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1717, 01-03
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LE
NOUVEAU
MERCURE.
Le prix eft de 3o. f's relié e vear
8 25. fols broché.
Fanvier
1717.
Chez
A PARIS ,
PIERRE RIBOU. Quay des
Auguftins , à Image S Louis .
ET
GREGOIRE DUPUIS , rue
S. Jacques , à la Fontaine d'or.
M. D. CC. XVII
Avec Approbation & Frivilege du Roy .
THE NEW YOU
PUBLIC LIBRAN
335006
ASTOR, LENOX AND
FILDEN
FOUNDATIOMS
4005
AVERTISSEMENT.
LES perfonnes qui ſouhaiterontfaire
inférer des
Avis , ou Mémoires , adref
feront leurs paquets à M.
Ribou , à la defcente du Pont-
Neuf, à l'Image S. Loüis :
elles auront foin d'en affranchir
le port , finon ils refteront
au rebut.

L
PREFAC E.
E nouveau Mercure François
, ayant été établi pour
amufer le Public du ſpéctacle
varié des révolutions politiques,
& des nouvelles , tant civiles
, que litteraires ; la principale
attention de celui qui en eft
chargé , doit être, de fe ménager
des liaifons , & des correfpondances,
par le moyen defquelles,
il foit en état de fatisfaire au devoir
qui lui eft impofé ; c'eſt à
quoi j'ai donné mes prémiers
foins ;mais il s'en faut beaucoup
que je fois tranquile fur la foy de
Fanvier 1717.
a ij
PREFACE.
ces correfpondances . Je fçai
que pour rendre ce Livre digne
de l'eftime publique , il faudroit
que l'Auteur fut foûtenu
d'une Société choisie de Gens
de Lettres , qui vouluſſent perfévéramment
orner fon Recueil
de leurs differents travaux .
Un Ouvrage ainſi diverſifié
par les morceaux qui fe fuccéderoient
les uns aux autres ,
deviendroit fans doute un mélange
très curieux , qui ne pouroit
que plaire.
J'ai fi bien reconnu la néceffitê
d'une liaiſon pareille ,
que pour un Ouvrage pério .
dique , tel que celui - ci , dont
les termes fe touchent de fi
prés ; j'ai crû devoir engager
PREFACE.
quelques amis éclairez à m'ais
der de leurs lumieres .
Mais je croirai y avoir pourvû
encore plus efficacement
fi je puis affocier le Public
dans mon entrepriſe ; fes productions
pour lors deviendroient
les miénes , & par - là
il s'y interrefferoit , non feulement
comme Lecteur , mais
comme Auteur .
En attendant que je puiffe
mettre à profit ce que chacun
aura la bonté de me communiquer
, je lui offre ce premier
effai : quelques perfonnes affés
connues dans la République
des Lettres y ont contribué
généreufement ; & fi partie des
Piéces qui y entrent , a de quoi
aiij
PREFACE.
ne pas déplaîre , j'avouë fincerement
que je le tiens d'eux .
Oferois - je me promettre
,
que leur exemple aura des Imitateurs
, le tems feul m'en inftruira
: C'eft un fond de referve
pour moi , que je n'échangerois
pas contre tous les Porte
- Feuilles des Savants .
J'envifage à préfent l'avenir ,
comme un Livre immenſe ,
dont chaque jour fera comme
une grande feüille , dans laquelle
je trouverai prefque toûjours
écrit , quelque morceau
affés curieux , pour interreffer
mon Lecteur .
J'aurai furtout une attention
particuliere , à ne choifir
que ce qui m'en parroîtra de
PREFACE.
plus raiſonnable & de plus amufant.

Que cependant l'on ne s'attende
point, que j'aye affés de docilité
pour fervir les paffions & les
reffentimens de qui que ce foit.
Tout Satyrique perfonel ,
Piéces licentieuſes Portraits
trop reffemblants , Ecrits injurieux
,Applications offenfantes ,
& générallement tout ce que
l'on foupçonnera de trop picquant
, feront , fans nul égard ,
rejettés de ce Livre.
On n'y inférera que ce qui
être communement lû
poura
& entendu .
Sans ces fecours malins , ne
peut - on intereffer la curiofité
par d'autres endroits .
á iiij
PREFACE.
Poëme , Critique , Differtations
, Fables , Contes & Hiftoriettes
; Extrait d'Hiftoires ,
de Romans , de Voyages ,
Aventures , Relations , Lettres
curieuſes , Découvertes nouvelles
, Expériences ; Piéces de
Théatres , Edits , Déclarations ,
Plaidoyers , Factums , Difcours
facrés & profanes , Nouvelles
publiques & particulieres , Piéces
originales , Dialogues , Généalogies
, Morts , Mariages ,
Queſtions , Problêmes jufques
à l'Enigme & la Chanfon ,
font du reffort du Mercure
& entrent naturellement & de
droit dans fon appanage
.
>
De forte que ce Livre , une
fois bien apprécié , eft comme
PREFACE.
un magafin public , où l'on
doit trouver fous la main , toutes
les nouveautez du tems .
Il faut que la vigilance de
l'Auteur à raffembler ce qui
s eft paffé de plus remarquable
pendant le mois , exempte
chaque particulier du foin qu'il
fe donnoit de recueillir les Piéces
fugitives , & qu'il s'en remette
à fa diligence.
On cite encore aujourd'huy
avec éloge l'ancien Mercure
François, compofé par J.Cayer ;
on a raiſon ; on reconnoît que
cet Ecrivain étoit exactement
informé de tous les événemens
les plus confidérables , qu'il a
prefque tous fondés fur des
Piéces originales .
PREFACE.
Je te donne , avertit - il , dans
fa Préface , toutes les chofes les
plusremarquables , avenuësdepuis
Pan 1604 , lesquelles mon Meffager
, que j'appelle Mercure François
, m'a apportees des quatres
parties du monde , en diverfes
langues , & quej'ai faites Frangoifes
à ma mode,le plus fuccinctement
que j'ai pû.
>
L'Ouvrage entier contient
25 vol . in - 8º commençant
depuis l'année 1605 , jufques à
la fin de 1644.
Ces Mémoires ainfi compilés
à la fin de chaque année
, devoient être d'autant
plus recherchés , que l'on ne
connoiffoit point alors les Gazettes
dont on doit l'infti-
>
PREFACE.
.
tution au célébre Monfieur
Renaudot.
Tel eft le Mercure de Victorio
Siri, dont les huit premiers
vol . in-4° intitulés , Memorie
reconditè , c'eft- à dire Mémoires
fécrets , reprennent les affaires
généralles depuis 1601 juſques
en 1640
Ces Mémoires furent fuivis
de quinze autres vol . in- 4® , ſous
le titre de , il Mercurio è vero
hiftoria de tempicorrenti ; c'eſt- à--
dire , l'Hiftoire de fon temps
depuis l'an 1635 , jufques en
1650 , mais ces deux Ouvrages
doivent être plûtôt confidérés ,
comme des corps d'hiftoires
univerfelles de leur fiécle ,
que comme des Journaux femPREFACE.
blables à ce nouveau Mercure
Celui- ci eft un Livre de tous
les mois , qui doit avoir pour
objet principale , d'égayer plûtôt
l'efprit par la légèreté des
matiéres , que de l'accabler
par des narrations hiftoriques
circonftanciées
.
&
trop
C'est ce qui détermina M. de
Vifé à le qualifier du nom de
Mercure Galant : comme le cours
d'une année auroit paru trop
long , pour répondre à l'impatience
de la Nation , il s'impofa
le pénible employ de le donner
au commencement de chaque
mois. Tout concouroit pour
lors à lui rendre ce projet d'une
facile execution ; les beaux efprits
de fon fiécle , tels que le
PREFACE .
*
,
Duc de S. Aignan , les Piliffens ,
Pavillons , Benferade , la Fontaine
, la Comteffe de la Sufe
M. Deshouliers & Mile
Scudery , &c . s'empreffoient
avec émulation à lui fournir
leurs Productions ; & les Armes
de la France profpérants de
toutes parts , il ne falloit pas
faire de grands efforts pour
remplir fon engagement au
terme prefcrit : auffi convienton
que les Recueils des cinq ou
fix premieres années qui ont le
moins couté à cet Auteur ,
font cependant à préfent les
plus recherchés ,
Dans la fuite , l'eftime que
l'on faifoit de ces Collections ,
ayant baiffé infenſiblement par
PREFACE.
l'alliage du mauvais avec le
bon , le bon s'en eft féparé ,
& le mauvais eft refté .
On crût pouvoir s'en paffer ,
en y fubftituant des Amplifi
cations de Gazettes , on pouffoit
les détails juſques aux minuties
; de forte que le Lecteur
inftruit par avance de ce qu'il
alloit lire , n'avoit pas fouvent
le courage d'en voir la fine
Ainfi une fine & délicate
Critique de quelque Livre
nouveau , ou de quelque Piéce
de Théatre , parroiffoit trop
fortir du ton ordinaire , pour
Y être inférée , on trouvoit qu'il
étoit plus à propos d'y placer
des louanges rebatuës & ufées ,
que de flater le goût des honPREFACE.
nêtes
gens , par des morceaux
de recherche .
Cette maniere de procéder ,
rebuta bientôt les perfonnes
à talents , d'hazarder leurs Piéces
au Tribunal du Mercure,
Il n'y eut plus que des Ecrivains
obfcurs & inconnus , qui
follicitaffent les Directeurs de
cet Ouvrage , de leur permettre
d y enregiſtrer leurs fades compofitions.
Il s'eft maintenu juſques à
ce jour dans cet état de décri ,
& je ne fçai fi je dois affez préfumer
de moi même , pour devoir
efpérer que je l'en retirerai.
Si pour le remettre en hon .
neur , il ne faut qu'entretenir
PREFACE.
des correfpondances , tant dans
les Païs Etrangers , que dans les
principalles Villes du Royaume,
inviter les gens de Lettres
à me fournir des fecours , &
furtout m'appliquer à être régulierement
informé de ce qui
fe paffe fur le grand Théatre
de Paris. Je puis prefques répondre
que j'en renderai par
la fuite un fidel compte .
Selon ce plan , à mesure que
ce nouveau Mercure ira en
avant , il doit faire de nouvelles
acquifitions au profit du
Lecteur ; ce fera ma faute , je
l'avoue , s'il décline , au lieu
d'augmenter.
LE
LE
NOUVEAU
MERCURE.
DISSERTATION
SUR
LE
POEME
EPIQUE
PAR - MONSIEUR L'ABBS DEPONS.
CONTRE LA DOCTRINE DE MADAME DACIER
3 M
ADAME Dacier vient
de donner au Public la
traductionFrançoife de
POdiffée, foûtenue de remarques
Fanvier 1717.
B
2 LE NOUVEAU
utiles ; les unes hiftoriques , les
autres admiratives ; & le tout
du ton de fon Iliade . Je fuis
bien édifié de voir , que la révolte
des modernes conféderés
contre Homere , n'ait point
ébranle le courage de fa génereuſe
Interpréte ; elle fait tête
aux rebels dans une Préface ,
que fon parti regarde , comme
un chef- d'oeuvre dans le genre
Apologétique ; il ne faut pas s'imaginer
qu'elle fe faffe un devoir
d'y combattre aucune des
accufations , dont Mr l'Abbé
Terraffon a chargé le Chintre
d'Ilion ; ces accufations lui paroiffent
de nature à devoir tomber
d'elles - mêmes ; elle n'a
donc pas jugé à propos de les
MERCURE.
·3
relever : elle fait mieux , elle
les expie abondamment par les
loüanges les plus hautes , que
fon zele religieux prodigue à
l'offenfé dans tout le cours de
fa Préface .
Cette Préface eft diftribuée
en quatre parties . Dans la premiere
, aprés avoir tracé de fon
mieux, les régles du Poëme Epique
,
fuivant la Doctrine du
grand Ariftote , Madame Dacier
applique ces principes à nos
Romans & à nos Poëmes François
; de cette application il réfulte
, que nos Auteurs s'en font
écartez , d'où Madame Dacier
conclut , que nos Poëtes &
nos Romanciers ont méconnus
les régles du Poëme Epique
Bij
4 LE NOUVEAU
dictées par Ariftote .
Il me femble que Madame
Dacier fait ici une dépenfe affés
inutile . Elle fe fatigue à
prouver que nos Poëtes fe font
écartés de laDoctrine d'Ariftote.
Perfonne ne lui contefte ce fait ;
mais de ce fait même , elle en
conclut , un peu témérairement,
Ce me femble , que nos Poëtes
ont méconnus ces prétenduës
régles par eux violées . Madame
Dacier ne conçoit pas comment
un Poëte , qui auroit connu la
Poëtique d'Ariftote , auroit pû
ne pas fe laiffer entraîner au
charme de fes dogmes.
Mais examinons un peu ces
dogmes fi facrés pour Madame
Dacier. Comment nous défMERCURE.
ni- t'on le Poëme Epique ?
Le Poëme Epique , eſt un Difcours
entier en Vers , inventépour
former les maurs par des inftructions
déguisées fous Fallégorie
d'un action generale & des
plus grands perfonnages.
Voilà une définition appliquable
à une espéce particuliere
de Poëme Epique ; dans les vûës
de Madame Dacier , voilà l'Iliade
& l'Odiffée : mais ce n'eft
point là la définition du genre ,
enforte que tout Poëme , pour
être appellé Epique , doit avoir
la forme de' l'Iliade ou de l'Odiffée
, comme Madame Dacier
veut le penfer.
Poëme , eft un mot générique.
Il fe divife en deux eſpé6
LE NOUVEAU
ces l'une eft l'Epique , l'autre
le Dramatique .
Le Poëme Dramatique eft celui
dans lequel le Poete fait
parler les perfonnages de fon
action , fans leur prêter fon organe
comme relat ur. Telles
font les Piéces de Théatre , Comedies
, Tragédies , Eglogues
& autres Ouvrages en forme de
Dialogue.
Le Poëme Fpique , eft celui
dans lequel le Poëte eft relateur
de l'action ; tels font l'Iliade ,
la Pharfale , les Métamorphofes
, les Romans , les Eglogues &
indiftin &tement tous Ouvrages
dans lesquels le Poëte eft rela-
-teur.
Rendons cela fenfible à la faMERCURE.
7
c
veur des exemples . Les Eglogues
de Virgile font des Poëmes
, voilà le genre. Les unes
font Epiques , te les que fa
quatrième , où le Poëte eſt luimême
narrateur des merveilles
annoncées par la Sibille . Les
autres font Dramatiques , telles
que la troifiéme où des Bergers
fourniffent l'action par un dialogue
alternatif.
Cela étant bien entendu >
continuons , & difons que , de
même que le Poëme Dramatique
fe fubdivife en différentes
efpéces , qui confervent toujours
la dénomination générique
; il en eft de même du
Poëme pique.
Lorſque l'action du Poëme
8 LE NOUVE AU
Dramatique eft grande , & fe
paffe entre des hommes illuftres
, comme dans la Tragédie ;
on l'appelle Héroïque . Quand
l'action eft fimple & familiere
& fe paffe entre des Bergers
on l'apelle Paſtoral . Mais l'Eglogue
dialoguée , telle que la
troifiéme de Virgile , n'eft pas
moins un Poëme Dramatique ,
que la Tragédie d'Andromaque
.
Raifonnons de même du
Poëme Epique, & difons , que
la quatrié ne Eglogue de Virgile,
où le Poëte parle feul , n'eft
pas moins un Poëine Epique ,
que l'Iliade d'Homere , & que
ces deux Poëmes différent feu-
Tement , en ce que le dernier
cft
MERCURE.
eft dans l'efpéce Héroïque ;
l'autre dans l'efpéce Paſtorale .
Que ferons - nous à préfent
de la définition que Me Dacier
nous offre du Poëme Epique 2
Commençons par lui dire , que
cette définition n'eſt pas recevable
pour le Poëme Epique en
general ; nous verrons dans la
fuite , fi nous la devons adopter
pour l'efpéce de Poëme
Epique que nous venons d'appeller
Héroïque .
Les Erudits font comme les
Médecins , ils ont un idiome
incommunicable au vulgaire ,
ce qu'ils feroient aifément
comprendre en ufant des expreffions
reçûës , ils le rendent
in- intelligible par l'employ de
Fanvier 1717.
C
10 LE NOUVEAU
termes ignorés , qui ont euxmêmes
befoin d'être définis .
Qui ne croiroit, en entendant
la définition que Mde . Dacier
nous donne du Poëme Epique ,
qu'il y a d'importans myfteres
renfermez dans ces grands
mots , d'Inftructions déguisées
Sous l'allégorie d'une action génerale
, & desplus grands perfonnages
; furtout ce mot , d'Action
générale , èft bien embarraſſant
pour qui n'en a pas la clef;
nous allons voir à quoi tout
cela fe réduit , dépouillé de
fon fafte ténébreux
Parlons la langue que tout
le monde entend ; les matieres
que nous traitons ici , ne méritent
pas l'honneur du myftere .
MEECURE.
Il s'agit de fçavoir ce que
c'eft qu'un Poëme Epique Hé.
roïque ; un exemple va nous
en déveloper tout le Dogme :-
Feignons donc un Poëme dans
ce genre , en fuivant le procédé
de M. Racine.
Titus devenu maître d'époufer
Berenice , après la mort de
Vefpafien , fe fépare d'elle , &
facrifie le plus violent amour
à l'honneur de fon Trône , &
au refpect qu'il doit aux Romains.
Cette action de Titus me
frappe en grand ; j'en fais le
fujet de mon Poëme.
Ce fujer une fois choifi ; fi
l'on me demande dans quelle
efpéce fera mon Poëme Epi-
Cij
12 LE NOUVEAU
que ; je réponds qu'il fera dans
l'efpéce Héroïque , parce que
l'action par moi choifie , eft
grande , & qu'elle fe paffe
entre des perfonnes illuftres .
Je n'ai encore que le fujet
je veux donner à mon
Poëme une certaine étenduë .
J'imagine un tiffu ingénieux
d'événemens
, & de motifs qui
conduisent nos Amans à la féparation
douloureufe
& magnanime
, qui est mon objet : Ce
tiffu ingénieux eft appellé la
Fable du Poeme ; faifons notre
Fable : La voici .
du Dans les derniers temps
Regne de Vefpafien , Titus
fon fils devint éperdument
amoureux de Berenice Reipe
MERCURE.
13
de Paleſtine . Il n'oſa fe flater
que fon pere pût agréer qu'il
époufa cette Reine , tant un
pareil Hymenée étoit au- deffous
de l'héritier del'EmpireRomain;
il dulumula donc les conſeils
que lui donnoit fa paffion ; mais
Vefpafien étant mort , Titus fe
vit maître d'affocier fonAmante
à l'Empire..
Il employa les premiers jours
de fon Régne à méditer dans
la retraite , fur les devoirs attachez
au rang fupréme ; il s'en-
Alama de la paffion d'être un
jour les délices du genre humain.
Que deviendra Berenice ?
Vefpafien n'est plus , mais Titus
eft Empereur : La haine
vouée par les Romains au Sang
C iij
'4
LE NOUVEAU
des Rois , l'orgueil du Trône
des Céfars. Voilà de plus grands
obftacles.
Tandis qu'une foule idolatre
flate les voeux de Berenice ;
tandis que de lâches Courtifans
prévoyans fa grandeur
prochaine , viennent briguer fa
faveur; Titus s'arme contr'elle ,
des confeils d'un ami généreux ,
qui lui repréfente combien fon
alliance avec Berenice feroit
détestée de tout l'Empire ; il
lui met fous les yeux cette Loi .
inviolable , qui deffend aux
Romains toute alliance avec les
Rois : Il lui fait fentir enfin
ombien il lui feroit honteux
l'enfreindre la plus facrée des
oix Romaines , en montant
MERCURE.
35
au Trône d'où il doit les faire
respecter .
Titus affermi par ces Confeils
, fe détermine à voir Berenice
, pour rompre avec elle
tous engagemens & l'écarter
de la Cour.
L'Amante infortunée , qui
n'a rien foupçonné du coup
qui la menace , voyant paroître
Titus , le prévient par les empreffemens
les plus vifs ; les
larmes de joye qu'elle répand
à fa vûë, défarment fon courage.
Titus déconcerté foûpire ; il
attache fes yeux éperdus fur
la Reine , & n'a pas la force
de parler ; elle lui demande
avec les démonftrations les plus
endres , qu'elle eſt la cauſe
C iiij
16 LE NOUVEAU
de
de fon trouble ; Titus percé de
douleur , quitte Berenice & fe
retire dans fon Appartement .
L'ami généreux de Titus
lui pardonne un torrent
Jarmes , qu'il verfe fur le fort
de fa chere Berenice ; il doit
cette indulgence à l'Amant ,
mais il eft comptable à l'Empereur
d'un autre hommage ;
bientôt il allume dans l'ame
Héroïque de Titus , une paffion
plus délicieuſe encore que celle
qu'il fe propofe d'éteindre ; il
l'occupe du fpectacle raviffant
du monde entier , béniſſant le
Ciel , de lui avoir donné un
maître felon les voeux .
Titus a reprit tout fon courage
, mais il ne veut plus le
MERCURE. 17
commettre au danger où il a
fuccombé ; il charge fon Ami
d'annoncer la fatalle nouvelle
à Berenice .
Depuis que Titus l'a quittée ,
elle n'a pas ceffé de gémir ,
quoiqu'elle ne foupçonna rien
encore des deffeins de l'Empereur
; enfin l'Ami de Titus lui
révéle l'affreux myftere , & lui
dicte l'ordre funefte de quitter
la Cour.
La Reine demeure quelque
temps immobile , & comme infenfible
à ce récit . La douleur
qui la pénétre jufques au fonds
de l'ame , tarde quelque temps à
éclater au dehors : elle charge
froidement l'Ami de Titus d'affûrer
l'ingrat , qu'elle fçaura
8 LE NOUVEAU
obeïr à fes ordres .
Bien -tôt le Palais retentit
des cris funébres de la Reine
défefpérée ; on cft occupé à lui
êter les moyens de s'arracher
Titus frapé à mort, la vie • ·
& ne pouvant foûtenir le défelpoir
de fa chere Berenice
vient la trouver , & après avoir
effuyé les reproches les plus
pénétrans , il lui déclare qu'elle
ne doit plus penfer à fon Hymenée
, parce qu'il eft incompatible
avec l'Empire : Il ajoure
qu'il ne fera pas affés lâche
pour quitter le rang fupréme , &
pour la fuivre dans la Paleſtine ;
qu'elle rougiroit elle - même de
l'indignité de fon Efclave , que
tout ce qu'il peut faire pour
C
MERCURE. 19
elle , fans fe deshonnorer ,
c'eft de mourir , qu'il eft réfolu
de verfer fon fang à fes yeux ,
fi elle ne lui promet pas de
refpecter les propres jours , fi
elle ne fe fent pas le courage
de commander à ce défeſpoir
dont il nepeut foûtenir l'image.
Berenice qui croyoit Titus infidéle
, s'apperçoit qu'elle er
eft violemment aimée ; cela
fuffic pour calmer les douleurs ,
elle admire la haute vertu du
jeune Empereur. La gloite de
Céfar lui devient chere ; elle
s'arme de tout fon courage ;
fait taire fon amour , & fe retire
dans fes Etats.
Voilà la Fable de notre Poëme
:On voit donc ce que j'ai
20 LE NOUVEAU
voulu dire , lorfque je l'ai définie.
Le tiffu ingénieux des événements
, & des motifs qui conduifent
à l'action que le Poëte
s'eft proposé de célébrer . 1
Cette Fable que nous venons
de propofer pour exemple , eft
des plus fimples ; je l'ai choi
fie telle exprés , parce que la
propofant plus compofée , elle
nous auroit mené stropy loin.
Mais toute fimple qu'eft celleci
, on pourroit la rendre impléxe
, par
fodes .
le moyen des Epi-
J
Un Epiſode eft la partie d'une
Fable impléxe , qui fe lie heu.
reufement à l'action principale
du Poëme ; mais qui n'y eſt pas
abfolument néceffaire . Tel eft
MERCURE
. 21
l'Epiſode d'Antiochus
Roy de
Comagene, queM Racine introduit
dans fa Tragédie de Titus .
Nous l'avons ob nis dans notre
Fable , qui marche à fa fin ſans
fon fecours .
Les Epiſodes font d'une
grande reffource dans les Poëmes
, foit Epiques , foit Dramatiques
; mais il faut prendre
garde , qu'ils ne détournent
point trop l'attention voüée à
l'action principale ; car alors
ils opérent ce qu'on appelle duplicité
d'action & d'interêt .
Parlons à préfent des Carac
téres , des Sentiments , & des
Moeurs du Poëme . Les Docteurs
Litteraires , qui ont pris
Leut Licence chez Ariftote , y
22 LE NOUVEAU
trouvent de grands myſtéres ;
ils fe tourmentent fort , fouvent
même en vain , pour les
développer dans l'Idiome confus
de leur maître ; il n'y a pourtant
rien dans tout cela de fi
merveilleux. Continuons à parler
notre Langue.
Caractères dans le Poëme .
Les actions que l'on fait faire
à un perfonnage ; les motifs
qu'on donne à fes actions
les fentiments qu'on lui préte ,
en le faifant parler : tout cela
réüni , conftituë fon caractére
dans le Poëme. Par exemple ,
L'action de renvoyer Berenice
dans les Etats , la pouvant éle
MERCURE.
23
ver à l'Empire , n'eſt pas préci
fément ce qui caractérife Titus
dans notre Fable : il faut aller
chercher les motifs de cette
action , & les fentiments généreux
qu'il oppofe aux confeils
du plus violent Amour. Si nous
avions fuppofé la paffion de
Titus refroidie au moment
qu'il renvoye Berenice , il n'y
auroit eu rien d'extraordinaire
dans fon action , fi d'autre part ,
en lui laiffant la paffion la plus
violente , nous lui avions fait
chaffer Berenice par un motif
bas ou déraisonnable , nous refuferions
encore notre admiration
à un acte de courage
que la raifon ne pouroit adopter.
Nous avons donc donné à
24 LE NOUVEAU
cette action de Titus , le motif
du devoir & de l'honneur ;
nous avons fuppofé à Titus les
Sentiments du plus violent Anour
que fon courage furmonte
; l'action de Titus eft illuftre
, Titus eft grand ; il entraîne
notre admiration .
: Il ne nous refte rien à dire
fur ce qu'on appelle les Sentiments
dans le Poëme ; ils font ,
comme nous venons de voir
les expreffions du caractére
des perfonnages . Paffons aux
moeurs.
Meurs dans le Poëme.
Le devoir moral du Poëte
' est autre que de peindre la
vertu
MERCURE.
25
vertu avec les couleurs propres
à la faire chérir , & de ne faire
grace au vice d'aucun des traits
qui peuvent le faire détefter ...
Qu'on faffe agir dans un même
Poëme des Heros vertueux &
vicieux concurremment ; loin
que ce genre de Poëme foit
moins favorable aux moeurs ,que
celui dont nous avons tracé l'e-
-xémple , il pourra donner
une leçon morale beaucoup
plus complete. Le Poëte frapé
de l'éclat des Héros vertueux
qu'il fait agir , appelle à eux
Tadmiration & Famour , lorfque
fes perfonnages vicieux fe
montrent , on les voit porter
les fignes de fa haine , chacun
fouferit au jugement du Poëte ,
Fanvier 1717.
Ꭰ .
26 LE NOUVEAU
& cette horreur générale eſt un
nouveau Triomphe pour la
vertu .
Le bon Homere que le peuple
érudit vante fi fort , pour
avoir furtout excellé dans la
fcience morale , eft de tous les
Poetes Epiques , celui qui a porté
les plus faux jugements des
ctions particulieres de fes Héos
; M. de la Motte a cru deoir
remedier à ce fcandale
lans fon Iliade Françoiſe . Il
ft bon d'en citer un Exemple
feulement .
Achile après avoir tué
Hector , l'attache à fon Char .

i quel excés alors , la vengeance l'égare ;
n'eftplus un Héros , c'eſt un Tigre barbares
MERCURE. 27
>
Il infulte au cadavre , il lui perce les pieds
Quidefa mainfanglanie, àſonCharfont liés .
La téte indignement trainoit dans la pouſſiere:
Sleil à tantd'horreur , prêtes - tu ta lumiere
Jupiter en fremit , & ne voit qu'à regret ,
S'accomplir du deftin , l'infléxible décret ;
Ainfi le Char cruel ', traverſe la Campagne ,
La vengeance leguide , & l'horreur l'accom
pagne.
On voit iti que M. de la
Motte ne met pas fur le comde
la vertu & du courage
pte
d'Achile le traitement bar
bare que ce Héros fait au cadavre
d Hector.
>
C'est une action éclatante &
mémorable pour le bon Homere
; mais auffi , dira quelque
Scoliafte , de quoi s'eft avifé
Cij
24
LE
NOUVEAU
6
cette action de Titus , le motif
du devoir & de l'honneur ;
nous avons fuppofé à Titus les
Sentiments du plus violent Ainour
que que fon courage furmonte
; l'action de Titus eft illuftre
, Titus eft grand ; il entraîne
notre admiration .
Il ne nous refte rien à dire
fur ce qu'on appelle les Sentiments
dans le Poëme ; ils font ,
comme nous venons de voir
les expreffions du caractére
des perfonnages . Paffons aux
moeurs.
Meurs dans le Poëme.
Le devoir moral du Poëte ,
' eft autre que de peindre la
vertu
MERCURE.
25
vertu avec les couleurs propres
à la faire chérir , & de ne faire
grace au vice d'aucun des traits
qui peuvent le faire détefter ...
Qu'on faffe agir dans un même
Poëme des Heros vertueux &
vicieux concurremment ; loin
que ce genre de Poëme foir
anoins favorable aux moeurs, que
celuidont nous avons tracé l'e-
-xémples il pourra donner
une leçon morale beaucoup
plus complete. Le Poëte frapé
de l'éclat des Héros vertueux
qu'il fait agir , appelle à eux
Fadmiration
& Famour , lorf- •
que fes perfonnages
vicieux ſe
montrent , on les voit porter
les fignes de fa haine , chacun
fouferit au jugement du Poëte ,
Fanvier 1717 .
Ꭰ .
م ت
26 LE NOUVEAU
& cette horreur générale eſt un
nouveau Triomphe pour la
vertu .
peu- Le bon Homere que le
ple érudit vante fi fort , pour
avoir furtout excellé dans la
fcience morale , eft de tous les
Poetes Epiques , celui qui a porté
les plus faux jugements des
ctions particulieres de fes Héos
; M. de la Motte a cru deoir
remedier à ce fcandale
lans fon Iliade Françoiſe . Il
ft bon d'en citer un Exemple
feulement .
$
tué
Achile après avoir
Hector , l'attache à fon Char .
I quel excés alors , la vengeance l'égare ;
n'eftplus un Héros , c'eft un Tigre barbares
MERCURE. 27
Il infulte au cadavre , il lui perce les pieds ,
Quide fa main fanglan: e, àſonChar ſont liés .
La téte indignement trainoit dans lapoufiere:
Sleil à tant d'horreur , prétes-tu ta lumiere ;
Jupiter en fremit , & ne voit qu'à regret ,
S'accomplir du deftin , l'infléxible décret ;
Ainfi le Char cruel ', traverſe la Campagne ,
La vengeance leguide , & l'horreur l'accom
pagne.
On voit iti que M. de la
Motte ne met pas fur le compte
de la vertu & du courage
d'Achile
, le traitement bar
bare que ce Héros fait au cadavre
d Hector .
C'est une action éclatante &
mémorable pour le bon Homere
; mais auffi , dira quelque
Scoliafte , de quoi s'eft avifé
Cij
28 LE NOUVEAU
M. de la Motte , de vouloir réformer
la Morale des tems Héroïques
.
Ön étend communement au
delà de ces bornes , le devoir
moral des Poëtes , foit Epiques,
foit Dramatiques ; on veut
qu'ils difpofent leurs Fables ,
de maniere , que les perfonnages
vicieux de leurs Poëmes
fuccombent au gré de la haine
générale ; j'aime les Fables de
ce genre. Je me garderai pourtant
bien de foufcrire au fentiment
de ceux qui réprouvent
toute Fable , dans laquelle le
Héros vertueux feroit opprimé.
La Tragédie de Britannicus eft
de ce genre : la vertu y fuccombe
on verfe des pleurs fur
MERCURE. 29
un Prince digne d'un meilleur
fort , mais le fpectateur ne foupçonne
pas que le vice triomphe.
L'état où M. Racine repréſente
Neron après fon crime , déchiré
de remords , voulant attenter
fur fa propre vie , invefti
de la haine public , détéfté
d'Agrippine , de Burrhus même;
tout cela fatisfait l'horreur vengereffe
du fpectateur ; il ne
voudroit point à ce prix du
Thrône & de la vie que le
Poëte a la févérité de laiffer à
Neron .
Il y a donc moyen de faire
périr le Héros vertueux dans le
Poëme Epique , fans bleffer la
morale ; la Tragédie citée , en
30 LE NOUVEAU
eft la preuve. Car je ne penfe
pas qu'il y ait d'homme affés
déraisonnable , pour prétendre ,
que le Poeme Epique foit par
fa nature refferré dans des limites
plus étroites que le Dramatique
.
La conduite que Dieu tient
à l'égard des hommes , ne nous
doit affecter d'aucun fcandale ;
fa juftice étend fes droits fur
nous au delà de cette vie : n'héfitez
donc point à donner dans
un Poeme , le fpectacle attendriffant
d'un homme vertueux
fuccombant fous les traits des .
méchants ; nous verferons des
pleurs fur fa mort , ces pleurs
même vous attefteront notre
amour pour lui ; le vice triomMERCURE.
31
phant fera l'objet de notre
excécration . Les meurs de votre
Poëme font bonnes ; le devoir
moral y eft parfaitement
rempli.
des
Par le mot de Maurs , on
entend quelquefois parler des
Ufages , des Coûtumes
Préjugés , qui varient chez les
différents peuples . Ainfi l'on
appelleroit fauffes , les moeurs
d'un Poëme , dans lequel un
Auteur auroit transferé aux Romains
, les Uſages , les Coûtumes
, le Culte religieux , & tous
les préjugez des Grees .
Le mot de Meurs , appliqué
finguliérement aux perſonnages
tu Poëme , n'eft autre chofe,
que les penchants habituels ,
32 LE NOUVEAU
& les fentiments , qui conftituent
le caractére du perfonnage.
Voilà à quoi fe réduit fa
doctrine du Poëme Epique,
Que dif-je ? nous n'avons pas
fait encore ? Il nous refte une
queftion importante à traiter.
Que penferoit de nous M
Dacier ? fi nous n'avions ofés
commettre à fon exemple notre
jugement fur la fin générale
du Poëme Epique ?
Me Dacier fait honneur à
ce genre d'Ouvrage , du feul
deffein de former les moeurs :
elle s'appuie de l'exemple des
Poëmes d'Homere , où elie
trouve une inftruction continue .
J'avoue humblement que je
ne
MERCURE.
33
ne vois rien de fi édifiant dans
les Poëmes d'Homere . Je ne
erois pas , à beaucoup près ,
qu'on
'on le trouvât bien de les
ériger en Ouvrages Moraux .
Mais , quand même l'Iliade
& l'Odiffée ne
pêcheroient pas
contre le devoir inoral , comme
nous l'avons prétendu , on n'en
devroit pas conclure ? que le
Poete ne fe fut propofé , que
la fin d'inftruire.
Racine n'a point bleffé , la
morale dans fes Tragédies ; je
vois bien des gens qui les envifagent
comme des Poëmes favorables
aux inours ; mais ils
ne font
pas pour cela honneur
à Racine , de ne s'être propofé
aucune autre fin que l'inftruc-
E
Fanvier 1717.
34 LE NOUVEA
tion . La fin generale que s'eft
propofée Racine dans fes Tragédies
, c'eft le plaifir de fes
Auditeurs : il a donc voulu plaire
, en excitant dans les ame's
ces émotions vives , qui naiffent
de l'admiration , de la compaffion
, de la terreur.
Mais comme le deffein de
plaire , preferit au Poëte le devoir
de refpecter l'infint général
, de ne point s'écarter des
idées morales répandues chezles
hommes , dont il veut emporter
les fuffrages ; dela ' vient
que l'attention aux moeurs entre
dans l'ordre des moyens qu'il
juge propres à le conduire à
fa fin générale .
Je crois donc que
dans tous
MERCURE.
35
Poëmes , foit Epiques , foit Dramatiques
, indiftinctement , les
Poëtes fe propoſent pour fin
générale , le deffein de tirer
l'homme de l'ennui qui le confume
, lorfqu'il eft inoccupé .
L'homme inoccupé , c'est - àdire
, l'homme livré à la feule
confidération de fon être perfonnel
, éprouve deux fentiments.
habituels , également triftes ;
l'un eft le fentiment de fon infortune
, il ale défir d'un bonheur
vague qui le fuit ; l'autre
eft le fentiment de fa baffeffe :
Il voudroit être grand & important
, il fe trouve petit &
méprifable . De ces deux fentiments
qui l'obfédent perfévéremment
naiffent la langueur
E ij
36 LE NOUVEAU
& le découragement de fon
efprit ; c'est ce que nous appellons
ennui .
C'est donc pour échaper à
cet ennui , que l'homme fe fuit ,
pour ainsi dire , lui- même , &
cherche à s'occuper d'objets
étrangers ; mais ces objets étrangers
ne l'occupent agréablement
, qu'autant qu'il y trouve
des rapports qui lui font illufion
fur fon malheur & fur fa
petiteffe ; que l'on me paffe
mes fuppofitions , je réponds
à toutes difficultez .
Si l'on me demande pourquoi
je fuis fi voluptueuſement ému
d'une action vrayement grande ;
pourquoi les fentiments fublimes
, les expreffions hautes de
MERCURE .
37
courage & de vertu , dans les
Poëmes & autres Ouvrages
tranfportent mon ame , & lui.
caufent ces fecouffes vives qui
lui font fi cheres ?
Je réponds , que j'éprouve
alors le fentiment de ma propre
excellence . Je fens en
moi les refforts de cette vertu ,
dont l'excés m'a étonné. J'admire
le Héros que je viens de
voir agir , mais je m'applaudis
d'éprouver des fentiments conformes
aux fiens .
Delà vient l'interêt tendre
qui m'attache à lui . Je lui dois
la découverte de ma propre
grandeur ; je lui fuis comptable
de ma reconnoiffance.
Si l'on me demande enfuite
E lij
34 LE NOUVEAU
1
tion. La fin generale que s'eft
propofée Racine dans fes Tragédies
, c'eft le plaifir de fes
Auditeurs: il a donc voulu plaire
, en excitant dans les ame's
ces émotions vives , qui naiflent
de l'admiration , de la compaffion
, de la terreur .
>
Mais comme le deffein de
plaire , preferit au Poëte le devoir
de refpecter l'inftint général
, de ne point s'écarter des
idées morales répandues chezles
hommes , dont il veut emporter
les fuffrages' ; dela ' vient
que l'attention' aux moeurs entre
dans l'ordre des moyens qu'il
juge propres à le conduire à
fa fin générale.
9
Je crois donc que dans tous
MERCURE.
35
Poëmes , foit Epiques , foit Dramatiques
, indiftinctement , les
Poëtes fe propofent pour fin
générale , le deffein de tirer
l'homme de l'ennui qui le confume
, lorfqu'il eft inoccupé .
L'homme inoccupé , c'eſt- àdire
, l'homme livré à la feule
confidération de fon être perfonnel
, éprouve deux fentiments
habituels , également triftes ;
l'un eft le fentiment de fon infortune
, il ale défir d'un bonheur
vague qui le fuit ; l'autre
eft le fentiment de fa baffeffe :
Il voudroit être grand & important
, il fe trouve petit &
méprifable . De ces deux fentiments
qui l'obfédent perfévéremment
naiffent la langueur
E ij
36 LE NOUVEAU
1
F
& le découragement de fon
efprit ; c'est ce que nous appellons
ennui.
C'est donc pour échaper à
cet ennui , que l'homme ſe fuit , fe
pour ainsi dire , lui - même , &
cherche à s'occuper d'objets
étrangers ; mais ces objets étrangers
ne l'occupent agréablement
, qu'autant qu'il y trouve
des rapports qui lui font illufion
fur fon malheur & fur fa
petiteffe ; que l'on me paffe
mes fuppofitions , je réponds
à toutes difficultez .
Si l'on me demande pourquoi
je fuis fi voluptueufement ému
d'une action vrayement grande ;
pourquoi les fentiments fublimes
, les expreffions hautes de
74
1
MERCURE.
37
courage & de vertu , dans les
Poemes & autres Ouvrages,
tranſportent mon ame , & lui .
caufent ces fecouffes vives qui
lui font fi cheres ?
Je réponds , que j'éprouve
alors le fentiment de ma propre
excellence . Je fens en
moi les refforts de cette vertu ,
dont l'excés m'a étonné . J'admire
le Héros que je viens de
voir agir , mais je m'applaudis ,
d'éprouver des fentiments conformes
aux fiens .
Delà vient l'interêt tendre
qui m'attache à lui . Je lui dois
la découverte de ma propre
grandeur ; je lui fuis comptable
de ma reconnoiffance.
Si l'on me demande enfuite
E iij
38 LE NOUVEAU
pourquoi l'on me fait plaifir ,
en excitant en moi la terreur,
& la compaffion ; fentiments
triftes , affections douloureuſes :
Par exemple , fi le Héros vertueux
fur qui j'ai épuifé mon admiration
, fe trouve en péril , je
tremble pour fes jours ; s'il fuccombe
au péril , je pleure fa
difgrace. Pourquoi éprouvai-je
une fecréte joye en verfant ces
pleurs fignes ordinaires de la
douleur. D'où vient cette confolation
intime , qui me rend délicieux
, le trouble que j'éprouve ?
Nous avons déja vû par la
réponse à la premiere Queftion ,
d'où viennent ces liens d'Amour
& de refpe & , qui m'attachent
à mon Héros . Nous ne
MERCURE. 39
faifons plus qu'un , lui & moi ...
mon orgueil m'engage dans
tous fes perils. Je me fuis trouvé
digne de courir avec lui la mê
me fortune . Ma terreur dans
nos communs dangers , eft foûtenue
de l'efpoir du triomphe ,
& du fentiment de mon propre
courage . Mais fi mon Héros
vient à périr , là je me fépare
de lui ; je verfe quelques pleurs
fur l'Amy que la mort m'enléve,
mais je m'apperçois en même
temps qu'elle m'a épargné : je
Compare le fort du Héros avee
le mien. Cette comparaifon
m'avertit , qu'il y a des hommes
moins heureux que moi .
Voilà la fource de cette confolation
fécrette , qui accompa
Eiiij
40 LE NOUVEAU
gne mes pleurs .
J'aurois quelque penchant à
parcourir tous les différents
ébranlements que notre ame reçoit
à l'occafiondes objets étrangers
& de les rappeller tous à
mon Hypotéle Métaphifique :
je me flate que ces détails auroient
quelque agrément , & je
céde à la tentation de donner un
jour à cela tout fon dévelopement
dans une Differtation particuliere.
Revenons à M. Dacier ; vous
prétendés , Madame , que la
fin du Poëme Epique , n'eft autre
que , le deffein de former les
moeurs :: pour être en droit d'attefter
cette vérité générale
vous croyés , qu'il vous fuffit
>
MERCURE.
41
de nous prouver , qu'Homérë
ne s'eft propofé , que cette vûe
dans l'Iliade & dans l'Odiffée.
Mais comment nous prouvezvous
, qu'Homere ne s'eft рго-
pofé dans fes Poëmes , que le
deffein d'inftruire ? Ecoutons.
Du tems d'Homere , les
Grecs étoient divifez enplu
fieurs Etats, independents les
uns des autres , & ces Etats
étoient fouvent obligez de fe
réünir contre un ennemi commun
. Homere pour leur prouver
la nécessité de demeurer
imagina la Fable géunis
>
nerale que voici.
42 LE NOUVEAU.
1
Deux Chefs d'une même
Armée, fe querellent , l'ennemi
commun profite de leur diffention
, remporte fur leur
parti de grands avantages. Les
deux Chefs fe raccommodent ,
étans réunis , ils chaffent
leur ennemi commun , & remportent
enfin la victoire.
Cette Fable , continuë M.
Dacier , eft générale , c'eſtà-
dire , qu'elle convient à tour
le monde , petits & grands ;
car les petits ne font pas moins
fujers que les grands , à voir
ruiner leurs affaires , ou par
و ا
MERCURE. 43
la colere , ou par la diffention :
Ils n'ont pas moins befoin de
ces leçons d'Homere , & ils
font aussi capables d'en profiter
; utilité qu'on ne sçauroit
tirer des actions particulieres :
En effet , qu'on faffe un Poeme
fur une action de Cefar,
de Pompée , ou d'Alcibiade
quel bien celapoura-t'il faire à
particulier ... Mais quoi-.
que la Fable foit générale , il
faut la rendre particuliere par
l'impofition des noms.
un

;
Par exemple , voici com
ment Homere rend fa Fable
44 LE NOUVEAU
particuliere... Il auroit pû la métrefous
le nom des fept Chefs ,
qui marcherent contre Thebes ...
Il la met fous le nom des
Heros , qui allérent conqué.
rir le Royaume de Priam .
Agamemnon & Achille font
les deux Chefs, qui fe querellent,
les Troyens profitent de leur
diffention, & font vainqueurs.
Agamemnon & Achilleſe réconcilient
, étans réunis ,
les Troyens font défaits.
> Je voudrois bien fçavoir
qui a revelé à Mde, Dacier ce
procédé fi fingulier d'Homére .
Il s'eft propofé , dit - elle , de
MERCURE. 45
réunir les Princes de la Gréce
divifez entr'eux ; cela pourroit
être abfolument; je ne trouverois
pas étrange , qu'on foupçonna
Homere , d'avoir conçû tout
fon Ouvrage pour cette fin politique
, mais il me paroît que
Mde Dacier n'eft pas fondée à
nous l'affirmer avec tant de
confiance puiſque nous ne
trouvons dans l'Iliade aucune
trace diftincte de ce deffein .
Nous n'y cherchons pas tant
de fineffes , nous autres bonnes
gens nous penfons que l'Auteur
a voulu feulement amuſer
les Grecs par le récit des exploits
guérriers de leurs Ayeux.
Il recueillit dans fon Poeme
tout ce que la tradition alors
46 LE NOUVEAU
confufe , lui pûtfournir fur lafameuſe
Guerre de Troye : il af
focia les faits Hiftoriques à des
fictions variées : il fit aux Héros
, agiffant dans fon Poëme ,
l'honneur de leur donner les
Dieux pour Alliés . Alliance
impie , qui avilliffoit ces mêmes
Dieux, en les rendant baffement
complices de la fureur , de l'injuftice
, de tous les excés de
l'une & de l'autre Armée . De là,
tant de miracles abfurdes &
puerils ; delà , ce bas merveilleux
, qui tout indigne qu'il eft,
d'un âge tel que le notre , étoit
trés propre à entraîner l'admiration
, & à furprendre la crédulité
d'un fiécle auffi fuperftitieux
, auffi ignorant , que l'éMERCURE
.
47
toit le fien . Nous ne femmes
donc point étonnés , que des
fiécles groffiers , ayent adoré
les Poemes d'Homere . Mais
nous ne concevons pas bien ,
comment dans ces derniers
temps , la premiere ébauche de
l'Art naiffant , eft encore l'objet
du culte d'un fi grand peu .
ple. Je dis du culte ; car Meffieurs
les Erudits ne veulent entrer
en aucune compofition
avec leur . Siécle ; ils adorent
tout indiftinctement dans Homere
les abfurdités les plus
groffieres ; les fictions les plus
fcandaleuſes , font pour eux
des Allégories faintes . Ils érigeroient
volontiers l'Iliade en
Catechifme moral .
48 LE NOUVEAU
Revenons donc à Mde Dacier,
vous prétendés , Madame , que
l'on ne peut pas tirer des actions
particulieres , le même
fruit moral,que pourroient donner
les actions générales Si
cette propofition étoit vraye ,
deviendroit votre chere
que
Iliade ? Car envain avés vous
fait l'Apologie de la Fable generale
de ce Poëme. Vous êtes
convenue , que cette Fable generale
devenoit particuliere
dans le Poëme appliqué à des
perfonnages déterminez ? Que
devient donc la morale de cette
Fable generalement conçûë ?
S'évanouit elle dans le Poëme
par la fatale impofition des
noms aux perfonnages ? Vous
MERCURE. ' 49
n'avez pas apperçeu cette conféquence
; mais nous allons
vous relever de cette'inattention.
Nous tirerons de péril la
pauvre Iliade , en vous prouvant
, par un exemple , que les
actions particulieres ,ne font pas
moins morales & inftructives
que les actions générales .
Si je voulois donner une leçon
de clemence à un homme
vindicatif , je lui citerois le
grand exemple d'Augufte , qui
pouvant faire périr juftement
le confpirateur Cinna , lui pardonne
fon attentat , & rachette
fon amour à force de bienfaits .
L'homme à qui je citerois cette
action particuliere d'Augufte
trouveroit t- il quelque obftacle
Fanvier 1717.
F
50
LE NOUVEAU
à fe l'appliquer ? Oui , fans dou
te , me dira Madame Dacier ;
fi vous voulez que l'action
l'inftruife , propofez - là géneralement
fans l'appliquer à Augufte.
Effayons donc.
Un homme pouvant juſtement
faire périr fon ennemi , lui pardonna
& racheta fon amour à
force de bienfaits .
Je m'en rapporte ici à M.
Dacier même. Je fuis bien perfuadé
que pour peu qu'elle y
faffe attention , elle fentira qué
ma leçon particuliere vaut bien
fa leçon génerale.
Nous dirons donc des actions
particulieres,comme des actions
génerales ; qu'elles inftruifent
allegoriquement ; c'est à dire ,
MERCURE.
par l'application que chacun
peut s'en faire à lui- même. Paf
fons à autre chofe.
Nous avons
prétendu que
l'action du Poëme Epique , confideré
dans l'efpece heroïque ,
devoit être illuftre & fe paffer
entre de grands Perfonnages.
Me Dacier eft d'accord avec
nous fur la qualité des Perfonnages
, mais elle n'accorde pas ,
que l'action du Poëme doive être
grande.... Il n'eft pas necef
faire que l'action du Poeme
Epique foir illuftre & importante
par elle-même , puifqu'au
contraire elle peut être fimple
commune
mais il faut
Fij
52 LE NOUVEAU
qu'elle le foitpar la qualité des
Perfonnages. Ausfi Horace at-
il dit aprés Ariftote : Res
gefta Regumque , Ducumque.
Cela eftfi vrai, que l'aétion
la plus éclatante d'un
fimple Bourgeois , ne pourra
jamais faire le fujet d'un Poeme
Epique ; & que l'action
la plus fimple d'un Roy
d'un General d'Armée le fera
toûjours avec fuccés.
>
Je veux bien convenir avec
Me Dacier que , l'action la plus
fimple d'un Roi , ou d'un General
d'Armée , peut faire le fujet d'un
Poëme Epique , mais je prends
MERCURE.
53
la liberté de douter que ce
Poëme fit une grande fortune.
Les grands noms n'intéreffent
guéres , s'ils font mariez à des
actions communes . J'ofe affûrer
au contraire , que fi vous faifiez
agir dans un Poëme un nom
ignoré, un Perfonnage fans titre ,
d'une maniére vraiment grande ;
bien-tôt fes actions illuftres le
groffiroient à votre imagination ;
bien-tôt vous verriez en lui un
Souverain digne du plus refpectueux
hommage .
Concluons donc , que les
perfonnages du Poëme héroïque
, doivent être illuftres ; mais
que fi l'on veut que le Poëme
plaife, les perfonnages y doivent
agir héroïquement . Le trait ciLE
NOUVEAU
14
té d'Horace , ne dit rien de
contraire à cette décifion .
Voyons maintenant de combien
nous fommes diftants de
la doctrine de Me Dacier , fur
le Poëme Epique : Elle le dé
finit comme nous avons vû.
Un difcours en Vers , inventépourformer
les moeurs ,
par des inftructions déguifees
fous l'allégorie d'une action
générale , des plus grands
perfonnages.
Nous avons fait voir d'abord,
que M. Dacier applique au
genre une définition , qui n'eft
recevable que pour une efpéce
particuliere . Nous avons fixé
cette définition à l'efpéce hé.
MERCURE.
SS

*་
roïque . Nous avons prétendu
que le deffein des Poëtes dans
ce genre d'Ouvrage , étoit moins
l'inftruction des Lecteurs , que
leur plaifir.
Nous avons expliqué comment
la Fable Epique peut être
utile aux moeurs , fans qu'on
doive en tenir grand compte
aux Poëtes , & leur faire honneur
du feul deffein d'inftruire.
Nous avons dit en quel fens
la Fable Epique inftruit allegoriquement
; & de notre explication
, il réfulte que ces
grands mots d'Inftructions déguifés
fous l'Allegorie , ne difent
rien de fi important , puifque
tout récit eft néceffairement
allégorique dans le même fens

56 LE NOUVEAU
1
que l'Iliade & l'Odiffée.
Nous avons prouvé par les
principes mêmes de Mc Dacier,
que l'action du Poëme Epique
n'eft point générale , mais par
ticuliere : Enfin, nous avons ofés
prétendre , qu'il ne fuffifoit pas
pour faire un bon Poëme héroïque
, qu'on y introduifit des
perfonnages illuftres , qu'il falloit
encore les faire agir héroïquement.
Que nous refte-.
t'il donc de la définition donnée
par Me Dacier , dont nous
n'ayons point parlé ? Je n'y vois
plus que ces mots .... C'est
un difcours en Vers.
Me Dacier eft ici un peu embarraffée
; car Ariftote a précendu
que le Poëme Epique fe
fert
MERCURE.
ST
fert du difcours en Vers ou en
Profe . Cette autorité arrache à
Ms Dacier l'aveu , que l'Iliade
&l'Odiffée ne ceffent pas d'être
des Poëmes Epiques dans fes
Traductions en Profe.
Mais l'expérience a prouvé ,
dit-elle , que les Vers lui conviennent
davantage , parce
qu'ils donnent plus de majesté
de grandeur , & qu'ils
fourniffent plus de reffources
que la Profe.
Eft- il bien vrai que les Vers
donnent plus de grandeur & de
majesté aux Poëmes ? leurs fourniffent
- ils en effet plus de ref-
Sources que la Profe Exami
nons un peu les avantages réels
Fanvier 1717 .
G
58 LE NOUVEAU
de l'un & de l'autre langage ,
& voyons fi la Profe vaincue
doit céder aux Vers fes droits
fur quelque genre .
Les Vers font diftinguez de
la Profe , par la fingularité des
nombres auxquels l'Art arbitraire
les a affujettis , & par la terminaifon
uniforme qui conftitue
la Rime. Ces nombres &
cette Rime donnent à la diction
un air contraint & bizarre , qui
loin de plaire à qui n'y feroit
pas habitué , lui cauferoit au
contraire un fentiment defagréable
, qu'il trouveroit moyen
de juftifier. A quoi bon , s'écriroit-
il à quoi bon cet art pénible
, qui fait perdre aux penfées
leur vérité & leur grace
;
MERCURE.
59
naturelles ? Depuis quand s'efton
avifé de faire plier la raifon
fous le joug d'un langage follement
mefuré ? ce qu'on peut
me dire avec élégance dans l'idiome
ordinaire , fans fe donner
beaucoup de peine ; pourquoi
me le préfenter dans un`
langage effrayant , qui porte avee
lui l'appareil du travail & de
l'affectation ? Le retour importun
de la Rime , la répétition
des mêmes nombres dans chacune
de vos frafes , me fatiguent
& m'ennuyent ; que pourrionsnous
répondre à ces reproches ?
Vous n'êtes pas accoûtumé,
Monfieur , à ce langage que vous
nommez bizarre ; lorfque vous
vous ferez familiarifé avec lui
Gij
Go LE NOUVEAU
Un
par la lecture des bons Poëtes ,
ce qu'il a de contraint & d'affeté
, difparoîtra pour vous.
jour vous vous plairez à marquer
cette folle meſure des Vers
en les prononçant fur des tons
plus foûtenus que la Profe ; vous
tiendrez grand compre au Poëte
d'avoir furmonté les difficultez
de cet Art même , pour lequel
vous marquez tant d'averfion &
de mépris .
Les Vers ne plaifent point par
eux-mêmes , il nous a fallu un
long commerce avec eux pour
n'être guéres choqué de leur
démarche affectée , de leur air
Contraint. Quelque- variées que
foient les chofes qu'ils nous
préfentent , nous fommes touMERCURE
. GI
jours un peu bleffés de les voir
paroître fous des fignes fi uniformes
: la répétition obſtinée
des mêmes nombres & des mêmes
terminaifons , eft encore
pour nous aujourd'hui une fource
d'ennui . Pourquoi néanmoins
les aimons- nous , ces Vers , avec
tant de défauts que nous leur
reconnoiffons
? Préparons notre
réponſe par un exemple.
Un Danfeur de corde ne
danfe pas , à beaucoup prés , fur
la corde , avec des mouvemens
auffi variez qu'il pourroit le faire
fur un vafte Théatre . Il eft renfermé
dans les bornes étroites
d'une ligne qu'il parcourt en
avant & en arriere , fans pouvoir
préfenter le front à fa droite & à
Giij
62 LE NOUVEAU
fa gauche ; l'attention qu'il eft
forcé de donner au péril de fon
Art , lui dérobe les graces libres
& enjoüées des bras & du vifage
: il a l'air inquiet & fouffrant;
cependant il plaît , il amuſe le
fpectateur. Ce n'eſt pas précifément
le Danfeur qu'on admire
ici ; on n'eft occupé que de la
difficulté qu'il furmonte , du
danger qu'il brave ; enforte que
fi la corde fufpenduë , ceffoit de
paroître dangereufement diftante
du plancher , le fpectacle
ne feroit plus fi interreffant :
notre homme pourroit encore
étonner par fon adreffe , mais il
perdroit le mérite du courage .
Appliquons ceci au Poëte . Il
nous plaît , quoique fouvent il
MERCURE. 63
1
nous parle avec moins d'élégance
que le Profateur . Nous nous
plaifons à le voir luter contre
les difficultez d'un art indu- .
ſtrieux & pénible . Il n'y a point
ici de péril comme dans l'exemple
propofé . C'eſt un ſpectacle
de pure induftrie ; ce reffort
fuffit à nous émouvoir . Quand
une penſée fe trouve à quelque
chofe prés , auffi bien exprimée
en Vers , qu'elle pourroit l'être
en Profe , on applaudit au fuccés
du Poëte ; on lui voue fon
indulgence ; on lui permet de
grimacer de tems à autres ; les
expreffions impropres font chez
lui de légeres fautes ; les conftruction's
inufitées deviennent
fes priviléges ; par Exemple.
Giiij
64 LE NOUVEAU
C'eft envain qu'au Parnaffe un teméraire,
Auteur.
Penfe de l'art des Vers atteindre la hauteur
La hauteur d'un art , voilà une
expreffion impropre , que la rime
ameine ici contre le gré de
M. Defpreaux ,
Ce fils que de fa flame il me donna pour
gage,
Helas je m'en fouviens , le jour que fon
courage.
C'eft la Rime qui fait préfent
à l'élégant Racine de cette
conftruction inufitée & violente,
il auroit fallu dire ...
Ce fils qu'il me donna pour
gage defa flame.
MERCURE.
65
Il eft bon de remarquer ,
qu'une expreffion n'eft élégante
en Vers , qu'autant qu'elle pourroit
être employée avec grace
dans la Profe ; le Profateur & le
Poëte ont un Dictionaire commun
.
Il ne faut pas juger de même
des conftructions . On a accordé
aux Poëtes le droit de les
varier un peu plus que ne fait
la Profe , comme dans les Vers
fuivants.
Du fein de la terre entrouverte ,
Chers inftruments de notre pérte ,
L'argent & l'or font arrachés ,
On les tire de ces abîmes ,
Od fage & prévoyant nos crimes,
La nature les a cachez.
66 LE NOUVEAU
M. de la Motte n'a pas excédé
ici les bornes du droit accordé
aux Vers ; néanmoins la
Profe nefe permettroit pas cette
conftruction ; voici comme elic
parleróit ...
L'argent && l'or chers inftruments
de notre perte , font
arrachez du fein de la terre ,
on les tire de ces abîmes ou la
nature fage
a cachez.
prévoyante les
Que les Poëtes ne tirent point
vanité de ce droit interdit à la
Profe Ce droit - même attefte
la mifere de leur art ; mifere , au
befoin de laquelle nous avons
:
MERCURE. 67
ac
été forcés de faire plier la Régle
Françoife , qui veut qu'on
foulage l'attention , par une conbftruction
aisée , qui préſente à
quelque chofe prés , les idées
dans leur ordre naturel .
S'il étoit poffible que les Vers
n'ufaffent jamais de cette liberté
, ils nen feroient que plus
parfaits . Quand j'en trouve une
fuite nombreufe , dont les conftructions
pourroient être adoptées
par la Profe , j'applaudis
au prodige .
On croit communément que
la Profe eft fubordonnée aux
Vers ; qu'il ne lui fiéd pas de
prendre certain effor ; quelle
doit être humble & retenuë ,
en traittant le même fujet fur
68 LE NOUVEAU
lequel les Vers parleroient impérieufement.
On s'imagine
que les fictions ingénieuſes , les
Figures hardies , les Images brillantes
, font l'apanage des Vers ,
que la Profe n'a pas même droit
à ces richeffes , préjugé le plus
déraisonnable , & peut être le
plus univerfel qui ait jamais obfédé
les Gens de Lettres . Me.
Dacier eft dans cette illufion
générale , lorfqu'elle nous dit ,
que les Vers donnent plus de
grandeur , & de majefte , qu'ils
fourniroient plus de refources
au Poëme , que la Profe.
Pour moi , j'ofe penfer , que
la Profe & les Vers , n'ont pár
eux- mêmes aucun ton déterminé
, & qu'ils le reçoivent des
MERCURE. 69
fujets différents , fur lefquels
ils s'exercent . Si vous voulés
traiter un fujet galant , demandés
à votre génie les graces ba
dines propres
à ce genre , des
images fimples , des idées naïyes.
Voulés - vous chanter une
action Heroïque , montés votre
génie au ton que demande
votre fujet ; vous nous parlerés
avec majefté ; vos fictions feront
nobles & hardies ; vos images
fomptueufes , vos figures
éclatantes ; ce n'est point de
l'Art des Vers , que vous empruntés
le droit de me parler
ici avec tant de fafte ; c'eſt
de la grandeur de l'action que
vous célébrés .
Feu M. de Fenelon nous a
70 LE NOUVEAU
donné en Profe les Avantures de
Telemaque . Ce Poëme devroit
avoir fait foupçonner aux Gens
de Lettres , que les Vers n'ont
aucunes richeffes , qui n'appartiennent
à la Profe ,
dont elle ne fçache uſer avec
fuccés .
82
L'orfque j'ai cité au préjugé
l'exemple du Telemaque François
, il m'a répondu , que ce
Poëme étoit écrit en Vers , à la
mefure & à la Rime prés . Que
me veut-on dire par . là ? finon
que la Profe eft en droit de
parler du même ton que les
Vers , & qu'elle n'en eft diftinguée
que par la meſure & par
la rime.
On voit par tout ce que je
MERCURE.
71
viens de dire , combien je fuis
éloigné de penfer avec M'Dacier
, que la Profe doive faire
aux Vers les honneurs du Poëme
Epique. Je foûtiens qu'elle a
droit fur tous genres d'Ouvrages
indiftinctement ; qu'elle
a feule l'ufage libre de toutes
les richeffes de l'efprit ; que
n'étant afſervie à aucun joug ,
elle ne trouve jamais d'obftacles
à exprimer ce que le génie
lui préfente ; elle n'eft jamais
forcée de rejetter les expreffions
propres & les tours uniques
que demande nt les idées fucceffives
& les fentiments variez
que fes fujets embraffent ,
Il n'en eft pas de même des
Vers ; leur afferviffement
à la
72 LE NOUVEAU
4
mefure & à la rime les force
fouvent à fubftituer aux expreffions
& aux tours propres , de
faux équivalents : une penfée.
fine , un fentiment vif , qui n'échaperoit
pas au Profateur maître
de fa diction , échape fouvent
au Verfificateur impuffant
à les exprimer.
Je crois done que l'Art des
Vers eft un Art frivole , que fi
les hommes étoient convenus de
le profcrire , non feulement
nous ne perdrions rien , mais
que nous gagnerions beaucoup.
Forcez de parler le langage di-
λté par la nature , nous traite.
rions tous les genres en Profe
avec d'autant plus de convenan
ge & de verité , que la varieté
dc
MERCURE.
73
L
de nos fignes répondroit mieux
à la varieté de nos fentimens &
de nos penſées ; avec d'autant
plus d'élégance , que nous ne
ferions jamais impuiffans à exprimer
ce que le génie nous
offriroit d'heureux ; avec d'autant
plus de clarté , que maîtres
de nos conftructions , nous pré
fenterions toûjours les idées
dans leur ordre naturel .
On pourroit ſoupçonner en
m'entendant parler , comme je
fais que , je n'ai pas grand commerce
avec les Vers ; & que
faute de cette habitude enchantereffe
dont j'ai parlé , je ne fuis
point la duppe de leurs graces
contraintes . J'avoue fincerement
ici que je fuis depuis long-
Fanvier 17 17.
3
H
74 LE NOUVEAU
temps dans l'illufion
la plus favorable
à l'Art que je condamne
; l'habitude
a fait fur moi , ce
qu'elle
fait fur tous les autres
hommes
je me plais à voir
lutter nos excellens
Poëtes
conleur
optre
les difficultez
que
pofent
la meſure
& la rime. Je
fuis frappé d'étonnement
toutes
les fois que je vois la raifon &
Les graces
dociles
plier fous le
joug
bizarre
; je ferois dans le
raviffement
, fi dans un long
Ouvrage
, le Poëte ne me laiffoit
rien défirer
de cette jufteffe,
de cet ordre , de cette clarté ,
cette élegance
dont la Profe eft
toûjours
comptable
. Je defire
l'impoffible
, me dirá- t - on ? à la
bonne
heure. Mais files Vers
de
MERCURE. 75
ne peuvent atteindre à la perfe
ation réelle de la Profe , pourquoi
ne me parle-t- on pas en
Profesi
Je ne me fuis point propofe
de faire un extrait complet de
la Preface de M Dacier fur
l'Odiffée ; j'ai voulu feulement
combattre les principes qu'elle
nous Y donne fur le Poëme
Epique. Heft bon d'avertir que
Mc. Dacier tient fa doctrine du
tque fi elle
grand Ariftote ,
étoit convaincuë dans ma Dif
fertation de quelques erreurs , il
ne faudroit point les mettre fur
le compte de fon jugement ,
elle eft dans l'habitude de recevoir
fans aucun examen tous les
Dogines de ce Docteur.
Hij
6' LE NOUVEAU '
M. l'Abbé de Pons ayant
bien voulu s'avouer Auteur de
la Differtation précedente , je
crois que M. de la Motte ne
trouvera pas mauvais que je
révéle ici que la Cantate fuivante
eft de fa façon .
ECHO CANTATE,
Par M. de la Motte.
Nvain la jeune Echo , fodpire pour
E Narciffe ;
Invain au fonds des Bois elle court le chercher
i
L'ingrat fouffre qu'elle languiffe
Et les plus tendres foins ne fçauroient
le toucher.
MERCURE . 77
Partout une tendreffe extrême ,
Attache la Nymphe à ſes pass
Elle hait ce qu'il hait , elle aime ce qu'il
aime';
Le goût de fon Berger , préte à tout mille
appas .
S'il court dans les Forêts , où la chaffe
l'attire
Elle imite le bruit dn Cor ;
S'il touche le Hautbois , la Nymphe qui
l'admire
Sçait lui rendre acord pour acord
Quand du ſon defaflure il enchante Zephire
Alle en read tous les fons,mais plus tendre
cacor,
Bravant l'amour & fon empire
It trop charmé defon repos ,
Un jour l'indifferent s'exprimoit en ces
mots.
En vain tu fais partout triompher ta puife
fance ,
78 LE NOUVEAU
Amour tu ne peux rien fur moi ,
Aimable paix des Coeurs , tranquille indifference
,
Je jure de n'aimer que toi.
Malgré le défefpoir où ce ferment la jette ,
Echolui donne encore fa foi ;
Et de fes chants ingrats la Nymphe lui
repete.
Je jure de n'aimer que toi .
Echo devient plus tendre , & plait moins
chaque jour ,
Elle fuccombe à fon deftin funefte
Et du peu de voix qui lui refte.
Elle preffe le Ciel de vanger fon amour.
A
J'ai langui pour un infenfible ;
Ilavů mes honteux défirs
Son indifférence inflexible
Ift le feul prix de mes foupirs.
SirJe n'écoute plus que la haine
20
C

Paifque mon amour ne peut rien.
1:
Dieux , juftes Dieux , vangés ,
ma peine
Par un fupplice égal au mien .
MERCURE. 79
Ses voeux font exaucez : Au bord d'une
Fontaine ,
Narciffe en ce moment , goutoit un doux
repos.
De lui-même une image vaine
Se préfente à lui fous les flots .
Cette beauté l'enchante , avec trouble il
l'adore ;
Il fent naitre en fon coeur des tranſports
inconnus
Illanguit , il brûle , il fou pire ,
Tout plein de cette image , il ne fe connoît
plus.
Veut - il embraffer ce qu'il aime ,
L'eau fe trouble , & l'image fuit ;
Quand elle reparoît , fon plaifir eft extrême
;
En s'approchant encor , fon efpoir fe détruit,
80 LE NOUVEAU
Toujours féparé de lui- même ,
Il s'échappe fans ceffe , & toujours fe
pourſuit.
De moment en moment , dans les veines
a'allume
Un feu qui lui coute le jour ,
De ſes défirs'trahis , la flammeṛle confume ;
Il meurt enfin de douleur & d'amour.
Echo méme gémit d'un ficruel martyre:
J'expire , dit Narciffe
Echo répond
j'expire.
Vole Amour , étend ta puiſſances
Mais n'éxerce point tes rigueurs ,
De cha-que trait que ta main lancel
Bleffe , & charme toujours deux cours.
Amants que l'Amour récompenfe ,
Vos défirs font des biens charmants ,
Mais les défirs fans l'efperance ,
Sont le plus affreux des tourments .
Les
2
MERCURE. 8i
LES AMOURS PASTORALES •
de Dephnis & Choć.
L
on
ES Amours Paftorales de
Daphnis & Chloé dont
donne icil'extrait , ſont devenuës
trop à la mode, pour ne pas fatisfaire
à la curiofité des perfonnes
qui ne les ont pas encore lûës .
On feroit même tenté par la
fuite , de préférer ces fortes
d'extraits aux Hiftorietes ordinaires
du Mercure ; à moins
qu'on ne les jugeât aflez interreffantes
par elle - mêmes . Le
goût du Public en tout genre ,
me fervira toûjours de regle fur
le choix des morceaux ; j'attends
qu'il en décide .
Je reviens à Longus , Auteur
de cette Hiftoire , il l'a écrite en
1
Fanvier 1717 .
82 LE NOUVEAU
Grec , elle a été traduite en
François par le célébre Amiot
& réimprimée nouvellement :
c'eft de cette édition que j'ai
tiré cet extrait .
On croit ce Roman pofterieur
à celui des Amours de Théagenes
& Chariclée , composé par
Heliodore ,qui vivoit fous l'Empire
de Théodofe & d'Arcadius
fur la fin du quatrième fiécle .
Le Sçavant M. Huet ancien
Evêque d'Avranche , dans fon
Traité de l'Origine des Romans ,
a jugé trés favorablement de ces
Paftorales. Le ftyle de Longus ,
felon ſon ſentiment , eft fimple,
aife , naturel & concis , fans
obfcurité ; fes expreßions font
MERCURE.
83
pleines de vivacité de feu :
ilproduit avec esprit , ilpeint
avec agrément , il difpofe fes
images avec adreffe : les caracteresfont
gardez exactement ,
les Epiſodes naiffent de l'argument
, les paßions & lesfentimensfont
traitez avec une délicareffe
affez convenable à la
fimplicité des Bergers.
Il auroit été à fouhaiter qu'il
nous en eût donné une nous
velle traduction , comme il avoit
eu deffein de le faire dans fa jeuneffe
à l'imitation de l'ancien
Evêque d'Auxerre ; il faut croire
qu'elle auroit été plus châtiée
de toutes les manieres.
I ij
84 LE NOUVEAU
La Preface eft une fiction que
l'Auteur a imaginée , pour donner
àfon Roman quelque air de
verité. Il y fuppofe , qu'étant
dans un Temple de l'Ile de
Metelin , ily remarqua un Tableau
qui lui plût extremement ;
& que n'en pouvant découvrir
le fujet , il s'en informa des gens
du Païs , qui lui racontérent
cette même Hiftoire , qu'il nous
donne fous le titre des Amours
Paftorales de Daphnis & Chloé.
LIVRE PREMIER .
N Citoyen de Mitilene ,
nommé Dionyfophanes UN
>
avoit auprés de la Ville une
Terre affez confiderable
. Lamon
MERCURE.
85
fon Fermier s'étant apperçu qu'
une de fes chevres abandonnoit
fon petit , & s'écartoit du troupeau
; la curiofité l'obligeant à la
fuivre , il la furprit donnant à
tetter à un enfant richement emmailloté
, enveloppé d'un manteau
, dont l'agraffe étoit d'or ,
ayant auprés de lui une petite
épée dorée , à manche d'yvoire .
Touché de compaffion , il le releva
& le remit à fa femme Myrtale
, qui n'ayant point d'héritiers
, l'éleva comme le fien propre
, fous le nom de Daphnis.
A deux ans de là , même
savanture arriva à Dryas , autre
Berger du même canton , qui
cherchant une Brebis égarée de
fon troupeau , la trouva allait-
I iij
86 LE NOUVEAU
tant une petite fille expofée dans
la Caverne des Nymphes , ayant
à fes côtez une coëffe tiffuë d'or ,
des patins dorez & des brodequins
brodez d'or : II la prit
entre fes bras avec ces marques
de
reconnoiffance
, & la portant
à fa femme Napé , elle la reçût
en vraie mere, & l'appella Chloé.
Ces deux enfans devinrent .
grands en peu de tems ; &montroient
bien à leur gentilleſſe &
beauté , qu'ils n'étoient point iffus
de gens de Village, nex de Payfans.
de
Daphnis ayant atteint l'âge
15 ans, & Chloé celui de 13 ,
Lamon & Dryas eurent même
MERCURE. 87
nuit , mêmefonge. Il leurfut
avis que les Nymphes dont les
ftarues étoient dans la caverne
ou' l'on avoit trouvé Chloé,
livroient Daphnis & Chloé
entre les mains d'un jeune
Garfonnet fort gentil & beau
à merveille , lequel avoit des
ailes aux e'paules , & portoit
de petites fléches avec un petit
are , que ce jeune Garfoner
les touchant tous deux d'une
même fléche , commanda à l'un
de paître delà en avant les chévres
, &à l'autre les brebis.
Les Pafteurs s'éveillerent ,
Liiij
88 LE NOUVEAU
confternés de voir leur nouri
riffons deſtinés à garder les troupeaux
; mais eftimans que le
parti le plus fage qu'ils pûſſent
prendre , étoit de le foumettre
à la volonté des Dieux . Ils les
envoyerent aux champs , aprés
avoir facrifié au jeune Garfonnet
ailé , dont ils ignoroient
le vérirable nom .
Daphnis & Chloé devenus
Bergers , prenoient tous les divertiffements
convenables à leur
âge & à leur états .
Ainfi comme ils étoient occupez
à tels jeux , Amour leur
dreffa à bon efcient une telle
embuche.
Daphnis courant rapidement
MERCURE. 89
pour
aprés une de fes chèvres , tomba
dans une foffe trés profonde ,
qu'on avoit couverte de ramées
& de mouffe fervir de
piége aux Loups . Heureuſement
Chloé n'étoit pas loin , & croyant
encore le danger plus
grand , elle y courut , & fit tant
par fes foins & par le fecours
d'un païfan du voifinage , qu'elle
retira le pauvre Berger : alors
tranſporté de reconnoiffance , il
ne pût fe refufer à fon premier
mouvement , qui le porta à l'embraffer
; mais que ce tranfport
leur couta cher à l'un & à
l'autre . Depuis ce moment , ils
ne cefférent de foûpirer , fe fentant
confumer d'une ardeur
qu'ils n'avoient point connue.
90 LE NOUVEAU
jufques aloes . Souvent Daphnis
alloit ainfi devifant &parlant
pareillement en lui-même.
Comment ? les Hirondeles
chantent , ma flute ne dit
mot. Comment ? les Chevraux
fautent je fuis asfis . Comment
toutesfleursfont en vigueur,
&je n'enfais point de
bouquets ni de chapelets ; la
violette & le muguet fleu
riffent , Daphnis fe fane ,
Dorcon à la fin deviendra plus
beau
que
moi.
Ce Dorcon étoit auffi éperdument
amoureux de Chloé ,
comme il étoit riche , il crût
MERCURE.
91
pouvoir l'obtenir deDrias,s'il la
lui demandoit en mariage ; mais
malgré fes préfens , elle lui fut refufée.
Se voyant fans efpérance
de ce côté , il eût recours à une
rufe bien digne de la groffiertédu
perfonnage : Il fe couvrir d'une
peau de loup,& alla fe tapir dans
un buiffon proche la fontaine , où
Chloé menoit boire fon troude
tems
peau . Elle y vint peu
aprés , mais les chiens ayant
éventés le miférable
Dorcon
,
fe jetterent deffus , & l'auroient
déchiré
, s'il n'avoit imploré
l'affiftance
de Daphnis
& de
Ch'oé , qui étant trop fimples,
pour pénétrer fa mauvaiſe intention
, le fecoururent
, & ne
lui fçûrent pas même, mauvais
92 LE NOUVEAU
gré de cette Avanture .
Leur paffion cependant augmentant
de jour en jour , & leur
fimplicité demeurant même ;
la folitude leur offroit mille occafions
favorables pour déveloper
leurs fentiments , fans bleffer
l'innocence de leurs moeurs.
Daphnis ayant un jour ſurpris
Chloé endormie , s'arrêta à la
confidérer , & plein d'admiration
, il fe difoit , 0 comment fes
beauxyeux dormentfoüevement?
Quefon bateine fent bon ? Les
pommiers ni les aubépines fleuries
n'ontpoint la fenteurfi douce.
Ces réflexions fûrent intérompues
par une Cygale , qui pourfuivie
d'une Hirondelle , fe refugia
dans le fein de la Bergere .
MERCURE.
93

Chloé s'éveillant en furfaut ,
la Cygale feprii à chanter , comme
fi avec son chant elle lui eut
voulu rendre graces de fonfalut,
à l'occafion de quoi Chloé , ne fçachant
ce que c'étoit , s'écria derechefbienfort,
& Daphnis fe prit
auffi dérechef à rire , lors àprofitant
defa peur tira la gentille
Cygale , qu'elle remit au même
endroit d'où il l'avoit tirée.
Ils vivoient ainfi heureux
lorfque des Corfaires de la Ville
de Tyr, firent une defcente dans
Alle de Metelin , pillants & enlevants
tout ce qui fe trouva
à leur paffage . Daphnis cut le
malheur de tomber entre leurs
mains , & malgré les cris , il
trouva des impitoyables , qui le ,
traînerent dans leur Vaiffeau .
94 LE NOUVEAU.
Happelloit encore ' Chloé à
fon fecours lorfqu'elle arriva ,
conduifant fes brebis , & lui apportant
une flute nouvelle. Elle
n'eut pas plûtôt vû le danger
où il étoit , qu'elle courut demander
du fecours à Dorcon ,
qui en avoit beſoin lui- même ;
car ces Bergers ayant voulu faire
réſiſtance à ces brigands , qui
emmenoient fes boeufs , ils l'a
voient bleffé dangereufement .
Tout ce qu'il pût faire dans cet
état , fut de lui remettre fa flute
avec laquelle il avoit coutume
de rappeller fon troupeau du
pâturage , lui confeillant de s'en
fervir pour le même deffein.
En effet Chloé étant retournée
promptement, il n'eut pas plûMERCURE.
95
*
tôt joué l'air ordinaire du rapel ,
que les boeufs qui étoient déja
embarquez , s'élancerent tous
en même tems de la barque , &
l'ayant renversée par leur poids ,
ils regagnerent le rivage . Il fut
facile à Daphnis habillé à la legere
, de fe fauver.
Pour les Corfaires qui étoient
armés péfament , ils furent tous
noyez. Le premier foin de ces
deux Amans après un tel bonheur
, fut de fe rendre dans la
caverne des Nymphes , pour leur
rendre graces de cette événement
, & couronner leurs ftatuës
de fleurs .
96 LE NOUVEAU
LIVRE SECOND.
,
Les Vendanges étant furvenuës
, Daphnis & Chloé ,
trop occupés pour mener paître
leurs Troupeaux n'avoient
plus la même liberté de ſe voir.
Ils étoient trop obfervés pour
s'entretenir auffi familierement,
qu'ils faifoient auparavant .
Les plus jolies Vendangeufes
jettoient toutes les yeux fur
Daphnis , & en le louant ,
difoient , qu'il étoit ausſi beau
que Bachus : Les Vendageurs
de leur côté , jettoient à Chloé
plufieurs paroles à la traverſe,
&
MERCURE. 97
& fautoient aprés elle , comme
feroient les Satyres autour de
Bachus ; difant qu'ils feroient
de devenir Moutons , contens
moyennant qu'une ausfi aimable
Bergere les menât aux
Champs.
Les Vendanges finies , il
leur fut permis de retourner à
leurs amuſemens ordinaires,
Ainfi qu'ils folatroient , comme
deux jeunes Levrons , furvint
en leurcompagnie unViellard
, vêtu d'une Peliffe de
peau de Chevre , des fabots en
fes pieds , un Biffac tout ufé
Fanvier i717.
K
98 LE NOUVEAU NOUVE
pendu à fon col ; lequel fe feant
auprés d'eux , fe prit à leur
dire : Mes enfans , je fuis le
Vieillard Philetas qui ai chantée
maintes chansons à l'honneur
de ces Nymphes, je viens
ici pour vous déclarer ce que
j'ai vú, & annoncer ce que j'ai
oui. I'ai un beau Verger , que
j'ai moi- même planté : environ
le midy , j'y ai apperçû unjeugarfonnet
deffous mes Grenadiers
, qui tenoit enfes mains
des pommes de Grenades ; il
étoit blanc comme lait , rouge
commefeu , poli & net comme
ne
MERCURE.
99
s'il ne venoit que d'être lavé :
Il étoit nud , il étoit feul , &fe
joüoit à cueillir de mes fruits ,
commefi le Verger eût étéfien.
Si m'en fuis courų vers lui ,
craignant
que ( comme il étoit
fretillant
& remuant
) il ne
rompit quelques branches de
mes Grenadiers : mais il m'eft
• échapé des mains , tantôtfe coulant
par entre les Rofiers , tantôtfe
cachant fous les Pavots ,
commeferoit un petit perdriau.
Enfin , las & recrú , en m'ap
puyant fur mon báton , &prenant
garde qu'il ne s'enfouit ,
$35006 `-
Kij
100 LE NOUVEAU
je lui ai demandé à qui il étoit
de nos voisins , & à quelle occafion
il venoit ainfi cueillir les
fruits du jardin d'autrui ? Il
ne m'a rien répondu ; mais s'approchant
de moi , s'eft pris à
rire fort délicatement , en me
jettant des grains de Grenades,
ce qui m'a je nefçai comment )
amolli attendri le coeur:
deforte queje n'ai plus fçû me
courroucer à lui, fil'ai prié de
s'en venir hardiment à moi fans
· rien craindre , jurant que je le
laifferois aller quand il voudroit
, avec des pommes & des
MERCURE. for
grenades , moyennant qu'il me
donnát un baiferfeulement. Et
adoncquesfeprenant à rire avec ·
une chere , gaye , & bonne &
gentille grace , m'a jetté une
voix fi aimable & fi douce ,
que ni l'Hirondelle, ni le Roẞignol,
ni le Cygne , fût-il außi
vieil que moi , n'en fçauroit
jetter de pareille , difant , quant
à moi , Philetas , ce ne me feroit
point de peine de te baifer;
mais garde que ce que tu me
demandes , ne foit un don mal
Seant , peu convenable à
ن و م
ton âge , pource que ta vieilleffe
Kiij
102 LE NOUVEAU
n'empêchera point que tu ne
brûles de défir de me fuivre ,
aprés que tu m'auras baife :
il n'y a Aigle ni Faucon , tant
ait-il l'aile vite légere , qui
pût me poursuivre. Ie ne fuis
point enfant , combien que j'en
aye l'apparence , ains fuis plus
le vieil Saturne , je
ancien que
te connois dés-lors qu'étant en
lafleur de ton âge , tu gardois`
ici prés un fi beau
Boeufs ,
troupeau de
étois auprés de toi,
quand tujouois deta flutefous
ces Hêtres , lorfque tu érois
amoureux dela belle Amarillis
MERCURE. 103
mais tu ne me voyois pas encore
, quoi queje fuffe continuellement
auprés de ton amie. Pour
le prefent , je gouverne außi
Daphnis & Chloé, & aprés
que je les ai mis enſemble , je
m'en viens en ton Verger , là
ou' je prens plaiſir aux arbres
& aux fleurs que tu y as plantez,
& me lave en ces fontaines,
qui eft la caufe que toutes les
plantes les fleurs de ton jardin
font fi belles à voir , pour
ce qu'elles font nourries & ar
rofées de l'eau où je mefuis lavé.
Si-tôt qu'il eut achevé ces
304 LE NOUVEAU
1
paroles , il s'en eft envolédeẞus
un arbre , ne plus ne moins que
feroit un petit Roẞignol , &
en fautelant de branche en
branche par entre les feuilles ,
eſt à la fin monté jusques à la
cime : j'ai vû fes petites ailes ,
fon petit arc & fes fléches en
echarpe fur fes épaules , aprés
quoi il a disparu . Mes enfans,
je vous affûre que vous êtes
tous deux dévouez & dédiez
à l'Amour , & qu'Amour à
Join de vous. Si lui demanderent
qu'est-ce que c'étoit que
l'Amour , fic'étoit un enfant ou
bien
MERCURE. 105
lien un oiseau , & quelle puifonce
il avoit. Adonc Philetas
Scommenca derechefà leur dire:
Amour est un Dieu , mais un
enfant jeune & beau , & qui
ades ailes , pour cette cauſe
prent-ilplaifir ahenter entre les
jeunes gens, il cherche les beautez
, & fait voler les coeurs
des hommes , ayant fi grand
pouvoir, que le grand Iupiter
n'en a point tant . Il domine
fur les élémens , fur les étoiles
fur ceux qui font Dieux
comme lui. Toutes les fleurs
font ouvrages d'Amour, tou-
Janvier 1717.
L
106 LE NOUVEAU

tes les plantes & tous les arbres
font de fa facture. Moimême
ai autrefois été , jeune
ai aimé Amarillide ; mais
lors , il ne me fouvenoit de
manger,ni de boire , ni ne prenois
aucun repos. Il n'y a médecine
, ni efpéce aucune de
charmes , qui puiffeguérir le
mal d'amour. ,lui feul eft capable
d'y apporter remede.
Philetas aprés leur avoir
conté ces merveilles , fe fèpara
d'eux . Alors ces deux jeunes
Amans demeurants feuls , &
n'ayans jamais auparavant
MERCURF. 107
oüiparler d'Amour ,fe trouverent
en plus grande d'étreſſe
PAque
paravant , pource que
mour commençoit à les toucher
au vif, retournés qu'ils furent
en leurs maifons,fe mirent chacun
à rapporter ce qu'ils fentoient
en leurs coeurs avec ce
qu'ils avoient oui raporter
au vieillard , fi difoient ainfi
part eux , les Amants font
douloureux , auffi le fommes
nous ils ne font compte
de boire ni de manger , ausfi
peu en faifons nous : ils ne
peuvent dormir , nous fomà
Lij
108 LE NOUVEAU
mes tous de même : il leur eft
avis qu'ils brûlent , je crois
que nous avons du feu dedans
le corps , ils défirent s'entrevoir
, & pour ce faire , nous
fouhaitons
que
la nuit ne dure
gueres, & que le jour revien
ne bien-tôt.
Doncques eft-ce laqu'on appelle
Amour , & nous nous
entr'aimons l'un & l'autre ,
fine le favions pas.
lorf-
Cette matiere faifoit fouvent
le fujet de leur entretien ,
qu'une nouvelle Avanture vint
traverfer leurs innocens plaifirs.
De jeunes gens de la Ville de
MERCURE. 109
>
Methymne étans venus fur les
côtes de l'Ile de Metelin pour
chaffer , attacherent leur bateau
au rivage avec un cordon d'ofier.
Les Chévres de Daphnis ayant
coupé cet ofier la barque
s'éloigna bien-tôt du rivage ; les
Chaffeurs s'en étant aperçû ,
s'en prirent à Daphnis , & l'auroient
tué , s'il n'avoit été fecouru
promptement par Chloé ,
qui à l'aide des voifins , le tira
des mains de ces furieux.
Ces jeunes gens retournez à
Methimne , firent affembler le
Confeil de la Ville , & fe plaignirent
du prétendu outrage
qu'ils avoient reçûs des Mithvleniens
. Sur leur rapport , on
ordonna à un Capitaine d'armer
Liij
110 LE NOUVEAU
dix Galeres
+
pour ravager laCôte
de Mithilene, ; il obéit , & le
lendemain y ayant fait une defcente,
il enleva une grande quan
tité de butins , le troupeau
de
Chloé & Chloé elle - même .
Sitôt que Daphnis fut inftruit de
cet enlèvement
, il courut fondant
en pleurs à la caverne des
Nymphes , fe profterner aux
pieds de leurs Statuës & de
celle de Pan pour leur redemander
fa chere Chloé : 11 fac
exaucé ; car dans le moment ,
la flote des Methimniens
fut af
faillie par une infinité de prodiges
; Pan apparu au Chef
nommé Briacxa ; le menaçant de
le faire périr avec tout équi
s'il ne rendoit Chloé page
>
MERCURE. TH
du
& tout ce qu'il avoit ravi aux
Mithileniens. Ce Capitaine
n'ofant résister à l'ordre
Dieu , ramena lui - même fa
proye, & dédommagea les Mithileniens
des défordres qu'il
avoit caufé fur leurs Terres .
Dans quel tranſports de joye
ne fe trouverent pas nos deux.
Amans , lorfqu'ils fe virent réünis
?
Comme ils étoient fort religieux
, ils s'emprefferent d'aller
facrifier aux Nymphes & à
Pan , pour remercier ces Divinitez
protectrices de toutes
les graces qu'ils en avoient reçues
, & fe jurerent dans leur
Temple un amour éternel .
Liiij
112 LE NOUVEAU
J
LIVRE TROISIE' ME.
Quelque tems aprés la femme
d'un Fermier nommé Licenium
, jeune & belle , voyant
paffer Daphnis tous les matins
devant fa maiſon , ne put
défendre fon coeur des charmes
de ce Berger , elle le fuivit
fans en être apperçûs , &
s'étant cachée derriere un buiffon
où Daphnis fe rencontroit
d'ordinaire avec Chloé , elle
entendit tout ce qu'ils fe dirent ;
& comme l'Amour eft ingé .
nieux , elle parut tout à coup en
prefence de ces deux Amans
contrefaifant parfaitement
bien la defolée : Helas ! mon
MERCURE 113
ami , dit - elle , je te prie, aidemoi.
Ie n'avois que vingt pauvres
oifons , & voilà un Aigle
qui vient de m'en ravir le
plus beau : Daphnis ne fe défiant
point de l'embuche ,ſe leva
incontinent ,prit fa houlètre , &
s'en alla aprés Lecenium qui
le mena fort loin de Chloé , &
fort avant dans le Bois , auprés
d'une fontaine , où elle fit affeoir
Daphnis .
Comme elle étoit auffi hardie ,
que Daphnis étoit fimple , elle
attaqua fon coeur par tout ce
qu'il y a de plus preffant : mais
elle ne put lui faire oublier
Chloé ; elle le renvoya encore
114 LE NOUVEAU
plus amoureux de fa Bergere
qu'auparavant.
Comme il n'étoit fait mention
que des charmes de Chloé
dans tout le canton , fa beauté
engagea plufieurs Bergers à la
demander en mariage à Dryas :
Ils en furent écoutés , & le bon
homme réfolut de lui en choifir
un pour Epoux aux vendanges
prochaines . Chloé allarmée.
de cette nouvelle , découvrit
à Daphnis l'intention de Dryas .
Aprés avoir pleuré l'un & l'autre ,
& s'être donné de nouvelles:
affùrances de mourir plû- ôt que
d'être infidéls . Daphnis prit
tout à coup le party de faire
confidence de fon amour à
Myrtale femme de Lamon fon
MERCURE. 115
pere nourricier ; elle approuva
ſa recherche , & en parla à fon
mari. Lamon confiderant que
Daphnis pouvoit être d'une
illuſtre naiſſance, appellaſafemme,
béte , de vouloir empêcher que
fon nouriçon fut marié avec la
fille d'un Berger , vû quepar les
enfeignes de connoiffances qu'il
avoit trouvez quant & lui, elle lui
promettoit bien plusgrand état.
Myrtale qui ne vouloit pas
defeſpérer cet amoureux Berger,
lui fit entendre que Lamon fon
pere étant fort pauvre en comparaifon
de Dryas pere de
Chloé , Elle croyoit qu'il étoit
plus fage de ne point s'expoſer.
à un refus ; mais que s'il arri-
Voit quelque événement qui lui
1 LE NOUVEAU.
fut favorable , elle lui donnoit
fon confentement. Daphnis
n'efperant rien par les voyes
ordinaires , addreffa fes voeux
aux Nymphes dans cette extrémité.
Elles lui apparurent la nuit
fuivante , & lui ordonnerent
d'aller fur le bord de la mer,
l'affûrant que l'endroit où il
verroit unDauphin mort, il trouveroit
une bourſe , qui le Met 、
troit en état d'être auffi riche
queDryas; mais ci- aprés tu leferas
bien davantage. Dahpnis s'éleva
tour réjoui , & aprés avoir rejoint
Chloé & invoqué les Nymphes
, il n'eut pas grande peine
à découvrir la bourfe : Il courut,
avec cet argent chez Dryas ,
qui lui promit Chloé .
MERCURE. 17
Mais Lamon ne fut point fi
facile ; il dit à Daphnis qu' qu'étant
efclave affibien que lui , il ne lui
étoit pas permis de difpofer de
la moindre chofe , fans en avoir
auparavant obtenu le confentement
de fon maître ; que Dionifophanes
devant fe rendre bientôt
à fa terre pour y faire vendanges
, il feroit tous les efforts
auprés de lui pour en avoir l'agrement.
Nos deux amants vivoient
dans cette douce attente , gardants
toûjours leurs troupeaux
enfemble. Un jour qu'ils s'amufoient
à chercher des fruits ,
Daphnis apperçut à la cime de la
plus haute branche d'un pommier
, une pomme pomme unique ,
118 LE NOUVEAU
qui étoit belle & groffe à merveille
, y étant monté alaigrement
malgré Chloé , il la cueillit
la lui préfentant, lui dit,
Chloé ma mie , le beau tems a
produit cette belle pomme
bel arbre la nourric , le beau
un
la bonne Soleil l'a meurie ,
fortune la contregardée pour
une belle Bergere.
Chloé la reçut avec une grace
qui paya trop le Berger
LIVRE QUATRIE' ME.
Cet Automne tant defiré par
Daphnis & Chloé , arriva enfin.
Ils attendoient avec impaMERCURE.
119
tience l'arrivée du maître de Lamon,
fe fit préceder par fon fils
Aftyle , accompagné d'un nomméGnathon
mauvais plaifanı &
grand gourmand. Celui- ci ayant
confideré Daphnis & l'ayant
trouvé à fon gré , conçût le deffein
de le demander à fon jeune
Maître dans l'efperance de le
vendre & d'en tirer une groffe
fommed'argent. Il en fit la
propotifionà
Aftylequi fatigué de les
importunités , lui promit d'employer
fon crédit auprés de fon
pere pour qu'il lui en fit prefent.
Dionifophanes fuivit de prés fon
fils à la campagne, & ayant trouvé
fes troupeaux & fes
vergers
en bon état, il loüa Lamon & fa
famille du foin qu'ils prenoient
120 LE NOUVEAU
de fa Terre , Daphnis lui ayant
été prefenté , & le bon homme
de Fermier ayant extremement
vanté les bonnes qualitez de ce
jeune Berger en prefence d'Aftyle
& de Gnathon , Aftyle en
prit occafion de le demander à
fon pere pour l'emmener à Mytilene
,fous prétexte que ce jeune
homme lui feroit encore plus utile
à la Ville qu'à la Campagne;
mais Lainon ayant découvert à
quoi on le refervoit, prit le parti
de s'aller jetter aux pieds de fon
Maiftre & de lui déclarer que ce
jeune Berger n'étoit point fon
fils comme on le croioit qu'il l'avoit
trouvé abandonné & allaité
par une de fes Chèvres avec des
joyaux qu'on lui avoit laiffez
le
MERÇURE. 12Î
pour reconnoître un jour , &
qu'il les gardoit encore. Dionifophanes
étonné de ces circonſtances
, ordonna fur le champ
qu'on lui aportât ces fignes de reconnoiffances.
Apeine eût- il jetté
les yeux fur le petit Mantelet
d'écarlate & la pet telépée à poignée
d'yvoire, qu'il s'écria , ô Jupiter
& appella avec empreſſement
fa femme qui l'accompagnoit
, & qui voyant ces marquos,
s'écria encoreplus fort, 0fa
tales Déeffes ? nefont ce pas ici les
joyaux que nous expofames avec.
notre enfant ce font eux -mêmes,
mon mary.Daphnis eit vôtre fils ,
&rgarde les Chèvres de fon pro-
11
* tatbit permis aux parents dans les anciens
temps de Gè & d. Rome , dịcxpofer
leurs enfans lorfqu'ils en avoient trop
122 LE NOUVEAU

pre pere. Dans le moment
ils
coururent
embraffer
ce cher en
fant , & pleurant de joie ils le
tinrent long - tems ferré, entre
leurs bras . Aftyle ayant recou
vré un frere dans un Berger , lui
donna toutes les marques
les
plus vives de tendreffe
. Ce fut
pour lors que Dionifophanes
adreffant
la parole à Aftyle , ne
foispasmari , lui dit ce bon pela
se, de ce que tu n'auras que
moitié de ma fucceffion
, il n'y a
heritage
au monde qui vaille un
bon frere , Je fouhaite donc que
Daphnis ait en fon partage cette
Terre ci & que Lamon & Myrtale
qui l'ont fi foigneufement
élévé ,foient à lui , afin qu'il puiffe
leurfaire tout le bien qu'ilmerite
.
Daphnis
cependant
avoit pei-

1
MERCURE. 123
ne à revenir de fon étonnement,
& quoiqu'il fut fort agité par les
differens fentimens qui fe paffoient
au dedans de lui , fa chere
Chloé lui étoit continuellement
préfente , & ne trouvant
point de bonheur égal à celui de
la poffeder , il étoit prêt de faire
confidence à fon pere de la
paffion qu'il reffentoit pour elle,
lorfque Dryas inftruit de l'heureux
changement qui venoit
d'arriver dans la fortune de Daphnis
, fe préfenta tout à coup
avec l'aimable Chloé au milieu
de l'affemblée , dans l'efperance
qu'elle pourroit peut- être auſſi
retrouver les parents . Sa beaute
& fes graces naïves attirerent
les yeux de la compagnie . Pour
Mij
124 LE NOUVEAU
lors Dryas prenant la parole ,
Plût aux Dieux , dit - il , que cettejeune
fille fut affez favoriféedu
Deftin pour retrouver auffi fes
parents , & montrant en mêmetems
les enfeignes de reconnoiffances
, il eft aifé , ajoûta - t-il , de
voir que fes parens font des perfonnes
diftinguées & qu'elle est
fortable pour être la femme de
Daphnis.Dionifophanes prenant
garde dans le moment au vifage
de fon fils , apperçût qu'il changeoit
de couleur & le détournoit
pour pleurer ; il lui fut aifé
d'en déviner la caufe , & ce bon
pere fouhaita pour lors que les
Dieux revelaffent la naiffance de
cette Bergere , afin de pouvoir
l'unir avec Daphnis comme
MERCURE. 125
toute la maiſon ne refpiroit que
joïe , il donna le foir un grand .
repas , où il invita es meilleurs
amis & les plus apparents de la
Ville : à l'iffue du banquet , il fe
fit apporter dans un baffin d'argent
ces enfeignes ; un vieillard
nommé Megacles les ayant confiderez
, â Dieux que vois-je là !
mapauvre fille qu'eſt - tu dévenuë !
eft tu encore en vie ? · Je te prie
Dionifophanes de me dire d'où tu
les arecouvrées ; n'aye point d'enviequeje
retrouve ma fille comme
tu as recouvré ton fils. Dionifophanes
fe levant de table alla
chercher Chloé , & la remettant
entre les mains de Megacles lui
dit : Voici l'enfant que tu as fait
expoſer, prens-là avec ces enſei-
*
126 LE NOUVEAU
gnes , & la prenant , baille - la en
mariage à Daphnis .
La Cérémonie des Nôces fe
fit fur le champ au grand contentement
des parents , & encore
plus de nos deux Amans .
Il me femble qu'une nouvelle
Piéce de Vers , de nouvelle création
, mais de bonne main , ne
déplaîroit pas à mon Lecteur ;
j'ai ce qui lui convient . Le pere
du Cerceau dontle nom feul fait
l'éloge , voudra bien me permettre
que j'infere ici le joli
morceau de Poëfie qu'on lui a
dérobé , & que j'en faffe part
au public.
MERCURE. 127
LES
PINCETTES
DEDIE'ES
AUX TISONNEURS.
H
Eureux qui près dufeu peut
avoir des pincettes !
On nepeut pas toûjours difcourir
, raisonner ,
Et même en raisonnant , on aime
݈ tifonner ,
Ne fut- ce que pour faire élever
des bluettes .
On peutfe paffer de manchétes,
Mais de pincettes , non ; je prétends
m'en donner ;
Et comme dans fa poche on porte
128 LE NOUVEAU
des lunettes ,
Auffipour l'avenir je me fais une
loy
De porter partout avec moi
Des pincettes dans mes bougettes.
Va chez mon Serrurier , Picard
va promptement ,
Commander de ma part des pincettes
de poches.
Turis de ce commandement ;
Il te furprend , mais viens , pauwore
ignorant , approche
Et pefe mon raisonnement.
Jaime à tifonner ,je l'avoue ,
C'est un plaifir innocent &
permis ,
Qu'on me le paffe , ainsi qu'aux
autres , fél'alloue
Maisje ne veuxpoint être àcharge.
à mes
MERCURE. 129
à mes amis.
Fen ai grand nombre , tous gens
d'honneur , de mérite ;
Ei qui tous , comme moi, tifonnent
volontiers.
Or quand à tel d'entr'cuxje vais
rendre vifite ,
Tous deux auprés du feu les pincettes
entieres ,
Il s'en faifit d'abord , & plus il
ne les quitte.
Irai-je à ton avis fur cela le plaider
?
Le prier de me les céder ,
La Requêteferoit incivile , illicite,
Jamais il n'y confentiroit ;
C'eft fa pallion favorite ,
Etjefuis entre nous , fûr qu'il me
livreroit
Plutoft jufques à fa marmite.
Fanvier 1717.
N
130
LE NOUVEAU
Il mefaut donc, Picard , dévorer
le chagrin ,
De lui voir tout le tems les pincettes
en main.
Il s'en prévaut , il s'en efcrime
,
Et par bravade quelquefois ,
Les fait claquer entre fes doigts ,
Fene dispas que cefoit un grand
crime.
Et même il en a droit, mais j'enrage
pourtant ,
De ne pouvoir en faire autant
.
Pour fauver mon honneur du
moins avec ma canne
Fe remue un chenet , on je pouſſe
un tifon
Mais tout cela,pauvre chicane,
La pincette triomphe & toûjours
MERCURE. 13
a raison:
Une canne , en effet , même des
A plus brillantes ,
Entre- t-elle en comparaison
Avet despincettes mordantes,
Qui de tout le foyer dominent l'ho
rifon.
Reduit a me chauffer , ilfaut que
je demeure
Les bras croifez , comme un
homme perclus i
Sibien qu'aprés moins d'un
quart d'heure ,
Fe fors , n'en pouvant pref
que plus.
Dj Toi- même , rend moijufice.
N'ai-je pas doublement àſouffrir
en cepoint ,
Je le vois tifonner& ne tifonne
Nij
132 LE NOUVEAU .
point.
Ah, Picard, le cruelfupplice !
Lui , cependant pour m'amufer
,
Me tient force difcours , me
conte desfornettes ;
Mais je n'écoute point , jele laiße
jafer ,
Etje nepenfe qu'aux pincettes ;
Je ne difconviens pas que le feu
ne foit bon,
Maisjefens qu'ily manque encore
quelque façon,
Je trepigne , & fur pied je féche
de colere
De voir à mes yeux un tifon ,
Quipeut-êtrefait bien, mais qui
pourroitmieuxfaire .
Tantoft un des chenets paroift trop
écarté
MERCURE. 133
Ou la bûche n'eft pas mife du bon
Sv14 - côté;
f-
Lefeu n'est pas dreffé dans les bonnes
methodes.
Il chauffe ici la plaque & là les
Antipodes3
Unpeu trop ou trop peu de
Jour
Egalement nuit tour à tour.
Ce font là des délicateffes,
D'accord & l'on fe peut chauffer
fans tant defoins
Fai tort d'y rechercher tant d'art
& de fineßes ,
Mais tel que je fuis fait , on n'en
fouffre pas moins.
Et dequoi s'agit- il, pour m'ôter
cette épine ?
D'avoir des pincettes à moi ,
Ob,j'en aurai,je t'en donne
Ń iij
134 LE NOUVEAU
ma foi.
Mais j'ai bien autre chofe encore
que j'imagine,
Et qui de tout le mal va couper la
racine,
De pincettes , Picard , dans mon
Appartement
Fen'ai, tu le/çais bien ,jamais eu
qu'unepaire ,
Et quandon vient me voir , fans
autre compliment
Je m'enfaifis pour l'ordinaire .
C'est mon droit , je ne puis même
faire autrement ,

tel
LesPincettes font mon aymant:
Cependant je fens bien
tout bas en gronde ,
que
Et dit entre fes dents : pefle du
tifonneur !
Je dis aufli tout bas : peſte du
MERCURE. 135
raisonneur !
Mais il faut deformais contenter
tout le monde.,
Et pour cela voici mon plan,
Je veux qu'à mes amis , & ceſoin
doit leur plaire ,
Comme on donne à chacunfonfiége
&fon écran
De pincettes auffi l'on preſente
une paire ;
Que chacun indifferemment,
Et fans que l'on s'en formalife
,
A droite, à gauche librement ,
Puiffe tifonner àfa guiſe.
Nous pouvons tenir fix autour de
mon foyer ,
Figure-toi nous voir tous avec des
pincettes,
Comme aves autant de ra-
Niiij
136 LE NOUVEAU
}
quettes
Sur les tifons nous égayer.
Souvent l'un défera tout ce qu'au
ra fait l'autre ,
Et je ne pense pas que l'on s'en
porte mieux ;
Vouspouffez mon tifon , moi je
pousse le vôtre,
Ce que vous trouvez bien me blef-
Se à moy lesyeux.
Tien , Picard , te feront des
charmes,
De nous voir efcrimer tousfix autour
du feu
Car nous ferons là tous avec égales
armes,
Les tifons danceront & tu verras
beaujeu.
Et comme ce fyflême eft excellent ,
je gage
MERCURE.: 137
Quepar tout ilfera bientôt mis
enufage ,
Maisj'en aurai l'honneur ; avant
moy nul mortel -
N'a jamais , que je fache, in
vente rien de tel.
Je veux que dans les obeminées
,
Six pincettes du moins bien conditionnées,
Trois de chaque côté figurent en
regard,
Chacune enfon croisant àpart.
L'utile fe rencontre ici joint an
commode
Mais je t'arrête trop, va vîte de
ce
pas,
Cours chez mon Serrurier , carje
ne voudrois pas
Que devant moi quelqu'autre en
138 LE NOUVEAU
amenat la mode.
Depincettes dis lui qu'ilfaut,
Qu'il ait à me livrer fix paires
au plutoft ;
Je dis fix fans compter les pincettes
de Ville ,
Vois ce que c'eft , Picard,que
d'être habile.
J'ai crû qu'il ne feroit point
hors de propos de préfenter
ici un Tableau general des évemens
les plus importans arrivés
dans l'année derniere 1716. Je
l'ai tiré en partie du Suplément
de la Gazette d'Amfterdam , perfuadé
qu'il étoit difficile de pouvoir
en donner un plus fidel
crayon.
MERCURE. 139
Recapitulation generale des évenemens
les plus remarquables
de l'année 1716 .
D
I.
Ans la fituation où fe trouvoient
les affaires au commencement
de l'année derniere ,
il étoit bien difficile de prévoir
qu'elles en feroient les fuites
& de porter un jugement certain
parmi tant de changements qui
arrivoient tous les jours . La Paix
dont plufieurs Etats commençoient
à jouir , ne paroiffoit pas
encore bien affermie , & les laiffoit
dans l'embarras de remedier
1
140 LE NOUVEAU
à tant de maux , & de défordres
caufez par une fi longue guerre .
Celle du Nord , bien loin de finir
, fembloit prendre de nouvelles
forces , depuis le retour
du Roy de Suede dans fes Etats ,
où ce Prince toujours le même,
nonobftant toutes les difgraces,
fe propofoit de recouvrer les
Provinces qu'il avoit perduës .
Les troubles augmentoient auffi
en Pologne , à mesure que l'on
travailloità les pacifier ; & même
on en étoit venu à diverfes
hoftilitez .
Tout cela faifoit craindre de
fâcheufes influences de la partde
la Porte Ottomane , qui ne
cherchoit qu'à profiter de ces
divifions ; & qui , fière de fes
MERCURE. 141
conquêtes dans la Morée , nefe
de porter
flattoit pas moins que
la terreur en Italie , d'envahit
en même- tems la Hongrie
& les autres Provinces võifines ,
afin de couper tout fecours aux
Venitiens. L'Empereur de foncô
té voyoit bienlagrandeurdu peril
, & la neceffité indifpenfable
de fecourir promptement fes
Alliez Mais il fortoit d'une
guerre qui l'avoit mis prefque
hors d'état d'en entreprendre
une nouvelle ; & il Y avõit peu
d'apparence qu'il pût être fecouru
affez toft pour ſe charger
d'un fi pefant fardeau , dans un
tems ou toutes fes Provinces
Hereditaires , & l'Empire même
avoient befoin de foulagement
142 LE NOUVEAU
& de repos : de forte qu'en confiderant
toutes ces difpofitions ,
on voyoit par tout beaucoup
plus de fujet de craindre que
d'efperer.
I I.
On a donc été agréablement
furpris , de voir les affaires
changer fitôt de face , & prendre
de tous côtés un train de redreffement,
qui donne de fifavorables
efpérances pour l'avenir .
Pour commencer par la Hongrie,
on a admiré que l'Empereur
ait pû oppofer à tems de forces
capables de faire tête à cellesdes
en nemis , compofées de l'élite de
leurs Troupes, qui étoient fi fort
fuperieures en nombre aux
MERCUR . 143
1
troupes
Impérialles
. Il eſt vrai
celles-ci étoient
comman- que
dées par le Prince Eugene de
Savoye Mais il faut avoüer
ne s'attendoit
qu'on
pas
que ce General
, quelque
haute
opinion
qu'on cut de fa conduite
, pourroit
mander
fitôt
(& de l'attente
- même du Grand
Vizir ) l'entiere
défaite
de l'Armée
Ottomae
, prés de Peter-
Varadin
& d'une manierefi
com
pléte , qu'il n'a pas été poffible
auTurc defe rétablir
da refte de
la Campagne
. Cette
fameule
Victoire
fuivie de la conquétede
.
l'importante
Place deTemifvvar
& de plufieurs
autres
avantages
, a non feulement
délivré
Ja Hongrie , la Tranfilvanie
144 LE NOVEAUU
& les autres Provinces voifi.
nes , mais elle a porté la terreur
dans l'EmpireOttoman , & l'a ré,
duit àfontour àfouhaiter la paix:
Elle a relevé l'honneur des Armes
Chrêtiennes , & contribuć
par cette diverfion au foulagement
de la Dalmatie , à la retraite
précipitée de la flote Ottomane
, & à la levée du mémotable
Siége de Corfou , où le
Maréchal de Schulembourg a fibien
mérité par fa belle deffenfe ,
les honneurs qui lui ont été
décernez par le Sénat de Venife .
La République a commencé à
reprendre divers autres poftes ;
& elle fe voit en état de pouffer
heureufement fes progrés la
Campagne prochaine , par le fecours
MERCURE. 145
cours des forces auxiliaires d'Efpagne
, de Portugal , & des autres
Puiffances , qui fe trouvent
à la portée d'ouvrir la Campagne
de bonheur.
L'Italie le voit en même tems
délivrée de crainte , auffi bien
que la Pologne , où l'efprit de
pacification femble avoir repris
entierement le deffus : Et enfia
il y a lieu d'efperer que les
mefures que tant de grands
Princes prennent de concert ,
pour rétablir la paix du Nord,
produiront enfin leur effet pour
le bien de tous les Etats qui y
font interreffez , & pour le repos
de tant de peuples , qui fouffrent
depuis filong tems.
146 MERCURE
.
III.
L'Angleterre aprés avoir été
agitée violemment par deux Partis
oppofés , jouit à préfent d'un
calme , qui par les précautions
qu'elle a prifes , doit être du
rable. La nouvelle confédération
qu'elle vient de former avec
la France fur les fondements
folides d'une mutuelle confiance
, femble devoir en repondre .
Par cette Alliance , les deux
Royaumes ne fe trouvans plus ,
pour ainfi dire, en oppofition, comme
ci - devant : mais pûtôt en
conjonction ; l'un & l'autre Peuple
ne s'occupera à l'avenir qu'à
travailler l'envy à leur commune
confervation
MERCURE. 147
IV.
A l'égard de la France , quand
on confidere l'état où l'avoit réduit
la derniere Guerre , les dettes
immenfes contractées , les
Domaines de la Couronne alićnez
, les revenus de l'Etat prefque'anéantis
par une infinité de
Charges ; les Impofitions ordinaires
confommées par avance,
& les peuples épuifez ; on ne
peut s'empêcher de reconnoître
le bonheur du Royaume , d'a
voir trouvé un Prince Régent
pendant la Minorité du Nouveau
Roy , cap ble de foûtenig
un poids fi accablant , de dé
O ij
148 LE NOUVEAU
brouiller ce Cahos , & de s'ouvrir
une route fûre , pour procurer
enfin le foulagement des
Peuples , pour rétablir l'abondance
dans le Royaume , pour
pacifier les troubles de l'Eglife ,
& pour affermir la Paix au dedans
& au dehors . S. A. Royale
y a déja travaillé avec tant de
fuccés , & on eft fi perfuadé
que toutes ſes maximes tendent
à ce but , qu'on en peut efperer
qu'une très heureuſe iffuë ,
V.
L'Arrivée du Czar dans les
Provinces Unies , eft un évenement
des plus remarquables de
l'année derniere , & d'un bon
MERCURE . 149
augure pour l'avancement de la
Paix du Nord. La defcente en
Scanie , n'ayant pu avoir lieu au
temps marqué , à caufe de divers
contre- temps furvenus , &
ayant été renvoyée au Printems
prochain , Sa Majesté Czarienne
enfuite de quelques conferences
avec le Roy de Danemark
s'étoit renduë de Copenhague à
Havelberg, pour conferer avec
le Roi de Pruffe , aprés avoir
fait marcher fes Troupes dans le
Metklebourg , & fa Cavalerie en
Pologne , pour être à portée de
paffer au Printemps en Danemark.
En attendant , S M. eft
venue faire un tour en Hollande ,
ayant voulu revoir encore un
Pais pour lequel elle a toûjours
150 LEN OUVEAU
confervé beaucoup d'affection ,
depuis le voyage qu'elle y fie
en 1697. On efpere que le féjour
que S. M. y fera , ne fera pas
infructueux pour la Paix du
Nord : & que l'entre- vûë qu'elle
fe propofe d'avoir avec le Roi
de la Grande Bretagne , contribu
ra à faciliter l'execution
d'un fi bon deffein , pour lequel
leurs Majeftez ont une forte inclination.
Au refte , on ne peut
affez admirer l'attention de S.M.
Czarienne , à remarquer ce qu'il
ya de plus curieux dans les
Arts & les Sciences , & fon ap
plication à tout ce qui peut contribuer
à perf &tionner fes Sujets ,
àfon exemple , dans les connoiffances
utiles , outre toutes les
MERCURE. 15
autres grandes chofes qu'elle a
faites , & qui la font regarder
comme le Fondateur & le Legiflateur
d'un nouvel Empire .
le
On ne peut paffer fous filence
le Traité d'Alliance qui fut figné
4. de Janvier entre la France
& leurs Hautes- Puiffances , conjointement
avec 1 Angleterre
quoiqu'il anticipe fur l'année
1717. Ces Puiffances voisines
vont devenir en quelque maniere
le même Peuple : l'interêt
commun de fe maintenir dans
P'état tranquille dont ellesjoüiffent
par la Paix , fera un lien
puiffant, qui les tiendra unis in-
Téparablement.
152 LE NOUVEAU
VI.
ainf L'année derniere
que les précédentes , a fourni
diversexemples , qui remet
tent devant les yeux la fragilité,
& la viciffitude des chofes
humaines . Tel eft celui de
la naiſſance du Séréniffime Archiduc
, qui aprés avoir été un
fi grand fujet de joie pour la
Cour Imperiale , a été fi tốt
changé en un fujer de deuil , par
la mort de ce jeune Prince ; fans
néanmoins qu'il ait éteint les
efperances que l'on avoit conçûës
, puifqu'on a la confolation
de
MERCURE
.
153
de les voir renaître par l'heureufegroffeffe
de l'Imperatrice
.
L'H
'Homme
eft naturellement
né curieux , il eft avide de
connoître
ce qui fe paffe au- delà
de fa fphere ordinaire
: quand il
ne peut fe tranfporter
lui - même
dans les Régions
les plus éloignées.
Il eft charmé d'être intruit
de ce qui s'y paffe par
quelque voyageur
, ou par quel
que defcription
qui puiffe cone
tenter fon défir ; c'eft ce qui
m'engage
de lui donner la Rela,
tion fuivante
: Elle contient
des
Faits affes finguliers
, pour être
communiquée
au Public ; je la
garantis trés fidéle & tres exacte,
Fanvier 1717 .
P
i54 LE NOUVEAU
4 . A ARICA.
M
Côte du Perou .
Ges Fevrier 17 16.
Nous fommes enfin arrivez
ici depuis deux jours ; ce
n'a pas été fans avoir effuyé
bien des travaux & des périls ,
auxquels on eft expofé pendant !
une navigation de 8 mois . Je
pafferai fous filence une infinité.
de hazards , tous plus terribles
les uns que les autres ; pour ve
nir à celui- ci , dont nous n'écha
MERCURE. 155
.
pâmes que par une efpéce de
miracles ; vous en jugerez par
le récit fuivant .
Après deux mois & demi de
tempête fur le Cap Hoorn , le
4 Avril ayant fait plufieurs ma-
Onoeuvres durant une nuit des
plus facheuſes , tantôt à la Cap
fous l'artimon , & quelquefois
arrivans fous les Fanons de Mifaine
, ne pouvants plus foûtenir
à la mer nous nous trouvâmes
à la pointe du jour à
deux lieues de la Terre de Feu ,
Le jour fe faifant , nous vîmes
l'impoffibilité qu'il y avoit de
doubler aucune pointe de la
terre , par le travers de laquelle
nous étions abîmans par la mer,
& le vent qui nous chargeoint
>
Pij
6 LENOUVEAU
à la côte. Nous jettames nos
canons à la Mer , & le Confeil
affemblé , on réfolut dans cette
extrémité de faire vent en arriere
fur la terre à mats & à
cordes fans voiles : aprés avoir
entrevû une eſpèce d'enfoulement
, remettant pour lors
notre fort à la miféricorde de
Dieu . Nous ne comptions déja 4
plus fur la vie , lorfque dans
une éclaircie qui fe fit , nous
découvrîmes un endroit , où
nous pourrions être à l'abri ;
nous y courumes avec la Mifaine
, nous y trouvâmes bon !
fond , & Y moüillâmes comme
dans un Port de falut. La joye
alors parut autant fur nos vi-
Lages , que l'abatement y étoit
**
MERCURE.
157
peint , une heure auparavant.
Nous y reftâmes quinze jours
par des tems affreux , dégradant
quelquefois d'un endroits
aprés avoir perdu nos ancres
pour aller chercher quelque
autre abri par de nouveaux hazards
. L'entrée de cette Baye
n'a pas plus de deux lieües de
large ; de forte qu'aprés les routes
différentes que nous fîmes
la nuit ; fi nous avions été une
lieue plus de l'avant , où plus
de l'arriere , nous perdions cette
ouverture que nous entrevîmes ,
& nous n'en revenions jamais .
Notre Navire a été le premier
qui ait jamais moüillé ſur cette
côte.
Le Jeudy - Saint , le Capis
Piij
158 LE NOUVEAU
taine & moi defcendîmes à terre
pour la confidérer , & tacher en
même tems de tuer quelque gibier
pour nous régaler , nous
apperçûmes de la fumée dans un
bois au bord de la mer ; ce qui
nous détermina à tourner vers
cet endroit , foupçonnants que
pourrions-nous découvrir quelques
Sauvages . Nous en trouvâmes
en effet , qui nous reçûrent
comme des gens épouventez ,
avec des hurlemens & des cris
terribles . Ils difparurent dans
l'inftant par une fuite précipitée ;
mais quelques moments aprés ,
ils revinrent en plus grand nombre
, & s'approchant de nous
peu à peu , ils
nuds comme
peur. Ils étoie erent d'avoir
"
MERCURE. -
159
eux .
la main , hommes , femmes &
enfants , s'affeyans comme des
finges fur la nége ou fur la glace .
Nous fimes abatre du bois , &
aprés avoir fait grand feu &
bonne garde , nous fimes bientôt
connoiffance avec
Les fignes en cette occafion ,
nous fervirent de truchement .
Notre Capitaine avec quelques
habiles tireurs allerent chaffer ;
pour moi je reftai avec une
vingtaine de nos gens au milieu
de ces Sauvages , que je ne
pouvois trop admirer , comme
de leur côté , ils ne pouvoient
s'abstenir de manier mes habits
& ma barbe. Ils font petits ,
mal faits , fans barbe ni poil
de couleur rougeatre , avec des
>
Piij
160 LE NOUVEAU
cheveux longs & noirs.
Pour les femmes , elles font
encore plus épouventables ;
leurs pendants aux oreilles , au
né & à la lévre inférieure , des
pierres ou coquilles de différentes
couleurs . Pour paroître
plus aimables , elles ont grand
foin de fe peindre le corps d'un
rouge trés éclatant , & le vifage
d'un noir auffi luifant qu'un
Maroquin du Levant. Ces Peuples
fe logent dans des tanieres
moitié dans la terre , & moitić ,
dehors . Ils n'ont que le langage
au- deffus des bêtes , faifant tou→
tes leurs néceffitez en vous para
lant , avec moins de fcrupule
que lorfque nous nous mouchons
. Notre troupe étant reveMERCURE.
` 161
nuë chargée de toutes fortes
de gibiers ; nous nous en fé
parâmes aprés leur avoir laiffé
quelques haches & des coureaux
: Ils nous donnerent en
troc des fléches d'une ftructure
nouvelle , avec des coliers de
differents petits coquillages ,que
je vous deftine à mon retour.
Le Vendredy- Saint ; nous
partîmes de cet endroit que
nous nomâmes la Baye Saint
François du nom de notre Nayire
, aprés y avoir planté une
grande Croix , fur laquelle nous
y gravâmes le nom de notre
Vaiffeau & l'année. 19
Le lendemain nous découvrîmes
quatre ou cinq Ifles jufques
lors inconnuës , auxquelles nous
Piiij
162 LE NOUVEAU
donnâmes le nom de notre Ca
pitaine Enfin aprés avoir extrémement
fouffert , nous arrivâmes
à la Conception du Chily
avec un peu de pain & d'eau ,
étant prefque tous fcorbutiques ,
l'air de la terre & la bonne
nourriture nous eurent bientôt
rétablis . C'eſt affûrement un
des plus beaux , Païs du monde ,
tout y abonde naturellement ,
fans qu'on ait befoin de culture .
Les femmes Espagnoles y
font plus que galantes , on y
joue , on y chaffe & l'on y fait
bonne chere : Enfin aprés quelques
mois de féjour , il nous a
fallu quitter ce canton pour
nous rendre à Arica , d'où je
vous écris , c'eft fans difficulté
MERCURE. 163
f
l'endroit de la côte où il aborde
le plus d'argent , par la proximité
des mines du Potofi , qui
font dans les terres avant ,
d'environ foixante lieuës. On
ne peut s'imaginer un Paifage
plus effroyable ; il femble
que ce n'eft qu'à regret que la
terre donne ce miférable métail ,
dont les pauvres mortels font
fi fort altérez. Aprés qu'on l'a
tiré des mines avec des peines
incroyables. On le tranfporte
à travers des montagnes arides
& feiches , fans eau ni aucune
verdure.
Nous fommes moüillez entre
deux petites montagnes
toutes blanches de fiente d'oiſeaux
: Il y en a une fi grande
164 LE NOUVEAU
quantité , que fort fouvent
ils nous dérobent la clarté du
Soleil . Les Efpagnols s'en fervent
comme d'un excellent fumier
, dont ils en chargent tous
les mois quelques Vaiffeaux
pour le tranfporter à Lima.
Nous formes affiegez d'une
fi prodigieufe quantité de Baleines
,que l'air qu'elles exallent,
joint à l'odeur de cette fiente ,
caufe une infection fi dangereufe
, qu'elle eft mortelle à la
p upart des Etrangers ; nos
François y trouvent prefque
tous , leur cimetiere , & s'il en
meurt dix ailleurs , il en perit
ici deux cents. La terre y tremble
continuellement , & quelquefois
d'une maniere fi terMERCURE.
165
l'on ne fçait où fe rerible
que
fugier
.
Si nous allons à la Chine , &
delà en France par les Indes
Orientales , nous aurons faits à
peu prés le tour du monde ;
je veux dire un cercle fur fa
circonférence ; ce qu'il y a d'extraordinaire
, la route aura toujours
pris de l'Oüeft en allant
comme en revenant.
Il y auroit bien des ſujets de
méditation pour un fçavant
Aftronome . Il y obferveroit des
Etoiles , des Méteors & des Phenoménes
qui changent de climat
en climat : la Lune - même
paroît fujette à des irrégulari
tez extraordinaires .
Nous avons vu pendant fix
16GLE NOUVEAU,
mois deux petits nuages d'étoil
les blanches , qu'on appelle
Magellaniques ; à préfent ils
ont difparus : En échange nous
avons recouvré de nouveaux
aftres , qui nous étoient cachez
auparavant .
ils ne
Pour nos Marins
font pas grands fpéculateurs
ils fe mocquent de moi , quand
ils me furprennent la nuit , faifant
la revûe de mes étoiles ;
ils me difent qu'on vient ici pour
voir des piaftres , & non les
aftres.
à
Nous avons compté en arrivant
ici , prés de 40 Navires
François , il n'en refte pas 15
préfent : Les uns après avoir
vendu à tous prix , font allés à
MERCURE. 167
la Chine , & les autres s'en
font retournez en France . Je ſuis
M. & c.
CO *** CMS?
APrés avoir promené leLecteur
dans l'Amérique Méridionale
, Occidentale ; tranfportons
le à preſent dans la Septentrionale,
En y voyant un autre
Ciel, il y verra d'autres Peu-
Ples , d'autres moeurs . Je lui
donnerai le fpectacle d'un Siége
dans les formes , & comment
il a été attaqué par les François
& défendu par les Sauvages ; II
n'a qu'à me fuivre.
168 LE NOUVEAU
M
A QUEBEC.
Le 18 Octobre 1716.
Nous fortons d'une expédi
tion contre les Sauvages denhaut
, qui mérite bien que je
vous en communique les particularitez,
Ces Peuples connus fous le
nom des Outagamis ; c'eſt - à -
dire Renards , fe confiant (ur un
nouveau Fort qu'ils avoient éle
vés & qu'ils croyoient imprena
bles , faifoient des courfes continuelles
fur les autres Nations
amies
MERCURE. 169
amies desFrançois , & interrompoient
par là le cours du Commerce.
Pour reprimer ces défordres
& les mettre à la raifon , on
forma un petit corps d'Armée ,
composé de 300 François , auxquels
on joignit 600 Sauvages
de nos Aliez . Mr de Louvigny
Major de Quebec , & tres brave
Officier , fut chargé du commandement
de cette Troupe
aprés plus de 400 lieues de marche
nous arrivâmes enfin proche
les habitations des Renards ;
cette Nation eft à l'Ouest du
Lac des Illinois , proche la Baye
des Poute bu Atamis , & prés la
fource d'Ovisconfin , petite Riviere
qui fejette dans le Fleuve
Fanvier 1717. Q
170 LE NOU VE A U
du Mififfipi , nous les trouvâmes
retranches derriere trois rangs
de hautes Paliffades de gros bois
de Chêne , chacune féparée par
des foffés tres profonds . Malgré
la difficulté de l'entreprife, on fit
toutes les difpofitions neceffaires
poar les attaquer : la Tranchée
fut ouverte affez prés de la Paliffade
ils firent un feu continuel
de moufqueterie fur nous
pendant deux jours & demi :
maisfimal - à- propos ; que tous
leurs coups étoient perdus ; le
notre fut bien different ; comme
nous avions fait tranfporter
dans nos Canots deux mortiers
à grenades & quatre petites piéces
de Campagne ; cette artilieric
fit feu en même tems , une
A
ཟླ
MERCURE. 171
de nos grenades ayant crevée en
l'air , leurs femmes en furent fi
effrayées qu'elles fe mirent à
crier , voilà la mort qui vole
le maître de la vie eft irrité contre
nous. La feconde grenade
fit un effet beaucoup plus terrible
: car étant tombée fur une
de leur Cabane , elle en creva
le toit , & une vafte chaudiere
dont les éclats tuérent ou blefferent
plufieurs de ces Sauvages.
Les Outagamis confternés de
cefr acas , n'antendirent pas
qu'on les forçat : ils députérent
un de leurs principaux chefs
avec le Calumet ou la pipe de
paix , pour traiter d'accommodement
on leurs a impofé telle
Loy qu'il a plû ; on les a obligés
"
Qij
172 LE NOUVEAU
furtout , à nous dédomager de
la dépenfe que la Colonie avoit
faite pour les réduire , & à nous
remettre fix des plus confidérables
de leur Nation en otage .
Il y avoit environ trois mille
perfonnes dans ce Fort , dont
la moitié ; fçavoir, les Viellards ,
femmes & enfans s'étoit enfouie
fous terre comme des Renards
dans de profondes cavernes que
ces Peuples avoient pratiqués au
milieu de ce rempart : cette at .
taque ne nous a coûté que deux
de nos Alliez , & un François
bleffé.
Mrle Marquis de Vaudreuil
Gouverneur Général de la Conie
, arriva ici de France fur la
fin de Septembre : il y étoit pafMERCURE.
1-3
fe pour nous procurer de nouveaux
avantages. Jefuis M & c .
Npouroit prefque comparer
un Mercure à un habit
d'Arlequin , c'eft un composé de
toutes fortes de piéces de differentes
couleurs , & cette bizarrerie
fans doute en eft un des principaux
agrémens ; il y faut coudre
tout ce qui paroît bon c'eft
la raifon pour laquelle on trouvera
ici la Lettre fuivante ; je l'ai
jugée trop bien écrite pour ne lui
pas donner place dans ce recueil.
D'ailleurs comme la perfone
qui ma fait l'honneur de me l'adreffer
, m'eft inconue , je ne
puis micux lui marquer ma re174
LE NOUVEAU
connoiffance qu'en la rendant
Publique . J'agirai toujours ainfr
toutes les fois que l'on s'offrira
à moi d'auffi bone grace.
Souvent j'ai medité d'abandonner
la Lyress
Mais tel eft le deftin des enfans
d'Apollon
Toujours vers lefacré Vallon ,
Unpenchant obſtiné, malgré nous,
nous attire.
Aprés ce début M. vous
devés pas douter , que je ne
vous faffe part de mes amufemens
je le ferai avec dautant
plus de plaifir , que fur le récit
qu'on ma fait de ... Je
me fens une forte inclination de
MERCURE. 175
fier avec vous un commerce d'amitié.
J'efpére b. aucoup d'une
union . qui fera l'ouvrage des
Mufes. Je vous ferois bien
obligé , fi vous vouliés m'apprendre
la forme que vous donnerés
à vos Recueils . Cela me
procureroit la facilité d'y conformer
ce que je pourrai produire
, il ne faut pourtant pas
que vous conceviés une trop
grande idée de moi. Voici mes
talens.
Exprimer tendrement un amonreux
miftere ,
Chanter mes plaifirs , mon
chagrin;
De depit quelque-fois abandonner
Cithere
,
176 LE NOUVEAU
Et recourir au Dieu du vin,
A Bbé. C'eſt àpeu présce queje
pourraifaire
Comme il faut cependant varier
Lesfujets
Fefçais , d'un grain defel artique
Affaifonner ane critique.
La Satyre à l'esprit fournit d'aimables
traits. RUST ( 2
Quelquefois je pourrai d'un mos
faire un myflere , auslas
Et par- làpréparer au Lecteur obfiné,
Qui de le rencontrerfaisſon unipos
que affaire
Le plaifir confolant de l'avoir deviné
Mais voici le meilleur , &le moin,
ordinaire ,
chez
MERCURE. 177
Chez ce qu'on appelle un Auteur
;
Si mes Vers n'ont le don de
plaire;
S'ils neflattent l'efprit ou ne gagnent
le coeur
Cher Abbéjefçaur ai me taire.
Je fuis M.
DE
E deux Differtations cu
Lettres fur un Livre nouveau
intulé , Voyage du Parnaffe,
qui m'ont été envoyées ; j'ai préferé
celle qui m'a paru la moins
partiale : Dans la premiere que
j'ai rejettée & qui étoit fans nom.
l'Auteur y étoit traité fans miſericorde
: on ne faifoit graceni ,
fa Profe , ni à fes Vers : on pla-
Fanvier 1717.
R
178 LE NOUVEAU
çoit l'un & l'autre beaucoup au
deffous du modele fur lequel il
s'eft conformé , qui felon nôtre
Cenfeur , n'eft ni la Satyre de
Petrone , ni les Ragguali di Parnaſſo
è la Secretaria di Appolle
car ces deux ouvrages font excellents
) mais plûtôt une certaine
Hiftoire d'Anacreon , qui
parut il y a quatre ou cinq ans.
Notre Critique continue à
peu près fur ce ton .
moi qui ne veut point violer la
loi que je mefuis impofée , &
qui veux obferver une exacte
neutralité , je m'en fuis tenu à
la Lettre de M. Raimond
j'efpere qu'on me fçaura gré
de lui avoir donné la préference,
Pour
MERCURE. 179
********
LETTRE
A MONSIEUR
***
Sur le Voyage du Parnaffe ,
Par M. RAIMON D.

n'avoit employé d'autres
armes contre les modernes
que des Préfaces & des calculs
d'autorité . Ils avoient toûjours
répondu par des preuves & des
démonstrations : & la timide
Géométrie , qui n'ofe croire ,
Rij
180 LE NOUVEAU
fans être convaincuë , s'étoit affociée
à leur cauſe. Cet appui
fi confidérable leur fembloit devoir
décider la diſpute : Mais
toutes les reffources de leurs adverfaires
n'étoient pas épuifées ,
Un d'entr'eux s'élève de
nouveau contre une Secte fi
funefte à l'érudition , & dans une
fiction ingénieufe , où il décrit
avec exactitude l'ordre hyerarchique
des Favoris des Mufes.
Il dreffe une attaque d'autant
plus difficile à repouffer , qu'elle
eft foûtenue par la fatyre la
plus fine & la plus délicate.
Ce coup inopiné ne triompheroit
- il pas , M. , de votre
conftance à demeurer dans l'erreur
: & la demande que vous
MERCURE. 181
m'avez faite de l'extrait de cet
Ouvrage , ne feroit - elle pas le
commencement d'un heureux
retour ? Je vais faire enforte de
concourir à cette métamor
phɔfe , en vous donnant un fi
déle , mais vif précis de la critique
. Que pourroit contre nous
belprit adroit des novateurs , fi
nous avions de notre côté le
fubril Mercure ?
On ne s'y peut méprendre ;
le nouveau Géographe du Parnaffe
eft fort exacte fur la Chronologie
. Malheur à tout Poëte,
qui fe préfente fous fa plume,
fans être marqué au coin reſpectable
des ans . Cet intégre
perfonnage ne sçauroit pardonner
à une datte tant foit pev
R ij
182 LE NOUVEAU
moderne. Pourquoi , diront nos
Ecrivains d'ordinaire mauvais
plaifans , ne fommes- nous
pas nés du tems de Virgile ?
nous aurions un approbateur
de plus . Comme le but principal
de la relation eft de foudroyer
les Partifans de ce fiécle
, on ne perd point ici dé
vûë cet objet . Par tout l'érudite
antiquité triomphe . Par tout
l'ignorance de nos jours trouve
de quoi fe deffiller les yeux . Il
n'eft pas jufques à nos beaux
efprits , à qui on n'enlève le
mafque ; & ceux que nous
'avions crus toûjours les plus
univerfels dans l'éloquence &
dans la Poëfie ; maintenant dépouillés
de ces talents , dont
MERCURE.
183
ils ne poffedoient que le Phanôme
, rougiffent d'avoir pour
out mérite une connoiffance
affés éxacte de leur propre
langue .
la
Quelques délicats à la vérité
trouvent à redire dans la maniere
, dont les interlocuteurs
foûtiennent ici leurs diverfes
opinions . Il leur paroît que
caufe de M. de la Motte Y eft
condamnée, même avant d'être
inftruite , & qu'on ne lui donne
des Avocats , que pour prononcer
plus juridiquement fon
Arrêt : Mais cette objection eft
légére il faut avouer qu'on
infulte vivement dans cette production
aux ennemis du goût
Chronologique , & qu'on y fon-
R iiij
184 LE NOUVEAU
ge plûtôt à les opprimer , qu'à
les convaincre ; mais n'importe,
en matiere de difpute , une injure
vaut bien plufieurs arguments
.
Voilà ce me femble , M.
une efquiffe affés fidélement
tracée ; commençons à vous
donner une copie plus correcte .
L'Ouvrage divifé en deux parties
, dont chacune contient fix
Livres , s'annonce pour Poëme
au Lecteur par une courte Préface.
Plût au Ciel que nous
n'cuſſions jamais à effuyer d'avertiffements
moins utiles ?
Tout à coup le Réparateur
des Torts entre en matiere , occupé
tout entier du défir de
voir le féjour des Mufes ; il dé
MERCURE. 187
bure par une invocation , &
chaque parole qu'il prononce,
opére un prodige .
Déja fa priere eft oüye
Calliope vient , il la voit.
La Déeffe lui amene le courcier
aîlé des Poëtes. C'eftà re
gret qu'elle ne le conduit pas
elle-même au Parnaffe . Il ne
faut pas moins pour l'en empêcher
, que la multitude des ordres
exprés , dont Apollon l'a
chargée pour la République
des Lettres . La confiancequ'elle
a dans la force & l'adreffe du
Cavalier, lui fert à peine de confolation
. Cependantfon Favori
eft déja bien loin , & elle parle
186 LE NOUVEAU.
encore ; Pegafe vole, il parcourt
des efpaces immenfes il apperçoit
la double cime , il bat
des ailes , & plus léger qu'un .
trait , il porte le curieux voyageur
fur le mont facré . Que
de miracles en un inftant !
Un commencement fi extraordinaire
ne promet pas des fuites
moins étonnantes . L'étranger
rencontre deux habitants de la
Région Poëtique , qui bientôt le
devinent un de leurs confreres :
Et c'étoit-là ceux que le Dieu
des Vers lui deftinoit , pour
lui donner une parfaite connoiffance
de ce Pais fi fameux.
L'un dont les lauriers cachent
les cheveux blancs , eft introduit
fous le nom de Crantor , l'autre
A
MERCURE. 187
nommé Cliton , eft plus jeune,
& d'un exterieur moins négligé.
Tous deux , à ce qu'on nous apprend
ici , font l'honneur des
rives du Permeffe , & par conféquent
le font prefcrits pour
loi , une réligieufe admiration
des anciens . Suivez , Monfieur ,
ces illuftres guides , & vous
allés faire plus d'une décou
verte importante : Avec leurs
fecours je vais vous montrer des
enchanteurs , où la raifon pareffeufe
à inventer , n'apperçoit
que des moulins.
Les images fe préfentent en
foule ; là fur les bords rians ;
que baigne Caftalie de fon liquide
cristal , le Chantre immortel
du fougueux Achille
188 LE NOUVEAU
boit à long trait le nectar. Chaque
inftant le voit briller d'une
gloire nouvelle . Apollon fans
ceffe le pénetre des plus vivifiants
de fes rayons ; fans ceffe
il fe complaît à voir dans ce
Divin Génie, renaître fon image.
On voit aux côtés de l'augufter
Grec la fidéle Prêtreffe . Ici
Pindare rendant Orphée jaloux
de fes fons harmonieux , lui
fait brifer de dépit fa lire . Le
Poëte paroît plus grand que
les Héros- mêmes , dont il chante
les exploits . Cependant la trompette
bruyante fait retentir les
airs en voix pluſqu'humaine .
Du Deftin des Latins prononce
les Oracles.
MERCURE. 189
Peut-on méconnoître celui
qui la guide . C'est le Souverain
du Pinde ou c'eft le Paſteur
de Mantoüc.
J'allois pourfuivre fur ce ton
emphatique , fi un utile incident
ne m'eût averti , que vous at
tendiez de moi un fimple extrait,
Le plaifir dont le Voyageur fortuné
goute les charmes , eft bien
digne , que nous le partagions,
Il eſt des demi- Sçavantes au
Parnaffe , auffi bien qu'à Paris.
Ces femmes peu fenfées emploient
une partie de leurs oififs
jours , à converfer avec leurs
comtemporains , à lire leurs
meilleurs ouvrages , à oublier
même tout autre écrit, qui pourroit
faire faire diverfion à leurs
190 LE NOUVEAU
applaudiffemens . Elles feroient
en état fur la foy de leur feule
mémoire , de donner une édition
des Corneilles , des Molieres
des Defpréaux , des Racines ,
même des la Mottes . Elles ont
parcourû fur les traces du P.-
Malbranche le vafte Pais des
abſtraits. Elles ont pénétré dans
les fecrets les plus cachez de la
Philofophie Cartefiene . Aucune
production nouvelle ne leur
eft échapée ; & fouvent de tout
Homere, elles ne conoiffent que
lenom : Ainfi, paffant leur vie à
chercher le Beau , elles meurent.
fans l'avoir trouvé . C'eft,furtout
ces piétieufes , qu'en veut le
Géographe du Païs des Mufes .
Il fe fait introduire par fes GéMERCURE.
191
nereux guides dans une de ces
Compagnies , où la Dame H autaine
, & le Courtifan infipide
font en phrafes à la mode l'Apologie
de notre Siécle . Auffitôt
nos zelés Partifans des anciens ,
entrent en couroux . Leur mauvaife
humeur éclate . Ils ne peuvent
tenir contre l'énigmatique
precision , & l'affectation ridicule
de nos Auteurs . Le ftile ,
que les autres honorent du nom
de délicat, n'eft à leur gré , qu'un
amas de pointes frivoles , & de
tours vicieux . Vainement leurs
adverfaires s'écrient qu'on
n'apprécie pas affez le merite
des vivans qu'il eft du devoir
de ceux , chez qui la paffion net
s'empare jamais des droits du
192 LE NOUVEAU
goût & de la raifon ; de dire tou
jours à leurs perils, ce qu'ils penfent
à l'avantage des autres :
que fouvent la jaloufie nous fait
tenir en garde contre le plaifir
humiliant , que nous donnent
les ouvrages de ceux , par qui
nous nous fentons furpaffes .
Ces raifons ne font qu'irriter
l'ardeur des athletes . L'Auteur
s'éguaie à les voir terraffer leurs
Antagoniſtes ..
On en vient bientôt aux citations
: la châleur de la diſpute
nuit à la mémoire. Plus d'un
Ecrivain voit à regret fa penſée
mutilée , ou privée de fon jour:
mais pour être cité fidelement,
lui en feroit- t'on moins fon procés
? Rien ne peut éviter la critique
MERCURE.
193
tique judicieufe de l'atrabilaire
Cliton. Un tel Poëte , fi l'on
en confulte le Cenfeur inexorable
, n'enviſage fon art qu'au
travers des foibles lueurs de fa
Métaphifique : il eft denüé de
fentimens il ne fçait point
peindre il ne fçait point quitter
la terre; celui - cy ne cherche
qu'à énerver fes expreffions,
àéguifer des Strophesen épigrammes
, à remplir des vers durs ,
de moralités triviales , & hors
d'oeuvre. Cet autre méprifant
dans fon orgueilleufe Philofophie
ce beau défordre , qui caractériſe
le Lirique ; donne effrontement
le nom d'Odes à de
fimples Differtations , auffifroi- ,
des , qu'uniformes ; tels , ces
Janvier 1717. S
94 LE NOUVEAU
Vaiffeauxqui n'ont point encore
vû la mer , portent quelques
fois les noms de Victorieux &
de Foudroyans.
A ces portraits fi conformes
à leurs Originaux , mais , où l'on
évite avec tant de foin les termes
injurieux , dira - t'on encore
, qu'on traite fans ménagement
les Deffenfeurs
modernes ?
des
Pourra- t'on foupçonner , que
le zele de Cliton parte d'un
autre motif, que de l'interêt
de la Poëfie ? N'en doutons
point ; il fe rencontrera de ces
fcrutateurs
impertinens des
.coeurs , qui oferont deviner
que la qualité de mauvais Poë
te n'eft pas celle qui choque
MERCURE.
195
de critique dans les Ecrivians ,
dont il vent faire la peinture .
Vous vous garderez bien
Monfieur , d'être du nombre
de ces médifants . J'en répondrois
pour vous : Mais peutêtre
allez- vous former un jugement
téméraire d'une autre
ofpéce ? Peut- être croirez - vous
que le redreffeur de nos cerfeaux
fé contente de donner
un amas de corrections ftériles ?
Non , Monfieur , il ne fe borne
pas aux préceptes ; il y joint
les exemples , Madrigaux , Epigrammes
, compliments à Climene
, Adieux à Philis , Satires,
Epitres , Odes ; choififfez dans
quel gente vous voulez écrire ,
& vous trouverez dans cette
Sij
196 LE NOUVEAU
production , les modéles que
vous devez imiter. On vous en
donne pour garands les Defpreaux
, & les Crantors.
Excufez en cet endroit mon
embarras. Quoique je vous aye
promis , je fuis contraint de renoncer
à une exacte Analife.
Auffi bien fous quelles couleurs
pourrai-je vous tracer une image
agréable du nouveau Parnaffe ?
De quel oeil confidereriés vous
les Habitans de ceMont , fans y
diftinguer même parmi la foule,
vos amis les plus eftimables .
Le Peintre nous étale dans
un Tableau pompeux la nombreuſe
Cour du Prince des Poëtes
; & combien eft - il de noms
obfcurs , qui doivent le jour à
MERCURE. 197
fon Pinceau ? L'un coudoyé
par Sophocle , eft embarraffé
dee fe voir en fi bonne compa
gnie. L'autre ne va fe places ,
qu'en tremblant à côté d'Euripide.
Une terminaifon trop moderne
, fait rejetter ceux- ci . Ceuxlà
doivent à une finale latine le
rang qu'ils occupent.
1
Au pied de la Montagne Sa
crée,l'on voit proche l'Helicon ,
une Plaine entre- coupée de Marais.
C'eſt là , que fe rendent
ceuxqui font bannis de la double
Colline. Mais , qui l'eût crû t
Le célébre Houdart en ces lieux.
Tel devoit être le fort du fucceffeur
de S. Sorlin . Une méditation
profonde eft peinte før
198 LE NOUVEAU
fon vifage . Il paroît comme
étourdi d'un coup , dont il vien-;
droit d'être frappé . L'injustice
dont il accuſe ſes adverfaires ,"
eft là caufe de fa trifteffe ; tout
à coup la voix de Rouffeau fe
fait entendre : Il approche , il
apperçoit l'Auteur de la nouvelle
Iliade & fremit à fon
afpect . Envain , pour cacher
fon trouble , il emprunte le ton
de la Satires fon ennemi , mê.ne:
vaincu , lui paroît terrible .
Le Voyageur aprés s'être long
temps occupé de cette inultitu
de de fpectacles , fuit Cliton
dans une grote , où le Dieu des ,
Vers par un nouveau nectar
reprime les vapeurs de fes Fax
voris ; quoique le fage Crantor
MERCURE. 199
trouve la tranfition incivile. Il
ne peut fe réfoudre à quitter
des perfonnes qu'il aime. Il
entre , & les premiers objets
qui s'offrent à lui , font Gliceron
& Cotinet , deux des Antagoniftes
, qu'il avoit eû la veille à
combattre dans la compagnie
de nos demis - Sçavantes. Les
Atheletes bientôt fe mefurent
des yeux. Ils fe joignent. Ils
font de nouveaux efforts pour
obtenir la victoire .
N'entendre que le fubtil Cotinet,
On nefçaitpas , s'il impofe ,
Mais il parle fur la chofe
Comme s'il avoit raison .
En effet , comme dans cette
200 LE NOUVEAU
difpute on attaque moins le
Poëte , que le cenfeur d'Homere
, les Avocats de M. de
la Motte réüniffent ici toutes
leurs forces , pour juſtifier ſon
procédé.
Il n'a felon eux ,d'autres vûës ,
que d'entendre , & de faire entendre
la raifon . Le vrai lui eft
auffi bon de la main des autres ,
que de la fienne . Il étudie dans
ce qu'on lui oppofe , ce qu'il
peut y avoir de raifonnable ,
auffi content quelquefois , en
avoüant qu'il s'est trompé , que
le peuvent être ceux qui le réduifent
à en convenir. S'il propofe
des régles pour le Poëme
Epique , c'est toujours avec la
ufte défiance où l'on doit être
de
MERCURE. 201
de foi-même. Toutes fes veilles
ne font confacrées , qu'au foin
de fauver les jeunes gens du
préjugé dangereux où les jette
une admiration aveugle , & de
purger leur éducation de la
contradiction ordinaire qui y
régne. On leur crie d'un côté ,
cela eft divin , & de l'autre on les
reprend , quand ils viennent à
l'imiter. M. de la Motte ne
fonge donc qu'à leur donner des
idées fixes & uniformes , fu
lefquelles ils puiffent régler
également leur eftime & leur
travail. D'ailleurs de quels
égards n'ufe - t'il pas dans fa critique?
Demande- t'il autre chofe,
que de pouvoir louer Homere ?
Ceux d'entre les modernes ,
.
Fanvier 1717 .
>
T
202 LE NOUVEAU

qui ont foûtenu leur parti avec
le plus de chaleur & de dignité ,
n'ont- ils pas avoués généreusement
, qu'Homere auroit peutêtre
atteint la perfection de
fon art , s'il fut né dans le fiécle
d'Augufte , ou dans le notre ;
mais que né dans le tems
l'art ne s'étoit point encore
montré , n'étant guidé par aucunes
régles , éclaire , par aucuns
exemples , on lui doit tenir
compre de fon Poëne , tout
monftrueux qu'il eft . Enfin
qui jamais , ajoute t'on , s'eft
avifé d'accufer un homme de
Géometrie , pour avoir donné
à la Poëtique fes axiomes , fes
théorèmes , fes corrollaires , fes
démonftrations.
MERCURE.
203
Je vous vois déja , Monfieur ,
partager le triomphe apparent
de votre Secte. Que peuvent
répondre , dites - vous , les deffenfeurs
de l'antiquité ? Nous
avons les lumieres de la Philofophie
, & ils n'ont que trois
mil ans d'admiration . A qui
s'en tenir au préjugé , ou à la
raifon ?
Vos argumens , il faut l'avouer
, fembleroient être autant
de coups mortels pour notre
parti , fi nous n'avions de notre
côté le genie fublime du Sçavant
Crantor. Quel charme ! de
le voir , tantôt commenter les
autorités tantôt manier la
délicate ironie , quelquefois
;
Tij
204 LE NOUVEAU
emporté par le beau feu , qui l'anime
, prendre le ton d'oracle ,
& annoncer aux Zoiles préfomptueux
, que tous les nuages
, dont ils s'efforcent
d'obfcurcir
Homere , ferviront feulement
à faire éclater davantage
les raions de ce Soleil ? Sur
tout avec quelle addreffe , avec quelle
force
fe fertil
entre
fes .
adverfaires de leur propre critique
? Ne craignés point d'entendre
ici ces juftifications tant
de fois repetées . On y allegue
plus ,pour fauver quelques paffages
obfcurs ou choquans , l'harinonie
grecque , la fçavante allegorie
, la noble fimplicité des
temps heroïques . Un feul mor
vous arrache la victoire . Vous
MERCURE. 205
avez beau vous confumer en
vains raifonnemens ; on vous
avertit , que malgré vous , Homere
fera toûjours le plus grand
des Poëtes. Le gros des hommes
ne fe trompe point & le
beau eft immuable.
La converfation alloit s'échauffer
; fi un bruit fubit ne fe
für joint au murmure des combattans
. C'étoient deux Poëtes ,
qui difputoient enſemble fur la
prééminence de leurs ouvrages.
Lesraifons bientôt furent fuivies
des injures , & les coups fuccé
derent. Nouveaux fillogifmes ,
Monfieur , qui devroient vous
engager à fuivre nos étandars .
Rarement les zelés adorateurs
des anciens ont entr'eux ces fu-
T
206 LE NOUVEAU
jets de difpute. Ils n'ont point
le deffaut de compofer.
Eft- ce enfin affez de preuves ?
Vous obftinerez- vous encore ,
à ne pas voir la verité , qui fe
dévoile à vos yeux ? Je vous
entens. Le refpect humain ope
re. Vous craignez le nom de déferteur.
Achevons de vous guerir
, en rompant cette derniere
chaîne , qui vous affervit à la
mauvaife caufe . Vous appréhendez
, dites- vous , qu'on ne vous
accufe d'avoir trahi vôtre parti?
Mais depuis long- temps il n'éxifte
plus . Vos troupes ont êté
pour jamais difperfées . Ceux
tmêmes pour qui vous con b tviez
, fe font déclarez contre
tous. Qui peut donc vous reenir
Eft ce attachement pour
MERCURE. 107
vôtre chef ? Songez plûtôt ,
Monfieur , à déplorer fon infortune
, qu'à imiter fa rebellion .
Voici le trait , dont il devoit
perir . Le voyageur affemble
chez un Mecene bourgeois plu-
' fieurs juges d'un merite diftingué
, on y lit un poëme monftrueux;
& l'on le fait pafferfous
le nom de Monfieur de la Motte .
Peut il furvivre à ce coup accablant
? Ce n'eft pas tout fon malheur
, les Dieux s'interteffent
à fa ruine. Apollon à la requê
te des Mufes nous accorde une
audiance . Une Tragicomedie ,
où nous expofons l'injuſtice des
modernes dans tout fon jour ,
nous fert de plaidoïer , & nous
achevons de vaincre .
Tiiij.
408 LE NOUVEAU.
Je ne puis plus fouffrir ce
jargon pitoyable ,
De la dotte Dacier volume redoutable
,
Change tes traits puiſſans en carreaux
dans mes mains ;
Pars , du file confus delivrons
les humains.
Ainfi parle le Dieu ; & au même
inftant , ¢
Le Livre vengeur tombe, &fcmblable
à la foudre ,
Reduit Ode , Opera , Fable , Poëte
in pouare.
Je fouhlite , Monfieur , avoir
fatisfait à ce que vous exigiez de
moi. Il me refteroit cependant
à vous faire conoître quel eft
l'Auteur du voyage du Parnaffe :
mais vous m'en difpenfer ez , s'il
MERCURE.
209
"
vous plaît. Le critique eft fi modefte
, que plus il apprend ce que
le public penfe à fon égard , plus
il a foin de cacher fon nom.
J'ai feulement découvert
qu'il avoit projetté de dédier
fon Livre à Madame Dacier ; &
on a lieu d'être furpris , comment
il n'a pas rendu cet hommage
à une Sçavante , qui fait le
principal éclat de notre caufe .
Par rapport aux divers jugemens
qu'on porte de cette production ,
les Sçavans difent , que l'invention
de la fable eft due au Boccalini
Italien ; & les modernes
croyent que c'eft un fonge trifte
dont l'Auteur nous fait le recit ,
n'étant pas encore bien éveillé.
Adicu , Monfieur , je fuis ,
V. S. RAYMOND.
210 LE NOUVEAU Νουν
J'aurois bien fonhaité qu
la Lettre précedente eut été
moins longue ; fi elle a plu
elle aura parû courte ; en ce
cas là je fuis content mais
j'efpere qu'on ne le fera pas
moins des deux petites piéces
de Vers fuivantesMERCURE.
21 ,
EPITRE ,
DE M. MICHEL
A M ***
à qui il
avoit
promit
le cocuage
de
M. ARROUET.
B
,
Eau Damoifel , ne dédaignez
ce titre
D'autres affez je pourrois
vous donner ;
Mais par trop long en feroit
le Chapitre ,
i2 LE NOUVEAU
Sçavoirfauldroit louange affaifoner
vous , façonner Et comme
une Epitre :
Beau Damoifel adonques ,
vous diray
Qu'à la parfin demain vous
Tivreray
Demain fans plus , le gentil
Cocuage
Qu'avés promis à Dame cointe
, &fage ;
En attendant certes bien avez

Trés
doulcement fur ce point
vous étendre ,
MERCURE. i
213
La mettre au fait s'entend,s´elle
a voulu ,
Pour en aprés la piece mieux,
comprendre :
Or eft ainfi,qu'en cas de telſçavoir
,
Executer convient pour bien.
apprendre.
·Leçon pratique a coûtume d'avoir
Ie ne fçais quoi , que mieuxs
fe fait entendre ;
Mais quefert-il alleguer tel
propos
A vous , Seigneur, qui fçavez
la Rubrique ,
214 LE NOUVEAU
Er qui feriez fur les Rits de
Paphos ,
Glofefubtile , autant que patétique
:
Doncques ne fault tant me
mettre en humeur ;
Ains devant vous m'affiert
humble filence
Plus que difcours , & vaine
pétulance ,
A tant me tais , & fuis vraiment
de coeur ,
Votre petit , mais loyal Serviteur.
MERCURE
. 215
U
FABLE
Par M. Dufreny .
N jeune Roffignol , &fa
Roffignolette
S'entrejuroient
par mainte chan-
Sonnette ,
De s'aimer reciproquement ;
Et s'aimoient effectivement
Selon la Gauloife methode ;
Les Oiseaux , comme nous , ne
changent point de mode ,
Toûjours
même plumage , & toûjours
même amour ;
Ils chantoientjour & nuit, & les
bois d'alentour
216 LE NOUVEAU
Retentiffoient
dufon de leur vive
cadence.
Sur un buiffon voifinfaiſoitfarefidence
Un vieux Merlegrand radoteur
,
Noir & bouru , comme un
Docteur :
Le chant des Roffignols lui donnoit
la migraine ,
S'ils tiennent tant foitpeu de l'inconftance
humaine
Dit- il, car il argumentoit ,
Comme un fin Merle qu'il
étoit. )
Avec leur tendre amour finira
leur ramage ,
L'amour ne peut durer que jufqu'au
mariage:
Oh ! marions les donc , il en fit le
complet
MERCURE. 217
complot :
Pour regler& douaire& dot;
Auffi- toft furent averties
Deux Chouettes , & quatre
Pies
Quijaferent , Dieu fçait , on ne
s'entendoit plus ,
·
Qu'aura t'il ? Qu'aura - r'elle ?
articles donc conclus
Le ſouffigné Corbeau leur fervit
de Notaire ,
Graves Coucous autorifants
l'affaire s
Entre les Roffinols legrand noeud
Se noua:
Dés la troifiéme nuit le mâle s'enroua
,
Lafemelle forteen ramage
Se mainint un peu davantage
;
V
218 LENOUVEAU
Mais voyant leurs petits
1
éclos
1ls earent tous deux le bec
clos i
C'est ainsi parmi nous que le cours
d'une année
Finit la tendreffe , & les
chants
De nos plus folâtresAmants :
On voit mêmefouvent naître dans
l'Hymenée
Les chagrins avant les enfants.
Si j'avois voulu croire certains
Sçavans bourus , j'aurois retranché
la Chanfon , & l'Enigme ,
comme pieces hors d'oeuvre ; je
n'ai cu garde d'écouter d'auffi
mauvais confeils . Ce feroit un
MERCURE. 219.
attentat impardonnable contre
le droit public. Eh ! de quelle
confideration feroit un Mercure
privé de ces deux lumieres
qui en font comme
les yeux . Qui ne fait , que
par la Chanfon on exerce la
voix , & par l'Enigme on accoûtume
l'efprit à penfer, reflechir ,
& juger. Souvent un petit Air
chanté de goût par une aimable
Iris , peutêtre l'occafion de la
plus belle aventure du monde ;
fouvent la voix achève , ce que
fes charmes n'avoient qu'efleurés
; fi aprés cela elle eft encore
affez heureuſe de deviner l'Enigme
, ne peut-elle pas devenir
Marquife ! A qui en auroit- elle
obligation ? fi ce n'est à ina
Vij
220 LE NOUVEAU
Chanfon ? Je conclus done de
ce fin raifonnement , qu'il eft
neceffaire pour l'établiffement
de celles qui fçavent la Mufique
, que je décore mon Livre
de ce qui peut leur tenir lieu de
dot. A ce deffein je leur ai fait
choix des plus jolies paroles , du
plus joly Air... Il fuffit que M.
de Rochebrune foit Auteur des
Couplets , & M. de Beaupré de
la Mufique .
P
CHANSON.
Ar les yeux d'Anette
L'amour m'a bleffé ,
Elle eft trop jeunette ;
Mais je fuis forcé
D'adorer la follette ;
MERCURE, 221
Devroit- on charmer ,
Avant l'âge d'aimer.
La Rofe nouvelle
Offre moins d'appas,
Anette eft plus belle
Mais elle eft , helas !
Infenfible comme elle :
Devroit- on , & c .
Lorſqu'autour d'Anette,
Volent mille Amours
Dans fa main adroite
Son fuleau toûjours
File fa quenouillette;
Devroit-on , & c.
炭燒雞
Quand fur ma Mufette ;
Je forme des chants ,
Mon ardeur fecrette
222 LE NOUVEAU
Les rend plus touchans
Sans attendrir Annette :
Devroit-on , & c.
Il me faut attendre
Un Printems au moins
Avant de prétendre
Le prix de mes foins ;
Quel fort pour un coeur tendre !
Devroit- on , & c.
F
Fen
ENIGM E.
1gurément je parle ici,
Du Magiftrat j'ai quelques
vices ,
en ai quelques vertus auſſi ;
Fai,comme un Magiftrat , me's humears
, mes caprices ,
Jefoiblis , quandjefuis beaucoup
follicité's
MERCURE.
223
Je fuis laborieux , j'ai de la vigilance
,
Dufeu , de la capacité ,
Maisje n'ai point d'intelligenee.
La routinefouvent fait mon habileté
,
J'ajuste à la loipofitive
La justice diftributive ,
Suivant la plus ancienne loi.
Quelquefois de monfac ,quelques
pieces forties
Me démontent, & malgré
moi ,
En rapportant fort mal , je fais
tort aux parties ,
Et j'éprouve le triftefort
Du malheureux mortél queje condamne
à mort.
224 LE NOUVEAU
J
AUTRE.
Ay deux pieds oppofés
Et point de tête.
Les plus ofex,
Etantfur moi prés de la béte
Quiporte crête ,
Tremblent un peu .
Lejoli jeu ,
Que defairefur moy l'Anguille !
Tel quifur moifit bon butin ,
Sur moifait chanter en Latin
Garçon & Fille,
De par le Roy
Devinez moy.
Dans le tems que j'étois le
plus intrigué pour découvrir des
nouvelles, dont les Gazettes ne
fe
MERCURE. 225
fe fuffent pas encore emparées ,
j'ai été affez heureux que de recevoir
un pacquet d'une main
étrangere, qui m'a tout- à- fait tiré
de l'inquiétude où j'étois fur
cet article. Aprés avoir parcouru
tout ce qu'il contenoit , il
m'a paru, que l'obligeant incon
nu étoit au fait de tout ce qui fe
paffoit de plus nouveau ; &
que le choix qu'il en a fait , ne
déplairoit pas. C'est ce qui m'a
fixé à rendre public ce qu'il m'à
adreffé .
Vous me faites pitié , mon
pauvre Mercure , & cette pitié
fait que quelque inconnu que je
vous fois, j'entre cependant dans
l'embarras où je foupçonne que
Fanvier 1717.
X
226 LE NOUVEAU
de
vous vous trouvez par rapport
au peu de tems qui vous refte
pour la compofition de votre
Recueil. Je fuppoſe par avance
que vous ne manquez pas
Pieces Litteraires,mais je crains
fort qu'il n'en foit pas de même
de ce que l'on appelle Nouvelles.
Il faudroit pour cela s'être
preparé de longuemain des correfpondances
& s'être deftiné
en quelque façon à un commerce
mutuel de Relations dans
toutes les Cours de l'Europe ;
ç'aura étéaparemmentvôtre premiere
attention , enattendant que
ces fources coulent jufqu'à vous ;
nevous tiendricz vous pas obligé
envers une perfonne qui vous
délivreroit en partie de cette
MERCURE . 227
rech erche . Sans doute , me direz-
vous . Eh bien , voilà votre
Nouvelifte tout trouvé ? puifque
c'eft moi- même qui veut vous
épargner ce travail & vous dégager
envers le Public de la né
ceffité où vous êtes de le fatis
faire fur ce point.
J'avois d'abord eu deffein de
rapporter les faits dans l'ordre
qu'ils fe préfenteroient à ma
memoire , mais j'ai jugé à pro
pos de féparer les évenemens étrangers
d'avec ceux de la Cour
& de la Ville . J'ai même divifé
chaque matiere par autant d'arricles
, afin que l'on pût cho fir
celle qui agréeroit davantage.
J'ai été tenté plufieurs fois d appliquerdes
Reflexions à l'Hifto-
Xij
228 LE NOUVEAU
rique ; cependant tout bien examiné
, j'ai cru qu'il valloit
mieux abandonner cette partie
à fon Lecteurs que ce feroit gêner
fes vûës fur les conféquences
qu'il pourroit tirer lui même
; contentés vous de lui préfenter
nettement , tout ce que
vous lui décrirés en détail ; il
fera bien le refte fans vous .
Il me reste préfentement une
petite difficulté fur le triage
que vous ferés des nouvelles ,
Car quelque bien informé que
vous foyés , il vous fera prefqu'
impoffible de ne point répeter
les Gazettes en bien des endroits
; les faits ne'varient point,
cela est vrai , mais par où vo- eſt
vre Livre doit primer ſur elles ;
MERCURE. 229
>
c'eft que les Gazettes ne donnans
les nouvelles que par parties
interrompuës , il vous eft
permis de lier ces parties les
unes aux autres -& d'en faire
un tout qui enchaîné par
de nouvelles circonftances , ne
fera pas indifférent; femblable à
ces Hiftoires du tems
quoique formées fur différents
Mémoires que l'on a lû , ne
laiffent pas de faire un nouveau
plaifir par le mérite de l'arangement
que l'Auteur y a
mis .
qui
Voilà Mr bien des libertés pour
un inconnu ; j'efpére que vous
me les pafferés en faveur de mes
bonnes intentions ; d'ailleurs
n'êtes- vous pas le maître d'y
Xiij
230 LE NOUVEAU
apporter telle modification que
-vous le jugerés à propos , c'eft
votre affaire , & la mienne de
tenir ma parole.
ARTICLES DE PARIS.
Puis- je mieux commencer que
par le Roy ; fes jours font trop
chers à fes Peuples pour avoir
manqué de faire des voeux tres-
' ardents pour fa fanté . Elle eft
dans un état qui doit raffurer
tous les Sujets , puifqu'elle nous
donne l'efperance de la plus longue
vie , les forces du corps &
de l'efprit augmentent de jour
à autre ; il femble qu'à meſure
que S. M. approche du temps
cù Elle doit paffer ſous le gouMERCURE
231
vernement des hommes , Elle fe
défaffe de l'enfance . On en juge
par fes études favorites , beaucoup
plus ferieuſes que ne le
comporte fon âge ; la Géographie
fait fes délices , le Roy la
poffede à un point qu'il eft difficile
même dans un âge plus avancé
, d'en avoir des idées plus
préfentes ; il aime paffionement
tout ce qui a raport à cette Science
; comme Spheres , Globes ,
Compas , Figures de Mathematiques
, & c. Ne croïez pas , Monfieur
, que j'exagere ; toutes les
perfonnes qui ont l'honneur
d'approcher de S. M. & de fe
trouver à fes exercices , font autant
de témoins de ce que j'avance.
232 LE NOUVEAU
Si ces circonftances ont dequoi
vous furprendre , vous ne
le ferez pas moins de la réponſe
que S. M.fit à un de fes Officiers ,
qui lui dit , SiRF , V. M. n'at'elle
pas lieu d'être contente de
la tripleAlliance qui vient d'être
fignée entre la France , l'Angleterre
& la Hollande ; le Roy
répliqua fans hésiter , oüy , Je
fuis trés-content, mais mes Alliés
ne le doivent pas
être moins que
moi ; car je les deffendrai de tout
mon pouvoir , fi on les attaque .
Aprés un trait auffi remarquable
je paffe aprefent aux Penfions
& auxCharges conferées .
Le jour de l'An il v eût un fi
grand concours de Princes &
Princeffes , de Seigneurs & de
MERCURE.
233
toutes fortes de perfonnes de
diftinction , pour fouhaitter la
bonne année au Roy , que la
Cour n'a été depuis long- temps,
ni fi nombreuſe , ni fi brillante .
Toute cette Cour au fortir de
chez le Roy , alla fouhaiter la
bonne année à Madame Ducheffe
de Berry. Les Chefs des
Compagnies Superieures , avec
tous les Officiers de la Ville ,
ainfi que les Ambaffadeurs des
Têtes couronnées furent admis
à la Toilette de cette Princeffe.
Cette magnifique Affemblée
fe tranfporta enfuite au Palais
Royal où elle rendit les mêmes
devoirs à Madame & à leurs Alteffes
Royales .
234 LE NOUVEAU
.
Dons du Roy.
Le même jour S. M. tint Chapitre
General de l'Ordre du S.
Efprit , où il fut arrêté qu'on enverroit
l'ordre auRoy d'Espagne
pour le conferer au Prince des
Afturies.
› Monſeigneur le Duc Regent
regla enfuite avec Madame de
Vantadour les Penfions de ceux
& celles qui avoient fervi le
Roy.
Mefdames de Villefort & de
la LandeSous - Gouvernantes de
S. M. furent gratifiées de 6000.
livres de penfion annuelle , chacune
, & de joo . écus pour lear
logement.
MERCURE. 23
Les quatre premieres femmes
de Chambre furent reglées à
2000.livres de penfion chacune,
outre 800. livres pour loge,
ment.
Les feize femmes de Chambre
à 1280. livres & 600. livres pour
logement ..
Les trois Valets de Chambre
du Roy ont été confervez avec
leur gage & nourriture , comme
cy - devant , pour fervir toute
l'année , en qualité de furnume
raires avec les Valets de Chambre
ordinaires .
Des trois Garçons de la Chambre
, deux ont été conſervez &
feront le fervice avec les Garçons
ordinaires de la Chambre ;
le troifiéme qui étoit âgé , s'eſt
236 LE NOUVEAU
retiré a
fion .
avec 300. livres de pen
On a gardé les deux Portes
males du Roy.
ARTICLE DES CHARGES
conferés .
Le Roy ayant accordé la furvivance
de Colonel du Regiment
des Gardes Françoifes à
M. le Duc de Louvigny le 17.
ce Seigneur en prit poffeffion &
en preta ferment de fidelité entre
les mains de M. le Maréchal
d'iftrées. le Regiment défilant
en préſence de S. M.
La veille , la Lieutenance de
Roy du Château Trompette, vacante
par la mort de M. de la
MERCURE. 237
Fond , fut donnée à M. de Cadrieux
Maréchal de Camp.
La Lieuten ance de Roy de
Phalzbourg avoit été quelque
tempsauparavant conferée à M.
de Mauroy , un des plus anciens
& desplus braves Officiers de S.
M. y ayant peu d'action éclatante
fous le Regne de Louis le
XIV . où il ne fe foit ſignalé .
M. Des vieux Capitaine au Regiment
de Navarre a été gratifié
de la Lieutenance de Roy de
S. Jean Pied-de Por,
Audience donnée aux Députez
de Bretagne.
Le 18. les Députés des Etats
de Bretagnecûrentu Adiance du
138 LE NOUVEAU
Roy à midy. Ils furent prefentez
par M. le Comte de Touloufe,
Gouverneur de la Province .
La Députation étoit compofée
de l'Evêque de S. Brieux pour le
Clergé, du Duc de la Tremoille
pour la Nobleffe , du Sieur de
la Gacherie Sénéchal de Nantes
pour le Tiers état.
Le 21 de ce mois , le Roy
alla au Palais du Luxembourg ,
rendre vifite à Madame Ducheffe
de Berry. S. M. étoit
accompagnée de Mr le Duc
du Maine , de Mr le Prince de-
Dombes de Mr le Comte
d'Eu , du Prince Charles , de
Mde la Ducheffe de Vantadour
La Gouvernante , & du refte de
MERCURE. 239
fa Maiſon. Elle avoit été précédée
d'un détachement de fes
Gardes du Corps & de les Cent-
Suiffes. A fon arrivée , S. M.
trouva Mr le Marquis de la
Rochefoucault Capitaine des
Gardes , qui la reçût à l'entrée
de la Salle des Gardes ; Mdẹ
la Marquise de Pons Dame
d'Atour à l'entrée de l'Anti
Chambre & M Ducheffe
de Berry à l'entrée de fa Cham,
bre. La vifite fe paſſa de bout ,
& S M. fut reconduite de
même qu'Elle avoit été reçûë.
le même jour à fix heures du
foir , les Etats de Bretagne fe
rendirent aufli au Palais du
Luxembourg , ayant à leur tête
Mr.l'Evêque de S. Brieu , qui

240 LE NOUVEAU
harangua cette Princeffe avec
beaucoup d'éloquence . Son difcours
fut trés applaudi : Mr le
Duc de la Tremoille étoit
auffi à la tête des Etats qui
furent préfentez par Mr le Marquis
de Dreux Grand Maître
des Cérémonies & > par Mr
Defgranges Maître des Cérémonies.
Le 27 , on fut tout à coup
furprit de voir une Belande ,
qui remontoit la riviere de Seine
à pleines voiles , ayant toutes
fes banderoles au vent. Elle jetta
l'ancre fur les onze heures
du matin , vis-à-vis le gros Pavillon
des Thuilleries . En arrivant
, elle fit trois décharges
confécutives de fon Artillerie .
C'eft
MERCURE. 241
C'est le fieur Pierre Rhofnay ,
Marchand négociant à Rouen ,
qui l'a conduite à Paris . Elle
porte deux petites piéces de canon
, & quatre pierriers , avec
cinq hommes d'Equipage . Elle
eft chargée de huit milliers de
morue & de quelques fromages.
Elle eft partie de Honfleur le
dix -fept de Janvier , a paffé à
Rouen le vingt - un , & eft
arrivée à Paris le vingt - fept .
Elle n'a qu'un mas & une vergue
, portant Pavillon de differentes
Nations , pour la décoration
feulement.
Belande ou Belandre cft un
petit Batiment de Mer , qui eſt
fort plat de varangue , qui a
fou appareil de mats & de voi-
Fanvier 1717.
Y
242 LE NOUVEAU
#
les ,femblable à celui d'un Heu-
& dont la couverte ou le Tillac
s'élève de prouë à poupe
d'un demi pied plufque le plat
bord. Les plus grandes qui
font de So tonneaux , fe peuvent
conduire par trois ou quatre
hommes. On s'en fert principalement
dans la baffe Flandre
, pour aller fur les canaux
& fur les rivieres,
米·两
MARIAGES.
E 23. le Roy figna le
LContrat de mariage du
As du Duc de Popoly avec Muc
MERCURE . 243
des
de Bouflers , en préſence de
l'Ambaſſadeur d'Efpagne .
Le 25 S. M. figna pareillement
celui de Mr Paviot , Procureur
General de la Chambre
Comptes & de la Cour des
Aydes deRouen , qui époufe
Mile le Pileur , Niéce de Mr
l'Evêque de Saintes , & petite
Niéce de Mr du Buiffon , cydevant
Intendant des Financés .
Le 16 le Roy fit le même
honneur à Mr le Pelletier ,
Préfident à Mortier , qui époufe
Mile d'Egvilly.
Mr le Marquis de Cormeliere
, fils du Prefident à Mortier
du Parlement de Bretagne,
a épousé Mile de la Tronchet ,
riche héritiere .
Y ij
244 LE NOVUE AU
4 75 76 36 36
ARTICLE DES SPECTACLES
I
L y a déja du tems que
Semramnis Tragédie de
Monfieur Crebillon a été annoncée
comme il eft Auteur
de réputation , & qu'on parle
avantageufement de fa Piéce ,
on fouhaite avec impatience
que les obftacles qui en ont
juſques à préfent retardé la repréſentation
, ceffent bientôt.
Il faut croire qu'elle aura un
fuccés plu heureux que la Sophoniſbe
de Monfieur de la
Grange , pour laquelle le Public
témoigna fi peu de curio

MERCURE. 245
fité , qu'elle ne paſſa pas la troifiéme
répréſentation . Je dois
dire cependant à la loüange de
l'Auteur , que la Piéce étoit
trés bien conduite que
les
Vers
en étoienr
beaux
, les
caractéres
bien
foûtenus
, & les
fentiments
nobles
.
Le feul défaut confidérable
qu'on pouvoit reprocher à cette
Piéce , f eft d'avoir été traitée
d'aprés le grand Corneille
perfonne ne pouvant s'imaginer
qu'on pût aller plus loin
que lui. D'ailleurs , les difcours
peu avantageux , que l'Autheur
prétend que quelques C.
avoient répandus de cette Tragédie
, joint à quelques changements
qu'ils exigèrent de lui ,
246 LE NOUVEAU

ne contribuerent pas peu à la
faire tomber. Il ne tint pas
Mademoifelle Defmars qu'elle
ne la foûtint , puifqu'elle n'y
joua pas moins bien que dans
Ino , Piéce du même Auteur ,
où elle fe fit reconnoître pour .
une des premieres Actrices dumonde
.
Il fembleroit que la raifon
principale , qui a fait difparoître
fi promptement Sophonisbe de
notre Théatre , devroit fervir
d'avertiffement à tout Auteur ,
qui veut remanier les fujets
employez par P. Corneille.
Cependant Monfieur Aroüet
affez connu par quantité de
petits morceaux de Poëfies enjouées
, ne defefpére pas de
2
MERCURE 247
nous amufer plusferieufement ,
en donnant de nouvelles couleurs
à Oedipe. Il a orné ce fujet
de maniere , que dans les
Affembléesoù il en a fait lecture ,
les Partifans des anciens difent
qu'elle ne le céde pasàl'originalmême
deSophocles & quelques
modernes , qu'elle est beaucoup
au deflus de celle de Corneille .
Mr de la Fond Auteur
des Vers de l'Opera d'Hypermeneftre
, a fufpendu fa Piéce ,
aprés un certain nombre de
repréſentations , pour nous la
redonner toute nouvelle : En
attendant , tout Paris court à
l'ancien Opera de Roland.ra
Mr Thevenard & Mademoiſelle
Journet s'y attirent
>
248 LE NOUVEAU
des applaudiffements qui ne
finiffent pas . 11 feroit néceffaire
qu'ils fe ménageaffent un peu
davantage , pour être plus en
état de foûtenir les grands rôles
qu'on leur prepare dans
Ariane & dans Camille . Les
paroles du premier Poëme font
de deux mains .
Les premires actes ont été
compofés par M.Roy , & les derniers
par M. de la Grange .
Comme ces deux Poëtes fe font
prétez mutuellement leurs lumieres
jointes à celles du confeil
de l'Opera , on efpere
qu'elles feront excellentes . On
apperçoit de moins les foinsque
l'on prend pour tacher de plaîre
au public.
La
MERCURE. 249
La mufique eft de la compo.
fition de M. Mouret , qui a
charmé fi long tems Paris par
les Fêtes de Thalie .
Pour Camille , les paroles appartiennent
à M. Danchet feul ,
& la Mufique à M. Campra ; ces
grands noms nous promettent
par avance un grand fuccès .
Je voudrois bien vous entretenir
des avantures des bals de l'O.
pera & de la Commedie , mais
excepté quelques mouchoirs ,
tabatieres , ou montres perdues
dans la foule , il ne s'y eft paffé
aucun incident affez réjouiffant
pour avoir place dans ceReceüil,
Ce feroit ici le lieu de parler
du Bourgeois - Gentil - homme
repréſenté avec tous fes agré-
Fanvier 1717 .
Z
250 LE NOUVEAU
mens fur le Théatre du Palais
Roïal, par les Acteurs & les A &trices
de l'Opera & de la Comedie .
Je m'abſtiendrai cependant
d'entrer dans aucun détail, il me
fuffira de vous dire
que jamais
fpectacle n'a été plus brillant ,
mieux executé & plus fuivi ; 1l
eft certain que les fecours que
lui a fourni l'Opera , ont ornés
infiniment cette piece ; c'eft un
effai,felon toutes lesaparences de
quelqu'autre divertiffement où
les Théatres fourniront leurs
agrémens .
Pour les Comediens Italiens ,
ils continuent de jouer tous les
Samedis fur le Théatre de l'Operafi
leur langue étoit un plus
communement entendue , ils ne
MERCURE.
251
manqueroient pas d'auditeurs ;
car pour leur rendre juftice , on
ne peut rien defirer en eux du
côté de l'action , du naturel
de la préſence d'efprit ; ils font
au qui va là toûjours à propos ;
il ont l'art d'animer de paffioner
tellement cequ'ils joüent;
qu'ils fe rendent maîtres des
fentimens , & faififfent l'attention
malgré le voile des paroles
& renvoyent les auditeurs prefque
auffi contens que s'ils fortoient
d'une Comedie Françoife
où l'on a tout compris.
ARTICLE DES MORTS.
> Mre Paul - Alexandre Petau Confeiller
au Parlement , & Doyen des Rcquêtes
du Palais , mourut le 4 Novembre
1716,
LE NOUVEAU
252
Dame Anne-Catherine de Noailles
Ipoufe de Me Louis - François Armand
Dupleffis , Duc de Richelieu & de Fron
Jacq , Pair de France > mourut fans pofterité
le 7 du même mois , âgée de 20
ans.
A
Dame Madelaine Bernard , époufe de
Me Jacques Hardouin Manfard , Chevalier
, Comte de Sagone , mourut le s
du même mois.
>
Me Claude - Alexis de Héere , Chevalier
de l'Ordre de S. Louis , Brigadier des Armées
du Roy Commandant pour SA
MAJESTE' au Gouvernement de Phalfbourg
& Saltzbourg , mourut le 7 du
même mois.
Dle Voifin , fille de M. le Chancelier ,
mourut fans alliance le 12 de ce mois .
Me François - Louis de Rouffelet , Marquis
de Chateaureynaud , Comte de Crofon
, Vicomte d'Artois , Chevalier des
Ordres du Roy , Grand Croix de l'Ordre
Militaire de S. Louis , Capitaine général
des Armées navales de S. M˚C .
dans les mers Occidentales , Commandant
en chef
pour le Roy dans les Pays &
Duché de Bretagne , Vice- Amiral , &
Maréchal de France , mourut le du
même mois , âgé de 80 ans .
Jean-Louis de Rabutin , Comte de Bufi
153
Confeiller d'Etat de l'Empereur , Maréchal
de Camp , General & Colonel d'un
Régiment de Dragons , mourut à Vienne
le 16 de ce mois , âgé de 74 ans ,
Me Henri Dagueffau , Confeiller d'Etat
or linaire , & au Confeil de Régence
, mourur le 17 du même mois ,
âgé de 80 ans .
Daine Anne de Harvil , veuve de Me
François de Bethune, Due d'Orval , Chevalier
des Ordres du Rey , mourut le 18 .
Anne - Marie Gitar !, fille de M, Girard
Proc. General en la Chambre des Comptes
Paris , Seigneur de Villetancux , & de
Marie Royer eft morte le 20 Décembre
1716. Elle avoit épousé Jean- Baptifte
Briconnet , Seigneur de Magnanville ,
Confeiller au Parlement , mort le 15
Décembre 1698 , fans enfans . Il étoit fils
de Guillaume Briconnet , Seigneur de Le
veville , Aureuil , Quinquempois , recû
Confeiller au Parlement le 19 May 1635
Maiftre des Requeftes en Decembre 1641
& Préfilent au Grand Conſeil , mor
le trois Fevrier 1674 , & de Margue-t
rite Amelot , morte le 23 Février 1683 ,
Elle étoit fille de Jacques Amelot , Préfident
aux Requêtes du Palais & de
Catherine de Creil.
>
154 LE NOUVEAU
Me Charles Marquis d'Eftampes , Maua
ny , & c. Chevalier des Ordres du Roy ,
Capitaine des Gardes du Corps de S.
A. R. Mr le Duc d'Orleans , mourut le
31 Décembre 1716.
·
De Catherine Françoife d'Arpajon ;
Epouse de M. François de Roye de
la Rochefoucault , Comte de Roucy ,
Lieutenant General des Armées du Roy ,
mourut le 8 .
Se Marie Magdelaine de Caftil , veuve
de Me Nicolas Fouquet Vicomte de
Vacx , Sur- Intendant des Finances , mourut
le 12
,
De Magdelaine Gaudon , Veuve de
Me Georges de Clermont d'Amboiſe ,
Marquis de S. Aignan , mourut le premier
Janvier 1717
De Diane de Monthault Navailles feur
du feu Maréchal de ce nom › veuve de
Me René de Corrdoüan Marquis de
Langey , mourut auffi le premier de ce
mois .
,
De Marie- Louife Melanie Lefevre de
Caumartin , Epoufe de Me Jerofme-
Jofeph Goujon , Marquis de Thuiſi , Maître
des Requêtes , eft morte le premier
De Anne Cherré , Epoufe de Maiſtre
MERCURE.
255
Michel dé Sabin's , Chevalier , Seigneur
de la Qeze, Confeiller au Grand Coifeiller
, mourut le 4
Me Charles - Alexaudre d'Eftein de
Saillan , Abbé de S. Vincent de Senlis ,
mourut le 14 .
Dame Jeanne Gargam , veuve de Me
Charks Bret , Chevalier , Seigneur de
Clermont , Chef du Confeil d'Artois ,
dont elle étoit demeurée veuve à l'âge
de 21 ans , mourut le 14 , âgée de 88 ans .
Me Claude Romanet , Prefilent au Grand
Confeil , mourut fans alliance le 16 , âgée
de 33 ansr
-
Dame Michelle Lucrece Chappel ,
veuve de Meffire Jean- Jacques de Renouard
, Chevalier , Seigneur de Villeyer
& autres lieux , Confeiller du Roy en fa
Cour de Parlement de Bretagne , décéde
rue S. André des Arts , le 24 Janvier 1717 :
Mr Marconnet Gouverneur de la Rochelle
mourut il a quelques jours
dans un âge fort avancé.
·
,
y
0 Mr le Maréchal de Gacé Gouver
neur du Païs d'Aunis , vient d'être gratifié
du Gouvernement de Monfieur Marconnet,
Ces deux Gouvernemens fe trouvent
par - là réunis en une même perfonne,
256 LE NOUVEAU
,
LETTRE
Qui renferme plufieurs faits finguliers de M.
Anel Docteu en Chirurgie , Chirurgien de
Madame Roya e de Saye , & Occulifte de
France par Brevet du Roy.
A fon ancien Ami M. George Policola Docteur
en Medecine de l'Univerfité de Rome ,
Comte Palatin Chevalier de l'Epron d or,
premier Medecin du Sultan Achmet V.
Empereur des Tures.
M
Nous fommes partis de Rome en même
tems ; vous êtes à Conftantinople , & je
fuis à Paris Il vous fuffit de plaire à un
feul homme & arx Dames du Sérail , pour
être au gré de tous les autres ; mon diftric
n'eft pas fi borné. J'ai affaire avec la Cour,
jaVille, les Provinces & les Païs Etrangers,
avec des perfonnes de toute forte d'état
de condition. Quelques nouvelles découverMERCURE.
257
tes queje me fuis avifé de mettre au jour ,
m'ont mis dans cet engagement Vous fçavés
qu'àRome de votre tems , je me donnois
bien de l'occupation fans y penfer , pour
avoir fait avec fuccès l'Operation de la
Neuriſme à un Ecclefiaftique de l'Ordre de
S. François. Je m'en fuis donné bien plus
encore , pour avoir inventé du tems que
j'habitois encore à Gennes , une nouvelle
Méthode de guerir les Fiftules Lacrimales
fans le fer , le feu , lecauftique , ni aucune
operation violente Dés que Mde , Royale
de Savoye en fut informée , Elle me fit appeller
pour lui en guerir une ; ce qui me
réüffit le mieux du monde , & i'ea füs genereufement
recompenfé ; cet heureux fuc.
cès accompagné de plufieurs autres m'engagea
à donner differents Ouvrages au Public
touchant ma nouvelle découverte
laquelle fit bien: ôt du bruit à Paris aufli
bien qu'ailleurs ; ce qui détermina une
grande Dame qui creyeit en être attaquée
à me faire appeller en cette Ville , où il a
fallu rendre bon compte à chacun du fuccès
de mes novelles découvertes ; le Pu
blic en a été bientôt convaincu par expérience
; ce qui a déterminé le Roy , &
Monſeigneur le Duc d'Orleans , Régent du
258 LE NOUVEAU
Royaume à m'accorder un Privilége pourla
guerilon des maladies des Yeux dans toute
la France. J'ai fait il y a une année la nouvelle
découverte d'une maladie que je nom
me Hydropifie du conduit lacrimale , avec
la maniere de donner à boite par l'Oel. Je
vient depuis peu de trouver une Méthode ,
pour découvrir ce qui fe paffe de plus caché
dans dans le fonds du globe de 1 Ocil , au
moyen de plufieurs Veres ; ce qui me procure
une connoiffance très étendue des maladies
de cet organne : J'ai auffi inventé à
même tems une autre nouvelle Méthode ,
pour introduire différens Remedes dans les
Yeux , directement fur l'endroit ma'ade ,
fans irriter les parties faines au moyen
des petits poinçeaux dont la matiere , n'eft
ni plume , ni poil , ni foye , ni fi'aſſe , ni
lain , ni coton. Ces pinceaux font pourtaut
plus dorx que le velours , plu blancs
& plus luftrés que le fatin blanc. L'idée de
ces pinceaux m'eft venuë en voyant faire
le portrait d'une perfonne que j'eftime ,
& que j'aime beaucoup ; délicateffe avec
laquelle le Peintre manioit le painçeau
pour imiter la vivacité de fes yeux , me
donna l'envie de manier auffi le pinceau
à mon tour pour en faire un ufage bien
MERCURE. 259
different du fien ; mais dautant plus utile ;
queles avantages queje tirede ces Pinçcaux,
font des plus confiderables par leur moyen
j'épargne des grandes douleurs aux malades
, plufieurs Operations violentes , & tous
les fâchenx accidents qui pourroit les accompagner.
Je fuis le plus fouvent environné
des gens qui ne parviennent à me
voir que par les miracles de l'Art , toujours
occupé du foin de travailler à faire
des bons & beaux yeux de ceux là qui font
les plus mauvais & les plus contrefaits .
Ne vous imaginez pas pour cela, Monfieur,
que je fois encore arrivé au point de rendre
défert l'Hôpital des Quinze- Vingts ; j'en
ai propolé un projet imprimé , je ne (çai
fas fi Pon y fera attention ; mais il me
paroît que l'Art de guerir les maladies
des Yeux , eft encore fort éloigné de ſa
derniere perfection . Vous n'avés pas tant
affaire dans votre Cour les malades du
grand Serail vous occupent fans doute beaucoup
moins dans cette infirmerie il n'y a
que de beaux Yeux ; vous n'avés à craindre
que le mal qu'ils pourroient vous faire ;
mais vous êtes trop bon chrêtiea , & trop
bon Philofophe pour ne pas vous en garentir
; vous étiés le bon exemple de Rome ,
260
LENOUVEAU
vous en avés évité tous les écueils ; per
fonne ne s'y eft mieux diftingué que vous ,
& vous y avez fait un très bon employ
de votre tems . Voici la diftribution du
mien. Je me couche à minuit , je me léve
à cinq heures du matin pour travailler
dans mon Cabinet jufqu'à fepts depuis
huit jufqu'à une heure Je vifite mes malades
de la Ville , & j'employe l'aprés midy
jufqu'à cinq heures à donner audience
à ceux qui viennent chez moi Les pauvres
& les riches y font égallement bien reçus
. Je refors enfuite pour recormencer
ina tournée du foir , & je rentre a logis
, quand il plaît à Dieu. Les heures de
mes repas font toujours incertaines . Voilà
la vie qu'il faut mener à Paris dans notre
profeffion , lorfque l'on fe livre une fois au
Public. La reputation & le peu de bien
que nous gagnons , nous coutent bien cher,
puifqu'il faut l'acheter à un fi haut prix .
Tous ceux qui font employés à Paris,
n'en ont pas meilleur marché ; au refte
la Medecine & la Chirurgie devenant
ici tous les jours les plus célébres ; nos
Ecoles & nos Académies , triomphent de
plus en plus ily meurt pourtant bien du
monde ; mais certainement ce n'eft pas
MERCURE. 261
la faute des Medecins ni des Chirurgiens ;
ee font les maladies qui deviennent tous
les jours plus opinîatres & plus rebelles ,
leur malignité faiſant d'aulfi grands progrès
de fon côté , que la Medecine en peut
faire du fen ; fi cela n'eftoit pas ainfi ,
aprés les nouvelles connoiffances que l'on
a acquifes , & que l'on acquiert
les jours il ne mourroit plus per-
Ionnes
tous
que de vieilleffe ; cette penfée
n'ft point de moi , je la tiens de мr
Marquety de Padouë , Docteur de Medecine
& de Chirurgie dans cette célébre Univerfité
, il eft dans ce fiftême à l'égard
des maladies Venericanes ; & je crois qu'il
faut penfer de méme à l'égard de toutes les
autres
Il s'eft fait ici une opération qui a fait
grand bruit ; l'on a amputé un bras
dans l'articulation de l'épaule fuivant la
Methole que Mr de Remonjeau a inventée
il y a long tems ,
le malade en eft parfaitement
gueri Quelques mois aprés il
a été attaqué d'une autre maladie ,
il eft mott en Province .
dont
L'oa illuftre tous les jours la Médecine
& la Chirurgie ; les modes fe multiplient
à notre ordinaire , & les Arts s'enrichif
262 LE NOUVEAU
fent bien plus , que les artifans . Te ne
crois pas que je lois le feul qui faffe de
nouvelles découvertes en ce Pays . L'on
en a fait dans l'artillerie ; l'on en 2
fait encore pour la commodité de ceux
qui écrivent , même pour les preneurs de
tabac. Il a été prefenté au Roy ure coupe
plume , ou canif d'une nouvelle invention.
L'on a auffi trouvé une machine , pour
faire rouller les voitures tant de la ville
que de la campagne fervant à foulager
les Chevaux : L'on a inventé de plus , la
maniere de faire aller les chariots à la
voile. Un autre a imaginé le fecret de
faire venir les enfans au monde dans les
accouchemens laborieux , fans couteaux
fans crochets & fans tire tefte , par le
moyen d'une fronde. Cette derniete découverte
appartient à un maiftre Chirurgien
accoucheur. Toutes ces nouveautez
ne font pas les plus fingulieres que j'ay
à vous mander. La nature le dispute avec
l'art , elle entreprend de faire des enfans
fans femelie ; & l'ea pretend qu'elle y
réuffit à merveille . Un Boucher de la
rue des Boucheries , Fauxbourg S. Germain
, a trouvé dans un mouton qu'il avoit
egorgé en le vuidant , un fetus conteau
MERCURE. 263
dans une poche membraneufe , reffemblante
à la vellie Monfieur Tartanfon , celebre
maiftre Chirurgien de Paris , y fat
appellé , & s'empara d'abord de cette furprenante
production . Il confervc avec
grand foin ce fetus monstrueux dans un
vaifeau de verre plein d'eau - de vie . Les
cu ricux de Paris le vont voir tous les jours
ce fatus n'a que fix pouces de hauteur ,
fa groffeur eft proportionnée à la grandeur
; les quatre extremitez refemblent å
celles d'un finge, excepté que fes pattes font
affez femblables à celles d'un animal vorace
, étant armé de grifes : fes yeux font
bien formés fa langue reffemble à celle d'un
enfant humain . & toute fa figure du premier
coup d'oeil en a l'air. Il a deplus
une petite queue approchante de celle d'un
lapin .
Ce fait demande un examen rigoureux &
uneconfirmation très bien circonftantiée, en
attendant que je fois mieux isformé , jc
fufpends mon jugement & mon taifonnemert
, me bornant à rapporter ce que je
fçais de certain , aprés avoir vû & examiać
par deux divers fois cet enfant chez M.
Tartanfon où on le peut voir tel que je le
dépeins . Ce cas eft auffi fingulier que celui
264 LE NOUVEAU
de cet enfant , que l'on dit avoir été trouvé
ily a déja long temps dans la cuiffe d'un
Ecclefiaftique en lui ouvrant un abcés.
S'il s'eft jamais paffé quelque chofe
d'auffi fingulierdans l'Empire Otoman ; je
vons prie de me le co nmuniquer avec vos
nouvelles découvertes , quoique le plus
fouvent celles que l'on fait dans ce pays- là
ne roulent que far la vertu des remedes , je
ne les en eftimerai pas moins utilles , ni
moins importantes . Je fuis avec une trésparfaite
confideration .
MONSIEUR ,
Vêtre , &c, Anel.
A Paris ce 1. Janvier 1717 .
on adreffe rue du Four S. Euftache vis àvis
l'Hôtel de So fons,
Je fermerai ce Mercure par
un Avis important , qui eft que
Son Alteffe Royale , qui veille
contiMERCURE.
265
un
continuellement au bien Public
a fait placer depuis
an des Pompes dans
les principaux quartiers de cette
Ville , & lever une Compagnie
d'ouvriers gagez en ha--
bits uniformes : ils font inftruits
au maniment defdites Pompes
contre les accidents du feu
par le fieur du Perrier
qui les
commande
.
AVIS.
On eft averii , que l'on imprimera
le Mercure du mois prochain
avec des caractéres neufs , &
d'un plus gros ail .
De l'Imprimerie de J. FRANÇOIS GROU,
rue de la Huchette , au Soleil d'er
A a
TABLE
Des Matiéres contenues dans
ce volume.
P
Reface de l'Auteur.
Differtation fur le Poëme
Epique , par M.
د
› par M. l'Abbé
de Pons
contre la Doctrine
de
Madame
Dacier
> page I
Echo Cantate
, par Mr de la
Motte ,
,
76
81
Les Amours Paftorales de Daphnis
& Cloé
Les Pincettes dédiées aux Tifoneurs
, par le P. du Cerceau
117
Recapitulation générale des
événemens les plus remarquables
de l'année 1716. 139
Relation auffi curieufe que fidéle,
d'un voyage fait à Arica , côte
du Peron , en 1716.
Expeditions
contre les Outagamis
, ou Renards , par la Colonie
de Quebec ,
i54
170
176
Lettre en Profe & en Vers, adreffée
à l'Auteur ,
Autre à M ... fur le voyage du
Parnaße , par M ...
Raimond
9
179
Epitre de M. Michel à M ... à
qui il avoit promis le cocüage de
M. Arrouet ,
Fable par M. Dufreny ,
Chanfon ,
Chapitre des Enigmes
215
2.0
222
Lettre Anonime , écrite à l'Auteur
,
225
Articles de Paris , 230
Dons du Roy , 235
Art. desCharges conferées , 236
Audiance donnée aux députez
de
Bretagne 238
Mariages 243
Article des fpectacles , 245
Article des Morts . 221
Lettre , 256
ERRAT A.
Ranfportés le mot , que , qui commence la i7 ligne
J'ai cru.
Page 20 , l. d'elles
Les Piliffens , l. les Peliffons.
Pag. 5. feulement , difcours en Vers. Pag. 36.1.
cu fur fa , &c. Pag. 1. fur l'amy fictif que. Page
48. 4. appliquée. Pag. 66. 4. prévoyant , &c. Pag . 36.
1. né. Pag. 91. 1. groffiereté. Pag. 91. l. la même.
Pag. 93. 7. alors . Pag. ce Berger. Pag. 115. étés
empêcher. Pag. 116. M. à l'endroit . Pag. 119. apr.és
Lamon , mettés qui. Pag. 121. 7. pour le reconnoître
Pag. 125. l. que la joye. 146. l. à l'envie . Pag. 148.
qu'on n'en peut. Pag, 155. L. chargeoit . Pag. 177. l.
n'y à fa Profe. Pag. 181. . exact. Pag. 188. l. d'une
voix. Pag. 190. Là ces précieuſes. Pag. 202 l. éclairé.
Pag. 204. , on n'y allégue, Pag. 106. l, vous,
APPROBATION.
J
'Ai lû par ordre de Monfeigneur le Chan.
celier le Nouveau Mercure de Janvier
1717. Le Public y verra fans doute avec
plaifir le premier effet que l'Auteur le propofe
de prendre pour remettre cette eſpece
d'Ouvrage dans fon ancienne reputation.
A Paris ce 28. Janvier 1717.
TERRASSON.
L
PRIVILEGE DU ROT.
OUIS par la grace de Dieu , Roy de
France & de Navarre : A nos amez
& feaux Confeillers , les Gens tenans nos
Cours de Parlement , Maîtres des Requétes
ordinaires de nôtre Hôtel , Grand Confeil
, Prevôt de Paris , Baillifs , Senechaux ,
lents Lieutenans Civils , & autres nos Jufticiers
qu'il appartiendra , Salut . Notre
bien Amé le Sr FRANCOIS BUCHET ,
Nous ayant fait remontrer qu'il fouhaite
roit faire imprimer , & donner au Public
un Ouvrege qui a pour titre Mercure Fran**
çois & Galant , s'il nous plaifoit lui accorder
nos Lettres de Privileges fur ce neceffaires
. A ces caufes , voulant favorablement
traiter ledit Sieur Expofant , nous
lui avons permis & permettons par ces Prefentes
, de faire imprimer ledit Livre .
en tels volumes , forine , marge , carac
tere , conjointement ou feparément , & autant
de fois que boa lui femblera , & dé le
faire vendte & debiter par tout nôtre Royaumé
pendant le temps de fix années confecutives
, à compter de la datte desdites
Prefentes ; à condition neanmoins que chaque
Volume porteta fon Approbation expreffe
de l'Examinateur qui aura été commis
à cet effet . Faifons deffenſes à toutes
fortes de perfonnes de quelque qualité , &
condition qu'elles foient d'en introduire
d'impreffion étrangere dans aucun lieu de
nêtre obéiffance ; comme auffi à tous Lia
braires , Imprimeurs , & au res , d'imprimer,
faire imprimer, vendre ,fairevendre, debiter,
ni contrefaireledit Mercure François &
Galant, en tout, ni en partie , ni d'en faire
aucuns Extraits fous quelque pretexte que
ce foit d'augmentation , correction , changement
de titre ou autrement . fans la pers
miffion expreffe , & par écrit dudit Sieu
Expofant ou de ceux qui auroient droit de
lui , à peine de confifcation des Exemplaires
contraifaits , de trois mille livres d'amende
contre chacun des Contrevenans
dont un tiers à Nous , un tiers à l'Hôtel-
Dieu de Paris, l'aurretiers audit fieur Expofant
, & de tous dépens , dommages & interefts,
à la charge que ces Prefentes feront
enregistrées tout au long fur le Regiſtre de
la Communauté des Libraires & Imprimeurs
de Paris , & ce dans trois mois de la
datte d'icelles ; que l'impreffion dudit Livre
fera faite dans nôtre Royaume , & non
ailleurs , en bon papier , & en braux caracteres
, conformement aux Reglemens de la
Librairie ; & qu'avant que de l'expofer en
vente , il en fera mis deux Exemplaires
dans notre Bibliotheque publique , un dans
celle de notre Château du Louvre , & un
dans celle de Notre tres cher , & feal
Chevalier Chancelier de France le fieur
Voifin Commandeur de nos Ordtes ; le tout
à peine de nullité des prefentes . du contenu
de quels vous mandons & enjoignons
de faire jouir led . fieur Expofant ou fes
ayants caufes , pleinement & paifiblement
fans fouffrir qu'il lui foit fait aucuns troubles
ou empêchemens . Voulons que la co
pie defdites Préfentes , qui fera imprimée
au commencement ou à la fin dudit Livre,
foit tenue pout dûëment fignifiée , & qu'-
aux capies collationnées par l'un de nos
Amés & feaux Corfeilliers & Secretaires,
foi foit ajoûtée comme à l'original Commandons
au premier notre Huiffier ou Sergent
, de faire pour l'execution d'icelles
rous actes requis & neceffaires , fans demander
autre permiffion , nonobftant clameur
de Haro Chartre Normande & Lettres
à ce contraires. Car tel eft notre plai .
fir. Donné à Paris , le dix - neuvième jour
de Janvier , l'an de grace mil fept cent dix-
Lept & de notre Régne , le deuxième.
Par le Roy en fon Confeil .

FOUQUET.
Il eft ordonné par Edit de Sa Majesté ,
de 1686 , & Arrefts de fon Confeil , que les
Livres dont l'impreffion fe permet par chacun
des Privileges > ne feront vendus
par un Libraire eu Imprimeur.
que
Regiftréfur le Regiftre 4.de la Communauté,
des Libraires Imprimeurs de Paris pag
3. n 134.conformément aux Reglemens &
notamment à l'Arreft du Confeil du 13
Aout 1703. Paris ce 1 Février 1717 .
Signé DELAULNE , Syndic
LE
NOUVEAU
MERCURE
Le prix eſt de 15. ſols .
Février 1717.
Chez
A PARIS ,
PIERRE RIBOU, Quaydes
Auguftins, à l'Image S. Louis
ET
GREGOIRE DUPUIS rue S
Jacques , à la Fontaine d'or ,
M. D. CC. XVII.
Avec Approbation & Privilege du Roy.
THEN WI YGA
PUBLIC LIBRARY
836007
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
༥༩༩༣
C
L
AVANT - PROPOS .
E Lecteur doit être un peufur
pris de trouver des caractères fi
differents de ceux , dont on s'étoit
fervi jufqu'à préfent , pour imprimer
le Mercure. J'espere cependant de
fon indulgence , qu'il entrera aves
bonté , dans les raisons qui m'ont
déterminé à ce changement . Je dois
donc dire pour ma juſtification envers
le Public , que c'est le cri public même
qui m'y a engagé. Auffitôt que mon
premier Recueil parut , je reçû des
Avis de toutes parts , tant de Paris,
que des Provinces ; que l'on s'étoit
attendu que je diminuerois le prix
de ce Livre , en le réduisant à la
moitié que pour cela , je ne devois
pas être plus délicat que les Auteurs
des Journaux de Trevoux , de Hollande
, &c. qui , pour donner un cours
plus aife à leur Ouvrage , avoient
choifis la forme des caracteres , dont
A ij
AVANT- PROPOS.
jufe aujourd' buy. Que perfonne ne
s'en plaignoit ; Que d'ailleurs d'étoit
trop préfumer du mérite de mon
travail , que d'exiger le double du
prix d'un Livre qui ne contenoit pas
plus de matieres que ces fortes d'Ouvrages.
Favoue que ces raisons
m'ont parû fi fenfées , qu'elles m'ont
abfolument emporté ; puifque necesfairement
il doit en résulter plufieurs
avantages. Le premier , la médiocrité
du prix , qui eftant à quinzefols , fera
un puiffant attrait pour l'acheter.
Le fecond eft , que les débitant brochés
, on pourra à la fin de chaque
année , les faire relier en quatre volumes
, qui feront très portatifs. Le
troisième , qu'il paſſera plus aisément
dans les Provinces , & dans les Païs
Etrangers , à cause que le port enfera
moins confiderable , & c. Que l'on ne
croye pas cependant , qu'ils contiendront
moins de matieres que les
precedens au contraire , ils feront
beaucoup plus remplis , & par là , il
ichapera fort peu de Pièces volantes
qui n'y trouvent leur place. Enfin ,
je tacherai de former un Recueil qui
AVANT-PROPOS.
puiffe tenir lieu de quantité d'autres
Ouvrages périodiques , dont le Public
eft furchargé depuis quelque temps ;
eeft là l'inftitution du Mercure ;
les autres ouvrages de cette espéce
n'ayant pas le droit d'embraßer la
varieté des matieres qui fingularifeno
celui- ci. Je declare néantmoins que je
m'abstiendrai d'entrer dans le Secret
du Cabinet des Princes.
Je renvois les eurieux de Reflexions
Politiques au Journal Historique de
Verdun ; il en a trouvé la clef, ainfi
cette partie lui eft reſervée , je la lui
abandonne fans rancune .
Aprés un Avant-propos jugé auffi
necellaire , j'ofe me promettre que
l'on me fçaura gré d'entrer en matiere
par la Piéce fuivante : elle eft
d'un Auteur trop connu parmi les
favoris d'Apollon , pour ne pas faire
un des principaux ornements de
mon Recueil. De plus elle fervira
à me juftifier dans l'efprit des perfonnes
neutres , qui auroient pû me
foupçonner de partialité , fi je n'avois
point opposé un morceau à la
Diflertation de M. l'Abbé de Pons
A iij
AVANT - PROPOS.
qui eft à la tête du Mercure deJanvier
, dont elle attaque une partie
incidentelle ; fçavoir , fi la Profe
doit le ceder aux Vers.
7
LE
NOUVEAU
MERCURE
DEFFENSE
DE LA
POESIE FRANCOISE.
E laiffe à Madame Dacier
le foin de foûtenir , comme
elle ne manquera pas
fans doute de le faire trés
fçavamment , les principes qu'elle
a avancés fur le Poëme Epique
& que M. l'Abbé de Pons a combattus
dans le Mercure de Janvier
Aiiij
8 LE NOUVEAU
de cette année ; mais en qualité
de Citoyen du Parnafle & de Rimeur
, quoyqu'indigne ; je ne puis
me difpenfer d'entrer en caufe fur
ce qui regarde les interefts & la
gloire d'un Art que je cultive depuis
longtemps .
Tout homme doit être Soldat ,
quand il s'agit de défendre fa patrie.
Notre Patrie à nous autres Poëtes ,
s'il m'eft permis de me mettre du
nombre , c'eſt le Parnaffe . On ne
peut fupprimer les Vers , qu'il ne
foit ruiné de fond en comble ; car
pour Meffieurs les Profateurs , comme
il leur plaît de fe nommer ; ils
y tiennent un fi petit rang , fi même
ils y en tiennent aucun , qu'à peine
les y compte-t- on pour quelque
chofe. Les Poëtes au contraire
font les Seigneurs dominants ; Apollon
ne s'y communique qu'a eux ;
les Mufes ne favorifent qu'eux feuls
de leurs infpirations , & même pour
le faire avec plus de régularité &
moins de confufion ; elles ont par
tagé entre elles les differentes
fortes de Poëfies auxquelles les
MERCURE.
Poëtes fe confacrent ; & Pegaſe enfin
, tout cheval qu'il eft , ne s'y
laifle monter que par les Poëtes.
Le Parnafie nous appartient donc
en propre ; c'est notre patrimoine ,
& à titre d'autant plus légitime ,
qu'il y en a plufieurs parmi nous ,
qui n'en ont jamais eu d'autre. En
faut-il davantage pour allumer mon
zele , & exciter dans moi cette vive
ardeur avec laquelle on combattoit
autrefois , pour fes foyers &
pour les Autels ?
Je fens bien que pour faire les
chofes dans les formes , ce feroit
en Vers que je devrois défendre la
caufe des Vers. Mais dans la jufte
défiance que m'infpire la médiocrité
de mon talent en ce genre , je ne
veux pas donner lieu à mon adverfaire
de s'en prévaloir , & d'attribuer
à l'imperfection de l'Art , ce
qui ne devroit tomber que fur l'incapacité
du Poëte . Peut - être trahîrois
- je moi - même ma caufe , en
voulant la défendre , & je me ferois
dire perfonnellement , ce que
M. l'Abbé de Pons ne dit qu'en
10 LE NOUVEAU
general , à tous mes confreres :
Pourquoi ne me parle - t - on pas en
Profe ? *
C'est donc en ce langage que je
vais m'expliquer , & fi dans une
défenſe auffi légitime que celle- ci ,
il m'échape quelques termes qui
ne foient pas affez inefurez , je prie
notre adverfaire de fe fouvenir que
c'eſt le Parnafle , notre domicile ,
que j'ai à défendre , & que je fuis
en droit de faire autant de bruit
pour la défenfe de notre maifon ,
que Ciceron en fit autrefois pour
le retabliffement de la fienne . *
* Si c'eft une illufion dans Madame
Dacier de croire , que les Vers
font plus fufceptibles de grandeur &
de Majefté que la Profe , & que
le
Poëme y trouve plus de reffource ,
j'avoue que je fuis de moitié avec
elle fur cette illufion , & je m'es
* Page 75 .
*. Oratio
pro
*. Page 68 .
domo fuâ.
MERCURE. If
fais honneur . Il ne feroit même pas
impoffible que l'illufion ne fût moins
de notre côté , que du côté de ceux
qui nous l'imputent. Nous avons
déja pour nous , de l'aveu de notre
adverfaire , le préjugé public. * Tour
déraisonnable qu'on dépeint ce préjugé
, on convient qu'il eft univerfel
; & fi nous nous trompons , dumoins
avons - nous la confolation
de voir , que grand nombre d'honnêtes
gens fe trompent avec nous.
Il ne s'agit plus que de fçavoir de
quel côté eft l'illuſion .
Je ne prétends point icy fuivre nôtre
adverfaire pied à pied , ni faire
une differtation dans les formes ;
mais fans m'affervir à cette methode
gefnante , en répondant à un Auteur
qui ne blâme rien tant dans nôtre
art , que la gêne , j'efpere fatisfaire
pleinement à toutes fes difficultez .
Je conviens d'abord de bonne foy
de cette efpece de gêne & de con-
* Page 68.
Ibid.
12 LE NOUVEAU
trainte qui fe trouve dans les vers
& qui leur eft fi eflentielle , que c'eft
principalement ce qui les diftingue
de la profe. J'avoue en ſecond lieu
qu'il eft beaucoup plus aifé de parler
& d'écrire en profe , que de parler &
d'écrire en vers , tout comme il eſt
beaucoup plus aifé de marcher que
de danfer. Il y avoit plus de quarante
ans que M. Jourdain difoit de la
profe , non feulement fans avoir ap.
pris à en dire , mais même fans fçavoir
qu'il en difoit . Il eût beſoin de
fçavoir faire une reverence pour faluer
une Marquife , & pour cette
fimple reverence , il luy fallut un
Maiftre. Que conclure de tout cela ?
le voicy : c'eft que fi on veut le borner
à ce qui eft de plus facile & de
plus comode , il faut s'en tenir à la
profe , & fupprimer les vers ,fe contenter
de marcher & bannir la danſe .
Le parallele que je fais icy des
vers avec la dance, eft bien plus jufte
à ce qu'il me femble , que celuy que
fait M. l'Abbé de Pons,du Poëte avec
un danfeur de corde. Qu'est- ce que
la dance ce font des
pas mefurez .
Qu'est- ce
MERCURE. 13
>
Qu'est- ce que les vers ? ce font des
mots cadencez & difpofés en certain
ordre. C'eft la varieté de cette
mefure qui conftitue les différentes
fortes de vers ; comme les pas
différents ou différemment liés
conftituent les différentes fortes de
dances. Le Poëte , ni le Danfeur
ne courent point rifque de fe caf
fer le cou dans l'exercice de leur
Art. Tout est affés égal de part &
d'autre ; & fi les vers font plus de
plaifir que la fimple Profe c'eft
par là même raifon , que la danſe a
quelque chofe de plus piquant &
de plus interrellant , que la démarche
fimple & ordinaire d'un homme
qui , va naturellement fon pas.
,
Il est vrai qu'Horace dans fa belle
Epître, addreflée à Augufte , femble
faire une espéce de parallele entre
les Poëtes & les Danfeurs de corde ;
mais le parallele ne tombe que fur
une chofe qui regarde plus le génie
du Poëte que la verfification * . Car
que veut- il faire entendre , quand
*. Hor. Art Poet.
Février 1717. B
14 LE NOUVEAU
il dit qu'il n'eft pas moins frapé de
l'adrefle & de l'habileté d'un Poe
le qui , à la faveur d'un fujet fabureux
& d'un peril imaginaire , fait
jouer tous les refforts des paffions
dans un coeur , l'attendrit , le tranſporte
, le calme fucceffivement , l'effraye
& l'épouvante même par le
prestige & l'enchantement de fon
art , que s'il le voyoit danfer fur la
corde Il ne veut dire par là rien
autre chofe , finon , que pour produire
des effets fi merveilleux dans
les coeurs , il faut autant de fouplefle
& d'agilité , fi j'ofe m'exprimer ainfi ,
dans l'efprit du Pocte , qu'il en faut
dans le corps du danfeur pour voltiger
fur une corde tendue en l'air. Or
fila profe , comme le foûtient M.
l'Abbé de Pons , * peut faire tout ce
que font les vers ; fi , comme il le dit ,
les fictions ingenieufe , les figures hardies
, les images brillantes ne font pas
plus l'appanage des vers que de la
* Page 69 .
* Page 68 .
MERCURE.
is
Profe ; voilà Meffieurs les Profateurs
devenus danfeurs de corde, auffi- bien
que nous. Ils croyent eftre en effet
auffi grands maiſtres dans l'art d'exciter
les paffions , que le peuvent être
les Poetes , & par confequent on ne
peut nous mettre au niveau des danfeurs
de corde , qu'on ne falle entrer
dans le même branle tous les Orateurs
, Harangueurs , Avocats , &
les Prédicateurs même.
Mais fi l'on veut s'en tenir au plus
commode , & fe borner à ce qui eft de
plus naturel & de moins gefnant ,
pourquoy fe jetter à plaifir dans la
recherche fatiguante de ces fictions ingenienfes
& de ces figures hardies ,
propres à émouvoir les paffions ?
Pourquoy fe tourmenter l'imagination
à inventer des tours qui frapent,
qui étonnent ? Pourquoy faire illufion
à l'efprit par des enchantemens
de figures maniées avec art , & par
tous ces autres artifices de l'eloquence
, que l'Arcopage avoit bannis des
caufes qui fe plaidoient à fon Tribunal
? N'en coûte- t-il rien pour tout
cela à l'Orateur ; & ne feroit- il pas
Bij
16- LE NOUVEAU
moins gênant , moins fatiguant pour
lui , de fe contenter d'expofer fimple .
ment fes raifons l'une après l'autre
dans l'ordre le plus naturel ? I eft
vrai , & rien même ne feroit plus raifonnable
, fi l'efprit de l'homme étoit
d'une autre trempe qu'il n'eft ; c'eſt- àdire
, s'il étoit affez Philofophe pour
fe contenter du vrai tout pur : mais il
a fes caprices & fes foibleffes,qui demandent
des ménagemens & des égards.
Il y a des veritez qui ne font
impreffion fur lui , qu'autant qu'on a
le talent de les lui faire goûter , & il
fautfouvent lui arracher par furpriſe;
& comme à force de preftige , ce que
la raifon nuë & dégagée de ces efpéces
de fantômes ou féduifans , ou
effrayans , dont l'art l'environne
n'en obtiendront jamais ,
De la maniere que l'efprit de l'homme
eft fait , on ne peut parvenir à lui
plaire, que par des endroits qui le flatent
; il faut quelque chofe qui le réveille
, qui le pique , & qui excite
dans lui de la furprife ; & il n'eft jamais
touché plus agréablement , que
quand cette furpriſe va jufqu'à l'adMERCURE
17
miration. Ce fera un foible , fi l'on
veut , dans luy , que de ne fe pas contenter
de la verité pure & denuée d'agrémens
; mais c'eft à ce foible que
nous devons l'invention des Arts &
des Sciences , & le foin qu'on a pris
dans tous les temps de les perfectionner.
Or tout cela s'eft -il fait , ou fe
fait-il encore fans gêne & fans contrainte
; on la pafle à tous les autres
arts , cette contrainte & cette gêne
pourquoi l'art des vers eft-il feul à
qui on la reproche ?
On me répond à cela , que ce qu'on
blâme dans les vers , ce n'eſt pas précifément
la gêne & la contrainte ,
mais une gêne , & une contrainte qui
va à la ruine des penſées , qui leur fait
perdre leur verité & leur grace naturelle
quifait plier la raifonfous le joug
d'un langagefollement mefuré , bifarre,
effrayant , quiporte avec luy l'appareil
du travail & de l'affectation . A ces incommoditez
qu'on prétend qu'apporte
avec elle l'uniformité de la rime
& de la cadence ; on ajoute de plus ,
Page 58 & 59. & ¢.
Biis
18 LE NOUVEAU
quelle fatigue , qu'elle ennuye ; de forte
qu'il n'y a eû qu'un long commerce
qui ait pu nous accoûtumer à la démarche
affectée des vers , & à leur
air contraint , & qu'on ne les fouffre
que par habitude * Enfin , comme
l'a dit feu M. l'Archevêque de Cambray
* C'est une torture d'efprit en pure
perte ; car je ne diffimaleray point que
ce grand homme a efté fur le fujer
des vers,dans la même prévention que
M. l'Abbé de Pons . Je fais bien fâché
de trouver en mon chemin un nouvel
adverfaire , de cette réputation
& de ce poids ; mais dans la noble
confiance que m'infpire, & la bonté
de ma caufe,& le caractere du Poëte,
qui tient un peu du Gaſcon , je ne
crois pas que je recule pour un ennemi
de plus , quelque formidable qu'il
puiffe être.
Cependant comme c'eft l'art que
j'entreprends de défendre , & non , le
mauvais ufage qu'on en peut faire ,
* Page 58
* Reflexionsfur la Rhetor.
5
19 MERCURRE
je demande, avant toute chofe , qu'on
ne mette point fur le compte de la
Poëfie , les imperfections & les défauts
qui ne viennent que de l'ignorance,
de l'incapacité ou de la negligence
du Poëte. Je palle fans peine
condamnation fur les mauvaisPoëtes,
& même fur ce que les bons ont de
defectueux . On nous cite deux vers de
Racine , & deux autres de Defpreaux ,
où l'on trouve quelque chofe à reprendre.
Ce font l'un & l'autre, deux
de nos plus grands Maiftres ; je conviens
cependant qu'au lieu de deux
vers de chacun , on en pourroit citer
bien d'autres du fecond , & un plus
grand nombre encore du premier
Poëte;plus aifé queDefpreaux dans fa
verfification ; mais bien moins châtić
& bien moins correct. De-là on va
conclure avec M. de Cambray que
la perfection de la verfification Fran
goife eft prefque impoſſible , puiſque
ceux même qui s'y font le plus diftinguez
, & qui ont été le plus loin dans
cet art , ne font pas exempts de dé
fauts.
Je ne puis mieux faire fentir l'illu-
D iiij
20 LE NOUVEAU
fion de cette confequence que par une
fuppofition que je fuis en droit de
faire. Ronfard jouïfloit en fon temps
d'une reputation encore plus éclatante
& plus univerfelle , que ne l'a été
celle de Racine & de Defpreaux dans
le nôtre. Si fur quelques -uns de fes
vers reconnus pour foibles & pour
mauvais , dans le temps même de fa
plus grande vogue , quelqu'un avoit
conclu, qu'il étoit comme impoffible
d'atteindre à la perfection de la Poë .
fie , puifque Ronfard même n'étoit
pas exempt de défaut , ce raifonnement
nous paroiftroit- il aujourd'huy
bien convainquant ? & qui nous a dit
qu'il ne viendra pas aprés nous des
genies heureux , qui aidez des lumieres
, des leçons & des exemples que
leur ont laiffé nos meilleurs Poëtes ,
porteront l'art de la verfification encore
plus haut , que ceux -ci ne l'ont
porté , & toucheront de plus prés à
ce point de perfection où tend l'art
Si des fautes où font tombez les
plus habiles & les plus diftingués
dans chaque art ; on doit conclure
au préjudice de l'art même , il n'y
MERCURE. 21
en a point de la perfection duquel
il ne faille défelperer. Les plus
grands Poetes font fujets à des né.
gligences , & leurs plus beaux Ou.
vrages ont des taches. J'en conviens
; mais qu'on me montre un
Orateur fans défaut. On voudroit
que dans un long Ouvrage , le Poëte
ne laiẞât rien à defirer pour la jufteße
, la clarté & l'élegance. Ie le
voudrois bien auffi ; mais qu'on me
montre un long ouvrage de Profe
en notre langue , où il n'y ait rien
à redire fur l'élegance , la clarté ,
ou la jufteffe , & qui foit exempt
des moindres négligences.

Je ne fçais pas comment en jugent
les autres ; mais je ne ferois point
de difficulté de dire que je trouve
à proportion beaucoup plus de chofes
à reprendre dans les ouvra .
ges de Profe que dans ceux de
Vers , & je fuis perfuadé que quiconque
voudra examiner de prés
ce que nous avons de meilleur dans
ces deux genres d'écrire , en fera le
même jugement. Je dirai bien plus ,
c'eft qu'il n'eft gueres poffible que.
22 LE NOUVEAU
les Ouvrages de Vers ne foient plus
achevez que ceux de Profe . Pourquoy
cela ? C'est que les bons Vers
font toujours travaillez avec plus
de foin que la bonne Profe , & que
cependant la bonne Profe ne demande
gueres moins de travail &
de méditation que les bons Vers.
Il y a une forte d'harmonie dans
la Profe plus difficile à attraper que
celle de la Poefie ; celle - ci à fon
chemin tout tracé ; chaque pied ,
chaque fyllable a fon arrangement
fixe & reglé ; au lieu que l'autre
qui n'a point de regle palpable &
déterminée , dépend prefque toute
du goût & de l'oreille.
Je ne puis diffimuler que je trouve
une injuſtice criante dans la maniere
dont on juge des Poetes. On
convient qu'ils font plus gênés que
ceux qui écrivent en Profe ; & au
lieu de leur paffer quelque chofe
en faveur de cette gêne , on éxige
dans eux plus de regularité , plus
de jufteffe & plus de perfection que
dans les autres Ecrivains. Quand
un profateur a exprimé rondement
MERCURE. 23
fa penfêe en termes intelligibles &
recûs , on n'en demande pas davantage
, & l'on ne va pas rechercher
, s'il n'y avoit point de termes
plus propres , plus énergiques ,
des tours plus vifs & plus heureux
qu'il pût employer . On entend ce
qu'on a lû ; on a hâte d'aller à ce
qui fuit , & par là on eſt diſpoſé
à fe contenter aisément de ce que
l'on trouve . Il s'en faut bien qu'on
ait la même indulgence pour le
Poëte. Ce n'est pas allés qu'on entende
ce qu'il dit ; on lui fait encore
un procés fur ce qu'il ne dit
pas & qu'il n'a ni , dû , ni voulu
dire , mais qu'on devine , que la
gêné du vers lui a fait fupprimer
malgré lui . On pefe jufqu'aux moindres
fyllabes de fes vers ; on ne veut
point que rien Y foit forcé ou déplacé
, que rien y grimace ; & tout
prévenu qu'on ett fur la fervitude
perpetuelle de la rime , on ne lui
en veut pas paffer une de foible .
On tépond à cela ; Ce font des loix
qu'il s'eft faites ; on eft en droit d'éxiger
qu'il les obferve. Pourquoi
24
LE NOUVEAU
de

s'eft il affujetti a cette folle meſure,
feuvent aux dépens de la raifon qu'il
eft obligé de faire plier fous le ja ng
ce langage bifarre, quifait perdre aux
penfées leur verité & leur grace natu
relle. C'est un joug , il eft vrai
c'eſt une gêne & une contrainte ;
mais une contrainte , où les Poëtes
trouvent de la douceur , & de trés
grands avantages , & qui fans les
jetter dans tous ces inconvénients
qu'on impute à leur art , leur procure
des fecours auffi grands qu'ils
font réels.
Pour rendre ceci fenfible , & faire
toucher au doigt les avantages confiderables
que retirent les Poëtes de
cette contrainte à laquelle la meſure
du vers les affujettit , je fuppofe
qu'on donne à deux perfonnes d'un
efprit à peu prés égal , la même penfée
à exprimer , à l'un en profe
& à l'autre en vers . Le premier , s'en
tiendra , comme il arrive d'ordinaire
à la premiere expreffion jufte &
claire qui fe prefentera d'abord à
fon efprit . Le fecond au contraire ,
gêné , par la cadance , & par la rime
qu'il
MERCURE
.
25
qu'il ne rencontre pas dans les premier's
termes que fon efprit lui fournit
, tournera fa penſée en cent façons
, l'envifagera dans tous les
fens dont elle paroîtra fufceptible ,
s'échauffera l'imagination pour en
tirer des termes , & pour créer ,
s'il le faur, des tours , qui puiffent
faire quadrer fa penſée, à la meſure
de fon vers. Or quoy de plus propre
à cultiver l'efprit , à l'élever ,
à le perfectionner , a enrichir l'i.
magination , & à lui donner cette
fécondité qui multiplie en quelque
forte , le même objet dans fon idée
par les differents regards !) Oui !
mais , dit - on , voici l'inconvénient
& l'écueil : De tous ces tours , de
de toutes ces toutes ces images ,
expreffions, on choifira , non la meilleure
& la plus convenable , mais
celle qui renferme la rime dont on
a befoin & aprés laquelle on court.
Ainfi voila le Poëte gouverné par
la rime ; elle féduit ; elle le gourmande
, elle fait plier la raison fous
Le joug du vers, & par là , elle fait
perdre aux pensées leur verité & lew
grace naturelle, C
24 LE NOUVEAU
de
s'eft il affujecti à cette folle mefure ,
fouvent aux dépens de la raifon qu'il
eft obligé de faire plier fous le jong
ce langage bifarre , quifait perdre aux
penfées leur verité & leur grace natu
relle. C'est un joug , il eft vrai
c'eft une gêne & une contrainte ;
mais une contrainte , où les Poëtes
trouvent de la douceur , & de trés
grands avantages , & qui fans les
jetter dans tous ces inconvénients
qu'on impute à leur art , leur procure
des fecours auffi grands qu'ils
font réels.
Pour rendre ceci fenfible , & faire
toucher au doigt les avantages confiderables
que retirent les Poëtes de
cette contrainte à laquelle la meſure
du vers les affujettit , je fuppofe
qu'on donne à deux perfonnes d'un
efprit à peu prés égal , la même penfée
à exprimer , à l'un en profe ,
& à l'autre en vers . Le premier , s'en
tiendra , comme il arrive d'ordinaire
à la premiere expreffion jufte &
claire qui fe prefentera d'abord à
fon efprit . Le fecond au contraire ,
gêné , par la cadance , & par la rime
qu'il
MERCURE.
25
qu'il ne rencontre pas dans les premiers
termes que fon efprit lui fournit
, tournera fa penſée en cent façons
, l'envisagera dans tous les
fens dont elle paroîtra fufceptible ,
s'échauffera l'imagination pour en
tirer des termes , & pour créer ,
s'il le faur , des tours , qui puiflent
faire quadrer fa penſée, à la meſure
de fon vers , Or quoy de plus propre
à cultiver l'efprit , à l'élever
à le perfectionner a enrichir l'i
magination , & à lui donner cette
fécondité qui multiplie en quelque
forte , le même objet dans fon idée ,
par les differents regards ¦ Oüi !
mais , dit - on , voici l'inconvénient
& l'écueil : De tous ces tours , de
toutes ces images , de toutes ces
expreffions,on choifira , non la meil
leure & la plus convenable , mais
celle qui renferme la rime dont on
a befoin & aprés laquelle on court.
Ainfi voilà le Poëte gouverné par
la rime elle féduit ; elle le gourmande
, elle fait plier la raison fous
Le joug du vers, & par là , elle fait
perdre aux pensées leur verité & lew
grace naturelle, C
;
26
LE
NOUVEAU
Tout cela eft vrai dans la pratique
des mauvais Poëtes , & dans
l'idée de ceux qui , faute d'être dans
l'exercice de la verfification , ne feavent
pas , comment les bons Poetës
fe gouvernent à cet égard . Il y a
dans tous les arts , certains myftéres
où la Théorie ne pénétre point ,
& qui ne fe révélent qu'à la pratique
& à l'ufage . Les bons Poëtes ,
comme les mauvais , font obligez de
faire pafler une même penfée par
vingt expreffions differentes , & de
fe la reprefenter fous vingt differents
jours ; jufques là tout eft égal entreeux.
Voici le point où ils fe feparent,
& ce qui les diftingue des uns des
autres. De tous ces tours & de toutes
ces expreffions differentes qu'ils ont
imaginées ; le mauvais Poete s'en
tient à celle qui lui livre ſa rime , &
c'eft en cela qu'il eft mauvais Poete.
Le bon Poete au contraire , choiſit
avant toute choſe, l'expreffion la plus
noble & la plus énergique ; le tour le
plus vif, le plus brillant, & qui donne
le plus de force & le plus de grace
à fa penfée , & cela fans égard pour
MERCURE, 17
la rime à laquelle il ne donne que fa
feconde réflexion . Quelque que foit
cette rime , il y affujettit tout le refte
; c'est ainsi qu'il fait plier la rime
fous le joug de la raifon , tandis que
le mauvais Poete fait plier la raifon
fous le joug de la time, La gêne de
la rime fait fouvent dire au mauvais
Poëte , ou plus , ou moins , ou toute
autre chofe qu'il ne voudroit dire ;
au lieu qu'elle fait fouvent trouver
au bon,des idées naives & des faillies
heureuſes , qu'il n'auroit jamais imaginées
fans cet aiguillon . Il y a tou.
jours dans chaque periode , dans chaque
penfée un peu étendue,quelque
endroit qui domine , à peu prés ,
comme dans un tableau , il y a tou
jours un objet principal auquel on
rapporte & on unit tous les autres.
Chez les Auteurs qui ont du goût ,
c'eft cet endroit qui gouverne le refte
qu'on tafche d'y lier , d'y aflortir &
d'y unir le plus naturellement qu'on
peut. Or c'est là , dit -on , la difficulté
que cette union ! il faut trouver une
terminaifon qui rime à cette expreffion
dominante,que vous aurez choi
*
Cij
.8 LE NOUVEAU
fie par préference , il faudra forcer
tout le refte pour l'amour d'elle . Et
qu'importe de quel côté foir la gêne
& la tyrannie , & laquelle des
deux rimes qui fe répondent , fouffre
& grimace ? Le Lecteur n'en fera
pas moins frapé du désagrément qui
refulte de cette gêne .
Faulle idée de ceux qui ne font -
point dans l'habitude de la verfification
, & qui fe font un monftre de
la rime , mais idée en même temps .
dont il eft dautant plus difficile de
les faire revenir , qu'il n'y a , que l'éxercice
& l'habitude de la verfification
, qui pût les défabufer. Je les
prieray feulement de faire une remarque
qu'ils n'ont peut- être jamais
faite , & dont il n'y a perfonne qui
ne foit capable . C'eft que dans le difcours
ordinaire, on ne dit gueres une
douzaine de mots de fuite, qu'on n'en
trouve au moins deux qui riment enfemble
; de forte que tout le travail
fe reduit à tourner ſa phraſe de maniere,
que ces deux terminaifons qui
riment , tombent naturellement au
bout des deux vers . Ce qui eft plus
MERCURE. 29
facile que je ne le puis dire ; & fion
cenfulte ceux qui font dans l'ufage de
faire des vers françois , ils conviendront
fans peine que la rime pour
l'ordinaire , eft ce qui les gêne & les
embaraffe le moins ; de forte que
M. Defpreaux a eu grande raifon de
dire dans fon art Poetique au fujet
de la rime .
Lorfqu'à la bien chercher d'abord on
s'évertuë ,
L'esprit à la trouver aifèment s'habituë;
Au joug de la raison fans peine elle
flechit ,
Et loin de la gêne„ la fert & l'enrichit.
S'il me falloit verifier , papiers fur
table , ce que j'ay dit du peu de préjudice
que la contrainte de la cadence
& de la rime, apporte à la verité, à la
beauté & à la grace des pensées ; je
n'en irois point chercher d'autre preuve,
que cet ouvrage même de M. Defpreaux
que je viens de citer , & que
je regarde comme le Poëme le plus
achevé que nous avons en noftre lan-
Cij
30 LE NOUVEAU
gue . Je trouve dans ce feul Poëme de
quoi prouver qu'il n'y a peut -être rien
qu'on ne puifle exprimer auffi heureufement
en vers qu'en profe. C'eſt
un ouvrage didactique , & par là même
, d'un caractere froid , & moins
fufceptible des agréments de la
Poefie,que toute autre efpece de Poëme.
C'est peu de dire qu'il n'y a pref
que rien de forcé , ni de foible dans
cet ouvrage , tout m'y paroift failė,
fi naturel , que je ne fçay pas comment
le Poëte auroit pu s'y prendre,
pour trouver des termes plus propres
& plus nobles que ceux qu'il a mis
en oeuvre. Je fais plus : Je Propole au
plus habile Profateur de prendre le
fonds de cet ouvrage & d'en mettre
les préceptes & les inftructions en
pure profe , & je le défie de le faire
plus intelligiblement , plus nettement
& plus naturellement que
Defpreaux ne l'a fait en vers .
S'apperçoit- on dans cet ouvrage
& dans la plupart de ceux du même
Auteur & de nos antres bons Poëtes ,
de cet air contraint & de cet appareil
de travail d'affectation , qu'on
MERCURE.
31
reproche tant ? Pour moy , fi j'ofe
dire ce queje penfe , je m'en apperçois
bien davantage dans des ouvrages
de profe , pleins d'efprit d'ailleurs
, mais dont le ftile me paroift
bien plus gené & plus affecté que celuy
de la Poëfie. Tel eft celuy de S.
Evremond en plufieurs de fes ouvrages
. Les mots y font prefque toujours
dans une attitude contrainte & forcée
; il faut fouvent aider à la lettre
pour les entendre , & je fuis perfuadé
que s'ils avoient la liberté de fe plaindre
, ils avouëroient qu'ils fe trouvent
bien plus en preffe & plus mal à
leur aife dans fa profe & dans d'autres
ouvrages pareils , qu'ils ne le
font dans les bons vers.
Heft für que la cadence & lagime
affujettit à une certaine meſure reglée
, qu'on appellera contrainte , fi
l'on veut , en ce que toute regle emporte
avec foy une forte de contrainte
; mais c'eft en quoi paroift la fuperiorité
du bon Poëte , de fçavoir
manier fi dextrement fon art ; qu'il
en fafle oublier la contrainte à fon
Le&eur ; qu'il obſerve la regle , fans
32 LE NOUVEAU
918
paroiftre s'eftre fait une affaire de
T'obferver ; que les termes fe trouvent
fi bien liez & fi naturellement
affortis enfemble , que cette union
femble plûtoft l'effet d'une rencontre
heureule , que le fruit d'une recherche
étudiée , & qu'enfin la rime
tombe fi jufte & fi à propos , qu'on
foit tenté de croire qu'elle ne s'y
trouve que par hafard , & parcequ'on
n'a pû l'éviter .
C'eft ce qui fait une forte d'illufion
qu'on peut regarder comme la fource
de cette multitude de mauvais Poctes
dont lePublic eft obfedé . Cet air d'aifance
que les bons Poëtes fçavent répandre
dans leursvers , a quelque cho⚫
fe de feduifant.Tout yparoît fi naturel
que le Lecteur , s'il n'eft fur fes gardes
, eft porté à prefumer qu'il ne
tiendroit qu'à luy ; d'en faire autant.
Ut fibi quivis fperet idem flaté de
cette agréable idée , il prend la plume
en main , & croit que les vers
vont couler comme la profe ; il n'y
a que l'experience qu'il fait du con-
* Horat. Art. Poet,
MERCURE.
traire, qui puiffe le détromper : fudet
multum , fruftraque laboret Aufus idem.
Le malheur eft que la plû--
part ne veulent pas eftre defabulez .
Toûjours leurrez par le charme fateur
des vers qu'ils admirent , ils en
trouvent toutes les beautez fi fort à
leur portée , qu'ils croyent y toûcher
déja , & qu'il leur en coûtera peu
d'efforts pour y atteindre .
Or ce charme & cet enchantement
dont la multitude des mauvais
Poetes nous fait trop voir, combien il
eft difficile de fe defendre , peut -il
être l'effet d'un langage bizarre & ef='
frayant , comme on veut bien l'appeller?
La bizarrerie a t'elle quelque
chofe de fi attrayant ? ce qui effraye,
eft-il propre à féduire , & à infpirer
tine envie fecrete de l'imiter ?
M. de Cambray apporte pour preuve
de cette bizarrerie prétendue , le
foin qu'on a d'éviter dans la Profe,la
cadence des vers , tant elle est peu propre
, dit-il , à flater l'oreille.
C'est à peu prés comme G pour
* Ibid.
34 LE NOUVEAU
Prouver, que la danfe eft bizarre , on
alleguoit le foin qu'on prend d'en
éviter les mouvemens & les attitudes
en marchant. Le meilleur danfeur du
monde paroiftroit ridicule , s'il obfervoit
dans fa démarche ordinaire,la
mefure & les inflexions qu'on auroit
admirées dans fa danfe . La profe &
les vers ont chacun une forte d'harmonie
qui leur eft propre. Si l'on évite
dans la profe celle qui convient aux
vers , ce n'eft pas qu'elle ne flatte l'oreille,
mais c'eft qu'elle ne la flate pas,
de la maniere qu'elle la doit fla er ;
& qu'il eft auffi mal de parler vers en
profe , que de parler profe en vers.
La cadence du vers loin d'avoir rien
de bizarre ou de choquant , a aucontraire
quelque chofe de finarurel , que
quand on compofe dans un ftile un
peu élevé, c'eft la premiere qui fe pré-
Tente d'abord à l'efprit ; & que de trés
habiles gens , faute d'être dans le
train de la Poefie , en ont efté la dupe ,
& ont laiffés échapper bien des hemiftiches
, & fouvent des vers entiers
dans leur profe; C'eft là ce qu'on peut
dire , qu'elle laffe , qu'elle fatigue ,
MERCURE. 35
qu'elle ennuye , parce qu'elle eft hors
de fa place , & non pas dans les vers
où elle doit fe trouver.
J'ai dans la cauſe que je défens ,
un avantage qui en juſtifie la bonté ;
c'est que nos adverfaires en font
réduits à fe contredire dans les reproches
qu'ils nous font . M. l'Abbé
de Pons , par exemple , nous déclare
qu'il y a quelque chofe dans les vers
qui le fatigue & qui l'ennuye. Mais
trois ou quatre pages aprés , il convient
que le poète nous plait , quoique
fouvent il nous parle avec moins
d'élegance que le profateur. Comment
ennuye.t - il, s'il plaiſt & comment
plaift-il , s'il ennuye ? Voilà un en.
nuy bien amufant & bien agréable !
Mais enfin à quoy impute-t- on cet
ennuy ? au retour importun de la rime,
à la repetition des mêmes nombres dans
chaque phrafe . Enfin à l'uniformité
perpetuelle qui régne dans les vers.
J'aurois peut- être eſté embarraſlé
à répondre à cette difficulté , & à
juſtifier la verſification d'un ennuy
qu'on prétend qu'elle devroit caufer
, quoyqu'on convienne qu'elle
36 LE NOUVEAU
ne le caule pas ; fi M. de Cambray
ne m'avoit fait appercevoir dans
- l'Analife qu'il fait de la conftru &tion
de la Phrafe Françoife , que la Profe
en nôtre langue pêche encore plus
du côté de cette uniformité , que les
vers , En effet que peut-on imaginer
de plus fimple & de plus uniforme
que cette conftruction ? * On veit tomjours
, dit- il , venir d'abord un nominatiffubftaniif
qui mine ſon adje &tif
comme par la main. Son verbe ne
manque pas de marcher derriere , fuivi
d'un adverbe qui ne souffre rien
entre deux , & le Regime appelle
auffitoft un accufatif qu'on ne peut déplacer
; c'est ce qui exclut toutefufpenfion
d'efprit , toute attente, toute
furprife , toute varieté , & fouvens
toute magnifique cadence. Voilà la
preuve que me fournit l'un de nos
adverfaires , fur l'uniformité conftante
& invariable de la construction
Françoile en Profe. Mais ne fe trouve-
t.elle pas la même dans les vers?
Non , & c'eft furquoi j'ai pour garant
notre autre adverfaire M. l'Abbé
* Reflex. fur la Rhet.
de
MERCURE.
37
de Pons . A l'égard des conftructions ;
dit- il , on accorde aux Poëtes le droit
de les varier un peu plus , que nefait la
Profe.
Nous voilà donc , de fon aveu même
, un peu plus au large de ce cofté
là , que les Profateurs, Nous, qu'on dépeint
comme des gens fi contraints & -
fi gênez dans leur marche. On s'eſt
bien douté que les Poetes ne manque.
roient pas de s'en prévaloir , comme
de raifon ; & c'eft pour cela qu'on
prend la précaution de les avertir
charitablement,de n'en point tirer de
vanité car , ajoûte M. l'Abbé de
Pons ce droit même attefte la mifere
de leur art ; Et nous , nous foûtenons
qu'il en montre la richefle & la beauté.
En quoy fait- on confifter cette mifere
prétendue de nôtre art . ? En ce que
pour fubvenir à fon beſoin, on a estéforcé
de faire plier laregie françoise qui
veut, qu'onfoulage l'attention par une
conftruction aisée, qui présente à quelque

*
Page 66.
Page 67.
D
38
LE
NOUVEAU
hofe près,lesidées dans leur ordre naturel.
Et nous , nous prétendons , non
pas qu'on a accordé aux Poëtes , car
nous fommes glorieux , & nous ne
voulons avoir obligation à perfonne ;
mais qu'ils fe font mis eux- mêmes &
de leur propre autorité, en poffeffion
d'un droit qui les fauvoit de cette
uniformité languiflante, qui eft excufable
dans la Profe , mais qui nous
a paru incompatible avec la grandeur
& la majefté des vers ; & c'est
par cette heureuſe hardieffe , digne
de l'élevation de leur génie , qu'ils
fe font mis en état de produire cette
fufpenfion d'efprit , cette attente , cette
Surprise , cette varieté & ces magnifiques
cadences , où felon M. de Cambray,
la Profe ne peut atteindre .
S'it eftoit vray que ce droit ne fût
accordé qu'à la mifere de notre art,
à titre de befoin , & fous le nom de
licence , nous éviterions autant qu'il
nous feroit poffible , de nous en fervir
, & foigneux de cacher noftre
mifere ; nous ne nous en fervirions
jamais qu'à la derniere extremité,
Loin de cela , nous évitons au conMERCURRE.
39
traire la conftruction naturelle de la.
Profe , comme un écueil , & nous regardons
toute Poëfie où cette conftruction
eft regulierement obfervée ,
plûtôt , comme la profe rimée , que
comme des vers .
Et pour ne point fortir de l'exemple
des vers de M. de la Motte , citez
par M. l'Abbé de Pons , où parlant
des trefors , il dit :
Du fein de la Terre entrouverte
Chers inftruments de notreperte ,
L'argent & tor font arrachez ;
On les tire de ces abifmes ,
Oùfage & prévoyant nos crimes
La nature les a cachez.
Il ne faut pas croire que ce foit la
neceffité de la mefure qui ait forcé M.
de la Motte , à renvoyer ces mots :
L'argent & l'or , au troifiéme vers,
& celui-ci , la nature au dernier , c'eſt
à dire , tous deux à la fin de la phrafe,
où ils fe trouvent. Il luy eftoit aifé , s'il
l'euft voulu , de les arranger , comme
ils le font dans la verfion qu'en a faite
en profe , M. l'Abbé de Pons ; mais
Dij
40 LE NOUVEA Ú
alors ce n'euft efté que de la profe rimée
; au lieu qu'ici ce font des vers.
Ces deux nominatifs qui font les objets
dominants des deux phraſes , &
comme les principaux perfonnages
du tableau , eftant renvoyez vers la
fin,produisent cette fufpenfion qui foutient
avec agrément l'attention de l'ef
prit , & qui par là le preferve de cer
ennuy qu'on nous reproche à tort , &
dont nos vers ne ſe défendent qu'en
évitant avec ſoin l'allure de la profe.
Nous fommes donc bien éloignez
de croire, comme M. l'Abbé de Pons,
que fi nous fuivions cette allure
* Nos vers n'en feroient que plus parfaits
; nousfommes perfuadez au contraire,
qu'ils en feroient moins vers ,
c'est à dire , moins ce qu'ils doivent
eftre , il ajoute que quand il en * tron_
ve une fuite nombreuse , dont les conftructions
pourroient eftre adoptéespar la
profe , il applaudit aupredige. Je luy
crie mercy fur cela , & je luy declare
Pag. 67.
Ibid,
MERCURE
41
qu'en mon particulier, l'ay toujours
tâché de faire des vers qui fuffent na.
turels ; inais que quelqu'estime que
je falle d'ailleurs de fon jugement , &
quelque paffion que j'eufle de meriter
en toute autre chofe fes applau
diffemens , je ferois tres fâché de les
meriter fur cet article de verfification , -
adoptable par la profe.
Quelque agrément que la rime
donne aux vers , nous ne nous tiendrions
pas aflez diftinguez des Profateurs
, fi nous n'en differions que par
cet endroit , qu'on nous reproche en--
core comme une fource d'ennui,par
l'uniformité de fa terminaiſon. S'il.
n'y avoit qu'une rime au monde , ou
que le nombre en fut fort borné , le
reproche feroit bien fonde ; mais il y
en a des milliers dans notre langue ,
& quand on fçait les varier , comme
le font les bons Poëtes , en les choififfant
de fons differents , loin que
ces terminaifons mifes comme en regard
, fatiguent & ennuyent , elles.
foulagent au contraire & délaffent
agréablement le Lecteur . M. de
Cambray eftoit d'avis qu'on nous
Diij.
42 LE NOUVEAU
mit un peu plus au large fur cet ar
ticle , mais à Dieu ne plaife , le parnaffe
a plus befoin d'eftre reformé en
cela ,, que d'eftre mitigé ; le Public y
perdroit auffi bien que nous , & une
pareille indulgence ne ferviroit qu'à
multiplier les mauvais Poëtes , & à
faire degenerer les bons.
De tout ce que j'ai dit ; il s'enfuit ,
que de quelque côté qu'on envifage
la conftruction des vers , il ne
s'y trouve rien qui ne doive plaire ,
& qui ne plaife en effet. Auffi nos Adverfaires
en conviennent- ils debonne
foy, & M. l'Abbé de Pons avouë luimême
qu'il eft dansl'illuſion la plus favorable
à l'art qu'il condamne & qu'il
eft fenfible aux graces des vers . Mais
ildéclare en même temps , que c'eft .
une illufion , qu'en cela même il eft
dupe , & qu'il a tort de s'y plaire.
Quel triomphe pour la Poëfie qu'un
pareil aveu quelle arrache de la plume
de fon ennemi , à qui elle plaift
même malgré lui ! Il appelle toute
fa raifon au fecours, pour fe deffendre
de ce charme qu'il nomme illufion
, il en recherche la fource , & au
MERCURE.
48
lieu de l'attribuer à l'élevation, à la
magnificence , à la varieté , à la hardielle
, au brillant , au merveilleux
des tours , des figures , des expreffions
; il aime mieux imaginer que
ce charme ne vient que de l'habitude .
Ce que je vois de conftant dans tout
ceci, c'eft que les vers plaifent. Pourquoi
plaifent- ils ? c'eft furquoi on devine
plûtôt qu'on ne raifonne . Tenons-
nous en donc à ce qui eft de
certain , & recevons la fatisfaction
que nous donnent les vers , fans les
aller chicaner mal- à - propos , fur le
plus ou le moins de droit qu'ils ont
de nous en donner. Les gens d'efprit
font toûjours ingenieux à fe tourmen.
ter eux-mêmes. Ce n'eft pas aflez
pour eux d'avoir du plaifir , ils veulent
encore en avoir fcientifique--
ment & dans les regles ; il faut qu'ils
creufent jufqu'à ce qu'ils ayent pû‹.
démêler , pourquoi ils en ont . He ,
Meffieurs , vous qui êtes fi ennemis
de la gêne & de la fervitude des vers,
pourquoi vous en procurez - vousune
inutile , même dans ce qui vous
plaift . Joüiflez , fans tant fubtilifer
"
44.
LE NOUVEAU
d'un plaifir auffi innocent , que celui
que vous offre l'harmonie des vers ;
& fongez , que les plaifirs de cette
trempe font fi rares & fi précieux ,
que loin de chercher à en diminuer
le nombre & à les effaroucher par
des réflexions importunes , on doit.
encore travailler à les multiplier .
LE
E nouveau fiftême propofé par
M. l'Abbé de Pons fur le Poëme
Epique, n'excitera - t'il pas le zele &
l'émulation des difciples d'Ariftote ?
Il y va de leur honneur de ne pas
laiffer le temps à une fi dangereufe
nouveauté , de s'établir . Le morceau
que l'on vient de lire , ne traite
qu'une queftion incidente de la nouvelle
diflertation ; un ami des Mu--
;
fes juftement allarmé , vient de parler
pour la deffenfe de fes foyers..
Mais il ne doit pas encore demeurer
tranquile fur la foy de fon manifefte
; l'Adverfaire reviendra le mois
prochain à la charge , & fe promet
de mettre la queftion controverfée .
dans un jour fi évident , que perfonne
ne fera plus tenté de l'inerroger
fur cela à l'avenir.
LETTRE
DE M ***
A M ***
Jjufq
A v 015 réſiſté , Monfieur ,
jufques ici à toutes vos Coqué
teries ; mais il faut avoüer fa foi
bleffe ; ' je n'ai jamais pû tenir con
tre le paté de Perdrix , dont vous
m'annoncez l'agréable arrivée par
votre Lettre. J'ai fenti avec plaifir
que mon appétit , & mon efto .
mach étoient en moi plus forts , que
l'amour propre ; tranfporté d'une
reconnoiffance gloutonne , qui m'a
tenu lieu d'entoufiafme ; je me
fuis écrié :
Vous dont le teint fleury respecté des
années

Fit toujours les fouhaits des beautés
furannées ,
46 LE NOUVEAU
Convive aimable Abbé .......
Qui veut,quelque cher qu'ilt'en coute
It toujours répandre du vin
Et toujours te donner la goute ,
Qui jamais ainfi n'aura fin :
Quand arriva l'Epitre votre ,
F'étois gizant fur le grabat ,
Et le Rhume qui tout abat ,
Tenoit Palaprat dans un autre ,
Gizant , comme moi , tout à plat,
Avonez que fans imprudence ,
Rimeurs en état fi piteux ,
Ne doivent rompre le filence ;
Car d'un corps foible , & langonren
L'efprit reffent la désadence,
Et le chagrin de la fouffrance ,
Eteint le brillant de ces feux
Qu'allument la fanté , les plaifirs
& les jeux,

Dans le fein de l'Intemperance :
Et puis Meffieurs les beaux efprits ,
Qui veut vous faire une réponse
Pus d'une fois fur fes Ecrits ;
Doit paffer la pierre de Ponce ,
Ainfi point ne ferai ſurpris ,
Que ces contretemps , ces obftacles
Ayent fait ceffer les Oracles ,
Que Bacchus rendoit an pourpris
MERCURE. 47
Du Temple ou fe faifoient miracles ,
Autant qu'à Temple de Paris .
N'allez pas croire au moins
Meffieurs , que j'aye voulu vous
faire une réponse en forme , ni méditée
, pour achever de me guéric
d'une fluxion horrible que j'ai eu
depuis un mois. Car , comme a tres
bien dit Mr Arroüet , Maudit eft
de Dieu , & bien malade , qui toujours
verfifie ; fi faut - il bien pour
tant , que je réponde deux mots à
ce favory d'Apollon.
Qui fous l'ombre d'une fleurette ,
Nous a tiré tout doucement ,
En badinant , une aiguillette,
Mais le tout avec agréement.
Pour vous , fucceffeur de Villon ,
Dont la Mufe toujours aimable ,
Fait de Sully, ce beau Vallon
Que nous a tant vanté la Fable:
Seachez que fi dans nos repas ,
Par quelque gentil Vaudeville
Nous avons reprimé les fats
Qui Jans nous innondoient la Ville į
famais notre malignité
-48 LE NOUVEAU
Ne fentit l'aigreur de la bile ;
Et jamais toute la gayeté
De noire Troupe encline à rire ,
Ne paffa jufqu'à l'aprété ,
De la plus legere fatire ;
Suivez ces utiles leçons
Et toujours occupè de plaire ;
Cueille au Jardin de Cythere ,
Des fleurs pour orner vos chansons
C'est là qu'Amour avec fa mere ,
Tient Ecole de fentiment !
Et répand certain enjoüement
Sur nos vers , & cette moleffe :
Ou ni les briliants , ni les traits
Ni toute la délicateße
De l'efprit , n'atteindra jamais ;
Et dont votre Muſo badine ,
De jours en jours plus libertine ,
Nous fait fentir tous les attraits,
En voilà trop pour un malade , &
même alfez pour un convalescent .
Quand à noftre Pere Prieur ,
Qui fans avertir fouvent pince
Fufqu'à fon bumble ferviteur ,
MERCURE . 49
Il ne veut plus être Rimeur ;
Et s'eft mis à faire le Prince
De fa table , qui n'eft pas mince,
A de joyeux compotateurs.
Il fait lui - même les honneurs
Mieux , qu'aucun Seigneur de
Province.
Il ne me refte qu'à prendre congé
de vous , Meffieurs , & à vous don
ner falut & benediction.
Dans votre fejour enchanté
Buvez frais , faites chere lie
Dieu vous donne prospérité ,
Son Paradis en l'autre vie
Dans celle- cy ,joie , & Santé ,
Goutez - bien votre oifiveté ,
Et bornez aux plaifirs , votre
Philofophie.
Février 1717 . E
*XX ** ** 88
CONTE
M
Par M. Roy.
fut un hom.
Aiftre Alain
me inimitable
,
Un passé maitre en Profe &
Vers galans.
Pour un Auteur , autre point plus
notable ,
Homme de Cour, & des plus importans
,
Felé , Dieu fçait , car c'étoit le
bon tems.
Au Louvre un foir s'endormit le
bon homme,
La Reine arrive , au milieu de
Son Somme,
D'un baifer , mais d'un baifer
favoureux ,
Elle honora le dormeur trop henreux
:
MERCURE. SI
Meffieurs , au moins ici ce qui
me touche ,
Dit la Princeffe , au gros des
Courtisans
Ce n'est pas l'homme , il eft laid ,
c'est la bouche >
D'où font fortis tant de propos
plaifans.
Adreſſe aux Dames.
Si par hazard ,
peu vaine ,)
l'idée eft un
Ce Maiftre Alain m'avoit tranf
mis fa veine
Son bel efprit , en feries - vous
autant ?
Alain fur ce s'endort & vous
attend.
Ou bien de cette façon .
Qui de vous fera la belle ;
Qui voudra fur ce modelle
Prendre d'auffi doux trapfports ?
Qu'elle vienne , je m'endors .
E ij
12 LE NOUVEAU
J
De Mofcovv le 1. Fanvier 17 17
E n'ai pas efté peu furpris , en arrivant
ici , de trouver des Peuples,
des Moëurs & un Gouvernement plus
exactement policéque je ne me l'étois
imaginé. Ces Ruffes que les Auteurs
traitent de Barbares ; font aujourd'hui
des hommes comme les autres .
Il eft vrai que ce changement n'eft dû
qu'au foin & à l'application que le
Czar Pierre Alexieuvvitz , qui regne
à prefent, avec tant de gloire , a
pris de les civilifer.
On ne peut plus douter que ce
Prince continuant à faire fleurir les
Sciences & les Arts ; permettant à fes
fujets de voyager , & aux Etrangers
de negocier librement dans fes Etats ,
les Mofcovites dans peu, ne le difputent
à tous les autres Peuples de l'Europe
, dans quelque genre de difcipline
que ce puiffe eftre , foit litteraire
, foit militaire .
MERCURE. 53
De laVille de Mojcovv.
Ette grande Ville eft la Capita-
Cle deRuffie , elle tire fon nom
de la Riviere de .Moskow ; fon circuit
eft d'environ trois lieuës d'Allemagne.
On y compte à préfent 60-
mille maitons ; la plufpart à la verité
n'ayant qu'un étage . Commeon a vu
les inconveniens qui arrivent à caufe
des incendies frequentes, caufées par
la conftruction des maifons qui n'étoient
que de bois ; par ordre de S
M. on n'en bâtit aujourd'hui que de
briques , pour remedier à ces acci
dens ,
Les rues font belles & fort larges ;
mais fi falles,quand la pluye a detrempé
tant foit peu la terre , qu'il feroic
impoffible de s'en tirer fans des rondins
joints enfemble , qui forment
une espece de Pont , à peu prés de la
façon de celui du Rhin prés de Straf
bourg.
La Ville eft divifée en quatre quartiers
ou enceintes ; elle a quelque raport
à cet égard avec Amferdam..
LE NOUVEAU
Le premier eft nommé Kitaigorod, la
Ville du Milieu . Le Palais de l'Empereur
qui eft dans cette partie , autrement
Cremel , en occupe prefque la
moitié ; il eft fortifié de trois fortes
murailles & d'un bon folé , garnid'artilleries
. L'on voit au milieu de
la Cour du Chafteau, plufieurs Clochers
, il y en a un entre - autres , remarquable
par fa cloche , quell'Empereur
Boris Gudenou fit fondre du poids .
de 336 quintaux ; elle ne peut eftre
ébranlée,à peine 24 hommes fuffifent
pour la fonner avec le batan . On a
bâti dans ce circuit un fort beau Palais
de pierre à l'Italienne. La Place
qui eft devant le Château , eft le premier
marché de la Ville ; il eft rempli
de boutiques , comme toutes les ruës
qui y aboutiffent ; mais chaque métier
a la fienne & fon quartier ; il y a
encore une autre Place que l'on appelle
le marché aux Pouilleux ; parce
que les Habitans s'y faiſant faire
le poil , elle en eft tellement couverte,
qu'il femble qu'on marche fur
des matelats .
Le fecond quartier a la muraille
MERCURE.
$5
particuliere ; il eft remarquable par
fon Arfenal & le lieu , où l'on fond le
canon & les cloches .
Le troifieme eft celui du marché
au bois ; on y vend des mailons que
l'on trouve toutes montées & dref
fées ; on les tranfporte & on les place
où l'on veut avec peu de peine & dedépense.
Le quatrième quartier eft celui que
EmpereurBafili.Ivanovitz fit bâtir,,
il le deftina pour le logement des
foldats étrangers.
Des moeursdes Mofcovites.
L n'y avoit rien de plus groffier &
de plus incivil, que l'étoient ces ,
Peuples, avant l'avene rent du Czar,
qui les a tirez de l'obſcurité où ils
eftoient . Le peu de relation qu'ils
avoient avec les autres Eftats de l'Europe
; jointe à leur ignorance , les
entretenoit dans des moeurs toutà-
fait fauvages ; a préfent ils fe conforment
en tout aax manieres euro-
.
péenes , excepté le bas Peuple ,
comme par tout ailleurs , on y trouve
le la politelle .
5.6
LE
NOUVEAU
Les Mofcovites en general ne
manquent pas d'efprit , ilsfont rufez,
contre-difants, réglants la raiſon fur
leur pouvoir : leur induftrie & la fubtilitéde
leur efprit paroiffent princi
palement dans leur trafic , ne le cedant
à aucune Nation , quand il s'agit
de leur intereft. Leur vice favori ,
eft l'ivrognerie ; elle ett fi commune
que toutes fortes de perfonnes , fans
exception , tombent dans ce défaut
les Ecclefiaftiques comme les autres .
Les gens de baffe condition furtout
, ne fe contentent pas de dépenfer
au cabaret juſqu'au dernier
copee de leur bourfe , ils y engagent
ordinairement leur habit . J'en ai vû
un, entr'autres qui en fortit fans chemife
; lui ayant demandé ce qu'il en
avoit fait , & s'il avoit efté volé ..
Wate promener, me dit- il , c'est
le Cabaretier& fon vin qui m'ont
mis dans cet eftat ; mais à propos,
puifque la chemife y eft demeurée ,
j'y veux auffi laiffer mon calçon,
il le fit comme il le dit.
A l'égard des femmes , elles font
MERCURE.
communément belles ; leur taille
n'eft ni trop grande , ni trop petite
mais fort bien proportionnée , ayant
avec cela un embonpoint charmant ;
il n'y a pas long-tems que le fard les
defiguroit par la maniere groffiere
dont elles l'appliquoient ; mais elles
s'en fervent à prefent avec autant
d'art, que nos femmes de Théatre; elles
fe donnent par là , un vermillon
qui manque à leur trop grande
blancheur.
"
Autréfois on fe marioit fans fe voir,
mais cette coûtume s'abolit peu à
peu ; caril arrivoit fouvent que tel
qui croyoit avoir épousé une aimable
moitié , en trouvoit une laide &
contrefaite.
On meurt ici , comme autre part, les
enterremens s'y font avec beaucoup
de ceremonie ; je m'abftiendrai cependant
de vous en donner aucun détail
; je me contenterai de vous envoyer
la copie du billet qui doit fervir
de palleport pour le voyage de
F'autre monde ; il eft conçu en ces
-termes
LE NOUVEAU
No
YOUSfouffignez, Patriarche
Lou MMetropolitain & Prestre
de cette ville de N ... reconnoif
fons & certifions par ces Prefentes,
.que N .. Porteur de nos Lettres ,
atoujours vêcuparmi nous en bon
Chrétien , faisant profeffion de la
Religion Grecque , & bien qu'il
ait quelquefois peché , il s'en eft
confeffé , il a reçu enfuite l'abſolution
& la Communion en remif.
fion de fes pechez , il a reveré
Dieu , les Saints , il a fait fes
prieres , & jeune jeuné aux heures &
jours ordonnez par l'Eglife , &
s'eftgouverné fibien avec moyqui
fuisfon Confeffeur , que je n'ay
pointfujet de me plaindre de luy,
ni de luy refufer l'abfolution de
fespechez; en témoignage de quoy
nous luy avons fait certifier leprefent
certificat , afin que S. Pierre
MERCURE
19
le voyant , luy ouvre la porte à d
joye immortelle.
Dés qu'on luy a donné ce Paffeport,
on ferme la biere , on le met
dans la fofle , le vifage tourné vers
l'Orient.
Les principaux Seigneurs de Molcovie
ont un grand nombre d'Efclaves
; ils en difpofoient avant le grand
Duc qui regne a prefent , comme
de leur meuble ; un pere même pou
voit vendre fon fils & l'aliener a fon
profit ; mais ce Pouvoir Defpotique
a efte aboli .
On y diftingue trois fortes de Nobleffe
, le Titre de Comte n'y eftant
que nouvellement introduit, ) la premiere
appartient aux Princes & aux.
Gent shommes ; les Princes font les
plus riches Seigneurs du Pays , que
Je Czar employe dans les plus hautes
Charges , aux premiers Gouvernemens
de cet Empire : Ils font auffi ordinairement
Boyars , où Confeillers
d'Etat. Le fecond degré de Noblelle
eft celui des Seigneurs , le troifiéme
des Gentilshommes, qui poffe.
60 LE NOUVEAU
dent des Fiefs par la grace & la liberalité
du Czar , pour recompenfe de
leurs fervices .Ces Terres tombent
auffi avec le Titre fur leurs fils ; ils
eſtoient obligez autre fois , d'envoyer
à la Guerre un certain nombre de Valets
; mais à preſent ſa Majefté Czarienne
ayant difcipliné fes Armées à
la maniere de l'Europe , il choifit
parmi cette Nobieffe , des Officiers,
pour les Troupes . LeCzar les honore
encore de divers Employs , comme de
Gouvernemens de Provinces , il les
fait Chambellans , Gardes du Corps;
outre ceux- ci , il y a encore les Banquiers
& Marchands renommez ; qui
tiennent rang de Nobles ; il y en a toujours
de ces derniers, deux ou trois
dans le Confeil d'Etat , on les appelle
Goften
Le Grand Duc a une autorité fi
étendue , qu'il n'eft point . fujet ats
Loix ; tous les Sujets luy obeiflent
avec une foumiffion fi grande & fi
profonde , que bien loin de s'oppofer
à la volonté , ils la regardent aucontraire
comme facrée & inviolable;
il crée les Magiftrats , les dépofe , les
chaffe
MERCURE. 61
chafle & les punit avec un pouvoir
abfolu ; il a feul , le droit de declarér
la Guerre à ſes Voiſins & de faire la
paix avec eux ; & quoiqu'il entreprenne
, il eft cependant Souverain
Arbitre de fes volontez : il a erigé
-depuis quelques années une Cour
que l'on appelle le Senat de l'Empire,
qui juge toutes les affaires d'Etat en
dernier reffort , pendant fon abſence
Dans les differens Confeils , la Jufice
s'y exerce à peu prés comme
dans les autres Etats de l'Europe.
Avant Michael Fedorovvitz , les
'Peuples ne reconnoiffoient prefque
point d'autres Loix , que celles qui
regardoient les attentats contre les
Czars ; mais en 1647. cet Empereur ,
de l'avis d'une Affemblée des principaux
Seigneurs de Mofcovie , fit rediger
par écrit des Loix que l'on fit
imprimer en un vol . in folio , appellé
le Droit Univerfel , qui fert aujour
d'hui de regle & de modele aux
Boyars ; S. M. Czarienne regnante a
desfein d'y en introduire de nouvelles
, elle avoit nommé feu M , de
Leibnitz fi connu dans tous les
F
gen
62 LE NOUVEAU
res de litterature pour fon Legiflateur
.
A l'égard du revenu que ce Prince
retire de fes Etats ; il eft certainement
trés confiderable , quelquesuns
le font monter à vingt millions;
la feule Ville d' Archangel fournit ou
rapporte plus de 600000 écus ,
Le commerce qu'il fait faire par
fes Facteurs , en divers Etats de l'Europe
; le profit qu'il tire des fourures;
les droits fur les heritages & fur les
maifons , outre la taxe du dixième
denier fur tous fes fujets, en tems de
guerre , montent trés- haut , auffi
peut- il lever dans une neceffité , des
Armées de 2 ou 300 mille hommes
fournies de tout ce qui eft neceffaire.
On fait eftat que Sa Majefté Czarienne
a actuellement 100 mille hommes
d'Infanterie , & 50 mille de Cavalerie
, qu'il peut augmenter & diminuer
felon les befoins de l'Etat .
La Religion Grecque eft la domipante
dans toute la Mofcovie ; on
peut dire qu'il n'y en a prefque point
d'autres , on y a toleré cependant les
Reformez & les Lutheriens ; le PaMERCURE.
63
triarche de Mofcovv eſt à la tefte de
tout le Clergé indépendant aujourd'hui
du Patriarche de Conftantinople,
qui avoit accoûtumé de le confir
mer ;les Czars fe font attribuez ce
droit ; voilà M. tout ce que j'ai pû
remarquer de plus memorable , de ..
puis environ fix mois que je fuis refident
ici. Je dois inceffamment me
rendre à Peterbourg , je vous promets
une relation fidele des établiffe-.
mens nouveaux que le Grand Duc
a fondé, & fonde tous les jours dans
cette Ville.
L manquoit M à votre relation
de l'expedition des François contre
les Outagamis , la harangue que
M. de Breflay Miffionnaire des Sauvages
Algonkins , Ambaffadeur de
leur part en France , fit dernierement
à S. M. au Palais des Thuilleries ; la
voila telle qu'il l'a prononcée.
Il eft bon à ce que je croi , de
vous faire remarquer auparavant que
Fij
64
LE NOUVEAU
Les Sauvages tutejent en parlant .
qu'ils appellent non -feulement le
Royde France leur Pere , mais encore
tous les François. Qu'ils appellent.
la Mer le grand Lac. Que les Miſſionaires
feculiers font appellez Robes
noires . Que le pays des morts , c'eft.
l'autre monde. Que les coliers de porcelaine
, tels qu'ils font d'ufage chez
font d'ordinaire les fymboles.
d'une alliance entre les perfon- .
nes , avec lesquelles ils traitent . La.
victoire remportée par les François ,
ce font les Outagamis , dit Renards,
que l'on a battu l'année pallée , vers
Oüeft de l'Amerique Septentriona,
le . Voici , M. la Hatangak faite au
Roi Louis XV, en 1717
NOSTRE PERE ,
N
Ous avons appris avec biende
la douleur , la mort da
Grand Chefdes François , nofiic
Grand Pere & ton Bifayeul. Nous
aurions fort fouhaité de paffer le
Grand Lac pour l'aller pleurer ;
MERCURE. 65.
mais notre Pere la Robe Noire
"
ne l'a pasjugéà propos. Nous l'a~
vons chargé d'une robe de caftor,
pour couvrir fon corps , & d'un
oreiller pour mettre fousfa tefte
afin qu'il repofe tranquillement
dans le pays des morts ; & aauuſſi
dun colier de porcelaine , pour
nous réjouir avec toi de ce que
nous le voyons renaitre en ta per--
fonne , pour tefeliciter de la premiere
victoire que tu viens de
remporter contre les Outagamis ,
appellez Renards. Nous avons
donnez de nouvelles preuves de
fidelité&d'attachement à ta per-
Lonne&aux François, tes fujets,
nos freres , &pour enfin te de-.
mander à toi qui eft prefentement
·noftre Grand Chef, la continua
tion des mêmes bonsez que ofre
GrandPere avoitpour nous.
66 LE NOUVEAU
M:
.de Marivauxplein d'uneburlefque
audace , vient de nous donner
envers,l'Homere trauesti.Qui auroitcrû
qu'aprés M. Scaron, il dut s'élever
de nos jours un autre Poëtë alfez
boufon , pour tenter de faire de ·
nouvelles découvertes dans ce Pays
comique ? Ce jeune Auteur fe declare
cependant aujourd'hui fon rival dans
ce genre d'écrire ; & fans trop s'embaraffer
du prejugé favorable, où l'on
eſt pour le Chantre du Typhon ; il a
crû qu'il ne luy eeffttooiitt pas défendu
d'eflayer de faire rire encore une fois,
on peut aflurer qu'il y a parfaitement
réuffi .
d'en ex-
Il a choisi dans ce deffein la fameuſe
Iliade , pour l'oppoſer à l'Æneide de
M. Scaron ; mais avant que
traire quelques morceaux , ne feroitil
pas convenable que je file ici un
petit avant-propos fur ce que l'on
doit entendre par les termes de Burlefque
& de Macaronique , que l'on
confond fouvent l'un avec l'autre.
Burlesque est un mot allez moderne
, puifque Sarafin le vante d'en
avoir.ufe le premier ; il prefente l'i .
MERCURE.
67.1
dée de plaifant , gaillard , tirant fur
le ridicule ; il nous eft venu a'Italie ,
Pays aflez abondant en Farccurs &
en Poëtes burlesques . Bernica a efté
- le premier qui a écrit dans ce ftile
enfuite Lalli , Caporali &c . Vers lemilieu
de l'autre Siecle cette Poëfie
batarde eftoit fi fort à la mode qu'en
1649 , il parut un livre avec ce titre,
la Paffion de Noftre Seigneur en vers
burlesques ; mais la trop grande licence
des Poëtes ayant indifpofé les
efprits , on la bannit bien - toft de la
Cour & de la Ville ; elle fut obligé
de fe refugier dans les Provinces ; &
bien - toft aprés de fe taire entierement
; elle trouva enfin fon tombeau ,
dans le Virgile travesti , qui fera
peut - eftre le feul monument qui
nous reftera dans ce genre ; à moins
que noftre nouvel Auteur ne merite
les mêmes honneurs en la refufcitant .
M. Defpreaux a lancé de terribles
traits contre cette forte de Pocke
témoins ces vers fi bien frapez.
En dépit du bon fens le burlesque effronté
,
Trompa les yeux d'abord: Plutpar fa
Fiiij
68 LE NOUTEAU
nouveauté ;
Mais dece ftile enfin la Cour defabu-.
fee,
Dedaigna de ces vers l'extravagance..
aifée ;
Distingua le naïf, dn plat & du ..
boufon;
Et laifa la Province admirer le Typhon,
Que ce style jamais ne fouille võtre
ouvrage
Imitons de Marot l'elegant badinage-
Et laißons le burlesque aux Plaifants
du pont- Neuf.
Il y aencore une autre efpece de
Poëfie burlefque Macaronique , faite
de mots forgez du Latin & de la langue
maternelle. Par exemple ces vers
fi connus , citez par Rabelais dans le
Chapitre 13 du L. 4.
Hic eft de patria natusde gente beliftza,
Quifolet antiquo bribas portare bifacso
Ou bien ces deux autres tirez d'un
Poëme Macaronique de bello Hugonotice
, où parlant des cruautez que
MERCURE தே
les Huguenots exerçoient fur les
Moines , on ajoûte :
De que illisfaciunt auciffos atque
bodinos ,
Nunquam vifafuit canailla bri.
gandior ifta..
Ce fut Theophile Folengi , Moine
Benedictin de Mantonë , qui mit les
vers Macaroniques en crédit parfon
Hiftoire de Merlin. Cocaye au
commencement du feiziéme fécle ›
il mourut en 15 44. On fçait
que Macarone , chez les Italiens
fignifioit un homme groffier & ruf
tique ce qui vient des Macarons
d'Italie , qui font de petits Gateaux
faits de farine non blutée , d'oeufs
& de fromage , mets exquis pour
les Paifans ; ce que fignifie propre.
ment le mot de Macoroni prononcé
avec tant d'appétit , par l'Harlequin
da Theatre Italien. Ceci bien entendu.
Il eft têms préfentement de ré-.
prendre l'Iliade Traveftie.
70 LE NOUVEAU
1
L'Auteur débute par une Epître
à Monfeigneur le Duc de Noailles :
Elle eft fur le ton qui convient à un
Auteur auffi enjoüé ; en voilà la
la preuve,
GRAND Due , à vos pareils ,
quand on offre un ouvrage ,
» La coutume eft de les louer ;
Celui que j'ofe vous vouer
" M'obligeroit à ce langage ,
» Et cependant , Grand Duc , je ne
vons lonerai
ן כ
pas.
" Mettre les vertus en un tas
»Vous jetter le tas à la jête,
» Vous celebrer comme une Fête
Rien ne me feroit plus dife ;
» Mais tout bien vù , tout bien
pefé ,
plus je vois qu'il eft ordinaire
» De louer en pareille affaire ;
plus l'ufage en afait une necefité ,
• Moins icy vous ferés Fêté.
On trouve plufieurs traits de cette
efpéce dans le reste de l'Epitre Dé.
dicatoire. Aprés quoi fuit une Préface
dans laquelle l'Auteur prétend
MER CURE. 71
démontrer que fon Iliade Travestie
n'eft point mafquée dans le gout du
Virgile travefti de M. Scaron ; il
convient bien qu'il a travaillé dans
le même genre ; mais avec cette différence
, qu'il a choifi une autre efpéce
de comique , pour le prouver
-il donne une comparaifon digne d'un
Auteur Burleſque en s'exprimant
ainfi .
Fe uous dirois fans façon qu'un Epagneul
& qu'un Bichon font tous deux
du genre des chiens , & cependant
d'une differene espece ; mais fans lo
Jecours de ces deux chiens ; vous écom -
prenes fans doute ce que je veux dire .
Non content de cet exemple fenfible
, il montre enfuite par la raifon
, en quoy fon comique eft different
de celui de fon Predeceffeur ; felon
lui le Burleſque ou le Pfaifant de
M. Scaron eft plus dépendant de la
boufonerie des termes , que de la
pentée ; c'eſt la façon dont il exprime
fa penfée , qui divertit plus que
fa penfée même ; les termes font
vraiment burlesques ; mais fes recits
depouillez de cette expreffion
72 LE NOUVEAU
[
poliffone qu'il polledoit au fouverain
degré , lui donnent lieu de douter
qu'ils paruffent divertiflants par
>>eux -mêmes .
Voyons à préfent la methode dif.
ferente que notre Auteur a fuivie ;
j'ai tâché , dit- il , de divertir par
unecombinaifon depensées ,quifut
comique & facetienfe , & qui fans
le fecours des termes , eût unfond
plaifant, &fit une image réjouif
fante .
Cette forte de comique , quand on
Fattrape , eft bien plus fenfible à
J'efprit , qu'un mot boufon , l'efprit
eftant ples occupé par ce burlefque,,
que par celui qui eft dans les termes.
C'est au Lecteurà decider, s'il l'a
emporté à cet égard fur M. Scaron .
Quoi qu'il en foit , on ne peut lui
refufer la louange d'avoir mis fes perfonages
en action , il eft vrai qu'il
- la doit , cette action , en partie à
Homere , chez qui les Heros parlent
prefque toûjours & non le Poëte ;
-au lieu que dans Virgile , c'eft le
Poëte ordinairement , & non les
perfonages
MERCURE. 73
perfonages ; c'eft ce qui a engagé M.
Scaron , en fuivant de trop prés fon
original , de tomber neceflairement
dans le recit.
On croit découvrir de plus , dans
M. de Marivaux , certains traits de
morale , tirez heureuſement de la
plaifanterie , c'eft ce que M. Scaron
n'a pas çû employer .
Il feroit à fouhaiter qu'ils fusfent
plus frequens dans notre Auteur , fon
ouvrage en feroit encore plus efti .
mé.
J'en rapporterai ici quelques fragmens
, fur lefquels le Lecteur pourra
porter jugement . Junon allarmée dans
le deuxième livre , de la refolution
où elle voit l'armée Grecque , de ſe
rembarquer.
A Pallas elle couras viste ,
Et cette pucelle hypocrite ,
A qui tout mâle deplait tant,
Alors fe decraffoit pourtant ;
Et admirant fa toilette ,
Baiffoit , hauffoit fa gorgerette
D'une maniere que l'on pût ,
Février 171 > G
LE NOUVEAU
74
Sans penfer quelle le voulut ,
De fa gorge entrevoir les char
mes

Etpuis que l'on rendit les armes ,
C'est ainsi que la vanité .
Fait olftacle à la chafteté ;
Et que lafille la plus lage
Cherche pourtant un tendre
hommage ,
Et dit aprés quand on luy rend
Mais voyez
donc l'impertinent
!
Peut - on rien de plus plaifant &
en même tems une réflexion mieux
pife de fon fujet que le commencement
du quatriéme Livre.
Dans la Salle du Firmament
Les Dieux eftoient en ce moment,
Et là le ventre à table ronde
Parloient des affaires du monde.
Hbé , la bouteille à la main ,
Difoit ; qui vem, un doigt de vin?
Le vin , quand on boit chopine ,
Ragaillardit l'humeur divine
MERCURE
-75
On vint a parler d'Ilion ;
L'un en s'effuyant le menton ,
Dit , avant de vuider fon verre,
Que je plains cette pauvre Terre !
Moyje voudrois que la cité ,
Difoit l'autre , fut vigne ou Pré.
De ces difcours la difference
Fait voir, que malgré leur puiſſance,
Ils ont pour tout droit plus que nous,
D'eftre deplus durables fons .
Dans le premier livre, Achille s'emportant
violemment contre Agamemnon
, en vient aux expreffions les
plus dures.
Et là deffus quelques murmures
,
Firent maistre encore des inju
res .
>
Sansfaçon , alors les Heros
Se lachoient de fort vilains
mots .
Nos grands Seigneurs ont un
langage
Gij
76 LE NOUVEAU
Nettoyé de tout brusque outrage
,
Mais fi leur langage eft plus .
pur,
Leur coeur eft plus fourbe , &
moins fûr,
Et tout bien comptéje prefere
Les Ruftiques Heros d'Homere.
L'endroit de la ceinture de Venus
eft trop remarquable, pour eftre mis
dans cet Extrait.
Lecteur, vous demandezpeutêtre
1
Ce que ce tiffupouvoit être
Mais la Motte , Auteur delicat,
Nous enfait unfort joliplat ,
Il le definit un fymbole :
Moi, je l'euffe appelle la cole ,
Quifaitque le coeurd'un amant,
MERCURE. 77.
A l'amour s'attache aisément
C'est pour ce tissu fifripon
Que l'on faitpleurer fans oi
gnon,
C'est par lui qu'une femme adroite
,
Difant, oftez - vous, vous arrefte,
De lui , nous viennent ces
mots-là .
Fy , donc , Monfieur , laiſſez
cela •
fort
Je finirai cet extrait par l'évocation
de l'ombre d' Homere qui m'a paru
comique.
Il feint qu'elle fe prefente à lui.
Afon apparition, notre Auteur lui
parle ainfi ,
Illuſtre Trepaff .
Fe defirefavoir de vous;
Si mon ftile boufon vous a mis en cour
TOUX
Gj
78 LE NOUVEAU
Certaine troupe icy ... Bonbon ! reprit
Homere ,
C'est une gente vifionnaire
Quim'a pris en affection,
Ne fçais-tu pas qu'un chacun a fafo.
lie ?
Celle de ces. Meffieurs, eft l'admiration ;
Ecrire un pot pourri d'imagination ,
Fut autrefois mafrenefie ;
La tienne eft de nous railler tous ;
Va ton train , les rieurs font les moins.
fous.
L'Homere travefti fe vend chez
Pierre Prault , à l'entrée du Quay
de Gefvres , au Paradis.
N croit intereffer la curiofité
te
du Public , en lui faifant voir
d'un coup d'oeil , toutes les rentesqui
ont efté éteintes & amorties par
Arrefts du Confeil d'Eftat du Roy ,
depuis l'impofition des taxes fur les
gens d'affaires , tant für- l'Hostel de
MERCURE
.
7.9
Ville , quefur les Tailles , fur les poftes
, fur les Controls des Actes des
Notaires , fur le Contrôle des Exploits,
fur les Gffes des Domaines , & autres
effets de differente nature, qui feront
employez à acquirer l'Etat .
Je me fuis fervi pour ce calcul , de
piéces autentiques
, fçavoir , de fix
Arrefts du Confeil d'Etat du Roy , portans
extinction & amortiffement
de
plufieurs Rentes conftituées fur l' Hoftel
de Valle & fur differens revenus du
Roy.
Ćes fix Arrefts ne comprenent que
les premiers rôles ; à mesure qu'il en
paroiftra d'autres , j'aurai foin de
fuivre le même plan dans les Mercares
prochains .
Giiij
Liftes. Taxez. Mois . | Sommes .
1.
2 .
3 .
4.
5.
6 .
7.
8.
so. 8 Nov. 15866000l.
60. 14 Nov. 16274000
73. 21 Nov. 26359000
70. 28 Nov. 27794000
s Déc. 10750000
71.13 Déc. 12588000
96. 19 Déc. 20060000
2012 Janv.33 13 7000
104 .
7as Taxez. Total.
162828000l
MERCURE.
PRINCIPAL DES RENTES
fur l'Hotel de Ville ,
ETEINT.
Par Arrêt du 15. 5,228,832 . livres.
Novembre.
Par Arrêt du 22. 5,208 , 448.
Novembre.
Par Arrêt du 29. 4,284,472
Novembre .
Par Arrêt du 13. 4,720,729.
Decembre.
Par Arrêt du 20. 2,546,217.
Decembre.
Par Arrêt du 3. 6,083,381.
Janvier,
Total 28,072,079 , livres .
G iij
82 LE NOUVEAU
PRINCIPAL DES RENTES
fur les Tailles
ETEINT,
Par Arrêt du 15.
Novembre.
Par Arrêt du 22 .
Novembre .
241 , 517 livres.
301 , 300
Par Arrêt du 29. |
1,312,665
Novembre.
Par Arrêt du 13.)
Decembre.
419 , 391
208 Par Arrêt du 20. 362 ,
Dcembre .
Par Arrêt du 3. 420 , 246
Janvier.
Total 2 , 957 , 327 livres
MERCURE.
PRINCIPAL DES RENES
fur les Poftes,
ETEINT.
Par Arrêt du 15
Novembre.
Par Arrêt du 22
Novembre..
Par Arrêt du 29
Novembre.
Par Airêt du 13
Decembre.
Par Arrêt du 20
Decembre ,
·
71, 000. livres.
17 , 000.
Par Arrêt du 331
Janvier.
Total 88,000 livres .
84 LE NOUVEAU
PBINCIPAL
DES RENTES
fur le contrôlle des Alles
des Notaires,
E TEINT.
Par Arrêt du 15 1,446,088.livres
.
Novembre.
Par Arrêt du 22 320,991 .
Novembre.
Par Arrêt du 29 330,547.
Novembre.
Par Arrêt du 13 390,041 .
Decembre.
Par Arrêt du 20 1,020,820.
Decembre.
Par Arrêt du 3 1,435, $19.
Janvier.
1
Total 4 , 944 , 006. livres .
Principal
MERCURE. 35
PRINCIPAL DES RENTES
fur le controlle des Exploits ,
E TEINT.
Par Arrêt du 15 359 , 214. livres
Novembre.
Par Arrêt du 12
Novembre.
47,509
Par Arrêt du 29 112 , 872.
Novembre.
Par Arrêt du 13 153 , 0.0.
Decen bre.
Par Arrêt du 20
Decembre .
70,860,
Par Arieft du ; 57,662.
Janvier.
Total 81 , 137 livres
H
86 LE NOUVEAU
PRINCIPAL
Jur les Greffes
DES RENTES
Domaines ,
E TEINT.
Par Arreft du 15
PNovembre.
Par Arreft du 22
Novembre .
Par Arreft du 29
Novembre.
91 , 526,livres.
35, 235
Par Arreft du 13 179 503.
Decembre.
Par Arreft du 20
Decembre.
Par Arreft du 3.
Janvier .
70 , 666
409 , 103 .
Total 786 , 033. livres .
MERCURE
. 87
PRINCIPAL
DES RENTES
fur les Recettes generales des Pays,
d'Election ,
ETIIN T.
Par Arrest du 15 335 , 675. livres.
Novembre .
Par Arreft du 22
Novembre.
Par Arreft du 29
Novembre.
Par Arreft du 13
Decembre.
94 , 351
23,485
.
Par Arreft du 20 121 800:
Decembre ,
Par Arreft du
Janvier.
31
Total 575 , 311 livres.
Hij
LE NOUVEAU .
PRINCIPAL DES
AUGMENTATIONS
de Gages , éteint .
Par Arreft du 15 53 850 , livres
Novembre.
Par Arreft du 22 185 , 786
Novembre •
Par Arrest du 29 337 , 550
Novembre
Par Arreft du 13 179, 243
Decembre.
Par Arrest du 20 137357
Decembre.
Par Arrest du 13 586 , 268
Janvier.
Total 1,480 , 067 livres .
MER CURE.
Principal des Promeffes des G1-
beles , Affignations
, Billets de
'Etat , de Loterie , des Riceveurs
généraux de le Gendre
& autres,
éteint.
Par Arrest du 15
Noven bre.

Par Arreft du 22 19,333 , 105. liv.
Novembre .
Par Arreft du 29
Novembre.
10,183,970
Par Arreft du 13 8,875, 330.
Dicembre.
Par Arreft du 20 ) 6 , 443,460
Decembre ,
Par Anelt du 3 10 , 028 , 325
Janvier.
Total 14,664 , 190 livres.
90 LE NOUVEAU
PRINCIPALDES
REMBOURSEMENTS
d'Offices , c
ETEINT.
Par Arreft du 15 | 11 , 253 , 998 liv.
Novembre.
Par Arreft du 22
S, 432, 806, Novembre
Par Arrest du 29 4,899, 845.
Novembre ,
Par Arreft du 13
Decembre
Par Arre du 3
Janvier .
Tota 34, 309, 038 livres
4,834, 488
7,887 , 901.
MERCURE.
PRINCIPAL DES EFFETS
de differente nature , quiferviront
à payer les dettes du Roy ,
ETE IN T.
Par Arreft du s
Novembre.
Par Arreft du 22 11 , 730 067 li .
Novembre.
Par Arrest du 29
Novembre.
5,416, 342.
Par Arreft du 13 3 , 720 , 204
Decembre
Par Arreft du 20 2,707 , 010
Decembre,
Par Arreft du 3 4,920, 451.
Janvier.
Total 28 , 494 , 084. liv .
En tout cent cinquante-fept millions
, cent foixante- dix mille , deux
cent foixante-neuf livres,
Ce qui fait fix. millions , deux cent
quatre-vingt mille livres de rente.
92 LE NOUVEAU
HISTORIETTE
DEDIE E A MADAME
LA COMTESSE
D.E
***
JAY
AY fuivi vos confeils , Madame ,
J'ay éé au bal de la Comedie
mais je ne ferai point flatteur au point
de vous avouer , que j'y ay reffenti
tout le plaifir que vous m'aviez fair
efperer.Je n'examine point fi la faute
en eft a la nature du fpectacle ou à
mon caractère ; qu'importe quand on
s'ennuye , je prévois que cet aveu e
m'attiera pas beaucoup d'éloges de
la part des petits Mautres, & des o
quettes ; à les en croire , rien de plus
charmant que le bal . C'eft la qu'a
l'ayde d'un iafque , on fe dérobe aux
MERCURE. 25
yeux des jalouz , fans le bal , que d'a
mans favorisés gémiroient encor dans
leurs chaines , que de foupirs pouffés
qui n'eullent jamais ofés naiftre à vi«
fage découvert ; enfin on peut définir
le bal , le veritable Temple de l'Amour
: il y lance fes traits de toutes
parts , & fa puiflance y paroift d'autant
plus grande , qu'il n'y a pas be
foin , comme dans le refte du monde ,
du fecours des appas pour faire de
nouveaux fujets , les maximes ordinaires
y font peu d'uſage , on s'y aime
fans fe connoiftre ,& fans s'être vûs ,
on diroit que tout l'air de ce lieu n'eft
formé que defoupirs , ce portrait peut
être fidele , mais pour peu que je
vouluffe entrer en difpure , que je
trouverois de chofes capables de balancer
ces avantages ! combien de
Maris à l'ayde du mafque ont appris
ce qu'ils enragent de fçavoir , combiende
confpirations amoureuſes dé .
couvertes ! combien d'indifcretions !
combien d'infidelités ! enfin combien
de femmes ont eû le dépit mortel de
perdre le jour, ces conquêtes qu'elles
94 LE NOUVEAU
ne devoient qu'à leur déguiſement .
Frappé de ces contradictions , Madame,
croiriez -vous , que je n'ai été
touché que des malheureux ,fans prendre
la moindre part à la joye des autres
; il ne vous eft pas difficile de juger
qu'avec ces fentimens , je me fuis
fort ennuyé ; cependant j'ai tenu bon ,
j'ai refté jufqu'à cinq heures , &
comme vous m'aviez ordonné ďêtre
toûjours, alerte pour apprendre
quelque hiftoire ;l'envie de vous fatisfaire
m'a déterminé de me mettre dans
une loge à côté de deux Cavaliers , qui
ne faifoient que d'y entrer ; ils avoient
beaucoup danſé à l'envi l'un de l'autre,
avec une Dame fort bien faite qui
venoit de leur faire entendre qu'il
étoit de la bienfeance qu'elle rejoignit
la compagnie , & qu'ils ne la fui
villent pas d'avantage . Je crû dabord
que la jalouſe aſſembloit nos rivaux
, & que leur converfation feroit
des plus vives. Je m'approchay fans
affecter de curiofité , je feignis d'être
fatigué, & de m'endormir. Voici Madame
, ce que j'entendis ; le recit de
MER CURE.
25
leur converfation va commencer
mon hiſtoire ; afin que vous ne foyez
point furprife , que je nomme d'abord
mes deux heros ; vous fçaurez que j'en
reconnus un à ſa voix qu'il déguifoit
mal , & qu'apiés avoir appris ce que
je voulois fçavoir , je me fis connoître
à eux , & eux à moy ; & c'est du
Chevalier mon amy, que j'ay'appris
toute l'intrigue .
Nous fommes amis depuis longtemps
, difoit le Marquis de Polygni
au Chevalier de Lefclache ; ou je me
trompe , ou nous fommes rivaux ,
parlez -moy de bonne foy , eft- ce avec
fincerité que vous avez exprimé vos
défirs à l'aimable inconnuë : je vous
confefle , reprit le Chevalier , que
je n'ay jamais été féduit fi agréablement
, & cependant vous fçavez que
nous n'avons fait qu'entrevoir fon vifage
; ce que j'en ay vû, ne fuffit que
trop, je ferois bien fâché que vous fufiez
auffi enchanté que je le fuis, j'au
rois un Concurrent trop dangereux ,
& ce ne feroit que par mes fentimens
que je pourois difputer le prix , d'un
96 LE NOUVEAU
le
coeur d'où dépend ma felici é , & qui
n'est peut-être pas refervé au plus fincere;
Poligni ne manqua pas à fon tour
de tendres expreffions , il parut auffi
amoureux que fon ami , le Chevalier
l'en auroit cru a moins , la jaloufie
qui accompagne l'amour par tout ,
lui avoit déja perfuadé ; dans ce moment,
il regarda le Marquis avec des
yeux de Rival, il eût peine à fe deffendre
d'un mouvement de dépit , ce qu'il
pût faire , fut de garder un exterieur
tranquille tandis qu'il étoit fi troublé
audedans. La fituation de Poligni
étoit à peu-prés la même , il craignit
que cette égalité de fentimens ne refroidit
leur union , il en parla au Chevalier
, ils fe donnerent de mutuelles
aflurances de s'aimer toûjours , & de
facrifierplûtoft leurs plus tendres défirs
, que de fouffrir dans leur cout ,
la moindre alteration l'un pour l'autre
.
Ces nouvelles proteftations finies,
ils quitterent la loge , ce fut alors
que je me fis reconnoiftre mais
comme je fuis icy un perfonnage peu
neceflaire
>
MERCUR E. 97
neceffaire à la fcene ;je reprends mon
recit , ils parcoururent de nouveau la
fale du bal , re, oignirent leur aima
ble inconnue qu'ils n'avoient point
perdu des yeux , la fuivirent quand
elle forti , & apprirent par un de fes
domestiques qu'ils gratifierent , qui
elle étoit & où elle demeuroit . C'étoit
la belle Cleonice , que l'abfence
d'un mary jaloux rendoit
d'un abord facile ; la nouvelle pouvoit
- elle être plus favorable à
nos ainans , ils s'embrafferent en fe
feparant , Poligni gagna la place des
victoites ,& Lelclache,le taux -bourg
faint Germain .
Je ne vous diray point , Madame, G
no deux amis dormi ent tranquillement
, d'un côté ils étoient amoureux
; de l'autre ils étoient fatigués
par plufieures veilles, ce qui rend leur
repos contr dictoire : ce que je fçais
pofitivement , c'eft que Pol gny s'é.
tant levé à quatre heures du foir , i .
fut beaucoup moins à la toilette q
l'ordinaire, tant il avoit d'impauence
d'aller voir l'objet de fon nouvel a
98 LE NOUVEA
U
mour , il y fut donc à cinq heures ,
& voici comme il debuta ; N'y a t'il'
point d'indifcretion , Madame , à venir
voir de fi prés des appas qui ont
produit cette nuit, de fi tendres effets,
malgré le foin que vous aviez pris
de les cacher , on lui répondit avec'
beaucoup d'efprit & de politefle . J'ef-'
pere , Madame , que vous me fçaurez
bon gré de ne pas charger mon hiftoire
de toute leur converfation ,
Mademoiſelle Scudery ne vous en
tiendroit pas quitte à fi bon marché
pour moy j'aime mieux laiffer à mon
Lecteur, le foin de deviner tout ce qui
peut le dire en pareille occafion , je
m'en fie mieux à fes fentinens qu'à
mes expreffions ; mais voici une circonftance
que je ne puis taire ; dans
le temps que Poligny tâchoit d'exprimer
tout ce qu'il reflentoit ' autant
que la modeftie de Cleonice le pouvoit
permettre , on apporta une Lettre
qu'un Laquais venoit de laif.
fer, lans dire de quelle part , & qui
foudain avoit difparu ; la femme
de chambre fut un peu gronMERCUR
E. 96
99
dée , & on luy défendit felon la coutume,
de fe charger jamais des Lettres
d'un inconnu ; Cleonice la lut cependant
d'abord tout bas , & enfuite à
Poligny; voici ce qu'elle contenoit .
Mon coeur népour aimer fe voyoit
en partage,
Tant de délicateffe , & defineerité ,
Que craignant d'éprouver quelqu'infidelité,
Il cherchoit fon pareil pour fixerfon
hommage:
Dans un nombre infini j'ay trouvé
quelques belles ,
Queje croyois d'abord avoir feduit
fes voeux ,
Mais fur leur peu defoy, bien- toft
ouvrant les yeux,
Fe connoiffois aßez qu'il n'eftoit pas
pour elles.
Je (oupirois toujours apres une avanture
Quim'offrit cet objet que je m'eftois
Forme ;
Cet objet fi charmant of feroir ren
fermé
Tij.
$36007
100
NOUVEAU LE
Le coeur le plus parfait qu'eut produit
la nature ;
Quand vos premiers regardsfont venusmefurprendre,
Sous leurs aimables coups interdit
enchanté ,
Fav vû que mon malheur , ou ma
felicité
Dépendait de la part que vous y
voudrez prendre.
Le Chevalier qui s'attendoit de
voir Cleonice le lendemain , n'avoit
point figné , mais Poligny reconnut
dans le moment, fon file, & fon écriture
, ille nomma pour l'Auteur de
ces vers , & tournant la converfation
fur les Poëtes , il faut avouer , ditil
, que ces Meffieurs là font bien
heureux , ils font de leur imagination
ce qu'ils veulent , ils rellentent des
peines ou des plaifits à leur gré , ils
font aujourdhui une elegie , demain
le caprice qui
un Madrigal, fuiva
les gouverne , je veux croire que mon
ami le Chevalier n'eft point du nombre
de ces Poëtes ; & lors qu'il nous
MERCURE 101
écrit fi tendrement , il faut qu'il reffente
quelque chofe , Cleonice comprit
facilement la fin de ce difcours,
& fans vouloir s'inftruire des fentiméns
du Chevalier , elle repartit
fimplement , qu'il feroit à fouhaiter
que chacun fut Poëte ; puifqu'il n'y
auroit plus de maux réels , & qu'elle
étoit bien perfuadée que tous les Amans
étoient Poëtes en ce lens . Poligni
voulut répliquer , mais quelquesperfonnes
qu'on vint annoncer ,
l'obligerent à garder fa réponſe , &
même à prendre congé de la compagnie
, ce qu'il fit dans le moment.
Un redoublement de tendrefle fur
l'effet de fon entre- vûë , la declaration
du Chevalier ne laifloit pas de
l'inquieter , fon procedé, difoit-il , eſt
plus refpectueux que le mien , il n'a
pas même mis fon nom , l'amour aime
tous ces petits myfteres , & moy
j'ay ofé me prefenter tout d'un coup ;
il eft vray que mon bonheur dépend
du caractere de la perfonne que j'ai
me , prefque tout fon fexe appelle vi
vacité , ardeur , empreffement , ce qui
I iij
102 LE NOUVEAU
il
me paroift une temerité ; un air firetenu
n'eft pas toujours de faifon.
Aprés ces reflexions que j'affure que
fit le Marquis , ou qu'il dût faire ,
alla trouver le Chevalier qui fçavoit
déja fa vifite ; ne me demandez point
Madame , qui l'avoit ſi bien inſtruit ,
fi on vouloit expliquer tous les par
où , & tous les comment des amoureux
, ou n'auroit jamais fait ; il fuffic
de fçavoir une fois, que le Dieu qui
les infpire, eft le plus fubtil, & le plus
ingenieux de tous ; il endort les Ĉerberes
, adoucit les Megeres , c'eft à
dire, en ftyle commun , qu'il gagne les
Suiffes les plus intraitables , & les
femmes de chambre les plus revêches.
Bon jour,mon cher Chevalier, dit
le Marquis, en l'embrallant, fi j'avois
efté auffi pareffeux que toy , tes affaires
ne feroient pas en fi bon train ,
& on ne fçauroit pas que Lefelache
eft un des amans le plus poli qui foit
au monde , & qui s'exprime avec le
plus de délicatelle ; tu ne te ferois jamais
attendu de m'avoir cette obliga.
MERCURE
203
tion; mais quelqu'amoureux que je
fois, mon amitié l'emporte. Que je
m'eſtimerai heureux fi le Chevalier
en agit ainfi avec moy , Lefclache
l'en aflura avec les termes les plus
perfuafifs , il s'informa plus exactement
de l'obligation pretenduë , que
Poligni vouloit qu'il luy eat , il ne fit
nul myftere de fa declaration en vers,
il s'habilla & fortit avec luy , il n'y
eut rien de particulier le refte du
jour .
Le lendemain ils fe trouverent tous
deux chez Cleonice , Poligni qui entra
le dernier, ne pût cacher un peu
de rougeur , tant il eft vray que les
premiers mouvemens de l'amour
font de nous porter à la vengeance,
indiftin&tement contre tout rival , il fe
remit pourtant , & aprés avoir badiné
agréablement fur leur tête à
tête , fur l'Auteur des vers , il examina
en lay même , fi quelques regards
favorables ou quelques réponfes
de la partde Cleonice ,ne marqueroit
point dés ce jour une préference,
car felon luy; l'amour eftoit prompt
104 LE NOUVEAU
às
s'expliquer ; mais qu'il eft difficile
de trouver la verité par un-femblable
examen ; la jaloufie qui eft toujours
de la partie nous tourne l'efprit de
façon, que nous croyons fouvent le
contraire de ce qui eft : ce que je puis
vous affurer, Madame, c'eft que pendant
les cinq ou fix premieres vifites
que firent nos amis rivaux , il eut
efté difficile à un tiers non intereffé ,
de deviner lequel des deux eftoit le
mieux traité .
Les choles en eftoient là ; lorſque
Poligni fongeant à rendre fes petits ,
foins utiles , chercha quelque moyen
pour cela , il ne doutoit point que
l'efprit & le merite du Chevalier ne
fuflent capable defaire diverfion dans
le coeur de Cleonice ; mais il ne vouloit
pas fe brouiller ouvertement, & voici
ce qu'il inventa. Ce trait va vous
donner, Madame,une idée bien deſavantageufe
de nos amans , & je fuis .
für que dés ce moment, ils vont perdre
vostre eftime ; voici donc ce que
Je Marquis propofa auChevalier , &c
comme il s'expliq ua.
MER CURE.
105
Nous nous fommes promis que notre
amitié triompheroit de notre amour
; ce n'eft pas atfez , mon cher,
pour des amis comme nous , il faut
encore que ce qui fert à brociller les
autres , ferve à forufier notre union .
Je vois bien qu'il n'étoit pas poffible
de vivre fans voir Cleonice , j'ai tout
fait pour te faire un facrifice de mes
defirs, fans y pouvoir réullir. Jamais
nous n'avancerons , tant que nous
nous trouverons enfemble chez elle ,
nous nous détrui - ons l'un l'autre , je
te donne le choix .
Le Chevalier fentit la verité de ces
taifons , & s'y rendit .
Ce n'eft pas le tout mon Cher, reprit
Poligni , les femmes font artificieufes
, & l'on peut , fans crime
ufer d'artifices avec elles , il faut que
nous nous diſions reciproquement les
progrès que nous ferons ; devenons,
s'il eft ií
Die , heureux
tous les
deux ; & crainte que notre intelligence
ne parut fufpecte ; rompons - là
ën apparence
; trouvons- nous encore
une fois enfemble
chez Cleonice
;
106 LE NOUVEAU
nous nous y dirons des chofes vives,
& nous finirons , s'il le faut , par un
combat fimulé ; quand ces feintes ne
ferviroient qu'à lui prouver la puiffance
de les attraits ; c'eft toûjours
beaucoup , & je t'aflure que les Dames
aiment mieux voir regner une
petite guerre entre leurs amans, qu'-
une fi parfaite tranquillité ; le Chevalier
eut quelque peine à fe rendre
à ces dernieres propofitions , la delicateffe
de fon amour s'y oppofoit ,
& fon amitié étoit fi fincere , que
l'ombre même de la perfidie , lui faìfoit
horreur ; cependant il les adopta
à la fin. Telle eft , Madame , la raifon
de l'homme , elle ne manque
prefque iamais de lui montrer le vrai ;
mais rarement elle a affez de force
pour l'engager à le prendre , & fa refittance
ne fert, pour l'ordinaire , qu à
rendre plus éclatant , le triomphe de
nos paffions .
Aprés une convention fi étonnante
entre deux perfonnes, qu'on pouvoit
foupçonner d'abord de veritable amour
, ils fongerent à agir en conMERCURE
107 .
>
fequence, ils fe trouverent chez la da
me , le querellerent , fe battirent ,
& la feinte fut fi bien conduite, que
Cleonice les crût irreconciliables, tur
tout quand elle euft éprouvé , que
l'interpofition de les charmes & de
fes difcours n'avoit pû calmer leur tu
reur , ils ne fe trouverent plus chez
elle , ils affecterent même d'y venir
un quart d'heure , l'un aprés l'autre,
afin que celui qui viendroit le dernier,
eut occafion de prouver la continuation
de fon reffentiment , en nevoulant
pas entrer .
La fincerité ne fut pas fi égale dans
les rapports qu'ils fe firent de l -urs
progrez , le Chevalier difoit bonnement
les chofes comme elles fe paffoient
, mais Poligni luy faifoit des
aveux tels qu'il lu plaifoit ; car ils
n'étoient pas d'aprés le vrar , le Chevalier
qui croyoit le Marquis de bon .
ne foy , s'imaginoit qu'il eftoit plus
favorifé que lui , ces jugemens les en
hardilloient , il en devenont plus entreprenant
, Cleonice s'en appercevoit
& reptimoit fon audace ; cela
108 LE NOUVEAU
le defefperoit, dans l'idée qu'il avoit,
que le Marquis eftoit mieux traité
il n'ofoit en faire fes plaintes , crainre
d'indifcretion ; en un mot , il étoit
la dupe de fa franchife: car Poligni en
profitoit , & pour faire la cour a fes
dépens , il rapportoit à Cléonice
tout ce qui fe paffoit entre elle & le
Chevalier , difant , qu'il le faifoit
par vanité. Cela ne pouvoit
manquer de rendre Lefelache odieux ;
il s'en app rçût avec douleur, & fans
penetrer les veritables raifons de la
haine de fa maiftreffe , il s'en prit à
fon étoile , & comme il eft fage jufques
dans le defefpoir , voici ce qu'il
écrivit.
BILLET.
Fe fuis plus perfuadé que ja- .
mais , Madame , qu'il y a une
Dé‹ffe aveugle qui décide ici bas
de notre bonheur , puisqu'avec
les plus tendres fentimens du
monde,je n'aipu meriter le moindre
MERCURE.
189
dre retour de vous ; il y a dans
ma deftinée , je ne fçais quelle
malignité, que je ne conçois pas,
ilfaut lafuivre , Madame , & ne
vous point ennuyer d'avantage ;
c'est le parti que j'ai pris.
Voilà peut eftre, Madame , le premier
Amant qui ait tenu parole en
pareille occafion , il cefla de la voir
en effet ; Poligni triomphoit de fon
fuccès , mais comme la perfidie ne
peut eftre long-tems victorieule. Le
Chevalier fut bien- tôt vangé .
La fatisfaction eft ordinairement enamour
, la fource de l'inconftance ;
Poligny fut beaucoup moins affidu ;
la Dame qui étoit déja prévenuë
contre le Chevalier , foupçonna d'abord
qu'il avoit quelque part dans
ce refroidiffement , fon foupçon` fe
confirma , parce qu'il lui fut rapport
té, qu'ils fe voyoient dans ces idées ;
le dépit luy fit faire ce que l'amour
n'avoit pû exiger , elle luy écrivit en
ces termes.
K
110 LE NOUVEAU
Billet de Cleonice.
Fe fçavois bien , Monfieur ,
que vous eftiezun indifcret , mais
je nefçavoispas que vous euffiez
raffemble en vous, toutes les mauvaifes
qualitez ; je mefouviendrai
long- tems du bal , &je me
garderai des nouvelles connoiffan
ces.
Jamais homme ne fut fi furpris que
le Chevalier , à la lecture de ce
Billet , il fit pour la probité, ce qu'il
avoit refolu de ne plus faire pour
fon amour ; il ne pût fouffrir qu'on
l'outrageat fi injuftement , il fut chez
Cleonice , & aprés une converfation
de trois heures , il ſe juſtifia ſi bien ,
qu'enfin Cleonice lui avoua tout ce
que Poligny avoit dit contre lui , cet
aveu le troubla fi fort qu'il fut un
demi- quart d'heure fans parler ; en
MER CURE. 111
fin ayant rappellé fes fens , il decouvrit
à fon tour toute l'intrigue ; il ne
crût plus rien devoir à un ami fi indigne
, il devint celui de Cleonice , &
l'eft encore aux conditions de part &
d'autre , de ne plus jamais revoir
Poligny ; voici mon hiftoire , Madame,
vous n'y avez point vû de ces
faits furprenants qui étonnent l'efprit
, ni de ces circonftances variées
qui le flatent ; c'est un recit des plus
fimples,tiré d'aprés nature ; mais auffi
vous y voyez la fincerité reconnue
, triompher à la fin de la perfidie.
C'eft voftre vertu favorite que
j'ai voulu couronner , pouvois- je
mieux m'acquiter de l'emploi que
vous m'aviez donné : Je fuis , Madame
,
Voftre trés -humble &
trés-obéiffant ferviteur,
DE BONNEVAL.
Kij
12 LE NOUVEAU
1
J
A Paris ce 23 Février 1717 .
E fatisfais volontiers , M, à la demande
que vous avez bien voulu
me faire , que je vous informafle de
ce que j'ai vû , & de ce que je pou
rois apprendre de l'incendie arrivée
au quartier où je demeure : Je ne
vous l'envoye cependant que fur la
promeffe , que vous m'avez faite
d'ajoûterez , ou de retrancher ce que
vous jugerez à propos .
Le 16 de ce mois , le feu prit entre
deux & trois heures du matin.
dans une maison qui faifoit le coin
au midy des rues faint Martin & de
faint Merry , chez le fieur Ferand Epicier.
Comme le principal commerce de
ce Marchand eftoit la cire ; fa maifon
eftoit par confequent remplie de
poix -railines , mêches, & autres matieres
combustibles,
MERCURE. 113
Ce feu , qui par la negligence de
fes garçons , prit à une des chambres
du fecond étage , où ils s'endormirent
en travaillant,ne fut pas long
tems ,fans fe communiquer dans toutes
les parties du bâtiment , dont le
corps n'étoit que de bois ; il devint
des plus violents & des plus dangereux
, qu'on eut vû dépuis long- tems
à Paris ; puifque pendant plus de 4
heures , il poulla en l'air des charbons
& flammêches , dont le vent
qui eftoit au Sud- Ouest , en porta fur
des maifons à plus de cinq cent pas
de là ; il enflamma vis-à- vis , à travers
la rue neuve faint Mery , plufieurs
chaffis & croifées de la maifon
où demeure un Notaire ; enfin ce
quartier fe trouva dans un peril évident
pendant plus de fix heures, on en
fut delivré par les fecours qu'on y
apporta ; ce qui fut executé fous les
ordres , & en la prefence de Melfieurs,
les Prevost des Marchands & Eche.
vins , de Meffieurs les Lieutenant
Civil , & Procureur du Roy du
Châtelet.
Kiij
114 LE NOUVEAU
Les premiers fecours & les plus éfficaces
que l'on pût donner dans ces
premiers moments , furent de fauver
les marchandifes qui étoient dans la
boutique , & quelques effets du premier
étage , ce que l'on ne pût executer
fans beaucoup de difficulté , tant
à cauſe de la cire fonduë qui tomboit
à travers les planchers du fecond, que
parce que le feu gagna l'unique efcalier
qui eftoit dans cette maiſon ; ce
qui réduifit ceux qui fe trouverent
pour lors au premier étage , dans la
neceffité de defcendre par les fenêtres
, à la faveur des échelles qu'on y
pofa . Comme cette maiſon fe trouvoit
alors trop embrazée, pour l'em+
pêcher de brûler;que le feu commençoit
à gagner les maiſons voisines , le
principal objet devoit eftre d'en arrêter
le cours ,c'eft à quoi les uns s'occuperent
, en y portant de l'eau avec les
premiers feaux de la Ville qui fe
trouverent à la main , pendant que
les autres firent des baftards - d'eau,
pour que les pompes dont on efperoit
le plus , n'attendiffent point aprés
MERCURE .
105
l'eau , quand elles feroient placées ;
c'eft à quoy fervirent utilement plufieures
faignées que l'on fit à des
tuyaux qui paffent fous le pavé de ce
quartier.
Auffi-toft que les pompes furent
arrivées , le Sieur du Perier , & fes
gens ne furent pas long - tems à les
diftribuer & à les mettre en état
dans les endroits neceffaires ; Elles
commencerent àjouer à fix heures ,
& cotinuerent avec tant de fuccés,
qu'en moins de quatre heures , elles
firent celler le danger qui menaçoit
toute ce quartier , elles furent
fervies par les trente - deux hạm.
mes qui font deftinez à cet ufage :
Elles eftoient au nombre de huit , il
n'en falloit pas moins , à cauſe que
de tems en tems il s'en trouvoit
d'interrompuës pour n'être
point allez menagées , & pendant
qu'on les rétablifoit elles
eftoient remplacées par d'autres . Je
ne pourrois, fansfaire tort au Sieur
du Perier , taire ici les mouve-
9 :
" LE NOUVEAU
116
mens qu'il le donna dans cette occafion
; ils furent , tels que fes gens ,
& les autres ouvriers qui travailloient
à ce feu , n'en
n'en pouvants
faire
ceffer le danger,fans fe mettre en peril
de leur vie ; il y expofa plufieurs
fois la fienne pour les exciter par fon
exemple .
,
Sur les dix heures du matin , le plus
important travail eftant achevé , qui
avoit confifté à couper , & éteindre
le feu qui gagnoit a droite & à gauche
les maifons voifines; Il s'agilfoit
pour lors d'en étouffer un autre ,
qui menaçoit les caves de cette
maifon remplies d'un grand nombre
de tonneaux de cires & de
quelques autres marchandifes . Ces
caves avoient quelques illuës qu'on
n'avoit pû boucher , principalement
un petit efcalier dérobé , qui eftoit
au fond de la boutique ; il eftoit
tombé fur un endroit de la vout
deux poutres debout , qui auroient
pû la crever ; cette voute eftoit de
plus chargée des debris de l'incendie ;
comme le tout compofoit
enMERCU
RE.
117
&
core un feu épouventable , il fur
attaqué avec toutes les pompes, principalement
par les endroits de cette
cave que l'on crût ouverts
par un nombre infini de feaux
d'eau,dans les endroits où on les
pou
voit jetter. Ce qui fut continué juſqu'à
ce qu'on eut noyé & étouffé ce
feu ; on conçût pour lors l'efperance
de fauver pour plus de 30 mille livres
de marchandiſes , que l'on retrouva
deux jours aprés que l'on eut
achevé de dégager l'entrée defdites
caves,dans lefquelles il ne fut pas aifé
d'entrer pour les en tirer , à caufe de
la fumée de & l'eau dont elleseftoient
remplies..
Le dommage de ce feu confifte en
la aifon de l'Epicier , qui eft brû….
lée jufqu'au rez de chauffée de la Ruë ,
fes marchandifes qui eftoient dans
les chambres , la plupart de fes meubles,
quelques papiers & argent comtant
; à l'égard des petites maifons
attenantes , lefquelles font au nombe
de trois , dont deux dans la rue
faint Martin , & une, ruë, neuve S.
1 LE NOUVEAU
Mery;on aura de la peine à fe difpenfer
de rebâtir celle qui eft la plus proche
de la maiſon brûlée, du côté de la
rue S.Martin, dans laquelle demeuroit
un Boulanger , dont le comble eft
abbatu , & le murfeft un peu panché.
La curiofité amenoit à cet affreux
ſpectacle , des gens oififs , qui venoient
jouir , pour ainfi dire , de la
terreur & du peril des Citoyens fecourables,
les Archers faifilloient de
tems à autre ces badauds faineants, &
on les forçoit incivilement à jouer
un rôle utile dans cette tragedie.
PRECIS DES ARRESTS & c.
Depuis le premier Janvier.
A
Rrêt notable de la Cour de
Parlement de Paris en faveur
des Beneficiers , contre les Banquiers
Expéditionnaires en Cour de Rome.
Edit du Roy , portant fuppreffion
des Offices de Controlleurs des
Greffiers- Gardes- Minuttes de Chancelleries
, " prés les Cours , Confeils-
Supérieurs , & Provinciaux , & les
Juges Préfidiaux du Royaume , créés
par Edit du mois de Janvier 1706 ,
MERCURE.
19
donné à Paris au mois de Janvier
1717 , regithié en Pailement.
Edit du Roy , portant fuppreffion
des Offices de Commitlaires Vérifi
cateurs Particuliers des Rôlles, pour
la diftribution du Sel ; donné a Paris
au mois de Janvier 1717 , regiſtré
en Parlement.
Arreft du Confeil d'Etat du Roy ,
qui ordonne , que toutes
perfonnes
qui ont , ou prétendent
avoir dans
la Ville , &
Fauxbourgs de Paris
des Droits de Juftice ou de Police ,
des Privileges ou
Affranchiflemens
de Maîtriles , Franchiſes , &c . feront
tenues de remettre fans délai leurs
Titres de conceffion , & de confirmation
, entre les mains du Sieur
Simon Cailleau
Greffier des Commillions
extraordinaires du Confeil
du 2. Janvier 1717.
Arreft de la Cour de
Parlement
de Paris , qui fait défenfes de recevoir
, publier , ou
executer , imprimer
, vendre , ou diftribuer aucunes
Bulles ou Brefs de Cour de
Rome,fans Lettres Patentes du Roy,
A
120 LE NOUVEAU
regiftrées en ladite Cour.
Arreft de la Cour , de Parlement
de Normandie , qui fait les mêmes
deffenfes du 22 Decembre 1716 .
·
Arreft de la Cour de Parlement
de Dijon , faifant les mêmes deffenfes
du 28 Decembre 1716 .
Arreft de la Cour de Parlement
de Toulouſe faifant les mêmes
deffenfes du 30 Decembre 1716 .
>
Arreft de la Cour de Parlement de
Befançon , qui fait les mêmes deffenfes
du 2 Janvier 1717.
Arreft de la Cour du Parlement de
Bordeaux , qui fait les mêmes deffenfes
du 7 Janvier 1717.
Arreft de la Cour du Parlement
d'Aix , faifant les mêmes deffenfes ,
du 7 Janvier 1717
Arreft du Confeil d'Etat du Roy ,
qui ordonne , que pendant le courant
de l'année 1717 , ii ne fera payé
que moitié des droits de Marc. d'or,
Enregistrement des Gardes de Rôlles
; Sceau des Provifions , frais de
Reception & Inftallation dans les
Cours , & autres Jurifdictions ; des.
Offices
MERCURE. 121
Offices qui feront levez vacans aux
Revenus Cafuels pendant ledit tems ,
défquels ceux qui les auront levez ,
jouiront à titre de furvivance , du
sJanvier 1717 .
Arreft de la Chambre de Juftice ,
contre ceux qui recellent les effets
des Acculez , qui ont efté condamnez
, par lequel , il eſt enjoint à tou
tes perfonnes de quelque qualité
& condition qu'elles foient , de faire
dans quinzaine, du jour de la publication
du préfent Arreft , leur décla-`
ration au Procureur General du Roi
defdits effets , dont ils font dépofitaires
, ou prétés leurs-noms , du 7
fanvier 1717.
Arreft du Confeil d'Etat du Roy,
qui nomme des Commiffaires , pour
proceder à la liquidation de la Finance
des Offices des Greniers à Sel ,
& autres fupprimez , par Edit du
mois de Decembre 1716 , du 9 Janvier
1717.
Arreft du Confeil d'Etat du Roy ,
qui ordonne , que tous les Officiers
de Guerre , & de Juftice , & les
L
122 LE NOUVEAU
Gentilshommes pourront payer en
Billets de l'Etat , tout ce qu'ils doivent
d'arrerages de Capitation , & de
Dixiéme jufqu'au premier Ianvier
i7i6.
Et que les Officiers de Justice qui
n'ont pas encore fait le rachapt de
leur annuel , feront recu à le payer
auffi en Billets de l'Etat
pendant le cours de la préfente année
feulement , du 9 Janvier 1717 .
>
Arreft du Confeil d'Etat du Roy ,
qui déclare communs & executoires
au profit , tant de Me . Paul Manis
que des autres Fermiers ou Adjudicataires
des Fermes generales qui
lui fuccederont, les Arrefts du Confeil
des 3 Aouft 1688 , 13 May 1698 ,
22 Mars 1707 & 7 Octobre 1710 , &
en conféquence , fait tres exprelles ,
inhibitions & deffenfes à tous Huiffiers
, & Sergens , de faire aucunes
contraintes contre lefdits Fermiers ,
& leurs cautions , pour raifon defdites
Fermes , qu'après avoir remis
les Arrefts , Sentences , Jugemens ,
& autres piéces dont ils feront por
MERCURE. 123
teurs , és mains du fieur Barlet de
Bonneval , Receveur general deſdires
Fermes à Paris , ou fes fuccef
feurs , du 9 Janvier 1717 .
Arrest du Confeil d'Etat , qui juge
que quatre Particuliers d'une Communauté
, ne font pas recevables à
former des oppofitions , & demandes
fur affaires qui ont efté jugées
avec la Communauté en Corps defdits
Particuliers , du 9 Janvier 1717.
Arreft du Confeil d'Etat du Roi ,
qui commet M. Rouillé du Coudray
Confeiller d'Etat ordinaire , Directeur
general des Finances , & M.
Gilbert de Voifin Confeiller au Confeil
de Finances , pour liquider la
Finance des Offices d'Infpecteurs
des Fermes , fupprimez par Edit du
mois d'Octobre 1716 , du 9 Janvier
1717 .
Arreft du Confeil d'Etat du Roi ,
du 16 Janvier 1717 , qui commet
Jean de Luret Bourgeois de Paris ,"
pour faire la Regie , & Recette à
commencer du premier Janvier 1717 .
de tous les droits manuels qui ſe
Lij
114 LE NOUVEAU
lévent fur chacun minor de Sel dans
les Gabelles de France , Lyonnois ,
Dauphiné Provence , Languedoc
& Rouffillon , en execution des Edits
des mois de May 1691 , Octobre 1694.
Octobre 1701. Février , Novembre
& Decembre 1704 , Octobre 1705.
Novembre 1707 & Janvier 171 5.
& des Declarations des 6 May 1710.
15 Decembre 1711 , & Arrests rendus
en conféquence , dont les allié
nations ont efté revoquées par Edit
du mois de Decembre 1716 .
Arreft du Confeil d'Etat du Roy
du 16 Janvier 1717 , qui ordonne que .
le recouvrement des droits de Francs-
Fiefs fur les Roturiers poffedants .
Fiefs , & autres biens nobles , qui par
les Annobliffemens & Privileges
dont ils étoient revêtus , étoient
exempts du payement defdits droits ,
fera fait non- feulement fur les particuliers
compris dans les fuppreffions
portées par les Edits de Juin &
Aout 1715. Mais encore fur ceux
dont les exemptions ont été fupprimées
par les Edits de May & Aouft
MERCURE.
125
1716. & autres qui ont efté , ou pourront
être ci -aprés fupprimées , & fixe
le contrôle de chacun des exploits qui
feront faits pour raifon dudit recouvrement
, à 4 fols 6 deniers .
Arreft du Confeil d'Etat du Roy ,
qui nomme des Commiflaires , pour
proceder à la liquidation de la Finance
des Offices de Contrôleurs Vifiteurs
des poids & mefures, fupprimez
par Edit du mois d'Octobre dernier,
& qui commet le fieur Simon Cailfeau
ponr Greffier de la Commiffion
du 16Janvier 1717. -
Ordonnance du Roy , qui oblige
les François,de fe deffaire de la part
qu'ils ont avec les Etrangers dans les
bâtimens conftruits , ou acheptez
dans les Ports du Royaume, & dans
les pays Etrangers , ou d'en acquerir
la totalité . Donnée à Paris le 18
Janvier 1717.
Arreft du Confeil d'Eſtar du Roy
portant extinction , & amortiffement
de plufieurs rentes conftituées fur
l'Hoftel de Ville de Paris ; & fur dif
ferens revenus du Roy , & compri-
Liig
126 LE NOUVEAU
les dans les rôles de taxes faites fur
les jufticiables de la Chambre de
Juftice , arrêtez au Confeil les 9 &
16 du prefent mois. Du 17 Janvier
1717.
Ártêt de la Chambre de Juſtice, par
contumace , contre le nommé Chartier
, Receveur des Traittes Foraines
de Vichy , condamné à faire amende
honorable , & d'eftre pendu pour avoir
detourné & appliqué à fon profit
, des deniers Royaux , & commis
nombre de concuffions & exactions .
Et contre les nommez Marcou , &
la Bellonie , fes Commis prépofez ,
condamnez d'affifter à l'amende ho.
norable, & à l'execution de mort dudit
Chartier , & iceux bannis pour 9
ans. Du 19Janvier 1717.
Arrêt du Confeil d'Eftat du Roy ,
qui ordonne que les louis d'or de 20
livres feront decriez de tout cours
dans le commerce , & n'y pourront
plus être expofez ; fçavoir , dans
Îa Ville & Election de Paris , paflé le
15 Février prochain ; & aprés le dernier
dudit mois , dans tout le refte du
MERCURE. 127
Royaume. Du 30 Janvier 1717.
Declaration du Roy , portant Reglement
pour les droits d'Aydes .
Donnée à Paris le 30 Janvier 1717.
Registrée en la Cour des Aydes.
Arrêt du Confeil d'Eſtat du Roy ,
qui deboute les Orfévres de la Ville
de Rennes en Bretagne , de l'oppofition
par eux formée à l'Arrêt du Confeil
du 19 May 1716. concernant les
droits de marque & contrôle fur les
ouvrages d'or & d'argent , & or.
donne que ledit Arreft fera executé
felon fa forme & teneur. Du 23 Jan
vier 1717.
Evaluation & Tarif des efpeces ,
vaiflelles & matieres d'or & d'argent
. Le 25 Janvier 1717 .
Ordonnance du Roy, portant ami
niftie generale , en faveur des Soldats
des Compagnies Franches de la
Marine , qui ont defertez desdites
Compagnies , juſqu'au premier du
prefent mois , qui regle entr'autres
chofes , ce qui fera obfervé doreſnavant
pour les enrôlemens ; la forme
des congez abfolus , ou pour un tems
728 LE NOUVEAU
limité , & qui impoſe la peine de
mort aux Deferteurs . Donnée à Paris
le 2 Janvier 1717.
Arreft du Confeil d'Etat du Roy '
qui nomme des Commiflaires pour lla
caffation des Contrats de rente au denier
vingt- cinq , fur le revenu des
Bois de S. M. au profit des Commu-
Hautez Laiques & Ecclefiaftiques ,
dont les Bois ont été vendus par extraordinaire
, pour la provifion de
Paris. Du 12 Janvier 1717 .
Arreft de la Chambre de Juftice,
contreJean -François Lievain , ci- devant
Notaire , & Receveur General
de plufieures Lotteries ; par lequel il
eft condanné au Pilory , par trois
jours , & au banniffement pour cinq
ans , du Reffort du Parlement ; &
jufques au parfait payement des fom .
mes qu'il a reçues , appartenantes
aux Paroiffes & Convents ,. tiendra
prifon ; & fon ban ne courrera que
du jour qu'il fortira de prifon , aprés
les payements faits . Du . 12 Février.
1717.
Declaration du Roy , portant exe
MER CURE. 129
tination & fuppreffion des 4 fols pour
livre , fur tous les Droits des Fermes
Generales , & particulieres , établis
par les Declarations des trois
Mars 1705. & 7 May 1715. Donnée
à Paris le 13 Février 1717.
>
Arreft de Reglement pour lesTailles
, rendu à l'encontre de Claude
& Jean Guyard Huiffer Royaux à
Montargis , & Jacques Firmin leur
record.
LP
Arreft de la Cour de Parlement ,
concernant le remboursement des
rentes folidaires; Qui juge dans quel ,
cas les rentes folidaires nommées
Frefches en Touraine , & autres Provinces
voifines , peuvent être ; aux
termes de l'article CXCII , de la Coû--
tume de Tours , rachetées & amor.
ties par chacun des Cofrescheurs &
Codebiteurs pour leur part & por-
- tion.
Arreft de la Cour de Parlement ,
rendu au rapport de M. Boutet de
Guignonville , Qui juge que le Proprietaire
d'un Domaine , qui donne
des beftiaux à titre de Cheptel, pour
LE NOUVEAU
P'exploitation d'icelui , eft en droit
de reprendre à la fin du Bail , à moi.
cié fruits , le même nombre , & de
mêmes efpeces,de beftiaux mentionnez
dans fon cheptel , en payant an
Merayer fa part du profit en argent.
C'est la premiere fois que cette
queſtion s'eft preſentée .
Arreft du Confeil d'Eftat du Roy,
qui deffend à tous Commis & Receveurs
de la Generalité d'Orleans,
de percevoir aucun droit , de quelque
nature qu'il foit , fans en donner
quittance en papier timbré , &
enjoint aux redevables , d'en prendre
& de fembourfer les frais du timbre ;
le tout à peine de concuffion contre
les commis , & de faifie , & confifcation
contre les redevables . Du8 .
Decembre 1716.
Arreft du Confeil d'Etat du Roy ,
qui réduit les droits d'Entréés fur
l'acier non- ouvré , à 28 fols pour
cent pefant.
Arreft du Confeil d'Eftat du Roy
qui commet le fieur Paſſelaigue Greffier
des commiffions extraordinaires
MERCUR E.
131
"
*du Confeil , pour recevoir les titres
des P.oprietaires , & pourvûs des
Offices de Maiftres & Aydes des
Ponts & Pertuits , fupprimez par
Edit du mois d'Aouft 1716. Du deux
Janvier 1717
Arreft de la Chambre de Juftice ,
contre le nommé Jacques Marrel ,
Receveur Particulier des Tailles de
la communauté d'Eure , pour concuffions
& malverfations , condamné
au blâme , declaré incapable d'aucune
fonction publique , & en cent
vingt livres d'amende vers le Roy ;
& contre Pierre Marrel fon frere
complice. Du 23 Janvier 1717 .
Arrêt du Grand Confeil du Roy ,
qui maintient l'ordre de Citeaux
dans l'exemption de la Jurifdiction
des Ordinaires , fur les chapelles qui
dépendent de fes Fermes & Domaines.
Arreft de la Chambre de Juftice
contre Michel Groualle du Bocage ,
Directeur , chargé du kecouvrement
des Droits de Franc- Fifs , &
qui s'étoit fuppofe, charge, de la vente
132 LE NOUVEAU
des quatre Lettres de Maiftrifes accordées
à chaque communauté d'Arts
& Métiers , en faveur de l'avene .
ment du Roy à la Couronne , condamné
au blâme , en 3000 livres
' d'amende vers le Roy ,& déclaré incapable
d'aucune fonction publique.
Arreft du Confeil d'Etat du Roy
qui ordonne que le Recouvrement
des Droits de Franc- Fiefs fur les
Roturiers pollédans Fiefs & autres
biens notables , qui par les Annobliflemens
& Privileges dont ils
étoient revêtus , étoient exempts du
payement detdits Droits , fera fait
non feulement fur les Particuliers
compris dans les fuppreffions portées
par les Edits de Juin & Aouft
1715 Mais encore fur ceux dont les
exemptions ont efté fupprimées par
les Edits de May & Aouft 1716 , &
autres , qui ont été ou pourront être
fupprimées ; a fixé le controlle de
chacun des Exploits qui feront faits
pour raifon dudit Recouvrement à
4. f. 6 d. du 16 Janvier 1717 :
Declaration
MERCURE 133
DECLARATION
DU ROY ,
Donnée à Paris le 13 Février
Lclaration les quatre fols pour li-
E Roy fupprime par cette Devres
, établis par les Declarations des
3 Mars 1705 , & 7 May 1715 , fur le
Sel , les Droits d'Entrée & de Sortie
qui fe levent fur les Marchandiſes &
Denrées , tant dans l'étendue des cinq
Grolles Fermes , qu'autres ; comme
auffi des Droits de la Doüane , tiers
fur Taux , & quarantéme de Lyon,
de la Doüane de Valence , des Droits
d'Abord , & de confommation du
poiffon , Marque & Controlle du papier
, Droits de fortie de Flandres &
de Haynault , Denier de S. André ,
Foraine Domaniale de Provence
Foraine Domaniale ou Patente de
Languedoc , Droits de Sortie &
Entrée , & Bouille de Rouffillon ,
Foraine d'Arzac, Coutume de Bayon
M
>
134
LE NOUVEAU
Convois , Comptablie & Courtage
de Bourdeaux , Traite de Charente
, Prevôté de Nantes , Droits
fur l'Etain ; enfemble fur les Droits
du Papier Timbré, du Controlle des
Exploits , & Greffes qui font unis à
la Ferme des Domaines , & fur les
Droits de la Table de Mer en Provence
, des deux pour cent d'Arles ,
du liard de Baroft & des Ports & Havres
de Bretagne.
1
Ces Impofitions avoient eſté faites
pour acquiter les rentes de la Caille
des Emprunts ; nonobftant leur fuppreffion
, on a pourvû d'ailleurs à
l'acquitement defdites dettes .
MERCURE
NOUVELLES
ETRANGERES
De Londres le 12 Février
Left arrivé une affaire imporqui
beaucoup
Mardi au foir affez tard , le Colonel
Blackney Capitaine aux Gardes , alla
avec un détachement de foixante
hommes alla fe pofter au tour de la
Maifon du Comte de Gyllembourg
Envoyé de Suede ; une heure aprés le
Major G. Wade alla fraper à la porte
de ce Miniftre ; eftant entré dáns fa
maifon avec le Colonel , il le trouva
écrivant des Dépeches , & luy ayant
expliqué le fujet de fa vifite , il fe faifit
des papiers qu'il trouva fur fa table
, & mit le Scellé fur les calfetes
où il y avoit d'autres papiers qu'il
fit tranfporter ; enfuite de quoy
Mij
136 LE NOUVEAU
ayant pris congé de ce Miniftre , il
laiffa dans fa maifon la Garde qu'on y
avoit mife , qui fut relevée le lendemain
Mercredy par vingt Grenadiers ;
ce jour là on arrêta le Chevalier Jacob
Bank Suedois de Nation & autre
fois membre du Parlement , de même
que M. Cefar ci-devant Tréforier
de la Marine , comme il n'y a
que le Roy & fon Confeil qui fçachent
le fecret de cette affaire , on
n'en parle jufqu'ici dans le Public, que
par des conjectures ; mais comme
fon apprend que quelques Miniftres
étrangers ont prefentés un Memoire
pour eftre informez des motifs de
l'arêtde cetEnvoyé, & que l'on ditque
la Cour leur en doit aujourd'hui faire
fçavoir les raifons ; on ne tardera pas
d'en eftre éclairci. Cependant il y a
diverfes circonstances qui font juger
que cette affaire eft des plus graves &
des plus importantes , plufieurs Meſfagers
d'Etat & autres Officiers font
en campagne pour arrêter diverles
perfonnes
; on a envoyé
des Ordres pour faire fermer les
Ports . On preffe l'équipement.de
MERCURE 137
l'Efcadre pour la Mer Baltique , &
pour trouver plus promptement des
Matelots . On a mis un Embargo
fur tous les Vaiffeaux ; on dit auffi
que M. Jakfon Refident de S. M. à
la Cour de Suede, a efté rappellé quelque
tems avant que cette affaire ait
éclaté.
Les papiers qu'on a faifi chez le
Miniftre de Suede , ont efté portez
au Bureau du premier Secretaire d'Etat
, où on travaille actuellement
à les examiner. Le bruit eft generalement
répandu , qu'on a fair des
découvertes de la derniere confequence,
qui n'interreflent pas moins
la Nation que le Gouvernement , &
on en dit tant de chofes & de fi furprenantes,
que tout le Public eft dans
L'impatience de voir ce qui fera publié
de la part de S. M. & communiqué
à Meffieurs les Miniftres touchant
cette affaire.
On vient d'apprendre que le
Comte de Gyllembourg a efté examiné
aujourd'hui , & que la Cour a
fait fçavoir aux Miniftres étrangers
Miij
38 LE
NOUVEAU
les raifons de fon arreft & de la faifie
de fes papiers . S. M. a auffi envoyé
Ordre à fes Miniftres dans les
Cours étrangeres d'en faire une pareille
notification.
On écrit de Peterbourg que le
21 & le 22 Novembre dernier , il
s'éleva un orage fi furieux à Revel.
en Livonie , que non feulement la
plus grande partie de la Flote Mofcovite
en avoit efté fort endommagée
, mais que le Port même avoit
efté prefque entierement detruit ; on
ne l'avoit mis à fa perfection que
Pan paflé, avec des dépenfes exceffives
.
Les Vaiffeaux , Antoine & la Fortune
, da premier rang ont coulez à
fond , fept autres du premier & du
fecond rang , fçavoir la Caterine
le Pultova , le Rafaël , le Gabriel ,.
le Michel , le Saladiel & la Perle
ont efté fracaffés ; cet accident mettoit
la Flotte du Czar hors d'état .
de fortirjen Met de long- tems , on
fait monter cette perte à plufieurs
millions.
MERCURE. 1399
M. l'Abbé Dubois eft de retour de
Hollande à Paris L. H. P.luy avoient
remis avant fon départ de la Haye
une Lettre de récreance pour le
Roytrés Chrétien , par laquelle on
temoigne l'extreme fatisfaction que:
L. H. P. ont eus de la conduite de ce
Miniftre dans tout le cours de fa negociation.
4
A Rome le a Fevrier.
Le Comte Lamberg qui paroifloit :
n'eftre venu à Rome , que pour donner
part au nom de l'Empereur, de la
conquefte de Themefvvar , avoit de
plus, commiffion de demander au S.
•Pere de l'argent pour la Guerre con..
tre les Infideles ; il en voudroit exi-.
ger 400 mille écus Romains , outre
trois mille piftoles pour fon voyage;
on a peine à croite , qu'on puiffe
trouver une fomme auffi confiderable
, attendu les malheurs & la pauvreté
du patrimoine de faint Pierre.
L'Empereura taxé auffi les Princes
d'Italie comme le Grand Duc , les
14.0 LE
NOUVEA
Ducs de Parme , de Modene , la Ré.
publique de Genes , & autres Sou .
verains de la Bote , à fournir inceffamment
leur
contingent.
Le Roy de Portugal ayant trouvé,
fur la relation fidelle qu'on lui a
envoyée de la chapelle du Pape
qu'il manquoit encore quelque chofe
à la fienne , pour la parfaite reffemblance;
& croyant qu'il eftoit eflentiel
d'avoir des Muficiens , adinftar,
de ceux du Pape , a fait choisir douze
jeunes gens de fes fujets pour les faire
paffer en Italie , afin d'y apprendre
la Mufique , & s'y
perfectionner
dans le goût du chant Romain, avant .
que de les conduire à Rome ; on les
a debarqué à Venife où on leur a.
fait l'operation ; elle s'eft faite li heureufement
, qu'aucun des douze n'en.
eft mort , puifqu'ils font arrivez icy
en bonne fanté ; on a joint à cette
jeuneffe 15 ou 20 autres Portugais
pour apprendre les ceremonies.
MER CUR E.
147
O DE.
Anacreontique:
Par Monfieur Remond de S. Mare
Auteur des Dialogues des Dieux.
E voulois oublier Climene,
Je
Raifon , difois je , rompt ma chaîne ,
Fimplore tonfatal pouvoir.
Quand Amour table ßé, dit- elle ,
Apprend que c'est par mon avis ,
Oui , quand tu brûlas pour la belle
C'eft nos confeils que tu fuivis.
Amour, Raifon , ſoit , jeſoûpire ,
Vous me l'ordonnez tous les deux
Mais , quoy ,pourfaire un malheureux:
L'un de vous auroit pûfuffire.
142
LE NOUVEAU
Canoix
ENIGM E.
Par un Arrêt du fort , ainfi que Berenice
,
Ainfi que Guillemette; ainſi que Jeanneton,
Que Lucreffe ou que Margoton ,
Ou jeune , ou vieille , il faut que je
periffe ;
Si vielle , l'on m'affomme , il y faut
peu d'appret ;
Si jeune , par un glaive en public cet
Arrest ,
Surmoi pauvrette s'execute :
Quelques minuttes aprés
Auxfervantes , dux laquais,
Aux pvrognes jeſuis en bute:
On n'execute point cet Arret fans noirceur
,
Du coupfatal , frapée , auffi toft on me
naye,
Et ce coup qui meporte au coeur,
Defemelle , me rend malefait pour la
joye.
MERCURE.
143
AUTRE ,
Da Solitaire , malgré lui , de
'I'Ifle S. Louis .
Deux chofes , quoique differentes ,
n'ont cependant qu'un même nom,
Lecteur dans les rimes fuivantes
Cherchez en l'explication .
L'une dépend du feul hazard ,
Et dans la faifon la plus dure ,
Eft produite par la nature;
L'autre est un pur effet de l'art.
Celle-là ne plaift qu'en Eſté,
Au lieu que dans l'hiver elle est in-
Supportable ;
Mais celle - ci eft plus agréable,
Plait en toute faifon par fon utilité.
Je vais developper ce tenebreux my Ze
ftere ,
144 LE NOUVEAU
Lefexefuit l'une avecsoin ,
Et de l'autre a fouvent befoin ,
Pour trouver les moyens de plaire .
Le mot de la premiere Enigme du
Mercure du mois de Janvier , eftoit,
l'Eftomach .
Le mot de la feconde , une Echelle.
SARABANDE
TR
Par M. Dufreny.
Rompeur Amour , ta voix fans
cefle appelle
Hymen , Hymen, pour combler nos
fouhaits ;
Hymen vient- il , tu fuis à tire- d'aile,
Ah ah ! c'est par l'Hymen que tu
nous fais
Lancer tes derniers trais.
On
MERCURE.
145
Ou tes liens,Hymen, font trop durables
,
Ou tes plaifirs devroient être moins
courts ,
Combien nous donnes - tu de jours
aimables ?
Un , deux , trois , tout au plus ,
fixent le cours
Des plus tendres Amours.
Credule Hymen , ta voix « en vain
rappelle
Amour , Amour , pour combler nos
fouhaits ;
Mais Amour et chien de Jean de
- Nivelle ,
Tais , tais , l'Hymen a beau courir
aprés ,
Il fait & rompt fes traits
N
46 LENOUVEAU
NOUVELLES
de Paris .
qui jouit d'une parfaite fanté, fit
Chevaliers de l'Ordre Militaire de
S. Louis , plufieurs Seigneurs & Of.
ficiers , en confideration de leurs fervices.
Lé premier de ce mois , le fieur de
Montempuys , Recteur de l'Univerfité
, accompagné des Chefs, des Facultez
& des Nations , prefenta au
Roy , un Cierge , felon l'ancienne
coûtume.
Le Chapitre de faint Germain
l'Auxerrois , à la tête duquel eftoit
M. l'Abbé Bignon Confeiller d'Eftat,
& Doyen de cette Eglife , eût le même
honneur.
Le même jour les Chevaliers &
Commandeurs de l'Ordre du S. Ef
prit , tinrent Chapitre General dans
le Grand Cabinet du Roy, qui y affiſta,
MERCURE. 147
comme futur Grand - Maiſtre ; Mon
feigneur le Duc d'Orleans y eftoit
preſent. Louis Prince des Afturies
fut admis dans l'Ordre d'une commune
voix , ayant efté propofé le premier
Janvier. Ha efté réglé que le
Cordon de l'Ordre feroit porté inceffament
par quelque Seigneur au Roy
d'Efpagne , pour le donner au Prince
des Afturies .
M. le Comte des Marets Grand
Fauconnier de France a eu l'agrément
du Roy pour la furvivance de
fa charge , en faveur de fon Fils , âgé
de fix à fept ans. Madame la Comteffe
des Marets ayant efté remercier
Monfeigneur le Duc Regent , en reçut
cette réponse gratieufe ; Qu'il y avoit
trop long-tems que cette Charge
eftoit dans fa famille pour en
fortir.
M. le Chancelier Voifin mourut
fubitement la nuit du premier
au deux , il avoit affifté ce jourlà
même au Confeil de Regence , où
il dicta un Arreft , qui concernoit le
dedans du Royaume, il en fortit avec
οι
Nij
148 LE NOUVEAU
un vifage content , & ne reffentit aucune
incommodité pendant le jour..
Sur les 11 heures du foir,foupant avec
fa famille , il fut frappé d'apoplexiequi
l'emporta deux heures aprés .
Cette mort caufa de grands mouvemens
à la Cour , M. le Duc d'Orleans
, fur le premier avis qu'il en
reçût , envoya chercher M. Ďagueffeau
, pour lors Procureur General,
à qui il remit lesSceaux , & le nomma
Chancelier.
M.Joly de Fleury , Avocat General
, s'eftant rendu au Palais Royal,
M. le Duc Regent , lui confera la
Charge de Procureur General , & lui
accorda un Brevet de retenue de 300,
mille livres , afin qu'il fut en eſtat
de payer pareille fomme à M.le
Chancelier Dagueffeau : 11 eft entré
dans le Confeil de Conſcience à
la place de M. le Chancelier , qui eſt
monté au Confeil de Regence.
Le déux , Fefte de la Purification , le
Roy entendit laMeffe , & affifta à la benediction
des cierges , M le Cardinal
de Rohan lui en prefenta un ; le foir, S.
MERCURE.. 149
M. entendit le fermon du R. P.Terraffon
Prêtre de l'Oratoire ; ce célebre
Predicateur adrefla le compliment
fuivant au Roy ; il le plaça
dans l'exorde , aprés la divifion d'un
Sermon , qui avoit pour fujer , la neceffité
de fe rendrefidelle aux prat ques
exterieures de la Religion , & d'accompagner
ces pratiques , des difpofitions
interieures , dont elles empruntent
tout feur merite.
C'est ici un point de morale
qu'il eft d'autant plus important de
prêcher aux Rois , que l'exemple de
leur fidelité à le pratiquer , eft à l'égard
de leurs fujets , plus efficace que
la loy même ; mais qu'heureux eft le
Miniftre de l'Evangile , qui ayant
l'honneur de parler à celui qui fait
aujourd'hui nos plus douces efperances
, le trouve actuellement appliqué
aux devoirs aufquels il l'invite. Docile
aux fages confeils , il embraffe
avec grace toutes les pratiques de
pieté qui lui font propofees : mais ce
qui peut-être , ne feroit aujourd'hui
que l'éloge du digne Prince , charge
Nij
-150
LE NOUVEAU
de fon éducation dans un âge plus avancé
, fera le fien propre. Le feul
amour de fon devoir , aura tout le
merite de fa perfeverance le fuivre;
chaque jour nous dévelopera quelqu'une
de ces vertus Royales , qu'ont
tranfmis en lui fes Auguftes Ayeux ;
& qui , déja , fe laiffent entrevoir ,
fous le voile de fon aimable enfance
. Puifle,fon regne heureux , être le
durable fruit , de la plus fage & de la
plus douce Regence que la France air
admirée? puiflent nos voeux & notre
pieté, meriter la confervation de
ce tendre heritier de la couronne , &
de la gloire de nos Rois ? c'eſt la
grace , SIRE, que nous ne cellerons
de demander pour votre Majefté.
Le 3. M. le Chancelier Dagueffeau
ent l'honneur de faluer le Roy . If
prêtà Serment entre les mains de Sa
Majefté , en prefence de M. le Duc
d'Orleans , Regent du Royaume . Il
donna 8400 livres pour eftre diſtribuées
à la Chambre ,fçavoir un tiers
pour les premieres femmes de ChamMERCURE
15.7
bre , un autre tiers pour les premiers
Valets de Chambre du Roy , & l'autre
tiers pour les Officiers de la
Chambre & de l'Anti - Chambre ,
Le 4. le nouveau Chancelier eut
l'honneur de faluer Madame , qui
luy dit que le choix que venoit de
faire fon Fils , en le nommant Chancelier
, ne pouvoit que faire honneus
à fon difcernement.
Le s. fur les reprefentations de
Meffieurs les Premiers Gentilshommes
de la Chambre touchant leurs
droits ; Monfeigneur le Duc Regent
s'expliqua , qu'il ne changeroit rien
pendant la minorité du Roy , de ce
qui s'eftoit pratiqué fous le feu Roy.
Qu'ils joüiroient de tous les Privileges
& de tous les honneurs de la
Chambre ; qu'à l'égard des Premiers
Valets de Chambre , ils continueroient
de coucher dans la Chambre
du Roy.
S. M. accorda ce jour là même au
Prince de Rohan la furvivance de la
Charge de Capitaine Lieutenant des
Gendarmes de la Garde, pour M. le
52 LENOU VE AU
Prince de Soubife fon Fils ; avec un
Brevet de retenuë de quatre cent mille
livres fur les Gouvernemens de
Champagne & de Brie.
Le 6. on eut une Declaration du
Roy ; concernant les Penfions données
à Paris le 30 Janvier 1717.
Par cette Declaration , les Penfions
de 600 livres & au deffous reftent
fans diminution.
Penfions attribuées à l'Ordre de S.
Louis fans diminution .
Penfions accordées au Corps des
Troupes , celles dont jouiflent les
Officiers des Troupes de la Maiſon
du Roy, par forme d'appointement
ou de fuplément de folde , & qui
font attachées non pas à leur perfonne
, mais à leurs Emplois , & pareillement
celles qui font partie des
appointemens & attributions des
Charges de plufieurs Officiers des
Cours fans dimution .
Voici la réduction desfuivantes.
Les Penfons de 10 mille livres &
MERCURE.
153
au deffus , réduite aux trois cinquiémes
; celles dé 6 mille liv . juſques à
10 mille livres , aux deux tiers; celles
de trois mille livres jufques à 6 mille
livres , aux trois quarts ; celle de
mille livres , jufques à trois mille ,
aux quatre cinquiémes ; & celles aut
deffus de 600 livres , jufques à mille
livres , aux cinq fixièmes ; en forte
néanmoins , que lorfque par la rédution
cy-deffus marquée , les parties
excederont les dixaines de livres , ledit
excedant fera retranché .
Il ne fera accordé aucune nouvelle
penfion ou gratification ordinaire à
qui que ce puifle eftre , jufqu'à ce que
toutes celles qui fubfiftent actuelle.
ment,fe trouventreduites à la fomme
de deux millions par le decés des Penfionnaires
, ou par leur nomination
à d'autres Emplois . Monfeigneur le
Duc Regent fe referve un fond de 500
mil livres pour des gratifications.
Le même jour M. le Chancelier
alla rendre fes devoirs àMadame, Duchelle
de Berry.
Le 7. M. le Chancelier prefenta
$4 LE NOUVEAU
au Roy , Monfieur Joly de Fleury
Procureur General , qui fit un compliment
fort court à S. M.
Le 8. M. Roland , Gentil- Homme
Ordinaire , alla au Palais Royal , de
la part du Roy, pour annoncer à
Monfeigneur le Duc d'Orleans , que
S. M. iroit lui rendre viſite ; en effet,
fur les trois heures , le Roy accompagné
de M. le Duc du Maine , de
M. le Marefchal de Villeroy , & de
Madame la Duchefle de Vantadour
alla voir Monſeigneur le Duc Regent
.
Sur les 11 heures du matin , Mada .
me la Chanceliere Dagueffeau , eût
l'honneur de faluer le Roy , elle en
fut reçûë trés - favorablement.
Le jeune Comte des мarets , vint remercier
le Roy, de la furvivance que
S. M. avoit en la bonté de lui accorder
de la Charge de Grand Fauconnier
de France .
Le 10 , S, M. entendit la Melle
dans la Chapelle des Tuilleries , &
reçût les Cendres par les mains de
M. le Cardinal de Rohan , Grand
MERCURE.
ISS
Aumonier de France.
M. l'Abbé de Caftries premier
Aumonier de Madame Duchefle de
Berry , nommé à l'Archevêché de
Tours , a été admis au Confeil de
Conscience .
Le 13. le Roy fit Chevaliers de
l'ordre Militaire de S. Louis Mrle
Prince de Conty & quelques Officiers
.
1
Le même jour on ôta les Lizieres
au Roy. M. le Maréchal de Villeroy
prit la place de Madame de Vantadour
à dîner ; cette Ducheffe s'étant
éloignée pour éprouver , fi le
Roy s'accoutumeroit avec les hommes.
S. M. ne parut pas d'abord
fort furpriſe .
Le 13. M. le Chancellier alla prendre
Séance dans le Confeil de
Regence.
Le 14. le Roy étant habillé , les
Officiers de Garde-Robe demanderent
, s'il fouhaitoit qu'on lui remit
fes Lizieres , le Roy répondit non ,
non. Madame la Ducheffe de Vantadour
repliqua , le Roy ſe tient
1
156 LE NOUVEAU
tropidroit & marche fi fûrement, que
je n'ai pas deffein qu'on les lui remette
.
M. le Maréchal de Montefquiou
a acheté cinquante cinq mille
livres le Regiment d'Iflanghuien
pour M. fon fils , âgé de fept à huit
ans .
Le 14. au foir M. de S. Maurice
fut choifi par Monſeigneur le Duc
Régent , pour Commandant à la
Rochelle ; il étoit Lieutenant Colonel
du Regiment Royal infanterie,
& Brigadier d'Armée. Il eft Officier
de mérite & de diftinction ; on lui
donna fix mille livres fur les appointemens
du Gouverneur , qui
étoient de douze . La Ville y joint
encore quatre mille francs par an
outre le logement , les fourages ,
& quelques autres uftancils.
Le 15. eft une époque trop mé
morable par le nouveau changement
de Scene arrivé à la Cour , pour n'en
pas donner un détail auffi fidel qu'il
dépendra de moi ,
>
Ce jour là même auquel le Roy
enMER
CURE.
157
entroit dans fa huitième année , Monfeigneur
le Duc Régent fe rendit au
Palais des Thuilleries fur les 9 heu
res & demie du matin .
Madame la Ducheffe de Vantadour
ayant , felon l'ufage , fait examiner
le Roy quelques jours auparavant
par les Medecins & Chirurgiens
qui le trouverent très - bien conftitué
, le remit entre les mains de
Monfeigneur le Duc Régent , &
lui dit , Monfeigneur , voilà le Dépôt
que le feu Roy m'a confié , & que
vous m'avés continué ; j'en ai pris
tous les foins poffibles , & je le rend
en parfaite fanté. Monfeigneur le
Duc Régent lui témoigna › que le
Roy & tout l'Etat lui avoient une
obligation infinie de l'attention
qu'elle avoit apporté à préferver des
jours fi précieux de tout accident ;
il ajouta , qu'il inviteroit lui - même
le Roy à conferver la memoire de fes
fervices fi importans ; qu'à fon égard,
il n'oublieroit rien pour lui donner
des marques fenfibles de fa reconnoiffance.
Dans ce moment , S. A.R,
O
858 LE NOUVEAU
préfenta au Roy M.le Maréchal de
Villeroy pour fon Gouverneur , &
M. Fleury ancien Evêque de Frejus
pour fon Précepteur ; adreflant enfuite
la parole à M. le Ducdu Maine,
& à M.le Maréchal de Villeroy ; il
leur dit , Meffieurs , Ce facré Dépôt
vous regarde particulierement . Nous
efperons que vous répondrés parfaitement
à l'attente que toute la
France a concuë de vous , pour l'éducation
du Roi ; c'eft à vous à préfent
d'en avoir tout le foin que nous
nous promettons de votre zele & de
votre inclination pour S. M. & pour
P'Etat ; alors Madame la Duchelle
de Vantadour dit à S. A. R. Monfeigneur
, voilà mon miniftere fini ,
vous me permetrés de baiſer la main
du Roy , & de me retirer ; dans l'inf
tant elle prit la main du Roy & la
baifa ; mais ce fut avec tant de tendrefle
, qu'il ne lui fut pas poſſible
de retenir fes larmes . Le Roy attendri
, l'embraffa étroitement , &
mit fon chapeau devant les yeux ,
pour cacher les pleurs. Madame la
MERCURE. *159
Duchefle de Vantadour s'étant reti..
rée , le Roy en parut fi touché , qu'il
ne cella de pleurer ; on lui fit entendre
la Meffe dans fon Oratoire ;
mais tournant la tête , & ne voyant
plus Madame de Vantadour , les larmes
recommencérent ; aprés la Meffe
on tâcha de le confoler dans la petite
chambre du Billard , pendant
qu'on démeubloit fon Appartement ,
dont les meubles appartenoient pour
lors de droit à Madame de Vanta-
'dour. Le Roy demeura inconfolable
jufques à trois heures & demie ;
on lui donne de tems en teins à boire
pour le rafraichir ; il renvoya chercher
Madame de Vantadour , qui
de fon côté n'avoit ceffé de pleu
rer ; elle revint néanmoins , avec
un vifage ferain , pour faire reproche
au Roy , de ce qu'à l'âge de
huit ans , il manquoit de réfolution ;
Qu'il devoit au contraire être très
content de fe trouver fous la conduite
des hommes ; il repartit furle
champ à Madame de Vantadour ,
c'eft'parce que j'ai de la raiſon , Ma
Oij
160 LE NOUVEAU
ये
chere Mere , que j'ai regret de me
voir feparé de vous : Elle lui dit ,
mais , SIRE , vous n'avez pas mangé
; il lui repliqua , non , à préſent
que vous êtes auprès de moi , que
l'on m'en apporte ? il dina affés bien ,
Pendant qu'elle étoit auprès de S. M.
M le Marquis de la Vrilliere apporta
un préfent de Diamans de cent cinquante
- quatre mille livres , qu'il
mit fur la table du Roy piéce à
piéce c'étoient des bracelets
avec les Portraits de Monfeigneur
le Dauphin & de Madame la Dauphine
; pere & mere du Roy ; un
collier de perle , avec une croix de
diamant magnifique ; la bague du
feu dernier Monteigneur le Dauphin,
& quantité d'autres pierreries , entre
lefquelles il y a une pierre en
table de grand prix . Le Roy demanda
, eft - ce tout on lui repondit
oüi , SIRE ; c'eft bien peu , Ma
Bonne en merite davantage , par les
foins qu'elle a pris de moi . Madame
la Ducheffe de Ventadour y refta juf
ques à neuf heures le Roy fe
>
·
R
MERCURE . 161
coucha aflez tranquillement , lui
ayant fait promettre qu'elle reviendroit
le lendemain .
M. le Duc de la Tremoille Premier
Gentilhomme de la Chambre,
vint ce jour la remercier S, M. de la
furvivance de la Charge qu'il avoit
obtenue pour le Prince deTarente fon
fils âgé defix à fept ans , on y a attaché
un Brevet de retenue de soo
mille livres au cas que fon fils
vint à mourir , c'eft une grace
que meritoient fon affiduité au fervice
, fon merite & fa naiffance
ayant l'honneur d'eftre Coufin ifla
de Germain de Madame Doüairiere
d'Orleans , Madame fa Grand- Mere
eftant Palatine.
Le 16.le Roy à fon reveil , fut aver
ti par M. le Marefchal de Villeroy',
d'appeller M. le Duc de Mortemart
Premier Gentil Hmme de la cham
bre d'année , le Roy l'appella trois
fois : on le fit entrer , & s'étant prefenté
au lit du Roy , S. M. lui dit :
je veux me lever , Ce Seigneur lui prefenta
la robbede chambre & fes mul
Oij
162 LE NOUVEAU
les , & lui dit , V. M. ne fouhaite- 1
elle pas pafler dans fon cabinet pour
s'habiller. Auffi toft on fit entrer les
Seigneurs qui ont des Brevets d'entrée
, comme fous le feu Roy . S. M.
parut fort étonnée de voir tant
d'hommes autour de lui , M. le Duc
de Mortemart fit appeller la Cham -
'bre & la Garde robe ; alors un grand
nombre d'Officiers fe préfenta
pour faire leur devoir , le Roy fut
encore plus furpris d'en voir le nombre
augmenter. Il demanda cependant
fa chere Mere Madame la Ducheffe
de Vantadour , qui vint quelque
tems aprés en habit de voyageufe,
elle y retta une heure ;MonPrince,
lui dit-elle , je fuis obligée de vous
quitter & d'aller à faint Cyr voir
Madame de Maintenon , le Roy en
fut allarmé , & s'eſtant jerté à lon
col tendrement il donna de nouveau
, en cette occafion , des preuves
fenfibles de fon bon coeur. M. le Marefchal
de Villeroy ravi de contribuer
à l'éducation d'un Prince fi reconnoiffant,
ne pûtqu'admirer un fi excellent
>
MERCURE. 163
naturel Le Roy foupa fur les dix
heares , & repofa tranquillement
jufqu'à 10 heures du matin qu'il fe
leva avec toutes les ceremonies ordinaires
du fervice des hommes.
Le 17. on porta chez Madame la
Ducheffe de Vantadour la Vaiſelle
de vermeille de feu Monfeigneur' le
Dauphin & de Madame la Dauphine ,
elle pefe 400 marcs .
Meffieurs de Sommery & de Ruffe
, Sous - Gouverneurs du Roy, font
convenus entre - eux , pour
le fervi.
ce par femaine , & Meffieurs les
quatre Gentils -Hommes de la Chambre
, qui font , M. le Chevalier de
Pezé . M. d'Ozy , M. d'Arcy , & M.
de la Haye ,ferviront par moitié chaque
femaine.
Le 18. le Roy entendit la Mefle
dans fon Oratoire ; c'étoit le jour
de l'anniverfaire
de feu Monfeigneur
le Dauphin fon pere.
Le 19. M. le Marefchal de Villeroy
a fait donner une penfion de
720 livres au petit Furet , jeune en◄
fant, qui joue fouvent devant le Roy
164 LE NOUVEAU
& l'amufe , on lui a promis de plus
des habits de S. M.
Le 20. le Roy aprés fes exercices , a
diné à fon grand couvert. M. le
Comte de Livry Survivancier dans
la charge de Premier Maiftre d'Hôtel
, a porté le bâton , M. le Mareſchal
étoit auprés du Roy pour le faire
manger. M. le Duc de Noailles
comme Capitaine des Gardes, occupoit
le derriere u fauteüil , avec M.
le Duc de Mortemart comme Premier
Gentil-Homme de la Chambre.
La Nefétoit pofée fur la table
auprés de M. l'Abbé de Maulevrier
Aumônier , qui la decouvrit , pour
prefenter des ferviettes quand le Roy
fouhaitoit d'en changer .Aux deux côtez
de la table , eftoient les deux
Gardes de la Manche avec leurs Pertuifannes
; le long de la Salle fix Gardes
du Roy estoient rangez de chaque
côté la carabine fur l'épaule & le
chapeau fous le bras . les Brigadiers
des Gardes tenoient la porte , un
Huiffier de Salle alloit & venoit
pour le fervice , & les Gentilshom
mes fervants faifoient leur fonction
}
MERCUR E. 165
ordinaire ; le Roy parut fort attentif
à ce nouveau ceremonial, & témoigna
qu'il lui faifoit plaifir.
Le 23 les Miniftres étrangers furent
reçûs par le Roy dans le Grand
Cabinet de la Regence.
Ce jour là M. le Marefchal de Villeroy
fut fi content des études dů
Roy , qu'il luy demanda qu'elle récompenfe
il fouhaitoit pour
fon application
à fes exercices , il pria qu'on
luy fit venir fa chere Maman , on la
luy promit à condition cependant
qu'illa laiteroit retourner quand elle
le jugeroit à propos , il s'y engagea ;
lorfqu'il fut preft d'aller a la Priere,.
Madame la Ducheffe de Vantadour
prenant congé du Roy , dit en le
quittant , Adieu mon Maiftre , le
Roy répondit ,Adieu Ma chere Mere.
. M. de Vitteman a efté nommé
Sous- Précepteur en Charge, avec M.
l'Abbé Perrault ci- devant fon Inftituteur
, par commiffion. C'eft une
recompenfe qu'on a crû luy eftre
dûë , en faveur des foins infinis qu'il
a eu de l'éducation du Roy pendant
166 LE NOUVEAU
fa premiere enfance , luy ayant appris
les principes de la Religion ,
I'Hiftoire de France , la Gegraphie : ⚫
il eft vray que le Roy ayant une
difpofition admirable pour les fçiences
, rien ne peut eftre plus agréable
que de travailler à la perfection
d'un genie, dont les lumieres & l'é .
levation doivent faire la felicité de
les peuples.
M. Lambert a efté fait Secretaire
des études du Roy.
Les trois Valers de Chambre ordinaires
du Roy , & en même tems
de quartier , font Meffieurs Domingues
, Mayas & Bigot .
Le 16 M. le Chancelier a tenu le
Sceau pour la premiere fois . Le 18
fés Lettres ont efté enregistrées au
Parlement .
M. l'Abbé Dagueffeau fon Frere
s'eft chargé de l'inſpection de la Librairie.
M. Vigneron a efté continué Secretaire
de la Chancellerie , il eft
chargé du Sceau , & M. Fretteau
Avocat au Parlement , des Affaires du
Confeil,
MERCURE. 167
ARTICLE DES MORTS
>
Dame Anne - Magdelene Faulcon
de Ris , veuve de Meflire Etienne
Maignart , Seignent de Bernieres
Confeiller au Parlement de Paris ;
mourut le 22 Decembre 1716. laiflant
pour fils unique Mre. Charles Eſtienne
Maignart , Seigneur de Bernieres
Maître des Requêtes ordinaire de
l'Hôtel du Roy , fucceffivement Intendant
de Juftice à Maubeuges ,
Dunkerque , puis en Flandre. Elle
étoit foeur de Mre Charles Faulcon,
Seigneur de Ris , Marquis de Charleval
, Premier Prefident du Parle
ment de Rouen , mort en 1691 , pere
de Mrs de Ris d'aprefent , & fille de
Mre Jean Louis Faulcon Seigneur de
Ris , auffi Premier Prefident du Parlement
de Rouen , nommé l'an 1644
au lieu de Mre Charles Faulcon fon
pere Seigneur de Ris , lequel avoit
fuccedé en cette Charge à Mre Ale178
LE NOUVEAU
xandre Faulcon fou frere ainé , Seigneur
de Ris , moit l'an 1628 , &étoit
fils de Mre Claude Faulcon Seigneur
de Ris , Premier Prefid ne du Parlement
de Bretagne , l'an 1587. La Fa.
mille de Faulcon d Ris , fe prétend
fortie de celte de Falcon de Florence
; & depuis qu'elle cft établie en
France , elle a toujours été regardée,
comme une des plus illuftres de la
Robe ; Celle de Maignart de Be njeres
ne l'eft pas moins , elle eft originaire
de Normandie , & diftinguée
par fon ancienneté & par fes alliances,
Dame FrançoifeJoly , veuve de
Mre Louis de l'Epine Seigneur de
Grainville, mourut le 27Janvier 1717 .
Elle étoit foeur de Mie Guillaume
François Joly de Fleury , à prefent
Procureur Géneral du Parlement de
Paris , dont nous parlerons dans la
fuite de ce Journal .
Mre Claude - François le Févre
d'Ormeffon , Prêtre Docteur de Sorbonne
, ancien Doyen de l'Eglife de
Beauvais , mourut le 1 Février 1717.
IL
MER CURE. 169
,
>
il étoit oncle de Dame Anne le Févre
d'Ormeffon ,femme deMeffire Henry
François Dagueffeau , à prefent
Chancelier , Garde des Sceaux de
France il fortoit d'une des premiéres
familles de la Robe ; puifqu'il
étoit fils de Mre Olivier le Févre
Seigneur d'Ormeſſon , & d'Amboiſle ,
Maitre des Requêtes , perit fils de
Mre André le Févre Seigneur d'Ormeſſon
, auſſi Maistre des Requêtes ,
mort Doyen des Confeils du Roy
l'an 1665 , & arriere petit fils de Mre
Olivier le Févre , Seigneur d'Ormellon
, d'Eaubonne , & de Lezeau
Prefident de la Chambre des Comptes
de Paris ; Confeiller d'Etat , &
Controlleur Général des Finances
mort l'an 1600 , cette Famille s'eft
alliée à celle de Hennequin , de Verthamont
, de Pommereu , le Goux de
la Berchere, de Fourcy , Feydeau , le
Maistre de Bellejamme , & de la
Bourdonnaye & c.
V
Mellfire Daniel François Voyfin ,
Chevalier Seigneur duMefnil-Voyfin
Chancelier & Garde des Sceaux de
P
170
LE NOUVEAU
France , Commandeur des Ordres
du Roy , mourut la nuit du premier
au deux Fevrier 1717. âgé de 62 ans,
ne laiflant que des filles de fon mariage
avec feüe Dame Charlotte Trudaine
, foeur de M. Trudaine Confeiller
d'Eftat & Prevoft des Marchands
de cette Ville , & fille de Meffire
Charles Trudaine Maiftre des Comptes
à Paris . La premiere de fes filles
eft mariée depuis l'an 17e6. à
Mre Louis le Goux de la Berchere
Comte de la Rochepor Confeiller
d'Etat , Chancelier de feu Monfeigneur
le Duc de Berry . La feconde,
depuis l'an 1710. à Charles Guillaume
de Broglio , dit le Marquis de
Broglio depuis Matêchal des
Camps & Armées du Roy , & Gouverneur
de Graveline . Et la troifiéme
, depuis l'an 1711. avec Alexis
Magdelaine Rofolie de Chaftillon
Comte de Chaſtillon , alors Colonel
d'un Regiment de Dragons de fon
nom , depuis Brigadier General des
Ainées du Roy , Grand Bailly de
Hagueneau , & Commiflaire Gene-
2
MERCURE. 171
ral de la Cavalerie legere de France ;
neveu de M. le Marquis de Chaſtil -
lon Chevalier des Ordres du Roy,
& aujourd'hui le feul reftant de la
Maiſon de Chatillon fur Marne , l'une
des plus grandes , des plus puiffantes
, des plus anciennes & des plus
illuftres maifons du Royaume.
Feu M. le Chancelier qui donne
lieu à cet article , avoit eſté élevé à
cette haute dignité les Juillet 1714.
étant alors Miniftre & Secretaire d'E .
tat de la Guerre . Il avoit efté fucellivement
Confeiller au Parlement
de Paris l'an 1674. Maiftre des Requeftes
Ordinaire de l'Hoftel du Roi,
en 1683. & Intendant de Juftiee ea
Hainaut en 1688. & enfin Confeiller
d'Eftat Ordinaire l'an 1708. Il
étoit fils de Melfire Jean- Baptifte
Voifin Seigneur de la Noraye , Maître
des Requeſtes Ordinaire de l'Hôtel
du Roy , mort à Tours , où il
étoit Intendant de Juſtice l'an 1672 ,
& de Dame Madelaine Guillart .
La charge de Chancelier- Garde
des Sceaux de France , vacante par
Pij
172 LE NOUVEAU
cette mort a efté donnée le z . de
ce mois à Mre Henry François Dagueffeau
Procureur General au Parlement
, & ci - devant Avocat General
; il eft fils de Mre Henry Dagueffeau
Conteiller d'Eftat Ordinaire , &
duConfeil de Regence , mort le 17N0-
vembre 1716 , & de feue Dame Claire
Eugenie le Picart , fortie d'une
des premieres familles de la robe , &
fille de Mre Jean-Baptifte le Picart ,
Seigneur du Pleffis , Maiftre des Re-.
queftes , & de Dame Catherine Talon
, foeur de Dame Marie Sufanne
Talon mere de Mre Louis Phely-...
peaux Comte de Pontchartrain , cidevantChancelier
& Garde des Sceaux .
de France , duquel M. le Chancelier .
Dagueffeau fe trouve par cette alliance
neveu , à la mode de Bretagne :
il eft petit fils de Mre Antoine Daguefleau
Maiftre des Requeftes Or
dinaire de l'Hoftel du Roy , Prefi
dent au Grand Confeil & Intendant
de Justice en Picardie, puis Premier
Prefident du Parlement de Bordeaux
l'an 1631. & Confeiller du Roy .
MERCURE. 173
en fon Confeil d'Eftat , & Direction
de fes finances , mort l'an 1645, & de
dame Anne de Gyves fa troifiéme
femme .
M. le Chancelier eft marié depuis
l'an 1694. avec Dame Anne le Fevre
Omellon , fortie d'une des premieres
familles de la robe,
Il a pour freres Mre Jean Baptrfte
Paulin Dagueffeau Preftre Docteur
de la Faculté de Paris , & Mre
Jofeph Antoine Dagueffeau Seigneur.
deValjouant Confeiller au Parlement
de Paris , & ci - devant Avocat du
Roy au Châtelet ; & pour Soeur ,
Dame Marie- Catherine Daguefleau ,
à préfent veuve de Meffire Charles-
Marie de Saulx Comte de Tavannes ,
Lieutenant General pour le Roy au
Gouvernement de Bourgogne , &
Grand Bailly de Dijon , mere de
Mr le Comte de Tavannes , qui a
époufé Mademoifelle Amelot , fille
de Mr Amelot de Gournay , ci - devant
Ambaffadeur en Espagne , & Soeur
de Mr Amelot de Gournay Préfident
à Mortier au Parlement de Paris
P iij
174 LE NOUVEAU
& de Dame Magdelaine Dagueffeau
femme de Mre Pierre Hector le
Guerchois Maistre des Requeftes.
La Charge de Procureur General
au Parlement de Paris , vacante par
la promotion de M. Dagueffeau à
celle de Chancelier , a esté donnée
le même jour à Mre. Guillaume
François Joly de Fleury Avocat General
au Parlement , Charge qu'il
exerçoit depuis la mort de Mre Omer
Jofeph Joly Seigneur de Fleury fon
Frere aîné , il eft fils de Meffire Jean
François Joly , Seigneur de Fleury
Avocas General au Parlement de
Metz , puis Confeiller en celuy de
Paris , mort Confeiller de la Grande
Chambre le Octobre 1702 , & de
Dame Madelaine Talon , Soeur de
Denis Talon Avocat General , puis
Prefident à Mortier au Parlement
de Paris , fille de Mre . Omer Talon ,
& niéce de Mre. Jacques Talon
tous deux Avocats Generaux au Par
lement & coufins germains de Dame
Marie Sufanne Talon , mere de
M. le Chancelier Pontchartrain , &
MER CURE.
175
de Dame Catherine Talon Grande
Mere maternelle de M. Daguefleau
à prefent Chancelier de France ; il
eft petit fils de Mre . Jean Joly , Seigneur
de Fleury , Confeiller au - Parlement
de Bretagne l'an 1629, puis
au Grand Confeil , & de Charlote
Bourlon ; il fort d'une famille diftinguće
dans la Robe , établie depuis
long- tems à Dijon où elle s'eft alhée
avec les plus confiderables , &
où elle fubfifte encore en plufieurs
branches.
M. l'Abbé de Fourcy , Chanoine
de Nôtre- Dame de Paris , mourut le
24 de ce mois ..
رو
Le 24 de ce mois le R. P. Poirée
Profefleur d'Eloquence , au College
de Louis le Grand " prononça un
Difcours Latin , dans lequel il traita
la queftion .
S'il eft permis de s'appuyer des
moeurs dont le germe ſe montre dans
le premier âge des Princes , pour au
gurer leur grandeur future .
176 LE NOUVEAU
L'Orateur commença fonDiſcours
par cette grande Image . Le Soleil
dans les Cieux , les Roys fur la Terre
, offrent un grand fpectacle. Ce
fut là pour ainfi dire fon Texte. Il
divifa fon difcours en deux Parties .
Dans la premiére , l'Orateur fit voir
que dés la plus tendre enfance , la nature
produifoit des fignes favorab'es
ou finiftres du futur caractere des
Princes , que dans le choix de leurs
amuſements même, on pouvoit preffentir
leurs affections dominantes .
Il alla plus loin : il prétendit que
le caractere de l'âme étoit pour l'ordinaire
imprimé dans le vifage , que
les paffions & les moeurs fe montroient
dans les yeux de l'homme .
Enfin il fit fentir combien ces paroles
naïves que la nature hazarde dans
un âge où elle n'eft fufpecte d'aucune
diffimulation , combien dis - je
ces paroles doivent entrer en confideration
dans le Jugement qu'on
ofe porter des jeunes Souverains.
Cela étoit foutenu du fpectacle interzellant
des inclinations naillantes de.
MERCURE. 177
Sa Majefté , de fes amulements favo
ris , de plufieurs difcours où fon ame
fe montre fans déguiſement , qui
furent prefentéz comme autant d'oracles
qui préfageoient un Regne
illuftre .
Dans la feconde partie , l'Orateur
établit que tant d'augures favorables
qui avoient fondés nos efperances
dans fa prémiére partie , ne fuffifoient
pas encore pour établir une
ferme confiance ; & que les dons
de la nature devoient être cultivés
dans les enfans par une heureuſe
éducation : Il examina l'éducation
à, differents égards ; Par la nature
des preceptes , & des Leçons qu'on
prefente au Prince ; par les exemples
dont on foûtient ces Leçons ,
& par le caractere des perfonnes
aufquelles le Prince eft confié.
Cela donna lieu à l'Orateur de
faire de magnifiques éloges de Mgr.
le Duc du Maine , de M. le Maréchal
de Villeroy , de Mde la Ducheffe
de Vantadour , de M. de
Fleury , ancien Evêque de Frejus,
#78 LE NOUVEAU
Le mois prochain nous donne
rons un extrait plus étendu de cet
éloquent Difcours , qui receut les applaudiffements
d'une affemblée Illuftre
, compofée des Cardinaux de
Rohan , de Polignac & de Biffy ,
de plus de trente Evêques , de grand
nombre de Magiftrats & autres per
fonnes diftinguées de tous les ordres.
LIVRES
Nouvellement
imprimez
T
à Paris .
Ibiades nouveau genre de
de Piéces pour la Flute & le
Haut- Bois , de la compofition du
fieur Chauvon Huiffier de la Chambre
de S. A. R. Monſeigneur le
Regent , chez Foucault , rue faint
Honoré , à l'Aigle d'or , in quarto
Reflexions politiques & morales ,
MER CURE. 179
-
par M. l'Abbé Pegere , dédiées à M.
le Duc de Noailles , chez Billiot
rue de la Harpe , à la Ville de Paris ,
on en donnera l'Extrait le mois
fuivant.
Le fieur Marais ordinaire de la
Mufique de la Chambre du Roy ,
ayant compofé un nouveau Livre
de Pieces , a une & à trois Violes
avertit le Public , qu'il efpére l'expofer
en vente à la fin du mois de
Mars prochain , on en parlera pour
lors plus au long.
EXTRAIT D'UNE LETTRE
Après vous avoir entretenu , Mr
de ce qu'il y a à Paris de nouvelles
importantes ; il eft jufte que pour
vous égayer , je paffe à quelques
bagatelles qui puillent vous inter-
Lefler ; fi l'on doit donner le nom de
bagatelles à ce qui peut faire plaifir
. Je fçais l'eftime que vous faites
de la plupart des Acteurs qui compolent
la Comedie Italienne. Vous
entendés leur langue ; vous avez
178 LENOU VE AU
demeurez longtemps dans leur Pays,
& vous êtes plus capable qu'un autre
d'en juger. Vous avez aperçû
une troupe entiére dans les yeux ,
& fur le vifage de Lelio ; en effet
on y voit fon coeur & fon efprit ;
& quoiqu'on ne Sçache pas l'Italien ,
on ne perd prefque rien de tout ce
ce qu'il dit. C'est l'éloge qu'en a
fait une grande Princefle ; & ce fuffrage
lui fait d'autant plus d'honneur
qu'il s'accorde avec celui du
Public. Je ne vous parleray point
de lélegance de Flaminia , de la naïveté
de Siria , de l'abondante facilité
de Mario , du jeu fçavant du
Docteur du naturel de Pantalon , de
la vivacité de Violette , ni du Jeu
fenfé de Scapin. C'eſt à nôtre charmant
Arlequin , que je m'arête :
vous fçavez qu'elles font les graces
de ce Pantomime. Qu'elle aimable
Balourdile , qu'elle variété de
tons , qu'elle abondance de lazis ;
vous ignorez ce que nous voyons
avec un plaifir infini ; c'eft qu'il fe
perfectionne tous les jours; la nature
l'aMERCURE.
179
mit à côté de ce que nous avons
vû de meilleur en ce genre , & il
y a apparence que l'étude , & l'exercice
l'éléveront jufqu'au premier
dégré de fon art .
Dernierement aprés la reprefentation
du Boufon à la Cour , il s'avança
fur le bord du Theatre , & fe fervant
d'un jargon moitié François &
moitié Italien qui fait plaifir dans fa
bouche . Meffieurs , dit- il , je veux
vous dire una piciolé Fable , que j'ai
lûe ce matin : car il me prend quelque
fois envie de diventer Sçavant :
Mais la diro en Italien ; & ceux qui
l'entenderanno , l'expliqueranno à
ceux qui ne l'entendent . Alors il conta
fort comiquement la Fable du
Meunier , de fon fils & de l'Ane. -
Comme cet Apologue eft fçu d'un
chacun je ne la rapporterai point ,
en tout cas on peut avoir recours à
M. de la Fontaine .
Il feroit à fouhaiter que je puffe
rendre ici les geftes dont Arlequin
accompagna cette fable il defcendoit
de l'Afne avec le meunier , il y mon13.0
NOUVEAU

toit avec le jeune homme , il trotoit
devant eux il prenoit le ton des
Controlleurs , & celui des Controlleufes
; & aprés fon recit , il ajouta
en François ; venons Meffieurs à
l'application ; je fuis le bon homme
& je fuis fon fils , je fuis encore l'Ane.
Plufieurs perfonnes me difent, Arlequin
faut parler François , les Dames
ne vous entendent point , &
bien des hommes ne vous entendent
gueres , lorfque je les ay remercié
de leurs avis ; je me portai d'un autre
côté , où des Seigneurs me dirent.
Arlegun , vous ne devez pas parler
François , vous ruinerez voftre feu .
Je fuis bien embaraflé , parlerai-je
Italien , parlerai - je François . Je vous
le demande ,Meffieurs , alors un homme
du parterre qui avoit apparemment
recueilli les voix , répondit
parlez comme il vous plaira , vous
ferez toûjours plaifir ; Arlequin fr
une grande reverence , avec un ferviteur
trés humble , Meffieurs . On
battit des mains , & chacun s'en alla
content,

MERCURE. 18:
Le 20. de ce mois le fieur de Rieux
Banquier de la rue Quinquempois ,
pallant dans la rue des Bourdonnois
avec un de fes amis , fut enveloppé
tout à- coup par une vingtaine d'Archers
; malgré le nombre , s'étant un
peu dégagé , il tua d'abord le fieur
Jollain Archer de la Monnoye , qui
avoit voulu , comme étant laMouche,
fe faifir de lui ; un autre Archer nommé
le Blanc , eut un moment après
le même fort ; fon ami de fon côté
ayant mis l'épée à la main , en
blefla quelques - uns ; mais à la fin
l'un & l'autre accablez de toutes
parts , le Banquier fut obligé de ceder
à la force ; les Archers l'entraînerent
au Fort- l'Evêque , où on dir
qu'il eft mort ; pour fon fecond ,il cut
le malheur en fe retirant d'être percé
par derriere d'un coup d'épée à travers
le corps, dont il expira deux heu
res après Un Officier arrêta l'Archer,
le fit conduire en prifon , où l'on
182
LE NOUVEAU
Continue vivement les Informations
de part & d'autre .
Milord Stairs eft parti ces jours
paffez , pour le rendre à Londres ,
d'où il reviendra incellamment .
Madame la Comteffe d'Arco fut
enterrée le mois paffé à faint Sulpice
.
SUITE DES LIVRES
nouvellement imprimez.
Comedies Italiennes , chez Coutelier
, Quay des Auguftins , in 12.
Connoiflance desTemps pour 1717.
chez Mariette , rue S. Jacques..
L'Odiffée d'Homere , par Madame
Dacier , à l'Imprimerie Royale.
Le fecond Tome du grand Commerce
, par Barrême , chez la veuve
Villery , Quay de Conty.
Dialogue fur les plaiſirs par M.
Dupuy , chez Eftienne , rue S. Jacques
, in- 12.
Des Amortiffemens & Franchiſes ,
par M.Jarry, chez la veuve le Févre,
au Palais.
MERCUR E. 183
Bibliotéque des Prédicateurs , tome
troifiéme des Myfteres , in 4° .
chez Eftienne , rue S. Jacques .
Vie de Me. Chantal par M. l'Abbé
de Marfolier , chez Babuty , rue S.
Jacques , 2 vol . in, 12 .
>.
Calendrier de la Cour chez
Collombar , rue S. Jacques.
Vie de S. Cyprien , chez Eftienne ,
in 4º . rue S. Jacques .
Methode pour étudier la Geographie
, chez Hochereau , Quay des
Auguftins . 4. vol . in 12 .
Secret concernant les Arts & Metiers,
chez Jombert , rue S. Jacques.
Le Tenturier parfait , chez le
même.
Les Amoenitez de la Critique , ou
Diflertation , & Remarque fur divers
points de l'Antiquité Ecclefialtique
& Prophane , chez Delaulne,
rue faint Jacques .
Sermons du Pere Bourdalotie de la
Compagnie de Jefus , en 3. vol. in
8. & en 4 vol in 12. de l'Impri- '
mcrie Royale .
La Clef des Chanfonniers, ou Re-
Qjij
184 LE 1 NOUVEAU
cüeil des Vaudevilles depuis un an
& plus . Notez & recueillis , chez
Ballard, au Mont Parnaffe.
Recueil desEnigmes les plus curieude
ce tems , chez le Gras au Palais
AlmanacRoyal de l'année 1717 , chez
d'Houry , devant la rue S. Severin .
Ephemerides des mouvemens Cé.
leftes , chez Collo mbat ruë S Jacques.
Homere défendu contre l'Apologie
du R. P. Hardouin , ou fuite des
caufes de la corruption du goût par
Me. Dacier , chez Coignard ruë S.
Jacques.
La Critique abregée des ouvrages
des Auteurs Ecclefiaftiques chez
le Conte , Quay des Auguftins .
Sphere Hiftorique , ou explication
de tous les Signes du Zodiaque, chez
Cailleau , Quay des Auguftins
Traité des Ponts & Chauffées
ehez le même.
Des connoiffances utiles à la vie,
ehez Ganeau ruë S. Jacques.
De l'Imprimerie de J. FRANÇOIS
GROU , rue de la Huchette,
au Soleil d'or, 1717.
TABLE
Vant - Propos.
AbDeffenfe de la Poësie Frau
quife .
Lettre en vers
M *** à M*
-Conte par M. Roy.
& en profe de
45
Relation écrite de Moscovv du
premier Janvier 1717 .
Harangue faite au Roy par M. de
Breflai Ambaffadeur des Sauvages
Algonkim. 63
Extrait de l'Iliade traveftie. 66
Extinction , & amortiffement de
plufieurs rentes conftituées für
Hotel de Ville , &fur differens
revenus du Roy.
Historiette dediée à Madame la
79
Comteffe de · · par M. de
Bonneval.Les noms de Poligni,
de l'Efclachesfontfeints.92
Defcription de Lincendie arrivés
TABLE.
lex6 Fevrier dans les ruës de
S. Martin , & de S. Mery, 112
Précis des Arrefts , Déclarations,
Edits , &c. depuis le premier
Fanvier 1717 . 118
Article des nouvelles Etrangeres.
135
Ode Anacrontique par M. Remond
de S. Mare , Auteur des
Dialogues des Dieux. 141
Article des Enigmes. 142
Sarabande par M. Dufreng. 144
Article des nouvelles de Paris.
146 ™
Epoque Remarquable. 157
Article des Morts.
167
Analife du Difcours prononcé en
Latin par le R. P. Poirée , Profeffeur
d'Eloquence , 175
Livres nouvellement imprimez ,
178
Extrait d'une Lettre 178
Avanture ,
181
Suite des Livres. 182
APPROBATION
.
Ous avons lû par ordre de Monfei •
Ngneur le Chancelier le
Mercure
de Février 1717 , & nous n'y avons
rien trouvé qui en puiffe empêcher l'impreffion.
Fait à Paris ce 28. Fevrier
1717 .
CAPON
.
TERRASSON
,
L
PRIVILEGE
DU ROr
UUIS par la grace de Dicu , Roy.de.
France & de Navarre : A nos amez
& feaux Confeillers , les Gens tenans Los
Cours de Parlement , Maîtres des Requétes
ordinaires de nôtre Hôtel , Grand Con
feil Prevôt de Paris , Baillifs , Senechaux,
leurs Lieutenans Civils , & autres nos Jafciers
qu'il appartiendra , Salut . Notre
bien Amé le Sr FRANCOIS BUCHET,
nous ayant fait remontrer qu'il foahaiteroit
faire imprimer , & donner au Public
un Ouvrage qui a pour titre Mercure Framgois
de Galant , s'il nous plaifoit lui accorder
nos Lettres de Privileges fur ce neceffaires.
A ces cauſes , voulant favorableshent
traiter ledit Sieur Expofant , nous
lui avons permis & permettons par ces Prefentes
, de faire imprimer ledit Livre
en tels volumes , forme , marge , caractere,
conjointement ou feparément , & autant
de foisque boa lui femblera , & de le
faire vendte & debiter par tout nêtre Royaumé
pendant le temps de fix années confecutives
, à compter de la datte defdites
Prefentes ; à condition neanmoins que chaque
Volume porteta fon Approbation expreffe
de l'Examinateur qui aura été commis
à cet effet. Faifons deffenfes à toutes
fortes de perfonnes de quelque qualité , &
condition qu'elles foient d'en introduire
d'impreffion étrangere dans aucun lieu de
notre obéïffance ; comme auffi à tous Libraires
, Imprimeurs , & aurres , d'imprimer,
faire imprimer, vendre,fairevendre, debiter,
ni contrefaireledit Mercure François &
Galant, en tout, ni en partie , ni d'en faire
aucuns Extraits fous quelque pretexte que
ce foit d'augmentation , correction , changement
de titre ou autrement . fans la per
miflion expreffe , & par écrit dudit ficur
Expofant ou de ceux qui auroient droit de
Jui , à peine de confifcation des Exemplai
res contraifaits , de trois mille livres d'amende
contre chacun des Contrevenans
dont un tiers à Nous , un tiers à l'Hôtel
Dieu deParis , l'autse tiers audit ficurExpo
fant , & de tous dépers , dommages & interefts,
à la charge que ces Prefentes feront
enregistrées tout au long fur le Regiſtre de
la Communauté des Libraires & Imprimeurs
de Paris , & ce dans trois mois de la
datte d'icelles ; que l'impreffion dudit Livre
fera faite dans nôtre Royaume , & non
ailleurs , en bon papier , & en beaux caracteres
, conformement aux Reglemens de la
Librairie ; & qu'avant que de l'expofer en
vente , il en feia mis deux Exemplaires
dans notre Bibliotheque publique , un dans
celle de notre Château du Louvre , & un
dans celle de Notre tres cher & feal
Chevalier Chancelier de France le fieur
Voifin Commandeur de nos Ordtes ; le tour
à peine de nullité des pretentes , du contenu
defquels vous mandons & enjoignons
de faire jeu ir led . fieur Expofant ou fes
ayants caufes , plainement & paisiblement
fans fouffrir qu il lui foit fait aucun troubles
ou empêchemens. Voulons que la co
pie defdites Préfentes , qui fera imprimée
au commencement ou à la fin dudit Livre
foit tenue pout dûëment fignifiée , & qu'-
aux copies collationnées par l'un de nos
Amés & feaux Confeillers & Secretaires ,
foi foit ajoûtée comme à l'original Commandons
au premier notre Huiffier ou Sergent
, de faire pour l'execution d'icelles
tous actes requis & neceffaires , fans demander
autre permiflion
nonobftant clameur
de Haro Chartre Normande & Leteres
à ce contraires . Car tel eft note plaîfir
. Donné à Paris , le dix - neuvième jour
de Janvier , l'an de grace mil fept cent dixfept
, & de notre Régne , le deuxième .
Par le Roy en fon Confeil
FOUQUET.
Il eft ordonné par Edit de Sa Majesté ,
de 1686 , & Arrefts de fon Confeil , que les
Livies dost l'impreffioa fe permet par c'hacun
des Privileges , ne feront vendus que
par un Libraire ou Imprimeur.
Regiftré fur le Registre 4. de la Communauté
des Libraires & Imprimeurs
de Paris,pag. 3. n° . 134 , conformément
aux Reglemens , & notamment à l' Arreft
du Conseil du 13 Aouft 1703 , A
Paris , ce premier Fevrier 1717 .
Signé , DEL AULNE , Syndic.
ERRAT A
,2.
Page 69. ôté le point apres Mariin. Page 73 ,
& s'admirant à fa toillete Pag . 75 1. encor & non
encore. Pag. 76 L. omis au lieu de mis. Pag. 77. l . par
au lieu de pour , au ze Vers Pag . 78. l. c'eſt une Gente
& non Gente. Pag. 78 Ne fais -tu pas qu'un 1. qu'ici.
Pag. 78. l. font toujours . Pag. 103. Ne manqueroit , l .
ne manqueroient. Pag. 11. L.d'ajouter cinq . Î. ôté alla.
Pag. 140. L. derniere 1. L. pour . Pag. 143 7 plaît. Pag .
Pag. 155. Monfeig. le Prince de Con.y. Pag. 156. 7 .
1fangnien. Pag. 156. 7. de la Rochelle. P. 161.7 Robe .
Pag. 163. , Ruffe . Pag. 163. 1. quelle récompenfe. Pag.
168.1. Janvier. Pag . 147. L. Fauconnier . Pag.45 . 1.
fluer. Pag. 159 on lui donne , l . on lui donna . Pag
160.l. Damans magnifiques. Pag. 162. de Voyage .
au lieu de Voyageuſe, Pag. 164, 6, qui la découvroit.
LE
NOUVEAU
MERCURE
Le prix eſt de 15. fols.
Mars
1717.
Chez
MANDATA
PER AURAS ,
DEFERT
A PARIS ,
PIERRE RIBOU , Quay des
Auguftins , à l'Image S. Louis .
ET
GREGOIRE DUPUIS , rue S.
Jacques , à la Fontaine d'or.
M. D. C C. XVII.
Avec Approbation & Privilege du Roy.
THE NEW
PUBLIC LIBRARY
335098
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1005
:
AVANT - PROPOS.
I
Left bien difficile que dans
que
celui- un Ouvrage tel
ci , dont le Recuëil & l'impreffion
fe fuivent de fi près ,
il n'échape de certaines fautes
involontaires
, que l'on ne peut
reformer que dans le Mercure
fuivant. J'avoue ingénûment
que j'en ai remarqué qui méritent
neceffairement la correction.
Dans celui de Fanvier ,
à l'article des Morts , le mot en
abregé de Me s'eft glißé pref
que par tout , au lieu de elui
de M , le premier fignifiant
Maître & le fecond Meffire.
A l'article des Mariages
,
A ij
AVANT - PROPOS.
+
on a qualifié M. Pavyot de
Procureur general de la
Chambre des Comptes de
Rouen , ce qui eft faux ; il
eft - Procureur general au Parlement
de Rouen.
Dans le Mercure de Février,
page 51 , on auroit dû avertir
dans le Conte de M. Roy , que
la deuxième Adreffe n'eft pas
de cet Auteur , mais d'une
autre main.
Qu'à la page 163 , au lieu
de Meff. les Gentils -hommes de
la Chambre , il faut lire de la
manche. Qu'on s'est également
trompé , lorsque l'on a marqué
que la Cour avoit accordé une
penfion de 710 livres au petit
Furet ; on fait feulement que
Sa Majesté lui fait donner de
tems en tems quelque argent
pourfon entretien.
AVANT-PROPOS.
A la page 166 , il faut changer
le nom de Bigot en celui de
M. Bidault
que
C'est à tort que l'on a dit
le Sieur de Rieux étoit mort
en prifon defes bleffures ; ilfe
porte auffi bien que fon ami ,
que le bruit populaire avoitfait
expirer deux heures aprés , d'un
coup d'épée reçu par derriere .
On aura l'indulgence de me
pardonner quelques autres faures
plus legeres , en faveur du
défir preffant que j'ai de perfectionner
cet Ouvrage , n'afpirant
qu'à le rendre auffi utile
qu'amufant. Je répondrois bien
par avance de fon utilité
pour
les Gens de Lettres , fi j'étois
aẞés heureux que de recevoir
de tems en tems des pièces auſſi
curieufes que celles qui font à
la tête des deux mois précedens,
A iij
AVANT-PROPOS.
1
& la nouvelle Differtation
par laquelle j'entre en maque
tiere.
A l'égard de l'amusement
fi je trouve le fecret de plaire,
j'aurai atteint à la fin que je
me propose.
7
LE
NOUVEAU
MERCURE
DISSERTATION
SUR
LES LANGUES EN GENERAL .
ET SUR
LA LANGUE FRANCOISE
J
IN
PARTICULIER
.
Pat M. l'Abbé de Pons .
E donnai au Mercure de
Janvier dernier , une Differtation
fur le Poëme
Epique contre la Doctrine
des Difciples
d'Ariftote. Ges
8 LE NOUVEAU
Meffieurs n'ont pas coûtume de
demeurer oififs ; quand il s'agit
de défendre les droits facrés de
lenr Ecole. Je m'attendois donc
à trouver dans le Mercure fuivant
une réponſe de leur part , mais
une réponſe haute , impérieufe ,
où mon attentat feroit févérement
réprimé.
Ce n'eft pas là tout ; j'avois ,
dans cette même Differtation , engagé
une efpéce de querelle avec
les Poëtes ,Nation guérriere & difficile
à calmer , quand une fois
elle eft irritée.
J'étois dans les horreurs de
cette double guerre , quand le
Mercure de Février me tomba
dans les mains ; je n'y trouvai
rien de la part des Docteurs Ariftoreliciens
, j'en louai Dieu ; autre
bonne fortune , j'y trouvai un Ouvrage
fous le titre de Deffenfe
de la Poëfie Françoife . Je
recornû dans cer Ouvrage un
Poëte galant-homme , qui défendoit
avec chaleur les prétendus
MERCURE.
droits de fon art , fans appeller
à fon fecours l'Apoftrophe injurieufe
, l'yronie infultante ; fans
violer aucun des égars que la focieté
civile a confacrés pour ainfi
dire , à l'union generale .
>
Le Public femble avoir difpenfé
les gens de Lettres , de ces
fortes de devoirs ; ils ont acquis
cette difpenfe à force d'éxcés
la focieté s'accoûtume à les regarder
comme un peuple féroce
& indifciplinable , qu'il faut abandonner
par pitié à fa dure impoliteffe
à fa groffére rufticité.
Voilà un genre d'indulgence , qui
n'accommoderoit pas mon amour
propre.
>
Le Reverend Pere D. C. de la
Compagnie de Jefus , Auteur de
l'Ouvrage dont j'ai parlé , eſt affûrement
de mon goût ; fon procedé
m'en est caution ; ce même
procedé fera voir , que la contrarieté
des fentiments entre gens. de
Lettres , n'aliéne pas toujours les
coeurs.
10 LE NOUVEAU
Je crois , au refte , que le Public
feroit en état de juger àpréfent la
question controverfée entre le R.
P. D. C. & moy ; notre procés
me paroît fuffifamment inftruit ; on
peut voir ce que j'ay dit dans le
Mercure de Janvier , fur les Vers
& fur la Profe , on lira enfuite la
réponſe de mon adverfaire , aprés
quoi je prie le Lecteur de retourner
pour dernier examen , au Mercure
de Janvier : il fentira que j'ay
dû lui fauver l'ennuy d'une replique
inutile.
Il y a pourtant dans la réponſe
du R. P. D. C. une chofe fur
laquelle je ne puis lui faire grace,
il s'appuye de l'autorité de feu
it
M. l'Archevêque de Cambray ,
pour faire à notre langue certains
reproches , dont il me paroît important
de la juftifier ;" c'eſt ce qui
m'a fait naître l'idée de la differtation
fuivante que je divife en plufieurs
articles , dont le premier ,
ne contient que des éclairciffemens
préliminaires.
MERCURE. 11
ARTICLE PREMIER.
De l'origine des Langues &
de leur fin.
T
Outes les langues du monde
font nées du befoin que les
hommes ont éprouvés de fe communiquer
reciproquement leurs
penſé es.
Chaque langue particulière a été
inftituée par un certain Peuple ,
pour lui fournir des fignes repréfentatifs
de fes penfées.
Les Philofophes diftinguent trois
fortes de penfées . Idée , lugement ,
Raifonnement ; ajoutons -en une quatriéme
que nous nommerons , Sen
timent.
L'Idée et la penſée de l'efprit
que les Langues expriment par les
Noms , comme
Lyon. Arbre.
Impuissance. Ferocité, Sterilité.
Impuiffent. Farvec. Sterile.
Dieu. Homme
Sageffe.
Sage
12
LE NOUVEAU
Le Fugement eft la penſée de
l'efprit, que les Langues expriment
par les verbes comme quand je dis .
Dieu eft fage.
Je fais un jugement compofé de
deux idées ; fçavoir , de l'idée de
Dieu , & de l'idée de Sage , que
j'unis par le verbe , eft , qui en eft
comme le lien ; & lorfque je dis.
Dieu n'eft pas impuiſſant.
Je juge que l'idée d'impuißanee
ne convient point à l'idée de Dicu ,
c'eft pourquoi je défunis ces deux
idées par le verbe, eft , foutenu de
la particule négative .
Si l'on me demande a préfent la
définition de la penfée de l'efprit,
apelée Jugement , je répɔnds , que
le jugement n'eft autre chofe que
l'acquiefcement de l'âme ou fon refus
d'acquiefcer á l'union de plufieures
idées concordantes ou dif
cordantes entr'elles.
La
MERCU. RE. 13
La troifiéme efpece de penfée ,
eft appellée par les Philofophes
Raifonnement.
Or le Raifonnement n'eft autre
chofe que plufieurs jugements fi
intimement liez enfemble, qu'il y a
pour ainsi dire , unité entr'eux ,
comme quand je dis.
Tout eftre fpirituel eft immortel.
Or , l'âme humaine eft fpirituelle ,
Donc , l'âme humaire eft immortelle.
Voilà un raifonnement exprimé.
par trois propofitions , dont chacune
contient un jugement particulier.
Nous voilà arrivés à la quatriéme
penfée de l'efprit , appelke
Sentiment. Ce genre de penfée
n'eit gueres connu des Philofophes;
mais les gens de Lettres ne me fçauront
pas mauvais gré de l'avoir mife
ici en honneur.
J'entend
par
Sentiments , les
differentes modifications de notre.
âme , fes paffions , fes affections.
Les Sentiments s'expriment dans
B
44
LE NOUVEAU
les Langues,par certains modes des
verbes. Par exemple le fentiment
impérieux eft exprimé par le mode
qu'on appelle Impératif , le
défir , par le mode qu'on appelle
Optatif
Imperatif. arrête approche
Optatif. plût à Dieu que ?
-
Les Modifications de l'âme s'expriment
auffi dans les Langues par
les adverbes & les interjections .
Adverbes . Comment ? vite ? hors d'icy
Lunterjections... Helas ! gares ? gares ? pax
paix , bon ! courage ?
ARTICLE SECOND.
De la clarté des Langues .
La clarté d'une langue ne peut
venir que de deux chofes ; l'une, de
ce qu'elle a des fignes diftincts pour
chaque idée ou penfée de l'efprit ;
l'autre , de ce que par fes conftructions
, elle affigne à fes mots un
●rdre , qui fuit d'affez prés , ceMERCURE.
39
lui que nos idées ont entr'elles.
Toutes les Langues fatisfont au
premier devoir ; chaque penſée de
l'efprit y trouve fon figne particulier
; il arrive pourtant quelquesfois
, mais cela elt affez rare, pour
ne devoir pas être cité en reproche
; il arrive , dis-je , quelquesfois
dans toutes les Langues , qu'un
même mot exprime
différentes
chofes , comme nous voyons en
François du mor fon.
Il m'a vendu fon cheval
Il aime le fen des cloches.
Voilà du fonde farine.
Dans une phrafe qui exprime un
jugement ou un raifonnement , il
ne fuffit pas pour la clarté , que
chaque expreffion de cette phrafe
préfente à l'efprit fon idée particuliere
fans équivoque ; il faut encore
que la conftruction de cette
phrafe affigne aux idées fucceffives ,
l'ordre dans lequel l'efprit les a
concûës .
Par exemple, fi je difois.
Que les Anges , de fimple
Bij
16 LE NOUVEAU
direction par la voye , pensées
leurs fe communiquent , affirment
quelques Theologiens.
Voilà une phrafe compofée de termes
, dont chacun préſente diſtinctement
fon idée particuliere ; cependant,
cette phrafe n'eft pas claire,
parcequ'elle pervertit l'ordre naturel
des idées . Reftituons cet ordre.
Quelques Theologiens affirment
, que les Anges fe communiquent
leurs pensées , par
la voye de fimple direction .

Les perfonnes qui ne connoiſſent
point d'autre Langue que la Françoife
, auroient de la peine à croireque
les Latins effènt introduits
dans leur idione ,le défordre , dont
je viens de donner l'exemple , il cit
pourtant vrai que ma phrafe Francoife
, toute ridicule qu'elle paroît,
elt litteralement traduite du Latin.
Angelos , fimplicis directionis
via, cogitationes fibi fuas communicare,
afferunt aliqui Theolozi.
Les Scoliaftes ne m'accuſeront
MERCURE. 17
pas , d'avoir malignement choisi
un exemple rare de l'excés des
Latins ; je ne cite point ces périodes
immenfes , ces phrafes prétendues
fonores , dont le fens vafte,
mais confus , ne commence à fe déveloper
, que lorfqu'il plaît au verbe
dominant , de fe montrer ; verbe
, que l'Orateur Romain s'obſtine
à faire marcher à la fuite de toutes
les idées , qu'il auroit dû précéder
, felon l'ordre de nos conceptions.
Quelques perfonnes dévouées
aux Latins , ont prétendus me
prouver , que ce défordre ne répandoit
pas dans les Ouvrages Latins
, la même obfcurité qu'il repandroit
dans les nôtres , fi nous
voulions l'imiter. Ils en donnent
pour raifon , que la termimifon
variée des noms Latins dans leurs
differents cas , prépare l'efprit à
l'employ qu'ils doivent recevoir du
verbe , & des autres parties du
difcours , qui ne fe font point encore
ngantrées ; au lieu que , les noms
François- n'étans variés dans leurs
Bij
r8 LE NOUVEAU
differents cas , que par les articles
trop uniformes , il ne feroit pas
facile de preffentir leur destination .
Verifions cette Remarque , en
comparant un nom Latin avec un
nom François.
NominatifMufa la Mufe
Genitif Mufe de la Mufe
Datif Mufæ à la Mufe
Accufatif Mufam la Mufe
Vocatif Mufa la Mufe
Ablatif Mufa de la Mufe
ve qie
Dans le nom Latin , je ne troul'Accufatif
, qui ait fa
terminaifon particuliere , & qui ne
puifle être appliquée à aucun autre
cas , Mufam.
Dans le nom François , je ne
v ois que le Datif , dont l'article
ne puiffe valfer aux autres cas ,
à là Muſe.
Continuons . Dans notre nom Latin
; le Niminatif, le Vooatif, &
L'Ablatif , ont une terminaifon
connine ; Mifa. • le Genitif
MERCURE.
& le Datif le terminent de même,
Adufa.
Dans le nom François , le Nomi-
Matif, l'Accufatif & le vocatif ,
ont le même article , la Mufe. Le
genitif & l'ablatif ont auffi un
article commun , de la Muſe.
Tout et parfaitement égal ici
entre nos deux Langues ; le nom
Templum & tous ceux de la premiere
déclinaifon ne font pas plus
variés que ne le fon: nos articles
François .
Que conclure de cela , finon
que dans le Latin , comme
dans le François , indiftinctement
fi la conftruction préfente ces
noms avant les expreffions qui les
doivent régir dans le difcours , on
ne peut deviner , furement leur
deſtination.
cas ,
Il y a des noms Latins , dont la
terminaiſon varie un peu plus les
qu'il n'arrive aux noms de la
première déclinaifon ; mais enfin
on ne m'en citera jamais aucun
, qui foit fingulierement varié
* LE NOUVEAU
dans tous fes differents cas ; ainfi
il s'en faut beaucoup , que l'objec
tion qu'on nous a faite , juftifie
parfaitement les conftructions de
la Langue Latine.

Il est bon d'obferver , que les Ro
mains n'affectoient les conftructions
exceffivement violentes , que dans
lés harangues faftueufes & autres
ouvrages appartenants à la haute
éloquence . L'importance & la fingularité
des matières que l'Orateur
traitoit dans ces fortes de difcours ,
lui étoient garants de l'avide attention
de fon Auditoire ; il abufoit
pour ainfi dire , de fon droit ,
& comme s'il eût voulû affocier
fes Auditeurs à fa peine & leur faire:
acheter les grandes chofes qu'il
feurs avoit préparées ; il conftruf
foit fon difcours fi violeminent
que l'Auditeur étoit chargé du travail
continu de reftituer l'ordre naturel
, aux idées confufement difjointes
dans chaque période .
Dans les Ouvrages Moraux on
Philofophiques , dans les Ouvrages
familiers , tels que les Epitres ; enMERCURE
23
fin dans les Ouvrages voulez au
délaffement & à la joye , comme les
Comedies ; les Latins ne s'écartoient
gueres de l'ordre que la nature
affigne aux idées , ce qui prouve
encore que le défordre des conftructions
dans les ouvrages faftueux ,
exigeoit d'eux , une attention laborieufe
& fatigante .
Nos premiers Auteurs voulurent,
à l'imitation des Latins , introduire
ces conftructions violentes dans
notre Langue ; heureufement la
raifon reclama de bonheure contre
cet abus : laNationFrançoife, ennemie
de tout vain travail , reprouva cette
fatigue ingrate qui n'offre rien de
flatteur à l'amour propre.
L'ordre & la clarté font les principales
graces que nous cherchons
aujourd'huy dans nos ouvrages.
Je ne fçai par quelle fatalité la
verité à tant de peine à fe faire enrendre
de ces mêmes hommes qui
en font , difent - ils , fi avides ? aux
prémieres approches on lui fait infulte
, elle tient ferme , & à force
de conftance & d'opiniâtreté , elle ſe
22 LE NOUVEAU
fait enfin recevoir chez nous ; eft elle
acüillie du torrent , il s'éleve encore
des voix fidéles à l'erreur , qui
gémiffent affectueufement fur fa
ruine.
Un des prémiers hommes de notre
âge, feu Mr l'Archevêque de
Cambray , lui , que notre Langue a
fi bien fervi dans fes Ouvrages ,
a reproché à cette même Langue,
l'ordre uniforme de fes conftructions
. Le R. P. D. C. m'a dénoncé
ce reproche dans le Mercure de
Février dernier.
J'ay beaucoup de refpect pour
feu M l'Archevêque de Cambray:
mais ce respect ne va pas jufqu'à
fubjuguer ma raifon , je m'écarteray
de lui fans façon , lorfqu'il ne
me femblera pas dans la route du
vray. Examinons fi fon grief eft
fondé; voici fes paroles.
Rien de plus uniforme que
les conftructions de la Langue
Françoife; on voit toujours venir
d'abord un NominatifSubfsantif
qui méne fan Adjectif
MERCURE 23
comme par la main , fon verbe
ne manque pas de marcher derriere,
ſuivi d'un Adverbe qui ne
fouffre rien entr'eux & le regimeappelle
auffi- tôt un Accuſatif
qu'on ne peut déplacer.
Cela eft vray. Les mots font placés
dans notre Langue à peu près
dans cet ordre. Pourquoi cela : c'eft
que nos idées font conçues par notre
efprit dans cet ordre même.
J'ay demandé à un Peintre 5
pourquoi il affignoit toujours le mênie
ordre aux parties du vifage humain
dans fes Tableaux ? Il m'a répondu
, c'eft que la nature a affigné
cet ordre même aux parties du
vifage humain .
J'infiftay : mais , Monfieur ,
fi
dans ce Tableau où vous avez peint
plufieures figures humaines dans des
attitudes differentes , avec des affections
variées , vous vous étiez
avifé de varier encore la pofition
des Parties du vifage ? Si vous aviez
placé, tantôt les deux yeux au front;
tantôt le nez au menton ; enfin &
24 LE NOUVEAU
?
vous aviez tiré party de toutes les
differentes Combinaifons qu'on peut
imaginer dans la pofition des parties
du vifage humain , votre ouvrage
auroit le mérite d'une plus grande
variété mon efprit s'occuperoit
agréablement du travail de reftituer
aux traits déplacez , leur veritable
pofition ? Le Peintre n'héfita pas à
me croire un échapé des petites
Maifons : il me rendit graces de mon
excellent avis , & m'affûra , d'un
grand ferieux , que dorénavant il
ménageroit dans fes Tableaux ce
genre de varieté, jufques - là inconnu
à fon Art.
Revenons à notre affaire . On
fouhaiteroit que la Langue Françoife
voulut introduire une agréable
variété dans fes conftructions?
Mais cela ne fe peut faire fans pervertir
l'ordre que la nature a affigné
à nos idées. On eft choqué de
voir toujours un nom Subftantif
mener fon Adjectifcomme par
la main : mais fait-on bien attention
, que ces deux noms font les
fignes repréfentatifs de deux idées ,
que
MERCURE.
25
>
que l'efprit ne divife par aucune
idée intermédiaire Le Verbe
dit- on , fe préfente fuivie d'un
Adverbe & le regime appelle
l'accufatif ? Vous avez raifon :
Mais voilà l'ordre de nos penfées,
& loin qu'on doive faire un démerité
à notre Langue , d'être fidéle à
cet ordre , on doit au contraire lui
en tenir grand compte.
Dans les Arts de pure imitation,
dans la Peinture , par exemple ;
il ne faut pas chercher une autre
variété , que celle dont la Nature a
décoré les objets qu'on fe propofe
d'imiter ; c'eſt ce qu'avoit fenti le
Peintre dont j'ay parlé. Son Tableau
préfentoit aux yeux plus de trente
Figures humaines , diftinguées entr'-
elles , par leurs attitudes différentes
, par leurs différents afpects ,
par leurs expreffions ou paffions
variées : mais comme la nature n'a
pas varié dans les hommes , la pofition
des parties du vifage , le Peintre
n'eût gardé de fe perfuader qu'il
avoit eû tort de n'avoir pas coars
1717 C
26 LE NOUVEAU
tredit en cela les vues de la nature.
Les langues font dans le cas des
Arts imitateurs , elles ont été inftituées
pour reprefenter nos penfées
; ainfi elles doivent fe conformer
à la nature de ces mêmes penfées.
Un jugement , un raiſonnement ,
par exemple , font compofez d'idées
trés - différentes ; une Langue doit
avoir des fignes différents pour imiter
ce genre de variété.
Ces mêmes jugements ou raifonnemens
, quoique compofez d'idées
trés différentes , font néanmoins conçûs
par l'efprit dans un certain ordre
fixe , il faut que les Langues
imitent cet ordre dans leurs conftructions.
ARTICLE TROISIEME
De la Richeffe des Langues,
La Richeffe d'une Langue eft pro-
Portionnelle à l'étendue des connoifMERCURE
27
fances acquifes par le Peuple particulier
qui l'a formée .
La Langue que parlent les La
pons , dont l'intelligence n'embraf
fe qu'un trés petit cercle d'idées ,
ne peut être que fort pauvre ; Si l'on
dégroffiffoit ces Peuples , enportant.
chez eux les Sciences & les Arts,
à mefûre que leurs idéos fe multipliroient
, on verroit croître leur idiome;
le befoin de commercer entr'eux
des connoiffances acquifes ,
leur feroit inventer de nouveaux
fignes, de nouvelles expreffions ; &
cette même Langue , pauvre dans
une certaine époque , pourroit avec
le tems,fe trouver auffi riche qu'aucune
qui fut dans l'Univers.
C'est ainsi que la Notre , toute
indigente qu'elle étoit , il n'y a pas
encore trois fiécles , eſt enfin
par
venue à ce point de richeffe où
nous la trouvons aujourd'huy.
L'étude des Sciences & des Arts à
multiplié fnos idées ; nous avons
exercé notre jugement à faifir tous
les rapports qu'elles ont entr'elles.
Cij
28 LE NOUVEAU
mefure que nous nous fommes
formez , nous nous fommes communiquez
nos progrez , les uns aux
autres , il a donc fallu convenir de
nouveaux fignes ; voilà l'hiftoire
des progrez de notre Langue qui
groffira encore, fi les Sciences & les
Lettres ne ceffent pas d'être en
honneur en France .
Meffieurs les Erudits prétendent
que la Langue Grecque & la Langue
Latine , font infiniment plus
riches que la Françoife ; lorfqu'ils
voudront verifier cette propofition ,
je les prie de fe fouvenir , qu'il faut
commencer par nous prouver , que
les Grecs & les Latins ont eûs l'efprit
plus cultivés que nous , & qu'ils
ont portés plus loin que nous, les Arts
& les Sciences ; Qu'ils avoient un
plus grand nombre de connoiffances
que nous n'en avons acquifes
que leur raifon s'étoit plus exercée
que la notre , dans l'art délicat d'envifager
les idées par tous leurs différens
afpects ; enfin , fi nous fommes
vaincûs du côté de l'efprit ,
nous pafferons condamnation pour
notre Langue.
MERCURE. 29
Une idée qui peut être confiderée
par l'efprit fous differents afpects,
a dans notre Langue autant de fignes
differents , qu'il y a de façes
fous lefquelles elle peut être apercûë.
Il y a des gens qui penfent bonnement
, que ces differents fignès
font Synonimes entr'eux , parce qu'-
ils expriment le même fonds d'idée :
mais ils fe trompent , chacun de ces
mots exprime une modification particuliére
de l'idée commune à tous,
il la préfente à l'efprit par un côté
fingulier , avec un accelloir diftinct
de toute autre acception ; ainfi chacun
de ces prétendûs finonimes
doit être confideré comme préfentant
fon idée ou fa perception particuliére.
Exemple.
Berger. Vacher.
Un Payfan croit que ces deux
mots veulent dire préciſement la me
me chofe : ils reveillent en lui la
même idée fans aucun acceffoir plus
ou moins ignoble. Ces deux mots.
affectent différemment les perfonnes
éclairées . Pourquoi celà ? Le
voicy. C iij
30 LE NOUVEAU
Le Payfan groffier & ignorant
croit que de tout tems , l'emploi de
garder les Troupeaux , a été le
partage des miferables ; il ne foupçonne
pas que l'Univers ait jamais
cù une autre forme que celle qu'il
y aperçoit ; il croit que de tout
tems il y a eû entre les hommes
la même fubordination , les mêmes
diftinctions qu'il y découvre actuellement.
Un homme plus éclairé fçait , qu'-
il a été un tems où tous les hommes
indiftinctement , menoient la
vie champêtre. Les Troupeaux &
le Labourage faifoient toutes leurs
richeffes , chaque famille faifoit un
Peuple dont le chef étoit le Roy.
c'eft en ce fens que la tradition
nous dit que les enfans des Rois
gardoient les Troupeaux ; l'avarice
& l'ambition n'avoient point encore
fait bâtir ces Villes fuperbes qui
dominent aujourd'hui nos Cam-.
pagnes.
La memoire de ces vieux te nps
nous eft chére ; nous aimons qu'on
MERCURE.
nous en retrace l'idée dans ces fictions
ingénieuſes , où l'on nous
peint les moeurs douces & tranquiles
des premiers âges. Les Bergers
qu'on introduit dans ces Poëmes
, ne font point nos hommes
ruftiques , abrutis par la fervitude
& par la mifere. Ces hommes que
nous nommons Vachers , expreffion
à laquelle il fe joint un fentiment
de mépris & de dégoût , qui n'eft
point attaché au mɔt générique ,
Berger.
Ainfi , fi je difois en parlant des
Eglogues de M de Fontenelles
que les hommes champêtres qu'il
y introduit , ne font pas des Vachers
, mais des Bergers.
,
Qui ne comprendroit pas , que
je veux dire par là , que Mr de
Fontenelles donne aux Bergers de
fes Eglogues les moeurs douces
les paffions tranquiles de la vie
champêtre , en leurs fauvant certe
rufticité fervile & dégoutante , qui
caractériſe nos Vachers.
Les mots , Fermeté , Courage ,
32 LE NOUVEAU
Valeur, Magnanimité , Intrépidité ,
expriment Fidée generale d'une
même vertu ; mais chacun de ces
mots , que quelques gens croyent
fynonymes , font néanmoins differents
entr'eux , en ce que chacun
exprime le fonds commun de
l'idée generale , avec un petit acceffoir
fingulier.
Brilant , éclatant , refplendiffant ,
ne font point adjectifs fynonimes ,
chacun de ces adjectifs préfente
l'idée commune à tous avec une
modification particuliere.

Il en eft de nos jugements, comme
de nos idées . Les verbes qui
font les fignes de nos jugements
fe multiplient autant de fois que le
même jugement peut être porté
avec differents acceffoirs . Si l'on
difoit à un homme.
Vous en avez menti.
Vous parlés autrement que vous
ne pensés.
Voilà le même jugement exprimé
en deux manieres ; mais il eft
porté avec des acceffoirs differents .
MERCURE.
37
Dans la premiere façon , il eft accompagné
d'infulte ; dans la feconde
, il eft mêlé de circonfpection
& de politeffe.
J'entrerois volontiers dans l'éxacte
difcuffion des differences délicates
, qui diftinguent tous les
prétendus Synonimes de la Langue
Françoife. Quoique cet examen fût
un peu métaphifique , je ne defefpérerois
pas de le rendre amufant ;
j'en ferai l'effai quelque jour. Mais
le temps m'appelle au quatrième
article de ma Differtation.
ARTICLE QUATRIEME .
De l'impoffibilité d'entendre
parfaitement les Langues
mortes.
L'intelligence parfaite d'une Langue
, fuppofe le difcernement fur
de tous les fignes établis dans cette:
Langue , pour repréfenter les idées ,
les jugements , les fentiments ; en
34 LE NOUVEAU
un mot , toutes les penfées variées
de l'efprit.
Nous avons vu dans l'article précédent
, que la même idée peut
être apperçue fous différens afpects,
que la même paflion de l'âme
peut être repréfentée avec des modifications
differentes , que le même
jugement peut être porté avec
des acceffoirs variés : il faut donc ,
pour entendre parfaitement une
Langue , avoir la clef des fignesprétendus
fynonimes , dont chacun
caractériſe , par un acceffoir fingulier
, la penfée commune à tous.
Il ne fuffit pas d'avoir commercé
long-tems avec les perfonnes qui
parlent bien une Langue vivante ,
pour être au fait de tous ces myf--
teres il faut encore avoir le fentiment
délicat , pour ne jamais confondre
ces fignes voisins.
S'il y a
a fi peu de gens qui foient
en état d'affigner les differences fines
, qui diftinguent les faux fynonimes
de nôtre Langue . Comment
pourons - nous efperer d'entendre
MERCURE.
·
35
jamais les Langues mortes , à ce
dégré de certitude & de confiance
que nous atteignons fi rarement &
fi difficilement dans la nôtre même
?
Il y a tant de fiéclés que la Langue
Latine ne fe parle plus chez
aucun Peuple du monde , qu'il n'y
a pas moyen de vérifier par la voye
des témoignages , fi un mot employé
par Horace , exprimoit précifement
de fon tems, l'une ou l'autre
de deux idées qui ont irreconciliablement
divifé fes Commentateurs.
S'il's'élevoit une querelle de cette
efpece entre Nous , fur une expreffion
tirée d'un Auteur Italien
I'Academie de la Crufea , la décideroit
fouverainement.
Meffieurs les Commentateurs ont
beau nous dire , qu'ils ont la clef
des Langues mortes , qu'ils en connoiffent
toutes les fineffes , qu'ils
ont un fentiment diftinct de la propriété
fixe & incommunicable de
chaque expreffion , foit Grecque,
36 LE NOUVEAU
foit Latine : j'ofe leur dire , qu'ils
fe font illufion. Il n'y a que le
commerce habituel avec le Peuple
qui parle une certaine Langue , qui
puiffe en décéler l'élégance & les
graces ; un Scoliafte pourra bien
déveloper le fond général des penfées
dans un ouvrage , foit Grec ,
foit Latin mais il perdra les af
pects finguliers de chaque idée , les
acceffoirs , foit augmentatifs , foit
diminutifs de chaque paffion exprimée
, & par confequent il ne pourra
fçavoir préciſement, comment l'Auteur
original a façonné , pour ainſi
dire , chacune de fes penſées dans
fon ouvrage
.
Pallida mors aquo pulfat pede
pauperum tabernas . *
Regumque turres.
La pâle mort frappe d'un pied
égal , aux Cabannes des pauvres &
aux Palais des Rois.
* Horace , Ode 4. L. 1.
Voilà
MERCURE. 37
Voilà ce que le texte Latin traduit
litteralement , préſente à l'eſ--
prit ; il n'y a pas autre chofe pour
qui ne veut pas deviner.
> Or c'est l'art de deviner bien
c'est-à-dire , favorablement pour
l'Auteur original , qui fait les bons
Traducteurs. L'éducation nous a
revelé , que tout eft divin dans les
Ouvrages d'Horace ; ainfi malheur
à qui le dégradera dans une traduction.
De deux Traducteurs , celui
qui aura peut-être le plus falfifié
fon texte , par les graces neuves
& originales dont il l'aura paró
fera toujours celui que nous jugerons
l'avoir mieux deviné .
C'est ce que comprend parfaitement
le peuple Traducteur ; aufli
ces Meffieurs ne font -ils plus affés
dupes , pour ofer donner au Public
des Traductions Litterales ; ils fentent
qu'ils n'ont rien de trop de
tour leur genie , pour foûrenir dans
leurs Traductions , la réputation
qu'ils ont donnée aux anciens.
Les Scoliaftes me permettront
D
38
LE NOUVEAU
8
s'il leur plaît , de remarquer ici ,
en paffant , que leur foy fur l'infaillibilité
des anciens , quelque
ferme qu'elle paroiffe , ne laiffe
pas de chanceler de tems à autre ; 'il
leurs arrive quelquefois de nous efcamoter
dans leurs traductions certains
traits , qu'ils ne nous diffimus'ils
leroient n'en eftoient un
pas ,
peu bleffés.
Voici la Traduction de l'illustre
Mr Dacier , fur le paffage cité
d'Horace .
La mort renverse égallement
les Palais des Rois , & les
Cabanes des Pauvres.
Je voudrois bien fçavoir , pourquoi
Mr Dacier diffimule dans fa
Traduction ce mot Pallida? Pourquoi
ne dit-il pas la Pâle mort &c.
auroit-il efté bleffé de cette Epithéte
?
Je m'apperçois encore , que Me
Dacier , fupprime ces deux mots ,
Equopede , d'un pied égal ?
MERCURE.
39
Horace nous peint la mort fra
pant du pied ; pourquoi fuprimer
cette circonftance ? Je remarque
que Mr Dacier juge Horace plus
févérement que je ne ferois ; car
je n'aurois point hefité à tirer party
de cette circonftance. N'est - il
pas raifonnable de dire , que la
mort qui méconnoît tous égards ,
toute distinction , ne s'avife pas de
grater refpectüeufement à la porte
des Rois , mais qu'elle heurte brutallement
avec le pied.
Fores calcibus infultavit . *
Il a heurté infolemment avec le
pied.
Encore un mot. Mr Dacier traduit
le mot Latin Pulfat , par le mot
François Renverſe. Il lui plaît de
deviner ici. Car enfin , il ne me
niera pas que Pulfare oftium , ne
fignifie dans Plaute & dans Terence ,
Heurter , fraper à une porte. Il y
* Plaute .
40 LE NOUVEAU
a plus , s'il avoit à nous exprimer
en Latin , renverſer une maiſon , il
ne s'aviferoit jamais de dire , pulfare
domum , il fe ferviroit fûrement
de l'un des verbes fuivants . Demoliri
, difturbare , pervertere ,fabvertere
, evertere.
Evertére Domos totas optantibus ipfis,
Dii faciles. *
Mais je veux pour un moment
que le verbe Pulſare , pût avoir
chez les Latins , l'un ou l'autre de
nos deux fens indifferement . Je
denmanderai encore à Mr Dacier ,
comment il a découvert , dans lequel
de ces deux fens , Horace a
voulu l'employer ici . Si Mr Dacier
juftifie fon choix , il me revient un
coupable . Je demanderai au R. P.
Tarteron , qui nous a donné une
élégante traduction d'Horace , fur
quel fondement il prétend , que
le mot Pulfare , fignifie ici fraper.
Voici done fa Traduction.
* Juvenalis , Sat. 9.
MERCURE. 41
Latrifte mort frapefans dif
tinction aux Palais des Rois ,
commeauxCabanes desPaupres.
Le R. P. Tarteron a efté bien
affecté de l'image , qui préfente
la mort , frapant fans diftinction
aux Palais des Rois , comme aux
Cabanes des Pauvres ; il n'a pas
eu befoin pour rendre cette image,
de détourner la fignification ordinaire
du verbe pulfare.
Pour Mr Dacier , il a voulu un
peu plus de bruit & de fracas dans
tout ceci ; il lui a femblé plus vif
de préfenter la mort renverfant indiftinctement
les Palais des Rois
& les Cabanes des Pauvres ; cette
image lui a paru plus digne du génie
d'Horace ; il n'en a pas fallu
davantage pour le conduire peu à
peu à croire fermement, que c'est là
le veritable fens d'Horace.
Le R. P. Tarteron fupprime -
quo pede , comme Mr Dacier.
Revenons au mot Pallida. J'ai
vû desgens qui fçavoient fort mau-
Ciij
42 LE NOUVEAU
vais gré à Mr Dacier de l'avoir
fuprimé ; ces bonnes gens donnoient
en même-tems à cette expreffion
un fens actif & un fens
paffif. D'abord , ils l'entendoient
dans le fens paffif , la pâle mort , ils
fe repréfentoient donc la mort,
comme un spectre pále & décharné .
Enfuite , le fens actif fe montroit ,
la pâle mort , c'est-à- dire , la mort
qui répend la pâleur ; comme la
mert terrible , voudroit dire , la mort
qui répend la terreur.
Voilà les illufions que l'ignorance
de la Langue Latine produit chez
les Erudits mêmes.
Revenons au R. P. Tarteron , il
me fupprime point le mot palbida
comme Mr Dacier ; mais il ne lui
plaît pas de le rendre en François
par le mot pále , il foupçonne que
le mot Latin auroit bien pû exprimer
du tems d'Horace , l'idée que
nous attachons au mot François
trifte.
Je pafferai tout à ces Meffieurs,
pourvû qu'ils conviennent de bonMERCURE
.
43'
ne foy , qu'ils ne font que deviner.
Au refte , le R. P. Tarteron eft
heureux en conjectures ; il lui fuffit
, que l'Auteur original fourniffe
fe le fonds des pensées : on peut
repofer fur fon génie , du foin d'y
joindre les graces acceffoires : il
taille , façonne , corrige , fuprime,
& le tout pour le mieux je veux
dire au grand profit du Poëte Latin .
Avoüez fincerement , Meffieurs,
que vous traduifez moins les Auteurs
Grecs & Latins , que vous
ne vous traduifez , pour ainfi dire ,
vous mêmes. S'il arrive quelquefois
que vos Traductions deplaifent
au Public ; n'imputez pas ce
mauvais fuccez à l'impuiffance de
notre Langue ; cette excufe n'eft
plus recevable ; la Langue Françoi
fe à donné depuis un fiécle des
chefdoeuvres dans tous les genres,
elle eft glorieuſement fortie de toutes
épreuves. Il faut chercher ailleurs
les raifons de votre infortune.
Vous éprouvez , dites vous , votre
incapacité à traduire dignement les
44
LE NOUVEAU
Auteurs anciens , cet aveu coûteroit
un peu plus à votre amour propre ,
fi vous aviez bien fenti les veritables
raifons de cette incapacité ;
ne viendroit - elle point , de ce
que vous n'entendez pas affez les
Auteurs que vous voulez nous faire
entendre ? examinés ceci. Peutêtre
fommes nous aufait
Comme le traducteur ignore la
propriéte fixe de chaque expreffion ,
foit Grecque , foit Latine ; à la vûe
d'une certaine expreffion , fon imagination
fe remplit du fens vafte de
tous les acceffoirs dont il fent que'
le fonds de l'idée exprimée poùroit
être fufceptible , le voilà dans
une espece d'étourdiffement & d'ivreffe
; il ne s'avife pas de penfer
que ce mot , dont il lui plaît de
s'étourdir , ne peut fignifier à la
fois tant d'acceffoirs variez & quelquefois
contradictoires , il faut bien
que dans les vues de l'Auteur original
, l'expreffion ait été fixée à un
fens unique à un acceffoir déterminé.
Or c'est ce fens fixe que notre
MERCURE. 45
Traducteur eft enfin forcé de deviner
,lorfqu'il veut rendre en François
l'expreffion originale ; il fort
pour un moment de fes tenebres ,
il fecoue tous ces fens variez &
confùs qui l'obfedoient , enfuite il
s'empare du fonds commun de l'idée
que le mot exprime ; ce n'eſt
pas tout, comme il ignore fous quel
afpect fingulier l'expreffion originale
prefente cette idée , il choifit
entre tous les afpects fous lefquels
elle peut être envifagée , celui qui
lui femble le plus gracieux. Lors
donc qu'il a faifi l'idée par le cô
té auquel il a donné la préféren
ce , notre Langue lui fournit l'expreffion
qui répond à fes vûes . Le
voila content : mais un moment
aprés je le vois rentrer dans l'yvreffe
, dont fon travail l'avoit fait
fortir ; fon imagination fe remplit
de nouveau de tout ce fens vague
& confus qu'il avoit fecoüé : il jette
les yeux fur fa Traduction , il n'eft
plus content , ce n'eft pas là ce que
je fens , dit-il , Langue maudite,
46 LE NOUVEAU
tu ne me rendras jamais le fentiment
que j'éprouve ? Eh , non ,
Monfieur ; ces fortes de miracles
excédent fes forces.
Je connois un homme d'efprit
qui a paffé foixante années , partie
à Rome , partie à Paris ; comme
le Commerce avec les deux
nations lui a donné la clef des faux
Sinonimes de l'une & de l'autre
Langue , il n'eft point embarraſſé
à traduire , il ne peut êtte le jouet
des illufions qui travaillent nos
Commentateurs , chaque expreffion
, foit Italiene , foit Françoite,
prefente fans aucun équivoque à fon
efprit , l'idée fixe dont elle eft le
figne ; il ne s'avife pas d'y chercher
autre choſe . Si les Scoliaftes entendoient
de même les Langues, Grecque
& Latine , ils ne nous donneroient
pas des Traductions fi
difcordantes entr'elles fur le même
Auteur , le Texte offriroit le même
fens à tous ; chacun d'eux feroit
content , lorfque notre Langue
lui auroit fourni les expreffions
MERCURE. 47
propres à rendre le fens qu'il au-
Toit diftinctement conçû , il ne craindroit
pas d'avoir manqué fon coup.
Je ne vois les Commentateurs
d'accord entr'eux , qu'en un feul
point ; le même texte Grec ou Latin
les enflâme au même dégré
je les vois tous dans un raviffement
égal.
Mais s'ils ofent chacun en particulier
me traduire le texte enchanteur
, les voilà défunis. Je
m'aperçois que chacun a ſon Idole
particuliere, Comment donc ? Meſfieurs
, qui dois-je croire ici à qui
d'entre vous le Divin Horace at'il
revelé fon veritable fens ? Qu'il
me donne des preuves de fa miffion
, & je me joins à lui pour faire
rète aux faux Antoufiaftes.
**
48
A MADAME DE GONDRIN
EPITRE DE M AROUet.
Sur le péril qu'elle avoit couru en
traverfant la Loire.
SAvez- vous , gentille Douairiere,
Ce que dans SULLY l'on faifoit,
Lorfqu'E OLE vous conduisoit ,
D'une fi terrible maniere.
Certain efprit malin rioit ,
Et pour vous déja preparoit
Une Epitaphe familiere ;
Difant qu'on vous repêcheroit
Inceffament dans la riviere.
Cependant L'ESPAR , la VALIERE ,
GUICHE , SULLY , tout foupiroit ,
ROUSSI comme un Diable juroit
Et l'Abbé COURTIN qui pleuroit ,
En voyant vôtre heure derniere ,
Adrefloit à Dieu ſa priere ,
Et tout bas pour vous marmotoit
Quelque Oraifon de fon Breviaire.
Mais quel fpectacle ! J'enviſage
Les Amours , qui de tous côtez ,
Miniftres
MERCURE. 49
Miniftres de vos volontez ,
S'oppofoient à l'affreufe rage
Des vents contre vous irritez :
Je les vois , ils font à la nage ,
Et plongez jufqu'au cou dans l'eau ,
Ils conduifent vôtre bateau ,
Et vous voilà fur le rivage.
GONDRIN , fongez à faire ufage
Des jours qu'Amour a confervez.
C'est pour lui qu'il les a fauvez ,
En faut- il dire davantage ?
Daignez pour moi vous employer ,
Prés de ce DUC aimable & fage .
Qui fit avec vous ce voyage ,,
Où vous penfàtes vous noyer ;
Et que vôtre bonté l'engage ,
A conjurer un peu l'orage ,
Qui fur moi gronde maintenant ,
Et qu'enfin au PRINCE REGENT
Il tienne à peu près ce langage .
PRINCE , dont la vertu va changer
nos deftins ,
Toi , qui par tes bienfaits ſignales ta
puiffance ,
Toi , qui fais ton plaifir du bonheur
des humains ,
PHILIPPE , il est pourtant um
E
50 LE NOUVEAU
malheureux en France
. Du Dieu des vers un fils infortuné
,
Depuis un temps fut par
condamné
toi
A fuir loin de ces bords qu'embellit
ta préfence ,
Songes que d'Apollon fouvent les
favoris
D'un Prince affurent la memoire
;
PHILIPPE, quand tu les
bannis ,
Souviens - toi que tu te ravis
Autant de témoins de ta gloire
:
Jâdis le tendre OVIDE eût un pareil
deftin >
AUGUSTE l'éxila dans l'affreufe
SCYTHIE .
Auguite eft un Heros , mais ce n'est
pas enfin,
Le plus bel endroit de fa vie.
GRAND PRINCE puiffe - tu
devenir aujourd'huy ,
Et plus clement qu'AUGUSTE ,
plus heureux que lui.
&

SIOIDES A UN GOUTEUX.
T
U manges des Ragouts exquis ,
Tu ne bois que du fin Champagne'
,
Et tu joins aux liqueurs d'Espagne ,
Ces vins que le TURC a conquis .
Sous une houffe d'Ecarlatte
Tes rideaux font d'un gros Damas .
La Hollande a filé tes dras ,
Et tes Matelats font d'Oüate.
Dois tu, Geronte , t'étonner
De voir qu'une goutte cruelle,
Qui , traîne fa foeur la Gravelle ,
Ne veuille point t'abandonner.

Je l'a trouverois ridicule ,
De quitter tes feftins avec ton
lit molet ,
Pour s'en aller jeûner , avec un Camaldule
,
Ou coucher fur la dure avec un
Recolet.

E ij
52
*********
SUR LA PROMOTION
DE MONSEIGNEUR LE CHANCELIER
DE
DAGUESSEAU.
ODE..
E Themis le Temple s'ouvre,
Quel éclat frape nos yeux !
PHILIPPE , je te découvre
Dans ce féjour glorieux.
Apuy de fon culte augufte ,
Tu cherches un homme juſte
Pour nous difpenfer fes Loix ,
Un regard de la Déefle
Fait connoître à ta fageffe ,
Sur qui doit tomber ton choix.

Il eſt un efprit fublime ,
Qui rempliroit ce haut rang ,
Si nos voeux & notre eftime
Décidoit d'un choix fi grand.
Tu nous préviens , tu le nommes ,
MERCURE. 53
C'est lui qu'à tant de grandshommes
Ta fageffe a préferé.
C'eft DAGUESSEAU , quelle joye ,
Sur tous les fronts fe déploye
A ce nom fi réveré !
L'innocence moins timide
Defcend des Cieux pour le voir ,
J'entends 'l'injustice avide
En rugir de défeſpoir.
La Piété le devance
L'intégrité , la prudence ,
Paroillent à fes côtez :
On y voit briller le zele
Et la fermeté fidelle
Qui foûtint nos libertez.
*
L'Eloquence triomphante
Groffit la fuperbe Cour ,
Et par fa gloire elle augmente
La pompe d'un fi beau jour :
Telle enflamant Demoftenes ,
Elle tona dans Athènes ,
Telle à Rome elle éclata ;
Eij
LE NOUVEAU
Quand fon Orateur illuftre
La montroit dans tout fon luftre
Au Senat qui l'adopta.
Que de Vertus le couronnent !
Que de talens raffemblez !
Tous les beaux Arts l'environnent
De nouveaux bienfaits comblez .
Il vous aime doctes Fées ,
Elevés-lui des Trophées ,
Préparés -lui des Concerts ;
fera paroître ,
Son apuy
Des Vers tels qu'en firent naître
Les RICHELIEUX , les COLBERTS .
Le loüer , c'eft rendre homage]
A la main qui la placé ,
Elle acheve par ce gage
Notre bonheur commencé.
Dans un choix fi plein de gloire ;
Chantés Filles de Memoire
L'infatigable Heros ,
Dont la bonté paternelle ,
La vigilance éternelle ,
Affurent notre repos.
MERCURE.

Il éternife le Regne
De la Paix & de Themis ,
Il ne veut plus que l'on craigne
D'Opreffeurs
, ni d'Ennemis.
Sa voix dans nos Villes calmes
Change à l'ombre de fes palmes ,
Le Soldat en Laboureur.
MARS perdant fous fa Regence ,
L'efpoir de troubler la France ,
Porte aux THRACES fa fureur.
La face de cet Empire ,
Reprend un nouvel éclat :
PHILIPPE qui peut décrire
Tes heureux foins pour l'Etat.
Pourfuis Heros Magnanime ,
Du beau zele qui t'anime
Remplis notre jeune Roy .
Qu'il croiffe , qu'il te contemple
Qu'il puifle fur ton exemple
Se faire aimer comme toi.
E iiij
56
LETTRE
,
Ecrite de Conftantinople , le
Novembre 1716.
Ngine, Me , fur la foy des Re-
E vous êtes vous pas imalations,
que CONSTANTINOPLE étoit
la Ville de l'Univers la plus fuperbe
, & la mieux batie. Quelle illufion
! Il est vray , que fi on n'ep
voyoit jamais que fa fituation , fes
dehors & fon port , on en porteroit
ce jugement ; rien de plus
beau en effet. Figurez - vous une
grande Ville en perspective , batie
fur fept montagnes , de même que
Rome. Comme elles font difpofées
en forme d'Amphiteatre , tout
ce qu'il y a de frapant , fe prefente
d'un coup doeil à la vûë. Le
mélange des Cyprés avec les frontifpices
des Maifons , peintes de diverfes
couleurs ; les Domes & Minarets
des Mofquées , le magnifique
Temple de Sainte Sophie ,
les Piramides , ou Colonnes , telles
que celles du Marché des femmes,
d'une hauteur extraordinaire ; celles
de Marcien , ainfi que la Colonne
brulée , le vieux & le nouMERCURE.
57
veau Serail avec fes Tours , ayant
pour horifon le plus beau Ciel du
monde ; Tout cela raffemblé , produit
le plus merveilleux fpectacle
de la Nature . Qui ne croiroit
aprés une defcription auffi véri
table , qu'elle paroît fabuleufe
que les dedans font autant de Palais
, & de chef - d'oeuvres de
l'art ; rien moins que cela , lorfqu'on
y eft une fois entré , on ne
peut s'imaginer que ce foit la même
Ville. On cherche Conitantinople
dans Conftantinople -même.
Les rues en font tortues & inégales
, fales & puantes par la négligence
des habitans ; ce qui
pouroit bien ne pas peu contribuer
à la pefte , dont cette Ville.
elt fi frequemment affligée . Elles
font dailleurs la plupart étroites ,
& baties de bois. Dans un endroit,
les maifons font hautes , dans un
autre , fort baffes : En un mot ,
elles font telles , qu'on a de la peine
à y marcher , & à s'y foûtenir ,
Voilà au juſte , une image fidelle de
cette Capitalle de l'EmpireOtoman.
58
LE
NOUVEAU
Mi- O N peut prefque porter le
ris des même jugement des Ci-
Tures toyens de cette grande Ville : Il
our les faudroit ne les voir que de loin ,
utres fans
fans trop les approcher : Comme
Nations c'est une Nation méprifante & or-
*
pour gueilleufe , le Commerce civil en
CHYS eft infupportable ; les Ambaffaemmes.
deurs - même ne font pas à couvert
de leurs avanies , & de leurs
mépris. Je me foucie bien ( difoit
un jour le Grand Vifir Kupruli à
Mr de la Haye nôtre Ambaffadeur )
que le chien mange le pourceau ,
ou que le pourceau mange le
chien , pourvu que les affaires de
mon Maître aillent bien. Il fit cette
fiére réponſe , à l'occafion de quelques
avantages remportez par les
François en Flandres fur les Efpagnols
, voulant infinuer par-là ,
qu'il ne confideroit les Chrêtiens
que comme des efpeces de Bêtes.
Ce qu'il y a de fort plaifant
c'eft qu'ils ne penfent pas plus avantageufement
fur le compte de
leurs femmes. A peine leurs fontMERCURE.
pas
ils l'honneur de les tenir pour des
animaux raiformables ; auffi ne
leurs permettent - ils d'entrer
dans leurs Mofquées ,, & ils ne
croient pas qu'elles aillent en Paradis.
Cependant avec tout ce mépris
, ils en font fi jaloux , & s'en
défient tellement , à caufe de leurs
foibleffes , qu'ils ne leur permertent
pas de voir aucun homme ; &
une femme qui montreroit fon vifage
découvert , ou fes mains nuës,
feroit deshonorée , & on la chatieroit
à coups de latte . Plus elles
font élevées en dignité , plus elles
font málhûreufes , du moins
par raport à la liberté ; car comme
les gens de qualité ont chez
eux des bains , elles font par - là
obligées d'être renfermées au logis ,
gardées par des Eunuques ; & par
confequent , hors d'état de prendre
au dehors , le moindre divertiffement.
Cette vie retirée les entretient
dans une oifiveté , qui fait,
qu'elles ne fongent qu'aux moyens
de fe procurer du plaifir , à quel60
LE NOUVEAU
que prix que ce foit , ayant naturellement
du penchant au libertinage.
Comme elles font fuperbes
, elles ont , comme nos Parifiennes
, une forte paffion pour
leurs ajuſtemens , n'étans jamais affez
richement parées à leur gré.
Quoiqu'elles foient ordinairement
fort blanches , elles ont pourtant
recours à l'art , pour relever leur
beauté , fe peignans les fourcils
& les paupières d'un noir , dont
elles titent avantage . Leurs ongles
font auffi colorés d'un rouge
obfcur. Comme elles fe . baignent
prefque tous les jours , elles font
d'une propreté , à laquelle on n'atteint
pas dans nos Païs Occidentaux
.
Puifque je fuis fur le chapitre.
des femmes , je ne les quitteray
point , fans vous faire part des cé
rémonies qui fe pratiquent , lorfque
le Sultan marie une de fes filles
à quelque Grand de fa Porte.
Honeur qui eft ordinairement funefte
à l'Époux.
Le
MERCURE GI
Du
Le jour étant venu pour l'entrevue
; les Eunuques introduifent Mariale
futur dans le cabinet de la SUL- ge des
TANE , qui est voilée fur un Sofa . Filles du
Elle fe leve , lorfqu'elle l'apperçoit, Sultan.
pour marquer fon confentement.
Il entre enfuite , fait trois profondes
reverences , & s'arrêtant au
milieu , fait fa priere pour la profperité
de fon Epoufe , & de leur
Mariage , demeurant ainfi les bras
croifez fur l'eftomac , jufques a ce
qu'elle lui dife , comme à un Efclave
, Sou ĜUETIR , donnemoi
de l'eau , qui eft préparée dans
une coupe d'or , qu'il lui préfente
à genoux ; elle leve fon voile pour
boire , & fe fait voir. Cependant
les filles aportent un baffin
d'or , fur lequel il y a deux affietes
de porcelaine & une paire de pigeons.
L'Epoux la prie de manger ;
elle fait la dédaigneufe , il l'adoucit
enfin par de nouveaux préfens,
& l'oblige d'en gouter. Après cet
honneur , il fe retire au fon des
inftruments de mufique , & attend
Mars 1737. F
62 LE NOUVEAU
l'ordre de devenir tout-à-fait fon
il est averty
Epoux. Le jour venu ,
,
par un Eunuque , & conduit en
deshabillé & en Robe de chambre
par une Introductrice , dans l'Appartement
de la Sultane ; alors fe
mettant à genoux aux pieds du lit ,
il lui chatouille doucement la plante
des pieds , & infenfiblement fe
couche auprès d'elle. Le lendemain
, les conviez reviennent de
bonne heure à la même porte , avec
la mufique pour l'éveiller , & le mener
au bain ; alors la nouvelle
mariée lui donne une Toillette
garnie d'une Chemife , Camifole ,
Caleçon , Mouchoir & un Turban ,
qu'il met à la fortie; il paffe delà dans
l'Apartement des hommes
quels il donne un grand repas. La
Sultane fait un femblable regal aux
Dames. Ainfi finit cette Cérémonie ,
fuivie fouvent après , de la mort du
nouvel Epoux , étranglé par ordre
du Grand Seigneur , pour s'emparer
de fes richeffes , & redonner
enfuite fa Fille à quelque autre ,
qui doit avoir le même fort .
> auxMERCURE.
63
Pour le Sultan , vous n'aurés Li
d'autres particularités de moi , que Sultan
celle - ci . Lorsqu'il eft au lit , il y dans fon
a au milieu de la chambre deux lit.
grands Chandeliers d'or , avec de
groffes bougies ambrées , qui brûlent
toute la nuit , pendant que
deux Dames , nommées FIRASCH ,
où fentinelles , veillent & font la
garde. Il a toujours aux pieds de
fon lit , une Maîtreffe qui s'y coule
au moindre figne .
Si je ne craignois de faire une Du
Hiftoire plûtôt qu'une Lettre , je Gouver
vous entretiendrois de ce que j'ai ment &
apris de l'intérieur du Serrail , de queldes
principaux Officiers de la PORTE , ques
de l'Etat du Gouvernement , tant Points
Civil , que Militaire ; des forces de la
& des revenus de cet Empire. Je Religion
n'ométrois point les impertinences destures
qu'ils débitent fur le Paradis de
de Mahomet , où felon l'Alcoran.
On y verra leMOUTONd'ABRAHAM,
le VEAU DE MOYSE , la FOURMI
DE SALOMON,le PERROQUET DE LA
REINE DE SABA , L'ANE D'EDRAS,
Fij
64 LE NOUVEAU
la BALEINE DE JONAS , le CHIEN
DES SEPT-DORMANS , & le CHAMEAU
DE MAHOMET. Mais il ne
feroit pas à propos que je préferaffe
ces matieres , qui ont efté traitées
par tant de Voyageurs , à celles du
tems. Je continuerai donc cette
Lettre par les nouvelles fuivantes,
Nouvelles de Conftantinople.
Malgré la pefte , qui enleve
icy une infinité de perfonnes de
out âge , la PORTE n'est pas moins
occupée à faire tous les prépara-.
tifs néceffaires pour être en état
d'ataquer même fes Ennemis , tant
fur le Danube qu'aux Echelles
du Levant.
Comme toute idée de Paix eſt
effacée , par la quantité d'efpeces
que le G. S. a fait répandre de
toutes parts : cette profufion , jointe
à l'orgueil des Infidels les
a tellement enflez , que le DIVAN
s'eft trouvé tout à coup comme
infpiré , pour faire les derniers efforts
contre l'Allemagne.
>
MERGURE. GS
Il ne fe propofe pas moins , que
de mettre en campagne s . à 600.
mille hommes , en differentes Armées
, pour faire connoître aux
Imperiaux , que la perte d'une
bataille ne fuffit pas pour décourager
les Otomans , & les porter
à mandier une Paix honteufe.
Le Peuple eft ici dans une pleine
allegreffe , fur ce que le MUFTY
a remis entre les mains de fa Haureffe
, un Sabre d'un très grand
prix , dont la poignée , eft un Talifman
prétendu , où l'on voit luire
la Lune à la faveur d'un Eclipfe
du Soleil ; & dans cette interception
de lumiere , on apperçoit un
Aigle ; qui ayant pris l'effort , fe
précipite fur une Moſquée.
D'ailleurs le grand Etendart de
MAHOMET, a efté tranfporté d'ici
, à Andrinople , pour encourager
par cette efpece d'Oriflame , les
fidels Mufulmans à réparer toutes
les pertes de la Campagne derniere.
Ils ne doutent pas que le
G. S. marchant en perfonne , avec
66 LE NOUVEAU
une Armée des plus formidables
il ne porte la terreur jufques à
VIENNE .
Ils prétendent commencer leurs
attaques par la POLOGNE , afin d'y
attirer une puiffante diverfion des
Armées Imperiales , pour couvrir
la HONGRIE ET LA SILESIE ,
fe flatant que les POLONOIS
prefque ruïnez de leurs longues
Guerres inteftines , & de l'épuifement
de leurs Finances , que les
Armées étrangeres ont confumées,
ne feront pas en état de s'oppoſer
à l'irruption des Turcs , & des
.Tartares ; principalement fi les
Mofcovites font occupez contre la
SUEDE. Pour cet effet , le Sultan
qui fait fon féjour à ANDRINOPLE
, pour être plus à portée
de donner fes ordres , preffe viyement
tous les HORDES , ZIAMETS
, TIMARIOTRES , SANGIACS
& BACHAS de fe trouver
au RENDEZ - VOUS avec
tous leurs Corps de Troupes , fur
la fin d'Avril , fous peine du conMERCURE.
67
DON. Non content de ces difpofitions
fur Terre , on n'épargne ni
foins , ni dépenſes , pour mettre en
Mer une Flore , qu'ils nomment
déja par avance L'INVINCIBLE ,
& dont ces Peuples fe promettent
de merveilleux fuccés en ITALIE.
Les Equipages fe rempliffent journellement
de Marins de toutes for
tes de Nations Européanes , qui
préferent leur fervice à celui des
VENITIENS , au grand préjudice
de la Chrêtienté..
ARRIVE'E DE M¹ DE BONNAČ
A CONSTANTINOPLE.
DEPART DE Mr DESALEURS .
M Onfieur de Bonac , qui fuccede
à Mr DESALEURS , en
qualité d'Ambaffadeur de la France
à la Porte , eft arrivé ici en
très bonne fanté. Madame fon Epouſe
, qui la fuivi dans fon Ambaffade
, quoique groffe , a foûtenu
en femme forte , les fatigues de,
68 LE NOUVEAU
la Mer. Elle vient d'accoucher hûreufement
d'un fils : la mere & l'enfant
fe portent bien. Le nouvel
Envoyé va prendre fon Audience
à Andrinople , où S. H. fait fa réfidence
, & où il fera obligé de
faire la fienne.

Mr Defaleurs , qui a fi bien mérité
du Roy & de fa Patrie , par
fes fervices importants à la Porte,
s'eft embarqué le fept Novembre
fur le TOULOUSE , il doit être
de retour à Paris , & avoir préfenté
à S. M. les trois Lettres ,
qui lui ont efté remifes ; l'une du
Grand Seigneur , Pautre de fon
Grand Vizir , & la troifiéme du
Mufty ; je crois intéreffer votre
curiofité , en vous les communiquant
toutes traduites. Vous reconoîtrez
fans peine , par le ftile poli de celle
du Pontife des Mufulmans la
difference que l'on peut remarquer
entre un homme de Guerre
& un homme de Lettre ; élevez
tous deux à la Cour ; l'une eft peu
fuivic , & trop familiere ; l'autre au
MERCURE. 69
,
contraire , eft pleine d'égards & de
tour's qui décélent un homme
d'efprit. Mais avant que d'en venir
à la lecture , il eft neceffaire,
pour l'intelligence de ces Lettres,
que je faffe préceder la filiation des
fix derniers Empereurs Turcs
à commencer par IBRAHIM grand
pere du Sultan ACHMED , qui
regne aujourd'huy.
I
FILIATION
Des fix derniers Empereurs
Otomans.
BRAHIM Empereur Turc en
1640 , étranglé par les Janiffaires
en 1648. fut remplacé par
fon fils MAHOMET IV. depofe
en 1687.
Soliman III. 2. fils d'Ibrahim,
occupa le Throne la même année ,
& mourut en 1691 .
Achmet II , troifieme fils d'I
brahim , fucceda à fon frere & mourut
en 1695.
70 LE NOUVEAU
MUSTAPHA II. fils de Mahomet
IV. & frere du Sultan , qui regne
aujourd'huy , fut auffi-tôt proclamé
Empereur , après la mort
de fon oncle Achmet II. Il fut
déthroné après un Regne de 6 á
7 ans.
ACHMET III. fon cadet , aujourd'huy'regnant
, fut inſtalé à fa place
en 1703.
De plufieurs enfans qu'il a eu ,
il ne lui eft reité que deux fils ,
l'un nomméMAHOMETH ,né en 1705.
le fix Decembre , & l'autre , Aв-
DUMELECK , né d'une Efclave en
1709.
Il fit époufer la même année
une de fes filles à ALI- BOCH ,
Grand Vilir.
Traduction de la Lettre du
Grand Seigneur au Roy.
LAgloire des plus majestueux
Rois la croyance de JESUS ,
le choifi entre les Princes de la
Religion du Meffre , l'Arbitre de
MERCURE. 71
toutes les Nations Chrêtiennes ,
Seigneur de majefté & d'honneur,
Patron de louange & de gloire ,
LOUIS EMPEREUR DE FRANCE ,
dont la fin des jours foit comblée
de bonheur & de felicité.
A l'arrivée de cette fublime &
imperialle Lettre , vous fçaurez
que la Lettre d'amitié & de compliments
, qui m'a efté envoyée
de votre part , eftant arrivée , &
ayant efté préfentée avec fa traduction
au pied de mon Throne
Imperial , Siege de la Juſtice , & de
l'équité , par l'entremiſe de mon
Vilir IBRAHIM PACHA , PréfentementCAIMACAM
DE MON EPERON
IMPERIAL, dont la grandeur
foit de durée , j'ay connu par
fon contenu plein de fincerité &
d'amitié , que de l'avis du glorieux
, parmi les Princes de la
royance de JESUS , le choifi
parmi les Grands Honorez de la
Religion du Meffie , dont la
fin foit hûreufe : LE DUG D'ORLEANS
VOTRE ONCLE , ET
72
LE NOUVEAU
VOTRE REGENT , par raport à
votre Minorité , vous aviez trouvé
à propos de rappeler l'Exemplaire
des Grands de la Religion
du Meffie le Comte Defalleurs
dont la fin foit hûreufe , à qui
votre GLORIEUX BIS- AYE UL,
qui a quitté ce monde paffager ,
avoit ci-devant confié l'Ambaffade
de mon hûreuſe PORTE , me priant,
pour , en recompenſe de ſes longs
Tervices , le faire jouir du repos
qu'il a merité , & qui lui eft dû ,
de vous le renvoyer. Et me marquant
en même tems , que vous
n'oublierez rien pour entretenir ,
& maintenir la forte , conftante , &
fincere amitié , que vos glorieux
Ancêtres ont toujours eue avec
ma fublime PORTE , dont la félicité
eft attachée à l'Eternité ; Il est très
fûr , & très veritable , que nous
entretiendrons & maintiendrons
auffi du côté de votre Perfonne
Imperiale , l'amitié , & la bonne
correfpondance , qu'il y a toujours
eûë jufques à prefent , entre
د
Nos
MERCURE. 73
Nos Ancêtres de glorieufe memoire
& les Votres , avec les mêmes
fins que vous y avez apporté
de votre part. Ayant donc
trouvé convenable , fuivant votre
priere , de vous renvoyer votre
fufdit Ambaffadeur , qui eft un
vieillard très fage , très prudent ,
& très confommé dans les affaires ,
qui a très parfaitement bien rempli
les devoirs de fon Ambaffade ,
pour fe rendre auprès de vous. Je
vous écris par lui cette Lettre ,
qui marque la félicité , & la profpérité
, & vous reconnoîtrés , quand
vous la recevrez , la penfée , & le
défir , que j'ay d'entretenir & maintenir
comme il fe doit , la
bonne intelligence , & la forte &
fincere amitié , qui eft entre nous .
Ecrit dans le commencement de
la Lune de Zilkade Icherife , l'an
1128 ; cela repond à peu prés au
au 15 Octobre 1716.
,
A Andrinople la bien gardée ,
lieu de Victoire , & de profpérité.
Mars
1717.
G
74 LE NOUVEAU
Traduction de la Lettre écrite
au Roy , par Ibrahim Pacha
Kaimacam de l'Etrier, à Andrinople.
E plus glorieux des grands
LEplus, des nce de
JESUS , choifi d'entre les Eminents
Potentats de la Religion du Meffie
, Arbitre des differents qui
arrivent parmi le Peuple Chrêtien
, revetû de magnificence &
de majefté , Seigneur d'honneur ,
& de gloire , le très fincere , très
fidel , & très honoré LOUIS EMPEREUR
DE FRANCE pour
qui nous avons un refpect , & une
affection finguliere : Que Dieu
faffe que votre fin foit hûreufe.
Après avoir offert à Votre Majefté
des faluts purs , & finceres , qui
fortifient l'amitié , les fondemens
de la bonne correfpondance & de
l'union , nous lui faifons fçavoir
avec fincérité , que le très magniMERCURE.
75
fique , puiffant , & formidable Empereur
mon Maître , le protecteur
des Rois , & l'azile des grands
Monarques , Seigneur des deux
Mers , & de deux Terres , Serviteur
des deux nobles & facrées
Villes MEQUE , & MEDINE , Roy
des Rois,LE SULTANACHMED
,
fils de Sultan Muhamed , & petit
fils de Sultan Ibrahim ; que Dieu
perpetue à jamais fa Monarchie ; a
reçû la Lettre Imperiale , que Votre
Majesté lui a envoyée , laquelle
a été rendue , & préfentée par
l'entremise de fon très humble
ferviteur , à l'Augufte Throne de
SA MAJESTE' IMPERIALE ,
& après l'avoir fait traduire , S. M.
I. a vû par fon contenu , que V.
M. défire , de l'avis de fon Oncle
le très honoré , & Notre fincere
Amy le DUC D'ORLEANS,
REGENT de S. M. , à caufe de fa
Minorité, qui est le choisi d'entre
les grands Princes de la Religion
du Meffie , la fin duquel foit hûreufe
. Cette Lettre contient en76
LE NOUVEAU
core , que V. M. défire d'affermir,
& entretenir l'union , & l'amitié ,
qu'il y a entre les deux Empires.
S. M. I. avec fa fçience ordinaire ,
a auffi parfaitement compris tout
ce qui y étoit détaillé plus au long.
J'ay reçû en même tems , la Lettre
, que V. M. m'a fait l'honneur
& la grace de m'écrire , remplie
d'amitié , dont j'ay reçû une joye
extréme. V. M. verra par le raport
que lui fera fon Ambaffadeur
que de tout tems je me fuis employé
en tout ce que j'ay pû , à
favorifer les affaires qui ont dépendus
de moi. Son Ambaffadeur
à donc été congédié , ainſi que V.
M. l'a défiré , & en confidération
de la fincere amitié , & bonne correfpondance
, qu'il y a depuis fi
fi long tems , entre les deux Empires.
il a été émané une Lettre
Imperiale , remplie d'honneur , &
d'amitié , qui eft envoyée à V. M.
par le retour de fon Ambaffadeur ,
J'ay pris la liberté de l'accompagner
d'une des miennes , qui eft
MER URE.
77
pleine de foûmiffion , & de cordialité
Lorfque V. M. recevra la
Lettre Impériale , & qu'Elle verra
on contenuë, nous eſpérons , qu'Elle
voudra mettre fon attention , pour
fortifier , affermir ,
augmenter la
fincere , & parfaite amitié , qui regne
depuis fi long- tems , entre les
deux Empires . Ecrit vers le commencement
de la Lune de Zilchide
, l'an de l'Hegire 1128 , ce qui
revient à peu près au 15 Octobre
1716. A Andrinople la bien gardée.
Traduction de la Lettre du
Moufty , au Roy .
A gloire des plus majestueux
Monarques de la Croyance de
JESUS - CHRIST , choifi d'entre
les Princes glorieux de la Religion
du Meifie , l'Arbitre de toutes
les Nations Chrêtienes , Seigneur
de Majefté , & d'honneur ,
digne de loüange , & de gloire,
Notre très fincere , & très honoré
Seigneur LOUIS XV , Empereur
Giij
78 LE NOUVEAU
de France , que la fin de vos
jours foit comblée de bonheur ; après
vous avoir affûré de mes bons
Offices , & de mes très affectueux
Saluts. V. M. fçaura , que la Lettre
d'amitié qu'Elle a écrite à Notre
très Illuftre & très Puiffant
Empereur , qui eft le foûtien de
notre Religion , le Deffenfeur de
tout le monde , & le Puiffant victorieux
Roi, des Rois, le SE de la Terre
& des deux Mers , le Serviteur des
deux plus Auguftes , & plus facrées
Citées. La MEQUE & MEDINE , fils
de l'Empereur Muhamed , & petit
fils de l'Empereur Ibrahim , que fon
Régne dure jufqu'au jour du Jugement
, lui a été rendue par l'entremife
de fon Mini tre, le très-heureux
& trés-puiffant Ibrahim Pacha Kaimacham
de l'Etrier. Elle contenoit
en fubftance , que Mr le COMTE
DESALLEURS, qui réfide à la fublime
Porte , s'eft acquité des fonctions
de fon Ambaffade , de la maniere
que V. M. le fouhaittoit que de
l'avis deVotreONCLEMONSEIGNEUR
MERCURE. 19
LEDUC D'ORLEANS , le plus glorieux
d'entre les Princes de la Nation
Chrêtiene , & de la croyance du
Meffie , qui eft préfentement Régent
durant votre Minorité ; Elle a jugé
à propos de le rapeler auprès d'Elle:
Elle contenoit encore , que V. M.
maintiendroit , & feroit toujours
conitante dans l'amitié qui eft entre
vous , & la fublime Porte. Voilà
à peu près fon contenu . Préfentement
que vous demandés le fufdit
Ambaſſadeur , on lui a donné pleine
liberté de partir , quand bon lui femblera
, & V. M. jugera par la préfente
, que nous ne défirons rien tant
que de voir régner , comme nous
ávons vû par le paffé , l'union &
l'amitié qui a été plufieurs fiécles
entre les deux Empires : & fondez
que nous fommes fur cette ancienne
amitié , il a été configné au fufdit
Ambaffadeur , la Lettre qu'il vous
remettra de la part de notre Empereur
. J'ai été très fatisfait de voir
l'anciene amitié queV.M. a toujours
confervée pour la fublime Porte , &
LE NOUVEAU
d'avoir eu l'honneur de recevoir
une de vos Lettres , qui me témoigne
votre amitié & votre affection.
Ainfi pour y correfpondre , j'écris
cette Lettre à V. M. que j'envoye
avec celle de notre Empereur , par
laquelle je lui fais fçavoir que je
prendrai toujours beaucoup de part
à ce qui la regarde. Au reste , nous
elperons que V. M. voudra bien
agréer les fincéres proteftations que
nous lui faifons , & qu'Elle aura
la bonté d'y correfpondre , comme
Elle a fait jufques à préfent.
ABDULRAHIM MOUFTY.
Donné le premier du mois de Zilkide
-Icherif , l'an 1128.
NOUVELLES DE PARIS .
On fit mention dans le Mercure
dernier , d'un Cierge préfenté au
Roi par M de Montempuys , Recteur
de l'Univerfité . Le petit Difcours
qu'il adreffa à S. M. , reçut
des applaudiffements fincéres de
toute la Cour ; je crois que l'on me
fçaura gré de le donner tel qu'il le
pronon çâ
爽爽
HARANGUE
FAITE AU ROY
PAR M DE MONTEMPUYS ,
Recteur de l'Univerfité.
En préfentantunCierge à SAMAIESTE
an Louvre , le premier Février
SIRE,
1717.
L'Univerfité réglant les voeux
qu'elle adreffe à Dieu pour Vous
fur l'état préfent de VOTRE
MAJESTE', eft toute occupée du
moment auquel doit commencer
Votre Inftruction .
Tems précieux pour VOTRE
MAJESTE , SIRE , qui fera le
feul de Votre Vie , où l'on ofera
Vous parler fincérement fur vos actions
, & où n'étant point chargé de
Vos Etats , Vous pourez ne penfer
qu'à Vous même , & Vous donner
82 LE NOUVEAU
tout entier à ce qui pent former
Votre Efprit , & régler Vos Maurs.
Tems important pour Votre
Royaume , dont la gloire & le bonheur
dépendent des Principes que
VOTRE MAJESTE va recevoir
fur la Religion , fur l'Eglife ,
fur les Droits de Sa Couronne
& fur Ses devoirs ; & de
l'habitude qu'Elle prendra de s'y
conformer.
2
Mais quelles efpérances d'une
Education parfaite ne donnent pas
à Votre Peuple , SIRE , la droiture
& l'élévation de Vos fentimens
cultivés par la Perfonne illuftre qui
a eûfoin de Votre Enfance , les qualités
naturelles de Votre efprit
l'expérience & le dés-intereffement
des Perfonnes qui font apellées àl'honneur
de Vous conduire & de
Vous inftruire !
Pour Nous , SIRE , perfuadés
que nous fommes , que la bonne conduite
des Rois , eft pour leur Peuune
Loi puiffante , nous ferons
les premiers à tirer avantage du pro
>
MERCURE. 83
grés que Vous ferez dans les Sciences
; nous propoferons Votre Exemple
à Vos jeunes Sujets qui font confiés
à nos foins , & nous ferons enforte
que lors que Vous ferez en
état de leur donner des Loix, SIRE ,
Vous reconnoiffiez avec quelle application
nous leur aurons donné
des leçons de refpect , d'obéiffance
& d'amour envers VOTRE
MAJESTE'.
Le 25 , le Roy accorda à Mr
le Duc de S. Simon tous les honneurs
du Louvre.
Le 26 M Le Duc de Chaulnes
fut gratifié par le Roy , de la furvivance
de la Charge de Capitaine
Lieutenant de la Compagnie des
Chevaux Legers pour Mr fon fils,
âgé de fix ans , Sa Majeſté y a joint
un Brevet de retenuë de quatre cent
mille livres , en cas de mort. >
Le 27 à trois heures Mgr le Duc
Regent s'étant rendu chez le Roy ,
S. M. recût le Serment de Mr le
Marquis de Gefvres , pour la furvivance
de la Charge de Premier
84
LE
NOUVEAU
Gentil-homme de la Chambre , en
préfence de Mr le Duc de Trefmes
fon pere & de quantité de Seigneurs.
Cette Cérémonie avoit été précédée
de celle du Serment prêté,quelques
moments auparavant , par M¹
le Prince de Soubize, pour la Charge
de Capitaine-Lieutenant des Gendarmes
, entre les mains de Mr le
Maréchal de Tallard . Ce droit appartenoit
autrefois au Conêtable :
mais depuis l'extinction de cette
Charge , les Grands Officiers ont
la liberté de choifir › pour recevoir
la preſtation de leur Serment , celui
des Maréchaux de France qui leur
agrée davantage.
,
Aprés le Serment prêté par Mr le
Marquis de Gefvres ; le Roy accompagné
de ME le Duc Regent , de
Mer le Duc , de Mers les Princes , de
M le Maréchal de Villeroy &c.
Sa Majesté voulut voir du balcon
de la Salle des Cent-Suiffes , la
Compagnie des Gendarmes de quartier
; Mr le Prince de Rohan , &
Mr le Prince de Soubize à cheval ,
firent
MERCURE. 35
firent faire divers mouvemens .
Aprés que la Compagnie eut défilé
, Mr le Prince de Rohan demanda
l'ordre au Roy , qui répondit
qu'on pouvoit s'en aller. S. M.
parut prendre beaucoup de plaifir à
cette revuë.
Ce fut dans ce temps - là que
Madanie Ducheffe de Berry arriva
dans un magnifique Caroffe , efcortée
d'un détachement de fes Gardes
; elle monta chez le Roy , d'où
elle fe rendit avec S. M. dans la
Chapelle , pour y tenir fur les Fonds
de Batême une fille de Mr le Marquis
de Monchy, Maître de la Garde-
Robe de feu M8 le Duc de Berry;
le Roy y avoit été précédéparMr le
Cardinal de Rohan, Grand Aumônier
de France. Monfieur l'Abbé de
Maulevrier & Mr l'Abbé d'Argentré
Aumôniers du Roy . S. M. étoit
accompagnéede
Mr le Maréchal de
Villeroy , de Mr le Prince Charles
Grand Ecuyer de France , de tous
les Officiers des Gardes.Le Roy portoit
un habit de Velours couleur de
Pourpre enrichi de gros boutons de
Mars 1717. H
86 LE NOUVEAU
diamans. MadameDucheffe de Berry
y avoit été précédée parM l'Abbé de
Caftriez nommé à l'Archevêché de
Tours , fon prémier Aumonier , Mr
l'Abbé de Rouget , & M l'Abbé de
Parthenay fes Aumoniers : elle étoit
accompagnée de Mde la Ducheſſe
de Saint Simon fa Dame d'honneur
, de Mde la Marquise de Pons
fa Dame d'atour , de fes Dames du
Palais , de Mr le Marquis de Coëtenfao
fon Chevalier d'honneur , de
Mile Chevalier d'Hautefort fon prémier
Ecuyer , & du refte de fa Maifon.
Cette Princeffe portoit une Robe
d'une étoffe d'or , toute couverte
de pierreries ; ſa coëffure en étoit
toute brillante . Mde la Ducheſſe de
Saint Simon s'y diftingua auffi par
une grande quantité de Diamans fur
fa robe , & à fa coëffure . Le Roy
fit pareillement l'honneur à Mr le
Marquis d'Arfy , un , des quatre
Gentilshommes de la Manche , de
tenir fon fils avec Mde la Ducheffe
du Mayne.
Cette double cérémonie fut faite
MERCURE.
87
par Mr le Grand Aumônier, Mrs les
Curez de Saint Germain l'Auxerrois
& de Saint Sulpice , préfents ,au
premier Batême , & Mr le Curé de
S. Roch au fecond. Mr le Curé de
Saint Germain l'Auxerrois affiſta
aux deux , avec l'Etole . Tous ont
fignés fur le Regiſtre .
Un monde infini s'étoit affemblé
pour voir ces cérémonies extraordinaires
; dautant plus que c'étoit le
jour de la préfentation des Placets.
L'Abbaye reguliere de Clairemarais
en Artois , elt vacante . Celle
de S. Ambroise de Bourges l'eit
pa
reillement par la mort de M¹ l'Abbé
de Fourcy.
Le premier de ce mois Mr le Maréchal
de Villeroy ayant jugé à
propos d'établir une régle conftante
pour tous les exercices de S. M. fit
lever le Roy à huit heures & demie.
Le 3. on créa une troifiéme
Charge d'Huiffier de l'Anti-chambre
, en faveur de Mr Pernault le
cadet , par la confiance que l'on
a en lui. Ona crû cette augmenta-
Hij
88 LE NOUVEAU
tion neceffaire , à caufe des difficultés
& des peines qui font attachées
à ce pofte , qui demande des foins
& une attention toute particuliére:
Elle a été créé a l'inſtar des deux autres
, avec l'attribution des mêmes
gages : mais afin que ce nouvel Officier
ne puiffe pas préjudicier aux
droits de fes Confreres : il a été ſtatüé
qu'il ne partagera point les droits
anciens avec eux. Le Roy , pour
le dédommager de ces retranchemens
, a ordonné qu'on en fit un
état, afin de les lui payer par que!-
qu'autre équivalent au prorata. La
furvivance de la Charge de M. N. .
Pernault l'aîné , accordée à fon cadet
, reite comme elle étoit.
On a fait un retranchement qu'on
a crû neceffaire pour les dépenfes du
Roy fur fa Table , & dans chaque
Office ; ce qui peut monter en tour
50. mille écus.
L'Abbaye de S. GILBERT à Clermont
en Auvergne , eft vacante par
la mort de M l'Abbé LARCHER
Chapelain ordinaire du Roy , cyMERCURE.
89
devant Sacriftain de la grande Chapelle
Charge qu'il avoit venduë
à Mr l'Abbé Gault , Chapelain du
Roy , & Beau-frere de Mi le Procureur
du Roy au Châtelet .
Le Roy ayant appris , que deux
de fes Gardes avoient été mordus
par un chien de chaffe enragé
S. M. touchée de leur accident
a eu la bonté de leur donner à
chacun 100 piftoles , pour aller à
la Mer.
Le Traité d'Alliance Deffenfive
entre la France , l'Angleterre,
& la Hollande , conclu à la Haye
le 4 Janvier 1717 , a été rendu
public. Il est divifé en huit Articles
, & un ge féparé. Il contient
en fubftance , que le Roy Très-
Chrêtien s'oblige d'engager celui
qui a pris le Titre de Prince
de Galles , pendant la vie du feu
Roy Jacques II. & après la mort
dudit Roy , celui de Roy de la
Grande Bretagne , de fortir du
Comtat d'Avignon , & d'aller faire
fon féjour au delà des Alpes , immé
Hiij
90 LE NOUVEAU
diatement après la fignature du préfent
Traité , & avant l'échange des
Ratifications. De plus , que le Roy
Très - Chrêtien promet de ne permettre
en aucun tems à l'avenir ,
à la perfonne ci -deffus défignée
de revenir à Avignon , ou de paffer®
par les Terres dépendantes de la
Couronne de France , fous prétexte
de retourner où à Avignon ,
où en Lorraine, ou même de mettre
le pied en aucun lieu de la Domination
de S. M. T. C.
>
Que lefdits Séréniffimes Rois ,
& lefdits Seigneurs Etats Generaux
s'engagent réciproquement de
refuſer toute forte d'azile , & deretraite
aux sujets de l'un d'entr'
eux , qui auront été , ou pouront
être déclarez Rebelles , auffi - tôt
que la requifition en aura été faite
par celui des Contractans , dont
ces rebelles auront été reconnus fujets
, & même de contraindre lef
dits rebelles de fortir des Terres
de leur obéiffance dans l'efpace de
huit jours , après que le Miniftre:
MERCURE. gr
dudit Allié en aura fait la requifition
, au nom de fon Maître.
Que le Roy Très - Chrêtien confent
, que le nouveau Canal de
MARDICK ne fervira à autreufage
, qu'à l'écoulement des eaux ,
& au Commerce néceffaire pour
la fubfiſtance & l'entretien des Peuples
de cette partie des Païs Bas.
Ce Commerce ne fera fait qu'avec
des Bâtimens , qui ne pour-
- ront avoir plus de 16 pieds de largeur
; pour cet effet , le grand paffage
de la nouvelle Eclufe de
Mardick ; qui a 40 pieds de largeur
, fera détruit de fond en
comble , & les matériaux détruits
ne pourront fervir pour aucun
Port , Havre , ou Éclufe à Dunkerque
, ou à Mardick , ou en
quelque endroit que ce foit , à 2
lieues de distance d'aucune de
ces deux Places .
2°. Que la petite Eclufe reftera
à l'égard de fa profondeur comme
elle eft à préfent , pourvû que:
fa largeur foit réduite , à 16..
pieds ..
92 LE NOUVEAU
3°. Que les jettées & les fafcinages
depuis les DUNES , où la Marée
monte fur LESTRAN , quand elle
est la plus haute , jufques à la
plus baffe Mer , feront rafés des
deux côtés , le long du nouveau
CHENAL par tout , au niveau de
Leftran.
4. Qu'aprés la Ratification du
préfent Traité , on eft convenu
qu'on employera un nombre ſuffifant
d'Ouvriers à la deftruction des
jettées le long du nouveau Chénal.
La démolition fera commencée le
se Avril , & achevée , s'il fe peut ,
à la fin du mois de Juin 1717.
s° . Que la démolition des Digues
ou jettées des deux côtez du vieux
CHENAL , ou Port de Dunkerque ,
fera mife par tout au niveau de
Leftran , depuis la plus baffe Mer,
jufques en dedans de la Ville de
Dunkerque.
Comme l'objet & le véritable
but de cette Alliance , entre lef
dits Seigneurs Rois , & Etats Geneaux
, eft de conferver , & mainMERCURE.
98.
tenir réciproquement la Paix , & la
tranquilité de leurs Royaumes , &
Etats. Ces Puiffances font convenuës
, que fi quelqu'un defdits Alliés
étoit attaqué par quelque Prince
, ou Etat que ce fut , les autres
Alliés interpoferont leurs Offices
auprès de l'aggréffeur ,pour procurer
fatisfaction à la partie lézée , & l'engager
à s'abftenir entierement de
routes fortes d'hoftilités . Mais que
fi ces bons offices n'avoient pas
l'effet que l'on fe promet , pour
concilier l'efprit des deux Parties ;
Alors ceux des Contractans , qui
n'auront point été attaqués , feront
tenus de fecourir fans retardement ,
leur Allié , & fourniront ; fçavoir.
+
Le Roy Très- Chrétien huit mille
hommes de pied , & deux mille
de Cavalerie.
Le Roy de la Grande Bretagne ,
huit mille hommes de pied , &
deux mille de Cavalerie.
Les Etats Generaux , quatre
94 LE NOUVEAU
mille hommes de pied , & mille
de Cavalerie.
Que fi l'Allié qui fera engagé dans
la Guerre , veut plûtôt avoir du fecours
par Mer , ou même préfere
de l'argent aux Troupes de Terre ,
ou de Mer , on lui en laiffera le
choix. Pour cela , on eft convenu ,
que mille hommes de pied feront
évalués à la fomme de dix mille
livres par mois , & mille hommes
de Cavalerie à celle de 30. mille livres.
Les fecours par Mer , feront
évalués , fuivant la même proportion.
Il a été ftipulé pareillement ,
que fi les Royaumes , ou Etats de
quelqu'un des Alliés , font traverfés
par des diffentions inteltines , celui
qui fe trouvera dans ces troubles
, fera en droit de demander ,
que ces Alliez lui fourniffent les
fecours ci - deffus exprimés : bien
entendu que cette garantie reciproque
ne regarde que les Etats &
Poffeffions que ces Puillances ont
refpectivement en Europe.
MERCURE.
95
Le s. Mr le Cardinal de Noailles
eût l'honneur de faluer LE ROY ,
après deux mois d'abfence caufée
par la petite verole de Mr l'Abbé
de Gontault. CetteEminence témoigna
à S. M. combien ce terme lui
avoit parû long.
Le 7. Mr Cantin ancien Officier
du Roy , Barbier , Perruquier , Me
d'Hôtel , Premier Valet de Chambre
& de Garde - Robe , mourut
d'une Paralyfie , dont il avoit efté
attaqué il y a environ cinq ans.
Le 3. le S LODUMIER arracha
deux dents au Roy, l'une qui branloit
, & l'autre qui étoit mal placée .
Le Royfouffrit cette opération douloureuſe
avec beaucoup de fermeté
& de patience ; il garda la chambre
par précaution.
Le 9. Mr Caterby, Chef du Goblet
vin du Roy , eut l'agrément de
la Charge de Mr Vaſſal , Huiffier
duCabinet du Roy , du Semestre de
Janvier à 55000. livres. S. M. en
memoire des anciens fervices de fa
famille lui a accordé un Brevet de
96 LE NOUVEAU
retenuë de 30000 livres .
M. le Baron de SCHUмk Envoyé
extraordinaire du Duc de VIRTEMBERG
, eut le matin fa premiere Au
dience du Roy , dans laquelle il
complimenta S. M. fur fon Avenement
à la Couronnes
Le to Mr le Marquis de la VRILLIERE
, accompagné de Mr de
SEIGNELAY , & de plufieurs autres
Seigneurs est entré chez le Roy , qui
a figné le Contrat de Mariage deMr
le Comte de Seignelay cy - devant
Abbé , avec Mlle de Valfafine , originaire
d'Allemagne , & Niéce du
Prince de la Tour , General des
Poftes de l'Empire.
Mr le Marquis de Theſut , à qui
on avoit ôté il y a quelques années
un Regiment de fon nom , levé à
fes dépens, ayant préfenté un Placet
à Msi le Duc Regent , fur le raport
de Mr le Maréchal de Villars
à S. A. R. on lui a fait la justice
de le rétablir dans la Charge de Colonel.
Ce Marquis eft forti d'une
des plus anciennes Maifons de Bourgogne.
L'on
MERCURE
97
L'on écrit de Limoges que fur la
nouvelle de la
nomination de Mr
DAGUESSEAU à la dignité de
Chancelier & Garde des Seaux de
France , les Habitans avoient don
nés des marques
éclatantes de leur
zele & de leur joye pour cette Promotion.
Puifque le
Dimanche 14
Février , le Corps de l'Hôtel de
Ville fit éxécuter un beauFeu d'Artifice
, aux
acclamations
publiques ,
accompagnées
de plufieures décharges
d'artillerie
.
Cette cérémonie fut fuivie d'un
grand repas que donna la Cour Préfidiale
, où les Confuls de l'Hôtel
de Ville affifterent .
Cette Capitale a raiſon de ſe féliciter
d'avoir donné le jour à ce prémier
chef de la Juftice ; elle conferve
avec foin dans fes Regiftres,
la réponſe flâteufe que feu Mr Da
gueffeau Confeiller d'Etat , pour
lors Intendant de cette Province ,
fit aux Officiers de l'Hôtel de Ville :
étant allez en Corps le complimenter
fur la naiffance de fon fils
Mars
1717. I
98*
LE
NOUVEAUpremier
né , qui eft Mr le Chancecelier
d'aujourd'huy
, il leur répondit
avec bonté , Meffieurs , le Ciel
m'a donné un Succeffeur
& à votre
Ville , un Protecteur
.
La Comedie intitulée la Vie eft
un Songe , a été fi favorablement reçûë
du Public , que je mériterois fa
cenfure ; fi je ne lui en communiquois
pas un extrait fidel.
Fraguement
d'une Lettre.
La Piéce Italienne intitulée , la Vie
eft un Songe , eft en quelque façon
une traduction de la Tragi- Comedie
Efpagnole de Don Pedro Calderen
,intitulée ,la Vida es Sueno . Cet-'
te traduction eft cependant differente
de celle qui a été imprimée fous
Je nom du Cigognini ; quoiqu'elle
ne foit pas de lui. Celle - cy eft bien
plus raifonnablement
écrite , &t
quoique le ftile fe fente en quelques
endroits de l'enflure de fon Original,
& qu'il ait confervé un certain goût
MERCURE.
99
de Terroir , dont les Traductions ne
peuvent être tout - à - fait exemptes;
on a adouci ou corigé dans cellecy
, la plufpart des traits qui carac
térifent les Ouvrages du Cigognini
Ecrivain , qui avoit raffemblé dans
fon ftile , prefque tous les défauts
que l'on réprochoit aux Auteurs
Italiens du dernier fiècle : mais venons
à la Piéce en elle - même.
Bafilio Roy de Pologne , naturellement
foupçonneux & crédule ,
eut de fa femme Clotilene un fils ,
qu'il nomma Sigifmond. Sa mere
mourut en couche , les prodiges
qui accompagnerent cette naiffance ,
les fonges qui troublerent le repos
de Clotilene & du Roy Bafilio effrayerent
ce Prince fuperftitieux.
Il chercha dans l'art de l'Aftrologie
de quoi calmer fes craintes. Les
Aftrologues lui prédirent que fon fils
feroit un Prince cruel & emporté , qui
violant les droits les plus facrés de
la Nature , & de la Royauté , le
chafferoit un jour du Trone. Bafilio
Prince d'un efprit foible , crût de-
I ij
830098
100 LE NOUVEAU
>
voir regler fa conduite fur ces prédictions.
Il répandit le bruit que fon
fils étoit mort , & le fit élever dans
une terre au milieu d'un défert fous
la conduite de Crotalde , Seigneur
de fa Cour , auquel il avoit confié
fon fecret. Des Gardes pofées aux
avenues de la Tour en deffendoient
l'aproche aux Paffans. Le Prince
Sigifmond à qui l'on avoit fait un
miftere de fa naiffance , étoit retenu
dans fa Tour par une chaîne
qui lui permettoit à peine de s'en
éloigner de quelques pas ; la lecture
, & la converfation de Crotalde
faifoient toute fon occupation , &
il n'avoit jamais vû d'autres hommes
que fon Gouverneur , ou fi
vous voulez fon Geollier & fes
Gardes,jufqu'à l'âge de dix -huit ans.
C'est dans ce temps que commence
la Piéce. Le Théâtre reprefente
un bois , & au fonds une Tour dont
les portes font fermées .
MERCURE . ΤΟΙ
ACTE PREMIER.
Arlequin entre en roulant fur
le Théâtre , il eft fuivi par un Cavalier
inconnu ; tous deux fe plaignent
de l'accident qui les a précipirez
avec leurs chevaux dans le
fonds de ce Vallon. On entend un
bruit de chaînes qui les effraye.
Les portes de la prifon s'ouvrent ,
& l'on aperçoit à la fombre lüeur
d'une lampe , le Prince Sigifmond
apuyé fur une table avec des Livres
auprés de lui. Il fort de fa Tour
pour s'avancer au milieu du Théâtre ;
Arlequin & fon Maître fe cachent,
Sigifmond paroît à demi nud , couvert
d'une espéce de cafaque de
peau de Tygre , & coëffé d'unbonet
pittorefque de même étoffe ; il
eft ceint par le milieu du corps d'une
chaîne qui va s'attacher au fonds
de la Tour dont il eft forti . Difpenfés
moy M¹ , je vous prie , de vous
dépeindre la Nobleffe , & la grace
que Lelio avoit fçû répandre ſur
Iiij
102 LE NOUVEAU
cet habillement , en conſervant toute
la férocité , & la rudeffe du caractére
de Sigifmond qu'il repréfentoit .
Vous connoiffés le jeu de cer Acteur
, auquel le Public ne ceffe
point de rendre juſtice ; Qu'il vous
fuffife donc qu'il étoit encore infiniment
au deffus de tout ce que
vous en avez vû. Ses geftes , & fes
attitudes de corps & de vifage,formoient
autant de Tableaux parfaits,
au jugement même des plus grands
Maîtres, & ces Tableaux étoient variés
à chaque repréſentation , par des
attitudes toujours nouvelles , parce
qu'elles n'étoient point aprifes , &
qu'elles étoient l'effet d'une imagination
vivement pénétrée du caractére
general de Sigifmond & des
fituations particulieres dans lefquelles
il fe trouve pendant le cours de
la Piéce. Après que Sigifmond a
déclamé pendant quelque tems contre
l'injuſtice du fort qui le fait gémir
dans une fi dure captivité , fans
l'avoir mérité par aucun crime , il
aperçoit Arlequin & fon Maître.
MERCURE.: 103
La fureur le tranfporte , il fe jette
fur eux , & les veut mettre en piéces
, pour les empêcher d'aller faire
ailleurs le recit de fes malheurs.
La bonne mine du maître d'Arlequin
attendrit Sigifmond . Sa vûë
excite dans fon coeur des mouvements
d'une tendreffe qu'il n'avoir
jamais reffentie . Il le releve , & l'interroge
fur l'accident qui l'a pût
conduire en ce lieu . Dans ce moment
, Crotalde entre à la tête des
Gardes du Prince , & veut faire tuer
cet étranger qu'il voit en converfation
avec Sigifmond . Celui-ci fe
met au devant , & menace Crotalde
fur lequel il fe veut jetter pour l'empêcher
de maltraiter cet inconnu,
dont la vûë a fait tant d'impreffion
fur lui. Crotalde , à l'aide de fes
Gardes , fe rend maître du Prince ,
& malgré fes emportements , l'entraine
dans fa Tour , où il le
renferme. Cette fituation , ainfi
que
celle du moment , auquel le Prince
fe jette fur l'Inconnu , forme
un de ces tableaux , dont je vous
104 LE NOUVEAU
ai parlé , & qui font en grand nom
bre dans la Piéce. Lorfque le Prince
eft renfermé dans fa Tour ,
l'Inconnu fe met aux pieds de Crotalde
, & lui donne fon Epée.
Crotalde furpris , en jettant les
yeux deffus, demande à l'Inconnu
d'où il la tient ? Qui il eft ? Quelle
eft fa Famille ? De quel Païs il
vient ? Celui-ci répond , qu'il eſt
Mofcovite : Qu'il n'a jamais connu .
fon pere : Qu'il vient en Pologne,
pour le venger d'un affront : Que
cette Epée lui a été donnée par
une femme , dont il refufe de dire
le nom , & qu'en la lui donnant
elle lui a dit d'aller à la Cour de
Pologne , & qu'un Cavalier de cette
Cour l'affiiteroit de fon crédit ,
s'il lui voyoit cette même Epée ;
ainfi il le prie de la faire garder
foigneufement. Crotalde , qui a
témoigné pendant ce difcours , combien
il y prenoit de part , s'éloigne ,
lorfqu'il eft fini , & dit à Parte ,
qu'il ne lui eft plus permis de méconnoître
fon fils ; que cette Epée
>
MERCURE. 104
eft celle qu'il donna en partant de
Mofcovie , à une femme qu'il avoit
époufée fecrettement ; qu'en la quit
tant , il l'avoit laiffée groffe , &
qu'il lui avoit promis de reconnoître
pour fon fils , celui qu'elle lui
enverroit avec cette Epée. Il eft
donc perfuadé , que cet Inconnu
eft fon fils.
Après quelques moments d'irrefolution
fur la conduite qu'il doit
tenir ; il fe détermine à le conduire
à la Cour , & à découvrir fa
naiffance au Roy , s'il n'y a point
d'autre moyen d'empêcher qu'on
ne lui ôte la vie , pour fatisfaire à
la Loy , qui condamne à la mort
ceux qui verront le Prince Sigif
mond. Il fait donc emmener cet
Etranger avec Arlequin ; & c'eſt
par où finit le premier Acte.
ACTE SECOND.
Le fecond Acte reprefente une
Salle du Palais de Bafilio . Attolphe
Duc de Mofcovie , vaffal & neveu
106 LE NOUVEAU
du Roy de Pologne , y entre avec-
Stella fa coufine , & niéce du même
Roi Leur converfation eft interrompue
par l'arrivée de Bafilio
& de fes confidents. Ce Prince
touché de l'état auquel il a réduit
fon fils , découvre à fon neveu
Aftolphe , & à fa niéce Stella ,
tout ce qu'il a fait à ce fujer
& il leur déclare , qu'avant de
les marier enfemble , & de les
défigner fes fucceffeurs , il veut reconnoître
, quel eft au vray le caractére
du Prince Sigifmond fon
fils , & le faire apporter endormi
, dans fon Palais , afin d'éprouver
par la maniere , dont il fe conduira
, fi les prédictions de l'Aftrologie
ne l'ont point abufé . Tous
applaudiffent à cette réſolution.
Dans ce tems , Crotalde arrive
avec l'Inconnu , & Arlequin. Tous
les autres fe retirent. Le Roy accorde
la grace de l'Inconnu , fans
même que Crotalde lui découvre
fa naiffance ; il n'a pas la même
facilité pour Arlequin , & il ordonne
MERCURE. 107
qu'on le pende. Arlequin , qui ne
peut gouter cette destination , viole
plus d'une fois le cérémonial .
Enfin voyant qu'il ne peut rien obtenir
, & entendant répéter , que
la parole des Rois eft irrévocable ,
il fe jette aux pieds du Roy , &
lui demande une grace. Le Roy
lui promet de lui tout accorder,
hors la vie. Arlequin demande ,
que le Roy foit lui -même l'exécuteur
de cet Arrêt. Bafilio qui s'eſt
prété pendant quelques moments
à la frayeur de ce valet bouffon ,
lui accorde fa grace , & Arlequin
fe livre aux tranfports d'une joye,
qui n'eft gueres plus refpectueufe ,
que fa douleur l'avoit été. Les Zelateurs
fcrupuleux des bienféances
auroient pû être bleffés de certains
endroits de cette Scene , fi les graces
naïves qu'Arlequin répand
dans fes moindres actions , & la
joye que fa préfence infpire aux
Spectateurs , leurs permettoient
de faire attention à des Critiques
, même bien fondées . Le
108 LE NOUVEAU
Roy fe retire , en ordonnant
Crotalde de venir lui parler dan
fon cabinet , & celui -ci rette feul
avec l'Inconnu , lui rend fon Epée ,
& lui demande le nom de fon Ennemy.
Il nomme Aftolphe , Duc
de Mofcovie ; mais reprend Crotalde
, ne m'avez - vous pas dis que
vous étiez fon Sujer. Vous ne pouvez
avoir reçû de votre Souverain
une injure , dont l'honneur vous
oblige de pourfuivre la vengeance.
Avez - vous une foeur
› une femme
, qu'il ait outragé
? Non , répond
l'Inconnu
, qui paroît fe trou- bler à la vûë de Crotalde
. Il ajoute
qu'il doit lui fuffire
, que l'habit
qu'il porte , elt un déguiſement
, qui cache
ce qu'il eft . Crotalde
le preffe de nouveau
; Enfin l'Inconnu
avoüë , après s'être deffendu
quelque
tems , qu'il eft femme
, & qu'Aftolphe
eft fon Ennemi
.
7ú fei Donna
: dit Crotalde
, fi è
Aftolpho
. é il mio nemico
, répond l'Inconnu
, faifant
affés connoître
par ces deux mots , de quelle nature
MERCURE.
1
tare peut être l'offenfe , qu'il veut
venger. il faudroit tranfcrire ici
toute cette Scene , pour vous en
donner une jufte idée ; car elle est
dialoguée , avec une préciſion &
une vivacité , qui ne laiffent rien
à défirer ; elle finit le fecond
Acte.
ACTE TROISIEME.
Le troifiéme Acte reprefente
le même endroit du Palais ; Crotalde
y vient aprendre au Roy ,
fes Ordres font exécutés, que le
que
Prince a été conduit à la Cour, après
avoir été endormi par un breuvage,
& qu'il eft dans un Apartement du
Palais . Le Roy ordonne de lui
découvrir fon rang, & de paroître
auprès de lui en qualité de Gouverneur.
Après qu'ils fe font retirés , le
fonds du Theâtre s'ouvre : On voit
le Prince Sigifmond couché fur un
lit magnifique , & proprement habillé.
Une Symphonie douce amufe
les fpectateurs , tandis que Sigif
Mars 1717. K
ITO LE NOUVEAU
mond s'éveille , & témoigne par
tous fes geftes , la furpriſe où le jette
le fpectacle qui l'environne ; it prend
enfin la parole , ne fçait , fi ce qu'il
voit , eft un fonge ou une vérité ;
on achève de l'habiller , c'est - à- dire ,
qu'on lui donne un chapeau , des
gants & une épée . Vous me difpenferés
de vous décrire cette Scene
en détail , parce qu'elle eft compofée
de plufieures Actions , dont le
mérite confifte dans le jeu même..
Enfin Crotalde furvient , & fe met
aux pieds de Sigifmond. Le Prince
eft fort étonné de ce changement
dans la façon d'agir de fon Gouverneur.
Crotalde lui découvre qu'il
eft né pour régner ; Mais que la
crainte d'une maligne influence , eft
la caufe de la maniere , dont on
l'a élevé jufques alors . Ce difcours
allume la fureur de Sigifmond
, qui reproche à Crotalde
la barbarie avec laquelle il l'a reténu
fi long-tems dans une affieufe
captivité , éloigné du rang qui
lui apartenoit. Grotalde ne peut
MERCURE. 11
répondre à ces reproches ; fon filence
perfuadant Sigifmond de la
juftice de fes plaintes. Il s'abandonne
à fa fureur , & tire fon Epée
pour le tuer. On s'opofe à cet
emportement. Crotalde fe fauve , &
Sigifmond menaçant ceux qui l'ont
retenu , jure que le premier , qui
s'opofera à fa volonté , il le jettera
par la fenêtre . Dans ce moment,
Aftolphe Duc de Mofcovie entre
pour le faluer , le Prince le reçoit
avec beaucoup de fierté , & trouve
mauvais , qu'il ofe fe couvrir devant
lui , tandis que le refte des
Sujets de fon pere ne le fair pas.
9
Pantalon qui a commencé à précher
Sigifmond , veut encore lui donner
cn cette occafion des Leçons
de civilité . Stella entre dans le
même tems , le Prince va à elle
avec précipitation , la faluë , la regarde
, paroît charmé de fa beauté
, lui dit des douceurs & veut
même lui baifer la main. Aftolphe
qui aime Stella , fouffre impatiemment
ces témoignages , & ces pro-
,
Kij
112 LE NOUVEAU
1
reftations d'amour. Pantalon qui s'en
aperçoit , tire Sigifmond d'auprès de
Stella , & lui repréſente qu'elle
eft deftinée pour époufer Aftolphe.
Sigifmond reçoit aflés mal cette remontrance
, & Pantalon s'obftinant
à le fatiguer de fes confeils , il le
menace d'exécuter le ferment qu'il
vient de faire .. Pantalon dit qu'il ne
peut en venir à cette violence , contre
un homme dé fa condition ; eh
bien , nous allons le voir , dit Sigifmond.
En le faififfant avec fureur ,
il l'entraîne vers la fenêtre , & l'enlevant
malgré fa réſiſtance le
précipite ; Aftolphe & Stella fe
retirent en déteftant fa barbarie .
Dans ce moment Bafilio entre & demarde
à sigifmond , quelle est la
caufe de ce tuinutte ; ce n'eft rien ,
C'est un homme que j'ai fait voler
par la fenêtre , répond tranquillement
le Prince ; Arlequin l'avertit
avec tous les ménagemens que l'avauture
récente de Pantalon peuvent
infpirer , que c'eft à fon pere qu'il
parle ; il eft peu émû de cette nou-
,
MERCURE. 113
velle. Vous jugez , Monfieur , que
la voix de la Nature ne doit être
guéres forte, lotfqu'elle n'eft pas accompagnée
de cette impreffion , que
l'éducation & le fouvenir des foins
paternels , forment dans nos coeurs.
Bafilio fe retire affés mécontent de
Sigifmond , & ce Prince refte feul
avec Arlequin. C'est alors que ce
dernier devient fenfible au malheur
de Pantalon , dont il avoit regardé
le faut avec affés de gayeté , Sigif
mond , lui demande qui il eft . Ar
lequin après avoir hélité quelque
tems , répond qu'il eft Gentilhuomo
da Trattenimento , & que fon emploi
eft de faire rire ; eh bien , faitesmoi
rire , dit Sigifmond , en le regardant
avec un vifage & des yeux ,
près defquels Heraclite auroit paru
enjoué. Depuis que je fuis né , je
n'ai jamais éprouvé ce que c'eft que
le rire :je veux que tu me l'aprénes :
finon , tu fçais comme j'ai traité un
homme dont les difcours me fatiguojent.
Arlequin employe tout ce
qu'il croit de plus propre à égayer
Kiij
114
LE NOUVEAU
l'efprit du Prince ; mais les efforts
même qu'il fait pour y réüffir , ne
fervans qu'à l'irriter contre lui , il
court rifque d'aller tenir compagnie
à Pantalon ; lorfqu'une femme entre
dans fon Apartement : C'eſt la
fille de Crotalde qui avoit paru
d'abord en habit d'homme ; & que
fon pere a mife auprès de la Princeffe
Stella,fous le nom d'ASTREA , après
lui avoir fait prendre des habits convenables
à fon fexe . Sigifmond
frapé de cette vûë , va à elle avec
empreffement , la retient malgré fa
réfiftance, & lui parlant de fon amour
avec la vivacité d'un homme qui
ne connoît de Loix que fes defirs ,
il paroît peu difpofé à s'alfujettir aux
longueurs du Cérémonial que le refpect
à introduit auprès des Dames,
chez les Nations policées. Crotalde,
qui a toujours efté écouté , & qui
craint les fuites de cette avanture
pour fa fille , fe montre dans ce mo .
ment , il l'arrache 'des mains du
Prince , & faifit fon épée , afin de
mettre obſtacle à fa fureur. Après
MERCURE.
une lutte de quelques moments ,
qui eft accompagnée de toute la
nobleffe , & de toute la vérité poffible.
Sigifmond renverfe Crotalde ,
& fans Aftolphe qui eft attiré par
le bruit , il lui alloir ôter la vie .
Bafilio que la même caufe améne ,
interrompt le combat des deux Princes
, & reproche à Sigifmond fa ferocité
& fes emportemens, Celui- ci
prend la parole , & fait de violens
reproches à fon pere fur la conduite
qu'il a tenue jufqu'alors à fon égard ,
& fe retire en lui faifant des menaces
, qui donnent lieu au Roy de
craindre , que la prédiction des Aftres
ne s'accompliffe. Ainfi étant
demeuré feul avec Crotalde , il lui
ordonne de chercher le moyen de
rendormir Sigifmond , & de le faire
remporter dans fa Tour fous fes premiers
habits. Ce qui finit le troifiéme
Acte.
ACTE QUATRIEME.
Quelque envie que j'aye d'être
116 LE NOUVEAU
› court & quelque attention que
j'aporte à fuprimer tout ce qui
n'eft pas néceffaire , pour l'intelligence
des Scenes , je m'aperçois
que je vous entretiens depuis longrems
;ainfi vous me pardonnerez ,
fi je fuprime des Scenes entieres ,
& fi j'en étrangle quelques autres .
Sigifmond eft donc reporté dans
fa Tour , on le voit endormi fur
une Natte , dans fon premier ha--
bit. Bafilio fon pere , qui eft venu
avec Crotalde , eft attendri de
cette vûë ; mais bientôt , ce fentiment
eft effacé par les difcours du
Prince , qui tout endormi qu'il eſt ,
menace les jours de Crotalde , &
le Sceptre de fon pere. Le Roy
fe retire pour n'être point aper
çû de Sigifmond , dont le fommeil
commence à fe diffiper. Crotalde
acheve de l'éveiller : Sigifmond
eft dans la ſurpriſe que vous pouvez
vous imaginer. Il croit que
ce qu'il voit , eft un fonge : Envain
Crotalde l'affûre qu'il veille , &
qu'il ne doit point en douter , puifMERCURE.
117
qu'il entend fa voix. Ce que j'ay
vû , n'étoit donc qu'un fonge , dit
le Prince ; mais fi c'étoit un fonge ,
comment étoit -il poffible que je
vous viffe & que je vous entendiffe
alors , avec la même réalité ,
que je le fais dans cet inftant ?
comment pourrois - je m'affûrer
que ce qui m'arrive dans ce moment
, n'eft pas un fonge Crotalde
lui demande compte de fon
prétendu réve ; Sigifmond en fair
le recit , & Crotalde prend de là
occafion de lui faire des réproches
fur le peu d'effort qu'il fait , pour
réfifter à fes paffions , & reprimer
fes emportemens : Il lui dit , qu'il
a fait un pareil fonge ; parceque,
pendant la veille il s'eft rempli
l'efprit d'une grandeur chimérique
, & lui débite les principes
d'une morale , que l'on n'acufera
pas de rélachement , puifqu'il veut
lui perfuader , que les actions qu'il
fait en dormant , peuvent être criminclles
, ou vertueufes , à caufe
qu'elles partent de la difpofition
·
118 LE NOUVEAU
habituelle de fon coeur. A l'occa
fion des grandeurs , dont Sigifmond
croit avoir vu une image
dans fon fonge ; il tient des difcours
qui ne démentent pas les principes
de fa morale , & lui dit , que
les grandeurs de cette vie , n'ont
aucune réalité , que cette vie même
n'eft qu'un fonge , toujours prêt
à fe diffiper, & qu'à notre réveil ,
il ne nous restera plus , que le fou
venir amer d'un bien dont nous avons
abufés. Le Prince frapé de
cette morale , réve un moment ,
promet de fe régler toujours fur
ces principes , & rentre dans fa
Tour. Ce qui finit l'Acte 4° , dont
je vous ai fuprimé , comme vous
voyez , la plus grande partie .
ACTE CINQUIEME.
Le cinquiéme Acte commence
par l'arrivée de Scaramouche ,
à la tête d'une bande de Revoltez.
Les Peuples de Pologne inftruits de
la naiffance du Prince Sigifmond ,
MERCURE.
119
>
viennent forcer fa prifon pour le
mertre fur le Trône , afin d'empêcher
que le Sceptre ne paffe entre
les mains d'un Etranger . Sigifmond
les rebute d'abord , & prend
tout ce qu'il voit , pour l'illufion
d'un nouveau fonge. Il fe rend enfin
à leurs inftances , & fouffre que
l'on brife fa chaîne , il prend une
maffue dont
Scaramouche eit armé,
en difant qu'il va peut - être ſe réveiller
, & fe retrouver dans les fers.
Dans ce moment Crotalde entre
& fe croyant perdu , il fe jette aux
pieds de Sigifmond , qui le releve
avec bonté , & le prie de vouloir
bien l'aflifter de fes Confeils & de
fa prudence dans la guerre qu'il va
entreprendre. Crotalde lui repréfente
que c'eft contre fon pere , & contre
fon Roy qu'il va combatre , &
qu'il perira plûtôt que de fe rendre
complice de ce crime. Sigifmond
dont le coeur n'eft pas tout- à - fait
vertueux , s'emporte contre Crotal..
de , qui fe met à fes pieds pour recevoir
la mort que Sigifmond femble
120 LE NOUVEAU
*
prêt à lui donner , tenant même fa
Maffue élevée fur fa tête : mais une
reflexion fur ce qui lui eft arrivé,
le rameine à la clémence ; il ordonne
à Crotalde de fe relever , d'aller
trouver le Roy , & fe dit àluimême
qu'il ne fçait , fi tout ce qu'il
voit , n'eft pas un fonge , dont l'illufion
eft prête à fe difliper à tous les
moments. Crotalde fe retire donc,
& dans le tens que Sigifmond ordonne
à fes Troupes de marcher.
Rofaura fa fille entre , & dit à Sigifmond
qu'elle implore fon fecours
contre Aftolphe , de qui elle a recû
un outrage dont elle ne peut efperer
ni fatisfaction ni vengeance. Sigifmond
furpris de la vue de cette
femme , ne peut concevoir qu'-
un fonge ait tant de raport avec la
verité ; ni- comment il révoit , étant
éveillé , cette même perfonne dont
la vue avoit fait tant d'impreffion
fur fon coeur dans fon dernier fonge
; & comme il fe craint lui même
& qu'il fent ce que cet objet
peut fur fon coeur , il lui répond
fans
MERCURE. 721
fans ofer la regarder , qu'il la vangera
, & fort pour aller fe mettre
à la tête de fes Troupes. Bafilio
vient fur le Théâtre , aprés que Sigifmond
en eft forty , & quelque
tems aprés , on entend la voix de Sigifmond
qui ordonne à ſes Soldats
de pourfuivre & d'arrêter le Roy.
Il entre Bafilio avance en lui difant
d'achever de remplir fadeftinée,
de le renverfer à fes pieds , & de
fe baigner dans fon fang. Sigifmond
prend la parole , reproche à Bafilio
que c'eſt lui feul qui a caufé tous
fes malheurs , & cela par les mêmes
moyens qu'il avoit choifi pour
en détourner le cours. Si ces vaines
prédictions qui vous ont abufé ,
lui dit - il , avoient parlé de moi ,
comme d'un fils vertueux & foumis ,
comme d'un Prince moderé ; n'auriez
vous pas crû corrompre mon
naturel ? n'auriez vous pas crû Vous
oppofer à l'effet des influences , en
me donnant une éducation capable
de m'infpirer de la férocité ? Ñ'auriez
vous pas craint les reffentimens
Mars 1717.
L
113 LE NOUVEAU
habituelle de fon coeur. A l'occa
fion des grandeurs , dont Sigifmond
croit avoir vu une image
dans fon fonge ; il tient des difcoursqui
ne démentent pas les principes
de fa morale , & lui dit , que
les grandeurs de cette vie , n'ont
aucune réalité , que cette vie même
n'eft qu'un fonge , toujours prêt
à fe diffiper , & qu'à notre réveil ,
il ne nous reftera plus, que le fou
venir amer d'un bien dont nous avons
abufés. Le Prince frapé de
cette morale , réve un moment ,
promet de fe régler toujours fur
ces principes , & rentre dans fa
Tour. Ce qui finit l'Acte 4º , dont
je vous ai fuprimé , comme vous
voyez , la plus grande partie .
ACTE CINQUIEME.
Le cinquième Acte commence
par l'arrivée de Scaramouche ,
à la tête d'une bande de Revoltez .
Les Peuples de Pologne inftruits de
la naiffance du Prince Sigifmond ,
MERCURE. 119
viennent forcer fa prifon pour le
mertre fur le Trône , afin d'empêcher
que le Sceptre ne paffe entre
les mains d'un
Etranger. Sigifmond
les rebute d'abord , & prend
tout ce qu'il voit , pour l'illufion
d'un nouveau fonge. Il fe rend enfin
à leurs inftances , & fouffre que
l'on brife fa chaîne , il prend une
maffue dont
Scaramouche eit armé,
en difant qu'il va peut - être fe réveiller
, & fe retrouver dans les fers.
Dans ce moment Crotalde entre
& fe croyant perdu , il fejette aux
pieds de Sigifmond , qui le releve
avec bonté , & le prie de vouloir
bien l'aflifter de fes Confeils & de
fa prudence dans la guerre qu'il va
entreprendre. Crotalde lui repréfente
que c'eft contre fon pere , & contre
fon Roy qu'il va combatre , &
qu'il perira plûtôt que de fe rendre
complice de ce crime . Sigifmond
dont le coeur n'eft pas tout- à - fait
vertueux , s'emporte contre Crotal..
de , qui fe met à fes pieds pour rece
voir la mort que Sigifmond ſemble
12 LE NOUVEAU
prêt à lui donner , tenant même fa
Maffue élevée fur fa tête : mais une
reflexion fur ce qui lui est arrivé,
le rameine à la clémence ; il ordonne
à Crotalde de fe relever , d'aller
trouver le Roy , & fe dit àluimême
qu'il ne fçait , fi tout ce qu'il
voit , n'eft pas un fonge , dont l'illufion
eft prête à fe difliper à tous les
moments. Crotalde fe retire donc,
& dans le tens que Sigifmond ordonne
à fes Troupes de marcher.
Rofaura fa fille entre , & dit à Sigifmond
qu'elle implore fon fecours
contre Aftolphe , de qui elle a recû
un outrage dont elle ne peut efperer
nifatisfaction ni vengeance . Sigifmond
furpris de la vue de cette
femme , ne peut concevoir qu'-
un fonge ait tant de raport avec la
verité ; ni comment il révoit , étant
éveillé , cette même perfonne dont
la vue avoit fait tant d'impreffion
fur fon coeur dans fon dernier fonge
; & comme il fe craint lui même
& qu'il fent ce que cet objet
peut fur fon coeur , il lui répond
fans
MERCURE. 121
fans ofer la regarder , qu'il la vangera
, & fort pour aller fe mettre
à la tête de fes Troupes. Bafilio
vient fur le Théâtre , aprés que Sigifmond
en eft forty , & quelque
tems aprés , on entend la voix de Sigifmond
qui ordonne à fes Soldats
de pourfuivre & d'arrêter le Roy.
Il entre ; Bafilio avance en lui dífant
d'achever de remplir fadeftinée,
de le renverser à fes pieds , & de
fe baigner dans fon fang. Sigifmond
prend la parole , reproche à Bafilio
que c'eft lui feul qui a caufé tous
fes malheurs , & cela par les mêmes
moyens qu'il avoit choifi pour
en détourner le cours. Si ces vaines
prédictions qui vous ont abuſé ,
lui dit - il , avoient parlé de moi ,
comme d'un fils vertueux & foumis ,
comme d'un Prince moderé ; n'auriez
vous pas crû corrompre mon
naturel ? n'auriez vous pas crû Vous
oppofer à l'effet des influences , en
me donnant une éducation capable
de m'infpirer de la férocité ? Ñ'auriez
vous pas craint les reffentimens
Mars 1717. L
122 LE NOUVEA U
'un fils qui n'auroit dû vous con
fiderer que comme fon Tiran , &
non , comme fon Pere. Puifque pour
fatisfaire une crainte chimerique ,
vous l'auriez condamné à une captivité
affreufe . Sigifmond ajoûte à
ce diſcours , que fi l'âge & l'expérience
de Bafilio , ne lui ont point
apris à prévenir l'effet de ces prédictions
; c'eft à lui de faire voir
fa facilité ; en même tems il jette
fa Maffuë, & fe profternant aux pieds
de fon pere , il lui dit d'affûrer fes
jours & fon Sceptre , en lui ôtant la
vie; Bafilio attendri par ce fpectacle,
le réleve , l'embraffe , & veut lui remettre
fa Couronne . Le Prince la
refufe , en difant que ce feroit accomplir
ces Oracles impofteurs, que
de lui ôter le Sceptre il confent enfin
à partager le Thrône avec luy .
La premiére action d'autorité qu'il
fait , eft de forcer Aftolphe de réparer
l'honneur deRoſaura ; en l'époufant,
Crotalde déclare qu'elle eft
fa fille. Sigifmond donne la main
Stella , qui repete en differentes
MERCURE.
123
occafions qu'il craint à tous moments
, que ce qu'il voit , ne foit
qu'une vaine illufion , & que fe
réveillant , il ne fe trouve dans les
fers & dans la prifon ; & qu'il n'oubliera
jamais que toute notre vie n'eſt
qu'un fonge .
Voilà , Monfieur, ce que c'eſt
que la Piéce de la Vida és un Sueno ;
Si je ne vous croyois encore plus las
de lire , que je ne le fuis, d'écrire , je
vous parlerois du Sanfon , Piéce
d'un genre tout - à - fait nouveau ,
que les Italiens repréſentent avec un
fuccés prodigieux : mais je remets
cela à la premiére occafion .
೫೮೧ ೧೮
L'Auteur de la Piéce des Pincettes
a crée de nouveau , le Poë
me fuivant des TISONS. Quel
feu d'imagination ! Quelle fécondité
fur une matiere auffi ingrate , où
la plupart de nos Verfificateurs
ne verroit que des Tifons , & ne
produiroit tout au plus que de
La fumée , fans lumiere ; au lieu
Lij
104 LE NOUVEAU

que celui - ci , par un art qui
lui eft fingulier , fçait tirer des fujets
les plus fimples , & qui préfentent
le moins d'idées , de petits
miracles de Poëfie .
Non fumum ex fulgore ,fed ex
fumo dare lucem
Cogitat , ut fpeciofa dehinc miracula
promat
. *
LES TISONS.
PUifque
des vents du Nord , la
cohorte incivile ,
Sortant de fes froides prifons ,
Vient encore infefter la Campagne ,
& la Ville ;
Cherchons en nos foyers , contre
eux , un für azile ,
Et revenons à nos Tifons.
Chers Tifons , on a tort de vous
quitter fans peine ,
Aux premieres lueurs de la belle
faifon ;
* Art. Poët. d'Hor.
MERCURE. 125
Un rayon de Soleil échapé dans
la Plaine ,
Fait à tous vos -clients déferter la
maifon.
Chacun vous abandonne , on fort,
on fe promene ,
On foule l'herbe , & le gazon ;
Ce n'est que le froid feul , qui
vers vous , nous rameine ,
Ce devroit être la raison.
Je reconnois que rien n'égale
le vif éclat de ces couleurs ,
Que fur l'émail brillant des fleurs
Un Printemps naiffant nous étale.
L'ame s'épanouit au tendre &
doux effort ,
Que pour rendre aux forefts leur
premiere verdure ,
Fait à chaque inftant la Nature.
Tout germe par les foins , tout repouffe
, tout fort ;
Mais il faut l'avouer , ce riche éclat
m'allarme ,
Il débauche nos fens , & flate notre
orgueil ;
Et comme j'en connois le charme
'Liij.
126 LE NOUVEAU
J'en connois auffi tout l'écueil.
Bientôt l'efprit s'éveille , & l'hom.
me fe diffipe.
Adieu fages réflexions ;
Le coeur s'échape & s'émancipe ,
Entraîné par fes paffions ;
Il fuit Efclave volontaire ,
Un penchant long- tems combatu ;
Tifons , que vous aurez à faire ,
Pour rendre l'homme à fa vertu !
Travaillez-y , c'eft votre ouvrage.
Employez ces moyens infinuants &
doux ,
Que felon les fujets , les eſprits &
les goûts,
Quand & comme il vous plaît, vous
mettez en ufage.
Que j'entends bien votre langage!
Que j'y remarque de douceur ;
Et que vous fçavez bien vous ouvrir
un paffage ,
Jufques dans le fond de mon coeur !
Par d'utiles leçons que j'écoute &
que j'aime ,
Vous me ramenez à moi -même ;
On badine avec vous & tout en
badinant ,
>
La véritéTe fait entendre;
MERCURE. 127
Vous blamez ma conduite , & loin
de la défendre ,
Je la condamne incontinent :
Que quelque autre Cenfeur eût ofé
me reprendre ,
Pour m'excufer peut -être , auroisje
fait effort ,
Mais fans peine avec vous je conviens
, que j'ay tort.
Vous m'aprenez & mieux qu'un
Livre .
Ce qu'il faut éviter ou ſuivre ;
Et je m'inftruis plus avec vous
Que je ne le ferois même avec ce
Seneque ,
Qui de nos entretiens jaloux
Se morfond dans un coin de ma
Bibliotheque ,
Et peut-être tour bas , murmure
contre nous,
Qu'il murmure , s'il veut , c'est tout
ce que fçait faire
Ce doucereux Atrabilaire ,
Sous qui, le Stoïciſme à jadis triomphé.
Philofophe bien étoffé ,
Au milieu d'une Cour délicate &
brillante ,
128 LE NOUVEAU
Qui le croiroit ? ce Stoïque effronté
,
Avec un million de rente ,
En termes tous fleuris , préchoir la
pauvreté .
Mais dans fes vains écrits , je ne
vois rien qui touche ,
Antithéfes , brillants fatras ;
Envain aux paffions il livre cent
combats ,
Tout au plus il les effarouche ,
Mais il ne les réforme pas.
La vertu qui chez lui , paroît notre
ennemie .
N'eft qu'une vertu de Chimie ;
Loin d'aimer à la fuivre, on la craint,
on la fuit ;
Et malgré les grands mots , qu'avec
pompe il étale ,
De vos avis fecrets je tire plus de
fruit
,
Que du clinquant de fa morale .
Je prife moins encore ces Auteurs
faftueux
,
Déclamateurs guindez , gens à flux
de paroles ,
Orateurs la plupart frivoles
MERCURE. 129
Dans leur marche toujours boüillants
, impétueux ,
'Sur de vains lieux communs ils ai
ment à s'étendre ;
Tifons , vous m'en dites moins
qu'eux ,
Et vous m'en faites plus entendre.
Peut-être trouverois-je à beaucoup
moins de frais ,
Plus de plaifir & de fruit dans
l'Histoire :
Mais les Hiftoriens , même les plus
parfaits ,
Conviennent fi peu fur les faits ,
Que je ne fçais bien fouvent auquel
croire.
D'ailleurs , que difent-ils ? ce qu'ils
ont ramaffé
Des Chroniques du tems paffé.
Et que m'importe à moy de tous
les coups d'épée
Qu'ont fait donner jadis & Cæfar
& Pompée ?
Ce qui fe paffe fous nos yeux ,
Ce qui peut de plus prés nous toucher
, nous inftruire,
Voilà les faits dont je fuis curieux;
128 NOUVEAU LE
Qui le croiroit ? ce Stoïque effronré
,
Avec un million de rente
En termes tous fleuris , préchoit la
pauvreté.
Mais dans fes vains écrits , je ne
vois rien qui touche ,
Antithefes , brillants fatras ;
Envain aux paffions il livre cent
combats ,
Tout au plus il les effarouche ,
Mais il ne les réforme pas.
La vertu qui chez lui , paroît notre
ennemic.
N'est qu'une vertu de Chimie;
Loin d'aimer à la fuivre , on la craint ,
on la fuit ;
Et malgré les grands mots , qu'avec
pompe il étale ,
De vos avis fécrets je tire plus de
fruit ,
Que du clinquant de fa morale .
Je prife moins encore ces Auteurs
faftueux
,
Déclamateurs guindez , gens à flux
de paroles ,
Orateurs la plupart frivoles
MERCURE. 129
1
Dans leur marche toujours boüillants
, impétueux ,
Sur de vains lieux communs ils ai
ment à s'étendre ;
Tifons , vous m'en dites moins
qu'eux ,
Et vous m'en faites plus entendre,
Peut-être trouverois-je à beaucoup
moins de frais ,
Plus de plaifir & de fruit dans
l'Histoire :
Mais les Hiftoriens , même les plu
parfaits ,
Conviennent fi peu fur les faits ,
Que je ne fçais bien fouvent auquel
croire .
D'ailleurs , que difent - ils ? ce qu'ils
ont ramaffé
Des Chroniques du tems paffé.
Et que m'importe à moy de tous
les coups d'épée
Qu'ont fait donner jadis & Cæfar
& Pompée ?
Ce qui fe pafle fous nos yeux ,
Ce qui peut de plus prés nous toucher
, nous inftruire,
Voilà les faits dont je fuis curieux;
130 LE NOUVEAU
Et c'est ce qu'avec vous je m'oc
cupe à déduire.
Peut-être ici quelqu'un qui n'en fait
pas femblant ,
Prête déja l'oreille , & croit qu'à
baffe note ,
Je vais en vous ravitaillant ,
Déveloper quelque Anecdote.
Quiqu'il foit, il nous conoîtpeu:
Ni vous , ni moi , Tifons , nous ne
nous niêlons guéres ,
De vouloir au hazard , fans guide ,
fans aveu ,
Pénétrer des fecrets,qui pour nous
font myſtéres.
Pourquoi fait - on ceci ? Que ne
fait -on cela ?
Je laiffe aux Cerveauxfrénétiques
De nos fainéants Politiques.
A fonder ces abîmes-là.
Tandis que le Navire flote ,
J'ignore jufques au danger,
Et me remets de tout , tranquille
paffager ,
A la fageffe du Pilote.
A quoi donc nous occupons nous,
Quand vous & moi , Tifons , nous
MERCURE. 131
fommes têre à tête ?
Le grand Livre du monde , ou les
fages , les fous ›
Egalement figurent tous ,
A nos refléxions de lui - même fe
prête.
Ce que j'ai vu le jour , fe retrace
je foir ,
Dans mon efprit , comme dans
un miroir.
Le fracas d'une grande Ville :
Ou chez les petits & les
grands
Les paffions font le premier
mobile ;
Tous ces gens occupez d'interefts
differents
,
Qui pleins de leurs projets , occupez
de leurs veûës ,
Toujours preffez, toujours courants
,
Roulent de toutes parts , ainſi que
des Torrents ,
Et viennent inonder les rues . , .
A juger d'eux en ce moment,
Par leur activité , par leur empreffement
,
132
LE NOUVEAU
'
Vous croiriez qu'ils n'ont qu'une
affaire ,
Et que tout leur bonheur dépend
uniquement ,
De ce qu'en ce jour ils vont faire.
La nuit enfin les chaffe , ils rentrent
au logis :
Rentrent-ils plus contents , qu'ils
n'en étoient fortis.
Helas ! plus accablez cent fois d'inquiétude
,
Qu'ils ne l'étoient , en fortant le
matin ,
Ils n'ont trouvé dans leur chemin
Que dureté , qu'ingratitude :
Occupez à ronger leur frein
Ils fe font de leurs maux une triſte
habitude ,
Et malgré la rigueur d'un fort trop
inhumain ,
Victimes de leur fervitude ,
Ils recommenceront encor le lendemain.
La coûtume en effet les condamne
à ces peines ;
Sans murmurer contre elle il faut
baiffer les bras ;
C'eft
MERCURE. 135
C'eft agir , travailler , que
ter ces chaînes ,
de por-
Et l'on eft fainéant , fi l'on ne le fait
pas.
Ainfi le conçut dans Athénes
Ce Cinique fameux qui par un
trait nouveau ,
Pour n'être feul oifif, remuoit fon
tonneau.
Il faifoit bien , j'en fais de même,
Et fondé comme lui , fur de bonnes
raifons.
J'entre autant que je peux dans le
commun Syfteme ,
En remuant & tournant mesTifons .
Arbitre de leur fort , fans craindre
de reproche ,
Je les tourne
retourne
entr'eux les rangs ,
& régle
Je les écarte , ou les rapproche ,
Je les hauffe , les baiffe , ainfi que
je l'entends:
Mais que me revient-il des peines
que je prends ?
Eh que vous revient-il des vôtres,
Gens importants , Gens affairez ,
Qui dupes de vos foins , & tous
M
$34
LE NOUVEAU
les jours leurrez
Vous croyez cependant plus fages
que les autres ?
Avoüez - le de bonne foi ,
Vous tifonnez tous comme moi.
Nous fuivons en cela l'exemple de,
nos Peres :
Ils ont tifonné tous , ainfi que nos
Ayeux ,
De même dans leur temps en feront
nos neveux :
Je fuis donc Tifonneur & ne m'en
cache gueres ;
Mais du moins , eit-il vray que j'ay
bien des Confreres.
J'en ay dans tous les rangs , &
dans tous les états .
Et tel eft du mêtier , qui ne le pen-
Le pas
.
Ce Sçavant par exemple , attaché
fur fon Livre ,
Mais qui n'invente rien , ne dit rien
de nouveau ,
Des Auteurs qu'il regrate, & qu'il
vend à la livre ,
Croit égaler la gloire , & que fon
nom doit vivre ,
MERCURE.- 135
Comme le leur au delà du tombeau
;
Il fe flate , Dieu lui pardonne ;
Mais il eft mon Confrere , & comme
moi , tifonne .
D'autres en font autant , qu'on pour
roit blafonner ;
Et plus on voit de prés les affaires
des hommes ,
Plus on eft convaincu que tous
tant que nous fommes ,
Nous ne faifons que tifonner.
Ici le champ eft vaite , & la matiere
est belle ,
Mais fans autre détail , bornonsnous
à ces traits :
Dans fa malignité cauftique & criminelle
,
Le Lecteur a l'ame cruelle ,
Et voudroit portraits fur portraits ;
C'eft par-là que chez nous profpere
Le venin dangereux de ces Livres
parlants ,
Où fous des traits à peu près reſ
femblants,
On croit de fon prochain trouver le
Mij
336 LE NOUVEAU
·
caractére .
On ne nomme point dira - t'on:
Tandis ; le plus fouvent il vaudroit
mieux le faire ,
Et faute de fixer le lecteur par un
nom ,
A droite , à gauche , il fonde , il
devine , il foupçonne
Et c'est en nommer cent que ne
nommer perfonne .
Pour nous qui fommes feuls , & qui
parlons tout bas ,
Tifons , de mes difcours & de tous
mes myiteres
Uniques confidents , & fûrs dépofitaires
,
Cette précaution ne nous regarde
pas .
Avec d'autres que vous je fuis fur
la réferve,
J'écoute tout , j'approfondis ,
Et péfe affez ce que je dis ;
Mais fans crainte avec vous je me
livre à ma verve.
Je vous ouvre mon coeur , je vous
dis mes fécréts ,
Et dans les vôtres je fçai lire :
MERCURE 137
C'eft peu de chofe , & même on
n'en feroit que rire ;
Mais n'importe , Tifons , foyons
toujours difcrets ,
Et gardons-nous de les redire.
NOUVELLES ETRANGÉRES.
Extrait d'une Lettre de Vienne
M
du 20 Mars.
Effieurs Montague & Collie
res , Ambaffadeurs d'Angleterre
& d'Hollande à la Porte , font
autorifés par les pleins pouvoirs de
leurs Maîtres , d'offrir leur Médiation
pour la Paix entre les deux Einpires
; ils font chargés de faire tout
leur poffible pour engager le Grand
Seigneur de céder à l'Empereur
Themefvvar, Belgrade & leurs dépendances
; de renoncer aux prétentions
que la Porte peut avoir dans
la Valachie , de faire rafer la
Fortereffe nouvellement conftruite
à Choczin , fur les Frontieres de la
Pologne comme ayant été faite au
>
M iij
138 LE NOUVEAU
préjudice de la teneur du Traité
de Carlovvits ; que la Porte conviendra
d'un accomodement , enforte
que l'Italie foit miſe en fûreté
au moyen dequoi , l'Empereur n'infiftera
pas à la reftitution de la Morée
, que ces Médiateurs repréfenteront
furtout le danger qu'il y auroit
pour la Cour Ottomane de perdre
tout ce qu'elle poffede en Europe
; fi l'Empereur Chrêtien pouffoit
vivement la guerre, étant en étar
de faire des Conquêtes bien avant
dans l'Empire Mufulman , capables.
de foulever la plufpart des Turcs
qui , dit-on , murmure toujours contre
cette guerre. On a eu nouvelle
que Mr Montague eft arrivé à
Belgrade ; on attend prefentement
avec impatience l'effet de fes inftructions
, jointes à celles du fieur
Collieres.
On a apris par les mêmes Lettres
que les Principaux Valaques Ecle-
Gattiques & Seculiers , qui fe font
refugiez en Tranfilvanie , ont dreffés
un Mémoire que les Député
>
MRE.CURE
139
qu'ils envoient à la Cour Impériale ,
doivent préfenter au nom de toute
la Nation , par lequel ils offrent de .
foumettre la Province de Valaquie
à la domination de l'Empereur ; à
condition qu'elle fera gouvernée
comme auparavant , par un Hofpodar
, ou Prince particulier qui fera
Feudataire de S. M. I. mais les
Miniftres Imperiaux prétendent au
contraire , que ce Pais fera regi par
un Gouverneur Impérial de la même
manière que l'eft aujourd'huy
la Tranfilvanie ; de forte que la qualité
de Prince fera éteinte & le Gouvernement
fera defpotique , comme
dans les autres Etats que la Maifon
d'Autriche s'eft appropriez ,
A Rome ce 3 Mars 1717
Le Carnaval nous a fourni des
amuſemens de toute elpece , jamais
le Cours n'a été plus brillant , nos
Dames Romaines plus magnifiques,
les Comedies , Operas plus fre- .
quents , les Réjoüiffances plus uniLE
NOUVEAU
140
*
verfelles , ce fera bien autre chofe
l'année prochaine , fi l'on vient à
bout de rembarer le Turc. Les Prin-
Clement & Philippe de Baviere
font arrivez ici affez à tems,
pour jouïr des divertiffemens du
Carnaval , leurs Altele s Sereniffimes
fe firent voir Lundy incognito
au Cours , & virent enfuite d'un
Balcon du Comte de Bolognetti
la courfe des Chevaux ; Mr Santini
leur Gouverneur , qui avoit
accompagné l'an paffé le Prince
Electoral leur frere, a régalé de la
part de ce Prince , d'un Diamant
de prix , la Comteffe Bolognetti ,
en reconnoiffance du bon accueil
qu'il en a reçû pendant fon féjour
à Rome .
Il faut convenir que le Carnaval
de Rome mérite la curiofité des
Etrangers , & que c'eft fans contredit
le plus beau & le plus galant
de toute la Chrêtienté.
Le Marquis de Saint Pieri eft aux
Arrêts dans fa maifon & condamécus
d'amande , pour avoir né à
500
MERCURE. 141
fait jouer chez lui une Comedie
& donné le Bal enfuite un Vendredy
, ce jour étant le feul de la
femaine où les fpectacles font interdits
, cela s'apelle payer les violons
bien cher.
Le Chevalier de S. Georges ne
vient plus à Rome , & les prépa-.
paratifs qu'avoit fait le Cardinal
Gualterio pour le recevoir, devienent
inutils , l'apartement étoit difpofé
à la Royale: en y changeant peu de
chofe , il conviendra à Mr le Duc
de la Feüillade. S. S. a eû avis
qué ce Prince étoit forti d'Avignon
le 6 de Février , qu'il a paffé par le
Piémond , où il a reçû tous les honneurs
imaginables du Roy de Sicile ,
par le Parmefan & le Boulonois ,
pour fe rendre à Pefaro. Dom Carlo
Albani Neveu du Pape eft nommé
pour aller audevant de lui & le
conduire jufqu'au lieu deſtiné à fa
retraite .
D42 LE NOUVEAU
Réponse de Mr le Marquis de Monteleon
Ambaffadeur d'Espagne ,
à la Lettre de Mr Stanhope Sé
crétaire d'Etat , dartée du 18 Février,
touchant la détention de
Mr de Gillenborg Ambaßadeur
de Suéde en Angleterre.
M. j'ay reçû hier au foir la Mi
Lettre que votre Excellence
m'avoit fait l'honneur de m'écrite
le même jour , pour m'informer des
raifons que S. M. a , de faire arreter
le C. de Gillemborg Miniftre
du Roy de Suéde , & de s'affûrer
de tous les papiers . Aprés avoir
remercié votre Excellence de la
bonré qu'Elle a cûe de me faire connoître
les fentimens de S. M. fuivant
l'ordre qu'elle en avoit reçû ,
commeje fuis par là en état d'en informer
fidelement le Roy mon Maî
tre , je ne puis faire autre chofe que
d'attendre fa réponſe pour la communiquer
pareillement à V. Exc.
cependant je fuis obligé de dire que
MERCURE . 143
ceft un grand malheur qu'on n'ait
pû trouver d'autre moyen d'affûrer
la Paix dans les Etats de S. M. &
la tranquilité de l'Europe , auffi
bien que la feureté des préfentes
Alliances , qu'en arrêtant la perfonne
d'un Miniftre public & enfaififlant
tous les papiers qui font les
dépofitaires facrés des fécrets de
fon Maître ; de quelque maniére
qu'on envifage ces deux faits , ils
paroiffent bleffer véritablement le
droit des gens . J'ay l'honneur d'ê-
Ce 18 Février 1717. tre & c .
A Londres , le 20. Mars 1717 .
Le 5. on publia ici les Lettres du
Comte GYLLEMBORG , des Barons
GORTZ , SPARR & autres contenants
le deffein d'exciter dans la
GRANDE BRETAGNE une Rebellion
qui devoit être foutenue par les forces
de la SUEDE.
Ces Lettres font au nombre de
trente- fix , depuis le 25. Septembre
1716. jufqu'au 10. Février 1717 .
144 LE NOUVEAU
Lettre du
Comte de
Selon ces imprimez , l'entre-
Baron de prife devoit s'executer au mois
Gorte, au de Mars , lorfque les vents de
L'EST régnent, & que l'on s'y attenberg.
à Pa droit le moins. Le Roy de Suéde ,
vis le fix à l'exemple de SCIPION , devoit
jane. 1717 venir en perfonne avec 12000 hom-
Gyllommes
, porter la Guerre dans les Pays
de ceux qui ont voulu , & veulent
encore la perte de celui - ci . Sçavoir .
3000 hommes d'Infanterie , & 4000
de Cavalerie , dont il y en auroit
d'abord 500. montés. Le Pays étant
plufque fuffifant pour fournir des
chevaux de remonte . La Flote Suédoife
devoit être pourvue de l'Ar-
Let.4. tillerie neceffaire , & de quoy ardu
Com mer is à 20000. hommes , qui ne
Gyllem demandoient qu'un corps de TrouborganBa.
ron Gortz Pes réglées , auxquelles , ils puffent
de Londres fe joindre , étant fûr que de dix
le 12 Od perfonnes , il s'en trouveroit neuf
1716.
mécontentes , qui défiroient le rétabliffement
du PRETENDANT. S. M.
Suédoife devoit faire publier à fon
arrivée , un Manifefte ; par lequel il
déclaroit n'avoir point d'autre intention
que de rétablir le PrétenMERCURE.
145
Billet de
meme 7 d
dant fur le Thrône d'Angleterre
de maintenir les Libertés de la Nation
, & de la Religion Anglicane.
D'ailleurs l'argent ne devoit pas
manquer , puifque la Cour D'AVIGNON
offroit 60. mille livres fterlins
d'avance , ad captandam benevolen
tiam ; joins à un million de florins Londres d
que les Amis de ce Prince s'enga- 16 Octobre
geoient de faire toucher en Hollan- 1716 .
de au Baron GORTZ , qui en avoit
déja reçû 100000 livres , afin de
faire travailler avec toute la diligence
poffible à l'Armement , qui
fe faifoit à Gottenburg , & aux
préparatifs néceffaires pour cette
Expédition.Pendant ces difpofitions
fécrettes , on prenoit des méfures ,
pour faire congédier par le Parlement
, la moitié de l'Armée , comme
étant à charge à l'Etat , dans
l'efperance que cette Partie mécontente
fe joindroit aux Rebelles :
Mais le principal objet du Comte
de Gyllemborg étoit , d'empêcher
par toutes fortes de moyens , un
Armement Naval en Angleterre ,
Mars 1717. N
146 LE NOUVEAU
au
jufques au mois de Mai , afin que
la Flote de fon Maître pût être la
premiere en Mer , & ne trouvât
point d'opofition de la part de
celle des Anglois . Non content
de ces précautions , il paroît par
une Lettre de la Haye,du 17 Novembre
1716 , de Mr GUST ,
C. de Gyllemborg fon frere , que
le Czar n'étoit pas éloigné d'entrer
dans cette Ligue , y étant fortement
follicité par un nommé
ERSKINS Médecin & Confeiller privé
de ce Prince . Ce confident écrivoit
à Milord MARR fon Coufin
Germain , que le Grand Duc s'étant
brouillé avec fes Alliez , il
paroiffoit tout -à-fait difpofé à faire
fa Paix avec la Suede , & à ceffer
fes hoftilitez contre ce Royaume ;
Qu'haïffant mortellement le Roy
Georges , & connoiffant la jufte
caufe du Prétendant : Il ne fouhaitoit
rien plus ardemment
qu'une Conjoncture favorable, pour
pouvoir le retablir dans fes Royaumes
; que fon Maître ayant ce-
3
MERCURE. 147
"
pendant tout l'avantage contre la
Suede , il ne lui convenoit pas de
faire le premier pas : mais que fi le
Roy vouloit hazarder la moindre
démarche, l'accommodement feroit
bientôt conclu entr'eux.
Dans la même Lettre , le Prétendant
fait prier le Baron Sparr
de lui procurer la permiffion de fe
retirer à STOLKO M : mais cet
Ambaffadeur ne le juge pas propos
, par la raifon que ce feroit déclarer
la Guerre , à fon de trompe ,
& ruïner entierement leurs affaires.
Dans uneLettre du 8 Janvier 1717,
le Baron Gortz envoye à Mr le
Comte de Gyllemborg , une Copie
du plein pouvoir , qu'il avoit reçû
du Roy , pour traiter & conclure
toutes affaires , qui concernent le
fervice & les interêts de la Nation .
Il eft datté de Lunden en Scanie ,
23 Octobre 1716 du
Enfin par la derniere Lettre du
Comte de Gyllemborg à ce Baron ,
qui étoit retourné de Paris à la
Haye ; le Comte lui fait obſerver
Nij
148 LE NOUVEAU
que l'Aimement de l'Efcadre Angloife
fe fera de bonne heure ; aparemment
, pour prévenir la deftruction
, dont on croit le DANEMARK
menacé ; & qu'ainfi , il est néceffaire
de prendre de juftes meſures
pour être les premiers en Mer.

Toutes ces Circonftances convaincront
fans doute , les plus incrédules
, que
, que la Confpiration n'eſt
pas une Nouvelle chimérique . Bien
des gens , malgré l'évidence de
ces preuves , ont encore de la peine
à fe perfuader , que le Roy de
Suéde accablé de toutes parts , par
des Ennemis très-puiffants , ait voulu
entreprendre de paffer en Angleterre
, avec une Flote & des
Troupes , pour faire une invafion ,
en faveur du Prétendant , tandis
qu'il laiffoit fon Païs au premier
occupant.
MERCURE. 149
PLACET A. S. A. ROYALE
Monfeigneur le Duc d'orleans
, Régent du Royaume
préfentépar lespetits Enfans
du Sicur Duperier , Dire-
Eteur des Pompes , employe
fur un Rolle de la Chambre
de Justice , pour 12500
livres.
REGENT , dont j'ay chanté là
Valeur , la Prudence ,
Je voudrois aujourd'huy célébrer
ta Clémence :
Quand cinq Chiffres maudits m'accablent
fous leur poids ,
Rayant les deux premiers , ne m'en
laifle que trois .
Cinq cens francs , c'eſt aſſez
les gens de ma forte ,
pour
Je ne puis fuporter une Taxe
plus forte :
La fortune pour moi Marâtre en.
fes préfens
Nijj
150 LE NOUVEAU
M'a donné peu de biens , & plus
de trente enfans. *
Six font à tes genoux , guidez par
mes lumieres ;
Ils font au Ciel pour toi , chaque
jour des prieres :
Le plus âgé de tous n'a pas dix
âns complets.
Juge , s'ils ont befoin de fentir tes
biens - fairs.
Daigne te fouvenir qu'en parlant
de leur pere ,
Tu dis au Magiftrat , qui fçait l'art
de te plaîre ,
Dont ta main liberale a comblé le
fouhait ,
"
Que Duperier attende , il fera fatisfait.
Charmé de ce beau mot ,
rempli de confiance ,
Pénétré de refpect & de
noiffance ,
& de recon-
A tes ordres foûmis j'ay gardé le
tacet ,
Grand Prince , acheve , & mets un
bon fur ce Placet.
* 19. d'une premiere femme , & 12
avec celle d'aujourd'huy.
MER CURE.
ISI
H
ENIGM E.
Omme Lettré doctement me
compofe
Sur le papier.
Son Ecolier
Aux crédules mortels , éloquemment
m'expoſe :
Serois - je en claſſe une Leçon ,
Harangue d'Ecolier , oui , non ;
Peut- être; devinez;je paffe,je repaffe
Avec grace , ou fans grace ,
De pertuis en pertuis ,
De réduits en réduits :
Un Difcours Oratoire a fortune
pareille ,
Paffant de bouche en bouche , &
d'oreille en oreille ,
Dans les Réduits de maints petits
Cerveaux .
Je péle plus que je ne vaux
Dans un des réduits que j'occupe ;
Suis - je un Difcours. Non , non ,
n'en foyez plus la dupe.
Calangua
152 LE NOUVEAU
AUTRE.
A Dmirez de mon fort l'étrange
deſtinée ,
En tout temps à couvert je fuis
toujours mouillée ,
Et fais beaucoup de bien , comme
beaucoup de mal ;
Auffi feroit-il très fatal
De ne pouvoir de moi , tirer aucun
fervice :
Rarement on fe peut paffer de mon
office .
Le beau fexe , fur tout , qu'on blâme
affez fouvent ,
De m'employer imprudemment.
Chacun pour fon malheur , en fait
l'expérience :
Puifque par un Arreft du fort ,
Autrefois pareille imprudence
Vous a fait condamner à mort;
Mais éclairciffons ce miftere :
L'Avocat , le Prédicateur ,
Le Magiftrat , le Confeffeur ,
Ne pourroient pas fans moi remplir
leur miniftére..
$
MERCURE. 153
Je fais la garde d'un Palais ,
Dans lequel on n'entrejamais :
Enfin je fuis d'un grand uſage
En tout teins , en tous lieux , mais
plus au fol , qu'au fage ;
Et l'Artifan , comme le Roi ,
A, tous les jours befoin de moi .
(19) 3) TI)(TENT )
Le mot des Enigmes du mois paffé
étoit la Noix , & la Glace. Ceux qui
les ont devinées , font Nabote &
Gambille , le Devoyé Cambré , le
Pigeon Patu , le Baffon de la rue
d'Enfer , la petite Camufon de la
rue S. Lambert , le faifeur des Jujottes
, le Rognognant Vicomte , le
Préludeur Dupré , l'aimable Manon ,
l'Enthumé Marin , la groffe Cato
la grande & la petite Marie-Anne
le grand Guigneur , l'Amoureux
Bondarois.
>
!
194 LE NOUVEAU
SONNET
Bouts rimez à remplir.
Nabotte
Bec
Salamalec
Culotte..
Calotte
Sec
Echec
Bigotte .
Iroquois
Carquois
Cinique .
Faucon
Pique
Flacon..
CHANSON.
Ous fuyés légere Hirondelle ,
Vous prévenés la faifon des
frimats ,
Vous volés en d'autres climats ,
Où le tendre Amour vous apelle.
MERCURE. 159
Que votre fort me paroît beau ,
Vous reviendrez à la fuite de Flore ;
Vous vous jenflammerés encore ;
Votre Amour est toujours nouveau.
Suite des Nouvelles de Paris.
Le 12. le Roy donna à Mª l'Abbé
de Beringhen , le Prieuré de Pignan,
fitué dans l'Evêché de Frejus .
Le 15. M de Saint Heremobtint
la furvivance du Gouvernement
de Fontainebleau , avec l'aplaudiffement
de toute la Cour , il en a remercié
le Roy.
Le 16. Mde de Saint Herem , conduite
par Mde la Ducheffe de S. Simon
, eut l'honneur de faire la réverence
au Roy.
Le 18 Mr le Comte de Dreux
Grand Maître des Cérémonies , exerçant
par provifion la Charge de
Grand Maréchal des Logis du Roy,
160 LE NOUVEAU
a eû un Brever pour continuer l'exercice
de cette Charge jufqu'à ce
que Mr le Marquis de Cany fon
neveu ait atteint l'âge de 16 ans ,
pour en faire les fonctions par lui
même .
Le 18 l'affaire de Madame de
Sallo Abbeffe des Cordelieres , fut
décidée en fa faveur ; elle a fait
trop de bruit dans le monde pour
n'en pas former un article des plus
curieux de ce Recueil .
Deniſe Elifabeth de Sallo , fille de
feu M de Sallo Confeiller au Parlement
, recommandable par fa naiffance
& fon mérite litteraire , fut
mife dès l'âge de fept ans dans le
Convent des petites Cordelieres :
Eile y fit fa profeffion à l'âge de
15 , & pendant 40 années qu'elle a
demeuré dans cette Communauté,
elle ena paffé plus de 20 , Maîtreffe
des Penfionaires. Aprés la mortde
Mde BETAUT Abbeffè , elle fut élûë
en fa place le 11 Avril 1711.
La Tranquilité regna dans ce
Monaftere jufques au 30 Décembre
1714
MERCURE. 161
que fes Religieufes la foupçonnant
d'être la caufe, que le fieur RENGEAR
n'avoit pas eu la continuation de
fes pouvoirs , l'accuferent devant
le GENERAL , d'Intrufion , d'Irrégularité
, & de Janfenifme. Sur
ces plaintes , le Provincial des Cordeliers
accompagné des fieurs
ET LE ROUGE HENRIOT
:
pour Commiffaires ; Aprés avoir entendus
tous les Griefs intentez contr'elle
elle fut enfin dépofée par
Sentence dudit Provincial , déclarée
inhabile à être élûe Abbeſſe >
& privée de voix active & paffive .
Cette Abbeffe ayant apelé de cette
Sentence , fut reléguée par Lettre
de Cachet , dans le Convent des
Cordelieres DE CHAULNY. Aprés
la mort du Roy , ayant demandé fon
rapel qu'elle obtint ; elle vint pourfuivre
fon apel , comme d'abus , au
Parlement. M CHEVALIER
Avocat s'étant chargé de fon affaire
, commença à plaider le prémier
, & le deuxième Jeudy de
Carême. Mr Guyor de Chefne
Mars
1717.
0
162 LE NOUVEAU
Avocat du Promoteur & Monfieut
de Lombreuil , celui du Provincial,
plaidérent les trois Jeudis fuivants ,
& le dernier Jeudy qui étoit le 11.
Mr Chevalier repliqua avec un
aplaudiffement général il apuya
fort, fur ce que les deux Avocats
adverfes ( forcés par la verité ) n'avoient
pû refufer des éloges à la
fageffe , au bon efprit , & à la folide
vertu de Mde de Sallo . Salutem
ex inimicis noftris , s'écria - t'il .
Le 18 de ce mois Mr de Lamoi,
gnon Avocat Général commença de
plaider à huit heures , & un quart ;
& ne finit qu'à midi , avec l'admiraration
de toute l'Affemblée : Il reprefenta
à la Cour que toute la France
étoit attentive à fa décifion ;
Que cette Abbeffe avoit été interrogée
fur les queftions les plus épineufes
de la Théologie , qui agitent
aujourd'huy l'Eglife de France,
que cependant il croyoit avoir de
bonnes raifons pour ne pas lire en
public les dépofitions des Témoins
touchant fa Doctrine , que la Cour
MERCURE. 163
pouroit voir les informations ,
Elle le jugeoit à propos. Il conelut
qu'il y avoit abus dans la Procédure
, dans le jugement du Provincial
; & par conféquent au Rétabliffement
de l'Abbeffe . De plus il
requit la Cour que trois Livres contenants
les Statuts des Cordeliers ,
qui lui avoient été remis entre les
mains,fuffent fuprimés, comme étant
contraires à l'autorité des Roys , des
Juges Royaux & des Evêques :
Deifenfe d'avoir d'autres Statuts que
ceux qui auroient été enregistrés à
la Cour , en vertu de Lettres Paten
tes. Aprés un délibéré , on fit retirer
tout le monde , une heure
aprés , on rouvrit les Portes. Mr le
Premier Prefident prononça l'Arrêt,
qui porte, qu'il y avoit eû abus dans
la Procédure & dans ce qui s'en eit
enfuivi. Ordonne que les Cordeliers
ne pouront avoir de Statuts, que
de la permiffion du Roy, par
des
Lettres Patentes Regiftrées en la
Cour , que l'Arreit fera lû au Prochain
Chapitre Provincial , dans le
Njj
162 LE NOUVEAU
Avocat du Promoteur & Monfieur
de Lombreiiil , celui du Provincial ,
plaidérent les trois Jeudis fuivants ,
& le dernier Jeudy qui étoit le 11.
Mr Chevalier repliqua avec un
aplaudiffement général il apuya
fort , fur ce que les deux Avocats
adverfes ( forcés par la verité ) n'avoient
pû refufer des éloges à la
fageffe , au bon efprit , & à la folide
vertu de Mde de Sallo . Salutem
ex inimicis noftris , s'écria - t'il .
:
Le 18 de ce mois Mr de Lamoignon
Avocat Général commença de
plaider à huit heures , &un quart ;
& ne finit qu'à midi , avec l'admiraration
de toute l'Affemblée : Il reprefenta
à la Cour que toute la France
étoit attentive à fa décifion ;
Que cette Abbeffe avoit été interrogée
fur les queftions les plus épineufes
de la Théologie , qui agitent
aujourd'huy l'Eglife de France,
que cependant il croyoit avoir de
bonnes raifons pour ne pas lire en
public les dépofitions des Témoins
touchant fa Doctrine , que la Cour
MERCURE. 163
pouroit voir les informations , fi
Elle le jugeoit à propos. Il conclut
qu'il y avoit abus dans la Procédure
, dans le jugement du Provincial
; & par conféquent au Rétabliffement
de l'Abbeffe . De plus il
requit la Cour que trois Livres contenants
les Statuts des Cordeliers,
qui lui avoient été remis entre les
mains,fuffent fuprimés, comme étant
contraires à l'autorité des Roys , des
Juges Royaux & des Evêques :
Deffenfe d'avoir d'autres Statuts que
ceux qui auroient été enregistrés à
la Cour , en vertu de Lettres Paten
tes . Aprés un délibéré , on fit retirer
tout le monde , une heure
aprés , on rouvrit les Portes. Mr le
Premier Prefident prononça l'Arrêt,
qui porte , qu'il y avoit eû abus dans
la Procédure & dans ce qui s'en eit
enfuivi. Ordonne que les Cordeliers
ne pouront avoir de Statuts, que
de la permiffion du Roy , par des
Lettres Patentes Regiftrées en la
Cour , que l'Arreit fera lû au Prochain
Chapitre Provincial , dans le
N jj
164 LE NOUVEAU
Grand Convent des Cordeliers &
dans ceux de la Province. Deffenfe
aux Cordeliers , de mettre à execution
lefdits Statuts , & notamment
en ce que par iceux , il eft
deffendu de fe pourvoir devant les
Archevêques & Evêques Royaux.
Ce Prononcé fut aplaudi unanimement
par tout l'Auditoire qui
étoit des plus nombreux , parce
qu'il s'agiffoit d'une Abbeffe
tuelle dépofée.
perpe-
Le 19. Mr le Maréchal de Villeroy
ayant pris médecine , pria
Mde la Ducheffe de Vantadour , de
venir fervir le Roy à Table ce jour
là, ce qu'elle continua le lendemain .
Le 20. on aprit la mort de
Mr l'Evêque de S. Paul trois Chateaux
, Suffragant de l'Archevêché
d'Arles.
Le Navire SPRIT , ponté de
Conftruction Hollandoife , nommé
la Ville de Paris , conduit par le
Capitaine Jean Darra , arriva le 20
de ce mois , vis -à-vis le gros Pavillon
du Louvre. Il eft parti de
MERCURE
165
la Rade du Havre , le dix du courant
, chargé de Marchandifes.
CetteEpreuve jointe à la premiere,
dont on a parlé dans le Mercure
de Janvier , perfuade que la Navigation
de laMer, en droiture dans
cette Capitale , eft très facile à établir.
Mrs Cabot de Cailletot , & Ronay
, Auteurs de cette entreprife ,
ont fournis au Confeil, des Mémoires
fort amples , fur l'utilité que,
Paris , & le Royaume en retireroient.
Ils font voir que l'avantage
qu'on en reçevra , réflechira néceffairement
fur tout le Commerce de
la France ; que l'abondance poura
toujours couler dans cette Ville ,
& à beaucoup moins de frais ; Puifla
facilité , & l'accélération de
la voiture , animeront davantage le
Marchand , à faire venir plus librement
des Danrées , dont il ne craindra
plus le dépériffement , comme
il arrivera toujours , lorfqu'on feri.
obligé de décharger une feconde
fois & à moitié Route , ces mêmes.
que
O iij
TGG LE NOUVEAU
Marchandiſes , dans des Bateaux
découverts ; ce qui les retardoit en
Riviere 2 & 3 mois , en alteroit la
qualité , faifoit perdre le tems de
la vente , & les chargeoit de frais
confidérables. Ces Meffieurs ont
fatisfait pleinement aux Objections ,
qu'on a pû leur propofer , contre un
Établiffement , qui va au bien public.
Mr le Comte de Kinigfeg , Amballadeur
de l'Empereur en France,
Gouverneur des Païs Bas , ci -devant
, fon Plenipotentiaire , arriva
Samedy 20 Mars de Bruxelles à
Paris , accompagné de Mde l'Ambaffadrice
fon Epoute , de Mlle de
Lanois fa Coufine ; de Mt le Comte
Charles de Kinigſeg , & de
Mr le Marquis de Catinara fes Neveux
, avec une fuite nombreuſe de
Gentils - hommes Allemands , des
Dlles de Me l'Ambaffadrice , de
plufieurs Pages & Officiers àcheval.
Le 21 de ce mois , Dimanche
des Rameaux , le Roy fe rendit à
la Chapelle du Palais des TuilleMERCURE.
167
ries , précédé par Mr l'Evêque de
Frejus fon Précepteur, par M l'Ab
bé de Maulevrier , & M l'Abbé
de Cambou fes Aumôniers , accompagné
deM le Duc du Maine ,
de Male Maréchal de Villeroy fon
Gouverneur , & de plufieurs Sei
gneurs. S. M. affifta à la Bénédiction
des Palmes , & l'après diné
au Sermon du P. Terraffon de l'Oratoire
, & aux Vêpres chantées
la Mufique.
par
Le Lundy 22. Mtle: Chancelier fe:
rendit aux grands Auguftins , pour
l'Extinction de la Chambre de Juftice
. Il étoit précédé par fes Gardes ,
& ceux de la Prévoté de l'Hôtel ,
commandés par Mr de Monticour
Lieutenant de la Compagnie , à la
fuire des Chanceliers de France.:
Les Huiffiers de la Chancellerie
& ceux de la Chaîne , dont deux
portoient les Maffes , marchans
devant lui avec fes Valets de pied,"
& un Cent- Suiffe du Roy; Il fur
reçû à la porte par le Superieur ‹
de la Maifon , qui le complimenta.
168 LE NOUVEAU
Delà , il fut conduit dans une Chapelle
qu'on lui avoit préparée , pour
entendre la Meffe , où huit Députez
de la Chambre de Justice allerent
le prendre , & le conduifirent
dans la Chambre , à la quelle
il fit ce Difcours .
MESSIEURS ,
Je viens vous annoncer la fin
" de vos travaux , & la fatisfa-
» ction que le Roy & M8 le Regent
,, ont eûe du Zele & du courage avec
,, lequel vous avez fournis votre pénible
carriere : les Peuples du Ro-
" yaume demandoient la vengeance
" des concuffions & vexations immenfes
, qui les avoient affligez
pendant de fi longues années. Vous
,,avez été choifis pour remplir un fi
redoutable Miniftere ; mais les remedes
peuvent devenir des maux ,
"lorfqu'ils durent trop long -tems.
>> A la vûë de tant de Perfonnes,
qui gemiffent des peines qu'elles
endurent , le Peuple tombe dans
H
MERCURE. 169
une efpéce de Confternation , qui ed.
fait languir le Corps Politique ; &
telle eft fon inconftance , qu'il paffe
tout d'un coup de la Haine qu'il
avoit conçue , à la Compaffion
des Miferes , où elles fe trouvent
réduites , & s'accoûtume enfin , à c
les croire innocenres , lorfqu'il les
voit trop long-tems malheurenfes.
C'eft à la fageffe du Souverain ,
de tempérer la néceffité des Loix «*
avec l'indulgence ; ainfi la même «<
fageffe , qui a donné l'être à la c
Chambre de Juſtice , en ordonne
préfentement la fin , & vous renvoye
à des fonctions plus douces ,
mais non moins importantes. Il “
auroit été plus avantageux au P.,
blic , & à vous Meffieurs , que la
même Voix qui vous a affemblez ,
vint vous annoncer la fin de votre
Carriere ; mais je puis vous affu- ..
rer , que Perfonne ne fent mieux
que moi , l'Eloge , qui eft dû au
zele que vous avez pour la Juftice
i vous n'avez pû remplir
en fon entier , l'Objet qui vous étoit "
ес
le
1
Fen Mi
Chinc
179 LE NOUVEAU
»
propofé ; du moins , vous auriez la
fatisfaction précieufe , d'avoir arrêté
le cours d'une déprédation
fans bornes , & de fçavoir que la
Chambre de Juftice va devenir un
Epoque . , où le bon ordre dans
les Finances va fuccéder aux Abus
qui s'y étoient gliffez , la lumiere ,
à l'obfcurité : & la fageffe qui nous
gouverne , n'aura plus que le plaifir
de faire gouter fes bienfaits ,
» & d'établir la grandeur du Roy , &
le bonheur de fes Sujets.
Mr de la Moignon premier Préfident
de la Chambre de Juftice ,
lui répondit en peu de mots ; il
s'étendit particulierement fur la
gloire , qu'il s'étoit acquife au Bareau
, en qualité d'Avocat General ;
quoique dans un âge peu avancé ,
ayant réuni les qualités d'un parfait
Orateur , à celles d'un grand
Magiftrat. Il mit dans un beau
jour , ce qu'il avoit fait depuis ,
dans la Charge de Procureur General
, avec tant de gloire , pour
maintenir les Loix du Royaume ,
C
D
MER CUR Ea 171
& les Libertés de l'Eglife Gallicane.
On lût enfuite l'Edit du Roy ,
portant fuppreffion de la Chambre
de Juſtice ; on en ordonna
l'Enregistrement , & on en fit la
Publication .
Par cet Edit , le Roy fuprime la
Chambre de Juſtice , quitte , remet
& pardonne à tous ceux qui font
compris , tant dans l'Edit portant
Etabliffement de ladite Chambre de
Juſtice , que dans les Déclarations
rendues en conféquence , tous les
Délicts commis par eux, à l'occafion
des Finances & Deniers publics : les
décharge de toute recherche & folidité
, pour raifon des Condamnations
qui peuvent être intervenuës
contre leurs Affociez ; En ce toutefois
non compris à l'égard des Comptables
, le fimple des Omiffions de
Recettes , faux & double Emploi ,
Fauffes Repriſes & Erreurs de Calcul
, pour lefquels , les Prévenus ne
pouront être pourfuivis que Civilement
, le tout en payant par ceux
72 LE NOUVEAU
qui ont efté taxés, les fommes pour
lefquelles ils ont été employés dans
les Rôles arrêtés au Confeil ; commeauffifans
préjudice du payement
de leur part perfonelle,des condemnations
intervenues contr'eux , &
ce,fans préjudice de l'exécution des
Arrêts rendus par ladite Chambre ,
qui feront executés felon leur forme
& teneur : les faifies réelles &
mobiliaires des biens , meubles
& immeubles qui ont été & qui feront
faites , en execution defdits
Rôles arrêtés au Confeil & des Condamnations
prononcées à ladite
Chambre de Justice , feront portées
à la Cour des Aydes de Paris , en
la première Chambre de ladite
Cour : Au furplus les Comptes des
Officiers comptables feront rendus
comme auparavant, en ladite Chambre
de Juſtice.
Le 23 Mr le Prince de Conty
qui fe deftinoit pour la Campagne
de Hongrie , étant allé voir le Roy.
S. M. lui dit Mr le Prince de
Conty, vous n'irés point en Hongrie,
MERCURE. 173
>
grie , vôtre préfence m'eft néceffaire
, je vous accorde le Gouvernement
de Poitou & je vous
donne place dans mes Confeils.
En effet , Mr le Marquis de la
Vieuville abandonne ce Gouvernement
, moyennant la. fomme de
100000 livres à ce Prince , qui le
laiffe jouir durant fa vie de tous les
Revenus , montans à 40000 livres
de Rentes ; cette Grace a été fuivie
de celle , d'entrer au Confeil de Regence
, quoiqu'il n'ait que 22 ans,
étant né le dix Novembre 1695 .
Le 24. Mr Defalleurs , qui eft
Irevenu de fon Ambaffade de la
Porte , eft venu préfenter au Roy,.
une Lettre du Grand Seigneur ,
dont on a vu la Traduction ci- devant
, avec celles du Vifir , & du
Mufty.
Mr l'Abbé Dubois , en confideration
de fes fervices , a été admis
au Confeil des Affaires Etrangeres ,
& fait Sécrétaire du Cabinet du
Roy , à la place de feu Mr de Callieres
; il tiendra la plume.
P
174 LE NOUVEAU
Le Roy a gratifié Mr le Premier
Prefident de Mefmes d'un Don de
500000 livres.
On travaille avec empreffement
aux Equipages de Ms le Prince de
Dombes , qui va fervir en Hongrie.
Ils confiftent en 12. Mulets, 20. Chevaux
de main,une Berline, une Chai
fe de Pofte , & trois Surtouts . Ce
Prince emmene avec lui fon Gou
verneur , 4. Valets de chambre , &
6. Valets de pied.
Le Prince de Pons , & le Chevalier
de Lorraine fon frere, ont obtenus la
même permiffion.
Le Jeudy Saint 25 , le Roy alla à
dix heures du matin , accompagné
de Mer le Duc d'Orleans , de Me
le Duc , & de tous les Princes , dans
la Salle des Cent- Suiffes , où S.
M. y trouva 13 pauvres Enfans ,
couverts d'un drap rouge , avec un
linge , qui leur pendoit au col . Mr
l'Evêque de RENNES , en Habits
Epifcopaux , y officia à la place de
Mr le Cardinal de Rohan , qui
étoit abfent. Mr le Cardinal de
MERCURE. 175
E
Polignac , M l'Abbé de Mule
vrier , Mr l'Abbé de Cambou ,"
Mr l'Abbé de laVieuville , &M l'Abbé
de Froulay , tous Aumôniers du
Roy , y affiterent en Rochet
La Cérémonie commença par une
courte Intruction , où Mr l'Abbé
Bion , qui en avoit efté chargé , fe
propofa de montrer , que les Grands
doivent regarder les moindres hommes
avec refpect .
&
Après un trait affés vif fur les baffelles
des Coartifans , Source ordinaire
du mépris des Grands pour les
hommes ; il entra en matière
tira fes preuves de la Dignité de
l'homme en general , & de la Mifere
des Grands en particulier.
De la Dignité de l'homme en general.
Il est formé à l'image de Dieu;
il a efté racheté du Sang d'un Dieu ;
il est appellé au Royaume de Dieu.
De la Mifere des Grands en particulier.
Leur Condition eft la plus
malheureuſe pour le falut;ils ne font
faits que pour fervir les autres ; leur
Grandeur n'eft que lafuite & l'effet
du péché. Verités hardies que
Mc
175 LE NOUVEAU
ود
> à
l'Abbé Bion ne traita, qu'après avoir
prévenu l'abus que la Malignité hu--
maine pouroit en faire. Car fi
les Grands , dit-il , font portés à méprifer
le commun des hommes ; le
Commun des hommes n'eft gueres
moins difpofé à médire des Grands;
& malheur à moi, fi en voulant
détromper les uns , je venois autorifer
les autres. Vous ,donc Efprits
chagrins , Coeurs fuperbes , s'il en
étoit quelqu'un. Vous , dis -je
qui l'Orgueil , où la mauvaife humeur
rend toute domination importune
, & qui , peut - être , vousfaifiez
déja un plaifir malin , d'entendre
ici décrier la Grandeur ; prénez
à votre tour les réponfes de
la Religion. Que , les Grands ,
vous dira-t-elle , s'affligent de leur
Etat , comme de la condition la plus
malheureufe pour le fut : Qu'ils
engémiffent , comme d'une espéce
de défordre dans la Nature : Qu'ils
fe régardent comme des victimes
dévouées au bien public. C'est à
eux feuls . qu'il apartient de feſe
MERCURE. 177
voir fous cette face fi humiliante .
Mais pour vous , il ne vous eft permis
de les envifager , que comme
tenans à votre égard , la place du
Souverain Etre , que comme Dépofitaires
d'une autorité , qui n'eft
autre , que celle de Dieu -même :
en un mot, que comme des Perſonnes
facrées , en qui vous devez
honorer l'image vifible du Tout-
Puillant.
Aprés cette digreffiɔn , qui étoit
néceffaire , pour autorifer la Morale
un peu vive de Mr l'Abbé
Bion , contre les Grands ; il revint
à fonfujet, & Dévelopa fes fix Réflexions
, mais d'une maniere fi précife
, qu'il n'eſt pas poffible d'en
rien extraire. Je raporterai feulement
ce qui regarde la Cinquiéme ;
voir , que les Grands ne font
faits , que pour fervir les autres.
Que vous foyez établis , leur dit-il ,
pour fervir au bien public , independemment
de ce que la Religion
nous enfeigne fur ce point ; En
faut-il d'autre preuve , que la con→
Piij
178 LE NOUVEAU
duite du fage Prince , qui nous gouverne
? dès que le facré dépôt de
l'Autorité Royale lui fut, confié , ne
l'a -t'onpas vû, ramenant laGrandeur
à fa véritable fin ; non feulement
fe confacrer lui- même tout entier
au bonheur de cet Empire , mais
dans la Néceffité indifpenfable de
partager le Travail , s'affocier encore
par préférence , les plus Diftingués
d'entre Vous. Ah ! ne mépriſezdonc
pas des hommes , dont la
félicité doit être nôtre unique objet
; & puifqu'ils ne font point indignes
de vos foins . Refpectés-vous,
vous- mêmes, en les refpectant.
Le difcours finit par cette Apoftrophe
au Roy.
SIRE ,
,, Il y auroit plufieuresConfequen
,, ces à tirer de ces principes pour
la conduite particuliere des Sou-
,, verains. Mais je laiffe aux Grands
hommes qui vous environnent, le
foin de vous les developer. C'eft
3)
AV
179
MERCURE
.
»
و د
"3
,,
à eux qu'il eft refervé de nous
former en vous , unMonarque felon
,, le coeur de Dieu : & fans préten-
,, dre diminuer de leur gloire , j'ofe
affurer , SIRE , que par la droi-
,, ture de vostre efprit , & plus en-
» core par celle de voftre coeur, vous
,, leur rendrez bien aifée une fonc-
,, tion,d'ordinaire fi épineufe. Per-
,, mettez-moi feulement,en finiffant
,, ce Difcours , de vous adreiler en-
,, core les paroles de J. C. à fes
Apôtres,lorfqu'il va achever l'Action
éclatante que vous allez com-
,, mencer. C'eft , qu'après avoir con-
,, nu l'important devoir que je viens
d'établir , & que la Cérémonie de
,, ce jour vous rappellera chaque année
, vous ferez heureux , même
felon le monde , fi vous l'accom-
,, pliffez fidelement. Oui , SIRE .
yous ferez heureux,parce que nous
le ferons nous -mêines , & que le
bonheur d'un bon Prince n'eſt
point diftingué de la félicité de
,, fes peuples . Verité effentielle dont
Vôtre MAJESTE' fera un jour
-
و د
و د
"
و د
و د
""
99
و د
"
180 LE NOUVEAU
""
,, le fondement de fa politique , &
quisaprésl'avoir rendue fur la Terre,
les delices de ce vafte Empire,
lui procurera dans le Ciel la Cou-
,, ronne que Dieu referve aux Roys
felon fon Coeur.
و د
"
Au reste , je ne crois pas néceffaire
de dire ici , qui eft Mr l'Abbé
Bion : il eft affés connu par
le Panegyrique
de S. Louis qu'il a prononcé
en 1715. devant Meffieurs de
l'Académie Françoife.
Le Sermon fini . Mr l'Evêque de
Rennes monta en chaire , la Mitre
fur la tête , la Croffe en main , &
donna l'Abfoure. Le Roy vint auffitôt
laver les pieds des 13. Pauvres,
repréfentans les Apôtres après
avoir verfé de l'eau fur leurs pieds ,
& les avoir effuyez , il les leur baifa .
Cette Ceremonie finie , on fervit les
Pauvres dans l'ordre fuivant. Mr
Defgranges Me des Ceremonies ,precedé
d'un Huiffier ; Mr le Marquis
de Dreux grand Me des Ceremonies
-avec fon bâton de Commandement,
fuivi de treize Mes d'Hoftel ; M85
MERCURE. 181.
le Duc grand Me de la Maifon du .
Roy , portant un bâton parfemné de
Fleurs -de-Lis d'or , marchoient les
premiers , en faifant une profonde
Reverence,lorfqu'ilspaffoientdevant
S. M, Enfuite venoit Mer le Duc
d'Orleans , portant un Plat de bois
fur lequel eftoient treize petits pains
avec une Galette , fuivi de Mrle Marquis
d'Estampes fon Capitaine des
Gardes : Merle Comte de Charollois
y portoit une Cruche pleine de
vin avec une coupe par deffus , le .
tout de bois . Merle Prince de Conti,
Me le Duc du Maine , Mgr le Prince.
de Dombes , Mgr le Comte d'Eu
portoient , l'un, un plat de poiffons,
l'autre de legumes ;des confitures &
du fruit , eftant fuivis du grand
Echanfon , du grand Panetier &...
& des Gentilhommes fervans qui
eſtoient au nombre de treize,portans
auffi chacun leur plat ; à mefure que
l'on aportoit ces plats au Roy , S.
M. les donnoit aux Pauvres . Cette
Ceremonie recommença juſqu'à 13 .
fais , parce que l'on fervoit treize
182 LE
NOUVEAU
-
plats à chaque pauvre. La ceremo
nie finie,le Royfe rendit aux Feüillants
pour y entendre les Tenebres.
Le 28. jour de Pâques , le Roy
ayant affifté à tout l'Office du matin
, avec une modeftie exemplaire,
foûtenue de beaucoup de dignité ,
entendit le Sermon prêché par le R.
P. Terraffon . Cet illuftre Prédicateur
acheva d'enlever les fuffrages
de toute la Cour , par le compliment
qu'il adreffa & S. M. & qui
fit la conclufion de fon Difcours.
Pour en voir tous les raports
, il
faut remarquer
que dansl ' Article qui le précedit
, il avoit été établi
que la Refirection
Spirituelle
( pour
être parfaitement
conforme
à la Refurection
de JESUS
- CHRIST
felon la Chair ) devoit être perfeverante
, & exempte
d'une nou- velle mort.
"" C'eft de vous , Omon Sauyeur ,
,, que nous atendons cette impor-
,, tante Grace , & le grand Mitté-
,, re que nous Célébrons , devient
,, le plus ferme appui de notre efpeMERCURE.
is;

pour
.2
te
ce
rance : Mais fi la plus pure Inocence
n'eft pas moins fujette à l'infta- «
bilité , que la nouvelle vie que nous ec
embraffons , elle n'a pas un moindre
interêt à obtenir , des mérites
de votre Refurection , la précieuſe
Grace de la Perfeverance . Et .
qui l'emploirions - nous O mon "
Dieu , avec plus de Zele ? que pour «e
ce digne Fils de vôtre Droite , qui «
fait aujourd'huy la refource , & les
delices de tout vôtre Peuple : déja ,
Seigneur , vous l'avez en quelque
forte reffufcité au monde , l'orfqu'en "
ces triſtes jours , où nous vîmes prefque
s'éteindre avec lui , toutes nos ‹‹
efperances , vous le ranimâtes de
votre foufle , & que par les tendres
ménagements de la fidele Gardienne
de fa premiere Enfance
vous le rendîtes à la lumiére , & à ‹
nos plus ardents défirs : Mais ce "
Miracle de vôtre amour n'en eſt
encore le plus important , & la Côn- ,
fervation de fon innocence fignalera
bien plus vôrre mifericorde que
la confervation de fa vie. Tout im- "
,
"
pas ce
34
LE NOUVEAU
;
plore pour lui , Seigneur , une gra-
" ce fifinguliere , & les dons mêmes,
"' que vous avez fi abondament verfé
dans fon âme , en font les confolans
préfages . Cette heureufe
difpofition à la piété ; cette atention
refpectueufe que nous lui avons
> vú donner à vôtre parole , en un âge
"
qui n'y aporte gueres que de l'ennui,
,,& des inquiétudes ; ce Caractere de
,,gravité , qui fans lui rien ôter de fes
graces les plus brillantes , tourne
" toutes fes affections du côté des
" chofes ferieufes , & le laiffe fans ardeur
, & fans goût pour tous les
,,frivoles amuſements è tant d'autres
vertus naillantes , fi hurenfement
cultivées par les fages Miniftres de
"fon éducation prêtent chaque jour
" de nouvelles forces à nos efpéran-
"
33
ces. Mais Seigneur , c'eft au milieu
,, des écueils que flote fon Innocence ,
& le Trône même qui devroit en
rehauffer l'éclat , fera pour elle le
plus dangereux . Bientôt l'yvrelle de
" la Grandeur , le Poifon de la flâterie
, l'Enchantement des plaifirs ,
confpiMERCURE.
185
pur
confp rerontà la corrompre ; & comment
le garentira -t'elle de leurs atreintes
, fi votre Puiffante Grace ne
veille fans ceffe à la proteger? Ah !
Seigneur , ne permettés pas qu'une
fi belle Fleur foit jamais flétrie .
C'est pour un Roy que nous vous
implorons , pour un Roy auffi
à vos yeux , qu'il eft aimable aux
nôtres Que votre amour foit à
jamais gravé dans fon coeur. Que
vôtre Loy foit toujours la régle de
fes entreprifes. Qu'il ne perde jamais
de vûë , ni vos Jugements , ni
vos Récompenfes : Et tandis que
l'Illuftre Prince , Dépofitaire de fa
Puiffance , fignale fa fageffe à lui
préparer fur la Terre , un Royaume
paifible , & floriffant ; fignalez ,
Seigneur , vôtre mifericorde à préparer
, dans le Ciel , à l'un , & à
l'autre , des Couronnes éternelles ,
& incorruptibles.
ARTICLE DES. MORTS.
Mre François de la Fonds, Seigneur
de la Beuvriere , Colonel d'un
Regiment d'infanterie , mourut le
25 Février 1717. Il étoit fils de
186 LE NOUVEAU
Mre Claude de la Fonds , Seigneur
de la Beuvriere,Maître des Requêtes
Ordinaire de l'Hôtel du Roy,
ci-devant Intendant de Juftice en
Franche Comté , puis és Armées
du Roy en Allemagne , puis en
Alface ; & de Dame Jeanne Bence ;
& petit fils de Jacques de la Fonds ,
Seigneur de la Beuvriere , Sécrétaire
du Roy , & Garde des Rolles
des Offices de Finance , mort
en 1679 , & de Marguerite Bauvelier
Il étoit neveu de Dame
Marguerite de la Fonds , femme de
Mre Philippes - Augufte le Hardy ",
Marquis de la Trouffe , Chevalier
des Ordres du Roy.
Dame Marie - Victoire- Armande
de la Tremoille , femme d'Emanuël
- Theodofe de la Tour , Duc
d'Albret , Pair & Grand Chambellan
de France , qu'elle avoit époufé
le premier Février 1696 ,
mourut le cinq Mars 1717 , en fa
quarantiéme année , laiffant, entr'autres
enfans deux fils , & une fille
mariée à Mr le Duc de Melun.
Elle étoit feur de Mr le Duc de
la Tremoille , & fille de feu CharMERCURE.
187
les Belgique - Hollande Duc de la
Tremoille , de Thouars , de Chaftelleraut
& de Loudun ' , Pair de
France , Chevalier des Ordres du
Roy , Premier Gentil-Homme de
la Chambre de S. M. & de Magdeleine
de Crequy. Les Noms de
la Tour en Auvergne , de la Tremoille
en Poitou , & de Crequy
en Picardie , font fi grands , & fi illuftres
; & par conféquent vous
doivent être fi connus , que je crois
pouvoir me difpenfer , de vous en
doner ici aucun détail Généalogique .
Mre François de Callieres Chevalier,
Seigneurde laRoche - Chellay,
& de Gigny , Confeiller ordinaire
du Roy en fes Confeils , Sécrétaire
du Cabinet de S. M. ,
l'un des quarante de l'Academie
Françoife , & ci-devant Ambafladeur
Extraordinaire
, & Plenipotentiaire
de France à Rifvvick , mourut
le 5 Mars 1717 , fans laiffer de
pofterité .
Dame N. de Riants , femme de
Mré Anne - Charles Goiflard , Seigueur
de Monfabert , Confeiller
au Parlement , mourut le 16 Mars
Qij
188 LE NOUVEAU
1717. Elle étoit fille de feu Armand
de RiantsComte de Regmalart,
& Baron de Voré au Perche , Cornette
général des Dragons de
France , & de feu Therefe Angelique
Bourlon , petite fille de
François de Riants , Maître des
Requêtes , & de Louife de Moucy
, & arriere petite fille de François
de Riants Seigneur de Houdangeau
au Perche , Maître des
Requêtes & Confeiller d'Etat , lequel
étoit fi's de Gilles de Riants ,
Baron de Villeray au Perche ,
Préfident-à-Mortier au Parlement
de Paris , & Chancelier de Mr le
le Duc d'Anjou , frere du Roy,
mort l'an 1597 , fils de Denis Riants
, Seigneur de Villeray , aufli
Préfident-à -Mortier au Parlementde
Paris. Outre l'avantage què
la famille de Riants a , d'être
décorée des premieres Charges de
la Robe depuis plus de 160 ans :
Elle a encore celui de s'être alliée
aux Maifons de Bloffet Torcy , de
Mariden , Champagne la Suze , de-
Beauxoncles , de Laval , d'Angennes
, le Comte Nonant , &
MERCURE 189
à plufieures familles diftinguées
dans la Robe.
Pour M Goiflard de Monfabert,
il eft fils de Mre Marc Anne Goiflard
auffi Confeiller au Parlement,
& de Dame Anne le Maiftre , Dame
de Monfabert , petit fils d'André
Goislard Maître des Comtes à
Paris , & arriere petit fils de Jacques
Goiflard reçû Secretaire du Roy, l'an
1608 , & de Marie Sevin,
Mr d'Albergoti Lieutenant Général
des Armées du Roy , & Chevalier
de fes Ordres , Gouverneur de.
Sar Louis , Colonel du Regiment
Royal Italien , mourut d'apoplexie
à Paris, le 23 de ce mois,âgé de 63ans,
étant né à Florence le 25 Mai 1654.
-
Mr le Marquis d'Albergoti fon
Neveu , a obtenu l'agrément pour
ce Regiment.
Le P. Hubert Prêtre de l'Oratoire
célébre Predicateur , mourut le 22
Mars 1717,
MARIA GES.
Mre Antoine Gafpard de Colins
Comte de Mortagne , cy- levan :
Premier Ecuyer de S.A. R. Ma-
Qüij
190 LE NOUVEAU
dame Ducheffe d'Orleans , & auf
fi Capitaine Lieutenant des Gendirmes
de Bourgogne a épousé
le.. Mars. Dlle Charlotte deRohau ,
fille aînée de Mre Charles de Rohan
, Prince de Guemené Duc de
мntbazon , Pair de France & de
Dame Charlotte Elizabeth de Cochefilet
de Vaurineux ; мr le
Comte de Mortagne fort d'une famille
originaire des Païs - Bas , où
elle tient rang entre les plus diftinguées
, il eft veuf de deux femmes.
La premiere étoit de la mai
fon de Montgommerriy , & la feconde
étoit de celle de Baufremont.
ia paffé de ces Alliances à celle:
de la Maifon de Rohan , dont tout
le monde connoît la grandeur &
l'ancienneté .
Mre Charles Eleonor Colbert ,
Comte de Seignelay , Epoufa le 11
Mars 1717. Dlle Anne de la Tour
Taxis , fille de мre François - Sigifmond
de la Tour Taxis , Comte
de Valfaffine , & du S. Empire ,
Lieutenant General des Armées
de l'Empereur & Gouverneur des
Villes & Duché de Limbourg ; &:
MERCURE. * 197
de feüe Dame - Anne du Val. Sans :
entrer ici dans aucun détail généalogique
fur la naiffance de m ' le
Comte de Seignelay ; je vous dirai
feulement , qu'il eft fils & petit
fils de deux des plus grands Miniftres
, que la France ait encore
eûs ; que feu м le marquis de
Seignelay fon frere aîné avoit époufé
mle de Furftemberg , fille du
Prince de Furftemberg , d'une des
plus anciennes , & des plus illutres
Maifons d'Allemagne ; & que m' le
Comte de Creuilly auffi fon frere
aîné , eft marié depuis environ trois
ans avec мle Spinola , fille du
Prince Spinola , Prince de Vergagne
, & de l'Empire , & Grand
d'Espagne , pour la naiffance de la
nouvelle mariée , elle eft auffi desplus
illuftres je remers à vous en
inftruire amplement dans mon
premierJournal.
Fragment d'une Lettre à l'Auteur
du Mercure , repris d'une faute
confiderable d'impreffion , qui s'eft
gliffée dans le Mercure de Février:
Vous n'ignorez pas M. que dans
192 LE NOUVEAU

la diftribution des graces , il eit des
regles que Mer le Regent, à l'exemple
du feu Roy, s'est prefcrites : il n'y
a certainement pas manqué à l'égard
de M. le Marquis de Montefquiour
fils du Maréchal de ce nom ; puifqu'outre
que ce jeune Seigneur,à qui
M. fon pere a acheté le Regiment
d'Ifenghien , eft dans fa 17. année
& non dans fa 8e. comme il eſt marqué
dans voftre Journal de Février;
il a encore fatisfait à ces regles , en
fervant le Roy dans fa premiere
Compagnie des Moufquetaires commandée
par M. d'Artagnan fon oncle
à la mode de Bretagne , & forti
comme lui, de la maifon de Montelquiou
, l'une des plus anciennes &
des plus illuftres du Royaume. Ayez
pour agréable de corriger cette erreur.
Je fuis , &c.
Avis au Public.
L'Auteur du Mercure reconnoît
tous les jours de plus en plus , qu'il
a befin neceffairement des bontez
du Public , pour la continuation de fon
Journal : c'eft un ouvrage qui ne peut
fe fûtenir, que par quelque forte
d'indulgence pour fon travail. Il la
MERCURE. 193
lui demande donc tres -humblement,
& prie en même temps les perfonnes
curieufes de ne lui point refufer les
fecours de leur Porte-feüille ; fi elles
fouhaitent , qu'il n'abandonne pas un
livre qui deviendroit infailliblement
à charge , autant au Lecteur qu'à
l'Auteur. On adreffera les pacquets
deſtinez pour le Mercure , affranchis
de port, à M. Pierre Ribou , Quay des
Auguftins, à l'Image S. Louis ; finon
ils resteront au rebut.
On a efté obligé par l'abondance
des ma:ieres du temps , de renvoyer
differentes Pieces au mois d'Avril.
Entr'autres ,unMemoire trés - curieux
de feu M. le Maréchal de Rofen ;
l'Extrait des Reflexions Politiques &
Morales ; la fuite des Tables de l'extinction
des Rentes amorties,depuis
l'impofition des Taxes fur les Gens
d'affaires ; le précis des Edits &
Declarations , &c . l'Annonce des Livres
nouveaux ; le Compliment de
Meffieurs de la Bafoche , & c.
On vend chez Pierre Ribou , fur
le Quay des Auguftins , à l'Image
S.,Loüis, un Livre nouvellement imprimé
lous le Titre de Roland l'A194
LE NOUVEAU
moureux de Matheo Maria Boyardo,
Conte di Scandiano , en deux vol.
In douze , ornez de figures , le prix
eft de 5. liv .
tes y
Cet ouvrage eft un de ces Romans
de Chevalerie, qui ne plaifent que
par la varieté & la fingularité des
Avantures , mais où l'on ne doit
point efpérer de vrai - femblance
d'ordre , ni de liaifon ; les Hiftoriefont
contées naivement , les
Fictions galantes font heureufement
imaginées. Le fublime cependant
ne s'y rencontre que rarement : ce
n'eft pas à la verité manque de
Heros ; car on pouroit prefque en
conter dans ce Poëme , autant qu'il
y a de Chants ; mais quoique Pairs
de France , ils font par fois brutaux
& groffiers : pour s'en convaincre ,
qu'on fe donne la peine de lire le
Combat de Renaud & de Roland
devantAlbraque, on y verra le Comte
d'Angers , traiter le Seigneur de
Montauban,de Voleur de grand chemin
, & celui-ci, reprocher à l'autre ,
d'avoir employé la trahifon contre
tous les Guerriers qu'il avoit vaincu .
Le nouveau Traducteur avoit trop
MER CURE. 195
de difcernement pour ne pas fentir
qu'une querelle digne des Achilles
& des Agamemnon , ne feroit nullement
de nôtre goût . auffi l'a-t'il judicieufement
retranchée & adoucie :
il en a fait autant de la converfation
de ces deux Paladins à leur fortie de
chez la Fée Morgagne , du combat
d'Agrican fuivi de fa converfion &
quelques chants après de fa Canonization
; enfin dans plufieurs endroits
, il a fçu réformer avec difcernement,
la plupart des Avantures
qui , dans l'Original , ne font quelquesfois
ni ammenées , ni finies . De
forte que par tous les petits changements
que le Traducteur a fait à
propos ; ce Poëme Italien eft devenu
très amuſant dans nôtre Langue :
car quoique le ftile du Boyard pêche
par la baffeffe : on ne s'en aperçoit
point du tout dans la nouvelle Traduction,
d'où je conclus que l'Auteur
s'eft fait du moins autant d'honneur,
qu'auPoëte, qu'il nous a fait conoître
On trouve chez Pierre Prault , à
l'entrée du Quay de Gêvres , tous
les Edits , Déclarations , Arrefts & c ,
tant anciens , que nouveaux.
FIN.
De l'Imprimeried J FRANCO'S GROU , IUC
de la Huchere , au Solal d'or.
APPROBATION .
J'ai lu par ordrede Monfeigneur le Chancelier, te MIRCULE de Mars 1717 , où je n'ay rien trouvé
qui ne m'ait paru mériter l'impreffion . Fait à Paris ,
28 Mars 1717. TERRASSON.
TABLE.
Avant-propos.
viffercation fur les Langues en general , & fur
la Langue Francife en particulier , par Mr
l'Abbé de Pons.
Epitre de Mr Arroüet à Madame de Gondrin.
Vers à un Gouteux .
7
48
Ode fur la promotion de M. le Chane Dagueffeau.sz
Lettre curiere de Conftantinople fur les affaires du
Tems. 16
Filiation des 6. derniers Empereurs Otomans. 69
Traduction de la Let . duG. S. à l'Emper.deFrance.y
Traduction des Lettres écrites au Roy , par Ibrahim
Pacha & le Mufty. 74877
Nouvelles de Paris. 80
Harangue fa te au Koi par M. de Montempuis Rec
de l'Univerfice
Extrag au Traie d'Alliance entre la France , l'Aṇ-
geterte & la Hollar de . 89
Ex air de la Comedie intitulée la vie eft unfonge 93
Les Tina , Poëme du P. D. C.
-Nouvel es Ecrangeres.
104
157
Extrot les Lettres du Comte de Gyllenborg , des
Barons Gostz , Sperr &c.
Placet à S.AR. Monfeigrant leDuc Regent, préfenté
par les peti's enfans du lieur Duperter
Chap tre des Engines.
Chanfon.
Bouts timez à replir.
Suite des Nouvelles de Paris.
143
549
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Difcours de Mle Chinc. à la Chambre de Justice .168
Extrait de l'edit da Roy , portant ex-inétion de la
Chambre de Juftice.
Extrait du Difcours que M. l'Abbé Bion prononça
devant le Roy 1 jour de la Céne.
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Autre Extrait disifcours que le R. P.Terraffon prononça
dev. le Roy le jour de Palques. 182
Mor s.
Mariages.
Fragment d'une Lettre à l'Auteur du Mercure.
Avis au Publi:.
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Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le