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1727, 10-11, 12, vol. 1-2
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Brosented
by
John
Bigelow
tothe
entury
Association
*DM
MERCURE





MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AV
ROY.
OCTOBRE .
1727 .
QUE
COLLIGIT
SPARGIT
Chez
A PARIS ,
IR
LA VEUVE CAVELIER , au Palais.
GUILLAUME CAVELIER , fils , ruë
S.Jacques , au Lys d'Or.
N. PISSOT,Quay de Conti,à la defcente
du Pont Neuf, au coin de la ruë de
Nevers , à la Croix d'Or.
M. D C C. XXVII.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
acheté &paris le es.juillet 1774_chfilTHE
NEW&
2
PUBLICAN
ટેન્ડર
335152
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOLLOUTIONS
A VIS.
ADRESSE generale pour toutes
toutes
chofes eft à M. M
" Commis au Mercure , vis - à- vis la Comedie
Françoife , à Paris . Ceux qui pour leur
commodité voudront remettre leurs Paquets
cachetez aux Libraires qui vendent le
Mercure à Paris , peuvent fe fervir de
cette voye pour les faire tenir.
On prie très - inftamment , quand on
adreffe des Lettres ou Paquets par la Pofte,
d'avoir foin d'en affranchir le Port ,
comme cela s'eft toûjours pratiqué , afin
d'épargner à nous le déplaifir de les
rebuter , & à ceux qui les envoyent ,
celui , non - feulement de ne pas voir
paroître leurs Ouvrages , mais même de
les perdre , s'ils n'en ont pas gardé de
copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les particuliers qui fonhaiteront
avoir le Mercure de France de
la premiere main , & plus promptement ;
n'auront qu'à donner leurs adreſſes à M.
Moreau , qui aura foin de faire leurs paquets
fans perte de temps , & de les faire
porter fur l'heure à la Pofte , ou aux Mesfageries
qu'on lui indiquera.
Le prix eft de 30. fols.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROT
OCTOBRE . 1727 .
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
PIECES
FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
LES VENDANGES
P
DE MONGERON.
CANTATE .
A Mile de Beauregard .
Ar ton retour charmant, délicieufe
Automne
Viens combler les plaifirs qui regnent
dans ces lieux ;
Pourroit- on ne pas voir & Bachus & Pomone,
Où l'Amour réunit les plus aimables Dieux ?
A ij Déja
ر
Déja pour plaire à ces Nymphes cheries,
Dont le regard embellit ces Cantons ,
Dans nos riantes Prairies
La Déeffe des Fleurs a prodigué fes dons.
Cerès enfuite favorable
Aux voeux preffants du Laboureur ,
Du plus infatiable
Par une ample moiſſon a fatisfait l'ardeur.
Voudrois-tu , Dieu du Vin , nous être moins
utile ?
Et que pour tes joyeux Buyeurs >
Notre Vigne fterile
Devint une fource de pleurs ?

Mais non , déja nos voeux excitent fa tendreffe,
Amis , faifons élargir nos Caveaux,
A raffembler fes Tonneaux ,
Le Vigneron ardent s'empreffe.
Du Vendangeur actif fous les coups redoublez,
On voit tomber la Grappe mûre ,
Et
OCTOBRE . 1727 . 2159
Et la Serpette aux Seps fous leur poids accablez
,
Enlever leur parure.
La Cuve fe remplit de ce fruit précieux ;
Un Athlete nerveux l'y reçoit & le foule :
De toutes parts le Nectar coule ,
Et l'on croit être à la table des Dieux.

A cette aimable Fête ,
Avec les Jeux l'Amour fe prête ;
Bacchus veut bien que de beaux yeux
Y faffent dans les coeurs naître une ardeur fe
crette :
Le plaifir fçait unir ce jus délicieux
Et le charme vainqueur d'une flamme difcrette.

Des Ris & des Amours ,
Pour faire aux Vendangeurs un peu reprendre
haleine ,
La troupe ici ramene
Du plus bel âge les beaux jours.

Livrons- nous à l'Amour , fi , quand un coeur
foupire ,
A iij
Il
2156 MERCURE DE FRANCE .
Il languit , il eft agité ;
C'eſt un agréable martire
Qui le conduit à la felicité.
Lorfque fous l'amoureux empire
Un tendre coeur foupire ,
Il en fent plus le charme d'être heureux.
L'Amour veut quelquefois éprouver des al◄
larmes ;
Les fers d'une Beauté qui rend d'abord les armes
,
Pefent bien- tôt méme au plus amoureux
Mufette.
Dans cette aimable retraite ,
Chaque Berger d'alentour ,
A fa Bergere difcrette ,
Sans ceffe parle d'amour ;
Affis fur la tendre herbette ,
Au doux fon de fa Mufette ,
Il explique fon ardeur ;
Et quelquefois un jeune coeur
Eft le prix d'une Chanſonnette.
Jouiffez des plaifirs parfaits ,
Qui
OCTOBRE 1727 .
2157
Qui pour les tendres coeurs font faits.
Vivez , charmans Bergers , dans la douce
efperance
De poffeder bien-tôt l'objet de votre amour ;
Ne vous rebutez pas , ce jour, cet heureux jour
Peut-être de vos , foins fera la récompenfe.
Charmantes Nymphes de ces lieux ,
C'eſt à votre accueil gracieux
Que nous devons l'exil de la fombre trifteffe;
Ah ! qu'elle porte ailleurs fouci , larmes ,
foupir ;
Qu'à celebrer ce jour chacun de nous s'em
preffe ,
La grande affaire eſt le plaifir.
Quand vous venez fous cet ombrage
Entendre des Oyfeaux le chant dans ce bocage;
Si , curieuſes , vous cherchez
Ce que veut dire leur ramage ,
L'Amour me le dicte , écoutez ,
Voici le fens de leur langage :
Les Conquêtes qu'à l'Amour ,
A iiij
Belles
2158 MERCURE DE FRANCE.
Belles ,vos yeux font chaque jour ,,
Dérobent à Cypris fa plus brillante gloire ,
Etfes jaloux appas ,
Ne gagnent plus de victoire
Que celle que vous n'enviez pas.
L'Echo le repete fans ceffe ,
Les Dieux l'éprouvent dans ce jour ;
Enchantez dans ce beau féjour ,
Aucun n'en veut quitter l'Hôteffe ;
Eh ! le Palais le plus riant
Fut- il jamais auffi charmant ,
Que les lieux où l'on voit l'objet de fa tendreffe?
Amis , aux jeunes Beautez ,
A qui nous devons tous une Fête fi belle ,
Offrons une ardeur éternelle ;
C'eft en portant leurs fers cheris & redoutez ;
Que nous devons exprimer notre zele,
Pour notre hommage audacieux ,
Ne craignons point leur colere ,
Elles enchaînent juſqu'aux Dieux
Eh! pourquoi nous punir d'un crime neceffaire?
Par J. D. v ..
REFLEOCTOBRE.
1727. 2159
4
j į ƒ ƒ ƒ j j į j
REFLEXIONS fur le nouveau Systéme
de M. Maigret , touchant la difpofition
des Rames dans les Galeres des
Anciens.
Ien ne fait mieux connoître les ab-
Rfurditez étranges , aufquelles s'expo-

fent trop ordinairement les Sçavans les
plus celebres , lorfqu'ils entreprennent de
traiter à leur maniere certains fujets qui
exigent des connoiffances experimentales
, qu'ils n'ont . pû acquerir dans le Cabinet
, & dont l'accord avec la fublimité
de leur Theorie eſt toujours très - difficile ,
& ſouvent même abfolument impoffible.
Rien , dis -je , ne fait mieux connoître
ces abfurditez , que le grand nombre des
Systêmes qui ont paru depuis quelques
années fur la difpofition des Rames dans
les Galeres des Anciens . Tel eft celui que ,
M.Maigret vient de faire publier fous fon
nom dans le Mercure de France aux
mois d'Avril , Mai & Juin 1727. On
trouve dans ce dernier Systême , comme
dans tous les autres qui l'ont precedé , la
confirmation de ce que j'avance , & l'on
peut s'en fervir à démontrer l'indifpenfable
neceflité d'un exercice , fans lequel
A v Cette
2160 MERCURE DE FRANCE:
cette matiere ne peut être bien entendue,
& dont le défaut ne produira jamais dans
P'efprit de nos plus grands Géometres
que des idées fauffes, abfurdes, contradic
toires , & fouvent très - ridicules.
On a lû avec beaucoup de fatisfaction
le Traité de la fureté & confervation
des Etats , par le moyen des Fortereffes .
L'Auteur ne s'y dément pas ; on étoit
déja prévenu de fon merite , auffi - bien
que de fa grande capacité dans la profeffion
qu'il exerce depuis long temps ,
avec autant d'honneur que de diftinction ,
mais il permettra que l'on n'ait pas la
même eftime pour l'Ouvrage publié dans
le Mercure. On ne s'arrêtera pas à rele--
ver plufieurs fautes dans l'emploi qu'il
fait de certains termes , & diverfes expreffions
extraordinaires qui ne s'accordent
point avec l'ufage pratiqué dans la
Marine parce qu'apparemment il ne
s'en picque pas , non plus que les autres
fpeculatifs qui ont écrit avant lui fur
cette matiere. On ne fera attention qu'aux
penfées de l'Auteur .
Cet habile & judicieux Ingenieur avouë
de bonne foi , que la curiofité feule l'a
d'abord engagé à rechercher la poffibilité
de la difpofition des Rames élevées
l'une au- deffus de l'autré dans les Galeres
des Anciens ; & qu'après y avoir travaillé
OCTOBRE. 1727 . 2161)
vaillé affez long -temps , les difficultez le
rebuterent ; il la laiffa , & l'ayant repriſe
quelques années après , il y trouva les
mêmes obftacles ; enfin après l'avoir quittée
& repriſe plufieurs fois , il reconnut,
dit il , q'on peut veritablement avec le
fecours de la Mechanique , mettre plufieurs
rangs de Rames les uns au deus des
autres , fans qu'elles s'embarraffent dans
leur mouvement , fans donner une hauteur
& largeur extraordinaire au Bâtiment , &
fans qu'ilfait befoin de plus d'un homme
à chaque Rame pour la manier.
De tous ces articles , les gens du métier
ne conviennent que du premier ,
parce qu'ils connoiffent avec évidence
que les autres ne peuvent s'accorder avec
la pratique. Ils reconnoiffent dans la figure
, qui accompagne le difcours de l'Auteur
, la poffibilité apparente de cette
nouvelle difpofition des Rames ; n'auroit-
il pas été bon d'ajouter auffi quelque
figure particuliere pour la conftruction
du corps du Bâtiment , au lieu de
le fuppofer capable de recevoir un tel arrangement
, que les Conftructeurs nient
pouvoir s'accorder en aucune maniere
avec le Gabary qui convient effentiellement
au corps d'une Galere ? Les Experts
dans la Navigation des Galeres , ne fçau.
roient convenir de tous les autres articles.
A vj Ils
2162 MERCURE DE FRANCE.
Ils font en particulier très - perfuadez
qu'un feul homme ne pourroit donner
aucun mouvement pour la Vogue , nom.
feulement aux Rames les plus élevées ,
mais encore à la plus baffe ; ils foutiennent
auffi que malgré la fujettion furprenante
que l'on prétend donner refpec-.
tivement aux parties interieures des Ra- ,
mes l'un même corps , leur parallelitme ,
pendant l'action de la vogue ne fe maintiendra
pas toujours jufques aux extremitez
des Pales , comme il pourroit arriver
, fi ces Rames étoient auffi roides que
des barres de fer de même groffeur qu'elles
; ce qui feroit le comble de l'abfurdité
, & par confequent il eft bien des cas
où la précaution de cet affujetiffement
d'ailleurs très- dangereux , pour des raifons
qu'on ne peut bien faire entendre
qu'à des gens de pratique , n'empêcheroit
pas que les Pilarne puffont s'embar--
raffer contre ce que l'on prétend dans le
nouveau Systême .
Il y a plus de cent ans que Barthelemi
Crefcentius , Ingenieur Romain , avoit
imaginé un parallelifime pour donner de
chaque côté un mouvement uniforme &
reglé à toutes les Rames d'une Galere de-
Poupe à Proue , par le fecours d'une rouë
qu'un feul homme faifoit mouvoir . Mais.
cet affujettiffement des Rames , quoique
com
OCTOBRE. 1727. 2164
commode , fut très- inutile quand on voulut
le mettre en pratique fur une Galere ,
où l'on vit auffi -tôt qu'il ne pouvoit convenir
aux divers mouvemens des Rames
ligne ,
bien qu'elles fuffeut placées fur une même
feule difpofition qui leur convient .
Les gens de la Frofeffion difent encore
que la hauteur des Rames dans le nouveau
Systême , eft un obftacle invincible à leur
mouvement , malgré la perfection prétendue
plus grande de leur Equilibre . En un
mot , ils jugent avec certitude , qu'on ne
peut retirer de cette nouvelle difpofition
des rames aucun des fervices qui conviennent
à leurs variables & divers mouvemens
; qu'elle feroit très - nuinble à leur
maniement , à la viteff. d'une Galere , &
à la navigation .
?
Il n'eft pas furprenant qu'un Ingenieur ,
qui convient lui - même n'avoir aucune
théorie , ni pratique du Sujet , n'ait point
connu l'erreur de ce qu'il fuppofe d'abord
être comme autant de principes qui lui
paroiffent évidens. S'il eût joint au talent
qu'il montre avoir pour la Méchanique ,
quinze jours d'experience fur un chantier
de conftruction , & autant de navigation.
fur une Galere , il auroit pù comprendre
par lui-même les défauts de fon nouveau
Systême , & il fe feroit épargné bien du
travail , ayant reconnu , qu'avec une difpofition
2164 MERCURE DE FRANCE.
pofition de Rames , conforme à la fienne ,
une Galere n'auroit pas , à beaucoup près
tant de viteffe que celle où les Rames font
difpofées fur une feule ligne & dans la fituation
où nous les mettons aujourd'hui .
Cette feule experience lui auroit encore
démontré que la vîteffe du Bâtiment
roule moins fur le nombre des Rames
élevées l'une au deffus de l'autre , que fur
leur exacte proportion , fur leur inclinai -
fon , fur leur déterminée élevation audeffus
de la furface de l'eau , auffi bien
que fur la force , fur l'adreffe & fur le
nombre des Rameurs mis à chaque Rame
, d'où il auroit conclu , que l'augmentation
desRames élevées l'une au- deffus de
l'autre , ne fçauroit augmenter la force de
chaque Rame en particulier , qui confifte
uniquement dans la précife execution de
ce que je viens de dire .
Je ne m'arrête pas à examiner en détail
tous les inconveniens de ce nouveau Syſtême
, j'ai éprouvé plus d'une fois , qu'il
eft impoffible de perfuader un Sçavant
prévenu de fes idées , lors même qu'elles
font entierement contraires à l'experience,
fans laquelle il n'eft pas poffible d'entrer
dans plufieurs raifons des Conftructeurs
& des Officiers de Galeres Je ferois d'ail -
leurs obligé de repeter une grande partie
de ce que j'ai dit dans mes Memoires Hiftoriques
OCTOBRE. 1727. 2165
toriques & Critiques fur les divers ordres
de Rames dans les Galeres des Anciens.
Il feroit même néceffaire de donner tout
entier celui que j'ai fait en particulier fur
les Rames . Un grand nombre de Sçavans,
qui les ont lûs fans prévention , font tous
convenus que par mon hypothefe on explique
avec beaucoup de clarté & de folidité
,tout ce que les Anciens ont écrit des
Triremes , & que mon explication eft naturelle
& facile à executer .
Je communiquerois volontiers ces Memoires
à M. Maigret , fi nous étions à
portée . En atttendant leur impreffion , à
laquelle je ne fuis pas encore di polé , je
le prie de vouloir bien jetter les yeux fur
une Lettre Critique qui paroîtra bien - tôt
au fujet de trois nouveaux Systêmes publiez
en 1722. dans les Memoires de Trevoux
, & de faire quelque attention aux
inftructions de pratique que contient cette
Lettre Critique , fans fe laiffer prevenir
par la vivacité, peut - être trop grande , de
quelques expreffions qui peuvent avoir
échappéau foin que j'ai pris de les éviter ,
ou de les moderer autant qu'il m'a été
poffible.
Je le prie encore de confiderer attentivement
que la Rame d'une Galere eft un
inftrument de bois flexible , & que cer
inftrument ne peut recevoir par le fecours
d'au2166
MERCURE DE FRANCE.
font
,
d'aucune forte de machine ou autres
moyens de fuggeftion , les divers mouvemens
qui conviennent aux uſages des Rames
; il n'y a que l'homme qui puiffe les
executer immediatement › parce qu'ils
trøp compoſez & trop variables . Il
faut quelquefois changer leur fituation
avec beaucoup de diligence , hauffer les
Rames , les baiffer , les pouffer en dehors,
les retirer , les arrêter , les fufpendre ; enfin
, ( s'il m'eft permis d'ufer ici des termes
de l'Art ) les fourneler , les palper,
& les conniller , & c. plus ou moins , felon
les divers befoins , par rapport à divers
mouvemens interieurs ou exterieurs , fur
tous ceux que produifent les vagues de la
Mer , ou la force du vent , & enfin par
rapport à une infinité d'autres circonftances
qui ne permettent pas qu'on puiffe
leur donner une difpofition fixe , ni les remuer
avec aucune forte de machine , dont
le mouvement reglé & uniforme ne peut
leur convenir.
Rien ne démontre mieux cette verité
que l'effai qui fut fait il y a quelques années
des Rames tournantes de M. du
Quet , que bien des gens prirent pour des
aîles d'un moulin de riviere . L'épreuve
qu'on eut ordre d'en faire fur nos Galezes
coûta beaucoup plus que ne couteroit
fur le Canal de Verſailles , celle des nou →
velles
OCTOBRE . 1727. 2167
velles idées de M. Maigret mais la plus
haute eftime que plufieurs Sçavans , tans
pratique , avoient conçu des Rames tournantes
, ne les empêcha pas d'échouer ,
comme nous l'avions prévû ; cependant
ce mauvais fuccès ne peut défabufer l'Auteur
, ni le convaincre de l'inutilité de
fon invention ; il en pourfuivit l'approbation
en forme , qui lui fut enfin accordée
par la célebre Academie Royale des
Sciences. Cette approbation prouve,fans
doute , qu'il y avoit du genie & de la Mechanique
dans la nouvelle Découverte ;
mais elle ne doit pas empêcher de croire
que l'ufage fur les Galeres n'en pouvoit
être que très pernicieux , ainsi que je penfe
l'avoir démontré fuffifament dans un Memoire
qui contient les Defcriptions , Défi
nitions, Proportions & Manoeuvres des Rames
d'une Galere avec leurs divers ufages.
Pour revenir à M. Maigret , je confens
avec lui qu'on foit redevable à d'excellens
Méchaniciens de l'invention & de la perfection
de plufieurs inftrumens & outils
dans les Arts ; c'eſt un objet qui leur eft
propre , & qui n'eft pas indigne de leur
application ; mais ni eux , ni les plus
grands Géometres , qui fans avoir aucu
ne connoiffance- pratique de la Conftruction
, de la Navigation & des manoeuvres
d'une Galere , ont entrepris d'écrire fur
les
1
2168 MERCURE DE FRANCE.
les Triremes ; non plus que certains autres
Sçavans , qui depuis peu ont imaginé de
conftruire des Bâtimens de Mer par leurs
regles Mathématiques , fondées fur quelques
proprietez des triangles rectangles ;
aucun , dis - je , de tous ces grands Hommes
n'a pû réüffir. Il eft d'ailleurs certain
que ces illuftres en théorie , tant parmi les
Anciens que parmi les Modernes , n'ont
eu jufqu'à prefent aucune part à la conftruction
des Galeres en particulier ; ce
font des gens groffiers & des Charpentiers
de bon fens , qui , fans le fecours de ces
connoiffances abftraites , ont inventé les
premiers Bâtimens. Parmi ces Ouvriers il
s'eft formé des Conftructeurs qui les ont
perfectionnez peu à peu , & de fiecle en
fiecle par la feule pratique.
Il ne faut donc pas être furpris fi , fans
elle , tous les Sçavans qui ont entrepris
d'écrire fur la conftruction des Galeres
anciennes & modernes , n'ont eu fur ce
fujet que des idées peu exactes ; leurs lumieres
, bien loin de les faire penetrer
dans l'Antiquité la plus reculée , comme
ils ontosé fe le promettre , n'ont pû les
éclairer fur ce qui fe fait fous leurs yeux.
Convenons encore une fois avec M.
Maigret , que la connoiffance des effets
de tous les outils , inftrumens & machi
nes appartiennent à la Mechanique ; mais
avant
OCTOBRE . 1727. 2169
avant que de connoitre ces outils & leurs
effets , ne faut- il pas que le Méchanicien
s'applique à connoître l'art auquel ils
font propres : les Rames des Galeres , que
cet Ingenieur appelle des machines , font
de veritables outils entre les mains des
Rameurs ; il auroit dû, avant que d'entreprendre
de leur trouver une difpofition où
elles puiffent faire les plus grands effets poffibles
, s'inftruire de leurs proportions ,
de leurs divers mouvemens , & de leurs
ufages .
,
-
pas
?
Les fçavans Méchaniciens qui ont voulu
perfectionner les Arts , auffi -bien que
les grands Genies qui ont voulu en avoir
une connoiffance au deffus de celle du
commun ne fe font bornez à faire
des réfléxions oifives ; ils ont obfervé de
près les ouvrages & les Ouvriers ; plufieurs
ont mis eux- mêmes la main à l'oeuvre
, & fe font faits volontairement Artifans
, pour être plus en état de tout remarquer
, tant il eft vrai qu'ils étoient
perfuadez de la neceffité de joindre la pratique
à la théorie. C'eſt ainſi qu'autrefois
le Grand Archimede , le fubtil Heron ,
furnommé le Méchanicien , Cardan & tant
d'autres n'ont propofé les Machines furprenantes
, qui leur ont fait tant d'honneur
dans leurs fiecles , qu'après avoir
travaillé manuellement eux-mêmes à la
plû2170
MERCURE DE FRANCE.
plupart de ces chofes. C'est par cette rai
fon que l'on a vu de nos jours les Hughens
, les Defcartes , les Rohaults & autres
fi excellens Phyficiens , aller de boutique
en boutique , fe familiarifer avec les
Ouvriers de divers métiers, raifonner avec
eux , les queftionner fur les operations
qu'ils leur voyoient faire , & s'eflayer
eux-mêmes à les imiter.
Le fçavant & ingenieux M. de Reaumur
auroit -il trouvé des fecrets de pratique
inconnus jufqu'à lui , quoiqu'infiniment
utiles , s'il s'en étoit tenu à la feule
méditation ? S'il a fait les heureufes dé-
( _ couvertes de la fufion du fer plus parfaite
que celle d'aucun autre métail , contre le
préjugé univerfel des Phyficiens , s'il a
fçù nous donner le moyen de le convertir
en acier le plus fin , de le rendre fufceptible
des moulures les plus délicates , de
le vernifer à toute épreuve , & c. n'eft - ce
pas après de longs travaux , qui l'ont mis
en état de faire concourir la pratique avec
la théorie:Ce Membre illuftre de l'Academie
des Sciences a employé pluſieurs années
à visiter foigneufement & avec attention
les Mines , les Fonderies & les
principales Forges du Royaume ; il a fondu
lui-même , il a forgé , & il ne s'eft refufé
à aucune des operations les plus penibles
, lorfqu'il a jugé néceffaire de les
exercer >
OCTOBRE . 1727. 2171
exercer , pour le mettre en habile homme
au fait de ce qu'il cherchoit . Par ces
moyens il a acquis la connoiffance théorie-
pratique , qui l'eleve fi fort au- deffus
des Sçavans ordinaires , qui ne triomphent
que par la théorie , & des fimples
Ouvriers qui n'ont qu'une routine fans
théorie . On ne peut pas douter qu'une
femblable application d'un tel Academiçien
à acquerir la connoiffance-pratique
de la conftruction & navigation des Galeres
, ne les mit en état de porter l'ait de
les conftruire au plus haut point de fa
fection , à laquelle la seule théorie ne parviendra
jamais.
per-
Si les Allemands & les Anglois font fi
inventifs en fait de machines , n'eft- ce,
pas , parce que les plus beaux efprits , &
même les perfonnes les plus diftinguées
de ces deux Nations ne dédaignent pas
de faire apprentiffage des Arts & Métiers
où leur inclination les porte le plus , pour
occuper une partie du temps de leur jeuneffe
! On a vû depuis peu un des plus
puiffans Monarques du Nord * entreprendre
de longs & penibles voyages pour
s'inftruire de plufieurs chofes par fa propre
experience. On l'a vû prendre incognito
, fous des noms convenables , la
place & les fonctions de fes propres Am-
* Le feu Czar.
baffadeurs
2172 MERCURE DE FRANCE.
bafladeurs dans les Cours Etrangeres . On
l'a vû en Hollande , fe mêler fecrettement
parmi les Ouvriers les plus vils , & prendre
lui - même la hache pour travailler
avec eux fur les chantiers de conftruction .
Enfin on fçait qu'il a voulu paffer par tous
les degrez des fonctions Militaires , &
particulierement celles de la Marine ;
ayant commandé fur fes flotes comme
fimple Capitaine , avant que d'y commander
en Roi ; le tout parce qu'il étoit convaincu
qu'il ne faut pas moins que ces
divers exercices de pratique pour ne pas
fe laiffer éblouir aux lumieres trop fouvent
fauffes de la fimple Theorie , & qu'il
vouloit connoître fuffifamment par foimême
les chofes qu'il jugeoit les plus
importantes à fa gloire & au bien de fes
Etats.
Si M. Maigret eût fuivi de tels exemples
, je fuis perfuadé qu'il auroit fupprimé
tout fon nouveau Syftême , que les
Conftructeurs & les Marins ne condamnent
unanimement , que parce que la pratique
leur fait connoître que l'execution
en eft impraticable & abfolument contraire
aux fins que l'on doit fe propofer dans
la conſtruction d'une Galere. En un mot ,
fans faire aucune attention à l'inventeur,
als rejettent & condamnent abfolument
l'invention.
Le
OCTOBRE . 1727. 2173
Le pernicieux effet du défaut de pratique
eft encore affez bien prouvé par les
objections que M. Maigret fe fait dans la
derniere partie de fon nouveau Systême ;
comment peut- on fans avoir aucune connoiffance
-pratique de la conſtruction des
Galeres , de leurs manoeuvres , des divers
mouvemens qu'il faut donner à leurs Rames
, dans la diverfité de tous les cas en
particulier , & enfin de leur navigation
en general , comment-peut - on connoître
ce qui leur eft propre ou nuifible ? Je ne
m'arrête qu'à la premiere de ces objections
, & celle qu'il dit qu'on fait ordinairement
fur toutes les nouvelles décou
tes. Bien des chofes , dit- il , paroißent
bonnes en théorie, que l'experiencefait voir
être très-mauvaises dans la pratique. Cette
objection toute équivoque qu'elle eſt ,
parce qu'elle femble renfermer quelque
connoiffance de l'art en celui qui la
pofe , convient très- bien au nouveau Syftême
& le détruit entierement . La pratique
feule des gens du métier leur en fait ,
fans épreuve , connoître tous les défauts
que M. Maigret ne comprendra jamais
fans elle , il a certainement befoin d'en
faire des épreuves , pour le défabufer ; mais
ce n'eft pas fur le Canal de Verfailles
qu'il les faut faire ; la dépenfe n'en feroit
pas fort grande , j'en conviens , mais elle
pro
feroit
2174 MERCURE DE FRANCE.
feroit très - inutile ; c'eft fur Mer qu'il faudroit
faire ces épreuves , c'eft- là qu'il faut
voir une Galere conftruite felon la nouvelle
difpofition des Rames de M. Maigret
accompagnée d'une Galere ordinaire
pour comparer enſemble , non feulelement
le plus de vîteffe de l'une à l'autre
, mais encore toutes les manoeuvres
des Rames .
foient
L'équilibre dont l'Ingenieur vante tant
la perfection dans la difpofition des Rames
de fon Systême , n'eft dans cette
circonstance qu'un terme propre à éblouir
les Géometres , & les Sçavans qui n'ont
point de pratique ; mais les conftructeurs
des Galeres & les gens du métier ne s'arrêtent
pas à ce feul équilibre , quoiqu'ils
parvenus à mettre les Rames fur
nos Galeres dans celui qui leur eft plus
convenable. Ils font attention aux mouvemens
divers , variables & entierement -
oppofez les uns aux autres , qu'ils ne
croyent pas pouvoir être executez avec
aucune forte de machine , ou autre moyen
de contrainte , ils font perfuadez que ce
n'est que par l'adreffe & par la force des
hommes qu'on peut y parvenir ; c'eſt uniquement
fur leur moyenne grandeur &
fur les proportions des Rames qu'ils doivent
manier que la conftruction d'une
Galere eft fondée .
,
M. MaiOCTOBRE.
1727. 2175
M. Maigret qui n'a pû penfer à ce principe
effentiel , & qui , fuivant toutes les
apparences , n'a jamais vû une Galere armée
avance fans fondement que les
Conftructeurs & les Officiers pourront
trouver par le moyen de fon Syftême celui
de perfectionner les Rames de nos
Galeres , en leur donnant un plus parfait
équilibre , & foulager la vogue en évitant
tout leur frottement. En verité , les yeux
d'un Speculatif font fouvent bien autres
que ceux d'un homme de pratique . Si
M. Maigret ne pouvant voir les chofes
par lui - même , s'étoit avifé de confulter
le moindre Come de Galere , il auroit appris
que nos Rames font dans un fi par-
Fait équilibre , qu'on ne les reçoit des
Remolas , que fous la condition qu'étant
pofées horifontalement fur l'Apoftis , & attachez
au Scaume , on puiffe fans aucune
peine , & en les touchant ſeulement
avec le pouce , les faire balancer à volonté:
ce qui prouve le plus parfait équili
bre que l'on puiffe fouhaiter .
M. Maigret , faute de connoître les proportions
d'une Rame, ne conviendra peutêtre
de cette démonftration qu'après en
avoir vû faire l'experience, & après avoir
fait attention à la longueur & au poids
d'une Rame. Cependant , s'il eût été inftruit
de ces dernieres circonstances , il au-
B roit
2176 MERCURE DE FRANCE .
*
roit compris qu'un feul homme ne fçauroit
manier un inftrument du poids de
deux quintaux foixante - dix livres , poids
de marc , quoiqu'il le faffe balancer , fans
peine fur fon appui , en le touchant feulement
avec le pouce.
Que M. Maigret ne s'allarme donc pas
davantage fur le défaut d'équilibre qu'il
imagine dans nos Rames,pour ne les avoir
pas vûës. C'est un lieu commun de Mé
chanique qu'il peut referver pour d'autres
occafions , auffi - bien que la bonne intention
qu'il a de diminuer leur frottement.
En attendant qu'il foit à portée de s'en
convaincre par experience , on peut l'affurer
que ce frottement eft fi peu de choſe
dans l'action de la vogue,que nos Analyftes
modernes ne manqueroient pas de
l'enroler parmi les infiniment petits , dans
la comparaifon qu'ils en feroient avec les
forces des puiffances qui agiffent l'une
contre l'autre aux deux extrémitez de la
Rame ; c'eft -à-dire , que ce frottement
qu'il eft permis à un Theoricien de confiderer
, autant qu'il juge en avoir befoin
pour les operations de fon calcul , s'évanouit
& difparoît tellement pendant la
vogue , que l'on peut , après tout calcul
achevé, l'effacer abfolument comme nul,
ou de nulle confequence dans la pratique.
A Marſeille, le 28. Août 1727.
DE BARRAS DE LA PENNE ,
OCTOBRE. 1727. 2177
XX:
XXXXXXXXXXX : XX
AUX
J
AUTEURS
DU MERCURE.
E n'irai pas chercher un long début ,
Meffieurs , je n'ai que deux mots à
vous dire:
Approuvez-vous cet effay de ma Lire ǝ
Peut-il , à votre avis , éviter le rebut ?
Placez-le dans votre Mercure.
Le ferez-vous ? oui , j'ai la vanité
D'en concevoir l'heureux augure.
Heureux , fi par une route fi sûre ,
Mon nom pouvoit paffer à la Pofterité.
Je fuis , Meffieurs , & c.
De Dijon, ce 27. Juillet 1727.
*******************
ODE.
A Meffieurs de l'Académie Françoife.
Ous , qui des filles de Mémoire.
Recompenfez les Nouriffons ,
Souffrez qu'aujourd'hui votre gloire
Bij Soit
2178 MERCURE DE FRANCE
Soit le fujet de mes Chansons.
Jeune , fans guide &fans lumiere ,
Je n'ofe entrer dans la carrier ( a )
Que vous ouvrez aux beaux Eſprits :
Non ,je n'afpire qu'à vous plaire ,
Et pour moi ce digne falaire
Eft le plus grand de tous les prix.
C'est peu du zele qui m'inſpire
Pour chanter les Hommes fameux ,
Apollca , prête- moi ta Lire
Dont tu fis prefent à l'un ( b ) d'eux ,
Seconde , échauffe mon yvreſſe
Ta propre gloire t'intereſſe
A prendre part à mes Concerts :
Oui , mon hommage eſt legitime ,
Mais il pafferoit pour un crime ,
Si tu ne me dictois ces vers ,
Que vois-je ? fçavante Affemblée ,
Pourquoi verfez-vous tant de pleurs ?
Ma Mufe fans être troublée ,
( a )Les Prix de l'Académie doivent être
diftribuez cette année.
(b ) M. Houdart de la Mothe,
!
NG
OCTOBRE 1727. 2179
Ne peut apprendre vos douleurs.
Vous regrettez cet homme illuftre ( a )
Quifoutînt fi long- temps le luftre
Du rang qu'il vous laiffe aujourd'hui ;
Mais fa place à BOUHIER offerte .
Répare dignement la perte
Que vous venez de faire en lui.
Pourquoi , Déeffe impitoyable ,
Faut- il pour conferver fes jours ,
Que contre ta faux redoutable
Le Sçavant n'ait aucun recours ?
Dès que fa fcience profonde
L'a rendu neceffaire au Monde :
Cruelle ! tu le fais perir :
Tel Malezieu vient de paroître ;
Helas ! Devoit-il jamais naître ?
Puifqu'un jour il devoit mourir.
Vains regrets ! inutiles plaintes !
A quoi bon accufer le fort ?
Tout eft fujet à ſes atteintes ;
( a) M. de Malezieu, Chancelier de Dombes,
mort le 5.May 1727.
B iij
Et
2180 MERCURE DE FRANCE
Er rien n'eft exemt de la Mort.
Que dis-je ? votre Académie
Toujours de la Parque ennemie
Brave les plus funeſtes traits :
L'un meurt , un autre le remplace ,
Ainfi le corps change de face ,
Et ne fçauroit périr jamais.
Touteft changé , quelle allegreffe
Vient de s'élever parmi vous !
BOUHI IR paroît , chacun s'empreffe
A remplir fes voeux les plus doux
Si jufqu'en votre Sanctuaire
J'ofe mettre un pied témeraire ,
Ce que la France a de plus grand
A mes regards ne s'y prefente ,
Que pour répondre à votre attente
Par la juftice qu'on lui rend.
i
Vains honneurs , Dignité , Naiffance ,
Ceffez de vous en prévaloir ;
Ce n'eft pas vous qu'on récompenfe ,
C'eſt ſon Mérite & fon fçavoir .
Il monte au rang le plus fublime ,
Ετ
OCTOBRE. 1727. 2181.
Et c'eft d'une voix unanime
Qu'inſpire la feule équité :
Qui dois-je loüer davantage
Ou ceux qui font un choix fi fage ,
Ou celui qui l'a merité.
Doctes Habitans du Parnaffe ,
L'Honneur de l'Empire François ,
Ce n'eft plus le Dieu de la Thrace
Qui vous fait chanter fes exploits.
Un Roi jufte , un Roi pacifique ,
Eft maintenant l'objet unique
De vos plus fublimes concerts :
Son bras eft Maître du Tonnere ;
Mais à qui feroit- il la guerre ?
Lui que chérit tout l'Univers.
Livrée aux plus rudes allarmes ,
Sans ce jeune & fage Heros ,
Bien-tôt toute l'Europe en armes ,
Alloit voir troubler fon repos :
Elle implore fon entremiſe ;
Le Tage , le Rhin , la Tamiſe
Remettent leurs droits en fes mains :
Biiij LOUIS
2182 MERCURE DE FRANCE.
LOUIS parle , l'ordre qu'il donne ,
Fait fuir la cruelle Bellone
Et maintient la paix des Humains,
Déja fenfible à nos prieres ,
Le Ciel vient d'exaucer fes voeux;
Des faveurs les plus fingulieres
Il comble un Roi fi vertueux .
Au fein d'une augufte Princeffe
Il fait enfin de fa tendreſſe
Croître le précieux tréfor :
( a) Bien- tôt nous l'allons voir paroître ,
Bien-tôt nous allons voir renaître
Les temps heureux de l'Age d'Or.
Que pour chanter tant de merveilles ,
Votre choix eft ingenieux !
BOUHIIR eft admis à vos veilles ;
Qui jamais le mérita mieux ?
( a ) La fin de cette ftrophe eft imitée de ces
trois vers de la quatriéme Egl. de Virgile , intitulée
: Pollio.
Magnus ab integrofeclorum nafcitur orlo.
Jam redit & virgo , redeunt Saturnia Regna :
Jam nova progenies calo demittitur alto.
ReOCTOBRE.
1727. 2183
Reprenez tous en main la Lire ,
Oui je ne crains pas de le dire ]
Il fçaura bien vous imiter.
Accourez , ô Sçavantes Fées !
Infpirez ces nouveaux Orphées ;
Je me tais pour les écouter.
Cette Piece a été envoyée à M. le Se
cretaire perpetuel de l'Académie Françoiſe
, le 13. Juillet 1727 .
L'Abbé LE BLANC.
XXXX:XXXX : XXXXXXX
LETTRE écrite de Venife le premier
Avril 1727. fur l'invention d'une
T
nouvelle Caleche.
Rouvez bon , Monfieur , que j'interrompe
le compte que j'ai commencé
de vous rendre de mes Etudes , pour
vous faire part d'une machine que j'ai
inventée . C'eſt une Caleche qui va avant
le Cheval. Je m'en fers avec un trèsgrand
plaifir , & je me flatt eque la defcription
ne vous en déplaira pas .
Cette Caleche a quatre rouës qui tour
nent à l'ordinaire ; deux fur un effieu
deux fur un autre . L'effieu des deux rouës
>
By de
2184 MERCURE DE FRANCE.
de devant le tourne de tous côtez , afin
que la Caleche le puiffe diriger vers quelque
endroit que ce foit à l'ordinaire.
Il y a cependant deux choles particulieres
à obferver ; l'une , eſt le timon qui
eft d'un fens contraire à celui qu'on lui
donne ordinairement ; puifqu'au lieu d'être
en avant comme les autres , il est tourné
de maniere , que quand je fuis affis
dans ma Caleche il vient entre mes mains,
& il eft accommodé enforte que je puis
par fon moyen faire tourner l'effieu des
rouës de devant ,felon toutes les directions ;
d'où il s'enfuit que la Caleche étant pouffée
en avant , avec ce Timon , je puis aller
où je veux avec tant de jufteffe , que
je fçais rencontrer , ou éviter la moindre
choſe.
La feconde chofe que ma Caleche a de
fingulier , ce font deux morceaux de bois
qui pouffent en dehors comme font les
deux bras de la partie de derriere d'une
litiere. Au milieu de ces deux morceaux
de bois un brancar eft placé ; le Cheval
comme celui de la Litiere , eft au milieu
des deux bras de derriere , avec cette
difference que le Cheval de la Litiere porte
, & celui de ma Caleche tire.
En effet on attache le Cheval à deux
cordes ou traits qui tiennent à l'extrémité
de ces deux brancars , comme dans les autres
OCTOBRE . 1727. 2185
tres Caleches ; mais en tirant il la pouffe
devant lui, & ainfi le Cheval marche derriere
la Caleche & moi étant affis dedans
, le timon en main , je le dirige où
je veux .
"
Les rênes que j'ai auffi en main , me
fervent à retenir le Cheval , quand je veux
qu'il s'arrête , ou qu'il aille plus lentement
; c'eft pourquoi étant attachées à la
bride, à la maniere ordinaire, elles paffent
par nn anneau accommodé fur le dos du
cheval & delà elles tournent & viennent
au bras droit de la Chaife où elles
font attachées ; de forte que tenant de la
main gauche le timon , je dirige la Caleche
avec beaucoup de facilité , & avec la
droite, tirant les rênes , je retiens le Cheval.
>
Si j'ai besoin de le faire aller plus vite ,
me fers du foüet dans le fens contraire
à celui dont on s'en fert dans les autres
Caleches , & afin que le Cheval ne fe tire
en arriere lorfque je leve le foüet pour
le frapper , je lui mets à l'oeil droit un
morceau de cuir qui l'empêche de le
voir.
Voilà tout l'artifice pour ce qui regarde
le mouvement . Quant à la forme , ma Caleche
et à peu - près comme un char de
triomphe ; elle est très- legere . On en voit
le mouvement fans appercevoir la caufe
B vj
La
2188 MERCURE DE FRANCE.
cée horizontalement dans les muſcles ;
liffe & polie , comme fi elle y fut entreé
le moment d'auparavant , & dont la tête
feule étoit enveloppée d'un peloton de
graiffe , de la groffeur d'un pois. Cette
courte operation finie , la malade fe fentit
très - foulagée , & trois jours après elle
fut parfaitement guérie. Avant que de
faire l'incifion , le Chirurgien examina
bien la partie occupée par le corps étranger
, pour découvrir comment il y étoit
entré mais rien ne lui ayant défigné qu'il
fe fut introduit par dehors , on s'en eft
rapporté à la déclaration de la Dile , qui
dit avoir avalé , il y a cinq ou fix ans, une
éguille. Je vous fais ce détail comme rémoin
oculaire , muni d'ur certificat de
M. Rivals , qui moins furpris de l'avanture
que les autres Spectateurs , nous affura
que plufieurs années auparavant , il
avoit à peu près de la même façon tiré
trois épingles du côté d'une Dame qui les
avoit avalées par accident.
;
La Lettre écrite de Dreux & inferée dans
le Mercure du mois d'Août dernier
dans laquelle on paroît ou l'on feint d'i
gnorer certains noms des lieux où croiffent
Is bons vins , &c. a donné lieu à
ces Triolets.
હો .
TRIOLETS
OCTOBRE. 1727. 2799
TRIOLET S.
Effieurs les Habitans de Dreux ,
Ma foi vous le prenez à gauche »
Vous n'entendez rien à nos jeux ,
Meffieurs les habitans de Dreux ;
Vous ignorez les Vins heureux ,
Pour l'aimable & fine débauche :
Meffieurs , & c.
Aprenez l'ufage & le nom.
De ce qui fait la bonne chere ,
De l'Afperge au gentil boutons
Aprenez l'ufage & le nom ;
Trufle , Morille & Moufleron ,
Font le potager de Cythere ;
Aprenez , & c.
Le charmant petit Triolet
Vous a parû chofe nouvelle ;
Vous ne fçavez pas comme on fair,
Le charmant petit Triolet
Votre
2190 MERCURE DE FRANCE:
Votre grand-mere à grand Colet
Le croyoit une bagatelle :
Le charmant , & c.
EXTRAIT de la Lettre écrite par
l'Auteur des Triolets , en les envoyant
au Mercure.
Omme ces Mrs de Dreux paroiffent
fort dociles & demandent à être inftruits
, nous vous prions de leur communiquer
cette petite leçon poëtique , dont
nous fommes redevables à un des vins
qu'ils ont méconnu . Nous efperons que
ces Mrs voudront bien nous inftruire à
leur tour. Nous fommes ici fort embarraffez
fur l'origine du Proverbe : A gauche,
c'eft le chemin de Dreux ; nous comptons
qu'ils feuilleteront leurs Archives
pour nous tirer de l'ignorance où nous
fommes. Nous nous flattons enfin de ne
plus repeter fans connoiffance de cauſe ,
un proverbe qui nous faifoit fonger à
Dreux , fans fçavoir pourquoi . C'eſt ainſi
qu'on doit s'inftruire reciproquement
&c,
21. Septembre. 1727 :
LETTRE
OCTOBRE . 1727. 2191
LETTRE de M. de Senecé aux Auteurs
du Mercure, fur l'origine des Triolets
. Réponse à la Dame de Dreux , &c.
Qplaifir , grace que j'attens de votre
Uand ce ne feroit pas pour me faire
courtoifie ; j'efpere , Meffieurs , qu'en faveur
de l'aimable Dame qui vous a écrit
de Dreux cette Lettre que vous avez inferée
dans le commencement de votre Recueil
du mois précedent , vous voudrez
bien donner place à celle - ci . On me fait
bien de l'honneur de m'attribuer l'inven
tion des Triolets . La tentation feroit
grande de vouloir en profiter dans un
temps où l'on ne voit autre chofe que des
redites , & où le ftyle original eft prefque
inconnu ; mais la bonne foi m'oblige de
faire reffouvenir ma bélle Adverfaire ,
que cette efpece de galanterie eft prefque
auffi ancienne que la Poëfie . Les Grecs
& les Latins ont employé dans leurs Ouvrages
de ces fortes de chutes , ou de
claufules qui leur fembloient heureuſes ,
pour être agréablement repetées à la fin
de chaque Strophe , ou Stance , comme
il vous plaira de les appeller, & j'en pourrois
citer plufieurs exemples. Pour ne pas
farcir
2191 MERCURE DE FRANCE.
farcir une conteftation galante d'une érudition
pédantefque , je me contenterai de
vous faire reffouvenir de ce beau morceau
d'antiquité , intitulé : Pervigilium Veneris
, que plufieurs Critiques attribuent à
Catulle , & que quelques autres lui refufent
, où ce joli Vers eft répeté cinq ou
fix fois :
Cras amet qui nunquàm amavit , quique
amavit , cras amet .
Nos anciens Poëtes François ont trouvé
cette maniere ingenieufe , & l'ont fouvent
employée , particulierement dans les Odes
Paftorales , & les Chanfons à danfer . I
feroit inutile d'en alleguer des exemples ,
il n'eft rien de plus trivial. Mais comme
notre nation qui n'invente gueres , a la
réputation de perfectionner les inventions
des autres ,& même d'y ajouter de nouvelles
graces en les imitant; ce fut fur ce premier
modele que furent inventez les Rondeaux
, efpece de Poëfie particuliere à notre
langue , & dans laquelle , après Clément
Marot , Voiture s'eft fi agréablement
joué .
Celui qui fit le premier des Triolets
dont il eft à préfent queftion , crût avoir
ingenieufement raffiné , en faifant entrer
de bonne grace , trois fois le même Vers
dans un petit Couplet de Chanfon ; artifice
qui coute treize vers en Rondeau .
On
OCTOBRE . 1727. 2193
On n'y réuffit pas ailément , & fouvent
il fe trouve de ces redites un peu froides.
Il faut s'en confoler avec Benfferade , qui
s'étant avifé par un caprice affez fingulier,
de vouloir mettre en Rondeaux les Métamorphofes
d'Ovide , en fit à peine , dans
un très grand nombre , cinq ou fix de
fupportables . Mais pour revenir à l'origine
des Triolets , voici ce que j'en ai oui
dire à nos anciens : fi ce ne fut pas tout-
-à-fait leur commencement , du moins
c'eft ce qui les mit en réputation .
Dans les premieres Guerres de Paris ,
pendant la Minorité du feu Roi , la Cour
s'étant retirée à S. Germain en Laye , il
y eut plufieurs négociations pour pacifier
les troubles , & entr'autres , fut envoyé
un jour par le Parlement & les Seigneurs
qui tenoient fon parti , le Comte de Maure
, de la Maifon de Roche-Chouart ,
chargé de quelques propofitions. Ce Gentilhomme
, au lieu de paroître modeftement
, & en habit décent devant la Reine,
s'y préfenta en habit de Guerre , c'est - àdire
, avec des bottes , & en jufte-aucorps
de Buffle , comme s'il étoit venu
faire un appel , plutôt qu'une ouverture
de Paix. La Reine , qui en fut indignée
en témoigna fon mécontentement , & fes
Filles , pour la vanger de ce manquement
de refpect , en firent les Triolets qui fuivent
2194 MERCURE DE FRANCE :
vent ; à quoi on prétend qu'elles furent
fort aidées par M. le Prince de Condé
qui pour lors étoit dans le parti de la
Cour , & qui avoit autant d'efprit que
de valeur.
Buffle à manches de velours noir
Portoit le Grand Comte de Maure :
Sur ce Guerrier faifoit beau voir ,
Buffle à manches de velours noir !
Condé rentre dans ton devoir ,
Si tu ne veux qu'il te dévore ;
Buffle à manches de velours noir
Portoit le Grand Comte de Maure .
Maure nous apporte la Paix ,
Et la va figner tout à l'heure ;
Si Mazarin part pour jamais ,
Maure nous apporte la Paix ;
Si l'on défend les Triolets ,
Et que le Buffle lui demeure ;
Maure nous apporte la Paix ,
Et la va figner tout à l'heure.
Comme l'exemple de la Cour donne
ordinairement la vogue aux bonnes &
?
aux
OCTOBRE . 1727. 2195
aux mauvaiſes chofes , cette plaifanterie
répandit incontinent la fureur des Triolets
dans la Capitale , & delà dans les
Provinces qui en font les finges ; yous
jugez bien qu'il s'en fit plus de mauvais
que de bons ; c'est là le caractere de l'efprit
humain ; mais à l'honneur de cette
efpece de Poëfie que j'ai adoptée , j'en
veux mettre ici un des plus jolis que je
fçache . Il eft du feu Marquis de Mompipeau
, l'un des efprits les plus galans ,
& les plus délicats que j'aye connus dans
ma jeuneffe .
Le premier jour du mois de Mai
Fut le plus heureux de ma vie ;
Le beau deffein que je formai
Le premier jour du mois de Mai !
Je vous vis , & je vous aimai ;
Si ce deffein vous plût , Sylvie ,
Le premier jour du mois de Mai
Fut le plus heureux de ma vie.
Voilà ce qui eft venu à ma connoiffan
ce fur l'origine des Triolets , ou du moins
fur le temps où ils ont été en plus grande
réputation . Quoi qu'ils ayent été plus négligez
, on n'a pas laiffé de les employer
de temps à autre. Les Italiens modernes
les
2196 MERCURE DE FRANCE .
les ont copié de nous , comme les anciens
après Pétrarque avoient pris beaucoup de
chofes de nos Poëtes Provençaux. Ils les
ont nommez Ritornelles , & ce terme s'eft
auffi approprié à la Mufique. Ce qu'il y
a de moi en tout cela , c'eft d'en avoir
plus fait que jamais perfonne n'en fit ;
mon excufe eft dans l'obéiffance que j'ai
rendue à une Dame qui l'a ſouhaitté. Par
un femblable engagement, Brébeuf fit bien
cent cinquante Epigrammes , & prefque
toutes excellentes fur une femme fardée :
je n'ai pas la vanité , quoique j'aye le
champ plus vafte , de croire d'avoir réüſſi
comme lui. Après vous avoir dit tout ce
que je fçais fur ce fujet , je conclurai
avec Horace .
Si quid novisti rectiùs istis
Candidus imperti ; fi non ; his utere mecùm:
Ce petit mot de latin foit ajouté , avec
la permiffion de la plus part de Mrs nos
beaux Efprits , qui ne veulent pas qu'on
cire , & qui font plus de cas de dérober
les penfées des anciens , & de les affoiblir
en les paraphrafant , que d'en faire
honneur à ces grands Originaux , à qui
elles appartiennent.
Pour les objections que l'on me fait
au fujet de mes Triolets du mois d'Avril,
je n'ai que deux mots à répondre. Le
MaqueOCTOBRE.
1727. 2197
Maquereau eft un poiffon qui fe pêche
particulierement au mois d'Avril ; l'allufion
que j'en ai voulu faire par fa puanteur
, avec des gens dont la profeffion eft
en fi mauvaife odeur , n'eft qu'un jeu de
mot proverbial : car on appelle populairement
ces Meffieurs - là , des poiffons d'Avril
; & quoique de pareilles gens exercent
leur métier toute l'année , un jeu de
not , n'eſt pas un point de Chronologie
, qui doive être traité avec la derniere
précifion. Pour les Afperges & les
Moufferons , tous ceux qui aiment la bonne
chere , fçavent qu'ils naiffent en Avril,
& il me femble qu'en badinant on peut
dire de bonne grace , que l'on pardonne
à ce mois toutes les bizarreries , en faveur
des délicateffes qu'il fournit à nos Tables
. Au refte , je déclare à tous ceux qui
ces prefentes verront , que qui que ce
foit qui attaque déformais mes Triolets ,
ou mes autres Ouvrages , je ne perdrai
plus à lui répondre un temps que je
puis employer plus utilement.
Permettez moi d'ajouter un mot en
faveur de cette galante Ode de la Table,
que mes Cenfeurs ont attaquée dans la
même Lettre. Hay & Auvillers font ,
après Rheims , les Vignobles les plus
eftimez de Champagne , & même les plus
recherchez dans la primeur. Chaffagne
eft
2198 MERCURE
DE FRANCE .
eft en concurrence avec Volenay , Santenay
& Pomart , qui font la fleur des vins
de Bourgogne. Riez eft une Evêché de
Provence , où les vins , quoique peu délicats
font en réputation pour leur force .
Je crois franchement que les vins de Riez,
doivent à la neceffité de la rime , l'honneur
d'avoir été affociez avec Bourgogne
& Champagne . Je vous en fouhaitte
Mellieurs , à chacun une bouteille à cha-
& c. que repas , & je fuis ,
A Mâcon le 28. Septembre 1727.
jkakakakakakakakakakakakakak
LA PROMENADE ,
,
Eglogue en Triolets pour le mois d'Octobre.
CEPHISE , AMINTHE , Bergeres .
Céphife.
Voici le reste des beaux jours ;
Déja jauniffent les feuillages :
Octobre a commencé fon cours ,
Voici le refte des beaux jours.
Profitons-en par quelques tours ;
Dans les routes de nos Bocages :
Voici
OCTOBRE . 1727. 2199
Voici le refte des beaux jours ,
Déja jauniffent les feuillages.
Aminthe.
Où veux -tu me faire courira,
Pour quoi me forcer à te fuivre
Ay-je un mal qui puiſſe guérir ?
Où veux-tu me faire courir ?
Helas ! qu'il eft dur de mourir
Quand on ne commence qu'à vivre !
Où veux-tu me faire courir ?
Pourquoi me forcer à te fuivre a
Céphife.
Défay- toi de ces noirs foucis
Qui t'obſcurciffent le viſage ;
Fixe tes regards adoucis ;
Défay-toi de ces noirs foucis :
Voici ce grand Chêne , où Tircis
Nous fit tant danſer à l'ombrage .
Défay- toi de ces noirs foucis
Qui t'obſcurciffent le vifage.
Aminthe.
Ah! cruelle tu l'as nommé
t
L'Auteur de ma trifte avanture !
C Lo
338762
2200 MERCURE DE FRANCE.
Le callus s'en alloit formé ;
Ah ! cruelle ! tu l'as nommé ;
Et ton courage envenimé
Remet le fer dans la bleffure ;
Ah ! cruelle tu l'as nommé
L'Auteur de ma trifte avanture !
Céphife.
Que t'a donc fait ce beau Berger ,
Dont le fouvenir t'importune ?
Di - moi , fi tu veux m'obliger ,
Que t'a donc fait ce beau Berger ?
De ce qui paroît t'affliger ,
Bien d'autres feroient leur fortune ;
Que t'a donc fait ce beau Berger
Dont le fouvenir t'importune ?
Aminthe.
Depuis que l'importun me ſuit ,
Veux-tu fçavoir ma deſtinée ?
J'abhorre l'Aftre qui nous luit
Depuis que l'importun me ſuit ;
Je ne dors point toute la nuit ,
Je rêve toute la journée :
Depuis
OCTOBRE . 1727 . 2201
Depuis que l'importun me fuit ,
Veux -tu fçavoir ma deftinée.
Céphife.
Quand Lycidas m'offrit fa Foi ,
J'effuyai les mêmes ſcrupules ;
Ils me troublerent comme toi ,
Quand Lycidas m'offrit ſa Foi :
Tu t'en déferas comme moi ,
Qui les ai trouvez ridicules ;
Quand Lycidas m'offrit fa Foi ,
J'effuyai les mêmes ſcrupules.
Aminthe.
Tircis ne veut plus m'obeïr ;
Tous fes défirs vont à l'extrême ;
Mon coeur commence à me trahir ;
Tircis ne veut plus m'obéir.
Pour ne le point affez haïr ,
Je crains de me hair moi-même :
Tircis ne veut plus m'obéir ,
Tous fes defirs vont à l'extrême.
Céphife.
Combattre un Amour qui te plaît ,
Me femble une folle entrepriſe :
Cij
Quoi ?
1202 MERCURE DE FRANCE:
Quoi fans Cuiraffe & fans Armet ,
Combattre un Amour qui te plaît ?
Ton mal eſt grand ; mais tel qu'il eſt ,
Je le crois bien près de fa crife :
Combattre un Amour qui te plaît ,
Me femble une folle entrepriſe,
Aminthe.
Toujours fur le ton languiffant ,
Avec moi ce Berger s'explique ;
Il m'entretient de ce qu'il fent
Toujours fur le ton languiſſant ;
Par fois il eft vif & preffant ,
Souvent fombre & mélancolique ;
Toujours fur le ton languiffant ,
Avec moi ce Berger s'explique,
Ciphife.
Appren l'art de les appaifer ,
Ces gens plaintifs & volontaires ;
Il n'est que de s'humaniſer $
Appren l'art de les appaiſer :
Une main qu'on donne à baifer
Raccommode bien des affaires :
Appren
OCTOBRE . 1727 :
2203
Appren l'art de les appaiſer .
Ces gens plaintifs & volontaires .
Aminthe.
De qui donne à baiſer ſa main ,
Gare le fein , gare la bouche ;
Pour peu que l'aggreffeur foit fin ,
De qui donne à baiſer ſa main ;
En gagnant toujours du terrain ."
Il ne femble pas qu'il y touche :
De qui donne à baifer fa main ,
Gare le fein , gare la bouche.
Céphife.
Je vois Tircis qui vient à nous ,
Pour terminer cette querelle ;
Qu'Amour feul foit Juge entre vous ,
Je vois Tircis qui vient à nous ;
Pour moi , j'ai d'autres foins plus doux ,
J'entens Lycidas qui m'appelle :
Je vois Tircis qui vient à nous
Pour terminer cette querelle.
Aminthe.
Tu me laiffes feule au befoin !
Le tour te paroît- il honnête ?
Ciij Tu
2204 MERCURE DE FRANCE.
Tu ne le porteras pas loin ,
Tu me laiffes feule au befoin ;
Pour m'en venger , je prendrai foin
De troubler plus d'un tête- à - tête :
Tu me laifles feule au befoin ,
Le tour te paroît- il honnête ?
Céphife en s'en allant.
Qu'Octobre entraîne les beaux jours ,
Que nos Forêts ne foient plus vertes ,
Que les Soleils deviennent courts ,
Qu'O &tobre entraîne les beaux jours ;
Si je conferve mes Amours ,
Je me ris de toutes ces pertes :
Qu'Octobre entraîne les beaux jours ,
Que nos Forêts ne foient plus vertes.
XX*XX *XX* XX : XXXX : XX *X
RELATION de la Guerre du Royaumé
de Juda , Cofte de Guinée .
Mfaumouilla dans la Radede Juda
Raingard , Capitaine de Vaif-
>
Te 3. Mars dernier. Il y trouva un Vaiffeau
François , un Anglois , & deux Portugais
. Quelques Officiers lui apprirent
que
OCTOBRE. 1727. 2205
que ce Pays étoit menacé d'une guerre
prochaine par un Noir nommé Dada , Fidalgue
du Païs Dahomé , dont on lui a
donné le nom. Ce Fidalgue dépendoit du
Royaume de Foin , qu'il a conquis , ce
qui a obligé tous les Habitans de fe refugier
à Juda , où la plus grande partie a
péri , faute de nourriture , & le reste a été
vendu par les gens du pays , dont la plûpart
ne vivent que de rapine. Ils chercherent
à ces malheureux une mauvaiſe
querelle au fujet de leur Dabonay , qui eft
une espece de Lamproye de terre , que les
gens du pays adorent. Ils les accuferent
d'en avoir emporté une pour la facrifier
à leurs Dieux , ou pour la manger . Auffitôt
fans vouloir entendre aucune raifon
ils firent main-baffe fur quelques - uns
vendirent les meilleurs , & laifferent im
pitoyablement perir les autres .
Le 4. au matin , M. Raingard accompagné
du Capitaine Affou , qui étoit venu
le chercher , defcendit à terre ; il entra
fur les 2. heures dans la Ville de Xavier;
il y vit M. du Coudrai , quelques uns de
ceux du Comptoir de la Compagnie , &
les Capitaines François qui y étoient ; il
s'entretint avec eux fur le Commerce , &
fur cette nouvelle guerre , dont le bruit
ralentifoit le commerce ; ils lui dirent que
le nombre des Captifs étoit très -petit depuis
15. jours. Ciiij Ce
2206 MERCURE DE FRANCE.
Ce Capitaine vit le même foir le Roi de
Juda ; il lui fit quelques queftions fur ce
qu'il avoit oui dire de ceDada qu'on nommera
déformais Dahomé. , Le Roi ne fit
qu'en rire , auffi bien que le Capitaine
Affou. Il s'entretint avec ce Roi de la maniere
dont il lui payeroit fes droits , & ſe
retira chez M. Bouette qui lui avoit offert
un azile . Le même foir on tira le
coup de canon d'allarme . On apprit que
Dahomé étoit au païs de Paon, dépendant
du Royaume de Juda , & éloigné d'environ
5. lieuës de Xavier ; qu'il y avoit
mis le feu dont on voïoit paroître la flamme
de Xavier ; que le Fidalgue de Paon
avoit envoyé un Courier au Roy pour
lui reprocher qu'il dormoit bien tranquillement
pendant qu'on brûloit fes voifins.
On n'entendit à Xavier pendant la nuit
que bruit tumultueux & inftrumens de
guerre à la maniere du païs.Le lendemain
à 4. heures du matin tous les Noirs du
pays dépendant de Juda , fe joignirent
aux Troupes du Roi , & formerent une
Armée qu'on dit être de plus de 40000 .
hommes. Ils partirent tous enſemble dans
la réfolution , difoient- ils , de battre Dahomé
, & même d'en rapporter la tête.
On attendoit cet exploit de leur valeur ;
ils en avoient montré beaucoup en plufieurs
autres occafions dans les guerres
préOCTOBRE
. 1727. 2207
précedentes. Il vint au Roi un Courier
fur le midi lui dire que Dahomé prenoit
la fuite ; qu'on le tenoit entre deux feux,
& qu'on comptoit faire bon nombre de
captifs ; mais toutes ces belles efperances
furent vaines , & l'on vit fur le foir cette
Armée revenir par pelotons & fans ordre
, tous les Soldats gardant un morne
filence , & ne répondant même pas aux
demandes qu'on leur faifoit. Quelques
momens après le Capitaine Affou¯arriva
, & dit que ces malheureux pleins
de terreur n'avoient pas voulu combattre ;
qu'il avoit été le feul avec deux autres
Capitaines qui euffent voulu faire tête ,
& s'engager dans le combat ; mais qu'un
fi petit nombre n'avoit pas été fuffifant
pour réſiſter à Dahomé , dont l'Armée
n'étoit pourtant pas de plus de trois
mille hommes , parmi lefquels il y avoit
encore la moitié de femmes & d'enfans
; que ceux de Juda , felon leur propre
aveu étoient plus de vingt contre un ,
& mieux armez. M. Raingard mande
que ces canailles difoient le lendemain
qu'aufli - tôt que Dahomé ou fes gens les
regardoient,ils tomboient comme morts ,
& n'avoient plus la force de foûtenir leurs
armes : il dit qu'ils font menacez de fubir
le même fort qu'ils ont fait fubir auparavant
à ceux de Foin qui s'étoient refu
Cv gicz
1
2208 MERCURE DE FRANCE :
giez chez eux , & qu'ils ont laiffé perir 6
cruellement. Ils reprirent les armes le
6. L'armée fut plus nombreuſe que le
jour précedent ; mais ils ne purent empêcher
Dahomé de brûler le pays de Miſter-
-re , & celui de Plauga , voifins de Xa .
vier de 2. lieuës , & le plus fort qu'ils
ayent. Le foir Dahomé vint camper fur
le bord d'une riviere à une petite lieuë de
Xavier à la vûë de l'armée du Païs , qui
étoit auffi fur le bord de cette riviere , &
qui auroit pû en empêcher le paffage .
Le Capitaine Affou dit en fe retirant
chez lui le même foir , que tout le païs
étoit perdu fans reffource , perfonne ne
voulant fe deffendre : ce qui détermina
tous les Blancs à prendre leurs sûretez , &
au Fort ou à leurs bords tout
ce qu'ils pûrent de leurs marchandiſes.
Meffieurs des Comptoirs en firent de même
: les Femmes Negres fauverent auffi
tout ce qu'elles purent de leurs effets .

envoyer
Le 7. au matin , Mrs. Raingard , Bouette
& Guefneau , fe rendirent au Fort , & le
lendemain 8. à leurs bords , où ils apprirent
le 1o. que le 9. à 4. heures du foir,
Dahomé étoit entré dans Xavier fans y
trouver de réfiftance ,tous les Noirs s'étant
enfuis du côté de Popo ; qu'il s'étoit fail
de tous les Blancs qu'il y avoit trouvé
parmi lefquels étoient M" . du Coudray
DiOCTOBRE.
1727. 2209
Directeur de la Compagnie , le Blanc
commandant la Ducheffe , Joubert commandant
le Cefar , Thiercelin , Officier
de M. Bouette , le Chirurgien - Major de
M. Guelneau , lefquels étoient refté pour
garder leurs marchandifes qu'ils n'avoient
pû tranfporter au Fort ou à leurs bords ,
& qu'ils avoient tous été transferez par
fon ordre à un Village à 3. quarts de
lieuë de Xavier. M. Raingard finit ſa Relation
, en difant , que fe voyant au 13. du
mois , fans avoir ni marchandiſes ni
hommes à terre , & ne voyant pas d'apparence
d'un prochain commerce dans ce
pays -là , il appareilla pour en aller chercher
ailleurs . On a appris depuis qu'on
avoit coupé la tête au Roi de Juda , & que
Dahomé faifoit demander à la Compagnie
18. Captifs par tête de Blanc.
MEMOIRE pour fervir d'explication
à la relation de la guerre de Juda.
LA
A Rade du Royaume de Juda en Guinée
, eft par 4. degrez 30. minutes
de latitude Nord . Xavier eft la Capitale ,
fituée à 3. lieues dans les Terres.
Le Royaume peut contenir environ
25. lieues de païs , & peut mettre 30. à
40.mille hommes fous les armes. C'eft
l'aîné des fils de la premiere femme du
C vj Roi
2210 MERCURE DE FRANCE .
Roy , qui eft heritier du Royaume. Par
les Loix , le Roy ne peut jamais fortir de
chez lui , que le jour de la fête du Serpent
qui arrive une fois l'année . Ce Serpent
n'eft pas une Lamproye , comme le
prétend l'Auteur de la Relation ; ce Reptile
eft aquatique & a des trous des deux
côtez , au lieu que l'autre vit & produit
à terre. 11 eft carnaffier , a la tête & le
corps de ferpent ; rampe & fe tourne
comme les autres , en rond. Il ne mord
jamais les hommes , quand même on marcheroit
fur lui ce qui arrive fouvent.
C'est le Dieu du païs , quoique ces miferables
peuples faffent entendre qu'ils ne
le regardent que comme un Interceffeur
auprès d'un Eftre Suprême. Ils lui immolent
des Poulets , des Cabrits & des
Chiens , qui fervent à la nourritute de
ces animaux .
"
Les François , Anglois , Portugais &
Hollandois , ont chacun une Mailon ou
Comptoir àXavier ; mais les François &
Anglois ont de plus chacun un Fort muni
de 40. canons,à une demie lieuë de la mer.
Le Commerce confifte en l'achat &
traitte des Negres . Le païs ne produit
point d'or ; mais les Portugais du Bréfil ,
qui yfont un gros commerce , apportent
de cette matiere , avec laquelle ils payent
les Negres qu'ils achettent , partie en or¸
& partie en tabac. Le
OCTOBRE . 1727. 221x
Le Capitaine Affou dont il eft parlé dans
la Relation , eft l'Agent des François.
Chaque Nation d'Europe a un homme
accredité dans le Païs à fon fervice , &
auquel on paye de certains Droits . On le
nomme Capitaine de la Nation qu'il fert ;
ainfi Affou eft Capitaine des François , &
doit en cette qualité les défendre , leur
donner des efcortes pour aller au Fort ,
leur faire trouver des Captifs & des vivres
, & aider à tout ce qui peut contribuer
à la fureté & au Commerce.
BOUQUET
A MADEMOISELLE C *** .
Le jour de fa Fête.
Ier au lever de l'aurore
Hler a
J'allois , jeune & trop belle Iris ,
Vous choisir un Bouquet dans les Jardins de
Flore ;
Jardins toûjours verds & fleuris ;
Le parfum & l'émail de mille fleurs nouvelles
Y caufoient , quand j'y fus , un plaifir ravif
fant ,
Qu'on ne peut exprimer , ainſi qu'on le reffent
;
J'en cueillois déja les plus belles,
Quand
2212 MERCURE DE FRANCE .
Quand la Divinité qui préfide en ces lieux
Vint , me dit , que fais- tu ? Cette Iris , dont
les charmes
Aux coeurs indifferents feroient rendre les armes.
Celle enfin , dont l'efprit fe lit dans fes beaux
yeux ,
Raffemble fur fon teint plus de lys & de rofes
Que tu ne vois de fleurs éclofes.
J'en ai crû la Divinité :
Ce procedé , jeune beauté ,
Auroit il dequoi vous ſurprendre?
Avec un fi beau teint & mille attraits fi doux,
Vous ne devez point vous attendre ,
Qu'on vous offre un bouquet qui foit digne
de vous.
Le Chevalier de Belleville.
********************
PROBLEME de M. Mathulon fur
la Quatratur du Cercle .
N
Y
Ous croitions manquer aux regles
que nous nous fomines prescrites
fi nous ne rendions pas compte au Public
, de ce qu'a produit l'acte de M. Mathulon
, qui renferme les engagemens au
fujet de la Quadrature du Cercle , & qui
eft
OCTOBRE. 1727. 2213
eft inferé dans le Mercure du mois de Juillet
dernier.
M. Nicole , de l'Académie Royale des
Sciences , lut à cette Académie , le Samedy
23. Août , un Memoire dans lequel
il donne une methode pour découvrir l'erreur
de toutes les prétendues folutions du
Problême de la Quadrature du cercle , &
en particulier celle qu'a donnée M. Mathulon.
Cette méthode confifte à trouver les
formules algebriques , qui expriment l'aire
de tous les poligônes infcrits & circonfcrits
au cercle , dont le nombre des
côtez , en commençant par le quarré, augmente
comme les nombres 4. 8.16.32 .
64. & c. Les aires de ces deux fuites de
poligônes étant ainfi formées , il ne refte
plus qu'à comparer l'aire de la figure rectiligne
, que l'on donne pour être égale
à l'efpace circulaire , à l'une & à l'au-.
tre de ces deux fuites ; car fi l'on trouve
que cette figure eft plus petite qu'un poligône
infcrit , ou plus grande qu'un poligône
circonfcrit , il fera démontré que
la folution d'où réfulte un tel espace eft
défectueule ; c'eft ainfi qu'en comparant
la fuite des poligônes circonfcrits à l'aire
de la figure rectiligne, donnée par M. Mathulon
pour être égale à l'efpace circulaire
, M. Nicole démontre que l'aire de
Cette
2216 MERCURE DE FRANCE .
Si 6r22r2r² , produit des deux côtez
du rectangle , étoit , comme le pré-
. tend M.Mathulon , c feroit 120-4√2r² ,
& fupofant r7 , c feroit= 84-4√98 :
ce qui donneroit plus de 44 pour la circonference
du cercle , dont le diametre auroit
14. Or la circonference du cercle
dont le diametre a 14 , doit avoir moins
de 44, puifque , par Archimede , la circonference
d'un Polygone circonscrit de
96. côtez, ( évidemment plus grande que
celle du cercle ) ne doit avoir que 44 , le
diametre ayant 14 , ou que 22 , le diamettre
ayant 7. Donc le rectangle en
queftion n'eft pas égal au cercle.
Je me fuis borné à démontrer la fauffeté
de la 2. Quadrature de M. Mathulon,
parce qu'il a fouhaité qu'on s'y attachât
préferablement aux deux autres . Je lui démontrerai
encore , quand il voudra , que
fa premiere & fa troifiéme Quadrature
font fauffes , & que dans leur fauffeté
même , elles ne s'accordent pas entr'elles.
Par M. Dupont Bertris , Auteur des
Eloges & Caracteres des Philofophes.
LETTRE
OCTOBRE. 1717. 2217
LETTRE de M. Frefneau , à M. Mathulon
, ecrite de Paris le 14.
Septembre 1727.
MONONSIEUR
Quoique vous perfiftiez toujours à vous
perfuader depuis un nombre d'années
que vous avez été plus heureux que tous
les autres hommes enſemble , d'avoir ſçû
inventer & faire executer ce prétendu
mouvement perpetuel , qui ne peut paffer
tout au plus que pour une fimple curiofité
, l'on peut dire encore que vous ignorez
entierement que tous les Phyficiens
conviennent de cette poffibilité. Voyez
les Journaux des Sçavans , les Ephemerides
d'Allemagne , & quelques Traitez
particuliers faits à ce fujet. Ayant cette
connoiffance , cela pourroit bien -tôt vous
engager à retirer votre argent du jeu.
Mais au refte , fi vous ne voulez pas m'en
croire , & que vous vouliez foutenir la
gageure , je fuis prêt à configner chez un
Notaire de cette Ville pareille fomme de
dix mille livres que vous propofez à celui
qui gagera , que vous n'avez rien trouvé
de ce qu'il falloit trouver , & qui pourra
vous démontrer que ce prétendu mouvevement
dont vous parlez dans votre premicr
2218 MERCURE DE FRANCE:
mier Cahier , imprimé à Paris l'an 1723 ,
n'eft pas ce qu'on demande fur ce fujet.
Nos Juges , entre nous deux , feront ceux
que vous avez propofez , qui en décideront
en dernier reffort.Mais j'ai l'honneur
de vous dire que ce feroit gagner à trop
beau jeu , que de vous en faire courir le
rifque , fans vous donner le temps d'y
faire quelque reflexion , puiſqu'il eft certain
que ce mouvement ne peut être tout
au plus confideré que comme un mouvement
phyfique , mais imparfait & d'aucun
ufage , & qui n'eft pas celui qu'on
demande . De plus , je ne rifque rien
d'avancer que fon action ou mouvement
doit ceffer de lui -même dans un cettain
temps , qui fera plus ou moins long,
fuivant la rapidité que ce mouvement
pourroit avoir. Et vous devez fçavoir que
le mercure par une agitation continuelle
fe réduit en poudre noire , qui lui fait
perdre fes qualitez requifes , pour le rendre
fenfible aux impreffions de l'air . Ainfi
fi vous voulez qu'on vous accorde ce
que vous demandez , donnez - nous un
mouvement purement méchanique & artificiel
, & que le chaud ni le froid n'ait
aucune part à fon action , qui doit être
toûjours égale fans acceleration , tel qu'il
eft fouhaité pour l'utilité des Arts, & dont
l'ufage pourroit s'appliquer à la Pendule ,

à
l'ex
OCTOBRE . 1727 : 2219
à l'exclufion des refforts , au moulin
aux machines propres à élever les eaux
&c. pour lors je croirois qu'on ne pourroit
vous refufer la récompenfe promiſe
à une pareille découverte . Si vous jugez à
propos de me faire l'honneur de m'écrire,
mon adreffe à eft Paris , ruë de Harlay
chez M. Baltazar , Maître Horlogeur . J'ai
l'honneur d'être , &c ,
ikkakakakakakakakakakakakak
PRIERE POUR LA PLUYE ,
le 9. Octobre .
On peut chanter ces Stances fur l'air :
Allez , Moutons .
O
Trifte & feconde Pleiade
Qui faites fortir de vos ye ,,
Plus de tonnes d'eau d'une oeillade ,
Qu'il n'eft d'Etoiles dans les Cieux,
M
C'eft à vous à qui je m'adreffe ;
Empêchez que l'ingrate Iris
Ne me laiffe avec ma tendreffe
M'ennuyer tout feul dans Paris .

Ecoutez
2220 MERCURE DE FRANCE .
Ecoutez mon humble priere :
Faites pleuvoir ... pleuvoir à ſeau ,
Et fi fort , qu'au lieu de pouffiere ,
L'on ne voye en l'air que de l'Eau ;
Afin que s'il lui prend envie
De montrer le bout de fon nez ,
A l'inftant , de mainte roupie ,
Les dehors foient environnez.
Si malgré vous elle s'obtine
A fuivre encore fon deffein ;
Puiffe le Char de Ph. *
Se rompre au milieu du chemin..

Non', que je veuille que fa chûte
Lui déboîte ni bras ni pied,
Ni qu'elle ait après la culbute
Le moindre membre eftropié.
Je n'ai pas l'ame affez méchante ,
Pour penfer fi brutalement ;
* C'est le nom de l'Iris.
Je.
OCTOBRE . 1727 . 2221
Je veux qu'elle foit mécontente ,
Mais par fon ennuy feulement.
Jeferois fâché , je le jure ,
Qu'on vit encor fur fon minois
Une pareille égratignure
A celle qu'elle eut autrefois.

Lorfque tenant la même route,
Et revenant de faint Denis ;
Son cul vit la celefte voute ,
Et fon nez les chardons benits.
Non , mélancholique Pleiade ,
Si vous faites tous vos efforts
Pour qu'Iris d'efprit foit malade ,
Ramenez- la faine de corps.
Je vous promets pour votre peine ,
Au lieu d'Encens , toutes les Eaux
Que forment les brouillards de Seine ,
Dont vous remplirez vos Varfeaux .
Ces Vers font de M. d'Har...
LETTRE
2222 MERCURE
DE FRANCE .

LETTRE fur les Caméleons , écrite au
Chevalier de S. Jori , par M. Conftantin
de Magny , Bibliothecaire de M. le
Maréchal Duc d'Etrées .
7Oici une deſcription abrégée , Monfieur ,
Voici
unconftantice de tout ce que j'ai pú
remarquer dans l'exterieur & dans l'interieur
des Caméleons que vous avez vû chez moi .
Ce que les anciens & les modernes ont écrit
de ces animaux , m'a excite à examiner par
moi-même avec beaucoup de foin & de patience
, fi ce que l'on en débite de merveilleux
ett veritable. Je ne travaillois d'abord
que pour m'amufer ; mais mes premieres dé-
Couvertes m'ayant fait voir clairement • que
plufieurs Auteurs celebres ( & fur la foi def
quels vous vous êtes trompé vous - même )
n'avoient pas bien connu le Caméleon , dont
ils nous ont donné d'amples Differtations :
j'ai crû l'Ouvrage digne de vous être communiqué
, & dès - lors je m'y fuis appliqué.
καμαιλέον
Il y a des Auteurs qui ont fait des Volumes
entiers fur cet animal . Les Grecs l'appellent
naμaior , petit Lion : je ne fçache
pas de raifon plaufible de cette Etymologie.
Les Latins l'ont appellé Chameleon , Gamaleon
, Zamaleon , Hamaleon & Maleon. Le.
Caméleon reffemble aflez à notre Lézard vert
d'Europe par fa figure , fi l'on en excepte la
tête ; celle du Lézard eft un peu platte , &
celle du Caméleon eft relevée par une protuberance
ou efpece de crête , dont la figure eft
plus
OCTOBRE . 1727. 2223
le
plus fenfible fous la peau cette crête eft cartilagineufe
, faite en triangle , pointuë par
haut , aigue par devant ; fon mufeau eft long
& en pointe obtufe ; la mâchoire inferieure
avance un peu plus que la fuperieure.
Il a deux narines fort petites , par lesquelles
il refpire. Lorfque j'ai effayé de les boucher
du doigt , le Caméleon , tout pareffeux qu'il
eft , a fait de la réfiftance & repouffé mon
doigt. Cette curiofité m'a fait découvrir en
cette partie une pulfation reglée , qui n'eft
fenfible qu'au toucher , & cela dans cette feule
partie ; car je n'ai apperçu ailleurs , ni de
l'oeil ni du doigt , aucune palpitation ni pul
fation.
Rien n'eft fi fingulier que les yeux du Caméleon
; leur ftructure & leurs mouvemens
ont de quoi piquer un Naturalifte , auffi curieux
que je le fuis ; auffi leur ai - je donné une
attention particuliere avec toute la patience
dont vous me connoiffez capable. Je vais vous
en faire la defcription avec autant de précision
qu'il me fera poffible. L'oeil du Caméleon eft
de la groffeur d'un gros pois , taillé en pointe
de diamant , avec un petit trou vers la pointe:
la continuité de la peau de la tête fait fa paupiere
, qui eft ordinairement ronde ; il eſt
pourtant des tems où il la retrécit & l'allonge
de maniere qu'elle marque deux petits coins.
La matiere de l'oeil eft une liqueur claire &
vifqueufe , mêlée d'une autre matiere trèsfubtile
& fort noire , qu'on diftingue féparément
de la liqueur. L'Iris de l'oeil eft ifabelle ;
elle eft bordée d'un petit cercle d'or , qui eft
d'un brillant furprenant ; ce cercle eft une pellicule
feparée & percée , par deffus laquelle il
y en a une autre qui eft diaphane .
Le mouvement des yeux à quelque chofe de
D mer.
2224 MERCURE DE FRANCE.
merveilleux & de rare dans le Caméleon.
Comme il ne fçauroit remuer la tête fans remuer
le corps qui eft très - lent , il est dédommagé
de cet engourdiffement par la faculté
qu'il a de donner à fes yeux toutes fortes de
mouvemens. Il peut regarder de l'un devant
lui , de l'autre derriere , de l'un en haut & de
l'autre en bas. Il en a quelquefois un ouvert ,
l'autre fermé ; l'un fixe & l'autre mouvant. Il
elt très - rare qu'ils ayent tous deux le même
point de vûë ; cela arrive pourtant quelque
fois je l'ai remarqué quand il regarde un ob
jet fort éloigné , comme un arbre dans la campagne.
Quand on lui paffe quelque choſe devant
lesyeux , & qu'il les tient ouverts , il ne les
cille , ni ne les remuë , & ne donne aucun figne
que cela l'inquiete.
Il regarde fixement le Soleil : il voit de fort
loin , fur-tout les arbres , vers lefquels il tâche
toûjours d'aller pour y grimper . D'abord
qu'il en a découvert , il marche avec moins de
lenteur , & y va en droiture.
Sa tête eft fans col , comme celle des poiffons
; elle eft longue d'un pouce quatre lignes.
La mâchoire inferieure eft longue d'un pouce ,
la fuperieure l'eft de neuflignes.
Les mâchoires du Caméleon ne font que
deux os en forme de fcie , dont les dents font
inégales : ily en a 12. fur le derriere , dont
6. de chaque côté qui font plus groffes , & en-
Tuite 14. petites , dont 12. de chaque côté, qui
vont toujours en diminuant , enforte que fes
dernieres fur le devant font très - petites.
La féparation des deux mâchoires eft prefque
imperceptible.
Sa gorge eft groffe , & elle eft faite par le
bas comme une espece de poche , ou babine
qu'il
OCTOBRE . 1727. 2225
qu'il enfle ou retrécit , felon les mouvemens
dont il eft agité.
Le corps de mon Caméleon dans fa plus
grande extenfion eft long de 3. pouces 3. lignes
depuis la tête jufqu'aux premieres vertebres
de la queue.
La queue eft un peu plus longue que le
corps ; elle eft faite comme celle d'une vipere ;
il la recourbe en dedans , & s'en fert pour defcendre
des arbres. Il peut tenir tout fon corps
fufpendu par fa queue. J'ai effayé de l'accrocher
ainfi à mon doigt ; il s'y tient , & pour
s'élever il s'attache à la queue par un des pieds
de derriere ; il accroche à celui- ci un de ceux
de devant ; il porte enfuite le pié de derriere
furmon doigt , & monte ainfi fur ma main ;
mais tous ces mouvemens font lents , & fe reffentent
de la pareffenaturelle de cet animal.
Il s'allonge & fe raccourcit de tems en
tems; il applatit fon ventre lorfqu'il eft expofé
à un Soleil bien ardent : je l'ai vû quelquefois
haut de deux pouces & demi. Lorfque fon
ventre eft le plus étendu , fon corps n'a que
8. lignes d'épaiffeur . Son changement eft vifible
& fenfible lorfqu'il groffit ; mais à peine
S'apperçoit on de fa décroiffance , Lorfqu'il
groffit l'afpre- artere s'enfle , & le poumon
remplit prefque toute la capacité , à ce que
j'ai pu conjecturer en foufflant dans l'afpreartere
de celui que j'ai diffequé .
Le Caméleon à quatre pattes , comme le lezard
; mais elles font plus fingulieres & plus
variées. Celles du Caméleon font plus longues
que celle du lezard ; mais le Caméleon n'en
marche pas plus vite. La cuiffe eft longue de
9. lignes jufqu'à la jointure , & depu's la
jointure jufqu'au pied ; la jambe a auffi 9. lide
longueur.
gnes
Dij Les
2226 MERCURE DE FRANCE :
税込
Les pieds font divifez à peu prés comme les
pattes du Perroquet ils ont chacun cinq
doigts & cinq ongles ; mais avec une particu
larité très- remarquable , qui eft que les pieds
de devant ont trois doigts en dedans & deux
en dehors , & que les pieds de derriere ont
deux ongles en dedans & trois en dehors.
Chaque doigt eft armé d'un ongle fort court ,
crochu & pointu , pas fi aigu que celui d'un
chat : l'ongle eft rempli & a comme une corne
tranfparente vers la pointe : mais du côté de
la chair , il eft vuide & tranfparant , & l'on y
apperçoit du fang dedans.
La langue du Caméleon eft faite à peu près
comme la trompe d'un Elephant , mais plus
groffe vers la fin que vers la racine ; la racine
ou tête de cette trompe fe joint à un petit os
fourchu comme celui des grenouilles : elle a
un petit nerfrond qu'elle couvre & découvre
très-aifement ; elle eft percée comme un tuïau;
elle reffemble un peu au haut- bois , étant
étroite vers fa racine & large à l'extrémité ,
avec cette difference que les levres ou bords
de l'orifice du haut - bois vont en dehors , &
que ceux de cette trompe vont en dedans . Elle
eft longne d'environ 10 lignes , & dans fa
plus grande ouverture elle en a près de fix
de largeur.
Quelques Auteurs difent que pour manger,
il tire cette langue hors de fa gueule , que les
fourmis & les mouches s'y attachent à caufe
de fa vifcofité , & qu'il les avale. D'autres difent
qu'il la lance avec une viteffe extraordi
naire fur les infectes dont il veut fe repaître ,
qu'il la retire à l'inftant , & qu'il avale ainfi fa
proie qui y eft demeurée attachée . J'ai voulu
fatisfaire ma curiofité fur ce point , pour pouvoir
plus aifément détromper ceux qui croyent
que
OCTOBRE. 1727. 2227
que le Caméleon vit de l'air , & pour avoir
le plaifir de voir la ceremonie de fes repas.
Les Anciens qui n'ont pas été fi fcrupuleux
que nous dans leurs recherches , ont crû bonnement
que le Caméleon vivoit de l'air. L'Efpagnol
qui a apporté d'Afrique ceux que j'ai
examiné , en étoit fi perfuadé qu'il n'avoit
pas même tenté de leur donner à manger de
puis 15. ou 16. mois auffi ne m'étonnai- je
point que de dix - huit qu'il en avoit , il n'en
refte plus qu'un.
Je veux bien croire que le Caméleon peut
demeurer long-temps fans manger , & fans en
être incommodé , & la nature auroit fait
quelque chofe de trop imparfait , fi elle l'avoit
rendu fi pareffeux & fi lent , fans lui donner
la faculté de fe pafler des alimens qu'il ne
peut chercher aifément. Madame de Scudery
qui en avoit deux dont elle a donné une Differtation
, les a gardé dix mois fans leur donner
de nourriture. Nous gardons bien des
Tortues , des Viperes , un tems confiderable
fans les faire manger ; mais je ne croirai pas
pour cela que tous ces animaux puiffent vivre
toûjours, ou aufli long- tems qu'ils vivent fans
prendre d'autre aliment que l'air.
Je fçai bien que l'air que nous refpirons eft
plein de petits animaux , lefquels auffi - bien
que ceux qui font dans tous les alimens que
nous prenons , dans ceux- même que nous en
croyons les moins fufceptibles , forment des
oeufs qui trouvent dans notre eftomach une
chaleur pour les faire éclorre . Varron dit que.
ces petits animaux imperceptibles , entrant
dans nos corps par la bouche ou par les nari
nes , engendrent des maladies difficiles & périlleuses.
On a trouvé une infinité de petits
animaux dans le fang des perfonnes qui
D iij avoient
2228 MERCURE DE FRANCE.
avoient la fiévre ; s'ils avoient la tête noire ,
c'étoit figne que la fiévre étoit maligne & dangereufe.
Le Journal des Sçavans 1666.p.574 .
dit que le P.Kirker affure que la grangrene n'eft
qu'une infinité de petits vers venimeux qui corrompent
la chair en la rongeant, & qu'ils pullulent
tellement , qu'en ayant mis un fur une
feuille de papier blanc , il en produifit pendant
Peipace d'un Miferere so. autres. Il n'eft donc
pas nouveau de croire que nous avons des animaux
dans le fang , & que tout ce que nous
refpirons en eft plein. J'en ai cent exemples ;
je crois encore que l'air d'Affrique comme
plus chaud que celui- ci , en produit plus,& cela
me porteroit affez à croire , que dans ce
Pais là le Caméleon peut y être plus longtems
fans manger que dans celui - ci , parce
qu'il en avale davantage.
"J'ai mis le mien fur un arbriffeau; je l'ai laiffé
monter & s'arrêter fur une branche au foleil.
Je lui ai prefenté pendant 3. ou 4. heures des
fauterelles , des fourmis , des mouches : il les a
bien regardé ; mais il n'a pas fait la moindre
démonftration d'en avoir envie , ce qui m'a
fait croire qu'il eft épuiſé d'avoir jeuné fi longtemps
.
Comme il n'a point d'oreilles il ne reçoit
aucun fon , il n'en forme auffi aucun , excepté
la premiere fois qu'on le prend dans les bois
ou lorsqu'il a peur de quelque animal , & ce
fon eft comme le fifflement d'une Couleuvre
en colere , ou d'un petit Chat attaqué par un
Chien . On dit que lorfqu'il attrape les mouches
, il fait claquer fa trompe comme un
fouet.
* Nouvelles de la Repub. des Lettres , Désemb.
1687 p. 1285.
La
OCTOBRE . 1727. 2220

La conftruction interieure de fon corps reffemble
fort à celle d'un poiffon bien maigre ;
il n'a que très -peu de chair .
L'épine de fon dos eft relevée, aiguë & continuée
avec fa queue par un grand nombre de
vertebres. Il a 18. côtes, & fon épine a 74. vertebres
, y compris les so. de fa queue.
,y
Ses côtes ou arêtes font comme brifées dans
leur milieu ; c'est -à- dire , que dans leur longueur
la partie d'enhaut tend vers la queue ,
& eft enfuite brifée de façon que le refte de la
côte vient en devant.
Il n'a point de pointes fur le dos comme Panarolus
lui en attribuë pour fe défendre de fes
ennemis , il n'y a pas méme à l'exterieur aucune
apparence de pointes ; les apophyfes épineufes
de fes vertebres font quarrées & arrondies.
Je ne fçache pas qu'il y ait nulle part de Caméleons
auffi - grands que les Crocodiles, comme
Pline le rapporte. Cet Auteur eft plus d'accord
avec l'experience , quand il dit que le
Caméleon n'a point de rate. Ariftote , Theophrafte
, Ambrofinus , Gefner , Bellonius ,
Peirefcius, Jean Laudius , Scaliger, & tous les
autres qui en ont parlé,font d'accord là - deffus .
Mais je crois fort qu'Ambrofinus ne parle
que fur la foi de quelques Païfans , quand il dic
qu'il a toujours la gueule ouverte. Je n'ai pû
parvenir à la voir ouvrir au mien que 2. ou 3 .
fois ; les res, quand j'ai commencé à le mettre
au grand air & au foleil , il l'a ouverte & refermée
à l'inftant , & l'autre quand je l'ai expofé
avec une vipere . Jean Laudius lui donne
une langue longue d'une palme , il faut que
fon Caméleon fut plus grand que le mien , à
moins qu'il ne l'allonge extraordinairement ,
lorfqu'il veut attrapper les mouches , ce que
je n'ai pû voir.
Diiij Il
2230 MERCURE DE FRANCE
Il a le coeur grand comme celui d'un moineau
;fon poûmon eft trés grand à proportion
du corps : fes inteftins font comme ceux du
lézard , courts , n'ayant qu'environ 9. pouces
de longueur ; ils font tant foit peu pliez ou redoublez
, mais ils ne font pas entortillez on
apperçoit du fang dans tout fon corps .
Comme on a crû communément que le Caméleon
ne vivoit que d'air , il faut que ce foit
fur ce préjugé qu'on a dit de l'homme fobre ,
que c'eft un Caméleon , qu'il vit du vent.
Je n'ai trouvé qu'un peu de fang noir dans
les inteftins du male qui eft mort , mais les excrémens
de la femelle m'ont découvert ce qui
compofoit leur nourriture. L'Eſpagnol ayant
vû dans le commencement, quelorfqu'il les expofoit
au foleil , ils étendoient & allongeoient
leur ventre , il s'imagina que le foleil les incommodoit
, il a eu depuis grand foin de les en
éloigner, & dès que je les ai eu , j'y mis la
femelle , je la vis donner quelques marques de
joye ; fa couleur devint plus belle , elle étendit
fon ventre , & je vis bien que c'étoit pour
recevoir plus de chaleur ; elle prenoit même
plaifir à frotter fa tête contre ma main . Le Soleil&
le grand air firent en elle une revolution:
elle vuida d'abord une matiere claire , liquide
& glaireufe , qui fe fécha à l'inftant . Elle fit
enfuite une matiere plus épaifle , un peu plus
groffe qu'une féve de marais ; elle étoit blanche
& couverte d'une peau très- deliée , comme
les excrémens des jeunes oifeaux qui font
dans le nid . Dans cette matiere il y en avoit
une autre de la forme d'une féve d'aricot qui
avoit de la confiftance , & qui étant feche m'a
paru une pierre comme le tuf le moins poreux ,
ou plutôt de la craye de Briançon. J'en ai mis
une partie dans de l'eau , elle s'y eft diffoute .
en
OCTOBRE . 1727. 2231
en laiffant cependant les faiffes Je crûs d'abord,
comme elle étoit pleine , qu'elle alloit pondre.
Elle jetta enfuite une autre maffe de matiere,
de la groffeur d'une mûre , qui me parut d'abord
un fang noir caillé ; mais l'ayant examiné
dans mon cabinet avec une loupe , enfuite
avec un bon microfcope , je n'y ai trouvé que
des excrémens dans lefquels étoient des têtes
& des ailes de mouches, des yeux , des aîles &
des têtes de fauterelles , & de quelques autres
infectes qui reffemblent affez aux aîles du Formicaleo.
Il y avoit quelques particules d'aîles
d'Efcarbot , de jambes de Sauterelles , &
quelques membres d'autres infectes , dont je
ne crois pas qu'on ait en Europe : ainfi me
voilà très- convaincu que le Caméleon mange;
mais qu'il peut fubfifter long- tems fans manger.
Peirefcius dit qu'il mange volontiers les
vers de farine. La femelle avoit fait des petits
à Malaga , qui vêcurent près de 40. jours fans
manger , & qui prirent néanmoins leur croiffance.
Les Caméleons mâle & femelle n'ont qu'un
feul petit trou fous la queue , par où ils fe vuident
& par où ils s'accouplent . Cet acte de
géneration eft un peu long ; le Caméleon ne
montre pas plus de diligence dans fes amours
que dans fes autres actions où il eft d'une pareffe
étonnante , & qui en comparaifon feroit
appeller la Tortue diligente .
La femelle fait des oeufs , ainfi qu'en font
les Lezards & les Tortues : ils font dans le
bas de fon ventre en très - grand nombre , difpolez
en deux grappes , gros comme des pois
jaunâtres , ces grappes enveloppées d'une
membrane.Elle en pond un certain nombre tout
à la fois ; ils tiennent les uns aux autres par un
petit fil , & font comme un colier de perles.
Dy Elle
2232 MERCURE DE FRANCE.
Elle les couve 14. jours : celle que j'ai en a fait
18. dont aucun n'a manqué ils font gros
comme le noïau d'une olive.
La peau du Caméleon eft épaiffe comme
celle de la vipere ; elle eft toute de petits grains
comme le chagrin , avec cette difference que
les grains du veritable chagrin font tous un
un peu couchez , à quoi on le diftingue du
faux , & que les grains du Caméleon ne font
point couchez , excepté ceux qui terminent
l'épine du dos. Cette peau eft couverte d'un
épiderme très - delié , dont le Caméleon fe dépouille
tous les ans comme la Vipere.
Les grains ne font pas tous de la même
groffeur ; ceux qui font fur l'épine du dos font
les plus gros ; ceux qui font fous les cuiffes
font très - fins. Ils font placez fans ordre , excepté
en dedans des pattes qu'ils font par lignes
droites.
"
و
J'ai dépouillé quelques - uns de fes grains
de leur épiderme d'abord après que le Čameléon
a été mort ; ils font devenus plus plats :
apparemment que la matiere qui forme leur
globule est très - fubtile & fe diffipe à l'air ; car
lorfque j'en ai ratiflé quelques - uns , & que je
les ai ouvert de la pointe de mon ſcapel non
feulement ils fe font applatis ,mais ils ont fait
le creux , & il y eft refté une petite tache blan
che , & la peau a paru très -brune & trés- luifante
; mais celle qui n'a point été alterée par
le fcapel , ni dépouillée de fon epiderme eft
devenue d'abord blanchâtre. L'on y diftinguoit
mieux les differentes mouchetures qui
changent lorfqu'il eft vivant : ces mouchetures
font formées chacune d'une certaine quantité
de grains qui ont plus de connexité entre
& j'ai remarqué que quelque couleur
que prenne le Caméleon , ces moucheture
eux ,
prenOCTOBRE
1727 . 2233
prennent toujours cette même couleur plus
forte. Quatre ou . jours après la mort , toute
la peau fut d'un gris clair.
Ses changemens de couleur , lorsqu'il eft
vivant , ont merité l'attention de tous les Naturaliftes
les plus curieux , tant anciens que
modernes. Pour moije rapporterai très fidelement
tous les changemens fenfibles que j'y ai
remarqué.
Lorfqu'il eft en repos , il eft ordinairement
d'un gris bleu ou bleuâtre. Quand il eft gai ,
il devient d'un beau verd d'émeraude , mêlé -
d'orangé quelquefois verdátre , remarques que
la même couleur n'eft jamais generale , il eft
marqueté comme un Léopard. Quand il eft au
Soleil , ce gris brun devient tout- à - fait minime
du côté qu'il eft éclairé le côté oppofé
eft alors d'un fort beau citron tirant ſur le
verd , avec quelques mouchetures de couleur
ifabelle , d'autres bleues , & très - peu de
blanches. Quand il eft en colere , il eit d'un
gris cendré , obfcur & livide ; quand il eſt à
terre & au grand air & qu'il veut marcher
avec moins de lenteur , il eft encore de cebeau
citron. Il a quelquefois des mouchetures qui
tirent fur le rouge , mais peu. Dans la crainte
il eft pâle & d'un jaune effacé : quelquefois
toutes ces couleurs & plufieurs autres fe confondent
enfemble , & alors il fait un fi beau
mélange d'ombre & de lumiere, qu'on ne voit
point de plus belles nuances .

Tous ces differens changemens ont été produits
par fes paffions fans le fecours d'aucun
objet prefenté.
Il est bien vrai auffi que quelquefois il a
pris la couleur de l'objet qu'on lui a prefenté ;
je l'ai vu quelquefois d'une couleur approchante
du minime , mais avec les mouchetu-
Dvj res
2234 MERCURE DE FRANCE .
res , couleur de maron fur mon habit . J'ai
rangé fur un tapis verd des pieces d'étoffe de
differentes couleurs , il n'en a pas pris les couleurs
abfolument , mais il avoit quelque chofe
qui en tenoit dans fes mouchetures . Après
avoir pris fur mon bureau une couleur verdatre
, il a paffé fur mon papier blanc fans changer
de couleur. Il prend quelquefois des couleurs
qu'il ne voit point autour de lui ; mais
il ne prend pas celle qu'on lui oppoſe quand il
re la voit pas , ce que j'ai éprouvé , en lui bouchant
les yeux. ,
Ses mouchetures font difpofées avec une
efpece de fymetrie ; il y en a au haut des côtes
7. de chaque côté à 4. lignes ou environ de
diftance l'une de l'autre , & 6. lignes au deffous
de l'épine du dos. Il a une raie au bas du
entre qui eft fouvent fort blanche . Le chanement
de fituation de celui qui regarde , n'en
fait point dans fes couleurs.
Les fentimens font partagez fur la caufe de
ce changement de couleurs Senecque veut
qu'il fe faffe par fuffufion ; Solin prétend que
c'est par réflexion , & les Cartéfiens foutiennent
que c'eft par la difpofition des particules
qui compofent fa peau.
Tous ces changemens de couleur , la faculté
de vivre fi long- temps fans manger , & plufieurs
autres proprieteż , ont rendu le Cameléon
fameux. Ses changemens dont on a crû
que l'objet qu'on lui prefente étoit la caufe ,
Fon fait donner auffi pour le fymbole d'un
homme qui change d'avis , de réfolution ou
de parti , felon fes interêts.
La Fontaine dit que les gens de Cour font
des Caméleons . Tertullien fait des réflexions
très-férieufes , fur le Caméleon ; il le propofe
comme le fymbole des fanfarons & des trompeurs
OCTOBRE . 1727. 22 35
On a remarqué fans doute dans le Caméleon
quelque chofe de bien fingulier qui a donné
occafion à toutes les fuperftitions qu'on nous
rapporte des anciens à fon fujet . Ils ont dit
que quand on lui arrachoit la langue lorfqu'il
eft en vie , elle fervoit à faire gagner le procés
de celui qui la portoit fur foi ; qu'en brûlant
fa tête & fon gofier fur du bois de chêne , on
en rotiffant fon foye fur une thuile rouge , on
faifoit tonner & pleuvoir ; que l'oeil droit arraché
à un Caméleon vivant , ôtoit les tayes ;
que fa langue attachée fur une femme enceinte
, la faifoit accoucher heureufement ; que
pour n'avoir point peur , il falloit porter fur
foi la mâchoire droite d'un Cameleon ; que fa
queue arrêtoit les Rivieres.
Les Naturaliftes n'en ont pas dit des chofes
moins fabuleufes que les Poëtes . Pline rapporte
que Démocrite fit un Livre entier des
fuperftitions des Anciens fur le Cameléon.
On a fait au Caméleon l'honneur de le placer
parmi les 12. Conftellations Auftrales qui
ont été obfervées depuis les grandes navigations.
Jonfton,Polin , Elian , Gefner . Aldrovandus &
plufieurs autres difent qu'il y a une grande antipathie
entre le Caméleon & l'Eprevier , l'Elej
hant , la Vipere , le Corbeau's que fi l'Éprevier
ou le Corbeau mangent de fa chair ,
ils en meurent.
Il y en a qui difent que pour fe défendre des
ferpens & des viperes , le Caméleon tient dans
fa gueule un féru ou une paille. D'autres rap-
'portent que pour ſe défendre des viperes , il
monte fur un arbre , que de là il jette fur la
vipere qui l'attend au deffous une espece de
bave , dont elle meurt.
·
I'ai fort queftionné mon Efpagnollà deffuss
2236 MERCURE DE FRANCE .
il m'a affuré que les Maures regardent le Caméleon
comme propre contre les bêtes venimeufes
qu'ils en ont tous dans leurs maiſons,
& que lorfqu'ils vont en voyage , ils en portent
ordinairement un , ou fur la main ou fur
la tête , attaché à un fil.
Tout cela m'a porté à faire une experience
qui m'a fort amufé . J'ai cherché une Vipere ;
j'ai mis les deux animaux l'un devant l'autre, &
j'ai remarqué très - fenfiblement tous les fignes
de la peur dans la vipere , & ceux de la colere
dans le Caméleon. La vipere a fifflé & s'elt
élancée contre le Caméleon , fans pourtant le
toucher), elle lançoit fon dard ou aiguillon : le
Caméleon qui étoit alors d'un gris obfcur ,
n'a fait qu'ouvrir la gueule fort grande , &
n'a fait aucune démonftration de vouloir fuir.
A mefure qu'il s'approchoit de la vipere , elle
s'élançoit toujours de la moitié du corps , mais
quand elle a vu qu'elle ne pouyoit fuir , elle
s'eft entortillée en elle- même , & ne montroit
que la tête haute , fans quitter de vûë le Caméleon.
Je pris le Caméleon dans ma main
& le tins perpendiculairement fur la vipere ,
pour voir s'il jetteroit fa bave , mais il n'en
jetta point , il étoit alors plus froid qu'à fon ordinaire.
Je pris la vipere de l'autre main , &
je l'approchai du Caméleon : elle fe mit encore
à fifler , & cherchoit plutôt à fe garder de
lui , qu'à fe redreffer contre ma main ; elle
étoit auffi extrêmement froide. Je la remis à
terre , & lui préfentai un Caméleon mort ; elle
ne fiffla plus , ni ne s'élança , mais elle fit tout
ce qu'elle pût pour fuir. Pendant toute cette
épreuve le Caméleon n'a point changé de couleur
, & n'a point pris l'impreffion des couleurs
des autres objets qui l'environnoient , &
des robbes des Dames curieufes qui virent avec
plaifir cette experience. Le
OCTOBRE. 1727. 2237
Le Caméleon a toûjours été d'une lenteur
infinie & d'une pareffe à m'impatienter dans
toutes fes actions. L'on ne peut cependant pas
dire que ce foit la râte qui le rend fi pefant ;
pour moije crois que la nature a voulu faire
du Caméleon le vrai fymbole d'un parelfeux.
Les Chiens , fur- tout les grands en ont peur,
& fuyent. L'Espagnol m'a dit que les Chats en
faifoient de même ; mais j'ai vu des Chats , qui
loin d'en avoir peur , l'ont approché, & il y en
a un qui l'a flairé affez long- tems ,& qui n'en
a point été épouvanté .
Il n'y a point de difference exterieure du
mále à la femelle : M. Lemery dit que le Caméleon
contient , comme le Lezard , beaucoup
d'huile , de phlegme & de fel volatil , il dit encore
qu'il eft bon à manger cuit , & un voyageur
de la Cochinchine , dit que les Habitans
de ce pays- là en mangent. Je trouve que pour
la chair & les arêtes , il tient fort du poiffon.
Je lui crois le fang froid , & même plus froid
que celui de la Tortue ; car pour peu qu'il y
eut de chaleur dans fon fang , il y auroit moins
de pareffe dans fes mouvemens.
Si on le met dans l'eau , il va au fond , & ne
nage pas. Sa peau eft très froide ; & lorfque
je le tenois d'une main , & la vipere de l'autre
, il étoit froid & fans aucune émotion fenfible
, ni palpitation , & la vipere étoit moins
froide , mais elle trembloit.
La plupart des Auteurs donnent au Caméleon
dans la Medecine bien des proprietez
pour la goûte , l'epilepfie , la mémoire , les accidens
dans les accouchemens. Il faut que les
Medecins Efpagnols lui connoiffent auffi quelques
proprietez : un des plus habiles de Saragoffe
en demanda un à mon Efpagnol qu'il
VOU2238
MERCURE DE FRANCE.

vouloit avoir vivant pour guerir une femme
d'une furdité.
Comme il y a tant d'animaux qui craignent
le Caméleon , apparemment qu'il en
craint auffi quelques - uns . On dit que fon plus
grand ennemi eff la Mangoufte , qu'il en eft'
tellement effrayé , qu'à fon approche il s'applatit
tout d'un coup , & tombe en défaillance .
Je viens d'obferver à ce moment que la femelle
qui me paroît languiffante , ne prend
plus fi-bien ces belles couleurs que je lui ai
vû quelquefois , quoique fa peau foit toujours
la même.
Les Verfions Grecques & S.Jerôme qui traduifent
le mot Coach , par Caméleon , difent
qu'il eft vif & courageux, & que fon nom Hebreux
fignifie force. Pour moi je n'ai pas vû.
d'autres preuves de fa force, que de tenir tout
fon corps fufpendu par le bout de fa queuë ;
il s'en ert même pour defcendre des arbres.
Les mêmes Hebreux & S. Jerôme difent
que Thinfemeth eft une taupe , & Bochart prétend
que c'eft le Caméleon ; mais il ajoûte que
le Caméleon eft une espece de Lézard , qui
a toujours la bouche ouverte pour refpirer ,
ce qui a donné occafion de dire qu'il vit de l'air,
& que fon nom Hebreu eft tiré de- là. Apparemment
que le Caméleon dont parle Bochart,
eft d'une espece differente du mien & de tous
ceux fur lesquels nos Modernes ont travaillé.
Ne feroit- ce point quelqu'un de ceux de Pline
, qui font gros comme des Crocodiles ? cependant
comme Ambrofinus dit auffi qu'il
tient toujours la gueule ouverte je croirois
qu'il peut y en avoir de plufieurs fortes . Johfton
en décrit de trois efpeces ; des noirs , des
pâles , & de ceux qui varient. Il peint les noirs
avec des oreilles." Voilà ,
OCTOBRE 1727. 2239
Voilà , Monfieur , tout ce que j'ai pû obferver
fur la nature d'un animal qui a paru curieux
à tous les Sçavans, ¡Je fouhaite que mes Obfervations
vous ayent fait quelque plaifir : vous
pouvez vous y fier comme à la verité même.
A l'égard de leur nouveauté je n'oferois en répondre.
Je fuis , Monfieur , & c.
శ్రీ శ్రీ శ్రీ
3398
EPITH ALAM E.
Effez tous vos débats , Dieu d'Hymen,
Dieu d'Amour ,
Pour rendre heureux deux coeurs , joignez
votre puiffance ;
De deux jeunes Amans , couronnez dans ce
jour
Et la tendreffe & la conftance .

Si l'amour le plus doux n'a l'Hymen pour
objet ,
La vertu tôt ou tard le contraint à fe taire.
Sans le Dieu de l'Amour , l'Hymen le plus
parfait
N'a pas long- tems le droit de plaire.
Déja ces Dieux unis infpirent dans les coeurs
Les tendres mouvemens de la plus vive flamme
,
Ec
2240 MERCURE DE FRANCE :
Et les Amans charmez reffentent les douceurs
Dont l'Hymen va combler leur ame.
Le Temple du Dieu s'ouvre , allez, heureux
Amans ,
Vous jurer l'un à l'autre une ardeur éternelle ,
C'en eft fait , ce Dieu, garant de vos fermens,
Confirme une union fi belle.
Ne craignez déformais aucun revers fâcheux,
Dans ce jour fortuné tout vous eft favorable :
Et l'Hymen & l'Amour , en refferrant vos
noeuds .
Vous offrent un bonheur durable.
Satisfait l'un de l'autre , en mille doux plaifirs
,
Paffez tous les momens que l'Hymen vous
préfente ;
Goûtez - en les douceurs , qu'au gré de vos defirs
.
L'amour lui-même les augmente.
Que tardez - vous , époux ? l'époufe vous at
tend ;
Ses
OCTOBRE 1727 2241
Ses compagnes déja veulent s'éloigner d'elle
L'Hymen eft feul témoin , déja même on l'entend
Qui la prépare & vous appelle.
O Dieux , quelle victoire ! & quel combat
nouveau !
Quels plaifirs redoublez ! quelle ardeur les ranime
!
Ceffez , Mufes , ceffez , & tirez le rideau ,
Sur le Prêtre & fur la Victime.
Contentez -vous ici de faire au Ciel des
voeux
Pour ces heureux Amans que l'Hymen joint
enfemble,
Avant l'an revolu , puiffe- t-il naître d'eux
Aimable fils qui leur reffemble.
Puiffent ces deux Epoux être toujours
amans ,
Puiffent-ils voir couler de nombreuſes années,
Puiffe lejufte Ciel, pour eux ,pour leurs enfans ,
Les rendre toujours fortunées .
E. M. D. D. L. Solitaire des bords
de la Marne.
AFFAIRES
2242 MERCURE DE FRANCE .
AFFAIRES DU PALAIS .
DISPOSITIF de l'Arrêt obtenu
par le Baron de Simeoni , ci - devant Envoyé
Extraordinaire de l'Electeur de
Cologne , contre Henriette Melin , femme
d'Herbot de Beiffelle , & Marianne
Melin,fa four , femme de Taffart, tous
Liegeois
N
Otre Cour , fans s'arrêter aux Requêtes
& demandes des Parties de
Mannoury , dont elles font déboutées ,
met l'appellation , & ce dont eft Appel
au néant ; émandant , évoque le principal
; y faifant droit , fait défenfes à Henriette
Melin , femme d'Herbot Beiffelle
de Liege , l'une des Parties de Mannourry
, de prendre à l'avenir la qualité de
fille naturelle du Baron de Simeoni . Fait
pareilles défenfes à toutes les Parties de
Mannourry , de fe fervir à l'avenir des
injures qu'ils ont proferées contre l'honneur
& la réputation des Parties de Pommier
, à peine de punition exemplaire :
les condamne en trois livres d'aumône folidairement
, & en tous les dépens , tant
des Caufes principales que de l'Appel ,
fauf
OCTOBRE . 1727 ° 2243
fauf aux Parties de Mannourry à fe pourvoir
contre Bolduc & la nommée le Comte
, ainfi qu'ils aviferont bon être , défenfes
refervées au contraire . Si mandons
& c. Donné le 9. Août 1727 .
ARREST de la Grand- Chambre du
Parlement de Paris , rendu fur une
question finguliere.
B
FAIT.
Arthelemy , fils de Pierre Bourgelat,
& d'Hieronyme Caprioli , élevé dès
fon enfance dans la maifon de fon pere ,
n'avoit effuyé aucune contradiction fur
fon état de fils legitime , jufqu'à l'âge de
34. ans.
Après le decès de fon pere , qui avoit
eu des enfans du fecond lit , il fe preſenta
pour partager avec eux la fucceffion ;
fes freres refuferent de le reconnoître .
Barthelemy mort avant la décifion de
la conteftation , laiffe fa femme fon heritiere
, elle reprend l'Inftance pendante en
la Sénéchauffée de Lyon. Les enfans réuffiffent
; la Veuve appelle de la Sentence .
Ses Moyens , plaidez par M. Cochin ,
étoient la poffeffion publique & l'antiquité
de l'état de fils legitime de Pierre Bourgelat
, en la perfonne de fon mary : elle
fou,
2244 MERCURE DE FRANCE .
foûtenoit cette poffeffion fuffifante
affurer l'état d'un enfant .
pour
Elle rapportoit pour preuve l'Extrait
Baptiftaire de fon mary , figné du Pere
dans lequel il eft qualifié de fils legitime
. Les foins que le Pere avoit pris de
l'éducation & de l'inftruction de ce fils
qu'il avoit deftiné au commerce , après
lui avoir fait achever fes études ; des lettres
du Pere , dans lesquelles il étoit traité
de fils , & de fils unique ; qu'un autre
enfant provenu du même mariage , & decedé
en bas âge , avoit reçû des marques
d'une tendreffe égale , il avoit été enterré
avec pompe , en qualité de fils legitime ;
on rapportoit l'Extrait Mortuaire , que
la MereHieronyme Caprioli avoit été connuë
& toujours regardée dans Lyon pour
femme legitime de Pierre Bourgelat . On
ajoûtoit que fi l'acte de célébration de
Mariage ne fe trouvoit pas , c'eft que le
Pere de fon Mary , dont le fecond mariage
avoit réfroidi l'affection à fon égard .
avoit negligé , ou peut- être affe &té de ne.
- lui en donner aucune connoiffance ; que
la célébration du fecond Mariage étoit fur
une feuille volante , qu'on pouvoit n'avoir
pas apporté plus de précaution pour
le premier ; la fouftraction ou la perte de
cette feüllle le mettoit hors d'état de rapporter
cet Actes enfin qu'une poffeffion
de
OCTOBRE. 1727 . 2245
de 34. années étoit une raifon bien preffante
de décider en fa faveur , fans oublier
les fâcheufes confequences de ne point
l'admettre pour fils legitime.
M. le Normand plaidant pour le Tuteur
des enfans du fecond mariage , fit valoir
le principe , que le feul mariage peut
donner la legitimité ; qu'il n'y avoit point
de mariage fans célébration ; qu'il falloit
en rapporter l'Acte , que bien loin de le
faire paroître , on n'en fçavoit ni le lieu
ni aucune circonftance ; que l'Extrait Bap
tiftaire , dans lequel la fignature du Pere
étoit même foupçonnée , ne fuffifoit pas ;
que le Pere en donnant à fon fils une
éducation convenable , avoit fatisfait au
devoir que la nature exige ; mais que fi
l'état d'un enfant dépendoit de la tendreffe
&t de l'affection d'un Pere , fon indifference
pour ce fils , la modicité de la
penfion de 400. livres qu'il lui a donnée
pour fes alimens , faifoit voir avec
certitude , qu'il ne l'a regardé que comme
fon fils naturel.
L'Avocat de la Veuve répondoit , que
l'adreffe de la feconde femme jointe aux
petits fujets de chagrin que la jeuneffe du
fils caufoit à fon Pere ,l'avoient indiſpofé
à fon égard , qu'il n'en falloit pas chercher
d'autres cauſes .
Par Arrêt du 10. Juin 1727. rendu
fur
2246 MERCURE DE FRANCE.
fur les Conclufions de M. l'Avocat General
Gilbert , la Sentence du Sénéchal de
Lyon fut infirmée , & la Veuve fut admife
à la preuve.
CIRCONSTANCES fingulieres
du Procès d'entre le Sieur Rapalli , &
là Demoiselle de Lorme , jugé à l'Offi
cialité Sentence rendue le 6. Seppar
tembre dernier.
L
ADemoiſelle de Lorme, fille du Sieur
de Lorme , Commiffaire aux Revûës
d'Arc en Barrois , née le 15. Octobre
1709. perdit fon pere , n'étant âgée que
de cinq ans , & a demeurée en differens
Convens jufqu'à fa quatorziéme année .
En 1716. la Dame Parifel fa mere , fe
remaria au Sieur Dupin , qui a chéri &
affectionné cette jeune fille , comme auroit
fait unbon & veritable pere . Il n'a
rien eu de plus à coeur , que de la marier
avantageulement. Après plufieurs partis
qui furent refufez , il s'en préfenta un qui
fut agréé ce fut le feur Rapalli , Tréforier
de France , jouiffant actuellement
de quarante cinq mille livres de rente
& auquel on compte que fes pere & mere
laifferont encore trente mille livres de
rente à recueillir dans leurs fucceffions.
Le fieur Rapalli , par l'entremiſe du fieur

"
de
OCTOBRE . 1727. 2247.
de Batiffe , fon ami , fit propofer à la Dame
Dupin , que fi elle vouloit lui a corder
fa fille , il lui feroit par le contrat de
mariage une donation de tout fon bien.
Cette propofition plût aux Sieur& Dame
Dupin. Enfuite le fieur Rapalli trouva
moyen d'avoir une entrevûe avec la Demoiſelle
de Lorme fans fe faire connoître
d'elle . Il alla trouver le fieur de Batiffe
fon ami , qui a une Maiſon de Campagne
à Boulogne ; de là ils allerent enſemble à
S. Cloud chez le fieur Dupin ; & afin que
la Demoiſelle de Lorme ne fe doutât de
rien , il fe fit appeller du nom de la Gran-·
ge ; il prit la qualité de Medecin , ſe diſant
même marié, & avoir deux enfans ; mais
vers la fin du mois d'Août 1726. la Dame
Dupin expliqua tout le myſtere à ſa
fille , & lui dit de quoi il étoit queſtion .
La Demoiſelle de Lorme , également furprife
& affligée , fit paroître une extrême
repugnance à ce mariage . Elle ne put fe
rendre aux remontrances de fa mere , qui
lui reprefenta , que n'ayant pas de bien
du chef de fon pere , elle devoit attendre
fon établiffement de la bonté du fieur Dupin
fon beau - pere , & ne pas l'indi pofer
contre elle , en refufant d'acquiefcer à
Les bonnes intentions ; que ce mariage ne
pouvoit qu'être très- avantageux , non
feulement parce que le fieur Dupin ne
E cefferoit
2248 MERCURE DE FRANCE .
cefferoit de lui tenir lieu de pere & de la
combler de toutes fortes de bienfaits
mais encore parce que le fieur Rapalli qui
la recherchoit , lui feroit un douaire de
fix mille livres , & une donation univerfelle
. La Dame Dupin n'ayant rien pû gagner
fur l'efprit de fa fille , le fieur Dupin
vint à la charge. Il effaya d'abord de réiiffir
pár amitié & par douceur ; enfuite il
la menaça , que fi elle perfiftoit dans fon
obftination , il l'enfermeroit dans un Convent
& l'abandonneroit pour jamais . La
Demoiselle de Lorme confternée de plus
en plus , & fondante en larmes , fupplia
fon beau pere de ne pas la rendre éternellement
malheureufe , & de vouloir
bien permettre qu'elle profitât de l'obligation
qu'il s'étoit impofée par fon Contrat
de mariage , d'entretenir juſqu'à l'âge
de vingt ans les enfans du premier
lit. Le fieur Dupin crut qu'il n'y avoit
pas d'autre expedient que de brufquer la
chofe , & de conclure. Il revint de Saint
Cloud à Paris pour examiner le projet
des articles du contrat de mariage , dont
il avoit genereuſement laiffé le foin au
hieur Rapalli.
Pour parvenir plus facilement à la palfation
du Contrat & à la célébration du
mariage , & afin de n'être point traverlé
par les parens de la Demoifelle de Lorme,
le
UDKE. 1727. 2249
fieur Dupin fit courir le bruit dans la famille
, qu'il avoit refolu de vendre tous.
fes immeubles , fi on réfiftoit à fes volontez
, qu'il venoit de vendre fa Maifon de
Paris au fieur Rapalli , ( toujours fur le
nom de la Grange ) & qu'il alloit pareillement
lui vendre celle de Saint Cloud.
Il fit venir deux Notaires à Saint Cloud ,
l'un fous la fauffe qualité d'Architecte
pour vifiter , difoit - il , la Maifon qu'il a
dans ce lieu , & l'autre fous fa vraie qualité
de Notaire , pour paffer le contrat de
vente de cette maifon. Le moment de figner
le Contrat de mariage étant arrivé , le
fieur de Batiffe qui conduifoit toute l'intrigue
, alla trouver la Demoifelle de Lor-,
me dans fa chambre ; il lui étalla de nouveau
les richeffes du fieur Rapalli . Elle
venoit de la chambre du fieur Abbé de
Bremond , Prêtre & Precepteur de fes
freres , où elle avoit réïteré fes plaintes
fur la contrainte qu'on lui impofoit . Cette
nouvelle attaque du fieur de Batiffe la dé- /-
fefpera ; elle refufa long-tems de fortir
de fa chambre pour aller dans celle où le
Contrat étoit préparé. Elle n'eut pas de
peine à réfifter au fieur de Batiffe , mais
elle ne put tenir contre la mere & contre
fon beau -pere. On lui prefenta la plume
pour figner , elle fit de nouveaux efforts
pour s'en défendre ; enfin intimidée par
Eij la
2250 MERC RE DE FRANCE .
la préfence & les difcours de ceux à qui
elle étoit dans l'habitude d'obéir , elle
mit d'une main tremblante fa fignature
au bas du Contrat , & cela fut fait le
5. Septembre 1726. après quoi on lui
laiffa quatre jours d'intervalle , pour calmer
fes agitations . Elle avoit pour Confeffeur
ordinaire un Capucin qui connoiffoit
fa famille ; on appréhenda , que fi à
l'occafion de la Fête de la Nativité de la
Vierge , elle alloit à confeffe à lui , elle
ne lui exposât les peines , & que le Confaffeur
ne s'employât pour y remedier , fa
mere la mena à un Confeffeur extraordinaire
, qui étoit le Provincial des Jacobins
, avec défenſes de l'informer de
fon mariage. La Demoiſelle de Lorme
n'ofa contrevenir à des ordres qu'elle
avoit toujours refpecté , & effectivement
elle fe confeffa fans parler de cet article .
Alors la mere fe fit donner par ce Confeffeur
un certificat de la confeffion faite par
fa fille , au moyen de quoi cette confeffion
tînt lieu de celle qu'on fait avant de
fe marier. Le 9. Septembre , la Demoifelle
de Lorme fut conduite de Saint Cloud
à Paris , pour la cérémonie des Fiançailles
qui fut faite auffi fecretement que l'avoit
été le Contrat de mariage. On ne fe fervit
point des caroffes du fieur Dupin , ni de
ceux d'aucun parent , ou prit des caroffes
de
OCTOBRE. 1727. 2251
de remife ; on affecta même de ne mener
aucun Domestique de la Mailon , & auffitôt
après la cérémonie , au lieu de rame
ner la fiancée chez elle , comme il eft
d'ufage , on la mena dans le jardin d'un
Traiteur , au Fauxbourg Saint Denis , de
peur que fi on l'eut perduë de vûë , elle
n'eut trouvé moyen d'échapper à la contrainte
: ce fut dans ce jardin, où malgré
l'envie qu'on avoit de faire diverfion
à fa douleur par l'enjouement du rẹ-
pas, elle ne ceffa de pleurer ; bien plus, en
prefence de tous les affiftans , elle fe jetta
aux pieds de fon beau- pere & de fa mere,
les conjurant de ne pas la marier à un
homme qu'elle avoit en horreur ; & pour
ne les point trop irriter en leur propofant
de rompre abfolument l'affaire , elle leur
demanda en grace d'en retarder au moins
la conclufion de huit jours. La mere parut
fenfible à cette priere ; le fieur de Batiffe
ne défapprouva point ce court délai , le
fieur Dupin lui- même fut ébranlé ; mais
un autre de la compagnie trouva qu'il y
auroit de la foibleffe à ceder , & du péril
à differer . Ce dernier avis fit reprendre au
fieur Dupin fa premiere réfolution , & il
réitera fes menaces , d'enfermer dès le lendemain
la Demoiſelle de Lorme dans un
Convent , & de l'abandonner pour tou
jours , fi elle n'époufoit le fieur Rapalli.
E iij On iija·
2252 MERCURE DE FRANCE .
A
"
On partit de chez le Traiteur , comme on
y étoit venu , fans Domeftiques , fans Parens
, & dans les mêmes Caroffes de louage
; on arriva à Saint Euftache fur les
quatre heures du matin ; on eut foin de
faire tenir les portes de l'Eglife fermées
pendant la cérémonie , afin que le hazard
ne fit trouver quelques témoins de la violence.
Quand le Prêtre demanda à la Demoifelle
de Lorme , fi elle prenoit le fieur
Rapalli pour époux , elle répondit Non
& d'une voix affez haute pour être entenduë.
A ce mot , lebeau- pere indigné ,
dit à la Demoiſelle de Lorme , en s'ap
prochant d'elle , dis donc oui ; à quoi elle
ne repliqua que par un profond filence
qui fembloit confirmer fa premiere réponfe.
Cependant , foit que le Célebrant n'ait
pû fe perfuader qu'elle fut venue à l'Eglife
pour faire une telle réponſe , foit qu'il
ait crû entendre ce qu'il fuppofoit qu'elle
devoit dire , il acheva les autres cérémonies
du mariage. Un autre fait , c'est que
la Demoifelle de Lorme fe trouva mal, &
fut obligée de s'affeoir pendant la Meffe .
Auffi- tôt que la cérémonie fut finie , elle
voulut fortir de l'Eglife pour éviter de figner
l'acte de célébration ; mais on courut
après elle , & à force d'inftances & de
menaces , on extorqua fa fignature . Enfuite
on lui fit reprendre le chemin de
Saint
·

OCTOBRE. 1727. 2253
Saint Cloud dans les mêmes caroffes de
louage , & fans aucuns Domeftiques , ni
aucuns parens . Ce ne fut qu'à fon arrivée
en ce lieu qu'on y publia fon mariage . La
Demoiſelle de Lorme , loin d'en recevoit
des complimens , ne ceffa de dire que tout
ce qu'elle avoit fait , n'étoit que par force
& par contrainte. Elle commença par
s'enfermer dans fa chambre , & fe coucha
feule dans fon lit ordinaire : on la
laiffa dans fa folitude pendant quelques
heures , fous pretexte qu'elle n'avoit point
dormi la nuit précedente ; mais elle ne
paffa ce tems qu'en pleurs & en gemiffemens.
L'heure du dîner étant venuë , on
la tira de fa chambre , 8 on la força de fe
mettre à table avec la Compagnie ; elle ne
mangeapoint pendant tout le tems du repas,&
quelque foin qu'on prit de l'égaïer,
elle ne fortit pas un inftant de l'accablement
de trifteffe où ſa ſituation l'avoit jettée
. On fondoit de grandes efperances fur
la nuit ; mais avant la fin du fouper , elle
le déroba à la Compagnie , & retourna
s'enfermer dans fa chambre , pour fe coucher
dans fon lit ordinaire . Sa mere y courut
& la trouva plus affligée que jamais ;
en vain elle lui reprefenta qu'il falloit le
faire honneur d'une chofe à laquelle il
n'y avoit point de remede ; qu'elle ne devoit
plus être occupée que du foin de
E iiij plaire
2254 MERCURE DE FRANCE .
plaire au fieur Rapalli , & que ce feroit
l'idifpofer à jamais contre elle , que de
lui refufer ce que les maris ont droit d'atrendre
de leurs femmes . Ce difcours ne fit
qu'augmenter la douleur de la Demoiſelle
de Lorme . Sa mere l'arracha par force de
fa chambre , pour la mener dans celle qui
étoit deftinée au fieur Rapalli , & fur le
champ , aidée de deux femmes de chambre
,elle la déshabilla & la mit dans le lit.
A peine la Demoiſelle de Lorme fut- elle
avec lui , que la feule crainte de fes approches
l'obligea de dire qu'elle fe trouvoit
mal. 11 fe leva auffi- tôt pour lui donner
de l'eau de Méliffe ; mais elle demeura
évanouie très - long- temps , & le feul ſecours
qu'elle lui demanda , fut de vouloir
s'éloigner d'elle. Le lendemain elle fe refugia
dans la chambre de fes freres , &
confia de nouveau fes peines au fieur Abbé
de Bremond leur Précepteur. La mere
& le beau- pere ne perdirent pas courage ;
ils la firent coucher cinq nuits , en differens
tems , avec le fieur Rapalli , comptant
toûjours fur le pouvoir du temps &
de l'habitude ; mais ces nuits ne furent
pour elle qu'un tems de fupplice & de défefpoir
; tantôt aux moindres inftances du
fieur Rapalli , elle fe jettoit précipitamment
fur le parquét , & l'arrofoit de fes
larmes tantôt effrayée d'un poignard
qu'elle
OCTOBRE . 1727. 2255
qu'elle avoit apperçû fous le chevet du lit,
& dont le fieur Rapalli l'avoit menacée
plufieurs fois, elle craignoit à chaque inftant
une fin tragique , quelquefois elle
s'adreffoit à fa mere & à fon beau-pere ,
qui croyoient ne devoir pas entrer dans
fes peines , pour l'accoûtuiner à les vaincre.
Le fieur Rapalli dit au fieur Abbé de
Bremond', que fi une fois il la tenoit à Paris
dans fa Maiſon , il fçauroit bien la réduire
& la punir de fa réfiftance & de fes
plaintes. Le beau- pere l'y attira deux fois
par une espece de furprife ; mais comme
elle étoit en compagnie , & qu'on appréhendoit
l'éclat , on ne voulut pas lui faire
violence pour y refter. Le Geur Rapalli ,
piqué de l'obftination du refus de la Demoifelle
de Lorme , lui fit faire une fommation
de venir chez lui. La Demoifelle
de Lorme répondit qu'elle ne pouvoit &
ne devoit point y aller , & qu'elle en ex- "
pliqueroit les railons en tems & licu . Elle
a enfuite procedé en l'Officialité , pour
faire déclarer fon Mariage nul , comme
fait par force & pat contrainte , de la maniere
qu'on vient de dire .
De la part du fieur Rapalli , pour réfu
ter tous ces faits qui lui étoient objectez ,
on a foûtenu que ce n'étoit qu'une hiftoire
faite après coup , que la Demoiſelle
E v
de
2256 MERCURE DE FRANCE .
de Lorme n'a point été contrainte avant le
mariage , & même que depuis le mariage
elle a prouvé pat plufieurs circonftances
la liberté de fon confentement ; qu'avant
le mariage elle a donné des marques de
joye & de fatisfaction ; qu'elle a joué de
la baffe de viole lejour de la fignature du
Contrat , qu'il y a eu des promenades , de
la fymphonie , & un grand fouper ; que
les plaifirs fe font fuccedé les uns aux autrés
, qu'elle a paru à la cérémonie des
fiançailles , avec toute la parure d'une
Jeune perfonne très - contente ? qu'elle
avoit même des diamans ; que dans l'intervale
qui s'eft écoulé entre la fignature
du Contrat & les Fiançailles , elle s'étoit
préparée à la Benediction Nuptiale par la
Confeffion , fans avoir confié fes peines à
fon Confeffeur ; & fans avoir tâché de
l'engager à détourner fa mere & fon beaupere
d'un mariage auquel elle dit n'avoir
point donné fon confentement , qu'elle
convient que pendant la cérémonie de la
célébration , elle a tenu fa main dans celle
du fieur Rapalli , qu'il lui mit l'anneau
au doigt , & une piece d'or dans la main ,
qu'étant fortie de la Chapelle , fans avoir
figné l'Acte de célébration , le fieur de Batiffe
courut après elle pour lui dire qu'il
falloit figner , qu'elle retourna auffi - tôt
fur fes pas , rentra dans la Chapelle & figna
OCTOBRE. 1727. 2257
gna ; que le même jour étant retournée à
Saint Cloud , elle danfa avec la Compagnie
dans la maifon du fieur Dupin fon
beau- pere que le fieur Rapalli a paffé
plufieurs nuits avec elle , & que quelques
jours après ayant été obligé de venir à Paris
pour les affaires , elle lui écrivit une
lettre qui ne laiffe pas douter qu'elle ne
fut fatisfaite de ſon état .
Le procès de M. Rapalli , Banquier, Genois
, établi à Paris , contre la Demoiſelle
de Lorme fon épouſe, dont on vient de parler,
fut jugé le 6. Septembre à l'Officialité.
M. lfoy , Promoteur , y parla avec beaucoup
d'éloquence , & conclut en faveur
du Mary , qui a gagné fon Procès avec
dépens. La Demoifelle de Lorme qui demandoit
la caffation de fon Mariage , en
a appellé à la Primatie de Lyon.
海宁海
PREMIERE ENIGME.
Quoique je Uoique je fois très - redoutable ,
Tout le monde,à l'envi ,me donne de l'emploi:
Je fers au lit comme à la table ,
Je fuis d'un commerce agréable ,
Quandon met la regle chez moy ;
E vj Mais
2258 MERCURE DE FRANCE
Mais trop de liberté me rendant intraitable s
Je fais par tout regner l'effroy.
Pour la difcretion il ne s'en trouve guere ,
Qu'à la mienne on puiſſe égaler :
Billet , lettre importante , ou d'amour ou d'affaire
,
Qu'on m'en faffe dépofitaire ,
Jamais on n'en entend parler.
SECONDE ENIG ME..
S
bras,
Irréguliere
en ma figure
,
Ans efprit , fans raiſon , ſans jambes & fans
Je regle tout le monde avec ordre & mefure ,
Etje fais voir en moi tout ce qu'on ne voit pas
Malgré mon ignorance extrême ,
Je partage les Droits de tous les Souverains ,
De leurs égaremens je tire les humains ,
·
Et puis , fans autre ftratagême ,
Que quelques regards incertains ,
Je fçai les égarer de même.
Lecteur , qui me cherchez , apprenez que je
puis
Donner à votre efprit des lumieres parfaites ;
Peut-être avez-vous peine à fçavoir qui je fuis:
Mais je fçai fort bien où vous êtes .
TROL
4
OCTOBRE . 1727: 2259
TROISIE' ME ENIGME.
Quoiquede bizare figure ,
Et que je fois fans pied , fans main ,
Je vais pourtant mon droit chemin ,
Et toujours lentement , la marche en eft plus
fure.
On diroit aujourd'hui qu'on eſt à la torture
Quand on s'engage fous mes loix ;
Cependant on fçait qu'autrefois ,
J'eus le bonheur d'être cherie
Des plus fameux Vainqueurs , des Confuls , &
des Rois ,
Qui préferoient ma compagnie.
Aux honneurs du Triomphe ; & des plus.
grands. Emplois ..
D Mais chaque âge a fon tems , felon le drap
ל כ
la Robe i
Ce qu'un tems a de trop ,
robe ,
un autre le dé-
Et ce fiecle n'eft pas fort rempli d'équité.
Paffons à ma naiffance ; elle eft des plus illuftres
;
Pour pouvoir remonter à fon ancienneté ,
Il faudroit bien nombrer des luftres ,
Mais je ne prétends pas en tirer vanité :
Je
2260 MERCURE DE FRANCE .
Je la laiffe à ces gens quis'en font tant acroire
Sur la foi d'un Tableau menfonger & trompeur
;
Je t'enrichis , mon cher Lecteur ;
C'eft où je mets toute ma gloire.
Cette Enigme eft de M. d' Har....
Uu Enfeigne de Marchand , les Lunettes
, & le Coufin , infecte , font les vrais
mots des trois Enigmes du mois dernier.
MMMMMMMMMMMMMMMM
NOUVELLES LITTERAIRES
L'
DES BEAUX ARTS , &c.
'ISLE DE LA RAISON , ou les petits
Hommes , Comédie en tre's Actes
. AParis , Quai de Gêvres , che Pierre
Prault, 1727 , in 1 2. de 171. pages , fans
la Preface , prix 24. föls.
Cette Piece n'a point eu de fuccès au
Theatre , & fijon en croit l'Auteur , elle
n'a point dû y en avoir . Voici comment
il s'explique lui - même dès le commencement
de fa Preface : l'ai eu tort de donner
cette Comédie au Théatre ; elle n'étoit
pas
OCTOBRE. 1727. 22G1
·pas bonne à être reprefentée , & le Public
lui afait juftice en la condamnant. Cet
aveu meritebien qu'on lui rende d'ailleurs
la juftice qui lui eft dûe ; fa plume ne
s'eft point démentie dans cet Ouvrage ,
& l'on y voit tant d'efprit répandu , qu'on
doit excufer ceux qui avoient été féduits
à la lecture , avant qu'elle fut mife fur la
Scene.
Prologus.
La Scene eft dans les Foyers de la Comedie
Françoife . Un Marquis & un Chevalier
lient une converfation enſemble, en
attendant que la Picce commence . Le
Marquis , fur le titre de la Piece préfume
qu'elle est tirée de Gulliver ; ce qui lui
fait efperer qu'elle fera remplie de cho-
Les pensées & inftructives, Le Chevalier
lui répond que peu - n'y trouvera til
rien de tout cela , & la raifon qu'il en
donne d'un ton railleur c'eft , dit - il , que
nous autres François , nous ne pensons pas
nous n'avons pas ce talent-là. Ce ton ironique
eft fuivi d'un ton férieux , qui donne
lieu à l'Auteur de faire l'Apologie des
François en voici les derniers traits :
Chez nous , lefony divertit le fage , lefagey
corrige lefou , fans le rebuter. Il n'y
a rien içi d'important , rien de grave , que
ce qui merite de l'être : nous fommes les
hommes
2262 MERCURE DE FRANCE
hommes du monde qui avons le plus comp =
té avec l'humanité. L'Etranger nous dit- il
nos défauts ? Nous en convenons ; nous l'aidons
à les trouver : nous lui en apprenons
qu'il ne fçait pas nous nous critiquons
meme par galanterie pour lui , ou par égarð
à fa foibleffe . Parle- t- il de talens? Son Païs
en a plus que le nôtre ; il rebute nos Livresª¸
& nous admirons les fiens ; manque-1- il ici
aux égards qu'il nous doit ? Nous l'en accablons
, en l'excufant ; nous ne sommes
plus chez nous , quand il y eft ; il faut
prefque échapper à fes yeux quand nous
fommes chez lui : toute notre indulgence
tous nos éloges , toutes nos admirations ,
toute notre justice eft pour lui ; enfin notre
amour propre n'en veut qu'à notre Nation ;
selui de tous les Etrangers n'en veut qu'à
nous , & le être ne favorife qu'eux .
Dans la fecon cene , un Conſeiller
& une Comteffe viennent joindre le Marquis
& le Chevalier : on examine le titre
de la Piece ; il plaît aux uns , il déplaît
aux autres. Un Acteur furvient : on lui
demande ce que c'eft que ces petits hommes
qu'on va jouer , & où on les a pris .
Dans la fiction , répond le Comédien ; il
ajoûte , qu'il ne fe pouvoit pas qu'ils fuffentréellement
petits , à moins que d'aller
dans l'Ifle où on les trouve. Il ne fait
aucun détail de la Piece , pour ne leur pas
êter le plaifir de la furprife. ACTE
OCTOBRE. - 1727. 2263
ACTE I.
Un Infulaire amene huit Européens ,
qui font , un Païfan , un Poëte , un Philofophe
, un Medecin , un Courtilan
un Galcon , Secretaire du Courtifan , une
Comteffe , foeur, du Courtifan & une Suivante
de la Comteffe. Ces huit perfonna
ges fourniffent à l'Auteur autant de caracteres
à traiter. L'Infulaire les appelle
d'abord petites créatures ; il leur dit de
fe tenir là , en attendant le Gouverneur
à qui il les a donnez .
Ces Européens confternez , fe demandent
les uns aux autres , d'où vient qu'ils
font devenus fi petits depuis fix mois qu'ils
ont été pris par cet Infulaire ; ils conviennent
tous de leur petiteffe , fans en penetrer
la cauſe . Voici tout ce que le Philofophe
en préfume : je ne fçaurois croire
que notre petiteffe foit réelles il faut que
Pairde ce pays aitfait une révolution dans
nos organes , & qu'il foit arrivé quelque
accident à notre retire , en vertu duquel
nous nous croyons petits.
Le Gouverneur vient , fuivi de fon fils,
de fa fille & d'un Confeiller d'Etat appellé
Blectrue. Il regarde d'abord les Européens
de loin , avec une lunette d'approche.
Le Philofophe & le Gafcon , ſe
fâchant
*
2264 MERCURE DE FRANCE :
fâchant de le voir traiter d'animaux , &
de créatures déraifonnables , le Gouverneur
ordonne qu'on les remette en cage .
Le Confeiller dit au Gouverneur étonné
de ce prodige , que ce n'eft pas la premiere
fois qu'on a vu de pareils animaux
dans l'Ifle , & que deux cens ans auparavant
on en avoit pris qui étoient de la
même efpece , & qu'on voyoit croître à
vûë d'oeil à mesure qu'ils goûtoient la
raifon & les idées des Infulaires. Le Gouverneur
charge Blectrue de ne rien oublier
pour les rendre raisonnables .
Blectrue ordonne qu'on lui ramene ces
petits hommes ; il les interroge , & finit
par ces mots doucement , petits Singes
appaifez- vous ; je ne demande qu'à fortir
d'erreur , & le parti que je vais prendre
pour cela , c'est de vous entretenir chacun
en particulier. Je veux vous laiffer un moment
ensemble , pour vous y déterminer.
Calmez- vous ; nous ne vous voulons que du
bien. Si vous êtes des hommes ,tâchez de devenir
raisonnables on dit que c'est pour
vous le moyen de devenir grands.
Les Européens font fort furpris de voir
qu'on les exhorte à devenir raisonnables ,
comme s'ils ne l'étoient pas. Le Païlan
commence à entrevoir ce que cela peut
fignifier : il dit , que le Seigneur de ſon
Village , qui étoit un fonge- creux , diſoit
autreOCTOBRE.
1727. 2265
autrefois , que ceux qui ne font pas raifonnables
, deviennent bien petits aux
yeux de ceux qui le font ; d'où il con
clut que les habitans de l'ifle de la raifon
, qui font raifonnables , doivent les
trouver bien petits , parce qu'ils ne le
font pas. Le Gafcon appuye cette premiere
découverte par une autre obſervation
; notre petiteffe , dit- il , n'est pas
uniforme : remarquez , Meffieurs , qu'elle
va par échellons ; de cette feconde obfervation
le Païfan tire une confequence
à fa maniere : c'eſt qu'il y en a parmi nous,
ajoute- t - il , de plus fous les uns que les
autres. Le Gafcon admire la reflexion de
Blaife , c'eft le nom du Païfan : je penfe
, dit- il , que c'est le degré de folie qui
regle la chofe , & qu'ainfi ne foit , regardez
ce Payfan ; ce n'est qu'un Ruftre , &
cependant il est le plus grand de tous souy,
répond Blaiſe , je fuis le plus fage de la
bande.
Après cet examen & ces découvertes ,
dont le Philofophe & le Poëte ne conviennent
point , Blectrue revient & leur
demande lequel d'entr'eux veut lier le
premier converfation avec lui ; le Poëte
s'offre à commencer , pour fçavoir de
quoi il s'agit ; le Confeiller le prend au
mot , & fait fortir tous les autres .
Le Poëte ne veut pas convenir de fes
deffauts
2166 MERCURE DE FRANCE.
deffauts
par un fentiment d'orgueil . Blec
true lui demande quelle eft fa profeffion :
je fuis Poëte , lui répond- il ? & voyant
que Blectrue ne comprend rien à ce nom
là ; je m'amufois , lui dit - il , dans mon
Pais , à des Ouvrages d'esprit , dont le
but étoit , tantôt de faire rire , tantôt de
faire pleurer. Comme cette Scene a fait
plaifir , on ne fera pas fâché de la voir
ici dialoguée.
Ble&true .
Des Ouvrages qui font pleurer ! cela
eft bien bizarre.
Le Poëte.
On appelle cela des Tragedies , que l'on
récite en Dialogue , où il y a des Heros
fi tendres , qui ont tour à tour des tranf
ports de vertu & de paffion fi merveilleuxs
de Nobles coupables , qui ont une fierté fi
étonnante , dont les crimes ont quelque cho-
Se de fi grand , & les reproches qu'ils s'en
font , font fi magnanimes ; des hommes enfin
qui ont de fi respectables foibleffes , qui
Je tuent quelquefois d'une maniere fi admirable
& fi auguſte , qu'on ne sçauroit
les voir, fans avoir l'ame émuë , & plenrer
de plaifir. Vous ne me répondez rien?
Blectrue , furpris & l'examinant
Sericufement.
Voilà qui eft fini ; je n'espere plus rien;
votre espece m: devient plus problemati-
дне
OCTOBRE . 1727. 2267
que que jamais. Quel pot-pourri de crimes
admirables , de vertus coupables , & de
foibleßes auguftes ? ilfaut que leur raifon
ne foit qu'un cog -à - l'âne . Continuez.
Le Poëte.
Et puis il y a des Comédies , où je reprefeniois
les vices & les ridicules des hommnes.
Blectrue .
Ah ! je leur pardonne de pleurer là.
Le Poëte.
Point du tout , cela les faifoit rire .
Blectrue .
Hem !
Le Poëte.
Je vous dis qu'ils rioient.
Blectrue .
Pleurer où l'on doit rire , & rire où l'on
doit pleurer ; les monstrueufes créatures !
Dans le reste de la Scene , le Poëte témoigne
quelque deffein de fe corriger de
fes deffauts dont il convient , & fur tout
de l'orgueil ; mais il demande du temps
pour s'y réfoudre . Blectrue le congedie ,
& ordonne qu'on faffe venir le moins petit
; c'eft le Païfan .
On amene Blaife dans une cage dont
il est très fâché ; Blectrue le met en liberté
& l'exhorte à devenir raifonnable
s'il veut redevenir de la même taille dont
il étoit avant que d'avoir perdu la raifon .
Blaife
2268 MERCURE DE FRANCE.
Blaife qui avoit déja prévû que les folies
étoient la caufe de fa petiteffe , commence
par en faire l'aveu en gros ; il en vient
après au détail ; à mesure qu'il reconnoît
fes deffauts avec les fentimens que
Blectrue exige de lui , il grandit aux yeux
de Blectrue & aux fiens mêmes . Malheureufement
cette Métamorphofe ne frappe
pas ceux des Spectateurs , & c'eft là ce
qui a fait tomber la Piece , comme l'Auteur
l'avoue dans fa Préface , par ces
mots : ces petits hommes qui devenoient
fictivementgrands , n'ont point pris ; „les
yeux ne fe font point plû à cela , & dèslors
on a fenti que cela fe repetoit toujours
, le dégout eft venu ; & voilà la Piece
tombée.
De peur de tomber dans ces répetitions
que l'Auteur condamne de bonne foi
nous n'irons pas plus loin ; toutes les autres
métamorphofes fe font à peu près de
même ; Blectrue operé fur le Païlan , le
Païfan fur le Gafcon , & ainfi du refte ;
la formule n'eft variée que par rapport
aux differens caracteres que l'Auteur a
bien traitez , fur tout celui de la Comteffe
à qui fa fuivante dévoile tous fes deffauts.
Nous ne dirons ici que ce qui concerne
la coqueterie : voici comme s'exprime
Finette.
Finette
OCTOBRE. 1727. 2269
Finette.
Bon ! eft- ce que le vifage d'une Coquette
eft jamais fini ? tous les jours on y travaille:
il faut concerter les mines , ajuster
Les oeillades.
A la Comteffe.
Neft-il pas vrai , qu'à votre miroir un
jour, un regard doux vous a couté plus
de trois heures à attrapper ? encore n'en attrapâtes-
vous que la moitié de ce que vous
en vouliez ; car, quoique ce fut un regard
doux , il s'agiffoit auffi d'y mêler
quelque chofe de fier ; il falloit qu'un
quart de fierté y temperât trois quarts de
douceur. Cela n'eft pas aife ; tantôt le
fier prenoit trop fur le doux , tantôt le
doux étouffoit le fier : on n'apas la balance
a la main ; je vous voyois faire , & je ne
vous regardois que trop. N'allois -je pas
repeter toutes vos contorfions ? Il falloir
me voir avec mes yeux chercher des dofes
de feu , de langueur , d'étourderie & de
nobleſſe dans mes regards. J'en poffedois
plus d'un mille qui étoient autant de coups
de piftolet ; moi , qui n'avois étudié que
fous vous. Vous en aviez un qui étoit
vif & mourant , qui a penfe me faire per
dre l'efprit: il faut qu'il m'ait couté plus
de fix mois de ma vie , fans compter un
10rticoli pour le fuivre,
La
2270 MERCURE DE FRANCE .
La Comteffe foupirant .
Ab!
Blaife .
Qu'en tas de balivarnes ! Voilà une tarrible
condition que d'être les yeux d'une
Coquette !
Finette.
Et notre ajustement , & l'architecture
de notre tête , fur tout en France , où Madame
a demeuré ? & le choix des rubans?
Mettrai-je celui - là ? Non ; il me rend le
vifage dur. Effayons de celui - ci ; je crois
qu'il me rembrunit. Voyons le jaune , il me
pâlits le blanc , il m'affadit le teint ? Que
mettra-t-on donc ? Les couleurs font fi bornées
, toutes variées qu'ellesfont . La coquetterie
refte dans la difette ; elle n'a pas feulement
fon neceffaire avec elle . Cependant
on eßaye , on ôte , on remet , on change
on fe fâche ; les bras tombant de fatigue
il n'y a plus que la vanité qui les foutienne.
Enfin on acheve ; voilà cette tête
en état , voilà les yeux armez. L'étourdi
à qui tant de graces font deftinées arrivera
tantôt. Est - ce qu'on l'aimé ? Non , mais
toutes les femmes tirent deffus , & toutes les
manquent. Ah ! le beau coup , fi l'onpou
voit l'attraper.
>
Le Lecteur jugera par ces fragmens
que cette pièce auroit réuffi par les beautez
de détail , fi le fond y avoit un peu
répons
OCTOBRE . 1727 . 227 I
répondu. Nous n'en dirons pas davantage
; nos Européens grandiffent en recouvrant
la raifon ; le Philofophe & le
Poëte font les feuls incorrigibles ; on les
envoye aux Incurables . La Piece finit
par
deux ou trois mariages qui ne font rien
au fujet. Le Gouverneur eft fi fatisfait de
voir les fix autres devenus raiſonnables ,
qu'il ordonne des Fêtes pour annoncer
fa joye . Voici quelques- uns des Couplets
qu'on y chante :
Jamais aucun reſpect ne vient troubler nos
coeurs ,
Dans cette Ifle charmante ;
D'une flamme innocente
Nous reffentons les ardeurs ,
Et la Raifon gouverne les faveurs
Que l'Amour nous prefente.
VAUDEVILLE.
Toiqui fais l'important ,
Ta fuperbe apparence ,
Tes grands airs , ta dépenſe ,
Séduifent un Peuple ignorant.
Tu lui parois un Coloffe , un Géant ;
Ici ta grandeur ceffe ,
On voit ta petiteffe ,
F Ton
2272 MERCURE DE FRANCE .
Ton néant , ta baffeffe ;
Tu n'es enfin chez la Raifon .
Qu'un petit Garçon ,
Qu'un Embrion ,
Qu'un Mirmidon."

Mortel indifferent ,
Qui fans ceffe déclames .
Contre les douces flâmes.
Que fait fentir le tendre Enfant ;
Auprès de lui tu te crois un Géant,
Qu'un bel oeil fe prefente ,
Sa douceur féduifante
Rend ta force impuiſſante ›
Tu n'es plus contre Cupidon ,
Qu'un petit Garçon , `
Qu'un Embrion ,
Qu'un Mirmidon .
Partifans du bon fens ,
Vous , dont l'heureux genie
Fut formé par Thalie ;
Nous en croirons vos jugemens :
Chez .
OCTOBRE . 1727. 2273
Chez vous des Nains ne font point des
Géans .
Si notre Comédie
Par vous eft applaudie ,
Nous craindrons peu l'envie ;
Vous contiendrez par vos leçons
Les petits Garçons,
Les Embrions ,
Les Mirmidons.
On propoſe par Soufcription un nouveau
Traité d'Architecture , contenant les
cinq Ordres , fuivant les quatre Auteurs
les plus approuvez aujourd'hui ; fçavoir,
Vignolle , Palladio , Philibert de Lorme
& Scamozzi , fur le principe defquels
font compofez differens fujets d'Architecture
fur chacun de leur Ordre , avec
explication pour chaque deffein ; Ouvra
ge très - confiderable , grand in- Folio ,
deux Volumes , fur Colombier fin d'Auvergne
, enrichi de cent ving- cinq Planches
, actuellement gravées , dont on
pourra voir les épreuves à toute heure ,
chez le fieur Nativelle , Auteur de cet
Ouvrage , rue Pavée , vis - à- vis la ruë
Françoife , & chez le fieur Dupuis , Libraire
, rue S. Jacques , à la Couronne
d'Or , chez lequel on foufcrit . Ceux qui
Fij fe
2274 MERCURE DE FRANCE .
fe donneront la peine d'aller chez l'un ou
l'autre on leur délivrera le Projet imprimé,
joint à l'Extrait fommaire de ce que
ces deux Tomes contiennent . Il y a lieu
de croire qu'ils feront fatisfaits , non -feulement
de la parfaite gravure des Planches
, mais auffi de la correction , & de
la grace du contour des profils qui fe
trouvent confervez , & qui fe diftinguent
dans les plus petites parties , ainfi que dans
les grandes. Les deffeins , tant ceux qui
font compofez , que ceux qui inftruiſent
des principes , font difpofez de maniere
à conduire l'Etudiant au point de faire
d'heureux progrès en peu de temps , &
même de procurer à ceux qui n'ont aucune
connoiffance de cet Art , affez d'intelligence
pour diftinguer les beautez des
differens Edifices & Monumens publics .
Cet Ouvrage a été examiné par Mrs de
l'Académie Royale d'Architecture , qui
ont donné & fait enregistrer leurs Approbations
.
Le temps de foufcription ( par le Projet
imprimé) eft indiqué du premier Août
de la préfente année 1727. jufqu'au dernier
Decembre fuivant. Et le prix des
deux Tomes , non reliez , eft de roo . liv.
pour les Soufcripteurs , & de 15e . livres
pour ceux qui ne foufcriront point. On
délivrera les Exemplaires de ces deux
Tomes
OCTOBRE . 1727. 2275
Tomes dans le mois de Decembre 1728 .
On a réduit dans ce grand , utile &
magnifique Ouvrage , les quatre Auteurs
qu'on vient de nommer , fur un feul module
ou mefure , qui eft celui de Vignolle ,
dont le module fe divife en 12. parties
pour l'Ordre Tofcan & l'Ordre Dorique ,
& en 18. pour les trois autres ; ce qui
rendra ces grands Maîtres intelligibles à
tout le monde .
Le premier Volume ( que nous avons
parcouru avec une grande fatisfaction ,
ainfi que le fecond , contient les Ordres
d'Architecture de Vignolle , tant en
difpofitions de Periftiles
de Periftiles , en entre- colomnes
fimples , que couplées , avec Acrotere
au - deffus de l'Entablement , dont les
Piedeftaux , qui font un peu en avantcorps
fur les Colomnes , fupportent des
Trophées ou des Vafes .
Arcades fans Piedeſtal & avec Piedeftal
; mais difpofées ainfi que le refte des
deffeins , fuivant la perfection où l'on eft
parvenu en bien des parties de l'Architecture
, par l'étude de nos Architectes
modernes.
On peut affurer que le tout eft gravé
& deffiné d'un contour de profil , capable
de fatisfaire les plus difficiles connoiffeurs.
Les plafonds des corniches de chaque
Ordre , avec le plan de leurs Chapi-
Fiij teaux
2276 MERCURE DE FRANCE .
teaux , fe trouvent fous les Elevations ;
ils font ombrez , & éclairez de façon à
repréfenter tout le relief que l'on peut
defirer '; enforte que l'Etudiant , pour peu
qu'il ait de principes , fe trouvera inftruit
du développement de l'un à l'autre .
La partie qui eft au trait attenant le_deffein
qui eft ombré , fe trouve réunie du
plan à l'élévation par des lignes ponctuées
; de maniere que l'on découvre aifément
la correfpondance que les parties
du plan ont avec celle de l'élevation .
Les Sçavans y trouveront de l'utilité
pour ce qui concerne la réguliere execution
des Entablemens , attendu le calcul
tout fait , felon les parties de module , de
la diftribution des modillons , & les caiffes
des rofes quarrées entr'eux fous le larmier
; de maniere à trouver les Sophiſtes
toujours d'un quarré régulier en l'angle
rentrant , & cela pour quelques compofitions
que ce foit.
Enfuite de l'Arcade avec Piedeſtal de
& chaque Ordre , on a donné les coupes
profils de deux portes differentes , quoique
fur les mêmes proportions , dont les
faces font renfermées dans les regles de
Vignolle en leurs décorations ; & cela
toujours dans l'efprit de donner moyen à
l'Etu liant de fe fervir des cinq Ordres
en les difpofant de maniere qu'il puiffe
arriver

OCTOBRE. 1727. 2277.
arriver à d'heureufes compofitions .
Après les cinq Ordres de Vignolle , on
donne une pratique de la Colomne torfe,
très-parfaite dans le contour de toutes
fes parties, & par une regle bien plus abregée
que celle de Vignolle. L'operation
que l'on a écrite à côté du deffein , comme
on l'a fait pour l'explication de tous
les autres du Volume en particulier , le
démontrera mieux que ce qu'on en pourroit
dire. La perfection que l'on fe perfuade
avoir donné à cette Colomne , a
fait que fur fon principe on a compofé.
un Autel en forme de Baldaquin à fix Colomnes
, polées fur la circonference d'un
cercle , qui font entr'elles de deux efpaces
ou diſtances differentes , dont la plus grande
forme la furface du Sanctuaire , ce
qui a conduit infenfiblement à donner
celle d'une Eglife, qui , quoi qu'elle n'ait
qu'un bas côté, fe trouve avoir plusde largeur
qu'aucune que nous ayons en France.
La décoration de fon Architecture eft
fuivant la doctrine de Vignolle. Le plan ,
l'élevation du Portail , la coupe en dedans
fur fa longueur , le profil fur celle
du dehors par l'un de fes côtez , la façade
du chevet du Choeur , dont la largeur
égale celle de P'Eglife , ainfi que fait le
Portail , font deffinées avec toute la correction
& le développement que l'on peut
defirer.
Fiiij On
2278 MERCURE DE FRANCE.
On expofe enfuite la diftribution d'une
Maifon affez confiderable , de trentecinq
toifes de face , dont les décorations
exterieures font auffi fuivant les Ordres
du même Auteur . On y a difpofé du terrain
avec entente , tant pour la fituation ,
l'enfilade & le dégagement des principales
pieces de parade , que pour celles deftinées
au fervice de bouche & autres commoditez
, comme auffi pour le refte des
parties du bâtiment : ce qui fe diftinguera
plus particulierement , en examinant le
plan du rez -de- chauffée , celui du premier
étage , les élevations & profils qui
font deffinez à la fuite. Cette diftribution
termine le premier Volume.
Le fecond Tome eft diftribué dans la
même difpofition que le premier ; les
cinq Ordres de Palladio y font très- exactement
rendus dans l'efprit de leur Auteur
.
Il faut obferver qu'en l'Ordre Dorique
de Palladio , de ce fecond Volume,
on a trouvé le moyen de coupler les Co-
Iomnes , fans fortir de la proportion que
l'Entablement doit avoir avec elles , &
de rendre au- deffus dans la Frife le Métope
quarré parfait , fans alterer la faillie
du Tors , des Bafes , ni le Tailloir des
Chapiteaux régularité indifpenfable &
abfolument neceffaire à la géométrique .
;
&
OCTOBRE. 1727. 2279
& majestueule compofition de cet Ordre.
Enfuite de chaque Ordre , comme dans
le premier Volume , on a donné deux
portes differentes , dont les façades font
fuivant la doctrine de Palladio .
On y trouvera le plan & l'élevation
de trois Maifons , moins confiderables à
la verité par leur grandeur , que celle du
premier Volume , mais qui ne laiffent
pas
dans leurs décorations exterieures , qui font
fuivant les regles des Ordres de Palladio,
de participer aux beautez que produiſent
les principes de cet Auteur.
On a auffi donné dans une place trèsirréguliere
, après les Ordres de Philibert
de Lorme & de Scamozzi , le deffein
d'une Maiſon , dont les façades font fuivant
les regles de ces deux derniers Auteurs.
La diftribution , tant du rez- dechauffée
que du premier étage , nous
paroît ménagée & entendue , de façon à
procurer quelques lumieres à l'Etudiant,
& lui donner la facilité de réuffir dans
quelque terrain irrégulier que ce puiſſe
être .
Pour faire fentir la difference qu'il y a
entre ces deux derniers Auteurs , & même
entre Palladio & Vignolle , par rapport
aux differentes proportions qu'ils
donnent chacun aux principales parties
fur le même Ordre , on a jugé, à propos
Fy de
2280 MERCURE DE FRANCE.
de les affembler deux à deux en forme
de parallele , autant en grand qu'il a été
poffible , tant pour les Bafes & Corniches
de Piedeftaux , enfemble les Bafes
des Colomnes , que pour les Chapiteaux
& Entablemens , deftituez d'ornemens de
fculpture , afin de faire voir , fans cette
richeffe , la perfection d'une moulure
belle par elle-même , & pour avoir la
facilité de les pouvoir cotter en plufieurs
endroits avec une exacte précision.
Ces deux Volumes contiennent les
[125. Planches dont on a parlé , actuellement
gravées aux dépens de l'Auteur ;
enforte qu'il n'y a plus que les frais de
l'impreffion , tant des Eftampes , que des
Explications de chaque Planche.
JOANNIS BONEFON 11 , Patris , Averni
, Opera omnia . Avec les Imitations
Françoifes de Gilles Durant. Nouvelle
Edition , corrigée & augmentée de plufieurs
fragmens qui n'avoient point encore
paru . Amfterdam , 1727. in- 12 . de
232. pages , fans les Préfaces & la Table.
On ne dira rien ici des Poëfies Latines
de Bonnefons ; mais voici une Imitation
de Gilles Duraut , Poëte François , fon
contemporain , qui pourra faire juger de
fon caractere.
OCTOBRE. 1727. 2281
·
At mi dicite.
Mais dites- moi , larmelettes ,
Larmelettes , tendrelettés ,
Larmettes qui coulez
Et gentilment emperlez ,
De vos ondes Criſtallines ,
Les Belles jouës rofines
De Catin , mon cher fouci ,
Comment pouvez- vous ainfi
Larmelettes , tendrelettes ,
Tendrelettes , larmelettes ,
Naître de ces deux beaux yeux
Pleins de flammes & de feux :
Yeux qui de tous côtez dardent
Tant' de feux volans qui m'ardent ?
Mais , ô moi mal avifé !
Suis-je pas bien abufé ;
Ces petites goutelettes ,
Que j'appelle larmelettes ,
Ce ne font pas goutes d'eau ,
Qui mouillent ainfi fa peau ;
Ce font larmes enflammées ,
F vj
Ce
2232 MERCURE DE FRANCE.
Ce font flâmes allumées ,
Qui de leurs brafiers ardens ,
Me confomment au dedans ;
Et jà , de cette rofée
Dans ma poitrine embrafée
Mon pauvre coeur enflammé
Eft à demi confommé
Où eft donc notre efperance ?
Puifque la flamme a puiſſance ,
D'un naturel tout nouveau ,
De nous engendrer de l'eau ;
Et l'eau contre fa nature ,
Donne aux flammes nourriture ?
Les deux Livres intitulez , l'un Differtation
fur la validité des Ordinations
des Anglois, imprimé à Bruxelles en 1723 .
& l'autre , Deffenfe de la Differtation fur
la validité des Ordinations des Anglois
imprimé à Bruxelles en 1726. ont été
condamnez par M. le Cardinal de Noailles
, Archevêque de Paris , en vertu d'un
Mandement que nous n'avons pas pû
inferer dans notre dernier Journal , &
dontvoici la teneur.
Louis- Antoine de Noailles , par la permiffion
divine, Cardinal Prêtre de la Sainte Eglife
RoOCTOBRE.
1717. 2283
res ,
Romaine , du Titre de Sainte Marie fur la Minerve
, Archevêque de Paris , Duc de Saint
Cloud , Pair de France , Commandeur de l'Ordre
du Saint Efprit , Provifeur de Sorbonne ,
& Superieur de la Maifon de Navarre : A tous
les Fideles de notre Diocèfe , SALUT ET BENEDICTION
. Vous fçavez , mes très - chers Freles
plaintes que l'on a formées contre
deux Livres intitulez : l'un Differtation fur la
validité des Ordinations des Anglois , imprimé
à Bruxelles en 1723. & l'autre : Deffenfe
de la Differtation fur la validité des Ordinations
des Anglois , imprimé à Bruxelles en
1726. Plufieurs Théologiens ont accufé ces
Ecrits de contenir des maximes fauffes & des
erreurs contraires au Dogme Catholique.
L'Auteur frappé lui- même de l'importance
de ces accufations , fe crut obligé de nous expoſer
fes fentimens dans la Lettre qu'il Nous
écrivit au mois de Mars dernier. Cette Lettre
qui eft devenue publique , nous parut infuffifante
, foit pour mettre à couvert le Dogme
Catholique , foit pour réparer le fcandale que
fes Livres avoient caufé ; Nous prîmes la réfolution
d'examiner à fond ces deux Ouvrages;
mais cet examen fut fufpendu par notre derniere
maladie , dans laquelle vous Nous avez
donné des marques fi tendres & fi pieufes de
votre attachement par de ferventes prieres ,
aufquelles Nous attribuons ce qui Nous refte
de force & de fanté.
Les fuites d'une maladie fi confiderable ne
Nous ayant donc pas permis de donner à une
affaire fi importante , toute l'application qu'elle
demande , & les plaintes augmentant , Nous
avons chargé plufieurs Théologiens habiles
de lire exactement ces Ouvrages pour Nous
en rendre compte , & fur le rapport qu'ils
Nous
2284 MERCURE DE FRANCE .
Nous en ont fait , Nous avons reconnu qu'en
plufieurs endroits ils renferment une doctrine
ou des expreffions contraires à ce que l'Eglife
enfeigne fur le Sacrifice de la Meffe , &
la Préfence Réelle , fur le Sacerdoce , fur la
forme des Sacremens , & le caractère qu'ils
impriment , fur les Rits , & les Ceremonies
de l'Eglife , fur fon autorité , fur la Primauté
du Pape , & autres points importans.
Nous ne prononçons point fur le fond de
la queftion de la validité des Ordinations des
Anglois , & de la fucceffion de leurs Evêques
, qui eft l'objet de l'Auteur dans fes
deux Ouvrages ; Nous l'avertirons feulement
qu'un Théologien Catholique devoit parler
avec plus de refpect de la pratique commune
de l'Eglife , lui propofer fes doutes & fes réflexions
avec modeftie , attendre fa décifion
avec un efprit foumis , ne lui pas prefcrire
des loix avec hauteur , & ne pas traitter d'ignorance
& de préjugé , tout ce qui eft contraire
à fon fentiment .
Nous voulons bien croire , comme il Nous
en a affuré , qu'il n'a eu d'autres vûës dans fes
ouvrages , que de faciliter la réunion des Anglois
à l'Eglife Catholique & à fon Chef. Mais
le defir de favorifer ceux qu'il vouloit rame
ner , ne devoit pas le porter jufqu'à juſtifier des
erreurs , des expreffions & des abus que tout
Catholique doit rejetter , & que l'Egliſe n'approuvera
jamais .
Que ne ferions- nous pas pour ramener à la
foi de fes peres , & à l'unité Catholique , un
Peuple fi confiderable , une Nation autrefois
fi foumife au S. Siege , fi féconde en grands
Hommes & en faints Evêques , & pour le falut
de laquelle nous defirerions , dans les fentimens
de S. Paul , devenir anathême ; à Dieu ne
plaife
OCTOBRE 1727. 2285
plaife cependant que pour procurer un fi grand
bien , nous fouffrions que l'on diffimule les
fentimens de l'Eglife , ou que l'on approuve
des erreurs qu'elle condamne !
Nous ne vous expofons point ici , mes chers
Freres , les veritez obfcurcies ou combattues
dans les livres dont il s'agit , & nous ne condamnons
point en détail les erreurs qui y font
foutenues en plufieurs endroits , nous vous
donnerons dans peu fur toutes ces matieres une
inftruction dans laquelle nous vous expliquerons
avec préciſion le dogme Catholique , &
où nous vous marquerons diftinctement ce
qui eft oppofé dans les écrits que nous jugeons
dignes de cenfure ; mais le mal eft preflant , &
il y auroit du danger à laifler plus long tems
entre vos mains des ouvrages qui pourroient
vous donner des idées contraires à la Doctrine
Catholique , & alterer votre foy.
A CES CAUSES , Oui le rapport & l'avis des
Théologiens par Nous commis à l'examen des
Efcrits intitulez , l'un Differtation fur la validité
des Ordinations des Anglois , imprimé à
Bruxelles en 1723. & l'autre , Deffenfe de la
Differtation fur la validité de l'Ordination des
Anglois , imprimé à Bruxelles , en 1726. Tout
murement confideré , le faint nom de Dieu
invoqué : NOUS condamnons lefdits Ecrits ,
comme contenant une Doctrine fauffe , érronée
, fcandaleuſe , injurieufe à l'Eglife & au
S. Siege , favorifant le fchifme & l'herefie , &
même contraire en plufieurs points à la Doctrine
Catholique. Deffendons fous les peines
de droit à nos Diocéfains de lire lefdits ouvrages.
Donné à Paris le dix huitiéme Août
mil fept cens vingt -ſept.
Signé † L. A. Card. DE NOAILLES , Archevêque
de Paris.
Par Son Eminence CHEVALIER.
2286 MERCURE DE FRANCE.
Les Prélats qui fe font trouvez à Paris dans
ce tems - là , ont auffi cenfuré & condamné ces
deux ouvrages ; & enfin le Roi a trouvé à propos
de les fupprimer par un Arrêt de fon Confeil
que nous rapporterons ici , afin que le
Public n'ignore rien fur cette matiere .
Le Roi ayant été informé des plaintes & des
difputes qui fe font élevées à l'occafion de
deux Livres intitulez : Differtation fur la validité
des Ordinations des Anglois , & c. & Deffenfe
de cette Differtation , & c. imprimez à
Bruxelles chez Simon Fferfterens l'un en
1723. l'autre en 1726. & fcachant que dans les
matieres qui regardent la foi & la doctrine de
l'Eglife , le jugement des Evêques doit préceder
l'exercice de la Fuiffance Seculiere , & fervir
de fondement aux Loix ou Arrêts qu'elle
fait publier pour en affermir l'autorité par la
crainte des peines temporelles : S. M. auroit
jugé à propos de faire remettre les deux Livres,
dont il s'agit , entre les mains des Evêques que
les affaires de leur Diocefe : ont obligées de fe
rendre auprès d'elle , afin qu'après les avoir
examinés , ils puffent en porter le jugement
qu'ils eftimeroient convenable. Le zele de ces
Prélats ayant répondu pleinement aux pieufes
intentions de S. M. ils ont vû avec douleur ,
que l'Auteur de ces deux Ouvrages y avoit
avancé un grand nombre de propofitions également
contraires à la pureté du Dogmefur
plufieurs points effentiels de la Religion , à la
difcipline , auffi -bien qu'à l'autorité de l'Eglife
& à la Primauté du Pape , ce qui leur a donné
lieu de les condamner , comme respectivement
fauffes , temeraires , captienfes , mal-fonantes
,fcandaleufes , injurieufes à l'Eglife
au S. Siege , favorisant le ſchiſme & l'hérefie ,
erronées a
OCTOBRE. 1717. 2287
erronées , déja condamnées par le S. Concile de
Trente, & heretiques. La cenfure de ces Prélats
ayant été remife entre les mains de S. M. il
ne lui reste plus que d'interpofer fon autorité
contre des ouvrages déja flétris & condamnez
par le jugement de vingt Evêques ; à quoi
étant neceffaire de pourvoir , & S. M. voulant
donner en toutes occafions des preuves du zele
qu'elle aura toujours pour réprimer toutes fortes
de nouveautez en matiere de Doctrine , &
pour étouffer dès leur naiffance toutes les fe
mences de divifion , qui pourroient troubler
la paix & la tranquillité de l'Eglife : Oui le
Rapport , & tout confideré , LE ROI ETANT EN
SON CONSEIL , a ordonné & ordonne, que les
deux Livres , & c. feront & demeureront fupprimez
; & en confequence , que tous ceux qui
en ont des exemplaires , feront tenus de les
remettre inceffamment , fçavoir, dans la Ville,
Prevôté & Vicomté de Paris , au Greffe du
Sieur Lieutenant General de Police ; & dans
les Provinces , aux Greffes des Sieurs Intendans
& Commiffaires départis , pour y être la
⚫cerez , &c.
LECTURES CHRETIENNES fur les
obftacles du Salut dans toutes les conditions
de la vie , & fur le moyen de les
vaincre , traduites de l'Italien du Père
J. P. Pinamonti , de la Compagnie de
Jefus . AParis , chez Noël Piffot , Quay
de Conti , au coin de la ruë de Nevers , à
la Croix d'or. Vol. in 12. 1727. p . 291.
Le titre de ce Livre fuffit feul pour en
gager les perfonnes foigneufes de leur fab
lut
2288 MERCURE DE FRANCE .
lut à le lire , puifque l'on ne peut trop
s'inftruire fur une affaire pour laquelle
feule nous fommes nez. Nous ne nous
arrêterons point à rapporter les endroits
touchans & édifians de cet Ouvrage ; on
connoît affez le merite & la folide vertu
du P. Pinamonti . Il eſt Auteur du Directeur
dans les voyes du falur , imprimé en
1718. auquel on n'a point mis le nom de
ce pieux Miffionnaire , non plus que celui
du Traducteur. Il a fait plufieurs autres
Ouvrages qui ont tous été recueillis
en un volume in-folio , par un Jeſuite
Italien. On fçait que le Pere Segnery l'avoit
choifi pour l'accompagner & l'aider
dans fes Miffions laborieufes. C'eſt là où
il a été le vrai modele de cette humilité &
de cette abnegation de foi -même , qu'il
recommande fi fort dans fon Livre.
Nous nous croyons obligez de faire remarquer
au Public , qu'il ne faut point
confondre le Directeur du P. Pinamonti
avec le Directeur de l'Ame fpirituelle , traduit
de Blofius , ni avec le Directeur de
l'Ame Penitente. Le Traité du Jefuite Italien
, porte pour titre en notre Langue ,
le Directeur dans les voyes du falut.
Nous confeillons à tout le monde de
lire l'un & l'autre rien n'eft plus confolant
que ces Livres dans les adverfitez , &
rien ne montre mieux la vanité des biens
temporels.
TRAITE
OCTOBRE. 1727. 2289
TRAITE' DE L'OPERATION DE LA
TAILLE , avec des Obfervations fur la
formation de la perte & des fuppreffions
d'urine Ouvrage pofthume de M. François
Colot , auquel on a joint un Difcours
fur la Methode de Fanco , & fur
celle de M. Báu . A Paris , rui S.Severin ,
chez Jacques Vincent , 1727. in douze ,
pages 322.
HISTOIRE DE L'ACADEMIE ROÏALE
DES SCIENCES , année 1724. avec les
Memoires de Mathématique & de Phyfique
pour la même année , tirez des Regiftres
de cette Académie . A Paris , de
l'Imprimerie Royale, in 4°. avecfig. 1726 .
DICTIONNAIRE ABREGE ' DE LA
FABLE , pour l'intelligence des Poëtes , &
la connoiffance des Tableaux & des Statuës
, dont les fujets font tirez de la Fable.
A Paris , chez la Veuve Foucault .
ruë S. Jacques , à la vieille Pofte , aufond
de la Cour , in 12. de 333. pages 1727 .
Cet Ouvrage contient un abregé non
feulement de l'Hiftoire Poëtique , mais
encore de tout ce qui y a quelque rapport
: pour en donner une idée
avons pris ces trois articles- ci à l'ouverture
du Livre.
9 nous
DEUCALION , fils de Promethée , &
mary
2290 MERCURE DE FRANCE

mary de Pyrrha . Les Dieux firent perir
tous les hommes de fon temps par un déluge
univerfel , parce qu'ils étoient trop
chans. Deucalion & Pyrrha en furent préfervés
à caufe de leuréquité. Après le déluge
, ils confulterent l'Oracle de Themis ,
qui leur confeilla de jetter des pierres der
riere euxpar deffus leur tête , & ces pierres
en fortant de leurs mains , fe métamorphofoient
; celles de Deucalion en hommes , &
celles de Pyrrha en femmes .
PALE'S , Déeße des Pâturages & des
Bergers. Quelques- uns croyent qu'on entendoit
Cybelle fous ce nom , comme reprefentant
la Terre , & qu'on l'appelloit anciennement
Pares de Parere , qui fignifie
produire d'autres veulent que ce foit Cerés.
Quoiqu'il en foit , on honoroit fous ce
nom la Divinité qui préfidoit aux Troupeaux
& aux Pâturages.
MELPOMENE , l'une des neuf Mufes ;
Déeffe de la Tragedie. On la reprefente ordinairementfous
la figure d'unejeune fille ,
avec un airférieux , fuperbement vêtuë
chauffée d'un Cothurne , tenant des fceptres
& des couronnes d'une main , & un poignard
de l'autre.
t
"
M. Champré , Auteur de ce petit Ouvrage
, cire de tems en tems à la marge
fes autorités , ce qui fera , fans doute , du
goût de ceux qui ne fe contenteront pas
d'uh
OCTOBRE . 1727. 2291
d'un abregé , & qui voudront en fçavoir
davantage. Quant à l'Iconologie , ou la
connoiffance des Images , dont il parle
fort fuccinctement , nous renvoyons le
Lecteur à
l'Avertiffement, pour y apprendre
la maniere de s'en fervir. On trouvera
dans fon lieu un recit court des attributs
& de la répréfentation des Divinitez du -
Paganifme . On peut dire que cette Partie
ne fera pas moins utile aux Peintres ,
qui travaillent fur les fujets de la Fable ,
qu'à ceux qui en voudront connoître les
Tableaux & les Statuës , & c.
LE FRANÇOIS A LONDRES , Comédie
par M. de Boiffi . A Paris , ruë S. Jac
ques ,
chez les Freres Barbou. 1727.
in 12. de 60. pages , prix 2o . fols.
L'Extrait que nous avons donné de cette
Piece dans le Mercure du mois de Juillet
dernier nous difpenfe d'entrer ici
dans aucun détail . Il y a tout lieu de croire
que le Public , qui ena vû les reprefentations
avec plaifir , recevra favorablement
l'Impreffion.
HISTOIRE DE JEAN DE BRIENNE
Roi de Jerufalem , & Empereur de Conftantinople.
A Paris , chez Ch. Moette ,
& P. Simon , rue de la Harpe. 1727.
in 12. de so2. pages.
ME-

2292 MERCURE DE FRANCE .
MEDITATIONS CONTINUELLES de
la Loi de Dieu , fur tous les Livres de
l'Ecriture Sainte , tant de l'Ancien que
du Nouveau Teftament , fondées fur l'explication
litterale & morale des Peres de
Î'Eglife & des Interpretes facrez , par un
Chanoine de l'Abbaye Royale de S. Victor
. Tome premier , contenant le Pentateuque.
A Paris , rue S. Jacques , chez J. B.
Coignard , fils. 1727. in 12. de 596. pages.
Cet Ouvrage eft du celebre Pere
Gourdan .
LETTRES CHOISIES de' M. Simon
Tyffot de Patot ,, Profeffeur de Mathématique
de l'Ecole de Deveuter , écrites
depuis la jeuneffe , jufqu'à un âge bien
avancé , à differentes perfonnes & fur
toutes fortes de fujets . A la Haye , chez
Math. Roguet. 1727. 2. vol . in 12 .
>
Jean Leonard , Libraire à Bruxelles ,
imprime l'Hiftoire des grands Chemins de
l'Empire Romain , par Nicolas Bergier ,
nouvelle édition , exactement revûë , corrigée,&
enrichie de Cartes, &c . 2. vol . in 4.
Ilparoît à Londres un Projet de foufcription
pour les Oeuvres du Docteur
Abbadie , fi connu par fon Traité de la
Verité de la Religion Chrétienne . On
doit
OCTOBRE. 1727. 2293
doit dans cette nouvelle édition , qui fera
de 4. vol. in 4. y en ajouter quelques
autres qui n'ont pas encore été publiez.
On débite à Rome , chez Jean - Marie
Salvioni , au college de la Sapience , une
fuite de 87. Planches in-fol, fous ce titre.
Camera, ed idferizzioni fepulcrale dé liberifervi
, ed ufficiali della Cafa di Av-
GUSTO , fcoperte nella via appia , ed il-
Luftrate con le annotazioni di Menfignor
Francifco Bianchini , Veronife 1727 .
L'Ode qui a remporté le prix de l'Aca
demie Françoife cette année , dont le fujet
eft les Progrès de la Peinture fous le
Regne de Louis le Grand , doit trouver
ici fa place , & orner cet article des Nouvelles
Litteraires & des beaux Arts . M.
Bouret , Lieutenant General de Gifors ,
en eft l'Auteur.
Toy ,dont mon ame eſt ſaifie !
Soutiens fon vol audacieux ,
Defcends , celeſte Poëfie !
Comble un espoir ambitieux ;
Qui ,jefens ton divin délire ,
Acheve ; aux accords de ma Lyre
De tes chants prête la douceur :
ا م
Ces
2294 MERCURE DE FRANCE .
Ces chants d'immortelle memoire,
Doivent feuls confacrer la gloire
Et les triomphes de ta foeur.
Dis- moy par qui tant de merveilles
Ont éternifé fes travaux ?
Quel Regne à tes fçavantes veilles
Offre encore des fujets nouveaux ?
Tu reconnois à quel Monarque
Nos Pinceaux vainqueurs de la Parque
Ont dû leurs Miracles divers ,
Nobles Rivaux de la Nature ,
Leur ingenieufe impoſture
Enfante un fecond Univers .
52
Tes dons , tes exploits , à la France
Ont attaché Minerve & Mars
LOUIS , leur fage intelligence
Forma les Heros & les Arts ;
En vain le temps fuit & s'envole
Par tes foins une illuftre Ecole *
Dérobe à l'oubli les hauts faits :
* Academie de Peinture établie parLouis XIV.
& placée dans le Louvre.
Digne
OCTOBRE . 1727. 2295
Digne de toi , dans ſes ouvrages
Elle tranſmet aux derniers âges
Ta gloire enfemble & tes bienfaits.

De fon art quel est donc l'empire
Ou quels font fes enchantemens
A fon gré la toile refpire ,
La couleur prend des fentimens ;
La main fçavante qui l'employe
De l'action qu'elle déploye
Me peint les plus fecrets refforts.
Des paffions vivante image ?
Le fpectateur qui t'enviſage
Sent à la fois tous leurs tranfports.
N
Mais quel éclat vient me furprendre &
Je vois un Appelle nouveau *
Des faits d'un nouvel Alexandre
Me tracer le brillant tableau ;
Prodiges voilez fous l'emblême ,
Qu'une main , prodige elle-même ,
* Galerie de Versailles peinte par le Brun.
G Etalo
2296 MERCURE DE FRANCE.
Etale à mes yeux éblouis !
Aux traits de l'augufte modele
Son pinceau noblement fidele
Par tout a rendu tout LOUIS.
S
Aux merveilles de fon Hiftoire
Tout l'Olimpe eft- il afſervi è
Alcide , Mars & la Victoire
Sur fes pas volent à l'envi.
Quel eft ce Guerrier intrépide?
Son char s'ouvre un fleuve rapide. (4)
Eft-ce le Souverain des eaux ?
Le Rhin qui fremit de l'outrage .
Honteux d'une impuiffante rage
Court la cacher fous fes rofeaux .
M
Aux pieds du Vainqueur en colere
Tombe le Batave éperdu : (6)
Tu fléchis , faftueux Ibere ! (c)
Je vois ton orgueil confondu .
(a) Paffage du Rhin.
(b) La Hollande châtiée.
(c) Prééminence de la France reconnuë publiquement
par l'Eſpagne,
Que
OCTOBRE . 1727. 2297
Quels Forts menace la tempête !
Ala valeur quelle conquête (4 )
Peut offrir un plus digne objet ?
Pallas que l'entrepriſe étonne ,
A l'air du Heros qui l'ordonne ,
Voit le fuccès dans le projet.
20
Enfans d'un effroy falutaïre ,
Etalez vos heureux portraits : ( 6)
Vertu ton facré caractere
S'y peignit de fes plus beaux traits :
Superbe azile ! Temple auguſte ! (c)
Prix magnifique autant que jufte
De la valeur de nos Guerriers !
Jaloux d'une gloire fi belle
Chez toy plus d'un rival d'Appelle
Ainfi que Mars a fes lauriers.
M
De l'Art à qui je rends hommage
(a) Conquête de la Franche - Comté dans le
fort de l'hyver , & en douze jours.
(b) Cloitre des Chartreux peint par le Sueur.
(c ) Dome des Invalides peint par Meffieurs
Boulogne P. Jouvenet, Coypel P. Corneille. La
Foffe , &c.
G ij Quels
J
2298 MERCURE DE FRANCE.
Quels fecrets nous ont échapé ?
Entre moi - même & mon image («)
Icy fe méprend l'oeil trompé ;
Là fous nos doigts on voit éclore
Avec les dons brillans de Floré , (d)
Ceux de Pomone & de Cerés .
Ici des Bois & des Campagnes (c)
Trompent Diane & fes Compagnes :
Pan croit être dans fes Forefts,
V
Et toy , FRANCE , qu'ont embellie
Tant d'inestimables morceaux ,
Tu ne dois plus à l'Italie
Envier les heureux pinceaux ;
Si Rome compte ainfi qu’Athénes
Des Zeuxis & des Protogenes ,
Noms celebres , noms immortels ;
Graces à l'objet de tes louanges ,
Tu peux compter des Michel- Anges ,
Des Titiens , des Raphaels.
(a) Les Peintres de Portrait.
(6) Les Peintres de fleurs & fruits.
fc) Les Paysagistes.
PRIERE
སར”
OCTOBRE . 1727. 2299
PRIERE POUR LE ROY
Dans tes mains , Dieu puiffant , tu tiens le
coeur des Roys !
De l'Empire des Lys protecteur fecourable
Sur fon Prince cheri , jette un oeil favorable ;
Fais pour notre bonheur & fa gloire à la fois
Que fon regne toûjours , foit le regne des
loix ;
Qu'heritier du Heros que nos chants éternifent
,
Il foit àjamais comme lui ,
Des Arts qui nous immortaliſent
La plus noble matiere & le plus grand appuy.
Ut pictura Poëfis ....
Horat. de Art . Poët .
Le Samedi 4. Octobre , M. de Boze ,
Intendant des Devifes & Infcriptions des
Edifices Royaux , l'un des quarante de
l'Académie Françoife , Secretaire perpetuel
de celle des Belles- Lettres , & Garde
des Medailles du Cabinet du Roy ,
fut reçû Confeiller , Amateur Honoraire
de l'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture , & prononça le Difcours fuivant
:
Giij MES
2300 MERCURE DE FRANCE :
MESSIEURS ,
S'il fuffifoit de fentir veritablement le
prix d'une grace pour en être digne ,je ne
ferois point du tout embarraffé à vous
remercier de celle que vous m'avez faite .
Elle fuppofe de grandes connoiffances ,
des talens précieux , & je rougis de ne
vous apporter en échange qu'un peu de
goût , joint à ce fond inépuifable d'eftime
& d'admiration , 'que la fimple vûë de
vos ouvrages renouvelle fans ceffe. Ce
qui me manque étoit refervé à une étude
plus particuliere de tant de Chef- d'oeuvres
; & cette étude aimable & fçavante
ne fe peut bien faire que dans le Sanctuaire
même , où vous daignez m'ad- .
mettre. Mefurez , Meffieurs , ma reconnoiffance
à vos bienfaits , & foyez perfuadez
que je vous en ferois une image
trés- intereffante , fi j'avois le don de vous
l'exprimer avec autant d'élegance & de
fidelité que vous nous exprimez tous les
jours les paffions de l'amè les plus vives
& les plus délicates .
M. de Boullongne , premier Peintre du
Roy , & Directeur , lui répondit , que
l'Académie étoit charmée d'avoir acquis
un Amateur de fon merite & de fon érudition
, perfuadée qu'il lui fera part dans
les
r
TI. NEW YORK
PUBLIC LIBRARY .
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
LUDOVICUS
XV
.
REX
CHRISTIANISS
PACIS
SPES
4
NE FUNDATA
PREVILS CONDITIONIBUS
SANCITIS LUT .PARIS
2004 MAIL .MDCCXXVI
OCTOBRE
Ов
1727. 2301
les occafions de fes fçavantes lumieres.
On apprend de Rome que le Seigneur
Jofeph Chiari , fameux Peintre de Luques
, & Membre, de l'Académie des
Arts , y mourut le 7. du mois dernier
d'une attaque d'apoplexie, âgé de 73. ans.
L'Académie lui fit le lendemain des obfeques
magnifiques dans l'Eglife de Sainte
Suzanne , fa Paroiffe , où il fut inhumé.
Cette perte eft d'autant plus confiderable ,
que depuis quelque tems les habiles Peintres
font affez rates en Italie .
SUITE DES MEDAILLES
du Roy.
Le fujet de la nouvelle Médaille que
nous donnons ici gravée en taille - douce ,
intereffe toute l'Europe . Elle a été frappée
fur l'heureux évenement du 31. May
1727. jour auquel , fous les aufpices du
Roy , & dans la Capitale de fon Royaume
, furent fignez par les Miniftres de
toutes les Puiffances intereffées , les Préliminaires
d'une prochaine & folide paix .
,
On voit d'un côté de cette Médaille , le
Bufte du Roy , avec la legende ordinaire ,
LUDOVICUS XV . REX CHRISTIANISS .
& au Revers , les figures de Mars & de
Minerve , qui fe donnent la main . Der-
Giiij rierre
2302 MERCURE DE FRANCE.
riere eux s'éleve un Olivier , aux branches
duquel font attachez les Écus des
Armes de France , de l'Empire , de l'Efpagne
, de l'Angleterre & de la Hollande.
Pour legende , SPES PACIS ÆTERNA
FUNDATA : Efperance fondée d'une
Paix durable ; & dans l'Exergue , ces
mors
PRÆVIIS
>
CONDITIONIBUS
SANCITIS LUT . PARIS . XXXI MAII
M. DCC. XXVII . Préliminaires fignez
à Paris le 31. May 1727 .
Les coins de cette Médaille ont été gravez
par le fieur Duvivier , de l'Académie
Royale de Peinture & Sculpture. M. de
Boullongne , premier Peintre du Roy , en
a fait le deffein.
PROBLEME DE
GEOMETRIE.
Soient donnez plufieurs Cercles les uns
dans les autres en
proportion quadruple
par rapport à l'aire , ou double par rapport
à la
circonference ; de maniere que
tous ces Cercles fe
touchent à un point
commun.
Je demande quelle eft la courbe , laquelle
paffe par le point 180. du premier
ou du plus petit Cercle , par le point
90. du fecond , par le point 45. du troifiéme
, par le point 22.30 '. du quatriéme
, par le point 11.15 . du cinquiéme
THE
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.
OCTOBRE. 1727. 2303
11215 !
180 .
XXXXXXXX : XXXX : XXX
CHANSON.
U Ne Maîtreffe trop auftere ,
Rend un Amant malheureux :
Ceffe- t-elle d'être fevere ?
11 ceffe d'être amoureux,
Gy Pour
45 .
061
me , & ainfi à l'infini en proportion
fous -double .
>
2304 MERCURE DE FRANCE.
Pour ceux qui portent tes chaînes ,
Amour , quels font donc tes plaifirs ,
Si tu ne finis leurs peines ,
Que pour éteindre leurs defirs ?
L
SPECTACLES.
Es Comédiens François ont remis
au Théatre , au commencement de
ce mois , la Comédie du Philofophe ma .
rié , qui fait le même plaifir que dans la
premiere nouveauté.
Ils doivent domer au premier jour la
nouvelle Piece des Amazones modernes ,
dont on parlera le mois prochain .
Les mêmes Comédiens ont reçû depuis
peu , une petite Piece intitulée le Procureur
Arbitre.
Le 13. de ce mois ils remirent au Theatre
la Tragedie de Tiridate , de feu M. de
Campiston , de l'Académie Françoife ,
qu'on n'avoit reprefentée depuis trèslong-
tems. Elle a un fort grand fuccés.
L'Auteur a trouvé le moyen de faire
naître de la compaffion pour un Princedont
l'amour doit faire horreur. Le fpecrateur
fe trouve comme forcé de le plaindre
OCTOBRE. 1727. 2305
dre , lui voyant cherir la plus violente
paffion , en même tems qu'il la condamne.
Sa fituation eft très - touchante.
Cette Piece fut donnée dans fa nouveauté
au mois de Février 1691. avec un
fuccès prodigieux . Les rôles d'Arface ,
de Tiridate , d'Artaban , d'Abradate , de
Mithrane , d'Erinice & de Taleftris, étoient
remplis en ce temps - là par les Srs . de
Champmeflé , Baron , Raifin l'aîné , la
Torilliere , Rofelly , & par les Dlles Raifin
& Champmeflé . Aujourd'hui ces principaux
rôles font très - bien jouez par les
Srs . le Grand le Pere , du Frefne , le Grand
le fils , du Chemin le fils , Fontenai , &
par les Diles le Couvreur & d'Angeville .
Les Actrices qui jouent dans cette Piece,
ont fait quelques changemens dans leurs
habits que le Public a approuvés. Ces habits
qui font toujours d'une grande richeffe
, font aujourd'hui conformes à ceux
des Dames de la Cour , à longues queuës
trainantes , & en corps de robbe.
Le 17. de ce mois les mêmes Comédiens
lurent dans leur Affemblée une Comédie
en trois Actes , avec un Prologue
fous le titre du Faux Sçavant , qu'ils reçûrent
unanimement . On dit beaucoup
de bien de cet Ouvrage .
+
La Tragedie d'Admete & d'Alcefte ,
fera remife au Théatre dans le mois pro-
G vj chain .
2306 MERCURE DE FRANCE.
3
-
chain. L'Auteur y a fait des changemens
confiderables fur tout dans les rôles
d'Admete & d'Alcefte , qui ne font plus
les mêmes. Il y a plus de fix cens vers
nouveaux , & elle ne portera plus le même
titre. C'est à prefent la Mort d'Alcefte.
Les Comédiens Italiens ont reçû depuis
peu une petite Comédie intitulée la Souriciere.
Le 23. Août dernier ces Comediens
'donnerent la premiere repreſentation d'u
ne Paſtorale Heroïque , en vers, avec des
agrémens,intitulée Zephire & Flore . Cette
Piece fut très- bien reçûë du Public .
Le Sr. Lelio le fils en eft l'Auteur. Ce n'eft
pas ici fon coup d'effai ; il a déja eu part
à quelques Pieces qui ont été applaudies.
De fi heureux commencemens font efperer
des Ouvrages encore plus brillants.
Voici de quoi il s'agit :
Zephire ,
Cloris ,
Venus ,
ACTEURS.
L'Amour
Pluton
La Jaloufie ,
Le fieur Lelio le fils.
la Dile Sylvia:
la Dlle Lande.
la Dile Lelio.
le fieur Romagnefi .
le fieur Mario
Troupe de Sylvains & de Nymphes.-
Troupe d'Aquillons.
Troupe
7
OCTOBRE. 1727 .
2307
Troupe de Fleurs perfonnifiées.
La Scene eft dans une Forêt.
ACTE I.
Zephire fe plaint de l'infenfibilité de
Chloris ; il va chercher cette Nymphe
qu'il aime. La Nymphe vient un moment
après qu'il eft forti . Fatiguée de la chaffe ,
elle veut goûter les douceurs du fommeil
fur un lit de gazon ; elle invite le Zephire
à rafraîchir l'air . Zephire s'entendant
nommer vient à elle ; il lui parle de fon
amour , elle lui jure une éternelle indifference
, & fe retire . Zephire fe plaint de
fon malheur , Venus arrive dans un char
avec l'Amour. Elle invite fon Fils à rendre
Zephire heureux ; l'Amour lui répond
que ce Dieu a toujours été rebelle à fes
loix , & que , pour l'en punir , il veut qu'il
fente tout le poids de fes chaînes. Venus
voyant qu'elle ne peut rien obtenir de
fon Fils par la douceur lui parle d'un
ton de Mere , qui veut être obcie . L'Amour
n'eft pas moins rebelle au commandement
, qu'il a été infenfible à la
priere . Venus irritée , lui offre l'alternative
, d'obéir , ou d'être banni pour jamais
de Cythere .
,
,
L'Amour toujours plus fier choifit
l'exil , & fe retire , en proteftant qu'il
ren
2308 MERCURE DE FRANCE
rendra Zephire toujours plus malheureux .
Zephire eft au défefpoir de ce qui vient
de fe paffer entre la Mere & le Fils , prévoyant
qu'il fera la premiere victime de
leur défunion . Venus lui promet de mettre
tous les Dieux dans fes interêts : Zephire
fe retire. Mercure vient annoncer à
Venus, que Jupiter l'envoye pour terminer
le fcandaleux procès qui eft entre la
Mere & le Fils ; il lui dit qu'il eft Plenipotentiaire
de la paix , & qu'il va travailler
férieufement à mettre l'Amour à la raifon
: Venus lui fçait bon gré de fon zele ,
& fe retire . L'Amour vient un moment
après . Mercure feint de prendre fon parti
contre fa Mere : il a déja diſpoſé les Dieux
des Bois à le feconder dans fon projet. Il
dit à l'Amour qu'il regnera bien plus
agréablement dans ces Forêts que dans
Cythere , où fa fuperbe Mere prétend
qu'il obéiffe. On entend une douce fymphonie.
Mercute fait entendre à l'Amour
que les Divinitez des Forêts viennent lui
rendre hommage. Il l'invite à s'affeoir
pour écouter leurs douces chanfons ; &
à la faveur du fommeil qui vient le furprendre
, il lui dérobe fon carquois & fon
flambeau , & s'enfuit . A peine l'Amour
eft -il défarmé , que les Sylvains l'infultent
. Il s'éveille au bruit des brocards
qu'ils lâchent contre lui dans leurs nouveaux
4
OCTOBRE. 1727. 2309 .
veaux chants. Il eft outré du tour que
Mercure lui a joué , & dit aux Sylvains ,
que , tout défarmé qu'il eft , il a encore
affez de puiffance pour leur faire fentir la
colere.
ACTE II.
Zéphire & Chloris commencent ce lecond
Acte. Venus s'eft déja fervie des
traits que Mercure a volez à l'Amour.
Le coeur de Chloris en a été bleffé ; elle
en fait l'aveu charmant à Zéphire , qui
en redouble fa tendreffe pour elle . Sa
joye éclate aux yeux de l'Amour , qui eft
furpris de les voir fi tendrement unis ,fans
qu'il s'en foit mêlé , & malgré lui - mêine;
il ne comprend pas comment une autre
main que la fienne a pû lancer fes traits .
Peut -être en foupçonne- t - il Mercure ;
mais Venus ne le laiffe pas long - temps
dans l'incertitude , elle vient munie de
fon Carquois & de fon Flambeau , &
infulte à la difgrace de fon fils . Elle
charge Mercure , qui la fuit , de porter
ces traits qui infpirent l'amour , au Souverain
des Dieux , afin qu'il en difpofe
en faveur de quelqu'autre que ce fils rebelle
aux ordres de fa mere. Pour ce qui
eft des flêches de plomb qui font naître
Payerfion , elle fouhaite qu'elles foient
jettées
2310 MERCURE DE FRANCE.
jettées dans quelque gouffre impenetra
ble , d'où elles ne fortent jamais ; elle
garde pour elle le Flambeau deſtiné à
l'union des coeurs . Mercure remonte aux
Cieux pour executer les ordres de Venus,
qui fe retire , après avoir accablé Cupidon
de mépris . L'Amour irrité , a recours
aux Enfers , au deffaut du Ciel
qui femble confpirer contre lui ; il invo
que Pluton ; ce Monarque redoutable
des Enfers vient à ſon ſecours ; l'Amour
le prie de lui prêter l'affiftance de quelque
monftre horrible , qui le venge des
outrages de fa mere ; il l'en conjure au
nom de Proferpine qu'il a autrefois attendrie
pour lui . Pluton lui nomme tous
les monftres qui font leur féjour dans le
noir Tartare. L'Amour n'en connoît point
de plus propre à fervir la colere , que la
Jaloufie. Pluton évoque cette cruelle divinité.
La Jaloufie demande à quel employ
on la deftine ; à me venger , lui
dit l'Amour. Pluton deffend à la Jaloufie
de rentrer jamais dans les Enfers , de
peur qu'elle n'étende fon pouvoir funefte
jufqu'à troubler l'heureufe intelligencequi
regne entre fon époufe & lui . La Jaloufie
inftruite par l'Amour de ce qu'elle
doit faire , fort pour aller prendre la
forme de Philis , Nymphe cherie de
Chloris , l'Amour fe retire auffi . Chloris
vient
OCTOBRE 1727. 2311
vient , occupée de fon amour , elle fe
plaint de ne point voir Zéphire . La fauffe
Philis arrive ; elle lui fait entendre que
Zéphire la trompe , & qu'il eft actuellement
à foupirer aux pieds de la Nymphe
Steretufe ; elle touche en même- temps
Chloris d'une espece de.Caducée , où l'on
voit des ferpens entortillez . Le Caducée
opere. La Jaloufie fe retire. Zéphire
vient ; il regrette l'abſence de fa chere
Chloris. La fauffe Philis le rend jaloux
à fon tour , en lui faifant entendre que
Chloris aime un Dieu des Fleuves , dont
elle eft tendrement aimée . Le Caducée eft
auffi heureuſement employé qu'il l'a déja
été à l'égard de Chloris . Zéphire refte
feul ; il témoigne fon defefpoir ; il ne
veut plus regner dans des lieux qui lui
font devenus fi funeftes , & fi odieux . Il
invite les plus fiers Aquilons à venir regner
en fa place. Les Aquilons s'emparent
des lieux de fon Empire , ils font
des ravages affreux . Ce fecond Acte finit
par cette Fête terrible , dont la Mufique ,
qui eft du fieur Mouret , a été generalement
applaudie.
ACTE III.
Mercure redefcendu des Cieux , fait
entendre que tous les Dieux veulent que
Venus
2312 MERCURE DE FRANCE .
le Venus fe reconcilie avec fon fils pour
bonheur de l'Univers. Le raccommodement
le fait , aux conditions que Venus
prefcrit à l'Amour la premiere condition ,
c'eſt que Zéphire & Chloris foient parfaitement
heureux. Cupidon conſent à
tout , pourvû qu'on lui rende ſes armes .
Mercure les lui remet entre les mains ;
ils fe retirent tous trois pour faire place
à Zéphire & à Chloris ; ces deux Amans
jaloux , après quelques plaintes de part
& d'autre , en viennent enfin à un éclairciffement.
Cela fuffit pour les défabufer
& pour les réunir. Venus , Mercure &
l'Amour viennent jouir de ce raccommodement
, au grand regret de la Jaloufie ,
qui par-là voit tous les projets avortez .
Mercure lui confeille d'aller fe confoler
dans les Enfers du mauvais fuccès de fa
premiere entrepriſe . La Jalousie lui dit
que Pluton l'en a bannie pour toujours ;
mais qu'elle s'en dédommagera bien par
les ravages qu'elle prétend exercer fur
toute la terre. L'Amour lui deffend de
troubler jamais ces deux Amans , dont
il prétend faire le bonheur. La Jaloufie
fe retire. Zéphire change Chloris en divinité
des Bois , & lui donne le nom de
Flore. Les Fleurs font les premiers fujets
qui viennent rendre hommage à leur mere
& à leur Souveraine . La Piece finit par
>
unc
OCTOBRE . 1727 : 2313
une gracieuſe Fête mêlée de chants & de
danfes , dont M. Mouret a fait la Mufi .
que. On fçait combien il excelle en tout
genre.
Les Comédiens Italiens donnerent le
24. Septembre , la premiere reprefentation
de l'Ile de la Folie , Comédie en
un Acte , avec un Divertiffement. Cette
Piece qui eft des Srs Dominique & Romagnefi
, a été fort applaudie. On en a
trouvé le fujet fort réjouiffant , & les
Scenes bien écrites .
Gulliver ,
ACTEURS.
Le fieur Dominique."
Un Habitant de l'Ifle de la Folie , le fieur
Mario.
L'Equilibre de l'Ifle , le fieur Lelio lefils. '
Une Habitante ,
Un Muficien ,
la Dlle Thomaffin.
le fieur Romagnefi .
Un François ,
La Folie ,
le fieur Romagnefs.
la Dile Sylvia.
La Raifon la Dlle Lalande.

Un Suivant de la Raifon , Scaramouche.
Habitans & Habitantes de l'Ifle pour le
Divertiffement.
-Cette Piece contient une critique des
nouveautez litteraires , tant imprimées ,
que reprefentées au Théatre : voici la
Fable
2314 MERCURE DE FRANCE.
1
Fable les Auteurs ont imaginée pour
donner à ce fujet une forme théatrale.
que
, Gulliver arrive dans l'Ifle de la Folie
où il étoit expofé à mourir de faim , fans
le fecours d'un des Habitans qui l'a trouvé
fur un rocher. Cet Habitant lui dit
que les beaux efprits de l'Ifle l'ont apperçu
à la faveur d'un Teleſcope. La folie
de ce premier Infulaire , eft de vouloir
reformer les moeurs ; il n'y a rien de
fi ailé , dit- il , il ne faut , pour y parvenir,
qu'éteindre dans le coeur des hommes la
Joifdes richeffes , en déraciner l'orgueil ,
en bannir les faux préjugez , la médifance
, la trahifon , & y fubftituer la candeur
, la docilité , la fageffe & la raison .
Ce qui fait juger à Gulliver de la folie
des autres Habitans , d'autant plus que
ce réformateur fe croit raiſonnable .
Cette Scene eft fuivie de bien d'autres
dont le détail feroit trop long ; nous
nous contenterons d'en extraire quelques
morceaux. Commençons par celle de
l'Equilibre , dont la fin a paru faire beaucoup
de plaifir. Gulliver voyant que l'Equilibre
entre dans des matieres de morale
, l'interrompt par ces mots."
Gulliver.
Oh ! point de morale , de grace ; revenons
à votre employ ; daignez m'expliquer
de quelle maniere vous l'exercez .
L'EquiOCTOBRE
. 1727. 2315
L'Equilibre.
Je vais vous en inftruire. Qu'une femme
, par exemple , femble pancher vers un
Amant qui la follicite vivement , je la
retiens auffi-tôt par la bride de la pudeur.
Gulliver.
Et cette bride là eft-elle affez forte pour
la retenir long-temps en équilibre ?
L'Equilibre.
Qu'un courtifan envieux veuille détruire
ouvertement la fortune d'un de fes
Rivaux , je lui oppofe d'abord les interets
de la fienne , qui le tiennent fi bien en
équilibre , que ce n'est que par des voyes
fouterraines qu'il agit contre lui,
Gulliver.
Voilà un tour d'équilibre des plus fub.
tils , celui -là.
L'Equilibre.
Qu'une coquette foit obfedée par un
vieillard opulent , & par un adolefcent
qui n'ait que fes appas pour tout revenu ,
je vous la tiens dans une fi jufte balance
qu'elle met également à profit l'argent de
l'un & les careffes de l'autre.
Gulliver .
Admirez la foupleſſe , &c.
L'Equilibre.
Que vous dirai-je enfin ? c'est par mes
beureux talens que l'ordonnance de toutes
shofes eft fi bien diftribuée. Par moi les
Specta
2316 MERCURE DE FRANCE .
.
Spectacles fleuriffent également , & font
· dans une noble émulation. Au Philofophe
marié , j'oppoſe le Berger d'Amphriſe
& les amours des Dieux aux petits hommes.

Gulliver .

Ma foi , l'équilibre n'eft pas juste , fr
fi vous en faites fouvent de pareils , vous
courez rifque de vous caffer le cou .
L'Equilibre .
C'est moi qui oppofe aux graces naturelles
d'une illuftre Danfenfe , une nouvelle
Emule , qui partage le public incertain
par des entre- chats , des fauts & des
cabrioles.
Gulliver .
Oh ! je connois le gout du fiecle ; vous
verrez que la Sautenfe fera trebucher la
balance.
Voici encore quelques fragmens d'une
autre Scene qui a été fort applaudie ; elle
eft entre Gulliver & une Habitante ; cette
derniere approche en danfant & en chantant.
L'Habitante .
Allons , Monfieur , de la joye , diver
tiffez- vous.
Gulliver.
En verité , Mademoifeille , vous me
oharmez ; vous êtes d'une humeur bien
agréable.
L'Habitante
OCTOBRE . 1727. 2317
L'Habitante.
Auffi en ai-je fujet ; & lorsque l'on va
fe marier , c'est un crime dans ce pays que
de fe livrer à la melancolie.
Gulliver , à part.
Elle va fe marier ; que j'envie le bonheur
de celui qui poffedera tant de charmes!
& quel eft , adorable perfonne , le
fortuné mortel qui ....
L'Habitante.
Ma foi, je n'en fçais encore rien ; tout
ce que je puis vous dire , c'est que c'est au-
- jourd'hui`mon jour de nôces , &c. Apprénez
que dans ce pays ci , auffi tôt qu'une
fille eft parvenue à un certain age , elle eft
obligée de fe marier. Grace au Ciel , ily a
une demi heure que je fuis nubile , & je
ne veux point laiffer perdre mes droits .
Gulliver.
نم
Malepefte , vous auriez grand tort ,
-vous faites fort bien de profiter du privilege
, &c. Si vous vouliez •
L'Habitante.
Je vous vois venir ; vous allez fans
doute vous propofer ; allons , toppe.
Gulliver.
Mais en verité , cela eft charmant ...
on n'a pas le temps de fouhaiter avec vous.
Aurois-je le bonheur de vous plaire ?
L'Habitante.
Non mais n'importe , cela n'est point
neceffaire,
Gulliver
2318 MERCURE DE FRANCE .
Galliver.
Vous avezraison : c'est à peu près come
me chez nous .
L'Habitante.
Bon , voici déja un mari pour ma journée
; je fuis maintenant curieufe de fçavoir
avec qui je me fiancerai ce foir,
Gulliver.
Qu'est- ce que cela fignifie ?
L'Habitante apprend à Gulliver , que
dans cette Ifle on ſe marie tous les jours .
Et les raifons qu'elle en donne , c'eft 1 .
pour n'avoir pas Le défagrément du lendemain
; 2° . pour n'être pas long- temps
la duppe d'un mauvais choix , &c.
Toute la Piece confifte en differentes
Scenes , & finit par une Fête que les Habitans
de l'Ifle viennent celebrer à l'honneur
de la folie , qui après avoir prié Gulliver
de refter dans fa Cour , fe joint ellemême
parmi les fujets pour former le Divertiffement.
Le fieur Lelio le fils y danfe
une Entrée feul qui a fait beaucoup de
plaifir , & a été fort applaudie,
J
VAUDEVILLE .
Eunes Beautez de Paris ,
Vous gardez trop vos maris ;
Ici ce n'eft pas de même ;
Notre fort eft bien plus doux ,
Et
OCTOBRE 1727 2317
Et nous changeons d'Epoux ,
Comme on fait d'Amans chez vous :
Voilà notre fyftême.
La Mufique , qui eft toujours du fieur
Mouret , eft très -bien caracteriſée & fait
grand plaifir .
NOUVELLES DU TEMPS.
TURQUIE .
N écrit de Barbarie , qu'il étoit ar-
OrivéàTunis , à la fin du mois d'Août
dernier , . Corfaires avec 72. Efclaves ,
enlevez tant dans l'Ile de Cephalonie ,
qu'à Calvi , & qu'on avoit publié une
Ordonnance du Bey , portant deffenfe à
tous Armateurs , fous peine de mort , d'aller
croifer fur les Côtes de France , &
d'infulter le Pavillon François de quelque
maniere que ce puiffe être.
Quelques Lettres de Perfe portent, que
le Sultan Acheraf étoit entré en accommodement
avec le Gr. S. & que le bruit
couroit qu'il y avoit un Traité de Paix
ſigné.
On mande de Conftantinople , qu'il
H étoit
2318 MERCURE DE FRANCE.

étoit arrivé un grand tumulte à Amadan ,
Ville confiderable de Perfe ; que les troupes
du Gr. S. s'y étoient mutinées faute
de vivres & de paye ; que les Janiſſaires
avoient maffacré leur Aga avec 4. ou 5 .
de leurs principaux Officiers ; & que pendant
ce défordre , le Seraskier Achmet
Pacha qui craignoit les fuites du méconrentement
du Gr. S. s'étoit retiré à Bagdat,
où il lui étoit facile de fe fouftraire aux
ordres de la Porte , & de mettre la vie en
fureté , parce qu'il eft fort aimé dans
cette Ville & dans tout fon Gouverne
ment.
Les dernieres Lettres portent que le
Chef des Rebelles de Perfe a écrit au
Gr. S. qu'il n'avoit jamais pris les armes.
dans le deffein de faire des conquêtes ,
mais feulement pour rendre à la Religion
Mahometane l'ancien éclat qu'elle a perdu
par les innovations continuelles des
Docteurs Turcs : que S. H. pouvoit juger
de fon peu d'ambition
par le peu de foin qu'il a pris de pouffer
fes conquêtes
;
qu'il
auroit
pû prendre
Amadan
& plufieurs
autres
Places
que la retraite
des
Turcs
laiffoit
fans
deffenfe
; mais
qu'il
avoit
mieux
aimé
fe tenir
fur la deffen- five , que d'agir
offenfivement
contre
fes
freres
.
Ces Lettres ont engagé le Gr . Vizir à
affem
OCTOBRE. 1727. 2319
affembler extraordinairement le Divan , &
P'on affure qu'il a été réfolu d'offrir au
Sultan Acheraf la reftitution de Tauris
& des autres conquêtes faites en Perfe
par les troupes du Gr. S. à condition que
ce Chef des Rebelles renonce pour lui
& fes fucceffeurs à lapoffeffion de la Georgie
, afin que cette Province ferve dorénavant
de barriere aux deux Etats ; lui
déclarant que s'il refufe d'accepter ces
propofitions , le Gr. V. paffera en Perfe
avec toutes les forces de S. H.
Des Lettres particulieres de Bagdat ,
confirment les premiers avis qu'on avoit
eu de la rebellion des Janniffaires contre
leur Aga , & la défertion des Turcs : elles
ajoutent que le Pacha de Babilone
avoit fait trancher la tête au Capigi Aga,
qui avoit été envoyé de la part du Grand
Seigneur pour lui demander la fienne. ,
RUSSIE.
E Czar fe fait rendre compte de toutes les
chofes fur lefquelles le Senat doit déliberer;
on y ajoute une explication exacte des circonftances.
S. M. Cz . fe fait informer auffi des
affaires d'Etat qui fe font paffées fous les deux
regnes precedens : deux Secretaires ont été
nommez pour en faire un Extrait hiftorique
en Langue Ruffienne.
On a envoyé des ordres au Gouverneur de
Mofcou d'augmenter la garnifon de cette Ville
Hij jufqu'à
2320 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'à 18000. hommes , afin de contenir dans
leur devoir les mal intentionnez qui y font
en très grand nombre , quoiqu'on y ait executé
depuis peu 38. perfonnes , convaincuës
d'avoir eu part au dernier projet de Rebellion.
Les Generaux Mofcovites qui commandent
les troupes du Czar dans le Duché de Curlande
, ont ordre de ne pas permettre que les
Polonois faffent entrer dans ce Duché un plus
grand nombre de troupes que les sooo . hommes
qui y font déja.
S. M. Cz. ayant réfolu d'augmenter confiderablement
fa Marine , on fond actuellement
180. Canons de bronze pour armer les nouveaux
Vaiffeaux de Guerre qui font fur les
chantiers.
M. Gunter , General de l'Artillerie , a fait
depuis peu l'épreuve de quelques Mortiers de
nouvelle invention , en prefence de la Generalité
, des Miniftres Etrangers & des principaux
Membres de l'Académie des Sciences &
des Arts. Ces Mortiers qui jettent des Bombes
depuis 40. jufqu'à 300. péfant , peuvent
fervir également fur terre & fur mer. Celle
qui fut jettée le plus loin , alla jufqu'à quatre
Werfies ou 5500 pas.
On a fait défiler vers Derbent 4. Regimens
d'Infanterie de 3000 hommes chacun , pour
renforcer l'armée que le Czar entretient fur les
Frontieres de Perfè , & qui fera compofée de
30000. Mofcovites , de 8000. Tartares & dẹ
6000. Cofaques .
Le 18 Septembre , vers les 6. heures du foir,
le Czar revint à Petersbourg de Petershoff ;
mais S. M. Cz . au lieu de fe rendre au Palais
du Prince Menzikoff , qu'elle avoit habité depuis
la mort de la Czarine , alla defcendre au
Palais d'Eté Imperial , & elle envoya ordre à
CO
OCTOBRE . 1727. 2221
Ce Prince par deux Officiers de fes Gardes ,
de ne point fortir de fon Palais. Le 19 .
au matin , d'autres Officiers s'étant rendus
chez lui par ordre du Czar , lui cafferent fon
épée , le dépouillerent de l'Ordre de S. André,
& on l'arrêta pour le conduire avec une nombreufe
eſcorte à fa terre d'Oranjenboom , environ
à cent Werftes au-delà de Moſcou , où
il demeurera gardé à veuë avec toute la famille
, pendant le temps qu'on lui fera fon Procès
; & pour prévenir l'execution des ordres
que ce Miniftre difgracié pourroit avoir donné
dans la veuë de faire réuffir divers projets
dont on l'accufe , on publia le même jour à
fon de trompe , dans tous les quartiers de la
Ville , le Placard fuivant , au nom du Czar.
Dautant que nous avons résolu d'affifter en
perfonne , dès à préfent & à l'avenir , à notre
Suprême Confeil Privé , & d'en figner les Røfultats
& Ordonnances de notre main propre :
Nous enjoignons par ces Préfentes , & déclarons
que notre volonté est , qu'aucun ordre , de quelque
nature , ou fous quelque prétexte que ce
Toit , écrit ou expedié par le Prince Menzikoff
ou par quelqu'autre en particulier , ne foit à
l'avenir accepté ni executé sous peine de notre
difgrace. Cet ordre émané de notre Senat , fera
publié dans tout notre Empire , & fpecialement
parmi nos troupes , de l'on devra faire rapport
de cette publication à notre fuprême Confeil
Privé. Le 19. Septembre 1727. Signé , PIERRE,
On attribue la difgrace du Prince Menzikoff
à plufieurs motifs & chefs d'accufation ,
fçavoir:
Le mariage projetté entre fa fille & le jeune
Czar , qu'il avoit fait approuver par la feuë
Czarine dans fon Teftament ,
Hiij Ses
2322 MERCURE DE FRANCE .
Ses intrigues pour obtenir le Duché deCurlande
, où il avoit fait paffer des troupes dans
le deffein de fe faire élire Souverain de ce Duché.
La grande execution qu'il a fait faire à Mofcou
, à l'infçû du Czar & du Confeil , de plufieurs
Knées , Boyars & autres perfonnes de
diftinction, qu'il avoit accufé fauflement de
differens crimes d'Etat, & fait condamner plufieurs
à mort par des Juges qu'il intimidoit.
D'avoir été l'unique caufe de la mort du
Czarowitz , pere du Czar regnant .
D'avoir détourné le feu Czar de faire tranfferer
fa premiere époufe de fa prifon étroite ,
dans un endroit plus libre.
D'avoir infpiré au nouveau Czar des foupçons
contre le Duc & la Ducheffe d'Holſtein,
& d'avoir fçu par fes intrigues les éloigner
des Confeils où ils avoient été appellez par
le Teftament de la Czarine , & les faire partir
enfuite pour l'Allemagne, parce qu'ils s'oppofoient
à fes deffeins ambitieux.
D'avoir fraudé les Gabelles ,& amaffé par là
des fommes immenfes.
D'avoir retenu pour lui la moitié des Impôts
generaux fur le Tabac dont il étoit Sur-
Intendant , qui montent à 600. mille Roubles
par an .
D'avoir fauffement accufé plufieurs perfonnes
qui ont bien fervi le Czar , & qu'il a
néanmoins privé de leurs honneurs & de leurs
biens.
De n'avoir donné aucune borne à fon ambition
après la mort de Pierre I. ce qui paroît
par le deffein de marier fa fille au Czar regnant,
afin de fe faire donner la Lieutenance
de toute la Monarchie , d'y regner feul , & de
fupprimer l'autorité de tous les Confeils.
D'avoir
OCTOBRE. 1727 2323
D'avoir travaillé continuellement dans cette
veuë à fuborner l'armée & à la ranger dans fon
parti ; car quand la feue Czarine n'avoit pas
dans fes coffres de quoi payer les troupes
il y fuppléoit toujours en avançant des fommes
très-confiderables , dont il s'eft fait rembourfer
avec de gros interêts .
Le Baron de Schaffiroff & divers autres
Seigneurs Mofcovites , qui avoient été ou dégradez
ou exilez dans des endroits éloignez ,
fous le Miniftere du Prince Menzikoff , ont
été rappellez & rétablis dans leurs Charges &
dans leurs honneurs.
On affure que la conduite & les deffeins
de ce Miniftre , ont été découverts au Czar
par le Prince Dolhorucki , ci- devant Ambaſfadeur
Extraordinaire en Suede , & par le
Prince Gallitzin , arrivé depuis peu des frontiers
de Perfe.
POLOGNE .
E Comte Maurice de Saxe , qui s'étoit retranché
dans l'Ile d'Ufmeitz avec 600.
Dragons & quelque Infanterie , a été forcé
par les troupes Mofcovites , de fe retirer avec
perte de fon Artillerie & de fes bagages . Il
a pris la route de Pruffe , accompagné feulement
de trois Cavaliers , & le bruit court qu'il
eft à Memel. Une Compagnie de Dragons &
une autre d'Infanterie , qui ont été faites prifonnieres
de Guerre , ont été conduites à Riga
avec 12. pieces de Canon , 148. barils de
poudre 2000. facs de farines & autres munitions.
Quoique la retraite du Comte Maurice ,hors
du Duché de Curlande , foit avantageufe à
la République de Pologne , l'Evêque d'Er-
Hiiij merland
2324 MERCURE DE FRANCE.
,
merland , le Comte de Denhof, & les autres
Commiflaires regardent ces hoftilitez des
Molcovites , dans une Province qui releve de
la Couronne , comme une entrepriſe contraire
aux traitez , & ils ont pris la réfolution d'écrire
aux Generaux qui y commandent les
troupes du Czar , de les faire retirer inceffamment
, en les avertiffant que fur leur refus ,
la République prendra les melures convenables
pour les y forcer.
On a appris en dernier lieu , que la Commiffion
de Curlande a fait mettre aux arrêts
le grand Maître d'Hôtel , le Chancelier & le
grand Maréchal de ce Duché , contre lefquels
on a intenté diverfes accufations.
Les Officiers & Soldats du Comte Mau--
rice , qui ont été faits prifonniers dans l'Ifle
d'Ulmeitz , ont été amenez au Château de
Mittau , où la Bourgeoifie de la Ville leur fournit
des vivres par ordre des Commiffaires.
АБ
ALLEMAGN E.
U commencement du mois dernier , le
Duc de Bournonville , Ambaffadeur d'Ef
pagne à Vienne , donna une grande Fête & un
magnifique feftin , pour celebrer la naiffance
de l'Infant Don Louis. On a remarqué que
depuis 90. ans , on n'avoit point donné de
Fête à Vienne pour la naiffance d'un Infant
d'Espagne. On a publié une ample defcription
de cette Fête. Il y avoit une table de cent
Couverts , une autre de 24. & une troifiéme
de dix , toutes fervies dans la plus grande
magnificence. Le feftin fut fuiyi d'un Bal ,
dont la Princeffe de Lichtenſtein fut la Reine.
Le Duc de Bournonville lui avoit fait préfent
d'un éventail enrichi de deux diamans brillans
de
OCTOBRE. 1727.
2325
de grand prix. L'Hôtel de ce Miniftre étoit illuminé
en dedans & en dehors , & on avoit
formé fur une colline , un Château de verdure
,d'où coulerent deux fontaines de vin pour
le peuple.
On écrit de Lubec , que le Chapitre de la
Cathedrale proceda le 16. du mois dernier à
l'Election d'un nouvel Evêque , & que tous
les fuffrages fe réunirent en faveur du Prince
Adolph d'Holftein- Gottorp , coufin du Duc
d'Holſtein.
Les recrues qu'on leve en Autriche , Moravie
, Silefie & autres Pays hereditaires ,
doivent être fournies inceffamment , fous peine
d'execution militaire , & de payer cent
florins pour chaque homme qui manquera . Les
Regimens doivent être complets für le pied
de la derniere augmentation , & l'on a envoyé
des ordres pour augmenter les Magazins
des vivres & les munitions de guerre.
ITALIE .
U commencement du mois dernier , le
"
tu des ordres particuliers du Pape , quelques
Ecclefiaftiques qui portoient la perruque.
Le 9. Septembre au foir , l'Electeur de Cologne
arriva à Venife avec une nombreuſe fuite
de Gentilshommes & de Domestiques ; il
alla defcendre au Palais de l'Electrice Douairiere
de Baviere , fa inere.
La vendange a été très - abondante dans le
Royaume de Naples ; mais la récolte des
grains a été médiocre , à caufe des grandes
chaleurs.
Deux Vaiffeaux de Guerre Venitiens font
arrivez à Civita-Vecchia pour y embarquer
Hy une
2326 MERCURE DE FRANCE .
une chaîne de 250. Forçats , dont le Pape fair
préfent à la République de Venife.
On mande de Venife , qu'on avoit trouvé à
Chiotza , le Corps de S. Felix & le Chef de
S. Fortuné , Freres , Martyrs , de l'ancienne
famille des Bainoni de Vicenze , lefquels
avoient été cachez avec d'autres Reliques en
1659. & que la Tranflation en avoit été faite
avec beaucoup de folemnité.
Le 15 du mois dernier , le Cardinal de
Polignac , chargé des affaires de France à Rome
, fit celebrer dans l'Eglife Nationale de
S. Louis des François , une Meffe folemnelle ,
après laquelle on chanta le Te Deum , en action
de graces de la naiffance de Mefdames
de France. Enfuite ce Cardinal fit diftribuer
des habits & des dots à 42. pauvres filles qui
avoient affifté à la Ceremonie . Le foir , fon
Palais fut magnifiquement illuminé , ainfi
que
ceux des Cardinaux Ottoboni , Gualterio ,
Bentivoglio , & de plufieurs autres qui avoient
affifté le matin à la Meffe & au Te Deum .
Le 19. le Comte de Gergi , Ambaffadeur du
Roi T. Ch. à Venife , fit chanter le Te Deum
dans l'Eglife Paroiffiale de N. D. del Horto
qui étoit très magnifiquement ornée & trèsingenieufement
illuminée , à l'occafion de la
naiflance de Mefdames de France. Du milieu
de l'Eglife s'élevoit fur une charpente , une
Tribune qui contenoit quatre-vingt Muficiens.
Quantité de Dames de la premiere qualité
& autres perfonnes de diftinction , invitées
par M. l'Ambaffadeur , furent placées dans
des fauteuils qui formoient un quarré au bas
de la Tribune. Le Comte de Gergi arriva à
l'Eglife au bruit d'une décharge de boëtes , en
-habit de ceremonie , & avec le même cortege
qu'il avoit le jour qu'il fit fon entrée publique
OCTOBRE . 1727. 2327
à Venife , jettant de temps en temps de l'argent
au peuple. Il fut falué par une feconde
decharge de boetes , en fortant de l'Eglife pour
retourner à fon Palais , à l'entrée duquel
deux fontaines de vin coulerent pendant toute
la Fête.
On fit pendant le jour & la nuit plufieurs
autres décharges de boëtes devant le Palais.
de France , où il y eût affemblée & jeu pendant
l'après-midi. Vers les 8. heures du foir , toutes
les faces de ce Palais furent illuminées .
ainfi qu'une espece d'Amphithéatre ou Plateforme
conftruite dans les lagunes fur de
grands Bateaux. Cet Edifice avoit 60. pieds
d'élevation fur so. de largeur , reprefentant
le Palais du Soleil , felon la defcription d'Ovide.
Au milieu de ce Palais , élevé fur 12.
Colomnes Corinthiennes , on voyoit la Statue
d'Apollon avec fa Lyre , & fur l'Entablement
étoient pofées les armes de France . Tout l'Edifice
étoit terminé par un Soleil brillant fur une
Pyramide. On y voyoit encore les fignes du
Zodiaque , celui des Jumeaux au milieu . Il y
eut fur cet Amphitéatre un très beau concert
d'Inftrumens qui dura près de deux heures ,
dont la Mufique , ainfi que celle du Te Deum,
étoit du fameux Vivaldi. On diftribua pendant
ce temps toutes fortes de rafraichiffe
mens.
Après le Concert , on fervit un fouper ma
gnifique , auquel l'Electeur de Cologne fe trouva
, ainfi que le Nonce du Pape , le Receveur
de la Religion de Malthe , & plufieurs autres
perfonnes de confideration. Le Comte de Gergi
fit diftribuer au peuple pendant le repas beaucoup
de viande & de vin. On repeta plufieurs
fois les décharges lorfque M. l'Electeur & les
autres perfonnes du premier rang , eurent
H vj l'hon2328
MERCURE DE FRANCE.
l'honneur de boire les fantez de Leurs Majeltez
& des Princeffes , & lorfqu'on bût la
fanté de M. l'Electeur . Après le repas , on
recommença le jeu qui dura bien avant dans
la nuit. Au refte , le Ciel , la Terre & la
Mer , fembloient être d'accord pour rendre
la Fête entierement parfaite car il ne faifoit
pas le moindre vent , le Ciel étoit des plus
fereins , & la Mer tout- à- fait calme : ce qui
eft extrêmement rare à Venife dans cette
faifon.
Le 14. de ce mois , le nouvel Archevêque
de Turin fit fon entrée publique dans cette
Ville , precedé de tout le Clergé Seculier &
Regulier , & d une nombreufe Cavalcade. Il
traverſa la Ville à cheval , fous un dais , porté
par quatre Echevins , & il fut fuivi des Confuls
, des quatre Decurions auffi à cheval , &
d'un très grand nombre de Caroffes que les
Seigneurs de la Cour avoient envoyé pour lui
faire cortege. En arrivant à la porte du Palais
Archiepifcopal , il fut complimenté par le
Comte Cafelete des Graveres , Orateur du
Senat.
On mande de Rome , que les Ducs de Poli
Conti , de Paganica Mattei & quelques autres
períonnes de diftinction , qui portent le
nom d'Abbez , & qui jouiffent de quelques
Benefices Ecclefiaftiques , ont reçu ordre de
quitter l'habit feculier & la perruque.
Le 24 du mois dernier au matin , l'Ambaſ
fadeur du Roi de Portugal , eut une Audience
publique du Pape , auquel il donna part
de la conclufion du mariage du Prince du
Brefil avec l'Infante d'Efpagne.
Le 25. l'Abbé Me lini- Tarlucci , partit de
Rome pour fa Nonciature de Pologne , avec
une fuite de 16. perfonnes.
ESPAGNE
OCTOBRE . 1727. 2329
ESPAGNE .
E Marquis d'Abrantes , Ambaffadeur Extraordinaire
du Roy de Portugal à Madrid,
reçoit les complimens des Miniftres Etrangers,
fur le double mariage du Prince des Afturies
avec l'Infante de Portugal , & du Prince du
Brefil avec l'Infante d'Espagne. Cet Ambafladeur
paroît en public , avec des équipages &
une livrée de la plus grande magnificence. Il
a une fuite de 3c. Genushommes , de 24. Pages
, & de 86. hommes de livrée .
Les Chefs des Communautez de la Catalogne
ont reçû ordre de retirer les armes qu'ils
avoient diftribuées dans le Pays , & de les faire
remettre dans les Magafins.
Dans la Proceffion folemnelle que les Carmes
Déchauffés firent à Madrid le 21. du mois
dernier pour la Canonifation de S. Jean de la
Croix , le Duc d'Offone , accompagné de plufieurs
Grands du Royaume , & d'un grand
nombre de Gentilshommes, portoit l'étendart
du Saint. L'Image de N. D. du Mont Carmel ,
celle du Prophete Elie & celle de Sainte Therefe
, étoient portées par d'autres perfonnes de
confideration , après lefquelles le Clergé , &
le Corps de Ville marchoient. Toutes les rues
par lefquelles la Proceffion paffa , étoient ornées
de Tableaux , & tendues de riches tapifferies
; des Autels étoient dreflés de diftance
en diſtance . Le foir , ces Religieux firent
tirer un très- beau feu d'artifice devant leur
Eglife , en face de laquelle ils avoient fait élever
trois Arcs de Triomphe.
Le Ducd'Offone a été fait Colonel du Regiment
des Gardes Efpagnoles , Infanterie, qui
vacquoit par la mort du Marquis d'Aytona.
Le
2330 MERCURE DE FRANCE .
Le 12. Septembre , le Vaiffeau s. Jean , de la
Religionde Malthe, prit à la hauteur de Maiorque
une Galiotte Algerienne , avec 53. Elclaves,
Le Roy d'Efpagne a ordonné de rendre les
Efclaves & la Tartane que M. le Chevalier de
la Romagere fit échouer à Almerie dans le
mois d'Avril dernier.
,
EXTRAIT d'une Lettre écrite de la
Rade de Cadix, le 15. Septembre 1727.
au fujet des Réjouiẞances faites par l'EScadre
des Vaiffeaux de France commandée
par le Marquis d'O , Lieutenant
General des Armées Navales du
Roy T. Ch. à l'occafion de la Naiffan
ce de Mefdames de France.
Ous fimes hier les Réjouiffances ordon-
Nnéespour l'heureux Accouchement de la
Reine . Nous commençâmes la journée par pa-´
voifer & mettre les Pavillons , Flames & Pavois
à tous les Vaiffeaux. A dix heures ,la Meffe
fut dite fur le Neptune , & à la fin, le Te Deum
fut chanté. Tous les Aumôniers & Officiers
de l'Efcadre , s'y trouverent. Il y avoit pour
eux deux rangs de chaifes , à droit & à gauche
, depuis l'Autel jufqu'au grand maft , &
trois au milieu pour les perfonnes invitées . On
tira enfuite 21. coups de canon de la batterie
balle du Neptune , 19. de l'Aimable , les autres
Vaiffeaux chacun 17. & les Marchands
chacun cinq.
Le Marquis d'O , Commandant en Chef,
avoit fait prier à dîner tous les principaux Officiers
du Roy d'Espagne qui font en ce pays.
M. de
OCTOBRE . 1727. 2338
M. de Jaguez , Capitaine General d'Andaloufie
, M. Caftagnette , Lieutenant General des
Vaiffeaux du Roy d'Espagne , M. le Chevalier
de Torris , Chef d'Efcadre des Vaiffeaux ,
M. le Chevalier de Regio , Chef d'Eſcadre des
Galeres , M. de Borghez , Gouverneur de Cadis
, & M. de Torre , Marechal de Camp , &
Infpecteur de l'Infanterie de Catalogne , amenerent
avec eux plufieurs Officiers de Terre
& de Mer.
Le Marquis d'O avoit fait venir 14. Muficiens
des meilleurs , qui amuferent la Compagnie
en attendant le dîner , pendant lequel les
hauts-bois des Gardes de la Marine d'Efpagne
jouerent. Le dîné fut grand , bien fervi &
magnifique ; il y avoit plus de foixante Couverts
à differentes tables. Après le dîné il y
eut un très - beau concert que Mrs. de Gentien,
Capitaine de la Frégate du Roy la Parfaite ,
& de Conflans , Lieutenant de Vaiffeau , firent
executer . Le Gailliard du Neptune étoit fermé
de tous côtez par des pavillons bleus , parfemez
de fleurs de lys couleur d'or , qui formoient
une magnifique Salle .
·
,
A l'entrée de la nuit on fit trois falves de
Moufqueterie de chaque Vaiffeau pendant
lefquelles ils furent illuminez avec des lanternes
de papier Il y en avoit fix cens fur le
Neptune , fans compter les fanaux du bord ,
ce qui faifoit un très beau fpectacle , n'y
ayant prefque pas de vent. Elles marquoient
la figure des navires , les hunes , toutes les
vergues & principaux cordages depuis les Girouettes
jufqu'en bas. L'illumination dura en
fon entier plus de deux heures. M de Vienne,
Capitaine de Vaiffeau , commandant la Fregate
PArgonaute , réüffit parfaitement dans l'arrangement
de l'illumination , le Gabary de fa Fregate
2332 MERCURE DE FRANCE.
gate étoit très - bien marqué par les lanternes,
fur-tout fa poupe avec les bouteilles , & même
les herpes de fon efperon . Outre l'illumination
des Vaiffeaux , toutes les Chaloupes
avoient plufieurs brandons goldronez , & un
banc de goldron à la remorque , & fe promenoient
dans la Rade , faifant differens mouvemens
avec les brandons , ce qui produifoit un
effet fingulier. Pendant ce temps l'Ardent ,
commandé par le Marquis de Gabaret , tira en
moins d'une heure & demie 6co. coups de canon
des deux bords de ſes deux batteries.
Le Marquis d'O fit donner du Roti d'extraordinaire
à tout l'Equipage , & à dîner à tous
les Cavaliers Eſpagnols , au nombre de plus de
cent.
On ne pouvoit dans cette occafion mieux
remplir les ordres de S. M. T. C. on a ſuivi
fes intentions en tout ce qu'on a pû . Cette Fête
a été fuperbe & brillante ,à la vûe de toutes les
Nations de l'Europe , y ayant des Vaiffeaux
de tous les Pais . Cela nous a fait beaucoup
d'honneur , & les Efpagnols paroiffent être
enchantez de nous .
M. de Jaguez, Capitaine General, porta au
Marquis d'O une fanté au fujet de l'heureux
Accouchement de la Reine , & d'un Dauphin
à venir. Plufieuis Efpagnols rencherirent , difant
qu'il en falloit deux,
On a auffi célebré à Cadix , fuivant l'ufage,
la fere de S. M. dans une Chapelle dédiée à
S. Louis . Tous les Officiers qui portent cet
Ordre , fe rendirent chez M. Partyet , Conful
de la Nation. Après les premieres Vêpres & le
Te Deum , on retourna chez lui , où il y avoit
des Tables dreffées pour plus de 60. perfonnes .
Il y eut un grand bal , & Me Partyet en fit les
honneurs , avec plufieurs Dames Espagnoles
Un
OCTOBRE. 1727. 2233
Un grand nombre d'Officiers François & Efpagnols
y pallerent la nuit . L'Evêque de Honduras
qui avoit officié aux Vêpres , vint avec
le Gouverneur de Cadix & plufieurs Officiers
Efpagnols chez le Conful ; l'Evêque de Cadix
s'y rendit auffi . Les Vaiffeaux du Roy firent à
l'entrée de la nuit 3. décharges de Moufqueterie
, & tirerent 17. coups de canon chacun :
les Marchands chacun 7. & tous les Vaiffeaux
furent pavoifez & ornez de leurs pavillons.
La Maifon du Conful fut illaminée pendant
la nuit du haut en bas. Le Marquis d'O donna
le 25. Août à bord du Neptune un grand feftin
à tous les Chevaliers de S. Louis de l'Efcadre.
GRANDE -BRETAGNE.
ADRESSSE de plufieurs Seigneurs
Gentilshommes , & Négocians Catholiques
Romains du Royaume d'Irlande ,
prefentée au Roy d'Angleterre par le
Lord Carteret , Vice- Roy d'Irlande.
SIRE ,
Nous les très-fideles & très- obeiffans Sujets
de V. M. les Catholiques Romains de Votre
Royaume d'Irlande , femmes veritablement affligésde
la perte inexprimable que cette Nation
vient de faire ; de même que tous les autres
Domaines de V. M. par le decès du Roy votre
Pere , notre très -gracieux Souverain. Penetrés
de la benignité & de la douceur de fon Gouvernement
, nous prenons la hardieffe , de la
maniere la plus humble , de nous approcher de
Votre Perfonne Sacrée , pour feliciter V. M. fur
Son
2334 MERCURE DE FRANCE.
fon heureux avenement au Trône , & pour demander
à V. M. la permiffion de l'affurer de
notre conftant hommage de notre inviolable
foumiffion àfa Perfonne & à fon Gouvernement;
l'un l'autre procedant non feulement de notre
inclination & de la fincerité de nos coeurs ,
mais auffi de la ferme perfuafion où nous fommes
, que c'est un devoir religieux , dont aucun
pouvoir fur la Terre ne peut nous diſpenſer.
EXTRAIT de l'Adreffe du Comté
de Somerfet.
N
,
Ous nefaifons nul doute que par l'affecfion
que V. M a déclaré avoir pour cette
Nation nous ne recouvrions les branches de
notre Commerce , qui ont été interrompues en
divers endroits , que nous ne confervions les
Poffeffions de la Grande- Bretagne , qui ont été
attaquées par nos Ennemis , & que nos Amis
mêmes regardent d'un oeil d'envie & que .
comme la Conquête de Gibraltar eft un des
traits les plus brillans d'un Regne précedent, le
premier heureux coup d'effai de V. M. ne foit
de nous en assurer la joüiffance , & de rendre
inutiles les prétentions qu'on veut faire valoir,
contre la foy des Traitez , pour la rendre précaire.
,
ADRESSE des Proteftans François
Refugiés au Royaume d'Irlande ,
preſentée au Roi d'Angleterre .
V Destans-Joumis sujetsans
Os très-foumis & fideles Sujets , les Proteftans
François Refugiés dans votre
Royaume d'Irlande , approchent aujourd'hui du
Trône de V. M. pour lui rendre leurs premiers
hommages
.
OCTOBRE . 1727.
2335
,
Nous avons reffenti , Sire , la mort du Roy ,
votre augufte Pere comme une calamité publique
, & rien n'auroit pû nous confoler d'une
perte , qui intereffe également l'Eglife & l'Etat
,fi nous n'avions trouvé en la perfonne de
V. M. l'heritier des vertus de ce fage Monarque
, auffi-bien que celui de fon Sceptre.
Ce font ces vertus bienfaifantes , ces qualitez
héroïques qui forment les bons & lesgrands
Rois , & que l'Europe voit briller en V M. qui
vontfaire deformais la felicité de vos Peuples.
Quel fupport & quelle protection n'en doit
point attendre en particulier un Peuple defouffrans
, qui porte depuis tant d'années la Croix
de Jefus - Chrift ? Et que ne pouvons - nous point
efperer d'un Roy que Dieu nous a donné felon
fon coeur& felon le nôtre ?
Permettez- nous , Sire , d'affurer V. M. de
notre fidelité inviolable pour votre Perfonne Sacrée
, & de la continuation de notre zele pour
la profperité & la gloire de notre nouvelle
Patrie.
>
Puiffent V. M. & notre auguste Reine , l'ornement
de fon fiecle , faire ensemble pendant
une longue fuite d'années les délices de la
Grande- Bretagne , & puiffent les Princes de
votre Sereniffime Maifon , occuper après vous
le Trône de ces Etatsjusqu'à la Pofterité laplus
reculée.
La Proceffion qui fe fera au Couronnement
du Roy & de la Reine , fera pareille à celle du
Couronnement du Roy Jacques II. & de la
Reine Marie fon époufe , excepté feulement
que les Pairs & Paireffes , & les Confeillers
Privez marcheront deux à deux , & tous ceux
d'un rang inferieur,quatre à quatre. M. Geor-
: ge Walter , un des Juges de Paix pour la Ville
de
2336 MERCURE DE FRANCE.
de Weltminster , & pour le Comté de Middlefex
, eft nommé pour reprefenter le Duc d'Aquitaine
, & en cette qualité il marchera à la
Proceffion en robbe d'Etat , de velours cramoifi.
Le 25. Septembre , la Cour des Pretentions
affemblée à Weftmintter , convint d'accorder
au Duc de Scarborough , toute la vaiffelled'argent
qui aurá fervi au Couronnement de
leurs Majeftez ; au Comte d'Exeter l'Aiguiere
d'argent , & au Champion Dymohe , le plus
beau Cheval des Ecuries du Roy , & c .
S. M. a nommé le Duc de Richmond , l'un
des Gentilshommes de la Chambre de S. M.
pour faire la fonction de Grand- Connétable
d'Angleterre à cette Cérémonie. Il a auffi eté
réfolu que le Grand Chancelier marchera feul
à la Proceffion , le Grand Maître de la Maiſon
du Roy, qui a droit de marcher avec lui,létant
nommé pour être Grand - Sénéchal , & porter
une partie des ornemens Royaux. Les plus anciens
Chevaliers de la Jarretiere foûtiendront
le dais pendant qu'on oindra le Roi. Les
Chevaliers du Bain marcheront après les Con
feillers Privez qui ne font pas Pairs . Tous les
Pairs & Paireffes feront en habits & robes de
céremonie.
Le Chevalier Robert Walpool , Chevalier
de la Jarretiere , & le Comte Dalkeith , Che
valier du Chardon d'Ecoffe , marcheront avec
les anciens habits de ces deux Ordres . Le Colonel
Lambert , Gouverneur du Fort de Tilbu
ry , reprefentera le Duc de Normandie. Le
fieur Coulthurft , Parfumeur du Roi , a eu ordre
de préparer l'huile deftinée pour oindre
Sa Majefté.
On a publié à Londres une Proclamation
qui fixe la cérémonie du Couronnement de
Leurs
OCTOBRE . 1727. 2337
Leurs Majeftez au 22. de ce mois , & un Reglement
contenant , fçavoir : Que la Robe ou
Manteau d'une Baronne doit être de velours
cramoifi , dont la chape ou cape foit doublée
de menu vair pur , & variée de deux bandes
ou rangs d'hermines ; que ce Manteau foit
bordé pareillement de menu vair pur , de la
largeur de deux pouces , & dont la queue
traine de trois pieds ; que fa Couronne foit
conforme à fa qualité ; fçavoir , que le bord
foit orné de fix perles , fans être relevées fur
des pointes .
Que le Manteau d'une Vicomteffe foit femblable
à celui d'une Baronne , excepté que la
cape en doit être variée de deux rangs & demi
d'hermine que le bord du Manteau foit auffi
large de deux pouces , & que la queue traîne
de quatre pieds ; que fa Couronne réponde à
fon rang , avec un bord de 16. perles ,fans être
relevée fur des pointes.
Le Manteau d'une Comteffe fera femblable ,
excepté que la cape aura trois rangs d'hermine
, le bord large de 3. pouces & la queue
traînante de 5. pieds : la Couronne enrichie de
8. perles relevées fur des pointes ou raïons ,
avec de petites feuilles entre deux au deffus
du bord.
·
La Cape du Manteau d'une Marquife fera
variée de trois rangs & demi d'hermine , & le
bord large de 4. pouces , & la queue longue
de près de 6. pieds , la Couronne compofée
de 4. feuilles & d'autant de perles relevées fur
des pointes à la hauteur des feuilles , & ran
gées les unes entre les autres .
La Cape du Manteau d'une Ducheffe aura
4. rangs d'hermine ; le bord cinq pouces de
largeur , & la queue traînante de 6. pieds : la
Couronne compofée de 8. feuilles , toutes
d'une même hauteur. Les
233S MERCURE DE FRANCE.
Les Surtouts doivent être de velours cramoifi
, attachez par devant avec une agrafe
bordez de menu vair pur de la largeur de deux
pouces , découpez en languettes aux deux côtez
de la ceinture en bas , & échancrez en
queue , fuivant la longueur du manteau de
chaque rang, c'est - à - dire , environ le tiers . Les
Paremens de ces Surtouts , auffi de velours
cramoifi , feront hauts d'environ 5. pouces
coupez en languettes par en bas , bordez de
menu vair , & garnis de frange d'or ou d'argent.
Les bonnets des Couronnes de velours cramoifi
, bordez d'hermine , avec un bouton &
une houpe d'or ou d'argent au haut , fuivant
la frange des paremens.
Les Jupes de drap d'argent ou de quelqu'autre
étoffe blanche , galonnée ou brodée .
Le Manteau doit être attaché fur chaque
épaule par des cordons d'or ou d'argent , convenables
à la frange , avec des houpes de même
, pendant de côté & d'autre jufqu'au def
fous de la ceinture. Que les Surtouts ou Kirtle,
qui eft une espece d'habit antique, foient beaucoup
ouverts par devant.
Les Pairs & Paireffes ne doivent enrichir
leurs Couronnes d'aucuns Joyaux ou pierres
précieuſes .
Le Chevalier George Walthon , Contre-
Amiral de l'Efcadre Rouge , eft prêt à partir
de Spithead avec 4. Vaiffeaux de Guerre du
Roi , pour aller joindre l'Efcadre du Vice-
Amiral Wager.
Plufieurs riches Marchands & Bourgeois de
Londres ont fait un fonds confiderable , pour
ériger une Statue Equeftre à la memoire du
feu Roi Guillaume , dans le Conduit de Cheapfide
i
OCTOBRE. 1727. 2339
fide , qui eft à peu près au milieu de cette
Ville.
·
Le Vaiffeau du Capitaine Kelloway , venant
de la Jamaique , chargé de Sucre , fut
brûlé le 6. du mois de Juillet dernier , il ne fe
fauva que 6. hommes qui aborderent le 7. avec
la Chaloupe , au Port de S. Laurent de Terre
neuve.
Le 19. du mois
dernier
il arriva
un funefte
accident
dans
le Village
de Barwel
, à trois
lieues
de Newmarket
où étoit
la Foire
:
Des
Bateleurs
ayant
loué
une Grange
pour y
faire
jouer
les Marionettes
, & en ayant
fermé
les portes
, le feu prit fubitement
, & environ
100. perfonnes
furent
brûlées
ou étouffées
, &
fept
ou huit
maiſons
voisines
furent
confumées
.
On apprend de Londres que M. Ruley ,
Gentilhomme du Comté d'Oxford , âgé d'environ
80. ans , a été tué depuis peu par un
grand Cerfqui étoit dans un Parc près de fa
maifon , & auquel il avoit accoûtumé de donner
du pain.
HOLLANDE - PAYS- BAS.
E 26, du mois dernier , M. Thomas- Jean-
François de Strickland , Docteur de Sorbonne
, & Abbé de S. Pierre de Preaux , Diocèſe
de Lizieux en Normandie , fut facré à
Malines , Evêque de Namur , dans l'Eglife
Metropolitaine de S. Rombaut , par le Cardinal
d'Alface , Archevêque de Malines , affifté
des Evêques d'Ypres & de Tricale. Le Siege
Epifcopal de Namur vacquoit depuis le decès
du Comte Ferdinand de Berio , qui en étoit le
onziéme Evêque , & qui mourut le 24. Août
$ 725.
MORTS ,
1340 MERCURE DE FRANCE .
ė į į į į į ė į į g g ó̟ o̟§ § 8 Į į Į Į Į &
MORTS ,
ののぬ
MARIAGES ,
Naiffances des Pays Etrangers.
E de Rabutin , Ambaffadeur Ex-
Ltraordinaire de l'Empereur à Peterſbourg
y mourut au commencement du mois dernier,
d'une attaque d'apoplexie , dont il fut furpris,
étant à table avec le Refident de la Republique
d'Hollande , & avec d'autres Miniftres
Etrangers , aufquels il donnoit à dîner.
Le Comte de Hoenle , Chanoine de la Cathedrale
de Strasbourg , a quitté l'Etat Ecclefiaftique
pour époufer la Princeffe de Hombourg
, fille unique du Prince de ce nom .
La nuit du 11. au 12. du mois dernier , la
Princeffe époufe du Prince Electoral de Saxe ,
accoucha d'une Princeffe qui fut nommée Marie-
Marguerite Françoife - Xaviere.
Charles Auguftin Fabroni , Cardinal - Pretre
du titre de S. Auguftin , & Prefet de la Congregation
de l'Indice, mourut à Rome le 19. du
mois dernier dans la 77 année de fon âge
étant né à Piſtoye en Tofcane le 28. Août
1651. Il avoit été fait Cardinal par le Fape Clement
XI . le 17. May 1706 Il laiffe par fa mort
un quatriéme lieu vacant dans le Sacré Co
lege.
FRANCE ,
OCTOBRE . 1727. 2341
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
L'arriverais
E 9. du mois dernier , le Roi avant
d'arriver à Fontainebleau , chaffa le
Cerf dans la Forêt. Le 1o . il y eut chaffe
du Sanglier , le 1 2. du Chevreuil , le 13 .
& le 15. chaffe du Cerf, &c. S. M. continuë
de prendre le divertiffement de la
Chaffe trois fois la femaine; elle force ordinairement
deux Cerfs dans un jour. Le 9 .
de ce mois , le Roy rentra fort tard , après
avoir pourſuivi aux flambeaux , un Ċerf
qui avoit paffé la Riviere de Seine , ce
qui donna un fpectacle fort réjouiffant.
Le 11. le Roy figna le Contrat de Ma
riage du Comte d'Hautefort avec Mlle de
Duras , qui fut celebré le 19 .
Le 24. du mois dernier , le Roy Staniflas
arriva , incognito , à Verfailles , pour y
paffer quelques jours avec la Reine fa fille.
L'entrevûë fut fort tendre ; il apprit peu
de tems après à la Reine , la mort de Madame
Royale fon ayeule , morte à Chambor
le 29. Août , dans la 67 ° . année de fon
âge. On lui avoit caché cette mort jufqu'à
ce jour , à cauſe de fes couches. S. M. en
I fut
2342 MERCURE DE FRANCE .
fut fenfiblement touchée , Le Roy en
avoit pris le deuil pour quatre mois & demi
dès le 9. du mois de Septembre. La
Reine avec toute fa Maiſon , en prit le
deüil le 25. du même mois , & la plûpart
des Seigneurs & Dames de la
Cour allerent à Verfailles faire des complimens
de condoleance au fujet de cette
mort.
Le 30. le Roy Staniflas fe rendit à
Chailly , près de Fontainebleau , où le
Cardinal de Fleury fe trouva en même
tems que lui , ainfi qu'un grand nombre
des principaux Seigneurs de la Cour , qui
allerent lui rendre leurs devoirs . Le Roy
fe rendit à Chailly , après que le Roy Stanillas
y fut arrivé , & S. M. paffa quelque
tems avec lui .
La Reine a dîné prefque tous les jours à
fon grand Couvert , avec le Roy Stanif
las fon Pere , pendant le féjour que ce
Prince a fait à Verfailles . Le 25. il alla à
Trianon & à la Menagerie. Le 27. il vic
les Eaux de Verfailles , & le 28. celles
de Marly. Le 6. de ce mois , ce Prince
partit de Verfailles pour retourner à
Chambor , après un grand déjeûner chez
la Ducheffe de Ventadour.
Quelques jours avant le départ de la
Reine pour Fontainebleau , S. M. alla
promener au Château de S, Cloud , où fe
MaOCTOBRE
. 1727. 2343
Madame la Ducheffe d'Orleans fe trouva
pour la recevoir..
Le 13. de ce mois , la Reine partit de
Verfailles pour aller coucher à Petit-
Bourg , d'où elle fe rendit le lendemain
à Fontainebleau.
>
Le 14. le Comte d'Hoyms , Ambaffadeur
du Roy de Pologne , M. Zacharie
Canale , Ambaffadeur de la Republique
de Venife , & M. Gheda Envoyé du
Roy de Suede , eurent fucceffivement Audience
particuliere du Roy , étant conduits
par le Chevalier de Saintot , Intro - `
ducteur des Ambaffadeurs .
Le 15. le Comte d'Hoyms , Ambaffadeur
du Roy de Pologne cut Audience
particuliere de la Reine , étant conduit
par le même Introducteur .
Jufqu'au jour de l'arrivée de la Reine à
Fontainebleau , le Roy a toujours foupé
à fon grand Couvert avec 18. Seigneurs
nommez.
Le Roy a fait mettre dans la Gallerie
des Cerfs du Château de Fontainebleau , ´´
trois têtes de Cerfs que S. M. a forcez ,
& qui font d'une grande beauté.
Il n'y a cette année à Fontainebleau ni
Comédie , ni Concerts , à caufe que la
Cour eft en deuil . La Reine joue quelquefois
au Quadrille avec les Dames de fa
Cour. S. M. a été plufieurs fois à la chaffe
I ij
du
2344 MER CURE DE FRANCE .
du Cerf avec le Roy. Elle s'amufe fouvent
à faire des découpures d'Eftampes ,
dont on prend des oiſeaux & autres animaux
, des fleurs , des plantes , & même
des figures qu'on applique fur divers étoffes
pour en compofer des meubles , qui
font tout-à - fait agréables. Toutes les Dames
de la Cour & de la ville travaillent
avec beaucoup d'ardeur à ces petits ouvrages.
Le 26. du mois dernier , le Bourg de
Cayeux , près S. Vallery en Picardie ,
fut prefque réduit en cendres. Il y eut plus
de cent maifons brûléès . L'incendie commença
par une Brafferie.
>
Le 8. de ce mois & le furlendemain , le
Sr. Guillaume Guerin l'aîné , habile Charpentier
de Paris , tranſporta en entier le
Clocher de charpente de l'Eglife Paroiffiale
de S. Leu & S. Gille , de la tour fur
laquelle il étoit , & qui menaçoit ruine
fur une autre Tour nouvellement conftruite
à la même hauteur , qui eft de 12.
toifes , & à la diftance de 24. pieds , Cette
manoeuvre fe fit heureufement par le
moyen d'un grand échaffaut , fur lequel
on fit rouler le Clocher de 7. pieds &
demi de diametre , fur 35. d'élevation ,
avec la groffe Cloche de l'Horloge , qui
pefe au moins 2000. livres , & fans toucher
au plomb de la couverture , aux ban¬
des de fer , & c. L'Ab
OCTOBRE . 1727. 2343
L'Abbaye du Perray, Ordre de Cîteaux,
Diocèle d'Angers , vacante par la démiſfion
de Madame de Quatrebarbes de la
Rongere , a été donné à Madame Deſcartes
, Religieufe du même Ordre.
L'Evêché de S. Brieux , vacant par le
decès de M. de la Vieuville , en faveur
de M. Louis- François de Vivet de Montclus
, Prêtre du Diocèfe d'Ufez , & Grand-
Vicaire de l'Evêque de Langres .
On apprend de Rome que dans le Confiftoire
fecret que le Pape tint le premier
jour de ce mois , le Cardinal Ottoboni
Protecteur des Affaires de France , propofa
l'Abbaye de la Couronne , Diocèle
d'Angoulême , & celle de la Trinité de
Vendôme pour l'Archevêque de Tours ;
celle de Cadoüin , Diocèle de Sarlat
pour l'Abbé de Gontaut de Biron , & celle
de Sainte Marie de Montpeirous , Diocèfe
de Clermont , pour l'Abbé du Puy
du Val de Conros . Enfuite ce Cardinal
préconifa l'Evêque de S. Pons, pour l'Archevêché
de Toulouſe .
On écrit de Madrid qu'on y attendoit
le Comte de Rotembourg , ci - devant
Ambaffadeur de France à la Cour du Roy
de Pruffe , qui a été choisi pour porter le
Cordon du S. Efprit à l'Infant Dom
Louis ; que l'Abbé de Mongon , pour
Iiij quel
le2346
MERCURE DE FRANCE ·
quel le Roy d'Efpagne a beaucoup de
confideration , y eft arrivé de France par
la Catalogne & l'Arragon ; qu'il a eu
l'honneur de faluer Leurs Majeſtez à Saint
Ildefonfe , & qu'il eft allé reprendre fon
ancien logement au Monaftere Royal de
l'Efcurial .
Le 26 , de ce mois , l'Abbé de la Chaftre
, Evêque d'Agde , fut facré à Paris
dans la Chapelle interieure des Minimes
de la Place Royale , par l'Archevêque de
Toulouſe , affifté des Evêques de Rieux
& de Mirepoix .
Le goût de feu M. Delaunay , Directeur
de la Monnoye des Médailles , pour
les Ouvrages de tous les Arts , étoit fi
univerfellement connu , qu'on n'en dira
rien ici en particulier ; mais on ne
peut fe difpenfer , en faveur des perfonnes
qui ont le même gout & les mêmes talens ,
de donner avis , que la vente de fes Meubles
, Tableaux, Bronzes , Statuës , Thermes
, Buftes , Luftres , Girandoles , Eftampes
& Deffeins , Livres , Modeles
d'Orfévrerie en argent , bronze , cuivre & *
plomb, & c.commencera dans les premiers.
jours du mois deDecembre prochain , dans
fa Maiſon, Rue & Fauxbourg de Richelieu
, près la Grange Bateliere.
On doit indiquer par des affiches particulieres
le jour précis du commencement
:
OCTOBRE . 1927. 2347
ment de la vente qui fe fera tous les jours
après-midi fans diſcontinuation .
On mande de Londres que le Duc de
Cumberland , frere des Princeffes Anne
Amelie & Carolines , filles du Roy , affiftera
à la cérémonie du Couronnement de
Leurs Majeftez , avec l'habit ancien de
Chevalier de l'Ordre du Bain , & qu'il y
portera avec des Seigneurs , la queue du
Manteau du Roy. Les trois Princeffes
porteront celles du Manteau de la Reine,
accompagnées par trois filles de Comtes,
qui font celles des Comtes de Pembrook ,
de Nottingham & de Briftol. Le Duc de
Somerfet portera le Globe pendant la cérémonie.
Le Chevalier Robert Wafpool,
quoique non titré , y affiftera revêtu de
l'ancien habit de l'Ordre de la Jarretiere,
par une diftinction particuliere dont le
Roy a bien voulu l'honorer. Le Corps de
la Ville de Londres y aura rang ; fçavoir ,
le Lord Maire en robe de velours cramoifi
, avec un bouquet de plumes , & les
Aldermans en robés d'écarlate , les uns &
les autres ayant des bas & des fouliers
blancs.
Le 28. de ce mois , Me Antier , chanta
fans accompagnement , devant la Reine,
à Fontainebleau , la Cantate que l'on va
lire , fur la Naiffance des deux Princeffes
I iiij
de
2348 MERCURE DE FRANCE.
de France , dont S. M. parut très - ſatisfaite.
Les paroles font de M. Fuzelier , &
la Mufique de M. Mouret .
A LA REINE.
Rande Reine , fouffrez mon hommage
G
fincere ,
Je ne veux qu'exprimer les tranſports que
je fens :
Ne craignez pas ici d'éloge témeraire ,
Je fçais que vos vertus méritent de l'encens ,
Mais il faut l'oublier lorfqu'on cherche à vous
plaire.
Du plus aimable des Rois ,
Vous poffedez la tendreffe ;
Pour entrer dans fon coeur & lui donner
fés Loix ,
(
L'Amour pour la premiere fois ,
A pris pour guide la Sageffe :
L'Hymen a payé votre ardeur :
Chantons le double prix dont il l'a récompenſe
;
En célebrant votre bonheur
On chante celui de la France.
MORTS,
OCTOBRE. 1727. 2349
******************
MORTS , NAISSANCES ,
& Mariages.
EXTRAIT d'une Lettre écrite d'Auch ,
Le 20. Septembre 1727. par M. le
Marquis de Fontette , fur la mort du
Marquis de Clery , defcendant d'un
Fils naturel de PHILIPPE AUGUSTE .
R le Marquis de Clery mourut
MR
au mois de Juillet dernier , dans
fon Château de Clery , âgé d'environ
80. ans , très - regretté de toute la Nobleffe
du Pays. Il étoit refté feul du nom
& Armes de Gaz de Poiffi , fils naturel
de Philippe Augufte , l'un de nos plus
grands Rois , de qui il defcendoit en ligne
directe : Il étoit ancien Commiffaire Provincial
de l'Artillerie , & Chevalier de
l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis.
Il avoit un frere cadet qui portoit le nom
de Poiffi , lequel eft mort il y apeu d'années
, fans avoir été marié , il étoit auffi
Commiffaire Provincial de l'Artillerie .
M. de Clery avoit été marié deux fois à
des Dlles des meilleures Maifons de cette
Province ; mais il n'en a point eu d'en-
I v fans.
2350 MERCURE DE FRANCE .
fans . Il s'étoit retiré à fon Château de
Clery , avec une penfion du feu Roy.
ayant prefqu'entierement perdu la vûë
par l'effet de la Poudre à Canon , dans
le grand nombre d'Actions où il s'eft
trouvé. M. de Poiffi , fon frere , avait été
eftropié à la Bataille de Rocroy.
M. Nicolas Guigou , Seigneur de Varaftre
, &c. Confeiller du Roy en fon
Grand - Confeil , mourut le 1. Septem--
bre , âgé d'environ 63. ans.
Le Prince Boris - de Kourakin , Miniftre
Plenipotentiaire , & enfuite Ambaffadeur
Extraordinaire du Czaren France, mourut
à Paris le 29. du mois dernier , dans la
52 ° année de fon âge . Il étoit Confeiller
Privé d'Etat , General - Major , Lieutenant
Colonel des Gardes du Czar , & Chevalier
de fon Ordre de S. André. Son corps
à été enbaumé pour être tranfporté en
Mofcovie .

Charles de Riotor. de Villemur , Offieier
de la Compagnie des Grenadiers à
Cheval , fils de François de Riotor de
Villemur , Lieutenant General des Armées:
du Roy , Capitaine - Lieutenant de la
même Compagnie , & de feuë Dame-
Suzanne Eleonore Paffart , mourut le 3.
Octobre , âgé de 23. ans.
Dame
OCTOBRE . 1727. 235 1

Dame Agnès Berthelot de Pleneuf
époufe du Marquis de Prie , Chevalier
des Ordres du Roy , Lieutenant General
de la Province de Languedoc , cy - devant
Ambaffadeur de S. M. auprès du Roi de
Sardaigne , mourut le 7. de ce mois , dans
fon Château de Courbepine en Normandie
, âgée de 29. ans. Elle étoit fille d'Etienne
Berthelot , Ecuyer , Seigneur de
Pleneuf, & c . Directeur General de l'Artillerie
de France , & d'Agnès Rioult-
Doüilly. Elle laiffe deux filles .
Le 8. Dame Françoife Colbert du
Teron , épouse du Prince de Carpegne ,
mourut à Paris , âgée d'environ foixante
& dix-huit ans.
Le 10. Charles de Rohan , Prince de
Guemené , Duc de Montbazon , Pair de
France , mourut dans fon Château de
Rochefort en Beauce , âgé de foixante &
douze ans.
Dame Marie de Briquemault , Veuve
de M. Henry Sacoifte , Marquis de Tomboeuf
, Comte de Samazon de Monpoüillan
mourut le 11. de ce mois
âgée de 42. ans .
>
Dame Marie d'Abon , épouſe de Gilbert
de Gadaigne -d'Hoftun , Comte de Verdun,
mourut à Paris le 2 1. âgée de 80 ans .
Marguerite de Rochechouart de Mont-
Lvj pipeau,
2352 MERCURE DE FRANCE .
pipeau , Abbeffe de l'Abbaye de Montmartre
, mourut le 23 de ce mois , dans
la 62 ° année de fon âge .
Cette illuftre & vertueufe Dame , étoit
fille de Jean Leonor de Rochechouart
Marquis de Montpipeau , Baron de Cheray
, & c. & de Dame Loüife de Bullion .
Après avoir été Grande - Prieure à Fontevraut
pendant 12. ans , elle fut nommée
à l'Abbaye de Montmartre le 29 .
Août 1717 .
M. de Sacy , Ecuyer , Avocat au Confeil
, l'un des Quarante de l'Académie
Françoife , Cenfeur Royal des Livres ,
eſt mort à Paris le 26. de ce mois , a
fix heures du matin , âgé de foixante &
treize ans.
Le Public & les Lettres fe fentiront
long temps de la perte de ce grand homme.
Un génie vafte & profond , une
conception vive & tranfcendante, une politeffe
fimple & foutenue , un coeur pur
& humain , une ame élevée , ferme , conftante
& defintereffée , furent les dons ineftimables
qu'il reçut de la Nature ; l'Art,
d'intelligence avec elle , lui ouvrit fes plus
riches tréfors ; il y puifa les plus fublimes
connoiffances . Il fit parler aux Loix le
feul langage digne de leur Majefté : langage
jufques à lui prefqu'ignoré ; il trouva
OCTOBRE . 1727. 2353
va le fecret de dégager les Ouvrages du
Bareau de l'aridité , de l'infipidité , qui
en faifoient le principal caractere , & qui
ne permettoient pas qu'on les pût lire fi
on n'y étoit perfonnellement intereffé . De
fi rares talens le firent jouir d'une réputation
éclatante dans un âge où d'autres
hommes s'eftimeroient, heureux de fentir
qu'ils la pourroient un jour meriter. Le
celebre Memoire qu'il fit en 1687. à
l'occafion du Privilege de la Fierte S. Romain
de Rouen , mit le fceau à cette réputation
. Sa Traduction des Lettres de
Pline , la couronna en lui procurant en
1705. une place à l'Académie Françoife ;
bien qu'il ne donnât aux Lettres que fon
loifir , les hautes idées que cette illuftre
Compagnie conçut de lui , furent remplies
par fes Traitez de l'Amitié & de la
Gloire, & totalement confommées par fes
fçavans Mémoires répandus dans toute
la France; Memoires que l'on ne ceffera
d'admirer pendant que l'on entendra la
Langue Françoife , & qu'il le trouvera
des hommes amoureux de cette incomparable
dialectique , qui caracteriſe ſes
Ouvrages. A des talens fi rares & fi reconnus
, M. de Sacy , joignoit une probité
fcrupuleufe ; elle lui avoit donné la
confiance & l'amitié des plus grands Miniftres
, des plus grands Seigneurs & des
plus
1454 MERCURE DE FRANCE.
plus grandsMagiftrats. Il y joignoit encore
une fimplicité qui rendoit fon accès aimable
, l'amour propre de celui qui l'approchoit
n'avoit point à fouffrir. Il laiffoit
à ceux qu'il voyoit tout leur efprit , il
l'augmentoit même. Ses moeurs étoient
douces & égales ; il étoit ami conftant
& genereux ; fon coeur lui fourniffoit
plus de fentimens qu'il n'en avoit pû
étaler dans fon Traité de l'Amitié. Jamaisd'ailleurs
il ne contracta avec fon Cabinet
l'humeur auftere & rébarbative , qui
femble inféparable des gens infiniment
occupez. Il eut enfin toutes les vertus de
fon état , fans en avoir eu le plus leger
deffaut.
Dame Marie- Louife - Elizabeth Henne.
quin , époufe de Jofeph Trudaine , Brigadier
des Armées du Roi , Commandeur
de l'Ordre de S. Louis , & Inspecteur
General de la Cavalerie , accoucha le 11.
Septembre d'un fils , qui fut tenu fur les
Fonts , & nommé Charles -Jean- Baptif
te , par M. Jean- Baptifte Felix , Cheva
lier , Marquis du Muy , Seigneur de la
Renarde , &c. & par Dame Charlotte
Voifin , épouse de M. Louis le Goux de
la Berchere , Chevalier , Comte de la Rochepot
, Marquis de Santenay , &c . Con.
feiller d'Etat Ordinaire.
Le 17. Septembre , on fuppléa les
Ca
OCTOBRE 1727. 2355
Ceremonies de Baptême , dans la Chapelle
de l'Hôtel de Condé , à Louife - Elizabeth-
Alexandrine , fille de Nicolas Cologne
, Ecuyer de la Reine , & Controlleur
de la Maifon de S. A. S. M. le Comte
de Clermont , & de Dame Marie-
Chriftine - Catherine de Maupinne de la
Mouillé. Elle eut pour parain , Monfeigneur
le Comte de Clermont , & pour
maraine , S. A. S. Mademoifelle de Sens .
Dame Jeanne- Françoife Dauvet des
Maretz , époufe de François - Louis le
Tellier , Comte de Rebenac , Marquis de
Souvray & de Louvois , Maître de la
Garde-Robe du Roi , Lieutenant General
au Gouvernement de Navarre & de
Bearn , accoucha le 21. Septembre d'une
fille , qui fut tenue fur les Fonts par des
Pauvres , & nommée Françoife -Aglacé-
Sylvie.
Dame Marie le Nain , époufe de François-
Bonaventure de Tilly , Chevalier ,
Marquis de Blaru , Capitaine au Regiment
Mestre de Camp General des Dra-
30. du même mois ,, gons , accoucha le
d'une fille qui fut tenue fur les Fonts , &
nommée Marie - Elizabeth par M. Jean
le Nain , Chevalier , Baron d'Asfeld , Confeiller
du Roi en fes Confeils , Maître
des Requêtes ordinaire de fon Hôtel , &
Dame Catherine - Elizabeth de Maneville
par
1356 MERCURE DE FRANCE
neville , veuve de M. Charles de Tilly ;
Chevalier , Marquis de Blaru , Lieutenant
General au Gouvernement de l'Ile
de France.
Dame Thereſe- Eulalie de Baupoil de
S. Aulaire , époufe de M. Anne- Pierre
de Harcourt , Comte de Beuvron , Lieutenant
General au Gouvernement de Normandie
, Gouverneur du Vieux Palais de
Rouen , & Colonel de Cavalerie , accoucha
le 4. d'Octobre d'un fils , qui fut
tenu fur les Fonts , & nommé Anne- François
par M.François de Harcourt, Pair de
France , Capitaine des Gardes du Corps.
de S. M.. Brigadier de fes Armes , &
Lieutenant General au Gouvernement du
Comté de Bourgogne , reprefenté par
M. Louis-Abraham de Harcourt , Marquis
de Beuvron , Abbé Commandataire
de l'Abbaye Royale de Signy , qui fr
les Ceremonies du Baptême , & par Dame
Anne Therefe de Marcquenat de
Courcelle , veuve de Henry Lambert
Marquis de S. Pry , Lieutenant General
des Armées du Roi , & Gouverneur de la
Ville & Duché de Luxembourg.
Le 4. de ce mois , le Comte de Bethune
& la Ducheffe de Tallard , tinrent fur
les Fonts , au nom de la Reine & du
Roi Stanislas , l'enfant du fieur de Longpré
, ancien Ecuyer de la Bouche du Roy,
&
OCTOBRE. 1727. 2357
& Ecuyer ordinaire de la Bouche de la
Reine . Il fut nommé François Stanislas.
Dame Suzanne - Marie de Vivans
époufe de M. Pierre- Antoine de Jaucourt
, Chevalier , Baron d'Hubant , &c .
accoucha d'un fils , qui fut tenu fur les
Fonts , & nommé Etienne par M. Etienne
Vivans de Meure , Ecuyer , Seigneur
de la Trimouille , & par Dame Marie
de Moginot , époufe de M. Pierre- Antoine
de Jaucourt , Marquis de Pouilles .
M. Pierre de Beranger , Mestre de
Camp d'Infanterie , Chevalier de faint
Louis , Comte de Charme & Duga , Seigneur
de Vif , &c. fils de Jacques de Beranger
, Chevalier , Comte de Duga ,
Maréchal des Camps & Armées du Roi,
& de Dame Anne de Simiane , époufa
le i 8. Septembre Dile Antoinette- Françoife.
Boucher d'Orfay , fille de M. Charles
Boucher d'Orfay , Maître des Requêres
honoraire de fon Hôtel , Intendant de
la Province de Limoufin & de feuë Dame
Catherine le Grain .
M. Jacques Felix Chol de Torpannes,
Confeiller au Parlement de Paris , fils
de M. Chol de Torpannes , Chevalier ,
Chancelier de Dombes , Secretaire des
Commandemens de S. A. S. M. le-
Duc du Maine , & de Dame Marie- Marguerite
Rigollor , époufa le 22. du même
mois
2358 MERCURE DE FRANCE.
mois Dile Jeanne- Françoife Juillet , fille
de feu M. Guillaume Juillet , Ecuyer
Confeiller- Secretaire du Roi , Receveur
general des Finances de Lyon , & de Dame
Marie- Jeanne Robin de Lifle .
M. Scipion de Damian de Feleon , Seigneur
de Vernegues , de Valon , & c . fils
de feu François- Jacques de Damian , &
de Dame Louife - Laurens de Fougas de
la Barthelane , époufa le 14. du même
mois De Marie - Françoife Bouchar
d'Aubeterre , fille de M. Pierre Bouchar
d'Efparves de Luffan , Comte d'Aubeterre
, Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant
General de fes Armées , & de feu
Dame Julie de S. Maur.
ARRESTS ,
SENTENCES DE POLICE , & c .
RREST du7 . Juillet , qui proroge
Adant un an , à compter du premier Octobre
prochain , la moderation des Droits ci -devant
accordée fur les Beurres & Fromages venant de
l'Etranger , & fur ceux du crû du Royaume.
ARREST du même jour , qui proroge pendant
un an , à compter du 23. Octobre prochain ,
1a permiffion ci- devant accordée aux Négocians
François qui font le Commerce des Ifles & Colonics
OCTOBRE. 1727. 2359
lonies Françoiſes de l'Amerique , de faire venir
des Pays Etrangers des Lards , Beurres , Suifs ,
Chandelles & Saumons falez , fans payer aucuns
Droits.
ARREST du 15. Juillet , portant Reglement
pour les Saifies réelles , faites & à faire par le
fieur Pigné , Controlleur des Bons d'Etats du
Confeil ; & en. confequence , ordonne que tou
tes les Saifies réelles faites à fa requête pour
l'interêt du Roi , feront enregistrées nonobſtant
toutes autres précedemment faites & enregistrées,
lefquelles demeureront converties en oppofitions
à celles du Controlleur des Bons d'Etats du
Confeil.
SENTENCE DE POLICE du 18. Juillet,
portant que les Ecariffeurs feront obligez de
vuider des maifons qu'ils occupent prefentement.
dans les Fauxbourgs de Paris , & de fe retirer
au delà dans des maifons & lieux écartez , à peine
de Prifon.
AUTRE du même jour , qui ordonne que le
prix des Marchandifes expofées en vente fur le
carreau de la Halle par les Marchands Forains ,
leur fera payé comptant par les Marchands Fruitiers.
AUTRE du même jour , qui condamne les
nommez Demars & Defchamps en mille livres
d'amende , pour avoir vendu & acheté des Bleds
ailleurs que dans le Marché ; & le nommé Guillaume
en deux cens livres , pour avoir fouffert
qu'ils fuffent vendus en fa maiſon .
ARREST du 22. Juillet , portant Reglement
pour les Cadiz , Cordelats & Razes qui fe fabriquent
2360 MERCURE DE FRANCE.
briquent dans la Generalité de Montauban ,
ARREST du 27. Juillet , portant Reglement
pour le Controlle des Actes ou Procès - verbaux
de nomination de Confuls ou autres Officiers
des Villes & Communautez tant pour le paffé,
que pour l'avenir.
AUTRE du même jour , portant Reglement
pour le Controlle des Baux des revenus des
Communautez Seculieres-& Regulieres , & autres
Gens de main- morte , tant pour le paffé , que
pour l'avenir.
SENTENCE DE POLICE , du 8. Août , portant
deffenfes d'étaler & vendre aucunes Denrées
au Carrefour de la Croix Rouge & rues adjacentes
, avec injonction à tous Marchands & Magchandes
de fe retirer dans le Nouveau Marché
de S.Germaindes Prez;& qui condamne plufieurs
femmes en cent livres d'amende chacune , pour
avoir contre venu.
y
ARREST du 12. Août , qui ordonne que les
fommes reftant à payer fur les quatre cent mille
livres & deux fols pour livre du don gratuit des
Officiers des Bureaux des Finances , feront reçues
par le fieur Hermant , & à lui remifes par
Grillau celles à lui payées ci - devant , à compte
defdites quatre cent mille livres.
ARREST du 26. Août , qui enjoint à tous les
Greffiers du Royaume , de délivrer au Fermier
tous les Extraits d'Arrêts , Sentences , ou Juge
mens , tant en matiere Civile , que Criminelle,
fujets aux Droits refervez, fous peines d'interdiction
, & de cinq cens livres d'amende.
Et
pour la Contravention commiſe par le fieur
Lauder.
OCTOBRE . 1727. 2361
Lauder , Greffier au Criminel du Châtelet , le
condamne en cinq cens livres d'amende .
ARREST du 2. Septembre , fervant de Reglement
pour le Controlle des Dépens , qui fait
deffenfes de pourfuivre le payement d'aucuns
Dépens liquidez , ou le Remboursement de Coût
d'Arrêts , Sentences , ou Jugemens , que les feize
Deniers pour livre n'en ayent été payez , à peine
de mille livres d'amende.
Et condamne M. Gallard , Procureur en la
Cour , & Poton , Huiffier de la Cour des Aydes ,
chacun en mille livres d'amende.
AUTRE du même jour , qui condamne un
Avocat- Procureur , & deux Huiffiers de la Ville
du Mans , en differentes Amendes par eux encourues
, pour plufieurs contraventions à l'Or
donnance du mois de Juin 1680 , Articles IV.
XVIII. & XIX . du Titre du Papier & Parchemin
Timbrez , & aux Declarations des 18. Avril
1690. 19. Juin & 24. Juillet 1691. rendues en
confequence.
ARREST du même jour , qui caffe une Sentence
des Elûs de Châtellerault du 5. Juillet
1727. qui avoit admis le Procureur du Roi à faire
informer contre la foi des Actes d'un Registre
portatif, fans avoir auparavant formé une Inf
cription de faux ; & condamne Louis Mignon
& la femme en la confifcation d'une Barique
de Vin remplie , & en cent livres d'amende.
ARREST du 16.Septembre , qui difpenfe la
Province de Montauban de l'établiffement des
Offices de Receveurs des Octrois , créez par Edit
du mois de Juin 1725 .
Retablit les Receveurs des Tailles dans la
jouif
2362 MERCURE DE FRANCE .
jouiffance de ce qui leur en appartenoit , fans
payement de Finances .
Et les Villes & Communautez , dans la Regie
& Adminiſtration de leurs deniers Patrimoniaux ,
Impofitions particulieres, & c. moyennant 110000 .
livres qui feront impofées par forme d'Abonnement.
ARREST du 20. Septembre , portant Reglement
pour le Controlle des Actes de Foi & Hommage
, Aveus & Dénombremens , Declarations
ou Reconnoiffances aux Papiers Terriers , Adju
dications de Bois , & autres Actes de nature à
être paffez pardevant Notaires.
J
APPROBATION.
'Ay lû par ordre de Monſeigneur
le Garde
des Sceaux le Mercure de France du mois
d'Octobre ,& j'ay crû qu'on pouvoit en permettre
l'impreffion. A Paris , le quatre Novembre
1727.
HARDION.
TABLE .
Pleces fugitives , les Vendanges, Cantate ,
2153
Réflexions , &c. touchant la difpofition des
Rames des Galeres des Anciens , 2159
Aux Auteurs du Mercure , Vers ,
Ode à Meffieurs de l'Académie Françoife,ibid .
ettre fur l'invention d'une nouvelle Caleche ,
2177
2185
Beuquet
2363
Bouquet à Fhilis ,
Fait fingulier arrivé à Paris ,
Triolets ,
2186
2187
2189
Lettre de M. de Senecé , fur l'origine des
Triolets 2191
La Promenade , Eglogue en Triolets , & c 2198
Relation de la Guerre du Royaume de Juda ,
Bouquet à Mademoiſelle C**
2205-
22II
Problême fur la Quadrature du Cercle , 2212
Solution du Probleme de M. Mathulon, 2215
Lettre à M. Mathulon ,
>
Priere pour la Pluye , Stances ,
Lettre fur les Caméleons ,
Epithalame ,
2217
2221
2222
2239
Affaires du Palais , Arrêt Notable , & C. 2242
Arrêtfur une queſtion finguliere , 2243
Circonftances du Procès du Sr. Rapali , & c.2246
Enigmes 2257
2260
Nouvelles Litteraires , & c. L'Ile de la Raifon,
Extrait,
Nouveau Traité d'Architecture propofé , &c.
2273
Les Oeuvres de Jean de Bonnefons , & c. 2280
Condamnation du Livre des Ordinations Angloiſes
,
2282
2287
Lectures Chrétiennes , & c.
Dictionnaire abregé de la Fable , & c. 2289 .
Ode qui a remporté le prix de l'Academie , & c.
2293
Reception à l'Académie de Peinture, & c. 2299
Médaille du Roy, gravée en Taille - douce, 2301
Problême de Géometrie ,
Chanfon notée ,
Spectacles ,
~ 2302
2303
2304
Extrait de Zephire & Flore , Paftorale , 2306
L'Ifle de la Folie , Comedie , Extrait , 2312
Nouvelles du Tems , de Turquie , de Ruffie ,
& c, 2317
2364
De Pologne , d'Allemagne , d'Italie, & c. 2325
Réjouiffances faites à Rome, à Venife, & c. 2326
D'Efpagne , Réjouiffances de l'Efcadre de
France , & c .
2329
D'Angleterre , Adreffes , Préparatifs du Couronnement
, & c.
2333
Des Pays - Bas , Morts & Mariages , &c. 23.40
De France , Nouvelles de la Cour de Paris ,
& c.
2341
Benefices donnez , 2343
Cantate à la Reine ,
2348
Morts , Naiffances & Mariages , 2349
Arrêts , Sentences , 2358
Errata d'Août.
Age 1852. dans l'Epitaphe de Melun , étez
le premier o qui eft dans le titre, Ligne
24. de l'Epitaphe , percarapfit , lifez per-
Cartapfit. Lign. 25. divides, lifez dividos.
P
Errata de Septembre .
Age 1117. 1. 4, le Maréchal , liſez, la Maréchale.
Fautes à corriger dans ce Livre.
Age 2221 , ligne derniere , Varſeaux , lifez ,
Verſeaux .
Page 2240. l. 6. ce Dieu , lifez & ce Dieu .
Page 2263. 1. 23. Retire , lifez Retine.
Page 2293 , 1. 7. Idfcrizzioni, lifez, Infcrizzioni.
Ibid. l. 11. Veronife , lifez Veronefe.
La Médaille gravée ,
L'air notée doit regarder la page
2301
23031
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AV
ROY.
NOVEMBRE. 1727.
QUE
COLL
COLLIGIT
SPARGIT
Chez
A PARIS ,
R
( LA VEUVE CAVELIER , au Palaist
GUILLAUME CAVELIER , fils , ruë
S.Jacques , au Lys d'Or.
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conti,
à la defcente du Pont Neuf, au coin
de la rue de Nevers , à la Croix d'Or.
M. D C C. XXVII.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
"achepté apasislers,juillet 1799 chiselen
4
"
AVIS.
L'AD
ADRESSE generale pour toutes
chofes eft à M. MOREAU ,
Commis au Mercure vis - à- vis la Comedie
Françoife , à Paris. Ceux qui pour leur
commodité voudront remettre leurs Paquets
cachetez aux Libraires qui vendent le
Mercure à Paris , peuvent fe fervir de
sette voye pourles faire tenir.
On prie très - inftamment , quand on
adreffe des Lettres ou Paquets par la Pofte,
d'avoir foin d'en affranchir le Port
comme cela s'eft toûjours pratiqué , afin
d'épargner à nous le déplaifir de les
rebuter , & à ceux qui les envoyent ,
celui , non- feulement de ne pas voir
paroître leurs Ouvrages , mais même de
les perdre , s'ils n'en ont pas gardé de
"copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les particuliers qui fonhaiteront
avoir le Mercure de France de
la premiere main , & plus promptement
n'auront qu'à donner leurs adreffes à M.
Moreait , qui aura foin de faire leurs paquets
fans perte de temps , & de les faire
porter fur l'heure à la Pofte , ou aux Mese
fageries qu'on lui indiquera.
Le prix eft de 30. fols.
MERCURE
DE FRANCE , ..
DÉDIÉ
AU
ROT.
NOVEMBRE. 1727.
XXXXXXXX** XXXXж ********
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
ENVOY.
Comme felon toute
apparence ,
Le jour de S. François je ferai loin d'icy ,
Je vous donne , Marquis , votre Bouquet d'avance.
On va peut-être en mal interpreter cecy :
Mais honny foit qui mal y penfe.
La Critique n'eft plus mon foible, Dieu mercy,
L'eltime , le refpect & la reconnoiffance ,
M'ont dicté les Vers que voicy.
A ij BOU.
2368 MERCURE
DE FRANCE,
BOUQUET
.
Ien m'aider , La Fontaine , & prête -moi con
Vestyle ,
Ce ftyle dont tu fçais nous charmer , nous
toucher.
Je voudrois , comme toi ,fans qu'on pût s'en
fâcher ,
Donner une leçon utile.
L'Apologue
de la Fourmi ,
Eft une Morale admirable ;
Mais on ne la fent qu'à demi ,
Et je ſouhaiterois la rendre plus palpable.
La jeuneffe peu propre à la reflexion ,
Ne s'attache qu'au conte en lifant une Fable,
Et ne s'arrête gueres à l'application.

Tâchons d'en compofer un à peu près femblable
,
Dont .... puiffe avec facilité,
Tirer une moralité.
FABLE.
Un Vieillard, à fon fils , laiffa pour heritage ,
Un fpacieux Jardin fruitier.
Item , beaucoup d'argent , & ce fut grand
dommage ,
Car
NOVEMBRE. 1727: 236,
Car c'est ce qui perdit Myrtil , fon heritier.
Oh , oh , dit- il , faiſant fon Inventaire ,
J'ai de quoi vivre à l'aife & jouir du bon tema !
Le travail eft pour moi chofe peu neceffaire ;
Chommons : je puis chommer au moins dix
ou douze ans.
Ainfidit , ainfi fait . Un certain Misantrope ,
Qui dans le fond étoit fon veritable ami ,
;
Avoit beau lui conter cette Fable d'Efope ,
De la Cigale & la Fourmi.
Le jeune homme , en riant , écoutoit l'Apo
logue ;
Ses plaifirs n'en alloient pas moins ,
Et fon Jardin faifoit le moindre de fes foins.
Bon , difoit il au Pedagogue ,
Rien ne preffe pourquoi tant prendre de
foucy ?
Je fuis jeune , attendons ; dans quelque temps
d'ici
Je travaillerai mieux , je ferai plus robuſte.
Cependant tout périt ; fruits & plantes auffi :
11 ne demeura pas un feul arbre , un arbuſte.
Myrtil voulut alors travailler , mais en vain ,
Il n'étoit point fait à la peine.
La bêche , le rateau lui pefoient à la main ,
A iij
Us
2370 MERCURE DE FRANCE .
Un moment de labeur le mettoit hors d'haleine
:
Tout fon terrain d'ailleurs , faute de mouvement
,
Etoit devenu fec , fterile :
On défriche mál - aifément,
Un champ qu'on a laiffé trop long - tems inuvile.
Myrtil avoit trop attendu ;
Les arbres qu'il plantoit , ne prenoient poins
racine ,
Le chardon , la ronce & l'épine ,
Les étouffoient : enfin tout fut perdu.
A l'application : elle eſt facile à faire.
Tant mieux , la verité ne peut être trop claire.
L'efpriteft un Jardin , Marquis, à cultiver.
Au moment de votre naiſſance ,
Le Ciel verfa fur vous fes dons en abondance :
Le Ciel a commencé , c'eſt à vous d'achever.
Vous êtes beau, bien fait , d'un génie agréable ;
Je fuis certain du fait , vous vous ferez aimer.
Mais eft- ce affez pour vous , Marquis , que
d'être aimable ?
Non vous avez deſſein de vous faire estimer.
La taille , les traits , la figure ,
L'efprit
NOVEMBRE. 1727. 2371
L'efprit & la vivacité ,
Tout cela vient de la Nature ,
Et vous n'avez pas lieu d'en tirer vanité ; ,
C'est un talent qu'elle vous a prêté :
Vous devez le lui rendre un jour avec ufure :
Je vous l'ai toûjours dit , fouvenez-vous- en
bien.
Le mérite réel s'acquiert par la ſcience ;
Et pour y parvenir , il n'eft qu'un ſeul moyen.
Etudiez , mais avec diligence.
Lajeuneffe eft le temps & la bonne faiſon :
Vous êtes dans l'adoleſcence ;
Et quand vous feriez même encore dans l'ens
fance ,
Peut-on trop tôt former le goût & la raiſon?
La foibleffe du corps eft une vaine excufe :
En differant toûjours , l'occafion fe perd ,
Et la Nature après fe roidit , fe refuſe.
Il faut plier le bois , quand il eſt verd.
Adieu, Marquis , lifez fouvent ma Fable :
Elle vous apprendra cette utile leçon :
Qui ne laboure pas dans le temps favorable ,
Ne doit point efperer une belle moiffon.
A iiij VOYAGE
2372 MERCURE DE FRANCE.
*******************
VOYAGE de Baffe Normandie
Defcription hiftorique du Mont
S. Michel. Par M. de L. R.
TROISIE'ME LETTRE.
NOU
Ous partîmes , Monfieur , le premier
jour d'Octobre , du Château
de la Lande-Dairou , où nous a laiffé ,
ma derniere Lettre , pour nous rendre à
celui du Grippon , qui n'en eft éloigné
que d'une lieuë. Le Château du Grippon
eft environ à une même diftance de la
Ville d'Avranches , & à deux lieuës de la
Mer , ce qui donne un agrément confi
derable à tout ce canton - là , par le moyen
du Port de Granville.
Ce Château eft fitué dans un fond
& entierement couvert de bois de haute
futaye ; de forte qu'il ne fe découvre à
la vûë que lorfqu'on eft prefque arrivé ;
mais le bruit de quelques Coulevrines ,
dont on voulut honorer l'arrivée du Scigneur
, ne permit pas d'ignorer longtemps
cette fituation . C'eſt encore ici un
Bâtiment antique & irrégulier , comme
le font prefque tous ceux de cette Province
; mais les dehors & les environs en
font tout à fait agréables : La principale
NOVEMBRE. 1727. 2373
vûe de la Maiſon eft fur un grand Etang ,
dont les bords , revêtus de pierre , font
difpofez en forme de Quai : de forte que
par le moyen d'une petite Chaloupe qui
eft toûjours en état d'aller , on peut fe
promener agréablement fur la terre ou fur
l'eau , chacun felon fon goût , & avoir
même tout à la fois fans fe fatiguer , le
plaifir de la chaffe & celui de la pêche.
Outre une grande quantité de bois de
toute efpece qui regne fur une fuite d'autres
Etangs , on diftingue la grande Avenue
du Château , qui eft toute de fort
beaux Sapins , & un Mail de plus de
quinze cens pas de longueur , orné d'une
double allée des plus beaux Hêtres que
l'on puiffe voir.
L'Eglife Paroiffiale du Grippon n'eft
qu'à cent pas du Château , elle eft entierement
couverte par les Sapins de la
grande avenue, & ne reffemble point trop
mal à un Hermitage , à caufe de cette
fituation .
Dix autres Paroiffes dépendent de cette
Terre , & le Seigneur eft le Patron ou
Collateur de toutes les Cures , auffi eftelle
d'une vaste étendue & dans les plus
beaux droits qu'on puiffe voir. Car outre
la Juftice qui lui appartient , & qui eft
renduë aux Vaffaux par un Senechal , le
Seigneur du Grippon, eft qualifié de Conné-
A v table
2374 MERCURE DE FRANCE.
table heredital de Normandie , dans le
Chartrier ou Cartulaire que j'ai vu dans
les Archives de cette Maifon. J'y ai auſſi
trouvé que l'Eglife Cathedrale de S. André
d'Avranches reconnoît les Seigneurs
du Grippon pour * fes Fondateurs : ce qui
oblige l'Evêque & les Chanoines d'Avranches
à rendre des honneurs extraordinaires
à la vie & à la mort envers tous
les Seigneurs du Grippon . Ils ont encore
fondé , felon le même Cartulaire , aux
environs de cette belle Terre , les Abbayes
de la Luzerne & de la Perine &
le Prieuré de S. Fermont ; ce qui donne
encore aujourd'hui d'autres droits honorifiques
fort diftinguez dans toutes ces
Maifons là.
Le Cartulaire dont je viens de parler ,
eft une piece curieufe , d'une belle écriture
fur le vélin , avec des Miniatures &
d'autres ornemens de ce temps - là ; il forme
un petit volume in fol. La compilation
qui le compofe , a été faite du temps
& par l'ordre de Jean de Fefchal , Che-.
valier , Seigneur du Grippon , & c . en
1492. par Etienne de Croucy , Ecuyer ,
* Sont Fondateurs de l'Eglife Cathedrale
Monfieur faint André d'Avranches , &c.
en
و
eft la Lifte de fes Predeceffeurs en ladite Eglife ,
by font les Armes defdits Seigneurs , en la
aLont les
maitreffe Vitre, &c.
NOVEMBRE. 1727. 2375.
Senechal , Garde & Gouverneur de ladite
Seigneurie. Il eft aifé de juger par la qualité
, le choix , l'ordre & l'arrangement
des titres dont il a formé ce Recueil , fans.
parler de fes Notes , de fes Obfervations
& de fes Remarques Genealogiques qui
font curieufes & interreffantes , que c'étoit
un habile homme. Il feroit à fouhaiter
que dans les Archives ou Chastriers
de toutes les grandes Seigneuries ,
il y eût un femblable Cartulaire , ce feroient
autant de fources où l'on puiferoit
des Memoires furs pour l'Hiftoire , &
furtout pour le Nobiliaire de chaque Province
; fans parler de plufieurs Procès , &
conteftations qui fe trouveroient décidez
par la feule lecture des Titres , furtour
quand ces Cartulaires feroient revêtus ,"
comme l'eft celui du Grippon , des formalitez
, qui les rendent authentiques , &
leur donnent foi en Juftice .
Je n'aurois prefque plus rien à ajoûter
fur la Terre & la Seigneurie du Grippon ,
fi tout ce que j'en ai dit dans un Memoire
inferé dans le Mercure du mois de Février
1721. à l'occafion de la dignité.
de Connétable de Normandie , avoit été
exactement imprimé. Trouvez bon
Monfieur , que je rectifie en deux mots
ce que les Imprimeurs ont le plus défiguré
, & qui eft le plus ici de mon fujet .
A vj Jacqués
>
2376 MERCURE DE FRANCE.
Jacques de Grimouville , Marquis de
la Lande Dairou , étant mort fans enfans,
comme je l'ai dit ailleurs , de fọn mariage
avec Dame Suzanne de Vaffy fille
du Marquis de Breffey & de Louiſe de
Montgommery ; cette Dame épouſa cn
fecondes nôces Jacques le * Marchant
Chevalier , Seigneur du Grippon , Préfident
à la Cour des Aydes de Normandie
, decedé en 1648. duquel mariage.
il ne reita qu'une fille & feule heritiere
qui fut Dame Elizabeth du Grippon , Dame
auffi à caufe de fa mere , de la Baronie
de la Lande - Dairou , & c .
Certe Dame époufa en l'année 1661 .
Mre Robert de Razés , Marquis de Mo
nime , Brigadier des Armées du Roy ,
Colonel du Regiment de Champagne ,
Gouverneur de Vire & du Mont S. Michel
, mort en 1672. ne laiffant qu'un
fils , decedé en minorité. La Dame du
Grippon fa veuve époufa en fecondes
nôces , en l'année 1677.Me Louis de Be
thune , Marquis de Chabris , & c . Gou-
* LE MARCHANT , Famille originaire & des
plus anciennes de la Province de Bretagne, alliée
des meilleures Maifons du Pays.Jacques , Marquis
du Cambout & de Coiflin , &c. tué en
Italie le 9. Juillet 1701. avoit épousé Renée-
Marie le Marchant , fille de Jean le Marchant ,
Signeur de la Rebourliere , &c. dont il refe
des enfans
verneur
NOVEMBRE . 1727. 2377
e
verneur d'Ardres , 7 fils d'Hypolite de
Béthune , Comte de Selles , & c. Chevalier
des Ordres du Roy , & d'honneur de
la feuë Reine , & de Dame Marie- Anne
de Beauvilliers- Saint - Aignan , Dame
d'Atour de la Reine ; mariage qui a
donné naiffance à Mre Hypolite , Marquis
de Bethune , Seigneur de la Lande-
Dairou , &c . Meftre de Camp de Cavalerie
, leur fils unique & heritier de tous
les biens & droits de la Dame du Grippon
fa mere , laquelle déceda au mois
de Décembre de l'année 1704. Le P.Anfelme
, Tom. II. p. 1097. s'eft trompé
en difant que cette Dame a laiffé deux fils .
Vous jugez bien , Monfieur, que me trou
vant fi proche d'une Ville prefque maritime,
je n'ai pas manqué l'occafion de la voir.
Avranches , dont il s'agit ici , n'a jamais
fait grande figure parmi les bonnes & les
belles Villes ; mais on ne peut s'empêcher,
d'en admirer la fituation fur une petite
Montagne , d'où vous découvrez une
immenfe étenduë de beau Pays & de
Mer ; d'un côté prefque toute la côte de
Normandie , & de l'autre , celle de Bre
tagne , & à l'oppofite , ce grand & fameux
Rocher au ntilieu de la Mer , appellé
le Mont S. Michel , dont je vous
parlerai bien- tôt ; fans compter les Ifles
Angloifes , de Gerfey & de Guernesey
dans
2378 MERCURE DE FRANCE.
dans un plus grand éloignement. Tout
cela enfemble forme un des plus charmans
points de vue qui foit peut-être dans
l'Burope ; jufques - là , qu'au fentiment de
quelques Voyageurs , on peut comparer
cette vue à celle que forme la fituation
admirable de Conftantinople avec les environs
, quand on aborde par Mer cette
fameufe Ville .
M. Huet , fi connu dans le Monde fçavant
, par fes beaux Ouvrages , a poffedé ,
pendant quelque temps cet Evêché . Sur
fa démiffion , le Roy y nomma M. de
Coëtanfau , qui étoit déja fort connu dans,
le Pays : On dit qu'alors un Payfan de ce
Canton s'écria , Dieu foit beni , de nous,
avoir enfin donné un Evêque qui a achevé
fes Etudes . M. Huet étoit , comme
vous le fçavez , fans ceffe enfoncé dans
fon Cabinet , cloué fur fes Livres , fes
gens ne donnant point d'autre raifon à
ceux qui demandoient inutilement à lui
parler , fi non que Monseigneur étudioit.
A M. de Coëtanfau , qui n'a pas vécu.
long- temps , a fuccedé M. le Blanc , qui
gouverne aujourd'hui ce Diocèfe ; il eft,
frere du Miniftre & Secretaire d'Etat de
la Guerre.
Comme nous ne pouvions gueres aller
au Mont S. Michel , que par la Ville
d'Avranches , ce que je viens , Monfieur ,
de
NOVEMBRE . 1727. 2379
de vous en dire , fervira de prélude au
compte que j'ai à vous rendre de notre
Pelerinage. C'eft un lieu trop celebre dans
ces Provinces , & même dans toute la
France , pour n'avoir pas excité notre
curiofité : La fainte Bauine , Notre Da
me de Lorette & S. Jacques en Galice ,
ne font pas plus renommez en Provence,
en Italie & en Eſpagne.
Le Mont S. Michel eft un grand Rocher
, tout ifolé , d'environ un demi quart
de lieuë de tour & de plus de 300. pieds
d'élevation , avec quelque terrain fur fa
bafe & dans les enfoncemens : il reprefente
par fa figure & par fa hauteur , un
Cône prefque parfait.
Il eft fitué au milieu d'une grande Greve
, fur la côte de Normandie , entre la
Ville d'Avranches , qui en eft éloignée
d'environ trois lieues , & de fix ou fept
de la Mer Oceane , d'une part , & entre
la côte d'Angleterre , partie de celle de
Bretagne , & la pointe où le Cap de Granville
, qui eft comme le Port d'Avranches,
de l'autre .
La Mer vient régulierement deux fois
en 24. heures , enfermer cette petite Ifle
de toutes parts , & dans les grandes Marées
elle y monte jufqu'à la hauteur de
80. pieds , felon les dernieres obfervations.
Lorfque la Mer eft retirée , tout
P'efpace
2330 MERCURE DE FRANCE.
l'efpace qui refte entre le Mont S. Michel
& la Terre ferme , n'eft plus qu'une
vafte Plaine , toute de vafe , mais fi ferme
& fi unie , qu'un Caroffe peut rouler
fur le même lieu où une Flote entiere
pouvoit naviger un moment auparavant.
Nous crûmes pourtant qu'il étoit plus
agréable de monter à cheval , précedez
de quelques guides , après avoir envoyé
donner avis de notre arrivée par un Gentilhomme
du Pays , porteur d'une Lettre
au R. P. Prieur de l'Abbaye ; c'eft ainfi
qu'on en uſe à l'égard des gens
d'une cer
taine diſtinction , qui d'ailleurs ne font
pas bien ailes de mourir de faim dans un
fieu où l'on ne feroit pas attendu , & où
l'on eft ordinairement furpris d'un appétit
dévorant .
Une précaution encore moins à négli❤
ger , ce fut de partir de fort bon matin ,
car fi ce voyage n'eft pas fait en fix ou
fept heures de temps , il peut vous arriver
fans miracle , le même malheur qui
fit périr par un grand prodige , une armée
entière dans la Mer Rouge.
Nous arrivâmes en moins de deux heures
, & nous fùmes affez furpris de trouver
un lieu fort au - deffus des idées que
nous en avions formé. On entre d'abord
dans une petite Ville fituée à l'Orient de
ce Mont, laquelle eft fermée de murailles
&
NOVEMBRE . 1747. 2381
& deffenduë de quelques Tours. C'eſt
fans doute , l'abord des Pelerins & la
pure neceffité , qui ont contraint de bâtir
dans un lieu fi fterile & fi folitaire ; vous
n'y voyez prefque que des Hôtelleries &
des Boutiques , où l'on débite des Médailles
, des Chapelets & d'autres pieufes
curiofitez ; il y a une Eglife Paroiffiale
dont la Cure eft à la nomination de
l'Abbé & des Religieux.
Après être montépendant un affez longtemps
, on arrive enfin à la premiere Porte
de l'Abbaye ou de la Fortereffe da
Mont S. Michel , car c'eft l'un & l'autre,
fituée fur le fommet de ce Rocher : c'eft
à l'exterieur un affemblage de plufieurs
grandes Tours & d'autres Bâtimens antiques
d'une ftructure irreguliere , mais
d'une folidité furprenante . On trouve à
cette premiere Porte un Corps - de - Garde ,
où tout le monde eft obligé de laiſſer ſes
armes ; mais cette formalité ne fut pas
obfervée à notre égard.
Nous paffàmes encore par une autre
Porte à Pont Levis , auffi gardée par une
troupe de Soldats , & en continuant de
monter nous arrivâmes enfin à l'Eglife ,
qui eft justement bâtie fur le plus haut
point de cette élevation . Dès notre premiere
entrée dans la Fortereffe , on avoit
tiré quelques pieces d'Artillerie , honneur
que
2382 MERCURE DE FRANCE.
que l'on rend à très- peu de perfonnes
ގ
Ce font des Religieux Benedictins de
la Congregation de S. Maur , qui réfident
fur le Mont S.Michel , & qui ont la
garde & le gouvernement de la Place
conjointement avec leug Abbé Commandataire
celui d'à- prefent eft M. de Broglio
, fils du Maréchal de ce nom. Autrefois
les chofes étoient fur un autre pied.
Le Roy y mettoit un Gouverneur. Le
Marquis de Monime ; dont j'ai déja parlé,
l'étoit en 1672 .
M. Le Marquis de Béthune fut reçû &
complimenté à la Porte de l'Eglife , par
le R. P. Prieur de l'Abbaye , lequel quel .
que temps après alla s'habiller pour nous
dire la Meffe, & voulut enfuite nous mon .
trer lui - même toutes les curiofitez du
Mont S. Michel.
En verité , Monfieur , on eft tout-àfait
furpris de trouver fur la pointe de
ce Rocher une parfaitement belle Eglife
& d'une grandeur confiderable , & fous
cet Edifice encore une Eglife fouterraine,
prefque d'une pareille grandeur . On s'arrête
particulierement à la Chapelle du
Tréfor , où font confervées les faintes Reliques
: Je ne crois pas qu'on puiffe en
trouver ailleurs un plus grand nombre &
de plus particulieres. Après divers morceaux
de la vraye Croix , quelques parties
NOVEMBRE . 1727. 2383
tie des autres Inftrumens de la Paffion ,
des Cheveux de la fainte Vierge & de la
Magdeleine , &c. On a une particuliere
veneration pour le Corps entier de faint
Aubert , Evêque d'Avranches , qui eft réputé
le premier Inftituteur de cette ancienne
& extraordinaire dévotion envers
S. Michel.
Ce Saint vivoit au commencement du
VIII. fiecle ; la Tradition du Pays porte
qu'après plufieurs. Apparitions réitérées ,
dans lefquelles S. Michel ordonnoit à
l'Evêque de confacrer une Eglife en fon
nom fur le Mont de Tombe , qui eft le
nom ancien du Mont S. Michel , cet Archange
fut enfin obligé , pour déterminer
le Prélat , de lui imprimer une certaine
marque , laquelle marque eft un petit trou
qu'on montre encore aujourd'hui fus le
crâne de S. Aubert ..
On remarque encore dans ce Tréfor,
d'autres pieces qui ne font pas moins fingulieres
, & qui ont rapport au fujet ;
comme un morceau du Voile que Saint
Michel , paroiffant en forme humaine.
laiffa tomber fur l'Autel du Mont Gargan
en Italie , & encore une partie de la Pierre
de Marbre fur laquelle on prétend qu'il
fe repofa pendant cette Apparition . Ces
deux pieces furent , dit- on , envoyées à
S. Aubert , par les Chanoines du Mont
Gargan
2384 MERCURE DE FRANCE.
Gargan , en vertu de plufieurs Miracles,
que je me difpenfe de rapporter.
>
On montre pour dernier monument
l'Epée & le Bouclier , communément appellez
de S. Michel , qui furent encore ,
à ce que l'on croit , miraculeufement apportez
d'Irlande , après que S. Aubert eut
bâti fon Eglife & fait un bel établiſſement
de Chanoines à la place des Hermites qui
demeuroient auparavant dans cette ſolitude
.
Ce qu'on appelle une Epée , n'eft cependant
qu'une efpece de Dague ou de
petit Poignard de forme bizarre, & l'Ecu
n'eft qu'une maniere de petite plaque de
cuivre de figure ovale , ornée de petites
Croix aux extremitez : C'est avec ces armes
, felon la même Tradition , que faint
Michel délivra l'Irlande d'un Monftre
horrible ; il voulut enfuite qu'elles fuffent
dépofées dans le lieu où elles font
'actuellement , comme un monument de
cette victoire.
Les Curieux remarquent avec étonnement
le grand nombre de Pierres précieufes
& le travail délicat dont les Châffes ,
les Reliquaires & prefque toutes les pieces
de ce Trefor , fe trouvent enrichies :
ce qui vient de la libéralité de plufieurs
Princes , & fingulierement de celle des
Ducs de Normandie.
Da
NOVEMBRE . 1727. 2389
De l'Eglife nous paffames dans l'Abbaye
par le Cloître qui eft fpacieux & orné
de colomnes de marbre ; les entre co ..
lonnemens font percez en fenêtres , & ces
fenêtres font fermées d'un vitrage peint de
diverfes figures Monachales.
Il y a entre autres une Réprefentation
fort eftimée de S. François d'Affife , mort
& étendu dans un cercueil , environné
de fes Religieux qui lui rendent les derniers
devoirs ; de forte , Monfieur , que
fi on vouloit fçavoir au jufte quelle étoit
la figure de l'habit & du Capuchon de
ce Saint Fondateur , queftion qui , comme
vous fçavez , a autrefois caufé bien du
trouble , on n'auroit qu'à confulter cette
Réprefentation , qu'on dit n'avoir point
été faite arbitrairement & qui eft de la
même année de la mort de S. François
fuivant l'infcription qui eft au- deffus.
Il ne faut pas vous
attendre
ici à une
defcription
exacte
de l'interieur
de cette
Maiſon
, elle eft trop
vafte
& trop irreguliere
pour
l'entreprendre
. On diftingue
parmi
les pieces
confiderables
, une grande
Salle
voûtée
, la plus
belle
qu'il
y ait
peut
être en France
: c'eft
le lieu où l'on
tenoit
autrefois
les Affemblées
de l'Ordre
Militaire
de Saint
Michel
, inftitué
par
Louis
XI . en 1469.
& rétabli
par le Roy
Louis
XIV. en 1664.
Ce Prince
a pers
mi
2336 MERCURE DE FRANCE.
mis depuis de tenir ces affemblées aux
grands Cordeliers de Paris.
La Bibliotheque eft aufli un lieu à ne
pas omettre , elle eſt bien fournie , & fort
curieufe par le nombre & la qualité de
Manufcrits qu'elle contient : On nous dit
que le fçavant P. Mabillon & les autres
Peres Benedictins de fa Congrégation qui
ont travaillé & qui travaillent encore à
de nouvelles Editions des Peres & des anciens
Auteurs Ecclefiaftiques , ont trouvé
là - deffus des lumieres & des fecours confiderables.
C'eft dans ce méme lieu que
les Curieux peuvent s'inftruire de ce qu'il
ya de plus remarquable & de plus certain
dans l'Hiftoire de cette Abbaye .
On voit là que kichard I. Duc de Normandie
, trouva en 966. cette dévotion
du Mont S. Michel digne de fa protection ;
il congedia des Chanoines qui y vivoient
dans le relâchement & établit en leur
place trente Moines Benedictins, aufquels
il -affura des fonds confiderables , fans
parler de plufieurs Privileges qui furent
confirmez par les Papes , par les Ducs de
Normandie & par les Rois.
Richard II . auffi Duc de Normandie ,
fit jetter en 1004. les fondemens de
P'Eglife que l'on voit aujourd'hui , Hildebert,
étant Abbé ; c'eſt le premier dont
les Titres faffent mention, En 1048. &
NOVEMBRE. 1727. 2387
en 10 60. deux Abbez firent continuer
les Bâtimens , tant de l'Eglife , que de la
Maifon. L'Abbé Jourdain les augmenta
confiderablement en 1191. Trois autres
Abbez entreprirent d'autres Edifices qui
furent encore augmentez par leur fucceffeur
, lequel , outre le Chapitre , fit conftruire
les murs prodigieux qui environnent
l'Eglife .
Dans la fuite des temps on a toûjours
ajoûté ou perfectionné quelque chofe ,
jufqu'en l'année 1586. que l'Abbé fit
faire toute la grande façade avec la Porte
principale de l'Abbaye , du côté qu'elle regarde
la Ville.
Vers la fin du XVI . fiecle les Moines
du Mont S. Michel tomberent dans un
relâchement , qui obligea enfin Madame
de Guife , Princeffe d'une grande pieté ,
& mere du jeune Abbé Commandataire
de faire tous fes efforts pour réformer cette
Abbaye ; ce qui réuffit en y faifant venir
en l'année 1622. des Religieux de
la Congregation de S. Maur.
Les Ducs de Normandie étoient fi dé
vots à l'Eglife du Mont S. Michel , qu'ils
ont tranfporté cette dévotion jufqu'en
Angleterre , dont ils étoient auffi Souverains.
On trouve que les Peres d'un Concile
National , tenu à Oxfort en 1222. T
donnerent
ከ '
+ 2388 MERCURE DE FRANCE .
donnerent une Fête en memoire des Ap
paritions de S. Michel & de la Dédicace
de cette Eglife .
Au refte la dévotion de ces Princes étoit
tout à fait magnifique ; car outre le premier
établiſſement qui leur eft dû , ils ont
donné de fi grands biens à cette Abbaye
en France & en Angleterre , qu'elle jouir
encore à prefent d'un revenu très -confiderable
.
Il y avoit autrefois en Angleterre ,
dans la Province de Cornouaille , un Monaftere
bâti fur le fommet d'une Montagne
qui s'appelloit auffi le Mont S. Michel
, lequel étoit annexé avec toutes les
dépendances à l'Abbaye dont nous parlons
: Il y a encore deux autres Abbayes
fondées fous le nom de S. Michel , par
les Ducs de Normandie & de Bretagne ;
fçavoir , celle du Tréport , fur la frontiere
des deux Provinces , & celle du petit
Mont S. Michel auprés de Dol , qui
font dans la même dépendance , fans
parler de S.Michel en Lerme ou in Eremo,
autre Abbaye de Benedictins , bâtie pref
que fur le bord de la Mer , & fondée par
Guillaume , Duc d'Aquitaine & Comte
de Poitou , dans le Diocèle de Luçon .
On voit enfin que la veneration des
Ducs de Norman lie eft allée jufqu'à faire.
frapper des Médailles & battre de la Mon-
поус
NOVEMBRE . 1727. 2389
noye avec l'Image de S. Michel , tenant
un Dragon terraffé fous les pieds .
1
Plufieurs de nos Rois , à l'exemple des
Ducs de Normandie , ont fait le Pelerina❤
ge du Mont S. Michel , depuis Louis VII .
& Philippe Augufte , jufqu'à François I.
Louis VII. y fut reçû en perfonne par
Henry , Duc de Normandie , fils de Guilfaume
le Conquerant , comme Vaffal de
la Couronne de France .
Au fortir de la Bibliotheque , on nous
fit monter par un petit efcalier à colimaçon
, fur la grande Tour de l'Eglife , qui
en eft comme le Clocher , fur celle dé
l'Horloge & fur tous les endroits les plus
élevez . On eft tout- à-fait furpris de la
hauteur prodigieufe & de la beauté de
tous ces Edifices , & de ceux qu'on voit
encore au- deffous , dont la plupart font
en Terraffe & couverts de plomb. Je ne
vous dis rien de l'immenfe étendue de
Pays & de Mer que l'on découvre dans
une telle élevation ; Je n'ai rien vû de
pareil dans tous mes Voyages , & bien deș
gens ont de la peine à foûtenir cette vûë
qui s'étend jufques fur les Côtes d'Angleterre
, &c .
Ón defcend de- là comme fi on tomboit
des nuës ; c'eſt - à - dire , la vûë & la
tête fort fatiguées , & avec un furcroît
d'appetit qu'on ne fçauroit trop- tôt con-
B tenter.
2390 MERCURE DE FRANCE.
tenter. Les RR. PP. qui nous avoient
toûjours accompagné , nous conduisirent
dans une Salle où un fort bon repas en
maigre nous attendoit. On ne donne point
à manger autrement chez les Benedictins
de S. Maur : Alors nous n'étions , pour
ainfi dire , que dans la moyenne Région
de l'air , car des fenêtres de cette Salle
on fe voyoit encore fur un point d'éleva
tion capable de bleffer la vue à des gens
qu'on n'auroit pas déja fait monter beaucoup
plus haut,
Nous dinâmes en gens prefque affamez,
le R. P. Prieur & un autre Religieux ,
Officier de la Maifon , faifant les honneurs
de la Table . On fervit , pour ainfi
dire , des Monftres marins , & non pas des
Poiffons ordinaires & des Coquillages de
toute efpece. Il eft impoffible de faire une
meilleure chere au milieu d'une bonne
Ville .
Après le repas , nous fongeâmes tour de
bon à la retraite ; car il étoit temps , par
rapport à l'heure du retour de la Mer.
Le Pere Prieur nous fit prendre un chemin
tout oppofé à celui que nous avions
tenu en arrivant ; nous deſcendîmes entre
le Nord & le Couchant du côté où le
Rocher eft le plus affreux & le plus efcarpé
, pour voir deux autres merveilles ou
curiofitez du Mont S. Michel.
NOVEMBRE 1727. 2392
La premiere eft une Fontaine enfermée,
dans une petite Tour , pour empêcher
le mêlange des eaux falées . On dit que
S. Aubert ne voyant point d'eau dans
tout ce lieu là , fe mit en priere ; & qu'après
avoir touché le Rocher de fon bâton
, il en rejaillit une très- belle Fontaine,
dont l'eau , dit - on , eft falutaire pour plu
fieurs infirmitez . Cette Fontaine n'eft plus
d'aucun ufage à prefent , à cauſe de
fon peu d'abondance , & furtout depuis
la conftruction des grandes & magnifi
ques Citernes qui font dans l'interieur de
l'Abbaye.
L'autre merveille eft l'impreffion d'un
pied fur le Rocher , profonde d'un bon
pouce , & parfaitement bien proportionnée
, laquelle n'a jamais reçû d'atteinte
par la violence des flots qui creufent &
minent tout ce qui eft aux environs , en
venant le brifer contre . On dit là- deffus ,
que le même Saint eut ordre de S. Michel
, de fai e appuyer le pied d'un enfant
contre la bafe d'une prodigieufe maffe
de Rocher qui s'élevoit en pointe jufqu'aux
nuës , & faifoit obftacle à l'execution
des Bâtimens projettez ; ce qui fit
que le Roc tomba de lui-même. L'empreinte
du pied miraculeuſement reçûë ,
s'eft confervée entiere jufqu'aujourd'huis
& en memoire de ce prodige on a bâti
Bij tout
1
2392: MERCURE DE FRANCE.
tout auprès un petit Oratoire en l'honneur
de S. Aubert .
C'est encore une Tradition du Pays que
le Mont S. Michel étoit autrefois joint à
la Terre-ferme , c'est-à- dire , du temps de
S.Aubert ; que tout ce qui eft aujourd'hui
fable & Greve où la Mer fe répand , étoit
autrefois couvert d'une grande Foreſt qui
rendoit l'accès de ce Mont très - difficile .
On croit pieufement que Dieu commanda
à la Mer de fe déborder pour détruire
la Forêt , & pour faire un chemin trèscommode
aux Pelerins , Ce qui fortifie
cette croyance , eft un refte de bois de
furaye baffe que l'on voit encore aujourd'hui
au pied du Mont , fur un fort
petit efpace de terrain .
Quand nous fumes tout- à- fait defcendus
fur la Greve , toute notre troupe ne
put s'empêcher de donner un moment
d'attention pour confiderer la prodigieufe
hauteur & l'étendue de tous ces Bâtimens
qui paroiffent de là comme fufpendus fur
la cime d'un Rocher affreux .
-
Entre les diverfes Tours dont l'enceinte
de l'Abbaye eft flanquée , il y en a une
bâtie du même côté où nous étions ; qui
eft d'un très grand ufage à ces Solitaires ,
parce que fur le milieu de fa hauteur il
y a une grande fenêtre qui eft la feule
ouverture de cette Tour , par où , à force
de
NOVEMBRE. 1727. 2393
de Machines , on fait monter toutes les
groffes provifions du Monaftere , n'étant
pas poffible de les voiturer par les che
mins ordinaires. Je crois , Monfieur, qu'on
feroit fort bien d'introduire auffi les Pelerins
par cette voye , cela leur épargneroit
la fatigue d'une rude montée & étar
bliroit parmi nous un ufage qui eft au
jourd'hui familier dans quelquesMonafte
res d'Egypte & de la Thébaïde.
Enfin ce que je trouve de veritablement
merveilleux au Mont S. Michel ,
eft la multitude , la grande hauteur . &
la beauté de tous ces Edifices , élevez
les uns fur les autres , & tout cela fur
un Rocher dont la pierre même a été
inutile , & qui n'eft baigné que des eaux
de la Mer : on n'a pû fans doute tirer
un fi prodigieux nombre de materiaux
que des Ifles de Gerfey & de Gerneſey,
même de l'Angleterre ; car la Côte de
Normandie n'en fçauroit fournir : hardie
entreprife s'il en fut jamais de cette
efpece.
Pour ne rien oublier , on prétend que
le Mont S. Michel , qui eft la derniere
Place du Royaume de ce côté- là , n'a
jamais changé de Maître depuis l'entiere
évacuation de la Normandie par les Anglois
, ce qui arriva en 1450. Il a fouffert
des Sieges , des embrafemens & plufieurs
B iij
2394 MERCURE DE FRANCE.
fieurs autres calamitez , juſqu'au temps
des Guerres civiles du Calviniſme , qu'un
Seigneur de Montgommery s'empara de
la Place par une furprife , dont il ne jouit
pas long- temps . On rapporte à cet évenement
la coûtume qu'on a de fouiller le
commun des Pelerins au premier Corps
de Garde , & d'y faire quitter les armes
à tout le monde.
On tint à peu près la même route pous
notre retour , excepté que nous prîmes
un peu plus fur la gauche pour voir de
plus près deux Rivieres qui coulent lentement
fur cette Greve , affez près l'une
de l'autre , nommées Coënon & Geneft :
elles viennent l'une de Bretagne & l'autre
de Normandie , & paffent près ou loin du
Rocher , felon que les flots de la Mer
& les fables les font changer de lit : les
eaux en font fi alterées , qu'elles n'ont
jamais été d'aucun ufage aux Habitans du
Mont S. Michel. La premiere fépare la
Normandie de la Bretagne."
Avant que d'arriver à Avranches , nous
prîmes plaifir de nous arrêter à quelquesunes
des Salines , dont toute cette Côte
eft remplie, & qui font d'un grand revenu
pour le Pays . On nous fit voir en peu de
temps toutes les Opérations les plus curieuſes
en ce genre . C'eſt encore une efpece
de curiofité de voir la multitude de
gens
NOVEMBRE . 1727. 2398
gens de tout âge & de tout fexe , employez
à ces travaux , lefquels pour paf
fer prefque toute leur vie dans des Grottes
au milieu des braziers & de la fumée,
reffemblent à de vrais Spectres , ou du
moins à ces Arabes errans , répandus dans
l'Egypte , la Syrie , & c.
Mais il eft temps , Monfieur , de finir
ma Lettre , que notre Pelerinage & la renommée
du Mont S. Michel ont rendu
plus longue que je ne penfois . Vous aurez
inceffamment ce qui me reste à vous
dire de notre Voyage. Je fuis , & c ,
MADRIGAL.
A MadameBe ...fur la rencontre qu'elle
a euë de deux Loups , en allant au devant
de fon mari , qui venoit du Camp
de la Meufe.
LE
w
Es deux Loups dont vous vous plai
gnez ,
Que mortellement vous cráignez ,
Pour vous , aimable Iris , ne font point in
domptables .
Vous fied - il bien d'appréhender deux
Loups ,
Biiij Quand
2396 MERCURE DE FRANCE.
Quand trois Dieux des plus formidables,
Mars , l'Amour & l'Hymen s'intereffent pour
Vous ?
***
Par M. de Sommevejle.
*********
REPONSE aux Triolets & à l'Extrait
de Lettre , imprimez dans le Mercure
du mois d'Octobre dernier.
ME
E voilà bien ajustée , Monfieur , en
Vers & en Profe, dans le dernier
Mercure qu'il vous a plû de m'envoyer .
Sans façon , je fuis dans le cas du Gene
tilhomme campagnard , à qui l'Huiffier de
la Chambre demande dans une Comédie :
Et d'où diantre êtes - vous pour être fi novice ?
Je pourrois vous répondre en toute hu
milité :
Je fuis jeune & de Dreux , à vous rendre fervice.
Je fuis jeune , & par conféquent je puis
ignorer bien des choſes . Je fuis de Dreux
fur les confins de la Normandie , d'où je
ne fuis prefque pas fortie. Il me doit
donc être permis de ne pas connoître ces
lieux celebres qui produifent les vins genereux
, citez M. de Senecé , & de par
croire
NOVEMBRE. 1727. 2397
croire que d'autres peuvent auffi les méconnoître
.
Au fond, il ne falloit pas être grande
forciere , ( quand j'ignorerois totalement
la Topographie des Pays Champenois ,
Bourguignons , & c . ) pour n'avoir pas vû
d'abord que les noms donnez à ces bons
vins dans les Triolets , ne peuvent appartenir
qu'aux differentes Contrées qui
les produifent.
Mais , dira notre Cenfeur , fi vous avez
compris cela , pourquoi demander que
l'Auteur des Triolets s'explique là - deffus ?
Je le demande par furabondance de droit
& de clarté , en faveur de quantité de
Lecteurs qui peuvent l'ignorer dans les
differentes Contrées de l'Europe , où l'Ode
en queftion & les aimables Triolers
pafferont avec le Mercure.
Ceux qui ont eu foin de l'Edition des
Oeuvres de M. Boileau , publiée à Amfterdam
, 2. vol . in fol. chez Mortier
1718. D'ont pas dédaigné en expliquant
ce Vers de la III . Satyre :
Et qui s'eft dit Profès dans l'Ordre des Côteaux.
Ils n'ont pas , dis -je , dédaigné de mettre
dans une Remarque exprès , la clarté dont
il s'agit précisément ici , en faifant conroître
par leurs noms les plus fameux
B v Coteaux
2398 MERCURE DE FRANCE.
Côteaux qui produifent le vin de Cham
pagne .
Il est vrai que dans l'énumeration de
ces heureux Côteaux , il s'eft gliffé une
bévue qu'on peut appeller réjouiffante
; on y compte bonnement pour fecond
Côteau Perignon , qui ne fut jamais
le nom d'un Côteau de Champagne ;
mais le nom d'un Religieux de l'Abbaye
d'Haut- Villiers , qui avoit le fecret
de faire le vin fin & exquis de cette Maiſon .
Il eft bon de remarquer en paffant , que
ce Religieux qu'on pourroit prendre pour
quelque gourmet , ne buvoit jamais de
vin , & ne vivoit prefque que de laitage
& de fruits. Vous voyez , Monfieur , qu'à
Dreux on n'eft point auffi ignorant que
le penfe le Cenfeur Champenois , &
qu'en cherchant , on peut fçavoir ce qui
fe paffe dans le Monde Litteraire. Nous
devons cette inftruction à fon invective.
Quant à la demande qu'on nous fait de
dire l'origine du prétendu Proverbe : A
gauche , c'est le chemin de Dreux , vrai
Proverbe, ou plutôt dicton de Chartier ,
& qu'on ne connoît point ici ; nous tâcherons
, s'il eft poffible , de fatisfaire la
curiofité du Demandeur ; je dis nous , car
le Cenfeur apoftrophe tous les gens de
Dreux ; nous verrons , dis- je , de le
contenter quand il aura pris la pein
*
de
NOVEMBRE . 1717. 2399
20 .
de nous expliquer lui- même le fens &
l'origine d'un autre Proverbe , qne je ne
crois pas de meilleur alloy que le fiens
mais qui eft au moins de plus vieille date
& connu de tout le Monde : Quatre-vingtdix
-neufMoutons & un Champenois , &c.
L'exemple fert , l'exemple nuit auſſi.
dit le Prince des Poëtes Champenois ; (a)
pour ne pas le faire mentir , j'ajoûterai
quelques Triolets de la façon d'un de nos
Poëtes , à l'imitation de notre Cenfeur ,
qui nous en décoche trois , outre fa Lettre
fi obligeante , que ces Mrs ont eu la
difcretion de ne la donner que par Extrait.
TRIOLET S..
TAifez
Aifez vous, Monfieur le Beuveur (6 ).....
Ce n'eft pas vous qu'on interroge ;
Vous prenez mal le ton railleur ,
Taifez- vous , Monfieur le Bet veur.
SENECE' feul eft mon Docteur ,
Votre Mufe eft une Allobroge
Taifez-vous , &c.
Laiffez au fortuné Vieillard ,
(a) M. de la Fontaine.
(b) L'Auteur auquel on répond , fait enten dre
que fes Triolets & fa Lettre on été faits en
beuvant.
B vj Le
2400 MERCURE DE FRANCE .
Le foin d'éclairer l'ignorance
Refpect , honneur , hommage , égard ,
Sont dûs au fortuné Vieillard.
Puiffiez- vous prendre en bonne part ,
Le confeil d'un fage filence :
Laiffez , & c.
i
Ce beau Proverbe prétendu ,
Par qui votre Lettre nous berne ,
Il eft à Dreux fort inconnu ,
Ce beau Proverbe prétendu
Il fut , ou que je fois pendu ,
Fabriqué dans une Taverne ,
Ce beau Proverbe , &c. ..
Allez donc paître vos Moutons ,
Champenois , vous fçavez l'Adage ;
Il court toutes les Régions ;
Allez donc paître vos Moutons :
A bon droit nous récriminons ,
Qui de nous aura l'avantage ?
Allez donc , & c.
Prenez
NOVEMBRE 1727. 240X
y
Prenez pour Juge SENEC &
D'une Critique fi nouvelle ,
De ma part , fi j'ai mal penſé ,
Je prends pour Juge SENICE' ;
Et quand il aura prononcé ,
Noyons dans Aï la querelle :
Prenez pour Juge , &c.
A Dreux le 10. Novembre 1727.
SUR LES DEFAUTS qui peuvent
être des fuites de l'Imitation.
L
'Imitation eft naturelle à l'homme ;
& quand notre penchant ne nous
porteroit pas , l'experience fuffit pour dé
montrer combien elle eft utile . Il n'eft
pas furprenant que les Arts lui doivent
leurs progrès , puifque les efprits ne fçauroient
fe perfectionner fans fon fecours
Comme les talens font bornés , un Auteur
qui ne puife que dans fon fond , eft
fujet à ne point fortir de cette uniformité
rebutante qui eft inféparable de la mediocrité
; de-là vient que ceux qui font euxmêmes
leurs Legiflateurs & leurs modeles
, n'ont qu'une vogue paffagere , au
Lieu que ceux qui ont formé leur goût
fur
2402 MERCURE DE FRANCE .
>
fur ce qui a plû pendant une longue fuite
de fiecles font plus sûrs de l'immortalité
. Mais plus l'Imitation eft néceffaire
plus on doit être en garde contre les défauts
qu'elle peut occafioner. Une Imitation
aveugle produit des copies infor
mes , toûjours au- deffous de l'original ,
fouvent même au-deffous de l'Imitateur.
Le modele le plus brillant eft alors le
plus dangereux .
L'Academie de Marſeille n'a point à
opter parmi des modeles , dont le merite
ne foit pas décidé . Elle fe trouve dans
l'heureufe neceffité de fe former fur ceux
que l'Académie Françoife renferme , elle
a dû employer fes premiers foins à prevenir
les inconveniens qui pourroient
naître de l'Imitation , même fondée fur
l'admiration la plus legitime. La meilleure
maniere d'imiter les Grands Hommes , fe
roit de tâcher d'acquerir les qualités qui
les diftinguent. Il y a bien plus de merite
à s'élever jufqu'à leurs talens , qu'à copier
leurs ouvrages . Peut- être même que
nous étions auffi fideles qu'eux au grand
fens , au goût du vrai , à l'expreffion , à
la Langue , on trouveroit dans nos Ectits
leurs plus belles penfées dans un ordre
auffi naturel , & avec un tour auſſi heureux
que dans les leurs .
*
Le choix que l'on fait d'un modele

NOVEMBRE. 1727 2403
décide fouvent du degré de perfection où
l'on peut atteindre. Je fuppofe toûjours
que ce modele eft excellent , & je ne parle
point ici de ceux qui dépriment Ciceron
pour imiter Seneque . Il eft toûjours
conftant que ce choix eft fujet à bien des
inconveniens . On eft quelquefois déter
miné à choisir un modele avec lequel on
n'a pas affez de rapport ; alors il arrive
que de fon genie que l'on abandonne , &
de celui que l'on veut imiter , il ſe forme
un goût mitoyen qui n'a ni l'élevation du
fecond , ni le naturel du premier . On a
vû des genies ardens & fublimes , qui
charmés de voir des fciences dont ils
connoiffoient toute l'étendue , parler le
langage des Graces, ont voulu faire le même
honneur à d'autres fciences à qui la fe
chereffe n'eft pas moins effentielle. Ils ont
fait grimacer leurs figures en voulant les
rendre plus riantes ; & tandis que l'Aftronomie
amuloit le fexe qui décide des agré-,
mens , la Jurifprudence a paru barbare à
ceux - mêmes qui en faifoient leur métier.
Un pareil défaut eft bien aiſé à éviter ; on
n'a qu'à fe confulter foi même ; le goût
nous apprend fuffifamment à quel genre
d'écrire nous fommes appellés , & quel
'Auteur nous devons fuivre . Racine dès
fon enfance , diftingue Euripide des Livres
que les Maîtres lui prefentent , & les
tranf$
404 MERCURE DE FRANCE.
tranfports qu'il fent en le lifant , annoncent
les Chef - d'oeuvres qu'il produira
bien-tôt à fon exemple .
Nous imitons toujours plus heureuſement
ceux avec qui la nature nous a donné
quelque conformité , & l'on exprime
bien mieux ce que l'on auroit pû créer.
Le beau naturel & la délicateffe d'Horace
font certainement plus difficiles à imi-,
ter que la fougue de Juvenal ; cependant
le Satyrique François qui marche toûjours
à côté du premier , eft quelquefois
au- deffous du fecond , il étoit né avec les
talens d'Horace, incompatibles avec ceux ,
de Juvenal. Si l'on fe méprend quelquefois
au choix de fon modele, il est encore
plus ordinaire de fe paffionner en faveur de
celui pour qui le goût nous détermine ; on
lui donne fon approbation exclufivement -
à tout autre. Point de raiſonnement fans
la méthode d'Ariftote , point d'Ode qu'à
la maniere de Pindare , point d'éloquence
qu'après Demofthene. L'imitation qui
naît d'une admiration fi outrée , nous fait
ordinairement rendre parfaitement bien
tous les défauts de notre modele , & nous
laiffe fort au - deffous de fes beautez ; l'Imitateur
aveugle de Ciceron ne fera que
diffus ; celui de Plaute nous prodiguera
des faillies qui ne rouleront que fur les
mots ; celui de Terence ne nous rendra
pas
NOVEMBRE.
1727.2405
pas la moitié de Menandre.
Aux défauts que les Imitateurs empruntent
de leurs modeles , ils en ajoûtent or
dinairement un qui eft de leur fond , mais
que l'original femble occafioner . Les
beautés des ouvrages de l'efprit font quelquefois
dans un point délicat & entre des
vices oppofez . Tout ce qui eft au - deffus`
ou au deffous , tombe dans le faux & fouvent
dans le ridicule. L'Imitateur qui ne
fe fert point de fon genie, ne difcerne point
fes nuances , & tombe dans le défaut le
plus voifin du merite principal de fon modele
. Les écarts heureux de Pindare ne feront
remplacés que par une fougue extravagante.
La fageffe de Virgile deviendra
une timidité froide ; le Copifte de Céfar
nous donnera une gazette ; la maniere intereffante
dont Tite- Live fait repaffer les
évenemens fous nos yeux , ne fera que
l'ouvrage d'un Déclamateur qui ufurpe le
titre d'Hiftorien.
Pour éviter le danger de copier les défauts
des Anciens , & celui de manquer
leurs veritables beautés , il faut être en
garde contre une admiration fans reſerve.
Il eft permis de s'attacher particulierement
à un modele que l'on peut aimer fans inconvenient
, pourvû que ce foit fans prévention.
Mais on ne doit pas negliger d'y
joindre les qualitez que d'autres Auteurs
pour2406
MERCURE DE FRANCE .
pourroient nous fournir. Le mérite d'un
Ecrivain dépend de l'economie de divers
talens . Il en eft que l'on ne trouve ni chez
foi , ni dans fon modele , & dont il faut
chercher ailleurs des exemples . Ciceron
fe donne hautement pour imitateur de
Démofthene : il nous rappelle cette éloquence
divine qui tonne au fond des
coeurs , & qui rend un homme maître
d'un Peuple . Il n'a pourtant pas negligé
d'y joindre les graces d'Efchine , les ima
ges de Platon , le nombre d'Hocrate , &
qui prendroit Ciceron même pour mo
-dele, n'auroit- il rien à emprunter ailleurs ?
Après avoir fait choix d'un Auteur
pour former fon goût , & avoir tâché d'y
joindre les qualités que d'autres Auteurs
fourniffent , & qui font proportionnées
au fujet que l'on traite , on peut paffer
à l'imitation plus particuliere des Ouvra
ges , & emprunter même quelquefois les
idées & les expreffions de fes modeles ;
quand cette maniere d'imiter eft bien menagée
, c'eſt un moyen sûr de plaire à ceux
qui connoiffent peu l'Antiquité , & à ceux
qui l'adorent. Les premiers admirent de
bonne foi le vrai & le béau qu'ils n'attribuent
qu'à nous:& les feconds après avoir
dit d'un air paffionné que l'original eft infiniment
au-deffus , nous loüent au moins
de notre choix & nous tiennent compte
peut-
L.X
NOVEMBRE. 1727. 2407:
peut-être , fans qu'ils le ſçachent , d'avoir
donné lieu à leur remarque . Quand cette
forte d'Imitation ne feroit que nous mettre
au ton de l'ouvrage que nous faifons , elle
feroit toûjours néceffaire. On devine bien
avec de l'efprit quelles font les idées qui
menent à notre but , ou qui en écartent ;
quels font les mouvemens qui fervent, ou
qui nuifent à notre deffein ; mais devine
- t'on de même de quelle maniere il
faut habiller fes idées ; la raifon nous ditelle
bien clairement quel nombre & quelle
meſure il faut choisir ? Pour rendre un
tel fentiment , il y a , fi j'ole ainfi m'exprimer,
les bienséances de l'ouvrage qu'on
ne fçauroit apprendre d'une maniere
prompte & sûre que de l'Imitation.
Les mêmes inconveniens que nous
avons obfervé fur l'Imitation des Auteurs
peuvent fe rencontrer encore dans celle
des Ouvrages. Il eft pareillement à crain
dre que l'on ne choififfe un modele qui ne
convienne pas au genre que l'on traite, ou
que l'on ne fuive fans difcernement celui
qu'on a choifi.
L'éloquence a des beautés qui font de
tous les genres ; mais elle en a auffi qu'on
ne peut transplanter fans danger. Une
penfée qui faifoit l'ornement d'une Ode
devient puerile dans une Elegie . Corneille
fi capable de tirer de fon fond les traits
les
2408 MERCURE DE FRANCE .
1
les plus heureux , & de les rendre avec
autant de force que de netteté. Corneille
croit enrichir le Dramatique de ce qui
étoit peut être outré dans l'Epopée , & il
va chercher avec foin dans Lucain de
quoi défigurer un de fes plus beaux Poëmes.
Il ne fuffit pas de garder les rapports
du genre que l'on traite avec le genre
qu'on imite , il faut auffi faire attention à
la contexture entiere de ce que nous imitons.
Un trait nous aura frappé , nous le
tranfportons brufquement dans notre Ouvrage
, fans fairejattention qu'il étoit préparé
dans l'original ; & ce qui étoit une
fage hardieffe , devient une beauté hors
d'oeuvre , qu'on n'admire jamais fans
plaindre l'Auteur. On ne fçauroit obferver
avec trop de foin l'enchaînement
de ce que l'on imite avec ce qui précede ;
& fi l'on eſt dans des circonstances équivalentes
à celles de l'original , le recit
de Theramene , ce modele fi parfait des
beautés déplacées , peche contre cette
regle.
Les beaux vers qui dépeignent la mort
d'Hypolite , font imités de l'Electre de
Sophocle , & il faut avouer à l'honneur
du Poëte Grec , qu'on ne lui peut repro .
cher d'être exceffif. Orefte jouë Egifte en
lui racontant lui même une hiftoire de fa
mort
NOVEMBRE. 1727. 2409
mort qu'il imagine . Il eft naturel qu'il
s'égaye dans des Defcriptions circonftan
ciées , & ce Tyran qui a interêt de le
croire , lui fçait bon gré du détail . Il s'en
faut beaucoup que Thefée & Theramene
foient dans les mêmes circonstances , f
I'Imitation des anciens , quand elle eft déplacée
, peut déparer les plus beaux Ouvrages
par des ornemens qui ne font point
affortis. Quand cette Imitation eft timide
& trop continuée , elle répand un air de
mediocrité plus infupportable que des
beautés irrégulieres ; ce fecond défaut eft
plus ordinaire que le premier , parce que
le nombre des genies pareffeux eft le plus
grand , & que d'ailleurs l'obfervation fu
perftitieufe des regles nous y conduit na
turellement. Comme les beautés des ou
yrages d'efprit dépendent de quelques
verités de fentimens qui ne font point
fufceptibles d'une évidence géométrique,
les premieres regles que l'on a faites , n'ont
été que des obfervations fur ce qui a plû.
La Rhetorique & la Poëtique font des
fciences prefque purement experimentales
. Ceux qui en ont donné des preceptes,
ont fait comme ces Philofophes fages ,
qui fe contentent de faire un amas de
faits qu'ils lient par quelque réflexion , en
attendant que la nature fe dévoile affez
pour en former un fyftême general. Les
regles
1410 MERCURE DE FRANCE.
regles de l'Art ne font autre chofe que
précepte de l'Imitation.
le
N'y a -t- il donc d'autre moyen de plaire
que de redire ce qui a plû ? Faut -il , ou
rejetter les regles , ou s'y affervir ? Et ne
fçauroit-t-on trouver de milieu entre les
Géometres & le Préjugé ce qui fait que
la regle , ou fil'on veut l'exemple des anciens
ne produit pas toûjours l'effet que
l'on attend , c'eft que l'on ne prend que la
lettre de la regle , & que l'on ne tire pas
de l'exemple le fruit qu'il faudroit. Les génies
du premier ordre envifagent dans les
endroits qu'ils imitent , non pas fimpleplement
la pratique des anciens , mais la
raifon qu'ils ont eu de fuivre une telle
route. Ils fentent une regle qui eft d'un
ordre fuperieur , & ils arrivent au même
but fans le faire une loi fervile d'employer
les mêmes moyens . Le Poëte Heroïque
doit craindre de fatiguer fon Lecteur en le
tenant trop long- tems fur les images triftes
& tumultueufes de la guerre . Il lui doit
ménager des idées plus riantes qui le délaffent
par le contrafte. Homere , Virgile ,
le Taffe ont fatisfait à cette regle par des
Epiſodes heureux , mais differens ; c'eft
dans le premier cette ceinture tiffue de la
main des Graces , qui rend la Majeſté aimablé
; c'eſt dans le fecond une Reine qui
entre malgré elle dans le projet d'une Die
vinité
NOVEMBRE. 1727. 244 1
inité , & qui retarde la fondation d'un
Empire qui devoit être un jour fatal au
fien ; c'est dans le dernier une Princelle
artificieufe qui feme l'amour & la difcorde
dans l'Armée Chrétienne , & qui devient
enfin l'efclave de celui dont elle
avoit le plus ambitionné la défaite .
>
Les genies timides au contraire , au lieu
de s'élever jufqu'aux principes des regles
& de les confiderer par rapport à l'effet
que leur obfervation peut produire fur
nous s'attachent fervilement à copier
leurs modeles , comme s'il n'y avoit qu'un
moyen d'éviter un tel défaut , ou de pla
cer une telle beauté , femblables en cela
à ces Peintres fans genie , qui empruntent
dans differens Tableaux les airs de têtes
les paffions , les attitudes de divers perfonnages
pour peindre une action qu'ils
n'ont pas la force d'imaginer. On voit
froidement repaffer dans leurs ouvrages
ce qu'on a déja admiré ailleurs , & ils ne
s'écartent jamais davantage de leurs modeles
, que quand ils prennent la même
.route .
A
Un des plus sûrs moyens de rendre
un Poëme intereffant , c'est d'en lier les
évenemens avec ceux de fon tems , & de
.faire entrevoir les Grands Hommes avec
qui l'on vit , parmi ceux dont on chante
les exploits. Virgile l'a fait de la maniere
la
2412 MERCURE DE FRANCE .
la plus heureufe : la Fable de la Maiſon
regnante , le ſyſtême tout poëtique de Pythagore
, la tradition du pays , lui fournirent
l'occafion de peindre ce que fon fiecle
avoit de plus grand . Un fi bel endroit
n'a pas échappé aux Imitateurs moderness
mais ce n'eft point par des beautez équivalentes
qu'ils l'ont rendu : il a fallu abfolument
placer des Champs Elifées, fouvent
dans des Poëmes Chrétiens .
Ces exemples fuffifent pour faire fentir
ce qui conftitue la difference de l'Imitateur
& du Plagiaire . On a tort de la
vouloir tirer de la difference des temps.
Une maxime de la Rochefoucault , ou
une penſée de Seneque , enchaffées malà
propos dans un Madrigal , font toujours
un vol , quand même le Madrigal s'appelleroit
une Strophe.
L'Imitateur & l'homme de genie puifent
dans les grandes fources du beau , où ſon
modele a puifé ; il enviſage le même objet
, fent les mêmes rapports , & difcerne
par l'experience les traits qui doivent produire
un tel effet. Le Plagiaire ne voit uniquement
que fon modele , ne conçoit
d'autres beautés que celle qu'il emprunte,
& ne penſe jamais qu'en fecond . L'un
imite la nature , & l'autre copie les Imitateurs.
Ce n'eft pourtant que dans la nature
même que l'on peur apprendre à imi
te
NOVEMBRE. 1727: 2473
ter heureuſement les Anciens. Que leur
exemple nous montre de quel côté il faut
l'envilager , au lieu de nous la faire perdre.
de vûë. Quant à ceux qui n'ont pas la
force de s'élever au- deffus du détail des
regles & des exemples , ils peuvent ſe
faire une occupation ou un merite de la
lecture des anciens. Qu'ils les étudient ,
qu'ils les commentent , mais qu'ils ne les
imitent pas.
******************
TRIOLETS
Pour le mois de Novembre.
"Entrevois déja des glaçons ,
J'Ent
Cher Ami , l'Hyver va paroître ;
Retirons- nous dans nos maifons ,
J'entrevois déja des glaçons.
Il faut rallumer nos tifons ,
Et quitter ce féjour champeftre ;
J'entrevois déja des glaçons ,
Cer Ami, l'Hyver va paroître.

、, ‛ ?
Quand nous ferons fous notre toit ,
hitons le prudent Horace ;
C Chan2414
MERCURE DE FRANCE,
Chantons & mocquons - nous du froid ,
Quand nous ferons fous notre toît,
Bûyons fouvent le petit doigt ,
C'eſt le grand chemin du Parnaffe ;
Quand nous ferons fous notre toît ,
Imitons le prudent Horace.

Nous avons de bon vin nouveau
Ne fongeons qu'à chanter & boires
Renvoyons fouvent au cayeau ,
Nous avons de bon vin nouveau ;
Faifons- le monter au cerveau ,
Jufques à perdre la mémoire ;
Nous avons de bon vin nouveau
હૈ
Ne fongeons qu'à chanter & boire,

Venez avec nous , belle Iris
>

Vous brillerez dans cette fêtes
Vous menez les jeux & les ris
Venez avec nous , belle Iris :
Vous êtes feule dans Paris
Qui me mettez l'amour en tête ;
Venez avec nous belle Iris ;
?
Vous
NOVEMBRE. 1727 2415
Vous brillerez dans cette fête.
219
Quand on trompe un mari jaloux ,
L'on en eft cent fois plus aimable ;
Iris , c'eſt un plaifir bien doux ,
Quand on trompe un mari jaloux
Approchez donc , & mettez-vous
Avec tous vos attraits à table ;
Quand on trompe un mari jaloux
L'on en eft cent fois plus aimable.

Allons , commençons ce repas
Laquais , apporte yîte un verre ;
Viens donc , Maraut , double le pas .
Allons , commençons ce repas ;
Iris , le vin & vos appas ,
Vont jetter ma raiſon par terre
Allons , commençons ce repas .
Laquais , apporte vîte un verre.
Vildorliers de Vernon
Cij AU2416
MERCURE DE FRANCE .
AUTRES TRIOLETS
de M. de la Ruë.
Uivez Bacchus , Amis joyeux ,
Suivez
Bûvez du doux jus de la treilles
Que ce Nectar eft précieux !
Suivez Bacchus , Amis joyeux :
Chantez le plus charmant des Dieux
En décoëffant mainte bouteille ;
Suivez Bacchus , amis joyeux,
Buyez du doux jus de la treille.
Réponse,
Si vous étiez auprés de nous
Lorfque nous vuidons les bouteilles
Ah ! que notre fort feroit doux !
Si vous étiez auprès de nous .
Les Dieux même feroient jaloux
De nos tendreffes fans pareilles ,
Si vous étiez auprès de nous ,
Lorfque nous vuidons les bouteilles .
Autre,
Eft-il un plus parfait bonheur
Amis
NOVEMBRE. 1717. 2417
Amis , que de chanter & boire
Chantons & bûvons de bon coeur ,
Eft-il un plus parfait bonheur ?
Vive la Bacchique liqueur !
De l'aimer faifons notre gloire ;
Eft-il un plus parfait bonheur
Amis , que de chanter & boire
O! l'heureux tems pour les búveurs !
Il eft plus de vin que de tonnes ;
On ne voit que des Vandangeurs
O ! l'heureux tems pour les buveurs !
Bacchus nous comble de faveurs ,
Voici le plus beau des Autonnes ;
O ! l'heureux tems pour les buveurs !
Il eſt plus de vin que de tonnes.
Autre à M.de Senecé.
Pere des jolis Triolets ,
SENICE' , ranime ta veine ,
Chante le vin avec fuccès ,
Pere des jolis Triolets :
Que la liqueur des bons gourmets
Soit déformais ton hipocreme
Ciij
Pere
7448 MERCURE DE FRANCE.
Pere des jolis Triolets
SENICE' ranime ta veine:
us
Quand on eft aimé tendremén
D'une Beauté que l'on adore ;
Que la vie eft un bien charmant
Quand on eft aimé tendrement
On ne paffe pas un moment ,
Sans voir de doux plaiſirs éclores
Quand on eft aimé tendrement
D'une Beauté que l'on adore.
L'Affichard. C. A. D. L. O. S.
**:********** X* :**
EXTRAIT d'une Lettre écrite de
Paris le 27. Octobre 1727. au sujet de
celle de Dreux , imprimée dans le Mer
cure du mois d'Août dernier.
'Ode inferée dans votre Journal de
LMay ,page you. votreJollaire ,de dans pas
> &
l'Auteur auroit dû , ainfi qu'on le penſe à
Dreux , accompagner ce Vers , Ay
Chaffagne Rietz , d'une remarque qui
eut mis le Lecteur au fait , &c.
II.
NOVEMBRE. 1927. 2419
Il n'eft pas étonnant que les Vins d'Ay
foient ignorez à Dreux ,je ne vois en ce
Ja rien d'extraordinaire ; mais qu'Ay même
y foit ignoré , je ne fçaurois le paffer
à l'Auteur de la Lettre ; car pour peu
qu'il eut de teinture de Géographie , il
fçauroit qu'Ay eft une petite Ville de
Champagne , fituée à quatre lieues de
Reims,fur la Riviere de Marne . S'il eut eu
le foin de confulter un Livre qui eft entre
les mains de tout le monde ; fçavoir , le
Dictionnaire de Morery , il auroit vu
qu'il y eft fait mention de la Ville d'Ay.
Le Dictionnaire Geographique de Cor
neille en parle auffi . Voilà deux Auteurs
connus , & que l'Auteur de la Lettren'eft
pas pardonnable d'avoir ignoré.
Veut- il encore qu'on lui cite un Livre
qui n'eft pas moins connu que les deux
précedens , qu'il confulte Boileau , édition
de Genéve 1716. in - 4 . & l'édition
de Londres in-folio ( je crois qu'elle eſt de
1718. ) il verra de quelle maniere l'Auteur
des Remarques s'explique fur les
Vins d'Ay , à l'occafion du 107. vers de
la troifiéme Satire , où Boileau parle de
ces vins. » On croit , dit- il , que le Vin
» de Champagne doit la premiere reputa
» tion à M. Colbert & le Tellier ,
Miniftres d'Etat , qui poffedoient de
grands vignobles dans la Province de
Cilj » Cham
In
išij
2420 MERCURE DE FRANCE;
» Champagne. On fait neanmoins remion-
» ter beaucoup plus loin le tems de la réputation
de ce Vin ; car on affure ,
» S. Evremont , Lettre à M. le Comte d'O-
»lonne , to. 3. que le Pape Leon X. Char-
» les- Quint , François I. & Henry VIII .
Roy d'Angleterre , voulurent toûjours
» uſer du vin d'Ay , comme le plus excel-
»lent , & le plus épuré de toute fenteur
>> de terroir ; ils avoient tous leur propre
» maifon dans Ay , ou proche d'Ay pour
» y faire plus curieuſement leurs provi-
» fions....
Après cela , que penfer des bons Gourmets
de Dreux , & des Parens collateraux
de Bacchus , à moins de croire que
que
partifans du celebre Rhéteur , qui entreprit
il y a quelques années de décrier les
vins de Champagne , pour donner aux
Vins de Bourgogne la préference fur les
premiers , parce qu'il étoit de cette Province
: ils ont été bien- aifes de fupprimer
juſqu'au nom du lieu qui produit les plus
excellens vins de Champagne.
Chaffagne eft un petit Village qui n'eft
pas fort éloigné de Beaune ; les vins que
produit fon terroir , ont auffi beaucoup
de reputation ; & tout ce qu'il y a , je ne
dis pas d'excellens Gourmets , mais des
gens qui boivent du vin , les connoiffent,
J'avoue que je ne connois pas Riets ; on
m'af- .
NOVEMBRE . 1727. 2421
m'affure que c'est encore un autre Vignoble
de Bourgogne.
En voilà affez , je penfe , pour fatisfaire
la curiofité de Meffieurs de Dreux,& pour
les engager une autre fois à agir avec moins
d'indifcretion. Je fuis , &c.
Signé ROGER.
EPITH A LA ME...
Sur le Mariage de M. D. V. & dè
R
Mile. L. D.
Ien fous les Cieux ne roule à l'avan
ture ;
Les Dieux font attentifs aux befoins des
Mortels ,
Et le bonheur de toutela nature ,
Dépend de leurs foins paternels :
Plutus fçait à fon gré difpenfer la Richelle ;
Mars la Valeur & l'Intrepidité ;
Apollon les beaux Arts , Minerve la Sagefle
:
Mercure l'Eloquence , & Venus la Beauté :
Mais de l'Amour rien n'égale l'Empire ;
C
Afon pouvoir il foumet tous les coeurs ,
Gv
Et
2422 MERCURE DE FRANCE.
Et l'on verroit l'Univers fe détruire ,
Si tout n'etoit fenfible à fes vives ardeurs,
A l'aimable L. D. auffi belle que fage ,
Les Dieux avoient donné mille attraits en
partage ,
Beau teint , belle taille , beaux yeux ,
Efprit plein de douceur , prévenant , gracieux
Mais elle n'aimoit point , & c'étoit grand
dommage ;
En vain à fes appas mille tendres Amans ,
Prefentoient leurs foupirs & leurs empreffe
mens ,
Aucun d'eux fur fon coeur ne prenoit d'avan
tage.
L'Amour chagrin de voir tant de fierté ,
Rêvoir un jour comment il pourroit faire
Pour défarmer l'infenfibilité ,
Qu'oppofoit à fes traits cette Beauté ſevere.
L'Hymen inftruit de fon deffein ,
» Lui dit , d'un plein fuccès tu te flattes en
vain
Je penetre ce qui t'agite ,
L'objet que tu prétends affervir fous tes
· Loix,
N'a pas moins d'agrémens qu'on lui voit d
merite
Mais
NOVEMBRE. 1727. 2423
Mais fans moi , fur fon coeur tu perdras tous
tes Droits.
Sa main attend l'ordre d'un fage Pere
Pour s'engager fous un facré lien ,
» Tu ne peux triompher de ta vertu feyere ,
Qu'en uniffant ton pouvoir & le mien.
» Choififfons un Epoux digne de cette Belle
Enflamme-la pour lui , fais qu'il brûle pour
elle :
Formons , pour les unir , les plus aimables
noeuds ,
» Et rendons ces deux coeurs également heu
95
reux.
J'y confens , dit l'Amour , compte fur ma
promeffe.
Ainfi dit , ainfi fait , d'une commune voix ,
Ce fut fur D. V. qu'ils fixerent leurs choix
Son eſprit , fon bon goût & ſa délicateffe,
Ses talens , fon fçavoir , fa vertu , fa fageffe ,
Le rendoient digne d'être aimé
De l'objet dont il eft charmé.
Enfin cette union au Ciel étoit écrite ,
Et le deffein que les Dieux en ont eu
C'eft afin que l'honneur épousât le merite ,
Et la Sageffe , la Vertu.
Le Maires
Cvj DES.
2424 MERCURE DE FRANCE :
sikakakakakakakakakakakak JkJk
DESCRIPTION de la nouvelle
· Lanterne , conftruite fur la Tour de Cordonan
, à l'embouchure de la Garonne."
A Tour de Cordoüan fut bâtie fous
LA
le Regne de Henry II. par le celebre
Architecte Louis de Foix , qui en inventa
& executa le deffein en l'année 1585..
Le Roy Henry IV. y fit faire des réparations
& des augmentations ; & comme le
tems avoit encore caufé des dommages , le
Roy Louis le Grand la fit réparer folidement
en l'année 1665 .
Elle eft fituée fur un Rocher à l'embouchure
de la Garonne ; elle fert le jour
'de reconnoiffance aux Vaiffeaux François
& Etrangers , & la nuit , de Fanal
pour leur entrée & fortie , au moyen du
feu qui y eft allumé. Les approches en
font très- difficiles pendant plufieurs mois
de l'année : l'on eft quelquefois trois mois
fans pouvoir y aborder .
Dans la fuite , le feu ayant calciné le
pourtour des murs , il fut ordonné que
l'on en feroit deſcendre la Lanterne de
pierre pour en empêcher la chute , ce qui
abbaiffa la Tour d'une maniere qu'on ne
la voyoit plus de deux lieues en Mer
comme auparavant,
Les
NOVEMBRE. 17 27 2425
Les Navigateurs François & Etrangers
s'en plaignirent, auffi- bien que la Chambre
du Commerce de Bordeaux ; il fut rendu le
21. Avril 1726 , un Arrêt du Confeil, au
rapport de M. le Comte de Maurepas ,
Secretaire d'Etat , pour le rétabliffement
des breches confiderables que la Mer
avoit caufée à cette Tour , & pour l'élevation
d'une nouvelle Lanterne , dont le
feu pût être vû de plus loin & durer plus
long- temps que dans celle qui étoit établie
, dont le feu étoit fi fouvent éteint ,
qu'il en étoit arrivé plufieurs naufrages ,
parce que le feu étoit découvert.
M. de Bitry , Ingenieur en Chef à Bordeaux
, ancien Capitaine d'Infanterie ,
Chevalier de l'Ordre Militaire de S.Louis,
& l'un des Académiciens de l'Académie
Royale des Belles- Lettres , Sciences &
& Arts de Bordeaux , qui a fervi en Flandres
dans la derniere Guerre en qualité
d'Ingenieur pour la deffenfe de plufieurs
Places , & en dernier lieu pour celle de
Landrecy , a donné le deffein d'une Lanterne
de fer , plus haute que celle qui étoit
auparavant bâtie de pierre , & qui avoit
des deffauts confiderables , par des Tremaux
qui donnoient des ombres aux Vaiffeaux
qui étoient vis - à - vis . Celle de fer
n'a point de Tremaux , & ne peut par fes
mbres empêcher de voir le feu .
Elle
2428 MERCURE DE FRANCE.
l'Amerique , ont déclaré qu'ils l'avoient
découverte de deux lieuës plus loin qu'à
l'ordinaire , ce qui les avoit empêché de
fe perdre , parce que la Mer étoit fort
groffe .
M. de Bitry , à qui l'on eft redevable de
l'invention de cette Lanterne , a toûjours
refté dans la Tour pour conduire & encourager
les Ouvriers jufqu'à- ce qu'elle
ait été montée , ce qui a été executé avec
beaucoup d'adreffe .
M. le Comte de Maurepas lui a procuré
une gratification du Roy , en confideration
des peines & des foins qu'il
s'eft donné pour faire réparer les breches
& dégradations que la Mer avoft caufé
à l'enceinte exterieure de cette Tour , ce
qui a été executé en liant les pierres les
´unes avec les autres avec des liens de
fer , les coups de Mer ayant été fi violens
& monté fi haut , que de memoire d'homme
pareille chofe n'étoit arrivée .
Le Roy a approuvé l'Infcription Latine
que M. le Comte de Maurepas lui a prefenté
pour être graveé fur un marbre , &
faire connoître à la Pofterité que cet Edifice
a été rétabli dans fon ancienne magnificence
fous le Regne de Sa Majeſté.
Ce Phare fait l'admiration des Navigateurs
; ils l'eftiment dans fon entier le
plas
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, LENOX
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FOUNDATIONS
NOVEMBRE. 1727. 2429
plus beau de l'Europe , & on n'en connoît
point ailleurs de fuperieur par la
beauté de la ſtructure & par la hardieffe
de l'execution .
Il y a un Gouverneur de cette Tour ,
un Aumônier & plufieurs Gardiens.
Voici l'Inſcription qui doit être pofée.
Ludovicus XV. Rex Chriftianiffimus
Cordubanam hanc Turrim ,
Stabilivit , Reftauravit
Et in fummitate
Pharon ferream altiorem , amplioremque
Pro veteri lapidea.
P. C.
Anno M. DCC . XXVII.
On voit ici la reprefentation gravée
'de cette Tour.
**************:
ODE
Sur le Camp de la Sône , commandé
M. LE DUC DE LEVY.
Uel tumulte affreux m'environne ?.
Qu'aperçois- je de toutes parts ?
Quels cris confus ? eft ce Bellone ?
Je vois flotter fes Etendarts :
par
Mais
2430 MERCURE DE FRANCE.
Mais non la cruelle eſt captive ;
Des Guerriers , le front ceint d'olive ,
M'annoncent la paix dans ces lieux :
LOUIS vient de quitter la foudre ,
Dont il alloit réduire en poudre
Des Ennemis audacieux.
Je vois la paifible Immortelle
Au milieu des ris & des jeux ;
L'éclat d'une grace nouvelle
Orne fon air majeftueux
Quel bruit éclatant des Trompettes ,
Se mêlant au fon des Mufettes ,
Fait au loin retentir les airs ?
Ce font les immortels hommages ,
Que la France fur ces rivages
Lui confacre par ces Concerts
Le Dieu du vin , Comus , Mercure
Ici raffemblent les plaiſirs :
Momus (4) paroît ; ceux qu'il procure
Raniment , piquent nos defirs &
(a) La Comédies
La
NOVEMBRE . 1727. 243 *
La Beauté , les Amours , les Graces ,
Sur ces bords ont fuivi les traces
Du Heros , (a) Chef de nos Guerriers :
Ici tout confpire à lui plaire,
Venus & le Dieu de Cythere
Joignent leur Mirthe à fes Lauriers.
M
La Déeffe (6) qui dans ces Plaines
Roule orgueilleuſement fes eaux ,
Eprouvant des frayeurs foudaines ,
Se cache au fond de ces rofeaux
Elle croit que les Destinées
Ramenent encor ces années
Fatales aux Peuples Gaulois ,
Quand parmi l'horreur du carnage »
CESAR ofa fur fon rivage ,
Etablir fes fuperbes Loix.
Non tu redoutes peu la Guerre ;
Si CESAR ofa t'outrager ,
(a) M, le Duc de Ľx vv , nommé par le Roy
four commander le Camp.
¿(b) La Riviere de Sôme.
Sur
2432 MERCURE DE FRANCE.
Déeffe , cette même terre
Sur fes Neveux [ 4 ] t'a vû vanger
On vit tes ondes homicides
Submerger fous leurs flots rapides ,
Des Germains , les fiers Efcadrons :
Sur nos François , le Rhein, ni l'Ebre ,
Même en ce paffage [ 6 ] celebre ,
N'ont pu réparer ces affronts,
Viens donc , viens t'applaudir , Déeffe
Du retour heureux de la Paix ;
LOUIS , qui pour toi s'intereſſe ,
Veut te combler de fes bienfaits :
Je vois un fuperbe Edifice , [ <]
Doux fruit d'une Paix fi propice ,
S'élever bien-tôt fur tes flots :
Et par la Nature forcée ;
[a] La déroute de l'Armée des Imperiaux ,
commandée par le Comte de GALAS , qui arriva
par un débordement imprévû de la Sône ; ce qui
lui fit lever le Siege de S.Jean de Lône l'an 1636 .
[b] Le fameux paffage du Rhein par l'Armée
de Louis XIV. l'an 1672.
[c] Le Pont de Seure , dont la délivrance a
été faite à 1000co . écus , par Meſſieurs les Elûs
Generaux de la Province de Bourgogne .
Τε
NOVEMBRE 1727. 2433
Une route eft déja tracée , [a]
Pour joindre à la Seine tes eaux.
M
Le fer brille , l'airain raifonne ,
Mille feux enflâment les airs :
LEVY s'empreffe , anime , ordonne ,
De Guerriers nos champs font couverts
De nos François toûjours compagne ,
La Victoire les accompagne [ 61
Et les couronne tour à tour :
Craignant de leur être infidele ,
Entre eux cette noble immortelle
Sçait fe partager chaque jour,
M
Nous triomphons , heureuſe France !
Ces feux éclatans [ ] & ces cris ,
Me donnent l'entiere affurance
Du bonheur que goûte LOUIS.
Le Ciel jaloux de nos hommages ,
[a ] Le Canal proposé pour la jonction des
deux Mers par la Bourgogne.
[b] Les differentes Batailles qui fefont données
aux environs du Camp.
[c] La décharge generale, & les cris de joye de
l'Armée, ausujet de la naissance des Princeffes.
Nous
2434 MERCURE DE FRANCE.
Nous offrant de précieux gages ,
Commence à remplir nos Touhaits :
Animez par de tels aufpices ,
Par nos voeux , par nos facrifices,
Méritons de plus grands bienfaits. [4]
Oui, grand Prélat ! [6] c'eft à tes veilles s
C'eft à tes affidus travaux ,
Que la France doit ces merveilles
Tu viens d'affurer fon repos:
De fon Roy, ta haute fageffe ,
Guide , éleve , inftruit la jeunefle
Pour le bonheur de fes Sujets :
Quel augure heureux pour la terre ?
Sous lui , l'appareil de la Guerre
Sert au triomphe de la Paix.
Par M. R. D. R. de Dijon.
[a] La naissance d'un Dauphin
[b] Le Cardinal Fleury.
AUTRE
NOVEMBRE. 1727. 2435
akakakakak
AUTRE
ENFANT
remarquable
par fon fçavoir.
N
Ous avons promis dans notre Jour
nal du mois d'Août dernier , à l'oc
cafion du jeune
Hernandez- del- Valle ,
de parler de plufieurs autres Enfans celebres
dans le même genre , qui font venus
ou qui viendront dans la fuite à notre
connoiffance , & nous avons fait làdeffus
une
invitation aux Sçavans & aux
Perfonnes qui
s'intereffent au bien public.
La Lettre qui fuit
commence à acquiter
notre promeffe , & prouve que notre
invitation a déja eu l'effet que nous
en attendions . Elle eft de M. Baratier
le pere , & le Maître du jeune Sçavant
qui en fait le fujet , datée de Schwalbach
, le .... 1726. Une perfonne de
mérite &
d'intelligence à qui elle a été
écrite , vient de nous la
communiquer,
Vous n'êtes pas le feul ,
Monfieur , qui
êtes curieux de fçavoir des nouvelles des
progrès que fait , par la grace de Dieu
mon petit Eleve dans les études , & qui
m'ait fait l'honneur de m'écrire fur ce
fujet. Je ne fçaurois vous refuſer là- deffus
un petit détail , ſouhaitant qu'il puiffe exciter
2436 MERCURE DE FRANCE .
citer d'autres Peres à prendre foin euxmêmes
de l'éducation de leurs enfans dès
leur berceau , comme je l'ai fait à l'égard
du mien , & mertre à profit ces premieres
années de leur vie , que l'on néglige
d'ordinaire , & qui font pourtant , felon
l'experience que j'en ai faite , les plus propres
à leur éducation , tant à leur égard
qu'a l'égard de ceux qui en prennent foin .
Mon fils , Jean - Philippe , a eu 5. ans
accomplis le 19. Janvier de cette année
1726. Avant qu'il ait eu 2. ans
accomplis , j'ai commencé à badiner avec
lui par les Lettres de l'Alphabet , & lui
en ai appris infenfiblement toutes les diverſes
combinaiſons , avec une méthode
fi fure , fi courte & fi fimple , qu'il a été
en état de lire fort correctement en françois
avant que d'avoir trois ans accomplis.
J'ai toujours continué à badiner avec lui
avec profit , & me fuis avifé de lui parler
de temps en temps latin , fans l'obliger à
rien apprendre ni à me répondre en cette
Langue ; ce qu'il a commencé à faire 3 .
ou 4. mois après m'être exercé avec lui
de cette maniere , & en peu de temps, il
a fait des progrès fi rapides, qu'avant l'âge
de 4. ans il a pû lire & parler également
François , Allemand & Latins
François avec la mere , qui eft la premierę
NOVEMBRE. 1727. 2437
miere Langue que je lui ai parlé jufqu'à
l'âge de 3. ans paffez : Allemand avec la
Servante & quelques enfans du voisinage
qui le viennent voir , & Latin avec moi.
Il s'eft fur- tout fi familiarifé avec cette
derniere , par le plaifir qu'il a d'être toûjours
avec moi , que quoiqu'il parle familierement
les deux autres , cependant
la Langue Latine eft fa Langue favorite ,
celle qu'il parle plus facilement & plus
correctement.
Outre plufieurs petits Livres de Fables,
de Colloques , de Figures que je lui ai
lûs , ou qu'il a parcourus par maniere de
récréation , il a lû tout ce qu'il y a d'Hiftorique
dans la Bible Latine de Caſtelion ,
rant dans le vieux que dans le nouveau
Teftament , & la continuation de l'Hiftoire
de Jofeph juſqu'à Jeſus - Chriſt. Outre
ce qu'il lit tous les jours dans la Bible
Françoife & Allemande , il lit d'autres
bons Livres avec tant de facilité , d'exactitude
, de rapidité & d'intelligence , qu'on
ne peut pas dire qu'il lit en enfant , mais
qu'il lit comme un jeune étudiant qui
entend ce qu'il lit , qui y fait reflexion ,
qui s'intereffe à fa lecture , & qu'il lit par
inclination & par plaifir.
A l'âge de 4 ans & demi , j'ai com-.
-mencé à lui faire connoître les Lettres
Grecques , dont j'entremêlois quelques-
D unes
1
2438 MERCURE DE FRANCE .
unes dans les exemples d'écriture que je
lui donnois enfuite ; je lui ai fait commencer
la lecture du nouveau Teftament
Grec , me contentant dans les commen→
cemens de lui en faire lire fimplement 2 .
ou 3. verfets par jour , que je lui faifois
repeter plufieurs fois , en lui en faifant la
traduction moi - même , fans exiger autre
chofe de lui que de lire ; il fait , par la
benediction de Dieu , de fi grands progrès
en cette Langue , qu'à prefent il peut lire-
& traduire exactement en bon Latin un
Chapitre par jour des Evangiles ; & j'efpere
que dans 3. ou 4. mois il fera en
état de lire & d'entendre tout le nouveau
Teftament en Grec , auffi- bien qu'en
François ou en Latin ; après quoi je me
propofe de lui faire lire la Bible Grecque
des Septante , c'eft où je veux l'exercer
le refte de cette année avant que de lui
faire connoître la Langue Hébraïque ;
efperant qu'enfuite il pourra faire de la
Bible Grecque fa lecture journaliere & ordinaire
, avec autant de facilité que s'il
la lifoit dans fa Langue maternelle.
Je ne parle pas de ce qu'il a appris dans
Les premieres années de Géographie &
d'Hiftoire , ayant été à 3. ans & demi en
état de parcourir lui- même les Cartes de
Géographie , & lui en ayant appris les
principales divifions en joiiant j'ai reconnu
NOVEMBRE. 1727. 2439
connu depuis l'abus de ces fortes de connoiffances
à fon âge, qui coûtent beau
coup de peine à entretenir , fans qu'il
en puiffe encore retirer un grand profit.
Je lui laiffe maintenant oublier tout cela
pour ne l'appliquer uniquement qu'à la
lecture de la Bible qu'il lit tous les jours
en quatre Langues .
Il commence à écrire, paffablement ;
quoiqu'il n'ait pas fait en cela autant de
progrès que dans les Langues ou dans la
lecture , parce que je n'ai pas pû trouver
fi facilement les moyens de l'y engager.
avec plaifir , ou parce que cet exercice
exige une peine & une patience dont il
n'eft pas encore capable ; cependant il
en fait à cet égard plus que l'on n'eft en
droit d'en attendre de lui à fon âge.
Au refte , on pourroit croire que tous
les exercices que je viens de marquer,
doivent le fatiguer beaucoup ; mais je puis
affurer que tout ce qu'il fait ne lui a pas
encore coûté un quart d'heure de mauvais
temps , & ne lui a pas fait perdre un moment
de fa liberté ordinaire ; je prends
bien garde de ne pas le charger de trop
de chofes à la fois , ni d'en tirer tout ce
que j'en pourrois tirer ; je tâche feulement
de trouver les moyens de l'engager
à faire de lui-même tout ce que je fouhaite
qu'il faffe , & par la grace de Dieu
Dij jufqu'à
"
2440 MERCURE DE FRANCE .
&
jufqu'à preſent j'y ai fi bien réuffi , que
je n'ai encore jamais eu befoin de l'avertir
de faire fes petits exercices ; il vient
toûjours de lui- même , je ne lui fais du
tout rien apprendre par coeur, & il ne fçait
encore rien de cette maniere que l'Oraifon
Dominicale. Au refte il eft incapable
d'application , & je n'en exige pas nonplus
de lui. Il fait tout en badinant ,
il faut auffi badiner avec lui , fi on en
veut tirer quelque chofe . Je le fais lire
peu & fouvent , lorfqu'il eft las de fes
autres amuſemens , obfervant de ne jamais
l'engager à lire, pendant que je le
vois affectionné à quelque chofe , aimant
mieux lui laiffer paffer les jours entiers
fans exercice que de l'y engager à contre
coeur. En un mot je prends fur moi toute
la peine de fon éducation , pour ne lui en
laiffer que le plaifir.
En voilà affez , Monfieur , & peut- être
fatisfaire votre curiofité : il me
trop pour
faudroit un volume entier fi je voulois
faire le détail de la Méthode & des maximes
que j'obferve dans fon éducation .
J'ai l'honneur d'être , &c .
TOMNOVEMBRE.
1727: 2448
XXXXX: XX XXXXXXXX
TOMBEAU
DE CATHOS PERRIQUE,
DE MADAME
D ***
Par M. Richer , Avocat au Parlement.
Elas ! pourquoi faut- il que des plus belles
chofes ,
Les deftins foient fi-tôt bornez ?
Un même jour voit naître & voit flétrir les
Rofes ,
Dont nos Jardins étoient ornez.
La chafte & tendre Tourterelle ,
Les Serins enjoüez ne vivent pas long- temps ;
Et la plaintive Philomele
Ne chante fouvent qu'un Printemps .
Du plaifir des Mortels , Atropos envieuſe ,
Exerce fa malignité
Plus une trame eft précieuſe ,
Plus fes cifeaux ont de rapidité.
Diij
Des
2442 MERCURE DE FRANCE:
Des bras de fon Epoux elle enleve l'Epoufe ;
Elle ravit l'Amante aux voeux de fon Amant ;
Et toujours fa fureur jaloufe ,
Se nourrit de notre tourment.
Mais fans chercher ailleurs des preuves au
tentiques
De fa perfide cruauté ;
Elle a mis au tombeau la Reine des Perriques,
Cathos , l'objet desfoins d'une Divinité.
Elle épargne un Vautour & tant d'autres Har
pies
Nous voyons vieillir un Corbeau ;
L'air retentit des cris & des Geais & des Pies
Et Cathos eft dans le Tombeau

Cathos , fi belle & fi mignone ,
Qui fçut nous amufer de fon petit caquet™,
Dont l'humeur douce & folichone
Auroit pû rendre heureux un jeune Perroquet

Du moins fi , celebrant un joyeux hymenée
Avec
NOVEMBRE. 1727. 2449
Avec un joli Compagnon ,
Nous retrouvions les traits de cette Infor
tunée
Dans quelque Perroquet mignon.
5
Elle avoit du penchant fans doute au mariage.
Un Galant digne d'elle en eût été cheri.
Elle auroit dit oui d'un bon courage : oži
C'étoit fon terme favori.
Quand fur les doigts d'Iris , Cathos étoit placée
,
Mille tendres Oifeaux lui faifoient les yeux
doux.
On lifoit bien dans leur penſée ,
Qu'ils auroient volontiers fait le devoir d'époax.

Mais l'ambitieufe Perrique
Ne daignoit pas en écouter aucun.
S'il n'étoit Indien, ou pour le moins d'Afrique,
C'étoit pour elle un Oifeau trop commun.

Quel plumage, grands Dieux ! non jamais
émeraude
Diiij Ne
2444 MERCURE DE FRANCE.
Ne fut fi brillante à nos yeux :
Mais la Parque prend tout , ou par force ou
par fraude ;
Et lance fans égard fes traits injurieux.
M
On dit même que Proferpine ,
Curieufe de voir la petite Cathos ,
Avoulu qu'Atropos nous fît cette rapine :
C'en eft fait , d'Acheron elle a paffé les flots
Vain defir , frivole efperance !
De ce larcin quel eft le fruit ?
La Perrique aux Enfers garde un morne filence,
Plus trifte qu'un Oifeau de nuit.
Elle penfe toûjours à fa jeune Maîtreſſe ,
Iris , cette Reine des coeurs ,
Iris , qui l'a cherie avec tant de tendreffe,
Que pour Cathos , dit- on , elle a verfé des
pleurs.
Adieu, belle Perrique , Oifeau fi plein de chare
mes !
Cathos, d'un ton plaintif , lui répondit, Adieu ,
Glorieufe
NOVEMBRE . 1727. 2445
Glorieufe en mourant , de caufer des allarmes
A la Divinité qu'on adore en ce lieu.
Helas ! depuis fa mort tout pleure en ce bocage.
Iris gémit : les ris partagent ſon ſouci.
Tous les tendres oiſeaux pleurent en leur langage
;
Et toi , qui lis ces vers , tu dois pleurer auffi.
QUESTION notable de Droit , jugée
au Parlement de Toulouse le
28. Août 1727.
I
an
L fut jugé au Parlement de Toulouſe
le 28. Août 1727. une Queſtion notable
: Pour la bien faire entendre , il fuffira
d'établir le fait , & d'y ajoûter l'ordre
fommaire de la Procedure.
Le fieur de Gafc de la Roche , Ecuyer,
créa par fon Teftament du 10. May 1699 .
la Dame de Cambabefouffe fa femme, Tutrice
& Curatrice de leurs enfans , & lui
legua l'ufufruit de fes biens . Il inftitua
fon heritier Jean , fon fils unique ; fur la
tête de celui -ci il fit une fubftitution en
faveur des mâles.
Prévoyant que cette fubftitution pourroit
Dv de2446
MERCURE DE FRANCE.
devenir inutile , il fubftitua encore Bona
venture de Gafc fa fille , qui eft l'expofante
; & à fon défaut , Jeanne fa foeur.
Il ajoûta que celle qui recueillera , époufera
un des enfans du frere du Teftateur ,
tel qu'elle voudra choiſir , defirant autant
qu'il eft poffible , que fes biens restent
dans fa famille , & que fon nom foit confervé.
Il dit enfuite qu'en cas que fa fille ne
veuille époufer fon coufin , il la prive
de l'heredité , ne lui leguant que la fomme
de Isooo. livres , & ſubſtituë l'aîné
fon frere aura , lorfque ledit cas ar- que
rivera.
Le St. de Gafc mourut en cette volon
té ; Jean fon fils unique mourut auffi ,
& Madame de Gombaur qui eft l'aînée
des deux filles fut donc appellée à la fubftitution.
En 1715, Madame de Gombaut fut fommée
par le S. de Gafc fon coufin , de dé--
clarer fon fentiment touchant la condition
fous laquelle elle fe trouvoit appellée
à la fubftitution . La Dame de Gombaut
ignoroit & la condition & la fubftitution
, l'Acte n'ayant été fignifié qu'à
la Dame la Mere.
Cependant l'un des trois freres qu'avoit
le S. du Gafe que nous avons dit
être coufin de la Dame de Gombaut , fille
aînée
NOVEMBRE . 1727. 2447
ainée du Teftateur fe maria , & de quatre
qu'ils étoient lors du Teftament du
S'. de Gafc , il n'en refta que deux entret
lefquels ladite Dame de Gombaut eut pû
choifir.
Le 23. May 1719. tems dans lequel
elle étoit encore mineure , la Dlle. Bona
venture de Gafc que nous avons toujours
nommée Madame de Gombaut , épou
fa M. de Gombaut , fuivant la deftination
de la Dame de Cambabefouffe fa mere ,
laquelle étant morte peu après , laiffa he
ritiere Jeanne fa feconde fille.
Le 14. Juillet 1723. le S. de Gafe ,
coufin , fit affigner cette Jeanne , dont
nous venons de parler , devant le Séné--
chal de Guienne , pour voir déclarer ou
verte en la faveur la fubftitution appofée
au Teftament du Sr. de Gafc , fon Oncle,
fe fondant fur ce que le Mariage de la Dame
de Gombaut étoit contraire à la vo
lonté du Sr. fon Pere.
Jeanne trouvoit fon compte dans l'exclufion
que le S. de Gaſc donnoit à l'Expofante
, & par Sentence du 24. Février
1724. les Conclufions du Sr. de Gafc lui
furent adjugées , fi mieux Jeanne n'aimoit
époufer ledit fieur de Gafc , fon confin , ou
l'un de fes freres , Difpenfe Canonique
préalablement obtenue.
Jeanne appella de cette Sentence au
Dvj Par
2448 MERCURE DE FRANCE.
Parlement de Bourdeaux ; mais voyant
qu'elle difputoit un bien qui appartenoit
à la Dame de Gombaut , elle confentit fans
peine à une tranfaction du 18. Juillet
même année , & fe maria enfuite avec
M. de Verthamon , Confeiller au Parlement
de Bourdeaux .
Informée de cette Sentence , la Dame
de Gombaut s'en rendit Appellante ; elle
demanda qu'en reformant & caffant la
tranfaction , elle foit maintenuë en l'heredité
du fieur fon Pere ; le fieur de Gafe
& la Dame de Verthamon , furent inti
més.
Nous ne rapporterons pas les differens
moyens du Sr. de Gafc & de la Dame de
Cambabefouffe , cela nous meneroit trop
loin : nous dirons feulement que cette caufe
a été plaidée avec beaucoup d'éloquence
& d'érudition de part & d'autre ; fçavoir
par M. de Miramont pour Madame
de Gombaut & par M. d'Hulan pour M. de
Gafc , tous deux diftingués entre les habiles
Avocats du Parlement de Toulouſe.
Ce Procès fut porté au Parlement de
Languedoc , en vertu de l'évocation accordée
aux Officiers de la Cour des Aydes
de Guienne. L'Arrêt qui déclare la ſubftitution
appofée dans le Teftament dufieur
Jean de Gafc du 10. May 1699. onverte
au profit de la Dame Bonaventure de
Gufc
NOVEMBRE . 1727. 2449
Gafe ( que nous avons toûjours nommée
Madame de Gombaut)fauf les diftractions
& imputations telles que de droit ce faifant
a maintenu & maintient ladite Bonaventure
de Gafe en la poffeffion & jouiffance
de tous les biens en dépendans . Cet
Arrêt , dis je , fut rendu en la Grand-
Chambre, au rapport de M. de Lombrail
Rochemontels , l'un des Magiftrats des
plus diftingués & des plus habiles de ce
Parlement.
La fucceffion dont il s'agiffoit eft trèsconfiderable
, & les Perfonnes qui plaidoient
pour la recueillir , font d'une Nobleffe
ancienne & diftinguée .
TRIOLETS
POUR LE MOIS DE NOVEMBRE.
Chanfon du Pont- Neuf.
OR écoutez , petits & grands ,
Un récit des plus pitoyables :
Bons Auteurs j'en ai pour garants ;
Or écoutez , petits & grands :
De mieux inftruire vos enfans
J'en incague Efope & fes Fables :
Or
3450 MERCURE DE FRANCE
Or écoutez , petits & grands ,
Un récit des plus pitoyables .
Novembre étoit un vieux garçon "
Qui vivoit fans ceremonie ;
Douzains avoit un plein bourfon ,'
Novembre étoit un vieux garçon :
Sa table avoit chair & poiffon ,
Et fa Cave étoit bien fournie ::
Novembre étoit , & c.
Courage , difoit- il , mon coeur t
Eft bien gardé ce que Dieu garde ;
A la barbe du Gabelleur ,
Courage , difoit- il , mon coeur :
J'ai du vin gris pour la primeur ,
Et du rond pour l'arriere-garde :
Courage , & c,
Je ne me fuis point endormi ,
A pourvoir mon petit menage
Plus vigilant que la Fourmi ,
Je në me fuis point endormi :
J'en ai jufqu'à la faint Remi ,
Voire
NOVEMBRE. 1727. 2450
Voire trois bons mois davantage ,
Je ne me fuis , & c.
(Pour confondre la vanité,
Toûjours la Fortune eft à l'erte's
Foûjours efclandre eft apprêté
Pour confondre la vanité :
Novembre , en fa félicité,
Se trouve à deux doigts de fa perte :
Pour confondre , &c.
A peine a-t-il lâché ces mots ,
Que dans fa cour fond- groffe troupe
De Valets , de Chiens , de Chevaux ,
A peine a- t-il lâché ces mots :-
C'eſt HUBERT , avec les fuppôts ,
Qui vient lui demander la foupe :
A peine a-t- il , & c
Grand Chaffeur étoit ce Hubert ,
Qui venoit de manquer fon Lievre ,
Bien découplé , gozier ouvert ,
Grand Chaffeur étoit ce Hubert :
La foif fe lit à découvert ,
Suc
2452 MERCURE DE FRANCE .
Sur les crevaffes de fa levre :
Grand Chaffeur , & c.
Comme en Ville prife d'affaut ,
Chez lui Novembre n'eſt plus maître ;
On fouille en bas , on pille en haut ,
Comme en Ville priſe d'affaut ;
A la Cave on court de plein faut ,
Chiens d'abboyer , Chevaux de paître ;
Comme en Ville , & c .
Les Valets font un grand fracas
Dans la Cuiſine & dans l'Etable ;
Pour préparer nouveau repas ,
Les Valets font un grand fracas :
Novembre en foûpire tout bas ,
La Servante les donne au Diable,
Les Valets font , & c.
Pendant qu'on fait tourner le Rôt ,
Hubert fait recit de fa Chaffe :
Icy , Brillant tombe en défaut
Pendant qu'on fait tourner le Rôt :
Là , mon Liévre aprés un grand faut
Fait
NOVEMBRE . 1727. 2453
Fait un crochet qui l'embaraffe ;
Pendant qu'on fait , &c.
On ne peut rien mettre à l'écart
Devant ces gens à poil & plume ,
Jambons , confitures , ni lard ,
On ne peut rien mettre à l'écart s
Tout convient au Peuple pillard ,
Chaffeurs mordroient fur une enclume :
On ne peut , &c.
Nuits & Hay * verfent leur fang
Par de profondes ouvertures ,
Sans nulle égard à l'âge , au rang ,
Nuits & Hay verſent leur fang :
Pâquette enrage , & dans fon flanc
Croit fouffrir les mêmes bleffures :
Nuits & Hay , & c.
Comme au vieux tems du Siecle d'Oi ,
Qu'on ne payoit écot , ni chambre ,
Hubert & fon Etat- Major
* Vignobles connus en Bourgogne & en Cham
pagne.
Cont2454
MERCURE DE FRANCE.
Comme au vieux tems du Siecle d'Or ,
Par une fanfare de Cor
Prennent congé du cher Novembre ;
Comme au vieux tems , &c.
Débaraffé de ce Hutin ,
Novembre relevoit la crête ,
Quand par un beau Mardi matin ,
Débataffé de ce Hatin ,
Arrive Compere MARTIN ,
Qui lui vient annoncer fa Fête ,
Debaraffé , & c.
MARTIN charioit après lui
Femmes qui bûvoient comme éponges ,
Telles qu'il s'en voit aujourd'hui ;
MARTIN charioit après lui ,
Faifant à la table d'autrui ,
Devoirs qui pafferoient pour fonges ,
MARTIN charioit , & c.
Vuides étoient les Magafins ;
> * Vieux mot qui fignifioit défordre , em-
Barras, querelle , témoin notre Roi Louis X. qui
enavoit retenu le furnemi
ComNOVEMBR
E. 1727. 2455
Comment fortir de cette affaire a
Par l'exploit des Chaffeurs voifins ,
Vuides étoient les Magafins :
Il faut déguerpir les douzains ,
Four faire honneur au cher Compere
Vuides étoient , & c.
MARTIN , ce débauché bannal
Pour s'ériger en Petit-Maître ,
Par un emportement brutal ,
MARTIN , ce débauché bannal ,
Ayant caffé verre & boccal,
Jette les plats par la fenêtte:
MARTIN , & e;

Privé de tes meilleurs amis ,.
Que met für cul ce maître yvrogne ,
Pauvre Novembre tu gémis ,
Privé de tes meilleurs amis ;
Sur la beffiere de tes muids ,
Tu pleures , Champagne & Bourgogne ,
Privé , & c.
Novembre réduit au biffae
Coug
2456 MERCURE DE FRANCE.
Coup fur coup , par doubles tempêtes ,
Fait voeu fur fa boëte à tabac :
Novembre réduit au biffac ,
De rayer de fon Almanach
1
Ces deux impitoyables Fêtes
!
Novembre , & c.
Parmi tant de maux inteftins
Où s'épuife la patience ,
Plus que du feu , que des Lutins
Parmi tant de maux inteftins ,
¿
Dieu des Huberts & des Martins ,
Préferve la noble affiftance ; :
Parmi tant de maux inteftins
Où s'épuife la patience.
De Senecé.
XXXXXXXX : XXXX : XX
PREMIERE ENIGME.
L
'Idée a fur moi tout pouvoir ;
A peine m'a t'elle fait naître ,
Que je donne beaucoup d'eſpoir ,
Surtout étant près de mon Maître .
Je
NOVEMBRE . 7727. 2459
Je change deux fois de viſage ;
A l'une j'ai du rouge , à l'autre j'ai du noir :
Plus ma fuite eft nombreufe , & plus j'ai d'a
vantage ,
J
Plus l'on s'empreffe de m'avoir,
M
Je n'ai qu'un point qui me domine ;
Tous les autres font fous ma loy ,
J'ai plus de pouvoir que le Roy ;
France , n'eft pas mon origine.
SECONDE ENIGME.
E prends dans les forêts ma fource mafculine
;
Mais dès qu'on m'en tire une fois ,
La forme qu'on me donne eft fouyent feminine.
Homme ou femme , chacun à femblables emplois
,
Sans me confulter on me deftine.
Cent Belles dans mon fein renferment leurs
filets ;
Et mille Adorateurs charmés de leurs attraits ,
Suivent avec fuccès une agréable mode ,
Qui leur plaît & les accommode,
Ils
2458 MERCURE DE FRANCE.
Ils ferrent jour & nuit chez moi bien des
appas ,
Que fans l'heureux couvert qu'en tour tems
je leur donne ,
Peu de gens peut-être perfonne ]
Long- tems dans le grand air ne conferveroient
pas.
En cherchant qui je fuis , Belles , foyez trans
quilles:
Amans , faites - en tout autant ;
A quoi bon vous donner des peines inutiles
,
Vous me voyez peut- être en cet inftant.
Les trois Enigmes du mois dernier ont
dû être expliquées par le Fen , la Carie de
Géographie , &la Charrue.
**** ***
NOUVELLES LITTERAIRES.
DES BEAUX ARTS , & c.
H
ISTOIRE des Chevaliers Hofpitaliers
de S. Jean de Jerufalem , appellez
depuis Chevaliers de Rhodes , &
aujourd'hui Chevaliers de Malthe . Par
M.
NOVEMBRE. 1727. 2459
? M. l'Abbé de Vertot de l'Académie
Royale des Belles Lettres , Secretaire des
Commandemens de feuë S. A. S. Madame
la Ducheße d'Orleans , & Commandeur de
Sauteni , dédiée à S. A. Em . Dom Antoine
Manoel de Vilhena , Grand- Maître
de l'Ordre de S. Jean de Jerufalem. Troifiéme
édition, A Paris , rue Saint Jean de
Beauvais , chez JEAN DESAINT . 1727,
5. vol. in 12. prix 10. liv. en feuilles ,
& 12. liv. 10. fols , reliée.
Le débit de cette Hiftoire répond au
merite & à la réputation de l'Hiſtorien .
La premiere Edition de cet Ouvrage qui
parut au mois de Decembre dernier en
4. volumes in-4. avec les Portraits des
Grands-Maîtres de l'Ordre , & les liftes
des Chevaliers , a été fuivie de deux aurres
Editions in- 1 2. J'ai tâché , dit l'Auteur
dans la Préface de la 3. Edition , de
mettre mon Ouvrage au goût de ceux , qui
ne prenant aucun interêt particulier
PHiftoire des Chevaliers de Malthe , ne
cherchent en la lifant , que l'Hiftoire même.
Ainfij'ai crû devoir en retrancher les
Portraits & les Liftes qui fe trouvent dans
l'Edition in-4, Pour mon file , j'ai
fait enforte de le formerfur Salufte , Tite-
Live Tacite , que je reconnois pour mes
Maitres & mes Modeles. Ce n'est que par ´·
la lecture affiduë de ces excellens Origi-
·
Banx
2460 MERCURE DE FRANCE .
naux que l'on peut efperer d'écrire avec
quelque fuccès , & d'éviter les défauts ordinaires
à la plupart des Hiftoriens d'aujɔurd'hui.
Nous ne craignons pas d'en dire trop ,
en affurant que M. l'Abbé de Vertot a parfaitement
rempli fon deffein , & que l'on
retrouve dans l'Hiftorien François ce que
l'on admire dans les Auteurs Latins ; c'eftà-
dire , un ftyle fimple & naturel , fans
être rampant ; de l'élevation & de la
nobleffe ; lorfque le fujet le demande ,
fans enflure , mais fur-tout cette genereufe
liberté , l'ame de l'Hiftoire , qui
nous décrit les actions & les évenemens
tels qu'ils ont été , & qui nous donne les
hommes pour ce qu'ils ont valu . On ne
fçauroit trop eftimer de pareils Ouvrages,
fur-tout dans un fiecle où l'on donne tant
à la flatterie & à la partialité.
Nous remarquerons encore qu'il y a
infiniment d'art dans l'Ouvrage dont nous
parlons. L'Histoire des Chevaliers de Malthe
eft intereffante par elle-même. On y
voit de ces Heros , dignes de l'ancienne
Rome, s'oublier eux -mêmes pour ſe facrifier
entierement aux interêts de l'Ordre &
de la Religion : la bravoure y eft portée
jufqu'où elle peut aller.
Cette Hiftoire eft remplie de grand
évenemens , & elle embraffe un grand
nom
NOVEMBRE . 1727. 2461
nombre d'années ; neanmoins elle a bien
des vuides & de petits Faits , qui n'auroient
pas manqué d'ennuyer le Lecteur ,
fi notre Hiftorien n'avoit eu l'art de lier
fon Hiftoire avec celle des Princes & des
Peuples aufquels les Chevaliers ont eu
affaire : Nous en rapporterons quelques
exemples , & nous renverrons pour le
refte au Livre même.
Dans le x111 . fiecle un Roy de Hongrie
, nommé André , prend la réfolution
d'aller combattre contre les Infideles , dans
la Terre Sainte, & de fe joindre au Grand-
Maître des Hofpitaliers , Frere Guerinde
Montaigu.
André etant prêt de quitter fes Etats , en
laiffa la Regence au Palatin du Royaume , appellé
Bancbannus. Il lui recommanda en partant
d'entretenir la Paix avec les Princes voifins
, & furtout d'adminiftrer une exacte Juſtice
à tous fes Sujets , fans égard pour la naiflance
ou la Dignité de qui que ce fut. Ce Seigneur ,
pendant l'abfence du Roy , n'oublia rien pour
répondre dignement à la confiance done il l'avoit
honore; & pendant qu'il donnoit tous fes
foins aux affaires de l'Etat , fa femme , Dame
d'une rare beauté , tâchoit par fon affiduité auprès
de la Reine , d'adoucir le chagrin que lui
caufoit l'abfence du Roy fon Mari.
Tel étoit l'état de la Cour de Hongrie lorfqu'on
y vit arriver le Comte de Moravie , frere
de la Reine , & que cette Princeffe aimoit tendrement.
Ce ne furent d'abord que fêtes & que
plaifirs ; mais dans la fuite le poiſon dange-
E reux
2462 MERCURE DE FRANCE.
reux de l'amour fe gliffa parmi ces jeux innoeens
. Le Comte de Moravie devint éperduement
amoureux de la femme du Regent ; il ofa
lui déclarer fa paffion ; mais cette Dame encore
plus vertueufe qu'elle n'étoit belle , ne
lui répondit que par la feverité de fes regards.
La réfiftance fit fon effet ordinaire ; les defirs
criminels du Comte n'en furent que plus violens.
Sa paffion qui augmentoit tous les jours,
Je jetta dans une fombre mélancolie ; il n'éoit
plus queftion de jeux , de fpectacles & de
tous ces vains amuſemens dont les Grands
occupent fi férieufement leur oifiveté , le Comte
ne cherchoit plus que la folitude ; mais la
Reine par une complaifance naturelle aux
femmes pour cette efpece de malheur, & pour
retirer fon frere d'un genre de vie fi trifte , fous
differens pretextes , retenoit auprès d'elle la
femme du Regent , & l'envoyoit chercher
auffi-tôt qu'elle s'éloignoit du Palais. Cette
Dame penetra fans peine les motifs indignes
de ces empreffemens ; & pour éviter l'entresien
du Comte , elle feignit quelque tems d'êare
malade : mais ayant ufé ce pretexte , & fa
maiffance & le rang que tenoit fon mari ne lui
permettant pas de s'abfenter plus long- tems
de la Cour , elle revint au Palais. Le Comte
de
peur de l'aigrir , diffimula fes fentimens , &
des manieres refpectueufes fuccederent en ap
parence à l'éclat & à l'emportement de fes pafons.
La femme du Regent raffurée par cette conduite
pleine de difcretion , continuoit de paroître
à la Cour , lorfque la Reine , fous présexte
de l'entretenir en particulier , la condui
fit dans un endroit écarté de fon appartement,
où après l'avoir enfermée , elle l'abandonna
aux defirs criminels de fon frere , qui de conNOVEMBRE
. 1727. 2463
cert avec la Reine , étoit caché dans le cabinet.
La femme du Regent en fortit avec la honte
fur le vifage , & la douleur dans le coeur ; elle
s'enfevelit dans fa maiſon , où elle pleuroit en
fecret le crime du Comte & fon propre malheur
. Mais le Regent ayant un jour voulu
prendre place dans fon lit,fon fecret lui échappa
; & emportée par l'excés de fa douleur :
Ne m'approchez pas , Seigneur , lui dit- elle ,
en verfant un torrent de larmes , éloignezvous
d'une femme qui n'est plus digne des chaftes
embraſſemens de fon époux : un temeraire a
violé votre lit , & la Reine fafoeur n'a point eu
honte de me livrer à fes emportemens je me fe
rois déja punie moi- même de leur crime,fi la Religion
ne m'eût empêché d'attenter à ma vie :
mais cette défense de la Loi ne regarde point un
mari outrage ;je fuis trop criminelle , puiſque
je fuis deshonorée , je vous demande la more
comme une grace , & pour m'empêcher de fur- .
vivre à ma honte & à mon deshonneur.
Le Regent , quoi qu'outré de douleur , lui
dit qu'une faute involontaire étoit plutôt um
malheur qu'un crime , & que la violence qu'on
avoit faite à fon corps , n'alteroit point la pu
reté de fon ame , qu'il la prioit de fe confoler
, ou du moins de cacher avec foin la cauſe
de fa douleur. Un interêt commun , ajoûta- t'il,
nous oblige l'un & l'autre de diffimuler unfi
cruel outrage , juſqu'à ce qu'il nousfoit permis
d'en tirer une vengeance proportionnée à lagrandeur
de l'offenfe.
Son deffein étoit d'en faire reffentir les premiers
effets au Comte ; mais ayant appris qu'il
étoit parti fecretement pour retourner dans
fon Pais , le Regent au défeſpoir que fa victime
lui eut échappé , tourna tout fon reffentiment
contre la Reine même ; il fe rendit au Palais ,
E ij &
2464 MERCURE DE FRANCE.
& ayant engagé cette Princeffe à paffer dans
fon Cabinet , fous prétexte de lui communi.
quer des Lettres qu'il venoit , difoit- il , de recevoir
du Roy , il ne fe vit pas plutôt feul
avec elle , qu'après lui avoir reproché fon intelligence
criminelle avec le Comte , & la trahifon
qu'elle avoit faite à fa femme , le fier
Palatin lui enfonça un poignard dans le coeur ;
& fortant tout furieux de ce Cabinet il publia
devant toute la Cour fa honte & fa vengeance.
>
Soit furpriſe ou refpect , perfonne ne fe mit
en état de l'arrêter ; il monta fans obftacle à
Cheval ; & s'étant fait accompagner de quelques
Seigneurs , témoins de cette funefte cataftrophe
, il prit la route de Conftantinople , &
arriva enfuite dans cette Ville d'où le Roy n'étoit
pas encore parti . Il fe rendit auffi - tôt au
Palais que ce Prince occupoit , & fe prefentant
devant lui avec une intrepidité qui a peu
d'exemple: Seigneur , lui dit - il , en recevant vos
derniers ordres, quand vous partites de Hongrie,
vous me recommandâtes , fur tout , que fans
aucun égard pour le rang ou la condition , je
rendiffe à tous vos Sujets une exactejuftices je
me la fuis faite à moi- même ; j'ai tué la Reine,
votrefemme , qui avoit proftitué la mienne ;
-
bien loin de chercher mon falut dans une indignefuite
, je vous apporte ma tête : difpofez à
wotre gré de mes jours ; mais fouvenez- vous
que c'est par ma vie ou par ma mort que vos
Peuples jugeront de votre équité , & ſi je fuis
innocent ou coupable,
Le Roy écouta un difcours auffi furprenant,
fans l'interrompre , & même fans changer de
Couleur ; & quand le Regent eut ceffé de par-
Jer : Si les chofes fe font paffées comme vous les
lui dis ce Prince , retournez en Hon
sappertes,
gris
NOVEMBRE. 1727 : 2469
grie ; `continuez d'administre, la justice à mes
Sujets avec autant d'exactitude & de feverïté
que vous vous l'êtes rendue à vous - même ; je
resterai peu à la Terre Sainte , & à mon retour
j'examinerai fur les lieux fi votre ation merite
des louanges ou des fupplices,
Ce trait d'Hiftoire feroit très- propre
pour notre Théatre , & le Poëte auroit
l'avantage de trouver dans la verité même
tout ce qu'il faut fouvent devoir à la fiction
.
Dans le xv . fiecle , Mahomet II . déclara
la guerre aux Chevaliers qui poffedoient
alors l'ifle de Rhodes & les Illes Rhodiennes
en toute fouveraineté .
Les liaifons effentielles de fon hiftoire avee
celles que j'écris , & les guerres fanglantes
qu'il fit à l'Ordre de Saint Jean , dit M. l'Abbé
de Verthot , m'obligent à faire connoître
plus particulierement un de fes plus grands
ennemis. C'étoit un jeune Prince , à peine
âgé de vingt un ans , que la nature & la fortune
jointes à une haute valeur , rendirent la
terreur du monde entier. Son ambition étoit
encore plus grande que fa naiffance & fon Empire.
Il poffedoit tous les talens fuperieurs ,
des vues immenfes , le genie admirable pour
diftribuer dans le temps l'execution de fes projets
, toujours attentif , toujours prefent aux
évenemens , & ne perdant jamais de vûe les
difpofitions & les forces de fes Ennemis ; infatiable
de gloire & de plaifirs , & noirci même
de ces fales voluptés que la nature ne fouffre
qu'avec horreur , fans foi , fans humanité , fans
religion. Ile faifoit pas plus de cas de l'Al-
Eij coran
2466 MERCURE DE FRANCE.
coran , que de l'Evangile ; & felon fes princi
pes , il n'y avoit que deux Divinités qui meritaffent
le culte des hommes , la Fortune & la
Valeur,
Tel étoit Mahomet II. qui affecta de bonne
heure le nom d'Al- Biuch , ou de Mahomet le
Grand , titre que la Pofterité lui a confervé. It
en étoit digne , fi on en juge feulement par fes
conquêtes ; mais dans les Souverains , il y a
des vertus qui doivent marcher avant la valeur,
& un Prince n'eft veritablement grand, que par
fa pieté & par fa juftice ; vertus inconnues à
Mahomet , ou dont il ne crut la pratique convenable
qu'à de fimples Particuliers.
M. l'Abbé de Verthot parle enfuite du
Sac de Conftantinople , où par ordre de
Mahomet
Les Princes & les Officiers qui avoient eté
pris , les armes à la main, furent livrez aux Bourreaux
; il n'échappa à fa cruauté que les jeunesgens,
des deux fexes les mieux faits , qu'il réferva
pour les abominations de fon ferrail.
C'eft ainfi qu'une Grecque , d'une naiffance
illuftre , appellée Irene , à peine âgée de dixfept
ans , tomba entre fes mains. Un Bacha
venoit de la faire efclave ; mais furpris de fa
rare beauté , il la crut digne d'être preſentée au
Sultan. L'Orient n'avoit rien vû naître de fi
parfait ; fes charmes fe firent fentir imperieufement
au coeur farouche de Mahomet. Il fallut
fe rendre ; il s'abandonna même entierement
à cette nouvelle paffion ; & pour être
moins détourné de fes affiduitez amoureufes
il paffa plufieurs jours fans fe laiffer voir à fes
Miniftres & aux principaux Officiers de fon
Armée. Irene le fuivit depuis à Andrinople : il
y fixa
NOVEMBRE. 1727: 2467
y fixa le féjour de la jeune Grecque . Pour lui
de quelque côté que les Armes tournaffent fes
pas , fouvent même au milieu des plus impor
tantes expeditions , il en laiffoit la conduite à
fes Generaux , & revenoit avec empreflement
auprès d'Irene. On ne fut pas long- tems fans
découvrir que la guerre n'étoit plus fa premiere
paffion ; les Soldats accoutumés au butin
qu'ils faifoient à fa fuite , murmurerent de ce
changement. Ces murmures devinrent contagieux;
l'Officier comme le Soldat fe plaignoient
de cette vie effeminée ; cependant fa colere
étoit fi formidable , que perfonne n'ofoit fe
charger de lui en parler. Enfin , comme le mécontentement
de la Milice étoit à la veille d'éclater
, le Bacha Muftapha ne confultant que
Ja fidelité qu'il devoit à fon Maître , l'avertit
le premier des difcours que les Janniffaires
tenoient publiquement , au préjudice de la
gloire.
Le Sultan , après être demeuré quelque tems
dans un fombre filence , & comme s'il eût
examiné en lui- même quel parti il devoit prendre
; pour toute réponſe , & fous prétexte
d'une Revûë , ordonna à Muftapha de faire
affembler le lendemain les Bachas , & ce qu'il
y avoit de troupes pour fa garde , aux envi
rons de la Ville. Il paffa enfuite dans l'Appartement
d'Irene , avec laquelle il refta juſqu'au
lendemain.
Jamais cette jeune Princefle ne lui avoit paru
fi charmante, jamais auffi le Prince ne lui avoit
fait de fi tendres careffes. Pour donner un
nouvel éclat à fa beauté , fi cela étoit poffible ,
il exhorta fes femmes à employer toute leur
addrefle & tous leurs foins à fa parure. Après
qu'elle fut en état de paroître en public , il la
prit par la main , la conduifit au milieu de
E jij l'Af
2463 MERCURE DE FRANCE .
l'Affemblée ; & arrachant le voile qui lui cou
vroit le vifage, il demanda fierement aux Bachas
qui l'entouroient , s'ils avoient jamais vu une
beauté plus accomplie. Tous ces Officiers , en
bons Courtifans , fe répandirent en des louanges
exceffives , & le féliciterent fur fon bonheur.
Pour lors Mahomet prenant d'une main
les cheveux de la jeune Grecque , & de l'autre
tirant fon Cimeterre , d'un feul coup en fit
tomber la tête à fes pieds ; & fe tournant vers
les Grands de la Porte , avec des yeux égarez &
pleins de fureur : Ce fer , leur dit- il , quand
je veux , fçait couper les liens de l'amour.
Un frémiffement d'horreur fe répandit dans
toute l'Affemblée ; la crainte d'un pareil fort
fit trembler les plus mutins : chacun croyoit
voir ce funefte couteau élevé fur fa tête ; mais
s'ils échapperent d'abord à fon humeur fanguinaire
, ce ne fut que pour mieux affurer
la vengeance. Muftapha , pour prix des fes fi
deles avis , fut immolé le premier fous un leger
prétexte ; il le fit étrangler dans le Serrail :
& dans ces longues guerres qu'il entreprit depuis
, & qui durerent autant que fon regne ,
il eut le cruel plaifir de faire périr les uns
après les autres la plupart des Janiflaires , qui
par leurs cris féditieux , avoient troublé fes
plaifirs & reveillé fa fureur.
Après la perte de Rhodes , les Chevaliers
obtinrent de Charles - Quint l'Iſle
de Malthe en toute fouveraineté . Cette
affaire dura long- temps & fouffrit de grandes
difficultez . Pour développer entierement
cette négociation , & mettre le Lecteur
au fait des differentes difputes qui
arri
NOVEMBRE. 1727. 2459
arriverent dans la fuite , l'Auteur fait à
cette occafion le portrait de Charles Quint
& de François I. que l'on ne fera peutêtre
pas fâché de trouver ici .
Après la mort de Maximilien , Charles-
Quint & François I. avoient été Concurrens
dans l'Election pour l'Empire. Cette rivalité
des droits & des prétentions dont les
Souverains ne manquent gueres , quand ils ne
manquent pas de forces ; des qualitez excellentes
, mais oppofées dans l'un & l'autre :
tout cela avoit excité entre ces deux grands
Princes une émulation de gloire , fuivie depuis
l'Election de Charles - Quint , d'une animofité
, que le fang de tant de milliers de leurs
Sujets n'avoit encore pû éteindre. On admiroit
, à la verité , dans François I. un courage
à l'épreuve des plus grands périls de la guerre,
une noble franchife & digne d'un meilleur
fiecle , une foi inviolable dans fes Traitez , de
la bonté & de la clémence à l'égard de fes
Sujets ; mais il eût été à fouhaiter que ce
Prince eût eu moins d'attachement pour fes
plaifirs , plus de fecret dans fes affaires , d'attention
& de fuite dans l'execution de fes
deffeins , & que de fes Favoris il n'en eût
pas fait fes Miniftres & fes Generaux . Charles-
Quint , au contraire , avoit toutes les qualitez
d'un grand Politique ; mais peu de ees
vertus du coeur qui honorent un Particulier :
plein d'une ambition fans bornes , n'agiffant
que pour fon interêt , impenetrable dans fes
deffeins , ne perdant jamais de vûë les differentes
difpofitions de tous les Princes de l'Europe
, plus habile que tous fes Miniftres , heureux
dans le choix de fes Generaux , infenfi-
E v ble
2470 MERCURE DE FRANCE.
ble aux plaifirs de la table : & s'il n'étoit pas
auffi chafte que l'exigent les Préceptes du
Chriftianifme , au moins , pour éviter le ſcandale
, prenoit- il autant de précautions pour dérober
fes galanteries à l'oeil penetrant du Courtifan
, que les autres Princes de fon temps
affectoient de les faire éclater . Du refte , fans
foi , fans probité , fans parole , même fans reconnoiffance
, & cependant n'oubliant rien
pour le donner les apparences & tous les dehors
de ces vertus .
Les changemens arrivez dans la Religion
en Angleterre fous Henry VIII . furent
caufe de la perte que les Chevaliers
y firent des biens qu'ils y avoient . Pour
mettre ce point d'Hiftoire dans tout fon
jour , notre Auteur décrit fommairement
les raifons qui porterent Henry VIII. à
rompre avec la Cour de Rome.
Ce Prince , avec difpenfe de Jules II . avoit
époufé Catherine d'Arragon , veuve d'Artus
Prince de Galles , fon frere aîné , & il avoit
paffé dix- huit ans avec la Reine fon épouse
dans une union réciproque , lorfqu'une paffion
dereglée pour une jeune Angloife , lui fit naître
des fcrupules fur la validité de fon mariage
& comme s'il eût pris dans les agitations
de l'amour des inquiétudes de confcience
, il s'en fit du moins un prétexte pour juftifier
fon divorce avec la Reine. Le peu d'agrémens
de cette Princeffe & les charmes trop
dangereux d'Anne de Boulein , lui perfuaderent
aifément qu'il y avoit des abus dans fa
difpenfe ; il étoit Roi , il ne manqua ni de
CourNOVEMBRE
. 1727. 2471
Courtifans ferviles , ni de fçavans Mercenaires
qui le flatterent dans fon erreur.
L'affaire avoit été portée à Rome & au Tribunal
du Pape. Le refus conftant que fit Clement
VII. d'aprouver les prétextes de fon divorce,
révolta ce Prince imperieux & paffionné,
contre l'autorité du S. Siege. Ne pouvant obtenir
la grace qu'il follicitoit avec tant d'empreffement
, il réfolut de s'en paffer , & il crut que
pour parvenir à fes fins , le plus court chemin
étoit d'abolir dans fes Etats l'autorité des
Souverains Pontifes. Il fit plus ; de concert
avec le Parlement , qu'il avoit eu l'adreffe d'interreffer
dans cette affaire , il fe revêtit luimême
de cette puiffance fpirituelle , & il n'eut
point de honte de fe faire déclarer par un
Acte fofemnel , Chef de l'Eglife Anglicane ,
pour n'être pas obligé de fe foumettre au Jugement
du Chef vifible de l'Eglife Univerfelle
, qui refufoit de féparer ce que Dieu
avoit uni.
Ce Prince autrefois fi fage & fi éclairé , &
pour lors furieux dans fa paffion , perfécutoit
cruellement ceux de fes Sujets qui refufoient
d'adorer la chimere de fa Suprématie . Prélats ,
Ecclefiaftiques , Religieux , Seculiers , perdirent
la vie pour n'avoir pas voulu foufcrire
au double divorce qu'il venoit de faire avec
FEglife Catholique & avec Catherine d'Arragon
, fon époufe legitime. Le crime de leze-
Majefté , qui fous les mauvais Princes eft fouvent
le crime des innocens , fuppléoit aux prétextes
qui manquoient pour les faire périr. Le
Parlement qu'Henry avoit eu l'habileté de rendre
le Miniftre de fes paffions , profcrivit l'illuftre
Polus , encore plus diftingué par fa pieté
& une profonde érudition , que par fa naiffance
Royale , qu'il tiroit du Duc de Clarence ,
frere d'Edouard IV. Evi Lc
2472 MERCURE DE FRANCE.
Le Roy d'Angleterre avoit recherché avec
empreffement fon approbation , & il avoit
voulu l'obliger d'écrire en faveur de fes erreurs.
Ni les promefles , ni les menaces de
ce Prince , ne l'ébranlerent point : il lui ré
prefenta avec beaucoup de fermeté l'injuftice
de fes nouvelles prétentions . Ce Prince
qui auroit bien voulu avoir la réputa
tion d'aimer la verité , & la fatisfaction de
ne l'entendre jamais , ne lui put pardonner
cette liberté. Polus , pour fe fouftraire à fon
reffentiment , fe retira à Rome : le Pape le pric
fous fa protection , & honora le Sacré College
par fa promotion à la Dignité de Cardinal.
Henry lui fit un crime de ce Titre éminent ,
il mit fa tête à prix ; & on prétend qu'il au- .
roit été affaffiné par des bandits aux gages du
Roy d'Angleterre , fi le Pape qui réveroit les .
grandes qualitez du Cardinal Anglois , ne lui
eût donné des Gardes pour veiller à fa confervation.
La difgrace de Polus fut funefteà
toute fa Maifon : Marguerite Plantagenet ,
Comteffe de Saliſbury , fa mere ; Henry Polus
de Montaigu , fon frere ; Henry de Courtenay ,
Marquis d'Exefter fon coufin , accufé d'avoir
entretenu quelque correfpondance avec
le nouveau Cardinal , perdirent la vie fur un
échaffaut. Le Roy toûjours exceffif dans fa
vengeance , en étendit les effets jufques fur le
jeune Courtenay , fils de Henry. A la verité ,
il eut honte de faire mourir un enfant ; mais
il le fit conduire à la Tour, & il l'enfevelit dans
une prifon , de peur qu'il n'entreprît un jour
de vanger la mort de fon pere.
Au milieu de tant de fupplices , les Protefsans
, quoique rebelles au S Siege , n'étoient
pas mieux traitez . Henry , ennemi de toutes
les nouveautez dont il n'étoit pas auteur , par
une
NOVEMBRE . 1727. 2473
une cruauté bizarre , & qui n'avoit point d'e
xemple, faifoit brûler les Heretiques & pendre
les Catholiques qui ofoient adhérer publiquement
au S.Siege. La plupart des Courtifans
incertains de la Religion du Prince , n'en
avoient plus d'autre que fa volonté.Catholiques
& Proteftans , on cachoit fa Religion comme
un crime, il n'y avoit que la Rebellion contre
l'autorité du S. Siege , qu'ont pu faire paroître
impunément. C'étoit l'Idole de la Cour,
& le feul moyen de s'y maintenir . Le Roy ,
pour fe vanger des Religieux qui perfeveroient
dans l'obéiffance due au S. Siege , en abandonna
les biens en proye à fes Courtisans ;
mais ces mêmes biens fi injuftement acquis ,
les précipiterent infenfiblement du fchifme
dans l'herefie. Plufieurs fous le regne d'Edouard
, fon fils , pour s'épargner une reftitution
neceffaire , embrafferent les opinions
de Luther & de Calvin ; & l'opinion la plus
utile leur parut à la fin la plus veritable. Les
Commandeurs & les Chevaliers de Malthe ,
dévouez d'une maniere particuliere au S. Siege
, & qui reconnoiffolent le Pape pour leur
premier Superieur , ne furent pas exempts de
cette perfecution.
HISTOIRE DE LA COMTESSE DE
GONDEZ , écrite par elle- même. A Paris
, ruë S. Jacques , chez Pepie & chez
Joffe , & Quay de Conty , chez la veuve
Piffot.
Nous rendîmes un compte exact de cet
ingenieux Ouvrage la premiere fois qu'il
parut , dans le Mercure du mois de Juin
1725. On y a ajoûté à la fin une Lettre
de
2474 MERCURE DE FRANCE .
de 35. pages , écrite par l'Abbé de M***
à Madaine D *** , qui n'eft pas moins
pleine d'agrémens . Tout l'Ouvrage en eft
fi rempli , que nous avons eu bien de la
peine à réſiſter au penchant d'en donner
ici un fecond Extrait ; mais comme nous
en avons déja donné un affez ample , nous
nous bornerons à dire quelque chofe de
cette Lettre , qui contient des Obfervations
fines & délicates fur l'Hiftoire de
la Comteffe de Gondez .
L'action de cette nouvelle , dit l'Auteur ,
( car c'eft le titre convenable à cet Ouvra
ge) eft fimple, mais elle marche, & marche
avec chaleur fans le fecours de ces évenemens
& de ces incidens extraordinaires qui
alterent toûjours le vrai- femblable , quelqu'adouciffement
qu'on y mette ; machine
que les Faifeurs de Romans employent
pour en impoſer aux Lecteurs ordinaires ,
avides du merveilleux , & c .
L'auteur de la Nouvelle , rend fenfible
l'agitation d'une ame foible & vertueufe
: vous la voyez combattre ; il vous
développe les principes les plus cachez
de tout ce qu'il fait faire & penſer à ſes
perfonnages . A des idées de leur nature
abſtraites , à des reflexions profondes
& toûjours utiles aux Lecteurs , il
joint un air du monde & une legereté
continuelle. Affemblage heureux & peutêtre
NOVEMBRE. 1727. 2475
être inimitable.. Nous avons pourtant
quelques petits Romans qui ont fervi à
détruire le mauvais goût qu'avoient introduit
certains Auteurs dont les Ouvrages
ne peuvent finir ; mais je n'en connois
point qui foit fi dénué de tous ces
vains ornemens que celui que nous examinons
, qui ait fubftitué tant de veritables
beautez , dont nulle ne paroît étrangere
....
L'Auteur auroit pû fupprimer quelques
faits peu intereffans , qui pourtant ne font
pas abfolument inutiles pour jetter de la
clarté dans ce qui fuit. Il femble que
Made de Gondez qui raconte fon Hiſtoire
, veüille éloigner les endroits où elle
eft forcée de montrer de la foibleffe ; mais
notre Heroïne , pour remplir ce vuide ,
parle & raiſonne fi bien , qu'elle me ſéduit
, & ce n'eft que par reflexion que je
m'apperçois de cette petite fineffe , fujette
à la feverité de la Critique.
L'action commence à avoir la chaleur
que
l'on peut fouhaiter à la maladie de
M. de Gondez , & marche rapidement
jufqu'à la fin de l'Ouvrage : tout ce qui
arrive , arrive naturellement , & ne laiffe
pas que de furprendre ....
On voit de ces fineffes de l'Art que
peu d'Auteurs employent & aufquelles peu
de Lecteurs font fenfibles. Fonder & ne
pas
2476 MERCURE DE FRANCE.
pas trop préparer , ne point éclaircir, pour
ne point ôter le vif plaifir de la furprife ,
c'eft une opération qui part de l'étendue
& de la délicateffe du génie .
Made de Gondez & le Comte de Difanteüil
, font les deux objets qui ſe prefentent
d'abord dans le tableau qui
n'a été fait que pour eux . Mais l'Auteur
fe feroit trompé s'il avoit penſé nous donner
deux caracteres ; les deux n'en forment
qu'un même génie , mêmes fentimens
, même fermeté dans le parti qu'ils
prennent , même attention fur leurs devoirs
, même defintereffement même
amour pour la veritable gloire , & même
droiture dans leurs procedez ; ils vont à
deux fins differentes par les trois quarts
de leurs avantures ; mais ils y vont par les
mêmes chemins .
9
Mile de Juffy n'eft pas un perfonnage
bien neceffaire , mais l'Auteur en tire un
grand parti. C'est elle qui jette une gayeté
fage dans la focieté où il a plû à l'Auteur
de l'introduire ; fon caractere eft infiniment
eftimable : tour homme à marier
voudroit trouver une Mlle de Juffy , &
toute fille qui a envie de l'être , doit travailler
à fe comporter comme elle , & c.
On trouve de la clarté partout , de
la varieté , tout coule de fource ; on ne
fent jamais le travail , quoiqu'il y en ait
beauNOVEMBRE
. 1727. 2477
beaucoup à écrire fimplement & élegament
, &c.
LA BABYLONE DE'MAS QUE'E
ou Entretiens de deux Dames Hollandoifes
, fur la Religion Catholique Romaine ,
& fur les motifs qui doivent engager à
l'embraffer , & c. A Paris , ruë S. Jacques,
chez N. Pepie , in 12. de 2 40. pages ,
fans la Préface . prix 30. fols .
NOUVEL EXAMEN de l'ufage general
des Fiefs en France , pendant le 11.
12. 13. & 14° fiecle , pour fervir à l'intelligence
des plus anciens titres du Domaine
de la Couronne . Par M. Bruſſel ,
Auditeur des Comptes . A Paris , au Palais,
chez Prudhomme , & rue S. Jacques ,
chez Robuftel , 1727. 2. vol . in 4 .
LETTRE d'un Prieur à un de fes amis,
aufujet d'une nouvelle réfutation du Livre
des Regles , pour l'intelligence des faintes
Ecritures . A Paris , au bas de la ruë
de la Harpe , chez G. Valeyre , 1727 .
in 12. de 140. pages.
NOUVELLE DECOUVERTE concernant
la fanté & les maladies les plus fréquentes
, leurs caufes & leurs remedes
avec des Obfervations fur les Maladies ,
2478 MERCURE DE FRANCE.
& des éclairciffemens fur les grands Médicamens
, fur la Volatiliſation du Sel
fixe , & fur le Diffolvant univerfel & naturel.
Par M. du Saulx , Docteur en Medecine
, cy-devant Medecin de la Charité
de Verfailles . A Paris , rue S. Jacques ,
chez la veuve Delaulne , 1727. in 12.
de 328. pages.
APOLOGIE de la Religion Chrétienne
& de l'Eglife de J. C. Par M *** . A
Paris , rue S. Jacques , chez les frares
Barbou , 1727. 6. vol . in 4 .
BILLET de Ciceron , Latin - François .
Chez les mêmes , 172 §. in 12.
Les mêmes Libraires ont fous preffe
un Dictionnaire nouveau du R. P. Tachard
, François & Latin , augmenté d'un
tiers , plus exact & plus ample que ceux
qui ont paru jufqu'à prefent.
DICTIONNAIRE des Commençans ,
augmenté , 1726. in 8. chez les mêmes .
SECRETS NOUVEAUX des Arts &
Métiers. Idem , 1725. 4. vol . in 12 .
LES OEUVRES DE S. EVREMONT.
Idem , 1727. 7. vol . in 12 .
DE DOM QUICHOTTE . Idem , 1727.
6. vol. in 12.
DISNOVEMBRE.
1727. 2479
DISSERTATION fur le choix que l'on
doit faire entre les principaux projets donnez
pour la jonction des deux Mers , par
la conftruction d'un Canal en Bourgogne,
prefentée au Roy par M. de Tourterel ,
Garde du Corps de S. M. avec une Carte
de la France , où eft décrite la route de
cette jonction. A Dijon , ruë Potelu
chez de Fay, 1727. brochure in 8. de
28. pages , fans l'Epitre au Roy.
Après avoir employé quelques pages
à faire fentir la grande utilité de ce Cânal
, l'Auteur examine le projet de M. de
la Jonchere , celui de M. Thomaffin ,
pour la conſtruction d'un Canal , par les
Etangs de Longpendu, celui de M. Abeille,
pour la conftruction d'unCanal qui fera la
jonction de la Sône à la Seine par Pouilly
en Auxois , le calcul des eaux qui fourniroient
continuellement au point de par
tage de M. Abeille , &c. Les objections
propofées par M. Thomaffin contre le
Projet de M. Abeille , réponfe aux idées
defavantageufes qu'on feme dans le Public
, contre le Projet de M. Abeille , les
avantages de fon Projet & le Parallele du
Projet de M. Thomaffin avec celui de
M. Abeille .
La Route de la Navigation , propofée
de l'une à l'autre Mer , fe fera par le Havre
, Rouen , Paris , Sens , Joigny, Brinon ,
Ş
2480 MERCURE DE FRANCE .
3
S
S. Florentin , Tonnerre , Montbar , Fouilly
, Dijon , S. Jean de Sône , Châlons ',
Tournus , Mâcon , Trevoux , Lyon ,
Vienne Valence , Montelimar , Avignon
, Arles , Marſeille , Toulon ,
Fréjus.
M. de Tourterel fut prefenté au Roy
le 25. Septembre par le Cardinal de Fleury
& par le Duc de Charoft. S. M. reçut
fon Ouvrage très- favorablement .
BOTANICON PARISIENSE , ou Dénombrement
, par ordre alphabetique , des
Plantes qui fe trouvent aux environs de
Paris , compris dans la Carte de la Prevôté
& de l'Election de ladite Ville . Par
le Sieur Danet , Gendre , année 1712 .
avec plufieurs Defcriptions des Plantes ,
leurs Sinonymes , le temps de fleurir &
de grainer , & une Critique des Auteurs
de Botanique. Par feu M. Vaillant , de
l'Académie Royale des Sciences , Démonftrateur
des Plantes au Jardin Royal
de Paris , enrichi de plus de 300. Figures
, deffinées le fieur Claude Aubriet ,
Peintre du Cabinet du Roy . A Leyde &
Amfterdam , chez F. A. Herman Verbeck,
& Lackeman 1727. in-folio de 205. pages
, fans compter les Planches & la
Table .
par
Henry Sheurleer , Libraire à la Haye ,
impriNOVEMBRE.
1727. 2481
imprime une Relation complette des Céré
monies obfervées dans le Couronnement du
Roy & de la Reine de la Grande- Bretagne.
Traduit de l'Anglois , in 8. avec figures,
P. Goffe & Jean Neaulme , Libraires
à la Haye,impriment la Chronologie refor
mée des anciens Empires , avec une courte
Chronique des évenemens arrivés en Euro-
•`pejufqu'à la conquête de la Perfe par Alexandre
le Grand. Par M. Ifaac Newton
publié d'après fon Manufcrit in 4. Traduit
de l'Anglois,
Les Sieurs Le Gras , Cavelier & Giffart,
Libraires à Paris , ont achevé d'imprimer
& débitent actuellement la Nouvelle Relation
de l'Afrique Occidentale, diviſée en
5. volumes in i 2. du prix de 15. livres ,
enrichis de près de cent Planches
Cartes Geographiques , que figures d'Animaux
, de Plantes , d'Arbres & de Fruits.
Cette Relation nouvelle a été composée
› tant
par le Pere Labat , Jacobin , fur les journaux
, Memoires , Plans & Deffein's qui
lui ont été fournis par M, André Bruë ,
qui a été près de quinze ans Directeur
General de la Compagnie Royale du Senegal
, Réſident à la Côte d'Afrique . Il
s'eft auffi fervi de Journaux & Memoires
du Sr. de la Courbe , qui a exercé le même
Eme
#482 MERCURE DE FRANCE.
Employ pendant plus de douze années.
On connoît le ftyle & l'exactitude de
P'Auteur , & on peut affurer qu'il n'a rien
negligé de tout ce qui peut donner une
connoiffance entiere & parfaite de tout le
Pays qui eft compris entre le Cap Blanc .
& la Riviere de Serre- Lionne , & depuis
l'embouchure du Niger , ou Senegal
dans l'Ocean , jufqu'au deffus du Rocher
de Gonina , qui eft à plus de trois cens
lieuës dans les Terres.
>
On verra uneHiftoire fuivie des premiers
Etabliffemens des Européens dans ces païs ;
les Compagnies qui y ont fait le Commer
ce leurs progrès & leurs décadences ;
une Deſcription exacte du Païs & de fes
Habitans , leurs Moeurs , leur Religion
leurs Guerres , leurs Interêts , leur Genie,
leur Langue , leur Commerce ; les avantages
que les Compagnies en retirent &
en peuvent retirer; les Marchandifes qu'elles
y portent , & les profits qu'elles y
font .
Le Royaume de Galam , & le Païs de
Bambouc , fi riche & fi fameux par les Mines
d'or qu'on y trouve à chaque pas , y
eft developé d'une maniere fiparticuliere,
& les Cartes levées fur les lieux font fi
exactes , qu'on a lieu d'efperer que le Public
fera entierement fatisfait.
L'Auteur s'eft fervi de M, Danville ,
Géo
NOVEMBRE. 1727. 2483.
Géographe ordinaire du Roy , pour aflembler
, reduire & mettre en un ordre accommodé
au difcours , les Cartes originales
, les Plans & tous les morceaux détachés
qui lui avoient été communiqués
par M. Bruë. On a mis à la tête du premier
Volume une Carte generale de toute
PAfrique , dreffée avec une extrême précifion
par le même Geographe. On n'a
rien épargné auffi pour l'Impreffion , ni
pour la Grayure, foit des Cartes & des Figures
; ainfi on peut dire que c'eft un Ou
vrage tout neuf & des plus intereffan
qui ayent paru juſqu'à prefent .
LE BREVIAIRE NOTE' , felon le nouyeau
fiftême de chant de M. de Mox ,
qu'on goûte tous les jours dayantage , &
qui fe vend à Paris , rue Galande , chez
Quillau, fils , le débite auffi à Lyon, chez
Plaignard.
P. Witte , rue S. Jacques , débite une
troifiéme Edition de la Vie reglée des Dames
qui veulent fe fanctifier dans le monde,
in - 12 . de 249. pages , 2. liv.
La Démonftration de M. Nicole , de
l'Académie Royale des Sciences , on Méthode
pour découvrir l'erreur de toutes les
pretendues folutions du fameux Problême
2484 MERCURE DE FRANCE :
de la Quadrature du Cercle , fur la folu
tion donnée par M. Mathulon , dont nous
avons donné un petit Extrait dans le derpier
Mercure , & qui paroît toute entiere
dans le Journal des Sçavans de ce mois ,
fe trouve in - 4 . & féparément chez Chaubert
, Quay des Auguftins , qui débite le
Journal.
PLAN GENERAL de la Forêt de Fontainebleau
, contenant 30285. arpens ,
65. perches , y compris 2 360. arpens ,
13. perches de Bois Taillis & de Bruyeres,
appellé le Bois Miniftre , tant dedans
que hors le Bornage de cette Forêt , levé
avec fes Environs , & deffiné fuivant le
Procès Verbal , & de l'ordre de M. de la
Faluere , Grand- Maître des Eaux & Forêts
de l'Ile de France , où font diftingués
les Futayes , Taillis , Bruieres & Rochers
, leurs Routes Cavalieres , les anciennes
& nouvelles Routes , Croix , Carrefours
& Chemins ; la féparation des buit
Gardes divifés par les Triages qui les compofent
; le Château & Bourg de Fontainebleau
, les Villes , les Villages , Rivieres
& Buiffons qui l'environnent ; les augmentations
faites depuis 1718. jufqu'en
1727. marquées par les lignes de Bernage
, & les Infcriptions de chaque endroit
pour fervir de guide aux Chaffes du Roy,
preNOVEMBRE.
1727. 2485
prefenté à Sa Majefté , à Verſailles , la veil
le de fon départ pour Fontainebleau.
L'Auteur de ce Plan eft le S'. Defquinemare
, Arpenteur General des Eaux &
Forêts de l'Ile de France . Le Plan eft en
deux grandes feuilles , parfaitement bien
gravé. Les Seigneurs de la Cour , après
P'avoir bien.examiné avec les meilleurs
connoiffeurs en ces fortes d'ouvrages , en
ont parû très - contens. En effet on ne peut
tier. voir de plus exact , de plus net
de mieux executé ; & l'on peut dire que
l'Auteur n'a pû mettre au jour un fi beau
Plan , qu'après des recherches prefque infinies
fur les lieux . Le Public lui doit fçavoir
gré d'avoir fi bien réüffi dans une entrepriſe
fi confiderable .
> ni
On trouve ce Plan à Fontainebleau ,
chez le S'. Janſon , & à Paris , chez l'Auteur
, rue des Foffez S. Bernard.
L'Abbé Fremy , qui avoit demandé à
l'Académie Royale des Belles- Lettres &
Infcriptions , des Commiffaires pour examiner
la nouvelle Méthode d'apprendre
la Langue Latine par le moyen d'un certain
arrangement des Auteurs Claffiques
fit , il y a quelque tems , à plufieurs repri
fes , en prefence de ces M. & autres Šçavans
, chez des Particuliers & dans des
Colleges , un nombre d'Experiences qui
F dé:
2486 MERCURE DE FRAN CE
démontrerent que cette Méthode épargnoit
aux Maîtres la peine d'entrer dans
les ennuyeux détails de la Grammaire , &
mettoit fur le champ les Difciples en état
de faire d'eux - mêmes , & fans fecours
étrangers , par des principes folides , raifonnés
, & toutefois à la portée des moins
intelligens , les operations qui regardent
l'explication des Auteurs mêmes les plus
difficiles , & la compofition des thêmes
effet , qui par les méthodes ordinaires
demande , comme on fçait , plufieurs années
de préparation. On conçut auffi qu'a
la faveur de certains hieroglyphes ou fignes
, elle foulageoit beaucoup la mémoi
re , & difpofoit promptement à la verfification
, à l'ufage de parler Latin , & à
l'exercice de la déclamation.
L'Académie dans fon Affemblée du
29. Août dernier , ayant oui le Rapport
que M. fes Commiffaires firent fur la
théorie & les experiences de la Méthode
propofée , jugea neanmoins qu'elle ne devoit
rien décider , mais qu'il étoit plus
propos de marquer par écrit que l'Aureur
devoit s'adreffer à M. le Recteur & au
Corps del'Univerfité , à qui une ancienne
experience , une pratique & une attention
continuelle , donnent bien plus de facilité
de droit de prononcer fouverainement
fur ces matieres?
NOVEMBRE. 1727 2487
Au refte , comme M. Fremy croit que
le fyftême de cette Méthode est beaucoup
plus favorable aux Etudes en commun
qu'à celles qui fe font en particulier , il
eft à préfumer que la Langue Latine devenant
plus à la mode , les Ecoles publiques
que l'on doit confiderer comme les
fanctuaires de l'érudition , feront plus floriffantes
quejamais .
On trouvera des éclairciffemens fur cette
Methode , chez M. Lamefle , Libraire
au bas de la ruë de la Harpe , à Paris.
Ce Mémoire nous a été remis tel qu'il
par M. l'Abbé Fremy. eft
Le Mercredy 12. de ce mois l'Académie
Royale des Sciences fe raffembla : à
cette féance qui fut publique , felon la
coutumé , & à laquelle M. l'Abbé Bignon
préfida , M. de Fontenelle lut les éloges
de Mrs. Newton & de Malezieux , morts
dans le dernier femeftre ; le premier fi
connu par les excellens ouvrages qu'on a
de lui en Mathématiques & en Phyfiques ,
étoit affocié étranger de cette Académie ,
& le fecond qui avoit eu l'honneur d'enfeigner
les Mathématiques à M. le Duc
de Bourgogne , en étoit Honoraire .
Après la lecture de ces éloges , M. de
Fontenelle lut encore une Préface qui
doit être à la tête de l'Ouvrage qu'il fait
Fij impri2488
MERCURE DE FRANCE.
imprimer,lequel a pour titre: Elemens Ma
thematiques & Métaphyfiques de l'Infini,
M. Bolduc , Affocié Chimifte , finit la
Séance par la lecture d'une Differtation
fur un nouveau fel trouvé en Dauphiné ,
qu'il prouve être parfaitement femblable
au fel admirable de Glober.
Le Vendredy 14. de ce mois , l'Acaș
démie Royale des Belles Lettres , tint fon
Affemblée publique après les deux mois
de vacances ordinaires . M. Falconnet lût
une Differtation fur nos plus anciens Tra
ducteurs François en general ; il invita
la Compagnie à fe joindre à lui dans l'étude
de nos anciens Ecrivains ; & pour
donner une idée de l'utilité dont pour
roit être ce travail , il ajouta une notice
d'un Ouvrage François , écrit du temps
de S. Louis , par le fameux Brunetto Lasini
, Florentin , Maître du Dante & des
premiers Poëtes Italiens.
M. l'Abbé Fourmont lût enfuite l'Hif
toire d'une revolution arrivée en Perfe ,
vers l'an 600. de l'Ere Chrétienne , fous
le Regne d'Hormouz , ou d'Horfinidas
fils du fameux Colroes Noufchirvan
Roi de Perfe , celui-même qui conquit
les Indes & la Tartarie jufqu'à la Chine.
Cette Hiftoire eft tirée d'un ancien
Manuscrit Ture qui eſt tombé entre les
mains
NOVEMBRE. 1717. 1489
mains de M. l'Abbé Fourmont.
M. L'Abbé Vatri lût une Differtation,
où il examine s'il eft néceffaire qu'une
Tragedie foit en cinq Actes , & fur quoi
cette regle eft fondée.
M. de la Barre termina la Séance par une
Differtation fur les differentes divifions
des Gaules fous les Empereurs Romains.
M. l'Abbé Bignon réfuma ces Difcours
avec fon éloquence ordinaire. On en donnera
les Extraits.
On apprend de Madrid que le 18. du
mois dernier , les Jefuites du College Imperial
, aufquels le Roy d'Eſpagne a confié
la direction du Seminaire Royal que
S. M. a fondé pour l'inftruction de la
jeune Nobleffe Eſpagnole , firent l'ouverture
de ce Seminaire par une Harangue
Latine qui fut prononcée par le P. Diega
de Quadros , Profeffeur en Langue Hebraique,
en préſence d'un grand concours
de Nobleffe , & des Chevaliers Seminariftes.
Ces jeunes Gentilshommes portent
tous l'habit noir avec une ceinture cramoifi,
au milieu de laquelle il y a une raye blanche
& un écuffon de foye couleur d'or ,
fur le bord duquel eft le nom de Jefus .
On écrit de Turin , que le Roy de Sardaigne
ne perd point de vûë le projet de
rendre fon Univerfité celebre , en ne don-
Fiij
nant
2490 MERCURE DE FRANCE.
nant les Chaires de Profeffeurs qu'à des
Sujets d'une fcience reconnue & d'une
profonde érudition ; que ce Prince vient de
donner une grande marque de la jufteffe
de fon difcernement par le choix qu'il
fait de M. Smits pour premier Profeffeur
en Droit. On ne pouvoit remplir plus
dignement la Chaire de Cujas . M. Smits
a été tiré de l'Univerfité de Louvain , où
après avoir fini deux cours de Droit dans
deux fameufes Univerfitez * il s'étoit
acquis une très-grande reputation qui y
attiroit un concours extraordinaire de Cavaliers
& de Seigneurs étrangers qui n'y
alloient que pour écouter les Leçons ,
tant du Droit Privé , que du Droit Public
qu'il poffede éminemment .
Le Docteur Jacques Abbadie , ci - devant
Miniftre de l'Eglife Françoiſe du Palais
de la Savoye à Londres , & enfuite
Doyen de Killaloe en Irlande , fi connu
par les Ouvrages qu'il a compofé pour
prouver la Divinité de J. C. & la verité
de la Religion Chrétienne , & c. mourut
le 6. d'Octobre à Mary - Bone , près de
Londres , âgé d'environ 69. ans.
Vers le commencement du mois de Sep
tembre dernier , le Sr. Oudry Peintre
* Prague & Mayence.
ordi
NOVEMBRE . 1727. 2491
ordinaire du Roy , eut l'honneur de peindre
d'après nature , devant S. M. quatre
de fes Chiens de chaffe , en deux tableaux,
chacun de cinq pieds de large fur quatre
de hauteur . L'un de ces Tableaux reprefente
un Bracqen arrêt ferme ſur un Fai-
'fan , d'un plumage extraordinaire , que le
Roy avoit tiré dans le Parc de Verſailles.
L'autre eft compofé de trois petits Epagneuls
de S. M. deux arrêtant des Perdrix
rouges à l'entrée d'une piece de bled ; le
troifiéme courant après un Papillon . Ces
Ouvrages fe reffentent parfaitement du
beau feu , & de la noble émulation que
la prefence & l'approbation du Roi ne
manquent pas d'infpirer à un homme auffi
habile dans fon Art que le S ' . Oudry.
Il preſenta en même temps à S. M. les
trente- huit deffeins qu'il a compofés fur
les principaux fujets du Roman Comique
. Le Roy en fut fi fatisfait , qu'il
voulut faire à l'Auteur l'honneur d'être
à la tête de fes Soufcripteurs , le nombre
defquels s'augmente confiderablement
tous les jours.
Il paroît depuis peu deux Eftampes
très bien gravées d'après les Tableaux de
Watau , qui fe vendent fur le Pont No.
tre Dame , chez le Sr. Gerfaint . La pre-
* Voyez le Mercure du mois d'Août , p. 1853 .
F iiij miere,
2492 MERCURE DE FRANCE.
miere , qu'on peut appeller fatyrique , eft
en large & reprefente un Malade en fuipourfuivi
par des Porte- Seringues .
L'Auteur y a placé fon Medecin d'une
maniere très -comique . Le fond eft orné
de cyprès & de tombeaux. L'autre eft en
hauteur, & le fujet eft auffi galant que celui
qu'on vient de voir l'eft peu. C'eft une,
jeune perfonne fur une Eſcarpolette qu'un
jeune homme fait aller dans une espece
de Payfage avec des ornemens très - recherchez
. Cette Eftampe eft gravée par le
St. Crépy le fils , qui fe diftingue par fon
talent. Il grave actuellement fix morceaux
en hauteur , [ qui fe vendront au même
endroit d'après un Paravant peint par
le même Watau , dont les compofitions
font très-galantes . De pareils fujets peints
fur des fonds blancs , conviennent à merveille
aux découpures , dont les Dames
font aujourd'hui de fi jolis meubles.
Le même Marchand vend auffi le portrait
de Watau , peint par lui-même , & gravé
par
le même Graveur.
La belle Eftampe de la Pefte de Marfeille
, que nous avons déja annoncée
gravée par M. Thomaffin , fur le Tableau
de M. de Troyé le fils , paroît & fatisfait
les plus parfaits Connoiffeurs. C'est un
grand morceau de 34. pouces de large
fur
NOVEMBRE . 1727. 2493
*
fur 20. de hauteur. L'habile Graveur a
confervé toutes les beautez & les expreffions
de fon Original , & y a répandu
une fineffe mêlée de tendreffe & de fierté
& une entente admirable . Quoique le ſujet
foit des plus triftes & des plus effrayans ,
on peut le voir neanmoins fans fentir
d'autre impreffion que celle qu'un grand
interêt infpire. Le lieu de la Scene eft
une partie de la Ville de Marſeille qu'on
appelle la Tourrette ; c'eft une Efplanade
ou Boulevart , fur le bord de la Mer ,
entre l'Eglife Cathedrale & le Fort S.Jean ,
où dans le plus fort de la Pefte on avoit
porté plus de 1200. Cadavres entaffez , qui
en peu de temps répandirent un air empefté
, capable d'infecter & de faire périr
le refte des Habitans de cette Ville défolée.
Le falut de Marfeille dépendoic
donc de trouver un expedient pour enlever
ces corps à demi pourris & de l'executer.
M. Roze , Commandeur de l'Or
dre de S. Lazare , homme d'expedient &
d'execution , en vint à bout avec un courage
intrépide . Son activité lui fit découvrir
deux efpeces de Tours , qu'on croit
avoir été bâties du temps des Romains ,
fur le bord de la Mer , au-delà du Terreplein.
Il s'en approcha en bateau , & reconnut
par des crevaffes qu'elles étoient
creufes & très- profondes. Il propofa fon
Fv deffei
2494 MERCURE DE FRANCE:
deffein au Bailly de Langeron , Comman
dant à Marſeille , qui l'approuva fort &
lui accorda cent Forçats. On commença
par découvrir les deux Tours qui étoient
bouchées par un plancher vouté , fur lequel
il s'étoit amaffé environ trois pieds
de terre. Ces difpofitions faites , le Chevalier
Roze , accompagné de deux braves
Marſeillois , dont nous voudrions fçavoir
les noms pour les inferer ici , marcha à
cheval à la tête des cent Forçats , & pofa
lui -même des Gardes après que fa Troupe
eut défilé , pour qu'aucun ne pût reculer
ni rentrer dans la Ville avant l'expedition
finie. Il avoit fait prendre à tout
fon monde des Mouchoirs trempez dans
du vinaigre , noüez derriere la tête qui
couvroient le nez & la bouche.L'infection
étoit fi grande & l'afpect fi horrible , que
la plupart manquant de courage & de force
, étoient prêts à fe débander ; mais le
Chevalier Roze, toûjours animé de l'ardeur
de fon zele & de l'amour de la Patrie ,
les raffura,non feulement par la voix, mais
par l'exemple. Il mit pied à terre, traîna &
emporta lui -même le premier cadavre juſ
qu'auprès d'une des Tours, & le jetta dans
un de ces abîmes . Cette action fit un tel
effet fur la Troupe , que l'épouvente ceffa ,
le courage revint , & on s'anima de forte
que dans le reste du jour ce lieu affreux
fut
NOVEMBRE. 1727. 2495
fut entierement definfecté fans y laiffer
un feul cadavre ; les deux Tours en furent
comblées & recouvertes de terre
après avoir jetté deffus quantité de chaux.
vive , & c.
Voilà à peu près l'argument du fujet
repreſenté dans cette magnifique Eftampe,
où l'on voit des hommes vivans tomber
avec les cadavres qu'ils portent ; plus loin
des femmes expirant en faifant un dernier
effort pour éloigner leurs Nourriffons
, &c. Plufieurs Anges Exterminateurs
paroiffent en l'air , portant le fleau de
la Pefte , & d'autres au- deffus de ceuxcy
, en action d'implorer la mifericorde
divine. On n'entrera pas dans un plus
grand détail pour ne rien ôter de
l'effet que ce beau morceau de Gravûre
doit produire fur le Spectateur.
Cette Eftampe fe vend chez l'Auteur,
ruë neuve des Petits - Champs , & chez le
S' Duchange , rue S. Jacques . Prix 6 liv.
Le Sieur Thevenard , Facteur , Agregé à
l'Académie de Bordeaux , a inventé un
nouveau Clavecin fans plume , fans languette
, fans foye , fans reffort ni maillet ,
lequel avec une feule corde fur chaque
touche , fait autant d'effet , & fonne auffi
fort que deux cordes pincées avec des
plumes , fans être fujet au dérangement
frequent F vj
2496 MERCURE DE FRANCE:
fréquent des autres Clavecins ; cette nou
velle maniere de pincer la corde , approu
vée des plus habiles Maîtres de Paris , fut
trouvée fi ingenieuſe & fi utile au Public
par Mrs de l'Académie des Sciences , que
fur le rapport de Mrs de Mairan & de
Maupertuis , Commiffaires , il en a été
délivré un Certificat au Sr Thevenard ,
fur lequel il a obtenu du Roy un Privilege
exclufif , de fabriquer & debiter de
pareils Clavecins par tout le Royaume ;
cette Machine fe peut appliquer à toutes
fortes d'anciens Clavecins . Ceux qui voudront
s'en fervir , pourront s'adreffer au
S' Thevenard à Bordeaux , rue des Argentiers
, Paroiffe S. Pierre , lieu de fon
domicile ordinaire , où il doit fe retirer
fitôt qu'il aura fini les Clavecins qu'il a
entrepris à Paris , où il loge rue du Foin ,
chez M. Brouffel , Cordonnier .
Le St Guillemié , Machinifte du Roy ,
a encore inventé un autre Mouvement , &
l'a compofé de maniere qu'il n'a ni reffort
ni chaîne , ni corde , ni contre - poids , ni
pendule , ni balancier . Ce Mouvement eft
dans une boëte grande comme celle des
grandes Pendules . Il y a un grand Cadran
de cuivre & une Eguille de même
qui marque les heures , les demies & les
quarts. Les douze Signes du Zodiaque
>
font
NOVEMBRE . 1727. 1497
font le tour du Cadran à toutes les heures
, fans perdre leur fituation droite
chacun en leurs maiſons ; ils prennent la
place les unes des autres , de cinq en cinq
minutes . Au -deffus de ce Cadran il y a
une petite Eguille fine qui marque les minutes
marchantes ; & au - deffus de la
petite Eguille il y a une grande ouverture
par où l'on voit paffer les Planetres de
chaque jour , fur les nuées , chacune fur
fon Char , tiré par les animaux convenables
à la Planette , le tout très- bien peint .
On montrera le principe qui caufe le
mouvement de cette Machine . On la voit
chez la veuve Renault , au Chenet Royal,
au milieu du Quay de la Ferraille , où on
voit auffi le Serin artificiel & les effets
du nouveau Mouvement Phyfique du même
Auteur.
Le S Lefcure , Chirurgien des Gardes
du Corps de la Reine d'Espagne , croit
qu'il eft de l'interêt du Public qu'il ſoit informé
qu'en confequence du privilege &
permiffion à lui accordée par le Roy &
par fon premier Medecin , il fait tous les
jours de nouvelles experiences de l'efficacité
de fon Remede contre l'Epilepfie ou
mal caduc , vapeurs & maladies convulfives
, vertiges ou étourdiffemens , &c. Il
affure que fon Remede eft d'une nature
à
1498 MERCURE DE FRANCE.
à ne pouvoir caufer aucun mauvais effet ;
il peut fe tranfporter par tout fans fouffrir
aucune alteration ; en le délivrant il donne
la maniere de s'en fervir .
Sa demeure eft ruë de Grenelle S. Ho
noré , dans la porte cochere à côté du
Fayancier .
CHANSON.
Quand je foupire à tes genoux ,
Ne me reproche plus que j'aime la bouteilles
Belle Iris , le bon vin m'éveille ,
Et d'Amour en buvant je reffens tous les coups.
Si tu veux remporter une double victoire ,
Permets que nos plaifirs fe fuivent tour à
tour ;
Pour ranimer nos feux paffons le jour à boire,
Et donnons la nuit à l'Amour .
SPEC*.
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NOVEMBRE 172 249°9′
L
SPECTACLES.
É 29. du mois dernier , on donna fur
le Theatre François la Comedie des
Amazones modernes.
Cette Piece n'a pas eu beaucoup de
fuccès. Elle eft en trois Actes avec des
intermedes ; la Mufique à paru très -jolie
, elle eſt du fieur Quinault , Comedien
du Roy .
Dans la Fable de cette Piece on fuppofe
une Ifle dont les Habitans,faifant le Métier
de Corfaires,& enlevant des femmes qu'ils
s'approprioient ou qu'ils époufoient fans
ceremonie , étoient fi durs envers ces
malheureuſes Efclaves , qu'ils les porterent
à confpirer contre eux. Elles prirent
l'occafion d'un jour qu'ils avoient été
vaincus & réduits à un très - petit nombre
; elles les firent enyvrer & leur ôterent
la vie pendant leur fommeil. Après
cette fanglante execution , elles voulurent
gouverner elles - mêmes, & s'établirent en
République. Une d'entre- elles fut élue
Generale ; mais fon pouvoir fut borné à
l'efpace d'un an , afin qu'elles commandaffent
tour-à-tour. Elles prirent le nom
d'Amazones , qu'eiles donnerent dans la
fuite
2500 MERCURE DE FRANCE .
fuite à toutes les Prifonnieres qu'elles
firent ; pour les hommes , elles les faifoient
Efclaves , & les deftinoient aux
travaux , qui dans les autres Pays ne font
réſervez qu'aux femmes .
Sous le Generalat d'Angelique , parmi
plufieurs autrès femmes , elles enleverent
une Genoife appellée Julie , fiancée à un
jeune François nommé Valere. Cette Julie
fut prife au fortir d'un Bal où elle étoit
allée , déguisée en homme. La Generale
charmée de la beauté du prétendu Valere ,
qu'elle trouvoit reffemblant à fon Amant
Leandre , l'obligea de fe déguifer en femme
, pour le fouftraire à l'esclavage.
pas fait
Le veritable Valere , dont Julie avoit pris
le nom , par un effet du hazard , ou parce
que celui qui lui étoit deftiné pour époux
s'appelloit ainfi , avoit déja fait nauffrage
fur le Rivage de l'Ile des Amazones, & s'étoit
travesti en femme n'être
pour
efclave. Il avoit couru après les raviffeurs
de Julie , quoiqu'il ne l'eût vûe
que dans
fa plus tendre enfance , & qu'il n'en fût
devenu amoureux que fur fon Portrait
qu'on lui avoit envoyé ; il en étoit à peu
près de même de Julie , elle n'aimoit Valere
, & n'avoit pris fon nom , que parce
qu'elle devoit l'époufer. Ces deux Amans
ou plutôt ces deux Fiancez le reconnurent
dans une converfation , à la fin de
laquelle
NOVEMBRE. 1727. 250I
laquelle la Generale furptit Valere baifant
la main à Julie. Comme elle ne confideroit
cette derniere qu'en qualité de
garçontravesti en Amazone , & qu'elle ne
connoiffoit le vrai Valere que comme une
Amazone nouvellement enrollée , elle ne
douta point que ce dernier ne fût une Rivale
préferée. Dans fon premier tranfport
elle ordonna à fes Gardes d'arrêter Julie
; mais Valere lui ayant fait entendre
que fi le châtiment devoit tomber fur Valere
, c'étoit lui qui l'étoit ; elle les fit arrêter
tous deux. Valere reconnu pour ce
qu'il étoit veritablement , alloit être condamné
à paffer par les armes , fan's un
accident qui fufpendit cette execution militaire
. On vint avertir la Generale qu'une
Flotte chargée d'Amans , & la même dont
Valere avoit été féparé par un coup de
vent lorfqu'il fit nauffrage , venoit de faire
une defcente dans l'Ifle , que toutes les
Amazones de garde s'étoient d'abord renduës.
On ajoûta , que cependant les intentions
de ces galans Corfaires étoient
bonnes , & qu'ils envoyoient des Ambaffadeurs
pour traiter avec la République .
La Generale ordonna qu'on les fit avancer;
à peine fe montrerent - ils qu'elle réconnut
dans le Chef de l'Ambaffade ce
même Leandre à qui elle avoit fait une
infidelité, par la feule reffemblance que
le
2502 MERCURE DE FRANCE.
faux Valeré avoit avec lui. Les articles
furent bien-tôt dreffez entre les Amans &
les Amazones. Les Amans fe foumirent
à toutes les conditions que de fi aimables
Ennemies voulurent leur impofer ; Angelique
époufa Leandre ; Valere obtint Julie
: exemples trop
doux pour n'être pas
fuivis de tous les autres.
Comme toute la Piece eft contenue
dans cette Fable , nous nous difpenferons
d'en donner un détail , Scene par Scene ;
nous nous contenterons d'en inferer
une qui a paru la mieux écrite ; elle eft
entre trois petites Amazones , & commence
le fecond Acte.
Finette , Bellonnette , Clorinde.
Finette.
Oh! ga , mes cheres amies , maintenant
que nous voilà feules , & en lieu de dif
courir enfemble , contez-moi un peu vos
petites affaires.
Clorinde.
Nous voudrions avoir un peu de vos lumieres
fur des idées qui nous embarraſſent.
Finette.
Comment , ma petite Clorinde , des idées
qui vous embarraffent ! vous n'êtes pas
pourtant encore dans l'âge des idées embarraßantes
; pour Bellonnette , paffe.
Bellonnette.
Voici le fait. Comme vous n'avez pas
été
SEPTEMBRE. 1727. 2503
été élevée dans l'Ifle , ainfi que nous , nous
voulons vous demander la Carte des Pays
que nous ne connoiffons pas.
Finette .
Parlez fans préambule.
Clorinde .
Volontiers. Nous entendons quelquefois
foupirer des Amazones nouvelles en fou
pirant , elles prononcent les noms de cer
tains hommes , qu'elles appellent leurs
Amans.
Oйi-da
Finette:
Clorinde.
Et nous fommes toutes les deux fort curieafes
defçavoir ce que c'est que des Amans. Il
faut que ce foient des hommes bien méchans,
puifqu'ils font ainfi pleurer de jolies per-
Jonnes
Finette.
Oh ! ils ne les font pleurer que quand
ils font éloignez d'elles car quand ils font
enfemble , ils les font rire.
Clorinde.
Is les font rire ! cela doit être bien ré
jouiſſant.
Finette.
Cela n'eft pas toujours..... il y a des
Amantes qui nefont pas contentes de leurs
Amans.
Bellonnerte.
2504 MERCURE DE FRANCE.
Bellonnette .
Qu'appellez- vous les Amantes ?
Finette.
Les Amantes font ces jolies perfonnes
qui font pleurer ou rire les Amans .
Bellonnette .
Je voudrois bien être Amante.
Clorinde.
Et moi auffi , mais je voudrois avoir.
an Amant qui me fit rire.
Finette .
Cela eft naturel .
Bellonnette.
Et dites- nous un peu : quand il y a des
Amantes qui ne font pas fatisfaites de leurs
Amans , de quelle maniere cela arrive- t-il?
Finette.
En cent façons ; premierement il y a
des Amantes qui veulent s'approprier
des Amans qui appartiennent à d'autres
Amantes.
Clorinde
Quelle fripponnerie ! ces Amantes n'ont
guere de confcience.
Bellonnette .
Mais que font les Amans auprès de leurs
Amantes ?
Finette .
Oh ! pour répondre à ce que vous me
demandez , je vous dirai , comme je l'ai
oui dire , qu'autant de pays , autant d'ufages
.
NOVEMBRE. 1727. 2505
fages. Les Amans en Italie emprisonnent
leurs Amantes ; en France ils les laiffent
courir ; en Espagne , ils les ennuyent , &
en Allemagne , ils les enyvrent,
Bellonnette .
Je fuis pour la France,
Clorinde.
Et moi pour l'Allemagne.
Finette.
Je me doutois bien que l'Espagne & l'1-
talie n'étreneroient
pas,
&c.
Au reste dans chacun des trois Actes
de cette Comedie il y a un divertiffement.
Le premier eft le Triomphe des Amazones
, qui viennent de remporter une victoire
; le fecond eft la revûë & réjouiffance
de plufieurs Efclaves à qui elles
rendent la liberté , & dans le troifiéme ,
les Amazones fe reuniffent avec leurs
Amans. Voici quelques couplets des Intermedes
:
L'Espagnol difcret quand il aime ,
Voudroit le cacher à lui-même ,
Quand il est heureux en amour.
Le François d'humeur indifcrette ,
De la moindre faveur fecrette ,
Inftruit la Ville & le Fauxbourg.
Toure-lourirette,
Sonnez
2506 MERCURE DE FRANCE.
Sonnez Trompette ,
Battez Tambour.
On plaint l'Epoux difcret & fage ,
Qui cache avec foin le dommage
Qu'on fait à ſon front chaque jour,
Mais pour celui qui s'inquiette ,
Qui pour punir une Coquette,
Pourfuit un Arreft de la Cour.
Tourelour. &c.
Grace au Ciel , de ma foeur aînée,
Je vois conclure l'hymenée,
Il eft approuvé par l'Amour.
Bon , puiſque fon affaire eſt faite,
On va fonger à ſa cadette ;
Vivat , je vais avoir mon tour.
Tourelourirette , &c.
Si le redoutable Parterre ,
Aux Amazones fait la guerre,
Elles périront fans retour ;
Mais dans leur parti s'il fe jette ,
Leur victoire fera complette
Elles
NOVEMBRE . 1727. 2507
Elles chanteront tour- à- tour,
Tourelourirette , &c.
L'Opera de ROLAND, que l'Académie
Royale de Mufique remit au Théatre le
13. de ce mois , fut executé d'abord à la
Cour le 18. Janvier 1685. & pour la
premiere fois à Paris le 8. Février fuivant.
Il n'avoit pas été joué depuis 1717,
Malgré le grand nombre de bons morceaux
dont il eft compofé ; & quoiqu'il ait
paffé pour avoir quelque forte de fegulatité
, on ne laiffa pas de dire en ce tempslà
, qu'Angelique eft trop fouvent fur la
Scene avec Medor ; que Roland n'y paroît
pas affez , & que la fureur de ce Heros
devroit être employée à quelque cho
fe de plus grand qu'à déraciner des arbres ,
à renverfer des vales , & à tirer fon fabre
contre des figures inanimées à qui il a tort
de s'en prendre du malheureux amour qui
lui fait tourner la cervelle . Mais auffi il faut
convenir que ce défefpoir fait un grand effet
au Théatre, & qu'il fait plus de plaifir
que les graves & profondes beautez du
rôle de Logiftile. Le Roy Louis XIV.
donna le fujet de cet Opera à Quinault & à
Lully,qui en font les Auteurs , comme il
avoit fait de celui d'Amadis . L'execution
paroît admirable dans cette derniere reprife
2568 MERCURE DE FRANCE:
prife. Le S' . Thevenard a repris fon rôle
de Roland , & il le joue d'une maniere
inimitable. La Dlle. Antier remplit celui
Angelique , au gré de tout le monde.
Ceux de Medor & de Logiftile , font rem
plis par le S. Tribon & la Dlle . Ermanſe,
qui font beaucoup de plaifir. Les Diles Prevôt
, Camargo & Salé , ainfi que les
Sis Blondi, Dumoulin , &c. font un grand
plaifir dans le Ballet qui eft toujours
compofé par le S' . Pecour , & très-varié.
Les Comédiens Italiens reprefenteront
le 10. de ce mois une petite Piece d'un
Acte qui a pour titre : Le Sincere à contre
temps , traduite en vers par le S'. Lélio
le fils . L'original de cette Piece eft Italien
, de la compofition du S. Lélio le
Pere. Elle parut en 17 17. & fut reprefentée
pour la premiere fois fur le Théatre de
l'Hôtel de Bourgogne , au mois d'Octo
bre de la méme année,
ACTEURS.
Pantalon
Lélio ,
Flaminia ,
Mario ,
Albert >
Pere de Flaminia.
Fils de Pantalon.
Fille de Pantalon .
Amant de Flaminia,
Ami de Pantalon.
Hortenfe , Fille d'Albert , promife à Marie.
Sca
NOVEMBRE. 1727. 2509
Scaramouche ,
Arlequin ,
Ami de Léo.
Valet de Pantalon.
La Scene eft dans la maifon de Pantalon .
. Pantalon ouvre la Scene , en chaffant
Arlequin de chez lui , ne pouvant plus
s'accommoder ; dit- il , de fon fervice , à
caufe de fa bétife , & autres mauvaiſes
qualitez qu'il lui reproche . Lélio furvient
qui tâche de confoler Arlequin de ce qu'on
le met dehors , & lui promet de le placer
chez Scaramouche fon ami. Il lui écrit
pour cela une Lettre de recommandation,
qu'Arlequin fe charge avec plaifir de lui
porter. Lélio qui fe pique d'une fincerité
outrée , vante d'abord dans fa Lettre les
bonnes qualitez de ce nouveau Domeſtique
; mais il ne peut s'empêcher d'ajouter
qu'Arlequin eft un balourd , un yvrogne
, un faincant , &c. Arlequin preſente
la Lettre à Scaramouche , qui le renvoye
bien vîte , après avoir lû cette Lettre,
& fe retire . Pantalon arrive avec
Lélio fon fils ; il lui dit d'abord qu'il
vient de conclure fon mariage avec Hortenfe
, fille du Seigneur Albert , & qu'il
veut en même tems finir celui de Flaminja
avec Mario . Pantalon dit confidemment
à fon fils , qu'il a des raifons trèsfortes
, pour faire ces deux mariages ,
dont la principale eft qu'ayant un procès
G con2510
MERCURE DE FRANCE;
Confiderable à terminer , il ne peut pres
fentement donner so . mille écus qu'il a
promis à Mario pour la dot de Flaminia ;
& que pour ne pas manquer à ſa parole,
il faut que lui , Lélio , époufe au plutôt .
Hortenfe , afin que la dot qu'il recevra,
puiffe être remise à Mario qui doit épou
fer Flaminia. Cette confidence que Panta
lon vient de faire à fon fils , ne s'accorde
nullement avec la fincerité dont ce fils fe
pique tant ; il promet pourtant de n'en
pas parler. Pantalon fe retire. Flaminia
furvient, qui trouve fon frere ; celui- ci lui
dit qu'il vient d'apprendre qu'on va la ma❤
rier à Mario ; mais qu'il ne peut s'empêcher
de lui dire , en bon frere , que Mario eft
fort adonné à toutes fortes de plaifirs , &
furtout à en conter à toutes les femmes
qu'il trouve. Flaminia , quoique fâchée
d'être informée du caractere de Mario ?
eft pourtant bien-aife d'apprendre ce
qu'elle ignoroit , & fe retire. Mario vient
joindre Lélio qui le felicite fur fon mariage
avec Flaminia ; il lui fait connoître
le plaifir & l'honneur que va lui faire
fon alliance ; mais il lui dit en même tems,
qu'en qualité d'ami & de fon futur beaufrere
, il ne fçauroit lui cacher le caractere
de fa four , qui eft d'une humeur fi hautaine
& fi imperieufe , que perfonne ne
fcauroit vivre avec elle. Mario remercie
Lon
NOVEMBRE. 1727 2518
fon ami de ce qu'il lui apprend , & le retire.
Albert arrive avec la fille Hortenfe,
& la préfente à Lélio , comme lui ayant
été promife. Après quelques civilitez de
part & d'autre , Albett voyant Lélio un
peu embaraffé , lui en demande la raifon.
Lélio lui répond que fa fincerité ne lui
permet pas de lui rien déguifer , & qu'il
fui avoue de bonne foi que la dot qu'il
va donner à ſa fille , doit paffer entre les
mains de Mario pour celle de Flaminia
qu'il va époufer au premier jour . Pantalon
qui furvient eft bien étonné de trouver
le beau projet qu'il avoit fait, renversé
par la trop grande fincerité de fon fils
Mario & Flaminia fe reprochent leurs
communs défauts . Albert dit à Pantalon ,
qu'il ne prétend pas que la dot de fa fille
ferve pour en marier d'autres. Chacun
fe retire très - mécontent , & fur tout Pantalon
peſtant contre la fincerité à contretemps
de fon fils ; ce dernier-ci - reſta ſeul
& finit la Piece , en difant qu'il ne fçauroit
plus refter dans une Ville où il ne
fçauroit, mettre en pratique la fincerité
dont il fe pique , & qu'il va dorénavant
faire fon féjour à la Cour où il pourra
mieux apprendre l'art de diffimuler , pour
être moins fincere à l'avenir.
Les Comédiens François ont reçû au
Cij com2512
MERCURE DE FRANCE.
commencement de ce mois , une Tragedie
nouvelle , fous le titre de D. Ramire`
& Zaïde.
Ils doivent donner inceffamment la Surprife
de l'Amour , Comédie nouvelle , en
3. Actes, de M. de Marivaux .
Le 8. de ce mois , ils remirent au Théatre
, le Galant Coureur, ou l'Ouvrage d'un
moment , petite Comédie en profe, du fieur
le Grand , Comédien du Roy , qui fut
jouée dans fa nouveauté il y a cinq ans ,
avec beaucoup de fuccès . Elle est trèsbien
reprefentée, & le Public la revoit avec
plaifir. Les Roles de Lucinde , de Dorimene
& de Marton , y font jouez par les
Diles. Du Frefne , Labat & Quinaut.
On écrit de Lyon qu'on y doit mettre
au Théatre une petite Comédie nouvelle ,
en un Acte , fous le titre de l'lfle du Divorce.
Si elle réuffit , nous en pourrons
donner l'Extrait.
BAL DE L'OPERA.
Defcription de la nouvelle Salle,
Le 11. de ce mois , Fête de S. Martin ,
y eut à l'Opera le Bal public qu'on
donne tous les ans à pareil jour , & qui
continue tous les Dimanches jufqu'aux
Avents. On le reprend ordinairement à
la
NOVEMBRE. 1727. 2513
la Fête des Rois , & on le donne pendant
le Carnaval deux ou trois fois la femaine
jufqu'au Carême. Il commence à onze
heures du foir , & finit à fix heures du
matin . On a payé fix livres à l'entrée de
ce premier Bal. La Salle étoit parée d'une
nouvelle décoration faite par M. Servandoni
, habile Peintre Florentin , Auteur
du fuperbe Palais de Ninus dans l'Opera
-de Pirame & Thibé , dont on trouvera
la defcription détaillée dans le Mercure
d'Octobre de l'année derniere . Cette nouvelle
décoration eft ornée de glaces , dont
quelques- unes font très ingenieuſement
employées pour l'effet qu'elles doivent
faire : & pour cela on les a élevées hors
de vûë , afin qu'on ne puiffe pas s'y mirer
, & que les yeux puiffent être trompez
par leur moyen , en faifant paroître la
Salle une fois auffi grande qu'elle eft ,
les objets oppofez qui s'y repetent , foit
en faisant paroître des lieux percez ou des
enfoncemens & ouvertures en tous ſens ,
où l'on ne croit voir que le vague de l'air ;
mais avant de décrire cette Salle , difons
un mot de l'ancienne :
par
On fçait qu'on éleve le Partere de l'Opera
au niveau du Théatre & de l'Amphitéatre
pour compofer le plein- pied de la
Salle du bal , qui avoit 85. pieds de long
fur 23. de large. Elle fe terminoit en
Giij ovale
2514 MERCURE DE FRANCE.
ovale du côté des Loges ; c'eft encore de
même aujourd'hui . Elle formoit un quarré
étroit du côté du Théatre , avec une
alcove dans le fond , où la Symphonie
étoit placée. Sur les côtez on avoit peint
des Loges avec des Mafques & autres fi
gures , pour imiter les Loges réelles qui
fe trouvoient fur la même ligne : cet endroit
n'étoit point plafoné.
Dans la nouvelle difpofition , M.Servandoni
a trouvé le moyen de gagner
7. pieds fur la largeur & 12. fur la longueur
, y compris le Salon demi - octogone
qu'il a placé avec ménagement dans
un efpace de 24. pieds de large que lui
laiffoit le mur du fond.
La nouvelle Salle forme une efpece de
Galerie de 9 8. pieds de long , compris le
demi-octogone , lequel par le moyen des
glaces dont il eft cruſté , devient aux yeux
un Salon octogone parfait . Tous les luſtres
, les bras & les girandoles fe repetent
dans ces glaces , ainfi que toute la Sale
dont la longueur par ce moyen paroît doublée
, de même que le nombre des Spectateurs
.
Les glaces des côtés & vûës de profil ,
font placées avec art & fymétrie , felon
l'ordre d'une Architecture compofite ,
enrichie de differentes fortes de marbres ,
dont tous les ornemens font de bronze
doré.
La
NOVEMBRE. 1927. 2515
La Sale ou Galerie peut être divifée en
trois parties ; la premiere contient le lieu
que les Loges occupent ; la feconde un
Salon quarré , & la troifiéme le Salon
demi-octogone , dont on vient de parler.
Les Loges font ornées de baluftres avec
des tapis des plus riches étoffes & des plus
belles couleurs fur les appuis , en confervant
l'accord neceffaire entre ces ornemens
& la peinture de l'ancien plafond
qui regne au-deffus des Loges .
Deux buffets , un de chaque côté , féparent
par le bas les Loges du Salon qui
a 30. pieds en quarré fur 22. d'élevation,
& terminé par un plafond ingenieux , or
né de rofes dorées , enfermées dans des
Jozanges, & entourées d'oves qui font une
efpece de bordure.
>
Deux Pilaftres de relief fur leurs piédeftaux
, marquent l'entrée du Salon. On y
vort un rideau réel d'une riche étoffe à
frange d'or , relevée en fefton . Ces Pilaftres
s'accouplent dans les angles , de mê
me que dix-huit autres Pilaftres canellés ,
peints fur les trois autres faces du Salon.
Ils imitent la couleur du marbre de breche
violete , ainfi que la frife . Leur dimenfion
eft de 13. pieds & demi , compris
la baſe & le chapiteau . Leurs Piédeftaux
ont cinq pieds , compris les Socles
FArchitrave , Frife & Corniche
trois
G iiij pieds
2516 MERCURE DE FRANCE.
pieds & demi. La grande corniche qui regne
autour du Salon eft de relief. Les Entrepilaftres
du côté des grandes arcades
ont 12. pieds , & ceux du côté des petites
arcades , quatre pieds & demi . Aux
trois côtés du Salon il y a une grande arcade
& deux petites . Celles qui font à
droite & à gauche , ont 14. pieds de
haut , compris les baluftres , fur 7. pieds
& demi de large ; elles font foutenuës par
des colonnes couplées . Leurs arriere - pilaftres
qui foutiennent une corniche , ont
18. pouces ; cette corniche fert d'impofte
aux grandes arcades , & regne également
fur les Salons quarré & octogone . Audeffus
s'éleve un Archivolte , où l'on voit
deux figures foutenant un Cartel . Au milieu
de ces grandes arcades , il y a un
groupe de quatre figures jouant de differens
inftrumens. Ces arcades où paroiffent
des glaces , font ouvertes par des rideaux
de velours cramoifi , brodés d'or & relevés
avec des cordons qui en tombant fervent
à cacher le joint des glaces ; enforte
qu'elle paroiffent être d'une feule piece.
Des feftons de guirlandes , & d'autres ornemens
produifent le même effet.
Le Salon quarré & le Salon octogone
font encore enrichis de 20. colonnes avec
leurs arriere - pilaftres de marbre bleu jafpé ,
ainfi que les 4. Pilaftres du Salon demi - octogone
.
NOVEMBRE. 1727. 2517

gone. Six Statues dans le goût antique ,
reprefentent Mercure & Momus dans le
fond , & aux côtés quatre Mufes peintes
en marbre blanc & de grandeur naturelle,
ainſi que les autres . Ces ouvrages font
de M. Charles Vanlo , & peints de trèsbon
goût.
Au milieu des grands pilastres couplés ,
excepté dans ceux des angles , eſt une Statuëqui
pofe fur un cul de lampe de bronze
doré , placé fur le piédeftal , des Pilaſtres
; & au- deffus de la Statuë , il y a une
girandole réelle de métal doré à cinqbranches.
Des feftons de fleurs colorées font
attachés à ces piédeftaux .
Les petites arcardes font auffi ouvertes
, & ont 3. pieds huit pouces de large
fur huit pieds de haut , compris les baluftres
qui portent un vale de bronze doré
rempli de fleurs .
Au milieu de l'Archivolte il y a un
Mafcaron de bronze doré , avec un anneau
dans la bouche , pour foutenir deux
feftons qui viennent s'attacher enfuite aux
deux côtés de l'Impofte , & fervent encore
à cacher le joint des glaces. Au - deffus de
la corniche qui fert d'Impofte aux gran .
des arcades , il y a des Génies de marbre
blanc , appuyés fur une coquille de bronze
, au - deffus de laquelle il y a un paneau
de marbre bleu jafpé , avec des bordures
G v d'or
7
2518 MERCURE DE FRANCE.
d'ornemens de bronze doré : les deux cor
tez à droit & à gauche font femblables.
La grande Arcade du fond , où commence
la troifiéme partie de la Galerie , a
16. pieds de haut fur 1 o. de large : deux
Renommées y foutiennent les Armes du
Roy en relief. Cette arcade fert d'entrée
au Salon demi - octogone , dans lequel on
monte par trois marches , & dont le plan
eft de niveau au bas des baluftres , pour
marquer la poffibilité d'aller derriere les
Arcades des côtés.
Dans le fond du demi - octogone on voit.
une pareille Arcade , excepté que les arriere
pilaftres des colomnes qui foutiennent
la corniche fervant d'Impofte , font
éloignés jufqu'au mur , & laiffent ainfi un
grand vuide de chaque côté. Au- deffus de
la corniche ſe trouve une ouverture ovale .
Dans les Angles du demi octogone , il y
a quatre Pilaftres qui foûtiennent un plafond
très- orné. Entre ces Pilaftres on a
placé deux portes , fur la corniche defquelles
on voit deux enfans & un bufte
au milieu , avec des feftons de fleurs . Ces
portes communiquent dans les lieux que
les glaces fuppofent..
Vingt-deux luftres de cryftaux , garnis
chacun de 12. bougies , defcendent des.
trois plafons par des cordons & des houpes
d'or & defoye. 32. Bras portant des
dou
NOVEMBRE . 1727. 251¶
doubles bougies , font placez dans l'entre-
deux des Pilaftres qui foutiennent
les Loges. Dix Girandoles de cinq bougies
chacune , font placées fur les Pilaftres
couples du grand Salon ; & dans
le Salon octogone , il y a fur chacun .
des Pilaftres , une Girandole à trois branches.
Trente Inftrumens placez , quinze à
chaque extrémité de la Sale , compofent
la Symphonie pour le Bal ; mais pendant
une demie heure , avant qu'il commence
, ces Inftrumens s'affemblent dans
le Salon octogone , avec des Timbales &
des Trompettes , & donnent un Concert
compofé de grands Morceaux de Sym
phonie des meilleurs Maîtres .
Nous pourrons donner dans peu une
defcription du Temple de la Difcorde ,
grande compofition , projettée par M.Servandoni
, fur les ordres de la Cour , pour
donner un grand Spectacles
Gvj NOU
2520 MERCURE DE FRANCE .
that t
NOUVELLES DU TEMPS
RUSSIE.
E Prince Menzikoff partit de Peterſ-
Lbourg le 21. Septembre , pour fe
rendre à Orenjeboon près de Veronitz ,
avec un Détachement de 120. Cavaliers,
commandez par un Capitaine du Régiment
des Gardes , avec une fuite de quatre
Carroffes à fix chevaux , de 42 Fourgons
& Chariots de bagage , de 30 Chevaux
de main & de dix Chaises à deux
Chevaux pour fes Domeftiques. Il étoit
dans le premier Carroffe avec fon Epoufe
& fa belle-fille ; fon fils occupoit le fecond
, fes deux filles étoient dans le troifiéme
, & M. Afrcuiof, frere de fon Epoufe,
dans le quartiéme .
Le Czar a fait redemander à la fille
de ce Prince un diamant de 20000 .
Roubles qu'il lui avoit donné le jour des
fiançailles. S. M. Cz. a auffi fait retirer
de l'Hôtel de ce Miniftre une grande
quantité de meubles précieux & d'autres
ornemens qui étoient autrefois dans les
Palais de la Czarine , & de tout ce qui
s'est trouvé de refte dans fes Appartemens
NOVEMBRE . 1727. 2521
mens après fon départ , a été abandonné
au pillage.
Avant le départ du Prince Menzikoff ,
on lui avoit ôté , non - feulement l'Ordre
de S. André , mais encore celui d'Alexandre
Nelefski , & à fà belle foeur celui de
fainte Catherine ; mais fon époufe , fon
fils & fes filles ont confervé ceux dont
ils avoient été honorez .
Le Gouverneur d'Olonitz a donné avis
à la Cour qu'il n'avoit pas pû fe difpenfer
d'accorder 24. heures de repos au
Prince Menzikoff, au lieu de 6. que portoient
les ordres du Czar , tous les Of
ficiers de l'escorte l'en ayant extrémement
follicité , dans la crainte que leur prifonnier
ne tombât malade de trop de fatigue.
On a reçû avis depuis qu'étant arrivé
à Orangeboon , il avoit été féparé de toute
fa famille , en confequence des nouveaux
ordres de la Cour , par lefquels
il eft exilé à cazan où il a été conduit
par une nouvelle eſcorte ; mais on ap-.
prend de Petersbourg que les Commiffaires
chargez d'inftruire fon procès , ont
trouvé en examinant fes papiers , des
preuves de plufieurs crimes d'Etat , &
qu'on fera peut - être obligé de le faire
revenir de fon exil pour l'interroger luimême
fur plufieurs chefs d'accufation ,
qu'on dit être de très- grande importance ,
On
2522 MERCURE DE FRANCE .
On a fait un Inventaire des Effets qui
ont été trouvez dans les deux Palais &
dans fes Maiſons de Campagne ; l'on y
a trouvé pour 800. mille Roubles de
Pierreries & autres Joyaux , 90. Marcsi
de Vaiffelle d'or , 120. Marcs de Vermeil
doré , 840. Marcs de Vaiffelle d'argent
, de l'argent comptant, des Tableaux
& Meubles précieux pour près de trois
millions de Roubles , fans compter les
fommes confiderables qu'il a placées fur
les Banques étrangeres.
La plupart des Charges dont le Prince
Menzikoff éroit revêtu , ont été données
au Prince Gallitzin & au Prince Dol
horucki.
La Czarine , Ayeule du Czar , ayant
préferé le féjour de Mofcou à celui de la
Cour , S. M. Cz. lui a affigné une nouvelle
penfion de 10000. Roubles fur
les revenus de la même Ville .
On a appris que le Duc d'Holftein avoit
reçû à Kiel une Lettre du Czar , par laquelle
S. M. Cz. l'invite à retourner à
Petersbourg au Printemps prochain .
L
POLOGNE.
E Grand-Maître d'Hôtel, le Grand-
Maréchal & le Chancelier du Duché
de Curlande , qui avoient été mis aux
arrêts ,
NOVEMBRE. 1727. 252H
arrets , ayant promis par ferment de demeurer
fideles au Roy & à la République
de Pologne , & de n'entretenir deformais
aucune correfpondance avec les Puiffances
Etrangeres par rapport à l'Election d'un
fucceffeur au Duc Ferdinand de Curlande ,
ont été mis en liberté.
. Le 26. Septembre , les Députez du
Pays ayant comparu devant la Commiffion
Royale , on leur déclara , qu'on les
exemptoit de prêter le ferment exigé, moyennant
qu'ils s'engagent par écrit, fous peine
de perdre leur honneur , leur réputation &
leurs emplois , qu'ils ne travailleroient plus
à aucune Election éventuelle , ni à celle
d'un nouveau Duc après la mort du Duc
Ferdinand , mais qu'après fon décès , ils
reconnoîtroient le Roy & la Republique de
Pologne pour leur Souverain immédiat.
On a conduit au Camp des Troupes .
de la Commiffion , les Prifonniers faits
dans l'Ifle d'Ufmeitz ; leurs Chevaux ont
été donnez aux Officiers , & l'on croit
que les bagages du Comte de Saxe feront
abandonnez aux Soldats. Les Régimens
Mofcovites qui étoient entrez dans
le Duché , ont pris leur route vers Riga.
Les Etats de Curlande ont donné leur
confentement à l'incorporation de ce Duché
à la République de Pologne , mais
à des conditions que les Commiffaires
n'ont
2524 MERCURE DE FRANCE .
n'ont pû accepter, faute de pouvoirs fuffi
fans. Les Generaux Mofcovites ont pro .
tefté contre toutes les réfolutions prifes
par la Commiffion qui a fini fes Seances
depuis peu : en attendant qu'elle fe
raffemble, quelques Seigneurs qui étoient
de cette Commiffion , refteront à Mittau
avec 1500. Dragons .
-Les Commiffaires , avant que de ſe ſéparer
, ont communiqué aux Etats du
Duché le projet fuivant , lequel il doit
être gouverné après la mort du Duc Ferdinand
, afin qu'ils l'éxaminent & qu'ils
puiffent y répondre lorfque la Commiffion
fe raffemblera . On a publié une Ordonnance
de la Commidion , qui deffend
à tous Curlandois , de quelque condition
qu'ils foient, de joindre le Comte Maurice
de Saxe , & de lui donner aucun fecours
dans les entreprifes qu'il pourroit former
pour faire valoir fon Election .
M
ALLEMAGNE.
R. André Cornaro , Ambaffadeur
de la République de Venife à Vienne
, ayant fini les trois années de fon
Ambaffade du mois dernier

eut le
9.
fon Audiance de congé de l'Empereur ,
qui lui fit prefent de fon Portrait enrichi
de diamans .
Le
NOVEMBRE . 1927. 2527
Le 26. du mois dernier , le Comte
de Konigsegg , Ambaffadeur Extraordinaire
de l'Empereur auprès du Roy d'Elpagne
, fut nommé par S. M. I.à la Vice-
Royauté de Naples , à la place du Car
dinal d'Althan.
Les Etats de la Baffe Autriche , qui ont
dû s'affembler dans le courant de ce mois ,
feront chargez , à ce qu'on affure , de
fournir encore cette année une partie des
25000. hommes dont l'Empereur à réfolu
d'augmenter les Troupes.
Le Comte de Collonitích , Archevêque
de Vienne , fut vifité le 27. du mois
dernier par le Nonce du Pape , & le
lendemain il reçut les complimens des
Seigneurs de la Cour fur fa future nomination
au Cardinalat.
Le Duc d'Holftein a écrit à l'Empe
reur pour lui faire part des changemens
arrivez en Ruffie , & de la réfolution que
le Czar a prife de le rappeller auprès de
fa Perfonne. Ce Prince réitere auffi fes
inftances auprès de S. M. I. par rapport
à la reftitution du Duché de Slefwich
qu'elle promit de lui procurer par fes
bons offices , dans le temps qu'on négocioit
le Traité qui fût conclu au commencement
de l'année derniere entre
l'Empereur & la feuë Czarine.
Es526
MERCURE DE FRANCE,
LA
ESPAGNE.
pour
E Roy a nommé fon premier
Ambaffadeur Plénipotentiaire
au.pro
chain Congrès de Cambray , le Duc de
Bournonville , actuellement Ambaffadeur
Extraordinaire
à la Cour de l'Empereur.
Les Dominicains du College de S.Thomas
d'Acquin de Madrid , terminerent le
19. du mois dernier , la quinzaine de la
Canonifation de fainte Agnès de Montepulciano
, Religieufe de l'Ordre , par une
Procefion folemnelle , à laquelle l'Eten
dart de la Sainte fut porté par le Duc de
Medina- Celi , & ceux des Bienheureux-
Damas Monez & Colombe de Reate ,
par d'autres Grands du Royaume. Toutes
par
les rues par où cette Proceffion paſſa ,
étoient tendues de riches Tapifferies , &
onze Autels , élevez de diftance en diftance
, étoient ornez avec beaucoup de
magnificence. Ces Religieux firent tirer
le foir un très -beau feu d'artifice devant
le Monaftere , dont toutes les façades
étoient illuminées.
Les deux Vaiffeaux de Regiftre qui
partirent de Cadiz au mois de Novembre
1726. fous le commandement de Dom
Salvador Garfia - Pofe , font arrivez dans
les Ports d'Efpagne : le principal , nommé
NOVEMBRE. 1727. 2527
mé le S. Raphael , entra le 13. de l'autre
mois dans le Port de S. Lucar de Barameda
, & le S. Charles , le 15. dans la
Baye de Cadiz , avec une charge affez
confiderable d'argent monnoyé , de Vaiffelle
d'argent & de quelques lingots d'or
pour le compte des Intereffez dans l'Armement.
L'Infant Dom Emanuel de Portugal ,
partit de Madrid , le 13. du mois dernier,
avec les Relais du Roy , pour aller à
Bayonne rendre vifite à la Reine Douairiere
d'Espagne , veuve de Charles II . &
l'on croit qu'il ira enfuite à Rome , où
on affure qu'il eft attendu.
On apprend que les deux Vaiffeaux qui
font de Regiftre , dont on vient de parler,
arrivez de Buenos - Aire à Cadiz & à S. Lu
car , font chargez de 750. mille Piaſtress,
fuivant la déclaration qui en a été faite .
Cette famme & les autres Marchandifes
dont ils font chargez , appartiennent à divers
Particuliers , aufquels on ne fçait pas
encore fi ces Effets. feront délivrez.
L
ITALIE.
E Pere Conrad de Vienne & le Pere
Ildefonfe de Milan , Carmes Déchauffez
, que le Pape avoit envoyé il y
deux ans , porter des prefens à l'Empereur
2528 MERCURE DE FRANCE .
reur de la Chine , font revenus à Rome
depuis peu. Ils ont remis à S. S. les préfens
de ce Prince , qui confiftent en dix
livres de Ging Zeng , Racine très - eftimée
par les Chinois , 60. pieces d'Etoffes tilfaes
d'or , 40. pieces d'Etoffes de Soye ,
20. boëtes de Thé , plufieurs Vales de
Porcelaine , divers Cabinets vernis , & autres
curiofitez de la Chine & du Japon .
Le bruit court que plufieurs Cardinaux
fe font déterminez à protefter de nullité
contre le Traité d'accommodement qui a
été conclu entre le S. Siege & le Roy de
Sardaigne , contre le rétabliffement du
Tribunal fuprême de la Sicile , contre la
Bulle de la Croifade qui a été promife à
l'Empereur pour tous les Pays hereditaires
, & contre la promotion du Comte
Bichi au Cardinalat .
Le Chanoine Ventura , Maître de Chambre
du Cardinal Colcia , a été affaffiné à
fon retour des Bains d'Ifchia , dans la Sacriftie
de l'Eglife Cathedrale de Nettuno .
Le 30. Septembre , l'Electeur de Cologne
partit de Venife pour aller voir les
principales Villes d'Italie ; il arriva à Milan
le 9. de ce mois à une heure après
minuit , il refufa de prendre le logement
qu'on lui avoit préparé , & alla defcendre
à l'Hôtellerie du Faucon , ayant réfolu
de garder l'incognito . Le Comte Ferdi -
nand
NOVEMBRE. 1727. 2529
(
nand de Daun , fils du Gouverneur du
Milanez , alla le lendemain le complimenter
de la part de fon pere , & lui
offrit deux Carroffes à fix chevaux pour
fon ufage pendant fon féjour à Milan. Le
même jour S. Alt . Electorale alla voir le
Corps de S. Charles , & le Tréfor de l'Eglife
qui lui eft dédiée. En fortant il fut
conduit par le Comte de Daun à Niguarda
, où il fut magnifiquement traité .
Le 10. après avoir vû la Comedie , ce
Prince alla fouper à la Maiſon de Campagne
des Cemtes Borromée ; il partit
enfuite pour fe rendre à Pavie , où il dîna
le lendemain chez les Chartreux de cette
Ville , & il arriva à Genes la nuit dụ 1 1 ,
au 12. Il defcendit à l'Hôtellerie de la
Croix blanche , d'où il ſe rendit le lendemain
chez le Miniftre de l'Empereur
qui lui avoit envoyé un Carroffe à fix
chevaux. Ce Prince vifita le matin les
principales Eglifes de la Ville , & l'après
midi il fut complimenté par les Députez
de la République qui lui envoya
des préfens le 14. Le 15. après avoir
reçû la vifite de l'Archevêque , il alla
voir les Reliques de Saint Jean - Baptiste ,
& le 16. il fut régalé magnifiquement de
la part du Sénat , dans le Palais du Sénateur
Imperial . Le 17. S. Alt . El . s'embarqua
fur une des Galeres de la Répu-
>
blique
2530 MERCURE DE FRANCE
blique pour paffer à Livourne, mais il ne
put fe mettre en Mer que le 18. à caufe
du vent contraire .
Le 23. vers les cinq heures du foir , il
arriva à Florence , où il changea de chevaux
pour continuer fa route vers Lappegi
. Il rencontra à un mille de la Porte
S. Nicolas , la grande Princeffe Douairiere
de Florence , fa tante , avec laquelle il fit
le refte du chemin .
La nuit du 8. du mois dernier , il y eur
à Naples un Orage terrible qui dura près
de fix heures ; la pluye & la grêle tomberent
en fi grande abondance , que tous
les Jardins de la Ville & des Fauxbourgs
furent ruinez , ainfi que ceux de plufieurs
Maifons de Campagne. Les Terres des
Montagnes voisines furent entraînées par
les torrens , avec les arbres. Les mêmes
torrens renverferent plufieurs maifons de
la partie la plus baffe de la Ville , où il a
péri un nombre confiderable d'Habitans .
Toutes les vignes ont été déracinées ; le
territoire de Giuliano & la Ville d'Averſa
ont fouffert un dommage qu'on fait monter
à plus d'un million . Le territoire de
Pianura eft demeuré entierement fous
l'eau , & d'environ 500. Habitans il
n'en refte plus que fix. Il s'eft formé dans
celui de Panierli un gouffre dont il fort
une vapeur fi dangereufe , que la plupart
de
NOVEMBRE 1727. 2531
de ceux qui en ont approché , y font tombez
morts. Les territoires de Paretta , de
Mileto & de Caffandrino , fe font affaiffez
de plufieurs pieds . Tous ces accidens ont
pour caufe , à ce qu'on croit , une violente
fecouffe de tremblement de terre
qui fe fit fentir une heure avant l'Orage.
Le Mont Vefuve vomit une grande quantité
de flammes , & la Mer groffit extraordinairement
le long de la Côte.
Le Comte de Saxe , Capitaine d'une
Compagnie de Grenadiers dans un Regiment
Allemand , en quartier dans le
Royaume de Naples , a fait abjuration
folemnelle du Lutheranifme entre les
mains du Cardinal Pignatelli , Archevêque
de Naples , en prefence du Cardinal
Vice-Roy & d'un grand nombre de perfonnes
de diftinction.
On apprend de Rome que le Cardinal
Lercari , Premier Miniftre & Secretaire
d'Etat , fit dire au Cardinal Altiery , que
le Pape iroit le 6. de ce mois coucher à
fon Abbaye de Monte- Roffi , pour fe
rendre le lendemain à Viterbe , & y faerer
l'Archevêque Electeur de Cologne ,
HOLLANDE , PAYS - BAS. ΡΑ ¿
L
Es Directeurs de la Compagne d'Or,
tende , ayant reçû avis que quatre de
leurs Vaiffeaux venant des Indes Orientales
2332 MERCURE DE FRANCE .
tales , & en dernier lieu du Brefil , étoient
arrivez à la Corogne , les Actions de
cette Compagnie ont monté de 143. à
177. Les huit Vaiffeaux que les mêmes
Directeurs ont envoyé cette année à la
pêche de la Baleine n'ont pas réuffi : il
n'en eft encore revenu que quatre ; trois
autres font reftez aux Orcades fans avoir
rien pris , & le dernier a péri dans les
glaces.
La Chambre de Commerce , nouvellement
établie à Bruges , & la Chambre
de Nieuport , ont entrepris la Pêche de
la Morue par voye de Soufcription , &
le Gouvernement a exempté de tous droits
le fel dont elles auront befoin.
M. Van-Hoey , nouvel Ambaffadeur
de la République d'Hollande à la Cour
de France , eft parti de la Haye pour fe
rendre à Paris.
Le 5. de ce mois , les Directeurs de la
Compagnie d'Oftende reçurent ordre de
ne plus envoyer aucun Vaiffeau dans les
Indes , conformément aux Préliminaires
fignez à Paris le 31. May dernier , ce qui
fit tomber les Actions de cette Compagnie
de 180. à 165 .
SACRE
NOVEMBRE. 1717. 2533
SACRE ET COURONNEMENT
du Ray & de la Reine d'Angleterre ,
fait a Londres le 22. Octobre 1727 .
Es trois Regimens des Gardes , les
L4. Compagnies des Gardes du Corps,
& les Grenadiers à Cheval , fe rendirent
dès les 6. heures du matin dans la Place
'du Palais de Whitchall , d'où ils furent
envoyés par détachemens , les uns dans la
Cour du Palais de Weftminster , & les autres
le long des rues qui conduifent du
Palais de S. James à la Porte Occidentale
de l'Abbaye , pour empêcher que le trop
grand concours de peuple n'interrompit
la marche . Vers les 8. heures , les
Pairs du Royaume , leurs Epoufes & les
autres perfonnes qui devoient affifter à la
Cérémonie , fe rendirent aux divers appar-
'temens du Palais de Weſtminſter , où ils
devoient être rangés par les Heraults &
Rois d'Armes..
Le Roy , la Reine , le Duc de Cumberland
& les trois Princeffes aînées s'y étant
auffi rendus à ro. heures , la marche fe
fit vers les onze heures fur un marchepied
, ou plancher à barrieres , depuis la
grande porte de la Salle de Weftminſter ,
jufqu'à la Porte Occidentale de l'Abbaye ,
de la maniere fuivante.
H L'Her#
534 MERCURE DE FRANCE .
L'Herbiere avec fes fervantes répandant
des herbes odoriferantes , &c. L'Huiffier
du Doyen de Weftminster , fon bâton à
la main. Un Fifre . Des Tambours. Le -
Tambour Major, Des Trompettes . Un
Timbalier. Des Trompettes. Le premier
Trompette. Les fix Clers de la Chancellerie
en robe de fatin noir à fleur , avec des
points de foye noire & des houpes fur les
manches . Le Sacriftain de la Chapelle
Royale , fuivi des Chapelains en dignité ,
en robes d'écarlate & en chafuble de foye
noire , ayant leurs bonnets quarrés à la
main. Les Sheriffs de Londres , fuivis des
Haldermans & du Recorder , en habits
d'écarlate , dont ceux qui ont été Lord-
Maires portoient leurs chaînes d'or . Les
Maîtres de la Chancellerie en habits magnifiques
. Les jeunes Sergens en Loi , ou
Avocats du Roy , en robes d'écarlate . Le
Solliciteur & le Procureur General du
Roy , marchant fur la même ligne. Les
anciens Avocats du Roy , auffi fur une
même ligne . Le premier Sergent du Roy.
Les Gentilshommes de la Chambre Privée
. Les Barons de l'Echiquier , & les Juges
des deux Bancs , en robes d'écarlate
leurs bonnets à la main , &c . Le Lord-
Chef-Baron de l'Echiquier , & le Lord-
Chef de Juftice des Plaidoyers communs ,
aufli en robes d'écarlate , avec leur Collien
NOVEMBRE. 1727. 2535
lier doré par- deffus . Le Maître des Rôles
ou des Regiftres , en robe magnifique ,
marchoit après fur une même ligne avec
le Lord - Chefde Juftice du Banc du Roy,
en robe d'écarlate le Collier doré pardeffus.
?
A quelque distance marchoient les En .
fans de Choeur de l'Abbaye de Weſtminſ
ter en furplis. L'Huiffier ou Maître de la
Sacriftie , & le Premier Portier en robes
d'écarlate. Les Enfans de la Chapelle
Royale en aubes blanches , avec un manteau
d'écarlate par - deffus . Les Chantres du
Choeur de l'Abbaye , en furplis ; l'Orga
nifte & le Sous- Sacrifſtain . Un double
Baffon entre deux Cornemufes ; les Gentilshommes
de la Chapelle du Roy en
manteau d'écarlate. Le Sous-Doyen de la
même Chapelle en robe d'écalate , avec
des Paremens de velours noir . Les Prébendiers
, ou Chanoines de Weſtminſter ,
en furplis & en chapes magnifiques.
Le Maître de la Chambre des Joyaux ,
en habit d'écarlate. Le Herault d'Armes
de l'Ordre du Bain ; les Chevaliers du
Bain , avec les Habits & les Coliers de
P'Ordre. Un Chevalier de l'Ordre du
Chardon d'Ecoffe. Un Chevalier de l'Ordre
de la Jarretiere , tous deux avec l'Habit
& le Collier de ces Ordres . Le Vice-
Chambellan de la Maifon du Roy : le
Hij Con-
J
2536 MERCURE DE FRANCE.
Controlleur & le Tréforier de fa Maifon.
Les Confeillers Privés de la Grande-Bretagne
, qui ne font pas Pairs, en habits magnifiques.
Deux Pourfuivans d'Armes : les
Barons & les Baronnes en robes d'Etat &
leurs Couronnes à la main. Les Evêques
en rochets , avec leurs bonnets quarrés à
la main. Deux autres Pourfuivans d'Armes.
Les Vicomtes & les Vicomteffes , en
habits de cérémonie & leurs Couronnes à
la main. Deux Heraults avec leurs Cottes
d'Armes & leurs Colliers : les Comtes &
Comteffes auffi en robes de cérémonie
& leurs Couronnes à la main , à l'exception
de ceux qui portoient quelques - uns
des Regalia ou ornemens. * Deux autres
Heraults d'Armes. Les Marquis & Marquifes
. Deux autres Heraults.
Les Ducs & les Ducheffes . Le Duc de
Grafton , Grand - Chambellan de la Maifon
du Roy. Deux Rois d'Armes de Provinces
, & le Roy d'Armes de toute l'Irlande
, en cottes d'Armes, avec leurs Colliers
& leurs Couronnes à la main.
Le Lord Trevor , Garde du Sceau Privé;
le Duc de Devonshire , Préfident du Confeil
; l'Archevêque d'York , marchant à
la droite du Lord de King , Grand- Chan-
* Les Pairs qui font Chevaliers de la farrefiere
, dn Chardon ou du Bain , portoient le
Collier de ces Ordres .
celier
NOVEMBRE . 1727. 2537
celier , portant une Bourfe . Le Lord Archevêque
de Cantorbery , feul . Deux Officiers
reprefentant les Ducs d'Aquitaine
& de Normandie , en manteaux de velours
cramoifi , doublés de taffetas blanc ,
facés de menu vair & variés d'hermine ,
portant tous deux à la main leur bonnet
de drap d'or , doublé & varié d'hermine ..
Le Vice Chambelland de la Reine . Deux
de fes Gentilshommes fervans . Le Lord-
Chambellan de la Reine , le Comte de
Northampton portant la verge d'ivoire ,
furmontée d'une Colombe . Le Duc de
Rutland portant le Sceptre furmonté d'une
Croix , & le Duc de S. Alban , la
Couronne de la Reine .
La Reine marchoit après , revêtuë de
fes Habits Royaux , de velours pourpre ,
doublés d'hermine , ayant un cercle d'or
fur la tête . Les Evêques de Wincheſter &
de Londres foûtenoient S. M. qui marchoit
fous un dais porté par les Barons des
Cing Ports , & par les Gentilhommes Penfionnaires.
La queue de fa robe étoit portée
par la Princeffe Royale & par les Princef
Tes Amelie & Caroline , fes foeurs , affiftées
de quatre filles de Comtes ; fçavoir ,
Françoile de Naffau , Marie Capel , Re-,
becca Herbet , & Anne Haftings . Les
Lords Caernarvon , Glenorchy & Levisham
, portoient les Couronnes des trois
Hiij Prin2538
MERCURE DE FRANCE:
Princeffes. Ils étoient fuivis de la Du
cheffe de Dorfet , Dame de la Chambre
du Lit , & des Dames Herbert & Howard,
Dames d'honneur de la Reine. La Comteffe
de Suffex étoit auprès de la Princeffe
Royale , en qualité de premiere Dame
de fa Chambre.
Le Cortege du Roy marchoit à quelque
diſtance de celui de la Reine : les
Pieces d'honneur étoient portées , fçavoir
, le Bâton de S. Edouard , par le Duc
de Kent ; les Eperons d'or , par le Duc de
Mancheſter pour le Comte de Suffex , le
Sceptre avec la Croix , par le Duc de
Montaigu , marchant tous trois fur une
même ligne. L'Epée de S. Edouard , dite
la Curtana , par le Comte de Pembrook ;
la feconde Epée , par le Comte de Lincoln
; & la troifiéme , par le Comte de:
Crawford , marchant fur une même ligne ::
ils étoient (uivis du Lord Maire de Londres
, de Lion , Roy d'Armes d'Ecoffe , de
Garter , premier Roy d'Armes d'Angleter
re, & d'un Huiffier à la Verge noire , marchant
fur la même ligne. Enfuite le-
Lord Chambellan d'Angleterre marchoit
feul , en habit d'Etat , fa Couronne &
fa Baguette blanche à la main . Après lui
matchoient fur une même ligne , le Com--
te de Suffex , reprefentant le Comte Maréchal
d'Angleterre , en habit d'Etat , avec:
fat
NOVEMBRE. 1727 2539
fa Couronne & fon Bâton de Maréchal
à la main ; le Comte de Huntington ,
portant l'Epée d'Etat dans le fourreau ;
le Duc de Richemond , Grand- Connétable
d'Angleterre , avec les marques de fa
dignité , & le Duc de Roxborough , Député
du Grand Connétable d'Ecoffe. Le
Duc d'Argyle portoit le Sceptre avec la
Colombe ; le Duc de Dorfer , Grand
Maître d'Hôtel , portoit la Couronne
de S. Edouard , & le Duc de Somerfet
le Globe , marchant tous trois fur une
même ligne.
La Patene étoit portée par l'Evêque de
Rochefter ; le Calice , par l'Evêque de
Peterborough , & la Bible , par l'Evêque
de Coventry , marchant tous trois fur une
même ligne & immédiatement devant le
Roy. S. M. revêtue d'Habits Royaux de
velour cramoifi , doublez d'hermine &
bordez de galons d'or , avoit fur la tête
un Bonnet d'Etat , auffi de velours cramoifi
, bordé d'hermines : les Evêques de
S. Afaph & de Durham foûtenoient le
Roy , qui marchoit fous un Dais de
drap d'or , porté par les Barons des Cing-
Ports & par les Gentils-hommes Penfionnaires.
La queue du Manteau Royal étoit
porté par les Lords Hermitage , Brudenel,
Cornbury , & Euſton , tous quatre fils
ainez de Lords .
H iiij Le
2540 MERCURE DE FRANCE.
;
Le Maître de la Garde -Robe , feul . Le
Porte- Etendart de la Compagnie des Ger
tils- hommes Penfionnaires , le Comte de
Leiceſter , Capitaine des Gardes de la
Manche le Capitaine des Gardes à Cheval
de S. M. ce jour là de fervice ; le
Marquis de Hartington , auffi Capitaine
de la Compagnie des Gentilshommes Penfionnaires
, & un Lieutenant de la même
Compagnie. Un Gentilhomme de la
Chambre du Lit du Roy . Le Comte d'Effex
. Deux Valets de Chambre. L'Enfeigne
des Gardes de la Manche , leur Lieutenant
. Les Caporaux ou Exempts. Les
Gardes de la Manche , ayant leur Pertuifane
fur l'épaule , fermoient la marche.
: LeursM. étant arrivées dans le Cheu: de
l'Abbaye de Weſtminſter, fe placerent dans
deux Fauteuils qu'on avoit mis fur une Eftrade
élevée près de l'Autel : les Muficiens
du Choeur chanterent plufieurs Antiennes ,
& l'Archevêque de Cantorbery commença
la ceremonie du Couronnement.
Ce Prélat s'approcha du Roy , qui s'étant
levé , l'Archevêque , après une profonde
inclination devant S, M. fe tourna
vers l'Affemblée , & dit par quatre fois à
haute voix : Meffieurs , voicy le Roy Geor
ge , legitime heritier de la Couronne , que
je vous prefente : vous qui êtes venus pour
lui rendre hommage , fervice & obeisance,
voutzNOVEMBRE.
1727. 2541
voulez- vous le faire ? L'Affemblée & le
Peuple ayant donné des témoignages de
leur confentement & de leur joye par des
acclamations réiterées de Vive le Roy'
George , les Muficiens chanterent une Antienne
, pendant laquelle L. M. firent leur
premiere Offrande entre les mains de
Î'Archevêque.
Après que ce Prélat eut fait une courte
priere , deux des Evêques Affiftans lurenc
la Liturgie , laquelle étant achevée , l'Archevêque
fit un Sermon très - éloquent
au fujet de la Ceremonie . Ce Prélat fit
enfuite prêter au Roy le ferment accoûtumé
, qui confifte en Demandes & en
Réponfes , par lequel S. M. promet d'obferver
les Loix , les Coûtumes & les Privileges
accordez au Clergé & au Peuple
par le Roy S. Edouard , & de leur faire
rendre juftice avec prudence & équité.
Après deux autres Antiennes chantées
par la Mufique , l'Archevêque , affifté du
Doyen de Weſtminſter , oignit le Roy
dans la paume des deux mains , fur la
poitrine , fur les deux épaules , fur le pli
du coude & fur le fommet de la tête.
Le Choeur chanta enfuite une autre
Antienne ; puis le Doyen de Weſtminſter,
Dépofitaire des Habits , & c . fervant à
cette Ceremonie , revêtit le Roy d'une
Robe de fin lin , fans manches , d'une
Hv Tu2542
MERCURE DE FRANCE .
Tunique , d'un Surcot , des Bottines , des
Eperons d'or, & du Manteau Royal , après
quoi l'Archevêque donna au Roy l'Epéc
qu'il avoit benite , & enfuite il lui mit fur
la tête la Couronne de S.Edouard.Cet inftant
de la Ceremonie fut annoncé au Peuple
par les Trompettes , les Timbales &
par une triple décharge de l'Artillerie du
Farc de S. James & de la Tour.
Après une autre Antienne , tous les Pairs
ayant mis leurs Couronnes fur leurs têtes,
& les Colonels Walters & Lambert , qui
réprefentoient les Ducs d'Aquitaine & de
Normandie , s'étant auffi couverts de leurs
Bonnets , l'Archevêque donna auRoy l'Anneau
& le Sceptre , & après la feconde
Offrande de S. M. ce Prélat lui donna la
Benediction, & entonna le Te Deum , pendant
lequel le Roy fut élevé fur un Trône
par l'Archevêque , les Evêques. Affiftans
& les Pairs qui firent enfuite hommage
à S.M. & la baiferent à la joue gauche.Le
Tréforier de l'Hôtel du Roy jetta pendant
cette Ceremonie une grande quantité de
Médailles d'or & d'argent au Peuple qui
réïtera fes acclamations .
Enfuite , après une autre Antienne ,
chantée par la Mufique , on fit l'Ontion ,
le Couronnement & l'Inthroniſation de
la Reine , où l'on obferva à peu près les
mêmes Ceremonies , à l'exception que
S. M.
NOVEMBRE. 1727. 2543
S. M. ne fut ointe que fur la poitrine .
Le Roy & la Reine fe rendirent enfuite
dans la Chapelle de S. Edouard ; & ayant
repris leurs habits ordinaires , L. M. retournerent
dans la Sale de Weſtminſter
dans le même ordre & avec le même.
cortege qu'elles en étoient venues , ayant
la Couronne fur la tête : les Pairs & Paireffes
eurent auffi alors leurs Couronnes
fur la tête, les Evêques leurs Toques , & c.
Defcription du Feftin.
On avoit préparé fept tables dans la
Sale de Weſtminſter qui furent couvertes
des Mets les plus exquis & avec une
grande profufion ; le Roy & la Famille
Royale fe mirent à la premiere , & les fix
autres furent occupées par les Pairs & les
Paireffes , par les Prélats , par les Juges ,
les Gens du Roy & par les Rois- d'Armes.
Entre le premier & le fecond fervice ,
le Champion du Roi vint faire la Ceremonie
du Défi : il entra dans la Sale ,
armé de toutes pieces & monté fur un
cheval de Bataille , ayant à fes côtez le
Comte Grand - Maréchal & le Grand Connétable
, tous deux auffi armez & à cheval.
Un Herault prononça enfuite à haute
voix le Cartel de Défi , en ces termes : Si
quelqu'un a l'audace de nier que George II.
Hvj Roy
25 44 MERCURE DE FRANCE.
Roi de la Grande Bretagne , & c. foit le
fils & le plus proche heritier de George 1.
& legitimefucceffeur de la Couronne Imperiale
defdits Royaumes ; voici fon Cham .
pion qui lui donne le démenti , & qui lui
foutient qu'il eft un faux traître , & qu'il
eft prêt à le combattre en champ clos . En--
fuite le Champion jetta à terre un de fes
gantelets ; & comme perfonne n'ofa le ramaffer,
le Herault le releva & le lui rendit
; après quoi le Roi but à la fanté du
Champion dans une coupe d'or , dont
S. M. lui fit preſent.
Lorfqu'il le fut retiré , les Rois & les
Heraults d'Armes firent la proclamation
des Titres du Roy en Latin , en François
& en Anglois . On fervit enfuite le fecond
Service , & ce feſtin ayant duré julqu'à
8. heures du foir , L. M. retournerent au
Palais de S. James , où la Cour fut trèsnombreuſe
jufqu'à dix heures , & il y
eut dans toutes les rues des feux , des illuminations
& d'autres marques de réjouiffances.
On prétend que ce Couronnement a
furpaffé de beaucoup en magnificence
tous les autres Couronnemens . La Marche
depuis la grande porte de la fale de
Weftminster jufqu'à la porte occidentale
de l'Abbaye , a duré plus d'une heure &
demie , la Proceffion ayant auffi été plus
nomNOVEMBRE
. 1727. 2545
nombreufe que dans les Couronnemens
précedens. Cette Cérémonie s'eft paffée
avec beaucoup d'ordre les Miniftres
Etrangers étoient placés fur une Tribune
dans la fale de Weftminster , où il y avoit ,
ainfi que dans l'Eglife Abbatialle , & dans
toutes les rues par où la Proceffion paſ
fa , des bancs en amphitéatre , remplis
d'une infinité de gens de toutes conditions,
en habit de couleur , & avec les livrées
du Couronnement.
La magnificence du feftin étoit relevée
par l'éclat des luftres , des girandoles , & c .
dans la fale de Westminster , où il y avoit
environ 2000. bougies , qu'on avoit
trouvé le moyen d'allumer toutes en un
inftant . On prétend que cette folemnité
a conté plus de 1 5o . mille liv . fterling.
Toutes les Lettres des Provinces d'Angleterre
ne font remplies que des grandes
démonstrations de joye avec laquelle on
y a celebré le jour du Couronnement
du Roy & de la Reine. Le Magiftrat de
Bath , entr'autrés , a donné au l'euple un
boeuf rôti avec plufieurs tonneaux de
biere. Tous les Ambaffadeurs du Roy
d'Angleterre dans les Cours Etrangeres
ont pareillement celebré ce Couronnement
avec beaucoup de pompe , & on ap.
prend d'Hanover que cette Ville s'eft extrémement
fignalée dans cette occafion .
Le
1546 MERCURE DE FRANCE.
Le boeuf rôti qu'on abandonnà au Peuple
étoit lardé de huit chapons , feize poulets,
quatre cochons de lait , fix canards , trois
jambons , foixante perdrix & autant d'autres
oifeaux , outre un grand nombre de
fauciffes , & bardé de quatre oyes , quatre
cocqs -d'Inde , douze lievres , & divers
gigots de mouton ,
TRADUCTION d'une Lettre Latine ,
écrite par le Czar au Duc & à la Ducheffe
d'Holftein .
SEreniſſime & très-illuftre Prince du
S. Empire Romain , très - amé Frere &
Beau Frere , Sereniffime & Imperiale Princeffe
& Soeur.
Je remercie par ces Prefentes , vos A!-
teffes Royale & Imperiale , de l'avis qu'e!-
les m'ont donné de leur heureuse arrivée
en leurs Etats & Réfidence , & de la joyeu
fe reception que vos fideles fujets vous y
ont faite. Je fouhaite que la trifteffe où
vous avoit mis votre feparation de toute
ma Cour & de la Famille Imperiale , foit
changée en joye & en réjouissance pour
vous , par le contentement tout particulier
que vos Vaffeaux reffentent de votre ar
rivée.
Comme vos Alt. R. & Imp. prennent
beaucoup de part à l'avancement & à l'interêt
NOVEMBRE. 1727. 2547
rets de mon Empire , en qualité de Co - Regens
, je dois vous avertir qu'il y a trois
jours qu'on découvrit un deffein tout - à -fait
dangereux pour ma Perfonne & pour toute
la Maifon Imperiale , & capable d'étonner
tout le monde. Le malheureux & témeraire
Kneez- Menzikoff, qui doit au fen
Empereur , mon Ayeul , à la Czarine , mon
Ayeule , & à moi- même toute fa fortune
les richeffes immenfès qu'il a amaffées
& qui furpaffent, pour ainfi-dire, le tréfor
Imperial , a non feulement eu l'audace
de refufer avec la derniere effronterie de
rendre le respect dû à S. Alt. Imp . mais
même d'avoir pour L. A. I. mes très- cheres
Soeurs , moins de déference & de confideration
que pour fa fille , fans parler d'une
infinité d'autres crimes qu'on peut , à juſte
titre , nommer de Leze - Majefté.

Mais pour retrancher à cet arbre fa pernicieuse
racine le Confeil a prononcé
contre ce Traître une Sentence qui porte
qu'il foit dépouillé de fes Titres ; (fans pourtant
y comprendre fa femme ni fes enfans )
afin d'empêcher que fa memoire paffe à la
Pofterite , & que les richeffes qu'il a amaffecs
injuftement , retournent au Fifc de
l'Empire , fur lequel il les avoit volées ..
Je ne doute pas que ce Jugement prononcé
fuivant les Loix , ne foit agreable
à vos Alt. R. & 1. d'autant plus que votre
honneur
2548 MERCURE DE FRANCE .
honneur y eft intereffé , & qu'il a été páreillement
lezé par cet indigne & méchant
homme , qui fous l'apparence de fimplicité
de coeur de fincerité , auroit été capable
de tromper tout le monde.
t
Enfin , je protefte encore une fois en
bon frere & ami , que je perfifte toûjours
dans les mêmes fentimens où j'étois au
temps de notre feparation , & vous offre ,
non-feulement ma Flote entiere & mon armée
, mais même le Tréfor Imperial pour le
Service de vos Alt.
Je finis en fouhaitant ardemment d'avoir
le bonheur de nous revoir au plutôt,
en bonne fanté , & de nous embraffer réciproquement.
Je fuis , en recommandant
vos Alt. R. & Imp. à la protection diviñe
ferai toute ma vie , SERENISSIME
& c.
Donné dans la Fortereffe de
S. Petersbourg le 21. Septembre
1727. & de mon Regne le premier.
PIERRE - ALEXIOWITZ ,
fecond Emp. & Grand Duc.
Traduction du Manifèfte du Czar .
>
Nous Pierre II. par la grace de Dieu ,
Empereur & Souverain de toutes les Ruffies,
&c. Sçavoir faifons & notifions par ces
Prefentes , à tous ceux de la Nation Ruf
fienne , foit dans l'Etat Ecclefiaftique ,
MiliNOVEMBRE.
1727. 2549
.
Militaire ou Civil , de même qu'à tous nos
autres fideles Sujets , comment , par un effet
de la grace & mifericorde inexprimable
du Très - Haut , nous sommes monte fur le
Trone Imperial de Ruffie , comme nous appartenant,
& que tous nos Sujets nous ont
prêté , comme à leurfouverain Seigneur &
Monarque , le ferment de fidelité & d'obeiffance
; mais comme la Parole de Dien
nous apprend que c'eft le Très - Haut feul
qui a entre fes mains le gouvernement du
monde , qu'il le diftribue à qui il lui plaît,
qu'il gouverne le coeur des Rois felon fon
très-faint & très-fage confeil , & que les
Monarques Terriens reçoivent de lui, comme
du Roy des Rois , toute leur force &
-leur plus grand luftre , ainfi que cela fe
prouve par le Prophete Samuel , qui par
un ordre exprès de Dieu , a oint premie-
·rement Saul & enfuite David , Rois fur
Ifrael , & que cette louable coûtume de fe
faire couronner & oindre dans les Temples
a été anciennement introduite parmi les Potentats
Chrétiens ; Nous , à l'exemple de
nos Bienheureux Ancêtres & de tous les
Monarques Chrétiens , déclarons ici publique
le
quement & devant tout le monde ,
droit que nous avons à cette vaste & cedon
& pre- lebre Monarchie, eft un
fent du Très Haut , qui comme Roi des
Rois , diftribue feul les Sceptres, & les afpur
fermi
2550 MERCURE DE FRANCE.
fermit , & nous implorons fa très -fainte
Majefté, pour qu'il lui plaife à cette occafion
, de répandre fur nous fa grace &fes
benedictions celeftes .
A CES CAUSES , Nous avons refolu
de nous rendre, Dieu aidant , à notre Ville
de Mofcon , au mois de Janvier prochain ;
pour y recevoir la fainte Couronne , tes autres
Joyaux de l'Empire & l'Ontion , avec
les Prieres publiques de l'Eglife , & la
benediction du Clergé , comme nous le faifons
fçavoir par cette Déclaration publique
, à tous les Sujets de notre Empire ,
foit Ecclefiaftiques , Militaires ou Civils
ou de quelque état & condition qu'ils foient,
& leur enjoignons d'adreßer des voeux ardens
au Tout- Puiffant , afin qu'il lui plaife
de nous conferver en parfaite fanté , de répandre
fes benedictions fur nos Projets , &
de nous accorder un Regne tranquille &
beureux; fur quoi nous affurons tous nos
fideles Sujets de notre grace & protection
Imperiale. Donné à S. Petersbourg le 21.
Octobre 1727.
PIERRE
FRANCE
NOVEMBRE. 1727 255T
kakakakakakak
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , Co.
L
E 31. du mois dernier , veille de la
Fête de tous les Saints , la Reine accompagnée
du Duc d'Orleans & des Dames
de fa Cour , alla entendre dans la
Chapelle du Château de Fontainebleau ,
les premieres Vêpres chantées par la Mufique
, aufquelles l'Evêque d'Agde officia
pontificalement. Le lendemain , jour de
la Fête , le Roy entendit dans la même
Chapelle , une Meffe baffe , à caufe de
fon indifpofition , & la Reine entendit la
grande Meffe , celebrée pontificalement
par l'Evêque d'Agde . L'après midi , la
Reine , accompagnée du Duc d'Orleans ,
de Mademoiſelle de Charolois & de Mademoiſelle
de la Roche- fur- Yon , entendit
le Sermon de l'Abbé le Prévôt , Chanoine
de l'Eglife de Chartres , & enfuite
les fecondes Vêpres , chantées par la Mufique
, où le même Prélat officia .
Le 2. de ce mois , la Reine entendit la
Meffe dans la Chapelle & S. M. communia
par les mains du Cardinal de Fleury
, fon Grand- Aumônier. Le 3. jour des
Tré
2552 MERCURE DE FRANCE.
7
Trépaffez , le Roy & la Reine entendirent
la Meffe , pendant laquelle le De
profundis fut chanté par la Mufique .
Le 20. du mois dernier , il y eut a
Fontainebleau une grande Chaffe du Cerf
où les Princes , Princeffes , Seigneurs &
Dames de la Cour fe trouverent . Le rendez
-vous étoit à la Croix de S. Herem ,
où la Reine fe rendit dans une Gondole
à 8. chevaux . Plufieurs Princeffes & Dames
de la Cour étoient en Amazones.
Le Chevalier d'Orleans, qui a commandé
l'Efcadre des Galeres du Roy , arriva.
à la Cour le 26. du même mois .
Sur la fin du même mois , le Roy fr
une chute dans fon Appartement , & fe
bleffa au genou , ce qui a obligé S. M.
de garder la chambre pendant quelque
temps.
Au commencement de ce mois , la Reine
Douairiere d'Espagne, après s'être promenée
long- temps à pied par un mauvais
temps dans le Jardin du Luxembourg , eut
le foir un accés de fievre , & fa tête devint
enfuite fort enflée par un Eryfipele , dont
elle a été très - mal ; Mais S. M. fe trouva
fort foulagée après plufieurs faignées du
bras & du pied , & elle eft à prefent parfaitement
rétablie.
*
Le premier de ce mois , M. de Berrenecea
, l'un des Plenipotentiaires du Roy
d'ElpaNOVEMBRE.
1727. 2553
Efpagne , au Congrès de Cambray , arrivé
de Madrid à la Cour depuis peu ,
eut Audience particuliere du Roy & enfuite
de la Reine , étant conduit par le
Chevalier de Saintot , Introducteur des
Ambaffadeurs .
1
Le Roy nomma le premier de ce mois
pour fon Ambaffadeur Extraordinaire auprès
du Roy d'Espagne , le Marquis de
Brancas , Chevalier des Ordres du Roy &
de l'Ordre de la Toifon d'Or , Lieutenant
General des Armées de S. M. Lieutenant
General de Provence , Confeiller d'Etat
d'Epée , & ci- devant Gouverneur de Girones
Le 12. l'ouverture du Parlement fe
fit avec les cérémonies accoûtumées par
une Meffe folemnelle , celebrée pontificalement
dans la Grand'Sale du Palais ,
par l'Archevêque de Sens , à laquelle
M. Portail , Premier Préfident & les
Chambres affifterent .
>
Le Roy , par Arrêt de fon Confeil donné
à Fontainebleau le 21. Octobre dernier
, a nommé des Commiffaires pour la
revifion de l'affaire de M. de la Jonchere ,
Tréforier General de l'Extraordinaire des
Guerres.
Le 14. de ce mois , le Roi fe rendit à
Tomeri , à deux lieues de Fontainebleau ,
où S. M. fit la Revûë du Regiment de
Cavalerie
2554 MERCURE DE FRANCE .
Cavalerie Royal Allemand, qui eft depuis
peu entierement habillé à la Polonoife , &
dont M. de Quadt eft Meftre de Camp
Lieutenant . Après que S. M. eut paffé
dans les rangs , le Regiment qui s'étoit
partagé en plufieurs corps , fit differens
mouvemens d'exercice en preſence du
Roi & de la Reine qui s'étoient rendus à
cette Revûë.
M. Bofc , Procureur General de la
Cour des Aydes , Secretaire de la Chambre
& du Cabinet du Roy , Chancelier &
Garde des Sceaux de l'Ordre de S. Lazare ,
a fait le Mercredy 12. de ce mois , jour
de la rentrée de la Cour des Aydes , un
fort beau Difcours fur l'Ambition ; il le
finit par l'éloge du Roy , & par un portrait
bien vrai & bien naturel de M. le
Cardinal de Fleury.
M. de Coulange , Marquis de Gallet
& de Mondragon , Controlleur General
de la Maifon du Roy , a obtenu l'agré
ment de S. M. pour traitter de la Charge
de fon Confeiller d'Etat & Maître -d'Hotel
ordinaire , avec M. le Prefident de
Saint -Eugene ; S. M. a eu en même tems
la bonté d'accorder avec cet agrément
un Brevet de retenue de 200 000 livres
fur la Charge de Maître d'Hôtel ordinaire
, en confervant à M. de Coulange celle
de Controlleur General , avec le Brevet
vet
NOVEMBRE . 1727. 2555
de retenue qu'il avoit de 15oooo.livres .
Mile Emery , fille du feu Confeiller au
Parlement , de ce nom , a pris la réfolution
de le faire Religieufe , & de doter
deux pauvres filles qui auront la même
vocation : elles prendront le voile avec
elle & entreront dans le même Convent ;
à l'imitation de Mlle de Beringhen , qui a
donné depuis peu ce rare exemple de
pieté.
La Compagnie des Indes à fait preſent
au Roy , d'une Lionne , d'un Tigre , d'un
Porc-Epic & de fix Demoifelles , Oiſeaux
d'Afrique qui font de differentes couleurs.
Tous ces Animaux ont été mis à
la Ménagerie.
Mile Gardel , qui avoit prefenté une Requête
au Roy, en caffation de l'Arrêt du
Parlement , qui l'exclud de toutes fes prétentions
à la fucceffion du feu Marquis
de Beon , a été déboutée de fa demande
au Confeil de S. M.
Le Projet de M. de Marci , pour rendre
la Riviere de Somme navigable au
deffus de S. Quentin , & la joindre à la
Riviere d'Oife , a été agregé au Confeil ,
BENEFICES DONNEZ.
L'Abbaye Commandataire de S. Satur ,
Ordre de S. Auguſtin , Diocèle de Bourge
2556 MERCURE DE FRANCE .
ge , vacante
par
le décès
de M. de Mandercheidt
, a été donnée
à M. le Blanc
Evêque
d'Avranches
.
L'Abbaye Commandataire de S. Maurice
de Carnoüet , Ordre de Cîteaux ,
Diocèle de Quimper , vacante par le décès
de M. de la Vieuville , Evêque de S.Brieux .
en faveur de M. Olivier , Hipolite Louis
de la Bourdonnoye , Prêtre , Chantre de
P'Eglife Cathedrale de Treguier.
Le Prieuré Commandataire , Conventuel
& Electif d'Epineufeval , Ordre de
S. Auguftin , Diocèfe de Châlons , vacant
par le décès de M. Foffy , en faveur de
Ï'Abbé de Vaux , Grand Vicaire de l'Eyêché
de Châlons .
Le Doyenné de l'Eglife Royale &
Collegiale de Dole , Diocèfe de Befançon
, vacant par le décès de M. Bereur
en faveur de M. Jean- Jacques Bereur
Prêtre , Chanoine de ladite Eglife .
Le Prieuré fimple de fainte Radegonde
des Coquilles , au Diocèle de Luçon ,
dépendante de l'Abbaye de Nieul , auquel
le Roy a droit de nommer , à caufe de
l'union de cette Abbaye au Chapitre de
la Rochelle , en faveur de M. Jacques-
Simon Ruchaud, Prêtre du Diocèfe de ...
L'Abbaye de Montmartre , Ordre de
S. Benoît , Diocèfe de Paris , vacante par
le décès de Madame de Rochechouart de
Mont
NOVEMBRE. 1727. 2557
Montpipau , en faveur de Madame Louife
de la Tour d'Auvergne , Abbeffe de l'Abbaye
de S. Remy.
Le 25. de ce mois , le Roy & la Reine
partirent deFontainebleau pour aller coucher
à Petitbourg , chez le Duc d'Antin ,
où leurs Majeftez ont refté trois jours ;
Elles en partirent le Samedi 29. & arriverent
le foir au Château de Verſailles.
Le St Baradelle , Ingenieur pour les
Inftrumens de Mathématique , débite le
Calendrier de M. Meynier , qu'on trouve
gravé fur les faces d'un Porte- Crayon ordinaire
, long de 4. pouces & de 3. lignes
de diametre . On peut le graver auffi fur les
Equerres qu'on met ordinairement dans
les Etuys de Mathématique. On y trouve
les jours du mois pour tous les jours de
la femaine , & le jour de la femaine pour
tous les quantiémes des mois pendant
$ 3 . années . Le S Baradelle fait & vend
auffi un Encrier très- commode pour les
perfonnes qui font obligées d'en porter.
Il conferve l'encre fans qu'elle fe puiffe
répandre en quelque fituation qu'il fe
trouve , renverfé ou autrement ; il est fort
commode pour la Campagne , & pour le
Cabinet. Le cornet étant bouché hermériquement
, l'encre fans coton , le peut
garder plufieurs années , fans s'alterer ni
I épaiffir
2558 MERCURE DE FRANCE.
épaiffir. Il vend encore le plus grand Pla
nifphere qu'il y ait à Paris , pour connoître
l'état du Ciel. Il demeure à l'Enfeigne
de l'Obfervatoire , fur le Quay de
Horloge du Palais , vis -à vis les grands
degrez de la Riviere.
Le Sieur Collin avertit le Public qu'il
a rapporté d'Eſpagne il y a 30.ans , un très
bon fecret pour faire plufieurs fortes d'Encre
à écrire , elles font toutes à l'épreuve :
il y en a de la double luifante , pure- luifante
, d'un beau noir de jayet velouté ,
très-nettes & bien coulantes, dont on peut
écrire dix à douze lignes avec une plumée
de ces Encres : elles ne fe corrompront , ni
ne jauniront jamais, quelque gardées qu'elles
foient. Il en fera de la Rouge , Verte ,
Bleue , & couleur d'or.
Le Sieur Collin demeure ruë de la Draperię
, vis-à -vis le Palais , chez le Sieur
Dambrun , Maître Cordonnier pour femme
, au deuxième Appartement , vis- à- vis
S. Pierre des Arcis.
默默默默
MORTS , NAISSANCES , & C.
D
Ame Catherine Pilaftre de la Mothe,
veuve de Charles Etienne Maignart
Marquis de Bernieres &c, Maître des Requettes
, & Intendant de Lille , mourut le
31
NOVEMBRE. 1727. 2555
3t. Octobre agée de s . ans ,
Dame Marie - Anne de Feftar , veuve
de M. Claude Etienne Laubefpine , Comte
de Verderone , Sous - Lieutenant des
Gendarmes Dauphins , mourut le s . de
ce mois , âgée de 63. ans
Dame Michelle de Pomereu , Dame de
Balagni , veuve de M.Charles Bonaventure
Roffignol , Préfident en la Chambre des
Comptes , morte à Paris le 11 , de ce mois,
âgée d'environ 62. ans .
Le 16. Jacques de Lory , Maître des
Comtes , âgé de 54. ans .
François de Valbelle -Torvés , des Vicomtes
de Marſeille , Evêque de S. Omer,
Docteur de Sorbonne , Abbé de Notre-
Dame de Pontron en Anjou , cy- devant
Aumônier ordinaire du Roy , Maître de
fon Oratoire , mourut dans fon Diocèle
le 17. de ce mois , âgé de 64. ans.
Jacques- Jofeph Vipart , Marquis de
Silly , Chevalier des Ordres du Roy.
Confeiller d'Etat d'épée , & Lieutenant
General des Armées de S. M. mourut le
19. de ce mois en fon Château de Silly ,
âgé de 55 .
Dame Marguerite Ranchin , épouſe de
M. Adolphe - Charles de Romilly , Marquis
de la Chennelaye, Comte de Mauffon ,
Seigneur d'Anis - la - Chaife , Ardenes ,
&c. Meftre de Camp d'un Regiment d'In-
I ij fanterie
2560 MERCURE DE FRANCE.
fanterie , Brigadier des Armées du Roy,
Gouverneur de la Ville & Château de
Fougeres , mourut à Paris le 19. de ce
mois , âgée de 30. ans .
François de Briqueville , Marquis de
la Luzerne , Maréchal des Camps & Armées
du Roy , mourut à Paris le 23. âgé
d'environ 64. ans .
Le 27. Carloman- Philogene Brulart ;
Comte de Sillery , mourut à Paris âgé de
71. ans.
Le 19. Octobre , Dame Marie Voifin ,
époufe de Louis - Thomas du Bois de Fienne-
Olivier , Chevalier , Marquis de Leuville
, &c . Maréchal des Camps & Armées
du Roy , Grand-Baillif du Pays &
Duché de Touraine , Chevalier de Saint
Louis , accoucha d'un fils qui fut tenu
fur les Fonts , & nommé Louis-Jean par
M. Louis le Goux de la Berchere , Chevalier
, Comte de la Rochepot , &c. Confeiller
d'Etat ordinaire , Chancelier de
feu M. le Duc de Berry , & par Dame
Jeanne - Madeleine - Catherine de Cotignon
de Chauvry , époufe de M. Antoine
Pierre , Comte de Beüil - la - Roche , & c.
Lieutenant General des Armées du Roy
ARRESTS
NOVEMBRE. 1727. 256 %
မို တိုးတိုးတိုးတိုးး တိုး းးးးး
ARRESTS ,
DECLARATION,
SENTENCES DE POLICE , & c. ,
L
ETTRES PATENTES fur Arrêt , concernant
les Foy-Hommages , Aveus & Dénombremens
du Clergé. Données à Verſailles le 29 .
Juillet 1727. Regiftrées en la Chambre des
Comptes le 16. Octobre 1727.
+
LETTRES PATENTES fur Arrêt du 24.
Août , qui ordonne qu'à commencer du premier
Octobre 1726. plufieurs Paroiffes reffortiffantes
des Greniers des Provinces d'Anjou , Touraine
& Berry , reffortiront pour l'avenir dans d'autres
Greniers, des Provinces de Bourbonnois , Niver
nois & Gâtinois.
ARREST du 16. Septembre , qui caffe un
Arrêt de la Cour des Aydes de Paris , en ce qu'i
avoit ordonné que le Fermier des Aydes feroit
tenu de faire appofer un Tableau dans le Fauxbourg
de la Ceuille de la Ville de Poitiers , pour
avertir le Public que ledit Fauxbourg eft fujet aux
Droits d'Entrées.
**
Et ordonne que conformément à l'Article
XXXIX . du Titre commun de toutes les Fermes
, de l'Ordonnance du mois de Juiller 168 r.
le Fermier fera feulement tenu d'avoir fur les
Portes defdits Bureaux qui font aux entrées des
Villes , ou en autre lieu apparent proche lesdits
Bureaux , les Tableaux & Infcriptions , & audedans
defdits Bnreaux , les Tarifs des Droits .
ainfi qu'il eft preferit par ledit Article.
Iij LET
2162 MERCURE DE FRANCE.

LETTRES PATENTES fur Arrêt , qui ordone
que les Habitans des Paroifles privilegiées
du reffort des Greniers à Sel de Langres &Montfaugeon
, leveront leur Sel dans le courant du
premier mois de chaque Quartier , & qu'ils en
feront la diftribution dans la quinzaine fuivante.
Données à Fontainebleau le 24. Septembre 1727
SENTENCE DE POLICE du 26. Septembres
qui condamne ie nommé la Vallée en trente li
vres d'amende ,, pour avoir refufé la vifite de fon
Foin , & avoir infulté les Jurez Controlleurs de
ladite Marchandife,
AUTRE du même jour , qui enjoint aux Huiffiers
à Cheval d'accompagner les Commiffaires
dans les fonctions de Police , à peine de cent li
vres d'amende & d'interdiction ; & qui condamne
le nommé Charles Touchard , Huiffier à Cheval
en trente livres d'amende , & l'interdit jufqu'au
payement d'icelle.
ARREST du 30. Septembre , qui affujettie
des Droits de Marque fur les Fers , Aciers &
Quincailles , au payement des quatre fols pour
livre , foit que lesdites Marchandiſes foient fa
briquées dans les Forges du Royaume , ou qu'el
les foient amenées des Pays Etrangers.
Condamne Jean Ciron , Marchand en la Ville
de Metz , à payer à André- Eloi Megard , Sous-
Fermier defdits Droits de Marque , les quatre
fols pour livre des Droits fur les Fers , Aciers
Quincailles qu'il a fait entrer en ladite Ville
de Metz , depuis le premier Octobre 1726. de
quelque lieu que lesdites Marchandiſes foient
venues.
AUTRE du même jour , concernant l'Arrons
diffement
NOVEMBRE. 1727. 2563
diffement des Greniers à Sel , ordonné par l'Edit
du mois de Juin 1727. dans les Départemens,
de Tours , Angers , Bourges , & partie de celui
d'Orleans.
ARREST du 4. Octobre , portant Reglement
par rapport aux Penfions affignées fur les Oeco,
nomats & fur la Regie des biens des Religionnaires
fugitifs ou refractaires aux ordres de Sa
Majefté.
ARREST DU CONSEIL du 11. Octobre ,
qui ordonne la fuppreffion d'un Ecrit intitulé :
Les très-humbles Remontrances des Curez de la
Ville de Paris , qui ont prefenté un Memoire à
S: E. M. le Cardinal de Noailles , au fujet du
bruit qui s'eft répandu d'une prochaine accepta
tion de la Bulle Unigenitus , lequel a été fupprimé
par Arrêt du Confeil d'Etat du Roy , en datte
du 14. Juin de la prefente année 1727.
Le Roi étant informé qu'on répand depuis
quelques jours dans le public , un'Ecrit imprimé
fous le titre de Très - humbles Remontrances des
Curez de la Ville de Paris , qui ont prefenté un
Memoire à S. E. M. le Cardinal de Noailles , au
fujet du bruit qui s'est répandu d'une prochaine
acceptation de la Bulle Unigenitus , lequel a
été fupprimé par Arreft du Confeil d'Etat du
Roy , en datte du 14. Juin de la prefente année
1727. Et Sa Majelté ayant fait examiner cet
écrit dans fon Confeil , Elle a reconnu , que fi
dans la forme il porte tous les caracteres d'un
veritable libelle , puifqu'il eft imprimé fans nom
d'Auteur ni d'Imprimeur , fans Privilege ni Permiffion
, il merite encore plus ce nom par le
fond même de l'ouvrage , où fous prétexte de
juftifier un Memoire condamné & flétri par l'autorité
du Roy , on ofe s'élever de nouveau con-
I iiij
tra
2564 MERCURE DE FRANCE .
tre la Bulle Unigenitus, comme contre une Conf
titution qui donne atteinte au Dogme , & que
les Evêques n'ont pû recevoir fans manquer à'ce
qu'ils doivent ou à la Doctrine de l'Eglife , ou à
l'équité & à la bonne foy : Que par une fuite du
même efprit de revolte & d'indépendance , on a
la temerité de vouloir fonder dans cet ouvrage les
motifs des Prelats qui ont accepté cette Conftitue
tion , pour fe donner un prétexte de revoquer en
doute par une difcuffion fi dangereufe & fi contraire
à toute fubordination , l'autorité des décifions
les plus uniformes , & de leur refufer le
refpect & la foûmiffion qu'elles meritent : Qu'après
avoir ainfi méprifé la puiflance Ecclefiafti- ,
que , l'Auteur de ce Libelle ne reſpecte pas davantage
la Majefté Royale , à laquelle il contefte
le droit d'avoir pu faire une Loy de l'Etat de ce
qui étoit déja une Loi de l'Eglife ; comme fi le
Roy avoit excedé les bornes de fon pouvoir , en
ordonnant que cette Loy reçue par le Corps des
Pateurs unis à leur Chef feroit obfervée invio-
Jablement dans fes Etats : Qu'enfin outre
tant de motifs qui doivent exciter la jufte feverité
de Sa Majesté contre un tel Libelle , il bleffe
effentiellement les regles de l'ordre public , par
la liberté qu'on s'y donne de parler en general
au nom des Curez de Paris , qu'on fuppofe avoir
prefenté le Memoire fupprimé par l'Arreſt du
14. Juin ; comme fi ces Curez pouvoient former
un Corps dans le Royaume , qui fut en état de
faire des Remontrances au Roy & d'agir indépendamment
de leur Archevêque , dont ils ne
bleffent pas moins l'autorité , que celle du refte
de l'Eglife , en s'uniffant les uns aux autres fans
fon aveu , & en faifant une efpece de ligue, pour
protefter par des écrits publics qu'ils ne fe foûtmetront
jamais au jugement de leur Superieur
legitime , à moins qu'il ne fe livre entierement à

leur
NOVEMBRE. 1727. 2565
leur prevention . Que cette entrepriſe merite
d'autant plus d'être reprimée , qu'on ne craint
point de la renouveller , après qu'elle a été fojemnellement
condamnée par ledit Arrêt du 14.
Juin dernier , & qu'ainfi toutes fertes de raifons
concourent ici à exiger , que le Roy interpofe
fon autorité contre un Libelle qui n'a pour but
que d'entretenir & perpetuer une divifion , dont
la durée fait gemir tous ceux qui aiment fincererement
l'Eglife & l'Etat . A quoi étant neceflaire
de pourvoir , foit par la fuppreffion de cet ou
vrage , foit par la recherche & la punition de ceux
qui
feront convaincus d'en être les Auteurs , ou
de l'avoir diftribué dans le Public , SA MAJESTE*
ETANT EN SON CONSEIL , a ordonné & ordonne
que l'Ecrit qui a pour titre , Les très - humbles
Remontrances des Curez de Paris qui ont prefentez
à S. E. M. le Cardinal de Noailles , un
Memoire au fujet du bruit qui s'est répandu d'une
prochaine acceptation de la Bulle Unigenitus
,lequel a étéfupprimé par Arrêt du Confeit
d'Etat du Roy , en datte du 14. Juin dernier de
la prefente année 1727. fera & demeurera fupprimé
, comme injurieux à l'autorité de l'Eglife ,
& contraire aux Loix de l'Etat ; & que tous les
Exemplaires imprimez ou manufcrits qui en ont
été repandus dans le Public , feront inceffamment
rapportez au Greffe du Sr. Herault , Maître des
Requêtes & Lieutenant General de Police , pour
y être lacerez. Fait Sa Majefté très - expreffes inhibitions
& deffenfes à tous fes Sujets , de quelque
état ou condition qu'ils foient , d'en retenir
ni diftribuer aucun , à peine de punition exemplaire
contre ceux qui s'en trouveront ſaiſis , &c.
- ARREST du 4. Novembre , qui ordonne qu'à
l'avenir les Changeurs établis dans les Villes &
bicux où il n'y a point d'Hôtels de Monnoye , ferant
2566 MERCURE DE FRANCE.
ront tenus de recevoir au Marc toutes les ancien
nes Efpéces & Matieres d'Or & d'Argent qui
leur feront portées , & d'en payer la valeur entiere
, fans pouvoir retenir aucuns droits ni falaires.
Le 1o. de ce mois on publia une ancienne
Declaration du feu Roy donnée à Fontainebleau
le 30. Juillet 1666. contre les Jureurs & Blafphemateurs
du Saint Nom de Dieu , de la Vierge
& des Saints. Comme ces deffenfes ne ſçauroient
être trop fouvent renouvellées pour repri
merun crime fi déteſtable , nous avons crû de
voir rapporter la teneur de cette Déclaration par
laquelle il eft dit ce qui fuit :
Nous deffendons trés - expreffement à tous nos
Sujets , de quelque qualité & condition qu'ils
foient , de blafphemer , jurer & detefter le Saint
Nom de Dieu , ni proferer aucune parole contre
l'honneur de la très- Sacré Vierge fa mere & des
Saints : Voulons & Nous plaît ; que tous ceux
qui fe trouveront convaincus d'avoir juré, & blaſphemé
le Nom de Dieu & de fa très - fainte Mere
& des Saints , foient condamnez pour la premiere
fois en une amende pecuniaire , felon
leurs biens , grandeur & énormité du ferment
blafphemé , les deux tiers de l'amende applicables
aux Hôpitaux des lieux , & où il n'y en aura
pas à l'Eglife , & l'autre tiers au Dénonciateur :
fi
ceux qui auront été ainfi punis retombent à
faire lefdits fermens , feront pour la feconde ,
tierce & quatrième fois condamnez en une amende
double , triple & quadruple : & pour la cinquième
fois feront mis au carcan , aux jours de
Fêtes & Dimanches , ou autre , & y demeureront .
depuis huit heures du matin jufqu'à une heure
après - midi , fujets à toutes injures & opprobres ,
en outre condamnez en une groffe amende =
&
સે
&
NOVEMBRE. 1727 .
2567
& pour la fixième fois feront menez & conduits
au Pilory , & là auront la lévre de deffus coupée
d'un fer chaud . Et fi par obftination & mauvaiſe
coutume inveterée ils continuent , après toutes
ces peines , à proferer lefdits juremens & blaf
phêmes , Voulons & Ordonnons qu'ils ayent la
langue coupée toute juſte , afin qu'à l'avenir ils
ne puiffent plus proferer lefdits juremens & blafphêmes
; & en cas que ceux qui fe trouveront
convaincus n'ayent de quoi payer lesdites amendes
, ils tiendront prifon pendant un mois au
pain & à l'eau , ou plus long.tems , ainfi que les
Juges le trouveront plus à propos , felon la qualité
& énormité defdits blafphemes : & afin que
l'on puiffe avoir connoiffance de ceux qui retomberont
aufdits blafphêmes , fera fait Regiſtre
particulier de ceux qui auront été condamnés :
Voulons que tous ceux qui auront oui lefits
blafphêmes , ayent à les reveler aux Juges des
lieux dans 24 heures en fuivant , à peine de
foixante fols parifis d'amende , & plus grande s'il
y échoit. Déclarons néanmoins que nous n'entendons
comprendre les énormés blafphêmes ,
qui felon la Théologie appartiennent au genre
d'infidelité , & dérogent à la bonté & grandeur
de Dieu & les autres attributs : Voulons que lef
dits crimes foient punis de plus grandes peines
que celles que deffas , à l'arbitrage des juges ,
felon leur énormité.
SENTENCE DE POLICE du 14. Novem
bre , qui condamne à l'amende plufieurs Particuliers
, pour avoir contrevenu à l'Ordonnance
du 12. Septembre dernier concernant la Paille.
AUTRE du même jour , qui condamne le
nommé Lormier & fa femme en 25. livres d'amende
, pour avoir exercé le Courtage fur la
Marchandiſe de Foin.
2568 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE du même jour , qui condamne le
nommé Pajot dit Mitaux , Chartier , en quinze
livres d'amende , folidairement avec le nommé
Clement , fon Maître , pour avoir embaraffé la
voye publique de la Porte S. Michel , & pour
avoir injurié & defobéi aux Jurez de la Marchandife
de Foin dans leurs fonctions.
AUTRE du 21. qui condamne le nommé
Villeroy , Commis Préposé pour allumer les
Chandelles dans les Lanternes publiques , en
trente livres d'amende dans avoir manqué , pour
P'exercice de fadite Commiffion .
ORDONNANCE DE POLICE du 22. Novembre
, portant Reglement pour la Vente des
Porcs.
3
A VIS.
On donnera deux Volumes du Mercure
'de France le mois prochain , dont le fecond
fervira de Supplement aux Matieres
qui n'ont pu trouver place dans le cours
de la prefente année , & contiendra une
Table generale des principales Matieres .
AP
2569
J
'Ay
lû par ordre de Monfeigneur le Garde
des Sceaux le Mercure de France du mois
de Novembre, & j'ay crû qu'on pouvoit en permettre
l'impreffion. A Paris , le quatre Dé
cembre 1727.
HARDION.
TABLE.
Pleces fugitives , Envoy , Bouquet & Fa-
Voyage de Baffe Normandie , & Deſcription
du Mont S. Michel ,
Madrigal ,
Réponſe aux Triolets , & c,
Triolets ,
Difcours fur l'Imitation ,
Triolets ,
Autres Triolets ,
2367
2372
2395
2396
2399
2401
2415
2416
Extrait de Lettre au fujet de celle écrite de
Dreux ,
Epithalame ,
2418
2421
Defcription de la nouvelle Lanterne de la
Tour de Cordoüan , & , reprefentation en.
Eftampe ,.
Ode fur le Camp de la Saone ,
2424
2429
Autre Enfant remarquable par fon fçavoir ,
Vers fur la mort d'un Perroquet ,
Queſtion Notable jugée à Toulouſe ,
Triolets de Novembre ,
Enigmes ,
2435
2441
2445
2449
2456
Nou
2579
Nouvelles Litteraires , Hiftoire de Malthe ,
Extrait ,
2458
Hiftoire de la Comteffe de Gondez , augmen
2473
tée ,
Projet
d'un
Canal
en Bourgogne
, &c. 2479
.
Plantes
des
environs
de Paris
,
Nouvelle
Relation
de l'Afrique
Occidentale
,
2480
248
Plan general de la Forêt de Fontainebleau, & c .
2484
Rentrée des Académies ,
2487 Eftampes de Vattau , 249I
Eftampe de la Pefte de Marfeille , 24926
Nouveau Clavecin , fans Plumes , Languettes
, & c.
2495
Chanfon notée , 2498
2499
2507
Spectacles , les Amazones Modernes ,
L'Opera de Roland , & c.
Le Sincere à contre- temps , Comedie nouvelle
,
2598
Bal de l'Opera , Deſcription de la nouvelle
Sale , & c.
Nouvelle du Temps , de Ruffie ,
2512
2520
De Pologne , d'Allemagne , d'Efpagne , d'I
talie , & c . 2520
Sacre & Couronnement du Roy & de la Reine
d'Angleterre ,
Defcription du Feftin ,
Manifefte du Czar ,
Lettre du Czar au Duc d'Holftein ,
2533
2543
2546
2548
France , Nouvelle de la Cour , de Paris , & c.
2555
Benefices donneź , 2555
Avis ,
2557
Morts , Naiflance , 2558
Arrêts , Déclarations , Sentences . &c. 2564
2571
Fantes à corriger dans ce Livre .
Page
Age.2457, ligne 16. Homme ou femme
chacun , life , chacun , foit homme ou
femme , & c.
Page 2480 ligne 2. de Sône, lifez Lône .
Page 2508. ligne 12. reprefenteront . lifex ,
reprefenterent .
Page 2513. ligne 17. hors de vûë , lifez , hors
de la vue.
La Planche gravée de la Tour de Cordouan
doit regarder la page
L'Air noté doit regarder la page.
2429
2498
2572
LISTE DES LIBRAIRES
qui débitent le Mercure dans les
Provinces du Royaume , &c.
A Toulouſe , chez la veuve Tene.
Bordeaux , chez Raymond Labottiere , chez
Charles Labottiere l'aîné , vis- à- vis la Bourfe
, chez Etienne Labottiere , & chez Chapui
, fils , au Palais.
Nantes , chez Julien Maillard , & chez du
Verger.
Rennes , chez Vattar,
Blois , chez Maffon.
Tours , chez Gripon,
ibid, chez Maffon.
Rouen , chez Herault.
Idem , chez la veuve Vaultier.
Châlons-fur -Marne , chez Seneuze
Amiens , chez François , & chez Godard.
Arras , chez C. Duchamp.
Orleans , chez Rouzeaux.
Angefs , chez Fourreau ..
Chartres , chez Fetil , & chez J. Roux,
Dijon , chez la veuve Armil
Lille , chez Danel.
Verfailles , chez Pigeon.
Befançon , chez Charmet.
Saint Germain , chez Dore.
Lyon , à la Pofte.
Reims , chez Godard.
A Vitry -le- François , chez, Vitalis
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AV
ROY.
DECEMBRE .
1727.
PREMIER VOLUME.
QUA
COL
COLLIGIT
SPARGIT
A PARIS ,
rue
( LA VEUVE CAVELIER , au Palais
GUILLAUME CAVELIER ,
S.Jacques , au Lys d'Or.
Chez <
LA VEUVE PISSÓT, Quay de Conti ,
à la defcente du Pont Neuf , au coin
de la rue de Nevers , à la Croix d'Or.
M. D C C. XXVII.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
a crepte pasisle enjuillet( 729_ch fol:__
AVIS.
LA
ADRESSE generale pour toutes
chofes eft à M. MOREAU,
Commis au Mercure vis- à- vis la Comedie
Françoife , à Paris . Ceux qui pour leur
commodité voudront remettre leurs Paquets
cachetez aux Libraires qui vendent le
Mercure à Paris , peuvent fe fervir de
cette voye pour les faire tenir.
On prie très - inftamment , quand on
adreffe des Lettres ou Paquets par la Pofte,
d'avoir foin d'en affranchir le Port
comme cela s'eft toûjours pratiqué , afin
d'épargner , à nous le déplaifir de les
rebuter , & à ceux qui les envoyent ,
celui , non feulement de ne pas voir
paroître leurs Ouvrages , mais même de
les perdre , s'ils n'en ont pas gardé de
copie.
-
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les particuliers qui fonhaiteront
avoir le Mercure de France de
la premiere main , & plus promptement ;
n'auront qu'à donner leurs adreffes à M.
Moreau , qui aura foin de faire leurs paquets
fans perte de temps ,
& de les faire
porterfur l'heure à la Pofte , ou aux Meffageries
qu'on lui indiquera.
Le prix eft de 30. fols.
MERCURE
DE FRANCE ,
DEDIE AU ROY.
DECEMBRE . 1727.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
PIECES FUGITIVES ,
S
en Vers & en Profe.
IDILE ,
Sur le départ d'un Ami.
Ur ces riants Côteaux , où l'on
fçait que Bacchus
Répand abondanment fon déletable
jus ,
Tu faifois , cher Daphnis , depuis plus d'une
année
Le bonheur de ma deftinée ;
laourgogne.
I. vol.
A ij Une
2576 MERCURE DE FRANCE.
Une tendre amitié nous uniffoit tous deux ,
Nos maux étoient communs & nos plaifirs
de même ,
Tu le fçais , l'un de nous ne formoit point de
voeux ,
Que l'autre à les remplir n'eut une joye extrême.
La paifible union qui regnoit entre nous ,
Ignoroit ces tranfports , ces remords , ces dé
goûts ,
Enfans d'une ardeur criminelle ;
En vain , l'Amant près de fa Belle ;
Croit trouver des plaifirs plus doux ;
Il s'y trompe , fans ceffe inquiet , il s'agite ,
Il craint de n'être point aimé ,
Ou qu'un Rival aimable , en fecret ne profite
Du coeur qu'il avoit defarmé ;
Car tel eft l'enfant de Cytere ,
Que ce n'eſt point un miracle en Amour ,
De le voir d'une aîle legere ,
Courir le monde & changer de féjour.
Ami , de tanţ de maux nous n'avons rien à
craindre ,
Le traître changement & les foupçons jaloux
N'ofent pénétrer jufqu'à nous ;
3: vol
Le
DECEMBRE . 1727 2577
Le fordide interêt, adroit dans l'art de feindre
En eft également banni ;
Que ce bonheur eft doux , mais qu'il eft pen
durable !
Il va bien- tôt être fini.
Tu pars ... & je me livre au chagrin qui m'ace
cable ;
Je fçais que tu le dois , que l'unique devoir
Me ravit la douceur de voir
Ce que j'ai de plus cher au monde ,
Mais eft- il un remede à ma douleur profonde
Il s'éloigne de vous , délicieux Côteaux .
Où fous vos Pampres verds il venoit voir
Alcandre ,
Habitans de ce lieu ,Oifeaux, heureux Oiseaux,
Taifez-vous à vos chants quel plaifir puis- je
prendre ?
Et vous, Fontaine , & vous , groffiffez de mes
pleurs ;
Vous ne l'y verrez plus fur ces lits de verdure :
Plaignez-moi, plaignez vous , & que votre
murmure ,
En mille endroits divers apprenne mes dou
leurs.
* Maison de Campagne , à deux lieues de
Dijon.
1. vol.
A iij C'en
2578 MERCURE DE FRANCE .
C'en eft donc fait , tu pars
& moi je refte ,
tu pars ...
Je refte... feul ... ô Dieux ! mais du moins
fouviens - toi
Que tu n'auras jamais , Daphnis , je te protefte
,
Un ami plus fidele & plus tendre que moi.
Le Chevalier de Belleville.
akakakakakakakakakakakak kak
LETTRE écrite à M. de la R. fur la
Découverte faite à Autun au mois.
de Juin dernier. Par M.....
J
E ne fçai fi perfonne a fait autang.
d'attention que moi aux deux Lettres
de M. de Launoi , qui ont été publiées
dans les Mercures de Novembre & Decembre
de l'année 1723. Il eft vrai que
je me contentai alors de vous faire remarquer
qu'il y avoit à la fin de la premiere
un article qui demandoit d'être
rectifié , & que le furcroît de preuve que
l'on y établit du culte de Caffien de Marfeille
par un ancien Sacramentaire , confervé
dans l'Abbaye de Long- Pont , ne
me paroiffoit pas jufte. La raifon eft qu'il
eft vifible par les autres Saints qui font
joints à S. Caffien , nommé dans le Ca-
1. vol. non
DECEMBRE. 1727. 2579

non de ce Sacramentaire , que ce livre ,
vû & cité par le P. Martene , vient d'une
Eglife de Picardie. La fimple expofition
de ces quatre ou cinq noms confécutifs,
Quintini , Victorici , Caffiani , Remigii ,
Benedicti , eft plufque fuffifante pour
couvrir la verité . C'eft indubitablement
un Sacramentaire de l'Eglife de S. Quentin
en Vermandois , où ces trois Saints >
fçavoir , Quentin , Victoric & Caffien
étoient honorez d'une maniere fpeciale
dès le neuviéme fiecle . Ce fut en ce fiecle'
que Hugues , Abbé de S. Quentin , obtint
le Corps de S. Caffien , Evêque d'Autun ,
qui étoit encore dans fon Tombeau fur
la Montagne qui fait face à la Ville d'Autun
, vers le Nord- Eft. L'Acte de cette
Tranflation eft rapporté dans les Pieces
juftificatives de l'Hiftoire de la Ville de
S. Quentin par Hemere , page 27. Ily
a au même endroit , page 18. un Sermon
affez ancien fur l'inhumation des faints
Quentin , Victoric & Caffien , où toutes
les circonftances de la Vie de S. Caffien
d'Autun font rapportées . Et vous trouverez
encore à la page 5 4. comment l'an
1257. un jour de Dimanche , les Reliques
des trois mêmes Saints furent transferées
en prefence du Roy S. Louis , de
l'ancienne Eglife de S. Quentin dans la
nouvelle qu'on bâtiffoit alors. J'avois
r . vol.
A iiij donc ?
2580 MERCURE DE FRANCE.
donc , Monfieur , bien raifon de vous dire
en 1724. qu'il ne convenoit pas d'ôter à
Autun fon S. Caffien pour le donner à
Marfeille.Je crois pouvoir dire également
à prefent , qu'il ne convient pas non plus
d'ôter à Marſeille un autre Saint pour
le donner à Autun.
ap-
Si jamais la Ville de Marfeille a pû
poffeder le Corps d'un S. Lazare , rien
n'empêche de croire que c'eft plutôt de
Lazare , Archevêque d'Aix , au V. fiecle
qui a pû être canonifé autrefois épifcopalement
ou avec les mêmes formalitez
que Caffien de S. Victor , que celui du
Lazare de Bethanie. Mais ce qui m'empêche
de croire que ce Corps ait été
porté depuis à Autun , c'eft qu'on affure
à Autun , que ce fut Gerard , Evêque
de cette Ville au X. fiecle , qui l'apporta
de Marfeille , & qu'il lui avoit été donné
fous le nom de S. Lazare de Bethanie
reffufcité par J. C. fi cela étoit veritable ,
& qu'une telle Tradition eût paffé de
Marſeille à Autun dès le X. fiecle , Honorius
, Prêtre d'Autun , qui écrivoit au
XII . fiecle & qui étoit l'une des lumieres
de fon temps , n'auroit pas dit fimplement
, dans fon Sermon fur les Palmes
que ce fut dans l'Ile de Chypre que Lazare
de Bethanie fut trente ans Evêque
depuis fa refurrection. Il auroit bien plu- 1. vol.
τότ
DECEMBRE . 1727. 258x
tôt parlé de fon Epifcopat en Provence &
de la confervation de fon Corps à Autun.
Il est difficile d'accorder ce paffage d'un
Auteur celebre qui vivoit à Autun cent
cinquante ans après Gerard , avec toutes
les Traditions qu'on débite aujourd'hui.
Vous devez reconnoître , Monfieur, par
ce peu de mots , que je ne fuis pas du
fentiment de faire S. Lazare de Bethanie
l'Apôtre de Marſeille , & que je ne donne
pas plus d'autorité au prétendu Livre
de Marcelle , Secretaire de fainte Marthe
& de Syntice , qu'à la Peinture que M. de
Launoy dit être ou avoir été à S. Vincent
de Laon , où la Magdeleine eft réprefentée
dans une Chaire , préchant le Peuple
de Marſeille. Au refte , ce que j'ay à vous
dire pour répondre à vos demandes touchant
la découverte faite à Autun au mois
de Juin dernier , ne fait ni pour ni contre
la Tradition des Marfeillois. Je vous préviens
d'abord là - deffus , afin que vous ne
vous attendiez pas à une Differtation en
forme. Voici feulement les Remarques
que j'ai faites fur les procès verbaux qui
ont été rendus publics par l'impreffion ,
& qui dès là font expofez à la critique
des Sçavans .
Il m'a paru premierement qu'il eût été
3 propos que Meffieurs d'Autun euffent
marqué , page 8. de quel caractere eft
1. vol. A v Pinf2582
MERCURE DE FRANCE.
l'Infcription qu'ils ont trouvée fur le
plomb ; fçavoir , fi elle eft en Lettres Capitales
ou Minufcules . On ne fçait pourquoi
le nom de l'Evêque d'Autun eft en
petites lettres , de cette forte , hic ; tandis
que la lettre initiale du nom des au
tres eft en capitale.
2. Il faudroit auffi que cette Infcrip
tion ne fe trouvât pas autrement orthographiée
, page 19. où elle paroît corrigée
dans les mots Ebraicenfi & Abrincenfi.
3. Il feroit bon de s'affurer fi veritablement
il ya M. CXLVII. & non pas
M. CXLVI. La raifon eft qu'il paroît
par les Leçons des anciens Breviaires
d'Autun , entre autres par celui de l'an
1533. que la ceremonie de la découverte
du Corps de S. Lazare fe fit la même
année que le Roi Louis VII . vint à Vezelay
à Pâques , pour la publication de
la Croifade. Or ce fut certainement en
I
146. qu'il y vint. On ne peut pas
non -plus placer cette ceremonie dans une
des années immediatement fuivantes , parce
que la Tradition conftante eft qu'elle
fe fit le 20. Octobre , ce qui s'accorde
avec l'Infcription . En la fixant ainfi au
vingtiéme jour d'Octobre , & fuppofant
que la Découverte fe fit un jour chommé ,
comme c'étoit l'ordinaire pour ces fortes
1. vol.
de
DECEMBRE . 1727. 2583
de ceremonies , on fe voit obligé de revenir
encore à l'an 1146. parce que ce
fut cette année -là que le 20. Octobre
tomba un Dimanche , & non en 1147.
J'appelle cette Découverte du nom de
ceremonie , parce qu'il ne s'agit pas - là
d'une Découverte faite par hazard , &
qui ne feroit point méditée , il étoit queftion
de faire l'ouverture du lieu où les
Offemens du Saint étoient renfermez
c'eſt-à - dire , de lever les obftacles qui empêchoient
de les voir . On fçavoit bien qu'ils
repofoient en tel lieu , mais on vouloit
les montrer à découvert , & les mettre
en évidence , comme je le dirai cy- après
M. Robert , dans fon Gallia Chriftiana ,
eft tombé dans une double faute , en marquant
que cette ceremonie fe fit le Dimanche
après la Fête de fainte Luce , le 14 .
jour de Décembre 1148. non-feulement
parce que ce ne fut pas en 1148.ni au mois
de Décembre , ainſi qu'on l'a vû , mais
encore parce qu'en l'an 1148. le Dimanche
après la fainte Luce ne tomba pas au
14. Décembre , mais au 19. M. Saulnier
à redreffé dans ' fon Autun Chrétien
page 36. une partie de ces fautes , en
mettant que ce fut le Dimanche après la
S. Luc , au lieu d'après la fainte Luce.
Il eft cependant encore refté dans l'erreur
en s'attachant à l'an 1148. puifqu'en
I. vol. A vj cette
*
2584 MERCURE DE FRANCE:
cette année- là le 2 o . jour d'Octobre étoit
un Mercredy & non pas un Dimanche ;
enforte que fi la fupputation étoit bonne ,
ce ne feroit pas le 20. Octobre qu'on auroit
dû celebrer de tout temps l'anniverfaire
de cette ceremonie , mais le 24. Je
crois auffi que ceux-là ne rencontrent
pas plus jufte , qui font d'avis que le 20 .
Octobre eft confacré à la memoire de la
Tranflation du Corps de S.Lazare de l'Iſle
de Chypre à Conftantinople, que les Grecs
celebrent le 17.du même mois : c'est ce qui
a été crû par M. Foreftier , Chanoine d'Avalon
, dans fes Vies des Saints d'Autun ,
imprimées à Dijon en 1713. (a) Il n'eft
donc point queſtion ici d'une remife de
Tranflation du 17. au 20. il faut faire
fond fur une Fête veritablement diftinguée
de celle des Grecs , & fur une Relation
ou Oftention folemnelle & publique
d'un Corps qui avoit été tenu renfermé
pendant des fiecles entiers. Auffi
les Calendriers d'Autun l'appellent - ils
communément Revelatio beati LaZari ,
& non pas , Tranflatio . Je ne prétens pas
neanmoins qu'on fe foir contenté de faire
voir au Public les faintes Reliques .
J'accorderai que l'Evêque Humbert en fit
ce même jour la Tranflation de l'Eglife de
S. Nazaire en celle de S. Lazare . J'ay vû
(a) Panegyrique de S. Lazare , page 299.
1. vol.
in
DECEMBRE. 1727. 2585
an Martyrologe du treiziéme fiecle , qui
porté au 20. Octobre : Ipfo die , apud
Eduam Tranflatio corporis beati Lazari :
& cela me fuffit avec la Relation lue depuis
peu à Autun.
Cela pofé , la ceremonie ayant été plus
longue & plus folemnelle , elle a dû fe
faire le Dimanche, & par confequent plutôt
en 1146. qu'en 1147. & c'est ce qui
fortifie mon premier raifonnement. Mais
pour le rendre plus preffant, il faudroit fçavoir
fi veritablement les cinq Evêques
nommez dans l'Infcription étoient abfens
de leur Diocèfe au mois d'Octobre 1146 .
plutôt qu'en 1147. Il peut fe faire que
l'Infcription n'ait été gravée , à l'exterieur
de ce coffre de plomb , que plufieurs années
après la ceremonie , & qu'après ce
laps de temps on ne fe foit pas fouvenu
exactement de l'année , comme cela arrive
quelquefois au bout de vingt ou
trente ans.
4°. Je fuis perfuadé , Monfieur , que
vous penfez comme moi , que Meffieurs
d'Autun n'auroient pas dû fe contenter
de marquer dans leur fecond procès verbal
que la Relation de cette Tranflation
faite en 1147. d'une Eglife en une autre
par l'Evêque Humbert , a paru être en
forme probante & autentique ; mais qu'il
auroit fallu qu'ils l'euffent jointe à leurs
I. vol.
procès
2586 MERCURE DE FRANCE .
procès verbaux , afin que le Public pût
juger de cette autenticité. En attendant
qu'ils la produifent , voici ce que j'en
trouve dans leur Breviaire de l'an 1533 .
au mois d'Octobre . M. Saulnier , qui
femble donner , page 35. l'abregé de
cette Relation , n'a fait aucune mention
de ce que je vais rapporter ; & comme
il ne marque que trois Evêques étrangers
prefens à la ceremonie , & que l'Infcription
en marque cinq , vous voyez
qu'il n'eft pas indifferent de produire la
Relation .
Le Breviaire de 1533. attefte d'abord que
ce qu'il en rapporte eft tiré , Certificatis
fcriptorum depofitis . Il dit enfuite que dans
le temps que Louis , Roi de France , & le
Duc d'Aquitaine , formerent le deffein de
fe rendre à Vezelay le propre jour de Pâques
, pour s'y croifer contre les Infideles, -
Humbert , Evêque d'Autun , ayant pris
l'avis de fon Chapitre & de plufieurs perfonnes
de pieté , choifit un jour pour faire
une ouverture folemnelle de l'endroit
où étoit le Corps de S. Lazare , Dieu lui
infpirant de donner de fon vivant à fon
Clergé cette fatisfaction , que leurs Prédeceffeurs
avoient fonhaitée avec tant
d'ardeur ; mais que parmi ceux qui avoient
été admis à un confeil plus fecret , il s'étoit
élevé une grande diverfité de fenti-
1. vol.
mens ,
DECEMBRE. 1727. 2587
mens , ( a ) enforte que dans ce conflict
d'opinions les uns voulurent que les autres
fe rendiffent neceffairement à leurs
avis. Quelques- uns d'entre eux difoient
que le temps n'étoit pas encore venu de
remuer un fi précieux tréfor ; d'autres
prétendoient que le temps étoit arrivé ,
auquel il falloit faire ouverture des tréfors
des Eglifes , & les mettre en évidence
pour les faire voir à ceux qui avoient
le courage d'abandonner leurs parens &
leurs biens pour s'enroller dans la Croifade
.
Le Breviaire n'en dit pas davantage
par raport à la Découverte ou Oftention
qu'on méditoit de faire . Vous fçavez ,
Monfieur , que c'eft affez l'ordinaire dans
ces vieux Breviaires , de commencer une
Hiftoire , & de ne la pas achever. Mais
dans le peu que dit ce préambule , ne remarquez
-vous pas qu'il y avoit des Ecclefiaftiques
dans le Confeil fecret qui
pouvoient avoir de bonnes raifons pour
le défier de l'utilité de cette Oftention ?
L'apport des Reliques par l'Evêque Ge
rard , ne leur paroiffoit peut- être pas trop
certain , & peut - être auffi ne le débitoiton
pas encore. Quoiqu'il en foit , je vais
(a ) In ifa confultatione , inter eos qui fecretiùs
admifi fuerant , magnus Sententiarum
conflictus exortus fuit .
continuer
1. vol.
2588 MERCURE DE FRANCE .
continuer mes Remarques, dont il peut fe
faire que quelques -unes foient les mêmes
que portoient les Chanoines les plus clairvoyans
du Confeil de l'Evêque Humbert ,
à le détourner de faire cette ouverture .
Ce qui étoit à craindre en découvrant
le Cercueil de S. Lazare , étoit qu'on n'y
trouvât quelques-uns des mêmes Offemens
qu'on reprefente ailleurs fous le nom du
même S.Lazare de Bethanie . Il eft vrai que
l'ouverture qui vient d'être faite de la
caiffe de plomb , n'a point fait naître jufqu'à
prefent de difficultez là deffus ; mais
elle pouvoit en produire , lorfque la tête
n'avoit pas encore été enchaffée féparément.
Je ne fçai fi cette féparation fut
faite dès le XII . fiecle. On trouve dans
le Livre de M. Saulnier , page 43. que
le Chef d'argent , qui contient aujourd'hui
cette tête , n'a été donné que vers
l'an 132 0. par le Doyen Thibaud de Semur
, qui étoit Chancelier de Bourgogne ..
Ce pourroit bien être alors que l'Infcription
auroit été gravée à l'exterieur du
Cercueil de plomb. Il y a grande apparence
qu'avant l'Evêque Humbert , tout
ce qui portoit le nom de Reliques de
S. Lazare à Autun , étoit dans un même
endroit . Voici donc à quoi on s'expofoit
en mettant fi- tôt les Reliques en évidence
fous le nom de S. Lazare de Bethanie.
I. vol . On
DÉCEMBRE. 1727. 2589
On rifquoit de fe compromettre avec Marfeille
& avec Avallon , ou à ruiner la Tradition
qui fe formoit que le Corps confervé
à Autun venoit de Marſeille , de
même qu'on débitoit à Vezelai dans le
même Diocèfe , que le Corps de la Soeur
du Lazare qu'on y poffedoit, venoit d'Aix
en Provence. Je ne veux qu'expofer fimplement
un Extrait hiftorique de la Vie
de S. Lazare par M. Foreftier , pour vous
mettre au fait . L'Eglife dont j'ay l'honneur
d'être Chanoine , dit - il en parlant
d'Avallon , (a) avoit des Reliques de faint
Lazare dès la fin du X. fiecle qui lui furent
données par Henry I. Duc de Bourgogne
, qui mourut en 1001. ce qui lui
a fait ajoûter à fon ancien titre de Notre-
Dame, celui de S. Lazare. Elle en honore
la Tranflation le 30. Avril , & elle por
toit ce titre avec celui de la Vierge dès
le commencement du XII. fiecle , comme
on le lit dans les anciens titres de fes Archives.
L'Eglife de Marfeille poßede encore
fes Reliques , & toutes font de fon
Chef, car aucune de ces Eglifes ne le
poffede en entier. J'étois dans cette Ville
en 1691. le dernier jour de l'Octave de
ce Saint , où la Fête fe celebre le 31. d'Août.
Je ne pouvois manquer de m'y infarmer de
la partie du Chef qu'on y poffede , & l'on
(a) Page 300.
1. vol. m'afura
2590 MERCURE DE FRANCE .
m'affura qu'on ne l'y poffedoit pas en entier.
La Ville d'Autun en poffede la plus confiderable
partie . On en a ici le Crane , encore
pas entier. Marfeille jouit du refte , enfer
mé dans un Reliquaire d'argent qui reprefente
le Chef de ce Saint. Comparez ce
qui eft dit dans le fecond procès verbal
d'Autun avec ce que M. Foreftier dit ici
d'Avallon , & vous y remarquerez deux
fois le même Crâne . Ce procès verbal
dit qu'il ne manque au Chef d'Autun que
la mâchoire inferieure& plufieurs dents fuperieures,
qu'au refte il eft fain& ENTIER .
Ou il y a donc deux S. Lazares , ou l'une
des deux Reliques n'eft pas du S. Lazare
de Bethanie ; d'autres perfonnes plus hardies
que moi infereront de tout ceci que
M. Saulnier a peut- être mieux rencontré
qu'il ne penfoit , lorfqu'il a marqué , page
29. que c'eft le Corps de l'Evêque Gerard
qui eft inhumé derriere le grand Autel de
l'Eglife de S. Lazare , dans un Tombeau.
de marbre , par lequel la forme de cette
Eglife eft reprefentée.
Enfin j'ai remarqué par le certificat du
Medecin & du Chirurgien , qu'il manque
plufieurs Offemens principaux dans
la Caiffe de plomb de l'Eglife d'Autun
fçavoir , les deux Humerus , un des Foffiles
de l'un des bras , le Tibia & le Peroné
d'une des jambes : ce qui prouve ,
1 Vol.
DECEMBRE. 1727. 2591
ou qu'il y en a eu des diftributions, ou que
tout n'avoit pas été autrefois donné à
l'Eglife de S. Nazaire . Car de là maniere
dont eſt tournée l'atteftation , les fragmens
que le Medecin a vûs , ne peuvent
provenir que des Offemens plus petits qui
fe font caffez par la longueur du temps ,
tels que font les Phalanges & autres Offemens
de moindre confiftance.
Au refte , je ferois curieux de fçavoir
quelle penfée eft venue à l'efprit de differens
Lecteurs , verfez dans les matieres
d'Antiquité , lorfqu'ils ont vû la trouvaille
, paffez -moi ce terme , de deux
gans de peau & d'une bourfe de même
matiere. Je m'imagine bien que cela a
pû fervir au Saint , dont les Reliques
étoient au -deffous. Je n'en dis pas davantage
pour cette fois ; permettez - moi
de ne point vous développer encore mes
conjectures fur ce Saint qu'on appelle
Lazare à Autun depuis tant de fiecles ,
& vulgairement S. Ladre , ni fur le
auquel je crois qu'il a vécu. Je ne puis
me perfuader que la nouvelle vifite faite
à Autun , leve tous les juftes foupçons
que l'on a fur l'existence du Corps
de S. Lazare de l'Evangile en France . On
a feulement appris par là que dès le milieu
du XII. ficcle ou du temps de l'inf.
cription , on croyoit ce fait veritable:
I. vol.
temps
Mais
2592 MERCURE DE FRANCE.
Mais je doute qu'elle foit fuffifante pour
faire rétablir ce qui avoit été ajoûté auTexted'Ufuard
dans l'Exemplaire duMartyrologe
de l'Eglife d'Autun , & qui a été rayé
avec tant de raifon , depuis que M. de
Montagu , Chanoine d'Autun , eut dedié
à ce celebre Chapitre en 1641. la Differtation
de M. de Launoy : de Commentitio
Lazari & Maximini , Magdalena
Martha in Provinciam appulfu. Je
vais vous réprefenter en italique ce qui
refte dans cette annonce , & en parenthefes
ou crochets , ce qui fe trouve
rayé & rature. C'eſt au 17. Décembre :
Eodem die Natale Beati LAZARI
MARTYRIS quem Dominus J. C. ficus
in Evangelio legitur fufcitavit à mortuis
[ poftea verò à Domitiano interfectus eft .
Corpus verò ejus à Tito & Vefpafiano
apud urbem Maffilienfem adventum eft .
Deinde poft multa annorum curricula à
Gerardo Antiftite , permittente Deo , apud
urbem Eduam cum gratiarum actione iterùm
deductum eft . ] J'abandonne ce refte
qui eft encore lifible à vos reflexions .
Ĉeux qui avoient dirigé cette annonce
n'étoient pas d'avis que S. Lazare fût venu
de fon vivant à Marfeille : ceux qui l'ont
effacée ( & apparemment du confentement
du Chapitre ) ne croyoient pas
même qu'il y fût venu depuis la mort ,
1. vol.
ni
DECEMBRE. 1727.
2593
ni que de Marfeille l'Evêque Gerard l'eût
apporté à Autun . Je fuis , M. &c.
Ce premier Octobre 1727,
akakakakak aka Jk J J Jak sk
DERNIERES Stances de M. l'Abbé
de Villiers , fur fa vieilleffe.
Puifque dans l'une & l'autre PIECE ,
Où je me fuis déclaré VIEUX ,
On a cru voir de ma jeuneſſe
Un reste encore briller aux yeux ;
Il eft temps que fur ma Vieileffe,
Je prenne un ton plus férieux .
Dans ma quatre- vingtiéme année ,
Est- il donc trop tôt de penſer ,
Que ma mortelle deſtinée
Touche à ſon terme , & va ceffer
Et que ma derniere journée ,
Eft celle qui va commencer ?
Aurois- je dû , faiſant myftere ,
D'un fait trop für , für, trop attefté,
I. vol. Dé2594
MERCURE DE FRANCE .
Démentir , & mon caractere ,
Ami de la fincerité ,
Et l'autentique Baptiftaire
Ou mon premier jour eft daté à
A
Mais quoi donc, Philofophe fage
De toutfaux ennemi juré,
J'aurois affecté que mon âge
A tous venans fût déclaré ,
Et fur la Mort qu'il me préfage ,
Je ne ferois pas préparé ?

Il eft vrai , j'avoue à ma honte ,
Que tous ces grands , ces beaux diſcours
Le fardeau des ans que je compte,
L'aveu du danger que je cours ,
Contre l'écueil d'une mort prompte ,
Ne font qu'un frivole fecours.
Ce n'eft point par le verbiage
Que l'on fe prépare à la mort.
Que fert dans le fort de l'orage ,
* L'Auteur est né le 10. de Mai 1648.
1. vol. DS
DECEMBRE . 1727. 2595
De fe croire voifin du port ,
Si pour fe fauver du naufrage
On ne fait un nouvel effort.
M
Que fert de penfer & de dire
Que tout mortel meurt à fon tour ,
Si , tant qu'ici bas on refpire .
On s'y flatte d'un long ſéjour ;
S'il n'eft aucun jour qui n'inſpire
L'efperance d'un autre jour ?
M
J'ai beau dire que c'eſt folie ;
Moi même , helas ! quoique certain ,
Quoiqu'en profe , en vers , je publie ,
Que mon dernier jour eft prochain ;
Aujourd'hui que je fuis en vie ,
J'efpere encor vivre demain ,

Toujours foible ( quoique je dife )
Toujours voulant , ne voulant pas ,
De la vertu que j'ai promiſe ,
Me démentant à chaque pas
I. vol.
2596 MERCURE DE FRANCE.
Et du monde que je méprife ,
Toujours fenfible aux faux appas.
GRAND DIEU, qui connois ma foible
Répands ta GRACE , & que toujours
La liberté qu'elle me laiſſe ,
Signale , augmente le fecours ;
Qui feul peut aider ma Vieilleffe ,
Et rendre heureux mes derniers jours .

De cette liberté rebelle ,
Efface de ton fouvenir
La route fouvent criminelle ,
Qu'aveugle elle m'a fait tenir ,
Et dont ta Bonté paternelle
A differé de me punir.
SEIGNEUR , acheve ton Ouvrage ,
Et par un fecours tout- puiffant ,"
Empêche que d'un vain langage ,
Ma foibleffe fe repaiffant ,
N'étouffe au déclin de mon âge ,
Un fruit qui n'eft que commençant
1. vel.
D'illufion
DECEMBRE. 1727. 2597.
D'illufion folle & groffiere ,
Sans avoir lieu de les traiter ,
Comme humble & fervente Priere ;
Daigne , SEIGNEUR , daigne écouter
Les Vers qu'au bout de ma carriere ,
Mon trifte coeur me fait chanter.
'C'eſt lui , c'eſt mon coeur qui ſoupire ,`
Qui s'éleve à Toi par fes cris ,
Qui gémit encor fous l'empire
D'un corps , où fans Torje péris ;
C'eſt à lui que tá GRACE inſpire ,
Et dicte les Vers que j'écris.
Puifqu'en Tor feul je me confie ,
Change en Amour furnaturel ,
En Amour qui me juſtifie ,
Ce que mon coeur a de charpel.
Et fais , m'ôtant bien- tôt la vie ,
Que cet Amour foit éternel.
M
De toute diſpute inutile ,
1. vol. B Jufqu'à
2598 MERCURE DE FRANCE,
Jufqu'à la mort préferve- moi ,
Sans raffiner fur l'Evangile ,
Que j'en faffe ma feule Loi;
Et de l'EGLISE enfant docile ,
Je vive & meure dans fa For.
J
9
MEMOIRE fur la Ville d'Alep
avec une Defcription de la grande
Caravane qui part de cette Ville
la Mecque,
pour
A Ville d'Alep n'eſt pas , à beaucoup
LAprès , fi riche en anciens & beaux
Monumens que la Ville de Damas : mais
par compenſation elle la furpaffe en grandeur
, en commerce , & par confequent
en richeffes. Ce font ces avantages qui
la rendent une des plus celebres Villes de
l'Empire des Turcs. On lui a donné anciennement
differens noms.
La Ville peut avoir trois milles de cir
cuit ou environ, Sa figure eft ovale , fes
murs & fes Tours ne paroiffent pas fort
en état de la bien défendre contre fes
ennemis. On y entre par plufieurs Portes.
On en compte jufqu'à dix , dont quelques-
unes font très- belles. Sous une de
8. vol. себ
DECEMBRE. 1727: 2599
ces Portes il y a une Caverne continuellement
éclairée de lampes allumées , en
l'honneur du Prophete Elifée , qui prit ,
dit-on , pendant quelque temps cette Ca
verne pour le lieu de la retraite.
Les Maiſons de la Ville n'ont rien de
remarquable au dehors, mais ceux qui ont
le moyen de les orner , les enrichiffent
en dedans par des peintures, des dorures ,
& des marbres.
La plus belle de toutes les Mofquées ,
étoit autrefois une Eglife , qu'on croit
avoir été bâtie par fainte Helene . C'eſt
ainsi que Dieu , pour punir le déreglement
des moeurs des mauvais Chrétiens ,
a permis que des Royaumes entiers ayent
perdu la foy , & foient tombez dans des
fchifmes & des herefies , dont les Auteurs
ont été auffi corrompus qu'eux .
Quoique la Religion Mahometane foit
la dominante à Alep , il ne laiffe pas d'y
avoir un grand nombre de Catholiques.
Le commerce qui s'y fait de toutes fortes
de Marchandifes qu'on y apporte de
Perfe & des Indes , rend la Ville trèspeuplée.
Mais on remarque que ce commerce
qui étoit autrefois très- grand , eft
un peu diminué , depuis que nos Négocians
ont trouvé plus à propos d'aller par
Mer aux Indes . Ils preferent volontiers
cette Navigation à celle qui fe fait par
J vola Bij l'Eu
1600 MERCURE DE FRANCE.
' Euphrate & le Tigre , parce que cellecy
eft interrompuë par quantité de Mou-
Lins qu'on a conftruits depuis quelque
temps fur l'Euphrate , & parce que le
Tigre n'eft navigable que depuis Bagdat
jufqu'à Baffora.
Mais fi la Ville d'Alep perd quelque
chofe de fon commerce par ce change
ment , elle en eft dédommagée par les
fréquentes & nombreuſes Caravanes qui
fe rendent à Alep pour paffer d'une Ville
à l'autre.
Ces Caravanes font compofées d'un
grand nombre de Voyageurs de toutes
Nations , & prefque tous Négocians. Ils
conduifent eux-mêmes leurs Chameaux
chargez de Marchandifes .
On croit voir un corps d'armée rangé
en bataille , lorfqu'on apperçoit de loin
ces Caravanės.
Elles ont un Chef qui la conduit , &
qui la gouverne . 11 regle les heures des
marches , des repas & du repos. Il eſt
mêmeJuge de toutes les conteftations qui
paiffent entre les Voyageurs.
Ces Caravanes ont leur commodité &
feur incommodité.C'est d'abord une grande
commodité pour les Voyageurs , de
trouver , fans fortir de la Caravane , &
fans embarras , tout ce qui peut leur être
acceffaire pour leur fubfiftance & pour les
&, vel.
autres
DECEMBRE 1727. 2601
autres befoins qui furviennent pendant
un long voyage . Chaque Caravane a
fes Vivandiers , qui portent toutes fortes
de provifions, & qui font toûjours prêts à
yous les vendre ."
Mais la plus importante commodité
pour les Négocians qui ont avec eux leurs
richeffes , c'eft de marcher en fureté contre
les Arabes , voleurs de profeffion , qui
ne vivent que de tout ce qu'ils peuvent
enlever aux Voyageurs. C'eft pour n'en
être pas furpris que le Chef de la Ca
ravane fait faire jour & nuit la garde
par fes gens ; mais nonobftant leur
vigilance , il n'arrive que trop fouvent
que ces ennemis des Voyageurs , inftruits
de la marche & des forces d'une Caravane
, fe tiennent en embuscade , & à la faveur
de la nuit ils trouvent le moyen de
faire leur butin . Leur coup fait , ils fuyent
à travers les bois , dont eux feuls fçavent
·les routes.
Pour ce qui eft de l'incommodité des
Caravanes , la plus grande de toutes &
la moins évitable , c'eft que dans ce grand
nombre d'hommes , de femmes , d'enfans ,
de valets & d'animaux , qui font pêle
mêle , il n'eft pas poffible de pouvoir
prendre un inftant de fommeil . Le jour
a fa fatigue , les nuits ont le bruit & les
elameurs qui troublent le repos , dont on
atrès grand befoin. Biij Mal
1602 MERCURE DE FRANCE.
Cependant malgré les incommoditez
des Caravanes , il eft plus avantageux de
voyager avec elles que de voyager feul.
La plus celebre des Caravanes eft celle
qui part tous les ans de Damas ou d'Alep
, pour aller à la Mecque. Cette Caravane
part ordinairement dans le mois
de Juillet. Vers ce temps- là on voit ar
river chaque jour à Alep des Pelerins de
Perfe , du Mogol , de la Tartarie , & c.
Quelques jours avant le départ de la
Caravane , les Pelerins font une Proceffion
generale , qu'on appelle la Proceffion
de Mahomet , pour obtenir , difent,
ils , par l'interceffion de leur Prophete
un heureux voyage.
Le jour de cette Proceffion , les Pelerins
les plus diftinguez par leur naiffance
ou par leurs richeffes , s'efforcent
de paroître revêtus de leurs plus beaux
habits . Ils font montez fur des chevaux
richement caparaçonnez , & fuivis de
leurs Efclaves qui conduifent des chevaux
de main & des Chameaux avec tous
leurs ornemens.
La Proceffion commence au lever du
Soleil les rues font déja pleines alors
d'un nombre infini de Spectateurs.
;
Les Pelerins qui fe difent iffus de la
race de Mahomet , ouvrent la marche.
Ils font vêtus à la longue , le Turban
I. vol. vert
DECEMBRE. 1727 2603
vert en tête , privilege accordé aux feuls
prétendus parens du Prophete. Ils marchent
de front , quatre à quatre : ils font
fuivis de plufieurs Joueurs de divers Inftrumens
. Après eux marchent en differens
rangs , des Chameaux , parez de leurs aigrettes
& de leurs plumes de toutes couleurs.
Deux Timbaliers font à leur tête ; le
bruit des Timbales, des Trompettes & d'un
grand nombre de Sonnettes , infpire de
la fierté à ces animaux .
Marchent enfuite à cheval & fix à fix¸
les autres Pelerins de la Caravane , fuivis
des Litieres remplies des enfans que
les peres & meres doivent prefenter au
Prophete. Ces Litieres font environnées
de troupes de Chanteurs , qui font en
chantant , mille poftures extraordinaires ,
pour donner à croire qu'ils font des hommes
infpirez .
Suivent de près 200. Cavaliers vétus
de peaux d'Ours. Ils précedent de pe
tites pieces de Canon , montées fur leurs
affuts. On en fait des décharges d'heure
en heure. L'air retentit en même temps
de cris de joye de tout le peuple.
Ces Canons font eſcortez d'une Compagnie
de Cavaliers , couverts de peaux
de Tigres , en forme de cuiraffe . Leur
longue mouftache , leur Bonnet à la Tartare
, leur grand Sabre pendu à leur côté,
I. vol. B iiij leur
2604 MERCURE DE FRANCE .
leur donnent un air belliqueux .
400. Soldats à pied , vétus de vert
& portant fur leur tête une espece de
Mitre jaune , precedent la marche du
Mufti.
Le Mufti , accompagné des Docteurs
de la Loy & d'une nombreufe troupe de
Chantres , marche devant l'Etendart de
Mahomet , qui le fuit. Cet Etendart eft
fait de Satin vert , brodé d'or. Il a pour
fa garde 12. Cavaliers revêtus de leur.
Cotte- d'Armes , portant en main des
Maffes d'argent , accompagnez de Trom
pettes & d'hommes qui frappent continuellement
& en cadence fur des plaques
d'argent .
Paroît enfuite le Pavillon qui doit être
preſenté au Tombeau de Mahomet . Il eſt
porté par trois Chameaux couverts de
plumes vertes & de plaques d'argent .
Le Pavillon eft de velours à fond rouge
cramoifi , enrichi de broderie d'or & de
pierreries de toutes couleurs .
Des Danfeurs à gage danfent & contrefont
des hommes illuminez & extraor
dinaires.
Enfin le Pacha de Jerufalem , précedé
de Tambours , de Trompettes & d'autres
Inftrumens Turcs , ferme la marche de
la Proceffion .
La Proceffion finie , chaque Pelerin ne
fonge plus qu'à fon départ.
Nous
DECEMBRE. 1727. 2605
Nous dirons à l'occafion de la Caravane
de la Mecque , que le Roi des Tartares
Youfbegs , paffa il y a quelques
années par Alep , pour aller au Tombeau
du Prophete , dans l'intention d'y mener
une vie privée.
Ce Prince avoit eu le malheur de vois
fes Sujets fe révolter contre lui , & fon
fils à leur tête , qui entreprenoit de détrôner
fon pere & fe rendre Maître du
Royaume.
Ce fils avoit eu l'inhumanité de faire
crever les yeux de fon pere , pour lui
faire perdre toute efperance de remonter
fur fon Trône.
Ce Prince infortuné étoit à cheval &
marchoit les yeux bandez . Il étoit con
duit par so . Gardes , armez de Carquois
& de fleches. Ce trifte fpectacle tiroit les
larmes des yeux de tous ceux qui le virent.
On a appris depuis que Dieu avoit vangé
ce malheureux pere , & puni fon fils
dénaturé. Ce fils mourut miferablement ,
& fes Sujets recoururent à leur legitime
Roy. Ils le rétablirent fur fon Trône &
Jui obéirent avec plus de foumiffion que
jamais.
Les Toufbegs font des Tartares võifins
des Perfans. Ils font gouvernez par quatre
Rois differens & indépendans les uns des
autres ; le plus puiffant eft le Roy de Balk,
BV le
..I. vol.
2606 MERCURE DE FRANCE.
le fecond de Karifne , autrement Durgents
; le troifiéme , de Chakar , & le
quatrième , de Kytar.
L'habillement des Youfogs eft le même
que celui des Mogols . Ils ne fe fervent
que de fleches & de dards. Ils les lancent
avec une adreffe furprenante ; leur
naturel eft doux & humain . Ils aiment
& traitent très- bien les Etrangers de quelque
Religion qu'ils foient. Leur Pays eft
bon & abondant dans tout ce qui peut
fervir à la nourriture & à la commodité
de fes Habitans. Ils commercent avec les
Perfans & les autres Tartares leurs voifins
; & même avec les Chinois , quoiqu'ils
en foient très - éloignez . On trouve
dans leur Pays des Rubis , du Lapis , des
Emeraudes , du Coton , de la Laine , du
Lin , de la Soye , des Toiles, & des Etoffes
très-belles. On dit même qu'ils ont des
Rivieres qui leur donnent de l'or.
Pour ce qui eft de leur Religion , il eſt
affez croyable que leurs Ancêtres faifoient
profeffion de la Foi Catoholique.'
Hs ont des qualitez qui les difpofent à
la pratique des vertus Chrétiennes ; mais
par le commerce qu'ils ont continuellement
avec les Mahometans , ils font devenus
fufceptibles des moeurs de ceux- cy
& ont enfin reçû leur Loy.
J. vol.
لو
REDECEMBRE
. 1727. 2611
EPITRE
SUR LA CONSCIENCE,
AM. Chevalier , Maître de Mathimatiques
du Roy.
Chevalier, Hevalier , dont l'ame éclairée
Du flambeau de la verité ,
D'une confcience épurée ,
Compoſes ta felicité ;
Toi qui cherches à te connoître ,
Et qui fais de puiſſants efforts ,
Non pas pour vaincre les remords ,
Mais ce qui peut les faire naître :
Que tu plains cet homme pécheur à
Qui d'une oreille ſophiſtique ,
Ecoute cette voix critique ,
Qui s'éleve au fond de fon coeur.
Il paroît calme dans le crime :
Mais contre lui - même irrité
Il eft fans ceffe la victime
De fa fauffe fécurité.
D'une Synderèſe indomptée
1. vol.
2012 MERCURE DE FRANCE
It eft tourmenté nuit & jour ,
Ainfi cet immortel Vautour ,
Ronge le coeur de Promethét .
Soumis par une auftere Loy ,
Aux decrets de fa conſcience ,
L'homme coupable porte en foi
Le châtiment de fon offenfe.
Il faut qu'il fubiffe foudain ,
Cette fentence veridique ,
Que rend un Juge Domestique ,
Qui tient feance dans fon fein.
Chacun ici dans fa conduite ,
Reffortit à ce Tribunal :
Il n'eft à l'homme aucun canal ,
Four échaper à fa pourſuite,
Qu'il habite un riche Palais ,
Qu'aux honneurs dont la Cour décide ,
Il s'éleve d'un vol rapide ,
Et qu'il foit affis fous le Dais ;
Qu'aucun Rival ne l'importune
Que d'un Peuple de Courtiſans ,
Autour de lui fume l'Encens ;
Et que captivant la fortune ,
1. vol.
Avec
DECEMBRE . 1727. 2613
Avec ce Roy des Lydiens ,
Il puiffe difputer de biens :
Si le defordre & la licence ,
Ont de fon fein tumultueux ,
Banni la paix & l'innocence
Partage d'un coeur vertueux ,
2
Des remords fubits , tyranniques ;
Nez de fes coupables defirs ,
Et Cenfeurs de fes moeurs iniques?
Empoisonnent tous fes plaifirs.
C'est que la vertu für notre ame ;
A toûjours d'invincibles droits ,
Et qu'en tous lieux elle reclame
Contre les mépris de fes Loix.
Afes traits qu'en nous elle imprime ,
Nul ne peut être indifferent ,
Le defaveu forcé du crime
Eft un hommage qu'on lui rend!
C'est elle qui dans le Tenare
Arme ces Spectres odieux ,
Ces Soeurs , dont la Troupe barbare ;
Déchire les coeurs vicieux.
Chacune à les punir s'apprête.
I. vol.
2614 MERCURE DE FRANCE.
Où fuir? Quels horribles Serpents ,
De feux , de venin degoutants
Sifflent fur leur hideufes têtes !
Vertu , de qui t'ofe outrager ,
Ainfi donc tu fçais te vanger.
Mais quelle douceur ineffable !
Quel espoir quel repos aimable !
Ne verfes - tu pas dans les coeurs ,
Dont les attraits furent vainqueurs .
Qui vit fous ton obéiſſance ,
Moiffonne des plaifirs parfaits.
Les mettre au prix de l'innocence
Eft-ce trop payer tes bienfaits ?
Chevalier , tu jouis fans ceffe ,
De fon inmortelle Onction ;
Ton coeur qu'aucun trouble ne preffe ,
Goûte en paix fa poffeffion .
Heureux qui , comme toi ne penfe
Qu'à ravir le fouverain bien ,
Et qui fait fervir la fcience
A devenir homme de bien.
1. vol. kon.ZEX.
DÉCEMBRE. 1727. 2615
XXXXXXXXXXXXXX**
EXTRAIT du Memoire lû à l'Affemblée
publique de l'Academie Royale des
Sciences le 12. Novembre 1727. fur
un Sel de Glauber naturel.
Mi
R. Boulduc le fils lut un Difcours
intitulé : Examen d'un Sel tiré de la
terre en Dauphiné , par lequel on prouve,
que c'eft un Sel de Glauber naturel.
Il y a autour de Grenoble des Endroits
où l'on trouve differentes Matieres Minerales
& Mines Métalliques , pour la
recherche defquelles on a coupé la terre
en differens temps , & on y a pratiqué
des creux ou puits , dont quelques -uns
reftent encore ouverts & font d'un facile
accès.
y
Quelques Ouvriers ou Mineurs s'aviferent
de travailler de nouveau dans un
de ces creux , & lóin de trouver ce qu'ils
cherchoient , ils découvrirent une terre
chargée de petits brillans , que quelquesuns
d'entre eux reconnurent être Salins.
Ils crurent avoir découvert un magafin
de Salpêtre , quand , après avoir fait une
forte leffive de leur terre , ils
ils apperçurent
au bout de quelque temps des Cryftaux de
Sel longuets , qui avoient , felon eux , de
7 I. vol. la
1616 MERCURE DE FRANCE.
la reffemblance avec ceux du Salpêtre ,
mais qui , contre leur attente , ne fufoient
Lur les charbons ardents .
M. de Reffons fit part de ce Sel à
l'Academie , pour fçavoir à quel genre il
pourroit être rapporté , & quel ufage on
pourroit en faire . M. Boulduc s'eſt occupé
à l'examiner & a communiqué le
réfultat de fon travail & de fes reflexions
par un Memoire , dont nous ne rappor
terons ici que le précis .
Ce Sel , tel qu'on l'envoye du Day
phiné , eft en partie une maffe indiſtincte ,
blanche , opaque , affez ferme ; & en
partie un tas de petits cryftaux tranfparents
& brillants , fans configuration uni;
forme & reguliere.
Cette confufion & irrégularité , dit
M.Boulduc , font l'effet d'une évaporation
& cryftaliſation trop précipitées , que les
Ouvriers mieux inftruits éviteroient facilement.
Il a de nouveau diffout une bonne
quantité de ce Sel , pris indifferemment;
& l'ayant laiffé cryftalifer lentement , il
a vû , que les derniers cryftaux auffi -bien
que les premiers fe font formez en colomnes
allongées & quarrées , dont les extremitez
étoient taillées à facettes , lesquelles
répondent en nombre aux côtés des colomnes ;
avec cette difference, que les derniers cryf-
1 vol. taux
DECEMBRE 1727 2617
taux étoient plus grêles & d'un bien
moindre volume que les premiers ; ce qui
eft un accident ordinaire aux Sels moyens.
Dans quelque état , qu'on prenne notre
Sel , continue M. Boulduc , il fe diffout
aifément dans environ un poids égal d'eau
communes il est très -friable ; il ternit par
la chaleur , & même avec le temps à l'air,
& le couvre comme d'une folle farine';
fur un charbon ardent il fond promtement
fans fufer & fans s'enflammer comme le
Salpetre ; il fe bourfouffle feulement par
fon eau , que la chaleur fait évader , &
Je convertit en une chaux faline ; & enfin
ce Sel étant goûté imprime d'abord à la
langue une amertume fenfible , qui eft
bien-tôt après fuivie de fraîcheur.
Ces marques & qualite , quoique feulement
exterieures , rendent déja le Sel
du Dauphiné femblable à celui de Glauber
, auquel elles font propres , & le diftinguent
de tout autre.
Mais en Chimie on demande quelque
chofe de plus ; on veut connoître les
principes , dont les Sels , qu'on examine ,
font combinez .
Nous fçavons, que dans le Sel de Glauber
l'AcideVitriolique fixe eft uni à la terre
du Sel commun , laquelle toute feule & à
l'exclufion de toute autre fubftance conpuë
jufqu'ici , peut former avec cet Acide
&. voba

чева ME
#618 MERCURE DE FRANCE.
un pareil Sel ; il faut donc encore prouver
ces deux Principes dans le Sel du Dauphiné,
Pour cet effet , M. Boulduc a choifi
cette fois -cy deux operations prémeditées.
19. Il a verfé deux onces de Sel du Dauphiné
, diffout dans l'eau , fur une once de
vif- argent diffout dans l'efprit de Nitre ;
fur le champ l'Acide Vitriolique contenu
dans notre Sel , après avoir abandonné
fa terre à l'efprit de Nitre , s'eft uni avec
le vif- argent, & eft tombé avec lui en une
Poudrejaune , femblable en tout au Turbith
Mineral , que l'on fait par l'huile
de Vitriol & le Mercure. 2 °. Il a mêlé
cette Poudre jaune bien feche avec du
Şel Marin , également fec , & a pouffé ce
mêlange au feu . Alors l'Acide du Sel
Marin s'eft élevé avec le Mercure au
haut du Vaiffeau en Sublimé Mercuriel ;
& l'Acide Vitriolique , contenu dans la
Poudre jaune , ayant retrouvé dans le Sel
Marin une terre femblable à celle qu'il
avoit abandonnée à l'efprit de Nitre , s'y
eft rejoint & a refté lié avec elle au fond
comme une Poudre blanchâtre & faline;
laquelle diffoute dans l'eau a regeneré ou
reproduit un Sel parfaitement femblable
à celui qu'il avoit d'abord employé à précipiter
le Mercure en Turbith , ayant la
même configuration , les mêmes proprie.
les mêmes principes ; en un mot ,
1. vol₂ 1
DECEMBRE . 1727. 2619
le veritable caractere du Sel de Glauber,
De là , après avoir rendu raifon des
Phénomenes qui fe manifeſtent dans ces
deux opérations , M. Boulduc conclud
que le Sel du Dauphiné a les mêmes principes
de compofition que celui de Glaue
ber , & qu'ainfi il est encore par là luimême
un vrai fel de Glauber.
Il l'appelle naturel , parce que l'Art no
concourt en rien pour fa compofition :
la Nature l'a travaillé elle -même dans la
terré , dont on ne fait que le féparer pas
le moyen de l'eau.
Après cela M.Boulduc fait voir , en obfervant
l'ordre des temps , que quoiqu'on
n'eût pas penfé,quand Glauber publia fon
Sel environ vers le milieu du fiecle paffé
qu'il y eût fon pareil dans le fein de la terre
ou dans la Nature , plufieurs perfonnes
en ont pourtant rencontré en differens
Pays .
M. Lifter , tirant de quelques Eaux
Minerales d'Angleterre un , Sel qui lui
étoit inconnu , le nomma dans fon Livre.
imprimé en 1682. Nitrum Calcarium .
Mais ce prétendu Nitre eft au fond un
vrai Sel de Glauber , verifié par la figure
que cet Auteur en donne lui- même &
par quelques effets, qu'il en rapporte .
M. Grevv , fit connoître en 1696. le
Sel d'Epfom tant répandu prefentement
I, vol.
dans
2620 MERGURE DE FRANCE:
toute l'Europe . M.Boulduc prétend, qu'il
contient du Sel de Glauber; foit que le
Sel d'Epfomvienne de la Source Minerale
de cet endroit ; foit , comme l'affure
M. Slare , Membre de la Societé Royale
de Londres , qu'on le tire depuis quel
ques années d'une Mine de Sel Fofil.
M. Stahl , ayant reconnu au vrai le Sel
de Glauber dans les Acidules ou Eaux
Minerales Ferrugineufes , ne balança pas
de le mettre au nombre des Sels Minéraux
, qui font ceux , que la terre fournit ;
dans fon Specimen Beccherianum de 1703 .
& enfuite dans fon Traité des Sels.
M. Hoffmann , à Halle , a découvert
une Source d'Eau Minerale bien amere
purgative , dont la livre donne deux
gros de Sel pareil aux précedents . C'eſt
dans fes Obfervations Phyfiques & Chimiques
de 1722. (
Il y a trois ans , que M. Boulduc a fait
reconnoître le Sel Cathartique , qu'on
trouve auprès de Madrid , pour un vrai
Sel de Glauber , comme il a verifié aujourd'hui
, que celui du Dauphiné en eft
un pareillement.
Il penfe outre cela , qu'il y a une plus
grande abondance de Sel de Glauber dans
la terre , qu'on ne l'a pû préfumer jufques
ici , parce que la Nature trouvant ,
pour ainfi -dire , fous les mains des Ma
J. vol. tieres
DECEMBRE. 1727. 2621
sieres Vitrioliques , Sulphureufes ou Alumineufes
, avec le Sel Marin , ou du moins
avec la terre , en peut auffi-bien former
que l'Art en forme par ces mêmes Matieres.
-
&
Il ajoûte que fi ce Sel eft détrempé &
diffout par des Eaux fouterraines qui
viennent à fourdre,il s'écoulera avec elles ,
tantôt feul , & produira des Eaux ameres
, comme celles de M. Hoffman ,
comme peut être étoient celles dont
Galien a déja fait mention ; tantôt mêlé avec
d'autres Matieres , comme il fe trouve en
ce Pays dans les nouvelles Eaux Minerales
de Paffy : Que fi au contraire le diffolvant
general des Sels lui manque , il
refte comme arrêté & fupprimé dans la
terre , dont on le retire quand on a l'avantage
de le reconnoître , comme on le
pratique depuis peu auprès de Neufol en
Hongrie, où ce Sel , au rapport de M.Herman
, dans une Differtation faite à ce fujet
, eft attaché aux parois & dans les
fentes du Roc , qui eft dans les creux
d'une Mine de cuivre.
Du refte , il y a lieu de croire , dit
M. Boulduc en finiffant , que quand la
Medecine aura pris connoiffance du Sel
du Dauphiné , elle lui accordera la place
qu'il mérite dans la Matiere Medecinale,
non-feulement parce que nous l'avons
1. vel, C dans
2622 MERCURE DE FRANCE.
dans le Royaume , & pour ainfi - dire , à la
main , mais principalement parce qu'il
produit les mêmes effets fur le corps humain
qu'un bon Sel de Glauber , & que
d'ailleurs il a le caractere de perfection
en ce genre de Sels , qui confifte en ce
qu'il ne s'humecte point à l'air ; qu'il n'altere
point la couleur des Violettes ; & que
lui -même n'est point alteré par l'huile de
Vitriol , comme ceux de fes femblables ,
qui ont encore retenu du Sel Marin : Ces
trois points peuvent être regardez comme
autant de preuves de la jufte proportion
qu'il y a entre fes principes .
Q
XXXXXX
L'HY VER.
Uel affreux changement dans toute la Nature
!
La Campagne a perdu fes plus charmants atraits
;
Les arbres dépouillez , au lieu de leur verdure
N'offrent que de triftes objets.
Les fougueux Aquilons , les torrens , les orages
,
Font connoître par tout les lieux de leurs paffages
,
Par mille ravages divers.
I. vol.
Je
DECEMBRE. 1727. 2625
Je croirois que le Dieu qui lance le tonnerre ,
Irrité contre nous , veut détruire la Terre ,
Si je n'avois point vû d'Hyvers.
On n'entend plus des Eaux l'agréable murmure
:
Cette eau , qui du cryſtal imitoit la clarté ,
Et que j'aimois à voir couler ſur la verdure ,
En a pris la folidité.
Ces Vallons , ces Jardins & ces vaftes Prairies
Que Flore & les Zéphirs entretenoient fleuries ,
Voient difparoître leurs appas :
Ils font abandonnez des Zéphirs & de Flore ;
Et pour comble d'horreur la diligente Aurore
N'y feme plus que des frimats.

Letemps fe couvre , ô
cor craindre ?
ciel ! que faut-il en-
Quel fpectacle nouveau va s'offrir à mes yeuxe
N'étoit-ce pas affez ? Quels fujets de nous
plaindre
Préparent ces corps fpongieux ?
Le vent avec effort les preffe , les condenſe ,
Et foudain toute l'eau qui fort en abondance ,
2. vol.
Cij
Perd
1
# 624 MERCURE DE FRANCE .
Perd dans l'air fa fluidité.
Je n'apperçois par tout , plus qu'une même
chole ;
Ah ! Terre , que je hais de ta métamorphofe ,
L'ennuieufe uniformité.
A peine le Soleil peut- il percer la nuë
Nous n'en retirons plus aucun foulagement;
Sans force & fans chaleur il s'offre à notre vûë,
Ne fe montrant qu'obliquement.
Tout fe cache , tout fuit , tout va chercher un
gîte :
Le froid redouble, ciel ! quelle faifon maudite !
Malheureux ! que deviendrons- nous ?
Helas ! j'allois périr fans ce feu fecourable ,
Que les premiers Humains dans un péril fem
blable,
Scurent trouver dans des cailloux,
Attendons , l'Univers va prendre une autre
face :
Bien- tôt le doux Printemps diffipant ces hor
reurs
A nos champs defolez rendra toute leur grace,
Fera renaître mille fleurs,
Fr vol Les
DECEMBRE. 1717. 2625
Les Arbres reprendront un vert & beau feuil
lage ;
Les Oiseaux , à l'envi , par leurs tendres ramages
,
Feront des Concerts en tous lieux.
Enfin tout renaîtra dans toute la Nature ,
la Tette aujourd'hui n'a perdu ſa parure s
Que pour charmer bien- tôt nos yeux.
M
L'homme n'a pas des Dieux reçû cet avan
tage :
Quand l'hyver de nos ans rend nos membres
perclus,
Quand nous avons atteint à notre dernier âge,
Notre Printemps ne revient plus.
Nous fommes tous fujets à la froide vieilleffe,
D'un pas précipité nous y courons fans ceffe ,
Chaque moment nous y conduit.
Arrivez à ce point , mille maux nous domi
nent ,
Et toûjours malheureux , nos jours ne fe ter
minent
Que par une éternelle nuit.
Raimondis.
I. vol.
Ciij MO,
2626 MERCURE DE FRANCE.
2335
MONUMENS antiques , trouvez dans
le Velay. Extrait d'une Lettre écrite
de Sant- Paulien , près le Puy , le 15.
Octobre 1727.
L
Il y a eu de figrandes inondations
vant & après les grêles qui ont ravagé
le Velay , & la Frontiere d'Auvergne
, qu'il feroit difficile d'exprimer le
dommage irréparable qu'elles ont caufé .
S. Paulien a eu des inondations inconnues
dans les Annales du Pays , qui
font foi d'une multiplicité de ruines , de
faccagemens , d'incendies , &c. Les inondations
ont découvert de nouvelles
ruines , où l'on trouve tous les jours des
Urnes fépulcrales , des tronçons de Colomnes
, des Médailles de toute efpece ,
& entr'autres Monumens antiques on
a trouvé deux petites Statues de bronze
dans un champ hors les murailles de
S. Paulien , à côté d'une ancienne Eglife .
Une de ces Statues reprefente Bacchus ,
l'autre , Mercure , chacune fur un piedd'eftal
. On a auffi trouvé une Colomne
de Marbre , à côté d'un Moulin , où fe
lifent ces mots : CAS .... PRINCIPS ....
USAS ET PONTES VETUSJUVENT
2. vol.
...
DECEMBRE . 1727. 1627
TUSTAT .... CONLAPSOS ... RESTITU
... F ..
.
Le premier nom de l'ancienne Ville de
S. Paulien étoit Rueffium , le fecond ,
Velaunodunum , le troifiéme , Velaunum
elle fut enfin appellée S. Paulien , du nom
de fon fixiéme Evêque , dont le Siege fut
transferé au Puy.
On y a auffi découvert les fondemens de
trois Fortereffes qui fe communiquoient
par des voutes foûterraines . Les anciens
Ecrivains ; fçavoir , Ptolomée , Cefar ,
Pline , Strabon , font mention de cette
ancienne Ville. Des Curieux & des Ama--
teurs de l'Antiquité ont autrefois féjourné
des mois entiers à S. Paulien pour
faire fouiller dans la terre , d'où l'on
tire des fragmens de Statues , de Colomnes
de tous les Ordres , & c . On y a auffi
trouvé des Urnes remplies de Médailles
d'or & d'argent , des Pavez à la Mozaïque
, d'un travail admirable , d'autres
Pavez de Marbre , & c.
La même perfonne qui a le Bacchus &
le Mercure dont j'ai parlé , a auffi 318 .
Médailles de bronze , & 28. d'argent.
Les Curieux pourront s'adreffer , pour les
acquerir , à M. Rey , Directeur des Poftes
au Puy- en -Velay , par Lyon.
1. vol
Ciiij A
2628 MERCURE DE FRANCE.
******************
A MADAME DE V ..
MADRIGAL.
LE tendre Amour , cet enfant de Cypris ,
Repofe fur le fein auffi blanc que la nege
De la belle & jeune Cloris ;
Mais ce Dieu nous y tend un piege ,
Gardons - nous bien d'en approcher ;
Helas ! fi nous ofions feulement y toucher ,
Ses traits nous blefferoient d'une atteinte mors
telle.
Contentons- nous de defirer.
La main doit reſpecter tout ce qui brille en
elle ,
Les yeux font faits pour l'admirer.
Par M. de Mautour.
Vers du même Auteur , adreffez à deux
jeunes Dames , qui font foeurs.
Ue vous êtes bien afforties ,
QU
D'efprit , d'humeur & d'agrément ,
Aimables Soeurs , couple charmant.
I. vol.
Quel
DECEMBRE . 1727. 2629
Quelplaifir de vous voir fi tendrement unies ,
Et de coeur & de fentiment !
Peut -être quelque jour , fur le choix d'un
Amant ,
S'il falloit décider, feriez- vous partagées.
Non , je fuis dans l'erreur . Libres & dégagées
D'envie & de foupçous jaloux ,
Vous feriez d'accord entre vous,
Et voici de l'Amant quelles feront les vûës ;
• Vous fçachant l'une & l'autre également
pourvûës ,
De mille & mille appas dont il fera charmé ,
Il fentira fon coeur doublement enflammé ;
Il voudra pour vous deux partager la tene
dreffe ,
Vous aimant tour à tour changer d'objet fans
ceffe ,
Et fans être inconftant , vous aimer conftamment.
Tel eft de vos Beautez le doux enchantement ;
Ainfi toûjours fûres de plaire ,
Par vos rares talens , par vos brillants attraits ,
Belles , vous n'aurez d'autre affaire ,
Que celle de jouir d'une tranquille paix ,
Qu'un caprice d'amour ne troublera jamais .
I. vol. Cy SUP2630
MERCURE DE FRANCE .
SUPPLEMENT pour l'intelligence
d'une Lunette d'approche , annoncée
dans le Mercure du mois de Septembre
de la prefente année. Par M. Clairaut,
pas
L'd'approche , dont l'interieur feroit
'Idée que j'ai donnée d'une Lunette
parabolique , a plû à quelques perſonnes
éclairées dans les Mathématiques , & ces
perfonnes ont bien voulu me faire l'honneur
de m'en dire leur fentiment , & de
me demander fi je n'avois
fait quel
ques experiences pour en faciliter la réuſfite.
Je leur ai reprefenté que n'en ayant
ni le loifir ni la commodité , tout ce que
je pourrois faire en faveur du Public ,
feroit de lui communiquer les idées qui
me font venues à ce fujet , afin d'engager
, & ceux qui auroient des lumieres
fupérieures aux miennes , à fuivre mon
exemple , & ceux qui feroient en état de
l'entreprendre , à l'executer .
Je me propofe d'applanir ici trois difficultez
alleguées fur la matiere , fur les
proportions & fur la maniere de donner
à cette furface , aufli parfaitement qu'il
eft poffible , la courbure parabolique.
1. Pour la matiere , l'illuftre M. New-
До чово ton
DECEMBRE. 1727. 263 r
ton , dans fon Optique , préfere le verre
enduit de vif- argent , tant parce qu'il fe
polit mieux que parce qu'il lui femble réflechir
plus de lumieres ; cependant il faudroit
plutôt s'en tenir ici au Métail , parce
que la figure le demande abſolument
& quoiqu'il foit fujet à fe ternir , s'il eft
fait d'une compofition qu'on a trouvée
depuis peu en Angleterre , & qu'on employe
aux Lunettes de M. Newton , il eft
incertain qu'il fuffife pour appercevoir les
Aftres mêmes plus diftinctement qu'on
n'a jamais fait .
1. Pour les proportions , il fera aſſez
libre d'en déterminer la longueur à difcrétion
, c'eft - à- dire qu'elle n'aura pas
F'incommodité des longues Lunettes , fi
difficiles à gouverner , comme auffi de
lui laiffer une groffeur confiderable &
fuffifante ; ce qui fera avantageux , car
Mrs Newton & Defcartes ont preferé les
grandes ouvertures des Lunettes aux perites
; on pourra fe regler fur l'interieur
d'un Mortier à Bombes de 12. à 15-
pouces de diametre , fur 3. ou 4. pieds
environ de profondeur .
3°. Quant à la maniere de tracer l'interieur
de la furface parabolique , je fuppofe
d'abord qu'on a fondu le Méral fur
un moule auquel on aura donné la ſurface
convexe auffi parabolique qu'il eft poffi
1. Val
Cvj ble
2632 MERCURE DE FRANCE .
ble , comme je dirai dans un moment.
Enfuite qu'on l'a mis fur le Tour pour
le polir interieurement avec l'Outil dont
je vais donner la conftruction . Après
avoir averti qu'on ne fçauroit prendre
trop de foin pour tracer une parabole fur
un Plan , & qu'il faut pour cela choifir.
quelque Compas tiré du Livre deSchooten,
ou plutôt de quelques proprietez de la
Parabole , qu'on trouve dans les bons
Traitez des Sections Coniques , & furtout
dans celui de M. le Marquis de
l'Hôpital ; j'avertis , dis- je , que la Parabole
qu'on tracera , ne peut être garantie
jufte que vers fon fommet , parce
que de quelque Compas qu'on fe ferve
pour la tracer, leurs regles mobiles, quand
la Parabole s'étend un peu loin au- delà
du foyer , font affujetties à faire un angle
trop aigu qui ne peut marquer par fa
pointe qu'une interfection fort douteufe
pour la courbe. Ainfi je fuppofe qu'on
a ce qui a déja été fait ; fçavoir , une
Parabole tracée juſte jufqu'à une étendue
fort raisonnable , dont l'axe ou plutet la
plus grande abfciffe foit tout au plus de la
grandeur du parametre , & c'eft avec cette
partie de Parabole que je prétens achever
ou étendre une furface parabolique
auffi loin qu'on voudra , & qui fera par-
Tout auffi exacte qu'à ſon ſommet , après
J. vol. quoi
DECEMBRE . 1727. 1633
quoi on retranchera , comme j'ai dit auparavant
ce fommet , afin de pouvoir
mettre l'oeil au foyer, ou , ce qui fera mieux
encore , un verre objectif qui recevra les
rayons refléchis fur la furface concave , &
les portera par refraction dans un tuyau
à l'oeil , par le moyen d'un verre oculaire;
outre cela on pourroit encore , à la maniere
de Defcartes dans fa Diòptique
mettre au- delà du foyer & en dedans de la
furface parabolique , une lentille de verre,
en partie hyperbolique & en partie platte ;
ou enfin puifqu'on n'a pû encore jufqu'à
prefent réüffir à tailler des verres hyperboliques,
ni elliptiques, qui font les feules
courbes capables de raffembler les rayons
par réfractions , fe fervir d'une lentille
ordinaire. L'Outil fera à peu près comme
un Fer à repaffer du linge , cependant
moins long , & on en aura plufieurs qui
auront été forgez & fabriquez tous enfemble
de la même mefure pour changer
quand ils s'uferont, quoiqu'on pourra
les
éguifer en ufant fur une meule leur furface
platte & non la parabolique , ce qui
eft ici un avantage confiderable qu'on
n'a jamais eû ailleurs. De plus , il faut
que cet Outil parabolique ait une efpece
de manche ou poignée , dans lequel entrera
une verge quarrée qui fervira à le
gouverner de maniere que fa furface platte
I, vol.
&c
2634 MERCURE DE FRANCE.
& l'abfciffe qui eft au - dedans foient toû
jours dirigées bien parallelement à l'axe
de la furface parabolique qu'on veut polir
; car par ce moyen on pourra facilement
mouvoir cet Outil d'un bout à l'autre
de l'interieur de la furface parabolique
, pendant que cette furface tournera
elle -même fur le Tour ; en obfervant de
commencer vers le fommet , en y fixant
P'Outil jufqu'àce que l'endroit foit preſque
poli , puis reculer l'Outil au - delà dư
foyer d'environ la longueur de l'abfciffe ,
& ainfi de fuite jufqu'à - ce que la ſurface
ait été parcourue, après quoi on achevera
de polir en mouvant , comme je viens de
dire, tout de fuite, l'Outil depuis le fommet
de la furface jufqu'à fon extremité..
Quand on voudra faire le Moule dont
j'ai parlé ci- devant , il faudra un autre
Outil vuide à peu près comme l'interieur
d'un fer à cheval , bien parabolique , &
mû auffi parallelement à l'axe du Moule
parabolique. Je crois m'être expliqué plus
clairement par ces fortes de comparaifons,
de Mortier, & de fer à cheval, que fi j'euffe:
éré plus long & plus fcrupuleux fur les
termes & les figures ; cependant ceux qui
n'auront pas affez de connoiffances dans
les Mathématiques pour entendre ceci
à fond , pourront , comme je l'ai déja
dit auparavant , me faire l'honneur de
The velo me
DECEMBRE. 1727. 2635
me confulter , puifque j'enfeigne ces
Sciences . Ma demeure eſt rue des Boucheries
, Fauxbourg S. Germain , chez
M. Boulduc , Apoticaire du Roy & de
l'Académie Royale des Sciences.
**
LE CAFFE' ,
PIECE MAROTIQUE ,
Envoyée à M. l'Abbé de M ...
ParM.Des-Forges Maillard. A.A.P.D.B ..
U doux Nectar la liqueur tant prônée »
Ayant manqué dans lesCaveaux des Cieux..
Pitié c'étoit que de voir tous les Dieux.
De cramoifi leur face enluminée .
Avoit perdu fon divin coloris ;
Pâles , défaits , languiffans , amaigris ,
Et dédaignant des repas de Brebis ,
Ils ne pouvoient tâter à l'Ambrofie.
D'être immortels bien pour fur leur en prit.
Car ils feroient tous morts de la pépie.
Un jour Comus , Banqueteur en crédit ,
Là -haut paffé Docteur en fauce fine ,
Les ayant vus comme bonnets de nuit,
4. vel. Mornga
2636 MERCURE DE FRANCE.
Mornes , fongeards , qui faifoient griſe mine
Je veux , leur dit l'adroit Architriclin ,
Vous apprêter pour ce foir un breuvage .
Tant excellent , que le Nectar divin ,
Sur celui- ci n'aura pas l'avantage ,
Ou , par le ſtix ', j'y perdrai mon latin.
Auffi- tôt dit ; le rapide Borée
Le porte en terre , & Comus ayant pris
D'un vrai Marchand la forme & les habits ,
S'en va tout droit en certaine contrée ,
Que les humains appellerent * Moka.
Le Dieu gaillard achepte , arrivé- là ,
Un gros balot de Féves bien choifies ,
D'un jaune obfcur , legeres & templies ,
[ Vous devinez que c'étoit du Caffé , ]
Puis il remonte au féjour de lumiere ,
Le Dieu des vents lui fouffant au derriere.
D'abord Vulcain haletant , échauffé ,
Pour le bouillir , forge une Caffetiere ,
Pour le bruler , il forge un Poëlonnet ,
Pour le broyer , il forge un Moulinets
Et cependant que fur la braiſe ardente ,
Ville & Fort de l'Arabie heureuse.
J. vol.
3
Sa
DECEMBRE. 1727. 2637
Sa belle Epoufe en petit corcelet ,
Le fait rôtir : la Troupe folâtrante ,
Des blonds Amours , à l'entour voltigeant
De peur que trop il ne brûle & noirciffe,
De le mêler font fans ceffe l'office ,
Avec leurs Traits aux bouts d'or & d'argent
L'aîné d'entre eux fait offre de fervice
A fa Maman , c'eſt ce franc aigrefin
De Cupidon , qui ne fut one novice
En nul métier , il faifit le Moulin ,
Et pourpoint bas fe met en exercice ,
Cric , crac , fi beau , fi bien, que tôt & dri ›
En un moment le Caffé fut moulu .
Il bout adonc , il eft fait , il repofe.
Lors la Déeffe avec fa belle main ,
Douce & blanchette en verfe égale dofe
Dans chaque taffe , & prend entre autre chofe
Un foin très -grand de le tirer au fin .
Les Dieux par ordre étant rangez à table ,
Par ordre on fert le breuvage agréable ;
Du fucre avec , cependant pas beaucoup ,
De peur d'ôter fa charmante amertume.
Chacun d'entre eux ayant humé fon coup
I. vol. Dame
2638 MERCURE DE FRANCE.
1
Dame Pallas s'en vint s'écriant , houp !
Pere Jupin , je meurs d'un vilain rhume :
Hauffant la voix , la grondeufe Junon ,
Se plaint d'avoir une lourde migraine ;
Cheveux épars , le bouillant Apollon ,
Se plaint d'avoir gagné la courte haleine ,
Ses prompts Courciers dans la celefte Plaine,
Faifant voler fon Char au grand galop .
Ah ! dit le Dieu natif du Mont Cillêne ,
Mon eftomac qui s'eſt refroidi trop ,
Depuis huit jours ne digere qu'à peine.
Le Dieu fameux qui guide les Heros ,
Mars jure auffi que des vapeurs cruelles ,
Depuis long - temps le privent de repos.
Enfin les Dieux , tant mâles que femelles ,
Tous prétextant quelques maux à propos
Veulent encor de la Liqueur exquife ,
Pour les guérir , chacun une autre priſe.
Oh , dit Jupin , faiſant un grave rot ,
Fronçant fon nez , léchant fa barbe grife ,
On ne boit point ceci coinme du piot,
Tant qu'on en veut à tirelarigot.
Ca , conviens-en , dit-il , gros rien qui vaille ,
1.vol.
Jettant
DECEMBRE. 1727. 2639
Jettant les yeux fur le joufflu Bacchus ,
Que le Caffé l'emporte fur ton Jas :
Difons auffi que l'humaine canaille
Ne fut pas bête en fon petit cerveau ,
Quand elle fit cette heureuſe trouvaille ,
Mais Pitagore étoit pardienne un Veau ,
Il raifonnoit comme une Huître à l'écaille ,
En general quand il a foûtenu
Qu'il convenoit pour le bien de la vie ,
Que l'on fe fût de féves abftenu ,
Ce franc Pédant pour le moins auroit de
En excepter la féve d'Arabie ,
Tréfor cent fois plus précieux que l'or.
Ce nonobftant , en creve l'avarice ,
Qu'on mette au feu la Caffetiere encor.
Sus , enfans , fus , que l'on fe réjouiffe ,
Rions , chantons , fautons , & toi Phébus .
Qui dans ce coin contrefais le jocrice ,
Entonne-nous deux ou trois impromptus ,
Sur l'air gentil de la bonne aventure.
Que du Caffé les fublimes vertus ,
Mifes au net , s'y trouvent en peinture ;
Les Dieux joyeux répondront en chorus ;
I. vol. Et
1
2640 MERCURE DE FRANCE
Et toi l'Epoux de la belle Venus ,
Ton pié boiteux marquera la mefure.
Interea , je veux & je prétens ,
Que de Caffé l'on feme dans nos champs
Profufion. Le Nectar refpectable ,
Confervera notre immortalité ,
Et du Caffé la Liqueur délectable ,
Nous donnera la joye & la fanté.
Abbé très- cher , d'Ecole Sorbonique &
Difciple ardent , accepte cet Envoy
Que je te fais , d'une Piece , je croy;
Moitié Scaronne , & moitié Marotique's
Ainfi pourras quelquefois à par toi ,
Prenant Caffé , te fouvenir de moi.
********************
LETTRE Apologetique de M. de Se
necé, adreffée aux Auteurs du Mercure.
Heu !patior telis vulnera fata meis.
Hei mihi ! præceptis urgeor ipfe meis .
CE
E font , Meffieurs , deux Pentametres
dans le même fens , mais avec
quelque petite difference dans l'expreffion
, par lefquels le galant Ovide fe
1. vol..
plai
DECEMBRE. 1727. 2641
plaignoit des Coquettes de fon temps ,
d'être attaqué par les armes que luimême
leur avoit fournies. Que je fuis
malheureux , leur difoit- il , de vous avoir
donné des leçons dont vous profitez pour
me tourmenter. Me voici dans le même
cas , & j'en puis dire autant aux ennemis
inconnus qui attaquent mes Triolets,
Bien que je n'en fois pas l'inventeur , je
puis dire qu'en quelque maniere , je les
ai retirez d'une longue obfcurité , & que
je me fuis efforcé de les remettre en honneur
, & c'eft avec ces mêmes armes que
l'on me fait aujourd'hui la guerre. J'en
viens de recevoir par la pofte , quatre des
plus defobligeans pour vous &
pour moi,
Le lieu d'où ils partent n'eft défigné par au.
cun endroit , & la Lettre qui les accompagne
eft fignée en Lettres Capitales de prefque
toutes celles de l'alphabeth . Voilà des
troupes formidables d'ennemis que je ne
me fuis point attirez ; mais comute je n'aie .
me pas à me battre contre des Phantômes ,
je n'en aurois fait aucune mention fi j'y
étois tout feul intereffé. Les guertes Litteraires
ne font nullement de mon goût : je
les trouve injurieufes à la moderation par
leur aigreur , & à l'honnêteté publique
par leur vanité. L'acharnement qu'ont eu
l'un contre l'autre , Jules Scaliger & Je,
rôme Cardan , n'est pas le plus bel en-
7. vol.
droit
2642 MERCURE DE FRANCE.
droit de leur vie , & tant d'autres qui les
ont précedez ou fuivis dans de femblables
emportemens , n'en ont tiré d'autre
fruit que celui d'obfcurcir une réputation
qu'ils avoient d'ailleurs bien méritée.
Aufli n'aurois - je pas mis la plume à la
main pour repouffer cette injure , fi j'y
avois été le feul interreffé ; mais comme
elle vous regarde autant que moi , j'ai crû
devoir ce retour à l'honneur que vous
me faites d'employer quelquefois mes
Ouvrages dans vos Recueils , de juſtifier
le mauvais choix que l'on vous impute
de faire.
Le Recueil que vous donnez au Public
, Meffieurs , eft compofé de tant de
Pieces differentes , qu'il eft impoffible
qu'elles foient toutes également du goût
de tous vos Lecteurs . Horace n'avoit que
trois Convives , & tous trois lui demandoient
des mots differens.
Tres mihi Conviva propè diffentire videntur,
Pofcentes varia multùm diverſa palato.
Comment pourriez - vous faire , Meffieurs
, vous qui avez un fi grand nombre
de Parafites dans les feftins dont vous
nous régalez chaque mois , fi vous nous
ferviez toûjours d'une même viande, pour
exquife qu'elle pût être ? Les plus beaux
1. vol,
Jardins
DECEMBRE. 1727.
2643
"
Jardins ne feroient point au gré de tout
le monde , fi l'on n'y voyoit que des jonquilles
& des Tubercules , & la vûë s'y
plaît au mêlange de l'Amarante & du
Tricolor la fimplicité de ces dernieres
fleurs , releve la nobleffe des autres . Les
Salades de Picpus n'ont acquis leur réputation
, que par le mélange de toutes
fortes de bonnes herbes qui les compofent.
Et pour fortir de ces comparaifons
ruftiques , qu'est - ce qui a mis en fi grande
eftime les Nuits Attiques d'Aulu - Gelle,
& tant d'autres compofitions de même
efpece , que la diverfité des matieres que
l'on y traite ? Vous vous devez à tout le
monde, & ce qui n'accommodera pas dans
vos Recueils les Ariftarques des Caffez
de Paris , fera peut- être les délices de la
ruë S. Denis. Mais quoi ? Toûjours des
Triolets , difent vos Cenfeurs & les miens,
Et quel inconvenient trouve - t - on à laiffer
remplir une gageure qui a été faite pour
les douze mois de l'année , & annoncée
fur ce pied- là ? Auroit - on bonne grace
de dire à Martial : eh ! quoi ? toûjours
des Epigrammes , & à Petrarque : eh !
quoi ? toûjours des Sonnets ? Oui ; mais
me dira t-on , ce font de bons Sonnets ,
& de bonnes Epigrammes , & vous ne
nous donnez que de méchants Triolets.
La décifion eft brufque . Meffieurs les
I. vol.
Cen2644
MERCURE DE FRANCE.
Cenfeurs font ici comme les Courtifans
d'Alexandre , qui ne pouvant arriver à
imiter fa valeur & fes autres grandes qua
litez , fe retranchoient à le copier par un
petit deffaut qu'il avoit de pancher ſa
tête fur l'épaule gauche : cela veut dire
que nos adverfaires ne pouvant atteindre
aux autres perfections du Roy de la Satyre
, le S Defpreaux , le contentent de
dire comme lui , qu'un Auteur eſt un
fat & un fot , & que fes Ouvrages ne
font bons qu'à envelopper les denrées
d'un Epicier. Mais ce n'eft pas par cet
endroit que Defpreaux s'eft fait le plus
eftimer , & quand ils feront arrivez à cẹ
degré de mérite qui lui avoit acquis la
haute réputation dont il joüiffoit , il leur
fera peut-être permis d'ufurper une pareille
autorité. Je dis peut- être , car enfin
la République des Lettres eft , à certains
égards , compofée comme celle des Romains.
Dans celle - ci un feul Tribun
du Peuple pouvoit par fon interceffion
fufpendre les Decrets de tous les autres ,
& c'est ainsi que Caton fut délivré des
mains des Satellites de Cefar qui le traînoient
en prifon. L'Auteur des Triolets a
déja pour lui un Tribun du Peuple Poëtique.
C'eft M.Boucher, qui a fait de fi jolis
Vers à fa loüange , & qu'il n'a point
gemercié , parce qu'il ne fçait où le
1. vole
prendre ,
DECEMBRE . 1727. 2645
prendre , & qu'il n'a pas l'honneur de le
connoître . Ajoûtez , s'il vous plaît , à cela,
Meffieurs , que vous n'êtes point garants
du mérite des Ouvrages que vous employez
; que vous en laiffez aux Auteurs
toute la gloire ou toute la honte ; que
vous ne vous mêlez point d'entreprendee
fur la jurifdiction du Public , à qui
feul il appartient de diftribuer les récompenfes
ou les châtimens , & que pourvû
qu'un Ouvrage ne manque point de refpect
pour la Religion , pour l'Etat ou les
bonnes moeurs , dont vous vous rapportez
au bon difcernement du Genfeur
Royal , cela doit uniquement vous fuffire .
Vous ne vous mêlez point de blâmer
& très- fobrement de loüer ; conduite qui
vous met hors d'atteinte , & qui ne vous
fait craindre que vos Recueils puiffent
jamais tomber dans la cathégorie des
vieux Almanachs , ainfi que vous en menacent
les obligeans Triolets dont il eſt
queftion , & que je ne vous envoye pas ,
parce que la Lettre qui me les adreffe
m'affure qu'ils font imprimez .
"
Après cela , Meffieurs , je vous demande
la permiffion d'ajoûter un mot d'Apologie
pour mon compte. Je ne comprens
point par quelle fatalité je me fuis
attiré une affaire fur les bras. Trouvera-
t -on dans tous mes Triolets , un mot ,
1. vol. D une
2646 MERCURE DE FRANCE.

une fyllabe qui attaque quelqu'un per
fonnellement ? Ce ne font que plaifanteries
innocentes & generales , que je n'eſtime
pas que perfonne puiffe prendre pour
fon compte. Le reproche que l'on me
fait d'avoir cité un Proverbe populaire
du chemin de Dreux , eft une pure ca
lomnie , dont je demanderois réparation
fi je fçavois à qui la demander . Je ne
connois point ce Proverbe , & ne fçais
pas même ce qu'il fignifie. La Lettre que
je vous ai écrite eft publiée dans votre
Mercure du mois d'Octobre dernier ; y
trouvera -t- on le moindre veftige de cette
maligne imputation ? J'ay été du ſentiment
, toute ma vie , qu'il ne falloit jamais
blâmer en general une Nation , ni une
Communauté, & que par tout il fe trouvoit
des perfonnes de merite. Quant à
la Ville de Dreux , je n'y fus de ma vie ,
& je n'en connois , ni la fituation , ni les
Habitans , fi ce n'eft par un fort bel endroit
de fon Hiftoire , qui m'apprend
qu'elle a tiré fon nom de ces fameux
Druides , qui dans les bons fiecles de.
l'ancienne Gaule , y avoient établi le fiege
principal de leur Religion & de leur
Philofophie , & je ne doute aucunement
que les femences de leur doctrine & de
leur vertu ne fe foient perpétuées dans
leurs defcendans. Au refte , Meffieurs , je
1. vol. Vous
DECEMBRE. 1727. 2647
Vous avertis que vous devez me faire
reftitution de l'argent que je vous ai donné
pour mettre mes Ouvrages dans votre
Mercure . C'est une Simonie dans la Religion
des Mufes , qui n'eft pas moins condamnable
dans ceux qui reçoivent que
que dans celui qui donne . On m'en accufe
avec M. le Chevalier de Belleville ,
que l'on me démafque par fon nom &
par fes qualitez , que je ne mettrai point
ici , pour ne le pas diffamer avec moi.
Il y a cinquante ans que je fais ce commerce
, & fi M" de Vizé & Buchet étoient
vivans , ils fçauroient bien qu'en dire.
Mais pour venir au fait plus précifément
, fi la perfonne qui me dit de fi
obligeantes douceurs éft une Dame , me
voici dans le cas de cette belle Eclogue
de Virgile.
Malo me Galathea petit , laſciva puella ,
Et fugit ad falices ;
A cela près , que ce n'eft pas une pomme
qu'elle me jette , mais un bon gros
caillou , & qu'elle n'imite pas la Bergere
dans Phemiftiche qui remplit ce deuxiéme
Vers :
Etfe cupit antè videri.
Que fi c'eft un , ou plufieurs hommes
I. vol.
D'ij qui
2648 MERCURE DE FRANCE .
qui m'ont régalé de ces obligeants . Triolets
, je leur déclare que fi je n'avoispas
fait veu de pe point mettre l'épée à la
main fur de femblables querelles , &
qu'il leur plût de fe faire connoître, je
pourrois leur faire voir que mon grand
âge ne m'a pas encore fait tomber toutes
les dents , & que par tout où il fe trouve
des fanfarons de Darés , il s'y peut
auffi trouver quelque bon homme Entellus
, affez vigoureux pour leur caffer la
mâchoire : Apparemment m'entendrontils
bien , & ce doit être gens qui fçavent
leur Eneïde , mieux que leur Pater. Le
rout foit dit fans que ceci paffe pour un
cartel.
C'est ce que je vous prie , Meffieurs
'de vouloir infinuer dans votre Regiftre , .
& faire publier au fon de la Trompette
de votre Mercure. Je fuis , &c.
DE SENECE
De Mâcon le 7. Decembre 1727.
*************:**
MO
LLE Baunez , connue par les talens
pour la peinture & plus recommandable
par les qualitez de l'efprit &
du coeur , vient de donner à Mile P'Hétitier
, fon illuftre amie , un gage pré-
1. vol.
cieux
DECEMBRE. 1727 2649
cieux de fon
attachement pour elle ; c'eft
le Portrait de M. l'Héritier fon frere ,
fçavant Geometre ; voici deux morceaux
de Poëfie qui ont été faits à cette occafion .
A M. l'Héritier, fur ſon Portrait fais
par M Baunez.
Heritier du grand
l'Héritier ,
Frere de l'Héritier , de neufSceurs heritieres ,
Un nom fi beau vaut mieux qu'un heritage
entier :
Mais pour rendre ta gloire hereditaire , entiere,
Il falloit l'Héritier , que l'illuftre Baunez ,
Heritiere des dons de Zeuxis & d'Apelle',
Rendit chez nos neveux, heritiers de tes traits,
Ainfi quetes vertus , ton image immortelle .
D. V.
Remerciment de M. l'Heritier;
à M
Baunez.
Vous dont la main belle &
fçavante,
A voulu faire mon Portrait ,
Que ne puis - je, aimable Amarante ,
Faire le vôtre trait pour trait !
On me verroit tracer cette noble figure ,
Que façonna la main de la Nature ;
Is vole
Diij Qu'a
2650 MERCURE
DE FRANCE.
Qu'avec plaifir je fçaurois crayonner
De beaux fujets de s'étonner !
Une taille élégante & belle,
Un air fage & plein d'agrémens ,
Une blancheur fi naturelle ,
Que jamais aucune Mortelle
Ne pourra l'égaler par fes rafinemens !
Je vous décris ici la maniere bien füre
De faire une belle peinture ;
Mais moi me peindre ! quand les ans
Ont fait ravage fur mes fens !
Lorfque leurs coups pefans ont changé ma
figure !
Quelles couleurs ou quels beaux traits ,
Peuvent orner cette antique ftructure ?
-Qui peut enviſager de ſemblables Portraits
Main auffi belle que fçavante ,
N'entreprenez rien qu'on ne varte , vantę
Par le modele & par votre Art .
Ceux qui peuvent parler fans fard ,
Diront, cette fçavante fille ,
En qui tant d'excellence brille ,
Auroit fait un Portrait , fans doute , bien plus
beau ,
1. vel. Si
DECEMBRE . 1727. 265x
Si fon Original méritoit fon Pinceau :
S'il avoit l'air de la jeuneſſe ,`
Si quelque teint bien vif nous marquoit fa vigueur
r
Et montroit une belle humeur.
Mais fes yeux abbattus nous marqnent fa
foibleffe ;
Sa barbe blanche , fon nez long ,
Font bien voir que c'eſt un barbon.
Voilà ce qu'en diront les gens de coeur fincere:
Leur fentiment n'a rien qui me puiffe déplaire ;
Il me paroît fenfé , je ne me flatte point ;
Je pense comme eux fur ce point.
Si de votre ſcience & profonde & charmante ,
Si de vos yeux vous fuiviez les clartez ,
Quel travail, quelle peine euffiez -vous évitez !
Mais vous avez fuivi votre humeur obligeante.
J'en garde dans mon coeur un fentiment bien
vif,
Un fentiment qui deviendroit actif ,
Qui s'ouvroit bientôt pour vous à la tendreffe ,
Sans les glaçons de la vieilleffe .
Le 17. Septembre 1727.
1. vol.
L'Héritier.
D iiij RE2652
MERCURE DE FRANCE.
*****¹XX XXXXXXXX
REPONSE de la Dame de Dreux à la
Lettre imprimée dans le Mercure du
mois de Novembre dernier , page 2418.
de
E crois , Monfieur , que je ferai obfigée
, malgré toutes vos politeffes ,
changer de Commiffionnaire ; vous ne
m'envoyez plus de Mercures où je ne
trouve quelque chofe fur notre compte ;
vous entendez - vous avec nos adverfaires ?
Raillerie à part , ceci devient un peu férieux
, ce nouveau M. Roger , qui nous
endoctrine fi gravement dans celui du
mois paffé,m'a d'abord épouventée , il n'est
pas monté fur le ton de celui qui dans
le précedent Journal , ne fçachant prefque
que nous dire , a eu recours aux quolibets
& a des dictums infipides & hors
d'oeuvre. De plus M. Roger écrit de Paris
, le centre de la bonne critique , &
où l'on n'ignore rien. Voyons cependant
fi après nous avoir inondez d'un torrent
d'Erudition , cité bien des Auteurs &
jufqu'à Morery , pour prouver qu'Ay &
Chaffagne font deux Villes , l'une en
Champagne , l'autre en Bourgogne , &
qu'on eft pendable de l'ignorer à Dreux.
Voyons , dis -je , fi l'Erudition de notre
I. vol. Ad--
DECEMBRE .
1727. 2653
Adverfaire fe foutient , & s'il a grande
raiſon de nous accufer
d'igorance & d'indifcretion
; j'ai
toûjours oui dire que pour
reprendre fon prochain , il faut être foimême
irrepréhenfible , du moins de la
faute dont on veut corriger autrui.
J'avouë , dit le nouveau Critique , après
avoir épuisé toute fa doctrine en notre
faveur , que je ne connois pas Riez. On
m'affure que c'est encore un autre Vignoble
de Bourgogne. Avoüez , Monfieur , à votre
tour , que vous avez bien ri de la
fimplicité de M. R. ou plutôt de la bévûë
dont il veut bien réjouir le Public . Quoi !
cet homme qui crie fur nous aux Afnes
pour avoir ignoré deux pauvres petites
Villes, qui ont donné leur nom à des
vins celebres , cet homme environné de
volumes , aufquels il renvoye notre ignorance
, cet homme , dis je habitant de
Paris , ne fçait pas ce qu'il avoit trouvé
lui-même dans ces mêmes Livres : Que
dis -je dans des Livres ? dans l'Almanach
même , ouy, Monfieur , dans l'Almanach :
il auroit trouvé que Riez eft une Ville
Epifcopale de Provence , non pas un Côteau
de Bourgogne , comme le croit bonnement
M. R.
Feüilletez mieux votre Almanach ,
Monfieur R. je vous l'ordonne,
I. volg Dy Rai
2654 MERCURE DE FRANCE.
Raifonneur ab hoc & ab hac ,
Feuilletez mieux votre Almanach :
Allez dans ce nouveau Tric- trac ,
A l'école , & je vous pardonne ,
Feüilletez mieux votre Almanach ,
Monfieur R. je vous l'ordonne.
Mais n'en parlons plus , je ne crois
pas qu'il reprenne envie à M. R. & à fes
pareils de nous faire des leçons . Vous me
marquez que ma Lettre & mes Triolets
contre le Cenfeur Champenois vous ont
réjoui dans le dernier Mercure. J'adopte
la Lettre ; les Triolets font d'un autre
faifeur. Dreux n'a jamais manqué de
Poëtes ; il en a eu même du premier Ordre
: témoins Rotrou , & le celebre M. Godeau
, Evêque de Graffe.Louis Metezeau,
auffi de Dreux , a excellé dans un autre
genre , grand Ingenieur & Architecte ,
il a eu part aux Deffeins de la grande
Galerie du Louvre ; c'eft lui qui donna
l'invention de la fameufe Digue de la
Rochelle , fur quoi l'un de nos Poëtes fit
ces quatre Vers , que je me fuis fait expliquer
, & que vous ne ferez peut- être
pas fâché de voir.
Haretico Palmam retulit Methefeus ab hofte ;
I. vol . Сит
DECEMBRE. 1727. 2655
Cum Rupellanas aggere cinxit aquas.
Dicitur Archimedes terram potuiſſe movere ;
Acquora qui potuit fiftere non minor eft.
JE
A Dreux le 12. Decembre 1727
kakakakakakakakakak
A MADA M E * **
Pour le jour defa Fête:
E voudrois bien celebrer votre Féte ,
Mais quand je vois qu'ïci chacun s'apprête
A vous offrir rares fleurs , dons galans ;
Pourrai- je feul paroître fans prefens ?
Ce dur fouci m'a mis martel en tête ,
Toute la nuit , dont bien je me reffens ;
Or ai deffein en rimes de vous faire
Quelque bouquet , avec minces talens ,
Mieux aurois fait fuivre l'us ordinaire ,
Donner bouquet à beaux deniers comptans
Les dépenfer feroit petite affaire ,
Car volontiers fais florès quand j'en ai ,
En jeux , feftins , prefens , bien eft- il vrai
Que trop fouvent la fortune contraire
I. vol . D vj Me
2656 MERCURE DE FRANCE.
Me met la bourfe à fec , à contre temps ;
Lors à l'efprit recours eft neceffaire ,
Pour bien ou mal fes dettes fatisfaire ,
Tout comme on peut , mais bref fommeil
& temps,
Je ne les plains , fi j'ai l'heur de vous plaire.
Ce qu'entreprens n'eft pas une Chanſon ,
Le Saint & vous tous deux êtes de mife ,
Et vous louer n'eft legere entrepriſe .
Ni beaux penfers ne viennent à foifon ;
Puifque chanter fur ce nom de Loüife.
Sur le Paton belle chofe il y a ,
Sur vous auffi , pourtant fuis à quia ,
S'il fuffifoit en ftyle magnifique ,
Des deux à part faire Panegyrique ,
Le pourrois bien , Flechier , mis en lambeaux ,
Me fourniroit d'affez riches morceaux ,
Mais de vous mettre en jufte parallele ,
Le Saint & vous , le puis - je avec raiſon ?
Saint des plus Saints , avec gente femelle,
Mal- aiſement entre en comparaiſon .
Peu ce feroit que fa grande veillance ,
Quipour le bien de la Religion ,
Lui fit quitter état tranquille en France,
1. vol. Porter
DECEMBRE . 1727 2.657
Porter au loin guerre , combuftion ,
Je n'aurois pas l'efprit en défaillance ,
Je trouverois nombre de vos ayeux ,
Qui rempliffant des places d'importance ;
Depuis long- temps ont bien fait parler d'eux:
Sur leurs hauts faits combien aurois- je à dire?
Valeur en eux femble fucceffion ;
Mais voici point ou n'eft le mot pour rire .
Mon embarras eft la dévotion
De faint Louis , vertus en vous je trouve
En qantité , chaque jour j'en découvre
Quelque nouvelle , & dans la verité ,
Dame Nature , en fes jours de bonté
Vous a formée , auriez tort de vous plaindre ›
Un caractere en tout d'égalité ,
Un efprit jufte , un coeur qui ne fçait feindre ,
Grands fentimens, ce n'eft qu'un leger trait
De vos vertus & de votre Portrait.
Pour en ce monde être de tous prifée,
Bien il fuffit de toutes ces vertus ,
Mais fi voulez être canonifée ,
Ce n'eſt affez . Je ne dis le furplus ,
Sermon ferois , oeuvre par trop ufée ,
Et dans le vrai ma Muſe n'en peut plus . AR2658
MERCURE DE FRANCE.
*******************
ARTIS ANS Illuftres de Nurem
berg. Extrait d'une Lettre écrite de cette
Ville , dans laquelle il eft auffi parlé
d'un Arbre d'Aoës .
VOUS pouvez ,Meffieurs , annoncer
au Public un Ouvrage tout prêtà
imprimer dans cette Ville , par les foins
de M. Jean Gabriel Doppel Meyer,
Profeffeur en Mathematiques. Il contient
les noms , les vies , & les ouvrages les
plus remarquables , de plus de trois cens
perfonnes de Nuremberg , qui ont excellé
dans les Mecaniques depuis environ 250.
ans. On verra dans cet ouvrage, que c'eſt à
des Citoyens de cetteVille , qu'on eft redevable
de plufieurs inventions curieuſes &
utiles , comme celle de tirer du fil d'argent
& du leton , ce qui fut executé pour
la premiere fois , vers l'an 1 400. par le
nommé Radolph , comme l'a remarqué
Conrard Celte , dans fa Deſcription de la
Ville de Nuremberg : c'eft dans cette Ville
qu'a commencé environ en 1500. la
fabrique des Montres portatives , & il y
a plus de deux cens ans , qu'on vit à Nu
remberg des Automates ou figures mouvantes
qui jouoient des Inftrumens , &
1. vol. qui
DECEMBRE. 1727. 2659
qui reprefentoient le cours ordinaire du
Ciel. C'eft auffi dans la même ville que
l'on fondit les plus grands & les plus
beaux Globes que l'on eût encore vûs ;
les Fufils ou Arquebufes à vent font auffi
des inventions des Ouvriers de Nuremberg
, de plus la belle & parfaite écriture
Allemande , doit fa reftauration à Jean
Neuderfer , originaire de la même ville ,
d'où elle fe répandit dans toute l'Allemagne
. Un habile Artifte , nommé Godefroi
Veiggebe , y trouva le fecret de tailler
le fer & d'en faire des ftatues auffi par-.
faites que celles que les plus fameux Sculteurs
font en bois ou en marbre. Un
autre Habitant de cette ville , appellé Godefroi
Hautsch , ne s'attira pas moins de
reputation , vers l'an 1660. lorſqu'il prefenta
au Roi Louis XIV. un Bataillon
de Soldats d'argent , qui faifoient tous les
exercices militaires . &c . Ce qui fut admiré
de toute la Cour de France . Enfin
Chriſtophe Ritter & George Schweigger ,
fondirent , pour orner la grande Fontaine
de Nuremberg leur Patrie , ces belles figures
de bronze de grandeur plufque naturelle
qui font encore aujourd'hui l'admiration
des Etrangers.
M. Meyer Auteur de cette compilation
a auffi deffein de publier la vie des Mathematiciens
illuftres originaires de la même
Ville de Nuremberg.
1
1860 MERCURE. DE FRANCE :
Il y'a actuellement en cette Ville de Nuremberg
dans le Jardin de Jean Magne
Volckamer , Marchand de foye , fituée au
Fauxbourg de Goftenhof , un Arbre d'A◄
loës , apporté de l'Amerique , lequel
Commença à pouffer au mois d'Avril
1726 ce qu'il continua de faire jufqu'au
commencement d'Août fuivant , auquel
temps fa tige avoit 2 6. pieds de hauteur ,
avec 39. branches ou Rameaux qui portoient
en tout 8265 : fleurs . Quelquesuns
de ces Rameaux en portoient jufqu'à
118. chacun. A l'égard des feuilles, l'Arbre
en a 78. en tout , dont plufieurs ont
prés de 8. pieds de longueur , & 8. à 10.
pouces de largeur. Sá groffeur eft d'environ
deux pieds & demi de circonference.
C'eft Jean George Weidener , habile
Jardinier qui en a foin , & ' on peut dire
que fon application a beaucoup contribué
au bon & floriffant état où l'on le voit
On en trouve la figure gravée en taille
douce , où tous les progrès font marquez,
fçavoir le bouton ouvert , le bouton dans
fa grandeur naturelle , & la fleur ouverte
& en plein ornement . Enfin cet Arbre eſt
ici fi celebre , qu'on a frappé , depuis peu
une belle Medaille ſur fon fujet.
DECEMBRE. 1727. 2661
PLAINTE d'un Gafcon , condamné à
payer deux mille livres , pour une
affaire de galanterie.
JE
E fuis né dans une Contrée ,
Où les infortunez Cadets ,
N'ayant que la Cappe & l'Epée
S'embarquent avec leurs bidets.
La gloire nous paroît fi belle ,
Que nous facrifions pour elle
Nos Prez , nos Vignes & nos Champs
Mais pour les Divinitez folles ,
Sacrifier deux cens piſtoles ,
"
C'est trop cher de deux mille franes,
Iffu d'un fang trop oeconome ,
Je ne puis en fi peu de temps ,"
1
Compter une fi groffe fomme.
Quoi , Monfeigneur , deux mille francs !
Un Garde du corps de Gascogne !
Pour une pareille befogne ,
A quoi donc taxer les Exempts ?
Les Majors les Chefs de Brigades ?
I. vol.
Et
2662 MERCURE DE FRANCE .
Et fil'on monte aux plus hautes grades ,
Les frais feront exhorbitans ;
Le fait mérite qu'on y penſe ;
Il eft en tout fort important ;
Tout ce qui tire à confequence ,
Doit être pefé mûrement .
Pour vos ordres , remplis de zele ,
C'eſt faute d'argent que j'appelle
De vos premiers arrangemens.
Helas ! faut- il malgré Bellonne ,
Que le Pactole & la Garonne ,
Soient deux Fleuves fi differens !
C
DISCOURS de M. Talon
Avocat General.
E 21 Novembre 1727 jour de la
Rentrée du Parlement,M.Talon ,Avocat
General, fit la Harangue accoutumée.
Le fujet de fon Difcours fut que les Talens
de Orateur ne font eftimables qu'autant
qu'ils font foutenus de la Nobleffe des
fentimens. Il fit voir qu'il ne fuffit pas
pour meriter le nom d'Orateur , de joindre
à une naiffance heureuſe , un travail
1. vol. affidu
DECEMBRE.. 17 27. 2663
affidu , & un long ufage. Les qualitez de
l'efprit , dit- il, deviennent inutiles , ou même
dangereufes, fans celles du coeur, & on
doit neceffairement les réunir , dès qu'on
ne fe propofe que le devoir pour objet
, & la gloire pour récompenfe.
L'Eloquence eft deftinée à infpirer l'amour
de la juftice , & de la verité ; mais
on n'y parvient qu'autant qu'on en eft pénetré
foi-même. Si nos actions démentent
nos diſcours : fi on n'y apperçoit
point l'exemple des regles que nous prefcrivons
aux autres , le genie , & l'art s'épuiferont
envain , & l'efprit fe fentira toû
jours des défauts du coeur. C'est donc la
nobleffe des fentimens qui caracteriſe
l'Orateur . C'eft fur cette idée que nous
devons juger de celui qui employe fes
talens à la défenfe des opprimez , & à
l'utilité de fes Concitoyens. La crainte
'ni l'intereſt n'ont aucun empire fur lui.
Il a autant de courage pour foutenir la
verité , que de lumiere pour la connoître.
Le malheureux & l'indigent , affurez de
trouver en lui un défenfeur zelé , l'abordent
toûjours avec confiance. Mais l'amour
de la justice qui eft le principe de
fes actions , ne lui permet pas de fe livrer
à la paffion de ceux qu'il défend.
On ne lui voit jamais prêter des couleurs
favorables à la fraude & à la mauvaiſe
Į . vol. foy,
2664 MERCURE DE FRANCE .
foy , les Magiftrats ne font point réduits
à redouter les talens , & fon nom eft toûjours
un préjugé avantageux pour le parti
qu'il embraffe.
Peut-être une telle perfection nous paroîtroit-
elle au deffus des forces de l'humanité
, fi l'antiquité ne nous en avoit
fourni des exemples. Les Ecrits des Grands
Hommes , qui ont immortalifé Rome &
Athénes , font les dépofitaires de leurs
fentimens . On y voit éclater leurs vertus ,
& on y découvre ce caractere de fermeté ,
& de défintereffement qui conduit feul à
la veritable gloire. Tels font les modeles
que nous devons nous propofer , & tel a
été de nos jours l'illuftre Patru , dont la
memoire n'eft pas moins précieufe à la
Republique des Lettres qu'au Barreau ,
& dont les ouvrages feront toûjours admirez
, tant qu'on fe piquera d'écrire & de
parler purement nôtre langue . Cet homme
né pour l'honneur de fon fiecle , après
une longue & penible carriere , ne retira
d'autre récompenfe de fes travaux qu'une
eſtime univerfelle , & une fortune médiocre
dont un autre auroit rougi , mais
qu'il prefera à des richeffes plus confiderables
, acquifes avec moins de gloire.
Plus fatisfait du témoignage de fa propre
vertu , qu'il ne l'auroit été d'un éclat emprunté
, dont on n'eſt ſouvent redevable
J. vol.
qu'aux
D-E CEMBRE. 1727 266.8
qu'anx caprices du hazard , ou de la
naifance , il ne fût jaloux que des biens
qu'on ne pouvoit lui ravir. Ses malheurs
furent de fon choix , & il n'éprouva les
difgraces de la fortune que parce qu'il en
avoit méprifé les faveurs.
On croiroit qu'il fuffiroit d'avoir donné
cette idée du Difcours de M. Talon , pour
en rappeller le fouvenir à ceux qui l'ont entendu,
mais ceux qui n'ont pû y affifter,jugeront
de ce qu'a dû dire fur un pareil fujet
, un Magiftrat forti d'une famille dans
laquelle le fçavoir , l'éloquence , & la vertu
font hereditaires, & qui n'a fait 'qu'expofer
fes propres fentimens.
A
PREMIERE ENIGME.
Tout venantbeau jeu ; fans être une Cos
quette ,
Jeune ou vieux; m'eſt indifferent
Je leur réponds également ;
Je rends fleurette pour fleurette ,
Au Voyageur furpris que j'amufe en paffant.
Je fais tout ce qu'on veut , je chante , je raifonne
,
Je ne fuis ni mort ni vivant ;
Quant à l'efprit , ma foi j'en ai fi l'on m'en
donne . DEU
2666 MERCURE DE FRANCE.
DEUXIE ME
A
ENIGM E.
La candeur qui brille en moi ,
"Se joint le plus noir caracteres
Il n'eft rien que je ne tolere :
Mais je fuis méchant quand je boi,
TROISIEME ENIGME.
Left écrit dans maint volumes
I'
Qu'on a jadis défini l'homme ainfi ;
Animal à deux pieds fans plume.
Moi j'en ai quatre & porte plume : auffi
Ne fuis - je pas , Lecteur , de ton efpece ;
Mais nous frayons enfemble , & ceux qui
d'entre vous
Brillent par leur efprit , brillent par leur fageffe
,
Me doivent des momens bien doux.
Je vais me dévoiler à tes yeux toute entiere
Si tu ne dis mon nom , n'en accufe que toi ;
On n'a jamais écrit für aucune matiere ,
Autant que l'on a fait fur moi .
On a dû expliquer les Enigmes du
mois dernier , fur la Manille , & la Boëte
1. vol.
DECEMBRE . 1727. 2667
à Perruque ou à cheveux. Les Dames
qui mettent des cheveux poftiches , les
ferrent dans des Boëtes.
Jakkkkkkjkjkjkjkjk
NOUVELLES LITTERAIRES
G
DES BEAUX ARTS , &c.
9
RAMMAIRE LATINE ET FRANÇOISE
, divifée en quatre Parties
à l'ufage des Etudes publiques & particulieres
avec la maniere d'apprendre
ces deux Langues , & de les enfeigner,
A Paris , rue de la Harpe , chez Lher
mite , 1727. trois volumes in 8.2 5. fols .
en blanc.
ABREGE HISTORIQUE DE LA BI-.
BLE , avec des Notes litterales , & de
courtes Explications pour en faciliter
l'intelligence , & aider la memoire à la
faveur d'un Diftique , exprimant en ſubftance
le contenu de chaque Chapitre,
Nouvelles méthodes pour l'apprendre
avec facilité , & la retenir fidelement.
Par le R. P. de S. André , Religieux Minime.
A Rouen , & fe vend à Paris , Quai
des Auguftins , chez Jacques Langlois
quatre volumes , 1727. in 12. 8. liv.
NOUVEAUX
2668 MERCURE DE FRANCE.
NOUVEAUX MEMOIRES des Miffiens
de la Compagnie de Jefus , dans le
Levant , Tome VI. A Paris , chez Piffot
& Briaßon , 1727. in 12. de 285. pages.
REFLEXIONS fur les principales véritez
de la Religion , extraites des plus
beaux endroits des SS. PP. A Paris
chez L. M. d'Houry , 1727. in 12. de
So9. pages.
LES ASCETIQUES ou Traitez Spirituels
de S. Bafile le Grand , Archevêque
de Céfarée en Capadoce , traduits en
François , & éclaircis par des Remarques
tirées des Conciles & des Peres de l'Eglife.
Par M. Godefroy Hermant , Docteur
en Théologie , & Chanoine de Beauvais
, nouvelle Edition , revûë , corrigée
& mife en meilleur ofdre. A Paris ,
Quay des Auguftins , chez. J. B. Bauche ,
fans l'Aver-
1727. in 8. de 696. pages ,
tiffement & les Tables des Chapitres ,
des Matieres & des Paffages .
>
SUITE DES MALADIES CHRONIC
QUES & aigues . Où l'on traite de la
Goute , du Rhumatifme rebelle , de la
Paralyfie, & par occafion de l'Apoplexie,
des Vapeurs & de l'Epilepfie , de l'Afthme
DECEMBRE. 1727. 2669
و
thine , de la Pulmonie & de la Pleurefie
& des remedes convenables pour
guérir toutes ces maladies . Par P. V.
du Bois ancien Prevôt & Garde des
>
,
Chirurgiens de Paris , Tome II . A Paris
, au Palais , chez Paulus Dumenil
in 12. de 465. pages , fans la Préface.
Dans cette Préface l'Auteur fait efperer
une Hiftoire naturelle de l'Homme
qui fera précédée par un Traité des Maladies
de la Peau , & enfuite un Cours entier
d'Anatomie, different de tous ceux
qui ont été publiez jufqu'à prefent.
DESCRIPTION DU PARNASSE
FRANÇOIS , executé en bronze , fuivie
d'une Lifte alphabetique des Poëtes &
des Muficiens , raffemblez fur ce Monument
, dédiée au Roy , volume in 12 .
de 400. pages . Le prix eft de deux livres
relié en veau. L'Eftampe gravée d'aprés
le Parnaffe en bronze , par M. Jean
Audran , fur la feuille entiere de papier
du grand aigle , fe vend 3. liv. A Paris,
chez la veuve Cavelier , au Palais . Pierre
Prault , Quay de Gefures . La veuve Piffot,
Quay de Conti , à la Croix d'or , 177 .
On trouvera chez le Sr Curé , Cizeleur
, les Médaillons en bronze , de Malherbe
, Voiture , Saran , Scarron , Benferade
, Quinault , Laine , Poëtes , & ce-
I. vole E lui
2670 MERCURE DE FRANCE.
lui de Lalande , Muficien , faiſant neuf
Médaillons , parce qu'il y en a deux de
Quinault , avec des Revers differens .
Ces Médaillons , dont les diametres
font d'environ deux pouces , ont des
fymbolés fur les Revers , qui caracterifent
le génie de ces hommes illuftres .
Le prix des neuf Medaillons eft de
douze livres & de chaque Medaillon
féparé, trente fols .
,
Le Sr Curé demeure fur le Quay Pelletier,
à la defcente du Pont Nôtre-Dame.
Nous avons parlé dans les Mercures précedens
de la Deſcription de ce Parnaffe
& nous avons fait connoître qu'on y diftingue
trois Monumens differens . 1 ° . Les
Statues. 2 °. Les Médaillons. 3 °. Les noms
gravez fur le bronze , Monumens confacrez
ordinairement à la mémoire des
grands hommes. Comme les Medaillons
qui font fur ce Parnaffe , peuvent ſe
multiplier facilement , & être diftribuezféparément
, l'Auteur de cet Ouvrage a
crû faire plaifir aux Curieux de permettre
au S Curé de les vendre .
Cavelier , Libraire , rue S. Jacques ,
près la Fontaine S. Severin , vient d'achever
d'imprimer le Coutumier de Vermandois
, avec les Commentaires , deux
volumes in fol. Paris , 1728. du prix
de 40. livres reliez .
DECEMBR E. 1727. 2671
Abregé de la Medecine- Pratique , ou
Sentimens des plus habiles Medecins fur
la nature des maladies , traduite du Latin
de M. Allen. On y a joint la Methode
de Sydenham , pour guérir prefque
toutes les maladies ; enfemble , quelques
Formules conformes à la Pratique Françoile
, approuvées par les plus habiles
Praticiens , trois vol. in 12. Paris, 1728 .
7. liv. 10. fols .
Miotomie Humaine & Canine , ou la
maniere de diffequer les mufcles de l'homme
& des chiens , fuivie d'une Miologie,
par J. R. Croiffant Garengeot , in 12 .
Paris, 1728. 2. liv .
Nouveau Traité des Inftrumens de
Chirurgie , les plus utiles , feconde Edition
, augmentée de plufieurs Figures en
Tailles douces , avec leurs explications ,
par R. J. Croiffant Garengeot , deux
vol . in 12. Paris , 1727. 6. liv .
>
VOYAGE DE MoscovIE , prefenté
à M. Herault Lieutenant General de
Police. A Paris , Place de Cambray , chez
Thiboult 1727. in 8. 39. pages en petit
Romain.
x. vol.
REFLEXIONS
Eij
2672 MERCURE DE FRANCE .
REFLEXIONS NOUVELLES fur les
Femmes , par une Dame de la Cour . A
Paris Quay de Conty , chez François le
Breton , 1727. Brochure de 74. pages ,
prix 15. fols.
VERITABLE CALENDRIER CHRONOLOGIQUE
, contenant la Connoiffance
des temps , pour l'année biffextille
1728. changé & augmenté avec , l'Epoque
des Monarchies , le Flux & Reflux
les Climats & Méridiens , un Journal des
évenemens les plus mémorables, les Naiffances
des Princes & Princeffes,un Jour- .
nal de ce qui fe paffe de curieux à la Cour
& à Paris pendant chaque mois , les Vacances
du Parlement & du Châtelet , les
Foires & Marchez , & c .
ENSEMBLE , un précis des Ufages établis
par la Coutume de Paris , le Sceau
les Poftes pour la Cour , plufieurs Tables
, Tarifs , &c . Et une table alphabe ~
tique des Matieres dédiée à Monfeigneur
le Duc d'Orleans , premier Prince
du Sang. A Paris , chez H. S. P. Giffy,
rue de la vieille Bouclerie , à l'Arbre de
Jefé , au bas du Pont S. Michel.
C'eft avec raifon que ce petit Ouvrage
eft nommé veritable Calendrier Chronologique
, puifqu'en effet on y trouve une
Chronologie ample , exacte & fuivie de
A. vol.
DECEMBRE . 1717. 2673
tous les évenemens les plus mémorables
de l'Hiftoire , & que parmi les Ouvrages
de cette efpece , où l'on a fourré quelque
partie d'Hiftoire , celui - ci eft le plus
ample & le plus correct : on peut dire
de plus , qu'on rencontre dans ce petit
Livre bien des Epoques échapées à
l'Histoire même , & qui ne laiffent pas
d'être également curieufes & interreffantes
; d'ailleurs , le nouvel ordre du Calendrier
, le Lever & le Coucher du Soleil
, les Phafes de la Lune , les Signes
du Zodiaque , & autres parties qui en
dépendent , continuent à le rendre plus
utile & plus commode qu'auparavant. Enfin
, le précis curieux de quelques articles
de la Coûtume de Paris , plufieurs
Tables , Tarifs & autres varietez utiles &
amufantes , achevent de rendre cet Ouvrage
convenable à toutes fortes de perfonnes
; & pour en avoir une idée plus
jufte & plus étendue , il ne faut que lire
l'Avertiffement qui eft à la tête .
On avertit le Public que l'Auteur s'eft
volontiers affujetti à parapher , comme à
l'ordinaire , tous les Exemplaires de ce
Calendrier, au commencement & à la fin ,
pour éviter qu'on n'y foit trompé.
ALMANACH DU PARNASSE , pour
l'Année 1728. où l'on trouvera le nom
1. vol. E iij de
2674 MERCURE DE FRANCE :
de tous les Poëtes vivans , avec un Catalogue
exact de leurs Ouvrages . A Paris
, Quay de Conti , che la veuve Pißot ,
in 18 .
L'ALPHABETOMANCIE , ou l'Almanach
des Dames , changé & augmenté ,
pour l'Année biffextille 1728. A Paris
, au Palais , chez Claude Prudhome ,
in 16.
On trouve à Paris , chez Papillon , Graveur
en bois , rue S. Jacques , au Papillon
, le petit Almanach de Paris ; il fe
vend auffi chez Jacques Chardon , Imprimeur
, rue S. Severin , à la Croix
d'or. Ce petit Almanach eft augmenté
cette année confidérablement , & le Graveur
y a ajoûté une planche qui n'eſt pas
moins belle que les deux premieres . On
y voit toûjours la même délicateffe de
gravure ; les Curieux trouveront que
cette gravure en bois ſurpaſſe infiniment
tout ce qu'on a vu jufqu'à preſent en
ce genre.
On trouve auffi chez Jacques Chardon
Almanach de Paris , ou Calendrier Hif
torique , pour l'année 1728. contenant
ce qui fe pfe de curieux à Paris & à la
Cour , à certains jours de l'année, en toute
1. vol.
efpece
DECEMBRE . 1727. 2675
efpece de curiofité , foit Ecclefiaftique ou
autre , avec des Obfervations intereffantes
fur chaque jour de l'année & à la
fin le prix de plufieurs choles néceffaires
au Commerce . Cet Almanach eft
in 8. & contient 200. pages.
OUVERTURE DU COLLEGE ROYAL
Les Profeffeurs du College Royal de
France , fondé à Paris par le Roy François
I. ont repris leurs exercices & commencé
leur année Académique le Lundy
17. du mois de Novembre dernier . Voici
les noms des Profeffeurs qui rempliffent
actuellement les Chaires de ce fameux
College .
Pour la Langue Hébraïque ,
Mr Sallier & Henry.
Pour la Langue Grecque ,
M. Capperonnier.
Pour les Mathématiques ,
Mr Chevalier & Pothenot.
Pour la Philofophie ,
M" Terraffon & Brivat de Molieres.
Pour l'Eloquence Latine.
Mrs Couture & Rollin.
Pour la Medecine , la Chirurgie , la Pharmatie
& la Botanique ,
Mrs Preaux , Andry , Geoffroy & Burette.
Pour la Langue Arabe ,
Mrs de Fienne & Fourmont.
1. vol.
E iiij Pour РОИ
2676 MERCURE DE FRANCE.
Pour le Droit Canon ,
M's Capon & le Maire.
Pour la Langue Syriaque ,
M. l'Abbé Fourmont .
On vend chez François Chereau , Graveur
du Roy , ruë S. Jacques , aux deux
Pilliers d'or , le premier Livre d'Eftampes,
gravées par les plus habiles Maîtres , fur
les Deffeins d'étude d'après Nature , par
le celebre Watteau , grand in folio 100 .
feuilles contenant 132. Planches .
On vend chez le même plufieurs Eltampes
en feuilles féparées , nouvellement
gravées d'après les Tableaux originaux ,
auffi peints par Watteau .
Cette gracieuſe Oeuvre , que fon ami
prend foin de mettre en lumiere , & que
les plus habiles de l'Art continuent de
graver avec beaucoup de foin , fera fans
doute le plaifir & l'empreffement des
Curieux les plus connoiffeurs .
Voici les titres marquez au bas de chaque
Eftampe. Quand il en paroîtra de
nouvelles , nous aurons foin d'en informer
le Public .
Le Portrait de Watteau .
Les Entretiens Badins .
L'Aventurier.
Le Bofquet de Bacchus.
1.vola
Le
DECEMBRE . 1727. 2677
Le Dénicheur de Moineaux.
La Coquette.
Le Camp- Volant.
Le Tête - à- tête .
Le Rendez-vous .
Le Conteur.
La Troupe Italienne.
Le
Voyage.
L'Amour defarmé.
Le Concert Champêtre.
Pomone.
La Difeufe d'aventure .
Vûë de Vincennes .
Le Retour de Chaffe.
Le Retour de Campagne.
Le Lorgneur.
Les Amuſemens champêtres
Les Champs Elifées .
Il paroîtra le mois prochain le fecond
& dernier volume gravé d'après les_Delfeins
d'Etude du même Auteur , beaucoup
plus ample que le premier , & qui
ne fera pas moins de plaifir que celui qui
paroît depuis un an .
Nous avons parlé dans ce Journal il y
a quelques années du fecret de peindre
en gravant , qui a été l'objet de la recherche
& de l'ambition des plus grands
maîtres . Dès le temps de Raphaël ont fir
de grandes tentatives là-deffus ; Andrea
J. Vol.
E v An
2678 MERCURE DE FRANCE.
Andreani parvint à imprimer avec des
Planches de bois , des deffeins femblaples
à ceux qu'on trace fur un papier de
couleur , avec du verd rehauffé de blanc ,
& n'alla pas plus loin . Les progrès de M.
Toylain ,Hollandois , n'ont pas répondu à
fes grandes dépenfes . Il n'a fçû qu'appli
quer plufieurs couleurs fur une même
Planche. S'il falloit reprefenter l'ombre
d'une couleur , du rouge , par exemple
c'étoit le même rouge , mais plus foncé
par une gravure plus profonde : ce qui
demandoit un grand travail , & ne produifoit
pas grand effet . M. le Blond , fameux
Peintre , né à Francfort , & établi
en Angleterre , fit de grands progrès fur
cette matiere il y a plusieurs années , &
fes Eftampes ont été regardées comme
des Tableaux coloriez avec beaucoup
d'entente ; mais fon Eleve , M. Lamiral,
Hollandois , a porté cet Art à un tel
point de perfection , qu'il femble difputer
à fon maître la gloire de l'invention .
Le burin entre fes mains eft un pinceau ,
mais un pinceau libre , exact , délicat ,
tendre & hardi : les Peintres mêmes ont
été trompez , ne pouvant le perfuader que
le Portrait du Roy, que M. Lamiral a préfenté
à S. M. fut imprimé , tant l'expreffion
& le coloris y font admirables
& vrais. On pourra donc déformais avoir
I. vol.
DECEMBRE 1727 . 2679
non feulement des portraits coloriez , gravez
& imprimez , mais encore des reprefentations
, par ces gravures peintes , dés
plantes & des fleurs avec leur couleur naturelle
, & même une Anatomie coloriée
en taille - douce , ce qui feroit très - commode
pour faire appercevoir les lineamens
les plus déliez , & faire diftinguer
les veines des arteres .
Pour opérer dans ce nouvel Art , on a
devant foi trois planches de cuivre , on
grave fur chacune le fujet qu'on veut reprefenter
; mais on le grave fi differemment
, que loin de reconnoître la même
figure fur les trois planches , on ne pour
roit jamais fe perfuader que des figures fi
diffemblables puffent concourir à former
la reprefentation d'un même objet . Quand
le fujet eft entierement gravé , on couvre
la premiere planche de bleu , la feconde
de jaune , & la troifiéme de rouge : on
applique enfuite fucceffivement fur les
trois planches la même Eftampe , & il
en résulte un tout qui ne cede point aux
Tableaux des meilleurs Peintres . Par ce
mélange de differentes gravures dont on
fe fert comme du burin , de l'eau forte ,
& de la maniere noire d'Angleterre , on
reprefente les teintes , les demi teintes
les ombres , les reflets & toutes les nuances
imaginables des couleurs.
I. vol.
>
E vj Un
2680 MERCURE DE FRANCE :
се
Un Ingenieur de Bâle en Suiffe , a in
venté , à ce qu'on affure , une nouvelle
Machine portative , & très commode
pour pomper un affez gros volume d'eau,
l'élever à une très grande hauteur , & la
conduire au loin , ce qui la rend d'un ufage
univerfel , & propre pour les incendies
, pour deffecher des marais & des
foffez ; par ce moyen on pourroit conduire
de l'eau à une armée qui feroit
éloignée des rivieres , &c. Et le tout
d'une maniere facile , à peu de frais , &
avec peu de monde .
Voici la maniere fimple que le St Lagache
d'Amiens a promis de donner dans
le Mercure de Mai dernier , pour faire
remonter une Horloge ou Pendule par ellemême.
Il n'y aura qu'une roue ou deux , avec
une rouë de rencontre , & un balancier
à pendule ; à l'arbre de cette rouë de rencontre
il tournera une corde ou cordon
avec un poids au bout , pour que quand
le poids fera monté , il faffe tourner la
roue de rencontre , pour recevoir les pallettes
du balancier , auquel le poids donnera
le branle.
A ce balancier il y en aura un autre
appliqué , & qui iront enſemble l'un par
l'autre , & ils feront aller une autre rouë
1. Vol de
DECEMBRE 1727. 2681
de rencontre en rocher d'une nouvelle
fabrique , laquelle roue en rocher fera remonter
un autre poids par l'arbre de ladite
rouë ; & quand le poids fera remonté
, il retombera dans l'inftant par
une defcente , & fera en defcendant remonter
le poids de la rouë de rencontre ,
pour aller de cette forte continuellement.
Si bien qu'il y aura par un feul mouvement
, un poids qui defcendra , & un
poids qui remontera ; & quand ils feront
à leurs fins , celui qui eft remonté fera , en
defcendant de lui-même , par fon plus
fort poids , remonter l'autre poids , pour
aller ainfi continuellement.
Il y aura encore un troifiéme balancier
appliqué , qui tournerà continuellement,
que le balancier à pendule fera aller
pour fuppléer par fon branle dans l'inftant
de ces deux mouvemens de rechange ,
qui ne fera qu'une chute. Ce balancier
caufera toute la jufteffe , & fera pofé fur
une rouë qui n'aura point de dents ,tourmant
à l'arbre de la rouë à rocher .
L'Auteur offre de faire faire cet ouvrage
par M. Fardois , Horlogeur de l'A-
`cadémie Royale des Sciences .
Le S Lagache offre encore de faire
faire à l'Arfenal de Paris , ou ailleurs , un
Canon tout monté fur un affut ordinaire
La Vola
20
qui
A
2682 MERCURE DE FRANCE.
qui ſe cachera à l'ennemi par un paraper
ou terre , & quand on le voudra tirer ,
on le hauffera de deux à trois pieds fur
fon même affut , & on le baiffera dans
l'inſtant qu'il aura tiré , pour le recharger
auffi-tôt ; ce qui fera prompt & facile.
On pourra mettre fur cet affut un
Canon que l'Auteur a inventé , dont on
a parlé dans le Mercure de Fevrier dernier
, folio 335. qui ne font que de moitié
de longueur , & qui porteront une
fois plus loin que les canons de même
calibre, & même que les plus forts Courfiers
des Galeres. On les chargera , fi l'on
veut par bafcule , comme on charge les
fufils , ce qui charge bien mieux que par
Ila maniere ordinaire. Comme ce feroit
une piece trés curieufe & très - utile , l'Auteur
y pourra ajoûter encore un baſſine
pour boucher la lumiere dans l'inftant
même que l'on a mis le feu ; ce qui
empêchera les lumieres de s'agrandir , &
les faire encore porter plus loin ; & dans
les Vaiffeaux de Guerre , que la fumée
n'incommode pas les travailleurs dans
les fabords , & c.
Le Roy a accordé à M. Jean May ,
Gentilhomme Anglois , des Lettrès Patentes
, portant Privilege exclufif, de mettre
en pratique dans tout le Rsyaume de
1. vol. France,
DECEMBRE 1727. 268 ;
France , une Machine très propre à élever
des eaux par les principes du feu & de
l'Atmoſphere : elle a été examinée & applaudie
par Meffieurs de l'Academie Royale
des Sciences : elle opere plus de force
que foixante chevaux , avec plus de diligence
, & beaucoup moins de frais : elle
éleve plus de 20900. muids d'eau dans
un jour. On peut l'employer pour deſſeicher
des marais & des mines , pour donner
un plus grand mouvement , & plus
d'effet aux moulins & aux pompes , &
pour conduire de l'eau dans des Villes
aux fontaines , aux maiſons particulieres
& aux jardins. On la fournira à des conditions
differentes , fuivant les lieux &
les facultez des Proprictaires & des Entrepreneurs
. On favorifera leurs interêts
pour rendre l'ufage de cette Machine trèsfacile
& avantageux à l'Etat. Ceux qui
veudront s'en fervir , n'auront qu'à s'adreffer
ou écrire à M. le Baud , en l'Hôtel
de M. le Marquis de Bully , rue neuve
S. Auguftin , à Paris.
On mande de Poitiers que les plus habiles
Avocats font confultez fur une queftion
affez finguliere ; fçavoir , fi un enfant
à naître fera fenfé être né pendant le premier
mariage de fa mere , qui a été déclaré
nul par l'Official de Poitiers , pour
1. vol.
caufe
9
1984 MERCURE DE FRANCE:
caufe d'impuiffance de cette femme , la
quelle s'eft trouvée féconde avec un fecond
mari , peu de temps aprés avoir
convolé.
.
On apprend de Vienne , que le Dôme
de l'Eglife des Religieufes de la Vifitation
a été peint depuis peu à frefque , par Antoine
Pelegrini , Venitien , & Hypolite
Sconfani , Boulonnois , habiles Peintres ,
où ils ont fait paroître toute l'excellence
de leur Art , & dont L. M. I. ont paru
très-fatisfaites .
On écrit de Londres, que le Roy a donné
fes ordres au Chevalier Thornhill , premier
Peintre de S. M. de peindre dans la
Galerie du Palais de Kenfington , plufieurs
Tableaux , dans lefquels feront reprefentez
les principaux évenemens de la
Monarchie Angloife ..
Le St Vallée , Marchand Fayancier-
Emailleur , a inventé une maniere de
boucher les flacons de cristal , de fa- "
çon qu'il ne s'en évapore qu'autant qu'il
eft neceffaire , foit de fel d'Angleterre ,
foit des eaux que l'on y met , enforte que.
F'on peut en refpirer l'odeur , fans les ouvrir
ni les déboucher ; ce qui les fend
beaucoup plus commodes & plus utiles .
I. vol.
on
DECEMBRE. 1727. 268 %
on trouve chez lui des criftaux de toutes
fortes , dans des gouts nouveaux , pour
les fervices de table ; il en vend & en
louë. Il eft fourni de toutes fortes d'eaux
de fenteurs , de fels & d'efprits diftillez .
Son enfeigne eft au Roi de Pologne , au Palais
, fous l'Escalier de la Cour des Aydes.
On donne avis au Public , que le véritable
Suc de Regliffe & de Guimauve blanc , qui
guérit le rhume , fortifie la poitrine , détache
& fait cracher la pituite , & qui eft très - fouverain
pour les Poulmoniques & Afthmatiques
, fe vend , fuivant l'aveu & approbation
de M. le premier Médecin du Roy , chez Mademoiselle
Defmoulins , qui demeure rue Guenegault
, du côté de la rue Mazarine , chez le
Boulanger , au premier Appartement
XXXXXXXX: XXXX: XXX
CHANSON.
Nuit que j'attens , quand viendrez- vous
Livrer à mes defirs l'objet de ma tendreffe
Précipitez vos pas , mon defir vous en preffe
Comblez mes defirs les plus doux.
Mais livrez- vous à la pareſſe
Qaand le Soleil voudra réveiller les jaloux ;
Nuit que j'attens , & c.
1. υοί. SPEC
2686 MERCURE DE FRANCE :
aaaaaaaakkkkk
L
SPECTACLES.
E 29. du mois dernier , les Comédiens
François remirent au Théatre
la Tragedie de Rodogune , de P. Corneille,
dans laquelle la De Balicour , jeune Actrice
, fort bien faite , ayant une trèsbelle
voix joua pour la premiere fois le
Rôle de Cleopatre , avec un applaudiffement
univerfel. Deux circonftances faifoient
beaucoup efperer de fon mérite &
de fes talens ; la premiere , c'eſt que Mil
Defmares , que le Public ne ceffe de regretter
, lui a montré à déclamer ; & la
feconde , qu'elle eft proche parente des
Sts Quinaut.
La De Balicour a confirmé depuis , &
augmenté les jugemens favorables du
Public , dans les Rôles de Cornelie , dans
la Tragedie de la Mort de Pompée , dans
celui d'Agrippine , dans Britannicus , &
dans celui de Cliftemnestre , dans Iphigenie.
Elle a réuni les fuffrages de la Cour
& de la Ville ; auffi a- t -elle été reçûë à
part entiere par ordre de la Cour , pour
remplir la premiere place qui vaquera.
Le Parterre dit qu'elle joue en Maîtreffe
1. vol.
plutôt
DECEMBRE. 1727. 2687
plutôt qu'en nouvelle Actrice. Sa belle
voix , la varieté de fes fons & de fes inflexions
, le fentiment vrai qu'elle met dans
ce qu'elle jouë , la font regarder comme
un excellent Sujet.
Le Mardi 2. Decembre , les Comédiens
François reprefenterent à la Cour la Tragedie
de Tiridate , de feu M. de Campiftron
, & les Bourgeoifes de qualité.
Le 4. Rodogune & le Mariage forcé. La
DileBalicour, qui joua le Rôle de Cleopatre
dans la Tragedie , y fut généralement
applaudie.
Le 6. La Comédie de la Femme Juge &
Partie , & les Bourgeoifes de qualité.
Le 9. Britannicus & le Sicilien. La
Dile de Balicour joua le Rôle d'Agrippine
dans la Tragedie.
Le 11. les Menechmes & l'Avocat Patelin.
Le 13. la Mort de Pompée , & le Bon
Soldat . La Dlc Balicour joua le Rôle de
Cornelie , dans la Tragedie .
Le 16. Le Dépit amoureux , & l'Aveng
gle Clairvoyant.
Le 18. Démocrite , & la Serenade.
Le 20. Phedre & Hypolite.
Le 22. Iphigenie & le Cocu imaginaire.
Sur la fin du mois dernier , les mêmes
Comédiens remirent au Théatre la
1. vol. Tragédie
2698 MERCURE DE FRANCE .
Tragedie de la Mort d'Alcefté , de M.
de Boiffy , qui la retira après deux reprefentations
.
Ils donneront inceffamment la Comédie
nouvelle de la Surprife de l'Amours
Les Comédiens Italiens donnerent le
18. de ce mois une petite Piece nouvelle
de l'Auteur des Amans réunis , intitulé
le Bracelet , qui n'a cû que deux reprefe
ntations.
L'Académie Royale de Mufique continue
les reprefentations de Roland , avec
un très-grand fuccès . On jouë les Mardis
le Balet des Amours des Dieux , que
le public voit encore avec plaifir.
LES AMANS RE'UNIS , Comedie de
M. de Beauchamp , reprefentée pour la
premiere fois fur le Théatre de l'Hôtel de
Bourgogne , le Mercredy 26. Novembre
1727.
Le grand fuccès de cette Piéce , qui at◄
tire de très- nombreuſes affemblées au
Théatre Italien , nous engage à en donner
un Extrait affez détaillé pour que ceux
qui ne font pas à portée d'en voir les reréfentations
, puiffent avoir au moins
le plaifir d'en pouvoir juger .
ACDECEMBRE
. 1727. 2689
ACTEURS.
Lelio , Pere de Léonor.
Léonor , fille de Lelio , & pourtant
ignorant fa naiffance.
Oronte , Pere de Valere , & ami de
Lelio.
Valere , Amant de Léonor , fans fçavoir
de qui elle eſt fille .
Colombine , Suivante de Léonor .
Arlequin Valet de Lelio.
Scapin , Valet de Valere .
La Scene eft à Paris dans la maiſon
de Lelio.
ACTE I.
Valere attend avec impatience le retour
de Scapin , qu'il a envoyé vers Leonor ,
chargé d'une Lettre pour elle . Scapin revient
de fon voyage , & annonce à Valere
qu'il n'a pas trouvé Leonor dans l'endroit
où il l'a vûë pour la premiere fois ; il lui
apprend que fes parens l'ont remife depuis
peu entre les mains d'un homme entre
deux âges , qui la fait monter dans un
Carroffe à fix chevaux , malgré fon attendriffement
pour les Parens qu'elle quittoit
. Cette nouvelle accable Valere. Il ne
doute
2690 MERCURE DE FRANCE .
doute point que ce ne foit à un Rival qui
doit époufer la chere Léonor que fes Parens
l'ont livrée. Scapin , a beau lui reprefenter
qu'il doit éteindre un amour qui
ne fert qu'à le tourmenter , & qu'il vaudroit
bien mieux qu'il s'attachât à quelque
perfonne d'une condition égale à la fienne ,
& qu'il pût époufer fans honte . Valere
lui répond que la vertu & la beauté de
Léonor font d'un plus grand prix à fes
yeux que la plus haute naiffance , & qu'il
' ne balanceroit pas à l'époufer , s'il avoit
le bonheur de la retrouver. Ils fe retirent
tous deux à l'approche de Lelio & d'Oronte
.
Oronte fait un reproche d'ami Lelio fur
le fecrer qu'il lui fait de fon amour pour
une Demoiſelle qu'il tient renfermée chez
lui ; Lelio défabufe Oronte , en lui apprenant
que cette aimable perfonne dont
ille croit amoureux, eft fa propre fille ; il
lui déclare les raifons qu'il a euës de la
faire élever fecretement pendant quinze
ans , & que ces raifons ne fubfiftant plus ,
il l'eft allé reprendre chez un vieux Domeftique
à qui il l'avoit confiée , & qu'el
le croit encore être fon pere. Ce qui s'eft
déja dit dans la premiere Scene met les
Spectateurs au fait , & l'on ne peut m'éconnoître
dans cette fille de Lelio , la même
Leonor dont Valere , fils d'Oronte , eſt
I. vol amoureux
DECEMBR E. 1727. 2691
amoureux , & qu'il croit ppëerrdduueë pour jamais
; de forte que la Piéce commence à
devenir intereffante dès la feconde Scene.
Nous ne nous arrêterons pas aux Scenes
d'Arlequin feul, ni à celles qu'il a avec Colombine
ou Scapin. Nous nous contenterons
de dire qu'Arlequin eft devenu amoureux
de Léonor , & que cet amour lui donne
pendant toute la Piéce un jeu qui convient
parfaitement à fon caractere de
balourd , qui fait beaucoup de plaifir.
Oronte , dans une Scene qu'il a avec Arlequin,
fait connoître par quelques à parte,
qu'il a des vues pour Léonor , & l'on s'apperçoit
bien , que ces vues regardent fon
fils Valere , ce qui contribue encore à augmenter
l'interêt , ou du moins à le réveiller.
Dans la feptiéme Scene , Léonor fe
croyant feule , & ayant encore les premiers
habits , fe demande compte des fentimens
de fon coeur . Elle parle d'un amour
fecret dont elle eſt toute occupée . Arle.
quin l'ayant entenduë d'un endroit où il
s'étoit caché , ne doute point qu'elle ne
parle de l'amour qu'elle à pour lui. Cette
connoiffance prétendue l'enhardit à lui
faire la déclaration ; mais fa bétiſe ne lui
fait dire que des mots à bâtons rompus.
L'arrivée de Colombine le tire d'embarras,
& l'oblige à fe retirer.
I. vol.
a
Co2692
MERCURE DE FRANCE .
>
Colombine demande à Léonor d'où
peut venir fa profonde mélancolie ; elle
lui promet une fidelité à toute épreuve.
Léonor fe contente de lui dire que les offres
qu'elle lui fait la confolent dans fes
malheurs , puifque du moins il lui fera
permis de ne plus contraindre fes larmes
devant elle . Colombine lui fait entendre
qu'elle fe fait des malheurs chimeriques ,
tandis que tout femble confpirer à la rendre
la plus heureufe perfonne du monde.
Elle lui vante les bontez que Lelio a pour
elle. Léonor lui répond que ces bontez
allarment fa gloire ; Colombine lui fait
efperer que Lelio pourroit bien fe déterminer
à l'époufer . Léonor frémit à ce dernier
effort des bontez de Lelio ; elle n'en
fait
pas connoître davantage à Colombine;
peut-être achevroit - elle de s'expliquer,
fans l'arrivée de Lelio , dont Colombine
l'avertit .
Lelio demande à Léonor d'où vient
qu'elle eft fi trifte; il ajoûte que c'est peutêtre
qu'elle regrette fes Parens , à qui il
l'a arrachée. Me le deffendez vous , lui répond
Léonor ? non , lui dit - il , Je loùe au
contraire votre bon naturel ; mais vous n'êtes
point née pour vivre avec eux . Cette
Scene finit par ces paroles de Lelio . Telle
que vous êtes , à votre inquiétude près , j'ai
lieu d'être content de vos fentimens ; je les
I. vol. ai
DECEMBRE . 1727. 2693
ai examinez , je les connois ; fi cependant
mon experience & mon amitié me donnent
quelques droits fur vous , je m'en fers pour
vous donner un feul confeil. Deffendez- vous
contre l'amour ; je vous parle pent- être trop
tard ; je ne veux pas pourtant le croires
mais enfin , Léonor, votre bonheur eft dans
vos mains ; répondez- vous de votre coeur ;
mes foins vous répondent du refte. Je vous
Laiffe y fonger,
Nous finirons ce premier Acte par un
Monologue de Léonor après que Lelio l'a
quittée.
Quelles font ces idées flattenfes qu'il veut
m'inspirer ? Où tendent ces confeils interef
fez? Je ne l'entends que trop . Suis-je encore
moi-même ? Qui peut m'avoir changée de
la forte ? Je voulois me plaindre , je n'ai
fait que des remerciments . Je voulois me
livrer aux murmures ; je n'ai trouvé que
des expreffions de reconnoiffance ; que j'ai
honte de ma foibleffe ! Quelle chaîne invifible
m'attachoit auprès de lui ! J'ai pû l'écouter
garder le filence Malheureuse
Léonor , es-tu de concert avec lui pour te
perdre ? Valere , fufpendez vos reproches
je fens que je ne les merite pas . Mon coeur
eft toujours le même , il est le même ! Pours
quoi donc ne s'eft - il point revolté contre
Lélio ? Je ne me connois plus , tout me trouble
; tout me confond. Les tendres réfle-
I. vol. F xions
2694 MERCURE DE FRANCE .
xions de Léonor font interrompuës par
l'arrivée de Colombine ; elle fe retire &
la laiffe avec Arlequin. Nous ne dirons
rien de la Scene qu'ils ont enſemble , quoi
qu'elle foit très - plaifante ; elle feroit trop
de diverfion à l'interêt , qui va toujours
en augmentant.
ACTE II,
Dès la premiere Scene , Scapin apprend
à Valere qu'il vient de voir fa chere Léonor
, & qu'elle eft chez Lelio; Valere ſoup
çonne Lelio d'être fon Rival ; il jure qu'il
fe portera aux dernieres extrémitez , fi l'objet
de fon amour ne lui eft rendu. Scapin
calme cette impetuofité de jeune homme ,
& lui confeille d'avoir recours à l'artifice ;
il ajoûte que Lelio cherche un valet pour
Léonor. Valere ne balance pas à fe
propofer
pour jouer un fi heureux perfonnage.
Il veut aller fe traveftir fans perdre de
temps , mais l'approche de fon Pere l'en
empêche. Oronte dit à Valere qu'il veut
le marier. Valere lui répond qu'il ne veut
point s'engager fous les loix de l'hymen ;
Oronte eft très- affligé du peu de penchant
que fon fils lui a témoigné pour le mariage.
Il le foupçonne d'être amoureux ;
mais il fe flatte qu'il n'aura pas plutôt vû
Léonor , à qui il le deftine , qu'il oubliera
route autre Maîtreffe.
1. vol. Lelio
DECEMBRE . 1727. 2695
Lelio demande à Oronte des nouvelles
de fon fils . Oronte lui apprend qu'il eſt
arrivé depuis peu ; Lélio lui dit qu'il devroit
fonger à le marier , Oronte lui répond
qu'il y fonge & qu'il a quelques vûes
fur lui , qu'il lui communiquera , s'il veut
bien aller faire un tour de promenade avec
lui. Lélio y confent , & lui dit qu'il a auſſi
quelques vûes pour fa fille , dont il feroit
bien-aife de lui faire part . Oronte ne doute
point que cela ne regarde fon fils Valere.
Léonor magnifiquement habillée & fuivie
de Colombine , commence la cinquié
me Scene par ces mots , qu'elle adreffe
d'abord à ſa ſuivante. Laiffez- moi ; je ne
veux plus rien entendre , & vous auſſi
vous m'avez trompée , funeftes ajustements :
que vous êtes peu faits pour moi , & queje
fuis peu faite pour vous ! Lélio ne fe déguife
plus ; fa profufion le trahit , la vertu
toute feule n'eft pasfi genereufe.
Colombine dit à Léonor qu'elle là foupçonne
d'avoir quelque violente paffion
dans l'ame ; Léonor lui fait confidence
de la fecrette ardeur pour un jeune Officier
qu'elle a vû dans les lieux où elle a
été élevée , & qui lui a juré qu'il l'aimeroit
toujours. Colombine combat cet
amour qui trouble fon mais Léonor
lui fait entendre que c'eft un mal dont
Fij elle
I. vol.
repos ;
2796 MERCURE DE FRANCE .
elle ne peut, ni ne veux guérir; voici com
me elle peint la naiffance de fon amour.
·Elevée , mieux qu'il ne convient peut-être
à une fille de ma forte , je vivois tranquille
dans mon état , je ne voyois rien au dehors
qui me fit envie. Plût au Ciel que je fuffe
encore la même ! Les premieres années de
ma vie s'écoulerent dans ce calme heureux,
Il paffa des Troupes dans le lieu de ma
naiſſance. Parmi quinze on vingt Officiers,
j'en vis un , c'est le premier homme fur lequel
j'euffe encore ofe lever les yeux. Colombine
, je ne vous le peindrai point en
Amante , maisfi jamais vous le connoiffe
fa vûe juftifiera ce que je vais vous dire.
Je crus qu'il me diftinguoit de mes compu
gnes ; il mefembloit que fes regards me di
foient, Léonor,je vous trouve aimable; vous
me plaisez vos graces fimples vous tiennent
lieu de biens , de naiffance ; je lui en
fçûs gré, &je fus affez folle pour m'ima
giner que je n'étois pas tout- à-fait indigne
d'un hommage fi flatteux . Ce ne fut qu'un
fonge pour mes yeux ; ce fut une verité
trop réelle pour mon coeur. Colombine demande
à Léonor le nom d'un Amant fi tendrement
aimé : Léonor lui nomme Valere
: à ce nom , Colombine paroît étonnée ,
Léonor lui demande la caufe de fa furprife
; elle lui répond qu'un Cavalier qui
porte ce nom eft connu d'un de fes meil
I, vel, leurs
DECEMBRE. 1717. 2697
leurs amis. Leur entretien eft interrompu
par l'arrivée de Valere travesti en valer.
Léonor le reconnoît d'abord , & eft mor
tifiée de le trouver dans une condition fi
baffe ; Valere ne l'eft pas moins de la revoir
dans un état fi magnifique , il lui demande
fi elle veut de fon fervice , Léonor
toute interdite lui répond , que c'eft à Lélio
qu'il doit s'adreffer , & fe retire.
Valere frappé de la brufque retraite de
Léonor & de la froideur avec laquelle
elle lui a parlé , ne balance point à la croire
infidelle ; ce Monologue eft fuivi d'une
Scene qu'il a avec Arlequin que nous
pafferons , quoi qu'elle faffe un grand plai
fir par la maniere dont elle eft placée &
jouée. Scapin arrive ; Valere lui dit de
quelle maniere il a été reçû de Léonor.
Scapin lui confeille d'aller reprendre fes
habits , Valere avant que de s'en aller , le
charge d'une Lettre pour Léonor , & le
conjure de la lui faire rendre. Scapin remet
cette Lettre à Arlequin même , qui
ne s'en charge qu'à condition qu'il lui
prêtera un habit de fon Maître pour aller ,
dit-il , au Bal ; Scapin lui promet l'habit
& lui laiffe la Lettre. Arlequin n'a garde
de rendre une Lettre qu'il foupçonne venir
d'un Rival ; il fait quelques lazzis avec
cette Lettre ; Lélio vient fans en être
apperçu,
& lui arrache la Lettre. La lecture
1. vol. Fiij qu'il
1698 MERCURE DE FRANCE.
qu'il en fait lui apprend que Léonor a un
Amant fecret , qui ne le nomme pas dans
cette Lettre ; ce qui lui fait prendre la réfolution
d'ufer d'artifice pour le connoître.
Il ordonne à Arlequin de l'attendre ;
il revient avec deux Lettres dont l'une eft
pour Léonor , & l'autre eft pour cet Amant
inconnu. On va voir l'effet de ces deux
Lettres dans le dernier Acte.
ACTE II I.
Comme cet Extrait commence à deve
nir long , on ne rrouvera pas mauvais que
nous l'abregions , quoi qu'à regret. La premiere
Scene eft entre Valere & Scapin ;
ce dernier paroît furpris de la fidelité de
fon Maître , après la cruelle Lettre qu'il
vient de recevoir ; Valere lui répond que
malgré tout ce qu'il voit il ne fçauroit fe
perfuader que Léonor foit infidelle , &
qu'il la connoît trop bien pour lui faire
tant d'injustice.
Dans une autre Scene , Lélio & Oronte
fe font confidence du peu de difpofition
qu'ils trouvent dans leurs enfans à confentir
au mariage qu'ils ont projetté.
Léonor vient quelque temps après avec
Colombine , & lui dit qu'elle veut abfolument
découvrir à Lélio tout ce qui fe
paffe dans le fond de fon coeur . Colom
1. vot. bine
DECEMBRE. 17277 2699
bine lui répond que la démarche qu'elle
va faire la fait trembler ; voici quelques
fragments de ce Dialogue.
Léonor.
Ingrate envers Lélio , indigne de fes bienfaits
, trahie
par
Valere , inquiette , agi
tée , vittime éternelle de fentiments oppofes
qui me déchirenttout enfemble , qu'ai -je enz
core à menager ?
Colombine .
Voulez- vous m'en croire ? Commencez
par oublier Valere.
Léonor .
L'oublier ce ne feroit pas le puniri
seferoit me punir moi - même ; j'agirois contre
mon coeur.
Colombine.
Quoi ? lorfqu'on vous abandonne , vous
ne ferez pas le moindre effort pour vous
vanger !
Léonor.
Non , Colombine , je n'imiterai point
Valere. L'Amour intereffe s'offenfe de tout ,
l'Amour genereux ne s'offenfe de rien : indépendant
des évenemens , il fubfifte par
lui-même dans un coeur dont il s'eft rendu
maître ; l'inconftance , les injures , rien në
Paffoiblit. Il ne s'éteint pas même avec l'efperance
: mais que dis-je ? je n'ai jamaiš
1. vol.
Fiiij efpere ,
2700 MERCURE DE FRANCE.
fperé ; fi je vous parle d'un air moins timis
de , c'est qu'on ne peut plus me foupçonner
d'ambition , & c. Le refte de cette Scene
eft à peu près du même ſtyle , c'eſt - à - dire
rempli de fentimens . Elle eft fuivie d'une
Scene d'éclairciffement entre Valere &
Léonor ; on l'a trouvée tendre & trèsbien
écrite . Le Lecteur s'attend fans dou
te à la voir ; nous allons le fatisfaire .
SCENE IX.
Valere à Scapin.
La voilà, l'ingrate ; Scapin , qu'elle eft
belle!
Léonor à Colombine.
Colombine , c'est lui ; vous en ai-je trop
dit?
Valere.
Vous êtesfurprife , Mademoiselle , de me
voir ici; je le fuis moi-même de votre
procedé.
Léonor.
Je croyois , Monfieur, que c'étoit à moi
à me plaindre.
Valere.
Quoi ? lorfque tout defefperé de votre
perte , je vous cherche par tout , lorsque
charmé du plaifir de fçavoir où vous êtes,
je rifque toutpour vous marquer ceplaifirs
Leonor , je me fers encore de ce nom fi
1. vol.
cher
DECEMBRE. 1727. 2701
cher , vous me fuyez , fans me dire une
parole ! fans daigner me regarder ! vous
vous taifez , Léonor ; vous avez raison ,
votre coeur defavouëroit vos excufes .
Léonor.
Pouvois-je faire autrement ? Songezvous
à quoi vous m'expofiez !
Valere .
Vous aviez peur de ne pouvoir foutenir
mes reproches.
Léonor.
Je ne méritois pas ceux que vous m'avez
écrits.
Valere .
Ma Lettre étoit tendre , paſſionnée ..
Léonor.
Si je vous la montrois , cette Lettre , vous
feriez forcé d'avouer que vous êtes injuste
Valere.
Dites plutôt quefi je vous montrois vor
tre réponſe ....
Léonor.
Ma réponse ! moi , je vous ai écrit ! vous
m'en foupçonne ! ah ! Colombine , où
fuis-je, &c.
Ils fe donnent réciproquement les
Lettres qu'ils ont reçûës ; ils les defavouënt
& concluent de- là qu'ils font
trahis. Valere propofe un enlevement à
Léonor , mais elle eft trop vertueufe pour
y donner les mains . Valere l'accufe d'ai-
Lo vol.
FY mer
2702 MERCURE DE FRANCE .
mer Lélio. Elle lui répond : Pouvez- vous
te croire ? J'avoue que des liens fecrets
m'attachent à Lélio ; mais je fens que ce qui
Se paffe en moi pour lui ne nuit point à ce
qui s'y paffe pour vous , vos droits s'y
réuniffent fans fe combattre : ne m'en demandez
pas davantage ; je me trouve agitée
de mouvemens dont je ne puis vous
rendre compte fi votre amour s'en offense,
c'est que vous ne lifez point dans mon
coeur ; mais enfin , quelque foit ce fentiment
inconnu , il faut pr'obtenir de Lélio , ou xe
me plus voir.
pas
Nous voici près du dénouement ; il n'eſt
difficile à deviner. Dans une converfation
entre Lélio & Léonor , cellecy
qui a réfolu de lui ouvrir fon coeur,
lui apprend qu'elle aime Valere; Lélio en
eft agréablement furpris ; il fe déclare fon
pere, & lui dit que c'eft Valere même qu'il
lui deftine pour époux..
On n'a gueres vû de Piece au Theatre
Italien du ton de celle - cy. Avec la bienféance
& les moeurs qui y regnent par tout,
elle eft pleine d'efprit & de fentimens ,
& d'un fi grand interêt , que les Spectateurs
y font attendris . Au refte elle eft
parfaitement bien réprefentée par les
Srs Lélio , Thomaffin , &c. & par la
Dile Sylvia , qui par le naturel & la fineffe
de fon Jeu , s'attire toujours les applaudiffemens
du Public, Le
DECEMBRE. 1717. 2703“
Le premier de ce mois , les Concerts
recommencerent chez la Reine par une
Idylle Héroïque , intitulée : les Prèfens des
Dieux , pour celebret l'heureuſe naiffance
de Mefdames de France. Le Poëme eft.
de M. l'Abbé Pellegrin, & la Mufique de ·
M. Colin de Blamont , Sur- Intendant de
la Mufique du Roy.
Junon .
ACTEURS.
La D Antier.
Apollon. Le fieur du Mefnil.
Le Génie de la France. Le S' Dangerville.
Un Habitant des Rives de la Seine.
Le fieur Godenefche.
Deux Habitantes . Les Dies le Peintre
Barbier
Une troifiéme Habitante. La De Def
jardins.
La Scene eft dans une des Cours du Château
de Versailles.
Le Génie de la France commence l'Idyle
par un Monologue . La Beauté du jour naiffant
luifait préfumer que lesDieux vont répandre
de nouveaux bienfaits fur la France;
ce qui donne lieu à cet augure, c'est que
ce fut à pareil jour que Monfieur le Duc
d'Orleans époufa la Reine au nom du
Roy. Cette époque eft marquée par ces
Vers :
F vj Jour
* I. vol.
1704 MERCURE DE FRANCE:
Jourheureux ou l'Hymen alluma fon flambeau,
Pour la félicité du monde ,
Des biens les plus charmants fois la fource
féconde .
Que vois-je ? Quel'éclat nouveau !
Non ; jamais le Soleil , du vaſte ſein de l'Onde,
Ne fortit plus pur & plus beau.
Jour heureux , &c.
Le Génie de la France appelle les Habitans
des rives de la Seine & les invite
à former les plus doux Concerts pour
le Roy & pour la Reine. Un Habitant.
demande au Génie quel eft le fujet de
cette Fête nouvelle , par ces cinq Vers :
Quel bonheur nous attend , favorable Génie ?
Par vous du monde entier la Diſcorde eft ban--
nie ,
Rentre dans le fond des Enfers ;"
Et vous venez de nos Concerts ,
Ranimer encor l'harmonie !
Ces Vers font connoître l'allégorie du
perfonnage de l'Idylle qui porte le nom
de Genie de la France. Il ne leur donne
point d'autre raifon de la Fête à laquelle
il les invite , que ce qu'il a déja fait entendre
dans fon Monologue. Le reſpect .
L.. volon
que
DECEMBRE. 1727 2705
}
que les Habitans ont pour ce Miniftre
des Dieux , fait qu'ils fe livrent , fur fa
foi , aux plus doux tranfports. Junon
vient annoncer la naiffance des deux
Princeffes , par ces Vers :
Peuples à qui les Dieux ont accordé pour
Maître ,
Le plus grand Roy de l'Univers ,
Deux Princeffes viennent de naître ,
Pour la felicité de cent Peuples divers :
Adorez du deftin la fageffe profonde ;
Il veut par ce bienfait nouveau ,
Remplir tous les Trônes du monde ,
De Rois formez d'un fang fi beau.
Ces paroles de Junon donnent lieu à
un redoublement de joye . Junon charmée
de la tendreffe des Peuples pour leur
Roy , exprime fon admiration en ces
termes :
Que je me plaîs à vous entendre !
Heureux Peuple ! heureux Roy ! l'un pour
l'autre eft formé .
Un Roy fi digne d'être aimé,
Méritoit un Peuple fi tendre..
Une Habitante chante ce Caneva ;
alternativement avec le Choeur :
Lo. vol... De
2706 MERCURE DE FRANCE
De nos bois le naiffant feuillage ,
Les Gafons , les Fruits , les Fleurs ,
Pour l'objet du plus tendre hommage,
Tout s'accorde avec nos coeurs,
Jeune Zéphire ,
Flore foupire,
Mais fois jaloux
D'un foupir fi doux 3
Sa tendreffe ,
Ne l'adreffe
Qu'à l'aimable Roy ;
Dont nous fuivons la Loy &
De nos bois , & c.
Sort aimable ,
Sois durable ;
Que de fes beaux jours ,
Rien ne trouble jamais le cours,
Ris & Graces ,
Sur fes traces ,
Avec les Amours ,
Volez toujours .
De nos bois le naiffant feüillage , &C.
Junon , toujours plus charmée de la
• vol. tenDECEMBRE.
1727 2707
tendreffe des Peuples , voyant defcendre
Apollon , leur fouhaite un nouveau
bienfait des Dieux. Apollon répond au
fouhait de Junon , adreffant d'abord la
parole à cette Déeffe , & après aux Habitans
de la Seine.
Tes voeux font exaucez , favorable Déeffe ;
Vous , qui pour votre Roy marquez tant de
tendreffe ,
Ne doutez point du prix qui doit la couronners
Les Dieux vous font affez entendre ,
Par les biens que fur vous ils viennent de répandre
,
Ceux qu'ils daignent vous deftiner, & c .
Junon engage Apollon à annoncer à
ce Peuple fidele , la gloire où les Rois
doivent un jour parvenir ; voici comment
Apollon répond :
Dans fon livre terrible , aux autres Dieux
fermé ,
Le Deftin m'a permis de lire :
J'ay vû d'un oeil furpris , j'ai vu d'un oeil
charmé ,
Tout l'éclat de ce vaſte empire.
Quelle fuite de Rois , ou plutôt de Héros !
Jupiter en leurs mains remettra fon Tonnerre,
Pour affurer un plein repos -
1. vol.
A
2708 MERCURE DE FRANCE
A tous les Peuples de la terre.
Vous joüiffez déja de cette aimable paix ;
Louis , par de nouveaux bienfaits ,
Veut éternifer fa mémoire ;
Mais , fi malgré les foins d'un Roi fi genereux ,
Quelques Peuples encor refufent d'être heureux
;
Tous les Dieux veulent que fa gloire ,
Sur les aîles de la Victoire ,
Vole en tous les climats où je répands mes
feux.
Après cette prédiction d'Apollon , Junon
parle ainfi à la Renommée :
O vous qui d'une aîle legere ,
Parcourez cent climats divers ,
Partez , Nymphe à cent voix , volez , fendez
les airs ;
Du bonheur que la France eſpere ,
Inftruiſez le vafte Univers ,
L'Idylle finit par un Choeur en actions
de graces aux Dieux. Ce Concert a été
honoré des fuffrages de la Reine & de
toute la Cour ; & Sa Majesté l'a redemandé.
Le 17. du même mois , l'execution
a été generalement approuvée.
Mile Antier s'y eft diftinguée à fon ordi-
Jo valor naire
DECEMBRE 1727 270H
naire ; les autres Acteurs l'ont parfaite
ment fecondée .
Le St Philidor , Ordinaire de la Mufique
du Roy , ayant obtenu un nouveaut
Privilege pour continuer les Concerts
qu'il a cy- devant donnez au Château des
Thuilleries , en fit executer un le 20. de
ce mois , compofé d'un Divertiffement.
qui a pour titre , le Retour des Dieux fur
la Terre. Le Poëme eft de M. Tanevot ,
& la Mufique de M. Colin de Blamont ,
Sur . Intendant de la Mufique du Roy.
Cet Ouvrage fut fait en 1725. à l'occafion
du Mariagedu Roy , & chanté à Fontainebleau
devant leurs Majeſtez la même
année. Le Public l'a vû ici avec plaiſir ,
ayant été fort bien executé. Les Dilles An
tier & Pitron , de la Mufique du Roy , y
chanterent differens morceaux qui furent
fort applaudis , de même que les Sr le
Prince , Dangerville & Dumenil , auffi
de la Mufique du Roy : Le Concert fut
terminé par la Cantate de Didon , mife
en Mufique par le même Auteur , &
chantée par la Dlle Delba . On continuera
de donner ce Concert deux fois la Semaine
en hyver , & une fois feulement
en été ; il fera compofé ces jours -là d'un
Divertiffement très-court & de Mufique
Italienne ou Françoife , de Sonnates , &
I. vol.
d'un
1710 MERCURE DE FRANCE.
d'un grand Motet à la fin . On donnera
auffi les autres Concerts compofez de
plus beaux Motets Latins les jours des
Fêtes folemnelles , de la même maniere
qu'ils ont été chantez cy- devant . On a
decoré de nouveau le Salon dont on a
déja parlé, d'une maniere tout- à- fait com
mode pour les Spectateurs .
XXXXXXXXXX :XXXXX
NOUVELLES DU TEMPS.
TURQUI È.
LE
E bruit court à Conftantinople que le
Sultan Acheraf avoit encore défait
un corps de Troupes Ottomanes de 16000
hommes qui étoient fortis d'Amadan pour
aller fecourir Marſain , dont il vouloit faire
le Siege , & les
que ayant pourfuivis
jufqu'aux portes d'Amadan , il s'étoit
rendu maître de cette Place. Les Lettres
de la Frontiere portent , que les Perfans
de Carduel tenoient la Ville de Tauris
bloquée , & que l'armée du Grand Seigneur
manquoit de vivres & de munitions
, enforte qu'on ne doutoit point
que les Generaux Tures ne reçuffent in
ceffamment les pouvoirs & les ordres ne
ceffaires pour figner un Traité aux conditions
que le Sultan Acheraf voudra pref
crire.
}
RUSSIE .
DECEMBRE . 1727 2713
L
RUSSIE.
E Major General Romanshoff a
écrit en Cour que le Commandant
des Troupes Ottomanes , étoit convenu
d'une fufpenfion d'Armes avec le Sultan
Acheraf , Chef des Rebelles de Perfe , qu'il
y avoit lieu de croire que la Paix feroit
inceffamment conclue entre les deux
Puiffances : & qu'il croyoit qu'on devoit
encore envoyer de nouvelles Troupes ,
pour la garde des Provinces conquifes
du côté de la Georgie , parce que la prin
cipale Armée du Gr. S. commençoit à
défiler vers cette Province.
Par le dernier état des Troupes qui a
été prefenté au Czar , avec les augmenta
tions qui ont été faites depuis la mort du
feu Czar & les nouvelles levées , il fe
trouve 56000. hommes en quartier
dans les Provinces conquifes fur la Suede
; 90000. dans le coeur de la Ruffie ,
y compris l'Ukraine, & environ 70000.
hommes dans la Perfe , Cafan & Aftracan
: en tout 2 10000. hommes.
、y
S. M. Cz. donna le 1. du mois der
nier le Gouvernement General de Peterf
bourg & de fon Diftricht , au Felt Marechal
, Comte de Sapieha , auquel elle a
accordé en même temps une place dans
I. vol. fon
2712 MERCURE DE FRANCE.
fon Confeil d'Etat . M. Jagozinski a été
nommé Commandant General & Lieutenant-
Capitaine de la Compagnie des
Chevaliers Gardes , à la Place du Pr. Menzikoff.
On publia le 7. Novembre une Ordonnance
du Confeil de Guerre , par laquelle
les Officiers Generaux font obligés
d'envoyer les Majors des Regimens
lé 15. de chaque mois , recevoir les deniers
deſtinés pour le payement des troupes
, & d'en faire faire la diftribution le
1. du mois fuivant , à peine d'être caffés .
Le Confeil de Regence examine toutes
les procedures qui ont été faites , tant
contre la Czarine , Ayeule du Czar , que
contre le Czarowitz fon Pere ; ce qui
fait croire qu'on a deffein de rechercher
ceux qui ont eu part par leurs Confeils ,
aux violences que le feu Czar à exercées
contre eux .
On affure qu'on annullera toutes les
Ordonnances qui ont été publiées depuis
dix ans , & qu'on rétablira l'ancienne forme
du Gouvernement , telle qu'elle étoit
dans le temps de l'Avenement du feu Czar
au Trone. La Cour a même été inftruite
de la promté foûmiffion de toutes les Provinces
, à executer les derniers ordres du
Czar là - deffus .
La plupart des Officiers , tant Civils.
1. vol.
que
DECEMBRE. 1727. 2713
"
que Militaires qui ont été placés pendant
le Miniftere du Prince Menzikof , ont
été caffés , mais le Confeil de Guerré a
fait payer à ceux qui font étrangers , trois
mois de leurs appointemens , pour leur
donner moyen de retourner dans leur
Pays.
Les Academiciens qu'on avoit fait venir
à Petersbourg des Pays Etrangers ,
n'ayant rien reçû de leurs penfions depuis
plus de 18. mois , commencent à
fe retirer, & quelques-uns d'entr'eux font
déja partis fans congé de la Cour , & fans
demander ce qui leur est dû.
Le Grand Amiral Apraxin , le Comte
Golofskin & le Baron d'Ofterman , ont
partagé entr'eux la direction de toutes
les affaires dont le Pr. Menzikoff étoit
chargé avant fa difgrace.
On a abandonné pour quelque tems l'é
xecution des grands projets du feu Czar ,
pour l'augmentation de la Marine de ce
Pays , à caufe des dépenfes extraordinaires
aufquelles ils engageoient , & l'on a
congedié une grande partie des Charpentiers
de Vaiffeaux qu'on avoit fait venir
des Pays Etrangers.
SUEDI .
On écrit de Stockolm , qu'un Seigneur
A. vol.
qui
2714 MERCURE DE FRANCE .
qui avoit prédit que le 29. & le 30. Ocs
tobre dernier , les chemins feroient propres
à aller en traineaux & qui avoit parié
200 , ducats , a gagné fa gageure , la
choſe étant arrivée comme il l'avoit prédite
, Le même Seigneur a déja fait autrefois
de femblables gageures , & les a ,
dit-on , toûjours gagnées , ayant prédit
même jufqu'au jour & à l'heure qu'il devoit
faire un tel temps , ce qui s'eſt trou,.
vé jufte .
Les Lettres de Varfovie portent que le
bruit s'y répandoit que les Etats de Curlande
, pour éviter le partage de ce Duché,
en Falatinats , après la mort du Duc Ferdinand
, offroient de payer une fomme.
très confiderable à la Republique de Pologne,
& d'obliger les Gentilshommes du
Duché de fournir en tems de Guerre un
certain nombre de Cavaliers montez &
équipez , & de monter eux-mêmes à cheval
, lorfque le Roy de Pologne jngera à
propos de convoquer la Nobleffe du Duché.
ALLEMAGNE
Les Officiers Generaux de l'Electorat
'Hanover ont reçû des nouveaux ordres
de faire des levées de Soldats pendant cet
hiver , le Roi d'Angleterre ayant réfolu
d'augmenter les Troupes de cet Electorat
1. vel,
jufqu'à
DECEMBRE. 1727. 2715
jufqu'à 30000. hommes.
On mande de Riga , que le General
Mofcovite qui commandoit l'Eté dernier
les Troupes du Czar en Curlande , avoit
fait dire fecretement aux Principaux de la
Nobleffe de ce Duché , que S. M. Cz.
continueroit de leur accorder fa protec-
> tion , s'ils vouloient concourir de leur
part
à faire réuffir les projets qu'elle a formés
pour la confervation de leurs libertés .
On écrit de Dantzick que le Comte Maurice
de Saxe en eft parti , & qu'on célebra
à Mittau le 2 , de ce mois la naiffance
du Duc Ferdinand , qui entroit ce
jour- là dans fa 73. année.
L'Empereur a envoyé un Brevet de Maréchal
de Camp General de fes Troupes
au Prince de Saxe de la Branche d'Hilberthaufen
, qui eft actuellement à Naples
, où il a fait abjuration depuis peu
des erreurs du Lutheranifme. S. M. I.
a nommé à l'Evêché de Malthe M. Alphe
ran , Prieur d'Aix en Provence , François
de Nation.
>
Le Miniftre des Etats Generaux a cû
ordre de complimenter l'Empereur à
l'occafion des ordres que S. M. I. a donnés
pour la fufpenfion du Commerce de la
Compagnie d'Oftende.
Le Pacha du Grand Caire , qui fait ac
tuellement fa quarantaine à Trieste , ayant
I. vol. écrit
2716 MERCURE DE FRANCE.
écrit une Lettre à l'Interprete de l'Empe
reur par le canal d'un Bourgeois de Vienne
; le fils de ce Bourgeois qui la reçût
alla par équivoque la remettre au Conful
Turc qui réfide dans cette Capitale depuis
quelques mois. Ce Conful l'ayant
ouverte , quoi qu'elle ne fut pas à fon
adreffe , eut encore la témerité d'en ouvrir
une feconde qu'elle renfermoit , qui
étoit adreffée à l'Empereur , & par laquel
le il fupplioit S, M. I. de l'honorer de fa
protection , ayant formé le deffein de fe
retirer à Vienne. Le Conful Turc fe rendit
auffi -tôt chez le Prince Eugene , auquel
il demanda qu'on lui remit ce Pacha
comme rebelle au G. S. & qu'il lui
fut permis de le renvoyer à Conftantinople.
Comme on a été inftruit depuis de
l'indifcretion du Conful Turc , bien loin
de lui accorder ce qu'il fouhaittoit , on a
dépeché un Exprès au Refident de l'Empereur
à Conftantinople , pour demander
fatisfaction au G. S. & l'on a fait arrêter
le porteur de la Lettre.
O
ESPAGNE.
Nécrit du Camp de S. Roch,que les
troupes qui y ont paffé l'Eté, font attaquées
d'une diffenterie qui çaufe une
grande mortalité,
I , vol. On
DECEMBRE. 1727. 2717

On a reçû avis de Cadiz que la Flote
'Angloiſe du ' Vice - Amiral Wager , qui
croifoit au commencement de ce mois à
la hauteur du Cap de S. Vincent , avoit
été augmentée de fept Vaiffeaux de Guerre
, enforte qu'elle eft prefentement de
trente voiles.
Ces Lettres ajoûtent que l'Arnauld ,
Vaiffeau , qui fit naufrage il y a quelques
mois près de l'ifle de Flore , à fon retour
des Indes Occidentales , étoit arrivé depuis
peu dans le Port de Cadiz , avec tout
l'or ,l'argent , & la plus grande partie,
des marchandifes de ce Bâtiment qu'on a
eû le bonheur de fauver.
ITALIE.
1
N écrit de Naples du 24. Octobre
qu'on fit l'ouverture d'une Neuvaine
, en action de graces à Dieu , de ce
que cette Ville a été préfervée d'une ruine
totale dans la derniere tempête , caufée
par le tremblement de terre , & par les
Hâmes du Mont Veluve , dont on a parlé.
La plupart des Villages voifins de cette
Montagne ont été prefque tous renverfez
les boucheries qui font près de la
Grotte de Pozzuolo , ont été ruinées ; la
célébré Eglife Paroiliale de Giuliano a
été abbatuë ; le Palais de la Princeffe de
I. vol.
G Colle ,
3013 MERCURE DE FRANCE.
Colle d'Anchife à Caffandrino ; & la
Maifon du Commiffaire Royal font tombez
, & tous les grains , vins , fourages ,
marchandiſes & meubles de plufieurs autres
endroits , à fix lieuës à la ronde , ont
été perdus.
On a eu avis de Rome , que le 15. du
mois dernier , le Pape avoit nommé cinq
Cardinaux , qui font l'Archevêque de Tolede
, à la nomination du Roy d'Efpa-
´gne ; l'Archeveque de Vienne , à la nomination
de l'Empereur ; l'Abbé de Zinzendorff
, à la nomination du Roy de Pologne
; l'Abbé Motta , Chanoine de l'Eglife
Cathedrale de Lisbonne , à la nomination
du Roy de Portugal ; & M. Querini
, Evêque de Brefcia , Venitien.
On mande de Rome que M. Gambarrucci
, Archevêque d'Amafie , & premier
Maître des Cérémonies Pontificales
, eft allé à Viterbe ordonner les préparatifs
neceffaires pour la cérémonie
du Sacre de l'Archevêque Electeur de
Cologne.
Le 6. Novembre le Pape partit de Ro
me pour s'y rendre ; il prit fon logement
dans un Convent de l'Ordre de S. Dominique.
L'Electeur de Cologne y arriva
le même jour avec la Princeffe Douairiere
de Tofcane fa tante.
Le Pape n'ayant pû arriver à Viterbe
5. vol.
que
DECEMBRE. 1727. 2719
que le 8. du mois dernier , à cauſe du
mauvais temps , S. S. alla defcendre au
Convent des Dominicains , d'où elle fe
rendit le lendemain à l'Eglife de N. D.
de la Quercia , avec les Prélats qu'elle
avoit nommez pour lui fervir d'Afliftans
pendant la Cérémonie du Sacre de l'Archevêque
Electeur de Cologne , qui fe
fit le même jour dans cette Eglife , où
l'on ne laiffa entrer que les gens de la
fuite de ce Prince , & ceux de la Princeffe
Douairiere de Tofcane fa tante.
S. A. Electorale a fait prefent au Pape
d'une Croix & de fix Chandeliers d'or
enrichis de pierreries ; d'un Chapelet de
groffes Perles Orientales , dont les Pater
font des Emeraudes montées en or , & au
bas duquel eft une Médaille d'or , avec
une Croix de Diamans . Outre ces préfens
, ce Prince a donné à la Chambre
Apoftolique , une Lettre de Change de
24000. écus › pour la dédommager des
frais du Voyage de S. S. à Viterbe , & de
fon retour à Rome. +
On arrêta à Rome fur la fin de l'autre
mois un Chantre de l'Eglife de Saint
Jean de Latran , accufé d'avoir eu part
la falfification de quelques expéditions
délivrées avec une fauffe fignature du
Cardinal Lercari , & à la diftribution
qui s'eft faite pendant quelques jours de
I. vol. Gij plufieurs
2720 MERCURE DE FRANCE .
plufieurs offemens d'animaux pour des
Reliques de Saints .
L'Electeur de Cologne , & la Grande
Princeffe de Tofcane , fa tante , font partis
d'Albano pour aller à Naples.
On a reçu avis de Palerme que l'Officier
General qui commande en Chef les
Troupes Imperiales de la Sicile , avoit
reçu dans le bas - ventre un coup de fufil
, chargé de deux balles , l'une d'or
l'autre d'argent. On accufe de cet afſaſfinat
un Marquis Sicilien , avec lequel ce
General avoit eu une querelle quelques
jours auparavant.
On a appris de Zante & de Corfou ,
qu'outre le Pacha du Grand Caire , qui
s'eft retiré à Triefte , il s'y étoit encore
fauvé trois autres Officiers Turcs de confidération
; que le premier ayant obtenu
fa grace du G.S. étoit allé à Conftantinople
; que le fecond s'étoit embarqué
pour Alger ; & que le troifiémé fe difpofoit
à paffer en France.
On mande de Venife que le Pacha du
Grand Caire eft arrivé à Triefte avec 24 .
perfonnes de fa fuite comme il étoit
complice de la derniere révolte du Grand
Caire , & que d'ailleurs il a la réputation
d'avoir amaffé de grandes richeffus ,
on avoit dépêché de Conftantinople ún
Aga chargé des ordres du G. S. pour lai
To vol faire
DECEMBRE. 1727. 2927
faire couper la tête , & s'emparer dé
fes trésors au nom de S. H. Ita fçû prévenir
l'execution de ces ordres , & il s'eft
fauvé fur un petit Bâtiment Chrêtien
avec des fommes très confidérables . 11 a
deffein de paffer à Vienne auffi - tôt qu'il
aura fini fa Quarantaine , & l'on croit
qu'il s'y fera baptifer .
Les Prêtres de la Congregation de la
Miffion de S. Lazare,établis en France en
1626. follicitent à Rome la Béatification
de Vincent de Paul , leur Fondateur.
On apprend de Chamberi que le Roy,
de Sardaigne , enfuite du dernier accommodement
de S. M. avec la Cour de
Rome , avoit nommé aux Evêchez , Ab
bayes , & autres Benefices vacans en Savoye.
L'Evêque de la Val d'Aofte a été fait
Archevêque de Tarantaife ; & l'Abbé
de Rambert , Official & Chanoine de la
Sainte Chapelle de Chamberi , a été nommé
Evêque d'Aofte ; l'Abbé de Chaumont
a été pourvû de l'Abbaye de Chezery
, Ordre de Cîteaux ; & l'Abbé de
Valpergue- Chivron , de celle de Sixt ,
de la Regle de S. Auguftin. Ces deux
Abbayes étoient vacantes par la démiffion
de l'Abbé D. Jofeph , dont le mérite
, l'érudition , le goût pour les Lettres
, & la protection dont il honore les
Sçavans , lui ont mérité la nomination
1. vol.
G iij
·à
2722 MERCURE DE FRANCE.
à l'Abbaye de Lucedio en Piémont . L'Abbé
de Salins a eu l'Abbaye d'Entremont ,
Ordre de S. Ruf , & il a été fait Doyen
de la Sainte Chapelle de Chambery .
Le Roy vient de nommer à l'Abbaye
de Tamié , un des Religieux de cette Abbaye
de Solitaires , qui font les émules
de ceux de la Trappe.
L
"
GRANDE BRETAGNE.
ne •
E 10. Novembre le Roy & la Reiaccompagnez
dans leur Caroffe
de la Princeffe Royale , & de la
Princeffe Caroline , & efcortez par une
Compagnie des Gardes du Corps , par
une Compagnie des Grenadiers à che
val , & par les Suiffes de la Garde , partirent
vers les deux heures après midi du
Palais de S. James , pour aller dîner à
l'Hôtel de Ville . Après avoir vû paſſer
l'Entrée du nouveau Lord - Maire , & des
Aldermans , L. M. furent conduites dans
la Salle du feftin , où Elles mangerent à
une table féparée , élevée fur une Eſtrade
, & aux côtez de laquelle on en avoit
dreffé d'autres pour les Miniftres Etrangers
, les Grands Officiers de la Couronne
& les Seigneurs de la Cour. Toutes
ces tables furent fervies avec autant de
délicateffe que d'abondance.
Dès que Milord- Maire , les Echevins
1. vol. &
DECEMBRE . 1727. 2723
& lesMembres duConfeilCommun eurent
pris leurs places à la table qui leur étoit
deſtinée , on fit faire filence , & le Crieur
commun proclama à haute voix , que le
Roy buvoit à la fanté de Milord - Maire ,
& à la profperité de la Ville de Londres
& de fon Commerce , & que la Reine
réiteroit la même fanté. Enfuite on fit
encore faire filence , & le Crieur proclama
que le Lord - Maire , les Echevins &
les Membres du Confeil Commun buvoient
à la fanté , à la longue vie & à
l'heureux Regne du Souverain Seigneur ,
le Roy George. On fit faire filence pour
la troifiéme fois , & le Crieur proclama
que le Lord- Maire , les Echevins , &c .
buvoient à la fanté , à la longue vie , &
au bonheur de la Reine Charlotte , & de
toute la Famille Royale.
Après le repas , le Roy & la Reine
pafferent avec le Duc de Cumberland &
les deux Princeffes , dans une autre Salle
où il y eut un Bal qui dura jufqu'à près
de onze heures du foir , que L. M. retournerent
au Palais de S. James : toutes
les ruës fur leur paffage étoient magnifiquement
illuminées , & bordées d'une
haye formée par les Regimens de Milice
de la Ville de Londres , & de la Liberté
de Weſtminſter . La Princeffe Amelie
, qui eft encore indifpofée , ne pur
1. vol.
G iiij trouver
Le
2724 MERCURE DE FRANCE.
trouver à ce feftin . Le Roy eut la bonté
de faire remettre le même jour 1000 .
livres sterling d'aumône aux Scheriffs ,
pour délivrer des pauvres prifonniers pour
dette .
On a reçû des Lettres de Charles Town
dans le Sud de la Caroline , dattées du 15,
Septembre dernier , qui portent que les
Armateurs Espagnols avoient pris ou fait
échouer fur la Côte un grand nombre de
Bâtimens Anglois .
Le Roy figna fur la fin du mois dernies
la Proclamation qui proroge le Parlement
jufqu'au 22. du mois de Janvier
prochain.
S. M. a nommé M. Gordon , Capitaine
du Vaiffeau de Guerre , le Bervvick ,
pour commander l'Efcadre Angloife de
l'Amerique , à la place du Vice- Amiral
d'Hofier , qui. mourut à bord de fon Vaiffeau
le 3. du mois de Septembre dernier.
Les Commiffaires de l'Amirauté ont
mis en Commiffion fix Fregates legeres ,
qui doivent partir inceffamment pour aller
proteger le Commerce des Anglois
de la Virginie , contre les Armateurs Efpagnols
qui croifent le long des Côtes de
cette Province .
1. vol. HOLDECEMBRE
. 1727. 3025
HOLLANDE , PAYS - BAS .
N Cologne que le 11.No-
Ovembre, des Incendiaires avoient mis
le feu au College des Jefuites en quatre endroits
differens , & qu'en moins de fix
Heures ce bel Edifice avoit été confumé ,
malgré tous les fecours qu'on s'étoit empreffé
d'y apporter ; que ces mêmes Incendiaires
avoient auffi mis le feu à l'Eglife
, mais qu'on l'avoit éteint auffi - tôt
qu'on avoit apperçu les flames ; qu'on
avoit déja trouvé quatre perfonnes étouf
fées fous les ruines du College .
Les Etats Generaux ont fait publier un
Placard te 29. du mois dernier , par le..
quel ils défendent aux Matelots & autres
gens de Mer , nez Sujets de la République
, de s'engager au Service d'au- .
cune Puiffance Etrangere , tant pour le
Négoce que pour la Pefche , fous peine
de la vie , & de confifcation de biens.
L. H. P. ont nommé pour l'un de leurs.
Miniftres Plenipotentiaires au futur Congrès
de Cambray M. Sicko de Goflinga ,
Député de l'Affemblée des Etats Generaux
pour la Province de Frife.
«. vol.
GV NOR2716
MERCURE DE FRANCE.
O
Nouvelles d'Afrique .
Napprend de Cadiz qu'il arriva vers
la fin du mois dernier , deux Religieux
de la Redemption des Captifs , de la
Province de Paris, & deux autres du même
Ordre , de la Province d'Aquitaine , qui
vont en Afrique pour racheter des Efclaves
Chrétiens . Ils font accompagnez de
deux Efclaves François , que le nouveau
Roy de Miquenez avoit envoyé à la Cour
de France , pour y faire quelques propofitions
concernant le commerce & la
liberté des François qui font Captifs dans
fes Etats.
On a reçû diverfes Lettres de Salé , de
Tetouan & de Miquenez , toutes datéesdu
commencement de Novembre , qui
portent , que pendant les mois d'Août &
de Septembre derniers , il s'étoit donné.
tois batailles très - fanglantes , dans lefquelles
Muley - Hamet Deby avoit toujours
remporté la victoire fur fon frere
Muley - Abdemelec Gouverneur du
Royaume de Suz , où il s'étoit fait proclamer
Roy , ainfi qu'à Maroc : que la
premiere avoit été donnée au commencement
d'Août , dans la Plaine d'Azamor
, près de la Riviere de Tuar , où fix
I. vel. mille
>
DECEMBRE. 1727. 2727
mille hommes du parti d'Abdemelec
avoient été mis en déroute : que peu de
jours après l'Armée de ce Prince , compofée
de 35 oo o . Blancs , & commandée
par lui - même , avoit été attaquée
& défaite dans la Plaine de Maroc , par
les Troupes de fon frere , Muley- Abdela
, autre fils du feu Roy , qui a pris le
parti de Muley- Hamet - Deby , dès la
mort de leur pere . L'Armée de ce dernier
étoit compofée de 15000. Noirs ,
ayant à leur tête le Bacha Zemerani , &
de 1000 , Blancs , commandez par le
Bacha Amcoutarif , Officiers de grande
réputation dans le Païs .
On remarque dans ces Lettres , que fi
les troupes d'Abdemelec avoient eû autant
de bravoure que leur Chef, elles auroient
remporté une victoire complette ,
puifque ce Prince avoit tué de fa
propre
main le Bacha Zemerani , fon fils , & quatre
autres Officiers Generaux de l'armée
de Muley- Abdela ; mais que les Blancs
avoient pris la fuite dès la feconde charge
; ce qui avoit obligé ce Prince , déja
bleffé , de fe fauver avec fo . Cavaliers ,
à Taradan , Ville Capitale du Royaume
de Suz , qui eft fituée dans la Chaîne du
Mont Atlas , & dont les approches font
faciles à défendre , parce que les défilez de
ces montagnes font très - étroits ..
Η I. vol. Gvj Abdela
2728 MERCURE DE FRANCE .
Abdela prit dans cette action fix Dra•
peaux , trois Parafols , douze Chevaux de
main , & neuf Dromadaires : fix mille
Blancs de l'armée d'Abdemelec furent
tuez en s'enfuyant. L'un des fils de ce
Prince ayant été fait prifonnier , fur conduit
à Hamet-Deby , qui après lui avoir
fait un accueil favorable , le renvoya à
fa mere.
La troifiéme action fe paffa au come
mencement du mois de Septembre. Muley
- Arrahan , neveu d'Abdemelec , ayant
raffemblé les débris de l'armée de fon oncle
, en compofa un corps de troupes de
15000. hommes , & defcendit dans la
Plaine Abdela l'y furprit , & l'obligea
de prendre la fuite . Après ces trois batailles
, dans lefquelles Muley - Hamet-
Deby n'a perdu que 8oo. hommes , fon
armée alla attaquer Maroc , dont les habitans
, qui avoient proclamé Abdemelec.
, furent paffés au fil de l'épée , ſans
égard à l'âge ni au fexe. Cet exemple , &
les malheurs de ce Prince , ont entièrement
détruit fon parti , & l'on ne croit
pas qu'il puiffe jamais ſe relever , d'autant
plus qu'il a fait la faute de faire trop
fentir le mépris qu'il avoit pour les Noirs,
qui font la feule Milice reglée du Païs ,
& qui de defefpoir s'étant mis fous la
protection d'Hamet-Deby , ont foûtenu
J. vel. feuls
DECEMBRE. 1727. 2729
feuls fon parti dans le commencement de
la Guerre Civile , où ce Prince détesté
alors , à caufe de fes cruautéz & de fest
débauches , n'avoit pû gagner aucun des
Chefs ; mais les tréfors de fon pere , dont
il s'étoit emparé , lui ont donné les moyens
de s'affurer de Miquenez , où il fait ſa réfidence
, comme le feu Roy , & des prin
cipaux du païs , qu'il a féduits par fes li
beralitez .
>
D'autres Lettres particulieres de Salé ,
portent qu'un nommé Pillet , Renegat
François , Gouverneur du Port de cette
Ville , & un nommé Moreno , autre Renegat
Espagnol , originaire d'Andaloufie
, avoient fait armer trois Fregates ;
P'une de 22. Canons , & de 122. hommes
d'Equipage ; l'autre , de 18.Canons ,
& de 110. hommes ; & la derniere , de
12. Canons avec 70. hommes , &
qu'elles étoient forties du Port au commencement
de ce mois , pour faire la
courſe pendant tout l'Hyver : ces Lettres
ajoûtent que le Roy Hamer-Deby paroiffoit
à prefent fort porté à favorifer le
Commerce ; qu'il fouhaitoit de faire des
Traitez à ce fujet avec les Rois de France
, d'Efpagne & de Portugal , & qu'il
leur avoit envoyé des Efclaves , nez leurs
Sujets , pour leur en faire les premieres
propofitions. Suivant ces Lettres , il y a
A vol. prefentement
2730 MERCURE DE FRANCE :
prefentement à Miquenez 130. François
en captivité , 299. Efpagnols , & 110 .
Portugais.
On écrit de Tetouan que le Bacha de
Tanger , mécontent de ce que le Roy Hamet-
Déby lui avoit ôté le Gouvernement
de cette Place , avoit raffemblé un Corps
de 12 000. hommes , avec lequel il étoit
venu attaquer Tetoüan au mois d'Octo- '
bre dernier , qu'il avoit donné le 20. &
le 22. du même mois , deux affauts qui
avoient duré chacun près de quatre heures
; mais qu'ayant manqué fon entreprife
, il s'étoit retiré à une lieuë & demie de
la Ville , où l'on craignoit qu'il ne reçût
de nouveaux renforts pour la venir
attaquer une troifiéme fois.
Addition aux Nouvelles du Temps.
LES
Es Comtes de Leffy & Bibikoff , Generaux
Mofcovites , qui font dans le
Duché de Curlande , ont déclaré par écrit
aux Commiffaires de la République de
Pologne , que l'Empereur , le Czar & le
Roy de Pruffe , s'oppofoient à la réfolution
prife dans la derniere Diette generale
de Grodno , de divifer le Duché de
Curlande en Palatinats , après la mort
du Duc Ferdinand. Cette Déclaration a .
donné lieu à des Conferences réïterées-
I. vol. entre
DECEMBRE. 1717. 2737
entre les Commiffaires , & le bruit cou
roit à Varfovie au commencement de ce
mois , qu'on alloit proceder extraordinairement
contre ceux qui ont eu le plus de
part à la derniere Election du Comte
Maurice de Saxe , parce qu'on les foupçonne
d'avoir encore des correfpondances
fecrettes avec quelques Puiffances étrangeres.
On apprend de Vienne , qu'il y arriva
un Courier de Conftantinople le 11. de
ce mois , avec la confirmation des premiers
avis qu'on avoit eus de la fignature
d'un Traité de Paix entre le G. S. &
le Sultan Acheraf. Ce Fraité n'eft pas
fi defavantageux à S. H. qu'on l'avoit
publié d'abord , puifqu'elle conferve Tauris
, toute la Georgie & une grande partie
des autres Conquêtes qu'elle a faites
en Perfe.
Il a été réfolu dans le Confeil de l'Empereur
, d'accorder au Pacha du Grand
Caire qui eft à Trieste , la protection qu'il
a demandée , & de lui permettre de fe
retirer où il jugera à propos dans les
Terres de la domination de S. M. I &
même de paffer quelque temps à Vienne.
On a appris par les Lettres de Lifbonne,
que la Flore du Brefil y étoit entrée le
premier de ce mois ; qu'elle étoit compolée
de 15. Navires Marchands , efcor
I. volg tez
2732 MERCURE DE FRANCE .
tez de deux Vaiffeaux de guerre , & que
la principale charge confiftoit en 2000 .
caiffes de Sucre , environ 100. mille
Cuirs crus , & en une grande quantité
de matieres d'or & d'argent.
L'Electeur de Cologne & la Grande
Princeffe Doüairiere de Florence , fa tante ,
qui arriverent à Naples incognito le 23 .
du mois dernier , allerent defcendre au
Palais du Duc de Gravina . Le Cardinal
Viceroi leur envoya le lendemain fes Caroffes
dont ils fe font fervi pour aller voir
les raretez de cette Ville . Leur fuite eft
de plus de 80. perfonnes qui font toutes
logées dans le même Palais. Le Prince
Ottajano de Medicis , Napolitain , envoya
le 25. à cet Electeur un prefent de
48. baffins de gibier & du fruit confis
& un femblable prefent à la grande Princeffe
Doüairiere. Le 27. au foir , il leur
donna un Concert de voix & d'Inftrumens
qui fut fuivi d'un magnifique repas
& d'un Bal. Le premier de ce mois , l'Electeur
de Cologne partit de Naples pour
Rome , avec cette Princeffe , au bruit de
plufieurs falves de l'Artillerie des Châreaux
.
On écrit encore de Naples , que le fommet
du Mont Vefuve paroît comme une
Montagne de feu , d'où il fort fans difcontinuation
des torrens de flammes qui
A. vol.
pouflens
DECEMBRE. 1727. 2733
pouffent avec impétuofité une quantité
prodigieufe de pierres calcinées dans les
vignes & fur les maifons, que les Habitans
ont été obligez d'abandonner.
Les eaux qui ont féjourné dans le Territoire
de Juliano , ont miné les terres
qui fe font entr'ouvertes en plufieurs endroits
, de forte qu'on a lieu de craindre
qu'au premier tremblement de Terre tout
Ce petit pays ne foit bouleverfé.
L'Electeur de Cologne & la grande
-Princeffe fa tante , n'arriverent à Rome que
le 4. de ce mois , parce qu'ils avoient été
arrêtez à Sermonetta , où le Prince Gaetano
leur avoit donné le divertiffement de
la Chaffe du Sanglier .
-
Le Duc de Norfolk donna le 16. de
ce mois à Londres un repas magnifique
à l'occafion du mariage du Lord-
Edouard- Howard , fon frere. Il fit prefent
à chacun des Conviez d'une Montre &
d'une Tabatiere d'or. Le foir il y eut un
Bal dans fon Hôtel.
MORTS , NAISSANCES
des Pays Etrangers , &c .
O
Na reçû avis que le Vice-Amiral
d'Hofier , qui commandoit l'Eſcadre
Angloife dans les Indes Occidenta-
2. vel. lca
2734 MERCURE DE FRANCE.
les , y étoit mort le3 . Septembre dernier.
Frederique - Albertine , fille du Comte
George - Leopold d'Erpach , & veuve du
Duc de Saxe Hilperthaufen , mourut le
22. du mois dernier à Erpach.
La Princeffe Elizabeth- Albertine de
Waldeck , veuve du Comte Philippe-
Louis d'Erbach ci -devant Lieutenant
General des Armées de la République
d'Hollande , eft morte à Michelfdaft.
>
Le même jour , la Princeffe Hereditaire
de Modene accoucha heureuſement
d'un Prince.
2
La Comteffe Frederique Willielmine ;
Douairiere d'Yfembourg Offenbach
époufé à Francfort le jeune Comte
Dohna.
Lá Princeffe Doüairiere de Naffau Dillembourg,
de la Maifon d'Holftein - Ploen ,
mourut à Francfort le 28. du mois dernier
, âgée de si . ans.
(x. vol.
FRANCE ,
DECEMBRE. 1727. 2735
*****X *XX* XX ** X***
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
O
Na appris de Verdun , que le 18.
du mois dernier , le feu ayant pris
au Magazin à poudre , où il y en avoit
environ 12. milliers ; plus de 30. maifons
de la baffe Ville furent renversées ;
fix Compagnons qui travailloient dans
ce Magazin , y périrent . Plufieurs autres
perfonnes de la Ville furent tuées
bleffées. Une partie des grilles d'un Con
vent , qui étoit éloigné de 800. pas ,
furent enfoncées. Les vitres du Palais
Epifcopal , qui en eft beaucoup plus éloigné
, furent entierement brifées , ainfi
que la plupart de celles de la Ville.
,

>
οι
où il
Le 23. du mois dernier le Comte
d'Hautefort nouveau Gouverneur de
S. Malo , partit de Paris pour aller
prendre
poffeffion de ce Gouvernement.
Il arriva le 29. à Pontorfon
trouva M. de Gouillon , & un grand
nombre de perfonnes qui étoient venues.
au- deyant de lui ; ils le conduifirent de
là à la belle Maiſon de Campagne de M.
de Pluffignet , Maire de S. Malo : le nou-
A. vel. veau
J
2736 MERCURE DE FRANCE.
veau Gouverneur y fut reçû au bruit des
Boëtes . La Maiſon & les Jardins , qui
font magnifiques , étoient illuminez avec
beaucoup d'art on avoit formé en plufieurs
endroits les Armes & le Chiffre
de M. le Comte d'Hautefort .
Il y eut au même lieu un feu d'artifice
très-bien executé , après lequel deux
tables de vingt couverts chacune , furent
fervies avec autant de délicateffe que de
profufion.
Le lendemain M. le Comte d'Hautefort
, fuivi du même Correge , fe rendit à
S. Malo. Il trouva à une lieuë de la
Ville , l'ancien Maire à la tête des Députez
du Corps de Ville , qui le haranguerent
, le Maire portant la parole.M . de
Vauborel, Lieutenant de Roy de S. Malo ,
qui l'attendoit à la Porte de la Ville ,
lui en prefenta les Clefs , & le harangua.
M. le Gouverneur fe rendit enfuite
a l'Hôtel du Gouvernement, accompagné
des Marquis Dajat & d'Hautefort , & de
Mrs de Pombriant , de Verteillac de
Noyan , & d'une foule de Nobleſſe , tant
de la Ville que des environs. La Milice
Bourgeoife étoit fous les armes , dans les
rues par où il paffa.

Il fut encore harangué chez lui par
tous les Corps & Communautez de la
Ville .
1. 1. vob
Le
DECEMBRE . 1727 : 27.37
Le foir il fe rendit au Château , dont
on tira le Canon ; le Lieutenant de Roy
lui donna un magnifique fouper , pendant
lequel il y eut une excellente Mufique.
Après le fouper on tira encore le
Canon & un feu d'artifice , On alluma des
feux devant toutes les portes des Maifons.
M. le Comte d'Hautefort avoit fait
placer dans plufieurs quartiers de la Ville
des Bariques de Vin , qui fut diftribué.
abondamment pendant toute la nuit. On
n'a jamais vû à S. Malo une joye plus
univerfelle.
Le 26. du mois dernier au foir , la Reine
Douairiere d'Efpagne fe retira dans le
Convent des Religieufes Carmelites de
la rue de Grenelle.
EXTRAIT de Lettre écrite de Rochefort ;
le
Novembre 1727.
5.
Omme vous êtes , Monfieur , fort
Ccurieux d'obferver tout ce qui fe prés.
fente dans la nature , j'ai crû que vous
ne feriez pas fâché de fçavoir que le Meteore
dont vous parlez dans un de vos
Journaux de cette année , avoit auffi paru
en Canada , à peu près dans le même
temps.
Les Peuples de la Nouvelle France
ont par leurs Fêtes témoigné leur joyę
I. vol. au
£738 MERCURE DE FRANCE.
au fujet du rétabliffement de la fanté du
Roy , & de la groffeffe de la Reine .
M. Dupuy , Intendant en ce Pays , donna
à ce fujet un repas des plus fuperbes ,
où toutes les Dames & les Officiers des
Troupes furent invitez . Toutes les fe-.
nêtres de l'Intendance étoient illuminées
d'une quantité de Lampions. Le repas fut
fuivi d'un Bal , qui ne finit que le lendemain
à fept heures : Madame l'Intendante
, qui en faifoit les honneurs
Y
brilla beaucoup enfin , chacun parut
être auffi fatisfait de la Fête , que furpris
de la magnificence de M. l'Intendant
, & des manieres de Madame l'Intendante
.
;
>
Le 9. du mois dernier , Dom Andoche
Pernor , élu depuis peu Abbé General de
l'Ordre de Cîteaux , fut beni dans l'Eglife
de cette Abbaye , par l'Evêque de
Chalons fur Saône.
Le 30. du mois dernier , premier Dimanche
de l'Avent , le Roy & la Reine
éntendirent dans la Chapelle du Château
de Verſailles , la Meffe chantée par la Mu
fique , pendant laquelle l'Evêque de faint
Omer & l'Evêque d'Agde prêterent ferment
de fidelité entre les mains de S. M.
L'après midi , L. M. affifterent à la Prés
dication de l'Abbé Prevôt , Chanoine de
l'Eglife Cathedrale de Chartres.
1. vol.
M.
DECEMBRE. 1727. 2739
M. Van- Hoey , Ambaffadeur ordinaire
de la République d'Hollande , qui étoit
arrivé à Paris le 21. du mois dernier
eut le 2. de ce mois une Audience particuliere
du Roy & de la Reine , étant
conduit par le Chevalier de Saintot , Introducteur
des Ambaffadeurs.
Le 3. de ce mois , le Duc de Bourbon ,
qui avoit paffé quelque temps à Chantilly
, eut l'honneur de faluer le Roy à Verfailles
.
Le Roy & la Reine ont envoyé complimenter
la Reine Douairiere d'Eſpagne,
fur le rétabliffement de fa fanté.
Le 8. de ce mois , Fête de la Concep
tion , le Roy entendit la Meffe , chantée
par la Mufique , dans la Chapelle du
Château de Verſailles . Le même jour , la
Reine, après avoir entendu la Meffe , communia
par les mains de l'Abbé de Saint
Aulaire , fon Aumônier en quartier. L'a
près midi , L. M. entendirent le Sermon
de l'Abbé Prevôt , Chanoine de l'Eglife
Cathedrale de Chartres , & enfuite les
yêpres chantées par la Mufique.
Le Roy a nommé la Marquife de Villars
, Dame du Palais de la Reine , à là
place de la Maréchale de Villars , qui a
demandé cette grace à S. M.
Le Roy a accordé au fils du Comte de
Morville , l'agrément du Regiment de
I. vol. Dragons
2740 MERCURE. DE FRANCE .
Dragons , dont le Marquis de Bonnelles
étoit Mestre de Camp.
M. le Marechal de Villeroy , qui a
été fort incommodé à Villeroy , après
avoir verfé dans fon Carroffe , arriva à
Paris au commencement de ce mois , &
fa fanté eft prefque entierement rétablie .
Le Roy & la Reine ont envoyé très- fouvent
fçavoir de fes nouvelles , ainsi que
tous les Princes , Princeffes & Seigneurs
de la Cour.
Le Duc de Cruffol , fils du Duc d'Ufez
, qui étoit arrivé de fes Terres en cette
Ville , le 30. du mois dernier , fe rendit
le 9. de ce mois aux Prifons de la
Conciergerie , pour purger le Decret qui
avoit été décerné contre lui , au fujet des
- bruits qui avoient couru fur la mort du
Comte de Rantzau , dont le corps fut
trouvé percé d'un coup d'épée , derriere
les murs des Chartreux , le 28. May
dernier. Après plufieurs Interrogatoires
le Duc de Cruffol a été déchargé de l'accufation
, & élargi par les Chambres aſfemblées.
Jean - Louis , Comte de Reillane , fils du
Comte de S. Paul , Prefident à Mortier
au Parlement d'Aix , & de Dame Anne-
Louife de Rieu , fut reçû Procureur du
Roy au Siege d'Aix , le 29. de Novembre
dernier , toutes les Chambres du Parlement
affemblées. Le
DECEMBRE. 1727. 274-8
Le 21. de ce mois , quatriéme Dimanche
de l'Avent , le Roy & la Reine entendirent
dans la Chapelle du Château
de Verfailles , la Meffe chantée par la
Muſique , & l'après midi L. M. affterent
à la Prédication de l'Abbé le Prevot.
> Le 24. veille de Noël le Roy revêtu
du grand Collier de l'Ordre du faint
Elprit , fe rendit à la même Chapelle ,
où S. M. communia par les mains du
Cardinal de Rohan , Grand- Aumônier
de France ; enfuite le Roy toucha un
grand nombre de malades. L'après - midi
, le Roy & la Reine entendirent les
premieresVêpres chantées par la Mufique ,
auquelles l'Evêque de S. Omer officia.
Le 25. jour de la Fête , le Roy & la
Reine , qui avoient entendu trois Meffes
à minuit , affifterent le matin à la grande
Meffe celebrée pontificalement par
l'Evêque de S. Omer. L'après - midi
L. M, entendirent la Prédication de l'Abbé
le Prevot , & enfuite les Vefpres ,
aufquelles le même Prelat officia.
Le 23. le Marquis de Rangoni , Envoyé
extraordinaire du Duc de Modéne
cut une Audience particuliere du Roy &
de la Reine, dans laquelle il fit part à L.M.
de la naiffance d'un Prince , petit - fils
du Duc de Modéne , étant conduit par
1. vol. H le
2742 MERCURE DE FRANCE .
le Chevalier de Sainctot , Introducteur
des Ambaffadeurs.
> Le 31. de ce mois les Deputez
des Etats de Bretagne eurent Audience
du Roy , étant prefentez par le
Comte de Touloufe , Gouverneur de la
Province , & par le Comte de S. Florentin
, Secretaire d'Etat , & conduits
en la maniere accoûtumée par le Marquis
de Dreux , Grand -Maître des Ceremonies
, & par M. des Granges , Maître
des Ceremonies . La députation étoit
compofée de l'Evêque de Rennes , pour
le Clergé , qui porta la parole ; du Chevalier
de Rohan , pour la Nobleſſe
de M. de Montaran , Senechal de Rennes
, pour le Tiers- Etat ; du Prefident ·
Bedée , Syndic des Etats , & de M. de
la Boiffiere , Treforier. Ils eurent enfuite
Audience de la Reine avec les mêmes
Ceremonies , & ils rendirent leurs refpects
à Mefdames de France .

>
La nuit du 12. au 13. de ce mois , la
Reine , épouse du Roy Stanislas , coucha
à Chartres , & le lendemain Elle
arriva à la Maiſon Royale de S. Cyr
où Elle a paffé quelques jours incognito ;
Elle a vû L. M. Cette Princeffe partit
le 20. pour retourner à Chambort.
Le Roy , par Arrêt de fon Confeil du
premier
*. vol.
DECEMBRE . 1727. 2743
premier de ce mois , a nommé M. de
Sauroy , pour continuer les fonctions de
Treforier General de l'Extraordinaire des
Guerres , pour l'Exercice 1728. jufqu'à
ce qu'autrement il en foit ordonné par
S. M.
Le 14. de ce mois , troifiéme Dimanche
de l'Avent , le Roy & la Reine entendirent
dans la Chapelle du Château de
Verſailles , la Meffe chantée par la Mufique.
L'après - midi L. M. affifterent à´la
Prédication de l'Abbé Prevot , Chanoine
de l'Eglife Cathedrale de Chartres .
Le même jour , le Roy tint Chapitre de
l'Ordre du Saint Efprit , dans lequel le
Prince des Afturies & l'Infant Dom Carlos
, fon frere , furent propoſez & nommez
Chevaliers des Ordres du Roy.
Le 16. Dom Charles- Auguftin Capitain
, François , General de la Congregation
des Clercs Reguliers de S. Paul ,
dits Barnabites , accompagné de plufieurs
Religieux de fon Ordre , eut Audience
publique du Roy & de la Reine. Il alla
enfuite chez Mefdames de France ; après
quoi il eut Audience de Madame la Ducheffe
d'Orleans , étant conduit par le
Chevalier de Sainctot , Introducteur des '
Ambaffadeurs , qui étoit allé le prendre'
à Paris dans les Caroffes de L. M. &.
aprés avoir été traité par les Officiers du
Hij du
1. vol.
2744 MERCURE DE FRANCE .
du Roy , il fut reconduit dans les mêmes
Caroffes.
Le même jour , le Marquis de Santa-
Cruz , & M. de Barrenecea , Miniftres
Plenipotentiaires du Roy d'Espagne , aų
futur Congrès , eurent Audience particuliere
du Roy & de la Reine. Ils allerent
enfuite chez Mefdames de France ,
étant conduits par le même Introducteur.
Le Roy a accordé au Marquis de Bonac ,
fon Ambaffadeur en Suiffe , la place de
Confeiller d'Etat d'Epée , vacante par la
mort du Marquis de Silly .
HONNEURS rendus par la Ville de
Bafle & autres lieux à M. le Marquis
de Bonac , Ambaffadeur du Roy en
Suiffe , jufqu'à fon arrivée à Soleurre.
E vous ai promis , Monfieur , en partant
de Paris de vous donner de mes
nouvelles ; je commence par vous faire
un petit récit fur l'arrivée de M. le Marquis
de Bonac en ce Pays- ci , où j'ai eû
P'honneur de l'accompagner.
" Il arriva le 3. Novembre dernier vers
les onze heures du matin à Bourgfeld
Village qui appartient au Roy , & qui eft
à la vue des Villes d'Huningue & de Bafle ;
il y trouva le Major d'uningue que
Je vel. M.
DECEMBRE. 1727. 2745
1
M. de Becel , Lieutenant de Roy de cette
Place , alors malade , y avoit envoyé &
quelques Officiers François de la Garnifon.
Le Lieutenant de Roy d'Huningue
avoit fait pofter une Sentinelle à quelques
pas du Village , & auffi - tôt que M. le
Marquis de Bonac parut , la Sentinelle
tira un coup de Moufquer pour fervir de
fignal à la Place , dont le Canon falua
d'abord M. l'Ambaffadeur . Un moment
après , le Canon de la Ville de Bafle , quoiqu'il
ne fut point encore fur fon Terri
toire , lui fit le même falut.
Nous nous remîmes en marche , & à
peine fûmes - nous entrés dans le Fauxbourg
de Bafle , que le Canon fit une feconde
falve. Nous trouvâmes avant que
d'arriver , à la premiere porte de la Ville ,
un Corps d'environ cent Bourgeois parfaitement
bien montés , ayant à leur tête
quatre Deputés du Magiftrat , nommez
pour recevoir & accompagner M. l'Ambaffadeur.
Ceux - ci après avoir fait défiler
les Bourgeois devant eux , fe pofterent
devant la Litiere de M. l'Ambaffadeur
, qui traverſa toute la Ville avec ce
Cortege. Quoique Bafle foit très grande ,
les rues étoient bordées d'un bout à l'au
tre ou de Troupes reglées , ou de Milices
Bourgeoifes ; il y avoit outre cela une affluence
de peuple fi extraordinaire , qu'on
1. vol.
H iij fut
2746 MERCURE DE FRANCE .
C
fut obligé de pofter aux deux côtez de la
Litiere des Archers de Ville pour écarter
la foule , & les fenêtres des maiſons étoient
remplies de tout ce qu'il y avoit de plus
diftingué dans Bafle , comme dans une Fête
des plus folemnelles . En fortant de la Ville
M. l'Ambaffadeur fut falué pour la troifiéme
fois du Canon du Rempart.
Nous continuâmes à marcher dans le
même ordre juſqu'à de Lieſtall , où le Cortege
fut augmenté d'une Compagnie de
cent Dragons très- bien montés & habillés
de neuf. M. l'Ambaſſadeur alla defcendre
dans cette petite Ville au logement qui
lui avoit été preparé. Les Députez qui ne
lui avoient point encore parlé , fe retirerent
dans une autre maiſon ; un moment
après ils lui envoyerent demander par un
de leurs Officiers la permiffion de le venir
complimenter de la part de leur Etat.
M.l'Ambaffadeur les reçût au haut de l'eſcalier
, felon l'ufage , & lorfqu'il fut rentré
dans fa chambre , l'un des Députez por
tant la parole , fit un compliment fort poli,
auquel M. l'Ambaffa deur répondit de la
maniere qui convenoit à fon caractere ,
& on parût charmé de fa réponſe .
Après les compliments les Députez pricrent
M. l'Ambaffadeur de paffer dans une
chambre voifine où le foupé étoit preparé.
Le repas étoit magnifique & délicat , il
I. vol, fut
DECEMBRE . 1727. 2747
fut autfi plus tranquile qu'on auroit ofé l'ar
rendre de la réputation que Mrs de Bafle
fe font acquife de faire parfaitement bien
les honneurs de la Table ; car malgré l'ufage
on ne but que modérement , mais
il n'en fut pas de même aux autres Tables
, oùl'on refta toute la nuit.
M. l'Ambaffadeur auroit fort fouhaitté.
que le Céremonial eût finit - là ; mais quelques
inftances qu'il pur faire aux Dépu
tez , deux d'entre eux voulurent le fuivre
le lendemain avec le même Cortege jufqu'à
Falkstein , où les Etats de Bafle finiffent
, & où ceux de Soleure commencent.
Il y a quatre lieues depuis Lieftel
jufqu'à Falkstein ; on paffe par trois ou
quatre Villages & à la vûë de quelques
Châteaux qui font du Territoire de Baſle ;
les Châteaux firent trois falves de leur
Canon , & les Milices étoient fous les armes
dans les Villages .
Quand nous fumes arrivez à un petit
ruiffeau , qui eft à quelques pas de Falkftein
, & qui fait la féparation des Etats de
Bafle , de ceux de Soleurre , les Députez
prirent congé de M. l'Ambaffadeur , qui
fut reçû de l'autre côté du ruiffeau par les
Baillifs de Falkstein & de Bechbourg.Nous
paffâmes par divers Villages où les Milices
étoient fous les armes , & les Châteaux
que nous trouvâmes fur la route
1. vel Hiiij fa
2748 MERCURE DE FRANCE:
faluerent de leur Canon . Ces deux Baillifs
avoient fait préparer à dîné au Village de
Balftel , & après le dîner ils accompagnerent
M. l'Ambaffadeur juſques fur le Territoire
du Canton de Berne , dont il faut
traverfer quelques Villages avant que d'arriver
à Soleurre . M. l'Ambaffadeur entra
de nuit dans cette Ville ; & comme tout le
Céremonial qui s'obferve à l'égard des
Ambaffadeurs du Roy eft réfervé pour le
jour.de leur Entrée publique , je ne manquerai
pas de vous faire en tems & lieu
une petite Relation de celle de M. le Marquis
de Bonac dans Soleurre. Je fuis Mon
fieur , &c.
A Soleurre , le 15. Decembre 1727.
MORTS , NAISSANCES.
D
Emoifelle Angelique - Françoife Maxime
de la Motte de d'Aulnoy , mourut
le 17. Novembre , agée d'environ
50. ans , fans avoir été mariée .
Dame Charlotte -Magdelaine- Millain ,
époufe de M... Perin de Ciptere , Confeiller
au Parlement de Dijon , mourut
le 18. du même mois , agée de 24. ans.
Henry- Louis de Fourcy , Chevalier
1. vol. · Comte
DECEMBRE . 1717. 2749
Comte de Cheffy , Seigneur de Chalifer
Jublines &c. Maiftre des Requêes , mourut
le 21.du mois dernier , âgé de 59. ans .
Le même jour , Jerôme le Ferou , Chevalier
, Seigneur d'Orville & de Louvres
en Parifis , Confeiller de la Grande- Chambre
, & Sous- Doyen du Parlement , mourut
à Paris , âgé de 88. ans.
Le 22. Dame Elifabeth- Renée Berié
époufe de Jean - Bap ... Chevalier , Marquis
de Termes , Capitaine de Cavalerie
âgée de 32. ans .
Le Comte de Tarlo , Chevalier des Ordres
du Roy , & Lieutenant General dè
fes Armées , mourut à Blois le 24. du mois
dernier , âgé d'environ so . ans.
André Dreuillet , Evêque de Bayonne,
& Abbé de S. Jean d'Angely , eft mort
depuis peu dans fon Diocèle.
Dame Charlotte de Contade , veuve de
M. du Hardat , Chevalier , Seigneur de
Hauteville , mourut le 27. Novembre
1727. âgée de 8 8. ans .
Le 29. Novembre , mourut à Paris
Jean le Large , Ecuyer , Secretaire du
Roy , &c. Seigneur d'Eaubonne , âgé de
80. ans.
Le s. de ce mois M. Cabart de Main--
ville , Prêtre , Curé de Merfart en Brie
mourut à Paris , âgé de 85 ans .
21
Le 6. du même , Dame Therefe- Elco-
Bo Voly nore
2750 MERCURE DE FRANCE .
nore- Gueftre de Preval , veuve de M. René
Anne de Carbonel , Chevalier , Comte
de Canifi , Marquis de la Paluelle , Brigadier
des Armées du Roy , Lieutenant de
S. M. en Baffe - Normandie , Gouverneur
des Ville & Château d'Avranches , fous-
Lieutenant des Chevaux - Legers de la Reine
, mourur âgé de 42. ans .
Dame Marie- Therefe Hugé , épouſe de
M. Jean - Leon - Bonaventure Dugard
Ecuyer de la grande Ecurie du Roy , &
Maître d'une de fes Académies , mourut
le 8. Decembre , âgée de 57. ans &
demi.
2
3.
Le 10. Decembre , Frere Charles - Antoine
de Ponffemothe de Thierfenville
Chevalier de l'Ordre'de S. Jean de Jerufelem
, Commandeur des Commanderies
d'Orleans & de Feolette . Ponffemothe
porte d'Azur à 3. Lys de Jardin d'Argent,
enté en pointe de fable à l'Etoile
dor.
Claude Fornier de Montagni , Ancien
Prefident , Tréforier de France en la Generalité
de Paris , & Confeiller d'état
mourut le 16. de ce mois , âgé de 91. ans.
accomplis.
Le 17. Decembre , Dame Marie dė
Hanivel , Comteffe de Mannevillette
Marquife de Creve - coeur , Baronne de.
Beloy , S. Omer , Dame & Patrone de
.1.206. Cham
DECEMBRE 1727. 2751
Chambrai , Dame de Chanteloup , Viller-
Faucon , Boiffy - Fleury , veuve de François-
Jofeph , Comte de Clermont- Tonnere
, Duc & Pair nommé defdites Comtez
, Premier Baron & Connêtable de
Dauphiné , Grand- Maître Hereditaire des
maifons de Monfeigneur le Dauphin &
Madame la Dauphine , mourut à Paris .
âgée de 63. ans .
Dominique - Barnabé Turgot de faint
Clair , Evêque de Séez , Abbé de Silly ,
Ordre de Premontré , cy- devant Aumonier
du Roy , Agent General du Clergé
de France , & Premier Aumonier de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , mourut à
Séez le 18. de ce mois , âgé d'environ
60. ans.
".
Louis Phelypeaux , Comte de Pontchartrain
, Miniftre d'Etat , Commandeur
des Ordres du Roy , cy-devant Chancelier
& Garde des Sceaux de France
mourut en fon Château de Pontchartrain
le 22. de ce mois , âgé de 84. ans 9 .
mois , étant né le 29. Mars 1643. &
fut inhumé dans l'Eglife Royale & Paroiffiale
de S. Germain de l'Auxerois où
eft la fépulture de fa Maiſon depuis plus
d'un fiecle .
Il avoit été Confeiller au Parlement det
Paris , Premier Prefident du Parlement
de Bretagne , Intendant des Finances ,
L...vol . H vj
Con
2751 MERCURE DE FRANCE.
1
*
Controlleur General des Finances , puis
Miniftre & Secretaire d'Etat , ayant le
département de la Maifon du Roy & celui
de la Marine , & enfin nommé Chancelier
& Garde des Sceaux le 5. Septembre
1699 .
Il a rempli dignement tous les devoirs
de cette importante Charge jufqu'au 2 .
Juillet 1714. qu'il obtint du Roy la permiffion
de fe retirer , Sa Majefté lui donna
de nouvelles preuves de la fatisfaction
qu'elle avoit de fes fervices.
On ne peut mieux juftifier la confiance
dont le Roy l'honoroit , & la memoire
de M. le Chancelier de Pontchartrain ne
pouvoit devenir plus refpectable que par
l'ufage qu'il a fait des dernieres années
de fa vie ; illes a paffées en retraite & dans
des-exercices continuels d'une folide pieté.
Il a prouvé combien il étoit digne par fon
merite & par fa vertu de l'eftime & de la
veneration du Public.
M. le Chancelier de Pontchartrain avoit
époufé Dame Marie de Maupeou ; il a
eû de fon mariage Meffire Jerôme Phelipeaux
, Comte de Pontchartrain , Commmandeur
des Ordres du Roy , Secretaire
d'Etat ayant le département de la Maiſon
de Sa Majesté & celui de la Marine.
Il eft refté à M. le Comte de Pontchartrain
de fon premier mariage avec
I. vol.
Dame
DECEMBRE. 1727. 2753°
Dame Eleonore- Chriftipe de Roye de la
Rochefoucault , trois enfans , dont l'aîné
eft Jean- Frederic Phelypeaux , Comte de
Maurepas , Commandeur des Ordres du
Roy , Secretaire d'Etat après M. fon pere 3
il eft auffi chargé de la Maiſon du Roy &
de la Marine , c'eft le neuviéme Secretaire
d'Etat de fa Maiſon .
Il a époufé Dame Marie Phelypeaux
fa coufine , au cinquième degré , fille de
Louis Phelypeaux , Marquis de la Vrilliere
& de Chateauneuf , Secretaire d'Etat ,
Commandeur des Ordres du Roy , & 'de
Dame Françoife de Mailly.
Les deux autres enfans de M. le Comte
de Pontchartrain de fon premier mariage ,
font Paul - Frederic Phelypeaux , Marquis
de Pontchartrain , Capitaine- Lieutenant
des Gendarmes Anglois , & Charles - Henry
Phelipeaux , Abbé de Pontchartrain.
Et de fon fecond mariage avec Dame Helene
- Angelique- Rofalie de Laubefpine de
Verderonne , deux filles ,
Le 3 r . de ce mois , Antoine Jofeph de
Fiennes , Abbé des Alleuds , Ordre de
S. Benoît , Diocèle de Poitiers , d'Oliver ,
Ordre de Citeaux , Diocèfe de Bourges
& de Champagne , même Ordre , Dio
cèfe du Mans , mourut à Paris , âgé de
56. ans
Le 18. Novembre , Dame Marie - An-
1. vol.
geli
1754 MERCURE DE FRANCE .
gelique Charpentier , époufe de François
Victor le Tonnelier de Breteüil , Marquis
de Breteuil & de Fontenay - Tréfigny , Baron
de Boitron , Seigneur des Chapelles-
Breteuil , Villebert , Vilnevotte , Teligny,
Palaifeau ; &c . Commandeur des Ordres
du Roy , Confeiller d'Etat , Chancelier de
la Reine , & cy- devant Secretaire d'Etat
au Département de la Guerre , accoucha
d'un fils qui fut tenu fur les Fonts , &
nommé Louis , par M. Louis, Jacques de
Callonne , Marquis de Courtebonne
Lieutenant pour S. M. en la Province
d'Artois , Meſtre de Camp de Cavalerie
Lieutenant des Chevaux Legers de la Rei
ne ; & par Dame Laure ô Brian de Clare ,
époule de Claude - Charles le Tonnelier-
Breteuil de Charteclere , Comte de Vaux ,
Seigneur de Bevilliers , &c . Capitaine-
Lieutenant des Chevaux- Legers de Bre--
tagne.
· Dame Anne de Cahouet de Beauvais
époufe de M. Germain Louis Chauvelin ,
Garde des Sceaux de France , Secretaire
d'Etat , Miniftre des Affaires Etrangeres ,:
& Prefident à Mortier du Parlement , accoucha
le 19. Novembre d'une fille qui
fut tenue fur les Fonts , & nommée Anne--
Magdeleine par M. Nicolas Fontaine , &
par Dame Françoife - Magdeleine Chauvelin
, époufe de M. Louis - Denis Talon . ,
A. Vale
Ayacat
DECEMBRE . 1727. 2755
Avocat General du Parlement .
"
Le 26. Novembre les céremonies du
Bapteme furent fuppléées àMarie Perpetuë,
fille de M. Louis , Comte de Grammont ,
Gouverneur de Ham , Brigadier des Armées
du Roy , & de Dame Geneviève de
Gontaut de Biron , fon époufe . Le Parcin ,.
Louis de S. Simon , Duc de Ruffec , Pair de
France , Vidame de Chartres , Chevalier.
de la Toifon d'or , Meftre de Camp d'un
Regiment de Cavalerie La Mareine
Dame Marie- Françoife de Noailles , veuve
d'Emanuel- Henry de Beaumanoir
Marquis de Lavardin , Lieutenant General
de Bretagne ..
********************
SUPPLEMENT.
L
ES VOYAGES DE CYRUS , avec
un Difcours I. fur la Mythologie
par M. Ramfay , deux vol . 3. A Paris ,
chez Gabriel-François Quillan , rue Galande
, à l'Annonciation 1727. Prix , fix .
liv. 579. pages pour les deux volumes ,
fins l'Epitre au Duc de Sully , & la Préface
, & fans le Difcours für la Mythologie
, qui contient 148. pages.
M. Ramfay , Eleve de feu M. Fene-
I.. Vol. lon:
1756 MERCURE DE FRANCE.
lon , Archevêque Duc de Cambray
vient de donner au Public les Voyages de
Cyrus. L'Auteur nous annonce le Plan de
fon Ouvrage dès le commencement de fa
Préface.
20
Xenophon , dit-il , ne parle point
» dans fa Cyropedie de tout ce qui eft ar-
» rivé à Cyrus depuis fa feiziéme jufqu'à
» fa quarantiéme année. J'ai profité du
filence de l'antiquité fur la jeuneffe de
>> ce Prince pour le faire voyager , & le
>> recit de fes Voyages me fournit une oc-
» cafion de peindre la Religion les
>> Moeurs & la Politique de tous les Païs
» où il paffe , auffi - bien que les princi-

les Révolutions qui arriverent de fon
» temps en Egypte , en Grece , à Tyr &
» à Babylone,
L'Ouvrage eft divifé en huit Livres ,
comme la Cyropedie. Le premier commence
par la Peinture , qu'on fait des
deux Cours de la Perfe & de la Medie.
C'eſt un Tableau de maurs trop feveres ,
& des vices trop effeminez , dont il faut
également garantir les Princes.
A l'âge de quatorze ans , Cyrus va à
la Cour d'Aftiage , fon grand perc . Mándane
, fa mere , l'y conduit. Pendant le
voyage , ils s'arrêtent fur une montagne
pour facrifier. Le Grand Prêtre eft
1. vol. faifi
DECEMBRE. 1727. 2757
1
faifi de l'efprit divin , & annonce Cyrus
comme un Heros que le Ciel deftine à
être un jour Conquerant de l'Afie . Cer
Oracle eft le fondement de tout l'Ouvra
ge , & l'Auteur fuppofe qu'il dérivoit or
ginairement des Prédictions d'Ifaye , qui
ont pû fe répandre dans l'Orient pendant
la captivité.
Le jeune Prince arrive à la Cour d'Ecbatane
, il donne bientôt des marques
d'un efprit & d'une raifon fort au- deffus
de fon âge . Toute la Cour admire
Cyrus. Les loüanges univerfelles l'enyvrent
; il parle trop & n'écoute pas affez.
Pour remedier à ce défaut, Mandane lui
raconte l'Hiftoire de Logis & de Sigée ,
qui commence ainfi.
» Mon fils , lui dit - elle , c'étoit autres
» fois l'ufage à Thebes , dans la Beotie.
» d'élever fur le Thrône , après la mort
>> du Roy , celui de fes enfans qui avoit
» le plus d'efprit : quand un Prince a de
» l'efprit il peut choifir les gens les plus
» habiles , employer les hommes felon
» leurs talens , & gouverner ceux qui
» gouvernent fous lui ; c'eſt le grand fe-
» cret de l'art de regner. Parmi les en-
» fans du Roy , il y en avoit deux qui
» marquoient un génie fuperieur ; le plus
âgé parloit beaucoup , le plus jeune
» parloit peu. Le premier , nommé Lo-
"
J. vol
L
gis
2758 MERCURE DE FRANCE .
» gis , fe fit admirer par la beauté de fon
efprit. Le fecond , nommé Sigée , fe fir
» aimet par la bonté de fon coeur. Lo-
» gis faifoit fentir même , en le cachant
» qu'il ne parloit que pour briller . Sigée
» écoutoit volontiers , & regardoit la
>> converfation comme un commerce où
>> chacun doit mettre du fien . L'un ren-
» doit agreables les affaires les plus épi-
>> neufes , par les traits vifs & brillans
» qu'il y mêloit ; l'autre répandoit de la
» lumiere fur les matieres les plus obf-
>> cures , en réduifant chaque chofe à des
» principes fimples . Logis , myfterieux ,
» fans être fecret , aimoit la politique ,
» qui eft pleine de ftratagêmes & d'arti-
» fices. Sigée , impénétrable , fans être
>> faux , furmontoit tous les obftacles par
» fa prudence & par fon courage , en fui
yant toûjours les vûës les plus juftes
» & les elus nobles , & c.
La fuite de cette Hiftoire eft un contrafte
de la vraye & de la fauffe politique
qu'il faut apprendre aux Princes de bonne
heure.
Pendant le féjour de Cyrus à Ecbatane ,
il donne une marque éclatante de fon courage
, & de fon génie pour la guerre . Ce
recit paroît neceffaire pour faire connoître
le caractere du jeune Heros , & montrer
de loin le Conquerant de l'Afie.
1. vol.
Cyrus
DECEMBRE. 1727. 2759
Cyrus conferve la pureté de moeurs au
milieu d'une Cour corrompue par fon
amour pour Caffandane , fa premiere femme.
On peint ici les effets naturels d'une
paffion noble & délicate , en évitant tout
ce qui a l'air du Roman. La beauté de
Caffandane donne à Cyrus un rival dans
la perfonne de Cyaxare , fon oncle , qui
étoit à peu près de même âge. La jaloufie
trouble le coeur du Prince de Perfe ;
Hyftafpe,fon Gouverneur, s'en apperçoit,
& ne fçachant pas l'objet de l'attachement
du Prince , if cherche à le garantir de
folles paffions , en lui racontant l'Hiftoire
fameufe de Zarine & de Stryangée ,
pleine de fituations touchantes , & fondée
fur l'antiquité . Comme c'eſt un Gou.
verneur qui fait ce recit à fon Eleve
l'Auteur a crû qu'il ne devoit pas le répandre
en fentimens tendres , en images
vics , ni en difcours paffionnez .
Cyrus retourne bientôt dans la Perfide.
Caffandane y eft rappellé auffi à caufe de
la maladie de Farnafpe , fon pere , qui
étoit un des principaux Satrapes de Perfe .
La jaloufie des Cyaxares s'anime contre
Cyrus , & cette jaloufie prépare de loin
la premiere guerre de Cyrus contre Aftiages
, dont Zenephon n'a point parlé,
Le Prince de Perfe époufe enfin Caffandane
. On peint ici les moeurs & les céré-
1. val monies
2760 MERCURE DE FRANCE.
monies des anciens Perfes à leur Noces.
Ce premier Livre eft proprement l'expofition
du fujet , pour faire connoître les
principaux perfonnages. Le ftile en eft plus
fuccinct & plus laconique que celui des
autres Livres , parce les matieres font
moins raifonnées. L'Auteur a crû devoir
parler un autre langage à Cyrus , enfant
& jeune homme , qu'à Cyrus avancé en
âge.
Le fecond Livre contient le fecond
Voyage de Cyrus à l'Ecole des Mages ,
accompagné de Caffandane . On décrit le
fejour , les occupations & les moeurs de
ces Philofophes , tirez de Strabon . Zoroaftre
, Chef des Mages , &
contemporain
de Cyrus , prépare l'efprit du Prince
à goûter fes inftructions fublimes , en
lui racontant d'abord l'Hiftoire de fa vie .
de les malheurs , & de fon amour pour
Selime. Afin de conferver la décence &
la gravité neceffaires dans un Ouvrage
deftiné pour l'éducation d'un jeune Prince
, l'Auteur a toûjours foin de faire raconter
les Hiftoires où il s'agit d'amour ,
par des perfonnes dont le recit doit être
court , rapide , & dépouillé de tous les
difcours Romanefques. Il ne fait point
parler fes perfonnages , lorfque les fituations
parlent affez ; on y trouve pourtant
I. vol. le
DECEMBRE . 1727 2761
le pathetique & le tendre . C'eft ainfi que
Zoroastre finit fon recit en parlant à Calfandane
& à Cyrus .
» Fuiffiez-vous fentir long- temps le
bonheur de vous aimer , & de vous aimer
uniquement , puiffent les Dieux
» vous préferver de cette corruption du
coeur , qui fait ceffer les plaifirs lorf-
» qu'ils deviennent légitimes ; puiffiezvous
, après les tranfports d'une paffion
vive & pure pendant votre jeuneffe ,
connoître dans un âge plus mûr tous
les charmes de cette union qui diminuë
les peines & qui augmente les
» biens en les partageant ; puiffe une longue
& aimable vieilleffe vous montrer
» vos neveux & vos arriere-neveux , mul-
» tipliant la race des Héros fur la terre ;
puiffe enfin le même jour voir recueillir
» vos cendres unies , pour vous épar
>> gner à tous deux le malheur de pleurer
» comme moi , la perte de ce que vous
» aimez. Je ne me confole que par
l'ef
>>perance de revoir Selime dans la Sphere
» du feu , pur élement de l'Amour . Les
ames ne font ici bas que faire connoif-
>> fance , mais c'est là- haut que leur union
>> fe confomme. O Selime , Selime , je
»vous rejoindrai un jour , notre flamine
»fera éternelle ; je fçai que dans ces Régions
fuperieures votre bonheur ne fera
1. vol. » com
2762 MERCURE DE FRANCE.
» complet que lorfque je le partagerai avec
" vous ; ceux qui le font aimé purement
s'aimeront à jamais ; le veritable amour
» eft immortel .
Zoroaftre apprend enfuite à Cyrus les
Sciences des Mages. Icy l'on fait une
peinture de toutes les merveilles de la
Nature. Le deffein de ce Tableau Phyfique
eft de faire reconnoître les marques
d'une fageffe infinie , répanduë
dans la Nature , & par là de pofer
les premiers principes qui garantiffent
contre l'irreligion . Cette Epiſode paroît
faite à l'imitation de la fixiéme Eclogue
de Virgile , où Silene , réveillé
par les Bergers , leur enfeigne la Philofophie
; avec cette difference
le Poëte Latin expoſe le Syftême d'Epicure
, & P'Auteur de Cyrus montre le
Systême contraire.
1
› que
Enfuite l'Auteur , fur un Paffage de l'ancienne
Théologie des Perfes, confervé par
Plutarque , peuple toutes les Planettes de
Génies differens , & prend de- là occafion
de peindre les divers caracteres de l'Efprit
, & fes principales paffions . Enfuite
il continue ainfi. » Tous ces Génies re-
> glent l'influence des Aftres ; ils font
>> foumis aux Mages , qui découvrent en
»les évoquant tous les fecrets de la Nature
: ces efprits avoient été tous com-
1. vol.
>> plices
DECEMBRE. 1727. 2763
» plices volontaires du crime d'Arimane ,
»> il en reftoit un nombre de toutes les
» efpeces , qui avoient été entraînez par
» foibleffe , par inattention , par legereté ,
>> & , oferai dire , par amitié pour leurs
»Compagnons ; ils étoient de tous les
» Génies les plus bornez , & par confe-
» quent les moins criminels .
» Oromaze en eut compaffion , & les
>> fit defcendre dans des corps mortels ;
>> ils ne fe fouviennent plus de leur pre-
» mier état , ni de leur ancien bonheur ;
>> c'eft de cet amas de Génies de toutes
» les efpeces , qu'il remplit la terre , &
» c'eft pour cela qu'on y trouve des ef-
»prits de tous les caracteres .
» Le Dieu Mythras travaille fans ceffe
» à les guérir , à les épurer , à les exalter ,
» à les rendre capables de leur premiere
» felicité : ceux qui fuivent la vertu , s'en-
» volent après la mort dans l'Empyrée ,
» où ils fe réuniffent à leur origine ; ceux
» qui fe laiffent corrompre par le vice ,
» s'enfoncent de plus en plus dans la ma-
»tiere , tombent fucceffivement dans les
»corps des plus vils animaux , & par-
» courent un cercle perpetuel de nouvel-
>> les formes , jufqu'à ce qu'ils foient pur
» gez de leurs crimes par les peines qu'ils
» fubiffent .
Dans le troiliéme Livre , Cyrus va en
I. vol. Egypte
2764 MERCURE DE FRANCE.
Egypte. En paffant par l'Arabie Heureufe,
il rencontre Antenophis , qui avoit été
Miniftre & Favori d'Apries. Ce Miniftre
raconte à Cyrus la grande Révolution
d'Egypte , & l'ufurpation d'Amafis. On
peint ici toutes les fouppleffes , les diffimulations
& les trahifons d'un Courtifan
perfide , qui parvient à la Couronne par
un mêlange continuel des vertus qui paroiffent
héroïques , & de crimes qui font
réellement atroces.L'Hiftoire fournit plu-
Geurs exemples de cette efpece.
-
Cyrus arrive enfin en Egypte . Après
un Tableau racourci des merveilles de ce
Pays , de fes Bâtimens , de ces Piramides ,
de fes Obelifques , & de fes Villes , l'Auteur
fe hâte , felon fon projet , d'expofer
les grands principes fur la Morale , la
Politique , les Loix & la Religion des
Egyptiens . C'eft Sonchis, Pontife de Thebes
qui inftruit Cyrus . Ce Pontife lui raconte
d'abord l'hiftoire d'Hermes Trimegifte.
Cette fiction nous reprefente un Sauvage
dans une Ifle déferte. En fuivant les
idées fimples & le fentimentnaturel du bonheur
commun à tous les hommes ; le Sauvage
parvient à la connoiffance d'un premier
être , capable de le rendre plus heureux
qu'il n'eft ; mais comme le deffein de
P'Auteur eft de rendre par tout hommage
à la Religion révelée , il fait lentis que
I. vol . la
DECEMBRE. 1727. 2765
la raifon toute feule ne va pas loin dans
ces recherches fans un fecours furnaturel
C'est pourquoi l'on introduit
Mercure que le grand Ofiris envoye pour
inftruire le Philofophe fauvage du premier
état des hommes fous le Regne d'Ofiris
, de leur dégradation par leur commerce
avec Typhon , de leur rétabliffement
, & des Combats d'Orus , fils d'Ofiris
, pour détruire le mauvais principe.
C'est le fecond Tableau Mythologique ,
où l'on voit les mêmes grands principes
que dans la Religion des Perfes , mais
dans un ftyle different , parce que l'Auteur
fait parler à chaque Nation & à
chaque fiecle , fon langage propre. En
voicy quelques traits .
» L'état primitif de l'homme étoit bien
» different de ce qu'il eft aujourd'hui : au
>> dehors toutes les parties de l'Univers
» étoient dans une harmonie conftante
» au-dedans tout étoit foumis à l'ordre.
immuable de la raifon ; chacun portoit
» fa Loi dans fon coeur , & toutes les Na-
>> tions de la terre n'étoient qu'une Répu-
»blique de Sages.
>> Les hommes vivoient alors fans dif-
>> corde , fans ambition , fans fafte , dans
>> une paix , dans une égalité , dans une
»fimplicité parfaite. Chacun avoit pourtant
des qualitez & des inclinations dif-
A. vol. I >> ferentes
1
2766 MERCURE DE FRANCE.
>> ferentes , mais tous les goûts condui-
» foient à l'amour de la vertu , & tous les
>> talens confpiroient à la connoiffance du
vrai , les beautez de la Nature & lès
»perfections de fon Auteur , faifoient les
Spectacles , les Jeux & l'étude des pre-
»miers hommes.
L'imagination reglée ne prefentoit
>> alors que des idées juftes & pures ; les
>> paffions foumifes à la raiſon , ne troubloient
point le coeur, & l'amour du plai-
>> fir étoit toujours conforme à l'amour de
» l'Ordre ; le Dieu Ofiris , la Déeffe Iſis
» & leur fils Orus , venoient fouvent con-
>> verfer avec les hommes & leur appre-
>> noient tous les Myfteres de la Sageffe .
>>> Cette vie terreftre , quelqu'heureuſe
qu'elle fût , n'étoit pourtant que l'enfance
» de notre être , où les ames fe préparoient
» à un développement fucceffif , d'intelli-
» gence & de bonheur . Après avoir vêcu
»un certain temps fur la terre , les hom
>> mes changoient de forme fans mourir
» & s'envoloient dans les Aftres , là , avec
» de nouveaux fens & de nouvelles lumie-
» res ; ils joüiffoient de nouveaux plaifirs
» & de nouvelles connoiffances ; de là ,
wils s'élevoient dans un autre Ciel , enfuite
dans un troifiéme , & parcouroient
ainfi les efpaces immenfes par des Mé-
> tamorphofes fans fin .
»
1. vol.
? uns
DECEMBRE. 1727. 2767
Un fiecle entier , & felon quelquesuns
, plufieurs fiecles , s'étoient paffé de
cette forte ; il arriva enfin un triſte changement
dans les efprits & dans les corps :
Typhon & fes Compagnons avoient habité
autrefois le féjour des hommes ; mais
enyvrez par leur orgueil , ils s'oublierent
jufqu'à vouloir efcalader les Cieux ; ils
furent précipitez & enfevelis dans le centre
de la terre.
Ils fortirent de leurs abîmes , percerent
l'oeuf du monde , y répandirent le
mauvais principe , & corrompirent par
leur commerce , l'efprit , le coeur & les
moeurs de fes habitans. L'ame du grand
Ofiris abandonna fon corps , qui eft la
Nature ; elle devint comme un cadavre ;
Typhon en déchira , en découpa , & en
difperfa tous les membres ; il en flétric
toutes les beautez.
» Depuis ce temps , le corps devint fu-
» jet aux maladies & à la mort , & l'ef-
» prit à l'erreur & aux paffions ; l'ima-
» gination de l'homme ne lui preſenta
plus que des chimeres ; fa raiſon ne
» fervit qu'à contredire fes penchans ,
fans pouvoir les redreffer ; la plûpart
de fes plaifirs font faux & trompeurs ,
& toutes les peines mêmes imaginai-
> res font des maux réels ; fon coeur
a eft une fource féconde de defirs in-
Je vol. Lij nes

2768 MERCURE DE FRANCE.
92 quiets , de craintes frivoles , de vai-
» nes efperances , de goûts déreglez qui
» le tourmentent tour à tour ; une foule
» de penfées vagues , & de paffions tur-
» bulentes , caufent en lui une guerre in-
» teftine , le foûlevent fans ceffe contre
» lui-même, & le rendent en même temps
>> idolâtre & ennemi de fa propre nature .
» Ce que chacun fent en foi , eſt une
image de ce qui fe paffe dans la focie-
» té des hommes . Trois Empires differens
s'élevent dans le monde , & partagent
tous les caracteres : l'Empire de
l'Opinion , celui de l'Ambition , & celui
de la Volupté ; l'erreur préfide dans
» l'un , la force domine dans l'autre ,
» & le frivole regne dans le troifiéme.
"
>>

» Voila l'état de la nature humaine :
» la Déeffe Ifis ' va par toute la terre
» chercher les ames égarées , pour les
ramener à l'Empyrée tandis que le
>>
4
» Dieu Qrus attaque fans ceffe le mau-
» vais principe ; on dit qu'il rétablira
» enfin le regne d'Ofiris , & bannira à
» jamais le monftre Typhon ; jufqu'à ce
» temps les bons Princes peuvent adou-
» cir les maux des hommes , mais ils ne
» peuvent les guerir tout-à- fait.
Dans le quatriéme Livre , Cyrus paffe
en Grece , en traverfant la Méditerrannée
pour débarquer dans l'Argolide ; il s'en-
Le 2064
tres
DECEMBRE . 1727. 2769
tretient avec Arafpe fon ami , des merveilles
qui fe voyent dans l'Ocean . Comme
le deffein de l'Auteur eft de prouver
l'exiſtence d'une Sageffe fouveraine qui a
arrangé toutes les parties de l'Univers ,
il répand fouvent dans fon Ouvrage des
Tableaux Phyfiques , & remplit ainfi
les intervalles où fon Heros eft dans l'inaction.
Cyrus arrive à Sparte , où Chylon , un
des fept Sages de la Greçe , l'inftruit des
loix de Lycurgue , & lui montre les raifons
politiques & morales de chacune de
fes loix. Ici , le Prince commence à raifonner
, à comparer , à juger par lui même
, il fait la critique de chaque loi . II
s'inftruit enfin de l'Art Militaire des Spartiates
, où l'on voit un Tableau de la Dif
cipline guerriere des Grecs. Cyrus fait
enfin cette réflexion fur le Gouvernement
de Lacedemone.
" Il me paroît que la République de
» Sparte eft un Camp toujours fubſiſtant ,
» une affemblée de Guerriers toujours fous
les armes. Quelque refpect que j'aye
» pour Lycurgue , je ne fçaurois admirer
>> cetteforme de Gouvernement. Des hom-
>> mes élevez uniquement pour la Guerre ,
qui n'ont d'autre travail , d'autre étude ,
» d'autre profeffion , que celle de fe rendre
habiles à détruire les autres hommes
I iij ❞ doi-
I. vol. 23
2770 MERCURE DE FRANCE :
>> doivent être regardé comme ennemis de
la focieté. La bonne politique doit pour-
>> voir non -feulement à la liberté de cha-
» que état , mais même à la fûreté de tous
» les Etats voifins , fe détacher du refte du
» genre humain , fe regarder comme fait
» pour le conquerir , c'eft armer toutes les
» Nations contre foi . C'eft encore ici où
>> Lycurgue a manqué à la nature & à la
»juftice : en accoutumant chaque Citoyen
» à la frugalité , il auroit dû apprendre à
» la Nation en general à borner fon ambi-
» tion . La conduite des Spartiates reffem-
» ble à celle des avares , ils font avides de
» tout ce qu'ils n'ont pas , tandis qu'ils fe
refufent la jouiffance de tout ce qu'ils.
>> poffedent.
"
3
Cyrus quitte Lacedemone pour aller
à Athenes . En paffant il s'arrête à Corinthe
, où il eft préfent à la cataſtrophe arrivée
à Periandre & à fa famille. L'hiftoire
de ce Prince eft mife non- feulement pour
délaffer l'efprit , mais pour montrer les
funeftes fuites , & la punition terrible de
la tirannie.
Dans le cinquiéme Livre , Cyrus arrive
à Athenes . On commence par une Defcription
de l'ancienne Athenes , de fes Bâtimens
, de fes Temples , & de fa fitnation .
Solon inftruit Cyrus de fes loix , ici l'on
voit le contrafte d'une République où l'on
1. vol.
acDECEMBRE
1727 2771
accordoit trop au plaifir , avec celle de
Sparte qui a précede , qù l'on refufoit trop
à la nature. Solon en racontant les raiſons
de chaque loi , prend occafion d'enſeigner
au Prince les grands principes de la politi .
que & du droit des Nations . En voici un
trait fur l'établiffement des Dignitez & des
rangs.
» Le merite diftingue effentiellement les
hommes , il devroit feul décider des rangs :
mais l'ignorance & les paffions nous em-
`pêchent fouvent de le connoître ; l'amour
propre fait que chacun fe l'attribue ; ceux.
qui en ont le plus , font toujours modeſtes
, & ne cherchent point à dominer . Enfin
, ce qui paroît vertu , n'eft quelque-
» fois qu'un mafque trompeur.
Les difputes , les difcordes , les illufions
feroient éternelles , s'il n'y avoit
point quelque moyen plus fixe & moins
équivoque pour regler les rangs , que le
merite feul.
>> rangs
» Dans les petites Républiques , ces
fe réglent par élection dans les
>> grandes Monarchies par la naiffance .
» J'avoue que c'est un mal d'accorder les
» Dignités à ceux qui n'ont aucun vrai
» mérite ; mais c'eft encore un mal necef-
>> faise , & cette neceffité eft la fource de
» prefque tous les établiſſemens politiques :
» voilà la difference entre le Droit natu-
I. vel.
» rel
I iiij
2772 MERCURE DE FRANCE .
>> rel & le Droit civil. L'un eſt toujours
» conforme à la plus parfaite justice , l'au-
» tre fouvent injufte dans les fuites qui en
» réſultent , devient pourtant inévitable
» pour prévenir la confufion & le dé-
>> fordre .
"
» Les Rangs & les Dignités ne font que
>> les ombres de la vraye Grandeur : le refpect
exterieur & les hommages qu'on
>> leur rend , ne font auffi que les ombres
» de cette eftime , qui n'appartient qu'à
la vertu feule. N'eft- ce pas une grande
fageffe dans les premiers Législateurs
>>
» d'avoir confervé l'ordre de la focieté en
» établiffant des loix , par lefquelles ceux
» qui n'ont que l'ombre des vertus,fe con-
» tentent de l'ombre de l'eftime .
Après que Solon a entretenu Cyrus far
les loix , Pififtrate Roy d'Athenes , conduit
le Prince de Perfe à Phalere pour lui
montrer les forces maritimes des Atheniens
, où l'on décrit un Combat Naval. :
En revenant à la Ville , Pififtrate raconte
à Cyrus toutes les révolutions arrivées
fous fon Regne. Ici , l'Auteur place une
Hiftoire amufante , fondée fur l'Antiquité
, pour montrer comment les Dieux puniffent
la fauffe politique qui ne cherche
à réaffir que par les ftratagêmes , la diffimulation
& l'artifice.
Quand Cyrus revient à Athenes , Pi-
I vol. fiftrate
DECEMBRE . 1727 .
2773
fiftrate & Solon le menent aux Spectacles ,
& le fage Légiflateur lui développe dans
un repas les vues morales & politiques du
Théatre .
Ici , l'Auteur fait quelques réflexions fur
la Tragédie , qui valent un Traité complet
, & qui découvre tout l'art de ce genre
de Poëme on ſe fouvient que la Préface
de Telemaque montre la fin du Poëme
Epique.
LES SATURNALES , *
TRIOLETS pour le mois de Décembre ,
DIALOGUE.
Valere , Valet. Erafte , Maître.
Valere.
Pourriez-vous fouffrir quatre mots
De remontrance falutaire ?
Avec fauf- conduit pour mon dos :
Pourriez-vous fouffrir quatre mots ?
Les Romains célebroient tous les ans
pendant trois jours du mois de Decembre ,
une Fête à l'honneur de Saturne , pendant
laquelle , pour representer une image du Siecle
d'or , où tous les hommes étoient égaux , il
êtoit permis aux Valets de prendre les habits
le perfonnage du Maître , & de dire
faire tout ce qu'ils vouloient dans la maison.
C'eft cette fur idée que roule la Scene fuivante.
I. vol.
I v Mon
.
2774 MERCURE DE FRANCE,
Mon zele exige ce propos ,
Mon reſpect m'invite à me taire :
Pourriez -vous fouffrir quatre mots
De remontrance falutaire ?
Erafte.
Puifque nos Peres l'ont voulu ,
Profite de ton privilege ;
Uſe d'un pouvoir abfolu ,
Puifque nos Peres l'ont voulu :
Mais point de difcours fuperflus ,
Ce jeu déplaît , fi l'on n'abrege :
Puifque nos Peres l'ont voulu ,
Profite de ton privilege.
Valere.
De vos intraitables humeurs ,
Duffe- je me voir la victime ,
Cherchez autre part des flateurs »
De vos intraitables humeurs ,
Mais enfin reglez mieux vos moeurs
Si vous voulez qu'on vous cftime ;
De vos intraitables humeurs ,
Duffe-je me voir la victime.
3. Vely
DS
DECEMBRE . 1727., 2775
De la nuit vous faites le jour ,
Vous dormez quand chacun s'en laffe,
Soit pour le vin , foit pour l'Amour ,
De la nuit vous faites le jour ;
Le Soleil dans fon plus long tour ,
A bien peine à vous voir en face :
De la nuit vous faites le jour ,
Vous dormez quand chacun s'en laffe.
Si je bois un coup au Buffet ,
Quand je vais vous rincer un verre,
Je fuis un yvrogne parfait ,
Si je bois un coup au Buffet ;
Mon cher Maître , qu'eſt- ce qu'il eft ,
Qui s'en donne à tomber par terre ,
Si je bois un coup au Buffet ,
Quand je vais vous rincer un verre ?
Quand je demande un pauvre écu
Sur trois ans échus de mes gages ,
Vous me donnez du pied au cân ,
Quand je demande un pauvre écu 3
Et pour la façon d'un cocu,
Vous diffipez vos héritages ,
J. vet.
Ivi Quand
2776 MERCURE DE FRANCE.
Quand je demande un pauvre écu
Sur trois ans échus de mes gages.
Pour modele des inconftans ,
On peut vous choifir entre mille ;
Vous pafferez dans tous les temps
Pour modeles des inconftans :
En Ville vous loüez les Champs ,
Aux Champs , vous regrettez la Ville ;
Pour modele des inconftans
-On peut vous choifir entre mille,
Rien ne fuffit à vos plaifirs ,
Pour eux trop étroit eft le Monde ;
Nouveaux objets , nouveaux defirs ,
Rien ne fuffit à vos plaifirs :
Tantôt la Brune a vos foupirs ,
Tantôt vous brulez pour la Blonde :
Rien ne fuffit à vos plaiſirs ,
Pour eux trop étroit eft le Monde.
Vous ne dédaignez même pas
Avec vieilles d'entrer en joûte;
Cheveux gris , furannez appas ,
11. vol.
Yous
DECEMBRE. 1727. 2777
Vous ne dédaignez même pas ;
Pour remplacer par leurs Ducats ,
L'argent que la jeune vous coûte
Vous ne dédaignez même pas ,
Avec vieilles d'entrer en joûte.
Erafte.
Bourreau , ceffe donc d'enfiler
Ces impertinentes morales ,
Ces traits à te faire empaler ;
-Bourreau , ceffe donc d'enfiler ,
Où je m'aprête à violer
Le fauf- conduit des Saturnales :
Bourreau , ceffe donc d'enfiler
Ces impertinentes Morales.
Valere.
Changeons de ton , je le veux bien }
L'Apoftrophe vous deſoblige :
Ce qui fuit ne vous touche en rien ,
Changeons de ton , je le veux bien
Le Lion voit foüetter le Chien ,
Et cet exemple le corriges
Changeons de ton , je le veux bien ,
L'Apoftrophe vous defoblige .
1. vol.
J'ai
2778 MERCURE DE FRANCE .
J'ai fervi dans mes jeunes ans ,
Un Maître à peu près de votre âge ,
Un homme orné de beaux talens ;
J'ai fervi dans mes jeunes ans ,
Des mieux tournez , des plus galants
Mais un Joueur à triple étage :
J'ai fervi dans mes jeunes ans ,
Un Maître à peu près de votre âge .
Seigneur , lui difois- je ſouvent ,
Quel mauvais démon vous obfede ;
Pourquoi courir après du vent ,
Seigneur , lui difois - je fouvent !
Vous avez bien fixe & mouvant ,
Le jeu l'engloutit fans remede :
Seigneur , lui difois -je ſouvent !
Quel mauvais démon vous obfede.
Voulez vous être mieux que bien ,
Et des fous augmenter le nombre ?
Chez vous il ne manque de rien.
Voulez- vous être mieux que bien ?
Efope nous dit que fon chien
Lâcha fa chair pour happer l'ombre :
4. vol. Voules
DECEMBRE. 1727. 2779
Voulez -vous être mieux que bien ,
Et des fous augmenter le nombre?
Triez- les moi fur le volet ,.
Maifons par le gros jeu rentées !
Cent pour une font au filet ,
Triez-les moi fur le volet.
Beau Palais fait bâtir Galet , *
Qu'il perd en trois Raffles comptées :
Triez- les moi fur le volet ,
Maifons par le gros jeu rentées.
Vous payez pour perdre le temps,
Cette précieuſe denrée ;
Au Lanfquener , dans les 'Brelans , -
Vous payez pour perdre le temps :
Un Sage , à beaux deniers comptans` )
En acheteroit la durée ;
Vous payez pour perdre le temps ,
Cette précieuſe denrée.
Quadrille eft un Jeu favori ,
* Fameux Partiſans & grand Joueur fous
Henry IV qui fit bâtir l'Hôtel de Sully , & le
perdit dans une Séance.
I. vol.
L
2780 MERCURE DE FRANCE,,
Il n'eft point de ceux que je blâme ,
A naître eft qu'il ait appauvri ,
Quadrille eft un Jeu favori ;
Par fois on y dupe un Mary ,
Se laiffant dupper par ſa Femme ;
Quadrille eſt un Jeu favori ,
Il n'eft point de ceux que je blâme.
Cet Ombre autrefois fi vanté ,
Se diſpoſe à fa départie ;
Il eft boiteux & mal monté ,
Cet Ombre autrefois fi vanté :
Son Bâtard qui l'a ſupplanté ,
A bien mieux carré fa partie :
Cet Ombre autrefois fi vanté ,
Se difpofe à la départie.
Aux faux Abbez , aux faux Marquis , *
Abandonnez le brigandage ,
Gens qui n'ont pour tous biens acquis ,
Aux faux Abbez , aux faux Marquis ,
* On voit communément des frippons incònnus
, prendre un nom & des habits de gens de
qualité , pour impofer plus facilement aux jeunes
duppes.
1 . Un
DECEMBRE. 1727. 2781
Que main fubtile & qu'oeil exquis ,
Qu'ils apportent de leur Village :
Aux faux Abbež , aux faux Marquis ,
Abandonnez le brigandage.
Un jour vous trouvant fans un fou ,
Temps où le defeſpoir occupe ,
Je veux qu'on me caffe le cou ,
Unjour vous trouvant fans un fou ;
Si vous ne devenez Filou
A force d'avoir été duppe ,
Un jour vous trouvant fans un fou ,
Temps où le defeſpoir occupe.
Erafte.
Mon Moufqueton , mes Piſtolets !
A moi , mes Gens ! Arrête , arrête !
N'eft- il ni Poignards , ni ftilets ?
Mon Mousqueton, mes Piſtolets
Au plus infolent des Valets ,
Il faut que je caffe la tête :
Mon Moufqueton , mes Piſtolets !
A ma , mes Gens ↓ Arrête , arrête,
I. vol. Eraffe
2732 MERCURE DE FRANCE .
م س
Valere , s'enfuyant.
Zele imprudent ! zele maudit
Tâchons d'éviter fa colere ;
Mon coeur , tu me l'avois bien dit :
Zele imprudent , zele maudit !
Saturne y perdroit fon crédit ,
Mes jambes , tirez-moi d'affaire :
Zele imprudent , zele maudit ,
Tâchons d'éviter fa colere,
DE SENECE .
A Mâcon , le 16. Décembre 1727 .
Le 31. de ce mois, les Comediens Italiens
donnerent la premiere repreſentation d'une
petite Piece nouvelle en Profe & en Vaudeville
, qui a pour titre Arlequin Roland,
c'eft une Parodie de l'Opera , qu'on jouë
actuellement , elle a été fort bien reçûë
du Public : on en donnera l'Extrait dans
le prochain Mercure ; cette Piece eft de la
compofition des Srs Dominique & Romagneſi.
On imprime chez la Veuve Coutelier , une
Critique des Voyages de Cyrus , partagée en
quatre Entretiens . On affure que cet Ouvrage
eft d'un Auteur fort connu dans le genre de
Critique , & qu'il eft travaillé avec beaucoup
de foin & de politeffe.
A. vol. ARDECEMBRE.
1727. 2783
ARRETS , EDITS ,
SENTENCES DE POLICE , &c. :
1
ARREST du Confeildu 4. Novembre »
au fujet des ports de Lettre & Paquets ,
par lequel Sa Majesté ordonne que le Tarif
arrêté au Confeil d'Etat le 27. Novembre
1703. attaché fous le contre- fcel de la Decla
sation du 8. Decembre de la même année , ſera
executé felon fa forme & teneur : & en inter
pretant ladite Declaration , veut & ordonne
Sa Majefté , que les Droits des ports de lettres
& paquets portez audit Tarif. foient payez
par toutes perfonnes fans exception , à la referve
des Depêches qui s'adrefferont à M. le Cardinal
de Fleury , a M. le Chancelier , à M. le
Garde des Sceaux , aux Miniftres Secretaires
d'Etat , Controlleur General & Intendans des
Finances , qui pourront auffi contrefigner les
lettres & paquets de lettres qu'ils écriront dans
les Provinces , pour être rendus francs de
ports ; & encore à la réferve des Dépêches
qui s'adrefferont aux perfonnes compriſes dans
l'état qui fera inceffamment arrêté en fon Confeil
; dérogeant Sa Majefté , pour ce regard
feulement , à la Declaration du 8. Decembre
1703. fans qu'il foit permis au Fermier General
des Poftes , de diminuer ou augmenter le
nombre des exempts , fi ce n'eft de l'ordre exprès
de Sa Majefté , fauf par Sa Majefté à faire
au Fermier General des Poftes indemnité fur
le prix. de fon bail pour raifon de nouvelles
exemptions
2784 MERCURE DE FRANCE .
exemptions qu'il plairoit à Sa Majefté d'accorder
, en rapportant par ledit Fermier des
états dûement certifiez des nouveaux exempts,
du montant des ports de lettres & paquets
qu'ils auront reçûs , &c.
SENTENCE DE POLICE du 14. Novembre
, qui deffend aux Revendeufes de s'attrouper
dans les rues S. Honoré & Tirechape , au
coin de la rue des Prouvairs & autres lieux circonvoisins.
Et qui condamne 31. defdites Revendeufes
en cinq livres d'amende , chacune
pour y avoir contrevenu .
AUTRE du 28. Decembre , qui condamne
le nommé Rainville en cinquante livres d'amende
& à garder Prifon jufqu'au payemene
d'icelle , pour avoir fubftitué des Chandelles
des huit au lieu des quatre à la livre dans les
Lanternes publiques.
AUTRE du même jour , Portant deffenſes
aux Limonadiers & Cabaretiers de donner à
boire aux heures induës , & qui condamne la
nommée Cottin , Limonadiere , en trente livres
d'amende poury avoir contrevenu .
ORDONNANCE DE POLICE du 3. Decembre
, portant que tous les Puits fituez dans
les Marais & Jardins des environs de la Ville
de Paris , feront inceffamment fermez par des
enceintes de Bauge.
SENTENCE DE POLICE , du s. Octobre
,qui condamne à l'amende plufieurs Particuliers
commis à allumer les Lanternes publiques
, pour avoir alteré les Chandelles ou
en avoir fubftitué d'autres en place de celles
qui leur avoient efté délivrées.
DECEMBRE. 1727. 2785
AUTRE du même jour , qui condamne la
nommée Marie Fabulet en trente livres d'amende
pour avoir fubftitué d'autres chandelles
en place de celles qui lui avoient efté fournies
pour allumer dans les Lanternes publibues,
AUTRE du même jour , qui condamne le
nommé Marandot ; Marchand de Foin en trente
livres d'amende , pout n'avoir pas voulu fouffrir
qu'on mit à fon Batteau de Foin une Banderolle
qui en indiquât le prix.
ARREST du 9. Decembre , par lequel le
Roy a prorogé & proroge l'execution de l'Arreft
du 15. Juin 1727. jufques & compris le
dernier Juin 1728 , paffé lequel , le prix des
anciennes Efpeces & Matieres d'Or & d'Argent
fera réduit , ainfi qu'il l'eût dû eftre le
premier Janvier prochain , en confequence des
Arrefts des 15. Juin 1726. & 15. Juin 1727 .
Ordonne au furplus Sa Majefté , que tous les
Edits , Declarations & Arrefts rendus tant
l'égard des confifcations , que de l'expofition
des anciennes Efpeces , continueront d'eftre
executez felon leur forme & teneur , nonobf
tant ladite prorogation , &c,
ORDONNANCE DE POLICE du 13. De
cembre , Portant deffenfes à tous Jeunes Gens
& autres Particuliers , de quelque âge & condition
qu'ils foient , d'entrer dans les Salles
des Filles de la Communauté de l'Enfant Jefus
pendant leur travail , & de les infulter en quelque
maniere que ce foit lorfqu'elles en fortent.
EDIT DU ROY , Portant rétabliffement de
1. vol. foixante
2786 MERCURE DE FRANCE
foixante Offices de Secretaires du Roy , des
Cent fupprimez en 1724. Donné à Fontainebleau
au mois d'Octobre 1727. Regiftré en Parlement
le 12. Decembre , par lequel S. M
fixe les Offices de Secretaires du Roy au nombre
de 300. dont la Compagnie fera à l'avenir
compofée & c.
ORDONNANCE DE POLICE du 17. Decembre
, contre plufieurs Particuliers trouvez
vétus de Toile Peinte , & condamnez chacun
en 200. livres d'amende .
AUTRE du 19. Decembre , qui condamne
la nommée Laubet en trente livres d'amende ,
pour avoir inferé de l'eau dans les Chandelles
deſtinées à allumer dans les Lanternes publiques.
AUTRE dn même jour, qui condamne le
nommé Petit en trente livres d'amende , pour
avoir mis des Chandelles ufées dans les Lanternes
publiques .
AUTRE du même jour , qui condamne le
nommé Becquet , Limonadier , en quarante livres
d'amende , pour avoir reçû chez lui des
Buyeurs à heure induë.
AVIS.
Le fecond Volume de ce mois , qui eft
actuellement fous preffe , & qui doit fuivre
selui-ci deprès , fervira de Supplément auxe
Matieres qui n'ont pû trouver place dans
Le cours de la préfente année , & contiendra E -vola
une
2787
une Table Generale , par le moyen de laquelle
on trouvera aifément toutes les differentes
Matieres.
TABLE .
2573
PLettre fur la découverte faite à Autu .
Ieces fugitives , Idile , &c.
2576
Dernieres Stances de l'Abbé de Villiers. 2591
Memoire fur la Ville d'Alep & fur la Caravane,
&c.
Réflexions.
Epitre fur la confcience.
2598
2607
2611
Extrait de Mémoire de M. Bolduc fur le Sel de
Glauber naturel.
L'Hyver , Poëme.
2615
2622
Monumens Antiques trouvez en Velay. 2626
Lunettes d'approche , inftruction.
Madrigal , & c. 2628
2630
Le Caffé , Vers Marotiques." 2635
Lettre Apologetique de M. de Senecé. 2640
Vers fur le Portrait , &c. & Réponſe
.2649
Réponſe de la Dame de Dreux , & c. 2650
Bouquet à Madame. ***
2655
Artifans illuftres de Nuremberg. 2658
Plainte d'un Gafcon.
2661
Difcours de M. Talon. 2662
Enigmes nouvelles .
2665
Nouvelles Litteraires des beaux Arts ,
& c.
2667
Defcription du Parnaffe François .
Veritable Calendrier Chronologique , & c.
2669
2672
Almanach de Paris , & c. 2674
Ouverture du College Royal
2675
Nou2790
Nouvelles Eftampes de Watteau.
Eftampes coloriées .
2676
2677
Nouvelle invention pour faire remonter une
Horloge , & c .
Chanfon notée.
Spectacles , nouvelle Actrice , & c-
Les Amans réunis , Extrait.
2680
2685
2686
2688
Les Préfens des Dieux , Idylle en muſique.
2703
Concert au Château das Thuilleries, 2709
Nouvelles du Tems , de Turquie , Ruffie , & c.
Suede , Allemagne , Efpagne.
D'Italie , d'Angleterre & Hollande.
Nouvelles d'Afrique.
2710
2713
2717
2726
2730
2733
2735
Additions aux nouvelles du tems .
Morts , Naiffances des Pays étrangers .
France , nouvelles de la Cour de Paris.
Honneurs rendus à Bafle à M. le Marquis de
Bonac, Ambaffadeur en Suiffe , & c.
Morts , Naiffances.
Supplément , Voyages de Cyrus , &c.
2744
2748
2755
Saturnales , Triolets pour le mois de Decembre.
Arrêts , Edits , Sentences de Police , & c.
P
Errata de Novembre.
2775
Ag. 2396. l . 15. vous , ôtez ce mot.
Page 2555. p. 26. Agregé , lifez Agregée
Fantes à corriger dans ce Livre,
PAge 2704. ligne 16. eft , ôtez ce mot.
L'Air noté doit regarder la page 268.5
MERCURE
DE FRANCE ,
DĚDIE AV
ROY.
DECEMBRE .
1727.
SECOND VOLUME.
QUE
COLLI
SPARGIT'S
Chez
A PARIS ,
( LA VEUVE CAVELIER , au Palais.
GUILLAUME CAVELIER , rue
S.Jacques , au Lys d'Or..
LA VEUVE PISSOT, Quay de Conti,
à la defcente du Pont- Neuf au coia.
de la rue de Nevers , à la Croix d'Or.
M. D C C. XXVII.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
Le 24.juillet 1729_ch/elA
VIS.
LAD
ADRESSE generale pour toutes
chofes eft à M. M OREAU ,
Commis au Mercure¸vis - à- vis la Comedie
Françoife , à Paris. Ceux qui pour leur
commodité voudront remettre leurs Paquets
cachetez aux Libraires qui vendent le
Mercure à Paris , peuvent fe fervir de
cette voye pour les faire tenir.
On prie très - inftamment , quand on
adreffe des Lettres on Paquets par la Poſtd'avoir
foin d'en affranchir le Port
comme cela s'eft toûjours pratiqué , afi
d'épargner , à nous le déplaifir de le
rebuter , & à ceux qui les envoyent .
celui non - feulement de ne pas voir
paroître leurs Ouvrages , mais même de
les perdre , s'ils n'en ont pas gardé de
copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers ou les particuliers qui fouhaiteront
avoir le Mercure de France de
,
la premiere main , & plus promptement ,
n'auront qu'à donner leurs adreffes à M.
Moreau , qui aura foin de faire leurs pa
quets fans perte temps & de les faire
porter fur l'heure à la Pofte , ou aux Meffageries
qu'on lui indiquera.
de
Le prix eft de 3o. fols.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROT.
DECEMBRE. 1727 .
菜糕糕糕糕XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
4
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
LES GANTS ,
IDYLE COMIQUE ,
Αυ LECTEUR.
A My, fitu veux cenfurer ,
Tu peux le faire fans fcrupule ?
Pluste croiras ici trouver de ridicule ,
Plus de toucher au but j'oferai m'affurer.
2. vol.
A ij IDYLE
2792 MERCURE DE FRANCE,

IDYLE.
Au Palais de Paphos , du côté d'Orient
S'élevé une fuperbe & longue Gallerie ;
L'abord en eft aifé , l'afpect en eft riant ,
Et c'eft le Magazin de la Galanterie.
CentPilaftres maffifs foutiennent les plat-fonds,
Où l'on a pratiqué dans tous leurs intervales ,
Des Boutiques de prix , dont les ventres profonds
,
Contiennent le tréfor des Villes Capitales .
Là , chaque Nation fait aux regards furpris ,
Contrafter fierement l'Art avec la matiere ;
Lahor contre Hifpaham,* Londres contreParis,
Se mettent fur les rangs, chacun à leur maniere,
Sur un large Portail , & de grotes orné ,
On lit ces mots , gravez en Lettres diaphanes :
L'argent donne l'accès à ce lieu fortuné ,
Sans ce grand paffe-port , retirez- vous , Prophanes.
Peu de gens font troublez de l'Edit menaçant ;
Des befoins journaliers le Peuple fe retranche
Pour fuffire au débit du Marché floriffant ,
Où la Beautéfe pare & l'Amour s'endimanches
* Capitales des Indes . du Mogol & de Perfe.
2. vol. Pour
DECEMBRE .
1727. 2793
+
Pour porter groffe bourfe à ce galant traž
fic ,
On s'applique à voler , quand on ne peut
mieux faire ,
Le Commis , fon Traitant; ce Traitant , le
Public ;
La femme ,fon mari , fils & fille , leur pere :
On entend retentir : Monfieur , entrez céans ,
C'eſt au Roy du Japon , c'eft au Dieu du
Commerce , [ a ]
Tabatieres , Bijoux , Dentelles , Paffements ;
Madame , on vend ici les Etoffes de Perfe : -
La Marchande étalée , accroche les Paffants ,
Par cent termes nouveaux féduifant les oreil
les ;
Tout frémit ; l'une à l'autre arrache fes Chalands
,
Incertains de leur choix parmi tant de merveilles.
Sur un Trône d'argent confultant fon miroir
,
Y fiege une Beauté d'un air très - équivoque
;
[a] Enfeignes de Boutiques.
2. vol . A iij L'oeil®
2794 MERCURE DE FRANCE :
L'oeil gauche eft bleu-mourant , le droit brillant
& noir ,
Quelquefois elle plaît , & fouvent elle choque:
D'un côté , fes cheveux en boucle contournez
Lui tombent fur la gorge , où les vents lés
maîtriſent ,
De l'autre , ils font fi courts & fi bien bichonnez
, (4)
Qu'à lui baifer l'oreille avec peine ils fuffifent :
La moitié de ſa face a cet éclat naïf,
Que donne la Nature , & l'autre a fource
couches
D'un gros rouge d'Eſpagne , auffi choquant
vif;
'que
L'un comme Dieu l'a fait , l'autre obſcurci
de mouches..
Les Graces à genoux lui donnent leur confeil
,
Le caprice les croife , & fouvent rebutées ,
Sur ce qui fied le mieux dans un noble appareil
,
Cet indigne Rival les a déconcertées .
Mille Amours enjoüez lui prefentent le choix
(2) Terme de l'Art,
2. vol. 1
D'auDECEMBR
E. 1727. 2795
D'autant d'habits divers qu'inventa l'artifice ,
Ils font tous rebutez , elle accorde fa voix
Aux feules nouveautez qu'adopte fon caprice :
Tout ce qu'elle choifit eft trouvé bien féant ,
Habits fimples , dorez , communs ou magnifiques
,
Son goût fait la fortune , ou l'écueil du Marchand
,
Son coup d'oeil fait ouvrir ou fermer les Boutiques.
De deux beaux Bas - Reliefs fon grand Trône
eft orné ;
Le Luxe , de l'honneur dans l'un trame la
chûte ;
Quand fur des monceaux d'or il l'a bien promené
,
Le pied gliffe à l'honneur , il y fait la culbute.
L'orgueil , dans le fecond triomphe & s'applaudit
;
Il foule aux pieds Plutus , [ a] qu'il a mis en
déroute ;
L'Aveugle , à cris perçants invoque le crédit ,
Qui vole à ſon ſecours avec la Banqueroute.
Pour démafquer la Belle , un diſcours plus
diffus ,
A votre attention deviendroit incommode ;
[ a ] Dieu des Richeffes.
2. vol. A iiij C'eſt
2796 MERCURE DE FRANCE .
C'eſt la Dame d'Atours de la Reine Venus.
La France eft fon pays , & fon nom c'eſt la
Mode.
Pendant que le regard eft fur elle collé ,
On entend un grand bruit , & deux Huiffiers
à Maffe ,
Séparant du bâton le Peuple amoncellé ,
Place au Bon Goût , Meffieurs , crient - ils ;
place , place.
Ce Critique fâcheux vient ici nous glofer,
( Dit la Mode tout bas ) c'eſt un vrai trouble
fête ;
Eh bien , puifqu'il le faut , nous l'entendrons
jafer ,
Et moi , je n'en ferai cependant qu'à ma têtê.
Tel eft un Ecolier dans la chaude faiſon ,
Qu'empêche de courir un Précepteur feverei
Il prête , malgré lui , l'oreille à la raiſon.
Mais il ne peut aimer qui de trop près l'éclaire.
Enfin , vient le bon Goût , le Port grave , l'Air
doux ,
L'habit propre & modefte : on lui prête -
lence ;
Tandis que des cifeaux travaillent les Filoux ,
Il crache , il fe compofe , il falue , il commence.
2. vol. MaDECEMBRE
. 1727. 2797
Madame , je n'ignore pas
Que je ne fuis ici que votre fubalterne ;
Mais l'ufage a toûjours permis qu'en certains
cas ,
On faffe remontrance au Prince qui gouverne
Les plus defpotiques Etats.
Je ne viens point armé d'une infolente audace
,
Blâmer les changemens qui vous font coûtumiers
,
De vos cheveux coupez déplorer la difgrace ,
Ni fronder le contour de vos vaſtes paniers
Je ne m'oppoſe point qu'aux Beautez nonchalantes
,
Vous infpiriez l'attachement
Qu'on a pour les Robes volantes ,
Qui des tailles les plus charmantes
Dérobe aux yeux tout l'agrément .
Je ne viens point encor de vos plattes coëffures
,
Defaprouver l'invention ,
Qui découvre trop les figures ,
Ou manque la proportion .
Qu'eſt devenu le temps des Clochers magnífiques
,
Dont la hauteur faifoit trembler ,
2. vol. A v Et
2798 MERCURE DE FRANCE.
Et dont la majefté vous faifoit reffembler
Aux Heroines des Antiques ? [ a]
Quand fans Grimoire & fans Lutins ,
Une Belle étoit transformée ,
Par la vertu du Cône [ b ] & celle des Patins ,
Dans un cercle , Geante , & dans un lit , Pigmêe
?
Controller le gouvernement
D'une fi prudente perſonne ,
Seroit témerité , feroit égarement ;
Vous avez tout pouvoir fur le Sexe charmant ,
Madame , & je vous l'abandonne .
Mais pour les jeunes Bacheliers ,
Qui de s'émanciper de mon obéiffance ,
Sous votre illuftre nom fe donnent la licence ,
Souffrez que le Bon Goût les traite d'Ecoliers
,
Et les faffe rougir de leur impertinence.
De leurs grands facs de taffetas ,
J'ai toleré la fantaifie ,
Où courbez fous le faix de leur hypocrifie
[a] Coëffure des Dames dans les anciennes
Médailles.
[b] Figure Piramidale.
2. vol.
Comme
DECEMBRE . 1727. 2799
Comme fous fon Globe eft Atlas ,
Ils feigent d'enfermer des cheveux qu'ils n'ont
pas ,
Sacs bâtis fur le protocole
De cet homerique préſent ,
Qu'au fage Uliffe fit Eole ,
Pour enfermer le vent.
J'ay fouffert de même maniere ,
Ces aîles de carton , qu'inventerent les Ris ;
Alors que de grotefque ils leverent baniere ,
Et qui leur donnent par derriere
Tout l'air d'une Chauve - Souris.
J'ay vû fans m'emporter l'abus de leur farine ,
Dont l'excès leur femble joli ,
Qui courant de leur front jufqu'à leur poitrine
,
Au Farceur Jodelet [ a] eût donné paroli.
J'ay vû des Côtes de Baleines
Dans les pans de leurs juft'au - corps ,
Fades imitateurs des paniers de leurs Reines 5
J'ay vû leurs rifibles efforts
Quand ils conduisent une Belle ,
Qu'ils tiennent par le bout du doigt ,
[ a] Comedien qui s'enfarinoit le visage.
2. vol.
A vj Mar
2800 MERCURE DE FRANCE .
Marchant de biais avec elle ,
Si le degré fe trouve etroit ;
Mais je n'ai pû fouffrir qu'on vous fit un outrage
Qui m'a paru des plus fanglants ;
C'eft que ces jeunes arrogants
Ofent , fous votre aveu , renoncer à l'uſage ...
O! Ciel ! le puis -je dire... à l'ufage des Gants !
Je refpire à la fin , ( dit la Mode ſurpriſe )
Après tant d'exclamations ,
Et de renonciations ,
J'ay craint qu'il ne lâchât quelque groffe
fottife.
Ah ! (pourfuit l'Orateur ) contre cette herefie
,
Dont force gens d'honneur vivent fcandalifez,
Permettez à mon zele un mot d'Apologie ,
Pour les Gants mépriſez.
Contre ces Galants infideles ,
Cen : celebres Citez implorent de vos Loix
Les affiftances naturelles ;
2. vol.
Rome,
DECEMBRE. 1727. 28or
Rome , Naples , Grenoble , Avignon , Cône ,
Blois , [b]
Vous parlent par ma voix ;
Je puis y joindre Occagne & Séville & Padouë
;
Cent
Voici leur fceau qui m'en avouë.
A ces mots un grand Porte- Faix ,
A moitié courbé fous le faix ,
Pour ajoûter le témoignage
A l'éloquence du Bareau ,
Vint décharger fur le Bureau ,
gros paquets
tour âge.
de Gants de tout fexe &
Par un trait qui n'eſt pas nouveau ,
Car je tiens d'un grand Perfonnage , [ 6 ]
Qu'un celebre Orateur, dans un pareil deflein,
De l'aimable Laïs dévoila le beau ſein ,
Pour fléchir la rigueur du grave Aréopage. [ c ]
Après s'être effuyé d'un Mouchoir parfumé ,
( Qui fut pour la Mode un fupplice )
[a] Villes celebres pour la Manufacture des
Gants.
[b] Plutarque.
[ c ] Senat de Greco-
2. vol.
La
2802 MERCURE DE FRANCE
La Dame étoit fujette aux vapeurs de matrice,
Etbonne odeur , pour elle , étoit vrai ſublimé
Mais de l'attention charmé ,
Que lui prêtoit fon audiance ,
A haute voix , quoiqu'enrhumé
,
Ainfi le bon goût recommence.
Après que Prométhée eut paîtri de limon ,
L'homme , cet animal fuperbe ,
Il imprima fa main fur l'herbe ,
Comme l'a dit dans un Sermon ,
Le Docte Annius de Viterbe ,
De nos Antiquitez l'ingenieux Démon ,
Et dont la bonne foi peut paffer en proverbe : [ a ]
Or fur ce beau modele ... A ce début gentil ,
Qui de Pédanterie augure une Iliade ,
La Mode fronce le fourcil ,
Elle bâille ; elle en eft malade ;
Lorfqu'un Amour narquois , de deux autres
fuivi ,
Tenant dans fa main fa baguette ,
Et fur fon bras la ferviette.
Lui vient crier bien haut : Madame, on a fervi :
[a ] Raillerie contre un Auteur décrié par ſez
fuppofitions.
2. vol
Elle
DECEMBRE . 1727 2803
Elle veut fe lever ; mais le bon goût l'arrête :
Princeffe , lui dit- il , laiffons l'Antiquité ,
Je vous la paffe , & je m'apprête
A n'alleguer des Gants que leur utilité.
Si pour aider à fes conquêtes ,
Le Sujet à fon Roy doit contribution ,
Le Roy doit la juftice , & fon attention
A qui prefente des Requêtes .
La Mode fe raffit ,
Et le Bon- Goût pourfuit.
Les Gants font bons à mille chofes ,
Ne fut- ce qu'à cueillir des Roſes ,
Quand on a peur d'être piqué.
Au combat par le Gant un Brave eft provoqué
, [a]
Le Pontife s'en fert dans fes céremonies ,
Pour s'y mettre à genoux il tient lieu de
.. carreau ,
Et pour qui veut s'affeoir dans les Plaines
unies ,
Il fait office d'efcabeau .
Bon pour le Soleil & la pluye ,
[ a ] Ancien ufage des deffis pour se battre en
duel.
1. vol. Chaud
2804 MERCURE DE FRANCE .
Chaud en hyver , frais en été;
L'ôter & le remettre , eft jeu qui defennuye ,
Il vaut pour éventail dans la neceffité .
Demandez aux Experts dans la Fauconnerie
De quel uſage eft un gros Gant ,
Un Auteur dans fa rêverie ,
S'épargne un ongle en lè rongeant ,
En donner par le nez , de la minauderie ,
Par fois eft un trait obligeant :
Il fert à ferrer fon argent ,
Il fert à garder une place ;
Dans un Gant tailladé , brille avec plus de
grace ,
Une Bague de Diamant.
Il eft blanc dans les époufailles ,
Dans les chaleurs il eſt glacé ,
De fourure en hyver il eft matelaffé ,
Et bronzé pour les funerailles.
Le Cerf, le Chevreuil & le Dain ,
Le Chamois & le Bouquetin ,
Le Chien, l'Agneau , juſqu'à la Poule
Nous prefentent leurs peaux en foule
Pour en habiller notre main.
20 vol On
DECEMBRE. 1727. 2805
On en fait au Métier , on en fait à l'éguille ,
De Laine de Caſtor , de Soye & de Coton ,
La Bourgeoife à fa Nôce & la Nonne à fa
grille ,
Régalent leurs amis de Gants de Capiton.
On en porte à la Cour , on en porte au Village ,
On en fait de toutes couleurs ',
Qui les veut parfumez , en tire l'avantage
De garantir fon nez des mauvaiſes odeurs.
Si je voulois de Gants épuifer les merveilles ,
Je n'aurois jamais fait ;
Le dîner refroidit ; j'épargne vos oreilles ,
Et je reviens au fait.
Dites-nous donc par quel caprice ,
Tant de jeunes impertinens
Se difpenfent de l'ordre , & fe font l'injuſtice
De fe paffer de Gants ?
Sont-ils nez au fiecle de Rhée ,
Où la peau blanche & colorée
Effaçoit l'éclat du Jaſmin ?
Adonis leur a - t- il legué ſa belle main ,
Qui prit fi doucement le coeur de Cythérée ?
Quelprogrès feront- ils dans l'amoureux métier
2. vol.
A
1306 MERCURE DE FRANCE .
A montrer leurs pates craffeufes ,
Noires , velues & calleufes ?
J'y pourrois ajoûter galeufes ,
Si je ne voulois pas leur faire bon quartier .
Un Cavalier fans Gants , ne tient point affez
ferme
La bride d'un Cheval.
Un Damoiſeau fans Gants , eft planté comme
un Terme
Dans le milieu d'un Bal.
Oferiez vous jamais dans une promenade
A la galante Iris preſenter votre main ,
Auffi gluante que Pommade ,
Qui poifferoit fes Gants plus blancs que le
Satin?
Ah ! Belle , à qui l'épais Mendoce
Prefente des voeux affidus .
S'il vous offre la main pour monter en caroſſe,
Dégantez- vous , Aminthe , où vos Gants font
perdus :
C'eſt fait d'un Gant lorfqu'on le gâte ,
Pour la main, l'on s'en tire avec un pot de pâte.
Mais quoi , me direz -vous , nous fommes gens
polis ;
2. vol. SouDECEMBRE.
1727. 2807
Souvent nous nous lavons avec des foins extrêmes
:
Eh ! Meffieurs ! n'euffiez - vous manié que vousmêmes
,
Toûjours vous crois- je affez falis.
Et vous , Sages Beautez , vous dont la mo
deftie ,
Des groffiers patineurs craint les attouchemens
,
N'en fouffrez que gantez , à tous évenemens ;
Pour grande que foit leur furie ,
De patiner avec des Gants ,
Ils n'auront pas l'effronterie.
Ainfi , lorfqu'un Cheval eft fujet à ruer ,
On l'arrête avec des entraves ,
Et quand jufques à mordre il veut s'évertuer ,
Avec la mufeliere on fçait l'extenuer :
Traitez de même vos Efclaves :
Ce font Oifeaux qu'il faut muer.
Et vous qu'après la France, à l'Univers prifées ,
Etampes , Poitiers , Montbazon ,
Entragues , Portland , Châtillon ,
Sortez pour un moment des riants Elifées ;
Venez faire ferment de dire verité ,
2. vol.
Dans
2808 MERCURE DE FRANCE :
Dans les mains de la Mode, à qui votre Beauté
Dut fouvent plus d'une conquête ;
Souffrires - vous jamais un Amant déganté ,
Si ce n'eſt dans le tête- à- tête ?
Madame , c'eft affez , je conclus , & finis .
Ces Deferteurs de Gants doivent être punis ,
C'eft votre affaire , & votre ouvrage.´
Egaler la peine au peché,
Sera leur faire bon marché ;
Dans les chaînes du Mariage ,
Si quelqu'un de ces arrogants ,
Sous votre bon plaifir s'engage ,
Faites qu'il n'en ait pas les Gants :
Mode , vous en fçavez l'uſage.
Cette péroraifon fit rire l'Auditeur :
La Mode en l'honneur attaquée ,
Ainfi répond à l'Orateur ,
De fa conclufion piquée.
Ne vous informez point , fi parmi mes Sujets
On fe fent pour les Gants penchant ou répugnance
:
Non , Monfieur du Grand- Goût , de fi minces
objets
1. vol. SontDECEMBRE
. 1717. 2809
Sont- ils de votre compétence ?
Sçachez qu'un jour , fi ma prudence
S'applique à faire agir de mon autorité ,
Les forces réverées ,
Je leur ferai porter dans le coeur de l'été ,
Des Mitaines fourrées :
N'entrez point dans des cas qui vous font prohibez
;
Ici vous n'avez rien à mordre ;
Réformez , s'ils vous duit , les Perruques
d'Abbez ,
Ou bien les barbes du Tiers - Ordre.
Retournez fans replique aux lieux d'où vous
venez ,
Allez-y débiter vos avis furannez ,
De mes Adorateurs , ô Cenfeur incommode
Pour une bonne fois par ma bouche apprenez ,
Qu'il ne convient point de mettre votre nez
Aux Ordonnances de la Mode .
Ainfi dit- elle , un nouveau ris
Eclate à ce trait de Satyre :
Les Echos de Paphos le portent à Paris ,
3
Et les premiers rieurs n'ont plus le mot four
rire.
2. vol. De
2810 MERCURE DE FRANCE .
De même , quand la Bife a quelque temps
regné ,
Si le vent du Midy renforce ſon haleine ,
Par la réfiſtance indigné ,
D'un fouffle il la rencoigne à la Forêt d'Ardenne
.
De ce fier compliment le Bon- Goût conſterné,
Fend d'un coude irrité la foule la plus proche ,
Sans demander ſon refte , & s'enfuit , étonné
Comme un Fondeur de Cloche.
La Mode va dîner . L'excès de fon courroux
Eut ce jour- là fi peu de bornes ,
Qu'elle dégrada le vin doux ,
Et remit en vigueur , en dépit des jaloux ,
Le grand Art de planter des cornes ;
Mais elle conçût tant d'ennui
De ne s'eftimer pas fuffifamment vangée ,
Que d'une fievre éthique elle fut affligée ›
Dont elle refta dérangée ,
Comme nous voyons aujourd'hui,
Par l'effet de la fympathie ,
Qui fait mouvoir tout l'Univers
Sa chere , fa parfaite amie ,
2. vol. L'a
DECEMBRE 1727 . 2811
L'amufante Coquetterie ,
Vit fon petit ménage aller tout de travers,
Les Galans deferterent ,
Leurs liens fe lâcherent ;
Les plus fieres bouderent ,
Les novices pleurerent.
Bonnes gens s'en mêlerent ,
Ils fe raccommoderent ;
Mais mal fe gouvernerent,
Mefures ne garderent ,
Haut les bras s'accofterent ,
Promenades trotterent ,
Mafcarades brillerent ,
Les Traiteurs fréquenterent ,
Tout le jour crapulerent ,
Et la nuit brelanderent.
Les mauvais vents foufflerent ;
Les voifins murmurerent ,
Les amis s'éloignerent ,
Les
parens remontrerent ,
Les rieurs plaifanterent ,
Les Dévots fulminerent :
Tous ces foins échoüerent ,
2. vol.
Les
2812 MERCURE DE FRANCE.
Les Cochers s'enyvrerent ,
Les Carroffes vérferent ,
Les Laquais déroberent ;
Les exemples gâterent ,
Suivantes imiterent ,
Et fouvent furpafferent.
Les Rivaux fe brouillerent ,
Les jaloux s'emporterent ,
Les Bretteurs dégainerent ,
Enquêteurs informerent
Les témoins dépoferent ,
9
Magiſtrats décreterent ,
Coupables dénicherent.
Les Joueurs filouterent ,
Les efpeces manquerent ,
Les Bijoux s'engagerent ,
Les meubles s'éclipferent ,'
Emprunteurs excroquerent ,
Et Préteurs refuſferent
Dès que gages manquerent ;
Les Créanciers prefferent ,
Les Sergents exploiterent.
2. vol.
Y
:
Les
DECEMBRE. 1727. 2813
Les nuages creverent ,
Les malheurs inonderent ,
Les Poulets fe trouverent ,
Confidentes jaferent ,
Les Maris fe cabrerent ,
S'enquirent, confronterent ,
Et leur honte avererent.
Les plus mous pardonnerent ,
Mais depuis n'eftimerent :
Les plus lâches plaiderent ,
Et fe deshonorerent ;
Les plus fages cloîtrerent ,
Les brutaux poignarderent ,
Et les Cloches ſonnerent.
Enfin , dans ce trifte revers ,
Les Rimeurs de Paphos , pour comble de mifere
,
En firent d'auffi méchants Vers
Que ceux que je viens de vous faire.
O! Deftins trop extravagants !
Voilà bien du bruit pour des Gants.
2. volg
De Senecé.
B RE2814
MERCURE
DE FRANCE ,
REPONSE à l'Art. 24. des Mémoires
de Trévoux du mois de Mars 1727 .
E me fçai bon gré , Meffieurs , d'être
Jentré,fans le fçavoir , dans vos vues , au
fujet de la vraye fignification du mot Cefar
fur les Médailles , je me felicite de ce que
j'ai donné par- là occafion au P. H. de produire
de nouveau fes conjectures fur les
noms & la famille d'Augufte & de fes fucceffeurs
; je ne fçai dans quel fens il a pû
dire qu'il m'eut été facile de faire ces reflexions
auffi bien que lui ; où les aurois je
puifées ? Les Hiſtoriens , les Infcriptions ,
ni les Médailles n'offrent rien qui puiffe
feulement les faire preffentir. Qüi , j'ofe
le dire , les Médailles même ne favorifent
en aucune maniere le Systême du P. H.
fur l'Hiftoire Romaine ; fes opinions toujours
oppofées au témoignage des Hiftoriens
, ne font gueres moins fouvent contraires
aux Infcriptions & aux Médailles ;
c'eft ce que je me propofe de faire voir
dans cette Lettre ; je n'entreprens pas d'y
refuter le Systême du P. H. dans toute
fon étendue , un volume entier auroit peine
à remplir une telle entrepriſe je m'y
borne à difcuter quelques propofitions ré-
2. vol. pandues
DECEMBRE . 1727. 2815
pandues dans l'article 24. des Mémoires
du mois de Mars 1727. Je m'attache même
uniquement à celles qui ont un rapport
effentiel avec la queftion principale
du nom de Cefar ; & par la maniere dont
je les refute , j'ai tout lieu d'efperer que le
P. H. n'aura pas fujet de fe plaindre, qu'en
combattant fes fentimens , j'aye manqué
en rien aux égards qui font dûs à un Sçavant
de fon âge & de fa confideration.
Sur la vraye fignification du mot
Cefar fur les Médailles.
Pag 441. Cefar eft un nom ou furnom de
famille , & cela eft vifible par la feule
pofition qu'il a fur les Médailles.
Pag. 436. Cefar mis immédiatement après
pronom devant un autre furnom , que
peut- il être qu'un premier furnom ?
le
Ce raiſonnement tout fpecieux qu'il eft
ne prouve rien par trois raifons.
Premierement , parce qu'il prouve trop ,
car , comme j'ai déja remarqué dans ma
premiere Lettre , on pourroit , en raiſonnant
de la même maniere , foûtenir que
Imperator eft auffi un furnom de famille
puifque l'on voit plufieurs Médailles de
Tite qui portent cette Legende : T. CAEAR
IMP . VESPASIANUS . Pour éluder
2. vol. Bij cette
2816 MERCURE DE FRANCE .
cette objection , le P. H. foûtient , pag .
444. que le mot Imperator fait dans cette
Legende un fens , dit - il , bien different
fçavoir , Tite Cefar reçu en ſurvivance ,
& comme en Collegue dans l'Empire, parce
qu'il eft Vefpafien. Cette explication du
inot Imperator paroît bien nouvelle ; par
tout ailleurs fur les Infcriptions & les
Médailles , il ne fignifie rien moins que
cette furvivance , qu'eft- ce qui peut le
déterminer ici à un fens fi particulier ?
Eft-ce le furnom qui le fuit , VESPASIANUS
, parce qu'il eft Vefpafien ? Mais
quoi ! Etoit- ce donc le nom & la famille
de Vefpafien qui lui donnoit droit à l'Empire
? N'étoit- ce pas plutôt celui de Cefar,
dans le Systême du P. H. lui- même ?
Dailleurs , on ne s'eft jamais fervi du
mot IMP. pour défigner un Collegue à
l'Empire , c'étoit par l'affociation à la
Puiffance Tribuniciaire que les Empereurs
faifoient part de l'Empire à leurs enfans ;
& c'étoit par ces mots TR . POT. qu'on
exprimoit cette qualité fur leurs Médailles.
Quand Tite a pris le titre d'Imperail
l'a pris dans le même fens qu'on
le donnoit , dès le tems de la République ,
à ceux qui avoient remporté une victoire
confiderable fur les ennemis ; on pouvoit
bien le donner fans flatterie à Tite après
une expedition auffi importante que fa
a, vol
prife
ΤΟΥ ,
DECEMBRE. 1717. 1817

prife de Jerufalem . On ne peut difconvenir
que cette explication du mot Imperator
ne foit plus naturelle Hiftoire , plus conforme
, & plus honorable à Tite que
+
à
celle du P. H. mais en fuivant même l'explication
du P. H. il demeure conftant
qu'Imperator eft un titre de Dignité , &
qu'il fe trouve placé entre les noms propres
de Tite ; il fe trouve donc quelquefois
des titres de Dignité parmi les noms
propres des Empereurs. On ne peut donc
pas conclure que Cefar eft un furnom de
famille , dès- là préciſement qu'il fe trouve
quelquefois fur les médailles , placé entre
les noms propres des Empereurs.
2. Le raifonnement du P. H. ne prouve
rien de particulier pour Tite & fa famille ,
puifque la même pofition du mot Cefar le
trouve à peu près fur les Médailles d'Antonin
& de plufieurs autres ; c'eft ce que
j'avois pris à tâche de prouver dans ma
premiere Lertre , le P. H. en convient
& m'en fournit même des preuves .
3. Il ne prouve rien non plus pour tous
les Empereurs en general , puifqu'il n'en
eft prefque aucun fur les Médailles ou les
Infcriptions de qui je ne trouve pas un arrangement
tout contraire , le mot Cefar
placé quelquefois avant le pronom de cetteforte
, Imp. Cefar T. Flavius Vespafianus
Imp. Cafar T. Alius Antonius ,
2. vol. B iij
& c.
2818 MERCURE DE FRANCE .
&c. Si Cefar placé immediatement après
te pronom , doit par
cela même être pris
pour un nom de famille ; ce même mot
placé avant le pronom , que fera-t- il ? Y
a - t -il quelque exemple que les Romains
ayent jamais mis leur furnom avant leur
pronom ?
Il ne faut pas d'autre preuve que Cefar
eft un titre de Dignité que les differentes
pofitions qu'on lui a donné fur les Médailles
& les Infcriptions parmi les titres
& les noms propres des Empereurs . Je
l'ai dit dans ma Lettre , & ce n'eft point
une exageration & encore moins une exageration
outrée. On trouve le mot Cefar
placé de vingt manieres differentes fur les
Médailles ; il me feroit très -facile d'en
donner des exemples , & d'en marquer
les differences. Si j'ai ſemblé dans ma premiere
Lettre les reduire à quatre , c'étoit
pour ne pas donner dans un détail ennuyeux
, que je croyois , & que je crois encore
inutile , pour ceux qui font à portée
de confulter les Médailles ; le P. H. les a
fous les yeux , je le prie d'y faire attention
, & je fuis fûr qu'il en conviendra luimême.
Or cela pofé , je dis qu'un nom de famille
ne fouffriroit pas ces tranfpofitions ,
& pour le prouver , je n'ai qu'à me iervir
de l'exemple que le P. H. m'a fourni
2. vol.
luiDECEMBRE
A . 1727. 2819
lui-même ; on dit fort bien en notre Langue
, le Prince Louis de Bourbon Condé ,
Louis , Prince de Bourbon Condé , Louis de
Bourbon,Prince de Condé , Louis de Bourbon
Condé, Prince , & c . Le titre de Prince
placé tantôt au commencement , tantôt à
la fin de la Legende , tantôt au milieu &
parmi les noms propres de famille , n'y
fait pas mauvais effet , & l'on ne fercit
pas en droit d'en conclure qu'il eft luimême
un furnom de famille ; il n'en eft
pas de même des noms de Bourbon & de
Condé ; on ne fçauroit les tranfporter de
la forte , pourquoi ? Parce que ce font
des noms de famille ; mais fans recourir
à des exemples étrangers , le nom de Cefar
lui- même , tandis qu'il a été un nom de
famille , n'a jamais été fujet à ces tranfpo
fitions , on ne le voit pas préceder le pronom
ni le nom de famille , fur les Mé
dailles du Dictateur Cefar , ni fur celles
d'Augufte & de Tibere ; on ne fe permit
cette liberté , qu'après qu'il eût ceffé d'être
un furnom pour devenir un titre de
Dignité. Bien loin donc que la poſition du
mot Cefar fur les Médailles puiffe prouver
qu'il eft un nom de famille , cette même
poſition , ou pour mieux dire , la di- .
verfité de ces pofitions eft une preuve conekrante
, une preuve inconteftable , qu'il
n'étoit déja plus qu'un titre de Dignité .
2. vol.
Biiij Pag.
1820 MERCURE DE FRANCE..
Pag. 436. Dans fon origine dans Jules-
Cefar, c'est un furnom , dans fonfils adoprif
Octavius , c'est encore un furnom ,
pourquoi ne le feroit- il pas dans tous ceux
qui le portent ?
Par trois raifons . 1. Parce que tous ceux
qui l'ont porté n'étoient pas de la famille
' Augufte , c'eſt un fait certain par tous
les Hiftoriens , qui en cela ne font contraires
ni aux Médailles , ni aux Infcriptions
, comme j'efpere de faire voir bientôt.
2. Parce que tous ceux qui font defcendus
d'Augufte ne l'ont pas porté . *
M. Silanus , Rubellius Plautus , Forquatus-
Silanus , defcendus inconteſtablement
de la fille d'Augufte , ne l'ont jamais
pris. Neron lui -même , fils & petit- fils
des deux Agrippines ne le prit pas , avant
que d'être adopté par l'Empereur Claude
qui portoit le nom de Cefar , & n'étoit
pas defcendu d'Augufte . 3. Enfin , parce
que tous ceux qui depuis Neron ont porté
le nom de Cefar , n'ont commencé à le
prendre que lorfqu'ils font devenus Empereurs
ou fils d'Empereurs par adoption
ou autrement ; c'eft encore de quoi toutes
les hiftoires font foi, je n'en rapporterai
* Tacit Annal. Lib. 13. num. 1. & 19.
Lib. 15. num. 35ṛ
qu'un
DECEMBRE. 1727. 2821
qu'un exemple. Lorfque Vefpafien fut réfolu
d'accepter l'Empire que des Legions lui
offroient , alors dit Tacite , quelques Officiers
l'ayant falué Empereur , tous à l'envi
ſe hâterent de lui prodiguer les noms
de Cefar , d'Augufte , & tous les titres de
la Souveraine Puiffance. * Tum cæteri accurrere
, Cafarem & Auguftum & omnia
Principatus vocabula cumulare . Voilà
donc le moment , où pour la premiere fois
Vefpafien fut appellé Cefar & Augufte
& pourquoi lui donne - t - on ces noms
parce qu'on vouloit en faire un Empereur
, & que c'étoit les titres de la Souveraine
Puiffance , Vocabula Principatus.
En un mot , depuis Neron , je pourrois
même dire depuis Caligula , le nom de
Cefar porte toutes les marques diftinctives
d'un titre d'honneur & de Dignité
fans avoir aucune de celles qui caracterifent
un nom de famille . Quelles font ces
marques ? ou pour mieux dire , qu'est - ce
qu'un titre de Dignité ? N'eft- ce pas un
nom tellement affecté à une certaine Dignité
, qu'il eft porté generalement par
tous ceux qui poffedent cette Dignité , de
quelque Nation , de quelque Famille qu'ils
foient , à l'exclufion de tous ceux qui
quoique de même Nation , de même Fa
mille, ne font pas revêtus de la même Di-
* Tacit. Lib. 2. Hiftor. num. 80.
B´v gnité
2822 MERCURE DE FRANCE .
gnité ? Or c'eft- là préciſement la nature &
le caractere du nom de Cefar , au feul
Vitellius près. Tous les Empereurs generalement
ont porté le nom de Cefar , de
quelque Famille , de quelque Nation qu'ils
fuffent , de quelque maniere qu'ils foient
parvenus à l'Empire , tous l'ont communiqué
à leurs fils naturels & adoptifs
mais exclufivement à tous autres , de forte
que jamais depuis la mort de Tibere , aucun
Romain , fut - il de Famille Imperiale ,
fut-il même defcendu d'Augufte , n'a porté
le nom de Cefar , qu'il ne fût où ne
prétendît être actuellement Empereur ou
fils d'Empereur. Le nom de Cefar étoit
donc affecté aux feuls Empereurs & à
leurs fils , à l'exclufion de tous autres ; il
étoit donc un titre de Dignité & non pas
un nom de famille .
Mais, ajoûte le P. H. pag. 436. Le furnom
de Condé pourroit - il ainfi changer de
nature ? Oui , fans doute , le furnom de
Condé & tous autres noms de famille peut
changer de nature , il eft facile d'en trouver
des exemples , mais il feroit inutile de
les rapporter , puiſque le P. H. convient
lui -même , pag. 434. qu'il vint enfin un
tems ou le nom de Cefar fut pris pour un
titre d'honneur ; ce fut , dit il , vers le
tems d'Anne-Comnene . S'il pût changer
de nature pour lors , pourquoi n'auroit- il
2. vol.
pas
DECEMBRE . 1727.2823
pas pû en changer plutôt ? Il eft furprenant
qu'après un tel aveu , le P. H. demande
encore fi ce changement eft poffible
.
Pag. 446. Où trouvera-t - on ce principe
ou cet ufage que tout fils d'Empereurs a
le titre de Cefar dès fa naiſſance ?
Le P. H. femble oublier ici fa Thefe ,
& fournir lui- même des armes pour la
combattre. Il eft , dit- il , contre toutes
les hiftoires que tout fils d'Empereur aye
eû le titre de Cefar dès fa naiffance ; mais
fi tous les Empereurs étoient Cefars par
naiffance ou par alliance , comme le prétend
le P. H. pourquoi leurs enfans n'auroient-
ils pas pris en naiffant le nom de
leur famille : C'eft une des principales
differences des noms de famille avec les
titres de Dignité, que ceux-là nous appartiennent
par le droit de naiſſance , au lieu
que ceux -cy ne nous viennent qu'à meſure
que nous ou nos parens occupons des places
qui nous donnent droit de les porter.
Or c'est à cette difference même
comme je l'ai déja remarqué , que je
reconnois que le nom de Cefar eſt un
titre attaché à la Dignité d'Empereur
on de fils d'Empereur , & non un nom de
famille , parce que je vois dans toutes les
2. vol .
Bvj
hiftoires
2824 MERCURE DE FRANCE .
hiftoires , que les Empereurs & leurs fils
n'ont pas pris ce nom dès leur naiſſance ,
mais feulement lorfqu'ils font parvenus à
la Dignité d'Empereurs ou de fils d'Empsreurs.
A l'égard de ceux qui , comme le
fils de Domitien , naiffoient pendant l'Empire
de leur pere , ils avoient droit de
prendre comme lui le titre de Cefar dès
leur naiffance , parce qu'ils naiffoient fils
d'Empereurs. L'Hiftoire , il est vrai , en
fournit peu d'exemples , parce qu'il eft
peu de fils d'Empereurs qui foient nés fous
I'Empire de leur pere. Mais quand même
il feroit vrai que les fils d'Empereurs , quoique
nés fils d'Empereurs , n'ont pas pris
le titre de Cefar dès leurs naiſſances ,
cela n'en prouveroit que mieux , que le
nom de Cefar n'étoit pas un nom de famille
Quoi de plus contraire en effet au
Syftême du P. H. & à la fignification qu'il
prétend donner à ce nom de Cefar , que
la céremonie qui étoit en ufage vers le
tems de Conftantin , de créer folemnellement
des Cefars ?
2. vol.
Sur
DECEMBRE . 1727 2825
Sur la Famille d'Augufte , & fi tous
les Empereurs en defcendent .
Page. 438. Pourquoi tous ces Princesfontils
appellés Cefars , non-feulement jufqu'à
Gallien , mais pour le moins autant
de tems qu'on lit ce nom fur leurs Médailles
? C'est parce qu'ils defcendent par
des alliances , par mariage avec des
filles de Cefar, de la fille de Cefar Aus
guste.
Je ne fçaurois difconvenir que ce ne foitlà
une très-belle découverte ; elle répandroit
, fans doute , un grand jour dans l'Hiftoire
Romaine , fi elle étoit bien prouvée ;
mais où en font les preuves ? Je fçai que
le P. H. a compofé un Livre exprès , ou
par un grand nombre de conjectures , il
prétend établir ce nouveau Syftême en
fait d'hiftoire : mais que peuvent de fimples
conjectures contre le témoignage exprès
& unanime de tous les Hiftoriens ? *
Tacite , Suetone , Dion , & tous les autres
donnent pour un fait incontestable ,
& fuppofent par tout dans leurs écrits
* Tacit. Annal. Lib . 13 , num. 1. Hiftor. Lib.
I. num. 15. & 16. & Lib. 2. num. 76. 77. &c.
eton.in Galb. cap. 1. & 2. in Vefpaf. cap. s.
Xiphilin. in Neron.
comme
2826 MERCURE DE FRANCE.
comme une choſe certaine & connuë de
tout le monde , que la famille des Cefars
finit avec Neron , que Galba , & tous les
Empereurs qui l'ont fuivi , ne lui appartenoient
par aucun endroit. Je ne m'arrête
pas à produire ici ces témoignages , ils
font en trop grand nombre , & déja affez
connus des Sçavans : or quand même les
Infcriptions & les Médailles diroient expreffément
le contraire , il y auroit encore
lieu de douter , à qui l'on devroit s'en
rapporter des Hiftoriens ou des Médailles
; mais il s'en faut bien qu'on en foit
réduit à cette extremité ; du moins s'il en
faut juger par le petit nombre de preuves ,
apparemment choifies , que le P. H. produit
ici pour établir cette nouvelle découverte.
Ces preuvesfont des deux fortes , ou generales
& communes à tous les Empereurs
, ou particulieres & propres à établir
les généalogies de quelques - uns d'entr'eux.
Les premieres fe réduifent ici à deux ;
dont l'une est tirée du mot Cefar , pourquoi
, dit le P. H. tous ces Princes fontils
Cefars ? Mais encore un coup , tous
les Empereurs ne font Cefars fur leurs Médailles,
que parce qu'ils étoient Empereurs ,
ils tiennent ce nom de leur Dignité & non
pas de leur naiffance ; c'eft ce que je crois
2. vol.
avoir
DECEMBRE. 1727. 2827
avoir fuffifamment prouvé.
L'autre eft fondée fur cette Infcription
AETERNITAS AUG . qu'on lit fur.plufieurs
Médailles Imperiales. Gette Infcrip
tion , dit le P. H. pag. 441. que fignific
telle autre chofe , finon la perpetuelle durée
d'Augufte , de fon nom & defonfang, dans
fes Succeffeurs , fur les Médailles defquels
on lit cette Infcription ? Mais pourquoi
donner à ces mots AETERNITAS AUG .
un autre fens que celui qu'on donne toujours
à ceux - ci , LIBERALITAS AUG .
VICTORIA AUG . ADVENTUS AUG . & C.
A-t- on jamais penfé que ces Infcriptions
euffent quelque rapport au premier Augufte
? Peut- on même les expliquer autrement
que de la liberalité , des victoires ,
ou de l'arrivée de celui des Empereurs , fur
les Médailles duquel on les lit ? Pourquoi
donc n'appliqueroit- on pas de même ces
mots AETERNITAS AUG . à l'éternité
particuliere de chacun des Empereurs dont
les Médailles portent cette Infcription
Le P. H. doute- il que les Romains ayent
ofé flatter leurs Empereurs de l'éternité
mais c'eft un fait que tous les Monumens
de l'Antiquité publient , les Inſcriptions
par ces mots qu'on y trouve affez fouvent
AETERNO PRINCIPI . AETERNO IMPERATORI.
Les Hiftoriens par les
exemples qu'ils nous propofent de plu-
2. vol. fieurs
2828 MERCURE DE FRANCE.
3
fieurs Empereurs qui ont voulu être adoré
& recevoir pendant leur vie les honneurs
dû à la Divinité. Ce n'eft pas encore affez,
jufques dans les Lettres particulieres qu'on
écrivoit aux Empereurs , on leur prodiguoit
liberalement l'éternité ; les Lettres
de Pline à Trajan en font foi , on y trouve
affez communément: * Opera non minùs
aternitate tuâ quàm gloria digna , &c.
Flavius Archippus per falutem tuam æternitatemque
petit , & c. Rogatus per ea que
mihifunt & debent effe fanctiffima , id eft ,
per aternitatem tuam falutemque & c .
Mais de tous les Monumens antiques , aucuns
ne prouvent plus clairement cette
verité , que les Médailles même ; on y
voit non - feulement l'éternité , mais la di
vinité même attribuée nommément à certains
Empereurs en particulier ; c'eſt ainfi
qu'on lit , DEO ET DOMINO NOSTRO
CARO . DEO ET DOMINO NOSTRO
AURELIANO fur les Médailles de Carus
& d'Aurelien , AETERNITAS AUG. N.
Eternitas Augufti noftri. Sur celles de
Maxence , AETERNITAS AUG. Æternitas
Auguftorum. Sur celles de Philippe
&c. Ce n'est donc pas la perpetuité d'Augufte
, de fon nom & de fon fang qu'on a
cû en vue lorsqu'on a gravé fur les Médailles
des Empereurs AETERNITAS
Plin. Epift. Lib. 10. Epift. 50. 67. & 87.
AUG.-
DECEMBR E. 1727. 2829
AUG. Le P. H. ne peut donc tirer de cette
Infcription,non plus que du nom de Cefar,
aucun avantage pour fon fentimenr particulier
fur la famille des Empereurs en general
. Examinons à prefent s'il établit fur
de plus fortes preuves la génealogie particuliere
de chaque Empereur ; je me borne
toujours à celles qu'il rapporte dans
l'article 24. des Mémoires du mois de
Mars 1727.
Sur la Famille d'Othon .
Pag. 444. Le fameux Marc - Antoine
étoit fon Trifayeul , la fille de Marc-
Antoine, & de la foeur d'Augufte , nommée
Antonia - Augufta par fon pere ,
gufta par fa mere ,
d'Othon.
Auétoit
la Bifayeule
Voici déja ne contradiction manifefte
dans le Syfteme du P. H. Tous les Empereurs
, dit - il , pag. 438. font Cefars , parce
qu'ils defcendent par des alliances , par
mariages avec des filles de Cefars de la
fille de Cefar Augufte , & voilà cependant
que de fon aveu , Othon qui porte comme
les autres le nom de Cefar , ne defcend de
la fille d'Augufte , ni par alliances ni autrement.
Il le fait , à la verité , defcendre
d'Octavia foeur d'Augufte & d'Antonia
2. vol.
La
2830 MERCURE DE FRANCE.
7
Anfa
fille ; Mais premierement l'une ni l'auttre
ne furent jamais de la Famille des Cofars
, ni par adoption , ni autrement ,
tonia qui porte fur fes Médailles le titre
d'Augufta , ne le tenoit pas de fa mere
Octavia , qui ne le portât jamais , mais
de fon petit- fils Caligula , qui lui donna
ce titre d'honneur au rapport de Dion *
dès qu'il fut parvenu à l'Empire.
2
Dailleurs comment établit - il cette
Genealogie d'Othon ? en le faiſant petitfils
de l'Empereur Claude par fa fille Antonia
, c'est-à- dire , en continuant de démentir
tous les Hiftoriens ; leurs écrits
font foi , que l'Empereur Othon nâquit
l'an de Rome 78. fous l'Empire de Tibere
, qu' Antonia, fille de l'Empereur Clau
de , ne fut mariée en premieres noces que
dix ans après fous l'Empire de fon pere ,
qu'elle fut mariée non à Salvius Otho ,
pere de l'Empereur de ce nom , mais à
Cn. Pompeius Magnus , enfin que la mete
d'Othon étoit Albia- Terentia. Tous
ces témoignages n'arrête pas le P. H. le
pronom d'Othon eft Marc , Marc eft le
pronom des aînez de la Famille des Antoines
, cela fuffit , quoiqu'en difent les
★ Dio . Lib. 59.
* Sueton. iz vit. Othon , Cap . 1. &
In vit . Claud. Cap. 22. Dio, Lib . 60.
Tacit. Hift. Lib. 2 , num. 50.
Hiſtoriens ,
DECEMBRE 1727. 2831
Hiftoriens , il faut neceffairement qu'Othon
defcende de Marc - Antoine , comme
fi le pronom de Marc étoit inconnu dans
toute autre Famille que celle des Antoines
, comme fi les Médailles même ne
nous apprenoient pas qu'Othon tenoit le
pronom de Marc de fon Ayeul M. Salvius
Otho , Triumvir Monetaire du tems
d'Augufte. En bonne foi , croit- on perfuader
quelqu'un par des raifonnemens de
cette nature ? C'eft pourtant la feule preuve
que donne ici le P. H. de cette nouvelle
Génealogie d'Othon ; car pour ce
qu'il ajoûte que cet Empereur étoit fils de
Salvius Otho , qui fur les Médailles du
tems d'Augufte eft Imperator & Conful ,
outre que ce Salvius n'eft point Otho fur
les Médailles dont il s'agit , outre qu'il
n'a pû être le pere d'Othon , puifque la
Médaille qui le nomme IM P. & Cos. eft
du Triumvirat ; & parconféquent au plus
tard de l'an de Rome 72 4. & que l'Empereur
Othon n'eft né que l'an 785. plus
de 61. ans après que ce Salvius étoit fur
les Médailles Imperator & Conful outre
cela , dis -je , il est évident que les qualitez
d'Imperator & Conful , que lui donne
cette Médaille,étant des titres d'honneur ,
on n'en fçauroit tirer aucune conféquence
poda Famille & les alliances d'Othon.
2. vol. Sur
2832 MERCURE DE FRANCE.
Sur la Famille de Vitellius .
Pag. 437. Ceux qui n'ont pas vû le nom
de Cefarfur les Médailles de Vitellius ,
ont pu s'imaginer que ce Prince avoit
deffendu qu'on le lui donnât.
Neft peu de faits auffi certains , auffi
bien établis par l'Hiftoire & par les Mé
dailles que cette deffenfe de Vitellius ;
c'est un fait attefté par * Suetone , par Tacite
en trois endroits de fon Hiftoire , confirmé
par toutes les Inſcriptions qui nous
refte de Vitellius , par toutes les Médailles
Latines , & par toutes ou prefque toutes
fes Médailles Grecques ; il fe peut faire
que quelques Villes Grecques , plutôt informées
de l'élevation de Vitellius , que
du refus qu'il faifoit du titre de Cefar ,
ayent fait frapper à la hâte quelques Médailles
, où elles lui donnent le titre de
Cefar ; mais quatre ou cinq Médailles
de cette nature , déterrées feulement depuis
peu , ne peuvent pas faire revoquer
en doute un fait auffi averé que ce refus
de Vitellius. Independamment
du témoignage
des Hiftoriens , le grand nombre
de Médailles Grecques & Latines de cet
* Sueton. in Vitell. Cap . 8. Tacit. Hifter, L.
8. num. 62. Lib. 2. num. 62. Lib. 3. num. 58.
EmpeDECEMBRE
. 1727. 2833
Empereur , où l'on ne trouve point le
nom de Cefar,fera toujours une forte preuve
, que ce n'eft pas fans quelque raifon
particuliere qu'on a fupprimé ce nom fur
les Médailles du feul Vitellius , & cette
raifon ne peut être autre , que la deffenſe
que Vitellius fit expreffément qu'on le lui
donnât. Le P. H. a beau dire.....
Pag. 439. Que pour éviter , je ne fçai
quelle équivoque , & pour apprendre
qui étoient les Ancêtres de Vitellius du
côté de fa mere , on s'eft crû obligé de
mettre fur fes Médailles Latines , AUG .
au lieu de CESAR .
9 Les Ancêtres maternels de Vitellius
felon le P. H. étoient les mêmes que ceux
de Neron ; cependant on n'a jamais penfé
à imiter cette équivoque prétendue fur
les Médailles de Neron ; cet Empereur
comme tous les autres , eft toujours Cefar
fur fes Médailles Latines comme fur fes
Médailles Grecques ; d'ailleurs , jamais
les noms de Cefar & d'Augufte n'ont été
pris pour finonymes , jamais il n'a été
indifferent qu'on mit fur les Médailles le
nom de Cefar ou celui d'Augufte ; le titre
d'Augufte étoit affecté aux feuls Empereurs
. & à ceux qu'ils affocioient à l'Empire
, celui de Cefar étoit commun aux
2. vol.
Empe
2834 MERCURE DE FRANCE .
Empereurs & à leurs fils naturels & adop .
tifs , c'eft de quoi l'Hiſtoire & les Médailles
font foy ; mais il y a plus , c'eſt
que Vitellius refufa pendant quelque tems
P'un & l'autre ; ce ne fut que lors de fon
entrée dans Rome , que le peuple l'obligea,
comme malgré lui , de prendre le titre
d'Augufte , abnuenti nomen Augufti expreffere
ut aẞumeret , dit Tacite , juſqu'a
lors il n'eft fur fes Médailles ni Cefar ni
Augufte , mais feulement A. VITELLIUS
GERMANICUS IM P. Or cette deffenſe
ainfi prouvée , eft elle- même une
preuve convainquante, & que les noms de
Cefar & d'Augufte n'étoient pas pris alors
pour des noms de Famille , & que Vitellius
n'étoit defcendu de la fille d'Augufte
; car pourquoi auroit- il refulé les
furnoms d'une Famille à laquelle il devoit
l'Empire , & qui ne pouvoient que lui
faire honneur.
pas
Pag. 438. Vitellius étoit petit-fils de Germanicus
, arriere petit-fils parconféquens
de Nero- Claudius- Drufus.
Vitellius porte fur fes Médailles le furnom
de Germanicus ; en voilà affez pour
faire conclure au P. H. contre le témoignage
exprès deTacite & de Suetone, * que cer
* Sueton. in Vitell. Cap. 3. & 8.
Tacit. Hift. Lib 2. num. 62. & 76.
Empe
DECEMBRE. 1727. 2835
1
pour
Empereur defcendoit de Drufus à qui lefurnom
de Germanicus avoit été donné
être hereditaire dans fa Famille . Mais
quoi ! ne pouvoit on pas être furnommé
Germanicus , fans être iffus de Nero - Claudius-
Drufus ? Domitien , Trajan , & tant
d'autres Empereurs qui ont porté le furnom
de Germanicus , étoient ils donc tous
defcendus de Drufus ? non , le P. H. veur
bien convenir qu'une victoire en Allemagne
fuffifoit pour procurer ce nom à l'Empereur
qui l'avoit remportée ; bien plus ,
il veut même que Vitellius aye remporté
une victoire en Allemagne , que faut - il
dávantage ? On peut donc , felon le P. H.
lui- même , expliquer les Médailles de
Vitellius , & rendre raifon du furnom de
Germanicus qu'il y porte, fans bouleverfer
toute l'Hiftoire pour en faire un arrierepetit-
fils de Nero - Claudius - Drufus . Mais
fans s'arrêter à cette victoire de Vitellius
en Allemagne , dont tout le monde ne
convient pas , n'eft - il pas plus naturel de
penfer avec Suetone & Tacite , que Vitellius
ayant été proclamé Empereur par les
Legions Germaniques , il prit dès- lors le
nom de Germanicus , qui lui fut décerné
par ces mêmes Legions . Telle eft fans difficulté
la raifon pourquoi il l'a toujours
depuis porté fur les Médailles : raiſonqui
fondée fur le témoignage des Hiftoriens
2. vol.4 reçû
2836 MERCURE DE FRANCE.
reçû jufqu'ici de tous les Antiquaires ,
n'eft en rien contraire aux Médailles .
Sur la Famille de Veſpaſien.
Pag . 432. Tite & Domitien ont le für
nom de Cefar , par leur pere & leur
ayeule, petite -fille d' Augufte .
La mere de Vefpafien , petite fille -
d'Augufte ! Inutilement m'arrêteroisje
à éprouver que cette propofition eft
abfolument contraire aux témoignages
des Historiens ; on fçait affez que Tacite
qui devoit fa fortune à Vefpafien
& à fes deux fils , ne dit pas un mot
d'une circonftance fi honorable à fes
Bienfaiteurs , & le filence de cet Auteur
, furun fait de cette nature , & qu'il
ne pouvoit ignorer , paroît à bien des
gens une démonſtration ; on fçait , que
felon Suetone , * la mere de Veſpaſien
s'appelloit Vefpafia Polla , & que jamais
Augufte n'eut de petites- filles de ce nom :
ce n'eft donc pas chez les Hiftoriens que
le P. H. a trouvé ce fait ; eft - ce fur les
Infcriptions ou les Medailles ? C'eſt ce
qu'il faut examiner .
D'où vient , dit -il , pag. 33. que la fille
* Suetone in Vefp.cap. x.
de
DECEMBRE. 1727. 2837
de Tite prend le nom de Latige , Julia Augufta
Divi Titi filia.
Je comprens que le nom de JULIA
AUGUSTA , que la fille de Tite porte
fur fes Medailles , pourroit être une fuite
& une conféquence de ce qu'elle tiendroit
par quelqu'un de fes ancêtres à la
famille de Jules - Cefar ; mais ce nom là
par lui-même en peut -il être une preu
ve ? c'eft ce qui ne paroît pas évident , à
beaucoup près. Les Infcriptions & les
Hiftoires font foi que le nom de Julius
étoit très- commun dans ces temps- là . 11
y avoit à Rome & dans les Provinces
des gens de tous les états , des Senateurs
des Chevaliers , des Soldats , &c. qui
portoient ce nom de famille. Le nom
de Julia , que porte la fille de Tite , ne
prouve donc pas qu'elle defcendit de
Jules- Cefar, plutôt que d'un Julius Pofthumus
d'un Julius Africanus , ou de
tout autre. Mais quand même on accorderoit
que la fille de Tite defcendoit
effectivement de la famille de Jules - Cefar
, qui nous oblige de croire que ce
fut plutôt par la mere de Vefpafien , que
fa propre mere Marcia Furnilla.La
famille Marcia étoit des plus anciennes.
& des plus illuftres de Rome , elle avoit
plnfieurs alliances avec la famille Julia :
la grand-mere de Jules Cefar étoit de
a . vol. C Cette
par

2838 MERCURE DE FRANCE .
cette fimille ; la mere d'Augufte fut mariée
en fecondes nôces à Marcius Philippus
; les deux familles ont pû contracter
enfemble d'autres alliances qui ne font
pas venues à notre connoiffance , pourquor
ne dirois-je pas que Marcia Furnilla
, comptant quelques Jules! parmi fes
ayeuls , en a voulu donner le nom à fa
fille ? Ce n'eft , il eft vrai , qu'une conjecture
, & une conjecture peu établie ;
mais n'eft- elle pas du moins auffi vraifemblable
que celle qui fuppofe contre
l'autorité des Hiftoriens , la mere de Vefpafien
, petite- fille d'Augufte .
Mais , dira - t - on , la fille de Tite porte
fur fes Medailles le nom d'Augufta : or
felon le P. H. pag. 434. après qu'O&tavius
Cefar a eu le furnom d'Augufte , pour
être hereditaire , les filles des Cefars ont
pris le nom d'Augufta , parce qu'il marque
qu'on tire fon origine de l'Empereur
Cefar Augufte.
Si l'Empire Romain a été hereditaire ,
on peut dire que le furnom d'Augufte
l'étoit auffi , puifqu'en effet ce furnom
a toûjours été infeparable de la qualité
d'Empereur ; mais de-là même ne fuis -je
pas en droit de conclure que le nom
d'Augufte étoit un nom de Dignité , &
& non pas un furnom de famille ?
mais perfonne que les Empereurs , & ceux
2. vol.
qu'ils
DECEMBRE . 1727. 2839
qu'ils ont affociez à l'Empire , n'ont porté
le nom d'Augufte ; les Empereurs euxmêmes
ne l'ont jamais pris que lorsqu'ils
ont été actuellement Empereurs . Qu'est -ce
donc qu'un titre de Dignité , & à quelle
marque le reconnoît- on , fi on ne le
reconnoît pas à ces traits ? Les Romains
appelloient Augufte tout ce qui étoit confacré
à leurs Dieux : Sanita vocant Augufta
Patris , Augufta vocantur Templa ;
dit Ovide le Senat en decernant ce
nom à Octavius - Cefar , voulut lui témoigner
par là , qu'il le regardoit comme
une perfonne facrée telle eft l'origine
& la vraye fignification du nom
d'Augufte , origine rapportée par les Hiftoriens
confirmée , & démontrée même
fur les Medailles Grecques , par le
mor ΣΕΒΑΣΤΟΣ , dont les Grecs fe
font fervis , pour rendre en leur Langue
l'Anguftus des Latins. Dans la fuite
les Empereurs communiquerent ce nom
à leurs meres , à leurs femmes , à leurs
filles , par la même raiſon qu'on le leur
avoit donné à eux -mêmes , pour les rendre
plus refpectables par la fignification propre
& naturelle, & qu'il infpiroit au Peuple
une grande veneration pour ceux qui le
* Ovid. Faft. lib . 1 .
* Dio . lib. 53 .
Sueton, in vit. Auguft . Cap. 7.
Cij portoient
2840 MERCURE DE FRANCE . -
*
portoient. Voilà pourquoi tous les Em
pereurs l'ont fait prendre à leurs femmes ;
Voila pourquoi Vitellius , au rapport de
Tacite , voulut en honorer fa mere. La
fille de Tite , la foeur & la niece de Trajan
, & les autres l'ont toutes porté par
la même raifon ; le furnom d'Auguſta
fur les Medailles , ne marque donc pas
que celle qui le porte , tire fon origine
de l'Empereur Cefar- Augufte ,mais qu'ap
partenant de fort près à l'Empereur regnant
, elle doit être regardée comme
une perfonne facrée , & digne de la véneration
des Peuples ; la fille de Tite
pouvoit donc porter le titre d'Augusta ,
comme fille & petite- fille de deux Emfans
être deſcenduë
de l'Empe- pereurs ,
reur Cefar- Augufte.
Pag. 435. Après le nom que ce Flavius
( Vefpafien ) a pris de fa femme Vespa
fia , parce que c'étoit une riche heritiere
, dont par Contrat de mariage il devoit
porter le nom il étoit ftipulé
que dans les Actes publics , il ne
prendroit pas le nom de Flave , mais celui
de Vefpafien , pour faire honneur à
la famille où il venoit d'être enté , &C.
Tacit. hift. lib. & num. 91.0
2.
Pag
DECEMBRE . 1727. 2848
Pag. 437. Domitien avoit ce nom - la ,
pour avoir épouse ane Domitia qui lui
avoit apporté du bien , mais non pas
fuffisamment pour l'obliger à tranfmettre
ce nom à fon fils , &c .
Voici des monumens antiques d'une
nouvelle efpece , des Contrats de mariage
; il ne faut pas douter que le P. H.
n'ait vû ceux de Vefpafien & de Domitten
, il en parle trop pofitivement ; &
d'ailleurs , comment fçauroit- il que vefpafia
étoit une riche heritiere , elle à qui
Suetone donne un frere ? Où auroit-il
appris qu'il étoit ftipulé que Vefpafien ne
prendroit plus le nom de Flave dans les
Actes publics ? Par quel moyen auroit - il
découvert que Domitia avoit du bien
mais non pas fuffisamment pour tranfmettre
fon nom à fon fils ? Le P. H.
n'a pas deviné tous ces faits , il ne peut
les avoir appris que dans ces Contrats
de mariage ; je laiffe à d'autres le foin
d'examiner s'ils font authentiques , pour
moi il me fuffit de prouver que les faits
qui en refultent , font abfolument contraires
aux Hiftoriens & aux Medailles .

To Vefpafia , felon ces Monumens
étoit femme de Vefpafien ; Suetone af-
Suet. in Vefp , cap. 3•´
Ciij fure
2844 MERCURE DE FRANCE .
fure , au contraire , que Vefpafia étoit la
mere de cet Empereur , que fa femme
étoit Flavia Domitia , qu'il en eut fes
deux fils , Tite & Domitien les Medailles
font en ceci parfaitement d'accord
avec Suetone , il ne s'en trouve aucune
de refpafia , celles de Domitille la
difent femme de Vefpafien , & mere de
fes deux fils: * DOMITILLÆ AUG . MATRI
CAS. VESP. AUG. DOMITILLE
AUG. MATRI.CAS.DOMIT.AUG.Celles
de Tite , où il porte le furnom de Vefpafianus
, font une preuve que cet Empereur
defcendoit de Vefpafia : or lef
pafia n'étoit pas la mere , comme il paroi
par les Medailles de Domitille selle
étoir donc fon ayeule , & par conféquent
mere de Vefpafien .
2 °. Vefpafien , fuivant ces mêmes Contrats
de mariage , ne devoit plus porter
le nom de Flavius dans les Actes publics ;
cependant qu'on ouvre les Recüeils d'Infcriptions
& de Medailles , de ** Gruter ,de
Goltzius , d'Occo , & c . & l'on y trouvera
fouvent le nom de Flavius fur les Me-
* Occo pag. 159.
Goltzii. Thefaur. pag. 34.
** Gruter. pag. 43. 103. 183. &c.
Goltz. Thefaur. pag. 32.35 . 36. & 38.
Occo. Numifm . p. 146. 147. 149. 158. 161 .
16. 171 172. 176.
dailles
DECEMBRE. 1727. 2845
dailles & les Infcriptions de Vefpafien &
de fes deux fils . D'ailleurs , Vefpafien don
noit fon nom de Flave aux Colonies
qu'il établiffoit : de tels établiffemens n'étoient-
ils donc pas des Actes publics ?
3. Enfin , Domitien avoit , dit- on ,
ce nom , pour avoir épousé une Domitia
; troifiéme fait auffi contraire aux Hiftoriens
& aux Medailles que les deux
premiers : Domitien portoit ce nom avant
que d'époufer Domitia ; les Hiftoriens ne
le nomment jamais autrement ; ce nom
fe trouve fur les premieres Medailles qui
furent frappées pour lui d'abord après la
mort de Vitellius . *Cependant il eft certain
que Domitien n'époufa Domitia que
quelque temps après , épris de fa beauté
plûtôt que de fes richefles ; il l'enleva à
Lamia , fon mari , & la garda quelque
temps comme concubine avant que de
l'époufer. Eft-ce à ces traits que le P. H.
reconnoît une riche heritiere , qui obligc
fon mari de prendre fon nom ? N'eftil
pas plus naturel de penfer , comme on
a fait jufqu'ici , que Domitien tenoit ce
nom de fa mere Domitille ?
Mais , dit le P. H. pag. 437. C'étoit
la regle des noms qui fe terminent en ianus
Sueton.
Xiphilin
. } in vit. Domit.
C iiij Sur
2844 MERCURE . DE FRANCE :
à moins
que
de
fur les Medailles des Empereurs. Quoi ?
tous ceux qui portoient des nomsterminez
en ianus les tenoient de leurs femmes
? Oferois -je demander au, P. H. où
il a trouvé des exemples de cette regle ?
J'ai beau parcourir l'Hiſtoire Romaine ,
je n'en trouve aucun ,
fuppofer , gratis , & fans aucun fondement
que Hadrien , Didius-Julianus ,
Gordien &c. avoient tous époulé en
premieres nôces des femmes nommées
Hadria , Julia , Gordia : or , je le demande,
s'eſt -on jamais aviſé en fait d'Hiftoire
, de former des regles generales fur
de pareilles fuppofitions .
>
Mais le P. H. lui -même , femble fe départir
de cette regle , ou du moins l'avoir
oubliée , lorfqu'il fuppofe , pag. 442 .
qu'Hoftilianus, fils de Trajan Dece , tenoit
ce nom de fa mere Valens Hoftilia ,
il lui étoit d'autant plus facile de fe fervir
de cet exemple , pour confirmer fa regle
des noms en ianus , que le nom & la perfonne
de Valens Hoftilia étant entierement
inconnus dans l'Hiftoire & fur les
Medailles , il pouvoit à ſon gré en faire
une riche heritiere , & fuppofer qu'Hoftilianus
l'avoit épousée à condition d'en
prendre deformais le nom , rien ne l'empêchoit
de donner carriere à fon imagination
; il n'en eft pas de même de fes
2. vol.
conjectures.
DECEMBRE . 1727. 2845
conjectures fur le nom de Cefar , & fur.
la famille de Vefpafien & des autres Empereurs
, leur oppofition conftante au témoignage
de tous les Hiftoriens , exigent
qu'au moins elles fuffent clairement & folidement
établies fur l'autorité des Medailles
& des Infcriptions ; bien - loin delà,
on ne voit rien fur les Infcriptions ni dans
les Medailles qui favorife les conjectudans
res du P. H. fouvent même ces monumens
lui font expreffément contraires ;
c'eft ce que je n'étois propofé de faire
voir dans cette Lettre , je me flatte d'ent
être venu à bout , il ne me refte plus
qu'à la finir , en vous affurant que je
fuis , &c.
P. D. F.
XXXXXXXXXXXXXXXX
A MADEMOISELLE
DE VERTEILLAC ,
ELEGIE .
Ent fois dans les Concerts des Nymphes
du Permeffe ,
Verteillac, j'ai pour vous celebré ma tendreffe ::
Mais en vain aujourd'hui par les noeuds less
plus doux ,
2. vol . Cy Une:
2846 MERCURE DE FRANČE:
Une tendre amitié fçait m'attacher à vous ;
A de mortels ennuis fans ceffe condamnée ,
De funeftes Cyprès toûjours environnée ,
Mon efprit offufqué du trouble de mes fens ,
Ne permet à ma voix que de plaintifs accens ,
Et le coeur accablé des maux dont je ſoupire ,
Mes trop débiles mains laiffent tomber ma
Lyre :
Enfin , toute livrée à mes vives douleurs ,
Je ne puis plus rien voir qu'au travers de mes
pleurs.
Helas ! qu'eft devenu ce temps fi plein de charmes,
Où mes yeux affranchis du voile affreux des
larmes ,
S'occupoient fans relâche à guider les Pinceaux
,
Dont ma main avec foin , traçoit divers Tableaux.
Dans ces heureux momens à mes Travaux
active ,
Et toute à mon génie appliquée , attentive ,
Quoiqu'il n'ait pas du Ciel reçû ces dons exquis
,
Qui donnent aux couleurs le plus fublime
prix ,
Mettant dans fes contours des graces naturelles,
Traçant
DECEMBRE. 1727. 2847.
Traçant toujours du vrai des images fideles ,
Apollon fur leurs traits me donnoit des leçons
,
Et les fçavantes Soeurs avoüoient mes Chanfons
:
Mais depuis le momenr que la cruelle Parque,
A mon aimable Soeur a fait paffer la Barque ,
Les yeux toûjours fixez fur de triftes Cyprés ,
Je me confume , helas ! en de mortels regrets.
Ciel ! qui me réferviez un deftin fi terrible,
Pourquoi me donniez - vous une ame fi fenfible
!
Eh ! comment foutenir mes douloureux tranſ→
ports ,
Lorfque ce qui m'eft cher defcend aux fombres
bords !
La fortune eft pour moi d'ailleurs inexorable ,
Et pour comble d'ennuis , un frere déplorable,
Avec qui l'amitié comme le fang m'unit
Sous le dur poids des maux , amérement gémit ,
Et d'une illuftre amie inceffamment l'abfence ,
Par cent troubles divers exerce ma conftance .
Parmi tant de chagrins , parmi tant de malheurs
;
Un excellent Ami confoloit mes doulenrs .
Son aimable entretien , fon amitié fidele , 2. vol. Cvj Cal1848
MERCURE DE FRANCE :
Calmoient d'un trifte fort l'influence cruelle :
Mais quel funefte coup pour mon coeur agité !
Cet excellent ami ne voit plus la clarté ,
Et la Parque en fureur, par fon cizeau barbare,
Ravit à notre fiecle un modele fi rare,
Qu'il fut plein de vertus ! l'exacte probité ,
La bonté , la candeur , la fuprême équité,
Les nobles procedez , l'aimable politeffe ,
Sçurent orner en lui la fublime fageffe ,
Et par les dons heureux de l'illuftre Sacy ,
Le Dédale des Loix fut toûjours éclairci ,
Qui , fon ſtyle brillant , à la vertu propice ,
Sçavoit par l'éloquence éclairer la justice.
Toûjours par les beaux traits de fes doctes.
difcours ,
L'innocent opprimé trouvoit un fûr fecours :
Mais s'il fut à grand bruit Orateur admirable ,
Il fut dans tous les temps Citoyen refpectable.
Ardent pour fes amis , plein de fidelité ,
Bon Pere , tendre Epoux , Maître plein de
bonté,
Sans ceffe il fit du bien , & fa main charitable .
Au plaintif indigent fut toûjours fecourable ..
Yous , à qui le trépas le ravit aujourd'hüi ,
2. vol.
Amitié
DECEMBRE. 1727 2845
Amitié , gloire , honneur , que vous perdez
en lui !
Ses fçavantes leçons , fes fublimes exemples
Augmentoient vos Autels & foutenoient vos
Temples.
Pour moi , Victime , helas ! du deftin en couroux
,
Moi , qui dans mes malheurs n'avois rien
d'auffi doux
Que le folide bien d'une amitié fi chere ,
Quelles bornes donner à ma douleur amere !
ENVOY.
Vous de qui les vertus , le bon coeur , le bon
goût ,
Aimable Verteillac , fe font connoître en tout,
Vous pour qui le mérite eut toûjours tant de
charmes , •
Mêlez dans ces momens vos regrets à mes
larmes.
XX :XXXX
Par Me L'Heritier..
Lefttombé par bazard entre les mains
E petit Ouvrage qu'on donne ici , nous
Le Titre , la premiere page & la fin font:
déchirez du Manufcrits ainfi nous ne
2. vol. fçavons
1850 MERCURE DE FRANCE :
fçavons pas ce qui peut en manquer pour
avoir l'Ouvrage complet.On peut juger par
l'imagination de l'Auteur que la fiction doit
avoir été pouffée plus loin . On efpere que
L'approbation du Public l'engagera à nous
en donner la fuite & le veritable Titre ;
en attendant nous le donnons fous le titre
que voici.
VOYAGE A PAPHOS.
Près une douce Navigation que les
AZephirs rendent plus prompte par
l'empreffement qu'ils ont d'aller voltiger
autour de Venus , j'arrivai à Paphos au
moment que l'Aurore commençoit à s'y
montrer ; elle me parut fi riante , que
fans voir Céphale , je jugeai aifément qu'il
étoit à fes côtez .
Je n'effayerai point , Mélite , de vous
décrire les beautez du Palais de Venus ;
vous le connoiffez par l'idée que vous en
a donné le Pinceau de l'Albane : il eft fi
fidele , qu'on diftingue difficilement fi les
Graces l'ont bâti fur fes deffeins , ou s'il
a travaillé d'après les Graces.
L'imagination la plus vive & le goût
le plus galant , n'approcheront jamais de
l'agréable affemblage qui compofe fes
Jardins.
Le Dieu qui les protege,y fixa fon fé-
2. vol.
jour
DECEMBRE . 1727. 2853
jour; & tout s'y reffent de fa favorable
influence .
L'Art n'y paroît que pour faire goûter
avec plus d'admiration les beautez de la
Nature , ou pour mieux dire , on n'y reconnoît
point d'Art. Paphos enfin plaît
aux Amours , & Venus ne l'a jamais quitté
fans regret , que pour aller à la conquête
d'Adonis.
Rempli de votre idée , que ne fentis - je
pas à Paphos Tâchez de le comprendre,
Mélite , car je ne l'exprimerois jamais .
?
J'errai quelques momens de Bofquets
en Bofquets , & j'écoutois avec attention
les fons touchans de Philomele , qui me
paroiffoient plus tendres en fe mêlant au
murmure des Fontaines de cette Ifle
quand j'apperçus une Nymphe qui venoit
à moi.
Je ne doute pas , heureux Amant , ditelle
en m'abordant , que vous ne foyez
bien reçû dans cette Cour. Je fais Diphile
, ai -je répondu , j'aime Mélite . L'Amant
de Mélite , répart la Nymphe , doit
être le modele des Amours ; nous entendons
fans ceffe parler des charmes de
Mélite à la Cour de Venus , & vous venez
fans doute rendre graces à la Déeffe
de les bienfaits ; mais on n'entre point
encore dans fon Palais. Je vous y conduirai
quand il en fera temps ; & je veux
2. vol. CO
2351 MERCURE DE FRANCE :

en attendant fon reveil , vous entretenir
fous cet ombrage .
Je voulus remercier la Nymphe d'un
accueil fi gracieux ; vous m'avez moins
d'obligation que vous ne penfez , répondit-
elle ; le plus grand plaifir que je puiffe
avoir à Paphos , c'eft d'entretenir les
Mortels. Les Nymphes , mes Compagnes,
fe chargent de ce foin à Cithere , mais
à Paphos c'eſt le feul foin de Zelide.
Venus permet à fes Nymphes de choifir
leurs Amans à Gnide , à Amathonte
& à Cithere. Quand le féjour de la Déeffe
eſt à Amathonte , les Amantes des autres
Ifles languiffent dans les peines de l'abfence
; vous me trouvez feule ici dans
la rêverie ; j'aime à Cythere. Eh quoi ,
dis je à Zélide , la Reine des plaifirs perinet
que dans la Cour même on connoiffe
des peines en aimant. Ne vous en étonnez
pas , Diphile, ce font ces peines qui
font le bonheur des coeurs amoureux.
Venus , attentive à tout ce qui peut
augmenter les délices de fon Empire , ordonne
quelquefois à fes Nymphes de
paffer un jour fans parler à leurs Amans ;
il nous est même deffendu de les voir à
de certaines heures. Ces deffenfes ne font
pas faites
pour nous priver de leur prefence
, mais pour ajoûter au plaifir de
les voir , le plaifir de les yoir en fecret .
20. Val..
L'abr
DECEMBRE . 1727: 2853
L'abfence que les vulgaires Amans
comptent pour une peine , augmente les
douceurs qu'on goûte en aimant , Venus
même le foumet à fes Loix , & la mere
des Amours connoît ce qui doit rendre
un coeur heureux . Elle établit fa Cour dans
plufieurs Ifles & ce n'est qu'à Paphos
qu'elle jouit du plaifir de voir Adonis .
Adonis ! m'écriai - je , & les Dieux ne
l'ont- ils pas changé en fleur ? Votre étonnement
ne me furprend point , dit Zelide ,
peu de Mortels connoiffent le bonheur
d'Adonis , fon courage l'ayant emporté
fur les prieres que lui fit Venus de ne
point chaffer les bêtes feroces ; un Sanglier
l'immola à la colere de Diane , &
Venus , en verfant du nectar fur fonfang .
obtint des Dieux qu'il feroit changé en
fleur-
Dès que la Déeffe fut exaucée , elle traverfa
les airs pour fe tranfporter dans
l'Empire de Flore , Reine des Fleurs , lui
dit- elle , dont l'Empire eft auffi brillant
que celui des Amours ; vous vous plaignez
tous les jours de la legereté de Zephire
, vous ne vous en plaindrez plus s
je viens vous offrir de le rendre auffi
conftant que les colombes que vous voyez
attelées à mon char.
A des offres fi engageantes , Flore con
nut que la Déeffe attendoit quelque fe-
2.veli COUES
2854 MERCURE DE FRANCE .
cours de fa puiffance : car les Dieux , ainfi
que les Mortels , ne flatent que pour obtenir
ce qu'ils defirent.
Qu'exigez-vous de moi , pour reconnoître
une faveur fi fenfible , répond Flore
à Venus ? Il eft vrai que Zephire m'inquiete
& m'allarme fans ceffe , & qu'en
m'affurant fon coeur,vous affurez ma tranquilité.
Votre bonheur dépend de vous ,
reprit Venus : le plus charmant des Moré
tels , Adonis vient de perdre le jour : mais
fi Flore me féconde , la Parque n'aura
tranché le fil d'une fi belle vie , que pour
rendre fon fort plus glorieux . Il eſt ſous
votre Empire ; transportez- le à Paphos
aimable Déeffe , faites que cette fleur y
conferve toûjours fa fraîcheur & la beauté;
de fa durée dépend la conftance de Zephire.
La conftance de Zephire , s'écria Flore
avec tranfport ; allez Déeffe , Adonis eſt
immortel. Dès ce jour Zephire n'a point
quitté Flore ; Flore inrereffée à la Fleur
d'Adonis , ne quitte point Paphos ; & le
bonheur de ces amans rend ce fejour plus
digne des Amours .
Venus en obtenant qu'Adonis feroit
changé en fleur , ne bornoit pas les voeux
au feul changement. C'est ainsi que pour
reuffir dans ce qu'on projette , il faut aller
par degrez au bonheur qu'on attend .
Affarée du fecours de Flore , elle fit
2. vol.
Hij cette
DECEMBRE 1727. 2859
cette priere au Maître des Dieux.
Puiffant Dieu de l'Univers , fi pour pu-
" nir l'audace d'un Mortel , vous donna-
» tes autrefois à Diane le pouvoir de chan-
» ger Acteon , refuferez - vous pour faire le
>> bonheur de Venus de changer une fleur ?
» C'eſt à ma priere que vous avez animé
>> l'ouvrage de Pigmalion ; l'amour d'une
Déeffe vous toucheroit - il moins que l'a-
>> mour d'un Mortel ? Non , non , vous al-
» lez animer la fleur d'Adonis ; il a plû à
>> Venus , il merite votre fecours . Jupiter
>> doit trop de plaisirs à l'Empire des Amours
pour ne pas contribuer au bonheur de
la Déeffe ; elle vole à Paphos , Maîtreffe
de rendre à la fleur qui lui eft fi chere ,
la figure & les charmes d'Adonis ; mais
elle ne le peut que dans cette Ifle , &
fes plaifirs feroient moins dignes de Vefi
elle pouvoit faire ce changement
dans tous les lieux foumis à fa puiffance.
Qui peut fe plaindre de l'abfence , fi Venus
s'éloigne d'Adonis ?
Il eft vrai, ajouta Zelide , que dans l'abfence
& les autres peines attachées à l'Amour
, il faut connoître les douceurs qu'on
peut en retirer. Je n'en néglige aucune ,
à Gnide ou à Paphos , je ne penfe qu'aux
plaifirs de Cithere. Je me rappelle les momens
que j'ay paffez avec Licas ..... Ce
foupir vous apprend que c'eft Licas que
2. vol. j'aime
2856 MERCURE DE FRANCE .
j'aime : abſent , fon idée cft fans ceffe pres
fenté à mon Efprit ; je repete en moimême
tout ce que je lui ai dit en partant .
je le fuis dans les bois où j'aime à le trouver
; je le vois nonchalamment couché
s'entretenir dans une douce rêverie ; il
m'aime , il penfe à moi , il me parle peutêtre
, quelques jours avant de réjoindre Licas
, je préviens tout ce qu'il va me dire .
Je juge du plaifir qu'il aura de me revoir
par la tendreffe de fes adieux . Je le vois
qui court au devant de moi ; fes tranſports
comblent ma joye ; je vole dans les bras ;
que de careffes !
Ah , Nimphe, que vous augmentez l'im
patience que j'ai de revoir Melite ! elle
connoîtra dans vos embraffemens , reprit
eile , que l'abſence , en le faifant fouhaitez
plus long -temps , leur donne encore un
nouveau prix.
;
Mais ne vois- je pas le Palais de Venus ?
Non c'eft la demeure des Graces ; ce portique
de feuillages qu'on apperçoit d'ici ,
conduit à un veftibule où s'affemblent les
Genies qui font deſtinez à infpirer la galanterie
aux Mortels . Chaque Grace les
inftruit felon le département qui lui eft
confié. La premiere leur enfeigne à parler
le langage des Graces ; c'eft elle qui
deffend ces froides exagerations , qui loin
d'honorer une Maîtreffe , deshonorent le
2. vol.
F vj fade
DECEMBRE. 1727. 2857
fade paffionné qui les met fans ceffe en
ufage ; C'est elle qui leur dicte une déclaration
, dans laquelle on reconnoit plus
d'embarras que de raifonnement ; C'eſt
elle qui travaille à bannir des focietez
galantes les mauvaiſes plaifanteries , &
tout ce qui n'eft pas du choix des Graces.
Sa cadette à l'infpection des parures :
elle ne donne point de regle pour les ajuftemens
: elle veut feulement qu'il y regne
plus de goût que de magnificence . Elle
paffe à ce beau fexe , quelque caprice ſans
affectation en faveur de la mode : mais
elle condamne dans les hommes galants ,
tout ce qui peut approcher d'un arrangement
étudié.
La troifiéme Grace eft chargée de maintenir
, ou de faire naître ce qu'on appelle
belles manieres : & comme chaque Nation
a fes coutumes en galanterie , Carite
donne aux Genies differentes leçons , felon
les pays où ils font deſtinez. J'entrai
avec Zelide , au moment qu'on inftruifoit
les Genies de la galanterie Françoiſe.
Un Genie affecte les mauvais airs de nos
petits maîtres , & Carite en fait remarquer
le ridicule aux autres. Il contrefaifoit
ce jour là un jeune Seigneur qui d'un
air panché aborde une Dame en chantant ,
pour lui dire tout haut qu'il vient de chez
2. vol.
Belize ,
2858 MERCURE DE FRANCE .
Belife , profiter de l'abſence de ſon mari ,
& un moment après , lui demande à l'oreille
quelle heure il eft , on lui apprend
que la foirée eft belle .
Carite s'étendit beaucoup fur les fentimens
dont on fe picque aujourd'hui ; &
finit en exhortant fes Genies à ramener la
galanterie de l'ancien temps.
Zelide me prefenta à Carite ; elle me
reçût comme les Graces reçoivent les
vrais Amans. Je fçais combien vous aimez
Melite , me dit - elle , mais vous croyez
n'aimer qu'une Mortelle , telle que font
toutes les Mortelles aimables ; je vais vous
apprendre quelle eft Melite .
La Mere des Graces prit naiffance dans
l'Empire de Neptune . Dès qu'elle y parut,
rous les Dieux vinrent lui rendre homage ;
Les Amours en naiffant autour de la Déeffe ,
folatroient avec les plus grandes Divini
tez . Venus fût bientôt maîtreffe du monde
entier tout reconnut fa puiffance , &
Neptune le glorifioit d'avoir vû naître la
Souveraine de l'Univers .
L'envie regne même dans les Cieux .
La Déeffe de la Terre , jaloufe de la gloire
de Neptune, alla fe plaindre au Deftin .» Arbitre
des Immortels; lui dit - elle , pourquoi
» faut-il que Neptune l'emporte fur la Mere
des Dieux ? s'il étoit arrefté que Venus
ne naîtroit pas dans l'Olimpe , ce n'étoit
"
>>
2. vol.
» pas
DECEMBRE . 1727. 2859
» pas au Dieu des Mers à lui donner le
» jour ; Cibelle attendoit cet honneur.
Confolez vous , répondit le Deftin à la
Déeffe. 11 naîtra dans votre Empire une
Mortelle , dont l'Olimpe à fon tour deviendra
jaloux. Sa beauté n'égalera pas celle
de Venus : mais fous des traits moins reguliers
, on verra briller plus de fineffe &
d'enjouëment , fa vivacité l'emportera fur la
majefté même , & fans être divine , elle
recevra les hommages des Mortels .
Trop heureux Diphile , reconnoiffez
Melite ; & ne vous étonnez pas fi nous la
fuivons fans ceffe . Venus joint à la beauté
les charmes que lui donnent les Graces ,
& nous joignons à nos charmes les agrémens
que nous donne Melite : mais elle
ignore elle-même tous les avantages qu'elle
a reçus des Dieux ; foible Mortelle , la
vanité les diminueroit peut- être. Que de
Belles feroient aimables , fi elles fçavoient
ignorer que la beauté fert à fe faire aimer¿
Non , non , m'écriai -je , j'apprendrai à
Melite ce qu'elle ignore . D'abord elle ne
me croira pas je lui jurerai fur le nom
d'Amour que c'eft de Carite que je le fçais ;
elle n'en doutera plus : mais elle fera toûjours
fi modefte , que fi je pouvois oublier
que c'eft Melite , je douterois moimême
qu'elle ait fci à non ferment . Carite
nous quitta pour aller joindre fes
--foeurs
2. vol.
1860 MERCURE DE FRANCE.
foeurs de Venus ; & Zelide me con
duifit dans les differens appartemens du
Pavillon.
Qui pourroit en décrire les beautés ?
Non , Melite , je ne l'entreprendrai point :
votre imagination fuffit. Elle ne vous
laiffera rien échaper de ce que l'art peut
avoit inventé pour faire une demeure digne
des Graces.
Nous nous arrêtâmes quelques momens
dans le Salon des livres. J'étois curieux
de connoître ceux qui ont la gloire d'amufer
Paphos.
Je ne vis que des Titres galants . Ils
font rangez fur differens gradins , felon la
valeur que les Graces leur donnent . Ovide
& Tibule font placez fur le même
rang qu'Anacreon , & Sapho : mais entre
les Vers du fiecle d'Ovide , & ceux de
notre temps , les Graces judicieuſes ont
laiffé l'efpace de bien des Livres.
Je mis d'abord la main fur un volume
de Poëfies , où je reconnus quelques Pieces
d'un petit nombre d'Auteurs , qui fe
font plus attachez aux fenrimens qu'à
l'efprit.
Je trouvai fur le même gradin differentes
hiftoriettes. On ne lit à Paphos que
celles que le beau fexe a bien voulu écrire;
les autres n'y font pas connues.
Un recueil de chanſons , avec deffen-
2 vols Le
DECEMBRE. 1717. 2861
2
fe à la marge , d'en chanter certaines , qui
font compofées fur des airs d'un mouvement
fi rapide , qu'on ne peut les rendre
fans convulfion .
Extraits de plufieurs de nos Romans.
Les volumes font petits , on en a retranché
les hiftoires magiques , & les converfations
ennuieufes.
Je fus étonné d'y rencontrer certain ous
vrage qui devroit être inconnu à Paphos :
j'appris qu'on s'étoit contenté de l'intention
que leurs Auteurs ont eu d'être galants
, mais que les Graces , qui n'y ont
rien mis du leur ne les lifoient pas. Zelide
me demanda fi je frequentois les rives
du Permeffe . Oui , Nymphe, j'y chante
quelquefois ma tendreffe & mon
bonheur ; fi l'Amour pouvoit infpirer
comme Phoebus , j'aurois l'avantage fur
Ovide même ; il n'aimoit que Corine ,
& j'aime Mélite.
Je voulus m'informer quels étoient les
livres de differentes langues qui fuivoient:
mais Zelide m'avertit qu'il étoit temps
defe rendre auprès de la Décffe.
En traverfant un bois qui conduit à fon
Palais , j'entendis une voix entrecoupée
par de tendres foupirs , qui fortoit de def-
Tous un épais feuillage » Oui , Doris , je le
Promets, & tu verras ...... mais quels difcours
? tu verras ! Ah! pardonnez , Doris ,
2. vol. Ꭰ >> le
2862 MERCURE DE FRANCE .
>> le refpect doit l'interdire . Non , non , répond
Doris , cet égarement plaît à l'Amour
; & je vous dis à mon tour , Hillas ,
je te le pardonne. Eloignons nous ces
amans ne demandent point de témoins , dit
Zelide . Vous êtes peut-être étonné de la délicateffe
d'Hillas : il craint d'offenfer Doris
par la plus legere familiarité; les Mortelles
s'en offenfent difficilement ; mais ' qu'èlles
font condamnables d'en trop permettre.
Enfin , je vis Venus . Je l'avoue , Melite !
fa beauté a quelque chofe au deffus de la
votre mais elle ne doit qu'à la Divinité
le peu d'avantage qu'elle a fur vous.
Elle reçût mes hommages avec un fouris
qui ne me permît pas de douter de
mon bonheur ; & je fentis que fa prefence
augmentoit mon ardeur pour fon culte.
Un difciple d'Apollon , amoureux à
Paphos , fe prefenta à la Déeffe , & recita
un Poëme qu'il avoit compofé , difoit- il ,
pour celebrer dignement les plaifirs de
I'Amour. Il employa avec un air de contentement
tout ce que le Parnaffe fçait
mettre en ufage pour faire valoir fes productions.
Venus,fans être touchée de l'amphafe
du Difciple , lui répondit d'un ton
qui ne le fatoit pas ; les Mufes feront
peut- être contentes de votre ouvrage : mais
je connois des plaifirs qu'Apollon même
n'exprimera jamais .
2. vol. Les
DECEMBRE . 1717. 2863
Les Nimphes fe retirerent pour laiffer
la Déeffe avec Ariane & Bacchus , qui pa- /
rurent à l'inftant . Adonis entra quelque
temps après ; pour l'Amour , on le voit
rarement à la Cour deVenustil s'occupe ailleurs
à l'augmenter; & dans fes momens de
loifir , il va juger avec Pfiché de la douceur
des plaifirs qu'il donne à l'Univers .
Je fuivis Zelide , qui me conduifit dans
la galerie qu'on appelle le Triomphe des
'Mortels.
Les portraits que vous voyez , me dit
elle en entrant , font autant de trophées
à la gloire de ceux qu'ils reprefentent.
Ceux qui rempliffent le premier rang ,
font les Amans qui ont fait honneur à la galanterie
de leur fiecle ; & ceux - ci ont merité
d'être placez près des autres pour avoir plû
à Venus par quelque trait particulier.
Ce Guerrier eft un Illuftre des Cantons
, qui plufieurs fois dans la vie refufa
de fe trouver à d'amples Sacrifices à Bacchus
, pour facrifier à l'Amour .
Près delà une vieille coquette qui n'a.
jamais reffenti la moindre jaloufie des charmes
de fa fille .
Suivez une Belle de haut rang , qui
même après l'inconftance d'un perfide
Amant,n'a point eu de nouvelle intrigue.
Vis- à-vis , une Muficienne refervée , qui
a fçû convertir un Difciple d'Epicure , qui
Dij
2. vol.
depuis
2864 MERCURE DE FRANCE .
depuis long- temps s'étoit declaré contre
les femmes .
Ne vous étonnez pas , fi parmi les portraits
des rares Amans , yous voyez fi pen
de draperies françoifes . La nation fournit
plus de perfides que d'Amans , & vous
conviendrez que vos heroïnes ne travaillent
pas à rétablir la bonne foi dans le commerce
amoureux .
pas
pas Eh ! pourquoi Venus ne chaffe t elle
de fon Empire les Amans qui ne craignent
de le déshonorer? Détrompez vous , Diphile
, ces Amans ne font point foumis
à la Déeffe ; elle n'accepte que les coeurs
fon fils a bleffez . Il connoît l'effet de
fes coups :pour en mieux juger il a voulu les
fentir; & l'Amour ne donne à Venus que des
coeurs pareils au coeur de l'Amour même.
que
Mais les traits peuvent feuls rendre un
coeur fenfible , défavouë- t'il ceux qu'il a
bleffez ?
Il eſt vrai que les traits de l'Amour peuvent
feuls rendre un coeur fenfible , répondit
Zelide ; mais pour le rendre heureux
, il faut que le trait parte de fes
mains , & je vais vous apprendre qu'il ne
les lance pas tous.
Peu de temps après la naiffance de Venus
, une troupe d'Amours s'écarta dans
les bois du Cynte . Diane n'avoit pas encore
ouvertement déclaré la guerre à la
2. vol
Déeffe
DECEMBRE . 1727. 2865
Déeffe des plaifirs , & la Déeffe qui ne fcavoit
pas alors fe méfier des prudes , ne recommandoit
point aux Amours de fuir les
Forêts confacrées à Diane.
La troupe d'Amours , dans les bras de
Morphée , fe délaffoit de l'exercice d'une
longue journée , où à l'envi l'un de l'autre
, ils avoient effayé fur les oifeaux des
traits deftinez à être lan cez dans les coeurs
des humains . Leurs carquois , pêle méle ,
étoient couchez près d'eux , & les arcs
fans force étoient dérendus..
Les oiſeaux amoureux , fur les tons les
plus tendres , celebroient leurs plaifirs.
Diane attirée par un concert fi char-
» mant , fit taire fes cors , & courut fous
>> l'ombrage où le fommeil ſe plaifoit à dé-
» laffer les Amours.
"
» Que vois - je , dit- elle à fes Nimphes ,
quelle occafion d'outrager la Déeffe de
Paphos , diminuons fa puiffance , défar-
» mons les Amours endormis.
20
Chaque Nimphe s'empreffe à plaire à fa
Déeffe ; & vuidant fon carquois , le remplit
bien- tôt des traits de l'Amour . S'il en
cft quelqu'une qui fente de la répugnance
à fe déclarer contre Venus , c'eft celle qui
pour la cacher en montre plus d'envie.
Diane fonne fa victoire ; les Amours fe
reveillent ; honteux de leur défaite , ils
pleurent & volent à Cithere .
2. vol.
D iij
Les
2866 MERCURE DE FRANCE.
Les Silvains d'alentour apprirent bientôt
que Diane avoit changé fes traits . Saififfons
- les à notre tour , dirent- ils entre
eux ; les Nimphes affectent une rigueur
dont nous triompherons avec les traits de
P'Amour. Tâchons de les furprendre , leurs
Armes pendent toûjours aux arbres qui
entourent la fontaine de Diane, qu'Amour
, & Mercure nous favorifent quand
elles entreront dans le bain. Leurs car.
quois font à nous .
Les Faunes fans craindre le fort d'Acteon
ne tarderent pas à tenter la capture ; ils
approchent de la Fontaine ; les Nimphes
crient , mais les carquois font enlevez , la
vanité, l'avarice & tous les vices , tour -àtour
, fe rendirent maîtres de ces Armes ,
dès que les Amours en furent défais. Ce
font ces traits égarez qui bleffent la plûpart
des coeurs que vous croyez ſoumis à
Venus ;abandonnez , Diphile, cette facrilege
erreur. Quand on eft ainfi bleffé , on n'a
de l'amour que ce qu'il en faut pour croire
qu'on aime.
Que je plains des coeurs fenfibles fans
l'aveu de l'Amour , m'écriai -je ! Que d'encens
je dois à fes Aurels , puifque je ne
fçaurois douter que mon coeur ne lui doive
tous les feux .
·
Dès que je fçus me connoître , il m'infpira
que j'étois deftiné à vivre fous fes loix ;
2. vol.
je
DECEMBRE . 1727. 2867
je cherchois tous les jours à me rendre ,
j'attaquois pour me laiffer vaincre , je ju
rois que j'aimois : mais l'inconftance ve
noit bien tôt m'apprendre que je faifois
des faux feriens .
-
Sont ce là les plaifirs de l'Amour , difoisje
fans ceffe ? j'aime , au moins je crois_aimer
, & je ne connois point les douceurs
qu'il promet aux Amans. Non , non , fes
promeffes font vaines , & je veux abjurer
fon culte . Enfin , las de changer & de tromper
des volages , je cours au Temple de
l'Amour.
Infenfé , je demandai à fortir de fon Empire
, & je ne l'avois jamais connû .
Fils de Venus, tu cachois ton deffein ? J'exauce
ta priere , me dit- il , mais il faur qu'à
ta place un autre coeur me foit foumis ;
choifis , & que j'aprenne par qui tu veux
eftre remplaçé ; donne moi, s'il le peut, de ces
coeurs qui n'ont jamais aimé, qui craignent
même de me connoître ; c'eft dans ces
coeurs que je me plais à triompher,
Triomphez de Mélite , Amour; fon coeur
doit faire honneur à votre Empire , & fa
beauté à celui de Venus.
9
Suis-moi , répond le Dieu de Cithere
tu vas étre témoin de ma victoire. Ah !
dit-il , en abordant Mélite , fi l'Amour
pouvoit être inconftant , je blefferois ce
coeur en faveur de l'Amour même . Mais...
2. vol.
D iiij le
2868 MERCURE DE FRANCE.
>
le trait part à l'inftant , & Mélite enflammée
ne le reconnoit plus. Voilà comme
je bleffe les coeurs que je veux rendre heureux
, ajoûte l'Amour en arrachant le
trait du fein de Mélite , & le plongeant
dans le mien . Un fourire va t'apprendre ,
Diphile , qui tu dois aimer , & s'il eft des
douceurs dans mon Empire , je devrois te
punir d'en avoir douté : mais j'oublie ron
offenfe,& pour te récompenfer d'avoir fouhaité
d'aimer tant d'objets divers , je te donne
pour Mélite une conftance éternelle.

Mais , Mélite , pourquoi vous retracer
une victoire , qu'Amour ne pouvoit remporter
fans vous ?
Votre fort eft charmant , dit Zelide , je
ne vois que Licas , & fa Nimphe qui puiſfent
être bleffés plus heureuſement que
vous. Je vous apprendrai à mon tour
comment l'Amour s'eft rendu maître de
nos coeurs : mais le concert que j'entens
annonce que Venus & Bacchus vont recevoir
à leur table Ariane & Adonis.
Les Dieux viennent avec empreffement
fur la terre , pour goûter les plaifirs des
Mortels , le changement les rend plus vifs
que les plaifirs de l'Olimpe même .
Bacchus abandonne les Cieux pour joüir
avec Ariane des faveurs de l'Amour , &
Venus quitte le nectar pour célebrer avec
Adonis les dons de Bacchus .
2.vol.
Je
DECEMBRE . 1727. 2809
Je vis ces Mortels heureux affis à la table
de la Déeffe . Quel repas ! Le Dieu du
Vin , pour faire fa cour à Venus , ne fut
jamais fi tendre ; & Venus pour honorer
le Dieu du Vin , ne montra jamais plus
d'enjouement.
Les Nimphes formoient avec les Bacchantes
un concert qu'Apollon auroit pû
défavoüer : mais Bacchus préfere dans fes
chants , un défordre enjoué , à la cóntrainte
de l'exacte harmonie. 1
Un Silvain de l'Ifle de Naxe , s'efforçoit
par des fons langoureux , de célebrer
les charmes de la tendreffe . Venus ellemême
le défaprouva ; elle prétend qu'où
préfide Bacchus , la gayeté l'emporte fur
tout : mais Bacchus amoureux , ordonne à
fa fuite de celebrer avec fa gloire , la gloire
de l'Amour, & fe mit lui -même à chanter.
Si de l'Amour vos chants ne célebrent les
traits ,
Vos chants font imparfaits ,
Et Bacchus les condamne.
Buveurs , ne me chantés jamais ,
Sans chanter Ariane.
Les Nimphes fe joignirent au concert
des Silvains pour chanter Bacchus , tandis
qu'ils chantoient l'Ameur. Le concert
devint plus brillant , & fes accords rap-
2. vol.
Dv pellant
2370 MERCURE DE FRANCE.
pellant au Vin ; le Vin conduifoit bientôt
aux tranfports les plus vifs. Dès que la
fuite ne douta plus du Triomphe de Bacchus
, elle fe retira pour laiffer triompher
Venus.
Zelide m'offrit un repas où les Mor
tels font admis à Paphos . Nous nous entretinmes
long- tems de Bacchus & de fa
Cour. Je l'avoue , dis-je à la Nimphe ,
je m'étois fait une image de ce Dieu , qui
deshonoroit la Divinité. Je fçais , répondit-
elle ce que penfent les Mortels
fur le culte du Dieu du Vin . Chaque Dieu
a fes Autels , & chaque Autel a fes faux
Prêtres ; la politique , l'ignorance , & la
corruption en forment tous les jours ;
put-être ne connoîtroit- on point de vices
, fans le pernicieux exemple de ceux
que les Dieux choififfent pour les bannir .
Les Prêtres de Bacchus font naître les
erreurs qui deshonoroient fon Empire.
Ils le dépeignent privé de raiſon , & foutenant
à peine le poids de fon Thirfe . Les
Bacchantes,felon eux , montrent dans leurs
tranfports plus de fureur que de gayeté.
Silene à demi mort , barbouillé de lie ,
n'infpire- t'il pas plus d'horreur que de veneration
pour le Dieu que Silene a formé ?
Non , non , Diphile , ce n'eft point là
Bacchus , ce n'eft point là fa Cour. Bac
chus conferve toujours les mêmes graces
qui
2. vol.
DECEMBRE . 1727 1871
qui toucherent Ariane. Auffi tendre que
brillant , c'eft un Dieu à fuivre , & non à
craindre ; toujours agréable à Venus , il ne
connoît d'ivreffe que l'ivreffe d'Amour.
Les Bacchantes enjoüées raniment les
jeux & les ris : mais elles ne leur ôtent
jamais leurs charmes .
Silene eft un vieillard , dont Bacchus
reçût des foins ; il éleva fon enfance , & ce
Dieu reconnoiffant , accorde à fa vieilleffe
toute la vivacité qu'il eft capable d'infpirer.
Eh ! peut - on refufer la plus grande veneration
à un Dieu qui met fa gloire à paroître
toujours d'intelligence avec l'Amour.
Un Buveur du Mont Citheron , qui
ne connoiffoit de culte que celui qu'on
rend au Dieu du Vin , parloit un jour des
feux de l'Amour , comme les faux Amans
parlent des plaifirs de Bacchus ; car ils
croyent honorer le fils de Venus , en mé
priſant le Dieu du Vin . C'eſt ainſi , diſoitil
, en tenant fa Coupe pleine ; c'eſt ainfi
que je brave les traits de Cithere . Amour
voltigeoit entre Cephife & fon coeur . Tu
crois me vaincre , Amour , difoit le Buveur ,
apprens à respecter un Dieu plus fort que
toi ; cette Coupe avalée va décider de ta
honte & de fa gloire ; il but , mais un regard
de Cephile , prouva bientôt au Buveur
que Bacchus aide ſouvent au triome
phe de l'Amour.
2. Vol. D vj Eht
2872 MERCURE DE FRANCE .
Eh ! qui mieux que moi , ajoûta Zelide ,
qui mieux que moi doit connoître le pouvoir
, & l'intelligence de ces Dieux charmants
? Ils partagent mes voeux , & je
mets mon bonheur à partager les plaifirs
qu'on goûte fous leur empire. C'eſt de
Bacchus que j'appris à aimer ; & c'eſt de
l'Amour .... On vint avertir Zelide que
Mercure defcendoit , & que les Nimphes
alloient le recevoir.
Mercure tient le regiftre des Ombres
qui fe préfentent pour paffer les fombres
bords : Meffager des Dieux , il vient de
la part de Minos & de Radamante demander
à Venus quelles peines on donnera
à certaines Ombres dont la Déeffe
s'eft refervé le jugement.
Eh bien , Mercure , lui dit- elle , avonsnous
beaucoup d'Amans conftans à récompenfer
? Ils font trop rares aujourd'hui
, pour en voir fouvent fur les fombres
bords , répond Mercure. Il fe prefente
au contraire un Seigneur François ,
qui a toujours traité les Amans conftans
d'Amans Bourgeois . Ah ! je corrigerai cet
abus , reprit Venus , les Bourgeoifes de
ce païs là ont tant de difpofition à imiter
les grands airs , que fi de femblables dif-
Cours reftoient impunis , on ne verroit
plus en France d'Ainans conftans. Qu'on
affiége ce mauvais plaifant de douze Om-
Зал чтобо
bros.
DECEMBRE. こ
2873
"
bres Provinciales que je vais rendre amoureufes
de lui.
A ces Provinciales , dit Mercure , joignez
encore une vieille coquette qui a
pouffé les beaux fentimens juíqu'au quatorziéme
luftre . Non, je la veux punir . Se
piquer fi long - tems de galanterie , c'eſt
deshonorer mon Empire ; quand les jeux
& les ris fe retirent , on doit quitter les
Amours . Que toutes les Ombres galantes
fe contraignent pour lui faire des offres ,
& la
tromper.
Si vous puniffez pour avoir voulu plaire
trop long- tems , reprit Mercure , quelle
peine allez - vous donner à l'Ombre d'une
beauté nonchalante qui a paffé fes.
jours à ajufter des charmes dont elle ne
fit jamais d'ufage ?
C'eft mal reconnoître mes faveurs :
quand je donne des charmes , je les defti
ne à ma gloire ; ce qui a fait les délices de
cette Ombre , va faire fa peine . Qu'on
lui préfente fans ceffe fon miroir , pour
le retirer au moment qu'elle en approchera
fon fupplice furpaffera celui de Tentale.
Eh , quoi ! ajoûta la Déeffe , en prenant
la lifte des mains de Mercure , je
verrai toujours des envieufes qui n'ont
d'autres plaifirs que celui de médire fur le
chapitre de l'Amour ? Il n'eft point en
mon pouvoir de donner de la beauté à
2 vol. Ou toutes
2874 MERCURE DE FRANCE .
toutes les femmes ? Les Graces confolent
quelquefois celles qui ne me doivent rien :
mais quand on ne doit ni aux Graces ni
à moi , on veut s'en venger en parlant
mal de celles que je protege : je prétends
qu'on refpecte l'ouvrage de Venus ;
& pour punir cette envieule , je la condamne
à entendre continuellement parler
des charmes des belles Ombres , fans lui
donner le tems de répliquer par le contraire.
Il faut charger de ce foin , dit Mercure,
l'Ombre que CCaarroonn vvaa paffer avec elle ,
c'eſt un Amant qui s'eft venté d'avoir eu
des faveurs qu'on ne lui accorda jamais.
Voilà le comble de la perfidie , répond
Venus .Je veux bien qu'il ferve au fupplice
de cette envieufe : mais pour le fien
qu'on lui montre fans ceffe le portrait de
fa Belle , entre les mains d'une Ombre
difcrette .
Mais quel eft ce Poëte de mauvaiſe
humeur , pourfuivit la Déeffe ; c'eſt um
Auteur qui s'eft épuiſé à faire une Critique
fur l'Art d'aimer d'Ovide . Ne reconnoiffez-
vous pas la jaloufie Poëtique
ajoûta Mercure. On s'efforce à imiter ceux
qui ont fçû plaire ; l'imitation ne réüflit
pas , l'amour propre s'en offenfe ; j'ai de
l'efprit , dit- on , & je ne fçaurois approcher
du modele que j'ai choifi ; donc le
2. vel. modele
DECEMBRE. 1725. 2875
bon , & pour
modele n'eft pas le prouver
j'en vais faire la Critique.
Ce Poëte , reprit la Déeffe , merite les
fupplices les plus cruels , pour s'être déclaré
contre un Auteur qui me doit plus
qu'aux Mufes. Qu'on infpire à fon Ombre
la même façon de penfer que les gens
de goût , & pour fon tourment on lui
récitera chaque jour une page de ces Vers.
Quel fupplice vais- je donner à ce Guerrier
des rives de la Seine , qui a toujours
mis fa gloire à chantér des chanfons contre
l'Amour ? L'Enfer n'en connoît point
d'affez rudes pour vanger mon fils. J'en
invente un nouveau , interrompit Mercure
qu'on lui faffe entendre deux fois
par jour un Concert d'Italie.
Mais j'oublie , ajouta- t-il , un difciple
de Themis , qui n'a jamais aimé que la
parure. Ah ! s'écria Venus , c'est un mal
qui gagne tous les environs de la France ,
il est trop funefte à mon Empire , j'en
dois arrêter le cours . Eh ! quelle Belle voudroit
aimer , fi tous les hommes penfoient
comme ce fade Magiftrat ? Qu'on le frite
tous les quarts- d'heures du jour ; & dès
qu'il paroîtra content de fon ajuſtement ,
on le fera promener au grand vent . Le
fupplice eft cruel , mais l'offenfe eft trop
forte.
Venus fe leve , & Mercure porte aux
2. vol. Enfers
2876 MERCURE DE FRANCE.
Enfers les arrêts de la Déeffe : mais ce
Dieu a plufieurs emplois à Paphos , & je
le revis bien-tôt fous un air plus riant.
Dès que les Graces revinrent , Venus
reprit le maintien de la Reine des plaifirs
, & les Nimphes eurent ordre de fe
préparer pour la chaffe.
La beauté la plus parfaite , l'entretien
le plus aimable , pour ne pas ceffer de
plaire , ont besoin de fecours . La Mere
des jeux & des ris recherche l'amufement
que choifit le Mortel qu'elle aime.
Je la vis en habit de Chaffereffe , & je
m'apperçus que fous cet habillement Adonis
trouvoit Venus au- deffus de Venus
même.
Les Nimphes animent les chiens ; on
les entend appeller Melampe , Driope ,
Silvage : mais on connoît à leurs voix
qu'elles font plus propres à parler le langage
de Cithere , qu'à faire retentir les
Forêts ; elles prennent les armes des Chaffeurs
, & les Chaffeurs prennent celles des
Amours. Le fon des Cors infpire, à. Paphos
plus de tendreffe que d'ardeur pour
la chaffe ; il femble qu'elle ne foit qu'un
prétexte pour le perdre dans les bois.
Les feux de Learque s'augmentent ea
voyant Palmis armée comme Venus &
comme l'Amour.Je l'entends dire près de
la Nimphe qui chantoit au fon du Cors :
2- vol.
Du
DECEMBRE. 1727. 2877
Du Dieu qui fait aimer ,
Vous avez tous les charmes.
On diroit qu'en vos mains il a remis ces armes
,
Vos yeux comme fes feux font faits pour enflamer
,
Vous avez fur les coeurs un empire fuprême ,
Quand on rit avec vous , on croit que c'e✯
un jeu ,
Mais on reffent bientôt qu'on aime.
Palmis , fi vous ai niez un peu ,
Vous feriez l'Amour même,
La Nimphe écoute , & fourit , fes yeux
difent affez à Learque qu'il eft aimé , mais
elle en differe l'aveu pour le rendre plus
fenfible.
Diane s'égare fouvent dans les bois de
Venus ; elle trouve Endimion plus tendre
dans l'Ifle de Paphos que dans celle d'Ortigie
; & cette Déeffe , plus réſervée &
plus fenfible qu'un autre , voudroit fans
ceffe y voir fon Berger : mais on ne l'y vit
jamais. Venus en fuivant Adonis le rencontra
un jour à Paphos . Diane eſperoit
qu'Endimion ne paroîtroit pas : Eh quoi ,
dit-elle , en abordant la Déeffe d'un air
compofé : » Reine des Amours , vous ne
» dédaignez pas aujourd'hui les amuſemens
» de la Déeffe des Bois. Quand Diane eft
2. val
1875 MERCURE DE FRANCE .
» à Paphos , répond Venus , quel Dieu s'é•
» tonnera d'y voir chaffer la mere des
>> Amours ? Adonis m'apprend à connoître
» vos loix , & pour lui plaire , je fais gloi
» re de les fuivre : mais vous , plus mifte-
» rieuſe , vous apprîtes d'un Berger à goû-
» ter mes plaifirs , & vous affectez de les
condamner fans ceffe . Adieu , grave
Déeffe , Endimion s'avance , imitez Ve-
>> nus , & je vais imiter Diane : mais fouvenez-
vous que les précautions qu'on
prend pour cacher fes feux , ne fervent
" qu'à les faire plutôt connoître.
>>
>>
Ceux qui affectent des dehors feveres
s'offenfent aifément , & ne pardonnent jamais.
Diane fe crut outragée , & ſon hipocrifie
démafquée ne demandoit rien
moins que du fang . Venus eft immortelle ,
& dès l'inftant la mort d'Adonis fut réfolue
; mais aujourd'hui la Déeffe mépriſe
fon ennemi ; elle pourfuivroit avec ce
Chaffeur les bêtes les plus feroces , fans
craindre leurs deffenfes . Elle part , & Adonis
la fuit , & tout le prépare à rapporter
de la chaffe moins de fatigue que de plaifirs
.
Quelle joye eft peinte fur leur vifage
me dit Zelide ; le feal Antenor refte dans
un morne filence , & femble mépriſer toutes
les Nimphes : mais elles fçavent qu'il
aime à Amatonte , elles ne s'offenfent
2. vol.
pas
de
DECEMBRE . 1727. 2879
de la rêverie qui l'occupe.
Chez les Mortels , fa diftraction paſſeroit
peut- être pour fierté ; car fouvent
ceux qu'on en accufe y font les moins fujets
. Ne vous y trompez pas , Diphile , tel
ne vous paroît méprifant que parce qu'il
ne comprend pas qu'on puiffe l'être ; il
s'abandonne à la penfée , ou à fa nonchalance
naturelle ; & s'il croyoit qu'on put
foupçonner quelqu'un de fierté , il s'appliqueroit
à détromper ceux qui l'en foupçonnent.
Ah ! Nimphe , que ne penfe.t'on
ailleurs comme on penfe à Paphos .
Dès que nous eûmes perdu la troupe
de vue , nous continuâmes l'entretien que
l'arrivée de Mercure avoit interrompue
La Nimphe me fit un difcours charmant
fur la vraie délicateffe ; elle m'enfeignoit
l'art de conferver les plaifirs qu'on
connoît , & de faire naître ceux qu'on ne
connoît pas, quand nous arrivâmes au Pavillon
des fonges.
Ah ! m'écriai-je, voilà un fonge qui ne
me quitte point ; c'eft lui qui raffemble
tous les charmes de Mélite . Cette nuit encore....
mais pourquoi aimer ce trompeur
? mon reveil me le fait trouver fi
cruel ?
J'apperçois , dit Zelide , celui qui me .
touche le plus , il me reprefente Licas tendrement
couché auprès de moi ; toures
2. vol. les
2880 MERCURE DE FRANCE.
les Nimphes l'admirent ; qu'il eft char
mant , difent elles ! il eft digne de Venus ;
qu'il eft heureux ! Qüi , répond Licas
d'aimer Zelide , & d'en être aimé.
Mais dans tous ces fonges , je n'en vois
aucun que la jaloufie ait pût former . La
jaloufie , s'écrie Zelide , on ne la connoît
point à Paphos ; fes fonges volent à la
fuite de l'Hymen ; & l'Amour ne la connoît
que pour s'en deffendre. On évite
ici ces foupçons , ces plainte , ces juſtifications
, dont tant d'Amans le font une .
habitude. Venus ne s'offenfe pas des reproches
de Vulcain : mais ceux de Mars
ont décidé pour Adonis .
L'Amour propre fait fouvent naître les
fentimens de jaloufie qu'on attribuë à
l'Amour.
On ne peut déguifer fa penfée devant
les Dieux ; & j'entendis un jour dans
le temple de Cithere une Bergere qui s'adreffoit
ainfi à la Déeffe. » Je croyois ai-
» mer Nicandre , & Elifmene qu'il aimoiti,
» excitoit dans mon coeur la plus cruelle
» jaloufie . Grande Déeffe , je viens à ces
» Autels te rendre graces de m'avoir gué-
» rie. J'aime Mirtile , & je fens bien au-
» jourdhui qu'Elifmene ne me rendoit ja-
» loufe que parce qu'elle triomphoit avec
moins de beauté que moi. Ainfi l'on
>> croit aimer , & l'on n'eft que jaloux.
2. vol. On
DECEMBRE . 1727. 2881
On aime auffi quelquefois fans croire
aimer , reprit Zelide. Une jeune Nimphe
deftinée aux Autels de Venus lui difoit
un jour dans ce même Temple. » . Je n'ai-
"me rien ; mais puifque je ne puis être
» Prêtreffe de la mere d'Amour , fans fen-
» tir fes feux , faites ,puiffante Déeffe , qu'il
»me brûle pour Palmire. Palmire aimoit
» la Nimphe : mais il n'en avoit pas fait
» l'aveu. Il étoit au Temple , il entendit
fa priere , & fûr de fon bonheur , il courut
tout transporté déclarer fon amour,
Je croyois n'aimer rien , lui dit la Nimphe
, mais ce que je fens à l'aveu que vous
me faites , m'apprend, Palmire, que mon
coeur eft à vous depuis long- tems . Nous
arrivâmes , en nous entretenant ainfi
dans un bois de lauriers , où Zelide fe
plaît à venir rêver. Le Soleil y donne un
jour fi tendre , qu'on diroit qu'il reconnoît
encore Daphné fous l'écorce de cer
arbre.
Nous nous affifmes près d'un ruiffeau
qui fe plaît à embellir fon gazon , pour
attirer les Nimphes fur fes bords , & dès
que Zelide commença à parler , il adoucit
fon murmure pour écouter ce qu'elle
raconta ainfi :
Vous devez tous vos feux au Dieu ' de
Cithere , & je crois , Diphile , qu'il n'enflamma
jamais plus heureufement : mais
2. vol. entre
2882 MERCURE DE FRANCE.
entre Licas & moi , nous raffemblons les
feux de Bacchus & de l'Amour. Ces Dieux
dont je vous ai fait connoître l'aimable intelligence
, font fujets aux foibleffes que
peuvent avoir les autres Dieux.
Quand il s'agit de foûtenir les droits
la plus forte amitié n'eft pas exempte de
froideur. Un berger des rives de Lignon ,
ceüilloit un jour un raifin pour l'offrir à
fa Bergere. Un buveur jaloux de la gloire
de Bacchus , rencontra le Berger qui
entrelaffoit ce raifin dans des Guirlandes
de fleurs .
Si vous cherchez à plaire à l'Amour ,
en offrant des prefens à vos Bergeres
dit le Buveur , contentez - vous des dons
de Flore & de Pomone , & laiffez aux
Buveurs les dons de Bacchus . Il n'eft rien
de refervé pour plaire à l'Amour , répond
le Berger , & Bacchus , lui - même ,
ne pourroit m'empêcher d'offrir ce prefent
à Lifis. Témeraire , repartit le Buveur
, tu ne connois pas BBaacccchhuuss , mais
tu connoîtras fa vengeance.
L'Amour protegeoit le Berger , & Bacchus
fe déclara contre lui . Venus craignant
que l'interêt particulier de ces
deux Dieux ne nuifit à fon Empire , ne
perdit point de temps pour rétablir leur
intelligence. Elle leur fit jurer par le
ftix d'oublier cette querelle ; je veux ,
leur
2.
vol.
DECEMBRE. 1727. 2883
leur dit- elle , pour que l'Univers ne
doute pas de votre union , que Bacchus
porte aujourd'hui les armes de mon fils ,
& que mon fils regne fur l'Empire de
Bachus .
Ces Dieux accepterent les conditions du
raccommodement ; & dans cette journée
Bachus lança autant de traits que l'Amour
foumettoit de Buveurs.
Licas depuis long- tems foupiroit pour
moi , & jufqu'à ce jour je n'avois rien
fenti pour lui, mais enfin , Bacchus maître
des feux de l'Amour , m'enflamma , & dès
cè moment j'aimai autant que j'étois ai-
-mée. Cependant Licas prétendoit avoir
l'avantage , & juroit fans ceffe qu'il aimoit
plus que moi . Je fuis bleffé des
mains de l'Amour , me difoit - il , vous
ne devez vos feux qu'à Bacchus ; avoüez ,
Zelide l'Amour ..
que
Licas
,l'Amour même , l'Amour fent moins
d'ardeur pour ce qu'il aime , que Zelide
en fent pour vous. Quand Bacchus m'a
bleffé , il avoit avec fon pouvoir tout le
pouvoir de l'Amour ; & le Dieu qui
vous bleffa n'avoit pas le pouvoir de Bac
chus.
>
... non ,
Ainfi noas difputions toujours l'avantage
d'aimer plus tendrement , quand
Licas demandoit la moindre des faveurs
qu'Amour ordonne qu'on accorde ; j'e-
2. vol.
xigeois
2884 MERCURE DE FRANCE.
<
xigeois avant què de rien permettre ;
qu'il avoüât que j'aimois plus que lui.
Il fe contraignoit quelquefois pour en
convenir ; mais fouvent j'étois obligéé de
me contraindre auffi pour refufer ce que
j'avois tant d'envie qu'il obtint.
Enfin , je refolus , pour ne pas lui ceder
l'avantage d'implorer le fecours de
l'Amour.
Je me prefentai à fon Temple : mais
Diphile , bien differemment de vous ,
vous allâtes lui demander de vous laiffer
fortir de fon Empire , & je demandai
d'aimer encore plus que je n'aimois.
Les Mortels font égaux aux Dieux dans
le Temple de l'Amour , & je n'approchai
du Sanctuaire qu'après les Amans qui s'étoient
préfentez avant moi .
J'aime Erfife , difoit un Berger , Dieu
des coeurs , tu le fçais : mais je fuis trop
jeune , dit- elle , pour ofer avouer que je
l'aime . Infpire-lui donc, Amour , que des
feux qui doivent durer toujours , ne fçauroient
trop- tôt paroître.
Fils de Venus , difoit un Difciple de
Mars , j'ai toujours traité les Amans d'infenfés
, leur foumiffion , leur contrainte ,
& leurs plaifirs , tout me paroiffoit incroyable
mais quand je penfe à Phenice ,
tout me paroît poffible.
Amour , difoit un autre , j'implore ton
2. vol.
LeDECEMBRE.
1727. 2885
fecours auprès de Bacchus. J'ai fait ferment
de paffer mes jours dans les plaiſirs ,
& dans les tiens ; il me reproche aujourd'hui
que près de Temire , je ne pense qu'à
toi ; & près de lui je ne penfe qu'à Temire.
Le Dieu me vit ; il fçavoit quel deffein
m'amenoit à fon Temple , il prévint ma
priere , & me bleffa du trait le plus ardent.
Vien , m'écriai -je à l'inftant , vien ,
Licas , me difputer à préfent la gloire de
mieux aimer.
Licas , me dit l'Amour , aime autant que
Zelide. Zelide fut bleffée par les mains
de Bacchus , & l'Amour vient encore de
P'enflammer. Licas fut bleffé par l'Amour ;
mais il fort du Temple de Bacchus , &
Bacchus a mis dans fon coeur des feux
qu'il emprunta de moi . Heureux Amans ,
ajoûta le Dieu de Cithere , vous aurez l'avantage
fur tous les coeurs amoureux ;
mais Zelide ne fçauroit l'avoir fur Licas ,
ni Licas fur Zelide.
Licas enfin , fent pour moi tout ce qu'Adonis
fent pour Venus : mais j'ai pour lui ,
je crois , des tranſports que Venus n'eut
jamais pour Adonis.
Oui , Nimphe , j'avouerai que Venus
vous cede en tendreffe , fi vous convenez
que vous devez me ceder auffi .
J'allois difputer avec Zelide qui doit
2. vol.
E aimer
2886 MERCURE DE FRANCE .
aimer plus tendrement des coeurs qu'Amour
bleffa du même trait , ou de ceux
que Bacchus & l'Amour ont tous deux
enflammé. Mais les Cors que nous entendîmes
annoncerent le retour de la
Chaffe.
·་
Les jeunes Nimphes & les Amours préparoient
un Concert dans le Pavillon des
Graces. Venus vint l'entendre. Quels accords
! quelle mélodie ! l'harmonie de Paphos
n'eft point celle qu'on entend chez
les Mortels. Differente de ces fons qu'on
admire , en demandant s'ils font agréa
bles ; & bien éloignée de cette langueur
qu'on rencontre fi fouvent en voulant
chercher ce qui touche. Chaque ton formé
à Paphos penetre jufqu'au fond du
coeur , & mêlés enfemble , leur harmonic
fait oublier qu'il y ait d'autres plaiſirs .
Les Nayades attendoient Venus pour
da reconduire à fon Palais . Un lit de feuillage
, que les Graces ont foin d'orner de
concert avec Flore , femble nager fur le
Canal de Paphos ; des Cignes en foûtiennent
le poids , & les Colombes attellées ,
en fuivant les Zephirs qui careffent les
Nayades , font voler la Déeffe fur la furface
de l'Onde.
Toute la Cour fe rangea fur le bord du
Canal , & c.
2. vola
RE
DECEMBRE. 1727. 2887
LLLLL
のののの
REQUESTE en Triolets , préfentée à
M. Savalete , Fermier General , par le
fieur Joffe , Sous - Directeur des Fermes ,
à l'occafion de la fuppreffion de fan Bureau.
N
Os Ouvrages font à leur fin ,
J'ai fait , mon Maître , que ferai -jer
Que me donnerez- vous demain ?-
Nos Ouvrages font à leur fin;
Sans Employ je n'ai pas de pain ,
Affûrez-m'en par Privilege .
Nos Ouvrages font à leur fin ,
" J'ai fait , mon Maître , que ferai- je ?
Pendant neuf ans dans vos Bureaux ,
Je me fuis rendu neceffaire ,
Et j'ai fait d'utiles travaux ,
Pendant neuf ans dans vos Bureaux ;
J'en attefte tous mes Rivaux ;
Ils n'ofent dire le contraire;
Pendant neuf ans dans vos Bureaux,
Je me fuis rendu neceffaire.
2. vol. E ij Tour
2888 MERCURE DE FRANCE. 1
Tout le bien que vous m'avez fair ,
Vous engage encore à m'en faire;
Il vous fait un honneur parfait ,
Tout le bien que vous m'avez faiɛ.
Mais de m'en priver fans ſujet ,
C'eft en perdre tout le falaire :
Tout le bien que vous m'avez fait
Vous engage encore à m'en faire.
Ecoutez parler votre coeur ,
Ses mouvemens font bons à fuivre
Pour décider en ma faveur ,
Ecoutez parler votre coeur;
J'ai du zele , j'ai de l'honneur
Et je n'ai pas long -tems à vivre :
Ecoutez parler votre coeur ,
Ses mouvemens font bons à fuivre.
?
2. vals
LETTRE
DECEMBRE 1727 1889
XXXXXX :XXXX :XXXXX
LETTRE écrite par M. Conftantin à
la Marquife de *** . fur la nouvelle
mode des Meubles en découpure .
V
Ous me demandez , Madame , ce
que c'est que certains Ouvrages auf
quels on vous a dit , que les Dames de
Paris & de la Cour s'occupent à préfent
Ces Ouvrages- là , Madame , fe nomment
Découpures. C'est ici la grande & prefque
l'unique occupation des Dames , & quelques
hommes s'en mêlent auffi . Il n'eft
plus queftion ni de Tapifferies ni de
Noeuds on a laiffé les Rouets & les Nayettes
; on ne veut plus que de la Déconpure.
On en fait tous les ameublemens
qui font fufceptibles de cette matiere ;
Ecrans , Paravents , Tentures , Plafonds,
Imperiales de Carroffes , de Chaifes ; enfin
l'on en met par tout.
Cette mode a fait monter les Images &
les Eftampes à un prix extraordinaire ; &
comme il y a peu de Marchands qui en
vendent , ou qui les faffent enluminer
leurs Boutiques ne défempliffent point.
Dès qu'un Cavalier paroît chez une
Dame , on lui préfente une image , il tire.
fes cifeaux de fa poche , il fait de la Dé-
E iij
2. vol. cou1890
MERCURE DE FRANCE:
coupure , c'eſt un nouveau genre de merite
, que de fçavoir bien découper .
Ce petit détail , dans lequel je n'éxagere
point , picque, fans doute, votre vivacité ;
je vois que vous voudrez vous mettre à
la mode ; il faut pour cela , Madame ,
que vous n'ignoriez rien dans cet art.
Vous réuffiffez fi bien dans les autres petits
ouvrages , dont j'ai eû l'honneur de
vous montrer la mécanique , que je ne
doute point que vous n'excelliez dans celui-
ci . Au refte , je me ferai un très - grand
plaifir de vous inftruire de tout ce qu'il
faut pour operer dans tout ce qui regarde
les découpures.
Voici comment l'on y travaille . On
prend une Image ou Eftampe enluminée ,
on en découpe des fleurs , des animaux ,
des arbres , des bouquets , ou quelque au
tre piéce ou figure , felon l'ouvrage que
l'on veut faire. Pour découper , on ne fe
fervoit d'abord que de cifeaux ordinaires ;
on s'eft fervi enfuite de cifeaux plus fins
pour découper à la main ; mais j'ai fait
faire des cifeaux pointus , minces , & arrondis
en faucille par le côté , & quelques
autres outils avec lesquels on découpe fur
une petite Tablette de bois bien uni , ou
du plomb adouci & préparé ; les uns font
differens emporte- piéces , à peu près comme
ceux dont les Officiers d'Office fe fer-
2, vol. vent
DECEMBRE . 1727. 2891
vent pour découper les papiers dont ils
ornent les baffins de fruits & de confitures
; les autres font des canifs de differenres
façons , en rond , en demi -rond , en
pointe , en fabre d'Houfard , en petit
croiffant. On fe fert pour les emportepiéces
d'un petit marteau de buis : avec
tous ces outils l'ouvrage va plus vîte , la
découpure en eft plus nette , & l'on rifque
moins d'alterer ou de déchirer quelque
partie effentielle ; car il eft bon que vous
fçachiez que c'eft un ouvrage de conféquence
, & qu'on chafferoit plutôt un
domeftique pour avoir endommagé un
bout de main , le pied d'une fleur , ou
une aîle d'oiſeau , que pour avoir manqué
à quelque chofe de conféquences
auff ceux qui travaillent bien , font fûrs
d'être cheris & récompenfez.
Quand on a découpé la quantité de
piéces dont on a befoin pour la compofition
du fujet qu'on veut repréfenter . On
prend pour le fond , de la toile , du ſatin ,
ou du carton mince , de la fineffe , de la
couleur & de la grandeur dont on veut
faire le morceau , l'on enduit ce fond
d'une colle fine & tranfparente pour làquelle
on employe la colle-forte détrempée
dans de l'eau avec un peu de farine bien
fine , ou de la poudre d'Amidon ; on
étend legerement cette colle avec un pin-
2. 2010
E iijceau
2892 MERCURE DE FRANCE.

ceau bien large & bien fin , on en met
une couche très -legere & bien égale
enfuite on y applique les ouvrages découpez
, chacun dans la place qui lui a été
deftinée. Si l'on en avoit la patience , je
crois qu'on feroit mieux de mettre la colle
fur la découpure , & de n'en point mettre
fur le fond , alors il en demeureroit
plus net , & auroit un autre éclat .
Je crois encore qu'on pourroit ne mettre
du vernis que fur le papier découpé
& avoir un fond de quelque beau fatin
qui demeureroit dans tout fon luftre .
On fait fur ce fond toutes fortes de
deffeins , des feftons , des guirlandes , des
frifes , des bordures , des chaffes de Cerf,
de Sanglier , d'oyfeaux , & autres , l'on y
met des figures Chinoifes , des Mofaïques ,
&c. L'on en fait à demi relief dans le
goût de ceux de la Chine.
Quand tout eft bien fec , on y paffe un
vernis tranſparent pour conferver le papier
& embellir l'ouvrage. Les vernis font
differens felon les differentes compofitions
; il y en a qui paroiffent très -beaux
dans les commencemens , mais qui dans
la fuite s'écaillent , jauniffent ou bruniffent.
Vous n'en fçauriez mettre de plus
parfait , ni quife conferve plus long- tems ,
que celui dont je vous ai donné la compofition.
2. vol.
Je
DECEMBRE . 1727. 2893
Je
ne vous confeille pourtant pas , Ma
dame , de faire beaucoup de ces ouvrages
; je ne fçaurois croire qu'une mode
de papier , & pour laquelle on a une ardeur
fi violente, puiffe fubfifter long- tems
dans un Païs où l'on aime fort la nouveauté.
D'ailleurs , c'ekt un ouvrage aifé , il deviendra
commun , en faut -il davantage
pour le faire tomber ? ce qui amufe dans.
un tems, n'amufe pas toujours ; mais enfin,
c'eft la mode à préfent , ou plutôt c'eft une
fureur.
Une jeune fille a découpé une partic
des Estampes d'un Livre rare , fur l'Hif
toire naturelle , qu'elle a trouvé dans la
Bibliotheque de fon Oncle. J'ai averti un
de mes amis de cacher foigneufement
des Livres rares & précieux , où il y a de
très-belles Planches , de crainte que fa
petite foeur n'en faffe des Découpures.
Voilà , Madame , tout ce que j'ai pû recueillir
qui concerne cette nouvelle mode.
L'ouvrage eft aifé , mais il coute en
verité plus qu'il ne vaut il fait gagner
quelques ouvriers ; il occupe bien des
gens oififs , peut- être que quand on aura
pris goût à cet amufement , on le perfectionnera
, & qu'on le rendra plus utile &
plus précieux.
Au refte , Madame , pour peu que ce
genre d'ouvrage vous plaife , je vous pro-
2. vol. Ev me t
2894 MERCURE DE FRANCE.
mets de vous en montrer dans un autre
goût , que vous trouverez beaucoup plus
beau, & plus riche que celui- ci , fi j'ai l'honneur
de vous voir dans votre Terre le
Printems prochain ; en attendant je vous
enverrai pour vos Etrennes , au commencement
de la nouvelle année, une boëte remplie
de tous les outils neceffaires , faits chez
le bon Ouvrier. J'ai l'honneur d'être , &c.
A Paris , ce 15. Decembre 1727 .
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
Out ce qui fort de la plume des
Grands Hommes, doit être foigneufement
recueilli ; la Piece qui fuit , mérite
d'autant plus cette attention , qu'elle
n'eſt point dans le Recueil des Oeuvres
imprimées de fon Auteur , ce qui l'a rendue
d'une grande rareté. Nous croyons
que le Public nous fçaura gré de l'avoir
tirée de l'oubli où elle a été pendant fi
long- temps.
AU R. P. DE LIDET ,
DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
Sur fon Traité de la Théologie des Saints .
Toi
Oi qui nous apprends de la Grace ,
Quelle eft la force & la douceur ,
Comme elle deſcend dans un coeur ,
z. vol. Comme
DECEMBRE. 1727. 2895
Comme elle agit , comme elle paſſe ;
Docte Ecrivain , dont l'oeil perçant
Va jufqu'au fein du Tout - Puiffant ,
Penetrer ce profond abyfme ,
Que les hommes te vont devoir !
Et que le prix en eft ineffable & fublime ,

De ces biens que par là tu mets en leur pou
voir !
M
Oui , tant que durera ta courſe ,
Tu peux , Mortel , à pleines mains ,
Puifer des bonheurs fouverains ,
En cette inépuifable fource.
Un guide fi bien éclairé ,
Te conduit d'un pas affuré ,
Au vivant Soleil qui l'éclaire ;
Sui , mais avec zele , avec foi ,
Sui , dis- je , tu verras tout ce qu'il te faut
faire,
Et fi tu ne le fais , il ne tiendra qu'à toi,

Tu peches , mais un Dieu pardonne
Et pour meriter ce pardon ,
Il te fait ce précieux don ,
2. vol. EY
ji!
396 MERCURE DE FRANCE
Il n'en eft avare à perfonne ;
Reçois avec humilité ,
Conferve avec fidelité ,
Ce grand appui de ta foibleffe :
Avec lui ton vouloir peut tout ,
Sans lui tu n'es qu'ordure , impuiffance , baffeffe
,
Fais- en un bon ufage & la gloire eſt au bout.

C'en eft la digne récompenſe ,
Mais auffi , tu le dois fçavoir ,
Cet uſage eft en ton pouvoir ,
Il dépend de ta vigilance ,
Tu peux t'endormir , t'arrêter ,
Tu peux même le rejetter:
Ce don , fans qui ta perte eſt ſüre ,
Tu n'en tireras aucun fruit ,
Si tu déferes plus au fens , à la Nature ,
Qu'aux mouvemens facrez qu'en ton ame il
produit.
J'en connois par toi l'efficace ,
Sçavant & pieux Ecrivain ,
Qui jadis de ta propre main ,
2. vol.
M'as
DECEMBRE 1727 2897
M'as élevé fur le Parnaffe .
C'étoit trop peu pour ta bonté,
Que ma jeuneffe eût profité
Des leçons que tu m'as données ,
Tu portes plus loin ton amour ,
Et tu veux qu'aujourd'hui mes dernieres an
nées ,
De tes inftructions profitent à leur tour.
Je fus ton Difciple , & peut- être
Que l'heureux éclat de mes vers ,
Eblouit affez l'Univers
Pour faire peu de honte au Maître :
Par une plus fainte leçon ,
Tu m'apprens de quelle façon
Au vice on doit faire la guerre.
*Puiffai-je en uſer encor mieux ,
Et comme je te dois ma gloire fur la terre
Puiffai-je te devoir un jour celle des Cieux.
PIERRE DE CORNEILLE.
Quod fcribo > & placeo , fi placeo , omne
tuum eft.
2. vel, NOV
1898 MERCURE DE FRANCE.
XXXXX: XX XXXXXXXX
NOUVELLE maniere de chauffer les
Fours , & de faire bouillir des Chaudieres.
Extrait d'une Lettre écrite de
Châtillon en Bourgogne , le 25. Novembre
1727. par M. Bertrand , Fondeur
de Fer.
U
Ne experience réiterée & avec fuccès
m'a convaincu qu'on peut faire
chauffer douze , même quinze Fours de
Boulangerie à la fois , avec la feule quantité
de bois qu'il faut pour un feul Four ;
bien entendu que les douze ou quinze
Fours feront adoffez & contigus les uns
aux autres , dans une même cour ou halle ,
ce qui conduit à une immenſe épargne
de bois .
Par une autre découverte dans le même
genre,& qui eft encore plus utile pour
les groffes Communautez , comme les Invalides
, l'Hôtel- Dieu , les Maifons Religieufes
& c. Je trouve qu'avec la quan.
tité de bois pour une feule cheminée , on
peut diftribuer du feu dans dix - huit ou
vignt autres : ce qui convient à gens de
diverfes Profeffions , qui ont befoin de
faire bouillir un nombre de Chaudieres
à la fois , coinme Teinturiers , Blanchif-
2. vol. feufes ,
DECEMBRE 1717. 2899
feufes, & c. quand même il y auroit une
affez grande diftance d'une Cheminée à
l'autre , & le tout à peu de frais . Vous
concevez de quelle utilité cela peut être
à tout le Royaume , &c.
PREMIERE ENIGME.
J
E vais t'apprendre mon deftin ,
Juge s'il eft heureux ou déplorable ;
Dès que je fuis formé , mon pere impitoyable,
Me plonge le fer dans le fein .
Je fuis fait pour fervir une fiere Maîtreffe ,
Que pourtant je tiens fous mes Loix ,
Et, qui fouvent pour marquer fa nobleſſe
Va du même pas que les Rois.
Sicelle que je fers eft richement parée ,
Je me reflens de fon fuperbe atour ;
En Campagne , en Ville , à la Cour ,
Elle a toûjours une garde affurée.
Quand je la gouverne elle eft bien ,
M'échappe t- elle, on la craint d'ordinaire :
Auffi jamais on ne m'impute rien --
De tout le mal qu'elle peut faire.
2. vol. 11
2900 MERCURE DE FRANCE .
Il eft vrai que dans fon emploi ,
Pour elle mon fecours eft de peu d'importance;
Mais du moins elle trouve en moi
Son repos & fon innocence..
DEUXIE ME
L
ENIGME.
Es Mortels m'ont affujettie ,
A fuivre la bizarrerie ,
De leurs caprices differens ;
Tantôt ronde , tantôt quarrée ,
Ovale , unie , ou bigarrée ,
Ce font les formes que je prens.
Sur moi la mode exerce un fouverain empire.
Si par le goût nouveau ma figure ne plaît ,
D'or , d'argent ou d'émail , on a beau me
conftruire ,
L'on me renvoye au Cabinet.
Je porté dans mon fein ce qu'à bon droit on
nomme ,
Un fol entêtément de l'homme ;
Sur qui les Partifans ont pourtant inventé ,
Un Impôt qui rapporte une groffe finance.
Tel en me produifant reprend ſa contenance ,
Qui bien fouvent fans moi feroit déconcerté.
2. vol.
Par M. de M
On
-DECEMBRE . 1727. 2900
On donnera avec les nouvelles Enigmes
du mois de Janvier , l'explication
de ces deux- cy & des trois du premier
Volume de ce mois.
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &c.
,
RAITE de l'ufage des differentes
Tfortes de Saignées ,
principalement
de celle du pied . Par Jean - Baptifte Silva ,
Docteur , Regent de la Faculté de Medecine
de Paris , Medecin Confultant du
Roy , & Medecin ordinaire de S. A. S.
M. le Duc. Premiere Partie . A Paris ,
aux dépens d'Aniffon , Directeur de l'Imprimerie
Royale , 1727. in 8. de 373 .
pages , fans la Préface & la Table , 372 .
pages pour la feconde Partie , fans la
Table , & 106. pages d'Obfervations fur
la Saignée du pied , par M. Hecquet , à
la fin de la feconde Partie. Les 2. Volumes
reliez , 7. livres..
Quoique nous ne foyons pas dans l'ha
bitude de donner des Extraits de ces forres
de Livres , l'utilité dont celui - cy peut
être , jointe à la réputation de l'Auteur ,
nous détermine à le faire connoître . Nous
vel. 2. le
2902 MERCURE DE FRANCE.
le faifons d'autant plus volontiers que
cet Extrait le trouve tout fait dans la Préface
qui eft à la tête. M. Silva , en garde
contre un ufage qui n'eft que trop
établi , n'y parle point du tout de lui ;
il ne parle que de fon Ouvrage.
La Saignée , dit -il , eft un des plus efficaces
& des plus fûrs remedes de la Medecine
, mais pour en retirer toute l'utilité
dont elle peut être , il ne fuffit pas
de fçavoir les maladies où elle convient
& les temps où l'on doit l'employer ; il
faut fur tout connoître fur quelles parties
on doit la pratiquer dans chaque cas par
ticulier.
Il y a peu de parties dans le corps
d'où les anciens Medecins ne fe foient
avifez de tirer du fang : cela devoit rendre
alors le choix des Saignées trèsdifficile
puifqu'il l'eft même aujourd'hui
, quoiqu'on ne faigne plus que du
bras , du pied & du col.
La difficulté du choix vient de ce qu'il·
faut diftinguer dans toutes fortes de Saignées
, trois differens effets qu'elles produifent
toûjours .
1. Elles vuident une certaine quantité
de fang qui eft contenu dans les vaiffeaux.
C'eft l'évacuation ,
2 ° . Elles attirent une plus grande quantité
de fang dans la partie d'où l'on fai
2. vol. gno
DECEMBRE. 1727. 29032
gne & dans les parties voifines , qui reçoivent
le fang du même tronc d'artere
C'est la dérivation.
3. Enfin , en déterminant le fang vers
la partie d'où l'on faigne , & dans les
parties voisines , elles le détournent d'au ,
tant des parties les plus éloignées , qui
reçoivent le fang par des vaiffeaux oppofez.
C'eft la révulfion.
S'il n'étoit queftion que, d'une fimple
évacuation , le choix du lieu où l'on doit
faire la Saignée , feroit abfolument indifferent
. L'évacuation feroit la même
de quelque endroit qu'on la fit ; parce
qu'elle dépend , non du lieu où l'on fai
gne , mais de la quantité de fang qu'on
laiffe fortir.
il Mais en faifant cette évacuation
s'agit prefque toûjours de faire en même
temps une révulfion & une dérivation
particuliere . Ces effets font importans &
oppofez entre eux , mettent un Medecin
fage dans la neceffité d'opter pour l'un ou
pour l'autre , felon l'exigence des cas , &
par confequent il faut qu'il fe détermine
auffi fur le lieu où il convient de faigner
pour produire, à point nommé, fur la partie
malade , le changement qu'on fe propofe.
L'embarras eft de faire un bon
choix dans une matiere fur laquelle les
Medecins ont toûjours été & ſont encore
fort partagez
. 11
1904 MERCURE DE FRANCE.
Il eft certain que la plupart des Medeeins
Grecs & Latins ont recommandé la
révulfion dans les inflammations & dans
les difpofitions inflammatoires ; & . c'eft
fur ce principe qu'ils ordonnent dans ces
occafions , de faigner de la partie la
plus éloignée de l'endroit affecté , afin que
le fang qui y coule trop abondamment
en foit détourné , & détourné plus loin .
Mais il eft vrai auffi qu'on trouve dans
les Ouvrages des mêmes Auteurs , des décifions
toutes contraires , où ils paroiffent
donner la préference à la dérivation dans
les mêmes cas . Cette contradiction doir
tout au moins nous difpenfer d'avoir une
veneration aveugle pour eux , & de regarder
comme des guides bien affurez des
Auteurs dont les décifions le détruifent
quelquefois elles - mêmes .
Les Medecins Arabes qui ont fuccedé
aux Medecins Grecs & Latins , ont été
plus décififs qu'eux fur cette matiere : ils
ont enfeigné unanimement qu'il falloit
toujours procurer la révulfion dans le
commencement dés inflammations & des
difpofitions inflammatoires ; & ce n'eſt
qu'après plufieurs faignées révulfives qu'ils
permettoient de procurer la dérivation .
Ce fentiment a été fuivi pendant près
de 600. ans par tous les Medecins qui
ont paru en Europe depuis le premier éta-
2. vol.
bliffement
DECEMBRE. 1727 2905
bliffement des Univerfitez. Comme ils
puifoient toute leur fcience dans les Ouvrages
des Arabes , ils y puifoient auffi
tous les préjugez & toutes les opinions
de leurs Maitres , & les adoptoient fans
examen .
1
Cependant cette pratique parut dangereule
à Briffot , Medecin célebre de la
Faculté de Paris , qui vivoit vers le milieu
du XVI. fiecle : mais loin de s'élever ,
comme il auroit dû , contre l'abus de la
dérivation qu'on permettoit mal à propos
fur la fin des inflammations , un zele malentendu
lui fit condamner la révulfion
qu'on employoit dans le commencement .
Il prétendoit qu'on devoit toujours s'en
tenir à la dérivation ; & c'étoit , felon lui ,
la veritable Doctrine d'Hypocrate , parconféquent
la feule pratique qui fut sûre :
conféquence infaillible pour les Com-.
mentateurs , ou pour tous ceux qui , incapables
de juger des chofes par elles-mêmes
, fe perfuadent que les degrez d'évidence
d'un fentiment doivent être mefurez
par les degrez de fon ancienneté.
Les raifons de Briffot ne firent pas une
égale impreffion fur tout le monde , principalement
, parce qu'on ne convenoit
pas qu'Hipocrate fe fut déclaré pour ce
fentiment mais il ne laiffa pas d'avoir
plufieurs Sectateurs. Le refte prit parti 2. vol.
felon
2906 MERCURE DE FRANCE .
felon fon goût ; & l'on vit les Praticiens
les plus experimentez fuivre dans les mêmes
maux , des pratiques oppofées fur le
choix des Saignées .
On doit pardonner ces incertitudes &
ces variations aux anciens Medecins . Dans
l'ignorance où ils étoient de la circulation,
il leur étoit impoffible de connoître les
veritables mouvemens que la Saignée doit
imprimer au fang , & par conféquent les
effets qu'on doit attendre de la révulfion ,
ou de la dérivation qu'elle procure . Leur
opinion fur le repos du fang devoit les
éloigner de la verité , & il étoit bien difficile
les obfervations feules puffent
les guérir des préventions de leur Syfrême
.
que
Ce n'est que depuis la connoiffance de
la circulation du ſang qu'on a pû raiſonner
jufte fur cette matiere : on ne l'a pas
même fait d'abord. La verité ne fe développe
pour l'ordinaire que peu à peu
il eft rare que les Auteurs d'une décou
verte en voyent tous les avantages ; contens
du fuccès d'un grand effort , ils tombent
enfuite dans une espece d'inaction ,
qui permet à leurs fucceffeurs de recueillir
une partie de la gloire qui les attendoit
, s'ils euffent fait un pas de plus .
Ce n'a été que long - tems après Harée
, que Bellini a fçû profiter de la dé-
2. vol.
Сон
DECEMBRE. 1727. 2907
couverte de la circulation , pour éclaircir
l'ufage & les effets des Saignées ; & le
Traité qu'il a publié fur cette matiere
fous le titre de Sanguinis Miffione , eft
fans contredit le premier où l'on ait ſuivi
des principes folides .
Cet Ouvrage s'eft attiré par là de juftes
éloges , malgré l'obfcurité qui s'y trouve.
Bellini prouve d'abord que la diminution
du fang que les Saignées caufent , doit le
repartir uniformement fur toutes les par
ties : & il détermine en même tems les
differens degrez de viteffe ou de rallentiffement
que les mêmes Saignées impriment
au fang qui coule par les differens
vaiffeaux , fuivant les parties où l'on faigne
, c'eft- à- dire , qu'il reconnoît dans
toutes les Saignées l'évacuation , la révulfion
& la dérivation . Il examine enfuite les
effets generaux que les Saignées produi
fent , & il paffe de- là aux effets particuliers
qu'on peut attendre de la révulfion
& de la dérivation qu'elles caufent : mais
il ne fait qu'indiquer ces derniers effets.
Il traite après cela des differens fecours
qu'on peut fubftituer à la Saignée , coinme
l'application des Sang - fues , les fcarifications,
les frictions , la purgation , &c ;
& il finit par l'explication des maladies ou
la Saignée convient , & du tems où l'on
doit la pratiquer , & par la détermina
, vol. tion
908 MERCURE DE FRANCE .
FF
tion de la quantité de Sang qu'on doit ti
rer chaque fois..
Mais la connoiffance de la circulation ,
qui a tant éclairé Bellini fur l'ufage de la
Saignée , n'a pû l'affranchir de toute for
te de préjugés. Trop de refpect pour les
Medecins Arabes , ou plutôt trop de prévention
pour une opinion communément
reçûe de tous tems , & dans laquelle il
avoit été élevé , lui a fait avancer que la
dérivation convenoit fur la fin des maladies
inflammatoires , & qu'on pouvoit
non feulement la procurer alors avec fûreté
, mais qu'on le devoit , & même par
préference à la révulfion .
Cette opinion de Bellini fur l'utilité de
la dérivation vers la fin des
inflammations ,
a été
communément fuivie par la plupart
des Medecins qui ont vêcu depuis la
blication de fon Traité , & Bianchi , fçapuwant
Profeffeur de la Faculté de Turin ,
qui a adopté ce fentiment , a publié depuis
peu dans le recueil de fes oeuvres
une Differtation intitulée , de impedimen
tis Circuitûs fanguinis in genere , où il
tâche de l'appuyer par de nouvelles raifons.
Tels font les progrès que la
Medecine
a fait jufqu'ici fur le choix des
differentes
fortes de Saignées . Mais ces progrès pourtoient
être arrêtés par
l'ouvrage que
2. vol. M.
DECEMBRE . 1727. 2909
M. Hecquet vient de donner au Public
fous le titre d'Obfervations für la Saignée
du Pied , où il combat tout ce qui paroiffoit
le plus établi en cette matiere .
L'importance de cette queftion , la diverfité
des opinions qui partagent les Medecins
, le zèle pour la perfection de ma
Profeffion , m'ont engagé à ne rien negliger
de tout ce qui pouvoit me faire connoître
exactement les regles qu'on doit
fuivre dans le choix des differentes faignées
, pour tâcher d'éviter les incertitu
des & les variations où la plupart des Medecins
ne tombent que trop fouvent fur
un point fi effentiel dans la pratique .
J'ai fuivi dans cette recherche les principes
que la connoiffance de la Circulation
du fang & de la diftribution des vaiffeaux
, & que les loix de l'Hydrostatique
ont pû me fournir ( matieres fur lefquelles
j'ai confulté M. Winflow & d'habiles
Geomettres. ) C'eft fur ces principes
que j'ai déterminé la révulfion & la dérivation
que chaque faignée doit opérer ,
& que j'ai fixé les differentes parties à l'érd
defquelles elle doit les produire.
J'ai conclu delà que la faignée du Bras
9 coit toujours révulfive à l'égard des parties
inferieures qui reçoivent le fang du
tronc de l'Aorte defcendante ; & qu'elle
convenoit toujours par conféquent dans
2. vol. F. l'in2910
MERCURE DE, FRANCE .
l'inflammation ou dans les difpofitions in-
Aammatoires de ces parties ; & que par
les mêmes raiſons auffi , la faignée du Pied ,
qui étoit toujours révulfive à l'égard des
parties fuperieures , où le fang étoit porté
par les rameaux fuperieurs de l'Aorte ,
convenoit toujours de même , quand ces
parties étoient attaquées , ou menacées
d'inflammation.
оц
Mais autant que la révulſion eſt utile
dans les inflammations , autant la dérivation
eft- elle dangereufe dans les mêmes
maladies , foit au commencement , foit
à la fin. C'eſt un point fur lequel j'ai été
obligé de combattre le fentiment de Bellini
& de Bianchi , & de faire fentir le peu
de fondement des raisons que ce dernier
avoit apportées pour appuyer l'ufage de la
dérivation dans les inflammations , après
avoir employé la révulfion .
Je fuis entré dans un détail affez circonftancié
des cas où la faignée du pied
convient plufieus raifons m'y ont déterminé.
Bellini , qui comme nous l'avons
dit , eft celui qui a le mieux traité de la
faignée , n'a parlé de celle du pied que fuperficiellement.
Un Medecin Eſpagno'
qui s'eft affez étendu fur les utilitez a
cette faignée , fonde toute fa Differtation
fur des principes que la Méchanique
ne peut avouer ; il indique à peine quel-
2. vol. qu'un
DECEMBRE . 1727. 2911
qu'un des cas où elle convient ; tandis
qu'il la recommande avec foin dans des
occafions où la raifon & l'experience nous,
ont appris qu'elle ne doit pas être employée.
Enfin les préjugez vulgaires , forrifiez
par la conduite de quelques Medecins
célebres , qui femblent vouloir interdire
l'ufage de la faignée du pied , peuvent
jetter dans des incertitudes dangereufes
: tout cela m'a fait voir la neceffité
d'approfondir cette matiere. Plus je l'ai
meditée , fans perdre de vue les obfervations
que les accidens des maladies , &
les ouvertures des cadavres fourniffent aux
Medecins attentifs , plus j'ai fenti la force
& la folidité des raifons qui doivent obliger
à pratiquer ce remede dans la fiévre
continue ardente , dans la fiévre maligne ,
& furtout dans la fiévre qui précede l'éruption
de la petite verole ; pour prévenir
ou diffiper par des révullions menagées
à propos , les tranfports au cerveau
qui font fi dangereux & fi ordinaires dans
ces maladies.
>
Conformément à cette Doctrine , j'ai
condamné l'ufage de la faignée du pied
toutes les fois qu'on devoit prévenir ou
guérir des inflammations dans les vifceres
du bas ventre , ou dans les extrémitez inferieures
; mais par les mêmes raifons
auffi , j'ai blâme la faignée du bras dans
vol. Fij les
2..
2912 MERCURE DE FRANCE.
les maladies inflammatoires , qui attaquent,
ou qui menacent le cerveau , ou les extré
mitez fuperieures.
En un mot , la faignée dérivative ne doit
être miſe en ufage que quand il s'agit d'appeller
une plus grande quantité de fang
dans la partie d'où l'on faigne , & dans
les parties voifines qui reçoivent le fang
du même tronc arteriel ; & ce cas- là ne
fe prefente jamais , à ce que je crois , que
dans les femmes , lorſqu'il eſt queſtion de
rappeller , ou de maintenir leurs évacuations
naturelles trop pareffeufes ou peu
abondantes ; ou lorfqu'il s'agit de réta
blir un écoulement falutaire d'Hemmoroïdes
fupprimées.
Il paroît que ces principes auroient dû
me conduire à condamner la faignée du
col dans les embarras du cerveau ; parce
qu'il femble que cette faignée ne peut
qu'être dérivative dans ces cas , & que
tout fon effet doit fe réduire à augmenter
l'engorgement des vaiffeaux du cerveau .
Je fçai que ce raifonnement en a impofé
à plufieurs Medecins qui blâment hautement
cette faignée dans ces circonftances :
mais je me fuis défié d'une conféquence
qui m'engageoit à profcrire une faignée
recommandée de tout tems pratiquée
avecfuccès par plufieurs célebres Praticiens
dont nous avons les obfervations ,
2. vol.
&
DECEMBRE. 1727. 2913
& dont j'avois moi-même éprouvé les
bons effets en plufieurs occafions .
Cette défiance étoit fondée . Un examen
plus férieux & plus attentif , m'a fait connoître
qu'on pouvoit juftifier la faignée
du col , & accorder les obfervations que
nous avons fur les effets , avec la faine
théorie. Cette faignée eft veritablement
dérivative , tant à l'égard du dedans , qu'à
l'égard du dehors de la tête , quand on
l'employe trop tôt , lorfque les vaiffeaux
font encore trop pleins ; & c'eft dans ces
circonftances qu'elle doit être , & qu'elle
eft en effet nuifible : mais elle eft utile
lorfqu'on ne la met en ufage qu'après
avoir défempli les vaiffeaux par plufieurs
autres faignées réierées ; parce qu'alors
elle n'eft dérivative qu'à l'égard du dehors
de la tête , & devient veritablement révulfive
à l'égard du dedans , & que la ré
vulfion qu'elle produit à l'égard de cette
partie , eft plus immédiate & plus efficace
, ou du moins plus prompte que celle
qu'on pourroit attendre de la faignée du
pied , préciſement dans les mêmes circonf
tances .
Par ce moyen je prouve qu'on doit conferver
à la Medecine les trois differentes.
faignées ; celle du bras , celle du pied , &
celle du col , dont elle eft reftée en poſſeſfion
& j'ai foin en même tems de diftin-
2. vol. Fiij
gner
2914 MERCURE DE FRANCE .
guer l'ufage qu'on doit faire de chacune
d'elles dans la pratique ; de marquer les
cas particuliers où elles conviennent ; &
d'en fixer , pour ainfi dire , les droits refpectifs
. C'eft la matiere de la premiere
partie de cet Ouvrage.
J'aurois fouhaité de pouvoir m'en tenir
là ; c'eft malgré moi que j'ai été engagé
à difcuter les raifons que M. Hecquet a
propofées depuis peu contre l'ufage de la
faignée du pied : mais la réputation de cet
Auteur , connu par tant de fçavans Ouvrages
, ne me permettoit pas de tenir une
autre conduite; & l'on auroit eu raifon de
douter de la folidité des principes fur lefquels
je me fonde , & de la sûreté de la
pratique de la faignée du pied que je recommande
, fi j'avois negligé de répondre
à fes difficultez.
J'y ai donc répondu dans la feconde
partie de cet Ouvrage , & j'ai deffendu
mon fentiment avec d'autant plus de force
, que je connoiffois tout le merite , tout
le fçavoir , toute la réputation de celui
que j'avois à combattre. Mais comme le
feul amour de la verité m'a fait parler ,
j'efpere que je ne ferai pas forti du ton
qui lui convenoit : j'ofe même l'affurer ;
parce que je n'ai eu befoin d'aucune attention
forcée pour témoigner beaucoup
d'eftime, & même de refpect pour M. Hecquet.
2. vol.
DECEMBRE. 1727. 2915
quet Dans cette même partie de l'ouvra
ge , je me fuis appliqué aufli à éclaircir
plufieurs points importans qui concernent
la faignée : & ce qui auroit pû paroître
hors d'oeuvre dans la premiere partie , ou
peu conforme à l'ordre que je m'y étois
proposé , a pû être employé affez naturellement
dans cet endroit de mon Livre ,
où je réfous les difficultez ; ce qui le doit
rendre plus intereffant & plus utile que
s'il étoit purement polemique.
J'efpere que ceux qui liront cet Ouvrage
, feront convaincus que je ne l'ai
compofé qu'en vue du bien public , &
pour tâcher de fixer la pratique de la Medecine
fur un point fi important. Pourvû
qu'on rende cette juftice à mes intentions ,
on peut librement ufer du droit qu'on a
de décider fi j'ai été affez heureux pour les
remplir.
t
-Les Docteurs Regens de la Faculté de
Medecine de Paris , Commiffaires nommés
pour examiner ce Livre , s'expriment
en ces termes dans leur Approbation :
» Certifions que nous n'avons rien vû de-
» puis la découverte de la circulation du
fang , où l'utilité de la faignée foit auſſi
>> bien développée . Nos anciens Maîtres
» avoient bien fenti les differens effets que
produifoient les faignées faites dans les
» differentes parties du corps , ce qui les
Fiiij » avoit 2. vol.
2916 MERCURE DE FRANCE .
» avoit obligés de diftinguer les faignées
» en Evacuatives , en Revulfives & en
» Derivatives ; mais leur Doctrine fur ce-
» la étoit encore fi obfcure , qu'ils étoient
» fouvent en difpute fur la pratique de ces
differentes faignées. L'ignorance où ils
» étoient de la circulation du fang , les
» tenoit dans l'incertitude , & leur ca-
>> choit la vraye caufe des effets de la fai-
» gnée ; de maniere qu'en les pratiquant ,
>> ils n'étoient conduits que par une rou-
» tine aveugle , fondée veritablement fur
beaucoup d'experiences , mais nulle-
» ment éclairée par la raifon . Toutes leurs
» conjectures touchant les caufes de ces
» effets , n'étant donc point appuyées fur
» la verité , bien loin de les aider dans
» les cas difficiles où l'experience leur
>> manquoit , ne contribuoient fouvent
» "qu'à les égarer .
» Depuis qu'on a découvert la circula-
>> tion du fang, on a bien entrevû les cau-
>> fes des differens effets des faignées , mais
» perfonne ne les avoit encore examinées
» avec tant de foin & d'attention , que
» l'Auteur de ce Livre , & perfonne ne
» les avoit développées avec autant de net-
» teté. Il nous met par- là en état d'agir
» plus sûrement dans l'ufage de ce reme-
» de. Il nous leve tous les doutes que
» nous pouvions avoir dans le choix des
2. vol » diffeDECEMBRE
. 1727 2917
2
» differentes faignées , & par-là il acheve
» d'éclaircir & de fixer un des points les
» plus importans de la Pratiq de Me-
>>> decine.
» Nous loüons d'ailleurs l'Auteur , de la
» moderation avec laquelle il répond aux
» objections qu'un fçavant Medecin a
faites contre la pratique qu'on fuit dans
» ce Traité. Uniquement occupé de la re-
>> cherche de la verité dans la Cauſe qu'il
» deffend, il n'a cherché qu'à en convaincre
par la force & la clarté de fon rai-
» fonnement. Nous jugeons donc que cet
>> Ouvrage merite d'être avoué par la Compagnie
, & eft très- digne d'être im-
>> primé.
» M. Winslow , Cenfeur Royal , dit
» que l'Auteur met ce point important
» dans la même évidence qu'Harvée a
mis celui de la circulation , & il fait
>> voir d'une maniere fimple & démonſtra-
» tive les loix
par
la nature fuit dans
» l'un , celles qu'il faut fuivre dans l'autre.
Cet Ouvrage eft imprimé fur de beau
papier & en très- beaux caracteres.
que
L'ART DE PARLER ALLEMAND
par le fieur Léopold , Interprete du Roy x
& Profeffeur des Langues Allemande
Françoiſe , Italienne & Eſpagnole. 2. To· ·
me in 12. nouvelle édition , revûës &
200 Vol
து
By corrigée
2918 MERCURE DE FRANCE .
corrigée par l'Auteur : le prix eft de quatre
livres relié , chez Giffey , ruë de la vieille
Bouclerie , au bout du Pont S. Michel , à
l'Arbre de Jeffé. 1728.
4
L'habileté du fieur Léopold eft affez generalement
connue pour qu'il ne foit pas
befoin de démontrer les avantages que l'on
trouve dans cette nouvelle édition ; d'ailleurs
comme elle s'eft faite fous les yeux
& avec un foin & une attention particuliere
de fa part & de celle de l'Imprimeur ,
on ofe dire qu'elle eft plus correcte que
les précedentes , dont la rareté avoit rendu
le prix exhorbitant & peu compararable
à celui - ci , ce qui joint à la beauté
du papier & des caracteres , rendent cette
édition parfaite. M. Léopold qui joint à
une inclination particuliere pour la Lan-´
gue Allemande le talent de la poffeder
dans fa plus grande perfection , a bien voulu
remedier à tous ces inconveniens , & à
plufieurs autres qui fe rencontroient dans
la premiere édition , en faifant part aux
Etrangers en particulier & au Public en
general , d'une méthode auffi courte que
nouvelle ; les regles breves & faciles qu'il
établit , le nouveau & ample vocabulaire
François & Allemand qu'il donne , joint
aux Démonftrations & aux Remarques
generales & particulieres que ce Sçavant
fait , rendent la Langué Allemande d'une
prompte
2. vol.
DECEMBRE. 1727. 2919
prompte & facile intelligence , & les connoiffeurs
qui voyent la diftribution nou
velle de fon Livre , conviennent tous qu'il
a de beaucoup abregé la longue & ennuyeufe
route qu'il falloit tenir auparavant pour
apprendre la Langue Allemande .
METHODE FACILE pour être heureux
en cette vie , & affurer fon bonheur
éternel , à Paris , rue S. Jacques , chez
la veuve Maziere, & J. B. Garnier , Imprimeurs-
Libraires de la Reine. 1727. in
12. de 339. pages.
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le Breviaire Romain , avec les ufages des
autres Eglifes particulieres , & principa
lement de l'Eglife de Paris , rue S. Jac
ques , chez Lotin , 1727. 2. vol . in 12 .
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& de la confiance en Dieu , ruë S. Severin
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chez Jacques Vincent , 1728.
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VOYAGE de Mofcovie , préfenté à
M. Herault , Lieutenant General de Police
de la Ville , Prevoté & Vicomté de
Paris . Par M. Deschifeaux , Docteur en
Medecine de la Faculté de Caen . A Paris ,
chez C. L. Thibouft , Place de Cambray .
2. vol.
Fvj 1727.
1920 MERCURE DE FRANCE.
1727. Brochure in 8. de 39. pages , petit
caractere.
C'est ici le ſecond Voyage que M. de
Deschiſeaux a fait en Mofcovie ; il partit
de Paris cette feconde fois le 20. Juillet
1726. & quitta la France par la Ville
de Valencienne , d'où il alla à Mons , Ville
du Brabant Imperial , enfuite à Bruxelles ,
où je ne m'apperçus pas , dit l'Auteur ,
que je n'étois plus en France , tant par
rapport à notre Langue que l'on parle
communément. en cette Ville , que par
rapport à la bonne maniere de s'habiller ,
& à la galanterie ( il veut dire politeſſe )
de cette Cour. Il y a un Cours où nous
allâmes un jour nous promener en Caroffe
; on y voyoit plufieurs pompes à diverfes
diftances l'une de l'autre , par le
moyen defquelles on arrofoit cette promenade
publique .
De Bruxelles , l'Auteur continua fon
Voyage par Anvers , Malines , Roterdam
; de- là il paffa à Delf, à Harlem , à
Amfterdam , & à Leyden . Cette Ville eft
confiderable par fon grand nombre de
Manufactures de toutes efpeces . Son Univerfité
eft la plus célebre de la Hollande
par la réputation de fes Profeffeurs , entr'autres
du célebre M. Boerhaave , Profeffeur
en Botanique & en Chimie . Il y
a à Leyden un Jardin de Plantes rares ,
2.vol. dans
> DECEMBRE . 1727. 2918
dans lequel on cultive le Camphre , le Binjoin
, le Gingembre , le Zedoaire & des
arbres qui portent des Tulippes . Il y a dans
cette Ville une Bibliotheque qui dépend
de l'Univerfité , une Salle pour les Squelettes
, où entr'autres curiofitez , on voit
deux Momies entieres , un Squelette de
Balene , & c .
A Amfterdam il y a auffi un Jardin de Medecine
où les Serres font en grand nombre,
& bien fournies de Plantes graffes , & curieuſes
, telles font les Aloës , les Opun
tia , les Cerceus , les Ficoïdes , les Ananas ,
les Palmiers , &c. Ces Plantes font confervées
par le moyen
d'un degré de chaleur
, égal & proportionné à celui dont
elles joüiffent dans leur Païs natal . Meffieurs
Ruifc , & Comelin , fi connus dans
la Republique des Lettres , en font les
Dépofitaires & les Directeurs..
Notre curieux Voyageur arrive enfin au
terme de fon Voyage , c'est - à - dire , à Petersbourg
, où il reçoit les anciens amis ,
& tous les Profeffeurs de l'Académie établie
depuis peu dans cette Ville . 11 fait
la Defcription de cette Capitale moderne
de Mofcovie , & il la commence par l'éloge
de l'Illuftre Souveraine qui y tient
fa Cour ; il s'étend fur fon application à
entretenir & à perfectionner les beaux
Etabliffemens que le Czar avoit commen-
29-Volo
cez.
2921 MERCURE DE FRANCE.
cez . Elle fe fit d'abord une loi , dit-il ;
» de conduire à leur fin les Projets & les
>> Etabliffemens pour la perfection de fon
» Peuple , qui avoient été commencez
"
par fon Illuftre Bienfaiteur , ou pour
» mieux parler , qu'elle avoit ordonnez
» elle-même. Tout le monde connoît le
» grand Empire que la douceur de ſon eſ-
» prit lui avoit acquis auprès du Prince ;
» que par elle feule l'on adouciffoit la ri-
» gueur de fes Arrêts ; les Sujets Ruffiens
» ainfi préparez , n'ont pas eû beaucoup
» de peine à la recevoir pour leur Reine ,
>> & à concourir à la réuffite de ſes deffeins
. Ce feroit ici le lieu , continuë notre
» Voyageur , de dire quelque choſe de
» la vie du Czar , mais après l'éloge hif-
» torique qu'en a publié M. de Fontenelle,
>> l'homme du monde le plus en état de
» traitter cette grande matiere , on ne peut
» rien dire de nouveau .
Il y a à Peterſbourg Exercice public de
quatre Religions : la Religion Grecque
Schifmatique , qui eft celle du Païs ; la
Lutherienne , qui eft celle des Suedois
aufquels le Terrain où eft prefentement
Petersbourg appartenoit ; la Religion
P. R. & la Catholique Romaine.
Les voitures ordinaires de Peterſbourg
font pendant l'Eté les Caroffes & les Chaifas
, les Chaloupes fur les rivieres & les
2. vol. CaDECEMBRE.
1727. 2923
Canaux, & pendant l'hyver les Traineaux ,
par le moyen defquels on parcourt fur la
nege une grande étendue de pays en très
peu de tems . Les chevaux du pays font
petits , & font fort propres aux grands
voyages , ils n'ont point d'autres écuries
le plus fouvent que la glace , fur laquelle
ils paffent la nuit . Dans le Nord de la
Ruffie , qui eft le Pays des Lapons , & des
Samoyedes , au lieu de chevaux , ce font
des Renes qui font attelées aux Traineaux.
Les bois les plus communs autour de Peterfbourg
, font les Pins , les Sapins , les
Bouleaux , les Sorbiers ou Cormiers fauvages
.
Dans la ville chaque chambre a font
poële , quelques Etrangers outre le poële
ont fait conftruire des cheminées dans
lefquelles ils mettent le bois fuivant fa
hauteur .
Entre plufieurs Ordres de Chevalerie ,
qui font établies à Petersbourg , il y en a
un fous le Titre de Sainte Catherine, dont
la Marque eft un Cordon rouge ; quelques
Dames de la Cour en font honorées ,
la Czarine feule parmi les Dames , outre
le Cordon rouge en a auffi un bleu , qui
eft celui de l'Ordre de Saint André .
A quatre ou cinq lieues de Peterfbourg ,
il y a un Château appellé de Peterof, dans
lequel on voit plufieurs Tableaux de prix .
2. vol. Il
2924 MERCURE DE FRANCE.
Il y en a fur-tout un fort grand reprefentant
la bataille de Pultava ; cette journée
decida de l'élevation des Mofcovites fur
les Suedois ; enfin notre voyageur fatisfait
de fon fejour en Ruffie , & preffé du deſir
de revoir fa Patrie , s'embarqua pour
fon retour : ce qu'il a heureufement executé
par l'Ile de Gotland , par les côtes
de Revel, par les Illes de Dagho , Bornohlm
&c. Il arriva à Londres le 25. Novembre
17 26. l'Auteur donne une idée de cette
grande Ville par un narré qu'il partage
en trois parties , dont la premiere regarde
la Ville en general , & les Edifices particuliers
; la deuxième , les moeurs & la Religion
; La troifiéme , les Scavans de cette
ville ; les jardins de Botanique , & les Cabinets
des Curieux . Comme Londres eft
une ville connue & frequentée de tous
les Européens , & que notre Auteur n'en
dit rien de nouveau , nous pafferons fous
filence les deux premieres Parties de fa
Defcription , & nous nous attacherons à
la troifiéme , qui eftant plus diversifiée ,
fera plus du goût de nos Lecteurs . Parmi
les Scavans que M. Defchifeaux a viſitez
à Londres , M. le Confeiller Sherard , cidevant
Conful à Smyrne , tient le premier
rang. Le titre de Prince des Botaniftes
, dit il après M. Boërhaave , lui
eft accordé par les Sçavans de bon juge-
2. vol.
ment
DECEMBRE , 1727. 2925
ment qui s'appliquent à cette Science , &
avec raifon. M. de Leyni us , travaille de
concert avec lui , ce dernier eft un Botanifte
Allemand, connu par la réimpreffion,
qu'il a procurée de l'Hiftoire des Plantes
d'Angleterre , compofée en premier lieu
par M. Ray . M. de Leynius a été choifi
pour être Profeffeur du Jardin Botanique
que l'on prepare à Oxford . M. Sherard le
jeune entretient un jardin à fes dépens à
deux lieues de Londres , on y voit beaucoup
de Plantes de la Caroline , entr'autres
le Bois de Fer , le Sebefte , plufieurs
efpeces d'Hermannia , les Apotiquaires de
Londres , à l'imitation de ceux de Paris
ont auffi un jardin qu'ils entretiennent
on y éleve des Palmiers , Cocoliers, le Manihoc
, un arbre de Liege qui croît en
plein vent , le Melon épineux, appellé parmi
les Botaniftes Melocactus y fleurit ; l'Au
teur avance fur la foi de M. Sherard qu'on
y avoit naturaliſé plufieurs Cedres du Liban.
A propos de Plantes , nous n'oublierons
pas que c'eft à Londres que M.
Defchifaux a été parfaitement defabufé
fur le Zoophifte , ou Agneau Scythique ,
Plante qui a donné lieu à quelques voyageurs
de débiter une jolie fable . Entendons
le parler lui même là deffus . » A l'occafion
du Zoophifte ou Agneau Scytique
2 val.
>> moitié
2926 MERCURE. DE FRANCE .
»moitié Plante & moitié Animal , dont .
» j'ay fait mention dans mon dernier Me-
» moire imprimé , je rapporterai ce que
» j'ay appris de M. Poifié , c'eft un Fran-
< » çois qui dirige les vignobles de S. M.
» à Aftracan , il m'a ditqu'on enveloppoit
» d'une toile les agneaux nouveau - nez ,
>> ou recemment tirez du ventre de leur
>> mere , qu'on ouvroit cruellement vivan-
»te ( je ne me fouviens pas fi c'eſt l'un ou
l'autre, ) qu'en cet état le poil de l'agneau
>> croiffant au travers de cette toile,formoit
>> une Peliffe frifée , fine & compacte . J'ai vû
>> une de ces fourures par un bonnet qu'il
portoit, ce qui pourroit avoir donné lieu
» à la Fable qui a couru d'une plante de ces
» Cantons , reffemblant à un Agneau qui
» devoroit les Plantes qui étoient autour
» d'elle , ainfi qu'en ont fait mention plu-
<«< fieurs Auteurs & Voyageurs ; je croyois
>> être l'Auteur de cette nouvelle décou
» verte ; mais dans mon paffage à Londres.
» j'ay lù dans une des dernieres tranfac-
» tions philofophiques une Differtation
»dans laquelle cette Enigme eft expliquée
>> de cette maniere , & on cite l'Auteur de
qui on tient cette découverte .
DISSERTATION fur les Mandemens
ou Procuration où l'on traite des
principales fonctions de l'Avocat , &
2. vol. reur
DECEMBRE . 1727. 2927
de leur difference d'avec celles du Procureur
& c. dediée aux Avocats du Parlement
de Paris ; avec une autre Differtation
fur les raifons pour lefquelles on ne doit
point donner d'action en Juftice contre
les ingrats . Par M. le Sure, Avocat au Par .
lement . Au Palais, chez Paulus - du - Mefnil
1727. in 4.
TRAITE DES CONVENTIONS DE
SUCCEDEK , ou Succeffions contractuelles
; par M. Jofeph Boucheuil , Avocat
au Siege Royal de Dorat. A Poitiers , &
fe vend à Paris, ruë neuve N. D. chez Heriffant
1727. in 4 .
OSTEOLOGIE , ou fuite du Guidon
de Saint Cofme , qui enfeigne en peu de
temps les premiers Elemens de l'Anatomie,
en developpant fans peine ce que les os
ont de plus utile & neceffaire à leur connoiffance,
& pour l'intelligence des autres
Parties du corps humain . Par Nicolas de
Janson , Maître Chirurgien Juré à Paris .
Rue de la Harpe , chez la veuve d'Houry
& c. in 12. orné de figures & du Portrait
de l'Auteur.
ALMANACH DES DAMES SCAVANTES
FRANÇOISES , pour l'année Biffextile
1728. contenant un ordre alphabetique
des Dames qui fe font renduës re-
2. vol . commandables
2928 MERCURE DE FRANCE.
commandables par leur fçavoir , depuis le
commencement de la Monarchie juſqu'à
prefent ; avec l'Abregé de leurs vies , &
le Catalogue de leurs ouvrages . Dédié à la
Reine , Quay des Auguftins , chez Flahaut,
in 18. de 74. pages , fans la table.
Cet Almanach paroît cette année pour
la premiere fois. Il en parut 39. l'année
paffée dont nous donnâmes le Catalogue
dans le Mercure du mois de Janvier. Voici
quelques articles de celui - ci pour en
donner une idée au Lecteur.
MAGDELAINE DE L'AUBESPINE ,
Dame de Villeroy , étoit fille de Claude
de l'Aubefpine , Seigneur d'Hauterive
& c. & de Jeanne Bocherel ; elle épouſa
Nicolas de Neuville , Seigneur de Villeroy
& d'Alincourt , Secretaire d'Eftat ,
Treforier des deux Ordres , qui fervit avec
fidelité cinq de nos Rois : Henry II . François
II . Charles IX. Henry III. & Henry
IV. Certe Dame auffi celebre par fon
efprit que par la beauté , fut un des plus
illuftres ornemens de la Cour. Elle compofa
divers Ouvrages en Profe & en Vers,
entr'autres on lui attribuë une Traduction
des Epitres d'Ovide non imprimées .
Elle mourut à Villeroy au mois de May
1596. Jean Berthaut , qui fut Evêque de
Seez , lui dreffa une Epitaphe .
Me, BERNARD , née à Roüen , &
vol.
parente
2.
DECEMBRE. 1727. 2929
parente de Mrs Corneille , s'eft fait connoître
par deux Tragedies , dont l'une
intitulée Brutus , a eu affez de fuccès tant
fur le Theatre qu'à l'impreffion ; & l'autre
, Theodamie , qui n'a point été imprimée.
MARIE ANNE GUILLAUME , vivoit
en 1668. Elle a compofé un Ouvrage où
elle prouve par d'excellentes raiſons , que
le fexe feminin vaut mieux que le mafculin.
Beaucoup de perfonnes qui ont connu
cette Dlle n'ont pu s'empecher de convenir
qu'elle avoit raifon , & que la meilleure
preuve qu'elle avançoit , étoit fon
propre merite.
,
SUSANNE HABERT , Parifienne , avoit
épousé M. DESJARDINS , Tréforier du
Roy Henry III . Elle étoit fille de Pierre
Habert , natif d'Iffoudun en Berry , Valet
de Chambre ordinaire du Roy & fon
Ecrivain. Elle compofa plufieurs ouvra,
ges en Vers & en Profe. Les principaux
font , la Maniere de biendicter & compofer
toutes fortes de Lettres miffives.
Traité du bien & de l'utilité de la paix ,
& des maux provenant de la guerre , en
Vers Alexandrins , imprimé à Paris chez
Claude Nicard , en 1568. Ses oeuvres poëtiques
furent imprimées chez Abel Langelier
en 1582. Cette Dame étoit également
douée des qualitez de l'efprit & dụ
2. vol.
corps
2930 MERCURE DE FRANCE .
corps : Philofophe, Mathematicienne & c.
On la regarde comme la feule que l'envie
n'ait point attaquée, foit dans fa fcience ,
foit dans les moeurs .
FRANÇOIS B HUBERT , native
de Nogent au Perche , époufe de Robert
Garnier , Juge Criminel du Maine , &
l'un de nos premiers Poëtes tragiques
étoit auffi habile en Profe qu'en Vers , &
ne cedoit en rien à fon époux. Ses oeuvres
n'ont point été imprimées ; elle vivoit
en 1634.
CATHERINE DE PARTHENAY , Dame
de Soubiſe , avoit époufé en premieres
noces le Baron du Pont , & en fecondes
, René , Vicomte de Rohan , Prince
de Leon. Cette Dame étoit fort eftimée
de fon temps pour fon érudition & festalens
pour la Poëfie. Elle a compofé plufieurs
Tragedies & Comedies Françoiſes ,
qui n'ont point été imprimées , non plus
que la Tragedie d'Olopherne , repreſentée
publiquement à la Rochelle en 1574 .
Elle compofa auffi plufieurs Elegies ou
Complaintes fur la mort de fon premier
mary , & une Traduction des preceptes
d'Ifocrate à Demonique ; ce qui fait voir
qu'elle entendoit le grec. Elle mourut au
Parc , en Poitou , le 26. Octobre 1631.
agée de 94.
2.vol.
DECEMBRE . 1727. 2931
ALMANACH ROYAL , pour l'an
biffextil 1728. de l'Imprimerie de la veuve
Laurent d'Houry , au bas de la ruë de
la Harpe , au Ș . Efprit .
Feu Laurent d'Houry , Auteur de cet
ouvrage a merité l'applaudiffement du Public
. On trouvera cet Almanach enrichi
par les foins de fa veuve , des dattes de la
reception de tous les Officiers de Robe ,
d'Epée & de Finance , & augmenté de la
lifte des Abbez Commandataires des
Colonels Generaux , Lieutenans Generaux
, Marêchaux de Camp & principaux
Officiers de la Marine.
y
Il eft calculé au meridien de Paris . L'on
trouve à l'ordinaire le lever & le coucher
du foleil , ceux de la lune & fes mouvemens,
les naiffances des Princes & Princeffes
de l'Europe . Le Clergé de France
les Confeils du Roy , la Grande Chancellerie
& fes Officiers , le Grand- Confeil
, le Journal du Palais , le Parlement ,
la Chambre des Comptes , la Cour des
Aydes , celle des Monnoyes & des Tréforiers
de France , le Châtelet , & autres
Jurifdictions . Les Payeurs des Rentes &
leurs Contrôleurs . Les Départemens &
Regies des Fermiers Generaux & autres
Compagnies de remarque. Le départ des
Courriers , les demeures & routes des
Meffagers , les Foires du Royaume , &c .
2. vol. avec
1932 MERCURE DE FRANCE.
avec une Table Alphabetique des matieres.
vol. in 8. de 401. pages . Le prix
eft de 4. livres , broché.
CALENDRIER CHOISI pour l'année
Biffextile 1728. enrichi de Cartes
Geographiques , & d'un nonveau Plan de
Paris ; nouvellement augmenté de plufieurs
articles utiles & curieux . A Paris
chez Jean Villette , Fils , rue S. Jacques
in 16.
DEVOIR DES PERSONNES DE QUALITE
' traduit de l'Anglois . A Paris ,
Quay des Auguftins , chez Rollin 1728 .
2. vol. in 12. de plus de 700. pages.
ELEVATION A DIEU fur tous
les Miſteres de la Religion Chrêtienne ,
Ouvrage poftume de Jacques Benigne
Boffuet, Evêque de Meaux & c . A Paris ,
chez Jean Mariette 1727. deux vol in 12.
de près de 1000. pages , fans compter le
Mandement de M. l'Evêque de Troyes&
les Tables,
LES MEILLEURES ETRENNES que
l'on puiffe donner & recevoir , pour l'aunée
Biffextile 1728. Quay de Gefures ,
shez Prault.
3. vol. HisDECEMBRE
. 1727. 2933
HISTOIRE D'AMEN OP H IS ,
Prince de Lybie , ruë Galande , chez
Quillau , fils , 1728. in 8.
CREMENTINE , REINE DE SANGA ,
Hiftoire Indienne . Par Made de Gomés.
2. volumes in 12. avec figures . Au Palais
, Quay des Auguftins , & Quay de
Gefures , chez Saugrain , le Clerc &
Prault , 1728 .
LA VIE REGLE E DES DAMES
qui veulent fe fanctifier dans le Monde.
troifiéme Edition , revûë par l'Auteur
Ruë S. Jacques , chez P. witte , 1727 .
ENTRETIENS , où l'on explique la
Doctrine de l'Eglife Catholique par la
Sainte Ecriture , où l'on fait un juſte diſcernement
de fa croyance d'avec celle
des Proteftans . Imprimés par ordre du
Roy, pour fervir à l'inſtruction des Nouveaux
Convertis . Ruë S. Jacques , chez
Coignard , fils , in 12. 1727.

NOUVELLE RELATION DE L'AFRIQUE
OCCIDENTALE contenant
une Defcription du Senegal , & des Pays
fituez entre le Cap Blanc & la Riviere
de Serrelionne , jufqu'à plus de 300 lieues
en avant dans les Terres , l'Hiftoire na-
2. vol. G turelle
2934 MERCURE DE FRANCE .
turelle de ces Pays , les differentes Nations
qui y font répandues , leurs Religions
& leurs Mours , avec l'état ancien
& prefent des Compagnies qui y
font commerce : Ouvrage enrichi de
quantité de Cartes , de Plans & de Figures
en Taille-douce. Par le Pere Jean-
Baptifte Labat , de l'Ordre des Freres
Prêcheurs. Chez P. F. Giffart, ruë S. Jacques
, 5. vol. in 12.
REGLES DE POETIQUE , tirée d'Ariftote
, d'Horace , de Defpreaux & d'autres
celebres Auteurs . Par M. Gaullyere,
Profeffeur de l'Univerfité de Paris . Rue
Galande , chez Quillan , fils , 1728 .
in 12.
MEMOIRES de M. le Marquis de ***
écrits par lui-même. Quay des Augustins,
chez la veuve Coutelier , 17 28. in 12 .
Ces Memoires ne contiennent qu'une
Hiftoriette.
DE LA MATURE DES VAISSEAUX ,
Piece qui a remporté le Prix de l'Acadé
mie Royale des Sciences , propofé en
Pannée 1727. felon la fondation faite par
feu M. Rouillé de Meflay . A Paris , ruë
S.Jacques , chez C. Jombert , in 4. de
164. pages , fans les Planches.
2. vol.
TRAITE
DECEMBRE . 1727. 2935
TRAITE' DOGMATIQUE de la Meffe,
pour fervir de juftification à la cenfure des
Evêques , contre le Pere le Courayer , Religieux
de fainte Geneviève , & les Anglois.
Par M. Cl . le Pelletier , Prêtre ,
Docteur en Théologie , Chanoine de l'Eglife
de Reims , rue S. Etienne d'Egrès ,
chez Deluffeux , in 12. de 229. pages.
HEURES , Ou Manuel , pour affifter à
la Meffe & autres Offices de l'Eglife , &
pour paffer chrétiennement la journée.
Par le Pere le Brun , Prêtre de l'Oratoire.
Rue S. Jacques , chez la veuve Delaulne .
in 18 .
DEFFENSE de l'ancien fentiment fur
la forme de la Confécration de l'Euchariftie
ou Réponſe à la Réfutation publiée
par le R. P. Bougeant , Jefuite , contre
un article des Differtations fur les
Liturgies , par le R. P. le Brun , Prêtre
de l'Oratoire. A Paris , chez la veuve
Delaulne , rue S. Jacques , 1727. in 8 .
de 140. pages , fans les Approbations &
les Tables.
LECTURE CHRETIENNE fur les
obftacles du falut dans toutes les conditions
de la vie , & fur les moyens de les
vaincre , traduit de l'Italien du P. Pina-
2. vol.
Gij monti,
2936 MERCURE DE FRANCE.
monti , de la Compagnie de Jeſus , par
le P. de Courbeville , de la même Compagnie.
A Paris , Quay de Conty , chez
la veuve Piffot , 1727. in 8. de 291.pages,
ORAISONS de Démofthene & de Ciceron
. A Paris , ruë S. Jacques , chez
Jacques Etienne , 1727. in 12. de 368 .
pages.
HISTOIRE des Révolutions des Pays-
Bas , depuis l'an 1559. jufqu'en 1584.
A Paris , rue S. Jacques , chez Briaffon ,
1727. 2. vol. in 12. de près de 600 .
pages.
LES COUTUMES DE VERMANDOIS,
contenant les Commentaires de Buridan
& de la Fons , fur les Coûtumes de Vermandois;
de nouvelles Obfervations fur les
mêmes Coûtumes , par M. de Hericourt ,
Avocat en Parlement ; les Commentaires
de Godet & de Billecarte , fur celle
de Châlons , de Buridan fur Rheims , de
Vrevin fur Chaulny. A Paris , 1728 .
aux dépens de la Societé.
DEFFENSE d'un Femme acculée par
fon Mari des crimes d'adultere , d'attentat
à fa vie , de vol , & enlevement de fes
Effets. Brochure in 4. de 90. pages . A
2. vol. Paris
DECEMBRE 1727. 2937
Paris , chez Alexis Mefnier , Imprimeur-
Libraire , rue S. Severin , au Soleil d'or ,
on en fa Boutique au Palais , grand'Salle,
vis-à-vis la Cour des Aydes , 1727 .
Voici une de ces Scenes que de grandes
paffions ne mettent que trop fouvent
fur le Théatre du Monde ; Scenes qui
après avoir amufé le Public , fatigué la
patience des Juges , ruiné les deux Parties
& flétri leur réputation , deviennent
ordinairement tragiques , & finiffent par
une cataſtrophe. M. Fericoq de la Dourie
eft l'Auteur de cette Deffenfe .
ABREGE' de la Vie de S. Jean de la
Croix , Réformateur & premier Religieux
de l'Ordre des Carmes Déchauffez en Efpagne.
Par M. Durret. A Lyon , chez la
veuve d' André Molin , rue Bourg- Chanin,
près l'Hôtel- Dieu , à la Conduite des Saints,
1727. Brochure in 12. de 60. pages .
Les perfonnes pieufes qui n'ont pas le
loifir de lire beaucoup , doivent fçavoir
bon gré à M. Durret , d'avoir fçû comprendre
dans cet Abregé tout ce qu'il y
a de plus édifiant & de plus utile à fçavoir
dans la Vie de S. Jean de la Croix ,
Vie qui a déja occupé cinq Auteurs differens
, lefquels ont donné d'affez gros
volumes fur cette matiere.
2. vol.
Giij Le
2928 MERCURE DE FRANCE.
Le trentiéme volume du vafte & celebre
Ouvrage des Actes des Saints , Synopfis
, Tomi V. de Altis S S. Julii , paroît
à Anvers. Ce volume qui eft le cinquiéme
pour le mois de Juillet , comprend
les Actes des Saints , qu'il faut rapporter
aux cinq jours d'entre les 19. &
25. de Juillet.Ils font au nombre de 305 .
dont 126 font anonymes , fans compter
quelques Troupes de Martyrs , dont on
rapporte auffi l'Hiftoire.
HISTOIRE du Concile de Conftance,
par M. Lenfant , deuxième Edition . A
Amfterdam , 2. vol . in 4.
Merville , Libraire à la Haye , imprime
les Poefies d'Horace , difpofées fuivant
l'ordre Chronologique , & traduites en
François avec des Remarques & des Differtations
Critiques. Par le R.-P. Sanadon
, de la Compagnie de Jefus . 2. volu
mes in 4.
TRESOR DES ANTIQUITEZ TEUTONIQUES
, Ecclefiaftiques , Civiles , &
Litteraires ; par Jean Schifter , Jurifconfulte
de Strasbourg. Tome I. qui comprend
plufieurs anciens ouvrages écrits en
langue vulgaire , par les anciens François
& les Allemands , concernant la Reli-
2. vol .
gion
DECEMBRE . 1727. 2939
gion chrêtienne . 2. vol . chez Daniel
Bartholomé 1727. en latin.
ABREGE' de la vie des plus celebres
Peintres qui ont paru depuis la renaiſſanée
des Arts , arrivée au commencement du
14 fiecle jufqu'à prefent . Avec leurs portraits
& un catalogue de leurs meilleurs
ouvrages , dont on fait une Defcription
hiftorique & fommaire , où l'on apprend
à quelle occafion ils ont été faits , les lieux
publics où ils font expofez , les Cabinets
& Galleries des Curieux où l'on les conferve
, avec le nom des Graveurs qui les
ont mis en eftampe.
Divifez en neuf Ecoles ou Académies ,
fçavoir de Florence , de Rome , de Bo
logne , de Venife , de Lombardie , de
France , de Flandres , de Hollande & d'Allemagne.
L'Auteur du projet de ce Livre , nous
engage à le publier , & prie les Curieux
& les perfonnes intereffées à la memoire
des illuftres Peintres , dont on entreprend
de donner la vie & les ouvrages , de vouloir
le fecourir par le moyen de l'adreffe
du Mercure , des inftructions qu'ils feront
en état de donner pour la perfection de
cet ouvrage , en marquant le temps de la
mort & l'age des Peintres , de qui ils ont
été Eleves , ou Maîtres , d'où ils font na-
2. vol. Giiij tifs
2940 MERCURE DE FRANCE :
tifs , où font aujourd'hui leurs plus beaux
tableaux , les fujets qu'ils reprefentent ,
les noms des Graveurs qui les ont mis en
Eftampe , &c. Ceux qui confervent quelques
portraits de ces Illuftres Artiſtes ,font
priez d'en donnet un crayon qu'on puiffe
graver d'une grandeur d'in- quarto .
Il paroît depuis peu de jours une très
belle & grande Eftampe en large , gravée
d'après un des plus beaux Tableaux de
feu Jean Jouvener , celebre Peintre , Directeur
de l'Académie Royale de Peinture
, par le Sieur Desplaces , très - habile
Graveur , qui a confervé toute la fierté
la correction du deffein , les expreffions
& l'intelligence des lumieres & des ombres
de fon original ; tableau d'une grande
compofition, dont les figures font grandes
comme le naturel , qu'on voit dans
l'Eglife des Chartreux à Paris. Il reprefente
la guerifon de plufieurs Malades qui
furent amenez à notre Seigneur ; comme
on le lit au 14. Chap . de S. Mathieu . Le
prix de cette Eftampe eft de 5. livres , elle
fe débite chez l'Auteur , ruë de la Juſ- .
fienne .
Le Sieur Borde , qui grave le plan de
Paris on fix feuilles , propofé par foufcription
, dirigé ſur la Meridienne de l'Obfer-
2. vol. vatoire
DECEMBRE. 1727. 2941
vatoire , & levé geometriquement par M.
l'Abbé de la Grive , demeure prefentement
rue S. Jacques , chez un Ferruquier , visà
vis les Colonnes d'Hercules . Ceux qui
fouhaiteront voir le détail de ce Plan , qui
paroîtra dans le cours de la prefente année
, ſuivant l'avis qui en a eté donné au
Public , fe trouveront chez lui.
Le 24. & le 25. de ce mois , jour de la
veille & Fête de Noel, le concert fpirituel .
recommença au Château des Thunderies ;
on y chanca deux des plus beaux Moters de
feu M. de la Lande , qui furent précedez
des plus beaux Airs de Noers joués par tou
te la timphonie, & qui furent applaudis par
la nombreuſe affemblée qui s'y trouva .
Le 29. on chanta quelques Scenes d'un
divertiffement que M. de Blamon avoit
fait chanter à Fontainebleau : elles furent
fuivies de plufieurs Airs Italiens , more
ceaux détachez , & de Sonnates . La Demoiſelle
Delba chanta la Cantate de Cephale
& Procris , mife en mufique par M.
Batiftin , & le Concert fut terminé par
un Motet à grand- coeur de M. Bernier.
Le 31. on repeta les mêmes Scenes du
Divertiffement de M. de Blamon , Mile Antier
chanta la Cantate de Didon de la
compofition du même Auteur .
On donnera ce mélange de mufique
2. vol. Gy deux
2942 MERCURE DE FRANCE.
deux fois la femaine , le lundi , & le Samedy.
La décoration qu'on vient de faire au
grand falon deftiné pour le Concert , confifte
en une Baluftrade fur trois faces ; la
premiere eft oppofée à la Tribune oùfont
placez les Recitans du Concert & les Simphoniſtes
, dont on a donné la defcription
dans le Mercure de Mars 1725.La feconde
eft un pan coupé , & la troifiéme , fur la
même ligne , va fe joindre à la Tribune
du côté du Jardin . Cette balustrade dont
les pilaftres font peints en marbre , & lesbaluftres
en forme de Lyre , eft rehauffée
d'or, & fermée de fon appuy . Elle eſt élevée
du rez - de - chauffée de quatre pieds , & a61 .
pieds de pourtour
fur 15. de profondeur
.
Elle renferme
un Amphitheatre
compofé
de fix rangs de gradins
qui font peints par compartiment
en differents
marbres,& fermez
de leurs appuis . Le mur fur lequel est adoffé le fixiéme
gradin , eft décoré
par feize
grands panneaux
formez par 1 8. pilaftres, qui foutiennent
une corniche
peinte en marbre
. Ces Panneaux
font enrichis
de trophées
& d'autres
ornemens
de mufique
, à l'alternative
des cartels
, dont les milieux
font occupez
par des medaillons
, reprefentant
les Mufes & c. On a peint fur les
pilaftres
des agraphes
, & des chutes d'ornemens
; & au deffus , des vales & des 2..vol..
Corbeilles
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
CHR
STIANISS
LUD
-
XV
REX
FECUNDIRAS
GEMELLA REGIE
NATE XIV. AUGUSTI
MDCCXXVIIAUG
MARIA
FR
NAV
DECEMBRE . 1727. 2943
Corbeilles de fleurs , le tout rehauffé d'or.
Le pourtour de tout l'ouvrage eft de 84 .
pieds fur 18. d'élevation . On a pratiqué ,
( pour monter plus commodément à cet
Amphithéatre ) quatre efcaliers , dont le
premier eft à l'un des bouts de la baluftrade
du côté de la porte du falon ; le fecond
eft placé à l'un des angles du pan coupé
le troifiéme à l'angle d'un autre pan coupé
, & le quatriéme joint la tribune des
Muficiens , à l'autre bout de la balustrade.
Ces efcaliers communiquent à chacun des
fix gradins de l'Ampithéatre où les fpectateurs
font placez très commodement. On
a placé auffi des banquetes tout autour du
bas de la balustrade , & dans le milieu du
falon , pour les perfonnes qui ne veulent
pas fe placer aux gradins . Ce Salon eſt
éclairé par 12. luftres & par quantité de
girandoles garnies de bougies . On paye
4. livres aux gradins & 2. livres aux banquettes.
Tous ces ouvrages de Peintures
ont été faits par M. Leveilly , Peintre fort
entendu pour ces fortes d'ornemens , ou
fur fes deffeins.
SUITE des Medailles du Roys
La naiffance de Mefdames de France eft
le fujet de cette nouvelle Medaille ; d'un
côté les Buftes du Roy , & de la Reine en
300 vol..
G-vj , regardi
2944 MERCURE DE FRANCE.
regard , avec cette legende Lu D. XV.
REX CHRISTIANISS . MARIA FR .
ET NAV . REGINA. Au revers la Fé
condité fous le Type d'une femme debout,
& tenant un enfant fur chaque bras. Legende
, FOECONDITAS AUG . La Fécondité
de la Reine . Dans l'Exergue , G &-
MELLA REGIA NATÆ XIV . AUGUSTI
M. DCC. XXVII . Les Jumelles
Royales , nées le 14. Août 1727. La face
& le revers de cette Médaille , font de
M. du Vivier , de l'Académie Royale de
Peinture & Sculpture , qui a mis une efpece
de couronne de Laurier à la tête du
Roy , à la maniere des Cefars.
LES
SPECTACLES.
Es Comédiens François ont diftribué
les Rôles de Dom Ramire & Zaide ,
Tragedie nouvelle , qu'ils repréfenteronz
dans le mois de Janvier.
Le 16. de ce mois , on donna à Londres
fur le Théatre du Marché au Foin , en
prefence du Roi & de la Reine , la premiere
reprefentation de l'Opera de Richard
I. Roy d'Angleterre.
2. vol.
EX
DECEMBRE . 1727. 2945
EXTRAIT de la Parodie d'Arlequin
Roland , annoncée dans le dernier
Mercure.
ACTEURS.
Roland , Corfaire ,
Angelique .
Arlequin.
La DeSilvia .
Temire , Suivante d'Angelique. La De la
Lande.
Médor , Clerc de Notaire . Trivelin.
Farinette , Boulangere . La D" Thomaſſin .
Briochet , Amant de Farinette. Le fieur
Paquety.
Terfandre , pere de Farinette. Le fieur
Theveneau.
Troupe de Danſeurs .
Troupe de Maſques.
La Scene eft à Paris dans l'Appartement
d'Angelique.
Angelique ouvre la Scene , & s'avance
triftement fur le Theatre , ne fçachant ,
dit- elle , comme faire pour accorder fon
amour avec la fierté. Elle chante fur l'air,
Prenez bien garde à votre Cotillon .
Ah ! que mon coeur eft agité , bis.
L'Amour y combat la fierté ,
Je ne fçais qui l'emportera
2. vol.
L'un
2946 MERCURE DE FRANCE.
L'un veut cecy , l'autre cela ,
J'ai bien la mine de faire comme à l'Opera ,
Comme à l'Opera. -
Temire apprend à Angelique que Roland
doit lui envoyer dans peu un prefent
magnifique , & lui vante la liberalité de
cet Amant , qui lui donne chaque jour
de nouvelles marques de fon amour . Angelique
convient qu'il a beaucoup fait
pour elle , mais qu'elle ne peut réfifter
au penchant qui l'entraîne , & que Médor
a touché fon coeur. Temire furprife
de ce changement , chante fur l'air ,
réguingué.
Temire.
Médor ! Madame , y penfez- vous ?
Pourriez - vous en faire un Epoux ?
Angelique.
Je veux fuivre un penchant fi doux .
Témire.
Médor. Fi donc ; qu'allez - vous faire ?
Médor n'eft que Clerc de Notai re.
Angelique apperçoit Médor qui entre ;
elle fe retire avec fa Suivante au fond ·
du Théatre pour lui entendre chanter fon
grand Air de l'Opera.
2. vel.. Ah !
DECEMBRE . 1727. 2947
Ah ! quel tourment ,
De garder en aimant ,
Un éternel filence.
Ah ! quel tourment,
D'aimer fans efperance..
Médor continue de chanter fur l'air
Pierre Bagnolet.
Plutôt que d'aimer Angelique ,
Je devois me caffer le cou ;
L'Amour trop foiblement s'explique.
Lorfque l'Amant n'a pas le fou.
Queje fuis fou , bis .
Plutôt que d'aimer Angelique , ›
Je devois me caffer le cou.
Médor apperçoit Angelique & l'aborde
en lui demandant fi Roland lui a envoyé
de beaux préfens . Angelique paroît interdite
en regardant Médor , & lui ordonne
de s'éloigner d'elle , & de partir :
inceffamment . Médor , furpris de cet ordre
cruel , la quitte & l'afiure qu'avec regret
il va partir pour fe conformer à fes
volontez ; mais que dans peu elle appren--
dra la nouvelle de fa mort . Médor quitte.
Angelique qui refte avec fa Suivant
2. vol..
2948 MERCURE DE FRANCE.
& ne pouvant plus fe contraindre , elle
l'envoye pour dire à Médor de differer
fon départ. Témire , pour calmer l'inquié
tude de fa Maîtreffe , lui dit que Roland
lui envoye de magnifiques préfens ; auffitôt
les Danfeurs entrent, & prefentent en
danfant ces préfens à Angelique. Ils confiftent
en une Dormeufe , une Bagnolette ,
un Tablier , un Panier , & une Corbeille
remplie de Rubans , &c. Après que les
Danfeurs ont offert leurs préfens à Angelique
, on chante un Air Parodié fur
celui , au genereux Roland je dois ma dé
livrance , &c. Les Danfeurs fe retirent ,
& Roland furvient fort empreffé pour
trouver Angelique. Celle - cy fort embarraffée
, l'évite , & pour s'en débarraffer
s'enfuit dans la Couliffe , & prie
Roland de ne pas la fuivre , feignant d'avoir
la colique . Roland refte avec Temire
, à qui il fe plaint des mépris d'Agelique
qui ne veut pas feulement l'écou
ter après toutes les dépenfes qu'il a faites
pour s'en faire aimer. Il chante ce cou
plet fur l'air , Quand le péril eft agréable .
Elle me méprife fans doute ;
Je cherche en vain à l'enflammer :
Cependant pour m'en faire aimer ,
Tu fçais ce qu'il m'en coûte.
2. vol.
Roland
DECEMBRE . 1727. 2949
Roland au defefpoir des rigueurs de fa
Maîtreffe , fort en parodiant l'air de l'Opera.
Angelique barbare , inhumaine ,
Quel barbare plaifir trouvez- vous à ma peine.
Angelique revient , & avoue à fa Confidente
qu'elle n'a feint d'avoir la colique
que pour le débaraffer des importunitez
de Roland ; & voyant entrer Médor , elle
fe retire.
Médor entre , & dit qu'Angelique l'a
fait prier par la Femme de Chambre de
ne pas partir ; mais que malgré cet ordre ,
il n'écoute que fon defefpoir , ne doutant
prefque pas qu'elle ne le veuille tromper ;
il fort de fa poche une grande écritoire ,
en tire un Canif, & veut le percer , en
difant , mourons en Clerc de Notaire. Angelique
qui l'obſervoit , court à lui &
l'empêche de fe tuer , elle lui fait l'aveu de
fa tendreffe , & ils fe font mille fermens
de s'aimer éternellement . Angelique
voyant revenir Roland , dit à Médor de
fortir par un escalier dérobé ; mais celuicy
, qui craint encore qu'Angelique ne
ne fe trompe , fe cache derriere un Paravent
pour entendre leur entretien .
Roland revient plus amoureux que jamais
, & fait de tendres reproches à fa
2. vol. Mai2950
MERCURE DE FRANCE.
a
Maîtreffe , qui laiffe échapper un foupit ,
& feint d'être fenfible à l'amour de Roland
. Après cette déclaration , Angelique
lui donne rendez - vous à minuit dans la
Salle du Bal de l'Opera Roland l'affure
qu'il ne manquera pas de s'y rendre , &
fort très-fatisfait de fa chere Angelique.
Médor qui étoit caché derriere un
Paravent , & qui a écouté attentivement
la converfation de Roland & d'Angelique
, s'emporte avec fureur contre
la Maîtreffe ; celle- cy l'appaife en
l'affurant qu'elle n'a feint d'être touchée
de l'amour de Roland , que pour l'éloigner
. Elle chante le couplet fuivant fur
⚫ un air de Bacchante du Ballet des Amours
des Dieux.
Oui , dans ce moment ,
Je me rends enfin ,
Mon cher Amant ;
Le deftin ,
Réſerve à ta tendreffe ,
La Maîtreffe
Qui t'a charmé ;
Même ardeur l'enflamme , fois aimé..
En vain ta naiffance ,
Me fait rougir de mon deffein ;
2. vol.
Lc
DECEMBRE . 1727. 2951
Le devoir s'en offenfe ,
Mais l'Amour va toûjours fon train.
Il s'agit bien de nobleffe ,
Quand un tendre foin nous preffe
Tu triomphes , mon Mignon ,
Et je vais t'époufer fans façon ; >
Je me moque du qu'en dira - t- on .
2
Angelique dit à Médor de l'aller attendre
à Poiffy , où ils prendront les Batelets
pour aller s'établir à Rouen ; Médor
ne fçauroit le réfoudre à la quitter ,
& dit qu'il aimeroit autant mourir que
d'être privé de la vûë de fa chere Angelique.
Eftes - vous fou , Médor , lui répond
- elle , vous êtes le plus heureux de
tous les Amans , & vous voulez toujours
mourir. Excufez , lui dit Médor ,
je fuis un peu benais , & pay toûjours
peur. Angelique le raffure , en lui difant
qu'elle a pris fes mefures d'avance , &
que Roland qui croit la trouver au Bal
trouvera à fa place des Mafques qui fe
moqueront de lui de la bonne maniere.
Angelique & Médor partent enfemble.
و
Le Théatre change ici , & réprefente la
nouvelle décoration de la Salle du Bal
de l'Opera , ornée de Glace , de Vafes de
Porcelaine , & d'autres ornemens qui font
2. vel. paroître
2952 MERCURE DE FRANCE .
paroître un Salon magnifique ; cette décoration
, qu'on a trouvée très - bien imitée
, a été peinte par le fieur le Maire ,
Peintre fort entendu pour ces fortes d'Ou
vrages.
Roland entre dans cette Sale en parodiant
ces Vers de l'Opera : Ah ! j'attendrai
long- temps , minuit eft loin encore ,
il regarde à fa Montre ; & voyant qu'il
n'eft pas encore onze heures il chants
fur l'air , y avance , avance.
>
Que ma Montre va lentement ,
Elle retarde affurément ;
Jaloufe de ma bonne chance.
Avance , avance , avance ,
Car je me meurs d'impatience ,
Il lit enfuite deux Ecriteaux attaches
aux Couliffes , comme à l'Opera.
Angelique engage fon coeur , &c.
Que Médor eft heureux , &c.
Au nom de Medor , Roland paroît
très-furpris , & après quelques couplets
qu'il chante ; il fe raffure , en difant que
c'eft fans doute quelque envieux de fon
bonheur qui a voulu fe divertir à fes
dépens ; & ne voyant point Angelique ,
il dit qu'il va la chercher dans le Caffé
2. vel .

DECEMBRE . 1727. 2953
où elle fe fera peut - être arrêtée. Le Bal
commence dans cet intervale ; après plufieurs
danfes , un Mafque chante les paroles
fuivantes parodiées d'un air du Prologue
du même Balet dont on vient de
parler.
Ces retraites ,
1
Par l'Amour font faites ,
Pour combler tous les coeurs
De fes douceurs les plus parfaites .
Un inftant
De notre fort décide ;
La timide ,
Sous le mafque s'y rend :
La Coquette ,
Y fait valoir fa défaite ;
Le Mari ,
1
Meconnu de fa femme
A la Dame ,
Tient lieu de favori ;
Et lui- même ,
9
Y goûte un plaifir extrême.
LeMafque qui vient de chanter fe retire
pourfaire place à uneNôce qui arrive.C'eſt
Briochet & Farinette , accompagnez de
plufieurs 2. vol.
2954 MERCURE
DE FRANCE .
-
plufieurs Payfans qui entrent au fon de
la Symphonies après plufieurs Danfes
caracterilées , ces deux Amans parodient
la Scene de l'Opera de Roland , de Coridon
& de Belife , & chantent les paroles
fuivantes .
Briochet.
J'aimerai toûjours Farinette.
Farinette.
J'aimerai toûjours Briochet,
Briochet.
Mon ardeur eft parfaite ,
J'aimerai toûjours Farinetre.
Farinette.
Mon amour eft parfait ,
J'aimerai toûjours Briochet.
Roland rentre dans le Bal ; & entendant
parler d'Angelique & de Médor , il
les interrompt brufquement . Briochet &
Farinette , à l'imitation de l'Opera , le
font affeoir fur un banc , & lui font un
récit des amours de Médor & d'Angelique
; ce qui excite encore plus la fureur
de Roland , qui par fes mouvemens & fes
agitations , fait éclater fa colere d'une
maniere comique , & il ne fe poffede plus
quand
2. vol.
DECEMBRE . 1727. 2955
quand Farinette chante le couplet qui
fuit , fur l'air : Amis , fans regretter Paris
, &c.
Farinette.
Nous avons figné leur Contrat.
Dans ces belles retraites ;
Tous deux ont pris du Chocolat ,
Sur le banc où vous êtes.
Roland outré de defefpoir , fe leve tout
d'un coup, & n'eft plus maître de lui - même.
Le pere de Farinette arrive en difant
qu'il vient d'accompagner Médor &
& Angelique jufqu'aux Batelets , il leur
montre une bague dont elle lui a fait prefent
; Roland qui la reconnoît pour l'avoir
donnée à Angelique , témoigne
encore fon defefpoir par de nouveaux
Lazzis . Terfandre continue en chantant
fur l'air : Non , je ne ferai pas , &c.
Je viens de voir partir cette fille fi belle.
Roland.
Angelique eft partie !
Terfandre.
Et Médor avec elle.
F
Roland ..
En etes-vous bien für?
2. vol. Ter1956
MERCURE DE FRANCE .
Terfandre
Vraimentj'en fuis témoin.
Roland .
Ils font partis enfemble ?
Terfandre .
Ilfont au Port Saint Oüen .
Roland , convaincu de la perfidie d'Angelique
, commence fes fureurs. Après
avoir chanté un premier couplet , il quitte
fa vefte & fon pourpoint , & au fon de
la Symphonie il s'anime encore davantage
, en caffant avec fon Sabre quelques
Vafes de Porcelaines ; il croit enfuite
être defcendu par la Trappe qui eft ſous
le Théatre , il s'imagine dans fon agitation
, d'entendre la répetition de quelque
Opera nouveau, dont les Vers & la Mufique
lui déplaifent ; il demande à boire
au Limonadier , qui lui prefente de la
Limonade , & veut avoir une piftole pour
fon payement. Roland caffe toutes les
caraffes qu'il a dans fon panier & le paye
à coup de bâton . Il acheve de caffer les
Porcelaines qu'il trouve fous fa main &
toutes les Glaces du Salon , ce qui termine
& finit la Piece d'une maniere trèsbruyante.
2. vol. Les
DECEMBRE. 1727. 2957
Les Comediens François ont donné le
31. Decembre la premiere repréfentation
d'une Comedie en trois Actes , qui
a pour titre la Surprije d. l Amour. M. de
Marivaux qui en eft l'Auteur , en donna
une intitulée de même fur le Théatre de
P'Hôtel de Bourgogne , qui cut un grand
fuccès. On ne peut pas dire que celle
qu'on joue actuellement fur le Théatre
François , ait été auffi generalement approuvée
; mais on convient que fi quelque
chofe a contribué à en rendre le fuccès
moins éclatant , c'eft la nouveauté du
genre . Cependant ce même genre , diton
, a déja fait fortune fur le Théatre Italien
; d'où vient que les mêmes Specta
teurs qui lui font un fi bon accueil dans.
un lieu , le reçoivent comme étranger
dans un autre ? C'eft , fans doute , qu'on
ne porte pas le même efprit à Pun & à
Pautre Théatre . Le genre que Moliere a
confacré au Théatre François , et le faul
qu'on y cherche; & s'il étoit poffible qu'on
y en introduisît un meilleur , les premiers
inventeurs rifqueroient beaucoup. Ce
que nous venons de dire ne nous empêchera
pas de rendre à M. de Marivaux ,
la justice que tous les gens d'efprit n'oſeroient
lui refuler. On ne parle ici que
d'après les fins Connoiffeurs ; & c'eft bien
2. vol.
H.
plutôt
2958 MERLUKE DE I
plutôt de leurs fentimens que du nôtre
que nous rendons compte au Public . Toutes
les voix fe réuniffent à dire que la derniere
Surprise de l'Amour , eft une Piéce
parfaitement bien écrite , pleine d'efprit
& de fentimens ; que c'est une métaphyfique
du coeur très - délicate , & dans laquelle
on eft forcé de fe reconnoître ,
quelque prévention qu'on apporte contre
le genre . Le fujet eft trop fimple , dit on ,
foit ; mais c'eft de cette même fimplicité.
que l'Auteur doit tirer une nouvelle gloire
, telle que celle que la Tragédie de
Berenice a acquile à M. Racine ; voici
quel eft le fond de cette Piéce , qui gagne
tous les jours à être reprefentée .
ACTEURS.
Le Chevalier,
La Marquife,
Le Comte .
Lifette.
Hortenfius ,
Lubin ,
le fieur Quinault,
la Dellele Couvreur.
le fieur du Brežil,
la Delle Quinault.
lefieur Duchemin le pere,
lefieur Armand,
La Scene eft dans la Maiſon de
la Marquife.
ACTE I.
La Marquife & fa Suivante Lifette ou
3. vol.
Vient
DECEMBRE . 1727. 2959
rent la Scene. Lifette prie fa Maîtrefle
de mettre enfin un terme à la longue trifteffe
où elle eft enlevelie depuis la mort de
fon mari ; la Marquife lui répond que la
perte qu'elle a faite étant irréparable , fa
douleur doit durer autant que fa vie . La
fidele Suivante lui dit que cette douleur
commence à la rendre méconnoiffable ;
pour l'engager à laifer rapporter fa toilette
qu'elle a déja renvoyée , fans vouloir
fe mirers l'envie qu'une femme , quel
que affligée qu'elle foit , a toujours de
paroître belle , engage la Marquife à fouffrir
qu'on lui préfente une glace ; elle s'y
trouve fort changée ; c'eft - là une premiere
difpofition à fe moins affliger , dont
Lifette fe propofe de profiter. Lubin , valet
du Chevalier , vient dire à la Marquife
, ,
que fon Maître eft accablé d'un
chagrin mortel , par une perte qu'il vient
de faire qui l'oblige à s'aller confiner
dans un Defert ; il ajoûte que le Cheva-
Hier voudroit bien la voir, & prendre congé
d'elle avant que de partir. La Marquife
confent à le voir , par la conformité
de leurs fituations : elle fe retire . Lifette
& Lubin font enfemble une converſation
qui n'eft pas relative à l'action principale ,
fi ce n'eft la douleur où Lubin fe livre volontairement
, pour fe conformer à l'humeur
de fon Maître. Le Chevalier vient
2. vol. Hij pren2960
MERCURE DE FRANCE .
ne
prendre congé de la Marquife, Elle lui
demande quel malheur l'oblige à partir,
Le Chevalier lui répond qu'il vient de perdre
pour jamais une Maîtreffe qu'il adore ,
& qui par la cruauté de fes parens ,
pouvant être à lui , vient de renoncer au
monde par des fermens inviolables . La
conftance du Chevalier , & furtout fa délicateffe
en amour , rappellent fi vivement
à la Marquife l'image de fon époux ,
qu'elle n'oublie rien pour le retenir ; comme
leurs maifons ne font féparées que par
un jardin qui leur eft commun , elle fe
flatte que c'eft- là le feul ami qui puiffe à
l'avenir la confoler de la perte de fon
époux ; le Chevalier de ſon côté , trouve
le coeur de la Marquife fi reffemblant à
celui de la Maîtreffe qu'il vient de perdre
, qu'il commence à laiffer rallentir cet
te gtande ardeur qu'il avoit de rompre
avec tout le genre humain . Le parti que la
Marquife lui offre de demeurer l'un auprès
de l'autre , pour fe confoler réciproquement
, eft bien -tôt accepté. Hortenfius ,
efpece de Philofophe , qui vient lire tous
les jours chez la Marquife , pour la confoler
, eft chargé d'aller choisir des Liyres
dans la Bibliotheque du Chevalier ,
pour continuer les lectures où le Chevalier
doit affifter . Lifette furvient avec
M. le Comte , Amant fecret de la Mar-
2. vol.
quife,
DECEMBRE . 1727. 2gst
quife. Cette Suivante n'a point d'autre
but que
de chercher quelque Amant qui
puiffe retirer fa chere Maîtreffe de la profonde
mélancolie dans laquelle on la voit
plongée depuis fix mois que fon mari eft
mort. Le Comte ayant appris que le Chevalier
eft ami de la Marquife , & perfuade
qu'il eft le fien , le prie d'appuyer le projet
qu'il a formé de l'époufer. Le Chevalier
à qui le Comte fait entendre que la Marquife
a d'affez bonnes manieres avec lui ,
commence à fentir quelques mouvemens
-de jaloufie ; qu'il fe cache à lui- même
& qu'il croit n'être qu'un dépit fecret de
voir la Marquife rengagée fous les loix de
l'Amour , malgré la convention qu'elle
vient de faire avec lui , d'y renoncer pour
toujours , pour le livrer toute entiere à
P'amitié. Cela Poblige à répondre froidement
au Comte qu'il n'a que faire de mé-
-diateur , & que , puifqu'il eft fi bien reçû
de la Marquife , il n'a qu'à pourſuivre de
fi heureux commencemens . L'air dont cela
eft dit , donne des foupçons de la verité
au Comte ; il quitte brufquement le Chevalier
, en le priant de ne point parler
pour lui , & en lui difant qu'il ne laiffera
point d'aller fon train . Lifette à qui il
importe peu, quel Amant confolera fa Maitreffe
, preffe le Chevalier de lui ouvrit.fon
coeur fur l'Amour qu'elle croit avoir décou
2. vol.
Hij vert
2962 MERCURE DE FRANCE.
vert en lui pour la Marquife. Le Cheva
lier picqué de l'engagement dont il foupçonne
la Marquife pour le Comte , protefte
à Lifette qu'il n'a que de l'amitié
pour elle. Lifette fe retire ; le Chevalier
ordonne à Lubin d'aller chercher Hortenfius
pour le mener à fa Bibliotheque.
Hortenfius vient , le Chevalier lui dit d'aller
avec Lubin choifir les Livres qui pourront
convenir à la Marquife. Lubin apprend
à Hortenfius que la Marquife n'aura
bientôt plus que faire de lecture , puifqu'elle
doit époufer M. le Comte ; il ajoûte
qu'il n'a tenu qu'à fon Maître d'avoir
la préference. Lubin forme le deffein de
mettre obftacle à ce projet d'Hymen , qui
le feroit congedier .
ACTE I I.
Selon la convention faite entre le Chevalier
& la Marquife , Lubin apporte les
Livres du Chevalier . Il prie Lifette de
lui permettre de menager un Hymen entre
la Marquife & fon Maître , afin qu'ils
puiffent fe marier enfemble à leur exemple.
Lifette ne fait que rire de ce beau
projet. Elle quitte Lubin . Les Livres font
portez à la Bibliotheque ; Hortenfius dit
à la Marquife qu'ils ne font pas bons ; la
Marquife lui demande quelle lecture il
2. yol.
12
DECEMBRE . 1727.2963

va lui faire. Hortenfius lui propofe un
chapitre fur la patience ; la Marquife lui
dit que cela eft trop trifte , & qu'elle aimeroit
mieux qu'il lui lût quelque chofe
fur l'amitié ; le Philofophe lui répond ,
qu'il voit bien par ce choix qu'elle fait
contre fon fentiment , qu'il va bientôt
perdre fon Ecoliere , & que fon mariage
avec M. le Comte achevera de lui donner
fon congé. La Marquife étonnée de ce
langage , lui en demande l'explication ;
Hortenfius lui raconte tout ce qu'il a appris
de Lubin , avec cette cruelle circonftance
que le Chevalier a refufé fa main
que Lifette lui a propofée. La Marquife
picquée au vif d'un refus fi outrageant
en veut tirer raifon , & en avoir un éclairciffement
avec le Chevalier. Lubin vient
lui demander la grace dont il a parlé un
moment auparavant à Lifette ; il la prie
de vouloir bien époufer le Chevalier , qui
veritablement a refufé la main , mais qui
l'accepteroit peut - être , fi elle vouloit
bien faire quelques avances ; il ajoûte
que fi elle a cette bonté pour lui , il lui
rendra la vie , en lui faifant époufer Li.
·fette dont il eft amoureux . Cette nouvelle
Requête de Lubin qui ne fe rapporte que
trop à ce qu'Hortenfius vient de dire à
la Marquife , acheve de l'irriter contre
le Chevalier. Elle ne peut digerer cet af-

2. vol.
Hiiij front
$ 2964 MERCURE DE FRANCE .
front ; Lifette arrive pour fon malheur ,
fa Maîtreffe l'accable de reproches , & lui
dit qu'elle eft bien impertinente de la marier
à fon infçû à M. le Comte , & de la
compromettre en offrant fa main au Chevalier
qui la couvre de honte en la refufant
. Lifette lui répond que Lubin eſt un
benais ; qu'il lui a mal rendu tout ce qui
s'eft paffé , que le Chevalier , malgré le
refus qu'il a fait de fa main , ne laiffe pas
de l'aimer en fecret ; & qu'enfin en la
voulant marier , elle n'a agi que par zele ,
& n'a eû en vue que de la tirer de la profonde
mélancolie . Tout cela ne calme
point la Marquife , le refus qu'on a fait
de fa main lui tient au coeur, & elle ne s'apperçoit
pas que tout ce qui fe paffe dans fon
ame n'eft autre chofe que de l'amour caché
fous le dépit . Le Chevalier arrive ;
elle fait retirer tout le monde pour avoir
un éclairciffement avec lui ; le Chevalier
par un mouvement de jaloufie , dont il
ne connoît pas bien la caufe , lui fait
compliment fur fon prochain mariage avec
le Comte ; la Marquife lui répond d'une
maniere à lui perfuader que les fentimens
fons affez favorables au Comte ; cependant
elle le prie de lui répondre naïvement
fur les queftions qu'elle va lui faire.
Elle lui demande , s'il eft vrai qu'elle ait
refufé fa main avec dédain . Le Chevalier
2. vol.
1
conDECEMBRE.
1727 296 ;
convient qu'il ne l'a pas acceptée , thais
il fe récrie contre le terme de dédain ,
qu'il faut abfolument fupprimer. Il excufe
fon refus fur leur convention réciproque
qui eft de n'avoir jamais que de l'amitié
l'un pour l'autre ; il reproche à la Marquile
d'avoir été la premiere à enfreindre
le traité , par le deffein qu'elle a formé
d'époufer le Comte , cette converfation
eft écrite avec un art infini , & dévelop
pe ce qui le paffe dans le coeur du Che
valier , & dans celui de la Marquife . Elle
appelle brufquement Hortenfus , pour fe
diftraire par une lecture , du chagrin fecret
que
lur caufent les difcours du Chevalier
; ce dernier craignant d'être imporrun
, veut le retirer. Elle le fait rappeller
par Hortenfius . La lecture eft interrompue
à diverfes reprifes par le Chevalier ,
qui contredit certaines maximes , qui ne
conviennent pas à la fituation de for
coeur ; il porte la contradiction jufqu'à
méprifer Seneque , cité par Hortenfius ;)
ce qui oblige ce dernier à fe retirer en colere.
La converfation entre le Chevalier
& la Marquife fe renouë ; le Chevalier
s'explique avec elle d'une maniere à lui
faire entendre qu'il n'a refufé fa main que
pour s'en tenir exactement à la convention
qu'ils ont faite de fuït tout autre engagement
que celui de l'amitié ; & lui
pro
2. vol. Hỵ . refte
2966 MERCURE DE FRANCE.
tefe qu'il n'a pû apprendre fans chagrin
qu'elle alloit fe marier , parce que.cet
Hymen renverfoit la douce efperance
dont il s'étoit flatté , & lui ôtoit la feule.
confolation qui lui reftoit après la perte
de fa Maîtreffe . Ces dernieres paroles appaitent
la Marquife ; ils renoüent leur
amitié en fe jurant mutuellement de s'y
livrer tout entiers. La Marquife promet
au Chevalier de ne plus voir le Comte
& de congedier Hortenfius .
ACTE I I I.
Hortenfus commence ce dernier Acte ;
il déplore les moeurs du fiecle , & ne peut
comprendre le mépris qu'on a pour la
Science. Lifette vient lui fignifier fon congé
de la part de la Marquife ; Lubin infulte
à fon malheur . Lifette fait entendre
qu'elle a un compliment à faire à peu
près femblable à M. le Comte . Ce der
nier vient , inftruit par Lubin. Il reçoit
auffi fon congé. Il prie Lifette de dire au
Chevalier qu'il voudroit bien l'entretenir
en particulier . Lifette fort pour l'aller
chercher.Le Comte fait connoître dans un
petit Monologue qu'il va mettre en ufage
une rufe qui , quoique très- commune , ne
laiffe pas de réuffir quelquefois. Le Chevalier
arrive. Le Comte lui fait entendre
2. vol.
que
DECEMBRE . 1727. 2967
que la Marquife n'eft pas fi infenfible
pour lui qu'il fe l'imagine . Le Chevalier
trop crédule , donne dans le piége que
fon Rival lui tend ; il fait plus , il accepte
la propofition qu'il lui fait de lui donner
fa Soeur. Le Comte va chez le Notaire .
La Marquife vient ; le Chevalier perfuadé
qu'elle aime le Comte , fe brouille une
feconde fois avec elle , & lui dit qu'il va
fe marier avec la foeur du Comte . La Marquife
outrée lui fait entendre que le Comte
ne lui eft pas indifferent ; le Comte qui
revient entend ces derniers mots ; il fe
jette à fes pieds , & la prie de le rendre
heureux . Elle lui répond avec beaucoup
de trouble qu'il peut efperer. Le Chevalier
défefperé de ce qu'il vient d'entendre
fe retire ; Lifette vient , & trouve la Maîtreffe
dans un état pitoyable ; elle lui demande
d'où naît fa nouvelle trifteffe ; la
Marquife lui répond que le Chevalier ya
époufer la foeur du Comte , & qu'elle va
elle-même fe marier avec le Comte . Lifette
ne comprend rien à ce double mariage.
Lubin vient enfin dénouer la Piéce ; ,
il dit à la Marquife que fon Maître eſt
dans un état à faire pitié ; qu'il a écrit
une Lettre dont il l'a chargé pour elle s
qu'il l'a lui a repriſe vingt fois après la lui
avoir remife entre les mains ; & qu'enfin ,
l'ayant laiffé tomber , il l'a ramaffée . La
2. vol.
H vj Mar2968
MERCURE DE FRANCE.
Marquife prend cette Lettre ; mais dans
le tems qu'elle va la lire , le Chevalier entre
accablé de douleur ; il lui dit qu'il vient
prendre congé d'elle pour toujours . La
Marquile qui commence à fentir qu'il l'aime
, le prie de ne point partir . Le Chevalier
lui répond qu'il feroit trop malhegreux
s'il reftoit auprès d'elle. La Marquife
lui en demande la raifon ; le Chevalier lui
dit
que cette raison eft renfermée dans un
'feul mot qu'il n'oferoit prononcer devant
elle , & qu'il avoit hazardé dans un Billet
qu'il n'a pas même ofé lui envoyer . La
Marquife ne doute point que ce ne foit
le Billet que Lubin vient de lui rendre à
l'infçu de fon Maître ; elle lit ce Billet
tout haut. Le grand mot qui coûte fi cher
à prononcer au Chevalier , c'eft qu'il
part auffi penetré d'amour pour la Marquife
, qu'il l'a jamais été pour fa premiere
Maîtreffe. Il n'en faut pas davantage
pour faire une paix fouhaittée de part
& d'autre ; ils conviennent tous deux que
P'Amour les a furpris fous le voile de l'amitié
.
Au refte , cette Piéce eft très - bien reprefentée.
La De le Couvreur & le
fieur Quinau , excellent dans leurs Róles .
2. vol.
NOUDECEMBRE.
1727. 2969
******************
NOUVELLES DU TEMPS.
TUR QUI E.
le
N mande de Conftantinople que
Serashier qui commande l'Armée
du Grand- Seigneur en Perfe , avoit dépêché
un Officier General avec la Copie du
Traité qu'il a conclu avec le Sultan Acheraf.
Cette nouvelle fut publiée ce même
jour à la porte de la Salle du Divan , &
dans les principaux Carrefours de la Ville ,
où l'on fit le foir des feux , ainfi que les
deux nuits fuivantes . On a diftribué quelques
Copies des principaux articles de ce
Traité par le premier defquels on cft
convenu que le Sultan Acheraf demeurera
en poffeffion du Trône de Perle fous
tel titre qu'il jugera à propos de prendre.
Par les autres il eft ftipulé que le G. S. ne
donnera aucun fecours aux ennemis de ce
nouveau Souverain ; qu'il reconnoîtra :
comme légitime , & contracté felon les
loix , le mariage d'Acheraf avec la fille
du Roy de Perle détrôné , & que le fils
qu'ils ont eû de leur mariage , jouira de
toutes les prérogatives du fils aîné du Souverain
, &c. Que le Sultan Acheraf &
2. vol. fes
1970 MERCURE DE FRANCE.
fes Envoyez feront reçûs à Conſtantinople
& dans les autres Villes de l'Empire
Ottoman comme vrais Mufulmans , malgré
la difference des opinions qui ont donné
lieu aux Turcs & aux Perfans de fe
regarder mutuellement comme hérétiques ;
qu'il confentira que les Turcs fe remettent
en poffeffion du Territoire de Houvetz
, dont un Prince Arabe s'eft emparé ,
& même qu'en cas de befoin , il joindra
fes Troupes à celle de S. H. pour chaffer
cet ufurpateur. Que le G. S. accordera une
Amniftie au Sultan Deli qui s'eſt joint
avec les Tartares , fes Vaffaux , ou Sujets
, aux Troupes du Sultan Acheraf pendant
les dernieres années de la Guerre .
Le peuple a témoigné une joye extraordinaire
lorfqu'on lui a fait part de cet
accommodement : la Guerre
commençoit
à lui être très onereuſe , la Porte y avoit
perdu près de 150. mille hommes de fes
meilleurs Troupes ; le tréfor du G. S.
étoit prefque épuifé , & les Juifs , ainsi que
les Négocians Arméniens , refufoient de
faire de
nouvelles avances , parce qu'on
leur doit des fommes trèsconfiderables
depuis plufieurs années . On publie que
c'est le Sultan Acheraf qui a demandé la
paix à S. H. qu'il lui a écrit une Lettre
Très-foumife à ce fujet , & qu'il lui a offert
1500. Bourfes pour l'obtenir .
2. vol. PAIX
DECEMBRE. 1727 297
PA1X concluë entre le Grand- Seigneur
Acheraf- Kan. Lettre écrite de Conf
tantinople le 27. Novembre 1727 .
:
Q
&
Ue direz- vous , Monfieur , de la
glorieufe Paix que les Turcs vienpent
de conclure avec la Perfe , dont nous
apprenons la nouvelle , dans un tems où
l'on croyoit tout perdu ici , & où certainement
l'on fe feroit contenté à beaucoup
moins. On peut dire que la fortune de
cet Empire a tout fait , & voici commens
la chofe s'eft paffé.
"
La prudence de fes Miniftres , voyant
que les Troupes Ottomanes ne vouloient
point combattre contre celles d'Acheraf-
Kan , & que le découragement & la fuperftition
avoient formé , pour ainfi dire
une barriere infurmontable aux progrès
des Armes Ottomanes. Ils envoyerent ordre
fur ordre à Ahmed- Kupruli , Pacha
de Babilonne , Seraskier , & Commandant
l'Armée Turque , de faire la paix avec
Acheraf- Kan , aux conditions les plus fupportables
, vû les fâcheufes circonftances
où l'on fe trouvoit ; mais Ahmed Pacha
, jeune & ambitieux , & fur toutes
chofes , picqué de la déroute de l'année
paffée , n'a point voulu fe conformer à ces
ordres , & a juré par Mahomet qu'il aua.
vol. roit
2972 MERCURE DE FRANCE .
roit la revanche . Les ordres de la Porte
étoient précis pour lui , mais les Soldats
fuivoient les fiens . Il avoit affemblé une
Armée de foixante nilie hommes Arabes
& Kurdes , de la fidelité defquels il s'étoit
affaré , & qui ne font pas fi fuperfti
tieux que les Tures .
>
Avec cette Armée , ayant pris le chemin
d'Ifpaham , il a rencontré à deux journées
de cette Ville , auprès d'une fortereffe appellée
Ezepcolen l'Armée ennemie
commandée par le Vifir Zoula , principal
Miniftre d'Acheraf. Les deux Armée s
étant en préfence , Ahmed Pacha envoya
un Député à Zoula , pour lui dire
qu'enfin le jour de décider ce grand differend
étoit venu , qu'il n'avoit donc qu'à
accepter la Paix aux conditions qu'il propoferoit
, ou à fe préparer à la Bataille
dans laquelle il lui feroit voir ce que pou-'
voit executer un General courageux &
offenfé. Zoula voyant cette réfolution &
la bonne contenance de l'Armée Turque ,
perdit courage , & conclud fur le champ
la Paix , qu'il envoya auffi- tôt ratifier à
Acheraf Kan : en voici les principales conditions
.
La Porte reconnoîtra Acheraf Kan pour
Roy & Légitime Seigneur de la Perle . "
I lui fera permis de nominer un Emir '
Adgi , ou Conducteur de la Caravanne -
2. vol.
des
DECEMBRE. 1727. 2973
des Perfans , qui va tous les ans en Pelerinage
à la Mecque.
Si les nouveaux Sujets d'Acheraf- Kan
fe foulevoient contre lui , la Porte fera
obligée de lui fournir les fecours neceffaires
pour les réduire .
On prétend qu'il y a un article fecret ,
par lequel la Porte s'engage de ne donner
ni aide ni fecours aux Mofcovites qui
font dans le Païs de Guilan.
Au moyen de ces conditions , les Turcs
demeurent en paisible poffeffion de leurs
Conquêtes en Perfe , confervent Tiflis ,
Capitale de Georgie , Tauris , Ardebil
Ervain , Harmadan & Kermancha , avec
toutes leurs dépendances. Acheraf- Kan
leur remet la Ville de Sultanie & les Fortereffes
Jujan , Aberk , avec leurs dépen
dances , de même que les Canons , Bagage
& Munition que les Perfans leur
prirent l'année paffée . Il leur cede aufli la
Ville de Huveizé , avec toutes les dépendances
, & trois autres Villes fituées dans
la Province de ce nom . C'eſt un Païs fitué
entre Bagdat ou Babilonne , & Banora.
Il ne leur cede pas toute la Province , mais
feulement les quatre Villes & le Païs qui
étoit anciennement du Domaine de Tunis .
Mais comme ce Païs ne s'étoit pas encore
foumis à Acheraf Kan , il ne leur cede
que fon droit , & il faudra que les Turcs
2. vol.
en
2974 MERCURE
DE FRANCE.
en prennent poffeffion , l'épée à la main ;
ce qui ne fera pas difficile , & les ordres
font déja donnez pour cela .
L'article le plus confiderable , c'eſt le
point de la prééminence dans l'exercice
de la Religion , pour lequel les Mahometans
ont répandu autrefois tant de fang.
Cela regarde particulierement
la priere
publique que les Mahometans ont accoutumé
de faire dans les Mofquées tous les
Vendredis , jour de leur Affemblée . Dans
la priere publique qu'on fera à l'avenir
en Perfe
on nommera le G. S. avant
Acheraf.
>
Il s'eft répandu dans cette Ville une
Copie de la ratification d'Acheraf- Kan ,
que vous trouverez jointe à ma Lettre .
Traduction d'un Ecrit de Ratification
envoyé au Grand - Seigneur par Acheraf-
Kan.
Au Nom de Dieu , Créateur du Ciel
de la Terre . Nous , Acheraf Emir- Kan ,
& Chah de Perfe, fupplions très - humblement
celui qui eft aflis fur le ( a ) Siege de
notre Saint Prophete , le plus élevé des
(a ) Par cette Formule Acherafreconnoît le
Grand- Seigneur pour Calife & vrai Succeffeur
de Mahomet dans les deux Puiſſances Spirituel
be & Temporelle,
2. vel. EmDECEMBRE
. 1717. 2975
Empereurs , plus puiffant & plus intrépide
qu'Alexandre , Souverain des deux
Mers , Maître des deux Terres , Protecteur
de Jerufalem , Maître des deux
Temples de la Mecque & Medine , furpaffant
Darius en Pompe & en Grandeur ,
Souverain ( a ) comme lui du Royaume
de Perfe , couvert de Couronnes brillantes
de gloire , le très - puiffant , très -formidable
& très- redoutable Seigneur , refuge
des Orthodoxes ( que Dieu prolonge
fes jours à jamais ) de vouloir bien
ratifier & approuver les articles de Paix
qui viennent d'être arrêtez de la maniere
qui fuit . Sçavoir , qu'il fera envoyé tous
les ans de notre part un Emir Hadgi à la
Mecque ; qu'il fera à l'avenir libre aux
Perfans d'aller vifiter le Tombeau d'Aly ;
que les Perfans pourront trafiquer dans
tous les endroits de l'Empire Ottoman
& jouiront des mêmes Privileges que par
le paffé ; qu'il y aura de notre part à la
Porte Ottomane un Ambaffadeur de Réfidence.
Nous cédons par ce Traité à la
Porte Ottomane , la Province d'Huveizć
avec les Villes de Sultanie , Eberck &
Jujan . La Porte s'oblige auffi par ce Traité
de s'employer auprès du Czar de Mofco-
و
(a ) Autre reconnoiſſance du Grand- Seigneur
pour Premier Souverain de la Perſe de la pars
Acheraf.
vic
1976 MERCURE DE FRANCE .
vie pour obtenir la liberté de Uffein- Beg ;
de la Nation des Leskis , Peuples Mufukmans.
Nous promettons d'envoyer tous
les ans (a ) au Tréfor du Commandeur
des Fidelles 15oo . Bourfes en forme de
préfent. Enfin , nous jurons fur le faint Alcoran
, Livre envoyé du Ciel , & par les
miracles de notre S. Prophete , d'obferver
& maintenir ce Traité , & malédiction à
ceux de nos Neveux qui les enfreindront.
Le Grand Seigneur eft fupplié par nous',
qui nous humilions aux pieds de fon Trâ
ne , de vouloir bien ratifier inceffamment
ces articles , defquels il a été donné des
Actes folemnels & authentiques : fçavoir ,
un de la part d'Ahmed Pacha , entre nos
mains , & réciproquement de notre part
entre celles d'Ahmed Pacha . Signé à l'Original
, Mehemet , Emir , Acheraf- Kan .
RUSSIE.
E Duc de Leria , Ambaffa deur Extraordinaire
du Roy d'Efpagne , qui
arriva à Petersbourg le 23. du mois dernier
, eut fa premiere Audiance publique
du Czar le
(b ) l entend le Tréfor Imperial du Gran
Seigneur , & esci est une espece de Tr.but annuel.
Les Califes prenoient le titre de Sommandeur
des Fideles , chaque Bourje reviens à
1500. livres de notre Monnoye.
Li
DECEMBRE. 1727. 1977
La plupart des Boyars & autres Scigneurs
qui avoient été exilés en Siberie
fous le miniftere du Prince Menzikoff
font arrivez à Mofcou , où le Czar doit
leur faire remettre des fonds pour les mettre
en état de reparoître à la Cour avec
leur ancien éclat .
Les Négocians Anglois établis à Mofcou
, ont réfolu entre eux de faire élever
à leurs frais un Arc de Triomphe magnifique
pour honorer l'Entrée publique que
le Czar doit faire dans cette Ville .
On ne mettra en mer au Printemps prochain
que quatre Vaiffeaux de Guerre &
quelques Frégates , feulement pour exercer
les Matelots.
Les Turcs font de grands préparatifs de .
Guerre à Afoph , & le Kam des Tartares
qui font fous la protection du G. S. a reçû
ordre de fe tenir prêt pour entrer en
Campagne au Printemps prochain .
Un des Officiers qui commandoit le
Détachement , qui a conduit le Prince
Menzikoff à l'extrémité de la Siberie , eft
arrivé à Petersbourg , & a rapporté qu'on
avoit remis ce Miniftre entre les mains du
Gouverneur d'une Fortereffe de cette Pro-,
vince , qu'on ne lui avoit laiffé que deux
Domestiques pour le fervir , & que fa famille
étoit restée au Château d'Oranjembourg,
avec une Garde qui a ordre de l'oby
ferver,
2978 MERCURE DE FRANCE :
Le Duc de Leria , Ambaffadeur Extraordinaire
du Roy d'Eſpagne , auquel le Czar
a donné fon Palais d'Eté pour logement ,
á obtenu la permiffion de faire conftruire
des Vaiffeaux fur les Chantiers de Peterfbourg
, pour le fervice de S. M. Catholique
.
On a porté à l'Hôtel des Monnoyes tout
Por & l'argent qui a été trouvé chez le
Prince Menzikoff.
Le Camp qu'on doit former l'année prochaine
en Livonie , fera compofé de fix
Regimens d'Infanterie , & de trois Regimens
de Cavalerie , faifant enfemble
24000. hommes.
On a difcontinué la conftruction des
nouveaux Vaiſſeaux de Guerre que le Pr.
Menzikoff avoit fait mettre fur les Chantiers
, mais on y bâtit dix nouvelles Galeres
, beaucoup plus groffes que celles
qu'on afaites jufqu'à préfent dans ce Pays .
POLOGNE .
N mande de l'Ukraine que depuis
environ deux mois , une Sinagogue
entiere de près de 3000. Juifs s'y étoit faic
baptifer.
Les Commiffaires de la République qui
s'affemblent à Mittau , ayant réglé la Forme
du nouveau Gouvernement du Duché
2. vol. da
DECEMBRE . 1727. 2979
de Curlande , ont fait venir devant eux les
Officiers de Juftice & les Avocats du Pays ,
pour les confulter féparément. Les Objections
qu'ils ont faites fur ce Réglement
, en ont retardé jufqu'à préfent la
publication , & l'on croit qu'on fera quelque
changement à l'article qui concerne
la Religion . Il contenoit en fubftance
que les Curlandois qui ne font pas Catholiques
, ne pourroient poffeder aucune
Charge , ou autres Emplois dans le Duché
, & que M. Recki , qui en eft Grand
Bailly , feroit obligé d'abjurer la Religion
Proteftante , ou de donner la démiffion de
fa Charge. Le Prince de Heffe Hombourg,
qui efpere fe faire élire Duc de Curlande
après la mort du Duc Ferdinand , a fait
un féjour de fix femaines à Mittau , où il
a vû fecretement les Principaux du Pays .
Le bruit court que le Czar a promis de le
proteger , & même de le fecourir en cas
de befoin contre la République de Pologne,
Len
DANNEMARC .
E 23. de ce mois , on publia à Coppenhague
une Ordonnance du Roy
concernant les Officiers de Marine que
S. M. veut avoir à fon fervice en tems de
Paix . Leur nombre eft préfentement fixé
à un ou deux Amiraux , au plus trois
`` 2. vol. Vice2030
MEALUNE DE FRANCE .
Vice -Amiraux , trois Contre - Amiraux ;
trois Commandeurs , 9. Capitaines Commandeurs
, 18. Capitaines , 12. Capitaines-
Lieutenans , 18. Lieutenans , & 30.
Lieutenans en fecond. Le Roy a accordé
des Penfions à tous les autres Officiers
qu'il a réformez , jufqu'à ce qu'il y ait des
Emplois vacans , qu'il a promis de leur
donner par préference .
ALLEMAGN E.
E Conful Turc qui eft à Vienne de-
Lpuis quelques mois ,a reçu une Copie
du Traité d'accommodement conclu
entre le G. S. & le Sultan Acheraf, dont
il a eu ordre de faire à l'Empereur &
au Prince Eugene de Savoye .
On écrit d'Hanover que le Prince de
Galles avoit donné depuis peu à pluſieurs
Princes & Seigneurs Allemans , une Chaf
fe de Sanglier dans laquelle on en avoit
tué 139. il y en avoit un entr'autres qui
pefoit 500. livres .
On voit à Ratisbonne un Décret Imperial
, datté du 21. de Février dernier ,
par lequel l'Empereur éleve à la Dignité
de Princeffe de l'Empire , l'époufe du Duc
de Saxe-Meiningen , & accorde à tous
les enfans nez de leur mariage , les Droits
de fucceder aux Etats de ce Duc,
2. vol.
II
DECEMBRE . 1727. 2981
Il s'eft tenu à Vienne plufieurs Conférences
extraordinaires chez le Prince Eugene
de Savoye , à l'occafion du Traité
de Paix conclu entre le G. S. & le Sultan
Acheraf ; & comme on n'a trouvé dans les
articles publiez , aucune ftipulation concernant
les Mofcovites , on craint que
les Turcs ne faffent quelque entrepriſe contre
eux au commencement de la Campagne
prochaine , & que l'Empereur ne foit
obligé de fournir des fecours au Czar conformément
au Traité d'alliance qu'il a
fait avec ce Prince .
M. Dalhman , Interpréte des Langues t
Orientales , qui eft arrivé depuis peu de
Trieſte à Vienne , a rapporté que le Pacha
dont on a déja parlé plufieurs fois
ne demandoit un azile à l'Empereur que
pour avoir le tems de fe juftifier des crimes
dont on l'a accufé auprès du G. S. &
qu'il avoit deffein de fe rendre enfuite à
Conftantinople .
On mande de Berlin que le Roy de
Fruffe avoit fait difcontinuer la levée des
nouvelles Troupes qu'on faifoit dans fes
Etats , & que le bruit couroit qu'il avoit
pris la réfolution de réformer confiderablement
celles qui font actuellement fur
pied .
Nous avons été d'abord mal informé
fur l'incendie de Cologne . Nous venons
3. vol. I d'ap2982
MERCURE DE FRANCE .
dapprendre par une perfonne mieux inf.
truite , & interreffée à cet évenement ',
que ce n'eſt pas le magnifique College
qui a été brulé , mais les Claſſes feulement
qui font féparées par une rue du College .
Le feu ne les a pas toutes confumées ;
on ajoûte qu'il s'eft arrêté à une Colomne
érigée à l'honneur de l'Immaculée Conception
de la Vierge. Le feu n'a pas approché
de l'Eglife , il n'y a point eu d'Incendiaires.
On croit que des Chandelles
qu'on allume le foir dans les Claſſes , &
quelque étincelle tombée fur des tas de
papier ou fur de vieux bancs , ont caufé
tout le mal .
E 25.
PORTUGAL.
le 26. le 29. & le 30. No-
LFvembre , la Flote de Rio de Janeiro,
compofée de 15. Navires Marchands &
de deux Vaiffeaux de Guerre , entra dans
le Port de Liſbonne avec une charge trésconfiderable
.
Par les Lettres que cette Flote a apporté
, on a appris que Dom Alexandre
Metello de Souza , & Menezés , Ambaſfadeur
Extraordinaire du Roy à la Cour
de l'Empereur de la Chine , étoit parti de
Rio de Janeiro le 5. Novembre 1725.
qu'il étoit arrivé à Batavia le 14. Mars
2. vol. 1726 .
DECEMBRE . 1727. 2983
1726. qu'il en étoit parti le 25. Avril
fuivant pour Macao , où il avoit débarqué
le 13. Juin ; qu'après y avoir fait regler
les ceremonies de la reception , il avoit
continué fa route pour Canton , où ayant
mis pied à terre , il s'étoit rendu à Yunte ,
Ville fituée à 50. lieues de Peckin , &
dans laquelle les Officiers de l'Empereur
de la Chine l'avoient reçû avec des honneurs
extraordinaires .
L₁e
ESPAGNE.
A Garniſon Angloife & les Habitans
de Gibraltar ont été attaquez d'une
diffenterie qui a fait périr beaucoup de
monde ; mais le Contre- Amiral Walton
leur ayant apporté des Provifions fraîches
& des Médicamens , cette maladie a ceffé.
Le Comte de Portmore , Gouverneur de
cette Place , & le Lord Clayton , Lieutenant
Gouverneur , qui avoient été attaquez
comme les autres , fe portent beaucoup
mieux.
L'Empereur a fait divers prefens au
Roy & à la Reine , entr'autres de plufieurs
Caiffes de vin de Tokay , une Table
d'argent , garnie d'un Service magnifique
de Porcelaine , une Coupe & une
grande Taffe de Porcelaîne , montées en
or , & garnies de leur Couvercle de même
2. vol. métal ;
I ij
-2684 MERCURE DE FRANCE.
métal , deux très -beaux Luftres de Criſtal
de Roche , & plufieurs autres Bijoux de
grand prix .
Le 25. de ce mois , Fête de Noël , le
Marquis d'Abrantes , Ambaffadeur Extraordinaire
du Roy de Portugal , fit ſon
entrée publique à Madrid . Son Cortege
étoit compolé d'un Ecuyer , de 12. Gentilshommes
, de 12. Pages , de 10. Valets
de Chambre , de 70. Domestiques
de Livrée , d'un Timbalier , de 4. Trompettes
, de deux Coureurs & 7. Caroffes
magnifiques. L'Ambaffadeur étoit dans
un Caroffe du Roy , accompagné du Marquis
d'Almodovar , Majordome de la Maifon
de S. M. & du Comte de Villa- Franca
, Indroducteur des Ambaffadeurs. Ce
Caroffe étoit precedé , felon la coûtume ,
des Officiers du Roy , à cheval , & fuivi
des Caroffes des Miniftres.
Le Marquis d'Abrantes étant arrivé au
Palais , y reçut les honneurs accoûtumez ;
il fut conduit à l'Audiance publique du
Roy , de la Reine , du Prince des Aftu
ries , des Infants & des Infantes , & enfuite
il fut reconduit avec les mêmes ce
remonies.
L'Après midy , l'Ambaffadeur retourna
au Palais , où l'on figna en prefence de
L. M. les Articles de Mariage du Prince
du Brefil , Heritier préfomptif de la Cou
2. vol.
Fonn@
DECEMBRE. 1727. 2985
ronne de Portugal , avec l'Infante Dona
Marie Anne- Victoire . L'Acte fut lû par
le Marquis de la Compuefta , en qualité
de Secretaire d'Etat , del Despacho de Juftice
. Les Témoins pour le Roy d'Espagne ,
furent les Chefs des Maifons Royales
les Cardinaux , le Nonce du Pape , l'Archevêque
d'Ameda , Confeffeur de la
Reine , les Prélats qui fe trouverent à
Madrid , les Confeillers d'Etat ; & comme
tel , le Marquis de la Paz , Premier
Secretaire d'Etat & del Despacho . Les
Ducs de Medina - Celi , de Medina- Sidonia
, de Bejar & de Veraguas , & le Comte
Benevent , fignerent au nom du Roy de
Portugal.
Le 26. après midi , on fit la ceremonie
des Fiançailles , & le 27. auffi après
midi , la ceremonie de la premiere Benediction
nuptiale , fut faite dans le grand
Salon du Palais , par le Cardinal Borgia ,
Patriarche des Indes , en prefence des
Grands du Royaume , des Seigneurs de la
Cour , des Chevaliers des differens Ordres
& des Miniftres. Le Roy reprefenta
le Prince du Brefil , dont il avoit la Procuration
pour cette ceremonie. Enfuite
il y eut dans l'Appartement de la Reine
un Concert de voix & d'Inftumens qui
fut terminé par un très beau Feu d'artifice
qui fut tiré dans la Place du Palais ,
I iij comme
2. valo
2986 MERCURE DE FRANCE.
comme les deux nuits précedentes . Il y
a eu auffi dans la Ville des Feux , des Illuminations
& d'autres marques de réjoüiffance.
Le Duc d'Offone a pris poffeffion du
Régiment des Gardes Efpagnoles Infanterie
que le Roy lui avoit donné il y a
quelque temps . S. M. a difpofé de la
Compagnie des Gardes du Corps Efpagnoles
, dont ce Duc étoit Capitaine , en faveur
du Marquis de Bedmar ; de la Lieutenance
& de la Sou- Lieutenance de la
même Compagnie , en faveur de Dom
Thomas d'Indiafques & de Dom Patricio
Laulés .
LE
GRANDE- BRETAGNE .
E 11. du mois dernier , les deux
Chambres du Parlement d'Irlande
remirent à Dublin deux Adreffes pour le
Roy , à Milord Carteret , Vice- Roy de
ce Royaume ; celle de la Chambre- Baſſe
finit en ces termes :
Et pour convaincre toute la terre que
Votre Majefté poffede entierement les coeurs
de vos fideles Communes d'Irlande , nous
ne manquerons pas de donner d'auffi-grands
témoignages de devoir & d'affection à
V.M.qu'on en ait jamais donné à aucun
de vos auguftes Prédeceffeurs , en pour-
2. vol. E v voyant,
DECEMBRE. 1727. 1987
voyant , avec la plus grande joye & unanimité
, aux fubfides neceffaires pour le
foutien de votre Gouvernement , & pour
mettre V. M. en état d'avoir fur cet établiffement
des forces fuffifantes pour renverfer
les deffeins de vos ennemis.
La Ville de Londres ayant confideré
les inconveniens de mettre les Criminels
condamnez à mort dans un même Cachot,
a fait faire quinze Cellules pour les y
enfermer féparément , afin qu'ils puiffent
mieux fe préparer à la mort.
La Cour des Plaidoyers- Communs
Guildhall , a condamné un Juif à 250 .
livres Sterling , & à tous les dépens du
Procès , pour avoir débauché la femme
d'un Chrétien .
Le Roy a nommé le Lord Guillaume
Stanhope , Vice -Chambellan de fa Maiſon,
pour être l'un de fes Miniftres Plénipotentiaires
au futur Congrès de Cambray.
*****
MARIAGE , &c .
܀܀
E Prince Chrétien Augufte d'Anhalt,
Bernbourg , Major general & Colonel
d'un Regiment d'Infanterie , au fervice
du Roy de Pruffe , a époufé à Fechelen
la Princeffe Jeanne- Elifabeth , fille
du Duc Chrétien Augufte de Holftein
Evêque de Lubec - Eutin.
2988 MERCURE DE FRANCE .
LOGOGRYPHE .
'Ay deux tiers en Eſpagne & l'autre en Ita-
J'Alie
Quand je fuis mis en deux , ma premiere partie
,
Fait paffer aux buveurs.d'agréables momens ;
L'autre partage & meſure les temps.
Mes deux tiers à rebours , rappellent la mémoire
D'un Prince malheureux ,renommé dans l'Hiftoire.
Je puis devenir Ville & vent tout à la fois.
Dès que l'on m'a coupé la tête ,
Je fuis en fureté ; mais gage de la foi ,
Lorfqu'on la rompt ma mort eft fure &
prête ,,
Ma nature eft diverfe , & les plus grands repas
Sans moi ne plairoient pas.
Enfin je fuis fi rare & tellement étrange ,
Que par un admirable échange ,
Il ne faut que de moi retrancher feulement
Chaque part fucceffivement ;
Et foudain fous diverfe face ,
Je parois à vos yeux , Mets , Homme , Fleuve,
Efpace.
2. vol.
Le
DECEMBRE 1727 208 )
Le Logogriphe eft , comme on le fçait,
une Enigme en paroles , où l'on cache
un mot en lui donnant diverfes fignifications
par la divifion , la tranfpolition
& le retranchement des fillabes ou des
Lettres qui le compofent. Par le moyen
de cette définition & avec un peu d'application
, nous croyons que plufieurs de
nos Lecteurs devineront le veritable mot
de ce Logogryphe.
J'AY lû
par ordre de Monfeigneur le Garde
des Sceaux le fecond volume du Mercure de
France du mois de Decembre, & j'ay crû qu'on
pouvoit en permettre l'impreffion. A Paris ,
le vingt- cinq Janvier 1728 .
HARDION.
TABLE.
du fecond volume de Decembre
Teces Fugitives. Idyle Comique , & c. 2791
Réponse à l'Article XXIV . des Memoires
de Trévoux , du mois de Mars dernier , ay
fujet de la vraye fignification du mot Cefar ,
fur les Médailles , & c.
Elegie à Mle de Verteillac ,
Voyage à Paphos ,
Requête en Triolets ,
Lettre fur les Découpures ,
2814
2845
2850
2837
2889
Piece Fugitive en Vers , de P. Corneille , 2394
2. vol. Ly Nou
2998
Nouvelle maniere de chauffer les Fours , 1898
Edigmes ,
2899
Nouvelles Litteraires , Traité de l'ufage de
differentes Saignées ,
L'Art de parler Allemand ,
Voyage de Mofcovie ,
Almanach des Dames Sçavantes ,
Almanach Royal .
2907
2917
2919
2927
2971
Abregé de la Vie de S, Jean de la Croix. 2937
Abregé de laVie des plus celebres Peintres , 2939
Nouvelle Eftampe gravée , 2940
Concert du Château des Thuilleries, & c. 2942
Médaille du Roy , en Taille- douce , 2943
Spectacles , 2944
Arlequin Roland , Parodie , Extrait , 2945
La Surpriſe de l'Amour , Extrait 2958
Nouvelles de Turquie > 2969
Paix entie la Turquie & la Perfe , 2971
De Ruffie , de Pologne , & c. 2976
De Dannemarc, d'Allemagne , & c. 2979
De Portugal, d'Efpagne . 2982
Grande Bretagne , 2986
Mariage ,&c.
2991
Logogryphe ,
2988
Errata du premier Volume de Decembre.
A
2.
Page 2651. ligne 2. du bas , s'ouvroit , liſex
s'ouvriroit.
P. 262. l. 14. dictums , 1. dictons.
P. 2653. 1l.. 1. avoit , l. auroit.
P. 2655. acquora : 1. Acquora..
P. 2662. l. i. hautes , 1, hauts.
12. vol. Fantes
2991
Fautes à corriger dans ce Livre.
Page 1809. ligne 18. ne convient , liſex ne vous convient.
P. 2830. 1. 4. du bas , n'arrête , l. n'arrêtent.
P. 2832. l. 12. refte , l. reftent.
P.
28455. 1. 10. dans , ôtez ce mot.
P. 2856. l . 18. le , . les.
P. 2857. 1. 26. affecte , l. affectoit.
Ibid. 1. 27. fait , faifoit.
P. 2860. l. 1. de l. &
P. 2903. l. 21. ces effets font , l.qui font.
P. 2921. 1. 23. reçoit , l . revoit.
TABLE GENERALE
DES MATIERES
de l'année 1727 .
A.
Bbadie (Jacques ) fa mort ,
ABD
2490
Académie Françoiſe , 126. 132.1435.1484 .
1629. 2052 2053
-Des Sciences, 28. 850.973.982 1845. 2487
Des Belles - Letres , 333. 849. 2052. 2488
Des Jeux Floraux ,
SOUTONN De Lyon ,
De Montpellier ,
2. vol.
1851
1434
7430
De
2992
TABLE
De Marfellle ,
De Bordeaux ,
De Pau ,
De Peinture ,
336.862.937. 1644
333-2014
123. 326
1562. 205j. 2299
De Liſbonne ,
969
De Malthe , 379
Acouchement de la Reine , 1908
Actes des Saints
2958
Adnete & Alcefte , Tragedie , 137. 343. 351
Affaires du Palais , 2242
Afrique Occidentale ( Relation de l' ) 2481
Ain , à la fin des noms de Riviere , vient du
Latin , amnis ,
Allemand l'Art de parler )
Alep , Ville ,
1514
2917
2598
Alman chs jufqu'au nombre de 39. fortes ,
104 Des Dames , 2927. Royal ,
Aloës ( Arbre d ) à Nuremberg ,
2931
2660
Amans réunis ( les ) Comedie , 2688
Amazones Modernes ( les ) Comedie , 2499
Amours des Dieux (les ) Opera ,
2076
Amphitheatre de Montbouí , 1185. 1500. De
Doué ,
Antiquitez,
Architecture ( nouveau traité d' )
Arlequin Aftrologue , Comedie ,
Arlequin Roland , Comedie ,
1511
2273
483. 1187 2626
1002. 1438
2782.2945
Arrêt du Parlement de Toulouſe ,
Artifans illuftres de Nuremberg ,
2445
2658
Athlas univerfel ,
Aubefpine ( Magdelaine de l' )
Aveugle Clair Voyant ( P ) Nouvelle ,
Avranches , Ville ,
За
B.
Al de l'Opera , 2512. Du Palais Royal, 393
Balancier d'une nouvelle invention , 126
Balicour ( la Die ) reçûë à la Comedie Françoiſe
,
20. usk
2686
Ballade
1641
2928
24
2377
DES
MATIERES. 2993
Ballade ,
Barbet ( le ) d'Etampes ,
Berger d'Amphrife ( le ) Comedie
Bernard , Femme Sçavante ,
Bill , explication de ce mot
Bitume de Bugarach
1
241
90.897
2 350 132
2928
604
1433
Blafphemateurs Déclaration contre les ) 2-5 65.
Boia , ce qu'il fignifie ,
Bombe effet fingulier d'une ) ¡
-1509
302
Bonac (M. le Marquis de ) honneurs qu'on lui
a rendu à fon Ambaflade en Suiffe ,
Bonefonii ( Joannis ) Opera ,
Bons- Mots,,
2744
2280
247. 1380 1996
2655
674.896
Bouquet , 892. 1975. 1979. 2186.2211.2367 .
Bouts Rimez.
prophanes du
Braban ( fupplement aux Trophées facrez &
Bracelet ( le ) Comedie ,
Bruno ( S. )fon état avant fa retraite ,
C.
121
2688
440
Abinet curieux (Projet pour un) 675. 1295
Cabinet
Cadran Solaire ( origine du ) 1126. marquant
les minutes ,
Caen , Ville ,
Calêche d'une nouvelle invention ,
Calendrier ( Projet d'un nouveau )
Caméleons Lettre fur les )
Canal de Bourgogne ( Projet du )
Canon de nouvelle invention ,
Canonifation ,
1844
1347
2183
901. 1184-
2222
2479
335.
2681
162 164
Cantate , les Vendanges de Mongeron , 2153.
Sur l'accouchement de la Reine,
Cantique des Cantiques ,
2348
Caravanes ( Deſcription des )
209
2600
Cardinaux ( nomination de )
Carte de Ruffie ,.
Carofle d'une nouvelle invention ,
-54
2011
129 3 vol.
$2994 TABLE.
Celtique ( Langue ) 1107
Cefar , fi c'eft un furnom de famille ou un
titre de dignité ,
2814
Chambrai ( Remarque fur la Maifon de ) 890
Chant ( nouvelle Méthode pour le plein- chant )
Charlatanerie ( Critique de la )
Chateüil- Galaup ( Mort de M. de )
Chats ( les )
2046
1608
1849
1398
Chaudieres , maniere d'en faire bouillir plu
fieurs à la fois ,
2898
Chenetelli ( ce que ce peut être ) 495
Chiari ( Mort de Jofeph ) Peintre , 2301
Chinois ( Caractere des ) 2037
Cire faite d'une graine de la Loüiſiane , 529
Clarici , Décorateur , 552
Clavecin fans plume , &c. 2495
Cleri (Mort du Marquis de ) 2349
Clocher transfporté d'une Tour fur une autre ,
College Royal ( ouverture du )
2344
2675
Comédies réprefentées à la Cour , 586.761
Comité , explication de ce mot ,
604
Communauté ( pour être censé avoir renoncé
à la ) il faut que l'Inventaire foit clos
dans les trois mois , s'il y a enfant mineur ,
758
Concerts ,
746. 2941
Condé ( parallele du grand ) avec M. de Turenne
,
Confeils à un jeune Seigneur ,
285
120
Conte galant , 689. Le Voleur dupé , 694
Conty Mort du Prince de ) 1032
Contrafte de l'Amour & de l'Hymen ( le ) Comedie
,
Cordouan ( Tour de )
532.763
2424
Cors les jettez d'un lieu en un autre ne décrivent
pas une Parabole ,
2. vak 49
Christal
DES MATIERE S. 1995
Cristal de Tartre ,
Crucifix de S. Luftache ,
Curez de Paris ( Remontrances des )
Curtius , Poëme ,
Cyprien ' nouvelle édition de S. )
1438
744
2563
2007
734
Czarine (Mort de la) 1211.Ses Obfeques, 1454
Amas , Ville ,
Dama
D.
1583. 1804
Déclaration du Roi , concernant les Recommandareffes
& Nourrices ,
Découpures ,
Défructule )
1054
2889
925
Deffein allegorique fur la maladie du Roi, 133
Diable Boiteux ( le ) 517
Dictionnaire Néologique ( Defaveu de l'Auteur
du ) au fujet de Mathanafus , 314. 316
Difcours de Benoît XII . 93
Dumont ( François ) Sculpteur. Sa mort &
fon Eloge ,
E.
Aux Minerales de S. Sauveur ,
328
1794
778.986
633. 1516
EAEffets du dépit ( les ) Comedie ,
Eglogue ,
Eguille trouvée dans le col de Mlle Auger, 2187
Egypte ancienne & moderne , 111. 318. 1981.
1988
2845
Elegie , 1112. Sur la mort de M. d'Andreze !,
1254. A Mlle de Verteillac ,
Enfant prodigieux de Vienne , 681. Reclamé
par deux Meres , 1720. Remarquable par fon
fçavoir ,
Enigmes , 100. 299.499.711.945
1147.1389 .
1780 2435
1579. 1797. 2024. 2257. 2456. 2665.2899.
leur Explication en Vers 101. 713. 1145 .
1262.1388.1487.1578.1796.Des
Jefuites, 194
Envieux ( l' ) Comedie , 997
Epitaphe dont on demande l'explication , 1852.
De Poifly .
Za valo
477
Epi2998
TABLE
Epithalame , 881. 1547. 2239. 2427
Epitre au Comte de la Marche , 77. en forme
d'Epithalame , 436. A M. 933 , A M. de
Tavanes , 1088. D'un François en Hollande ,
1103. A l'Abbé de Roquemartine , 1140. A
une Dame , r555. Sur la confcience , 2611
Eft an tampes , 1849 2492. 2940 d'après Wateau ,
1848. 2491.2676 . ¡ Du Roman Comique ,
1853
Eternuement d'un bon augure chez les Anciens
,
Etrennes à la Reine ,
1135
47
Etude (comment on doit conduire la jeuneſſe
dans l ' ) 64. 449. Penſées hazardées fur les
études ,
F.
Able. Le Pâtre & les Moutons ,
Fable
" Faftes des Magiftrats Romains ,
Fètages d'Angers ,
1823
1788
1621
921
Fête de Bagnolet, 1250 Donnée à Forges , 1705
Fils indocile ( le ) Comedie 2
Focus. Explication de ce mot ,
Fontainebleau ( Plan de la Foreft de )
552
259
2484
Fours , maniere d'en chauffer plufieurs à la
fois ,
France , Monumens de la Monarchie
çoife ,
François à Londres ( le ) Comedie .
G
2898
Fran-
725
1657'
Geant ( Squelete d'un ) Gaillard(more& éloge du P. ) 1259. 1742 1576
Geometrie ( Probleme de ) 2302
George I. Roy d'Angleterre , fa mort. 1468
1479 , Réglement pour fon deuil , 1692. fes
funerailles ,
2123
George II. proclamé Roi , 1684. Couronné ,
2. vol.
2533-
Gi
DES
MATIERES 2997
Gibraltar ( Siége de ) 618. 827. 1016. 1050
1228. 1461. 1465. 1480. 1681
Gondés (Hiftoire de )
2473
Grecs de Sirie ,
224
Grippon , Château ', 23.72
Guillaume le Conquerant. Fait fingulier arrivé
à fes Obfeques ,
1351
Guillaume ( Marie- Anne ) 2929
2929
386
Abert ( Sufanne )
H
HHarangue du P. Porée , 266. à la réception
de M. de Pontcarré ,
Heros , lequel des deux Etats ou le Monarchique
, ou le Républicain eft plus propre à
former les Heros ,
Hiftoriette .
Hommes ( les )
Horloge de Sully , 194. Aftronomique ,
Horofcope accompli ( P ) Comédie ,
Hubert , ( Françoiſe )
266
1521
1418
4.22
1647
2950
Huilles effentielles mêlées avec l'Esprit de vin
diminuent de chaleur , 973. Huile répandue
fur la furface de la mer appaife les tempêtes,
Hypogée ( Plan d'un )
I
1968
1620
Caractere nouveau pour lever l'équivoque
I qui arrive au fujet de cette lettre & de l'y ,
Jaddus , Tragédie ,
294
2070
Idille , Ifaac , 1538. fur le départ d'un ami ,
2575. les Préfens des Dieux , 2703 , Idille
Comique , les Gants ,
Tettons ,
2791
12
Initation les défauts qui peuvent être les
fuites de l' )
Imprimerie établie à Conftantinople ,
2408
12242
~164L
2. velo
2998
TABLE
Incendie à Debrecin , 1011. à Barwel , 2339
à Cayeux , 2344. à Cologne , 2725. 2981
Inconftant ( P ) Comédie 1870
Ingénieur , en quoi confifte fa ſcience , & celle
d'un Pilote , & lequel merite la préference ,
229
Infcriptiones ad res notabiles ab anno 1707. ad
annum 1726.
Intrigues d'Arlequin ( les ) Comédie ,
Jonathas le Machabée Tragédie ,
Ile de la raifon ( P ) Comédie ,
Ifle de la folie ( l' ) Comédie ,
301
587
2059
2086.2260
2087.2313
Juda ( Guerre du Royaume de ) côté de *
Guinée ,
Jugement de Paris , Opera ,
L
Alande, Dairou , Château ,
2204
1859
Langue Latine (Méthode pour apprendre
la ) 2485
Largilliere Nicolas de ) quelques- uns de fes
Ŏuvrages , 476
2055. 2346 Launai , ( mort de M. de )
Lazare ( Reliques de S. ) à Autun , 2580
Lettre fur les affaires de Perfe , 83. du P. dụ
Cerceau , 127. de M. de Beauchamp , 154
à Me , 199. de le Maire , 22c. fur les Bons
Mots , 247. de M. Piat. 334. fur le choix &
l'arrangement d'un Cabinet curieux , 1295
aux Auteurs du Mercure , 1752. de M. Mathulon
, 1769. de M. de Senecé , 2640. de
la Dame de Dreux ,
Lifieux , Ville ,
Lifle ( M. de ) fes Ouvrages ,
Logogriphe ,
Lucius verus , Opera ,
Lune ( la ) tourne au tour de la terre ,
Lunette d'approche ,
2. vol.
2652
1345
530
2991
155
976
2630
M.
DES MATIERES 2999
M
Machinenouvelle pour la monu larder
pour les Vaiffeaux , 127. pour
9
330. 331. pour étancher l'eau des Vaiſſeaux ,
691. pour faire monter les eaux , 968. 2680 .
pour enfoncer les Pilotis , 969. pour qu'une
Pendule fe remonte par elle-même , Ibid.
pour remonter les Rivieres , 2012. pour
fid
ler , 2022. pour nettoyer les Ports , 2023 .
pour faire monter les eaux par le feu , 2682
Madrigal ,
May , on ne le préfente pas feulement aux petites
gens , comme dit Furetiere ,
Maladie extraordinaire foulagée par un nombre
prodigieux de faignées , 1789.les maladies font
caufées par differenspetits animaux , 1390
Malezieu Nicolas de fa mort , 972. fon éloge
,
Malte ( Hiftoire de )
)
Marché de Billy , 651. critiqué ,
2395
493
1137
2458
IIIF
Mariage ( articles de ) entre le Prince de Brefil
& Infante d'Espagne ,
Maroc ( Guerres de )
Maronites ,
2984
2716
224
Maroulle ( mort & éloge de l'Abbé de ) 686
Mathanafius , v. Dictionnaire Neologique..
Mathematique ( plan d'une )
Mécontens ( les ) Comédie ,
735
1666
Médailles, 1175. 1362. 1552. de Dagobert , 886
2945
du Roy , 332 2301.
Medée & Jalon ,Opera , 985. 1193. Parodie ,
1205
Mémoires de Monglat , 718. des Miffions de la
Compagnie de Jefus ,
Menzikoff le Prince de ) arrêté ,
Mignatures ,
Miniftralis , ce qu'il fignifie ,
Miroir ardent d'Archimede ,
2. vol.
1581
2320 2520
1181
495
1976
Moile
3300
TABLE
Moife , Tragédie ,
Momus Fabulifte , Comédie ,
Monologue , Conrard ,
Mont S. Michel ,
Mouvement perpetuel ,
N
345
1192
3550
2378
1769. 2217
NEwton ( mort du Chevalier Ifaac ) 745
Noces de Proferpine ( les ) Comédie .
Nouveauté ( la ) Comédie ,
O
826
775
140
De à la Reine , 58. à Iris , 245. à Mlle le
Maurer, fur la prife d'Habit de
S. A. S. Mademoiſelle de Vermandois , 398
le Roy gouvernant par lui -même , 415. à
Madame de Rochechouart , 445. Les Préfages
du Regne de Louis XV. 648 à Mlle Pel-
Tiffier , 707. Les Spectacles , 857. La Table.
906. La Sageffe , 1073. Sur ces paroles Deducit
ad inferos & reducit , 1289. à M. de
la Porte , 1373. La Colique , 1497. à M de
M... 1713. Le Deprofundis , 1740. La
Beauté , 1775. La Medecine , 1937. à l'Académie
Françoife , 2177. Les progrès de la
Peinture , 229 ;. Sur le Camp de la Sône
2429. de Corneille au P. de Lidet , 2894
Ode tra fuite d'Horace. L. I. Od. XI. 685.
I. Od. I V.
Oifeau artificiel , -
Orage à Naples ,
damnée ,
L.
1342
.1642
2530.2717
Ordinations des Anglois Validité des ) con-
Orfevrie , Soleil d'argent,
P
Agi mort du P. )
me res ,
2282
135
2049
Paradoxe propofé aux Arithméticiens +2
Paris ( Plan de )
2. VOL.
1343
526. 2940
Par
DES
MATIERES 3001
Parlement ( rentrée du )
Parnafle François ,
979 2662
1156. 2669
Parthenai ( Catherine de ) Dame de Soubize ,
2930
Paume ( jeu de la ) n'eft pas deffendu aux Ecclefiaftiques
,
Peindre en gravant ( fecret de )
497
2677
Peintres ( abregé de la vie des plus célebres )
2939
494 Pelota ( ceremonie de la )
Pendule d'équation , 663. qui marque les heures
, les fignes & c. 2496. Qui fe remonte
par elle- même , 2680
Perle , 83. 365. 588. 1209. 1452. 1477. 1666
1885. 1888. 2088. 2090. 2093.2317. 2710
2731. 2969
588
Pefte de Conftantinople ,
Phenomene , lumiere Boréale vue à Montreuil
fur mer , 708 . en Canada ,
Philofophe marié ( le ) Comédie , 343. 570. critiqué
,
Pierres gravées ,
2737
1179
1175
Pilote , en quoi confifte fa fcience & celle d'un
Ingénieur , & lequel merite la préference ,
229
Plutarque ( examen d'un paffage de ) v. Huile.
Poëtes Latins ( la vie des )
Poiffons monftrueux ,
Polibe , nouvellement traduit ,
313
893
1149
Pontchartrain ( mort & éloge de M. le Chan-
2751
$ 29.741
Porcelaine , femblable à celle de la Chine ,
celier de )
Pont portatif ,
Portrait ( le ) Comédie ,
Potpouri ,
Proferpine , Opera ,
Pleaume traduit ,
2. vol.
1422
147
720
137.345
748
Q
3002
TABLE.
Q
R
R Rigord ( mort de M. )
Rondeau , Bouquet ,
S
Saci ( mort de M. de )
Uadrature du Cercle , 1769. 2212
Quakers, leur adreffe au Roi la Ri
ne d'Angleterre, 2103. Ce que c'eſt que cette
Secte , 2106
Queſtion , en quoi confifte la fcience d'un Pi
Tote & celle d'un Ingenieur , & lequel des
deux merite la préference , 229
Quichotte ( Don ) à la Cour de la Ducheffe ,
Opera ,
587
éflexions , 935. 1121. 1371. 1543. 2607 -
Roland , Opera ,
1850
2507
680
2352
Saignées ( Traité de l'ufage des differentes fortes
de )
2901
Santons de Tripoli , de Sirie , 225
Seche ( la ) Poiffon , 1431
Sel de Glauber naturel , 2615
Semontia , 924
Sepulcre ( S. ) de Jerufalem réparé , 308
Sicard ( éloge du P. ) 1981
Sincere à contre - tems ( le ) Comédie 2508
Siftême d'un Medecin Anglois , 1846
Sonet Italien traduit , 227
Souflet d'une nouvelle invention , 126
Spectacles des Anglois , 1445
Sphere mouvante ,
1099
Stances de l'Abbé de Villiers fur fa vieilleffe ,
2593. Sur l'Hyver , 2622
Surdité de naillance guérie ,
1642
Surpriſe de l'Amour ( la ) Comédie , 2957
T
Tailleries des Gobelins
Ableaux , 968. 1161. 1410; 1847. 2490
3. volo
1847
TeltaDES
MATIERES 3003
Teftament , Legs fait à Mlle Gardel déclaré
nul ,
Theatre Italien ( l'Hiftoire du )
751
1624
Tibouville la Riviere , Bourg , erreur à corriger
,
Tiridate , Tragédie ,
244
2304
Tombeau , qui fe remplit d'eau au plein de la
Lune ,
Tonnere , ( effets du ) à Fragne ,
Tortue des Indes ,
Tremblement de Terre à Palerme

928
672
2041
, 165. à Noto , 599. à Arles , 1248. à Morgan
, 2051
Triolets
913. 1574. 1757. 1792. 1991. 2015 2189 , 2198.2413
. 2449.2773
. Leur origine
,
2191. Réponse
aux Triolets
, 2396. 2887 Tripoli
de Sirie ( Moeurs
, Religion
, & c. des
habitans
de ) 220
Turene parallele de M. de ) avec le Grand
Condé ,
V
285
Aiffeaux anciens , poffibilité de plufieurs
V rangs de Rames , 637. 863. 1078. 1334
fente des Immeubles par décret ,
Yerni maftic ;
ans ,
lle
2159
3
1188
Ters , le divorce de l'Amour & de l'Himenée ,
1. Sur la Beauté , 89. Sur le Barbet d'Empes
, 91. Portrait de M , 93. Traité ent.
l'Amour , l'Hymen & la Raifon , 254
Fialate à Mercure , 262 , d'un enfant de cinq
à la Reine , 466. Sur un Tableau de
M de Largiliere , 467. à la Maréchale d'Etrées
, 481. Maximes du Quadrille , 659. La
Rofe , 668. à Mile J. P, D. M. 890. au Pere
Poncy , 1331. Sur le Bourg de Villedieu ,
1368. Le rare Dépit , 1747. Sur la Pluie
2219. Tombeau de Cathos perrique , 2441 .
àMadame de V. 2628, à deux Soeurs , Ibid.
2.201
3004
TABLE
Le Caffé , 2635. à M. l'Heritier , 2649. a
Me Baunez , 1bid. Excufe de payer deux mille
francs , 2661
899. 1132 Traduits de Catulle ,
Vefuve ( le Mont vomit des flammes , 2531
2717 2732
Vieilleffe extraordinaire , 611. 1031 1237. 1258
1902
1361
Ville-Dieu , Bourg ,
Voyage de Baile- Normandie , 1345. 2372. Au
tour du monde , 2031. à Paphos , 2850. De
Mofcovie,
1
2919
Voyages ( utilité des ) 717. du Capitaine C
liver . 627. 955. de Cyrus 2755. Crike
Y
Caractere nouveau pour ôter l'éqaly
Y qui arrive aufujet de cette Let
294. Plaintes de l'y contre l'i.
Ti.

Z Ephire & Flore Paftorale . 1883.
La Médaille du Roy , en Taille- douce , doit regarder
la page
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le