linon son favori , il délivre
une jeune fille , nommée Clare , de la main de
ses ravisseurs , et trouve Evandre , fils de Leomatus
, l'un des Lieutenans d'Alexandre. Claro
luy raconte son histoire , et luy apprend qu'Euridice
( fille d'Amyntas , oncle d'Aridée et sa
cousine ) est captive dans le Château de Cotatis.
Aridée en presse le siege , prend la place d'assaut
, et délivre Euridice , qu'il trouve cachée
sous un tombeau.
Euridice luy fait le recit de ses malheurs ;
Aridée revient triomphant chez le Roy Tyrus ,
où il est reçu avec tous les honneurs possibles .
Pendant son sejour , Linon son favori ayant délivré
la fille d'un Seigneur de la fureur d'un lion ,
l'épouse , et fait ainsi sa fortune. Aridée et Euridice
vont ensuite à Calyba , où ils croyoient
trouver Amintas , pere de la Princesse Euridice
lequel étant mort , Euridice consentit d'épouser
Aridée.
Peu de temps après Aridée apprend la mort
d'Alexandre le Grand , son frere ; aussi - tôt it
va à Babilone avec Euridice son épouse , ou
après beaucoup de mouvemens entre les Lieute
nans
FEVRIER.. 1731. 317
mans d'Alexandre , Aridée est enfin élu Roy sous
le nom de Philippes .
>
Olympias
mere d'Alexandre en devient
amoureuse ; elle luy fait proposer , et luy propose
elle-même de repudier Euridice , et de l'épouser
, quoy qu'elle ait été la femme dé
pere ; Aridée luy fait voir , l'horreur de sa
proposition , et par son refus devient son ennemi.
son
Pendant ce temps-là , Yolas fils d'Antipater
devient amoureux de Clare , et rival d'Evandre ,
fils de Leonatus ; mais Clare ayant été reconnue
pour fille d'Antipater , que la Reine Olympias ,
par vengeance , avoit fait enlever à l'âge de deux
ans , et par ce moyen se trouvant sa soeur , elle
épouse Evandre. Icy on trouve un Episode assez
singulier d'une fille , qui justifie son amant accusé
d'assassinat , et confond l'accusateur qu'el
le- même a désarmé comme le plus lâche de tous
les hommes.
Le Roy Aridée et la Reine Euridice se retirent
à Bagdat , où la furieuse Olympias trouve les
moyens de faire étrangler la Reine , et ensuite
assassiner le Roy avec cent Gentilhommes,
après quoi on lui fait subir le châtiment de ses
cruautez.
Ce qui est conforme aux Auteurs qui ont écrit
'Histoire Grecque , et dans un stile tres concis .
On imprime chez Antoine de Heucqueville ,
Libraire , rue Gille - coeur , à la Paix , une petite
Brochure intitulée ; L'Eloge de CAR , dédié à la
Langue Françoise , &c. Il est aisé de juger par le
seul titre de cet Ouvrage , que l'Auteur s'est proposé
tout un autre but que ceux qui ont travaillé
depuis peu dans le même genre. Il a rassemblé
toutes les Anecdotes Litteraires qu'il a cru devoir
êtrè
218 MERCURE DE FRANCE .
être avantageuses au mot dont il a entrepris l'Elos
ge. Il n'a pas oublié non plus de parler des jugemens
que l'on prétend que Mess. de l'Academie
en ont porté. Quant au style , on Pa égaïé autant
que l'a pû permettre une matiere qui d'elle
même est assez sérieuse. -
Livres que Cavelier , Libraire, ruë S. Jacques,
a nouvellement reçus des Païs Etrangers.
Prolegomena ad Novi Testamenti Græci Editionem
accuratissimam è vetutissimis Cod.
MSS. denuò procurandam. 4. Amst. 1730 .
Oeuvres de Boileau Despreaux avec
éclaircissemens historiques et des figures de
Picard , fol. 2 vol. fig. La Haye , 1729 .
+
> des
Cours de Physique , avec une Critique des Lettres
de Lecuvenhock, par Harfsocker , 4. fig. La
Haye 1730.
Avantures du Baron de Fenestre, nouvelle édition
, augmentée de Remarques historiques
2 vol. 8. Cologne , 1729.
Elites de Bons Mots en Ana , nouvelle édition
augmentée, 2 vol. 12. Amst . 1731 .
Abregé Chronologique de l'Histoire d'Angleterre
7 vol. 12. Amst. 1730.
Histoire des Révolutions de l'Empire de Maroc.
depuis l'Empereur Muley Ismaël , en 1727,
traduite de l'Anglois. 12. Amst. 1731 .
Avantures de l'infortuné Florentin , ou Histoi
re de Brufalini , 2 vol . 12. fig. Amst. 1729.
Abregé de l'Histoire Universelle, depuis la création
du monde , jusqu'à l'Empire de Charle
magne; par J. le Cierc. 8. Amst . 1730.
Le mễhe Libraire doit achever d'imprimer pour
le mois prochain.
L'Osteologie de M. Palfin , 12. fig.
Lee
FEVRIER. 1731. 339
Les Operations de Chirurgie , de M. Garengeot.
3. vol. in 12. fig.
Le Cadex Pharmaceuticus Facultatis Pirisiensis
, in 4. On est aux Tables , que l'on imprimé
actuellement.
ABREGE' du Projet de Paix perpetuelle , inventé
par le Roy Henry le Grand , approuvé par la
Reine Elizabeth , par le Roy Jacques son Successeur
, par les Républicains , et par divers autres
Potentats , approprié à l'Etat present des affaires
generales de l'Europe,démontré infiniment avantageux
pour tous les hommes nez et à naître ; en
general et en particulier pour tous les Souverains
et pour les Maisons Souvetaines. Par M. l'Abbé
de S. Pierre, vol . in 12. de 217 pages , sans l'Epitre
dédicatoire au Roy . et l'Avertissement du
Libraire. A Rotterdam , chez F. Daniel Bemen,
et se vend à Paris chez Briasson. 1729
TRAITE DE L'ORGANE DE L'OUIE ,
contenant la Structure, les Usages et les Maladies
de toutes les Parties de l'Oreille. Par M. du Vernay,
de l'Académie Royale des Sciences. A Leyde,
chez J. An. Langerak , 1731. in 12. avec fig.
LES VOYAGES ET
AVANTURES
du Capitaine Robert Boyle , traduit de l'Anglois,
A Amsterdam , chez Westin. 2. vol. in 12 .
ESSAI SUR LA POESIE ET SUR LA
PEINTURE , relativement à l'Histoire Sacrée
et Prophane , avec un Apendix concernant
l'Obcenité chez les Ecrivains et les Peintres. Par
M. Charles Lamette , Docteur en Théologie
Membre de la Societé Royale et de la Societé des
Antiquaires. A Londres , chez Fayrman. in 3.
En Anglois.
TRAITI
320 MERCURE DE FRANCE
7
TRAITE PHILOSOPHIQUE ET PRAG
TIQUE de la Culture des Jardins. Par M. Bradley
, de la Societé Royale. A Londres , chez W.
Mears. Cinquiéme Edition in 8. en Anglois.
On explique dans ce Livre , qui est fort estimé
et d'un grand usage en Angleterre , le mouvement
de la seve des Plantes , et leur géneration ,
avec d'autres découvertes qui n'avoient point encore
été publiées touchant la maniere de cultiver
avec fuccès les Arbres fruitiers , les Fleurs et les
Parteres. On y a joint la description d'un Instrument
, par le moyen duquel on peut trouver en
une heure de temps plus de Plans de Jardins que
n'en contiennent tous les Livres ensemble qui
traitent de cette matiere. Enfin on trouve dans
cet Ouvrage plusieurs beaux secrets tendant à
perfectionner la culture des Vergers , des Jardins
Potagers & des Orangeries.
On écrit de la Haye que Goffe et Neaulme ,
Libraires , ont acheté et débitent une Edition des
Oeuvres de Clement Marot , Valet de Chambre
de François I. revues sur plusieurs Manuscrits et
sur plus de 40 Editions , et augmentée , tant de
diverses Poësies véritables , que de celles qu'on
lui a faussement attribuées ; avec les Ouvrages de
Jean Marot son pere, ceux de Michel Marot son
fils ; et les Piéces du different de Clement avec
François Sagon , accompagnées d'une Préface
historique , et d'Observations critiques sur tour
l'Ouvrage ; en 6 volumes in 12. et en 4 vol.in 4.
avec des Quadres et des Vignettes ; belle Edition .
Ils en ont aussi quelques Exemplaires en grand
Papier Royal et Impérial , d'une grande beauté.
On apprend de Londres que dans l'assemblée
de la Société Royale , qui se tint au commencement
FEVRIER. 1731. 321
ment de cette année, il a été résolu de n'admettre
à l'avenir aucun Candidat , à moins qu'il n'ait
été nommé par trois Membres de la Société,qui
déclareront par écrit le nom , la condition et les
qualités de la personne proposée , et si elle s'est
fait un nom dans le monde par quelque Ouvra
ge imprimé ; et que l'élection par balotage de la
personne proposée , ne pourra se faire que dix
semaines aprés. On ouvrira par cette méthode la
> porte au mérite , et on la fermera à la faveur, selon
l'intention de la premiere institution de cette célébre
Société , qui subsiste depuis 1666.
On mande de la même Ville, que le 9 Janvier ,
le Docteur Cheselden , premier Chirurgien de la
Reine , devoit couper le Timpan de l'oreille à
Charles Rei , un des quatre malfaiteurs, condamnez
à mort , aux dernieres cessions , auquel le
Roy a accordé des Lettres de répit. S. M. ayant
promis de donner la grace à ce criminel , si par
cette opération il guérit de sa surdité. Mais cette
opération n'a pas été faite , parce qu'après un
plus grand examen , elle a été jugée impraticable.
Če malfaiteur sera envoyé dans les Colonies
de l'Amérique.
La Chirurgie a fait une grande perte dans la
personne de M. Bellofte, qui fut Chirurgien Major
des Hôpitaux de l'Armée du Roy en Italie ;
ensuite premier Chirurgien de feuë Madame
Douairiere de Savoye. Il est l'Auteur d'un Livre,
intitulé : Chirurgien d'Hôpital , très - estimé de
ceux qui sçavent la Chirurgie, et tres - utile à ceux
qui veulent la sçavoir . Il est mort à Turin le 15
Juillet dernier , âgé de 80 ans. Il a fait encore sur
la fin de ses jours , la découverte d'un nouvel
Organe , dans le Corps humain , dont on pourra
F donner
322 MERCURE DE FRANCE
donner bien- tôt une Dissertation. S'il est regretté
du public , il ne l'est pas moins de ses
amis ; il en eut d'illustres , et son mérite personnel
lui en eut fait davantage sans sa modestie.
Son habileté dans son Art fut le fruit d'une longue
experience , et d'un travail continuel ; il avoit
Pesprit orné , il aimoit les Lettres et les cultivoit.
Il laisse un fils,seul heritier du secret de la composition
de ses Pilules Mercuriales. C'est un excellent
remede dissolvant et absorbant, dont il a tresamplement
traité dans le second tome du Chirurgien
d'Hôpital , imprimé à Paris en 1725 .
chez Laurent d'Houry.
il
Ceux qui souhaiteront avoir de ces Pilules
pourront s'addresser à M. Belloste à Turin ;
en fourni des Boetes de differentes grandeurs et
de différent prix , pour la commodité du public ,
avec des Mémoires sur la maniere de s'em
servir.
Le Sieur Cottance avertit le public qu'il a un
remede aussi spécifique que simple , pour arrêter
et fixer en moins de deux heures de tems , toutes
sortes de Gangrénes , Bubons , Charbons pestilentiels
et Ulceres invétérez. It demeure à Paris ,
Tue Comteffe d'Artois , au grand Vainqueur.
"
Le 24 du mois dernier , le P. Porée , Professeur
de Rhétorique du College de Louis le Grand,
prononça, en presence du Card. de Bissi , de plasieurs
Prélats et autres presonnes de distinction
un Discours Latin fort éloquent , dans lequel il
prouva que les Critiques sont aussi nécessaires
dans la République des Lettres , que les Juges
le sont dans un Etat que pour être Critique ,
il faut avoir les qualitez d'un bon Juge.
FEVRIER . 1731.
323
AÙ
REVERend pere PORE'E ,
Sur sa
Harangue.
ΕΝΥΟΥ.
Dubon Juge , et du bon Critique ,
Tu nous as , dans ton Oraison ,
Fait la juste comparaison ,
Et par un sel , vraiment attique ,
Uni la grace à la raison.
Joui d'une entiere victoire ,
Tous tes coups , Porée , ont porté ,
Puisqu'aujourd'hui , par équité
Le Ctitique chante ta Gloire.
Il vaque actuellement deux Chaires de Professeurs
Royaux en Medecine ; l'une à Montpellier
, par l'absence de M. Astruc , fameux Professeur
de cette Université , aujourd'hui Professeur
et Lecteur au Collège Royal , à la place de l'illustre
M. Geoffroy. La Dispute de cette Chaire
est annoncée pour le 1. May 1731 , dans un double
Programme , de la part de M. l'Evêque de
Montpellier , Chancelier de l'Université , et de
M. Chicoineau , Conseiller à la Cour des Aydes ,
Professeur d'Anatomie et de Botanique , de l'Academie
Roïale des Sciences de Montpellier, Chancelier
et Juge de l'Université de Medecine de cette
Ville.
L'autre Chaire vaque par le decés de M.Angot
celebre Médecin de Caen , dont la dispute est pareillement
annoncée dans un Programme de la
Faculté de Médecine de Caën.
Fij Nous
324 MERCURE
DE FRANCE
Nous venons de recevoir de Nîmes un Programme
, imprimé à Montpellier , au sujet d'un
Exercice de Belles- Lettres, dans lequel M.de Bernage
, fils de M. de Bernage ,Intendant de la Province
de Languedoc, a donné le 21 du mois passé,
en presence des Etats assemblez ,des preuves d'une
capacité fort audessus de son âge. Il commença
són Exercice par un compliment tres-délicat,addressé
à l'Illustre Assemblée que composoient
Messieurs des Etats.
Voicy le plan, selon ce Programme, que M.de
Bernage a eu en vue de remplir. 1. D'expliquer.
un grand nombre des plus beaux endroits des
Auteurs Latins , Poëtes , Historiens , Orateurs
et autres . 2. De réciter quelques - uns de ceux qui
paroissent les plus propres à orner l'esprit. 3. De
rappeller et de réciter dans le cours de son explication,
quantité de traits choisis dans nos Poëtes
François , qui peuvent avoir quelque rapport
aux Auteurs Latins.4.D'y ajoûterplusieurs Notes
de Chronologie , de Mythologie et d'Histoire.
Entre les Poëtes Latins , ausquels M. Bernage
s'est attaché , sont , 1. Horace , dont il étoit en
état de réciter près de 30 Odes , aprés les avoir
expliquées ; cinq ou six Satyres entieres , sans
compter un nombre considérable de Pieces détachées
des autres Satyres ; plusieurs des Epîtres de
cet Auteur , et un grand nombre de morceaux
détachez des autres Epîtres.
Quant à l'Art Poëtique d'Horace , M, de Bernage
étoit aussi en état d'en réciter les Endroits
les plus remarquables et les plus utiles qui font la
beauté et le prix de ce Traité.
2.Virgile,auquel M.de Bernage s'est attaché avec
une singuliere application . On voit par le Programme
qu'il avoit fait uneAnalyse presque complette
de l'Eneide ; mais il en avoit trois Livres
prinFEVRIER.
1731. 325
principaux en vûë dans son explication ; sçavoir ,
le 1. remarquable par la versification châtiée. Le
4. où les mouvemens du coeur sont mènagez avec
tant d'art. Et le 6. qui est le plus rempli de la
Théologie Payenne. Il n'oublia pas de parcourir.
de même les Géorgiques , dont il pouvoit réciter
plusieurs beaux Endroits , et expliquer le reste ;
préparé d'ailleurs à réciter un nombre prodigieux.
de Piéces de nos Poëtes François qui ont imité
ces celebres Auteurs , ou dont les pensées ont
quelque rapport avec les Passages des Poëtes
Latins.
3. M. de Bernage n'étoit pas moins préparé
sur les Métamorphoses , les Fastes , les Tristes ,
et les Livres de Ponto , d'Ovide . L
4. Pour ne pas passer les bornes d'un Extrait
nous nous contenterons d'indiquer les autres
Poetes , sur lesquels le Répondant étoit préparé.
Tels sont entre les Poëtes Latins , Juvenal, Perse ,
Martial , Catule , Tibule , Pétrone et Phédre . Il
étoit en état d'en réciter un grand nombre de
Piéces , de les expliquer, avec quantité d'autres ,
de rapprocher du Texte latin les endroits de nos
Poetes François qui y ont rapport , sans oublier
les principaux points de Mythologie qui se
trouvent à discuter dans ces Poëtes , et sur lesquels
M. de Bernage étoit prêt de satisfaire.
Entre les Poëtes François qu'il avoit en vûë ,
et que nous rapporterons dans le même ordre
alphabétique , qu'ils se trouvent au commencement
du Programme ; on remarque Boileau ,
Corneille , Deshoulieres , du Cerceau , la Fontaine
, la Mothe , Lingendes , Malherbe , Maynard
, Moliere , Pellegrin, Racan , Racine,Rousseau
, Scarron , Voiture , et un nombre d'autres ,
que nous passons sous silence.
M. de Bernage avoit choisi entre les Orateurs ,
Fiij
Cice316
MERCURE DE FRANCE
Ciceron , dont il pouvoit expliquer un grand
nombre de beaux endroits.
Parmi les Auteurs renommez pour le style
Epistolaire, il s'étoit appliqué à Pline le jeune, et
entre ses Lettres , à celles qui sont les plus remarquables.
;-
Il nous suffira aussi de nommer les Historiens
dont M. de Bernage pouvoit rendre compte ; ils
sont sur l'Histoire Romaine , Tite-Live , Florus ,
Velleius-Paterculus , Salluste , Cesar , Suetone
dans lesquels le Répondant avoit choisi les endroits
les plus considerables , lesquels réunis ,
metrent tout d'un coup sous les yeux une chaîne
et une suite des plus grands Evenemens qui ont
illustré ou obscurci la gloire de Rome , soit pen
dant le tems de ses Rois , soit dans son indépendance
Républicaine , soit pendant le regne de ses.
Empereurs. I joignit à l'Histoire Romaine celled'Alexandre
le Grand , écrite par Quinte -Curce;.
et enfin celle d'un grand nombre de Peuples
écrite par Justin.
Tels sont les principaux Auteurs dont M. de
Bernage rendit compte , dont il récita de mémoi➡
re les endroits les plus beaux et les plus frappans,
qu'il expliqua lorsqu'on le lui demanda Il faut
ajoûter qu'il eut soin à chaque Auteur dont il eut
occasion de parler , de rapporter le jugement
qu'en ont fait les Sçavans et les Critiques.
Entre ceux qui firent à M. Bernage l'honneur
de l'interroger , on distingue MM . les Archevêques
de Toulouse et d'Alby ; et MM . les Evêques
de Beziers , d'Agde , d'Alet , de S. Papoul et de
Viviers ; et pour nous servir des termes d'une
Lettre que nous avons reçûë de Nîmes sur ce sujet ,
il étonna toute l'Assemblée, tant par la quantité des,
choses qu'il sçavoit , que par la maniere aisée avec
laquelle il s'énonça en les expliquant et en les
dé
"
FEVRIER . 1731. 327
développant. Il finit par un remerciment trèscourt
, mais très- bien ménagé à l'Assemblée qui
l'avoit honoré de sa présence et de son attention."
Voici des Stances adressées à M. de Bernage
de S. Maurice , Intendant de Languedoc , à l'oc-'
casion de l'Exercice dont nous venons de rendre
compte. Nous sçavons bon gré à l'Auteur de la
Lettre écrite de Nîmes , qui les a ajoûtées à sa
Lettre en nous envoyant le Programinę.
STANCES.
Quelle injuste Maxime interdit aux Parens
La douce liberté de pouvoir reconnoître ,
Les vertus dont le Ciel a comblé leurs Enfans,
Ils sont Peres et n'osent d'être,
Après l'heureux succès que vient d'avoir ton fils,
Malgré ta modestie et ton génie austere ,
Jouis de ton bonheur , connois en tout le prix ;
Tu peux t'applaudir d'être Pere.
Ose l'être sans honte , et ris des vaines loix ,
Quigênent pour tonfils l'heureuse complaisances
Quand il est éclatant , le mérite a des droits >
Au-dessus de la bienséance.
Afranchis-toi d'unjoug qui n'est pas fait pour
toi.
Pere , goute une joye et si rare et si pure ;
Fiiij
Et
328 MERCURE DE FRANCE.
Et si l'usage altier veut t'imposer sa loi ,
1 Passe à celle de la Nature.
C'est ainsi qu'autrefois un illusre Romainy
Dédaignant cet indigne usage ,
De Scipion sonfils , publia le courage ,
Et le couronna de sa main.
Montre au tien tout l'excès de tajuste tendressei
Arrose en l'ambrassant seslauriers de tes pleurs.
Qy and ton fils nous fait voir des succès sifla-ˆ
teurs ,
Tu peux montrer une foiblesse« »
Ce sont des pleurs bien doux que ceux que tu
répands ;
Et per ce que ton fils vient de nous faire en→
tendre ,
Heureux BERNA GE , je comprends ,
Que tu n'auras jamais d'autres pleurs à xépandre.
Mais pour mieux assurer l'effet de ton amour,
Par l'exemple et les soins que tu lui dois encore,
Gouverne un Peuple qui t'honore ;
~Jusqu'à ce que ton is le gouverne à son tour;
Il n'est encor qu'à son Aurore';
Mais c'est l'Aurore d'un beau jour.
Ол
FEVRIER . 1731. 329
On apprend de Rome , que l'Imperatrice a fait
present à la Princesse Carbognano , d'une Caisse
marquetée d'Agathe et remplie de Porcelaines de
la Manufacture de Vienne , qui sont aussi belles
que celles de la Manufacture de Dresde.
Nous ne connoissions pas cette nouvelle Manu
facture de Porcelaines à Vienne , mais pour
celle qui est établie à Dresde , Capitale de l'Electorat
de Saxe , nous osons assurer sans craindre
qu'on puisse nous accuser d'exagerer
qu'elle a fait un tel progrés depuis deux ou trois
ans , qu'on a envoyé de Paris des Modeles , des
Desseins et des personnes intelligentes , qu'il en
vient aujourd'hui quantité de Pieces comparables
à ce qui vient de plus beau de la Chine et du Japon
, et communément de plus belles formes , les
Figures , les Animaux , les Arbres , les Plantes et
les Fleurs , &c . mieux dessinez et plus de varieté
et d'union dans les couleurs ; les Reliefs , Broderies
et Ornemens , sont traitez avec beaucoup de
cimétrie , de précision et de goût ; de telle sorte
que les plus habiles Connoisseurs sont souvent en
deffaut , prenant cette nouvelle Porcelaine pour
l'ancienne, et souvent même lui donnent la préference,
au grand scandale de divers Curieux d'un
gout trop rafiné , ou peut-être mal sûr, et en qui
abonde quelquefois plus d'entêtement ou d'ostentation
que de justesse, et qui esclaves du préjugé,lui .
laissent exercer sans la moindre résistance , toute
sa tyrannie , et ne sçauroient concevoir qu'on
puisse préferer des Ouvrages modernes , qui coutent
peu, et qu'on est à portée de voir construire ,
à des Morceaux que la venerable Antiquité a ren
dus recommandables , qui coutent fort cher et
qui viennent de trés-loin .
On trouvera la preuve de la beauté des Ouvradont
nous parlons , à Paris même , ruë Dauges
E v phine
}
339 MERCURE DE FRANCE.
•
>
phine , chez le fieur le Brun , Marchand Bijoutier
, interessé à la Manufacture de Porcelaines de
Dresde, qui en fait un grand débit, et à un prix fort
raisonnable, puis qu'il est à deux tiers de moins que
celui des Porcelaines des Indes. On y voit des pie
ces en hauteur , avec ornemens et en couleur ,
d'une grande beauté , des Pots à l'eau , à tabac ,
à pâte , sucre en litron , et autres formes
des Plats , des Assietes , Soucoupes , Drageoires ;
Tabatieres , Tasses et Gobelets de diverses sortes
; Ecuelles , Jattes couvertes à oglio etc. le tout
souffrant la plus violente chaleur du feu , et même
de la lessive bouillante.
•
2
On sçait que la Porcelaine fait un des plus
beaux ornemens des Cabinets des Curieux , et des
Appartemens des Princes et des grands Seigneurs
, sans compter les Services de table , et
autres sortes de Pieces de vaisselle , dont quelques-
unes sont d'un prix au dessus des plus beaux
morceaux d'Orfeverie , en or et en argent. La
Porcelaine étant donc si utile , si précieuse , et si
agréable aux yeux , merite bien que nous en disions
ici quelque chose , pour la faire connoître
à ceux qui ne sont pas à portée d'en avoir , et
d'en appercevoir les beautés et les défauts , et juger
de leur prix . Cela pourra même être utile à
quelques personnes qni en ont , et peut- être dest
morceaux précieux , dont ils ne font pas le cas
qu'ils doivent. Au reste , nous serions bien charmez
si ce petit essay pouvoit exciter quelque bon
Connoisseur , homme d'esprit et de goût , à nous
donner là- dessus quelque chose de plus étendu
de plus methodique et de plus digne de la curiosité
du Public.
Il y a de trois sortes de Porcelaines , de
jaunes , qui sont les moins estimées , parce
que cette couleur ne prend pas un si beau
2.
poli ;
FEVRIER. 1737. 331
poli ; de grises , et souvent hachées d'une infinité
de petites lignes irregulieres , qui se croisent
comme si le vase étoit par tout fêlé , ou tra
vaillé de pieces de rapport ; et enfin de blanches
avec des fleurs bleues : c'est la plus commune
, mais la plus estimée quand elle est dans
sa perfection. Quatre ou cinq choses doivent
concourir à les rendre parfaites , la finesse de la
matiere , la blancheur , le poli , la couleur , le
dessein des figures , et la forme de l'ouvrage.
On connoît la finesse de la matiere quand elle
est transparante , en quoi il faut avoir égard à
l'épaisseur , les bords sont ordinairement plus
minces. Aux grands morceaux , il est difficile d'y
rien connoître , à moins qu'on n'en casse par le
bas quelque petit morceau , pour en voir la cou
leur ou le grain. Une vraie marque de la finesse
et de la dureté de la Porcelaine , c'est quand
on re joint ensemble les deux pieces , et qu'il n'y
paroît aucune fèlure.
La blancheur ne se doit pas confondre avec
l'éclat du vernis dont la Porcelaine est enduite ,
et qui fait une espece de miroir ; cette reflexion
seule est capable de faire mal juger de sa blan
cheur naturelle , il faut la porter au grand jour
pouren connoître la beauté ou les défauts . Quoique
ce vernis soit parfaitement incorporé à la
matiere , et qu'il dure éternellement , il se ternit
neanmoins un peu à la longue , et il perd ce
grand éclat , d'où il arrive que la blancheur påroît
plus douce et plus belle dans les anciennes
Porcelaines , qu'on recherche si fort..
Le poli consiste en deux choses , dans l'éclat
du vernis , et dans l'égalité de la matiere. Le
vernis ne doit pas être épais , autrement il se feroit
une croute , et d'ailleurs l'éclat en seroit trop
grand et trop vif. La matiere est parfaitement
I vi égale
22 MERCURE DE FRANCE
égale , quand elle n'a aucune bosse , qu'on n'y
remarque ni grain , ni sable , ni élevure. Il y a
peu de vases qui n'ayent quelqu'un de ces défauts.
Non seulement on n'y doit pas trouver des
taches , mais il faut encore prendre garde qu'il
n'y ait des endroits plus éclatans les uns que les
autres.
On peut employer toute sorte de couleurs sur
la Porcelaine , mais on ne se sert guere que de
rouge et beaucoup plus de bieu; on ne voit presque,
point de rouge bien vif , mais le bleu est parfaitement
beau , quand on a attrapé ce juste temperament
, dans lequel il n'est ni pâle , ni foncé
ni trop éclatant.. Sur tout que les extrémitez des
figures soient parfaitement terminées , de maniere
que la couleur ne s'étende pas plus loin
le contour , afin que la blancheur de la Porce
laine ne soit pas salie par une certaine cau bleuâ
tre qui s'écoule de la couleur même.
que
Les Fleurs et les Roseaux sont à préferer aux
figures qui sont presque toujours estropiées ,;
et dessinées d'un gout barbare.
Il faut que les Vases soient bien contournez ,
d'une figure hardie , et bien proportionnée , etc..
Maftic excellent pour les Porcelaines.
,
cassées..
1
Mettez en poudre très- fine de la chaux vive
et du Mizium ou mine de plomb , en‹ égale
quantité , et un peu de farine , incorporez avec
du blanc d'oeuf bie battu trempez promptement
les morceaux cassez pour les rejoindre avec
précision. Le vernis ordinaire fait le même effer
du blanc d'oeuf, mais il est plus long temps à
secher..
EXTRAIT
FEVRIER . 1731. 333
J
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Bourgogne
à M.D.L. R. le 4. Fevrier 1731 .
contenant quelquesReflexions sur l'Akousmate
d'Ansacq , dont il est parlé dans le
second Volume du Mercure de Décembre
dernier.
Es deux dernieres Lettres dont vous
LESm'avez honoré contenoient chacune
une preuve , que vous avez fait , des
diligences sur ce que je souhaitois sçavoir
touchant S. Pelerin. Votre ami de Caën a
fort bien pris la chose , aussi est- ce l'ordinaire
des Medecins de raisonner ainsi sur
les faits miraculeux , mais il est étonnant
que le nom reste à ce lieu , et que le culte du
Saint se trouve dans l'oubli , et son image
negligée ; le Curé de la Paroisse est bien
neuf dans l'Antiquité , il n'est peut- être
pas le seul dans ces Cantons là. Je voulois
seulement sçavoir si c'étoit S. Pelerin
premier Evêque d'Auxerre , qui avoit
donné le nom au lieu . Cela se trouve aine
si ; j'y aurai égard en tems et lieu.
Le Mercure de Decembre , second Volume
, est bien plein de Phénomenes ; ce
lui de l'ouie m'a parû tout à fait surpre
nant ; toute la nuit je n'ai fait rêver
que
là- dessus ; je croyois toujours être à Ansacq
, et que j'allois entendre cette diabolique
musique. Je crois avoir passé dans
ce
334 MERCURE DE FRANCE
ce Village en venant un jour de Clermont
à Senlis , ou en allant de Senlis à
Beauvais ; mais j'ignorois cette particularité
ch qui pouvoit la connoîcre
puisque le Curé même qui a dressé la
Relation n'en sçavoit rien ? Je ne me souviens
pas d'avoir rien lû de semblable
dans aucune Chronique. Il faudroit cependant
consulter les fragmens qu'on
peut avoir de la Chronique d'Helinand.
Moine de Froidmont ; j'ai quelque idée
d'avoir lû quelque chose d'étonnant et
d'effrayant dans un de ces fragmens ; mais
je ne saurois me ressouvenir en quel Livre.
Froidmont doit être , je pense , à deux
ou trois lieuës d'Ansacq ; si c'est un effet
Physique , cela ne doit pas être nouveau,
et doit être , au contraire , arrivé dans les
siecles précedens . Vous avez M. d'Auvergne
à Beauvais , qui pourroit rechercher
ces morceaux d'Helinand ; il en est tréscapable
, s'il veut bien s'en donner la
peine. Je vous avois aussi prié autrefois
de sçavoir par lui ce que c'est que Saint
Nerlin , Patron du Prieuré de la Tour du
Lay , en Beauvaisis , en quel jour on en
fait la Fête , et qui on croit qu'il étoit ;
je vous en rafraîchis la mémoire , afin
d'essayer de le sçavoir si on peut; M. Chastelain
n'a pas connu ce Saint. Pour moi ,
je crois que si le tintamare aërien s'est
fait
FEVRIER. 1731. 335
fait entendre autrefois , il faut en attribuer
la cause à quelques dispositions de
Fair qui sont particulieres en ce Pays là.
La Relation où le Procés verbal du Curé
est une Piéce très curieuse ...
Plus je refléchis sur cette histoire , plus
je la trouve extraordinaire. Un Religieuz
de S. Jean de Lone , en Bourgogne , m'a
dit qu'il y a 18. ou 19. ans qu'on entendit
dans les environs de cette Ville là un
mugissement pendant environ un quart
d'heure en Eté durant plusieurs jours ,
bien different de celui du tonnerre , ett
u'on crût ( le Peuple ) que c'étoit la fin
du monde .
Un jeune homme de 18. ans , Catho
lique , natif du Village d'Infergnac , au
Païs des Suisses , à trois lieuës de Grueres,
me dit hier que dans son Village , il y a
eu deux ans au mois d'Août dernier , on
entendit la nuit les mêmes choses qu'à
Ansacq , et aussi long tems , à la diffe
rence cependant que outre la confusion.
de voix de toute espece et d'instrumens
on y distingua fort bien des aboyemens
de chiens , et que la peur fut si grande
même parmi les animaux qui étoient en
Campagne , et qui fournissent le lait pour
les fromages de ces Païs là , qu'ils prirent
tous la fuite , de sorte que le lendemain
il fallut aller de tous côtés les chercher :
les
336 MERCURE DE FRANCE.
les gens du Païs appellerent cela le Sabat,
et crurent que c'étoit une bande de sorciers
voilà un préjugé dont il sera bien
difficile de les faire revenir . Pour moi
je croirois volontiers qu'il n'y a poinɛ
d'explication Physique à chercher en tout
cela , et je pense que comme S. Paul assure
que l'air est rempli de démons , ils
peuvent fort bien s'atrouper de tems en
tems pour faire ce carillon , sans qu'aucun
homme soit de leur bande. Je ne crois pas
tout ce qu'on dit des sorciers , ce sont
des imaginations et des rêves qu'on débite
ordinairement à leur sujet ; mais je
crois plutôt qu'il y a des diables dans l'air,
et comme l'Ecriture les appelle souvent
Princes de tenebres , voilà pourquoi de nos
jours leurs Concerts se trouvent encore arriver
la nuit. Dieu permet peut-être la réalité
du fait d'Ansacq pour obliger les Philosophes
de convenir qu'il y a des esprits
aëriens , conformément à ce qu'en dit l'Apôtre
, et à ne pas nier l'existence des démons,
comme il n'y a que trop de libertins
qui la combattent. J'attends une explication
Physique de ce prodige par quelqu'un
de ceux qui croyent difficilement les choses.
spirituelles ; elle sera curieuse , sans doute :
ne pourrions- nous pas l'attendre , et même
l'exiger de M. Capperon ? qui recherche
avec autant d'attention que de succès
tout
FEVRIER. 1731. 337
1
tout ce qui a rapport à une certaine Physique
un peu singuliere. Au reste , ce qui
me surprend , c'est que ces sortes de musiques
diaboliques ne s'entendent point
dans les Villes , il y auroit bien plus da
témoins pour les attester & c.
و Le31.Janvierl'AcadémieRoyale
des Sciences fit l'élection des trois sujets ,
dont un , au choix du Roi , doit remplir
la place de Pensionaire Chimiste , vacante
par la mort de M. Geoffroi. Les trois sujets
qui ont été élus sont M M. Boulduc
et Dufay , tous deux associés Chimistes
et M. Imbert Externe .
Le 14. Fevrier , le Comte de Maurepas
écrivit à l'Académie , pour lui ap
prendre que le Roi avoit choisi M. Du
fay pour remplir cette place.
L'Estampe de la Dile Camargo que le
Public désire si fort , et dont nous avons
parlé le mois passé , sera en vente dans
les premiers jours du mois de Mars chez
les Auteurs et chez la Veuve Chereau ,
rue S. Jacques , aux deux Piliers d'or.
BRIART demeurant Cour Abbatiale de Saint
Germain des Prez , rue Cardinale , vis - à- vis le
Bailliage , à Paris , fait depuis peu une Essence
appellée d'ogni fiori , ou de toute fleurs , dont un
Parfumeur Napolitain lui a donné le secret..
On.
338 MERCURE DE FRANCE
On en met quelques goutes dans l'eau , dont or
se lave aprés avoir été rasé ; elle produit le mê
me effet que le lait virginal , mais elle est plus
agréable , et a de meilleures qualités , sur tout
pour décrasser , rendre la peau unie , et en ôter
les taches et boutons. On là vend 15. sols l'once.
Il continue avec succès à faire la veritable Essence
de Savon à la Bergamotte et autres odeurs
douces , dont on se sert pour la barbe , au lieu
de Savonnetes ; les Dames s'en servent aussi pour
se laver le visage et les mains. Les bouteilles sont
cachetées de son adresse.
M M. Giraudeau le jeune et Felz , Marchands
à Montpellier , qui font depuis long- tems un
commerce considerable en gros de liqueurs , sirops
, Eau de la Reine d'Hongrie et autres Marchandises
, donnent avis au Public qu'ils ont inventé
depuis peu une nouvelle liqueur fine , à la
quelle ils ont donné le nom d'Eau Dauphine
Cette liqueur est genéralement goutée et reconnue
pour supérieure en bonté à toutes celles qui
ont parû jusqu'à présent. Ceux qui en auront
besoin pourront leur écrire à Montpelier . Ils
vont ordinairement à la Foire de Beaucaire , et
y ont leur Magasin dans la grande rue. Pout
distinguer la liqueur de leur fabrique d'avec celle
qu'on pourroit contrefaire et débiter sous leur
nom , ils avertissent que les étiquetes qu'ils y font
mettre sont gravées en Taille- douce , qu'elles
sont signées d'eux , & qu'elles sont en ces termes:
Eau Dauphine inventée en 1730. par Girau
Leau , lejeune , et Felz , de Montpeliers
CHAN3
HE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS .
+
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
,
FEVRIER. 1731. 339
XXXXXX:X:XXXXX:XXX
CHANSON A BOIRE.
Lucas Ucas ! ma maison brûle , ô douleur sans se
conde !
La flame bouche mon caveau ;
Je verrois sans frémir l'embrasement du monde ,
Et ne puis sans pleurer voir périr mon tonneau.
A mon malheur affreux , cher ami , sois sensible
;
Au travers de ce gouffre ouvrons- nous un cheming
Je rirois du dégat que fait ce feu terrible ,
Si je pouvois sauver mon vin.
Par M. Affichard.
XXXXX:XXXXX:XXX : XX
SPECTACLES.
E Samedi 10. de ce mois , les Comé- ,
Ldiens François donnerent la premiere
Représentation de la Comédie de l'Effet
de la Prévention , en un Acte , en Prose ,.
avec un Divertissement à la fin . Elle n'a
pas été rejoüée.
Lc
340 MERCURE DE FRANCE.
Le 13. ils représenterent à la Cour la
Tragédie d'Ariane et la petite Comédie
du Balet Extravagant. La Dlle La Traverse
joüa le principal Rôle dans la Tragédie ,
et y fut fort applaudie , ainsi que dans
celui de Roxane , dans Bajazet qu'on joiia
le 20. Cette Actrice , petite- fille du feu
sieur Baron , a été reçue sur le pied de
demi-part.
Les mêmes Comédiens joüerent aussi à
la Cour le 15. la Comédie du Médisant
et leMariage forcé. Le 22. la Devineresse , et
le 27. Mědée et le Bon Soldat.
On continue toujours la Tragédie d'Amasis
, dont on a déja donné 16. Représentations
, et le Public ne se lasse pas de
la voir et de l'applaudir . Cette Piéce est
de M. de la Grange ; nous en avons déja
parlé , mais nous nous sommes trompés
en disant que c'étoit sa seconde Tragédie,
c'est la cinquième des huit que nous connoissons
de ce Poëte , qui sont :
Adherbal ,
Oreste et Pilade ,
Meleagre ,
Athenaïs
Amasis ,
Alceste ,
Ino et Melicerte ,
Sophonisbe, qui n'a point été imprimée.
On
FEVRIER . 1731. 341
que
On peut en ajoûter une neuvième du
même Auteur , sous le titre d'Erigone
les Comédiens ont lûë & reçûë depuis
quelques jours et qu'on met au- dessus
d'Amasis pour la diction & pour l'interêt.
Nous en rendrons compte quand on
la jouëra .
>
La Piéce nouvelle d'Alcibiade , en vers
et en trois Actes , fut représentée le Samedi
23 de ce mois , et tres- applaudie du
public.Elle est fort bien écrite et fort bien
representée. Nous en parlerons plus aų
long.
L'Académie Royale de Musique continue
toujours,avec un tres- grand concours,
l'Opéra de Phaeton . On a changé la disposition
de quelques Rôles, et on les trouve
plus avantageusement remplis ; celui
de Climene est joué par la Dlle Herremans,
et celui de Théone , par la De Pélissier
dont on connoît les grands talens pour
le goût du chant et l'action théatrale.
L'interêt qu'elle a sçu mettre dans ce Rôle
, augmente beaucoup le nombre de ses
partisans. La Dlle le Maure , dont la voix
est si admirable , joue toujours le Rôle
de Lybie et la De Petitpas , celui
d'Astrée.
On donna les deux derniers jours de
Carnaval, le Balet du Carnaval et de laFolie,
avec
242 MERCURE DE FRANCE
avec les Divertissemens du Cariselli et de
Pourseaugnac , de M. Lully. Pieces tresconvenables
au tems qu'on les a données,
et dans lesquelles le sieur Tribou met au
tant de vivacité que de gayeté.
Le 7 Janvier , on representa à Naples ;
le nouvel Opéra, d'Arthemise , qui eut
beaucoup de succès .
On a representé à Venise , sur le Theatre
de Saint Ange , le nouvel Opera du
Triomphe de la Constance ; et sur celui de
S. Jean Chrisostome, celui de Sireé, Roy
de Perse.
Le 14 , les Comédiens Italiens donnerent
la premiere Représentation d'une
Piece nouvelle, en Prose et en trois Actes,
qui a pour titre : Lafausse Inconstance , qui n'a pas été goutée
du public
.
Le 15. les mêmes Comédiens représenterent
à la Cour le Jeu de l'Amour et du
Hazard , et Arlequin Hulla.
Le 17.Le Naufrage , et Bolus, Parodie de
la nouvelle Tragedie de Brutus, qu'ils donnerent
pour la premiere fois , et dont
les Sieurs Dominique et Romagnesi sont
les Auteurs .
La Scene est dans l'Ecole de Medecine.
Les Medecins y sont assemblez : Bolus
leur addresse la parole , en commençant
par ces vers : IllusFEVRIER.
1731. 343
Illustres Médecins , dont les divines Loix ,
Disposent du salut des Peuples et des Rois.
Notre ennemi , continue - t - il , commence
à nous connoître , et Tufquin nous
envoye un Frater pour traiter avec nous.
La Sonde , député des Chirurgiens , s'avance ;
Comme un Ambassadeur , il demande Audiance.
Il est dans l'Anti-Chambre à croquer le marmot
,.
Voulez-vous lui parler , ou ne lui dire mot ?
Coclicola répond que puisqu'il se porte
bien , il ne faut point l'entendre .
Tel est mon sentiment , et notre auguste corps ;
Ne voit ses ennemis que malades ou morts.
La cure que votre fils a faite , ajoute-t - il , ap.
prend à ces mutins ,
Qu'ils doivent se restraindre au travail de leurs
mains.
Cependant entraînez par d'extrêmes licences ,
Ils saignoient malgré nous , faisoient des or
donnances.
Enfin il conclut qu'il ne faut point lui
parler ; mais Bolus n'est pas du même
sentiment , et continue ainsi :
La
$ 44 MERCURE DE FRANCE.
La Sonde croit peut-être aux enfans d'Hypocrate
,
Inspirer la pitié , mais en vain il s'en flate ;
Nous avons tous juré de n'en jamais avoir.
Docteurs , c'est pour cela qu'il le faut recévoir.
Qu'il vienne contempler nos superbes Hermines,
Et qu'il tremble à l'aspect de nos augustes mines.
Coclicola approuve l'avis de Bolus , et
ordonne aux Bedeaux d'introduire la Sonde
, par ces deux vers :
Bedeaux , qu'on l'introduise , et par trois révé
rences ,
Qu'il marque le respect qu'il doit à nos presen
ces
La Sonde , Gascon , accompagné par
les Bédéaux , entre avec Syrop , se place
surun Tabouret , et commence ainsi :
Sçavante Faculté , qu'il m'est doux d'être admis
,
Dans ce Cercle fameux de sages ennemis !
Il vient , dit - il , de la part de Tusquin
pour leur offrir la paix ; par où , continue-
t-il.
Mon Maître Tusquin , a- t-il merité
cette fureur extrême ; et qui peut le dépoüiller
de ses droits ?
Luiz
FEVRIER . 1731 .
345.
Lui-même , répond Bolus.
S'il ne s'en fut tenu qu'à l'opération ,
Il n'auroit point perdu notre protection.
La Sonde.
Orgueilleux Medecins , qu'elle est votre manie
N'ose-t-on s'affranchir de votre tyrannie ?
Un malade à nos soins , n'ose-t-il recourir ?
N'est- il permis qu'à vous de le faire mourir a
Bolus.
Ouy-, nous faisons valoir les droits de nos an
cêtres ,
Et vos pareils sont nez pour servir sous des
Maîtres .
Voicy le serment que fait Bolus , et
qu'il adresse à Esculape.
L
Si jamais parmi nous il se trouvoit un traître ;
Qui regretta Tusquin , qui pût le reconnoître ,
Que le perfide meure au milieu des tourmens .
Et que son corps privé de nos médicamens ,
Languisse sans secours, et qu'au lieu d'Emétique,
De la Pierre infernale , on lui fasse un Topique.
t
Tous les Medecins se levent et jurent
sur un grand Livre;ce qui oblige la Sonde
de faire cet autre serment.
G Et
346 MERCURE DE FRANCE
Et moi sur ces Lancettes ,
Instrumens bien plus sûrs , sandis , que vos re
cettes ,
Je vous jure la guerre , au nom du grand Tusquin
,
Comme vous la jurez à tout le genre humain,
13
Bolus finit la Scene déliberative par ces
vers.:
Allons , plus longs discours rendroient la Scene
fade ;
lieu , vous avez fait une belle ambassade !
yous , Docteurs , suivez - moi , c'en est assez ♦
partons :
S'addressant à la Sonde.
Vous devriez sortir , et c'est nous qui sortons.
La Sonde reste avec Syrop , il lui demande
si Massacra osera venir chez Bolus
, et le prie de lui en faire le portrait,
Syrop après avoir exposé son mauvais caractere
, finit par ces vers :
Incrédule à la fois , et sur la Pharmacie
Et sur la Médecine , et sur la Chirurgie ;
Il les détruit , les sert sans aucun fondement ,
C'est un Pirrhonien anté sur un Normant,
Massacra arrive ; la Sonde lui dit qu'il
a pû sien gagner sur l'esprit des Médedecins
;
FEVRIER. 1731
347
decins la Sonde lui demande s'il connoît
quelqu'un qui voulut servir Tusquin , et
conspirer contre les Médecins. Massacra
répond que peu sont de cet avis .
Les esprits prévenus
Des Médecins encor ne sont pas revenus.
Il en est cependant dont la masle constance ,
Brave des Médecins la frivole assistance ,
Et meurent en Héros sans attendre leurs coups
Comptez sur leur appui , ces gens- là sont à vous.
De quel oeil , ajoute la Sonde , Tutie
voit- il l'injustice que les Médecins lui
font , en lui refusant le Bonnet de Docteur;
il est , répond Massacra , tout plein
de cette injure , et adore Tutie , la fille de
Tusquin. Que ne me le disiez -vous d'abord
, répond la Sonde , vous auriez épargné
des Portraits inutiles. Il envoye Syrop
versTusquin, et ils entrent tous deux chez
Tutie, pour tâcher de s'éclaircir et pour
pénétrer les secrets de son coeur.
Tutie apprend à Claudine sa suivante ,
qu'elle va bien-tôt partir , et que son pere
l'a fait revenir pourlui donner un Epoux.
A la sixième Scene , Tetu entre ; Tutie
veut le fuir , mais elle ne peut s'y résoudre.
Puis-je esperer , lui dit Tetu , que vous
recevrez sans colere l'ennemi de M. votr
Gij pere ;
348 MERCURE DE FRANCE
pere ; vous allez partir , je viens vous dire
adien.
Un grand Operateur deviendra votre Epoux ;
C'est le seul Charlatan dont mon coeur soit jaloux
,
Le seul dans l'Univers digne de mon envie,
Tutie.
Cache bien ton amour , malheureuse Tutie !
Sortons , où suis- je ?
Tetu.
Helas , où vais-je m'emporter a
Vous partez , et je viens ici vous en conter !
J'ai perdu l'heureux tems où je devois vous faire
Un aveu qui devient aujourd'hui temeraire.
Avant tout ce procès , imbécile Tetu ,
Tu ne lui disois rien ; à quoi t'amusois-tu ? &c .
Tutie.
Vous attendiez , Monsieur , pour me parler d'amour
Que de mon hymenée on eut marqué le jour.
Elle s'en va,cn lui disant qu'il manque
de respect à son futur Epoux . Tetu reste
desesperé.
Massacra arrive , qui le voyant dans
l'agitation , lui dit qu'il connoît aisément
la cause de son chagrin. L'injuste Faculté
vous refuse le grand nom de Docteur ,
parce-
་
FEVRIER. 1731. 349
parceque vous n'avez pas l'âge , et c'est ,
sans doute , ce refus injurieux qui fait naî
trevotre desespoir.
Ah ! ce n'est pas , répond Tetu , ce qui
me désole le plus , c'est la perte
de Tutie que
l'on m'enleve , et pour qui on a choisi un
Epoux. Ma foi , lui dit Massacra , sij'étois
en votre place j'épouserois Tutie , malgré
les Medecins qui s'y opposent.
Jeser virois Tusquin , même tout au plutôt.
Tetu.
Que dis-tu ? ce conseil est d'un fieffé maraut.
Vous ignorez aparemment , reprend
Massacra , que votre frere est déjà dans
notre parti.
Tutie.
A trahir son devoir il auroit consenti !
Mais la Soude paroît ; adieu , je me retire ,
Autre fripon , qui vient encor pour me séduire :
Evitons les discours d'un fourbe mal adroit
Passons à l'interêt , si tant est qu'il en soit.
>
La Sonde présente une Lettre à Tutie
de la part de Tusquin . N'est- ce point une
attrape , dit Tutie : voici ce que contient
sa lettre
Je ne veux point troubler les jours de votre vie,
G iij
Si
350 MERCURE DE FRANCE
Si vous aimez Tetu , j'en ferai votre Epoux ;
Mais à condition que de la Chirurgie
Il soutienne les droits , et s'unisse avec nous.
Tutie reste avec Claudine , et lui dit
avec empressement d'aller chercher Tetu
, qu'elle veut absolument lui parler.
Claudine rentre ; Tutie reste , et dit les
mêmes Vers qui sont dans la Tragédie .
Toi que je puis aimer , quand pourrai- je t'apprendre
Ce changement du sort où nous n'osions préten
dre !
Quand pourrai-je avec toi , libre dans mes transports
,
T'entendre , t'adorer , te parler sans remords ...
Mettons dans nos discours un peu de modestie ,
Ils ne peuvent passer que dans la Tragédie ,.
Qu'importe , puisqu'enfin ce sont ses propres
mots ;
Je fais la délicate ici mal à propos.
Tetu entre avec précipitation , et com
mence par ces Vers d'Oreste à Hermione ,
qui sont à peu près les mêmes dans la
Tragédie de Brutus .
Ah! Madame , est - il vrai qu'une fois
Je puisse en vous cherchant obéir à vos loix ?
Avez- vous,en effet , souhaité ma personne ¡
Tutie.
FEVRIER.
1731. 3fr
+
Tutie.
Vous me prenez sans doute , ici pour Her
mione ,
,
Et pour parler ainsi que vous vous exprimez.
Hé bien :
Tetu.
Tutie.
Je veux sçavoir , Seigneur , si vous m'aimez.
Tout vous en assure , lui répond tendrement
Tetu , mon sort est en vos mains.
Le mien dépend de vous , réprend Tutie :
Par cet heureux billet nos maux sont appaisés,
Seigneur , sçavez - vous lire ?
Tetu.
Oui , Madame.
Tutie.
Lisez.
Tetu prend la Lettre , et en la lisant
change de visage : vous trouvez -vous mal ,
s'écrie Tutie :
Tetu.
Non , je me porte bien :
Et puis vous épouser ; mais je n'en ferai rien.
G iiij
Tutie.
352 MERCURE DE FRANCE
Tutie .
D'un autre que de vous je serai donc la femme >
Et je vais epouser ...
Tetu.
Non , s'il vous plaît , Madame ;
Et je mourrai plutôt qu'un autre ait votre foi.
Tutie.
Que prétendez -vous donc , Monsieur , faire de
moi?
Je veux , répond Tetu , que vous deveniez
la fille de Bolus. Non , si tu veux
m'obtenir pour ta femme , ajoûte Tutie ,
il faut que tu te déclares en faveur de
Tusquin , ou tu me vas voir expirer à tes
yeux. Ah ! pour le coup ,
c'en est trop
me voilà rendu , réplique Tetu ,
Je ne le cache point , ce noir projet me choque:
La vertu le deffend ; mais mon amour s'en mocque.
Tutie sort ; Tetu reste , et ordonne
qu'on fasse venir Massacra , qui arrive sur
le champ. Tetu le prie de servir la fureur
d'un malheureux Amant : j'ai tout prévû,
répond Massacra , j'ai fait une cabale dans
un Cabaret qu'on nomme la Porte Royale :
Tusquin nous y attend , ne perdons point
des momen's précieux. Lors qu'ils veulent.
partir
FEVRIER. 1731. 3.5.3
partir , Bolus arrive ; il dit à son fils de
se préparer à guerir un malade en danger
, qui loge à la Porte Royale , que certain
Chirurgien doit traiter cette nuit :
ravis lui , continuë- t'il , cet avantage.
En un mot , qu'il guerisse ou qu'il perde la vie;
Quoiqu'il puisse arriver , tu feras mon envie.
;
Tetu ne peut cacher son trouble ; dans
le moment arrive Coclicola , qui prie
Bolus de les faire retirer . Tetu sort avec
Massacra Coclicola apprend à Bolus que
de rebelles enfans de la Faculté conspirent
;aussi-tôt on vient dire à Bolus qu'un
Apoticaire le demande ; Bolus renvoye
Coclicola , et le charge de s'informer des
Conjurés et de venir incessament l'en
éclaircir.
>
Scene 18. M. Fleurant vient , et dit à
Bolus :
Enfin j'ai découvert cette ligue fatale
Ils étoient rassemblés à la Porte Royale :
J'ai conduit avec moi vos fideles bedeaux
Qui portoient des bâtons en guise de faisceaux.
Fapperçois Massacrá , mon zele me transporte
Je le fais entourer soudain par mon escorte
Ne pouvant plus cacher sa noire trahison ,
Il fouille dans sa poche , il en tire un poison ,
Poison qu'à vous , Docteurs , il destinoit peut -être
་ ་ EF
354 MERCURE DE FRANCE.
Et meurt en Medecin , quoiqu'indigne de l'être.
Ah ! quand nous connoîtrons les Auteurs
de cette sédition , il faudra , die
Bolus , les en punir , selon notre serment;
puis s'adressant à Fleurant.
O toi , dont l'ignorance et l'aveugle Destin ,
Au lieu d'un Clistorel , dût faire un Medecin ,
Sois-le , prens ce Bonnet , que ta tête le porte,
Fleurant.
Je ne sçais pas un mot de Latin.
Bolus.
Et qu'importe ?
Coclicola vient avec empressement
présenter des Tablettes à Bolus , où les
noms des conjurez sont écrits . Il lit le
nom de Viperinus , son fils ; ensuite celui
de Tetu ; il témoigne sa douleur et
dit ensuite que cela ne peut être ; bon
répond Coclicola , il est sur la Liste que
Rhubarbus a trouvée chez Massacra ; čela
ne prouve rien , répond Bolus , on peut
par malice avoir écrit son nom ; écoutez
Pautre indice , dit Coclicola.
Sans armes on l'a vû seul qui se promenoit ,
Et qui ne parloit point , le fait est clair et net .
Voilà une plaisante preuve , dit Bolus ;
et
FEVRIER. 1731. 355
et Tutie , qu'est-elle devenue ? Voulezvous
, répond Coclicola , qu'elle vienne
se tuer ici , ou que je vous fasse un récit
de sa mort ; ni l'un ni l'autre , lui dit
Bolus ; mais faites venir mon fils , je veux
l'interroger. Puis s'adressant aux Medecins
, Messieurs , il n'est pas nécessaire
que vous soyez presens à ce que je vais
faire ici.
Adieu , retirez-vous , vos rôles sont remplis ,
Je vous suis obligé de tous vos bons avis.
Bolus reste seul , Coclicola rentre ,, après
avoir annoncé à Bolus que la volonté des
Medecins est qu'il prononce sur son fils ;
ils me font bien de l'honneur , reprend
Bolus ; cependant je doute de son crime ;
tous les conjurez l'accusent , ajoûte Coclicolas
cependant quand on l'a pris , il
étoit desarmé , et ne songeoit à rien , dit
Bolus , je le crois innocent ; cela pouroit
bien être , répond Coclicola , mais le voici
lui - même .
Tetu veut se jetter aux genoux
de son
pere , mais il l'arrête. Tu devrois , lui
dit-il , traiter cette nuit avec Tusquin ,
qu'avois-tu résolu ? je n'ai résolu rien , répond
Tétu .
Bolus.
Un tel discours renferme un sens impenetrable ,
G vj n'ayant
38 MERCURE DE FRANCE
N'ayant résolu rien , tu n'es donc pas coupable.
Si je n'ai plus de fils , tu n'es pas innocent ?
Ergo , ... ceci pour moi devient embarrassant.
Hé bien , voici le fait , répond Tétu ;
Massacra et la Sonde , par leurs mauvais
discours , secondant les transports de Tu
tie, m'ont débauché pour un seul moment.
Disposez de ma vie ;
A de vains préjugez Tétu la sacrific.
Honorez-moi , continuë t'il , de vos em
brassemens.
Bolus.
Pour te les refuser , serois - je assez barbare ...
Qu'on mene de ce pas mon fils à saint Lazare.
Bolus , seul.
Ah !puisqu'on me dictoit un Arrêt si cruel ,
On devoit rendre , au moins , mon fils plus cri
minel.
Coclicola s'avance , Bolus lui dit qu'on
ne voit que lui , et lui demande s'il vient
de la part des Medecins pour le complimenter
? Non , reprend-il , c'est pour
vous garroter,
La sage Faculté , pour de bonnes raisons ,
Yous envoye à l'instant aux petites Maisons.
Bolus.
FEVRIER. 1731. 35T
Bolus
Aux petites Maisons !
Rendons
Coclicola.
Oui , vous dis -je , et pour cause.
Bolus,
graces aux Dieux !
Coclicola.
C'est bien prendre la chose.
Le 22. les mêmes Comédiens donnerent
la premiere Représentation d'Arlequin
Phaeton , Piece en un Acte , mêlée
de Vaudevilles et de Divertissemens; c'est
la Parodie de l'Opera qu'on joue actuel
lement , composée par les S" Dominique
et Romagnesi , dont on parlera plus au
long , ayant été reçue très favorablement
du Public.
Le 3 Février , l'Ouverture de la Foire S. Ger
main fut faite par le Lieutenant General de Police
, en la maniere accoûtumée.
Le même jour , l'Opera Comique fit aussi
P'ouverture de son Théatre , rue de Bussy , par
une Piece nouvelle en trois Actes , composée de
Chants et de Danses , qui a pour titre l'Escla
vage de Psiché , dont voici un petit Extrait.
Au premier Acte , l'Amour seul ouvre la Scene
et se plaint des maux causez par la curiosité de
Psyché
358 MERCURE DE FRANCE
Psiché, et de ce qu'elle est tombée entre les mains
de Venus ; qu'il ne sçait quel traitement elle reçoit
de la Déesse , mais qu'il en sera bien-tôt
me- éclairci par l'ordre qu'il a donné à Pierrot ,
tamorphosé en Zéphire , pour s'informer de ce
qui se passe.
Egle , Confidente de Venus , vient apprendre à
l'Amour que Venus est fort irritée de son Mariage
clandestin , et que la Déesse traite Psiché
avec la derniere rigueur ; P'Amour est penetré de
douleur à cette nouvelle , il dit qu'il est prêt d'oublier
tout ce qu'il doit à sa mère, et qu'elle verra
bien - tôt que son fils est son Maître. Eglé engage
l'Amour à secourir Psyché , et lui conseille de
prendre le parti de la douceur.
Zéphire promet à son Maître de' mettre tout
en usage pour le servir et pour délivrer Psyché
des mauvais traitemens qu'elle reçoit. Eglé demande
à Zéphire si Flore est contente de le voir
dans cet équipage , à quoi Zéphire répond qu'elle
en a été charmée .
Eglé apprend encore à l'Amour que Venus doit
envoyerPsyché à la Fontaine de Jouvence pour lui
en apporter
de l'eau ; mais que comme cette Fontaine
est gardée par un Monstre horrible , elle ne
lui a donné cette commission que pour la faire
périr .
L'Amour voyant le danger où sa chere Psyché
va être exposée , prend le parti de se métamorphoser
lui-même pour la garentir , Zéphire lui
dit qu'il peut prendre relle figure qu'il lui plaira
à l'exemple de son Grand Papa Jupiter , et charte
sur l'Air des Fraises
Pour Europe et pour Leda ,
Soe Amourfut sans bornes ,
Carpour l'une il s'empluma ,
Et
FEVRIER. 1731. 359
Et pour l'autre il emprunta ,
Des cornes , des cornes , des cornes .
Le Théatre change et représente la Fontaine
de Jouvence.
Psyché paroît seule plus touchée de se voir séparée
de son cher Epoux , que du danger où elle
va s'exposer ; elle se met en devoir de s'acquiter
de sa commission ; un Choeur se fait entendre ,
qui lui annoncé qu'elle va périr si elle avance .
Elle approche cependant de la Fontaine ; aspect
du Monstre la fait tomber évanouie sur un gason.
L'Amour et Zéphire paroissent travestis en Musiciens
, Zéphire joue un Menuet Italien qui endort
le Monstre , après quoi l'Amour fait remplir
le vase que Psyché a apporté , et le laisse à
ses pieds. Psyché revenuë de sa frayeur , est fort
étonnée de voir les ordres de Venus executez sans
sçavoir à qui elle est redevable de ce secours.
Elle se retire .
Venus paroît au milieu de sa Cour,dans une profonde
rêverie ; les Graces tâchent de la dissiper et
vantent ses charmes . On annonce le retour de Psyché
qui présente ce Vase rempli d'eau à Venus qui
en est très-étonnée . Elle charge encore Psyché d'une
commiffion qui n'est pas moins difficile. Elle
lui ordonne de concilier une Troupe de Comédiens,
et de chasser la discorde qui regne ordinairement
dans leurs Assemblées: Les Comédiens
paroissent , disputent avec animosité , se querelÎent
sur une distribution de Rôles ; Psychẻ tâche
en vain de les racommoder, et se retire ;
en même
tems un petit Amour paroît en l'air , secouë son
flambeau , aussi – tôt la dispute des Comediens
cesse , et ils sont d'accord
-
Zéphire apprend à Eglé, au second Acte, comment
Psyché a été secourue par l'Amour sous la
figure
360 MERCURE DE FRANCE
figure d'un Berger , contre la fureur des Beliers
du Soleil , ausquels elle vient d'être exposée par
un nouvel ordre de Venus , sous prétexte d'avoir
de leur Toison pour faire une Robbe ; Eglé confeille
à Psyché d'aller porter ce present à la Reine
de Cythere pour la calmer.
Venus irritée de plus en plus contre Psyché
l'expose encore à une nouvelle épreuve . Elle lui
ordonne d'engager à restitution un fameux Usurier
, qui par un Acte falsifié a ruiné une famille
orpheline , et la menace d'une mort certaine si
elle n'en vient pas à bout.L'Amour et Zéphire, en
Robbes , arrivent , et proposent d'accommoder
cette affaire , Zéphire dit à l'Usurier que tôt ou
tard il faut se rendre à l'Arbitre que voilà ( montrant
l'Amour , ) l'Usurier rend le bien qu'il a injustement
acquis , et épouse une fille de la famille
orpheline.
Psyché dit à l'Amour qu'elle lui a trop
d'obli
gation pour ne pas le prier de ne la pas quitter
si - tôt , &c. Venus paroît , qui entend qu'on ne
parle pas d'elle avantageusement . Elle ordonne à
Psyché de se retirer . Zéphire dit à l'Amour que
Venus ne les reconnoît point , et qu'il faut tenir
bon; Vénus continuë de plaisanter avec eux , et leur
sçait bon gré , dit-elle , de s'interesser pour Psyché
, que cependant,afin qu'elle ne soit plus à portée
d'être secouruë , elle va la faire partir pour les
Enfers.
L'Amour accablé de douleur dit qu'il n'est pas
permis aux Dieux de descendre au Royaume som
Bre, et qu'il n'est plus à portée de secourir sa chere
Psyché , il ordonna à Zéphire de rassembler
tous les Zéphirs , afin qu'ils puissent transporter
dans un instant et sans danger Psyché fur les Rives
infernales , Zéphire obéit à cet ordre ; l'Aour
fait une invocation aux Dieux et se retire..
Le
FEVRIER. 1731. 361
Le Théatre représente le Palais de Pluton , on
vient annoncer à ce Dieu l'arrivée d'une Mortelle
dans son Empire. Psyché lui remet une Lettre de
la part de Venus , par laquelle elle le prie de lui
envoyer une Boëte remplie du fard de Porserpine.
Pluton ordonne à ses Sujets de rompre le si
lence, et de celebrer la presence de Psyché par un
Divertissement , après lequel il remet la Boëte à
Psyché , et la renvoye ; il chante sur l'Air la
Curiosité.
Les Dieux vous ont donné plus que toute autre
femme.
La beauté.
Au doux tyran des coeurs , vous causez de la
flâme ,
La rareté !
Pourjouir de ces biens , banissez de votre ame ,
La curiosité.
Le Théatre représente au troisiéme Acte une
Forêt , et dans le fond l'Antre d'Averne.
Apeine Psyché est -elle sortie des Enfers , qu'el
Te est tentée d'ouvrir la Boëte ; les deffenses que
Pluton lui a faites d'y regarder , lui font croire
qu'elle renferme un fard précieux ; elle espere par
ce moyen rétablir ses charmes alterez par le
voyage, elle se met à l'écart crainte d'être apperçue.
L'Amour et Zéphire arrivent en habits de
Chasseurs , ils cherchent Psyché de tous côtez , er
pendant qu'ils s'entretiennent d'elle , ils entendent
une voix plaintive; ils prêtent l'oreille tandis que
Psyché , pâle et défigurée , dit qu'en ouvrant la
Boëte une vapeur lui a offusqué les yeux , que
tout a disparu, et qu'elle n'y a trouvé qu'un Bilfet
qu'elle lit.
Psyche
362 MERCURE DE FRANCE
Psiché , tu n'as plus de beauté ;
Ta vaine curiosité ,
Vient de la faire disparoître 5
Ton visage est affreux , et telle est ta laideur
Que ceuxdont le secours soulageoit ta douleur,
Ne pourront plus te reconnoître.
-
Psyché déplore son malheur , s'accuse elle
même, et dit que les Dieux ne la traitent pas encore
comme elle mérite. L'Amour surpris d'entendre
parler de Psyché â une personne qu'il croit
étrangere , l'aborde dans le dessein d'apprendre
de ses nouvelles ; Psyché 1appelle en peu de mots
tous ses ma.heurs , dont le plus grand est celui
d'avoir ouvert une Boëte qui lui a fait perdre
tous ses charmes. A ce portrait , dit-elle , et aux
pleurs qui coulent de mes yeux , ne reconnoissez-
vous pas cette malheureuse Psyché. L'Amour
saisi d'éteonnement et de tendresse , se fait
connoître et dit à sa chere Psyché , que c'est lui
qui a causé tous ses maux ; mais qu'elle ne doit
point s'allarmer , que sa beauté lui sera renduë
puisqu'il va remonter aux Cieux ; Psyché veut
P'en empêcher , et dit qu'il vaudroit mieux faire
un dernier effort pour toucher Venus. Zéphire
est d'avis d'implorer l'assistance de Cybelle pour
fléchir Vénus . L'Amour prend ce parti et ordonne
à Zéphire de conduire Psyché à Cythere . En
cet endroit le Théatre change et représente les
Jardins de Vénus.
Eglé et une autre Nimphe se plaignent de la
tristesse qui regne dans la Cour de Venus depuis
la division de la Mere et du Fils . Vénus , arrive
qui une foule de mécontens fait les mêmes reproches
, Cybelle , qui survient , se joint à eux et
chante sur l'Air : Ce beau jour ne permet que
l'Aurore , de l'Opera de Phaeton.
FEVRIER . 1731 . 363
Recevez en ces lieux de Cybelle ,
La visite et quelques avis ,
Au sujet de l'Amour votre Fils.
Quelle triste nouvelle ! .
Quels maux ! quels ennuis !
Quelle haine mortelle ,
Dans tous les esprits ;
L'Amour plaît , il est la douceur même ,
Ce Dieu charmant nous enchante tous ;
Lorsque chacun l'aime ,
Le haïrez-vous ?
Venus.
Se peut- il, sage immortelle ,
En verité ,
Que mon Fils rebelle ,
Ait mérité ,
Tant de bonté.
Cybelle.
Du destin des Mortels il dispose ,
Quand je le sers >
Je soutiens la cause ,
De tout l'univers.
L'Amour vient se jetter aux pieds de Vénus
et tâche de la fléchir par des sentimens de soumission
et de tendresse . Venus lui répond et
chante sur l'Air : Quand on a prononcé ce malheureux
ani.
Hous
364 MERCURE DE FRANCE
Vous avez pris plaisir à braver votre Meře ,
Et vous avez détruit tout ce que j'ai sçu fairez
Voyons à cette fois si vous l'emporterez i
Si contre mes desseins vous vous déclarerez.
Voilà , continue Venus , le supplice que j'ai
réservé à votre Amante. Psyché paroît en même-
temps au fond du Théatre dans un lieu enchanté
, environnée des Graces , des Ris et des
Jeux, qui forment le Divertissement , pour celebrer
l'Hymen de l'Amour et de Psyché , après
lequel , Zéphire , qui a suivi Cybelle aux Cieux,
arrive et apporte pour present de Nôces un Brevet
de Déesse et une promesse de la part des
Dieux que la volupté naîtra de Psyché .
L
VAUDEVILLE.
Amour m'a rendu la maîtresse
D'un Plumet rempli d'ardeur ,
Avant de payer sa tendresse ,
Consulte-toi bien , mon coeur ,
Il est galant, attentif à complaire ;
Plaire ,
Est son unique objet ;
Mais rarement on voit un Mousquetaire ,
Taire ,
Les faveurs qu'on lui fait.
Le 12. on donna une autre petite Piece d'un
Acte à la suite de la premiere , intitulée la Fausse
Ridicule , qui fut reçue très favorablement du Public
, et dont nous parlerons plus au long.
Le
FEVRIER. 1731. 365
Le 20. on donna à la place de l'Esclavage de
Pfyché une Piece nouvelle qui a pour titre Cydippe
, précedée d'un Prologue , avec un Divertissement.
On doit construire incessamment une Salle et
un Theatre dans l'Enceinte et sous le couvert de
la Foire S. Germain , pour les Spectacles qui en
dépendent : voici ce qui donne lieu à cet établissement
, autorisé par un Arrêt du Conseil.
Les anciens Sindics er en charge de tous les
Proprietaires des Loges situées dans l'enclos et
sous le couvert de la Foire S. Germain des Prez ,
ayant présenté une Requête au Roy dès l'année
derniere , contenant qu'ils ont remarqué que depuis
que les Loges des Spectacles établis dans le
Preau de ladite Foire ont été démolies , la plûpart
de celles du dedans , tenues par des Marchands
, ont cessé d'être louées , ou ne l'ont été
qu'à très-bas prix ; et que même lors de la derniere
Foire plusieurs Marchands ont préferé de
fermer celles qu'ils y avoient loüées au hazard
de ne point vendre , ni recevoir dequoy se rembourser
de leurs frais ; lesdits Proprietaires à qui
ces Loges tiennent lieu d'un Patrimoine considerable
, ou qui les ont reçues en dot sur la foy
des Privileges de Foire , ont la douleur depuis
quelques années de voir cette portion de leur
subsistance diminuer à chaque Foire ; ce qui les
a obligés à convoquer une assemblée de tous les
Proprietaires , pour aviser aux moyens de remettre
leurs Loges en quelque valeur , et ils ont
crû que le seul expédient , pour prévenir leur
ruine totale , étoit de faire construire une Salle de
Theatre dans l'Enceinte et sous le couvert de la
Foire , ce qui procurera l'agrément et la commodité
du Public , qui depuis quelques années.
cat
1
1
265 MERCURE DE FRANCE.
est obligé d'aller de ladite Foire à des rues éloi
gnées pour assister aux Spectacles qui en dépendent
; ainsi les Marchands pourront trouver dans
la frequentation de la Foire , devenue pour lors
un lieu de Spectacle et de promenade tout en
semble , le debit certain de leurs marchandises
et les Proprietaires rentreront par là dans la
jouissance d'un revenu dont la privation les a
fort incommodés , etc. Sur quoy
LE ROI a homologué , approuvé et autorisé
la déliberation desdits Proprietaires de ladite
Foire , et a permis par Arrest de son Conseil du
25 Novembre dernier l'établissement d'une Salle
de Spectacles dans l'Enceinte et entre les deux
Halles couvertes de ladite Foire , dans les rues
et endroits designés par ladite deliberation ,
nomme le Lieutenant General de Police Com →
missaire en cette partie , en cas de contestations
empêchemens et oppositions , à l'occasion dudit
Etablissement , etc.
et
NOUVELLES ETRANGERES.
ON
TURQUIE ET PERSE.
N a appris par Moscou que le Roy de Perse
avoit envoyé à Ispaham 2000. prisonniers
avec plusieurs pieces d'artillerie prises sur
les Turcs dans la derniere bataille qui a été
donnée du côté de Tauris ; et que ce Prince ne
vouloit écouter les propositions d'accommodement
qui lui ont été faites de la part du nouveau
Sultan , qu'à condition que pour Prélimimaires
de la Paix , les Turcs lui restitueront les
ConFEVRIER
. 173.1.1 367
Conquêtes qu'ils ont faites pendant la derniere
revolution , et lui payeront 30 millions de Roupies
en forme de dédommagement des pertes
qu'ont souffertes les differentes Provinces de la
Perse pendant la guerre,
Les Lettres de Derbent portent , qu'un Deta→
chement de l'armée du Roy de Perse avoit attaqué
le secours que le Bacha du Grand Caire envoyoit
à Bagdad , suivant les ordres du Sultan
déposé , et que les Persans avoient fait un butin
de près d'un million de Ducats.
Quelques Lettres de Constantinople du mois
de Decembre portent qu'Ali surnommé Patrona,
Chef et auteur de la revolution , peu content des
recompenses qu'il avoit reçues du Gr. S. et continuant
de demander avec hauteur les principales
Charges pour sa famille , ou pour ses adherans ,
S. H. avoit pris la resolution de se défaire de cet
importun , mais avec les précautions necessaires
pour prévenir une nouvelle revolution ; que lè
30 de Decembre Cianum Coggia , Capitan Pacha
, avoit eu ordre d'assembler les plus mutins
des Genteniers ou Commandans des bandes des
Jannissaires , qui avoient eu part à la derniere
revolte , et de feindre qu'on vouloit prendre leurs
avis pour décider de la Paix ou de la Guerre,
Après que le Capitan Pacha eut tenu avec 36 de
ces mutins une espece de Conseil , il alla avec
eux au Serrail , où il les engagea à demeurer
jusqu'à ce qu'il eut communiqué au G. S. le resultat
de leur Conference ; mais à peine se fut- il
retiré d'auprès d'eux , que 160 Jannissaires , áffectionnez
au Gouvernement , les environnerent
et les tail ! erent en pieces.
Cette punition n'empêcha pas Ali - Patrona de
demander le lendemain que le nommé Gicca ,
frere de l'Interprete de S. H , dont il avoit reçu
cent
368 MERCURE DE FRANCE
cent Bourses , fut nommé Vaivode de Valachie
à la place de Mauro Cordato. Le G. S. lui accorda
cette nouvelle grace ; mais quelques jours
après l'ayant fait arrêter avec le nouvel Aga des
Jannissaires , ces deux Rebelles furent étranglés ,
et on a trouvé chez eux près de cinq millions en
or ,qui ont été portés au Trésor du Serail.
Le G. S. ayant déposé le Kan des Tartares
tributaires de la Porte , qui avoit été mandé à
Constantinople , sous prétexte d'assister à un
Divan , S. H. a donné le Commandement des
Tartares au frere du Kan déposé , lequel étoit
relegué à Barna depuis quelques années , et le 3
du mois de Decembre dernier il reçut des mains
du G. S. un sabre garni de diamans , et un Caftan
doublé de martes Zebelines.
Le Seraskier Rusteck qui est allé en Perse
pour y negocier un Traité de Pacification , a été
fait Pacha à trois Queuës avant. que de partir .
Le Divan a resolu de demander des sommes
considerables aux Grecs et aux Juifs pour l'avenement
de S. H. au Trône.
Les mêmes Lettres marquent que le Sultan
déposé qui a été renfermé aux sept Tours avec
les Princes ses fils , y étoit traité magnifiquement,
et avec les mêmes honneurs que s'il étoit encore
sur le Trône.
On écrit de Venise , que par les Lettres reçuës
de Constantinople à la fin du mois dernier ; on
avoit apris que le Pacha Rustech,qu'on a envoyé
à Ispaliam , avec des pleins pouvoirs pour la signature
d'un Traité de Paix , avoit emporté avec
lui des présens magnifiques pour les Ministres du
Roy de Perse. Ces Lettres ajoutent que le G. S.
loin de se sur les créatures du Sultan dévanger
posé , de l'affront qui fut fait à Mustapha son
pere , lorsqu'on l'enferma aux sept Tours , employoit
FEVRIER. 1731. 359
ployoit tous ceux qui après avoir reconnu leur
faute, promettoient de le servir avec fidelité ; que
cette conduite lui attiroit tous les coeurs de ses
sujets , qui s'attendant à de grandes cruautez sous
son regne , étoient extrèmement surpris de voir
tant de modération et de clémence dans leur Sou
verain ; qu'on attribue cette douceur aux sages
conseils du nouveau Mufti qui l'a déterminé aus
si à visiter le Sultan déposé, et à le consulter sur
les affaires du Gouvernement, dont S H. ne pour
roit avoir une connoissance parfaite sans ce secours
, parce que le dernier G. V. avoit détourné
les Papiers de conséquence de ses Bureaux avant
que d'être étranglé , et que les autres Ministres
subalternes les ont brulés ou cachés depuis, que le
Sultan déposé,et le G.S. vivoient dans une bonne
intelligence,que le premier avoit la liberté de voir
les Princes ses fils , de manger et de converser
avec eux , et qu'on lui avoit rendu six de ses Sultanes
favorites.
On apprend par les mêmes Lettres qu'un hom
me de la lie du peuple , mais aussi sage et éclairé
qu'il est pauvre , avoit été choisi pour être Lieutenant
de l'Aga des Janissaires ; que S. H. ayant
approuvé ce choix , ce nouvel Officier avoit envoyé
chez tous les Ministres étrangers pour leur
donner part de son avenement, et les faire ressouvenir
de sa pauvreté;que ces Ministres lui avoient
fait,à l'envi, des présens magnifiques , que la Sulta
ne mere lui avoit envoyé 3 Turbans ,des habits et
quelques bourses remplies d'or , pour l'aider à se
mettre en équipage , et que depuis qu'il avoit pris
possession de son nouveau poste , les Janissaires
vivoient dans une parfaite discipline.
H EXTRAIT
370 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT d'une Lettre de Marseille
du 19 Février 1731. au fujet des Troubles
de Constantinople.
N
1
Os Bâtimens commencent à venir du Levant,
Le Capitaine Antoine Rolland arriva
le 16. en ce Port , chargé de 2700 charges de Ble
qu'il a pris au Volo , &c. Je l'ai questionné en
particulier sur la derniere révolution de Constan
tinople.
Notre Capitaine passa le fameux Janon- Coggia
Smirne,avec environ so personnes de sa suite , Er
en y arrivant , Coggia trouva des dépêches de
Constantinople où il étoit demandé, et où il s'est
rendu. Il a été fait de nouveau Capitan Pacha.
Quand il partit de Smirne , le Vaisseau du Capitaine
Rolland et tous les Bâtimens François le
saluerent de plusieurs coups de Canon , avec la
permission de M. le Consul, ce qui fit grand plai
sir au nouvel Amiral Turc,qui en témoigna sa reconnoissance
à notre Capitaine. Il fit distribuer
200 Piastres à l'Equipage.
Depuis , le même Capitaine ayant rencontré en
Mer , le Capitaine Fougasse de Cassis , commandant
un Pinque , lequel étoit parti de Constantinople
, le 13 Janvier. Il apprit de lui que Janon
Coggia avoit été reçu à Constantinople avec de
grandes acclamations , et que le nouveau Sultan`
avoit d'abord voulu le faire G. V. Il s'en étoit
excusé sur ce que la Marine étoit plus à sa bienseance
; qu'on avoit assemblé un grand Divan ,
dans lequel Ali Patrona , auteur de la Révolte
avoit eu l'audace de demander la femme du dernier
G. V , fille du Sultan détrôné ; surquoi Janon
Coggia lui avoit répondu avec mépris; qu'une telle
Dame n'étoit pas destinée à un homme de néant
tel
FEVRIER. 173 F. 370
tel que lui. Surquoi Patrona ayant tiré un Pistolet
de sa poche ; Coggia le prévint et lui fit sauter
la tête d'un coup de Sabre ; que peu de tems après
le même Coggia avoit fait étrangler 30 des principaux
Satellites du Révolté ; ce qui avoit fait
d'abord cesser le trouble , ajoûtant que le nouveau
Capitan Pacha continuoit de faire faire des exécutions
à l'égard de ceux qui ont été du parti des
Rebelles. Le G. S. ne fait rien que par le Conseil
de ce bon serviteur , en attendant l'arrivée de
Kupruli , Pacha du Caire , pour le faire G. V.
Ce qui fait esperer une entiere pacification et le
prompt rétablissement du commerce. Tout ce détail
a encore été confirmé au Capitaine Rolland
dans d'autres lieux où il a touché.
་
,
RELATION de la Ré volté arrivée
à Tripoly de Syrie , contre Hibraim
Pa ha Gouverneur de cette Ville le
26. Octobre 1730. etc. Ecrite par M.
le Maire , Consul de la Nation Françoise.
LBey
E Pacha ayant été informé par Mustapha
Bey son fils , qui commande à la Taquie
que les gens de la Montagne , informés de la Révolution
de Constantinople , s'étoient révoltez
contre lui , et qu'ils avoient fait main - basse sur
ceux qu'il avoit envoyés pour lever les droits dų
G. S. Le Bey voulant mettre les Païsans à la raison,
et n'ayant pas assez de Troupe à la Taquie
expedia icy à son pere un Courrier pour lui demander
du secours . Le Pacha donna aussi-tôt ses
ordres à l'Aga des Janissaires de faire marcher
200 hommes de cette milice à la Taquie , mais
les Janissaires n'ayant pas voulu marcher , le
Hij Corps
372 MERCURE DE FRANCE
Corps se souleva et entraîna avec lui beaucoup de
Soldats et de Populace . Ils al erent attaquer le
Serrail où étoit le Pacha , à grands coups de Fusil
, qui furent suivis d'une grêle de coups de pierres,
ce qui dura jusqu'à la nuit ; il n'y eut cependant
que 7 hommes de tués, de part et d'autre
et 3 de blessés .
Le lendemain 27 , les Rebelles allerent encore
attaquer le Pacha dans son Sérail ; pour les appaiser
, il promit de diminuer le prix de la viande,du
pain , du savon et generalement de toutes les denrées,
ce qui fut exécuté; mais cela ne les ayant pas
satisfais , ils ne discontinuerent point de tirer. Un
parti de quelques Janissaires se détacha de la
Troupe pour aller attaquer la Maison d'un des
principauxOfficiers du Pacha, appellé Cassen Aga,
ils la mirent au pillage , massacrerent cet Officier
'et couperent son corps par petits morceaux , avec
4 de ses domestiques qui s'étoient mis en deffense.
Ils allerent delà à la Maison d'Abdy- Aga, premier
Drogman du Pacha , qu'ils pillerent aussi ,
et étant revenus peu de temps après devant le Serrail
, ils demanderent que le Pacha fut déposé , et
voulurent l'obliger à passer dans le Château , jusques
à ce que les Ordres du G.S. fussent arrivez.
Il leur fit dire qu'il n'iroit point au Château sans
que les Puissances du Païs à leur tête , ne le forcassent
à y entrer.
La Populace lui demanda la tête d'Abdy-Aga
son Drogman pour l'avoir porté à tiranniser le
peuple. Le Pacha ayant fait quelque difficulté d'accorder
à leur demande , tous ses Officiers lui dirent
que s'il ne donnoit pas cette satisfaction aux
Rebelles , sa tête et la leur étoient dans un grand
danger. Le Pacha , à la persuasion de tout son
monde , et par la crainte de perdre la vie , fut le
premier à porter la Ganjarre ou Poignard sur l'es
tomach
FEVRIER. 1-31. 373
tomach de son Drogman. Les Soldats aussi - tôt
le percerent de mille coups et lui firent toute sorte
d'outrages. On le jetta par les Fenêtres du Serrail
et par le moyen d'une Corde passée à son col ,
il fut traîné tout nud par toutes les rues de Tripoly
et son corps jetté ensuite à la voirie.
> Le 28 le Frere du Drogman , ayant entendu
dire qu'on le ménaçoit , défit son Turban ,
n'ayant pas eu le temps de trouver une corde , et
par une Fenêtre du Château , se suspendit à ce
Turban , qui étant d'une Mousseline fine , ne put
résister ; il se rompit bras et jambes en tombant;
quelques Soldats Payant aperçu , coururent à lui
et l'acheverent à coups de Sabre.
Le Capigy qui est venu de Constantinople , de
Concert avec Sidy Ally , Cherif,un des Chefs de la
Justice, et Cader Aga, une autre Puissance, entre→
tiennent secretement la populace mutinée qui fait
une recherche exacte de tous ceux qui ont causé
des avanies par leurs mauvais conseils et qui
ont porté le Pacha à se faire partisan de toutes
sortes de inarchandises , et de denrées.
>
Le Pacha dit hier au Capigy , que si S. H. l'avoit
envoyê pour lui demander sa tête , qu'il
étoit prêt à la donner. Le Capigy lui répondit
qu'il n'avoit point cet ordre , et qu'il pouvoit
rester tranquille de ce côté-là ; mais qu'il ne répondoit
point de la mauvaise intention du peuple
, qui vouloit avoir raison de tous les Avanistes
, sans leur faire aucun quartier , et qu'on
cherchoit actuellement Abraham de Leon , Juif,
son Douanier , un des principaux ; sa maison fut
pillée hier totalement
on le chercha par
;
toute la ville pour le brûler devant la Maison
de la Justice ; mais ce Juif a pris la fuite dès le
comencement des desordres. Les Rebelles le
croyoient refugié dans quelque maison de Francs.
Hiij Les
974 MERCURE DE FRANCE
Les principales ereatures du Pacha qui se sen
toient coupables , ont aussi pris la fuite.
Il me fut rapporté par quelques Jannissaires ,
qu'on vouloit entrer dans les maisons des Fran
çois pour chercher le Juif , et qu'on viendroit .
d'abord à la Maison Consulaire pour me le demander.
t
Je fis dire au Corps des Jannissaires , qu'aucun
François se seroit bien gardé de refugier ce Juif
dans une pareille conjoncture , que c'étoit un
homme proscrit , et d'une Nation qu'on abhor→
roit depuis long- tems ; qu'ainsi il n'y avoit nulle
apparence qu'on lui eût donné azile ; que cependant
pour satisfaire la populace , si elle croyoit
absolument que ce Juif fut dans nos maisons
je me transportérois chez tous les Marchands
avec trois ou quatre personnes de leur troupe ,
pour faire la visite ; mais que si la Milice y ve
noit de force ouverte , je m'opposerois autant
qu'il seroit en mon pouvoir à cette violence , qui
pourroit avoir des suites fâcheuses pour tous les
habitans de la Ville. Cette Réponse leur fit faire
des Reflexions , et on nous laissa tranquilles.
Les Rebelles se transporterent au Makiamé ,
lieu où la Justice se rend ; ils y firent écrire un
Hoget ou Sentence pardevant le nouveau Cady ,
signé de tous les Chefs de la Justice , par lequel
il leur étoit permis de mettre à mort trois per
sonnes de consideration de la Maison du Pacha ,
par tout où ils pourroient les trouver , qui sont
P'Arby Caliby , son premier Secretaire , le Casanadac
, et Adheraman- Aga , Chef de la Justice ,
ce qui leur fut accordé sans difficulté . Ce jour
même , l'après- mid , ils massacrerent quelques
Avani ses, qu'i's traînerent ensuite tout nuds par
les rues : ces corps passerent dans notre quartier,
et nous firent horreur.
Le
FEVRIER.
1731. 375
Le 29 , le party des Rebelles ayant considerament
grossi , se présenta de nouveau devant le
Serrail , sur la nouvelle qu'ils apprirent que le
Pacha avoit demandé secretement main forte
aux deux Capitaines des Sultanes du G. S. qui
ont escorté le Convoy venu de Damiette en cette
Rade , pour se saisir de la personne de Sidy- Ally
Cherif , et de Cadec Aga , comme Chefs de la
Rebellion , pour les conduire à Constantinople ;
mais ces deux Capitaines n'en voulurent rien
faire , et chargerent le Pacha de justes reproches
sur sa mauvaise conduite envers le peuple
qu'il avoit cruellement maltraité , et tirannisé
depuis qu'il étoit dans le Gouvernement , ne
pouvant plus soutenir la misere où il l'avoit réduit
, et dont ils voyoient eux-mêmes la verité
ajoutant qu'ils trouvoient les habitans fondez
demander sa déposition.
Ces Capitaines n'eurent pas plutôt terminé
cette Conference qu'il s'atroupa près de sono,
hommes devant le Serrail , lesquels firent une
décharge de Mousqueterie , et braquerent en
même temps du canon sur l'appartement oa
étoit le Pacha. Ils tirerent cinq coups à boulets,
Ils n'étoient éloignez qu'à demy portée de pistolet
, ce qui fit une si grande breche à la muraille
qui separe le Serrail du Château , que le
Corps des Jannissaires y entra le sabre à la main,
Les Puissances s'y assemblerent à la requisition
de la populace , qui demanda que le Pacha ne se
mêlât plus duGouvernement,jusqu'à nouvel ordre
de la Porte , que Kader- Aga commanderoit pour
ce qui regarde le Commerce et la Police ; que le
Pacha retireroit les droits du G. S. et que Sidy-
Ally seroit Cady pour la Justice.
Le Bacha fut si ému de voir les seditieux si
près de lui , qu'il tomba évanoui . On le fit re-
Hiiij venir,
376 MERCURE DE FRANCE.
venir , et on le fit descendre dans une petite
Mosquée avec une échelle , pour le mettre à l'a
bry des insultes des troupes. Il fut poursuivi jusques
dans cet endroit-là , et Sidy-Mudy , notre
Chef des Messagers , lui sauva la vie. Il se mit à
la porte de la Mosquée , le mousqueton bandé ,
et empêcha les Jannissaires d'entrer , en lenr disant
, que s'ils tuoient le Pacha , ils seroient tous
sevérement punis de la Porte. Son Casanadac ou
Trésorier profita de ce tems- là pour prendre la
fuite. Il sortit lui quinziéme , à cheval , par une
petite porte du Serrail , le pistolet et le sabre à
la main , poussant leurs chevaux à toute bride ;
ils se firent jour à travers ceux qui pouvoient les
arrêter , et passerent du côté de la Marine. Le
Pacha fut conduit le soir dans la maison de ses
femmes, accompagné des Grands du pays, et sous
l'escorte de 60 Jannissaires , et des gens de sa
maison , sans qu'on osât tirer sur lui , ayant
promis au peuple de ne se plus mêler d'aucune
affaire ; ce qui luy fut confirmé aussi par les
Grands du pays. Tout est tranquil e depuis ee
temps-là . Les Jannissaires gardent les portes de
la Ville , pour arrêter ceux qui voudroient fuir. '
On assure que le Pacha a expedié des Couriers
de tous côtez , secretement , pour donner avis à
la Porte , au Pacha de Damas son pere , et à son
oncle , Pacha de Séyde , sur tout ce qui se passe.
L'opinion commune est que ces deux Pachas luy
envoyeront des troupes pour punir tous les Chefs
de cette Révolte ; ce qui me fait croire que les
troubles ne sont point encore finis.
Tripolie de Syrie , ce 30 Octobre 1730.
POLO
FEVRIER. 1731. 3.77
POLOGNE .
>
N apprend de Warsovie que l'Envoyé dư
Kam des Tartares a représenté que le passage
par ce Royaume des 30000. Moscovites
destinés au service de l'Empereur , étoit contraire
au Traité conclu entre la Porte et la Russie , et
aux anciennes conventions faites entre la Répu
blique et les Tartares.
A l'audiance que cet Envoyé , nommé Jasuff
Hora Mussu , eut le 15. Janvier , il entra dans
la Salle où étoit le Roi de Pologne , après avoir
remis son bonnet entre les mains du premier Page
de la Cour, ce que firent aussi son Truchement
et les autres personnes de sa suite . En entrant
dans la Salle , il fit une profonde reverence , tenant
la main devant sa bouche , et se baissant jusqu'à
terre , ce qu'il réïtera trois fois avant que
d'arriver au Trône ; s'étant ensuite retiré quelques
pas , il fit une autre réverence au Sénat , qui
étoit assemblé dans la Salle d'audiance. Après le
premier compliment qu'il fit au Roi pour s'informer
de sa santé au nom de Kaikan Kiray ,
Kam des Tartares , son Maitre , il lui remit une
Lettre de ce Prince , et remercia S. M. de sa part
de la protection qu'elle avoit bien voulu accorder
à un Prince Tartare. Le Vice - Chancelier lui
répondit au nom du Roi que l'affection et l'amis
tié que S. M. portoit au Kam des Tartares l'avoit
engagée à accorder sa protection au Prince
Tartare. Ensuite l'Envoyé acheva son discours
dans lequel il fit mention , entr'autres , du passage
des 30000. Russiens , et se retira après avec les
mêmes cerémonies.
DANG
378 MERCURE DE FRANCE
DANNEMARCK.
E 19. Janvier , M. Titley , Résident du Roi
d'Angleterre , eut une audience particulieredu
Roi , dans laquelle il remit à S M. la ratification
d'une convention particulière qui a été
conclue depuis quelques mois entre L. M. Brit.
et Danoise.
Le Roi a laissé à la Reine Doüairiere la liberté
de former sa Maison comme elle jugera à pro.
pos , et de choisir dans le nombre des Domestiques
du feu Roi ceux qui lui conviendront.
Les Commissaires de l'Amirauté ont reçû ordre
de faire les préparatifs necessaires pour équiper
au Printems prochain une Escadre de 18. Vaisseaux
de guerre et de cinq Frégates , sur lesquels
on embarquera les deux Régimens de Marine qui
sont dans le Zeland.
Le Vaisseau qu'on attendoit d'Islande est enfin
arrivé à Copenhague , ayant à bord 102. Faucons,
parmi lesquels il y en a cinq entierement blancs..
L
ALLEMAGNE.
E 26 Janvier , on fit partir de Vienne M..
d'Harerra , Commissaire Impérial , avec M.
Penkler , Interprete des Langues Orientales , pour
aller recevoir sur la Frontiere l'Effendi que le
G. Seigneur envoye pour donner part à l'Empereur
de l'avenement de Sa Hautesse au Trône
Ottoman. On a appris que cet Envoyé étoit arrivé
à Parakin , petite Ville située dans la Servie,
au-delà de Belgrade , sur la Morave , et la premiere
d Territoire Impérial , venant de Turquie.
Ce fut dans cette Ville que les Commissaires
de S. M. Imp. et du Grand Seigneur reglerent en
1719
FEVRIER. 173T 379
J
faisant
1719. les limites des deux Empires , en y
eriger trois grandes colones de pierre.
Ön mande de Vienne que le grand froid qui
s'y fait sentir depuis environ le 15. de Janvier a
été plus vif pendant quatre jours que le plus
grand froid de 1709. Les campagnes sont couvertes
de neige , et les loups qui n'y trouvent plus
de nourriture viennent enlever les moutons dans
les Villages , où ils ont même devoré quelques
enfans..
:
LE
ITALIE.
E 9. Janvier , on publia à Rome un Decret
du Pape , par lequel il est deffendu aux Ecclesiastiques
habitués des cinq Eglises Basilicales
de cette Ville d'y entrer autrement qu'en soutane.
Vers le soir , quelques prisonniers des prisons
secrettes ayant mis le feu aux portes de leurs .
cachots , dans l'esperance de se sauver , ils furent
tous étoufés par la fumée.
M. Firrao , ci - devant Nonce en Portugal , quis
a été nommé à l'Evêché d'Aversa , ne se rendra
pas dans son Diocèse aussi -tôt qu'on le croyoit ,
parceque le Pape qui prend beaucoup de confiance
en lui , veut le retenir auprès de sa personne .
du
Le Cardinal Fini a reçû ordre de la part
Cardinal Secretaire d'Etat de ne plus se trouver à
la Congrégation du S. Office , et le Pape a approuvé
la résolution que le Cardinal Coscia a
prise de ne plus assister à la même Congrégation
et à celles de l'Immunité et d'Avignon .
Sur la fin du mois dernier , on publia à Rome:
une Constitution du Pape , portant confirmation :
de la Bulle que le Pape Paul IV . donna en 1555%
par laquelle le plus ancien Cardinal Evêque qui
se trouve en cette Ville a droit de faire les fons-
H vj tions
380 MERCURE DE FRANCE
. tions de Doyen du Sacré College , lorsque le
Décanat est vacant , ou que le Doyen du Sacré
College est absent . La même Constitution regle
aussi les prérogatives des autres Cardinaux de
l'ordre des Evêques.
La Princesse Clementine Sobieska a fait venir :
de Flandres douze Religieuses de l'Observance
de la Regle de Sainte Ursule , pour reformer le
Monastere des Ursulines de Rome.
Le 19. du mois dernier , le Cardinal de Poli
gnac fit représenter dans son Palais une Comédie
, à laquelle il avoit fait inviter la principale
noblesse de Rome.
•
Le 20. on fit dans l'Eglise de Sainte Agnez ,
hors des murs , la benediction des deux Agneaux,
dont la laine remise entre les mains du Pape par
le Chapitre de S. Jean de Latran , doit servir à
fabriquer l'étoffe dont on fait les Pallium , que
S. S. donne aux Archevêques et à quelques Evêques
..
On écrit de Naples que le Duc de Monteleon,
Pignatelli ayant fait représenter dans son Palais
une Créche magnifique , autour de laquelle il
avoit fait placer des Joueurs d'instrumens habil
lez en Bergers. Il donna le 3 de Janvier un Concert
magnifique , auquel le Viceroy , la Comtesse
d'Arrach , son Epouse , leurs enfans , et la
principale Noblesse furent invitez , Après le Con
cert il y eut un Bal , qui fut ouvert par la fille
du Comte d'Harrach , et continué par la Duchesse
de Monteleon , er par seize autres Dames :
on y servit toutes sortes de rafraîchissemens , er
le Palais fut illuminé pendant toute la nuit.
Le 4 de ce mois , après midy , le Colonel
Comte de Lineville , Lorrain , envoya chez le
Duc de Monteleon le Colonel Comte de Sinzendorf,
qu'il avoit choisi pour son second , avec
un
FEVRIER . 1731. 381
in Cartel , par lequel il demandoit raison à ce
Duc de ce que la Marquise Viteleschi n'avoit pas
été invitée à la Fête dont on a parlé , le Duc
repondit qu'il étoit prêt de combattre dans la
Place de sainte Marie des Anges , au Bourg de
S. Antoine , et qu'il choisissoit le Colone! Papalardo
, Napolitain , pour son second . L'heure du
combat avoit été marquée au lendemain ; mais
le soir le Comte d'Harrach envoya ordre au
Duc de Monteleon , et à toute sa famille , de ne
point sortir de son Palais , et toute la Noblesse
qui prend part à cette querelle , travaille à un
accommodement , lequel a été fait le 15 , à ce
qu'on a appris depuis , par l'entremise des amis
communs qui ont obligé le Duc de Monteleon-
Pignatelli et le Comte de Lineville de donner
leur parole d'honneur d'oublier le passé .
On a appris de Parme que le surlendemain de
la mort du Duc , le Comte Stampe y arriva de
Milan , et depuis le Comte de Thaun a fait entrer
dans cette Ville quelques- uns dès Regimens
d'Infanterie qui étoient en quartier dans les environs
de cet . Etat.
?
Les Lettres de Genes portent que les Rebelles
de l'Isle de Corse , qu'on croyoit être rentrez
dans leur devoir , étoient venus le 26 Decembre
dernier près de Bastia au nombre de 22000
hommes , dans le dessein de s'emparer du Bourg
de Terra - Vecchia , que l'Evêque de Bastia étant
allé les trouver , les avoit déterminez à se retirer
, en leur promettant d'obtenir le pardon de
quelques-uns de ces Rebelles qu'on tenoit prisonniers
, et dont il fit rendre sur le champ un
certain nombre en échange d'un Officier Genois
et de quelques soldats qui avoient été surpris
dans un poste éloigné de la Ville.
On écrit de Florence , que le s. Janvier , à la
suite
382 MERCURE DE FRANCE
1
suite d'une tempête effroyable , on ressentit
Sienne une violente secousse de tremblement de
terre , qui cependant n'a causé aucun dommage
considerable.
On arrêta au commencement du mois dernier
à Livourne , un Particulier qui donnoit retraite à
quatre voleurs , lesquels depuis deux ans voloient
sur les grands chemins de la Toscane et du Milanez
, en habits de Chasseurs , ayant toujours
sept ou huit chiens et des chevaux avec eux.
Oct
ESPAGNE.
et on a fait des Prieres públiques pour re--
mercier Dieu de la cessation de la derniere maladiè
qui avoit tous les simptomes d'une maladie
contagieuse.
Le bruit court qu'on va établir à Malaga une:
nouvelle Compagnie de Commerce , dont les Directeurs
feront leur sejour ordinaire â Cadix .
La
GRANDE BRETAGNE.
E premier Février , après midi, le Roi se ren
dit à la Chambre des Pairs , et S. M. ayant
mandé les Communes , le Grand - Chancelier par
lant au nom du Roi , fit le Discours suivant :
MILORDS ILORDS ET MESSIEURS ,
Il ne peut vous rester aucun doute les
que
mesures qu'on avoit prises cy devant , et la
conclusion du Traité de Seville , n'ayent prévenu
et déconcerté les suites dangereuses qu'on
avoit si juste sujet d'appréhender du Traité de
Vienne , et non - seulement nous voyons que cetFEVRIER.
1731. 383
te union qui avoit alarmé toute l'Europe , n'a
eu aucun effet , mais encore que les Alliez du
Traité d'Hanover sont fortifiez par l'addition
du pouvoir de la Couronne d'Espagne, Cette
situation des affaires nous faisoit attendre
avec raison , une Facification generale , et
nous donnoit de justes esperances d'un acquies
cement aux conditions du Traité de Seville,
sans être obligés d'en venir à des extremitez ; on
n'a négligé aucun moyen conforme aux engagemens
où je suis entré avec mes Alliez, pour
obtenir une si heureuse fin , mais cet évenement
si desirable , ayant été differé jusqu'à present ,
Le Traité de Séville oblige indispensablement
toutes les Parties contractantes à se préparer
pour le mettre à execution , et nous devons étre
prêts à le faire en ce qui nous regarde , et en
continuant à prendre les mesures convenables ».
il faut convaincre nos Alliez que nous remplirons
fide ement nos engagemens , et qu'aurant
qu'il dépendra de nous , nous leur procurerons
·la satisfaction qui leur est duë, soit par les
moyens qu'il sera à propos de choisir , ou par
ceux qui deviendront absolument necessaires.
Le tems de crise où nous nous trouvons presen
tement , semble devoir mériter votre attention.
d'une maniere particuliere et il est inutile de
vous dire avec combien d'impatience on attend
les résolutions de ce Parlement . Je suis incapable
de vouloir influer ur vos déliberations par
des craintes et par des appréhensions mal fondées
; je suis également incapable de vous amuser
par des attentes et des esperances vaines
mais comme les Négociations qui se font actuellement
dans les differentes Cours de ' Eu-
·rope , sont sur le point d'être terminées , vos
premieres résolutions pourront contribuer à déterminer
384 MERCURE DE FRANCE
•
terminer sur le parti de la Paix ou de la guerre.
Ea continuation du zele et de la vigueur que
vous avez fait paroître jusqu'ici pour me soutenir
et pour m'aider à remplir mes engagemens
, doit être dans ce temps - cy d'un grand
poids et de la derniere importance , tant par
rapport à mes Alliez , qui ne pourront croire
alors que leurs interêts et la cause commune
·sont negligez , avant que les conditions de leurs
Traitez soient accomplis , que par rapport à
ceux qui peuvent être disposez à prévenir par
un acconmodement les consequences fatales
d'une rupture generale , laquelle ils auront peu
de sujet d'apprehender , s'ils trouvent que les
Alliez de Séville ne sont pas préparez à se faire
justice eux mêmes. Le Plan des operations pour
l'execution du Traité de Séville par la force ,
au cas que nous soyons réduits à cette necessité,
est àpresent en déliberation et jusqu'à ce qu'on
Sait entièrement reglé les proportions des forces
confederees & les dispositions convenables pour
les employer , il ne sera pas aisé de déterminer
de combien les dépenses necessaires pour le service
de l'année courante , peuvent exceder les
fonds qui ont été fournis pour le service de
l'année derniere . Cependant je suis persua
de que vous apporterez toute la diligence
possible à finir les affaires publiques , et s'il est
necessaire , je ne manquera pas de demander de
nouveau les voix et 'assistance de mon Parlement
, suivant les circonstames des affaires , et
Lorsqu'uunne occasion convenable le requerera.
Messieurs de la Chambre des Communes , j'ai
donné ordre de préparer et de remettre devant -
vous le estimations nécessaires , et je ne doute
pas que l'affection que vous avez toujours fait
paroître pour moi et pour mon honneur , et que
votre
FEVRIER . 1731. 38
votre juste attachement aux veritables interêts
de votre Patrie , ne vous portent à m'accorder
les subsides necessaires et à me mettre en état
de satisfaire à mes engagemens avec mes Alliez
avec cette joye et cette affection qui convien
nent à une Chambre des Commuues de la Grande
Bretagne , si délicate et si jalouse sur l'honneur
de la Couronne , attentive et interessée à
la gloire et prosperité du Royaume Milords er
Messieurs , le temps de n'admettre plus de nouveaux
délais s'approche , si on peut établir la
tranquillité de l'Europe sans effusion de sang ,
et sans être obligé à de nouvelles depenses , cette
situation sera certainement la plus heureuse
et la plus souhaitable ; mais si on ne peut obter.
mir cette félicité , l'honneur , la justice et la foi
sacrée due auxTraitez solemnels exigent de nous
que nous fassions nos efforts pour procurer par la
force ce qu'on ne pourra obtenir à des conditions
justes et raisonnables.
Le Roy étant retourné au Palais de S. 'James ,
après cette Harangue , les deux Chambres résolu
rent de présenter leur Aidresse de remerciement.
à S. M. mais il y eut à cette occasion de grandes
contestations , parce que quelques - uns des Mem
bres du Parlement vouloient qu'on inserât dans
l'Addresse , que le Roi seroit prié de prendre des
mesures pour empêcher que la guerre ne s'allu
mât sur le Rhin ou dans les Pays- Bas . Cette proposition
ayant été mise en déliberation , elle fur
rejettée dans la Chambre des Seigneurs , à la plu
ralité de 84. voix contre 23. et dans celle des
Communes d'une voix unanime .
Le 2. les Seigneurs présenterent à S. M. l'Ad
dresse suivante :
TRES
386 MERCURE DE FRANCE
T RES- GRACIEUX SOUVERAIN
?
3
NOUS, les tres - obéissans et fideles Sujeta
de V. M. les Seigneurs Spirituels et Temporels
assemblez en Parlement , demandons la permistion
de remercier tres- humblement V. M., de sa
tres-gracieuse Harangue émanée du Trône.
Les suites fatales du Traité de Vienne qui affectoit
toute l'Europe , mais particulierement
cette Nation ne pouvoient être prévenuës que
par la dissolution de cette dangereuse union.
Non seulement ce Projet si sage a été accompli
par les mesures qu'on avoit fy.devant prises
et par la conclusion du Traité de Séville qui
a uni aux Alliez d'Hanover, une des plus grandes
Puissances contractantes du Traité de
Vienne. Ainsi V. M. ayant posé un fondement
assuré de la tranquillité publique , si on cut
arquiesce aux justes conditions du Traité de
Seville ; et ayantfait d'ailleurs toutes sortes
d'efforts pour parvenir à cette tranquillité, con.
formément aux engagemens que vous avez pris
avec vos Alliez ; il est de notre devoir de donner
des preuves de notre zéle pour l'honneur de
V. M. et pour la foy publique de la Nation , afin
que toutes les Puissances contractantes de ce
Traité , qui sont dans des ob igations mutuelles
et indispensables de l'exécuter , puissent connoître
qu'on n'a rien négligé de la part de la
Grande Bretagne ; c'est pourquoi nous deman
dons tres -humblement permission d'assurer V.
M. que le même zele et la méme vigueur qui
ent parujusqu'à present dans cette Chambre ,
pour soutenir V. M. dans l'exécution de ses Engagemens
, continueront dans no; délibérations ,
ahm
FEVRIER. 1731 .
387
afin qu'il ne reste aucun doute aux Puissances
Etrangeres que V. M. ne soit par Nous mise en
état , à tout évenement , de procurer satisfae.
tion à vos Alliez , s'il étoit necessaire de le faire
par la force , étant persuadez de notre part que
V. M. préférera toujours un juste accommodement
aux suites fâcheuses d'une rupture gene
ra'e. Nous expédierens , en attendant les affaires
publiques , avec toute la diligence possible
at lorsqu'il plaira à V. M de demander de nous
veau notre avis et notre assistance ; cette Cham
bre prendra alors les résolutions qui convien
ment à de tres humbles et de tres fideles sujets ,
scrupuleux lorsqu'il s'agit de répandre le sang
et de dépenser les fonds publics , mais inalterablement
fermes orsqu'il faut maintenir l'hon
neur de la Nation et la foy sacrée dûë aux
Traitez publics , ayant toujours dans l'espris
que nous devons la jouissance de notre heureuse
constitution à l'établissement de la Couronne ,
dans la Famille Royale de V.M.et toujours préts
à contribuer de tout notre pouvoir à ce que V.
M puisse porter cette Couronne avec honneur
et sens être troub'ée par les ennemis , tant du
dedans que du dehors du Royaume.
La Chambre des Communes a résolu en grand
Comité d'accorder un subside au Roy, tant pour
l'entretien de 10000 Matelots, à raison de 4 1.sterl .
par mois chacun,que pour l'entretien des Troupes
de Hesse , dont l'Etat qui a été fourni par la Secretaire
des Guerres , est de 2224 Cavaliers, 1836
Dragons , er de 8034 Fantassins , qui sont à la
solde de S. M.
On proposă le 12 de ce mois , dans la même
Chambre des Communes , d'en exclure tous ceux
qui reçoivent des pensions de la Couronne , et
apres
388 MERCURE DE FRANCE.
après de grandes contestations , cette proposi
tion fut approuvée à la pluralité de 140 voix
contre 134 ; ensuite la Chambre s'étant mise en
grand comité , sur l'état des Troupes , il a été résolu
que pour les gardes et garnisons de la Gran
de Bretagne , des Isles de Guernesey et de Jersey ,
on entretiendroit pendant le courant de cette
année 17709 hommes effectifs , y compris les
1815 Invalides , et les 555 hommes qui compo
sent les Compagnies indépendantes , qui sont
dans les Montagnes d'Ecosse , et qu'on accorde→
roit au Roy 657484 liv. sterlin , pour la paye de
ces Troupes et de leurs Officiers en Commission
ou sans Commission.
M. Pultney , Membre du Parlement, pour Heyden
, dans le Comté d'York , reçut le , un
Cartel du Lord Harvey , fils et heritier du Comte
de Bristol , et membre du Parlement , pour S Ede
mond Eury , dans le Comté de Suffolx . S'étant
trouvez l'après midy dans le Parc de S. James ,
avec leurs seconds ; le Lord Harvey fut blessé
et ensuite desarmé. On assure que la cause de
leur querelle provenoit d'une réponse que Monsieur
Paltney a faite à un Ecrit, intitulé : Sédition
et Diffamation développée , dans laquelle le Lord
Harvey est maltraité.
L
PAYS- BAS , HOLLANDE.
A nuit du 3 au 4 Fevrier , le feu prit subite
ment dans les Offices du Palais de Bruxelles ,
où on travailloit aux préparatifs d'une Fête que
l'Archiduchesse , Gouvernante , devoit donner le
5. Ces Offices étant au dessous du grand Appar
tement qu'elle occupoit , le feu s'y communiqua
avec tant de violence et de promptitude , que cette
Princesse eut à peine le temps de prendre sa robede
chambre ,
FEVRIER. 1731. 389
chambre,et de passer seule dans la Chapelle. Le vent
qui étoit fort, ayant porté le feu par tout le Palais,
PArchiduchesse se sauva chez le Pr. de Rubem→
pré , son Grand- Ecuyer , dont l'Hôtel est vis - àvis
le Palais. Le Comte de Visconti , Grand-
Maître de sa Maison , vint y chercher cette Princesse,
et il la conduisit au Palais d'Orange, où elle
fut saignée. Tous les Officiers, les Troupes , et les
Bourgeois de la Ville accoururent au Palais dans
les premiers momens de l'incendie, pour l'arrêter;
mais le feu fit en peu de temps un si grand progrès
, que leur secours fut inutile. L'Appartement
de l'Archiduchesse fut entierement brulé
en moins de deux heures , et le 4. à 8. heures
du matin , tout le Palais qui avoit été achevé en
1445 sous Philippes le Bon , Duc de Bourgogne
, étoit reduit en cendres. Le feu qui s'étoit
communiqué au magazin de bois et de charbon,
a duré plusieurs jours , quoique les murs qui for
ment P'enceinte du Palais eussent rassuré sur la
crainte qu'on avoit que le feu ne se communiquat
dans la Ville , on a prévenu ce malheur en
abbatant quelques maisons. Tous les Meubles.
la Vaisselle , et la Garderobe de l'Archiduchesse
ont été brulez , et on n'a pu sauver qu'une partie
des Pierrèries de l'Archiduchesse , les Registres
du Conseil -Privé et des Archives , et Chartres
anciennes . Tout le reste des Papiers , qui se conservoient
dans un des Pavillons du Palais , a été
brûlé . La Comtesse Elisabeth d'Ullefeld , Dame
de la Clef d'or et du Palais , et fille de la Grande
Maîtresse de la Maison de l'Archiduchesse, ayant
été brûlée à la main et au pied , mourut le
matin. Plusieurs autres personnes ont péri dans
cet incendie.
S au
Le 13. de ce mois , le Comte de S. Severin
Arragon , Envoyé de Parme, eut en long Manteau
300 MERCURE DE FRANCE
reau de deuil une audience particuliere du Roi ,
dans laquelle il donna part à S. M. de la mort
du Duc de Parme. Il fut conduit à cette audience
par M. Hebert , Introducteur des Ambassdeurs.
Le Roi a pris le deuil le 16 pour 8 jours.
08
MORTS
Les
? MARIAGES
des Pais Etrangers.
E 20. Janvier à midi et demi , Antoine Farnese
, Duc de Parme , mourut dans cette Ville
d'une pleuresie, après quelques jours de maladie ,
dans la 52. année de son âge , étant né le 29.
Novembre 1679. Ce Prince avoit succedé à son
frere le 26 Fevrier 1727. et il avoit épousé le
3 Fevrier 1728. Henriette d'Est , fille du Duc
de Modene. Le Duc de Parme dès le second
jour de sa maladie reçut ses sacremens avec autant
de pieté que de resignation à la volonté de
Dieu , et la veille de sa mort il fit un testament
par lequel en déclarant que la Duchesse de Parme
étoit grosse , il l'a nommée Regente de ses
Etats , avec un Conseil de Regence , composé de
einq personnes , du nombre desquelles sont l'E
vêque de Parme et le Secretaire d'Etat. Depuis la
mort de ce Prince , on a publié la nouvelle de
la grossesse de la Duchesse , son Epouse.
Pendant l'année derniere il est mort à Vienne
et dans ses Faubourgs 2382 hommes , 1849
femmes , 2189 enfans mâles et 2073 filles . Le
nombre des enfans nés pendant la même année
monte à 4474 .
Le Comte de Spilemberg , Ministre du Duc
de Guastalla , est arrivé à la Cour de Vienne
avec
FEVRIER. 1731. 391
avec des pleins pouvoirs pour conclure le ma→
riage de ce Prince avec la Princesse d'Holstein.
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c.
L'essedans la Chapelle du Château de Ver
sailles , et S. M. communia par les mains du
Cardinal de Fleuri , son Grand- Aumônier.
E premier de ce mois , la Reine entendit la
Le 2. Fête de la Purification de la Șainte Vierge,
les Chevaliers , Commandeurs et Officiers des
Ordres du Roi s'étant rendus vers les onze heures
dans le Cabinet de S. M. le Roi tint un Cha ,
pitre , dans lequel le Duc de Levi , le Prince de
Tingry , le Comte de Chatillon et le Marquis
de Beringhen , Premier Ecuyer , qui avoient été
compris dans la promotion des Chevaliers de
l'Ordre du S. Esprit , proposés par S. M. le premier
du mois dernier , furent admis après que
l'Abbé de Pompone , Chancelier des Ordres du
Roi , cut rapporté qu'ils avoient satisfait à ce
qui est porté par les Statuts. Le Chapitre étant
fini , les quatre Chevaliers qui venoient d'être
admis , ct qui s'étoient rendus dans l'appartement
du Roi en habits de Novice , furent introduits
dans le Cabinet , où S. M. les fit Chevaliers de
l'Ordre de S. Michel.
Le Roi sortit ensuite de son appartement pour
aller à la Chapelle du Château de Versailles ;
S. M. étoit précedée du Duc d'Orleans , du Duc
de Bourbon , du Comte de Clermont , du Duc
du Maine , du Prince de Dombes , du Comte
› d'Eu ,
2
292 MERCURE DE FRANCE
d'Eu , du Comte de Toulouse et des Chevaliers ,
Commandeurs et Officiers de l'Ordre ; les Novi
ces marchoient entre les Chevaliers et les Officiers.
Le Roi devant lequel les deux Huissiers de
fa Chambre portoient leurs Masses , étoit en
Manteau , le Collier de l'Ordre par dessus , ainsi
les Chevaliers et le Cardinal de Bissi , Prélat,
Commandeur de l'Ordre du S. Esprit , marchoit
derriere S. M.
que
Le Roi assista à la benediction des Cierges , à
Procession et à la Grande Messe , qui fut celébrée
par l'Abbé Tesnieres , Chapelain ordinaire
de la Chapelle de Musique , et lors qu'elle fut finie
, le Roi quitta son Prie - Dieu et monta à son
Trône auprés de l'Autel , où S. M. reçût les nouveaux
Chevaliers , deux à deux, avec les cerémonies
ordinaires . Le Duc de Chaulnes et le Duc de Tal
lard furent Parrains du Duc de Levy et du Prince
de Tingry ; le Marquis de Goebriant et le Marquis
de Livry le furent du Comte de Chatillon
et du Marquis de Beringhen. Les Chevaliers qui
venoient d'être reçûs ayant pris leurs places suivant
leur rang , le Roi sortit de la Chapelle , et
fut reconduit dans son appartement avec les ce →
rémonies accoûtumées. La Reine s'étoit renduë
avec les Dames de sa Cour dans la Tribune , d'où
elle avoit entendu la grande Messe.
Le premier Fevrier , M. Piat , Recteur de l'U
niversité , accompagné des Députés de sa Compagnie
, alla à Versailles présenter , selon l'usage,
un cierge au Roi et à la Reine. Il eut l'honneur
de haranguer L. M. séparément en présence de
leurs Cours . La même cerémonic fut observée à
l'égard de Monseigneur le Dauphin et de M. le
Duc d'Orleans , comme premier Prince du Sangs
de la Université alla chez M. le Cardinal Mi
nistre
FEVRIER. 1731. 393'
nistre , et ensuite chez M. le Chancelier et chez
M. le Garde des Sceaux , comme Chefs de la Justice
, et dans tous ces endroits M. le Recteur fit
des Harangues au nom de sa Compagnie , et
parla avec beaucoup d'éloquence et de dignité.
Le même jour , M. Chirac , Ancien Professeur
de l'Université de Montpellier , ci - devant Premier
Medecin du Duc d'Orleans , aujourd'hui
Premier Medecin du Roi , reçut au sujet de cette
Charge les complimens de la Faculté de Medecine
de Paris. M. Baron , Docteur Regent er
-Doyen de la Faculté , accompagné de huit Docteurs
, portant la parole , il parla en François
fort él quemment , et M. Chirac répondit avec
beaucoup de politesse et d'énergie.
Au commencement de ce mois , le Roi alla à
la Chasse dans le Parc de Versailles , et S. M.
tua en moins de trois heures de tems près de 300.
piéces de gibier , tant Lievres et Lapins que Farsans
et Perdrix.
Le 8, S. M.prit à Marli le divertissement d'une
course de Traîneaux sur la neige , qui représentoit
une chasse ; celui où le Roi étoit seul , étoit
suivi de quantité d'autres remplis de Seigneurs
et de Dames de la Cour. Les chevaux en étoient
singulierement et richement harnachés avec quantité
de noeuds de rubans , des aigrettes de plume
et des grelots. On avoit mis sur un grand Traineau
, conduit par le Comte de Fimarcon , la figure
d'un Cerf poursuivi par des Chiens , avec
des Piqueurs à cheval sonnant du cor , les autres
Traîneaux suivant à la file ; un autre grand Traîneau
en gondole , rempli de Dantes , étoit conduit
par le Comte de Roussi . Ce Divertissement
(I - qui
384 MERCURE DE FRANCE
qui fut fort goûté , dura prés de quatre heures .
La course passa deux fois sous les fenêtres de
l'appartement de la Reine.
> Le 31. du mois dernier vers les dix heures
du matin , le feu prit à une certaine quantité de
poudre et à des artifices qu'on travailloit dans une
maison à un étage du Faubourg S. Marceau , qui
sauta en l'air , et les maisons voisines ont été
fort endommagées. Une femme y a péri et plu
sieurs personnes ont été blessées. Le proprietaire
de ce Magasin est , dit- on , condamné à faire reparer
tous les dommages causés aux maisons cir-
Convoisines , ce qui avec la perte qu'il a faite
montera à plus de 50000. livres .
L'affaire de M. de la Jonchere , ci - devant
Trésorier General de l'Extraordinaire des Guerres
, a été terminée par Arrêt du Conseil du 16
Janvier dernier , qui le décharge des Jugemens
rendus à la Chambre de l'Arcenal , lesquels S M.
a déclaré comme non avenus..
Le 2 , Fête de la Purification de la Vierge , il y
eut Concert Spirituel au Château des Thuilleries,
qui commença par le Motet Exurgat Deus , de
M. de la Lande ; il fut suivi d'une Hymne à la
Vierge , chantée par la Dlle Le Maure. La Dlle
Erremens chanta un petit Motet , mis en Musique
par M. Mouret , qui fit beaucoup de plaisir ,
de même qu'un autre petit Motet nouveau de la
composition du sieur Le Maire. Le Concert fut
terminé par le Motet Dominus regnavit.
Le 15. de ce mois , la Reine accompagnée des
Dames de sa Cour , alla à l'Eglise Paroissiale de
Versailles , où S. M. assista au Sermon du Pere
Julien,
FEVRIER. 1731. 395
Julien , Religieux Recolet , et ensuite au Salut ,
pendant lequel le Te Deum fut chanté à l'occa
sion du jour de la Naissance du Roi.
Le 26 la Lotterie de la Compagnie des Indes
pour le remboursement des Actions fut tirée en
la maniere accoutumée à l'Hôtel de la Compagnie.
La liste des Numeros des Actions et Dixiémes
d'Actions , qui doivent être remboursées ,
a été rendue publique , faisant en tout le nombre
de 300. Actions.
Sur les représentations qui ont été faites que
les provisions du Carême ne sont pas assez abondantes
cette année , l'Archevêque de Paris a donné
un Mandement , par lequel il permet dans
tout son Diocese de manger des oeufs jusqu'au
Dimanche de la Passion. Le Parlement a aussi
rendu un Arrêt sur le même sujet.
Le 1. Janvier , les Hautbois de la Chambre du
Roy jouerent , suivant l'usage ordinaite, au lever
de S. M. plusieurs Airs tirez des oeuvres de M.
de Lully.
Le même jour, M. Destouches , Sur- Intendant
de la Musique de la Chambre du Roy , donna
un Concert formé d'une suite d'Airs de sa composition
, qui fut executé par les 24 Violons de
la Chambre , au dîner du Roy et de la Reine ,
dont Leurs Majestez parurent très- contentes .
Le 8 , M.Destouches fit chanter à Marly ,devant
la Reine , le second et le troisiéme Acte d'Hesione
, dont le premier Acte avoit eté chanté à
la fin de Decembre. La Dile Antier chanta le Rôle
de Venus,et le sieur Dangerville celui d'Anchi e ,
avec beaucoup d'aplaudissemens. La De Lenner
pas moins de plaisir dans le Rôle d' Hesio- ne fit
I ij ne ,
395 MERCURE DE FRANCE.
pe , qu'elle chanta avec autant de gout que de
précision , le reste fut executé d'une façon trèsbrillante.
Le 10 on continua le quatrième et le cinquiéme
Acte du même Opera , le Poëme est de M. Danchet
, et la Musique de M. Campra , dont on
connoît les grands talens.
Le 1s on chanta devant la Reine le Prologue
et le premier Acte de l'Opera de Semiramis , de
la composition de M. Destouches , qu'on conti
nua le 17 et le 22. La De Antier chanta le principal
Rôle dans la plus grande perfection ; la
Die Lenner fit celui d'Amestris avec succès , et
le sieur d'Angerville , dont le talent embrasse
tous les genres de la Declamation Lyrique , merita
les applaudissemens de la Cour , dans le Role
de Zoroastre. Les Airs détachez furent chantez
par les DesRobelin et Barbier ; le sieur Le Prince
chanta ceux du second Acte avec beaucoup de
grace ; l'execution des Choeurs et de la simphonie
fut parfaite. La Reine , qui ne connoissoir
point cet Opera , en marqua , en differentes fois,
son extréme satisfaction à l'Auteur.
Le 24, S. M. ordonna un Concert du Ballet
des Elemens , dont elle entendit le Prologue et
les deux premiers Actes. Le Rôle de Venus ou
Prologue fut chanté par la Dle Julie de Monville
, qui paroissoit pour la premiere fois devant
la Reine , sa voix est forte et a de l'étenduë. L'e
sieur Dangerville chanta les Rôles du Destin êt
d'Ixion , et les Des Erremens , Lenner , et le
sieur Guedon , ceux de Junon , de Leucorie , et
'Arion.
Le 29 on chanta à Versailles les deux derniers
Actes du même Ballet ; les Rôles d'Emilie et de
Pomone furent chantez par la Dlle Antier ,et ceux
de Valere et de Vertumne par les sieurs Dangers
ville et Guedon . Le
FEVRIER. 1731. 327
Le 3. Fevrier , M. Destouches fit chanter à
Marly le Prologue et les deux premiers Actes de
son Ballet du Carnaval et de la Folie , qu'on
continua les , avec une Ariete et un Chour
nouveau , accompagné de Trompettes , de la com
position du même Auteur, lequel fut tres aplaudi
Les Rôles de Junon et de Jupiter furent remplie
par la De Lenner et le sieur Dangerville , ceux
de Mercure et de Momus par les sieurs le Prince
et Godeneche. La De Pelissier chanta le Rôle de
la Folie dans les deux premiers Actes ; mais s'étant
trouvée indisposé : le Lundy suivant , la Dile
Lenner remplit sa place dans les deux derniers
Actes . Le sieur Dangerville chanta avec une noble
gayeté le Rôle du Carnaval, Ceux du Profes
seur de Folie et de l'Ecolier furent chantez par
les sieurs Le Prince et Guedon ; ce premier chan
ta aussi le Rôle de Plutus , et la De Barbier
celui de la Jeunesse. Ce Balet fut tres -bien reçu ,
et fit d'autant plus de plaisir , qu'il convenoit
fort au temps du Carnaval.
Le 12 , la Cour étant à Versailles , la Reine
ordonna pour Concert l'Opera d'Omphale , du
même Auteur , dont S. M. entendit le Prologue
et le premier Acte ; les quatre autres furent continuez
le 14. et le 19. L'execution de cet Opera
fit des plus parfaites les Des Antier et Lenner
chanterent les Rôles d'Argine et d'Omphale avec
grand succés , ainsi que celui d'Hercule par le
sieur Dangerville ; le sieur Guedon fit le Rôle
d'Iphis , et la De Barbier chanta celui d'une des
Graces avec beaucup de legereté et de précision ,
et la De Robelin executa les Airs détachez du
troisiéme Acte avec l'applaudissement des Connoisseurs.
Le dernier Concert de cet Opera fut
terminé par le Choeur de Timballes et Trompettes
qu'on avoit entendu à Marly , et par la
I iij Can
1
{
1
398 MERCURE DE FRANCE
tate de la Musette de M. de Clerambaut , chantée
la Dle de Monville.
par
Le même jour 12 Fevrier , après le Concert
des premiers Actes de cet Opera , la Reine qui
avoit entendu parler avantageusement des Bruwettes
en Duo , à voix égales , de Mrs Cochereau
et Allarius , les demanda . Elles furent chantées
dans la plus grande perfection par les Diles
Antier et Misnier , et firent tant de plaisir , que
S. M. les fit chanter encore par les mêmes Diles
le 20 et le 26.
>
Le 21 la Reine entendit le Prologue et le premier
Acte du Ballet de Prothée , de la composition
de M. Gervais , Maître de Musique de la
Chapelle du Roy. Les Diles Antier et Lenner firent
les Rôles de Pomone et de Therone , et les
sieurs Dangerville et Godoneche ceux de Prothée
et de Vertumne. On a continué le même Balet le
26 , et le dernier du mois on a chanté , par ordre
de la Reine , l'Opera d'Issé , de la compositionde
M. Destouches , qui a terminé les Concerts
qui ont été donnez pendant le Carême .
BENEFICES DONNE Z.
LEV
'Evêché de Soissons , vacant par la démission
de M.Languet de la Villeneuve de Gergy,
a été donné à M. René de Sesmaisons , Aumônier
du Roi , et Vicaire General de Poitiers. "
L'Abbaye de S. Quentin- lès - Beauvais , vacante
par le décès de M. de Mornay de Montchevreuil,
en faveur de M. Louis Labiszensky , Prêtre du
Diocèse de Vladislavie en Pologne , Chanoine de
Lencice , & Confesseur de la Reine.
L'Abbaye de S. Jacques de Provins , Ordre de S. Augustin,
Diocèse de Sens, vacante par le décès de M.
Pajot
FEVRIER. 1731 . 299
Pajot , en faveur de M. Jean-Cezar de la Parisiere
, Evêque de Nîmes .
L'Abbaye de S. Loup , Ordre de S. Augustin ,
Doicése de Troyes , vacante par le décès de M. de
Bouthillier de Chavigny , Archevêque de Sens
en faveur de M. Jean Baptiste Pajot , Soudiacre.
du Diocèse de Paris et Conseiller au Parlement.
L'Abbaye de S. Sauve , de Montreuil, Ordre de
S. Benoît , Diocèse d'Amiens , vacante par le décès
du dernier Titulaire , en faveur de M. Perrinot
de Cernay , Prêtre du Diocése de Bezançon.
L'Abbaye de Valsainte , Ordre de Cîteaux
Diocése d'Apt , vacante par le décès de M. Pajot
en faveur de M. Narbonne Pelet , Prêtre , Vicaire
General d'Arles , et Doyen de Beaucaire.
Le Prieuré de S. Denis de Marnay , vacant par
le décés de M. de Bouthillier de Chavigny , Archevêque
de Sens , en faveur de M. Barthelemy
Gautier de Billancour , Clerc Tonsuré du Diocése
de Paris.
** XXXXXXXXXXXXXXXX
**
1
MORTS , NAISSANCES ,
Proica, sur la Paroisse de
E nommé Sylvain Pruneau , Maçon , mousut
>
La
S. Nicolas des Champs , dans la 111e année de
son âge.
François-Paul de Neuville de Villeroy , Prélat
Commandeur de l'Ordre du S. Esprit, Archevêque
de Lyon & Abbé de Fécamp , mourut dans son
Diocése le 6. de ce mois , dans la 54º année de
son âge.
Dame Catherine -Magdelaine Daniau de Saint
Gilles , Epouse de M.Jean-Louis , Comte d'Haurefort
de Bosein , Maréchal des Camps et Armées
I iiij
du
400 MERCURE DE FRANCE.
}
du Roi , Gouverneur des Ville , Château & Forts
de S. Malo , veuve du Comte de Vertillac , Maréchal
de Camp , Gouverneur de Mons , Lieutenant
de Roi de Périgord , mourut à Paris le 6.
de ce mois , âgée de 68. ans , sans laisser de posterité
de son second Mariage ; il ne lui reste de
sa premiere Alliance qu'une fille mariée au Comte
de Vertillac , Gouverneur & Sénechal de Perigord.
M. Henry Bochard de Champigny , Prévôt de
l'Eglise de S. Pierre de Lille , et Abbé d'Auberive,
Diocese de Langres , mourut à Lille le 11. de ce
mois , dans la 8re année de son âge .
Antoine Grimaldi , Prince de Monaco , Duc
de Valentinois , Pair de France , Chevalier des
Ordres du Roi , mourut à Monaco le 20. de ce
mois , dans la 7 re année de son âge, étant né le 27.
Janvier 1661. Il étoit fils de Louis Grimaldi
Prince de Monaco , mort à Rome le 3. Janvier
1701. et Catherine Charlotte de Grammont F
morte à Paris le . 4. Juin 1678. Il avoit épousé le
12. Juin 1688. Marie de Lorraine , fille de Louis
de Lorraine , Comte d'Armagnac , Grand-Ecuyer
de France , morte le 30. Octobre 1724 I laisse
de ce Mariage la Duchesse de Valentinois et la
Princesse d'Isenghien.
>
M. Nicolas-Remy Frizon , Seigneur de Blamont
cy -devant Président en la quatriéme
Chambre des Enquêtes , et President Honoraire
au Parlement , mourut le 23. Février , dans la 62
année de son âge.
1 D. Catherine Constance - Emilie Arnauld de
Pomponne , Epouse de Jean-Joachim Rouault ,
Comte de Cayeux , Brigadier des Armées du Roi ,
accoucha le 16. Janvier d'un fils , qui fut nommé
Alophe- Félicité , par Louis- Alophe Rouault ,
Conseiller
FEVRIER.. 1731. 451
Conseiller d'Etat , Auditeur de Rotte pour la
France , Abbé de Montmajour , représenté par
Claude-Jean-Baptiste Hyacinte -Joachim Rouault,
Marquis de Gamache , Gouverneur de S. Valery,
&c. Lieutenant General des Armées du Roi , et
par D. Catherine- Félicité Arnauld de Pomponne ,
Epouse de Jean - Baptiste Colbert , Marquis d'
Torcy , Ministre d'Etat , Commandeur des Or
dres du Roy.
D. Marie Megret , Epouse de Claude Pellot ,
Chevalier Comte de Trévieres , Conseiller au Par
lement,accoucha le 28.Fev.d'un fils , qui fut nommé
Auguste- Louis - Denis par Denis Aug. Comte
de la Eare , Maréchal de Camp , Commandeur de
l'Ordre de S. Louis , Gouverneur de Ville- Franche
, et Baron des Etats de Languedoc , et par
D. Louise - Françoise Joly de Fleury , Epouse de
Jean- Nicolas Megret de Serilly , Avocat General
de la Cour des Aydes.
--
Dame Marie Anne Robillard , femme de
M'. Louis - Pierre d'Hozier , Juge d'Armes de
France , Chevalier de l'Ordre du Roi , son Conseiller
, Maître ordinaire en sa Chambre des
Comptes de Paris , et Généalogiste de la Maison.
et des Ecuries de Sa Majesté , et de celles de la
Reine , accoucha le 18 Janv . d'un fils , qui fut
nommé Charles - Pierre , par M. Charles d'Ho
zier , son grand Oncle , âgé de 91 ans.
2
2
D. Catherine Scholastique Bazin de Bezons
épouse de N. Hubert , Vicomte d'Aubusson
Comte de la Feuillade , Premier Baron de la Mar,
che , Seigneur du Duché de Roanez , &c. Mestre
de Camp du Regiment Royal Piémont , Cavalerie
, accoucha le 31. Janv.d'une fille, qui fut tenue:
sur les Fonts , et nommée Louise - Anne - Gabrielle
, par M. Armand Bazin de Bezons , Evê
que de Carcassonne et par D. Louise.- Mader
I V laine
402 MERCURE DE FRANCE
laine le Blanc , veuve d'Esprit -Juvenal de Har
ville , des Ursins , Marquis de Traisnel. La Cé
rémonie du Baptême fut faite par M. César le
Blanc , Evêque d'Avranches .
D. Jeanne-Catherine Coustard , épouse de Basile
- Claude-Henry Anjorrant , Conseiller au Parlement
, accoucha le 7 Fév. d'un fils, qui fut tenu
sur les Fonts , et nommé Claude - Joseph , par
Pierre-Joseph Dufort , Conseiller du Roy , Maître
Ordinaire en sa Chambre des Comptes, et par
D. Catherine Croizet , veuve de François - Guiflaume
Briçonnet , Chevalier , Seigneur de Millemant
, Comte d'Auteuil, Président au Parlement .
Il y a dans l'Article des Morts , du Mercure de
Janvier dernier une faute considérable , pag. 178 .
au sujet de la mort de Dame Eléonore de Maccarti
Réagh, &c. en ce que on a imprimé Mavarti
, au lieu de Maccarti , qui est le veritable
nom de cette Illustre Dame.La faute ne vient pas
de nous , mais de la personne qui a envoyé le
Mémoire sur lequel nous avons imprimé. Ces
sortes de méprises sont presque inévitables à notre
égard , mais elles sont aisées à réparer quand
nous en sommes avertis. Il n'en est pas de même
à l'égard des Registres publics , qui souvent n'en
sont pas exempts. Nous recevons quelquefois des
Extraits de ces Registres , qui ont besoin de correction
; nous rectifions les choses autant que
nous le pouvons ; mais cela ne remedie point à
ce qui pêche dans l'Original ; et la conséquence
en est tres grande.
La Dame qui donne lieu à cette remarque
éroit de la premiere Maison d'Irlande , et de la
Branche aînée de cette Maison , tres- connue en
Fance depuis long- temps ; et depuis peu par
Milord Montcassel , Lieutenant General, &c. son
trèsFEVRIER.
1731. 403
✔
très proche parent , mort au service du Roy
et par M. Maccarty Reagh , frere de cette Dame,
Chef de sa Maison , qui avoit amené en France
étant encore fort jeune, un Régiment , tout composé
de ses vassaux . Il a été tué , ainsi que
frere unique , au service du Roy. On est redevable
de cette instruction à M. l'Abbé Hassett , Irlandois
, Docteur de Sorbonne , & c.
son .
12
ARREST DU PARLEMENT.
CO
E jour les Gens du Roi sont entrez , et Maître
Pierre Gilbert de Voisins , Avocat dudit Seigneur
Roi,portant la parole , ont dit : MESSIEURS,
On voit depuis quelques temps diverses feuilles
imprimées , se succeder dans le Public et se distribuer
sous le titre de Nouvelles Ecclesiastiques .
Un pareil Journal fait clandestinement et sans
aveu , porte son reproche en lui - même. Mais il
semble qu'on s'autorise de notre silence . La li
cence de ce Libelle devient tous les jours plus
marquée. Il faut donc enfin que notre ministere
se déclare ; qu'il fasse éclater sa juste censure ,
ou plutôt qu'il vous donne lieu de faire éclater la
vôtre aux yeux du Public .
On sçait assez que la sagesse des Ordonnances
les plus solemnelles et des Reglemens si souvent
renouvellez par vos Arrêts , condamne toute impression
sans autorité,et toute publication d'écrits
anonimes. On doit aussi se souvenir que celui-ci,
sous le propre tirre qu'il porte , se trouve compris
dans la prohibition expresse d'une Déclaration
du Roi , contre les abus de l'Imprimerie
que vous avez enregistré au mois de Mayde Pan
née 1728.
I vj Mais
J
404 MERCURE DE FRANCE
Mais d'ailleurs à ne consulter que les premiers
principes de l'ordre public , il n'est point de Police
atentive à quelque regle, qui put souffrir qu'un
inconnu s'établît ainsi de son chef , distribuer de
nouvelles, arbitre des faits, sans autre garant que
l'obscurité qui le couvre ; qu'il entreprît sur l'opinion
publique , et que la conduite et la réputation
d'autrui fussent à toute heure exposées à ses
jugemens et à sa censure .
Pour montrer l'abus qu'on fait d'une voïe si
dangereuse , nous n'avons pas besoin de parcourir
toutes les feuilles qui se sont répandues depuis
trois ans.On a eu assez d'occasions d'y remarquer
des faits ramassez au hazard , des imputations
calomnieuses , des soupçons atroces , qu'il n'est
jamais permis de publier sans preuve , moins encore
sans se découvrir ; une liberté de stile , des
traits satyriques , souvent les plus contraires au
respect du aux Puissances séculieres et Ecclesiastiques.
Nous nous réduirons aux dernieres feuilles qui
paroissent depuis le commencement de cette année.
D'abord un préambule qui annonce , que
malgré la contradiction , et au mépris de l'autorité
de toute Puissance , ce Journal va continuer
plus hardiment que jamais : soutenu , dit- on , de
la main de Dieu, dont on s'applique les paroles
sans scrupule. Dans ce qui suit nu le circonspection
, nulles mesures gardées , nulle subordina →
tion, nulle bienséance .
Excitez par la voix publique la moins équivoque
, et la plus universelle , nous vous déferâmes
dans le mois dernier un Ecrit intitulé , Avis aux
Fideles , dont on n'auroit pû esperer de sauver le
scandale qu'en l'abandonnant. Cependant dans
une premiere feuille on avoit essayé de l'excuser ,
P'Arrêt de la Cour du 12. Janvier dernier le condamn
FEVRIER . 1731. 405
damne aux flammes. On s'éleve aujourd'hui contre
votre Arrêt ; et sous prétexte de censurer nos
paroles , c'est l'Arrêt que l'on censure en effet.
A t'on songé que cet Arrêt pour lequel ons.
garde si peu de respect , est l'ouvrage du concert.
des Magistrats , dont on parle ailleurs avec tant
d'éloges Mais les louanges qu'on leur donne
sont peut être encore moins respectueuses. A la
faveur de ces hommages on s'autorise à les faire
parler , au gré d'un Ecrivain , dont l'art est depuis
long-temps , pour s'acréditer , d'abuser des
noms les plus respectables, et dont la plume sçait
envenimer tout ce qu'elle touche.
Mais , Messieurs , depuis quand les assemblées
de la Cour sont-elles destinées à faire le sujet des
récits d'une feuille témeraire ? Ignore-t'on que le
secret y est prescrit sous la religion du serment
le plus solemnel et le plus auguste ? Nous aurions
à nous clever contre un dépositaire peu fidele , qui
auroit été capable d'en divulguer les ministeres ;;
et des
yeux étrangers se croilont permis d'y por
ter des regards prophanes.
Rien n'est plus capable de faire sentir la con- ›
séquence et le danger de ces Libelles . On les couvre
en vain du prétexte de la Religion . Elle n'a
jamais enseigné de telles voïes. Le pur zele qu'elle
anime , n'admet point ces écrits audacieux , et ces
satyres indécentes. Dans un ouvrage qui se vante .
d'être uniquement entrepris pour la defense de la
verité , on ne reconnoît point le caractere insé-.
parable de ses légitimes défenseurs . C'est un dernier
trait qui acheve sa condamnation ; et qui
nous engage d'autant plus à ne rien obmettre
soit pour le proscrire , soit pour exciter les Offi- ·
ciers de Police à redoubler leur vigilance pour le
réprimer. eux retirez ..
Va cinq feuilles imprimées , contenant chacune
quatre
406 MERCURE DE FRANCE
>
quatre pages : La premiere feuille , intitulées.
Nouvelles Ecclesiastiques ou Memoires pour
servir à l'histoire de la Constitution , pour l'année
1731. ( Respondit mihi Dominus , et dixit
scribe visum et explana eum super tabulas ut
percurrat qui legerit eam . Habacuc. c. 2. v. 2..).
Le Seigneur me parla et me dit :Ecrivez ce que
vous voyez, et marquez - le distinctement sur :
des tablettes "
afin qu'on le puisse lire courament
. La deuxième , intitulée : Suite des Nouvel
es Ecclesiastiques , 7. Janvier 1731 .
troisiéme , qui porte le même titre , du 13. jan◄:
vier 1731. La quatrième aussi avec le même
titre , du 19 Janvier 173 1. Et la cinquième , du
25. dudit mois : Ensemble les conclusions par
écrit du Procureur General du Roi : la matiere
sur ce mise en déliberation .
du La
La Cour a arrêté et ordonné , que lesdites
feuilles seront lacerées et brulées en la Cour dus
Palais , au pied du grand Escalier d'icelui , par
l'Executeur de la haute Justice : Fait inhibitions et
défenses à toutes sortes de personnes de composer,
faire imprimer et distribuer aucunes desdites feuilles
ou autres semblables , sous les peines portées
par la Déclaration du 10. Mai 1728. Fait pareilles
défenses à tous Imprimeurs et Libraires , Colporteurs
et autres d'en imprimer , vendre, débiter
ou autrement distribuer sous pareilles peines ; Enjoint
à tous ceux qui auroient des exemplaires desdites
feuilles ou autres pareilles sous ledit titre
de les apporter incessamment au Greffe de la Cour,
pour y être supprimées : ordonne qu'à là requête
du Procureur General du Roi , il sera informé
pardevant Me Louis de Vienne , Conseiller , que
la Cour a commis contre les Auteurs desdites.
feuilles ou autres semblables , qui auroient pû être
faites du passé ou le seroient à l'avenir , ensemble
contre
FEVRIER . 1731 407
et
contre ceux qui les auroient imprimé , vendu ,
debité ou autrement distribué et pareillement informé
contre iceux , par les Lieutenans Criminels,
ou autres Officiers des Bailliages et Sénéchaussées,
pour les témoins qui pourroient s'y trouver ,
les contraventions qui auroient pû être faites dans
lesdits lieux ; pour les informations faites , raportées
en la Cour et communiquées au Procureur
General du Roi, être par lui requis et par la Cour
ordonné ce qu'il appartiendra. Enjoint pareillelement
au Lieutenant General de Police de cette
Ville de Paris et au Substitut du Procureur General
du Roi au Châtelet,de tenir la main à l'execution
du present Arrêt,et de faire toutes les diligences
necessaires à ce sujet ; ordonne en outre
que les copies collationnées dudit Arrêt seront
envoyées aux Bailliages et Sénéchaussées du Ressort
pour y être lûës , publiées et enregistrées. Enjoint
aux Substituts du Procureur General du Roi
d'y tenir la main et d'en certifier la Cour dans un
mois. Fait en Parlement, le neuf Fevrier mil sept
cent trente-un. Signé , YSA BEAU.
Et ledit jour Vendredi 9 Fevrier 1731 à l'heure
de midi , en execution de l'Arrêt cy- dessus ,
lesdites feuilles y mentionnées , ont été lacerées
et jettées au feu au bas du grand Escalier du
Palais , par l'Executeur de la haute Justice , en
presence de nous Marie- Dagobert Ysabeau , l'un
des trois premiers et principaux Commis pour la
Grand Chambre , assisté de deux Huissiers de
ladite Cour. Signé , YSABEAU.
DECLARATION DU ROY. Reglement general
entre les Curez Primitifs et les Curez- Vicai
res perpetuels.
LOUIS , & c Nous avons été informez qu'à
l'occasion du Reglement que Nous avons fait
entre
408 MERCURE DE FRANCE.
entre les Curez primitifs et les Curez-Vicaires
perpetuels , par notre Déclaration du 5 Octobre
1726. il s'est formé de nouvelles difficultez entr'eux
sur l'exercice de leurs fonctions , soit
parce
qu'on a donné à cette Loy des interprétations
contraires à son véritable esprit, soit parce qu'on
a cherché à l'étendre à des cas qu'elle n'a pas prévûs
, et qui ne peuvent être décidez que par notre
autorité ; c'est pour faire cesser ces inconveniens ,
que Nous avons jugé à propos de réunir dans une
seule Loy les dispositions de la Déclaration du s
Octobre 1726. et celles des Loix précédentes , en
y ajoûtant tout ce qui pouvoit manquer à la perfection
de ces Loix , pour assurer également les
droits légitimes des Curez primitifs , et ceux des
Curez-Vicaires perpetuels , sans donner atteinte
aux usages et aux prérogatives de certaines Eglises
principales , qui n'ayant rien de contraire au
bon ordre , méritent d'être conservez par leur
ancienneté. Nous travaillerons par autant pour
Pavantage de l'Eglise , que pour celui de nos sujets
, en prévenant des contestations toujours
onéreuses aux Parties interessées , et qui détournant
les Pasteurs du soin des ames confiées à leur
ministere , sont encore plus contraires au bien
public. A ces causes , et autres à ce Nous mouvans
, de notre certaine science , pleine puissance
et autorité Royale , Nous avons dit , déclaré et
ordonné disons , déclarons et ordonnons , vou→
lons et Nous plaît ce qui suit :
là
ART . I. Les Vicaires perpetuels pourront pren
dre en tous actes et en toutes occasions , le titre
et qualité de Curez - Vicaires perpetuels de leurs
Paroisses , en laquelle qualité ils seront reconnus,
tant dans leurdite Paroisse que par tout ailleurs.
II Ne pourront prendre le titre de Curez primitifs
que ceux dont les droits seront établis
soit
FEVRIER. 1731. 409
soit
par des titres canoniques
, actes ou transactions
valablement autorisez , Arrêts contradictoires
soit sur des actes de possession centenaire .. N'entendons exclure les moyens et voies de droit
qui pourroient avoir lieu contre lesdits Actes.et
Arrêts , lesquels seront cependant exécutez jus
qu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné , soit définitivement
ou par provision , par les Juges
qui en doivent conneître , suivant qu'il sera dit cy-après.
•
III. Les Abbez , Prieurs et autres pourvûs
soit en titre ou en commende du Benefice, auquel
la qualité de Curé primitif sera attaché , pour-.
ront seuls et à l'exclusion des Communautez établies
dans leurs Abbayes , Prieurez ou autres Benefices
, prendre ledit titre du Curez primitifs et
en exercer les fonctions , lesquelles ils ne pourront
remplir qu'en personne , sans qu'en leur absence,
ni même pendant la vacance desd . Abbayes .
Prieurez et autres Benefices , lesdites Communau
tez puissent faire lesdites fonctions , qui ne pour
ront être exercées , dans ledit cas , que par les
Curez-Vicaires perpetuels ; et à l'égard des Communautez
, qui n'ayant point d'Abbez , ni de
Prieurs en titre on en commende , auront les
droits de Curez primitifs , soit par union de Be
nefices ou autrement , les Supérieurs desd. Communautez
pourront seuls en faire les fonctions
le tout nonobstant tous actes , jugemens et pos-/
session à ce contraires,et pareillement sans qu'aucune
prescription puisse être alléguée contre les
Abbez , Prieurs et autres Beneficiers , ou contre
les Superieurs de Communautez qui auroient négligé
ou qui négligeroient de faire lesd. fonctions
de Curez primitifs , par quelque laps de temps.
que ce soit.
IV. Les Curez primitifs , s'ils ont titre ou pos
session
3
410 MERCURE DE FRANCE
session valable , pourront continuer de faire le-
Service Divin les quatre Fêtes Solemnelles et le
jour du Patron ; à l'effet dequoi ils seront tenus
de faire avertir les Curez - Vicaires perpetuels ,
la surveille de la Fête , et de se conformer au Rit
et Chant du Diocese , sans qu'ils puissent même.
ausdits jours , administrer les Sacremens ou prêcher
, sans une mission spéciale de l'Evêque , et »
sera le contenu au present article , exécuté ,
nonobstant tous titres , jugemens ou usages à
contraires .
ce
V. Les droits utiles desd. Curez primitifs de- ..
meureront fixez , suivant la Déclaration du 30
Juin 1690. à la moitié des oblations et offrandes ,
tant en cire qu'en argent , l'autre moitié demeurant
au Curé - Vicaire perpetuel ; lesquels droits
ils ne pourront percevoir , que lorsqu'ils feront le
Service divin en personne , aux jours cy - dessus ?
marquez, le tout à moins que lesd. droits n'ayent
`été autrement reglez en faveur des Curez primitifs
, ou des Curez - Vicaires perpetuels , par des
titres canoniques , actes ou transactions valablement
autorisez , Arrêts contradictoires ou Actes
de possession centenaire.
VI. N'entendons donner atteinte aux usages
des Villes et autres lieux où le Clergé et les peuples
ont accoutumné de s'assembler dans les Eglises
des Abbayes , Prieurez ou autres Benefices , pour
les Te Deum , ou pour les Processions du S. Sacrement
, de la Fête de l'Assomption ou de celle
du Patron , et autres Processions generales qui se
font suivant le Rit du Diocése ou les Ordonnances
des Evêques , lesquels usages seront entretenus
comme par le passé.
VII. N'entendons pareillement rien innover
Sur l'usage où sont plusieurs Paroisses , d'assister
le jour de la Fête du Patron ou autres Fêtes so
lemnelles
FEVRIER. 1731.
lemnelles à l'Office divin , dans les Eglises des Abbayes
, Prieurez ou autres Bénéfices , ou d'y faire"
le Service qu'elles ont accoutumé d'y célébrer .
Voulons qu'en cas de contestation sur le fait
de l'usage et de la possession , par rapport aux
dispositions du present article et du précédent, il
y soit pourvû par les Juges cy- après marquez
sur les titres et actes de possession des Parties ; le
tout sans préjudice aux Archevêques et Evêques
de regler les difficultez qui pourroient naître dans
le cas desd. art. au sujet des Offices ou Cérémo
nies Ecclésiastiques , et seront les Ordonnances
par eux rendues sur ce sujet , exécutées par provision,
nonobstant l'appel simple ou comme d'abus
, et sans y préjudicier.
VIII. Voulons aussi que dans les lieux où la
Paroisse est desservie à un Autel particulier de
l'Eglise dont elle dépend , les Religieux ou Chanoines
Reguliers de l'Abbaye , Prieuré ou autres
Benefices , puissent continuer de chanter seuls
l'Office Canonial dans le Choeur , et de disposer
des bancs ou sépultures dans leursdites Eglises
s'ils sont en possession paisible et immémoriale
de ces prérogatives .
IX. Les difficultés nées ou à naître sur les
heures ausquelles la Messe Paroissiale ou d'autres
parties de l'Office Divin doivent être celebrées
l'Autel et lieux destinés à l'usage de la Paroisse
seront reglés par l'Evêque Diocésain , auquel seul
appartiendra aussi de prescrire les jours et heures
auquel le Saint Sacrement sera ou pourra être exposé
audit Autel , même à celui des Religieux ou
Chanoines Reguliers de la même Eglise , et les
Ordonnances par lui rendues sur le contenu au
présent Article seront executées par provision
pendant l'appel simple ou comme d'abus , et sans
Y préjudicier , et ce nonobstant tous privileges et
exemp
412 MERCURE DE FRANCE
(
exemption , même sous prétexte de Jurisdiction
quasi Episcopale prétendue par lesdites Abbayes ,
Prieurés et autres Benefices , lesdites exemptions
et Jurisdictions ne devant avoir lieu en pareille
matiere.
X. Les Curés primitifs ne pourront , sous quelque
prétexte que ce puisse être , présider ou as
sister aux Conferences ou Assemblées que les Curés
-Vicaires perpetuels tiennent avec les Prêtres
qui desservent leurs Paroisses , par rapport aux
fonctions ou devoirs ausquels ils sont obligés ,
ou autres matieres semblables. Leur défendons
pareillement de se trouver aux Assemblées des
Curés-Vicaires perpetuels et Marguilliers qui regardent
la fabrique ou Padministration des biens
de l'Eglise Paroissiale , ni de s'attribuer la garde
des archives , des titres de la Cure ou Fabrique ,
ou le droit d'en conserver les clefs entre leurs
mains , et ce nonobstant tous Actes , Sentences et
Arrêts ou usages ce contraires. à
XI.LesAbbayes, Prieurés ouCommunautés,ayant
droit de Curés primitifs , ne pourront être dé
chargés du payement des portions congrues des
Curés - Vicaires perpetuels et de leurs Vicaires ,
sous prétexte de l'abandon qu'ils pourroient faire
des dixmes à eux appartenantes , à moins qu'ils
n'abandonnent aussi tous les biens et revenus
qu'ils possedent dans lesdites Paroisses , et qui
sont de l'ancien patrimoine des Curés ; ensemble
le titre et droits des Curés primitifs , le tout
sans préjudice du recours que les Abbés ou Prieurs
et les Religieux pourront exercer reciproquement
en ce cas les uns contre les autres , selon que
biens abandonnés se trouveront être dans la
Manse de l'Abbé ou Prieur , ou dans celle des
Religieux .
les
XII. Les contestations qui concernent. la
qualité
FEVRIER. 1731 413
qualité de Curés Primitifs , et les droits qui en
peuvent dépendre , ou les distinctions et prérogatives
prétendues par certaines Eglises principales
, comme aussi celles qui pourront naître au
sujet des portions congrues , et en genéral toutes
les demandes qui seront formées entre les Curés
Primitifs , les Curés - Vicaires perpetuels et les
gros Décimateurs sur les droits par eux respecti
vement prétendus , seront portés en premiere
instance devant nos Baillifs et Sénéchaux et autres
Juges des cas Royaux , ressortissant nuëment
nos Cours de Parlement dans le territoire desquelles
les Cures se trouveront situées , sans que
Pappel des Sentences et Jugemens par eux rendus
en cette matiere puisse être relevé ailleurs
qu'en nosdites Cours de Parlement , chacune dans
son ressort , et ce nonobstant toutes évocations
qui auroient été accordées par le passé , ou qui
pourroient l'être par la suite à tous Ordres , Congrégations
, Corps , Communautés ou Particuliers
, Lettres Patentes ou Déclarations à ce contraires
, ausquelles nous avons derogé et derogeons
par ces présentes , notamment à celle du
dernier Août 1687. portant que les appellations
des Sentences rendues, par les Baillifs et Senéchaux
au sujet des contestations formées sur le payement
des portions congrues , seront relevées en
notre Grand- Conseil , lorsque les Ordres Religieux
, les Communautés ou les Particuliers qui
ont leurs évocations en ce Tribunal se trouveront
parties dans lesdites contestations.
X III. Les Sentences et Jugemens qui seront
rendus sur les contestations mentionnées dans
l'Article précedent , soit en faveur des Curés primitifs
, soit au profit des Curés - Vicaires perpetuels
, seront exécutés par provision , nonobstant
l'appel , et sans y préjudicier,
XIV.
414 MERCURE DE FRANCE
XIV. Voulons que notre présente Déclara →
tion soit observée , tant pour ce qui regarde les
Curés-Vicaires perpetuels des Villes , que pour
ceux de la Campagne , et qu'elle soit pareillement
executée à l'égard de tous Ordres , Congrégations,
Corps et Communautés Séculieres et Regulieres ,
même à l'égard de l'Ordre de Malthe , de celui
de Fontevrault et tous autres , et pour toutes les
Abbayes , Prieurés et autres Bénéfices qui en dépendent
, sans néanmoins que les Chapitres des
Eglises Cathédrales ou Collegiales soient censés
compris dans la présente disposition , en ce qui
concerne les prééminences , honneurs et distinc--
tions dont ils sont en possession , même celle de
prêcher , avec la permission de l'Evêque , certains .
jours de l'année , desquelles prérogatives ils pourront
continuer de jouir , ainsi qu'ils ont bien et
duement fait par le paffé.
X V. Voulons au furplus que les Déclarations
des 29 Janvier 1686 et celle du 30 Juin 1690 et
P'Article premier de la Déclaration du 30 Juillet
1710 soient executées selon leur forme et teneur
, en ce qui n'est point contraire à notre présente
Déclaration. Si donnons en Mandement à
nos amés et feaux Conseillers les Gens tenans
notre Cour de Parlement , à Paris , que ces présentes
ils fassent lire , publier et enregistrer , et le
contenu en icelles garder et observer selon leur
forme et teneur , nonobstant tous Edits , Décla
rations , Arrêts et autres choses à ce contraires ,
ausquels nous avons dérogé et dérogeons par ces
presentes Car tel est notre plaisir , en témoin
de quoi nous avons fait mettre notre scel à cesdites
presentes. Donné à Marli le quinziéme jour
de Janvier , l'an de grace mi sept cent trente et
un , et de nôtre Regne le seizième . Signé LOUIS,
et plus bas , par le Roi , PHELY PEAUX , et
scellé
FEVRIER. 1731. 415
7
scellé du grand sceau de cire jaune. Registrée ,
ouy , et ce requerant le Procureur General du
Roi pour être executée selon sa forme et teneur,
et copies collationnées envoyées aux Bailliages
et Sénechaussées du Ressort , pour y être
lues , publiées et enregistrées : Enjoint aux Subtituts
du Procureur Genéral du Roi d'y tenir
la main et d'en certifier la Cour dans un
mois , suivant l Arrét de ce jour. A Paris en
Parlement le seize Fevrier mil sept cent trente
et un. Signé Y SA BEAU,
>
TABLE .
Ieces Fugitives , Envoy d'un Pâté , Poëme, 203
Pcuvicing Lettre touchant l'Essai de l'Ortographe
sur la Bibliotheque des Enfans , 209
241
Ode ,
Lettre sur l'A B C ou Bibliotheque
des Enfans , 246
Troisiéme Chap.du Roman Comique en Vers, 261
Lettre sur la bonté des vins de Joigni , & c . 271
Vers au Marquis D.
Eloge de Mad. du Bois de la Pierre ,
Enigmes , Logogryphes ,
283
284
294
Nouvelles Litteraires , des Beaux Arts , &c. 296
Le Nouvelliste du Parnasse , 299
Le Triomphe de l'Interêt , Comedie , 301
Le Brutus , Tragédie , 306
La Mort des Enfans de Brute , Tragédie , 312
Les Avantures d'Aristée et de Telasie , 314
L'Eloge de Car ,
Anecdotes Grecques , &c,
Abregé du Projet de Paix perpetuelle , & c.
Traité de la Gulture des Jardins ,
Programme sur un exercice de Belles Lettres, 324
Stances sur le même sujet , 327
Por-
315
317
319
329
Porcelaines de Dresde , &c. 329
Lettre sur le bruit entendu à Anfacq ; 333
Chanson notée , 339
Spectacles , ibid.
Bolus , Parodie de Brutus , Extrait , 342
L'Esclavage de Psyché , Opera Comique , 357
Nouveau Théatre qu'on va construire ,
Nouvelles de Turquie et Perse ,
36f
366
Extrait de Lettre sur la Révolution de Constantinople
, 370
Relation de la Révolte à Tripoly de Syrie , 371
De Pologne , Dannemarck , Allemagne et Italie
. 377
D'Espagne , Grande -Bretagne , Discours du Roi
au Parlement , & c.
Pays- Bas , Bruxelles , & c.
Morts , Mariages des Pays Etrangers ,
France , Nouvelles de la Cour , de Paris ,
Concerts de la Cour 5
Benefices donnez ,
Morts , Naissances
Arrêts Notables",
382
388
390
&c. 391
395
398
399
403
PAge
Errata de Janvier.
Age 35. figne 14 Yipografique , lisex Tipografique
.
P. 147. 1. 22. second , l. cinquiéme.
P. 178. 1. 13. Mavarti , I. Maccarty.
Fantes à corriger dans ce Livre.
PA , 35.4. Page
Age 3 14. ligne 6. vouloir , lisez voulez- vous.
P. 315. 1. 18. l'élégance , l'étendue , 7. l'élégance
à.
P. 320. 1. 19. acheté , l . achevé.
P. 361. 1. 11. plus que , l. plus qu'à .
La Chanson notée doit regarder la page 339
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT
MAR S. 1731 .
SPARGIT
QUE
COLLE
Chez
A PARIS ,
( GUILLAUME CAVELIER,
rue S. Jacques , au Lys d'Or.
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conty,
à la descente du Pont- Neuf , au coin
de la rue de Nevers , à la Croix d'Or.
JEAN DE NULLY , au Palais ,
à l'Ecu de France et à la Palme.
M. DCC. X X X I,
vec Approbation & Privilege du Roy.
***********:*XXXX
L
AVIS.
'ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU
Commis an
Mercure , vis - à - vis la Comedie Fran-
Coife , à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuventfe fervir de cette voye
pour les faire tenir.
On prie très-inftamment , quand on adreſſe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
oin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
oûjours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non-feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas gardé
de copie.
›
Les Libraires des Provinces & des .Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire porter fur
Pheure à la Pofte , ou aux Meffageries qu'on
tui indiquera.
PRIX XX X. SOLS,
MERCURE
DE FRANCE ,
DEDIE AU ROT.
MARS. 1731 .
XXXXX
PIECES FUGITIVES ,
A
en Vers & en Prose.
"
L'HO M M E.
O DE.
Mas de fange et de poussiere ,'
Homme , reconnois ton erreur ;
Jusqu'à quand une Ombre grossiere ,
Aveuglera- t'elle ton coeur ?
De tes passions triomphantes ,
Brise les chaînes séduisantes
Vois tes malheurs , ouvre les yeux :
En proye aux plus honteux caprices ,
A ij E
416
MERCURE DE FRANCE ,
Et toujous esclave des vices ,
N'auras-tu jamais d'autres Dieux ?
Errant d'abord à l'avanture¸
On te vit sans humanité ,
Suivre d'une aveugle Nature ,
Le mouvement précipité.
Bien-tôt d'une nuit si funeste ,
La Raison , ce flambeau celeste ,
Voulût dissiper, les horreurs ;
Mais par une erreur sans égale ,
Mortels , cette clarté fatale ,
Ne fit qu'éclairer vos fureurs,
M
L'Homme devenu moins rustique,
Deserta les Antres obscurs ,
Une cruelle politique ,
a
>
Eleva de superbes murs ;
Ingenieux , mais triste ouvrage !
C'est pour mieux assouvir leur rage ,
Qu'on voit s'assembler les Humains ;
S'ils quittent leurs premiers aziles ,
C'est que rapprochez dans les Villes ,
Ils portent des coups plus certains.
Quelle impitoyable Eumenide ,
Dicte ces projets criminels ?
Quelle
MARS.
1731. 417
Quel est le démon qui préside ,
Au sort des coupables Mortels ?
L'Interêt avec l'Injustice ,
L'Ambition et l'Avarice ,
Ont enchaîné tout l'Univers :
Courbez sous le poids des Entraves
On nous a vûs, lâches Esclaves ,
Adorer jusques à nos fers .
Souverain Maître de la Terre ;
Allume tes feux devorans :
Grand Dieu , de quoi sert ton Tonnerre ,
Si tu n'en frappes les méchans ?
Mais j'implore en vain ta Justice ,
Ta bonté passe la malice ,
Des plus horribles attentats :
Et quand par une erreur extrême ,"
L'Homme veut se perdre lui-même¿
Ta clémence ne le veut pas.
Enfin à la Terre éperduë ,
Le Ciel fit entendre sa voix :
Thémis en ces lieux descenduë ,
Vint pour y rétablir ses droits.
Mais sous l'effort de l'opulence ,
Son glaive tomba , sa balance ,
Des innocents fut le fleau :
A iij
Le
18 MERCURE DE FRANCE
Le crime brava la Sagesse ,
Et pour aveugler la Déesse ,
11 scut
lui donner un bandean.
›
Muse , de ces temps de tenebres
Ne creusons plus l'obscurité :
Passons à ces siècles celebres ,
Où l'on vit briller la clarté .. 2
Foible lueur ! ces tristes Ombres ,
Ces nuages , ces voiles sombres ,
Ne sont point encore.disparus ;
Et si l'on nous croit moins coupables ,
C'est qu'aux vices les plus blamables ,
Nous donnons le nom des Vertus.
C'est en vain que Rome et la Greces
Osent vanter leurs demi Dieux ,
Farouches et pleins de foiblesse ,
Ce sont des Monstres à mes yeux.
Otant l'imposture du masque ,
Je vois que leur valeur fantasque ;
N'est qu'un frénetique transport ;
Et que ce qu'on nomme courage ,
N'est chez eux qu'un accès de rage
Qui les fait courir à la mort.
Lors
MARS. 1731 .
419
Lorsqu'un Romain (4) plein de furie ,
Se jette dans un gouffre affreux ;
Est - ce l'amour de la Patrie ,
Qui lui fait offenser les Dieux ?
Vains admirateurs que nous sommes !
Nous osons honorer des hommes ,
Dont les crimes sont le soutien ;
Et par un jugement injuste ,
L'Assassin ( b ) du Pere d'Auguste ,
Passe pour un bon Citoyen.
Et vous , Sages , ( e ) que dans Athênes
On a crûs des hommes divins ;
Vous dont les apparences vaines ,
Tromperent les foibles Humains ;
Envain votre orgueil hypocrite ,
Déguisé sous un faux mérite ,
Dicta les plus belles leçons ;
Votre sagesse imaginaire ,
Ne fut qu'une folie austere
A qui l'on donna de beaux noms.
Souvent du plus bel héroïsme ,
Le crime ternit la splendeur ;
(a ) Martius Curtius .
( b ) Brutus , qui assassina Jules Cesar dans
le Sénat.
(c) Les Sept Sages de la Grece.
A iiij
Et
420 MERCURE DE FRANCE
Et sa vertu n'est qu'un sophisme ,
Qui cache les deffauts du coeur.
Dans leurs Projets illegitimes ,
Nos Héros font naître leurs crimes
Du sein même de leurs vertus ;
Et leurs qualitez les plus rares ,
Sont souvent les sources bisarres
Des plus détestables abus
諾
Cent fois l'Eloquence hardie
Fit pâlir ces Tyrans hautains ,
Qui dù joug de leur tyrannie ,
Vouloient accabler les Humains.
Mais aussi de ces mêmes armes,
Dont les Tyrans craignoient les charmes,
Elle osa percer l'Innocent ;
Et par un contraste effroyable ,
Il fut permis d'être coupable ,
Aussi- tôt qu'on fut éloquent.
Dans sa fougueuse frenesie ,
Exa tant d'illustres travaux
L'audacieuse Poësie ,
Immortalisa les Héros.
y
Art divin ! si dans ses caprices ,
Il n'eût aux plus infames vices
Dressé de coupables Autels ;
MARS.
421 1731 .
}
Et si sa fureur sacrilege ,
N'eût usurpé le privilege ,
D'encenser des Dieux criminels.
M
De notre aveuglement extrême;
Quels sont les funestes effets !
Je cherche l'homme dans lui-même ,
Je n'y trouve que des forfaits .
L'ambition qui le devore ,
Contre les Rivaux qu'il abhorre ;
Lui prête d'injustes secours ;
Le poison , le fer et les flammes ,
Par ses intrigues , par ses trames
Ont abregé les plus beaux jours.
Mais de ces crimes effroyables ,
Pourquoi retracer les horreurs ?
De tant de projets détestables ,
Oublions les noires fureurs.
De ce Philosophe (a ) d'Athênes ;
Dont les recherches furent vaines ,
J'emprunte aujourd'hui le flambeau ;
Et dans l'ardeur qui me consomme ,
'Ainsi que lui , je cherche un homme ,
Qui soit digne d'un nom si beau.
*
(a) Diogene
A v Laisson
Av
422 MERCURE DE FRANCE
Laissons ces superbes Portiques ,
Du crime ornement fastueux ;
C'est dans les Cabanes rustiques ,
Qu'habite l'homme vertueux.
C'est -là
que retrouvant Astrée,
Je vois l'innocence adorée ,
Par des hommes vraiment Héros
C'est là qu'une belle rudesse ,
Confond cette délicatesse ,
Dont nous couvrons tous nos deffauts.
Par M, R. V. D. ***
REPONSE à la Ettre d'un Grammairien
de Province,sur le Bureau Tipographique,
inserée dans le Mercure de Janvier 1731
page 35. écrite de Rennes le 23. Fevrier
1731.
›
O.
Ntre tant de differens sujets qui font
ENla matiere de votre Mercure , Monsieur
, et qui en rendent la lecture utile
et amusante , il en paroît un depuis quel
que tems dont la nouveauté a , ce semble ,
dû mériter Pattention des Lecteurs qui
aiment le bien public. L'Auteur de cette
ingenieuse invention sentant , comme
on n'en doute pas , l'avantage de son
Bureau
MARS. 1731. 423
Bureau , pouvoit dans l'exposition de son
Systême , ne point tant s'embarasser de
la prévention des hommes , qui seule
peut en surprendre le progrès, et ne point
heurter de front , comme il a fait , la
Métho devulgaire; il n'auroit pas rencon
tré les obstacles ausquels il doit s'atten
dre de la part de ceux qui se sont identi
fiez , comme il dit fort bien dans sa derniere
Lettre avec les anciennes opinions
, lesquelles ont prévalu dans bien
des Provinces jusqu'à present , faute de
mieux.
,
Mettant à part toutes les objections raisonnées
que l'esprit de contradiction , si
naturel à l'homme , et l'amour propre ,
font faire du premier abord , il faut courir
aux experiences. Ce sont- là , si je ne
me trompe , les armes qu'il faut employer
dans ces sortes de combats ; l'Auteur en
presente , reste à sçavoir si elles sont bonnes
, c'est son affaire , et vous en pouvez
mieux juger que nous autres Habitans de
la Province.
Tous les Charlatans , qui jusqu'ici
ont annoncé des nouveautez dans ce genre
, sont tombez d'eux-mêmes ; personne:
n'a pris à tâche de les contrarier , parce
que les absurditez étoient trop manifestes
, et aucun ne produisoit la moindre
experience , l'Auteur du Bureau Ty--
A vj pografique
424 MERCURE DE FRANCE
pographique , dont nous attendons le
dénouement , trouve des gens qui lui disent
, non avant qu'il ait achevé de parler
, ces petits traits de la prévention font
rire le Lecteur ; mais quand on veut les
amplifier par des raisonnemens qui n'ont
ni commencement ni fin , le Lecteur renvoye
le Critique à l'A B C.
Le Grammairien en question devroit
attendre que l'Auteur du Bureau eût tour
dit , qu'il eût donné l'A B C et le Rudiment
Pratique dont il parle , et c'est ce
qu'on doit desirer pour être en état de
juger ; malgré la petite experience que je
fais actuellement , qui est entierement favorable
à l'Auteur , je n'ai point encore
pris de parti ; mais si le reste répond à
ce commencement, on ne peut qu'en bien
augurer ; et je serai avec plaisir au nombre
de ceux qu'il cite pour lui fournir
des armes ; tout homme d'honneur doit
rendre témoignage à la verité , lorsqu'il
est en état de le faire.
Ayant un enfant qui a cû 32. mois le 1 §.
Novembre dernier , et qui ne prononçoit
que le dernier son des mots , je lui fis en
carton un rang de logetes, faute d'ouvriers,
qui pussent faire un Bureau sur l'exposé
que fait l'Auteur dans vos Mercures , je
mis l'étiquette de chaque Lettre , grandes
et petites , au- dessus de chaque Logette
MARS. 1731 42
gette , je les garnis de cartes sur lesquelles
je colai des caracteres que j'avois coupez
d'un côté et d'autre , je me mis à
jouer avec l'enfant , quand il sçût les
voyeles , ce qui se fit du soir au lendemain,
je fus très - surpris de le voir en
quinze jours sûr de toutes ses lettres ; ce
succès me détermina à lui faire un Bureau
tel quel , et maintenant j'en suis aux
sons de la langue dont il n'est pas moins
sûr , et je l'occupe à imprimer des mots
dont il se tire passablement , et qu'il ne
sçauroit cependant encore prononcer. On
ne peut refuser après cela aux judicieuses
refléxions que fait l'Auteur sur la ridicule
prévention où l'on est d'amuser les
enfans à des niaiseries qui ne leur laissent
rien dans la memoire ; celui - ci court
à son Bureau , c'est sa chapelle , et il ne
me paroît pas plus difficile de lui donner
des objets utiles que des Polichinels dont
il ne fera jamais aucun usage. Je ne dis
pas que cette invention puisse être pratiquée
dans un College , je n'en sçais encore
rien ,l'Auteur n'insiste pas là -dessus ;
mais il m'importe peu qu'on l'y reçoive
ou qu'on ne l'y reçoive pas, pourvû que j'y
trouve mon compte et que
l'enfant se
trouve sans y penser débarassé de toutes
les épines qui accompagnent les premiers
principes.
Cette
426 MERCURE DE FRANCE.
Cette ingenieuse Machine qui ne sçauroit
être que l'effet de longues médita
tions , me fait remercier l'Auteur publiquement
et le conjurer de ne se point rebuter
, malgré les vaines déclamations qui
commencent à paroître contre lui , et qui
retombent sur les petits génies remplis
d'eux-mêmes , dont tout le plaisir est de
vouloir faire adopter leur ignorance com
me une science certaine et infaillible . Le
Grammairien , soy - disant, qui s'éleve dans
votre Mercure , devroit avant que d'écrire
, apprendre à penser , et s'il croit avoir
raison , nous démontrer avec politesse
que nous donnons dans l'erreur. Tout
Ecrivain dont le style est grossier , m'est
suspect,et je n'en attends aucune instruc
tion.
Je suis persuadé que l'Auteur trouvera
dans le sein de l'Université de Paris où
sont les Maîtres du bon gout , qui ne
sont occupez qu'à donner une bonne éducation
à la jeunesse , toute la satisfaction
qu'il peut esperer , comme elle a été la
premiere à quitter l'ancienne routine et
à marcher par des chemins plus faciles
pour les jeunes gens , tant qu'elle trouvera
des hommes qui la seconderont et
qui ne dédaigneront pas de s'abaisser pour
faciliter les premiers élemens des Lettres,
elles les favorisera toujours. J'ai l'honneur
d'être , &c.
MARS.
4277 1737.
į į ƒ ƒ f f f f f
SUR UNE GAGEURE..
EN voyant mille attraits parer votre visage ,
Et mille Amans à vos genoux ;
Je gageai que le mariage ,
Etoit , belle Caton , à quatre pas de vous :
Et qu'avant la fin de l'année ,
Le charmant Dieu de l'Hymenée ,
Formant pour vous les noeuds les plus beaux ,
plus doux ,
Uniroit votre destinée
Au plus fortuné des Epoux.
Vous fûtes assez témeraire ,
Four oser gager le contraire
Et vous l'emportez cependant ;
Ce jour où l'on se renouvelle ,
Vous trouve encore Demoiselle ,.
Vous avez gagné , je me rends.
Je sçavois bien que la victoire ,
De vous suivre en tous lieux faisoit profession }
Mais aussi qui n'auroit du croire ,
Qu'elle vous manqueroit en cette occasion ?
Vainement s'excuseroit- elle ,
Sur sa longue habitude à marcher sur vos pas ,
Ce n'étoit point ici le cas ,
De vous paroître si fidele ;
?
less
Et
428 MERCURE DE FRANCE.
Et j'ai peine à lui pardonner ,
Une si grossiere méprise ,
Car en votre personne il n'est rien qui ne dise,
Que je méritois de gagner.
On y trouve un beau caractère.
Un coeur grand , genereux , sincere ,
La vertu , l'esprit , la beauté ,
Les graces et la majesté ,
Les agrémens de la jeunesse ,
Les traits de la délicatesse ,
J'en dirois cent fois plus que j'en dirois trop peų;
Mais enfin plus je considere ,
Moins je vois comment j'ai pû faire ,
Pour perdre avec un si beau jeu.
XXXXXX:X:XXXXX:XXX
LETTRE de Madame la Comtesse
de ... à M. le Chevalier de ... sur la
nouvelle Tragédie de Brutus.
V
Ous m'avez fait un vrai plaisir ,
Monsieur , de m'envoyer le Brutus
de M. de Voltaire ; je l'attendois avec une
impatience que je ne sçaurois vous exprimer.
L'interêt que je prends dans la gloire,
de l'Auteur m'avoit rendue incrédule
sur toutes les relations qu'on m'avoit
envoyées au sujet de sa Piéce , je commençois
MARS. 1731. 429
mençois même à perdre un peu de Cette
confiance que j'ai toujours euë en votre
goût , parceque vous étiez du nombre de
ceux qui vouloient dégrader cet Ouvrage
dans mon esprit. Il est enfin arrivé jusqu'à
moi , et la premiere lecture que j'en
ai faite vous a rendu toute mon estime.
Le jugement que j'en porte ici malgré
moi est d'autant plus au désavantage de
M. de V. que j'étois la personne de France
la plus prévenue en sa faveur ; je vous
avouë même que je m'étois flattée que
cette Tragédie n'auroit déplû aux Spectateurs
que parce qu'elle n'auroit pas
été représentée par des Acteurs tels que
Baron et la Lecouvreur , et qu'elle regagneroit
sous les yeux ce qu'elle avoit perdu
sur le Théatre ; rien de tout cela n'est
arrivé , ou plutôt j'ai éprouvé tout le contraire.
Les grands Vers de la premiere
Scene m'ont presque fait croire que je
lisois un nouveau Chant de la Henriade :
Est- ce là , me suis- je dit , le ton que pren
nent Corneille et Racine , et qu'ils doivent
donner à tous ceux qui entrent dans
une carriere qu'ils ont si dignement
remplie ? Je conviens que M. de V. quitte
quelquefois le ton Epique , mais d'un excès
il tombe dans un autre qui lui fait
encore plus de tort , et l'on a de la peine
à se figurer , qu'aprés s'être élevé si haut
430 MERCURE DE FRANCE
و
;
9
on puisse descendre si bas , d'où je conclus
que sa vocation n'est pas pour le
Théatre. Il ne me seroit pas difficile
Monsieur , de prouver ce que j'avance si
j'écrivois à quelqu'un de ses partisans
outrés ; mais comme nous sommes à peu
près d'un même sentiment , je n'ai pas
bésoin de vous donner des raisons dont
Vous n'avez pas besoin vous même ; ainsi
pour ne pas charger le papier de choses
inutiles permettez que je passe à des
remarques plus essentielles , et que je van
ge M. de V. d'une calomnie contre la
quelle je me suis toujours revoltée . J'avois
reçû à ma Campagne une Piéce Burlesque
, ou espece d'Arrêt de Momus ,
par lequel ce Dieu , qui n'épargne pas les
Dieux mêmes condamnoit M. de V. à la
restitution de sept ou huit cent Vers pillés
dans l'ancien Brutus de Mile Bernard.
J'ai été ravie pour la gloire de mon Héros
versifiant de réduire ce nombre exorbitant
à cinq ou six hemistiches que sa mémoire
lui a dictés à l'insçû de son esprit.
Cette justice que je lui rends ne m'empêche
pourtant pas de convenir avec le
même esprit d'équité , qu'il n'a pas été si
reservé pour le fond que pour le détail
et que le plan
plan du dernier Brutus me paroît
avoir été dressé sur celui du premier.
C'est ce que j'entreprends de vous prouver
MARS. 1731. 435
ver dans l'ignorance où je suis que votre
sentiment soit conforme au mien ; je vais
donc , Monsieur , vous tracer en peu de
mots l'argument du Brutus de Mile B.
pour venir après à la conformité que ce
fond de Tragédie peut avoir avec celui
du nouveau Brutus.
Brutus et Valerius , Consuls des Romains
, ouvrent la Scene au premier Acte ,
dans le Palais même d'où Tarquin a été
chassé ; ils se disposent à entendre Octavius
, Ambassadeur de ce Roi détrôné .
Octavius plaide la cause de son Maître ,
mais inutilement ; il part , chargé d'un
refus pour toute réponse.
Brutus propose à Valerius l'hymen de
Titus , son fils aîné , avec la soeur de Valerius
son Collegue au Consulat ; la
proposition est acceptée . Titus et Tiberinus
mandés par Brutus arrivent ; Valerius
se retire. Brutus déclare à Titus ce qu'il
vient de résoudre avec Valerius ; Titus
s'en défend ; Brutus lui ordonne d'obeïr;
il dit à Tiberinus qu'il prétend l'unir à
la fille d'Acquilius , qui , quoique parent
de Tarquin n'a pas laissé d'étre fidele à
la Patrie ; Tiberinus obéit avec d'autant
-plus de plaisir, qu'il aime cette même Acquilie
que Brutus , son pere , lui destine
pour Epouse.
Titus se plaint à Marcellus , son Confident
,
432 MERCURE DE FRANCE.
sident, de la dure loi que Brutus lui impose
malgré l'amour qu'il a pour cette
même Acquilie qu'il destine à son frere ;
il se retire , voyant approcher Valerie.
Valerie se plaint de l'indifference de
Titus qui la fuit au moment qu'on vient
de lui proposer son hymen ; elle soupçonne
Acquilie d'être sa Rivale , et Rivale
aimée ; elle veut la faire épier par
Vindicius ; autrefois Esclave d'Acquilius
maintenant le sien , et de plus comblé
de ses bienfaits.
Octavius ,
Ambassadeur de Tarquin et
Acquilius , parent de ce Roi banni , commencent
le second Acte. Acquilius apprend
à Octavius qu'il est le chef de cinq
cent Conjurés qui doivent ouvrir la
porte
Quirinale à Tarquin ; il lui dit que Tiberinus
même est de ce nombre , et se
flatte d'engager Titus lui- même dans la
conjuration par le moyen de sa fille Acquilie
dont il est éperdument amoureux.
Octavius exige de lui le nom et le seing
de tous les Conjurés , afin que Tarquin ,
avant que de rien entreprendre , sçache
sur qui il doit compter.
Acquilie vient se jetter aux pieds de son
peres elle le prie de ne la point contraindre
à devenir la femme de Tiberinus
qu'elle hait ; Acquilius lui demande si elle
aime Titus ; il l'engage adroitement à lui
Ouvrir
MARS . 1731. 433
ouvrir son coeur ; elle lui fait l'aveu de
son amour. Acquilius lui dit qu'il voudroit
bien que Titus fut heureux s'il
osoit le mériter ; Acquilie lui répond qu'il
est trop ennemi de Tarquin et trop fidele
à la République ; son pere la presse d'éprouver
ce qu'elle a de pouvoir sur son
coeur , sans pourtant lui rien découvrir
de la conjuration .
Aprés une Scene intermediaire , et qui
ne sert que de liaison , Titus vient ; Acquilie
n'ose lui dire à quel prix il pour
roit l'obtenir de son pere. Titus desesperant
de lui arracher son secret, vá trouver
Acquilius même , pour en être instruit.
Tiberinus qu'on a d'abord peint seument
comme ambitieux , parle à Acqui
lie en Amant desesperé qui veut l'obtenir
malgré elle ; Acquilie a beau lui déclarer
qu'elle aime Titus , et qu'elle l'aimera
toujours , il n'en persiste pas moins
à l'épouser , et va presser l'hymen qui
doit le venger. Les menaces de Tiberinus
déterminent Acquilie à faire un dernier
effort sur Titus.
Au troisiéme Acte , Acquilie exige un
serment de Titus avant que de lui déclarer
le secret que son pere vient de lui
permettre de réveler ; Titus atteste tous
les Dieux que son secret sera enseveli
dans un silence éternel. Rassurée par ce
serment
434 MERCURE DE FRANCE
serment , elle lui déclare qu'il ne peut
l'obtenir d'Acquilius qu'en conspirant
avec lui en faveur de Tarquin ; Titus fré
mit à cette proposition . Cette Scene est
des plus pathetiques ; Acquilie se retire
sans avoir pû ébranler la vertu de son
Amant , quoiqu'elle lui ait fait entendre
que Tiberinus , son frere , est entré dans
la conjuration , et qu'elle doit être à lui
à son refus. Titus flotte entre son amour
et son devoir ; mais ce dernier emporte
la balance .
Tiberinus vient ébranler la vertu de Titus
par une joye insultante et par l'assurance
de son hymen prochain avec Acquilie.
Titus dans un court monologue
fait entendre que sa constance est à bout,
et que la perte d'Acquilie est pour lui le
plus grand des maux.
3
Acquilius vient achever ce que la jalousie
a commencé dans le coeur de Titus;
mais ce qui lui porte le dernier coup ,
c'est le danger d'Acquilie dont il ne peut
plus douter après cette protestation de
son pere , au sujet de la conjuration dont
il s'est déclaré le chef à ses yeux.
sup
Un homme tel que moi n'attend pas lės
plices ;
Vous aimez Acquilie , elle est de mes complices ;
Ce
MARS.
173.1 . 435
e fer en même-tems terminant notre sort ,
Sçaura nous épargner une honteuse mort.
Titus éperdu suit Acquilius , et fait
entendre aux spectateurs le parti indispensable
qu'il va prendre.
Au quatriéme Acte , Valerie paroît
au comble de la joye d'avoir appris de
Vindicius , son esclave , que le Pere de sa
Rivale est chef d'une conjuration tramée
contre Rome , ce qui doit vrai semblablement
mettre un obstacle éternel à l'hymen
de Titus et d'Acquilie,
Brutus vient ; il n'est encore instruit
que confusément de la conspiration ; Valerie
lui apprend que c'est Acquilius que
en est le chef.
Valerius porte le premier coup à Brutus
, en lui apprenant que son fils Tiberinus
est du nombre des Conjurés , et
qu'on a reconnu son nom et son seing
dans la liste que l'Ambassadeur de Tar
quin a exigée.
Tiberinus entouré de Gardes vient lâchement
demander la vie à Brutus , qui
n'est pas moins honteux de sa lâcheté
qu'irrité de sa trahison ; il ordonne qu'on
l'ôte de ses yeux.
-
Titus vient déclarer à son pere qu'il·
est du nombre des coupables , et lui
demande la mort , afin que son châtiment
étonne
436 MERCURE DE FRANCE
étonne tous ceux qui oseroient l'imiter,
Brutus également frappé de son crime
et de son repentir , ne peut s'empêcher
de laisser échaper des mouvemens de tendresse
; il le quitte pour aller sçavoir les
intentions du Sénat , et lui témoigne qu'il
voudroit bien le sauver s'il n'écoutoit
que les mouvemens d'amour et d'estime
qui lui parlent pour lui,
Valerie apprend à Titus que c'est elle
seule qui l'a perdu , puisqu'elle a fait
découvrir la conjuration par Vindicius
et lui proteste qu'elle s'en punira.
Acquilie vient après que Valerie est
sortie ; Titus la prie de se sauver ; Acquilie
lui répond que puisque c'est pour
l'avoir trop aimée qu'il est entré dans la
conjuration d'Acquilius , son pere , elle
vient le justifief , le sauver ou périr avec
lui. Titus la voyant partir pour se livrer
entre les mains des Consuls , la suit pour
la détourner d'un dessein si fineste.
Valerie fait entendre au cinquiéme Acte
que le Sénat est assemblé pour juger les
coupables ; elle tremble pour Titus . Mar
cellus vient rendre l'esperance à Valerie ,
en lui apprenant que le Sénat laisse Brutus
en liberté de condamner ou d'absoudre
ses deux fils .
Brutus vient ; Valerie lui témoigne sa
joye sur ce que le Sénat vient de faire en
Sa
MARS. 1731. 437
sa faveur ; ce Consul lui répond qu'iltâchera
de reconnoître l'honneur que le
Sénat lui fait. Brutus après avoir tout mis
en balance, se détermine à condamner ses
enfans , et préfere les noms de Citoyen et
de Consul à celui de perc.
Titus amené devant Brutus lui témoi
gne toujours la même fermeté ; sa vertu
augmente les regrets de son Juge. La seule
grace que Titus lui demande , c'est de
pardonner à Acquilie et de la sauver ;
Brutus le quitte , en lui disant :
Tu peux esperer tout , hors de me consoler ;
Adieu , mon fils , adieu , je ne puis te parler.
Titus ne tarde point à aller se livrer au
supplice. Son Rôle finit par ces beaux Vers :
Rome , pardonne-moi mon funeste caprice ;
Mon juste repentir , ma mort t'en font justice ;
Si l'amour m'a séduit en un fatal moment ,
Le Komain a bientôt desavoué l'Amant.
La Tragédie finit par la mort de Titus
et de Tiberinus ; Valerie veut suivre son
Amant jusqu'au lieu du supplice , mais
des Gardes la retiennent ; Acquilie meurt
aux yeux de Titus , soit par un poison
qu'elle a pris , soit par l'excès de sa
douleur ; Valerius ayant appris l'execution
, dit ces deux derniers Vers :
B
438 MERCURE DE FRANCE
O tirannique amour ! & funeste journée ;
A quel prix , liberté , nous êtes vous donnée !
Ne vous attendez pas , Monsieur , à
voir l'extrait du nouveau Brutus à la suite
de celui-ci ; ma Lettre n'est déja que trop
longue , et d'ailleurs vous avez encore
présente à la mémoire la Tragédie que
yous m'avez envoyée , au lieu que vous
n'avez peut - être jamais lû celle de M.
Bernard. Quand même vous auriez déja
oublié le dernier Brutus , je ne doute point
l'extrait que vous venez de lire ne
vous l'ait rappellé par la conformité qui
se trouve entre tous les deux , si non dans
le détail , du moins dans le fond.
que
que
En effet , dequoi s'agit- il dans l'une et
l'autre Piéce , si ce n'est du rétablissement
de Tarquin , dont l'esperance est fondée
sur l'amour ? Ces deux Tragédies commencent
à peu près de même . Dans celle
de Mlle B. C'est un Ambassadeur de Tarquin
, avec cette seule difference dans
celle de M. de V. l'Ambassadeur est plus
respectable , parcequ'il vient au nom de
Porsenna. Mile Bernard a établi la Scene
dans le Palais des Tarquins , et M. de Voltaire
la met dans la Maison des Consuls ,
difference très sensible. D'un côté , peu
Titus et Tiberinus , rivaux en amour et
en ambition , agissent également dans la
Piéce ,
MARS. 1731. 439
Piéce , et de l'autre Tiberinus n'est qu'en
récit , et n'agit que derriere le Théatre
autre difference aussi peu sensible que la
précedente. Tiberinus prêt d'épouser la
Maîtresse de Titus détermine ce dernier
à livrer la Porte Quirinale dans l'une et
dans l'autreTragédie. N'avouez-vous pas,
Monsieur , que voilà bien des ressemblances
avec très peu de differences ? vous
me direz peut- être que dans un pareil
sujet on ne peut gueres éviter de se ressembler
; mais ne peut- on pas arriver à
la même fin sans prendre une marche si
égale. Je vous dirai bien plus ; c'est que
si la Piéce de Mlle B. étoit venue après
celle de M. de V. quoique ces deux Piéces
se ressemblassent également , l'Auteur
de la derniere seroit moins accusé de plagianisme.
Voici comme je prétends soûtenir
cet espece de paradoxe.
M. de V. de peur de trop ressembler à
Mile B. a pris le parti de simplifier sa Tragédie
, et c'est par là qu'il a évité de trop
ressembler : quoi de plus facile ? Mais si
Mile B. avoit travaillé après lui , et même
d'après lui , elle pourroit se vanter à juste
titre , d'avoir encheri sur son original ,
par l'addition d'un nombre infini de traits
qui lui sont propres , et qui lui appartiendroient
incontestablement comme en
étant créatrice. Telle est la double riva
›
Bij lité
440 MERCURE DE FRANCE
dité qui donne lieu à plus d'action ; je
conviens avec vous que ces mêmes traits
qui auroient mis un interêt plus vif dans
de nouveau Brutus , ont été comme autant
d'écueils que M. de V. a évités , pour ne
pas tomber dans une trop grande imitation
; ajouterai même qu'une si sage
précaution l'a réduit à une simplicité trop
Seche. Ses partisans ne laissent pas de lui
en faire honneur. Le Tiberinus , disentils
, et la Valerie de Mlle Bernard sont des
personnages à retrancher d'une Piéce
parcequ'ils sont indignes du beau Tragique.
Je conviens de cela par rapport
Tiberinus , tel que Mile B. nous l'a donné;
-mais ne conviendrez - vous pas que si elle
en avoit fait un Pharnace,il auroit parfaitement
bien tenu son coin dans Brutus
comme fait dans Mithridate le digne Rival
de Xipharés ? nous ne l'aurions pas
vû prosterné aux pieds de Brutus , lui
demander la vie , il auroit dit , au contraire
, avec Pharnace :
Seigneur , dût - on offrir mille morts à ma vûe ,
Je n'irai pas chercher une fille inconnuë.
à
>
Quant à Valerie , je ne conviens pas
qu'il y ait de la bassesse dans son caractere
, elle fait obsetver ce qui se passe
chez le pere de sa Rivale , pour profiter
de
MARS. 1731. 44
de tout ce qui pourra servir son amour ; .
Vindicius , son esclave et son espion
découvre une conspiration dont elle ne
se seroit jamais avisée ; elle se sert de cette
découverte pour empêcher Titus d'épouser
la fille d'un ennemi de la Républi
que. L'orage qu'elle excite retombe sur
Titus même elle en demande pardon à
son Amant , et proteste qu'elle s'en punira
elle-même , si Brutus ne le sauve.
de la rigueur des loix. Quoi de plus naturel
? quoi de plus convenable au Théa--
tre ?
Quelle difference entre Tullie et Acquilie
? Tullie ne balance pas un seul moment
à proposer une trahison à Titus , au
lieu qu'Acquilie tremble à lui déclarer
Pintention de son perc , et ne le fait
par son ordre exprès.
que
Combien s'en faut-il que la fatale liste
des Conjurés soit aussi convaincante dans
M. de V. que dans Mlle B. la premiere.
n'est pas signée , au lieu que la derniere
est revêtue de toute la forme qui peut fa
rendre autentique ; d'où il s'ensuit que
dans l'une des deux Tragédies , Brutus est
un Juge équitable , et qu'il est tout à fait
injuste dans l'autre . Je conviens que M.
de V. fait quelquefois de très- beaux Vers ;
mais j'ose avancer qu'en fait de Poëme
Dramatique , Mlle B. en fait de meilleurs ,
B iij parce442
MERCURE DE FRANCE.
de
parcequ'ils sont plus du ton du genre
Poëme qu'elle traite . Je n'en dis pas davantage
, Monsieur , de peur de paroître
trop partiale pour un Auteur de mon
sexe ; je vais me réconcilier avec M. de
V. par une nouvelle lecture de sa Henriade.
Je ne revoi jamais ce charmant Ouvrage
sans en admirer l'Auteur , et il est
le premier des Poëtes François qui ait
trouvé le secret de faire lire et relire un
Poëme Epique , non seulement sans ennui
, mais avec un plaisir infini . Je suis
Monsieur & c..
****************
AU MARECHAL DUC DE VILLARS,
ODE
Toi , qui des Héros de la Grece
Célebras jadis les exploits ,
Viens seconder ma hardiesse ,
Viens , Homere , affermis ma voix.
Qu'un Guerrier que la France admire
M'entende dignement écrire
Ses plus hauts faits dans mes Chansons
Et que les Filles de mémoire
M'aident à consacrer la gloire
De l'appui de leurs nourissons.
Quelle
MARS.
443 1731.
+
Quelle vengeance
meurtriere
,
Quel Dieu jaloux de nos succès
A réuni l'Europe entiere
Pour faire avorter nos projets ?
Quel Démon ardent à nous nuire
Contre Louis , dans son Empire
Arme des sujets inhumains ? *
Les barbares Soeurs de Megere
A cette secte sanguinaire
Inspirent les plus noirs desseins,
On voit des Bataillons perfides
Sortis tout d'un coup des forêts ,
Ainsi que des torrens rapides
Ravager nos riches guerets ;
Les Temples , objets de leur rage ,
Sont détruits , ou pleins de carnage ,
Tout cede à leur férocité :
Quel vaillant guerrier , quel Alcide
Domptera l'audace intrépide
De ces Monstres d'impieté ?
Quoi ! leurs cohortes menaçantes
Qui couvroient nos sillons de morts ,
A l'aspect de Villars tremblantes ,
Cedent à ses premiers efforts !
* Les Fanatiques.
B iiij
Leurs
444 MERCURE DE FRANCE
Leurs Chefs malgré leur arrogance
Ne trouvent que dans sa clémence
Dequoi dissiper leur terreur :
En vain la discorde sans cesse
Chez tous nos ennemis s'empresse
D'armer pour aider leur fureur.
Vous qui dans Thionville allarmée
Voulez foudroyer nos Guerriers ,
Que ne renversez- vous l'Armée
Qui vous ravit tant de lauriers
Le feu de vos Troupes nombreuses ,
Ni du Rhin les ondes fougueuses.
Ne sçauroient arrêter Villars .
Courez au combat ; sa présence
Doit exciter votre vengeance
A tenter les plus grands hazards.
Que vois-je ? déja vers la Flandre
Ils ont précipité leurs pas ;
Est- ce pour ne rien entreprendre
* Campagne de 1705. au commencement de
laquelle le Prince Eugene et M. Malebouroug
joignirent toutes leurs forces pour pénetrerjusqu'en
France par Thionville ; mais M. de Villars
avec des forces très inférieures se campa
de façon qu'il couvrit Thionville et les autres
Places voisines , en sorte qu'ils n'oserent entreprendre
ce Siege ni l'attaquer.
་
Qu'ils
MARS.
445. 1731.
Qu'ils ont armé tant de Soldats ?
Pour vous , grand Héros , que l'Alsące
Vit imiter la noble audace
Du fier Vainqueur de Darius ,
Vous faites voir qu'à la vaillance
Vous sçavez joindre la prudencè ,
Qui fit triompher Fabius. ( b )
Le Dieu qui lance le tonnerre ,
Pour se vanger de nos forfaits
A- t'il pour toujours de la Terre
Exilé Themis et la Paix ?
Que d'Escadrons ! que de cohortes
Ont deja jusques à nos portes
Fait avancer leurs Etendarts !
Mais quel éclat nous environne ?
Est-ce Mars , suivi de Bellonne ,
Qui vient deffendre nos Remparts ?
Fier Eugene , qui jusqu'en France
Prétends signaler tes exploits ,
Tu cours trop tard à la défense
De Denain réduit aux abois ;
Voy ce Camp rempli de carnage ;
(a ) Bataille de Fridelingue , comparée am
passage de Granique d'Alexandre.
(b ) Dictateur qui par sa prudence renvers
soit tous les projets d'Annibal.
B v La
446 MERCURE DE FRANCE
La mort sous une horrible image
Remplit tous tes Soldats d'effroi
Tu fuis toi-même plein d'allarmes
N'osant disputer à nos armes
Douay , Bouchain et le Quenoy.
En vain Mars jaloux de l'hommage
Et des offrandes des Mortels ,
Des Germains foutient le courage
Pour fe conferver des Autels ;
Fribourg et Landau sont en cendre ,
Quoiqu'il s'arme pour les deffendre ,
Nos fiers ennemis font défaits :
Villars , suivi de la Victoire
Dispose pour comble de gloire
*
Et de la guerre et de la paix.
Campagne d'Allemagne de 1713-
Par M. de Sainte Falaye , de Montfort-
Lamaury.
LETTRE
MARS. 1731. 447
XXXXXXXXXXXXXXX
LETTRE sur les bruits Aëriens entendus
près le Village d'Ansacq , écrite de Paris
ce 15. Fevrier 1731.
Ous . voulez
Viosense , Monsieur , au
que je vous dise ce que
je pense , Monsieur , au sujet des
bruits entendus en l'air près le Village
d'Ansacq , dont il est fait mention dans
le second volume du Mercure de Decembre
1730. Vous me demandez si je
crois le fait possible , si je le crois vrai ,
et supposé que je le croye , comment je
puis l'expliquer. Il faut vous satisfaire
je vais vous faire part de mes conjectures.
Le stile de la Relation faite par M. le
Curé d'Ansacq , qui paroît un homme
éclairé , le nombre des témoins dont il a
eu soin de recueillir les dépositions , les
précautions qu'il a prises pour s'assurer
de leur bonne foi , le nom de S. A. S.
Madame la Princesse de Conty , à laquelle
il adresse sa Relation , la multitude des
circonstances sur lesquelles les témoins
ne varient point , ne permettent pas de:
douter de la sincerité , non-seulement de
l'Auteur de la Relation , mais des differens
Particuliers qui ont déposé dans son
information ; ensorte qu'il est hors de
toute vrai-semblance de
"
penser que ni les
B vj uns
448 MERCURE DE FRANCE
uns ni les autres ayent eu desein d'en im
poser.
D'un autre côté le fait tel qu'il est rapporté
, paroît si extraordinaire et si ressemblant
dans son espece aux contes pueriles
du Sabbat , qu'un homme raisonnable
ne peut être tenté d'y ajoûter for.
Mais , dira-t'on , comment des témoins
de bonne foi peuvent- ils déposer d'un
fait visiblement faux ? Il faut donc qu'ils
soient dans l'erreur ; oui , sans doute ; et
quelle peut être la cause d'une erreur
qui roule sur des détails aussi circonstanciez
? sur lesquels les témoins s'accordent
parfaitement sans s'être concertez
? c'est ce qui reste à examiner.
que
S'il n'y avoit eu qu'un ou deux témoins,
il paroîtroit assez vrai-semblable de croire
que la frayeur leur eût fait prendre des cris
de bêtes , d'Oyes , de Canars sauvages ,
ou d'Oiseaux nocturnes pour ce qu'ils
ont crû entendre ; mais comme les témoins
sont en grand nombre et qu'ils ont
assuré M. le Curé qui les a questionnez
sur ce point , qu'ils connoissoient parfaitement
le cri de tous ces animaux et qu'ils
ne s'y étoient certainement pas trompez,
on ne peut s'arrêter à cette conjecture.
Le bruit qu'ils ont entendu sans voir
qui que se soit , ressembloit , disent- ils,
à des voix d'hommes , de femmes et
d'enfans
MARS. 1731. 449
d'enfans , à des éclats de rire et à des sons.
d'Instrumens; voyons s'il n'est pas possible
que sans qu'il y eut une multitude d'hommes
, de femmes, d'enfans ni d'Instrumens,
ils ayent entendu l'apparence de tous ces.
differens bruits par une voie toute simple.
et toute naturelle; c'est cette possibilité que
j'entreprens de
elle est telle que
prouver;
par le moyen que je propose , on peut
faire entendre partout où l'on voudra
les mêmes bruits qui ont été entendus à
Ansacq. Je crois , Monsieur , que vous .
n'en demandez pas davantage , vous de
vez être content de moi si je vous tiens .
parole ; je ne crains pas de vous en
manquer.
M. le Curé d'Ansacq , dans les Refle
xions qui suivent sa Relation , voudroit.
persuader que le sens de l'ouie est moins
sujet à erreur que celui de la vûë , mais
c'est gratuitement qu'il le suppose . Comme
la Sphere d'activité de la vie , pour.
me servir de ses termes , est beaucoup plus
étenduë que celle de l'ouie , il est bien vrai
que les erreurs de la vûë sont quelquefois
plus sensibles et aussi que nous avons
plus d'occasions de les appercevoir. Par .
la même raison il se pourroit encore que
nos yeux se trompassent réellement plus.
fréquemment que nos oreilles parce
que nous faisons plus souvent usage des.
yeux
3.
450 MERCURE DE FRANCE.
yeux , sans qu'on en pût conclure pour
cela que le sens de la vûë en lui- même
et par sa nature , fût plus sujet à l'illu ~
sion que celui de l'ouie ; on pourroit
même, avec autant de vrai -semblance ,
soutenir l'opinion contraire. En effet la
reflexion du son est souvent plus difficile
à reconnoître pour ce qu'elle est ,
que la reflexion de la lumiere. L'Echo
sera plus aisément pris pour une voix humaine
que la reflexion d'un Miroir pour
un objet réel. En general on juge d'ordinaire
beaucoup plus exactement de la
distance et de la situation d'un objet par
la vûë que par l'oüie. On reconnoît à
coup sur de quel côté est parti l'Eclair , et
on ne distingue pas toûjours bien de quel
côté vient le son d'une Cloche,
On se trompe si aisément en jugeant
d'où part le son quand les yeux n'aident
point au jugement qu'on en porte , qu'il
y a des gens que l'on nomme Ventriloques,
qui en se serrant le gosier et faisant une
certaine contraction dans les muscles du
bas ventre , articulent un son de voix
rauque et sourd , tel qu'à un ou deux pas
et même à côté d'eux , en prêtant l'oreil
le , on croit entendre une voix fort éloignée.
J'ai connu un Officier qui avoit ce
talent , j'y ai vû bien de gens trompez
en ma presence , et il m'a assuré qu'il
s'étoit
MARS. 1731. 45i
s'étoit quelquefois réjoui à l'armée aver
ses camarades , en leur donnant par ce
moyen de fausses allarmes.
Mais que le sens de l'oüie soit plus ou
moins trompeur que celui de la vûë , peu
importe à la question presente , pourvû
que l'on convienne ,comme on n'en peut
pas douter que l'un et l'autre sens est
susceptible d'illusion et très sujet à erreur.
C'est en suivant le parallele commencé
que nous pouvons trouver le dénouement
de la question proposée..
Si l'on agite rapidement en rond un
tison , ou un charbon allumé , l'oeil n'appercevra
qu'un cercle de feu non interrompu
; la raison en est sensible ; le char
bon parcourt successivement tous les
point du cercle; l'impression qu'il a faite
sur la vûë quand il étoit en haut , subsiste
encore quand il est en bas. La vîtesse
avec laquelle il est mû , fait que
l'oeil le voit à la fois dans tous les points
de la circonference , et n'apperçoit qu'un
cercle de feu continu. Differens sons qui
se succederoient rapidement les uns aux
autres , pourroient par la même raison
se faire entendre tout à la fois et en mê¬
me-temps. Une seule personne , si elle
pouvoit exprimer tous ces sons differens
et passer successivement, mais très-promp
tement d'un son à l'autre , pourroit donc
imite
452 MERCURE DE FRANCE
imiter le bruit confus et continu de differentes
voix , et par consequent ceux qui
l'entendroient sans voir l'Auteur du bruit,
eroiroient entendre à la fois toutes les
differentes voix qu'il contreferoit.
Mais pourquoi s'arrêter à prouver que
cela pourroit être ? Il y a des choses plus
réelles qu'elles ne semblent possibles. Telle
est celle dont il est question . Abandonnons
la preuve de la possibilité , et que
Pexperience du fait en décide . Il est constant
que bien des gens ont le talent dont
nous parlons. J'ai connu un jeune homme
qui derriere un Paravent imitoit d'une
façon surprenante un Choeur de voix
et d'Instrumens , le fameux Philbert, qui
a apporté en France la Flute Traversiere ;
avec une Poële , dès pincettes et sa voix ,
contrefaisoit , à s'y méprendre , le bruit
d'un ménage en rumeur, les cris du mari,
de la femme , des enfans , des chiens , des
Passans , du Guet et du Commissaire , et
faisoit accourir le voisinage. Depuis deux
ou trois ans la Cour et la Ville ont admiré
le même talent , peut être plus singulier
encore , dans le nommé Laillet ;
il alloit dans les maisons où il étoit mandé
, et sans sortir de la chambre où l'on
étoit , caché derriere uu Paravent ou un
rideau , il faisoit un bruit si varié et si
surprenant , en imitant un Concert , une
bagarre
MAR S. 1731 . 4532
bagarre , des éclats de rire , ou quelqu'au
tre bruit de cette espece , qu'on ne pouvoir
imaginer qu'il fût seul . Etant à souper
tête-à-tête avec un celebre Acteur
de l'Académie Royale de Musique , ona
assuré qu'ils ont fait monter dans la
chambre plus d'une fois le Guet , qui les .
trouvoit tranquillement assis à la table
vis-à-vis l'un de l'autre , et qui rappellé
par le même bruit , revenoit sur ses pasi
le moment d'après , avant que d'avoir
descendu le degré , et les retrouvoit aussi
tranquilles qu'il les avoit laissez.
Il est donc bien vrai et bien confirmé,
par l'experience , qu'un homme seul peut
imiter un bruit confus de voix et d'ins
trumens , assez parfaitement pour s'y mé
prendre. Or je dis qu'il est très possible:
qu'un homme placé derriere le mur audedans
du Parc d'Ansacq , où le bruit a
toûjours été entendu , se soit diverti à
joüer cetteComedie.Et il n'est pas necessaire
pour cela de lui supposer , à beaucoup
près , le talent d'un Philbert ou d'un.
Laillet , si ceux- ci ont pû tromper des
gens clairvoyans quelquefois préve→
nus et avertis , à combien plus forte raison
étoit- il aisé d'en imposer , par le même
moyen , au milieu de la nuit , à des
Paysans surpris , que les premiers sons
ent si fort effrayez , de leur aveu , que
l'un
454 MERCURE DE FRANCE
Fun d'eux ne voulut jamais permettre à
l'autre d'avancer pour chercher à reconnoître
d'où partoit le bruit . En lisant la
Relation dans cet esprit , on reconnoîtra
que tous les détails peuvent aisément s'ajuster
à cette Explication , sur tout si l'on
considere que la frayeur et la préocupa
tion peuvent avoir causé quelques éxagerations
et quelques erreurs même , dans
les circonstances du fait. Il n'est pas étonnant
, par exemple , que les Déposans
ayent jugé que la Scene se passoit en l'air,
puisqu'ils ne voyoient rien sur la terre
d'où ils pussent croire que le bruit partoit
; l'un d'eux dit , cependant , que
quelques-unes de ces voix ne lui avoit
paru qu'à la hauteur d'un homme ordinaire,
ce qui quadre fort à la supposition.
Il faut remarquer encore que c'est toujours
au- dedans du Parc que le bruit a commencé
à se faire entendre. Cette seconde voix
qui répondit sur le champ à la premiere du
fond d'une Gorge entre les deux Montagnes
( ce sont les termes du premier Déposant )
avant la confusion de voix qui se fit entendre
ensuite ; cette seconde voix , dis-je,
pouvoit être ou un Echo contrefait par la
premiere voix , ainsi que les bruits qui
ont suivi , ou peut -être un Echo veritable
qu'on sçait être beaucoup plus sensible la
nuit que le jour ; la refléxion de cet Echo
9
se
MARS. 1731. 455
se pouvoit faire sur la Côte opposée à celle
où se passoit le bruit , et c'est de cette
Côte oposée que l'ont entendu les deux
autres témoins qui alloient à Beauvais,
Il n'est pas étonnant qu'on ne distinguât
rien dans cette multitude de sons variés et
interrompus. Et quant au passage prérendu
de ce bruit le long de la rue et
devant la maison Presbiterale , il n'y a
qu'un ou deux témoins qui en déposent ,
et la frayeur dont ils avoüent qu'il étoient
saisis , pourroit bien leur avoir fait croire
ce bruit plus voisin qu'il n'étoit en effet ;
M. le Curé ne l'ayant pas entendu , quoiqu'il
soit dit qu'il passa devant sa porte.
On pouroit aussi supposer que l'Auteur
du bruit avoit pris ce chemin , ou que
sans sortir du Parc il en avoit suivi un à
peu près parallele à la rue du Village. La
situation du lieu et la connoissance du
Pays , pourroient en faire juger plus exactement.
Il est bien certain que dans ma suppo
sition les témoins auront crû entendre
tout ce qu'ils ont dit avoir entendu , et
qu'ils auront par consequent déposé comme
ils ont fait. M. le Curé d'Ansacq a
placé plusieurs des Habitans de sa Paroisse
, hommes , femmes et enfans , en differens
endroits pour chercher par leur
moyen à imiter les bruits entendus , et
速
456 MERCURE DE FRANCE.
il n'y a pas réussi. D'ailleurs il remarque.
qu'il n'est pas possible d'imaginer qu'il y
eût au milieu de la nuit un concours de
gens qui se fussent accordez pour donner
cette Scene.Nous avons prouvé qu'il n'en
falloit qu'un. C'est à M. le Curé d'Ansacq
à conjecturer qui ce peut être ; cela sera
du moins fort aisé , si la même chose
arrive encore. Quoiqu'il en soit , quelque
part où soient Loeillet ou ses Eleves ,
il est clair qu'ils ont de pareils Akousmates
à leur disposition.
Il n'est pas nécessaire de recourir à cet
te Explication pour chercher la cause de
la frayeur de ce Particulier de Clermont,
dont il est parlé dans l'Addition à la Relation
, lequel se jetta à bas de son che
val et à genoux il y a 15. ans , une nuit
en passant près du Village d'Ansacq, ayant
entendu ou crû entendre un grand bruit.
Je ne crois pas que vous ayez prétendu
me demander compte de toutes les ter
reurs paniques qui peuvent surprendre
un Voyageur ; je me suis seulement engagé
à expliquer comment une cause sim
ple et naturelle pouvoit avoir produit les
prétendus bruits aëriens dont il est parlé
dans la Relation , et je crois . y avoir satisfait:
Voilà , Monsieur , ce que je pense sur
les questions que vous m'avez proposécs
၂၄ ..
MARS. 1731. 457
je souhaite que ma Réponse puisse vous
Satisfaire , je ne vois que ce moyen de
concilier la vrai -semblance avec la bonne
foi des témoins , qui m'a paru ne devoir
Foint être suspecte. Je suis , & c.
1
のの
NOUVELLES DE CYTHERE.
du 14 Décembre 1730. addressées à
Maden D. L. G. à Auch , par M. le
Chevalier D. N. D. M.
DEEs le matin sur le sacré Vallon ,
Pour ton Portrait que je prétendois faire ,
J'allai prier le Seigneur Apollon ,
De m'inspirer ; ce n'est petite affaire ,
Me dit le Dieu , renonce à ton Projet ,
Je la connois , cette fille charmante ,
Je ne sçaurois répondre à ton attente ,
Et l'Amour seul peut peindre cet Objet.
Lors vers l'Amour je courus à Cythere ;
Lui raconter quel étoit mon dessein ,
Il s'occupoit à consoler sa Mere ,
Que tes appas devorent de chagrin ,
Ils étoient seuls ; je n'y vis point les Graces;
Ni les Plaisirs , ni les Jeux , ni les Ris ,
De tout cela je ne fus point surpris ,
Qui ne sçait pas qu'ils volent sur tes traces ?
Et c'est de quoi Cypris versoit des pleurs :
Je
58 MERCURE DE FRANCE
Je m'approchai , par une ample Requête ,
Je crus pouvoir obtenir des couleurs .
Pour ton Portrait , l'Enfant tourna la tête ,
Que sert , dit - il , d'accroître mes douleurs ,
De peindre aux yeux les appas de la Belle ,
Ils sont pour moi dans tous les coeurs;
gravez
L'ingrate , helas ! n'en est pas moins rebelle ,
Sur elle en vain j'émousse tous mes Traits ,
Mais ses mépris excitent ma vengeance ,
Et vient le tems prescrit dans mes Decrets ,
Que ses soupirs vengeront cette offense.
Pour qui ? ... C'est trop , respecte mes secrets ,
Il dit : soudain frappant trois fois la terre,
Il disparut sur les pas de sa Mere ;
Et moi j'ai crû devoir sans differer ,
Vous rapporter en sortant de Cythere ,
L'Arrêt du Dieu , pour vous y préparer ,
Ou prévenir l'effet de sa colere,
X:XXXXXXX:XXXXXXX
LETTRE d'un Philosophe de Provence
à M ** touchant la Lettre du prétendu
Grammairien Provençal , sur le Bureau
Tipographique.
Vous
'Ous avez raison , Monsieur , la Lettre
dont vous me parlez ne doit
point vous empêcher de continuer à faire
usage
MARS. 1731. 459
usage du Bureau pour M. votre fils ; je
ne reconnois point dans cette Lettre l'esprit
naturel des Provenceaux , quoique
L'Auteur se qualifie Grammairien de
Provence , il ne me paroît ni Provençal ,
ni Grammairien , ni Philosophe.
Est-il licite , dit-il d'abord , de vous
demander pourquoi et comment tant de Char
latans de la République des Lettres sont
écoutez à la Cour et à la Ville. Si l'Auteur
avoit quelque usage de laCour et de la bonne
Compagnie de la Ville ,il ne feroit point
cette demande. A la Cour et à la Ville)
on fait quelquefois l'aumône aux Charlatans
, mais on ne les écoute point , ils
n'y sont ni protegez , et encore moins récompensez.
Je ne parle point , dit-il , des prétendus
Inventeurs de la Pierre Philosophale , de
Ja Quadrature du Cercle , &c . Et pourquoi
ne parle- t'il point de ces gens - là ? Sontils
moins nuisibles au Public ? Non , sans
doute , mais c'est que ces sortes de Charlatans
ne blessent point les interêts de
l'Auteur. Je n'y prens , dit-il , aucun in
terêt. Ce qui me révolte , c'est de trouver dans
votre Mercure un de ces Charlatans qui parle
toujours d'un Rudiment pratiqué de bois ..
de la sillabisation , de l'Ortographe , &c.
En verité , s'écrie -t'il , on se livre trop
aisément à de nouveaux venus qui nous ra→
vissent
450 MERCURE DE FRANCE
e
vissent nos droits par des jeux et par des
prestiges .... On viendra nous débiter des
préceptes qui sont de vrais Paradoxes , pour
ne rien dire de plus , ceux qui les débitent
seront crus , seroni suivis , tandis que l'on
rira de nos raisonnemens et que nos Ecoles
seront désertes. Que deviendra le fruit de nos
veilles et de nos travaux ? O tempora ! ô
mores !
Vous voyez , M. que l'Auteur de la
Lettre est apparemment Maître d'Ecole ,
en ce cas il fera bien d'apprendre le nouvel
Alphabet avant que de se mêler de
le montrer. Quoi ! dit- il , nous aurons passé
bien des années à nous tourmenter pour ap
prendre des choses que nous sentons ne sçavoir
pas encore bien dans un âge avancé ,
et des enfans de quatre ou cinq ans apprendront
en jouant ce qui nous a coûté tant de
peines , tant de pleurs et de fatigues ! Nous
faudra til remettre à la Croix de Pardieu
sous peine d'étre repris par des enfans ? Et
pourquoi non ? Il faut aimer à apprendre
à tout âge. Ciceron nous parle de Vieillards
qui apprenoient ce qu'ils avoient
négligé d'apprendre quand ils étoient
jeunes.
>
Mais après tout , quel que puisse être
l'Auteur de la Lettre , et quel que soit
le motif qui l'a fait écrire , il n'est pas
excusable de traiter de Charlatan le Philosophe
MARS. 1731
461
losophe estimable , qui a donné l'invention
du Bureau Tipographique ; car
qu'est-ce qu'un Charlatan ? C'est un homme
, qui par interêt , promet plus qu'il
ne peut tenir , et qui s'embarasse peu de
tromper le Public.
Or prémierement l'Auteur du Bureau
n'agit par aucune vûë d'interêt , il vit
content d'un revenu modique , suffisant
pour lui , et n'est à charge à personne.
Les Ouvriers qui font les Bureaux , ne
sont point en societé avec lui.En un mot ,
il ne lui en revient rien , que bien de la
peine , et si quelqu'autre vient à trouver
quelque Méthode plus facile et plus utile
pour apprendre à lire , il ne se plaindra
point qu'on lui ravit le fruit de ses
travaux et de ses veilles .
En second lieu , il ne peut être soupçonné
de vouloir tromper le Public , au
contraire , il tient ce qu'il promet. Les
enfans se plaisent à travailler sur le Bureau
Tipographique , et s'y instruisent ;
les preuves en sont aisées à trouver , et elles
se multiplient tous les jours. En verité
un tel homme ne peut être traité de
Charlatan que par une basse jalousie ou
par un préjugé bien aveugle. S'il у a des
Charlatans , il faut les mépriser ; mais il
y de l'injustice a confondre sous ce nom
les personnes qui n'ont rien de commun
C
avec
46 MERCURE DE FRANCE -
avec eux. Mais voyons quelles sont les
raisons que l'Auteur de la Lettre allegue
contre la pratique du Bureau.
D'abord il dit qu'il ne sçait pas bien la
construction de cette Machine . Pourquoi
donc se mêle-t'il d'en parler ?
On dit , ajoûte- t'il , que ce Bureau
pour un enfant de deux à trois ans , aplus
d'une toise de long , et que si ce Bureau
croît à mesure que l'Ecolier avance en
âge , il lui faudra cinq ou six toises . Les
Jeux de Paume vont devenir prodigieusement
chers. Quelle fade plaisanterie !
Veut-on que l'enfant porte ce Bureau
pour se plaindre qu'il est ou trop long,
ou trop large , ou trop pesant ; il a les
dimensions nécessaires pour l'instruction
et pour l'usage de l'enfant.
Objection , page 39 .
L'enfant , à ce qu'on dit , prend danst
son Bureau les Lettres dont il a besoin'
pour composer un mot ... et les range
P'une après l'autre sur la table de son Bureau
; si le fait est bien constant , n'y auroit-
il point quelque mistere que nous ne
sgaurions pénetrer , et qui n'est entendu
que par ces nouveaux Maîtres & par
fcurs Eleves ? Je me défie extrémement
de merveilles.
Réponse.
MARS. 1731. 463
Réponse.
Si dès le premier moment que
l'enfant
travaille sur le Bureau , il faisoit l'operation
dont on parle ici , l'Auteur de la
Lettre auroit un motif légitime d'entrer
en méfiance ; mais qu'après qu'un enfant
est exercé à connoître les Lettres , il aille
les prendre chacune dans leurs casseaux,
cela n'est pas plus étonnant , que de voir
qu'il aille prendre du pain quand on lui
dit d'en aller chercher. Avant que de faire
de pareilles objections , l'Auteur , s'il
est à Paris , comme on le dit , devoit aller
voir travailler un enfant en l'absence
de son Maître.
Objection.
Il me reste toûjours un scrupule dont
je sens bien que je ne guérirai que par ma
propre experience , je serois curieux , par
exemple , ( quel style ! ) de sçavoir si un
enfant dressé par cette nouvelle façon ,
pouroit lire dans un Livre imprimé à
Paris , et qu'il n'auroit jamais vû.
Réponse.
L'Auteur de la Lettre peut se guére trèsaisément
de ce scrapule ; qu'il e neure
point d'une maladie dont il y a dea tant
de Medecins. En attendant qu'il veuille
Cij bien
45 MERCURE DE FRANCE .
bien recourir à sa propre experience , je
puis certifier un fait dons je suis témoin ,
qu'en 1725. j'allai à S. Denis avec un enfant
de cinq à six ans , qui avoit appris
à lire le Latin , l'Hébreu , le Grec er le
François , par le Bureau Tipographique.
Nous étions au moins dix personnes de
compagnie. En nous promenant dans le
Cloître , je priai un Religieux que nous
rencontrâmes , de nous mener à la Bibliotheque
. Nous n'avons point encore
de Bibliotheque , dit-il , mais nous avons
des Livres dans nos Chambres. Voudriezvous
bien , lui dis - je , montrer une Bible
Hébraïque à cet enfant qui voudroit y
lire quelque Passage. Le Pere voyant un
enfant en robe , crut que je voulois rire .
Je lui parlai très - sérieusement , et il nous.
mena dans sa Chambre , quyrit une Bible
en Hébreu , et l'enfant lût courament.
Je demandai un Livre Grec , le Pere nous
présenta un Plutarque ; l'enfant lut le
Grec avec la même facilité, On lui présenta
des Manuscrits , il lisoit avec plus
ou moins de facilité , selon que le Grec
étoit écrit plus ou moins lisiblement. Ce
Religieux appela plusieurs de ses Confreres
, qui furent témoins du fait. Le Religieux
dont je parle , s'appelloit , si je ne
me trompe , Dom François Valeran , Il
seroit aisé de donner bien d'autres preu-
1
ves
MARS. 1731. 46 $
ves favorables au Systême du Bureau Ty
pographique ; mais j'ai honte de suivre
sérieusement la Lettre de ce Grammai
rien , qui vous a indigné. J'ai l'honneur
d'être , &c .
REPONSE de M. L. D. à une jeune
Personne trés-aimable , qui lui avoit écrit
une Lettre fort spirituelle.
EN verité , chere Suzette ,
?
Votre Lettre si joliette ,
Est pour moi plus douce amusette
Que tout Roman , qu'Historiette ,
Que Lardon , Mercure ou Gazette
Non , nul Orateur , nul Poëte ,
N'écrit si bien que vous , Suzette
Et j'ai toûjours dit et répette ,
Du Sceptre jusqu'à la Houlette ,
Il n'est femme , fille , fillette ,
Noble , Roturiere , ou pauvrette ,
Soit petite , ou bien grandelette ,
Soit d'âge mûr , ou bien jeunette ,
Soit Demoiselle , soit Grisette ,
Soit sage , discrette , ou Coquette ;
Soit mondaine , ou bien soit Nonnette
Soit enfin blonde , ou soit brunette ,
Cij Si
466 MERCURE DE FRANCE
Si belle que vous , si parfaite ,
Personne aussi tant ne souhaite ,
Faire de votre coeur l'emplette ,
Que moi dont le nom mis en rette
De landriri fait ladrirette . 2
Et dont le coeur en amourette ,
Ne tourne pas en giroüette.
Oui , jeune et charmante Suzette ;
'Absent de vous tout m'inquiette ,
Et s'il me falloit en retraitte ,
Vivre seul avec vous seulette ,
Fût-ce en une pauvre Logette ,
aimable Suzette ,
Avec vous ,
J'aimerois mieux sur nappe nette ,
En gras , Pâtés ragout , blanquette ,
Poulet , Faisan , Perdrix , Mauviette ,
En maigre , Brochet , bonne Laitte ,
Sole , Saumon , Huitre , Crevette ,
Au dessert , Biscuit , Tartelette ,
Bonne Compote de Rainette ,
Que n'aimerois sans vous , Suzette ,
Avec pain bis , avec Piquette ,
En gras , la simple Vinaigrette ,
Bouilli froid , étique Raquette ,
En maigre , Potiron et Bette ,
Harang salé , froide Omelette ,
Et
pour le Fruit , Noix et Noisette .
Ce que je dis n'est point sornette ,
C'est
MARS. 1731. 467
C'est la verité pure et nette ,
Point ne suis conteur de fleurette
Encor moins chanteur de goguette.
gu
Je vous aime , belle Suzette ,
Plus que ne fut une Nannette'
Une Cloris , une Lizette ,
De la plus tendre Historiette ,
Hélas ! si bien- tôt sur l'herbetter ,,
Ensemble assis sur la fleurette ,
Ou bien cueillant la Violette ,
Voyant ma tendresse discrette ,
Vous me disiez de voix doucette
Cher ami , plus ne t'inquiette ,
Au feu de ton ardeur parfaitte ,
Mon coeura pris comme allumette
Je sens ce que ton coeur souhaitte
Ma fortune , aimable Suzette ,
Dans le moment seroit complette ;
Et ce bonheur , mon coeur appette ,
Plus que Crosse , Mitre , Barette
que d'écus plein ma pochette.
Et
Si par vous cette chose est faite ;
Ma langue ne sera muette ,
Et comme assez bien je caquette ,
Sans cesse de voix claire et nette
Mieux que Rossignol et Fauvette
Que Canaris et qu'Allouette ,
Je Chanterai sur la Muzette 1
C iiij Sur
468
MERCURE DE FRANCE
Sur l'Epinette et la Trompette ,
Comme l'ai dit et répette.
Du Sceptre jusqu'à la Houlette ,
Il n'est femme , fille , fillette ,
Noble , aisée , riche ou pauvrette ,
Soit petite ou bien grandelette ,
Soit d'âge mûr , ou soit jeunette ,
Soit sage , discrette ou coquette ,
Soit
Demoiselle , soit grisette
Soit mondaine , ou bien soit Nonnette ,
Soit enfin blonde ou soit brunette ,
Qui soit si bonne , si parfaite ,
Que l'incomparable Suzette.
Dites- moi donc , belle fillette
>
En public ou bien en cachette ,
Va , mon cher , ton affaire est faite
Ainsi soit-il , et vous souhaite ,
Cette nuit en votre couchette ,
Pour deux trop petite et chiquette ,
Rêverie et tendre et complette ,
Sommeil point troublé par clochette
Par puce , carosse , charette ,
Par aboi de Chien ou Levrette ,
Par Larron , Souris ou Chouette
Puis au réveil argent sans dette ,
En tous vos achats bonne emplette
Et qu'en tout soyez satisfaite.
Adieu , trop charmante Suzette
Ma
MARS. 469 1731.
Ma réverence maigrelette ,
Saluant la vôtre douillette , ´
Pour ne pas dire grassoüillette ,
Je suis avec humble épithete ,
Votre serviteur Landrirette ,
D'esprit joyeux , d'humeur folette ,
Mais simple comme enfant qui tette.
REPONSE à la Lettre anonime sur
la gloire des Orateurs et des Poëtes , inserée
dans le Mercure de Novembre 1730.
MONSIE ONSIEUR ,
Quoique vous preniez plaisir à scandaliser
le Public , en hazardant une décision
injuste sur ce qui fait , à peine , la
matiere d'une question , on vous sçait cependant
bon gré de faire marcher les
Orateurs avant les Poëtes à la tête de votre
Lettre , et si vous leur donniez toujours
le pas , elle seroit , ce semble , intitulée
avec plus de raison , sur la gloire des
Orateurs &c. Mais vous vous efforcez de
dégrader
l'Eloquence
par un parallele captieux
qui la représentant
avec ses moindres
attraits , la raproche
d'un enthou ~
siasme dont l'excellence
exagerée se trou-
CV ve
1
470 MERCURE DE FRANCE
ve soutenue des exemples les plus spe
cieux . C'est pourquoi , la seule question
qui se présente aujourd'hui consiste
sçavoir si vous avez atteint à votre but
et je ne crois pas que la décision en soit
difficile.
Pour juger d'abord sainement , il nesuffit
point d'examiner quel est celui des
deux genres , du Discours ou de la Poësie ,
qui demande le plus de talens pour y exceller
? car les plus excellens Poëtes sont
moins redevables de leur mérite à l'art
qu'à la nature , encore en est-il peu du
nombre de ceux dont on peut dire nascuntur
Poeta : nous ne pouvons , au-contraire
, parvenir à la gloire des Orateurs
qu'aprés bien des veilles et bien des travaux:
fiunt Oratores. Il s'agit encore moins
d'examiner quel est le plus utile et le plus
agréable du Discours ou de la Poësie ;
celle- ci peut s'arroger tout au plus l'agréable
, son utilité ne consistant que
dans le plaisir qu'elle donne au Lecteur ;
celui - là , non content de nous plaire ,
nous instruit , nous touche , nous persuade
, et conséquemment tient à des- `
honneur la parité d'objets qu'on lui
donne mal à propos avec la Poësie.
Oiii , Monsieur , la nature semble contribuer
toute seule à la gloire des Poëtes
une naissance heureuse pour la versifica
tion,
MARS. 1731. 471
tion , c'est à quoi peuvent se réduire les
talens des plus illustres , et ils n'ont rien
en cela que de commun avec l'Orateur
qui ne peut être parfait sans avoir des
dispositions naturelles ·la
pour prononciation
, au moins on conviendra que s'il
lui faut pour paroître en Public avec plus
de décence , une voix claire et distincte
et un visage qui n'ait rien de rebutant ;
ce n'est
pas l'Arr qui lui donne ces qualités
; c'est aussi où se termine tout le
parallele qu'on peut faire des Poëtes avec
les Orateurs. L'Eloquence exige bien.
d'autres talens que ceux de la prononciation
, puisqu'elle consiste encore , selon
vous , dans l'invention , la disposition
, l'élocution et la mémoire , que je
ne détaillerai point , il me suffit de vous
dire avec l'Auteur des Refléxions sur l'Eloquence
, qu'outré le naturel , il faut.
encore pour être éloquent beaucoup d'élevation
, un grand feu et une solidité
naturelle d'esprit , qui doit être perfecrionnée
par l'usage du monde , et par une
connoissance profonde des lettres , qu'il
faut aussi une grande étendue de mémoire
et d'imagination , une compréhension
aisée , beaucoup de capacité et d'application
, et que dans cet attachement
au travail et cette assiduité au Cabinet, qui
sont necessaires pour se remplir des connoissances
Cvj
472 MERCURE DE FRANCE
noissances propres à l'Eloquence , il est
bon de puiser dans les sources , d'étudier
à fond les Anciens , principalement ceux
qui sont originaux . Multo labore , assiduo
studio , varia exercitatione , pluribus experimentis
, altissimâ prudentia , potentissimo
consilio constat ars dicendi. * Enfin un enthousiasme
heureux , un beau vertige song
tout le mérite des Poëtes , sic insanire decorum
est. Un Discours Oratoire assujettie
à bien des regles , le bon sens , la prudence
et la sagesse en doivent être le mo
bile , et c'est là ce qu'on peut appeller
des beautés presque toujours inconnuës
aux Poëtes , Eloquentia fundamentum sapientia.
Tout cela n'est encore qu'une foible
ébauche des dispositions requises pour
parvenir à la gloire des Orateurs , et je
ne finirois jamais si j'entrois dans un plus
grand détail ; mais il s'agit de parcourir
votre Lettre .
•
Vous faites d'abord parade des qualités
dont on doit revêtir un Poëme Epique ,
et des beautés qui s'y rencontrent , lorsqu'il
en est revêtu ; si de mon côté je décrivois
ici les regles qu'on doit observer
pour mettre en oeuvre la moindre figure
de Rhétorique , sa beauté , son énergie ,
Fab, L. 2. C. 13.
MARS. 1731. 473
sa force , lorsqu'elle est bien maniée , je
me flatte que cette description ne donneroit
pas moins de relief à ma Lettreque
la peinture du Poëme Epique en donne
à la votre ; mais c'est à quoi je ne m'at
tacherai pas.
Tout ce qui me chagrine , c'est qu'en
parant les Poëtes de tous les talens qui ac
compagnent d'ordinaire l'Eloquence
vous osiez avancer qu'ils les possedent
dans un dégré plus éminent que les Ora
teurs ; car ce prétendu dégré de perfection
ne nous annonce rien autre chose
qu'un enthousiasme , un transport , que Ci
ceron a bien voulu diviniser en faveur
de ceux qui se mêlent de faire des Vers ;
en un mot , un vertige qui renverse l'ordre
de la nature , qui déïfie les plus grands
scelerats ,, qui personifie les choses les
plus idéales , qui change tout enfin , et le
change en faux.
Ce n'eft plus la vapeur qui produit le tonnerré
C'eft Jupiter armé pour effrayer la terre &c.
En verité , Monsieur , je trouve Ciceron
fort à plaindre ; vous vous inscrivez
en faux contre ses Vers , et votre moyen
a Cic. de Orat.
Despr. Art, Poët. Chant fo
est
474 MERCURE DE FRANCE
est fondé sur le deffaut de son imagina→
tion ; vous dépouillez le plus éloquent
des hommes du talent le plus essentiel à
l'Eloquence , et vous refusez une imagi
nation féconde à l'Orateur , dont les discours
sont remplis des plus vives images ;
si vous n'épousiez pas des interêrs Poëtiques
, j'aurois de la peine à vous pardonner
de si grands écarts..
Ignorez- vous qu'un grand Orateur dont
la vraye éloquence n'avoit rien que de
réél , et consistoit à dire les choses comme
elles étoient , qui né dans le sein du Pa
ganisme et de l'idolâtrie avoit néanmoins
sçû préserver son esprit de la contagion ,
et en instruire tout l'Univers par ses Trai
tés admirables de la Nature des Dieux et
de l'immortalité de l'ame , que Ciceron ,
dis-je , ne pouvoit pas astreindre ce mê
me esprit à des fictions ridicules ? il n'étoit
susceptible d'aucuns délires , et sauf
le respect que je dois à Homere , voici
comme s'explique le P. Gautruche : * Les
Grecs inventerent la plupart de ces folies et
de ces superstitions , qui étoient aussi le plus
ordinaire sujet de leurs Foësies , et ensuite
les répandirent par toutes les autres Nations.
Nos Poëtes modernes qui suivant ce
principe n'ont pas le mérite de l'inven-
Hist. Poët. Avantpropos , page 60
tion
MARS. 1731. 475
tion sont réduits à bien peu de choses.
J'avoue qu'il ne faut pas moins d'imagi
nation pour la Poësie que pour l'Eloquence
; mais Ciceron en étoit trop oeconome
pour perdre à cadencer un Vers le
tems précieux que sa docte plume employoit
plus à propos à coucher par écrit
les pensées sublimes qu'un génie fécond
lui suggeroit à tout moment , et si tous
les hommes se le proposoient en cela pour
modele , nous aurions un plus grand nombre
de bons Orateurs et moins de mauvais
Poëtes . La Poësie a d'ailleurs un fort triste
inconvenient , et les magnifiques morceaux
que vous citez n'y apportent aucun
remede ; la mesure d'un Vers qu'il faut
remplir ou qu'il ne faut pas exceder fait
toujours beaucoup perdre à une pensée ou
de sa force ou de sa beauté. Qu'il me soit
permis de vous retorquer ici M. Des
preaux , dont l'autorité cimente mon opinion
; l'excellente Traduction du Rheteur
Longin que nous avons de lui, fait bien
voir le cas qu'il faisoit de l'Eloquence , et
la Satire qu'il adresse à Moliere ne peint
pas avantageusement la Poësie , c'est un
caprice , c'est un Démon qui l'inspire
c'est un feu qui se rallume chez lui , c'est
un torrent qui l'entraîne c'est une de→
mangeaison qui se trouve dans son sang ;
nascuntur Poëta ; et cet excellent Poëte se
récrie
476 MERCURE DE FRANCE.
récrié ainsi dans le fort d'un enthousias
me qui met son esprit à la torture.
Maudit soit le premier dont la verve insensée
Dans les bornes d'un Vers renferma sa pensée,
Et donnant à ses mots une étroite prison
Voulut avec la rime enchaîner la raison.
›
Votre comparaison des Orateurs avec
les Fantassins , et des Poëtes avec les Cavaliers
me réjouit beaucoup , et je com-.
mence à comprendre comment la Prose
n'oblige pas à tant de frais que la Poësie ,
puisque chaque Cavalier doit avoir son
Pegaze , et ce qui m'en plaît davantage
c'est que l'Infanterie est un Corps d'un
plus grand service que la Cavalerie .
De tous les sujets dont vous faites l'énumération
, il n'en est aucun qui ne s'accommodât
aussi bien d'une Prose élegante
que d'une narration Poëtique , et quoique
Moïse , Isaye et David ayent eu quelquefois
recours à la Poësie pour chanter les
loüanges de Dieu , vous ne devez pas bor
ner là toute leur gloire; car ils m'assurent
que lorsqu'il s'agissoit de faire des conquêtes
au Seigneur , ou de contenir les
Peuples qui leur étoient confiés dans le
devoir , ils parloient un tout autre langa
ge- que celui des Muses. Il n'est pas non
plus étonnant que les Héros ayent été flas
τές
MARS. 1731. 477
•
tés de l'espoir de l'immortalité que promet
la Poësie , l'Eloquence n'ayant pas
moins contribué que la valeur à leur Héroïsme
; il n'est , dis -je, pas étonnant que
les Orateurs ayent crû mériter que des
Poëtes employassent leur suffisance et
leurs veilles à les louer dignement.
Plutarque aura de la peine à nous prouver
que les premiers hommes étoient tous
Poëtes , et que l'Histoire même étoit écrite
en Vers. Il ne nous reste aucuns Ouvrages
de ces tèms fabuleux , et le Déluge
universel qui n'épargna rien n'a , ce semble
, respecté Noé et sa famille que parcequ'ils
n'étoient pas Poëtes ; car depuis
eux nous ne voyons plus l'Historien emprunter
le langage des Dieux , et l'Histoire
n'est belle qu'autant qu'elle est
vraye et qu'elle est sincere.
Le Poëme Epique est veritablement le
chef-d'oeuvre de l'esprit humain ; mais
cela ne doit s'entendre que de la Posie ;
car l'Eloquence qui est beaucoup au - dessus
de la Poësie étant aussi du ressort de
l'esprit humain , les chefs-d'oeuvre de
P'Orateur surpassent toujours ceux des
Poëtes. La Poësie elle - même n'est jamais
employée avec plus d'éclat et de succès que
lorsqu'elle est soutenue par l'Eloquence. Y a
t'il , en effet , quelques genres de discours
dont Homere n'ait pris soin de décorer
ses.
478 MERCURE DE FRANCE
ses Poëmes , c'est chez lui qu'on aprend
à estimer les grands Orateurs ; cet illustre
Poëte ne croiroit point la gloire de
ses Héros complette , s'ils ne joignoient'
une éloquence mâle à un courage intrépide
; ce n'est qu'en imitant leurs Harangues
qu'il s'est acquis de la gloire. Pour
se convaincre de ces verités , il suffit de
jetter les yeux sur ses Ouvrages , et l'on
conviendra sans peine que les Orateurs
sont au-dessus des plus grands Poëtes ;
Il fait parler Ulisse , Phenix et Ajax avec
beaucoup de grace , il peint l'art admirable
que le Prince d'Itaque employe à
toucher un homme dur et intraitable
les differentes routes qu'il prend en un
moment pour aller jusqu'au coeur d'Achile
, les differens Rôles qu'il jouë pour
le préparer à ce qu'il veut lui dire , pour´
l'émouvoir , le déterminer enfin et l'entraîner
dans son sentiment ; j'avoue cependant
que le nombre , la cadence et la
mesure qui sont l'attirail ordinaire des
Poëtes , font perdre aur Discours d'Ulisse
beaucoup de sa force et de son énergie ,
et que ces trois illustres personnages qui
étoient députés vers Achille pour l'engager
à reprendre les armes , au lieu de le
toucher et de le convaincre , n'auroient
fait tout au plus que l'émouvoir ou le
réjouir avec un discours revêtu des expressions
MAR. S. 173T.
479%
sions Poëtiques. Quoiqu'il en soit , je veux
croire que la lecture des Poëtes est un
acheminement à l'Eloquence , sur cout
lorsqu'on s'attache à demasquer leurs Ouvrages
et à distinguer l'hyperbole Poërique
d'avec le vrai sublime ; c'est là l'unique
moyen de s'endoctriner avec la Poë--
sie , en lui faisant beaucoup gagner ; l'on
peut même dire que le clinquant des
Poëtes devient un or pur dans les mains
d'un Rhéteur habile..
La suite pour un autre Mercure
******:*:** X * X :XXX
IMITATION
De l'Ode IX. du troisieme Livre d'Horace ..
Donec gratus eram & c.
DIALOGUE ,
Tirsis , Philis.
Tirsis.
PHilis tant que sensible à mes vives tendresses
De tout autre Berger tu dédaignas la foi ,
Je préferois ton coeur à l'éclat des Richesses
Je le préferois même à la pourpre d'un Roi.
Philis
480 MERCURE DE FRANCE
Philis.
Ingrat , jusqu'au moment que je te vis changer
J'estimois plus mon sort que celui d'une Reine ; -
Le beau Médor n'eut pû rendre mon coeur leger
Lorsque tu me quittas pour la jeune Climene..
Tirsis.
Elle chante souvent nos amoureux transports;
Le charme de sa voix tient mon ame ravie ;
Climene me feroit voler à mille morts
Si ma mort ajoûtoit quelques jours à sa vie..
Philis.
Oui , je dois à Medor une ardeur éternelle ,
Malgré mes longs mépris il resta sous ma loi;
Il est respectueux , ardent , tendre , fidelle ,
Je lui jure ma vie est plus à lui qu'à moi.
Tirsis.
Quoique son coeur leger m'ait payé de froideur,
Quoiqu'en appas Venus le cede à ma Bergere ,
Si l'oubliant pour toi je te rendois mon coeur
Flechirois - tu , Philis , ton injuste colere ?
Philis.
Quoique Medor soit beau plus que l'Astre du jour
Quoique le vent soit moins inconstant que ton ame
Hélas!rends-moi ton coeur ,je te rends mon amour ,
Et la mort pourra seule en éteindre la flamme.
Le Chevalier de Montador.
MARS. 1731. 481
OBSERVATIONS sur deux Colomnes
milliaires , adressées à M. D. L. R.
par M. le Benf, Chanoine d'Auxerre.
Co
Omme je crois , Monsieur , que personne
ne s'avise de soutenir. que la
Pierre trouvée proche Carcassonne , de
laquelle il est fait mention dans le Mercure
de Juin 1729. soit un reste de Colomne
milliaire , il seroit inutile d'ajoûter
de nouvelles raisons à celles qui ont été
produites dans ce Journal pour détruire
cette idée. Vous vous êtes servi de l'occasion
que vous a presentée l'Inscription
qui est gravée dessus , pour en publier
une qu'on lit sur une veritable Colonne
milliaire , située entre Langres et Dijon .
Je ne puis me persuader que vous ayez
crû que ce fût une nouvelle découverte,
dont il fût à propos d'instruire le Public
, aussi-tôt qu'elle est venue à votre
connoissance. Je me souviens fort bien
que lorsque je vous envoyai la Description
telle que je l'avois trouvée dans des
Mémoires écrits il y a plus de soixante.
ans , je ne prétendis pas que la Pierre sur
laquelle est gravée cette Inscription , cût
été inconnue jusqu'alors , et vous entrâtes
482 MERCURE DE FRANCE
tes fort bien dans ma pensée, lorsque vous
marquâtes dans votre Journal que
l'Inscription
dont il s'agit avoit été découverte
il y a du temps.
&
Quelques Lecteurs auront , sans doute,
reconnu que par cette époque , j'ai eû
intention de remonter plus haut que la
découverte de la même Inscription , qui
› est annoncée dans les Memoires de Trévoux
de l'an 1703. puisque là copie que
je vous ai envoyée avoit été écrite dès
l'an 1662. Bien plus , je vous avouerai ,
qu'ayant recouru au vaste Recueil de
Gruter , j'y ai trouvé la même Inscrip
tion quant au fond. Ainsi toute l'utilité
qui revient au Public de la part que vous
lui avez faite de l'Inscription de la Colomne
située proche Sacquenay , consiste
à sçavoir que differens Lecteurs l'ont prise
differemment sur les lieux , selon qu'il
étoient plus ou moins au fait de déchiffrer
ces sortes de Monumens exposez aux injures
de l'air depuis tant de siecles.
Il s'agit présentement de décider qui!
sont ceux qui ont lû plus exactement ce
que contient cette Inscription . Gruter l'a
publiée il y a plus d'un siecle , sur les Memoires
de Roussat , mais d'une maniere
si visiblement dépravée , et pleine de tant
de fautes , qu'on ne peut presquen en inferer
autre chose , sinon qu'elle est de
l'EmMARS.
17310 483
l'Empereur Claude , et qu'elle désigne un
éloignement de Langres de vingt- deux
mille pas . Il s'explique encore très-mal ,
lorsqu'il dit qu'elle étoit à Langres , puisqu'il
est absurde de penser qu'un Monument
dressé pour marquer une distance
de plusieurs lieues de cette Ville , fût
placé dans la Ville même d'où se prend
cette distance .
Il faut , sans doute , entendre cette position
de la Colomne en question , de la
même maniere qu'on entend ce que le
même Gruter dit de celle de Solaize, lorsqu'il
marque qu'elle est à Vienne , ( a )
quoiqu'elle en soit à deux bonnes lieuës.
Gruter écrivant hors du Royaume , ne
s'est pas toûjours picqué de parler avec
l'exactitude et la précision convenable
des Inscriptions qui y sont renfermées.
Au reste il est bon et utile que de temps
en temps les mêmes Inscriptions reparoissent
, afin qu'on puisse dans la suite
en développer le contenu avec plus de
certitude , et de parvenir à en donner
une explication qui ne souffre plus de difficulté.
Pour vous épargner la peine de recourir
à Gruter , aux Memoires de Trévoux
, et même à la copie faite sur ce que
le Pere Chifflet a dicté en 1662. je les
représenterai ici telles qu'elles sont imprimées
.
(a ) Page 188.
484 MERCURE DE FRANCE .
Gruter , page 153 .
TI CLAVD DRVSI F.
CAESAR AVG GER
MANIC. T NI XXX
TRIB. POTEST III P M
III P. P. COS. IX.. E
I ... SICNS ... IIII
AND . M. P. XXII.
Copie du Pere Chifflet.
TI. CLAVD. DRVSI F.
CAESAR AVG GER
MANIC. PONT. MAX.
TRIB. POTEST III IMP.
I Р. P. COS. III. DE
SIGN IIII
AND. M. P. XXII.
Memoires de Trévoux , 1703. page 1647 .
TI. CLAVD DRVSI F.
CAESAR AVG. GER
MANIC. PONT. MAX
TRIB. POTEST II. IMP.
III. P. P. COS. II DE
SIGNAT III.
AND. M. P. XXII.
Je suis persuadé , Monsieur , qu'avec
d'attention sur ces trois copies,
un peu on
MARS. 1731. 485
on sera convaincu que c'est la même Inscription
prise differemment differens
par
Lecteurs ; et que comme les Mémoires de
Trévoux, et la Copie du P.Chifflet, ne sont
pas censez citer une autre Inscription ,
que celle du Village de Saquenay , quoiqu'il
y ait de la variation dans les dates ,
celle aussi qu'on trouve dans Gruter n'appartient
pas non - plus à une autre Cofomne
milliaire , et que c'est celle du même
Village . Le nombre égal de sept lignes ,
partagées d'une maniere toute semblable ,
joint à la cotte du milliaire , qui est la
même par tout , est , ce me semble , une
démonstration suffisante de cette identité.
Il est visible que dans Gruter la fin de
la troisième , quatrième et cinquiéme lignes,
et toute la sixième, sont plutôt ébauchées
par des gens qui ont deviné comme
ils ont pû , que bien représentées dans
le style ordinaire ; et ainsi les differences
qu'on y trouve n'établissant rien de solide
, on doit les expliquer par les copies
prises posterieurement.
Il ne resteroit plus qu'à sçavoir qui a
le mieux lû les chiffres du Tribunat dé
Claude , ceux du Consulat et de la désignation
, ou le Pere Chifflet en 166 2. ou
M. Moreau de Montour en 1703. mais on
peut en toute sûreté se reposer sur l'exacritude
de cet habile Académicien , sup-
D posé
46 MERCURE DE FRANCE
posé que ce soit de ses propres yeux qu'il
ait vû la Colomne dont je parle , et non
par les yeux d'autrui . J'ajoûterai seulement
à ce qu'il a écrit sur ce Monument,
les dimensions qu'un de vos amis , à qui
vous avez recommandé la chose , en est
allé prendre sur les lieux , et qu'il m'a
communiquées. La base de cette Colomne
sort de terre environ la hauteur de deux
pieds , et la largeur de la même base est
à peu près égale. La Colomne a en ellemême
six à sept pieds de hauteur et cinq
à six pieds de circonference ; desorte que
d'élevation de tout ce qui paroît hors de
terre est de huit à neuf pieds. Au reste
si quelque Antiquaire a encore des doutes
sur cette Inscription , à cause des variantes
qui paroissent , il peut se contenter
et aller l'éxaminer lui- même dans le
Pays où elle se trouve.
J'invite aussi à faire la même démar•
che , à l'égard de la Colomne milliaire de
Solaize , tous ceux qui ne voudroient pas
ajoûter foi à ce que je suis en état de vous.
en dire. Je l'ai examinée assez long- tems
et avec assez d'attention , pour pouvoir
en parler sçavamment. L'Inscription de
cette Colomne , quoique très-bien conservée
, et très - lisible , à souffert aussi
beaucoup de variantes . Gruter la donne
dans une distribution de lignes toute differente
MARS. 1731. 487
ferente de ce qu'elle est. Outre cela il
obmet le chiffre du milliaire qui est VII.
et il prend les deux lettres P. P. significatives
de Pater Patria , pour toute autre
chose que ce qu'elles désignent. Le
Pere du Bois , Celestin , qui a recueilli
les Inscriptions du Pays Viennois et des
environs, autant qu'il lui a été possible, se
trompe aussi beaucoup sur les derniers caracteres
de cette Inscription , lorsqu'il
la fait finir ainsi : COS II ROM .
J'ajoûterai à tout cela que l'inexactitude
de Gruter a été suivie par quelques Modernes
, et c'est ce qu'il est important
d'observer. Ces derniers ne s'étant pas
donné la peine de recourir à l'Original,
se sont crûs assez autorisez pour conclure
que la fin de cette Inscription signifioit
REFECIT, supposant que Gruter avoit
été fidelement instruit de ce qu'elle contenoit,
et qu'il en falloit juger comme de
celle d'une autre Colomne milliaire qu'on
dit être à Montpellier. Pour moi qui
m'en suis défié , je n'ai pas manqué , en
revenant de Vienne l'année derniere , au
mois d'Octobre , de quitter la route nouvelle
, qui passe à Saint Saphorin d'Ozon ,
pour rentrer dans l'ancienne route militaire
à Solaire , qui n'en est éloigné que
d'un quart de lieuë , à main gauche , et
y ayant trouvé sur le bord de ce grand
Dij chemin
488 MERCURE DE FRANCE
chemin la Colomne dont je vous parle
voici les remarques que j'y ai faites.
- Elle est assise sur quatre degrés de pierre
qui forment autant de cercles . Le chemin
le plus droit , auprès duquel elle est,
conduit à Lyon , l'autre mene au Village
même de Solaize. Sa hauteur , compris la
base et le chapiteau , est de neuf à dix
pieds , et ce chapiteau est surmonté d'une
Croix , qu'on voit bien avoir été mise
là après coup , et apparament pour
contribuer à la conservation du Monument.
Cela n'a pas cependant empêché
que quelques Paysans n'ayent jetté des
pierres contre cette Colomne , ensorte
que les deux premieres lettres de la premiere
ligne et les deux premieres de la
quatrième en ont été un peu défigurées ,
mais elles sont encore suffisament lisibles
; et voici l'arrangement dans lequel
les lignes qui la compsent sont conçuës :
TI. CLAVDIVS DRUSI F.
CAESAR AVGVST.
GERMANICVS
PONT. MAX. TR. POT. III.
IMP. III COS III. P. P.
VII.
Je puis vous protester qu'il n'y a pas
autre chose , et que j'ai pris tout le soin
possible
MARS. 1731. 489
possible pour m'assurer de la yeritable
lecture de cette Inscription . Le RE , que
quelques Sçavans prétendent finir la derniere
ligne , n'y est aucunement. Au lieu
de cela le double P. y est très-visible ;
et pour conclusion , on y voit d'un caractere
un peu plus gros le nombre Romain
VII. qui marque qu'en cet endroit
finit le septiéme milliaire de Vienne à
Lyon. En effet Inscription de la Colomne
est tournée du côté de Vienne , et
elle fait face à ceux qui montent la perite
Montagne , sur laquelle est situé le
Village. Ce septième milliaire fait la moitié
du chemin d'entre les deux grandes
Villes ; et sans doute que c'est parce qu'on
se reposoit en cet endroit, et que les Troupes
y faisoient alte , qu'on l'a appellé Selatium
, et depuis Solaize , en langage vulgaire
, formé sur le Latin.
J'eus l'obligation à M. Baudrand , digne
Curé de la Paroisse , cousin du celebre
Géographe de ce nom , de m'avoir
conduit lui- même dans le lieu de son territoire
où cette Colomne est érigée. On
ne connoît aucunement dans ce Village
la Maison des Bernardins , dans laquelle
le Pere du Bois assuroit en 1605. qu'on
la voyoit. M. le Curé me fit voir aussi
à quelques pas au- dessous de cette Colomine
les restes d'un Canal fait d'une
D iij matiere
490 MERCURE DE FRANCE
matiere qu'on appelle du Bleton , dans le
Pays, et qui n'est que du gravier détrempé
avec de la Chaux. Je ne puis vous
marquer ce que le Pere Ménetrier a dit
de cette Inscription de Solaize dans son
Histoire Consulaire de Lyon. C'est un
Livre qui manque dans nos cantons. J'aime
mieux , au reste , avoir vû par moi-même
l'Original , que beaucoup de copies infideles
, sur lesquelles on ne peut compter
, comme sur celle que j'ai l'honneur
de vous envoyer.
J'ai vu cette année dans un Jardin situé
derriere l'Eglise de l'Abbaye de S. Medard
de Soissons , l'Inscription rapportée
par Dom Martenne , dans son second
Voyage Litteraire , page 18. C'est aussi
une de ces Colomnes milliaires , quoique
le terme de mille ni la lettre initiale ne
s'y trouvent pas ; mais elle n'est pas du
Regne de l'Empereur Claude. Comme
l'injure du temps en a rendu les caracteres
difficiles à suivre , je n'ai pû verifier
les copies qui en ont été faites. Mais pour
le sûr , le mot Leuga , y est employé.
Je vous ai avoué franchement que je
crois qu'il faut abandonner toute idée de
Colomne milliaire à l'égard de la Colomne
de Carcassonne. C'est par où j'ai commencé
cette Lettre. Permettez , en la finissant
, que je revienne à ce qui a été
observé
MARS. 1731. 451
observé sur la Lettre de M. de Murat ,
Juge- Mage de cette Ville , et que je vous
fasse faire attention qu'il y a un exemple
de trop parmi ceux qu'on a apportés à dessein
de prouver que souvent un même
homme avoit un double nom , dont l'un
étoit le dérivé ou le diminutif de l'autre ,
et d'en conclure que le même Prince avoit
pû s'appeller Numerius- Numerianus. C'est
la citation qu'on fait du Martyrologe Romain
au 31 , May. On dit que Cantius et
Cantianus , sont les deux noms d'un même
homme ; mais on l'avance gratis et
contre la foi de l'Histoire. Les Actes que
Dom Mabillon a donné de ces saints Martyrs
à la fin de son Livre de la Liturgie.
Gallicane, sur un Manuscrit deM.Obrecht,
et le Sermon de S. Maxime de Turin ,
font trois personnes de Cantus Cantianus
et Cantianitta S. Maxime dit : Quam benè
et jucundè tres Martyres uno penè vocabulo
nuncupantur ! Les Actes disent : Advenerunt
tres Germani ex urbe Româ , &c. Voilà
qui me paroît décisif. Je suis , &c.
Ce 18. Octobre 1730 .
D iiij
LA
492 MERCURE DE FRANCE
LA PROVIDENCE ,
O DE.
O -Vous , qui méritez les justes anathêmes
Dont l'Eglise vous a frappés ,
Trop aveugles Auteurs , et trop tard détrompés
Allez dans les Enfers abjurer vos sistêmes ;
Dieu n'est point un maître inhumain
Il ne voit point avec dédain
Les ouvrages de sa puissance ;
Il les conserve tous ; l'insecte le plus vil ;
Le juste et le pecheur , le Juif et le Gentil
Annoncent sa magnificence.
諾
S'il est le Roi des Rois , s'il est le Dieu des
Dieux ,
S'il est Juge saint et severe ,
Il veut être nommé mon refuge et mon pere
Et sa bonté remplit et la terre et les Cieux ,
Elle fournit à nos délices ,
Elle asservit à nos caprices
?
La nature et les élemens ;
Seule elle sçait fixer la jeunesse indocile
Et seule elle soutient la vieillesse débile ,
Qui gémit sous le poids des ans.
}
Quelle
MARS. 17318 493
Quelle vive splendeur vient éclairer mon ame a
Grand Dieu ! j'adore tes decrets ,
Tu daignes à mes yeux dévoiler tes secrets ;
Terre , écoutez ; je cede à l'ardeur qui m'enflâme;
Je vois Noë braver les eaux ;
Ici des esprits infernaux
Moïse confond les prestiges ;
Là , triomphe Israël ; ses tyrans sont punis ;
Les flots émus , calmés , divisés , réunis,
M'attestent le Dieu des prodiges.
Qu'aperçois-je ? Joseph indignement lié
Au fond d'une prison obscure ;
Tout innocent qu'il est ,
il souffre sans murmure ,
Mais le Dieu de Jacob ne l'a point oublié ;
> Ses soupirs ont percé la núë :
C'est par une route inconnuë
Qu'il monte aux suprêmes honneurs :
Joseph passe soudain de la honte à la gloire ,
D'une indigne prison sur un char de victoire ;
Il doit sa joye à ses douleurs.
Ciel ! qu'entens- je ! les vents sur la liquide plaine
Se livrent d'horribles combats ;
La mer s'enfle et mugit ; rien ne trouble Jonas ,
il prie , adore , espere au sein de la Baleine.
Seigneur , tu le conduis au port ;
D v Tu
་
494 MERCURE DE FRANCE
Tu te déclares le support
D'un coeur pénitent qui t'implore ;
J'ai moi-même cent fois éprouvé ton secours ;
Pere tendre , déja tu veillois sur mes jours
Qui venoient à peine d'éclore.
粥
La nouvelle Sion en bute à mille assauts ,
Leve sa tête triomphante ;
On la poursuit en vain , les chrétiens qu'elle en
fante
Renaissent de leur cendre , et sur les échafauts
Je la vois toujours immuable ;
Sur ce rocher inébranlable
Ses ennemis sont écrasés ;
L'esprit Saint la dirige , et que peuvent contre elle
Les vents impétueux et leur soufle rebelle ?
Dès qu'il parle , ils sont appaisés.
Pardonne moi , Dieu saint , le murmure coupable
Qu'excita souvent dans mon coeur
De l'impie élevé le fastueux bonheur ;
Ce bonheur doit le rendre un jour plus misérable.
Il est un moment arrêté
Pour confondre l'iniquité :
Que ce moment sera terrible !
Le pêcheur dort au sein d'une trompeuse paix ;
La mort vient et le frappe , il gémit, vains regrets !
Le Juge est pour lors inflexible,
Oui ,
MARS. 1731. 495
Oui , je mets en toi seul et mon unique espoir
Et ma plus ferme confiance ;
De ton Verbe avec nous l'inéfable alliance
M'apprend que ton amour égale ton pouvoir ;
C'est cet amour que je réclame ;
Dans mon coeur allume sa flamme.
Dés lors je ne craindrai plus rien ,
L'indigence , les fers , la honte , la mort même ;
Eh ! Seigneur , quel revers peut craindre un coeur
qui t'aime ,
N'es-tu pas le souverain bien ?
Deus meus et omnia.
Poncy de Neuville , Prêtre.
XXXXXX :X : XXXXXXXX
REPONSE de M. Brubier d'Ablaincourt
, Docteur en Medecine , à la Lettre
de M. Barrés , inserée dans le Mercure
de Novembre 1730.
de
Puisqu'il ne s'agit,Monsieur , que répondre à M. Barrés pour mériter
son estime , qu'il se prépare à doubler la
dose. Si je n'étois pas plus disposé que
lui à expliquer favorablement les intentions
d'autrui , je ferois , sans doute ,
moins de cas d'une estime acquise à si bon
marché , et seulement pour avoir répondu à
D vj Jes
Dv
496 MERCURE DE FRANCE
ses Reflexions ; mais persuadé qu'une personne
dont l'esprit doit être cultivé par
la lecture des bons Auteurs , avantage que
les, plus zelés ennemis de la profession ne
refusent pas aux Medecins , sçait mieux
à quel prix elle doit mettre son estime ;
M. B. me laisse entrevoir que mes Réponses
ont eu le bonheur de lui plaire
ce qui n'est pas incompatible avec la diversité
de nos sentimens ; je vais faire de
mcn mieux pour le contenter encore ; et
comme sa Lettre n'est composée que de
refléxions détachées , vous me dispenserez
, s'il vous plaît , de suivre un ordre
déterminé.
M. B. semble me reprocher d'abord
d'avoir appellé l'autorité à mon secours ;
ce langage a tout lieu de me surprendre
dans une personne qui exerce une profession
dont l'observation fait la base , et
où la raison ne tient que le second rang.
Il se sert ensuite des mêmes armes pour
me combattre ; sept ou huit Auteurs qu'il
me cite , et une infinité d'autres qu'un
c. me fait entrevoir
prouvent avec
moi , si on veut l'en croire , qu'un usage
moderé de l'Eau de vie est loüable dans.
la santé et dans la maladie.
,
Comme je ne me souviens pas d'avoir
avancé ce principe , qui seroit formellement
contraire à la these que j'ai voulu
défenMARS.
1731. 497
défendre , et qu'il me paroît qu'on devoit
conclure tout autrement de ce que je regar
de l'avantage qui peut revenir de l'usage de
l'Eau de vie aux vieillards, auxFlamands et
à quelques autres personnes , comme une
exception à la loi genérale , les autorités
qu'on allegue en faveur de mon prétendu
sentiment, se tournent contre moi ; il faut
donc y répondre.
Je demande d'abord si ces Auteurs par
lent du vin ou de l'Eau de vie , car sans
gasconade , il y en a plusieurs parmi ceux
qu'on cite nommément, que je ne connois
que de nom. A juger par le passage de
Varandaeus qu'on nous donne pour échantillon
de leur sentiment , ils ne parlent
que du vin ; or quelle difference du vin
à l'Eau de vie de quelle quantité de
phlegmes les soufres volatiles du vin ne
sont- ils pas inondés au lieu qu'ils sont
dévelopés dans l'Eau de vie , et raprochés
de maniere qu'un verre de bonnet
Eau de vie renferme peut- être plus d'esprits
qu'une bouteille de bon vin. Varaudous
même ne fait- il pas plutôt pour
moi que pour M. B. puisque suivant cet
Auteur , pour se servir utilement du vin,
il doit être qualitate temperatum , et limphis
refractum , quod generosius est. Ces qualités
se trouvent-elles dans l'Eau de vie ? er en
nous renfermant dans la question que
traite
#
498 MERCURE DE FRANCE
traite l'Auteur , à quoi bon tant de précaution
, si la volatilité des soufres du
vin n'étoit pas nuisible par elle même ?
pour
M. B. applique à l'Eau de vie ce que
Varaudons dit du vin , calefacit , concoctionem
juvat. C'est donc un remede
les estomacs froids , et un poison pour les
estomacs chauds ; dans le dernier cas , il
n'accelere pas la digestion , il la précipite
, il la supprime même en entier , en
donnant aux fibres de l'estomach une
tension spasmodique qui empêche le
mouvement de trituration de ce viscere ,
ou qui resserrant les pores excretoires de
ses glandes , les empêche de filtrer le ferment
stomachal ; l'Eau de vie est donc
également funeste dans l'un et l'autre sentiment.
C'est même ce dont M. B. convient
en quelque maniere , en proposant
son premier Problême : il demande si les
Ouvriers qui boivent du vin bien trempé ont
moins de force que ceux qui ne boivent
de l'eau; c'est reculer étrangement quand
on a conseillé plus haut l'usage de l'Eau
de vie pure. Cette espece de retorqueo ne
tombe pas sur moi , qui n'ai jamais prétendu
que le vin bien trempé fut nuisible
; mais je soutiens , c'est la réponse au
second Problême , et je le prouverai par
la suite , qu'un usage moderé de l'Eau de
vie nuit à la longue , à moins qu'un contrepoison
que
MARS. 1737 . 499
trepoison aussi efficace que l'âge ou la
bierre n'en suspende l'effet.
Voilà ce que j'ai à répondre aux autorités
dont se pare M. B. on ne s'attend
pas , sans doute , que je réponde à celles
d'Ovide et de Regnier , qu'un de ses Con .
freresa cités si judicieusement dans un
Ouvrage de la nature des nôtres ; je renvoye
ce Docteur au Rondeau de Voiture,
qui commence par ces mots : Un buveur
d'eau ; je lui laisse le soin de concilier ces
differentes autorités .
Q
Voici maintenant un autre raisonnement
de M. B. l'Eau de vie s'étant introduite
dans l'art de guerir , ne sçauroit passer
scrupuleusement pour une eau de mort. C'est
ce dont je ne conviens pas par deux raisons
: S'il est vrai que tous les remedes
soient des poisons , suivant cet axiome
d'Hipocrate pharmaca sunt vénena , axiome
adopté par M. B. on peut en conclure
que leur usage est toujours dangereux ,
pour ne pas dire funeste, 2º Les remedes
préparés avec l'Eau de vie sont - ils tou
jours innocens ? il n'y a qu'à consulter
Sydenham , et on le verra se plaindre des
mauvais effets de son Laudanum liquide ,
* M. Ziorcal , Docteur de Montpellier , dans
une réfutation d'une Piéce d'un autre M. Bar
gés , réfutation inserée dans le Mercure d'Oc➡
tobre 1730.
quoi500
MERCURE DE FRANCE.
quoique préparé seulement avec le vin ;
ce qui fait que beaucoup de Praticiens
veulent que T'extrait de l'opium se fasse
avec l'eau. Cette remarque servira de ré
ponse à la critique que fait M. B. du ter
me de mauvais remede que j'ai employé.
Les remedes sont des poisons ; l'Eau de
vie est un remede ; donc &c.
Si ces experiences étoient de son goûr,
je le prierois encore de faire attention à
un défaut que Freind reproche aux teintures
tirées avec l'esprit de vin de tous les
fondans connus sous le nom d'emmenagogues
', qui ont formé un coagulum plus ou
moins épais , pendant que le mixte seul
a parfaitement divisé la partie du sang
à
laquelle on l'a mêlé ; il ne s'ensuit pas ce
pendant qu'il faille rejetter ces sortes de
viandes à cause de cet inconvenient , qui
suivant la remarque du Docteur Anglois,
est compensé par d'assez grands avantages.
De tout cela , je conclus que
clusion de M. Le Hoc ne peut être attaquée
, puisqu'étant genérale , elle n'exclud
pas les exceptions . Donnons un exemple
: De ce que Mithridate s'est accoutumé
aux poisons , auroit - on raison d'attaquer
une conclusion dans laquelle on
diroit qu'ils sont mortels ?
la con
Mais , me dira- t'on , vous citez un
exemple unique , et qui ne peut être ap
pliqué
MARS. 1731. Sot
pliqué à l'Eau de vie dont on fait tous
les jours usage .
Je réponds que cet exemple n'est uni
que que parceque la frayeur attachée à
l'idée de poison a empêché plusieurs per
sonnes , qui peut -être étoient dans le cas
de ce Prince , de vouloir faire une épreu
ve aussi dangereuse. Il en seroit de même
de l'Eau de vie , si une malheureuse familiarité
n'avoit fermé les yeux de ceux
qui s'en servent. Mais comment se persuader
qu'un fruit aussi agréable à la vuë
et au goût que le raisin , puisse par la
fermentation et la distilation conséquente
donner une liqueur traîtresse et funeste i
loin d'en être persuadé , il faut être Phi
sicien ou Medecin pour oser seulement
penser qu'il en puisse être ainsi .
Vous raisonnez toujours , objectera-t'on ,
sur votre même hypothese ; quelle preuve
avez vous que la force du feu n'a pas fait de
l'Eau de vie un composé different de ce-
Fui du vin ?cela n'arrive-t'il pas dans d'autres
cas ?
Je sçais que la décomposition de quel
ques mixtes dépouille souvent les differentes
parties qui en sont le produit des quali
tés qu'avoit le tout ; mais ne puis- je pas
demander à mon tour quelle preuve on
a qu'il en arrive autant au vin ? de plus ,
je conclurai des paroles de M. B. que ce
chan
go2 MERCURE DE FRANCE.
changement n'arrive pas ; car sans répeter
tout ce qu'il a dit du vin et de l'Eau de
vie , n'attribuë- t'il pas à l'un et à l'autre
les mêmes qualités ? c'en est assez , je
crois , pour anéantir son objection.
Nous convenons me dit- il plus bas ,
que l'abus
que le commun des hommes fais
de l'Eau de vie donne origine à mille maux
et à la mort qu'elle anticipe ... c'est à tort
que vous nous accusez d'en favoriser l'abus.
que
و
Je réponds d'abord par un raisonnement
dont j'ai fait usage dans mes Reflexions
, si beaucoup d'Eau de vie est trèsnuisible
, un peu l'est un peu ; je crois
pouvoir user de ce raisonnement sans
qu'on puisse me reprocher un cercle
après avoir prouvé par Varandaeus même
l'Eau de vie doit être funeste dans l'état
de santé, et par Hippocrate, Sydenham
et Freind ,qu'elle est dangereuse dans l'état
de maladie. Je dis en second lieu que son
usage devroit être entierement proscrit
de la vie civile , à cause de la necessité
qu'il impose de le continuer pour entre
tenir la circulation du sang et les forces
de celui qui s'en sert , et du penchant fatal
que donne cette liqueur à en continuer
, et même à en augmenter l'usage ,
lorsqu'on s'est fait une habitude de s'en
servir. M.B. en convient lui - même en disant
par réponse à l'objection que je lui
faisois
MARS. 1731. ၂၁
faisois au sujet des gens de travail qui ne
peuvent tirer d'utilité de l'Eau de vie
que dans l'usage réïteré , c'est précisément
ce qui leur arrive en s'accoutumant peu à peu
à l'usage de cette liqueur. Si ce n'est pas autoriser
l'abus de l'Eau de vie , il faut changer
les idées des termes : car ce n'est pas
un abus manifeste que de conseiller une
pratique dont nos peres se sont passé ,
et dont une infinité de gens de travail se
passent tous les jours.
·
M. B. ne répond pas à la premiere de
ces Refléxions ; ce n'est pas la seule fauted'attention
qu'on remarque dans sa Lettre
; je n'en citerai qu'un seul exemple
c'est le reproche d'obscurité qu'il me fait
sur ce que j'explique tantôt , selon lui ,
Pépaississement
des liqueurs par l'augmentation
du mouvement du sang , caule
désée
par l'Eau de vie , et tantôt
par
velopement de cet acide qui entre dans
la composition de toutes les huiles ; il
lui auroit été fort aisé de remarquer que
je distinguois deux instans , l'un où la
premiere de ces causes opére , et l'autre
où opére la seconde , et en ce cas il n'y
auroit pas trouvé d'obscurité.
Je ne sçais , Monsieur , ce que M. B.
croira que méritent mes nouvelles attentions ;
elles me paroissent suffisantes pour mettre
le Public en état de juger qui de nous
deux
504 MERCURE DE FRANCE
deux a raison. Quoique je sois résolu de
garder doresnavant le silence , cela ne
m'empêchera pas de faire mon profit de.
ce que M. B. pourra dire en réponse ; je
souhaiterois sur tout qu'il voulut bien
donner une explication plus simple que
la mienne des alterations que le vin cause
dans le pouls. Persuadé qu'on approche
d'autant plus de la verité, qu'on approche
de la simplicité , M. B. me doit d'avance
compter parmi ses sectateurs. Je suis &c.
A Paris , le 8. Fevrier 1731 .
On a dû expliquer les deux Enigmes
et les deux Logogriphes du mois dernier
par le Seau du Puits , Clou , Bail et
Fatras.
****************&&&
ENIGM E.
Il semble que je lis dans l'ordre des destins ,
J'annonce le beau tems et la pluye et l'orage :
Et sans avoir la raison en partage ,
J'instruis tous les jours les Humains.
Je suis de forme differente :
Selon que veut l'Ouvrier qui m'enfante.
J'ai des dents , une bouche, une langue, des yeur
Je
MARS. 1731.
305
Je ne vois , je ne parle en aucune maniere.
A peine le Soleil vient éclairer les Cieux ,
Qu'il répand sur moi sa lumiere.
Lecteur , ne vous y trompez pas ,
Je suis femelle ; il est dans la Nature
Maint animal de plus belle structure ,
Et dont on fait bien plus de cas,
Qui me ressemble fort; mais quelle est mon envie $
Laissons cet animal ; cessons de le vanter ;
Charmez de ses attraits, vous pourriez bien quitter
L'Original pour la Copic ,
Soit qu'il veuille marcher, ou derriere , ou devant,
Autant en emporte le vent.
XXXXXXXXXXXXXXXX XXXXX
JE
LOGOGRYPHE.
E suis d'ane humeur solitaire ,
J'évite les Humains autant que je le puis;
Quand ils viennent dans mes réduits ,
S'ils irritent fort ma colere ,
Nous nous causons souvent dé mutuels ennuis ;
Je fus cause autrefois d'une douleur profonde ,
Et fis verser des pleurs aux plus beaux yeux da
monde.
Veux- tu sçavoir mon nom ? voici comme il
est fait :
Il faut pour le former un tiers de l'alphabet ;
Trois voyeles et cinq
consonnes ;
( J'en
Job MERCURE DE FRANCE
J'en dis peut-être trop , Lecteur , tu me soup
çonnes , )
La derniere partie est un infinitif,
Et la premiere un substantif;
Le Verbe est de notre Langage ,
Sans contredit , le plus liant ;
Otez-en la finale , il devient à l'instant ,
Chose qui n'est de nul usage ,
Qui se mêlant au bon , le rend d'abord méchant
Place cette finale après la deuxieme ,
Et qu'elle soit pénultiéme ;
J'exprime par ce changement ,
Un Acte que tu fais , Lecteur , en ce moment;
Retranches-en la capitale ;
C'est un peché mortel qu'aussi -tôt je t'étale ;
Fais-en de même de son nom ,
Reste de quoi former un ton.
Venons au substantif qui fait l'autre partie ;
On ne peut rien sans son concours ;
C'est de lui que dépend le cours ,
Et le destin de cette vie.
Une moitié prise à rebours ,
Est un objet qui plaît toujours ,
"En faisant certaine partie ,
Lorsqu'on voit sa face noircie.
Mes membres combinez , que d'objets differens !
Tantôt je suis , Lecteur , tes premiers vétemens ,
Comme ta premiere parure ;
Tan tôt
MARS. 1731. 507
Tantôt je suis pris dans un sens
D'une bouche les agrémens ;
Pris dans une autre , nourritare.
Je suis un animal de comique figure ;
Je suis Fleuve de grand renom ;
Je suis un bel Oiseau ; je suis un certain nom ,
Que jamais n'accompagne une épithete honnête,
Selon un Femelle Poëte.
Je suis dans l'Ecusson du plus puissant des Rois ;
Je suis aussi tout à la fois,
Etre rempli d'intelligence ,
Et simbole de l'ignorance,
Des Lettres de mon nom que ne feroit -on point?
Ah ! diras-tu , Lecteur , c'est assez , je t'en prie ,
Soit , n'êtes seulement qu'une barre et qu'un
point ;
Tu pourras en former une Duché Pairie.
* Madame des Houliere.
R ....
D
AUTR E.
Ans l'Empire Romain je suis très-remar
quable , 1
Mais on peut lire dans la Fable ,
Que je suis placé près d'un Dieu.
Le feu de mes yeux étincelle ,2.
Otez
Jo8 MERCURE DE FRANCE.
Otez ma lettre du milieu :
Vous ne me verrez plus qu'une afle.
Le Tellier d'Orvilliers , de Vernon.
X:XXXXXXX: XXXXXX : X
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &c,
M
EMOIRES pour servir à l'Histoire
des Hommes Illustres , &c.
T. XIII. de 408. pages. A Paris , chez
Bríasson , à la Science , M. DCC. XXX.
Voici les noms des Sçavans dont les
Vies et le Catalogue des Ouvrages remplissent
ce Volume. Louis Alamanni; Guill.
Amontons ; Jean Barbier d'Aucour; Pierre
de Boissat ; Jean Boscan ; Jean Coras ;
Claude d'Epences ; Melchior Guillandin ;
George - Abraham Merklinus : Etienne le
Moine ; André Navagero ; Bernard Nieu-
Wentit : Sertorio Orsato ; Conrad Peuttinger.
Pierre Ramus ; Jean Russellay ; Joseph
Pompée Sacco ; Nic. Sanson ; Benoît de
Spinosa Guill. Temple ; Robert Titi ; Bernard
Trivisano ; Garsilasso ; de la Vega ;
Gerard Vossius ; Gerard-Jean Vossius; Isaac
Vossius ; André- Chrisostome Zaluski.
Nous exposerons ici à nos Lecteurs ce
que
MARS. 1731. 509
que
l'Editeur des Mémoires rapporte au
sujet du fameux Pierre Ramus , cet article
nous ayant parû l'un des plus curieux
et des plus travaillez.
Pierre Ramus , ou de la Ramée , nâquit
l'an 1515. dans un Village de Vermandois
en Picardie,nommé Cuth . Son Aycul,
qui étoit d'une bonne famille du Pays de
Liege , s'étoit retiré dans ces quartiers-là ,
après avoir perdu tous ses biens , lorsque
sa Patrie fut réduite en cendres par Charles
Duc de Bourgogne. Le triste état où
il se vit alors , l'obligea à gagner sa vie
le reste de ses jours , à faire et à vendre
du Charbon . Il laissa un fils qui gagna
la sienne à labourer , et qui fut le Pere
de celui dont il s'agit ici .
Pierre Ramus ne fut gueres plus heureux
que son Pere et son Ayeul , car sa
vie a été une alternative perpetuelle d'élevation
et d'abaissement , et il a été en
toutes manieres le jouet de la fortune.
A peine étoit-il hors du berceau , qu'il
fut attaqué deux fois de la Peste . A l'âge
de huit ans l'envie d'apprendre le fit ve
nir à Paris ; mais la misere l'ayant obligé
d'en sortir , il y revint le plutôt qu'il put,
et n'y trouvant point les moyens d'y subsister
, il en partit une seconde fois. La
mauvaise réussite de ces deux voyages
ne le découragea pas cependant ; sa pas-
E sion
510 MERCURE DE FRANCE
sion pour l'étude lui en fit entreprendre
un troisième qui fut plus heureux .
Il fut d'abord entretenu pendant quelques
mois par un de ses oncles ; mais ce
secours lui ayant manqué , il fut contraint
d'être Valet au Collegé de Navarre.
Le service qu'il rendoit à son Maître , ne
l'empêchoit pas de s'appliquer à l'étude ,
car il y employoit une partie de la nuit ,
et il y fit
par ce moyen , des progrès considerables
en peu de tems.
Il n'y a aucune vrai- semblance à ce qu'on
Jit dans le premier Scaligeriana , qu'il vécut
jusqu'à l'âge de dix- neuf ans sans sçavoir
lire , qu'il avoit l'esprit hébêté , pesant
et stupide , et qu'il avoit trente ans
lorsqu'il écrivit contre Aristote. Ce dernier
fait est incontestablement faux ; car
son Livre contre Aristote fut condamné
après mille contestations , le 10.May'1543 .
or il n'avoit encore que vingt- huit ans.
Après ses études d'Humanitez et de
Rhéthorique , il fit son cours de Philosophie
, qui dura , selon l'usage de son
tems , trois ans et demi. La These qu'il
soutint pour se faire recevoir Maître- ès-
Arts , révolta bien du monde ; il s'y proposa
de soutenir cette Propostion , que
tout ce qu' Aristote avoit dit étoit faux.
Tous les Professeurs,quine connoissoient
d'autre Philosophe qu'Aristote , & qui
croyoient
MAR S. 173. 511
croyoient qu'on ne pouvoit sans crime aller
contre son autorité, prirent feu, et vinrent
attaquer la These avec toute la force que
leur habileté pouvoit leur fournir.Mais le
Répondant repoussa pendant un jour entier
leurs attaques avec tant de subtilité
et d'adresse , que tout Paris en fut dans
l'étonnement .
Ce succès enhardit Ramus , et lui fit
naître l'envie d'examiner plus à fond la
Doctrine d'Aristote , et de la combattre
vigoureusement ; il se borna cependant à
la Logique , à laquelle il rapporta toutes
ses lectures , et même les leçons d'Eloquence
, qu'il commença alors à faire à
la jeunesse .
- Les deux premiers Livres qu'il publia
sur cette matiere , causerent de grands
troubles dans l'Université de Paris . On le
cita devant les Juges Criminels , comme
un homme qui vouloit renverser la Religion
et les Sciences. Le Parlement voyant
le vacarme que causoit cette affaire , voulut
en prendre connoissance ; mais ses Adversaires
, persuadez qu'elle y seroit examinée
dans toutes les formes et selon les
regles de l'équité , la tirerent de ce Tribunal
, par leurs intrigues , et la firent
évoquer au Conseil du Roi , où ils espe
roient que leur crédit leur seroit d'un .
grand usage.
}
E ij
Le
512 MERCURE DE FRANCE
Le Roi ordonna donc qu'Antoine Govea,
qui étoit son principal Adversaire, et
Ramus choisiroient chacun deux personnes
habiles pour être,avec celui qu'il nommeroit
lui-même , Juges de leur dispute.
En conséquence de cette Ordonnance ,
Govea choisit Pierre Danés et François
à Vincercato, et Ramus nomma Jean Quintin
, Docteur en Droit , et Jean de Beaumont
, Docteur en Medecine. Le Député
de la part du Roi , fut Jean de Salignac ,
Docteur en Théologic.
Ramus , pour obeïr aux ordres du Roi,
comparut
devant les cinq Juges , quoiqu'il
y en eût trois qui fussent ses ennemis
déclarez ; on disputa pendant deux
jours. Il soutint que la Dialectique
d'Aristote
étoit imparfaite , parce qu'elle ne
contenoit
ni définition
ni division . Les
deux Juges qu'il avoit choisis , déclarerent
le premier jour que la définition
étoit necessaire
dans toute dispute bien
reglée ; les trois autres déclarerent
, au
contraire , que la Dialectique
peut être
parfaite sans définition . Le lendemain
ces
derniers reconurent
que la division y étoit
nécessaire ; mais voyant que Ramus en
concluoit
qu'il avoit raison de condamner
la Logique d'Aristote
, puisqu'elle
n'en avoit point , ils renvoyerent
l'affaire
à un autre jour. S'apMARS.
1731. 513
S'appercevant ensuite qu'ils s'étoient
jettez dans un embarras dont ils ne pouvoient
sortir avec honneur , ils déclarerent
qu'il falloit recommencer la dispute
, et tenir pour non avenu tout ce qui
s'étoit passé pendant les deux jours . Ramus
se plaignit hautement de ce procedé,
par lequel les Juges , non - seulement faisoient
paroître ouvertement qu'ils vouloient
le condamner , mais cassoient aussi
eux-mêmes leur Jugement , il les récusa
et appella de tout ce qu'ils pourroient
faire.
Son Appel fut déclaré nul par François
I. qui ordonna que les cinq Juges
prononceroient en dernier ressort et définitivement
sur cette affaire . Les Juges
nommez par Ramus ne voulurent point
assister au Jugement , pour n'être point
témoins de l'injustice qu'on alloit lui faire.
Ainsi les trois autres prononcerent
tout ce que la passion et la prévention
leur suggererent , sans avoir attendu davantage
Ramus , qui ne voulut plus paroître
devant eux , et ils prévinrent tellement
l'esprit du Roi , par de faux rap-.
ports , qu'ils obtinrent de lui la confirmation
de leur Jugement.
C'est ainsi que ce fait est raconté par
Omer Talon , dans un Livre qu'il dédia
au Cardinal de Lorraine. Si on s'arrête à
E iij
son
514 MERCURE DE FRANCE
son récit , comme il y a tout lieu de le
faire , on rejettera comme une Fable ce
qui est rapporté par Pierre Galland , dans
la Vie de Castellan , où il dit que François
I. ayant appris les invectives continuelles
d'un certain Sophiste , contre Aris ,
tote , contre Ciceron et contre Quintilien
, avoit résolu de l'envoyer aux Galeres
; mais que Castellan lui suggera un
autre genre de punition , qui fut d'engager
ce Sophiste à une dispute , où il
feroit voir sa folie par le silence , auquel
on le réduiroit ; que le Roi goûta cet
expedient , et que lorsqu'il eut sçû la confusion
que ce Personnage avoit reçûë , il
se contenta de cette peine. C'est de Ramus
que Galland vouloit parler , mais il
est bon de se souvenir que c'étoit son
grand Ennemi.
Les Lettres Patentes du Roi , qui eonfirment
le Jugement rendu contre Ramus
, renferment assez de particularitez
sur son affaire , pour trouver ici leur
place . On y verra ce qu'on avoit fait entendre
au Roi , sur ce qui le regardoit ,
et la maniere dont on lui avoit fait croire
qu'il avoit été condamné.
FRANÇOIS , par la grace de Dieu ,
Roi de France , à tous ceux qui ces presentes
Lettres verront , Salut . Comme entre
les autres grandes sollicitudes que nous avons
toûjours
MARS. 1731. 515
toujours eues de bien ordonner et établir la
chose publique de notre Royaume , nous avons
mis toute la peine , que possible nous a été ,
de l'accroître et enrichir de toutes bonnes
Lettres et Sciences , à l'honneur et gloire de
Notre Seigneur , et au salut des Fideles ;
puis n'a gueres , avertis du trouble advenn
à notre chere et aimée l'Université de Paris
à cause de deux Livres faits par Maitre
Pierre Ramus , intitulez , l'un , Dialectica
Institutiones , et l'autre , Aristotelicæ animadversiones,
et des procés et differends qui
étoient pendans en notre Cour de Parlement
audit lieu , entre elle et ledit Ramus , pour
raison desdits Livres , nous les eussions évoquez
à nous pour sommairement et promptement
y pourvoir , et à cette fin en eussions
ordonné , que Maître Antoine de Govea ,
qui s'étoit presenté à impugner et débattre
lesdits Livres , et ledit Ramus , qui les soutenoit
et deffendoit , éliroient et nommeroient
de chacun côté , deux bons et notables Personnages
, connoissans les Langues Grecque
et Latine, et experimentez en Philosophie , et
que nous élirions et nommerions un cinquiéme
pour visiter lesdits Livres , ouir lesdits
de Govea et Ramus en leur advis ; suivant
Laquelle notre Ordonnance eût été ledit Govea ,
élu, et nommé Maîtres Pierre Danés et François
à Vincercato 5 et ledit Ramus , Maître
Jean Quintin , Docteur en Decret , et Jean
E iiij
de
516 MERCURE DE FRANCE
de Beaumont , Docteur en Médecine ; et nous
pour le cinquiéme eussions nommé et ordonné
notre cher et aimé Maître Jean de Salignac,
Docteur en Théologie ; pardevant lesquelsiles
dits de Govea et Ramus eussent été ouis en
leurs disputes et débats , jusques à ce que
pour interrompre l'affaire , icelui Ramus se
seroit porté pour Appellant desdits Censeurs,
dont nous advertis , eussions décerné nos Lettres
à notre Prévôt de Paris , ou à son Lieutenant
, pour contraindre lesdits de Govea ,
et Ramus , à parfaire leurs disputes , afin que
par lesdits Censeurs nous fût donné leur advis
, nonobstant ledit Appel et autres appellations
quelconques , suivant lesquelles nos
Lettres , eussent lesdits de Govea et Ramus
derechefcomparu pardevant lesdits Censeurs ,
et voyant que par icelui Ramus , lesdits Lia
vres ne se pourroient soutenir, eût déclaré
n'en vouloir plus disputer , et qu'il les soumettoit
à la censure des susdits ; et comme
on y vouloit proceder , lesdits de Quintin et
Beaumont , Pun aprés l'autre , eussent décla
ré ne s'en vouloir plus entremettre. Au moyen
de quoi eût icelui Ramus été sommé et requis
d'en élire et nommer deux autres . Ce qu'il
n'eût voulu faire , et si fût du tout soumis
aux trois autres dessus nommez , lesquels
après avoir le tout vû et consideré , eussent
été d'avis que ledit Ramus avoit été témeraire,
arrogant et impudent d'avoir réprouvé et
condamné
MARS. 17318 517
condamné le train et Art de Logique reçû
de toutes les Nations , que lui- même ignoroit, et
parce qu'en son Livre des Animadversions il
reprenoit Aristote , étoit évidemment connuë
et manifeste son ignorance . Voire qu'il avoit
mauvaise volonté, de tant qu'il blâmoit plusieurs
choses , à quoi il ne pensa onque. Et
ne contenoit sondit Livre des Animadversions
que tous mensonges , et une maniere de
médits , tellement qu'il sembloit être le grand
bien et profit des Livres et Sciences , que
ledit Livre fût du tout supprimé ; semblablement
l'autre dessusdit intitulé , Dialectica
Institutiones , comme contenant aussi plusieurs
choses fausses et étranges : Scavoirfaisons,
que vû par nous ledit Avis, et eû sur ce
autres avis et déliberations avec plusieurs
sçavans , et notables personnages , étant lés
nous, avons condamné , supprimé et aboli ,
condamnons , supprimons et abolissons lesdits
deux Livres, l'un Institutiones Dialecticæ ,
l'autre , Aristotelica Animadversiones , et
avonsfait et faisons inhibitions et deffenses
à tous Imprimeurs et Libraires de notre Royaume,
Pays , Terres et Seigneuries , et à tous
autres nos Sujets , de quelque état et conditions
qu'ils soient , qu'ils n'ayent plus à imprimer
oufaire imprimer lesdits Livres , ne
publier, vendre , ne debiter en nosdits Royanme
, Pays , Terres et Seigneuries , sous peine
de confiscation desdits Livres , et de puni-
E v tion
418 MERCURE DE FRANCE
tion corporelle , soit qu'ils soient imprimez en
iceux nos Royaume , Pays , Terres et Seigneuries
, ou autres lieux non étant de notre
obéissance; et semblablement audit Ramus , de
neplus lire,ne lesfaire écrire ou copier,publier;
ne semer en aucune maniere , ne lire en Dialectique
, ne Philsophie en quelque maniere
que ce soit , sans notre expresse permission ;
aussi de ne plus user de telles médisances et
invectives contre Aristote , ne autres anciens
Auteurs reçus et approuvez , ne contre noiredite
Fille l'Université, et Suppôts d'icelle , sous
les peines que dessus . Si donnons en Mandement
et comettons par ces Presentes à notre
Prévôt de Paris ou à son Lieutenant , Conservateur
des Privileges , par nous et nos Prédecesseurs
Rois , donnez et octroyez à notredite
Fille l'Université , que notre present Fu
gement et Ordonnance il mette où fasse mettre
à due et entiere execution , selon sa for
me et teneur , et à ce faire souffrir et obeir
contraigne etfasse contraindre tous ceux qu'il
appartiendra , et pour ce feront contraindre
par toutes voyes et manieres dûës et raisonnables
, nonobstant oppositions ou appellations
quelconques , pour lesquelles ne voulons
être differé. Et pour ce qu'il est besoin de fai
re notifier nosdites deffenses en plusieurs lieux
de notre Royaume , Pays , Terres et Seigneuries
, afin de les faire observer ; nous vou
lons qu'au vidimus d'icelle fait sous Scel
Royal,
M.AR S. 1731. 419
2.
Royal , ou signé par collation par l'un de nos
ame et féaux Notaires et Secretaires , soit
ajoûté foi comme au present Original. Mandons
en outre à tous nos autres Justiciers
Officiers et à chacun d'eux , si comme il lui
appartiendra , que nosdites deffenses et injonctions
ils fassent observer , en procedant
par eux contre les infracteurs d'icelle , si au-
Cuns y en a , par les peines cy-dessus indites,
et autres qu'ils verront être àfaire par raison .
En témoin de ce , nous avons fait mettre notre
Scel à cesdites Presentes. DONNE' à
Paris le dixième jour de May , l'an de grace
1543. et de notre Regne le trentiéme.
Les Ennemis de Ramus firent éclater
d'une maniere extraordinaire la joye qu'ils
avoient de sa condamnation . La Sentence
renduë contre lui , fut publiée en Latin
et en François dans toutes les rues de Paris
et dans tous les lieux de l'Europe , où
Pon pût l'envoyer.. On représenta même
des Pieces de Théatre où il fut baffoué
en mille manieres , au milieu des
acclamations et des applaudissemens des
Aristoteliciens. "
L'année suivante 1544. la Peste fit du
ravage dans Paris , et dissipa presque tous
les Ecoliers du College de Prefle ; maist
Ramus s'étant laissé persuader d'y enseigner
, attira bien-tôt un grand nombre
E vj d'Au
120 MERCURE DE FRANCE
d'Auditeurs . La Sorbonne voulut le chasser
de ce College , et ne put en venir
à bout ; il fut confirmé par Arrêt du
Parlement dans la principalité de cette
Maison qu'il avoit déja depuis quelque
tems.
Il, trouva même dans la suite un si bon
Patron dans la personne du Cardinal de
Lorraine , qu'il obtint en 1547. du Roi
Henry II . la permission d'écrire et d'enscigner
, et que ce Prince lui donnat quatre
ans après , c'est-à- dire au mois de Juillet
1551. la Charge de Professeur Royal
en Philosophie et d'Eloquence.
Le Parlement de Paris l'avoit maintenu
quelque tems auparavant dans la liberté
de joindre les Leçons de Philosophie avec
celles de l'Eloquence ; l'Arrêt qu'il avoit
donné à cette occasion , avoit arrêté les
persécutions que Ramus et ses Ecoliers
avoient souffertes , et les chicanes qu'on
lui avoit faites au commencement de
cette année.
La suite pour le Mercure prochain.
MEMOIRES de la Vie du Comte de
Grammont. Par le Comte Antoine Ha
milton , nouvelle Edition , corrigée et
augmentée d'un Discours Préliminaire du
même Auteur . A la Haye , chez P. Gosse
, et J. Neaulme , 1731 , in 12. de 407. pagcsa
MARS. 1731. 421
ges sans le Discours et l'Avertissement ,
qui en contiennent 22. Et se trouve à Paris
, rue S. Jacques , chez Fosse.
*
Cet Ouvrage est tellement chéri de
tous ceux qui le connoissent , qu'on ne
doit pas douter que cette nouvelle Edition
ne soit très-favorablement reçûë du
Public. Outre les Avantures du Comte
de Gr. très- réjouissantes par elles-mêmes ,
ces Memoires contiennent encore l'Histoire
Galante d'Angleterre , sous le Regne
de Charles II . et on peut dire qu'ils
sont écrits d'une maniere suivie et si ingénieuse
, qu'ils ne laisseroient pas de
faire un extréme plaisir , quand même la
matiere seroit mons interessante.
On ne doute pas que le Discours , mêlé
de Prose et de Vers , ne soit du même
Auteur que les Memoires. On le compare
au Voyage de Bachaumont , &c. Les mêmes
graces, le même naturel , la même legereté.
Donnons en quelques exemples, et
résistons à la vive demangeaison de copier
l'Epitre entiere qui est adressée au Comte
de Grammont lui-même.
Indignez que votre caractere soit si peu
connu dans des Provinces où votre nom
l'est tant , nous avons formé le dessein de
donner ici quelque idée de votre mérite ,
mais qui sommes - nous pour l'entreprendre
? Médiocres pour le génie , et rouillez
par
522 MERCURE DE FRANCE.
par une longue interruption de commer
ce avec la Cour , comment seroit-il possible
que nous cussions ce gout et cette politesse
, qui ne se trouvent point ailleurs ,
et qu'il faudroit pourtant avoir
parler de vous ? Car ,
pour
Il ne faut pas un talent ordinaire ,
Pour réussir dans une affaire ,
Où les talens succombent tous :
bien
Et quelqu'empressement que l'on ait à vous plaire,
Dès qu'il faut écrire pour vous ,
Le Projet devient témeraire ;
Et des Campagnards comme nous ,
Sont bien-tôt réduits à se taire.
L'Auteur , embarrassé de trouver quelqu'un
qui puisse parler dignement du
Comte de Grammont , jette les yeux sur
M. Despréaux , il en fait un bel Eloge
qu'il finit ainsi :
Lui seul peut consacrer à l'Immortalité ,
Un mérite comme le vôtre ;
Mais sa Muse a toûjours quelque malignité ,
Et vous caressant d'un côté , ´
Vous égratigneroit de l'autre.
L'expedient qui nous vint en tête après
celui -là , poursuit l'Auteur , fut de vous
mettre tout de votre long au milieu du
Recueil
1
MARS. 1731. 523
Recueil, où l'on voit depuis peu cette belle
Lettre de l'illustre Chefde votre Maison :
et voici l'adresse qu'on nous avoit donpour
cela : née
Non loin des superbes Lambris ,
Qu'habitoient nos Rois à Paris ,
Dans un certain recoin du Louvre ,
7
Est un Bureau fécond , qui s'ouvre ,
A tous Auteurs , à tous Ecrits ,
A des Ouvrages de tout prix ,
Sur tout à ceux des beaux esprits ,
Quand par hazard il s'en découvre.
De ce lieu chaque mois sortent galans Cahiers
Ou tous faiseurs de Chansonnettes ,
( Tendres Héros de leurs quartiers , )
Viennent en Vers familiers ,
Usurper le nom de Poëtes ;
Et sur des tons irreguliers ,
Montant Chalumeaux et Musettes
Content champêtres amourettes ,
Ou couronnent de vains Lauriers ,
Des Ecrivains et des Guerriers ,
Qui sont inconnus aux Gazettes.
De ses atours capricieux ,
C'est-là que l'Enigme se pare ,
Met un masque misterieux ,
Et d'un voile mince et bizarre ,
Ε
Embarrassant les Curieux ,
Est
$ 24 MERCURE DE FRANCE
Est toûjours neuve et jamais rare .
C'est-là qu'on voit en vieux transports ,
Gémir nouvelles Elegies ;
Et là s'impriment tous les Morts ,
Avec leurs Génealogies ,
Leurs Eloges , leurs Effigies ,
Leurs Dignitez et leurs Trésors.
On demande ensuite le secours de deux
excellentes Plumes , en ces termes :
La Fare , et vous Abbé sçavant,
Que Phebus de son influence 2
Anime et soutient en rimant ,
Donnez chacun dans une Stance ;
Quelque relief à ce fragment ,
Nous implorons votre assistance.
Lorsque nous étions ainsi embarassez
poursuit l'Auteur , il parut au milieu de
la chambre où nous écrivions , une figure
qui nous surprit , sans nous effrayer , c'étoit
celle de votre Philosophe , l'inimitable
S. Evremont. Rien de tout ce tintamare
, qui annonce d'ordinaire l'arrivée
des Morts de consequence , n'avoit précedé
son apparition .
L'on ne vit point trembler la Terre ,
Le Ciel resta clair et serain ;
Point de murmure souterrain
Et
་
MARS. 1731. 525
Et pas un seul coup de Tonnerre.
Il n'étoit point couvert de lambeaux mal cousus ,
Tels qu'étala près de Philippe ,
Le Spectre qui de nuit apparut à Brutus.
Il n'avoit point l'air de Laïus ,
Qui ne portoit pour toute nippe ,
Qu'un petit Manteau d'Emaüs ,
Quand il vint accuser Edipe ;
Il n'avoit rien du funeste appareil ,
Que l'on croit voir à ces affreuses Ombres ,
Qui sortent des Royaumes sombres ,
Pour interrompre le sommeil .
Il loüe ce Projet , mais il n'approuve
pas le choix de ces deux Messieurs.
L'un tendre , fidele et gouteux ,
Se révoltant d'un air profane
Contre l'anodyne tisanne ,
Et contre l'objet de ses voeux ,
Ne chante dans ses Vers heureux
Que l'inconstance et la Tocane.
L'autre d'un stile gracieux,
Et digne des bords du Permesse
Par mille traits ingenieux ,
Fait tout céder à la paresse ,
Et de l'indolente molesse ,
Vante le repos glorieux.
Gardez -vous bien , poursuit-il un peu
après,
526 MERCURE DE FRANCE
après , de vouloir rendre ses récits ou ses
bons mots ; le sujet est trop grand pour
vous. Tâchez seulement en parlant de
ses Avantures , de donner des couleurs
à ses deffauts , et du relief à ses vertus.
C'es tainsi qu'autrefois par des routes faciles ,
A l'immortalité j'élevois mon Héros ;
Pour vous , peignez
d'abord en gros ,
Cent Beautez à ses yeux dociles ;
Faites-le voir suivant en tous lieux les Drapeaux
D'un Guerrier égal aux Achilles ;
Qu'au milieu de la paix , ennemi du repos ,
Il donne des leçons utiles ,
Aux Courtisans les plus habiles ;
Et toûjours actif à propos ,
Sans leurs empressemens sèrviles ,
Qu'il efface tous leurs travaux.
Que vos Pinceaux enfin en nouveaux traits fertiles
,
Le fassent voir en differens Tableaux ,
Tyran des fâcheux et des sots ,
Historien d'amour et de guerres civiles ,
Recueil vivant d'antiques Vaudevilles ,
Redoutable par ses complots ,
Aux Amans heureux ou tranquilles ,
Désolateur de ses Rivaux ;
Fleau des discours inutiles ,
Agréable et vif en propos ,
Celebre
MAR S.
327 1731.
Celeb re diseur de bons mots ,
Et sur tout grand preneur de Villes , &c.
Cette Epitre finit ainsi : Nous avons
eu beau changer de stile et de langage
pour en faire quelque chose , vous voyez
combien nous sommes restez au-dessous
de notre sujet ; il faudroit , pour y
réüssir , que celui que nos fictions viennent
de ressusciter , fut encore parmi les
vivans. Mais ,
Il n'est plus de Saint Evremont ,
Et ce Chroniqueur agréable ,
Du sérieux et de la Fable
Ce favori du sacré Mont ,
N'a pû trouver le Cocyte guéable ,
Et de ce Fleuve redoutable ,
Le retour n'est permis qu'au Comte de Grammont.
LA SCIENCE PARFAITE DES
NOTAIRES , ou le moyen de faire un
parfait Notaire , contenant les Ordonnances
, Arrêts et Reglemens rendus tou❤
chant la fonction des Notaires , avec les
Stiles , Protocols , Formules et Instructions
pour dresser toutes sortes d'Actes ,
suivant l'usage des Provinces dù Droit
écrit et de celles du Pays Coutumier
tant en matiere Civile que Beneficiale,
Nou528
MERCURE DE FRANCE
Nouvelle Edition, revuë, corrigée et augmentée
par M. Claude Joseph Deferriere ,
Doyen des Docteurs Regens de la Faculté
des Droits de Paris et Ancien Avocat
au Parlement. A Paris , chez Jacques Clou
sier , rue S. Jacques 1731. 2. Vol . in 4. Le
premier contient 720 pages , le deuxième
en contient 660 .
L'Auteur fait voir dans sa Préface que
de toutes les Professions qui servent à
maintenir la Societé Civile , il n'y en a
gueres de plus délicate , ni de plus importante
que celle de Notaire. Comme il
est le dépositaire des conventions des
Contractans , il assure tout à la fois et la
possession des biens et la tranquillité des
familles ; il rend executoires les Traités
qui se passent entre les hommes , et perpetuë
feur mémoire , en rendant autentiques
leurs dernieres volontés . C'est un
médiateur qui par des temperamens surs
et judicieux concilie les interets de chaque
partie , termine avec équité leurs
contestations , et prévient celles qui pourẻ
roient naître dans la suite .
Mais si la vaste étendue de cet emploi
fait son éloge , on ne sçauroit disconve
nir qu'elle en fait aussi la difficulté ; ainsi
la probité qui fait le caractere essentiel
de tous les hommes , et qui suffit dans
quelques-uns des emplois de la vie Civile,
n'est
MARS. 1731. 529
n'est pas suffisante dans un Notaire , peutêtre
même ne seroit- elle pour lui qu'une
qualité sterile , si elle n'étoit éclairée par
la science; or cette science ne consiste pas
seulement dans le stile ordinaire des Actes
, ni dans l'arrangement de l'usage des
termes consacrés à la Pratique , il faut encore
être instruit des principes et des maximes
de la Jurisprudence ; en effet , il
n'y a qu'elle qui puisse apprendre ce que
c'est qu'une convention legitime , quelle
est la force , l'étenduë , la liaison et la contrarieté
des clauses qu'on y met , et quels
sont les avantages ou les inconveniens qui
en peuvent provenir ; enfin ce n'est que
par son moyen qu'on peut connoître ce
qui est prescrit par les Loix, les Coûtumes
et les Ordonnances , pour rendre un Acte
solemnel et autentique.
Dans la vûë de renfermer tout ce qui
regarde ces deux points , l'Auteur établit
d'abord sur chaque matiere des principes.
qui en expliquent la nature et les effets ;
il donne ensuite des formules d'Actes redigées
avec beaucoup de netteté et de précision
, et sur les formules des Actes qui
lui ont parû être les plus importans , il
fait des observations très utiles et très
curieuses.
Cela posé , cet Ouvrage est absolument
necessaire à ceux qui suivent un Etat ,
dont
330 MERCURE DE FRANCE.
dont il renferme tous les devoirs et toutes
les fonctions . Mais de quelle utilité ne
doit-il pas être aux Praticiens et aux Juges
pour traiter ou pour décider les questions
qui naissent tous les jours au sujet
des Contrats , des Testamens et des autres
Actes. Il n'y a presque point de particulier
qui n'en puisse tirer un trèsgrand
avantage ; comme il explique quelles
conditions sont requises pour la validité
des Actes , quels en sont les effets
et quelles sont les differentes clauses dont
ils sont susceptibles , sa lecture peut mettre
les personnes les moins versées dans
la Pratique , en état de veiller par ellesmêmes
, à la conservation de leurs biens ,
et de ne point passer d'Actes qui soient
contraires à leurs interêts ou à leurs volontés.
Voici l'ordre que l'Auteur a gardé dans
cet Ouvrage , qu'il a divisé en plusieurs
Livres , et chaque Livre en plusieurs Chapitres.
4
Le premier Livre traite de la qualité
de sNotaires; il explique combien il y en a
de sortes , quels sont leurs droits et leurs
privileges , quelles précautions ils doivent
prendre lorsqu'ils passent des Actes
quelles formalités ils y doivent observer , .
et quelles peuvent être les fautes dont ils
sont responsables ; il y est aussi parlé des
>
minuMARS.
1731. 531
.
minutes des Actes , des grosses des Contrats
, des compulsoires et des collations
de Piéces .
Le second traite des Actes en genéral ,
des conditions requises pour les rendre
obligatoires , des clauses que l'on y peut
valablement apposer , des conventions
licites et de celles qui ne le sont pas , de
l'usure , du stellionat , des differentes
clauses apposées dans les Contrats , des
avantages des conventions par écrit , de
l'hypoteque qui naît des Actes passés par
devant Notaires , et de leur execution .
Le troisième est des Contrats , qui se
forment par la tradition de la chose , qui
sont le prêt , le commodat , le dépôt et
le gage.
Le quatrième est du mariage et des conditions
requises pour sa validité , des choses
qui font le principal objet des Contrats
de mariage , sçavoir , la dot , le
douaire , la communauté ; des differentes
clauses dont les Contrats de mariage sont
susceptibles tant en Païs Coûtumier qu'en
Païs de Droit écrit.
Le cinquième comprend ce qui concerne
le Contrat de vente , ses effets , et
tous les Actes qui se font en conséquence
de ce Contrat , ou qui y ont quelque rapport
, comme le Contrat d'échange , les
constitutions de rentes volantes ou foncieres
et autres Actes semblables
532 MERCURE DE FRANCE
Le sixième est du Contrat de loüage
en genéral , et des differentes especes de
Baux , de la societé et de la procuration .
Le septième , des donations tant entrevifs
qu'à cause de mort , du don mutuel
et autres Actes ou clauses qui concernent
les donations , ou qui y ont rapport.
Le huitiéme traite des transports , de
la subrogation , des cessions et abandonnemens
de biens , des saufs- conduits et
attermoyemens , des unions de créanciers
et Contrats de direction.
Le neuvième comprend certaines conventions
et Actes particuliers , comme les
devis et marchés , les conventions pour
apprentissage , protests de lettres de change
, cautionnemens , autorisations , ratifications
, comparutions , certificats , déclarations
, reconnoissances d'écritures
privées , dépots de Piéces et extraits d'Actes.
des
Ledixième est des Arrêtez de comptes,
des payemens , quittances et décharges
de titres et papiers , ou d'autres choses .
L'onziéme traite des testamens
Codiciles , des Institutions d'heritiers
des exheredations , des substitutions , des
Fideicommis et autres Actes de derniere
volonté .
>
Le douzième traite des inventaires , des
rénonciations , des partages , rapports et
licitations. Le
MARS. 1731. 533
Le treizième contient les Actes qui concernent
la tutelle , les comptes et les avis
de
parens.
Le quatorziéme comprend les Actes
qui se font à l'occasion des Procès , ou en
conséquence , comme les compromis , les
transactions et autres semblables.
Le quinziéme renferme les Actes qui
concernent les Fiefs , les Droits Féodaux
Seigneuriaux .
Le seiziéme traite des Benéfices et des
Actes qui se passent en matiere benéficiale
pardevant Notaires.
Le dix-septième et dernier explique ce
qui est de stile , et enseigne ce qu'il faut
observer pour mettre un Acte en forme
executoire.
LA DECOUVERTE de l'Empire de
Cantahar , avec les moeurs et Coûtumes
des Habitans. A Paris , Quai de Gévres,
chez P. Prault , Quai de Conti , chez lá
Veuve Pissot , et chez Nully , au Palais
1730. in 12. de 373. pages.
Les divertissemens ordinaires des jeunes
gens de cet Empire , dit l'Auteur à la 22 .
page , sont la chasse , la lutte et la course
à laquelle ils s'exercent de si bonne heure
que nos meilleurs Coureurs ne pourroient
pas les suivre ; ils aiment la danse où ils
excellent. J'ai remarqué que tout ce qu'ils
F font
334 MERCURE DE FRANCE
font , c'est toujours avec beaucoup plus
d'adresse que nous , ce que j'attribuë à ce
qu'ils obligent les enfans de se servir indistinctement
des deux mains , ce qui leur
donne dans chacune une égale force et fa
cilité d'agir , de sorte qu'ils se battent
avec la même vigueur de la main gauche
que de la droite , et au lieu qu'une
blessure au bras droit nous met hors de
combat , ils ont cet avantage sur nous ,
qu'ils trouvent dans leur gauche un se-
Cours qui leur sert à vaincre leurs ennemis.
,
Le peuple de Cantahar ne connoît point
d'autre Dieu que le Soleil , qu'on appelle
Monski ; il croit que quand un homme
meurt dans le peché , après que son ame
est élevée vers cet astre pour être jugée
au lieu de prendre place dans le Ciel ,
et d'augmenter le nombre des Etoiles ,
elle est chassée de la présence de Monski ,
qui permet quelquefois qu'on voye une
Étoile tomber du Ciel , afin que par la
vûë de cette ame condamnée , les hommes
craignent ses jugemens & c.
›
En parlant du Commerce des habitans
de cet Empire , l'Auteur dit que les contre-
lettres ne sont point permises , et que
les Loix rendent responsables d'une banqueroute
celui qui a des effets à un banqueroutier
, ou qui lui doit , s'il ne les
déMARS.
1731. 139
déclare dans un certain temps , avec la
somme dont il lui est débiteur.
Pour empêcher que les Voyageurs ne
soient rançonnés par les hôtes , ceux - ci
sont obligés de signer le mémoire de la
dépense , et s'ils mettent les choses au-delà
de leur valeur , en envoyant le mémoire
au Juge du lieu , il fait restituer l'excédent
, condamne l'Aubergiste à une grosse
amende , et à fermer sa maison pour toujours
, et cela sans grace et sans retour ;
les amis , les présens ne servent de rien
aussi la certitude du châtiment fait qu'on
trouve rarement des coupables.
Les Carosses vont dans les Villes d'un
pas moderé , et si on en voit rouler trop
vite , le peuple sçait le jugement qu'il
doit porter de la cervelle du maître , qui
répond personnellement de tous les accidens
que son équipage cause , et s'il blesse
quelqu'un , il est condamné à payer
tous les frais , et à une amende au profit
des pauvres , laquelle est évaluée à la dépense
de ce qu'un carosse coûte pendant
cinq années , pendant lesquelles il est
obligé d'aller à pied & c.
Ce Livre pourroit être d'un plus grand
usage si les matieres étoient en quelque
maniere divisées , et s'il y avoit au moins
une Table.
Fij DIS
336 MERCURE DE FRANCE
DISCOURS sur les avantages et la né
cessité de l'Union ; prononcé dans l'Hôtel
de Ville de Lyon , le 21 Decembre 1730.
jour de S. Thomas , la premiere année de
la Prevoté de M. Camille Perrichon , par
Me A. G. Boucher d'Argis , Avocat au
Parlement. A Lyon , chez André Laurent,
Imprimeur de M. le Duc de Villeroy & de
ta Ville , rue Raifin , à la Vérité , 1731 .
in 4.
Tous les ans , le 21 Decembre , il se
fait à Lyon , dans l'Hôtel de Ville , un
Discours public , où assistent en ceremonie
l'Archevêque , le Gouverneur de
la Ville , le Lieutenant de Roy , l'Intendant
, les Comtes de Lyon , la Cour des
Monnoyes , le Bureau des Finances , l'Election
, le Prevôt des Marchans et les
Echevins , les anciens Prevôts des Marchands
et Echevins.
Ce Discours qui roule sur tel sujet qu'il
plaît à l'Orateur de choisir , se termine
par des complimens addressez à chacune
des et à chacune des Compapersonnes
gnies que nous venons de nommer ,
il est précédé d'un Discours au Roy ,
et à present d'un autre à la Reine , et
d'un troisiéme au Dauphin.
६
M. Boucher d'Argis , Avccat au Parlement
de Paris , déja connu par quelques
Plaidoyers qui ont été goutez , fut
choisi
MAR S. 1731. 537
choisi pour faire le Discours du mois de
Decembre dernier , qui est celui dont
nous allons rendre compte.
L'Orateur y prend pour texte ces mots
de Salluste, dans son histoire de la guerre
des Romains contre Jugurtha.
› Concordia parve res crescunt . discordia
maxime dilabuntur. Et après avoir apos
trophé le Roy , la Reine , et Monseigneur
le Dauphin , dont les Portraits étoient
présens ; il apostrophe tout de suite M. le
Duc de Villeroy , Gouverneur de Lyons
M. le Duc de Retz , Lieutenant de Roy ;
M. Pouletier , Intendant ; Messieurs les
Comtes de Lyon , la Cour des Monnoyes ,
le Bureau des Finances,l'Election , M.Perrichon
, Prevôt des Marchands , Mess . les
Echevins , actuellement en charge , et
enfin Mrs les anciens Prevôts des Marchands
et Echevins.
Nous n'avons point nommé M. l'Archevêque
, parce que sa maladie ne lui
permit pas d'être présent.
Quoique le Discours soit françois , les
Apostrophes sont en latin , comme c'ess
Fusage : Les voici.
Rex Christianissime ,
Regina Christianissima.
Serenissime Delphine.
'Summe Provinciæ moderator,
1
Fiij Digni
538 MERCURE DE FRANCE
Dignissime Pro -Rex.
Amplissime Dicoearcha.
Nobilissimi Lugduni Comites.
Præses et Senatores integerrimi.
Præses et Regii Questores ornatissimi,
Tributorum Descriptores sapientissimi,
Clarissime Mercatorum Præses , nec non civitas
tis Præfecte .
Lectissimi ac Providentissimi Consules.
Viri de Patriâ quàm optime meriti.
Caterique Auditores omnium Ordinum commendatissimi.
c'est
Après ces saluts , M. Boucher d'Argis
commence son Discours, où il se propose
de montrer le prix inestimable de l'Union
. Son début est que de tous les avantages
qui contribuent à la splendeur d'un
Etat et au bonheur des Peuples , il n'en
est point de comparable à l'Union , que
par elle
que la fortune des particu
liers s'accroît et se conserve , que les
forces d'un Etat s'augmentent et se perpetuent
, que se forme cette Puissance qui
fait redouter un Empire à tous les autres
Peuples , et les force à le respecter ; que
sans l'Union,toute Société , quelque puissante
qu'elle paroisse à nos yeux , éprouve
bien-tôt que toute cette force apparente
n'étoit qu'une veritable foiblesse , enfin
que
MARS. 1731. $39
que sans l'Union l'on ne peut s'attendre
de voir subsister ni les Coutumes les
mieux établies , ni les Empires les plus
florissans.
,
Pour faire sentir la vérité de ces maximes
M. d'Argis demande quel autre
motif que celui des secours qu'on doit
attendre de l'Union , a engagé les hom
mes dans les siècles les plus reculez à for--
mer entr'eux ces Sociétez , que le temps
et l'experience n'ont pas encore cessé de
perfectionner. N'est- ce pas , dit-il , ce qui
Les a obligez de s'assembler , de bâtir des
Villes , de se faire des Loix pour y amener
FOrdre et la Justice parmi eux. L'Homme,,
continuë- t- il , ce chef- d'oeuvre de la naș
ture , si parfait , si achevé , et que ses prox
pres perfections rendent incompréhensible à
Ini-même; cet être , dont l'intelligence s'étend
·au-delà des bornes de l'Univers ; le croiroiton
, Messieurs , ne peut cependant se suffire
à lui-même il ne sçauroit fournir à tous ses
differens besoins , le secours de ses semblables:
lui est nécessaire ; je ne dis
pas
seulement
pour soutenir la foiblesse de l'enfance , mais
pour suppléer dans tous les âges , aux défauts
qui sont inséparables de sa nature ; ainsi l'a
ordonné le Créateur. Est-ce pour humilier
Homme et lui faire sentir qu'il n'est pas
encore tout àfait hors du neant ? N'est- cepas
plutôt pour lier ensemble les hommes par des
Fij noeuds
$40 MERCURE DE FRANCE.
noeuds d'autant plus indissolubles qu'un inferêt
commun les forme et les serre ? On peut
donc dire de l'Union , qu'elle est aussi nécessaire
qu'avantageuse , puisqu'elle est le
principe et la source de la grandeur d'un
Etat et de la félicité des Peuples .
M.d'Argis prévoit icy l'erreur où pourroit
conduire le mot équivoque d'Union,
et comme rien n'est plus important dans
un point de la conséquence de celui - cy
que de bien définir un terme essentiel sur
lequel roule tout ce qu'on avance , l'Orateur
a soin d'en éloigner jusqu'à la
moindre ambiguité. A
Mais quelle est , dit- il , cette Union désirable
qui peut seule procurer de si grands
avantages ? Ce n'est pas seulement une Sosiété
formée au hazard entre plusieurs hommes
qui se rassembleroient en un même lien
pour réunir leurs forces , leurs talens , leur
industrie, et se préter un secours mutuel.L’Vnion
dans ce point de vûë , ne laisseroit pas
de leur être utile et même nécessaire , mais
elle seroit encore imparfaite ce ne seroit
qu'une assemblée formée par l'interêt à laquelle
souvent le coeur n'auroit point de
part. Ceux qui seroient ainsi rassen.ble ,.
pourroient être divisez interieurement. Ils ne
seroient même que plus à plaindre d'être
réunis dans un même lieu , s'ils n'étoient
encore plus unis de coeur et d'affection.
A
MARS. 1731.
541
A ces trairs l'Auteur en ajoute d'autres
qui ne permettent pas de se méprendre
sur la véritable Union dont il parle .
•
La concorde , dit- il , qui doit nécessairement
procurer la gloire de l'Etat et la félicité
des Peuples , n'est autre chose qu'une société
formée par des liaisons de bienveillance
contractée entre un Peuple entier , qui semble
être convenu de ne composer qu'une simple
famille sous un même Chef: Cette société
est fondée sur les Loix qui reglent les devoirs
de chaque membre de cette famille . L
zele et l'application qu'ils ont à s'acquitter
chacun des fonctions qui leur ont été destinées
, l'attention qu'ils ont de ne point se
troubler les uns les autres , forment cett ?
union parfaite qui procure des avantages
considérables à la société , qu'elle se voit en
état de résister à tous ceux qui voudroient
La détruire. Chaque Membre de cette Société
voit augmenter chaque jour sa fortune et
fouit en paix du fruit de ses travaux et de
son industrie.
si
Après cette explication , M. d'Argis expose
ce que c'est qu'un Etat . Il remarque
que c'est un Corps , et que les Citoyens
en sont les membres ; que le rapport mutuel
que ces Citoyens ont entr'eux,donne
à ce Corps l'ame et la vie , et forme un
composé merveilleux qui ne peut subsiter,
ni conserver son être sans cette heu
F v reuse
$42 MERCURE DE FRANCE
reuse harmonie que l'on admire dans l'U
nivers et dans toutes les Parties qui le
composent.
Il appuye de l'expérience sa réfléxion.
11 demande si l'on n'éprouve pas tous les
jours dans l'éxécution des projets , même
les plus ordinaires , l'avantage et la nécessité
de se réünir plusieurs pour y
réüssir ; il fait observer que souvent un
seul se rebuteroit, et que deux s'animent ;
que l'un a le conseil et l'autre l'exécu
tion ; l'un la force et l'autre l'adresse ;
le se- les talens sont partagez et que que
Cours mutuel vient about de tout, ensorte
que l'Union conduit au succès des entreprises
les plus difficiles.
Nous passons quelques autres refléxions
pour venir à la peinture que M. Boucher
d'Argis, qui ne perd jamais de vûë
son objet , trouve occasion de faire du
bonheur complet d'un Etat. Peinture ,
dont les traits bien considerez , offrent
d'utiles leçons .
Le bonheur de l'Etat , dit-il , est parfait
Lorsque chaque Citoyen se renferme dans de
justes bornes , s'applique uniquement à remplir
ses devoirs , et ne contrevient point aux
Loix qui sont le fondement de la société civile
; car cette douce paix que la concorde
procure aux Peuples , est le fruit de lajus→
tice et l'ouvrage de ceux qui en sont les dér
posiMARS.
1731. 543
›
positaires ; c'est la justice qui apporte par
tout cet ordre , et cette simetrie politique qui
unit les personnes de différentes conditions
les différens corps , les differens états ; c'est
elle qui entretient cette liaison si utile et si
nécessaire entre les différentes nations , c'est
elle qui concilie par la modération l'inégalité
des humeurs et des esprits , et qui entretient
chacun dans son rang et ses droits , c'est
elle qui établit la subordination ; enfin qui
réprime la licence et le désordre enprotegeant
l'innocence et soutenant la vérité.
L'Orateur ajoute que les troubles , les
dissentions , qui interrompent quelquefois
la tranquillité d'un Etat , ou des par
ticuliers , ne viennent que des excès que
la Justice n'a point réprimez ; après quoi
il conclud que ce sont donc les Loix qui
forment et qui entretiennent cette Union
si avantageuse et si nécessaire pour la
gloire et le bonheur des Peuples , que pat
conséquent il est de l'attention des Magis
trats qui sont chargez du soin de faire
exécuter ces Loix , qu'on doit attendre la
conservation d'un bien si précieux, puis
que ce sont eux qui par leur autorité, et
plus encore par leur prudence , doivent
entretenir dans un Etat cet accord , cette
harmonie , cette subordination si désirables
, sans quoi les peuples ne peuvent
être sensibles aux autres biens..
Fvj Telle
་ ་
t
544 MERCURE DE FRANCE
Telle est l'idée que M. Boucher d'Argis
veut qu'on se fasse de la concorde et
de l'Union qui doit regner entre les differens
Peuples d'un même Etat. Tels sont
les fondemens qu'il pose de leur grandeu
er de leur félicité ? Il en appelle icy aux
exemples que fournit là- dessus l'Histoire.
Il veut que l'on jette les yeux sur les
Empires les plus florissans , qu'on les
considere dans leur origine , qu'on les
suive dans leurs différens progrès jusqu'au
dégré de Puissance et de Grandeur où ils
sont parvenus , et il soutient qu'on n'en
découvrira pas un seul qui dans toutes les
occasions importantes ne se soit soutena
et ne se soit élevé par l'effet de l'Union.
Il cite sur ce point l'ancienne Rome
qui par la force de ses armes , soumit
presque toute la terre.
Ce n'étoit d'abord , dit-il , qu'une assemblée
de quelques Bergers & les Nations voisines
étoient puissantes et redoutables ; il paroissoit
difficile qu'une Ville naissante comme
celle- là , pût jamais s'élever au milieu de
tant de Peuples , jaloux de son établissement
; cependant malgré tous les avantages
que les Peuples de l'Italie avoient sur elle ;
P'Union des Romains la rendit plus puissan
te que cette multitude de Nations ennemis
qui l'environnoient de toutes parts. Unis
pour le bien de la Patrie , animez d'un même
zele
MARS. 1731. 545
zéle pour la gloire , ilsfurent toujours invincibles
, et la posterité de cette petite troupe
Bergers conquit tout l'Univers.A
de
Notre Orateur ne manque pas icy
l'occasion qui se présente de rapporter ce
que firent les Romains , pour marquer
combien ils s'estimoient redevables à la-
Concorde. Comme leur Empire , remarque-
t- il , devoit tous ses progrès à l'Union
, ils la regarderent comme un présent
du ciel , et s'en firent une Divinité
qu'ils adorerent sous le nom de la Concorde.
Camille voulut qu'on lui rendit
un culte solennel , et lui éleva un Temple
, où l'on faisoit des Sacrifices pour
la
coujurer de répandre dans tous les coeurs
des sentimens de paix et d'union.
Mais sans s'arrêter à des exemples
étrangers pour faire voir ce que peut
l'Union , M.d'Argis n'en veut point d'autres
que le bonheur dont la France joüit
depuis son origine. Bonheur , dit - il ,
qui n'a souffert d'alteration que dans ces
tems orageux où les furies , je veux dire , les
passions , je veux dire cette ambition qui
rompt les attachemens les plus naturels, vint
soufler dans tous les coeurs le trouble et la
discorde , et causer des désordres que
la sagesse
et la valeur de nos Rois ont tellement
fait évanouir , que nous ne les connoissons
plus que par l'Histoire.
Ainsi
146 MERCURE DE FRANCE
Ainsi la Concorde, continuë notre Orateur
, ( lequel fait toujours servir ses réfléxions
de preuve à son texte, et ne sçait
ce que s'est que de s'écarter à de vaines
digressions. ) Ainsi la Concorde qui avoit
uni pendant tant de siécles toutes les Villes
et toutes les Provinces dont est composé
cet Etat si vaste et si floritsant, cette
même Concorde les réunit encore aujourd'hui
et les lie entr'elles par des liens
d'autant plus parfaits , qu'elles ont mieux
reconnu par une fatale experience, les mal .
heurs qu'entraîne après soi la Discorde.
Ici M. d'Argis , par une de ces tran
sitions, où il y a quelquefois d'autant plus
d'art qu'il y en paroît moins , trouve
moyen , en se tenant toujours renfermé
dans son sujet , de passer à l'éloge de la
Ville de Lyon.
Quelbonheur pour cette Ville , s'écrie - t-il,
de n'avoirjamais éprouvé que les avantages
de l'Union, et qu'il lui est glorieux de s'êtra
toujours élevée par sa sagesse et sa constance ,
au- dessus des exemples pernicieux que lui
donnerent dans les malheureux temps , dont
nous venons de parler , la pluspart des Villes
du Royaume , et d'avoir ainsi surpassé la
Ville même à laquelle seule elle peut ceder le
rang dans l'Etat.
Tout ne paroît- il pas annoncer icy cette
Union désirable , et ne dirait- on pas que la
natura
MARS. 1731. $47
"
nature même y porte les habitans fortune
de cette Ville.
M. d'Argis en appelle là- dessus à la
seule situation de la Ville dont il parle..
- Deux Fleuves superbes et majestueux ,
dit-il , qui après avoir arrosé diverses contrées
, viennent mêler leurs eaux aux pieds
des murs de cette Ville , pour ne faire plus
qu'un Fleuve , malgré l'extrême difference de
leur cours ; ne semblent - ils pas nous appren
dre quel est l'heureux caractere et la disposi
tion naturelle de ceux qui en habitent les
bords.
Cette Ville , située au centre de l'Europe,
ne paroît-elle pas faite pour réunir les diffé
rens Peuples que son commerce florissant y
attire ?
Après ces réfléxions sur la situation
du lieu , l'Orateur entre dans le détail de
plusieurs circonstances glorieuses à la
Ville de Lyon.
·
Il remarque que les Romains distin
guerent toujours cette Ville de tout le
reste de leur domination , qu'ils firent
gloire de contribuer à sa grandeur , et
qu'en reconnoissance
des avantages que
son commerce leur procuroit , ils voulurent
qu'elle fût , pour ainsi dire , unieavec
Rome , et qu'elle fût reconnue pour
Colonie Romaine; que l'Empereur Clau
de qui y étoit né , le proposa lui-même
348 MERCURE DE FRANCE
*
*
au Sénat , et fit à cette occasion la Ha
rangue que cette Ville conserve encore ,
dans laquelle il representa de quelle importance
il étoit pour l'Empire , d'attacher
de plus en plus à la Patrie de tant
d'Illustres Sénateurs , une Alliée fidelle incapable
de manquer à ses engagemens.
Que le Sénat qui connoissoit les avantages
et la nécessité de l'Union , reçut avec
empressement la proposition de l'Empereur,
et fit gloire d'associer Lyon à Rome.
Que ce n'est pas seulement avec les
Peuples voisins que les habitans de cette
celebre Ville sçavent entretenir des liaisons
utiles à leur Commerce , mais que
le succès de ce Commerce dépend encore
bien plus de la bonne intelligence dans
laquelle ces mêmes Habitans vivent entre
eux , et sur tout de ces societez particulieres
qui font l'union des fonds er
des soins de plusieurs Négocians ; societez
qui rendent le Commerce de Lyon
plus considerable et en même tems plus
facile , par le secours mutuel que ceux
qui les composent se prétent en travail,
lant de concert au bien commun.
M.d'Argis n'oublie pas de mettre ici sous
les yeux la justice et l'équité qui président
à ce Commerce ; l'attention des Magistrats
à maintenir par tout le bon ordre ,
l'empressement des Citoyens à observer
les
MARS. 1731. 549
les Loix , leur attachement au Prince 1
qu'ils regardent comme le lien de leur
union , enfin les épreuves que dans les
situations les plus difficiles nos Rois ont
faites de cet inviolable attachement , et
sur lesquelles est fondée cette confiance
singuliere qui se repose de la garde d'u
ne Ville si importante , sur ses seuls Citoyens
, & c.
Tout ce qu'a dit jusqu'ici l'Orateur ;
aboutit à cette conclusion , qu'il n'est rien
de plus avantageux que l'union , et que
c'est elle qui contribuë le plus à la gran,
deur d'un Etat et au bonheur des Peuples.
Concordia parva res crescunt.
Reste à montrer les malheurs qu'entraîne
avec soi la funeste discorde , selon
ces autres paroles du Texte : Discordia
maxima dilabuntur. Et c'est ce que M.d'Argis
fait voir par plusieurs Refléxions et
par plusieurs exemples.
Il veut qu'on se représente d'abord un
Monstre conduit par la rage , les yeux enflammez
, le front couvert de sang , secoüant
dans ses mains de noirs flambeaux,
répandant en tous lieux les soupçons , la
frayeur , les allarmes , traînant après lui
la haîne et l'inhumanité .
Telle est , dit-il , et plus affreuse encore
la Discorde qui ravage un Etat ; on n'y
voit que fuaestes, ligues , qu'intrigues crimi
nelles
5 MERCURE DE FRANCE
nelles , qu'odieuses conspirations ; les Peu
ples , au lieu de réunir leurs forces contre les
ennemis de l'Etat , les tournent contre euxmêmes
et se détruisent. La gloire de l'Etat
s'obscurcit , et bientôt sa grandeur et sa puissance
s'évanoüissent ; mais le plus terrible
effet de la desunion ce sont les Guerres civiless:
ces Guerres qui font frémir la Nature , et qui
pourtant l'échauffent. On suit aveuglément
differens partis , l'unjuste , si l'on veut , l'autre
injuste ; mais ils sont également violens
également cruels ; l'un et l'autre cherche à
verser le sang qu'il devroit deffendre. Le
fils armé contre le pere , le frere contre le freres.
tous aspirent à une victoire dont ils devroient
rongir; le parti que la fortune aveugle favorise,
ne triomphe que sur les ruines de la
Patrie.
M. d'Argis représente ici combien legere
est souvent la cause de tant de maux;
et remontant à l'Histoire Romaine , ildemande
combien les démêlez de Marius:
et de Sylla , devenus une dissension publique
, ne couterent pas de sang à Rome,
tour-à-tour esclave de ces deux Tyrans
? Il remarque comme elle se livre ensuite
à l'ambition de César et de Pompée,
non pour deffendre sa liberté , mais pour
servir la jalousie de deux Rivaux , et
comme le Trophée que César éleve à
Pharsale , devient le tombeau de la liberté
>
· pu
MARS. 1731. $52
publique ; mais une observation essen
tielle qu'il fait à ce sujet , c'est que le
sort de l'Empire fût le même que celui
de la République ; il soutint toute sa
gloire , il conserva toute son étendue
tant qu'il n'eut qu'un Maître absolu
dont l'autorité réunissoit tant de Peuples.
Au lieu le que partage l'affoiblit , en
avilit la majesté , et le rendit la conquête
facile des Barbares qu'il avoit autrefois.
subjuguez .
L'Orateur descend ensuite à la Monar
chie Françoise ; mais c'est pour déclarer
qu'il ne peut se résoudre à parler des périls
où la discorde a mis autrefois cette
Monarchie , qu'à la verité la fidélité de
Lyon paroîtroit avec éclat ; mais que
cette Ville veut bien renoncer à la gloire
qui lui en reviendroit , pourvû qu'on lui
épargne un souvenir si douloureux.
Si des Etats l'on passe à l'interieur des
Familles ; quels maux n'y cause pas la discorde
? Cet article n'échappe pas à M.d'Argis
, il expose aux yeux les desordres qui
surviennent , lorsque l'union , si necessaire
entre ceux que la Nature unit déja par
les liens du sang , cesse de regler leurs dé
marches , et qu'une haine implacable formée
par l'intérêt ou par quelqu'autre pas+
sion aussi funeste , s'empare de leurs es
prits. Plus l'union , dit- il , et l'amitié sant
natu
352 MERCURE DE FRANCE
naturelles entre ces personnes , plus il semble
qu'il soit difficile de les reunir lorsqu'elles
sont malheureusement divisées. La déroute
se met alors dans les fortunes les mieux établies
, les Maisons les plus brillantes et les
plus illustres périssent on voit avec douleur
ceux qui sont particulierement nez pour
se prêter un secours mutuel, prendre plaisir à
se détruire réciproquement delà ces inimitiez
irréconciliables qui se perpetuent dans
et qui se soutiennent encore
sur les ruines même des Maisons qu'elles
ont renversées.
les Familles
--
,
- Notre Auteur , après une suite d'autres
Refléxions sur les malheurs qu'entraîne
la discorde , finit en ces termes :
: Mais ne nous arrêtons pas davantage à
ses objets odieux , écartons ces images funespes
, qui ne doivent servir qu'à nous apprendre
la necessité de l'union. Je n'ai pas
besoin de faire envisager à cette Ville ," les
malheurs de la desunion qu'elle ne connut
jamais. Elle est , au contraire , le modele
d'union le plus parfait qu'on puisse proposer
à toutes les Villes du Royaume . Enfaut- il
d'autre preuve que cette auguste Assemblée
où j'ai l'honneur de voir tant de grands hom
mes et tant de Corps illustres réunis , qui
concourent tous à entretenir l'union parfaite
qui regne dans cette Ville..
Au Discours de M.d'Argis en succedent
qua-
养
MAR S. 1731 .
553
quatorze autres du même Orateur, comme
nous l'avons marqué ; le premier au Roi ,
le second à la Reine , le troisiéme au Dau
phin , et les autres aux differentes personnes
et aux differentes Compagnies que
nous avons nommées au commencement.
Ces Discours ont tous rapport à l'union;
et quoique très - differens entr'eux par
leurs differens sujets , ausquels ils sont si
propres , qu'ils ne peuvent être appliquez
à d'autres , l'Auteur a pris soin de
les tourner de maniere , que nonobstant
cette difference essentielle et absolument
requise,ils se réunissent tous à representer
F'excellence de l'union , ce qui n'est pas
l'effet d'un Art médiocre . Il conviendroit
d'en citer ici quelques uns , mais l'étendue
de notre Extrait ne le comporte pas.
REGLES pour vivre chrétiennement
dans l'engagement du mariage et dans la
conduite d'une famille . Vol. in 12. Ruë
S. Jacques , chez Lettin.
BIBLIOTHEQUE GRAMMATICALE,
qui contient les Livres nécessaires pour
enseigner à lire le Latin et le François aux
petits enfans , et pour leur enseigner le
Latin quand ils aprennent à lire. Par M.
de Vallange . Au Palais , et Quai des Augustins
, chez Mesnier et Antoine Gandonin
1731. brochure de 24. pages.
354 MERCURE DE FRANCE
Toujours abondant en flateuses promesşes
, l'Auteur plein de zele et de tendres
sentimens pour les Ecoliers en fait ici de
nouvelles , et commence ce petit Ouvrage
par la description de la Bibliotheque
Grammaticale , avec son usage propre aux
Académiciennes , chargées de l'éducation de
la Jeunesse. Ne vous pressez pas , dit- il
à ces Dames , de le faire lire dans le Catechisme
, ce Livre doit être respecté ; il ne
ke faut mettre entre les mains des enfans que
quand on voit qu'ils sont capables d'en faire
an bon usage. La lecture des livres de pieté
ne doit pas être mêlée avec les ferules et le
fouet. La haine que l'on a des corrections
passe bientôt aux sujets qui sont la cause de
Ces corrections.
.M. de Vallange trouve qu'il est à propos
de séparer les petits garçons des petites filles
dès la plus tendre Feunesse , comme il convient
de séparer les enfans des Magistrats
et dela Noblesse d'avec les enfans des Bourgeois
; les enfans de familledoivent être sepa→
rés des enfans du petit peuple. Je vous donnerai
¸dit-il, incessamment les moyens de leur enseigner
toutes les Sciences et beaucoup d'Arts
Liberaux et Mécaniques ... Par le moyen
de mes Méthodes que vous pourrez mettre en
pratique , ces enfans au sortir de vos mains
pourront être en état de se passer de maîtres
pour apprendre toutes les Sciences , toutes les
Langues
MARS . 1731. 353
Langues et tous les Arts ; ils seront même en
état de gagner leur vie.
,
Pour enseigner aux personnes qui ont le
jugement formé , je vous donnerai des méthodes
, dit- il aux Maîtres d'école qui
vous mettront en état de leur enfeigner l'Or
thographe , le Latin , l'Arithmetique , la
Géometrie et toutes les Parties des Mathé
matiques , et même le deffein , quand même
vous ne le fçauriez pas.
HISTOIRE DE L'EGLISE GALLICANE
, dédiée à Messeigneurs du Clergé
Par le Pere Jacques Longueval , de la Compagnie
de Jesus. A Paris , rue de la Har
pe , chez P. Simon , 1730. 4. Vol. in 4.
LE THEATRE DES GRECS. Par le
Pere Brumoy , de la Compagnie de Jesus.
Quay des Augustins et Rue S. Facques ,
chez Rollin pere et fils , et chez J. B. Coi
gnard fils , 1730. 3. Vol. in 4.
Ce laborieux Ouvrage , aussi curieux
qu'utile à la République des Lettres , est
extrêmement goûté. Nous tâcherons d'en
donner un Extrait.
HISTOIRE DE L'EGLISE DE MEAUX,
avec des Notes ou Dissertations et les Piéees
justificatives ; on y a joint un Recueil
complet des Statuts Synodaux de la même
Eglise ,
356 MERCURE DE FRANCE
Église , divers Catalogues des Evêques ,
Généraux d'Ordre , Abbés et Abbesses du
Diocèse , et un Poüillé exact . Par Dom
Touffaint Dupleffis , Bénédictin de la Congrégation
de S. Maur , Auteur de l'Histoire
de Couci. A Paris , chez Giffart , ruë
S. Jacques , et Gandoüin , Quay de Conti,
#731. 2. Vol. in 4.
SERMONS DE L'AVENT , du Carême
, et sur differens sujets , par Messire
Antoine Anselme , Abbé de S. Sever , Cap
de Gascogne , Prédicateur Ordinaire du
Roi , de l'Académie Royale des Inscrip
tions et Belles- Lettres. Chez Julien Michel
Gandouin , Quai de Conti , aux trois
Vertus , et Pierre François Giffart , rue Saint
Facques , à l'Image Sainte Therefe 1731. 6.
Vol. in 12. ou 4. Vol. in 8.
L'Abbé Anselme a prêché avec tant de
succès et d'applaudissement à la Cour et
dans les principales Eglises de Paris , et
tant de personnes se souviennent de la
satisfaction qu'ils ont euë de l'entendre
qu'il est inutile de prévenir le Public en
faveur de l'Edition de ses Sermons ; on
dira seulement que ses Panegyriques et
ses Eloges funebres ayant été imprimés
dès l'année 1718. on a reconnu que l'éloquence
de ce pieux et sçavant Abbé n'avoit
pas besoin pour plaire , ni même pour
émouvoir
MARS. 1731 357
émouvoir puissamment , d'être soutenue
par les charmes de la Déclamation . C'est
qu'il joint par tout la solidité du raisonnement
à l'exposition nette des plus
grands principes de la Religion , et aux
mouvemens les plus capables de toucher
d'attendrir et de changer le coeur ; on réussira
toujours quand on réunira ces deux
choses. La beauté de l'impression répond
au mérite des Sermons.
+
LE THEATRE DES PASSIONS ET
DE LA FORTUNE , ou les Avantures
surprenantes de Rosamidor et de Theoglaphire.
Histoire Australe. Par M. de
Castera. A Paris , Quay des Augustins ,
au Palais, et ruë S. Jacques, chez Saugrain,
Brunet , et Henry 1731 .
MEMOIRES SUR LA GUERRE ,
où l'on a rassemblé les maximes les plus
necessaires dans les opérations de l'Art
Militaire. Par M. le Marquis de Fenquis
res , Lieutenant General des Armées du
Roi. Servant de Tome IV. au Code Mi
litaire de M. de Briquet. A Amsterdam ,
et se vend à Paris , Quay des Augustins
chez P. Gandoüin 1731 .
TRAITE DES PRESCRIPTIONS
de l'aliénation des Biens d'Eglise et des
G Dixmes ,
8 MERCURE DE FRANCE
Dixmes , suivant les Droits Civil et Canon
, la Jurisprudence du Royaume et
les Usages du Comté de Bourgogne . Par
M. F. J. Dunod , Ancien Avocat en Parlement
, et Professeur Royal en l'Université
de Besançon . A Dijon , chez Antoine
de Fay , 1730. in 4. pages 52. pour
la Prescription de l'aliénation des Biens
d'Eglise , pages 52. pour le Traité des
Dixmes et de la maniere dont elles se
prescrivent , pages 408. pour le Traité. -
NOUVELLES CONFERENCES ECCLESIASTIQUES
du Diocèse de Luçon
, redigées par M. d'Ortigues , Curé
de ce Diocèse. A Paris , Quai des Augustins
, chez Jacques Guerin 1731. in 12.
Tome premier.
و
DECISIONS Sur chaque Article de la
Coûtume de Normandie et Observations
sur les usages locaux de la même
Coûtume , et sur les Articles placités ou
arrêtés du Parlement de Rouen , avec une
explication des termes difficiles et inusités
qui se trouvent dans le Texte de cette
Coûtume , et aussi les anciens Reglemens
de l'Echiquier de Normandie. Par Me
Pierre de Merville Ancien Avocat au
Parlement. Chez Gabriel Valeyre , ruë de
La Vieille Bouclerie. 1731. in fol.
>
CouMARS.
1731. 559
COUTUMES du Comté et Bailliage
de Montfort-Lamaury , Gambais, Neau-
Hle -le -Chastel , Saint Liger en Yveline
Enclaves et anciens Ressorts d'iceux , avec
le
Commentaire de deffunt M. Claude
Thourette , Avocat au Parlement , et au
Bailliage et Siége Royal de Montfort ,
revû , corrigé et augmenté de nouveau
par M. Claude Thourette , Avocat du Roi
au même Siege &c. Chez Jacques Clousier,
ruë S. Jacques , 1731. in 8 .
DISCOURS à l'occasion d'un Discours
de M. D. L. M. sur les Parodies. A Paris
, rue S. Jacques , chez Briasson , 1731 .
brochure in 12. de 10. pages .
L'ELOGE de la méchante femme , dédié
à Mile Honesta. Au coin de la rue Gitle-
coeur , chez Antoine de Henqueville 1731 .
brochure de so. pages.
,
Bien loin de plaindre la destinée de ceux
qui ont de méchantes femmes , croyons-les
au contraire , trop heureux et demandons
sans cesse au Ciel qu'il nous associe à leur
bonheur. Voilà comment l'Auteur finit cet
Eloge , si on peut l'appeller de ce nom ,
en tout cas on ne l'accusera pas de flater
à l'excès , ni trop obligemment , et peu
de Lecteurs , sans doute , s'uniront avec
lui dans les voeux qu'il fait , non plus
G ij
que
60 MERCURE
DE FRANCE
-
que les femmes , sur tout quand il dit
qu'elles sont ce qu'il y a de plus aimable,
parmi les choses qui ne se sont pas bonnes.
Barthelmi Alix , Libraire , ruë S. Jaçques
, au Griffon , vend seul l'Ecole de
Mars , pour apprendre facilement la Fortification
, suivant le sistême de M. de
Vauban. Par le sieur de la Suze , Gendarme
de la Garde du Roi , gravée en deux
Planches , avec l'explication du jeu .
LES PARODIES DU NOUVEAU
THEATRE ITALIEN , Ou Recueil des
Parodies representées sur le Théatre de
l'Hôtel de Bourgogne , par les Comédiens
Italiens ordinaires du Roi , avec les Airs
gravés. A Paris , ruë S. Jacques , chez
Briasson , 1731 .
LE NOUVELISTE DU PARNASSE,
sixiéme Lettre .
Nous emprunterons
de cette feuille
deux Epitaphes
qui manquent à ce que nous avons dit de la celebre Actrice du
Théatre Anglois dans le Mercure de Novembre
dernier , page 2494. morte à Londres
le 23. Octobre 1730. et inhumée dans
la Chapelle Royale de Westminster
. Le
Nouveliste
compare cette illustre défunte
à notre inimitable
Le Couvreur.
Hic
MARS. 17318 567
Hic juxta requiescit
Tot inter Poëtarum laudata nomina
Anna Oldfield.
>
Nec ipsa minore laude digna
Quippe quæ eorum opera
In Scenam quoties prodivit ,
Illustravit semper et nobilitavit ;
Nunquam ingenium idem ad partes diversissimas
Habilius fuit :
,
Ita tamen ut ad singulas
Non facta , sed nata esse videretur.
In Tragediis
›
Formæ splendor , oris dignitas , incessu
majestas ,
Tanta vocis suavitate temperabantur ,
Ut nemo esset tam agrestis , tam durus
spectator ,
Quin in admirationem totus raperetur ;
In Comoedia autem
Tanta vis , tam venusta hilaritas , tam curiosa
felicitas
Ut neque sufficerent spectando oculi ,
Neque plaudendo manus.
TRADUCTION .
Ici repose parmi les Poëtes les plus renommés
Anne Oldfield , digne de partager leur
gloire , puisqu'elle n'a jamais paru sur la
Scene sans donner un nouvel éclat à leurs
Gj
Onura-
>
562 MERCURE DE FRANCE.
Ouvrages. On ne vit jamais un même génie
saisir tant de Rôles opposés ; elle sembloit
née pour chacun en particulier. Dans le Tragique
, l'éclat de sa beauté , sa noble phisionomie
et son port majestueux étoient temperespar
une voix si charmante , que le plus
feroce spectateur étoit forcé d'admirer ; dans
le Comique , c'étoit une si grande force , un
enjouement si plein de graces , des attraits si
picquans,que les yeux ne pouvoient se lasser
de regarder , ni les mains d'applaudir.
La seconde Epitaphe est en Anglois ;
nous n'en donnerons que cetteTraduction :
Ici repose le corps d'Anne Oldfield , la
plus celebre Actrice , non-seulement de son
tems , mais de tous les tems.
Formée également par la nature et par l'art,
pour plaire , pour engager et interesser tous
les coeurs;
Applaudie dans la vie publique par tous
ceux qui l'ont vuë ,
Aimée dans la vie privée de tous ceux qui
Pont connuë.
{ ELOGE DES NORMANDS , où l'on
trouvera un petit Abregé de leur Histoire
, avec les grands hommes qui en
sont sortis , et les belles qualitês qui doivent
les rendre respectables à l'Univers
entier. Par M. Riviere. A Paris , chez
la
MARS. 1731.
563
la Veuve Guillaume , Quay des Augustins,
1731. broch. de 44. pages in 12.
SIMON et BORDELET , Libraires à Paris, viennent
de réimprîmer les Géorgiques du R. P. Vanier
, Jésuite , avec quelques autres Ouvrages de
cet excellent Poëte Latin , sous ce titre : VANIERII
, Pradium rusticum Editio emendatior cui
accesserunt Libri duo ejusdem opuscula varia.
M.de Pitaval vient de nous donner encore un Livre
nouveau , sous le titre d'Esprit des conversations
agréables, ou nouveau Mélange de Pensées
choisies , en Vers et en Prose , sérieuses et enjouées
, et de plusieurs traits d'Histoires curieux
et interressans , d'Anecdotes singulieres , d'Historiettes
instructives , et de Remarques critiques
sur plusieurs Ouvrages d'esprit. Ouvrage en 3
volumes in 12. Il se vend au Palais , chez le
Gras , dans la Grande Salle , au troisiéme Pilliër
; et dans la rue S. Jacques , chez la veuve
Delaulne , vis- à- vis la ruë des Noyers ; et Cavelier
, proche la Fontaine S. Severin .
"
Rien n'est plus séduisant que le titre ; on ne
peut pas disputer à M. de Pitaval l'art de donner
à ses Onvrages des titres spécieux . Un Censeur
qui sera malin et qui lira dans le dessein de rabaisser
le Livre et son Auteur , sera disposé à
trouver le Frontispice du Livre plus beau que le
Livre. Cependant on ne peut pas nier qu'il n'y
ait dans ces trois Volumes un choix assez heureux
de bonnes choses . Ce qui distingue cet
Ouvrage des autres Livres de ce gehre que l'Auteur
a donnez au public , c'est qu'il y a fait entrer
plusieurs beaux morceaux de l'Histoire qui
font
presque la moitié de l'Ouvrage . Comme il
aime la Poësie , il a fait un choix de plusieurs
Giiij Vers
564 MERCURE DE FRANCE
Vers , qui aident à former cette grande variété
qui regne dans son Livre.
On voit dans le 1 tome des Poësies choisies de
l'Abbé Regnier Desmarais . Ce Poëte n'a pas toujours
été égal. M. de Pitaval nous fait part des
Vers les plus gracieux de cet Abbé, Académicien.
On doit lui être obligé de nous sauver la peine de
les démêler dans les Ouvrages de ce Poëte. Il
nous présente aussi un choix de Vers qu'il a fait
du sieur Roubin , celebre par un Placet qu'il presenta
au Roy , au sujet de la taxe d'une Isle qu'il
possedoit ; on ne connoissoit ce Poëte que par
ce Placet . Plusieurs Vers de Sanlec servent aussi
à diversifier ce Volume. Il rapporte plusieurs
Fables , qu'il dit avoir une teinture de celles de la
Fontaine. Elles ne sont pas connues , on en jugera.
Il y a une petite historiette , sans doute , de
la façon de M. de Pitaval. Elle est singuliere,
C'est une Dame qui raconte ses foiblesses à une
de ses amies. Elle represente une aventure où elle
se trouva au bord du précipice , elle n'y tomba
pourtant point. L'Auteur a fait de grands efforts
pour dépeindre cette situation ; il a voulu la bien
exprimer , en se refusant pourtant à des images
dangereuses. J'ai remarqué qu'il a tâché dans le
morceau d'Histoire qu'il a rapporté , d'y mettre
les du stile ,
graces
la surprise que Chaïs voulut
faire à Xenocrate ; les deux avantures de Stratonice
en fourniront la preuve. Au reste il rentre
zoujours dans son dessein de rapporter plusieurs
bons mots , plusieurs traits vifs. Voilà ce que j'ai
observé en lisant le premier volume.
J'oublie la Préface , par où je devois commencer
; il y fait l'histoire de ses Ouvrages et de ses
critiques. Il donne des coups de dents à ses Censeurs.
Il regne dans ce Prélude un badinage qui
garantira le Lecteur de l'ennui attaché aux Préfaces.
MARS.
1731. 565
A la tête du second tome il y a des traits d'his
toire qui finissent par plusieurs applications heu
reuses de Vers de Virgile. Ce second volume ,
ainsi que le premier , est varié par des traits
d'histoire choisies et par diverses Poësies. On y
voit le portrait d'un Sçavant ridicule , qui est
assez réjouissant . M. de Pitaval a travaillé ce
Portrait d'histoire , ou plutôt le Roman de la
Comtesse de Châteaubriant , qui est de sa façon,
orne ce second volume. Il a fait un Parallèle de
l'Héroïque de Virgile, traduit par M. de Segrais ,
avec le Burlesque de Scarron . Cela forme un contraste
assez plaisant . On trouvera encore dans ce
volume une ou deux historiettes, qu'on soupçonera
facilement être sorties de la plume de M. de Pitaval.
Il n'a rien oublié pour mettre dans son
Livre une grande variété ; si l'uniformité est la
mere de l'ennui , la variété doit être la mere du
plaisir . Ainsi on peut dire que M. de Pitaval a
voulu s'attacher uniquement à la voie de plaire à
son Lecteur.
Le troisiéme Tome est assez dans le goût du
second ; on y voit plusieurs traits d'Histoire
mêlez de Poesies. Il y a une Historiete qui
est sans doute de lui ; elle pourra avoir des Censeurs
qui soutiendront qu'elle pêche contre la
vrai- semblance. On trouve dans ce Volume une
Critique de l'Amour Métaphisique de Madame
de L ***. Il paroît que M.de Pitaval estime beaucoup
cette Dame qu'il critique . On trouvera encore
dans ce volume un Parallele de deux Poëtes ,
dont l'un ne remerciera pas M de Pitaval. Chaque
Volume est terminé par des Vers de l'Auteur.
C'est une transition Poëtique du premier au second,
du second au troisième , qui finit par 1112
adieu en Vers, Ces Volumes , à tous égards ,
GY On
566
MERCURE
DE FRANCE
ont plus droit de plaire au Lecteur que ceux que
l'Auteur a déja donnez dans ce genre.
Pierre Humbert , Libraire à Amsterdam , a
imprimé et débite l'Histoire de la Guerre des
Hussites et du Concile de Bâle , Enrichie de Portraits
et de Vignettes à la tête de chaqué Livre,
qui en representent les principaux Evenemens ;
par M. Lenfant. 2 Vol. in 4. Il débite aussi les
Histoires des Conciles de Pise et de Constance
du même Auteur, 4 vol. in 4.enrichis de 38 Por◄.
traits Il vendra ces Ouvrages , avec et sans
Portraits, à ceux qui voudront les avoir.Ayant
appris qu'on lui contrefaisoit actuellement à Paris
, l'Histoire du Concile de Bâle , dont on retranchoit
les Vignettes , et peut- être bien autre
chose. Il avertit le Public qu'à quel prix qu'on
donne cette Edition contrefaite , il donnera la
sienne à beaucoup meilleur marché, et en feræ
de même de tous les Livres qu'on lui contreferd.
/ J F. Bernard , travaille à donner une nouvelle
Edition des Oeuvres de Rabelais , enrichie et
augmentée de nouvelles notes , avec les figures de
Picart , en 3 vol in 4 , et 6 in 8. aussi propre et
aussi belle qu'il soit possible. Il en publiera dans
peu le Projet, et donnera dans 4 mois les Imaget
des Héros et des Grands Hommes de l'antiquité
, dessinées et gravées par Picar: ; et à la
la fin de l'année , le tome 5. des Ceremonies Religieuses
, &c. contenant les Grecs , les Lutheriens
les Anglicans et les Calvinistes ; tous
dessinés par Picart . Il avertit ainsi qu'il ne lui
reste encore que quelques Exemplaires des 4 premiers
vol . en grand Papier, figures choisies et du
premier tirage. On trouve aussi chez ledit Bernard,
MARS. 1731 .
567
mard les cent Nouvelles , nouvelles , en 2 vol.8.
avec les fig. dessinées par Romain de Hooglie","
celebre par ses desseins .
MEMOIRE Communiqué aux Auteurs du Mercure
, par le R. P. Michel le Quien , de l'Ordre
de S Dominique , au sujet d'une Histoire Ecclesiastique
de l'Orient , &c.
L'Ouvrage que je me propose de donner au Public
aura pour titre : Oriens Christianus et Affrica,
ou Ecclesia Orientalis et Affricana.
C'est une collection de tous les Evêques d'Orient
et d'Afrique , dont on a pû avoir_connoissance
, après une recherche exacte dans toute
sorte de Livres , imprimez et manuscrits . Il est de
même genre que tous ceux que nous avons pour
l'Occident , sous le titre de Gallia Christiana ,
Italia sacra , Anglia sacra
, Loc.
Il est distribué *par Patriarcats pour l'Orient ,
et comprend par conséquent les Patriarcats de
Constantinople
, d'Alexandrie , d'Antioche et de
Jérusalem , avec leurs dépendances.
Le Patriarcat de Constantinople contient quatre
grands Diocèses , celui du Pont , de l'Asie ,
de la Thrace , et de l'Illyrie Orientale.
Chaque Diocèse de chaque Patriarcat est divisé
en Provinces , et chaque Province en Eglises
particulieres. Les Evêques sont placez chacun à
leur Siége ; leur temps et ce qu'on a trouvé qui
les regarde , est marqué exactement , en citant les
Livres et les endroits dont on l'a tiré.
Au Diocèse du Pont est jointe l'Eglise d'Arménie
et celle d'Iberie ; et celui de Thrace est suivi
'du Patriarcat de Russie ou de Moscovie.
Au Patriarcat d'Alexandrie , aussi divisé et
Provinces et Eglises particulieres , est jointe P'Eglise
d'Ethiopie , dont je donne la succession des
G vj Métro
68 MERCURE DE FRANCE .
*
Métropolitains , comme aussi celle de Nubie.
Outre les Patriarches , Métropolitains ex Evê
Grec
ques du Patriarchat ortodoxe , Melchite ,
d'Antioche,je donne les Patriarches et les Evêques
Jacobites de Syrie et de Mésopotamie,distribués de
la même maniere. J'ajoute ensuite le grand Diocèse
des Caldéens ou Nestoriens , qui comprend
une partie de la Mésopotamie , la Babilonie ,
l'ancienne Assyrie , toute la Perse et les Indes ,
jusqu'à la Chine. Un très grand nombre d'Evêques
de tous ces païs- là dont je parle, sont placez
chacun à son Eglise particuliere.
Je donne , outre cela , les Evêques Latins qui
ont occupé les Siéges de l'Orient depuis le commencement
des Croisades . Ils sont distribuez
dans les Eglises des trois Patriarcats de Constantinople,
d'Antioche et de Jerusalem, et enfin ceux
qui ont fondé et gouverné diverses Eglises , dans
les Païs d'Orient les plus reculez , jusqu'à la
Chine , pendant le xiv siécle.
-
Les successions,sur tout des Patriarches de Constantinople
, d'Alexandrie Copte , d'Antioche-
Grecque ou Melchite , de la Secte Jacobite et de
Jérusalem , sont complettes jusqu'aujourd'hui ,
aussi- bien que celles des Catholiques ou Patriar
ches d'Arménie et des Nestoriens ; celles de ceux
d'Alexandrie , d'Antioche et de Jerusalem sont
incomparablement plus amples et plus exactes
que toutes celles qui ont paru jusqu'icy.
Pour ce qni est des Patriarches d'Alexandrie ,
Melchites ou Grecs , il m'en manque un nombre
qui peut monter à 15 ou 16 , mais j'espere les
remplir par les instructions qu'on me fait esperer
du Païs même,
L'Eglise d'Afrique , dont Carthage étoit la
Primatiale , suivra celle d'Orient. Les successions
m'en sont pas longues ; mais tous les Evêques
dont
MARS. 1731. 569
1
dont on peut avoir la connoissance , sont distribuez
de même , et chacun placé à son siege.
La succession des Evêques de Carthage est assez
ample , il m'en manque seulement quelques- uns
des derniers qui ont précedé l'invasion des Sarrasins
et ceux qui l'ont suivie , mais je ne desespere
pas de les avoir.
Outre la Préface generale pour tout l'Ouvrage
, il y aura à la tête de chaque Patriarchat et
de chaque Diocèse , une Dissertation dans laquelle
sont expliquez ses commencemens , ses
progrès , son étendue , ses changemens , sa discipline
particuliere , l'autorité et la Jurisdiction
du Patriarche ou de l'Exarque , &c.
A la tête de l'Ouvrage on mettra diverses Notices
des Patriarchats et des grands Diocèses , et
ensuite une Notice generale de tous les Sieges
dont il est fait mention dans l'Ouvrage. Il y
aura huit ou dix Cartes Géographiques pour
tous les Diocèses , dressées et gravées avec soin.
L'Ouvrage contiendra deux Volumes in folio.
On nous a écrit de Nîmes au mois de Février
dernier , que le 25. Janvier le Professeur de Rhéthorique
du College des Jesuites de cette Ville ,
avoit eu l'honneur de prononcer un Discours
Latin sur la Naissance du Duc d'Anjoù , dans
l'Eglise du même College , en presence des Etats
Generaux de cette Province , assemblez à Nîmes ,
et que l'oeconomie du Discours et l'éloquence de
P'Orateur , y furent fort applaudis par cette illus
tre Assemblée .
On apprend de Lisbonne,qu'on y lût au commencement
du mois dernier dans l'Académie Royale
de l'Histoire,une Lettre de Dom Jean de Saldanha
de Gama , Viceroy des Etablissemens Portugais
dans les Indes Orientales , par laquelle il donne
part
570 MERCURE DE FRANCE.
part d'une découverte qu'il a faite dans ce Païs- là.
Dans une petite Inle du Golfe Persique , connue
sous le nom de Lareca , et peu éloignée de l'Ifle
d'Ormus , il y a une ancienne Mosquée ; et le
bruit couroit depuis long- tems parmi les Mahometans
de ce Pais qu'on avoit déposé dans cette
Mosquée certains Trésors que personne ne pouvoit
en tirer sans s'exposer à mourir subitement.
Des Portugais doutant de cette tradition populaire
, voulurent la verifier au commencement de
l'année derniere , et ils trouverent dans la Mosquée
deux petites Caisses remplies de Manuscrits
anciens écrits tant en Langue Arabe qu'en
Langue Persane : ils les porterent au Viceroi
qui les a fait examiner , et on a trouvé que les
uns traitent de la Medecine , et les autres de
l'Histoire ; que les premiers qui ont plus de
mille ans d'ancienneté , sont d'une trés - belle
écriture. Le Viceroi en fait faire des Extraits
pour les envoyer à l'Academie..
PHE'NOMENES SINGULIERS,
vûs à Briançon en Dauphiné. Extrait
de Lettre.
E 8. Février , immédiatement après une tem-
Lpête ,et un vent épouvantable , il tomba une
quantité prodigieuse de neige , et à l'entrée de la
nuit le Ciel parut tout en feu par des éclairs si
vifs et si fréquens , que les yeux étoient également
éblouis et étonnez , en même tems qu'on étoit
frappé de terreur par le bruit horrible du tonensorte
que les Habitans de ce Païs les.
plus âgez et les Troupes qui étoient en Garnison ,
ont assuré que de mémoire d'homme on n'avoit
vûun spectacle si effraïant , ni entendu un bruit
si capable d'épouvanter.
nerre ,
Dans un Fort , nommé les Trois Têtes , contigu
MARS. 1731. 575
"
tigu à la ville de Briançon on apperçut huit
Phenomenes singuliers , aiant la figure de gros
flambeaux ardens , dont deux étoient placez à
droit et à gauche sur les chaînes du Pont-levis ;
deux autres étoient sur la Chapelle , deux sur le
Magazin des Vivres , et les deux derniers sur les
Cazernes;ces huit lumieres ou especes de globes de
feu ne parurent que pendant un bon quart d'heure. -
On prétend qu'il en parut un neuvième , qu'un
Sentinelle assura avoir vu positivement au bout
de son fusil , mais cela n'a pas été confirmé , parce
qu'il n'a pas été vû par d'autres dans ce même tems..
A un autre Fort de la même ville de Briançon ,
on apperçut un autre Phénomene en forme d'un
Dragon volant , qui se fixa au - dessus des Cazernes
de ce Fort ; on fit prendre les Armes à la
Garnison , composée de neuf Compagnies du
Régiment Dauphin , Infanterie , on essaïa , mais.
en vain de le dissiper par plusieurs coups de fusil
qu'on tira. Le Dragon resta constamment dans
sa place depuis sept heures du soir jusqu'à minuit,
pendant lequel temps il jetta une lumiere si éclatante
, que tout le Fort en fut éclairé , assez pour
le voir distinctement de loin , et même pour lire
très- aisémene ; ensuite le Dragon quitta sa place
et d'un mouvement grave il descendit par-dessus
le premier Fort des Trois Têtes , et on le suivit
des yeux jusques dans un Valon où il disparut.
M. le Comte de Feuquiere se plaint que dans
le Livre des Memoires sur la Guerre , que fen
M. e Marquis de Feuquieres on frere , avoit
fait il y a 25. ans , sans vouloir qu'il parût jamais
, et qui viennent d'être imprimez à Paris
sur une copie volée il y a des obmissions et des
alterations considerables qui défigurent.cet Ouvrage
, et qui feroient tort à la memoire de
M. de Feuquiere, dans l'esprit des Connoisseurs
EX572
MERCURE DE FRANCE
EXTRAIT d'une Lettre de Rouen le
Février 1731. an fujet de quelques Infectes
trouvez dans des Legumes , & c.
T
à
Rouvez bon que je vous fasse part d'un fait
assez singulier , et qui cause bien du dommage
nos Laboureurs ; c'est une vermine dont
se trouvent infectez les Pois de nos Cantons , er
dont on ne s'apperçoit que quand ils sont cuits.
Je viens d'en ouvrir sept ou huit dans lesquels
j'ai vu une espece de Mouche noire de la grosseur
d'un grain de Bled , peu près semblable
àune grosse Mouche que nous voïons en Eté er
que nous nominons Cerfvolant. Les Pois cruds
n'ont aucune marque par où on puisse s'appercevoir
s'ils en sont attaquez , mais quand ils sont
près du feu et qu'ils commencent à s'échauffer ,
ces Mouches qui sentent la chaleur percent le
Pois et en sortent ; on m'a dit que l'année passée
il y eut un Canton du païs de Caux où les Pois
se trouverent remplis de cette vermine que plusieurs
personnes qui en mangerent en furent trèsmalades
, que quelques -uns même en moururent,
Comine je ne le sçai que par oui dire , je ne puis
vous assurer ce dernier fait. Ce qu'il y a de cer-.
tain , c'est que cette année tous les Pois en general
sont attaquez de ces Mouches.
L'Estampe que nous avons déja annoncée du
Portrait historié de la De Camargo , premiere
Danseuse de l'Opera, est en vente, et le grand débit
qu'on en fait , prouve l'applaudissement du
Public .On lit ces quatre Vers au bas de la Planche,
Fidelle aux loix de la cadence ,
Jeforme augréde l'art les pas les plus hardis.
Ori
MARS. 1731. 573
Originale dans ma danse ,
Je puis le disputer aux Balons , aux Blondis .
Deux nouvelles Estampes qui paroissent depuis
peu , sont très - capables de soutenir et d'augmenter
la réputation des Peintres et des Graveurs
François. Les sieurs Charles Coypel et Lepicier ,
en sont les Auteurs. La premiere est d'après un
Tableau en hauteur , du Cabinet du Comte de
Morville; l'ingenieux Peintre y a répresenté l'Amour
Précepteur , sous la figure d'un jeune Doc
teur , gravement assis , qui explique l'Art d'aimer
à une petite fille , d'autres petites personnes
écoutent et étudient leurs leçons. Cette pensée est
excellemment renduë par des expressions fines et
naïves , par des attitudes et par des ajustemens
aussi galans que modestes. L'habile main qui a
gravé ce Morceau , n'a rien laissé desirer aux
Connoisseurs les plus délicats . C'est une touche
tendre , précise , legere et une entente admirable .
On lit ces quatre Vers au bas .
1
L'airgrave que je fais paroître ,
Belles , ne doit point allarmers
Il caracterise le Maître ,
Et ne le fait pas moins aimer.
La seconde Estampe représente une gracieuse
Veuve dont la Toilette n'est pas fort chargée ,
aussi ses appas sont- ils très- naturels , sans la
moindre pincée d'art ni de coquetterie. Elle rêve
devant son Miroir , dont la glace ne court aucun
risque d'être cassée. On lit au bas.
Entre deux mouvemens sans cesse partagée ,
La Veuve en cet instant les exprime à la fois :
LA
574 MERCURE DE FRANCE.
L'un est la liberté de faire un nouveau choix ,
L'autre la peur d'étre changée, í
Le 23. du mois passé M. Vanloo , Peintre
'Histoire , Agregé de l'Académie Royale de
Peinture et de Sculpture , y fut reçû , et donna
pour sa réception un grand Tableau représentant
Diane et Endymion , qui fut generalement approuvé
, et que quantité de Curieux vont voir
avec plaisir.
On écrit de Rome qu'on exposa le 18. du mois
dernier dans l'Eglise de Saint Pierre , le beau Ta--
bleau en Mosaïque , copié par le Cavalier Pierre
Paul Chriftoferi , d'aprés le Tableau Original de
sainte Petronille , peint par le celebre Guarcino
d'Acento , Disciple des Carraches.
On nous a envoïé de Lyon une grande Estampe
qui y a été gravée depuis peu par le sieut
André Houat , d'aprés un dessein à la plume
du Chevalier de Serre , représentant Ariane et
Bacchus. C'est une fort belle et fort riche com
position
LA
SUITE des Medailles du Roy.
A derniere Médaille qui a été frappée pour le
Roy et dont nous donnons ici la gravure ,
fût présentée à S. M. le premier jour de cette Année.
D'un côté on voit la Tête de cet Auguste
Prince couronnée de Laurier , avec la Légende
ordinaire. Nous avons déja donné cette face. Et
sur le revers la France assise et caracterisée par
ses Attributs , tient sur son bras droit LE DUC
' ANJOU , et embrasse de l'autre le DAUPHIN
qui
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
ARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
MARS. 173.1. 575
qui est représenté debout entre ses genoux. Legende
NovUM PERENNITATIS PIGNUS et dans
l'Exergue Dux ANDEGAVENSIS NATUS XXX.
AUGUSTI M. DCC . XXX.
XXX*XXX:X:XXXXX : XX**
CHANSON A BOIRE.
Q
Uel spectacle effraïant pour mon ame épera
duë !
La flâme par Sillons se répand dans les airs ;
Les flots sortis du sein des mers
Sur les aîles du vent s'élancent dans la nuë :
Où fuir Amis courons dans nos caveaux 2
C'est un azile sur quand le tonnerre gronde ;
Vainement il s'obstine à foudroyer le monde ,
Bacchus sçait à ses coups dérober les tonneaux..
SPECTACLES.
Es Comédiens François répresente-
LE
rent le premier de ce mois à la Cour,.
la Comedie du double Veuvage , du feu
sieur Dufresni , et la Comedie nouvelled'Alcibiade,
qui firent beaucoup de plaisir ..
Le 6. la Tragedie de Polieucie , et la petite
Comedie du Deüil.
Le 8. Alcibiade et le double Veuvage .
Le 17. ils donnerent pour la clôture de
leur
576 MERCURE DE FRANCEfeur
Théatre , la Tragedie d'Absalon ;
qui fut bien représentée et fort goutée
par une nombreuse Assemblée. Le sieur
de Montmenil fit un Compliment au Public
, qui fut fort bien reçû .
L'Académie Royale de Musique donna
le s . Mars et le 10. jour de la clôture
du Théatre , deux Représentations de
l'Opera de Thesée , pour les Acteurs
comme cela se pratique toutes les années ;
la Dlle Petitpas chanta une Ariette Italienne
, et la De Camargo dansa à la fin les
caracteres de la Danse avec toute la vivacité
dont elle est capable. On prépare
l'Opera d'Idomenée de M. Campra , pour
être donné à l'ouverture du Théatre.
Le 3. les Comediens
Italiens
représenterent
à la Cour l'Embarras
des Richesses
et le Retour de Tendresse
.
Le 9. ils représenterent à l'Hôtel de
Bourgogne Sanson et la Parodie de Phaeton
, pour la clôture du Théatre ; la De
Thomassin fit le Compliment qu'on fait
ordinairement toutes les années , lequel
fut reçû favorablement.
Le 10. ils jouerent à la Cour la Surprise
de l'Amour et l'Horoscope accompli.
Dile Marguerite Rusca , Epouse du sieur
Thomassin , originaire de Boulogne , l'une
MARS. 1731. 577
ne des Comediennes Italiennes de l'Hôtel
de Bourgogne , connue sous le nom
de Violetta , mourut le dernier Fevrier ,
âgée d'environ 40. ans , après une longue
maladie. Elle joüoit ordinairement dans
les Comedies Italiennes les Rôles de Suivantes
, avec beaucoup de feu. Elle a été
inhumée à S. Laurent sa Paroisse , après
avoir reçû tous ses Sacremens.
LE BOLUS , PARODIE DU BRUTUS.
Par Mr Dominique et Romagnesi , Comédiens
du Roi , représentée le 24. Janvier
dernier , .& c. A Paris , ruë de la
Harpe , chez L. D. Delatour , 1731 .
Nous sommes dispensez de nous arrêter
sur cette Piece, en ayant donné un Extrait
fort étendu dans le Mercure de Février.
1
ARLEQUIN PHAETON , Parodie ,
&c. par les mêmes Auteurs , et chez le
même Libraire , 1731 .
Cette Piece fut donnée sur le Théatre
de l'Hôtel de Bourgogne le 22. Février
et très -favorablement reçûë du Public.
Le Théatre représente la Mer dans le
fond , Libie ouvre la Scene par ces Vers
parodiez , sur l'Air : Ici sont venus ex
personne.
Heureuse une ame indifferente !
Le bonheur dont j'étois contente ,
Le
378 MERCURE DE FRANCE
Ne me sera-t'il point rendu ?
Dans ces beaux lieux tout est paisible .
Helas ! que ne m'est -il possible ,
D'y trouver ce que j'ai perdu !
C'est un petit coeur ingenu ,
C'est un coeur sincere et fidele ,
Dont je n'avois plus de nouvelle.
Quand une fois l'Amour le prend ,
Jamais le traitre ne le rend.
- Théone s'étonne de voir Libie seule et
rêveuse ; celle-cy lui dit qu'elle vient rêver
aussi en ce lieu , et qu'il est à présumer
qu'elle aime ; oui , lui répond- elle ,
je n'en fais aucun mistere.
Il faut aimer pour éprouver ,
Le plaisir de rêver.
Avoüez , ajoûte- t'elle , que vous en te
nez aussi bien que moi ; sur le Chant de
Opera :
Le Fils de Jupiter vous aime.
Libie.
Je ne serois qu'à lui s'il n'étoit qu'à moi-même.
Vous êtes plus heureuse que moi , contiñue-
t'elle , le fils du Soleil vous plaît .
vous joüissez d'un plein repos. Toutes deux.
Ah !
MARS.
1731. 379
Ah! Madame Enroux ,
>
Que l'Amour est fou ,
Et qu'il fait de folles !
Ah ! Madame Enroux ,
Combien de paroles ,
Ici perdons nous ?
Phaeton arrive tout rêveur. Vous passez
sans me voir , lui dit Théone , craignez-
vous ma presence ? Non , répond- il,
je cherche la Reine , ma Mere. Le bon
enfant , dit Théone. Est - il deffendu de
chercher sa mere , ajoûte Phaeton ? Oui ;
c'est sa Maîtresse qu'il faut chercher.Voilà
une Maîtresse , reprend Phaeton , qui
m'embarrasse autant qu'une femme. Il
affecte beaucoup d'indifference , et voyant
venir sa mere , il dit sur l'Air de l'Opera.
La Reine tourne ici ses pas.
Théone.
C'est bien répondre ; allez , ne vous contraignez
pas.
A la quatriéme Scène , Climene arrive
qui demande à son fils le sujet de son
chagrin , il lui répond que le Roi va se
choisir un Gendre qui doit succeder au
Trône; qu'Epaphus en brigue l'honneur, et
quece sont là les motifs de sa tristesse. Il
no
580 MERCURE DE FRANCE.
ne faut pas être envieux , lui répond Cli.
mene , mais il y a une chose qui m'embarrasse
, ajoûte Phaeton . Le Soleil est
mon pere , n'est- ce pas ? Oüi vraiment ,
répart Climene. Phaeton chante sur l'Air
Vous avez bean faire la fiere.
Comment avez- vous pu faire
Pour engager votre foi
Et de vous ma chere mere
>
Que pensé notre bon Roi ?
Avez-vous passé pour neuve ,
Dans l'esprit de ce butord .
Climene.
Il m'a prise comme veuve.
Phaeton.
Mais le Soleil n'est
pas
mort.
Tout cela me chicanne ; taisez-vous
lui dit Climene , vous êtes un épilogueur.
Prothée va venir ici avec ses Moutons
er je veux le consulter sur ce qui vous
regarde ; retirez-vous. Prothée chante ;
Air de M. Mouret.
Heureux qui peut sur les bords de la Seine ,
Se promener sans rien risquer ;
Heureux ceux que l'espoir d'une amoureuse an
baine ,
Ne force point à s'embarquer.
Dangere
ZWA
NOVUM
BRENNITATS
DUX
ANDEGAVENS NATUS
XXXAUGUSTI
M DCC XXX
PIGNUS
B
MARS.
581
1731.
Dangereux en est le voyage :
Jeunes Amans , craignez l'orage ,
Qui vous fait quelquefois ,
Faire nauffrage ,
A Javelle , au Port à Langlois,
Prothée s'endort. Climene dit à sea
frere Triton , qu'il faut l'obliger à s'expliquer
sur le sort de Phaeton . Triton
sur l'Air, A nos voix unissez vos Hautbois.
Bondissez ,
Petits Agneaux , paisser
Sur ces Rivages ;
Vous, Oiseaux ,
Vous , Chalumeaux ,
Et vous , murmure des Eaux ,
Vous , Feuillages ,
Vous , Ombrages ,
Vous , badins Zéphirs ,
Qui rimez à plaisirs ,
Vous , charmans Bocages ,
Vous , tendres desirs ,
Amoureux Soupirs ,
Et Sornettes
Qu'on a faites ,
Depuis si long-temps ,
Qu'on remet tous les ans ,
Dans les Chansonnettes ,
Remplissez nos Chants.
H Prothée
$82 MERCURE DE FRANCE
Prothée s'éveille , en disant qu'il est -eharmé
de cette Musique , mais que son
Troupeau s'égare , et qu'il ne peut rester
davantage; Triton et ses Suivans l'arrêtent
; il se change successivement en Arbre
, en Asne et en Cochon , en vendeur
de Ptisanne , et en pluye de feu ; ensuite
il paroît sous sa forme ordinaire , et se
voyant obligé de parler , il chante ce qui
suit , sur l'Air de l'Opera.
Puisque vous le voulez , je romprai le silence ,
Le sort de Phaeton se découvre à mes yeux :
Dieux ! que d'argent ; quel monde, ô Dieux !
Il ne doit son succés heureux ,
Qu'à sa magnificence , &c .
Phaeton demande à Climene , dans la
septiéme Scene , ce qu'a dit Prothée ; que
vous mourrez bientôt , lui répond Climene.
Adieu , mon fils , j'espere que
l'amour de Théone l'emportera sur l'ambition
. Phaeton chante sur l'Air , Je suis
Mousquetaire , moi.
He! quoi ! ma mere au besoin m'abandonne.
Climene.
Théone à votre foi.
Phaeton.
Je n'en veux plus ; la gloire me talonne ;
J'aime mieux être Roi.
Climene.
MARS. 1731. 583
Climene.
Mais vous mourrez, si vous montez au Trône.
Phaeton en pleurant.
Je veux la Couronne ,
Moi ,
Je veux la Couronne.
Dans la Scene suivante , Epaphus dít
à Libie , que le Roi vient de lui donner
son congé , et qu'un autre la possedera.
Ils chantent le Duo suivant sur
l'Air , Vendôme.
Que mon sort seroit doux ,
Si je passois avec vous ,
La vie , la vie.
Merops , suivi des Rois Tributaires ,
déclare qu'il a fait choix de Phaeton pour
lui succeder , et qu'il lui accorde Libie.
Il chante sur l'Air , du Mirliton.
De ma fille qu'il demande ;
Volontiers je lui fais don ;
De tous côtez qu'on entende ,
Retentir cent fois le nom ,
Du grand Phaeton ,
Mirliton , mirlitaine ,
Du grand Phaeton , ton , ton.
Après les Chants et les Danses , Théo-
Hij
84 MERCURE DE FRANCE.
ne arrive , et fait des reproches à Phaeton
sur son infidelité. Elle chante sur l'Air ,
La charmante Catin me desespere.
Vous aimez la Princesse à la folie ,
Et votre coeur perfide enfin m'oublie
Oui , l'Amour vous transporte ,
Et vous livre à ses appas.
Phaeton.
Non , le diable m'emporte ,
L'Amour ne s'en mêle pas , la , la :
Je n'épouse que ses ducats.
Theone se retire en pleurant. Phaeton
va rendre hommage à la Déesse Isis , et
se persuade qu'elle le recevra à merveille ,
puisqu'elle est la mere de son Rival ;
mais lorsqu'il veut entrer , une Furie
sort du Temple pour l'épouvanter , &c .
Epaphus en sort , et lui demande ce qu'il
prétend ? Epaphus sur l'Air , Ami , ne
parlons plus de guerre. ·
Votre attente sera trompée ,
Phaeton ;
Ca, commençons
Par ôter chacun notre épée ,
En bons poltrons.
Ils ôtent leurs épées ; Phaeton continuë :
Voilà nos mesures bien prises ,
Et
MARS . 1731.
Et nous pouvons ,
Nous dire toutes les sottises ,
Que nous voudrons.
Sçavez- vous bien que Jupiter est mon
Pere , lui dit Epaphus ; et qu'est- ce que
cela me fait ; le Soleil est le mien , répond
Phaeton . Epaphus : Air , Oniche , ouiche ,
et ouida.
Le grand Jupiter est mon Pere ,
Tout le monde sçait cela ,
Pour vous on ne vous connoît guere.
Phaeton.
Le Soleil est mon Papa.
Ah , ah ,
Epaphus.
ah.
Votre Mere vous dit cela ,
Mais elle triche .
Quiche , ouiche ,
Et ouida.
Ils reprennent leurs épées à la fin de la
Scene , et se font de grandes réverences .
Phaeton en pleurant dit à Climene , qui
entre :
Ah ! ma mere ,
A ce que dit Epaphus ,
bis,
Le Soleil n'est pas mon pere.
Ah ! ma mere. bis.
Hiij Quelle
586 MERCURE DE FRANCE
Quelle insolence , s'écrie Climene. Phaeton
chante sur l'Air : A la Foire , à la
Courtille.
Qu'ici votre coeur s'explique :
Confondrons-nous les jaloux ?
La chose est problématique ,
Car on trompe tant d'Epoux !
Dites ma mere ,
N'auriez-vous point , entre nous ,
Trompé mon pere.
Climene lui assure que le Soleil est son
pere. Vous n'en douterez plus , petit incrédule
, ajoûte-t'elle , voilà une voiture qu'il
vous envoye pour vous conduire à son
Palais. Un vent emporte Phaeton sur
ses épaules. Phaeton : Air , des Fraises.
Mon triomphe éclatera ,
De l'un à l'autre Pole.
Climene.
Partez , mon fils.
Phaeton.
M'y voilà.
Je vole , je vole.
Le Théatre change à la quatorzieme
Scene , et représente le Palais du Soleil ;
cette décoration est une des plus brillantes
MARS.
1731. $87
tes qu'on ait encore vûë sur le Théatre
de l'Hôtel de Bourgogne . Le Soleil représenté
par Trivelin , paroît assis sur
un Trône éclatant ; les heures du jour
forment un Divertissement très -gracieux,,
dont M. Mouret a composé la Musique ; .
Phaeton arrive dans le Palais..
Le Soleil l'embrasse , en lui disant qu'il
le reconnoît pour son fils. Phaston : Air
Marote fait bien la fiere.
Puisqu'il m'est permis , mon pere ,
De vous appeller ainsi ,
Faites donc taire ,
Le témeraire ,
Qui dit que ma mere
En a menti.
Le Soleil.
Quelle langue de vipere !
Que le monde est perverti !
biss
Tu n'as , mon fils , qu'à me demander tout
ce que tu voudras , je te l'accorderai , continue
le Soleil.
J'en jure par le Stix , effroïable serment ,
Que ne pourroit pas même enfraindre un Bas
Normand.
Phaeton : Air , Diogene en son tonneaus .
Dans votre beau chariot :
Hiiij Le
588 MERCURE DE FRANCE
Le Soleil.
4
Oh ! oh !
Phaeton.
De l'Orient jusqu'à l'Ourse ,
Je voudrois bien au grand trot :
Le Soleil.
Oh ! oh !
Phaeton.
Faire une petite course.
Le Soleil.
Diablezot ;
L'entreprise est trop témeraire.
Phacton.
Hé bien ! je n'irai , mon cher
Que de Paris à Chaillot :
Le Soleil.
Oh ! oh ! oh !
perc
Vous tomberez comme un sot.
Phacton lui dit qu'il ne peut plus s'en
dédire , pui qu'il a juré par le Seix enfin
le Soleil consent qu'il conduise son char;
Phaeton sort en s'applaudissant de son
bonheur.
Le Théatre change ; le Soleil paroît à
la
MARS. 1731. 589
la 15. Scene. Climene , Merops et leur,
suite chantent sur l'Air de l'Opera :
Que tout chante , que tout réponde &c.
Climene continuë sur l'Air : Oh reguingué
!
Mon fils éclaire ses jaloux ;
C'est lui qui brille aux yeux de tous.
Merops.
Par quel Courier le sçavez -vous ?
Pour moi je ne sçaurois le croire.
Climene.
On l'a vu de l'Observatoire.
Theone arrive en pleurs , et annonce à
Climene et à Merops que son pere Prothée
lui a dit que Phacton alloit périr ; aussitôt
des flammes se répandent dans les airs .
Phaeton paroît dans le Char du Soleil ;
Jupiter descend , et le foudroye en chantant
::
Malheureux , quel dégat tu fais !
On ne pourra plus boire au frais ;
Culbute , culbute à jamais..
Phaeton trébuche avec son Char ; co
qui finit la Parodie.
Le Palais du Soleil dans la décoration
Hv dont
590 MERCURE DE FRANCE
dont nous avons parlé , est en general d'un
ordre composite , et construit sur un
nombre de magnifiques colonnes isolées et
de pilastres , faisant corps avec les mêmes
colonnes , élevées sur des piédestaux ,
qui supportent entre elles les saillies d'une
riche corniche architravée , sur laquelle
s'éleve le plafond ceintré , désignant sur
les cotés un nombre d'arcades ornées de
bas- reliefs allegoriques et historiques. Au
bas des arcades , immédiatement sur la
corniche on voit de grandes consoles
qui soutiennent des festons de laurier et
d'olivier. Au milieu du plafond est un
percé en rond , qui découvre un Altique ,
où les Signes du Zodiaque sont représentés.
>
Dans le fond est un Salon de forme circulaire
, terminé en coupole , sous laquelle
est placé le Trône du Soleil , élevé de
plusieurs dégrés . Sur le devant il y a une
balustrade ornée de riches tapis avec
deux Grouppes de Génies tenant les Attributs
du Soleil .
ر
La partie du devant du Palais représente
une Gallerie en colonnes et pilastres
qui soutiennent les arcades. Dans les
trumeaux , sur des Piédestaux , sont placées
les Statuës du Soltice d'Eté et l'Equinoxe
du Printems sur des nuées ; le Soltice
d'Hyver et l'Equinoxe de l'Automne
sont sur le devant. Tous
MARS. 1731. 591
1
Tous les ornemens de l'Edifice , comme
Colonnes , Chapiteaux , Base , Piédestaux
, Corniche , Plafond et les Figures
sont en or , et toutes les parties ausquelles
sont adossées les Pilastres qui tiennent
aux corps solides et arrieres - corps , sont
en argent. On avoit placé des panneaux
de lapis aux frises de la Corniche , au
Plafond et aux Piédestaux qui portoient
les Figures et bas - reliefs simboliques , Trophées
et autres Attributs du Soleil . Les
Colonnes jusqu'au tiers de leur hauteur'
étoient enrichies par quantité de pierreries
de diverses couleurs , éclatantes , ainsi
que toutes les autres parties de l'Architecture
.
Cette ingénieuse et brillante décoration
est de M. Le Maire , qui en a donné
plusieurs que le Public a applaudies .
Le 19. Fevrier , l'Opera Comique don--
na la premiere Représentation d'une Piéce
, en un Acte , intitulée La Fausse Ridicule
, qui est fort goûtée et fort bien représentée
; la Dlle Le Grand y joue le principal
Rôle , et très bien. Voici un petit
précis de la Piéce .
Lucile est fille de M.et de Madame Jaques -
lin ; elle est promise par son pere à un Gentilhomme
de Province qui a un Château
et une Métairie , et qui ne prend une fem-
H VJ me.
592 MERCURE DE FRANCE
me que pour en avoir soin ; sa mere vcut
la marier à un Marquis qui cherche une
femme intrigante qui pourra contribuer
à le faire vivre plus à son aise , et Orgon,
Oncle de Lucile , vient lui annoncer qu'il
a donné sa parole à Dorante pour être son.
Epoux , sans quoi il desheritera sa niéce
à laquelle il ne laisse son bien qu'à cette
condition. Lucile est fort intriguée d'apprendre
de son pere ; de sa mere et de
son oncle qu'on veut la marier à l'une de
ces trois personnes qu'elle n'a jamais vûes..
Valere , qui est l'Amant aimé , est très allarmé
d'apprendre cette nouvelle , et
trouve le moyen de parler à Lucile ; il
voir ensemble ce qu'on pourra faire dans
cette cruelle , situation . Lucile rassure Valere
, et lui dit qu'elle trouvera bien le
moyen de se défaire de tous ceux que ses
parens veulent qu'elle épouse .
Dorante arrive le premier , et trouve
Lucile , à qui il dit qu'Orgon lui a donnésa
parole pour lui faire épouser sa niéce ;
Lucile prend un air de précieuse et de
ridicule dans toute la conversation qu'elle
á avec Dorante , lequel est tout à fait déconcerté
de trouver dans Lucile un esprit
si extraordinaire , et sort pour aller retirer
sa parole d'Orgon . Le Gentilhomme Campagnardvient
complimenterLucile sur son
futur mariage ; celle- ci affecte un air de
Coquete
MARS. 1731. 193
Coquete outrée › propose au Gentilhomme
de vendre son Château , sa Métairie
et tout le bien qu'il a en Province pour
venir le dépenser à Paris , qui est la source
de tous les plaisirs &c. Le Gentilhomme
aussi étonné que Dorante du caractere de
Lucile , la quitte pour s'en retourner
,
et va trouver M. Jaquelin , pour lui dire
qu'il ne veut plus de sa fille. Le Marquis
arrive enfin , et trouve Lucile qui prend
un air d'innocente
et d'Agnés dans tout
ce qu'elle lui dit ; la conversation
n'est
pas longue ; le Marquis en est si rebuté
qu'il quitte sa future pour aller dire à
Me Jaquelin qu'il n'en veut plus.
Le pere , la mere et l'oncle arrivent un
moment après , avec les trois futurs
Epoux , qui déclarent qu'ils ne s'accomodent
nullement du caractere de Lucile
, et se retirent . Valere survient pour
demander Lucile en mariage à son pere ,
à sa mere et à son oncle , on la lui accorde
sur le champ , d'autant plus que la famille
de Valere est connue de tous les
parens. On célébre le mariage de Lucilo
et de Valere par un Divertissement .
Le 3. Mars , l'Opera Comique donna
une petite Piéce nouvelle d'un Acte , intitulée
Isabelle Arlequin , dans laquelle la
Dule Le Grand a joué le Rôle d'Isabelle
déguisée en Arlequin d'une maniere fort
origi-
X
$94 MERCURE DE FRANCE
originale ; elle a été généralement applau
die par de très nombreuses assemblées.
Cette Piéce a été précedée d'un Prologue,
intitulé Le Badinage , de la Fausse Ridicule,
et des Amours de Nanterre. Ce Divertissement
a continué jusqu'au 17. jour
de la clôture de ce Théatre.
Dans cette Piéce d'Arlequin femelle
Eraste picqué par quelque dépit , quitte
sa Maitresse , et se retire chez Leonor
sa Tante , à une Maison de Campagne.
peu éloignée de Paris . Cette démarche
n'empêche pas que ces deux Amans
ne soient dans une vive impatience de
se revoir , ce qui détermine Isabelle
à se rendre chez Leonor , accompagnée
de son Valet Arlequin ; ne sçachant
comment faire pour voir son cher-
Eraste sans en être connue , elle prend
le parti sur le champ de prendre l'habit
d'Arlequin pour parler à Eraste , et pénétrer
par cette ruse si elle en est toujours
aimée.
”
Isabelle ainsi travestie , arrive chez Leo--
nor , où elle trouve d'abord Olivette aimée
d'Arlequin , et Suivante de Leonor
; le faux Arlequin la prie de lui .
faire parler à Eraste , envoyé , dit-il , de
la part d'Isabelle , sa Maitresse. Eraste ar
rive , et lui demande avec empressement
des nouvelles de sa chere Isabelle , ce Valet
MARS. 1731: 595
let ne manque pas de l'assurer qu'elle conserve
toujours pour lui l'amour le plus
tendre , et qu'elle est dans un mortel dé
plaisir de se voir éloignée de lui &c . Après.
cette conversation qui est fort comique
et fort plaisante de la part d'Arlequin ,
celui- ci dit enfin à Eraste qu'il a une Let
tre à lui remettre de la part d'Isabelle ;
l'Amant transporté de joye à cette nouvelle
, arrache la lettre des mains d'Arlequin
, et apprend enfin que le
la Lettre est Isabelle même. Elle dispaporteur
de
roit après l'avoir renduë. Voici à
peu près
ce que eette Lettre contient :
Jugez de l'excés de mon amour par l'extravagance
du parti que j'ai pris pour sçavoir
vos sentimens à mon égard ; présente
ment que j'en suis convaincuë , je retourne
à Paris , il ne tiendra qu'à vous de me suivre
& c. Eraste sort avec précipitation,
pour aller chercher sa chere Maitresse ..
Le mariage de Lucas , Jardinier de
Leonor , donne lieu au Divertissementqui
termine la Piéce.
NOU$
96 MERCURE DE FRANCE
X** X * X*XX**X **X * XX***
NOUVELLES ETRANGERES .
8.
TURQUIE, ET PERSE.
Ar des Lettres de Constantinople , arrivées le
Po. du mois dernier à Venise , on a appris qu'il
y avoit une suspension d'Armes entre les Turcs
et les Persans ; que le Traité de Paix entre ces
deux Nations seroit conclu dans peu , mais qu'on
croioit que c'étoit à des conditions qui renouvelleroient
la Guerre avec les Moscovites.
> Les mêmes Lettres portent qu'Ali -Patron
Chef et Auteur de la derniere Révolution , s'étant
présenté avec 200 de ses adherans à la porte du
Serrail pour avoir audience du Grand- Seigneur ;
on le renvoïa au lendemain , et qu'étant revenu
avec la même suite , on lui fit dire qu'elle étoit
trop nombreuse ; que cette démarche pourroit
être regardée comme séditieuse ; qu'elle donneroit
quelque soupçon au Sultan , et qu'il lui convenoit
, plutôt que de s'exposer à un nouveau refus
, de choisir dans le nombre de ceux qui l'accompagnoient
, quelques-uns des plus sages , et
que le reste demeureroit dans la premiere Salle .
Il suivit ce conseil après l'avoir rejetté d'abord
et aïant choisi six hommes de sa troupe , il fut
introduit avec les formalitez ordinaires . Il fit un
long discours plein de menaces , dans lequel il
avança entr'autres choses qu'il avoit lû dans l'Alcoran
que tous ceux qui rendoient un service signalé
à l'Etat méritoient de grandes récompenises
; qu'ayant élevé S. H. sur le Trône , il
roïoit lui avoir procuré le plus grand bonheur
du monde , et qu'il venoit pour recevoir le prix
MARS. 1731. 597
>
et le salaire de sa genereuse entreprise . Le Sultan
lui répondit qu'il avoit lû aussi dans l'Alcoran
que tout Rebelle devoit être puni de mort. Sur
quoi aiant mis le Sabre à la main et fait signe
aux Officiers qui l'environnoient , d'en faire autant
, on abbattit la tête d'Ali -Patron et les
autres Députés furent taillés en pieces , ainsi que
ceux de la suite d'Ali qui étoient restés dans la
premiere Salle. Les mêmes Lettres ajoûtent que
le G. S. avoit fait étrangler le nouvel Aga dés
Janissaires et 27. des plus séditieux.
Les Lettres venues par le Vaisseau du Capitaine
Bremond , arrivé à Marseille le 16. Mars
et dattées de Constantinople du 23. Janvier, portent
que le 22. du même mois le Grand- Seigneur
avoit déposé le nouveau Grand - Vizir ,
nommé à cette place par interim ) sur quelques
plaintes qui avoient été faites sur sa mauvaise administration
, et qu'Ibrahim Pacha ci-devant
Kiaia de Cuproglie , Bacha du Caire , avoit été
nommé Grand-Vizir.
RUSSIE.
>
Es Ambassadeurs de l'Empereur de la Chine
Larrives à Moscou , sont chargés de pleins
pouvoirs pour conciure un Traité de Commerce
entre les deux Etats. Les présens qu'ils ont apportés
consistent en Etoffes de soye et en Porce
laines des plus belles . Les difficultez que ces Ambassadeurs
avoient fait naître au sujet de leurs
prétentions , par rapport au Ceremonial , aïantété
reglées , ils firent leur entrée publique le 25 .
de Janvier dans l'ordre suivant.
Sept chevaux de main richement caparaçonnés
et conduits par autant de Palefreniers à cheval ,
commençoient la Marche , ils étoient suivis d'um
Timbalier et de quatre Trompettes marchant à la
tête
598 MERCURE DE FRANCE.
tête d'une Compagnie de Grenadiers du Régi
ment des Gardes de Preobazinski à cheval , de
huit Gentilshommes de Mongale , montés sur des
chevaux Tartares et armés d'arcs et de fleches ,
de huit Carosses à six chevaux des principaux
Seigneurs de la Cour , et d'un Carosse magnifique
de la Czarine, dans lesquels étoient les cinq
Ambassadeurs de l'Empereur de la Chine et les
trois Envoyés du Prince de Mongale qui composent
cette Ambassade.
3
2
Le Chef de l'Ambassade étoit dans le dernier-
Carosse , accompagné de M. Sibin , Président du
College des Mines ; des Officiers Chinois étoient
à cheval aux portieres de ces Garosses, qui étoient
suivis de douze chevaux de main , d'un pareil
nombre de Palefreniers , d'une Compagnie des-
Grenadiers de la Garde des Semenowski , et de
80. Traîneaux chargés des bagages des Ambassadeurs.
Ils furent salués d'onze coups de canon
à l'entrée de la Ville , et conduits dans les Hôtelsqu'on
leur avoit préparés , et dont tous les ap--
partemens étoient tendus de drap rouge. Le premier
de ces Ambassadeurs est Président du Conseil
des Affaires Etrangeres de la Chine ; Iss autres
sont des Mandarins de differentes classes.
POLOGNE .
'Envoyé des Tartares qui eut le 9. Eévrier à
Warsovie son audience de congé du Roi , partit
le lendemain après qu'on lui eut remis la Lettre
du S. M. en réponse à celle du Kam son
Maître. Le Roi lui a fait présent de trois Montres
d'or , de trois paires de Pistolets et d'un fort
beau Fusil : le Régimentaire de la Couronne lui
a aussi fait présent d'une Montre d'or et d'un
Habit ; et on lui a donné un grand Coffre avec
de magnifiques présens pour le Kam.
Le
MARS. 1731. 599
Le 21. l'Envoyé du Grand-Seigneur cut sa
premiere audience publique du Roi , à laquelle il
fut conduit par M. de Sollokub , Grand Veneur
du Duché de Lithuanie, Le Roi le reçut dans la
grande Salle d'Audience , ayant à sa droite le
Grand Maréchal de la Couronne , et le Vice-
Chancelier â sa gauche ; les Senateurs formoient
un cercle devant S. M. et ils étoient assis et cou-*
verts. L'Envoyé après avoir baisé le bord de
l'habit du Roi , remit à S. M. ses Lettres de
Créance , signées de la main du Grand - Seigneur :
il se plaça ensuite sur un Carreau vis - à- vis du
Roi , et il lui fit un Compliment de la part de
S. H. auquel le Vice-Chancelier répondit au nom
de S. M. l'Envoyé se leva ensuite , et ayant salué
le Roi , il fut conduit par le Régimentaire de la
Couronne dans une grande Salle où il fut traité
magnifiquement par les Officiers de S. M. Pendant
le repas le Grand -Maréchal lui porta la
santé du G. S. et l'Envoyé lui porta celle du
Roi ; aprés quoi il fut reconduit au Palais du feu
Grand Trésorier de la Couronne , où le Roi le
fera traiter pendant tout le temps que cet Envoyé :
demeurera à Varsovie.
Le 24. le Ministre- Plenipotentiaire du Duc
Ferdinand de Curlande , reçut des mains du Roi
P'Investiture de ce Duché , avec les ceremonies
ordinaires. S. M. a depuis envoyé à ce Duc le Cordon
de l'Agle blanc.
ON
ALLEMAGNE.
N écrit de Berlin que le Roi de Prusse a
donné ordre à une certaine quantité de ses
plus belles Troupes , Cavalerie et Infanterie , de
se préparer pour former au mois de May pro
chain un Camp prés de cette Ville : ces Troupes
seront habillées de neuf et d'une propreté extraordinaire
: elles y feront diverses évolutions
etz
600 MERCURE DE FRANCE
et autres mouvemens qu'on pratique à la guerre :
outre les Tables de la Cour , chaque General et
Ministre d'Etat , en devra tenir une de douze
Couverts par ordre du Roi, qui veut qu'on procure
toutes sortes d'agrémens aux Etrangers de
distinction qui s'y rendront ; on y attend divers
Princes d'Allemagne , et on croit que les Rois de
Pologne et de Suede y viendront aussi.
L'Effendy qu'on attend à Vienne ne sera point
logé dans le Fauxbourg de Leopoldstad comme
l'ont été les autres Envoyez des précedens Sultans
: on a fixé le temps de son séjour , pendant
lequel il sera défrayé avec toute sa suite qui ne
pourra exceder le nombre de 30. personnes , parce
qu'on a sçu qu'il y avoit beaucoup de gens suspects
qui vouloient venir à Vienne sous sa protection.
ITALF E.
Lordonnance du Cardinal Camerlingue contre
E zo. Février on publia à Rome une seconde
le Luxe , par laquelle il est défendu à toutes personnes
de porter dans toute l'étenduë de l'Etat
Ecclesiastique , aucun galon , franges ou broderies
d'or ou d'argent sur leurs habits.
On écrit de Naples que le 28. Janvier on conduisit
par la rue de Tolede devant le Palais , le
Chariot des Rotisseurs , représentant Junon accompagnée
de Castor et Pollux , habillez en
Guerriers. Ce Chariot qui étoit précedé et suivi
de plusieurs Quadrilles d'Ouvriers de differens
Métiers , à cheval et magnifiquement habillez , fut
abandonné au peuple selon la coutume , mais
deux pauvres eurent le malheur d'en tomber , et
moururent deux heures aprés .
Le 24. de Janvier vers les quatre heures aprés
midi , la neige commença à tomber et dura jusqu'à
quatre heures du matin ; elle a été si abondante
MARS.
1731. бот
dante le Mont Vesuve et les autres montagnes
que
voisines en sont couvertes depuis le sommet jus--
qu'au pied , ce qui est fort extraordinaire dans
ce païs .
Le 4. Février après midi , on conduisit par la
rue de Tolede un Chariot chargé de Poisson sec
et salé , de Fruits secs , de Viande , de Volaille et
de Pain , qui fut abandonné au peuple dans la
place du Palais.
On mande de Milan qu'on y a mis une nouvelle
imposition sur les Lanternes , et que les
Bourgeois étoient obligez de faire marquer par
le Traitant celles dont ils se servent à peine de
100. écus d'amende.
PORTUGAL..
1
-
Na reçu avis du Fort de Sanmadina , an
Cap de Bonne Esperance , que le 23. de Dé
cembre dernier , le Gouverneur de ce Fort , qui
est Indien et Commandant General des Hottentons
, avoit été averti par un pauvre Ouvrier
nommé Mogavatti , que le Commandant d'une
Province voisine avoit prémedité de surprendre
ce Fort la nuit suivante ; que vers les dix heures
du soir la Place avoit été attaquée par 12000.
hommes qui s'étoient emparez de tous les dehors ,
mais que le Gouverneur ayant reçu quelque secours
et mis son artillerie en batterie , les Assiegeans
avoient été repoussez avec perte de 4000.
hommes ; que le Commandant et son Lieutenant
avoient été faits prisonniers , et que le reste des
troupes avoit pris la fuite.
On mande de Lisbonne que les derniers Vaisseaux
qui y sont arrivez de Maranhaon , ont apporté
une Cargaison assez considerable d'un
Caffé qui croît naturellement et sans être cultivé ,
dans les environs de cette place , on le trouve
plus
602 MERCURE DE FRANCE.
plus beau et de meilleur goût que celui qu'on apporte
du Levant , et l'on assure qu'il y en a dans
le païs en assez grande quantité pour en charger
20. Vaisseaux tous les ans.
On apprend de tous côtez que l'Hyver a été extrêmement
rigoureux dans toute l'Europe, et que
les neiges ont été par tout extrêmement abondantes
, même dans les pays les plus méridionaux ,
comme en Espagne et en Portugal où il en esttom
bé en divers endroits de la hauteur d'une toise.
GRANDE BRETAGNE.
E 18. Février au matin , le Lord Jacques Cavendish
, frere du Duc de Devonshire , qui
avoit parié 1000 Guinées contre le Chevalier
Robert Hagi , d'aller à cheval en 65. minutes du
coin d'Hidepark à la Loge de Windsor , gagna
cette gageure , ayant fait en 61. minutes cette
course qui est de 21. milles.
HOLLANDE ET PAYS-BAs.
ON
N apprend de Bruxelles qu'en enlevant les
decombres du Palais , on a trouvé la Cassette
des Bijoux de l'Archiduchesse , avec quelques-
uns de ses diamans , mais on n'a pas encore
trouvé ceux qu'elle avoit fait mettre sur l'habit
de Bal qu'elle s'étoit fait faire , et qui montoient
à près d'un million.
MORTS DES PAYS ETRANGERS.
DMonastere des Dominicaines de laville de
Ona Jeanne d'Azevedo , Religieuse dans le
Santarem en Portugal , y mourut vers la fin de
Janvier , âgée de 102. ans.
Il est mort au commencement de ce mois une
femme âgée de 105. ans passez , dans la petite
ville d'Altensteig près de Vienne.
Dorothée
E
MARS. 1731. 703
Dorothée Frederique de Brandebourg Anspach,
Epouse du Comte Jean de Hanaw Lichtemberg ,
est morte à Francfort le 13. Mars, âgée de
のみのお
FRANCE ,
$4 ans.
Nouvelles de la Cour, de Paris , & c.
L
E Jeudi Saint le Roi entendit le
Sermon de la Cêne de l'Abbé Segui ;
après quoi l'Evêque deLescar'fit l'Absoute,
Ensuite le Roi lava les pieds à douze pauvres
, et S. M. les servit à table. Le Duc
de Bourbon , Grand- Maître de la Maison
du Roi , à la tête des Maîtres d'Hôtel
précedoit le service , dont les plats étoient
portés par le Duc d'Orleans , le Comte
de Charolois , le Comte de Clermont , le
Prince de Dombes , le Comte d'Eu , le
Comte de Toulouse , et par les principaux
Officiers de S.M. Après cette Cerémonie ,
le Roi se rendit à la Chapelle du Château,
où S. M. entendit la grande Messe , et
assista à la Procession et ensuite aux Vêpres.
La Reine assista dans sa Tribune à
tout l'Office.
L'après-midi la Reine entendit le Sermon
de la Cêne de l'Abbé de Ciceri
Prédicateur Ordinaire de S. M. après quoi
l'Evêque de Grasse ayant fait l'Absoute
S. M. lava les pieds à douze pauvres filles,
et
04 MERCURE DE FRANCE
et les servit à table. Le Marquis de Villa
cerf , Premier Maître d'Hôtel de la Rei
ne , à la tête des autres Maîtres d'Hô
de S. M. précedoit le service , dont
plats étoient portés par Mademoiselle
Charolois , Mademoiselle de Clermont
Mademoiselle de la Roche sur - Yon , par
les Dames du Palais de S. M. et par d'autres
Dames de la Cour. Après cette Cerémonie
, le Roi et la Reine entendirent
dans la Chapelle du Château l'Office des
Tenébres , qui fut chanté par la Musique,
Le Duc de Valentinois , à présent Prince
de Monaco , eut l'honneur de saluer le
Roi le 4. de ce mois ; il remit à S. M. le
Collier de l'Ordre du S. Esprit , qu'avoit
le feu Prince de Monaco , son Beau - Pere.
On travaille à abattre et à arracher les
Arbres du Bois de Vincennes ; on n'y
laissera aucun des vieux pieds d'Aubespines
, pour y planter de nouveaux Arbres
en Allées . On dit que ce Parc sera
agrandi de toutes les terres qui sont entre
la vieille enceinte et le Village de
Saint Maur.
Le 11. Mars , Dimanche de la Passion
il y eut Concert Spirituel au Château des
Thuilleries , avec un très grand concours;
OR
MARS. 1731. 605
1
036
on a continué tous les jours de la Semaine
Sainte, et jusques à la fin du mois. M. Mouret
y a fait executer les plus beaux Mobets
à grand choeur de M. de la Lande ,
er quelques autres . On y a chanté aussi
avec succès differens petits Motets nouveaux
, convenables au tems de Pâques ,
à une , à deux et à trois voix , de la composition
des Sieurs Campra , Mouret , Le
Maire et Dubousset , qui ont été chantés
par la Dle Lenner , de la Musique du
Roi , et par les Diles Erremens , Le Maure
et Petitpas , de l'Académie Royale de
Musique. Tous ces morceaux de Musique
ont fait beaucoup de plaisir , ayant été
parfaitement bien executés.
Le 13. et le 21. on chanta deux Motets
à grand choeur , de la composition
de l'Abbé Gaveau , qui furent trouvés
deux excellens morceaux de Musique
aussi furent-ils très- goûtés et très- applau
dis .
On a aussi executé tous les jours differens
Concerto sur le Violon , la Flute et
le Basson, avec autant de vivacité que de
précision .
:: Le 24, la Loterie de la Compagnie des
Indes pour le remboursement des Actions;
fut tirée en la maniere accoutumée à
l'Hôtel de la Compagnie . La liste des nu
Ι mere
656 MERCURE DE FRANCE
meros des Actions et Dixiémes d'Actions
qui doivent être remboursées , a été rendue
publique , faisant en tout le nombre
de 300. Actions.
Voici la Copie d'une Lettre écrite à M. de
Gramont par M. de la Blachette du Monétier
, le 1. Fevrier 1731. que nous don
nons telle qu'elle nous a été envoyée,
L
E soir du jour que j'eus l'honneur de vous
écrire , Monsieur , pour vous donner avis
des desordres que font les loups en ce pays ,
il y
en eut un qui fit une manoeuvre tres-surprenante
dans le village de S. Maurice , et dont je crois
devoir vous informer.
Un habitant du même lieu mariant un fils et
une fille qu'il a , avoit une Tailleuse chez lui
pour leur faire des habits ; le pere étoit malade ,
et le fils s'étoit couché de bonne heure.
'à
La Tailleuse , et la fille qu'on devoit marier
travaillerent jusqu'à minuit ; et voulant aller à
leurs necessitez avant se coucher , la fille sortit
la premiere de la maison ; elle ne fut pas un pas
de la porte , qu'un loup lui sauta dessus , la jetta
par terre , et la saisit au col , qu'il lui déchira
depuis le haut jusqu'en bas.
1
La Tailleuse voulant la secourir fut encore saisie
par ce cruel animal , qui la mit aussi sous
lui , et leur fit à l'une et à l'autre diverses blessures
, ausquelles il s'atsachoit pour en succer le
sang. Le filsde la maison vint au secours ; mais
n'ayant point d'armes , il prit le loup par les
jambes de derriere , et le tirant de toute sa force.
pour dégager ces malheureuses filles , il s'élança
contre lui , lui perça le bas de la cuisse avec les
dents ,
MARS. 1731. 607
sures
2.
dents , et tout de suite voulant aussi le saisir à la
gorge , et ayant la gueule ouverte , ce garçon lui
mit la main et le bras dedans , lui prit la langue,
et de cette sorte il le traîna vers la maison la
plus proche , de laquelle il esperoit avoir quelque
secours ; et n'en ayant point , ( car chacun se
tient fermé , ) et se sentant affoibli par ses blesil
fut contraint d'abandonner et la
langue et le loup , qu'il tenoit toujours embrassé
du bras qu'il avoit déchiré. Alors ce cruel
animal , bien-loin de s'enfuir , revint sur ce gar
çon , lui déchira une oreille et une partie du visage
; ce qui l'ayant mis au desespoir , il fit un
dernier effort pour lui saisir encore la langue , à
quoi il réussit, et il la retint jusqu'à ce que son pere,
aqui on avoit donné le jour précedent l'extreme
Onction , vint en chemise avec une hache , dont
ce loup fut assommé entre les bras de son fils.
Il est arrivé du Levant au Magasin genéral ,
rue Neuve S. Merri , à l'Hôtel de Jabac , une
caisse d'une huile particuliere qui est excellente
pour netoyer la peau et adoucir un teint rude et
grossier , pour entretenir celui qui est délicat et
fin , pour
humecter et rafraîchir celui qui est sec,
et blanchir pour éclaircir un teint brun , et pour
toutes les affections de la peau , comme le hâle ,
boutons , taches de rousseurs , dartres farineuses
&c. Il faut s'adresser à M. Buttier , Commis au
Magasin des étoffes. Les bouteilles sont cachetées
il y en a de douze livres et de vingt- quatre,
On sera bien aise d'aprendre que le St Charles
de a Frenaye , Marchand de Jouailleries , de
Bijouts et de divers Ouvrages de bon goût , recherchés
et précieux , ci- devant établi au Palais,
au grand Dauphin , demeure présentement ruë
Lij de la
608 MERCURE DE FRANCE
de la Monnoye , à la premiere porte Cochere
droité , en venant du Pont- Neuf, où il a un très
beau Magasin.
XXXXX:XXXXX:XX *X: XX
MORTS , MARIAGES,
Mer Pucelle , Chevalier , Seigneur d'Orge-
Men
mont de Darsi & c . Chevalier de l'Ordre
Militaire de S. Louis , Maréchal des Camps et
Armées du Roi , neveu du feu Maréchal de Catinat
, mourut le 28. Fevrier , âgé de 75. ans.
Dame Louise de la Rue-Bernapré , Abbesse de
l'Abbaye du Moncel , Diocèse de Beauvais , y
est morte , âgée de 83. ans.
Marie- Anne Jacquinot , Veuve de Charles de
Barville , Chevalier , Seigneur de Bois - Landry
Baumarfin & c. Colonel d'un Régiment d'Infan
terie , Chevalier de l'Ordre de S. Louis , mourut
le 9. Mars , âgée de 80. ans.
Le 8. Mars , André Fenel de Tierci , Chevalier
de S. Louis , Ancien Maréchal des Logis de
la premiere Compagnie des Mousquetaires
Mestre de Camp de Cavalerie , mourut âgé de
80. ans.
et
Jean Henri Bouchard d'Esparcis de Lussan
Chevalier d'Aubeterre , Brigadier des Armées du
Roi , mourut le 10. Mars , âgé de 46. ans.
Jean , Comte de Montgomeri , Maréchal des
Camps et Armées du Roi , mourut à Paris le 1 1
âgé de 85. ans.
Dame Marie Hyacinthe le Danois , Veuve de
Jean Philippe d'Estaing , Comte de Saillant ,
Lieutenant- Général des Armées du Roi , Lieute
nant- Colonel du Régiment des Gardes Françoi
et Gouverneur des Ville et Citadelle de Mete
MAR S. 1731. 609
et du Pays Messin , mourut à Paris le 20. de ce
mois dans la 48. année de son âge.
M. Michel Ansel Desgranges , Chevalier , Maître
des Cérémonies de France , mourut le 23 .
Mars , âgé de 83. ans .
La nuit du 19 au 20. du mois dernier , le Duc
de Chatillon -Luxembourg épousa Madame Bouchu
, Veuve du Conseiller d'Etat de ce nom.
ARRESTS , DECLARATIONS ,
ORDONNANCES , &c.
RREST du 12. Décembre , portant Rela
Ville et Comté de Laval.
AUTRE du même jour , portant Regle
ment pour la Fabrique des Papiers de la Province
du Limousin.
› AUTRE du 26. Décembre qui ordonne
Pexecution de l'Arrêt du Conseil du 23. Fevrier
1723. En conséquence défend à tous Carriers
Paveurs et autres Ouvriers de fabriquer du pavé
de grès dans l'étendue de la Généralité de Paris,
pour quelques Particuliers que ce soit , autres que
les Entrepreneurs des Ponts et Chaussées &c.
AUTRE du 21. Janvier , concernant les Déclarations
à fournir pour le Café qui entre et sort
de la Ville de Marseille , par lequel S. M. ordon-
I iij he
F
610 MERCURE DE FRANCE
ne que les Capitaines , Maîtres de Navires et Pa →
trons de Barques , seront tenus de fournir dans
les vingt- quatre heures de leur arrivée , et avant
leur départ du Port de Marseille , au Bureau du
poids et casse établi dans ladite Ville , des manifestes
ou déclarations des Cafés chargés sur
leur bord , et de leur destination , sous peine de
mille liv, d'amende. Ordonne en outre S. M. que
les Marchands et Négocians de Marseille , proprietaires
desdits Cafés,seront obligés de faire leur soumission
sur le Registre du Receveur audit Bureau
du poids et casse
de rapporter dans un délai
préfix des Certificats en bonne forme des personnes
qui seront indiquées par ledit Receveur et désignées
par leur soumission , que lesdits Cafés
sortis par Mer auront été déchargés dans le lieu
de leur destination , en telles et pareilles especes
et quantités qu'ils auront été déclarés ; faute de
quoi lesdits Cafés seront réputés être entrés en
fraude dans le Royaume , et en ce cas lesdits
Propriétaires seront condamnés de payer à la
Compagnie des Indes la valeur defdits Caféz pour
tenir lieu de la confifcation d'iceux , et en trois
mille livres d'amende.
AUTRE du 23. Janvier , qui subroge le
sieur Pierre Vacquier au sieur Pierre le Sueur ,
pour faire la regie et exploitation du Privilege de
la vente exclusive du Café dans l'étendue du
Royaume.
AUTRE du même jour , concernant la rétrocession
faite à Sa Majesté par la Compagnie
des Indes , de la concession de la Louisianne et
du pais des Illinois ; par lequel le Roi accepte la
retrocession à elle faite par les Syndics et Directeurs
de la Compagnie des Indes , pour et au nom
de
MARS. 1731. 611
›
de ladite Compagnie, de la proprieté, Seigneurie
et Justice de la Province de la Lottisianne , et de
toutes ses dépendances, ensemble du Païs desSauvages
Illinois, laquelle concession lui avoit été accordée
à temns ou à perpetuité,par lesEdits et Arrêts des
mois d'Août et Septembre 1717.May 1719.Juillet
1720. et Juin 1725. pour être ladité Province réiinie
au Domaine de S. M. ensemble de toutes les
Places , Forts , Batimens , Artillerié , Armemèns
et Troupes qui y sont actuellement. Accepte pareillement
la retrocession du Privilege du commerce
exclusif que ladite Compagne faisoit dans
cette concession ; au moyen de quoi S. M. déclare
le commerce de la Louisiané libre à tous ses Sujets
, sans que la Compagnie en puisse être chatgée
à l'avenir , sous quelque prétexte que ce soit:
Maintient, S.M. ladite Compagnie dans les droits
qu'elle a contre ses débiteurs de ladite Province ,
qu'elle lui permet d'exercer quand et comme elle
jugera à propos.
les
AUTRE du 30. Janvier , qui ordonne que
gages attribuez aux Officiers créez dans l'année
1672. dans les Chancelleries établies près les
Cours de Parlement de Toulouse , Rouen , Bordeaux
, Dij on Rennes , Aix, Grenoble et Metz , et
près les Cours des Aydes d'Aix , Montauban ,
Montpellier , Bordeaux et Clermont- Ferrand
continueront d'être employez dans les Etats du
Roi , comme ils l'ont été jusqu'à present , immédiatement
à la suite du chapitre concernant les
gages et augmentations de gages des Officiers des
Parlemens et Cours Superieures , nonobstant ce
qui est porté par l'Arrêt du Conseil du 3. Septembre
1729 .
ORDONNANCE DU ROY , donnée
I iiij à Ver612
MERCURE DE FRANCE
à Versailles au mois de Février 1731. pour fixer
la Jurisprudence sur la nature , la forme , les
charges ou les conditions des Donations. Regis
trée en Parlement le 9. Mars .
ARREST DU PARLE MENT , sur l'Appel
comme d'abus d'un Mandement de M. l'Evêque
de Laon.
Ce jour les Gens du Roi sont entrez ,
et Maître
Pierre Gilbert de Voisins , Avocat dudit Seigneur
Roi , portant la parole , ont dit :
MESSIEURS ,
Un nouvel objet nous rappelle dans ce Sanctuaire
auguste , pour y porter nos justes plaintes ,
et pour y chercher le secours que le ministere
public ose se promettre de l'autorité de la Cour.
Il est triste pour lui d'avoir à se plaindre , de
ce qui porte en même temps l'impression du caractere
d'un Evêque et de la main d'un Pair de
France. Mais il est encore plus triste de trouver
dans le Mandement de M. l'Evêque de Laon , que
nous remettons à la Cour , ce qu'on devroit le
moins attendre d'un Prélat , qui réunit en sa personne
ces deux qualitez éminentes.
Que n'aurions- nous point à vous dire de cette
peinture odieuse qu'on y voit d'abord de l'état
de la Religion dans le Royaume ? De ce reproche
injurieux fait gratuitement à la France , d'une extinction
presque totale de la Foi . Mais laissons
les divers reproches répandus au hazard dans cet
Ouvrage , et dans lesquels il semble que l'Auteur
ait oublié jusqu'aux bienséances de sa dignité :
aujourd'hui notre attention se doit toute entiere
aux interêts de nos maximes , et aux atteintes
que ce Mandement paroît y porter.
Dans la vue qu'on s'y proposoit de convaincre
et de persuader ceux qui résistent à la Constitu-
'tion
MARS. 1731. 613
on Unigenitus , il semble qu'on devoit surtout
e conformer exactement à ces mêmes maximes ,
et entrer dans tout leur esprit sur les caracteres
d'autorité réunis en faveur de ce Decret.
On louëra toujours en France un Evêque de
marquer son profond respect pour le saint Siege ,
de rendre hommage à ses prérogatives éminentes ,
et d'en relever la grandeur par la dignité de ses
cxpressions. On ne lui enviera jamais d'employer.
à ce sujet les paroles d'un Prélat des derniers
temps , comparable aux grandes lumieres des premiers
siecles , et qui n'a jamais séparé l'attachement
le plus fidele au saint Siege , du zele le plus
sage et le plus pur pour nos libertez.
Mais en même tems on attendra de cet Evêquequ'il
évite de favoriser des prétentions , que la
France si zelée d'ailleurs pour la Chaire de saint
Pierre n'a point appris à reconnoître , et qu'il se
montre inébranlable dans les vrais principes dont
elle ne sçauroit se départir.
En parlant d'un côté de l'autorité du saint
Siege et de l'Eglise Romaine , d'un autre côté de
celle de l'Eglise universelle , devoit-on s'expliquer
sur la premiere , comme si elle ne laissoit rien à
desirer , et ne placer l'autre à la suite , que comme
un accessoire qu'on employe , pour ainsi dire par
surabondance , et pour satisfaire les esprits les
plus difficiles ?
Sous prétexte de faire valoir cette autorité de
PEglise Romaine en faveur de la Constitution , on
tente d'introduire en France un Concile particulier
tenu à Rome , dont nous ne pouvons reconnoître
l'autorité , et dont les expressions telles'
qu'on les rapporte , auroient des conséquences
sur lesquelles nous nous sommes assez expliquez
en dernier lieu.
M. l'Evêque de Laon insere dans son Mande-
I v ment
614 MERCURE DE FRANCE
ment le Decret de ce Concile. Il l'adopte , et il
en parle comme d'une Loi précise , à laquelle inutilement
on essaye d'échaper par des vains détours.
Rien de plus opposé à nos maximes , que
cette publication indirecte de ce qui n'est revêtu
d'aucune forme parmi nous. La Constitution
aura eu besoin de toutes les solemnitez qu'elles
prescrivent , et sans s'embarrasser d'aucune , on
s'autorisera de ce Concile , pour ralumer un nouveau
feu dans une Affaire où le calme des esprits
est surtout à desirer .
Ce n'est pas à cette seule marque qu'on peut
reconnoître l'esprit du Mandement sur les maximès
et sur les libertez de l'Eglise Gallicane. Il le
témoigne ailleurs assez ouvertement. On voit que
l'Auteur les regarde , plutôt comme des précautions
de politiques utiles à opposer à quelque entreprise
de la Cour Romaine contre nos usages ,
et contre les droits de la Couronne , que comme
le précieux reste de la discipline des premiers
siecles et de l'ordre des anciens Canons. Selon lut
elles n'ont rien de commun avec les Decrets que
la Cour de Rome nous envoye , soit pour éclaircirle
dogme soit pour réprimer a témerité des
Novateurs. Que ce principe soit admis , elles se
verront exposées au danger d'être anéanties. A la
faveur d'un tel prétexte , on fera passer jusqu'à
nous ce qui portera l'impression de la Doctrine
et des prétentions Ultramontaines : et quel.es barrieres
nous restera- t'il àleur opposer ?
C'est ainsi que cet Ouvrage s'explique sur ce
qui paroissoit entrer dans son objet. Mais on
cherche exprès une digression , sur une matiere
éloignée , peut- être encore plus capable d'être
une occasion dangereuse de disputes et de dissentions
. C'est , Messieurs , sur ce qu'on appelle la
Jurisdiction Ecclesiastique , objet sur lequel à la
A..
MARS. 1731 . 615
vue de ce Mandement il ne nous est plus permis
de nous taire , et dont en même temps nous ne
sçaurions parler avec trop d'exactitude et de précaution
. Aujourd'hui plus que jamais nous devons
rappeller à ce sujet les maximes si pures de
nos peres , et nous retracer à nous mêmes les
principes dont ils ont transmis le dépôt jusqu'entre
nos mains .
Nous reconnoîtrons toujours la distinction et
l'indépendance , des deux Puissances établies sur
la terre pour la conduite des hommes ; le Sacerdoce
et l'Empire , la Puissance de la Religion , et
celle du Gouvernement temporel . Toutes deux ·
immédiatement émanées de Dieu , elles trouvent ,
chacune en elles - mêmes , le pouvoir qui convient
à leur institution et à leur fin : et s'il est vrai ,
comme on ne sçauroit en douter , qu'elles se
doivent une assistance mutuelle , c'est par voye
de correspondance et de concert , et non pas de
subordination et de dépendance .
La Religion destinée à soumettre les esprits , à
changer les coeurs , est d'un ordre surnaturel , et
conduit les hommes par un pouvoir , qui agissant
sur les ames , est appellé spirituel . En même
temps , suivant l'institution de JESUS- CHRIST
elle forme la Societé visible de l'Eglise Eglise
qui , sur la foi des Oracles Divins , doit subsister
visiblement jusqu'à la fin des siecles , et dont par
conséquent l'economie et la conduite doivent
aussi être visibles dans toute la suite des tems.
Le gouvernement temporel fondé sur l'institution
de Dieu , mais conduit par des voyes hu
maines , a pour objet l'ordre exterieur de la societé
, qui seul est au pouvoir des hommes ; et
employe les moyens humains , de l'autorité publique
, de la force coactive , de la severité des
peines temporelles ; enfin de tout ce qui compose
I vj Pap616
MERCURE DE FRANCE.
l'appareil d'une puissance vraiement exterieure."
Tandis qu'il défend par les armes le Corps de
l'Etat contre les ennemis qui peuvent l'attaquer
au-dehors , il maintient ce même Corps au- dedans
, par l'empire légitime qu'il exerce sur les
Citoïens. Il joint à l'autorité de la Loi , l'execution
forcée indépendamment de la volonté des
Sujets , et soumet par une contrainte effective
ceux qui résistent à son autorité.
L'exercice de cet empire exterieur des Loix ,
l'application de leur puissance aux Sujets , par le
Magistrat armé des moyens necessaires pour les
forcer à obéir , est ce qu'on appelle en termes de
Droit la Jurisdiction . C'est l'idée exacte que nous
en donnent les Jurisconsultes et les Loix. La Jurisdiction
est pleine et entiere , lorsque le pouvoir
de juger est revêtu de toute la force de la
puissance publique. Mais du moins sans quelque
participation de cette force coactive à l'exterieur ,
il n'est point de veritable Jurisdiction. Jurisdictio
sine modicâ coercitione nulla est , dit la Loy
se au Digeste de officio ejus cui mandata est
Jurisdictio, Et les interprêtes nous donnent pour
exemples de cette coercition dont parle la Loy
des châtimens qui affectent le corps , la prison ,
l'imposition de quelques peines pécuniaires.
Ainsi suivant les Loix et les Jurisconsultes ,'
on peut dire que la Jurisdiction prise dans son
sens propre et naturel , est un attribut du Gouvernement
temporel , parce qu'elle emporte une
contrainte au- dehors et une force qu'il est seul
en droit d'employer.
Il n'en est pas moins vrai que l'Eglise a d'ellemême
un autre genre de puissance et d'autorité
réelle , pour connoître et pour décider des matieres
spirituelles qu'elle a droit d'imposer des
peines de même nature , et d'exclute de son Corps
ceu
MARS. 1731. 617
ceux qui refuseroient de s'y soumettre : qu'il lui
appartient d'exercer ce pouvoir non seulement
sous le sceau de la Confession dans le Tribunal
secret de la Penitence , mais encore ouvertement
er d'une maniere visible , sur la connoissance
qu'elle peut avoir des faits. Mais lors même
qu'elle fait connoître et craindre ainsi ses Jugemens
, c'est sans entreprendre sur l'ordre public ,
et sans agir à l'exterieur avec l'empire réservé à
l'autre Puissance. Elle a reçu de JESUS CHRIST
le pouvoir spirituel de lier et de délier , de condamner
et d'absoudre , d'établir des regles et d'en
dispenser ; mais non pas de dominer comme les
Rois.
De-là vient ce qu'observent les Auteurs les
plus exacts que dans les Loix des premiers Empe→
reurs Chrétiens , le titre qui traite des Jugemens
Ecclesiastiques est intitulé , non pas de la Jurisdiction
Episcopale , de Episcopali Jurisdictione ;
mais de Episcopali audientiâ , dans le Code de
Justinien ; de Episcopali Judicio , dans celui de
Theodose : expressions dont le sens est bien different
de celui du terme propre de Jurisdiction
dans le Droit Romain.
Dès - lors cependant la confiance religieuse de
ces Princes , avoit accordé aux Evêques des attributions
qui par elles - mêmes n'étoient point .
comprises dans ce qui dépend du spirituel. On
n'en conservoit pas moins la difference des noms
qui caracterise la difference essentielle , entre le
pouvoir incontestable de l'Eglise , et la vraie Jurisdiction
qui appartient au Magistrat temporel.'
Mais ces attributions s'étant accrues et confir
mées dans la suite , on a emprunté les termes
usitez dans les Tribunaux séculiers , et on s'est
accoutumé à se servir du terme de Jurisdiction
en` parlant de divers Actes qu'exercent les Puissances
618 MERCURE DE FRANCE
sances de l'Eglise . En effet , soit par la concession
expresse , soit par le consentement tacite des
Princes , aujourd'hui plusieurs de ces Actes participent
du caractere de la Jurisdiction exterieure
et proprement dite .
Mais c'est abuser de cet avantage , que de dire
comme fait le Mandement , que le fonds de la
Jurisdiction exterieure et contentieuse est l'heritage
propre de l'Eglise d'insinuer qu'en cette
matiere , l'effet de la puissance de nos Rois se réduit
, soit à de certaines rogles et à de certaines
formes ausquelles il leur a pla .... d'assujettir
les Evêques et les Archevêques du Royaume....
dans l'exercice de leur jurisdiction ; soit à la
simple protection .... accordée par eux à l'Eglise
pour l'execution , on ne dit pas seulement
de ses censures , mais en general même de ses
jugemens d'exiger enfin qu'on reconnoisse un
caractere de Puissance publique exterieure dans
Pautorité qui est propre aux Prélats du premier
Ordre... dans le gouvernement de l'Eglise :
comme si la Puissance publique étoit autre chose
que la Puissance temporelle de qui dépend l'ordre
públic . Parler ainsi f sans explication même et
sans correctif , c'est confondre ce qu'il y a de
notions plus exactes sur la distinction des deux
Puissances , et répandre sur cette matiere des ténebres
qui ne permettent plus d'en reconnoître
les principes.
C'est cependant à la faveur de cette confusion ,
qu'on se porte jusqu'à dire , que refuser à l'Eglise
une Jurisdiction même exterieure qui lui
soit pro re c'est upposer que JESUS- CHRIST
ne l'a établie que sous un gouvernement trèsimparfait
, du moins à l'exterieur. Nous ne repetons
qu'avec répugnance des expressions qui
tendent à faire penser , que sans une Jurisdiction
exMARS.
17318
619
exterieure , telle que nous l'avons expliquée , l'ouvrage
de Jesus - Christ seroit imparfait. L'Institu
tion toute divine de l'Eglise en renfermeroit - elle
moins la puissance de la parole animée de l'Es-`
prit de Dieu , la grace des Sacremens, les rigueurs
salutaires de la Penitence , la sàinte sévérité des
censures , le discernement et la définition de la
Doctrine , le reglement du Spirituel par les Canons
? Un Evêque regardera-t'il comme insuffi
sans ces moyens sublimes , qui font l'essentiel du
pouvoir sacré de son Ministere
Trouvez bon , Messieurs , que sans en dire davantage
de nous-mêmes , nous empruntions les
termes d'un Auteur respecté en France depuis so
ans , initié dans le Sacerdoce , et de qui les laborteuses
veilles ont été si utiles à l'Eglise et à l'Etat.
C'est le sage et sçavant Auteur de l'Institution
au Droit Ecclesiastique. Il employe suivant
l'usage le terme de Jurisdiction , mais voici de
quelle maniere il s'en explique : Il faut revenir
àla distinction de la Jurisdiction propre et essentielle
à l'Eglise , et de celle qui lui est étrangere.
L'Eglise a par elle - même le droit de décider
toutes les questions de Doctrine , soit surla
Foi, soit sur la regle des moeurs. Elle a droit
d'établir de Canons ou regles de discipline pour
sa conduite interieure , d'en dispenser en quelques
occasions particulieres , et de les abroger
quand le bien de la Religion le demande. Elle
a droit d'établir des Pasteurs et des Ministres
pour continuer l'oeuvre de Dieu jusqu'à la fin
des secles , et pour exercer toute cette Jurisdiction
; elle peut les destituer s'il est necessaire.
Elle a droit de corriger tous ses enfan , leur
imposant des Penitences salutaires , soit pour
les pechez secrets qu'ils confessent , soit pour les
pechez publics dont ils sont convaincus . Enfin
620 MERCURE DE FRANCE
a droit de retrancher de son Corps les membres
corrompus , c'est-à - dire les pecheurs incorrigi
bles qui pourroient corrombre les autres . Voilà
les droits essentiels à l'Eglise , dont elle a joüi
sous les Empereurs Payens , et qui ne peuvent
lui être ôtez par aucune Puissance humaine....
tous les autre pouvoirs dont les Ecclesiastiques
ont été en possession et le sont encore en quelques
lieux, ne laissent pas de leur être légitimement
acquis par la concession expresse ou
sacite des Souverains ..et l'Eglise a autant de
raison de conserver ces droits , que ses autres
biens temporels.
•
Ce digne interprete de la doctrine et des maximes
de la France , semble , avoir rassemblé dans
cet endroit , tout ce qu'on trouve avec plus d'étenduë
, soit dans nos Auteurs les plus éclairez
soit dans les Canons et les autres monumens de la
plus venerable antiquité. Tels sont les principes
que nous attendrons toûjours d'un Evêque nourri
dans l'Eglise de France , et sur lesquels notre bouche
ne cessera point d'être de concert avec notre
coeur. L'Eglise a d'elle-même le droit de connoître
des matieres spirituelles , et le jugement qu'elle
en porte émane d'un pouvoir réel qui assujettit
les consciences. Elle a en sa disposition des peines
spisituelles , dont l'excommunication qui retranche
de sa communion est le comble. Elle tient du
Prince tout l'appareil , toute la forme exterieure
tout ce qui constitue le caractere public de jurisdiction
, l'espece de contrainte ou d'obligation civile
qui en est la suite , et les matieres temporelles
dont ont sçait qu'elle connoît aujourd'hui .
Qu'on se renferme dans ces termes , les diffi
cultez disparoîtront, ou s'il s'en élevé quelqu'une,
elle se terminera sans troubler la paix . Pour peu
qu'on se porte plus loin , la contradiction , les
disputes
MARS. 1731 . 621
disputes , les entreprises n'auront plus de fin . Les
écrits se multiplieront , et le fruit en sera peutêtre
d'apprendre à mettre en question ce qui ne
faisoit point de doute auparavant. Ne négligeons
pas d'étouffer dans leur naissance , jusqu'aux
moindres semences de dissension , sur l'autorité
et sur les limites de deux Puissances destinées à
une concorde immortelle. Que l'inquietude et
l'esprit de contention cessent ; fideles au serment
inviolable qui nous consacre aux droits de
l'une de ces deux Puissances , nous sçavons qu'en
même tems il nous engage à conserver les droits
de l'autre et nous n'oublierons jamais que de
leur intelligence dépend et leur propre avantage et
celui des hommes qui leur sont soumis. C'est ce
que disoit autrefois un grand Evêque de France :
Cum regnum et Sacerdotium inter se conveniunt
, benè regitur mundus , foret et fructifi
cat Ecclesia. Cum verò inter se discordant , non
tantum parva res non crescunt , sed etiam ma
gna res miserabiliter dilabuntur.
C'est , Messieurs , dans ces sentimens et par ces
vûes , que nous avons l'honneur de nous adresser
à la Cour pour arrêter les suites d'un ouvrage si
capable de causer de nouveaux troubles . C'est le
Mandement d'un Evêque ; et c'en est assez pour
que nous cherchions à nous renfermer dans la
forme la plus exacte.
Elle nous conduit à la voye de l'appel commé
d'abus , essentielle à l'ordre public du Royaume ,
et consacrée enFrance au maintient réciproque des
Loix de l'Eglise et de celle de l'Etat Ce que nous
venons d'avoir l'honneur de vous dire, vous indique
assez quels peuvent être la plupart des
moyens d'abus. Il suffit d'en avoir jetté les fondemens
, et s'il y a lieu dans la suite nous n'aurons
pas de peine à les développer de plus en plus.
Mais en attendant , vous sentez non -seulement
6,2 MERCURE DE FRANCE.
qu'il seroit dangereux , mais même qu'il est impossible
de souffrir qu'un tel ouvrage continuât
a se répandre et à se distribuer dans le public.
C'est surtout pour y opposer un remede au
moins provisoire , que nous avons crû devoir
nous expliquer dès aujourd'hui ; ét c'est aussi à
quoi tendent les conclusions par écrit qué nous
laissons à la Cour.
Eux retirez : Vût le Mandement imprimé intitulé,
Manlement de Monseigneur l'Evêque de Laon,
second Pair de France , Conte d'Anisy, donné à
Laon le 13. Novembre 1736. ensemble les Conclusions
par écrit du Procureur general du Roi ;
la matiere sur ce mise en déliberation .
La Cour reçoit le Procureur Generál Roi appel
lant comme d'abus dudit Mandement , lui permet
d'intimer sur ledit appel qui bon lui semblera, sur
lequel les parties auront audience au premier jour ;
et cependant fait deffenses de répandre , debiter ,
ou autrement distribuer aucuns exemplaires dudit
Mandement sous telles peines qu'il appartiendra
; que copies collationnées du present Arrêt
seront envoyées aux Bailliages et Sénechaussées
du ressort , pour y être lûës , publiées et registrées
; enjoint aux Substituts du Procureur Gene
ral du Roi , d'y tenir la main et d'en certifier la
Cour dans un mois. Fait en Parlement le 20. Fevrier
1731. Signé , YSABEAU.
ARREST du Parlement sur uñê Lettre Pastorale
de M. l'Evêque de Laon , & c.
Ce jour les Gens du Roi sont entrez , et Maître
Pierre de Gilbert de Voisins , Avocat dudit
Seigneur Roi , portant la parole , ont dit : Messieurs
, nous ne pouvons trop tôt apporter à la
Cour l'Imprimé intitulé , Lettre Pastorale , que
M. l'Evêque de Laon vient de publier dans son
Diocèse et qui nous fut envoyé hier par notre
MARS. 1731. 623
Substitut au Bailliage de Laon. Sa lecture vous
fera sentir la necessité des Conclusions que nous
croyons devoir prendre en ce moment. On voit
que c'est une partie qui cherche à faire insulte à
ses Juges, et qui traite d'entreprise la voye dedroit
de l'appel comme d'abus , sur lequel la Cour nous
ǎ permis de l'intimer par son Arrêt du 20. du
mois dernier. En même tems qu'elle etouffera sur
le champ ce scandale , elle voudra bien nous réserver
la liberté de prendre dans la suite telles Conclusions
que nous jugerons à propos à ce sujet.
Nous requerons qu'il plaise à la Cour ordonner
que l'Ecrit intitulé : Lettre Pastorale de M. l'Evêque
de Laonn , daté du 24. Février 1731. au
sujet de l'Arrêt de la Cour du 20. du même
mois , demeurera supprimé comme séditieux , ate
tentatoire à l'autorité Royale et à l'Arrêst de la
Cour : sauf à nous de prendre au surplus telles
conclusions que nous jugerons à propos , en pro
cedant au jugement de l'appel comme d'abus
reçû par l'Arrêt du 20. Fevrier dernier , à l'effet
de quoi un Exemplaire dudit Ecrit demeurera au
Greffe de la Cour. Ordonner au surplus que
l'Arrêt du 20. Fevrier dernier , sera executé selon
sa forme et teneur , et que copies collationnées de
celui que la Cour rendra aujourd'ui seront envoyées
aux Bailliages et Sénéchaussées du Ressort
pour y être lues , publiées et enregistrées ; enjoint
nos Substituts d'y tenir la main et d'en certifier
la Cour dans un mois.
Eux retirez : Lecture fai e dudit Imprimé ayant
pour titre : Lettre Pastorale de Monseigneur
PEvêque Duc de Laon , second Pair de France
Comte d'Anisy, & c. au sujet de l'Arrêt du Par
lement du Lo. Fevrier 1731. sur son Mandement
du 13. Novembre 1730. La matiere sur ce
mise en déliberation.
La Cour ordonne que ledit Ecrit intitulé : Legł
624 MERCURE DE FRANCE
a
tre Pastorale de M. l'Evêque de Laon , datté du
24. Février 173 1. au sujet de l'Arrêt de la Cour
du 20. du méme mois , demeurera supprimé
comme séditieux, attentatoire à l'autorité Royale
et à l'arrêt de la Cour , sauf au Procureur Géneral
du Roi à prendre au surplus telles conclusions
qu'il jugera à propos en procedant au jugement
de l'appel comme d'abus , reçû par l'Arrêt du 20 .
Février dernier , à l'effet de quoi un Exemplaire
dudit Ecrit demeurera au Greffe de la Cour :
Ordonne au surplus que l'Arrêt d'icelle du 20 .
Fevrier dernier , sera executé selon sa forme et
teneur , et que Copies collationnées du present
Arrêt , seront envoyées aux Bailliages en Sénechaussées
du Ressort , pour y être lûes , publiées
et enregistrées ; enjoint aux Substituts du Procureur
General du Roi , d'y tenir la main , et d'en
certifier la Cour dans un mois . Fait en Parlement
le 2. Mars 1731. Signé , DUFRANC .
1
ARREST du 10. Mars , rendu à l'occasion
des disputes qui se sont élevées au sujet des deux
Puissances & c . dont voici la teneur. Le Roi étant
informé qu'à l'occasion de quelques Ecrits qui
se sont répandus dans le Public , il s'est élevé de
nouvelles disputes sur differentes matieres , et
entr'autres sur ce qui regarde la nature , l'éten
due et les bornes de l'autorité Ecclesiastique et
de la Puissance Séculiere , Sa Majesté attentive
à remplir tout ce que la Religion exige de son
pouvoir , sans manquer à ce qu'elle se doit à
elle -même , regarde comme son premier devoir
d'empêcher qu'à l'occasion de ces disputes on ne
mette en question les droits sacrés d'une Puissance
qui a reçû de Dieu seul l'autorité de décider
les questions de Doctrine sur la Foi , ou sur
la regle des moeurs , de faire des Canons ou
regles de discipline pour la conduite des MinisMARS.
173.1 . 625
>
2
tres de l'Eglise et des Fidelles dans l'Ordre de
la Religion , d'établir ces Ministres , ou de les
destituer , conformément aux inémes regles ; et
de se faire obéir , en imposant aux Fideles , suivant
l'Ordre Canonique , non - sculement des pénitences
salutaires , mais de veritables peines spirituelles
, par les jugemens ou par les censures que
les premiers Pasteurs ont droit de prononcer et
de manifester , et qui sont d'autant plus redou
tables qu'elles produisent leur effet sur l'ame du
coupable , dont la résistance n'empêche pas qu'il
ne porte malgré lui la peine à laquelle il est condamné.
Si la Religion de Sa Majesté l'oblige
comme protecteur de l'Eglise , et en qualité de
Roi Très - Chrétien , à empêcher qu'on ne donne
aucune atteinte à ce qui appartient si essentiellement
à la puissance spirituelle ; son intention
est aussi qu'elle continue de jouir paisiblement
dans ses Etats de tous les Droits ou Privileges
qui lui ont été accordés par les Rois ses prédecesseurs
, sur ce qui regarde l'appareil exterieur
d'un Tribunal public , les formalités de l'ordre
ou du stile judiciaire , l'exécution forcée des Jugemens
sur le corps ou sur les biens , les obligations
ou les effets qui en résultent dans l'ordre.
exterieur de la Societé , et en général tout ce
qui adjoute la terreur des peines temporelles à
la crainte des peines spirituelles . Mais comme les
disputes qui commencent à s'élever pourroient
donner lieu d'agiter sur ces differens points et
sur tous ceux qui peuvent y avoir rapport , des
questions témeraires ou dangereuses , non seule.
ment sur les expressions qui peuvent être differemment
entenduës , mais sur le fond des choses
mêmes , Sa Majesté à crû devoir suivre en cette
occasion l'exemple des Rois ses prédecesseurs ,
en arrêtant d'un côté le cours de ces disputes
maissantes, et en prenant de l'autre toutes les me
626 MERCURE DE FRANCE
eures que sa sagesse et sa pieté lui inspireront
pour les éteindre entierement : A quoi desirane
pourvoir : S. M. étant en son Conseil , a ordonné
et ordonne , que toutes lesdites disputes ou
contestations , et pareillement celles qui peuvent
y avoir rapport , soient et demeurent suspendues
comme S. M. les suspend par le present Arrêt;
imposant par provision un silence general et absolu
sur ce qui fait la matiere desdites cotestations;
et en'consequence , fait S. M. très- expresses inhibitions
et deffenses à toutes les Universitez du
Royaume , notamment aux Facultez de Théologie
et de Droit Civil & Canonique , de permettre
aucunes disputes dans les Ecoles sur cette matiere;
comme aussi d'enseigner ou de souffrir qu'on enseigne
rien de contraire aux principes cy- dessus
marquez sur les deux Puissances. Deffend pareillement
à tous ses Sujets , de quelque êtat , qualité
et condition qu'ils soient , de faire aucunes assein
blées , déliberations , actes ,
déclarations , iequê→
tes , poursuites ou procédures , à l'occasion desdites
disputes , ou de tout ce qui peut les concerner
, et d'écrire , composer , imprimer , vendre,
débiter ou distribuer directement ou indirectement
aucuns Ecrits , Livres , Libelles , Mémoires ou au
tres Ouvrages sur le même sujet , sous quelque
prétexte , et sous quelque titre ou nom que ce puisse
être , le tout à peine contre les contrevenans d'être
traités comme rebelles et désobeïssants aux or→
dres du Roi , séditieux et perturbateurs du repos
public , Sa Majesté se reservant à elle seule , sur
l'avis de ceux qu'elle jugera à propos de choisir in.
cessament dans son Conseil , et même dans l'Ore.
dre Episcopal , de prendre les mesures qu'elle estimera
les plus convenables ' pour conserver toujours
de plus en plus les droits inviolables des deux
Puissances , et maintenir entre elles l'union qui
doit y regner pour le bien commun de l'Eglise et
MARS. 1731. 627
de l'Etat . Exhorte Sa Mejesté , et néanmoins enjoint
à tous les Archevêques et Evêques de son
Royaume de veiller chacun dans leur Diocèse à ce
que la tranquilité qu'elle veut y maintenir par la
cessation de toutes disputes , soit charitablement
et inviolablement conservée &c.
TABLE .
Ieces Fugitives , &c. L'Homme , Odo , 415
PRéponse d'un Grammairien , sur le Bureau
Tipografique ,
Sur une Gageure , Vers ,
Lettre sur la Tragedie de Brutus ,
Qde au Maréchal de Villars ,
Lettre sur les bruits entendus à Ansacq
Nouvelles de Cythere , & c .
Lettre sur le Bureau Typographique , &c.
Epitre en Vers , Réponse ,
422
427
448
441
447
457
458
465
Réponse sur la gloire des Orateurs et des Poëtes
,
Imitation d'une Ode d'Horace ,
469
479
Observation sur deux Colomnes miliaires,&c. 48 x
La Providence , Ode , 492
Réponse à M. B. sur l'usage de l'Eau de vie , 495
Enigmes et Logogriphes , 505
Nouvelles Litteraires , & c. Memoires pour servir
à l'Histoire des Hommes Illustres , 508
Lettres Patentes de François I. contre Ramus , 514
Memoires de la vie du Comte de Grammont, $ 20
La Science parfaite des Notaires , &c .
Découverte de l'Empire de Cantahaṛ , &c.
527
533
Discours sur les avantages et la necessité de l'Union
,
Bibliotheque Grammaticale , & c.
Sermons de l'Abbé Anselme ,
536
553
$56.
Epitaphe de la Dlle Oldfield , Comedienne , 560
L'esprit des conversations agréables , &c.
Histoire Ecclesiastique d'Orient ,
563
567
Phéno mene vú à Briançon , 570
Lettre sur des Insectes trouvez dans des Légumės
,
572
Nouvelles Estampes , 573
Médailles du Roi , & c. 574
Chanson à boire ,
575
Spectacles. Arlequin Phaeton , &c. 577
La fausse Prude , Opera Comique , 591
593
Isabelle Arlequin , &c.
Nouvelles Etrangeres. Turquie et Perse , Russie ,
Pologne , Allemagne ,
Italie , Portugal ,
Grande Bretagne , Hollande et Païs - Bas ,
Morts des Païs Etrangers ,
596
600
602
ibid.
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , & c. 603
Lettre sur un fait très - extraordinaire ,
Morts , Mariages , &c.
Arrêts Notables ,
Errata de Fevrier.
Age 261. ligne 18. fertiles , lisez fertile.
PAP. 293. 1. 25. simplicien
, l. Ange.
Ibid. 1. 27. lui , ôtez ce mot.
P. 338. 1. derniere , fels , l . fils,
Fautes à corriger dans ce Livre.
Age 423. ligne 4. surprendre , l. suspendre.
P. 427. 1. 5. Caton , I. Cateau. PA
Ibid. 1. 15. ou l'on , l. ou l'an.
P. 446. 1. pénultiéme , Falaye , l. Palaye .
P. 458. 1. 6. pour , l. par.
P. 468. 1. 2. et repette , l. et le repette.
P. 521. l. 13. suivie , l. si vive .
P. 525. 1. derniere , poursuit- il , l. pousuivit-il.
P. 526. l . 9. ses yeux , l. ses voeux.
P. 563. 1. 22. le , l . ce.
607
608
609 .
La Médaille gravée doit regarder la page 574
Air noté doit regarder la page
575
Qualité de la reconnaissance optique de caractères