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John Bigelow
tothe
88
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DM
MERCURE



*IM
2
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT
JUILLET. 1730 .
QUE
COLLIGIT
SPARCIT
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER ; me
S.Jacques , au Lys d'Or.
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conty,
à la defcente du Pont- Neuf , au coin
de la rue de Nevers , à la Croix d'Or.
JEAN DE NULLY , au Palais
à l'Ecu de France & à la Palme.
M. D C C. X X X.
roba .. Privilege du Roy,
alb.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AV
ROT
JUILLET . 1730 .
UE
COL
COLLIGIT
SPARCITE
Shay
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER ; me
S. Jacques , au Lys d'Or.
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conty,
à la defcente du Pont Neuf, au coin
de la ruë de Nevers , à la Croix d'Or.
JEAN DE NULLY , au Palais,
à l'Ecu de France & à la Palme.
M. DCC. X X X.
roba ..
Privilege du Roy
PUBLICARXXX THE
*********
35162
A V I S.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
L
Mercure
ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU, Commis an
vis - à- vis la Comedie Fráncoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Merà
Paris , peuventfe fervir de cette voye
pour lesfaire tenir.
eure,
On prie très- inflamment, quandon adreffe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
foin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toujours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non -feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages , mais
même de les perdre, s'ils n'en ont pas gardé
de copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiterent
avoir le Mercure de France de la
premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau ,
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps
temps , & de les faire porter fur
Pheure à la Pofte , ou aux Meffageries qu'on
ui indiquera.
PRIX XXX . SOLS,
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
JUILLET . 1730 .
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
PIECES FUGITIVES ,
V
en Vers & en Profe.
LA DOUCEUR,
O DE.
Ertu que l'Arbitre du Monde ,
Préfere à tant d'autres vertus
>
Qui tiens dans une paix profonde ,
Les coeurs par des Traits abbatus ,
Fille du Ciel , Douceur charmante
Aux Chanfons , que pour toi j'enfante ,
Viens mêler tes charmes puiffants :
A ij
Que
+480 MERCURE DE FRANCE
Que fur ma Lyre harmonieuſe ,
Une tendreffe précieuſe ,
Immortalife mes accens.
L'Efperance par toi conduite ,
Rentre chez les triftes Humains :
Quels biens n'as- tu pas à ta fuite ?
Tu les répands à pleines mains.
Tu nous donnes les récompenfes ,
Et quand tu punis les offenſes ,
On aime ta féverité.
Parmi les bienfaits que tu places ,
Les refus tiennent lieu de graces ;
Tout part de la même bonté.
Ainfi lorfqu'au Printems de l'âge ,
Par d'inévitables attraits ,
Une Beauté brillante & fage ,
Aux jeunes coeurs lance fes Traits
De fa candeur infinuante ,
Ses Amans , Troupe impatiente ,
Refpectent l'accueil gracieux :
A l'Amour fon ame rebelle ,
Vers l'Amitié tendre & fidele ,
Tourne la douceur de ſes yeux.
Loin de moi , Fierté fourcilleufe ;
Qui des plus intimes amis.
JUILLET. 1730. 148 *
Par une hauteur pointilleuſe ,
Fais d'implacables ennemis :
Je laiffe à des ames vulgaires
Tes faveurs toujours mercenaires
C'eſt un appas trop dangereux :
Avec dédain , je les néglige ,
Les refpects que ton fafte exige ,
Me font un tribut onereux.
Dans une puiffance modefte ;
Qui craint d'étaler ſon pouvoir ,
Je reconnoîs l'Eſprit celefte ;
Tout m'avertit de mon devoir.
Mais d'une humeur fiere & hautaine
Je hais l'affectation vaine ,
Qui me refuſe ſes regards :
Je ris d'une grandeur farouche ,
Qui dédaigne d'ouvrir la bouche ,
Pour applaudir à mes égards.
Mortels , devenez plus traitables ,
Et nous tombons à vos genoux :
Oui , vous nous êtes fecourables ,
Mais , vous , que feriez - vous fans nous ?
Ecartez ces fombres nuages ,
Qui de vos auguftes viſages ,
Banniffent la férenité ;
A iij
Et
1482 MERCURE DE FRANCE
Et par des hommages finceres ,
Vous verrez nos coeurs moins féveres ,
Reprendre leur vivacité ,
A ceux mêmes qu'un fort fantafque
'Affervit à nos volontez ,
Epargnons du moins la bourrafque ,
De nos caprices indomptez.
Que notre bras , qui les châtie ,
Dans le temps qu'il les humilie
Les traite comme nos égaux :
Fuyons ces aigreurs offençantes
Et ces paroles foudroyantes ,
Qui ne font qu'irriter leurs maux.
Non , rien n'arrofe mieux la terre ,
Que l'eau qui coule fans fracas :
L'Onde qu'enfante le Tonnerre ,
Caufe toûjours d'affreux dégats ;
Tout cede au caprice terrible ,
Tout hait la rigueur inflexible ,
D'un furieux , d'un emporté :
Mais les coeurs avec confiance ,
Suivent l'aimable violence ,
D'une paiſible autorité.
Qu'apperçois-je ? Mars & Bellone ,
Egorgent
JUILLET. 1730. 1483
"
gorgent les Romains tremblans :
Les Lauriers qu'Augufte moiffonne ,
Ne font que des Lauriers fanglants ;
Sous fon bras , les Villes rangées ,
Pleurent , dans le fang fubmergées ,
Leurs plus fideles deffenfeurs ,
Et fon triomphe imaginaire ,
N'eft qu'un fpectacle fanguinaire
Où je vois d'affreufes couleurs.
C'eft toi , Douceur compatiffante
Qui viens arrêter tant d'excès : -
De la victoire menaçante ,
Tu bornes les cruels fuccès :
Par tes foins l'Abondance heureufe
Bientôt de l'ardeur belliqueufe ,
Va réparer les vains exploits :
Déja le Vainqueur redoutable ,
Prête ſa main infatigable ,
Pour foufcrire à tes faintes Loix
Ah ! pour la veritable gloire ,
Ne ceffons jamais d'être ardens
Et ne vivons pas dans l'Hiftoire ,
Pour effrayer nos deſcendans .
Ceft là que , devant tous les hommes ,
Nous paroîtrons tels que nous fommes ,
A iiij Affables
1484 MERCURE DE FRANCE
'Affables , durs , mauvais ou bons ;
Que dans cet avenir immenſe ,
Par des actions de clemence ,
Les Humains connoiffent nos nóms.
FRANCE, c'eft par là que l'on vante ,
L'augufte Sang de tes BOURBONS :
L'aimable Vertu que je chante ,
Eft l'ame de leurs actions.
Que cette bonté magnanime ,
Pour ton PRINCE à jamais anime ;
La tendreffe de fes Sujets ;
Et que les Filles de Mémoire ,
Forment , pour celebrer ſa gloire ;
Tous les jours de nouveaux projets .
DE LA RUE , ancien Profeffeur de
Rhéthorique.
ぬの
MEMOIRE pour fervir à l'Hiftoire
de la Peinture. Vie de feu M.Jouvenet.
EAN JOUVENET , Peintre ordinaire
du Roy , & l'un des plus fameux
de fon temps , fils de Laurent Jouvenet
Peintre,qui lui montra les premiers principes
de fon Art , nâquit à Rouen le 12
Avril
JUILLET. 1730. 1489
Avril 1644. Ses Ancêtres , Originaires
d'Italie , étant venus s'établir à Lyon , &
delà en Normandie , y ont tous profeffé
la Peinture avec fuccès ; ce fut Noël Jouvenet
fon ayeul qui en donna les premiers
principes au célébre Pouffin ; duquel
celui-cy copia d'abord les Tableaux,
& prit fi-bien-le goût & l'efprit , que fes
premiers Ouvrages tiennent beaucoup de
la maniere de cet excellent Peintre . Mais
le génie facile & vafte de Jean Jouvenet
fut trop vif& trop élevé pour fe renfermer
long-temps dans les bornes étroites
& ferviles de l'imitation. Né pour ce que
la Peinture a de plus grand, il fe fit bientôt
une maniere sûre & hardie , fondée
fur des principes certains , qu'il s'étoit
rendue propre à lui -même, d'après la fettle
& belle nature , qu'il étudia toujours
avec le difcernement le plus exquis &
l'application la plus fuivie . C'est ce qui a
mis dans tous fes Ouvrages une action fi
vive , fi naturelle , fi - bien entenduë` , la
vraie intelligence du Clair- obfcur & l'accord
le plus parfait des Ombres & des
Lumiéres , un Deffein fçavant & correct ,
le plus beau choix des attitudes & de
rout ce qui rend fes Perfonnages nobles,
vivans , animez , les Drapperies les mieux
jettées & d'un meillenr goût. II ' poffedoit
au fouverain dégré la connoiffance
A. v la
4
1486 MERCURE DE FRANCE
la plus exacte de la Perfpective Aërienne,
qui fait comme jouer l'air , & tourner
Fail du Spectateur autour de toutes les
figures ; il faifoit paroître le lieu de la
Scene , auffi vafte qu'il convenoit à ſon
fujet , fans équivoque & fans contradiction
, répandant fur tous fes objets , par
l'artifice du clair - obſcur , & l'intelligence
du Coloris en general , ce vrai charmant
qui trompe fi agréablement par
jufte harmonie des couleurs & de la perfpective.
Il avoit d'ailleurs toutes les parties
qui font l'excellent Peintre & le
grand Maître.
la
Il n'eft pas étonnant
que
des talens
fi
rares
ayent
eû de fi prompts
& de fi heu--
reux
fuccès
, ni que cet habile
Artiſte
ait
acquis
de fi bonne
heure
une réputation
,
qu'il
a toujours
foutenue
& augmentée
jufqu'à
la mort
.
Etant venu à Paris à l'âge de 17 ans ,.
pour étudier & fe perfectionner dans la
Peinture , quelque mal - intentionné s’avifa
d'écrire à fon pere qu'il perdoit tout
fon temps en vains amuſemens, & qu'il
ne travailloit point . Le jeune homme piqué
d'un reproche fi injufte , fe juftifia
par un Tableau d'Hiftoire , qu'il envoya
à fon pere..
C'étoit un Moife frappant le Rocher
qu'il avoit fait de génie Ouvrage infini--
ment:
JUILLET. 1730. 1487
ment audeffus de la force de fon âge , &
qui fit fentir dèflors jufqu'où iroit un
Éleve , dont les premiers coups d'effay
pouvoient paffer pour desChefs- d'oeuvres .
Ce Tableau , dont la compofition eſt
fort riche , eft entierement dans la manicre
du Pouffin .
Son mérite bien -tôt répandu le fit recevoir
avec applaudiffement à l'Académie
Royale de Peinture en 1675. Il y fut fait
Adjoint à Profeffeur en 1676. Profeffeur
en 1681. Adjoint à Recteur en 1702 .
Directeur en 1705. & Recteur perpetuel
en 1707. Son Tableau d'Académie reprefente
Efther évanouie devant Affuerus
que les Académiciens regardent comme
un de leurs plus beaux Tableaux .
M. le Brun qui l'eftimoit beaucoup , le
fit travailler fous lui dans les grands Ouvrages
du Roy , à S. Germain , aux Tuilleries
, à Veriailles , à la Gallerie , & c.
Sa furprenante facilité & fon génie
abondant , lui ont fait enrichir la France
d'un très - grand nombre d'Ouvrages répandus
à la Cour , dans Paris & dans les
Provinces:
Il avoit été mandé en 1694. par le Parlement
de Bretagne , pour y peindre la
Seconde Chambre des Enquêtes , & Pannée
fuivante il peignir encore à Rennes ,
dans une Gallerie du Greffier en Chef du
A vj
Pate
1488 MERCURE DE FRANCE
Parlement , un Platfond de 40 pieds de
long , qui lui acquit beaucoup de réputation.
Ce beau morceau , un de ceux
qu'il eftimoit le plus , fut fait en 45 jours.
Son premier Ouvrage public , & qui lui
en fit une fort grande , fut un grand Tableau
( on May ) qu'il fit pour Notre-
Dame de Paris , & qui fut fort applaudi .
LOUIS XIV.voulut qu'il peignit dans
fa fuperbe Eglife de l'Hôtel des Invalides
, les douze Apôtres , de 14 pieds de
proportions , avec leurs Attributs , peints
a Frefque , qui font autour de ce magnifique
Dôme ; & Sa Majefté le nomma:
pour peindre dans fa nouvelle & fomptueufe
Chapelle de Verfailles , la partie
qui eft au deffus de la Tribune , où il a -
repreſenté admirablement la Defcente du
S. Efprit fur la Vierge & fur les Apôtres . Il
y'a encore de fa main dans cette belle
Chapelle , un excellent Tableau de faint·
Louis , qui fait panfer les bleffez & enterrer
les Soldats tuez à la Bataille de Damiette.
Le Roy fut fi content de ces travaux
qu'outre le payement de fes Ouvrages
ce grand Prince lui augmenta confiderablement
la penfion ( a ) dont il l'avoiť
(a ) Quand il remercia le Roy en 1695. dela
penfion qu'il avoit obtenuë; S. M. lui dit, avec
bonté , je fuis fort content de vous , continuez
àbienfaire , & votre merite fera récompensé..
JUILLET. 1730. 1489
déja honoré long - temps auparavant ; ce
fut une marque de diftinction tresfateufe
.
qui
On voit de fa main l'Apotheofe d'Her
cules , dans le grand appartement du Château
de Versailles , un Tableau reprefentant
l'Hyver, dans le grand Sallon de Marly;
un de Latône & de fes Enfans , à Meudon
; Zéphire & Flore , la naiffance de Bacchus
& Apollon , qui deſcend dans le fein
de Thétis , à Trianon.
Il n'eft pas poffible de faire icy le détail
de tous les Tableaux qu'il a peints, & qui
fe confervent précieuſement dans les Cabinets
des Curieux .
Quant à fes Ouvrages publics , il y a
quatre grands morceaux dans l'Eglife de
S. Martin des Champs , qui font l'admiration
de tous les Connoiffeurs , & qui
repréfentent (' plus grand que nature ) la
Pechereffe che le Pharifien. JESUS - CHRIST
chaffant les Marchands du Temple. La Pêche
de S..Pierre , & la Réfurrection du La-
Zare .
Le feu Roy s'étant fait apporter ces
quatre Tableaux à Trianon , ordonna à
1'Auteur de les répéter , afin d'en faire
quatre piéces deTapifferies de la Couronne.
Et quand le Czar de Mofcovie, Pierre
le Grand , vint en France en 1721. il
rut fi charmé de ces fuperbes Tapifferies ,
paqui
1490 MERCURE DE FRANCE
qui avoient été faites aux Gobelins , fousles
yeux-mêmes de l'Auteur , que LOUIS
XV. à prefent Regnant , en fit prefent à
Sa Majefté Czarienne , avec Ordre qu'on
en refit pour la Couronne de pareilles
aux Gobelins , où elles ont été plufieurs
fois répétées. Il ne faut pas oublier dans
cet article un grand Tableau de la Cenet
de N. S. qui a auffi été mis en Tapifleric,
pour le Roy.
Un autre morceau inimitable de ce
Peintre , eft le grand Tableau du Choeur
des Chartreux à Paris , où JESUS-Christ
eft reprefenté au bord du Lac deGénéfareth ,
guériffant un nombre infini de divers Ma-
·lades.
Dans les autres Eglifes de Paris , on admire
aux Capucines , le Tableau du Grand
Autel, qui eft une Defcente de Croix , & le
Martyre de S. Ovide , dans la Paroiffe de
S. Roch, le Martyre de S. André , que l'on
regarde comme une piece achevée ; le Sacrement
de l'Extrême- Onction , dans une
Chapelle de l'Eglife de Saint Germain de
l'Auxerois; une Nativité , dans la Chapelle
du College de Louis le Grand ; JESUSCHRIST
élevé en Coix , dans l'Eglife :
des Religieufes de S. Dominique , rue de
Chronne , & c.
On voit plufieurs Ouvrages de lui au
Château de Meudon , à l'Hôtel de Conti
JUILLET. 1730. 1497
à Paris , chez M. de Saint- Pouanges , & le
Prefident Robert , & c.
Mais ce qui eft bien remarquable , &
peut- être fans exemple, c'eft que fur la fin
de la vie ce grand Peintre étant devenu
paralitique de la main droite, après un accident
d'apoplexie , dont il fut attaqué en
1713. peignit librement de la inain gauche
plufieurs grands Ouvrages , qui ne
cedent en rien à tout ce qu'il avoit fait
dans toute fa force, de plus fini & de plus
hardi ; tant il est vrai que ce n'eft point la
main feule, ni fon adreffe qui fait la peinture
; mais la tête , les lumieres de l'efprit
& la fcience des principes vrais & certains..
Ces Tableaux peints de la main gauche
font un Platfond de trente pieds de long,,
à la feconde Chambre des Enquêtes du
Parlement de Rouen , où l'on voit la Juftice
qui terraffe la fraude , la chicane , &c.
la Vifitation de la fainte Vierge , dans le
nouveau Choeur de l'Eglife Métropolitai
ne de Paris ; & une Affomption , pour la
Chapelle d'un de fes amis , aux Voiffeaux,
près de Beaumont ſur Oyſe.
Les Grands Hommes devroient être
auffi immortels que leurs Ouvrages . Celui
- ci chéri de tous ceux qui le connoif--
foient , respecté & confideré de tous les
Connoiffeurs , eftimé de tout le monde & :

*
auffi
1492 MERCURE DE FRANCE
auffi recommandable par fa probité que
par les talens , mourut le 5 Avril 1717.
au milieu de fa famille , dont il faifoit
toutes les délices , & qu'il avoit élevée dans
les principes des plus folides vertus , net
laiffant point de garçons , héritiers de ſon
génie, mais quatre filles , d'un mérite tresdiftingué.
Au défaut de fils , il a eû la confolation
de laiffer un Eleve dans fon neveu , Mr.
Reftout , receu depuis la mort à l'Académie
, & qui a fait de fi grands progrès,
qu'on peut dire que fon illuftre oncle revit
en lui. C'eft à l'occafion de ce cher
neveu , que feu M. Jouvenet découvrit
un talent qu'il ne croyoit pas avoir :
Voici comment. Revenu des Eaux de
Bourbon , qui n'avoient rien operé fur
fon bras paralytique , il voyoit peindre
M. Reftout, & voulant lui faire faire
quelque correction dans fon ouvrage , il
ne pouvoit pas bien fe faire entendre.
Vif & prompt' comme il étoit , il prend
brufquement le Pinceau de la main gauche,
il opere ; & cette main guidée par la
force de fon efprit , trace exactement &
exprime fa penſée. A fon étonnement ,
fucceda la joye incroyable qu'il eut de fe
voiren état de travailler , & de cultiver
un Art pour lequel il avoit tant d'amour.
On ne prétend pas donner icy le Catalogue
JUILLET. 1730. 1493
talogue de tous fes Ouvrages , cela groffiroit
trop ce Journal ; mais nous le donnerons
au Public , avec les noms des celebres
Graveurs qui les ont mis en Eſtampes
, perfuadez que les Curieux nous en
Içauront gré.
Jouvenet , eft un des Peintres de fon
tems qui a produit le plus de grands Ouvrages
. Il avoit une pratique facile , exactement
foumiſe à fa féconde imagination,
& deffinoit avec une facilité & une préciſion
admirable , fans jamais perdre la
nature de vûë , qu'il ne ceffoit d'étudier,
pour parvenir à cette imitation naïve
qu'on admire dans fes Tableaux . On en
voirquelques- uns de Chevalet , où il s'eft
un peu écarté de cette grande maniere fiere
& reffentie , qui prouvent qu'il ſçavoit
mettre des graces & de la délicateffe
dans fes Ouvrages , felon l'exigence des
cas ; car on a long - tems cru qu'il cherchoit
autant à étonner le Spectateur qu'à
lui plaire.
Ses Portraits font d'une reffemblance
parfaite & d'une verité admirable. Il imaginoit
facilement & compofoit tres - bien
exprimoit fenfiblement & employoit à
propos les allégories & les épiſodes, pour
enrichir & faire valoir fes productions .
Il n'avoit jamais vû l'Italie , quelque
amour qu'il eut pour les grands Maîtres
qu'elle
1494 MERCURE DE FRANCE

qu'elle a produits & pour les merveilleux
Ouvrages qu'on y admire ; preuve certaine
, mais rare , que les heureux talens
difpenfent les grands hommes des routes
ordinaires. Le feu Roy , qui avoit pour
Jui une eftime finguliere, lui fit l'honeur
de lui dire un jour que s'il vouloit faire le
voyage pour fa propre curiofité , & pour
fatisfaire l'envie qu'il en avoit toujours
confervée , il en feroit tous les frais . Mais
les grandes occupations que M. Jouvenet
avoit alors, & qu'il a toujours eues depuis,
ne lui ont jamais permis d'entreprendre
ce voyage. Au refte il avoit beaucoup de
probité & de religion , n'aimant point le
fafte; il étoit fort charitable, compatiffan
& bon ami.
XXXXXXXXX :XXXXXX
SUITE de la Traduction du Poëme
de Petrone ,fur la Guerre Civile.
L
' Ame du grand Céfar de rien n'eft alarmée
;
Rien ne peut arrêter l'ardeur de fon armée :
Parmi les cris de joye , il monte dans ces lieux
Il y campe , & delà , jettant au loin les yeux
H découvre les Champs de l'injufte Hefperic ;
Il fent à cet objet redoubler fa furie.
;
Et levant vers les Cieux & les mains & la voix ,
JUILLET. 1730. 1498
O Dieux, dit- il, ô Terre , où mon bras autrefois
,
Par de fanglans combats , captiva la Victoire
» O Pays , dont j'ai fait & la joye & la gloire .
» Un refte de bonté me parle encor pour toy ;;
Je cours à la vengeance , & j'y cours malgré
moy.
La Guerre qui s'apprête, ô Rome , eft ton ou
vrage :
Toy feule , tes mépris ont formé cet Orage.
Quoy ? tandis que volant de combats en
combats ,
Je t'affervis le Rhin , j'augmente tes Etats ,
» Tandis que t'immolant le débris de la Gaule
J'affermis de nouveau la paix du Capitole ,
L'Exil de tant d'Exploits fera Pindigne prix ,"
» As-tu donc crû Céfar , infenfible au mépris
Chaque fuccès nouveau me fait un nouveau "
crime !
» Des Romains que je fers , ferai - je la victime a
Efclaves malheureux , d'un fordide interêt ,
» Bien plus que mon pouvoir , ma gloire vous
déplaît .
> En vain la paix convient au bien de la patrie
» La Guerre contre moi , fert mieux la jaloufie
.
Qu'ils ne fe flattent pas que ce bras , fans vengeur
,
Puiffe tomber aux fers d'un indigne vain
queur..
J
» Non
1496 MERCURE DE FRANCE
}
Non , non , je ne crains point leur injufte ca
price ,
Allons , le fer en main , leur demander juf
tice.
Mon crime , chers amis , eft un crime commun
,
Rome , en me menaçant , vous menace cha
cun.
Je n'ay pas vaincu feul , je vous en dois la
gloire ,
Nous devons partager le fruit de la victoire.
» Marchons à Rome, allons, prevenons le dan
ger ,
Il faut , chers compagnons , périr ou fe ven
ger.
Pour moy , graces à vous , je ne fuis point
plaindre ,
Avec de tels Guerriers , Cefar ne fçait ries
craindre.
A peine achevoit -il , que par un vol heureu
Un Aigle l'affura du fuccès de fes voeux .
Sur la gauche du Camp , les Forêts retentirent
On entendit des voix , que les flammes fuivirent.
Phébus , d'un or plus pur , rehaufſa ſes cheveux
Et fit fur l'Horifon fentir de nouveaux feux.
Cefar , fortifié par tant d'heureux préfages ,
Au
JUILLET. 1730. 1497
Au travers des dangers , va s'ouvrir des paffages.
Il marche le premier ; la neige & les glaçons
Réfiftent quelque temps au poids des Eſcadrons
Mais bientôt , de la terre , échauffant la furface
,?
La foule fous fes pas , fait diffoudre la glace,
La Neige difparoît , fous les Chevaux tremblans
,
On voit de toutes parts , fe former des Torrens
Dont les Flots tout à coup rafermis & folides
S'arrêtent au milieu de leurs chûtes rapides .
On diroit , à l'aſpect d'un fi prompt change
ment
Qu'un invifible frein , retient cet Element.
En vain fur le penchant de ces routes gliffan
7 tes ,
S'avancent pas à pas , les Légions tremblantes.
Armes , Hommes , Chevaux , Bagages , Eten
darts ,
Pêle , inêle , emportez , tombent de toutes parts,
Pour furcroît de Terreur , il furvient un Orage
L'Aquilon déchaîné fait éclater ſa rage;
Dans un Nuage horrible , il amene la nuit¸
Et la Grêle auffi-tôt ſe répand à grand bruit .
Il femble qu'une Mer au haut des Cieux for
mée ,
Defous fes Flots glacez , veut engloutir l'Armée,
LA
1498 MERCURE DE FRANCE.
Le Ciel , la Terre & l'Onde enfemble confondus
,
Sous l'effort de l'Hyver font unis & vaincus.
Cefar réfifte feul , appuyé ſur ſa Lance ,
Il brave le péril , il deſcend , il s'avance.
Tel Alcide autrefois , d'un pas victorieux ,
Marchoit fur le Caucafe , & tel au haut des
Cieux ;
Paroiffoit Jupiter , lorfqu'armé du Tonnerre ,
Il confondoit l'orgueil des enfans de la Terre.
Mais tandis que l'Armée aprés tant de Travaux
Aux pieds de ces Rochers , fe range à fes Drapeaux.
La Décffe aux cent voix , part d'une aîle tremblante
,
Vole au Mont - Palatin ; là , femant l'épouvante ,
Elle apprend aux Romains , que Cefar en fureur
,
Arrive & va bien-tôt leur parler en vainqueur.
Leur fait voir fes Vaiffeaux , fur les Mers d'Au-
/ fonie,
Ses Soldats tout couverts du fang de Germanie.
L'Incendie & le fang , les dangers , les hazards ,
La Guerre & fes horreurs s'offrent de toutes
parts.
Rome aux premiers éclairs de ce funefte orage
E differens projets , s'agite & fe partage.
L'un
JUILLET. 1730. 1499
L'un par terre s'enfuit , l'autre fur des Vaif
feaux ;
La Patrie eft déja moins feure que les caux .
Il en eft dont le coeur moins fenfible aux allar
mes >
Attend que le deftin s'explique par les armes.
Plus on craint , plus on fuit ; le peuple épouventé
Ne croit plus dans fes Murs trouver de sûreté ,
Il s'éloigne , & tenant une route incertaine ,
Alfe porte au hazard ou fa frayeur l'entraîne .
Rome fe plaît à fuir , les Romains de concert
De ces Murs fi fameux font un affreux défert.
Le fils tremblant gémit entre les bras du Pere ;
Celui- cy tient les Dieux que fa Maiſon revere ,
Er maudiffant cent fois les ennemis abfens ,
Les accable de loin , fous des voeux impuiffans,
L'Epoufe avec l'Epoux , l'Enfance & la Vieil
leffe.
Dans leurs embrafemens confonde leur trifteffe ,
La jeuneſſe , au hazard , fans confulter le poids,
Court au premier objet qui peut fixer fon choix.
L'Avare , fur fes bras , charge fon équipage ,
Et voulant tout fauver , porte tout au pillage .
Ainfi quand l'Aquilon , troublant la paix des
Flots ,
Par un fouffle imprévu furprend les Matelots.
L'Art & le Gouvernail , tout devient inutile ,
Aux travers des Ecueils , l'un fe cherche un azy,
le Celui- cy
385162
1 500 MERCURE DE FRANCE
Celui -cy jette l'anchre & deffend ſon Vaífſeau ;
L'autre attend fon falut & du fort & de l'eau.
Mais que dis-je , là Mer & les Vents & POrage
,
Des Romains effrayez , font une foible image.
Le croira-t-on ? Tout fuit en ce trouble honteux
;
Le Senat , les Confuls , & Pompée avec eux.
Oui , ce Héros vainqueur , du Pont , de Mithri
dates ,
La Terreur de l'Hydafpe , & l'Ecueil des Py
rates,
Lui , que Rome en un jour , vit triompher trois
fois ,
Lui , qui fit aux Dieux même , envier fes Exploits
,
Enfin , lui dont le nom redouté du Boſphore ,
Vole de Mer en Mer , du Couchant à l'Aurore ;
Il fuit ; le fort cruel lui fait tourner le dos ,
Et traite également le Peuple & le Héros.
Le dirai - je le Ciel en ce défordre extrême ,'
Le Ciel a vú trembler , a vû fuir les Dieux
même.
En vain deffus la Terre il refte des Autels ;
Toutes les Déitez s'éloignent des mortels.
La Paix , la douce Paix , les quitte la premiere ;
Ses bras blancs font flétris d'une main meurtrie
re.
Ses yeux baignez de pleurs d'un voile font couyerts
.
JUILLET. 1730. 1501
Et dans ce trifte état elle vole aux Enfers .
La foy court fur les pas , en compagne fidelle
Et les Cheveux épars , Thémis fuit avec elle.
La Concorde les fuit , déchirant ſes habits ,
Et quitte avec regret des peuples trop chéris.
En échange , Pluton fait fortir fur la Terre ,
Les Monftres que l'Enfer dans les gouffres en
ferre.
La cruelle Erinnis , Megere , fes flambeaux ,
Et tout ce qu'en la Guerre on éprouve de maur,
Rempliffent l'Horifon de funeftes images ,
On voit par tout des feux , des meurtres , des
ravages.
Sur ce nouveau Théatre arrive la Fureur ,
Comme un Courfier fans frein , qu'éguillonne
la peur.
Dans un Cafque fanglant , elle montre un vilage,
Dù cent coups imprimez,font témoins de fa rage.
Son bras gauche eft couvert d'un Bouclier épais
Dont le cuir eſt chargé d'une gerbe de traits.
D'un infernal Tifon , fa main droite enflam
mée ,
Répand des Tourbillons de feux & de fumée.
La Terre s'apperçoit qu'elle a changé de Dieur
Le même changement fe fait fentir aux Cieux.
En differens projets , l'Olimpe fe divife ,
Dione de Cefar protege l'entrepriſe.
Minerve eft pour Cefar , & l'invincible Mars
Veut lui fervir de Guide , au milieu des hazards.
B Pour
1502 MERCURE DE FRANCE
Pour Pompée , Apollon & fa foeur fe déclarent ,
Acle fervir , Mercure , Alcide fe préparent .
L'égalité des faits , des Lauriers , des Travaux
La gloire unit ensemble , Alcide & ce Héros.
Déja par les Clairons , la Difcorde animée ,
Eleye dans les Airs fa tête envenimée.
Dans fa bouche croupit un fang épais & noir
Où fa Langue preffée , a peine à fe mouvoir.
On y voit les débris de quelques dents gluantes ,
Ses Cheveux font autant de Couleuvres fifflantes
Ses habits déchirez , fes yeux brillants de pleurs
Et fon flambeau fatal annoncent les fureurs.
Elle fort des Enfers , & d'une marche prompte ,
Vers le Mont-Apennin , elle avance , elle y montc..
Et , delà , découvrant les Terres & les Mers ,
Et s'écriant d'un ton , dont frémit l'Univers :
Allez , Peuples , dit - elle , allez , courez aux
( .. Armes ,
50 Répandez à la fois , les feux & les alarmes,
Qui fe cache périt & le fexe & les ans ,
30 Sont d'un foible fecours , femmes , vieillards
enfans.
Tout doit prendre parti , tout doit parler de
guerre,
» Tout doit être agité jufqu'au fein de la Terre
» Toy , Marcellus , foutiens , anime le Senat,
Excite, Lentulus , les Romains au combat.
Le Peuple , Curion , à te fuivre s'aprête ;
» Qui
JUILLET. 1730. 1503
Qui t'arrête , Cefar acheve ta conquête.
» En vain Rome prétend repouffer tes efforts ,
» Viens forcer des Remparts , viens piller des
Tréfors.
1
» Et toy , Pompée , & toy , va fauver ta patric
Va , cours enfanglanter les Mers de Theffalien
» Epidaure t'attend , va d'un pas glorieux ,
Entre Cefar & toy faire expliquer les Dieux.
Elle dit , & foudain la Terre obéiffante ,
Par un prompt mouvement répond à ſon attente,
SUITE de l'Eloge de M. Baron , &c
Ik
L arriva aux Indes dans la même an
née 1671. après avoir effuyé les fatigues
d'un long & penible voyage , d'abord
par terre en traverfant une partie
des Deferts d'Arabie & de la Perfe , pour
fe rendre à Ormus , dans le Golphe Perfique
, où il s'embarqua fur un Vaiffeau
du Roi qui le conduifit à Surate , Ville
Maritime de l'Indoftan ou des Etats du
Grand Magol.
J'écrirois un volume entier fi j'entreprenois
de fuivre pas à pas nôtre Directeur
, pendant les douze ou treize années
qu'a duré fon Adminiſtration , dans les
principales circonftances ou il a continué
Bij de
1504 MERCURE DE FRANCE
de faire paroître fon zele ardent pour la
Religion , fes égards pour les Miniftres
fa charité fans bornes , fon fidele attachement
au fervice du Roi , dont il a foutenu
hautement la gloire dans plufieurs occafions
,fon application au bien general du
Commerce , & aux interêts de la Compagnie
; je ne finirois point , dis-je , fi je
rapportois tous les faits publics ou particu
liers qui font venus à ma connoiffance par
des Perfonnes refpectables, qui en ont été
les Témoins, où que je trouve dans de fideles
Memoires, & qui font autant de traits
marqués de toutes les vertus qui font le
grand Homme & le parfait Chrétien.
Je me contenterai de rapporter ici ce
qu'il fit paroître de conduite , de courage
& de fermeté , dans une occafion importante
qui fe prefenta , & qu'il ne feroit
pas jufte de paffer fous filence. La Guerre
qui s'étoit allumée en Europe entre la
France & la Hollande dès l'année 1672 .
paffa jufques dans les Indes . Les Hollandois
, puiffans , comme l'on fçait , par leur
Commerce dans cette partie de l'Afie ,
entreprirent en 1674 , le Siege de la Ville
Maritime de S. Thomé , où les François
avoient un Etabliffement confiderable.
M. de la Haye quí y commandoit pour
Roi , & qui ne s'attendoit pas à cette
attaque , defefpera de pouvoir fauver une
le
Place ,
JUI N. 1730. 1505
..
Place , affez dépourvûe ; il demanda du
fecours à M. Baron , qui fit armer à ſes
dépens deux bons Vaiffeaux , chargés de
toutes fortes de Munitions ; fur lefquels
il s'embarqua lui - même & entra dans le
Port de S. Thomé , à la vûe des Ennemis,
dans l'intention de partager avec le Com
mandant la gloire & le peril de cette dés
fenſe .
و
Elle fut longue & vigoureuſe , on y fit ,
furtout du côté des Chefs , des prodiges
de conftance & de valeur. Mais les Ennemis
recevant tous les jours de nouveaux
Renforts les Affiegez fort diminuez
n'ayant prefque plus de Munitions &
toute efperance de ſecours étant d'ail
leurs perdue , on ne put s'empêcher de
capituler. La réputation de M. Baron , fa
prefence & fa fermeté , rendirent les conditions
fort honorables : Voici de quelle
maniere M. Baron y fut fpecialement
compris dans le XII. article du Traité.
J
la » M. Baron , Directeur General pour
» Compagnie Royale dans la Ville de faint
» Thomé, pourra avec tout fon bagage &
» tous fes Domeftiques s'en aller à Surate
» ſur les Vaiffeaux Hollandois qui iront à
» la premiere * Mouffon , & il fera traitté
* Mouffon , mot Arabe qui fignifie temps
préfix , & qu'on donne aux Vents alifex on
#eglez , qui regnent en certaines Saifons.
B iij
avce
1506 MERCURE DE FRANCE
avec toute l'honnêteté dûe à ſon caraċ-
>> rere ; fi mieux il n'aime y aller par terre,
» auquel cas on lui donnera les paffe ports
neceffaires , &c.
Ce Siege qui par l'état de la Place & l'éloignement
des fecours ne devoit pas durer
, fit du bruit dans l'Europe , toutes
les nouvelles publiques en parlerent & en
particulier la Gazette d'Hollande .
J'ai omis de marquer en for lieu , que
M. Baron n'acheva de fortir d'affaires avec
les Marchands du Caire , en les payant de
ce qu'il leur avoit emprunté pour la déli
vrance du Conful & des Marchands de
Venife, que la derniere année de fon Confulat
d'Alep , efperant toujours d'être
remboursé lui - même par le Commerce de
Venife , chargé d'acquitter les dettes de la
Nation , ce qui mit fes affaires particu
lieres en affez mauvais état.
Il lui vint dans l'efprit plufieurs expe
diens pour faire avancer ce rembourfe
ment , qui demandoit ou une preſence
actuelle ou une puiffante protection . Celle
du Pape Innocent X I. lui
parut d'abord
efficace ; il avoit déja l'honneur d'en être
connu par tout ce que j'ai rapporté de
fon zele pour les Prelats , & pour les Miffionnaires
Apoftoliques ; de plus il fe
trouvoit qu'un neveu du Pape , Sénateur
Milan , & fort aimé de S. S. avoit époulé
une
JUILLET . 1730. 1507

tine Demoiselle de la Famille des Barons
de Cofme, d'où l'Ayeul de M. Baron étoit
forti pour le retirer à Marſeille , enfuite
de quelques démêlés que cette Famille
avoit eûs avec des Gentilshommes de fes
Parens de l'Etat de Milan . Reut- être , die
M. Baron , dans une de fes Lettres , que
le Papeferoit quelque chofe pour moi ,fij'allois
à Rome avec la permiffion du Roi.
Il paroît cependant qu'il aima mieux
recourir à la protection de S. M. qui eut
la bonté d'écrire trois Lettres confecutives
à trois differens Miniftres , fes Ambaffadeurs
auprès de la République de Veniſe
pour faire rendre juftice à M. Baron : mais
les bontés du Roi n'eurent aucun effet par
les longueurs affectées , les incidens & les
differens prétextes , qui furent mis en
euvre de la part de ceux qui devoient
payer. Je ne rapporterai ici que
la pre
miere de ces Lettres , laquelle fut écrite à
M. l'Abbé d'Eftrades.
M. l'Abbé d'Eftrades , le fieur Baron ,
mon ſujet & Directeur general du Com
»merce de la Compagnie des Indes Orien
» tales établie en mon Royaume , m'a rea
» prefenté que s'étant trouvé au Caire en
»Egypte , en l'année 1657. lorfque le
* La Lettre qui apprend ces circonstancet
eft toute écrite de la main de M. Baron
fignée de lui , les autres ne font que des Copies
Biiij Pacha
4508 MERCURE DE FRANCE
»
» Pacha fit arrêter le Conful de la Repu-
» blique de Veniſe avec quelques autres
» Venitiens & les condamna à la mort ,
» pour avoir , difoit - il , des correfpon-
» dances avec la Ville de Candie , au préjudice
du fervice du Grand Seigneur ,
» ledit fieur Baron à la priere dudit Con-
» ful & de fes Compagnons , s'employa
auprès du Pacha pour leur fauver la vie ,
» & en obtint la grace moyennant la fom-
» me de 14901 liv . qu'il lui donna , partie
» de fes deniers & partie de ceux qu'il em-
» prunta de fes amis , dont il leur a payé
» les interêts plus de 10 ans durant à 24
» pour cent , fuivant l'ufage de la Tur-
» quie , enfuite de quoi le Conful & les
» autres Venitiens delivrez ainfi de la
» mort , promirent audit Sieur Baron de
» lui rendre fon argent dans un an avec
» les interêts, ainfi qu'il eft porté par une
» obligation du 3 Mai 1657. qu'il a entre
» fes mains ; que cependant ils n'y ont
» point fatisfait depuis plus de 20 ans
»fous prétexte de la guerre de Candie &
par l'abfence dudit fieur Baron , qui a
» toujours été employé depuis , tant en la
Charge de Conful d'Alep , qu'en celle de
>> Directeur General aux Indes Orientales ,
» qu'il exerce prefentement; enforte qu'ils
» refuſent de lui faire juftice , ledit fieur
Baron me demandant de lui accorder

»
ma
JUILLET. 1730. 1509
ma protection & comme j'eftime d'ailleurs
que non - feulement fa plainte eft
>> jufte , mais que la Republique a quel-
» que forte d'interêt que ceux de fes Su-
»jets , fauvés de la mort par l'affection
» que ledit fieur Baron a eûe pour eux ,
» fatifaffent à leur engagement , je vous
» écris cette Lettre pour vous dire , que
>> mon intention eft que vous faffiez toutes
» les inftances neceffaires auprès du Sénat,
» s'il eft neceffaire , ou aux Magiftrats pardevant
lefquels cette affaire doit fe traitter
, pour faire rendre juftice audit fieur
Baron ; outre que vous protegerez fon
bon droit,vous ferez encore une chofe
qui me fera très-agreable. Et la prefente
» n'étant à autre fin , je prie Dieu qu'il
» vous ait , M. l'Abbé d'Eftrades , en fa
» fainte garde. Ecrit à Fontainebleau ce
8 Septembre 1677. Signé LOUIS : Et
plus bas , Arnauld . Et au dos eft écrit , à
M. l'Abbé d'Eftrades , Confeiller en tous
mes Conſeils & mon Ambaſſadeur à Veniſe.
Deux autres Lettres du Roi écrites en
1679. & 1680. à Meffieurs de Varengeville
& de la Haye , fes Ambaffadeurs à
Venife , fur le mêmefujet , n'eurent , comme
on l'a déja dit , aucun fuccès .
2
Cependant peu de temps après l'expe-.
dition de S.Thomé & le retour de M. Ba-
Jon àSurate , qu'une de-fes Lettres fixe au
By 26
rsto MERCURE DE FRANCE
26 d'Août 1675. fa fanté commença d'être
alterée par une attaque de paralyfie; mais
elle ne diminua en rien la fermeté de fon
efprit , & la ferveur de fa pieté , qui alla
toujours en augmentant.
Il fit fon Teftament , dont j'ai une copie
, le 28 Juin 1680. il y donne de nouvelles
preuves de fa Religion, de fa juftice ,
& de fa charité. M. Simon Baron , fon
Frere , Prêtre de l'Oratoire , Prieur de
Beaumont , Diocèfe de Paris , y eft nommé
fon Légataire univerfel , & à fon dé
faut Jean Pierre Baron , fon Neveu , lequel
après l'avoir fuivi aux Indes , étoit
revenu en France , & fervoit dans la Marine.
M. Baron ne fit plus gueres que languir
depuis , & enfin étant tombé dans une
fievre lente fur la fin de l'année 1683. il
mourut le
30 Decembre de la même année
, laiffant tous ceux qui étoient auprès
de lui également touchez , & édifiez , &
tout le pays affligé de fa perte.
Je n'aurois prefque plus rien à vous
dire , Monfieur , fur notre pieux Directéur
, fi M. Darnaud , mon Coufin Germain
, & Parent au même degré que
moi de M. Baron , n'avoit fait depuis fon
décès le voyage de Surate , & rapporté
quelques faits particuliers que vous ne
ferez pas fâché de fçavoir. Voici un petit
Extrait
JUILLET. 1736. 1511
Extrait de deux Lettres que M. Darnaud,
devenu depuis Capitaine de Vaiffeau du
Roi , & commandant les Troupes de la
Marine à Quimper , m'a écrites fur ce fujet
de cette Ville là .
»
» Le feu Roi ayant ordonné en l'année
1700. de faire partir pour les grandes »
Indes deux Vaiffeaux de Guerre , com-
» mandés par le Marquis de Château - Mo-
» 'rant , je fus nommé premier Lieutenant
» pour fervir fur le Vaiffeau du Comman-
» dant , nommé l' Agreable. Nous allâmes
>> droit à Pondichery , où nous reftâmes
» fix femaines. De Pondichery nous allâ
>> 'mes à Goa , & de Goa à Surate , où nous
» arrivâmes la veille de Noel 1700. Nous
» y fejournâmes jufqu'au 20 Fevrier 1701 .
Les Vaiffeaux du Roi furent toujours
mouillez à Souailly " , c'eft une Rade
affurée à trois lieues de Surate. Pour
moi pendant que nos Vaiffeaux y refte-
>> rent je demeurai toujours en cetté Ville, '
» logé dans la maifon de la Compagnie
» & accablé d'honnetetés de la part de
» M. de Pilavoine qui avoit été nommé
» Directeur General , & de tous les autres
» Meffieurs , qui reprefentoient la Com
pagnie , lefquels avoient tous fervi ſous
nôtre Oncle , feu M. Baron . - n
» Ils m'affurerent qu'il eft mort comme
pun Saint après avoir vécu très - chré-
B vj tiennement
1512 MERCURE DE FRANCE
tiennement , & après avoir abſolument
tout donné fur fes derniers jours , juf-
» ques - là qu'un Capucin venant lui de-
» mander quelque chofe , & ne lui reftant
que fa vefte de deffous garnie de bou-
» tons d'or , il prit un canif fur fon Bu-`
" reau , les coupa tous & les lui donna .
» Tout cela m'a été confirmé par plufieurs
Anglois , Hollandois & Portugais qui
» l'avoient fort connu. Auffi fa mémoire
>> eft-elle en grande veneration dans tout
» le Pays , jufques-là que les Habitans na-
» turels du même Pays , quoique les uns
foient Gentils , les autres Mahometans ,
» vont faire des prieres fur fon Tombeau,
» ne pouvant oublier fes bienfaits & fa
» droiture . Ce Tombeau eft fort fimple, fi-
» tué dans le Cimetiere des Catholiques, à
>> un demi quart de lieue de la Ville ; mais
M. de Pilavoine a engagé la Compagnie
» de faire élever deffus un Monument
magnifique pour honorer fa memoire
» enforte qu'il n'attendoit plus que les
» derniers ordres pour y faire travailler
»ayant déja difpofé les chofes pour cela .
» Il me pria même de concourir à l'exe-
>> cution de ce deffein , en lui envoyant
» une Epitaphe qui répondit au fujet , me
» promettant dela faire graver fur le Mo-
≫nument qu'il méditoit. Permettés - moi ,
» mon très-cher Coufin , de me décharger
H
fur
JUILLET . 1730. 1513
>> fur vous de ce foin , j'eftime que vous
➡êtes en état de vous en acquitter , en fa-
>> veur d'un homme qui honore fi fort fa
» Patrie & toute fa Parenté. Je fuis , & c.
M. Baron étant mort fans avoir été
marié , il ne laiffa que des freres & des
neveux. Deux de fes freres font morts
Religieux de l'Obfervance S. François ,
le troifiéme après s'être diftingué dans la
Congrégation de l'Oratoire par fon érudition
& par fon éloquence , eft mort au
commencement de ce fiecle , dans le Prieuré-
Cure de S. Quentin de Boullié , Diocèle
de La Rochelle, que M. de la Vrilliere , Ar
chevêque de Bourges , lui avoit conferé
en qualité d'Abbé de l'Abbaye de Nieüil,
en Poitou . C'eſt le même dont il eft parlé
ci-devant en qualité de Legataire univerfel
du Directeur fon frere. On peut
dire que jamais qualité n'a été plus infructucufe
, malgré les foins qu'il a pris de
faire du moins acquiter la dette de Venife
, & de retirer d'autres effets auffi legitimement
dûs & auffi mal placés.
A l'égard de fes neveux , fils de Pierre
Baron , fon autre frere , mort à Alep , &
de Dame N. de Lieutaud , ils étoient au
nombre de cinq ; fçavoir : Jofeph Baron ,
mort dans fa jeuneffe en 1674. Jean Pierre
Baron , qui après avoir fait le voyage des
Indes étoit entré dans la Marine , mourut
1514 MERCURE DE FRANCE
rut auffi à Marfeille dans un âge peu
avancé en 1684. François Baron entra fort
jeune dans l'Ordre de Malthe ; il ne four
nit pas une longue carriere ; mais il fe fi-.
gnala en plufieurs occafions , entr'autres ›
Torfque la Religion envoya au fecours de
la Morée un Bataillon dont il fut fait Major
, & à la tête duquel il fut bleffé dan--
gereuſement. Le Grand-Maître Raimond
Perellos le confidera particulierement , &
le fit Capitaine d'une Galere . Il mourut à
Malte en l'année Jean Baron entra ^
de bonne heure dans la Congrégation de
l'Oratoire , puis fut Chanoine de l'Eglife.
Collegiale S. Martin de Marſeille , enfuiter
de la Cathedrale , & mourut en 1720.-
dans le tems de la derniere contágion . Et
Jean Baptifte Baron , qui après avoir embraffe
l'Etat Ecclefiaftique entra dans l'Or--
dre de Malte , & eft mort Religieux Prêtre
de cet Ordre , il avoit été pourvû fuccef--
fivement des Offices de Sacriftain de la
Commanderie de' S. Jean de Marſeille ,
& d'Infirmier du Grand Prieuré de Saint
Gilles , & enfin de la Commanderie d'Ef--
pagnac. C'eft , comme je l'ai dit au commencement
de ma Lettre, en marquant le
tems de fa mort , le dernier qui reftoit de
toute cette vertueufe & nombreuſe famille.
Je joins ici une copie de l'Epitaphe de
M.:
JUILLET. 1730. ISTS
M. Baron , qu'on n'a pû refufer à fa mé→
moire , & qui a été envoyée aux Indes .
dans l'intention que vous avez vû cideffus
. Il me refte à vous affurer
fuis veritablement
, Monfieur &c.
que je
A Paris le 10. Mars 1729.
D. O. M.
Sta Viator...
Hic in fpem Refurrectionis quiefcunt offa &
cineres infignis pietate viri D. D. FRANCISCI
BARON Maffilienfis ,
Qui
Poft emenfam Europam , Ægyptum , Paleftinam
, Syriam , ubi fupremum Gallia &
Batavia
Confulatum
Magnificè & fapientiffimè geffit :
In remotiores Afia fines à REGE CHRISTIANISSIMO
foederis cùm Indiarum
Regibus ineundi , ac rei Mercatoria reftanranda
, & providenda caufâ ,
Felicibus aufpiciis miffus.
SURATE maritima Indorum Metropoli
fedem fixit:
Ibi
Ingenii acie , cordis amplitudine , eloquii
Comitate
1516 MERCURE DE FRANCE
comitate , morum candore ; præfertim in miferas
continuâ , ac prodiga charitate apud
Indos indigenas & cæteras utriufque Orbis
Gentes.
Clariffimus evafit
Quijam variis avita virtutis fua monumentis
clarus erat & percelebris
Qui
Ubique Terratum
Religionis tuende , promovenda , ejufque
Miniftros fovendi , fublevandi , piâ femper
& indefeffa motus eft follicitudine.
Quique malè opprefforum præfens femper efficaxque
remedium , de ipfa Venetorum Republica
optimè meritus eft :
Ob Cives & Confulem
Jugifapientia , proprio aere , non reftituto
ab imminentis mortis periculo , durifque vinculis
à Pharaone altera in Egypto paratis,»
felici & infolenti beneficio
Servatos , redemptos , liberatos ,
ANNO M. DC. LVII.
Tandem poft diuturnam divina Legis obfer
vantiam , poft opes effufas , Domum , pios
Libros , ipfas veftes & omnia pauperibus
erogata.
Sufficiente fibi Deo omnia.-
Pie obdormivit in Domino Chriftianus &
calebs Philofophus. Anno Reparat. Salut
Han
JUILLET. 1730. 1517
Hum. M. DCC. LXXXIII. Die XXX .
Decembris
Abi Viator ,
, Et tanto motus Spectaculo Spretis Orientis
falfis opibus , pius imitator thefaurifa tibi
thefauros in coelo.
Hoc munificentia , pietatis , & grati animi
monimentum Illuftr. Gallicorum Indiarum
Negociatorum Coetus Regius Amantiſſ. Directori
fuo , Reftauratori , Patrono & Benefactori.
P. P.
Funebrem Epigraphem J. D. L. R. è forore
Pronepos , ex Oriente Redux , pro publico
& privato luctu.
Mæftiff. condebat Parifiis An. M. DCC .
IV.
Les Armes de M. Baron , telles qu'onles
voit à la Bibliotheque de S. Germain
des Prez , empreintes au bas des Profeffions
de Foi & autres Actes par lui legalifés ,
en qualité de Conful d'Alep font
Ecartelé au 1 & 4. de Sable à deux Chicots
paffes en Sautoir d'Argent ; au 2 & 3. Conpé
de Sable à 3. Canetes d'Argent , & d'Argent
au Cheval de Sable.
晶晶
EPI
1518 MERCURE DE FRANCE
EPITRE
A Madame la Comteffe de B ... qui des
mandoit des Logogryphes qu'elle fe plaît
àd eviner.
QUe vous fçavez du Sphinx braver les griffes
Subtilement ! Enigmes , Logogryphes
Ne font pour vous qu'artifices d'enfant
Qu'un feul regard diffipe en un inſtant :
En vain cent fois dans une fombre Nuë ,
La verité , pour vous en impofer ,
Sous faux appas voulut fe déguifer ;
Foible projet vous l'avez reconnuë.
Prétendre donc pour vous dépaïfer
Rimer encor , c'eſt en vain s'épuifer ,
C'eft être fol , un Poëte eft peu fage
Me direz-vous , & fuivant cet uſage ,
Vous concluez que je puis tout ofer.
C,à ; je le veux ; c'eſt à toi , mon génie ,
A feconder un témeraire effort ;
Inſpire moi la plus fombre harmonie ;
Forgeons des Vers que l'habile Uranie
Life , relife , & maudiffe fon fort ,
De ne pouvoir , malgré fon induftrie
En penetrer l'Enigmatique accord
Qu'au
JUILLET. 1730. 1519
Qu'au même inftant le plus fimple vulgaire
D'un feul coup d'oeil devine le miſftere
Pour tel labeur , qu'au Permeffe étonné
D'un Laurier vert mon chef foit couronné.
Or , commençons , je connois dans le monde
Certain Pays du Détroit de la Sonde ,
Très- éloigné , là l'on voit rarement
La probité , la vertu , l'innocence ;
Tendre amitié , coeur fidele & conftant
Prefque jamais n'y font leur réfidence.
Là , cependant la divine Pallas
Rend fous nos yeux la vertu praticable ,
La fait aimer , lui donne des appas.
Des Malheureux azile favorable ,
Elle leur tend une main fecourable ;
A fes bienfaits que ne doivent- ils pas ▾
Compatiffante , affable, magnanime ,
De tous les coeurs elle emporte l'eſtime.
Goût délicat , exquis difcernement
Lui font choisir des amis dignes d'elle ,
Et ces amis par un retour charmant
Trouvent en elle un coeur tendre & fidele ,
Un coeur formé par les mains de l'Amour ;
Non par l'Amour , Idole d'Amathonte ,
Affreux Démon qu'accompagne la honte
Il ne fçauroit fe montrer au grand jour ;
Mais par l'Amour qui connoît pour
fa mere
Pure vertu ; fans crainte , fans miftere
Il
1520 MERCURE DE FRANCE
Il laiffe voir fes plus fecrets appas ,
Et la Vertu ne s'en allarme pas.
C'eft cet Amour qui regle fa tendreffe ;
C'eft cet Amour que regle fa fageffe.
De fon efprit les charmes amuſans
Rendent les jours plus courts que les momens.
A l'écouter on s'inſtruit , on s'oublie ,
Et Pon diroit que Pallas , de Thalie
Vient d'emprunter de nouveaux agrémens.
Dans fon Palais l'indolente pareffe
N'habite pas , fouvent avec adreffe
Sur un métier , en nous entretenant ,
Ses belles mains qu'une indigne moleffe
N'engourdit pas , forment à chaque inftant
Charmans Bouquets au coloris brillant
Vit-on jamais l'induftrieufe Flore
Dans fes Jardins en faire plus éclore ,
Et s'occuper plus agréablement ?
Des Appellés Pallas eft la Rivale ;
En s'amufant elle leur eft égale ,
Quand par le choix de diverfes couleurs
Elle marie à la fimple gravure
L'éclat brillant d'une vive peinture ;
Sous fes cifeaux je vois naître des fleurs ,
De hauts Rochers , d'où fortent des Fontaines
Qui vont couler dans de fertiles Plaines :
Arbres & fruits, perfonages, Oiſeaux
Semblent tomber des magiques Cifeaux.
Sur
JUILLET . 1739, 1521
Sur un Ecran gentille découpure
Y forme aprés un fi parfait tableau
Que l'on diroit que l'Art & la Nature
N'ont jamais fait un Ouvrage plus beau.
C'en eft affez , devinez Uranie ,
Qu'ai-je dépeint fous cette Allegorie .
Je l'ai bien dit , c'eft Enigme pour vous ,
Et cependant évidence pour nous.
L'Abbé de W. de B.
****: ***********
SUITE de la Letre fur le livre intitulé
LA BIBLIOTEQUE DES ENFANS &c.
MONSIEUR ,
>
Avant que de citer des enfans en
vie & à Paris , pour faire voir qu'on
peut les metre de bone heure aux éle
mens des letres , je me flate que vous
me permetrés encore quelques reflexions,
& que les perfones intereffées dans cette
matiere veront ici avec plaifir le fentiment
de l'auteur de la recherche de la
verité. Cet illuftre favant remarque
dans le premier tome,livre deux , chapitre
huit , que les plus jeunes enfans , tour
acablés qu'ils font de fentimens agréa-
»
bles
1522 MERCURE DE FRANCE
23
bles & penibles , ne laiffent pas d'apren
» dre en peu de tems ce que
des perfones.
» avancées en age ne peuvent faire en
beaucoup davantage , come la conoif-
» fance de l'ordre & des raports qui fe .
» trouvent entre tous les mots & toutes
» les chofes qu'ils voient & qu'ils enten-
>> dent : & quoique ces chofes ne dépen-
"dent guere que de la mémoire , cepen-
» dant il paroit affez qu'ils font beaucoup
d'ufage de leur raifon dans la maniere
» dont ils aprenent leur langue .
» Si on tenoit les enfans fans crainte &
» fans défir ; fi on ne leur fefoit point
>>
foufrir ni aprehender de foufrir de la
» douleur ; fi on les éloignoit autant qu'il
» fe peut de leurs petits plaifirs , & qu'ils
» n'en efperaffent point ; on pouroit leur
» aprendre , dès qu'ils fauroient parler ,
» les chofes les plus dificiles & les plus
» abftraites , ou tout au moins les mate-
» matiques fenfibles , la mecanique &
» d'autres choſes ſemblables , qui font ne-
» ceffaires dans la fuite de la vie. Mais ils
» n'ont garde d'apliquer leur efprit à des
» chofes abftraites , lorfqu'ils ont des apre
≫henfions ou des defirs violens des chofes
» fenfibles : ce qu'il eft très- neceffaire de
» bien confiderer ..... Car come un ho-
» me ambitieux qui viendroit de perdre
» ſon bien & ſon honeur , ou qui auroit
été
JUILLET. 1730, 1523
»
» été élevé tout d'un coup à une grande
dignité qu'il n'efperoit pas , ne feroit pas
» en état de réfoudre des queftions de me
> tafifique ou des équations d'algebre; mais
feulement de faire les chofes que la pafufion
prefente lui dicteroit :ainfi les enfans
dans les cerveaus defquels une pome &
» des dragées font des impreffions auffi
profondes; que les charges & les gran-
» deurs en font dans celui d'un home de
» quarante ans , ne font pas en état d'écou-
» ter des verités abftraites qu'on leur en-
» feigne. De forte qu'on peut dire , qu'il
» n'y a rien qui foit fi contraire à l'avance-
» ment des enfans dans les fiences , que
"
les divertiffemens continuels dont on les
» recompenfe , & que les peines dont on
» les punit , & dont on les menace fans
ceffe , & c.
Eft - il dificile après cela de deviner la
caufe de tant de mauvaiſes éducations ,
même parmi la jeune nobleffe pour laquelle
on fait bien de la dépenfe ? Ne feroit-
ce point en general la faute des parens
trop mondains & trop negligens en
fait d'éducation. On ne met pas affés à
profit les premieres anées de leur vie ; on
les neglige d'ordinaire , quoiqu'elles foient
les plus propres à leur éducation , tant à
leur égard qu'à l'égard de ceux qui en
prenent foin. Pour moi je crois qu'on les
laiffe
1524 MERCURE DE FRANCE
laiffe trop lon- tems à la difcretion des
domeftiques ; & ceux-ci pour gagner leurs
bones graces en les amufant , leur font
fuccer avec le lait le premier poifon d'une
mauvaiſe éducation ; ils amufent & foignent
le corps aus dépens de l'efprit & du
coeur, ils rempliffent d'inutilités agréables
la tête de l'enfant , & le difpofent par là à
fe dégoûter enfuite de tous les amuſemens
inftructifs . L'enfant d'un bourgeois , élevé
faute de domeftique par fa mere & par fon
pere , a fouvent le bonheur d'être exent
des vices d'un enfant de qualité livré à des
domeftiques ignorans & vicieux ou à des
ames mercenaires.
-
Chacun voit de quelle importance il
feroit que les parens , les maitres & les domeftiques
, ne rempliffent l'imagination
des enfans que d'images ou d'idées louables
, faines & falutaires ; mais peut - on
atendre cela des parens fans pieté & des
domeftiques fans éducation la plupart
des domeftiques font ils capables de ne
doner que de bones inftructions & de bons
exemples bien loin delà , il y en a qui s'ocupent
à détruire l'ouvrage dont ils ne
font pas les auteurs , & de concert avec
l'enfant,duquel ils menagent l'amitié,font
fouvent aux parens une peinture odieufe
d'un précepteur ou gouverneur , qui quoi,
que d'ailleurs plein de merite & fans autre,
défaut
JUILLET . 1730. 1525″ :
défaut que d'être peu indulgent pour un
valet derangé, fe trouve à la fin forcé à fe
retirer , avec la douleur de voir qu'il ne
lui eft pas même permis de fe plaindre de
l'injure qu'on lui fait. Les parens pour
lors, dignes de tels enfans, aveuglés für les
qualités du corps , lui facrifient celles de
Pame , & augmentent , fans le vouloir , le
nombre des mauvais fujets d'une famille
& d'un royaume. Cela n'arive pas » dans
les familles pieufes , dont les parens , les
» maitres , & les domeftiques , de bone intelligence
,& de concert,s'entretienent volontiers
des vertus chrétienes ; les enfans
» ont un grand avantage pour la pieté ,
» fur ceux qui n'entendent de la bouche
» de leurs parens , ou de leurs domestiques
» que des paroles profanes & fouvent criamineles.
Ceux-ci recueillent de ces con-
>> verfations inconfiderées , les premierės
» idées du monde & du peché ; ceux-là
aucontraire reçoivent les premieres fe
» mences de la vertu par les difcours des
» maitres qui les enfeignent , ou des do-
» meftiques qui les entourent.
Après cette petite digreffion fur la ne
gligence des parens , reprenons notre matiere
, & continuons à faire voir qu'un enfant
de trois ans eft capable des premiers
élemens des letres : on ne doit pas craindre
que les enfans devenus habiles de trop
C bone
1326 MERCURE DE FRANCE
}
bone heure par des études avancées ,foient ,
enfuite à charge aux parens , ni qu'ils
aient le tems d'oublier ce qu'ils favent
avant que de pouvoir embraffer l'état auquel
on les deftine . Raifoner de la forte
ceft n'avoir aucune idée de la perfection
& de la quantité des chofes qu'un honete
home devroit aprendre dans chaque pro- :
feffion: la vie la plus longue eft trop courte
pour le perfectioner dans le moindre des
arts on ne fauroit donc comancer trop
tôt, quand la fanté de l'enfant, & les facultés
des parens le permetent. Je moralifefouvent
fur cette matiere , perfuadé que
la lecture n'en peut jamais être nuifible:
d'ailleurs quoique chaque chofe ait fa def :
tinée hureufe ou malhureufe, independament
de toutes les raifons qu'on pouroit
alleguer, un auteur ne doit jamais fe laffer
de reprefenter celles qui font voir la verité .
& l'utilité de la metode qu'il propofe.
On ne fauroit être trop atentif à la ſanté
des enfans ; mais un enfant de deux à trois
ans eft-il tout-à-fait incapable de reflexion;
ne s'aplique -t-il pas toujours de lui -même.
à quelque chofe ; ne temoigne-t- il pas font
dégoût dès qu'il le fent ? il ne s'agit donc .
que d'étudier l'enfant & de fe conformer
fon gout pour l'inftruire en l'amuſant.
Je demande aux gens d'efprit , énemis des
études , fi l'enfant le plus negligé du coté
des
JUILLET. 1730. 13271
des idées jouit d'une meilleure fanté que
celui qui eft bien cultivé ; & files idées
baffes & comunes d'un fils de crocheteur :
font plus falutaires que les idées nobles &
dignes d'un enfant de qualité . Le danger :
pour la fanté des enfans eft-il dans la quan
tité ou dans la qualité des idées ? quand un
enfant vient au monde , ne devroit- il pas
expirer fur le champ , acablé d'idées , * & ì
de fenfations nouveles ? qu'on laiffe agir
la nature , elle aura foin de l'enfant ; &
l'enfant de fon coté aura foin de nous aver
tir des idées qui l'incomodent: ce ne font
pas proprement les études qui tuent ,
uais l'excès & la maniere ; les études
ont cela de comun avec les plaifirs , qui
enlevent tant d'ignorans à la fleur de leur
age.
de
Que l'on montre à un enfant de deux à
trois ans cent outils de boutique ou cent
objets de cuifine , on ne craint point d'al - i
terer fa fanté : mais s'il furvient quelqu'un .
qui prefente un compas , une regle , un
porte crayon , ou enfin des letres fur des
cartes à jouer ; on ne manquera pas
dire que l'enfant l'enfant eft trop jeune , trop délicat
pour être amufé de pareilles chofes
plus nuifibles à la fanté que la baterie
de cuifine: le pauvre enfant eft livré à
un marmiton , préferablement à une
perfone d'étude . Ce feul mot d'étude
Cij faic
T528 MERCURE DE FRANCE
fait
peur , il
faut
donc
propofer
des
jeux
& de
purs
amufemens
. Je
ne
m'y
opofe
pas
; mais
fi ces
amuſemens
peuvent
être
Inftructifs
, ne
feront
- ils pas
encore
dange
reux
pour
la fanté
de
l'enfant
? il faur
aler
à nouveau
confeil
: j'y
ai été
moi
- même
, &
je pourois
citer
ici
en
faveur
de
la métode
du
bureau
tipografique
l'Efculape
de
notre
fiecle
. Oui
, Monfieur
Chirac
, perfuadé
de
l'utilité
&
du
mérite
de ce
bureau
, en fit
faire
un
pour
M.
de la Valette
, fon
petitfils
; je dois
le
citer
come
un
enfant
mis
de
bone
heure
aux
letres
, &
come
un
enfant
celebre
du
bureau
tipografique
,
Ce
feroit
ici
le veritable
endroit
de
faire
l'éloge
de
ce
jeune
favant
; mais
rempli
d'admiration
, je prendrai
le ton
modefte
que
l'on
a doné
à ce digne
enfant
, élevé
pour
le réel
&
le folide
des
études
, plutôt
que
pour
la parade
&
le brillant
des
letres
fuperficieles
: il loge
au Palais
Royal
avec
M.
Chirac
fon
grand
-pere
, fous
lesïeux
duquel
il fe trouveà
l'âge
de
onze
ans
,
on
état
de
faire
honeur
à fes
maitres
pourle
latin
, le grec
, la
danfe
, la mufique
la geometrie
, la filoſofie
,& les
autres
exer-
τότ
cices.
Dans la rue des foffez de M. le prince,
le petit Goffard, fils d'un marchand tapif
frer , a apris preſque feul , avec le premier
& le fegond caffeau du bureau tipografique,
JUILLET. 1730. 1529
que, les premiers élemens des letres : & fon
pere qui le croyoit trop jeune pour le
metre à la crois de pardieu , a aujourdui
le plaifir de le voir en état d'aler au colege,
à quoi ce pere n'auroit pas penfé fi-tot
fans l'ocafion favorable du bureau tipografique.
J'ai parlé dans le Mercure précedent',
du petit Jean-Filipe Baratier , qui comen
ça à badiner avec les letres de l'ABC,
avant qu'il eût deux ans acomplis : on
peut voir la letre du pere de cet enfant ,
inferée dans le Mercure du mois de Novembre
1727.
J'ai vu par des letres de Montmoreau
en Angoumois , que le fils de M. Durand
favoit lire le latin & le françois à quatre
ans & demi ; & à cet âge- là M. fon pere
lui aïant procuré la traduction interlineai
re de l'abregé de la fable du P. Jouvanci,
il l'aprit bientôt avec un gout & une facilité
furprenante : il en a fait autant à
Pégard des autres livres qu'on lui a donés
à étudier , felon la même pratique ;
il jouit d'une parfaite fanté & étudie avec
plaifir & avec fruit. Ses voifins , dont il
fait l'admiration , font convaincus qu'il
répondra dans la fuite aus foins que prend
pour lui un pere tendre & éclairé , qui
conoit le prix d'une bone éducation , &
qui n'épargne rien pour la procurer à cet
aimable enfant.-
Ciij Il
1530 MERCURE DE FRANCE
Il y a trois ans qu'on publia dans Paris
les merveilles du petit Hernandez del
Valle , admiré à la Cour & à la Vile. Les
Mercures du mois de Juin & du mois
d'Août de l'anée 1727. ont parlé des progrès
furprenans que ce petit Efpagnol
avoit faits dans les langues & dans plufieurs
exercices. Cet enfant jouit d'une
parfaite fanté,& foutient toujours fa répu
tation d'enfant remarquable par fa taille,
par fon âge,& par fon lavoir. Il eſt au colege
de Cluni , avec M. l'Abé du Pleffis
fon digne inftituteur. Ces trois derniers.
exemples font voir combien il eſt avantageux
pour un enfant d'être mis de bone
heure aux élemens des letres , quelque
métode que l'on fuive.
M. Guillot , dans la rue des mauvaiſes.
paroles , a un aimable enfant, dont l'efprit
& la vivacité s'acomodent fort du bureau
tipografique. Bien des parens curieux en
fait d'éducation , feroient ufage d'un fem
blable bureau , s'ils en conoiffoient le mérite
& l'utilité.
Je devrois peut- etre encore citer un exemple
fingulier en faveur d'une métode qui
en peu de leçons, a mis un Savoyard de 20-
ans en état de lire le latin , fans qu'on
puiffe le foubçoner d'aucune fuperiorité
de génie , ni d'aucune difpofition favora
ble
pour
les letres.
Mon
JUILLET. 1730. 1531
8
Monfieur Chompré , maître de penfion
, dans la rue des Carmes , aïant vu les
grans progrès de l'exercice du bureau tipografique
, n'a pas négligé de s'en doner
un pour accelerer les premieres études des
enfans, à l'inftruction deſquels il s'aplique
fort. Je dois encore ajouter ici une reffexion
en faveur des perfones toujours alatmées
,au fujet de la fanté & de la taille dés
enfans; c'est que l'exercice du bureau tipografique,
bien loin de les expofer à etre
malades , & à refter nains & noués faute
d'action , les entretient au contraire dans
une bone fanté, diffipe peu à peu l'humeur
noüeufe qui les empeche de croitre , &
leur alonge le corps , les bras , & les jambes
, dans la neceffité où ils font de pren
dre & de remetre les cartes aus plus hauts
caffetins du bureau tipografique.
Aïant doné dans le Mercure precedent
la divifion de l'ouvrage intitulé : la Bibliotèque
des enfans , & des deux premieres
parties du livre de l'enfant , il me reste à
doner le plan des trois autres parties dont
on pouroit fe paller pour aprendre fimplement
à lire , ces trois dernieres parties
n'etant que pour perfectioner ce que l'on
a apris dans les deux premieres , pour doner
des idées generales de toutes chofes ,
& pour tiver les enfans de la grande igno-
Ciiij rance
1532 MERCURE DE FRANCE
rance où on les laiffe même pendant leurs
études .
pour
La troifiéme partie du livre de l'enfant,
la lecture du latin , contient en cent
& quelques pages des compilations en
profe & en vers , favoir de petits extraits
des Sentences , des maximes de la Bible ,
des penſées de l'Imitation deJ.C. & d'une
vintaine d'auteurs celebres en proſe ; &
enfuite un choix de toute efpece de vers
latins extraits d'une vintaine de poëtes.
La quatrième partie contient en deux
cens & tant de pages , pour la lecture du
françois en profe, un extrait moral de l'Ecriture
fainte , les premiers principes , &
les axiomes des arts & des fiences ; plufieurs
extraits de livres moraus , concernant
Peducation des enfans , de petits
recueils hiftoriques , chronologiques , &
des fuites ou des liftes généalogiques, géografiques
& bibliografiques , avec des leçons
de lecture variées ; & environ cent
pages pour la lecture des vers dont les rimes
donent & prouvent la vraie dénomination
des fons & des letres de la langue
françoife ; ou pour la compilation des
exemples de toute forte de vers , depuis
les vers compofés d'une filabe jufques à
ceux de trèſe & de quatorfe filabes ; & des
exemples de toute efpece de petit poëme
par
JUILLET. 1730. 1533
M
+

par raport au nombre de vers de chaque
pièce , ou par raport à l'efpece & à la nature
du poëme , ce qui done trois fortes
de lecture en vers, ſavoir pour le nom
bre des filabes , le nombre des vérs , & la
nature du poëme.
La cinquième partie contient en qua
Fante pages une introduction à la gramaire
françoife , & enfuite les rudimens pratiques
de la langue latine en cent: & tant
de petites cartes à jouer , & cent & tant de
pages pour la pratique des parties d'orai
fon indeclinables , declinables , ou conju
gables ; & pour la pratique des concor
dances , des cas des noms , de la fintaxe
des particules ; & le refte pour la nomen
clature des mots en foixante-dix- fept articles
, ce qui fera expliqué dans la cinquieme
partie du livre du maitre, & dans
les reflexionss preliminaires du rudiment
pratique de la langue latine.
En atendant que l'auteur de LA BIBLIOTEQUE
DES ENFANS faffe imprimer fon ouvrage
, il a fait graver le plan des bureaux
tipografiques , fous le même titre de Biblioteque
des enfans .--
Le premier bureau , apelé abecediques
pour l'ufage d'un enfant de deux à trois
ans , n'eft qu'une table come celles où les
comis de la Pofte rangent les letres miffi
ves; on montre à l'enfant la maniere de
Cv ranger
7534 MERCURE DE FRANCE
ranger chaque carte vis à vis de la letre /
qui répond à celle de la carte ; mais quand
Penfant conoit bien les letres & les cartes.
de la caffete abecedique , on lui done un
caffeau de deux rangées de logetes , & c'eſt
là le bureau latin , ou le premier bureau tipografique
avec lequel un enfant aprend
imprimer & à compofer, felon le fifteme
des letres, ce qu'on lui done fur des cartes
à jouer ; de ce bureau latin il paffe à la
conoiffance & à la pratique du bureau latin-
françois , compofé de deux autres
rangées de logetes ; & pour lors l'enfant
eft mis en poffeffion d'une imprimerie en
colombier , plus comode , plus inftructive
& plus raifonée l'enfant que
pour
le des imprimeurs ordinaires , puifqu'au
fifteme des letres on ajoûte celui des fons
de la langue françoife , & qu'un enfant de
quatre à cinq ans aprend pour lors en badinant
, ce que bien des favans ignorent
toute leur vie:
cel-
Du bureau françois- latin on paffe au
caffeau du rudiment pratique de la langue
latine , compofé auffi de foixante logetes
en deux rangées de trente caffetins
chacune. On peut doner à l'enfant tout
d'un coup ou féparement ces trois caffeaux
de claffe diferente ; mais je penfe
qu'il feroit mieux de faire faire tout d'un
pems le bureau complet de fix rangées de:
trente
JUILLET. 1730. 153
trente caffetins chacune quatre pour l'im
primerie du latin & du françois , & deux
pour le rudimant pratique ; on épargnerà
par là le bois & la façon , en couvrant
d'une houffe les rangées fuperieures dont
Fenfant n'aura pas d'abord l'ufage , ce
voile piquera fa curiofité & lui donera de
l'impatience pour l'ufage des autres ran
gées.
Il y a encore une autre raison qui dé
termine à faire tout d'un tems le bureau
complet ; c'eft que par là on gagne l'épaif
feur de deux planches , & que le bureau
étant moins haut , il fe trouve plus à portée
de la main de l'enfant.
L'imprimerie aïant fait travailler l'enfant
fur le rudiment pratique , on fonge
enfuite au dictionaire de fix rangées de ce-
·lules , dans lesquelles on met les cartes ou
les mots des themes de l'enfant , à meſure
qu'il en a befoin ; de forte qu'on peut dire
que l'enfint fe forme & fe familiarife.
avec le dictionaire. Ceux qui prendront
Ta peine d'aler voir quelque enfant travail-
Ter à fon bureau , feront d'abord convain-
'cus de l'utilité d'un tel meuble , pour un
enfant déja éxercé aux jeus abecediques
de la caffete , par où l'on doit commencer
l'exercice des premiers elemens des
letres.
Je crois pouvoir dire avant que de fi-
Cvj
nir
J
1336 MERCURE DE FRANCE
nir cete letre , qu'on doit regarder come
fufpectes les metodes mifterieufes &
hieroglifiques qui anoncent & prometent
des miracles , ou des chofes au delà
des forces de l'efprit humain:une bone
metode exige la franchiſe & la genero
fité qu'infpire l'amour du bien public &
de la verité. Voilà les fentimens de l'aur
teur de la Biblioteque des enfans : il ne
parle que de pratique , & d'experiences ..
journalieres , réiterées au grand jour. L'incredulité
du public n'eft pas fans fondement
; on voit tant de charlatans , de . vifonaires
, & d'impofteurs de toute claffe ;
qu'il y auroit de la foibleffe , de l'impru
dence & même de la folie ,à les croire tous
*fur leur parole .
Les curieux qui fouhaiteront d'avoir
des A B C fur cuivre , ou des letres à
jour pour en imprimer fur des cartes ',
pouront s'adreffer au S le Comte , Marchand
fripier , rue Jacob , à la porte de la
Charité , il eft tres ingénieux & acomodant,
aïant le talent d'imiter parfaitement
les grans & les petits caracteres de toutes
les langues mortes & vivantes ; pourvu
qu'on lui dones les modeles de la gran--
deur ou du corps des letres..
Avec des A B C fur cuivre ou à jour ,
on peut ocuper utilement un domeftique
& le metre en état de travailler avec l'enefing
s
JUILLET. 1730. 1537
fant ; car l'exercice du bureau tipografique
eft très-aifé : il ne faut que des feux
pour voir les letres & des mains pour lès
tirer des logetes & les ranger fur la table,
come on le peut voir dans l'exemple doné
au bas de la planche gravée pour la Biblioteque
des enfans. Il ne faut pas , au refté,
s'imaginer que ce bureau foit inutile pour
les jeunes petites filles : au contraire , ellés
y trouveront l'utilité de l'ortografe &
du rudiment de la langue , que la plupart
ignorent toute leur vie. Le fifteme
des fons de la langue françoife eft le plus
propre pour inftruire les jeunes Demoifelles
, & l'exercice du bureau tipografi--
que enfeignant toutes les ortografes , met
d'abord en état de difcerner & de choifir :
la meilleure pour une jeune perfone.
M. & Mme Hervé , auprès de la poſté ,
témoins des progrès furprenans de l'exercice
du bureau tipografique , en ont fait
faire un de quatre rangées de logetes pour
Mile Hervé leur fille.
t
,
Ceux qui voudront faire l'effai du bu--
reau tipografique prendront la peine de
s'adreffer au Sr Hanot , me menuifier
rue des Cordeliers , vis à vis le gros raifin
, qui en a déja fait , & au S¹ Barbo ,
à la petite place du cu de fac montagne
fainte Genevieve , me menuifier , qui fait
les caffes & les caffeaux des imprimeurs .
Une
1538 MERCURE DE FRANCE
Une carte à jouer reglera les dimenfions
des logetes & du bureau. Les curieux qui
en fouhaiteront de plus propres & de plus
riches ceux d'un menuifier les comanque
deront à quelque ebenifte , en lui donant
la meſure de l'endroit où l'on voudra les
placer ; parcequ'enfuite on fera rogner des
cartes de la grandeur des logeres ou des
caffetins. A l'égard de l'inftruction neceffaire
pour la garniture , l'ufage ou la pratique
de ce bureau , l'auteur de la Biblioteque
des enfans qui en eft l'inventeur, fe
fera toujours un plaifir d'en prendre la
direction , & d'indiquer les maitres qu'il
a mis au fait de l'ingenieux fifteme du bureau
tipografique . Je fuis & c.
s g g g r s s s s j $ ! ! !ののみ
LE CORBEAU ET LE PIGEON.
FABLE.
A M.Abbé Desfontaines.Par M. Richer:
LE
E paffé nous inftruit à prévoir l'avenir.-
C'est ce qui rend l'hiftoire utile ;
It ce fameux Théatre en accidens fertile ,
Nous enfeigne à les prévenir.
Je fçai bien que la multitude ,
Du paffé méprifant l'étude ,
Re
JUILLET . 1730. 1539
Regarde feulement ce qu'on fait aujourd'hui.
Auffi voit-on cet ignorant Vulgaire ,
#

Aveugle en fa conduite , infenfé , temeraire.
Par l'Hiftoire on devient fage aux dépens d'au
trui ;
C'eft l'Ecole de la prudence.
Les Petits & les Grands y lifent leur devoir ;
Et qui s'applique à la fçavoir ,
Jeune , du vieux Neftor fait voir l'experience.
Qui n'en reconnoîtra le prix ,.
En lifant les fages Ecrits
2
Des grands Hiftoriens & de Rome & d'Athenes
A leur exemple , Desfontaines ,
Orné de grace & de préciſion ,
Aux faits puifés chez eux joint la refléxion . -
Ce crayon fçavant & fidele ,
Qui des Vainqueurs de l'Univers
Peint fi bien les vertus & les vices divers ,
Pour rendre l'homme fage offre plus d'un mo✈
dele
Ma Fable va le dire encor mieux que ces Vers.-
Un Corbeau , jeune encor , fçavoit déja l'hiftoire
De tous les Oifeaux differens ;
De plus , il prédiſoit la pluye & le beau tems,
Iffu de en pere fils (le fait eft bien notoire ) .
Du vieux Corbeaù dè Corvinus..
Le fçavoir dans fa Race étoit héreditaire.
Notre
1540 MERCURE DE FRANCE
Notre Docteur diſoit à l'Oiſeau de Venus ,
Oifeau fort neuf dont la tête legere
Se gouvernoit au gré du vent )
Fayons au plutôt , mon enfant
Ne vois-tu pas avec ſon arbalête ,
S'avancer vers nous ce pié plat ?
Quoique je ne fois pas un mets fort délicat ,
Je pars. Le voilà qui s'apprête
A décocher´un trait qui me fait peut ;
Et par tradition je fçai que tes 'femblables '
Ont péri maintefois par ces traits redoutables:™-
Comme moi , préviens le malheur.
Notre Pigeoneau peu docile ,
Malgré l'avis , refta tranquile."
Tai toi , répliqua t'il , je võis clair , Dieu merci.
Le Manant que tu crains , eft encor loin d'ici ;
Il ne nous cherche pas ; demeurons . Bagatelle ,
Repartit le Corbeau , fuyant à tire d'afle.
Cependant l'homme approche ; alors le Pigeonpart
;
Mais il s'en avifa trop tard.
IF eft percé dans l'air d'une fleche mortelle ;
Tandis que le Corbeau de fageffe pourvûe 57
Evite le danger prévů.
RE
JUILLET. 1730. 1541
Yaaaaaaakkkkkk
REMARQUES fur l'Hiftoire Naturelle
, l'Hiftoire Civile & Ecclefiaftique
du Comté d'Eu. Par M. Capperon , Ancien
Doyen de Saint Maxent , à M.
A ... M ...
A
Près vous avoir entretenu longtems
, Monfieur , fur les fels de l'air'
& fur d'autres matieres de Phyfique , je
croyois que vous me donneriez un peu
de relâche , & que vous ne m'expoferiez
pas à vous écrire fi - tôt fur des fujets contraires
à mes occupations préfentes ; mais
vous me faites bien voir que plus on fçait
& moins s'imagine - t - on fçavoir. Et
comme je n'ai rien tant à coeur que de
vous fatisfaire dans ce que vous me faites
l'honneur de me demander , je vais abandonner
pour un tems l'analyse des Plantes
que j'ai entrepriſe , & vous donner un
Extrait des chofes que j'ai crû les plus
fingulieres , contenues dans l'Hiftoire du
Comté d'Eu , à laquelle j'ai autrefois travaillé.
Je commencerai par l'Hiftoire naturefle
de ce Comté ; la premiere chofe qui m'y
paroît finguliere eft une Fontaine dont la
fource abondante jette en trois gros bouillons
1342
MERCURE DE FRANCE

lons affez d'eau pour former dès fon origine
une
médiocre
Riviere , fi elle étoit
fituée ailleurs ; car ce qui fait fa
fingularité
, c'eft que cette
Fontaine fort d'une
Roche qui eft fur le rivage de la mer
laquelle en eft fi proche , qu'elle en eft
couverte deux fois chaque jour , ce qui
n'empêche pas que l'eau n'en foit toûjours
parfaitement douce . Cette
fingularité
donna lieu
autrefois à un Poëte
Normand
de
comparer la Sainte Vierge à cette Fontaine
, qu'il nomme le Miracle de la Normandie.
Cette Vierge
immaculée étant ,
dit-il ,
demeurée pure & fans tache au
milieu de la
corruption de tout le genre
humain , comme l'eau de cette
Fontaine ,
fe
conferve douce au milieu des eaux falées
de la mer. C'eſt ce qui fe trouve exprimé
dans une belle Ode Latine , imprimée
à Rouen en 1644. dans le Recueil des
Piéces qui
avoient
remporté le Prix au
Palinode en cette même année . Cette Fontaine
eft proche d'un
Hameau nommé
Menival , diftant de la Ville d'Eu d'une
bonne lieuë.
La
feconde chofe
finguliere &
remarquable
dans ce Comté, eft le Puits qui eft
au Tréport dans une Maiſon
fituée au
deffus , & proche le Port où entrent les
Vaiffeaux , dans lequel l'eau
defcend
quand la Mer monte , & où elle monte
quand
JUILLET. 1730. 1543
quand la Mer deſcend . *
Il y a une autre fingularité qui fe rend
fenfible dans une partie de la Forêt de ce
même Comté ; fçavoir , dans celle qui est
fur la pente d'une Montagne qui eft du
côté oppofé aux Villages de Bouvaicourt
& de Beauchamp , où toutes les fois qu'il
fait un orage avec pluye pendant l'Eté ,
il s'éleve à trois ou quatre endroits diffe
rens, peu éloignés les uns des autres , une
groffe & épaiffe fumée femblable à celle
d'un four à chaux , & ' dont j'ai été témoin
moi même .
Enfin proche de la Ville d'Eu eft la
Montagne où font les lieux patibulaires,
Jaquelle est très abondante en diverfes
fortes de petrifications ; car c'eft où j'ai
trouvé quantité de coquillages foffiles ,
plufieurs gloffopetres , des cupules de
gland , des morceaux de prefle , de coraline
, des orties de mer & des champignons
, dits veffes de loup , parfaitement
pétrifiés. On trouve de même dans la
terre glaife qui fe tire fur cette Montagne
ce qu'on appelle des Geodes , qui eft une
efpece de pierre d'aigle , comme auffi un
fer imparfait , que ceux qui tirent la terre
* M. Capperon a donné une explication de ce
Phénomene dans le Mercure du mois de Janvier
1725
glaife
1544 MERCURE DE FRANCE
glaife appellent du Feroù. Ce fut fur cette
Montagne que les Bruyeres s'allumerent
d'elles mêmes en Septembre 1726. parce
qu'elle eft remplie de matieres fulphureufes
& métalliques.
Paffons maintenant à l'Hiftoire Civile
du Comté d'Eu . Je trouve deux anciens
Monumens des Romains confervez jufqu'à
nos jours , qui démontrent inconteftablement
que de leur temps la Ville
< d'Eu étoit une Ville importante. Le premier
eft un de leurs Chemins Militaires,
lequel conduit d'Amiens ( même , à ce
qu'on dit , de Soiffons ) directement à
cette Ville , & qui fe fait voir encore aujourd'hui
relevé en forme de Chauffée
dans les lieux où il paffe. L'autre Mo
nument eft une ancienne Porte de la Ville
prefentement murée , accompagnée de
deux groffes Tours , laquelle a toûjours
porté le nom de la Porte de l'Empire ',
comme la rue qui y conduit le porte encore
à prefent ; ayant toutes deux été
ainfi nommées à caufe de ce grand chemin
des Romains qui venoit s'y terminer.
On peut joindre à ces deux Monumens
un ancien Temple qui fubfifte encore dans
, la Ville & d'anciens Tombeaux découverts
dans un lieu peu éloigné de cette
Porte: (a)
(a) Voyez (ur ces anciens Tombeaux,le Mer
curede May 1712.
JUILLET . 1730. 1545
Ces anciens Monumens , & plus parti
culierement le Chemin Militaire , démontrent
fans réplique , que du temps des
Romains la Ville d'Eu & le Tréport , qui :
ne font prefque qu'une même chofe , à
caufe de leur proximité , étoient les lieux
les plus confiderables & le Port de Mer
le plus fameux qu'il y eût alors fur toutes
la Côte depuis Boulogne jufqu'à l'embouchure
de la Seine , & qu'ils regardoient
ce Port comme le plus convenable pour
y embarquer leurs Troupes toutes les fois
qu'ils voudroient les faire paffer en Ane :
gleterre.
1
7
C'étoit auffi ce qu'avoit fait Cefar , lorf
qu'il entreprit la conquête de cette Ifle ;
car il dit lui-même au quatrième Livre :
de fes Commentaires , qu'ayant fait embarquer
fon Infanterie au Port des Mo- :
rins , qui eft Boulogne , felon Samfon , il
envoya fa Cavalerie in ulteriorem portum ,
afin qu'elle s'y embarquât de même ; or
cet ulteriorportus , ce Port qui étoit le plus
éloigné , au fens de Cefar , étoit indubitablement
le Tréport ; car par rapport à
la Gaule Belgique , qui fe terminoit de ce
côté-cy à la Seine , c'étoit fans doute let
Port qui étoit le plus loin , même le der
nier, puifque depuis Boulogne jufqu'à la
Seine dans toute l'Antiquité , à l'excep .
tion du Tréport , on ne peut pas faire
voir
1546 MERCURE DE FRANCE
voir qu'il ait jamais eu aucun port confiderable
, Dieppe n'ayant commencé à
fe former qu'en 1c8o. & S. Vallery n'étant
encore qu'un Defert au VII . fiecle.
On ne peut pas douter , tout au contraire
, que du temps des Romains le
Tréport ne fût un Port très- confiderable,
dont ils faifoient autant d'eftime que de
Boulogne. Samfon nous en fournit la
preuve dans fes Remarques fur la Carte
de l'ancienne Gaule ; car comme il prétend
démontrer par les Chemins Militaires
des Romains qui aboutiffent à Boulogne
, qu'il falloit qu'ils eftimaffent beaucoup
ce Port , il s'enfuit par la même raifon
, qu'ayant également formé leurs Che
mins Militaires pour fe terminer au Tréport
, c'eft une marque certaine qu'ils l'ef
timoient autant que Boulogne , & qu'ils
regardoient ces deux Ports comme leur
étant également neceffaires.
Comme Cefar en fa langue , avoit donné
à ce Port le nom d'Ulterior portus , les :
Romains ne le nommerent plus autrement
: auffi eft- ce le nom Latin qui lui
eft toûjours resté depuis dans tous les Titres
; car pour les Gaulois ils lui en donnoient
un autre que Pontus Heuterus
nous fait connoître dans fon Livre Deuc
terum Belgio , Lib . 11. C. 8. où il dit qu'il·
y'a certainement une faute dans Ptolomée,
fçavoir

1
JUILLET. 1739. 1347
fçavoir , qu'au lieu de Gefforiacum navale ,
il faut lire Effuoriacum navale, c'eſt- à- dire
de Port des Euffiens , & voilà quel étoit
le nom que les Gaulois donnoient au Port
que les Romains nommerent depuis Ulterior
Portus , dont les François ont fait
enfuite le Tréport , comme pour dire
l'autre Port , c'eft-à - dire , le fecond Port
après celui des Morins.
Que le Comté d'Eu ait été ces Euffiens
ou ces Effui , dont parle Cefar , non feulement
c'eft le fentiment de Pontus Heterus
, mais c'est encore celui d'un grand:
nombre de Sçavans , tels que Divoens ,
Antiq. Belg. Cap . 11. de Pierre Heins
dans fon Miroir du Monde ; de Charles
Etienne , dans fon Dictionnaire Hiftoriq.
Geog. & de M. de Thou , dans fon Hiftoire
, qui ne donnent pas d'autre nom au
Comté d'Eu . Il s'enfuit donc de tout ce
que je viens de dire , que tous ceux qui
ont traduit les Commentaires de Cefar .
Le font certainement trompez , lorfqu'ils
ont pris l'Ulterior Portus pour un nom generique
, pendant que c'étoit le nom qui
étoit devenu propre depuis les Romains
au Port des Euffiens , autrement au Port.
du Comté d'Eu, lequel étoit alors auffi fameux
que celui des Morins , autrement
Boulogne.
}
Il ne faut pas croire que cet ancien Port :
des
1548 : MERCURE DE FRANCE
des Euffiens , ce Portus Ulterior des Romains
, en un mot , la Ville d'Eu faifant
comme une même chofe avec le Tréport,
ait perdu tout fon éclat , lorſque la puiffance
des Romains s'anéantit dans les
Gaules. Ce Port étoit encore des plus fameux
du temps du Roi Louis XI . puifque
Philippe de Commines , qui étoit de la
Cour de ce Prince ,fait voir combien ceux
de la Ville d'Eu étoient encore alors formidables
fur Mer , en rapportant dans fes
Memoires, Liv. I. Ch. 7. que des Armateurs
de la Ville d'Eu ayant enlevé en
1470. un Vaiffeau appartenant à des Flamans
, Sujets du Duc de Bourgogné , cela
fut caufe , en partie , de la guerre qui fut
déclarée entre le Roi Louis XI. & ce Duc,
cinq ans après , felon le même Auteur
ces Armateurs étoient fi hardis qu'ils alloient
enlever les Vaiffeaux du Roi d'Angleterre
, qui paffoient les Troupes à Calais
, pour venir attaquer la France .
>
Mais ce qui jufques - là avoit fait toute.
leur gloire & foutenu l'avantage qu'on
pouvoit tirer de leur Port , devint en quelque
façon la cauſe de leur malheur , & de
la ruine de leur Ville , car le Roi d'Angleterre
, dans le deffein de le ruiner , &
pour tromper Louis XI. fit courir le bruit
qu'il devoit faire une defcente en Nor
mandie , s'emparer de la Ville d'Eu , & y
paffer
JUILLET. 1730. 1549
1
paffer l'Hyver. Louis XI. tout rufé qu'il
étoit , ayant donné dans le panneau pour
lui en ôter l'envie , ne trouva pas de
moyen plus fur que de la faire lui -même
réduire en cendres , ce qui fut executé le
18. de Juillet 1475. par le Maréchal de
France Joachin Rohaut , Seigneur de Gamaches
, qui s'y rendit par ordre de la
Cour , avec quatre cens Lancés . Le feu
ayant été mis par tout à neuf heures du
matin , le Château & toute la Ville furent
confumez par les flâmes , à l'excep
tion des Eglifes qui furent confervées &
quelques maifons qui furent négligées . Ce
défaftre eft écrit dans les Archives de la
Ville , vol. I. p. 235. Les Villes de Dieppe,
S. Vallery & Abbeville , qui fubfiftoient
alors depuis long- temps , ayant
profité du debris de cette Ville , elle n'a
jamais pû s'en relever non-plus que fon
Port.
Nous donnerons la fuite de ces Remar
ques le mois prochain.
ODE
A. M. D. C.
AMi ,
pourquoi dans la tempête 7
Murmurer contre les Deſtins ,
D Bien
1550 MERCURE DE FRANCE
Bientôt tu verras ſur ta tête ,
Briller les Jours les plus fereins.
La fortune folle & volage ,
Aime à troubler notre plaifir ,
Mais un homme prudent & fage
Doit voir fes revers fans pâlir.
M
Pour arrêter tous les caprices ,
C'eft en vain que tu fais des voeux.
Gémir contre les injuftices ,
C'eft être deux fois malheureux.
M
- Les Dieux deviendront plus fenfibles
Les vents ne foufflent pas toujours ;
Souvent les nuits les plus terribles
Nous amenent les plus beaux jours.
Nos Jardins , après la froidure ,
Reprennent leurs vives couleurs ;
Tel eft le cours de la Nature ;
Aux glaçons fuccedent les fleurs.
De l'utile Philofophic ,
N'écoutes - tu plus la leçon ?
JUILLET. 1730. 1551
A porter les maux de la vie ,
Elle a dû former ta raiſon.
Finis donc ta mortelle peine.
Voi des lieux autrefois cheris ;
Reviens fur les bords de la Seine ,
Chercher les Graces & les Ris.
L'Abbé B .::
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Rennes
au mois d'Avril 1730. fur un Infecte
très-fingulier.
Q&
Uelque infinie que foit la Nature
& quelque accoûtumé qu'on doive
être aux bizarreries qu'elle femble affecter
dans plufieurs de fes Ouvrages , je
crois qu'on ne peut refufer fon attention
à celui qu'elle met ici fous nos yeux.
Le Curé de la Paroiffe de S. Jacques de
la Lande , à une lieuë de la Ville de Rennes
, trouva fur la fin du mois de Mars
dernier , dans le Cimetiere , le long du
mur de l'Eglife , une efpece de Phaléne
ou de Papillon , de la longueur de deux
pouces , fur un demi pouce de largeur ,
des cris ſemblables à ceux des Chauveſou
Dij ris
1552 MERCURE DE FRANCE
ris , & la figure particuliere de cet Infecte
, attirerent fon attention ; il le mit
dans une bouteille avec du pain & des
herbes pour tâcher de le faire vivre , mais
trois jours après il le trouva mort ; il s'eft
neanmoins confervé de façon qu'on en
peut parfaitement diftinguer encore toutes
les parties. La tête eft de la groffeur du
tronc , on apperçoit fur une éminence
fituée au- deffus de la tête , la figure d'une
tête de Mort de la largeur de l'ongle ,
imitant parfaitement celles qu'on reprefente
fur les Ornemens noirs de l'Eglife .
De la jointure de la tête avec le tronc ,
partent deux grandes ailes qui couvrent
tout le corps , elles font tavelées ou marquetées
comme une efpece de Drap -Mortuaire
; il y en a deux autres plus petites
deffous , avec plufieurs pieds reffemblans
à ceux des Hannetons. Toutes ces parties
font couvertes d'un duvet ou poil
bigaré de noir & de jeaune , imitant affez
bien le velours. Les traits de la figure de
cet Infecte font diftinguez par la couleur
noire , tandis que le fond eft jaune.
On trouvera , fans doute , dans cette
Découverte dequoi picquer la curiofité
d'un Phyficien ; les Infectes peuvent - ils
être fufceptibles des effets que les objets
exterieurs caufent quelquefois ? Le mouvement
communiqué aux efprits de ces
AniJUILLET.
1730. 1553
Animaux & des autres , à l'occafion des
mêmes objets , pourroit -il procurer des .
impreffions , pour ne pas dire des refle
xions , capables de produire les mêmes .
accidens que dans les hommes ? L'exemple
des Monftres , dont l'Hiftoire fait
mention , celui des Brebis de Jacob , rapporté
dans le 30. Chapitre de la Genele ,
& la reffemblance de la ftructure du cerveau
de tous les Animaux avec celui de
l'homme , femblent mettre hors de doute
la conformité que ces Créatures peuvent
avoir avec les hommes , par rapport
aux effets de l'imagination .
ODE ANACREONTIQUE.
Sors de ton Ifle de Cythere ,
Puiffant Dieu qui fais les heureux ;
Viens dans ce fejour folitaire ,
Suivi des Graces & des Jeux
M
Amour , c'est toi qui d'Epicure
Autrefois empruntant le nom",
Appris à fuivre la Nature ,
Méprisant l'altiere Raiſon.
M
1
Diij Viens
1554 MERCURE DE FRANCE
Vien , je t'ai confacré ma vie ,
Sous tes Loix range tous les coeurs ;
Je vois que la Philoſophie ,
N'offre que des plaifirs
trompeurs.
M
Il vaut bien mieux de fa Maîtreffe ,
Adorer les divins appas ,
Que courir après la Sagefſe ,
Qu'on cherche & qu'on ne trouve pas
Que fert que mon efprit avide ,
Parle , fi mon coeur le dément :
Oui , le coeur doit être mon guide ;
Il n'en eft point de plus charmant.
La fombre Morale , du Sage-
Fait le chimerique Portrait ,
Mais que vois-je dans cette image
Sinon que je fuis imparfait..
M
Pourquoi réfifter avec peine ,
A ce qu'infpirent nos defirs ?
Si l'on doit porter une chaîne ,
Que ce foit celle des plaifirs.
Cupidon , c'eft dans ton Ecole ,
Que
JUILLET. 1730. 1555
Que j'ay reçû ces doux avis ;
Acheve mon bonheur , cours , vole ,
Les redonner à ma Cloris.
D.C. Par l'Auteur de l'Ode à M. D. C.
LETTRE écrite à M *** fur la
Riviere de Garonne , & fur les mots de
Gironde d'Acheron.
A queftion que vous me propofez ,
Monfieur , d'où vient que la Garonne
recevant la Dordogne au Bec- d'Amber
perd fon nom & s'appelle Gironde , a été
propofée plus d'une fois , & n'a jamais bien
été éclaircie. Voici ce que je penfe.
Gironde ne feroit- il point compofé de
deux termes , Girus unde , le tournoyement
de l'eau ? Car c'eſt - là que l'eau tourne
autour de l'Ifle des Phaifans , autrement
de Cafaux . Ou bien feroit-ce parce
que la Garonne recevant là les eaux de
la Dordogne , elle les porte dans la Mer ?
Gerunda , quafi gerins undas.
Voici une autre conjecture; c'eft que la
Dordogne entrant dans la Garonne ,
y perd fon nom . La jonction de ces deux
Rivieres eft une efpece de mariage ; &
comme la femme n'eft plus connue fous
Diiij fon
1356 MERCURE DE FRANCE
W
fon nom , & n'a que celui de fon mari ;
de même dans le confluant de ces deux
Rivieres , celle qui eft la moindre , perd
fon nom & n'a plus que celui de la Riviere
principale à laquelle elle eft jointe .
Ainfi la Marne entrant dans la Seine , elle
y perd fon nom , il n'y a plus que celui
de la Seine qui demeure. Mais on dira ,
Gironde n'eft pas Garonne . Il eft vrai que
cela ne paroît pas , mais dans le fond la
choſe peut être . Il y même une Ville de
Catalogne qui fe nomme également Gironde
& Gironne , parce que d & n ont
de l'affinité . Mettez une ligne droite en
haut furn , c'est un d ; ôtez cette ligne,
c'eft une n. Donat dit fur un Vers de Terence
, dans le Phormion , Act. 2. Non
rete accipitri tenditur. Legitur. & tennitur ;
habet enim n littera cum d communionem.
Ainfi Gironde & Garonne n'eft qu'un même
nom pour la Riviere comme pour la
Ville. Mais on dira encore , Gironne n'eſt
pas Garonne : c'est ce qu'il faut voir.
Il n'y a plus de difference que de ga a
gi , & voici par où concilier tout : ga eft
du Grec & du Latin . On trouve dans Strabon
Garonna , & dans les Commentaires
de Cefar , Garumna ; mais ga s'adoucit ici
dans le François avec gi ; Garonne , Gironne
. Le fçavant Faul Merula , qui mourut
au commencement du dernier fiecle,
dit
JUILLET. 1730. 1357
dit dans fa Colmographie , Part. 2. Liv
3. que les François changent le ga en gi :
Galli fillabam ga primam in vocibus mutant
in gi : Gabalitanum , Givaudan ; Gabalum,
Gibet; Garumna, Gironde . Il ſemble donc
que Garonne & Gironde ne font qu'un
même nom .
..
A
J'ay vû agiter plufieurs fois comment
il faut prononcer la feconde fillabe d'Acheron
, par ch , ou par k. Pour moi je
crois qu'il faut prononcer le nom de ce
Fleuve infernal , comme on le prononce
en Latin , avec le fon du k Plufieurs noms
Grecs qui ont paffe dans le Latin , ont
cette prononciation . Archelaus, Achmenes,,
Cheronée , Lachefis , Archelons , Orcheſtre..
Ils retiennent tous dans le Latin la prononciation
qu'ils ont en Grec , & le Latin³
communique la même prononciation au
François ; la lettre Grecque chi , s'y prononce
comme fi c'étoit un k : c'eſt la pro
nonciation de ce mot dans ce beau Vers
de Virgilé , Eneid . 7.
Flectere fi nequeo fuperos , Acheronta movebba-
C'eſt le même fon dans le François ,
Si le Ciel n'eft pour moi , j'armerat l'Acheron.
Et ce qui femble autorifer cette prononciation
par le k , ou le rude , outres
la raifon des exemples que j'ai - rapportez,
Dy c'eft
1558 MERCURE DE FRANCE
r
c'eft qu'Acheron étant un Fleuve d'Enfer,
dont l'idée eft afreufe , la premiere & la
derniere fillabe ayant un fon fort , la feconde
ne doit pas être adoucie. De plus ,
on met fa fource dans une Caverne ; ainfi
pour accommoder la prononciation du
Fleuve avec fa fource , il femble qu'il faut
dire Akeron , comme on dit Caverne , &
non pas Chaverne . Enfin Caron qui conduit
la Barque du Fleuve , fe prononçant
Caron , & non Charon ; c'eſt encore une
conformité pour prononcer Akeron . Je
n'ignore pas que M. Menage prononce
Acheron en François avec le ch , c'eft au
Chapitre 180. de fes Obfervations fur la
Langue Françoife ; mais outre que l'oreille
d'un Angevin , à qui il en eft toujours de--
meuré quelque chofe , comme il le difoit
lui -même , ne doit pas décider , c'eft qu'il
étoit moins qu'infaillible dans la pronon
ciation . Sa premiere Obfervation qui commence
par Acatique , pour condamner
Aquatique , ne lui a pas reüffi Le P. Gaudin
, non-feulement l'a combattuë ,
de plus it a fait fur cela une Differtation
beaucoup plus longue que ma Remarque
fur Acheron , & on y voit Acatique vaincus
& Aquatique victorieux. Pajoute en particulier
les mots
que
que M. Menage allegue
pour exemple , ne font pas pour
lui ; fçavoir , Anchife & Archimede car
mais
ces
JUILLET. 1730. 1559
ces noms ſe prononcent en Latin comme
on les prononce en François.Puifqu'Ache
ron fe prononce avec un c rude , Akeron
il faut en conformité le prononcer en
François avec le même ſon, Akeron, quoiqu'il
s'écrive Acheron .
Peut-être que des perfonnes diftinguées
de l'un & de l'autre fexe , qui portent le
nom de Cheron , ont donné lieu à M. Mer
nage d'en emprunter là prononciation
pour Acheron; mais il n'y a rien là de com
mun pour une imitation , car le nom de
Cheron eft purement François , & celui
d'Acheron vient du Grec & du Latin.
Voilà , cependant les deux queſtions du
Fleuve expliquées comme je l'ai pû .
***
MADRIGAL
L'Amour
' Amour dormoit couché près de fa mere,
Iris furvient , & faifit fon Carquois ;
Elle fuyoit quand le Dieu de Cythere ,
Se reveilla : fes cris percent les bois ;
Une Mortelle ofer prendre ma place !
Lancer mes Traits ! Non, dit-il, point de grace
Venus repart ; mon fils , feche tes pleurs ;
Bien-tôt Iris rapportera tes Armes ;
Sans leur fecours, fes yeux bleffent les coeurs
Va ,vates Traits fontmoins
furs
que fes charmes.
Devi ETA
1560 MERCURE DE FRANCE.
ETABLISSEMENT d'une Com-
-pagnie de cent Arquebufiers dans la Ville
d'Auxerre , par Lettres Patentes du mois
de Decembre 1729..
L
A permiffion que la Ville d'Auxerre
vient d'obtenir du Roi- pour l'établiſſement
d'une Compagnie de cent Arquebufiers
, la fait rentrer dans l'ancien
ufage où elle étoit autrefois de s'exercer
au fait des armes , ufage qu'on fait re-..-
monter jufqu'au commencement du se
fiecle , & dont on voit encore des traces :
près les murs de la Ville dans un lieu
nommé les Butes, anciennement deſtiné à
l'exercice de l'Arbalête. C'étoit là que les
habitans d'Auxerre faifoient montre de
leur adreffe , & où celui qui avoit furpaffé
tous les autres en cet exercice étoit
honoré du nom de Roi de l'Arbalête
& de chef de la Compagnie.
A
LeJeu de l'Arbalête étant enfuite déchû
de fon premier luftre , & la poudre ayant
été inventée , on lui fubftitua le noble:
Jeu de l'Arquebufe. Nos Rois voulurent :
bien l'honorer de leur agrément & accor--
derrà la Compagnie naiffante des privile--
ges confiderables . Mais l'inobfervance de
JUILLET. 1730. 156r
la Difcipline autant que le mélange des
conditions , lequel fit difparoître l'égalité
qui devoit regner dans ce Corps hâta fa
ruine , & enfin tous les exercices cefferent
dès l'année 1626 .
Après un fiecle entier d'interruption ,
on fe reveilla , & on parla de rétablir ce
qui avoit fait honneur aux Auxerrois ;
on dreffa des projets , & une heureuſe .
conjoncture permit d'en eſperer l'execu--
tion.
Aux Etats Generaux de la Province de
Bourgogne , tenus en 1727. M. Baudeſſon ,
Maire de la Ville d'Auxerre , fut nommé
Elû du Tiers- Etat , la Jeuneffe de cette
Ville ranima alors fes efperances ; M. l'Elû
fe chargea de conduire à ſa perfection
l'établiſſement projetté , & il ne negligea
rien pour cela, pendant les trois années
de fon élection..
S. A. S. M. le Duc de Bourbon , Gou- .
verneur de cette Province , ayant donné
fon agrément au projet , eut la bonté de
porter aux pieds du Trône du Roi la très
humble Requête de la Ville d'Auxerre ,.
& Sa Majefté a bien voulu au mois de
Decembre 1729. accorder des Lettres Patentes
par lesquelles elle permet à la Ville
d'Auxerre ( à laquelle le Roi rend le glorieux
témoignage de s'être toujours maintenuë
ſous ſon obéïſſance ) d'établir une =
Compa--
1562 MERCURE DE FRANCE
Compagnie de cent Arquebufiers , dans laquelle
feront reçus les Officiers de guerre &
de Justice , les Bourgeois , les Marchands
& non autres . Cette derniere claufe contribuëra
fans doute à conferver l'honneur
de la Compagnie, en éloignant les conditions
méchaniques dont l'efprit & les
manieres font peu propres à maintenir
l'égalité neceffaire."
Sa Majefté par les mêmes Lettrés daigne
accorder à celui qui le premier & le
plus habilement d'un coup d'Arquebuſe
abat a l'oifeau , l'exemption pendant un
an de toutes tailles , logement de Gens
de Guerre , fubfiftances & autres charges
quelconques , d'Aides & Gabelles qui fe
perçoivent fur les vins qui fe levert en
cette Ville. Les Lettres portent auſſi ce
qui fuit en ontre celui qui abatra ledit
eifeau , on mettra le plus proche dans le noir
de la cible pendant trois années confecutives
jouira des mêmes exemptions pendant fa vie,
fa Veuve durant fa viduité. Les Lettres
Patentes ont été enregistrées par tout où
befoin étoit , & dès cette année on a commencé
à en recueillir les fruits.
Il ne manquoit plus à cette Compagnie
qu'un Chef, qui fous les ordres de S. A.S.
pût par fa naiffance , fon exemple & .fon
experience entretenir & accroître dans
cetteCompagnie les fentimens d'honneurt
&
7
JUILLET. 1730. 1963
& de vertu , aufquels fuivant fon inftitution
elle doit fe porter. Elle a trouvé ce
digne Chef en la perfonne de M. le Comte
de Latournelle , Chevalier de l'Ordre Militaire
de S. Louis , & ancien Capitaine
dans le Regiment Royal Etranger .
Les Arquebufiers honorés de fon accep
tation ſe diſpenſerent du foin de choir
un Lieutenant ; M. le Capitaine leur indiqua
avec politeffe celui qui devoit remplir
cette place en nommant le fils de
M. Baudeffon actuellement Maire , &
petit-fils de M. Baudeffon , l'Elû , auquel
ils font redevables de leur établiſſement.
و
Les choſes ainfi difpofées , & le jour
de S. Jean Baptifte fixé par les Lettres
Patentes pour l'expofition du prix étant
arrivé la Compagnie fit chanter dans
l'Eglife des Cordeliers une Meffe folemnelle
à laquelle M M. les Arquebufiers
affifterent tous en habit d'écarlate , avec
la coquarde blanche. Après là Meffe , ils
fe rendirent à l'Hôtel de M. le Comte de
Latournelle , leur Capitaine , au fon des
Tambours , des Violons & des Hautbois
pour l'inviter à honorer de la préfence le
nouveau fpectacle.
A deux heures après midi , les Arque-
Bufiers s'étant encore rendus à l'Hôtel de
leur Capitaine , partirent au fon des mêmes
Inftrumens pour aller au lieu où l'on
devoir
1564 MERCURE DE FRANCE
devoit tirer l'oifeau. M. le Comte de
Guerchy , fils de M. le Marquis de Guerchy
, Lieutenant General des Armées du
Roi , marchoit avec M. le Comte de Latournelle
à la tête de la Compagnie. Le
premier coup , appellé le coup du Roi ,
fut déferé à ce jeune Seigneur qui le tira
avec toute la grace & l'adreffe poffible ;
après lui M. le Comte de Latournelle qui
étoit en droit de tirer défera cet honneur
à M. le Maire dont la modeftie fouffrit
beaucoup ; mais il falut ceder, M. le Comte
tira fon coup enfuite . Aprês ce prélude
de politeffe , les Arquebufiers ayant pris
chacun le rang que le fort leur avoit don--
né tirerent à l'oifeau . Après trente trois
coups hazardés , un jeune Arquebufier
tira fi heureuſement que fon® coup jetta
par terre l'oifeau qui étoit élèvé à centcinquante
pas de lui.
Auffi -tôt que l'oifeau fut abatu , les
acclamations & les cris de joye redoublés
& mêlés aux fuffrages de tous les fpectareurs
, celebrerent cette victoire ; M. les
Comte de Latournelle qui pour la premiere
fois paroiffoit à la tête de la Compagnie
, careffa fort le victorieux , & le
proclama Roi de l'Arquebuſe , lui rendant:
enfuite les honneurs accoutumés.
Le nouveau Roi de l'Arquebuſe far reconduit
au fon des Inftrumens on fa maifon
JUILLET . 1730. 1565
fon , où il donna un régal qui étoit neceffaire
après un tel exercice , & auquel
rien ne manquoit. Le lendernain , la Compagnie
des Arquebufiers donna dans une
Maifon de Campagne près de la Ville
un fomptueux repas qui fut fuivi d'un
Bal. Rien ne fut épargné pour le plaifir
dans cette journée , & tous ceux qui s'y
trouverent charmés des manieres galantes
& polies des nouveaux Arquebufiers ,
s'en retournerent chantant les louanges
& la noble magnificence de cette lefte
Compagnie.
*
**
A MONSIEUR L'ABBE DE ..
EPITRE ..
A Bbé , dont la Lyre réfonne
Sur un ton fi doux & fi beau ,
Que le Dieu du double Côteau
Penfa plus d'une fois te donner la Couronne
Ami , ton talent merveilleux
Chaque jour fait pâlir l'envie ,
Et moi - même je fens que mon coeur orgueilleux
En eft bleffé de jalouſie.
Bien fouvent j'en perds le repos ;
Mais pour furcroît de maladie ,
Quand Morphée à fur moi répandu fes pavots ,
Songes
1 566 MERCURE DE FRANCE
Songes pires que l'infomnie
M'agitent fort mal à propos:
Au fameux Temple de memoire ,
En bufte d'un marbre très blanc ,
Je te vis l'autre nuit tout rayonant de gloire
Avec Pindare , occuper même rang ;
C'eft alors qu'accablé fous le poids de ma peine
De l'ingrat Apollon je deteftai la haine.
A mon réveil , l'efprit plein de ſouci ,›
Fatigué de fouffrir ainfi ,
Je refolus de faire un nouveau Rôle ,
Et d'effayer fi fous un autre Pôle ,
Je pourrois d'autres Dieux être confideré.
Je quitte donc ( Ami ) le Mont facré ;
Je démenage du Parnaffe
Et dès demain ( cher Abbé ) fans retour ,
En attendant qu'ailleurs je puiffe trouver place ,
Par interim , il me faut un féjour.
Il eft un endroit de plaifance
Dont le Maître avec goût fçait placer la dépenſe;
On y voit Boulingrins , Terraffes & Berceaux , →
La Marne au pied vient promener les eaux :
En facé , à diverſe diſtance ,
Ormes , Chênes , Tilleuls forment plufieurs ri
deaux ,
Que Vertumne embellit avec magnificence.
Entre la Riviere & ces Bois ,
Nature a mis une Prairie ;
La
JUILLET. 1730. 1567
Là , couché fur l'herbe feurie ,.
Fantôt de la Mufette , & tantôt du Hautbois ,
Damon forme une aimable & douce mélodie ; ›
Là, fur un vert tapis des plus vives couleurs ,
Jeune Berger , jeune Bergere
Danfent parés de guirlandes de fleurs ;
Plus loin bondit l'Agneau fur la verte fougere
Au chant de mille & mille Oiſeaux ,
Pan affis à l'ombre d'un Hêtre
Mêle les tendres fons de fa Flute champêtre ;
Pour l'entendre on accourt des plus lointains Ha
meaux ;
Le Faune quitte le Bocage ;
La Nymphe eft attentive au travers des rofeaux.
Cet admirable Payſage
Forme l'afpect de Bauregard ;
C'eft ce charmant réduit où je veux fans retard³
Pour un jour feulement faire mon domicile
Peut-on fi pour tems court refufer un azile ?
Tu fus Auteur du mal dont je me fens bleffé
Tu m'en dois fournir le remede ;
Un jour fera bientôt paffé.
Ton Belveder auquel tout autre cede ,
Me convient mieux que l'Helicon.
Je veux pour braver Apollon
A qui je déclare la guerre ,
Dans ton champêtre apartement
Sacrifier au Dieu du Verre ;.
IE
1568 MERCURE DE FRANCE
Il me rendra bientôt le calme & l'enjoument.
C'eft à toi , cher ami , pour la cerémonie ,
De mettre le comble à mes voeux ;
De peu d'amis choifis affembler compagnie
Et j'attens cette courtoifie
De ton coeur noble & genéreux .
Sommevefle.
XXXX:XXXXXXX: XXXX
EXTRAIT d'une Lettre écrite
par
le
R. P. Tournemine à M. De L. R. an
fujet de la Médaille dont il eft parlé dans
las Lettre du Voyage de Baffe - Normandie.
Ous ceux qui ont vû le deffein de la
TMédaille que vous m'avez communiqué
, & qui a paru enfuite gravé dans
le fecond Volume du Mercure de Juin
1728. page 1344. jugent qu'on ne peut
deviner quel eft le perfonage qu'on y voit
reprefenté que par la reffemblance de
quelque Portrait ou de quelque fceau ancien
. Pour moi , je crois qu'on peut parvenir
à cette connoiffance en fuivant quelques
conjectures ; les voici : vous en jugerez
. La forme du bonnet & de la cuiraffe
attachée avec des rubans , les cheveux
coupés , conviennent également au 14 .
&
JUILLET. 1730. 1560
& au 15. fiecle ; mais l'Infcription ne
convient qu'au 15. après la renaiffance des
Belles - Lettres. Je croi donc qu'il faut
chercher en Italie celui qu'on compare à
Cefar & à Scipion ; je croi qu'il le faut
chercher parmi les grands Capitaines qui
fe fignalerent dans ce 15. fiecle. Je panche
encore plus à croire que c'èft Philippe
Marie , Duc de Milan , je n'en ai pû trouver
de Portrait .
La figure d'Hercule tuant le Centaure
qui paroît fur la cuiraffe , m'avoit donné
une autre idée qu'il faut vous propofer ;
cet Emblême convient au General des
Suiffes qui défit Charles le Hardi , Duc
de Bourgogne à la Bataille de Granſon .
Les Suiffes n'avoient point de Cavaleric ;
celle du Duc étoit nombreuſe : c'eſt peutêtre
la feule occafion où depuis plufieurs
fiecles une Armée fans Cavalerie en ait
batu une forte en Cavalerie. Monftrelet
Auteur contemporain , ne nomme pas
le General des Suiffes , & je n'ai pû trouver
fon nom dans les autres Hiftoriens.
Quelque fpecieufe que foit cette conjecture
, j'ai de la peine à l'approuver ; les
Suiffes de ce tems là étoient trop groffiers
pour connoître Cefar & Scipion . J'attens
ce que des Sçavans plus heureux que moi
auront découvert fur cette Médaille finguliere.
1570 MERCURE DE FRANCE
A Madame la Marquise de G ... qui
s'étoit brûlé le pied. Par M. de * **
d'Arles.
Ovi, Ui , je la fçais , votre avanture
Et voici d'où vient la brûlure.
L'Amour piqué que votre coeur
Bravât fi long- tems fa puiffance,
Vouloit abfolument s'en rendre le vainqueur,
Et le punir de tant d'indifference.
4
Pour un exploit fi grand il forme un trait nouveau
,
Et plus fort & plus invincible
Qu'aucun qui fut dans fon carquois terrible.
Mais comme il craint que fon Bandeau
Ne rende fes efforts fteriles ,
Et , lui cachant l'endroit qu'il veut percer
Ne lui faffe au hazard lancer,
Des coups qui feroient inutiles ,
Il le quitte , & dès lors du triomphe affuré ,
Par un fouris moqueur applaudit à ſa gloire.
Déja tous les Amours celebrent fa victoire ,
Et ce fuccés fi long- tems defiré ;
Déja dans mille Amans naît la douce efperance
De voir bientôt la fin de leur tourment.
Moi
JUILLET . 1730. 1574
Moi-même je fentis dans cet heureux moment
Moi , qui toujours pour vous brule dans le filen
ce ,
4
Je fentis un contentement
>
Que je n'éprouve point depuis qu'à tant de charmes
J'ai malgré moi rendu les armes.
Tremblez , tremblez , cruelle , il va partir le trait,
Grands Dieux ! que mon bonheur feroit digne
d'envie ,
Si je pouvois être l'objet
Pour lequel vous allez être enfin attendrie !
Mais quel Démon combat pour vous :
Au moment que l'Amour animé de courroux
Alloit lancer cette fleche invincible ,
Par malice , il vous porte un regard curieux ;
Ebloui tout à coup par l'éclat de vos yeux ,
Il manque votre coeur , & ce trait fi terrible
Qui devoit le remplir d'allarmes & de feux ,
Ce trait que j'attendois dans l'efpoir & la crainte
Ne porte à votre pied. qu'une legere atteinte.
. On a dû expliquer les mots de l'Enigme
& du Logogryphe du premier Volume
de Juin par Bonnet quarré & amer , & ceux
du fecond Volume du même mois , par
Perruque & Oremus.
ENIGME
1572 MERCURE DE FRANCE
L
ENIGM E.
Es foupirs , les pleurs & les larmes
Tantôt accompagnent mes pas ,
Tantôt les plaifirs & leurs charmes
Font briller mes plus beaux appas
En faifant couler dans mon ame
Les attraits de leur douce flamme,
Souvent je parois fur la fin
De quelque fuperbe feftin
Dans le plaifir & l'allegreffe ,
Et quelquefois rempli de deuil
Dans les cris & dans la trifteffe
Je conduis les morts au cercueil.
J'ai fait redouter ma puiſſance
A plufieurs Princes de renom ,
Qui revencient pleins d'efperance
De l'embrafement d'Ilion.
Je fuis à la faveur du corps que l'on me donne
Plus folide qu'auparavant ;
Mais à mon libre effor dès que l'on m'abandonne
Autant en emporte le vent.
Par M. l'Abbé Riviere
LOGOJUILLET.
1730. 1578
LOGO GRIP HE.
SEpt lettres compofent mon nom :
On peut en ôter deux de ma terminaiſon
Je n'en fignifirai pas moins la même choſe.
Ce n'eft plus aux paffans qu'aujourd'hui je m'ex
poſe ;
" On ne me trouve plus au bord des grands che
mias ;
Ma vûë en d'autres lieux étonne les Humains.
Je fuis pour quelques-uns un vain fujet de gloire ;
Mais , ô Ciel ! qu'elle eft illufoire !
Peuvent-ils tirer vanité
D'un vrai fujet d'humilité ? -
Si vous me partagez , la plus groffe partie
N'offre rien qui ne plaiſe à l'eſprit comme aux
yeux ;
Otez-en le furplus , vous verrez qu'à la vie
C'eft chofe neceffaire , ainfi qu'à certains lieux,
L'autre priſe à rebours auffi-tôt vous préſente
Ce que vous trouverez fi vous me devinez .
Remettez tout enſemble , enfuite combinez ,
Votre efprit trouvera pour peu qu'il ſe tourmente
Ce qui s'unit par fois avec univerfel.
Si de mes Lettres on compoſe
Ce qui termine mainte chofe ,
On pourra du reftant faire un être immortel.
R ....
E NOU1574
MERCURE DE FRANCE
NOUVELLES LITTERAIRES
M
DES BEAUX ARTS & c.
EMOIRES pour fervir à l'Hiftoire
des Hommes Illuftres dans la Répu
blique des Lettres , avec un Catalogue raifonné
de leurs Ouvrages. Tome X. de 190.
pages , fans la Préface & les Tables. A Paris
, chez Briaffon , ruë S, Jacques , à la
Science . M. DCC. XXX.
L'Auteur commence de s'acquiter d'un
engagement qu'il a pris avec le Public
& que nous avons annoncé avec plaifir
dans un de nos Journaux. La moitié de
ce 10. Volume eft employée en changemens
, en corrections & additions pour
le premier Tome des Mémoires . L'autre
moitié contient une Table genérale des
Matieres qui ont été traitées par les Auteurs
contenus dans les dix premiers Volumes
, & une Table Nécrologique des
'Auteurs contenus dans ces mêmes dix
premiers Volumes. Il ne faut pas douter
que ces changemens , corrections & additions
ne foient en general bien neceffaires
pour la perfection de tout l'Ouvrage ;
mais elles ne font pas toutes d'une égale
importance ; on peut même dire qu'il y
en
JUILLET . 1730. 1575
en a de peu neceffaires , & que quelques
corrections auroient elles - mêmes befoin
- d'être corrigées : telle eft celle qui regarde
Louis Ferrand ; l'Auteur des Mémoires
s'exprime ainfi fur ſon ſujet : » On a dit
fur l'autorité du Journal des Sçavans
» qu'il avoit étudié au College des Prêtres
» de l'Oratoire de Toulon ; mais comme
>> ils n'ont point de College en ce lieu , il
» faut mettre feulement qu'il étudia dans
le College de Toulon . L'Editeur auroit
pû s'épargner cette prétendue correction ;
car il eft de notorieté publique que les
PP. de l'Oratoire ont un College à
Toulon , établi par des Lettres Patentes
depuis plus d'un fiecle.
و
L'HISTOIRE DE L'EGLISE DE
MEAUX , par Dom Touffaint Du Plessis,
Benedictin de l'Abbaye de S. Germain
des Prez Auteur d'une Hiftoire de la
Ville & des Seigneurs de Couci , dont
nous avons rendu compte au Public , eft
actuellement fous la preffe , & fe débitera
chez Giffart , rue S. Jacques , au commencement
de l'année prochaine. Cet Ouvrage
entrepris fous les aufpices de S. E.
M. le Cardinal de Biffy , Abbé de Saint
Germain des Prez , doit contenir deux.
Volumes in 4°. Le premier renferme le
Corps de l'Hiftoire , avec des Differtations
E ij fur
1576 MERCURE DE FRANCE
fur quelques points difficiles qui demandent
d'être éclaircis , & divers Catalogues
des Evêques , Doyens , Generaux
d'Ordre , Abbés & Abbeffes de ce Diocéfe.
Le fecond Volume comprend les
Pieces juftificatives au nombre de près de
800. pour la plupart très - intereffantes ,
un Recueil complet des Statuts Synodaux
du Diocèfe depuis le 13. fiecle , & enfin
un Pouillié exact.
Le même Giffart acheve d'imprimer le
6. & dernier Volume de l'Edition de
Polybe , traduit par le R. P. Dom Vincent
Tuillier , avec les Commentaires de M. le
Chevalier de Folard.
?
ELEMENS DE L'HISTOIRE ou ce
qu'il faut fçavoir de Chronologie , de Geo
graphie , de Blazon , de l'Hiftoire Univerfelle
, de l'Eglife de l'Ancien Teftament
, des Monarchies anciennes , de l'Eglife,
du Nouveau Teftament & des Monarchies
nouvelles ,avant que de lire l'Hiftoire
particuliere , Par M. l'Abbé de Vallemont
, nouvelle Edition continuée jufqu'à
préfent , & augmentée d'une fuite
de Médailles Imperiales , depuis Jules Cefar
jufqu'à Heraclius. A Paris , rue Saint
Jacques , chez Gab. Martin. 4. Vol. in 12 ,
1730.figures , prix 10. livres.
L'ART
JUILLET. 1730. 1577
L'ART DES ARME'ES NAVALES ,
ou Traité des évolutions navales , avec la
Théorie de la conftruction des Vaiffeaux.
Par le P. Hofte , de la Compagnie de Jefus
, Ouvrage enrichi d'un grand nombre
de figures en tailles douces, in fol. 15. liv. )
chez le même.
CONTINUATION de l'Hiftoire Ro
maine jufqu'à la prife de Conftantinople
par les Turcs . Traduite de l'Anglois par
Laurent Echard. 6. vol . in 12. fous preffe.
chez le même.
TRAITE DE PERSPECTIVE , ou
font contenus les fondemens de la Peinture.
Par le P. Bernard Lami , de l'Oratoire.
A Paris , rue S. Jacques , chez Gabi
Martin. in 8. figures . 5. liv .
LE PARFAIT NEGOCIANT , avec
les Pareres fur le Commerce . Par M. Savari
, derniere Edition. Chez le même. 2.
Vol. in 4.
LES FACETIEUSES NUITS de
Staparole , traduites de l'Italien. Idem , ž
Vol. in 12.
DES PROCESSIONS DE L'ÉGLISE,
avec un Recueil des plus celebres qu'on
E iij
a
1578 MERCURE DE FRANCE
a coûtume de faire tous les ans. Par le fieur
Vatar. Idem , in 12.
>
LA VERITABLE CONDUITE de
S. François de Sales pour la Confeffion &
Communion , fidelement extraite de fes
Ecrits , & faifant partie de fes Oeuvres
augmentée de l'Office & des Litanies en
l'honneur du très - Saint Sacrement , avec
des Actes de réparation d'honneur des facrileges
& des irreverences qui fe commettent.
A Paris , ruë de la Harp , chez
P. Simon 1730.
>
DISCOURS PATHETIQUE fur les
matieres les plus importantes & les plus
touchantes de la Morale Chrétienne , tiré
de l'Ecriture Sainte & des Peres de l'Eglife
, Ouvrage également propre aux Ecclefiaftiques
pour faire des Prônes & des
Exhortations dans les maifons & dans les
Retraites , & aux fimples fideles pour leur
fervir de lecture fpirituelle. Par M. Blanchard
, Prêtre , Prieur & Seigneur de Saint
Marc - lès - Vendôme. Ruë S. Jacques , chez
Henri 1730. 2. Vol . in 12 .
PREMIER ET SECOND OEUVRE
de Mufettes. Par M. Baptifte , ordinaire
de la Mufique du Roi . AParis , rue Saint
Honoré du Roule , chez Boivin & chez
le .
JUILLET. 1730. 1579
Le Clerc, prix 6 liv . 10 fols les deux Oeuvres.
D. MAGNI AUSONII BURDIGA
LENSIS OPERA &c. Les Oeuvres d'Au
fone , avec l'Interpretation & les Notes
de Julien Fleuri , Chanoine de Chartres ,
& c. & celles de J. B. Sonchay , de l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles
Lettres , lequel a pris foin de cette Edition
&c. A Paris , de l'Imprimerie de Jacques
Guerin , Quay des Auguftins 1730. in
4. de 684. pages , fans les Prolegomenes
de 67. pages , la Table & 2 planches dé
tachées.
LA TRAGEDIE EN PROSE , on la
Tragedie extravagante , Comédie en un Acte.
Par M. Du Caftre. A Paris , chez Chaubert
, Quay des Auguftins , à la Renommée
& à la Prudence. Cette Piéce a eu plus
de quinze Repréſentations , & a été trouvée
bien écrite , & pleine de fel ; les portraits
en ont plû fans offenfer perfonne.
Le Rôle de la Femme Auteur a fur tout
paru neuf. Le prix eft de douze fols.
à
un
LETTRES fur le choix des faignées
écrites par M. Fulien Moriffon , Docteur en
Medecine , à Palnau en Bas Poitou ,
Medecin de la Faculté de Paris . A Paris ,
E iij chez
1580 MERCURE DE FRANCE
chez Chaubert , Quai des Auguftins , près
le Pont S. Michel , à la Renommée & à
la Prudence. brochure in 12. prix douze fols .
L'Auteur de ces Lettres qu'on pourroit
bien foupçonner être quelqu'autre
que celui dont elles portent le nom , ne
propofe ici les doutes & les difficultés
contre les differentes opinions des Medecins
en general que pour en attaquer plus
librement quelqu'un en particulier. L'Ouvrage
brillant fur le choix des faignées
dont il parle fur la fin de Ponziéme Lettre
, ne peut être autre que le Traité de
M. S ... quoiqu'il fuppofe ne le connoître
encore que par l'annonce qui lui en a
été faite par un Homme de Lettres il
eft aifé de fentir que c'eft principalement
à cet Ouvrage qu'il en veut ; la Critique
qu'il en fait, pour être indirecte , n'en eft
pas moins férieufe , & les onze Lettres
dont ce petit Ouvrage eft compofé , font
toutes remplies de traits vifs contre la
Medecine & les Medecins .
,
ABREGE CHRONOLOGIQUE de
PHiftoire Univerfelle , Sacrée & Profane,
Traduction nouvelle fuivant la derniere
Edition Latine du P. Petau . Par M. de
Maucroix , & continuée juſqu'en 1701 .
avec un Traité de Chronologie par M. Delifle,
1730. in 12. 3.Vol . Rue S. Jacques ,
chez la Veuve Delaulne.
LI
JUILLET . 1730. 1581
LE TRIOMPHE DE LA CHAR-
و LATANERIE dédié au grand T ***
A Paris , chez Antoine de Heuqueville
Libraire rue Gillescoeur , à la Paix. Il
vend l'Eloge de Rien & l'Eloge de Quelque
chofe du même Auteur.

LETTRE fur le Projet , pour perfection
ner l'Ortografe des Langues de l'Europe .
Par M. l'Abbé de Saint Pierre ; vol. in
8. de 266.pag. chez Briaffon , ruë faint
Jacques. 1730.
MONSIEUR ,
Les Ouvrages & la réputation de M*
l'Abé de S. P. font fi conus dans la République
des Letres , qu'à la feule infpection
d'un de fes livres , on peut hardiment conclure
que c'eſt un nouveau Projet pour la
perfection des Arts & des Siences . Cet
Auteur infatigable après avoir doné bien
des Projets fur les matieres les plus relevées
, vient d'en doner un autre pour perfectioner
l'Ortografe des Langues de l'Eu
rope . Le fujet , quelque petit qu'il parolffe
par lui-même , devient important entre
fes mains ; intereffe dans ce qu'il propoſe
toutes les Nations de l'Univers ; & s'il n'a
as la fatisfaction de voir metre en prati
Εν
1 que
P
1582 MERCURE DE FRANCE
que ce Projet , il a du moins l'avantage de
perfuader les perfones bien intentionées &
amies du bien public.
M. l'Abé de S. P. ne perdant jamais de
vue l'ordre qu'il a fuivi dans tous les ouvr
ges , comance par des Obfervations préliminaires
; & pour difpofer le lecteur à etre
moins choqué d'un nouveau fiftême d'ortographe
, ce favant Abé fuit d'abord une
ortografe melée de toutes les autres , pour
y acoutumer peu à peu les ieux des lecteurs
qui fans cete précaution feroient
fcandalifés de fe mélange bifare aux ïeux
des ignorans , ou des gens prévenus , mais
tres-neceffaires dans les vues d'un profond
grammairien. Il ne faudra pas metre fur
fon conte les fautes du Graveur , ni celles
de l'Imprimeur ; cependant il eft à craindre
que la vanité des lecteurs ne trouve:
plus aifé de condaner l'auteur , que d'aler
examiner de qui peuvent etre les fautes.
Je dis ceci par raport aus trois caracteres
a , f. g , que le graveur a trop couchés , &
qu'il a rendus italiques , au lieu de les
arondir & de les rendre quarés & romains
corps des autres letres.
ou du
Il eft de la nature du meilleur & fur tout du
beaucoup meilleur de faire perir peu à peu le
bon & de l'anéantir entierement , c'eft pourquoi
l'écriture hieroglifique des Egiptiens
anciens à peri peu de tems après que le
Legrer
JUILLET . 1730. 1583.
fegret d'écrire non les penfées , mais d'écrire
les paroles prononcées , a été publié.
L'ecriture des Tartares,fouverains dans
la Chine fera perir entierement & dans
peu de fiecles l'ecriture Chinoife ; & les
Chinois eux- memes adopteront peu à peu
l'Afabet Tartare, come beaucoup plus comode
; & peut-etre que notre Alfabet Européen
perfectioné , fervira un jour à perfectioner
le leur.
Le but de l'ortografe , eft certainement
d'exprimer exactement & fans laiffer aucun
doute , par un petit nombre defiguresfimples,
faciles àformer à diftinguer tous les mots
dont les hommes fe fervent enparlant.
Notre Ortografe doit toujours répondre , au
· tant qu'il eft poffible , non immediatement à la
penfee , mais au mot prononcé qui fignifie im
mediatement la pensée.
I1 y a trois ou quatre cens ans que l'ortografe
etoit beaucoup meilleure que la
nôtre, c'eft-à- dire qu'elle reffembloit beaucoup
plus à la maniere de prononcer , qui
étoit alors en ufage , que notre Ortografe
prefente ne reffemble à notre prononciation
prefente.
Durant le tems qu'un mot met à changer
tout à fait la premiere prononciation , il
continue toujours à conſerver ſa même ortografe.
Or y aïant peu
de gens intereffés à chan-
E vi ger
1584 MERCURE DE FRANCE
ger l'Ortografe de ce mot , & beaucoup
de gens intereffés à n'y rien changer ; il
paroit , dit le judicieux Auteur , que c'eft
une efpecede neceffité que les vices de l'ortografe
croiffent par l'autorité de l'ufage
abufif , & que ce fera une efpece de merveille
fi quelques- unes des regles que propoſe
la raifon , font fuivies de nos jours en
Europe,enFrance & en Angleterre, Royaumes
où la raifon eft plus refpectée , & où
elle a , ce femble , plus de credit qu'en aucune
autre partie de la terre.
Une autre caufe de la multitude épouventable
de défauts dans notre Ortografe,
c'eft le manque de figures ou de caracteres
dans l'alfabet ; car il faut une figure particuliere
, ou une voyele particuliere pour
fignifier chaque fon particulier fimple,
Nous connoiffons quinze fons fimples ,
& nous n'avons pour les exprimer que
ces cinq figures a , e , i , o , u.
De même nous conoiffons vint articuculations
diferentes , & nous n'avons que
quatorze caracteres ou confones écrites ancienes
, & deux nouveles ; favoir le carac
te J , & le caractere V. Ce defaut de figures
a fait employer les mêmes caracteres
pour des fonctions diferentes , & a caufé
bien des équivoques dans l'ortografe , &
fur rout dans l'ortografe des noms propres.
I
JUILLET .* 1730. 1585
1º. Négligence à fuivre dans l'Orto
grafe les changemens qui arrivent dans la
prononciation.
2º. Négligence à inventer autant de figures
qu'il y a de fons & d'articulations:
conuës.
3. Négligence à doner quelques marques
aux lettres quand on les employoit
quelqu'autre fonction qu'à leur fonction
ordinaire .
4° . Négligence à marquer dans chaque
mot les letres qui ne s'y prononcent plus
5º. Négligence à marquer les voyeles
longues.
M. l'Abbé de S. P. s'eft propofé d'indiquer
des remedes éficaces à ces fources &
à ces inconveniens de la coruption prefente
& de la coruption future de l'ortografe
: & pour ce perfectionement defirable
il fuit la fage maxime qui confeille de ne réformer
les abus univerfels introduis par voie
prefque infenfible, que par une voie femblable
prefque infenfible. Je fouhaite que le ри-
blic ne trouve point que l'auteur fe ſoit
écarté de cette maxime dans cet ouvrage,
& qu'on ne foit point fcandalifé de la li
berté d'ortografe que notre zele grammairien
demande : la feule tolerance en fait
d'ortografe , fera triomfer la moderne ; &
à la fin l'ortografe fera telle , que le lecteur
conoitra facilement fans aucun doute , fans
aucune
1586 MERCURE DE FRANCE

aucune équivoque , & avec certitude, la pro-
"nonciacion précife de tous les mots écrits.
Pour démontrer jufqu'où nous a conduit
infenfiblement l'ufage tiranique ,
M. l'Abbé de S. P. prend les trois lignes
du premier article de la preface du dic
tionaire de l'Academie françoife de l'édition
de 1718. ces trois lignes contienent
vingt - huit mots , & pour écrire fans
faute , felon la regle de la raifon & de
F'oreille , il y faudroit faire quarante
cinq changemens , c'eft- à - dire qu'il y a
quarante- cinq fautes contre la regle generale
de la bone ortografe de toute langue.
Le lecteur trouvera dans le livre de cet
Abé , les trois lignes & les quarante - cinq
fautes, letre à letre , mot à mot , & c.
Dans ces trois lignes il n'y a que les mots
une , de , ne, où M. l'Abbé de S. P. n'ait
trouvé aucune faute ; il en trouve quatre
dans le mot eft , il le démontre felon fes
principes , & établit en même-tems pour
regle importante que vu cette prodigieufe
quantité de fautes , il feroit ridicule de prétendre
les coriger toutes en même-tems , par
e qu'il faut avoir le loifir de nous acoutumer
peu peu à quelques-unes de ces com
rections avant que de fonger à en adopter
quelques autres.
à
Je dois ajoûter , au refte , qu'on auroit
tort de vouloir faire le mauvais plaifant
fur
JUILLET. 1730. 1587
fur les quarante-cinq fautes & fur les vinthuit
mots des trois lignes de la préface
du dictionaire de l'Academie Françoiſe ;
ces trois lignes font fans faute, felon l'ufage
abufif fuivi dans le dictionaire , come
dans les autres livres.
A l'égard des noms de famille , il faudroit
les écrire d'abord felon l'ortografe
reguliere & par rapport à la prononciacion
par exemple , le nom Danjo , &
écrire enfuite entre deux crochets & en
italique le même nom ( Dangean ) felon
fon ortografe anciene , qui répond aparament
à la prononciacion anciene.
Les écrivains doivent aprocher toûjours
mais
peu à peu
leur
ortografe
favante
&
vicieufe de l'ortografe ignorante & re
guliere ; parceque l'ortografe prefente doit
vifer à reprefenter à tout le monde , aus favans
, aus ignorans , aus femmes, aus enfans ,
& fur tout aus étrangers & à notre pofterité ,
notre veritable prononciacion prefente.
Notre zelé grammairien finit fes obfervations
préliminaires , en difant qu'on
ne doit point faire de reproche à celui
qui écrit le même mot de deux ou trois:
manieres differentes ; il fatisfait ainfi à
deux regles raifonables , la premiere eft
qu'il ne faut pas abandoner tout d'un coup
& entierement l'ufage abufif lorsqu'il eft univerfel
la fegonde eft qu'il faut s'éloigner
588 MERCURE DE FRANCE
a
gner quelquefois de cet ufage abufif, afin de
le rendre lui-même peu à peu raiſonable.
Après les obfervations préliminaires
M. l'Abé de S. P. en done fur les regles
qu'il divife en perpetueles & en paffageres.
Les perpetueles font pour tous les tems &
generales pour toutes les lingues écrites.
Les regles paffageres & particulieres ici
pour la langue françoife, ne doivent durer
qu'autant de tems que durera le paffage-de
Portografe vicieuſe à l'ortografe reguliere,
tant pour ffee defacoutumer
defacoutumer peu à peu de
P'une , que pour s'acoutumer peu à peu
à l'autre. Il y a onfe regles dont la plupart
ont des éclairciffemens & des confequences
dignes de la curiofité du lecteur.
La quantité d'équivoques dans notre
langue écrite , eft fi prodigieufe , que l'on
peut écrire de plus de trois cens manieres
le mot prononcé Haynault , province
dont Mons eft la capitale , & ces manieres
font toutes differentes en quelque chofe
& peuvent pourtant fignifier ce mot de
de ux filabes .
On lit dans les éclairciffemens de la quatriéme
regle les raifons qui ont obligé
M. l'Abé de S. P. à faire graver & fraper
huit caracteres diferens pour les fons a ,
ĩ , Sũ , cũyên , on ,en liant la confone
vec la voyele , ou les voyeles enfemble
par le trait de jo nction d'une letre à l'au-
> › > >
tre.
JULLLET. 1730. 1589
tre. A l'égard des fons exprimés par les
caracteres ch , gn , ill , notre auteur a mis
un petit trait entre le c , & l'h , lié leg,
avec l'n , & mis un point fous l'?, voilà
donc déja onfe caracteres de fa façon , &
pour achever la doufaine il a mis un point
fur la letre en faveur de l'articulation
guturale Efpagnole du mot D. Quixot.
Après une dépenfe fi genereufe de la part
de M. l'Abé de S. P. on devroit lui facrifier
fans regret d'ortografe , l'y grec & la
letre h des mots myftere , Phylofophe, Bacchus
, Rheteur , Theme , qu'il feroit mieux
d'écrire miftere , filofofe , bacus, reteur, tème.
Cet Alfabet eft encore enrichi de plufieurs
autres caracteres foulignez qui marquent
les voyeles longues & d'autres caracteres
furlignez qui marquent les letres muetes ;
ces caracteres foulignez feroient d'une
grande comodité pour les idolâtres de la
vielle ortografe; car moyenant ce furlignement
ils pouroient doubler & tripler inutilement
les cofones qu'ils afectioneroient
le plus , fans craindre d'expofer les lecteurs
aus équivoques de l'ufage abufif de la pre
fente ortografe .
Il y a enfuite dix regles paffageres que.
M. l'Abé de S. P. expofe come autant de
moyens de paffer par degrés prefque infenfibles
, par une augmentation continuele
, journaliere & anuele , de petits
chan1590
MERCURE DE FRANCE
changemens durant deux ou trois gene
fations de l'ortografe vicieufe à l'ortografe
reguliere , qui n'auroit pas befoin de mai
tre : en aprenant à lire on aprendroit l'or
tografe , aulieu qu'aujourd'ui il faut des
maitres pour aprendre l'ortografe ſavante ,
irreguliere & pleine d'exceptions.
Ces règles paffageres exigent que l'on
furligne les voyeles & les confones muetes;
que l'on écrive & que l'on imprime de
tėms en tems le même mot de diferentes
maniere ; & c'est ce que l'auteur a prati
qué dans cet ouvrage , où l'on trouvera
quelquefois les mots dictionaire , genre ,
Egiptiens , écriture, & c. écrits , digfionaires,
janre , Ejipfiens ; éqriture , &c. ce qui fufit
pour doner au lecteur une idée de ce
mêlange & de cette tolerance d'ortografe
à défirer dans la république des letres. On
peut donc fuivre à prefent dans ce tems
de trouble , de confufion & de fchifme
ortographique , l'ortografe que l'on voudra
, avec l'unique regle de reprefenter le
vrai fon des mots , & l'unique maniere
de lire fans équivoque , come dans les
mots çaje , qeur , oqcilière , & c. au lieu de
fage, coeur, auxiliaire, &c. en un mot écrire
come l'on prononce , & avoir plus d'égard
pour l'oreille que pour les ïeux . Cette regle
fera toujours dificile à fuivre par les
perfones qui ne favent pas bien lire , &
ic
JUILLET. 1730. 1591
je mets dans ce rang ceux qui écrivent ,
par exemple , gai fe de bones piques &
louvrage ave pafiance , & c. au lieu d'écrire
j'ai fait des bonèts piqués l'ouvrage
avec paffiance , pacience ou patience , &c.
- La dixiéme regle paffagere exorte les
imprimeurs à metre au comencement de
chaque ouvrage l'abregé du nouvel alfabet
fuivi dans le livre nouveau : cet alfabet
devroit être le plus fimple & le plus com →
plet qu'il feroit poffible , & contenir
non-feulement les letres regulieres , immuables
, mais encore les lettres ou figures
irregulieres , équivalentes , paffageres,
& c .
M. l'Abé de S. P. bien loin de mêler les
voyeles & les confones par une imitation
fervile dans notre a b c françois , a crû plus
raiſonable de metre toutes les voyeles de
fuite , avant que de doner les confones.
Les quinfe voyeles font a , a , e , é‚é‚è ,
i‚í‚o¸ó , u , ú , eu , eu , par où l'on voit
que cet Abé, trouve quinfe voyeles dans
notre langue , fans y faire entrer le fon
de l'au quelquefois diferent du fon de l'o,
Je ne crois pas que tout le monde conviene
de la diference de fon entre celui
d'й & d'eй , ni de la diference de fon entre
celui d'i & d'èn ou d'én , &c, il en fera
parlé plus au long dans l'A B C de Candiac
, ou dans le livre intitulé la Bibliote
que des enfans.
1592 MERCURE DE FRANCE
ples ,
Après les quinfe voyeles ou fons fimə
que notre favant grammairien trou.
ve dans la langue françoife , vienent les
vint confones ou les vint articulations
diferentes combinées avec les voyeles : il
eft vrai que le caractere h & le x des Efpagnols
font mis dans le nombre des vint
confones , ce qui fait en tout trente cinq
caracteres , aufquels ajoutant les quinfe
caracteres foulignés & les trente- cing furlignés
, cela fait quatre-vint-cinq poinçons :
& autant de matrices contenant la gravure
d'environ cent quinfe letres pour
le bas de cafe romain , il en faudroit autant
pour l'italique , autant pour le ca
pital , autant pour le petit majufcule du
corps , ce qui feroit quatre cens foixanteletres
à graver pour une fonte : de forte
que pour une vintaine de corps diferens
fuivis & reguliers , il faudroit faire graver
fondre & fraper neuf mile deux cens letres
caracteres , avec environ fix mile huit cens
poinçons , dépenfe digne du loifir pacifi
fique de quelque grand monarque.
Notre auteur, après avoir parle de l'Alfabet
regulier , parle enfuite des figures
équivalentes , la plupart paffageres , dont
on fe fert mal à propos à la place des
voyeles & des confones de l'Alfabet regulier.
M. l'Abé de S. P. done ſes obfervations
fur les trente- cinq caracteres &
les
JUILLET. 1730. 1593

?
feurs équivalens en trente- cinq articles
qu'un lecteur curieux fur cette matiere
lira toujours avec plaifir. On apele carac→
tere équivalent , celui ou ceux que l'on
emploie abufivement & ignorament pour
un autre , come em , en , eam pour le fon a
dans les mots employer , enfant, Jean , &c.
au lieu d'écrire felon la prononciation &
l'ortografe reguliere , aployer , afant , fã ‚
&c. fi quelqu'un invente de plus beaus'
caracteres que ceux de M. l'Abé de S. P. il
en fera bien -aife .
A l'égard de la denomination des confones
, ce Grammairien Filofofe- Geometre
dit qu'il conviendroit mieux , ce femble,
de döner un nom à chaque confone , dans
lequel on fentit l'articulation tant avant
qu'après la voyele , come dans les filabes
bab , faf, &c. & qu'on devroit preferer l'a
aux autres voyeles , pour la voyele auxiliaire
de l'articulation des confones, & dire.
lal, par ex, plutor que lel ou le ; ceci doit
s'entendre de l'alfabet regulier , & nom de
l'alfabet irregulier dont nous nous fervons.
On
peut, felon
notre
auteur
, continuer
l'ufage
des caracteres
italiques
dans
l'impreffion
, pour
avertir
le Lecteur
de
faire
plus
d'atention
à certains
mots
qu'à
d'autres
, ce qui eft tres comode
. On peut
auffi
fe fervir
encore
de la figure
& , &
de
1594 MERCURE DE FRANCE
de la figure & c.pour fignifier les conjonctions
, & les mots latins & cætera.Mais
je fouhaiterois que les Imprimeurs employaffent
quelquefois les deux letres, e, t,
au lieu du feul caractere & , pour la conjonction
& , fur tout après une virgule ,
& que l'on mit feulement le caractere &
loin des virgules , parce que l'union des
idées & des chofes eft plus grande .
M. l'Abé de S.P. toujours animé de l'efprit
du bien public, propofe modeftement
les Projets & les changemens qu'il a le
plus medités ; il écoute tout le monde , il
invite les bons citoyens à lui faire des objections
; il en raporte ici vint & unes ,
avec autant de réponſes. Ce qui mis en
deliberation entre les Partifans des Ortografes
diferentes , augmenteroit peut-être
le fchifme , bien loin de réunir les efprits
enemis de la raiſon & efclaves des ufages
& des abus quelconques.
Notre auteur ne fe contente pas d'inviter
les François libres du préjugé tirannique
; il ofre encore aux étrangers fon
ouvrage , & les exhorte à l'acomoder à
leur langue ; l'avertiffement eft bon pour
les Anglois dont l'ortografe eft encore
plus fauffe , plus dificile que la nôtre par
raport à la prononciation , Des efprits bornés
mepriſent cette partie de la grammaire
, mais on fera voir dans l'A , B , C ,
de
1
JUILLET . 1730. 1595
de Candiac que l'ortografe reguliere ne
doneroit pas lieu à tant d'équivoques
dans la lecture & dans la copie des actes
juridiques , dont la prononciation eft perdue
, faute d'avoir été bien reprefentée
par des caracteres reguliers.
Le Lecteur trouvera à la fin du livre
un abregé de l'ortografe reguliere , & un
Projet pour perfectioner les langues. Ce
n'a pas été fans quelque peine & même
fans quelque degout que M. l'Abé de S.P,
a mis cet ouvrage en l'état où il eft ; il a
confideré que peu de gens un peu habiles
fe refoudroient à travailler avec conftance
fur une matiere fi meprifée par le gros
des Lecteurs , fi dificile à bien traiter , &
cependant fi importante dans le fond au
bonheur des enfans & à l'honeur de la nation.
Ce genereux & bienfefant Abé croit
avoir lieu d'efperer qu'il aura des fucceffeurs
dans les fieçles fuivans qui travailleront
fur ce fujet , avec plus de facilité &
avec plus de fuccès qu'il n'a fait. Je fuis ,
Monfieur , &c.
On débite depuis peu chez Emery ;
Sangrain & Martin , Libraires , un Livre
important : EXPLICATIONS de plufieurs
Textes difficiles de l'Ancien & du
Nouveau Teftament qui n'ont été ni bien entendus
ni bien expliqués par les Interpretes,
avec
1596 MERCURE DE FRANCE
avec des regles certaines pour l'intelligence
du fens litteral de l'Ecriture. Ouvrage enrichi
de Figures en Taille douce. Par le
R. P. *** Religieux Benedictin de la
Congregation de S. Maur. 2. Vol . in 4 .
Ganeau , rue S. Jacques , aux Armes de
Dombes , diftribuë depuis le commencement
de ce mois des ESSAIS HEBDOMADAIRES
fur plufieurs fujets intereffans.
Par M. Dupuy , ci- devant Secretaire
au Traité de Paix de Rifwik. Brochure
in 12.
On vend depuis peu chez Antoine_de
Henqueville , Quai des Auguftins , une brochure
in 12. Voici le titre : Lettre à My-
Lord ... fur Baron & la D Le Couvreur.
Par GeorgeWink.
Nous n'examinerons point fi George
Wink eft veritablement exiftant , ou fi
M. l'Abbé d'Allainval , connu par plufieurs
Pieces joüées fur l'un & l'autre
Theatre eft caché fous ce nom Anglois ,
Il fuffit pour nous de dire que la Lettre
dont il s'agit contient diverſes particularités
qui peuvent fervir à l'Hiftoire du
Theatre François , & que les amateurs des
fpectacles lifent avec plaifir. Plufieurs de
ces traits étoient même abſolument inconnus
; outre ceux qui regardent le fieur
Baron
JUILLET . 1730. 1597
Baron & la Dlle Le Couvreur , on y trouve
des digreffions curieufes fur des Comédiens
morts depuis long-tems , & même
de la Critique . Ce qui fuit fuffira pour
donner une idée de ces anecdoctes , & dir
ftile de la Lettre.
» La nature l'avoit favorisé ( Baron ) de
»ces qualités corporelles qui gagnent les
» coeurs, & qui font fi avantageufes à ceux
» qui parlent en Public , particulierement
» fur le Theatre ; & l'air d'une Cour po-
» lie & fpirituelle qu'il fréquentoit avec
" affez d'agrément,lui avoit rendu comme
" naturelles des manieres aifées & char-
" mantes qui y naiffent avec la plûpart
" des Courtifans , & dont on n'acquiert
"& on ne copie ordinairement que le ri-
"dicule enfin il a été le plus grand Co-
" médien qui ait jamais brillé ſur le Thea-
" tre François , & il ne lui manquoit , dit
» le judicieux La Bruyere , que de parler
avec la bouche , on s'étoit même accoû-
" tumé à ce deffaut ; mais on a toûjours
» crié contre la mauvaiſe habitude qu'il
" avoit de tourner le dos à l'Acteur à qui-
"il parloit pour regarder les bancs du
>> Théatre ; on ne peut lui reprocher de
>> plus que quelques manques de bienféances
&c. La plupart des Comédiens
» font des Ames moutonnieres , qui ne fe
chargent ordinairement que des défauts
F des
1598 MERCURE DE FRANCE
1
» des grands Acteurs qu'ils veulent imiter.
» Dès que Baron commença à faire du
bruit , les Comédiens de Campagne cru
>> rent avoir attrapé fon jeu , en affectant ,
❤ & outrant même fon parler nazillard.
Voici d'autres exemples du même travers.
Bejard , camarade de Moliere , &
frere de fa femme , demeura eftropié
d'une bleffure qu'il reçut au pied en
» féparant deux de les amis qui fe battoient
» dans la Place du Palais Royal . Moliere
qui peu de tems après donna fon Avare,
chargea fon Beau -frere du Rôle de la
» Fleche , de qui Harpagon dit par allus
» fion , Je n'aime point à voir ce chien de
» boiteux là : comme Béjard faifoit beau
" coup de plaifir , on boita auffi- tôt fur
" tous les Théatres de Province , non - feu-
» lement dans le Rôle de la Fleche , où
» cela devenoit neceffaire , mais indiffe
» remment dans tous ceux que Béjard
» rempliffoit à Paris.
>>
>
Les premiers Crifpins furent faits pour
» Poiffon premier , de qui on a un petit
» Théatre : il parloit bref , & comme il
» n'avoit pas de gras de jambes , il ima-
>> gina de jouer en botines ; delà tous les
» Crifpins bredouillerent & fe botterent,
» Je m'étonne qu'ils ne poufferent pas
» l'extravagance jufqu'à s'agrandir la bou
» che , parceque Poiffon l'avoit énorme
auffi
JUILLET . 1730. 1599
"» aufli lui fit-on dire : Je vous réponds
» Monfieur , d'une bouche auffi large ...
» dans le Deuil , petite Comédie , qui ( auffi.
» bien que l'Esprit Follet) eft de Corneille lo
» jeune & du Comédien Hauteroche &c.
Baron n'eft gueres loué dans cette Lettre
que fur les talens qu'il avoit pour le Thea
tre ; il n'y eft pas épargné fur fes Ridicu
les. » Il a fourni , dit l'Auteur , les mate-
» riaux dont on s'eft fervi pour compofer
» l'une des Vies de Moliere , où il auroit
» pû donner des éclairciffemens curieux
& intereffans fur les Piéces de ce grand
homme , & fe plus ménager fur fes propres
louanges , & fur celles d'un Théa
» tre dont il n'étoit gueres que le parain .
On entre enfuite dans l'Hiftoire des Comédies
qui ont paru fous fon nom , & on
les reftitue à leurs veritables Auteurs , Ce
détail eft affez plaifant , & le feu S′ Dancourt
eft mis en paffant parmi ces geais
parés des plumes d'autrui.
»
On ne fait pas plus de quartier au S
Baron fur le filence qu'il a toûjours gardé
fur fon pere & fur fa mere qui étoient
tous deux de fort bons Comédiens.
Baron dans la Vie de Moliere ne dit qu'un
mot de ſa mere en paffant , & ne parle
point du tout de fon pere ,de qui on trou
ve ici un trai fort fingulier » que le Pu
> blic , dit l'Auteur , auroit lû avec plus
Fij de
1600 MERCURE DE FRANCE
» de plaifir que fes prétendues querelles
avec le celebre Racine .
Paffons à la Dile Le Couvreur dont il
eft auffi queftion dans cette Lettre. L'Auteur
la fuit depuis fa naiffance à Fimes
petite Ville entre Soiffons & Reims ; il
l'amene à Paris avec fon pere en 1702. &
il raconte d'une maniere très - intereſſante
& très-circonftanciée les premiers effais
de cette grande Comédienne , c'est - à - dire,
la partie qu'elle fit en 1705. avec quelques
jeunes gens , de jouer la Tragédie de
Poliencte & la Comédie du Deuil, dans une
Maifon Bourgeoife : il parle auffi d'un
jeune homme , nommé Minou , qui repréfentant
le Rôle de Severe , entra tellement
dans l'efprit de fon Rôle , qu'il tomba
en défaillance, en difant à Fabian , fon
Confident , foutiens - mois ce coup de foudre
eft grand il fallut lui ouvrir la veine .
L'Auteur fuit cette Comédienne dans les
Provinces , & il la ramene à Paris , où elle
débuta au mois de Mai 1717. & il trouve
moyen, en parlant d'elle, de ramener fouvent
Baron fur la fcene.
» La De Le Couvreur , dit -il dans un
» endroit , aimoit fon métier ; mais elle
» n'en penfoit pas fi emphatiquement que
» Baron , qui difoit qu'un Comédien étoit
un homme nourri dans le giron des
Rois. J'ai lû , difoit- il encore , toutes les
HifJUILLET.
1730 1601
» Hiftoiresanciennes & modernes ; j'y trouve
» que la Nature prodigue y a vomi dans tous
»les tems une foule de Héros & de grands
hommes dans chaque genre , elle femble
» n'avoir été avare que de grands Comédiens;
»je ne trouve que Rofcius & moi.
L'Hiftoire de la mort de notre Actrice
vient enfuite , & le refte de la Lettre eft
rempli par des Piéces qui ont été faites
fur elle pendant & après la vie. La premiere
eft une Epitre du celebre M. de
Voltaire. La feconde eft une autre Epitre
de M. de Beauchamps. La troifiéme eft
dattée des Champs Elizées ; elle eft écrite
à la Dlle Le Couvreur par M, Le Franc
fous le nom de Racine. Les Piéces que l'on
trouve après ont été faites depuis la mort
de la Dile Le Couvreur. La premiere eft
la Harangue que prononça un Comédien
le jour de la clôture du Théatre ; elle eft
de M. de Voltaire , dit P'Auteur ; elle eft
fuivie des Epitaphes Françoiſes & Latines
& des Infcriptions pour le portrait que
l'on grave actuellement d'après M. Coypel
qui l'a peinte en Cornelie. L'Auteur
finitpar dire qu'il efpere recueillir un affez
bon nombre des jolies Lettres que là D¹le
Le Couvreur a écrites pour les donner au
Public , qui verra toûjours avec plaifir
tout ce qui aura rapport avec cette grande
Comédienne qu'il a tant aimée , & qu'il
regrette tous les jours.
Il
1602 MERCURE DE FRANCE
Il paroît chez la Veuve Delanine une
nouvelle Traduction Françoife du Rationarium
Temporum du P. Petan. Il eft dit
dans la Préface , qu'auparavant il y en a cu
trois. La premiere de M. l'Abbé de Maucroix
, qui cft , à la verité , fort litterale ;
mais où il y a quantité d'endroits tronqués
par rapport à quelques Defcriptions
Chronologiques. Que la deuxième eft du
fieur Collin , differente de l'original en
plufieurs endroits , & que la troifiéme
publiée en 1708. eft veritablement plus
exacte que les deux précedentes. On apprend
par un Ecrit de M. Dupin , figné
de lui , imprimé à la Haye en 1715. dans
le Journal Litteraire de Novembre & Decembre
1714. page 453. que cette troifiéme
Traduction a été faite par M. Moreande
Mautour , dont il avoit déja paru deux
Volumes imprimés chez la Veuve Barbin
en 1708. approuvés par M. Danchet. Le
troifiéme Volume a été imprimé chez
Michel Clouzieren 1715. où finit à la page
421. la Traduction du neuviéme Livre du
P. Petau jufqu'en 163 2. & comprend l'augmentation
d'un dixiéme Livre par M.
l'Abbé Langlet , lequel contient onze
Chapitres qui font dans l'Edition Latine
de 1703. approuvés par M. Pouchard ;
mais la continuation dans l'Edition Françoife,
imprimée chez le mêmeCloufier, qui
comJUILLET
. 1730. 1603
commence au douzième Chapitre , page
616. & tout ce qui fuit dans ce troifiéme
Volume , avec le quatrième & le cinquiéme,
concernant lesTablesChronologiques,
& approuvé par M. l'Abbé de Vertot , eft
de M. Dupin ou du fieur Le Cointe , fon
ami , revû , approuvé & adopté par le même
M. Dupin , ainſi qu'il le dit lui - même
dans fon Écrit.
Le Sieur Collombat ,Premier Imprimeur
ordinaire du Roi , avertit le Public qu'il
fait diftribuer actuellement aux Soufcrip
teurs le fecond Volume de la Grammaire
Hebraique & Chaldaïque de Dom Pierre
Guarin : le retardement qu'il y a eu de fatisfaire
dans le tems marqué à ceux qui
ont foufcrit pour ce Livre , vient de ce
qu'on a voulu inferer dans ce fecond Tome
une Tablature de la Mufique ufitée
parmi les Juifs d'Eſpagne , d'Allemagne
& d'Italie ; & comme on n'a jamais imprimé
en France des Caracteres de Mufique
femblables , il a fallu du tems pour
les graver & les faire fondre dans leur regularité
on fe flatte que le Public fe
trouvera dédommagé de ce retardement ,
Dom Guarin n'ayant rien omis de tout ce
qui pouvoit contribuer à l'intelligence parfaite
duTexte facré , & l'Imprimeur de fon
côté y ayant apporté toute la regularité
F iiij
&
1604 MERCURE DE FRANCE
& l'exactitude qu'on peut fouhaiter &
attendre de fon Art ; c'eft aux veritables-
Sçavans & Connoiffeurs à juger de l'un &
de l'autre .
Les Squfcripteurs en recevant le fecond.
Volume payeront dix livres fur la fomme
de vingt livres qui reste à payer, fuivant le
Profpectus , & n'auront plus à payer que
dix livres en recevant le troifiéme & dernier
Tome qui contiendra le Dictionnaire
Hebraïque & Chaldaïque que l'on a promis
par le Profpectus.
Quoique la mort ait enlevé Dom Pierre
Guarin , l'impreffion de ce Dictionnaire.
n'a point été interrompuë , elle fe continue
toujours , & les Superieurs de la
Congregation de S. Maur ont appellé à
Paris , à S. Germain des Prez , Dom Nicolas
le Tournois ( Eleve de feu Dom
Guarin , & qui a été Profeffeur des Langues
Orientales dans la même Congregation
pendant plus de dix ans ) pour achever
ce Dictionnaire , dont la moitié eft
déja imprimée , & dans lequel on trouverà
la même exactitude & regularité que
dans les deux premiers Volumes ; on affure.
le Public qu'il fera entierement fini dans.
le courant de l'année mil fept cent trente
deux .
Ceux qui n'ont pas foufcrit peuvent
encore le faire ; on leur delivrera les deux
preJUILLET.
1730. 1605
premiers Volumes,en payant la fomme de
trente livres , & celle de dix livres en recevant
le Dictionnaire
dernier Tome.
S
ou troifiéme &
On recevra encore des Soufcriptions
pendant le cours de cette prefente année
mil fept cent trente , après laquelle on
n'en recevra plus .
Livres de Medecine que Cavelier , Lië
braire , rue S. Jacques , à Paris , a nouvellement
reçûs de différens Païs. ·
Gouraigne ( Hug. ) Tractatus de Febribus
juxta circulationis leges , in 12. Monf
pelii 1730.
Manne ( Fr. ) Obfervation de Chirurgic
au fujet d'une playe à la tête , avec fracas
dans le crane , avec des Obfervations
des Sçavans confultés par l'Auteur -
à ce fujet , in 12. Avignon 1729.
Juncker ( Jo. ) Confpectus Chemiæ Theoret
Practicæ in forma Tabularum reprefentatus
, Dogmatibus Becheri &
Stahlii. in 4. Hala Magd. 1730.
Vaillant ( Sebaft. ) Botanicon Parifienfe
ou Dénombrement
des Plantes qui ſe
trouvent aux environs de Paris , avec
les figures deffinées par Aubinet , fol.
Amft. 1727.1
Hoffmanni ( Frid. ) Medicina Rationalis
fyftematica , quo Philofophia corporis
F- v hu- -
>
1606 MERCURE DE FRANCE
humani vivi & fani ex folidis Phyfico
Mecanicis & Anatomicis principiis methodo
planè demonftrativa . 4. vol . in-
4. Venetiis 1730.
Luifini ( Ant. )Aphrofidiacus, five de Lue
Venerea , vel Morbo Gallico , cum Præ
⚫fatione Boerhaave. in fol . 2. vol. Lug.
Bat. 1728.
Glandorpii ( Mat. ) Opera omnia , Speculum
Chirurgorum , in quo quid in vul
nere faciendum pertractatur , methodus
medendæ Paronychiæ , de Polypo
narium , Gazophylacium Polyplufium
fonticularum . in 4. Londini 1729.
Aurelianus ( Caelius ) de morbis acutis &
chronicis , cum animadverfionibus ab
Almelovun in 4. Amft. 1722.
Allen Synopfis univerfa Medicine Practicæ
, five Doct . virorum , de morbis
eorum quæ caufis ac remediis judicia.
Editio 3. auctior & emendatior , in 8 .
Amft: 1729.
Ruifch. ( Frid . ) Curæ renovate , feu Thefaurus
Anatomicus poft curas pofteriores
novus. in 4. fig. Amft . 1728 .
De la Digeftion & des maladies de l'eftomac
, fuivant le fiftême . de la trituration
& du broyement. Nov. Edition
contenant la Réponse à M. Sylva , cinq
Lettres fur la revulfion , la faignée &
le kermes mineral & les maladies.des
"
yeux
JUILLET. 1730. 1607
C
yeux &c. par M. Hecquet . 2. vol . in
12. Paris , chez Cavelier 1730. Tome
premier contient 619. pages , le Tome
fecond 630. fans la Préface & l'explication
des termes de Medecine & de
Phyfique .
Les Wetsteins & Smith , Libraires à Amf
terdam , ont achevé la magnifique impreffion
que les Antiquaires attendoient
avec une extrême impatience. C'eft la riche
Defcription du Cabinet de Médailles du
Prince de Saxe Gotha , publiée par M.
Chriftian Sigifmond Liebe ; elle eft intitulée
GOTHA NUMARIA fiftens
Thefauri Fredericani Numifmata antiqua
aurea , argentea , area , ea ratione defcripta,
utgenerali coram notitia exempla fingularia
fubjunguntur , Autore Chriftiano Sigifmundo.
Liebe. Accedunt ex Andrea Morellii ſpecimine
univerfa rei Numaria antiqua excerpta
, & Epiftola tres Ez. Spanhemii , quibus
rariores ejufdem Thefauri Numi illuftrantur ..
1730. in fol.
MEMOIRES LITTERAIRES de la
Grande Bretagne , & c. Tome 6me me &
8me 1722..
>
HISTOIRE NATURELLE DES INSECTES
d'Angleterre , accompagnée de cent Plan
F vj chess
1608 MERCURE DE FRANCE
ches gravées d'après nature , & enluminées
exactement , pour ceux qui le fouhaitent
, par l'Auteur Eleazar Albin
Peintre. A Londres , pour l'Auteur , & fe
vend chez W. F. Innys 1720. in 4º . en
Anglois.
L'Auteur obferve que ceux qui ont
travaillé avant lui fur le même fujet ,
n'ont pas affez fouvent jetté les yeux fur
leurs modeles, ou qu'ils ont affecté de ſurpaffer
la nature. Ce font deux deffauts que
M. Albin a foigneufement évités . Dans fes
Defcriptions il s'eft contenté de rapporter
les faits avec toute l'exactitude poffible.
Lorfqu'une Mouche perce l'écorce d'une
Plante , dit notre Auteur , & y fait fes
oeufs , cela cauſe un changement dans le
tiffu des vaiffeaux de la Plante , & la feve
qui y coule forme une excrefcence , laquelle
non feulement fert de nid au ver
éclos , mais auffi lui fournit une nourriture
convenable , jufqu'à ce qu'il devienne
Mouche. Alors cette Mouche paffe au
travers de l'excrefcence , quelque épaiffe
qu'elle foit; ce qui eft tout - à - fait admirable
, fi on confidere la petiteffe de quelques-
unes de ces Mouches , & l'épaiffeur
& la folidité des excrefcences où elles font
nourries.
L'Auteur admire avec raiſon l'Etre fisprême
JUILLET. 1730. 1609
prême, qui a donné à ces petites créatures
un inftinct capable de les diriger dans
toutes les chofes neceffaires pour leur
confervation & pour la propagation de
leur efpece.
Les Infectes ne font pas leurs oeufs négligemment
& d'une telle maniere que les
vents puiffent les difperfer. Ils font leurs
ceufs fur des Plantes ou fur d'autres Infetes
, qui fervent de nourriture aux vers
éclos. Les oeufs que les Infectes placent fur
les Plantes , y font fi fortement attachez
par une cole , que les pluyes ne fçauroient
les emporter , & lorfqu'ils font contigus ,
ils fe trouvent placez avec tant d'ordre &
d'exactitude , qu'il n'y en a aucun qui
puiffe empêcher un ver de fortir de fon
oeuf.
.
M. Albin trouve admirable la varieté
infinie que l'on remarque dans les figures
& les couleurs des Infectes , & l'uniformité
exacte qui fe trouve toujours dans chaque
efpece. Il n'y a aucune tache, remarquable
qui ne paroiffe dans chaque individu.
Les couleurs des Infectes & particulierement
des Papillons , reffemblent à une
pouffiere ; mais fi on les examine avec un
Microſcope , on voit que les particules de
ces couleurs font tout autant de vrayes
plumes
1610 MERCURE DE FRANCE
plumes , placées dans l'àîle , d'une manie
re exacte & reguliere.
L'Auteur conclud que les Infectes ne
font pas l'effet du hazard , ou d'une matiere
corrompuë , mais l'ouvrage d'une
Puiffance infinie .
Toutes les Planches font gravées avec
beaucoup d'exactitude. On y voit les Infectes
fur les Plantes , & leurs diverfes
transformations.
RECUEIL de diverfes Pieces , compo
fées par le Chevalier Thomas Brown ,
Docteur en Medecine . A Londres , 1684.
in 8 ° . de 215 pages .
8
Dans le Difcours , l'Auteur parle des
Oifeaux de Chaffe & de la Fauconnerie
ancienne & moderne.
Cette Chaffe n'étoit prefque point connuë
des Anciens . A proprement parler
Julius Firmicus qui a vécu fous le regne
de l'Empereur Conftance , eft le premier
qui en ait fait mention.
Après cet Auteur , on peut confulter
Démétrius de Conftantinople & Albert
le Grand . Ces Ecrivains n'employent
qu'un petit nombre de termes d'Art. Ils
expriment d'une maniere fimple les maladies
des Oifeaux , & les remedes qu'on
y apportoit . Les François qui font les plus
habiles
JUILLET . 1730. 161F
و
habiles Fauconniers de l'Europe , ont introduit
un grand nombre de termes d'Art.
Cependant , dit l'Auteur , ils n'ont aucun
mot dans leur langue , qui fignifie en general
le mot Anglois , Hawk. Les Anciens
Ecrivains ne nous ont rien dit de la viteffe
des Oifeaux de chaffe . Heresbachius
nous apprend que Guillaume Duc de
Cléves , en avoit un qui alla en un jour
de Weftphalie en Pruffe. M. Brown affure
qu'un de ces Oifeaux , dans la Province
de Norfolk , pourfuivit une Beccaffe
pendant près de 30 milles en une heure.
On ne fait point certainement avec quelle
viteffe volent les Faucons , les Emerillons
, &c. qui viennent en Angleterre par
un vent du Nord - Weft . M. Brown dit
qu'il en a vu arriver fur les côtes de ce
pays , & qu'ils étoient fi fatiguez , qu'on
fes prenoit avec des Chiens , & qu'on les
tuoit à coups de baton & de pierre . Les
Fauconniers de nos jours , continue l'Auteur
, font mille fermens & mille imprécations
; mais Démétrius nous apprend
qu'autrefois ces Chaffeurs commençoient
feur chaffe par invoquer Dieu. Le fçavant
Rigault a cru que fi les Romains avoient
connu la chaffe , dont il s'agit icy , ils au
roient eu moins d'ardeur pour les diver
tiffemens du Cirque.
Ariftote connoiffait fi peu la Faucon✩
nerie ,
1612 MERCURE DE FRANCE
nerie , qu'il croyoit que les Faucons nė
mangeoient point le coeur des Oifeaux.
Ce Philofophe affure que les Faucons &
les autres Oifeaux de Proye ne boivent ja
mais. L'Auteur remarque à cette occafion
qu'il a eu chez lui pendant deux ans une
Aigle qui fe nourriffoit de petits Chats ,
de petits Chiens & de Rats, fans boire une
feule goute.
M. Brown , dans le 6 Difcours , parle
des Cymbales ; des Vers qu'on nomme
Rhopalici ; des Langues , & particulierement
de la Saxonne; de certaines éminences
que l'on voit en divers lieux d'Angleterre
; de Troas , & de la fituation de
Sodôme , de Gomorrhe, &c . de la Réponfe
que l'Oracle de Delphes fit à Crafus ,
Roy de Lydie , &c.
DESCRIPTION PHILOSOPHIQUE
des Ouvrages de la Nature , où l'on tache
de faire voir les diverfes gradations des
Mineraux & des Animaux. On y joine
une Defcription de l'état preſent du Jardinage
dans la grande Bretagne , & en
d'autres Pays de l'Europe , avec de nouvelles
experiences pour améliorer les
Terres fteriles , & pour multiplier toutes
ortes d'Arbres. Ouvrage enrichi de pluffeurs
belles Figures . Par Richard Bradley,
de la Societé Royale. A Londres , chez
W
>
JUILLET. 1730. 1613
W. Mears , 1721. grand in 4°. de 194
pages.
Dans l'examen de l'accroiffement des
Plantes , l'Auteur fuppofe que 12 Glands',
nouvellement cueillis , pefent une once ,
& qu'un Chefne dans fon état de perfection
, c'eſt- à - dire , au bout de cent ans
pefe environ 15 tonneaux ; de forte que
dans l'efpace de cent ans , un Gland du
poids de la 12 partie d'une onze , produit
un Arbre qui pefe 33600 liv. c'eft- à dire ,
$ 37600 onces , ou 6457200 Glands. On
voit par là que ce Gland , dans l'efpace de
cent ans , s'eft augmenté chaque année ,
l'une portant l'autre , de 64512 parties ,
ce qui fait 5376 onces. L'experience nous
enfeigne , continue l'auteur , que la premiere
année , le jeune Chene pefe environ
trois fois autant que le Gland ; que
2de année il peſe environ trois fois autant
que la premiere ; & la troisième année ,
environ trois fois autant que la 2de ; &
ainfi de fuite dans la même progreffion ,
pendant le principal temps de l'accroiffement
du Chene . M. Bradley ne compte
pas le poids , ou le nombre des Glands
qu'un Chene peut porter depuis fa 30
année jufqu'à la 100. Il croit que cet Arbre
n'en produit pas moins de cent Boiffeaux
, qui contiennent vrai - femblables
ment 384000 Glands ; car fi l'on compte
la

1614 MERCURE DE FRANCE
o Glinds par pinte , ce qui fait 3840
Glands par Boiffeau ; 100 Boiffeaux contiendront
le nombre que nous venons de
marquer. Et fi l'on fuppofe que 12 Glands
pefent une once le poids entier des Glands
montera à 32000 onces , ou 2000 livres ,
L'Auteur ajoute que fa fupputation des
Glands n'eft pas moins moderée que ce
qu'il a dit du poids du Chene , y com
pris fes racines & fes branches. Il a vû
cueillir 4 facs de Glands d'un feul Chene
, lefquels faifoient 16 boiffeaux . Il croit
donc que l'on peut compter cinq boif
feaux de Glands chaque année , l'une portant
l'autre ; ce qui fait en cent ans , soo
boiffeaux , lefquels pefent 10000 liv. fuivant
la fupputation précedente , & font
1920000 Glands . Et fi l'on fuppofe que
le poids des feuilles & des coffes des Glands
que le Chene produit pendant cent ans ,
cft égal au poids des Glands ; cet Arbre
aura tiré de la terre , de l'eau & de l'air ,
durant cet intervale , une nourriture du
poids de 524000 liv.ce qui eft un accroif
fement merveilleux.
L'Auteur entreprend de faire voir que
dans les Plantes annuelles , comme la Citrouille
ou la Courge , la proportion du
poids de la Plante , comparé avec le poids
de la femence, eft à peu près la même que
celle du Chene ; & que l'accroiffement
proJUILLET
. 1730. 1615
progreffif eft à peu près femblable , à proportion
du temps. Comme l'accroiffement
de ces Plantes fe fait fort vîte , M.Bridleydit
que l'on pourroit voir leur mouvement
avec un bon Microfcope . Il y a des
Microfcopes qui font paroire un fimple
Point de la groffeur d'un grain de fable ,
fous un Diametre de trois pouces. Si l'on
fuppofe qu'une feuille croît d'un pouce &
demi en 24 heures , & qu'un pouce contient
so points ; il s'enfuivra que cette
feuille s'augmente de 75 points en 24
heures .
Et fi chacun de ces Points paroit avoir
trois pouces de diametre par le Microfcope
, cet accroiffement fera de 18 pieds ,
pouces,
De forte que fi l'on mettoit un Microſcope
fur une feuille de Citroüille ,lorfque
le foleil luit , on y pourroit découvrir
la circulation de la féve , & l'on au
roit le plaifir de voir croître la Plante &
d'obferver le mouvement de fes parties ,
lequel feroit plus promt que celui d'une
Aiguille d'Horloge qui marque les minutes.
Les Maquereaux ,ajoute l'Auteur en parlant
des Poiffons ; les Harengs & plufieurs
autres fortes de Poiffons , paffent vers les
côtes de la grande Bretagne dans certai
nes faifons , pour chercher leur nourritu
re
1616 MERCURE DE FRANCE
re dans la Manché & dans les Rivieres &
pour y frayer. Le nombre des oeufs de
quelques poiffons eft prefque incroyable.
Dans le Merlus , par exemple , on compte
250 oeufs dans un cube de la 14 partic
d'un pouces & fuivant cette proportion ,
un Merlus doit contenir plus d'un million
d'oeufs. Suppofé que chaque cuf devint
un poiffon , & que dans les 5 ans
chacun de ces poiffons en produit d'autres
, il y en auroit 500 mille millions ; &
5 ans après, fuivant la même fupputation,
il y en auroit environ mille Myriades de
Myriades. Cet accroiffement produit originairement
par un feul poiffon , dans
l'efpace de dix ans , nous donne lieu de
croire que dans mille ans les Merlus occu
peroient un plus grand eſpace que celui
du Monde entier.
Tous ces oeufs ne font pas féconds ;
d'ailleurs ils font frequemment dévorez
par des poiffons d'une autre efpece , ou détruits
par d'autres accidens . Si la 40 ° partie
des oeufs de chaque année produifoit
d'autres poiffons , la Mer auroit de la
peine à les contenir. Les Poiffons des Rivieres
& des Lacs ne font pas moins féconds
en leur genre. Une Carpe fait 20000
oeufs , & la Tenche en fait peut - être dix
mille . On peut dire en general que plus un
poiffon a d'ennemis , plus la nature a eu
foin
JUILLET. 1730. 1617
Loin de la mettre en état de travailler abondamment
à la propagation de fon
Efpece.
I
MEMOIRE de M. Maureau
de Mautour.
L vient de paroître dans les Mémoi
res de Trevoux , du mois de May dernier,
article 47. une Critique contre moi ,
par un Auteur anonyme , défigné par ces
>
trois Lettres M. A. M. .concernant
une correction dans Suetone & dans Dion ,
imprimée fous mon nom , il y a plus de
dix-huit mois. Je n'ay jamais eu deffein ,
ni comme particulier , ni comme membre
de l'Académie , de rendre mon Ecrit
public. Ce fut deffunt le R. P. Chamillard
, avec lequel j'étois lié d'amitié & de
commerce d'antiquité , qui ayant vû chez
moi cet Ecrit , le prit en communication ,
& après l'avoir gardé le donna à imprimer
, comme il eft dans les Mémoires de
Novembre 1728. pendant mon abſence à
la Campagne , fans ofer fçavoir mauvais
gré à un ami eftimable , qui avoit cru me
faire plaifir ; & pour répondre à quelques
objections , que depuis quelques particuliers
m'avoient faites , il parut un petit
Ecrit de moi , dans les Mémoires de Mars
1729. dans l'article 38. & j'avois crû dèfà
toutes
1618 MERCURE DE FRANCE.
J.
au
toutes conteftations finies. J'ai lieu de
foupçonner que l'Auteur de la Critique ,
ou du moins celui qui en a follicité l'im
preffion , eft le même qui fous le nom de
M.le Hay , mari de Madle Cheron, fit imprimer
en 1710 , chez Jacques Etienne
Libraire , des Remarques contre moi ,
fujet d'une Eftampe du Cachet de Michel-
Ange , aufquelles il y eut une réponse , qui
fut auffi imprimée. La nouvelle Critique
auroit pû attirer une Replique ; mais
l'on a crû ne devoir pas entretenir une
difpute Litteraire , qui au fond ne merite
pas avoir de fuite. D'ailleurs je ne fuis
nullement prévenu ni de mes opinions ,
ni de mes Ecrits .
MAUREAU DE MAUTOUR .
LE ST CHRISTOPHE PREVÔT , Expert
Teneur de Livre & Verificateur des Ecritures
de la Ville de Lille en Flandres ,
vient de faire approuver par M " de l'Académie
des Sciences , le Livre qu'il va
faire imprimer , intitulé : Inftructions fur
les Vérifications des Ecritures & Signatures,
par pieces de comparaison . Ouvrage tresutile
aux Juges , Magiftrats , Maîtres
Ecrivains & autres perſonnes publiques.
Le 6 de ce mois , M. l'Abbé de Pont-
Chartrain , Charles-Henry Phel ppeaux ),
frere
JUILLET. 1730. 1619
frere de M. le Comte de Maurepas , Miniftre
& Secretaire d'Etat , foûtint en Sorbonne
une Thele : Pro Minore Ordina
ria ; à laquelle préfida Monfieur Frederic-
Jerôme de Roye de la Rochefoucault
Archevêque de Bourges , Primat d'Aquitaine
, Docteur de Sorbonne , fon oncle,
L'Affemblée , à laquelle M. l'Archevêque
de Paris , ainfi qu'un grand nombre d'autres
Prélats , & plufieurs perfonnes de diftinction
de la Cour & de la Ville affifterent
, fut des plus brillantes .
La Question Theologique de cette Thefe
étoit fur les Sacremens , & priſe de la
feconde Epitre aux Corinthiens , ch.1.v.22 ,
Qua funt pignora Spiritus in Cordibus noftris
? L'Illuftre Répondant y fit paroître
beaucoup d'efprit & d'érudition , & cet
Acte fut fort applaudi.
Toute la Thele étoit gravée au bas d'une
tres-belle Eftampe , reprefentant le Sauveur
dans le Temple , au milieu des Docteur
, à l'âge de 12 ans , d'après un Tableau
de Michel Corneille , avec ce Titre :
MATREM AD ALTIORA REVOCANTI.
L'Inventeur d'un Inftrument dont il eft
parlé dans les Mercures de Mars & de Novembre
1725. avec lequel on trouve fur
le champ la quadrature de toute forte de
Cercles , & le jaugeage de toute forte de
Tonneaux
1620 MERCURE DE FRANCE
Tonneaux & Cubes , prétend avoir encore
trouvé qu'avec cet Inftrument on a
la racine quarrée , pour fervir à trouver
dans un moment le contenu de toute
forte de Plans & Figures géométriques ;
1'Inftrument étant marqué des mesures
neceffaires pour cela .
,
Il y a fix ans , dit le même Auteur
qu'il a trouvé une idée du mouvement
perpetuel , qui doit aller par lui- même
fans qu'on lui donne auçun mouvement.
Le modele qu'il en a fait eft de deux
pieces de cuivre en cercle , d'un pied de
diametre , ftable fur fes deux Pivots d'acier.
Chaque cercle a quatre chambres
obliquement faites , d'égale diſtance, dans
chacune defquelles il y a une boule plate ,
de trois pouces de diametre , qui va du
centre à la circonference du cercle , lequel
donne la pefanteur pour prendre le mouvement.
Ces boules defcendent l'une après
l'autre & font mouvoir les deux pieces
de cuivre en cercle fur leurs Pivots , &
quand elles font en bas , elles remontent
P'une après l'autre dans la même chambre
, n'étant fufpendues que pour ne remonter
que par le centre ; d'où quand
elles font en haut , elles defcendent continuellement
l'une après l'autre par l'extrêmité
du cercle , pour faire faire le
mouvement à toute la machine.
Au
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS,
RK
LIERARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
JUILLET. 1730. 1621
Au lieu de 8 boules , il en faudroit 30 à
40,afin qu'elles fe fuiviffent de plus près,
le mouvement fut plus vite.
&
que
*****XX : XXXXXXXX
AIR.
PLus de Philofophic , ami , fais comme moyi
Sage fans le paroître ,
Pour vivre heureux , j'aime , je boi ;
Fais de même , fi tu veux l'être.
Sot qui prefere la raiſon ,
Aux plaifirs de la vie :
Ce qu'on appelle de ce nom ,
Je l'appelle folie.
L
SPECTACLES.
'Académie Royale de Mufique , après
avoir donné quelques Repréſentations
de l'Opera de Thefee , en donna
plufieurs d'Alcione , dont la tempête fait
toûjours un effet admirable , & le fieur
Servandoni a trouvé l'art de peindre aux
yeux les effets de ce beau morceau de Mufique
, par le moyen de quantité de rouës
échancrées heteroclitement avec leurs
poulies , lorfqu'elles tournent par des cor-
G des
1622 MERCURE DE FRANCE
des fans fin , avec beaucoup de facilité ,
malgré l'inconvenient du Théatre , &
produifent par leurs mouvemens des ondes
qui imitent très - bien le naturel , par
le moyen des Gazes d'argent dont elles
font couvertes. Les principaux objets de
ce Tableau mouvant , font deux Vaiffeaux
battus de la tourmente , & prêts à être
,fubmergez, qui par leurs bafcules & leuts
cordages , font vivement agitez , fuivant le
courant des ondes , l'un difparoît enſuite
& l'autre fait naufrage après avoir foutenu
quelque temps la fureur des flots.
On voit brifer fes Mats ; enfin il coule à
fond , avec l'Acteur qui fe trouve dedans .
Le 13. Juiller , la même Académie remit
au Théatre le Carnaval & la Folie, Comedie-
Balet , repréfenté pour la premiere
fois le 3. Janvier 1704. & reprife au mois
de May 1719. Les paroles font de M. de
la Motte , & la Mufique de M. Deftouches
, Sur-Intendant de la Mufique du
Roi .
Cet Opera vient d'être executé avec
beaucoup de fuccès , & le Public a également
applaudi au Poëme & à la Mufique.
Au Prologue le Théatre repréfente les
Cieux où les Dieux font en Feftin . Fupiter
& Venus invitent toute la Troupe
immortelle à la joye par ce Duo.
Qu'a
JUILLET . 1730 1623
Qu'à nos voeux ici tout réponde.
Verfez-nous , verfez- nous la celefte Liqueur :
Verfez , que le Nectar enchante notre coeur ;
Qu'il y porte une paix profonde.
Venus fe levant de table , invite aux
plaifirs de l'Amour par ces Vers :
Goutons des plaifirs plus parfaits ,
Et que le tendre Amour à ſon tour nous inſpire ;
Regnez , Amour, regnez, raffemblez vos attraits ;
Triomphez, fur nos coeurs étendez votre empire ;
Mais qu'à fon gré chacun foupire :
Laiffez -nous le choix de vos Traits .
Momus fait fon office de Cenfeur ; Jupiter
lui ordonné de fe taire. Mercure
vient convier les Dieux à aller chercher
de nouveaux plaifirs fur la terre , où il
leur a preparé de nouvelles conquêtes ;
Momus , malgré l'ordre que Jupiter lui a
donné , continue à lâcher la cenfure.
Suivez, fuivez Mercure ; abandonnez les Cieux .
Livrez- vous aux plaifirs ; qu'envain la Gloire
gronde ,
L'Amour eft un plus digne objet ,
Aimez, il eft un Roi qui prend le foin du monde;
Jouiffez du loiſir qu'un Mortel vous a fait.
Ce dernier trait oblige Jupiterà
Gij exiler
1624 MERCURE DE FRANCE
à exiler Momus . Le Prologue n'a point
d'autre liaifon à la Piece que cet exil &
la defcente des Dieux fur la terre , à la
perfuafion de Mercure ; en effet Jupiter
& Venus doivent honorer de leur pre-
Tence l'Hymen du Carnaval & de la Folie .
Le Théatre repréfente au premier Acte
un Bois fleuri confacré à la Jeuneffe . Le
Carnaval partage fon coeur entre Bacchus
& l'Amour, & les prie tous deux de le
rendre heureux.
Momus exilé des Cieux , vient chercher
un azile chez le Carnaval , avec qui on le
fuppofe uni depuis long- temps . Le Carnaval
lui apprend qu'il aime la Folie , fille
"de Plutus , & de la Jeuneffe ; Momus applaudit
à fon choix ironiquement.
Plutus & la Jeuneffe amenent la pre
miere Fête de cet Acte ; le Théatre change
à la voix du Dieu des Richeffes : on
"voit un Palais magnifique s'élever , & les
Suivans de Plutus offrir leurs dons les plus
riches à la Jeuneffe. La Folie vient interrompre
la Fête. Elle fait connoître fon
mécontentement par ces Vers : ་
Ceffez , Jeux indifcrets , od manquoit la Folie ,
Qu'ici tout fe taiſe à ma voix ;
Je ne veux point fouffrir de Fête où l'on m'oublis;
at l'on ne doit ici vivre que
fous mes Loix. Loix
.
JUILLET. 1730. 1625
Elle dit à Plutus & à la Jeuneffe , qui
s'offenfent de fon audace:
Je dois la vie à votre amour ; "
Mais ne me comptez pas fous votre obéïffance ;
L'honneur de m'avoir mife au jour ,
Vous paye affez de ma naiffance.
Plutus & la Jeuneffe , pour l'appailer ,
font prêts à fe retirer ; elle les arrête en
leur difant que leur obéïffance lui fuffit,
& elle ranime la Fête par ces Vers .
Que votre regne recommence ;
r
Revenez, doux plaifirs , plaifirs , revenez tous ;
Mais revenez encor plus doux :
Vous languiffiez fans moi,brillez par ma preſence.
Après cette Fête qui eft encore plus
brillante que la premiere. Le Carnaval
prie Plutus & la Juneffe de confentir à
fon Hymen avec leur fille; ils lui font une
réponſe favorable ; il fe tourne vers la Folie
pour s'en applaudir avec elle , mais il
ne la trouve plus le confentement des
Auteurs de fa naiffance la fait difparoître.
Le Carnaval attribue cette fuite à fa pudeur
, & la va chercher pour faire écla
ter la joye à les yeux.
:
Au fecond Acte , le Théatre repréfente
une Campagne fertile. On voit fur le devant
d'un des côtez le Fleuve Lethé en-
Giij dormi
1626 MERCURE DE FRANCE
dormi für fon Urne , la Mer , & c . Le Carnaval
, rempli d'efperance , commence
l'Acte par ces Vers :
Sous les loix de l'Hymen je me range fans peine
Mon coeur y trouve des appas
Dieu du vin , n'en murmure pas ;
Tu dois t'applaudir de ma chaîne.
Les doux plaifirs qu'il prépare pour moi ,
Mettront le comble à ta victoire ;
Les fruits de mon Hymen ne naîtront que pour
toi ;
Bacchus , je les vouë à ta gloire.
La feconde Scene fait voir que le Carnaval
n'a point vû la Folie depuis la bruf
que difparition ; elle lui déclare qu'il ne
doit plus compter fur fon Hymen depuis
que Plutus & la Jeuneffe y ont donné un
plein confentement ; elle s'explique ainfi :

Non , non ; apprenez une fois
A connoître mieux la Folie ;
Je ne fuis point foumise aux loix
De ceux qui m'ont donné la vie :
Le contraire de leur envie ›
Détermine toûjours mon choix .
Non , non ; & c.
Cette Scene a paru très-brillante de la
de la Folie ; on ne doute point que part
l'AuJUILLET
. 1730. 1627
l'Auteur n'eût donné les mêmes gracesau
Carnaval ; mais par malheur ce Dieu des
Ris eft Amant & Amant maltraité , ce,
qui ne s'accorde pas avec fon caractere
qui ne doit refpirer que la joye . Il veut,
guérir de fon amour , la Folie lui confeille
de boire de l'eau fecourable du Lethé ; let
Carnaval veut mettre tout l'efpace des
Mers entre elle & lui , pour la mieux oublier.
La Folie y met obftacle pour n'avoir
pas la honte de fe voir quitter . Voici
comme elle s'exprime.
Ah ! n'ayons pas l'affront que l'on me quitte
Neptune , tu me dois l'hommage des Mortels ;
C'estmoi qui par leurs mains ai dreffé tes Autels;
Refufe ton Onde à fa fuite.
La Mer fe fouleve ; une troupe de Matelots
defcend d'un Vaiffeau échoué , ils
font vou de ne jamais fe rembarquer ; le
Fleuve Lethe leur offre le fecours de.
fes eaux pour leur faire oublier leur malheur.
A peine en ont - ils bû , qu'ils difent:
Embarquons -nous ; tout rit à nos defirs ;
Le vent propice nous feconde :
La Fortune & tous les plaiſirs ,
Nous attendent au bout du monde.
Prêts à fe rembarquer , la Folie vient
G iiij
les
1628 MERCURE DE FRANCE
les arrêter ; elle les accufe
d'ingratitude
& exige leurs hommages , pour prix des
biens dont elle feule leur tracel'image
ce qui donne lieu à une très-brillante Fête,
Jaquelle finie , le Carnaval veut fe réconcilier
avec la Folie & lui dit :
11 eft tems qu'à mes feux votre caprice cede ;
Commencez mes plaiſirs & terminez mes maux
La Folie lui répond :
Je vous laiffe avec le remede ;
Yos yeux vous ont appris le pouvoir de ces eaux.
Le Carnaval veut fuivre le confeil qu'elle
lui donne ; mais il croit que le vin lui
fera d'un plus grand fecours que les eaux
de Lethé. Il finit l'Acte par cette Chanfon
à boire , qui a fait beaucoup de plaifir.
Eteins mes feux , brife mes chaînes ;
Dieu du vin , guéris ma langueur.
Verfe à longs traits ta charmante liqueur ;
Et pour me venger de ma peine ,
Vien noyer l'Amour dans mon coeur.
Le troifiéme Acte a toûjours été applau
di , fur tout dans la Fête du Profeffeur de
Folie , qui paroît toûjours nouvelle , quoiqu'on
l'ait fouvent détachée de ce Balet
pour fervir d'ornement à d'autres.
Momus
JUILLET. 1730 , 1629
Momus ouvre la Scene & fait entendre
que rien ne peut éteindre l'amour du Carnaval
pour la Folie ; fon ami l'ayant prić
de le réconcilier avec elle ; il veut fe divertir
de cet emploi.
La Folie arrive ; Momus fe plaint à elle
de fa rigueur envers fon ami ; il lui fait
entendre que fon chagrin le rend mécon--
noiffable : la Folie fe rit du chagrin du
Carnaval , & loin de le plaindre , elle dite
Ah ! s'il en perdoit la raifon ,,
Que je le trouverois aimable !
Momus change de batterie & dit à la
Folie , que s'il l'avoit trouvée plus fenfible
à l'amour du Carnaval , il fe feroit
bien gardé de lui déclarer qu'il ne l'aime
plus . Ce menfonge lui réüffit ; la Folic
ne peut fouffrir fans dépit que fon Amant
fe foit guéri de fa paffion ; elle jette fa
marotte , comme étant devenue un ornement
inutile entre fes mains ; Momus la
ramaffe pour s'en fervir dans une nouvelle
malice qu'il médite ; cependant tou--
ché du chagrin de la Folie , qui s'eft jettée
fur un lit de verdure , il appelle fa
joyeuſe Bande qui compofe l'aimable Fête
dont on vient de parler. Le Choeur chante
ces Vers adreffez à la Folie,
Craignez de vous faire ; ›
Gy Um
1630 MERCURE DE FRANCE
Un trifte deftin :
Si vous voulez plaire ,
Chaffez le chagrin ;
Dès que l'on s'y livre,
On perd fes appas ;
Eh ! qui voudroit ſuivre ,
Deformais vos pas ?
Eft -il doux de vivre ,
Quand on ne plaît pas ?
La crainte de perdre fes attraits , fi naturelle
à fon fexe , oblige la Folie à reprendre
fa belle humeur ; elle égaye la Fête
. Le Profeffeur de Folie enfeigne à chanter
, à danfer & à rimer. Ces trois Actes
de Folie font compris dans ces deux Vers :
Cantate , ballate , rimate :
E della pazzia la perfettione .
La Folie ordonne à fa Suite de tranf
porter ces Chants & ces Danfes en quelqu'autre
lieu ; elle marche à la tête de ſa
riante Troupe ; Momus fait accroire au
Carnaval qu'il l'a fupplanté dans le coeur
de la Folie , & le prouve par fa marotte
qu'elle a mife entre les mains. Le Carnaval
s'abandonne à fa fureur. Il conjure le
Dieu des Frimats de le venger ; voici fur
quoi il fonde fa demande :
Toi, fombre & trifte Hyver, Divinité paillante
Siv
JUILLET. 1730. 1631
Si jamais fur tes pas j'ai conduit les plaifirs ,
Si par mes foins ton Regne enchante ,
Plus que le Regne heureux de Flore & des Zéphirs,
Reconnois mes faveurs au gré de mes dèfirs ;
Rends aujourd'hui ma vengeance éclatante.
Volez , rapides Aquilons ' ;
Faites fur ce Palais les effets de la foudre ,
Qu'il fe brife , qu'il tombe en poudre , &c.
. Les vents brifent le Palais.
و
Au quatriéme & dernier Acte , la Folie's'applaudit
du ravage des Aquilons ,
qui lui prouve que le Carnaval l'aime encore
puifqu'il fe venge . Le Carnaval ,
après quelques tranfports de colere , fait
de tendres reproches à la Folie , elle s'affoupit
par degrez à ces douces plaintes, &
fe jette fur un lit de gafon , en difant au
Carnaval :
Plaignez toûjours ainfi la rigueur de vos maux ;
Non ; le fommeil n'a point de fi puiffans pavots ;
C'eſt vainement que mes yeux s'en deffendent ; 1
Les Aquilons m'ont ôté le repos ;
Vos tendres plaintes me le rendent.
Cette infultante plaifanterie redouble
la fureur du Carnaval ; la Folie lui ré
pond fur le même ton :
G vj
Pour1632
MERCURE DE FRANCE
Pourquoi m'éveillez -vous ? contraignez vos mur
mures ,
Refpectez le repos que vous m'avez donné..
Momus vient ; le Carnaval dit à la Folie
que c'eft- là le Rival qu'elle lui prefere.
La Folie arrache à Momus le Sceptre qu'il
lui a pris par furprife dans l'Acte préce
dent. Momus avoue fa petite tracafferic
par cès Vers :
Je vous ai trompez l'un & l'autre :
Mais c'eft affez jouir de fon trouble & du vôtre..
Nous n'avons plus de regrets à former ,.
Et chacun a fuivi le penchant qui l'inſpire ;
Le vôtre étoit de vous aimer ;
Le mien étoit d'en rire.
;
Plutus & la Jeuneffe viennent dénouer
la Piece : ils témoignent leur colere fun
le ravage des Aquilons par ce Duo :-
Dieu cruel , fuyez de ces lieux ;
N'êtes-vous pas content de cet affreux ravage.
Fuyez , n'offrez plus à nos yeux ,
Un ennemi qui nous outrage , &c.
La Folie voyant qu'ils ne veulent plus
fon Hymen avec le Carnaval , leur dit
qu'elle le veut , & explique ainsi le motif.
de fa nouvelle volonté : .
i
Pour
JUILLET. 1730. 1638.
Pour couronner ſa flâme ,
Et trouver nos liens charmans ,
Voilà les fentimens ,
Où j'attendois votre ame.
Jupiter & Venus viennent par l'ordre
du Deftin , celebrer l'Hymen du Carnaval
& de la Folie. En faveur de cet Hy--
men Momus obtient fon rappel dans les
Cieux , à condition qu'il contraindra fon
humeur fatyrique ; Momus le promet par
ce dernier trait de fatyre :
La Fête & leur Hymen font fi dignes de vous ;
Le moyen d'en médire .
1
Le fuccès de ce Balet s'accroît de jour en
jour & n'a jamais été fi éclatant , la maniere
dont il eft executé n'y contribue pas
peu ; cela n'empêche pas qu'on ne rende
juftice au Poëme & à la Mufique ; l'ef
prit brille dans le premier , un agréable
amuſement y tient lieu d'interêt. Pour la
Mufique on là trouve d'une legereté charmante
& d'un gout exquis .
Le premier Juin , le Roi , par Arrêt de
fon Confeil du même jour , a accordé à
M. Gruer , le Privilege de l'Académie
Royale de Mufique , pour en jouir pendant
le cours de trente deux années..
M..

1834 MERCURE DE FRANCE
M. Deftouches , Sur-Intendant de la Muque
du Roi , que S M. avoit nommé Directeur
General de la même Académie au
mois de Février 1728. s'eft retiré avec
4000. livres de penfion .
Le 20. l'Opera Comique donna la premiere
Repréſentation d'une Piece nouvelle
en trois Actes , ornée de Chants &
de Danfes , qui a pour titre , les deux Suivantes.
On en parlera plus au long . Elle
été reçûë favorablement du Public.
Les Comédiens François ont remis aut
Théatre la Tragedie d'Abfalon , de feu
M. Duché , qui a un fort grand fuccès .
Elle eft très-bien repréfentée . Ils repetent
le Prince de Noify , Comédie nouvelle.
ཏྭཱ་
Les Comédiens Italiens doivent donner
le premier Août, une petite Piece nouvelle
d'un Acte , avec un Divertiffement qui
pour titre ,
titre , la Reunion Forcée , dont on
pourra parler plus au long.
a
NOUJUILLET.
1730. 1639
NOUVELLES ETRANGERES.
TURQUIE ET PERSE.
N apprend de Conftantinople que le Grand-
Seigneur qui étoit malade depuis près d'un
ań , fe porte bien mieux.
Les préparatifs de guerre continuent toujours ,
& on affure qu'en cas qu'on ne puiffe pas convenir
d'un Traité de pacification avec le nouveau
Roi de Perfe , Mehemet , Prince hereditaire du
Trône Ottoman , ira en Perfe pour y faire fa
premiere Campagne , fous la conduite de deux-
Seraskiers qui commanderont l'Armée de S. H. ¹
Le Prince Selim , qui n'a encore que quinze ans
doit faire cette année le voyage de la Mecque.
"
On ne confirme point que le Sultan Acheraf
fe foit fauvé à Conftantinople , comme on l'avoit
dit; mais on affure que le parti de cet Ufurpateur
n'eft plus du tout à craindre , car les Lettres que
plufieurs Négocians Turcs ont reçues d'Iſpaham
portent qu'après la défaite d'Acheraf & la prife
de cette Capitale de la Perfe , le Sultan Schah
Thamas étoit allé affieger la Ville de Schiras , fi
renommée par fes vins exquis , qu'il en avoit
formé le fiege avec une Armée de près de 50000 .
hommes ; que la Garnifon s'opiniâtrant à faire
une vigoureufe refiftance , il avoit fait élever un
échafaut qui pouvoit être vu des habitans , qu'y
ayant fait monter le Sultan Acheraf , qu'un des
Lieutenans Generaux du Prince Thamas avoit
arrêté à l'entrée de la Georgie , il l'avoit fait
écorcher vif avec des étrilles de chevaux , qu'enfuite
16.36 MERCURE DE FRANCE
fuite il avoit fait mettre la tête au bout d'une
pique à la vue des Remparts ; que la Garnifon
ayant refufé de fe rendre malgré la mort de fon
Protecteur , le Prince Thamas avoit fait donner
un affaut general fi furieux & fi bien conduit .
que fes Troupes s'étoient emparées de la Place
& avoient paffé la Garnifon au fil de l'épée ;
qu'un frere de ce Prince qui dans les dernieres.
revolutions s'étoit attaché au parti d'Acheraf
ayant eu le bonheur d'échaper au maffacre general
, s'étoit fauvé , & qu'on croyoit qu'il avoit
pris la route de Conftantinople ; que depuis la
conquête de Schiras , les autres Villes occupées .
par les Rebelles s'étoient foumifes au Vainqueur,
de forte que le parti des Agahans, peuples les plus
belliqueux de la Perfe , qui s'étoient attachés à
Miryweitz , & enfuite à Acheraf , étoit entierement
détruit & diffipé.
c'eft que
Par une autre Lettre de Conftantinople du 13 .
Mai dernier , on mande que depuis que le Grand-
Vizir a conferé avec l'Ambaffadeur de Thamas ›
Schah , on a fufpendu les préparatifs qui avoient
été commencés , en attendant l'arrivée d'un Ambaffadeur
Extraordinaire , qui eft , dit-on , en
chemin, chargé de pleins pouvoirs pour conclure
un Traité. folide entre les deux Puiffances. Ce
qu'il y a de bien certain ,
le nouveau
Roi de Perfe eft paifible poffeffeur d'Ifpaham , &
qu'il a entierement triomphe de fon Ennemi . Les
Povinces voifines de cette Capitale ſe font fou--
s prefqu'en même-tems , & les plus éloignées
fon difpofées à les imiter , ce Prince ayant pour
lui le coeur de tous les Perfans. Ces difpofitions
pourroient bien fortifier l'opinion generale des
Turcs , que de tout tems les entreprifes qu'ils ont
faites en Perfe leur ont été fatales , & les determiner
à faire un Accomodement avec le legitime
heritier de cette Coulonne,
BUSSIE
M
JUILLET. 1730. 1637
[
RUSSIE.
E Comte de Munich a envoyé à Mofcou un
Mémoire d'un Ingenieur fort expert , &qu'on
a fait venir de Hollande pour examiner le nouveau
Canal dont l'entretien a couté plus de deux
millions de Roubles depuis le Regne du Czar
Pierre I. Cet Ingenieur prétend qu'on ne parvien
dra jamais à rendre ce Canal utile au Commerce,
fi on ne trouve pas le moyen d'arrêter par des
digues & des eclufes les inondations fubites que
le Lac de Ladoga caufe vers le Printems & dans
l'Automne , parceque ces inondations apportent
en deux ou trois heures dans le Canal plus de
fable ques ou 6000. hommes n'en pourroient
Ster pendant un Eté.
Dans une Audience que le Comte de Wratiflaw
, Ambaffadeur Extraordinaire de l'Empereur
à Moscou , eut fur la fin du mois dernier , la
Czarine lui fit entendre qu'elle efperoit que l'Empereur
n'ordonneroit rien de contraire au deffein
que le Duc de Meckelbourg avoit formé de rentrer
en poffeffion de fon Duché , & que même
S. M. Imp. le favoriferoit s'il étoit neceffaire &c
Ce Miniftre qui n'avoit point d'inftructions fur
cette affaire , dépecha le foir un Courrier à Vien
ne pour donner avis de ce qui s'étoit paffé le ma
tin. Le bruit court que S. M. Cz. a donné des
ordres pour faire marcher vers le Duché de Mec--
kelbourg les Troupes Mofcovites qui font fur les
Frontieres de Lithuanie .
M. de Nieplief , Reſident de la Czarine à Conf
tantinople , a depêché un Courier à Moscou pour
donner avis que le Gr. S. ayant été informé que
le nouveau Roi de Perfe marchoit vers Tauris
avec une Armée de 70000. hommes. Sa Hautelle

1638 MERCURE DE FRANCE
teffe s'étoit déterminée à envoyer des Troupes au
fecours de cette Place , dont elle s'eft emparée
pendant la derniere revolution .
La Princefle Dolhorucki, qui a eu l'honneur
d'être fiancée au feu Czar , a obtenu la permiffion
de fe retirer dans un Convent qui a été bati depuis
deux ans à quelques lieues de Mofcou
POLOGNE.
N apprend de Dantzick qu'on s'étoit trop
legerement flatte d'étre delivre de la mala
die contagieufe dont Ta Podolie étoit menacée ; *
toutes les précautions du Regimentaire de la
Couronne n'en ont empeché la communication
que pendant un tems ; cette maladie´ s'eft infi-“
nuée dans la Province , & y fait à prefent de
grands ravages ; quelques - unes des Compagnies
qui étoient employées à la garde des paffages en
font elles -mêmes infectées. La Famine qui s'eft
jointe à ce fleau a déja fait perir beaucoup de
Payfans aufquels il a été prefque impoffible de
donner des fecours , parceque la recolte des Provinces
voifines n'a pas été bonne l'année derniere.
La Fête que M. de Beſtuchef , Chambelan de
la Czarne & fon Envoyé Extraordinaire en Pólogne,
donna le 29. du mois dernier à Varfovie ,
au fujet du Couronnement de cette Princeffe , fut
très-magnifique , elle fut annoncée le 28. au foir
par une décharge de 15. piéces de Canon. Le
lendemain 29. on celebra le Service divin dans la
Chapelle du Palais , & on y chanta le Te Deum
au fon des Trompettes & Timballes, & au bruit
du Canon. La Palatine de Plotsko , que l'Envoyé
avoit priée de faire les honneurs de la Fête, reçût
tous les Conviés , qui furent le Primat du Royaume
, les Evêques de Pofnanie & de Caminice , les
GrandJUILLET
. 1730. 1639
fur Co-
Grand-Chancelier de la Couronne , tous les Mis ™
niftres Etrangers & quantité de Seigneurs & de Dames. On fervit trois Tables dans une Sale
magnifique , dont deux de 30. Couverts chacune,
& une de vingt , avec beaucoup de fomptuofité..
Il y eut un beau Concert , & toutes les fantés
furent buës au fon des Trompettes & Timbales,
& au bruit du Canon. Vers les fix heures du foir,
toute la Compagnie fe rendit hors du Palais fur.
deux Baluftrades ornées de verdure , pour voir la
Fête qui fe donnoit au peuple. On avoit dreffé
quatre
pour cet effet à 20. pas du Palais , Ionnes très-élevées , un Théatre fur lequel étoit
une Piramide de plufieurs tonneaux de vin ; des
Piramibafes
de ces Colonnes s'élevoient quatre
des chargées de pain , & quatre autres de ton- neaux de biere & d'hidromel. On avoit mis fur
un Parquet , pofé fur quatre roues , & tiré par
deux Chevaux , un Boeufentier rôti , orné de fleurs
& de verdure , avec les cornes & les extremités
dorées. Devant cette Table roulante marchoient
quatre Trompettes & un homme d'une groffeur:
prodigieufe , reprefentant Bacchus , ayant à fes
côtés deux Arlequins qui monterent avec lui fur
le Theatre. Après qu'on eut donné le fignal , le
Bacchus qui s'étoit placé fur le haut de la Pira
mide , tira les broches des tonneaux ,
loient plufiears: fontaines de vin , & le peuple alteré
& en grand apetit ſe jetta fur la machine qui
fuit bientôt dépouillée de tous les ornemens . Après
ce fpectacle , on commença l'illumination
, M. de Beftuchef avec la Palatine de Plotsko fitt
Pouverture du Bal qui ne fut interrompu que ,
pour fe mettre à table . Après le repas , on con-, tinua le Bal qui dura jufqu'à 4. heures du matin.
dont cou
&
L'illumination
étoit des plus belles ; M. l'Envoyé
avoit fait élever une Façade devant fon Palais
.
1640 MERCURE DE FRANCE
lais . On y voyoit entr'autres la Czarine Regnante
affife fous un Temple fur fonTrône; quatre Statues,
fçavoir , la Religion , la Justice , la Clemence &
la Conftance entourant le Trône ; Minerve couvrant
de fon Egide celle qui en occupoit la place;
la Gloire ayant pour centre le Triangle qui marque
la divine Préfence ; l'Aigle noire à double
tête voltigeant devant cet Edifice ; la Ruffie implorant
l'Etre fuprême de conferver la Regente ,
des Parques préparant un fil d'une longueur extraordinaire
, les Statues des anciens Czars &
Grands Ducs de Ruffie , comme aufli celles de
Juan III.Pere de la Czarine , de Pierre le Grand ,
de la Czarine Catherine & de Pierre II. & c. La
Fête fut terminée par une décharge de Canon
cut un applaudiffement general .
S
SUED E.
Uivant l'Etat des Revûës qu'on a faites depuis
peu dans le Landgraviat de Heffe - Caffel , il
paroit que le Roi a actuellement fur pied dans
fes Etats d'Allemagne 24300. hommes de Troupes
reglées , fans compter les Gardes du Corps &
deux Regimens de milice , qui montent encore
à près de 4000. hommes. "
ALLEMAGNE.
E dernier Courier arrivé de Vienne , dans le
Bachéde Meckelbourg,a rapporté à la Commiffion
de Roftock deux Refcripts de l'Empereur,
adreffez au Roy d'Angleterre , comme Electeur
d'Hanover , & au Duc de Wolfembutel , portant
en fubftance , qu'au cas que le Duc Charles Léopold
de Meckelbourg commit quelque hoftilité
contre les Troupes d'éxécution, S. M. Imp . fouhaito
JUILLET. 1730. 1641
-
haitoit que non feulement on augmentat ces
Troupes , mais qu'on prit auffi des mefures pour
bloquer ce Prince dans fon Château de Schwe
rin , & pour former le Siege de la Fortereffe de
Domitz. Les Troupes d'éxécution fe font empa→
rées depuis du Pofte de Bandfchaw , fur la Riviere
de Stohr , & des autres paffages où le Duc de
Meckelbourg avoit mis des Troupes pour entre
tenir la communication entre Schwerin & Domitz
; de forte qu'on ne croit pas qu'il foit en
état de faire un long féjour dans fon Duché , à
moins que quelque Puiffance voifine ne lui fourniffe
des fecours pour s'y maintenir.
1
Le 7 de ce mois , l'Empereur donna avec les
cérémonies accoutumées , l'Inveftiture des Etats
du Duc de Lorraine , qui relevent de l'Empire , au
Baron de Chaquemain , chargé des pleins pou- >
voirs de ce Prince pour la recevoir.
-SUITE du Journal du Campde Mulberg
& Radewit
L
E 15 de Juin , jour deftiné pour les Marches,
Contre-Marches , Mouvemens & autres Manoeuvres
, par Colonnes ; toute l'Armée alla fur
trois Colonnes , vers le Pavillon Royal, ou ayant
réformé par un quart de converfion fes Bataillons
& Efcadrons, des Divifions & Brigades dont
les Colonnes étoient compofées , elle fe mit en
ordre de Bataille fur trois lignes , en faiſant un
quart de converfion par Regimens entiers ; & le
Corps de referve de la 3e Ligue vint couvrir les
Flancs de l'Infanterie & de la Cavalerie . De ces
Flancs on forma quatre Colonnes ,lefquelles ayant
fait leurs décharges en avançant , tout le refte de
l'armée les fuivit , & paffa ainfi à côté du Pavillon
Royal, Elle fe forma enfuite fur huit Colon
ACS
1642 MERCURE DE FRANCE
1 res , lefquelies chargerent en retraite , en défilant
par
demi Bataillons & Efcadrons , qui fe remettant
toujours dans le même ordre où ils avoient
été , rentrerent enfin dans le Camp.
Le 16. jour de repos , le Roy de Pruffe dîna
avec le Prince Royal fon Fils , chez le Velt -Maréchal
Comte de Wackerbarth , & le Roy de Po-
-logne dîna en particulier.
Le 17. l'Armée fit fes exercices & divers mouyemens
par Phalanges ; après s'être formée fur
fept lignes , elle fe mit en marche en trois Phalanges,
vers le Pavillon Royal , où ayant fait trois
Triangles de chaque Phalange , elle fit le feu ferpentant
& fe remit après cela fur les fept lignes.
Après cette manoeuvre & quelques autres , l'Armée
fit fa retraite par les intervales vers le Camp,
en chargeant par divifion , l'Infanterie ayant la
Bayonnette au bout du Fufil.
Le 18. le Roy de Pruffe & le Prince Royal fon
-fils ,
entendirent le Sermon au Quartier du Velt-
Maréchal , chez qui ils dînerent ce jour - là , & le
Roy de Pologne dîna à fon petit Couvert.
Le 19. l'Armée fit fes mouvemens par quarrez.
Elle vint d'abord fur deux Colonnes fe mettre aux
deux côtez du Pavillon Royal , où s'étant rangée
en Bataille , elle fit le feu de Chaine , après lequel
l'Infanterie forma cinq petits quarrez , &
deux demi quarrez & fit le feu de Haye . L'Armée
s'étant enfuite remife , elle forma un grand
quarré autour du Pavillon Royal , & fit le feu
toute la Cavacoulant.
Après cette manoeuvre
lerie fortit du quarré , & marcha vers un Bois ,
d'où elle alla attaquer l'Infanterie , qui , en attendant
, avoit formé feule un quarré long. La Cavalerie
ayant été repouffée , fe retira vers le Bois ;
mais elle revint peu après des deux côtez attaquer
l'Infanterie , quiavoit formé un autre quarré en
>
chanJUILLET
. 1730. 1643
changeant le front . L'Infanterie fe deffendit par
un feu continuel , & fe retira enfin vers un Village
qu'on avoit fait couvrir par un Bataillon de
Grenadiers , pour affurer la retraite , qui s'exécutoit
, de maniere qu'on faifoit toujours traverfer
deux Bataillons d'un Flanc à l'autre , qui s'ouvrirent
à droit & à gauche , pour ceder le nouveau
Terrain aux Bataillons à mefure qu'ils avançoient
, afin qu'ils en puffent former dans le
grand quarré trois autres plus petits, & que ceuxcy
fuffent en état de fe foutenir , en cas que la
Cavalerie vint à enfoncer le quarré. Après cette
manoeuvre l'Armée rentra dans le Camp. Le Prince
Royal de Pruffe dîna ce jour -là chez le Prince
Royal de Pologne, à Tiefenau. Le foir il y cut Bal
chez la Comteffe d'Orzelfka, où l'on fervit un magnifique
Souper , à trois Tables , de 30 couverts
chacune.
Le 20. les deux Rois allerent voir avant dîner,
le Regiment du Corps des Grenadiers faire les
exercices , dont L. M. parurent tres - fatisfaites . Le
Roy de Pruffe dîna avec le Prince Royal fon fils ,
chez le Comte Rutowfki , & le Roy de Pologne
fe rendit à Promitz & à Leffa , pour voir le Terrain
où l'on devoit faire le lendemain l'attaque du
Retranchement.
Le 21.le Roy de Pruffe dîna avec le PrinceRoyal
fon fils , chez le Major General de Diemar. Le
Roy de Pologne dîna en particulier , après que $ .
M. eut fait elle - même toutes les difpofitions neceffaires
pour l'attaque du Retranchement & pour
le paffage de la Riviere.
Pour reprefenter cette manoeuvre ? une partie
de l'Armée , commandée par le General de Baudis,
paffa l'Elbe à la pointe du jour, fur des Ponts
qu'on y avoit conftruits ; & s'étant placée de l'autre
côté de la Riviere, dans des Valons qui la mettoient
1644 MERCURE DE FRANCE
toient à couvert , elle envoya plufieurs petits détachemens
pour donner de fauffes allarmes, afin d'attirer
l'autre moitié de l'Armée qui étoit reſtée au
Camp fous les Ordres du Velt- Maréchal , Comte
de Wackerbarth. Une petite Flote , compofée de
Frégates , de Brigantins & d'autres Bâtimens, fur
lefquels on avoit embarqué des Troupes, avec 13
Piéces de Canon , fit la même chofe le long de
la Riviere , & après avoir fait fauter en l'air une
partie du Pont qu'elle trouva dans fon paffage
elle fe rangea vers un endroit nommé Groebe, ou
elle débarqua fon monde pour occuper un Village
fitué fur le bord de l'Elbe , afin de favorifer le
paffage de l'Armée du General de Baudis . Pendant
ce temps-là on avoit jetté un Pont de Batteaux
au-deffous de Groebe , fur lequel le General
de Baudis repafla la Riviere avec fes Troupes
l'après midi , fe fervant en même-temps des Bâtimens
de tranfport qu'on y avoit affemblez pour
cet effet , & il fit faire un Retranchement vis-àvis
de Groebe pour couvrir fes Troupes à meſure
qu'elles fe pofterent. Ces Troupes furent auffi
foutenues par la petite Flote , & par une Batterie
de 36 Pieces de Canon , placées de l'autre côté de
la Riviere , fur une hauteur qui domine toute
cette Contrée, & que les deux Rois avoient choi-
Le pour voir ce magnifique fpectacle.
L'Armée du Velt-Maréchal qui étoit accouruë
aux fauffes allarmes , ayant appris le veritable
endroit du paffage de celle du General de Baudis
, fe mit en marche de ce côté là , fur deux
Colonnes ; la Cavalerie étoit à la tête , & elle
fut fuivie des Dragons & de l'Infanterie. S'étant
approchée vers le foir du Retranchement du Ge
meral de Baudis , qu'on avoit fait garnir de quantité
de Canons , elle forma fes attaques , & les
sammença par fes Dragons , auſquels on fit met-
LIC
JUILLET. 1730. 1645
·
tre pied à terre ; ils avancerent & chargerent fur
quatre Colonnes , & après un grand feu de part
& d'autre , tant des Canons que de la Moufqueterie
; la nuit fépara les deux Partis, & toute l'Armée
rentra dans le Camp .
Le 22. fut jour de repos. Le Roy de Pruffe dina
avec le Pr. Royal fon fils , chez le Pr. Royal de
Pologne , à Fieffenau , & le Roy de Pologne encore
en particulier .
Le 23. le Margrave Regnant de Brandebourg
Anfpach , Gendre du Roy de Prufſe , arriva au
Camp, L'Armée qui devoit ce jour - là repreſenter
un Combat , fe partagea en deux Corps , afin de
former deux Armées différentes . Le Velt- Maréchal
eut le Commandement de l'une , fous les
Ordres du Pr. Royal de Pologne , & le Duc Jean
Adolphe de Weiffenfels , celui de l'autre. Les
deux Armées s'étant mifes en marche , chacune
fur deux Colonnes , elles allerent fe ranger fur
deux lignes , aux deux côtez du Pavillon Royal ,
où les deux Rois étoient avec les Cours & quantité
de Perfonnes de diftinction . Elles avancerent
enfuite l'une contre l'autre , après avoir détaché
leur Cavalerie Légere, avec les Volontaires , pour
efcarmoucher & fe reconnoître. Lorsque les deux
Armées fe trouverent en prefence , à une diſtance
d'environ mille pas , on fit jouer le Canon ; &
après s'être approchées à 300 pas , l'Infanterie
des deux Armées commença fon feu par la Mouf
queterie , en avançant toujours l'une contre l'autre
jufqu'à 60 pas, où après plufieurs chocs & at
taques de la Cavalerie , l'Armée du Velt - Maréchal
fembloit vouloir plier ; mais ayant d'abord'
été foutenue par fa feconde ligne , elle repoufla
l'Armée du Duc de Weiffenfels & la pourſuivit
jufqu'à une certaine diftance , vers un Bois qui
'étoit derriere elle. Les deux Armées y firent alte ,
Η
pour
1646 MERCURE DE FRANCE
pour fe remettre & recommencer le combat,
La Cavalerie fe pouffa & repouffa fucceffivement
; mais enfin celle de l'aile gauche de l'Ar
mée du Duc de Weiffenfels fut entierement mife
en déroute & pouffée dans le Bois ; & comme
Paîle droite de la Cavalerie de cette Armée avoit
pris quelque avantage fur l'aile gauche du Velt-
Maréchal, la feconde ligne de fon aîle droite fe
détacha pour foutenir la gauche ; l'aîle droite du
Duc de Weiffenfels , après avoir chargé quelquetemps
, fut auffi mife en déroute ; & lorfqu'elle fe
retira dans le Bois , l'Armée du Comte de Wackerbarth
en coupa deux Eſcadrons ,L'Infanterie dų
Duc de Weiffenfels fe trouvant alors abandonnée
de fa Cavalerie ; & celle du Comte de Wacskerbarth
faifant des mouvemens pour entrer dans
fes Flancs, elle forma un Crochet fur chaque aîle,
& fe battit en retraite jufques dans le Bois ; après
quoi les deux Armées rentrerent dans le Camp.
Le Roy de Pruffe avant fon départ du Camp ,
a fait diftribuer quantité de Médailles d'Or à divers
Seigneurs , parmi lesquelles il y en a de la
yaleur de 150 Ducats. S. M. Pr. a auffi fait donner
70000 Florins aux Troupes , & 30000 , aux
Officiers de la Maifon du Roy de Pologne.
ON
"
ITALIE..
Na encore appris les circonſtances ſuivan→
tes fur le Tremblement de Terre arrivé à
Nocria , le 12 du mois dernier. La premiere fecouffe
fe fit fentir vers les 5 heures du matin ; elle
dura près d'une minute & renverfa la plus grande
partie des Maifons de la Ville ; la deuxième
Tecouffe commença 9 heures après ; elle fut plus
violente & acheva de renverfer le refte des Maifons
; enforte qu'il n'en eft refté que 7 fort endommagées,
JUILLET . 1730. 1647
dommagées. La belle Tour de l'Abbaye S. Benoît
, haute de 400 dégrez , & bâtie de Marbre
blanc, s'ouvrit en 3 parties,dont l'une tomba dans
la place du Dôme , & les deux autres dans celles
du Marché & de S. Philippe. L'Eglife du Dôme
qui étoit fort belle, eft tellement ruinée, qu'il n'en
refte aucun veftige , non plus que de celles de faint
Jean & des Auguftins , des Francifcains , dont les
Couvents font auffi totalement ruinez. Enfin tou
te la Ville n'eft qu'un amas de pierres , & l'on
n'y diftingue ni rue ni place. On a déja rétiré de
deffous les ruines plus de 500 perfonnes , & l'on
en retire encore tous les jours. Toutes les Maifons
& Eglifes des Villages dans les environs de
Norcia ont auffi été renversées par ce tremble→
ment de terre , de même que divers Châteaux à s
ou 6 milles à la ronde , & quantité de perfonnes
y ont auffi perdu la vie.
Les Rebelles de l'Ifle de Corfe font les Maî
tres des principaux Poftes , & leur fermeté fair
craindre qu'ils n'ayent des intelligences fecretes .
avec quelque Puiflance étrangere. On s'apperçoit
même que leur exemple a rendu les Peuples de
Terre- Ferme plus infolens que de coutume , la
plufpart refufant avec hauteur , de payer les contributions
qu'on leve fur eux depuis quelques an
nées. Il y a eu depuis peu deux Emotions populaires
à San- Remo & à la Pieve.
Selon quelques Lettres de Livourne , on atten
doit à Baftia , Capitale de l'Ile de Corſe , 8000
hommes de Troupes reglées pour agir par la
force contre ces Montagnards Rebelles , qui ont
rejetté toutes les propofitions d'accommodement.
L'Armée de ces derniers campe dans une Vallée
près d'Ajazzo ; elle eft commandée par un certain
Pompiliani , que les Rebelles ont choifi pour
leur Chef.
Hij Οι

1648 MERCURE DE FRANCE
On mande de Genes , que le nommé Fabio
Chef des Mécontens de l'Ile de Corfe ayant été
arrêté à la Baſtia , y avoit été tué à coups de fufil
, ainfi que quelques autres de fes complices ;
que fa tête avoit été mife au bout d'une Pique &
expofée fur les Remparts de la Ville ; mais que
cette exécution , loin d'intimider ces Rebelles, paroiffoit
les avoir irritez , & qu'ils avoient menacé
de venir en nombre fuffifant tirer vengeance de la
mort de leur Chef.
3 Le nommé Rozza, Milanois, demeurant à Ferrare
, à entrepris de rendre le commerce de Triefte,
l'un des plus floriflans de toutes les Villes Maritimes
de l'Italie, & il s'eft engagé par un Traité
fait avec les Miniftres de l'Empereur,d'y faire paffer
les Négocians & les Marchandiſes de Genes
Livourne , Florence , Milan , Parme , Plaiſance
Mantoue , Modene, Bologne, Ferrare & de toutes
les Places deLombardie,fur des Barques de tranfports
, qu'il fera trouvér regulierement au Pont
de Logofcuro , fur le Po & à Triefte. Les Bátimens
qui pourront porter cent milliers pefant
auront Pavillon Imperial. Elles partiront regulicrement
tous les quinze jours : & l'Entrepreneur
donnera caution pour toutes les Marchandiſes
qu'il aura à tranfporter.
On apprend de Chambery , qu'on y avoit publié
un Edit du Roy de Sardaigne,par lequel S. M.
deffend à tous fes Sujets , de quelque condition
qu'ils puiffent être , de faire aucune donation dè
biens immeubles aux Communautez Religieufes,
à peine de nullité . Ce Prince ordonne en mêmetemps
que toutes les Terres dont les Commu--
nautez jouiffent actuellement , & qui proviennent
de pareilles donations , faites depuis un certain
nombre d'années , feront dorénavant fujettes aux
mêmes Impofitions qu'elles payoient avant que
appartenir à ces Communautez .
JUILLET. 1730. 1649
Le 18. Juin , le Cardinal Corradini cut 29.
voix au Scrutin du matin , & 30. l'après midi. Lo
19 il eut encore 29. voix , mais le Cardinal Bentivoglio
ayant fait connoître que l'Election de ce
Cardinal ,pour remplir le Siége vacant , pourroit
n'être point agréable au Roi d'Efpagne , il n'eut
l'après midi que 2 5. yoix. Le Cardinal Porzia ,
qui depuis huit jours étoit fort incommodé d'une
rétention d'urine , fortit le 10. du Conclave
avec fes Conclaviftes & fes Valets de Chambre.Le
Cardinal de Schomborn , fe trouvant auffi fort incommodé
, en fortit le 2. de ce mois.
On apprend de Rome que l'Archi - Confrairie
de Lorette a envoyé à cet Oratoire une Châffe
d'or ouverte , du poids de 34. Marcs , pour y
placer l'Image miraculeufe de la fainte Vierge.
Les Ordres Religieux ont été difpenfez , à caufe
des chaleurs , d'aller tour à tour en Proceffion à
P'Eglife de S. Pierre pendant le refte du Conclave,
à condition que chaque Convent celebrera tous
Ies jours une Meffe Votive du S. Efprit , juſqu'à
F'élection d'un Papė.
Le Cardinal Laurent Corfini , d'une des plus
illuftres & des anciennes Maifons de Florence
ayant eû toutes les voix du Conclave , fut élû
Pape dans le Scrutin du 12. Juillet. Le Cardinal
Pignatelli , Doyen du Sacré College & le Cardinal
Barberin , Sous -Doyen , accompagnez de
deux Maîtres des Ceremonies , étant allez à ſa
Cellule , pour le complimenter fur fon Election
le Cardinal Laurent Altieri , le premier des Cardinaux
Diacres , fe rendit à la Loge de l'Eglife
de S. Pierre , où il publia l'Election du Pape , qui
a pris le nom de Clement X I I. Cette Election
fut annoncée au Peuple par une falve generale de
l'Artillerie du Château S. Ange , par une déchar
ge de la Moufqueterie des Troupes qui étoient
H iij
fous
1650 MERCURE DE FRANCE
:
fous les armes dans la Place de S. Pierre & par le
fon de toutes les Cloches . Le Pape fut porté à la
la Chapelle Pauline , où il fit fa priere devant le
S. Sacrement, & après avoir rendu graces à Dieu
de fon élection , il fit appeller le Gouverneur de
Rome , avec lequel il confera quelque temps , &
enfuite avec le Cardinal Spinola de S. Agnès.
L'Après midi il fut porté à l'Eglife de S. Pierre ,
où fe fit , felon la coûtume , la ceremonie de l'Adoration.
L'après midi du treize Juillet , Sa Sainteté
nomma le Cardinal Banchieri , pour Secretaire
'Etat , Elle choisit M. Acquaviva , Majordome
du feu Pape , pour faire pendant quelques jours
les fonctions de Maître de Chambre ; elle donna
la Charge de Dataire à M. Valenti , cy-devant
Auditeur de Rote ; celle de Prefet de la fignature
au Cardinal Corradini ; celle de Tréforier dé
la Chambre Apoftolique à M. Sacripante ; celle
de Secretaire des Memoriaux au Marquis Corfini
, neveu de S. S. celle de Secretaire des Brefs
aux Princes à M. Maiella ; celle de Secretaire de
la Confulte à M. Riviera ; celle de Clerc de la
Chambre à M. Daffito , & celle du Secretaire du
Chiffre à M. Livizani .
Le Pape qui vient d'être élû, après un Conclave
de quatre mois & fept jours, naquit à Florence le
7. Avril 1652. Il étoit Tréforier de la Chambre
Apoftolique lorfque le Pape Clement XI . dont il
avoit été Auditeur , le fit Cardinal dans le Confiftoire
du 17. May 1706. Il eut d'abord le titre
de fainte Sufanne , & enfuite celui de S. Pierre
aux Liens. Il fut fait Evêque de Freſcati le 19 .
Novembre 1719. Le 12. Juillet 1723. il fut nommé
Député de la Congrégation de la Signature
de Juftice. Il étoit Protecteur de l'Ordre des Mineurs
Obfervans , des Réformez & du Tiers Or→
dre
JUILLET . 1730. 1651
dre de S. François , de l'Ordre des Servites , de
l'Archi - Confrairie des faints Stigmates , de celle
de l'Annonciade, de celle de la Trinité des Pelerins
des Religieufes de fainte Claire, du Confervatoire
des Philippines , de l'Hôpital de S. Jacques des
Incurables & de plufieurs autres . Il étoit des
Congrégations du S. Office , des Evêques & Reguliers
, du Ceremonial , du Bon-Gouvernement,
de Propaganda fide , de la Confulte , de l'Indice ,
de la Fabrique de S. Pierre , & de celle des Rives
du Tibre,
PORTUGAL.
N mande de Lisbonne , qu'un des Vaiffeaux
guerre
derniere Flote qu'on a envoyée au Brefil , ira
jufqu'à S. Salvador , parce qu'il a d'abord des
Officiers chargez des Ordres du Roi pour arrêter
le Gouverneur du Brefil , qui ayant découvert
une Mine de Diamans dans le Pays , en a vendu
à fon profit pour des fommes confiderables ,
avant que d'en donner connoiffance à S. M. On
a fait polír dans cette Capitale quelques - uns de
ces Diamans, mais on affure que les Jouailliers
né les ont pas trouvez auffi durs & d'auffi belle
eau que ceux de Vifapour , de Golconde & des
autres Mines des Indes Orientales.
ESPAGNE .
E 24. Juin il entra dans le Port de Cadix un
Pinque & un Brigantin de Porto- Ricco , avec
la Cargaifon du Sanchez , Vaiffeau qui venoit de
Conferve avec les derniers Gallions ; mais qu'on
fut obligé de décharger à Porto- Ricco , parte
qu'il faifoit eau de tous côtez.
La Flote des Gallions , commandée par le Chef
Hij d'Ef :
1652 MERCURE DE FRANCE
d'Efcadre Don Manuel Lopez Pintado , partit dụ
-Port de Cadix le 26. pour l'Amerique avec un
vent favorable , elle eft compofée de fix Vaffeaux
de Guerre & de 16. Gallions.
Les dernieres Lettres de Barcelone , portent que
M. Sartines , Intendant de la Principauté de Catalogne
, y avoit fretté des Vaiffeaux de tranfport
& des Barques pour 500. mille Piaftres par
mois , & qu'on y attendoit encore d'autres Bâtimens
Anglois pour tranfporter en Italie les Troupés
que le Roi a réfolu d'y envoyer , & qu'on dit
monter à 42000. hommes , tant Infanterie que
Cavalerie. Don Jofeph Palinho ayant fait remettre
à cet Intendant un million de Piaftres ,
déja fait embarquer des vivres & d'autres provifions
pour trois mois.
il a
On apprend par les dernieres Lettres de la Cour
qu'on a découvert une Mine à cinq lieues de Cazalla
, dans un endroit nommé Quadalcaval
que des Anglois s'étoient chargez de l'entrepriſe
d'en vuider les eaux & d'en boucher les fources ;
qu'ils y employoient so. hommes à un écu par
jour ; que ce travail duroit depuis quelques mois,
mais qu'ils n'avoient pas encore découvert la
veine métalique.
LE
GRANDE BRETAGNE .
És Chefs des Nations Indiennes de Chirakée,
vers la Frontiere de la Caroline Méridionale
firent prefentez au Roi le 3. de ce mois à Windfor
où ils eurent l'honneur de baifer la main de Leurs
Majeftez , du Prince de Gales & du Duc de Cumberland.
Le principal d'entre eux, qui porte le titre
de Roi , eft vêtu d'une efpece de Robe de drap
écarlate qui lui defcend jufqu'aux genoux ; les autres
font nuds jufqu'à la ceinture. Ils couchent
fas
JUILLET . 1730. 1653
fur des tables ou fur le plancher dans les couverturés
dont ils s'enveloppent.
;
INSTALLATION du Duc de
Cumberland & des Comtes de Chefter
field & de Burlington , Chevaliers de
l'Ordre de la Jarretiere, faite à windfor, le
29 Juin dernier.
Lalla
Es Chevaliers qui étoient prefens à cette Inf
tallation étoient LE ROY , Souverain de
l'Ordre , le Pr. de Galles , les Ducs de Somerset ,
d'Argyle , de Kent , de Dorfet , de Montagu , de
Newcaſtle , de Grafton , de Bolton,de Richmond;
les Comtes de S :rafford , de Peterborough & de
Scarborough ; & le Chevalier Robert Walpole
Après que les Chevaliers, les Officiers de l'Ordre,
les pauvres Chevaliers , les Chanoines de la Cha
pelle de S. George, & les autres perfonnes qui ont
droit d'affifter a l'Installation , eurent pris leurs
places dans cette Chapelle , le Roy y entra, & fut
reçu par les Chevaliers. Il fe rendit enfuite en
Proceffion dans la Chambre du Chapitre . Le Duc
de Cumberland & les Comtes de Cheſterfield &
de Burlington refterent à l'entrée de cette Chambre
fur des Chaifes qu'on y avoit placées pour
eux .
Le Roy ayant nommé M. Anftis pour exercer
la charge de Garter, ou premier Heraut d'Armes
d'Angleterre. S. M. lui ordonna d'introduire dans
la Chambre le Duc de Cumberland. S. A. R. füt
reçue à la porte par les deux plus anciens Chevaliers
, qui font les Ducs de Somerfet & d'Argyle,
lefquels conduifirent le Duc de Cumberland au
haut bout de la Chambre. Garter prefenta la Robe
de S.A.R. aux Chevaliers, qui l'en revêtirent ,
Hy pendant
1654 MERCURE DE FRANCE
pendant que le Chancelier de l'Ordre lifoit l'Admonition.
Prenez cette Robe , &c. Les mêmes
Chevaliers mirent enfuite à S. A. R. fa Ceinture
& fon Epée.Garter introduifit auffi les deux Comtes
, qui furent reçûs avec les mêmes ceremonies
par les deux plus jeunes Chevaliers ; fçavoir le
Duc de Richmond & le Chevalier Robert Walpole
, après quoi on fe rendit en Proceffion dans
le Choeur de la Chapelle. Cette Proceffion fe fit
avec beaucoup de ceremonie.
Les pauvres Chevaliers & les Chanoines de la
Chapelle y entrerent deux à deux , firent le tour
du Choeur, & ayant fait la révérence devant l'Autel
& l'Eftrade deftinée pour le Roy , ils fe mirent
à leurs places. Les Chevaliers de l'Ordre entrerent
enfuite, & après avoir fait de pareilles révérences
, ils fe mirent fous leurs Bannieres. Les
Officiers & les Prélats de l'Ordre y entrerent avec
les mêmes cérémonles ; & après eux vint le Roy,
précédé du Duc de S.Albans , portant l'Epée d'Etat.
La queue de la Robe de S.M. étoit portée par
les Fils ainez des Ducs de Grafton & de Dorfet, &
par le Maître de la Garde- Robe. Le Roy après
avoir fait la révérence devant l'Autel , fe mit fur
fon Eftrade. Enfuite Garter vint au milieu du
Choeur , y fit fes révérences , tenant le Sceptre
dans la main , & fe tourna vers le Pr, de Galles ,
qui là - deffus quitta fa Banniere ; & après avoir
fait la révérence devant l'Autel & le Roy , il alla
s'affeoir fur fa place , les autres Chevaliers refterent
debout fous leurs Bannieres.
L'Evêque de Winchefter , Prélat de l'Ordre ,
ayant été conduit à l'Autel avec deux Chanoines
de la Chapelle, Garter prit la Banniere du feu Duc
d'York , qu'il remit aux deux plus anciens Chevaliers
, & ceux-cy, après les révérences ordinaires,
la porterent au Prélat de l'Ordre, qui la donna
JUILLET . 1730. 1655
na aux deux Chanoines , pour la placer à côté de
l'Autel. Garter remit enfuite l'Epée du feu Duc
d'York au Duc de Kent & au Comte de Stafford,
& le Cafque avec le Cimier au Comte de Peterborough
& au Duc de Dorfet , qui porterent pareillement
ces Enfeignes au Prélat de l'Ordre, La
même cérémonie fut obfervée touchant la Banniere
, l'Epée & le Cafque des feus Ducs de Devonshire
& Comte de Lincoln .
Aprés cette cérémonie,Garter fe rendit au milieu
du Choeur , fit fes révérences ordinaires ; 86
s'étant tourné vers le plus ancien Chevalier , il lui
fit un figne de fa Verge. Le Chevalier quitta làdeffus
fa Banniere & alla fe mettre à fa place fur
l'Eftrade. Garter fit la même chofe aux autres
Chevaliers,à chacun fuivant fon ancienneté.Après
que tous les Chevaliers eurent pris leurs places ,
Garder appella les deux plus anciens Chevaliers
nommez.par le Roy ,, pour inſtaller le Duc de
Cumberland.
2
Ces deux Chevaliers defcendirent de leur Eftrade,'
& s'étant remis fous leurs Bannieres , les pauvres
Chevaliers & les Hérauts d'Armes fortirent de la
Chapelle , marcherent proceffionellement vers la
Chambre du Chapitre , & fe rangerent aux deux
côtez de la Porte.
Les deux plus anciens Chevaliers , accompagnez
des Officiers de l'Ordre , entrerent enfuite
dans la chambre du Chapitre , d'où ils conduifirent
le Duc de Cumberland au Choeur. S. A. R.
marchant entre les deux Chevaliers , fut menée
directement à fon Eftrade , le Roy l'ayant , à
caufe de fon grand âge , difpenfé du ferment
que les Chevaliers doivent prêter avant que d'y
entrer.
-Les deux Chevaliers ayant reçu des mains de
Garter, affifté du Chancelier de l'Ordre , le Man-
H vj
teau,
1656 MERCURE DE FRANCE
teau , le Chaperon , & le grand Collier de l'Ordre
, en revêtirent le Duc de Cumberland , &
après avoir préfenté à S. A. R. le Livre des Statuts
de l'Ordre , ils luy mirent fur la tête le Bonnet
de l'Ordre , & la firent affeoir . Le Duc de
Cumberland fe leva auffi -tôt ; & après qu'il eût
fait fes revérences , les deux Chevaliers l'embraf
ferent , & fe rendirent enfuite à leur place.
On obferva les mêmes Cerémonies pour l'Inallation
des Comtes de Cheſterfield & de Burlington
, avec cette difference que les deux nouveaux
Chevaliers prêterent ferment à leur en
trée dans le Choeur , ce qui fe fait de la maniere
fuivante. Garter ayant à ſa droite le Greffier de
l'Ordre , porta le Nouveau Teftament & la forme
du Serment , & à fa gauche l'Huiffier à la
verge noire , s'approche du Chevalier ; l'Huiffier
prend enfuite le Nouveau Teftament , le tient
ouvert , & le Chevalier met la main droite fur
ce Livre , pendant que le Greffier lit tout haut le
Serment ordinaire , après quoy le Chevalier baife
le Livre.
Après que les deux Comtes eurent été inſtalez
, le Comte de Chefterfield par le Duc de Kent
& par le Comte de Strafford , & le Comte de
Burlington par le Comte de Peterboroug & par
le Duc de Dorfet , an commença le Service Divin
, qui fut interrompu pour faire les Offrandes
ordinaires ; ce qui fe fit de la maniere fuivante :
Les Chevaliers ayant été fommez par Garter de
defcendre de leurs Eftradęs , allerent , après les
revérences ordinaires , fe mettre fous leurs Bannieres
, le Prince de Calles & le Duc de Cumberland
firent la même chofe. Le Prelat de l'Ordre
accompagné de deux Chanoines , fe mit devant
l'Autel , tenant le Baffin d'or deſtiné pour
recevoir les Offrandes des Chevaliers.
Enfuite
JUILLET . 1730. 1657.
Enfuite le Roy proceffionellement alla à l'Autel :
Sa M. étoit précedée par Garter , le Greffier &
le Chancelier de l'Ordre , & par le Duc de Saint
Albans , portant l'Epée d'Etat : le Duc de Somerset
, nommé par le Roy pour luy préfenter
l'Offrande , & le Duc de Grafton , en qualité de
Chambellan de la Maifon de S. M. fe mirent
derriere le Roy , le premier à la droite , & l'autre
à la gauche. S. M. en fe levant de fa place
pour aller à l'Offrande , fit une revérence vers
' Autel ; elle en fit une ſeconde vers le milieu da
Choeur , & une troifiéme en approchant de la
balustrade de l'Autel . Le Roy y étant arrivé , fe
mit à genoux fur deux carreaux placez fur un
riche tapis , ôta fon bonnet , & mit dans le baffin
P'Offrande qui luy avoit été préfentée par le Duc
de Somerfet ; après quoy S. M. fit en fe levant
une reverence , une feconde au bas du degré ,
une troifiéme au milieu du Choeur , & une quatriéme
lorfqu'elle fut retournée à fa place , toutes
vers l'Autel.
.
Ceux qui avoient accompagné le Roy firent
de pareilles revérences , & retournerent , les deux
Chevaliers fous leur Banniere , & les autres à
leurs places refpectives .
t
On avoit pendant ce temps- là ôté le riche Tapis
& les deux Carreaux , fur lesquels le Roy
s'étoit mis à genoux , & on en avoit mis d'autres
pour les Chevaliers qui furent conduits á
PAutel par
deux Heraults d'armes , & ils firent
leurs Offrandes. Le Prince de Galles y alla le premiet
, enfuite le Duc de Cumberland , & enfuite
les autres Chevaliers , chacun fuivant "fon ancienneté.
Les Chevaliers & les Officiers de l'Or
dre ayant repris leurs places , on continua le
Service Divin , après lequel les pauvres Chevaliers
& les Chanoines fortirent en proceffion de
la
1658 MERCURE DE FRANCE.
la Chapelle , & allerent fe ranger dans la Sale
des Gardes.
Les Heraults d'armes , les Chevaliers & les
. Officiers de l'Ordre fortirent de la même maniere
, & allerent dans la Sale de Prefence ; ils
furent fuivis par le Roy , précedé du Vice-
Chambellan , portant l'Epée d'Etat , du Chancelier
& du Prelat de l'Ordre , du Duc de Cum →
berland , & du Prince de Galles. S. M. paffa par
la Salle de Prefence , y falua les Chevaliers en
ôtant fon Bonnet , & fe retira dans fon Appartement.
Le Dîner étant prêt , le Roy fe rendit en proceffion
, précedé des Heraults d'armes , des Chevaliers
, du Duc de Cumberland , du Prince de
Galles , & du Prelat de l'Ordre , dans la Sale de
S. George. S. M. y étant arrivée , fe mit à table,
ayan à fa droite le Prince de Galles , & à fa
gauche le Duc de Cumberland . Les Chevaliers
fe mirent à une autre table ; ils étoient rangez
fur une même ligne , & avoient le Bonnet fur la
tête. Après le premier Service , on porta au Roy
une Coupe d'or , & S. M. but aux Chevaliers
qui fe tinrent debout & découverts , & après
qu'on eût porté à chaque Chevalier un verre de
ils firent raiſon au Roy , & ſe remirent à
leurs places.
vin ,
Le fecond Service étant fini , Garter s'étant
approché de la Table du Roy avec les ceremo
nies ordinaires , cria trois fois Largeffe , & pro
nonça les Titres du Roy en Latin , en François
& en Anglois. S'étant enfuite tourné vers le Duc
de Cumberland , il cria deux fois Largeffe , &
prononça pareillement les Titres de S. A. R. en
Anglois feulement ; ce qui étant fait , il s'approcha
de la Table des Chevaliers , & cria une fois
Largeffe pour le Comte de Chesterfield , & une
autre
JUILLET . 1730. 165s
autre fois pour le Comte de Burlington , & pro
nonça auffi leurs Titres en Anglois, Après qu'on
eût dîné les Chevaliers fe leverent , & fe rangerent
dans la Sale ; le Prelat de l'Ordre dit enfuite
Graces , après quoy les Chevaliers firent
une revérence au Roy , qui ôta fon Bonnet & les
falua. S. M. précedée des Chevaliers & des Officiers
de l'Ordre , fe rendit enfuite dans la Sale
de S George , dans celle de Prefence , d'où après
les avoir encore faluez , il fe retira dans fon Appartement.
PAYS-BAS .
Wanderborgt , Directeur General des
Monnoyes , a obtenu de la Regeace des
Pays - Bas la permiffion de faire frapper de nouveaux
Ducats d'or au coin de l'Empereur , ce qui
n'a pas été fait dans le Pays depuis le Gouvernement
de l'Infante Ifabelle .
L'Evêque & Prince de Liege a fait publier une
Ordonnance , datée du 30. Juin , par laquelle il
défend à fes Sujets de payer aux Sujets de l'Empereur
dans les Pays - Bas , aucuns arrerages ou
loyers des fonds qu'ils peuvent tenir d'eux , en
repréfaille de ce que l'Archiducheffe Gouvernante
a fait arrêter & ſaiſir dans les Pays - Bas tout ce
qui pouvoit appartenir aux Sujets de ce Prince.
Le Baron de Saxenhaven , Confeiller - Privé ,
& Grand-Chambellan de l'Electeur de Mayence ,
eft arrivé à Duffeldorp , pour recevoir pendant
la tenue de l'Affemblée des Etats de Bergue & de
Julliers , l'hommage éventuel de ces Duchez , au
nom de l'Electeur fon Maître , comme heritier
préfomptif de ces deux Duchez , après la mort
de l'Electeur Palatin .
Le 16. Juillet on celebra à Bruxelles , avec la
folemnité
1660 MERCURE DE FRANCE.
folemnité accoutumée , la Fête annuelle du Saint
Sacrement des Miracles , qui fut inftituée il Y a
200. ans par Marie Reine de Hongrie , foeur de
l'Empereur Charles V. & Gouvernante des Pays-
Bas.
FRANCE
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c.
LE
E 2. de ce mois , le Roi & la Reine
arriverent à Verfailles du Château de
Marly , & le 6. le Roi en partit pour fe
rendre à Compiegne. S. M. paffa vers les
4. heures après midi fur les Ramparts de
Paris & arriva le foir à Compiegne.
:
Le 8. la Reine entendit la Meffe dans
fa Chapelle du Château , & S. M. communia
par les mains de l'Abbé de Pontac,.
fon Aumônier en quartier.
Le 3. après midi , le Roi fir dans la
Cour du Château de Verlailles , la Revûë
des deux Compagnies des Moufquetaires
de la Garde de Sa Majefté . Ils s'affemblerent
à pied , & après que le Roi eut
paffé dans les rangs , ils firent l'Exercice
& défilerent devant S. M. enfuite ils monterent
à cheval , & ils repafferent devant
le Roi. La Reine , accompagnée de Monfeigneur
le Dauphin & de Mefdames. de
France ,
JUILLET. 1730. 1661
France , vit cette Revûë du Balcon de
l'Appartement des Princeffes d'Orleans .
Le même jour , le Pere Paul , nouvellement
élû Vicaire General , de la Congregation
des Auguftins Déchauffez de
France , étant accompagné du Provincial
& de fes Affiftans Generaux , cut l'honneur
de faluer le Roy.
Le s . de ce mois , le R. P. Dom Jean-
Baptifte Alaydon , Superieur General des
Benedictins de la Congrégation de faint
Maur , accompagné de fes deux Affiftans ,
eut l'honneur de faluer le Roi . S. M. les
reçût très-favorablement . M. le Cardinal
de Fleury avoit eû lá bonté de les leur
prefenter , & de demander au Roi fa protection
pour eux . S. E. avoit eu auparavant
celle de leur donner une audience
particuliere. Ils furent auffi prefentez à la
Reine , à Monfeigneur le Dauphin & à
Mefdames de France .
Le 23. Juillet , le Roi donna au Duc
de Charot , qui a été Gouverneur de S.M.
la Place de Chef du Confeil Royal des
Finances , vacante par la mort du Maréchal
de Villeroy.
Le 26. la Lotterie de la Compagnie
des Indes , pour le rembourfement des
Actions , fut titée en la maniere accoûtumée
; on a publié la Lifte des Numero
des
1662 MERCURE DE FRANCE
des Actions & Dixièmes d'Actions qui
feront rembourfez , faifant en tout le
nombre de 300. Actions.
Le jour de fainte Anne , Fête de M. de
Vendeüil , Ecuyer du Roi , fort connu
par les excellens hommes de cheval qu'il
a formez , fut celebrée le 27. de ce mois ,
par les Gentilshommes de l'Académie dont
il eft le Chef. Elle commença par une
Serenade de Timbales & Hautbois , qui
fe répondoient par des Violons & autres
Inftrumens, au fon defquels cette brillante
Nobleffe prefenta fon Bouquet . On
tira un très - beau Feu d'artifice dans le
Manege découvert , dont le feu & les ar
bres faifoient une décoration magnifique.
L'Académie étoit toute illuminée. La Fête
fut terminée par un Bal .
Jean-Jofeph -François Chicoyneau de la
Valette , natif de Montpellier , fils de
M. Chicoyneau , Confeiller en la Cour
des Aydes de la même Ville , Chancelier
Juge de la Faculté de Medecine , Profeffeur
Royal d'Anatomie & de Botanique,
& de la Societé Royale des Sciences , &
petit-fils de M. Chirac , Premier Medecin.
de S. A. S. M. le Duc d'Orleans , de l'Académie
Royale des Sciences , ancien Profeffeur
en Medecine de l'Univerfité de
Montpellier, & Sur-Intendant du Jardin
Royal
JUILLET. 1730. 1663
Royal de Paris , foutint le 28. Juillet une
Thefe generale de Philofophie au College
Mazarin , dediée à M. le Duc de Gefvres
Pair de France , Chevalier des Ordres du
Roy , Premier Gentilhomme de la Chambre
de S. M. & Gouverneur de Paris . Un
grand nombre de Prélats , de Cordons
Bleus , de Magiftrats & autres perfonnes
de diftinction y affifterent . Tout le monde
admira l'efprit & le fçavoir extraordinaire
de ce jeune Philofophe , âgé de
dix ans & demi , étant né le 28. Janvier,
1720 .
On écrit de Caen , que le 24. de ce
mois , André Haret , âgé de 16. ans , fils
d'un Confeiller du Préfidial de cette Ville,
prononça dans l'Ecole de Droit de l'Univerfité
de Caën , un Difcours de fa compofition
, dont le fujet étoit l'Obligation
que la Religion a à l'Eglife de Bayeux , depuis
la Fondation de cette Eglife juſqu'à
prefent. Le Difcours fut prononcé en prefence
de l'Evêque de Bayeux & de quan!
tité de perfonnes de grande diftinction.
Cette action a été regardée comme un
prodige , tant par la jufteffe de la compofition
, que par l'éloquence du jeune Ora
teur.

Le 28. Juillet , M. Maffei , Archevêque
d'Athênes , & Nonce ordinaire du Pape
cut une Audience particuliere du Roi à
Com1664
MERCURE DE FRANCE
Compiegne, aprés avoir donné part à S.M.
de l'Exaltation au Pontificat , du Cardinal
Laurent Corfini , qui a pris le nom
de Clement XII . il lui prefenta une Lettre
du la main du Pape . Il fut conduit
à cette Audience par le Chevalier de Sainctot
Introducteur des Ambaſſadeurs.
Quelques jours après M. Maffei , eut Audience
de la Reine à Verſailles , avec les
mêmes Ceremonies.
,
Nombre des Baptêmes , Mariages , Enfans
Trouvez , & Morts de la Ville &
Fauxbourgs de Paris , pendant l'année
derniere 1729.
Baptêmes ,
18163
Mariages , 4231
Enfans Trouvez ,
2336
Morts, 19598
Maifons Religieufes , 19852
Hommes & Filles , 254
Partant , le nombre des Morts de l'année
1729. excede celui des Baptêmes de'
1435.
Le 25. Juin , Madame la Princeffe de
Conty & M. le Prince fon Fils , Gouver
neur du haut & bas Poitou , firent leur
premiere Entrée dans la Ville de Poitiers ,
Capitale du Gouvernement , au retour
de leur voyage d'Orange.
M.
JUILLET. 1730. 1665
M. de Bauffan , Intendant de la Generalité
, ayant appris que leurs A. S. prenoient
le chemin de Bourdeaux pour venir
à Poitiers , prit de juftes mefures
avec le Clergé & le Corps de Ville , pour
recevoir L. A. Ş.
Le 22. le Marquis de la Carte , Lieutenant
de Roi de la Province , arriva à
S. Cibardeau , où il eut l'honneur de dîner
& de fouper avec leurs A. S. Il partit
le lendemain en pofte pour difpofer
toutes chofes à l'entrée du Gouvernement,
Huit Brigades de la Maréchauffée du Poitou
, commandées par M. de Monterban,
Lieutenant du Prévôt , fe trouverent à
une lieuë de Vilfaignam , accompagnées
de la Bourgeoifie à cheval , pour efcorter
leurs A. S. Le lendemain un Détachement
des Gardes à Cheval du Prince entoura
fon Caroffe & celui de la Princeffe , &
les conduifirent à coucher dans le Château
du Marquis de Verac , Lieutenant
General des Armées du Roy. A leur
arrivée on tira le Cañon du Château ,
M. l'Intendant , en l'abfence de M. de
Verac , s'y trouva avec M. le Coadjuteur
de Poitiers pour les recevoir ; M. de Bauffan
leur fit fervir à 7. heures du foir un
magnifique fouper.
Le 25. leurs A. S. entendirent dans la
Chapelle du Château , la Meffe de M. de
Vigo
1666 MERCURE DE FRANCE
Vigo , Premier Aumônier de Madame la
Princeffe de Conty , après laquelle on
partit pour aller déjeûner à Vivone . Huit
autres Brigades de la Maréchauffée , le
Prévôt General à leur tête , étoient à l'entrée
de Vivone & fe joignirent à l'escorte.
A demie lieuë de là , le Corps de la Compagnie
des Gardes à Cheval , au nombre
de cinquante , fe joignit au Détacheme nt
à une lieuë de Poitiers , une Compagnie
de Cavalerie Bourgeoife de la Ville les
attendoit en bon ordre , & elle marcha à
la tête. Peu de tems après , M. l'Intendant
qui avoit pris la Pofte au fortir de coucher
pour venir donner fes ordres à Poitiers
vint au devant de la Princeffe & du Prince
dans un Caroffe à fix Chevaux pour l'offrir
à Leurs A. S. qui prefererent de ref
ter dans un Caroffe découvert , afin de fe
montrer au Peuple qui bordoit les chemins.
A l'entrée de la Ville on tira le Canon
& L. A. S. reçurent le compliment du
Maire , accompagné des Echevins , qui
leur préfenta les Clefs de la Ville. La Milice
Bourgeoife bordoit les rues par où
elle devoit paffer jufqu'à l'entrée de la
Place Royale. Un Bataillon du Regiment
de Condé s'étoit emparé de la Place , &
bordoit la haye jufqu'à l'entrée de l'Intendance
que M. de Bauffan avoit prepare
pour
JUILLET . 1730. 1667
pour loger L. A. S. Mme l'Intendante &
plufieurs Dames de qualité reçurent au
bas du dégré L. A. S. & les conduisirent
dans les Appartemens qui leur étoient
deftinés. Comme il étoit quatre heures
après midi , L. A, S. ne voulurent point
diner 5 mais M. l'Intendant leur fit fervir
à 7 heures du foir un grand fouper dans
une Sale où il y avoit deux Tables. La
Princeffe admit à la fienne Mme de Bauffan
& quelques autres Dames ; le Prince étoit
à l'autre table , M. de Bauffan eut l'hon
neur de fouper avec lui , M. le Coadjuteur
, les Ecuyers du Prince & plufieurs
Gentils hommes , & les premiers Officiers
du Regiment & de la Garniſon. Dans une
autre Sale il y avoit auffi deux Tables pour
ceux qui avoient eu l'honneur d'accompagner
L. A, S. A ces quatre Tables il y
avoit 74. Couverts.
Après le fouper , L. A. S. virent tirer
un Feu d'artifice que M. l'Intendant avoit
fait préparer dans fon Jardin . Le Partere
étoit orné de beaucoup de Lampions , &
les Arbres étoient par tout illuminés , ce
qui faifoit avec la verdure un fpectacle
très - agréable.
Le lendemain L. A. S. fe rendirent à
P'Eglife Cathedrale pour entendre laMeffe,
M. le Coadjuteur revêtu de fes habits Pontificaux,
à la tête de fon Clergé , eut l'honneur
1668 MERCURE DE FRANCE
,
neur de les complimenter. M. l'Evêque
de Poitiers qui à leur arrivée avoit eu celui
de leur faire la reverence , affifta à la
Meffe ,pendant laquelle la Mufique chanta
un beau Motet. Au retour de la Meffe ,
on fervir un diner très fplendide , après
lequel L. A. S. reçurent les complimens
de l'Univerfité , du Préfidial , de M M , du
Chapitre de S. Hilaire & de tous les Corps
de la Ville. Les Villes de Nyort , de Saint
Maixent & plufieurs autres envoyerent des
Députés à Poitiers qui eurent l'honneur
de faire leur compliment.
Le lendemain 27. L. A. S. partirent à
8. heures du matin , après avoir déjeuné ,
pour aller coucher à Chatelleraud, Les
mêmes Troupes qui fe trouverent à leur
arrivée bordoient les rues dans le même
ordre , & M. le Maire accompagné des
Echevins fe trouverent à la Porte pour
prendre les derniers ordres de L. A. S.
M. de Bauffan eut encore l'honneur de
leur faire fervir à fouper à Chatelleraud ,
& le lendemain il fut fort gracieufé par
L. A. S. qui ne permirent pas qu'il les
accompagnât plus loin. Le Marquis de la
Carte a auffi accompagné L. A. S. juſqu'à
Chatelleraud . La Princeffe a beaucoup
Joué les foins que s'eft donné M. de Bauffan
, & a fait l'éloge des politeffes de Mme
l'Intendante. Le 30. Juin , L. A. S. arriverent
JUILLET . 1730. 1669
verent à Tours où elles ont féjourné quel
que tems.
HARANGUE faite à S. A. S. Mada
me la Princeffe de Conti , Princeffe d'Orange
, & à Monfeigneur le Prince de
Conti fon fils , par Jaffeda de la Roque,
Juif de Carpentras , à Orange
MADAME,
- Notre Nation fentit autrefois moins de
joye à l'arrivée de la Reine de Saba, que nous
en reffentons aujourd'hui à celle de V. A.S.
& de Monfeigneur le Prince votre augufte
Fils.
Nous venons nous profterner aux pieds de
V. A. S. & nous remarquons en elle les mêmes
vertus & les mêmes charmes que le Roi
•Salomon & le Peuple d'Ifraël admirerent tant
dans cette Reine incomparable.
Vous joignez à cela la fageffe d' Abigail;
la douceur d'Efter & le courage de Judith.
Faffe l'Eternel que Votre Alteffe & Mon-
Seigneur le Prince votre Fils foit comblée de
benedictions & de profperités semblables à
celles qui ont été repandues fur les Familles
de nos premiers Peres.
Nous lifons , MADAME , dans les Pfeaumes
de David Qui Ran Adonaïve fafal ire,
c'est- à-dire , que Dieu tout grand qu'il eft J
I ne
7670 MERCURE DE FRANCE
ne laiffe pas de regarder ce qui eft au-deffous
de luis & comme les Princes font les images
de Dieu fur la terre , nous efperons qu'à fon
axemple Vous & Monseigneur votre Fils ,
voudrez bien nous honorer de votre puiffante
protection dans les occafions qui ne font pour
nous que tropfréquentes,pourrecourir à fa clemence
ordinaire.
C'eft la grace que nous vous demandons ,
& celle d'accepter ce petit Prefent comme une
marque que nos biens , de même que nos per
Jannes feront toujours aufervice de V. Á. S.
&foumis à Monfeigneur le Prince votre Fils ;
efperant de vivre tranquilement fous la douceur
d'un Prince fi bien né,
HARANGUE faite à S .. A. S, Madame
la Princeffe de Conti , Princeffe d'O
range , & à Monfeigneur le Prince de
Conti fon Fils, par Jaffeda de la Roque,
Juifde Carpentras , à Carpentras,
MADAM ADAME ,
Ne nous fera- t'il pas permis de joindre
notre voix , toute foible qu'elle eft , aux acclamations
publiques dont tout ce Pays s'empreffe
de témoigner la joye qu'il reffent de
votre arrivée & de celle de Monfeigneur le
Prince votre augufte Fils.
Etpendant que tous viennent enfoule rendre
JUILLET . 1730. 1671:
dre leurs refpects à Vos Alteffes , agréez
s'il vous plaît , MADAME , que ce petit reſte
du peuple d'Ifraël vienne vous rendre les
fiens , & vous marquer qu'il n'eft pas moins.
fenfible que les autres au bonheur que nous
reffentons aujourd'hui de voir une Princeffe
autant illuftre par fes vertus que par fa naiffance.
à nos anciens
Il n'appartient pas à nous , MADAME , de
rapporter ici ce que l'on pouroit dire de grand
de votre illuftre Naiffance , & de toutes les
belles qualités qui vous rendent fi recomman➡
dable , & qui vous font briller en tout lieus
nous laiffons cela à des bouches plus éloquen
tes que les nôtres , & nous nous contentons
de vous dire que nous voyons dans l'Ecriture
Sainte qu'il n'étoit pas permts
Peres d'entrer dans le Temple les mains vuides
, de même nous aurions honte de paroître
les mains vuides devant Vos Alteffes , qui
nous mettent fous les yeux tout ce qui peut fe
-trouver de plus grand & de plus refpectable.
Daignez donc, MADAME, recevoir ce petit
Préfent, ainfi que Dieu agréoit les holocauftes
des pauvres comme des riches.
I ij EX
1672 MERCURE DE FRANCE
EXTRAIT d'une Lettre , au sujet du
de L. A. S. Madame la Princeffe
voyage
& M. le Prince de Conti.
la Princeffe de Conti , ace
Mcompagnée duPrince fon Fils ainé ,
arriva le 4. Juin à la Ville de Pezenas ,
Chef de la Comté de ce nom ; elle fut
reçûë aux acclammations publiques
n'ayant pas voulu permettre qu'on tirât
le Canon. Elle entra par la Porte appellée
de Conti , où commence une ruë fort ſpacieuſe
, au bout de laquelle on voit une
vafte Hale , couverte d'ardoifes de differentes
couleurs , fi artiftement rangées
qu'elle attire l'admiration des Etrangers.
A l'extrémité de cette Hale , on voit
une Place d'une étenduë & d'une beauté
qui fatisfait la vûë ; elle aboutit à un Quai
d'une longueur & d'une largeur confiderable
, dont le terrain eſt élevé d'environ
6 à 7. piés aux ; deux côtés regnent deux
grandes rues , formées par une longue
fuite de belles maifons d'une même fimetrie
, avec des Balcons. Les deux extrémi
tés duQuai font terminées par deux belleş
Fontaines de forme piramidale , à plufieurs
tuyaux , difpofés en rond , qui jettent
abondamment dans un grand baffin
une eau excellente , & dont la fource n'a
jamais
,
JUILLET. 1730. 1673
jamais fenfiblement diminuée , même dans
les tems des plus grandes fechereffes.
Deux Feux d'artifice furent conftruits
aux deux bouts du Quai , avec des Infcriptions
& des Emblêmes à l'honneur de
la Princeffe & du jeune Prince. Leur logement
fut préparé par les Confuls dans
des maifons fituées au milieu du Quai , &
ils y furent conduits par des Compagnies
de gens à cheval & à pied , compofées de
fa plus belle jeuneffe de la Ville , propremént
habillée .
Sur les 8. heures du foir , on commença
à tirer les deux Feux d'Artifice , ce qui
fut executé avec beaucoup de fuccès , au
bruit de plufieurs falves réïterées de Petards
& de Moufqueterie . Enfuite les Confals
, accompagnés de tout le Corps de
Ville , mirent le feu à un Bucher qui avoit
été preparé à l'une des extremités du Quai ,
les Bourgeois étant fous les armes . On n'a
jamais vu de plus belles illuminations ni
un plus grand concours d'Etrangers , dont
les uns furent attirés par le defir de voir
la Princeffe & le jeune Prince , les autres
par le devoir qui les engageoit à leur venir
rendre leurs hommages , & tous enfemble
par le zele qui leur faifoit prendre part à
la joye publique .
A quatre heures du foir de cette journée,
qui fut une des plus belles de la faifon ;
I iij
La
1674 MERCURE DE FRANCE
Ja Princeffe & le Prince donnerent audience
aux Deputés des Villes & lieux de
la Comté , qui les complimenterent au
nom de leurs Corps , auffi - bien que tous
les Ordres de la Ville. Le lendemain à
-deux heures du matin , la Princeffe ſe mit
en chemin avec le Prince & la Ducheffe
de Grillon qui l'accompagnoit, ayant laiffé
dans le coeur du peuple un grand regret
de la perdre fi tôt . Entre les differens com
plimens , on en a choifi deux que le fieur
Julien , Juge Royal de la Ville de Monblanc
, fit à la Princeffe & au Prince , au
Į nom de la même Ville & du Corps de la
Juftice.
MADAME ,
S'il n'eft rien de plus ordinaire que de voir
redoubler notre joye à la vie des Perfonnes
que nous avons long- tems defirées , & que
nous jugeons dignes de notre estime par leur
naiffance , par leur merite & par leurs bienfaits.
Quels feront aujourd'hui nos tranfports
à la vue d'une grande Princeffe qui fut tou
jours l'objet de nos plus ardens defirs ; iſſuë
de Heros & de Monarques , ornée de toutes
les perfections , & dont la bonté & la magnificence
égalent la grandeur& la dignité de
Jon rang.
Oui , MADAME , notre joye eft extréme ,
JUILLET. 1730. 1673
& nous devons la faire éclater , lorsque
V. A. S. quitte le fejour de la Cour pour ve
nir dans nos Provinces combler de fatisfac
tion & de bonheur les peuples qui lui font
foumis: femblables à ces Aftres doux & bienfaifans
qui ne fe montrent fur l'Horifon que
pour y augmenter la lumiere & y répandre de
falutaires influences.
ن م
Heureux les Païs que V. A. S. a daigné
vifiter dans le cours de ce long & penible
voyage ! heureux vos Sujets de la Principauté
d'Orange , à qui elle vient de faire
voir de fi grands , de fi doux & de fi aimables
maitres mais plus heureux encore ,
mille fois plus heureux les peuples de votre
Comte de Pezenas,fi après avoir joui ce pen
de momens de votre préfence , ils pouvoient
meriter de vous poffeder à l'avenir auſſi longtems
que leurs Peres & leurs Ayeux poffederent
autrefois Noffeigneurs les Princes vos
illuftres & incomparables Predeceffeurs .
Mais il eft tems , MADAME , de finir un
Difcours fi peu digne de la favorable atten
tion que V. A. S. me donne ; & n'eft-il pas
jufte d'ailleurs de ceder la place au langage
du coeur qui fçaura bien mieux fe faire entendre
par les cris de joye & les acclamations
publiques, qu'on ne peut s'exprimerpar
les traits de la plus vive éloquence. Agréez
donc , MADAME , la très humble proteftation
que votre Ville de Monblanc & le Siége de
I iiij Sa
1676 MERCURE DE FRANCE
fa Fuftice , dont j'ai l'honneur d'être le Chef,
font aujourd'hui à V. A. S. d'une profonde
foumiffion & d'une fidelité inviolable &c.
Le St Julien alla enfuite complimenter
le Prince dans fon Appartement , en ces
termes :
MONSEIGNEU NSEIGNEUR ,
La bonté avec laquelle S. A. S. Mada→
me la Princeffe vient de recevoir nos trèsbumbles
hommages , nous eft un préfage affuré
de la vôtres auffifommes nous certains qu'ils
ne vousferont pas défagréables , la grandeur
d'ame fi naturelle à la Maison de Bourbon
étant comme la fource ou plutôt comme l'affemblage
de toutes les vertus Royales. Il n'eft rien
de grand , de glorieux & de louable qu'on
ne doive attendre des Princes qui naiffent
d'un fi noble Sang , &pour en être convaincu
on n'a qu'à jetter les yeux fur nos Hiftoires.
On y verra des Rois dont les vertus n'ont
le
pas
été moins reverées de toute la terre que
leur puiffance ; des Conquerans qui ont pris
des Villes & conquis des Provinces par
feul bruit de leur nom , & des Heros à qui
l'ancienne Rome & la Grece euffent dreffé
des Autels. N'en déplaife au Vainqueur de
l'Afie , on l'eut vû, ce fameux Guerrier, bornerfes
vaftesdeffeins à la deffenfe de la Ma
eedoine,
JUILLET . 1730. 1677
edoine , fi au lieu des Rois de Perſe & des
Generaux des Grecs , il eut rencontré des
Condés : qu'ai-je dit ? il eut rencontré des
Bourbons fur fes pas.
2
Tant de vrai mérite , tant de valeur , tant
d'exemples domestiques firares & fi éclatans
nous permettent-ils , MONSEIGNEUR, de douter
que V. A. S. ne monte bientôt aux plus hauts
degrés des perfections Héroïques ? & la Na-`
ture elle-même qui a tant pris de foin de graver
fur votre visage , où brillent tant de gra
ces , tous les traits de la grandeur & de la
beauté des Heros , ne femble- t'elle pas nous le
promettre ? Oui , MONSEIGNEUR , ces qualités
auguftes que votre tendre jeuneffe nous
représentefi vivement , feront l'admiration de
toute la terre , lorsque la gloire vous aura appellé
dans ces vaftes plaines de Mars
les lauriers toujours d'accord avec les lys ,
vous préparent déja une abondante moiffon.
&C..
on
La Princeffe n'ayant pas jugé à propos
d'accorder aux vives inftances du Peuple
de Pezenas un jour entier de féjour le
fieur Julien fit à ce fujet le Rondeau
fuivant , au nom du Peuple de la Comté
Seroit - c
Pour appaiſer la jufte impatience ,,
D'un Peuple heureux, dont la noble ferveur
Eroit - ce trop'un jour de réfidence ; -
Ly

Vient
1678 MERCURE DE FRANCE
Vient publier la joye & le bonheur ,
Que dans ces lieux répand votre prefence ,
Le cas n'eft pas de petite importance ;
S'il ne faifoit qu'honorer l'éminence ,
De ce haut rang où brille la grandeur ,
Seroit -ce tropa
Mais fi par cas , la vertu , la clémence
La Majeſté , l'air , la magnificence ,
Le charme enfin féduiſant notre coeur
Y faifoit naître une difcrete ardeur ,
Dont ne puffions furmonter la puiffance.
Seroit- ce trop ?
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Rouen,
le 1 Juin 1730.anfujet de la Cérémonie de
la FIERTE.
A Cérémonie de la FIERTE s'eft faite
Licy lejeme det de la FUERTE s'eft
LA
dinaire , avec un grand concours de Peuple
& d'Etrangers , que cette curiofité attire
tous les ans , pour voir ce qui fe paffe
au fujet du Prifonnier qu'on y délivre.
C'eſt un des plus anciens monumens de
la piété de nos Rois , & une conceffion des.
plus authentiques qu'ils ayent jamais faite
aucune Eglife de leur Royaume.
Ca
JUILLET. 1730. 1679
Ce Privilege de la ( a ) Fierte, ou Châſſe
de S. Romain , confifte dans l'abfolution
d'un Criminel & de fes complices , à la
Fête de l'Afcenfion ; pourvu qu'il ne foit
pas accufé de crime de Léze- Majefté, d'Héréfie
, de Faufle monnoye,de Viol ou d'Aſfaffinat
de guet-à-pens . Dans le choix que
le Chapitre de l'Eglife Métropolitaine &
Primatialle de Rouen , fait de celui qui
doit jouir de ce Privilege , il obſerve tresreligieufement
la forme ancienne de cette
ceremonie.
"
Le Lundy quinziéme jour avant les Rogations
, il députe au Parlement,à la Cour
des Aydes & au Préfidial quatre Chanoines
pour vérifier & infinuer le Privilege
afin que depuis ce jour- là jufqu'à ce qu'il
ait eu fon effet , aucun Criminel des Prifons
de la Ville & des Faubourgs ne foit
transféré , mis à la queſtion , ni exécuté.
Pendant les trois jours des Rogations, le
Chapitre nomme deux Chanoines Prêtres,
qui le tranfportent dans les Prifons avec
fe Greffier , pour y entendre les confeſfions
des Criminels qui prétendent au Privilege,
& pour recevoir leurs déclarations
fur les cas dont on les accufe.
Le jour de l'Afcenfion , le Chapitre
compofé feulement des Chanoines- Prê
( a ) Flerte , mot corrompu du Latin , Feretrum
, Cereneil , &cg
Tres
1680 MERCURE DE FRANCE
tres , s'affemble
pour
l'élection
du criminel
qui doit
être
délivré
. Après
avoir
invoqué
le S. Efprit
, & fait
ferment
de
garder
le fecret
, on fait
la lecture
des
confeffions
des
prifonniers
, qui
font
brûlées
dans
le même
lieu
, fi - tôt
que
la
Grace
du criminel
eft admife
.
L'Election faite , le nom du criminel
eft porté au Parlement , qui ordonne à
deux Huiffiers d'aller avec le Chapelain
de S. Romain , le prendre dans la prifone
Ils le conduifent au Parlement , où il eft
mis fur la fellette. Après qu'il a été
interrogé , & que fes informations ont été
rapportées , fa remiffion eft admife fur les
Conclufions du Procureur General . Enfuite
le Premier Préfident luy fait une
correction ; & l'ayant déclaré abſous , il
le renvoye au Chapitre , pour le faire
joüir du Privilege de S. Romain ..
L'Eglife Metropolitaine va enfuite proceffionnellement
à la vieille Tour , ancien
Palais des Ducs de Normandie . On y
conduit le prifonnier , & il y reçoit une
feconde correction du Celebrant , qui luifait
porter la Fierte ou Châffe de S. Romain
jufqu'à la grande Eglife, où il feprof
terne aux pieds de chaque Chanoine ; il
quitte fes fers à la Chappelle de S. Romain
; & après avoir entendu la Meffe
qui eft quelquefois differée jufqu'à fix
heures
و
JUILLET . 1730. 1687
heures du foir , à caufe des conteftations
qui furviennent touchant fon élection
il va à la Vicomté de l'Eau , où le Prieur
du Monaftere de Bonnes - Nouvelles , Ordre
de S. Benoît , luy fait encore une remontrance
.
Le lendemain il reçoit une derniere
correction en plein Chapitre , devant tout
le peuple , tête nue , & à genoux . Delà il
eft conduit au Confeffionnal du Grand-
Penitencier qui entend fa confeffion .
Après cette efpece d'amende honorable il
eft renvoyé.
,
Ce qui a donné lieu à ce Privilege , ſelon
la tradition , c'eft que Saint Romain,
Archevêque de Rouen , ayant été averti
que dans la forêt de Rouvray , près des
faubourgs de la Ville , un ferpent d'une
grandeur monstrueufe faifoit des dégats
horribles , il réfolut de l'aller chaffer , &
demanda pour l'accompagner deux hommes
retenus dans les prifons , l'un con
vaincu de meurtre , & l'autre de vol. Le
voleur s'enfuit fi-tôt qu'il vit le ferpent,
le meurtrier demeura & ne quitta point
le faint Prélat , qui jetta fon Etole au cou
de la bête , la fit conduire par ce prifonnier
jufqu'à la Place publique de la Ville,
où elle fe laiffa attacher , & fut brûlée ;
après quoy on fit grace au meurtrier qui
ne s'étoit point épouventé. S. Ouen, fucceffeur
1682 MERCURE DE FRANCE
3
,
ceffeur de S. Romain , pour conferver la
memoire de ce miracle , obtint du Roy ,
Dagobert , dont il étoit Chancelier , le
Privilege en queftion , tel qu'il s'obferve
encore aujourd'huy.
"
On vendra publiquement à Rotterdam
le 6. Septembre prochain , le Cabinet de
Tableaux de feu M. Jofue - Van - Belle
dont le Catalogue paroît imprimé ; entr'-
autres excellens morceaux , il y a une
fainte Famille du Titien. 3. pieds 4. pouces
de large.
De Jacques Baffan , Nativité annoncée
aux Pafteurs , &c . un Crucifiement , du
même.
De P.Veronefe , fainte Famille , la Madelaine
, &c. 17. pouces de large.
D'Antoine Correge. Léda dans l'eau avec
le Cigne. 24. pouces de large fur 18 .
Rubens. Defcente de Croix , &c. Efquiffe
, 25. pouces de haut fur 18 .
Du même. Le Portrait de Snyders , fr..
pouces de haut.
Une femme & fes enfans en charité ,
&c. haut de 5. pieds 11. pouces.
La Vierge & le Petit Jefus , Anges en
l'air , &c. 5. pieds de haut fur 4.
Du Valentin. Cavaliers & une Dame:
jouant aux cartes , de 7. pieds 2. pouces de
large.
De
JUILLET . 1730. 1683
De l'Espagnolet. S. Pierre en pleurs . 18.
piedsde haut fur 14 .
De Barth. Morillos . Ecce Homo. 20 .
puces de haut fur 15. & demi.
S. Jean- Baptifte , avec l'Agneau. 25.
de haut fur 17 .
pouces
Un Garçon mandiant , Eſpagnol . 20.
pouces de haut fur 14.
Une fille Efpagnole , mandiante . 15.
pouces de haut.
D'Alex. Veronefe. Huit perfonnes à ta--
ble . 30. pouces de large fur 22 .
Du Bourguignon. S. Eftienne lapidé. 3 Siopouces
de large fur 15.
La Converfion de S. Paul. 25. pouces
de large fur 15. Une Bataille , 37. pouces
de large .
De Rottinhamer. Sainte Famille. 1o ..
pouces & demie de haut fur huit & demie..
D'Annibal Carrache. Jugement de Pâris
fur Cuivre , 14. pouces de haut
fur 9.
3
De Guido Beni. Le Triomphe de la
Paix. 15. pouces & demi de large fur 7.-
& demi.
De Salvator Roza , Payfage en large , &
4. Fig. 5. pouces de large fur 38.
Deux autres égaux. 28. pouces de haut
fur 22.
De Francifque Milet. Le Buiffon are
dent , en large..
De
684 MERCURE DE FRANCE
De Fluwele Breughel. Payfage fur euivre
, un Payfan mene fes Chevaux , 5.
pouces & demi de large fur 4 .
+
Autre , Où eft une Tour avec un Cocq
& fes Poules , plus petit.
Autre , un Coche , Chariot de Payfan ,
&c. en large , de 10. pouces.
D'Ant. Van - Diek, Simeon en Berger ,
voyant une femme nue dormant fous un
Pavillon , &c. 7. pieds de large fur 5 .
De Miris. Son Portrait & celui de fa
femme , en deux petits Ovales.
Une Vieille qui file auprès dune Lampe,.
9. pouces & demi de large.
DeWouwerman. Deux Tableaux pareils,
larges de 28. pouces , fur 23. Dans l'un
des Soldats dépouillent des Payfans , &
dans l'autre , les Payfans dépouillent les
Soldats.
Corn. Poelembourg. Bain de Diane , 14.
pouces & demi de large.
J. C. & fes deux Difciples fur le chemin-
d'Emaüs , 11 pouces & demi de large.
Un Enfant couché dans un Payfage ,
&c. 14. pouces de large fur ro.
D'Adrien Brouwer. Joueurs de Trictrae,
14. pouces de large.
Idem. Poil pour poil , combat à coups
de point , 13. pouces de large.
De Schalque. Un garçon mangeant un
Gâteau dont il fe fait un mafque , 7. pow
ses & demi de haur..
JUILLET. 1730. 1685
De Neftchert. Une Dame lifant une Lettre
fur un Balcon couvert d'un Tapis. 9.
pouces de haut.
Un jeune Garçon , faifant des Bouteil
les fur l'eau, 11. pouces 3. quarts de haut.
Payfages de Claude Lorrain , du Pouffin,
& de Paul Bril , &c.
Portraits de Van - Dick , de Rambrants ,
du Tintoret.
Fleurs & Fruits de Mario di fiori , de
Campidogli , de Michel - Ange , des Batail
les , &c.
XXXX: XXXXXXX : XXXX
MORTS NAISSANCES,
Ngon Marquis d'Harcourt
, Capitaine de Dragons
, dans le Regiment Colonel General
mourut à Lille le 20 Juin , âgé de 19 ans. Fl
étoit fils unique de Charles , Comte d'Harcourt
& Dollonde , cy- devant Meftre de Camp & Sous-
Lieutenant des Chevaux Legers de Bourgogne.
Chefdu Nom & des Armes de cette Illuftre Maifon;
& de Dame N.de Franquetot de Coigny,foeur
du Marquis de Coigny, Chevalier des ordres du
Roy , Lieutenant General de fes Armées , & Colonel
General des Dragons. Il ne refte plus de cette
branche des Comtes Dollonde,du nom d'Harcourt,
que les Coufins Germains du Comte d'Harcourt
, pere du Marquis qui vient de mourir, fça
voir , Jean-François d'Harcourt , Prêtre , Abbé
Commandataire de l'Abbaye de Ménat en Auvergne
, & Guillaume , Marquis d'Harcourt, fon
frere , Capitaine des Vaiffeaux du Roy , retiré à
fa
"
1686 MERCURE DE FRANCE
La Terre de Baffe - Normandie, à cauſe de ſes infirmitez.
Il avoit époufé feuë Dame Anne - Rofe
de Poefrie , héritiere de la Maifon de Taillepied ,
de laquelle il avoit eu deux enfans , qui font Marie-
Rofe d'Harcourt , Penfionnaire au Monaftere
des Religieufes de la Vifitation de Caën , &
Jacques , Comte d'Harcourt , qui fait actuellement
fes exercices à l'Academie de Vandeuil.
C'eſt aujourd'hui le feul rejetton de cette Branche
de la Maifon d'Harcourt.
Dame Marie Salé Dumenillet , époufe
de M. Antoine-Thomas le Secq , Chevalier
, Seigneur de S. Martin , Baron de Balingant
, Confeiller du Roy en fes Confeils
,Procureur general des Eaux & Forêts,
décedée le 25 Juin 1730. âgée de 55 ans ,
environ .
Dame Anne Guilbert , veuve de N.Foy,
Seigneur de S. Maurice , Commiffaire du
Confeil pour les Monnoyes , mourut le 27
Juin , âgée de 88 ans .

M. Pierre- Gilbert de Voifins, Preſident
de la deuxième Chambre des Enquêtes du
Parlement , & Doyen des Prefidens des
Enquêtes & Requêtes , mourut le 1. dece
mois , âgé d'environ 74 ans .
Dame Françoife Glucq , époufe de J. B.
de Montulé , Confeiller au Parlement ,
Chef du Confeil de fon S.A.S.M. le Prince
de Conti , mourut le même jour , âgée
d'environ 46 ans.
Frere Louis de Fronlay de Teffé , Chevalier
, Profès , de l'Ordre de S. Jean de Jérufalem
JUILLET. 1730. 1687
rufalem,Commandeur de Coulours, mourut
à Paris le 4 de ce mois , âgé de 65 ans.
Nicolas le Fevre , Seigneur de S. Luc ,
Benoît - la- Chapelle , &c. Lieutenant general
d'Epée au Bailliage & Préfidial de
Troyes & Maître des Eaux & Forêts, mourut
le 8.'âgé de 62 ans.
Dame Madelaine le Rebours , veuve de
M. Charles- Nicolas Huquet de Semonville
, Doyen du Parlement , décédé le 11
Juillet , âgée de 72 ans.
3 Emmanuel de Roquette Seigneur
d'Amades , premier Ecuyer de S. A. S.
Madame la Princeffe de Conty , feconde
Douairiere , mourut le 14 , âgé de 73 ans.
François de Neuville, Duc de Villeroy,
Pair & premierMaréchal deFrance , Chevalier
des Ordres du Roy, Gouverneur de fa
Perfonne, General de fes Armées, Miniftre
d'Etat ,Chef duConfeilRoyal desFinances,
Gouverneur de la Ville de Lyon , & de la
Province de Lyonnois, Forêt & Baujolois,
mourut à Paris le 18 Juillet, âgé de 86 ans
3 mois. Il avoit époufé en 1662. Marie de
Coffe ,fille de Louis de Coffe , Duc de
Briffac , & de Catherine de Gondi , dont
il a eu le Duc de Villeroy , Lieutenant General
des Armées du Roy , Chevalier des
fes Ordres & Capitaine des Gardes du
Corps de S. M. Gouverneur de la Ville de
Lyon,&c .& l'Archevêque de Lyon , Commandeur
1688 MERCURE DE FRANCË
mandeur des Ordres du Roy. Le Duc de
Retz & le Duc d'Alincour font les fils du
Duc de Villeroy.
Dame Jeanne - Felix Nouvel , époule
de M. J. B. Sorba , Comte de la Villette
Secretaire d'Etat de la République dé Génes
, & fon Miniftre Plénipotentiaire à la
Cour de France, accoucha le 7 Juin , d'une
fille , qui fut nommée Role-Placidie.
Dame Anne Geneviève de Meuve, épou
fe de Jean - Paul Bochart de Champigny ,
Capitaine au Regiment des Gardes Françoiſes
, Chevalier de l'Ordre Militaire de
S. Louis , accoucha le 13. d'un fils , qui fut
tenu fur les Fonts & nommé Frederic, par
Frederic- Guillaume de la Trémoille . Prince
de Talmond , Lieutenant General des
Armées du Roy , & Gouverneur des Ville
& Fortereffe de Saarlouis , & Pays en dépendans
; & par Dame Loüife - Françoiſe
d'Humieres, époufe de Louis- Antoine-Armand
, Duc de Grammont , Pair de France
, Chevalier des Ordres du Roy , Colonel
du Regiment des Gardes Françoifes &
Gouverneur de Bearn.-
ARJUILLET.
1730. 1689
MMMMMMMMMMM
ARRESTS,
ORDONNANCES , & c.
RDONNANCE de Police du 3. Juin ,
portant nouveau Reglement fur ce qui doit
être obfervé au fujet des Ecriteaux pofez aux coins
des rues de la Ville & Faubourgs de Paris , par
laquelle il eft ordonné qu'à l'avenir les Proprietaires
des Maifons faifant encoignure des rues
feront tenus , lorfqu'ils feront rétablir & réédifier
lefdites Encoignures , de faire mettre une
Table de Pierre de Lierre d'un pouce & demi
d'épaiffeur , & de grandeur fuffifante au coin de
chacune des Encoignures , foit qu'il y ait des
Placques de Tole ou non , fur lefquelles Tables
de Pierre feront gravez les Noms des Ruës , les
Numeros marquez fur les Placques du même
Quartier , en lettres de la hauteur de deux pou
ces & demi , de largeur proportionnée.
ORDONNANCE cu 3.
AUTRE du 9. Juin , portant défenſes aux
Proprietaires & Locataires des Maifons voifines
de la Foire S. Laurent , d'en louer aucunes parties
pendant la tenue de ladite Foire , fans la participation
de Maître Aubert , Commiffaire prépofé
à cet effet.
ARREST du 27. Juin , concernant la Lots
terie des Rentes perpetuelles , conftituées fur
l'Hôtel de Ville , par lequel S. M. ordonne que
la Loterie établie par l'Arreſt du 19. Octobre
1728. fera & demeurera fufpendue & fermée , à
sommencer du jour de la publication du prefent
Arreft
1690 MERCURE DE FRANCE
Arreft , & en confequence que ledit Adjudicataire
de fes Fermes unies ceffera de remettre au
Garde du Tréfor Royal les cinq cens mille livre's
qui étoient deftinées audit Remboursement , jufqu'à
ce qu'autrement par Sa Majefté il en ait
été ordonné.
AUTRE du même jour , portant que tous
ceux qui remettront aux Hôtels des Monnoyes
en Piaftres ou autres Matieres d'Or & d'Argent
venant des Pays Etrangers , une fomme de Dix
mille Livres , continueront d'être payez juſqu'au
premier Janvier 1731. des quatre deniers pour
livre.
APPROBATION.
"Ay lú par ordre de Monfieur le Gardes deo
J'Sceaux ,le Mercure de France du dess de
Juillet auquel je n'ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris ce 9. Août 1730..
P
HARDION.
TABLE.
1479 Ieces Fugitives . La Douceur , Ode,
pour fervir à l'Hiftoire de la Pein- Memoire
ture , &c . 1484
Traduction du Poëme de Petrone fur la Guerre ,
: &c.
Suite de l'Eloge de M. Baron ,
1494
1503
Epitre à Mad, la Comteffe de B. 1518
Lettre fur la Bibliotheque des Enfans , 15201
Le
1438
Le Cofbeau & le Pigeon , Fable ;
Remarques fur l'Hiftoire naturelle , &c. du
Comté d'Eu ,
Ode à M✶✶✶
Lettre fur un Infecte très-fingulier ,
Ode Anacreontique ,
1541
1549
1551
1553
Lettre fur la Garonne , &c. Gironde & Acheron,
Madrigal ,
ISSS
1554
Compagnie d'Arquebufiers établie à Auxerre ,
1560
Epitre à M. l'Abbé * **
1565-
Extrait d'une Lettre au fujet de la Médaille , &c,
1568
A la Marquife de G. qui s'étoit brûlée ,
Enigme & Logogryphe ,
Nouvelles Litteraires , des beaux Arts , &c . Memoires
pour fervir à l'Hiftoire des Hommes
illuftres , & c.
1570
1572
1574
Hiftoire de l'Eglife de Meaux , 1575
Lettre fur le choix des Saignées , & c.
1579
Pour perfectionner l'Ortographe , 1581
Lettre à Milord *** fur le fieur Baron & la
1596
Grammaire Hebraïque , &c. 1601
1607
Dile le Couvreur , & c.
Memoires Litteraires d'Angleterre, &c.
Recueil des Pieces du Chevalier Thomas Brown,
Docteur en Medecine , 1610
Deſcription Philofophique des Ouvrages de la
Nature , & c.
Memoire de M. Moreau de Mautour ,
Theſe en Sorbonne ,
1612
1617
1619
Nouvelle Machine pour trouver les Plans , &c.
\ Air noté ,
Spectacles : Tempêtes d'Alcionne,
Le Carnaval & la Folie , Extrait ,
روک
1620
1621
Ibid.
1622
Nouvelles Etrangeres . , de Turquie & Perfe, 1635
Ruffic
Raffic & Pologne ,
7637
Fête à Warfovie , &c.
1638
De Suede & Allemagne 1640
Suite du Camp de Mulhberg , &e. 1641
D'Italie , Election du Pape Clement XII. 1644
Portugal , Efpagne & Angleterre , 1651
Chevaliers de la Jarretiere , &c. 1653
Pays-Bas
1659
1660
>
France , Nouvelles de la Cour , &c.
Voyage & Harangues faites aù Prince & à la
Princeffe de Conty , & c.
1664
Lettre au fujet de la ceremonie de la Fierte , 1678
Morts , Naiffances , &c.
Vente de Tableaux ,
Arrêts ,
1682
1585
1689
Errata du fecond volume de Fuin .
Age 1307. ligne 26. de la Délivrande, effacer
ces mots.
P. 1458. i. 11. qu'il , l. qu'elle.
Fautes à corriger dans ce Livre.
Age 1499. ligne 19. Embrafemens confonde
life ,
embraffemens confondent .
L'dir noté doit regarder la page
1629
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROT
A O UST. 1730.
QUA
COLLIGIT
SPARGITS
Chez
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER , ru
S.Jacques , au Lys d'Or.
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conty
à la defcente du Pont- Neuf, au coin
de la rue de Nevers , à la Croix d'Or.
JEAN DE NULLY , au Palais,
à l'Ecu de France & à la Palme.
M. D C C. X X X.
Avec Approbation & Privilege du Roy
XXX:XXXXXXXXXXX *
L
A VIS.
' ADRESSE generale eft &
Monfieur MOREAU , Commis als
?
1
Mercure vis - à - vis la Comedie Frangoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetez
aux Libraires qui vendent le Mercure,
à Paris , peuvent fe fervir de cette voye
pour les faire tenir,
On prie très-inftamment , quand on adreffe
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
foin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toujours pratiqué , afin d'épargner , à nous
le déplaifir de les rebuter, & à ceux qui
les envoyent celui , non-feulement de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas garde
de copie,
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui ſouhaiteront
avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M, Moreau
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire porter fur
Pheure à la Pofte, ou aux Meffageries qu'on
lui indiquera.
PRIX XXX. SOLS
?
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROT.
AV
A O UST.
1730 .
XXXXXXXX ** X ** X* XXXX
PIECES
FUGITIVES .
en Vers & en Profe.
IDILLE ,
A Madame la Marquife de .
'Etois dans un lieu folitaire
J Azile frais & gracieux ;
L'aimable Reine de Cithere
S'offrit tout à coup 2 mes усих.
Quel éclat ! malgré fa trifteffe ;
Je fus charmé de fes attraits
A ij Climene
1692 MERCURE
DE FRANCE
Climene , de cette Déeffe
On peut voir en vous tous les traits .
Je fentis mon ame engagée ,
A calmer fes vives douleurs :
Quand une Belle eft affligée
Il eft doux d'effuyer fes pleurs.
D'où peuvent naître vas allarmes ,
Lui dis.je , adorable Cypris ?
Vous enchantez le Dieu des Armes;
Vulcain vous auroit - il furpris ?
'Autrefois il ofa s'en plaindre ,
L'Olimpe rit de fon courroux :
Non , vous n'avez plus rien à craindre ,
Il ſçait être commode époux.
Peut- être votre coeur fenfible
Se retrace des maux paffez ;
D'Adonis le deftin terrible ,
Caufe les pleurs que vous verfez.
Malgré la mort qui vous fépare ,
Penferiez-vous encore à lui !
Un
A OUST. 1730. 1693,
Un tel exemple feroit rare ,"
Parmi les Belles d'aujourd'hui.
Quand pour une fimple Mortelle
Votre Fils ofoit ſoupirer,
De ce qu'il vous aimoit moins qu'elle ,
On vous voyoit fouvent pleurer.
En feriez-vous encor jaloufe a
Je fuis fûr de fon changement ;
Dès que Pfiché fut fon épouse ,
Il ceffa d'être fon Amant.
Pour nous guérir d'une foibleffe ,
L'Hymen eſt un puiffant fecours ;
C'est le tombeau de la tendreffe ,
On l'éprouve affez tous les jours.
M
Ce filence doit me furprendre?
Ah ! rendez-vous à mes defirs ;
Belle Venus , daignez m'apprendre ,
Le fujet de tant de foupirs
Tu vois , me dit- elle , une mere
Réduite au plus vif deſeſpoir ;
A iij Mon
1694 MERCURE DE FRANCE
Mon Fils eft parti de Cithere ,
Jurant de ne me plus revoir.
Je viens dans mon impatience.
Tâcher de preffer ſon retour :
Je ne puis fouffrir fon abfence ,
La Beauté languit fans l'Amour.
Tout fert à redoubler ma peine ;
Dès que j'arrive dans ces lieux ,
J'apprens qu'il eft près de Climene ;
L'ingrat ! il brille dans fes yeux.
"
Que cette imprudente Mortelle ,
Redoute mes tranfports jaloux ;
Je fçai me venger ; c'eft fur elle ,
Que doit tomber tout mon courroux
Laiffons un difcours inutile
Je vais la chercher de ce pas :
Sans doute il me fera facile ,
De la connoître à ſes appas.
La Déeffe à ces mots me quitté »
Je cours vers vous avec ardeur ,
La
Á O UST.
1730. 1695
La vengeance qu'elle médite ,
M'infpire une jufte frayeur.
Prévenez -la , belle Climene :
Je veux vous apprendre comment
L'Amour y foufcrira fans peine ,
11 fera de mon fentiment.
Ouvrez à cet Enfant aimable
Votre coeur , daignez l'y cacher ;
Dans cet azile impenetrable ,
Venus n'ira pas le chercher.
D'an Amant fincere & fidele }
'Amour , exauce le fouhait :
Dans ce coeur , pour prix de mon zefe ,
Tâche de graver mon portrait.
Par l'Auteur de PIdille intitulée l'Amour
Exilé , inferée dans le Mercure du mois
de Fanvier 1729.
A iiij TROI
1696 MERCURE DE FRANCE
HHHHHHHXXX:XXXXXXXXXX
TROISIEME LETRE fur le
Livre anoncé fous le titre de la B1-
BLIOTEQUE DES ENFANS ,
les premiers élemens des letres .
Po
ou
Uifque vous le fouhaités , Monfieur ,
en faveur des perfones qui font ufage
du bureau tipografique , j'aurai encore
l'honeur de vous parler de la Biblioteque
des enfans , et de vous doner la fuite des
reflexions & des inftructions préliminalres
fur cet ouvrage. L'auteur qui m'a
confié fon manufcrit , eft d'ailleurs bien
aife de preffentir le gout du public avant
que de l'expofer à l'emplete , et qui pis
eft , à la lecture d'un livre dont il feroit
peut-être peu de cas par la fuite..
Un enfant capable de diftinguer les
couleurs & les objets fans les nomer , peut
en ètre amuſé de bone heure ; il ne s'agit
que du chois des objets qu'on lui préſente
pour le divertir , plutot que pour l'apliquer
d'une maniere nuifible : D'ailleurs
l'enfant fait conoitre fon dégout dès qu'il
le fent ; il ne faut donc jamais le forcer
au jeu ; l'on doit au contraire nourir &
entretenir en lui le defir de badiner avec
des objets inftructifs. Le tout confifte dans
ce point , & la diverfité des objets fervant
& tendant à mème fin , certaines heures
de
A O UST . 1730. 1697
I
de gaiété , de bone humeur , prifes avant
ou après les répas , donent plus de tems
qu'il n'en faut pour ce petit exercice . Des
images , des jetons , des médailles , des
letres ifolées fur des dés , ou fur des cartes à
jouer , ne divertiront pas moins un enfant,
que les vils morceaux d'un vafe caffé , et
autres chofes capables de lui faire du mal
come des bâtons; des couteaux, ou des ci
feaux , qu'on a trop fouvent la dangereuſe
complaifance de lui laiffer entre les mains
Il faut préferer à tous autres jeux l'ufage
& le jeu des letres , parce qu'elles font la
clé des arts-& - des fiences . Un enfant d'artifan
aprend de bone heure le nom des
outils de la boutique de fon pere; un anaṛ
tomiſte done à fon enfant des os & des
têtes de mort pour lui fervir d'amufe
ment et en même tems pour avoir ocafion
de lui montrer de bone heure les
premiers élemens de l'anatomie : ne peuton
pas en faire de même à l'égard des élé
mens des letres? La peinture , la gravure,
la fculpture , la broderie ; & c . pouroient
fournir à l'enfant d'un prince , d'un grand
feigneur , ou d'un home riche , diferens
jeux de letres de diverfes matieres
pres à le divertir & à l''inſtruire .
pro
On pouroit au lieu de cartes ordinaires
avoir des jetons, ou des letres fur une ma
tiere plus folide que cèle des cartes , come
~
Av dess
1698 MERCURE DE FRANCE
des tableaux , des cartons , ou des cartes doubles
& groffieres. On pouroit auffi fe fervir
utilement des fix faces des dés , et les
aranger come les letres des imprimeurs :
faute de dés il fufiroit d'avoir des letres
d'ivoire de buis , ou d'os , dont le noir &
le blancimiteroient l'impreffion ordinaire :
on pouroit faire cela pour un jeune prin
ce ; & le colombier du bureau tipografique
feroit pour lors garni de petits tiroirs
ou caffetins, remplis des letres fimples out
combinées qui fervent à marquer les fons
de la langue en laquelle on voudroit imprimer.
Mais le jeu des cartes achetées
a la livre & marquées de letres , me paroit
auffi fenfible , plus comode , moins
cher , et non moins inftruétif. D'ailleurs
les perfones qui aiment le jeu , ne defaprouveront
pas que les enfans aprenent
de bone heure à manier les cartes , et ceux
qui n'aiment pas le jeu , n'auront point
lieu de craindre qu'un enfant nouri &
élevé dans le jeu des cartes literaires , deviene
par là efclave de la paffion des autres
jeux de cartes. L'enfant n'aime dans
cet exercice que le côté des letres ; le petit
CANDIAC , du moins n'avoit de curiofité
que pour le dos des cartes , dont on luf
prefentoit les poins , ou les figures ; & s'il
n'y avoit rien far le dos des cartes , il les
donoit d'abord pour ètre employées util
lement
A O UST. 1730. 1699
lement au bureau . Le mouvement & le
manîment des cartes done à la main de
l'enfant une adreffe toute particuliere.
cèle
On pouroit encore par l'affemblage &
la combinaiſon des letres , faire un jeu
inftructif; des croix , des figures d'homes,
d'animaux et d'autres objets capables
d'exciter la curiofité & de reveiller l'atention
en variant tout, de tems en tems par
la nouveauté la dépenfe que l'on feroit
pour cela feroit toujours au-deffous de
qu'on fait pour de riches, mais ignorantes
bagateles . On met volontiers une
piftole à un noeud de ruban , ou à un bonet
pour un enfant, auquel on plaint fourvent
un mois d'inftruction : on done fans
neceffité un repas de dix piftoles à cinq
ou fix amis , pendant que l'on refufe a
fon enfant un livre de trente fous : la vanité
dédomageant dans l'un , on croit
Fautre pure perte : oferai -je dire que le
corps obtient le fuperflu , pendant que
l'efprit n'a pas le neceffaire. Cependant fi
Pon trouve cète métode trop chere &
trop pénible , on peut la laiffer à ceux
qui auront plus de bien, plus de patience,
et plus d'envie d'avancer de bone heure
feurs enfans. Il ne faut difputer ici ni des
gouts ni des génies ; mais on peut dire en
general que la faute des éducations manquées
, vient ordinairement des parens &
A vi des
1700 MERCURE DE FRANCE
'des maitres , plutot que des enfans : j'en
apele à l'experience ; chacun critique l'éducation
des enfans de fon voifin , pendant
qu'il s'aveugle fur celle des fiens propres .
On peut d'abord faire aprendre aux enfans
come à des peroquets , à prononcer
les voyeles & les confones ; et
par leur
nomination faire entrer les fons de la lan
gue françoife par l'oreille , avant que de
leur en montrer la figure aux ïeux : on
metra par là en exercice les organes de
la parole , fur tout fi l'on a foin de pro
noncer à haute voix lés fons de notre lan
gue fimples ou compofés. Et fi l'on s'aper
çoit que l'enfant ne prononce pas
facile
ment certaines letres de l'A BC , ou que
par le défaut de fes organes il articulef'une
pour l'autre , ou qu'enfin il ne foit
pas fidele écho , il eft bon pour lors de
repeter fouvent devant lui diftinctement
& à haute voix les fons qu'il ne peut exprimer
; et de ne lui point faire dire les
letres qu'il articulé en la place de cèles
qu'on lui demande : ce qui a fouvent leu ›
dans la prononciation du chè françois &
des letres C , R , G ; Z ; S , &c. Quand un
enfant en parlant prononce mal certaines
letres , et qu'il articule la foible pour la
forte 3 non -feulement il faut le reprendre,
mais il eſt bon encore d'éloigner de lui les
domeftiques qui ont le mème défaut ; fans
qui
A O UST . 1730. 170.1 °
quoi l'enfant rifque de conferver toujours
les prononciations vicieufes que pou
roient lui doner des gouvernantes ou des
valets de chambre..
Y.
e
Des cartes à jouer fans figures,fans poins;
& blanches des deux côtés , feront plaifir
à un enfant de deux ans ; mais s'il y a
des figures , des poins , & des letres , le
plaifir en fera plus grand . On peut donc
prendre des cartes au dos defqueles on
metra d'abord au milieu l'ABC , pour
inftruire & divertir un petit enfant ; l'on
dit au dos & au milieu des cartes , parce
que dans la fuite en fefant travailler au
bureau tipografique , on emploîra le haut -
& le coin ou l'angle du dos des cartes, pour
marquer les abreviations des mots No.
M' , M , M , S ' , S ", 3 ° , &c. ce qui
fait voir la neceffité de cete diftinction . Il
eft mieux de ne pas employer les cartes
à figures, et de choifir feulement les cartes
à poins , fupofé qu'on ne veuille pas en
faire faire exprès de toutes blanches &
petites come cèles des étrenes mignones ;
les poins des cartes peuvent encore fervir
à conter depuis un jufqu'à dix , ce qui
eft beaucoup pour un enfant de deux à
trois ans , puifque des peuples entiers
n'exprimoient , dit- on , les fomes au-delà
de ce nombre qu'en ouvrant plufieurs fois
les mains, Un enfant amufe de bone heure
Par
1702 MERCURE DE FRANCE
par ce jeu de letres , s'y livre avec plaiſir, &
par imitation voyant l'action & l'exemple
des autres il n'en conoit pas la raifon , il
n'y fent aucune peine , et c'eft ce que l'experience
perfuadera mieux que de fimples
raifonemens.
On doit paffer d'un objet à un autre , et
du fimple au compofé : c'eft pourquoi il
ne faut d'abord qu'une letre au milieu
d'une carte , començant par les voyeles
avant que de paffer aux confones , et employant
les grandes letres avant que de
doner les petites. Des cartes avec les letres
donées à deviner , ont l'air d'un jeu plu
tôt que
d'une étude : on comence la premiere
leçon par les cinq voyeles , à caufe
qu'elles font plus faciles à prononcer. On
a , par exemple,un jeu de vint - cinq cartes,
favoir cinq cartes marquées d'un A ; cinq
cartes marquées d'un E ; autant pour
chacune des autres voyeles, J, O, U : après
quoi l'on bat les cartes , on coupe & l'on
fait nomer les letres à l'enfant. Dans la
fuite , pour diminuer le nombre des carres
& rendre la leçon ou le jeu plus utile ,
on marquera cinq cartes chacune avec les
cinq voyeles , favoir les quatre coins avec
A, E , O , V , et le milieu avec Ƒ' , pour
la leçon des cinq voyeles , et l'on tournéra
la carte de l'autre fens quand on vou
dra y montrer les cinq petites voyeles à
côté des grandes, Quand
A O UST . 1730. 1703
Quand l'enfant fait le jeu des cinq voyeles
A , E , 1,0 , V , on y joint une carte
du jeu des confones prifes au hazard entre
cèles qu'il prononce le mieux , fans
s'affervir à l'ordre abecedique : on peut
donc augmenter le jeu en ajoutant la carte
du B , du D , & c. et doner à la confonet
fon nom réel & efectif au lieu du nom
vulgaire , lorfqu'il peut induire en erreur.
Puifqu'on ne done plus les noms
d'Aleph , Beth , & d'Alpha , Beta , &c.
aux caracteres de l'a b c , latin & françois
, l'auteur a cru pouvoir fe fervir des
mots abe ce & abecedique , au lieu des
mots alfabet et alfabetique , afin de
ne pas faire à de petits enfans un mistere
d'une chofe auffi fimple. Après avoir
donc comancé par le jeu des cinq voyeles
A, E ,J , O,U , à caufe de leur prononciation
aifée ; il s'agit de paffer aux confones,
et de leur doner le nom qui leur convient
le mieux , par raport à l'ufage & à
Péfet de ces mèmes letres combinées avec
les autres , d'abord on done un nom pro-
-pre , réel & efectif d'une filabe , à là letre
, fi elle n'eft employée que pour un
fon , ou qu'elle ait un nom particulier ,
et non comun aux autres , come Be , De ,
Fe , He, Le , Me , Ne , Pe , Re , Ve , Ze,
و
c. Il faut donc , à l'exemple des Muficiens
, doner aux letres feules ou combinées
1704 MERCURE DE FRANCE
nées le fon qu'elles exigent & qu'elles reçoivent
, fort ou foible , felon l'endroit
où elles font placées ; affervir les caracteres
aux fons , er non les fons aux caractéres
; continuer de la forte l'ufage des
combinaiſons ; imiter les Muficiens qui
content pour rien l'erreur & le nom de
la note , pourvu que l'on prène le ton ,
et que l'on chante jufte l'intervale dont
il s'agit dans la leçon qu'un écolier aprend
à dechifrer , ou à folfier , pour épeler ,
par exemple , les mots cacus , gigas , & c.
on dira ce , e , cæ ; qu , u , ce ; qus. cæcus;
je, i gi gu , a , ce , gas , gigas , & c .
-
Il femble que l'é muet devroit fervir ,
pour ainfi dire , d'ame aux confones
plutot qu'une autre voyele ; cet e muet
n'eft qu'une émiffion de voix qui foutient
cète confone ; et fans l'apui de cete émiffron
de voix ou e muet , les confones frnales
, ou fuivies d'autres confones , re
fauroient ètre prononcées. La voyele e é- -
tant plus aifée à prononcer & moins mar
quée que les autres , paroit ètre préferable
pour l'élifion néceffaire. En lifant ou épolant
, par exemple , le petit mot flos , l'enfant
qui neconoit que les letres& leur va
leur réele , par leur veritable nom , dira
felon cete métade fe , leo , ce , lefquels
uatre fons aprochent plus du vrai fon
qu mot flos , que les fons fuivans , effe : 25
ella
AOUST.. 1730. 1705
elle , o , effe , de la metode vulgaire , et
pour lire le grand mot flabellifer , l'enfant.
qui ne conoit que les letres & leur valeur
réele , par leur veritable nom , dira felon
cete metode fe , le , a , be , le , le , i ,fe, re,
lesquels neuf fons aprochent bien plus du
vrai fon du mot flabellifer, que les fons
fuivans , effe , elle , a , be , e , elle elle , i
effe , e, erre. On laiffe à l'oreille du lec
teur équitable à decider laquelle des deux
manieres d'apeler les letres , rend plus facilement
, et immediatement le fon de flos
& de flabellifer. Dans la premiere metode
en nomant les letres rapidement on lit ,
dans la derniere , on a beau les apeler tres
vite , on eft obligé de fuprimer une partie
des letres & des filabes inutiles dans les
noms faux & vulgaires des letres pour
avoir le veritable fon , cherché , deviné
ou dechifré par tradition & par routine ,
plutot que par des principes qui le produifent.
L'auteur cependant fe fert de l'é
fermé pour nomer les letres en latin, quoiqu'il
fache qu'il feroit beaucoup mieux de
n'employer que l'e muet,ainsi qu'il le fera
faire en françois ; mais les latins ne conoiffoient
pas expreffément l'ufage de l'e
muet ; il femble meme qu'il aproche fort
de la voyele françoife en ou de l'e muet
foutenu ; on s'eft donc éloigné le moins
qu'il a été poffiblo de la métode vulgaire
lorfque
1
1706 MERCURE DE FRANCË
lorfque l'on a pu s'en fervir par raport aur
but principal de faciliter la lecture aux enfans
. Quoique la prononciation de la langue
latine foit morte,on ne peut pas douter
qu'ele n'ût des e diferens & plus ou
verts les uns que les autres.
Lorfqu'un enfant eft ferme fur l'A , B,
C, des grandes letres de la premiere , de
la fegonde & de la troifieme leçon du lìvre
de l'enfant, il aprendra presque de lui
mème les petites letres fi on les ajoutefur
les mêmes cartes à coté des grandes ; come
Aa , Bb , & c , de la quatriéme leçon ;
après quoi on lui montrera feparément
les petites letres de la cinquiéme leçon , le
tout , peu à peu , fans impatience , en badinant
& prenant le bon moment de
l'enfant . Pour faciliter ce petit exercice ,
on peut fe fervir des memes cartes dont
on a joué pour les grandes letres ou capitales
; un enfant voit avec plaifir écrire
le petit a à coté du grand 4 : & ainfi
de toutes les letres : il afectione les cartes
qu'il voit preparer pour lui ; la foibleffe ,
fa legereté & la vivacité d'un enfant de
deux à trois ans , ne permetent pas de
lui montrer les letres dans les livres des
A , B , C, ordinaires ; les letres en font
ordinairement trop petites , trop ferées &
en trop grande quantité dans la meme
page ; c'est pourquoi l'auteur a fait remarquer
AOUST. 1730. 1707
marquer qu'on metoit fouvent un enfant
trop tard à l'A , B , C , et trop tôt fur
les livres ; un enfant eft pour lors plus
embaraffé qu'un home qui vèroit une
grande page remplie de petits caracteres
inconus , arabes ou chinois.
L'on peut avoir des A, B , C , en noir ,
en rouge , en bleu & en autant de couleurs
que l'on voudra , cete diverfité eſt
toujours à l'avantage de l'enfant : on peut
les employer indiferament au comancement
; mais dans la fuite les letres noires
& les rouges , ferviront pour diftinguer
le romain & l'italique , le latin & le
françois , dans la compofition à faire au
bureau tipografique.
Quand l'enfant eft affuré fur toutes les
letres , l'on peut avoir un a , b , c , capital
fur un carton , fur de la toile cirée ou
non cirée , fur des ardoifes , fur un tableau
, fur un placard , fur un écran , fur
an éventail , für des canevas , & c . felon
le lieu , la faifon , les perfones & les facilités
que l'on a pour cet exercice : mais
le jeu des cartes marquées d'une letre
l'emporte fur tous les autres jeux. L'on
peut placarder des Aa , B'b , &c. à
la hauteur de l'enfant , deriere ou devant
certaines portes où il paffe & repaffe
, le tout felon la fituation de fon
apartement ou de ceux qu'il parcourt ; ce
que
1708 MERCURE DE FRANCE
"
que l'on obfervera également pour les combinaifons
du'ab , eb , ib , ob , ub , & c. ba,
be , bi , bo , bu , & c. bla , ble , bli , blo ,
blu , &c. bra , bre , bri , bro , brú , & c.
l'on peut
écrire en gros caracteres
ou faire imprimer fur de grandes feuilles
2 pouvoir coler fur des cartes , des cartons
, ou dans des quadres propres à orner
la chambre de l'enfant.
que
A mesure que le jeu de cartes dont on
joue avec l'enfant groffit d'un côté , on
le diminue de l'autre , en ne laiffant
qu'une ou deux cartes de la meme letre,
juſqu'à ce que l'A , B, C , foit reduït
à une feule carte pour chaque letre fimple
ou double , grande ou petite , &c. Les
cartes retranchées du gros jeu fervent à
un autre joueur ; car l'enfant liroit dix a,
b, c , de fuite prefentés par dix perfones
plus volontiers & avec plus de plaiſir
qu'il n'en liroit trois prefentés par le
meme joueur. Un enfant's'imagine enfuite
que chacun a für foi de pareils jeux ,
et les demande avec importunité ; c'eft
pourquoi on fe les prere à l'infçu de l'enfant.
On done auffi les letres à deviner
aux perfones prefentes , qui voulant bien
fe prêter au badinage inftructif , afectent
de mal nomer les lètres; l'enfant triomfe
de pouvoir reprendre , car la vanité precede
la parole , et l'on doit metre tour à
profit.
AOUST. 1730. 1709 .
profit. Pour augmenter le jeu des cartes
de l'A , B , C , on poura y ajouter le jeu
des petites letres , et comancer par celes
qui ont prefque la meme forme & figure
que leurs capitales ; par exemple , Cc ,
Ĵj , Kk , Pp , SS , Vv , Yy , Zz ,
&c. et paffer enfuite aux autres letres , fans
s'affervir à l'ordre abecedique.
Si le public goutoit cète metode , on
pouroit avoir des A, B, C, fur des jetons,
fur des fiches à jouer , fur des dés , tant
pour les fons que pour les lètresson pouroit
mème faire des jeux.come ceus de l'oie , de
la chouete , des dames , & c. chacun peut,
felan fon gout & fon imagination , faire
mieux que ce que l'auteur propofe , obfervant
toujours de varier & de confulter
auffi le gout de l'enfant , fon inclination
& fon plaifir , qui font dans un fens la
baze de ce petit fifteme. Ceux qui voudront
fe fervir de cete metode dans les
maifons particulieres doivent avoir les
letres de l'A , B , C , imprimées ou écrites.
On en peut découper & les coler
fur des cartes à jouer qu'on achete à la
livre. Mais come tout le monde n'a pas
ocafion de trouver ou de faire de femblables
caracteres , il feroit beaucoup mieux.
que les imprimeurs ou les cartiers en
vouluffent acomoder le public , n'employant
pour cela que les cartes ou les
cartons
1710 MERCURE DE FRANCE
cartons de rebut. En atendant l'introduction
de cet ufage , et que l'on goute la
metode propofee , on peut s'adreffer aux
religieux qui ont des A , B , C , à jour
fur des plaques de cuivre. On trouve
encore de ces caracteres à jour dans les
églifes catedrales ou collegiales des provinces.
Le plus court fera d'en faire acheter
à Paris chés les ouvriers qui en font,
alors il fera aifé de faire imprimer tout
de fuite vint ou trente A , B , C , imprimant
vint & trente A , fur autant de
cartes rangées fur une table ; enfuite vint
ou trente B , & tout l'A, B , C , de la
meme maniere. Un domeftique peut être
d'abord mis au fait de cète petite imprimerie
; et cete ocupation , aux ïeux de l'enfant
produira autant de bien que produifent
ordinairement de mal l'oifiveté ,
les mauvais difcours & les mauvais exemples
des perfones chargées de l'enfant.
و
On pouroit fe fervir utilement de cète
metode dans les petites écoles où l'on n'envoie
bien fouvent les enfins que pour y etre
affis & en etre debaraffé lorfqu'on veut
etre libre chés foi , ou pouvoir aler perdre
ailleurs fon tems & fon argent. Si l'on
vouloit donc fuivre ou effaïer cète metode
dans les écoles , il faudroit metre entre'
les mains des enfans plufieurs jeux de cartes
ou de cartons literaires , & l'on pouroit
doner
AOUST. 1730. 1711
doner leçon à plufieurs enfans à la fois ,
ce qui exciteroit , & entretiendroit parmi
eux une noble émulation literaire . Les
écoles de petites filles que tienent les dames
religieufes, pouroient auffi mieux que
perfone faire l'effai de cete metode. Ou
tre les jeux de cartes , marquées de letres ,
ces dames pouroient avoir des A, B , C ,
des ab , eb , ib , ob , ub , &c. ba , be , bi
bo , bu , &c. fur des cartons ou fur des tableaux
exprès , que l'on montreroit aux
enfans come des curiofités. Une leçon publique,
et la démonftration des letres & des
fons de la langue françoife , feroit plus
agréable ou moins ennuyeufe pour la regente,
et mème pour les écolieres ; les murailles
de l'école doivent être le livre public
où les enfans trouveront les élémens ,
des letres , en atendant qu'ils foient en
état de fe fervir d'un livre tel que l'au-,
teur le propoſe , et qu'il a tâché de faire
exprès.Si les perfones zelées & charitables
qui dirigent les écoles des pauvres , n'étoient
pas fi efclaves des métodes vulgaires
, il feroit aifé de leur faire voir combien
il y auroit à gagner en fuivant la mérode
propofée ici .
Lorfqu'un enfant prend gour à l'exercice
du jeu abecedique , il faut lui doner,
une caffete habillée ou couverte de letres
dans laquelle il puiffe tenir les jeux de
carte s
1712 MERCURE DE FRANCE
cartes qu'on lui fait & qu'on lui done ;"
il eft bien-aife d'avoir la proprieté des
chofes , et la crainte d'être privé de ce petit
meuble peut fervir quelquefois à r'animer
le gout literaire. Cete caffete a paru
neceffaire , et l'on a cru pouvoir en faire
fervir les faces aux leçons de l'enfant.:
c'eft-là fon premier livre , ou du moins
c'en font les premieres pages. Si l'on s'amufe
avec des écrans & des éventails .
pourquoi des enfans ne s'amuferoient - ils
pas avec cète caffete ? Ils ont en petit le
mélange de toutes les paffions ; on doit les
étudier , les tourner à leur avantage , &
metre les enfans en état de montrer les
letres à leurs petits freres ou petites foeurs
s'ils en ont , come a fait le petit Goffard ,
cité dans la letre inferée dans le Mercure
de Juillet 1730. Rien n'anime tant un enfant
que de fe voir des écoliers. Le petit
Candiac montroit à lire à des enfans deux
fois plus agés que lui .
Il faudra auffi doner à l'enfant un petit
bureau come ceux de la Pofte , fur lequel
il puiffe ranger toutes les letres qu'il tirera
de la caffeté , & qu'il nomera plufieurs
fois , en continuant feul ce badinage ,
meme avec encor plus de plaifir s'il y a
quelque fpectateur qui applaudiffe & qui
done du courage . Par le moyen de ce bureau
, on peut épargner aux enfans des
princes
AOUST. 1730. 1713
princes , et des grans feigneurs bien de la
peine , bien du dégout & bien du tems ,
en fefant travailler au bureau du PRINCE &
devant LUI , quelque digne enfant drelé
pour cet inftructif & amulant exercice .
L'auteur donera fur tous les fons, quelques
exemples de la maniere dont on doit
faire apeler les letres en commençant à
compofer , à imprimer & à lire, felon cete
metode . Car dès le premier jour de l'exercice
, on peut faire l'un & l'autre . On donera
des exemples faits exprès à l'égard
des lètres dont on a un peu changé le
nom , en faveur du fon & de la valeur
réelle & efective des caracteres ; et c'eft
pour cela que l'auteur a compofé des lignes
de quelques mots latins ou arbitraires,
moins foumis aux règles ordinaires de
la lecture ; car d'ailleurs il n'eft prefque
pas neceflaire d'épeler , quand on fuit la
metode des fons exprimés par une filabe ,
qui réponde au veritable fon local des letres
& des caracteres fimples & doubles .
Nous aprenons à parler machinalement
par l'articulation & par la converfation ,
mais pour la lecture & l'écriture , il faut
quelque chofe de plus , c'eft un art qu'on
peut & qu'on doit perfectioner en tâchant
de le rendre plus aifé , plus agréable
& plus utile. Cet art eft la clé des
fiences , qui font le bonheur de toutes
B
log
1714 MERCURE DE FRANCE
les nations policées , et c'eft en vue de l'utilité
publique , que l'auteur done l'heureux
effai de cete metode. Il eft prefque
impoffible de montrer à lire par principes
, il y a trop de bizarerie dans l'ufage
des letres, et encore plus dans l'ortografe.
On eft donc réduit à la routine , mais il
ne s'enfuit pas qu'on ne la puiffe rectifier
en donantune métode pour tout ce qui en
eft fufceptible , et réduifant aux princi
pes tout ce qui peut abreger & perfectioner
l'art de montrer les letres aux petits
enfans. On fe ate de l'avoir fait
d'une maniere heureufe & facile , en forte
que les plus grandes dificultés , et prefque
toutes les bizareries de l'ufage fe trouvent
& s'aprenent tres facilement par
l'exercice ou par la pratique des principes
qu'on a donés pour l'ufage du bureau
tipografique.
On ne fauroit, au refte, trop recomander
aux perfones qui montrent les letres aux
enfans, de les faire paffer peu à peu & par
degrés aux filabes les plus dificiles , ce
qui eft , je penfe , une fuite de la vraie metode
de montrer à lire , néanmoins outre
le livre ordinaire , on en doit de tems en
tems prefenter d'autres aus enfans , leur
faire dire les letres , les filabes & les mots
â l'ouverture du livre , et ne pas imiter
seux qui ne favent lire que dans un livre ,
preuve
A O UST. 1730. 1715
preuve de la pure routine & de la mémoire
locale qui font toute la fience d'un
enfant mal montré.
-
Un autre exercice agréable & inftructif
c'eft de faire deviner à un enfant la premiere
letre de chaque mot qu'on lui dit
à haute voix ; et enfuite la fegonde , la
troifiéme , et les autres letres de chaque
filabe des mots , fur tout les confones
initiales , C , G , J , S , T, V , X , Y, Z ,
&c. on en a fait l'experience fur un enfant
de trois ans & trois mois , il n'en
manquoit pas une des initiales , et devinoit
facilement les autres dans de petits
mots. Il faut cependant remarquer
que les voyeles étant plus fenfibles que les
confones , elles font auffi plus aifées à deviner
; c'eft pourquoi l'enfant de trois ans
qui conoit bien les letres , fi on lui demande
, par exemple , la premiere letre
ou le premier fon d'un des mots bale
vile , fote , lune , &c dira que c'eft l'a , l'i ,
l'o , ou l'u. Ces confones initiales font peu
d'impreffion fur les organes de l'enfant ;
la cadence & la tenue en fait de muſique ,
la quantité grammaticale , ou la durée du
fon , ne tombent que fur le fon des voyeles
, & non fur celui des confones : il faut
donc montrer à l'enfant l'art de trouver
la confone , après qu'il a fu trouver la
voyele , et pour cela il fufit de lui apren-
Bij dre
>
1716 MERCURE DE FRANCE
dre à fubftituer la voyele e à la place de
l'autre voyele devinée ,, par exemple ,
changeant en e l'a du mot bale , on dira bele,
et l'enfant fent pour lors la filabe initiale
be , ou le nom doné au caractere b . Cela
eft fi vrai , que fi l'on demande à l'enfant
la premiere letre d'un des mots benir, ceci ,
denier , fenètre , qualité , &c . il répondra
fans hefter que c'eft le be , le ce , le de ,
Le fe,le ka & c. & il eft bon de remarquer ici
l'utilité des noms Ceke , feja , He , Gega,
Ve , &c. donez aux letres C , J , H , G ,
V , puifque c'eft à l'aide de ces dénominations
que l'enfant aprend à diftinguer &
à défigner le fon des letres & des mots
qu'on lui prononce : c'est donc par le
moyen de la voyele auxiliaire ou empruntéc
l'enfant
que
aquerra dans peu la facilité
de deviner également les confones &
les voyeles ; cela paroitra clair & démontré
par la pratique de cète métode qui enfeigne
en peu de tems l'ortografe de l'oreille
ou des fons , en atendant cele des
ïeux , ou de l'ufage .
Avant l'age de trois ans & demi le petit
CANDIAC favoit diftinguer & dicter
tous les fons des mots qu'on lui prononçoit
en latin ou en françois , aïant aquis
P'ortografe des fons avec la parole ; ce
qu'il n'auroit pas fait s'il n'avoit jamais û
que des ABC ordinaires , et qu'il ût apelé
les
AOUST . 1730. 1717
les confones f, g , h , j , l , m , n , r , f, v ,
x, y , z, &c. du nom vulgaire de plufieurs
filabes , nom qui induit en erreur , qui
éloigne du bon & vrai fon , et qui en
fournit un faux ou captieux pour la fubftitution
neceffaire dans l'art d'épeler : par
exemple, dans le mot cacumen , la routine
ordinaire dit , fe , a , ka ; fe , u , qu , cacu;
lieuque
au
feemme
, e , enne , men , cacumen ;
la métode de l'auteur l'on dira ka , a , ka;
qu , u , qu ; cacu , me , e , men ; cacumen ,
&c. Il n'y a point d'oreille qui ne ſente
en dépit des feux , la fuperiorité de cète
métode fur la métode vulgaire , on le
fera voir plus au long en montrant à lire
du latin & du françois,
Pour imprimer cet ABC , on croit qu'il
fera bon d'y metre des filabes & des mots
latins fans fuite ni fens , plutot que de
faire imprimer en filabes disjointes ou divifées
les mots des prieres que l'enfant
n'entend point & qu'il retient ailément ,
fur tout s'il récite déja les mèmes prieres
foir & matin. Les maitres , les parens &
les enfans en font les dupes , quoique
d'une maniere diferente. Cependant pour
confacrer les prémices du favoir de l'enfant
, on poura imprimer les prieres latines
après quelques pages de filabes choifies
exprès,pour faire lire peu à peu & par
degrés les principales dificultés des mots
B iij
ou
1718 MERCURE DE FRANCE
ou des filabes . Aïant imprimé des monofilabes
féparés les uns des autres , il ne
fera pas enfuite neceffaire de féparer ainſi
les filabes du Pater , de l'Ave & du Credo,
&c. come on le fait peut-être mal- à - propos
dans les livres ordinaires des ABC.
La priere eft un exercice fi férieux & fi
néceffaire , qu'on ne fauroit trop tôt y
acoutumer les enfans ; mais par respect
pour la priere mème , on ne devroit pas
d'abord les metre à cète lecture , de crainte
de trop de routine , et de pure articulation
: il feroit donc mieux après l'A
BC françois de faire imprimer en deux
colones les prieres en latin & en françois
afin que l'enfant les comprit plutot les
lifant & les récitant en chaque langue..
Vers Phaleuques de M. de la Monnoye
avec la Traduction par M. d'Hautefeuille.
CULEX LICORIDEM PUNGENS
Nuper fub viridi Licoris umbra
Senam dum legit , occupante fomno ,
Molli cefpite fufa dormiebat.
Preffo tunc Zephirus filebat ore ,
Una totus & hortus filebat ; -
Tantum
A O UST. 1730. 1719
Tantum proxima garriebat unda
Grato murmure , fed minus loquaci ;
Cùm circum volitans & huc & illuc ,
Dum quærit violas Culex , rofafque ,
Os Licoridis involare coepit ,
Et tum feratus incidere flori ,
Fallebat fi quidem venuftiorum
Ćertans purpura purpura rofarum ,
Dulcem fedulus ebibebat auram.
Infixa tamen ultiùs beatum
Dum probofcide colligit faporem
Expergifcitur ilicet puella ,
Teftata applicata manu dolorem .
At fuavi interea fruens rapina
Volucris fugit improba , & jocofo
Applaudit fibi per vireta bumba.
Tu ne id ergo fcelus feres , Cupido ,
Impune , ut culicis minuta cufpis
Turbarit Dominæ meæ quietem
Quàm turbare tuæ faci tuifque
Negatum fuit hactenus fagittis .
UN MOUCHERON QUI PIQUE
LYCORIS:
Sous un ombrage verd , Lycoris en lifant
Surpriſe l'autre jour d'un fommeil ſéduiſant
Dermoit fur un Gazon mollement étenduë ;
B iiij.
L'ha1720
MERCURE DE FRANCE
L'haleine du Zephir n'étoit plus entenduë ;
Tout fembloit par refpect fe taire dans ces lieux;
Un feul ruiffeau voifin , de fon bruit gracieux ,
Mais moins fort , y berçoit la belle ;
Quand un fin Moucheron butinant autour d'elle
Vint s'affoir fur fa bouche , attiré par l'odeur
Et le Corail que donne une nouvelle fleur
Croyant jouir alors de la plus raviffante ;
Car la bouche de Licoris
>
N'avoit pas moins d'éclat que la rofe naiffante
De fa méprife heureuſe il goutoit tout le prix.
Mais de ce divin fuc cruellement avide ;
Au moment qu'il fe fert d'un aiguillon perfide ,
La Belle tout à coup au fentiment du mal
S'éveille , y met la main , & voit fuir l'animal ;
Qui , joüiffant encor de fon aimable proye ,
Par un bourdonnement malin & plein de joye
S'applaudit & fe perd entre les arbriffeaux.
Venge ce crime , Amour ; pour furcroît à mes
maux ,
Faut-il que tous tes traits & toute ma tendreffe
Soient toujours impuiſſans, tandis qu'un éguillon
Tel que celui d'un Moucheron
Sçait mieux troubler que toi le coeur de ma Maitreffe.
REA
O U S T. 1730. 1721
XXXX :XXXXXXXXXX *
REPONSE aux Reflexions fur une
Thefe foutenue dans les Ecoles de Medecine
de Paris , concernant la qualité de
l'Eau de vie , inferées dans le Mercure
de France du mois de May 1730. page
868 .
J
E vous avouë , Monfieur , que j'ai été
extrêmement furpris de voir une perfonne
qui fait profeffion de la Medecine
fe déclarer contre M. le Hoc en faveur de
l'Eau de vie. Ce nom fpecieux n'en impofe
pas d'ordinaire , je ne dis pas aux
gens du métier , qui trouvent dans les
principes & dans les experiences dont leurs
livres font remplis des preuves des effets
funeftes de cette liqueur , mais même à
ceux qu'un jugement fain met en état de
profiter des évenemens qui ſe préſentent
tous les jours , & je me flatte que par des
raifonnemens fimples & àla portée de tout
le monde , je confirmerai dans leur fentiment
ceux qui ont la prudence de s'abftenir
de l'Eau de vie , & que je perfuaderai
du danger de cette liqueur ceux à qui elle
n'a pas encore alteré la raiſon .
Tout le monde fçait que l'Eau de vie
eft un extrait des parties fpiritueufes du
B. v vin
1722 MERCURE DE FRANCE
vin , d'où je conclus qu'elle en renferme
les qualités avec d'autant plus d'energie
que les principes font reunis fous un moindre
volume. Voyons donc les effets du
vin , & nous ferons à portée de connoître
ceux de l'Eau de vie.
Le vin , dit Fernel ( a ) rend le poulx
grand , fort , vîte & fréquent : à force de
s'en fervir fans ménagement , il le rend
inégal & dereglé; fa force (b)n'ayant pû être
domptée par le ventricule , fe répand par
tout le corps , il le fecoue tout entier
principalement le coeur & le cerveau ; il
attaque les nerfs ( c) & les membranes (d)
& devient une caufe de la goute ; enfin
il corrompt la maffe du fang , & cette
corruption fe communique au foye.

Le Critique aura de la peine à établir
fes experiences fur les débris de celles de
Fernel ; cependant jufqu'à ce qu'il l'ait fait,
je crois que celles de Fernel pafferont pour
conftantes ; mais comme dans les endroits
cités ce grand homme parle plus en Medecin
qu'en Philofophe , je vais tâcher de
rendre raifon de ce qu'il remarque.
Le vin étant compofé d'un foufre volatil
, & par conféquent capable d'une ex-
( a ) Pathol. Liv. 3. c. 4º
( b ) Ibid. Liv. I. c. 14.
( c ) Ibid. Liv , 6. c 18.
(d) Ibid. Liv. 6. c.41
panfion
A O UST. 1730. 1723
sanfion très confiderable , ne peut le mêler
au fang fans le rarefter très confiderablement
; donc le coeur en recevra une
plus grande quantité , donc le poulx de
viendra plus grand ; il deviendra plus
fort , puifque le fang fera plus d'effort
contre les parois de l'artere ; il fera vîte ,
parceque les fouffres du vin fe changent
facilement en efprits , & augmentent par
une fuite neceffaire le mouvement fiftaltique
des fibres ; il fera fréquent , parceque
la fréquence du poulx eft en raifon
compofée de la quantité du fang & des
efprits .
Sans décompofer les principes du vin ;
en voila plus qu'il n'en faut pour produire
les deux effets qu'apprehende M. Le Hoc,
fçavoir l'eretifme des fibres & l'épaiffiffe
ment des liqueurs .
Preuve de la premiere Propofition.
De ce que les ofcillations des fibres
augmentent à proportion de la viteffe de
la circulation , je concluerai qu'elles chaf--
feront de leurs pores ce mucilage limphatique
qui leur donne de la foupleffe ,
en même tems qu'il augmenté leur diamerre
; donc les fibres s'amaigriront , fe
fronceront , fe racorniront ; les bons effets
même de l'Eau de vie dans les fincopes ;
Bvj les
1724 MERCURE DE FRANCE
les affections foporeufes , les engourdiffe,
mens ne viennent- ils pas de l'irritation
des fibres , dont le reffort augmenté chaffe,
& rend à la circulation les humeurs qui
s'arrêtent dans les parties ? donc les fibres
fe crepent par l'ufage de l'Eau de vie. De
plus, que peut-on conclure des bons effets
de l'Eau de vie dans ces maladies , fi ce
n'eft qu'on peut s'en fervir comme d'un
remede ? & ne fçait- on pas que les remedes
n'agiffent qu'en faifant violence à la
nature ? delà vient qu'Hipocrate les appelle
des poifons , Pharmaca funt venena.
و
Preuve de la feconde Propofition .
Mais la circulation ne peut être plus
promte que les liqueurs ne foient plus
divifées ; donc la tranfpiration augmentera
, le fang fera dépouillé d'une partie
de fa ferofité , les globules qui le compofent
fe raprocheront ; donc il s'épaiffira .
. Combien de maladies ne produira pas
la compilation de ces deux caufes ? delà
le dereglement & l'inegalité du poulx
fuite neceffaire de l'inegalité du tiffu des
parties dont le fang eft compofé : delà cette
chaleur qui fe répand par tout le corps ,
ces fecouffes que reçoivent le coeur , les
nerfs , le cerveau ; en un mot , toutes les
fibres delà ces obftructions du foye qui y
caufent
:
AOUST. 1730. 1725
cauſent la corruption , & qui font fi fou
vent fuivies de l'hydropifie : delà l'interruption
de la circulation dans les glandes
finoviales , où la partie fibreuſe du fang ,
arrêtée , faute d'un vehicule füffifant , féjourne
, & s'épaiffiffant , forme ce tuf , ce
gipfe qui produit les nodofités & des
douleurs des gouteux : delà des engourdiffemens
, des ftupeurs , des affoupiffemens
, avantcoureurs de l'apoplexie : delà
cette hebetation de l'efprit qui rabaiſſe
l'homme à la condition des Quadrupedes.
Si nous penetrons à prefent dans le tiffu
-
des principes du vin , avec quel avantage
n'en établirons nous pas le danger le
fouffre volatil eft-il rien autre choſe qu'un
acide concentré avec un peu de terre &
de phlegme ? acide que la circulation ne
peut manquer de déveloper , & qui ne
peut que coaguler le fang.
Mais , dit le Critique , cette partie fpiritueufe
ne féjourne pas longtems dans les
vaiffeaux ; elle s'exhale promtement par
les pores de la peau .
C'eft ici que j'en appellerois fans crainte
à l'experience de tout le monde ; le con
traire n'arrive- t - il pas tous les jours ? la
foif, la bouche pâteufe , le gout defagréa
ble que l'on a le lendemain d'une débauche
, font- ce des preuves de la prompte
diffipation de ce poifon igné que l'on a
fait
126 MERCURE DE FRANCE
fait couler dans fes veines ? mais accordons
encore au Critique fa propofition ,
& qu'il ait la bonté de me fatisfaire fur
deux points. Je dis d'abord que fi le volatile
du vin féjourne peu dans les vaiſfeaux
, il ne peut produire qu'un effet peu
fenfible ; donc fi les vieillards & les gens
de travail veulent en tirer quelque utilité ,
il faut qu'ils en uſent fréquemment ; c'eft
ce queje ne crois pas que le Critique accorde.
En fecond lieu , je demande , ſuppofant
la verité de nos principes , s'il
voudroit le mettre dans le rifque d'ufer
d'un mauvais remede ou d'un aliment
dangereux fous prétexte qu'il n'agit que
peu fur le corps . S'il eft de cet avis , je crois
qu'il n'aura pas beaucoup de partifans.
Mais , continue-t- il , de ce que l'efprit
de vin coagule les liqueurs hors du corps,
s'enfuit- il , comme M. Le Hoc le préténd,
que pris interieurement il doive faire le
même effet ? l'agilité , la hardieffe , le courage
de ceux qui en ufent prouvent - elles
le ralentiffement , l'épaiffiffement des li ---
queurs .
Il feroit ridicule à M. Le Hoc de con--
clure tellement de l'un à l'autre , qu'il
voulut que tout fut égal dans deux cas
totalement differens. Les liqueurs tirées
des vaiffeaux n'ont plus de mouvement
progreffif , de mouvement de trituration ;
par
A O UST. 1730. 1727
par conféquent la force du poifon n'eft
plus contrebalancée , comme lorfqu'on le
fait prendre à un animal vivant. Tout ce
qu'on doit conclure des Obfervations de
M. Le Hoc , & ce qui fait merveilleuſement
pour lui , c'eft qu'il ne faut rien
moins qu'un mouvement continuel &
violent des liqueurs pour les garantir de la
promte coagulation qu'en font les fouffres
du vin.
L'agilité , la hardieffe & c. ne prouvent
certainement pas l'épaiffiffement des li
queurs ; mais quand elles font produites
par des fouffres volatils , n'en font- elles
pas fuivies c'eft ce que M. Le Hoc niera ,
& avec raifon , tant que nos principes fubfifteront.
L'Objection du Critique tirée de l'a
vantage qui revient de l'ufage de l'Eau de
vie aux vieillards & à ceux qui font un
violent exercice du corps , ne prouve pas
davantage contre M. Le Hoc . Je demanderai
d'abord fi ceux de ces Ouvriers qui
ne boivent que de l'eau ont moins de force
2 S'il oferoit affurer que l'ufage de l'Eau
de vie ne leur nuit pas à la longue. 3 °
Je dirai qu'il ne conclura rien d'une exception
à une regle generale. Il ne faut
pas donner à la propofition de M. Le Hoc
une extenfion qu'elle n'a Dire qu'il
n'y ait point de cas , point de perfonnes
pas.
1728 MERCURE DE FRANCE
qui un ufage moderé de l'Eau de vie
ne puiffe être avantageux , ce feroit avancer
une propofition auffi contraire à la
raifon & à l'experience , qu'il le feroit de
la permettre à tout le monde . On fçait
que dans la Flandre & dans tous les Pays
où l'on fe fert de biere pour boiffon or
dinaire , les perfonnes les plus fobres en
ufent avec utilité. Les fibres engourdies
par le mucilage épais de la biere ont be
foin d'être reveillées par quelque chofe
d'actif. Mais ce n'eft qu'à raison de cette
fobrieté qu'elles ne fe trouvent pas mal de
l'ufage de l'Eau de vie . Les vieillards font
dans un cas à peu près femblable ; ils
tranfpirent moins que les autres à caufe
de la roideur de leurs fibres qui commencent
à devenir cartilagineufes ; leur fang
eft moins divifé : delà les cattarhes , &c.
d'où il fuit que l'Eau de vie augmentant
le mouvement inteftin du fang , peut leur
être utile. Les gens de travail faifant une
grande diffipation d'efprits ont befoin
d'en reparer promtement la perte ; c'eſt ,
comme nous l'avons remarqué , ce que
fait l'Eau de vie , & ce qui peut leur en
rendre l'ufagé avantageux
.
Le Critique va chercher chicane à M.
Le Hoc fur ce qu'il allegue pour prouver
fon fentiment , que l'efprit de vin injecté
dans la jugulaire d'un chien le fait mounirs
A O UST . 1730. 1729.
rir ; il dit qu'il n'eft queftion que de l'Eau
de vie dans fa propofition ; mais fi l'efprit
de vin n'eft qu'une Eau de vie rectifiée ,
il n'y a pas de doute qu'elle ne doive produire
un effet femblable , quoique moins
promtement. De plus étant prife interieu
rement , elle ne paffe dans le fang que petit
à petit , & fon effet ne peut pas
nir auffi fenfible que par l'injection.
Il s'enfuivroit , ajoûte- t- il encore ,
dans
le fentiment de M. Le Hoc , qu'un homme
devroit mourir fubitement pour boire
de l'Eau de vie , comme les oifeaux en
buvant de l'efprit de vin . Ce raifonnement
ne vaut pas mieux que le précedent par la
même raiſon.
deve..
Je finitai par ces paroles de Sydenham ✈
qui ne s'accorderont pas avec le fentiment
du Critique : Plut à Dieu que l'on s'abftine
totalement de l'Eau de vie , ou qu'on ne s'en
Servit que pour reparerfes forces , & non pour
les éteindre , à moins qu'on ne trouvât plus à
propos d'en interdire entierement l'ufage interieur,
& de la laiffer aux Chirurgiens pour
le panfement des ulceres & des brulures. Dans
le premier cas même il ne veut pas qu'on
l'employe pure ; && ss''iill llee permet dans le
fecond , ce n'eft que pour garantir la partie
affligée de la putrefaction. Et fi , felon
* Cap. 6, fect. 6.
la
1730 MERCURE DE FRANCE
la remarque de Sennert les huiles diftil-
Fees & feches demandent à être mêlées
avec quelque matiere graffe , pour ne pas
durcir la matiere qu'on veut diffoudre ,
à combien plus forte raifon doit - on apprehender
les effets d'une liqueur auffi
fpiritueufe & auffi penetrante que l'Eaur
de vie.
je
Voilà , Monfieur , ce que j'avois à remarquer
fur les Reflexions de M. G. B. . '
n'ai pas crû pouvoir me difpenfer de
combattre fon fentiment qui m'a paru
trop dangereux dans la Pratique ; d'autant
plutôt que la Thefe de M. Le Hoc
ne fera pas vue d'autant de perfonnes que vûë
votre Journal. J'ai l'honneur d'être &c.
A Paris le 9. Juillet 1730. BRUHIER
D'ABLANCOURT , Docteur en Mede
cine.
* Prag. lib. x . part. 11, cap 27. p. 141.”
BOUQUET ,
Envoyé à un jeune Poëte , avec des Tabletes .
Bien ,voudrez - vous accepter mon prefent.
Direz peut-être , Oh le Bouquet plaifant !
Quoi , du Papier ? oui , c'eſt chofe petite ,
Si comparez la valeur au mérite,
Ce
AOUST. 1730 . 1731
Ce don n'eft rien , & fait même pitié ;
Mais il eft grand , offert par l'amitié.
Après tout , Plume , & Papier , & Tabletes ,
Ne font pas meuble inutile aux Poëtes.
Befoin en ont , pour mettre par écrit
Mille impromtus , mille pointes d'efprit.
Pour vous fur tout fera chofe commode ,
En labourant , Sonnet , Epigramme , Ode ,
Soit par la Ville , ou foit emmi les Champs ,
D'avoir Craïon , pour craïonner vos chants-
Seroit grand tort , que faute d'Ecritoire ,
Et par hazard , faute auffi de mémoire ;
Vos vers fi beaux , fi fins , fi bien tournez
Fuffent perdus , auffi - tôt qu'ils fout nez.
,
O l'heureux fort de ces vîles Tabletes !--
Elles feront des Graces les retraites ,
Un vrai Parnaſſe , un précieux féjour ,
Où feront peints les traits du Dieu du jour ;
Et le Berceau de vos nobles penſées ,
Qui fur l'airain un jour feront traceés
Mieux qu'aujourd'hui fur ce Papier volant ,
Combien voudroient , aimant votre talent ,
Se faire Plume , ou Papier , ou Tabletes ,
Pour voir ainfi les chofes que vous faites.
HIURTA UL
LET
1732 MERCURE DE FRANCE
LETTRE écrite de Pezenas , le 11 .
Juillet 1730. à l'Auteur des Reflexions
Sur l'ufage interieur de l'Eau- de-Vie
inferées dans le Mercure du mois de May
de l'année 1730. Contre la Thefe de
M. le Hoc.
Ous
Nficur , à tout ce qui peut s'oppofer à
fommes trop fenfibles , Mon
la confervation de l'homme , pour laiffer
de votre côtê le droit de la queftion pré
fente ; auffi fans craindre d'encourir vos
difgraces , ( vous en étant pris tout le prea
mier à la conclufion & à l'Ouvrage entier
de M. le Hoc ) nous allons nous en
prendre à notre tour à vos Reflexions ,
quelques judicieufes qu'elles paroiffent.
Vous prétendez , contre la conclufion
de la Theſe dont il s'agit , que l'Eau- de-
Vie eft falutaire à l'homme , qu'elle luf
donne de la force, de la vigueur, & prolonge
même la durée de les jours ; vous vous
trompez grandement , & vous en con
viendrez fans peine , fi vous confiderez
que cette Liqueur ne releve d'abord les
forces que pour les abattre peu après ; en
effet l'Eau de vie dans le temps de fon
action fur les organes du corps , réveillant
AOUST . 1730 . 1733
faut toutes les puillances
que
la nature
y
maintient dans une jufte étenduë , les
porte toûjours au - delà ce qui fait que
cette liqueur fpiritueufe ayant cellé d'agir
, ces mêmes puiffances deviennent fanguiffantes
, & fe trouvent alors de beaucoup
plus éloignées de l'état naturel où
elles étoient avant que d'être preffées
d'en fortir . Les bons beuveurs d'Eau de
vie font de très- fideles garants de ce que
nous avançons.
L'effet que cette Liqueur fpiritueufe
produit dans le corps en lui donnant de
fa vigueur & de la force , agit principa
lement en rendant le tiffu des fibres mufculaires
plus compactes , plus robuftes ,
& les muſcles mêmes par confequent plus
puiffants, mais auffi plus rebelles aux caufes
de leur mouvement qu'ils n'ont coûtume
; ce qui arrive à ces fibres en fe procurant
entre elles un contact plus intime
par le jeu de contraction ou de reffort que
les fréquents érethifmes de cette Liqueur
fpiritueule , fur le genre nerveux , follicitent
; cependant l'humide radical ( fi
l'on peut parler ainfi ) ou ce fuc lymphatique
, que la nature a mis à l'entre- deux
des fibrilles & des fibres mêmes , pour
les humecter dans le befoin & conferver
integrité , fe trouve forcé de fortir de
fa place , de prendre de nouvelles routes
&
1734 MERCURE DE FRANCE
& de priver ainfi ces parties d'un ſecours
dont elles ne fçauroient fe paffer , fans que
les caufes d'une longue vie en reffentent
de rudes atteintes. A quelles pertes de
ce fuc lymphatique ne donnent donc pas
lieu ceux qui fe perfuadent de trouver
leur vie dans l'uſage d'une veritable Eau
de mort ? pertes d'autant plus ou moins
confiderables , que l'ufage d'une telle Liqueur
fera plus ou moins moderé ; & delà
vient qu'on aura toûjours droit de dire
que l'Eau de vie , loin d'être falutaire à
l'homme , eft un mortel ennemi qui alfaillit
( malgré l'ancienne prévention de
Les bons effets qui en autorifent l'ufage parmi
les hommes ) les caufes de la vie même.
C'eft ainfi que l'Eau de vie tariffant les
fources des liqueurs limphatiques qui donnent
la foupleffe aux fibres , d'où dépend
le rythme des fonctions , racornit les folides
, fous une trompeufe apparence de
rendre le corps vigoureux.
Vous objectez enfuite contre l'Ouvrage
entier de l'Auteur , que l'Eau de vie ne
fçauroit racornir les folides , fondé précilement
fur ce que notre corps étant
percé de millions de manieres , cette Liqueur
fpiritueufe n'y féjourne point affez
long- temps ; à la verité , l'objection paroît
jufte du premier abord , mais dans le fond
elle eft peu folide ; faites un moment d'attention
A O UST . 1730. 1735
tention , qu'il ne faut pour donner lieu
à l'effet mentionné de l'Eau de vie , que
le paffage de cette Liqueur fpiritueule de
dedans en dehors , ce qui ne fe fait point
fans contredit auffi fubitement que vous
l'avez penfé fubtilement .
que
Nous avons quelque raifon de préfumer
maintenant , Monfieur , qu'ayant autant
d'efprit , de bon's fens , & de bonne
foi , qu'il en eft dans les veritables Sçavans
, vous devez être fenfible aux fortes
preuves que nous venons d'alleguer pour
détruire vos Reflexions ; cependant comme
il reste encore à vous convaincre
l'Eau de vie prife par la bouche , coagule
les humeurs , nous prévoyons bien que
pour vous venger entierement de notre
parti , il faut vous faire voir que l'évidence
s'y trouve , ce que vous découvrirez
vous-même aifément en diftinguant
deux temps qui fe fuccedent dans l'ufage
de cette Liqueur ; dès le premier tout le
réveille , tout s'anime dans la machine ,
les refforts ſe bandent & fe débandent ,
fuivant les loix de la réaction ; les folides
ainfi débridez , effarouchez ( s'il eft permis
de parler de la forte ) fouëttent le fang,
le divifent , l'aténuënt , l'affinent , en un
mot augmentent fes mouvemens , & pendant
le temps de cette agitation , lorique
fon vehicule ou ce qui fe trouve naturellement
1736 MERCURE DE FRANCE
lement dans cette Liqueur rouge de plus
liquide, s'eft diffipé (dans le fecond temps)
les parties les plus maffives, les plus groffieres,
s'approchent, fe touchent par des plus
larges furfaces ou par plufieurs points , la
difficulté dans leurs frotemens réciproques
de liquidité augmente , & pour lors
le mouvement fe ralentit , ou pour mieux
le dire le fang s'épaiffit & fe coagule.Après
quoi vous avez tout ſujet de vous écrier.
Helas ! mes propres traits fe tournent contre moi.
Ainfi vous jugez bien , M. , que notre
imprudence n'ira jamais jufqu'à donner
de l'Eau de vie dans le cas où vous voulez
qu'elle convienne , fuivant notre fentiment
; la durée de l'homme nous touche
de trop près , & notre pratique de Medecine
, toute faine qu'elle eft , s'accorde
trop bien avec notre théorie , pour nous
écarter des routes fi connuës .
Au refte , vous nous faites un crime
fur ce que dans les Experiences nous nous
fommes fervis auffi indifferemment de
'Efprit de vin que de l'Eau de vie , mais
fi vous avez bien penfé que ces deux Liqueurs
ne different entre- elles que du plus
ou du moins d'énergie , vous auriez été ,
fans doute, plus indulgent . Peut-être croirez-
vous avoir plus de droit dans cette
ennuyeuſe fuite de confequencesque vous
fçavez
A O UST . 1730. 1737
fçavez tirer favorablement de nos Experiences
? Détrompez -vous , nous ne te
nons de ſemblables raifonnemens qu'autant
qu'une injufte prévention contre notre
fentiment , nous en fait les Auteurs ;
en effet , vous ne fçauriez foutenir avec
un fondement d'équité , que quoique
l'Eau de vie ne tue pas l'homme auffi
promptement que les bêtes , elle doive
paffer pour une Eau falutaire , puifqu'il
eft certain par tout ce que nous venons
d'avancer , qu'on doit regarder très - férieufement
cette Liqueur fpiritueufe dans
l'ufage que l'on en fait , comme un poiſon
lent qui retranche tout doucement du
temps de cette féduifante efperance de
longue vie.
Il eſt aifé de voir maintenant , fuivant
l'effet que l'Eau de vie produit dans tout
le corps , principalement fur la texture
des vifceres de l'eftomac ( par exemple )
du foye , &c. que cette Liqueur fpiritueufe
doit non-feulement nuire confiderablement
à la digeſtion , mais encore avancer
les derniers momens de la vie , foit
en dépravant l'exercice des fonctions , foit
en interceptant ou ralentiffant les coups
des fecretions , d'où fuit le dérangement
de la diatheſe du fang , la confufion & le
trouble dans toute la maffe . Ces Phlogoſes,
ces Duretés fchireufes qui en font ordi-
C nairement
1738 MERCURE DE FRANCE
>
nairement le terme dans ces fortes de cas ,
ces concretions calculeufes ; en un mot
ce nombre prodigieux de maux qui fe
mettent de la partie , reconnoiffent enfemble
la même caufe ; & delà vient qu'on
peut regarder juftement l'ufage interieur
de cette Liqueur fpiritueufe , comme la
fource & l'origine de mille maladies , attribuées
bien fouvent à toutes autres
cauſes rebelles à celui qui les traite & combattuës
par des remedes qui tourmentent,
qui tuent même plutôt qu'ils ne foulagent
ou ne guériffent. Je m'apperçois que
que je vous tiens déja depuis trop longtemps
, & que je fuis dans l'obligation de
mettre fin à ma Lettre ; excufez , Monfieur
, mon indifcretion , le deffein de
trouver la verité , m'a fi fortement occupé
, que m'étant oublié moi-même , je
n'ai pas pris garde que j'abufois de votre
patience dans la lecture d'une fi longue
Lettre, que j'aurois peut-être même pouffé
plus loin , fi le devoir de ma Profeffion
ne m'eût appellé ailleurs ; perfuadé , Monfieur,
que quoique je me fois montré contraire
à vos Reflexions , je ne fuis pas moins
attaché à votre perfonne que j'eftime infiniment
, étant avec toute la confideration
poffible , &c,
G. BARRE'S , Docteur en Medecine de
la Faculté de Montpellier,
AOUST. 1730. 1739
鼎鼎惠
EPITRE
DE
A
** *
Sur le Retour d'un Voyage.
mon départ rétroactif,
Jufqu'à ce moment inclufif,
Voici tout le récitatif ,
Fidele , fincere & naïf.
Plus à vous qu'aux Turcs n'eft Captif,
De vous quitter point trop hâtif,
Par un effort réfolutif ,
Ayant fait le diſpoſitif ,
De mon bagage portatif,
Et pris votre avis décifif ,
Après un dîné nutritif ,
Et notre adieu trifte & plaintif ;
Sur un cheval point trop retif,
Inceffamment en vous penfif ,
J'arrive à Betz d'un pas fort vif,
Sain & fans être maladif,
Fors du derriere un peu paſſif.
Là reçu d'un air affectif,
D'un Prieur gros , gras , fubftantif,
Franc , genereux , habile , actif,
Et d'efprit doux , très attractif ;
Après propos récréatif,
C ij E
(1740 MERCURE DE FRANCE
Et compliment perſuaſif ,
Le tout d'un ton fort expreffif,
Dans fon Jardin auprès d'un If,
J'ai trouvé le préparatif ,
Et le charmant expofitif,
D'un repas dont tout l'oblatif,
Si mieux vous n'aimez le datif,
Ou bien plutôt le donatif ,
Me parut très-excitatif.
Bien ordonné , exquifitif,
Et dont tout Pilluminatif ,
Fut en cire & non pas en fuif.
D'abord, comme homme expeditif ,
D'un couteau mieux que d'un canif,
Ayant coupé fans être oifif,
J'ai mangé comme un franc pouffif;
Puis d'un vin corroboratif,
De boire à vous ne fus tardif,
Et Bacchus étant correctif ,
Du chagrin noir & corrofif,
Que caufe à mon coeur fenfitif ,
Notre Eloignement afflictif,
De fon doux jus confolatif,
J'ai tant pris de confortatif ,
Que plein de ce préſervatif ,
Pour n'aller jufqu'au vomitif,
J'euffe eu befoin d'un lenitif ,
Emoliant & déterfif,
Pour
A O UST. 1730. 174
1
Pour faire en bas tout l'attractif,
Si Monfieur mon gros Pofitif , '
D'un naturel aperitif ,
N'eût par un ample lexatif ,
Fait de tout un prompt expulfif;
Ce qui m'eft un indicatif ,
Certain & fignificatif,
D'un fommeil réfrigeratif ,
Tranquille & très-foporatif.
Ainfi avant mon dormitif ,
Je vais prier Dieu , non en Juif ;
Mais en Chrétien contemplatif,
En pecheur touché jufqu'au vif ;
Qu'il veuille être confervatif ,
De moi , fon enfant adoptif,
Et puis vous affurer en if,
Qu'à votre moindre imperatif ,
Je ferai trés-expeditif,
Sans y jamais être fautif,
Et que mon plus grand optatif ,
Sera d'être à l'infinitif,
Avec privilege exclufif ,
Et fans aucun diminutif ,
Mais plutôt avec adjectif ,
Votre ami le plus effectif ,
Le plus vrai , le plus affectif,
A tous autres fuperlatif ,
Et fans aucun comparatif.
12
Cilj Voulez
1742 MERCURE DE FRANCE
Voulez- vous plus de mots en if?
'Apprenez-m'en le vocatif,
Ou plutôt le nominatif ,
Car j'en ai vuidé mon Tarif ,
Et vous fais humble accuſatif ,
Que plus n'en fuis mémoratif.
L'Abbé L .:
SUITE des Mémoires de M. Capperon
fur Hiftoire de la Ville d'Eu.
D
>
E ces anciens Monumens qui juftifient
l'antiquité de la Ville d'Eu je
palle à un autre qui a du rapport à la Religion
, & qui prouve deux chofes . 1
Que quoiqu'il y eut déja du tems que la
Religion Chrétienne fut établie dans le
Comté d'Eu , le culte des Idoles y fubfiftoit
neanmoins encore publiquement au
7. fiecle. 2° Que les peuples de ce Comté
fuivoient encore alors l'ufage que les fimples
Fideles des premiers fiecles de l'Eglife
s'étoient arrogés de canonifer les perfonnes
, de la fainte vie defquelles ils avoient
été les témoins. Ce Monument eft l'Eglife
du Village de Pont , qui eft proche de la
Ville d'Eu , laquelle fut conftruite par les
habitans de ce Village immédiatement
après
A O UST. 1730. 1743
áprès la mort de ce Saint , en reconnoiffance
de ce qu'il les avoit convertis à la
foy. On en peut voir le détail dans ſa vie
écrite au VIII . fiecle , qui fe trouve inferée
dans les Actes des Saints de l'Ordre de
Saint Benoît XI . fiecle , par D. Luc Dacheri
, où il eft dit que S. Valleri paffant
par un lieu nommé Augufta , fitné fur la
Riviere d'Auve , & fe repofant fur le bord
d'une Fontaine , il apperçut une efpece
d'Idole que les Païfans du lieu adoroient ;
ce Saint l'ayant réduite en pouffiere par
un miracle , ces Païfans entrerent dans
une telle fureur qu'ils voulurent le maffacrer
; mais par un autre miracle plus furprenant
, les ayant calmés tout à coup ,
& rendus dociles à fa voix , il leur annonça
l'Evangile , & les convertit à la foy.
Que ce fait fe foit paffé au Village de
Pont , c'eft ce dont perfonne ne peut douter
, puifque le lieu que l'Auteur nomme
Augufta eft le Village d'Aonfte qui fubfifte
encore aujourd'hui. Que la Riviere alors
nommée Auve , foit la Brefle , tous les
Sçavans en conviennent : on peut voir làdeffus
M. Baillet dans la vie de S. Leu ou
Loup , Archevêque de Sens , & M. Fleuri
dans fon Hiftoire Ecclefiaftique , liv. 37.
nom. 16. On trouve pareillement dans la
vie de ce Saint Archevêque la verité de
ce que j'ai avancé , fçavoir , que le Paga-
Ciiij nifme
1744 MERCURE DE FRANCE
nifme regnoit encore publiquement dans
ce Païs- ci au feptiéme fiecle,puifqu'il y eft
rapporté qu'en 616. S. Loup ayant été envoyé
en exil au Village d'Anfenne qui n'eſt
qu'à quatre lieues de la Ville d'Eu , fur la
même Riviere de Brefle , il y trouva des
Temples où les gens du Pays adoroient
publiquement les faux Dieux , & qu'il
travailla à les convertir.
On connoît auffi , comme je l'ai avancé
, que les habitans du Village de Pont,
convertis par S. Valleri , furent des premiers
à le canonifer , puifque fans qu'au
cune cerémonie folemnelle eut précedé ,
immédiatement aprés fa mort , ils firent
conftruire vers l'an 625. une Egliſe à ſon
honneur, au lieu même où il s'étoit repofé
fur le bord de la Fontaine , qu'ils joignirent
à cette Eglife , la faifant enfermer de
murailles , comme on la voit encore aujourd'hui.
L'Auteur de la Vie de ce Saint
que j'ai cité ci-deffus , le fait clairement
connoître, en difant que quelques perfon
nes paffant par hazard aux environs de
ce Village , une jeune fille fut furpriſe de
voir cette nouvelle Eglife , & d'apprendre
qu'elle eut été bâtie à l'honneur de
celui qu'elle n'avoit vû qu'avec mépris ,
là caufe de fon exterieur negligé , ce qui
lui donna lieu de fe railler de ces Païfans
qui avoient , difoit- elle , été affez fimples
que
A O UST. the
1730 1749
que de prendre pour un Saint celui qu'elle
avoit vû fi ſouvent paffer monté fur fon
afne ;mais la raillerie lui coûta cher , puifqu'au
même inftant elle devint perclufe
de tous les membres; ce qui l'ayant obligée
de recourir à l'interceffion de celui dont
elle s'étoit mocquée , & dans l'Eglife même
qui y avoit donné lieu , elle ne laiffa
pas d'y trouver la guerilon.
Enfin de telle maniere , & en tel tems
que les habitans de la Ville d'Eu ayent
été convertis à la Religion Chrétienne ,.
on peut dire que par une faveur toute finguliere
de la Providence , ils ont été affez
heureux pour conferver cette Religion
dans toute la pureté dans l'enceinte de
leurs murailles , pendant que les villes
voifines ont eu le malheur d'être infectées
de l'herefie de Calvin , -
dès
Auffi donnerent- ils des preuves de leur
attachement à la Religion de leurs Peres
que les funeftes nouveautés du Calvinifme
commencerent à paroître , puif--
qu'en 1562. quelques particuliers ayant
donné des preuves qu'ils entroient dans
ces nouveaux fentimens , la populace alla
avec une espece de fureur piller leurs
maifons , ce qui donna lieu aux Magiftrars
après avoir repriméce foulevement , d'o
bliger ces particuliers à faire une profeffion
publique de leur catholicite , &
Ey decla
1746 MERCURE DE FRANCE
declarer en preſence de tous les habitans
qu'ils vouloient vivre & mourir dans la
Religion Catholique , ce qui rétablit le
calme dans la Ville,y fit une telle impreffion
, & y laiffa une telle horreur pour
l'herefie , qu'aucun Calvinifte ne s'eſt jamais
avifé de s'y établir. Tout ceci fe trouve
écrit plus en détail dans les Archives
de l'Hôtel de Ville , livre rouge , fol 2.
pag. 65 .
Comme le Comté d'Eu eft une portion
de la Neuftrie , que le Roi Charles le
Simple fut contraint. de ceder aux Normans
en toute proprieté, pour faire ceffer
les ravages continuels qu'ils faifoient dans
la France , il me paroît convenable que
je faffe connoître par ce qui s'eft paffé à
la Ville d'Eu , quelle étoit l'intrépidité de
ces hommes du Nord , & combien il
étoit difficile aux François d'expulſer hors
du Royaume des gens de ce caractere.
>
Tout le monde fçait ce qu'étoient ces
Normans habitans les Païs glacés du Nord ,
lefquels , au rapport de Paul Emile , Livre
fecond , s'étant introduits dans les
Troupes de Charlemagne lors de fes expeditions
dans la Saxe , & ayant paffé en
France avec les Troupes de ce Prince , ils
n'eurent pas plutôt gouté la douceur du
climat , vû & connu la beauté & la bonté
du Païs , qu'ils formerent le deffein de
5'7
A O UST. 1730. 1747
s'y établir à quelque prix que ce pût être.
On fçait pareillement qu'avant que
d'y
réuffir , ils firent plufieurs débarquemens
dans differens endroits , pillerent , brulerent
& ravagerent une grande partie du
Royaume , dont le Comté d'Eu ne fe
reffentit pas moins que le refte du Pays ,
fa fituation maritime l'y expofant beaucoup
plus. C'est ce dont on peut juger par
la fameufe Bataille qui fut donnée contre
eux l'an 881. à deux lieuës ou environ de
la Ville d'Eu , fçavoir , à Saucourt , Paroiffe
de Niba , fituée entre cette Ville &
Saint Valleri , où les François vinrent les
attaquer. Le lieu où ces derniers fe pofterent
en porte encore aujourd'hui le
nom , & s'appelle Franleu , c'eſt à dire
le lieu des François , Francorum locus .
و
Tous nos Hiftoriens conviennent qu'ils
y furent défaits & qu'ils y perdirent
neuf à dix mille hommes ; mais parcequ'il
en reftoit encore à la Ville d'Eu qui
tâchoient de fe conferver dans cette Place,
les François , au rapport de Mezerai , dans
fa grande Hiftoire , vinrent les y fieger.
Ne s'y étant pas fuffisamment deffendus,
ils у furent tous maffacrés ; nonobftant
toutes ces pertes , les autres n'abandonnerent
pas leur projet deux ans après ,
ils defcendirent en Picardie , où ils exer
cerent les plus grandes cruautés ; jufques
B vj
1748 MERCURE DE FRANCE
là que M. l'Abbé Fleuri remarque dans
fon Hiftoire Ecclefiaftique Liv. 53. Nom.
654. qu'outre les Eglifes , les Villages &
les autres lieux pillés & brûlés , on voyoit
prefque tous les chemins femés de corps
morts , d'Ecclefiaftiques , de Religieux ,
de Nobles , de femmes & d'enfans.
Enfin , comme je l'ai déja dit , le Roi
Charles le Simple , pour mettre fin à ces
cruelles hoftilités qui défoloient fon
Royaume , ceda en 912. à Racul ou Rollon
, Chef de ces Normans , ce qu'on appelle
aujourd'hui la Normandie , qui eut
pour limites de ce côté- ci la Riviere qui
paffe à la Ville d'Eu , ce qui lui fit changer
de nom , au lieu des noms d'Effua
ou Effia ou Aucia ou enfin Auva qu'elle
avoit portés , elle fut nommée alors Bri
fella , c'eſt à dire , la Brifante , la Séparante,
dit M. de Valois dans fa Notice des Gau
les. ( verbo ) Caletes:
Dans la fuite les François s'étant foulevés
contre le Roi Charles le Simple , &
ce Prince ayant été arrêté & fait prifonnier
à Peronne , les Normans toujours difpofés
au pillage , fous l'apparence de vou
loir prendre les interêrs , commencerent
de nouveau à ravager la France , les Fran
çois de leur part fe mirent auffi en état
de reprimer leur audace : entr'autres , die
Frodoard dans fa Chronique l'an 925.les
Comtes
AO UST. 1730. 1749
Comte Herbert ayant pris avec lui les
Troupes de l'Eglife de Rheims , & ayant
été joint par Arnoul , Comte de Flandres,
& par plufieurs autres Seigneurs François,
ils vinrent fieger la Ville d'Eu qui appartenoit
alors aux Normans , & qui y avoient.
envoyé mille hommes des leurs pour la
défendre ; mais quoiqu'ils contaffent fur
cette intrépidité qui faifoit toute leur
gloire , les François ne laifferent pas de les
forcer dans la Ville , & enfuite dans le
Château , d'où s'étant refugiés dans une
Ifle formée par la Riviere qui eft au deſfous
du Château , ils s'y défendirent en
vrais defefperés : jufques là que ne pouvant
fe foutenir dans ce dernier retranchement
, plutôt que de ferendre , s'abandonnant
à leur ferocité naturelle , ils fe
tuerent eux- mêmes , les uns fe jettant dans
la Riviere pour s'y noyer , pendant que
les autres s'enfonçoient dans le coeur leurs
propres flèches.
و
Ce fuccès des François n'empêcha pas
les Normans de demeurer paifibles pof
feffeurs de la Normandie , même du
-Comté d'Eu , d'où les François furent
obligés de fe retirer , ce qui donna aux
Ducs de Normandie la liberté de difpcfer
de ce Comté comme ils jugerent à
propos. Ce fut le Duc Richard II. lequel
Lelon la Chronique de Normandie ch.434
donna
1750 MERCURE DE FRANCE
donna l'an 1002. ce Comté à fon frere
Guillaume , qui fut le premier Comte
d'Eu , defcendant des Ducs de Normandie.

Il faut avouer que la Religion Chrétienne
ne fit pas un moindre changement
chez les Normans établis en France , qu'elle
avoit fait chez tous les peuples barbares
où elle s'étoit introduite ; c'eft à dire
qu'ayant été reçûë & embraffée par le
peuple,tout cruel & tout feroce qu'il étoit,
de loups cruels & feroces , elle en fit ,
pour ainfi dire, des Agneaux , les rendant
dociles , bienfaifans , même des plus difpofés
aux oeuvres de pieté. C'est ce dont
nous avons des marques certaines dans le
Comté d'Eu , puifqu'à peine le premier
Comte Guillaume en eut- il la poffeffion
qu'il fonda vers l'an 1003. une Collegiale
dans la Ville d'Eu . Son fils Robert fit encore
plus , puifqu'il fonda en 1036. l'Ab
baye du Tréport , enfuite le Prieuré de
Sainte Croix , entre ce Bourg & la Ville
d'Eu , & commença l'établiffement dur
Prieuré de la Trinité qui eft un Fauxbourg
de la Chauffée .
Guillaume II . qui le fuivit fonda en Angleterre
le Prieuré d'Haftings. Son fils
Henri alla beaucoup plus loin que fes predeceffeurs
, puifque , non content d'avoir
fondé en 1106. le Prieuré de S. Martin ,
dans
AOUST. 1730. 1731
dans la Forêt d'Eu , & en 1130. l'Abbaye
de Foucarmont dans le même Comté „
étant devenu veuf il prit lui -même
Phabit Monaftique dans cette Abbaye
qu'il avoit fondée , en quoi il fut imité
par le Comte , fon fils , nommé Jean ,
lequel , à fon exemple , après avoir vêcu
dans le monde , & fait également figure
à la Cour des Rois d'Angleterre , après
avoir fait auffi beaucoup de largeffes aux
Moines , comme à l'Abbaye d'Eu , au
Prieuré d'Haftings , à celui de la Chauffée
d'Eu , même à un autre Prieuré qu'un
Seigneur Normand avoit fondé à Rouge-
Camp , Paroiffe de Cuverville au Comté
d'Eu , étant auffi devenu veuf , ce Prince,
dis-je , pour reffembler en tout à fon pere ,
fe fit Moine comme lui dans la même Abbaye
de Foucarmont , où ils font morts
tous deux , & où ils font inhumés.
>
On peut juger par toutes ces donations
fi fréquemment faites dans le feul Comté
d'Eu , & par ce dévoüment des plus illuftres
Seigneurs Normans à l'Etat Monaftique
, combien il falloit que les Moi
nes fe fuffent acquis d'eftime auprès de ces
Seigneurs dès les premiers tems de leur
converfion , puifque dès l'an 340. felon
Dumoulin dans fon Hiftoire de Normandie,
le Duc Guillaume, Longue Epée , n'é--
tant pas libre de fe confacrer à Dieu dans
Un
MERCURE DE FRANCE
un Cloître , comme il l'auroit fouhaité ",
il obtint en grace ' des Moines qu'ils lui
donnaffent un froc , un fcapulaire beni
& une difcipline qu'il enferma dans une
caffete précieufe , dont il porta toujours
la clef d'argent penduë à ſa ceinture.
La fuite pourle mois prochain.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
H
LES MIRACLES ,.
O DE
DE M. PIRON.
Omme incredule , écoute , & foumets ton
audace,
L'Epouvante fur toi va répandre fa glace.
Que ton front pâliffe une fois !
Viens , contemple avec moi dans toute fa puiffance
Celui dont les éclairs annoncent la préſence ,
Et dont le Tonnerre eft la voix :
Quelle eft la Majefté de cet Etre fublime ,
Dont le haut Firmament & le profond abîme
Ne limitent pas le pouvoir ?
Vain Monarque , à les yeux , que paroît to
Royaume ,
Quand l'Univers entier n'eft qu'un leger atomes
Que de fon foufle-il fiy -mouvoir
Dez
AO UST. 1730. 1733
De ce fouffe divin s'anima la Nature ;
Elle reçût de lui fa loi conftante & pure .
nous fommes tous ! Infenfés que
Parceque cette Loi triomphe fans obftacles ,
Que rien n'en interrompt à nos yeux les miracles
Ils ceffent de l'être pour nous.
Les Tenebres , le jour , les Ondes refrenées ;
Le cercle des Saifons l'une à l'autre enchaînées
Contre l'Athée ont prononcé.
Reconnoîtrons-nous moins la fageffe éternelle
Au bel ordre établi qui par tout la revele ,
Qu'à ce bel ordre renverſé ?
Hé bien ! Mortel aveugle , il faut te ſatisfaire,
Préfere un Phénomene à l'Aftre qui t'éclaire
Dieu fe conforme à ton erreur ;
A ta fragilité fon pouvoir ſe meſure ;
Interrompant le cours des loix de la Nature
Il va s'en déclarer l'Auteur.
Sous un Prince endurci , toute l'Egypte en ar
mes
A volé fur les pas de Jacob en allarmes ;
Il n'a que fon Dieu pour appui.
De fes perfécuteurs la courfe impitoyable
Le ferre entre les bords d'une Mer effroyable ,
Et le trépas qui fond fur lui.
L'Elér
1754 MERCURE DE FRANCE
L'Element redouté lui préfente un azile ;
L'onde fuit , fe divife , & le flot immobile
Refte fufpendu dans les airs ;
La main qui , ravageant de coupables Campagnes,
Jadis fous l'Eau profonde a caché les Montagnes.
Vient fecher le gouffre des Mers.
Dans ce Vallon bordé de hauts Rochers liquides
Je vois entrer les Chars des Guerriers homicides
Leurs pas n'en font point rallentis ;
Mais le peuple chéri touche à peine au rivage
Que du flot qui reprend fon empire & fa rage
Les Barbares font engloutis .
Le Defert à ce peuple inſpire une autre crainte,
Là jamais de l'Oifeau la foif ne fut éteinte ;
Jamais fruit ne s'y recueillit.
L'Air offre l'aliment que refufoit la terre ;
Le reinede à la foif fort du fein de la pierre-
Le Roc eft frappé ; l'eau jaillit .
Je garde devant vous un timide filence ;
Sommet du Mont facré qu'embraſa la préſence
Du difpenfateur de la Loi !
Le miracle vivant de cette Loi fuprême
Que de fon doigt fur vous Dieu nous traça lui
même ,
Parle fuffifamment fans moi.
Aux
A O UST. 1730. 1733
Aux Rives du Jourdain fuivons l'Arche terri
ble ;
L'Hebreu mal agueri par elle eft invincible ;
Les Clairons ont frappé l'écho.
L'eau remonte à fa fource , où l'effroi la rappelles
L'Arche avance , elle aborde ; & je vois devant elle
Tomber les murs de Jericho.
L'Amorrhéen faifi d'une terreur panique ,
Dans laNuit qui s'approche a fa reffource unique,
Vain efpoir dont il fe nourrit !
Celui de fes Vainqueurs peut -il être frivole a
Arrête , dit leur Chef, au Soleil qui s'envole ;
L'Aftre s'arrête , & tout périt.
La flamme , ou l'eau du Ciel tombe à la voix
d'Elie :
Des Monftres dont la faim redouble la furie
Daniel n'eft point offenfé.
Leur fein fert à Jonas de retraite paiſible.
Sous les coups foudroyans d'un vengeur invif
ble
Sennacherib eft terraffé.
L'Arche a brifé Dagon ... Mais quels plus grands
miracles
Imposent tout à coup filence aux faux Oracles ?
Satan fuit au fond des Enfers.
O prodige qui rend la Nature interdite!!
Dien
1756 MERCURE DE FRANCE
Dieu fe fait homme , il naît , il meurt , il reſſuſcite
;
Les Cieux par lui nous font ouverts.
Leve les yeux , ôtoi , qu'un foufle met en poudre
,
Mortel , ici t'attend ou la palme , ou la foudre ;
Choifis , tu n'as plus qu'un moment ;
Préviens le jour d'horreur, d'ire , & d'ignomini
Ou le coupable doit revenir à la vie
Pour mourir éternellement.
******** 38333334
FESTE des Chaffeurs Chevaliers de Saint
Hubert , donnée à Entrevaux en Provence.
*
E jour deſtiné pour cette Fête étant
Larrivé ,les Chaffeurs ne crurent pas
la pouvoir mieux commencer que par une
Meffe qu'ils firent celebrer par un Aumônieren
titre qu'ils qualifierent de Saint
Hubert. Ce fut , comme on dit ordinairement
, une Meffe de Cháffeur ; mais fi
elle fut courte , elle fut fuivie d'un Dif
Cours un peu long , mais affez éloquent,
& qui n'auroit pas été defaprouvé ailleurs.
que
le 4.
Nous n'avons reçû cette Relation
Août 1730. par lafause de la perfonne qui s'en
ésoit chargées
Le
A O UST . 1730. 1757
L'Orateur , je veux dire , le nouvel Abbé
de S.Hubert , s'adreffant aux Chevaliers
de'Ordre , leur dit en fubftance :
و
MESSIEURS ,
7
Après avoir offert le Sacrifice felon vos
intentions pour remercier le Roi des Rois de
la grace fignalée qu'il vient d'accorder à ce
Royaume , en nous donnant un Dauphin,
après l'avoir ardemment fupplié de nous conferver
un don fi précieux qui affure le bonheur
de la France & la tranquilité de l'Enrope
, après lui avoir demandé qu'il faſſe
jouird'une fanté parfaite cette vertuense Reine
fi précieuse àl'Etat parfon heureufefecondité,
qu'il prolonge enfin les jours du Roi audelà
des plus longsjours de fes prédeceffeurs,
je ne puis que louer le zele qui vous anime
& qui vous a fait prendre le deffein de confacrer
cejour à lajoye que doit caufer cet Evenement
à tous les coeurs françois. Vous avez
choifi parmi les vertusRoyalles de notre augufte
Monarque celle qu'il vous convient le
mieux de celebrer ; vous voulez, honorer cette
vertu héroïque dont l'inclination pour la Chaf
fe eft toujours le préſage. En effet , Meffieurs ,
Les hiftoires ne nous repréfentent gueres de
Héros qui n'ayent eu dans leur enfance ce pen
chant dominant pour la Chaffe , les Alexan
dre les Cyrus , les Conftantins , les Charle
magne
1758 MERCURE DE FRANCE
magne , les Saint Louis , les Henris & c
tous ont été Chaffeurs avant que d'être Conquerans
; ce noble exercice eft l'école des grands
Capitaines ; les Chaffeurs ont leurs loix
leurs ordres , leurs campemens , leurs marches,
leurs rufes en un mot , la Chaffe eft l'image
de la guerre.
Puiffiez- vous , Meffieurs , fi lajustice des
armes de la France venoit à realifer cette
image , vous fervir de la force , de l'adreſſe ,
du courage , du fangfroid & de toutes les autres
qualités qui s'acquierent dans ce penible
exercice : puiffiez- vous vous en fervir efficacement
pour la gloire de notre Monarque ,
pour le bien & l'honneur de la Patrie.
Ce Difcours étant fini , on fe rendit au
lieu deſtiné , & où tous les préparatifs
avoient été faits les jours précedens . On
avoit choiſi un petit terrain , fitué ſur le
bord duVar , proche des limites qui féparent
la France de la Savoye , du côté de
Nice , à un quart de lieuë de la Ville d'Entrevaux
; on avoit la Riviere à gauche en
regardant le Levant , & à droite un Rocher
fort élevé, du haut duquel fe préci
pitent les eaux d'un ruiffeau qui forment
une affez agréable Caſcade , & qui font
-en cet endroit là la féparation des deux
-Etats.
Il feroit difficile d'exprimer avec quelle
vîteffe
A O UST. 1730. 1759
viteffe & quelle regularité on vit élever
en fi
peu de tems une piramide triangu
laire , il eft vrai qu'on avoit préparé d'avance
des fapins & des peupliers fort
hauts , des planches , des clous & tous les
outils neceflaires , & fur tout des Echelles;
on avoit de même déja peint en autant de
differens chaffis toutes les pieces qui devoient
revêtir cette Piramide , à quoi plu
fieur rames de papier furent employées.
Ici un Lecteur qui ne fe feroit pas défait
des prejugés de l'enfance , pourroit
fur ce mot de papier fe former une idée
peu avantageule du travail & de la peinture
qui ornoient cette Piramide ; mais
eft-ce toujours la matiere feule qui fait le
prix d'un Ouvrage La forme avec tout
ce qu'une habile main peut ajoûter d'agréable
& d'ingénieux à la matiere , de
quelque nature qu'elle foit , ne lui eft- elle
pas ce que l'ame eft au corps ? de quelles
beautés le papier n'eft- il pas fufceptible ?
Et quels tréfors ne lui confie- t- on pas ?
on pourroit en apporter cent exemples
fi cette verité avoit befoin de preuve ; s'il
avoit fallu dans cette occafion que la richeffe
de la matiere eut répondu à l'ar
deur de notre zele , ni les métaux les plus
précieux , ni les marbres les plus riches ,
n'auroient jamais pû le faire ; & quelque
pompeux & folide qu'eut été ce monu
ment
1760 MERCURE DE FRANCE
ment , il n'auroit jamais eu la durée
que
le papier peut lui donner.
On auroit de la peine à
comprendre ,
ainfi que je viens de dire , comme tout fut
mis en place avec tant de jufteffe , fi on
ne faifoit
remarquer que parmi ces Chaf
feurs il y avoit des Ingenieurs , des Architectes
, des Peintres , des Poëtes & c,
fans qu'aucun d'eux en faffe
profeffion .
Venator omnis homo.
Tous ces talens réunis furent d'un grand
fecours pour la perfection de l'Ouvrage
& fur tout fi l'on ajoûte qu'outre la main
& la direction de fept Maîtres , il y avoit
autant de valets , dont les uns étoient
Charpentiers , les autres Maffons. & c. Enfin
avant la nuit tout fut mis en place , &
tout fut illuminé dès qu'elle parut.
Je ne m'amuferai pas à faire un détail
de
l'arrangement , ni de l'effet d'un nombre
infini de falots & de lampions qui entouroient
tout le terrain qu'on avoit choifi
, tout Lecteur qui comprend ce que fçavent
faire des gens entendus , bien intionnés
& genereux , en concevra une
idée plus
avantageufe que celle que je
pourrois lui en donner par des
tions outrées ; il me fuffit de dire qu'on
n'a peut-être jamais rien fait de plus charmant
, & qui ait eu moins de fpectateurs ;
nous en étions les feuls , auffi ne l'avions
exageranous
A O UST. 1730. 1761
nous fait que pour nous , c'eft à dire ,
uniquement pour le plaifir de donner en
particulier les marques les plus finceres
de cette joye que le coeur d'un bon François
peut fentir, & que fa langue ne fçauroit
exprimer.
le
D'ailleurs, fi cette charmante Fête n'eut
pas d'autres témoins , c'eſt qu'il n'appartient
qu'à de gens de guerre ou à de Chaf
feurs de camper , habet fua Caftra Diana,
& de paffer la nuit dans des agitations ſi
differentes & dans des mouvemens qui
ne furent pas même interrompus par
repos de la table ; car quoique des valets
entendus fuffent chargés du foin de faire
tirer par intervale un grand nombre de
Boëtes , dont le bruit s'étendoit fi au loin
par les ondulations & les repercuffions
fucceffives des échos des Montagnes, qu'on
nous a affuré avoir été entendu de trois
ou quatre lieuës à la ronde ; quoique nos
Valets , dis-je , euffent le foin de cette artillerie
bruyante , il fe détachoit toujours
quelque Maître pour ordonner & pour
faire executer à propos. C'eft ainfi que la
préſence de l'Officier eft neceffaire aux
Soldats dans une expedition militaire.
Je ne dis rien du Repas ni de l'apetit.
On ne fervit que du Gibier , & l'on mangea
comme des Chaffeurs ; c'eft tout dire.
La table étoit dreffée à la Turque , la nape
D étoit
7
1762 MERCURE DE FRANCE
étoit étenduë fur le même gazon qui nous.
fervoit de fiege . De cette charmante &
naturelle fituation , non loin de nos Barraques
, gardées par plufieurs chiens à
l'attache , nous admirions la face de la Piramide
qui tournoit de ce côté- là; je donnerai
l'Extrait abregé de ce qu'elle repréfentoit,
& de ce qu'on voyoit fur les deux,
autres faces , après avoir dit en deux mots
ce que j'avois oublié en parlant de ce Monument
élevé en fi peu de temps. Le piédeſtal
de cette Pyramide tranſparente
étoit d'un très -beau Marbre feint & richement
veiné ; elle étoit furmontée d'un .
Globe parfait, ouvert au - deffus , très - bien
illuminé au-dedans. On voyoit fur ce.
Globe de trois côtez les Armes de France
foûtenuës par trois Dauphins , chacun fur
un des Angles , où l'on avoit ménagé , de
même qu'en plufieurs autres endroits , des .
ouvertures pour la fumée des Lampions.
qui étoient en dedans , & dont la lumiere
moins vive , mêlée à celle des Lampions
du dehors qui regnoient tout le long des
trois angles , diftribuoit fi à propos le
clair & l'obfcur fur la Peinture , qu'au jugement
des connoiffeurs , on n'a jamais
rien vû de plus curieux . Auffi M. le Chevalier
de..... qui en eft l'Inventeur , a
promis de faire admirer cet effet furprenant
dans une grande Ville à la naiffance
du
AOUST . 1730. 1763
du fecond Prince que nous attendons.
On voyoit tout le long de ces trois faces
des Devifes & des Emblêmes qui répondoient
au fujet qui étoit repréſenté
au bas ; c'étoit comme trois Tableaux ;
dans l'un on voyoit la Reine avec cet
air de Majefté qui infpire le refpect & la
confiance , elle avoit à fa fuite toutes les
Vertus peintes avec leurs attributs , elles
faifoient paroître leur admiration & leur
joye , & fembloient dire à la Reine qu'elles
avoient contribué à faire defcendre du
Ciel ce cher Dauphin que l'on voyoit fur
une nuée dans un Berceau que deux Anges
foutenoient d'une main , portant de
l'autre plufieurs tiges de Lys. Voici comme
on fait parler les Vertus .
Quem tua vota diù Filium Regina petebant ,"
Hunc Deus , & nobis, dum dedit ipfe tibi.
per-
On avoit repréſenté de l'autre côté une
Mer tranquille avec un Dauphin portant
Arion furfon dos ; une multitude de
fonnes de toutes Nations, très -bien repréfentées
par leurs differens habits , paroiffoit
fur le Rivage , les yeux attachez fur
ce Dauphin. Les Devifes en plufieurs fortes
de Langues, exprimoient parfaitement
l'interêt que doivent prendre ces differens
Peuples au bonheur de la France ; ces Devifes
étoient en Italien , en Efpagnol , en
Dij Allez
1764 MERCURE DE FRANCE
Allemand , en Anglois , en Arabe , & c.
Venator omnis homo. Je le repete , & toûjours
dans le même fens. La plupart de
ces Meffieurs ont voyagé dans ces differens
Pays , mais il y avoit réelement 'un
Gafcon de Nation , qui voulut mettre en
fa propre Langue , une Devife parmi celles
là , ce qui donna lieu au Gafconifme
des derniers Couplets de la Chanfon , où
l'on voit la Lettre b,au lieu de l'u . Ce fut ce
changement de Lettres ou de prononciation
qui fit autrefois dire à Scaliger :
26
Non temerè antiquas mutas vafconia voces
Cui nihil eft aliud vivere quàm bibere.
Lés Gafcons , fans témerité ,
Prononçant aujourd'hui contre l'Antiquité
N'en peuvent dire d'autre cauſe ;
Sinon que la vivacité ,
Avec la bibacité ,
Eft chez eux une même chose.
Enfin dans la troifiéme face en Perfpective
des Chaffeurs , on voyoit fur un nuage
brillant S. Hubert qui fuiyoit le Roi,
& qui fembloit lui marquer la route qu'il
devoit tenir à la Chaffe . Ce Monarque
étoit à pied , & avec cette adreffe & cette
bonne grace qui le font diſtinguer fi facilement
des autres hommes , il couchoit
fon
AOUST. 1730. 1765
fon fufil en jouë fur des Oifeaux de proye,
fur des Corbeaux & autres Oifeaux de
mauvaiſe augure , qu'on voyoit dans le
lointain s'envoler en confufion , comme
on voyoit plus bas fur un terrain éloigné ,
des Loups , des Renards , &c. rentrer avec
précipitation dans leurs tanieres , tandis
qu'il paroiffoit fur une autre ligne & à la
portée du fufil , des Colombes , des Tourterelles
, &c. qui ſembloient ſe réjoüir &
fe raffurer à fon approche.
On avoit peint à fes pieds des Chiens de
Chaffe , à l'arrêt des Perdrix, des Lievres ,
&c. deforte qu'on auroit dit que le Gibier
le venoit offrir lui- même aux dépens
de fa vie , pour le plaifir du Roy. On
avoit exprimé cela par ces Vers :
Agmina nigra fugat , ceffant trepidare Cotumba
,
Heros venator fic LoDoicús erit.
Ecce Lupos cogit & vulpes intrare cavernas ?
Nos verò occidat Regis amica manus.
Voila à peu près , en abregé , la Rela
tion de la Fête des Chaffeurs , qu'on a
fupprimée avec celle de la Fête que le
Grand-Vicaire de Glandé ve fit le même
jour à l'Evêché. Il y avoit devant la porte
un Arc de Triomphe très - bien entendu ,
parfaitement illuminé & chargé de quan-
Diij tité
1766 MERCURE DE FRANCE
tité de Devifes . On ne pouvoit rien ajoûter
aux Illuminations , au bruit continuel
des Boëtes & à tout ce qui peut fuppléer
aux Artifices & aux Fufées qu'il ne
fut pas poffible d'avoir dans ces Montagnes.
Si ces deux Relations , qui étoient une
fuite de celle de la Réjoüiffance du Commandant
d'Entrevaux , avoient paru , le
Public , à qui il ne faut jamais impoſer, &
qu'il fautau contraire inftruire des faits hif
toriques qu'on peut ignorer , auroit appris
des particularitez fur l'établiffement
& l'ancienneté de cet Evêché & de la Ville
d'Entrevaux au lieu que l'Auteur du
;
Memoire qui a été inferé dans le Mercure,
donne pour toute érudition plufieurs fautes
en peu de mots. Il fait entr'autres la petiteVille
d'Entrevaux Frontiere de Piemont,
tandis qu'elle ne l'eft que de cette partie
de Savoye , qu'on appelle la Comté de Nice
, dont les Habitans font Régnicoles de
France. Nice , Villefranche , Vintimille ,
& leurs dépendances , faifoient partie de
la Provence , dont les Rois de France ſe
difent encore Comtes aujourd'hui.
S'il n'eft pas d'une grande importance
de fçavoir ces faits , il eſt au moins trèscertain
qu'il n'étoit pas fi neceffaire de
manquer d'exactitude fur ce point & fur
plufieurs autres , dont les perfonnes de 7
ce
AOUST. 1730. 1767
ce Pays ont été fâchées . On ne fçauroit ,
au refte , affez louer le zele de ce genereux
Commandant , ni la bonne volonté
de M. Paravicini , & non Palavicini , Capitaine
d'une Compagnie Suiffe . Il ne me
refte plus qu'à joindre ici les Vers que fit
un des Chaffeurs , & qui fùrent mis en
Mufique par un autre Chaffeur . Venator
omnis homo.
A LA DEESSE LUCINE ,
Qui préfide aux Accouchemens.
Toi . Oi , qui des Souverains regles les deſtinées ,
Qui préfides toûjours aux couches fortunées ,
Tu nous comblas de tes bienfaits ,
Sans pourtant combler nos fouhaits.
Quand du Sang des Bourbons tu deftinois des
Reines ,
En deux fois , il eft vrai, ta main en donna trois ;
On dit alors ; quelles Etrennes !
Voilà déja trois Souveraines ,
Pour le bonheur d'autant de Rois
Mais , Lucine , tu fçais fi nos coeurs & nos voix ,
Te demandoient encor avec bien plus d'inſtance ,
De préfider à la Naiffance ,
Du Dauphin , qui fait à la fois ,
Et le bonheur du monde & l'efpoir de la France.
Diiij COV1768
MERCURE DE FRANCE
COUPLETS fur l'Air de la Cathereine
, qui furent chantez pendant le Repas
que donna M. le Commandant de
la Ville & Château d'Entrevaux .
Pour répondre à ces Tonnerres ,
Que fait le bruit du Canon ,
Faifons en choquant nos verres ,
Un Bachique carillon ;
De cette Liqueur charmante ,
On ne fçauroit voir la fin ,
Si fans ceffe l'on ne chante
Vive , vive le Dauphin.
Pour une fanté fi chere ,
Notre zelé Gouverneur ,
Avec la meilleure chere ,
Livre fon vin & fon coeur;
Veut- on fçavoir comme il penſe
Il croit que c'eft être heureux ,
Quand pour l'honneur de la France,
On peut être genereux.
Répondons par notre zele ,
A ces nobles fentimens ,
Sur ce genereux modele ,
Regions nos empreffemens ;
Qu'à fes foins nos voix s'uniffent ,
Et
A O UST. 1730. 1769
Et chantons fi fort qu'enfin ,
Nos Rochers ne retentiffent ,
Que du feul nom du Dauphin.
M
Et toi, Nymphe , qui repetes,
Chante plus haut , c'eſt à toi ,
Porte le bruit de nos Fêtes ,
Jufqu'à l'oreille du Roi ;
Et di lui que Ja Provence ,
Sans richeffe , fans éclat ,
Surpaffe en Réjouiffance
Tout le refte de l'Etat.

Di que rien n'eft magnifique ,
Que notre fimplicité ,
Et que notre politique
N'eft que la fincerité ;
Echo , fidele Interprete ,
Qui rends toûjours fon pour fon'
Vole par tout & repete
,
Tout ce que dit ma Chanfon
Di qu'une Reine féconde ,
En nous donnant ce Heros ;
Affure au refte du monde ,
Le bonheur & le repos;,
La Paix long-temps fur la terre ,
Dv
Amufera
1770 MERCURE DE FRANCE
Amufera le Guerrier ,
Ou s'il veut faire la guerre ,
Ce ne fera qu'au Gibier.

Déja l'augufte Monarque ,
Sans craindre pour fa fanté ,
Lui que la main de la Parque ,
A fi fouvent refpecté ;
Quand Diane le délaffe ,
Des foins du Gouvernement
Nous fait voir combien la Chaffe
Eft un noble amuſement.
Puifque ce noble Exercice
Fait fes innocens plaifirs ,
Saint Hubert lui ſoit propice
Et feconde fes defirs ;
Qu'en chaffant il le conduife ,
Et le conduife fi bien ,
Que jamais rien ne lui nuife,
Pas même à fon petit Chien.
SUITE de la Chanfon. Pour les Chaf
feurs , qui firent leur Fête enfuite.
Pour nous , Chaffeurs de Province ,
Et fideles Provençaux ,
En imitant ce grand Prince ,
S'il fe peut , dans Entrevaux
Chanfons
A O UST. 1730. 1771
5
Chaffons toute la Semaine ,
Je ne dis pas à cheval ,
Encore moins dans la Plaine ,
Ce feroit parler plus mal.

Grimpons à perte d'haleine ,
Sur nos Montagnes fans Bois ,
Où ne pafferoit qu'à peine ,
Le plus leger des Chamois ;
Et pour faire notre Fête ,
Malgré le mauvais Pays ,
Apportons au moins par tête
Tous les jours une Perdrix .
Le jour marqué pour la Fête ,
Tout Chaffeur eft Cuifinier ,
Chacun à fon gout apprête ,
Quelque piece de Gibier ;
Perdrix , Levreau , Tourdre , Caille ,
Sont les feuls mets du Repas ,
Sans Mouton , Veau ni Volaille
Que Saint Hubert n'aimoit pas.
Un Gaſcon dit à Gregoire
Chevalier de faint Hubert ,
J
Qui vouloit que pour mieux boire ,
On fit la Sauffe à Robert ;
Dvj Non
1772 MERCURE DE FRANCE
Non , dans des Fêtes pareilles ,
C'eft un inutile plat ,
On boit autant de vouteilles ,
Que l'on chante de bibat.

L'amour des bibat m'entraîne ;
Je voudrois aboir cent boix ;
Le Dauphin , le Roi , la Reine ,
Tout fe prefente à la fois ;
Et les trois Dames de France ,
Avec les Princes du Sang ;
Mais , Cadedis , patience ,
Chaque bibat à fon rang.
Refte-t-il du bin encore .
Eft- ce le dernier tonneau ?
N'ayons plus abant l'Aurore ,
Ni du bieu ni du noubeau ,
Crainte de fe boir en peine
A l'avenir pour du bin ;
Cette crainte feroit baine ;
N'abons -nous pas un Dauphin ?
RE'
AOUST. 1730. 1773
XXXXXXX:XXXXX :XXX
REPONSE à la Queſtion proposée
( dans le Mercute de Juin , page 1 179. )
Si la gloire des Orateurs eft préferable
celle des Poëtes.
I
Left affez dangereux de fe déterminer
fur cette Queſtion ; on s'expofe néceffairement
à déplaire aux uns ou aux autres
de ceux qui affectionnent l'un des deux
partis , jufqu'à fe piquer fouvent d'une
préference qui ne peut neanmoins rien
ôter à leur mérite ; en effet, qu'importe à
l'Orateur que le Poëte lui foit préferable ?
S'il y a plus de gloire à parler le langage
des Dieux que celui des hommes , tout
l'honneur en refte à l'une des Profeffions ,
qui eft plus excellente que l'autre ; mais
l'on ne doit rien imputer à celui qui
n'ayant ni moins d'efprit ni moins d'éloquence
, n'a cependant pas eu cet avantage
de naître favori d'Apollon . On doit
donc , fans crainte d'offenfer perfonne ,
difputer & enfin décider cette Queſtion
où il ne s'agit point de balancer le mérite
perfonnel de l'Orateur avec celui du Poëte
, mais feulement de fçavoir en general
en quel genre d'écrire ou de parler , foir
en Vers , foit en Profe , il eft plus glorieux
d'exceller.
>
Si
1774 MERCURE DE FRANCE
Si nous confiderons en premier lieu la
peine qu'il y a d'écrire & de compofer
le Poëte, fans difficulté , l'emporte fur l'Orateur
, il eſt aſtraint à fuivre des regles
très-étroites , la rime , la cadence & mille
autres loix tiennent fa raifon captive ; de
forte que dans les plus heureux efforts de
fon genie , il faut qu'il confulte toûjours
cette rime fatale , qu'il lui facrifie même
fouvent tout ce que fon efprit a pu produire
de plus jufte ou de plus brillant. Son travail
lui doit coûter d'autant plus que
toutes les expreffions doivent être moins
communes , & qu'il ne parle point comme
le refte des hommes : c'eft ce qui fait peutêtre
auffi qu'en general les Poëtes font
vains, & qu'ils s'imaginent qu'il y a autant
de diftance de leur condition à celle des
prophanes Mortels , qu'il y en a entre leur
façon de parler & celle des autres ; ce
qu'il y a de fûr , eft que du haut de leur
orgueil poëtique ils méprifent tous les
hommes , Odi prophanum vulgus . Ils ont
dans leur maniere de s'énoncer tant de
majefté & de grandeur , que la fuperftitieufe
Antiquité ne les a pas écoutés avec
moins de crainte que de refpect , & les
croyant infpirez , adoroit en quelque maniere
leurs productions divines ; n'y a-t-il
même beaucoup de gens aujourd'hui
qui entendent fineſſe en ces Vers de Virgile?
pas
Fam
AOUST. 1730. 1775
Jam redit & Virgo redeunt Saturnia Regna ,
Jam nova progenies Cælo demittitur alto ,
Tu mode nafcenti puero quo ferrea primum »
Definet ac toto furget gens aurea mundo ,
Cafta fave Lucina ; tuus jam regnat Apollo.
Il ne feroit pas incroyable, en effet, que
Dieu fe fut fervi de la bouche d'un Payen
pour annoncer au Monde la Naiffance
d'un Rédempteur , puifque nous voyons
dans les Saintes Ecritures , que les mauvais
comme les bons Prophetes , prédifoient
auffi certainement l'avenir.
Il eft donc certain , pour retourner à notre
fujet , qui ayant dans la Poëfie plus de
choix,plus de façon,& pour ainfi-dire plus
de miftere , il y a conféquemment plus
de travail. L'Orateur doit , à ce qu'il femble
, moins peiner dans fes compofitions ,
parle un langage ordinaire , plus fimple
& beaucoup moins recherché que celui
du Poëte. Cependant les habiles Connoiffeurs
tiennent qu'il ne faut pas moins de
feu, &, pour ainfi - dire , de ce divin entoufiafme
pour faire une belle Profe que pour
compofer les plus excellens Vers , & même
on a remarqué qu'une belle & élegante:
Profe frappe encore plus agréablement
Foreille que la plus belle Poëfic ; car elle a
auffi comme la Poëfie fes loix , fes regles ,
& fes mefures , elle doit être auffi , comme
1476 MERCURE DE FRANCE
me elle , nombreuſe , cadencée , périodi
que.
Cependant il ne faut pas obmettre une
Reflexion qui eft bien à l'avantage du
Poëte , c'eft que prefque tous ceux qui
excellent dans la Poëfie , écrivent bien en
Profe,quand il leurplaît; ainfi nous voyons
que la Profe de M. Defpreaux eft dans
fon genre auffi belle que fes Vers , ce qui
lui procura l'emploi d'écrire la Vie de
Louis XIV. par un choix qui devoit faire
un double honneur à la memoire de ce
grand Monarque , d'avoir pour Hiftorien
un Ectivain fi habile & un Poëte', qui
comme il le dit lui -même , ayant fait
profeffion de dire la verité à tout fon fiecle
, devoit en être moins fufpect de flatterie
envers la Pofterité.
On n'en peut pas dire autant des Orateurs
, qui ne font pas Poëtes , auffi facilement
que les Poëtes deviennent Orateurs.
Ciceron , ce prodige d'éloquence ', ayant
voulu s'évertuer un jour , ne put enfanter
que ce Vers qui ne mit pas les Rieurs de
fon côté.
O fortunatam natam me Confule Romam
On peut donc conclure delà qu'il eſt
plus difficile d'exceller dans la Poëfie , que
de faite une bonne Profe ; mais à ces raifons
on en pourroit ajoûter une beaucoup
plus
AOUST . 1730 1777
plus confiderable, qui eft que le merite du
Poëte eft d'autant plus fuperieur à celui
de l'Orateur , que la médiocrité dans la
Poëfie , comme dans la Muſique , n'eſt pas
fupportable , ce qu'on ne peut pas dire
des Orateurs , puifque ceux- là même qui
font d'un médiocre génie , ne laiffent pas
d'acquerir de la réputation ; au lieu qu'à
moins d'être excellent Poëte , il eft dangereux
de rimer ; enfin c'eft des Poëtes
qu'on pourroit dire avec le plus de raifon
aut Cefar , aut nihil.
Cependant fi on confidere la réputation
d'un Ciceron ou d'un Hortenfe chez les
Romains, d'un Démofthene , ou d'un Pericles
chez les Grecs , à la gloire d'un Vir
gile , d'un Horace, ou d'un Juvenal , d'un
Hefiode , ou d'un Homere , certainement
on ne trouvera pas que les premiers foient
en rien inferieurs aux autres .
Or fi l'eftime des hommes eft la jufte
mefure du mérite , pourquoi égaler la
gloire de l'Orateur , qui coute beaucoup
moins , à celle du Poëte , fi difficile à acquerir
? C'eſt , à dire le vrai , parce que
malgré toutes les refléxions que nous venons
de faire , la gloire de l'Orateur eft
préferable ; Ciceron gouverna la République
Romaine par fon éloquence , & la
préferva une fois de fa ruine. Démofthene
avec le même talent , déconcerta toute
la
1778 MERCURE DE FRANCE
prudence & toute la politique d'un grand
Roi , & regnoit par ce moyen dans fa Patrie
; car le veritable Empire eft celui qui
fe fait fentir fur les coeurs , du plus fecret
mouvement defquels l'Orateur fe rend
le maître Pericles s'étoit rendu fi puiffant
par la parole , qu'on avoit comparé
fon éloquence au foudre , tant ſes effets
étoient prompts & furprenans.
On a bien admiré les Poëtes dans tous
les temps , on a rendu juftice à leur talent
, mais jamais ont-ils eu la gloire de
fe rendre maîtres de la volonté des hommes
, de les gouverner & de les tourner
en quel fens il leur plaît ?
Virgile eut la gloire en entrant au Theatre
de voir les Affiftans fe lever par honneur
, de même que fi l'Empereur eut
paru ; mais cette diftinction toute flatteufe
qu'elle eft , n'a rien de comparable à la
gloire de gouverner des Etats , d'en difpofer
, d'égaler par la feule force de la
parole , la puiffance des plus grands Rois.
Que file prix & la valeur d'une chofe
fe mefure à la regle de l'utilité , il n'eft
point de Profeffion qui ne foit ou plus
utile , ou plus eftimable que l'art de faire
des Vers ; car outre qu'il y a peu d'exemples
que par le fecours de la Poëfie feule
on ait fait fortune , & que ceux qui la
cultivent fe foient procure feulement par
ce
AOUST. 1730. 1779
ce moyen les chofes neceffaires à la vie ,
on ne voit les Poëtes recherchez prefque
de perfonne , & ils ont raifon de fuir les
compagnies , de chercher la folitude dans
les Bois , dans les Campagnes & fur le
bord des Rivieres , ils préviennent en cela
le gout du Public , qui eft affez injufte
pour ne donner fon approbation & fon
eftime qu'à proportion de l'interêt qu'il
trouve & de l'utilité qui lui revient .
Des efprits chagrins trouveront encore
plus à redire qu'on s'amufe à faire des
Vers , c'est-à - dire , à affervir le bon fens à
la rime , comme fi on avoit de la raifon
de refte , & que des gens fages & fenfez
y perdent un temps qui eft fi précieux
& qu'ils pourroient employer ailleurs
beaucoup plus utilement ; en effet , la verfification
, qui n'eft qu'un arrangement
de mots qui frappent toujours l'oreille
d'un même fon , paroît plutôt un amuſement
d'enfant que l'ouvrage férieux d'un
homme raifonnable ; outre qu'il n'eft prefque
perfonne , qui après qu'on a lû une
longue tirade , même des plus beaux Vers,
n'éprouve qu'à la fin on s'ennuye d'un
ftile toujours fi uniforme , d'une cadence
toujours fi égale , & n'avoue que ce qui
avoit d'abord charmé par un faux éclat ,
devient à la fin fade & infipide.
M. Defpreaux avoit peut-être plus de
raifon
1780 MERCURE DE FRANCE
faifon qu'il ne penfoit l'orfqu'il a dit en
fe joüant :
Maudit foit le premier dont la verve inſenſée ,
Dans les bornes d'un Vers renferma ſa penſée. ”
Car fi on peut s'exprimer en Profe plus
naturellement & avec autant de force. A
quoi bon rechercher les phrafes mifterieufes
& alambiquées , que le vulgaire n'entend
qu'à demi , & dont les loix feveres
affoibliffent prefque toujours les penfées
les plus folides , fi elles ne les perdent
abfolument ?
A parler franchement , la Poëfie n'eft
bonne qu'à un feul ufage , & auquel elle
doit fa naiffance , fi on en croit les anciens,
c'eft qu'elle fe retient plus aifément & fe
conferve plus long-temps dans la memoire
; car comme avant l'invention des
Lettres , l'Hiftoire des temps & des éve
nemens & en general toutes fortes de
connoiffances devoient être renfermées
dans la memoire des hommes , la Naif
fance du Monde , l'Hiftoire , la Religion
même , tout fut mis en Vers , qu'on faifoit
apprendre par coeur aux enfans , & dont
ils fe reffouvenoient plus facilement què
de la Profe , pour en tranfmettre le fouvenir
à la pofterité ; mais aujourd'hui
qu'on a non feulement l'ufage des Lettres,
mais encore celui de l'Imprimerie , la Poëfie
AOUST . 1730. 1781
fie n'a pas même confervé fur la Profe
le foible avantage dont elle n'étoit redevable
qu'à l'ignorance des hommes & à
la neceflité des temps .
Ces differentes confiderations fuffiroient
feules pour fe déterminer en faveur des
Orateurs contre les Poëtes ; mais ce qui
leve, entierement toute la difficulté de
cette Queſtion , à ne laiffer plus aucun ſujet
de douter , c'eft qu'il ne fuffit pas pour l'Orateur
de bien écrire & d'exceller dans la
compofition , il lui eft néceffaire de plus
d'avoir le talent de la parole , une heureufe
memoire , un agréable maintien
une prononciation nette, une voix fonore,
un bon gefte , qui font autant de qualitez
dont le Poëte fe paffe aifément : d'où
l'on doit conclure que la gloire de l'Orateur
eft préferable , puifqu'elle demande
l'affemblage d'un plus grand nombre
de belles qualitez.
Par M. M ... D ... de Besançon,
A MADLLE DE V.
Pour un Amant plein de tendreffe
N'ayez ni rigueur ni foibleffe ,
Sinon
1682 MERCURE DE FRANCE
Sinon il vous échapera :
Badinez ; mais reftez en là.
Tel fuit une fille fevere ,
Qui près d'une autre moins auftere
S'arrête , & jamais ne s'en va :
Badinez ; mais reftez en là.
Vous êtes jolie , & dans l'âge
Où tout invite au badinage ,
Si vous fuivez cet inſtinct là :
Badinez ; mais reftez en là.
Le badinage exemt d'allarmes ,
D'une fille entretient les charmes ,
En n'allant jamais au -detà :
Badinez ; mais reftez en là.
Comme une fleur la beauté paffe ,
Et trop de fageffe l'efface !
En badinant cultivez la :
Badinez ; inais reftez en là.
L'Amant refte tant qu'il defire ,
L'Amant trop heureux fe retire ;
Il faut un milieu ; le voilà ,
Badinez ; mais reftez en là.
de Sens.
LETTRE
A O UST. 1730. 1783
į į į į į į į Į Į Į Į Į ååå

LETTRE écrite d'Athis à M. B. fur
les beautés du Pays & fur l'Infcription de
la Fontaine de Juvify & c.
J
E fuis bien fâché , Monfieur , que vos
affaires ne vous ayent pas permis de
m'accompagner dans ces beaux lieux d'Athis
& de Juvify; c'eſt le Païs le plus riant
qu'on puiffe voir ; tout y plaît , tout y eft
charmant les promenades font agréables ,
la vûë y eft magnifique , & difficilement
en trouveroit - on une plus belle. Athis ,
furtout , eft celebre par le féjour qui y a
fait Mlle de Scuderi , qui en a décrit les
agrémens &c.
;
Ces jours paffés notre Compagnie alla
fe promener fur le beau chemin que le
Roi a fait faire depuis peu fur la route de
Fontainebleau ; c'eft un Ouvrage confiderable
, & qui a couté des fommes immenfes
; mais pour en bien concevoir le travail
, il faudroit avoir vû la ſituation du
lieu avant que le chemin fut fait ; ce n'étoit
pour lors qu'une Montagne très -efcarpée
, fur laquelle perfonne ne fe feroit
imaginé qu'on dût jamais faire un chemin
& un chemin auffi aifé que celui que l'on
yoit maintenant. Les obftacles y ont été
fur1784
MERCURE DE FRANCE
furprenans ; car outre la grande quantité
de terre qu'il a fallu remuer & tranfporter
bien loin , on a trouvé deffous des roches
confiderables , dont la dureté étoit à
l'épreuve du fer le mieux trempé ; pendant
près de deux ans on a été contraint
de les miner ; fans cet expedient on n'eut
jamais pû en venir à bout.
;
Au pied de cette Montagne coule une
petite Riviere il s'agiffoit de faire paffer
Te nouveau chemin fur l'une & fur l'autre
, & c'eft là une des grandes entreprifes
de cet Ouvrage ; car il a fallu élever
un Pont , dont la hautenr vint répondre
au milieu de la defcente du chemin : de
tels Ouvrages étoient refevés pour le Regne
de Louis XV. Ce Pont n'a qu'une
feule Arche ; mais d'une hauteur prodi
gieufe , & affermie en dedans par fept autres
moyennes & par des éperons faits
exprès pour foutenir toute la force des
terres de la Montagne qui fe trouvent
appuyées contre ce Pont.
Mais ce qui eft encore plus remarquable
, ce font deux Trophées que l'on a
élevés, chacun fur fon Piédeftal , aux deux
côtés du Pont , à la gloire du Roi . D’ùn
côté eft un Groupe de plufieurs Amours
qui foutiennent un Globe où font les Armes
de la France , & de l'autre on voit
le Tems qui porte la Statue du Roi cou
ronnée
AO UST. 1730. 1785
ronnée par la Renommée. Au bas eft la
Figure d'une Femme vaincue & terraffée,
qui paroît reprefenter l'Herefie ou la Difcorde.
Au pied de chaque Trophée coùlent
dans des baffins deux belles Fontaines
; on découvrit la fource de ces Fon-
*taines au milieu des rochers vers les commencemens
de l'Ouvrage ; d'abord on ne
fçavoit que faire de cette eau , elle incommodoit
même, parce qu'elle fe trouvoit
au milieu du chemin . Quand l'Ou-.
vrage a été achevé , on a conftruit à côté
un Reſervoir , & par des Conduits fouterrains
, on en a fait venir les eaux fur
ce Pont , c'en eft un des plus beaux ornemens.
Nous admirions tous de fi beaux Ouvrages
, lorfqu'il me vint en penfée qu'une
Fontaine fi magnifique meriteroit bien
une Infcription ; je m'étonnai qu'on eut
été fi long- tems à en mettre une ; je fis
part de ma penſée à la Compagnie , qui
convint qu'elle étoit jufte , & que cela
étoit d'autant plus à propos , qu'il n'eft
guere de Fontaine confiderable qui n'ait
fon Infcription particuliere. Là- deffus ,
je me retirai un peu à l'écart , & je fis
ces quatre Vers Latins :
Olim Nympha levis durâ fub rupe latebat ;
Nunc fuper hos Pontes ambitiofa fuit: -
E
"
Talia
1786 MERCURE DE FRANCE
Talia quis fecit ? potuit quis ? difce Viator ;
Hæc fecit , LODOIX , folus enim potuit .
Au refte , Monfieur , je ne vous fais part
de ces Vers qu'afin de vous engager vous
& vos amis à en faire auffi fur ce même
fujet. Je fuis &c.

REMERCIMENT à M. de Pibrac
, Comte de Marigni , qui avoit envoyé
à l'Auteur , du Lait , avec quelques
Hiftoriens & des Poëtes.
Vous dont l'extrême complaiſance
Veut marquer tous mes jours par de
bienfaits ,
,
nouveaux
PIBRAC vous me mettez enfin dans l'impuiffance
De les reconnoître jamais.
Hier, pour adoucir le mal qui me devore ,
De votre part , Tityre , au lever de l'Aurore ,
Me préfenta du Lait d'une nouvelle Yo (4)
Aujourd'hui cinq Auteurs , favoris de Clio ,
Par votre ordre fuivis de Lucain , de Seneque
Et du Chantre fameux de l'Ile de Chio ( b )
Sont venus fe ranger dans ma Bibliotheque.
(a ) Yo fut changée en Vache . Ovid. 1. 1. Met.
•) Chio fe vantoit d'être la Patrie d'Homere.
Tr
A O UST. 1730. 1780
Trop heureux fi fur leurs Ecrits ,
Formant les enfans de ma veine ,
Je puis dans le beau,feu dont je me fens épris
Chanter dignement mon Mécene !
COCQUARD.
A MLLE PASQUIER.
BEau , comme vous , le doux Printers
Revient embellir la Nature ;
Et du haut de fon Char femé de feux brillans .
Phoebus verſe ſur nous une clarté plus pure;
" La Terre a repris la parure ,
Flore fes ornemens >
Les Arbres leur verdure ,
Les Ruiffeaux leur murmure
Les Oiseaux leurs tendres accens.
Du Printems qui renaît agréez les hommages ;
Il vous reffemble , & vous devez l'aimer ;
Dès vos plus jeunes ans vous fçûtes le charmer ;'
Vous le confolez des outrages
Qu'il reçoit des frimats , des vents & des orages;
Sur votre teint il est toujours ;
Il y regne au milieu des Ris & des Amours,
Quand la Terre a perdu Lys , Anémones , Rofes
C'est là qu'il les retrouve écloſes :
C'est là qu'il produit les beaux jours.
P.
E ij POR
1788 MERCURE DE FRANCE
1
PORTRAIT DE PHILIS.
Q
U'en vous on voit briller de charmes !
On ne balance point à vous rendre les armes.
Quel vifage ! quels yeux ! quel éclat de beauté !
Quel air ! quelle vivacité !
Voilà , Philis , votre portrait fidele ;
Mais l'amour à mes yeux vous peint encor plus
belle.
Par M. L'Affichard.
LA JUSTE CRAINTE.
EPIGRAMME.
VA , Lizette , avec ce Garçon ,
Au grand Verger cueillir nos pommes ;
Je n'y fçaurois aller avec lui : Pourquoi non ?
Voyez comme elle a peur des hommes !
Mais d'où vient pour lui ce dédain :
Parle , t'a -t'il fait quelqu'injure ?
Non , Madame , mais il eft fin ;
Il me baiferoit , je vous jure ,
Comme j'ai cinq doigts à la main.
Par R ... de la Membraye
AU
AOUST. 1730. 1789
LA
AUTRE .
A Grece fi féconde en fameux Perſonnages
Que l'on vante tant parmi nous ,
Ne peut jamáis trouver chez elle que fept Sages;
Jugez du nombre de ſes foux.
AUTRE
UN Harpagon , Profeffeur en lezinez
Voyant de Paul la fuperbe Maifon ,
Le Train brillant , l'élegante Cuifine ;
Je plains , dit-il , ton arriere ſaiſon ;
De tes pareils le fort eſt dans mon Livre ;
Vivant ainsi , ne feras le premier
Qu'on aura vú mourir fur un fumier ;
Mieux vaut , dit Paul , y mourir que d'y vivre.
SI
AUTRE .
I Phoebus , au lieu d'Hypocréne ,
Sur le Sacré Vallon eut fait germer du grain ,
L'on y vivroit du moins fans chagrin & fans
peine ;
Ún Rimeur feröit fûr d'avoir toûjours du pain :
Cependant Cliton meurt de faim :
Maugrébleu de Phoebus , avecques fa fontaine !
E iij
MA1790
MERCURE DE FRANCE
MADRIGA L.
HElas dans mes peines mortelles
Pourquoi, conftantes Tourterelles,
Dont le langage eft fi touchant ,
M'infpirez-vous par votre chant
Ce que vous fentez de tendreffe ?
Je partage vos maux en partageant vos feux j
Helas ! l'Amant le plus heureux ,
Ainfi que vous , fe plaint fans ceſſe.
AUTRE.
A Mour, paffant près d'un Bois tenebreux ,
>
Vit Coridon , les yeux baignés de larmes ;
Ami , dit-il , qui te rend malheureux ?
Ne puis-je pas diffiper tes allarmes ?
Helas ! répond ce Berger amoureux
J'aime Cephife ; elle est toujours cruelle ;
Pauvre Mortel , peux-tu donc plus que moi ?
Reprend le Dieu , je fuis vaincu par elle
Et quand Diane eſt ſoumiſe à ma loi ,
Je fuis foumis aux loix de cette Belle .
L'Enigme du mois dernier a dû être
expliquée par le Chant , & le Logogryphe
par
AOUST. 1730. 1791
par Tombeau , dans lequel on trouve tombe
, beau , eau , mot , baume , ame.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
Nous
ENIGM E.
fommes trois Freres en France;
L'un de nous trois felon certains Sçavans',
En Grece a reçu la naiſſance ;
Mais on ne convient pàs du tems.
Par droit d'extenſion , au défaut d'une abfente
Deux de nous réunis préfident aux Forêts ;
L'un des deux , mis avec excès ,
Produit une voix moins fonante ;
Le troifiéme eft plus uſité ;
Il regne à la fin de l'Eté.
Lecteur , fi ta recherche eſt vaine ,
Ne t'en prends pas à nous ; ton defir curieux
Peut être fatisfait ſans peine :
Tu nous as tous trois fous les yeux .
LOGO GRIP HE.
Vil & commun débris d'unè matiere utile ;
Quoique mon corps foit en lambeaux ,
Je donne des fecours tant aux Champs qu'à la
Ville ,
Et l'on fait cas de moi dans des Hôtels Royaux ,
E iiij, Où
1792 MERCURE DE FRANCE
Où l'on me tient fouvent dans des Tonneaux.
J'ai trois fillabes en partage ;
Deux nomment un Oiſeau , qui fuivant ſon ramage
,
De la femme , dit- on , n'eft gueres different ;
L'autre , un Trône roulant , fait pour le Conque.
rant.
Mon chef à bas , autre Oifeau de la Fable ;
Qtez encor mon membre avant dernier ,
Je fuis un Inftrument à l'oreille agréable.
En cet état retranchez mon premier ,
Et replacez ma tête délaiffée ,
Je fuis alors poiffon d'eau douce & non falée.
Tout de fuite enlevez ma Lettre du milieu ,
Aux deux fexes en tems & lieu ,
Je puis rendre divers fervices ;
Soit que de miftere il s'agiffe ,
Ou qu'on trouve d'autres raiſons
Dans le caprice des Saiſons.
Ma feconde du tout qu'à l'écart on a miſe ;
Réunie ici dans fon
rang ,
Je deviens ornement d'Egliſe.
Si ce n'eft pas affez , qu'on m'anagrammatife ;
L'on trouvera dequoi tirer au blanc ;
Plus un terrain fermé d'une enceinte mouvante
1
Ou bâti plus folidement..
Chofe encore bien differente ,>
Et qui mord affez rudement .
Machine qui jadis fut fur les eaux flotante ;
Ou
A O UST. 1730. 1793.
Ou , prife tout differement ,
Dans mes jambes je fais paffage ,
Tandis qu'en même-tems on marche fur mon dos
Mais il eft tems de finir ce propos ;
Je n'en dirai pas davantage.
XXXXXXXXXXXXXXX
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS &C.
ACTA ERUDITORUM ,
anno
M. DCC. XX. publicata , cum
S. Cæfareæ Majeftatis & Regis Pol . atque
Electoris Saxoniæ Privilegiis . LYPSIE ,
proftant apud Johan . Graffii hæredes ,
Joh . Frid . Gleditfchii B. Fil . & Thomam
Fritschium , typis Bernhardi- Chriftoph.
Breitkopfii. A. 1720. C'est-à-dire , LES
ACTES DES SCAVANS , publiez à
Lypfic , en l'année 1720. &c. 1. vol. in 4.
de 549. pages , fans les Tables ,
Le Projet dont nous avons parle dans
l'Avertiffement qui eft à la tête d'un
de nos Journaux , ne nous permet pas
d'omettre un Journal qui tient un rang
fi confiderable dans la République des
Lettres. C'est le premier & le plus eftimé
de tous les Journaux Latins . Il continue
fans interruption depuis le mois de Janvier
1794 MERCURE DE FRANCE
>
vier de l'année 1681. Son commencement
eft dû à Othon Menkenius & fa continuation
à un nombre de Sçavans choifis ,
à la tête defquels eft M. Jean Burcard
Menkenius , Confeiller de la Cour du
Roi de Pologne , Electeur de Saxe . Le
fuccès de ce Journal eft toûjours égal , &
c'eft fans fondement qu'on a publié dans
des Nouvelles Litteraires qu'il alloit être
diſcontinué , ou du moins qu'il ne feroit
plus compofé en Langue Latine , mais en
Allemand. Il ne faut pas omettre. que lès
Auteurs ont donné des Supplemens & des
Tables generales de dix en dix ans. Nous
ne croyons pas qu'on puiffe trouver des
Sçavans plus infatigables & plus dévouez
à l'avancement des Lettres.
MONUMENTI Elia Lælia Crifpis ,.
five celeberrimi Enigmatis Bononienfis ,
Hiftorica Explicatio , Fragmentum Anti--
quum incerti Auctoris Bononiæ Senatui :
FRANCISCUS MASTRIUS . Additis
aliquibus Notis D. D. D. Bononiæ , typis
Conftantini Pifarri , vol . in- 4. 1717. C'eſtà-
dire ,, EXPLICATION hiftorique de las
fameufe Epitaphe énigmatique de Boulogne ,
&c. dédiée au Sénat de cette Ville, parFrançois
Mafirius, & c..
+
Comme ces Sçavans Journaliſtes onts.
parlé de ce Livre en l'année 1706. à l'oc--
afion
AOUST. 1730. 1793
cafion de la premiere Edition qui en fut
faite à Veniſe en 1702. & que dès l'année
1684. ils avoient auffi parlé dans leur
Journal de l'Ouvrage compofé fur le même
fujet par le Docteur Charles- CefarMalvafia
, celebre Jurifconfulte & Profeffeur
en Droit à Boulogne , ils ont eftimé
inutile de donner deux Extraits de la Differtation
de Maftrius ; mais le Public doit
leur fçavoir gré de produire ici , au lieu
d'une répetition , l'Explication de la même
Enigme , donnée par M. Heuman ,
leur Collegue , dans une Differtation imprimée
en 1706. & réimprimée deux ans
après fous ce titre , De Fato Uxoris Loti.
Car ce Sçavant croit , & il eft étonnant ,
difent nos Journaliſtes , que cette penſée
ne foit encore venue à perfonne ; il croit ,
dis- je , que l'Auteur du Monument énigmatique
de Boulogne , n'a eu d'autre intention,
en le compofant ,que d'écrire d'u
ne maniere ingénieufe & obfcure , le
malheur arrivé à la femme de Lor . Mais
avant que de voir l'application qu'il fait
dés termes de l'Infcription au fujer que
nous venons de dire , il eft bon de rap
porter cette Infcription dans fon entier ,
& telle que Maftrius l'a donnée plus ré--
cemment dans la feconde Edition de fon
Ouvrage , faite , comme nous l'avons dit ,
à Boulogne même en l'année 1717.
E vj DI.
(1796 MERCURE DE FRANCE
D. M.
Alia Lalia Crifpis
Nec Vir Nec Mulier
Nec Androgyna
Nec Puella nec Juvenis
Nec Anus
Nec cafta nec Meretrix
Nec Pudica
Sed omnia
Sublata
Neque fame neque ferro
Neque Veneno
Sed omnibus
Nec Colo nec Terris
Nec Aquis
Sed Ubique jacet.
Lucius Agatho Prifcius
Nec Maritus nec Amator
Nec Neceffarius
Neque Moerens neque gaudens
Neque Flens
Hanc
Nec Molem nec Pyramidem
Nec
Sepulcrum
Sed omnia
Scit & nefcit cui Pofuerit.
Nous la donnerons auffi en François , afin
que tous nos Lecteurs puiffent l'entendre
juger de l'interpretation de M. Heuman ,
& ufer auffi du droit que tout le Monde
AOUST . 1730. 1797
a de s'exercer fur cette fameufe Enigme ;
dans un temps , fur tout,où les fujets énigmatiques
paroiffent devenir du gout du
Public.
AUX DIEUX MANE S.
Alia , Lalia Crifpis , qui n'eft ni Hom
me , ni Femme , ni Hermaphrodite , ni Fille,
nijeune , ni vieille , ni chafte , ni prostituée,
ni pudique, mais tout cela enfemble : qui n'eft
ni morte de faim , qui n'a été tuée ni par
le fer , ni par le poifon ; mais par ces trois
chofes ensemble : n'eft ni au Ciel , ni dans
Peau , ni dans la terre ; mais eft par tout.
Lucius Agathon Prifcius , qui n'eft ni fon
mari , ni fon amant , ni fon parent ; ni trifte
ni joyeux , ni pleurant ; fçait & ne sçait pas
pour qui il a pofé ceci , qui n'est ni Monument
, ni Pyramide , ni Tombeau.
Voici quelles font les penfées de M.Heuman.
La femme de Lot , dit- il , changée ,
felon la plus commune opinion , en Statuë
de Sel , n'étoit plus ni homme , ni femme
, ni hermaphrodite , ni rien de tout
ce que marquent les premieres lignes de
l'Epitaphe , cependant elle avoit été tout
cela enfemble. Car elle a été femme & vieille
, & d'elle ont pû fortir un homme , un
Hermaphrodite , une fille , &c. deforte qu'étant
, pour ainfi- dire , la matiere premiere
de
1798 MERCURE DE FRANCE
de toutes ces chofes , on peut dire avec
raifon qu'elle a été tout cela.
Ce qui fuit marque encore mieux fon
deftin , & convient parfaitement à la fenime
de Lot ; car elle n'a péri ni par la faim,
ni par le fer , ni par le poifon ; quoiqu'on
puiffe dire que ces trois chofes enfemble lui
ont ôté la vie. 1º . Elle avala un mortel
poifon répandu dans l'air par la pluye de
fouffre qui tomboit alors du Ciel. 2º . Elle
fouffrit une faim fpirituelle par le regret
qu'elle eut en regardant Sodome , aux
biens qu'elle y laiffoit , dont le defir &
la convoitife la devoroient , regret & faim -
dans lefquels elle ceffa de vivre. 3 ° . J'avouë
, continue M. Heuman , que le fer
m'embarraffe un peu ; peut-être l'Auteur
de l'Epitaphe a- t- il eu en vûe le récit de
quelques Voyageurs , qui content que
cette Statue de Sel eft fouvent mutilée
par ceux qui én coupent des morceauxavec
un couteau ou autre inftrument der
fer , ajoûtant que ce qu'ils en enlevent
eft auffi- tôt reproduit , enforte que la Sta--
tuë ne paroît preſque jamais défectueuſe,
ce que notre Interprete eftime fabuleux.-
Au refte , il est très - vrai de dire que
la femme de Loth n'eft ni au Ciel , ni dans
Les eaux , ni fur la terre , c'est-à - dire fépa--
rément, & cependant elle eſt partout. Car
elle eft fituée comme dans l'air , par con--
Lequenes
AOUST. 1730. 1799
fequent on peut dire qu'elle eft au Ciel ,
elle n'eft pas moins tout enſemble dans
·les eaux lorfqu'il pleut , & fur la terre
puifqu'elle eft pofée deffus .
L'Auteur de ce Monument eft Dieu.
même , ainfi il eft appellé très- à propos
Lucius , car il eft la lumiere , le Pere des
lumieres , qui habite dans une lumiere
inacceffible , &c. Le nom d'Agatho lui
convient auffi parfaitement , car nul n'eft
parfaitement bon , fi ce n'eft Dieu . Enfin ›
ce n'eſt pas fans raifon que Prifcius eft à·
la fuite de ces deux noms , c'eft en effet
ce Vieillard reſpectable qui eft ainfi repré--
fenté par le Prophete Daniel. On peut
bien dire auffi de Dieu , que ce neft ni
le Mari, ni l'Amant , ni le parent de la
femme de Loth , ainfi il n'eft pas éton--
nant qu'en dreffant ce Monument
il
n'ait été ni trifte , ni joyeux , ni en état de
verfer des larmes.
.
,
Si quelqu'un regarde ce Monument
comme une Piramide , un Sépulchre , & c . il·
s'écartera de la maniere ordinaire de par--
ler. Cependant on peut dire que la Statue
de Sel femble avoir été tout cela. En effet
elle a été tout enfemble & Monument &
Pyramide , s'élevant en l'air à la maniere
des Pyramides , elle a été auffi un Séput--
chre , qui contient une perfonne fans vie..
Enfin Dieu fait , fans doute , ce qu'il a :
Rosé,
1800 MERCURE DE FRANCE
pofé , mais on peut dire , en un lens , qu'il
nefçait pas fi c'eft là un Monument ou une
Pyramide , ou un Tombeau , car Dieu n'a
voulu faire aucune de ces trois choſes.
D'autres finiffent l'Epitaphe par ces paroles.
C'est ici un Tombeau qui ne renferme
point de Cadavre , c'eft un Cadavre qui n'a
point de Tombeau , mais c'eft un Cadavre
qui eft lui-même fon Tombeau. Ces paroles
font fi claires , dit M.Heuman , en finiffant
fon Interpretation , & s'appliquent fi parfaitement
à la femme de Loth , que ce
feror perdre le temps que d'en ajoûter ici
l'explication .
SPECIMEN LINGUE PUNICA in
hodierna Melitenfium fuperftitis orbi erudito
offert Jo. Henr. Majus Antiquit.
Græc. & OO. LL. Profeffor Gieffenfis ,
Marburgi Cattorum . Vol. in 8. 1718. C'està-
dire , Effay fur la Langue Punique qui
fubfifte encore aujourd'hui dans celle des Maltois
prefenté aux Sçavans , par Jean- Henry
Majus , Profeffeur des Antiquitez Grecques
&des Langues Orientales, à Gieſſen. 1. vol.
in 8. à Marpurg. 1718.
Pour prouver ce que M. Majus entreprend
de foutenir dans fa Differtation ,
il établit d'abord que le Peuple de l'Ifle
de Malthe , eft Phénicien d'origine. Les
Phéniciens , dit-il , du moins les Carthaginois
A O UST. 1730. 1801
ginois , leurs defcendans , y envoyerent
une Colonie à caufe de la commodité de
fa fituation entre l'Affrique & la Sicile ,
& de la fureté de fes Ports ; ils lui donnerent
le nom qu'elle porte encore aujourd'hui
, nom qui n'eft pas fans myftere
, & qui s'accorde parfaitement avec
tout ce qui convient à l'ancienne Malthe.
Cette origine eft d'ailleurs confirmée par
le culte commun que les Maltois , les Phé-
Iniciens & les Cartaginois ont rendu particulierement
à deux Divinitez , fçavoir ,
Junon & Hercules. De plus les Habitans
de Malthe ont de tout temps excellé comme
les Phéniciens , dans l'art de faire des
Robbes de pourpre , des Toiles , des Tapis
, &c d'une fabrique particuliere &
très - eftimée par tout où ils portoient leur
commerce. M. Majus venant enfuite au
point principal , rapporte une quantité
de termes très-ufitez dans la Langue des
Maltois d'aujourd'hui , qu'il prétend avoir
une affinité manifefte avec la Lanque Punique
, fans oublier la maniere d'exprimer
, & de tracer les principaux nombres
qui eft , felon lui toute Phénicienne , ce
qui acheve de prouver l'origine du Peuple
dont nous parlons. Le Sçavant Auteur
a mis à la fin de fa Piece l'Oraifon
Dominicale en Langue Maltoife , & il
prétend que les termes & les differentes
"
expreffions
1802 MERCURE DE FRANCE
expreffions qu'on y trouve fentent routà
- fait la Langue Punique.
Quoique M. Majus femble avoir épuifé
fon fujet. On peut affurer qu'il n'a pas
tout dit & que la preuve la plus décifive
lui eft échappée il l'auroit trouvée
dans les Hiftoriens , qui à l'occafion de
la Tranflation de l'Ordre des Chevaliers
de S. Jean de Jerufalem , * à Malthe , ont
parlé hiftoriquement de cette Ifle.M.l'Abbé
de Vertot , Commandeur de Santeni
qui vient d'écrire avec tant de force &
de dignité , l'Hiftoire entiere de cet Ordre
, nous la fournit dans fon troifiéme
Tome, Liv. 9. pag. 522. de l'Edition in 12.
1727. Nous l'emprunterons de cet illuftre
Auteur , perfuadez qu'elle fera plaifir à
M. Majus , & qu'il nous en fçaura gré.
Dans le temps que les Chevaliers de S. Fean
s'en mirent en poffeffion , on y trouvoit encore
fur des morceaux de Marbre & des Colomnes
brifées , des Infcriptions en Langue
Punique. Les Romains , pendant les guerres
de Sicile, en chafferent les Carthaginois, & c.
WERNERI JACOBI CLAUSII , Angelus
Politianus , five de ejus vitâ , Scripris
& Moribus Liber. Magdeburgi , typis
Viduæ Chrift. Salfeldii , 1718. C'eftà-
dire , Differtation de M. Werner , fur
* Cela arriva le 26. Octobre 1$ 30.
la
A O UST. 1730. 1803
fur la Vie , les Ouvrages & les Moeurs de
Politien. A Magdebourg , vol. in- 8 . 1718 .
Le nom de Politien eft fi connu dansla
République des Lettres , qu'il eft inutile
de s'étendre ici fur ce fujet. Nous dirons
feulement que M. Werner a entrepris de
le deffendre contre toutes les accufations
qui lui ont été intentées par plufieurs Sçavans
, principalement contre celle qui eft
la plus grave & la plus dehonorante ,
fçavoir , l'Athéïfme.
JOH. ALBERTI FABRICII , SS.
Th. D. & Prof. publici , Bibliothecæ Græ
cæ Volumen IX. feu Libri V. Pars V. &
ultima.Hamburgi , fumptu Chriftiani Lie
bezeit , 1719. in - 4. C'est - à- dire , neuviéme
Volume , ou cinquième & derniere Partie
du cinquième Livre de la Biblioteque Grecque
de M. Fabricius , vol. in 4. A Hambourg
, 1719.
Entre tous les Ecrivains Grecs dont il
eft parlé dans ce IX Tome , & qui font
la matiere d'un long Extrait dans le Journal
de Lipfic , nous choifirons Pallade ,
Auteur du IV. fiecle , pour donner un
échantillon du grand Ouvrage entrepris
par M. Fabrice. Pallade , originaire de
Galatie, & Difciple d'Evagre de Pont, fut
Evêque d'Helenopolis en Bithynie ; nous
avons de lui une Hiftoire parfaitement
bien
1804 MERCURE DE FRANCE
1
bien écrite , des Moines & des femmes
retirées du monde , qui sétoient rendues
recommandables par la fainteté de leur
vie. Elle eft intitulée Xavsand , ou Hif
toire Laufiaque. Ce nom n'eft pas pris du
fond de fon fujet , mais de celui de Laufus,
Gouverneur de Cappadoce , Chambellan
de l'Empereur Théodofe le jeune,
à qui l'Ouvrage eft adreffé. Cette Hiftoire
également curieufe & édifiante , fut d'abord
donnée en Grec par Meurfius , &
imprimée à Amfterdam en 1619. on la
trouve auffi dans la Bibliotheque des Peres
, Édition de 1680. Ceux qui voudront
être inftruits plus à fond fur cet Auteur
& fur fes Ecrits , pourront confulter au
deffaut de la Bibliotheque Grecque de
M. Fabricius , qui n'eft pas entre les mains
de tout le monde , celles de M. Dupin
& de M. Cave , fçavant Anglois . Nous
nous contenterons d'ajoûter que Dom
Jean-Baptifte Bonnaud , Marfeillois , Benedictin
de la Congrégation de S. Maur,
a entrepris une nouvelle Edition , du même
Auteur, où fera non- feulement le Texte
Grec de Pallade , revû furdes Manufcrits
autentiques , -mais encore une Verfion Latine
& des Notes de fa façon , fans compter
la Vie de Pallade , l'Hiftoire & la Critique
de fes Ouvrages , &c.
J.
A O UST. 1730. 1805
J. G. ECCARDI Obfervatio de Nummis
ATTILE Hunnorum Regis . Remarques
de Jean- George Eccard ,fur les Medailles
d'Attila Roi des Huns .
Une Médaille d'Attila rapportée par le
P. Bandouri , Benedictin , dans fon bas Empire
, a donné lieu à M. Eccard , Hiftoriographe
& Bibliotequaire du Roi George
d'Angleterre , Electeur d'Hanover , & c.
de faire les Remarques dont il s'agit ici.
>

Il obferve d'abord que c'eft mal à propos
que quelques Auteurs , & furtout les
plus modernes , ont dépeint Attila avec
de noires couleurs ; felon eux ce Conquerant
étoit feroce ,-barbare , & extrê
mement cruel . Un Ecrivain ancien & contemporain
nous le repréfente , au contraire
comme un Prince d'un naturel doux
& de très - bonnes moeurs . Il eft vrai , dit
M. Eccard , que les Romains l'ayant extrêmement
irrité, & lui ayant fouvent tendu
des embuches , Attila mit tout en ufage,
pour le venger & c'eft cette vengeance
pouffée un peu loin qui lui a acquis la mauvaife
réputation dont notre Auteur tâche
de le laver. Il aura peut- être de la peine à
réuffit ; car il faut avouer que le préjugé
eft grand & déja ancien au fujet de ce
Prince. Un habile Hiſtorien ( M. l'Abbé
de Vertot, Hift. de Malte , Liv. VI. ) pour
nous donner une jufte idée du fameux
у
Ta1806
MERCURE DE FRANCE
Tamerlan , dit qu'on peut regarder ce
Conquerant Tartare comme un autre Attila,
comme un fleau de Dieu & c.
Quoiqu'il en foit , cette idée de ferocité
& de barbarie qu'on s'eft faite de la
perfonne d'Attila , a paffé jufques fur fes
Médailles ; ce qui paroît qui paroît principalement
fur celle du Cabinet de Jean André Bofius
, grand bronze , où l'on voit d'un
côté la tête de ce Prince reprefenté vultu
truculento , comme parle notre Auteur , &
la barbe fort longue , avec cette Legen
de, ATTILA REX , & fur le Revers la
Ville d'Aquilée avec fon nom AQUILEIA.
Mais M. Eccard foutient que les meilleurs
Antiquaires ont toujours crû cette
Médaille fauffe & fuppofée.
Il parle enfuite de deux autres Médailles
prétendues d'Attila par J.Jacques Chiflet
, & par lui rapportées , comme ayant
été trouvées dans la terre à Besançon ;
elles font d'argent : d'un côté on voit le
bufte d'un Prince encore jeune , ayant
des aîles aux épaules ; & pour Legende
ATEULA. Au Revers un Cheval, la tête
levée , avec une corne au milieu ; fur le
dos un Bâton augural , & entre les pieds
du Cheval un Pentagone : dans l'Exergue
la Lune dans fon décours , avec ce
mot VLATOS .
Notre Antiquaire fait mention d'une .
troiAOUST.
1730. 1807
rroifiéme Médaille prefque femblable
qui lui a été communiquée par un Sçavant
de fes amis ( Reverendiſſ. Abbas Lucenfis
Gerhardus ) dont la Legende de la
Tête eft AT IU LA, & il n'oublie pas celle
que rapporte le P. Bandouri , dont la Legende
eft ATEUL. ayant fur le Revers
un Cheval fans corne & fans lituus , avec
ce mot , comme à celles de Befançon
VLATOS.
Du Cange & Mezabarbe en ont donné
une autre de bronze , où l'on voit d'un côté
la tête nuë d'un jeune homme avec ce
mot ATILA. Au Revers un Lion , fans.
Legende. Mezabarbe affure en avoir vû
une autre auffi de bronze , où du côté de
la Tête on lifoit ATHIL. au Revers un
Cheval fans Legende.
Si on en croit le P. Bandouri , toutes
ces Médailles font du fameux Attila ; Beger
, au contraire , les attribue à Vlacus .
Ateulus , Prince Celte ; mais fes preuves
ont paru foibles à M. Eccard , qui croit
avec Cambden qu'elles ont été frappées
pour un Prince Breton , fentiment fuivi
Gibſon dans fes Additions à l'Ouvra
de Cambden fur la Grande Bretagne,
& confirmé par de pareilles Médailles qui
ont été trouvées dans le même Pays : outre
que l'argent pur dont -elles font fabriquées
ne convient point au fiecle de
par
gc
barbaric
1808 MERCURE DE FRANCE
barbarie du Vainqueur des Romains
tems auquel on fe fervoit d'une matiere
bien inferieure pour la fabrique des Monnoyes.
Nous ne ferons qu'efleurer les autres
preuves qui concourent à donner ces Médailles
au Prince Breton ; le Pentagone
qu'on y voit êtoit une figure facrée chez
les Celtes , & le fimbole du bonheur
d'où vient qu'encore aujourd'hui dans la
haute Allemagne on appelle cette Figure
mifterieufe Druttenfuſſ. c'eſt- à - dire , Pied
des Druides ou des Prêtres Celtiques. L'épi
qu'on voit fur les Médailles de Cambden
& de Gibfon font un fimbole de la Grande
Bretagne , qui fe trouve auffi fur pluſieurs
Médailles de Cunobellinus , Roi Breton
ainfi que la Lune , autre figne de bonheurs
le Lituus , ou Bâton augural défigne
la Religion , & on trouve le Cheval
prefque fur toutes les Médailles Celtiques
& Britanniques , parcequ'on en nouriffoit
beaucoup dans l'un & dans l'autre Pays.
A l'égard de la Figure aîlée , elle convient
parfaitement , & s'accorde avec la Figure
de la Victoire Britannique VICTORIA
BRITANNICA , fi connue par les Médailles
d'Antonin Pie , de Commode , de
Severe , de Geta & c . Dion dans la Vie de
Neron remarque d'ailleurs que la Victoire
étoit particulierement adorée chez les
Brea
A O UST. 1730. 1809
·
Bretons fous le nom d'Adrafte ; il rapporte
même une Priere addreffée à cette Divinité
par Boodix ou Bundovix , Amazone
* Britannique . Cette derniere preuve
eft fort étendue dans notre Auteur ; mais
en voilà affez pour appuyer un fentiment
qui eft avancé avec beaucoup d'apparence
& de folidité.
M. Eccard après avoir exercé fa critique
fur des Médailles trop legerement
attribuées à Attila , en produit une de ce
Conquerant tirée de fon Cabinet dont il
nous garantit la verité en ces termes :
Attila Numus fi unquamgenuinus extitit ,
nos poffidere certum eft . Elle eft de petit
bronze ; d'un côté ce Prince eft repréfenté
fans barbe avec un air & un regard fort
doux , la tête couverte d'une efpece de
Thiare , qui eft un peu défigurée ſur la
Médaille ; ce qui paroît du corps eft habillé
d'une maniere barbare , corpus paludamento
barbarico veftitum eft ; fur le Re-
* Nous avons employé le terme d'Amazonne
Britannique après M. Eccardo M M. de Lipfic.
Ce terme qui a quelque chofe d'extraordinaire
n'eft point dans le Grec de Dion.ni dans la vers
fion de Xilandre que nous avons confultés; mais
l'Héroïne dont il eft ici queftion le méritoit fans
doute : fon avanture fait un des plus beaux
morceaux de l'Hiftorien Grec
propofons de la prefenter unur à nos Lecteurs
nous nous
F vers
1810 MERCURE DE FRANCE
vers il n'y a autre chofe que ces deux
mots en caracteres fort nets & bien confervés
, A DULA (REX ; ils font enfermés
, auffi bien que la Figure du premier
côté de la Médaille,dans une couronne de
laurier. A bien confiderer l'image & l'ha
billement de ce Prince , on y trouve quelchofe
de reffemblant à Baduila ou Toque
tila , Roi des Goths ; mais cela n'empê
che pas M. Eccard de foûtenir que la Médaille
eft veritablement d'Attilla . Cette
reffemblance , dit- il , vient de l'ufage
dans lequel étoit ce Frince , qui aimoit
les moeurs & la Langue des Goths , de
s'habiller à la Gothique , trouvant cette
manieré plus commode , & fi l'on veut
plus galante , elegantiùs , que celle de fon
Pays , comme les Goths eux - mêmes
avoient emprunté l'habit des Getes après
leur avoir fuccedé , en les chaffant des
Regions qu'ils avoient occupées fur le Danube
, ainfi que M. Eccard s'engage de
le faire voir ailleurs.
GEMMARUM affabrè fculptarum Thefaurus
, quem fuis fumptibus collegit J.
Mart. ab Ebermayer Norimbergenfis ,
Digeffit & recenfuit J. Jacobus Baierus
Ph . & Med. Doctor hujufque in Acad .
Altorfina Profeffor Primarius . Noribergæ
1. vol. in fol. 1720. &c. C'eſt - à-dire 9
Trefor
A O UST . 1730. 181 1
Trefor de Pierres précieufes excellemment gravées
, recueilli par Jean Martin d'Ebermayer
de Nuremberg , mis en ordre & expliqué
parJean Jacques Bayer , Docteur &
Premier Profeffeur en Medecine de l'Univerfité
d'Altor . 1. Vol. in fol. à Nuremberg,
1720. chez l'Auteur du Recueil.
M. d'Ebermayer eft un riche Marchand
de Nuremberg , qui poffede un fort beau
Cabinet , dont les Pierres gravées font la
plus belle & la principale partie . Les Antiquaires
lui doivent le foin qu'il a pris,
de les amaffer à grands frais , & ils doi
vent à M. Bayer la peine qu'il s'eft donnée
de les examiner & de les expliquer. Parmi
les Piéces les plus rares & les plus curieufes
de ce Tréfor , reprefenté dans le Livre
en 30. Planches , d'une très-belle gravure,
on diftingue la Déeffe Flore, l'Enlevement
de Proferpine , le Triomphe de Bacchus
& d'Adiadne , un double Sacrifice à Diane
, le Jugement de Pâris , fur une trèsbelle
Calcedoine ; l'Enlevement des Sabines
le Jugement d'Horace & l'Action
Héroïque de Scevola , divers Empereurs
Romains , le Triomphe de Tite , enfin
plufieurs Divinités & plufieurs Mifteres
de la Théologie Payenne , fur lefquels ,
M. Bayer fait paroître beaucoup d'érudition.
Fij COR
1812 MERCURE DE FRANCE
CORNELII VAN BYNKERSHOEK ,
& Senatoris opufculum de jure occidendi ,
vendendi & exponendi liberos apud veteres
Romanos. Lugduni Batav . 1719. in
4. c'est à dire , Opufcule de Corneille Van
Bynkershoek , Furifconfulte & Senateur , fur
le droit de faire mourir , de vendre & d'expofer
les enfans chez les anciens Romains.
A Leyde, vol . in 4. 1719.
Si nous jugeons de cet Ouvrage par
l'Extrait qu'en ont fait M M. du Journal
de Lipfic , il doit être fort étendu , & le.
Titre d'Opufcule eft un peu trop modefte .
Pour le fonds dans lequel nous nous dif-.
penfons d'entrer , il nous a paru que c'eft
une matiere plus curieufe qu'utile & intereffante
, & qui repreſente parfaitement
bien le génie de domination , la ferocité
& la dureté naturelle des anciensRomains.
ΠΕΡΙ ΤΩΝ ΚΑΘΗΚΟΝΤΩΝ BIBAO
& c. c'est-à-dire , Traité des Offices
ou des Devoirs de la Vi : Civile , écrit par le
Prince Jean Nicolas , Fils d'Alexandre
Maurocordato , Vaivode , & Seigneur de
toute la Valachie & c.1.vol. in 4. à Buchereft
1719 .
Parmi les Princes qui fe font appliqués
à l'étude des Lettres , on en compte plufieurs
qui ont laiffé à la pofterité des Monumens
refpectables de cette application,
&
Á O UST. 1730. 1813
que
>
& dans ce nombre on diftingue particulierement
ceux qui nous ont laiffé des
Traités de Morale ; tels font Marc- Aurele
, Empereur Romain , Leon le Philo
fophe , Bazile & Conftantin , Empereurs
Grecs , Jacques I. Roi d'Angleterre , &
voici le Sereniffime Prince Jean Nicolas
Maurocordato , qui de nos jours , en fuivant
les traces de ces Grands Hommes , à
l'honneur des Lettres & des Lettres
Grecques , dont on peut dire qu'il eft le
Reftaurateur & le Mecéne , nous donne
auffi un Ouvrage de Morale écrit en
Grec , avec autant d'élegance & de politeffe
de folidité ; il eft intitulé nel
Twv xaðnнóvTWV , ou des Devoirs qui conviennent
à la Vie Civile , en commençant
par la Religion , & traittant en particulier
des devoirs du Prince à cet égard . L'illuſtre
Auteur , outre l'Ecriture , les Peres & les
meilleurs Auteurs Ecclefiaftiqnes , n'oublie
pas ce que les Ecrivains Prophanes
ont dit de bon fur la Morale , appuyé
particulierement de l'autorité de S. Bafile
le Grand , qui a fait un excellent Traité
de l'utilité qu'on peut tirer des Ecrits des
Auteurs Prophanes. Nous fommes fâchés
de ne pouvoir pas entrer dans le détail
de cet Ouvrage ; M M. de Lipfic y ont
fuppléé en nous faifant connoître un bon
Livre , imprimé dans le fond de la Vala-
F iij chic
1814 MERCURE DE FRANCE
chie , qui fans eux feroit ignoré dans plu
fieurs Contrées de l'Europe Sçavante.
JOANNIS OLIVE RHODIGINI ,
in marmor Ifiacum Romæ nuper effoffum ,
Exercitationes ad Reverendiffimum Patrem
Magiftrum F. ANTONIUM CLOCHE
, totius Dominicanæ Familiæ Generalem.
1. vol. in 8. Romæ , apud Joannem
Mariam Salvioni , Typographus Vaticuni
, in Archigymnafio Sapientiæ 1719 ..
c'eft à- dire , Differtation de Jean Oliva
fur un marbre antique confacré à la Déeffe
Ifis , découvert depuis peu à Rome , addref
fée au R. P. Antoine Cloche , General des
Dominicains. A Rome vol . in 8. 1719 .
Il y a environ dix ans que les Religieux
de l'Ordre de S. Dominique , du Convent
de la Minerve , en faiſant creufer les fondemens
de quelques nouveaux Edifices ,
pour procurer principalement un eſpace
plus convenable à la fameufe Bibliotheque
du Cardinal Cafenate , trouverent un
Marbre antique , orné de Figures en bas
reliefs, d'une fculpture exquife fur fes
tre faces , bas reliefs qui charmerent les
Connoiffeurs , & qui les déterminerent à
juger que ce marbre a été un Monument
confacré au culte de la Déeffe Ifis . Peu
de tems aprés cette découverte , le fçayant
M. Oliva fe trouvant à Rome étudia ce
qua-
Monu
A O UST. 1730. 1815'
*
Monument, & prononça là deffus un Diſcours
dans la Bibliotheque dont nous venons
de parler. Il fut depuis invité par
les deux habiles hommes qui préſident à
cette Bibliotheque , de publier fon fentiment
, & de faire connoître à tout le mon
de fçavant ce qu'il penfe du Monument
dont il s'agit , ce que M. Oliva ne pût refufer
, & ce qui donna lieu à une Differtation
dont M M. de Lipfic ont fait un
Extrait qui fait honneur à leur goût & à
P'habileté de l'Auteur.
Cet Extrait eft fuivi d'une autre Differtation
fur le même fujet , imprimée toute
entiere dans le même Journal , laquelle
porte pour titre In idem illud marmor
Ifiacum GEORGII CHRISTIANI GEBAVERI,
Vratislavienfis Exercitatio . Ce
fecond Antiquaire fait paroître auffi beaucoup
d'érudition ; mais il n'eft pas du fentiment
de M. Oliva en expliquant les fimboles
qui fe trouvent fur ce marbre Egyptien.
Ils conviennent encore moins du nom
qu'il faut lui donner ; étoit-ce un Autel ?
la Bafe ou le Piédeftal d'une Statuë ? d'une
Colomne ou fimplement une Pierre Votive
&c. c'est ce qu'il n'eft pas aifé de déterminer.
Nous ren voyons les Curieux
aux Recherches de ces M M. & au deffein
parfaitement bien gravé des Bas - Reliefs
en queftion , qui fe trouve auffi dans
F iiij
le
#1816 MERCURE DE FRANCE
le Journal de Lipfic , page 394. de la même
année 1720 .
L'ART D'ENSEIGNER LE LATIN aux
petits enfans en les divertiffant & fans
qu'ils s'en aperçoivent. Dépendance de
L'Art d'élever la jeuneffe , felon la difference
des âges , du fexe & des conditions;
par M. de Vallanges . A Paris , Quay des
Auguftins & rue S. Jacques , chez Gandouin
& Laifnel , 1730.
M. de Vallanges ne fe dément point ;
continuellement animé d'un zele ardent
pour le bien public en general , & pour
l'avancement des Lettres & l'éducation
des enfans , defcend dans ce petit ouvrage
jufques dans les moindres détails ,
fur tout ce qu'il croit pouvoir être utile
à tous les vaftes projets. Quand on joindra
le Latin aux Arts & aux Sciences , dit il ,
on ne verra plus gueres de Faineans , qui
font les Chenilles , les Sauterelles & les
Hannetons de chaque Etat.... Outre les
avantages de la nouvelle Méthode , j'ajouterai
que l'on enfeigne le Latin à peu
de frais , parce qu'on n'eft pas long temps
à l'apprendre, & que l'on n'ufe ni encre ,
ni plumes , ni papier ; par ce moyen les
enfans ne tâcheront ni leur linge, ni leurs
habits , & ils ne gâteront pas leurs mains,
comme ils font à prefent en grifonant
leurs
A O UST. 1730. 1817
leurs Thémes. . . Et comme il n'y
a point de Thémes à compofer , on épargne
auffi les Verges & les Férules , inftrumens
qu'on ne connoît point du tout
dans mon fyftême d'étude .
Il prend la précaution à la page 16 ;
de prier le Lecteur d'excufer fes naïvetez
, les entretiens familiers ne demandant
pas tant de régularité . Je ne parle
point icy en Académicien , dit-il.
Dans l'art d'élever les enfans qui font à la
mammelle, l'Auteur ne veut point que les
enfans connoiffent leurs nourrices. On
peut tirer de tres- grands avantages de
cette pratique , pourfuit- il . Le commerce
d'entretien d'un enfant avec fa nourrice
ne peut être que très
préjudiciable
aux enfans , ainfi je ne le fouffrirois
point
du tout.Vous en verrez la raifon dans mon
Art d'élever
les enfans
à la mammelle
.
Dans ce qui regarde
l'éducation
de la
jeuneffe
, je vous confeille
de tout changer;
j'offre de fournir
dans tres- peu de
temps un tres- grand nombre
de Gouvernantes
& de Promeneufes
, & de Remueufes
Latiniftes
; il ne faudroit
pas un an
pour en fournir
tout Paris , toutes les
Villes de Province
, & tout les Païs Etrangers.
Une Chandelle
allumée
en allume
bien vîte dix autres , les dix autres
en allument
chacune
, &c. & ainfi dans peu de
F v A
(1818 MERCURE DE FRANCE .
temps toute la Terre feroit latine.
A la page 68 , & fuivantes, M. de Vallanges
, donne des idées generales d'Academies
inftructives
, propres
aux garçons
&
aux filles de differens états. N'oublions
pas
cette circonftance
: Je donnerai
le moyen
inceffamment
, dit- il , que cette éducation
ne coute rien du tout aux parens .
le
C'eft par le miniftere des filles , pourfuit
l'Auteur , que l'on donnera la forme
à tous les enfans des deux fexes , de quelques
conditions qu'ils foient . C'eſt par
moyen de ces filles que l'on enfeignera
les Langues , les Sciences , les Arts , les
Hiftoires & même les exercices du corps;
en plaifantera qui voudra , je fçai à quoi
m'en tenir.
RECUEIL de Têtes de Caractere & de
Charges , deffinées par Léonard de Vinci,
Florentin , & gravées par M. le C. de C ..
1730. A Paris , rue S. Jacques , aux Colonnes
d'Hercule , chez J. Mariette . Petit
in folio.
Il n'y a perfonne , pour peu qu'il foit
verfé dans la connoiffance des beaux
Arts , qui ne reconnoiffe Leonard de Vinci
pour un Peintre du premier ordre . Ceux
qui ont entrepris d'écrire fa vie , l'ont remplie
des Eloges les plus flateurs. Eh quelles
louanges , en effet , ne font pas dues à
celui
AOUST . 1730. 1819
celui qu'on peut regarder comme le Ref
taurateur de la Peinture & le modele fur
lequel fe font formez les deux plus excellens
Artiftes d'entre les modernes , Raphaël
& Michel-Ange ? Mais il reftoit encore
à prefenter au public quelque Corps.
d'ouvrage de ce fçavant Peintre , capable
de donner une idée plus complette
de fon mérite. Le Recueil de Deffeins qui
vient d'être mis au jour , y paroît trespropre.
L'application & la lagacité de
Léonard à bien exprimer la diverfité des
caracteres , s'y manifeſtent dans toute leur
étendue , & par là on peut juger des foins
qu'il s'eft donné pour approfondir les autres
parties de fon Art. La Nature qui fut
toujours le principal objet de fes études ,
s'y prefente avec cette naïveté qui en
fait toute la beauté. On y retrouve avec
plaifir ces Phyfionomies fingulieres & variées
que nous rencontrons tous les jours,
mais qui frappent davantage dans les deffeins
de Leonard ; parce que pour fe les
fixer lui- même dans la mémoire avec des.
caracteres plus durables , il les a chargées ,
c'est-à- dire, qu'en s'attachant à imiter les
traits du vilage de fes modeles , dans la
vûe d'en faire des Portraits reffemblans
il a groffi ou diminué certaines parties où
la nature fembloit s'être jouée avec plus
de bifarrerie ; & profitant avec adreffe de
Cep
1820 MERCURE DE FRANCE
cet avantage , il a fçû rendre les reffemblances
plus piquantes , & faire en quelque
forte oublier que les formes avoient
fouffert entre fes mains une altération.
Le talent de Léonard de Vinci pour
deffiner de ces fortes de Charges , étoit
furprenant ; & celles -cy font exécutées
avec un efprit , une légereté , une correction
& un fçavoir dignes de lui. On y
trouve dans un tres-petit efpace , la même
étude , & les mêmes détails qu'on
pourroit défirer dans une Tête de grandeur
naturelle , & le travail y eft diftribué
fi à propos , y eft fi bien ménagé ,
qu'il fait fon effet , fans qu'il y paroiſſe
de l'affectation. Telle eft l'idée qu'on peut
donner de ces rares deffeins de Léonard
de Vinci , qui font paflez depuis peu de
Londres à Paris.
·
Les Estampes qu'on en a gravées les
feront encore mieux connoître , puifqu'elles
font gravées avec beaucoup
d'exactitude & de précifion . Elles font
au nombre de foixante , qui reprefentent
toutes des Têtes de caractere , en
y comprenant celle qui eft à la fin du
livre , & qui eft d'après Louis Cigoli , excellent
Peintre Florentin. Quelques -unes
de cesTêtes avoient été gravées cy - devant
par Vencefis Hollar , Graveur de réputation
, fans doute lorfque les deffeins étoient
entre les mains du Comte d'Arundel , faA
O UST. 1730. 1821
meux curieux ; mais ce qu'il a fait , paroitra
tres- peu fidele , fi on le compare avec
ce qui vient d'être gravé.
Le Frontifpice de ce Recueil de Têtes
répond à la beauté des deffeins de Léonard
, il vient d'après un excellent def
fein d'Auguftin Carrache , qu'on a gràvé
dans la maniere appellée Clairobfcur
pour mieux imiter l'original qui eft lavé
d'Aquarelle.
Une Lettre de 22 pages fuit ce Frontif
pice. Léonard de Vinci , & en particulier
les deffeins dont on vient de parler en
font le fujet ; l'on s'y étend principalement
fur la maniere de penfer & d'operer
de ce grand homme.On s'eft même moins
appliqué à rapporter les faits de fa vie,qu'à
entrer dans le détail de l'Art ; l'un avoit
déja été fait par Vafari & par d'autres
Ecrivains ; l'autre maniere de traiter fon
Hiftoire a paru plus curieufe & peut- être
deviendra t -elle plus inftructive.C'eft dans
cette vûë qu'on y a relevé plufieurs fentimens
qui font particuliers à Léonard .
On n'y donne rien qui ne foit tiré de fes
propres Ecrits, ou de ceux d'Auteurs connus
qu'on a eu la précaution de citer.
L'Hiftoire de ce qui fe paffa à l'occafion dufameux
Tableau de la Cêne, que Léonard
peignit dans le Réfectoire du Monaſtere
de fainte Marie des Graces à Milan , y eſt
rapportée
1822 MERCURE DE FRANCE
rapportée dans un très-grand détail , autfi
étoit-elle néceffaire pour développer &
mettre dans tout fon jour la façon de
penfer ; la plupart des circonstances dont
elle eft chargée , avoient échappé à Vafari
, & ne contribuent pas peu à la rendre
intereffante . Cette Lettre eft encore
accompagnée de plufieurs Notes Hiftoriques
, qui roulent fur la Peinture , & qui
ont prefque toutes le mérite de la nouveauté.
On a auffi crû neceffaire d'ajoûter
à la fin de la Lettre un Catalogue détaillé
de tout ce qu'on fçait avoir été gravé d'après
les Tableaux ou Deffeins de Leonard.
Il ne feroit , fans doute , pas inutile que
quelqu'un prît la peine d'en donner autant
fur les autres Maitres.
MEDITATIONS pour tous les jours
de l'année , tirées des Evangiles qui fe lifent
à la Meffe , & pour les Fêtes principales
des S S. avec leurs Octaves , par
Dom Jean - Firmin Rainffant , Benedictin ,
&c. quatriéme Edition . A Paris , ruë
S. Jacques , chez G. Martin , in 4.
MEDITATION s fur la Regle de faint
Benoît . Par M. A. J. le B. de Rancé
Abbé de la Trape . Troifiéme Edition
augmentée de la veritable préparation à
la mort. In 12. 5o . fols. Chez le même.
MB
>>
"A O UST . 1730. 1823
MEMOIRES du Comte de Buffi
Rabutin . Deuxième Edition . A Paris ,
idem. 3. vol . in 12. 7. liv . 10. fols.
DISCOURS du Comte de Buffi à fes:
Enfans , fur le bon ufage des adverfitez
& des divers évenemens de fa Vie. Troifiéme
Edition , in 12. 50. fols . Chez le
même.
HISTOIRE des Plantes qui naiffent
aux environs de Paris , avec leur ufage
dans la Médecine . Par M. de Tournefort ,
de l'Académie Royale des Sciences . Troifiéme
Edition , augmentée par M. Bernard'
de Juffieu , de la même Académie. Chez.
le même. 2. vol . in 12. 5. livres
ABREGE' DES MEDITATION.S
fur la Vie de J. C. pour tous les jours
de l'année , & pour les Fêtes des Saints ,.
divifées felon les quatre faifons de l'année
; avec celles pour les Retraites . Part
le P. Haynenfve , de la Compagnie de Je
fus. Chez le même. huitiéme Edition . 4.
vol. in 12. 8. livres..
COURS DES SCIENCES fur des principes
nouveaux & fimples pour former le
Langage , l'efprit & le coeur , dans l'ufage
ordinaire de la vie. Par le R..P. Buffiers
Do
1824 MERCURE DE FRANCE
D. L. C. D. J. A Paris , rue S. Jacques
chez Cavelier & chez Giffaut , in folio de
8. à 900. pages, à deux colonnes . Caractere
de S. Auguftin .
ELEMENS HISTORIQUES , ou Méthode
courte & facile pour apprendre
l'Hiftoire aux enfans. Dédiez à S. A. S.
M. le Duc de Chartres. A Paris , ruë de la
vieille Bouclerie & rue du Foin , che J. B.
Lamefle, & la veuve de P. de Lormel ,
1730. 2. vol. in 12 .
LE TRIOMPHE DE L'ELOQUENCE,
dédié à M" de l'Académie Françoiſe . Par
Madame de Gomez. Quai des Auguftins,
& Quai de Gefures , chez le Clerc , Saugrain
& Prault , 1730. brochure in 12 .
de 86. pages.
LES REGLES DU DROIT FRAN
çois , par M. Claude Pocquet de la Livoniere
, A Paris , chez J. B. Coignard ,
ruë S. Jacques , 1730. in 12 .
COMMENTAIRE fur la Géométrie de
Defcantes , par le R. P. Robuel , de la Compagnie
de Jefus. A Lion , ruë Merciere ,
chez Marcellin Duplain , 1733. in 4. de
590. pages,
MIAOUST.
1730. 1825
MEDICINA MUSICA , &c. par M. Richard
Browne. A Londres , chez les Knaptons.
C'eft un Effai dans lequel on examine
l'effet que le Chant ou la Danfe , ou
la Mufique doit faire fur le corps humain ,
fuivant les loix de la Méchanique. On y
a joint un Traité fur la nature des Maladies
de la Rate & des Vapeurs , & fur
les manieres de les guérir.
SENATUS - CONSULTI DE BA CCHANALIBUS
, &c. Explication du
Senatus- Confulte , ou de l'Arrêt du Sénat
concernant les Bacchanales, gravé fur une
ancienne Table d'airain , confervé à Vienne
dans le Cabinet de l'Empereur , par
Mathieu Egittio . A Naples , chez Felix
Mufca , 1729. in folio de 221. pages . 2 .
Planches.
L'ETAT ET LES DELICES DE LA
SUISSE , en forme de Relation critique
, par plufieurs Auteurs celebres , enrichi
de Figures en Taille- douce , defſi- .
nées fur les lieux , & des Cartes Géographiques.
très- exactes. Amfterdam , chez les
Wefteins & Smith , 1730. 4. vol . in 12.
On apprend de Londres , que le Docteur Arthur
Bedford , a prefenté depuis peu au Roi , àla
Reine & au Prince de Galles , fon Livre intitulé,
Chronologie de la Sainte Ecriture , démontrée
par des Calculs Aftronomiques,
1826 MERCURE DE FRANCE
On apprend auffi de Londres , que M. Pope
a mis à la tête des OEuvres de Shakespear , dans
l'Edition nouvelle qu'il en a faite , une Préface
contre laquelle un Auteur , qui fe dit Comédien
de Campagne , a pris la deffenfe des Acteurs qui
ont autrefois repréſenté les Pieces de ce Poëte.
Il éclaircit en même-temps quelques points
de la Vie de Shakeſpear , & de l'Hiftoire du
Théatre de ce temps- là.
LETTRE de M. Morand , Chirurgien , à
M. Falconet le fils , Docteur en Medecine
, de l'Académie des Belles - Lettres
, &c.
MONSIEUR ;
Démontrer par le raifonnement qu'une décou
verte peut être bonne , c'eſt une façon de mettre
les connoiffeurs en état de juger du merite de
la choſe , mais elle ne perfuade pas tout le monde.
Prouver par des Experiences que la pratique
en eft utile , c'eſt une façon sûre de convaincre
les incrédules , & de ruiner les préjugés:appuyer
enfin cette découverte fur le raifonnement &
Pexperience en même- tems , n'est- ce pas remplir
tout ce que l'on peut exiger de celui qui la
propofe
>
Je n'examine point ici , Monfieur,fi la Méthode
de tailler de la Pierre par l'appareil lateral
que quelques - uns ont nommé à l'Angloife , eft
une opération nouvelle ou non , cela fera difcuzé
ailleurs ; il me fuffit de la propofer comme
une opération excellente , à laquelle on peut appliquer
A O UST . 1730. 1827
pliquer ce que je viens de dire fur une découverte
en general.
>
Tout ce qui regarde la théorie de cette opération
a été parfaitement traité , Monfieur , dans
votre fçavante Thefe : An , educendo calculo ,
cateris anteferendus Apparatus lateralis . Une
érudition recherchée , une Logique judicieufe ,
un parallele exact de cette Méthode avec les
autres en établiffent le mérite , mais il falloit
des faits , & les plus pénetrés de la verité de la
Thefe fe difoient mutuellement , il ne manque
plus que de mettre l'opération en pratique. Permettez
donc , Monfieur , que je vous adreffe
l'Argument victorieux de votre Theſe , c'eft ainfi
que je nomme la Lifte vraye de ceux qui ont
été taillés à Paris par l'Appareil latéral. /
1. Claude Mony , âgé de 8 ans , taillé chez,
une garde , dans la rue Jacob , le 7 Septembre
1729. par M. Perchet , guéri.
2. M. l'Abbé Lambert ; Curé de Sercey , Diocèfe
de Langres , âgé de 61 ans , je l'ai taillé le 9
mai 1730. je lui ai tiré cinq pierres groffes comme
des maffepains , guéri.
3. Pierre la Chapelle , âgé de 9 ans , je l'ai
taillé le 9. Mai : je lui ai tiré deux petites pierres
, guéri.
4. Louis - Martin Caillau , âgé de 8 aus ; je
l'ai taillé le 9 May : je lui ai tiré une pierre
groffe comme un gros Abricot , guéri.
f . Louis Durié , âgé de 7 ans : je l'ai taillé le
13 May , je lui ai tiré une petite pierre , guéri.
6 Louis - Jofeph Coquo , âgé de 9 ans : je l'ai
taillé le 13 May , jè lui ai tiré une groffe pierre ,
guéri.
7. Nicolas Desjardins , âgé de 26 ans , je l'ai
taillé le 23 May : je lui ai tiré une pierre murale
, pleine d'afperités , mort.
8.
1828 MERCURE DE FRANCE
8. Claude Barbereau , âgé de 22 ans : Je l'ai
taillé le 23 May ; je lui ai tiré une très- groffe
pierre , chargée de trois pointes , guéri.
9. Pierre Goupy , âgé de cinq ans , taillé par
M. Perchet le 9 May : la pierre étoit petite ,
guéri.
10. Jean- Noël Sellier , âgé de 5 ans , taillé
par M. Perchet , le 9 May : il avoit deux petites
pierres , mort.
11. Edme Fievet , âgé de 6 ans , taillé pár
M. Perchet le 13 May : la pierre étoit petite ,
guéri.
12. Jacques Defroſiers , âgé de 7 ans , taillé
par M. Perchet le 13 May : il avoit deux petites
pierres , guéri.
13. Louis Moutier , âgé de 12 ans
taillé pár
M. Perchet le 24 May , la pierre étoit groffe
comme un petit oeuf, guéri.
14. M. l'Abbé Turcan , âgé de 40 ans , taillé
le 16 May par M. Perchet ; la pierre étoit petite ,
guéri.
15. M. Le Muet , Marchand de Troyes , âgé de
55 ans ; je l'ai taillé le 30 Juillet dernier , malgré
la chaleur , attendu qu'il étoit en danger par
les grandes douleurs qu'il fouffroit de la pierre ,
je lui en ai tiré une affez groffe.
Voilà , Monfieur , quinze Malades taillés par
l'Appareil latéral , dont deux font morts , douze
font gueris & le dernier le fera inceffamment
>
Vous imagineriez
des gens
-
>
vous bien , Monfieur
affez déraisonnables pour nier ces faits
dans desAffemblées refpectables , & vouloir affoiblir
des témoignages vivans que Mr de l'Académie
Royale des Sciences ont vus avec plaifir, & que
les Curieux & les bons Citoyens , ont épluchés
eux-mêmes,pour rendre hommage à la verité, Oui,
Monfieur, il y a de ces gens déraisonnables; mais
ce
A O UST . 1730. 1329
ce qu'il y a de monftrueux , c'eft qu'il s'en trouve
parmi mes Confreres . En verité , tel qui jouit
de la réputation de bon Chirurgien , devroit
bien fe menager celle de veridique . C'est au Public.
équitable à juger d'un procedé pareil ; pour
moi je ne fouhaite rien tant que l'examen
des faits que j'avance , les Regiftres de l'Hôpital
de la Charité en prouveront douze , & rien n'eſt
plus facile à verifier que les trois autres. J'ay
T'honneur d'être , & c.
7
A Paris , ce 24 Août 1730.
EXTRAIT d'une Lettre de Marseille du
24 Juillet ,fur une Machinefinguliere
& utile .
a ici une Eglife affez jolie , où s'affem-
I blent les Pénitens de la Rédemption des Efclaves
;
teur ,
>
cette Eglife a 17 toifes de longueur , & 4
toifes & demi de largeur dans oeuvre La voute
eft foutenue par deux murailles , l'une de 8 toifes
& demi , & l'autre de 7 toifes & demi de haucette
inégalité vient de l'inégalité du terrain.
La pouffée de la voute demandoit toute
l'épaiffeur du mur mais on n'avoit pas donné
à la terre toute la pouffée qui lui étoit neceffaire
pour l'empêcher de s'étendre ; cette inégalité de
terrain , & ce défaut de pouffée avoit caufé un
élargiffement de dix - huit pouces par le haut
& la voute s'étoit abaiffée de huit ou dix pieds
elle s'étoit même fendue par le milieu dans toute
fa longueur , tout l'édifice menaçoit ruine , on
craignoit qu'il ne vint à crouler tout à coup , on
fe difpofoit à le démolir entierement pour le reprendre
dès les fondemens. Un Machiniſte nommé
Pierre Veran de Vaux , s'offrit au commencement
>
18 30 MERCURE DE FRANCE
cement de cette année , de remettre l'Eglife en
fon premier état , de rapprocher les murailles, &
de relever la voute , on lui promit quinze cent
livres , s'il venoit à bout de fon deffein , il entreprit
ce grand ouvrage quinze jours avant Pâques
, il ne fe fervit que de fimples Leviers de
bois , de plufieurs cordages , & d'un Cabeſtan
la voute à été relevée , les murailles fe font approchées
, les fentes ont difparu , l'Eglife eft en
meilleur état qu'auparavant , & à préſent on y
fait l'Office Divin , au grand étonnement de
tous ceux qui avoient vû il y a quelques mois en
quel état étoit pour lors cette Eglife.
>

On nous écrit de Caen que le 12 du mois de
Juillet dernier il fe fit un exercice public au
College du Bois , fur toute l'Andrienne de Terence
; on ouvrit l'Exercice par la récitation du fixiéme
Livre de Telemaque , traduit en Vers Latins
, comme nous l'avons dit dans un de nos
Journaux , par M. Heurtauld , Profeffeur dans
le même College.
Le 21 du même mois il y eut dans le même
College un autre Exercice fur les trois premiers
Livres de Quint- Curce ; on devoit ouvrir cet
Exercice par la récitation du feptiéme & du huitiéme
Livre de Telemaque , traduits par le même
Auteur qui a entrepris le Poeme entier , mais
l'indifpofition d'un Ecolier en empêcha l'éxecution.
L'Affemblée étoit confiderable , & compofée
de perfonnes de diftinction & de fçavoir , qui
ne font pas en petit nombre dans cette Ville.
Le fieur Guillaume Danet , vient de mettre
au jour une nouvelle Carte de l Europe , dreffée
fur les dernieres Obfervations Aftronomiques
, & fur les Itineraires anciens & modernes
;
A O UST. 1730. 1831
nes ; divifée en fes principales parties , exactement
conforme aux poffeffions des Rois & Prinornée
outre cela d'une Bor- ces d'aujourd'hui ;
dure d'un pouce de large , utile & curieuſe , reprefentant
les Armoiries des Royaumes , Républiques
ou Cantons , & autres Etats Souverains,
Cette Carte eft de la derniere utilité pour toutes
fortes de perfonnes , & particulierement
pour le
foulagement de la mémoire des jeunes perfonnes
qu'on veut inftruire dans la Géographie ou dans
la connoiffance de l'ufage de la Carte. Elle fe
Pont Novend
à Paris , chez ledit fieur Danet ,
tre-Dame , à la Sphere Royale,
Il vient de paroître deux nouvelles Eſtampes
en large , de Watteau , d'une compofition admirable
, & toujours d'un gout noble & galand.
Elles fe vendent chez Chereau , rue S. Jacque s ,
& Surugue , rue des Noyers , fous le titre de
Pifle de Cythere , & les Charmes de la vie.
> a ac-
M. de Maifons , Prefident à Mortier
quis depuis peu une très-belle Antique , repre- fentant l'Amour . On a mis au bas ces deux Vers
de M. de Voltaire.
Qui que tu fois , voici ton Maître.
Il l'eft , ou le fut , on doit l'être.
Le 4 Juillet dernier , le Roy fit choix du fieur
Godin pour remplir la place d'Aftronome
affocié
de l'Académie Royale des Sciences , vacante par la promotion du fieur Lieutaud , à celle d'Aftronome-
Penfionnaire
.
AIR
1832 MERCURE DE FRANCE
******* XX :XXXXXX
Q
AIR.
Uels affreux tourbillons ! quels éclairs !
quel tonnerre !
Quel débris ! Dieux ! que d'abîmes ouverts ?
Ah! C'en eft fait , les Elémens en guerre ,
Vont bientôt m'engloutir fous l'Empire des
Mers.
Le trépas n'a rien qui m'étonne ;
L'on defcend tôt ou tard dans la nuit du Tombeau.
Mais qu'un Buveur , qu'un enfant de la
Tonne ...
O défefpoir ! ah ! j'en friffonne.
Faudra-t-il , juftes Dieux , que je meure dans
l'eau !
XXXXXX :XX :XXXXXXX
N
SPECTACLES.
Ous aurions plutôt donné un Extrait
de la Tragédie d'Abfalon , fi les
repréſentations de cette excellente Piéce
n'avoient été interrompuës par l'indifpotion
de la Dlle du Freſne , qui y jouë trèsbien
le Rôle de Tharés ; cette interruption
a empeché de recueillir les fentimens
}
Air de M."Le
NEW YORK
LIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
ANY
.
AATOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
AOUST . 1730 . 18331
mens des Connoiffeurs ; les obfervations
critiques ne fe manifeftent pas tout à
coup , & ce n'eft que dans une plus longue
fuite de Repréſentations , que les découvertes
fe multiplient , & qu'on eft en
état d'en faire un jufte choix . Nous commencerons
par la fimple marche de l'action
, & nous finirons par les refléxions
qui font venues jufqu'à nous.
M. Duché , de l'Académie Royale des
Infcriptions & Belles-Lettres , eft l'Auteur
d'Abfalon, Tragedie tirée de l'Ecritu
re Sainte . Il excufe dans fa Préface la liberté
qu'il a prife d'adoucir le caractere d'Abfalon
pour le rendre moins odieux ; voici
la raifon qu'il en donne : Un Caractere fi
odieux ne pouvoit être celui d'un Heros de
Tragédie , &c. fon ambition le rend aſſez
criminel pour meriter la mort ; mais il ne l'eft
pas affez pour ne point infpirer quelque
regret quand on le voit mourir ; ainfi en excitant
la pitié , il jette dans le coeur cette
crainte falutaire qui nous fait appréhender.
que de pareilles foibleffes ne nousjettent dans
d'auffi grands malheurs : Cette raiſon eft
d'autant plus fpécieuſe , qu'elle eft fondée
fur les régles prefcrites par Ariftote , qui
veut qu'un Heros de Tragédie ne foit
ni tout-à- fait vertueux , ni tout-à - fait
vicieux ; c'eſt-là ce qui a déterminé M. de
Racine à rendre Phedre moins criminelle
G &
1834 MERCURE DE FRANCE
& Hippolite moins vertueux ; cette régle
n'eft pourtant pas fi fcrupuleufement obfervée
par le grand Corneille dans fa Rodogune
, & l'on ne peut pas dire que la
méchanceté de Cléopatre y foit adoucie.
و
Le fecond fcrupule de M. Duché , c'eſt
d'avoir fait quelque changement auTexte
facré par raport à la mort d'Abfalon ; fcrupule,
dit-il qui fut levé par des perfonnes
refpectables par leur rang & par leur fçavoir.
Ce n'eft pas ici le lieu d'examiner
fi l'Apologie eft recevable ou non ; il finit
fa Préface par ces mots : Voilà les Objections
principales que l'on me pourroit faire ,
on yen pourroit ajouter d'autres , aufquelles
je ne puis répondre d'avance , ne pouvant
Les prévoir. On les fait aujourd'hui ces
Objections , peut-être font elles d'une
nature à ne pouvoir y répondre que foiblement
; peut- être auffi la Critique qu'on
en fait eft -elle trop fevere ; car on n'a jamais
exercé la cenfure avec tant de rigueur.
On a beau dire qu'il y a plus de
Critiques dans ce fiécle qu'il n'y a de
bons Auteurs ; cela n'empêche pas que
la cenfure n'aille toujours fon train. Le
Lecteur jugera fi les nouvelles objections
que M. Duché n'avoit pû prévoir font
bien ou mal fondées.
Au premier Acte , Abfalon ouvre la
Scene avec Achitophel , l'un des Miniftres
A OUST. 1730. 1835
tres de David. Ce fils rebele à fon Pere
& à fon Roy , ſemble d'abord n'en vouloir
qu'à Joab , General des Armées de
David ; il le foupçonne de vouloir faire
paffer le Sceptre d'Ifraël entre les mains
d'Adonias , fon frere cadet ; on expoſe
la naiffance & les progrès de la révolte
qui a obligé le Roy à fortir de Jerufalem ,
pour chercher un azile dans Manhaïm
lieu de la Scene. David arrive ; Achitophel
prie Abfalon de contraindre fon
courroux contre Joab.
David n'oublie rien pour réconcilier Ab.
falon avec Joab , en difant à fon fils que
le péril qui les menace doit les réunir
contre Amafa , Chef de la révolte ; ce
qui donne lieu à continuer l'expofition .
On apprend dans cette feconde Scene
qu'Amala s'avance avec l'Armée rebelle ;
David craint qu'on n'ait déja donné la
mort à fon fils Adonias , il ne tremble
pas moins pour Maacha , fa femme , &
pour Thares , épouse d'Abfalon qu'il
a remifes entre les mains du fidele Cifai.
Joab le raffure fur le fort d'Adonias , &
lui dit que toute la Tribu de Juda a
pris les armes pour le deffendre. Abfalon
tâche de rendre Joab fufpect à David.
Joab fe juftifie ; il avoue que voyant que
tous leurs fecrets étoient revelez à leurs
Gij com
1836 MERCURE DE FRANCE
communs ennemis , il lui eft échappé de
dire que le Prince auroit pû en avoir fait
confidence à quelque traître dont il ne
s'eft pas défié. David ordonne à Abfalon
d'embraffer Joab , ce qu'il fait avec contrainte.
Abfalon reffent quelques remords
qu'Achitophel prend foin d'étouffer
dans leur naiflance.
Zamri , Confident d'Achitophel , vient
annoncer à Abfalon que la Tribu d'Ephraim
, qui fembloit ne vouloir prendre
aucun parti , vient enfin de fe déclarer
pour lui ; il ajoûte que Cifaï , dont David
a déja parlé comme d'un de fes plus
fideles fujets , conduit un renfort de Soldats
auprès du Roi , & qu'il eft arrivé au
Camp avec la Reine , fa mere , fon époufe
& fa fille. Cette derniere nouvelle
trouble Abfalon ; Achitophel lui recommande
de cacher avec foin fon fecret à
Tharés , malgré tout l'amour qu'il a
pour elle. Abfalon fe retire après avoir
dit à Achitophel qu'il s'abandonne
à lui .
Achitophel ouvre fon coeur à Zamri ;
il lui apprend que tout va lui fucceder ;
Voici comment il s'explique.
Je fçais quel eft ton zele & ta fidelité ;
J'en ai befoin , apprends ce que j'ai projetté.
Dès qu'en ces lieux la nuit fera prête à defcendre
,
A O UST. 1730. 1837
Les Troupes d'Amafa doivent ici fe rendre ;
Et le fignal donné des murs de Manahïm ;
Séba doit foulever les Soldats d'Ephraïm :
1
La garde de David , victime de leur rage ,
Laiffera par fa perte un champ libre au car
nage :
Là , mes yeux de plaifir & de haine enyvrez
Du fang de mes Rivaux feront défalterez.
Tel eft le Plan de la confpiration d'Achitophel
; David feul eft excepté ; on
n'en veut qu'à fon Trône , où l'on veut
placer Abfalon . Zamri craint qu'Abfalon
ne condamne cette entrepriſe par
un refte de vertu . Voici la réponſe d'Achitophel
:
Un Trône acquis ainfi le doit épouventer ,
Et qui le lui donna le lui pourroit ôter.
Le fecond Acte qu'on a jugé un des
plus beaux de la Piece eft commencé par
Abfalon , Tharés & Thamar. Tharés fe
plaint à fon Epoux du peu de joye
qu'il témoigne à fa vûë qui lui étoit autrefois
fi chere ; elle lui reproche fon peu
de confiance , & lui dit qu'il reffent quelque
ennui fecret qu'il n'ofe lui réveler.
Abfalon lui avoue qu'il n'eft pas tranquille
, & la prie de lui permettre de garder
le filence, & de partir d'un féjour où tout
Giij ne
1
1738 MERCURE DE FRANCE
ne refpire qu'horreur ; Tharés lui répond
tendrement :
Que je m'éloigne ainfi de ce que j'aime !
Que ma fuite honteuſe aille juſtifier ,
Ce que vos ennemis ont ofé publier .
Ces paroles étonnent Abfalon , il en
'demande l'explication à Tharés ; elle lui
dit qu'on lui impute la confpiration ;
qu'un inconnu qui l'a abordée dans le
Palais , lui a parlé ainſi :
Zamri vient d'arriver en ces lieux ;
Si le Ciel vous permet de rejoindre mon Maître,
Dites-lui qu'il s'affure au plutôt de ce traitre !
Il fçaura des Hebreux le complot criminel ;
Enfin qu'il craigne tout & même Achitophel
Abfalon allarmé de ce qu'il vient d'entendre
, l'eft bien plus encore quand Tharés
lui dit qu'elle va reveler cet important
fecret , afin qu'on arrête Zamri , &
qu'on le force à tout découvrir au milieu
des fupplices . Cette derniere réfolution
de Tharés détermine Abfalon à lui
faire part de fon fecret ; il fait éloigner
Thamar.
A peine Abfalon a- t- il fait connoître
à Tharés qu'il eft de la confpiration ,
qu'elle l'interrompt par ces mots :
Ah !
AOUST. 1730. 1839
Ah ! je vois tout , Seigneur ,
Epargnez-vous l'horreur de me dire le refte ;
O de mes noirs foupçons , fource affreufe & funeſte
, & c.
Voyant qu'il ne peut renoncer au defir
de regner , elle tâche à le ramener à fon
devoir par ces belles paroles :
Duffiez-vous , moins chéri d'un pere qui vous
aime,
Renoncer fans retour à Sceptre , à Diadême ,
Quels maux, quelles horreurs pouvez - vous com
parer ,
Aux malheurs où ce jour est prêt à vous livrer e
Je veux que tout fuccede au gré de votre envie
Quelle honte à jamais va noircir votre vie a
Que n'ofera-t- on point contre vous publier ?
Le Trône a-t-il des droits pour vous juftifier !
Vous chercherez en vain vous même à vous féduire
Vous verrez quels chemins ont fçû vous y conduire
:
La vertu , le devoir , devenus vos bourreaux,
Au fond de votre coeur porteront leurs flambeaux:
La crainte & les remords vous fuivront fur le
Trône ;
Eh ! quoi , pour être heureux , faut -il une Couronne
?
Eft-ce un affront pour vous de ne la point porter 2
Vos vertus feulement doivent la mériter.
Giiij Rien
1840 MERCURE DE FRANCE
que
Rien n'eft plus pathétique que tout ce
Tharés dit dans cette Scene , mais
voyant que fon Epoux eft inflexible , elle
forme un deffein qui va éclater & qui fait
un des plus grands coups de Théatre
qu'on ait jamais vû.
}
David apprend à Abfalon , que les ennemis
viennent fondre fur fa foible armée;
il ajoûte qu'on a répandu dans fon Camp
un bruit injurieux qu'il traite d'impofture
, n'ofant croire que fon propre Fils
confpire contre lui ; Abſalon ouvre à peine
la bouche pour fe juftifier , que Tharés
dit à David :
Et moi , je crois , Seigneur , ne devoir point vous
taire ,
Que ces bruits font peut - être un avis falutaire ;
Je fçais , je vois quel eft le coeur de mon Epoux :
Mais fçait-on s'il n'eft point de traitre parmi
vous ?
-Sçait-on fi dans ce Camp quelque fecret coupable
,
N'a point pour ſe cacher divulgué cette Fable !
M'en croirez -vous , Seigneur qu'un ferment
folemnel ,
Faffe trembler ici quiconque eft criminel.
Le Ciel , votre péril , ma gloire intereffée..
De ce jufte projet m'inſpire la penſée ,
Atteftez l'Eternel qu'avant la fin du jour ,
Si des traîtres cachez par un jufte retour
'N'obAOUST.
1730. 1841+
N'obtiennent le pardon accordé pour leurs crimes
,
Leurs femmes , leurs enfans , en feront les victimes
:
Que dans le même inftant qu'ils feront décou
verts 1
Leurs parens , dévouez à cent tourmens divers ,
Déchirez par le fer , au feu livrez en proye ,
Payeront tous les maux que le Ciel vous envoye!
Ce ferment fait frémir Abfalon ; David
s'y lie & le confirme ; Tharés le prie
de permettre qu'elle commence toute la
premiere à montrer l'exemple en fe mettant
entre les mains de Joab, pour fervir
d'ôtage de la fidelité de fon Epoux ; elle
s'explique ainfi :
Il faut , Seigneur , que mon exemple étonne ,
Et montre qu'il n'eft point de pardon pour per
fonne.
David confent à ce que Tharés lui propoſe
, &c. Ce bel Acte finit par un court
Monologue que fait Abfalon éperdu . En
voici les deux derniers Vers :
Ah ! que j'éprouve bien en ce fatal moment ,
Que le crime avec ſoi porte fon châtiment !
Le troifiéme Acte a paru chargé de trop
d'actions coup fur coup , & c'eft peut-
Gv être
1842 MERCURE DE FRANCE
être ce qui l'a rendu deffectueux aux yeux
des Spectateurs. Voici dequoi il s'agit.
Achitophel apprend à Zamri que Seba ,
Chef de la Tribu d'Ephraïm doit enlever
Tharés & l'arracher à Joab , pour
calmer la frayeur dont fon ferment indifcret
à rempli Abfalon. Zamri lui parle
d'une Lettre qu ' Amafa vouloit lui écrire,
& lui dit que ce Chef des Rebelles en
ayant été détourné par un tumulte foudain
qui eft arrivé dans l'Armée , il la
remettra peut être en d'autres mains .
L'Auteur fait annoncer cette Lettre , parce
qu'elle doit avoir fon utilité dans la
Piece.
Abſalon veut renoncer à ſon entrepriſe ;
Achitophel le raffure en lui apprenant que
Séba doit enlever Thares & Thamar. Abfalon
raffuré , fe réfout à achever fon
projet.
Tharés vient annoncer à fon Epoux que
le Camp ennemi l'ayant proclamé Roi des
Hebreux , on doit s'affurer de fa perfonne
par l'ordre de Davids elle le preffe de
fuir ; Abfalon la prie de fuivre fes pas.
Tharés fe refufe aux inftances qu'il lui en
fait d'autant plus qu'elle eft prifonniere
& obfervée, Abfalon réduit à s'enfuir
fans Tharés , lui protefte qu'il viendra
bien tôt la demander à Joab avec cent
mille bras , & fe retire,
Un
A O UST. 1730. 1843
3
Un Ifraëlite chargé d'une Lettre pour
Abfalon , la remet entre les mains de
Tharés , qui l'ayant lûë tout bas , témoigne
fa furprife par une exclamation.
David furvient avec la Reine ; il n'ofe
encore foupçonner fon fils de trahiſon , &
dit qu'il veut l'entendre en prefence du
fage Achitophel.
Joab arrive tout confterné ; il apprend
à David qu'il n'eft que trop certain qu'Ab
falon eft coupable. Il le prouve par une
lettre qu'on a furprife , & qui vient du
Camp des Révoltez : En voici le contenu .
Ne craignez point un changement funefte ;
Que tous vos conjurez fe repofent fur moi :
Vos Rivaux périront ; Abfalon fera Roy ;
Donnez-nous le fignal , je vous réponds da
refte.
David ne peut plus douter de la perfidie
de fon Fils. Là Reine rejette tout le
crime fur Tharés , qu'elle accable d'injures
, elle impute à feinte la vertų
qu'elle a fait éclater par un ferment , dont
elle prévoyoit bien, dit - elle , qu'on viendroit
la fauver. Tharés ne répond à ces accufations
que par un nouvel effort de
vertu ; elle donne à David la Lettre qu'el
le n'avoit fait que lire tout bas quand un
Ifraëlite l'a lui a remiſe entre les mains
G vj pour
1844 MERCURE DE FRANCE
pour la rendre à Abfalon : Voici ce qui eft
tracé dans cette Lettre.
Le tems me force à vous écrire ,
A vous entretenir je n'ofe m'expofer.
Pour vous affurer cet Empire ,
Les Soldats d'Ephraïm font prêts à tout ofer.
Le fort menace en vain votre augufte famille ;
Kien ne traverfera vos voeux & nos deffeins ,
Et dans une heure au plus je remets en vos mains
Et votre Epoufe & votre Fille.
Après cette lecture , Tharés juftifie Abfalon
autant qu'elle peut , & rejette fa
faute fur les confeils pernicieux d'Achitophel
. Elle fe retire .
David frappé du foupçon que Tharés
fui a donné fur Achitophel , prie la Reine
de la fuivre , & de tâcher de la faire
parler en employant la douceur,
,
Cifai vient apprendre à David que le
Soldat qu'on a pris , venant du Camp des
rebelles , a parlé à l'afpect des Supplices ,
qu'il a révélé tous les complices, dont Achitophel
eft le Chef. David ordonne à
Joab d'aller s'affurer de la perfonne de ce
perfide Miniftre . Cifaï lui dit qu'il s'eft
fauvé;que Seba même s'eft ouvert un chemin
à la fuite , foûtenu des Soldats d'Ephraim
; il ajoute qu'Amafa fait mine de
s'avan
A O UST. 1730. 1845
s'avancer.Joab raffure David étonné d'une
révolte prefque generale; il ne refpire que
le fang , & veut commencer par le Sacrifice
de Tharés. David condamne ce tranfport
, fur tout par rapport à Tharés dont
la vertu la rend refpectable ; il ordonne à
Joab d'aller tout préparer pour faire une
feure retraite , & à Cifaï d'aller joindre
Abfalon & de le menacer de la mort de
fon époufe s'il ne vient implorer pour
elle la clémence de fon pere ; il permet
qu'Abfalon amene à fa fuite deux mille
hommes , s'en réfervant autant pour la
feureté de cette entrevûë , dont il efpere
un grand fuccès .
Le quatrième Acte difpute de beauté
avec le fecond. Le Lecteur en va juger.
Nous fupprimons les trois premieres Scenes
, pour ne pas allonger cet extrait par
des fuperfluitez. Dans la quatriéme Scene.
David reproche à Abfalon fa perfidie envers
fon Pere & fon Roy, Voici comment
il commence.
Enfin nous voilà feuls , je puis joüir fans peine
Du funefte plaifir de confondre ta haine ,
T'inſpirer de toi-même une équitable horreur ,
Et voir au moins ta honte égaler ta fureur,
Car enfin je connois tes complots homicides ;
Te yoilà dans le rang de ces fameux perfides ,
Dont
1846 MERCURE DE FRANCE
Dont les crimes font feuls la honteufe fplendeur

Et qui fur leurs forfaits bâtiffent leur grandeur ,
&c.
Envain ton naturel altier , audacieux ,
Combattoit dans mon coeur le plaifir de mes
yeux ;
Mon amour l'emportoit , je fentois ma foibleffe:
Que n'a point fait pour toi cette indigne tendreffe
?
Je t'ai vâ fans refpect ni des Loix , ni du fang ›
D'Amnon mon fucceffeur ofer percer le flanc ,
Moins pour venger l'honneur d'une foeur éperduë
,
Que pour perdre un Rival qui te bleffoit la vue ;
Ifrael de ce coup fut long- tems confterné ;
Je devois t'en punir , je te l'ai pardonné.
Abfalon voulant rejetter fon crime fur
Joab qui l'y a forcé par fes fecretes
menées , en faveur d'Adonias fon frere ,
David l'interrompt par ces vers :
Foible & honteux détour !
Ceffe de m'accufer de la lâche injuftice
De fuivre d'un fujer la haine ou le caprice ,
Tu veux me détrôner , tu veux trancher mes
jours.
Abfalon veut en vain le nier, il le conpar
ce qui fuit :
fond
Ouy'
AOUST. 1730.
1847.
Oui , tu le veux , perfide.
Ofes-tu me nier ton deffein parricide ?
Ces Gardes , ces Soldats , qui comblant tes fouhaits
,
Devoient dés cette nuit couronner tes forfaits ,
Qui dépofoient mon Sceptre en ta 'main fangui
naire ,
Traître , le pouvoient - ils , fans la mort de ton
pere ?
Tiens , prends , lis ...
Il lui donne le Billet qui a été furpris
entre les mains d'un Soldat. Abfalon à
cette lecture demeure interdit , & voit
bien qu'Achitophel la conduit plus loin
qu'il ne croyoit , & qu'il ne vouloit.David
continue ainfi :
Moi- même en te parlant , faifi d'un jufte ef
froy ,
Mon trouble & ma douleur m'emportent loin de
moi.
Grand Dieu , voilà ce Fils qu'aveugle en mes demandes
,
Ont obtenu de toi , mes voeux & mes offrandes ,
Je le voi ; tu punis mes defirs indifcrets ;
Eh ! bien , Dieu d'Ifrael , accomplis tes décrets.
Confens-tu qu'à fon gré fa rage fe déploye ?
Yeux-tu que dans mon fang ce perfide le noye ?
J'y
1848 MERCURE DE FRANCE
1
J'y foufcris ; à Abfalon , Ouy , barbare accomplis
ton deffein ;
Aux dernieres horreurs ofe en hardir ta main ; &c
Miniftre criminel de fes juftes vengeances ,
Remplis-les par ma mort; couronne tes offenfes,
Frappe , &c.
Abfalon fe jette tremblant & repentant
aux genoux de fon Pere , qui lui pardonne ,
il exige de lui qu'il nommera tous les
con: lices ; Abfalon y confent dans la Scene
fuivante; il réfifte à Achitophel qui veut
le rembarquer dans la révolte , mais apprenant
de Cifaï que Joab , contre la foy
du Traité entre fon pere & lui , vient de
repouffer Amafa ; fa haine pour Joab fe
reveille & le fait courir aux armes une feconde
fois ; un refte de vertu fait qu'il dit
à Achitophel que ce ne font point ſes
perfides confeils qui le déterminent en ce
moment , & lui deffend de le fuivre .
Achitophel s'affermit dans le crime
& termine cet Acte par un court Monologue
, qui finit par ces Vers :
Tous les Chefs font pour moi , même interêt
les guide :
Marchons , & qu'un combat de notre fort décide.
Si nous ſommes Vainqueurs , Abſalon malgré lui
Se trouvera forcé de payer mon apui :
Si,plus puiffant que nous, l'Enemi nous furmonte,
11
AOUST. 1730. 1849
Il eft un fûr moyen d'enſevelir ma honte ;
Et tout homme à fon gré peut défier le fort
Quand il voit d'un même oeil , & la vie & la mort.'
Nous ne nous arrêterons pas long- tems
fur le dernier Acte . Voici la diftribution
des Scenes qui le compofent . Ciſaï fait
efperer la paix à Thamar , fans qu'on voye
fur quel fondement , puifque les deux
Armées font aux mains.
Tharés vient détruire une efperance fi
équivoque , & l'exhorte à fouffrir avec
conftance la mort , où le Peuple en furie
pourra la condamner , après l'avoir immolée
la premiere. David augmente leur
frayeur ; & croyant que tout eft perdu ,
leur dit qu'il ne vient que pour leur ouvrir
un chemin à la fuite ; il fait entendre
qu'il croit pouvoir les fauver malgré fon
ferment , puifqu'Abfalon en a rempli les
conditions par fon repentir.
Cifaï vient annoncer la victoire à David
, & la mort funefte d'Achitophel qui
s'eft étranglé , voyant que tout étoit perdu
: il ajoute qu'Abfalon à la tête des Rebelles
a refté fufpendu par fes cheveux à
un chêne ; mais que Joab prêt à le fecou-"
rir l'a envoyé vers lui pour lui dire qu'il
le remettroit bientôt entre fes mains & c.
David rend graces au Seigneur de fa victoire
&c. Abfalon mourant fe préfente
aux
1850 MERCURE DE FRANCE
aux yeux
de fon pere , & lui raconte ainfi
fon malheur.
Calmez la douleur qui vous preſſe.
Indigne de vos pleurs & de votre tendreffe ,
Mes odieux complots vous ont trop outragé :
Je meurs ; le Ciel eft juſte , & vous êtes vengé &c.
Les mutins ranimés ont voulu , pleins d'audace,
Rompre les noeuds cruels , auteurs de ma dif
grace ,
Et d'un trait qu'en fureur Joab avoit lancé
Votre malheureux Fils en leurs mains eſt percé.
Il recommande ſa femme & fa fille à
David , & meurt.
Voici les Obfervations critiques dont
nous avons été inftruits.
On a trouvé de beaux Vers dans la
Piéce ; mais le ftile n'y eft pas également
foutenu : l'éloquence y regne plus que l'élegance.
La Verfification a paru fur tout
negligée dans tout ce qui eft expofition .
Le fecond Acte & le quatrième l'emportent
infiniment fur les trois autres , & ont
fait le fuccés de la Piéce. Joab & Achitophel
font les deux perfonnages qui agiffent
le plus ; l'un conduit Abfalon & le
tourne comme il lui plaît , l'autre combat
pour David , qui ne fe détermine à
aller aux Ennemis que lorfqu'il apprend
que tout eft perdu . Abfalon agit un peu
plu
A O UST. 1730. 185 1
plus ; mais il paffe trop legerement du repentir
à la rechute : la haine pour Joab
ne paroît point affez fondée dans le plan.
de l'Auteur ; elle l'eft encore moins dans
le Texte Sacré; on y lit au contraire que ce
fut à Joab qu'il dut fon rappel &fa grace
après le meurtre de fon frere Amnon ."
Pour Joab , dont il n'a tenu qu'à l'Auteur
de faire un vrai Heros , on a trouvé
qu'il étoit injufte & fanguinaire dans le
quatrième Acte , quand il a confeillé à
David de faire périr tous les
parens des
Rebelles , & même Tharés dont la vertu
venoit d'éclater àfes yeux. Voici comment
l'Auteur l'a fait parler.
Marchons ; mais que Tharés accompagne mes
pas :
Que tous ceux que le fang unit à des perfides
Soyent remis en mes mains fous de fideles guides.
Allons , & preſentons à nos féditieux
L'Epouſe d'Abfalon immolée à leurs yeux ;
Faifons faire du refte un horrible carnage &c.
David fent bien lui- même que ce grand
homme dément fon caractere ; il le fait
connoître par cette Réponſe :
Non , Joab , fufpendons un Arrêt fanguinaire:
La vertu de Tharés vaut bien qu'on le differe.
Un Roi, quoiqu'un Sujet ait fait pour l'outrager,
Doit
1852 MERCURE DE FRANCE
Doit fçavoir le punir & non pas fe venger ;
Périffons fans foüiller mon rang ni ma memoire,
Et s'il faut fuccomber, fuccombons avec gloire.
Cette petite réprimande de David ,
juftifie la Critique du Public. La vertu
de Tharés eft celle qui fe foutient avec
le plus de vigueur ; quant à Thamar
on n'a trouvé à dire d'elle ni beaucoup
de bien , ni beaucoup de mal , ainfi on
l'a mife au rang des perfonnages inutiles
Le Rôle de la Reine , outre qu'il n'eft
pas plus utile que celui de Thamar , eft
d'autant plus à retrancher , qu'il eft toutà-
fait odieux par l'injuftice du motif qui
la fait agit. C'eft une haîne de belle- mère
qui fe manifefte à tout propos; fon repentir
guere mieux fondé que fes fautes, elle
dit au cinquiéme Acte, parlant à cette même
Tharés , fi injuftement perfecutée :
n'eft
Dans un temps plus heureux , vous connoîtrez ,
Madame ,
>
Ce que le repentir peut produire en une ame ;
Mes yeux fur vos vertus enfin fe font ouverts.
On ne fçait ce qui a pu occafionner ce
changement de volonté , ce qui eft abfolument
contre les regles. Voilà à peu près
ce que nous avons recueilli du jugement
du Public fur la Tragédie d'Abfalon. Ces
petites taches ne terniffent pas l'éclat de
cette
A O UST . 1730. 185 3
cette Piece , qu'on voit toûjours avec plaifir
, & qui a aujourd'hui un fuccès infini.
Elle eft très - bien repréfentée. Les Rôles de
David , d'Abfalon , d'Achitophel, de Joab ,
&c. y font remplis par les fieurs Sarrazin,
Dufresne , le Grand , du Breuil , &c .
La Dlle Du Frefne réüffit beaucoup dans.
celui de Tharés.
Les Comédiens Italiens donnerent la
premiere Repréfentation d'une petite Comédie
en Profe, en un Acte , avec un Divertiffement
; elle a pour titre la Réunion
forcée. Cette Piece ne promet pas un grand
fuccès , le Lecteur en va juger par la legere
idée que nous en allons donner.
Une Comteffe fur le retour , ayant
époufé un jeune Cavalier appellé Damon ,
qui n'a pas pour elle les égards qu'elle s'en
étoit promis , veut fe venger de lui par
le divorce ; elle ouvre la Scene avec fa
fuivante Finette , qui la flatte d'un fort
plus heureux qui fuivra le gain de fon
procès. M.du Doffier, fon Procureur , vient
lui annoncer un triomphe prématuré ,
qui n'exifte que dans fon imagination , &
qu'il dit infaillible
P'heureuſe difpofition
qu'il dit avoir mife dans ce Procès.
Sur cette frivole efperance , il ofe parler
d'Amour & d'Hymen à la Comteffe , qui
reçoit fa déclaration avec fierté , attendu
par
l'inegalté
1854 MERCURE DE FRANCE
l'inegalité des conditions. Du Doſſier a
recours à Finette ; & pour la mettre dans
fes interêts , il lui promet de lui faire
époufer l'Avenir , fon Maître Clerc, Finette
, non moins fiere que fa Maîtreffe ,
ne veut pas d'un Clerc de Procureur pour
Mari. Du Doffier lui promet de le mettre
en poffeffion d'une belle & bonne Charge
d'Huiffier à Verge. Finette l'accepte à ce
prix , mais elle doute que fa Maîtreſſe
puiffe fe réfoudre à époufer un Procureur ;
elle dit à du Doffier que le gout de la
Comteffe feroit plutôt pour un Financier,
ce qui détermine du Doffier à revenir ſe
prefenter à elle fous le nom & l'habit
d'un frere qu'il a dans la Finance , appellé
M. du Zero. Il execute fon projet ,
& fous le nom de Financier il eft parfaitement
bien reçû de la Comteffe . Damon
fon jeune mary , vient troubler leur naiffante
intelligence ; il demande à la Comteffe
cent piftoles dont il a befoin , &
qu'il veut avoir fur le champ ; les injures
ne font épargnées de part & d'autre ;
M.du Zero , pour faire fa cour à la Comteffe
, donne un billet au porteur de mille
francs , que Finette reçoit malgré fa Maîtreffe.
Oronte , pere de Damon , vient annoncer
à la Comteffe fa Bru , qu'elle a perdu
fon Procès tout au long , & qu'on vient
de
A O UST. 1730. 1855
de la déclarer non - recevable ; elle ſe plaint
de l'injustice de fes premiers Juges, & dit
qu'elle en veut appeller. Damon fait le
doucereux auprès d'elle & la détermine
à fe réconcilier avec lui ; elle y confent ;
le faux du Zero redemande fon Billet à
Finette, qui le garde comme étant de bonne
prife ; l'Avenir reconnoît fon Maître
du Doffier , fous les habits de du Zero. La
Piece finit par un Divertiffement qu'on
trouvé trop bien amené ; cette
Fête a été préparée par l'étourdi Damon ;
c'eſt à proprement parler une nouvelle
infulte qu'il fait à la Comteſſe ſa femme ;
on en peut juger par ce premier Air
qu'on chante :
n'a
pas
Au premier âge ,
On méprifoit les biens ;
L'Amour feul formoit les liens ,
D'un heureux mariage :
Plutus ne regnoit point encor ;
Ce Dieu , Maître à prefent de notre destinée ,
Nous vend au poids de l'or ,
Le plus trifte Hymenée,
Le Vaudeville eft fur le même ton ;
en voici deux Couplets .
Femme riche & fur le retour ,
Voit croître les Amans près d'elle ;
Filla
1856 MERCURE DE FRANCE
Fille fans biens , mais jeune & belle ,
Les voit déferter de la Cour ,
Point d'argent , point de mariage ;
Argent & vieilleffe , on dit bon ;
Sans argent , jeuneſſe , on dit non :
C'eſt aujourd'hui l'uſage.
Arlequin au Parterre.
"
Si chacun de vous eft content ;
Qu'aujourd'hui l'on vous ait fait rire ,
Oh ! Meffieurs , vous n'avez qu'à dire ;
Apportez-nous bien de l'argent :
Point d'argent , adieu le courage ;
Quand j'en vois beaucoup , je dis bon ;
Mais quand j'en vois peu , je dis non :
Je fuis dans cet uſage.
La Mufique du Divertiſſement eſt toûjours
de M. Mouret.
Le 2 Août , on reprefenta au College
de Louis le Grand , pour la Diftribution
des Prix , fondé par S. M. la Tragédie
de Maurice , Empereur d'Orient cette
Tragédie fut fuivie d'un Ballet . Nous allons
donner de l'une & de l'autre un Extrait
le plus fuccinct qu'il nous fera
poffible.
Argument de la Tragédie.
Maurice
AOUST. 1730. 1857
Maurice agité de remords pour avoir
laiffé périr dans les fers un nombre confiderable
de fes fujets , qu'il n'avoit tenu
qu'à lui de racheter , fe reconnoît coupable
devant Dieu , & le prie de lui faire
expier fon crime dans ce monde plutôt
que dans l'autre. Sa priere eft exaucée ;
Dieu lui fait voir fon châtiment en fonge ;
il confeffe humblement qu'il l'a merité.
Il est déthrôné par Phocas ; & prêt à
mourir il prononce fouvent ces paroles ,
qui furent les dernieres de ſa vie : Vous
êtes jufte , Seigneur , & votre Jugement eft
équitable.
La Scene eft à Conftantinople , dans le
Palais Imperial.
ACTE I.
Maurice avoit fait arrêter Germain , Beau
Pere de fon fils Theodore , fur une Lettre anonyme
, par laquelle on lui offroit l'Empire ; mais
ayant vú en fonge un ufurpateur qui vouloit lui
arracher le Sceptre , & la lettre Ph. étant
gravée fur le front du coupable , fes foupçons
tombent fur Philipiccus , fon beau- frere ; il fait
remettre Germain en liberté , & ordonne qu'on
lui amene Philipiccus ; celui- ci fe contente de
faire parler fon innocence dans le tems que Mau
rice l'accable de fanglans reproches . Ce dernier
accufé eft encore juftifié par la nouvelle que
PEmpereur apprend de la révolte de Phocas , l'un
des Officiers Generaux de fon Armée. Il veug
aller
H
1858 MERCURE DE FRANCE
aller reprimer les Rebelles ; Philippicus l'en détourne
, en lui reprefentant le danger évident
où il s'expoferoit ; cependant il va raffembler ce
qui refte de fujets fideles à Maurice pour le mettre
en état de diffiper les Factieux . Maurice effrayé
du fonge qu'il a fait ; & voyant bien que
Dieu eft prêt à le punir de fon crime , fonge
plutôt à fauver fes Enfans qu'à fe fauver lui-même
; il leur ordonne d'aller chercher un azile fous
la conduite de Prifcus , Gouverneur de Juftin ,
fon fils. Theodofe , fon autre fils , refuſe d'obéïr
, & veut périr en deffendant le Trône & la
vie de fon Pere ; l'Empereur confie à Prifcus le
fecond de fes Enfans , & va fe mettre à la tête
de quelques Troupes que Philippicus à ramaffées
pour combattre les révoltez .
ACTE I I..
Maurice ayant été lâchement abandonné des
Troupes qu'il croyoit lui être fideles , Germain
irrité de fon emprifonnement , fe flate que Phocas
n'a confpiré que pour le mettre fur le Trône
; il introduit ce traître dans le Palais . Alcime ,
Officier de l'Armée , & Confident de Phocas
vient annoncer à Germain la défaite & la prife
de Maurice & de Theodore , fon fils aîné. Germain
voudroit qu'on leur eut laiffé la liberté de
fuïr ; il craint que leur préfence n'intereffe les
Peuples en leur faveur ; Alcime ſoutient au contraire
que
la fuite les auroit pû mettre en état
de remonter fur le Trône. On préfente à Phocas
Maurice chargé de fers ; Germain , par un reſte
de vertu , ne peut en foûtenir la vûë , & fe reti
re. Phocas s'efforce envain d'engager Maurice à
lui livrer fon fecond fils Juftin , fous prétexte.
de le mettre à couvert de la fureur du peuple ; co
pere
A O UST . 1730. 1859
ce
Pere infortuné ne donne pas dans un piége fi
groffier ; on amene Theodore à Phocas
Prince fier & intrépide détefte la perfidie de Ger
main , & reproche à Phocas d'avoir confpiré
pour le mettre fur le Trône. Phocas lui fait entendre
en termes équivoques , qu'il n'ôtera jamais
la Couronne à Maurice , pour la mettre
fur la tête d'un autre. L'Empereur & fon fils
s'étant retirez , il ouvre fon coeur à Alcime , &
lui déclare qu'il n'a travaillé que pour lui - mêil
l'envoye recevoir en fon nom le ferment
de l'Armée , & fort pour aller donner ordre à
la recherche de Juftin , frere de Theodore.
me ;
ACTE I I I..
pour faire rentrer Philippicus n'oublie rien
Germain dans fon devoir ; ce dernier offre le
Trône Imperial à fon Gendre Theodore , qui le
refufe genereufement comme appartenant à fon
pere ; il fait entendre à Germain que Phocas ne
l'a ufurpé que pour lui - même. Germain ne le
peut croire ; cependant il fort avec Philippicus
pour penetrer avec lui un deffein dont il commence
à fe défier. Prifcus , dont Phocas a enfin
découvert la retraite , eft amené au Palais , avec
fon fils Heraclius , à qui il a donné le nom &
l'habit de Juftin , pour fauver ce jeune Prince
aux dépens de la vie de fon propre fils . Les difcours
du faux Juftin épouventent Phocas , qu'on
fuppofe n'avoir jamais vu le fecond fils de Maurice
; il efpere abbattre ce noble orgüeil , en luž
montrant Maurice chargé de fers ; Prifcus tâ
che envain de détourner une entr'vûë qui doit
trahir fon fecret. Heureufement pour lui Phocas
fe retire , & ce n'eft qu'en fon abfence que
Murice reconnoît le genereux artifice de Prif-
Hij cus i
1860 MERCURE DE FRANCE
cus ; il veut genereulement en avertir Phocas ;
mais l'un & l'autre le prient fi ardemment de
laiffer le Tyran dans l'erreur , qu'il y confent ,
dans la crainte d'expofer infructueufement Heraclius
au reffentiment de Phocas , qui ne manqueroit
pas de fe venger fur le Pere & fur le Fils
d'un fi genereux artifice. Prifcus ordonne qu'on
enferme fon fils , & va retrouver le veritable
Justin,
ACTE I V,
Germain ne doutant plus que Phocas ne
yeuille s'emparer du Trône au lieu de lui , fe
réfout à le perdre ; il a un entretien avec cet
ambitieux concurrent , où ce dernier s'explique
affez ouvertement, Germain s'emporte , & fort
pour courir à la vengeance , en fe joignant à
Philippicus. Alcime confeille à Phocas de le faire
obferver & arrêter s'il fe peut ; mais Phocas occupé
des frayeurs que la fierté d'Heraclius lui a
infpirée, le veut entretenir ; il croit le faire trembler
, & tremble lui -même ; il fe réfout à le
faire périr , mais Heraclius furvenant , lui déclare
qu'il n'eft point fon fils. Phocas ordonne
qu'on cherche le vrai Juftin. Ce dernier s'étant
échappé des mains de Prifcus , vient redemander
fon Pere & reprendre fon nom qu'Heraclius lui
a dérobé. Tout femble flatter la fureur de Phocas
, lorfqu'il apprend que Theodore a briſé ſes
fers ; il veut s'en venger par la mort de Juftin ;
mais l'avis foudain qu'il reçoit , que Germain
foutenu de Philippicus & de Prifcus a foulevé le
peuple , & vient l'inveſtir dans le Palais , l'oblige
fufpendre fa fanglante execution,
ACTE
A OUST . 1730. 1861
ACTE V..
Phocas triomphant de Germain , qui vient
d'être tué , & de Theodore qui a été bleffé , veut
faire périr Philippicus & Prifcus ; mais comme
ces deux Generaux font refpectés de l'Armée ;
Alcime lui fait voir à quel danger il s'expoferoit
s'il leur faifoit donner la mort . Phocas ordonne
qu'on les amene devant lui avec Heraclius ; il fe
réfout à facrifier à fa sûreté Maurice & fes
deux enfans . Philippicus , Prifcus , & Heraclius
paroiffent devant Phocas ; ils ne daignent pas
écouter les flatteufes promeffes qu'il leur fait , &
demandent pour toute grace qu'on leur faffe
voir leur Empereur. Phocas y confent , & fort
pour aller entretenir les Chefs de l'Armée , qui
fe font affemblés , & qui lui demandent la grace
de ces trois Prifonniers ; Maurice eft amené
chargé de fers ; quel fpectacle pour ces trois fideles
fujets ! le fon de la Trompette leur annonce
la proclamation de Phocas ; on les fépare de
Maurice ; ce déplorable Prince demeure feul . On
aporte leTrône Imperial où Phocas fe doit placer
à fes yeux ; Maurice s'humilie devant Dieu ,
confeffe qu'il a merité le fort dont la justice Paccable
; il demande au Ciel vengeur , pour toute
grace , que fes Enfans ne foyent pas enveloppés
dans fa ruïne. Phocas n'eft pas plutôt affis fur le
Trône , qu'il commande qu'on enleve Theodore
& Juftin pour leur donner la mort. Theodore
déja bleffé expire aux yeux de fon malheureux
Pere , Juftin eft arraché d'entre les bras de Maurice,
Le Tyran envoye Maurice à la mort , quoique
le Peuple & l'Armée lui laiffent la liberté de
vivre ; le Heros allant à la mort , prédit à Phocas
le châtiment que le Ciel vengeur réſerve à
Hiij tous
& -
1862 MERCURE DE FRANCE
tous fes crimes. L'ufurpateur en eft fi épouvanté
, que le Sceptre lui tombe des mains , c'eft
ainfi qu'il commence à recevoir la peine dûë à
fon parricide. Le Théatre fut fermé par un éloge
du Roy.
Cette Tragédie fut fuivie du Ballet
dont nous allons parler. Le ridicule
des hommes en fit le fujet : en voici la
Divifion. Ce ridicule , exprimé par la
Danfe , fe fait connoître dans le Balet en
quatre manieres , qui en font le partage.
1º . Dans leurs Caracteres . 2 ° . Dans leurs
Entreprises. 3. Dans leurs Déguisemens.
4 Dans leurs Amuſemens. Ce ridicule a
trop d'étenduë pour pouvoir être contenu
dans un feul Ballet ; on s'eft contenté
de le borner à ces quatre parties ; la Fable
& l'Hiftoire y ont été employées avec
beaucoup d'art.
Minerve defcend du Ciel avec plufieurs Génies
férieux pour corriger les deffauts des hommes
; elle n'y réuffit prefque point , ce qui l'oblige
de ceder la place à Momus. Ce dernier
contrefait le ridicule de plufieurs perfonnes qui
commencent à fe corriger. Ce premier fuccès enhardit
ce Dieu de la cenfure , & lui fait former
le deffein de donner le ridicule des hommes en
fpectacle.
Les Amateurs d'eux - mêmes font la premiere
Entrée ; la feconde eft compofée des foupçonneux
, & la troifiéme des préfomptueux. La Fable
de Narciffe fonde la premiere. Denis le Tyran
AOUST. 1730. 1863
ran de Siracuſe , amene la feconde , & Mydas ,
Roi de Phrigie , eft à la tête des préfomptueux ,
pour avoir préferé la Flute de Pan à la Lyre
d'Apollon.
Anthée voulant éprouver les forces contre le
fils de Jupiter , fonde la premiere Entrée de la
feconde Partie , fçavoir , l'Entreprife au- deffus
des forces. L'Entreprise au- deffus des moyens
fait la feconde Entrée , l'Hiftoire qui y donne
lieu , eft celle de Pyrrhus , Roy d'Epire , qui for
me le deffein de conftruire un Pont d'environ
dix-fept lieuës fur la Mer Adriatique . Bavins ,
Mavius , & autres Poëtes femblables , font plufieurs
tentatives pour occuper le Parnaffe ; ce qui
amene la troifiéme Entrée , qui a pour
treprise au- deffus des talens .
titre : Enveut
Pâris , qui , couvert d'une peau de Lion ,
combattre Menelas , à qui il n'échappe que par
une honteuſe fuite , établit la premiere Entrée ,
qui a pour titre la Lâcheté mafquée . La feconde
qui eft la Fidelité fimulée , eft marquée par un
Monument élevé à la memoire de Nabopharzan,
par ordre de fon Epouſe qui ne l'avoit jamais
aimé. La troifiéme Entrée , qui eft la Débauche
cachée , eft peinte par ce trait d'Hiftoire des
Etruciens paroiffent accompagnez des Vertus pendant
le jour , l'Abftinence & la Temperance leur
fervent un repas frugal , fur le modele de celui
du fameux Curius ; mais à peine la nuit eft - elle
arrivée que ces faux Curius font une Bacchanale,
dans laquelle les Vices danfent à la place des
Vertus.
:
La vaine Parure , la Curiofité frivole & les
Idées chimériques , forment les trois Entrées de
cette derniere Partie. De jeunes Sibarites établiffent
la premiere. Des Athéniens , qui s'étant affemblez
pour entendre difcourir leurs plus cele-
Hij bres
1864 MERCURE DE FRANCE
bres Orateurs fur des affaires importantes , les
quittent pour voir des Joueurs de Gobelets , fondent
la feconde. Quelques traits bizarrès du fameux
Chevalier de la Manche , donnent lieu à la
troifléme , &c. Minerve voyant l'utilité des leçons
de Momus , fe réconcilie avee lui ; ce qui
fait le Balet general & l'Epilogue du deffein .
Les Comédiens François repréfenterent
le 5. Août , la Tragédie du Cid , telle
que M. Rouffeau l'avoit fait jouer & imprimer
à Bruxelles. On en a retranché
quelques Rôles inutiles , comme celui de
FInfante. Ce changement a paru raiſonnable
; il n'en a coûté que fort peu de
Vers au Réformateur , pour faire les liaifons
neceffaires .
Le 20. Juillet , l'Opera Comique de la Foire
S. Laurent , donna la premiere Repréſentation de
la Piece nouvelle , Les deux Suivantes , dont voici
en peu de mots le Sujet.
Lucinde a une fille fort aimable , qu'elle doit
marier à M. Orgon , Gentilhomme de Province
lequel doit arriver inceffamment chez fa future
Belle- mere pour finir ce Mariage. Ce Gentilhomme
n'a qu'un fils nommé Leandre , qui a quitté
la Maifon de fon pere pour voyager , & dont
ce pere eft fort en peine , n'ayant eu aucune de fes
nouvelles depuis qu'il eft parti ; c'eft ce qui lui
fait prendre la réfolution de fe remarier , croyant
d'avoir perdu le feul fils qu'il avoit. Le hazard
fait que Leandre fe trouve dans un Bal avec la
fille de Lucinde , nommée Flavie , accompagnée
de fa Suivante Lifette ; ils ne font pas long- tems
A O UST. 1730. 1865
à faire connoiffance , & ne fe féparent qu'à regret
à la fin du Bal. Léandre , qui eft fort en peine de
revoir Flavie , trouve le moyen de parler à Liſette
pour l'engager de le fervir auprès de fa Maîtreffe;
cette Suivante promet à Leandre de le fervir dans
fes amours , & l'expedient qu'elle trouve eft de
feindre de vouloir quitter fa Maîtreffe fous prétexte
qu'elle va fe marier , & de donner une autre
Suivante de fa main à Flavie . C'est justement
Léandre qu'elle fait traveftir en Suivante , & la
préfente à Lucinde & à fa fille. La fauffe Suivante
fous le nom de Clarice , eſt reçûë avec toute forte
d'agrémens dans la maiſon , comme venant
de la main de Lifette , qu'on eft bien fâché de
perdre , Flavie , fur tout , trouve cette nouvelle
Suivante fort à fon gré , ayant , dit-elle , beaucoup
de l'air & des manieres d'un Cavalier qu'elle
a vû depuis peu au Bal. Cependant Léandre a
tout le temps d'entretenir fa belle Maîtreffe , quoique
celle-ci ne le connoiffe pas encore pour
´P'homme du Bal ; mais Lifette qui furvient , &
qui craint à tous momens que cette fauffe Suivante
ne foit découverte , déclare à Flavie le traveſtiſſement
, & lui apprend que c'eſt Léandte.
Lucinde n'est détrompée de la fourberie qu'à
l'arrivée d'Orgon , qui ayant defcendu chez Lucinde
, a trouvé dans le jardin Flavie, tête- à- tête
avec un Cavalier , c'est justement Clarice qui
avoit quitté l'habit de Suivante pour reprendre
le fien on fait entendre à la mere que Clarice s'eft
déguifée en Cavalier pour réjouir fa jeune Maîtreffe
; on dit la même chofe à Orgon , qui eft
fort irrité d'avoir trouvé Flavie avec un Cavalier ;
on lui prefente enfin la fauffe Suivante, mais il eſt
bien étonné de trouver en elle Léandre fon fils ,
qu'il croyoit perdu. Lifette vient découvrir la
fourberie dont elle s'eft mêlée , & on n'eſt pas
Hv long1866
MERCURE
DE FRANCE
Jong -temps à conclure le Mariage de ces deux
Amans , qui font enfin parvenus à s'époufer par
cette Métamorphofe amoureufe . La Piece finit
par un Divertiffement qui eft terminé par un
Vaudeville de la compofition de M. Gilliers. En
yoici quelques Couplets .
VAUDEVILLE
.
Quar
Uand de fes feux unjeune coeur ,
D'un ton flateur
Nous affure ,
Croyez-moi , répondons toujours ,
A fes difcours ,
Turelure .
Mettez -vous bien cela ,
La ;
Jeunes Fillettes ,
Songez que tout Amant ;
Ment ,
Dans fes fleuretes.
Ton petit minois fans deffaut ,
M'a rendu chaud
Comme braife ;
Toujours brulant pour tes appas
Guillot n'eft pas
A fon aife.
Je mourrai de fouci ,
Si
Ta
A O UST . 1730. 1767
Ta rigueur dure ,
De ton coeur fais-moi donc
Don ,
Je t'en conjure.
Pour moi ton coeur n'eft point ingrat
Mais fans Contrat ,
Point d'affaire ;
C'est un trompeur que Cupidon ,
Et la Raifon ,
Me függere
Qu'on n'a de ce vaurien
Rien ,
Quand la Bérgere ,
Donne à quelque garçon ,
Son
Coeur fans Notaire.
Maître d'un joli Jardinet,
f
Lucas y fait
Peu d'ouvrage ,
7
Et quand quelqu'un veut ſe mêler
D'y travailler ,
Il fait rage ,
N'a-t-il pas , ce Butord
Tort ,
Quand il nous prive
D'un bien que ce Balourd ,
H vj
Lourd
1
1868 MERCURE DE FRANCE
C
Lourt
Très-mal cultive.
Pour nous aimer , trinquons fouvent }
L'amour ſe prend
Dans le verre ;
Les coeurs forment des noeuds en vain
Si le bon vin
Ne les ferre ,
Cela ne tient jamais
Mais ,
La fimpatie ,
Quand Bacchus l'entretient ;
Tient
Toute la vie.
Maris , voulez-vous fuir l'affront ;
Qu'à votre front ,
On peut faire ;
Au logis ne léfinez point ,
C'eft - là le point
Neceffaire ;
On eft pour vous conſtant
Tant ,
Que rien ne chomme ;
Qui ménage l'argent ,
Jean
Bien- tôt fe nomme.
On trouvera l'Air noté avec la Chanson ,
page 1831.
AOUST. 1730. 1869
NOUVELLES ETRANGERES.
D'AFRIQUE , TURQUIE ET PERSE.
A nouvelle de la mort de Muley Abdallah ;
LRoi de Maroc , ne s'eft pas confirmée , or les
Lettres de Tetuan , du 15. Juin dernier , portent
que ce Prince marchoit contre les Rebelles , à la
tête d'une puiffante armée , & que Lotabi , l'un
des Chefs du Parti contraire , qui commandoit
un Corps d'armée de 12 à 15000. hommes , s'étoit
foumis avec toutes fes Troupes .
Les Lettres de Ceuta du 20. Juin , portent que
le Pacha- Hamet , Gouverneur de Tétouan , avoit
été difgracié , que fon Agent auprès du Roi de
Maroc avoit été condamné à mort ; qu'en atten-,
dant l'execution , il étoit aux chaînes , & qu'on
le mettoit tous les jours à differentes tortures ,
pour lui faire avouer en quel lieu fon Maître &
lui avoient caché les fommes exorbitantes qu'on
les accufe d'avoir détournées ; que l'Alcade noir
qui commandoit les Troupes de ce Pacha ,
avoit
été mandé en Cour pour rendre compte de fa
conduite.
On mande de Conftantinople , qu'on avoit ap
porté au Divan affemblé , les têtes des cinq plus
fameux Rebelles d'Egypte, qui avoient été miſes
à prix , entr'autres celles des Chefs Zulficar &
Cherchis , dont l'armée avoit été battuë en trois
occafions differentes par le Pacha Kupruli .
On a appris d'Ifpaham , que le Roi de Perfe
étoit prefentement maître de toute la Province de
Candahar , & de la Ville capitale de cette Proyince,
où le Gouverneur avoitintroduit les Troupes
1870 MERCURE DE FRANCE
pes de ce Prince , lequel tint prifonnier à fa fuite
la femme& les fils du Sultan Acheraf.
L'In
RUSSIE.
'Infant Don Emanuel de Portugal , qui étoit
arrivé de Padoie à Warſovie le 19. du mois
dernier , accompagné d'un Chevalier de Malte &
de quelques Domeftiques , & qui en étoit parti lé
méme jour pour Mofcou , y étoit attendu à la
fin du même mois.
Mirfai-Ibrahim , Envoyê Extraordinaire du
Roi de Perfe , eut le 10. Juillet fa derniere Audience
du Roi , du Grand- Chancelier , qui lui
remit fes Lettres de récreance & fes Paffeports ,
ainſi qu'à Aintz - Baki , Miniftre du Kan de Bukars
& à Zoiromtzoff ; Miniftre du Camp des
Tartares Kalmoucs , qui doivent partir pour retourner
dans leur Pays .
Par une Ordonnance de la Czarine , qu'on a
publiée , tous les Archevêques & autres Prélats ,
font obligez de fe rendre à Mofcou dans le cou
rant du mois de Novembre prochain , pour tra
vailler à la réformation des abus qui fe font introduits
dans les Ceremonies Ecclefiftaftiques .
Par une autre Ordonnance de S.M.Cz.les Officiers
des Régimens feront tenus à l'avenir de réparer
ou payer les dommages que les Soldats feront, tant
dans leurs routes que dans leurs Quartiers.
Il eft arrivé à Mofcou trois Envoyez de l'Empereur
de la Chine , avec des inftructions pour
l'établiffement du Commerce entre les Sujets des
deux Etats ; & comme on a confideré qu'on pou- ,
voit faire venir avec facilité par la Perfe , toutes
fortes de Marchandifes de la Chine , avec autant
de fureté que par les Caravanes . on ne croit pas
que celle qui devoit s'affembler cette année en
Siberie , obtienne la permiffion de pártir.
AOUST. 1730. 1871
O
POLOGNE.
N mande de Lantiezow , que les Vaſſaux
de la Palatine Douairiere de Mazovie,voyant
avec chagrin que les Juifs établis dans cette petite
Ville , étoient plus riches qu'eux , avoient pris le
parti de les maffacrer fans épargner hi les femmes,
ni Vieillards , ni enfans. Ils ont porté même leur
fureur fi loin , qu'après ce maffacre horrible , ils
ont mis le feu à leurs maiſons , & auroient fait
périr leur Infpecteur , quoique Polonois , s'il ne
fe fût fauvé. On a été obligé d'envoyer contre
eux des Troupes reglées pour les faire rentrer
dans leur devoir,& pour arrêter les plus coupables.
La récolte du Bled en cette année fi abondante
dans tout le Royaume , que le prix du pain eft
plus bas qu'on ne l'a jamais . La Diette generale
fera ouverte à Grodno le 2. du mois prochain.
SUEDE.
E Roi a nommé le Prince Guillaume , fon
Frere, our commander en Chefles Trous
pes de Heffe- Caffel , mais on dit que ce Prince
ne prendra pas le titre de Generaliffime , parce
qu'il feroit obligé de quitter celui de General
des Troupes de la République d'Hollande , & de
Gouverneur de Maeftrecht.
Les Lettres de Stokolm de la fin du mois der
nier portent , qu'on reffentoit depuis peu dans
prefque toute la Suede , une chaleur fi exceffive ,
qu'on ne la pouvoit comparer qu'à celle de
1719 ; que le Ciel étoit toujours couvert d'un
brouillard d'une odeur fulphureufe , & qu'on
trouvoit tous les jours fur les bords de la plupart
des Lacs & des Etangs , une quantité confiderable
de Poiffons morts.
A L
1872 MERCURE DE FRANCE
ON
ALLEMAGNE.
N mande de la nouvelle Marche & de la
Wandalie , Brandebourgeoife & Saxone ,
que toute la récolte de ces Provinces avoit été
très - endommagée par les Sauterelles jufqu'à
trois lieues de Wufter-Haufen , Maifon de plaifance
du Roi de Pruffe , mais qu'on efperoit que
ces infectes feroient détruits par les pluyes
abondantes qui tomboient depuis quelques jours
dans le païs.
>
On affure que les Députez des cinq Cercles
Affociez n'ont voulu prendre aucune réfolution
au fujet des affaires de la Conjoncture préfente ,
& l'on croit qu'ils ne fourniront aucun contingent
à l'Empereur , en cas qu'il y ait Guerre ,
que de l'avis de la Diette generale de l'Empire.
ITALI E.
Ltions de la Charge de Gouverneur de la Ville
E Pape a confirmé M. Spinola dans les foncde
Rome. S. S. a choifi pour fes Chapelains fecrets
Mrs Riverfini & Panizzi. Elle a rétabli la
Charge de Capitaine de l'Antichambre, qui avoit
été fupprimée par le feu Pape ; & Elle a nommé
Gentils -hommes ou Chevaliers d'honeur de Cape
& d'Epée le Marquis del Bufalo, & Mrs Gazati ',
Ghifiliere , Albani , Gotifredi , Tarrugi , Patti ,
Oligiati , & quelques autres.
Le Comte Capranica a eu la Charge de Commandant
du Capitole.
Le Pape a deffendu à fes anciens Officiers &
Domeftiques qui le fervoient dans le temps qu'il
étoit Cardinal , de lui prefenter aucun Mémoire
en faveur de qui que ce foit, à peine d'ètre privez
des récompenfes que S. S. leur a promiles.
Le 1s du mois dernier, on chanta le Te Deum
dans
AOUST. 1730. 1873
dans toutes les Eglifes de Rome , par ordre du
Cardinal Marefofchi , Vicaire Général de S. S.
& on diftribua , felon la coutume , aux Pauvres
qui s'étoient rendus en foule dans la Cour du Belvedere
, quatre mille écus en Paoles neufs , que le
Cardinal Camerlingue avoit fait frapper pendant
la vacance du S. Siège. L'après midi , on publia
un Decret du Cardinal Vicaire , par lequel le
Pape accordoit une Indulgence pléniere à tous
ceux qui s'étant confeffez & ayant communié
affifteroient à la Meffe folemnelle que S.S. devoit
celebrer le jour de fon Couronnement , ou qui
recevroient fa benediction à la grande Loge du
Portail de l'Eglife de S. Pierre .
Le 16 , les Cardinaux fe rendirent à la Salle
des Paremens , fuivant l'invitation de M. Gambarrucci
, premier Maître des Ceremonies , & le
Pape y étant arrivé, accompagné d'un nombreux
cortege de Prince Romains , de Prelats , & de
Nobleffe fut revêtu de > y fes Ornemens Pontificaux
par les deux premiers Cardinaux Diacres.
Tout étant prêt pour la cérémonie du Couronnement
, la Proceffion fe mit en marche ; les Prélats
en Rochet & en Chapes violettes , marchant
à la tête , étoient fuivis des Cardinaux en Rochet
& en Chapes rouges. Le Pape étoit porté dans
une Chaife découverte .
Tout le Cortege étant defcendu par le grand
Efcalier de Conftantin , fe rendit fous le Portique
de l'Eglife de S. Pierre , qui étoit orné de Tapifferies
magnifiques. Le Pape s'y plaça fur un Trône
, qui avoit été élevé à côté de la Porte Sainte,
& les Cardinaux prirent leurs places ordinaires.
Le Cardinal Annibal - Albani , Camerlingue &
Archiprêtre de l'Eglife S.Pierre, fe tenant debout
& découvert à la gauche du Trône , complimen
ta le Pape fur fon Election , enfuite s'étant mis à
genoux
1874 MERCURE DE FRANCE
genoux , il baifa les pieds & la main droite de
S. S, après quoi il l'embraffa ; le priant de vouloir
bien admettre au baiſement des pieds les Chanoines
& les Officiers de l'Eglife. Cette Ceremonie
fe paffa pendant que les Cardinaux & les Prélats
entroient proceffionnellement dans l'Eglife.
Le Pape fut porté enfuite dans la Chapelle de
la fainte Trinité , ou ayant quitté fa Mitre , il fit
fa Priére devant le S. Sacrement. Après quoi il
alla dans le même ordre à la Chapelle Clémen→
tine , où étant monté fur fon Trône , les Cardinaux
vinrent lui baiſer la main , ainfi que les Patriarches
, les Archevêques, les Evêques , le Connétable
Colonne , les autres Princes du Trône
les Confervateurs & le Prieur du Peuple Romain.
Cette Ceremonie finie , le Pape fut revêtu de fa
Chape & de fa Mitre de toile d'argent , & enton
na l'Office de Tierce, qui fut chanté par les Muficiens
de la Chapelle Pontificale. A la fin de l'Office
, S. S. prit fes Ornemens pour celebrer la
Meffe , & s'étant mis en marche pour fe rendre
au premier Autel , dit de la Confeffion des Apôtres
, un Maître des Ceremonies brûla par trois
fois , devant le Pape , des Etoupes , en chantant à
chaque fois Pater Sancte , fic tranfit gloria
mundi.
S. S. eut pour Affiftans à l'Autel les Cardia
naux Barberin , Ottoboni , Colonne & M.Crefcenzi
: Elle y reçut le Pallium des mains du Cardinal
Altieri , premier Diacre. Pendant que les
Muficiens chantoient l'Introit , le Pape remonta
fir fon Trône , & les Cardinaux vinrent à l'Obédience
& baiſerent les pieds , les genoux, la main
& la jouë de S. S. Les Archevêques & Evêques
lui baiferent le pied & le genou , & les Pénitenciers
, le pied feulement.
Enfuite le Pape entonna le Gloria in excelfis ,
AOUST. 1730. 1875
à la fin duquel il retourna à l'Autel pour achever
la Meffe. Lorfqu'elle fut finie, S.S. reçut du Chapitre
de l'Eglife la retribution de 25 Jules de
Monnoye ancienne ; enfuite elle fut portée à la
grande Loge du Portail , où pendant que les Muficiens
chantoient l'Hymne : Corona aurea fuper
caput ejus , le Cardinal Colonne ôta la Mitre de
S. S. & le Cardinal Altieri , premier Diacre , lui
mit la Thiare fur la tête.
Le Pape donna alors fa benediction au peuple
au bruit d'une Salve generale de l'Artillerie du
Château S. Ange & au fon de toutes les Cloches
de la Ville.
Les deux Cardinaux Diacres publierent une In
dulgence pléniere en forme de Jubilé , & S. S.
donna au Peuple deux autres benedictions : Elle
retourna enfuite à la Salle des Paremens , où elle
fut complimentée fur fon Couronnement , par
le Cardinal Barberin , au nom du Sacré College.
Le 19 , le Prince Dom Barthelemi Corfini ,
l'aîné des Neveux du Pape, qui étoit arrivé la furveille
de Florence , eut audience de S. S. qui lui
donna la Charge de Capitaine des Chevaux Le
de fa Garde.
gers
Le 24, le Pape qui avoit donné la veille le Rochet
de Protonotaire Apoftolique , participant
furnumeraire au Marquis Neri - Corfini , fon
neveu , tint un Confiftoire , dans lequel S.S. fit
aux Cardinaux un Difcours tres -éloquent pour
les remercier de fon élection , &c. Le Cardinal
Ottoboni , Protecteur des affaires de France , y
propofa la Coadjutorerie de l'Evêché de Quebec
pour M. Boufquet , Evêque titulaire de Samos.
Enfuite il préconifa le P. Feydeau , pour l'Evêché
de Digne ; l'Abbé de Bezons pour celui de
Carcaffonne , & le P. Boyer pour celui de Mirepoíx.
Le
1876 MERCURE DE FRANCE
Le Patron d'une Barque revenu de Nettuno á
Livorne , a rapporté que le Chevalier Guarnieri,
Capitaine d'une des Galeres du Pape , étant förti
du Port de Nettuno avec fa Galere , pour aller
croifer contre les Corfaires de Barbarie , avoit
manqué d'être affaffiné avec tous les Officiers ,
par les Forçats & les Soldats de l'Equipage qui
avoient réfolu de faire échouer la Galere fur un
Banc de Sable , pour mieux executer leur projet :
mais que ce complot ayant été découvert
par des
Forçats Turcs , le Chevalier Buffi & un autre
Capitaine de Galere , étoient venus au fecours du
Chevalier Guarnieri ,au fignal qui leur fut donné,
& qu'on s'étoit faifi des plus coupables qui
avoient été punis fur le champ.
Le 1s du mois dernier , on publia à Florence
un Decret du Grand Duc , par lequel il étoit ordonné
de celebrer l'Election du Pape avec les
mêmes ceremonies qu'on obferva en 1623. pour
l'Election du Pape Urbain VIII . qui étoit de la
Maifon des Barberins de Florence. Le foir on
commença cette Fête par le fon des Cloches de la
Ville. Le 16 , vers les neuf heures du matin , les
Sénateurs & les Magiftrats fe rendirent en Cortége
à l'Eglife Métropolitaine , où ils entendirent
la Meffe , célébrée pontificalement par l'Archevêque
, & enfuite le Te Deum. Le 17 au foir,on
fit une Salve generale de l'Artillerie des deux Crtadelles
; on tira un Feu d'artifice fur la Tour du
vieux Palais. Tous les Palais furent illuminez , &
il y eut des Feux de joye & des réjouiſſances dans
toutes les rues.
' Les Rebelles de l'Ile de Corſe s'étant rendus
maîtres des Poſtes les plus avantageux de cette
Ifle , ont fait remettre à M. Venerofo un Mémoire
par lequel ils déclarent que fi dans fix femaines
la République ne les fatisfait pas fur toutes
AO UST. 1730. 1877
tes leurs demandes , ils feront des courfes dans
toute l'Ifle , & biûleront les Maifons & les Fermes
de tous les habitans qui ne voudront pas fuivre
leur parti. Comme on eft perfuadé qu'ils ne
feroient pas affez témeraires pour faire de pareilles
menaces, s'ils n'étoient pas aflurés de la protection
fecrete de quelque Puiflance Etrangere , pour croit
que la République leur accordera tout ce qu'ils
demandent pour éviter les fuites fâcheufes de leur
Rebellion .
On a appris en dernier lieu que leur Camp eft
préfentement de 20000, hommes , fans compter
les habitans de 14. Villages fitués dans le Détroit
d'Acia qui fe font joints à eux , & qui leur ont
prêté ferment de fidelité . Ils ont publié un Manifefte
par lequel ils déclarent qu'ils n'ont pris le
parti de fe revolter que parce qu'étant nés libres
la République & le Sénat les ont toujours tenus
dans la fervitude , en leur faifant payer des impofitions
beaucoup plus onereufes qu'aux autres
Sujets de la République . Ils demandent qu'ayant
que d'entrer dans aucun accommodement , on
les rétabliffe dans leurs anciens Privileges , qu'on
fupprime tous les impôts extraordinaires qu'ils
ont payés depuis 1715. qu'on leur remette entre
les mains ceux qui ont été la cauſe de leur oppreffion
; qu'on leur cede en toute Souveraineté
le Territoire qui eft entre les Rivieres de Liemone
& de Tavigniano , & qu'on retire toutes les Gar
nifons du Pays. Comme ces Rebelles prévoyent
que la République pourroit emprunter des fecours
étrangers pour les foumettre , ils fe font pourvûs
d'armes , & ils ont enlevé toutes les munitions de
guerre qu'ils ont trouvées dans les Arfenaux de
Saint Florent , de Calvi , de Curfe & de Saint
Boniface ; ils ont fondu les Cloches de ces Villes
pour en faire du Canon , & ils ont fait un Retranchement
1878 MERCURE DE FRANCE
tranchement avec des Redoutes le long des côtes
de l'Ifle , où l'on pourroit faire une defcente. Les
Corps de Garde qu'ils ont placés dans differens
endroits avec de l'artillerie , ont ordre de tirer
fur tous les Bâtimens Genois qui voudroient tenter
d'aborder dans l'Ile. Leur principal Chef , qui
fe nomme Pampliani , eft un Gentilhomme qui a
fervi avec diftinction dans les Troupes Etrangeres
; ce Chef a fait afficher dans differens endroits
de l'Ile que les Mécontens en prenant les armes
n'ont jamais eu intention de piller ni d'infulter
aucun de leurs freres opprimés ; mais de conferver
les Privileges & la liberté de la Nation : ils
font même fi attentifs à prévenir tous les défordres
que ceux de leur Parti pourroient caufer ,
qu'ils en ont fait pendre quinze qui étoient fortis
du Camp pour aller voler dans le Village d'Ajaccio.
Un de leurs Détachemens étant allé il y a
quelque tems à Alleria pour s'emparer de cette
petite Ville , les habitans tirerent fur les Mécontens
pour les obliger à fe retirer ; mais ayant attaqué
la Ville avec beaucoup de vigueur , ils la
prirent par efcalade , & pafferent au fil de l'épée
la Garnifon & tous ceux qui avoient pris les armes.
Le bruit court que la République a raffemblé
6 à 7000 hommes , avec lefquels elle efpere
de foumettre les Rebelles. M. François Marie
Spinola s'eft nouvellement embarqué pour San-
Remo , en qualité de Commiffaire de la République
, & avec des inftructions pour prévenir la
révolte des peuples qui ont déja donné des marques
de leur mécontentement .
il a
Le Cardinal de Rohan eft parti de Rome ,
pris la route d'Orviette ; & après avoir paffé
quelques jours dans la Maifon de Campagne du
feu Cardinal Gualterio , il arriva à Venife le 4.
Août, & alla defcendre au Palais du Cardinal Otthoboni
'A OUS T. 1730. 1879
thoboni ; il a dû partir quelques jours après pour
-retourner en France .
GRANDE BRETAGNE.
Na publié à Gibraltar le nouveau Traité de
Pacification que M. Jean Ruffel , Miniftre
Plenipotentiaire du Roi d'Angleterre , a conclu
avec le Roi de Maroc depuis quelques mois ; il
eft ftipulé par les principaux Articles de ce Traité
que tous les Maures ou Juifs , Sujets du Roi de
Maroc , auront la liberté de commercer dans la
Ville de Gibraltar & dans l'Ile de Minorque ;
qu'il leur fera permis d'y féjourner pendant 30.
jours toutes les fois qu'ils y apporteront des Marchandifes
de leur Pays, ou qu'ils viendront ache
ter de celles de l'Europe ; que les Sujets du Roi
d'Angleterre qui pour leur commerce feront
obligés de féjourner dans les Villes de la dépendance
du Royaume de Maroc , ne feront pas
contraints , en cas de conteftation avec les habitans
de ces Villes , de comparoître devant le Cadi
, ou Juge du lieu , & qu'il ne fera permis qu'au
Gouverneur de la Ville & au Conful de la Nation
Angloife de connoître de ces differends ;
que tous les Sujets de S. M. Brit . tant Anglois
qu'Hannoveriens qui feront pris par les mateurs
du Roi de Maroc fur quelque Vaiffeau
ce puiffe être , feront mis en liberté & renvoyés
à Gibraltar ; qu'il fera permis aux Commiffaires
Anglois d'acheter des provifions & tout ce qui
leur fera neceffaire , tant pour les Vaiffeaux de
Guerre du Roi d'Angleterre que pour la Garnifon
de Gibraltar dans tous les Ports du Roi de
Maroc , au prix courant du marché , & que ces
provifions feront portées à bord des Vaiffeaux
Anglois fans payer aucun droit de fortie. Tous
les autres Articles de ce Traité confirment celui
que
qui
1880 MERCURE DE FRANCE
qui fut conclu il y a quelques années entre le feu
Roi d'Angleterre George I. & le feu Roi de Maroc
, pere de celui qui regne aujourd'hui.
On apprend de Londres que le Prince Guillaume
, Vaiffeau de la Compagnie de la Mer du
Sud , étant entierement chargé pour Cartagene
& Porto- Bello , a defcendu la Riviere jufqu'à
Long-Reach , au - deffus de Gravefend ; & perfonne
ne s'étant prefenté de la part du Roi
d'Efpagne pour le jauger & le meſurer , conformément
au Traité de l'Affiente , les Directeurs
l'ont fait jauger par quatre perfonnes dignes de
foi , aufquelles on a fait prêter ferment , & on
croit que leur Certificat fera fuffifant s'il ne fe
préfente aucun Agent de S. M. Cath. après un
délai raifonnable .
Les fept Chefs des Nations Indiennes dont
nous avons parlé , qui étoient à Windfor depuis
quelque tems , ayant pris congé de L. M. font
allés à Londres pour voir ce qu'il y a de plus
curieux dans cette Ville , en attendant qu'il y ait
un Vaiffeau prêt à partir pour les tranfporter
dans leur Pays.
Cinq Voleurs arrêtés à Londres au commencement
de ce mois , ont déclaré dans leur Interrogatoire
qu'ils avoient formé le deffein de voler
le Roi & la Reine lorfque L. M. iroient le matin
fe promener à pied , fans Gardes , dans le Parc
de Windfor..
HOLLANDE , PAYS - BAS.
Es Etats Generaux ont prolongé jufqu'au 31 .
Decembre 1760. le Privilege de la Compagnie
des Indes Orientales fur le même pied que
le Privilege précedent , à la referve cependant que
le Commerce fur les côtes d'Afrique fera libre
dorénavant pour toutes fortes de perfonnes,
conformés
A O UST . 1730. 188.1
conformément au Reglement particulier qu'on a
publié au fujet de ce Commerce. Les mêmes
Etats & ceux de Weft- Frife ont envoyé dans
toutes les Villes de ces Provinces un Placard qui
regle dans une jufte proportion les droits que
chaque maiſon doit payer.
***X* XXX :XXXXX :XX *
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , & c.
LE
E 20. du mois dernier , M. d'Angervilliers ,
Miniftre & Secretaire d'Etat de la Guerre ,
accompagné du Comte de Saint Florentin & du
Marquis de Pezé , Colonel , Meftre de Camp du
Régiment du Roi , fe rendit de Compiegne à la
Fere , pour voir le fiege auquel l'Ecole de l'Artillerie
, établie dans cette Ville fous les ordres du
Chevalier d'Abouville , eft actuellement occupée.
Le 21 , M. de Valliere , Maréchal de Camp ,
Directeur & Infpecteur General des mêmes
Ecoles , conduifit ce Miniftre à un demi quart de
lieuë de la Ville , pour lui faire voir differentes
manoeuvres ; & après que le Bataillon de M. de
la Perelle, du Régiment Royal Artillerie, & celui
de Pequigny , eurent paffé en revûë devant M.
d'Angervilliers , on jetta un Pont fur la Riviere
d'Oife , avec la même promptitude que lorfqu'il
s'agit de faire paffer une Armée. On fe rendit
enfuite à la Batterie , où on fit l'exercice du Canon.
M. d'Angervilliers parut fort fatisfait de l'adreffe
des Canoniers. Vers les neuf heures , les
Troupes deftinées à la défenfe du Fort fe rendi-
I rent
1882 MERCURE DE FRANCE
-
?
rent à leurs poftes fous les ordres de M. Lucas ,
Capitaine dans Royal Artillerie , qui commande
en chef dans la Place. Dès que les Afliegeans
monterent la tranchée , on fit fur eux un grand
feu du Canon & de la Moufqueterie de la Place;
les Affiegeans étoient logés fur la Contrefcarpe ,
où ils avoient établi le jour précedent huit Batteries
de Canon pour battre les dehors & le corps
de la Place . La principale action de cette journée
fut la prife de deux Tenaillons,conftruits fur une
Demi-Lune. Après bien des forties & des chicanes
de guerre de part & d'autre , toutes fort fingulieres
, ceux de la Place firent fauter , à l'attaque
de la droite , par les Mines , une Batterie de
Canon des Ennemis fur le chemin couvert.
A une heure après midi , M. de Valliere qui
commandoit en chef la Tranchée, y fit fervir un
magnifique diner. Indépendamment de la Table
du Miniftre , il y en avoit d'autres pour plus de
300. perfonnes.
A trois heures le feu recommença plus vivement
que jamais , & la Batterie qu'on avoit fait
fauter le matin fe trouva rétablie par les Affiegeans
en moins de deux heures & demie. Dès
qu'on y eut fait conduire le Canon , les Affiegés
la firent fauter pour la feconde fois . Le Canon &
les affuts furent jettés vers les foffés de la Place ,
ainfi que M. d'Antonnazzi , Capitaine des Mineurs,
fe l'étoit propofé , ce qui lui attira, auffibien
qu'aux autres Officiers de fa Compagnie ,
l'applaudiffement du Miniftre. Peu de tems après
on donna le fignal pour faire jouer les Mines que
les Affiegeans avoient faites fous les Tenaillons
dès qu'ils furent ouverts par deux breches , les
Grenadiers , fuivis des Ingenieurs avec les Travailleurs
deftinés à la prife de ces Ouvrages ,
monterent à l'affaut
à l'affaut pour ſe loger fur le haut des
breches
A O
UST .
1730. 1883
breches : ce fut alors qu'on vit une image bien
naturelle de la Guerre & des Sieges .
Les fix Chiens de Chaffe & les Oiseaux de
proye que l'Abbé de S. Hubert eft obligé d'envoyer
tous les ans au Roi , furent prefentés à
S. M. à Compiegne au commencement de ce
mois .
La Meute que le Roi a préfentement à Compiegne
est de 250. Chiens ; fçavoir , 143. pour
le Cerf, 60. pour le Chevreuil & 47. pour le
Sanglier , fans y comprendre la Meute du Loup,
qui eft reftée à Verſailles. On renouvelle tous les
fix mois trente Chiens de la Meute de S. M. qui
en donne les vieux à des Seigneurs qui ont des
équipages de chaffe . On a fait depuis peu des
couvertures & des houffes neuves de drap bleu
brodées d'un nouveau deffein
pour les Chevaux
de Chaffe.
Sur la fin du mois dernier , le Roi chaffa un
Cerftout gris dans la Forêt de Compiegne , qu'on
fut obligé d'abandonner aprés l'avoir pourfuivi
fix ou fept lieues. On affure que le même Cerf
fut auffi chaffé inutilement plufieurs fois l'année
derniere ; on ajoûte qu'il a 200. ans , & qu'il a
été chaffé par Louis XIII. & par Louis XIV .
Le 15 de ce mois , Fête de l'Affomption de la
Sainte Vierge , le Roi , accompagné du Duc
d'Orleans , du Comte d'Eu , & du Comte de
Toulouſe , fe rendit à l'Eglife de la Paroiffe du
Château , où S. M. entendit la Grand' - Meffe
célebrée pontificalement par l'Evêque de Soiffons.
L'après - midi le Roi alla entendre les Vêpres
dans l'Eglife de l'Abbaye Royale de S. Corneille
: S. M. y aſſiſta à la Proceſſion & au Salut¸
où le même Prélat officia
Į įj
Lc
1884 MERCURE DE FRANCE
Le même jour , la Proceffion folemnelle de
Eglife Métropolitaine , qui fe fait tous les ans
à pareil jour , en execution du Vou de Louis
XIII. fe fit à Paris avec les cérémonies accoutumées.
L'Archevêque de Paris y officia , & le Parlement
, la Chambre des Comptes , la Cour des
Aydes & le Corps de Ville y affifterent fuivant
la coutume.
Le 21. vers les 8. heures du foir , le Roi arriva
du Château de Compiegne à Versailles .
Il a été fondu à Paris depuis peu par le fieur
Martin , deux très - grandes Coches , & quatre
beaucoup moindres pour le Roi de Portugal
qu'on va voir fur le Port S Nicolas par curiofité
, Pouvrage ayant parfaitement réuffi . On a
appris de Gennes qu'on y avoit auffi fondu huit
groffes Cloches pour le Roi de Portugal , qu'on
devoit embarquer pour Lisbonne.
M. L'Abbé Sevin eft de retour de Conſtantinople
depuis le commencement de ce mois. Il a
rapporté quantité de Manufcrits en diverfes
Langues Orientales pour la Bibliotheque du
Roy.
;
>
Le 15 , Fête de l'Aſſomption de la Vierge , il
y eut Concert Spirituel au Château des Tuilleries
M. Mouret fit chanter le Benedi&us , Motet
de M. de la Lande , dont l'éxecution fut parfaite.
Les Diles Erremens, Le Maure , & Petitpas ,
chanterent differens Motets à une & à deux voix ,
avec fimphonie,qui furent très - applaudis par une
très- nombreufe Affemblée , de même que les
Srs Blavet & Madonis dans l'éxecution de deux
Concerto fur la Flute & le Violon. Le Concert
fut
A O UST . 1730. 1885
fut terminé par Dominús regnavit , autre Moter
de M. de la Lande.
Dans l'Affemblée Generale du Corps de Ville ,
tenue le 16 de ce mois , le Prefident Turgot fut
continué Prevoft des Marchands , & les nouveaux
Echevins furent élus à l'ordinaire. On
fçait qu'il y a toujours quatre Echevins en fonction
; que les deux plus anciens fortent tous les
ans d'Echevinage , & que l'on en choifit deux
nouveaux pour remplir leur place . Au refte , ces
places ne font remplies que par des perfonnes
d'une probité reconnue ; les Statuts font trèsrigoureux
là deffus : un homme qui auroit été
arrêté prifonnier , quoi qu'injuftement , ne peut
être élu Echevin. On doit avant que d'y parvenir
avoir paffé par beaucoup d'Emplois , qui
font connoître le merite & la droiture des
Sujets .
>
Le 23 , le Corps de Ville , le Duc de Gevres.
Gouverneur de Paris , étant à la tête , enc
Verfailles Audience du Roy , avec les cerémonies
accoutumées. Il fut préfenté à S. M. par
le Comte de Maurepas , Secretaire d'Etat , &
conduit par le Marquis de Dreux , Grand-Maître
des Cerémonies , & par M. Defgranges, Maître
des Cerémonies . Ms Roffignol & Lagnau ,
nouveaux Echevins , prêterent entre les mains
du Roy le Serment de fidelité , dont le Comte
de Maurepas Secretaire d'Etat , fit la lecture ;
le Scrutin ayant été préſenté par M. Bignon ,
Avocat General du Grand Confeil , qui fit un
Difcours très -éloquent. Le même jour , le Corps
de Ville rendit fes refpects à Monfeigneur le
Dauphin , & à Mefdames de France.
I iij
Le
1886 MERCURE DE FRANCE
Le 25 , Fête de S. Louis , la Proceffion des
Carmes du Grand Convent , à laquelle le Corps
de Ville affifta , alla , fuivant la coûtume , à la
Chapelle du Château des Tuilleries , où ces Religieux
celébrerent la Meffe , pendant laquelle le
Duc de Gêvres , Gouverneur de Paris , fit rendre
les Pains- Benis , avec les cerémonies accoutumées.
Le même jour , l'Académie Françoiſe celébra
la Fête de S. Louis dans la Chapelle du Louvre.
On chanta pendant la Meffe un très -beau Motet
en Mufique , de la compofition de M. Dornel
après laquelle l'Abbé Ragon , Chapelain du Duc
d'Orleans , prononça le Panegyrique du Saint.
Le même jour , l'Académie Royale des Infcriptions
& Belles - Lettres , & celle des Sciences ,
celébrerent la même Fête dans l'Eglife des Peres
de l'Oratoire ; on y chanta auffi un Motet en
Mufique pendant la Meffe de la compofition de
M. du Bouffet , & le Panegyrique de S. Louis
fut prononcé par Dom Léandre Pertuiſet , Religieux
Reformé de l'Ordre de Clugny , qui a
prêché avec fuccès dans plufieurs Eglifes de
Paris.
Le Concert d'Inftrumens que l'Académie
Royale de Mufique donne tous les ans au Château
des Tuilleries , à l'occafion de la Fête du
Roi , a été executé le 25 par un grand nombre
d'excellens Simphoniſtes de la même Académie ,
qui jouerent differens beaux morceaux de Mufique
de M. de Lully & de M. Rebel.
Le 3 Juillet , M. de Blamont , Sur-Intendant
de la Mufique du Roi , de Semeftre , fit chanter
devant
"
AOUST . 1730. 1887
devant la Reine , le Prologue & le premier Acte
de l'Opera de Roland , dans lequel la D'le Du- ,
clos & le fieur Godonnefche chanterent les
principaux Rôles dans le Prologue , & ceux de
la Piéce furent remplis par la Die Lenner &
par les Sieurs Guedon & Chaffé .
,
Le , on chanta le fecond & le troifiéme
Acte du même Opera , qu'on continua le ro
& qu'on finit le 12. La Die Duclos chanta dans
le dernier Acte le Rôle de Logistille .
Le 17 ว on executa avec un applaudiffement
general , l'Impromptu de Labyrinte de Verfailles
, de la compofition de M. de Blamont.
Le 24 , on chanta chez la Reine le Prologue
& le premier Acte de Bellerophon.
>
Le 27 , la Reine voulut entendre , à Trianon ,
le dernier Divertiffement de M. de Blamont
fait à l'occafion de la Naiffance de Monfeigneur
le Dauphin. C'eft le même qui fut executé l'année
derniere au Soupé de L. M. & enfuite dans
les grands Appartemens. Les Dite. Erremens ,
& le Maure , & le fieur d'Angerville , chanterent
les principaux Rôies .
Le 31. on continua Bellerophon , & on le finit
le 2 Août. La Dle Antier chanta le Rôle de
Stenobée , la D'te Lenner celui de Philonoé , &
le fieur Chaffé celui d'Amifodar.
Le 7
>
& le 21 Août , on chanta Amadis de
Gaule. La Dlle Pithron & le fieur d'Angerville
chanterent les principaux Rôles du Prologue
& dans la Piéce , la Dle Antier chanta le Rôle
d'Arcabone , la Dile Pichou celui de Corifande
, le fieur Godennefche celui de Floreftan , &
le fieur d'Angerville celui d'Arcelaus . La D'le
Antier chanta enfuite la Nymphe de la Seine ,
Cantate de M. de Blamont.
Le 25 , le même Auteur fit executer par les
I j 24
1888 MERCURE DE FRANCE
24 Violons du Roy , plufieurs Piéces de Simphonie
de fa compofition pendant le dîné de
S. M.
Le 26. la Lotterie de la Compagnie des Indes
pour le rembourſement des Actions , fut tirée en
la maniere accoûtumée , à l'Hôtel de la Compagnie ;
on a publié la Lifte des Numeros des Actions &
Dixièmes d'Actions , qui feront rembourſés , faifant
en tout le nombre de 300. Actions .
Le 21. Juillet, le Duc de Lorraine alla voir le
Camp de la Meufe , le Comte de Bellifle donna
à S. A. R. un repas où fe trouverent 93. perſonnes
en quatre tables , fervies avec toute la délicateffe
poffible; & après le repas il fit faire à la
Cavalerie toutes les évolutions en preſence de ce
Prince , qui admira l'adreffe & la belle taille des
Cavaliers , ainfi que la beauté des Chevaux.
EXTRAIT d'une Lettre écrite de
Mets , le 6. Aoust 1730.
LE
E Duc de Coaflin , Evêque de Mets, apprit le
31 du mois dernier que L. A. R. de Loraine
, le Prince Charles , les Princeffes fes Soeurs &
la plus grande partie de cette Cour devoient venir
exprès à Frefcati pour le voir, & lui demander
à dîner , le Jeudi fuivant 3 Aouft. Ce Prélat
dans ce peu de tems fe prépara le mieux qu'il
put à recevoir cette illuftre Compagnie.
>
L. A. R. & toute la Cour arriverent de Frouard
où elles avoient_couché , à une heure & demie
dans cinq Caroffes , accompagnez de leurs Officiers
& de Pages à Cheval . M. de Mets les reçut
à la Portiere de leur Caroffe , accompagné de
Meſdames de Bellifle & de Montholon , Premiere
PreAOUST
. 1730. 1889
Prefidente ; des Comtes de Baviere , de Bethune ,
de Bellifle , de Beuvron ; de Mrs de Brezé , de
la Valliere , d'Armenonville , de Stueffe , de Verfeille
; des Marquis de Lifle , de Guftine , de
Conche , de S. Vallier , de Bellefond , de Livry ,
de Montholon , Premier Prefident , de Creil, Intendant
& de Roche- Colombe.
On fe promena quelque tems fur la Terraffe ,
& bientôt après on avertit que le dîné étoit fervi.
L. A. R. & toute la fuite allerent dans l'Orangerie,
où le Repas étoit préparé. Ce lieu étoit
orné magnifiquement & également . Il y avoit
deux Tables de 25 Couverts chacune , avec des
Eftrades aux deux bouts , où étoient d'un coté la
Mufique , & de l'autre des Haut-bois . Au dehors
il y avoit 18 Pieces de Canon , des Timbales & des
Trompettes.Le tout fut tres - bien exécuté ; le Repas
fut tres - bon & tres - délicat,&fervi avec beaucoup
d'ordre..
Après le Repas , qui dura environ deux heures
S. A. R. Madame , monta dans une Caléche avec
la Princeffe de Craon & M. de Mets , pour fe
promener dans les Jardins ; le Prince & toute fa
fuite fe promenerent à pied jufqu'à 5 heures &
demie que l'on rentra dans le Château , où on
trouva beaucoup de Rafraîchiffemens. L.A.R.partirent
à fix heures pour aller coucher à Frouard ,
qui eft à fept lieues de Frefcaty.
On ne peut rien ajouter aux manieres gracieufes
de L. A. R. pour M. de Mets , & au contentement
qu'Elles marquerent de tout ce qui s'étoit
paffé . Elles ont trouvé la Maiſon tres - belle & les
Jardins fort gracieux.
Les Seigneurs & Dames qui ont fuivi L. A. R.
à Erefcaty , font le Prince Charles & les Princeffes
fes Soeurs, Les Princes & les Princeffes de Lixin
& de Craon. Mrs de Spada , de Stinville , de
I. v Lunati
1890 MERCURE DE FRANCE
Lunati , de Quinick, d'Alteim, d'Ogara , l'Abbé
de Lozandiere , M de de Lenoncourt , M elles de
Spada , de Lunati & de Martini.
CEREMONIE de la prife de Bonnet de
Docteur , parM.l'Archevêque de Paris.
A Faculté de Théologie de Paris, après avoir
Lprefènié les Actes & les Décrets fur la Conftitution
Unigenitus , au Roy , à la Reine & aux
autres Seigneurs,à Fontaibleau , le 18 May 1730.
cvût qu'elle devoit auffi preſenter les mêmes Actes
à M. l'Archevêque de Paris. Elle nomma pour
cela M. Lullier Doyen, M. de Romigny Syndic,
& les fix plus anciens Docteurs , aufquels elle recommanda
de fupplier M. l'Archevêque de vouloir
prendre le Bonnet de Docteur. Ce Prélat
avoit fait fa Licence dans les années 1706. &
1707. Mais après avoir obtenu le dégré de Licentié
, ayant été nommé fucceffivement Evêque
de Marfeille , & Archevêque d'Aix , il n'avoit
pas pris le Bonnet ,
cela étoit arri- que
vé à M. de Harlay Archevêque de Rouen , &
enfuite Archevêque de Paris , qui après ſa Licence
ne prit le Bonnet de Docteur qu'après avoir
été nommé Archevêque de Paris.
ainfi
M. l'Archevêque de Paris fut donc prié par
la Faculté de fuivre l'exemple de M. de Harlay
& à cette occafion le Doyen accompagné du
Syndic & des autres Députez , lui fit un fort
beau Difcours le 23 May dernier.
On fera peut- être bien -aiſe d'être inftruit de
ce qui s'obſerve quand les Archevêques de Paris
prennent le Bonnet . Ordinairement le Licencié
eft tenu qui doit prendre le Bonnet de Docteur ,
de foutenir quelques jours auparavant une Theſe.
nommée Vefperie , & un des jours fuivans il fe
rend
AOUST. 1730. 1891
rend dans la grande Sale de l'Archevéché , ou
dans la Chapelle interieure qui eft au bout de la
Sale , avec fon Grand-Maître d'Etude , où il a
prié quelques jours auparavant le Chancelier de
Notre-Dame de fe trouver. Il y a trois Chaifes
difpofées , le dos tourné à l'Autel. Si la cerenonie
fe fait dans la Chapelle de l'Archevêché ou
dans la Grande Sale même , le Licencié prend la
place du milieu ; à fa droite eft ie Chancelier , &
à fa gauche fon Grand - Maître d'Etude. La ceremonie
commence par un Difcours Latin que fait
le Chancelier fur quelque fujet d'érudition ou de
piété , fur l'importance de la ceremonie ; &c,
Enfuite le Licencié fe met à genoux devant le
Chancelier , qui lui fait faire les fermens accoutumez.
Le nouveau Docteur remercie le Chan→
celier , & fon Grand - Maître d'Etude. Enfuite il
préfide à une Thefe , nommée Aulique.
Après que le nouveau Docteur à difputé fur
trois Medium , ainfi que le Grand-Maître d'Etude
& le Chancelier , le Chancelier le conduit à
Notre- Dame , lui fait faire le ferment fur l'Autel
des Martyrs de foutenir la verité , enſeignée par
l'Eglife Catholique , Apoftolique & Romaine
toute la vie ; jufqu'à répandre fon ſang pour la
défenfe de ces mêmes véritez.
Mais quand un Archevêque de Paris , nommé
& facré , prend le Bonnet de Docteur , prefque
toutes ces ceremonies font obmiſes. Il n'y a ní
Vefperie , ni Aulique , ni Difcours par le Chancelier
, ou par le nouveau Docteur , ni fermens à
exiger de lui. L'Archevêque étant à genoux vis - àvis
l'Autel de la Chapelle intérieure de l'Archevêché
, ayant à fa droitele Chancelier , & le Doyen
de la Faculté à fa gauche , le Chancelier fe leve
donner & prononce la Formule ordinaire, pour
par l'autorité & la Benediction Apoftolique , le
dégre I vj
1892 MERCURE DE FRANCE
-
dégré de Docteur. Il met en même temps le
Bonnet de Docteur fur la tête de l'Archevêque
aiafi finit la ceremonie. C'est ce qui s'eſt obſervé
en 1671. quand M. de Harlay , Archevêque de
Paris , reçût le Bonnet de Docteur. Et c'eft auffi
ce qui s'eft paffé le 24 May 1730. à la cérémonie
de M. de Vintimille du Luc , en preſence
d'un grand nombre de Docteurs. Ce Prélat fit
l'honneur au Chancelier , au Doyen , au Syndic
& aux autres Docteurs de les retenir à dîner. Il
s'y trouva auffi quelques Prélats.
La Faculté prefenta auffi les Actes , dont il eſt
parlé au commencement de ce Mémoire , à l'Aſfemblée
du Clergé , le 10 Juillet dernier , ayant
nommé pour cela les mêmes Députez , lefquels
furent reçûs par les Agens Generaux,qui les conduifirent
dans la Sale des Affemblées . M. Luillier
Doyen , y fit un Difcours latin tres - éloquent
qui fe trouve dans le Recueil des mêmes Actes ,
donnésdepuis peu au Public.
ORDONNANCE de M. l'Archevêque
de Paris , du 23. Aouft , portant révocation de
toutes les Permiffions verbales pour les Chapelles
domestiques.
-
Charles Gafpar - Guillaume de Vintimille.
&c. Sur ce qui nous a été repreſenté par notre
Promoteur General , que quelques Prêtres
peu attentifs aux regles de leur Miniftere , célébrent
la fainte Meffe dans des Chapelles domeftiques
, dont on ne rapporte d'autre conceffion
que des permiffions verbales que l'on fuppofe
données par nos Prédéceffeurs ou par Nous,quoique
felon la Difcipline de ce Diocéfe & l'Ordonnance
de Monfeigneur le Cardinal de Noailles
notre Prédéceffeur , fur la vénération dúë aux
Eglifes , & fur l'ufage des Chapelles domeftiques
; en datte du 20 Decembre 1696. toutes les
Y
A O UST . 1730. 1893
permiflions de Chapelles domestiques doivent
être expediées par écrits ; que d'autres Prêtres
portent l'efprit d'independance & de fingularité ,
jufqu'à offrir le Sacrifice dans des lieux profanes,
& qui n'ont été ni deſtinez , ni benis par l'autorité
Epifcopale , pour fervir de Chapelles domef
tiques , & que pour juftifier une contravention fi
manifefte aux Regles de l'Eglife , ils alleguent
qu'ils avoient obtenu cy-devant des Permiflions
verbales de dire la Meffe dans tous les lieux ou
ils demeureroient , & qu'en confequence ils ont
fait conftruire un Autel & célébré les faints Myfteres
, fans que lefdits lieux ayent été ni vifitez
ni benis , s'attribuant ainfi un privilege contraire
à toutes les Regles, qu'il n'eft point d'uſage d'accorder
à aucun particulier , & qui pourroit être
une fource d'abus & d'irréverence pour ce qu'il
y a de plus augufte dans la Religion . Nous requerant
ledit Promoteur de pourvoir à ces défordres.
A. ces cauſes , Nous , faifant droit fur le requifitoire
de notre Promoteur , voulant arrêter le
cours d'abus fi vifibles , maintenir dans ce Diocèſe
les Loix de la Difcipline , & nous oppofer à
tout ce qui peut les renverfer , nous révoquons
par la préfenteOrdonnance,jufq ' à ce qu'il en ait
été par Nous autrement ordonné, toutes les Permiffions
verbales feulement , qui auroient pû cydevant
être accordées , foit pour établir des Chapelles
domeftiques , foit pour permettre à des
particuliers de dire la Meffe dans des Maifons
où il n'y auroit point de Chapelles . Déclarant
que huit jours après la publication de notre
prefente Ordonnance , lefdites Chapelles demeureront
interdites , & que toutes les permiffions
pour des Chapelles , conformément à l'Ordonnance
de notre Prédeceffeur , du 20 Decembre
1696
1894 MERCURE DE FRANCE J
ac-
1696. ne feront accordées que par écrit , après
un Examen & vifite faits par notre ordre , pour
nous afsûrer de la décence des lieux , & des raifons
légitimes qui pourront nous engager
à
corder lefdites Chapelles avec les claufes & reftrictions
canoniques que le bon ordre demande.
Détendons , comme il eft porté par ladite Ordonnance
de Monfeigneur le Cardinal de Noailles
, à tous Prêtres Séculiers & Réguliers , fous
peine de fufpenfe , de célébrer la Mofle dans les
Chapelles domestiques dont on ne leur reprefentera
pas un titre ou permiffion de Nous , ou de
notre Prédeceffeur , expedié par écrit . Défendons
en outre à tous Prêtres Séculiers ou Réguliers ,
fous peine de fufpenfe encourue par le feul fait ,
de dire la Meffe dans des lieux qui n'auroient pas
été vifitez & benis par notre ordre , & approuvez
par Nous , pour fervir de Chapelles domestiques.
Si Mandons , & c.
Dès le 12. Août , M. l'Archevêque de Paris
donna un Mandement pour ordonner des Prieres
dans tout fon Diocèfe pour P'heureux accouchement
de la Reine. Il eft conçû en ces termes.
Charles , & c. La pieté du Roi qui lui infpire
dans tous les évenemens , de recourir à celui par
qui les Rois regnent , lui a fait défirer que nous
ordonnaffions des Prieres pour l'heureuſe délivrance
& pour la fanté de la Reine , qui eft fort
avancée dans fa groffeffe . Entrez avec nous dans
les intentions de Sa Majefté , pour demander à
Dieu la confervation d'une augufte Reine , que
fes vertus rendent fi refpectabie à tout le Royaume
, auquel elle a déja donné un Dauphin , &
celle du précieux fruit qui eft l'objet de nos efperances
& de nos voeux.
A CES CAUSâs , nous ordonnons , &c.
Le
A O UST. 1730. 1895
Le 14. du même mois , le R. P. Grand - Prieur
de l'Abbaye de S. Germain , donna auffi un Mandement
digue de la grandur du ' Sujet & de fa
pieté. En voici la teneur :
CLAUDE DU PRE' , Grand - Prieur de
l'Abbaye Royale de S. Germain des Prez , immédiate
au S. Siege , & Vicaire General de S. B.
M. le Cardinal de Biffy , Evêque de Meaux
Commandeur de l'Ordre du S. Efprit , Abbé
Commandataire de cette l'Abaye , & c.
La Race fainte fe multiplie , la Pofterité nombreuſe
du Jufte eft un gage de la protection du
Tout- Puiffant , une récompenfe rendue à la vertu ,
de celui qui le craint & qui le fert avec fidelité .
Verité juftifiée par l'évenement. Elle s'accomplit
dans la Perfonne facrée du grand & Religieux
Monarque qui nous gouverne. Le Seigneur a beni
les premieres années de fon Alliance glorieufe.
Nous avons renconnu dans la Naiffance des trois
auguftes Princeffes , plus encore dans celle de
Monfeigneur LE DAUPHIN , les preuves
les plus marquées d'une Providence infiniment attentive
aux voeux du Roy , de la Reine , de toute
la Nation ; aujourd'hui nous voyons avec la joye
la plus vive , que le Seigneur mefurant fes faveurs
fur la pieté & la Religion de ce grand Prince ,
continue à le combler de nouvelles benedictions .
Le bonheur des Peuples qui rend S M. fenfible à
de tels bienfaits , nous engage à redoubler nos
voeux & nos prieres. L'augufte & vertueuſe Princeffe
, qui par l'affemblage des dons les plus précieux
de la Nature & de la grace , concourt à
rendre notre felicité durable & conſtante , mérite
ce jufte tribut. Prions pour la confervation d'une
fanté fi chere à la France , prions pour le fuccès
de fon heureufe délivrance . Puiffe -t- elle à jamais
être l'objet de l'amour & de la veneration des
Peuples
1896 MERCURE DE FRANCE
Peuples. , croître en mille mille generation .
Puiffe fa glorieufe Pofterité , fi fainte dans fa
Souche , fi augufte dans fa Tige , fi féconde en
Heros & en Maîtres du Monde dans fon étenduë
, n'avoir d'autre terme , que la fin des temps.
A CES CAUSES , en conformité des intentions
de Sa Majeſté , &c.
Y
Le 30 , les Députez des Etats de Languedoc
eurent Audience du Roy. Ils y furent préſentés
par le Duc du Maine , Gouverneur de la Province
, & par le Comte de S Florentin , Secretaire
d'Etat , & conduits en la maniere accoutumée
par le Marquis de Dreux Grand- Maître des
Cerémonies , & par M. Defgranges , Maître des
Cerémonies La députation étoit compofée de
l'Evêque de Viviers , pour le Clergé , qui porta
la parole ; du Marquis d'Ambres , pour la Nobleffe
; de Mrs Bains & Gayac , pour le Tiers-
Etat ; & de M. de Montferier , Syndic General
de la Province Ils rendirent enfuite leurs refpects
à Monfeigneur le Dauphin , à Monſeigneur
le Duc d'Anjou , & à Mefdames de France.
海患

MORTS NAISSANCES,
Michel Poncet de la Riviere , Evêque d'An-
.cèle de Bourges, de Noailles, Diocèfe de Poitiers
& de S. Florent lès Saumurs , Diocèle d'Angers,
P'un des Quarante de l'Académie Françoiſe
mourut dans fon Diocèſe le 2. de ce mois , âgé
d'environ 58. ans.
Le même jour , Dame Marie - Magdelaine Pa
rent, Epoufe de M. Louis le Boulanger , Cheva-"
"
lier
A O UST. 1730. 1897
valier Seigneur d'Hacqueville , Maître des Requêtes
, mourut à Paris , âgé d'environ 42. ans.
M. Vabere de Sailly , Chevalier , Capitaine au
Régiment de Navarre , decedé le même jour ,
âgé d'environ 50. ans.
Le Comte d'Alais , Prince du Sang , frere du
Prince de Conty , mourut à Paris le 7. de ce
mois , dans la neuvième année de fon âge , étant
né le s . Février 1722. Le Roi en prit le deuil
le 12. & le quitta le 24.
M.François de Murard, Confeiller en la Grande
Chambre du Parlement , mourut le 11. Août ,
dans la 62 ~ anné de ſon âge .
Benedictine Henriette , Philippe , Comteffe Palatine
du Rhin , veuve de Jean - Frederic de Brunfwick
, Duc d'Hanover , mort à Ausbourg le 27.
Décembre 1679. mourut fubitement à midi le
12. de ce mois à fa Maifon de Campagne du
Village d'Anieres , âgée de 78. & 20. jours ;
étant née le 23.Juillet 16 52. Cette Princeffe étoit
fille d'Edouard , Prince Palatin du Rhin , mort à
Paris le 10. Mars 1663. & d'Anne de Gonzague
de Mantoie , morte le 6. Juillet 1684. Elle avoit
eu de fon Mariage Charlote- Felicité , née le 8 .
Mars 1671. marié le 18. Novembre au Duc de
Modene , & morte en couches le 26. Septembre
1710. Marie- Jofephe , née le 29. Mars 1672 .
morte le 4. Septembre 1687. & Willelmine Amelie
, veuve de l'Empereur Jofeph , auquel elle fut
mariée le 15. Janvier 1699. Elle étoit foeur de la
Princeffe Anne , veuve d'Henry- Jules de Bourbon
, Prince de Condé , Premier Prince du Sang ,
morte le 23. Fevrier 1723.
L'inftant d'avant fa mort , cette Princeffe paroiffoit
en bonne fanté , & fe felicitoit de fon
état ; elle s'étoit levée à ſon heure ordinaire
avoit été à la Meſſe , qu'elle avoit entenduë toute
entiere ,
>
1898 MERCURE DE FRANCE
2
entiere, fans aucune apparence d'incommodité, &
au fortir de laquelle ayant fenti quelque mouvement
dans le ventre , elle entra d'un pas ferme &
affuré dans fa Garderobe , fans avoir befoin de
perfonne pour la foutenir , & à peine fut - elle fur
fa chaife qu'elle tomba morte par terre fans
donner depuis cet inftant aucun figne de vie.
>
Parmi les differentes caufes de mort , décou
vertes à l'ouverture de fon corps , & qui ne s'étoient
manifeftées pendant fa vie par aucun figne
particulier qui les dénotât , il s'en eft trouvé une
dans le coeur, auffi rare , auffi finguliere, & auffi
difficile , pour ne pas dire auffi impoffible à prévoir
qu'à détruire. Cette caufe qui peut être regardée
comme la principale , ou pour mieux dire,
l'unique de la mort fubite de cette Princeffe
c'étoit un trou ou une espece de finus qu'une humeur
faline & penétrante avoit creufé petit à petit
& obliquement dans la parois du ventricule
droit du coeur , ce finus s'ouvrant d'un coté dans
la cavité du ventricule , & de l'autre dans celle du
pericarde , perçoit de part en part l'épaiffeur de
la parois de ce ventricule , & ayant permis au
fang de ce ventricule de s'infinuer dans le pericarde
& de fe détourner par là de fa route naturelie
du coté de l'artere du poumon , avoit donné
lieu à une interruption formelle de la circulation ,
à un affaiflemen: & une concidence fubite des parois
des vaiffeaux & à la mort précipitée de
cette Princeffe.
Il y avoit fix onces de fang caillé dans le pericarde
, fans compter la férofité de ce fang qui y
étoit aufli. On n'en a pas trouvé dans le ventricule
droit du coeur , parceque celui qu'il auroit
dû contenir s'étoit totalement écoulé dans le
pericarde ; mais le ventricule gauche qui n'étoit
point percé de même , contenoit la quantité de
fang
A OUST. 1730. 1899
fang caillé qui a coutume de s'y rencontrer après
la mort.
Dame Claude Emée Defpinay , veuve de M.
Geofroy Dominique de Bragelone , Chevalier ,
Seigneur de Lonny , Deville , Cliron & c. Maître
des Requêtes , mourut le 13. Août , agée d'environ
80. ans.
Charles Boucher d'Orçay , Maître des Requê
tes Honoraire & Intendant de la Generalité de
Limoges , mourut à Paris , le 14. de ce mois ,
dans la 56me année de fon âge. M. de Tourni ,
Maître des Requêtes, a été nommé à l'intendan
ce de Limoges.
Le 18. Juillet , Dame Marie Anne Hiacinthe
Vis-de- Lou , Epoufe de Louis Engelbert , Comte
de la Marck , Marquis de Wardes , Colonel d'un
Regiment d'Infanterie Allemande , au fervice du
Roi , accoucha d'une fille qui fut tenuë fur les
Fonts le 18. Août , & nommée Louife Marguerite
par Louis Pierre , Comte de la Marck & de
Schleiden , Chevalier des Ordres du Roi, Lieutenant
General des Armées de S.M. & c. & par Dame
Marguerite Iris de Poix, Epoufe de Jean Baptifte,
Marquis de Monteflon , Brigadier des Armées du
Roi , Sous- Lieutenant des Gendarmes Dauphins.
Le 16. Août , M. le Curé de S. Sulpice adminiftra
dans fon Eglife le Sacrement de Baptême à
une fille agée de 25. ans , née & élevée dans la
Religion Judaïque dont elle avoit fait volontairement
abjuration . Elle fut nommée Marie Magdelaine
Sara par M. René Herault , Conſeiller
d'Etat , Lieutenant General de Police , & par Dame
Diane Magdelaine de Bautru - Vaubrun , Ducheffe
d'Etrées.
Le lendemain le même Pafteur adminiftra auffi
le Sacrement de Baptême à la Mere de cette fille,
nommée Rachel Mendoza , veuve d'Abraham Gavet
,
1900 MERCURE DE FRANCE
vet , âgée de cinquante ans & auffi élevée dans
la Religion Judaïque , qu'elle a pareillement abjurée.
Elle eut pour Parrain Mr Nicolas Profper
Bauyn d'Angervilliers , Miniftre & Secretaire
d'Etat de la Guerre , & pour Marraine Dame
Marie Brulart , veuve de Jofeph de Bethune ,"
Marquis de Charoft , Brigadier des Armées du
Roi &c. Cette mere & cette fille font originaires
de la Ville de Nice , Capitale du Comté de ce
nom , dans les Etats du Roi de Sardaigne.
Dame Françoife Aubery de Vaftan , Epoufe
d'Armand de Bethune , Comte d'Orval &c. accoucha
le 18. Août d'un fils , qui fut nommé ‹
Maximilien Antoine Armand , par M. Antoine
Portail , Premier Préſident du Parlement , & par
Dame Marie Therefe Martin , veuve de Louis ,
Marquis de Bethune , Marquis de Chabris &c.
Le 30 de ce mois , la Reine fentit à fix heures
du matin quelques douleurs , & vers les neuf
heures S. M. accoucha heureufement d'un Prince
, que le Roi a nommé Duc d'Anjou. Dès que
ce Prince fut né , il fut ondoyé par l'Abbé de
Choifeul , Aumônier du Roi en quartier , en préfence
du Curé de la Paroiffe de Verſailles . Le
Roi affifta à cette Cerémonie , ainfi que les Princes
& Princeffes du fang qui étoient à Verſailles,
le Cardinal de Fleuri , le Chancelier de France &
le Garde des Sceaux. Lorfque la Ducheffe de
Ventadour , Gouvernante des Enfans de France ,
cut porté Monfeigneur le Duc d'Anjou dans
l'Appartement qui lui avoit été preparé , le Marquis
de Breteuil , Commandeur- Prevôt & Maître
des Cerémonies des Ordres du Roi , porta à ce
Prince le Cordon & la Croix de l'Ordre du Saint
Efprit ; il fit cette fonction à cauſe de l'abſence
du Grand Tréforier des Ordres. Le Roi qui s'étoit
AOUST. 1730. 1901
toit rendu auprès de la Reine dans le tems qu'elle
avoit commencé à fentir des douleurs , étant rentré
dans fon Appartement , envoya M. de Lugat,
l'un de fes Gentilshommes ordinaires , à Chambord
, porter au Roi Staniſlas & à la Reine fon
Epoufe la nouvelle de l'heureux Accouchement de
la Reine & de la Naiffance de Monfeigneur le
Duc d'Anjou , & le Garde des Sceaux , Miniftre
& Secretaire d'Etat , ayant le département des
affaires Etrangeres , depêcha dans le même tems
des Couriers Extraordinaires aux Ambaſſadeurs
& aux Miniftres du Roi dans les Cours Etrangeres
, pour leur annoncer cette nouvelle . Aufli tôt
qu'on cut appris que la Reine étoit accouchée
d'un Prince , les Princes du Sang , les Seigneurs
de la Cour , les Chefs des Compagnies Superieures
& les perfonnes de confideration , s'emprefferent
d'aller à cette occafion rendre leurs refpects
au Roi , & S. M. qui parut très fenfible à
leur zele reçût avec bonté les témoignages de
leur joye,
Le Roi alla à midi entendre la Meffe , pendant
laquelle on chanta le Te Deum , en actions de
graces de l'heureux accouchement de la Reine &
de la Naiffance de Monfeigneur le Duc d'Anjou.
L'après midi , le Roi reçut les complimens des
Princeffes du Sang & des Dames de la Cour ,
& il vit les Ambaffadeurs & les Miniftres Etrangers
qui s'étoient rendus à Verſailles avec beau
coup d'empreffement pour complimenter S. M.
Après le fouper du Roi , on tira dans l'Efplanade
qui eft entre la grande Grille & les Ecuries , des
Fufées & un Feu d'artifice , & il y eut dans
toutes les rues des Illuminations, des Feux & toutes
les autres marques de réjouiffance.
La Reine & Monfeigneur le Duc d'Anjou , ſe
portent auffi-bien qu'on puiffe le fouhaiter.
Le
1902 MERCURE DE FRANCE

Le même jour 30 Août , les Prévôt des Marchands
& Echevins qui s'étoient affemblez à l'Hôtel
de Ville , auffi -tôt qu'ils eurent appris que la
Reine avoit fenti quelques douleurs , reçurent la
nouvelle de fon heureux Accouchement & de la
Naiffance de Monfeigneur le Duc d'Anjou , par le .
Chevalier de S. André , Enfeigne des Gardes du
Corps , qui fert actuellement auprès de la Reine
& que le Roi avoit envoyé pour en donner part au
Corps de Ville. Il arriva à l'Hôtel de Ville vers
les onze heures & demie du matin, & dans le moment
les Prévôt des Marchands & Echevins firent
annoncer cette heureufe nouvelle à toute la
Ville par le bruit du Canon & par la Cloche de
l'Hôtel de Ville. Le foir on tira le Canon , il у
eut un grand Feu , accompagné de Fufées , dans
la Place de l'Hôtel de Ville , qui fut illuminé , &
la joye publique éclata par les acclamations du
Peuple & par les Feux qui furent faits devant toutes
les Maiſons .
C
APPROBATION.
"Ay lû par ordre de Monfeigneur le Garde
des Sceaux , le Mercure de France du Mois
Août , auquel je n'ai rien trouvé qui puiffe
en empêcher l'impreffion. A Paris ce 2. Septembre
1730.
HARDIAN.
TABLE
TABLE.
P
Ieces Fugitives. Idille 1691
Troifiéme Lettre fur la Biblioteque des Enfans
,
Le Moucheron qui picque Lycoris , & c.
Réponſe fur la qualité de l'Eau de vie ,
Bouquet , &c.
1696
1718
172 1
1730
Lettie fur l'ufage interieur de l'Eau de vie , 1732
Epitre fur le retour d'un Voyage , 1739
Suite des Memoires fur la Ville d'Eu , &c. 1742
Les Miracles , Ode , 1752
Fête & Chaffe de S. Hubert à Entrevaux , 1756
A la Déeffe Lucine , Vers , 1757
Couplets , &c. 1768
Réponse à la Queftion , fi la gloire des Orateurs
eft préferable à celle des Poëtes ,
Epitre en Vers à Me
1773
1881
Lettre fur une Infcription de la Fontaine de Juvifi
, &c .
Divers Morceaux de Poëfie , &c.
Enigme , Logogryphe ,
1783
1786
1791
1793
NOUVELLES LITTERAIRES . A&a Eruditorum,
& c.
L'Art d'enfeigner le Latin aux enfans en les divertiffant
& fans qu'ils s'en apperçoivent, 1816
Recueil de Têtes de Caracteres de Leonard de
Vinci , 1818
Lettre fur la Taille de la Pierre, dite à l'Angloife,
1826
Lettre fur une Machine finguliere , 1829
Air noté , & c. 1832
Spectacles. Tragedie d'Abfalon , Ibid.
La Réunion forcée, Comédie , &c.
La Tragédie de Maurice , &c. & Ballet , 1856
Les
1852
1864
1869
Les deux Suivantes , Comédie ,
Nouvelles Etrangeres . D'Afrique , Turquie &
Perfe ,
De Ruffie , Pologne , Suede & Allemagne , 1870
1872 D'Italie , Grande Bretagne & Pays - Bas ,
France, Nouvelles de la Cour , de Paris, &c . 1881
Extrait d'une Lettre écrite de Metz ,
1888
1890 Prife de Bonnet de Docteur ,
Ordonnance de l'Archevêque de Paris , portant
révocation de toutes les Permiffions, &C. 1892
Mandement du même,fur la groffeffe de la Reine,
1894
Autre fur le même fujet du Grand-Prieur de l'Ab-
Morts , Naiffances , & c .
1895 baye S. Germain ,
1896 ..
Mort de la Ducheffe de Brunfwick , 1897
Naiflance du Duc d'Anjou , 1900

Errata de Juillet.
Page 1517. ligne 1. M. DCC, ¡iſez , M. DC .
Page
Fautes à corriger dans ce Livre.
Age 1747. ligne 25. fieger , lifex , affieger.
L'Air noté doit regarder la page 1832
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le