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MENTEM ALIT ET EXCOLIT
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K.K. HOFBIBLIOTHEK
ÖSTERR . NATIONALBIBLIOTHEK
74.L.88
74.2.88,
MERCURE
GALANT.
PAR MR . DU FRESNY.
Mois de Janvier 1712.
Sur la Copie de Paris.
AVEC DES ADDITIONS.
TOME CINQUIEME,
A LA HAYE ,
Chez T. JOHNSON.
M. DCC XII
74488
5
Livres Nouveaux fur les affaires du
Tems, qu'on trouve chezF.John-
Son , Libraire à la Haye .
Lettres& Mémoires ſur la conduite dela prefenteGuerre
, & fur les Négociations de Paix
juſqu'à la fin des Conferences de Geertruydenber,
g 8. Livre très curieus, dont il donnera
enpeudejours une ſeconde Edition , corrigée
&augmentée.
L'Histoirede l'Empire Ottoman parRicaut , où
l'on voit l'Origine & les progrès des Tures , les
Vies& les Conquêtes de tous leurs Sultans , leurs
Guerres , Siéges &Combats par Mer & par Terre
, les Révoltes & Révolutions extraordinaires
, & généralement tout ce qui s'eſt paſſé de
confiderable dans cet Empire depuis fon Commencement
juſqu'à 1704 avec un détail curieux
des Guerres en Hongrie& fur les Frontiéres de
Fologne& de Moscovie , & une Carte exacte de
tous ces Paîs , en 3. vol.
Les Fautes des deux Côrez , tant des Whigs
que des Torys , par rapport aux Changemens arrivez
en Angleterre , 8.
On trouve chez le même Libraire toutes les
Pieces curieuſes touchant les affairesd'Angleterre
, & les autres affaires du tems.
Il imprime tous les Lundis le Miſantrope;
qui eſt une Critique fine & delicate desMoeurs
du Siécle.
On trouve auſſi chezlui un Recueil de toutes
les meilleures Comedies Angloiſes, fort proprement
imprimées entpluſieurs petits Volu .
mes. 8
Les Oeuvres de Crébillon , contenant Idoménée
, Atrée &Thyeſte , Electre , & Rhadamisthe
Zenobie , quatre nouvelles Tragedies qui ont
été reçûësavecgrand aplaudiſſement en France.
La derniére piéce a été jouée à Paris ſeptantequatre
foisde ſuite : ſuccès prodigieux & fans
xem le.
3
ETRENNES
DE MERCURE
AU PUBLIC.
U
Les Etrennes de l'Oye.
NProcureur des moinsfameux,
Pauvre par confequent ,
tantgénéreux ,
Avoitfamilletrès nombreuſe ,
Comme luipauvre&généreuse.
Ilattendoitpour l'étrenner ,
mau pour-
Ge grand jour où Plaideurs ſe picquent de
donner :
Cejour vint& rien plus ; du Perche , ni
duMaine
Ilnevintpas la moindre aubeine ;
Mais une Oye arriva de la part d'un Coufin:
Auffi-tôtpourEtrenne il l'envoye àſa Tante
Et laTante àſa Brû , par qui l'Oye ambu-
Lante ,
A 2
De
4 MERC. GALANT.
Deparens en parens continuantson tour ,
Revint au Procureur vers le milieu du jour.
Un autre l'eut de lui , ſoit ou Gendre ou
Beaufrere;
Etpar l'Etrenne circulaire
Chacunfut étrenant , chacunfut étrenné ,
Donnant cequi luifut donné.
C'estainsiquesouvent liberalité brille ,
Une Oye àpeu defrais étrennalafamille ,
Etparle dernier Etrenneur
Revint encore au Procureur ,
Qui lesoiràsouperpour Etrenne derniére';
Ladonnadebon coeuràſafamille entiére.
JeSuis généreux,Spauvre comme lui;
Au Public de bon
d'hui
coeur je redonne aujour-
Tout cequelePublicm'envoye ,
Cesont lesEtrennes de l'Oye.
MER5
MERCURE
GALANT.
JANVIER 1712.
I. PARTIE.
LITTERATURE.
L
Anouveauté detoutes choſes
a toujours plû aux
hommes. N'est - cepoint
pourcela ſeul qu'ils ont attaché
au nouvel An une
idée heureuſe & agréable ?
Seneque appelle nouvel an le commencementdu
Regne de Neron annus novus initium
faculifeliciffimi. Le pronoſtic n'étoit
pas juſte ; mais lesFlatteurs prédiſent
toûjours merveille. On donnoit chez les
A 3
Ro
6 MERC . GALANT
Romains au premier jour de l'an des Figues
, du Miel , & des Dattes , fruits
doux , fimboles de la douce Paix , & de
Pagréable union , qu'on fouhaitoit entre
Parens& Amis . N'est- ce point auſſi com.
me fimbole de pureté, de franchiſe , &
defincérité , que les Gaulois faifoient des
preſens de gui de chêne , coupé avec une
ſerpe d'Or ? L'Or eſt le ſimbole de la pureté;
il ne reſte plus qu'à prouver que le
gui de chêne eſt le ſimbole de la fincérité.
Un Auteur l'a dit ; mais ces fortes d'éruditions
ne ſe démonftrent pas comme un
problême de Géométrie , quoi qu'il en
foit , on dit que les Etrennes Gauloiſes
étoient plus fincéres que les nôtres. Je
connois pourtant un Amant qui adonné
celle-ci : elle eſt de Monfieur leB...
Commefranc&Gaulois Amant ,
Jevousdonne en Eirenne , Iris , un coeur
fincere:
Pour vous, si vous m'aimez c'eſt unriche
present,
C'en est un fort petit fi vous ne m'aimez
quere.
La réponſe de la Gauloiſe me paroît
plus feurement fincere .
Queje vous aime ou non , votre coeur vaut
Sonprix ,
F'aimerois mieux celui d'un autre ,
1
FauJANVIER
1712. 7
F'auraipeu deplaisir àrecevoir le vôtre ;
Mais c'est toujoursautantdepris.
LeRoiTatius Sabinus reçût le premier
laVerveine du Bois ſacré de la Déeffe Strinia
, ou Strenia, pour bon augure de la
nouvelle Année ; c'étoit l'équivalent du
quide chênedes Gaulois. Etrennes vient,
dit-on, de ce mot Strenia , celui de Strenuus
, qui ſignifie vaillant , peut auſſi
avoir part à cette Etimologie , parce
qu'ondonnoit les Etrennes à ceux qui ſe
diftinguoient par leur valeur. On donnoit
dans les premiers tems des fruits en
Etrennes , mais on donna enfuite des Médailles
d'Argent. A ce ſujet Ovide fait
direà Janus , que les Anciens étoientbien
fimples de croire , que le Miel füt plus
doux que l'Argent. La Fête des Etrennes
étoit dédiée au DieuJanus , qu'on répreſentoit
à deux viſages. Quelquemauvais
plaiſant de ce tems-là , a peut être
dit que l'un des viſages de Janus étoit
triſte , & que l'autre étoit gai , pour marquer
la triſteſſede celui qui eft obligé de
donnerdes Etrennes , &la gayeté de celuiqui
les reçoit.
S'il eſt glorieux de donner , il eſt quelquefoisglorieux
auſſi de recevoir ; & les
Etrennes qu'on portoit aux Empereurs
Romains , étoient des marques d'honneur.
Auguſte en recevoitune fi grande
quantité, que pour n'en pas profiter , il
cn
A 4
8 MERC. GALANT.
en achetoit des Idoles . Tibere ne voulut
point recevoir d'Etrennes ; Caligula les
rétablit; Claude les deffendit enſuite ;
mais elles reſterent toûjours en uſage parmi
lePeuple.
Quicroiroitqu'on pût trouver une raifon
phyſique des Etrennes ? Je ne ſçai
quel Ancien a dit , que toutes choses étant
contenuës dans leurs commencemens , on
doit tirer des augures bons ou mauvais de
toute l'annéeparle premier jour.
L'avis eft bonprofitez- en
Si vous voulez , Iris, faire un Amant
fidelle ,
Deconftancerare modelle :
Faites vous en aimer au premier jour de
l'An:
Acoupfeur ilfera conſtant toute l'année ;
Abien moins à preſent la conſtance eft bornée.
Les Gaulois croyoient que le gui étoit
unpreſent conſidérable du Ciel , qu'il
preſervoit du poiſon, & que celui qu'on
cueilloit le jour de l'An portoitbonheur
toute l'Année à ceux qui en gardoient ſur
eux.
Il nous eſt reſté de cette ſuperſtition
Payenne le motde la guyl'An neuf. On
appelloit encore ainſi dans les derniers
tems les preſens des Etrennes .
Je trouverois encore beaucoup d'érudition
JANVIER 17.12.9
tion ſur les Etrennes , mais pour rentrer
dans l'eſprit de la ſuperſtition ancienne ,
je veux éviter d'ennuyer au premier jour
del'An , de peur d'être ennuyeux tout le
reſte de l'Année.
Etrennes de Madame la C. de... à
M.le Marquis de... en lui envoyant
de Poitou une Oye pour
Etrennes.
C'eſt l'Oye qui parle.
Voiquejeune Oye à têtefole
QJe ne citerai point mes ancêtres oy-
Sons
Auſſinobles que les Piſons
Iffus directement de ceux duCapitole.
Decesangfinoble&fipur ,
Mafoijenecroispasdescendre
Jeſuisjeune , &jeferai tendre :
C'estpourvous , cher Marquis , un merite
plus fûr.
As
Autre
10 MERC. GALANT.
Autre Etrenne parM. de L.T.
D
Sur l'Air de la Baguette. 14
E'l'Anpaßé la coarse terminée
Devroit Irisfinir votre rigueur ;
Heureux , heureux , fi la nouvelle Année
Pouvoitaufficommencer mon bonheur.
On a promis dans le dernier Mercure
cetExtrait plusample , du Diſcours lû par
Monfieur de Reaumur , à l'ouverture des
Afſemblées de l'Académic Royale des
Sciences d'après le Saint Martin , fur la
découverte d'une nouvelle Teinture de
Pourpre.
Malgré divers Traitez faits par les Modernes
fur la couleur du Pourpre , ſi précieuſe
auxAnciens , on a été peu inſtruit
de la Nature de la liqueur qui la fourniffoit
: auſſi tous ces Ouvrages ne font-ils
quedes eſpeces de Commentaires de quelques
paſſages d'Ariftote & de Pline...
C'eſt fur la Nature même , & non fur les
Naturaliftes , qu'il fautfaire des obſervations
, lors qu'on veut découvrir quel .
ques-uns de ſes ſecrets ... Ariſtote & Pline
nous ont cependant laiſſébien des choſes
remarquables fur cette matiére , mais
plus propres à exciter notre curioſité qu'à
lafatisfaire pleinement .
MonJANVIER
1711 . II
Monfieur de Reaumurdit enſuite , que
quoique ces Auteursayent parlé en differens
endroits des Poiffons à Coquilles ,
qui donnoient la liqueur dont on ſe fervoit
pour teindre en Pourpre ; que quoi
qu'ils ayenttraitéde leur naiſſance , de la
duréede leur vie , de la maniére dont ils
ſe nourriffoient , commenton lespéchoir,
comment on leur enlevoit cette précieufe
liqueur , & enfin les diverſes préparations
qu'on lui donnoit , on a néanmoins mis
la Teinture de Pourpre des Anciens au
nombre des ſecrets perdus ...
Ceque ces Auteurs , poursuit- il , nous
ontlaiſſe ſur cette matière , n'a point empêché
le Public de trouver les agrémens
de la nouveauté dans les obſervations d'un
Anglois ſur laTeinturede Pourpre , que
fournitun Coquillage communſur les côtes
de fon Pais ... Ce Coquillage n'eſt
qu'une des eſpeces compriſes ſous le genre
, appellé Buccinum par les Anciens ,
nomqu'ils avoientdonné àces eſpeces de
Poiffons , parce que la figure de la Coquille
dont ils font revêtus , a quelque
reffemblance à celled'un cors de chaſſe...
Pline livre 7. chap. 36. rangetoutes les efpeces
deCoquillages qui donnent laTeinturede
Pourpre ſous deux genres , dont
le premier comprend les petites eſpeces de
Buccinum , & le ſecond les Coquillages
-auſquels on a donné le nom de Pourpre ,
comme à la Teinture qu'ils fourniffent...
A6 Nos
12 MERC. GALANT .
Nos côtes d'Ocean , continuë M. de
Reaumur , ne nous donnent point de ces
derniéres eſpeces de Coquillages ; mais
enrevancheony rencontre très-communément
une petite eſpece de Buccсіпит ,
dont les plus grandes ont douze à treize
lignes de long , & fept à huit deDiame.
tre , dans l'endroitoù elles ſont plus groffes
... tournées en Spirales comme celles
denos LimaçonsdeJardin , mais un peu
plus allongées ...
C'eſt en conſidérant au bord de la côte
les Coquillages de cette eſpece , que je
trouvai une nouvelle Teinture de Pourpre
, que jene cherchois point... Je remarquai
que les Buccinum étoient ordinairement
affemblez autour de certaines
pierres , ou fous certaines arcades de Sable
, pour ainſi dire cimenté , quela Mer
ſeule a travaillées... & qu'ils s'y affembloientquelquefois
en fi grande quantité ,
qu'on pouvoit les y amaffer à pleines
mains , au lieu qu'ils étoient diſperſez ça
& là par tout ailleurs . Je remarquai en
même tems que ces pierres ou ces Sables
étoient couverts de certains petitsgrains...
dont la figure avoit quelque reffemblance
à celle d'un Spheroïde Elliptique , ou
d'une boule allongée ; la longueur de
ces grains étoit d'un peu plus de trois lignes
, & leur groffeurd'un peu plusd'une
ligne. Ils me parurent contenir une liqueurd'unblanctirantſur
lejaune, couleur
JANVIER 1711. 13
leur affez approchante de celle de la li
queur que les Buccinum donnent pour
Teindre en Pourpre. Cette ſeule reflemblance
, & la manière dont les Buccinum
étoient toûjours aſſemblez autour de ces
petits grains , fuffirent pour me faire
ſoupçonner qu'on en pourroit peut - être
tirer une Teinture de Pourpre , telle
qu'onlatirede ces Coquillages ... J'examinai
ces grains deplus près , j'en apperçûs
quelques-uns qui avoient un oeil rougeâtre.
J'en détachai auffi-tôt des pierresauſquelles
ils font fort adhérans , &
me ſervant du premier linge , & le moins
coloré qui ſe preſenta dans le moment ,
j'exprimai de leur fuc ſur les manchettes
de ma chemiſe ; elles m'en parurent un
peu plus fales , mais je n'y vis d'autres
couleurs qu'unpetit oeil jaunâtre , queje
démêlois à peine dans certains endroits.
D'autres objets qui attiroient mon attention
, me firent oublier ce que je venois
de faire. Je n'y penſois plus du tout ',
lorſque jettant par hazard les yeux ſur ces
mêmes manchettes , un demi quart
d'heure après , je fus frappé d'une agréableſurpriſe
, je vis une fort belle couleur
Pourpre fur les endroits où les grains
avoient été écraſez . J'avois peine àacroireunchangement
ſi prompt & fi grand...
Je ramaſſai de nouveau de ces grains ,
mais avec plus de choix , car j'avois foin
de ne détacher des pierres que ceux qui
A7 mc
14 MERC. GALANT.
me paroiffoient les plus blancs , ou plûtôt
les moinsjaunes ; Je moüillai encore mes
manchettes de leur ſuc , mais en des endroits
differens , ce qui ne leur donna
pointd'abordde couleur qui approchat en
aucune façondu rouge. Cependantje les
confiderai à peine pendant trois ou quatre
minutes , que je leur vis tout d'un
coupprendreune auffi belle couleur Pourpreque
lapremiére que ces grains avoient
donnée. C'en étoit affez pour ne pouvoirpas
douter que ces grains donnoient
une couleur Pourpre aufli belle que celle
des Buccinum ...
Monfieur de Reaumur rapporte enſuite
pluſieurs expériences , qu'il fit pour connoître
fi cette liqueur avoit autant de tenacité
que celle des Buccinum : il fait remarquer
que le linge trempé dans la liqueur
de ces grains , ne prend la couleur
de Pourpre que lors qu'on l'expoſe au
grand air ; & que quelques expériences
qu'il ait tentéespour découvrir ce que font
ces petits grains , iln'en a point fait d'affez
heureuſes pour yparvenir : qu'on tireroit
la liqueur de ces grains de Pourpre
d'une maniére infiniment plus commode
que celle dont les Anciens ôtoient la liqueurdes
Buccinum; & fait à ce ſujet un
détail très-ample & très- curieux , après
lequel il conclut qu'on pourroit tirer de
ces oeufs plus d'utilité que les Anciens
n'en tiroient des Buccinum , parce qu'il y
a
JANVIER 1712.
15
aincomparablement plus de ces oeufs que
de ces Coquillages , & qu'on auroitleur
liqueur beaucoup plus aiſement : enfin
que lacouleurde cette liqueurparoît parfaitement
belle fur le linge ; & que dans
legrand goût où l'oneſt à preſent pour les
Toiles Peintes , on pourroit s'en fervir
avec ſuccès pour imprimer ſur du linge
toutes fortes defigures. Cette liqueur auffi
bien que celle des Buccinum, y feroit ,
dit-il , d'autant plus propre , qu'elle ne
s'étend point par delà l'endroit où on l'a
poſée , de forte qu'elle pourroit toûjours
tracer des traits nets.
DeRome.
On ſçait que feu Monfieur Colbert , au
commencement de ſon Miniſtére , fonda
dans Rome , par l'ordre du Roi, une Académie
de Peinture , Sculpture , & Architecture
, où l'onenvoya , ſous la conduitede
M. Erard , plufieurs Peintres. Après
M. Erard , M. Coypel fut Directeur de
cette Académie . Ensuite M. Houaffe ,
auquel a fuccedé M. le Chevalier Poerfon ,
quiy eſt depuis feptans .
Rome a une autre Académie très fameuſe
& très - ancienne , appellée de Saint
Luc, dont le Directeur , qu'on appelle
Prince de l'Académie , étoit le célébre
Chevalier Marat , qui étant âgé dequa-
-tre16
MERC. GALANT.
tre-vingt neuf ans , & ne pouvant plus
vaqueur aux foins de cette charge , ona
choifi M. le Chevalier Poerſon , Directeur
de la nôtre , qui a été nommé Vice-
Prince de l'Académie de S. Luc , pendant
lavie duChevalier Marat , pour prendre
laplacede Prince après lui .
Le choix d'un François pour être chef
de l'Académie Romaine , fait voir que
les François ne ſont pas inférieurs aux Italiens
dans l'Art de Peinture . Mrs. de
Vernanſal & Beaunier , Eleves de l'Académie
Françoiſe , ont remporté les prix
dans cette même Académie Romaine ,
qui ont été délivrez en preſence de treize
Cardinaux , pluſieurs Princes , Prélats ,
&Seigneurs ; &les Académiciens de Larcadie,
qui eſt une Académie de beaux Efprits
établie à Rome , y reciterent pluſieurs
Ouvrages de Poëfie, à l'Aſſemblée ,
qui fut terminée par un Difcours que fit un
Prélat , à la loüange des Arts .
Le Roi content de la conduite de M.
Poerſon à Rome , aaugmenté ſa penſion
de mille livres , & a chargé Monſicurle
Marquis de Dangeau , de l'honorer de
l'Ordre de Chevalier de Saint Lazare ,
qui lui a été conferé au mois d'Octobre
dernier , par M. le Cardinal de la Tremoille
, après les preuves de Nobleſſe fair
tesdans les formes ordinaires ..
De
JANVIER 1712. 17
De Lorraine.s
Monfieur du Tertre , dont le Pere eſt
établi depuis pluſieurs années à Bar- le-
Duc , a foûtenu dans le Collége des Jefuites
de Rheims une Theſe dédiée à Son
Alteffe Royale Monfieur le Duc de Lorraine.
Le Portrait de ce Prince , gravé
par un habile Maître , faiſoit le fond de
cette Theſe . Monfieurle Duc de Lorraine,
pour faire honneur au Soûtenant , y
envoya Monfieur le Marquis de Litta ,
l'un des principaux de ſa Cour , & ci-devantGrand
Maître d'Hôtel de Madame la
Ducheſſe de Mantouë , avec le Pere Hugo
, Prieur des Prémontrez de Nancy , &
Hiſtoriographe de Lorraine. La Haran
gue que le Soûtenant adreſſoit àMonfieur
le Duc de Lorraine , étoit imprimée au
haut de la Theſe. Elle dit qu'il meritoit
de porter des Couronnes avant qu'il en
poffedat , & que ſa ſageſſe étoit leChefde
fonConſeil & le premier de ſes Confeillers
. A l'égard du ſujet de la Theſe , le
Soûtenant réjette le Syſtême des Automates
, & s'en tient aux formes ſubſtantielles:
il réjette auſſi le Syſtême de Copernic
, pour ſuivre celuideTichobrahé.
Ona placé dans l'Article des Mariages
celui de M. le Chevalier de Luxembourg ,
&
18 MERC. GALANT.
&l'on n'y a rien dit de ſa Maiſon. Perſonne
n'en ignore la grandeur. Tous les
Livres d'Hiſtoire en font pleins ; & j'évite
également de parler des Généalogies
trop connuës , &de celles qui le ſont trop
peu : mais onplace ici, commeOuvrage
nouveau d'Eruditionle Diſcours ſuivant ,
qui eſt nouvellement compoſé par M.
Chevillard. Ila fait fur certe Maifon des
Remarques très curieuses. Quoique ce
Diſcours foittrès long , je fuis perfuadé
qu'il n'ennuira pas , on peut hazarder
d'êtrelong dans lesſujets intéreſfans , &
qui eſt ce qui ne s'intéreſſe pas à tout ce
qu'on peutdire à l'occaſion de M. le Chevalierde
Luxembourg .
Discours nouveau sur l'Origine , la
Genealogie , la Maison de
Montmorency.
Out le monde est perfuadéde l'anti-
Tout quité de l'Illuſtre Maiſon deMontmorency
, & perſonne ne doute qu'elle ne
foit une des plus anciennes du Royaume,
La qualité de premiers Barons Chrêtiens
en France , avec le cri de Guerre ( Dieu
aide au premier Chrétien ) en marque la
grande antiquité . Mais la révolution des
Siécles paffez a fait perdre les vieux Titres,
la négligence des Hiſtoriens en dé.
robent
JANVIER 1712. 19
robent la mémoire , & il eſt mal aisé de
ſçavoir la vérité de fonOrigine.
Celui auquel nous avons obligationde
la connoiffance de cette Maiſon eft le fameux
André Duchêne , qui par fes foins
nous a laiſſé dans un gros Volume toute
ſa Foſtérité depuis Bouchard I. qui vivoit
en954. Mais il ne s'eſt pas embarraffe de
apporter ceux qui l'ont précédé, n'en
ayant point trouvé de preuves certaines ;
il rapporte ſeulement ce qued'anciensAuteurs
ont dit des premiers Seigneurs de
Montmorency.
Il dit qu'il fe trouve dans la partiedes
Gaules , qu'on appelle France , deux infignes
commencemens de Converfion; la
premiére par Saint Denis , premierEvêquedeParis
, qui a procuré la Converſion
desGaulois; & la feconde par SaintRemy
, Archevêque de Paris , quiconvertit
lesFrançois. Ces deux Converſions font
cauſe de deuxopinions touchant l'Auteur
d'une fi noble extraction .
La première , que Lisbius , Chevalier
d'une très grande Nobleffe & d'autorité
parmi les Parifiens , étoit Seigneur de
Montmorency , proche de cette Ville , &
fut le premier des Gaulois qui embraffa
laReligion Chrêtienne , à la prédication
de Saint Denis , vers l'an centiéme de notre
Rédemption , ſuppoſé que ce fut Saint
Denis l'Areopagite , qui avoit été converti
par Saint Paul , Apôtre: mais ſi l'on fuir
le
20 MERC. GALANT.
le ſentiment de Gregoire de Tours , qui
rapporte l'arrivée de Saint Denis dans les
Gaules , fous le Conſulat de Decius &de
Gratus , la Converfion de Lisbius ne
pourroit être que vers l'an 253 .
La ſeconde opinion , qui eſtde Robert
Cenal , Evêque d'Avranches , au premier
Livre de ſes Remarques Gauloiſes ,
& deClaude Fauchet , au ſecond Livre de
ſes Antiquitez Françoiſes diſent , que celui
qui a donné origine à la Maiſon de
Montmorency , ne fut pas le fameuxGaulois
Lisbius , mais un GrandBaron François
, nommé Liſoie ( lequel quand Clovis
premier Roi Chrêtien de France, fut
baptisé par Saint Remyà Rheims en 499. )
fut lepremier des Seigneurs deſa fuite ,
qui ſe jetta dans laCuve des Fonds après
lui; en mémoire dequoi ſes Deſcendans
mâles ont été honorez du titre de premiers
Barons Chrêtiens de France , & ont toûjours
eudepuis pour cri de Guerre , Dieu
aide au premier Chrêtien.
Quoi qu'il en ſoit , on ne peutdouter
que lesdeux qualitez qui ont toûjours été
dans cette Illustre Maiſon , de premier
Chrêtien , &de premier Baron Chrêtien
en France , n'ayent une Origine très ancienne
, & très illuſtre , qui marque que
les anciens Seigneurs de Montmorency
étoient des plus puiſſans du Royaume :
mais comme la ſucceſſion depuis Lisbius ,
ou de Lifoie , n'a pu ſe conſerver juſques
à
JANVIER 1712 . 21
à nous , il faut s'en tenir à ce que nous
avons de plus aſſuré , & fuivre ce qu'ena
écrit Duchêne , auquel je renvoye le Lecteur
, qui commence l'Hiſtoire de cette
Maiſon à Bouchard Premier , comme j'ai
dit ci-devant , &quinous adonné la ſuite
de ſa Poſtérité , qui eſt rapportéedans la
Carte Chronologique de cette Maiſon ,
par MonfieurChevillard , qui donne à ce
Bouchard Premier un Pere , un Ayeul ,
&un Biſayeul , que Duchêne ne rapporte
pas; mais les ayant trouvez dans un
Auteur , il les a rapportez pour faire connoître
les Alliances illuſtres qu'ils avoient
contractées , puiſque Jean Seigneur de
Montmorency , Pere de Bouchard Premier
, qui vivoit en 940. avoit épousé
Jeanne , Fille de Berenger , Comte de
Beauvais , Fils d'Adolphe , Comte de
Vermandois , Everard Seigneur de Montmorency
, qui vivoiten 892. Perede Jean
& Ayeul de Bouchard Premier , époufa
Brunelle , Fille de Gaultier , Comte de
Namur , &Leuto ou Leutard , Seigneur
de Montmorency , qui vivoit en 845.
avoit épousé Everarde , Fille d'un Comte
de Ponthieu: ce Leuto étoit Pere d'Everard
& Biſayeul de Bouchard Premier ,
c'eſt à lui qu'il commence cet Arbre Genealogique
, afin de faire connoître les
trois divers changemens qu'il y a eus dans
les Armes de la Maiſonde Montmorency .
Ceux de cette Maiſon ayoientpris dabord
22 MERC. GALANT.
bord pour leurs Armes , comme premiers
Chrêtiens , d'or à la croix de gueules;
Bouchard Premier la cantonna de quatre
aiglettes ou allerions d'azur , pour conferver
la mémoire de quatre Enſeignes Imperiales
priſes à la Victoire qu'il rempor
ta ſur l'Armée de l'Empereur Othon II .
Matthieu I I. dit leGrand , augmenta les
quatre allerions de douze autres , enmémoire
de douze autres Enſeignes Imperiales,
qui furent priſes à la Bataille de
Bouvines fur l'Empereur Othon IV. en
1214. Ainfi depuis ce tems-là les Seigneurs
deMontmorency ont toûjours porté
à la croix de gueules , cantonnée de
ſeize allerions d'azur ; & comme cette
Maiſon a formé quantité de Branches ,
ils ont brifé leurs Armes différemment ,
comme on le voit dans la Carte Genealogique.
Mais à preſent comme la Branche
aînéeeſt éteinte en la perſonnede Philippe
deMontmorency , Seigneur de Nivelle ,
&Comte de Horne décapité en 1568.auquel
la Branche de Foſſeux a fuccédé à
Paîneſſe , toutes les autres Branches des
Seigneurs de cette Maiſon ontquitté leurs
brifures , & ont retenu les Armes pleines
qu'ils portent preſentement.
LaMaiſon de Montmorencys'eſt ſéparée
en quantité de Branches ; il yenaeu
pluſieurs anciennes qui font éteintes ,
mais elle a conſervé ſon nomjuſqu'à aujourd'hui
, par la ſucceſſion de la Branche
aînée ,
JANVIER 1712. 23
aînée , dans pluſieurs Branches qui ſubfiftent
, & quoi qu'il paroiffe de grandes
Branches forties de Mathieu II. dit le
Grand , Seigneur de Montmorency, il
n'y a eu que la Poſtérité de ſon Fils aîné
Bouchard V I. qui ait retenu le nom de
Montmorency , parce quefon Fils Caden
Guy de Montmorency, fut Seigneur de
Laval, qui comme Héritier de ſa Mere.
Émede Laval , fortic d'une très noble&
très illuſtre Maiſon , enatranſmis lenom
à fesDescendans , qui leretiennent enco
re aujourd'hui , ayant retenu les Armes
deMontmorency , la Croix chargée de
cing coquilles d'argent pour brifure,.
comme Cadets defa Maiſon.
Quant aux honneurs de certe Maiſon,
on ne peutdiſconvenir qu'elle eſtdesplus
illuſtrées , tant dans les Alliances qu'ils
ont contractées, que dans les Charges
qu'ils ont poffédées : les hommeurs quils
ont euspar leurs Alliances , les font tous
cher de près àtout ce qu'il y a eude Têtess
couronnéesdans l'Europe , & pour le faie
re connoître il faut diftinguer ſes Allian
ces en trois maniéres. Premiérement,
dans- fon ancienneté : Secondement, depuis
la féparation de ſes deux Branches ,
les Alliances que celle de la Branche de
Montmorency a contractées : Troifié
mement , celle que la Branche de Laval a
cues.
Premiérement , les Alliances qu'ils
ont.
24
MERC . GALANT.
ont euës anciennement ſonttrès conſidérables
, puiſque la première qui eft rapportée
par Duchêne , eſt l'Epouſe qu'il
donne à Bouchard I. Elle ſe nommoit
Hildegarde , & étoit Fille de Thibaud I.
Comte de Chartres & de Blois , & de Ledegarde
de Vermandois. Elle avoit pour
Frere Eudes I. Comte de Chartres &de
Blois , Pere de Eudes II. Comte de Champagne
, duquel font fortis tous les Comtes
deChampagne ; & pour Soeur Emme ,
Femme de Guillaume III . DucdeGuyenne
, Mere de Guillaume IV. Duc de
Guyenne , élu Roi d'Italie, &Empereur
des Romains , duquel font deſcendus les
Ducs de Guyenne , & Agnes , Femme de
l'Empereur Henri III .
Hildegarde avoit pour Alliances du
côté de la Mere , Ledgarde de Vermandois
, qui étoit Fille de Herbert II . Com.
te deVermandois , & d'une Soeur de Hugues
leGrand , Duc de France , & Comtede
Paris , Pere du Roi Hugues Capet ,
&auſſi Soeurd'Emme , Reine de France ,
Femme de Raoul , Duc de Bourgogne ,
& Roi de France ; ſi bien qu'elle étoit
Coufinedu ſecond au troifiéme dégré du
Roi HuguesCapet , chef de la troifiéme
Race des Rois de France qui fubfifte aujourd'hui
.
Mathieu I. Seigneur de Montmorency,
Connêtable de France , épousa Aline ,
Fillede Henri I. Roi d'Angleterre , & en
fcJANVIER
1712 . 25
ſecondes Nôces il épouſa Alix de Savoye ,
Veuve du Roi Loüis VI. dit le Gros , Mere
du Roi Loüis le Jeune , ſi bien qu'il
avoit l'honneur d'être Beau-Peredu Roi ,
pour lors régnant .
Bouchard V. s'allia avec Laurence ,
Fille de Baudoüin , Comte de Hainaut ,
deſcendupar les Comtes de Flandres , de
l'Empereur Charlemagne ; elle étoit Tantede
Baudoüin V. Comte de Flandres , &
Empereur de Conſtantinople , d'Iſabeau
deHainaut , Epouſe du Roi de France
Philippe Auguſte , & d'Ioland de Hainaut,
Imperatrice de Conftantinople ,
Femme de Pierre de Courtenay , auquel
elleporta laCouronne Imperiale.
Matthieu II . avoit épousé en premiéres
Nôces Gertrude de Néelle , Fille de
Thomas , Châtelain de Bruges en Flandres
, & d'une Soeur d'Yves , Comte de
Soiffons , Seigneur de Néelle. C'eſt de
cetteDameque toute laMaiſondeMontmorency
d'aujourd'hui deſcend , parce
que Matthieu II . Epouſa en ſecondes Nôces
Emme de Laval , qui lui donnapour
FilsGuyde Montmorency , Seigneur de
Laval , comme je le dirai ci-après ; cette
Dame étoit Soeur aînée d'Iſabeau de Laval
, Femmede Bouchard VI . Seigneur de
Montmorency , Fils aîné du premier lit
de Mathieu II . Ainſi l'on peut dire que
dans la ſéparation des deux Branches de
Montmorency , & de Laval , ils ont les
Tome V.
B mê
26 MERC . GALANT .
mêmes Alliances , puiſque par les maria.
ges de ces deux Dames de la Maiſon de
Laval , ils ſe trouvoient alliez des Mai
fons deFrance , d'Angleterre , d'Ecoffe ,
de Caſtille , des Comtes de Thoulouſe ,
& de quantité d'autres Maiſons très- confidérables.
Secondement , les Alliances que la
Maiſon de Montmorency a contractées
depuis ſa ſéparation d'avec la branche de
Laval , font celles queMathieu III . contracta
avec Jeanne de Brienne , Fille de
JeanRoi de Jerufalem , qui étoit Fille de
HenriComte deChampagne Roi de Jerufalem.
Cette Alliance leur en donna de
nouvelles avec la Maiſon de France , puiſ
queHenriComtede Champagne , Roide
Jerufalem , avoit pour Mere Marie de
France , Fille du Roi Louis le Jeune ,
avec les Rois de Navarre de laMaiſon de
Champagne , & avec les Rois de Jerufa
lem&de Chypre , de laMaiſon de Lefi
gnen.
Mathieu IV. dit leGrand , Seigneur de
Montmorency , Fils de Mathieu III. s'al
lia avec Mariede Dreux , Princeſſe dufang
de France , Fille de Robert IV.Comte de
Dreux , qui avoitpour quatrième Ayeul
Robert de France Comte de Dreux , Fils
du Roi Louis le Gros. D'ailleurs elle
éroit fa Parente par trois endroits , d'a
bord au quatrième dégré du côté mater
nel , par la Maiſon de Craon , parce que
Mau
JANVIER 1712. 27
Maurice Seigneur de Craon , fut Pere de
Havoiſe de Craon , Femme de Guy VI.
Seigneur de Laval , qui étoit Pere d'líabeau
de Laval , mariée à Bouchard VI .
Seigneur de Montmorency , Ayeul de
Mathieu IV. & d'Amaury deCraon , Pere
de Jeanne de Craon , Femme de Jean
ComtedeMontfort , Ayeule Maternelle
de ladite Dame Marie de Dreux , par la
MaiſondeMontfort. Elle étoitſa parente
du quatrième au cinquième dégré , &
par celledeCoucyducinquiéme au fixieme.
1
... Ce ne ſeroit jamais fait fi on vouloit
particulariſer toutes les Alliances les unes
après les autres , on ſe renferme aux trois
ſuivantes; lapremiére eſt celle que Henri
Duc de Montmorence II. du nom , Pair
Maréchal , & Amiral de France , contracta
avec Marie Felice des Urfins en
1612. ,par l'entremiſedu Roi Louis XIII .
&de la Reine Marie de Medicis ſa Mere ,
Pour lors Régente du Royaume , qui étoit
ſa Parente du deuxième au troiſième dégré
, puiſque la Reine avoit pour Pere
FrançoisdeMedicis , Grand Duc de Tofcane,
qui étoit Frere d'Eliſabeth deMedicis,
Femme de Paul des Urfins , Duc
deBracciano , Ayeul de Madame laDu .
cheffe de Montmorency : ainfil'on peut
voir par cette Alliance , l'eſtime que le
Roi Loüis XIII. d'heureuſe mémoire , faifoit
de cette Maiſon , puiſqu'il faifoit
épou- L B2
28 MERC. GALANT.
épouſer à Monfieur le Ducde Montmoren.
cyſaParente au troiſièmedégré.
Laſeconde Alliancedes trois auſquelles
on s'eſt retranché , eſt celle de Charlote
Marguerite de Montmorency , Soeur &
Héritière de Henri II . Duc de Montmorency
, mort fans poſtérité , laquelle
épouſa en 1609 Henri de Bourbon II . du
nom , Prince de Condé . Cette Princefſe
, après la mort de fon Frere , hérita du
Duché de Montmorency , & de pluſieurs
autres biens qui ſont entrez par cette Alliance
dans la Maiſon de Condé.
La troifiéme Alliance eſt celle que fit
François Henri de Montmorency Duc de
Piney-Luxembourg forti de la branche
deBouteville , qui épouſa en 1661. Magdelaine
- Charlotte - Bonne - Thereſe de
Clermont , Ducheſſe de Piney - Luxem
bourg , Fille de Charles Henri de Clermont-
Tonnerre , & de Marie de Luxembourg
, Ducheffe de Pincy , qui ſe défit
de ſaDuché en mariant ſa Fille , à condition
que ſon Epoux porteroit le nom & les
Armes de Luxembourg , luitranſmettant
le droit de ſa Duché femelle , afin de conſerver
le nom de cette illuſtre Maiſon ,
qui a donnépluſieurs Empereurs des Romains
, des Rois de Bohéme , des Reines
de France , & à d'autres Couronnes de
l'Europe.
Ayant ci-deſſus diſtingué les Alliances
de la Maiſon de Montmorency en trois
maJANVIER
1712 . 29
maniéres : Premiérement , dans ſon commencement
: Secondement , depuis la
ſéparation de ſes deux grandes branches ,
&en troifiéme lieu , en celle que la branche
de Laval a euë depuis ſa ſéparation
d'avec celle de Montmorency ; J'en rapportequatre
qui ſont d'une très-grande illuſtration.
La premiére eſt celle que
Guy X. , Comte de Laval , contracta
en 1347. avec Beatrix , Fille d'Artus ,
Duc deBretagne , &dont l'arrière Petite
Fille, Iſabeau de Laval , épouſa Loüis
de Bourbon , Comte de Vendôme. C'eſt
cette ſeconde Alliance qui doit aujourd'hui
faire plus de plaiſir à la Maiſon de
Montmorency; puiſque c'eſt de cette Iſabeau
de Laval que deſcend toute laMaifon
Royale de Bourbon , étant la ſixiéme
AyeulePaternellede notre grandMonarque
Louis XIV . à preſent régnant , qui
voit en cette preſente année 1712. fon
Trône affermi dans ſa Maiſon pour pluſieurs
années , par la naiſſance de ſes arriére
Petits Fils , Monſeigneur le Duc de
Bretagne , & Monſeigneur le Duc d'Anjou
, & par cette Alliance toutes les Têtes
Couronnées de l'Europe qui régnent aujourd'hui
, ſont alliées à la Maiſon de
Montmorency.
La troifiéme Alliance qui fait encore
honneur à cette Maiſon , c'eſt de voir
René d'Anjou , Roi de Naples & de Jerufalem
, qui épouſa Jeanne de Laval en
fc-
B 3
30 MERC. GALANT.
ſecondes Nôces : mais cette Reine n'en
ayant point eu d'Enfans , il n'eſt reſté à
fa Familleque le plaiſir de s'en ſouvenir.
La quatriéme & derniére Alliance eſt
celle de Charlotte d'Arragon , Fille de
Frederic d'Arragon , Roide Naples , qui
fut Femmede Guy XVI . , Comte de Laval.
Ils eurent pluſieurs Enfans , entre
autres deux Filles , dont l'aînée Catherine
de Laval , Epouſa Claude Sire de
Rieux , qui porta dans la Maiſon deColigny
le Comtéde Laval , qui après l'extinction
de cettebranche , eſt tombé dans
cellede ſa Soeur cadette Anne de Laval ,
qui épouſa François de laTremoille , Vicomte
de Thouars , dont eſt deſcendu
Monfieur le Duc de la Tremoille , qui
poffede aujourd'hui le Comté deLaval ,
&qui à cauſe de cette alliance , fait fes
proteſtations à tous les Traitez de Paix ,
où il envoye une perſonne pour le repreſenter
, prétendant au Royaume de Naples
comme héritier d'Anne de Laval ſa
quatrièmeAyeule.
Sans s'attacher à toutes les Alliances
Souveraines de cette illuftre Maiſon , je
dirai qu'il y en a quantité d'autres très
conſidérables qui lui font alliées , & le
grand nombre de Maiſons qui y ont pris
des Femmes , tient à honneur d'en être
defcendu , & fe font un plaifir d'arborer
lesArmes deMontmorency dans leurs alliances.
L'on
JANVIER 1712 . 3
L'on voitparmi les grands Officiers du
Royaume de France, plus de Seigneurs de
laMaifondeMontmorency que d'aucune
autreMaiſon ; l'on y compte deux grands
Sénéchaux , fix Connêtables , & un Connêtable
d'Hibernie , neuf Maréchaux ,
quatre Grands Amiraux , trois Grands
Maîtres de la Maiſon du Roi , trois Grands
Chambellans , deux Grands Bouteillers
ou Echanfons , & deux Grands Panne .
tiers.
Pluſieurs Connêtables ,&autres Grands
Officiers de France , font fortis de cette
Maiſon très Illuſtre , ou en ont époufé
des Filles ; outre que cette Maiſon a aufli
produitpluſieursDucs & Ducheffes.
Quoi que la vertu & la Religion ayent
toûjours été le partage des Seigneurs de
Montmorency , néanmoins l'on en voit
très peu qui ayent été revêtas de Dignitez
Ecclefiaftiques ; l'onen voit cependant un
Archevêque Duc de Reims , des Evêques
d'Orleans , & peu d'autres .
Ils ont encore l'honneur d'avoir un
Saint reconnu par l'Eglife , dont on revere
la mémoire aux Vaux de Cernay en
Beauce , c'eſt Saint Thibaud de Montmorency
, Seigneur de Marly , Fils de
Mathieu premier , d'Aline d'Angleterre ,
lequel ſe croiſa en 1173. pourle voyage
dela Terre Sainte. A fon retour il ſe fit
Religieux de l'Ordre de Cifteaux , en
l'Abbaye du Val , puis il fut Abbé des
B 4
Vaux
1
32 MERC. GALANT.
Vaux de Cernay à quatre licuës de Verfailles
, entre Chevreuſe & Ramboüillet ,
où il mourut ſaintement vers l'an 1189 .
Enfin tant de grandeur dans une Maiſon
faitaffez connoître que la Valeur a étéhéréditaire
dans l'ame des Seigneurs de Montmorency
, & leur a fait mériter tous ces
honneurs , pour avoir toûjours répandu
leur ſangpour la défenſe de leurs Rois , &
de leur Patrie , s'étant toûjours trouvez à
la tête des Armées qu'ils commandoient en
chef, où ilsont fait paroître leur courage
avec éclat au milieu des plus grands périls.
Je n'en veuxpoint un plus grand exemple
que celui d'Anne de Montmorency ,
Duc , Pair , Maréchal , Connêtable , &
Grand Maître de France , lequel après
avoir blanchi ſous le harnois militaire ,
pour la défenſe du Roi , & de la Patrie ,
remporta dans le Tombeau la gloire d'être
mort au lit d'honneur , puiſque commandant
l'Armée Royale à la Bataille de Saint
Denis , il y reçût huit coups mortels ,
dont il mourut deux jours après en fon
Hôtel deMontmorency à Paris , étant âgé
de près de quatre vingt ans , comblant
par ce moyen les derniers jours de ſa vie
d'une fin très glorieuſe , après avoir ſervi
cinq Rois , & après avoir paffé par tous
les degrez d'honneur , & s'être trouvé à
huit Batailles , en ayant commandé quatre
en chef; auſſi le Roi Charles IX. voulant
JANVIER 1712 . 33
lant honorer lamémoire de ce grandChef
de Guerre , ordonna que ſa Pompe Funebre
fût faite en l'Egliſe de Notre-Dame de
Paris , avec toute la magnificence poffible
, où toutes les Cours Souveraines affiſtérent
par ordre du Roi. De là fon
Corps fut porté en l'Eglife de Saint MartindeMontmorency
, & fon Coeur en celle
desCeleftins de Paris , où il fut mis dans
un Caveau , proche de celuiduRoiHenri
II. Il étoit bien juſte qu'un coeur qui
avoit été aimé de fon Prince , &qui avoit
eu part à ſes plus importantes affaires , füt
après ſon trépas inhumé proche de celui
qui lui avoit fait tant d'honneur durant ſa
vie.
M. Chevillard vient de mettre au jour
une Carte qui a pour Titre : Succeffion
Chronologique des Empereurs , &desImpératricesd'Occident
, depuis Charlemagne
jusqu'àpreſent .
On n'entreprend point de rapporter
dans cette Carte les Empereurs Romains ,
ni les Empereurs d'Orient : on s'eſt borné
à rapporter la Chronologie des Empereurs
, & des Impératrices d'Occident ,
qui font ceux qui ontrégné enEurope depuis
l'an 800. On commencepar Charlemagne,
que l'erreur commune fait leReftaurateur
de l'Empire d'Occident , quoi
qu'il ſoit vrai qu'il étoit Empereur avant
qu'il eût été reconnu tel par lesRomains,
B
étant
34 MERC . GALANT
étant Empereur par ſa ſeule qualité de Roi
des François , l'Empire d'Occident oudu
moins celui des Gaules ayant été cédé à
Clovis en 508. & confirmé à ſes petits Fils
par l'Empereur Juſtinien. Il est vrai que
depuis l'an 875. on n'a reconnu pour Empereurs
que ceux qui ont été reconnus tels
par les Papes , que même les Rois deGermanie
, &d'autres qui ont été couronnez
Empereurs , n'ayant pris ce titre, du
moins juſqu'au Siècle dernier , qu'après
ce Couronnement , fe contentant , juf
qu'à cette Cérémonie , de celui de Roi des
Romains ou d'Empereur élu . On met
néanmoins dans cette Carte ceux que l'er.
reur publique reconnoît pour Empereurs
ou qui ont été élus Empereurs , par des
Partis, pour les oppoſer à ceux qui avoient
été légitimement élüs , ils font diftinguez
par des Couronnes différentes .
Discours fur la Dignité des Empereurs
, &fur fon Origine.
L
Etitre d'Empereur a prisfonOrigine
des Romains , elle ne ſignifioit pour
lors que Commandant ou Général des Armées
, & il étoit beaucoup au deſſous de
celui de Roi , & marquoit une Puiflance
moins abfolue ; ce qui porta Auguſte à la
prendre , lorſque vingt-neufannées avant
laNaiffance de Jeſus -Chriſt , il ſe fut rendu
JANVIER 1712. 35
du maître de Rome , & de tous les Païs
foumis à la République Romaine , ſous ce
feul titre d'Empereur il jouit d'une Autorité
Souveraine . Ses Succeſſeurs prirent
&portérent le même titre qu'ils crurent
dans la fuite fort ſupérieur à celui de Roi ,
parce que leurPuiſſance & leur Domination
, étoit plus grande que celle d'aucun
Roi de la Terre .
Les Païs foumis à la Domination Romaine
s'appellérent l'Empire Romain :
cetEmpireétoitd'une étendue très vaſte.
Il arrivoit ſouvent par des Révoltes qu'on
voyoit s'y élever des Empereurs , que
l'ambition Romaine n'a traité que de Tyrans.
Poſtume s'éleva de la forte en 260 .
&forma l'Empire des Gaules , qui comprenoit
les Gaules , l'Eſpagne & les Ifles
Britanniques.
Cet Empire des Gaules , détaché de
F'Empire Romain, ſubſiſta peu , & fe rétabliedans
la fuite pardes Partages . Il
fut le feul que l'Empereur Conftans ,
Pere de l'Empereur Conſtantin aitpoſlédé;
ce dernier réünit tout l'Empire en ſa
Perſonne, ſes Fils le partagérent , Conftantin
, qui étoit l'aîné , eut l'Empire
desGaules& lepoſſéda.
Dans la ſuite , & particulièrement depuis
la mortdu grand Theodoſe , l'Empire
Romain ſe trouva partagé en deux ;
fçavoir l'Empire d'Occident , dontRome
étoit la Ville Capitale , & l'Empire d'O,
B6 rient
36 MERC. GALANT.
rient , qui avoit Conſtantinoplepour Ville
principale. L'Empire d'Occident finit
en laperſonned' Auguſte Momille pris priſonnier,
& déposé le 31. Octobre 476.
L'Empire d'Orient a fini le 20. Mai 1453 .
par la mort de Conſtantin Paleologue ,
qui défendit la Ville de Conſtantinople
contre Mahomet II . Empereur des Turcs ,
qui la tenoit aſſiégée. Conſtantin fut
étouffé par la foule à une des Portes de la
Ville , ſon Corps ayant été trouvé on lui
coupa la tête , qui fut miſe au boutd'une
pique: les Femmes & les Enfans quirefzoient
de la Maiſon Imperiale , furent
maſſacrez , ainſi finit l'Empire d'Orient ,
qui a été depuis aux Turcs qui le poffèdent
depuisce tems.
L'Empire d'Occident , ou du moins celui
des Gaules , fut cédé à Clovisen 508 .
&confirmé à ſes petits Filspar l'Empereur
Juſtinien ; ainſi Charlemagne , que l'erreur
commune fait le Reſtaurateur de
l'Empire d'Occident en 800. étoit Empereur
par ſa ſeule qualitéde Roi des François
, & l'Empire a reſté dans ſa Famille
l'eſpace de cent onze anspendant le Régne
dencufEmpereurs deſcendus de lui, cinq
deſquels ont été Rois de France , après
quoi l'Empire a paflé à des Princes dedifférentes
Maiſons par élection. Ilyena
cu cinq de la Maiſonde Franconie, cinq
de la Maiſon de Saxe , ſept de celle de
Souabe , deux de celle de Brunswick , un
de
4
JANVIER 1712. 37
de celle de Naſſau , cinq de celle deLuxembourg
, deux de Bavière , ſeize de
celle d'Autriche , y compris l'élection de
l'Archiduc , deſquels ſeize Empereursil y
en a treize de ſuite & fans interruption
depuis l'élection de l'Empereur Albert I I.
en 1438. qui font deux cens ſoixante &
treize ans , que l'Empire n'eſt pas forti de
leur Maiſon. Il y a eu quantitéd'autres
Maiſons , qui ont été honoréesdela Pourpre
Imperiale , comme ſont cellesdeSpo-
Jette, de Provence, de Frioul , de Quefort
, de Hollande , d'Angleterre , &
d'Eſpagne ; tous lesquels Empereurs ſe
voyent dans la Carte que M. Chevillard ,
Hiſtoriographe de France , & Genealo.
gifte du Roi , vient de mettre au jour ,
danslaquelle ſont compris chronologiquement
tous lesEmpereursd'Occident, depuis
Charlemagne juſqu'à preſent ,
les Impératrices cesleursEpouſes.
avec
Monfieur Chevillard adonné auPublic,
depuis vingt ans , nombre de Cartes de
Chronologie , d'Histoire , & de Blaſon ,
en quatre-vingt-deux feüilles , & travaille
à pluſieurs autres ſujets , qu'il eſpérequi
feront plaifir au Public. On trouve encorechez
leditChevillard une grandeCarte
enhuit feüilles , de l'Hiſtoire de l'Ancien
Teftament en Genealogie , depuis
Adamjuſqu'à Jeſus-Chriſt,danslaquelle,
outre laGenealogie, ilſe trouve l'Hiſtoire
Sainte , & celle des RoisContemporains
desPatriarches . B7 Mon38
MERC. GALANT.
Monfieur Chevillard demeure toûjours
Ruë Neuve Notre-Dame , au Duc de
Bourgogne.
Vous venezde voir l'Origine des Empereurs
; voici les Cérémonies de leurs Couronnemens.
L'Empereur doit être couronné trois
fois , & ce n'eſt que par le dernier Couronnement
qu'il eſt en pleine poffeffionde
fon Etat.
Le premier Couronnement ſedoit faire
àAix-la-Chapelle, où il eſt couronnéRoi
de Germanie . Cette Cérémonie ſe fait
en lui mettant ſur la tête la Couronne de
Charlemagne , & en le revêtant des autresOrnemens
Royaux , qu'on croit avoirſervi
à ce Prince. Le Magiſtrat de Nuremberg
qui les a en garde les apporte à
Aix-la-Chapelle. On les appelle ordinairement
les Joyaux , ou les Clinodes de
l'Empire , en Latin Clinodia Imperii. II
arrive ſouvent que le Couronnement ne
ſe fait pas à Aix , mais dans une autre
Villed'Allemagne , foit que la Guerre foit
dans les environsde cette Ville , ſoit qu'il
yait des maladies contagieuſes , ou par
d'autres raifons que le College des Electeurs
trouve valables. L'Empereur Jofeph
avoit été couronné à Augsbourg , &
fon Pere l'Empereur Leopold avoit été
couronné à Francfort .
Suivant le quatriéme Chapitre de la
Bulle d'Or , le Droit decouronner l'Empereur
JANVIER 1712 . 39
pereur à Aix- la-Chapelle appartient à l'Electeur
de Cologne. Quand il est arrivé
quele couronnemene ne s'eſt point fair à
Aix , l'Electeur dans la Province Ecclé
ſiaſtique duquel il s'eſt fait , luia diſpuré
fondroit. Ila prétendu que l'honneur de
couronner l'Empereur , n'étoit déferé
par la Bulle d'Or à l'Electeur de Cologne,
que parce qu'Aix-la- Chapelle eft dans le
reffort Eccléſiaſtique de l'Archevêché de
Cologne. Jean Philippe de Schonborn ,
Electeur de Mayence , prétendit couronner
l'Empereur Leopold , parce que le
couronnement de ce Prince ſe faifoit à
Francfort , qui eſt du reffort de l'Arche.
vêché de Mayence. Depuis il a été fait
une tranſaction entre l'ElecteurdeMayence&
celui deCologne , qui dit que lorf
quelecouronnement ſe fera à Aix-laChapelle
, il ſeratoujours fait par l'Electeur
de Cologne. Quand il fe ferahors du
reffort de l'Archevêché de Cologne , ces
Electeurs doivent alterner. Le dernier
qui eſt celui de l'Empereur Joſeph , fut
fait à Augsbourg , par les mains de l'E.
lecteur de Mayence , de la Maiſond'Ingelheim.
Ainfi c'eſt à l'Electeur deCologne
à faire lepremier.
Quand on élit un Roides Romains , on
le Couronne comme Roi de Germanie.
L'Empereur Joſeph fut ainſi couronné à
Augsbourgen 1690. Voilà pourquoi il
ne fut plus couronné enAllemagne après
la
40 MERC. GALANT
lamort de ſon Pere l'Empereur Leopold.
Le fecond couronnement de l'Empe .
reur ſe doit faire dans l'Etat de Milan ,
avec la Couronne des Rois de Lombardie,
qu'on appelle vulgairement laCouronne
de Fer , quoi qu'elle foit d'Or , parce
qu'elle eſt ſoûtenuë par un Cercle intérieur
de Fer . Par ce couronnement l'Empereur
eſt Roi de Lombardie.
Le troisième couronnement ſe doit faire
àRomepar les mains du Pape ; & ce n'est
que par ce troifiéme couronnement que le
Prince eſt Empereur , & le premier des
Souverainsde la Chrétienté. Juſqu'à ce
couronnement lui-même ne prend pas le
Titred'Empereur des Romains , mais ſeulement
le Titre d'éleu Empereur des Romains.
On ne conçoit pas comment il
s'eſt établi , qu'il ait néanmoins par lui &
par ſes Répreſentans les mêmes préroga.
tivesques'il étoit véritablement couronnéEmpereur
, quoique ſa digniténe ſoit
qu'élective . Charles Quint eſt le dernier
des Empereurs qui ait été couronné en
Italie , les autresn'ont été couronnez que
comme Rois de Germanie. Cependant
ils ont voulu ſe mettre en poffeffion de
tous les droits des Empereurs , même de
ceux qui paroiſſent attachez le plus inféparablement
à la Couronne Imperiale , &
au Sermentque le Prince élû doit faire à
l'Egliſe Romaine en la recevant par les
mains du Pape. Tel eſt le droit despremié.
JANVIER 1712 . 41
mières Prières , qui eſt à peu près le même
que celui qu'on appelle en France
Droit de joyeux avenement à la Couronne.
Ilconſiſteà nommer au premier
Canonicat vacant dans les Cathédrales ,
tant dans lesChapitres Catholiques , que
dans les Chapitres Proteſtans. Quand
l'Empereur Joſeph eut été élû Roi des Romains
, & couronné Roi de Germanie ,
ſon Pere l'Empereur Leopold conſulta les
plus habiles gens d'Allemagne , pour ſçavoir
ſi ſon Fils , en vertude ce couronnement
, pourroit ſe mettre en poffeffion du
droit despremières Prieres. Leurs réponſes
n'étant pas favorables , il n'y eut
point dedéciſion en forme.
Monfieur Sevin a donné la premiére
partiede ſes Recherches ſur l'Empire des
Aſſyriens. Dans le deſſeinde développer
l'Hiſtoirede cette ancienne Monarchie , il
commence par examiner quelle en a été
l'origine. Quoi qu'en diſent la plupart
desAuteurs Modernes , il foûtient qu'Affur
en doit être regardé comme le premier
Fondateur , chaſſe du Païs de Babilone
parNemrod , il ſe retira au delà du Tigre
dans les Provinces qu'arroſent le Lyc & le
Caper. Ce fut l'an 190. on environ après
leDeluge , que les fondemens de cet Em .
pire furentjettez . Il paroît par ce qu'en
dit l'Ecriture , que dès ſes commencemens
il fut affez conſidérable ; ſes Rois
néan42
MERC. GALANT.
néanmoins pendant plus de fix Siècles ,
ne firent aucune figure dans l'Orient. Be
lus fut le premier qui entreprit de faire
des Conquêtes; & ce Prince n'a vêcu que
deux cens vingt-deux ans avant la fameufeguerre
de Troye. C'eſt ce que M. Sevin
prouve par les témoignagesde Thallus
, d'Herodote , de Denis d'Halicarnaffe
, d'Appien , de Porphyre , & de
Macrobe : il fait voir enfuite comment
cePrince s'empara de la Province deBabis
lone. Voilà en peude mots le ſujerde tour
leDifcours de M. Sevin .
MER.
JANVIER 1711 . 43
MERCURE
II . PARTIE .
AMUSEMENTS.
Je reçois dans le moment un Mémoire
furune Avanture .Je voudrois pour l'amour
du Lecteur , qu'ellefût moins véritable&
plusjolie , elle meriteroit mieux le nom
d'Hiſtoriette , queje lui donnefeulement
parce qu'on en veut une chaque mois. Pardonnez
lanégligence duſtyle , lesmoisſont
biencourtspour l'Auteur du Mercure.
LE BON MEDECIN .
L
HISTORIETTE .
'Etédernier unriche BourgeoisdeParis
alla faire un voyage à Rouen , &
laifla
44 MERC. GALANT.
laiſſa chez luiſa Fille , pour avoir ſoin de
ſonménage ; elle prit tant de plaifir à le
gouverner , que cela lui donna envie d'en
avoir un à elle , un joli Voifin qu'elle
voyoit quelquefois, fortifioit beaucoup cette
envie : elle l'aimoit , elle en étoit aimée
, en un mot ils ſe convenoient , c'é .
toit un mariage fait , il n'y manquoit que
le conſentement du Pere , & ils ne doutoient
pointde l'obtenir à ſon retour. Ils
ſe repaiffoient un jour enſemble de cette
douce eſperance , lorſque la Fille reçût
une Lettre de ce Pere abfent : elle ouvre
la Lettre , la lit , fait un cri , & la laiffe
tomber : l'Amant la ramaſſe , jette les
yeux deſſus , & fait un autre cri. Cruelle
furpriſe pour ces deux tendres Amans !
pendant que cette Fille ſe marioit de fon
côté , le Pere l'avoit mariée du ſien , &
lui écrivoit qu'elle ſe préparât à recevoir
unMari qu'il lui amenoit de Rouen .
Quoi qu'il vienne de bons Maris de ce
Païs-là , elleaimoit mieux celui de Paris.
La voilà deſolée , ſonAmant ſe deſeſpere:
après les pleurs & les plaintes on ſonge au
remede ; la Fille n'en voit point d'autre
pourprévenir un ſi cruel mariage que de
mourir de douleur avant que ſon Pere arrive
. Le jeune Amant imagina quelque
choſe de mieux , mais il n'oſa découvrir
ſondeſſein à ſa maîtreffe . Non , difoitil
en lui même , elle n'approuvera jamais
un projet ſi hardi , mais quand j'aurai
réüfli,
JANVIER 1712 . 45
réüſſi , elle mepardonnera la hardieſſe de
l'entrepriſe ; les Dames pardonnent ſouventcequ'elles
n'auroient jamais permis .
Notre Amant la conjura de feindre une
maladie ſubite pour favorifer un deſſein
qu'il avoit , &fans s'expliquer davantage
ilcourut à l'expedientqui n'étoitpas trop
bien concerté. Le jeune homme étoit
vif , amoureux , &étourdi , à cela près
très raisonnable : mais les Amans les
plus raiſonnables ne ſont pas ceux qui
réüffiffent le mieux.
Celui -ci s'étoit ſouvenu à proposqu'un
Medecin de Rouen étoit arrivé chez un
autreMedecin ſon Frere ,qui logeoit chez
un de ſes Amis ; il s'imagina que ce Medecin
de Rouën pourroit bien être fon Ri
val , il prit ſes meſures là-deſſus.
**Il étoit aſſez beau Garçon pour avoir
couru pluſieurs fois leBal enhabit deFille.
A ce déguiſement , foutenu d'une
voix unpeu feminine , il ajoûta un corſet
garni d'ouatte , à peu près juſqu'à la grofſeur
convenable à une Fille enceinte de
ſept à huit mois : ainſi déguiſé, dans une
chaiſe àporteur , ſur la brune il va myſtérieuſement
chez le Medecin , ſe doutant
bien que le ſecret qu'il alloit lui confier
ſeroitbientôt revelé à l'autre Medecin ſon
Frere . La choſe lui réüſſit mieux encore
, car le Medecin de Paris n'étoit point
chezlui , n'y devoit rentrer que fort tard,
& le Medecin de Rouën étoit arrivé ce
our46
MERC. GALANT.
jour-là , & ſe trouvant dans la Salle ſe
crut obligé de recevoir cette Dame , qui
avoitl'air d'une pratique importante pour
fon Frere. Il engagea la converſation
avec la faufſe Fille , qui ne lui laiſſoit voir
ſon viſage qu'à travers une coëffe. Elle
lui tint des diſcours propres à exciter ſa
curioſité , &paroiffoit prendre confiance
aux fiens , àmeſure qu'il étaloit ſon éloquenceProvinciale
, pour lui paroître le
plushabile & le plus difcret Medecindu
monde. Dès qu'elle eût reconnu fon
hommepour être celui qui la devoit époufer,
c'est-à -dire qui devoit épouſer ſa maitreffe
, dont il vouloit faire ici le perſon
nage , il tira fon mouchoir , ſe mit à
pleurer&fanglotter fous ſes coëffes , &
après quelqu'une de ces cérémonies de
pudeur , quel'uſage a preſqu'autant abrégées
que les autres cérémonies du vieux
tems; il parla au Medecin en ces termes.
Monfieur , vous me paroiffez ſi habile
&fi galant homme , que ne connoiffant
pasMonfieur votre Frere plus que vous ,
j'aime encore mieux me confier à vous
qu'à lui. Enfuite la confidence ſe fit pref
que fansparler; la jeuneperſonneredoublaſes
pleurs , & entr'ouvrant fon écharpe
pour faire voir la taille d'une Femme
groffe, elle dit , Vous voyez la plus malheureuſe
Filledumonde.
Le Medecin des plus habiles , connur ,
fans lui tâter le poulx , de quelle maladie
elle
JANVIER 1712 . 47
elle vouloit guérir; il lui dit , pour la
conſoler , qu'il couroit beaucoup de ces
maladies- là cette année , & qu'apparemment
on lui avoitpromis mariage . Helas !
oùi, répliqua-t-elle , maisle malheureux
qui m'a féduite , n'a ni parole , ni honneur.
Aprèspluſieurs invectives contre le ſeducteur&
contre elle-même , elle conjura
leMedecindelui donner quelqu'un de ces
remedes innocens , quiprécipitent ledénouement
de l'avanture , parce qu'elle
attendoit dans peu un Maride Province.
Quoi que le Medecin ne s'imagina pas
d'abordqu'ilpût être ce Mari de Province
qu'on attendoit , il ne laiſſa pas d'avoir
plus de curiofité qu'il n'en avoit eu jufques-
là , & pour s'attirer la confidence
entiére , il redoubla ſes proteſtations de
zèle&dedifcretion . Enfin aprèstoutes
les ſimagrées néceſſaires , notre jeune
hommé déguiſé lui dit : Je ſuis la Fille
d'un tel , qui m'a écrit de Rouën , qu'il
m'avoit deſtinée un honnête homme ;
mais tel qu'il foit , on est trop heureule
de trouver unMari après avoir été trompée
par un Amant.13 Vous comprénez
bienquel fut l'effet d'une telle confidence
fur le Medecin , qui crût voir ſa fature
Epouſe enceinte par avance ; il demeura
immobile , pendant que lui embraſſant
lesgenoux, elle le conjuroir de conduire
la choſede façon , que ni fon Pere , nile
Mari
48 MERC. GALANT.
Mari qu'elle attendoit , ne pût jamais
foupçonner ſa ſageffe.
Le Medecin prit la deſſus le partide la
difcretion , & fans témoigner qu'il fût
l'honnête homme que l'on vouloit chargerde
l'iniquité d'autrui , il offrit ſon ſecours;
mais on ne l'accepta qu'à conditionqu'il
ne la verroit point chez ſon Pere
: on ſuppoſoit que le Medecin ſeroit alſez
delicat pour rompre un tel mariage ,
& affez honnête homme pour ne point
dire la cauſede la rupture.
LeMedecinalla chez le Pere dès qu'il le
ſçût arrivé ; ce Pere lui dit avec douleur
qu'il avoit trouvé en arrivant ſa Fille très
malade ; & celui- ci , qui croyoit bien
ſçavoir quelle étoit ſa maladie , inventa
pluſieurs prétextes de rupture ; mais le
Pere eſperant que la beauté de ſa Fille
pourroit renouër cette affaire qu'il ſouhaitoit
fort , mena notre homme voir la malade
comme Medecin , & elle le reçût
comme tel , ne ſedoutant point qu'il fût
celui qu'on lui vouloit donner pour Mari :
fon Pere n'avoit encor eu là-deſſus aucun
éclairciſſementavec elle , la voyant trop
mal pour lui parler ſfi-tôt de mariage; le
Medecin , qu'il pria d'examiner lamaladiede
ſa Fille , parla avec toute la circonſpectiond'unhomme
, qui ne vouloit rien
approfondir ; ildemandadu tems pour ne
Point agir imprudemment. Cettediſcrétionplût
beaucoup à la malade; elle crût
que
JANVIER 1712. 49
que connoiffant bien qu'elle feignoit cette
maladie , & qu'elle avoit quelque raiſon
importante pour feindre , il vouloit lui
rendre ſervice; dans cette idée elle le gracieuſa
fort , il répondit à ſes gracieuſetez
enMedecin quiſçavoit lemonde , en forteque
cetteConſultation devint inſenſiblement
une converſation galante ; c'eſt afſez
la methode denos Conſultans modernes
, &elle vautbien , pour les Dames ,
celledes anciensSectateursd'Hipocrates.
Le tour agréable queprit cette entrevûë ,
donnade lagayeté au Pere , quidit enbadinant
, que comme Pere difcret il laif
foitſa Fille conſulter en liberté ſon Mede
cin ; &les quitta , croyant s'appercevoir
qu'ils neſedéplaifoientpas l'un à l'autre.
Voilà donc le Medecin & la malade en
liberté ; leur tête à tête commença par le
filence. La Fille avoit remarqué dans ce
Medecin tous les ſentimens d'un galant
homme , mais elle héſitoit pourtant encore
à lui confier ſon ſecret. Lui de form
côté ne comprenoit pas bien pourquo
elle héſitoit tant; ſi l'on ſe ſouvient ici
de l'entrevûë du Medecin & de l'Amant
déguiſé en Fille enceinte , on comprendra
qu'une fi grande reſerve dans cette Fille
qu'il croyoit la même , devoit le ſurprendre;
cependant il y a des Filles fi vertueuſes
, qu'un ſecondaveu leur coûte preſque
autant que le premier. Notre Medecin
tâcha de r'appeller en celle-ci cette con-
Tome V.
C fiance
50
MERC. GALANT.
fiancedont il croyoit avoir étédéja honoré.
Cela produifit une converſation équi
voque , qu'on peut aifément imaginer :
la Fille lui parloit d'une maladie qu'elle
vouloit feindre pour éloignér un mariage,
&le Medecin d'une autre maladie plus
réelle, dont il croyoit avoir été dája le
Confident. Quoi qu'il touchâtcette cor
de trèsdelicatement , laFille en fremitde
ſurpriſe & d'horreur ; elle pâlit , elle
rougit, elle ſe trouble : tousces ſymptomes
étoient encor équivoques pour le
Medecin, lahonte jointe aurepentir fait
àpeuprès le même effer. Il fe fert pour
laraffurerdes lieux communs les plus con.
folans ; vous n'êtes pas la ſeule à Paris ,
lui dit-il , ce malheur arrive quelquefois
aux plus honnêtes Filles , les meilleurs
coeurs font lespluscrédules , il faut efperer
qu'il vous épouſera. 1
Onjuge bien que l'éclairciffement fuivitde
prèsde pareils diſcours ; mais on
ne ſçauroit imaginer la furpriſe où ils furent
tous deuxquand la choſe fut miſe au
net , le Pere arriva allez tot pour avoir
part à l'éclairciſſement&à la furprife. Ils
fe regardoienttoustrois , fans deviner de
quelle part venoit une fi horriblecalomnie;
la Fille même n'étoit pas encor au
faitlorſque ſon Amantarrivade lamanie
re que vous allez voir .
Pendant que ceci ſe paſſoit , l'Amant
inquiet vint s'informer de la Fille de
ンChamJANVIER
1712. 51
Chambre ſur le mariage qu'il craignoit
tant; elle avoit entendu quelque choſe de
la rupture , elle l'en inſtruifit, & il fut
d'abord tranſporté de joye : mais ayant
apris enſuite que le Medecin venoit d'avoirungrandéclairciſſement
avec le Pere
& la Fille , il perdit la tramontanne , &
courut comme un fol à la chambre deſa
Maîtreffe; & là tranſporté de deſeſpoir ,
il lui deınanda permiffion de ſepercerle
coeur avec fon épée: il n'oſa faire fans
permiflion cette ſeconde fottife , qu'elle
n'auroitpas plus aprouvée que la premiére.
Il entra donc , &ſe jetta la face con.
treterre, entre le Pere , la Fille , & le Medecin,
qui ſe regardoient tous trois fans
dire mot. La Fille parla la premiére ,
comme de raiſon , & fon Amour s'étant
changé en colere, elle neparla que pour
foudroyer le pauvre jeune homme. Elle
commença par lui défendre de la voir jamais;
le Pere auſſi outré qu'elle , le fit
fortir de fa Maiſon ; & la Fille auffi-tot
offrit ſamain au Medecin, pour ſe venger
de l'offenſe qu'elle avoit reçûë du jeune
homine. Le Medecin convint qu'il meritoitpunition
, &dit qu'il alloitlui-même
le faire avertir qu'il n'avoit plus rien à
prétendre: ainſi après que le Pere & la
Filleeurentdonné leurparole au Medecin ,
il promit de revenir le lendemain pour
terminer le mariage.
Le Pere & la Fille paſſerent le reſtedu
C2 jour
52 MERC. GALANT.
jour à parler contre l'imprudent jeune
homme; la Fille ne pouvoit s'en laffer ,
& fon Pere en la quittant lui conſeillade
dormirunpeupour appaiſer ſa colere , lui
faiſant comprendre qu'un Amant capable
d'une telle action ne meritoit que du mépris.
La nuit calma la violence de ſes
tranſports; mais au lieu du mépris qu'elle
attendoit , elle ne ſentit fucceder à ſa
colere que de l'amour ; elle fit pourtant
cent reflexions ſur le riſque où l'avoit miſe
ce jeune homme d'être le ſujet d'un
Vaudeville , mais elle ne pût trouver dans
cette action que de l'imprudence& de l'Amour
, & le plus blamable des deux ne
ſert qu'à prouver l'excès de l'autre , enforte
qu'avant le jour elle ſe repentit d'avoirdonné
ſaparole , & fut bientôt après
au deſeſpoir de ce qu'il n'y avoit plus
moyen de la retirer.
Quand le Medecin revint iltrouva ſon
Epouſe fort triſte ; je me doutois bien ,
dit- il au Pere , en preſence de ſa Fille ,
qu'elle n'oublieroit pas ſi-tôt , ni l'offence
, ni l'offenſeur ; elle pourroit s'en
ſouvenir encor après ſon mariage ; fon
Amant n'eſt pas prêt non plus d'oublier
fonAmour , je viens de le voir , j'ai voulu
le punir , en lui laiſſant croire pendant
vingt-quatre heures qu'il feroit malheureuxpar
ſon imprudence: il en eſt aſſez
puni , car il a penſé mourir cette nuit , je
m'apperçois auffi que votre Fille est fort
mal,
JANVIER 1712 . 53
mal , voilà de ces maladies que ſçavent
guerir lesbons Medecins : mariez -les tous
deux , voilà mon Ordonnance.
Le jeune Amant étoit riche , la Fille
eût été au deſeſpoir ; le Pere fut raiſon
nable , le mariage ſe fit le même jour par
l'entremiſe du bon Medecin .
BOUTS - RIMEZ
dumois palle.
L
'Un aime le Tambour , & l'autre aime
la flute ,
: blute;
LeDocteur argumente , le Boulanger
Gelui- cid'un coup fier aime àpreßerle
flanc
Celui-làtire unLièvre , un autre tire au
blanc ;
Aminteſe repait d'ane amoureuse . flame ,
Auſſi feroit Iris , mais elle craint le
blâme.
Beliſeſemocquant& du Brun , & du
Blond,
Sur ſes voisines fait des couplets deflon
flon.
Chacunafesplaisirs, mais Caron danssa
C3
Bere,
Nous
54 MERC. GALANT.
Nous attend ;&la mortplusfineque
belette,
Nousfurprend , moiſſonnant les humains à
grands flots:
AinfiduMarbre enfin le tems detruit les
P QUESTION.
blocs.
Quelledifferencey a-t-il entre laTendreſſe&
l'amour?
RE'PONSE.
Le coeur fait laTendreſſe , & l'imagination
fait l'Amour. Il y ades occafions
où les mouvemens du coeur , & les effets
de l'imagination ſont confondus. Detout
tems on a diſputé ſur les mouvemens du
coeur&de l'eſprit , ce ſont vrais ſujets .
Lesdeux partis peuvent avoir raiſon .
AUTRE REʼPONSE.
Les Poëtes font en poffeffion de les
confondre ; mais fans leur diſputer le
droit d'exprimer l'Amour par le mot de
Tendreffe , & la Tendreſſe parile mot d'Amour
, je crois qu'il n'y a perſonne qui
n'en faffe la difference , & tous ceux qui
d'a
JANVIER 1712. 55
d'abord ſenſibles au merite d'une jolie
Femme, en deviennent Amoureux par
dégrez , ſçaventdu moins qu'ils étoient
tendres avant que d'être amoureux , &
que cet objet avoit réveillé la tendreffe
dans leur coeur avant que d'y former la
paffionde l'Amour.
LaTendreſſe eſt pour ainſi dire la trempedu
coeur ; les uns aimentplus , les autres
moins tendrement , & chacun aime
ſelon la convenance de fon coeur .
L'Amour est la tendreſſe d'un coeur attaché
à un objet , la Tendreſſe eſt la qualité
d'un coeur qui n'attend qu'un objet
pours'attacher .
Je ne ſçai ſi ces définitions paroîtront
bienjuſtes,dans un tems où l'Amour rient
moins de la tendreſſe quede la volupté ;
auffi n'ai je prétendu parler que de celui
que la tendreffeproduit. L'Amour est la
plusnaturelle&la plus belle de toutes les
paffions,au lieu que la tendreſſe eſt la plus
naturelle & la plus belle de toutes les
qualitez du coeur humain: parce que la
volupté l'a dégradée , l'Amour eft une
paffion qu'on cache , &dont on rougit.
Si laTendreffe feule agiſſoit dans l'A.
mour , cette paffion ſeroit la juſte mefure
de labonté , de la nobleffe , & de ladelicateffe
des coeurs; & la décadence de cet
Amour vient fans doute des eſprits les plus
bornez , qui incapables des grandes idées,
&des beaux fentimens , ne trouvent de
C4
ref56
MERC. GALANT.
4
refſources ni deplaiſirsquedans la volup.
té. Commele nombre des eſprits médiocres
eſt le plus grand & le plus fort , la
plupart des Dames ſe ſont tellement rangéesde
leur parti qu'elles ſe paſſent maintenant
fortbien de tendreffe , & qu'elles
la regardent comme imbecillité dans ceux
qui ſont en âgede raiſon , &dans lesjeunes
gens , comme le défaut d'un uſage
qu'elles eſperent que l'âge& le monde leur:
donnera. Ce ne ſont point elles qui confondront
l'Amour avec la tendreſſe , j'en
foupçonnerois bien plûtôt cellos , qui
malgré le torrent de l'uſage ſoûtiennent
encore l'honneur d'une paſſion que tant
d'autres exemples aviliffent .
Jeſuis bien éloigné de penſer quela raceen
ſoitéteinte , & quand j'ai dit que la
plûpart des Femmes ſe rangeoient dumauvaisparti
, c'eſtque leur nombre , fût-il
mille fois plus petit , me paroîtroit toûjours
tropgrand. Quoi qu'il en ſoit , rien
ne faitplusd'honneur aux Femmes que la
rendreſſe des hommes , & pour moi j'y
conçois degrands plaiſirs , & je ſuis perſuadé
que le plaifir ſecret que fait la lectu -
redes belles Tragedies & des beaux Romans
vient de la tendreffe quiyeſt peinte.
On est charmé de retrouver en foi les mêmes
ſentimens qu'on y donne aux Heros .
L'âge d'Or n'avoit rien de ſi doux que
l'union des deux ſexes , par l'Amour que
Produit ſeulement la tendreſſe; & leprefent
JANVIER 1712. 57
ſent le plus funeſte qu'on pût leur faire
étoit la volupté que Pandore apporta , &
qui finit pour jamais cet heureux tems.
Pourlors
LesdeuxSexes étoient unisdes plus beaux
noeuds;
Cequipouvoit les rendreheureux.
N'étoitjamaisillégitime.
Leurpenchant étoit leurmaxime;
Par lafimple Natureils étoient vertueux ;
Lerefpect,l'amour , &l'estime
Etoientlesfeuls liensde leurfocieté,
Etchacunpoffedoitfans crime .
4
Sonplaisir&sa liberté.
Mais, ôfunestebarbarie ! *
Bientôt l'infame volupté
Vint troublerparfa tirannie
Lacommunefelicité.
Lamutüelleſimpathie
Quis'expliquoitdans tous les coeurs
Effrayéeàl'aspectde tant defreneſie ,
Nifitplusfentirfes douceurs.
Sous lesloixde cettetraitreſſe
Lecoeurneconnutplus les innocensdefirs ,
Et tous les fens troublez d'une bonteuse
yoreſſe
Luiravirent le droit de choiſirfesplaiſirs.
Depuisce temsfatal,l'Amant &laMai
treffe
Que ceMonstre unit enunjour
Goutentlesplaiſirs de l'Amour
Sansgoûterceux de laTendreſſe.
C
5
ENIG
ر
58 MERC. GALANT.
ENIGMES.
On donnera ordinairement l'Enigme
devinéedans le Mercure ſuivant avec la
nouvelle , afin qu'on puiffe juger fi on l'a
devinéejuſte. Voiciune Parodie de celle
de la Toilette qui fera à peu près le même
effet.
AſaToiletteAlixn'a ni poudre niplomb.
Croyez- vouspour cela qu'elley foit deſoeu
vrée ?
Defa Boutiquebien parée
Centingrediensfontlefond.
Ellese lesapplique avec maintegrimace.
LesRofes&les Lis dont elle ornefa face
Nefontni Lisni Rofes de Printems.
Toilette peut lui dire en faisant l'impor
tante
Avec le nombrede mes ans
Près devous mon crédit s'augmente ,
Et ſansrougir vousn'ofez moi preſent ,
Recevoir vos derniers Amants.
Noms
JANVIER 1712. 59
Noms de ceux qui ont deviné cette
Enigme.
M. de Confians ; le beau Licencié , &
ſon gracieux Beaufrere ; la Brű du Gendrede
la Belle Mere ; le beau Caffandre .
ENVO Ι.
La Femmeàquarante ans
DoitSonnerlaretraite.
Je renonceaux Amans;
Faipliéla Toilette.
Le Deſerteur des Toillettes . Guillemettele
Blanc. Jeroſme Carmin , &Mathurin
Pomadet , aſſidus à la Toilette des
Dames. Le Farfadet ; le jeune Doyen ;
les deux Jeunes Soeurs de la ruë Michel le
Conte; la groffe Marguerite.
Par l'aimable & toute ſpirituelle
VeuveMadame de Coſſeſſeville.
VotreEnigme me coûtepeu,
Cen'estpourmoi qu'uneAmuſette.
Je la lisauprèsde monfeu ;
Je la devineàma Toilette.
Ré-
C6
60 MERC. GALANT.
Réponſe ſur les mêmesRimes.
LaToilettevouscoûte peu
Cen'est pour vousqu'une Amuſette.
Avec un teint si vef, desyeux ſipleinsde
feu ,
Coffeſſeville n'a pas grand beſoin de Toilette.
LeDoux rempant ; la Grimaſſe brodée ;
l'éloquent Avocatde la ruë Jean Fleury ;
labelle Devineuſe a dit votre Toilette s'eſt
développée à mes yeux.
ENVOI.
par une Precieuſe.
Une vive&douce lumière ,
Avec peine & plaisir , m'entr'ouvre la
paupiere ;
Ace charme desyeux je veux donner un
nom;
Car ce n'est point Diane , encor: moins
Apollon ,
C'estune beauté plusparfaite.
Qui donc? Eft ce l'aurore ? Non ;
C'est le Soleil àſa Toilette.
:
ENIGM
JANVIER 1712. 61
ENIGM.Ε.
Ma forme fait mon ètre , &j'existe sanscorps.
On m'en donne pourtant de foibles & de
forts
Dont hors de moi lesuns encercleſeprome
nent ,
Et les autres en moi baut & bas ſe demenent.
Par moi sefitjadis quelque amoureux lar
cin ,
)
Etpar moifutſauvėjadis quelque Aſſafin.
Entout Paisjeſuis d'une même nature ;
Maisjechange de noms en changeant de.
figure.
Autre Réponſe à la Queſtion du
moisdernier.
Par M. P.
La Tendreſſe eſt une impreſſion delicate
que fait ſur un coeur la diſpoſition qu'il a à
devenir amoureux ; elle devient Amour
lorſqu'elle ſe détermine ſur un objet.
Quoi qu'un Enfantn'aitpoint de ces defirs
preffans
Quiſerendent maîtresdesſens ,
Etfontdespaſſions leſouverain Empire ;
C7
1
:
Dėja
62 MERC. GALANT.
Dėjapourtantonconnoîtqu'il afpire
Acequi doit ledominer unjour :
Ainfidansſa tendrejeuneſſe ,
Amourn'estencorque Tendreſſe:
EtTendreſſe est l'enfance de l'Amour.
Questionsnouvelles.
-Qu'est-ce que le coeur a de commun
avecl'eſprit?
On demande, s'il y a de la difference
entre cequ'on appelle s'aimer ,&ce qu'on
appelleAmour propre ?
On s'eſt déja plaint pluſieurs fois que
jedonnoisdes Chanſons anciennes: mais
on s'eſt plaint bien plus encore de ce que
j'avois interrompu la ſuite de mes Chanfons
, descaractére que j'avois promiſes au
Public, &qu'on ychante tout autrement
que je ne les ai compoſées , parce que je ne
les ai jamais fait noter. Cette derniére
confidération l'emporte , car elle eſt aidéede
l'envie quej'ai de les mettre à cou .
vert de l'oubli &de l'estrapiement.
CHANSON
duTabac.
D'où me vient cette ſombre bumeur ?
Pourquoi mes foiblesyeux craignent-ils la
Lumiére?
Pourt
ay suis je acable d'une
b
Pacite.Tout avec mon ta=
on eternue
Adsim -adsim-àdeSimpleta
pté. Dieu du Ta=
Pourquoi mes foiblesyeux craignent-ils la
Lumiére?
PourJANVIER
1712.63
Pourquoi fuis -je acablé d'une triſte lan
gueur?
Ah! jen'aipoint ma Tabatiere!
Point deTabac , hetas plaisirsanté ,
Raiſon , vivacité,
Toutavec monTabac eft restésurmaTable.
AmiSecourable ,
Letienest- ilbon...
Ileſtparfumé.
deteftable ;
Adefim, adefim , a de fimple Tabae,je
fuisaccoûtumé.
Cetautre estplus agréable.
Ab! qu'ileft aimable!
Ah ! quellevolupté !
DieuduTabac que tes Autels
Soient encenſezparlesMortels.
QueduplusnoirPetun mille Pipes faman.
tes
Tefourniffent d'encens.
Que lesBeautez lespluscharmantes
Se barboüillent detes preſens .
Que tes doyens enchifrenez
Chantent dunez
Tesplaisirs forcenez .
Etquepour terendrepropice ,
TonTemple retentiſſe
D'éternuemens
Etde reniflemens.
TonTemple retentiſſe
D'éternuêmens
Et de reniflemens.
1
De:
MERC. GALANT.
Deviſes des Jettons de
l'Année 1712 .
TRESOR ROYAL.
Des Cyclopes travaillant à un Bouclier.
Arte atque metallo .
PARTIES CASUELLES.
Daphne changée en Laurier ,
anotsdeVirgile.
Mortalem eripuit formam.
Ordinaire des Guerres....
LaMaffue d'Hercule.
Eadem poft mille labores .
Extraordinaire des Guerres.
Hercule avecſa peaude Lion&SaMaffuê
snarchantàgrands pas .
ces
Orbem pacare laborat .
MA-
:
JANVIER 1712. 65
MARINE .
Neptune danssonChar.
Bello pacique..
GALERES.
Meduse couchée dansson antre au bord
delaMer.
Etiam tranquille videtur .
BATIMENS.
Minerve tenant àla main une equerre &
quelques instrumens deJardinage.
Gravibus folatia curis .
Leſujet choisipourle Jetton de Madame
la Dauphine, est une Couronne fermée
deDauphins , &pour Deviſe ces mots.
Magnus ſplendor maximaque virtus.
Celle-cin'estpas del'Académie.
MER:
66 MERC . GALANT .
MERCURE
III. PARTIE .
PIECES FUGITIVES .
PIECE NOUVELLE
ParM. R.
ETRENNES ,
en envoyant un Pigeon.
LE PIGEON.
DEvous dire bon jour , cen'eſtgrande
merveille,
UnPerroquet vous en diroit autant ,
Et cesbavards parlent à tout venant ;
Jeſuis plus reſervé , je parle rarement ,
C'eſt même tout bas à l'oreille ,
L
Que
JANVIER 1712. 67
Quejevous faismon compliment.
Meſſager de l'Amour , j'arrive de Cythere;
L'Amour du Char de ſa Mere
M'adétaché cematin ,
Je me fixe chez vous , tendre , fidelle ,
fage,
Etmêmeauffi peu volage ,
Que fi j'avois encor mon frein .
Les ſoupirs font tout mon langage ,
A
Ecoutez ſans courroux ces muets entretiens
,
De tous autres ſoupirs ne ſouffrez point
l'hommage,
Belle**** n'écoutez que lesmiens .
Vous ſçaurez quelque jour que je ſuis un
grandMaître
Dans l'Art de bequeter , d'attendrir un
baifer ,
Et madélicateſſeeſt ſur ce point peut-être,
Un vrai modelle à propoſer.
En preffant ces lévres fivives ,
Quededouceur j'y vais puifer ;
Vos Roſes & vos Lis ont des couleurs
naïves
ufer.
Qu'augment mes baiſers ſans lespouvoir
Pourvous donner du frais , mes douxbattemensd'aîles
Feront auprès de vous l'office des Zephirs,
Etſouvent ce feront à vos tendres plaiſirs
Des applaudiſſemens fidelles.
Courrier leger,cheminant par les Airs ,
Encettequalitécomment vous ſervirai-je?
On
1
וי GALANT. 68 MERC.
On ſçaitque mes pareils en cent climats
divers ,
Dela Poſte ont le Privilége :
Ils portent à leur col Lettres & Billets
doux,
Et pour en rapporter les réponſes ſecrettes
Ils vôlentpardeffus les têtesdes jaloux.
Mais de pareils emplois , de l'humeur
dont vous êtes ,
M'occuperont fort peu pour vous.
Voici les Hymnes , les Cantiques ,
Qu'en l'honneur de l'Amour , fit un de
ſes ſujets :
traits ;
On vante de ce Dieu le pouvoit & les
Vous lirez fans rougir dans ſes Panegiri-
1 ques,
Les élogesde vos attraits..
Peut être qu'à preſent Venus ſur ſa Toi
lette
Trouve un bijou de moins ,
L'Amour est le Filou , moi j'ai prêté mes
foins ,
Venus ſera fort inquiette ,
Si le vol n'eſt point faitpar quelqu'autre
Pfiché ,
Et fi cette beauté , qui doit être parfaite ,
Par l'Auteur du Larcin n'a point le coeur
touché;
Vous ſeule en avez connoiſſance ,
Ne m'en pourriez- vous pas dire un mot
aujourd'hui ,
Faites m'en la confidence ,
Je
JANVIER 1712 . 69
Je n'en parlerai qu'à lui .
Balzac dit qu'il y a une figure de lapie.
ce ſuivante dans une Table de Jaſpe àNaples
, où les Femmes lapident l'Amour
avecdes Roſes.
Autre Piece nouvelle ,
à l'imitation d'Ausonne.
L'AMOUR PUNI,
Loin
Oinde ces priſons redoutables ,
Où Pluton aux ombres coupables
Fait ſentir ſon juſte courroux ;
Ileſt danslesEnfers des aziles plus doux.
Là des Myrthes toufus forment de verds
ombrages ,
Quin'ont riendes horreurs de l'éternelle
nuit ;
Des Ruiſſeaux y coulent ſans bruit ,
Des Pavots languiſſans couronnent leurs
rivages.
On voit parmi les Fleurs qui parent ce féjour,
Hyacinthe & Narciffe , & tant d'autres
encore ,
Qui mortels autrefois de l'Empire d'As
mour
1 Ont paflé ſous les Loix de Flore...
Dans
70 MERC. GALANT .
Dans les fombres détoursde ces paiſibles
lieux
Pluſieurs Amans , dontla mémoire
Doit vivre à jamais dans l'Hiſtoire ,
S'occupent encor de leurs feux.
L'ambitieuſe imprudente ,
Qui voulut voirJupiter
Armé de la foudre tonnante ,
Rappelle ce plaifir quilui coûta ſicher.
Et la Maîtrefle de Cephale ,
Soupirantpour ce Vainqueur ,
Cheritla flêche fatale
Dont il lui perça le coeur .
Herod'une main tremblante ,
Tient la lampe étincelante ,
Qui lui fervit ſeulement
Avoir périr ſon Amant.
Ariane roule en colere
Cefil triſte inſtrument d'un perfide atten
tat,
Trop malheureuſe , helas ! d'avoir trahi
fonPere
Pour n'obliger qu'un ingrat.
Phedre , chancelante&confufe,'
Baigne , mais trop tardde ſes pleurs ,
L'écrit où ſa main accuſe
Ses criminelles ardeurs .
Moins coupables cent fois , &plus à plain-
2
Et Didon & Thisbe vont ſe frapper le
drequ'elle ,
ſein;
D'un perfide ennemi , l'une a le fer en
main, 1
L'auJANVIER
1712. 71
《
L'autre celui d'un Amant trop fidelle .
L'Amour , de leurs douleurs , voulut
êtretémoin ,
foin:
De couvrir ſon Carquois il avoit pris le
Les Arbres d'unboccage ,
L'épaiſſeurd'un nuage
Adoucirent en vain l'éclat de ſon flam.
beau ,
On reconnutbien-tôt cetennemi nouveau.
Déja la troupe rebelle
Luipréparoitdes Tourmens inhumains ;
L'Amour tout fatigué , ne bat plus que
d'uneaîle,
Il ſe ſoutient àpeine, il tombe entre leurs
mains.
Amour , pour defarmer les Juges impla
cables ,
C'eſt vainementque tu verſes despleurs ,
On enchaîne tes mains, qui portoient
dans les coeurs
Des coups inévitables .
Attaché ſur un Myrthe , enproye à leurs
fureurs ,
Tuvas de mille morts éprouver les hor.
2. reurs
Leurs clameurs menaçantes
Ontétouffé tes plaintes languiſſantes.
L'une vient t'effrayer avec le fer ſanglant ,
Qui finit de ſes jours ledéplorable reſte ,
L'autre avec le débris encor étincelant
Du bucher de ſa mort , Théatre trop funeſte;
De
72 MERC. GALANT.
De ſespleurs endurcis , par le pouvoir des
Dieux ,
Myrrha fait contre toi de redoutables armes
,
Leur poids va t'accabler , les remords ,
ſesallarmes
Nepunirontque toi de ſon crime odieux .
'L'Amour attire ſa Mere
Par ſes pleurs& par ſes cris.
Vient- elle àfon ſecours ? Non , Venusen
colere
Vient augmenter les tourmensdefonFils.
Jen'ai que trop fouffert de cet audacieux ,
Dit-elle , qu'à fon tour il éprouve ma rage,
Des filets de Vulcain , des ris malins des
Dieux
Je n'ai pas oublié l'Outrage .
C'eſt Venus en courroux , qui menace ,
tremblez;
Sa main s'arme auffi-tôt d'un long bouquetde
Roſes,
De leursboutons à peine écloſes ,
Le fang couloitdéejiaa fous
blez.
ſes coups redou-
Arrêtez Déeffe irritée ,
S'écrie avec tranſport la Troupe épouvenrée
,
Lorfque nous reſpirions lejour
Le Sort fit nos malheurs ce ne futpas l'Amour.
PAR
JANVIER 1712. 73
PAR Mr. V. A Mr. DE***
Quilui avoit envoyé un remede pour
la Fiévre.
1
PLus ne m'enquiers de quelle drogue
Formé ceBol , parquiſeroient bravez
Bien plus de maux , plus depeſtes encore,
Queparmi nous n'en apporta Pandore.
Nul mal ne tient contre ce Bol divin ,
J'envois en moi la vertu confirmée :
ContreuneFiévre en mon ſang allumée ,
Du Kinkina leſecours étoit vain ,
Point n'en étoit la fureur allentie;
Vousdites : Parts , & la voilà partie.
Mais à la fin le voile eſt arraché ,
Ainſi que vous , jeſçai ce quicompoſe
CeBol , en quitantde force eſt encloſe :
Pour un Poëte il n'eſt rien de caché ;
Lors qu'Apollon notre eſprit a touché ,
Comme les Dieux nous voyons toute
choſe.
Que nous voulions pénétrer aux Enfers ,
Tousleurs fecrets à nos yeux font offerts ,
Nousy voyons juſqu'àl'ardeur farouche
Que pour la Femme a Plutondans ſacouche
;
Tome V. D S'il
74 MERC. GALANT
S'il faut percer les myſtéres des Cieux ,
Là , nous allons manger avec les Dieux ,
Dans leurConfeil nous ſommesreçûs même,
Nousyvoyons Jupin ce Dieu ſuprême ,
Pour cent Amours furtifs ſe travailler ,
Etfon épouſe après lui criailler.
Dans fon Palais , dans ſes grotes profon.
des
Neptune en vain prétendroit ſe cacher ,
Tout au travers de l'abime des Ondes
Nos yeuxperçans iroient là lechercher.
Nousdifcernons les effences premiéres ,
Rien , enun mot, n'évite nos lumières ,
Aviez-vous crű pouvoir les éviter ?
Adonc , afin que n'en puiffiez douter
N'eſt-il pas vrai que ce Bol falutaire
Parqui tout maux ſont gueris en ces lieux
N'eſt ſeulementqu'un magique myſtere
Quide leurCiel fait deſcendre les Dieux ,
Etles contraintde venir enperfonne
Suivre la loi que votre Bol leur donne ?
Carje l'ai vû clairementde mes yeux,
Etne fuispointtrop fimple , trop credule,
Lor que je pris cephiltre merveilleux
Sur lefommetde ce puiffantglobule
Je viss'affeoir laDéeffeSanté
Au teint vermeil , à ferme corpulence ,
Aladentblanche, à l'oeil plein de gaytés.
Ettelle enfin qu'au Siécle d'innocence
Toûjours les Dieux l'accordoient aux hus
mains ,
Ou telle encor que leurs benignes mains
La
JANVIER 1712 . 75
:
La font ſouvent dans le Siècle où nous
ſommes,
Briller au front de quelquesbonnes gens ,
Quimalgré l'air corrompu de nos tems
Ont le coeur pur comme les premiers
hommes;
J'entens Abbez , Chanoines , & Prieurs ,
Gens indulgens pour leur propre moleffe ,
Etcontre autrui ſi ſeveres crieurs.
Mais revenons à la ſaine Déeſſe ,
Bacchus , l'Amour , les Ris , les enjouë.
mens
Sommeil aifé , confiance en ſes forces ,
Deſirs puiſfans , delicates amorces ,
Tout en un mot ce que de Dieux char
mans
Compre l'Olimpe , étoient lors à ſa ſuite.
Cen'eſt le tout; jevis ſous ſa conduite,
Etj'en frémis encore de reſpect ,
Jevis cesDieux fur moi fondre avecelle ,
Jecrûs alors qu'uneGuerre cruelſe
S'alloitfur moi former à ſon aſpect ,
Mais non , rien moins , la redoutable
Fiévre ,
Fuitfans combat commeuntimide Liévre
Fuit à l'aſpect du vite Lévrier.
Après cela laDéeſſe ravie
Marque à chacun des Dieux qui l'ont ſuivie
Le Logement qu'il doit s'approprier .
Bacchusd'abord de mon Palais s'empare ,
Pour poſte, Amour mon coeur s'en va choifir
,
D2
Les
76 MERC. GALANT.
Les Enjouëmens mon Ame vont ſaiſir ,
Le doux Sommeil auſſi - tôt ſe prépare
Aſe logerdansmes yeux languiſfans ,
Non pour toûjours , convention fut faite
Que du Soleil chaque courſe parfaite
Miſe entrois parts , ſes pavots raviſſans
En auroient une, où ſerains & tranquilles,
Mes yeux pour eux ſeroient de fürs aziles ,
Quede ce cours , pendant les autres parts ,
Mes yeux pourroient , dans leur mince
ſtructure , i
Loger des Cieux , de toute la Nature
La vive image , & celle des beaux arts ,
Et pour Iris mille amoureux regards .
La Confiance ou l'abus de ces forces
Courent remplir l'Imagination;
Jolis defirs , delicates amor.ces
Prennent auſſi mêmehabitation :
Puisd'autres Dieux dont ne fais mention
Selon leur rang à leur devoir ſe rendent ,
EtlaSantéde qui tous ils dépendent
Nevoulut point prendre un poſte arrêté ,
Mais ſe logea dans toute la Cité .
Ains , grace à vous , je me vois en ſanté,
Mieux que ne fut oncques le fort Hercule.
J'ai toutefois là-deſſus un ſcrupule ,
Dont beſoin eſt que vous m'éclairciſſiez .
Jecraindrois fort que par hazard n'euſliez
Faitunmécompte à l'égard de mon âge ,
Et qu'enfaiſant votre pacte enchanteur
Vous ne m'euffiez invoqué par malheur
QuelqueSanté trop jeune & trop peu ſage,
J'ai fur lefronttrente-ſept ans au moins ,
Or,
JANVIER 1712. 77
Or , fim'aviez , par vos tragiques foins ,
Tout de nouveau fait couler dans les veines
Le même ſang & les mêmes eſprits ,
Quim'animoient à vingt ans , que de peines
J'aurois encor ſous le jougde Cypris !
ODE NOUVELLE
àMonfieur de M.
! Muſe , en ces momens , où libre
en cette Table ,
J'y voi mes airs ſuivis de cebruit favora.
ble,
Qui me rend aujourd'hui le plus fierdes
humains ,
Viens , toi-même , & mets moila Lire entre
les mains.
Que mesdoigts entirantle ſon le plus aimable,
De tes pompeux accords , de tes accens
divins
Rende l'uſage à nos Feſtins. **
Com
D3.
* C'étoit la coûtume chez les Anciens de
chanter après les grands repas .
Perfonatauratâ.
Cythara crinitusforas
Virg. Hom.dans l'Iliade & l'Odyf.
)
78 MERC. GALANT.
Commençons ; je connois à l'ardeur qui
m'infpire
QuePollymnie eſt en ces lieux :
Oui , jete reconnois , & chacun dans ſes
yeux
Avec tranſport me laiſſe lire
Ce que peuvent fur nous tes fons harmonieux.
Mais n'entreprenons point de dire
Les exploits des Heros , la naiſſance des
Dieux :
Comment d'un ſeul regardébranlant fon
Empire
Cieux ;
Jupiter faittrembler & la Terre & les
Ce qui forme les Vents , ce qui fait le
Tonnere ,
Comment chaque ſaiſon a partagé la
Terre ,
Ce retour fi conſtant & des nuits & des
jours:
Entre tantdeſujets ſublimes ,
Que toi ſeul aujourd'hui fois l'objet de
nosRimes;
Chantons lagloire de ton cours .
Où fuis-je ? Et dans cette carriere , *
D'où je vois s'élever ſous les pieds des
chevaux
Cette épaiffe& noble poufſiere
Dont ſe viennent couvrir mille jeunes Ri
vaux ,
Quel mortel † affis les Couronne ?
* JeuxOlimpiques. † Pindare.
Gette
JANVIER 1712. 79
Cettefoulequi l'environne
Deſa voixſeule attend le prixde ſes Tra
vaux.
Surquel ton monte-t-il ſaLire?
Etcomment pourrai- je décrire
Ses ambitieuſes chanfons !
L'air s'ouvre devant lui de l'un à l'autre
Pole,
CommeunCigneéclatantloinde nous il
s'envole,
Et lahauteur du Ciel eſt celledeſes fons.
Muſe, avectantd'effortsàpeine turefpires;
Mais , aimable Sapho , je t'entends , tu
ſoupires ,
Tucedesàl'Amour qui poffedetesfens.
Bien plusdoucement que Pindare ,
Tufais que laRaifon s'égare .
répand ſur laTerre ,
Bacchusnous ranime, &pour plaire
Ilprend cette Lire legere
Qu'Anacreon touchepour lui ;
Alavoixleplaifir ſe répand
Etpar tout il livre laGuerre
Auxfoins, àlapeine , à l'ennui.
Deſesſons le galantHorace
Parant ſes accords avecgrace
Aux bords les plus fleuris va dérober le
thim,
Plus diligent que n'eſt une Abeille au matin.
Que loüerai-je le plus, ou la cadence juſte,
Oudeſes vers aifez letour ingenieuxx??
Par fa main l'immortel Auguſte
D Boit
80 MERC. GALANT.
Boit le même nectar qu'Hebé diſpenſe aux
Dieux..
Mais ſa Lire avec lui s'enferme ſous ſa
Tombe ;
moins l'éclairer ,
En vain , ſans qu'un beau feu daigne au
Ronſard chez nos ayeux cherche à la retirer
:
Sous ſes vains efforts il ſuccombe ,
Et couvert du mépris plus cruel que l'oubli
,
Sousfon obfcure audace il refte enſeveli.
Mais l'ordre des Arts pour nous change ,
L'ordre des tems enfin & s'explique &
s'arrange ,
Et commençant l'éclat du Parnaſſe François,.
Nous donne de Malherbe &l'oreille , &
la voix.
pleinsde charmes ,
Soit que , s'animant aux combats ,
Il ſuive au milieu des allarmes
Quels accords épurez , quels nombres
Un Roi qui ſoumet tout à l'effort de fon
bras:
Soit que triomphantde l'envie ,
Dans la Paix des plaiſirs ſuivie
Il peigne ce Heros le front orné de Fleurs ,
Et que lui faiſant plaindre une amoureuſe
peine
Il touche laNymphe de Seine
De ſes incurables douleurs . *
• Vers imitez de Malherbe.
C'en
JANVIER 1712. 81.
C'en est fait , &le Ciel acheve ;
De ces Maîtres fameux je vois un jeune
Eleve*
Qui fixe de nos airs & l'éclat& le ſon:
Eſprit juſte , eſprit vrai , que ſa force admirable
DuPinde &du Lycée a fait le nouriſſon ,
Etquinereconnoît pour beauté véritable
Quecelle que veut bien avouer la Raiſon .
Muſe,joüis dans lui du comble de lagloire;
Ce mortel ſi content au Temple deMémoire
Avecpompe en ce jour à nos yeux eſt com
duit;
Unimmortel éclat le ſuit ,
Il obtient à fon gré cet honneur qu'il defire;
Ah ! qu'on ouvre ce Temple , & que
chacun admire
Ces Heros que l'eſprit y raſſemble à nos
yeux :
*** entr'eux place ſa Lire
Plusbrillante en ces lieux où le merite afpire,
Que celled'Arion , quibrille au haut des
Cieux.
M *** , Estimateur aimable
Duméritedenos écrits,
Quiprendroit biendes tiens le tour inimitable,
Seroit fürd'emporter le prix.
D
Mr.de la Mothe.
Par
82 MERC. GALANT.
Par toi déja deux fois admis dans le
myſtére
Detes ouvrages ſi brillans ,
J'ai vû pour les beaux Arts ton goût héré
ditaire,
Un naturel aifé , les plus rares talens .
J'ai vu que , ta Muſe facile
Sur le Pinde avec grace affermiſſant tes
pas,
Tuſeroisfanspeine Virgile ,
Si tu n'étois pas né du rangdeMecenas .
Pluſieurs perſonnes font ravies d'avoir
des Pieces Fugitives anciennes , qui n'étantpoint
imprimées échapent à beaucoup
de Recueils ; quelques -uns ne voudroient
dans les Pieces Fugitives que des Pieces
nouvelles : pour contenter les uns & les
autres , je donnerai de l'ancien & du nouveau
, car le nouveau est trop rare pour
endonner unVolume tous les mois.
MERJANVIER
1712. 83
MERCURE
IV. PARTIE.
NOUVELLES.
Nouvellesd'Allemagne , de Pologne,
duNord.
Q
1
"
Uoi qu'on ait parlé le mois dernier
duMariage duPrince de Mofcovie
avec la Princeſſe de Wolfenbuttel ,
on a crûdevoir donner ce mois-ci pluſieurs
particularitez concernant cette Cérémonie,
dont onn'avoit pas été inſtruit ; ainfi
la Lettre ſuivante qui a été écrite à une
grande Princeffe , quoi que d'ancienne
darte, peut être regardée comine nouvel.
le : on commencera toûjours à l'avenir ,
la partie des nouvelles par d'anciens détails
, qu'on aura reçûs depuis l'impreffionduVolumeprécedent.
D6
A
84 MERC. GALANT.
A Torgau le 27. Octobre.
E Czar arriva ici Samedi dernier. Sis
LeMajeftellaàpied à la Cour; le Czarowitzfon
Fils alla au devant de lui, l'accompagna
à l'Appartement qu'on luiavoit
préparé. S. A.le Duc Antoine Ulrickalla
lui rendre viſite. Monseigneur le Ducfe
retira ensuite, &le Czaralla voir laDucheffe
Loüise, parceque la Reine n'étoitpas
encorehabillée. Il trouva auprès de laDu
cheffe, la Princeſſefiancée au Czarowitz.
Jedois vous dire , Madame , que le Czar
estun Princegrand, très bienfait , fort
gracieux. Il porte ses cheveux qui sout
bruns&friſez . Il a une grande barbeàla
Polonoise; ses habits font à la Françoise ;
mais plus modestes qu'éclatans. Il a toujours
une Canne à la main , & il a l'air
d'un grand Capitaine, comme il eſt en
effet. It parle souvent àfonGrand Chancelier
le Comte Galouski , & aux Princes
Généraux Moscovites : il n'est pas un
moment oifif. Il parle Ras - Allemand ,
mieux qu'il ne croit lui- même. La Ducheffe
Loüife leſçaitfort bien entretenir. Il
yatoûjoursdansſes Apartemens, desBouffons,
&des moindres Domestiques , mê-
Lez avec les Princes , Généraux , & autres
Seigneurs . S. M. Czarienneneſoupa.
point Samedi. A lafortie de la Comedie ,
dans
JANVIER 1712 . 85
dans le tems qu'on ſervoit sa Table , elle
entra dans ſon Apartement , mit un Manteaufurla
tête , &allapaſſer la nuit dans
une Maisonde la Ville , où l'on ne s'attendoit
pas d'avoirl'honneur derecevoir unfi
grand Prince. Il fait presque régulièrement
quatre repas chaque jour ; il mange
deuxfois avec laReine , &deuxfois chez
lui.
Le Mariageſefit bier Dimanche. Tous
lesPrinces toutes les Princeſſes dînérent
en particulier , &se rendirent ensuiteau
prèsde la Reine. La Cour étoit magnifique
. La nouvelle Epouseavoit unHabitda
Moire d'argent, brodé auſſi d'argent ,
fort riche; un Manteau Royal delamême
couleur , ses cheveux bien treſſez ,
Couronne couleur de Cramoiſi ſur latête,
toute garniede Diamans. Le Czarowitz
avoitunHabitblancfort beau , brodé d'or ;
&le Czar avoit un Habit rouge dont les
boutonnieres étoient deGalond'argent.
une
Les Maréchaux vinrent avertir à trois
beuresque tout étoit prêt , &toute l'Affembléeſe
rendit dans la grande Salle ou
l'on avoit dreffè un Autel. Levieux.Duc
mena la Princeſſe ſapetite Fille, trois
Dames de la Reine portérent la queuê de
fon Manteau, Le Czar accompagna la
Reine, &le Czarowitz la Ducheffe Loüife.
Dès qu'ils furent arrivez , le Prêtre
Grec, qui étoit babillé àpeuprès demême.
que les Catholiques , donnala Benedictions
sh
86 MERC. GALANT.
il changea lesBagues , &demanda enLatin
au futur Epoux &alafutare Epoufe ,
s'ils vouloientſeprendrepour Mari&pour
Femme. Ilmit ensuite unBonnet Ducal,
ou Couronne de velours Cramoiſt, fur ta
tête du Prince; mais celle de la Princeffe
s'étant trouvée trop étroite, le Czar ordonnaàfon
Grand Chancellierdelatenir
fur la tête de cette Princeffe. Le Czarfe
promena toûjours pendant cette Cérémonie ,
lors qu'elle fut achevée, ilfélicita les
nouveaux Epoux .
On retourna ensuite chez la Reine , dans
lemêmeordrequ'on enétoitforti , &toute
la Cour fit Compliment au Prince & àla
Princeffe. Le Czar donnapendant tout le
jour degrandes marques dejoye : il écrivit
àla Princeffefon Epouse , qui étoit àThorn
en Pologne, pourlui notifier ce Mariage.
Onfervit un grand fouper àhuit heures,
fur une Table où ily avoit douzeCouverts.
Le Czarowitz fut placé dans le milica,
ayant àfa droite le Czar fon Pere& la
Princeffefon Epouse àſa gauche . Le Duc
AntoineUlrickétoit àla droite du Czar ,
&laReine àla gauche de lanouvelle Epouse;
le Duc Lois, àla grachede la Reine ,
ainsique le Prince Dolorouki, à l'un des
boutsdelaTable : le Prince Tarbetti étoit
vis-à-vis de la Reine, lePrince Couraquin,
vis- à-visdela Princeſſe , le Général Pruffe,
vis-à-visle DucAntoineUlrick, qui avoità
Sa droite la Ducheffe Louise; &le Comte
GJANVIER
4712. 87
Galouski, à l'autre bout delaTable.
AprèsleSouper , on ſe rendit dans la Salle
où l'on avoit fait la Cérémonie. Ony
danſa d'abord plusieurs Danſes Polonaifes.
Le Czarowitz danſa lepremier; le vieux
Ducdanſa aprèslui , puis leCzar , Gen-
SuitetouslesPrinces Moscovites. CesDanſes
durérent lang-tems ; le Czar fortoit
quelquesfois de la Salle , &alors tout étoit
dans l'inaction : quelques fois LesBouffons
danfoient seuls , puis ſefaisoient donnerde
grands verres pour boire à la santé de la
Compagnie. Le Czarowitz danſa quelques
Menuets;le Bal finit par une Danse
Angloise.
Il étoit onzeheures lors que l'on conduisit
les nouveaux Epoux à leur Apartement.
Le Czarowitz alla fe deshabiller dansun
autre Apartement , & quand on eut deshabillé
la Princeffe , le Czar entra avec
toute la Cour. LePrincefon Fils avoitune
Robbe de Chambre rouge femée de fleurs
d'or. La Princeſſe en avoitune blanche ,
Semée de fleurs aunaturel , &brodée.
Aprés que leCzar eut donnéſa Bénédictionau
Princefon Fils , illefit entrer dans
leLit d'uncôté , pendant que la Princefley
entroit de l'autre , la Reine&la Ducheffe
Loüife étant auprès d'elle , enſuite de quoi
chacunſeretira.
P. S.
LeDucAntoineUlrick m'a ditqu'il feroit
de Vendredi enbuitjours à Gorde, qu'it
ira
88 MERC. GALANT.
ira ensuite avec le Czarowitz à Francfort
voir le nouvel Empereur , & que le Czar
partira Jeudi pour la Pomeranie , où la
Campagne estfort pénible.
Voicipluſieurs autres Lettres , qui quoi
qu'elles foient auffi d'anciennes dattes ,
n'en font pas moins curieuſes .
Copie d'une Lettre de M. Fabien ,
Envoyéd'Holſtein auprèsduRoi
de Suede , dattée à Bender le 3 .
Septembre.
Icommejel'aimandépar mes dernieres.
Es Affaires sontencore ici aumêmeétat
1
Capizilar Kiahiafi du Grand Viſir eft arrivé
cesjours paffez àl'Armée; comme il est
fort dans les intérêts du Roi de Suède , on
s'attend à quelque changement favorable
d'unmoment à l'autre ; le Palatinde Kiovie
&le Comte Tarlo , font allez trouver
leGrand Vifir à l'Armée , c'està leur
retour que nous pourrons ſçavoir quelque
chose de positif. Selon les apparences les
Moscovites ne rendrontpoint Asaff. Ainsi
laGuerre pourroit bienêtre continuée. Ils
ont demandé de nouveaux délais ; le
Grand Vizir a dità Meſſieurs Schafirof&
Czeremethof, qu'il les feroitpendre vis-àvis
l'un de l'autre , fi on ne rendoitpasla
Place
JANVIER 1712 . 89
Place dans le tems fixé. Ily aapparence
que le Roi paſſfera encore ici cetHiver.
Lettre de l'Ambaſſadeur de Hollande
, écrite de Conſtantinople le
18. Septembre .
Es Lettres de
Lportent, que leViſir étoit encorecampé
en Moldavie du côté Septentrional du
Danube ; le Czar s'excuse toûjours fur
l'exécution du Traité, cequi cauſequelque
Soupçon, comme s'il cherchoit àl'éluder . Le
Roi de Suéde continue àſeplaindre du
Grand Visir&de la Paix àfon exclufion.
L'Envoyé de Sa Majesté Suédoise, Monfieur
Funck, s'est rendu à l'Armée auprès
duGrand Vifir pourynégocier à laplaceda
Général Poniatowski, àquila CourduVi.
fir est défendue : l'on a euavis ici que Sa
Majestéfaisoit réparer les Maiſons ruinées
par les inondations du Nieſter àBender
avec intention d'y paffer l'Hiver . Depuis
tes dernièresnouvelles , les Plénipotentiai
res & les Otages du Czar , font étroitement
gardez aux ſept Tours ,
de lout accès.
l'Armée du 29. Août
mis hors
Copie
90
MERC. GALANT.
Copie d'une Lettre de Monfieur
Stirnhoc , Secretaire de Suede à
Vienne du 19. Septembre.
E Roi a refusé d'accepter le Corps de
L Cavalerie que leGrandVifirlui avoit
offert, pour le conduireàſes Provinces oud
JonArmée,Sous le commandement du Bacha
de Romelie , & l'on croit que SaMajesté
ne quittera pas les Turcs qu'ellen'ait
auparavant laPaix avecle Czar. Lorsque
leRoi a dit auGrand Visirqu'il ne tenait
qu'àlui deprendre le Czar prisonnier ,
puis ftipuler telles conditions qu'il pouvoit
Souhaiter ; il a répondu que s'ilprenoit le
Czar prisonnier il nesçauroit àqui s'adrefferpour
traiterde la Paix , &a demande
LaMojcovie pendant (a pri- qui gouverneroit la
Son? Monfieur Fabrice,a ajoûté que le
Roi différoit encore d'écrire ou de faire
écrire: auſſi n'a je point reçû de Lettrede
Bender depuis cet événement , qu'une de
Monfieur le Lieutenant Général d'Aldorf,
du26. Juillet,concernantſes affairesparticulières
, où il n'y apas un mot deNouvelles.
Il est arrivéici un Secretaire du Réfident
Dalman, qui a fuivi le Grand Vifir
enCampagne; je lui aiparlé, il m'a confirmé
tout ceque nous sçavons déja , ajoutant
que la misère de l'Armée Moscovite étoitfi
grande
JANVIER 1712. 91
10us
grande qu'elle étoit inexprim inexprimable : queplus
de 20. mille bammes les chevaux
étoientpéris , &que le deſeſpoir avoitmême,
après la Paixfaite, portéprèsde deux
mille Moscovites quin'ontpas eulaforcede
marcher à pied , le Long chemin
n qu'ils
avoient encoreàfaire, d'embraffer laReli
gion Mahometans . Le même Secretaire dit
encore, que le Grand Vifir faisoit toutlde
fon mieux pourattirer danssonpartileKan
desTartares en lui offrant une bonnepart de
l'or despierreriesduCzar :: mais l'Ambassadeur
d'Angleterre à Constantinople a
écrit ici du 21.Août , quele Kan étoit toujours
des amis du Roi ; & nonobſtantque le
Grand Seigneur avoit ratifié la Paix , Sa
Majesté pourroit pourtant encontinuant la
Guerre contre le Czar , diſpoſer de toutes
les Forces des Tartares.
Les Lettres deHambourg du 20.Novembre
poportent , ortent , que les Suéd Suédois ontpubliéunManifeſte
pour répondre à ceux du
Roide Dannemarck & du Roi Auguſte.
Ils repréſentent qu'ils n'ont donné aucun
ſujet de rupture à ces deux Princes , qui
contre les Traitez , ont allumé la Guerre
dans l'Empire,où ils ont introduit lesMofcovites,
qui pourront leur donner , ainfi
qu'aux autres Princes voiſins , tout lieu
de s'en repentir : qu'ils ont auſſi publiéun
autre Ecrit où ils marquent les ſervices
que le Roi Gustave Adolphe , rendit à
l'Em92
MERC. GALANT.
l'Empire , dans le tems que l'Empereur
Ferdinand II . publia le 18. Avril 1629.
unEdit, dans le deſſein de ſe rendre maître
abſoludetoute l'Allemagne , ſous prétexte
de faire reftituer les Biens des Eglifes
Catholiques , dont les Proteftans étoient
en poffeffion; que la liberté de l'Empire
avoit été rétablie & affermie par lesTraitez
de Westphalie , qui avoient terminé
cetteGuerre; que tous les Princes de l'Empire
endevoient témoigner leur reconnoiffance
aux Suédois, & que fi ces Princes
avoient confenti par ces Traitez à leur céder
quelques Provinces , ils ne l'avoient
pas tant fait pour les dédommager des
frais de la Guerre , que pour leur conferver
une entrée , par laquelle ils pourroient
venir , en cas debeſoin , au ſecours
de l'Empire ; que nonobſtant le Traité de..
Neutralité , fait pour conſerver la tranquillité
de la Baſſe Allenragne , le Roi de
Dannemarck & le Roi Auguſte y avoient
commencé la Guerre , quoi que la Ré
gence de Stokholm , eut approuvé ce
Traité;que ſi le Roi de Suede, ne l'avoit pas
accepté, il le falloitattribuer à fongrand
éloignement , & à quelques expreffions
préjudiciables à ſa Souveraineté , & à ce
qu'il rendoit abſolunment inutile l'Armée
qu'il avoit en Pomeranie , pendant que
fes Ennemis auroient pû employer toute
leurs Forces contre ſes autres Etats.
Ces mêmes Lettres diſent , qu'un Offi
cier
JANVIER 1712 . 93
cier envoyé par le Général Ducker, Commandant
de Stralzund , avoit rapporté en
paffant à Hambourg pour aller à Stralzund
, que la Garniſon & les Fortifications
de la Ville étoient en fi bon état
qu'elle pourroit foûtenir un long Siège ,
ce qui donneroit tout le tems au ſecours
que l'onpréparoit, d'y arriver ; que celles
qu'on avoit reçûës du Camp devant cette
Place portoient , que du nombre des Bâtimens
du Roi de Dannemarck , qui étoient
chargez d'Artillerie, il n'en étoit arrivé
que deux , le reſte ayant été diſperſé par
la tempête ; qu'il n'y avoit fur ces deux
Bâtimens que quatorze piècesde gros Ca.
non , & onze de dix-huit livresde balle ,
que l'on travailloit à débarquer , & quele
reſte de l'Artillerie & les Munitions
étoient ſur les autres Bâtimens qui avoient
été obligez de relacher vers l'Iſle de Femeren
; que la plus grande partie des Vaifſeaux
de Guerre s'étoient retirez du côté
de l'Iſle de Moon , & que le reſte croiſoit
à la hauteur de l'Iſle de Rugen , où il n'y
avoit pas d'apparence que les Ennemis
fiffent une defcente ; qu'il n'y avoit pas
non plus d'apparence qu'ils püffent attaquerla
Placedans les formes , leur Armée
ſouffrant beaucoup par les maladies , &
parles mauvais tems , &particulièrement
la Cavalerie , dont on avoit déja envoyé
une grandepartie ſur les Frontières de Pologne.
Les
94 MERC. GALANT.
Les Lettres de Stokolm du 15. Octobre
diſent que le Roi Staniſlas , après avoir
euplufieurs Conferences avec la Régen.
ce, en étoit parti pour Carelſcroon , où
il devoit s'embarquer fur une Flote de
trente Vaiſſeaux de Guerre ou Fregates ,
commandée par le Général Wachtmeiſter
, qui devoit tranſporter treize mille
hommes en Pomeranie.
Celles de Varſovie du 14. Novembre
marquent , qu'un grand nombre de Gen
tilshommes & d'autres gens ruïnez par
les Taxes & Contributions , exigées par
les Troupesde la Nation , par lesSaxons,
&par les Moſcovites , avoient formé un
Corps conſidérable dans la grande Pologne
, où ils faifoient degrands défordres ,
ainſi que dans le Palatinat de Cracovie ,
ſous lenom d'Indépendans; que l'Armée
deLithuanie qui s'étoit approchée dela
Frontiere , faiſoit auſſi de grands défordres
en retournant dans ce Duché , où
elle doit prendre des quartiers d'Hiver :
que les Députez nommez par la Républi
que pour traiter avec les Envoyez du
Grand Seigneur , étoient arrivez à Leopol
, ainſi que le Comte de Sienawski ,
Grand Général de la Couronne ; mais
qu'onneſçavoit pas encore quand ces Envoyez
s'y rendroient.
Par-les avis qu'on avoit eus à Hambourg
le.27. Novembre , du Camp devant
Stralzund , l'Artillerie du Roi Auguſte
n'y
JANVIER 1712 . 95
n'y étoitpas encore arrivée , les chemins
étanttous rompus à cauſe des pluyes continuelles
; ontravailloit à débarquer celle
qui étoit ſur les deux Bátimensde la Flote
Danoiſe qui avoient aborde heureufement;
maiscomme elle n'étoit pas ſuffiſante
pour battre la Place vigoureuſement
, on croyoit que les deux Rois ſeroient
contraints d'abandonner cette entrepriſe
, ou de la terminer par un Bombardement
, à cause de l'impoſſibilité
qu'ilyavoitdefaire hiverner leurs Trou
pes dans la Pomeranie, à cause de ladi
fettedes Fourages .
D'autres Lettres portoient , que les
Partis deWifmar continuoient leurs courfes,
fansque les Troupes Danoifes qui en
font leBlocus , puſſent les en empêcher ;
que le 21. ils enleverent un Courier qui
venoitde l'Armée; que la nuit du 15. au
16 unDétachement de la Garniſon battit
auprès de Warnemunde une Garde Da.
noiſe , &brûla un Bâtiment chargé d'Artillerie;
que leCapitained'un Yacht Suedois,
arrivé dans le Port de cette Place
avoit rapporté , que cent quarante Bâtimens
de Tranſport partis de Stokholm
étoient arrivez à Carelſcroon , eſcortez
par vingt-huit Vaiſſeaux de Guerre , &
qu'ils devoient inceſſamment tranſportertreize
mille hommes en Pomeranie.
Par les avis deBerlin du 24 on a apris
que l'Electeur de Brandebourg , avoit en
voyé
96 MERC. GALANT.
voyé ordre à ſes Troupes qui ont fait la
Campagnedans le Païs Bas , de retourner
endiligencedans ſes Etats .
Extrait d'une Lettre de Vienne ,
du 18. Novembre .
L
Es Quartiers d'Hiver de l'Armée de
l'Empire ont été réglez : neuf RégimensAutrichiens
, doivent hiverner en Baviére
, trois dans la Bohème , & un dans
l'Autriche , & les Troupes des Electeurs
dans leurs Etats. Les Lettres qu'on reçûësdes
Frontières de Turquie confirment
quel'ArméeOttomaneprenoitſes quartiers
d'Hiver des deux côtez du Danube ,
du Prut ; que le Grand Seignear paroiſſoit
toûjours disposé à obſerver exactement le
Traité de Carlowitz , & que le Roi de
Suede devoit hiverner à Bender. L'Impe .
ratriceRegentea écrit à cePrince pour lui
offrir un paffagelibre parla Hongrie , &
parles PaisHéréditaires ; à condition qu'il
neferoit accompagné que de deux mille
hommes . L'Archiduc ayant envoyé ordre
au Comte de Staremberg , President de la
Chambre des Finances, de préparer des
Sommes confidérables pour les dépenses de
Son Couronnement , & pour continuër vigoureusement
la Guerre , onparle de mettre
Sur letapis le projetpropoſe en 1703. qui eft
de mettre une très forte Taxe sur tous les
biens
JANVIER 1712. 97
biens , meubles , & immeubles , sur tous
lesMarchands , Artisans , & autres , ce
qui cauſe une grande consternation. Le
jourdu Couronnement n'est pas encorefixé:
cependant les principaux Officiers de la
Maiſondunouvel Empereur , partent pour
Se rendre à Francfort . On a reçû ici les
Préliminaires de la Paix , fignez entre la
France&l'Angleterre ; le Conseil qui s'est
Aſſemblé plusieurs fois pour les examiner ,
nelesàpas approuvez . Oncommence àbattre
la Caiſſe, pour lever les Recruêsnéceffaires
pour les Régimens Autrichiens ,
ona envoyé des ordres dans tous les Païs
Héréditaires pour les obliger à fournir le
nombre de Soldats auquel ils ont été
taxez . Le Prince Charles de New.
bourg , Gouverneur du Tirol , qui avoit
porté à Milun le Decret de l'Election à
l'Archiduc eft revenu à Infpruch, afin de
donner ordre auxpréparatifspour la récep-
Lion de ce Prince , qui devoity recevoirle
22. l'hommagedes Etatsdu Tirol.
NOUVEL LES
d'Eſpagne.
1.
L
Es Lettres de Madrid du 16. Novem
breportent, que la Courpartit d'A
ranjuez le 14. Que Leurs Majeftez Catbo-
Tome V. E
li
98 MERC. GALANT.
liques , en paffant par Cien-Poçuelos , on
lesEnnemis avoient campé long tems l'année
précedente ,y aveient été reçûësavec
de grandes démonstrations de joye ; que
les Habitans avoient planté exprès fur le
cheminune avenue d'Arbres d'an quartde
Lieuë de longueur; à chacun des bouts il y
avoitunArc de Triomphe ornédes portraits
du Roi , de la Reine, & du Prince des
Asturies ; qu'ils avoient tirépluſieursfeux
d'Artifice, fait couler des Fontaines de
Vin, &donné plufieurs autres marquesde
lear zèle : que le 15. Leurs Majeftez arriverent
à Madrid ; qa' Elles allerent def.
sendre à Notre Dame d'Atocha , où l'on
chanta deTeDeum; que le Roi monta enfuiteàcheval
, &la Reine encaroffe , avec
lePrince fon Fils : que toutes les Ruës on
Leurs Majestezpafferent étoient tendues
des plus belles Tapifleries , avec un grand
nombrede Portraits du Roi , de la Reime,
&du Prince ; que les Boutiques de laRuê
desOrphévresétoient ornées deVases
Vaiſelled'Or &d'Argent , de quantitéde
Bijoux , &de toutesfortes de Pierreries :
que la marche dura jusqu'à la nuit, avec
des acclamations& des marques dezèle
inexprimables , que lefoir on fit jouër la
grandeMachine de feux d'Artifice , qui
avoit été dreſſée dans la Place du Palau ;
que lesfenêtres des Maiſonsfurent dluminées
de Flambeaux de cire blanche pendant
toutelanuit.
de
Cel
JANVIER 1712. 99
une
Celles du 23. marquent , que les réjoüif
ſancesont continué les deux jours ſuivans
pardesfeuxd'Artifice d'une beauté furprenante
, de l'invention d'un célébre Artifi.
cier d'Alcala ; par des illuminations,
par toutes les autres démonstrations d'une
grandejoye: que le 19. oncélébra dansl'E.
gliſe des Carmelites Deſchauffées ,
Meffefolemnellepour rendre graces àDieu
de l'heureux retour de Leurs Majestez
Catholiques&du Prince leur Fils que
DonLorenço Folch de Cardona , Grand
Aumônier, officia , &que Don Juan de
Las Evas , Prédicateur du Roi , fit un
très beau Sermon;que le 22. lesJesuïtes
du College Imperial , firent des obfeques
Solemnelles pour le repos des AmesdesSoldats
qui font morts pendant la derniére
Campagne , &que toute laNoblesseyaffi.
fta: que plusieurs particuliers recommencerent
le 23. à donner des marque de leur
joyepourl'arrivée de Leurs Majeftez , par
desilluminations , par des feux d'Artifice,
des Arcs de Triomphe , orner dePein.
tures Sde Vers , à la loüange de Lours
Majeftez que les deux Compagnies de
Comediens Espagnols allerent en Mascarade
au Palais où ils chanterent des sire
nouveaux , orepresenterent une très-belie
piecequifinitparun Balmagnifique .
Qu'àl'égarddes nouvelles de laGuerre ,
les Lettresqu'on avoit reçûês d'Arragon
portent, que les Troupes du Roi qui fone
E 2 dans
100 MERC. GALANT.
dans ceRoyaume s'étoient emparées deBenavarri
, où il y avoit trois cens hommes ,
qui avoient étéfaits prisonniers , avecDon
BonfacioManrique , qui les Commandoit.
Extrait d'une Lettre du Camp de
Calafdu 18. Novembre.
M
R. le Comte de Muret , Lieutenant
Général , ayant été détaché avec
troismillehommespour aller attaquer Cardone,
y arriva le 14. Il trouva que les
Ennemis avoient aſſez bienfortifiélaVille
le Chateau , & que même itsavoient
auffi fortifié une Caffine oùils avoientmis
vingt-fix hommes. Ilſçût auſſique laGarmiſonétaitcompoſsée
de bonnes Troupes ; ſcavoir
du Régiment de Taf, de deux Battaillons;
d'un Régiment de Grifons , &
de celui de la Députation de Catalogne
d'un Bataillon chacun , troiscens bommes
d'autres Troupes , qui toutes étoient
biendisposéesàfaire une vigoureuſe reſiſtance:
Mais les Troupes du Roi étoient auſſi
biendiſpoſéesàles attaquer. L'Artillerie
ayant ruïué les deffenſes de deux Tours ,
qui flanquoient un grand Retranchement
quelesEnnemis avoient élevéentre la Caffine&
la Ville, M. le Comte de Muret fit
toutes les difpofitions néceſſairespourattaquer
ce Rétranchement. Ilpartagea quaforze
censhommes en trois Corps ; celuidu
cenJANVIER
1712 . ΙΟΙ
centre, defix Compagnies de Grenadiers
desix piquets, étoit commandé par M.
leMarquisd'Arpaion ; celui de la droite ,
compose d'un pareil nombre de Grenadiers
depiquets , étoit commandé par M.le
Comte d'Hercel , &celui de la gauche , de
troiscensDragons & defix piquets, étoit
commandépar M. le Comte de Melun. On
marcha danscet ordre le 17, àlapointe du
jour , enlaiſſant derrière la Caffinefortifiée
, le Rétranchementfut emporté l'Epéeàla
main aux trois attaques. Les
Troupesqur les deffendoient furent ſuivies
de ſi près que les nôtres entrerent danslit
Ville avec elles . Le Gouverneur du Chateau
voulant profiter de ce désordre , fit
Sortir trois censhommespour envelopernos
Troupes , & les mettre entre deux feux ;
mais elles se rallierent fi promptement
qu'elles obligerent les Ennemis defejetter
dansun Ravin , & de se retirer derriére
la Riviére de Cardonner . On ne trouva
point d'Habitans dans la Ville , parce
qu'ils en étoient tous fortis àl'approchede
nos Troupes. M. le Comte de Muret fit
enfuiteſommer le Commandant de laCaffine,
qui se rendit avecſept autresOfficiers
cent douze Soldats ſans avoirétéatta.
qué; quoi que ce Postefut fraise&palliffit
dé. M. deGourtieres , Lieutenant ColoneldanslesTroupes
Walones , un CapitainedeGrenadiers
, & un Aide-Major des
mêmesTroupes , furent bleffez à l'attaque
E 3
du
102 MERC. GALANT
du Rétranchement , qui n'apas coûtéaux
Troupes du Roi qurante bommes tuez , ou
bleffez, au lieu que les Ennemis en ont perdu
environfept cens, tant tuez , bleffez ,
Déserteurs , ou prisonniers ,y compris les
vingtfixhommes qui évient dans la Caffine.
Ontrouva beaucoup de vivres dans la
Ville, que les Ennemis y avoient amaffez.
Lelendemainde l'action , M. leComtede
Muret fit dreffer des Batteries contre le
Château.
NOUVELLES
dedivers endroits .
De Venise le 14. Novembre.
Ona fait ici pendant trois jours des
Prieres publiques dans les Eglifes de S.
Mare , & de S. Roch , avec l'expofition
du Saint Sacrement , pour demander à
Dieu qu'il lui plaiſe faire ceſſer le fleau de
lamortalité ſur les Beſtiaux , qui continuë
avec unegrande violence. Tous les Corps
&toutes les Communautez ont été en
Proceſſion à ces Egliſes , pendant ces trois
jours , durant leſquels les aſſemblées particulières
ont été défenduës , & les Théatres
fermez . Cette maladie s'eft communiquée
dans le Mantoüan , dans la Sti
ric,
JANVIER 1712 .
103
rie, & dans laCarinthie, où elle fait de
grands ravages.
De Milan le 11. Novembre.
LesAmbaſſadeurs de Veniſe curent le 7.
Audience de l'Archiduc. LeComteAn.
tonioRainoldi alla les prendre au Collége
Helvetique , où ils étoient logez , avec
uncarroffe à quatre chevaux. Ils étoient
enhabitdedeuil, ainſi que toute leur Livrée;
mais les jours ſuivans , ils parurent
vêtus magnifiquement , ainſi que toute
leurſuite.
Le 8 le Cardinal Imperiali Legat à Latere,
envoyé par le Pape pour complimenter
ce Prince , fit ſon entrée publique.
Le Comte Rainoldi alla le prendreavec
plufieursCarroſſes à fix Chevaux au Monaſtére
de Caſtellazzo , & le conduiſit
juſqu'au dehors de la Porte Romaine ,
où s'étant mis ſous un Dais , il donna la
Bénédiction au Clergé. L'Archiduc arri.
vaenfuite , &après des complimens réci
proques ils monterent à cheval , & entrerent
dans la Ville. Le Clergé Seculier
&Régulier commençoit lamarche ; les
Gardes à pied & à cheval marchoient enfuite
; puis vingt- quatre Mulets du Legat
avec de riches couvertures , un grand
Carroffe , & une Litiere ; douze Eſtafiers
de l'Archiduc , avec chacun un Cheval
E 4
de
104 MERC. GALANT .
de main ; les Valets de Chambre du Legat
avec deux Maffes ; les principauxde
ſa ſuite à Cheval , ſes Eſtafiers vêtus de ſa
livrée : ceux de l'Archiduc étoient en
deüil . Ce Prince étoit ſous un Dais de
Toile d'Or , ayant le Legat à ſa gauche.
Pluſieurs Seigneurs marchoient devant
cux , & ils étoient fuivis de douze Evê
ques ou Prelats à cheval . Le Senat venoit
enfuite , ſuivi des Tribunaux & des
foixante Décurions de la Ville. Ils arri .
verent encetordredevant l'Egliſe Métropolitaine;
mais l'Archiduc n'y entra pas ,
& il alla droit au Palais. Le Legat y entra
, & fut reçû par le Cardinal Archinto,
qui en eſt Archevêque ; il fut enſuite conduitau
Palais dans un Carroffe à fix Chevaux
, & de là au logement qui lui avoit
été préparé. Le lendemain il rendit en.
core viſite à l'Archiduc , quile reçût à la
ſeconde Anti- Chambre , & le reconduifit
juſqu'à la troiſieme .
Les Ambaſſadeurs de la République de
Genes , firent auſſi leur Entrée le même
jour ; & eurent Audiance ; & le lendemain
matin 10. ceux de la République de
Lucques eurent auſſi Audiance; & l'après
dînée du même jour l'Archiduc partit
pour aller coucher à Lodi.
De
JANVIER 1712. 105
!
De Lisbone le 9. Novembre.
La nouvelle qui s'étoit répanduë de
puis huit jours que la Paix ſe traitoit en
Angleterre , a été confirmée par un Exprès
dépêché par notre Ambaſſadeur en
cette Cour là , qui a apporté les Préliminaires.
Le Comte de Portmore , a reçû
ordrede ramener en Angleterre les TroupesdecetteCouronne
, excepté deux Bataillons
, pour remplacer les Soldats qui
manquent à la Garniſon de Gibraltar.
Sept Vaiſſeaux de guerre Anglois qui
étoient dans notre Port , en partirent
hier pour retourner en Angleterre. Le
pain eſt toûjours très cher ici ; & on eft
fort en peine des Bâtimens qui ſont allez
charger des grains en Barbarie.
DeNaples le 10. Novembre.
Le 3. de ce mois oncommença les réjoüiffances
publiques , pour l'Election de
l'Archiduc à l'Empire. Elles devoient
durer trois jours; mais leſoir du troifié .
me à une demi heure de nuit , il tomba
une fi grande pluye qu'elle éteignit toutes
les illuminations , gâta les Tentures qui
étoient en pluſieurs endroits , & trempa
tellement les Artifices, qu'ayant reconnur
ES
le
106 MERC. GALANT.
le lendemain qu'ils ne pourroient plus
ſervir , on les abandonna au pillage ainſi
que toutes les Machines. Le Vice - Roi
qui devoit aller ce ſoir là viſiter les Feux
d'Artifice , préparez ſur la Mer avec de
grandes Machines chargées de fruits ,
donna un Bal dans le Salon du Palais ,
pour ſupléer à l'éxécution de ces grands
préparatifs , qu'on renouvellera après le
Couronnement. Le 8. il fit chanter le
Te Deum dans l'Egliſe du grand Convent
des Dominicains, & il y tintChapelle;
pendant laquelle l'Infanterie Allemande
qui étoit dans la Place fit trois décharges
de Mouſqueterie , & les Canonniers des
Châteaux , firent trois ſalves de toute
l'Artillerie . Il le fit chanter hier dans
l'Egliſe des Theatins , & doit demain le
faire chanter dans cellede la Maiſon Pro.
feffedes Jeſuites.
De Cadiz le 12. Novembre.
Des Armateurs François amenerent
avant hier ici trois Vaiſſeaux Hollandois
qui venoient du Levant. Ils font chargez
de Soye, de Cotton filé , de Caffé , &
d'autres riches Marchandises , le tout eftiméprès
d'un million.
Une Fregate Françoiſe ayant attaqué
fur les Côtes de Galice un Vaiffeau de
guerre Portugais, montéde 60. pieces de
Ca-
:
JANVIER 1712. 107
Canon, étoit ſur lepoint de s'en emparer
après quatre heures de Combat , lors
que le feu ayant pris au Vaiffeau , il ſauta
enl'air avec tout l'Equipage , dont on ne
put ſauver que trois perſonnes.
Il eſt encore venu quarante ſeptDeferteurs
de Gibraltar , preſque tous Hollandois
, & qui continuent de dire que la
Garniſon n'eſt point payée , & que les
vivres yfont à un très haut prix.
DeRome le 14. Novembre.
Le trois de ce mois , la Marquiſe de
Prié , comme Ambaſſadrice de la Cour
de Vienne, quitta le deüil , & reçût les
complimens fur l'Election de l'Archiduc
à l'Empire. Il y cut le ſoir une grande
Affemblée chez elle , où se trouverent la
Connêtable Colonne, Dona Maria Bernardina
, les Neveux du Pape , l'Envoyé
de Portugal , & pluſieurs autres perſonnes
diftinguées : Le Prince d'Avellino ,
avoitmandé àſesprincipaux Domestiques
de donner part aux Cardinaux de l'Election
de l'Archiduc , &de faire des illuminationspendant
trois foirs; mais lesMaîtresdes
cérémonies ayant repreſenté qu'il
étoit contre l'ordre qu'il ſe fit ſous les
yeux du Pape , des réjouiſſances pour une
nouvelle dont onn'avoit point donné part
à Sa Sainteté , ces réjouiſſances ont été
differées. E6 De
108 MERC. GALANT.
DeVenise le 21. Novembre.
L'Archiduc ayant paflé le 14. à Buffolengo,
ſur les Frontières de l'Etat Venitien,
fur fa route de Milan à Inſpruch ,
les Procurateurs Piſani & Dalezze , Ambaffadeurs
Extraordinaires de la République
le complimenterent. Ce Prince fut
conduit au Palais qui lui avoit été préparé
; & qui étoit magnifiquement meublé
& illuminé , & où il trouva unegardede
deux mille Cavaliers ou Dragons , tous
habillez de neuf. Le lendemain les Ambaſſadeurs
lui preſenterent un Régale de.
Cire, deMiroirs , de Criſtaux , deConfitures
, & de pluſieurs autres choſesgalantes
: On lui ſervit un repas magnifique
, après lequel il alla à Roveredo , ac
compagné par les mêmes Ambaſſadeurs ,
&par les deux mille Cavaliers ou Dragons,
qui ne le quitterent que ſur les
FrontièresduTrentin. CePrince fit prefent
aux Ambaſſadeurs de chacun une
Boëte à portrait , garnies de pierreries , &
eftimées mille piſtoles .
De Lisbonne le 13. Novembre.
Oneſt ici dans degrandes inquiétudes ,
fur l'avis qu'on a eu , que M. du Gué-
Trouin, avoitdébarqué des Troupes aux
Iles
1
1
JANVIER 1712 . 109
Iſles du Cap Vert ; & qu'étant entré dans
la Baye de Tous les-Saints , il avoit pillé
la Ville de San Salvador , Capitale du
Bréfil , ainſi qu'un autre Port , où il avoit
brûlé tous les Vaiſſeaux quiy étoient.
De Londres le 24. Novembre.
)
Monfieur l'Evêque de Bristol , Garde
du Sceau Privé , ſe prépare à partirpour
la Hollande , en qualité d'Ambaſſadeur
Plénipotentiaire pour lesNégociations de
la Paix , que tous les Peuples des trois
Royaumes ſouhaitent avec tant d'empreffement
, qu'il a été réſolu en pluſicurs
endroits de preſenter des Adreſſes à
la Reine , pour la ſupplierde la conclure
aux Conditions qu'Elle& fonConfeiljugeroientà
propos ; mais on s'en eft abſtenu,
de crainte qu'il ne parûtqu'on voudroit
donner atteinte au Pouvoir abſolu
qu'a le Souverain de faire la Paix & la
Guerre, quand il lui plaît.
Trois cens prifonniers Françoisont été
tranſportez à Calais , pour être échangez.
La Foudre étant tombée la nuit du 16.
au 17 fur l'Egliſe de Southwel , dans le
Comtéde Nottingham , cette Egliſe a été
brûlée avec l'Ecole qui en étoit proche ,
&les Cloches fondues.
رف
E7 Du
110 MERC. GALANT.
Du premier Décembre.
Le 25. Novembre il arriva unCourier
du Comte de Strafford , qui apporta le
conſentement des Etats Généraux pour
traiter de la Paix ſur le pied des Préliminaires
; & les Paſſeports pour les Ambafſadeurs
du Roi Très- Chrêtien. Outre
les vingt-cinq gros Vaiſſeaux de Guerre,
qui ont été defarmez , on en defarme encore
pluſieurs autres..
Le 28. jourde la Naiſſance de la Reine
Elifabeth , auquel le menu Peuple avoir
coûtume, avant le Regnede Jacques I I.
de célébrer la mémoire de cette Princeffe ,
en brûlant l'Effigie du Pape , &cellesde
plufieurs Cardinaux & Religieux , leConfeil
fut averti quequelques mal- intentionnez
, avoient fait faire ſecrétement de
grands préparatifs , dans le deſſeinde caufer
quelque tumulte. On envoya des
Huiffiers , avec un Détachement deGre
nadiers , commandé par un Officier, dans
l'endroit qu'on avoit Dit indiqué, & ils y
trouverent une Figure du Pape , avecplufieurs
autres de Cardinaux , & Religieux ,
&mêmeduDiable, dansun Chariot, qui
fut briſe ainſi que toutes les Figures *.
Le
* On fit la-deſſus une Eſtampe, où l'on voit
leDiableayant lePape à ſa droite , & le Prétendant
à ſa gauche , & les autres Figures derriére
17
dans
JANVIER 1712. 111
1 Le ſoir du même jour , & la nuit ſuivante
on fit prendre lesArmes aux Milices , qui
firent des Patroüilles dans les ruës ; mais
ilne ſepaſſa pas le moindre déſordre .
De Génes le 26. Novembre.
Monfieur le Marquis de Monteleon ,
Ambaſſadeurd'Eſpagne , ayant reçû ordre
de ſe rendre à Madrid pour y recevoir ſes
Inſtructions fur le Congrès de la Paix
auquel il doit afſiſter , en qualité dePlénipotentiaire
, prit hier ſon Audiencede
Congédu Senat.
Les fix mille Allemands qui s'étoient
avancez ſur notre Frontière pour yprendredes
Quartiers d'Hiver , marchent dans
le Mantouan où ils occuperont les Quartiers
qui étoient deſtinez aux Troupes de
Brandebourg qui retournent en Allemagne.
Il eſt entré huit mille Allemands ſur les
TerresduGrand Duc , où ils prennentdes
Quartiers ; ce Prince ayant refuſé de fournir
aux Commiſſaires Impériaux les huit
cens mille livres que l' Archiduc lui avoir
faitdemander.
De
on
dans l'ordrequ'on s'étoit propoſéde les porter
enProceffion: &deſſus la Figure du Diable,
litces paroles de S.Math.Chap. Chap . 28. v.
cipuli ejusnoctevenerunt&furati funt cum.
13. Dif112
MERC. GALANT.
De Grenoble le 30. Novembre.
Il parut il y a quelques jours de cecôtéciun
gros parti de la Garniſon de Suze qui
étoitvenuparExiles. Auſſi-tôt qu'on en
eut avis on fit fortir trenteDragons avec
chacun un Fantaſſin en croupe: Ilstrouverent
les Ennemis qui rafraîchiffoient
dans un Village; les Fantaſſins y entrerent
criant , Qui Vive , & au premier fcu
que nos gens firent ſur eux , ils ſe retirerent.
Les Dragons qui les obſer voient
les pourſuivirent & mirent en déſordre;
cinq furent tuez & trente-cinq faits pri-
Conniers.
DeHunningue le4. Décembre.
Notre Garniſon a fait une courſe dans
la Forêt Noire ſans aucune oppoſition , &
a ramené un gros butin. Les Lettresde
Hombourg portent , que foixante Huffars
ennemis étant entrez dans lePaïs, avoient
commencé à piller & brûler ; mais que des
Détachemens de cette Place & de Saar-
Loüis , ayant été à leur pourſuite, les
avoient battus & repris le butin qu'ils
avoient fait.
De
JANVIER 1712 . 113
De Bayonne le 4. Décembre. -
Il y a préſentement ici 18. Bâtimens
Anglois , qui ont apporté diverſes Marchandiſes
pour les vendre , & enſuite
charger des Vins &des Eaux de Vie .
Une Fregate du Roi de 34. Canons a
pris un Fleſſingois de 32. Canons & de
150. hommes d'équipage , dont plus de
60. ont été tuez dans le Combat , quia
duré cinqheures.
Des Lettres deGibraltar du 20. du paffé
portent , que la difette y étoit ſigrande ,
que le Commandant de la Place étoit
obligé de tenir les Portes fermées pour
empêcher la deſertion : que quatre Bâtimens
Portugais étant entrez dans laBaye
pour ſe mettre à couvert d'un gros tems
qui auroitpû les jetter ſurles Côtes de Barbarie
, on leur avoit fait décharger les
grains qu'ilsavoient à leur bord , & rembourfé
l'argent qu'il leur avoir coûté.
:
On a aufli appris que les Maures qui
font devant Ceuta ayant voulu emporter
parEfcalade le Baſtion de S. Pierre, avoient
été vivement repouffez juſques dans leur
Camp avec perte de plus de 1200. hommes
; & qu'il étoit arrivé de Carthagene
à cette Place , un renfort de 400. hommes
& beaucoup de Munitions de guerre
& debouche.
*
DA
114 MERC. GALANT .
DuFort-Loüis le 10. Decembre .
LeCommandant de Lauterbourg ayant
eu avis que le 6. aufoir il devoit fortir un
Bataillonde Philisbourg pour aller à Landau,
envoya un Parti de Dragons & de
Grenadiers , qui ſe poſtérent fur le chemin
en des lieux couverts . Les Ennemis
étant tombez, dans l'Embuſcade , furent
envelopez; le Commandant fut tué avec
pluſieurs Soldats , & le reſte pris. Ce
Bataillon étoit des Troupes de Soüabe &
de Franconie , & alloit relever un autre
Bataillon des mêmes Troupes qui eſt à
Landau.
De la Haye le 8. Decembre.
Le Courier , que le Comte de Goes,
Envoyé de la Cour de Vienne , avoit dépêché
à Milan , pour porter à l'Archiduc
les Préliminaires de la Paix , en revint le
22. Novembre. Il apporta une Lettre *
par laquelle ce Prince prie les EtatsGénéraux
de n'avoir point d'égard à ces Préliminaires
, qu'il les avoit rejettez , &qu'il
proteftoit contre toutes les Aſſemblées &
les Négociations qu'on pourroit faire fur
ce ſujer.
On a appris depuis que ce Prince perfiſtedans
la réſolutionde ne point envoyer
de
* On trouve cette Lettre à la fin du Mercure
deNovembre.
JANVIER 1712. 115
dePlénipotentiaires pour traiterde laPaix
fur lepieddes Préliminaires .
Hier le Comte de Strafford , Ambaffadeur
Flénipotentiaire d'Angleterre , com-.
muniqua auxMiniſtres de tous les Alliez ,
dans une Affemblée que l'on tint exprès ,
que la Reine ſa Maîtreffe avoit nommé la
Ville d'Utrecht pour le lieu où ſe tiendroient
les Conférences pour la Paix , &
que l'ouverture s'en feroit le 12. Janvier
prochain. Il remit enſuite àchacun de
ces Miniſtres , une Lettrede laReinede la
Grande Bretagne , qu'Elle écrivoit à leurs
Maîtres , pour les inviter à y envoyer
leurs Plénipotentiaires .
D'Arras le 12. Decembre.
Monfieur leMaréchaldeMonteſquiou,
partir d'ici avant-hier avec la plus grande
partie de notre Garniſon , pour ſe mettre
à la tête d'un Détachement de trois cens
hommes par Bataillon , & de cent hom
mes par Régiment de Cavalerie & de Dragons
de toutes les Troupes , qui ſontdepuis
laMeuſe juſqu'à la Mer. Leur rendez-
vous étoit le long de laScarpe depuis
Douay juſqu'à Mortagne, & le long du
Canal&de la Deule. Ces Troupes n'ont
point de Bagages , &n'ontportéddeesVivres
quepour quatre jours , & desOutils
à remuer la terre ; elles travaillent à combler
116 MERC. GALANT.
bler leCanal en quelques endroits , à ruï
ner les Ponts , les Ecluſes & les Digues de
ce même Canal , de la Scarpe, & de la
Deule , afin d'ôter aux Ennemis le moyen
d'établir leurs Magazins de Vivres & de
Munitions à Douay pour la Campagne
prochaine , ainſi qu'ils l'avoient projetté.
Pendant qu'unepartie de cegros Détachement
commençoit ces Travaux , M.
deGoëbriant marchoit à la petite Ville de
Lillers , où les Ennemis avoient cinq cens
hommes , qui ont été faits priſonniers ;
&les Fortifications qu'ils yavoientfaites
ont été démolies.
De Courtray le 18. Decembre.
Un Parti de cent hommes de laGarnifon
d'lpres , ayant rencontré pluſieurs
Détachemens de cinq Régimens , les a défaits
l'un après l'autre , & en a fait laplûpart
prifonniers .
Lemêmejour, foixante Huſſars , furent
furpris la nuit dans un Village à deux
lieuës deCologne , par un Parti de trente
Fantaſſins François , qui leur enlevérent
trente Chevaux,
1
1
JANVIER 1712. 117
3
AMadrid le 3. Decembre.
Le Conſeil envoya Vendredi dernier des
Inſtructions aux Plénipotentiaires qui doivent
partir inceſſamment pour les Conférences
de la Paix. Le Roi a donné la
Charge de Préſident du Conſeil de Guerre
àM. le Marquis de Bedmar. Les Lettres
deMalagaportent , qu'il y étoit arrivé un
Bâtiment venantde Gibraltar,où il y avoit
quatre- vingt- fix Soldats de la Garniſon de
cette Place , qui ayant monté de nuitdans
ce Vaiffeau , obligérent les Matelots de
mettre à la Voile , après avoir eux-mêmes
coupé lesCables.
MORTS.
Germain de la Faille , Doyen desAnciens
Capitouls , Syndic de la Ville de
Toulouze , Secretaire Perpétuel de l'Académie
des Jeux Floraux , & Auteur des
Annales de la même Ville , y mourut le
12. Novembre , âgé de 96. ans .
Bernardin Kadot , Marquisde Sebville,
Maréchal des Camps & Armées du Roi ,
mourut le 11. Octobre , dans ſon Château
de Sebville , âgé de 70. ans . Il avoit été
Envoyé de Sa Majesté à la Cour de Vienne.
Elisabeth de Rouxel de Medavy de
Gran-
رد
118 MERC. GALANT.
Grancey , Dame d'Atour de la feuë Reine
d'Eſpagne , mourut le 26. Novembre ,
âgée de 58. ans . Elle étoit Fille du feu
Maréchal de cenom.
Marie Mignot , qui avoit épousé en
1633. François de l'Hôpital , Comte de
Rofnay, Maréchal de France , Chevalier
des Ordres du Roi , &c, mourut le 30.
Novembre , dans un âge fort avancé.
Pierre Deiria , Laboureur , de la Paroiffede
Braſſempoy dans le Dioceſe d'Aire,
mourut le 21. Novembre , âgé de
cent ans. Il travailloit à la terre huit
jours avant ſon décès.
Jacques Bouchet, Sieur de la Tour, de
Teiffodédans le Diocese de Lavaur , mourut
le 25. Novembre,âgéde cent onze ans ..
MARIAGES.
Chriſtian-Loüis de Montmorency-Luxembourg
, Lieutenant-Général des Armées
du Roi , & de la Province de Flandres
, épouſa le 7. Decembre , Loüife de
Harlay , Fille unique d'Achilles deHarlay
, Comte de Beaumont , Confeiller
d'Etat ordinaire ; &d'Anne Renée Loüiſe
du Loüet de Coërjenyal , &petite-Fille
d'Achilles de Harlay , ci-devant premier
Préſident du Parlement. Le nouvel Epoux,
quiportoitlenomdeChevalierde Luxembourg
, porte préſentement celui de PrincedeTingry.
On
JANVIER 1712 . 119
Onnepeut vousdonner une plus juſte
idéede la grandeur & des illuſtrations de
laMaiſondeMontmorency , qu'en vous
rapportant leDilcours que M. Chevillard,
Hiſtoriographe de France , & Généalogiftedu
Roi , acompoté à l'occaſion d'une
Carte Généalogique , qu'il a faite pour
Monfieur de Montmorency Foffeuſe ,
chefde cetteMaiſon. Ainfi , ce Diſcours
qui eſt inſerédans la premiére partiedece
Volume , doit être regardé comme un
Ouvragenouveau.
N. Ahactede Chevilly , Capitaine aux
Gardes , a épousé Catherine Turgot de
SaintClair , Fille d'Antoine Turgot , &
de Jeanne Marie du Tillet delaBuffiere.
Elleétoit VeuvedeGillesd' Aligre deBoiflandry
, Conſeiller au Parlement ; &
elleeft SoeurdeM. Turgot Maître des Re
quêtes , & deM. Turgot Evêque de Seez.
Il s'est fait depuis pluſieurs autres Mariagesdonton
aété informé trop tard pour
les infererdans ce Volume : on en parle.
rale mois prochain .
Le Roi a nommé Monfieur Aniffon de
Hauteroche, Prévôt des Marchandsde la
Villede Lion. Ileſt Pere de Monfieurde
Hauteroche Conſeiller au Parlement de
Paris, & Conſeiller de la Chambre du
Commerce , dont eſt auffi Monfieur Menager
, &de M. l'Abbé Aniffon. Haun
Frere à Lion , qui a étéEchevin de lamê
me Ville.
Le
120 MERC. GALANT.
!
1
1
Le Lundi 30. Novembre , Monfieur
l'Archevêque de Lion , Sacra dans l'EglifeCollegiale
de Saint Nizier , Monfieur
l'Abbé Sicault , Evêque de Synope , aſſiſté
deMonfieur Madot , Evêque de Bellay ,
&de Monfieur de Montmartin , Evêque
de Grenoble. L'Evêché de Synope eſt
fuffragant de l'Archevêché d'Amafie ,
dontMonfieur le Nonce Cuſani a été
pourvû.
Le 28: Novembre , Henri Charles Arnauld
de Pomponne , Abbé de Saint Medardde
Soiffons , Aumônier du Roi , ci .
devant Ambaffadeur de Sa Majesté àVe
nife , fut nommé Conſeiller d'Etat d'Eglife
, à la place de feu Monfieur le Tellier
, Archevêquede Rheims .
Monfieur Trudaine , Intendant de
Bourgogne , ayant été nommé Confeiller
d'Etat , s'eſt demis de cette Intendance.
Monfieur de la Briffe , Intendant de
Caën , a été nommé Intendant de Bourgogne;
& Monfieur Guinet , Maître des
Requêtes , a été nommé Intendant de
Caen.
Le premier Décembre , Loüis-Augusted'Albert-
d'Ailly , Vidame d'Amiens , Capitaine
Lieutenant des Chevaux Legers
de la Garde du Roi , ayant été nommé
Par Sa Majesté Duc de Chaulnes , Pairde
France , prêta Serment au Parlement ,
&y fut reçû avec les cérémonies ordinai .
res.
Le
JANVIER 1712 . 121
Le 17. Décembre on fit un Service folemnel
dans l'Eglise des Minimes , près
de la PlaceRoyale , pour le repos de l'Ame
de feu Monfieur le Maréchal de
Boufflers . Monfieur l'Evêque de Tournay
célébra la Meſſe , & le Pere de la Ruë
Jeſuite , prononça l'Oraiſon Funebre.
Ungrandnombreddee Seigneurs&deDames
de la Cour y aſſiſterent.
L'Académie Françoiſe a propoſé pour le
fujet du prix de Pocfie qu'elle delivrera
l'annéeprochaine , lejour de Saint Louis.
L'application continuelle du Roi à affurer
te repos deſes Sujets , & son attention à
rendreMonfieur le Dauphin deplus en plus
capable derefpondre àſesvûës.
Derniéres Nouvelles .
-De.Lisbonne le 4. Décembre.
L
E Roi affemble ſouvent fon Conſeil
pour prendre des meſures convenables
aux conjonctures preſentes ; & un
Exprès partit hier pour l'Angleterre avec
des Dépêches qui portent , à ce que l'on
affure , que Sa Majesté remet à la Reine
ſes intérêts au ſujet de la Paix , & nos
Envoyez à Londres & à la Haye , font
nommez pour affifter au Congrès en qualitédePlénipotentiaires
.
La nouvelle qu'on a euë ici de l'expédi-
Toma V.
F été
tion des François dans le Brefil , nous a
122 MERC. GALANT.
été confirmée par un Bâtiment arrivé de
San Salvador , & l'on y ajoûte d'autant
plus de foi , que nous n'avons point de
nouvelles de la Flote que nous en attendons.
De Gironne le 10. Décembre.....
Les dix-huit Bataillons , & les douze
Efcadrons qu'on attendoit de Dauphiné
étant arrivez , Monfieur le Marquis de
Fiennes s'eſt mis en marche pour aller faire
le Siége d'Oſtalric. Les Ennemis en
ayant été informez , s'avancerent au nombre
de 400. Chevaux , de deux Bataillons
, & d'un gros Corps de Miquelets ,
pour lui diſputer le paffage entre Bazola &
Caſtelfollit ; mais Monfieur de Fiennes
ayant marché à eux avec ſon Avant-garde
ſeulement , ils fe retirerent avec beaucoup
de précipitation , abandonnant tous les
poftes qu'ils occupoient dans les Montagnes.
De Hambourg le 11. Décembre.
Les dernières Lettres qu'on a reçûësdu
Camp devant Wiſmar portent , que la
nuit du 4. au 5 trois millehommes d'Infanterie
, & trois cens Dragons , étoient
fortis de la Place avec neuf petites pieces
de Canon, pour furprendre les Troupes
du Blocus ; que le Général Rantzaw qui
ycommande en ayant eté informé , avoit
envoyé une Troupe de Cavalerie devant
chacune des portes , pour obſerver les
mouJANVIER
1712. 123
mouvemens de la Garniſon , & donna en
même tems les ordres néceſſaires pour difpoſer
toutes ſes Troupes de maniére qu'ellespuflentmarcher
promptement où il ſeroit
néceſſaire : que les Suedois en ſortant
de la Ville , avoient repouffé la Cavalerie
Danoiſe ; qu'ils poufferent enſuite la
Garde avancée& le Piquet de deux cens
Chevaux , après quoi ils attaquerent le
Régiment de Dragons de Bulau , qui
ayant été ſoûtenu par trois autres Régimens
, le Combat dura deux heures , ce
qui donna le tems au Général Rantzaw
de faire avancer des Troupes qui prirent
les Suedois en flanc des deux côtez , &
marcha en même tems avec un autre
Corps pour leur couper la retraite , enforte
que l'Infanterie fut obligée de former
un Bataillon quarré pour ſe retirer ,
mais que ce Bataillon ayant été rompu , il
n'étoit rentré dans la Ville qu'environ
feize cens hommes , le reſte avoit été tué
ou pris avec les neufpiecesde Canon.
Extraitde Lettres de Bender du 26.
Octobre.
M. Funck , notre Envoyé , mande par
un Exprès qui vient d'arriver , que le
Grand Vifir fait à preſent des merveilles .
&promet au Roi de Suede tout ce qu'il lui
demandera en Troupes & en Argent. Les
Moſcovites ont employé plufieurs artifices
pour éluder& retarder l'éxécution de
F2
la
124 MERC. GALANT .
la Paix faite avec la Porte. Le dernier
terme fixé pour la reddition d'Afaf , & la
démolition deTaganrok , expirera dans
quelquesjours , & ils cherchent encore à
gagner une prolongation ; mais nous
avonsde trèsgrandes raiſons pour croire
quelaPorte ne ſe laiſſera plus amufer , &
qu'elle reprendra les Armes inceſſamment .
Čependant de quelque maniére que la
choſe tourne , le Roi de Suede demeure
ferme dans la réſolution qu'il a priſe de
partir cet hiver , & de ſe porter en Pologne.
D'Arras le 20. Décembre.
Les Troupes qui ont été employées à
combler leCanalde la Deule , & celui de
Doüai ; à rompre les Ecluſes , les Ponts,
&les Digues , font retournées dans leurs
quartiers, fans avoir perdu un ſeul homme
; on a auffi ruïné le Pont-à- Vendin ,
&enfoncé des Bateaux , & abbatu des Arbres
dans la haute Scarpe au deſſus de
Douai , de forte que les Munitions qui
font à Gand , & deſtinéespour les Magafins
de cette Place , n'y pourront être
tranſportées quepar charrois , cequiſera
trèsdifficileà écuter, tantà cauſe des
groffes ſommes qu'il en coûtera aux Ennemis,
qu'à cauſedes forteseſcortes pour
chaqueConvoi.
Les cinqcens hommes qui ont été faits
priſonniers à Lilliers , & qui font de Trou
pes Hollandoiſes , ont étéamenez ici .
D'auJANVIER
1712. 125
D'autres Lettres portent , que dès que
les Ennemis furent informez de ce qui ſe
paffoit , ils raſſemblerent toutes lesGarni .
fons de la Frontière ; mais que n'ayant pû
lefaire affezpromptement , les nôtres ſe
retiroient lorſque les Gouverneurs de Lille&
deDoüai parurent à une lieuë&demie
d'Arras , à la tête de trente Eſcadrons
, quiaprès quelques eſcarmouches
avec l'Arrière-garde de nos Troupes ,
commandée par M. le Comte de Broglio ,
ſe retirerent , crainte d'être coupez .
De Madrid le 14. Décembre.
Lesdernières Lettres qu'on a reçûës de
Catalogne portent , que le Comte de Staremberg
ayant fait un détachement de
Troupes Allemandes pour changer laGarnifon
de Tarragone , les Officiers des
Troupes Angloiſes qui y font , avoient
refufé d'évacuer cettePlace , & avoient
faitdire auComte de Staremberg , qu'ils
enrépondoient.
ADDITION
Faite en Hollande,
Mémoire de l'Envoyé de S. A. E.de Hanover
, adressé à la Reine de la Grande
Bretagne , fur la Paix avec la France.
Son Alteſſe Electorale de Brunswick-Lunebourg
ayant renvoyé le ſouſſigne , ſon Mi-
F3
niſtre
126 MERC. GALANT.
niftre d'Etat & de fon Conſeil Privé , leBaron
de Bothmer , auprès de S. M. la Reine de la
Grande Bretagne , lui a ordonné principalement
de remercier très humblement S. M. del'honneur
qu'Elle luia fait , delui communiquer ce
qui s'eft paffé depuis peu touchant la Négociationde
Paix , par une perſonne de la distinction &
de la confiance de M. le Comte de Rivers ; &
de la nouvelle marque de l'honnenrde fonAmitié
, qu'Elle a bien voulu donner à cette occafion
, à lui & à ſa Sereniffime Famille , par ſes
généreux foins pour ſes intérêts.
Monſeigneur l'Electeur ſe raporte particuliérement
aux fentimens qu'il a fait connoître à
Mylord Rivers , & à la Réponſe qu'il lui a fait
donner par écrit fur ſes Propoſitions , dont une
Copie va ci-jointe. Il croit que ce ſeroit manquer
aurefpect dû à la confiance dont Sa Majesté
l'a honoré , s'il n'y répondoit avec la fincérité
qu'Elle doit attendrede ſon plus véritable &de
fon plus zelé Serviteur & Ami , quis'intéreſſe
pour la gloire & pour fon intérêt plus que perfonne
du monde. Il eſpére que Sa Majefté lui
fera l'honneur de recevoir dans ce ſens&felon
cette intention , tant ce qu'il a pris la liberté
de lai faire dire de ſes ſentimens , par le ſuſdit
Lord Rivers , que ce qu'il a ordonné au fouffigné
ſon Miniftre de ſe donner l'honneur de repréfenter
encore à ceux de Sa Majefté.
Les ſentimens de S. A. E. fur la Paix & fur
la Négociation font : Queles Alliez ont beſoin ,
non ſeulement de Déclarations poſitives , mais
encore de fûretez réelles , fur tout ayant à faire
à un Ennemi dont les maniéres d'agir font
affez connuës. C'eſt à quoi les Préliminaires
précédens avoient pourvû , en obligeant la France
à reftituer préalablement des Places de ſûreté.
Ici , il n'y a ni fûretez réelles , ni aucunes
Déclarations claires& préciſes: Toutſe réduit
à des généralitez vagues , qui au fonds ne
yeuJANVIER
1712 . 127
|-
veulent rien dire, & fur leſquelles on pourroit
négocier des années. On laiſſe à juger , quel
eft lemoyende plus fûr pour mettre une promte
fin à la Guerre ; Ou d'exiger préalablement de
laFrancedecelles conditions , qu'iln'yait plus
rien à faire dans l'Aſſemblée générale, quede
leur donner la formie de Traité ; Ou d'ouvrir
cette Affemblée ſur des Articles captieux &
obfcurs , qui laiſſent le champ libre à la France
de mettre en uſage ſes Intrigues&ſes Chicanes
ordinaires.
bl n'y a qu'une parfaite Union entre les Al
liez , pendant qu'on traitera la Paix générale,
&laGarantie mutuelle qu'ils ſe donnerontde
ce qui y aura été conclu , qui puiſſent les mettre
en fûreté pour l'avenir. Sans cela , toute
l'Europe tombera dans la confufion , & tôt ou
tard dans l'Esclavage; fur tout , fi on laiſſoit
l'Efpagne & les Indes à un Prince de la Mai
fon de Bourbon. On ne pourroit pas ſe flatter
que même après la Paix concluede tellemaniére,
la Grande Bretagne pût être en fûreté , &
ſe maintenir dans un état tranquille & florif
fants à moins que de demeurer avec lesEtats
Généraux, & avec les aneres Alliez , dansune
Union qui les mit tous enſemble à couvertdes
entrepriſes de la France. Toutes leurs Forces
trnies ont à peine ſuffi pours'en garantir : D'où
l'on peut juger de ce qui arriveroit , fi ceste
Couronne venoit à bout de les divifer ; & ce
qu'elle Yeroit capable d'executer , après avoir
reſpiré pendant quelques années , & après s'être
renforcée par l'Espagne & par les Richeſſesdes
Indes. On ne doute donc pas , que S. M Britannique
ne ſe propoſe d'agir dans toutes fes
affaires conjointement &de concert avec ſesAlliez,
conformément aux afſurances qu'Elle leur
adonnées. Mais pour bannir toute défiance.,
il feroit bon qu'ilonly eût aucune Négociation
fecrette, qui pût donner lieu de foupçonnerque
F4
lum
128 MERC. GALANT .
l'un ou l'auere des Alliez pourroit faire fon
Traité ſéparément.
Tous les Alliez concourront avec plaiſir à
conclure la Paix , pourvû qu'elle leur procure
leur fûreté; n'y en ayant point qui ne ſoit las
desdépenses & des incommoditez de la Guerre
, & qui veüille la continuer lors qu'elle ceffera
d'être néceffaire. De plus , il n'y en a
point parmi Eux qui ne ſe faſſe un plaifir de
contribuer de tout fon pouvoir , à obtenir à la
Grande-Bretagne les conditions & les avantages
qu'elle peutprétendre de la France: SonAlteſſe
Electorale fe fera en particulier un devoir d'y
aporter tous les foins qu'on pourra déſirer d'Elle,
rien au monden'étant plus jufte, après tant
de grandes choſes que S. M. Britannique afaites
avec ſa Triomphante Nation pour la Cauſe
commune , depuis le commencement de fon
glorieuxRégne. Et cette voyeparoît plus fûre
à S. A. E. , pour parvenir à ce but , & pour ſe
conſerver les avantages , que fi la Grande-Bretagne
y travailloit fans la concurrence de ſesAlliez
par une Négociation ſeparée . Rien ne ſeroit
auffi plus avantageux à la France , quefipar
ſon habileté , elle pouvoit ébloüir aſſez une
Puiffance Maritime , pour lui faire accepter
quelque avantage tellement au préjudice de
Fautre , que la Jaloufie qui en naîtroit devînt
un obftacle à leut Union pour l'avenir ; laquelle,
faiſant leur fûreté réciproque , paroît à la
France le plus grand empêchement à ſes vaftes
Deffeins.
S. A. Electorale peut répondre , que la Cour
Imperiale n'a jamais formé ledeſſein qu'on lui
impute , de vouloir entamer avec la France une
Négociation fecrette , au préjudice des Intérêts
de la Grande-Bretagne : Mais pour ôter à cet
égard tout fujet d'ombrage , tant de la partde
'Empereur , que de la part des EtatsGénéraux
des Provinces-Unies , on pourra prendre avec
ces.
JANVIER 1712. 129
ces deux Puiffances de nouveauxengagemens :
&on peut slaffurer qu'elles ne ferontaucunedifficultéde
promettre à la Reine , de la maniere la
plus forte & la plus folemnelle , de n'entrerja
mais avec l'Ennemi commun dans aucune Né,
gociation , de ne recevoir jamais aucune ouver
ture ou propoſition de ſa part , ſans la participation
de S. M. , & fans prendre de concert
avecElledes meſurescommunes. On allégue ,
quella Cour Imperiale renoncera fans peine à
Eſpagne & aux Indes , pourvû qu'on lui don
nelles Etats d'Italie & les Païs Bas: Mais c'eſt
fur quoi il eſtjuſted'entendre le nouvel Empereur,
quion ſçait avoir fort à coeur les affaires
d'Eſpagne.
11 eft aifé de connoîtreles ſuires pernicieuſes
qu'on auroit ſujet d'aprehender , fi on laiſſoit
l'Eſpagne & les Indes auDuc d'Anjou. S.M.
Elle-mêmes'eftexpliquée ouvertementdans ſa
Harangue à l'entrée de laderniére Seffion de ſon
Parlement , recommandant la Guerre d'Eſpa .
gne, comme celle qui intéreſſoit le plus laNationBritannique
, qui ne fera aucunement dé
dommagée par le Commerce de la Mer du Sud ,
dont on la flate; lequel, fi on lui en donnoit
même la réalité , dont on peut juſtement douser
encore, ne feroit aumoins que précaire , &
nedureroitqu'autant que la France& l'Eſpagne
voudroient bien le permettre . Cesdeux Couronnes
nepourront être conſidérées au ſuſdit cas
quecomme une même Puiſſance. Toutle mon.
de fçait que c'eſt la France qui gouverne lesEfpagnols,
dans leur Confeil , dans leurs Finan .
ces , dans le Militaire , & qui même fait leur
Commerce aux Indes par ſes Vaiſſeaux : Elle
s'eſt déja renduë tellement la maîtreſſe de tout
cela, que quand les Eſpagnols voudroient s'en
affranchir, Hoit après la Paixa, ſoit après la
mort du Roi de France d'à préſent , cela n'eft
plus dans leur pouvoir, & aucun Traité ne ſe
Fs ra
1
130 MERC. GALANT.
ra affez fort pour obtenir de la France dequit
ter effectivement ces Avantages. Il y aoutre
cela à confidérer , que ſi la Lignée duDuc d'An.
jou , ou la Lignée mâle du Dauphin fon Frere ,
venoit tôt ou tard à manquer , ces deux Couronnes
feroient entiérement combinées ſous une
même Tête : Nul Traité , nulle Renonciation
ne feroient aſſez forts pour empêcher cette combinaiſon
en pareil cas ; dont la Renonciation fai.
te à la Paix des Pirenées , & le Traitéde Partage,
fourniſſent entr'autres des exemples d'une
aflez grande évidence. Il eſt très-certain auſſi ,
que le Roi de France , qui nonobſtant la Paix
&fes Engagemens avec le Roi Guillaume III.
de glorieuſe Mémoire , a reconnude ſon vivane
un autre pour Roi d'Angleterre , auſſi tôt qu'il
s'eſt crû Maître de l'Eſpagne par ſon Petit Fils,
ne verra pas ſi-tôt celui- ci affermi ſur ce Trône ,
qu'il travaillera à mettre ſa Créature ſur celui de
la Grande-Bretagne; & qu'il en viendra àbour
ayant augmenté ſa Puiſſance par celle de l'Efpagne
, & les Richeſſes par celles des Indes.
Il eſt aiſé de prévoir le danger où ſeroit ence
cas la Perfonne de la Reine , & ce que deviendroit
alors la Liberté de la Grande-Bretagne ,
fous un Maître élevé dans les Principes de la
France , & dans la haine contre les meilleurs
Angloisquil'ont abjuré ſelon la Loi , & ce qu'il
feroit fait enfuite de celle de toute l'Europe&
de la Religion Proteítante , par la liaiſon d'obligation
, de néceſſité &de reconnoiſſance de
troisRois d'une Religion oppofée , &d'unetelle
Puiſſance par Mer & par Terre , ſous la directiondecelui
de France. Ce font des confequences
où S. A. Electorale eſt trop intéreſſée , pour
les conſidérer avec indifférence.
Quant à la Barriére aux Païs-Bas Eſpagnols .
on ne peut pas dire qu'elle ne regarde que la ſureté
des Provinces Unies : elle regarde au contraire
tout autant celle de laGrande-Bretagne .
i
" JANVIER 1712 . 131
laquelle ne ſe trouveroit pas moins en danger
que ladire République , ſi la France devenoit
maîtreſſe des Païs-Bas Eſpagnols. C'eſt une
vérité qui a été reconnuë de tout tems parles
Anglois , & même ſous le Régne de Charles II.;
lequel , malgré ſes liaiſons avec cette Couronne
, ne voulut pas permettre qu'elle en fît la
Conquête: De forte que la Barriére , qui. ferme
à ce dangereux Ennemi l'entrée aux Païs-
Bas , eſt un intérêt commun aux deux Puiſſances
Maritimes , de même qu'à l'Empire d'Alle-
-magne ; outre que laGrande-Bretagne trouve à
cette heure dans ſa Garantie , celle de la Succeffion
Proteftante réciproquement.
Quelque choſe qui arrive , & foit qu'on ouvre
dès à préſent l'Aſſemblée de laPaix , foit
qu'on la renvoye à un autre tems , c'est- à-dire
juſqu'à ce que la France ait fait des Déclarations
plus fatisfaiſantes , S. A. Electorale croit
que c'eſt d'une abſoluë néceſſitéde ne ſe point
relâcher par rapport aux préparatifs pour la
Campagne prochaine ; n'y ayant aucune eſpérance
d'obtenir de bonnes Conditions de Paix,
qu'en ſe mettant enétatde poursuivre vigoureufement
la Guerre , & de commencer la Campar
gne de bonne heure avec des Forces confidérables;
& cela d'autant plus , qu'on voit les préparatifs
que la France fait deja de ſon côté pour
cela: C'eſt auſſi par cette conſidération queS.
A. Electorale ne veut point ſe prévaloir de la
permiffion queS M a eu la bonté de lui accorder
avec tant d'amitié , de prendre pendant cet Hiver
quelques- uns de fes Regimens de Dragons
dans ſon propre Païs , ayant réſolu de les laiffer
tous au Païs-Bas. Monseigneur l'Electeur
conſervera ce nonobſtant pour S. M. la même
reconnoiſſance , que ſi Elle ſe fût ſervie effectivement
de ſadite permiffion. On ne doit pas
douterque l'Empereur ne faſſe de beaucoup plus
grands efforts que ci-deyant , & que les Etats
Ge132
MERC. GALANT.
Généraux ne fourniſſent ce à quoi ils fontobligez
par leurs Traitez ; S. M Imperiale étant
prête de faire de nouveaux concerts là-deſſus
avec S. M. Britannique: Mais il ſera ſur tout
eſſentiel de ſe garantir du piége d'une Ceſſation
d'Armes, qu'il eſt très apparent que la France
propoſera auſſi tôt que l'Aſſemblée de la Paix
fera ouverte, &quilaiſſant les Baiſſances Mati
times dans la néceſſiré defaire les mêmes efforts
&les mêmesdépenses pour la Guerre , &d'entretenirlesmêmes
Flotes& les mêmes Armées ,
leur ôteroit les moyens de sten ſervir .&arrêteroit
les progrès de leurs Armes Victorieuſes.
Il y a lieu d'eſpérer , qu'en demeurant bien
unis , on réduira bien tôt la France , avec la
bénédiction de Dieu , à accorder des Conditions
raisonnables : l'extrême épuiſement où eft cette
Couronne, & le besoin qu'elle a de la Paix,
étant trés certain & confirmé de tous côtez .
Dieu a beni les Armes de la Reine&de ſesAlliez
de tant de Triomphes fur leur Puiſſant
Ennemi , pour les mettre à couvert, par une
Paix fûre & avantageuſe , de ce quoils ontsà
craindre de lui, qu'il ne voudra pas , que tout
épuisé & vaincu qu'il eſt dans toutes lesocca
fions, il obtienne encore fon but parcetteGuer
re, &qu'ilen forte par une Paix glorieuſe pour
lui , à la ruïne des Alliez Victorieux , à la
deſtruction de la Liberté de toute l'Europe , en
gagnant par cette Paix le pouvoirdedonnerun
Roi à l'Eſpagne , d'en impofer un à laGrandes
Bretagne , & de faire dépendrede ſon approba.
tion la validité del'élection d'un Chefdel'Em
pire. Fait à Londres ce 9. Décembre 1711 .
Signé, Le Baron de BOTHMER...
FIN.
T
3
t
MERCURE
GALANT.
PAR MR. DU FRESNY.
Mois de Février 1712 .
Sur la Copie de Paris.
AVEC DES ADDITIONS.
2
1
A LA HAYE ,
Chez T. JOHNSON .
M. DCC XII.
Livres Nouveaux fur les affaires du
Tems , qu'on trouve chez T. John-
Son, Libraire àlaHaye.AD
Lettres&Mémoires ſur la conduite dela prefenteGuerre
&fur les Négociations de Paix.
Tome I feconde Edition , corrigée&&augmen
tée. Il Imprime actuellement le II . & le III.
vol. du mêmeOuvrage , qui feront fort curieux
auffi-bienque lepremier.
L'Histoire de l'Empire Ottoman parRicaut , où
l'on voit l'Origine & les progrèsdesTures , les
Vies& les ConquêtesderousleursSultans,leurs
Guerres , Siéges &Combats par Mer & par Terre
, les Révoltes & Révolutions extraordinaires,
& généralement tout ce qui s'eſt paffé de
confiderable dans cet Empire depuis fon Commencementjuſqu'à
1704 avec un détail curieux
des Guerresen Hongrie& fur les Frontiéresde
Pologne & de Moscovic , & ane Carte exacte de
tous ces Pais , en3. vol.
On trouve chez le même Libraire toutes les
Piéces curieuſes touchant lesaffairesd'Angleterre
, & les autres affaires du tems.
Il imprime tous les Lundis le Miſantrope ,
qui eft une Critique fine &delicate desMoeurs
du Siécle .
On trouve auffi chez lui un Recueil de toutes
les meilleures Comedies Angloiſes , fort proprement
imprimées en plufieurs petits Volumes.
8
Les Oeuvres de Crébillon , contenant Idoménée
. Atrée & Thyefte , Electre , & Rhadamisthe
Zenobie , quatre nouvelles Tragedies qui ont
été reçûës avecgrand aplaudiſſement enFrance.
La derniére piéce a été jouée à Paris ſeptantequatre
fois de fuite : ſuccès prodigieux &fans
exemple.
135
MERCURE
GALANT.
FEVRIER 1712 .
AVERTISSEMENT.
L
A divifion du Mercure en
quatre parties ſéparées
avoit fes commoditez
mais elle empêchoit que
,
l'impreffion n'en pûtêtre
faiterégulièrement lepremier
, ſecond , ou troisièmejourdu mois:
on n'a pû , par exemple , diftribuer le
dernier Mercure avant le fix de Janvier.
Cetinconvenient à paru plus conſidérable,
que celui de mêler indifferemment toutes
les Pieces , à meſure qu'on les envoye , &
lesNouvelles, fans égard aux dattes,dans
le moment qu'on reçoit les Lettres ; on
G2 ef136
MERC. GALANT.
efſſayera de ce dérangement , dans cemois
ci , à condition que ſi on ſeplaint de cette
méthode , on en eſſayera d'une autre ,
dont quelqu'un ſe plaindra encore , &
c'eſt tantmieux ; car les Livres dont on ſe
plaint lemoins , ce ſont ceux qu'on ne lit
gueres.
THETIS ,
Cantate.
Sur le recouvrement de la ſanté de
Monseigneurle Comte de Thou-
Loufe.
THETIS.
Nereides , plaignez ma peing Pleurez , pleurez , mes Soeurs ;
Cet aimable Heros , ſi cher à notre Reine
Eſt livré par le Sort aux plus vives dou .
leurs.
Plaignez ma tendreſſe inutile
Quin'apu duDeſtin deſarmer les rigueurs;
Helas les maux même d'Achile
Nem'ontpas.coûté plus de pleurs.
ChoeurdesNereides. ٠٤
Mêlons nos ſoupirsà ſes larmes ,
FraFEVRIER
1712. 137
Frapons l'air de nos cris ;
De nos vives alarmes ,
Que les Rochers ſoient attendris .
THETIS.
Qu'avec plaifir en lui je revoyois les charmes
Et le courage de mon Fils.
Les Nereides.
1.
Mêlons nos ſoupirs à ſes larmes
2
こ
Frapons l'air de nos cris.
THETIS.
Sort , injuſte Sort ,épuiſe-tu tes Armes
Sur tout cequi plaîtàThetis ?
LesNereides.
De nos vives alarmes
Que les Rochers ſoient attendris .
:
Simphonie.
THETIS.
Quelle clarté pénétre en ces grottes profondes?
Cet éclat du Soleil m'annonce le etour ,
CeDieu qui rentre ſous les O des
Va fur ce que je crains éclatcir mon
Amour.
G3 APOL
138 MERC. GALANT .
APOLLON.
zi
Conſolez - vous belle Déeſſe .
THETIS .
Vous avez vû dans votre cours
Cet aimable Heros pour qui je m'intéreſſe.
APOLLON.
i
Conſolez- vousbelle Déeffe ,
Vous n'avez rien à craindre pour ſes
jours:
La Parque avoit fur lui levé ſon bras perfide,
Jel'ai vû fans frémir regarderle trépas ;
Au ſeinde la douleur il étoit intrépide ,
Et plus Héros encore qu'au milieu des
Combats.
Mais la Parque n'a fait qu'une menace
vaine,
Un des Fils d'Eſculape a détourné ſes
coups ,
Et pour votre Héros force encor l'inhumaine
De filer les jours les plus doux .
D'un nom célébre ; oud'un bonheur durable
Achille jadis eut le choix ,
Mais au Fils de Louisle Sort plus favorable
م
Veur
FEVRIER 1712.
139
Veut les accorder à la fois.
THETIS.
:
"
11
Ciel ! après un trouble extrême
Que lecalme ad'attraits !
LeDeſtinmerend ceque j'aime ;
Jepardonne au Deſtin tous lesmaux qu'il
m'afaits.
Venez , bruyans Tritons , venez , ten
L
Andres Sirenes ,
Apprenez parvos chants mon bonheur
auxZephirs ,
Vouspartagiezmes peines ,
Partagez mes plaifirs .
Choeur.
Apprenons par nos chants fon bonheur
aux Zephirs,
Nous partagions ſes peines ,
Partageons ſes plaifirs .
CettePiece qui eſt de M.de la Mothe ,
a été miſe en Muſique par M. de Ville-
Neuve , & a été éxécutée le 4 Janvier par
la Muſique de Monfieur le Comte de Toulouſe
, en preſence de Madame la Ducheffed'Orleans.
Il eſt plus rare de trouver desAchilles
de fang froid, dans l'accablement d'une
maladie cruelle , qu'au milieu des com
G4 beats,
140 MERC. GALANT.
bats , où l'ambition &la gloire nous foutiennent
; l'Ivreffe de ces deux paffions en
nous étourdiſſant nous cache la moitié du
peril . UnGuerrier eſtanimé par l'exemple
de ceux qui l'environnent , tous ces
grands appareilsde Guerre inſpirent quelquefois
du courage à ceux même qui n'en
ontpoint; mais letriſte appareil qu'érale
JaChirurgie , fait ſouvent trembler ceux
qu'on a vus intrepides dans les Combats.
Je préfererois peut-être à l'intrépidité
guerriere cette fermeté d'Ame , qui fait
Tupporter fans ſourciller les douleurs les
plus violentes; maisje n'ai pasbeſoin ici
de l'Art des Panégiriftes , qui élevent
zoûjours au deſſus des autres vertus , celle
qui domine dans le Heros dujour , puiſque
le Prince dont il s'agit ici , poſſede à un
dégré égal , & la fermeté d'Ame , & la
valeur , & la bonté du coeur , fans laquelle
toutes les autres vertus ne meritent
pointde véritables loüanges .
EXTRAIT
12
Duvoyagede M. Chambon dans les
MinesdePologne.
Tant en Pologne , je me reſſouvins
lû autrefoisun Livre qui trai- Ent
zedes Minesde Sel de ce Pais-là , &je refolus
de voir la choſe par moi-même , je
comFEVRIER
1712. 141-
y
communiquai mon deſſein à deuxde mes
amis , qui mepromirentde m'yaccompagner.
La plus fameuſe de ces Mines n'étoit
éloignée qued'une journée : nousnousy
rendimes le lendemain , & nousy trouvames
pluſieurs perſonnes qui devoie
deſcendre. J'examinai l'ouverture , les
Machines qui ſervent à la deſcente des
hommes , des chevaux , des néceffitez
des uns&des autres, & au tirage des Sels.
Cette ouverture eſt quarrée ; les Machines
font des Rouës, qui nedifférent decelles
qui font à nos Carriéres , qu'en ce
qu'elles font couvertes ; la cordepour faire
la defcente eſt d'une bonne groffeur.
Onnousdemanda ſi nous voulions defcen
dre; la profondeur de cette ouverture a
quelque choſe d'effrayant , mais moi qui
voulois voir , je répondis bruſquement
que j'étois prêt à partir; cette réſolution
détermina l'un de ceux qui m'accompagnoient
; mais l'autre fut plus timide &
refuſa de nous ſuivre.
On deſcend la groffe corde ; ceux qui
ont fait ce voyage en prennent de la groffeur
du petit doigt attachées à la groffe.
Il faut ſe repréſenter les cordes dont ſe fervent
les Bateliers qui tirent un Batteau
pour luifaire remonter laRiviére. Quand
ils ſe furent placez ſur ces petites cordes ,
il faut nous dirent- ils s'affeoir fur nous .
Allons , dis-je à mon ami, il n'eſt plus
queſtion de s'en dédire , je me plaçai des
G5 pre142
MERC. GALANT.
premiers de la maniere dont on me l'avoit
montré , & il en fit autant. Tout le
monde étant rangé , on deſcend: à peine
étois-je à trois toiſes de profondeur , que
ceux qui gouvernoient la corde , arrêtérent
tout court , & criérent qu'il falloit
prier Dieu; j'entendis dans le moment
entonner un Salve: je fus frapéd'une idée
fächeuſe , je me repentis de ma curioſité ,
mais réfléxion faite , je me raffurai , de
manière cependant que Nature pâtiffoit.
Nous coulâmes inſenſiblement , & on arriva
à bon port , cette premiére deſcente
eſt devingt toiſes ou environ.
Ceux qui travaillent dans ces Mines ,
&qui avoient entendu le ſignal , vinrent
nous recevoir avec des branches de Pin
refineux allumées en forme de flambeaux.
Ils nous conduiſirent à la Chapelle qui eſt
au bout d'une Voûte ſoûtenuë pardes pilotis
, & appuyé par des travers de diſtance
en diſtance. A cinquante pas de la fe
préſente ſur la main droite une Fontaine
d'eau douce, à l'uſage des hommes & des
bêtes qui habitent dans ces foûterrains , &
dontpluſieurs n'ont jamais vû le jour. Je
fis remplir une bouteille de cette eau , je
dirai dans la ſuite ce que j'en fis , j'en remplis
une autre d'une eau ſalée qui fe trou.
ve un peu plus avant ſur la gauche: on
pompe cette derniére eau que l'on monte
par la corde pour la décuire dans un Village
appellé Wieliska , qui n'eſt pas bien
éloigné
FEVRIER 1712 143
éloigné de l'entrée de la Mine , & l'on en
fait un Sel propre à ſervir ſur la Table.
En avançant un peu plus du même côté ,
on trouve une Voûte affez haute & affez
large,ſous laquelle il peuty avoir une vingtaine
de Maiſonnettes avec des Ecuries .
J'ai appris que les Chevaux qui y ont demeuré
une quinzaine de jours , quelques
maigres qu'ils foient , y deviennent à pleine
peau; que les Habitans y font rarement
malades ; mais je conjecture que leur
ſantépeut procéderdes vapeurs ſalines ennemiesde
la pourriture &de la corruption ,
&que leur corps s'affoiblit peu à peu , &
ſe trouve enfin noyé par la ſupérioritéde
ces mêmes vapeurs qu'ils font obligez de
reſpirer , d'autant plus qu'ils ſont privez
de la lumière qui prépare un Baume qui
ranime les nôtres & les foûtient.
Les hommes fervent à la coupe du Sel ,
à le conduire & à le tranſporter , & les
chevaux à tirer une ſeconde roue en forme
detour, qui ſert à faire la ſecondedefcentedans
un fond où l'on coupe le Sel en
forme de colomne,de la groſſeur d'un quartaut
de Vin, &de la longueur d'une aune
&demie ou environ . Onypeutdeſcendre
fi l'on veut par la corde de lamaniere
dontje l'ai rapporté ; mais il y a une douzaine
d'Echelles en zigzag attachées à la
muraille, par leſquelsje deſcendis. Le
Roi avoit fait faire des Eſcaliers , qui faute
d'appui font ruïnez & fondus par les
G6 caux.
1
144 MERC. GALANT.
eaux. Arrivé dans ce fond qui eſt fort
ſpacieux & fort élevé , je goûtai les murailles
que je reconnus être des maſſesde
Sel. Ce Sel eſt de la couleur de la craye
dont lesTailleurs ſe ſervent. Jegoûtai la
matiére fur laquelle je marchois , & je remarquai
dans certaines canelures , principalement
à la racine où eſt la premiere
ébauche du Sel , une terre ſemblable à
celle des Salpêtriers fort chargée de Salpêtre:
plus oncreuſe, plus elle eft pleine
de terrestreïté. Ce Sel en pierre eſt très
cauſtique, très amer , & très defagréable
à la langue, ceux qui en uſent s'y accoû
tument; les perſonnes de condition n'en
font jamais ſervir ſur leurs Tables . Il
rougit les Viandes comme le Salpêtre.
Ce Sel eſt tirédu fond de ces Mines , par
la même Machine qui fert à ladefcente :
delà il eſt conduit fur des Rouleaux jufqu'au
premier endroit, d'où il eſt tiréde la
même maniere ; puis on le charge fur des
charettes pour le tranſporter dans toutes
les Provinces de la Pologne , dans la
Hongrie , & dans la Silefie.
Il ſe rencontre beaucoup de Sel gemme
dans ces Mines; ce Sel eftblanc comme
la neige , fort dur & criſtalin ; on en fait
des Sallieres , des Chapelets , de petites
Statues & pluſieurs autres Ouvrages
qu'on vend fur les lieux. Il yades veines
dont on tire de ces fels fi folides & fi
criftallins, qu'ils reſſemblent à des cristaux
de
FEVRIER 1712. 1451
i
1
I
de roche; ils ne tiennent de la nature du
ſel que parce qu'ils n'ont pas eu la même
cuire; peut-être qu'avec le tems laNature
les auroit portez au metallique ou à la
pierre précieuſe. On peut conjecturer
par la pureté & par la tranſparence dont
ils font, qu'elle l'auroit fait ſi elle n'avoit
point été interrompuë. Quoi qu'il en
loit , l'Auteur de cette Nature n'a pas
voulu que tout fût dans le plus haut degré
de perfection , que toute animalité futun
état excellent, que tout vegetal fût balfamique
, & que tout le métallique fût or.
Le Verjus , quoi que moins parfait que le
Raifin , a lesproprietez: le cheval moins
parfait que l'homme a ſon merite: le fer
quoi qu'inférieur à l'or ne laiſſe pas d'être
d'une grande utilité. Onpeut reconnoî
tre par ce que je viens de dire , bien des
eſpèces de fel différentes par leur cuitte&
par leurs filtrations : 1. ayant fait évapo
rer à mon retour , l'eau douce que j'emportai
avec moidans une bouteille, elle fe
trouva chargée d'une quantité affez. confidérable
de fel preſque infipide. 2. De
l'eau de ma ſeconde bouteille on entire
par décoction un ſelblanc, plus picquant
que ce premier fel , mais beaucoup plus
doux que celui que nous préparons de
l'eau de la Mer. C'eſt ce ſel qu'on fert
comme nous avons dit ſur les Tables des
Gens de condition , & on ne peut expliquer
la différence entre le premier ſel qui
1
G7
eft
146 MERC. GALANT
eſt inſipide & celui-ci , qu'en ſuppoſant
que le premier eſt très-attenué par une filtration
plus étroite & plus ferrée . 3. Ou
tre ces ſels dilayez , le ſel gemme . 4. Ce
fel en groffes maſſes tenant de lanature
du ſalpêtre: enfin de ſel rempli de terreſtreïtez
qui eſt la racine & la première
ébauchedes autres .
•Après être ſorti de cette repreſentation
infernale , je remarquai que la neige
(c'étoit au fort de l'hiver ) fur la furface
de la terre qui environne cette Mine&qui
la couvre , étoit auffi dure que la pierre ,
&qu'ilyavoit unegrande différence entre
celle-là &celle qui étoit dansdes endroits
plus éloignez . Tout le monde ſçait que
ladureté vient des ſels. La vie de ces
objets augmenta ma curiofité: je réſolus
d'allerplus loin.
Vieliska au Midi de Cracovie n'eſt éloigné
que dedeux lieuës de cette Mine, qui
n'eſt pas le ſeul endroit où l'on tire le ſel
blanc. Il s'en fait encore à Bokonia , à
Sambor , à Harofoli , à Calouche , & en
beaucoup d'endroits des Monts Crapaks.
J'allai vifiter une Mine de foufre qui n'étoit
pas fort éloignée. Je vis avec plaifir
une grande étenduë de terrain aux environs
de l'ouverture , fans glace&fans neige;
j'y trouvai l'air très temperé , on au
roit crû être dans un Bain.
Je me fis defcendre dans le fondde la
Minequi n'eſt pas bien profonde. J'y vis
avec
1
147
FEVRIER 1712
avec ſurpriſe un gros Ruiſſeau portant
Batteau qui la traverſe& qui en fort à une
demi lieuë de là , l'eau en eſt nitreuſe &
ſulphurée. Il yades deux côtez du Ruifſeau
des chemins qui font plus enfoncez
que ſa furface, &pour empêcher qu'il ne
les inonde, on a poſé tout le long du Canal
des Pilotis contre leſquels on a attaché
des planches pour ſoûtenir l'eau. La
voûte de la Mine eſt auſſi ſoûtenuë par des
Pilotis avec des travers , & les murailles
pardes planches appuyées par des ſolives ,
ce qui ſe pratique dans les Mines métalli
ques fulphurées ; au lieu que l'on ſe contentede
ſoûtenir la voûte des Mines de fel ,
parcequ'on necraint pas que les murailles
s'éboulent.
La terre de cette Mine reſſemble affez à
la terre graffe , & peu de gens s'aviſent
d'en tirer la pierre de ſouffre. Onla fait
boüillir dans l'eau : par cette cuite lefouffre
ſe ſépare de la terre & ſurnage ; on la
jerte enfuitedans différens moules, Ala
vûë de ces préparations , j'étois convaincu
qu'on pouvoit tirerdu fruit de ce genre
d'étude , & que les Philoſophes avoient
eu raiſond'enfaire un précepte. Rempli
deces pensées , je me promenailong-tems
dans ces foûterrains , & je cherchai de
tous côtez à profiter: je remarquai par le
goût , que la racine de cette Mineparticipoitfort
du fel de miniere; jeme perſuadai
que cette racine métallique ou ceVerjus
148 MERC. GALANT.
jusmineral, étoit devenu balſamique par
lacuitequ'il avoit euë de la Nature. Voilàmonprincipe
, me diſois-je à moi-même,
la Nature travaillepartoutdelamème
manière , elle mene toûjours ſes Ouvrages
par degrez ..
Au fortir de cette Mine j'en viſitai de
Vitriol , d'Antimoine , & de Marbre ,
j'allai à des Fontaines où le fer battu en
petites lames ſe change en cuivre en cinq
ou fix jours , & le bois en pierre : ces Fontaines
ſont entre Calouche & Stry , aux
environs de Slochouf à une journée: il y
en a beaucoup d'autres Minerales qui ont
des vertus particulières. L'eſprit métallique
est très puiſſant dans cette Contrée ;
on y voit des Marais où le fer ſe forme :
il faudroit un Volume entier pour décrire
ce que j'y ai vû: il y a même quantitéde
Mines d'or & d'argent. La plus abondante
en or & en argent eſt près de S/ochoaf:
elle est ordinairement affermée à
desAllemans & à des Anglois , parce que
les Polonois ne ſepiquentguéres d'induftrie
ni de foins . J'y achetai un morceau
deMine affez curieux , de lagroffeurd'un
oeuf de poule, formé par des canelures
d'arſenic jaune , de ſel , d'une pierre criftalline
de couleur d'agathe , & de quelques-
unes d'or , que la Nature avoitjointes
par desdiſpoſitions bizarres qui fe rencontrent
dans les entraillesde la terre.
J'eus envie d'aller voir une Fontaine de
BituFEVRIER
1712. 149
Bitume qui eſt dans lemême Palatinat de
Cracovie: voici ce qu'on en dit , & qui
eſt très véritable. Elle prend feu de tems
en tems, particulièrement dans le Printems:
ce feu eſt ſi violent que les étincelles
étant emportées par le ventbrûlent les
bleds voiſins : & même comme le fond
de cette Fontaine eſt un Bitume affez
épais , & que les veines de cette matiére
font répandues tout autour à une grande
diſtance , ce feu s'il n'eſt éteint ſe communique
à ce Bitume terreſtre qui s'enflame
dans les terres; de maniere quefuivant
la tradition du Païs , il brûla toute
une Forêt , & qu'il enleva un quart de
lieuë de la furface de la terre , faiſant une
Caverne affez vaſte qui fut dans le moment
remplie d'eau , ce qui donna la
naiffance au Marais falé qu'on y voit aujourd'hui
. Ces accidens qui intimident
les Païfans , les rend attentifs à ce qui ſe
paſſe ſur cette Fontaine , & fur la Riviére
qu'elle forme dès ſa naiſſance. Ils ont
ſoin dès qu'il paroît quelques étincelles ,
& même quelque lueur , d'accourir avec
leurs fleaux ou de longues verges dont ils
battent l'eau de toute leur force pour la
faire élever par deſſus le Bitume ; &pour
en être avertis iillssymettent des Sentinelles
, qui d'ailleurs prennent garde que
quelqu'un par malice oupar curiofité n'y
mettent le feu avec quelque bougie allumée
, & à peu près comme on le met à l'Eau
150 MERC. GALANT.
l'Eaude Vie. Si quelques Seigneurs Po--
lonoisoudesEtrangers viennent voir cette
Fontaine par curiofité , les Gardes permettentqu'on
mette le feu avec la bougie
allumée ſur la ſurface de l'Eau ; mais ils
ſemuniffentauparavantdebranches d'Ar .
bres pour l'éteindre en battant l'Eau.
Cette Eau eft cependant froide au toucher,
maiselleneſeglace jamais , elle jette une
odeur très agréable , & a la faveur du
Lait. La.Montagne fur laquelle elle eft ,
eft couverte de Fleurs Odoriferentes.
Le Livre dont on a tiré cet Extrait ,
contient une infinité d'autres détails très
curieux fur différentes matières. Il ſe
vend ſur le ſecond Perron de la Sainte
Chapelle , dans la boutique de Claude
Barbin.
SUP--
1
FEVRIER 1712. 151
SUPPLEMENT
AUX :
ETRENNES
i
dumoispaffé.
L'Anonime éruditionné.
:
Vous demander de l'érudition fur les
Etrennes; detom tems les Peuplesont
offert aux Dieux , &aux hommesles prémicesde
touteschoses; ces Etrennes ont été
établies pour offrir les prémices del'année
nouvelle ; certain Peuple d'Afrique célébroit
la premiéreAnnée du Siècle, lepremier
mois de l'Année , le premier jour du
mois , lapremière beure dujour.
ETRENNE.
Par Monfieur de L. T.
Sur l'Air d'un Vaudeville connu.
Aunouvelanmilfept cens douze ,
Puis152
MERC . GALANT.
Puissiez vous devenir l'Epouse
D'unejeune Epoux tendre & charmant ,
Qui ne soit point d'humeurjalouſe ,
Jamais Mari,toûjours Amant,
Pendant tout l'an mil ſept cens douze ...
RE'PONSE .
Fuſquesà l'an mil ſept cens treize
Jechercherai la Rime à treize;
Et ce Mari toûjours Amant
Dans l'Univers en est-il treize ?
On trouvera plus ſeurement
Rime riche à mitſept cens treize.
IMPROMPTU.
Le premierjourde l'an à unhomme
de qualité , par Monfieur M.
D. M.
Ne pas donnerà plus richeque foi ,
Avotre égard , c'eſt maximepour moi.
Cettemaxime eft vraye , & n'offense per-
Sonne;
Mais ce qu'on peut donner auPape comme
auRoi ,
C'est bon jour& bon an ; Seigneur , je vous
le donne.
Lc
FEVRIER 1712 .
153
Lemêmeà une Demoiselle , en lui
- envoyant un de ces petits coeurs
quirenfermentuneDeviſe.
'1
Telqui ſepicque , Iris, pourvous d'être
fincère ,
3
Vousditqu'ilvous ouvreson coeur ,
Maisil est quelquefois infidel & trompeur.
Celui-cidont laforme eft fragile & legere,
Quoi qu'Ouvrage de l'aArt , n
unimpofteur.
:
Ilrenfermeunſecret mystère ,
Pour contenterun defir curieux ,
n'est point
Ouvrez ce coeur , qui s'offre à vos beaux
Tout autre en pouroit craindre un regard
yeux ,
homicide ,
Pour être heureux ou malheureux
Souvent c'est moinslechoix, que lefort qui
décide.
NOUVELLES
L
De Londres le 118. Décembre.
1
1
5
E Parlement s'eſt aſſemblé aujourd'hui
ſuivant laderniére prorogation.
La Reine étant allée à la Chambre
des Seigneurs , & les Communes y étant
ar154
MERC. GALANT.
con-
Religion ,
arrivées , Elle a fait un Diſcours , qui
contienten ſubſtance : Qu'Elle étoitbien
aifedeleur pouvoir dire , que nonobſtant
lesartificesdeceux qui cherchoient à
tinuer la Guerre , le lieu& le temspour
l'ouverture d'un Traité de Paix générale
étoient fixez: que la plupart des Alliez ,
principalement les Erats Généraux
avoientpar leurpromptitude à y concourir
témoigné leur confiance en Elle; &
qu'Elle ne doutoit pas que ſes propres
Sujets ne fuſſent perfuadez de l'affection
qu'Elle avoit pour eux; que fa principale
attention ferooiitt d'affermir la
lesDroits , & les Libertez de la Nation ,
&la fucceffion à la Couronne dans la ligne
Proteftante : qu'après une Guerre
quiavoit coûté tantde ſang&tant de Tréfors,
Elle travailleroit de tout fon pouyoir
à favorifer & à augmenter le Commerce
de ſes Sujets: que non ſeulement
Elle s'employeroit à procurer une fatisfaction
raiſonnable à tous les Princes &
Etats engagez dans cette Guerre , mais
qu'Elle ſe joindroit avec eux par les liens
les plus étroits pour rendre la Paix ferme
&durable : que le moyen le plus efficace
pourréüffir étantde ſe préparer de bonne
heure à la Guerre , Elle recommandoit
aux Communes de donner avec toute la
diligence poffible les ſubſides néceſſaires
pour la Campagne prochaine : & Elle
finit fon Difcours , en leur recommandant
FEVRIER 1712. 15.5
dant l'union , &d'éviter tout ce qui pourroitdonner
lieu de croire qu'il y eîût de la
diviſion parmi eux. Les Communes ſe
retirerent enſuite , après quoi il yeut un
longdébatparmi les Seigneurs , qui.comclurentà
lapluralitéde fix voix , de répre
ſenter à la Reine par une Adreffe , qu'il
n'y auroit jamais de Paix fûre , tant que
l'Eſpagne ſeroit poſſedée par unPrincede
laMaiſon de France : mais les Communes
au contraire réſolurent à la pluralité
de cent cinquante Voix d'établir unComité,
qui feroit chargé de travailler à
uneAdreſſe, pour remercier la Reine de
cequ'Elle leur avoit déclaré touchant la
Paixgénérale.
De Lille le 16. Janvier.
Les nouvelles que nous avons reçûës
hier de Londres & de la Haye , nous aflûrent
toutes une Paix prochaine. La
Chambre des Communes perſiſte toû.
jours. L'Evêque de Bristol , & M. de
Buys , qui étoient à Londres , font arrivez
à Utrecht , où les Conférences ſe
tiendrontle 22. du Courant.
Monfieur lePrince Eugene quieft paffe
le 8. en Angleterre , n'y eſt point allé
pour tácher de mettre quelque obſtacle à
la Paix ; au contraire , on affure qu'il y
eſt passé de la part de l'Empereur , pour
af
156 MERC. GALANT.
aflûrer la Reine qu'il entrera avec plaifir
dans le Traité général , & qu'il y envoyera
inceſſamment ſes Ambaſſadeurs..
La Reine a nommé Milord Duc d'Ha-.
milton , pour être de la Grande Chambre;
mais les Seigneurs ne veulentpoint le recevoir
à cauſe qu'il eſt Ecoffois.
De Berlin le 14. Décembre.
L'Electeur de Brandebourg aordonné
une nouvelle levée de fix mille hommes .
Les Etats feront obligez de les fournir ,
ſuivant la répartition qui en a été faite
par chaque Bailliage , qui fera obligéde
lesfournir. Pour cet effet on arrête tous
les Vagabons & les Mandians.
Son Alteſſe Electorale a donné la Prévótédu
Chapitre de Magdebourg , vacante
par le décès du Prince de Saxe Barbi ,
au Prince Loüis ſon Frére : cette Prévôté
vaut dix mil écus de Rente.
こ
DeVarſovie le 30. Novembre.
Les Généraux Czeremetof & Ronne ,
n'ontpû faire conſentir les Sénateurs Polonois
, qui font à Léopol , à accorder
desQuartiers d'Hiver aux Troupes du
Czar , & ont enfin été obligez de pro.
mettre qu'ils les feroient fortir du Royau
me ,
!
FEVRIER 1712. 157
me , ſuivant le Traité conclu avec les
Turcs . Elles doivent aller hiverner dans
le Duché de Severie , & vers Kiovic &
Smolensko .
DeRomele s . Décembre.
LeGénéral des Jeſuites , ſes Aſſiſtans,
&les Procureurs des Provinces , ont preſentéau
Pape dans une Audience que Sa
Sainteté leur a accordée , un Acte ſigné
de tous , portant qu'ils ſe ſoûmettoient
entiérement aux Décrets de 1704. & aux
autres , émanez en conféquence fur les
Cérémonies Chinoiſes ; & donnerent toutes
les marques & les aſſurances d'une entiére
obéïſſance pour le S. Siége. Le Pape
qui les reçût très favorablement , ordonna
que cet Acte fût imprimé .
Monfieur Pignatelli , Evêque de Leccé,
ayant été enlevé violemment de fon Palais
, par ordredu Viceroi de Naples , &
enfuite conduit hors du Royaume , eſt arrivé
ici aujourd'hui dans un caroffe à fix
chevaux , que le Cardinal Paulucci avoit
envoyé au devant de lui avec un de ſes
Gentilshommes , & eſt allé defcendre
aux Théatins , où le Pape lui avoit fait
préparer un logement. Dans la Congrégationde
l'Immunité Eccléſiaſtique tenuë
au ſujet de ce Prélat , il a été réſolude le
foûtenir .
Tome V. H Sa
158 MERC. GALANT.
Sa Sainteté a reçû des Lettres de Dom
Annibal Albani , par leſquelles il mande ,
quel'Archiduclui avoit promis dans deux
Audiences qu'il lui avoit données , qu'il
reftitueroit Comacchio au S. Siége après
fon Couronnement.
Du 12.
Mardi , jour de la Conception , on célébra
l'anniverſaire du Couronnement du
Pape dans ſa Chapelle. Les Illuminations,
les feux d'Artifice , & les Aumônes , fe
firent à l'ordinaire .
Monfieur Cafarelli , Gouverneur de
cette Ville , eſt mort après une longue
maladie , & le Papea diſpenſe ſa Famille
de faire la Cavalcade accoutumée à la
mort du Gouverneur , n'étant pas affez
riche pour faire cette dépense. Sa Sainretéadonné
ce Gouvernement à M. Scor
ti , Milanois , Auditeur de Rote; & fon
Canonicat de S. Pierre , à M. l'Abbé Riviera
, Secretaire du Sacré Collége , &
de la Congrégation Confiftoriale.
Du 19.
L'Archiduc , ayantenfin donnépart de
fon Election au Pape par le Marquisde
Rona , Sa Sainteté ordonna auſſi rôt
qu'on
FEVRIER 1712. 159
qu'on chantât le Te Deum , & qu'on fit
des feux&des illuminations. Le Marquis
de Prié a été déclaré Ambaſſadeur de
l'Empereur en cette Cour ; & le Prince
d'Avellino retourne à Naples , avec la
qualité de Grand Chancellier du Royau
me . M. Odeſcalchi , a été nommé NonceenPologne
, & M. Doria , qui revient
de ſa Vice Legation d'Avignon , a été
nommé Archevêque in partibus . Mardi
dernier la Congrégation Conſiſtoriale
confirma l'élection du Doyen de Saltzbourg
, à l'Evêché d'Olmutz , nonob
ſtant les inſtancesde l'Electeur de Treves
en faveur de fon Frére. Le même jour
Monfieur le Cardinal de la Tremoille afſiſta
à la Meffe , que le Chapitre de S.
Jeana coûtume de dire pour le Roi , le
jourdeSainte Luce , & il y fut accompagné
par plus de ſoixante Caroffes. Son
Eminencedonna enſuite ungrand repas.
M. deMolines réfuſant toûjours de remettre
aux Miniſtres de la Cour de Vienne
les Caroffes que le Duc d'Ucede avoit
laiſſez au Palais d'Eſpagne , & qui ont
étéconfiſquezdepuis ſa Rebellion, ils le
menacentde les faire enlever de vive force;
cequi a obligé M. de Molines d'augmenter
le nombre des gens qu'il avoit déja
pourla fûretéde fon Palais&de ſa Perſon
ne.
H2
De
160 MERC. GALANT.
DeVienne le 16. Décembre.
avec
Toutes les Lettres de Valaquie , & des
Frontières de Turquie portent , que le
GrandVifir après avoir célébré le Beïram
à Andrinople , un Capigi arrivé de Conſtantinople
, lui avoit aporté de la part du
Grand Seigneur un riche Caftan
d'autres marques d'affection & de diſtinction;
mais que le même Officier , après
les lui avoirdélivrées , avoit porté un ordre
à l'Aga des Janiffaires , par lequel il
lui étoit enjoint d'arrêter le Grand Vifir ,
de l'envoyerpriſonnier à Conftantinople ,
&de prendre le commandement de l'Armée
, juſqu'à ce que le Grand Seigneur
eût nommé un autre Grand Vifir : ce qui
&été éxécuté .
De Hambourg le 25. Décembre.
On a reçû des Lettres de Roſtok qui
portent , que le Commandant desTrou.
pes que le Roi de Dannemarck y a laifſéespour
garder lesMagaſins qu'il a en cette
Ville , ayant demandé permiffion aux
Magiſtratsde viſiter leur Arsenal & leurs
Magaſins , ils la lui réfuſcrent : mais que
s'en étant fait ouvrir les portes de vive
force, pendant que les Habitans étoient
au
FEVRIER 1712. 161
auSermon , cette violence cauſa un grand
tumulte. On demanda à ce Commandant
quelle raifon il avoitpour en agir de
la forte; & fur ce qu'il répondit qu'il
avoit voulu viſiter l'Arſenal pour s'en ſervir
en cas de beſoin , les Habitans répondirent
, qu'ils périroient plûtôt que de
laiſſer enlever leur Artillerie & leurs Munitions.
Incontinent les Magiſtrats firent
tendre les chaînes , dans les ruës qui
aboutiſſent à l'Arsenal , & y firent pointer
du Canon chargé à cartouche , &
pluſieurs Compagnies de Bourgeois y font
tous lesjours degarde.
De Lisbonne le 14. Décembre.
On a reçûdes Lettres d'Elvas du 6. qui
portent , que les Troupes Eſpagnoles qui
font en quartier aux environs de Badajoz
ontfait une courſe fort avantdans le Païs ,
d'où elles ont amené cinq cens Bêtes à
corne, & beaucoup d'Otages pour les
contributions .
De Cadiz lé 27. Decembre .
La Flote de Buenotaires a mis aujourd'hui
à la Voile avec quatre Navires François
, qui vont à la Mer du Sud.
Il eſt arrivé une Corvette de la Marti
H3
ni162
MERC. GALANT .
nique , qui a rapporté que M. du Gué-
Troüin en revenoit avec M. du Caffe , &
qu'il étoit richement chargé.
De Toulon le 24. Decembre.
Trois Vaiſſeaux de Guerre , fortis de ce
Port , pour aller donner la chaffe à quelquesArmateurs
Ennemis , qui croifoient
fur les Côtes de Provence , ont trouvé
quatre Vaiffcaux Hollandois , qui por
roient des proviſions à Port - Mahon ,
qu'ils avoient chargées en Calabre. Dès
qu'ils apperçûrent les nôtres ils prirent
chaffe pour les éviter , mais ils furent bientôt
joints : deux ſe rendirent fans faire
grande réſiſtance ; mais les deux autres ſe
deffendirent pendant quatre heures , &
ne ſe rendirent qu'après avoir perdu la
plus grande partiede leur équipage .
De Namurle 6. Janvier.
Un Parti de notre Garniſon s'étant
joint avant hier à un Détachement de
cellede Charleroi , attaquerent auprès de
Louvain cent quarante hommes des ennemis
, qui en étoient fortis pour aller à
Bruges , & les pourſuivirent juſqu'aux
Portes de cette Place : quatorze furent
tuez , & quarante-deux faits priſonniers,
qui ont été amenez ici. Un
FEVRIER 1712 . 163
Un autre Détachement a jété mettre le
feu à des Bateaux chargezde Fourages ,
qui remontoient la Meuſe pour aller à
Liége ; mais en ſe retirant il a été attaqué
par un Parti de la Garniſon d'Huibeaucoup
fupérieur , qui tua fix hommes , &
enfit ſeizepriſonniers . Le reſte ſe ſauva
àla faveurde la nuit qui ſurvint.
De Dunkerque le 5. Janvier.
Un Armateur de Calais , a amené un
Vaiſſeau Hambourgeois , chargé de diverſes
Marchandises , pour plus de cent
cinquante mille Ecus.
Un autre Armateur a auſſi amené une
groſſe Flute Hollandoiſe , du port dequa.
tre cent Tonneaux , chargée de Saumon ,
de Cuivre , &d'Etain .
De Lauterbourg le 26. Décembre.
UnCapitaine de Huſſars de notre Garnifon
, abrûlé avec trente hommes ſeulement
, les Magafins de Fourages que les
Ennemis avoient entre Philisbourg &Spire
, & il eſt revenu ſans avoir été joint par
les Détachemens , qui avoient été envoyez
à ſa pourſuite.
H4
De
164 MERC. GALANT.
De Thionville le 24. Décembre.
LaGarniſon du Fort de S. Martin près
de Treves , ayant attaqué un Détachementde
celle de Traerbach , l'a défaiten.
tiérement : mais elle a perdu 30. home
&ena eu 19. debleffez . mes ,
De Condé le 28. Décembre.
Notre Commandant ayant envoyé
foixante Dragons & quarante Grenadiers ,
pour mettre le feu à pluſieurs Bâteaux
chargez de Fourage & de Munitions , que
les Ennemis avoient ſur l'Eſcaut , entre
Mortagne & S. Amant , poufferent d'abord
deux cens hommes qui les gardoient;
mais ils furent obligez enfuite de ſe retirer
avec précipitation , pour éviter d'être
coupez par pluſieurs Détachemens Ennemis
qui les cherchoient .
DeMeſſine le 26. Décembre.
On embarqua avant hier ici deux Bataillons
& des Munitions de guerre &de
Bouche , pour Portolongone. On a reçû
des remiſes de Madrid pour les Recruës ,
& pour la Remonte de notre Cavalerie .
Les Liparotes ont attaquéle Convoi de
Na
FEVRIER 1712. 165
Naples qui venoit de Calabre , chargé de
Grains ; ils en ont coulé quatre Bâtimens
à fond , & en ont pris fix autres , qu'ils
ont menez à Lipari.
Un Vaificau François de 64. Canons ,
eft arrivé ici ce matin avec un gros Navi .
re Anglois , qu'il avoit pris dans leCanal
de Malthe. Ce Vaiſſeau est chargé de
Soye , deCotton , & de Caffé .
Lanuit du 24. & celle du 25. on reſſentit
ici plufieurs fecouſſes affez violentes de
Tremblemens de Terre , mais qui n'ont
cependant cauſe aucun dommage.
LETTRE
De M. le Chevalier de P***, fur un
petit vol fait chez Payen , Traiteur
, ruë des Bourdonnois , le
2.1 . Décembre 1711 ...
MONSIEUR,
Je vous avois promis des Mémoiresfur
certaine avanturegalante , dont je jus témoin
au Balqui s'est donné ilya bust jours,
al'HôteldesAmbassadeurs , Rue de Tour.
non : mais comme vous ne nommez jamais
les masques dans votre Mercure ,
les noms, les caractères , &l'âge des deuss
Η
que
per166
MERC. GALANT.
personnes que voussçavezfont tout leplaifant
de cette Avanture, je nevous enpar-
Leraipas davantage: contentez vous du reşit
d'unpetit vol quifutfait enma prefencecemêmefoir.
Deuxdemes Amis &moi en ayant raf-
Jemblé quatre autres pour allerSouper chez
Payen , un Filou , qui étoit apparemment
déguisé près denous dans ce même Bal , &
qui entendit de quoi il s'agiſſoit , prit les
devans, avec un habit de Laquais , tenant
àsa main une épée&une cannefort
belle , qu'ilavoitpeut- être voléeàcemême
Bal, entra chez le Traiteur , & contrefaisant
l'Ivrogne , lui annonça ſept convi.
ves, du nombre desquels, difoitit, étoit
fonMaître, &fit allumer dufeu dansune
chambre qu'il choisit : peu de temsaprès il
appella un des Garçons , qu'il pria de le
mettre dans quelque petit endroit caché ,
depeur que son maitre ne levityore , &
nel'affommât de coups . Le Garçon chari.
table lefit entrer dans un petit Cabinetfur
ledégréproche la chambre , & c'est ouil
defiroit êtrepourpouvoirprendreſon tems ,
comme vous allez voir .
Nous arrivâmes effectivement au nombre
de ſept avec pluſieurs Laquais ; on mit la
nape avecſept couverts&un buffet garni ,
comme on sçait qu'ils lefont chez Payen,
de Vaisselle d'Argent très propre & notre
couvert mis , &le souper commandé, les
Garçonsnouslaifferent , c'est le moment
qu'at
FEVRIER 1712 . 167
qu'attendoit notre Filou au quet dansfa
cachette : Il s'étoit déguisé lui - même en
Garçon de cabaret , un tablier blanc en
écharpe , lavefte graffe , lebonnet de caprice;
il entre en feignant depeſter contre
fes camarades qui nous avoientdonné une
table trop petite , &nom pria depermettrequ'il
nous en donnât une plus grande ,
parceque celle cileur étoit néceſſairepour un
autre écot : auſſi-tôt , avec une adreſſe merveilleuse
que nous admirâmes , il fit tenir
danssa maingauche ſept coûteaux , Sept
cuillieres , Sept fourchettes , & deux falieres
, ſansles renverſer , depeur , diſoitil
, de nousporter malheur : il nousfaisoit
remarquer la capacitédefamaingaacheS
l'agilité de fa droite , lors qu'il entendit
quelqu'un de nous qui diſoit bas à un autre :
Voilàun nouveau Garçon que jene connois
Pas , &cependantjeſoupe tous les jours ici
depuis quejesuis marié. Notre Filou auffi
totfaisant lefolâtre , capriola de la Table
àlaporte , qu'il tira fur lui , &fut dans
laRuêen troisenjambées: oncria auffi-tôt
au Voleur , & l'on fut dans la Ruê prefqu'auſſi-
tôt quelui; cependant il difparut
Son le chercha inutilement ; l'onn'aprit
qu'uneheure après qu'il s'étoitréfugie dans
uneBoutique , enpriantqu'on ne le décelat
point à ces jeunes Officiers , qui vouloient
l'enrôlerdeforce.
LeMaître de laBoutique a dit , que le
Filou étoit entré chez lui ne tenant rienàfo
H6 main
168 MERC. GALANT.
main, &avec un habit tout different de
celui d'unGarçon de Cabaret . C'est ce qui
m'aparudeplusſurprenant dansl'Avaniare,
car de laviteſſe dont ilfut poursuivi ,
il faut qu'en courant ilait changédedécoration
plus promptement , qu'Arlequin
Hôte&Hôtellerien'en changeſur le Theatre.
ODE
DE MONSIEUR
DE LA MOTTE .
Ans le tems qu'au Dieu du Permefle
Diadrefois mon premier tribut ,
Heureux fruitde ma douce Ivreffe ,
CeDieu lui-même m'apparut.
DeuxDéeſſes ſuivoient ſes traces ,
L'unc à l'oeil fier , au front hautain ;
L'autre avec un Ris plein de graces
S'avançoit l'encens à la main.
C'eſt la Loüange& la Critique ,
Me dit Phoebus , choiſis des deux ,
Qui
FEVRIER 1712. 169
Quidans la lice Poëtique
Guidera tes pas hazardeux.
Phoebus me quite , & la loüange
Confuſe de mon peu d'égard ,
Diſparoît &déja ſe vange
Avec un dédaigneux regard .
L'autre près de moi prend ſa place ,.
Etl'arbitre de mes écrits ,
Elle ôte , elie ajoûte , elle efface ,
Achaque choſemet ſonprix.
Elle veut laRaiſon pour baze
Demes plusbadines Chanſons ,
Chicanelesmots & la phraſe ,
Vamême à critiquer les ſons.
Elleorne ſibien mapenſée ,..
Et met tant d'Art dans mes accords ,
Qu'enfin la loüangeeſt forcée
Deme rapporter ſes Tréſors .
Jegoûte aujourd'hui le mélange
De leurs differentes faveurs ,
Et la Critique , & la Loüange
Vivent avec moi comme Soeurs .
H7 Ma
170 MERC. GALANT.
Madrigal nouveau à une Femme
jalouse.
S
Urmontez les tranſports de cette ja .
loufie ,
Les chagrins & l'emportement
Ne ramenent point un Amant ;
L'implacable Junon , la terrible Medée ,
En proye aux mouvemens jaloux ,
Dont vous êtes fi poffedée ,
Ont fait trembler , fremir leurs Amans ,
leurs Epoux ,
ble;
Lifez de leurs fureurs l'Hiftoire déplora-
Lifez. la pour en profiter :
L'une s'est fait hair , & l'autre redouter ,
Mais pour ſe faire aimer il faut ſe rendre
aimable.
MAFEVRIER
1712 171
MADRIGAL
Par lajeune Muse , ainſiſurnommée
par tous ceux qui ont dugoûtpour
la Poësie, parce qu'elle a , outre
les autres qualitez qui la distinguent,
la naturel leplus heureux
pourlaPoësie.
Q
Uand le Sage Damon dit que d'un
traitmortel
L'Amour bleſſe les coeurs ſans qu'ils oſent
ſeplaindre ,
Quec'eſt un Dieu Traitre & cruel ;
L'Amourpour moi n'eſt pointà craindre :
Mais quand le jeune Atis me vientdire à
fontour,
Ce Dieu n'est qu'un Enfant , doux , careffant
, aimable ,
Plusbeau mille fois que le jour ,
Queje le trouve redoutable!
Lafameuse difpute qui s'excita en 1699 .
entreMeffleurs Mery Duverney , fur la
circulation du ſangpar le coeurdu Fatus humain,
ayant donné occafion d'examiner
celle de quantité de differens Animaux ,
tant terrestres qu'aquatiques , &hi
bies,
172 MERC. GALANT.
bies , & même leur manière de reſpirer :
tout ce qui s'eftdità ce sujet , aussi-bien
que toutes les experiences qui ont étéfaites
parpluſieursSavans Anatomiſtes de France
d'Angleterre , se trouvant difpersé en
differens Volumes , qui ont paru depuis ,
pendant plusieurs années ; M. Parent a cru
faireplaifir auPublic de lui donner le tout
raſſemble en abregé, & comme dans un
point de vue , afin qu'il puiſſeplus aisément
embraffer cette partie d'Anatomie qui
fanscontredit est une des plus intéreſfantes
qu'on puiffe traiter.
Abregéde lafameuse queſtion fur la
circulation du fang par le coeur du
fætus , où l'on rapporte les expériences
& les raisonnemens de
Messieurs Mery , Tauvry , Duvernay
, & Delitre , &par occafion
le Systéme de Mr. Duvernayfur
lareſpiration des Poiffons.
Ο
N diftingue naturellement les animaux
en trois claſſes , ſçavoir les
terreſtres , les aquatiques , & les amphibies.
Le mouvement du fang dans le
coeur des aquatiques eſt le plus aiſé à expliquer
, & ne ſouffre aucune difficulté ;
parce
1
FEVRIER 1712. 173
parce que leur coeur n'ayant qu'une
oreillette & qu'un ventricule ou cavité ,
on ne peut douter que le ſang ne ſe ren
de de toutes les parties de leurs corps
dans cette oreillette , qui par ſa contraction
le verſe enſuite dans le coeur , tandis
qu'il ſe dilate ; après quoi le coeur
en ſe reſſerrant le pouſſe dans l'Aorte ,
& delà dans toutes les parties de l'animal.
Mais à l'égard des animaux terreſtres
, dont le coeur a deux ventricules
ou cavitez , & chaque cavité une oreillette
, tout le monde aujourd'hui convient,
que dès qu'ils reſpirent, le ſang de
tout leur corps , ( excepté celui des poumons
) eſt apporté par les veines caves
afcendantes & deſcendantes dans l'oreil
lette droite de leur coeur , en même tems
que celuide leurs poumons eſt verſé dans
la gauche par la veine du poumon , &
qu'enfuite ces deux oreillettes ſe reſſerrant
toutes deux en même tems , expriment
tout le ſang dont elles ſont chargées
chacune dans ſon ventricule , tandis
que le coeur ſe dilate , après quoi le coeur
venant à ſe reſſerrer , pouffe le ſang de
fon ventricule droit dans les poumons par
l'artere pulmonaire & celui de fon ventricule
gauche dans les Aortes aſcendantes
& defcendantes , d'où il eſt enſuite
diftribué à toutes les parties du corps.
Quant aux amphibies tels que les tortues
, les ferpens , &c. Les Auteurs
ci174
MERC. GALANT.
!
ci-deſſus conviennent que leur coeur a trois
cavitez , ſçavoir premiérement une droite
, & une gauche , comme les animaux
terreſtres ; & outre cela une troifiéme
cavité , comme ſeule , ainſi que dans
les animaux aquatiques , laquelle eſt ſituée
entre les deux premiéres ; en telle
forte cependant qu'elle communique avec
la droite , comme celle-ci communique
avec la gauche , & qu'elle n'a point d'oreillette
, comme ces deux derniéres .
Ils conviennent de plus que le ſang
des différentes parties du corps de ces
animaux ( excepté le poumon ) vient ſe
raſſembler dans l'oreillette droite de leur
coeur , &que celui des poumons , ou fi
l'on veutdu poumon , ( parce que les ferpens
n'en ont qu'un) eſt rapporté dans
l'oreillette gauche , d'où il eſt verſe dans
fon ventricule pendant que le coeur ſe dilate;
le tout comme dans les animaux
terreſtres : mais pendant le refferrement
ducoeur , l'action eſt différente de ce qui
ſe paſſe dans les animaux terreſtres ; parce
que dans les amphibies l'Aorte part
du ventricule droit , & non pas du gauche
, & l'artere du poumon vient du troifiéme
ventricule , comine dans les aquatiques
. Il fort encore du ventricule droit
une ſeconde ou nouvelle Aorte qui va ſe
réünir avec l'artere deſcendante au defſous
du coeur , à peu près comme le canal
Botal dans les foetus terrestres , &
pour
FEVRIER 1712. 175
pour un uſage tout ſemblable; & les quatre
Auteurs citez conviennent encore de
toutes ces parties . A l'égard de leur
uſage je conſidére que pendant le reſſerrement
du coeur , le fang eft obligé de
paffer du ventricule gauche dans le droit ,
n'ayant point d'autre iffuë ; & comme
ce paffage ſe fait par le haut du ventricule
droit , & que ce ſang impregné de
l'air des poumons , eſt peu propre à ſe
mêler avec celui qu'il trouve dans le ventricule
droit , lequel en eſt beaucoup plus
deſtitué; le ſang qui vient du ventricule
gauche dans le droit , en chaffe celui qu'il
y rencontre & l'oblige de fuïr dans le
troifiéme ventricule dont la communication
avec le droit eſt plus bas , pour
de là paſſer dans l'artere pulmonaire , &
aller aux poumons , tandis que lui-même
prend le chemin des Aortes aſcendantes
& deſcendantes , qui font au def.
fus du ventricule droit ; & ce chemindu
fang par le coeur des amphibies ne fouffre
pas encore de difficulté , parce que
les communications & les valvules le démontrent
; mais ces mêmes Auteurs ne
s'accordent pas dans le reſte , c'est -à -dire
, dans l'application que Mr. Mery en
fait à ſon Syſtême .
Car depuis la découverte de la circulation
du ſang dans les adultes terreftres
, du trou ovale , & du canal Botal ,
tous les Anatomiſtes convenoient que le
foe176
MERC. GALANT.
foetus ne reſpirant point , ſes poumons
devoient être très affaiſſez , & qu'il n'y
pourroit paffer par conséquent que très
peu de ſang : c'eſt ce qui les obligeoit à
en faire paffer au moins de l'oreillette
droite dans la gauche par le trou ovale ,
pour foulager les poumons , & plus d'un
tiers par le canal Botal dans l'Aorte defcendante
pour lamême fin. Le premier
ſe joignoit dans l'oreillette gauche avec
le peu qu'elle en recevoit des poumons
pour entrer conjointement dans le ven
tricule gauche , &de là être pouffe pêle
mêle dans les Aortes; mais particulièrement
dans l'aſcendante qui en auroit reçû
trop peu fans ce ſecours; & le fecond ſe
mêloit avec celui de l'Aorte deſcendante
pour arrofer les parties inferieures du
corps.
Mais Mr. Mery ayant trouvé dans pluſieurs
foetus qu'il a diſſequez l'Artere pulmonaire
, même au delà du canal de comfa
munication, plus groffe que l'Aorte à
naiſſance , a crû qu'il devoit paffer beaucoup
plus de ſang par la premiére que par
la derniére , & qu'ainſi tout le ſang , qui
felon cet Auteur , paffe par les poumons
du fætus , ne pouvant monter par l'Aorte
, il falloit qu'une partie de ce ſang arrivé
dans l'oreillette gauche , repafflât
dans la droite , pour foulager cette Aorte.
Il a crû de plus que ladiſpoſition de
la membrane qui eſt au trou ovale, fa-
٧٥٠٠
FEVRIER 1712. 177
võriſoit le paſſage du ſang en ce ſens.
Mais ce qui ſemble l'avoir le plus déterminé
à fonder ce nouveau Syſtême , ç'a
été le paſſage du ſang du ventricule gauche
de la Tortue dans le droit dont
on vient de parler ; parce qu'il a crû
qu'on pouvoit comparer la communication
de ces deux ventricules avec le
trou ovale , & la ſeconde ou nouvelle
Aorte des Amphibies avec le canal Botal.
Monfieur Mery auroit pû ajoûter
àtoutesces raiſons, que peut- être le fon.
dementfur lequel l'ancien Syſtême eſt établi
, n'est pas inébranlable ; ſçavoir que
les poumons des foetus terreſtres ſonttel.
lement affaiffez , que le ſang n'y ſçauroit
paffer ; car il n'eſt pas néceſſaire de veſicules
pleines d'air , dans les autres glandes
pour y faire paffer le fang , & l'effort
du coeurdelamere ſuffit. Pourquoi donc
l'effort des coeurs de la mere &du fætus
enſemble ne ſuffiſent-ils pas auſſi pour
pouffer le fang au travers des poumons
qui ne ſont compoſez que deglandes ; il
ſemble au contraire que s'il y avoit beaucoup
d'air comprimé entre les glandesdu
Pancreas , du Mezentere , &c . il feroit
plus propre à arrêter la circulation du
fang qu'elles contiennent , qu'à la faciliterpar
la compreſſion qu'il feroit ſur leurs
vaiſſeaux fanguins .
Mais revenons à nos Auteurs. Mrs.
Tauvry & Duvernay ſe ſont oppoſez à
CC
178 MERC . GALANT.
ce nouveau Syſtême , & pour cet effet le
premier a fait voir des coeurs de foetus dans
leſquels l'Aorte à la fortie du coeur étoit
plus groffe que l'artere pulmonaire au delà
du canal Botal. Cependant cette expé.
rience ne détruit pas abſolument le premier
fondement de M. Mery , parce qu'il
y a pluſieurs fætus dont l'Aorte eſt plus
menuë que l'artere pulmonaire dans les
premiers mois de leur accroiffement , &
plus groffe dans lesderniers mois . Mais
M. Tauvry l'attaque d'une autre maniere ,
en attribuant lagroffeur exceſſive de l'artere
du poumon , par rapport à l'Aorte ,
à ladifficulté que le ſang trouve à circuler
par les poumons , particulièrement quand
le foetus eſt peu avancé en âge , ce qui
ſemble affoiblir le nouveau Syſtême ,
(ſuppoſé que fon fondement ſoit bon :)
M. Chemineau a examiné unfætus qui a
eu vie , dont le coeur s'eſt trouvé ſemblable
à ceux des amphibies , ( excepté que
fon Aorte ancienne naiſſoit de fon troifiéme
ventricule , & non pas du droit , &
que la ſeconde ou nouvelle Aorte ne s'y
trouvoit point du tout. ) Dans ce coeur
l'artere pulmonaire , qui à ſa naiſſance
étoit plus menuë que l'Aorte , la furpaffoit
de beaucoup proche les poumons, ce
qui ſemble favorifer les partiſans de l'ancienne
opinion, ſuppoſe toûjours qu'ils
foient bien fondez .
A l'égard de M. Duvernay , il neconvient
FEVRIER 1712. 179
vient pas de lacomparaiſon que M. Mery
fait du trou ovale , avec la communication
du ventricule gauche , & du droit
dans les Tortues , à cauſe des différentes
fituations de ces ouvertures , dont l'une
eft entre les oreillettes dans les animaux
terrestres , & l'autre entre les ventricules
dans les amphibies. Il objecte de plusà
M.Mery, qu'en voulant décharger l'Aorte
par le trou ovale , & les poumons par
le canal Botal , il furcharge d'un autre
côté les poumons , du ſangqui revientde
l'oreillettegauche dans la droite. A quoi
il ajoûte , que dans le nouveau Syſteme
le fang de lamere eſt trop rallenti&trop
affoibli par ſon paſſage au travers des poumons
du fætus , & qu'il eſt plus à propos
d'en faire paſſer du moins une partie par
l'Aorte afcendante immédiatement comme
il en paſſe une autre partie immédiatement
dans l'Aortedeſcendante , afin que
les parties ſupérieures n'ayent pas en cela
une condition pire que les inférieures.
Quant à la ſeconde ou nouvelle Aorte des
Amphibies M. Duvernay ne convient pas
non plus qu'on puiffe la comparer au canal
Botal: car il prétend qu'elle ne fert
qu'à diſtribuer du ſang à leur eftomac.
Mais on ne sçauroit cependant douter ,
que fi ellen'exiſtoit point , le ſang qu'elle
porte ne dût paffer , du moins enpartic,
par l'artere pulmonaire ; ainſi on ne peut
diſconvenir qu'elle ne foulage les pou
moins
180 MERC. GALANT.
mons dans les Animaux où elle ſe trouve;
&onne sçauroit penſer non plus , qu'elle
ſoit deſtinée uniquement pour leur eſtomac
, puiſque la Nature pouvoit s'en paffer
en tirant de l'Aorte deſcendante des
rameaux pour l'uſage de ce viſcere. On
peut donc croire , que quand l'Amphibie
ne reſpire pas comme quand il eſt dans
l'eau , l'air qu'il tient comprimé au dedans
de ſes poumons y retarde la circulation
de ſon ſang , ce qui l'oblige de s'échaper
alors enpartie par l'ancienne& la
nouvelle Aorte plus abondamment que
quand l'Animal reſpire , comme il arrive
dans le foetus qui ne reſpire point encore ,
parce que la reſpiration met les parties
des poumonsau large , & facilite le cours
dufang , au lieu que l'expiration les comprime&
les retarde , ainſi l'expiration ou
lacompreſſion de l'air dans les veſicules
des poumons fait précisément le même
effet que leur propre poids dans les foetus ,
d'où il fuit qu'être Amphibie , c'eſt en
quelque façon encore être tantôt adulte ,
ſçavoir quand ils font à l'air , & tantôt
fætus , ſçavoir quand ils font dans l'eau .
On peut penſer la même choſe d'une
autre eſpéced' Amphibies qui n'ont qu'un
ventricule , qu'une oreillette , & qu'une
Aorte , comme les Poiffons , tels font la
Salamandre la Grenoüille , &c. fçavoir
que quand ils reſpirent l'air , leur coeur
par cette Aorte envoye une quantité confidérable
FEVRIER 1712 . 181
fidérable de ſon ſang dans leur poumon
pour s'y vivifier ; mais que quand l'Animal
eſt dans l'eau & y comprime de l'air
enfermé dans ſes poumons , il y paſſe
alors moins de fang , & tout prend le
chemin des Aortes aſcendantes &deſcendantes.
Al'égard des Poiſſons , il ſemble qu'ils
devroient avoir auſſi cette nouvelle Aorte
préférablement aux autres eſpéces d'Animaux
, parce qu'ils ne paroiſſent pas refpirer;
mais on va voir au contraire qu'ils
reſpirent continuellement ; ainſi ils n'en
ontnullementbeſoin.
Pour revenir à la queſtion du trou ovale,
M. Delitre a fait voir à l'Académie le
coeur d'un homme de quarante ans , dans
lequel le trou étoit encore tout ouvert.
La continuation de la veine pulmonaire
qui le compoſe conjointement avec l'oreillette
droite , y offroit à la vûë une ef
péce d'entonnoir , dont l'embouchure regardoit
l'oreillette gauche , comme ilparoît
dans les foetus humains. De plus ,
l'artere du poumon y étoit de beaucoup
plus groſſe que l'Aorte , quoi qu'elle ne
ſouffrit pas cependant de réſiſtance du côté
des poumons de cet homme qui avoit l'uſage
de la reſpiration libre . Ainſi la réfutation
prétenduë de M. Tauvry dont on
a parlé , & celle qu'on prétendoit tirer
du fætus de M. Chemineau ne peuvent
plus fubfifter. D'ailleurs le canal Botal
Tome V. I étant
182 MERC. GALANT.
étant deſſeiché dans cet homme comme
dans tous les adultes , tout le ſang de l'artere
du poumon étoit obligé de revenir
par ſa veine pulmonaire , qui lui étoit
égale en groffeur ; ainſi pour contenir
tout ce ſang , il auroit falla une oreillette
& un ventricule gauche , & une Aorte
auffi ſpacieux que du côté droit , au lieu
qu'ils étoientdebeaucoup plus petits . II
faut donc dire qu'une partie du fangrap.
portépar laveinedu poumon , ſe déchar
geoit par le trouovalairedans l'oreillette
droite, & qu'il n'yenavoit qu'unepartie
qui entrat dans l'oreillette gauche , &de
làdans fon ventricule , pour être pouffée
par l'Aorte précisément ,comme dans le
nouveau Syſtême de M. Mery touchant
les fetus. Au lieu que felon l'ancien
Syſtême, il faudroit dire que les parties
gauches du coeur de cet homme , rece
voient autant de ſang, que les parties
droites qui font plus amples, ce quiparoît
renfermer une eſpéce de répugnance.
Il ne reſte plus que d'examiner ce qui
ſepaffedans lesVeaux&Agneaux fetus ,
où M. Tauvrya trouvé les parties gauches
ducoeurplus grandes que les droites. Car
il fuit de là , felon M. Mery même , que
le mouvement du ſang ſe fait dans le coeur
de ces Animauxd'une maniere oppofée à
celle du fætus humain , c'eſt à dire , felon
leSyſtêmed'Hervée. C'eſt auffi cedont
M. Mery convient , pourvu qu'on lui
accorde
1
FEVRIER 1711. 183
accorde que dans les foetus humains la
circulation ſefaitfelon ſon nouveau Syſtême
, lequel ne ſuppoſe aatre principedans
l'Auteurdeda Nature, finon celui- cidont
tous les Philoſophes conviennent. Difpofait
omniafuaviter.
Quant àla reſpirationdes Poiffonsdont
on vientdeparler , il faut confidérer premiérement
que le ſang qui va de leur
coeur à leurs oüyes par l'artere des oüyes ,
eſt noirâtre , en comparaiſon de ce qu'il
eſt an fortirdes mêmes oüyes , où il eſt
vermeil, comnie au fortir des poumons
dans les Animaux qui reſpirent ; d'où il
fuitdéja que les oüyes des Poiffons leur
tiennentlieudepoumons. Secondement
les Poiffons vivent très peu detemsdans
l'eau donton a tiré Pair . Troiſiemement
lors qu'on lesenferme dans une bouteille
pleined'eau, ils n'y demeurent pas longrems
fans y êtreétouffez ; à moins qu'on
ne la débouche pour y laiffer entrerde l'air
nouveau dans l'cau ; car on ſçait que l'eau
deftituéed'air s'en rempliten peu de tems
quand on l'y expoſe à découvert. C'eſt
pour cela que pendant les longuesgelées
on est obligé de caffer laglacedes Rivières,
Etangs & autres Réſervoirs de Poiffon ,
afin qu'ils puiflent reſpirer l'air qui entre
dans l'eau par cesouvertures. C'eſt par
la même raiſon que quand onremplit un
Réfervoir de Poiſſon , peu detems après
tous le Poiffon rient ſa tête à la furfacede
l'eau.
P
12
184 MERC. GALANT.
l'eau pour venir reſpirer. Quatriéme
ment l'action des paneaux des oüyesdes
Poiffons eft perpétuelle , ſçavoir de s'élever
& de s'abaiſſer ſucceſſivement comme
lapoitrine. Cinquiémement on ne ſçauroit
douter que par cette action, ils ne pren
nent continuellement de l'eau par leurbec
qu'ils chaffent enſuite au travers de leurs
oüyes. Or fi cette action ne ſervoit pas à
filtrerde l'airdans leur fang , comme celle
des poumons des autres Animaux, il paroît
que la Nature auroit fait de la Machine
la plus compoſée la choſe la plus
inutile; car premièrement l'eau que les
Poillons avallent avec leurs alimens , eſt
plus que ſuſfiſante pour leur nourriture ;
& ils n'ont pas beſoin d'oüyes pour cet
effer. De plus onne voitpoint ce qu'ils
peuvent tirer de l'eau , finon de l'air qui
leur est néceſſaire comme auxautres Ani
maux pour former des eſprits & des ferments
. Enfin on ne voit point non plus
en eux aucun autre inſtrument pour attirer
de l'air que leurs oüyes , ni que la féparation
de l'air dans l'eau au moyende
ces ouyes , foit plus difficile que celledes
parties de la bile dans lefoye , de l'urine
dans les reins , du laitdansles mamelles ,
& de toutes les autres liqueurs contenues
dans le fang des Animaux , dans le fang
même , puis qu'il ne faut que ſuppoſer
dans les oüyesdes Poiffons des glandes ou
des tuyauxdéja pleins d'air &tout ouverts
qui
FEVRIER 1712. 185
qui s'embouchent dans les arteres des
oüyes ; car l'eau venant à couler ſur les
orifices de ces tuyaux , ne pourraſe joindre
à l'air qu'ils contiennent à cauſede la
diverſité de leurs parties ; mais l'air con
tenudans lespores de l'eau , ne manquera
pas de s'incorporer avec cet air , & de le
chaffer en avant, à cauſe qu'il eſt prefſé
lui, même par les paneaux des oüyes.
Quant à la compoſition des oüyes il ſuffit
pour en juger , de ſe repréſenter ce que
M. Duvernay nous en apprend , ſçavoir
qu'il y a ſoixante-neuf muſcles qui ſervent
à leur action ; que chaque feüillet d'oüye
eſt composé de 270. lames , ce qui fait
2160. lames pour les deux oüyes , à quatre
feüillets pour chaque oüye . Que fur
lafacedechacune de ces lames ilya 2160.
petits filets de vaiſſeaux ſanguins ou d'anaſtomes,
ce qui fait prèsde 10000000 .
d'anaſtomeſes en tout .
1 Mais pour avoir une idée plus nettede
toute cette méchanique admirable des
oüyes , il faut ſçavoir que l'artere qui tient
lieu de pulmonaire dans les Poiffons à la
fortie de leur coeur , ſe partage en huit
branches ; ſçavoir quatre à droite , &
quatre à gauche ; les quatre rameaux
vont de chaque côté ſe rendre à quatre
arcs ofſeux qui ſoûtiennent les feüillets des
ouyes , ſçavoir chaque rameau dans le
demi canal ou goutiere qui régne le long
de la convexité de cet arc, Če rameau
dans 13
186 MERC. GALANT.
dans tout fon cours le longdecette gousiere
, envoye deux branches d'artere à
chaque lame des oüyes dont un feüiller
eſt compoſé , parce que chaque lameeft
elle-même compofée de deux parties ou
Jamelles faites enformede faux adoſſées ,
pofées de travers ſur lechanpar leurbaſe
fur la goutiere , & liée par quantité de
filets de nerfs. Le dos & labaſede ces
faux est pareillement offeux pour leur
donner de la confiftance , & pour foûtenir
le rameau d'artere & de nerfs , qui
monte le longdu dos de chaque faux juf
qu'à la pointe où il ſe termine. Decette
pointe part une veine qui deſcendant le
long du tranchant de la faux paffe par
deflous ſa baſe , & là ſe réüniffant avecla
veine pareille de la faux oppoſée, elles
entrent conjointement dans un tuyauveneux,
qui régne le longde la même goutiere
à côté de l'arteriel. Ontrouve encore,
lelongde cettemême goutiere, un rameau
de nerfqui ſertàformer les membranes&
ligamens, dontles lames des oüyes font
unies entr'elles. Ilyade plus un nombre
preſqu'innombrable de petits vaiſſeaux
fanguins , qui s'étendent directement du
dosde chaque faux à ſon tranchant fur
chacune deſes faux , & ce font les communications
ou anastomeſes, ſi cherchées
par les Anatomiſtes, des arteres avec les
veines. Enfin ces anaſtomeſes font diftinguées
les unesdes autres , & foûtenuëspar
autant
FEVRIER 1712. 187
par autant de filets offeux faits enforme
depoils , &par desrameaux de nerfs , qui
partent dudosde chaquefaux.
Les tuyauxveneux qui régnent le long
desgoutieres étant arrivez àleur extrémi
tédu côtédedeffus ou du cerveaudu Poif
fon, prennentla conſiſtance d'arteres , &
ſuppléent àcequele coeur manque defaire
dans les Poiffons; car ils ſe réuniffent en
un tronc qui forme l'Aorte afcendante &
defcendante , &par là fourniſſent du fang
vivifié d'air à la tête & aux parties infe.
rieures. Mais à l'autre extrémité des
goûtiéres , ils ſe réüniſſent en un feul
tronc veneux , qui vaſe rendre à l'oreil.
lettedu coeur avec les autres veines qui
rapportentleſangdu reſtedu corps de l'Animal.
Voilàbien des merveilles juſques
là inconnues aux Anatomiſtes. Il faut
eſperer que le tems nous en découvrira
biend'autres .
AVANTURE DU BAL.
Elle est de fraiche date ; l'une des per-
Sonnes intéreſſées dans l'Avanture
me lavient de conter ; elle estdela
Semainepassée.
U
Njeune Officier fort amoureux d'une
Femme fort vertueuse , en fut
14
ré188
MERC. GALANT.
...
rébuté pluſieurs fois , & de très bonne
foi , car elle fut prête d'en avertir fon
Mari. Elle en menaça l'Officier, qui lui
repreſenta qu'elle avoit grand tort d'être
fi fidéle à un Mariqui avoit une maîtref.
le. Une maîtreſſe ! s'écria la Dame , qui
étoit encore plus jalouſe que vertueule ;
Ah! fi vous pouvez me prouver cela .
Achevez , Madame , achevez , lui dit
l'Officier ; vous avez voulu dire que fi je
pouvois vous prouver l'infidélité de votre
Mari, vous vous en vengeriez . J'avoue',
reprit vivement la Dame , que j'ai voulu
direceladansmon premier mouvement ,
mais la Raiſon me revient bien vite com.
me vous voyez , car je n'ai pas achevé ;
il en ſeroitde même ſi je voyois réellement
l'infidélité de mon Mari , mon premier
mouvement feroit de me vanger), mais
la Raiſon me reviendroit ſi vîte que vous
n'auriez pas le loiſir de profiterde ce moment-
là . Je me le tiens pour dit , reprit
le Cavalier ; la queſtion n'eſt donc plus
que de vous prendre dans un momentde
colere , qui dure affez pour vous déterminer
à la vengeance. La queſtion ſeroit
encore , repliqua-t'elle , en le quittant
bruſquement , fi cette vangeance ne ſe
tourneroit point contre vous plûtôt que
contre mon Mari .
Le Cavalier étoit de ceux qui expli .
quent tout à leur avantage , parce qu'ils
jugent deſavantageuſement de toutes les
FemFEVRIER
1712. 189
Femmes, il conçûtde grandes eſperances
s'il pouvoit trouver l'occaſion favorable ,
il la chercha avec ſoin; enfin ayantgagné
à forced'argent la Femme de Chambre de
la maîtreffe du Mari , il ſçût que le ſoir
même ils devoient ſe trouver à un Bal; &
cette Femme de Chambre lui montra la
Lettre que ſa maîtreſſe écrivoit au Mari
pour ce rendez - vous . Voici ce qu'elle
contenoit.
Trop infortunéMarid'une Femmejalou
ſe, je ne pourrai te conſoler ceſoir dans
mon appartement , car j'y reçois des Dames
qui s'y viennent déguiferpour un Bal ,
quise donne dans le grand Appartement
bus, qui est au- dessous du mien; tu m'y
trouveras déguisée ſimplement en chauve-
Souris, avecdeuxjuppes noires , un Ruban
jaune autour du col , & un rougefur la
tête, viensy avec la même Rote d'Armenien
, que tu avois aux deux derniersBals,
:
c.
Le Cavalier copia cette Lettre enécriture
de Femme , & y ajoûta ſeulement
ceci: C'est la seconde fois aujourd'huique
je t'écris la même chose , je t'envoyecette
Secondeinstruction en cas que tun'ayes pas
reçû lapremiére.
La Femme de Chambre recacheta l'original
de cette Lettre , & l'envoya naturellement
au Mari dès le matin, comme
Is
elle
190 MERC. GALANT
elleen avoit l'ordre ; & le Cavalier en.
voya la fiennepar un Laquais fort adroit ,
qui faifoit leniais à merveille , &quialla
droitau logisde la Dame jalouſe , où feignant
de n'avoir trouvé en bas aucun Laquais
de Monfieur , il monta chez la
FemmedeChambre de Madame , à qui il
demanda niaiſement , fi Monfieur n'étoit
point au logis. Il tenoit négligemment à
ſa main la Lettre que cette Femme de
Chambre- ci confidente de la jaloufiede ſa
Maîtreffe, ſe ſçûtbon gréd'avoir attrapéc
ànotre faux niais , qui lapria bonnement
de la remettre entre les mains de Mon
fieur, fans que Madame en fçût rien. Ellefittout
le contraire comme vous pouvez
penfer, &c'étoit l'intention du Cavalier,
qui ſe doutoit bien que la Femme jalouſe
feroit ſuivre fon Mari , & feroitconvaincuëde
fon in fidélité. C'eſt tout ce qu'il
fouhaitoit , mais le hazard pouffa la choſeplusloin.
:
Le Mari voulant aller au Bal à l'infçu
deſa Femme , feignit leſoir un mal de têre.
Elle comprit d'abord , qu'ayant reçû
la Lettre dont elle avoit le double , il fe
diſpoſoit à fe dérober d'elle pour aller au
rendez-vous; & pour lui donner beau ,
ellefeignit auffi une migraine , & fe retirade
bonne heure dans fon appartement.
Sa Confidente eutſoinde lui t
leBal unhabitde chauve-fouris , pareil à
celui que devoitavoir ſaRivale, avec le
trouverpour
fignal
FEVRIER 1712. 191
fignal desRubans marquez dans la Lettre.
Le Mari ſortit en ſecret ſur les dix heures
du foir , pour aller ſedéguiſer , je ne
ſçai où ; la Femme prit leCarroffe un peu
après , & fe rendit au Bal avec ſa Femme
de Chambre , qu'elle fit auſſi maſquer.
LeBal ne faiſoit quede commencer , elle
fe pofta dans un coin , où elle ne fut remarquée
que de ſon jeune Amant , qui
voyant la Chauve-fouris de ſibonne heure
au rendez-vous , & fçachant qu'ellene
devoit s'y trouver que fort tard, devina
que cette Chauve-fouris-ci pourroit bien
être la Femme jalouſe , qui prenoit les
devanspourdonner le change à fonMari ,
&leconvaincre de perfidie. Ce ſoupçon
futbien-tôt confirmé par la Femme de
Chambre avec qui il étoit d'intelligence.
Souvenez- vous que c'eſt celle de la maîtreffe
du Mari , & qu'étant de lamaifon
où leBal ſe donnoit. Elle y pouvoit être
naturellement , elle y cherchoit le Mari
Amant de fa maîtreffe , qu'elle venoit
prier de ne point s'impatienter , parce
qu'elle ne pouvoit venir que far la fin du
Bal . Comme cette Femme de Chambre
¬re Amant maſque s'entretenoient
enſemble , l'Armenien , c'est-à-dire , le
Mari en Robbe d'Armenien , parut , &
fut auffi-tôt reconnu par ſa Femme , qui
chercha l'occaſion de l'attirerdans quelquecoinpour
le confondre. Notre Amant
quilesobfervoitpour voir le denouëment
16 de
192. MERC. GALANT.
de cette Scene , en imagina une qui pourroit
lui être plus favorable. Il concerta
impromptu avec la Femme de Chambre ,
qui voulutbienſacrifier ſa maîtreffe à cet
Amant paſſionné & liberal : voici comment
elles'yprit.
Elle aborda l'Armenien , & lui dit que
ſa maîtreffe leprioit de changer ſon déguiſement
, parce qu'on l'avoit trop remarqué
audernierBal , & le pria de la ſuivre
juſqu'à une petite Chambre , où elle lui
donneroit un autre habit : voilà donc la
Femme de Chambre qui marche la premiére
, l'Armenien la fuit , la Chauvefouris
fuit l'Armenien , & l'Amant fuit la
Chauve fouris : marche mysterieuſe &
intéreſſante , dont je ne vous tracerai
point ici tous les détours , car je n'ai
point ſçû exactement quel étoit le plande
ces appartemens ; mais enfin à la faveur
de quelque obſcurité chacun allant à ſes
fins , nos quatre perſonnages ſe trouverent
poftez comme vous allez voir. Le
Mari entra d'abord, avec la Femme de
Chambredans un Cabinet , y quitta ſon
habitd'Armenien pour en prendre un autre
avec un mafſque different , & retourna
auBal attendre ſa maîtreffe. L'Amant à
qui la Femme de Chambre donna l'habit
que venoitde quitter le Mari , reſta dans
Ie Cabinet pour y être pris pour lui fi l'occafion
devenoit favorable ; & elle le devint
, car la Femme jalouſe trouvant la
porte
FEVRIER 1712. 193
porte ouverte , & voyant l'AmantArmenien
qu'elle prit pour ſon Mari , crûtavoir
trouvé le moment de le confondre. Elle
entre , ne doutant point qu'il ne fût là ,
pour y attendre la Chauve-fouris ſa Riva-
Ie , l'Amant Armenien feignit de s'y mé
prendre comme auroit fait le Mari , & cela
produifit une ſcene que je priele Lecteur
dene pointdeviner trop tôt , il feroit tort
à l'honneur du Mari , à la vertu de la
Femme , & à celui qui écrit cette Avanture
, car il ſe garderoit biend'en faire le récit
fi ledénouement en étoit vicieux .
Cette Femme par malheur pour l'Amant
n'aimoit pas affez ſon Mari , pour ſe
foucier qu'il la prît ence moment pour fa
maîtreffe : elle ſe démaſqua d'abord pour
l'accabler de reproches & d'injures ; le
faux Mari feignant un repentir fincére ,
voulut réparer ſon infidélité par un raccommodement
des plus tendres , mais il
la trouva infléxible. Ah , Madame , s'écria-
t- il , enſedemaſquant , puiſque vous
ne voulez pas pardonner à un Mari perfide,
vengez-vous endonc dans ce premier
mouvement de colere où la vengeance eſt
fi pardonnable. La vertueuſe Femme lui
répondit avec ſa vivacité ordinaire , qu'un
autre premier mouvement avoit déja ſuccedéà
celui de la vengeance , &qu'elle ſe
ſentoit fi indignée contre lui , que s'il paroiſſoit
jamais en ſa preſence , elle lui mettroit
en tête un Mari qui ſçavoit auſſi bien
17
ſe
194 MERC. GALANT.
-ſevangerd'un ſaborneur qu'être infidéle à
fa Femme.
Après cette menace elle laiſſa notre
jeune préfomptueux convaincu , pour la
première fois de ſa vie, que fes charmes
avoient bien peu de force , puis qu'ilsn'avoientpas
pû vaincre une Femme déja affoiblie
par le deſir naturel de punir un
Mari infidéle.
L
Vers fur l'inconstance.
Par feu M. P...
AConstance& la Foinefontque de
vains noms ,
Dont les laides&les barbons
Tâchent d'embarafſfer lajeuneße credule ,
Pour retenir toûjours dans leurs liens affreux
Parlecharme d'unfauxfcrupule ,
Geux qu'un juſte dégoût a chaffé de chez
eux.
Cupidonſous les Loix de lafimpleNature ,
Reduit tout cequ'ilfaitsoupirer ici bas ;
Ilnepunitjamais rebelle ni parjure ;
C'estun empirequinedure
Qu'autant que ses sujetsy trouvent des
аррм.
Dèsqu'un objet ceſſedeplaire,
;
4
Le
FEVRIER 1712. 195
Le commerce amoureux auffi-tôt doit finir ,
n'eftplus Et l'effet des Sermens n'
mere ,
qu'une chi
La perteduplaisirqui nous les afait faire ,
Nous diſpenſe delestenir.
L'Amour de son deftin eſt toûjours feulle
maître ,
Etsans que nous sçachions ni pourquoi ni
comment ,
Comme dans notre coeur à toute beure il
peutnaître,
Ilenpeut malgré nousfortir àtout moment.
Uliffe quiparLaſageſſe ,
Futfivantédedans laGrece ,
Quoi qu'Amoureux &bien traité,
Refufa l'immortalité ,
A
Ala charge d'aimer toûjours une Déeffen
Aimez tant que l' Amour unira vos eſprits ,
Mais ne vous piquez point d'unefollecon
ftance,
Etn'attendezpasque l'absence,
Ouledégoût , oulesmépris
Vousfaffent fairepenitence
Desplaifirsquevous aurezpris .
Quand on sent mourirsa tendreſſe ,
Qu'on baille auprèsd'une Maîtreffe,
Etque le coeurn'estplas content,
Quefervent les efforts qu'onfaitpour lepa
roître,
L'bon196
MERC. GALANT.
L'honneur depafferpour constant ,
Nevautpas lapeine de l'être.
ENVOI
Onvous envoye, Monfieur, cet Extait
deLettretrès curieux , Gsivous jugez à
propos de l'inferer dans le Mercure , on
continuera de vous faire part de pluſieurs
autres Differtations biſtoriques , que le Pu
blicne regarderapas comme indifferentes.
Extrait d'une Lettre écrite de Paris à
M. Modey , Conseiller en la Cour
Souveraine de la Province d'Vtrecht
, par Mr. *** le 28. Décembre
1711 .
Le public eſt redevable à Mr. Herman
Schminke votre compatriote , de la nouvelle
Edition de la Vie de Charlemagne
par Eginhard , avec des Notes qu'il vient
de faire imprimer : & quoique je n'aye
point d'autre connoiffance de cette Edi
tion , que celle que j'aitirée de la lecture
de notre Journal des Sçavans du ſept de
ce mois qui en parle , je ne laiſſe pas de
comprendre que les matieres hiftoriques
Jui font familieres , & qu'il en fait une
Etude particuliere. Je ſuis perfuadé que
j'en
FEVRIER 1712. 197
j'enaurai encore une meilleure opinion
lorſque j'aurai pû voir le Livre entier &
les Notes qu'il y a faites .
Cependant , Monfieur , vous croirez
peut- être auſſi bien que moi qu'une
hiſtoire entierede Charlemagne , & trai
tée par une ſçavante main , auroit encore
été plus agreablement recûë du Public
, que l'Edition d'Eginhard qui n'en
contient qu'un petit abregé .
La vie de ce grand Empereur est trop
racourcie dans Eginhard , & l'est même
tellement qu'elle ne fatisfait pas le lecteur
, pour peu qu'il ſoit inſtruit de notre
Hiſtoire : & ce n'eſt , pour ainſi dire ,
qu'un petit éloge. De plus la verité des
faitsde ceMonarque , ne ſe trouve point
dans tout ce qu'Eginhard en rapporte.
Eginhard ne parle point des premieres
années de la vie de Charlemagne , parce
que , dit- il , il n'y avoit plus perſonne
lorſqu'il écrivoit qui pût l'en inſtruire :
ce qui fait connoître qu'il n'a compoſé
cet Abregé ou plutôt cet Eloge, que quelques
années après le décès de ceMonarque
, d'où il eſt facile de conclure qu'il
l'a compoſé de memoire , & non pas à
meſure que les actions ſe ſont paſſées ;
& à moins que par les Notes que M.
Schminke y a faites , il n'ait rempli tous
les faits qui manquent dans Eginhard , &
corrigé ceux qu'il rapporte contre la vérité,
je ſuisperfuadé que ce ne peut être qu'un
Ou.
198 MERC. GALANT.
Ouvrage où il reſte encore beaucoup de
choſesà defirer .
Ce que M. Schminke dit dans la fecondeDiffertation
, que le nom de Chapelain
étoit pour lors ce que nous appellons aujourd'hui
Secretaire d'Etat , fouffre , ce me
ſemble, quelques difficultez , puiſque l'on
ne voit pas qu'avant M. de Laubeſpine ,
ſous le Regne du Roi Henri I I. il y enait
euaucunqui fe fort qualifié du titredeSe
cretaired'Etat; mais ce qu'ildit que l'Archi-
Chapelain étoit le premier Secretaire
d'Etat de nos Rois , eſt encore bien plus
éloignédela véritéde l'Hiſtoire : car quoi
qu'on voye quel'on a quelquefoisdéfigné
les fimples Secretaires ſous le titredeChapelains;
cequi étoit cependant rare fous
leRégnedeCharlemagne ; on ne voit pas
qu'on ait donné le nom d'Archi-Chapelains
à d'autres perſonnes qu'à ceux que
nous appellons aujourd'huigrands Aumôniers.
Il eſt vrai que ſouvent& mêmed'ordinaire,
cesgrands Aumôniers ou Archi-Chapelains
devenoient enfuite , & étoient en
même tems grands Chanceliers ourApocrifaires;
mais non premiers Secretaires
d'Etat : & je ne ſçai quelle bonne raiſon
M. Schminke pourroit en donner , puis
qu'on trouve pluſieurs preuvesdans l'état
de laMaiſon denos RoisparAdalard , &
dans d'autres anciens Auteurs , &en par-
⚫ticulier dans leGloffaire de du Cange , &
dans
FEVRIER 1712. 199
dans les autres Gloffaires Latins ſous les
mots Archi-Capellanus & Apocryſarius ,
que l'un & l'autre ne fignifioient autre
chofe queGrand Aumónier de nosRoisde
lapremiére &de la ſecondeRace.
Il paroît par le même Journaldes Sçavans,
que M. Schminke défend fortement
la réputation d'Eginhard contre
l'Auteur de l'Esprit de Gerfon , qui s'eſt
efforcé de rendre fufpecte la bonne foide
cet ancien Auteur , fur tout par rapport
aux Rois Merovingiens , accufant Eginhard
d'avoir pris à tâche de rabbaiffer
ceux ci, & de les noter de faineantife
pour donner plus de reliefà la valeur des
Carlovingiens qu'il avoit entrepris de
flater.
Monfieur le Noble, qui eſt l'Auteurde
l'Eſprit deGerſon , ne parle pas comme il
fautde la baſſe flaterie d'Eginhard àcefu
jet; & quand il auroit eu des raiſons folides,
M. Schminke avoit un plus grand
adverſaire à combattre; c'eſt le ſçavant&
célébre Pere le Cointe , qui a clairement
prouvéenpluſieurs endroits de ſes Annales
Ecclefiaftiques des François , l'injuftice
de cette baffe flateried'Eginhard , fondée
furunmenfonge manifeſte. Ceux quine
cherchent uniquement que la véritédans
J'Hiſtoire , auroient vů avec plaifir les
coups que M. Schminke auroit porté au
Pere le Cointe , c'eſt à dire les preuves ,
s'il s'en trouve aucune qui foit affez forte
pour
200 MERC. GALANT.
pour réfuter le ſentiment de ce ſçavant
Auteur de nos Annales Eccleſiaſtiques ,
qui a démonſtrativement prouvé que les
derniers Rois de la premiére Race depuis
Clovis I I. Fils du grand Dagobert, étoient
de grands Princes , & que ce qu'ils n'ont
pû faire dans le cours de leur Régne , ne
doit être attribué qu'à leur bas âge ; c'eſt
ce que l'on voit dans les Annales du Pere
le Cointe ſous l'an 692. depuis le nombre
6.pag. 265.juſqu'au nombre 30.pag. 275.
Tome 4. fous l'an 694. pag. 298. Sous
l'an 711. nombre 3. pag. 501. Sous l'année
715. nombres 19. & 42.pag . 360. &
SSI . Sousl'année 737. nombre 37. pag .
386. Sous l'an 640. nombre 8. Tome
5. pag. 34.& 35. nombre 13 , pag. 325. &
fuivantes. 1
C'eſt dans les endroits citez ci-deſſus!
que ce Sçavant fait voir que ceux des Roist
de lapremiére Race qui ont été d'âge à faire
la Guerre , l'ont fait avec courage &
vigueur , foit contre les Ennemis de l'Etat
, ſoit contre Pepin & ſes Fils , pour ſecoüer
lejoug qu'ils vouloient impoſer , ou
qu'ils avoient déja impoſé à leurs Majef.
tez. Qu'ils ont rendu la juſtice par euxmêmes
avec tantd'équité , que quelquesuns
d'entre eux , comme Childebert ,
ont merité le ſurnom de Juſtes , & qu'enfin
loin qu'ils réſidafſſent toute l'année dans
leur prétendu Palais de Mamacas , comme
le dit fauffement Eginhard , on a des
JugeFEVRIER
1712. 201
A
Jugemens rendus par ces Monarques , &
un grand nombre de Chartres qu'ils ont
données dans divers Palais , ou différens
lieux fituez dans les diverſes Provinces
qui compofoient la Monarchie Françoiſe ,
qui justifient le contraire. Le Pere le
Cointey faitvoir enfin que ces Princes ont
eu de lavaleur&de la prudence , &qu'il
ne leur a manqué , pour devenir desRois
excellens , qu'un plus grand nombred'années
, & un plus long Regne. 2937
Lettre d'Avis sur une nouvelle Ma
chine inventée pour ſcier les Marbres
, avecplus de fimplicité&de
promptitude qu'aucune des Ma
chines qu'on ait encore vûës.
MoONSIEUR ,
१८
くま
,, Le hazard m'a fait ſçavoir ce que
toutes mes recherches n'avoient pû me
,, faire découvrir : j'ai enfin ſçû le ſecret
deM.deCorvolles , de la maniere que
je vais vous conter. Je l'ai mené à
Notre-Dame y voir le nouvel Autel; je
lui ai dit quej'étois ſurpris que l'on fût
,, fi long-tems à travailler le Marbre , &
3 qu'il nnee lui étoit pas permis , ayant eu
les priviléges qu'il a plû au Roi lui ac-
» corder ,
ود
202 MERC. GALANT.
corder , de ne les pas mettre enmouve
ment depuis le tems qu'il les avoit . :
Les reproches que je luiai faits qu'il
»n'eſt jamais content de ce qu'il imagine
& qu'il s'occupe tous les jours à
des découvertes nouvelles , fans les
„ rendre publiques , l'ont piqué d'hon
neur; il m'a répondu en ces termes :
Ce n'eſt point pour refufer au Public la
connoiffance des choſes que j'ai inventées
, que je ne fais point faire d'Ou
» vrages; mais comme il neſuffit pas de
,, trouver des ſecrets , &qu'il faut enco-
„ re pour les rendre utiles au Public ,
وز trouver le moyende les rendred'un facile
usage & de peu de fraix , jen'ai pû
me réfoudre à mettre ma Machine en
» oeuvre , qu'après quelques augmenta-
.,, tions que je n'ai pas pû trouver que de-
ور puis peu.
Il y a une Machine pour ſcier lesMarbres,
& une pour y faire tous les profils
ſans ciſeau ni maillet ; elles ont toutes
deux un même mouvement ; celle à faire
les profils n'eſt autre choſe qu'un calibre
de fer fondu, ſur lequel font marquées
les différentes mouleures qu'on veut imprimer
fur le Marbre : & celle pour ſcier
n'eſt autre choſe qu'un chaſſis quarré
long, aux deux bouts duquel il y a deux
piéces de bois épaiſſes de cinq à fix pouces ,
&hautesdedouze, dans le milieu deſquelles
il y a de petites fentes où on paſſe le
٢٠ bout
FEVRIER 1712. 203
bout des ſcies . Ces ſcies font trouées
dans leurs extrémitez , &dans ce trou on
met une broche de fer , entre laquelle &
le bois on fourre un cornu fendu , par le
moyenduquel on tend la ſcie de telleforse
qu'elle neſe lâchepoint.
Je ne vous explique peut être pascela
affez nettement; mais comme vous entendez
mieux la mécanique que moi , vous
devinerez ce que je veux vous faire entendre.
CHANSON
J
nouvelle.
Ai trouvé cette Chanfon dans mon
Porte-feuille avec leTitre deNouvelle
, parce qu'elle étoit nouvelle quand
je l'eus faiteil ya trois ans ; elle l'eſt encorpourceux
quila verront, car elle n'a
point couru . J'avertis qu'ayant étécompoſée
à Table, elle doit être chantée entre
deux Vins : le Carnaval peut aider à faire
entrer dans le caractére de l'Air , qui eſt
fait pour exprimer une demi-yvreſſe , c'eſt .
à-dire une yvreffe d'honnêtes gens &
pour ainſi dire , une yvreſſe moralifante ,
qui fait tourner la têre ſans fairetourner
P'eſprit. !
I.Cou204
MERC. GALANT.
I. Couplet.
Quand on a bû la tête tourne , tourne
tourne .
Ajeunlatête tourne auſſi:
Atoutmortel la tête tourne , t ... t...
Le Sage nousle dit ainsi.
Etmoijedisquand la tête me tourne ,
Sagementje dis :
Heureux celui dont la tête ne tourne
QuàTable avecſes Amis.
II . Couplet.
Qu'entrenous la bouteille tourne , t... t...
Etnousenyore à coups égaux ,
Qu'alarondeson berufeu tourmnee,, tt......t...
Tourne&retourne nos cerveaux .
Sidesangfroidlemeilleur efprit tourne
Toûjours de travers ,
Ne craignons point que le Vin le retourne ,
Sera-t-ilpis à l'envers ?
:
III . Coupler...
CeCourtisandontl'esprit tourne , tre tire .
Paroîtra fincere aux plus fins ,
Envous careffant il vous tourne , t...hon
Il vous fait aller à ses fins ,
Son coeur , àfroidjamais auvrai ne tourne,
Toûjours du travers ,
ر
۱
Il
Tom.V.Pag.204
tourne, Ajeun la tê- te
urne, tourne, tourne ,
5
0.
Lieuifaimical , ex commandar
pour Sa Majesté au Gouvernement
l'Ifle de France, Envoyé Extraordinair
Tome V. K près
faitaller àses fins ;
ur , àfroidjamais au vrai ne tourne,
jours du travers,
Il
FEVRIER 1712. 205
Il trompe encor quand le Vinle retourne ,
C'est un coeur à deux envers .
IV. Couplet.
Près de Philis la tête tourne , t ... t...
Quejesuis las de sa rigueur ,
GrandDieu du Vin , quiles coeurs tourne,
t... t...
Enyures-la de ta liqueur.
Qu'elle en prend bien ? Déja ſon bel wil
tourne
Quafi vers le mien ,
Four peu que la bouteille elle retourne
Elle va tourner à bien.
MORTS.
Dame Catherine l'Avocat , Veuve de
Meffire Simon Arnauld , Chevalier , Marquisde
Pomponne , Sire &Baronde Ferrieres
, Chambrois , & Auquinville , Miniftre
& Secretaire d'Etat , & des com .
mandemens deSa Majesté , & Sur- Intendant
des Poſtes & Relais de France , mourut
le 31. Décembre , en ſa 75. année.
Les Enfans qu'elle laiſſe ſont :
Nicolas-Simon Arnauld , Marquis de
Pomponne , Brigadier des Arméesdu Roi,
Lieutenant Général , & Commandant
pour Sa Majeſté au Gouvernement de
l'Ifle de France, Envoyé Extraordinaire
Tome V. K près
206 MERC. GALANT.
près de Monfieur l'Electeur de Bavière au
mois de Mars 1699 .
Henri -Charles Arnauld de Pomponne ,
Abbé de S. Médard de Soiffons , & Conſeiller
d'Etat d'Eglife .
EtCatherine Felicité , qui épouſa le 13.
Août 1699. Meſſire Jean- Baptiste Colbert,
Marquis de Torci , Miniſtre & Sécretaire
d'Etat , & Chancelier des Ordres duRoi.
Dame Marie de Falconis , Veuve de
Meffire Loüis Comte d'Amanzé , Lieutenant
Général au Gouvernement de Bourgogne
, & Gouverneur de Bourbon-Lanci
, mourut auffi le 31. Décembre. Elle
laifle Marie-Joſeph , qui épouſa le 20.
Mars 1706. Anne de la Queille , Marquis
deChâteauguay , qui a eu en faveur de ce
mariage la même Lieutenance Générale ,
& le même Gouvernement .
LoüisComted'Amanzé , Pere de Marie-
Joſeph , étoit Fils de GaspardComte
d'Amanzé. Gaſpard étoit Fils de Jean
Vicomte d'Amanzé , & d'Iſabeau d'Efcars.
Iſabeaud'Eſcars étoit Fille de Jean
d'Eſcars , Prince de Carency , Comte de
Vauguyon , Chevalier de l'Ordre du St.
Eſprit, & d'Anne de Clermont-Tonnerre.
Jeand'Eſcars , étoit Fils de François
d'Eſcars , Seigneur de Vauguyon , &d'Ifabelle
de Bourbon , Dame de Carency.
Ifabelle de Bourbon , étoit Fille de Char.
les de Bourbon , Seigneur de Carency ,
& de Catherine d'Alegre. Charles de
Bour-
1
1
FEVRIER 1712. 207
۱۰
Bourbon , étoit Fils de Jacques de Bourbon
, Seigneur de Carency , & d'Antoinette
de la Tour Oliergues . Jacques de
Bourbon , étoit Fils de Jean de Bourbon ,
Seigneur de Carency , & de Jeanne de
Vendômois , & ceJean de Bourbon étoit
FilsdeJeande Bourbon I. du nom , ComtedelaMarche
, & de Catherine , Comteſſe
de Vendôme.
Meffire François Petit d'Eſtigny,Prieur
deSaintJeanle Centenier , mourut le 3 .
Janvier.
MeffireJacques Jannard, Seigneur de
Thoiry , quiavoit été reçû Conſeiller au
Grand Confeil en 1675. , mourut le 16.
Janvier, fans laiſſer de poſtérité deN...
deGaumont , Maître des Requêtes.
• Nicolas Clement , Garde de la Bibliotheque
du Roi , mourut auffi le 16. Janvier.
Il eſt fort regretté de tous les Sçavans.
MARIAGES.
Meffire Charles Auguſte de Benoiſe ,
Confeiller au Parlement , Filsde Charles
de Benoiſe , Conſeiller d'honneur en la
même Cour , & de Marguerite Pichon ,
épouſa le 27.Décembre N... Berthelot ,
Fille d'Etienne Berthelot , Seigneur de
Pleneuf, &de Marie- Henriette-Françoiſe
Galland , ſa premiére Femme.
K2 Mef208
MERC. GALANT.
Meffire François- Henri Edoüard Colbert
, Comtede Croiffy , Lieutenant Général
des Armées du Roi , épouſa le 30.
Décembre Marie Brunet de Rancy , Fille
de Paul -Etienne Brunet de Rancy , Seigneur
d'Evry les Châteaux , Maître des
Requêtes , & Intendant d'Alençon , &
deGeneviève Colbert. Le nouvel Epoux
eſt Fils de feu M. Colbert , Miniſtre &
Sécretaired'Etat , &Frere de M. le MarquisdeTorcy
, auſſi Miniſtre &Secretaired'Etat
, ainſi il ſe trouve Parent de Marie
Brunet de Rancy , à cauſe de ſa Mere .
Son Pere eſt Frere de feu Meſſire Jean-
Baptifte Brunet , Conſeiller d'Etat , Gardedu
Trefor.Royal ; de François Brunet
deMont-ferant , Prefident en laChambre
des Comptes de Paris , & chefdu Confeil
de feuë S. A. R. MONSIEUR ; de
JeanGerard Brunet , Marquis de Serri .
gny, Preſident au Parlement; de feu Gilles
Brunet , Abbé de Villeloin &deMureau
, Confeillerde la Grand' Chambre ,
&de Joſeph Brunet , Abbé de St. Creſpin
de Soiffons , Docteur de Sorbonne , fi
fameux par ſa grande piété , & fa charité
envers les pauvres .
PIECES FUGITIVES.
J'ignore l'Auteur & la date de cette
Piece , mais elle m'a paru jolie , &je ne
penſe
{
FEVRIER 1712. 209.
!
peuſe pas qu'elle ſoit imprimée: il n'en
faut pas davantage pour me perfuader
qu'elle fera plaifir au Public.
LETTRE
Aune Damoiselle Suedoiſe , ſurſon
Portrait.
J
1
Eneſçai , Mademoiselle , ſi en me don.
nant l'honneur de vous écrire j'écris à
quelqu'un. Sur votre nom qui eſt fort
Illuſtre il fautque je vous croyeSuédoiſe ,
fur les grands yeux noirs que j'ai vûs dans
vôtre Portrait , & qui doivent être pleins
de feu dans l'Original , je vous crois Efpagnole
; fur de fort jolis vers François
qu'onmamontrez de vous , je vous crois
Françoiſe ; fur d'autres vers Italiens , je
vous crois Italienne ; ſur tout cela enſeme
ble vous n'êtes d'aucun Païs.
Pourrendre le miracle encor plusachevé ,
Dix-sept ans àpeu près , c'est l'âge qu'on
vous donne.
Dix- sept ans jusqu'ici n'avoientgâté per-
Sonne,
Pourvous ils vousfont tort , l'esprit fi cultivé
Etdix-septansfontqueje voussoupçonne
Den'être; Dieu me le pardonne ,
Que quelque objet en l'Air qu'un Poête a
rêvé.
K3
Ce210
MERC. GALANT .
Cependant il eſt certain que M. L... de
S... prend l'affaire fort ſerieuſement , & fi
l'on a à écrire des prodiges , ce doit être
fur fon autorité plus que fur celle des auzres.
Ilſoutient que vous êtes à Stokolm ,
quemillegens vous y ont vûë , & vous y
ont parlé ; il dit même que votre Porzrait,
qui repréſente le plus charmant vifagedu
monde , ne repréſente pas le vôtre
dans toute ſabeauté , & que les Peintres
de Suede ne flattent pas . Mais pourquoinous
, quiſommesdans le Païsde la
beauté , de l'eſprit , & des agrémens ,
n'aurions nousjamais vû rien de pareil à
uneperſonne fi accomplie ? Voilà ce que
lavanité Françoiſe nous faitdire auſſi-tot;
à cela jene ſçai qu'une réponſe , quiparoît
nous aider à croire tout ce que l'on dit
de yous.
L'Amour ailleurs firedoutable
Netrouvepasfansdoute un climatfavorable
Sous le Ciel de Suede , & fi près des Lappons;
Les coeursyfontglacez , &pourfoudre ces
glaces
N'a- t -il pas dû produire un Chef d'oeuvre
oùlesGraces
Euffent répandu tous leurs Dons ?
Sinos Climatsn'ont rienqui nevous cede ,
Soiten esprit , foit en attraits,
C'est qu' Amoury foumet les coeurs à moin.
drefrais Qu'il
FEVRIER 1712. 211
Qu'il nepourroitfaire en Suede.
Voilà , Mademoiselle , tout ce que je
puis m'imaginer pour me perfuader que
vous ſoyezune choſe vrai-ſemblable , tirez-
moi d'embarras , je vous en conjure ,
&ayez labontéde me faire ſçavoir ſi vous
êtes; que votre modeſtie ne vous empêche
pas de me l'avouër naturellement , je
vous promets de n'en parler à perſonne :
jemepiqued'êtrebon François , &je ne
voudroispasqu'on ſçût que j'euſſe intelligence
avecune étrangere, qui triompheroit
de toutes les Françoiles , &qui effaceroit
l'honneur de la Nation . Ce ſeroit
làunaffezgrandcrime contre maPatrie ,
cependant je m'accoûtume peu à peu à en
faireunplus grand , tous mes foupirs à
l'heure qu'il eſt ſortent de France , &
vontdu côté du Nord :
Lieux défolez , oùl'Hivertientſonfiéze
Surdevastes amas deNeige ,
Où les Aquillons violens ,
Oùlesfrimats , &les Oursblancs
Composentuntrifte cortège ,
Merglaciale , affreux climats,
C'eſtaprès vousquejesoupire .
Leslieux oùrégne unéternelZephire ,
i
LeséjourdeVenus, Cypre ne vousvautpds.
Vous voyez , Mademoiselle , que mon
cóoeur a déja bien fait du chenin , quơi
K 4
1
:
que
212 MERC. GALANT.
que je
monde:
doute encore que vous ſoyiez au
Mais c'eſt des tendres, coeurs l'ordinaire
deffaut,
Ilssehatent toujours un peu plus qu'il ne
faut
Deſuivre une agréable idée ,
Avecardeurils courent laſaiſir ,
Etdes charmes trompeurs leur êtent le loiſir
De s'affurerqu'ellesoit bienfondée.
Cette idée ſeule , que j'ai de vous , a
fait fur moi l'effet que pourroient faire
les belles même de ce Pais. Vous pouvez
conquerir la Suede par vous- même , &
le reſte du monde par les deux Portraits
que nous avons , car je compte pour un
Portrait les Vers où votre eſprit s'eſt ſi
bienpeint. Je me flatte que mes hommages
, qui ne feroient affeurément pas dignes
de vous à Stokolm , deviendront de
quelque prix entraverſant cinq cens lieuës
de Pais pour aller juſqu'à vous , & que
s'il eſt triſte de vous adorer de filoin , ce
me ſera du moins une eſpece de merite auprès
de vous ; je n'en ai point d'autre à
vous faire valoir , & je ne crois pas même
que vous puiſſiez jamais ſçavoir qui je
fuis ,
n'est que quepeut- être uncoupdelafortune Si cen'
Aitportéjusquefurnos bords
:
Le
FEVRIER 1712. 213
Lenom de l'Enchanteur , quifait parler
lesmorts,
Etqui voyagedansla Lune..
Nomination du Roi.
:
Meſſire Louis le Peletier , premierPrefident
du Parlement , s'eſt démis volon.
tairementde cette Charge entre les mains
duRoi.
Il eſt Fils de Claude le Peletier , Com.
ſeillerd'Etat Ordinaire , Preſident hono.
raire du Parlement , Miniſtre d'Etat ,
Contrôlleur Général des Finances , cidevant
Prévôtdes Marchands de Paris ,&
Sur- Intendant des Poſtes & Relais de
France , mortle 10. Aoûtde l'année derniére.
Sa Majesté a choiſi , pour remplir cette
importante Charge, Meffire Jean Antoi
ne de Meſmes , Comte d'Avaux , & de
Neufchâtel , Seigneur d'Irval &de Cramoyelle
, ci-devant Prévôt &GrandMaître
des Cérémonies des Ordres du Roi.
Cet Illuſtre Magiſtrat a été Conſeiller au
Parlement en 1687. , Préſident à Mortier
en 1689. , Prévôt & Maître des Cérémonies
des ordres du Roi en 1703., delaquelle
charge il s'est démis en 1709.en
faveurdeM. le Comtede Pontchartrain.
Il eſt Fils de M. Jean Jacques deMefmes
Préſident à Mortier , & de Dame
Ks Mar214
MERC. GALANT.
guerite Bertrand de la Bafiniere , &Petit-
Fils de M. Jean Antoine de Meſmes , Seigneur
d'Yrval , Baron de Breüil , Vicomte
de Vandeüil , Conſeiller d'Etat
ordinaire , & de Dame Anne Courtin ,
& arriére Petit-Fils de Jean - Jacques de
Meſmes , Maître des Requêtes , & Confeiller
d'Etat , &de Dame Antoinette de
Groffaine , Fille unique & Héritière de
Hierôme de Groffaine , Ecuyer , Seigneur
d'Yrval & d'Avaux , Baron de Breüil , &
Vicomte de Vandeüil , lequel Jean-Jacques
de Meſmes fut envoyé enpluſieurs
Négociations importantes ; il eſt mort
fortágé en 1642 .
M. lepremier Préfident avoit pour On.
cle Meffire Jean-Jacques de Meſmes ,
Comted'Avaux , Conſeiller d'Etat ordinaire
, Prévôt & Maître des Cérémonies
de l'Ordre du St. Eſprit , lequel s'eſt difzingué
en quantité de Négociations importantes
, ayant été deux fois Plénipotentiairepour
la Paix. La première , au
TraitédeNimégueen 1675. La ſeconde ,
au Traité de Rifwick en 1697 .
Cette Famille a produit beaucoup de
Grands hommes , entre lesquels ſe font
diftinguez Henri de Meſimes , & Claude
deMeſmes, tous deux Grands Oncles de
M. lepremier Préſident. Henri deMef.
mes, Ecuyer, Seigneurde Roifly , Marquis
deMoigneville , & d'Everly , qui
fut Préfident àMortier en 1627. , après
avoir
FEVRIER 1712 . 215
avoir occupé long-tems les premiéres
Charges , & fervi l'Etat en pluſieurs occafions
importantes,
Il fut Député aux Etats Généraux tenus
à Paris en 1617. , & à l'Aſſemblée des
Notables à Rouen : Il fut mariédeuxfois,
la premiére , avec Jeanne de Mont- Luc ,
Fille du Maréchal Balagny , de laquelle
il n'eut point d'Enfans : Laſeconde, avec
Marie Foffez , Fille du Marquis d'Everly ,
Chevalier des Ordres duRoi , de laquelle
il eut pluſieursEnfans , &il n'eneſt reſté
queDame Antoinette de Meſmes , Epouſede
Loüis de Roche-choüart , Duc de
Vivonne , Maréchal de France .
Claudede Meſmes Chevalier , Comte
d'Avaux , Maître des Requêtes & Confeillerd'Etat
fut Ambaſſadeur en pluſieurs
Cours de l'Europe : Sçavoir , à Veniſe ,
à Rome , à Mantoue, à Florence , en
Savoye , deux fois en Allemagne , en
Dannemarck , en Pologne & Suéde: la
derniére fois qu'il fut en Allemagne , il
traita des Préliminaires de la Paix générale
, & fut un des Plénipotentiaires au
Traité deMunſter ; il fut auffi Secretaire
desOrdres du Roi, & Sur-Intendantdes
Finances avec M. le Préſident de Bailleul ,
&ilmourut fans alliance.
1
Cette Famille de Meſmes eſt originaire
de Bearn , fortie de Pierre Chevalier ,
Seigneur de Meſmes , qui eſt nommé entre
les premiers & plus apparens du Bail-
K 6 liage
216 MERC. GALANT.
liage de Roquefort en la Vicomté deMarfan;
ce Pierre de Meſmes vivoit en 1279 .
& avoit pour Frere Guillaume de Meſmes
pour Aumônier du Roi S. Loüis ; il eut
pour Fils Roger de Meſmes , dit Coudun ,
Chevalier , Seigneur de Meſmes , Pere
d'Arnauld premier du Nom , Seigneur de
Caixchen en l'Evêché d'Aire , duquel eſt
deſcendu M. le Premier Préſident après
neuf degrez de Générations.
CetteFamille a donné un Premier Préfident
à Rouen , qui fut auſſi deux fois
Ambaſſfadeur en Allemagne , un Chancelier
de Navarre ; des Préſidens au grand
Conſeil , à la Chambre des Comptes , un
Prévőt des Marchands à Paris , trois Préfidens
à Mortier , pluſieurs Conſeillers au
Parlement , Maîtres des Requêtes & Confeillersd'Etat
, & quatre Officiers de l'OrdreduS.
Eſprit.
Cette Famille a toûjours protegé les
belles Lettres . Voiture écrit à Monfieur
d'Avaux , à propos de ſa Maiſon , qui eſt
à préſent l'Hôtel de Bauviliers .
Je me réjoüis avec vous aunom des Penates
de Jean Jacques de Mesmes&de
tantdegrandsHommes vosAyeuls,aunom
de ces Penatesquiont étéles Dieux tutelaires
de Pafferat , & de tous les sçavansde
ce Siècle là& de celui- ci , de ce que vous
avez renouvelle & embelli leur ancienne
demeure , &c .
Non feulement Meſſieurs de Meſmes&
d'Avaux
FEVRIER 1712 . 217
d'Avaux ont protegé les belles Lettres ,
mais il les ont cultivées eux-mêmes. Il
n'estpashonnête , dit encore Voiture , à un
Personnage, aussi grand que vous l'ètes ,
d'être plus éloquentque nous.
Je pourrois repeter ici pour M. le Pre
mier Préſident , tous les éloges que Voi
ture donne à ſes Prédéceſſeurs , puiſqu'il
raffemble en lui toutes leurs grandes qualitez
. Mais j'ai bannidu Mercure lesPanegyriques.
J'ajouterai ſeulement quelques quadrins
au premier de ceux que Voiture envoyaà
M. d'Avaux , à la mode de Neuf-Germain .
Les lettres du Nomfiniſſant les Vers :
L'autre jourJupiter mand-a ,
Par Mercure parses Pré voſts ,
Tous les Dieux , & leur command- a
Qu'onfitbonneur augrand d'Avaux.
Themis , qui cet ordre approuv-a,
Aſes côtez inter Di vos,
Pour le Siécle ſuivant plaç-a
Un Premier Préſident d'Avaux.
Qüi , dit Themis , ces d'Avaux l-a..
De tout tems me furent de-vots,
Pour l'an où la Paix ſe fer-a
Je garde à Paris un d'Avaux.
En merite il égaler-a
Suos Avos & Pro-avos,.
?
1
:
K7 Peuple,
218 MERC. GALANT.
Peuple , Senat , tout aimer-
Ce Succeffeur du grand d'Avaux.
On fait quelquefois de grandes fautes
dans leMercure , par ledefir debien faire ;
veut-on donner des Nouvelles trop fraîches,
on eft en danger d'en donner de
douteuſes , c'eſt ce qu'on a fait le mois
paffé , pour ne s'être pas donné le tems de
vérifier un Mémoire , qui portoit queM.
Aniffon , Député de la Ville de Lion au
Conſeil du Commerce, avoit été fait Prévôtdes
Marchands de ladite Ville , & cela
nes'eſt pas trouvé vrai. C'eſt M. Ravat ,
qui , ayant été nommé pour les années
1708. & 1709 & continué pour 1710. &
1711. a été continué une ſecondefois pour
1712. & 1713 .
:
:
1
De Lion.
Le Prévôt des Marchands de Lionpréfide
à la Jurisdictionde la Conſignationde
Lion, la plus célébre de l'Europe pour les
affaires du Commerce , dont les Jugemens
font exécutez dans toute l'étenduë du
Royaume , & même dans les Païs étran
gers , & il commande dans la Ville en
l'absence du Gouverneur.
M. Ravat s'eſt conduitdanscetteplace
avec tant de prudence & de ſageſſe , pendant
les quatre années derniéres , qu'ila
mérité d'être continué une ſeconde fois ,
par
FEVRIER 1712.1 219
par une diſtinction qui n'a point eu
d'exemple depuis 117. ans quela Prévôté
des Marchands a été établie dans Lion .
Quoi qu'onn'ait point dú prévoir cette
continuation , M. le Maréchal de Villeroi
abien connu qu'il rempliroit , en la faiſant
, les voeux de tous les Ordres de la
Ville de Lion , qui regarde comme une
justice de faire jouir M. Ravat de la tranquillité
que nous eſpérons par la Paix ,
puis qu'il a eſſuyé pendant quatre années
toutes fortes de traverſes , l'aproche des
Ennemis , la famine , & le dérangement
du Commerce , ayant remedié à tous ces
maux à la fatisfaction de tout le monde ,
& rétabli la fûreté , l'abondance , & la
confiance dans les affaires .
I
LIVRE NOUVEAU.
L paroît depuis peu dans Paris unLivre
imprimé à Amſterdam , qui apour
titre , Nouveaux Dialogues des Dieux ,
ouRéflexionsfurles Paſſions ; avecun Difcoursfur
la nature du Dialogue.
Le Dialogue , dit l'Auteur , eſt legenred'écrire
le plus ancien. Il eſt àcroire
que lespremiers que la vanité , ou l'oifiveté
engagerent à travailler , choifirent
cettemanière. Leshommes ayant trouvé
le
220 MERC. GALANT.
lemoyende rendre leurs idées par l'uſage
des mots , liérent des converſations , &
jenedoute point qu'avec le penchant qu'ils
ont à l'imitation, ils n'ayent donné à
leurs Ecrits la forme de Converſation ou
de Dialogue , qui devoit vrai ſemblablement
ſe préſenter à eux , &c .
Après cette réfléxion ſenſée , qui fait
ſentir qu'en effet la premiére maniere de
s'exprimer par écrit , a dû être une imitation
naïve de la maniere naturelle dontles
hommes s'expriment entr'eux de vive
voix , il donne à Platon l'honneur d'avoir
renouvellé de ſon tems l'uſage du Dialogue.
Enſuite il fait l'éloge de Platon , ilnous
peint avec force ſes grandes qualitez , &
justifie avec adreſſe des défauts qu'il n'eſt
plus permisdeblâmer dans un homme qui
s'eſt acquis le ſurnom de Divm. -
Il convient par exemple, que Platon
est très diffus, ilditpour l'excuſer que
Les Anciens neſepiquoientpoint d'allerà
la véritépar le chemin leplus court : ilsfe
ménageaient leplaisir de la chercherlongtems.
Si l'Auteur dit que Platon eſt obfcur ,
queſes idées nefont point nettes , il ajoûte
que touteslesfois qu'il parle de l'Amour
fonftile enfait l'éloge , &son imagination
échauffee parson coeur en devient unefois
plus brillante : quand ilparle de laBeauté,
vons le croyezplein des tranſports qu'elle
cause 2
FEVRIER 1712. 221-
f
cauſe, cenefontque grands mots qui , par
ce qu'ils ont de confus, peignent parfaitement
ledefordre de l' Amour.
C'eſt ainſi que l'Auteur , en jugeant
fainement & fans prévention , des défauts
de Platon , évite de heurter de front la
prévention de ceux qui croiroient blafphêiner
, en convenant que Platonman
que quelquefois de juſteſſe .... &qu'ily a
du chimerique dans son élevation d'efprit....
L'Auteur donne enſuite à Platon la
plusgrande loüange qu'on puiſſe donner à
unPhilofophe.
Il est certain , dit- il , que de tous les
Payens, Platona eu la Moralelapluspure,
la plus conforme aux intérêts delaSocieté.
L'Auteur établit enſuite une maxime
très véritable , & à laquelle peudegens
font attention .
L'esprit, qui s'exercesur un genreparticulier,
a besoin poury exceller , detoutes
les qualitez néceſſaires pour reüffir dans
tousles genresengénéral.
Je croirois qu'il en eſt de même des
beauxArts; qu'un Peintre , par exemple,
ne peut être excellent Peintre , qu'il n'ait
un Genie propre à la Poëfie , & à la Muſique.
Lully n'étoit ſi grand Muficien ,
que parce qu'il eût pû être grand Poëte ,
&grand Peintre , s'il eût cultivé la Poefie
&la Peinture ; Racine eût été bonPeintre,
)
222 MERC. GALANT .
tre , M. le Brun eût été bon Poëte , &
ainſi des autres , qui ont excellé , & qui
excellent encor à préſent dans ces trois
genres; c'eſt ce que je tâcherai de prouverdansuneDiffertation
que j'eſpére donner
quelque jour au Public.
L'Auteur parle enſuite de Ciceron &
de Lucien qu'il joint à Platon , & les
donne tous trois pour les plus parfaits
modéles du Dialogue.
Avant que de parlerdu Dialogue ilhazarde
quelques conjectures ſur ce qui fait
labeauté d'unOuvrage.
F'entreprens , continuë-t il , de montrerquepourplaire
, ilne s'agitque de flater
l'efprit bumain , & accommoderSapareffe.
L'Auteur fait pluſieurs réfléxions très
délicates fur la maniére de s'accommoder
àces deux foibles , en donnant dans les
Ouvrages d'eſprit affez à pénétrer , à deviner
, & non pas trop: parce que , ditil,
on veut bien chercher , pourvuqu'onne
cherche pas long-tems, &qu'onsoitfür de
trouver.
Après cette petite Differtation il vient
au Dialogue , & femble vouloir prouver
que c'eſt le genre d'écrire le plus difficile :
tous ceux qui y réüffiffent en conviendront;
ceux qui travaillent dans un autregenre
s'y oppoſeront , & ils pourroient
bien avoir tort.
Le Style Oratoire & le Style Poétique
Sont
FEVRIER 1712 .
223
{
1
font plus commodes : il ne s'agit pour y
réüſſir que de donner àson imagination le
dégré de chaleur quifait enfanter les idées
vives , &qui produit les imagesfortes.
Dans le Dialogue vous être forcé d'être
naïf; réduitaunaturel , vous nesçauriez
donner àvos idées que le feu qu'elles ont ,
Selles ne doivent point en emprunter de
celuiqui lesexpose.
Quand vousfaites un Poëme ou une Ode',
vous vous donnez pour inspiré , &vous
avez une Muſe ou un Dieu , ſur lecompte
duquel vous pouvez mettre tous les écarts
quevousfaites.
Après pluſieurs autres réfléxions ſur le
Dialogue , l'Auteur paroît conclure &
avec raiſon , qu'entre les Dialogues le
plusdifficile eſt celui du Théâtre : mais
le tems de l'impreſſion me preſſe , remettonsau
moisprochain à parler du reſte du
Livre , qui merite plus de tems & plus
d'attention que je n'ai pû en donner à la
premiére partie , qui ne m'eſt tombé
danslesmainsquedans le momentqu'il a
falu finir leMercure de ce mois.
1.
COM.
224 MERC. GALANT .
COMPLIMENT
Dela Sorbonneà Monfieur lepremier
President.
MONSEIGNEUR,
Agréez , s'il vous plaît , que la Maiſon
de Sorbonne vous témoigne lajoye parti .
culièrequ'elle reffentdans la joye publi
que; de ceque le Roi vous a choiſi pour
remplir la premiére place du premier Parlementde
fon Royaume.
C'eſt un effet du ſagedifcernementde
S. M. d'avoir élevé à ce rang une per.
fonne de votre merite; en qui ſe trouvent
ſi bien réünies les qualitez qui conviennent,
ſelon l'Ecriture , à un Magiſtrat
queDieu érablit pourjuger le Peuple , la
droiture d'eſprit & ducoeur , l'intelligence
& l'Amour des Loix ; & une fermeré à
l'épreuve , pour maintenir la justice &
vaincre tout ce qui lui fait obſtacle.
Je ne parlerai point des autres vertus ,
MONSEIGNEUR , qui éclattent en vous ;
de ces maniéres nobles , généreuſes , obligeantes
, mêlées de douceur & degravité,
qui
FEVRIER 1712. 225
1
-qui vous rendent agréable & reſpectable
aux Grands & aux petits , & qui vous attirent
la bienveillance , la faveur , & l'amitié
des Princes mêmes .
Je dirai ſeulement , qu'en ce choix le
Roi a conſideré vos Services , & ceux que
vos Illuſtres Ancêtres ont rendus à l'Etat
dans les Charges les plus importantes de
l'Epée & de la Robe ; dans l'Armée &
dans les Ambaſſades , dans la Guerre &
dans la Paix.
Onn'oubliera jamais, dans le nombre
de ces Grands hommes , le Comte d'Avaux
, Plénipotentiaire à Munſter pour la
Paix , dont la capacité , la prudence , la
Religion , & l'affection pour les Lettres&
pour les Sçavans ( qui a toûjours été propre
à la maiſon de Meſmes ) ont immortaliſé
la mémoire. Mais permettez -moi ,
MONSEIGNEUR , de faire encore ici mention
de Guillaume de Meſmes ; qui du
tems de S. Loüis poſſeda par le choix honorable
de ce Prince , la premiére dignité
Eccléſiaſtique de la Maiſon Royale , pendantque
cemême Prince honoroit auſſi de
fa confiance & de ſes bienfaits Robert de
Sorbonnenotre Fondateur .
Nous ofons eſperer , MONSEIGNEUR ,
que la maiſon de Sorbonne , qui doit ſa
naiffance à S. Loüis , & qui revére depuis
fi long-tems les perſonnes de votre nom ,
trouvera de la protection auprès de vous ;
& elle tâchera de la meriter , par l'attache
226 MERC. GALANT.
chementpleinde refpect qu'elle aura toûjours
pour votre perfonne , & par les
voeux qu'elle fera à Dieu pour vous,MONSEIGNEUR
, & pour votre conſervation.,
:
Onareçûces trois Articles trop tardpour
lesplacer dansl'ordre le plus convenable.
REPONSE A LA QUESTION .
Qu'est- ceque lecoeur ade commun
avec l'esprit.
Quoiqu'ils foient fouvent en
querelle ,
Ma Femme contre moi les ſçait bien
accorder:
Cequ'ils ontde communen elle ,
C'eſt qu'ils me font bien enrager.
RECEPTION.
:
Monfieur Amelot de Gournay , Maitre
des Requêtes , a été reçû Prefident à
Mortier , au Parlement le 18. Janvier ,
à la place de feu Monfieur le PréſidentMoléde
Champlaſtreux.
MORT.
Madame Ravot , Veuve de Monfieur
RaFEVRIER
1712. 227
Ravot , Conſeiller d'Etat , Tante de M.
Ravot d'Ombrevalle , Avocat Général
de la Cour des Aides de Paris , eſt décédée
le 14. Janvier 1712. à fix heures du
matin , âgée de quatre- vingt onze ans .
BENEFICES.
LeRoia nommé à l'Evêché de Châlons
furSaone , Meffire François Madot , Ενέ
quedeBellay.
L'EgliſeEpifcopale de Châlonsn'a que
aſeuleAntiquité de remarquable , & rien
Idebeau , que ſes deux Clochers au deſſus
du Portail, ſes Cloîtres , & quelques
Tombeaux des anciens Comtes de Châlons.
Cette Egliſe autrefois de Saint
Etienne , & aujourd'hui de Saint Vincent
, a ſon Chapitre compoſé de vingtcinq
Chanoines , parmi lesquels il y a
ſeptdignitez , leDoyen, le Chantre , le
Tréſorier , & quatre Archidiacres. Le
Dioceſe renferme deux cens quatre Paroiffes
, partagées en cinq Archi-Prêtrez ;
quiſont ceuxde Montigny , Migny , Brefſe,
Tornus , Ouches , avec fix Abbayes .
L'Evêché eſt ſuffragant de Lion : Saint
Marcel , qui vint Prêcher la Foi à Châlons
, l'an 179. accompagné de Saint Valerin
ou Valerien , ſous l'Empereur Antonius
Verus , & qui y ſouffrit le Martire
par la Sentence de Prifcus , Chef de la
Jul
228 MERC. GALANT.
Juſticepour lesRomains , en eſt reconnu
l'Apôtre. S. Silvestre fut fait Evêque de
Chálons , après le Bien heureux Jean ,
vers l'an 490., & il mourut l'an 532.ou
533. S. Agricole , dit Saint Aregle ,
Evêque du lieu , mourut l'an 580. , il
avoirſuccedé à S. Silvestre. Saint Grap ,
fut Evêque de Chalons en 640. , après
Gelionſucceſſeur de S. Loup .
Il y a eû un Concile à Châlons ſur Saone
, la dix-huitième année de Gontran ,
c'est-à- dire , en 579. où Salonius , Evêque
d'Ambrun , & Sagittaire , Evêque
de Gap , furent dépoſez . On en peut
voir les particularitez dans l'Hiſtoire Eccléſiaſtique
de Monfieur Fleury , Tome 7 .
page 608 .
SaMajesté a donné l'Abbaye de Maizieres
, Ordre de Ciſteaux , Dioceſe de Châlons
, à M. l'Abbé d'Egvilly. Elle vacquoit
par la mort de Meffire Henri Felix
de Tally , dernier Evêquede Châlons .
Celle de la Pieté , Ordre de Cifteaux ,
Dioceſe de Troyes , à Don Fitz Herbert .
Celle de Pralons , à Madame de Buffy
Rabutin. Cette Abbaye de Filles eſt de
l'Ordre de Saint Benoît , & dans le Diocelede
Langres .
Celle de Notre Dame des Anges , auffi
deFilles , à Madame Carbonel de Canifi.
Elle est de l'Ordre de Saint Benoît , &du
Diocese de Coutances.
Celle d'Aumale , dire auſſi Saint Martin
FEVRIER 1712 . 229
tin d'Acy , Ordre de Saint Benoît , Dioceſe
de Coutances , à M. l'Abbé Colbert ,
Chanoine & Grand Vicaire de Tournay.
Le Ville d'Aumale eſt dans le Païs de
Caux , en Normandie . Elle eſt ſituée
ſur le penchant d'une colline , bornée
d'une Prairie , qui arroſe la Brefle , &
éloignée de quatorze lieuës de Rouen ,
decinq de Neuchâtel & de Blangy , & de
huit d'Amiens. Il y a une Paroiffe qui
porte le Titre de Saint Pierre , & une autre
ſous celuide Sainte Marguerite hors la
Ville , près de l'Abbaye de Saint Martin ,
de l'Ordre de Saint Benoît . Les Bâtimens
de cette Abbaye , qui n'étoit autrefois
qu'un Prieuré conventuel , dépendant de
Saint Lucien de Beauvais , étant tombez
en ruine , & n'y ayant plus qu'un Religieux
, M. l'Abbé de l'Epinne , Conſeil .
ler , Clerc au Parlement de Rouen , ancien
Chanoine de la Cathédrale , homme
d'eſprit& de merite , & qui mourut au
moisde Décembre 1711. , y introduifit la
réforme des Bénédictins dela Congregation
de Saint Maur , au commencement
de l'année 1704. Aumale où l'on trouve
encore un Convent de Penitens & unde
Dominicaines , a Baillage , Vicomté
Maîtriſe des Eaux & Forêts , Lieutenant
de Police , Maire , quatre Echevins , &
autres Officiers de Ville . Son Commerce
principal conſiſte en Serges , appellées
Serges d'Aumale , & qui font fort recher-
Tome V. chées. L
,
230 MERC. GALANT.
chées Cette Ville étoit anciennement
affez bien fortifiée; mais on n'entretient
plus ni les murailles ni les Foffez . Elle a
eu des Comtes particuliers . Eudes II .
Fils d'Henri , dit Etienne , Comte de
Troyes &de Meaux , épouſa une Soeur
uterine de Guillaume le Bátard , Duc de
Normandie , & Roi d'Angleterre , qui
le fit Comte d'Aumale. Ce Comté entra
depuis dans la maiſon de Ponthieu , &
enfuitedans celle de Lorraine , par le mariage
de Marie d'Harcourt , Fille de Jean
VIII . Comte d'Aumale , avec Antoine
de Lorraine. L'un de ces Comtes ayant
fondé l'Abbaye d'Aumale , la Comteffe
Aisou Adelis , y fit venir des Religieux de
Saint Lucien de Beauvais , & le Comte
Etienne fon Fils confirma l'an 1115. tout
cequi avoitété fait touchant lafondation
de cette Abbaye. La Ville d'Aumale fut
érigée en Duché l'an 1547. par le Roi
Henri II. en faveur de François de Lorraine
, Fils ainéde Claudede Lorraine ,Duc
deGuife , qui ceda ce Duché d'Aumale à
Claude fon Frere : Ce dernier entr'autres
Enfans eut Claude de Lorraine , Pere de
Charles Duc d'Aumale.
SaMajesté a auffi donné la Coadjutorerie
de l'Abbaye de Filles de Vigniogou ,
Ordre de Cifteaux , Diocefe deMontpellier
, à Madame de Bernis .
Le Prieuré de Notre-Dame du Puy
Chevrier , dit d'Entrefin vaquant par
la
FEVRIER 1712. 231
la mort de M. l'Abbé Petitde Ville Neuve ,
Conſeiller au Parlement , à Monfieur
l'Abbé Lormande , Docteur en Théologie.
Ce Prieuré eſt du Dioceſe de Foitiers
, & de l'Ordre de Grammon.
Saint Etienne de Muret , Comte de
Thier , commença la fondation & la réformede
cetOrdredans ſon propre Païs :
maispour ſe dérober davantage au monde,
il alla choiſir dans le Dioceſe de Limoges ,
undeſert preſque inacceſſible , entre Monime
& Razez ; où il fit l'établiſſement
qui dure encore. Les Roisd'Angleterre ,
pour lors Maîtres de l'Aquitaine& du Limouzin
, contribuërent à cet établiſſement
, & les Seigneurs de Monime n'y
contribuerent pas moins , & de Pere en
Fils ilsontcontinué danstous les tems de
faire de grands Dons à cette Abbaye :
leurs Tombeauxy fontauffi ; certeMaiſon
eft éteinte , leurnomde Famille étoit
Razez.
Le 27.du mois paffé , Monfeigneur l'Evêquede
Graffedonnales prémices de fon
Epifcopat à l'Egliſe ParoiſfialedeS. Jean
l'Evangeliſte , du Cardinal le Moine , il
ychanta lematin la grandeMeffe Pontificalement
, & le foir il Prêcha dans le mêmeEgliſe
d'une maniére fort pathétique.
M. Leulier , Grand Maître du College&
Curé , n'oublia rien pour rendre la cérémonie
célébre.
L2 AR.
232 MERC. GALANT.
ARTICLE
des Questions.
Réponſe à la Queſtion ,
Qu'est-ce que le coeur a de commun
avec l'eſprita
L'Anonime Laconique.
Le coeur fent , & l'eſprit penfe.
REPONSE.
Jeſensbien que le coeur fent , & je connois
que l'eſprit penſe , tout le monde
conviendra de cette distinction ; cependant
les eſprits font à preſent ſi ſouples &
fi déliez , qu'il eſt aiſé de s'y méprendre :
àla vérité le coeur fait rarement leperſonnage
de l'eſprit , mais l'eſprit , eſt ſouvent
le Singe du coeur.
Dans l'Art de coquetter , Cidaliſe eſt
maîtreffe .
Et fon nouvel Amant l'autre jour s'y méprit
,
Ellea tantde delicateſſe
Etde rafinement d'eſprit ,
Que c'eſt preſque de la tendreſſe.
Ré.
FEVRIER 1712 . 233
REPONSE
Par l'Anonime jeune &tendre.
Il me ſemble qu'en Amour le Coeur &
l'Eſprit ont tantde rapport enſemble qu'on
pourroit les confondre, ſi l'on aimoit tou -
jours. Les ſentimens du Coeur déterminent
le caractère de l'Eſprit ; eſt ontouché
de quelque objet , les impreffions
qu'il fait fur le Coeur paſſent juſqu'à l'Efprit.
Le premier reffent , l'Eſprit comme
interprêté explique les mouvemens du
Coeur, & ces mouvemens font toujours
le principe des penſées de l'autre : en un
mot , quand on aime , l'Eſprit eſt du parti
du Coeur , il en prend les intérêts , il
entre dans tous ſes motifs , il ſe réjoüit ,
ilgemit avec lui , il en fait le Portrait , il
l'eſt lui-même : c'eſt dans le Coeur qu'il
puiſe ſes ſaillies , ily trouve la naïveté ,
l'emportement de ſes expreſſions , &
ſemblable à un écho , l'Esprit repete les
tranſports du Coeur , à proportion de fa
capacité. Mais pour marquer encore
mieux le rapport qu'ils ont enſemble ,
examinons un homme véritablement
amoureux ; est - il jaloux , le Coeur ſouffre,
il entraine l'Eſprit dans ſon deſordre , &
ce dernier s'épuiſe par contrecoup en de
triftes réflexions , quine finiront qu'avec
L3
la
234 MERC. GALANT.
lajaloufie de notre Amant malheureux ;
s'il eſt Poëte , que de Vers la maladie du
Coeur va t'elleexiger de l'Eſprit , le Coeur
outré veut exhaler ſa fureur , déja l'eſprit
eſt entré de moitié dans ſa rage , il la fert,
il la peint , & devient furieux lui même
enl'exprimant.
Mais ſi de notre Amant la Maîtreſſe eſt
abfente ,
Le chagrin à l'inftant , vient s'emparerdu
Coeur,
Il ſoupire , & ſa voix touchante
En pénétrant l'eſprit ,yporte lalangueur.
Ilſe fait alors entre le Coeur & l'Eſprit ,
une union ſi naturelle , & qui fait paffer fi
rapidement les mouvemens de l'un à l'au
tre, que le commerce qu'ils ont enfembleles
confond, & dérobe à qui voudroit
lesdiftinguer ladifferencequ'ilsont entre
eux.
Et fi dans le moment de la cruelle abfence
Le Coeur à l'objet de fes feux
Veutmarquer fon impatience,
Il veut , & c'eſt affez , l'eſprit d'intelli.
gence
Avertidès l'inſtantde ſes foins amoureux ,
Les partage , les peint , néglige toutpour
cux.
Si
FEVRIER 1712. 235
Si la Maîtreſſe à ſon tour témoigne à
notre Amant qu'il eſt aimé.
Le Coeur auparavant à la triſteſſe en
proye,
Sentdiſparoître ſon chagrin ,
Et l'eſprit à ſon tour , à l'aſpect de la joye,
Du coeur content ſuit le deſtin .
Quel'accordde l'eſprit & du coeur , eſt
charmant alors , mais qu'il eſt rare que
l'Amour les uniſſe avec tant d'agrément ;
les délices d'un retour ſincére eſt unbon .
heur inconnu pour les Nobles malheureux
, quilivrent leur coeur fans referve;
la tendreſſe eſt une vertu que le tems ou
l'inconſtancea tari dans les Femmes , la
yanité d'être aimées eſt aujourd'hui le
guidede leur coeur , & fil'Amour trouve
à s'y placer quelquefois , c'eſt un momentde
capricequi l'introduit , il ne ſubfifte
, &ne finit quepar lecaprice.
Sid'unAmourparfait le Sexe étoit ca.
pable ,
Notre fort feroit trop heureux ,
Cequ'onytrouveroit d'aimable
Suffiroit pour combler nos voeux.
Malgréla triſte experience
Des maux qu'il fait aux tendres coeurs,
Du plaifir l'aveugle eſperance
Bannit la crainte des malheurs.
Le caprice , la fourberie
Suivisdela coquetterie ,
L4
Sont
236 MERC. GALANT.
Sont les écuëils certains où l'on va ſe brifer;
Mais un appas flatteur dérobe le naufrage
,
Ledevot ſe laiſſe abufer ,
Le Philofophe eſt ſans courage ,
Le foible après leur chute a de quoi s'excufer
,
La ſageſſe eſt enfind'un ſi pénible uſage ,
Que quel que foit le danger ,
On trouve moins d'avantage
Ale fuir qu'à s'engager.
Le fuir ! helas le peut-on faire,
L'Amour , quand il ſurprend eſt un inal
néceſſaire ,
Et lors que deux beaux yeux ont ſçû nous
enflamer ,
Adieu le coeur , il faut aimer .
Suite des Nouvelles .
De Vienne le 30. Décembre.
'Archiduc a fait écrire au Prince Eſter-
Lhafi , Viceroi de Hongrie , de faire
faire à Presbourg tous les préparatifs néceffaires
, parce qu'il eſperoit y arriver le
2. Janvier , pour y recevoir la Couronne
de ce Royaume. Il arriva hier un Courrier
de ce Prince , dépêché de Francfort ,
qui a rapporté qu'il y avoit été couronné
le22. , & qu'il en deyoit partir inceffamment.
FEVRIER 1712 . 237
ment. Quelques Lettres particulières
portent , qu'après ſon Couronnement il
avoit refuſe de ſigner la Capitulation perpetuelle.
Celles de Hongrie marquent ,
que pluſieurs Troupes de Mécontens recommençoient
à faire des courſes , de maniere
qu'il n'y a aucune fûreté dans les
chemins , & qu'il y a à appréhender qu'il
ne ſe formedans ce Royaume une nouvelle
Confédération : mais on eſpére que
par une Diéte que l'Archiduc fera affembler
à Presbourg dès qu'il y aura été couronné
, la tranquillité de ce Royaume ſera
entiérement rétablie.
De Hambourgle 8. Janvier .
Les derniéres Lettres qu'on a reçûës de
Staden , portentque le Roi de Dannemarc
& le Roi Auguſte deſeſpérant de pouvoir
s'emparer de Stralzund de vive force ,
parce qu'ils trouvoient de grandes difficultez
à faire une deſcente dans l'Iſlede
Rugen , d'où cette Place tiroit tous les
fecours dont la Garnison avoit beſoin,
avoient réſolu d'attaquer Wiſmar dans les
formes , la Garniſon ayant été conſidérablement
affoiblie par la derniére fortie :
que pour cet effet , ils avoient renforcé les
Troupes du Blocus de fix mille hommes ,
&qu'ils y avoient envoyé du Canon &des
Mortiers , après quoi le Comte de Rantzau
avoit refferré cette Place très étroitement;
L
238 MERC. GALANT .
ment: que le Gouverneur ſe préparoit à
une vigoureuſe réſiſtance ; qu'il avoit fait
dépaver les ruës pour empêcher l'effet des
Bombes , & fait publier que tous lesBourgeois
, qui auroient quelque répugnance à
prendre les armes pour la défenſe de leur
Patrie, cuſſent à fortir ; que le Général
Rantzau , avoit de ſon côté fait avertir les
Habitans , que s'ils prenoient les armes
pour la défenſe de laPlace , il les traiteroit
avec la derniére rigueur ; que nonobſtant
ces menaces tous les Habitans , ainfi
que la Garniſon , paroiffoient réſolus de
ſe défendre juſqu'à la derniére extrémité;
que le 17. Decembre les Affiégeans s'approcherent
à trois cens pasde la Ville , où
ils drefferent des Batteries de Canons &
de Mortiers; que le 29. ils commencerent
à y jetter des Bombes & des Boulets rouges
, & continuerent juſqu'au 2. de ce
mois; mais avec peu de ſuccès , le Gouverneurayant
faitdépaver les ruës , & fait
pofter des troupes d'Ouvriers & d'autres
Bourgeois dans tous les Quartiers , pour
être à portée d'éteindre promptement le
feu ; que ces précautions , jointes à l'incommoditéque
les Affiégeans reçoivent de
l'Artillerie des Affiégez , qui renverfoit
leurs Ouvrages &demontoit la plupart de
leurs Canons, les obligerent à fe retirer
dans leur ancien Camp , & à convertir de
nouveau le Siége de cette Place en Blocus.
Que les Troupes du Roi deDannemare&
du
FEVRIER 1712. 239
du Roi Auguſte avoient auſſi jetté des
Bombes & des Boulets rouges pendant
vingt-quatre heures , mais auſſi ſans aucun
fuccès conſiderable , ce qui avoit déterminé
ces deux Rois à mettre leurs
Troupes en quartier d'hiver , de maniere
néanmoins que cette Place demeureroit
toûjours bloquée , par les Troupes Mofcovites,
qui étoient en marchepour venir
renforcer leurArmée , dont les Quartiers
feroient àAnclam & àGripſwald , &foûtenuës
par les Troupes Saxones , quine
retourneroientpas en Saxe avec le Roi Auguſte
; & qu'à l'égard de celles duRoide
Dannemare , elles hiverneroient dans le
Holſtein Danois.
De Madrid le 4. Janvier.
Nous venons d'apprendre , par les Lettres
du Campde Calafdu 22. , queMale
Comte de Muret avoit enfin été obligé ,
faute de Vivres &de Munitions , de lever
le Siège du Château deCardonne ; voici
ceque portentces Lettres.
Malgré leſecours que le Général Staremberg
préparoit pour le Chateau de
Cardonne, on auroit pû s'en rendre maîtres
ſi labrêche , qu'on yavoit faite , cût
étédans unendroit un peu plus acceffible.
On avoit placé une autre Batterie pour
faire une nouvelle brêche , mais la plus
grande partie du Canon ne pût ſervir ,
faute L6
240 MERC. GALANT.
fautedeMunitions. Cependant leGénéral
Staremberg étant informé que la Garniſon
étoit ſur le point de ſe rendre pareillement
, faute de Munitions & de Vivres ,
dont les Affiégeans manquoient auſſi ,
renforça le Détachement qui étoit à Salegarigale
21. avec lequel il tentade ſecourir
ceChâteau; mais après avoir été repouffé
trois fois, il fut obligé de ſe retirer avec
beaucoup de perte ; celle que firent les
Troupes du Siége dans ces trois Attaques ,
fut de foixante hommes tuez , & d'un
plusgrand nombre de bleſſez ; parmi les
premiers il y a eu le Sergent Major général
, deux Capitaines du Régiment de la
Couronne , M. le Comte de Melun , un
Capitaine deGrenadiers de la Compagnie
des Gardes à pied Eſpagnoles. LeGénéral
Staremberg , outrede n'avoir pû réüffir
dans fon entrepriſe , retourna le lendemain
à la charge : Ses Troupes furent
encore fort mal-traitées à l'Attaque du
Pont de las Corminas , gardé par les Régimens
de la Couronne & de Truxillo ,
fanspouvoir les forcer , mais ayant trouvé
moyen de paſſer la Riviére à gué , elles
prirent ces deux Régimens en flanc , &
lesobligerent à ſe rerirer en defordre . M.
le Comte de Muret donna auſſi tôt avis à
Monfieur de Vendôme de ce qui s'étoit
paffe ; envoya au Gouverneur du Château
pour avoir une Sauvegarde pour les malades
qui étoient dans la Ville , enſuite
il
FEVRIER 1712. 241
il ſe retira avec ſes Troupes & lesBagages ,
abandonnant ſon Artillerie , faute de
Voitures. Les Ennemis ne le pourſuivirent
point , & ſe contenterent de faire entrer
le ſecours dans le Château , après
quoi ils ſe retirerent .
Lettre de Sarragoſſe du 3.Janvier.
L
Es Ennemis , aunombre de quatre mille
hommes de Troupes réglées & d'un
plus grand nombre de Miquelets , attaquérentle
Camp du Régiment de la Couronne
le vingt- deux du mois paſſsé àlapointedu
jour devant Cardonne , favoriſez par un
broüillard fi épais que l'on ne voyoitpasà
quatre pas devant foi . Cependantquoique
cefutune eſpéce deſurpriſe , ce Régimentfir
tout ce que de vieilles Troupespeuventfaire,
mais il fut obligé d'abandonner ſon
pofte par laſupériorité des Ennemis ,
retirafur unehauteur où ils nejugérentpas
àpropos de lepoursuivre cejour- là.
fe
Le vingt trois les Ennemis qui étoient
quatre contre un, l'attaquérent de nouveau,
enforte qu'il fut obligé de ſe retirer. Il a
eu plus de deux cens hommes tuez oublef-
Sez. M. Bonnet , Commandantduſecond
Bataillon de ce Régiment , est dunombre
des Morts ; M. Dautray , Major , a été
bleffede troiscoups au travers ducorps ,
onne croitpasqu'il enrevienne; M.leChevalier
de Teffé, Colonel , a étéperdu une
L7 heure ,
242 MERC. GALANT.
heure , maisiln'a éténi bleſſénipris. Les
Ennemis ontperdu beaucoup de mondedanı
cetteaction , puiſque de quatre cens hommes
feulement qui fortirent delaPlacepourfavoriser
l'entrée du ſecours , cinquante furent
tuez avec l'Officier qui les commandoit,
& cent furent bleſſez .
Lefoir du même jour , M.le Comtede
Muret , qui commandoit au Siège , sçachant
que ses Troupesfouffroient extrêmement
, faate deVivres , les Soldatsn'ayant
depuis buit jours qu'un quart d'uneration
de pain, prit le parti de lever le siège ,
fansy être forcépard'autresraiſons, laisfant
l' Artillerie , faute de Mulets pour la
retiver.
Les Troupes du Siège étant arrivées au
Camp, Monfieur de Vendôme prit leparti
deferetirer: il fit lever en plein jourles
Gardes de deffus les Ruiſſeaux quisëparoient
les deux Armées, les unes aprèsles
autres, &se mit en Bataille à unquart
de lieuë des Ennemis , où l'Armée campa.
Le lendemain ilne luifit fairequ'une demilieuë;
mais le Général Staremberg n'ofa
fortir defon Camppour lafuivre.
Monfieur de Vendôme conſerve lepofte
de Cervera , oùil amis cing Bataillons
unRégimentde Dragons quin'a pasfouffert
commelesautrespendant la Campagne. Ce
Prince eft avec l'ArméeàAgramunte, oùil
diftribue les Quartiersd'Hiver aux Troupes
qui garderont la Segre. NomavonsArens,
Venas.
FEVRIER 1712. 243
Venasque , & Caftel-Leon de cetteCampagne.
Cardone l'auroit rendue plus avantageuse
, mais ce n'est pas unechose irréparable
au commencement de la Campagne
prochaine , en cas qu'on lafaſſe , lesmesu
resque l'ona déjapriſes , &que l'on prendra
pour le transport des Vivres
Munitions , donnant lieu d'efpérer que les
Troupesn'en manquerontplum.
D'Utrecht le 19. Janvier..
des
Meſſieurs les Plenipotentiaires du Roi
arriverent le 9. à Cambrai , où ils ſéjournerentle
10.
Le r . ils arriverent à Valenciennes.
Le 12. à Mons, où M. le Comte de
Dhona , qui en eſt Gouverneur , les fit
faluer par trois décharges générales de
l'Artillerie , & leur donna un grand repas.
Le 13. ils arriverent à Bruxelles , où
ils furentreçûs avec les mêmes honneurs.
M. leMaréchal d'Uxelles alla defcendre
avec M. le Commandeurde Beringhen qui
P'accompagne , chez Madame la Princeffe
d'Iſenghien qui les régala magnifiquement.
M. l'Abbé de Polignac defcendit
chez Madame de Rupelmonde qui lui donna
auſſi un magnifique fouper ; & M. Menager
, logea dans une autremaiſon avec
fesOfficiers .
Le 14. ils arriverent à Anvers où ils ſéjournerent
le 15 .
Le
244 MERC. GALANT.
Le 17. à Gorcum .
Le 18. à Utrecht .
Ils ont été reçûs dans tous ces lieux avec A.
les mêmes honneurs qu'ils l'avoient été à
Mons & à Bruxelles , les Hollandois les
ayant toûjours fait accompagner par des
Commiffaires , tant pour les faire recevoir
honorablement , que pour les défrayer
pendant toute leur route depuis
Bruxelles .
De Montpellier le 11. Janvier.
Les Etats firent faire hier un Service
magnifique pour le repos de l'ame de feu
Monſeigneur leDauphin. M. l'Archevêque
de Narbonne y officia comme Préſidentde
cette Affemblée. M. l'Evêque de
Alep prononça l'Oraiſon funebre , &Mrs.
les Evêques de Mirepoix , de Lodeve ,
d'Agde , & de Beziers firent les Abſoutes.
Tous les Députez y aſſiſtérent chacun
dans leur rang , avec le Chapitre de Saint
Pierre & ungrand concours de monde.
ARTICLE
des Enigmes.
Enigme du mois paſſé.
Peu m'ont ſçû deviner on m'appelle Fenêtre
, Vous
FEVRIER 1712 . 245
Vous lesçavez Docteurs maformefast mon
être ,
Etje puis exiſterſans corps ,
On m'en donne pourtant de foibles & de
forts.
Hors de moi les volets en cercle ſepromenent
,
Et les chaſſis en mai , haut & bas se démenent
.
Par moi se fit jadis quelque amoureux larcin,
Et par moi futſauvė jadis quelque afſfaſſin.
En tout Pais je ſuis d'unemême nature ,
Mais je change de nom en changeant de
figure.
Noms & Envois de ceux qui ont
deviné l'Enigme.
La Comteſſe des Mathurins : la ſpirituelle
Normande des Foflez : Mathieu
Fenêtrel & le Baron de Fenêtre : quand
on ne peut trouver la porte , il faut paffer
par la Fenêtre : Rigolin le Refléchiffeur :
la jolie Torti borgni-boiteuſe : Pyrame
& Thisbé .
Envoy
246 MERC. GALANT.
Envoy à la Belle endormie , Sur
l'Air , Réveillez-vous.
Belle à qui quelque Amantpeut-être
Afait quelques larcins d'amour ,
Souvenez- vous de la Fenêtre ,
Fermez la mieux , même en plein jour.
ENIGME.
Je suis né prisonnier , petit &méprisable,
Souvent de mes priſons l'on me délivre à
table ;
J'engendre des Enfans prisonniers comme
mot ,
Etje porte le nom d'un Roi.
F'enferme dans mon ſein l'image de mon
Per;e
Jenesuis point leDieu de l'Ifle de Cythere;
F'habite pourtant dans les caurs.
Ici, Mortels, verſez des pleurs ;
Unde mes logemens a tuévotre Mere ,
Etvous caufa bien des malheurs.
A UFEVRIER
1712. 247
AUTRE ENIGME.
Lorſqueparde juſtes liens
Onſçait unir à moicelui qui me reflemble,
Nous ne faiſons plus qu'un enſemble ,
Je vois tout par ſesyeux , il voit tout par
les miens ;
Sijelui faistenir quelque diſcours frivole ,
En revancheje ſçai lui couper laparole.
L
Derniéres Nouvelles.
De Rome le23. Décembre.
EPape s'eſt enfin déterminé à donner
le Chapeau de Cardinal à DonAnnibal
Albani . Sa Sainteté après avoir demandé
dans un Conſiſtoire le ſentiment
des Cardinaux fur cette Promotion , ils y
applaudirent tous , & le S. Peredit , puifquevous
lejuzez tous àpropos , nous nommeronsDonAnnibal
Albani Cardinal;&
je prie Dieu que cette Promotion ſoit à fa
plus grande gloire , Gau bien de l'Eglife.
Enfuite Sa Sainteté prononça la Formule,
& auſſi- tôt le Canon du Château S. Ange
ſe fit entendre. Tous les Cardinaux qui
ſe trouverent au Conſiſtoire , allérentce
jour-là complimenter Dona Bernardina ,
Mere du nouveau Cardinal , qui reçût
auffi
248 MERC. GALANT.
auſſi les félicitations de toutes les autres
perſonnes les plus diftinguées , & il yeut
le foir des illuminations par toute la Ville.
De Cadiz le 8. Janvier.
Un Armateur de S. Malo a amené ici
une Prife Hollandoiſe , eſtimée dix mille
Ecus. On a levé l'Arrêt qu'on avoitmis
fur deux Bâtimens Genois qui étoient
dans notre Port , & ces Bâtimens ont remis
à la voile pour retourner à Genes ;
mais l'Arrêt mis fur le Vaiſſeau Venitien
n'a point été levé , & au contraire ,
Vaifleau a étédéclaré de bonne prife .
ce
On a appris par un Vaiſſeau d'avis arrivé
de la Martinique , d'où il eſt parti le
premier Décembre , que M. Ducaffe devoiten
faire Voile le 15. avec quatre Vaifſeaux
de Guerre François qui l'y avoient
joint.
Un Vaiſſeau Anglois de 60. Canons
ayantété poufle fur nos Côtes par un coup
de Vent , y a échoüé. L'équipage qui
s'eſt ſauvé à terre , eſt venu ici , & on lui
donne la ſubſiſtance. On travaille à remettrele
Vaiſſeau à flot , &l'on eſpere y
réüffir.
D'Huningue le 15. Janvier.
Nonobſtant le débordement du Rhin ,
enFEVRIER
1712. 249
environ trois cens hommes des Ennemis ,
ayant paffé ce Fleuve dans des Bâteaux
près de l'Iſle de Newbourg , étoient entrez
en Alface , où ils avoient commencé
à piller; mais notre Commandant en
ayant eû avis , a auſſi-tôt fait fortir cent
Dragons&autant de Grenadiers pour les
aller chercher Ils les ont trouvez au
Village de Rumensheim , les ont attaquez
, en ont tué trente , & fait unplus
grandnombre de priſonniers , qui ont dit
que leur Partiſan , qui avoit été tué , étoit
l'unde leursplus fameux .
De Charleroi le 26. Janvier.
UnParti de notre Garniſon ſurprit hier
un Convoi de vingt Chariots chargez qui
alloient à Mons , ſous l'eſcorte de 30.
hommes qui prirent la fuite , dès qu'ils ap .
perçûrent qu'on alloit les attaquer ; &
comme ils eurent le tems de dételler les
chevaux , on fut obligé de brûler les Chariots
, ne pouvant les emmener .
D'Abbeville le 27. Janvier.
Un gros Parti Ennemi étant entré dans
le Boulonois , pour lever les Contributions
, a été coupé & entiérement défait
par les Troupes qui font ici en quartier .
De
250 MERC. GALANT.
De Vienne le 6. Janvier.
Quoi qu'on affecte de publier ici que
tout eft tranquile en Hongrie , on a des
avis certains que la plus grandepartiede
laNobleffeHongroiſeeſt très mécontente,
de ce qu'on n'a encore donné à la
Nation aucune fatisfaction ſur les Griefs ,
dont elle s'étoit plainte dans les précedentesDiettes
, & entr'autres de cequ'on
nedonnoit pas àdes Hongrois lesGouvernemens
des Places du Royaume ,
qu'on n'en retiroit pas les Troupes Allemandes
, ainſi qu'onl'avoitpromis.
&
L'Archiduc ne doit arriver à Presbourg
qu'au commencement de Février : quoi
que ce Prince ait fait une nombreuſe promotion
de Conſeillers d'Etat , plusieurs
Seigneurs ſe plaignent de n'yavoirpas été
compris , & particulièrement ceux qui
avoient été honorez de cette Dignitépar
l'EmpereurJofeph.
On a reçu un Courier du Réfident de
l'Empire àConſtantinople , qui a rapor .
téque leparti du Kan desTartares ayant
prévalu ſur celui du Grand Vifir , ce Miniſtreavoit
été déposéle 20. Novembre ,
tous ſesbiens confiſquez le lendemain; &
que l'Aga des Janiſſaires qui avoit été mis
à ſa place , avoit écrit au Roi de Suede ,
qu'illui meneroit au Printems une Armée
de deux cens mille hommes .
D'U.
FEVRIER 1712 . 251
D'Utrecht le 21. Janvier.
M. l'Evêque de Bristol , premier Pléni .
potentiaire de la Reine de la Grande Bretagnearriva
ici le I s. avec une nombreuſe
fuite, & M. le Comte de Strafford arriva
le 17. Après que Mrs. les Plénipotentiaires
de France y furent arrivez , ils le
firent ſçavoir aux Magiſtrats , & Mrs. les
Plénipotentiaires d'Angleterre allerent
incontinent les vifiter , & le foir Mrs. les
Plénipotentiaires de France rendirent la
viſite à Mrs. les Plénipotentiaires d'Angleterre.
Μ. le Comte del Borgo , PlénipotentiairedeM.
le Duc de Savoye , arriva le
20. , & la plupartde ceux des ſeptProvins
ces-Unies , fe font auffi déjarendus ici .
AD
252 MERC . GALANT.
!
i
i
1
1
1
ADDITION
Faite en Hollande.
Piece Nouvelle.
Epuis qu'à la mort deſtiné
DoPuouvsr lesyeux àlalumière ,
Le Tourbillon où je ſuis né
A fix fois treize fois , pour fournir ſa carriere
,
Dans fon Cercle annuel ſur ſon Axe tourné.
J'ai vû vingt huit mille & fept cent vingt
journées
D'une éternelle nuit également bornées.
J'ai vû des millions de millions d'inſtans
Aufſi- tôt dévorez qu'engendrez par le
tems.
Etdans un fi long cours d'années
Combien n'ai-je point vű de revers éclatans
!
Combien n'ai -je point vû de courſes terminées
!
J'ai vû renouveller la Terre d'Habitans ,
J'ai vû d'illuſtres deſtinées
Etre comme épics meurs au Printems
moiſſonnées ;
Et les Enfans des Dieux paſſer de leur Berceau
Dans
FEVRIER 1712 .
253
Dans l'obſcurité du Tombeau.
J'ai vû des têtes couronnées ,
Par leurs propres Sujets à la mort condam
nées,
Tomber ſous l'acier d'un Bourreaus
J'ai vû par lecomplot d'un attentat ſemblable
Des Guerriers Ottomans le Sultan rédoutable,
Expirer ſous les noeuds d'un infame cordeau.
Et que n'ai-jepoint vû qu'ai- je a voir de
nouveau ? ,
J'ai vû des vains mortels la triſteſſe& la
joye ,
J'ai vu qu'à leurs defirs , à leurs craintes
livrez ,
Ils fontdes paſſions le jouët & laproye ;
Et que d'erreur ſans ceſſe ils vivent enni.
vrez ;
J'ai vû la vanité s'élever juſqu'aux nües
Sur des Ailes de cire en un momentfonduës
;
J'ai vû lambition prendre unvol plus heureux.
Et monter par le crime au comble de fes
voeux .
Pour l'héritage le plus ample
Dontjamaison eût vû teſter
J'ai vû, ce qui n'apoint d'example,
De tous les Potentats les Forces ſe heurter.
J'ai vû les Rois jouer aux barres
Tome V. M Par
254 MERC. GALANT.
Pardes catastrofes bizares ,
Et le Fer décider tour à tour de leurs
droits .
J'ai vûdans uncourt intervale ,
Une grande Victoire être aux Vainqueurs
fatale.
J'ai vü quel Treſor ont lesRois
Dans le coeurd'un Peuple fidéle ,
Et de quelle reſſource au Trône qui chancele
,
Eſt un ſeul homme quelquefois.
J'ai vû long-tems la France éclatante de
&
gloire,
Faire voler lenom François
Sur les ailes de la Victoire ,
J'ai vû finir le cours de ſes heureux exploits
Etle Fer& la Faim la réduire aux abois .
J'ai vû ; ( qu'elle douleur pour la France
accablée
Par de continuels revers )
J'ai vûde ſes malheurs divers
Par la mort du Dauphin là meſure comblée:
Quelle perte pour elle , & pour tout l'Univers
!
Prince aimable & cheri que l'Amour & le
zèle
Aton auguſte Pere unirent conſtamment
Dans toute ta courſe mortelle,
Que ne doit point la France à ton atta
chement
Si
FEVRIER 1712. 255
Si reſpectueux , fi fidéle ,
Et que rienn'alterajamais?
Puiffe tu pour le prix d'une union ſibelle
Dans le tranquile ſein d'une gloire immortelle
,
Joüird'une éternelle Paix !
J'ai vû ceux qu'un heureux orage
Avoit rejettezdans le Port ,
Croire alors avoir fait naufrage
Etdéplorerſur le rivage
Latranquilitéde leur fort.
J'ai vû differentes Ivreſſes
De vin , d'amour , de vanité :
J'en ai vû de toutes eſpeces ,
Mais cellesdont la qualité
Cauſedeplus fâcheux vertiges ,
Qui d'ordinaire attaque , & l'eſprit & le
coeur.
Et ſouvent dupaſſé n'y laiſſe aucuns veſtiges
,
C'eſt l'Ivreſſe de la Faveur.
J'ai vu la jeuneſſe ſaiſie
D'une agréable freneſie.
Aller enmaſque au Carnaval ;
Ettous les jours l'Hipocryſie
Maſquer à laCourbien ou mal .
J'ai vû,j'ai mépriſé la baſſe jaloufie
:
Que lagloire d'écrire a le don d'exciter..
J'ai vûdeuxpartis diſputer
De la vérité ſans l'entendre ;
LePublic ſans en rien comprendre,
Pour l'un ou l'autre s'entêter :
M 2 Et
256 MERC. GALANT.
Etde leur diſpute autentique ,
Qui s'entend moins , plus on l'explique;
J'ai vu qu'après un long débat ,
Après réplique ſur réplique,
Lahainedes partis étoit le réſultat.
J'ai vú l'exceſſive prudence
Ne ſervir qu'à nous decevoir ;
L'extréme avidité d'avoir
Faire vivredans l'indigence ;
Le ſeul intérêt tout mouvoir ;
Etlaprofondeur du ſçavoir
Differerpeu de l'ignorance.
J'ai vû d'un peu de vent les hommes ſe
nourrir ,
Etnes'attacherqu'à paroître.
J'ai vû qu'en cherchant à connoître ,
On n'apprenoit qu'à diſcourir .
J'ai vûles Nations avides de carnage
S'attrouper tous les ans pour ſe faire périr,
Mettre à s'entretuër la grandeur du courage
,
S'enfaire unmétier glorieux ,
Etdes triftes effets de leur funeſte rage
Aller pompeuſement rendre graces aux
Cieux.
Nous avons hérité de nos premiers ayeux;
Dès l'enfance du monde ils ſe firent la
Guerre ,
Et le meurtre dès lors enſanglanta la terre,
Juſqu'à quand ſuivrons nous leur exemple
odieux ?
FEVRIER 1712. 257
O Paix Fille du Ciel , vien te montrer
auxhommes
Vien calmer leur noire fureur ;
En toi ſont tous les biens , & la Terre ou
nous ſommes
N'eſt ſans toi qu'un ſéjour , qu'un ſpectacled'horreur.
Explication spécifique des Offres de la
France pour la Paix Générale , àla
Satisfaction de tous les Intéreſſez à la
Guerre préſente.
LERoi reconnoîtra , en ſignant la Paix , la
Reine de laGrande-Bretagneen cettequalité
, auſſi -bien que la Succeſſion à cette Couronne
, ſuivant l'établiſſement préſent , & de la
maniere qu'il plaira à S. M. Britannique.
Sa Majefté fera démolir toutes les Fortifications
de Dunkerque , immédiatement après la
Paix , moyennant un équivalent à ſa fatisfaction.
L'Iſle de S. Christophe , la Baye & le Détroit
de Hudson , feront cédez en entier à la Grande-
Bretagne , &, reſpectivement,
L'Acadie, avec le Fort& le Port-Royal , feront
reſtitu ez en entier à Sa Majefté.
Quant à l'Iſle de Terre- Neuve, leRoi offrede
la céder encore à la Grande -Bretagne ; en ſe réfervant
ſeulement le Fort de Plaisance , & le
Droit de pêcher &de ſécher la Moruë , comme
avant laGuerre,
Onconviendra de faire un Traité de Commerce
avant ou après la Paix , au choix del'Angleterre
, dont on rendra les Conditions égales en-
M 3 tre
258 MERC. GALANT.
R
tre les deuxNations , le plus qu'il ſera poſſible.
Le Roi conſentira , en ſignant la Paix , que
les Pais-Bas Espagnols cédez à l'Electeur de Baviere
par leRoi d'Eſpagne , ſervent de Barriére
aux Provinces.Unies ; & pour l'augmenter , il
yjoindra Furnes & Furner-Ambaght , la Knocque,
Ipres. &la Châtellenie de Menin avec ſa Verge:
En échange , Sa Majesté demande , pour former
la Barriére de France , Aire , S. Venant .
Bethune, Doüay , & leursdépendances .
Si les Etats Généraux veulent tenirdes Garni.
fons dans les Places fortes de la Barriére , ainſi
formée des Etats cédez à S. A. Electorale , &
de ce que la France yjointdu fien , Sa Majeſte
conſent qu'ils y mettent leurs Troupes en ſi
grand nombre qu'il leur plaira , & de plus ,
qu'elles foient entretenuës aux dépens du Païs.
Au moyen de cette ceſſion &de ce conſentement
, le Roi de ſon côté demande , pour équivalent
de la démolition de Dunkerque , les Villes
& Citadelles de Lille & de Tournay , avec
leurs Châtellenies &dépendances.
La Barriére ainſi réglée entre la France &les
Etats Généraux , le Roi accordera, pour augmenter
le Commerce de leurs Sujets , ce quieft
tipulé par le Traité de Ryfwick& le Tarifavan .
tageux de 1664. , à l'exception ſeulement de
fix genres de Marchandises dont on conviendra ,
&qui demeureront chargez des înêmes Droits
qui ſe payent aujourd'hui, enſemble l'excep.
zionde so. fols par Tonneau ſur les Vaiſſeaux
Hollandois , venans en France des Provinces .
Unies& des Païs étrangers .
A l'égard du Commerced'Eſpagne & des Indes
, le Roi s'engagera , non ſeulement aux
Etats Généraux , mais encore à S. M. Britanni.
que , & à toutes les autres Puiſſances , en vertu
du pouvoir qu'il en a , que ces Commerces ſe
feront précisément , & en tout,de la même mamiere,
qu'ils ſe faisoient ſous le Régne & jufqu'à
FEVRIER 1712. 259 F
qu'à la mort deCharles II.; & promettra , que
les François s'aſſujettiront , commetoutesles
autres Nations , aux anciennes Loix & Réglemens
faits par les Rois Prédéceſſeurs de S.M.
Catholique , au fujet du Commerce & NavigationdesIndesEſpagnoles.
Sa Majefté de plus confent , que toutes les
Puiſſances de l'Europe entrent en garantie de
cettepromeſſe. Sa Majefté promet , que le
Roi fon Petit- Fils renoncera , pour le bien de la
Paix , à toute prétention fur les Royaumes de
Naples & de Sardaigne , aufli bien que ſur leDuché
de Milan , dont Elle conſentira audit nom
que la partie cedée au Duc deSavoye demeure
à S. A. Royale, bien entendu que moyennant
cette ceſſion , la Maiſon d'Autriche ſe déſiſtera
pareillement de toute prétention ſur les autres
parties de la Monarchie d'Eſpagne , d'où elle
retirera ſes Troupes immédiatement après la
Paix.
Les Frontiéres de part & d'autre fur leRhin
feront remiſes au même état qu'elles étoient
avant la préſente Guerre.
Moyennant toutes les conditions ci-deſſus ,
le Roi demande que les Electeurs de Cologne&
de Baviere foient rétablis dans la pleine& enticre
poſſeſſion de leurs Etats , Dignitez , Prérogatives
, Biens , Meubles & Immeubles , dont
ils joüiloient avant la préſente Guerre : & réciproquement
, Sa Majeſté reconnoîtra dans l'Allemagne&
dans la Pruffe , tous les Titres que
juſqu'à préſent Elle n'a pas reconnus .
Le Roi reftituera au Duc de Savoye ce qu'il
lui a pris pendant cette Guerre , comme pareillement
S. A. Royale lui rendra ce qu'Elle a pris
fur la France ; de forte que les Limites de part
& d'autre feront les mêmes qu'elles étoient
ayant la Déclaration de la Guerre.
Les choſes pour le Portugal feront rétablies&
demeureront fur le même pied en Europe qu'elles
étoient ayant la préſente Guerre, tantà l'é-
M 4 gard
260 MERC. GALANT
gardde la Franceque de l'Eſpagne ; & quant
auxDomaines qu'ilsont dans l'Amerique , s'il
ya quelquedifférend àrégler , ontâchera d'en
convenir à l'amiable.
, que
Le Roi conſentira volontiers , & de bonne
foi , àprendre de concert avec les Alliez, touręs
les meſures les plus juſtes pour empêcher o
les Couronnes de France & d'Eſpagne foientjamais
réünies ſur une même Tête , c'est- à-dire
qu'un même Prince puiſſe être tout enſemble
Roi de l'une& de l'autre .
Tous les précédens Traitez , ſçavoir ceuxde
Munster & les fuivans , feront rapellez & confirmez
, pour demeurer dans leur force & vigueur
; à l'exception ſeulement des Articles
auxquels le Traité de Paix à faire préſentement
aura dérogé , ou changé quelque choſe.
Signé , HUXELLES.
Auſſi - tôt qu'on vit en Angleterre ces
offres de la France, la Chambre des Seigneurspreſenta
là-deſſus l'Adreſſe ſuivante.
Adreſſe dela Chambre des Seigneurs à la
Reine.
Ous les très humbles & très fidéles
NoSujets de votre Majeste les Seigneurs
Spirituels & Temporels affemblez
en Parlement, demandons très humblement
la permiffion de témoigner à Votre
Majesté notre juſte indignation , contre
l'indigne traitement fait par la France a
V. M. , en ne propoſantde reconnoître le
Titre de V. M. à ces Royaumes qu'après
la Signature de la Paix .
Nous
FEVRIER 1712. 261
Nous ne pouvons nous empêcher de
marquer auſſi le dernier reſſentiment contre
les conditions de Paix , offertes à V.
M.& à ſes Alliez , par les Plénipotentiaires
de France , & nous affurons Votre
Majesté avec le dernier zèle & affection ,
que nous hazarderons nos vies & nos
biens pour aſſiſter V. M. à pouffer laGuerre
conjointement avec les Alliez , juſqu'à
ce qu'on puifle obtenir une Paix füre &
honorablepour V. M. & pour ſes Alliez.
J
RéponsedelaReine.
MYLORDS,
E vous remercie de tout mon coeur du
zèleque vous faites paroître pour mon
honneur , & des affurances que yous
medonnez de me foutenir.
Dans le moisprochainondonnera lesdemandesque
les HautsAlliezdoiventfaire,
contre les offresde la France.
TABLE
TABLE.
A
Vertiflement touchant l'arrangement
des matières dans le Mercure , pag.
1350
Cantate fur le recouvrement de la ſantéde
Monſeigneur le Comte de Toulouſe ,
136.
Extrait du Voyage de M. Chambon dans
lesMinesdePologne , 140
Supplement aux Etrennes dumoispaffé,
ISI .
Nouvelles de Londres , 153. De L'ille
155. De Berlin & de Warſovie , 156.
De Rome , 157. De Vienne , &de
Hambourg , 160. De Lisbonne & de
Cadiz , 161. De Toulon & Namur ,
162. De Dunkerque & de Lauterbourg
, 163. DeThionville , de Condé
, &de Meſſine , 154
Lettre ſur un petit vol fait chez Payen ,
Traiteur ,
Odede M.de la Motte ,
165
168
170
Madrigal par la jeune Muſe , 171
Madrigal à une Femme jaloufie,
Abregéde la fameuſe queſtion ſur la circulation
du ſang par le coeur de Fetus ,
172.
Avanture arrivé nouvellement dans un
Bal , 187
Vers fur l'inconſtance , 194
Lettre ſur la nouvelle Edition de la Vie de
Charlemagnepar Eginhard , 196
Lettre
TABLE.
Lettre ſur une nouvelle Machine pour ſcier
les Marbres . 201
Chanſon nouvelle , 203
Morts , 205
Mariages , 207
Lettre à une Demoiselle Suedoiſe ſur ſon
Portrait , 209
Demiffion de M. le Peletierde la charge
de premier Preſident , & M. de Meſmes
choiſi à ſaplace , 213
Quatrains ajoûtez à ceux que Voiture fit
pourMonfieurd'Avaux , 217
M.Ravotcontinué Prévôt des Marchands
deLion , 218
Extrait d'un Livre nouveau , qui a pour
Titre Nouveaux Dialogues des Dieux ,
ou reflexions ſur les paſſions ; avec un
Diſcours ſur la Nature du Dialogue ,
219.
Caractére de Platon , 220 &221
Compliment de la Sorbonne à M. lepremier
Preſident , 224
Benefices , 227
Queſtions & Réponſes, 226.232. &fuiv .
Nouvelles de Vienne , 236. De Hambourg
& de Madrid, 239. De Saragoffe
, 241. D'Utrecht , 243. De
Montpellier , 244
Article des Enigmes , 244
Nouvelles de Rome , 247. De Cadiz ,
d'Huningue , 248. De Charleroi ,
d'Abbeville, 249. DeVienne , 250.
D'Utrecht , 251
AD
TABLE.
ADDITION
Piece nouvelle ſur la vanité & l'incertitudedes
choſes de ce monde , 252
Conditions offertes par la Francepour la
Paix générale. 257
Adreſſe des Seigneursde la Grande Bretagne
à la Reine , avec la Réponſe de Sa
Majesté , 260
AVERTISSEMENT.
T. Johnson , Libraire à la Haye , fait
imprimer , &donnera dans peu de tems
au Public La Conduite des Alliez&de
l'Ancien Ministére d'Angleterre dans la
preſente Guerre , avec les Réponses&c.
Le tout accompagné de toutes les Pieces
&de tous les éclairciſſemens néceſſaires ,
pour donner une parfaite intelligence des
affaires preſentes d'Angleterre & du refte
de l'Europe ; comme auſſi du fondement
des preſentes Négociations de Paix , lefquelles
feront toutes éclaircies dans la ſuitede
cesMémoires ..
Il debite actuellement la 2. Edition ,
augmentée, dupremier vol . de cet Ouvrage,
ſur la Conduite de lapreſente Guerre
fur lesNégociations de Paix , jusqu'à la
findes Conférences de Geertruydenberg, 8.
où l'on peut voir tout ce qui s'eſt paffe
dans les précedentes Négociations , & la
grande différence qu'il y a entre les offres
que la France faiſoit alors & celles qu'elle
vient defaire preſentement.
MERCURE
GALAN T.
PAR MR. DU FRESNY.
Mois de Mars 1712.
Sur la Copie de Paris.
AVEC DES ADDITIONS.
A LA HAYE ,
Chez T. JOHNSON .
M. DCC XII..
!
Livres Nouveaux fur les affaires du
Tems , qu'on trouve chez T. Johnfon
, Libraire à laHaye .
Lettres& Mémoires ſur la conduitedela preſente
Guerre , & fur les Négociations de Paix.
Tome I. ſeconde Edition , corrigée & augmentée.
Il Imprime actuellement le II. & le III.
vol . du même Ouvrage , quiſeront fort curieux
auſſi -bien que lepremier.
L'Histoire de l'Empire Ottoman par Ricaut , où
l'on voit l'Origine & les progrès desTurcs, les
Vies&lesConquêtesde rous leurs Sultans,leurs
Guerres,SSiiééggeess&CombatsparMer&parTerre
, les Révoltes & Révolutions extraordinaires
, & généralement tout ce qui s'eft paſſé de
confiderable dans cet Empire depuis fon Commencement
juſqu'à 1704 avec un détail curieux
desGuerresen Hongrie & fur les Frontiéresde
Pologne &de Mofcovie , & une Carte exacte de
tous cesPaîs, en 3. vol.
On trouve chez le même Libraire toutes les
Piéces curieuſes touchant les affaires d'Angleterre
, & les autres affaires du tems .
Il imprime tous les Lundis le Miſantrope ,
qui eft une Critique fine & ſenſée des Moeurs
du Siécle .
On trouve auſſi chez lui un Recueil de toutes
les meilleures Comedies Angloiſes , fort proprement
imprimées en pluſieurs petits Volumes.
8.
Les Oeuvres de Crébillon , contenant Idoménée
, Atrée& Thyeſte , Electre , & Rhadamisthe
Zenobie , quatre nouvellesTragedies qui ont
étéreçûë savecgrand aplaudiſſement enFrance.
La derniére piéce a été jouée àParis ſeptantequatre
fois de ſuite : ſuccès prodigicax&fans
exemple.
MERCURE
GALANT.
MARS 1712 .
MortdeMonseigneurle Dauphin&
deMadame la Dauphine.
Ls ne font plus ; le Dauphin
n'a pû furvivre à ſonEpouse;
il n'a pû ſupporter ſa perte ,
commentpourrons -nous fupporter
la nôtre ? Toute la France eſt
muette&conſternée , ſi ſa douleur ne va
pasjuſqu'au deſeſpoir. Quelle reſſource
de conſolation faut- il qu'elle ait trouvée
dans ſon Roi ? Cette image de ſes vertus
nous eſt donc enlevée ; que d'afflictions
depuisuntems ! Nous nous sommes attiré
des coups fi terribles : mais leCiel a
épuiſe ſur nous toute ſa colére. Oüi fans
N2 doute ,
268 MERC. GALANT.
doute , ſa main s'eſt laſſée à force de nous
châtier ; elle va ſe repoſer pour longtems
.
Madame la Dauphine , Marie-Adelaide
de Savoye , mourut à Verſailles le 12. de
cemois , enſa vingt-fixiéme année.
Monſeigneur le Dauphin , Loüis de
France , mourut à Marli le 18. en la trentiéme
année de ſon âge , étant né le 6.
Août 1682 .
Mémoiresfurcesdeux morts.
Le Vendredi 12. Février 1712. Marie-
Adelaide de Savoye , Epouſe de Monfeigneur
Loüis , Dauphin de France , mourut
après avoir reçû ſes Sacremens le jour
précedent , avec une parfaite réſignation
aux volontez de Dieu , & de grands ſenzimens
de pieté. Si-tôt qu'elle fut décedée
, ce mêmejour 12. Février à huit heures&
demiedu ſoir,le Roiſe retira à Marli
, où l'on tranſporta Monſeigneur le
Dauphin malade le Samedi 13. Février ,
à ſept heures du matin. La mort d'une
Epouſe qui lui étoit ſi chere , rendit ſa maladie
mortelle ; il expira le Jeudi 18. du
même mois .
Parlons d'abord de ce qui ſe paſſa au
premier de ces deux funeſtes évenemens .
Ce ne furent que cris & que larmes dans
tour
MARS 1712. 269
tout le Château de Versailles. On peignalaPrinceffe
, onla coëffa en linge uni
avecdesRubans noirs & blancs , & en cer
état elle fut expoſée au Public tout le Sa
medi ſuivant .
LeSamedi 1 3. auſoir fort tard , elle fut
enſevelic & miſe dans ſon cercuëil , par
Madame la Ducheffe de Lude , &Madame
la Marquiſe de Mailly , celle-là tenan
la tête , celle-ci les pieds.
Elle reſta tout le Dimanche ſur ſon lit
dans fon cercueil , fans aucun appareil
que fix cierges , parce qu'on préparoit
dans laChambre d'auprès ſon lit de parade,
où elle fut miſe le Lundi 15. &expoſéeaupublic.
Le Jeudi 18. Monſeigneurle Dauphin
n'ayant fair paroître d'autre inquiétepen
dant toutelanuitprécedente,que cellede
parvenir au moment auquel il pourroit
entendre la Meſſe , & recevoir le Saint Sacrement
, ſon inquiétude ceſſa quand il
eut fatisfait à ces deux devoirs : il mourut
( après avoir recommandé ſon Ame à
Dieu, & l'avoir prié de conſerver longtems
laperſonne ſacrée du Roi , pour l'intérêtdeſes
Peuples ,) àhuit heures & demie
du matin. Le Roi ſe retira dans lepenultiéme
Pavillon de Marli à gauche , &
dès queMonſeigneur le Dauphin pût être
enſeveli , on l'apporta à Verſailles , &
onlemitdans le même litde parade avec
Madame la Dauphine. Les deuxgrilles
N3
de
270 MERC. GALANT.
de Versailles étoient tenduës de noir fans
écuffons . Toutes les arcades du Veſtibule
, le grand Efcalier , la première Salle
desGardes , & tout l'appartement de Ma.
dame la Dauphine , étoient tendus jufqu'au
plafond : deux bandes d'Ecuffons
régnoient depuis les dehors de la Cour
juſques à la Chambre où le Prince & la
Princeſſe étoient expoſez .
Un concours infini de Peuple , vint
pendant tout le tems que les corps du
Prince &de la Princefle furent expoſez ,
&paſſoit au travers du Salon , par laGalerie
, juſques à une barriére qu'on avoit
faite pourne donner paflage que par l'autre
Salle des Gardes ; & cela dura jufqu'au
Mardi à midi. Quatre Peres de la
Miſſion , quatre Peres Feüillants , &
quatre Peres Recollets , avoient veillé
jour& nuit autour du lit de parade , &
fur les cinq heures du ſoir du Mardi 23 .
Monſeigneur le Duc d'Orleans , qui avoit
été Mercredi 17. donner l'eau benîte au
Corps de Madame la Dauphine , devant
conduire la pompe funebre , vint en donner
avant la levée des Corps du Prince &
de la Princeffe. Meſſeigneurs les Evêques
ayant aufli donnéde l'eau benite ſur
les Corps du Prince & de la Princeſſe
Monſeigneur l'Evêque de Senlis , accompagné
de Meffeigneurs les Evêques de
Montauban , de Tournay , & d'Autun ,
des Aumôniers , du Curéde la Paroiffede
VerMARS
1712. 271
Verſailles en ſurplis & en étole , ayant
entonné Exultabunt , pluſieurs Peres de
la Miffion commencerent à chanter le
Miserere.Monſeigneur le Duc d'Orleans ,
Monfieur le MarquisdeDangeau , Chevalier
d'Honneur , Monfieur leMaréchal
de Teffé , premier Ecuyer , les Dames
d'Honneur , &les Dames du Palais , qui
étoient dans la Chambre où la Princeſſe
étoit morte , s'avancerent dans celle du
lir de parade : fçavoir , Madame la Ducheffe
du Lude , & Madame la Comteffe
de Mailly , Dames d'Honneur ; les Dames
du Palais , Meſdames la Marquiſede
Dangeau , de Roucy , de Nogaret , d'O,
deMongon , de Levy , d'Eſtrées , ayant
àleur tête Madame la GrandeDucheffe ,
Madame la Princeſſe de Conti , Madame
la Ducheffe de Vendôme , & Mademoiſelle
de la Roche - sur - Yon. Toutes ces
Dames ſuivoient les Corps du Prince &
de la Princeffe , portez par dixGardes du
Corps à chaquecercueil , & deux à chaque
quaiſſe , où étoient renfermées les
entrailles ; lors qu'ils furent fur l'eſcalier
, la Muſique entonna un De profundis
enfaux bourdon , qui dura à peu près
le tems que les deux cercuëils & les deux
quaiſles furent poſez dans le Char funebre
; les Gardes Françoiſes & Suiffes
étoient ſous les Armes. Alors on commença
à défiler en cet ordre ; Premiére .
ment:
N4 Cent
272 MERC . GALANT.
Cent Pauvres habillez d'une capegrife
& claire , pliffée , qui leur deſcendoit
juſqu'aux pieds, avec un cocluchon &
une ceinture , ayant chacun un flambeau
à la main. Une Compagnie des Gardes
du Corps ; cent vingt Mouſquetaires ,
ſoixante de chaque Compagnie , ſuivis
de celles des Gendarmes & Chevaux-Legers
, après leſquels ſuivoient les Carofſes
de deüil , de Meſſieurs les Officiers
de Monſeigneur le Duc d'Orleans , ceux
deMonſeigneur leDauphin , &deMadame
la Dauphine , ſuivie de leurs Valets
de pied; tous ces Caroſſes étoient àhuit
Chevaux.
PremierCaroſſedeMadame laDauphine.
S.A. S. Madame laDucheffe.
Madame la Ducheffe du Lude , Dame
Honneur.
Madame la Duchessed'Harcour.
MadamelaDucheffede Duras.
Madamela Marquise de Rouſſy , Dame
duPalais.
MadamelaMarquise du Mailly , Dame
duPalais.
Madame la Marquise du Laigle , Da
me d'HonneurdeMadame la Ducheffe.
Sc
MARS 1712. 273
Second Caroffe.
S. A. S. Madamela Ducheſſe de Vendo.
me.
MadamelaDuchefſe d'Eftrées.
Madamela Princeffe de Chimay.
MadamedeNogaret.
MadamedeMouſereaut.
Madame la Marquise de Braſfac , Dit
med'Honneur de Madame de Vendôme .
Troifiéme Caroffe .
S. À. S. Mademoisellede Conti.
Madamela Ducheffe de Sully.
Madame la Ducheſſe de la Ferté.
Madame la Marquise deNangy.
Madame laMarquise de la Vrilliere.
MadamelaMarquise de Liftenay.
QuatriémeCaroffe.
S. A. S. Mademoiselle delaRoche-fur-
Yon .
MadamelaComteſſed'Egmont.
Madame la Princeſſe de Talmont.
Madamede Clermont.
Madamela Marquise dePolignac.
Madame la Marquise de la Vrilliere.
MadamelaMarquise de Chumbouard.
NS
Cin
274 MERC. GALANT.
Cinquiéme Caroffe.
Madame laGrande Dacheſſeſeule dans
lefond,avecMadamela Comteſſe deMaily.
Et enſuite ſuivirent les Pages deMonſeigneur
le Dauphin & de Madame la
Dauphine. Le Caroſſe enſuite de Monſeigneur
le Duc d'Orleans , où il étoit
ſeuldans le fond , avec Monfieur le Marquis
de la Fare , ſon premier Capitaine
des Gardes , & Monfieur le Comte d'Eftampes
, ſecond Capitaine des Gardes .
Dans les autres Caroffes de ſa ſuite ,
étoient Meſſieurs d'Armentières , de Simiane
, deMarivat. Tous ces équipages
&cortégesfurent ſuivis des Pages duRoi,
avec les livrées du Roi ſans deüil , ayant
tous un flambeau à la main , auſſi-bien
que Meſſieurs les Moufquetaires , Gendarmes
, Chevaux Legers , qui tous
avoient leur habit d'ordonnance. A la
tête de ce défilé , les Caroſſes dans lefquels
étoient M. l'Evêque de Senlis , premier
Aumônier de Madame la Dauphine ,
M. l'Evêque de Tournay , M. l'Evêque
de Saint Omer , M. l'Evêque de Montauban
, & M. l'Evêque d'Autun , au milieu
M. le Curé de Verſailles en Eſtole d'un
côté , le Pere de la Ruë & le Pere Martineau
, celui-là Confeſſeur de Madame la
Dau
MARS 1712. 275
Dauphine , celui - ci de Monſeigneur le
Dauphin , de l'autre côté : enſuite parurent
les quatre Heraults d'Armes , avec
le Roi d'Armes à leur tête. Le Char étoit
accompagné de quatre Aumôniers en Rochet
, manteau & bonnet carré , tous
quatre à cheval , tenans chacun un des
quatrecoins dupoële , ce Char étoit atrelé
de huit chevaux caparaçonnez . Les
Recollets de Verſailles accompagnerent
leconvoi juſqu'à l'avenue. Il entra dans
Paris àdeuxheures &demie après minuit ,
toute la Rue Saint Honoré , où les Feüillants
, les Capucins , les Quinze-vingts ,
Saint Honoré , firent leurs Prieres avec
chacun leurClergé , ayant leurs Croix &
leurs chandeliers , ſe preſenterent au paffage
pour chanter unDe profoundis. Sitôt
qu'on apperçûtde Saint Denis les premiers
flambeaux , l'on ſonna un Bourdon
durant un quart d'heure , pour ſignal à
toutes les Egliſes de SaintDenis , Collégiales
, Paroiffes , & Communautez
d'hommes , pour ſe préparer à aller au
devant avec les Religieux de SaintDenis.
Tout le Clergé des autres Egliſes s'étant
rendu dans celle de l'Abbaye , on fonna
une ſeconde fois un Bourdon ſeul , pour,
ſe préparer à partir . On avoit commencé
àdire desbaſſes Meſſes dès quatre heures
du matin , dans les Chapelles duChever
, Chevet c'eſt la partie haute de l'Egliſe
de SaintDenis , derrière leChoeur ,
N &
276 MERC. GALANT.
le lieuoù feront expoſez pendant quarante
jours les Corps du Prince & de la Princefſe.
Tout le cortége paroiſſoit s'approcher ,
leClergé de Saint Denys , ayant les Religieux
à leur tête , en formerent unconfidérable
, & allérent au devant du convoi
juſques à la porte de Paris, qui étoittendue
avec deux rangées d'Ecuffons , auffi
bienque la première porte d'entrée ſur le
parvis. Le Convoi ayant joint, ils entonnerent
le Libera. Tout défila fur la
place où étoientpluſieurs Compagnies des
Gardes Françoiſes &Suifles , ſous les armes;
les Pauvres entrerent dans l'Eglife
avec leurs flambeaux . Monfieur de Dreux,
&Monfieur Deſgranges , firent diſpoſer
les fiéges & les carreaux dans le Choeur
pour lesDames.
Monſeigneur le Duc d'Orleans , Monfieur
leMarquis de Dangeau , & Monfieur
le Maréchal de Teffé , s'allerent placer
d'abord au Choeur ; enfin leClergé & les
Religieux étant entrez , le Char étant arrivé
devant la porte de l'Eglise , M. l'Evêque
de Senlis en chape & en mitre , le
Prieur de Saint Denis en chape , accompagné
de deux Religieux en Dalmatiques ,
attendirent que lesdeux cercuëils fuffent
apportez fur deux Tables , l'un auprès de
l'autre , placez au milieu , ſous la plateforme
à l'entrée pour commencer leurs
Harangues.
CesdeuxHarangues finies , Madame
la
MARS 1712. 277
1
1
la grande Ducheſſe étant revenuë du
Choeur au lieuoù elles ſe firent , pour repreſenter
auprès de Madame la Dauphine ,
on avoit mis ſur les cercueils de plomb ,
enfermez dans un cercueil de bois de chêne
, & couvertd'un velours , croisé d'une
moire d'Argent , à travers lequel pafſoient
trois Anneaux de chaque côté, un
poëfle noir avec une Croix herminée ,
tout le poëfle bordé d'hermine de lahauteur
dedix pouces , & par deſſus ce poëfle
uneautredeDrap d'Or , avec les Ecuffons
brodezdeMonſeigneur le Dauphin , aufquels
étoient jointes les Armes deMadame
la Dauphine ſans brifures , n'y ayant
quecellesde Savoye , qui fontdeGueules
à une Croix d'argent , ainſi qu'elles paroiffoient
alternativement dans les Ecus
de Velours , chargez d'Ecuffons , quirégnoientautourdu
Choeur juſqu'à l'Autel,
celles de Monſeigneur leDauphin ſeuls ,
alternativement jointesà celles de Madame
laDauphine. Enſuite on avança dans
le Choeur , les Gardes du Corps eurent
ordre du Maître des Cérémonies , de
prendre leCorpsde Madame la Dauphine
le premier , pour le porter ſur une eſtrade
de trois dégrez qui étoit dans le Choeur ,
&celuideMonſeigneur le Dauphin , lefquels
étant placeż fur deux Tables , le
poële de Drap d'Or , ſeulement étendu
deffus , cinq douzaines de cierges autour,
furmonté d'un Dais en l'air; le Miſerero
achevé ,
N7
278 MERC. GALANT.
achevé , on chanta le Subvenite , Kyrie
Eleison , Pater nofter , pendant quoi M.
l'Evêque de Senlis jetta l'eau benîte autour
, encenſa , & le Pere Prieur enſuite ,
&M.de Senlis ayantfini l'Abfolution , ce
qui conduifit juſqu'à ſept heures trois
quarts; ons'alla repoſer une demi heure,
après laquelle M. de Senlis vint commencer
la grande Meſſe , qui dura juſques à
neufheures trois quarts .
Les coeurs deMonſeigneur le Dauphin,
&de Madame la Dauphine , furent por .
tez au Val de Grace le Vendredi au foir .
Ils y arriverent à minuit.
En attendant un détail de certe cérémonie
, voici le Diſcours que fit Madame
l'Abbeffe du Val de Grace en les recevant.
Discours de Madame l'Abbeſſe du
Val de Grace.
C'eſt , Monſeigneur , dans les ſenti.
mens d'une vive douleur , avec un pro .
fond reſpect , & une parfaite reconnoif.
fance , que nous recevons les Coeurs de
Monſeigneur leDauphin &de Madame la
Dauphine , que le Roi nous fait l'honneur
denous confier. Cegrand Prince ,
&cette grande Princeſſe faifoient lebonheur
de la Cour , & l'eſperance des Peuples
, par leurs auguſtes qualitez , & s'étoient
attiré l'eſtime de notre grandMonarque
MARS 1712. 279
narque par leurs héroïques vertus : puifque
le Ciel n'a point exaucé nos prieres
en leur rendant une ſanté ſi prétieuſe à la
France , & qu'il les a voulu priver d'une
Couronne Temporelle , nous allons ,
Monſeigneur , redoubler nos voeux pour
leur en obtenir une éternelle.
M. le Dauphin étoit le vingt - uniéme
Dauphin de la maiſon de France , depuis
laceſſion du Dauphiné par Humbert , dernier
Dauphin de Viennois , en 1349.lequel
Humbert ſe voyant Veuf& ſans Enfans
, diſpoſa de ſes Etats en faveur des
Fils aînez & préſomptifs , héritiers de la
Couronnede France , à la charge & con .
dition , qu'ils en porteroient le Nom &
les Armes ; & le premier qui a porté cette
qualité a été Charles de France , Fils du
Roi Jean, qui lui ſucceda à la Couronne
en 1364. , ſous le nomdeCharles V. De
cesvingt & un Dauphins ily en a eu neuf
qui ont étéRois , les douze autres étant
morts ſans être parvenus à laCouronne.
Ceux qui ont été Rois ont été Charles V. ,
Charles VI . , Charles VII . , Loüis XI. ,
Charles VIII. , Henri II . , François II .
Loüis XIII . , & Louis XIV. Il y a eu
neufDauphins mariez , étantDauphins,
&dix Dauphines , parce que Louis XI.
aétémariédeux fois étant Dauphin . Sa
premiére Femme , Marguerite d'Ecoffe ,
mourut Dauphine ; & faſeconde , Charlotte
280 MERC. GALANT.
lotte de Savoye , devint Reine. De ces
dix Dauphines il n'y en a eu que cinq de
Reines : fçavoir , Jeanne de Bourbon ,
Femme du Roi Charles V.; Maried'An.
jou , Femme du Roi Charles VII.; Char
lotte de Savoye , ſeconde Femme du Roi
Loüis XI.; Catherine de Medicis , Femme
du Roi Henri II . ; & Marie Stuart ,
Femme du Roi François II . Cette triſte
mort de M. le Dauphin , fait queM. le
Duc de Bretagne devient le vingt-deuxić.
meDauphin. Il eſt très fingulierde voir
qu'en dix mois & quatre jours nous
voyons troisDauphins : ſçavoir , Loüis V.
Dauphin de Viennois , mort le 14. Avril
1711. , Pere de Louis VI. , auffi Dauphinde
Viennois , qui vient de mourir ,
connu ci -devant ſous le Titre du Duc de
Bourgogne , &auſſi Perede M. leDucde
Bretagne , à preſent Dauphin , au lieu
deM. fon Pere. LesdixDauphinesqu'il
ya eu font, une de la Maiſon de Bourbon,
une de Bourgogne , deux de Baviére
, uned'Anjou , deux de Stuart , une
de Medicis , & deux de Savoye , la der.
niére deſquelles eſt celle qui vient de
mourir , Marie-Adelaide de Savoye , Fille
de Victor Amé , ſecond du nom , Duc
de Savoye , & de Dame Anne d'Orleans ,
Fille de Philippe de France , Ducd'Or.
leans , Frére unique du Roi , & d'Henriette
- Anne d'Angleterre , ſa premiére
Femme. Cette Dame meurt à vingt- fix
ans,
MARS 1712. 281
4
ans, deux mois & cinq jours , étant née
le 6. Octobre 1685. , & après quatorze
ans , deux mois , &cinqjours de mariage,
la célébration s'étant faite à Verſaille
le 6. Octobre 1697. Elle a eu troisEnfans:
ſçavoir , deux Ducs de Bretagne ,
&un Ducd'Anjou. Le premier eſt mort
âgé de neufmois &dix-neufjours , le 13 .
Avril 1705. le ſecond à preſent vivant ,
eſt M. le Dauphin , & le troiſiéme , qui
eſtM. leDucd'Anjou , vit auſſi .
CetteDameétoitd'unedes plus ancien
nes Maiſons Souveraines de l'Europe ,
puiſque la Maiſon de Savoye eſt ſortiede
celle de Saxe ;&elle a commencé à régner
en Savoye il y a ſept Siècles , en vingttrois
Générations & trente-quatre Princes,
qui fe font fuccédez les uns aux autres
avec tant debonheur , que lors que quelqu'un
eſt mortfans Enfans , laCouronne
n'eſt jamais paſſe à undegré plus éloigné ,
que du Frere ou du petit Neveu augrand
Oncle.
Le premier qui a commencé à régner
en Savoye a été Berold , en l'an 1000. 11
étoit iſſu de Witichind le Grand , Duc de
Saxe, &de lui eſt deſcenduë toute laMaifon
de Savoye , qui a donné de grands
hommes. Amé ſept fut élû Pape au Concile
de Bâle contre le Pape Eugene quatre
en 1439. ſous lenomde Felix cinq. Eugene
quatre étant mort , & Nicolascinq
ayant été élû , Felix ſe démit du Pontificat,
282 MERC. GALANT .
cat, à la prière du Roi de France, pour
donner la paix à l'Egliſe , ſe contentantde
la qualité de Doyen du Sacré College ,
qu'il garda juſques à ſa mort , arrivéeen
1451.
Ils portent la qualité de Rois deCypre ,
par ladonation qui leur a été faite par
Charlotte , Reine de Cypre, Fille &Héritiére
de Jean Second du nom , Roi de
Cypre. Cette Reine fut mariée deux fois :
la premiére , à Jean Prince de Portugal ,
2. à Loüis de Savoye , Comte deGeneve
, Frere d'Amedée neuvième du nom ,
Duc de Savoye , deſquels elle n'eut point
de Poſtérité. Le Roi Jean ſon Pere ,
étant mort fans Enfans máles légitimes ,
leRoyaume lui échut : mais il lui fut difputé
par Jacques de Cypre , ſon Frere naturel
, qui s'empara du Royaume , avec
Paffiſtance du Soudan d'Egypte , & de
Marc Cornaro , Gentilhomme Venitien ,
qui lui fit épouſer ſa Fille , &qui fut adoptée
par la Seigneurie de Veniſe , qui lui
conſtitua unegrande Dot. Jacques étant
mort à trente trois ans, laiſſa ſa Femme
enceinte , & la déclara ſon Héritiére en
cas qu'elle ſurvêcût au fruit qu'elle portoit.
Elle accoucha d'un Fils , quimourut
deux ans après : ainſi elle demeura
Reine de Cypre , avec la protection de la
République de Venise , à laquelle elle
abandonna le Gouvernement de l'Etat ,
lui faiſantdon de laCouronne , ſe retirant
à
MARS 1712. 283
ای
àVeniſe, où elle paſſa le reſte de ſes jours.
Tout ceci ſe paſſa au préjudice de laReine
Charlotte , qui fut contrainte de ſe retirer
à Rome où elle mourut Penfionnaire
du Pape, & voyant qu'elle ne pouvoit
rentrer dans ſes Etats, elle fit donde ſon
Royaume en preſence du Pape &des Cardinaux
à Amedée neuvième , Duc de Savoye
, ſon Beau-Frere, & à ſes Succefſeurs.
Sous le Pontificat du Pape Clement
VII . lors qu'il couronna l'Empereur
Charles Cinq à Boulogne , cette Donation
fut examinée en preſence du Pape &
de l'Empereur , qui adjugerent ceRoyaume
aux Ducs de Savoye : mais Selim Empereur
des Turcs termina le Differend du
Duc de Savoye & des Venitiens , s'étant
emparé de ce Royaume en 1971 .
Leurs Alliances font très- conſidérables ,
tant par les Femmes qu'ils ont données ,
que par celles qu'ils ont époufées , en
ayant eu trois de la Maiſon de France ,
trois de celle d'Orleans , quatre de Bourbon
, trois de Bourgogne , une de Berry ,
&quantité d'autres de Maiſons très -illuftres.
Ils ont donné une Femme à Louis
le Gros Roi de France , une à Rodolphe
Duc de Soüabe , Empereur , une à Alfonſe
Premier , Roi de Portugal , une à Andronic
Paleologue, Empereur de Conſtantinople
, une à Louis d'Anjou , Roi de
Naples &de Sicile , une à Federic d'Arragon
Roi de Naples ; une Reine de Portugal
284 MERC. GALANT.
gal de nos jours , Femme de PierreRoide
Portugal ; une au Roi Loüis Onze , Roi
de France ; une à Charles d'Orleans ,
Comted'Angoulême , qui a été Loüiſe de
Savoye , Mere du Roi de France François
Premier. Ce ne ſeroit jamais fait , s'il
faloit particulariſer toutes leurs Alliances;
ce qui ne ſe pourroit faire qu'en faiſant la
Genealogie de cette Maiſon.
Pour la Succeſſion des Dauphins de la
Maiſon de France, on les peut voir dans
la Carte que Monfieur Chevillard, Genealogiſte
du Roi & Hiſtoriographe de
France , en adonnée au Public en 1700.
MORTS.
Meſſire Loüis de laVergne Montenare
de Treffan , Abbé de Bonneval , & Evêque
du Mans , y mourut le 27. Janvier ,
âgé de quatre- vingt-deux ans. Il fut fait
Maître de la Chapelle & de l'Oratoire de
feu Monfieur , eut l'Abbaye de Quarrente
& de Saint Lidiguer, LeRoi le nomma
à l'Evêché de Vabre , & lui donna le
Prieuré de Caffan. Monfieur le fit fon
premier Aumônier , & lui donna l'Abbaye
de Bonneval. Il fut transferé de l'Evêché
de Vabre à celui du Mans , dont il a
rempli le Siége durant quarante ans &
quatre mois. Il étoit de l'ancienne Maifon
de la Vergne de Treſſan , établie depuis
MARS 1712. 285
:
puis cinq cent ans dans la Province de
Languedoc. Son Frere aîné étoit Jeremie
de la Vergne , Marquis de Treffan ,
Maréchal de Camp des Armées du Roi ,
qui a laiffé de Dame Marguerite deBeon
pluſieurs Enfans, dont l'aîné eſt François
de la Vergne , Marquis deTreffan, cidevant
premier Guidon des Gendarmes de
la Garde du Roi , qui a épousé Dame .
Louiſe-Magdelaine de Brulard. Le ſecond,
Louis de la Vergne de Treffan ,
premier Aumônier de Son Alteſſe Royale
Monſeigneur le Duc d'Orleans , Comte
de Lion , Abbé de Lepo. Il reſte encore
un Frere & une Soeur vivans de M. l'Evêque
du Mans: à ſçavoir , Alfonſe de la
Vergne de Treffan , Comte de Lion ,
Maîtredu Choeur de Saint Jean: &Dame
Eliſabeth de la Vergne de Treffan , Epouſe
de Meffire Charles Comte de la Motte
Houdancourt , Lieutenant Général des
Armées du Roi , Gouverneur de Bergue
Saint Vinox.
François d'Aligre , Abbé deS. Jacques,
eſt mort le 21. Janvier .
M. l'Abbé de S. Jacques étoit Fils &
Petit-Fils des Chanceliers de France d'Aligre.
Il étoit Frere de M. d'Aligre , Pere du
Préſident à Mortierd'aujourd'hui , Frere
auſſi de Madame de Vertamont , Mere du
Premier Préſident du Grand Confeil , &
depuis remariée au Maréchal d'Eſtrade ;
il
286 MERC. GALANT.
il étoit Frere auſſi de Madaine la Ducheſſe
de Luines , troiſiéme Femme de M. le Duc
de Luines & de Madame de Manneville ,
depuis remariée à Monfieur le Marquis
de Verderonne , il étoit Frere de M. l'Abbé
de Saint Riquier, il étoit Abbé de
Saint Jacques de Provins , cette Abbaye
eſt de l'Ordre de Sainte Geneviève , il
étoit retiré quand ſon Pere fut élevé à la
Dignité de Garde des Sceaux en 1674. il
reſta auprès de lui juſqu'à ſa mort , qui
arriva en 1679. & fon Pere expiré il retourna
dans ſa ſolitude , où il eſt mort en
odeur de fainteté , il n'avoitjamais voulu
accepter que ſept mille livres de rente ,
deſquelles il donnoit cinq aux Pauvres ,
ne vivant que de légumes cuites à l'eau&
&au fel , il eſt mort âgé de 90. ans , il
étoit le ſeul en France qui eût encore un
Benefice de laNomination de Loüis XIII .
en forte qu'on peut dire à preſent que
Louis XIV. a nommé de ſon Régne à tous
les Benefices de ſon Royaume.
Dame Nicolle de Bellois , Epouſe de
Meffire Jacques-Antoine de Hennin-Lietard
, Marquis de S. Phal , ci - devant
Meſtre de Camp de Cavalerie , & Sous-
Lieutenant des Gensdarmes Bourguignons
, mourut le 24. Février 1712. en ſa
27. année , laiſſant Poſterité.
La Maiſon du Bellois eſt une des plus
conſidérables de Picardie , les Marquis de
Francier font les aînez de cette Maiſon .
La
MARS 1712. 287
La Mere de cette Dame étoit de la maiſon
de la Fite , Soeur du Marquis de Pelport
, & ainé de cette maiſon , Maréchal
deCampdes Armées du Roi.
Damoiſelle Loüiſe Armande. Hurault
de Vibraye , mourut ſans Alliance le 26.
Janvier , en ſa 20. année.
Monfieur le Marquis de Vibraye , Lieutenant
Général des Armées du Roi , &
Commandant à Saint Malo & dans la
Bretagne , eft Pere de cette Damoiſelle.
Le Chancelier de Chiverni , étoit de la
mailondeHurault. Madame la Marquiſede
Vibraye s'appelle Julie de Caſtellan ,
d'Adheimart de Monteilde Grignan , Fil.
le de Monfieur le Comte de Grignant ,
Chevalier des Ordres du Roi , & Lieutenant
Général , Commandant en Provence,
& d'Anne Dangene de Ramboüillet ,
SoeurdeMadame laDucheffe deMontaufier.
Dame Renée Françoiſe de Canone ,
épouſe de M. Claude-Alexandre Seguyer ,
Chevalier , & auparavant Veuve de M.
Jaques du Boulet , Chevalier , Seigneur
de Terameny , Capitaine du Vol pour les
champs de l'équipage du Roi , mourut
le 27.Janvier.
La maiſon de Seguier', originaire de
Gascogne , eſt une des plus anciennesde
la Robe , ellea donné un Chancelier , &
pluſieurs Prefidens aux Mortiers au Parlement
de Paris , l'un deſquels fit décider
fous
288 MERC. GALANT
:
ſous le Régne du feu Roi , que les Prefidens
à Mortiers au Parlement de Paris ,
auroient le pas & la préſeance fur les premiers
Préſidensde tous les Parlemens du
Royaume.
M. Philippe de Baffan , Chevalier , Seigneur
de Richecrou , mourut le 27. Janvier.
M. Jean Armand Fumée , Seigneur des
Roches , S. Quentin , Abbé de Conques,
Figeac , & S. Genous , mourutle 30 .
Janvier , âgé de 82. ans.
LaMere de cet Abbé étoit de l'ancienne
maiſon de Bonoeuil en Poitou ; elle épouſa
en ſecondes Nôces le Marquis de Cruffol
, Frere d'un Ducd'Uſez . La maiſon
de Fumée , originaire de Tours , tire ſon
origine d'Adam Fumée , Seigneur des
Roches , Garde des Sceaux de France ,
fous les Rois Loüis XI. &Charles VIII .
M. Charles- Nicolas , Comted'Hautefort
, Maréchal des Camps & Armées du
Roi , Lieutenant de la ſeconde Compagnie
des Moufquetaires de Sa Majesté ,
mourut le 2. Février 1712. , laiſſant poftérité
de Dame N. de Creil .
La Mere de ce Conte étoit de l'illuftre
maiſon de Bayeul. La maiſon d'Hautefort
eſt unedesplus conſidérables du Perigort
, elle a donné beaucoup de Généraux
d'Armées & des Chevaliers de l'Ordre
; les deuxpremiers Ecuyers de lafeuë
Reine étoient les chefs de cette maison ,
le
MARS 1712. 289
leMarquis de S. Chamant , Enſeigne des
Gardes du Corps du Roi , eſt Frere de
feu Monfieur le Comted'Hautefort.
Dame Geneviève de Saleux , Veuvede
M. Auguſtin de Louvencourt , Maître
des Comptes , mourut le 3. Février.
Dame Marie Magdelaine de Vaux ,
Veuve de M. François de Damas , Chevalier
, Marquis d'Antezi , Mestre de
Camp d'un Régiment de Cavaleric , entretenu
pour le ſervicede S. M. , mourut
le3. Février.
Le Marquis d'Antezy , Maréchal de
Campdes Armées du Roi , Commandant
à Huningue , qui a épousé la Soeur du
Marquis deMonperoux , LieutenantGénéral
des Armées du Roi , Mestre de
CampGénéralde la Cavalerie de France ,
étoit Frere du Mari de cette Dame. La
maiſon de Damas eſt une des plusgrandes
&des plus anciennes du Royaume : les
Ducs de Pontevaux & les Marquis de
Thyange étoient les Chefs de cette IIluſtre
maiſon , Mesdames les Ducheſſes
deNevers &de Seforce , qui font en vie ,
fontde laBranche de Thyange.
Dame Elizabeth Charlotte Jaime ,
épouſe de M. Etienne de l'Eſtang , Chevalier
, Seigneur de la Valette , Chevalier
de l'Ordre Militaire de S. Louis ,
Commandant pour le Roi fur la Meuſe ,
mourut le 4. Février.
M. Loüis de Pardaillan , Marquis de
Tome V. Gon290
MERC. GALANT.
Gondrin , Ménin de Monſeigneur le Dauphin
, Brigadier des Armées du Roi , &
Colonel du Régimentde Gondrin , mourut
à Versailles les. Février , âgé de 23 .
ans.
CetArticle merite bien qu'on en parle
plus amplement le moisprochain.
Dame Marie d'Aidie , Veuve de M.
Jean François , Comte de Lambertie ,
mourut le Février.
La maison de Lambertie eſt une des
plus anciennes & des plus conſidérables
de la Lorraine.
M. Joſeph de Miane Ponponne , Chevalier
de l'Ordre Militaire de S. Loüis ,
Gouverneur de Fécamp , Major du Régimentde
Lionnois ,mourut le 15. Février.
M. le Préſident de Meſmes fut inſtallé
premier Préſident le 15. Février .
La maiſon de Meſmes tire ſon origine
du Château& Terre de Memes , dans le
Dioceſe de Bazas. Elle tire ſon origine
d'Ecoffe. & s'établit enGuyenne ſous le
Régne de Philippe Auguſte , on voit en
1279. un Henri de Meſmes , qui rend
hommage de ſa Terre à la Vicomteffede
Marfan. Cette maiſon a été dans l'épée
durant quatre fiécles . Jean-Jaques de
Melmes , premier du nom , qui épousa
Nicole Hannequin , eſt le premier qui
foit entrédans laRobe , où elle a poffedé
les
MARS 1712. 291
les plus grandes & les plus éminentes
charges. Cette maiſon a donné pluſieurs
Plénipotentiaires & Ambaſſadeurs , &
Officiers de l'Ordre , qui ont tous brillé
par leur merite & leur grande capacité ,
& qui ont toûjours fervi de protecteurs
aux gens de Lettres , elle eſt alliée aux
maiſons les plus conſidérables du Royaume
, comme celle de Montluc, Clermont
, d'Amboiſe , Luſignan , S. Gelais,
Rochoire , & autres . Le Pere de Monſieur
le premier Préſident étoit Jaques de
Meſmes , troifiéme du nom , Préſident
aux Mortiers , & Prévôt , & Maître des
Cérémoniesde l'Ordre .
M. le Peletier de Villeneuve , Conſeiller
au Parlement , qui avoit eu l'agrément
de la Charge de Préſident de M. de
Meſmes , y fut reçû le 17 Février.
M. de Gourgues d'Aunay , Maître des
Requêtes , a épousé Damoiſelle N. Aubourg
, Fille de M. Aubourg , Marquis
deBoury , Garde des Rolles.
La maiſon deGourgueeſt unedesplus
anciennes du Parlement de Bourdeaux, a
qui elle a donné un Préſident. Il ya cu
un Dominique de Gourgue , qui pour ſe
vanger des mauvais traitemens qu'il avoit
reçûs des Eſpagnols , ayant été pris prifonnier
de guerre dans lesGuerres d'Italie
, arma un Vaiſſeau à ſes dépens , &
fut dans la Florite au détroit de Sainte Heleine
, reprit un fort nommé Carleforte ,
02 du
292 MERC. GALANT.
du nom de Charles IX. qui régnoit alors ,
& qui avoit été bâti parJean Ribaud , qui
lui avoit donné le nom de ce Prince , qui
en avoit été chaſſé par les Eſpagnols , il
ravagea tout le Païs , &les chaſſa de tout
ceRoyaume.
N. Thiercelin , Marquis de Broffe ,
épouſa le 8. Février N. Rouillé , Fille de
M. Louis Roſlin Rouillé , Maître desRe
quêtes.
La maiſon de Thiercelin eſt une ancienne
& illuftre maiſon , quelques-uns difent
qu'elle tire ſon origine des anciens
Comtes de Thoulouze ; elle a toûjours
tenu rang conſidérable , & a toûjours été
alliée auxplus grandes maiſons du Royaume.
La grande Mere du Marquis de
Brofle étoit de la maiſonde Montmorancy
. Madame la Marquiſe deBroffe , Mere
du jeune époux , étoit du nomde
Thiercelin , comme ſon Mari , & étoit
héritière de la Branche des Marquis de
Saveuſe , établie dans le Dioceſe deChartres.
Sur
MARS 1712. 293
Sur la mort de Monſeigneur le
Dauphin , & de Madame laDauphine.
Q
3
Uel coup vient d'accabler laFrance!
Le Ciel qui nous flatoit del'espoir le
plusdoux ,
D'andouble traitdeſon courroux
Nous a ravinotre esperance.
Loüis! Adelaide! ab mortelles douleurs !
Helasque nom perdons de vertus & de
charmes ,
Quenous allonsverſer depleurs:
GrandDien! vousqui cauſez nos larmes,
Lorſqueſenſibleànosfonbaits ,
Vous vouliez vous montrer notre Dieu tu.
telaire ,
Nousnemeritionspasdefi rares bienfaits:
Mais parquelsborriblesforfaits
Meritons nous tant de colere ?
Maisquoi le coup affreux qui nousa confondus
Va-t-il mettre le combleà notre ingratitu
de?
Cemême Cielenfin qui nous tient abattum ,
Nous conferve au milieu d'une épreuve fi
rude
Laſourcede tant de vertus.
03 Non
Pa
14
Il vous fou muru jesfins ,
Soncoeur, àfroidjamais auvrai ne tourne,
Toujours du travers ,
11
FEVRIER
Iltrompe encor murder-
C'est un coeur & ens men.
PrèsdeP
DIL 1F and
GrandDres
En L
Qu'eut enpreu
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TOUTE
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Four yeu qu
Elle a tourne ARIC
Dame Cataeaet.avor...
Meffire Simon
quis de Fompone
rieres, Cname:
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niftre & Secretans d'en
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rutle 31. Leermes
Les Enfans qu
Nicolas-Snor
Pomponne, Erig
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pour Sa Majent avskr
Ile de France,
ك ا ل ت م ا ت س
١١٥٧
Tome V.
i
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い
こ
こ
:
294 MERC. GALANT.
Non iln'est pointd' Ame affez noire
Pour oublier ainsi le plus grand des bienfaits.
Qu'il puiſſe auſſi long- tems régner sur ses
Sujets,
Qu'il doit régner dans leur mémoire.
Vous , Peuples , joüiffez en Paix
Et deſesjours , & de fagloire :
Maisnevous conſolezjamais .
La place de Garde du Cabinet desMedaillesdu
Roi , vacante par la mort deM.
Oudinet , décédé à Versailles le 12. Avril ,
aété remplie par M. Simon , Penſionnaire
de l'Académie des Inſcriptions : & à
l'égardde la penſion de M. Oudinet , elle
a été donnée à M. Moreau deMautour ,
Auditeur des Comptes , alfocié de cette
Académie , Sa Majesté l'ayant honoré de
fon choix & de ſa nomination , enſuite
d'une élection à laquelle avoit préſidėM.
l'Evêque de Strasbourg , & où ſuivant le
Réglement de l'Académie on avoit élú &
preſenté trois ſujets à choiſir.
MARIAGE.
: ٠٢
Le 21. Janvier 1712. Loüis Dupleſſis
Chaftillon , Colonel de Provence , &
Brigadier des Armées du Roi , a épousé
AnneNeyret de la Ravoye , Fillede feu
M. de la Ravoye , Grand Audiancier de
Fran
MARS 1712 295
France , & Treſorier Général de laMarine
, & de Varice de Vallieres.
Le Marquis Dupleſſis Chaſtillon , eſt
Fils de feu Jaques Dupleſſis Chaſtillon ,
Marquis dudit lieu , & de Nonant , & de
JeanneMariede Fradet de S. Aouft , Fille
de feuJeande Fradet de Saint Aouſt , Ma
réchal des Camps & Armées du Roi , &
Lieutenant Général de l'Artillerie de
France , & de Jeanne Marie de S. Gelais
deLufignan , & Soeur d'Armand Antoine
de Fradetde S. Août , Brigadier &Lieutenant
Général pour le Roi dans ſa ProvincedeBerry.
La maison Dupleſſis Châtillon , eſt
unedesplus anciennes maiſons de la Province
duMaine , commeil paroît premiérement
par un vieux Titre de mil trentequatre
, qui fait mention d'un Grimoult
Dupleſſis Châtillon , Seigneur dudit lieu.
Etpar un autre Titre de l'année 1274.
il paroît une tranſaction faite entre les Sei--
gueurs de Mayenne , & le SeigneurDupleſſis
Châtillon; & depuis ce tems , la
fifíation s'eſt continuée avec de grandes
Alliances , comme de Beaumont le Vicomte
, d'Avaugour , de Villevignes ,
du Bellay , d'O , de la Flotte , & plufieurs
autres .
J'ai vû entre pluſieurs manuscrits anciens
des Lettres écrites par le Roi Charles
IX. & Henri III. à un Dupleſſis Châ
tillon, en voici une de Charles IX. , en
Ο 4
lui
296 MERC. GALANT.
lui envoyant l'Ordre de Saint Michel ,
qui encetems-là tenoit lieu de l'Ordre du
S. Eſprit , inſtitué depuis par Henri III .
Monfieur Dupleſfis Châtillon , pourvos
vaillances&merites , vous avez étéchoisi
&élu par l'aſſemblée des Chevaliers ,
Freres&Compagnons de l'Ordre Monfieur
S. Michel, pour être aſſociéàladite
Compagnie , pour laquelle élection vousno.
tifier , & vous preſenterdemapart leCollierdudit
Ordre, fi vous l'avez agréable ,
j'envayepreſentement mémoire&pouvoir
àmonCousin le DucdeMontpencier , vous
priant vous rendre devers luspourcet effet ,
Gêtre content d'accepter l'honneurque la
Compagnie vous defirefaire, quifera pour
augmenter de plus en plus l'affection &
bonnevolonté que je vous porte , & vous
donner occafion de perfeverer en la dévotion
que vous avez de me faire ſervice ,
ainſiquevousferaplusàplain entendre de
ma part mon dit Cousin , auquelje vous
prie d'ajoûtersur ce autant defoi que vous
feriez à moimême : priant Dieu , Monfieur
Duplessis Châtillon , vous avoir enſa
garde. Ecritas . Germainen Layele 21 .
Février 1574. Signé , CHARLES ,
plus bas , PINART.
En voici une autre écrite de la main
d'Henri III . quej'ai miſe ici , parce qu'ellecontientun
fait Hiſtorique.
MonMARS
1712. 297
Mr.Dupleſſis Chatillon , iln'est pas commej'eſtime
que vousn'ayezbienſçûà cette
beure, comme mon Frere le Duc d'Alenfon
, que j'ai toujours aimé d'une affection
plus que fraternelle , s'eſt ſeparé d'auprès
demoi par la follicitation , & mauvais
conſeil de ceux qui ſont élevez en Armes
contre notre autorité , s'étant retiré à
Dreux , où il fait contenance d'affembler
quelques Troupes , de quoi vous pouvez
penfercombienjeporte deregret , tantpour
l'amourfingulier dont je luifuis conjoint ,
quepour connoître bienne pouvoiradvenir
d'un fi nouvel accident que tout accroiffement
de maulxfur mon Peuple , qui avoit
plusdebefoäinde veoir arrêter lecours de
ceux desquels iln'étoitja que trop affligė ,
felonque juſques à hui , je pense avoirautant
mis depeine que de travailquepouvoir
faireunbonPrince , amateur du repos
union de tous ſes Sujets , & pourceque en
un tel nouveau mal , &pourm'aiderày
pourvoir & remedier , ainsi que j'en ai
unebonne volonté,j'ai besoinde l'affiftan
ce dema Nobleffe , & de ceux dontjeme
fuispromis toute loyauté &fidélité , du
nombre desquels je vous tiens & eſtime .
J'ai pense vous écrire ce mot de Lettre ,
pour vous dire queſivous fûtesjamais touché
du defir de vous voir en occasion , à
laquelle vous me puiffiezfaire paroître votre
droite affection aubien de mon ſervice ,
vous devezpenser qu'ellesepreſente aujour-
Ος bai ,
298 MERC. GALANT.
d'hui , au moyen de quoi je vous écris ,
Monfieur Dupleſſis Chaftillon , que incontinent
lapreſente reçûë , vous regardiez à
vous mettre en ordre , pour me venir trouver
avec bonne Compagnie de vosamisS
aumeilleur équipage d' Armes chevaux ,
&au plutôt que vous pourez , afin de me
faireàcebeſoinleſervice que je mesuis tonjours
promis de votre loyauté &fidélité:
àquoi fatisfaisant , outre que ce sera acte
digne d'un Gentilhomme d'honneur , tel
que vous vous êtes toûjoursfait connoître,
vousvouspouvez aſſurerquejevous enfaurai
perpetuellement bon gré , & que je le
reconnoîterai envers vousselon que lesoccafions
s'en pourront offrir , priant Dieu ,
M. Duplessis Chastillon , qu'il vous ait en
fafainte garde , ſcellé à Paris le 22.
TourdeSeptembre 1575. Signé , HENRI,
Gplus bas , Signé, BRULLART.
Ondonnera le mois prochain des détails
ſur les morts de M. de Catinat , M.
deMagnac , M.de Signelay , & autres .
Tra
:
MARS 1712. 299
Traduction nouvelle , & explication
de l'Office de la Vierge.
CEEtte Traduction eſt également pro .
pre aux perſonnes éclairées , & intelligible
à ceux qui ont plus de pieté que
depénétration; & c'eſt ce qui étoit difficiledans
pluſieurs endroits tirez du Cantique
des Cantiques .
Ce Livre ſe vend à Paris , chez Loüis
Guerin , Ruë Saint Jaques , à l'Image
Saint Thomas d'Aquin , vis -à-vis la Ruë
des Mathurins .
Depuis que l'illustre M. Duverney , fi
célébre par ſa profonde connoiffance de
l'Anatomie , nous adonné fon Traité de
l'Oreille , pluſieurs habiles Anatomiſtes,
Médecins , & Phyſiciens , de France ,
d'Allemagne , d'Italie , & de Hollande ,
ont produit d'excellens Ouvrages ſur le
mémeſujet , ſans avoir cependant entiérement
épuiſé cette matière , ni même
s'être bien accordez ſur ſes parties , &
für leur uſage. C'eſt ce qui a portéM.
Parent à joindre ce qu'il a vûde ſes yeux ,
&ce qu'il a tiré de ſes réflexions aux dé
06 cou
300 MERC.GALANT .
couvertes de ces Savants , en faveur du
Public; comme il a fait le mois précedent
, à l'égard de la circulation du fang
des Animaux , & de leur reſpiration , &
par le même motif.
Les merveilles de l'Oreille tirées de
l'Anatomie comparée , & des
proprietez du bruit &des fons.
1.
E ne m'arrêterai pas à parler icide
Jl'Oreille extérieure , dont la ftructure
& l'uſage paroiffent aux yeux de tour
lemonde . Car on voit affez que ce n'eſt
qu'une eſpece de cornet, mis à l'entréede
l'Oreille intérieure pour raffembler le
bruit & les fons , pour les fortifier & les
introduire dedans ; ce qui ſe confirme en
ce que les Animaux qui en ſont privez ,
ou à qui on les a coupées , entendent
moins clair que les autres ; & que ceux
au contraire qui les ontplus grandes , entendent
le mieux ; ou que ceux encore
quiont leplus beſoind'entendre , ont les
plus grandes Oreilles. A l'égard de la
figure applatie & repliée des Oreilles dés
hommes , on voit encore que la Nature
ne les a ainſi diſpoſées , qu'afin qu'elles
parüffent moins au dehors , & qu'ils en
fuffent moins embarraffez ; & elle les a
ôtées aux Oiseaux , & principalement
aux Poiffons , parce qu'elles les empê
che.
MARS1712. 301
cheroientde voler&de nager ; ce quileur
apporteroit plus de dommage que d'utilité.
Au reſte la direction dont la peau interne
des Orcilles eſt frappée par lebruit& les
fons , fait appercevoir le côté d'où ils
viennent , à cauſe des ramifications du
nerf dur auditif, & du ſecond vertebral
qui s'y répandent. Et c'eſt pour cela que
cette partie eſt ſi fine , & fi ſenſibledans
lesOiſeaux qui ont l'oüye fort ſubtile , &
même ſi grande dans les Oiseaux nocturnes
, comme les Choüettes & les Hiboux.
La différence de tems ou de forcedontune
Oreille eſt frappée plûtôt , ou plus fort
que l'autre , contribue encore beaucoup à,
faire appercevoir de quel côté vient le
bruit. A l'égard des Poiffons , & des
Tortues , & autres Animaux aquatiques
qui ont l'entrée de l'Oreille ferméed'une
membrane, la premiére cauſe de diftinc
tion n'a point lieu chez eux .
2. Quant à l'Oreille intéricure , je
ſuppoſe qu'on regarde de front celled'un
homme, comme par exemple , la droite ,
lors qu'elle eſt dans fa fituation naturelle ,
&je remarque d'abord une eſpece de canal
fait en entonnoir un peu tortueux ,
qui va en s'étreciſſant& enbaiffant unpeu
du derriére vers le devant de la tête , ſe
terminer entre la baſe du crane & l'extrémité
inférieure de l'os des tempes à une
portion du crane , appellée la Roche , laquelle
contient le reſte de l'Oreille , que
07
nous
302 MERC.GALANT.
nous appellons intérieure , & qui eſt compoſéede
quatre chambres ou cavitez , de
pluſieurs chaſſis , &d'autres parties dont
on va faire le détail. Le fondde cet entonnoir
aboutit, fous unedirection un peu
inclinée , à une eſpecede chaſſis quej'appelle
extérieur , ou grand chaſſis , parce
qu'il eſt tranſparent , & qu'on peut y arriver
immédiatement de dehors. On l'appelle
la membrane du tambour , du nom
de la premiére chambre intérieure qu'il
ferme , qui a été nommée le tambour ,
comme on va le dire . Ce chaſſis eſt enchaffé
dans une portion d'anneau offeux ,
qui repreſente environ les deuxtiers d'un
cercle entier , lequel eſt colléfortement à
l'entrée du trou du crane , qui communique
du dehors à l'Oreille intérieure , de
relle forte qu'il a ſes deux cornes tournées
en haut, & en cet endroit où cet anneau
eſt défectueux , le grand chaſſis eſt collé
immédiatement à l'os de la tête.
3. Cette premiére chambre intérieure ,
qui eft fermée par le grand chaffis , ref
ſemble affez à la quaiffe d'un tambour vû
par ledevant, auffi l'appelle t-on encore
ſouvent la quaiffe ; elle a cependant une
eſpece de culde fac ou fac-aveugle , appellé
Sinus ſupérieur , qui s'étend en montant
du haut de la quaiſſe vers le derrière
de la tête , ſur la main gauche , & dont
la longueur excéde même un peu toute
celle de cette chambre ; & tant la quaiſſe
que
MARS 1712. 303
que fon cul de fac , font tapiffez d'une
membrane fort liffe, quoi que dans l'Homme
, le Singe , le Boeuf , &c. ces parties
foient remplies d'un nombre innombrable
d'éminences & de foflettes , pareilles à
celles que l'on voitdans l'intérieur de l'oreille
extérieure des Chiens , des Chats
&autresAnimaux : ce qui ne fert paspeu
à multiplier &conſerver les ébranlemens
de l'air contenu dans cette chambre &
dans fon cul de fac ; commeon le dira ciaprès
, & comme chacun peut le remarquer
par le retentiſſement qui ſe produit
lors qu'on jette une pierre dans le Puits
d'une Carriére . !
4. On trouve vers le hautde la quaiffe ,
&fur la droite une eſpece de canal , appellé
Aqueduc. Quoi qu'il ne ſervé qu'à
conduire de l'air , ſçavoir de l'Oreille
dans la Bouche , quand il eſt tropdilaté
dans l'Oreille par la chaleurdu ſang; &
au contraire à en faire entrer de la Bouche
dans l'Oreille , quand celui de l'Oreille eſt
trop condenſé par le froid extérieur , le
tout pour empêcher le grand chaſſis d'être
offenſé par le reſſort de l'air intérieur ou
extérieur.
5. Onvoit encore en face& au fondde
la quaiffe deux autres fenêtres , fermées
chacune d'un chaſſis particulier , de mêmenature
que le premier , dont l'inférieure,
quitire un peu ſur la droite , eſt ronde
, d'où elle a tiré ſon nom, de même
: que
304 MERC.GALANT.
que fon chaffis. La ſupérieure , quiest
plus vers la gauche & audeſſus de la ronde,
eſt de figure ovale , d'où elle a aufli
pris fonnom. Elle eſt couchée entravers
&en defcendant un peu de droite à gauche
, & fermée d'un troiſiéme chaſſis de
même figure & de même nom qu'elle.
6. Cettedernière fenêtre communique
dans une ſeconde cavité ou chambre , appellée
la Voûte , qui eſt ſituée directement
derriére la quaiſſe du côté du Cerveau.
La Voûte a tiré ſon nom de ſa figure
arondie par le haur; elle eſt un peuplus
petite que la quaiffe , unie & tapifiée de
même qu'elle . On la nomme encore le
Veſtibule , parce qu'elle eſt ſituée entre
deux autres cavitez , dont l'une qui eſt à
droite , ſe nomme la Coquille , ou le li
maçon ; & l'autre qui eſt à gauche , a été
nommée le labyrinthe , avec lesquelles
elle communique par des portes toutes ouvertes
, étant à peu près au même niveau
que la quaiffe & que ces deux derniéres
cavitez. A l'égard de la fenêtre ronde ,
elle fait la communication de la quaiffe
avec la coquille , dont on donnera la defcription
incontinent , de même que du labyrinthe
, & fon chaſſis n'est qu'une continuationde
la membrane de la quaiſſe ,
demêmeque le chaſſis ovale.
7. Quant aux autres parties qui ſe
trouvent dans la premiére chambre , outre
le cul de fac , l'aqueduc , le grand
chaffis ,
MARS 1712 . 305
chaffis , le rond, & l'ovale , dont on
vient de parler , on voit ſur le milieu du
grand chaffis , & comme en face un premier
oſſelet , dont la figure a quelque rapport
à celle d'un marteau , ouplûtôt d'un
gond, & qu'on a nommé le marteau ;
mais qui a encore beaucoup plus de rapport
à la jambe d'un homme , qu'on auroit
coupée ſous le genoüil , & qui feroit
colléecontre cechaſſis , dans un ſens renverſé
, oudehaut enbas ; en forte que le
talon fût appliqué contre ſon bord ſupérieur
, &legras de lajambe fur le chaſſis ,
lebout de la jambe finiſſant au milicude
cettemembrane; ainſi ce marteau où certe
jambe eſt vûë comme par derriére , &
un peu panchée ſur la gauche , par l'oeil
qu'on ſuppoſe toûjours ſitué au devantde
l'Oreille. Le bout de cet ofſelet qu'on
peut regarder comme leboutdu pied , eſt
arrondi , & contient deux éminences &
une petite cavité ; il eſt tourné vers lede,
dans de la quaille , & vas'implanter fur la
têted'un fecond cſſeletappellé l'enclume ,
par rapport au premier. La figurede ce
ſecond os , reſſemble affez à celle d'une
groffe dent à deux fourchons , qui les auroit
un peu écartez l'un de l'autre , &
inégaux en longueur. La tête de cette
enclume ou dent , a auſſi une éminence
ronde , qui ſe loge dans la cavité de celle
du marteau , & deux cavitez pour loger
réciproquement les éminences rondes du
bout
306 MERC. GALANT .
bout du marteau , afin quotes deux os ſe
tiennent plus fortement attachez & articulez
l'un à l'autre parleurs ligamens , &
par la membrane commune qui les enveloppe.
La plus petite des deux jambes de
ladent, va s'appuyer dans un angle dubas
&du devantde la quaiſſe du côtégauche ,
où elle eſt attachée mobilement dans une
petite cavité par un ligament particulier
audeffous du culde fac. La plus grande
jambe, qui est un peu contournée par le
bout , va s'articuler avec un troifiémeoffelet
nommé l'eſtrier , fait comme un
triangle iſoſcele , dont la pointe ou ſom -
met eſt joint avec le bout de cettejambe
parun quatrième os , beaucoup plus petit
que les trois premiers , &de la figure d'une
lentille , ou plutôt d'une meniſque qui
leur fert comme de rotule ou de genoüil .
Labaſede ce triangle , qui eſt un peu plus
gróffe que les deux côtez , eſt collée
chaſſis ovale , ou troiſiéme chaſſis , en
telle ſorte que ce chaſſis la déborde tant
foit peu tout autours L'enclume , la lentille
, & l'eſtrier ſont articulez entr'eux
par des ligamens particuliers , à l'entrée
du cul de fac , &chacun recouverts de la
membrane de la quaiſſe , qui eſt ſi fine ,
& fi adherente aux os , que dans les ſujets
un peu déleichez , elle fuit preſque la vûë.
Cela n'empêche pas qu'elle ne paroiffe
avec leMicroſcope parſeméed'une infinitéde
vailleaux fanguins & nerveux , com
au
me.
MARS 1712. 307
:
i
me tous les autres perioſtes , pour ſervir à
la nourriture de ces os; elle fert encore
à les couvrir contre les injures de l'air , à
fortifier les jambes de l'eſtrier , dontelle
couvre manifeſtement l'aire , & enfin à
recevoir & faire ſentir les impreſſionsdu
bruit.
8. Les troisoffelets , le marteau , l'enclume
, & l'eftrier font remuez par trois
mufcles , dont le plus grand qui part du
fond, & du haut de la quaiffe un peu à
droite, la traverſe de derrière endevant,
&vient s'attacher au milieu de lajambe
du marteau , de forte qu'en tirant cette
jambe , il la meine avec le grand chaſſis
un peu en dedans , ce qui le tend , & le
rend même un peu concave du côté de de
hors , à peu près comme unentonnoir à
poudre fort évaſé. On l'appelle lemuf
cle long; on pourroit lenommer encore
le grand adducteur du chaffis extérieur.
Unfecond muſcle beaucoup plus court ,
qui vient de dehors la quaiffe , du côté
droit, la perce dans ſa partie ſupérieure ,
vas'attacherproche du talon du marteau ,
àune petite éminence qui eft en cet endroit,
laquelle il tire & ferre contre la
paroi extérieure de la quaiſſe , en l'appuyant
ſur une pareille éminence de cette
partie; par ce moyen il retire le marteau ,
& tout le chaſſis en même tems vers le
dehors de la quaiffe , & même l'enclume
avec l'eſtrier , à cauſe de la liaiſon de l'enclume
308 MERC. GALANT.
clume avec l'eſtrier & le marteau ; au
moyen de quoi il rétablit toutes ces parties
dans leur état naturel lors qu'elles en
ont été ôtées. Ainſi on peut leregarder
comme le modérateur des deux autres
muſcles. Le troiſième & dernier muſcle
eſt attaché à la tête ou pointe de l'eſtrier ,
&part d'une petite cavité de la quaiffe fituée
ſur la gauche de l'eſtrier , mais fort
proche & un peu derrière ; en forte que
toure ſon action eſt de retirer l'eſtrier vers
le fond de la quaiffe , &de l'enfoncerpar
ce moyendans le trou ovale , en le renverſant
tant foit peu du côté gauche , ce
qui tend ſa membrane par deux raiſons à
la fois . Mais en même tems ce muscle de
l'eſtrier tire l'enclume & le marteau vers
le fond de la quaiffe , ce qui bande auſſi le
grand chaffis. Ainſi ce chatfis peut être
tendu par deux muſcles indépendamment
l'un de l'autre : Mais quand le muſcle
longagit, quoique l'eſtrier ſoit pouffe
peupar ſa pointe , ſçavoir par le boutde
lalonguebranchede ladent. Cependant
le chaffis ovalen'eſt pas confidérablement
tendu pour cela , comme quand tousdeux
agilſent de concert , à cauſe de l'articulation
de l'enclume avec le marteau & l'étrier
.
un
9. Outre ces trois muſcles , l'enclume
&le marteau ſont encore comme ſuſpendus
par un ligament ou muscle fourchu ,
attaché
par fon tronc à la partiegauche &
ſupéMARS
1712. 309
ſupérieure de la quaiſſe au deſſus de ces
deux os ; &par ſes deux branches à la tête
du marteau , & à celle de l'enclume , il
fert à tenir ces deux os en ſituation & unis
entre eux , & fupplée à la delicateſſe de
leurs ligamens communs .
10. Enfin il y a un filet de nerf dela
cinquiéme paire fort ſenſible, qui entrant
dedehors dans la quaiſſe avec le muſcle
modérateur , paſſe par derrière le milieu
du grand chaſſis ſur lequel il eſt couché en
croifant la jambe du marteau , & de là
continue ſon chemin vers le côtégauche
& inférieur de la quaiſſe , pour s'aller joindre
au nerfdur auditif. Il ſert à ſoûtenir
le grand chaſſis contre l'effort du bruit ,
&à en appercevoir les impreſſions &les
varietez . Les branches du tronc de ce
même nerf ſe répandent dans les muſcles
dumarteau &del'eſtrier , &dans la membrane
de la quaiffe , ce qu'on doit bien
remarquer.
11. Le chaſſis rond n'a aucun muſcle
qui le tende ; auſſi n'en a-t-il pas beſoin ,
comme on le verra ci après . La coquille
qu'il ferme du côté de la quaiſſe , eſt un
double canal offeux contourné en limaçon,
creuſé dans la ſubſtance même de la
roche , dont la baſe ou grosbout regarde
le cerveau , & dont la pointe eſt tournée
vers la quaiſſe , ou vers l'oeil du ſpectateur.
Ce canal devient double par le
moyen d'une lame ofſcuſetrès-grêle , qui
Ic
310 MERC. GALANT.
le diviſe endeux parties dans toute ſa longueur,
l'une ſupérieure & l'autre inférieure
, en formant comme le bas d'une
vis , autour du noyaude ce limaçon. On
voit quelques limaçons dans les Cabinets
des Curieux , dont la coquillea de même
un double canal tout ſemblable. Ce canal
eſt chanfrené intérieurement d'une reneure
ou fente qui régne tout le longdu
bord extérieurde cette lame, avec laquelle
elle eſt jointe par une membrane très déliée
, ſemblable aux précédentes , laquelle
tapiſſe tout ce double canal endedans.
Cette membrane eſt au reſte tellement
adhérente à l'arête de cette lame , ou pas
de vis , & au canal , qu'une partiede ce
double canal n'apoint decommunication
avec l'autre , fi ce n'eſt au plus par la pointe
du limaçon ; mais un desdeux canaux
du limaçon aboutir au chaſſis ou trou
rond , & l'autre va ſe rendre à la voûte par
une ouverture contiguë à ce trou rond.
Ilya un rameau de la partie molle du nerf
auditif ou ſeptiéme paire , qui paflant par
la baſe du limaçonſe répand dans ſamembrane
en une infinité de petits rameaux ,
par autant de petits trous qui ne fontguéres
viſibles qu'avec unbon Microſcope.
12. Le labyrinthe contient trois canaux
offeux , à peu près ſemi-circulaires ,
qui s'implantent ſur le côté gauche de la
voûte, dans laquelle ils s'ouvrent par cinq
embouchures ſeulement , & non pas par
fix,
MARS 171.2. 311
!
!
i
:
fix , parce qu'il y en a une qui est commune
à deux canaux . Les ſommets de ces
canaux ou arcades regardent le derriére de
la tête , & leurs embouchures le devant ;
de forte qu'ils ſe preſenient à l'oeil du ſpecrateur
dans une ſituation preſquetout-àfait
couchée & renverſée vers la gauche,
Ils font tapiſſez en dedans d'une membrane
ou perioſte auſſi très fin , comme tous
les autres os de l'Oreille , dans lequel pe.
rioſte ſe diſtribuent cinq branches du même
nerfauditif , parles cinq embouchures
des trois canaux , sçavoir une dans la
membrane de chaque canal où elle ſe ramifie
& ſe perd en une infinité de branches
, avec autant de branches d'arteres
&de veines.
13. Voilà en vérité bien des merveilles
renfermées dans un bien petit eſpace ,
trois chambres , un veſtibule , un cul de
ſac , unaqueduc , quatre chaſſis , quatre
offelets , trois muſcles , un ligament ou
muſcle fourchu , un nerf, un double canal
ſpiral avec ſa lame & fon nerf, trois
canaux femi- circulaires , aveccinqbranches
de nerfs : le tout recouvert d'une
membrane , où ſe perdent une infinité de
rameaux d'arteres , de veines , &de nerfs ,
fans compter les anfractuoſitez de la premiére
chambre, & de fon cul de ſac; ni
toute la ſtructure de l'Oreille extérieure ,
& de fon entonnoir ; c'eſt à dire , que la
Nature employe au moins trente parties
con312
MERC. GALANT .
conſidérables pour la perfection de l'oüie ,
ellequin'en employe qu'environ le tiers ,
pour celle de la vûë ; ce qui ſuffit pour
faire juger de quelle importance eſt l'oüie
al'homme , & que ce ſens ne cede en rien
àceluidela vûë s'il ne la furpatle pas. Il
ne reſte plus maintenant que de faire voir
que laNature n'a rien fait d'inutile dans
la conſtruction de l'Oreille , & que nous
n'avonspasdécrit une partie qui n'ait ſon
uſageparticulier. 5
14. Mais avant que d'expliquer tous
ces uſages, il eſt bon de remarquer que
lesunesfont abſolument néceſſaires pour
entendre , & que d'autres ſont faites feulement
pour entendre mieux. De plus ,
que les unes fontfaites pourentendre les
bruits , ou ſi l'on aime mieux les ſons ,
dont la durée eſt ſi courte qu'il ne reſte
aucune idée de leur dégré ou ton ; d'autres
font données pour ouir & diftinguer les
voix , dont la durée n'eſt pas tout-à -fait fi
courte que le bruit , & dont il est néceffaire
de reconnoître les dégrez ou tons
qui en marquent les différentes paſſions
&affections. Enfin ily a d'autres parties
que la Nature a faites pour entendre &
diftinguer les fons avectoutes leurs varietez
, inflexions , gradations , & modifi .
cations quelconques , & les pouvoir retenir
& même repeter. Et pour diftinguer
toutes cesparties , il faut conſidérer qu'un
ſeul chaffis à l'entrée de l'Oreille avec
une
MARS 1712. 313
1
1
S
S
11
ال
une cavité ou chambre derriére , ſuffir
abſolument pour entendre le bruit , puifque
laplupartdes Poiffons n'ont que cela;
quoi qu'on trouve dans quelques-uns les
trois canaux du labyrinthe , ou ſeulement
deux. Ou fi l'on veut l'entonnoir avec
ſon chaſſis au fond , & une cavité derriére
, ſont ſuffifans , comme dans la Taupe
qui entend ſi clair , & dans pluſieurs Oiſeaux
& reptiles qui n'en ont pas davantage.
Ce chaſſis mêmepeut-être cartilagineux
, du moins en ſon centre , comme
dans la Tortuë , dans laquelle il eſt
convexe en dehors & concave en dedans
pour recevoir leboutde la queuë du marteau
, lequel eſt fait en cone , dont la
baſe eſt collée immédiatement au chaſſis
ovale; car dans tous les ovipares ce ſeul
offelet ou ſtylet fait l'office des quatre
dont nous avons parlé. Deplusles anfractuofitez
des parois de la premiére
chambre , ou de la quaiſſe ne ſont pas non
plus abſolument néceſſaires ; puiſque cette
cavité eſt ſi unie dans les Chiens , les
Chats , les Brebis , les Lions , &c. La
coquille même ou le limaçon ne ſe trouve
pas dans les Oiseaux , & dans plufieurs
autres Animaux , qui ſont cependant fort
clair-oyants , comme dans les Tortuës ,
&c. ce qui prouve aſſez qu'elle n'eſt pas
abſolument néceſſaire pour oüir le bruit ,
ni même les fons , dont les Oiseaux font
ſi ſuſceptibles. Mais il faut remarquer
Tome V. auffi
P
314 MERC. GALANT.
ne
auſſi qu'il ſe trouve en récompenſe dans
les Oiseaux , & dans les Tortues , &c .
c'eſt-à dire , dans lesovipares, en laplacedelacoquille,
unſac offeux tapifféd'umembrane
trtrês-fine, lequel s'ouvre
comme la coquille dans la Voûte. Sortvent
auffi il ne ſe trouve que deuxcanaux
femi-circulaires au labyrinthe , au lieu de
trois; & dans les Tortuës ilne s'en trouveaucun
, ainfiils ne fontpas abſolument
néceffaires pour entendre lebruit.
15. Geci étant établi, jeconſidére quie
pour appercevoir lebruitdont la durée eſt
fi courte, (à moins qu'il ne fût reperé
plufieurs fois ) il fuffit queele chaflis extérieur
foit frapé par l'air, fans qu'il foit
néceſſaire que fa tenfion foit à l'uniffon
des fremiffemens du bruit, ni mêmedans
aucune confonance prochaine , comme il
eftnéceffairepour le fon. Car lespremiéres
impreſſions dubruit choquant cechaffis
, l'ébranlent avec les eſprits qu'ilcon.
tient, ou plûtôt ceux qui font contenus
danslefiletdenerfqui eſt appliquéderriére;
& par là fe communiquent à l'air intérieur
, lequelétant mis en reffort, frappe
à fon tour tout ce qu'il rencontredans
la premiére chambres de forte que s'ileſt
néceffaire pour la confervation de l'Animal
d'unetrès -prompte ſenſation , elle ſe
faitalors,nonſeulement ſur lechaſſis même
& fur fon nerf, dont l'ébranlement
dure autant que celui du bruit ; mais encore
MARS 1712. 315
core ſur la membrane qui tapiſſe toute la
quaiffe & fon fac aveugle; &particulićrement
ſur la partie de cette membrane
qui couvre l'airede l'eſtrier où le nerfdur
auditif envoye un rameau , laquelle eſt
ſuſceptible des mêmes ébranlemensque le
grand chaſſis&fon nerf; les muſcles de la
quaiffe n'ayant pas le loiſir de tendre le
premier chaſſis , pour le mettre en confonance
prochaineavec le bruit. Quand la
premiére impreſſion de cet air intérieur ſur
les parois de la quaiſſe, ſur l'airede l'eftrier,
& fur le chaflis rond eſtpaflé , le
culde ſac fait ſentir alors ſes réflexions au
dedans de la quáiſſe , &par làprolonge la
duréedubruit intérieur , ce qui l'imprime
plusavantdans l'imagination.
A l'égard des Animaux qui n'ont que
l'entonnoir de l'Oreille avec le premier
chaſſis au fond , comme la Taupe , ou
même un ſeul chaflis à l'entréede l'Oreille
fans entonnoir, comme la plupartdes
Poiffons , ( les Tortues ont auffi ce premier
chaffis àl'entrée de l'Oreillé , outre
celui qui eft àl'entrée de la quaiſſe ) ileſt
évident que lebruit extérieur faitd'abord
fon impreffion fur ce chaſſis même , non
pas en lui communiquant des tremble
mens qui durentconſidérablement , n'é
tant tirépar aucunmufcle qui lemette en
confonance parfaite avec ce bruit ; mais
par quelques chocs & rechocs qui font un
ébranlement dans les filets de nerfrépan-
(
P2 dus
316 MERC. GALANT.
dus dans toute la membrane qui tapiſſe la
cavité qui eſt derriére ce chaſſis . Il faut
dire la même choſe de la membrane de
l'eſtrier , pour les Animaux où elle ſe
trouve , laquelle n'eſt non plus tenduë par
aucun muscle . Mais un ſentiment confus
du fon oubruit , ſuffit pour avertir l'Animal
, lors qu'il ne s'agit point de diftinguer
leton , niles degrez des fons , &d'y
répondre. Le chaſſis rond eſt auſſi frappé
& ébranlé de même que la membrane de
l'eſtrier ; mais comme il n'eſt point en
confonance avec le bruit extérieur , ſes
ébranlemens font bien-tôt paflez , & ne ſe
communiquent que foiblement à l'air
contenu dans le canal du limaçon qu'il
couvre , & à la membrane qui tapiflece
canal , ou plûtôt aux eſprits contenus dans
les filets de nerf qui s'y diſtribuent ; &
voilà tout cequi regarde les bruits promts,
foibles ou violens , où il ne s'agit point
d'appercevoir les degrez du fon , ou des
autres modifications , mais ſeulement de
prendrefonpartidan lemoment. A l'égard
des différentes eſpéces de bruits , il
eſt évident qu'elles ne conſiſtent que dans
les différentes rithmiques des vibrations
de l'air; ces tremblemens n'étant pas fufceptibles
d'autres varietez que de différentes
forces &promptitudes , comme on le
remarque affez dans la rithmique du Tambour
, &commeje l'explique aulong dans
laMelodie.
16.
A 317
MARS 1712.
16. Pour ce qui eſt desbruits où il eſt
utile dediſtinguer les gradations , comme
dans la parole , particulierement dans
celle qui procéde par inflexions , comme
chez les Normands , Auvergnats , Gafcons
, Dauphinois , Chinois , &c. dans
laquelle cependant les fons ne doivent pas
durer, de crainte qu'ils neſe confondent ,
le grand chaſſis eſt alors tendu par le
grand adducteur , pour être mis en quelque
confonance prochaine avec la voix
qui parle , & en même tems avec le chaſſis
rond, pendant les inflexions les plus ſenfibles
de la voix , comme dans toutes les
patétiques . Par cemoyen le chaſlis extérieur
reçoit plus aiſement , & conferve
plus long-tems les ébranlemens du ſon de
la voix , & les tranſimet à tout l'air de la
quaille , lequel air ſe faitſentir encore fur
la membrane de l'eſtrier qu'il ébranle ,
auſſi bien que ſur le chaſſis rond qu'il
ébranle encore mieux; & celui-ci à fon
tour ébranle ſenſiblement & affez longtems
l'air du canal qu'il ferme , pour donner
à ſa membrane le ſentimentde la parole
, & de ſes inflexions différentes . Et
c'eſt le nerfqui eſt derriére le grand chaſſis
qui par l'émotion des eſprits qu'il contient
, & par la communication qu'il a
avec le muſcle long , fait gonfler cemufcle,
& le met en contraction , mais foiblement
à cauſe du peu de durée des fons
de la voix , & du peu de confonance qu'ils
P3 ont
318 MERC. GALANT .
ont entr'eux , cequi oblige cemuſcled'être
dans un changement d'action continuel.
A l'égard de l'eſtrier , quoi qu'il
ſoit alors pouffé en quelque forte en arriére
par ſa pointe , par la jambe de l'enclume,
comme on l'a déja dit , il ne tend
cependant que très- foiblement le chaffis
ovale; àcauſe de l'articulationde l'enclumeavec
le marteau & l'eſtrier , ( car c'eſt
le ſeul uſage de ces articulations ; ) autrement
les ébranlemens de la voix ſe feroient
ſentir aux nerfs muſicaux du labyrinthe
, & produiroient des fons dans le
Cerveau ou une eſpéce de chant , court à
lavérité , maisnonpas unbruit tel que la
voix. Ainſi les paroles ſeroient confuſes
comme les fons des cordes d'une Harpe
non affourdies , & non pas distinctes.commeelles
ledoivent. On peut ajoûter , fi
l'on veut, que les ébranlemensde l'air de
lacoquille, cauſez par la voix,font fortifiez
par le retreciffement de fon canal vers le
fommetdu limaçon. Au reſte ces ébranlemens
doivent toûjours être très courts ,
àcauſe que le chaflis rond n'eſt preſque
jamais en conſonance parfaite avec l'air
extérieur. C'eſt pour cela qu'il n'en reſte
prefque pas detrace au Cerveau , & qu'il
eft fi difficile d'imiter& de rendre lesgradations
de la parole , & s'il en reſte quelque
idée foible , ce ne peut être quepar un
leger ébranlement d'air,qui peut pafferde
lacoquilledans le labyrinthe.
De
1
MARS 1712. 319
De là l'on peutjuger que les Animaux
qui ſont privezdela coquille, comme la
plupart des Oiseaux , les Tortuës , les
Taupes , les Poiffons , &c.n'entendent la
parole que comme un fimplebruit, c'eſtà-
dire , confufément; c'eſt pour celaque
cesAnimaux ne reçoivent aucun nom , &
n'obéïffent pas à la parole de l'homme ;
quoi que d'ailleurs la plupartde cesAnimaux
, principalement les Tortuës & les
Taupes ayent le ſensde l'Oreille très-fin;
comme ceux qui prennent des Taupes ,
ou qui vont varrer les Tortuës lors qu'elles
pondent leurs coeufs ſur le ſable de la
Mer , s'en apperçoivent aſſez . Mais tous
ces Animaux ont derriére le chaſſis inté
ricur de l'Oreille des cavitez ou facs aveugles
,tapiffezde membranes extrêmement
fines , où la partie molle du nerf auditif
envoye des branches; & la grandeur de
ces parties récompenſe ce qui leur manque
d'ailleurs.
Al'égard des autres Animaux qui ont
la coquille , comme les Chiens , lesChe
vaux , lesSinges , les Elephans , &c. on
trouve en eux une eſpéce de docilité qui
fait connoître qu'ils diftinguent les voix:
car ils entendentles noms qu'on leurdonne,
& les commandemens qu'on leur fait ,
ils diftinguent les paffions de la voix , la
joye, la colere, la triſteſſe , la flaterie ,
&c.&yrépondentpardes ſignes ſenſibles;
ce que ne fontpas les autres Animaux qui
P4 en
320 MERC. GALANT .
1
en font privez: les Oiseaux ne laiſſent
pas d'oüir la voix lors qu'on leur parle fur
un certain ton qui eſt celui de leurs chaffis;
mais pour les faire bien entendre il
faut donner outre cela une certaine tenuë
oudurée à la voix , à peu près comme ſi l'on
chantoit , & repeter même les mots plufieurs
fois , afin que leur grand adducteur
ait le tems debander leurs chaſſis . C'eſt
pour celaque les Oiſeaux n'ont commerce
entre eux que par leurs chants , au lieu
que les quadrupedes & autres Animaux
terreftres , comme les Chiens , les Chats ,
les Brebis , les Chevres , les Booeufs , les
Cigales , les Grillons , les Cloportes ,
les Couleuvres ſonnantes , &c. ont une
eſpéce de commerce entre eux à l'aide de
leursvoix , oude quelque inſtrument qui
fait en eux le même office que la ſimple
voix. On pourroit penſer ddee quelques
hommes qui n'entendent & n'apprennent
que ce qu'on leur chante , & qui ne répondent
qu'en chantant , la même choſe
quedes Oiseaux , ſçavoir qu'ils fontpeutêtre
privez tout-à- fait de la coquille , ou
du moins que fon chaſſis eſt extrêmement
tendu , ou extrêmement reláché. M.
Caffegrain , le Frere de celui qui nous a
donné des proportions de la Trompette
vocale , & qui étoit fort de mes Amis ,
étoit de cette eſpéce , il étoit undes plus
habiles Mouleurs du Roi , & je lui ai parlé
il y a bien vingt-cinq ans ; peut-être n'y
en
MARS 1712. 321
en a-t-il pas dix qu'il eſt mort , ainſi on
enpourroit encore ſçavoir des nouvelles
chez les Sculpteurs du Roi. Mais ne
pourroit on point penſer au contraire que
ceux qui font inſenſibles à l'harmonie ,
comine un de mes Parens d'Illiers , dont
j'ai parle ailleurs , & qui eſt vivant , &
pluſieurs autresde mes Amis , ou ſont privez
du labyrinte , ou du moins dugrand
adducteur , & peut être auſſi de l'adducteur
de l'étrier. Quant aux fourds quientendent
tout clair au milieu du grand
bruit, on peut penſer que le nerf qui eft
derriére legrand chaſſisde leur Oreille eſt
relâché , ou ce chaſſis lui-même, ou tous
les deux enſemble , ce qui les rend peu
ſuſceptibles des ébranlemens du bruit.
Mais les bruits violens , les ſecouffes des
Carofles , &c. ébranlant les eſprits ou de
l'Oreille extérieure , ou même du Cerveau
, il s'en fait un reflux dans les muſcles
de l'Oreille intérieure qui les met en
contraction. Ce relâchement du grand
chaſſis vient ſouvent d'avoir fouffert une
percuffion trop violente, comme il eſt arrivé
à quelquesperſonnes par le bruitd'un
Canondontilsétoient trop près .
17. Enfin à l'égard des fons , comme
ils ont une durée ſenſible , lors qu'ils
viennent frizer le chaſſis extérieur , & en
mêmetems le nerf qui eſt couchéderriére,
ils mettent les eſprits qui y ſont contenus
en action , laquelle ſe communique en-
Ps fuite
322 MERC. GALANT.
,
fuite aux muſeles adducteurs de la quaiffe,
qui tirent le marteau & l'étrier , & ces
muscles entrant en contraction tendent le
grand chaffis , & le chaftis ovale , pour
les mettre en confonance parfaite avec le
ſon extérieur , ſçavoir avec celui de la
principale note du mode , qui eſt ordinairement
la quinte fur la finale , & c'est à
celaprincipalement que les préludes font
utiles. Alors toutes les autres notesdu
mode , principalement la finale , la mediante
, & l'octave , avec leurs repliques,
peuvent s'exprimer beaucoup plus aifément
fur ces deux chaflis , c'est-à-dire
qu'ils deviennent par cemoyen plus fuf
ceptibles de la ritmique , dans laquelle
confiftent les confonances & les accords
des fons de ce mode , & même de toutes
les notes accidentelles , tant Diatoniques,
que Cromatiques , quoi que les rapports
de leurs vibrations avec les baſes du mode
foient plus éloignez . Et cette tenſionde
ces deux chaſſis ne ſe change,que quand on
change la dominante dupremier mode en
celle d'un autre , ou que quand on infifte
trop long -tems fur le Cromatique. Si
l'onveut avoir quelqu'idée fenfible de certe
ritmique , dans laquelle confifte toure
l'effence des intervalles muſicaux , c'eft-
-diredes conſonances & des diffonances ,
il ne faut que proportionner les longueurs
des balanciers de deux ou trois ou quatre
Pendules , de telle forte qu'un faifant par
exem
MARS 1712. 323
exemple deux vibrations , un autre qui
commence en même tems en faſſe 3. alors
on entendra la ritmique de la quinte, c'eftà-
dire la quinte. Si dans le tems quele
premier en fait par exemple 4. le ſecond
en fait cinq , le troiſiéme fix , & le quatriéme
huit , tous quatre commençanten
même tems , onentendra larithmiquede
l'accord , ((utmifolut) c'est-à-dire , en
un mot on aura une ſenſation nettede cet
accord&non confuſe, comme elle l'eſt
pour lesOreilles non Muſicales. Etainſi
de tous les autres accords, ce qu'on trou .
vera plus amplementtraitédans notre Melodie.
Les ébranlemens que legrand chaſſis&
fon marteau ont reçûs , ſont communiquez
immédiatement à l'enclume , & à
l'eſtrier quii les communiquent à leur tour
au chaſſis ovale , & celui - ci les fait paffer
à l'air de la voûte ou veſtibule avec toutes
leurs varietez , lequel les communique fur
les cinq ou fix differens filets du nerfMufical
répandus dans less canaux ſemi circulaires.
On peut même penser qu'il y a
dans ces différens filets des eſprits plus qu
moins agitez , ou que ces filets mêmes
font tellement proportionnez en groffeur ,
longueur &tenfion , quecomme ils font
en l'air , ils font par conféquent fufceptibles
, l'un des ébranlemens de la finale ,
un autre de ceux de la mediante , un troifiéme
de ceux de la dominante , un autre
P6 de
324 MERC. GALANT .
de ceux de l'octave , &un cinquiéme enfin
de ceux de la dixiéme ou plutôt ( ce
qui peut revenir au même ) comme un fon
eſt preſque toûjours accompagné de ſes
multiplicz , ſçavoir l'octave , la douzićme
, la double octave , la dix- ſeptième ,
& la dix neuviéme ( quoi qu'ils ne foient
pas toûjours aiſez à appercevoir , particuliérement
dans les ſons fort aigus ) on peut
penſer que ces différens ſons s'impriment
fur ces filets , un fur chacun; &comine ces
filets ne font au plus que fix ennombre ,
on voit que l'intervalle de ſept à un n'y
peut avoir lieu , ni par conséquent toutes
les autres relations (
22
,
&c. qui en font dérivées ; au lieu que tous
les intervalles , &c. font
renfermez dans les précédens . Et comme
la parole eſt ſouvent jointe avec la voix ,
on peut penfer qu'alors elle ſe fait lentir
dans le canal du limaçon qui répond à la
voûte plûtôt que dans le labyrinthe, à cauſede
la lame ſpirale de ce canal , qui eſt
ſuſceptible d'une plus grande quantitéde
varietez de bruit que les nerfs du labyrinthe,
par ſa figure triangulaire & par fa
longueur.
Il eſt évident que la même choſe doit ſe
pafferdans tous les Animaux qui ont le labyrinthe.
C'eſt pour cela qu'on trouve des
Chiens , & même des Chevaux qui font
extrêmement fufceptibles de laMuſique ,
com.
MARS 1712.
325
commeun Bichon que j'ai eu autrefois , &
deux autres Chiens qui font encore chez
deuxdes premiers Muſiciens de Paris de ma
connoiffance. On ſçait que les Roffignols
l'aiment éperduëment. LLeesElephants ,
les Cameleons , les Araignées nommées
Tarentules , &c . en font auſſi très fufceptibles.
Et comment penſer que tantd'Animaux
paffent une bonne partie de leur
vie à chanter , comme les Oiseaux, les
Grenoüilles , les Cigales , les Graiffets ,
&c. fansqu'ilsyprennent quelque plaifir ?
18. A l'égarddela correſpondance qu'il
y a entre l'Oreille & la Glotte , ou le Larinx
, qui fait qu'on repere dans le moment
les fons qu'on a entendus avec toutes
leurs varietez , il eſt évident qu'elle ne
peut confifter que dans lacorrefpondance
qu'il y a entre les racines du nerf auditif
ou de la ſeptième paire , & cellesdu nerf
chanteur qui eſt la cinquiéme , laquelle ſe
répand dans l'Oreille , auſſi bien que dans
le Larinx , car cesracines communiquant
entre elles dans la baſe du Cerveau , les
motions des eſprits contenus dans le nerf
auditif, paſſent aisément dans celuidela
Glotte , outre que celles de l'Oreille interne
y paffent auſſi immédiatement par
les rameaux que cette cinquiéme paire envoye
à ces deux parties : c'eſt enfin par là
qu'on peut expliquer pourquoi les fourds
denaiſſance font privez de l'uſage de laparole
, & pluſieurs autres queſtions de cette
P7
nature.
Ex326
MERC. GALANT.
Extrait de plusieurs Lettres particus
liéresjoint à l' Extrait de la Relation
imprimée à Paris , fur ce qui
s'estpassédans l'expédition de Rio-
Faneiro.
E9.du
Luay-Troun Juin
moisde Juin 1711. leSieurdu
lavoiledesRades
de la Rochelle avec fon Efcadre , &
les deux Vaiffeaux , le Chancelier , & le
Glorieux, dans le deſſein d'aller tenter la
conquête de Rio Janeiro , Place importante
à la côté du Breſil , où le SieurDu
Clerc, & huit cens Soldats de la Marine
avoient été tuez ou pris l'année préceden.
Le 2. Juillet , il mouilla à l'Ifſe de
Saint Vincent , où la Fregate l'Aigle vint
le joindre , & n'y trouvant point de rafraîchiffemens
il remit à la voile le 6. ,
avec le feul avantage d'avoir mis les Troupes
à Terre , pour leur faire connoître le
rang&l'ordre qu'elles devoient obferver
en cas de defcente. Le 11. du mois
d'Août il paffa la Ligne. Le 19. il eut
connoiffance de l'ifle de l'Afcenfion , &
le 27.ſe trouvant à la hauteur de la Baye
de tous les Saints , il affembla le Confeil ,
où il fut réſolu qu'onſe rendroit à droitųre
auRio-Janeiro . Le 11. de Septembre
on trouva fond , fans avoir cependant
te.
conMARS
1712. 327
connoiffance de Terre. Il fir ſes remarques
là-deffus , & fur la hauteur qu'on
avoit obſervée , après quoi profitant d'un
vent frais qui s'éleva à l'entréede la nuit,
il fit forcer de voiles à toute l'Efcadre ,
malgré la brume& le mauvais tems , & il
ſetrouvaà la pointe du jour précisément à
l'embouchureduRio-Janeiro.
Il ordonna au Chevalier de Courferac,
qui en connoiſſoit l'entrée , de ſe mettreà
la têtede l'Eſcadre , & aux Chevaliersde
Gouyon & de Beauve de marcher immé
diatement après, & ilſuivit, étant alors
en fituation de voir ce qui ſe paſſoit à la
tête & à la queue. Il fit en même tems
fignal aux Sieurs de la Jaille , de laMoinerieMiniac
, & à tous lesCapitaines de
1'Eſcadre de marcher les uns après les autres
, fuivant le rang & la force de leur
Vaitſeau , cequ'ils executerent ponctuellement
, ainſi que les Maîtres des deux
Traverſiers qui effuyerentle feu de toutes
les Batteriesſans changer de route .
Le Chevalier de Courſerac , s'eft ac.
quis une gloire particulière dans cette action
, par la bonne manoeuvre qu'il a faite
& la fierté avec laquelle il a montré le
chemin. Ce fut dans cet ordre qu'on
força l'entrée de ce Port , défendu par
une prodigieuſe quantité d'Artillerie, &
par quatre Vaiſſeaux de Guerre de cin.
quante-fix à foixante- dix Canons , commandez
parGafpar daCofta , Généralde
la
328 MERC. GALANT.
,
Il
la Flote , que le Roi de Portugal avoit
envoyée exprès avec des Troupes pour la
défencede cette Place. Ces quatre Vailſeaux
jugeantpar la manoeuvre qu'on les
alloit aborder , couperent leurs cables
& allerent s'échouer ſous les Batteries de
la Ville. On avoit eu juſqu'alors environ
trois cens homines hors de Combat.
eſt néceſſaire pour l'intelligence de cette
Relation, d'ajoûter ici un état de la Ville&
de la Baye de Rio Janeiro , de ſes Forterefles
, & de la ſituation de ſon entrée. La
Baye de Rio Janeiro eſt fermée par un
goulet beaucoup plus étroit que celui de
Brest ; elle est défenduë du côté droit par
le Fortde Sainte Croix , garni de quarante
quatre pieces de Canonde tout calibre ,
depuis quarante huit livres de bale jufqu'à
huit , d'une autre Batteriede fix pieces
quiest audehors de ce Fort , & du côté
gauche par le Fort de Saint Jean , &
par deux autres Batteries garnies dequarante-
huit pieces de gros Canon qui croiſent
l'entrée , au milieu de laquelle ſe
trouveune Ifle ou gros Kocher , qui peut
avoir quatre-vingt ou centbraſſes de longueur.
Au dedans de l'entrée du côté
droit, on trouve une Batterie nommée
Notre Dame de bon voyage , qui eſt ſur
une Montagne inacceſſible , où il y a dix
pieces de canonde dix -huit à vingt-quatre,
qui fe croifent avec le Fort de l'Ile de Vil.
legagnon qui cſt à la gauche , & où il ya
vingt
MARS 1712. 329
vingt pieces du même calibre quibattent
l'entrée de la Baye. Audelà de cedernier
Fort , & de celui de Saint Jean , il y a un
Fort nommé Saint Theodoſe , de ſeize
pieces de Canon , qui bat la plage qui eſt
du côté de la Carioque , au milieu de laquelle
les Portugais ont encore bâti une
eſpecede Demi lune. Quand on a paflé
toutes ces Batteries & tous ces Forts , on
voit l'Iſle des Chevres , qui n'eſt qu'à la
portée du fufil de la Ville du côté des Bénédictins
, où il ya unpetit Fortde quatre
Baſtions , avec huit pieces de Canon , &
ſurunplateau qui eſt au bas del'Iſle , une
Batterie de quatre pieces qui bat le côté
de la Mer , & fe croiſe avec le Fort de la
Mifericorde. Il y a encore des Batteries
de l'autre côté de la Rade , & il n'y apas
un ſeul endroit pour faire deſcente , où
les Portugais n'euſſent remué la Terre ,
fait des abbatis d'Arbres & mis du Canon
en Batterie. A l'égard de la Baye , on
ne peut gueres en trouver de plus belle ,
de plus grande, ni de plus commode : le
mouillage y eſt parfaitement bon , le Vent
&laMer n'y entrent preſque jamais , & il
y a au fond une Riviérc qui s'étend quatorze
lieuës en Terre du côté du Nord-
Eſt . La Ville eſt bâtie le long de la Baye ,
aumilieu de trois Montagnes fort élevées,
qui font occupées , l'une qui eſt à une des
extrémitez , par les Jeſuites , l'autre par
les Bénédictins , & la troiſième , nom.
mée
1
330 MERC. GALANT .
mée la Conception , par l'Evêque : ces
trois Montagnes cominandent entiérement
la Ville & la Campagne , & font
garnies deForts &de Batteries. Audef
fus de celle qu'occupent les Jefuites , eft
un Fort nommé Saint Sebaſtien , revêtu
de murailles , & entouré d'un bon Foffé ,
garni de quatorze pieces de Canon &de
beaucoup de pierriers . Sur la gauche de
ce Fort , du côté de la plaine à mi- côte
eſtunFortnommé Saint Yague , où il y
adouze piecesdeCanon : un autrenommé
Sainte Alouſie , de huit pieces ; une
Batterie de douze , & le Fort dellaa Mifericorde
, qui eſt bâti ſur un Rocher qui
avance dans la Mer , où ily a douzepiecesdeCanonquibattentdu
côtéde laVille&
deceluidela Mer. La Montagnedes
Bénédictins eft fortifiée d'un Rétranchementgarni
deplufieurspieces deCanon ,
qui battentdu côté de l'Iſle des Chevres ,
du côté de laMontagne de la Conception
&de laplaine. La Montagne de laConception
eſt retranchée du côtéde laCampagneparun
Foffe , une haye vive derriére
, &des pieces de Canon de diſtance en
diſtance, qui en occupent tout lefront.
LaVille eſt fortifiée par des Redans & des
Batteries de diſtance en diſtance , dont les
feux ſe croiſent : du côté de la plaine elleest
défenduë parun Camp retranché &
unbon Foffe plein d'eau , au dedansduquel
ily adeuxplaces d'Armes à pouvoir
conMARS
1712. 331
contenir quinze cens hommes enBataille,
plufieurspieces deCanon& des maifons
crenelées de toutes parts ; c'étoitle
lieu où les Ennemis avoient une partie de
leursTroupes , qui montoient àdouze ou
treize mille hommes , parmi lesquels
pluſieurs avoient fervi en Eſpagne à la
Bataille d'Almanza , & un très -grand
nombre de Negres. Le Sieur duGuay-
Troüin, furpris de trouver la Place en fi
bon état , apprit qu'un Paquebot venu
d'Angleterre à Lisbonne , avoit donné
avisque fon Eſcadre étoitdeſtinée pour le
Rio Janeiro : & comme il ne fe trouva
point dans ce tems-là de Bâtiment armé
pour y en porter la nouvelle , le Roi de
Portugal y avoit envoyéce même Paquebut,
qui y étoit arrivé quinze jours
paravant. Get avis avoit donné licu au
Gouverneurde faire travailler avec tant
de diligence à des Rétranchemens , & à
établirdesBatteriesdans tous les endroits
oùil jugeoit qu'il pouvoit être attaqué.
au-
Lajournée ſe paſſa àforcer l'entrée , &
le Sieur du Guay . Trouin fit avancer la
Galiote& les Traverfiers , & détacha le
3. à la pointe du jour le Chevalier de
Gouyon avec cinq cens Soldats d'élite ,
pour s'emparer de l'Ifle des Chevres. Il
l'éxécuta dans le moment , & en chaffa
les ennemis fibruſquement , qu'ils eurent
àpeine le tems d'enclouer leur Canon .
Ils coulerentà fond enſe retirant deux de
leurs
332 MERC. GALANT.
leurs plusgros Vaiſſeaux Marchands entre
les Batteries des Bénédictins & l'Iſle des
Chevres , & ils firent fauter deux de leurs
Vaiſſeaux de guerre échoüez ſous le Fort
de la Mifericorde : mais voulant en faire
autant d'un troiſième échoué à la pointe
de l'Ifle des Chevres , le Chevalier de
Gouyon y envoya deux Chaloupes , commandées
par les Sieurs de Vaureal & de
Saint Oſmanes , qui malgré le feu duCanon
de la Place , s'en rendirent maîtres &
y arborerent le Pavillon du Roi ; mais ils
ne purent le mettre à flot, parce qu'il ſe
trouva plein d'eau par les coups deCanondont
il étoit percé. LeChevalier de
Gouyon envoya auſſi - tôt rendre compte
de la ſituation avantageuſe de l'ifle des
Chevres : le Sieur du Guay-Troüin alla
viſiter ce poſte ; & l'ayant trouvé tel
qu'il le lui avoit marqué , ordonna aux
Sieursde la Ruffiniere & Effiot , Officiers
d'Artillerie , & au Sieur Keguelin Capitaine
de Brûlot , d'y établir des Batteries
de Mortiers & de Canon Le Sieur de
Saint Simon , Lieutenant de Vaiſſeau ,
futchargé de faire ſoûtenir les travailleurs
avec un Corps de Troupes : les uns & les
autres remplirent leur devoir avec toute
la fermeté poſſible , étant expoſez au feu
continuel du Canon & de laMouſquete.
rie. Cependant la plupart des Vaiffeaux
de l'Eſcadre manquoient d'eau , & il étoit
abfolument néceſſaire de s'affurer de l'aiguade
,
MARS 1712. 333
guade , & de faire defcente pour couper ,
s'il étoit poffible , la retraite aux ennemis,
& les empécher d'emporter leurs richefſes
dans les Montagnes. Ilordonna pour
cet effet au Chevalier de Bauve deprendre
le commandement des Fregates l'Amazone
, l'Aigle , l'Aſtrée , & la Concorde ,
dans lesquelles on fitembarquer une partiedes
Troupes , le chargeant de s'empa.
rer pendant la nuit de quatre Vaiſſeaux
Marchands qui moüilloient prèsde l'endroit
où on prétendoit fairedefcente , &
d'y établir un entrepoſt pour les Troupes ,
ce qu'il executa avec beaucoup d'ordre &
deconduite. Ainſi ce débarquement ſe fit
le lendemain avec d'autant plusde ſureté
qu'on en avoit ôté la connoiffance aux ennemis
, par d'autres mouvemens qui attirerent
toute leur attention. 7 .
Le 14. Septembre , toutes les Troupes
étantdébarquées au nombre de deux millecent
cinquante Soldats , & de fix cens
Matelots armez , le Sieur du Guay-
Troüin envoya les Sicurs Gouyon & de
Courſerac , s'emparer de deux hauteurs ,
d'où l'on découvroit tout ce qui ſe pafloit
dans la Ville. Le Sieur d'Auberville ,
Capitaine de Grenadiers de la Brigade de
ce premier , chaffa quelques Troupes Portugaiſes
d'unBois où ils étoient en embuscade
, après quoi les Troupes camperent
dans cettediſpoſition.
L'Aîle droite commandée par le Che
va
334 MERC. GALANT.
valierdeGouyon , occupa la hauteur qui
regardoit la Place : l'Aîle gauche commandée
par le Chevalier de Courſerac ,
cellequiétoit à l'oppofite ; &le Corps de
Bataille , commandé par le Chevalier de
Beauvé , fut placé au milieu , auffi-bien
que le Quartier général , afin d'être à
portéede ſe ſoûtenir lesuns les autres , &
d'être maître du bord de la Mer , où les
Chaloupes faifoient de l'eau , & apportoient
continuellement les Munitionsde
guerre&debouche dont on avoitbeſoin.
Le Sieur de Ricouart , Inſpecteur gé
néral , à la fuite de l'Escadre , reſta dans
laRade, pour avoir ſoin de les envoyer &
de faire fournir les Materiaux néceffaires à
l'établiſſement des Batteries fur l'Iſle des
Chevres.
Le 15. le SieurduGuay-Troüin fit mar
cher toutes les Troupes dans laplaine :
desDétachemens s'avancerent juſqu'à la
portée du Fufilde la Place , &tuerentdes
Beſtiaux ,, & pillerent des maiſons , fans
aucune oppofition. Les Portugais efperoient
que les Troupes Françoiſes s'enga
geroient dans lesRétranchemens , où ils
efperoient les envelopper , niais voyant
qu'ils ne branloient pas , le Sieur du
Guay-Trouin fit retirer les Troupes ,
après avoir bienreconnu le Terrain , qui
ſe trouva impraticable , de forte qu'il parut
impoſſible , même avec dix millehommes
, de pouvoir couper la retraite aux
en.
MARS1712. 335
ennemis , ni leur empêcher de ſauver
leurs richeſles.
Il en fut convaincu , lors qu'ayant remarqué
un partides ennemis aupiedd'aneMontagne
, il voulut le faire couper
par leBataillondu Lys& celui duMagnanime,
qu'il avoit fait couler âdroit & à
gauche. Mais s'en étant approchez avec
biende la peine , ils trouverent unMarais
&des halliers impénétrables qui les arrê
térent , &lesobligerent à s'en revenir.
Le 16. un de ſes Détachemens s'étant
avancé , lesennemis firentjouer un Fourneau
avec tant de précipitation , qu'il ne
fit aucun effet . Ce même jour il chargea
lesSieursdeBeauve&de la Calandre d'é
tablir uneBatterie dedix pieces de Canon
fur une Preſqu'Iſle , qui prenoit lesBat
teries des Bénédictins à revers , & ils y
firenttravailler fi diligeniment , que dans
trente fix heures elle fut en état de tirer.
Le17. lesEnnemis brulerent de grands
Magazins remplis de Sucre , d'Agrez , &
deMunitions, ſur le bordde laMer. Ils
firentauſſi ſauter en l'air le dernier deurs
quatre Vaiffeaux de guerre échouez fous
lesBénédictins , & ils brulerent deux autresBâtimensappartenans
au Roi dePortugal
, qui touchoient à Terre.
Le18. les Ennemis firent fortir de leurs
Retranchemens douze cens hommes de
leurs meilleures Troupes , pour enlever
unpoſte avancéque le Sieur de Liſta gar
doit
336 MERC. GALANT .
doit avec cinquante Soldats ; mais il ſe défendit
fi bien qu'il donna le tems au Chevalier
de Gouyon d'y envoyer le Sieur de
Bourville , Ayde-Major de ſa Brigade ,
avecles Compagnies des Sieurs Drouallen
&d'Auberville qui chafferent les Ennemis
, après en avoir tué ou bleſſé plus de
cent cinquante. Le Sieur de Pontlo-
Coëtlogon , Ayde de Camp du Chevalier
deGouyon y futbleſlé , avec environ
vingt-cinq Soldats. Ce même jour , la
Batterie des Sieurs de Beauve & de la Calandre
, commença àtirer ſur les Retrancheinens
& les Batteries des Benedictins .
Le 19. le Sieur de la Rufiniere ayant
donné avis qu'il avoit cinq Mortiers &
dix-huit piéces de gros Canon en Batterie
fur l'Iſſe des Chevres , le Sieur du Guay-
Troüin fit fommer le Gouverneur de ſe
rendre , & fur fa réponſe pleine de fierté ,
il réſolut de l'attaquer vivement. Ilalla
pour cet effet avec le Chevalier de Beauve
le long de la Côte , depuis le Camp jufques
à l'Iſle des Chevres , reconnoître les
endroits par où on pourroit plus aiſément
forcer les Ennemis . On remarqua cinq
Vaiſſeaux Marchands à demi portée du fufil
des Benedictins , qui pouvoient ſervir
d'entrepôt à une partie des Troupes qui
feroient deſtinées à attaquer ce poſte: il
ordonna pour cela que l'on fit avancer le
Vaifſeau le Mars entre ces deux Batteries ,
& de le placer à portée de les ſoûtenir en
cas de beſoin.
Le
MARS 1712. 337
Le 20. il envoya ordre au Vaiſſeau le
Brillant de s'approcher du Mars , & il fic
faire de toutes les Batteries & des Vaifſeaux
un feu continuel , & donnant en
même tems les ordres néceſſaires pour
attaquer le lendemain .
La nuit du 20. au 21. il envoya une
partie des Troupes dans les Vailleaux
moüillez près des Benedictins : les Ennemis
s'en étant apperçûs firent ſur les Chaloupes
ungrand feu de Mouſqueterie, qui
futbien-tótralenti par le CanondesBatteries
, & par celui du Vaiſſeau le Mars , ce
qui jettaunegrande conſternation dans la
Place.
Le 21. àla pointe du jour , le Sieur du
Guay-Troüin s'embarqua avec le reite des
Troupespouraller commencer l'Attaque ,
ordonnant au Chevalier de Gonyonde filer
le longde laCôte avec ſa Brigade , afin
d'attaquer les Ennemis par différens endroits.
Sur ces entrefaites, le Sieur de la Salle ,
qui avoit été fait priſonnier avec le Sieur
du Clerc , à qui il avoit ſervi d'Aide de
Camp , s'étant échapé des Ennemis ,
vint ſe rendre , & donna avis que les Ennemis
abandonnoient la Place avec une
terreur étonnante : qu'en ſe retirant ils
avoient mis le feu à undes plus richesMagaſins
de la Ville , & qu'ils avoientminé
Je Fort des Jeſuites , & celui des Benedictins.
Le Sieur duGuay Trouin entra enfuite
Tome V.
338 MERC. GALANT.
Tuite dans la Place avec le Chevalier de
Courſerac , & huit Compagnies de Gre
nadiers , pour ſe rendre maîtresdes Forts
de Saint Sebaſtien , de S. Yague , &de la
Mifericorde, laiſſant aux Sieurs deGouyon
& de Beauve le commandement du refte
des Troupes , avecdéfenſe, fur peine de la
vie, aux Soldats de s'écarter , & de quitter
leurs rangs.
En entrant dans la Ville , on trouva ce
qui reſtoit de prifonniers de la défaite du
Sieur du Clere , quiayant briſe les portes
de deur priſon , s'étoient déja répandus
pour enfoncer & piller les Maiſons qu'ils
connoiffoient les plus riches; ce quiexcita
l'avidité des Soldats, & les porta d'abord
à ſe débander ; mais la punition qui
fut faite fur le champ de quelques uns ,
arrêta les autres ; & les prifonniers furer.t
conduits fur la hauteur des Benedictins .
Enfuite il ſe rendit maître des Forts &de
tous les poſtes , après avoir fait éventer
Jes Mines , & il en laiſſa le commandeament
au Sieur de Courſcrac , avec ordre
de faire avancer ſa Brigade pour enprendre
poffeſſion .
Enfuite pour empêcher le pillage qui
paroinfoit inévitable , il fit mettre des
Corps de Garde , poſer des Sentinelles en
divers endroits , & il ordonna des Patrouil
les , pour marcher jour & muit , avec défenfe,
fur peinede la vie, aux Matelots &
Soldats d'entrer dans la Ville , fous quelque
prétexte que ce fut. NonMARS
1712 . 339
Nonobſtant toutes ces précautions ,
l'avidité du gain & l'eſpoir du pillage l'emporterent
fur la crainte des châtimens ; les
Corps de Garde même & les Patroüilles
commencerent à augmenter le defordre
pendantlanuit: enforte que le lendemain
matin les trois quarts des portes des Maiſons
& des Magaſins ſe trouverent enfoncées
, les Vins répandus , les Marchandifes
& les Meubles épars au milieu des
ruës: & enfin tout ſe trouva dans un defordre
& une confufion étonnante . II
ordonna que l'on paſlât par les armes ceux
qui ſe trouveroient dans le cas du Ban ;
mais les châtimens réïtérez n'ayant pas
été capables d'arrêter cette fureur , iln'y
eutd'autre parti à prendre que d'employer
pendant le jour la meilleure partie des
Troupes , à ramaſſer ce qu'on pût d'Effets
ou de Marchandiſes dans des Magaſins
qu'il fit établir , & où le Sieur de Ricoüart
cut ſoindemettre des gens de confiance &
des EcrivainsdeRoi.
Le 23. il envoya fommerleGouverneur
du Fort de Sainte Croix qui fe rendit par
Capitulation: le Sicurde Beauville , Aide-
Major Général , en prit poffeffion ,
aufli bien que des Forts de Villegagnon ,
de Saint Jean , & des Batteries de l'Entrée.
Le Sieur du Guay Troüin apprit
cependant pardifférens Negres qui ſe rendirent
, que le Gouverneur de la Place ,
& le Général de la Flote ayant ramaffé les
débris Q2
340 MERC.GALANT.
débris de leurs Troupes à une lieuë &demie
, attendoient un puiſſant ſecours commandé
parDon Antonio d'Albuquerque ,
Général des Mines , fort eſtimé. Ainfi
pour s'affurer contre les entrepriſes des
Ennemis, il établit le Chevalier de Gouyon
avec ſa Brigade dans les Retranchemens
qui regardoient la Plaine , & le ChevalierdeBeauve
avec le Corps de Bataille fur
la hauteur de la Conception , où le Quartier
général fut placé pour être à portéede
fecourir ceux qui en auroientbeſoin . A
l'égard de la Brigade du Chevalier de
Courſerac , elle étoit déja deſtinée à garder
les Forts & la hauteur des Jeſuites.
Les Ennemis avoient emporté leur Or ,
brûlé leurs meilleurs Vaiſſeaux & leurs
Magaſins les plus riches , & tout le reſte
demeuroit en proye à la fureur du pillage ,
qu'aucun châtiment ne pouvoit arrêter :
d'ailleurs il étoit impoſſible de conſerver
cette Colonie, par le peu de Vivres qui
reſtoient dans la Place , & par l'impoſſibilité
de pénétrer dans le Païs. Ainſi le
Sieur du Guay Trouin envoya dire au
Gouverneur , que s'il tardoit plus longtems
à racheter la Ville par une bonne
Contribution , il alloit la mettre en cendres:
& afin de lui rendre cette menace
plus ſenſible , il détacha deux Compagnies
deGrenadiers , commandez par les Sieurs
de Brignon & de Cheridan pour aller
brûler toutes les Maiſons de la Campagne .
,
Ils
MARS 1712. 341
Ils rencontrerent ungros CorpsdesEnnemis
, mais étant ſoûtenus par une Compagnie
de Caporaux , ils enfoncerent les
Ennemis , en tuérent pluſieurs , & mirent
le reſte en fuite. Leur Commandant ,
hommederéputation , demeura fur lapla.
ce. LesSieursde Brignon , de Cheridan ,
& le Sieur de Kret-Kavel Garde Marine ,
ſediftinguerentdans cette action : le Sieur
de Brignon , entre autres , perça le premier
la Bayonnette au bout du Fuſil , à la
tête de ſa Compagnie , dont étoient Officiers
les Sieurs du Bodon& de Mortone ,
Gardes de laMarine. Comme cette affaire
pouvoitdevenir ſérieuſe , je fis avancer
le Chevalier de Beauve avec fix cens hommes
, qui pénétra encore plus avant , brûla
la Maiſon qui ſervoit de retraite au
Commandant de cetteTroupe , & fe retira
enſuite .
Le Gouverneur envoya un Meſtre de
Camp , & le Préſident de la Chambre
pour traiter , & ils repreſentérent au Sieur
du Guay Troüin , que le Peuple les ayant
abandonnez , & tranſporté tout leur Or
dans les Montagnes , il leur étoit impoffible
de trouver plus de fix cens milleCrufades
pour la Contribution : ils demanderent
même un affez long-tems pour faire
revenir l'Or appartenant au Roide Portugal,
qu'on avoit tranſporté bien avant
dans les Terres. Le Sieur du Guay-
Troüin rejetta cette propoſition , & congedia
Q3
342 MERC. GALANT.
gedia les Députez après leur avoir fait
voir qu'il faifoit miner les endroits quele
feu ne pourroit détruire : cependant il ſe
paſſa encore fix jours fans qu'onentendît
parler du Gouverneur : on apprit même
queDon Antonio d'Albuquerque devoit
arriver inceflamment. Comme il n'y
avoit point de tems à perdre , leSieurdu
Guay Troüin fit mettre le lendemain à la
pointe du jour toutes les Troupes en marche
, & malgré la difficulté des chemins il
arriva de bonne heure en prefence des Ennemis
, & fi prèsd'eux , que l'Avant-garde
, commandée par le Chevalier de
Gouyon , ſe trouva à demi portée du Fufil
de la premiérehauteur qu'ils occupoient ,
&fur laquelle une partie de leurs Troupes
parut enBataille. LeGouverneur ſurpris
envoya auſſi- tôtdeuxOfficiers , pour repreſenter
qu'il avoit offert tout l'Or dont il
pouvoitdiſpoſer pour le rachat de la Ville :
qu'il lluuii étoit abfolument impoſſible d'en
trouver davantage: que tout ce qu'ilpouvoit
faire étoitd'y joindre dix mille Crufades
de ſa propre Bourſe , cent Caiſſes de
Sucre, & tous les Boeufs néceſſaires pour
la fubſiſtance des Troupes , & qu'après
cela le Sieur du Guay.Trouin étoit le maître
de le combattre , & de détruire la Colonie.
On tint Conſeil , & il fut réſolu
d'accepter cette propoſition plûtôt que de
tout perdre; & il fit donner des Otages ,
avec promeffede payer le tout dans quinze
jours. Le
MARS 1712. 343
Le lendemain 11. Octobre Don Antonio
d'Albuquerque arriva avec trois mille
hommes de Troupes , moitié Cavalerie
& moitié Infanterie, & plus de fix mille
Negres bien armez. Cependant on tra
vailloit toûjours à tranſporter dans les
Vaiſſeaux de l'Eſcadre le Sucre qui s'étoit
trouvé , & à remplir les Magaſins des autres
Marchandises que l'on pouvoit ramaffer.
Le 4. Octobre , les Ennemis ayant achevé
leur dernier payement, on fitembarquer
lesTroupes: ongarda ſeulement les
Forts de l'fle de Villegagnon , de l'ifle
des Chevres , & ceux de l'Entrée.
Le 13. après avoir fait mettre le feu aux
Vaiſſeaux échoüez ſous l'Iſle des Chevres
, & aux autres Batimens que l'on
n'avoit point trouvé à vendre , l'Eſcadre
mit à la voileavec de l'eau &des Vivres ,
pour environ trois mois , embarquant un
Officier , quatre Gardes de Marine , &
trois cens cinquante Soldats qui reftoient
de la défaite du Sicur du Clerc:
Tous les autres Officiers avoient été envoyez
à la Baye de Tous les Saints . Le
Sieur du Guay-Troüin prétendoit aller
les délivrer , & tirer mêmede cette Colonie
une nouvelle Contribution : mais
ayant employé quarante jours , à cauſe
des Vents contraires , pour arriver à la
hauteur de cette Baye , & ayant à peine
affez d'eau & de Vivres pour arriver en
France ,
Q4
344 MERC. GALANT
France, il continua faroute. Il fut même
obligé de laiffer la Prife commandée
par le Sieur de la Ruffiniere , parce qu'elle
étoit troppefante: la Fregatel'Aigle ayant
ordrede l'eſcorter juſqu'en France..
L'Eſcadre paſſa enfin la Ligne le 25 .
Octobre. Les Vents étant devenus plus
favorables , on arriva le 19. Janvier à la
hauteurdes Iflesdes Açores , où on effuya
une grande Tempête , qui diſperſa une
partie de la Floten
Enfin après avoir mis pluſieurs fois à
travers pour attendre les Vaiſſeaux , nous
continuames notre route vers Breſt , où
l'Eſcadre arriva le 6. Février 1712.05
2
Letired'un Capitaine de Vaiſſeau, qui
aétépreſent àl'expédition deRio-
Janeiro.
E. 12. Septembre à la faveur d'une
Lbruine fort épaiſſe , nous parûmes ſur
lesdix heuresdu matin proche l'entrée de
Rio Janeiro , ayant reconnu la Terre
deux jours auparavant. Dès que le tems
commença à s'éclaircir Mr. du Gué fit le
fignal , pour entrer tous en ligne , ſuivant
l'ordre qu'il en avoit donné , ſçavoir le
Magnanime , le Lys , le Brillant , l'Achille,
leGlorieux , leMars , le Fidéle,
l'Argonaute , l'Amazone , la Bellone ,
l'Aigle ,
MARS 1712.
345
1Aigle , l'Aſtrée , le Chancelier , la
Glorieuſe , la Concorde , & les deux
Traverſiers . Nous entrâmes tous avec un
vent du Sud Eſt , beau& frais , en forçant
legrand Fort de Sainte Croix , qui eſt le
premier en entrant , & d'autres Forts
dont il nous fallut eſſuyer le feu . Nous allâmes
moüiller , nonobſtant leur feu ,
proche la Ville hors la portée du Canon.
Nous y avons trouvé quatre Vaiſſeaux de
guerre Portugais de 64.62.60 . à 58. canons,
dont la moitié de leur Artillerie
étoitde fonte. M.du Gué , avec le Conſeil
de guerre , reſolut qu'il falloit ſe rendre
maîtres de l'Iſle aux Chevres , & que
c'étoit le ſeul endroit où on pourroit établir
ſes Batteries . M. du Gué ordonna
qu'on ſe tint prêt à debarquer avec une
partiedes Troupes à la petite pointe du
jour. M. de Gouyon , comme étant le
plus ancien , commanda la deſcente , &
fut avec toutes les Chaloupes & Canots
armez , dans lesquels il y avoit cinq cens
hommes , &s'en rendit maître. LesPortugais
s'y étoient déja établis , & avoient
commencé à faire des Batteries , dont ils
avoient déja fix pieces deCanon deFer ,
qu'ils enclouërent quand ils furent obligez
d'abandonner. Après cette expédition
faite , M. Gouyon ſe rembarqua , &
en laifla le commandement au Marquis de
Saint Simon , Lieutenant de Vaiſſeau ,
avec trois cens Soldats , & iladonné des
Qs mar
346 MERC. GALANT.
marques de ſa valeur , & a toûjours très
bienfait. Le 13. dudit mois deux de ces
Vaiſſeaux Portugais ſe brûlerent, le Chevalier
de Veaurealle eut ordre d'aller avec
ſa Chaloupe abord d'un autre qui en vouloit
faire autant : il s'en rendit maître ,
mais il ne pût point le haller au large ,
parce qu'un Fort faifoit continuellement
feu deflus . Ne voyant aucun efpoir de le
fauver , parce qu'il étoit criblé de coups
deCanon, & qu'il faifoit beaucoup d'eau ,
tout ce qu'il putfaire ce fut de l'échouer
proche de la pointe de l'Iſle aux Chévres .
Il ne s'y eft trouvé que ſeize pieces deCanon
de Fonte de vingt- quatre , qu'on
tranſporta la nuità Terre ; quant à l'autre
Vailfeau il ſe brûla deux jours après.
On ne pût point l'alter prendre où il étoit
proche une Batterie de quatre piéces de
Canon de quarante huit . M. DaGué ordonna
que tous nos Mortiers fuffent mis à
terre en Batterie à l'Ile aux Chevres .
Le Chevalier de la Ruffiniere qui commandoit
l'Artillerie , y fut tué la nuit du
13. au 14. De Beauve fut à la faveur de
lanuitavec huit Chaloupes& cinq Canots
armez , enlever cinq à fix Batimens qui
étoient mouillez proche de terre , qui
pouvoient empêcher notre defcentegéné-
Tale. Ilsavoientdu Canonde 18. fur deux
decesNavires,dont un étoit de 44 & l'autre
detreennttee-ffiixx,, tous étoientchargez debeau
Sucre blanc deBrefil . On estime cesCarguaiſons
,
!
i
MARS 1712. 347
4
guaifons , ainſi que ces Vaifleaux,plus de
cent mille Ecus. Le14. nous fîmes notre
deſcente générale au nombre de trois millehommes.
Toutes nosTroupes furent à
terre à midi , & nous marchâmes dans la
plus grande ardeur du Soleil , & fûmes à
unegrande lieuë pour pouvoir nous rendre
maîtres d'une Riviére qui fournit la legarde
d'eau : mais nous ne pûmes paſſer ,
parce que cet endroit eſt iſolé , &qu'il y
avoit un Brasde Riviére qui le rendoit inacceffible.
Nous fúmes obligezde nous en
retourner proche le débarquement où
nous campâmes par Brigades. Nous y reftâmeshuit
jours fans faire grand mouvement.
Le 19. M. du Gué envoya un
Tambour auGouverneur de la Ville, avec
une Lettre pour lui demander jutticedes
mauvais traitemens & des cruautez qu'on
avoit fait à tous les prifonniers deM. le
Clerc, & de fon afſaffinat , & qu'il le
fommoit de ſe rendre . Il fit réponſe qu'il
avoit des Forces ſupérieures de beaucoup
aux nótres pour ſe défendre; &qu'à l'égard
de l'affaffinat de M. du Clerc il n'y
avoit eu aucune part , & qu'il avoit fait
les perquifitions néceſſaires pour en ſçavoir
les Complices.
QuandM. du Gué eut reçû cette Lettre ,
-il envoya un Canot à l'Ifle des Chevres
avec ordre de cominencer à tirer . Alors
on ouvrit toutes nos Batteries ; ſur les fix
heures du foir , l'on tira de trente pièces
९०
de
348 MERC.GALANT.
de trente- fix , & le lendemain de dix au
tres de vingt-quatre & de dix- huit. Le
22. les Jeſuites envoyerent M. de la Salle ,
Volontaire de M. du Clerc , à M. du Gué ,
pour l'avertir que le Gouverneur avec
toute la Garniſon & les Habitansavoient
pris la fuite pendant la nuit , & qu'ils
avoient abandonné la Ville de Rio Janeiro
& tous les Forts ; qu'ils euffent à s'y rendre
pour en prendre poffeſſion. On s'affura
des portes les plus importantes . La
Brigade de M. Gouyon fut aux Benedictins
, & l'on prit le Fort& tout ce qui en
dépend. Nous n'avons perdu en cette
occaſion que vingt hommes. Par les
avis de pluſieurs priſonniers de M. du
Clerc , qui ſe ſauvoientde la Ville , nous
avons appris que les Ennemis avoient plus
de dix mille hommes portant les armes ,
y comprenant des Negres libres qui ſont
auſſi aguerris quedes Soldats. Si-tôt que
nous fumes à la Ville , ondiſtribua notre
petite Armée en cinq Brigades pour occuper
les poftes les plus avantageux , auffibien
que les dehors où l'on ſe campa. M.
duGué ſe logea à la Maiſon de l'Evêque.
Il nous vint 360. Soldats de M. du Clerc ,
qui fortirent de priſon , que l'on incorpora
dans nos Troupes. Le 23. tous les Forts
ſe rendirent par Capitulation , & on y envoya
des Garniſons. M. du Gué, voyant
que le Gouverneur ne vouloit point com
poſer pour ſa Ville , lui écrivit , pour lui
repres
MARS 1712. 349
repreſenter que tout ſon Païs étoit en
notre puiſſance , prêt d'être ruïné , &
qu'il cherchoit évidemment laperte; que
fon Roi le puniroit tôt ou tard de n'avoir
pas ménagé ſes intérêts; il l'avertitſoit
d'envoyer chercher tes Bleffez & lesMalades
pour leur éviter d'être embraſez dansles
ruïnes de ſa Ville qu'il alloit brûler
& miner les Forts pour les faire fauter.
Il fit réponſe qu'il vouloit confulter ſes
Généraux , & demanda deux jours. Le
28. voyant qu'il ne répondoit point, on fit
marcher toute l'Armée vers les fix heures
du matin. On ne laiſſa que très -peude
monde pour garder les Forts que nous
occupions. Nous fümes droit à l'Enne.
mi quiétoit campé à deux lieuës de la Ville.
On les ſurprit ſi à propos que fi on les
avoit attaquez. on les auroit défaits entié.
rement; nos deux Armées étoient en vûë
à la portée du Canon: mais le Gouverneur
demanda à capituler. Le premier
Article fut , que l'on nous donneroit en
poudre d'Or 600000. livres poids de
France,entrois payemens afin qu'on conſervât
la Ville, les Couvens des Jeſuites ,
&des Benedictins , ſous condition qu'on
leur donneroit des Otages pour füreté .
Nous leur laiflames le Chevalier de la
Grange , Enſeigne de Vaiſſeau , qui a été
autrefois au Port Louis. Ils nous envoyerent
leur Préſident , & un Meſtre de
Camp de Cavalerie, que nous amenâmes
Q7 à
335500 MERC. GALANT.
à la Ville. Ils nous accorderent cent
quaifles de Sucre blancde neufcens livres
chacune , s'obligerent de nous fournir
gratis 200. Boeufs , ſous condition qu'on
feur rendroit tous les Forts , &tout ce qui
en dépend , l'Artillerie avec fix coups par
Canon; que la Ville ne ſeroit pointbrûlée
, & qu'ils s'obligeoientde nous acheter
toutes les Poudres qui étoient en grande
quantité & toutes les Marchandises ,
pour peu qu'on leur en fit bonnecompofition.
Il ne s'eſt donné que deux eſcarmouches
où nous avons tué aux Ennemis
plus de 150. hommes ; nous n'en avons
perdu que quatre ou cinq. Nonobitant
laCapitulation faite , on ne laiffoit point
de ſe tenir ſur ſes gardes. Nous rece
vions ſouvent des avis qu'on devoit nous
furprendre . Quand on nous eut fait le
premier payement nous ne prîmes plus
tant de précaution. Comme les Portugaismouroientde
faim , onleur permettoit
d'entrer dans la Ville pour y prendre
des Farines de Magniottes , qu'ils avoient
dansleurs Maiſons ayant avec eux des Sauvegardesqui
les ramenoient dehors; nous
recevions d'eux tous les jours des rafraîchiſſemens
qui nous étoient d'un trèsgrand
fecours. Le bruit commun porte
qu'on a trouvé dans les Montagnes un
treſor d'environ deux millions cinq cens
mille livres , en Lingots d'Or , Poudre ,
& Vaiffelle d'argent , &trois mille quarffes
MARS 1712. 358
ſes de Sucre blanc qui ſont de neufcens
livres chacune , eſtimées trois cens mille
Ecus , trente piéces de Canon de fonte de
vingt-quatre , eſtimées deux cens dix mille
livres; l'on a vendu pluſieurs Navires
pour cent ſoixante mille livres ; l'on a
vendu les Poudres cent vingt mille livres ,
&des Marchandiſes vendues dans tous les
Vaiſſeaux au profit de l'Armement vingt
mille livres ; le tout enſemble comprenantce
qu'on a reçû pour la Capitulation ,
on compte que nous avons eu de Rio Ja
neiro huit millions. Tous nos Soldats
ont donné beaucoup de marques de leur
valeur,étantremplis tous debonne volonté
; la plûpart ont fait de gros butins &
ceux qui n'ont pas profité dans cette occaſion
, c'eſt qu'ils ſe ſont trop attachezà
boire.
L'HORLOGE DE SABLE ,
Figure du Monde.
Роёте.
ASſemblage confus d'une Arene mo-
Que l'Art ſçût enfermer dans ce Vafe
19
bile,
fragile,
Image
352 MERC . GALANT .
Image de ma vie , Horloge dont le cours
Régle tous mes devoirs en meſurant mes
jours ;
Puiſqu'à te celebrer ma Muſe eſt deſtinée ,
Fais couler pour mes Vers une heure fortunée;
Et vous pour qui le Monde a de fi doux
appas,
Qui même haïffez ceux qui nelaiment
pas;
Mortels , venez ici; je veux dans cet
Ouvrage,
DuMonde, tel qu'il eſt , vous tracer une
Image.
Qu'eſt le Monde en effet ? C'eſt un Verre
qui luit,
Qu'un ſouflepeutdétruire , &qu'un foufle
a produit.
Que renferme le Monde ? Une vaine
pouffiere
Que remuë à fon gré le poids de la matiere.
Qui tourne , va , revient , plus vite que
les flots,
Et par ſon mouvement ne tend qu'à fon
repos.
grains deSable
ble:
Que font tous les Mortels ? Autant de
A
Qu'anime cependant une ame raiſonna-
MaisquiduSable ſeul occupez ardemment
Font leur unique emploi de ſon accroiffement.
On
תליחת MARS 1712.
353
On l'échange, on le vend , on l'achete ,
on l'amaffe ,
Et monceaux fur monceaux l'avarice
l'entaſſe.
Le Marchand qui ne craint ni les Vents,
ni les Eaux ,
Confiant ſa Fortune àde frêles Vaiſſeaux ,
Court aux extrémitez de la Plaine liquide
Vendre un Sable brillant pour un Sable
folide.
L'Artiſan, que le Sort ou l'orgueil desHamains
Oblige à ſe nourrir du travail de ſes mains,
Nefaitpendantt llee cours d'une vie inutile
Quepolir , que finir une Arene mobile. I
Le Sage examinant la nature des Corps ,
Leurs cauſes , leurs effets , leurs mutuels
rapports ,
Cherchant un vuide en eux qu'il peut voir
en lui même ,
" L
Croit embraſſer le vrai , dans une erreur
qu'il aime.
Il ne s'apperçoit pas , ſéduit par fon
orgueil,
Qu'en voulant l'éviter , il tombe dans
l'écueil ,
Et que ſon eſprit faux , rempli de vains
phantômes
N'amaffe qu'un trefor de pouffiere &
d'Atomes ;
Et vous , Eſclaves-nez de vos propres
Vous , Grands , qui bâtiſſez de ſuperbes
ſouhaits ,
Palais, Que
354 MERC. GALANT.
Que vous fert d'élever un Château pé
riffable
Plus haut que vos Voiſins ? C'eſt mettre
un peudeSable
Quidevenant unjour la Victime des ans
Marquera par ſa chûteun eſpace de tems .
Que faites- vous enfin , vous , Maîtres de
la Terre?
Vous portez en tous lieux les fureurs de
la Guerre ,
Vous inondez nos Champs de Bataillons
épars ,
1
Vous livrez des Affauts , vous forcez des
Remparts.
D'un trop foible Voiſin vous pillez la
Frontiere ,
Pour lui ravir unpeude Sable &de pouffiere,
1
Qui gliſſantde vos mains avec rapidité
Fera du moins connoître à la Pofterité ,
Avides de ſçavoir vos ſuccès , vos traverſes
,
Du tems qui fuit toûjours les Epoques diverſes
.
Mais rangeons nous aux Loix de l'exacte
Raifon ,
Et tâchons d'illuſtrer notre comparaiſon.
Ce Sable à chaque inſtant prend de nouvelles
places ,
Et le Monde en un jour changede mille
faces .
Ces grains font agitez de mouvemens di
vers ,
Tels
1
MARS 1712 . 355
Tels font auſſi les corps de ce vaſte Uni
vers .
Sans liaiſon entr'eux , non plus que cette
: Arene
Chacun ſuit au hazard le penchant qui
l'entraîne ,
Et ce qui d'un peu d'air dans ce Vaſe eſt
l'effet ,
Le vent de la Fortune en ce Monde le fait.
Les uns font élevez ſur les débrisdes au
tres :
Les Biens de nos Voiſins fegroffiffentdes
nôtres.
Dans la foule obſcurcis , les Princes de
trônez ,
Contraints à reſpecterdes Sujets couron
nez ,
Sont de triſtes joüets du Sort toûjours
volage.
De ſes renverſemens notre Horloge eft
l'Image.
On la tourne , & bien tôt le Sable fe
confond ,
Le plus bas monte enhaut , le plushaut
coule au fond ,
Et comme on voit ces grains agitez dans
leur Verre 1
Peu libre dans l'enclos du Vaſe qui les
ferre ,
Vers leur centre commun faire un com
mun effort ,
Et par la voye étroite atteindre l'autre
bord,
Telle
356 MERC. GALANT.
Telle on voit des Humains la Cohorte
mortelle
Dans le paſſage obſcur de la nuit éternelle
De ſes jours malheureux éteindre le flambeau
,
:
Sc pouffer , s'enfoncer dans l'horreur du
Tombeau ,
Nous y voyons tomber , d'une chûte
commune ,
Le Pauvre & ſon eſpoir, le Riche & fa
Fortune, :
Les Jeunes , les Vieillards , les Sujets &
les Rois ,
Faits du même limon , ſubir les mêmes
Loix.
Mais que dis-je , ce Sable a ſur nous l'avantage
;
Au Globe , dont il fort , il retrouve un
paffage ;
Et lorſque nous quittons la lumiere du
Jour ,
Nous la quittons , hélas ! ſans eſpoir de
retour.
Après tant de leçons que fournit notre
Horloge,
Lui peut-on juſtement refuſer un éloge.
Atoute la Nature elle donne des Loix .
Pourvû qu'il ait des yeux , le Sourd entend
ſa voix.
Au Prince , au Magiſtrat , à l'Orateur ,
au Sage ,
Ellefait, fansparler, entendre ſon langage;
En fufpend les Arrêts , les diſcours , les
travaux ; AnnonMARS712.
357
Annonce à l'Artiſan l'heure de fon repos.
Enfin réglant du tems la durée &l'eſpace ,
Elle nous dit qu'il fuit , & qu'avec lui
toutpaffe.
Et moi qui tiens toûjours ſur lui les yeux
ouverts ,
Je vois qu'il faut finir mon Eloge & ces
Vers.
NOUVELLES.
De Rome le 16. Janvier.
1
M
Onfieur le Cardinal de la Tremoille,
ayant communiqué de la part du
Koi à Monfieur le Cardinal Ottoboni ,
ſes inſtructions fur la protectiondes affaires
de France , qu'il a acceptées , cette
Eminence a fait élever les Armes de Sa
Majeſté ſur la Porte de ſon Palais à la PlaceNavone.
Le Procès qu'il y avoit entre l'Egliſe
Royale de S. Loüis de la Nation Françoiſe,
& leCollege Germanique , à l'occaſion
des nouveaux Batimens , a étéjugé
en faveur de l'Egliſe de Saint Loüis .
M. le Cardimal Albani fir ſon entrée
le 10. Tous les Cardinaux , les Princes ,
& les autres Perſonnes lesplus diſtinguées
en858
MERC. GALANT.
envoyerent des Gentilshommes avec des
Caroffes à fix Chevaux au devant de lui ,
pour le Complimenter , & la Reine
Doüairiére de Pologne y en envoya trois
hors dela Portedel Popolo . Ce nouveau
Cardinal , après être deſcendu au Palais ,
ydemeura long-tems en particulier avec
le Pape , & il fut enſuite accompagné à
fon appartement , par la plupart de ceux
quiavoient été audevantde lui. Il reçût
pendant lestrois jours ſuivansles complimens
de tous les Miniſtres Etrangers , de
tous les Prélats , & de toute la Nobleſſe.
Le 14. après avoir reçû le Chapeau dans
un Conſiſtoire que le Pape tint pour le lui
donner , il alla faire ſa priere à l'Egliſe de
Saint Pierre , enſuite dequoi il commençaà
faire fes viſites . Ilalla d'abord chez
le Cardinal Acciajoli , Sous - Doyen du
Sacré Collège , & enſuite chez la Reine
Doüairiére de Pologne.
L'affairede l'Evêque de Leccé , devient
deplus enplus ferieuſe : les Officiers de
l'Archiduc, non contens de la violence
qu'ils ontfaite à la Perſonne de ce Prelat,
ont faitempriſonner ſon Chancelier , tous
les autres Officiers de l'Evêché , & même
leurs Parens , quoi qu'ils n'ayont aucune
part à cette affaire. On avoit envoyé de
Naples à Leccé des Chapelains pour faire
ouvrir lesChapelles Royales , parce qu'étant
exemptesde la Jurisdiction ordinaire,
ils pourroient y célébrer l'Office Divin ,
qui
MARS 1712. 359
!
1
qui étoit interrompu ; mais après avoir
fait ouvrir ces Chapelles , & avoir tout
diſpoſé pour y dire la Meſſe , ils furent
très furprisd'aprendre , qu'on avoit affiché
par toute la Ville , des Monitoires
qui déclaroient excommuniez , en vertu
de la Bulle in Cana Domini , tous ceux
qui y aſſiſteroient. Le Conſeil de la Jurifdiction
Royale s'étant aſſemblé fur ce
fujet , on délibera fi on chatſeroit du
Royaume tous les Chainoines de la Cathedrale.
Comme on attribue toutes ces
violences au Comte Borromée , lors que
l'on reçût la Lettre qu'il écrivoit au Pape
aux Fêtes de Noël , pour les lui ſouhaiter
bonnes , après avoir déliberé dans une
Congrégation de l'Immunité fi elle feroit
ouverte , on conclud que non , & qu'elle
lui feroit renvoyée ſans l'ouvrir.
Extrait d'une Lettre de Vienne du
20. Janvier.
TE Confeil aulique ayant reçu ordre de
l'Archiduc de reprendre ſes Séances ,
qui avoientété interrompues depuis la mort
de l'Empereur Joseph , enfit l'ouverture
le 14. Cependant l'Impératrice Révente a
remis toutesles Affaires importantesjusqu'à
l'arrivée de l'Archiduc , excepté cellesqui
ne peuvent fouffrir aucun retardement :
Plusieurs Seigneurs & Officiers qui reviennent
360 MERC. GALANT.
1
nent de Francfort aſſurent que le départ de
cePrinceavoitétéfixé au onze, mais qu'il
étoit incertain quand il pourroit arriver ,
les chemins étant devenus impraticables en
pluſieurs endroits, par la grande quantité
deNeige qui étoit tombée. Quoique cette
Courparoiffe toûjoursfort opposéeàla Paix
queles Anglois les Hollandois sont convenus
de traiter ſur lepied des Préliminaires
arrêtez en Angleterre , en affurenean.
moins qu'elle envoyers des Plénipotentiaires
au Congrès: c'est dont onſerabien-tot
éclairci. Quoi qu'il ensoit , les Nouvelles
quel'onreçoit de Hongriequ'ungrand nombre
de Mecontens ont de nouveau pris les
armes endifferens endroits, donnentd'autant
plus d'inquietude que lesgrands pré.
paratifs que lesTuresfontfur les Frontières
de ce Royaume , font apprehender qu'enfin
la Forte ne ſoit déterminée àfavoriser les
Confédérez.
LesLettresde Constantinople du 2.Décembre
, &plusieurs autres poſtérieures ,
confirment que Mehemet - Bacha Grand
Vifir, fut déposé arrêté le 20.Novem.
breàAndrinople , &qu'on a auffi arrêté
,
mis au Chateau des fept Tours , Osman
Aga fon Lieutenant; que Iffſouf Bacha ,
Aza , ou Général des faniffaires , a été
fast Grand Vifir , que leKaïmacan de
Conftanimople a été fait Aga destaniſſai.
res , que le nouveau GrandVifirfiefon
entrée publique à Constantinople , le pre.
mier
MARS 1712. 361
mier Décembre , accompagné des principaux
Officiers del' Armée ; quele Kan des
Tartares quiy arriva le lendemam , est
l'un des principaux Auteurs de la disgrace
duVifird'éposés quele Muftiayant été confultéà
fonſujet , avoit réponduque le Sultan
étoit obligé enconscience de le déposer ,
parce qu'il étoit très important pour lebien
del'Etat depunir unhomme , qui après s'être
laiſſe corrompre par des preſens , avoit
ofefaire de fon chef , une Paix honteuse ,
au lieu qu'il auroitpúſe rendre maîtrede
laperſonne du Czar , & de toutefon Armée
, procurer par ce moyen un avantage
très conſidérable à l'Empire Ottoman .
Ces mêmes Lettres ajoûtent , que depuis
que le Gouverneur d'Afaph avoit refusé de
remettre cette Place au Bacha , qui s'étoit
avancé avechuit mil Turcs pour en prendre
poffeffion,les Otages Moscovitesqui avoient
étéconduits àConstantinople , avoient été
emprisonnez au Château des ſept Tours ,
où l'Ambassadeur du Czar étoit détenu ;
que depuis ce tems- là on travailloit avec
toute la diligence poſſible aux préparatifs
pour recommencer la Guerre , & que les
Valaques &les Moldaves ayant reçû ordre
de la Portede fournir toutes fortes de
provisions au Roi de Suede , ce Princefaifoitfaire
degrands Magasins à Bender .
Tome V. R De
362 MERC. GALANT .
!
De Hambourg le 29 Janvier.
Le Roi de Dannemarck partit le 20.du
Village de Mekelbourg près de Wiſmar ,
&alla camper le même jour avec ſon Infanterie
à Gadebuſch , ſa Cavallerie le
joignit le 21. Le 22. fon Armée marcha
ſur trois Colonnes ; l'une commandée par
le Général Rantzau , prit la route du Duché
de Lawembourg. Le 23. ce Général
envoya ici un Officier pour demander
lepaſſage par les quatre Baillages de cette
Ville , & qu'on fournît des Fourages à
ſes Troupes , ce qui lui futaccordé. Une
autre Colonne qui paſſa par le Territoire
de Lubek y fit degrands défordres , parce
que les Habitans de cette Ville là avoient
favorisé pluſieurs Officiers Suedois , qui
s'étoient jettez dans Wiſmar durant le
blocus. La troifiéme Colonne marcha
entre ces deux autres par le plus court
chemin , & les trois Colonnes devoient ſe
réjoindre à la Bruyere deGrande , où toutes
les Troupes devoient ſe ſéparer pour
entrer en quartier d'hiver . Le Roi de
Dannemarck arriva le 24. à Segebourg ,
d'où il devoit ſe rendre à Coldingen ,
après avoir paffé à Rensbourg. Ce Prince
, pour empêcher la deſertion de ſes
Troupes, avoit toûjours fait marcher des
Détachemens fur lesailes de fon Aimée ,
qui
MARS 1712. 363
qui eſt en fort mauvais état , la plupart
des Soldats étant malades des grandes fatigues
qu'ils ont eſſuyées , & la plupart
des chevaux des Cavaliers étant morts .
Sa Majesté Danoiſe a laiſſe à Roſtok une
Garniſon dedeux mil cinq cens hommes ,
& deux Régimens àGripſwald , avec un
Régiment Saxon. Ce Prince avoit fait
rompre tous les Ponts ſur le Ribuits , depuis
Damgarten juſqu'à Tribzée ; mais
les Suedois ontdéja rétabli celui de Damgarten.
Al'égard desTroupes Saxones , elles
ont repris la route de leur Païs , excepté
quelques Régimens que le Roi Auguſte
a laiffez à Gripſwald , à Anclam , & en
d'autres petites Villes aux environs de
Stralſund, pour incommoder la Garniſon
de cette Place. Ce Prince arrivera à
Dreſde le 15. , accompagné de ſes Miniftres
, du Général Flemming , & de plufieurs
autres Officiers. Ilaconvoqué une
Diettedes Etats du Païs , qui doit ſe tenir
le 13. Février , à laquelle il doit demander
des Subfides pour remonter ſes Troupes ,
pour Recruës , pour les Magaſins , &
pour les autres dépenſes néceffaires . II
en a auffi convoqué une générale enPologne
pour le 5. Avril , &on affure qu'il
doit aſſiſter en perſonne à l'une& à l'autre.
Les Lettres de Thorn portent , que la
Princeſſe épouſe du Prince de Moſcovie ,
R2 y
364 MERC. GALANT .
1
yétoit arrivée avec une ſuite de plus de
deux cens Allemans ; que l'Officier qui
étoit allé par ordre du Czar à Smolensko,
pour en ramener l'Artillerie que les Mofcovites
avoient enlevée de l'Arsenal de
Vilna , n'avoit pû l'obtenir , parce que le
nom de celui à qui on la devoit remettre
n'étoit point marqué dans les ordres ; que
Jes Troupes Moſcovites loind'être ſorties
de Pologne , y exigeoient par force les
Vivres& Fourages , & autres choſes dont
elles avoient beſoin , & même qu'elles
vouloient obliger les Polonois de tranfporter
en Poſnanie des Proviſions pour les
Troupes du Czar qui ſont en Pomeranie ;
que ces violences avoient obligé plufieurs
Palatinats à aller ſe plaindre au Primat
du Royaume , qui avoit écrit au Prince
de Mofcovie, pour leprier de faire ceffer
ces contraventions aux Traitez conclus
avec le Czar fon Pere. Ces Lettres ajoûtent
, que la Diéte du Palatinat de Cracovie
s'étant aſſemblée , pour empêcher
les Moſcovites de forcer les Habitans des
lieux qu'ils occupent , on y logeroit avec
cux une partie des Troupes de la Couronne
; & que le Palatin de Maſſovie qui
s'étoit préparé à aller à Conſtantinople
avec le caractére d'Ambaſſadeur du Roi
Auguſte & de la République , étoit retourné
dans ſes Terres , la réponſe qu'il
attendoit du Grand Seigneur , ne lui
ayant pas été favorable à l'égard du Roi
AuMARS
1712. 365
Auguſte: cette réponſe ne parle en aucunemaniére
de ce Prince ; mais ſeulement
de la République de Pologne , avec laquelle
le Sultan étoit toûjours dans la réfolution
d'entretenir la Paix.
De la Haye le 1. Janvier.
Nonobſtant les Proteſtations que l'Archiduc
avoit faites de ne point conſentir
aux Négociations de la Paix fur le pied
des Préliminaires , il a enfin réſolu d'y
envoyer des Ambaſſadeurs : le Comte
de Sinzendorf arriva ici le 21. du mois
dernier , avec le caractére de premier Plénipotentiaire
de ce Prince au Congrès
d'Utrecht , le Comte de Meternich arriva
le lendemain avec le même Titre de la
part de l'Electeur de Brandebourg. Le
vingt-deux tous les Plénipotentiaires qui
étoient arrivez à Utrecht , allerent viſiter
la Maiſon de Ville , où les Conférences
doivent ſe tenir, & ils réglerentque d'un
côté de la Salle où on les tiendroit , on
R3 mar-
* Les Plénipotentiaires de l'Empereur arriverent
de la Haye à Utrecht le 9. de Février ;
après avoir déclaré publiquement & fait mettre
dans lesGazettes , qu'ils n'avoient pris la reſolution
de s'y rendre que ſur la déclaration faite
le 3 par les Plénipotentiaires de France &d'An.
gleterre , touchant la non-obligation des ſept
Articles Préliminaires , & fur les inſtances reitérées
des Hauts Alliez , &particulièrement de
L. H.P.
366 MERC. GALANT .
marqueroit une Chambre où Meſſieurs
lesPlénipotentiaires de France & ceux de
leurs Alliez délibéreroient en particulier ,
& que l'on en marqueroit unede l'autre
côté de la même Salle ,'pour Meſſieurs
les Plénipotentiaires des Alliez. Il fut
auſſi réſolu que Meſſieurs les Plénipoten.
tiaires de France entreroient par la Porte
qui eſt du côtéde la Ruë; ceux des Alliez ,
par celle qui eft du côtédu Canal ; mais
il a été reſolu depuis que les uns & les autres
entreroient du côté du Canal , fçavoir
, Meſſieurs les Plénipotentiaires des
Alliez par l'ancienne porte , &Meffieurs
- les Plénipotentiaires de France , par une
Porte- neuve , que l'on a faite exprès à
côtéde l'autre .
;
Les premiéres Séancesesqu'onaa tenues
n'ont été que pour faire un Réglement
pour rétrancher toutes les cérémonies ,
pour prévenir toutes fortes de différens ,
&pour régler la conduite deleurs Domef.
tiques. La premiére Conference ſe tint
le 29. du mois dernier à dix heures &demie
du matin , & Meſſieurs les Plénipotentiaires
prirent place à meſure qu'ils arriverent.
M. l'Evêque de Briſtol l'ouvrit
, &commençapar dire qu'ils étoient
tous Affemblez pour travailler à une Paix
générale; que lui & les Plénipotentaires
desAlliez avoient des intentions fincéres ,
&les pouvoirs néceſſaires pour la conclure
, & qu'il eſperoit que les Plénipotentiaires
MARS 1712. 367
tiaires de France ſeroient dans les mêmes
diſpoſitions ; & M. le Maréchal de Huxelles
répondit , que lui & ſes Collégues
avoient le même deſſein , qu'ils étoient
auſſi revêtus depouvoirs ſuffiſans , &que
c'étoit l'intention du Roi leur Maître : enſuite
Meſſieurs les Plénipotentiaires convinrent
, qu'ils s'aſſembleroient le Mer
credi & Samedide chaque ſemaine ; puis
ils ſe ſeparerent ſans être entrez enmatiére.
De Madrid le 25. Janvier.
LeRoi alla le 18. à la Chaſfle du Sanglier
, à une Terre de M. le Marquis de
Mejorada . M. de Vendôme après avoir
diſtribué les Troupes en quartier d'hiver ,
&avoir donné ſes ordres pour diffiper
quelques partis de Volontaires , quitroubloient
la fureté des chemins , eſt arrivé
ici aujourd'hui. Il a eu une conference
affez longue avec leurs Majeſtez , enſuite
dequoi il eſt allé à l'Hôtel de M. le Ducde
Medina , où il doit loger durant fon ſejour.
Il doit travailler à faire en forte
que toutes les Troupes ſoient prêtes à
rentrer de bonne heure en Campagne , &
qu'elles ne manquent point de vivres. Le
Koia donné le Commandement en Chef
àM. leMarquis de Valdeñas , en l'abſen.
cede ce Prince; & la plupart des Officiers
R4 Gé
368 MERC. GALANT .
Généraux doivent demeurer ſur la Frontiére
. On a aporté ici l'argent du Perour
arrivé en Galice pour le compte du Roi ,
fur le Vaifleau François le Griffon . Depuis
le commencement de cette année le
Trefor Royal reçoit les droits d'entrées
qui appartenoiert au Roi , & qui étoient
employez à payerdes penſions qui ont été
fufpendues. On mande de Sarragoffe
que par le moyen d'une Taxe modique
fur chaque Famille dans tout le Royaume
d'Arragon , les Habitans de tous les lieux
où les Soldats pafferont , ne leur fourniront
plus que le lit & le chauffage ; &
qu'un parti de Volontaires , avoit tué un
Sergent Major & quelques Soldats du
côté deCarbas . Les Lettres de Portugal
portent , que les Troupes Angloiſes qui
ont leurs quartiers aux environs de Lisbonne
, y commettentde grands deſordres
faute de ſubſiſtance; mais qu'elles n'at .
tendoient que leurs derniers ordres pour
repafler enAngleterre , &que le 8. de ce
mois leRoi avoit tenu ungrand Confeil ,
enſuite duquel il avoit fait partir un Exprès
ſur le Paquebot d'Angleterre , avec
denouvelles inftructions pour ſes Ambaffadeurs
aux Conferences d'Utrecht. On
écrit de Cadız , que l'on commence à y
ſentir les fruits de la Paix , puiſque deux
Navires Anglois qui avoient chargé à
Oftende, font entrez dans le Port, avec
deux Batimens Bifcayens ,*qui avoient
chargé en Angleterre. Nou.
MARS 1712 . 369
:
Nouvelles d'Espagne du premier Février
1712.
On travaille fortement aux Recruës &
aux nouvelles levées pour la Campagne
prochaine , pour laquelle on tient des
Conſeils de Guerre en prefence du Roi.
Le 25. du mois dernier le Duc de Vendôme
arriva à Madrid , il alla d'abord ſaluer
Leurs Majeſtez , avec lesquelles il eut
une longue Conférence. On a déja
acheté pour cent mille écus de Grains , &
cent mille écus de Chevaux. Le Conſeil
deCaſtille a ſuſpendu pour un an le payement
des Revenus , des Droits , & des
Domaines alienez. Quatre cent Che
vaux de laGarniſon de Badajoz , ont fait
unecourſe en Portugal , & en ont amené
quatre mille piéces de Bêtail , avec deux
centChevaux ou Mulets .
Le Duc de Vendôme en quittant Cervera
, y a laillé quatre Bataillons &le Régiment
deDragons de Vallejo ,& leComted'Herſel
pour y commander , de bonnes
Garnisons dans Agramunt , Balaguer
, &Belpuch , voici comment le reſte
desTroupes étoit en quartier d'hiver .
La Cavalerie Françoiſe logée à Hueſca
&dans les Villes voifines .
€ L'Infanterie Eſpagnole dans la Conca
deTrems &dans la Vaguerie de Lerida .
RS La
370 MERC . GALANT .
La Brigade des Irlandois à Teruel au
deça de l'Ebro.
LeRégiment des Aſturies à Daroca.
Dix Régimens de Cavalerie Eſpagnole
dans leRoyaume de Valence.
L'Infanterie Françoiſe à Alcaniz , à
Caſpé , & à Tortoſe.
LesVolontaires & les Miquelets ayant
voulu entrer en Navarre , les Peuples ont
pris les Armes , les ont battus & mis en
fuite , & en ont tué un grand nombre.
Nouvellesd'Angleterre.
,
Les douze Pairs furent introduits le 13 .
Janvier dans l'Aſſemblée des Seigneurs
& ils y prirent leurs places , aprèslalecturede
leurs Patentes . Le Comte d'Oxford
, grand Treſorier , delivra un Meffagede
laReine contenant , qu'elle fouhaitoit
que la Chambre s'ajournât jufqu'au
25. ainſi que les Communes. Le
Ducde Sommerſet , le Comte de Sunderland,
le Comte de Nottingham , & plufieurs
autres furent pour la négative ; ce .
pendant l'affirmative l'emporta de ſoixanze
trois voix , contre quarante-neuf , &
laChambre s'ajourna juſqu'au 25. Les
Seigneurs Ecoflois ont remontré à laReine
, que l'affaire du Duc d'Hamilton
étoit contraire à l'Acte d'Union des deux
Royaumes . Sa Majesté répondit , qu'el
:
le
MARS 1712. 371
4
le étoit fâchée qu'on leur eut donné ce
ſujet de plainte , & qu'elle feroit en ſorte
de leur faire avoir ſatisfaction . On a
donné au Duc de Beaufort la charge de
Capitaine des Gentilshommes Penfionnaires
, que le Ducde Saint Albans , Fils
naturel du Roi Charles II . occupoit. Le
Duc d'Ormont , Colonel du premier Régiment
des Gardes à pied , a été nommé
Commandant de toutes les Troupesde la
Grande-Bretagne.
LeComte de Rivers , a été fait Grand
Maître de l'Artillerie , & Colonel du Régimentdes
Gardes à cheval .
LeDuc de Northumberland , Capitainede
la ſecondeCompagnie à cheval. Le
Sieur Hill , Brigadier , a été nommé
Lieutenantde la Tour , a la place duGénéral
Cadogan; pluſieurs Capitaines de
Vaiſſeauxde Guerre ont été reformez . On
croitqu'il y aura encore dans peu d'autres
changemens.
Le 28. l'Orateur de la Chambre des
Communes lut un Meſſage que M. de
Saint Jean Secretaire d'Etat avoit reçû de
la Reine , & qui porte que S. M. n'étant
point affez rétablie de ſon indiſpoſition ,
cauféeparun retour deGoute , pour venir
au Parlement , & ne voulant cependant
pas que les Affaires publiques ſouffriffent
aucun retardement , elle avoit jugé à propos
de lui communiquer en ſubſtance par
écrit , ce qu'elle avoit eu deſſein de lui ap-
R6 pren
372 MERC. GALANT.
prendredebouche ; Sçavoir , que Sa Majeſté
après avoir déclaré à ſon Parlement
que le tems& le lieu fixé pour l'Aſſemblée
des Plénipotentiairesde tous les Confédérez
étoit marqué , afin de traiter une Paix
générale avec ceux des Ennemis , & lui
avoir fait connoître en même tems le ſoin
qu'elle avoit réſolu de prendre des intérêts
de tous ſes Alliez , ainſi que l'étroite
union dans laquelle elle ſe propoſoit d'être
toûjours avec eux pour obtenir une
bonne Paix , & pour la maintenir lors
qu'elle feroit concluë; elle pouvoit lui
dire preſentement que ſes Plénipotentiaires
étoient arrivez à Utrecht , & qu'ils
avoient commencé ſuivant leurs Inſtruetions
, à chercher les moyens les plus convenables
pour procurer une juſte fatisfaction
à tous ſes Alliez , ſuivant leurs Traitez
, &particulièrement à l'égard de l'Efpagne
& des Indes Occidentales , que le
Parlement pouvoit attendre que Sa Majeſté
lui feroit communiquer les Conditions
de la Paix , avant qu'elle fût concluë;
ce qui feroit connoître le peu de
fondement qu'avoient les bruits qu'on
traitoit une Paix particuliere, que des perſonnes
mal-intentionnées avoient répandus
pour faire réüffir leurs mauvais defſeins
; que ſes Miniſtres étoient chargez
depropoſer qu'on fixat un jour pour finır ,
de même qu'il y en avoit eu un marqué
Pour l'ouverture des Conférences , mais
que
MARS 1712. 373
que cependant on travailleroit avec toute
la diligence poffible aux préparatifs pour
entrerde bonneheure en Campagne ; qu'à
cet effet S. M. ne doutoit point que les
Communes , qui avoient déja donné tant
de preuves de leur zéle , n'expédialfent
promptement l'affaire des Subfides : &
qu'enfin , Sa Majeſté étant informée de la
licence exceſſive qu'on prenoitde publier
des Libelles faux , ſcandaleux , & capables
d'attirer des reproches à toutGouvernement
réglé , le mal ſemblant prévaloir
fur les Loix , elle recommandoit de travailler
à y remédier.
L'Orateur ayant fini la lecture de ce
Meffage , les Communes réſolurent d'une
voix unanime, qu'on dreſſeroit une Adreſ.
ſe , pour remercier la Reine de ſa bonté,
de ſa prudence , de ſa douceur , & de fa
confiance: Des Coinmiſſaires furent nommez
pour la dreffer ; & voici ce qu'elle
contenoit en ſubſtance. Que SaMajesté
ayant témoigné une si grande tendreſſe ,
& eu tant d'attention pour lebiende fon
Peuple, & un déſintéreſſement fi généreux
pour le ſoutien & l'avantage de ſes
Alliez pendant la Guerre , qu'il n'y avoit
pas lieu de douter qu'elle n'eût les mêmes
égards dans la Négociation de la Paix;
que les Députez étoient obligez de la remercier
de la promeffe remplie de bonté
qu'Elle avoitbien voulu leur faire , deleur
en communiquer les Conditions avant
qu'elle
R7
374 MERC. GALANT.
qu'elle fût concluë ; que Sa Majeſté détruiſoit
par là les faux bruits qui avoient
été répandus avec autant d'affectation
que de malignité , leſquels ne pouvoient
avoir d'autres Auteurs que quelques Factieux
incendiaires , qui pour couvrir leurs
mauvaiſes diſpoſitions contre le Gouvernement
preſent , & les deſſeins qu'ils n'avoient
oſé avoüer publiquement , cherchoient
à faire naître de la défiance&de la
jalouſie dans l'eſpritdeſes Sujets pour les
détourner de leur devoir ; que laChambre
travailleroit avec application à expédier
l'affaire des Subſides , & aux moyens
d'arrêter la licence inconſidérée des Libelles
faux & ſcandaleux , & qui étoient
non-ſeulement injurieux au Gouvernement
de Sa Majesté , mais remplis des
plus horribles blaſphêmes contre Dieu &
laReligion.
LesSeigneurs remerciérent auſſi la Reine
d'un pareil Meſſage qu'Elle leur avoit
auſſi envoyé ; & leur Adreſſe finit par des
affurances qu'ils donnent à Sa Majefté,
qu'ils ſe repoſent entiérement ſur ſa grandeprudence
pour cequi regarde lesConditions
de laPaix *.
•On peut voir uneAdreſſe plus récentedes
Seigneurs d'Angleterre , au ſujetde la Paix , à
la findu Mercure de Février 1712 .
ADDIMARS
1712. 375
i
ADDITION
Faite en Hollande,
,
Comme on a mis dans le Mercure du
mois paffe les offres de la France pour une
Paixgénérale onsecroit obligé de mettre
icilesDemandes des Alliez , qui ypeuvent
Servir de Réponse. Les deux Partis portent
leurs prétentionsbien haut ; maisil y
a cette difference , que lesAlliezparoiſſent
mieux fondez , leſuccès des Armes étant
entièrement de leur côté; au lieu qu'on a
delapeine à concevoirfur quoi la Franceſe
fonde, pour faire des propoſitionsſi differentes
decelles qu'elle afait il y a deux
ans. Cela donne lieu à plusieurs de dire ,
que la France s'est fait des Amisparmi les
Alliez, ou qu'elle efpere d'en faire . Il
faut espererqu'en peude tems nous pourrons
bienvoirlecontraire. Quoiqu'il enſoit,
voici les Demandesque les Alliezviennent
defaire de concert . Celles de S. M. I.
C. , du Roi de Portugal , de S.A. Ε. Pa.
latine, des Cercles Aſſociez , du Land.
gravede Heffe , de l'Evêque de Munster
du Duc deWirtemberg , ont été don.
nées en Latin ; & toutes les antres en François,
comme elles se trouvent ici. Ceux
qui veulentse donner lapeine d'examiner
376 MERC . GALANT
Sde comparer , trouveront les Traductions
qu'on donne ici des pieces Latines,
beaucoup plus exactes que celles qu'on a
donnėailleurs.
Demandesfaites au nomde Sa Majesté Imperiale
& Catholique, & del'Empire.
I. 1.Que les Decrets & Ordonnances , qui fe font faits ou le feront encore , à l'égard
"de l'état intérieur de l'Empire , demeuranten
leur entier , la France rende à S. M. I. & C. , &
l'Empire , cant pour leur dédommagement .
que pour leur fureté à l'avenir , tout ce que
l'Empire & la Maiſon d'Autriche lui ont cede
ou laiſſé par lesPaix de Munſter , de Nimegue ,
& de Riſwick , ou ce que la ſuſdite Couronne a
détenu autrement juſques à preſent. Et que
conformément à la demande des Cercles de
'Empire , & comme néceſſaire à leur ſureté , S.
A. S. le Duc de Lorraine ſoit rétabli en toutes
Yes Terres , Fortereffes , & Places , qui ont été
cedées par le Duc Charles IV . à la Couronnede
France; & que de plus , toute obligation feo.
dale, d'hommage , & de vafallage ſoit anéantic:
Sa Majefté ſe reſervant au reite en fon nom,
& celui de l'Empire, de faire une déclaration
de tout cequ'on vient de dire dans la meilleure
forme & la plus ample , immédiatement après
qu'on en aura delibere dans la Diéte de l'Empi
re.
II . Que la France , outre tous les Royaumes
&Païs déja occupez en Eſpagne , en Italie , &
dans les Païs -Bas , reftituë à S. M. I.& C. tout
Je reſtede la Monarchie d'Eſpagne , comme elle
étoit poffedée par le Roi Charles ſecond. ( Sauf
néanmoins les Conventions faites ou à faire avee
leSéréniſſimeRoi de Portugal , S. A, R. de Sa
2 voye ,
=
MARS 1712. 377
voye , la Séréniſſime Reine de laGrande Bretagne
, & Meſſieurs les Etats Généraux des Provinces
Unies ; ) & que le tout refte pour
toûjours & fans interruption , á la Séréniſſime
Maiſon d'Autriche , felon l'ordre de la Succeffſion
exprimé dans le Teſtament de Philippe IV.
Roi d'Eſpagne.
Cependant Sadite M. I. & C. , conjointement
avec les Hauts Alliez , ne refuſera pasde traiter
ultérieurement , fi Meſſieurs les Plénipotentiai
res du R. T. C font de la part duditRoi des
propoſitions plus convenables que n'étoient les
derniéres.
III On infifte , qu'il ſoit donné une entiére
fatisfaction à tous les Alliez de S. M. I. & C. ,
en tout ce qu'ilspeuvent prétendre de la France,
foit qu'ils l'ayent ſpécifié , ou qu'ils le faſſent
encore , fuivant la teneur des Alliances & Conventions
, dont ils ſe ſont réciproquement obli.
gez.
IV. Que tous les dommages faits aux autres
Amis, Etats, Vaſſaux , & Sujets de l'Empire,
avant ou après cetteGuerre , en quelque maniére
que ce puiſſe être , ſoient reparez
Finalement S. M. I. & C. ſe reſerve de déduire
ultérieurement , d'interprêter , ou de changer
toutce qui a été dit ci deſſus , ſelon qu'on lejugera
plus convenable pour le plus grandbiende
la Paix , & de la ſureté publique.
Fait àUtrecht le 5. Mars 1712 .
P. L C. de Sinzendorff. C. F. de Consbruck .
Demandes des Cercles Affociez .
LAA triſte expérience ayant fait connoître que
le Roi Très-Chrêtien n'a en aucune maniére
laiſffé joüir des fruits de la Paix , les Cercles
Voifins de la France , depuis la Paix de Munster,
mais qu'ils ont été continuellement troublez ,
foit par des Réunions , en tems de Paix , foit
par
378 MERC. GALANT .
pardesHoftilitez ouvertes , en tems de Guerre,
La ſeureté deſdits Cercles demande particulie.
rement , que le Roi T. C. reftitue , enſemble
avec l'indemniſation des dommages cauſez dans
cette Guerre , tout ce qui lui a été cedé par les
Cercles& par la Maiſon d'Autriche , ſoit par la
Paîx de Munſter , ſoit par d'autres Traitez confecutifs.
Qu'elle reſtituë de plus ces parties
des Dachez de Lorraine & de Bar , qui en ont
été détachées , ou par Traité , ou par la ſupériorité
des Armes ; avec l'abolition de toute
obligation Feodale : De forte que la Paix à faire
ſerve de Digue à des maux tels que ceuxqu'on
adéja foufferts , & ceux qu'on auroit à craindre
à l'avenir ; & que la tranquilité publique foit
rétablie& demeure ferme , entre la France &
Jeſdits Cercles de l'Empire qui en ſont voiſins.
Fait àUtrecht le 5. Mars 1712.
STADIAN.
DemandesSpécifiques du Révérend. & Séréniſſime
Prince Electeur de Treves , c.
LERévérendifſime& Séréniſſime Electeur de
Treves demande , que la Ville de Treves lui
foit reſtituée , & fon Fort appellé St. Martin ,
comme auſſi la Ville & le Château de Saarbrug.
dans l'état où ils font à preſent, ſans y riendémolir
davantage , & fansy détruire aucun Edifice
public ouparticulier , avec les Canons qui
yfurent trouvez au tems de la priſe. De même ,
qu'il ſoitmis pour toûjours en poſſeſſion & dans
une entiére joüiſſance , fans aucun trouble ni
empêchement à l'avenir de la part de la France ,
duVillage de Feppin ,&de tous les autres Lieux,
Fiefs , Revenus , Droits Ecclefiaftiques & Séculiers
, que lui même ou les Seigneurs ſes Prédeceſſeurs
ont eu ou poſſedé , ou ont dû avoir
ou poſſeder , tant devant qu'après la Paix de
Mun
MARS 1712. 379
Munster , parraport à l'Archevêché & l'Electorat,
&l'Abbayede Prumes : Se refervant à demander&
marquer précisément les pertes ſouffertes
à l'occaſion de cette Guerre .
De plus , Sa Sérénité Electorale demande ,
qu'Elle foit rétablie dans la paiſible poſſeſſiondu
Grand Prieuré de Caſtille , & de l'Abbaye de Palerme,
& de tous lesRevenus & Droits qui en
dépendent , avec les fruits & émolumens qu'on
lui a injustement retenus durant cette Guerre,
Enfin , le Sérénifſime Electeur demande , que
fuivant la teneur des Traitez , une juſte & convenable
ſatisfaction ſoit donnée à ſes Alliez de
la part du Roi de France.
Fait à Utrecht le 5. Mars 1712 .
Signé, J.W.V. B. d'Elz. De Kaysersfeldt.
Demandes de Son Alteſſe Electorale Palatine.
Son Alteſſe Electorale Palatine, ayant apris
que les Miniftres de Sa Majefté Très - Chrêtienne
, envoyez aux Conférences de Paix , ont
preſenté quelques propoſitions , & que ceux
des Alliez ont trouvé à propos que chacun ſur
cela produiſe ſéparément ſes Demandes , Son
Alteſſe Electorale fondée là-deſſus , ſouhaite
que chaque Allié reçoive une fatisfaction équitable&
convenable , &demande que S. A. Flectorale
demeure dans la poffeſſion tranquille du
Haut-Ralatinat , du Comté de Cham , & de tou.
tes leurs apendances & dépendances , de la maniére
qu'ils lui ont été cédez par droit de Poſtliminie
par feu S. M. Imperiale, du conſentement
&de l'aprobation de tout le College Electoral ,
&qu'elle puiſſe joüir tranquillement , enPaix ,
&ſansy être troublée , detous les Droits , Priviléges
, &avantages, enſemble avec la prééminence
anciennement attachée à laDignitéElec
80-
380 MERC. GALANT .
toralede faMaiſon , ſelon la teneurde l'Inveſtiture
, & autres Inftrumens obtenus là-deſſus.
Et que S. M. T. C. lai reftituë tous les Lieux ,
Contrées , Citez , Villes , & Forts , quiluiont
été enlevez & occupez parles Armes de Sadite
M. T. C. , tant ſous prétexte de Domaine directe
de Souveraineté , de Confiſcation , qu'autrement
, & qu'elle lui donne une fatisfaction proportionnée
de tous les dommages , torts , &
immenfes Contributions , exigées des Païs de
S. A. E. Utrecht le 5. Mars 1712 .
Demandes de Son Alteſſe Séréniſſime Mon-
Seigneur le Landgrave de Heffe- Caffel.
Son Alteſſe Séréniſſime étant Membre de la
grandeAlliance, &y étant attachée par d'autres
liaiſons particulieres , Elle n'a rien plus à
coeur que de voir , que cette Alliance ſoit exe.
cutée dans tous les points & Articles , & que
chacun des Hauts Alliez en joüiſſe de tous les
fruits à la Paix générale. C'eſt en conformité de
ceci , que S. A. S. demande;
I. Une fatisfaction entiére pour tous lesHauts
Alliez en général , & pour chacun d'Eux en
particulier.
II . Elle demande , la conſervation& le rétabliſſement
de la Religion Proteftante , ſelon la
Confeffiond'Augsbourg , dans les Terres apparrenantes
à l'Empire , fur le pied de la Paix de
Westphalie , & que la Clauſe ajoûtée au quatriéme
Article de la Paix de Ryfwyck foit abolie.
III . Elle demande pour ſa propre fureté& fatisfaction
, de garder pour toûjours la Fortereſſe
de Rhinfels , la Ville de S. Goar , le Fort de
Katz , & le petit Bailliage qui en dépend ; &
que le 45. Article de la Paix de Ryfwyck , autant
qu'il eſt contraire à cette demande , ſoit
aboli.
2
IV.
MARS 1712. 38E
IV. Et comme il eſt juſte que les dommages
quelui ont caufé cette Guerre ſoient réparez , &
que l'on le rembourſe des fraix , où elle l'a
engagé , elle demande , qu'on luien faſſeune
jufte & entiére fatisfaction & un dédommagement.
V. Que la Séréniſſime Maiſon de Lorraine ait
une ſatisfaction juſte & raisonnable.
VI Que tous les Biens appartenans à la Succeffion
d'Orange , & préſentement entre les
mains de la France , foient reftituez , avec les
fruits perçûs tant dans la Guerre preſente que
pendant la Guerre paſſee , & mis ſous l'Adminiftration
de L. H. P. à qui elle appartient com.
me Executeurs du Teftament de Sa Majeftéle
feu Roi de laGrande Bretagne de glorieuſe mémoire.
(
Pour lereſte S. A. S. ſe réſerve la faculté & le
pouvoir de déclarer , & de déduire à l'avenir
plus amplement , tout ce qu'elle croira d'être
de la fureté & indemnité , tantdetous les Alliez
, Confédérez , & Amis , que d'Elle-même
, & de fa Séréniſſime Maiſon .
Demandes Spécifiques de S. A. l'Evêque&
Prince de Munster& de Paderborn.
Son Alteffe ayant été obligée defairedes fraix
immenfes dans cette Guerre entrepriſe pour
la liberté & le falut de toute l'Europe , & de
charger ſes bons Sujets de Contributions exceffives
pour y fubvenir ; & ſes Ecats ayant outre
cela fouffert degrands dégâts par les fréquentes
marches & paflages des Troupes Auxiliaires ;
S. A. demande , à titre de fatisfaction & d'indemniſation
, que le Roi Très Chrêtien reſtituë
tous ces fraix&ddoommmages. Et cela avec d'autant
plus de raiſon , que dans un Cas à peu près
pareil , les Evêchez de Munſter& de Paderborn
ont
382 MERC. GALANT .
:
ont été obligez par la Paix de Westphalie , de
payer à titrede ſatisfaction , une grande ſomme
d'argent comptant aux Alliez dela Franced'alors.
Utrecht le 5. de Mars 1712 .
Demandes spécifiques du Séréniſſime Prince
deWirtemberg.
ON demande pour le Séréniffime Prince , &
Seigneur , Eberhard Loüis Duc de Wirtemberg&
Tecce , Comtede Montbeliard , Seigneur
de Heidenheim , &c . & ſa Séréniffime
Maiſon.
I. Une fatisfaction équitable & conforme aux
Traitez , pour les fraix & dépenfes faits dans
cetteGuerre, & pour les dommages qui y ont
été ſoufferts , dont on ſe réſerve de produire
dans la ſuite une Déduction plus particuliere ,
comme auffi des moyens de les réparer en quelquemaniére.
II . Confirmation de la poſſeſſion déja obte.
nuë de cette partie de la Seigneurie deWiefenſteig
, qui eſt enclavée dans le Duché de Wirtemberg
, & appartenoit autrefois à la Maiſonde
Baviére , de la maniére qu'elle a été donnée &
laiſſée au SéréniſſimeDuc.
III. Reftitution pleniére de la Principautéde
Montbeliard , au Séréniffime Duc & Seigneur
Leopold Eberhard , enſemble avec ce qui y appartient
, ſçavoir du Comté de Horbourg , &
les Seigneuries deReicherwecher , deGranges ,
de Clerval , & de Paſſavant , pour relever immédiatement
de l'Empire Romain , de même
que la Principauté , comme auffi des Baronies
libres , & pourvûës de toute Jurisdiction Terri .
toriale , d'Hericourt , de Chatelot , de Blanont,
& de Hemont, en leur ancien & fufdit
état immédiat , tant par rapport an Spirituel
qu'au Temporel , & dans tous les Droits , Immunitez
, Prérogatives , & Revenus , fans au-
-cuMARS
1712. 383
i
cune exception de tout ce qui y a appartenu auparavant,
ou en quelque maniére y a dû appartenir
, & avec abolition de tout ce qui a éte faie
ou prétendu au contraire. De plus une juſte
fatisfaction au ſuſdit Seigneur Duc de la Ville
de Neuf Briſac , & de ſes Fortifications , comme
étant bâtie ſur le Territoire de Harbourg.
Fait à Utrecht le 5. Mars 1712 .
A. G. V. HEESPEN.
Demandes spécifiques de Sa Majesté Britannique
,pour cequi regarde la France .
I. LERoi Très-Chrétien reconnoîtra dans les
termes les plus précis , & les plus forts ,
la Succeffion à la Couronne de la Grande Bretagne,
felon qu'elle eſt limitée par les Actes de
Parlement (qui ont été faits durant leRégnedu
feu Roi Guillaume III . de glorieuſe mémoire ,
&de S. M. qui régne à préſent ) dans la Ligne
Proteftante de la Maiſon de Hanover.
II . Le Roi T. C. promettra en outre , tant
pour lui que pour ſes Héritiers &Succeffeurs ,
de ne reconnoître jamais aucune Perfonne pour
Roi ou Reine de la Grande Bretagne , autre que
S. M. qui régne à préſent , & ceux ou celles qui
lui fuccéderont, en vertu des ſuſdits Actes de
Parlement.
III. Le Roi T. C s'obligera pareillement de
faire fortir tout incontinent du Territoire de la
France , la Perſonne qui prétend à la ſuſdite
Couronne de la Grande Bretagne .
IV . Le Roi T. C. promettra pour lui , ſes
Héritiers & Succeſſeurs , den'inquiéter jamais
ladite Reine de la G. B. , ſes Héritiers & Succef.
feurs de la ſuſdite Ligne Proteftante , dans leur
paiſible poſſeſſionde la Couronnede la GB , &
de tout ce quien dépend ; comme auſſi de n'accor384
MERC. GALANT .
1
corder jamais aucune aide ou afſiſtance , ſoit directement
ou indirectement , par Mer ou par
Terre , en Argent , Armes , Munitions , Vaifſeaux
, Matelots , Soldats ou autrement , àaucune
Perſonne ou Perſonnes , qui voudroient à
l'avenir entreprendre , fous quelque prétexte
ou pour quelque cauſe que ce puiſſe étre , de
s'opoſer à la ſuſdite Succeffion , ou de favorifer
ceux qui s'y opoſeroient , ſoit directement ou
indirectement , par une Guerre ouverte , ou en
fomentant des ſéditions & des Conſpirations ,
contre tel Prince ou Princeſſe qui ſera ſur le Trône
de la Grande Bretagne en vertu des Actes ſusmentionnez
, ou contre Celle ou Celui en faveur
de qui la Succeſſion de laGrandeBretagne fera
ouverte , conformément aux Actes ſuſdits.
V. Les Plénipotentiaires de France entreront
en Négociation dès à preſent avec ceux de la
GrandeBretagne , pour faire un Traité de Commerce
entre les deuxRoyaumes .
VI . Le Roi T. C. fera démolir toutes les Fortifications
de la Ville de Dunkerque , comme
auffi combler ledit Port , & ruïner les Ecluſes
qui fervent à le nettoyer; le tout à ſesdépens ,
&dans le tems de deux mois après la ſignature
de la Paix : Et fa fufdite Majefté fera auſſi obligée
de ne jamais faire réparer leſdites Fortifications
, Fort ou Ecluſes
VII . S. M. T. C. remettra à S M. la Reine de
la Grande Bretagne , ( le jour de l'échange des
Ratifications de la Paix à faire ) des Actes atutentiques
& formels de Ceſſion des Iſles de S.
Chriftophle& de Terre Neuve , avec la Ville de
Plaiſance , & les autres Iſſes ſituées dans les
Mers d'alentour ; comme auſſi l'Acadie , avec
la Ville de Port Royal, autrement apellée Annapolis
Royal , & ce qui dépend dudit Païs.
VIII . Le Roi T. C. reftituera à la Reine & au
Royaume de la Grande Bretagne , la Baye & le
Détroit de Hudſon , enſembletoutes les Terres,
Mers ,
MARS 1712 . 385
Mers, Côtes , Riviéres , Places & Forts yappartenans
, & conſentira que les Limites entre
Jadite Baye de Hudſon, & les Poſſeſſions des
François fur les Côtes de la Riviére de S. Lau -
rent , ſoient réglées ; & qu'il foit défendu aux
Sujets de la Grande Bretagne & de la France ,
de ne jamais paſſer leſdites Limites , nid'aller
parMer ou par Terre des uns aux autres .
IX. Le Roi T. C. fera auffi avoir à la Compagnie
Angloiſe de la Baye de Hudſon , un Dédommagement
juſte &raisonnable de toutes les
Pertes que ladite Compagnie a fouffertes , par
l'Invasion & déprédation faites par les François
en tems de Paix , à leurs Colonies , Vaiſſeaux ,
Perſonnes & Effets.
X. Les Sujets de France , Habitans du Cana-
Ja & autres Lieux , s'abſtiendront à l'avenir
d'empêcher le Négoce réciproque entre les Sujets
de la Grande Bretagne & les Natifs du Païs
de l'Amerique , comme auſſi d'inquieter les
Cing Nations ou Cantons Indiens , ou autres qui
font ſous l'obéiſſance ou dans l'amitié de la
Grande Bretagne.
XI. S. M. , en conformité deſes Alliances ,
inſiſte que leRoi T. C. faſſe avoir à tous & chacundes
Hauts Alliez , une ſatisfaction juſte &
raiſonnable fur ce qu'ils demandent à la France.
XII . Quoi qu'il foit trouvé convenable que
chacun des Hauts Alliez faſſe ſes propres Demandes
; néanmoins , comme les Miniſtres de
S. A. E de Brunswick Lunebourg ne font pas
encore arrivez , & pour d'autres confiderations .
les Plénipotentiaires de S. M. inſiſtent que la
France reconnoiſſe la Dignité Electorale deSadite
Alteſſe, avec tous les Droits& Prerogatives
qui y font attachez .
XIII SM la Reine réſerve aux Alliez , dont
les Miniſtres n'ont pas pú venir au Congrès , la
faculté de porter auſſi ci-après leurs Prétentions
&Demandes ; & elles doivent être reçûës &
Tome V. S con386
MERC.GALANT .
confidérées , tout de même que ſielles étoient
preſentées maintenant, l'intentiondeS.M étant
qu'on yaitles mêmes égards , pour leur donner
une juſte ſatisfaction .
XIV. La Reine demande auſſi , que pour
mieux conſerver la Tranquillitédans l'Empire ,
la Clauſe ajoûtée au IV. Article du Traité dè
Ryſwick ſoit abolie; & que la France nes'oppoſe
en aucune maniére à ce que dans l'Empire
routes les affaires de Religion foient régléesconformément
aux Traitez de Westphalie. Ce que
S. M. ſe trouve obligée de demander en faveur
des Proteftans Reformez en France , de ceux qui
font mis ou condamnez aux Galéres , détenus
dans les Priſons ou autres lieux , ou quiſe ſont
réfugiez , ſera expliqué dans la ſuite de laNégociation
, de concert avec ceux qui y prennent
part.
XV. S. M. demande en outre , que le RoiT.
C. faſſe faire bonne & promte juftice à laMaifon
d'Hamilton pour le Duchéde Châtelleraut;
& au Colonel Charles Douglas pour lesTerres
qui lui ont éré ôtées par la France,&autresde
lesSujets.
XVI. S. M. demande deplus , que la France
faſſe avoirà ſesAmisqui feront nommezdansla
fuite de la Négociation, une fatisfaction juſte
&équitable pour les Pertes&Dommages qu'ils
ont foufferts par la France , comme auſſi leRe.
zabliſſement des Libertez & Priviléges qu'ils
ont droit de prétendre.
Demandes ſpecifiques da Séréniſſime
Très- PuiffantRoi de Portugal.
SASacrée Majefté le Roi de Portugal , eftimant
qu'il ne seroit pas aſſez pourvû aux in.
terêts de fonRoyaume , à moins que tous les
Etats dont étoit autrefois compoſée la Monarchie
MARS 1712 . 387
chie d'Eſpagne , ſous le Roi CatholiqueCharles
II., ne foient rendus à la Maiſon d'Autriche.
Demande.
,
I. Que toute la Monarchie d'Eſpagne y compris
les Indes Occidentales , ſoitrenduë an Seréniffime
& Très-Puiffant Prince Charles VI.
Empereur des Romains excepté lesVill
Forts , &Droits , tant enEurope qu'en Amerique
, qui ont été cedez &donnez en perpetuité
Sa Sacrée Majesté Portugaiſe, par les Traitez
fairs entre le Séréniſſime & Tres Puiſſant Prince
Leopold Empereur des Romains , & le Séréniffime&
Tres - Puiffant Prince Pierre II . , & les
autres Alliez ; à la referve auffi de ce qui a été
promis aux autresAlliez,
Sa
II. Que la France cede à Sa Majefté Portugaiſe
& à ſes Succeſſeurs tout le droit qu'elle
prétend avoir fur les Contrées vers lleeCapBoreal,
nommé communément Cap du Nord
faiſant partie du PPaaïïss deMaranon, fitué entre
laRivieredesAmazones,&&cceelllleeddeeVincent
Pifon lans égard à tout Traité provifionel ove
decifif, fait fur la poffeffion && le droit deſdites
Contrecs. Qu'elle cede auffi tout autre droit
qu'elle prétend fur aucun aauuttreEtatde laMonarchiePortugaiſe.
III. Sa Majefté Portugaiſe ſe reſerve aufli le
droit d'une plus ample explication des ſuſdites
demandes , dans la ſuite de ces Conférences .
IV. Elle infifte auſſi que la France donne une
Tatisfactionjufte & équitable à tous lesAlliez
fur leurs demandes , en conféquence de leurs
Traitez
V. Er enffiinn qu'Elle donne unejuſte&équitable
fatisfaction auxAAmmiiss de Sa Majefte ,
nommer dans la fuite dess Négociations , pour
les pertes&dommages qui leur ont été cauſées
paria France. Faita Utrecht le 5. Mars 1712.
S2 De.
388 MERC. GALANT.
Demandes Spécifiques deSa Majesté le Roi
dePruffe..
73
1. SAMajesté le Roi dePrufſe ſera reconnu en
cette qualité , ſans reſtriction ni condition
II . Sadite Majeſté ſera reconnue pour Prince
Souverain , naturel & légitime de la Ville &
Principauté d'Orange , & lui ſera reſtitué cette
Ville & Principauté , avec tous ſes Droits ,
Apartenances& Dépendances d'icelle , en qualite
de Succeſſeur legitime de la Maiſon de Châlon-
Orange.
III . Seront reftituez à S M. Prufſmenne , en
vertu des mêmes Droits ſucceffifs & autres ,
tous les Biens des Maiſons de Châlon. Orange &
Châtel-Belin , ſituezen Franche Comté , Bourgogne,&
autres Provinces qui ſont ſous la Dominationdela
France , conformément aux Traitez
de Paix , dans lesquels les Princes d'Orange
font intervenus avec les Rois de France & d'Efpagne
, au dernier deſquels S. M Pruffienne a
fuccede , enſemble tous les Droits , Apartenances
& Dépendances , avec les Fruits , Rentes
, &Revenus de ladite Principauté , &des
autres Biens fituez en Franche- Comté & ailleurs,
ſouslaDomination dela France , perçus
depuis la mortdefeuS M. Britannique,
IV. Que Sadite M. P. fera auſſi reconnue pour
légitimePrinceSouverain des Comtez deNeufchâtel
& Valengin , avec tous leurs Droits ,
Apartenances & Dépendances , en vertu de la
Sentence des 3. Etats du 3. Novembre 1707. , &
ledit Pais de Neufchatel & Valengin , ſera toûjours&
à tous égards reconnu & reputé Membre
du Loüable Corps Helvétique.
V.. Que tous les Arrêts , Jugemens , Déclarations
,Actesd'échange , & autres , de quelle
nattuMARS
17.12T
. 389
nature qu'ils puiſſent être , contraires à laSouveraineté&
Proprieté des Principautez d'Orange,
Neufchâtel , & Valengin , enſemble des
Biens des Succeſſeurs de Châlon & de Châtel-
Belin, où qu'ils foient fituez , feront entiérement
révoquez , annullez , caffez , & anéantis.
VI. Que les Arrêts , Ordonnances , &Jugemens
rendus contre les Proteftans d'Orange for.
tis l'an 1 703. &depuis , feront pareillement révoquez,
annullez , & anéantis
VII. Que la Suiſſe , leurs Alliez & Conféderez
, &particulierement les Cantons de Zurich ,
Berne , Glaris , Bâle , Schafhouſe , &Appenzel
, la Souveraineté& la Ville de Neufchâtel &
Valengin, la Villede Geneve , celle de St. Gal .
Mulhaufe , &Bienne , avec toutes leurs Apartenances
& Dépendances , feront compris dans
leTraité comme une condition de la Paix , fans
que l'on puiſſe attaquer aucune partie du LoüableCorps
Helvétique , & particulièrement celles
des Loüables Cantons Réformez & de leurs.
Conféderez , nien troubler la tranquilité , ſous
aucun prétexte , quel qu'il puiſſe étre.
VIII. Il fera uni alEtat deNeufchâtel ,"en
touteSouveraineté , la petite partie ou liziére
de la Franche-Comté, qui eft en deçà de laRiviére
de Doux , y compris le Château de Joux
&ſes Dépendances , & cela en dédommagement
des dégâts cauſez à S. M endifferens endroitsde
fes Biens , Etats , & Provinces.
IX. Les Sujets de S.M joüiront par tout de
tous les avantages pour le Commerce , dont
joüiront lesSujetsde S. M. la Keine de la G. B.
&deL H. P. , fans que leſdits Sujets foient tenus
de payerde plus grands ou autres Droits ,
Charges, Gabelles , on Impoſitions quelconques,
fur leurs Perſonnes , Biens , Denrées , Navires
d'iceux , ou Frets , directement ou indirectement,
que ceux qui feront payez parles
Sujets defdites Ruiſſancest
S 3 X.
390 MERC. GALANT .
du
X. La Ville de Gueldres avec le Canton de
cette Province , & la Ville Païsd'Erekelens,
S.M. P. poffede , Ini feront laiffcées
que enplei
neSouveraineté& Proprieté , commepriſes fur
laFrance par les Armes de S. M , & pour
tres prétentions conſidérables fur lesquelles S..
M. n'a pas été fatisfaiteencore ppar l'Elpagne.
XI. Commepplluufſiieurs François
gionRéformée ayant ééttéé obligezddeequitterla
fele
d'aude
la
de S.
la Reli-
France,
font réfugiez ous LPoobbéeiifnfance d
M., & fontdevenusſes Sujets par Droit deNaturalifation,
Bourgeoiſie ou autre ,&qu'entre
cesRefugiez quelques-uns ont laifiéen France
leursMaris , Femmes , Enfans , Peres , Meres,
&autresproches Parens , &que plusieursy ont
auffi laiſſe leursBiens, ou en ont aequis depuis
par fucceſſion , héredité ou autrement fans
avoir pû les retirer & en joüir ; S. Μ., en conſéquencedela
Protection qu''Elle doit à ſes Sujets
, demande: 2
1. Qu'il foit permis à ces Maris , Femmes ,
Enfans , Peres , Meres , ou autres proches Pa
rens deſdits Réfugiez , de fortir librement de
France , & de venir réjoindre leurs,Maris
Femmes , Enfans , Peres , Meres ou autres
proches Parens , établis ſous l'obéiſſancede S.
M. 2. La reſtitution de tous lesBiens , Meubles
& immeubles , appartenansde droit , tant
auxdits Réfugiez,z qu'à leurs Defoendans
ſous l'obéïffancede 8. Mou à leurs Héritiers
qui y font. 3. Que leſdits Réfugiez & lears
Defcendans nez Sujets deS. M., foient confide
rez & réputez en toutemaniére, comme de véritablesSujetsde
S M.; & qu'ainſi ils joüiſſent,
tant en France , que dans toute l'étenduë deſa
Domination, de tous les Droits , Priviléges .
nez
Franchiſes , Immunitez Libertez , & Avantages,
dont les autres Sujets du Roi doivent
jouir, fans aucune exception ni referve
S.M. fouhaitede plus , qu'il plaiſe àS. M.T
१८
C.
MARS 1712. 391
C.d'accorder , enconfidérationdel'amitié qui
doit être rétablie par la Paix , la Liberté de
Confcience à ceux de la Religion Réforméequi
refferontenFrance , comme auſſi de faire élargir&
remettre en liberté tous ceux qui , à cauſe
de la Religion Réformée, font détenus dans les
Friſons , Convents , Galéres , ou autres lieux.
XII. La Claufe du quatriéme Article de la
Paix de Ryſwick ſera abolie ; & les affaires de
Religion dans l'Empire , & particulierement
dansles lieux rendus parla Paix de Ryfwick, &
àrendre par laPaix à faire , feront remiſes dans
L'Etat où elles doivent être ſelon ladiſpoſition
dela Paix de Westphalie.
XIII Un ou pluſieurs Articles feront faits
de ce que deſſus, avec lesClauſes néceſſaires
pour Pexplication ou fûreté de ce qui fera convenu.
XIV. Les Hauts Alliez de S. M. auront ſatisfaction
enconformité de leurs Alliances.
XV. Ses Amis , qui feront mentionnez dans
la ſuite de laNégociation , aurontune ſatisfaction
juſte& raiſonnable pourles pertes & dommages
qu'ils ont foufferts par la France , commeauſſi
le rétabliſſement des Libertez & Privi
légesqu'ils ontdroitde prétendre.
XVI. SaM. fe reſerve le droit & la faculté de
faire encore d'autres Demandes , felon que le
cours de laNégociation pour la Paix générale le
demandera.
Fait àUtrecht le 5. de Mars 1712
O.M.C.deDenhof. E. C.deMetternich.
f
Demandesde SonAlteffe RoyaledeSavoye,
pour la Paixgénéraleàfaire .
LAjuſte ſatisfaction de S. A. R. de Savoye ne
pouvant mieux être réglée que par ſesTraitez
d'Alliance , &par une raisonnable fûreté de
fes
$4
392 MERC.GALANT.
ſesEtats , Sadite A. R demande.
Que dans le Traité de Paix à faire , le droit
notoire& incontestable qui apartient à S. A. R. ,
& qui a été déclaré par le Teftament de Philippe
IV. Roi d'Espagne , à la Succeſſion de laMonarchie
d'Eſpagne , immédiatement après la
TrèsAuguſte Maiſon d'Autriche , ſoit maintenudansſon
entier , fans y donner aucune atteinte;
& qu'aucun Prince tiers préferablement à
Sadite A. R, ne foit introduit , ni établi dans
aucundes Etats de ladite Monarchie d'Eſpagne.
QueSaditeA. R. foit immédiatement remife
en poſſeſſiondu Duché de Savoye & des Provincesendépendantes
, du Comté de Nice & defes
Dépendances . &de tous les Lieux & Pais qui
apartiennent à Sadite A. R. , & que les Armes
deS. M. T. C. auront occupez pendant le cours
de cette Guerre , ſans aucune reſerve .
Que S M T. C. ſe départira en faveur deS.
A. R. , & lui cede tous les Droits de proprieté
&de Souveraineté fur les Forts d'Exilles & de
Fenestrelles , & fur toutes les Vallées en delà du
Mont-Genevre , & autres Alpes , y compriſe la
Vallée de Château Dauphin , & que pour former
la Barriére des Etats de Sadite A.R , laquelle la
recevra en même tems pour dédommagement
desPlaces de ſes Etats qui ont été démolies . S.
M. T. C.lui cede..Du côté de Piémont, lesForte.
reſſesdeMont-Dauphin , &de Briançon avec le
Briançonnois , & la Vallée de Quierafc : Du
côte de la Savoye , le Lieu de Barreaux avec fon
Fort&Territoire , & le peu de Terres d'icelui,
juſqu'à celles des Confins de Savoye d'un côté
de la Riviére d'Iſére , & de l'autre côté Goncelin
; & tirant de là une Ligne juſqu'au Col de
Vaugiani , avec ce qui fera entre ladite Ligne &
la Rochette, & autres Terres de Savoye , enfemble
les Terres , Lieux , & Villages , qui
font en delà du Rhône du côté de Savoye ; l'us
fage du Rhône reftant commun entre le Roi de
France
1
S
MARS 1712.393
France & le Duc de Savoye , depuis Geneve
juſqu'à St. Genis d'Aofte , icelui inclus... Et
du côté de Nice , le Fort de Monaco ; leRoi.
T. C. reſtant chargé d'indemnifer le Princede ce
nom.
Les Ceſſions faites par l'Empereur Leopold
deglorieuſe mémoire à S. A. R. , parleur Traité
d'Alliance & Articles Secrets d'icelui du 8 Novembre
1703. , reſteront dans leur force & flables
, & auront leur entier effet ; & à ce ſujet S.
M. T. C. les reconnoîtra pour telles , & n'y contreviendra
directement ni indirectement , dans
aucun tems , & pour quelle raiſon que ce ſoit ,
&n'empêchera par voye de droit ni de fait , que
Sadite A. R ne joüiffe de tous les Païs , Etats ,
Places , Terres , Droits , & exercices d'iceux ,
quiſont compris dans leſdites Ceffions .
Qu'il fera loiſible à S. A. R. de faire telles
Fortifications qu'Elle trouvera les plus convenables
dans tous les Lieux qui lui ont été acquis
par ſes précedens Traitez.
Que le Prince de Monaco reconnoîtra en S. A.
R.la ſupériorité & direct Domainedes Lieuxde
Menton & de Roccabruna , & prendra les Inveftitures
d'Elle , comme ont fait ſes Prédecef
feurs.
Quele Commerce de France en Italie , & vice
verfa, ſe fera comme il eſt porté par l'Article
fix du Traitéde Turin , & les Lettres &Malles
des ordinaires continuëront d'être envoyées par
la même route ; obſervant à cet égard ce que l'on
apratiqué en France pour les Malles d'Italicen
Eſpagne . & viceversa , du tems de Charles II .
Roi d'Eſpagne , ſans que les routes puiſſent être
détournées. Les Bâtimens François payeront
l'ancienDace , communément apellé Droit de
Ville-France, conformément à ce qui ſe pratiquoic
du tems des Précédents Ducs de Savoye
, ſans qu'il y puiſſe être fait à l'avenir aucuneoppoſitiondela
part du Roi T. C. , ni de
ſesSujets. Ss Que
394 MERC. GALANT.
Que S. A. R pourra vendre librement la BaroniedesEffores,&
autres Biens & Effers qu'Elle
en a en France , fans qu'il foit formé aucun
empêchement de la part de S. M. , laquelle fe
départiraen faveurdes A. R. & de fes Succeffeurs
, ou de leurs Acquereurs , de toutDroit
qu'Elle pourroit prétendre à l'avenir fur des
Tereesquifont enBugey , & qui apartiennent
depreſent àSadire AR , à laquelle an befoin
leRoiT. C. cedera la proprieté i revocable pour
Elle&ſes SucceflcarsDucsde Savoye,on leurs
Acquereurs.
LeTraitédeTurin de 1696 fera gardé & ob.
Servé ponctuellement dans ce à quoi iln'eſtderogépar
lepreſent.
Sadise A. R.fe referved'expliquer&ſpeci
fierplus amplement les fufditesDemandes ,&
delesaugmenter felonque la Negociation lui en
donneralien , & qu'il lui ſemblera convenir&
raifonnable.
Sadite A. R. infifte en outre àceque, fuivant
les Traitez d'Alliance , tous les Hauts Alliez
, &chacund'iceux, trouvent & ayencdeur
fatisfaction , & que les Traitez de Paixqu'ils.
ferontavec laFrance feront rapellez , &relpectivement
ftipulez dans ceux que les autres
Hauts Alliez feront avec SM.T.C , comme
s'ils y étoient inferez de mot å mot ; refervant
auxAlliez abſens ; &dont les Miniſtres n'ont
pasencore pûvenit , de faire leurs demandes .
Elle demande de plus , que la France faffe
avoir à ſesAmis & Sujets , qui feront nommez
dans la ſuitede laNégociation, une fatisfaction
pour lespertes &dommages que la France leur
afaits & caufez , & fur les Demandes qu'ils
ontdroitdefaire.
Fait à Utrechtce 5. Mars 1712.
Signé ,
LeComtedeMaffey. LeMarg. du Bourg. Mellarede
Diman
MARS 1712. 395
Demandes Spécifiques de L. H. P.lesSeigneurs
Etats Généraux des Provinces-
Unies ,Sc. 1
LEEldius Seigneurs Etats demandent: I. Que
S. M Très Chrêtienne , tantpour Elle-même
que pour le Prince ou les Princes ſes Alliez,
& tous autres qui pourroienty prétendre , renoncera
& fera renoncer , dans les termes les
plus forts &les plus amples,, à rout le Droie
qu'Elle ou le Prince ou Princes ſes Alliez , our
autres , pourroient prétendre fur les Païs-Bas
Elpagnols, tels que le feu Roi Catholique
CharlesII. lesaa poffedez oudû poffeder , con
formément au Traité de Ryſwiek :Et que
le Duché, Ville & Forterelle de Luxembourg .
avec le Comté de Chimay , le Comté , Ville&
Château de Namur , comme auffi les Villesde
Charleroi& de Nieuport , font encore au pou
voir de la France ou de fes Alliez ; S. М. Т. С.
fera en forte que ceDuché , Comtez , Villes&
•Fortereſſes, avec toutes leursApartenances&
Dépendances , &tout ce qui outre cela pourroit
encore appartenie auxdits Païs Bas Eſpagnols ,
définis comme ci-defus , en l'état auquel le
tour ſetrouve àpreſent , avec les Fortifications,
comme auffi avec leCamon , Artillerie& Manitions
de guerre qui s'y trouvent actuellement .
&avec tous les Papiers , Lettres , Documens
&Archives qui concernent leſdirs Païs BasEfpagnols,
ou quelque partie d'iceux , feront
immédiatement après la Paix, & au plus tard
en 15. jours après l'échange des Ratifications .
mis entre les mains desdits Seigneurs Etats ,
pour les rendre , avec le reſte des Païs-BasEfpagnols
déja reconquis , à S. M. Imperiale&
Catholique, aufi-tor que lesdits SeigneursEtats
feront convenus ayee Elle de la maniere dont lefdits
S6
396 MERC.GALANT.
dits Païs-Bas Eſpagnols leur ſerviront de Barriere&
de Sûreté , & auſſi-tôt que S M.I. &C..
en conformité du Traité de Munfter , leur aura
auffi cede en toute proprieté & Souveraineté le
haut Quartier de Gueldre , moyennant l'Equivalent
dont on ſera convenu.
11. Que les Villes & Places deMenin avec ſa
Verge, Lille avec ſa Citadelle , Dolay avec le
FortdeScarpe& Orchies , & toute la Châtellenie
de Lille , avec les Gouvernances & Bailliages
reſpectivement , y compris auſſi le Païs de la
Loeu & le Bourg de la Gorgue , Tournay avec la
Citadelle & le Tourneſis , Aire avec ſon Baillia.
ge ou Gouvernance , & le Fort François , Theroüane
. Lillers avec fon Bailliage , S. Venanc
avec ſa Dépendance , Béthune avec ſaGouvernance
ou Bailliage , & Bouchain avec ſa Dépendance
, demeureront auxdits Seigneurs Etats .
avec toute l'étenduë de leurs Verges , Châtellenies
. Territoires , Gouvernances , Bailliages ,
Apartenances & Dépendances , Annexes &Enclavemens
, ſans en rien excepter ; le toutde la
même maniere que le Roi T. C. a poſſedé toutes
leſdites Villes , Places , Forts & Païs , avec
toutes leurs Apartenances & Dépendances ,
Annexes & Enclavemens , avant la preſente
Guerre: Et que le RoiT C. , tant pour lui que
pour les Princes ſes Héritiers & Succeſſeurs nez
&à naître, renoncera en faveurdeſdits Seigneurs
Etats, dans les termes lesplus forts& les plus
amples , à toutes ſes Prétentions ſur leſdites
Villes , Places , Verges , Châtellenies , Territoires
, Gouvernances , Bailliages , & toutes
leurs Dépendances . Apartenances , Annexes
&Enclavemens .
III . Que S M. T, C. , tant pour Elle-même
que pour les Princes ſes Héritiers& Succeffeurs
nez& à naître , cédera par le Traité de Paix à
faire, dans les termes les plus forts& les plus
amples , & fera immédiatement après laPaix,
&
MARS 1712. 397
& au plus tard en 15. jours après l'échange des
Ratifications , évacuer & remettre auxdits Seigneurs
Etats, Furnes & Furner-Ambacht , y
compris les 8. Paroiſſes & le Fort de Knoke , les
Villes de Loo&Dixmuyden avec leursDépendances
, Ipres avec ſa Châtellenie &Dependan.
ce, les Villes & Châtellenies de Bailleul , ou
Bail Merville , Warneton , Commines , Warwick,
Poperingen , Caffel , & ce qui dépend
des lieux ci-deſſus exprimez , Valenciennes avec
ſa Prévôté , Condé & Maubeuge avec ſa Prévôté
; le tout avec toutes leurs Dépendances ,
Apartenances , Annexes & Enclavemens , fans
rien excepter , de la même maniere que le Roi
T. C. poffede maintenant toutes ces Villes , Places,
Forts & Païs , avec toutes leurs Apartenances
, Dépendances , Annexes & Enclavemens
, & avec les Fortifications comme elles
font à preſent; comme auffi avecle Canon , Artillerie&
Munitions de guerre qui s'y trouvent
actuellement , & avec tous les Papiers , Lettres ,
Archives & Documens qui concernent leſdites
Villes , Forts & Places , Apartenances & De .
pendances. Permis toûjours auxdits Seigneurs
Etats de convenir , ( auſſi bien fur leſdits Païs-
Bas Eſpagnols , que fur leſdites Villes& Places
qu'ils retiendront , & fur les autres qu'ils demandent
encore à la France pour leur Sûreté,)
avec S. M. I. & C & fes Succeſſeurs dans les
Païs-Bas Eſpagnols , & de faire là-deſſus telles
Conventions avec S. M. I. & C. ou fes Succefſeurs
, que leſdits Seigneurs Etats trouveront à
propos : Bien entendu qu'aucune Province ,
Ville, Fort ou Place deſdits Païs-Bas Eſpagnols
, ni de ceux qui ſeront cédez par le Roi
T. C. , ne pourra jamais être cédée , tranſporrée
, ni donnée , ni écheoir à la Couronne de
France, ni à aucun Prince ou Princeſſe de la
Maiſon ou Ligne de France , ſoit en vertu de
quelque Don , Vente , E$ch7ange, ConventMiao-n
398 MERC, GALANT.
Matrimoniale , Succeffion par Testament ouab
inteſtato , ou ſous quelque autre Tître que ce
puiſſe être , ni être miſe, de quelque maniere
que ce foit , au pouvoir ou ſous l'autoritédu
Roi T. C. , ni de quelque Prince ou Princeſſe de
laMaiſon ou Ligne de France.
IV. Que S. M. T. C. nes'oppoſera en aucune
maniere à ce que les Garniſons , qui se trouvent
ou ſe trouveront ci-après de la part deldits Seigneurs
Etatsdans la Ville , Château&Fortde
Huy , la Citadelle de Liége , &dans la Ville de
Bonn , y reftent juſqu'à ce qu'on en ſoit convenu
autrement avec l'Empereur & l'Empire.
V. Que S. M. T. C. accordera auxdits Seigneurs
Etats & à leurs Sujets , tousles avanta
ges de Commerce & de Navigation contenus
dans les Traitez de Paix & de Commerce de
Kyfwyck , & par conféquent auffi l'exemption
de l'Impoſition de 50. fols par Tonneau ſur les
Navires Etrangers , ainſi que cette Exemption a
été expliquée pas l'Article ſépareduditTraité
de Commerce. Que de plus , S. M. T. C. leur
accordera abfolument & poſitivement le Tarif
de l'an 1664. , fans exception d'aucune eſpece
de Marchandises ou autres exceptions , &
fans qu'aucun Tarif , Edit , Déclaration , Ordonnance
, ou Arrêt pofterieur , puiſſe avoir
lieu à leur égard ; mais que tous les Tarifs
Edits. Déclarations , Ordonnances & Arrêts
poſtérieurs , & tous autresGriefs introduitsdepuis
l'année 1664 au préjudice du Commerce&
delaNavigation des Sujets de l'Etat , comme
auffi le Tarif arrêté le 29 Mai 1699. entre les
Commiſſaires de la France & del'Etat , ferons
abrogez , caffez & annullez à leur égard , &
qu'il ne ſera auſſi rien changé à leur égard de tout
ecei pour l'avenir , directement ni indirectement
, ni ſous quelque nom ou prétexte que ce
puiſſe être.
VI. Comme plufieurs François de laReligion
ReMARS
1712 399
Réformée ayant été obligez de quitter la France,
fe font réfugiez fous l'obérlfance des Seigneurs
Etats Généraux , & font devenus leurs
Sujets par droitde Naturaliſation , Bourgeoifie
on autrement , & qu'entre ces Refugiez quel .
ques-uns ont laiffé enFrance leurs Maris , Fem.
mes , Enfans, Peres , Meres, ou autres proches
Parens , &que plufieurs y ont laifféleursBiens ,
ouy en ont acquis depuis par fucceffion , hé.
rédité , ou autrement , fans avoir pû les retirer
&en joüir , les Seigneurs Etats Generans , en
conféquencede la Protection qu'ils donnent à
leurs Sujets , demandent :
1. Qu'il foir permis à ces Maris , Femmes,
Enfans, Peres , Meres , ou antres proches Parens
defdits Réfugiez , De fortir librement de
France , &devenir rejoindre leurs Maris, Femmes
. Enfans , Peres , Meres , ou autres proches
Parens établisſous l'obéiſſance defdirs Seigneurs
Etats Généraux 2. La Reſtitutionde
tous les Biens meubles & immeubles, apartenans
de Droit tant auxdits Réfagiez qu'à leurs
Deſcendans nez Sujets de l'Etat , ou à leurs He.
ritiers qui y font. 3. Que tant lesdits Réfu.
giez , que leurs Defcendans nez Sujersde l'E.
cat, foient conſidérez & réputez en route maniere,
comme de véritables Sujets del Erat ; &
ainſi qu'ils joüiffent , tanten France quedans
toute l'érendue de ſa Domination , de tous les
Droits , Privileges , Franchifes , Inmunitez ,
Libertez & Avantages dont les autres Sujetsde
l'Etat doivent joüit , en vertu des Traitezde
Paix&deCommerce , fans aucune exception ni
referve.
Les SeigneursEtats ſouhaitent de plas , qu'il
plaiſe à S. M T. C. d'accorder , enconſidération
de l'amitié qui doit être rétablie par la Paix , la
Liberté de Confcience à ceux de la Religion Ré.
forméequi reſteront en France ; comme auffi de
faire élargir& remettre en liberté tous ceux qui.
400 MERC. GALANT.
àcauſe de la Religion Réformée , ſontdétenus
dans les Priſons , Couvens , Galéres & autres
lieux.
VII . Que S. M. T. C. rendra auſſi , immédiatement
après la Paix , auxdits Seigneurs Etats
Généraux , en qualité d'Executeurs des Teſtamensdu
feuRoi de la Grande Bretagne&du feu
Prince FedericHenri , la Principautéd'Orange ,
& tous les autres Biens & Terres qui ont apartenu
audit Roi de laGrande Bretagne , & qui font
fituez dans la France ou autres Païs ſous laDomination
du Roi T. C. , le tout avec les Revenus
perçûs ou échûs, & avec tous les Droits , Actions
, Privileges , Ulances & Prérogatives , an
même état & en la même maniere dont leditRoi
dela Grande Bretagne en a joui ou dû joüir avant
la preſenteGuerre , pour être enfaite par leſdits
Seigneurs Etats reftituez à Celui ou Ceux quiy
aura ou auront droit.
VIII. Que S. M. T. C. fera rafer toutes les
Fortifications dela Ville deDunkerque , de tous
les Forts , du Port , desRisbancs,& ce qui en
pourroit dépendre , ſans aucune exception ,
comme auffi combler ledit Port; le tout à fes
dépens , &fans aucunEquivalent: Enforte que
la moitié deſdites Fortifications ſoit raſée , &la
moitié du Port comblée , dans l'eſpace de deux
mois après l'échange des Ratifications ; & l'autre
moitié deſdites Fortifications , & de ce qui
reſtera pour combler tout- à- fait ledit Port,
dans l'eſpace de deux autres mois; fans qu'il
foit jamais permis de rétablir leſdites Fortifications
, ni de rendre ce Port navigable directement
ni indirectement.
IX Comme la clauſe ajoûtée à la fin du IV.
Articledu Traité de Ryſwick , fait entre l'Em.
pereur & l'Empire d'une part , & le Roi T. с.
del'autre ( portant que la Religion Catholique
Romaine demeure dans les lieux reftituez )
été une contravention manifeſteaux Traitez de
WeftMARS
1712 . 401
Weſtphalie , & en a déja cauſe d'autres , les
quelles ont troublé le repos de l'Empire , &
qu'il n'y a pas moyen d'y bien conſerver la tranquillite
, àmoins que les affaires Ecclefiaftiques
n'y ſoient rétablies & maintenuës enfuite ſur le
pié deſdits Traitez : les Seigneurs Etats
extrêmement intéreſſez en ce. que le repos public
, ( après qu'il ſera auſſi rétabli dans l'Empirepar
une bonne Paix , ) n'y ſoit point trouble
par aucune raiſon quelle qu'elle puiſſe être , de
mandent au Roi T. C. , qu'il conſente , autane
que cela le regarde , que cette Clauſe ſoit abolie
dans le Traité de Paix à faire , & par conséquent
que S. M. T. C. ne s'opoſera en aucune maniere .
à ce que dans les Païs , Villes & autres lieux déja
reſtituez , & qu'elle reſtituera encore à l'Empereur
& l'Empire , les affaires Eccleſiaſtiques
foient entiérement remiſes & demeurent enfuite
dans l'état où elles doivent être , felon leſdits
Traitez de Westphalie.
Leſdits Seigneurs Etats demandent outrece
quedeſſus la fatisfaction de Leurs Hauts Alliez
&de chacun d'eux , conformément aux Traitez
& Alliances mutuelles , faites à l'occaſion
de cette Guerre , & cela d'une maniére , qu'en
vertu des mêmes Traitez , les Seigneurs Etats
obtiennent auſſi la ſeureté de leur République
&l'intérêt de leur Commerce.
Se refervans d'ailleurs la faculté d'éclaircir,
d'expliquer , & d'augmenter , le contenude ces
Articles , comme ils le trouveront hon dans le
cours de cette Négociation : Comme lefdits Seigneurs
Etats refervent auffi à ceux de Leurs
Hauts Alliez , dont les Miniftres Pléniporentiaires
n'ont pû encore ſe rendre ici au Congrès ,
la facultéde faire & d'y delivrer leurs demandes,
& qu'elles foient reçûës & conſidérées de même
queſi elles auroient été preſentées maintenant .
L. H. P. refervent en outre la faculté d'ap-
Népuyer
& feconder pendant ledit cours de cette
402 MERC. GALANT.
Négociation les autresdemandes& Intérêtsde
leurs Alliez , comme auffi les intérêtsdesRois,
Princes, &Erats, leurs Amis & ceux deleurs
propresSujets.
Mémoire touchant les Intérêts de Son Alreffe
Royale Monseigneur le Dus de Lor.
raine &deBar, ala Paixfuture.
QuVooii qquuee M. le Ducde Lorraine ne foitpas
partie Belligerante , ni Confédérée avec
aucunedes Puiffances qui font en Guerre ;néan
'moins , il est devenu par le fait de ces mêmes
Puiffances, partie néceſſaire & intéreſſée aux
déciſionsde la Paixfuture.
Les Hauts Alliez ont difpofé , pour les interêts
de leur Caufe commune , d'un Etat quide
voit appartenirun jour à M. le Duc de Lorraine
*titre fucceſlif, & qui lui est dévolu depuis :
EtlaCoCuourroonnnnee de France s'eſt emparée, àl'occafionde
la préſente Guerre , de diverſes parties
de ceux de S. A. R. , qu'elle occupe encore
prefentemeenntt..a AinfiM. leDucde Lorraineefpére
de la juſtice des uns & des autres , l'Indemnité
de la perte du premier, & la Reftitution
de ce qui regarde les autres.
En cequi concerne le Hauts Alliez , par le
Traitédu8. Novembre 1703. fait à Turin, l'Em.
pereur Leopold de glorieuſe mémoire céda à
M. le Duc de Savoye , pour l'attirer dans la
GrandeAlliance , le Duché de Montferrat , qui
étoit poffedé pour lors par le dernier Duc de
Mantouë; ſe chargeant par une Clauſe expreſſe ,
d'indemnifer ceux qui pour lors , ou pour l'avenir
, formeroientdes prétentions ſur ceDuché.
CeTraité fut auffi tot ratifié par Sa Majefté la
Reine de la Grande Bretagne , &par LeursHau.
tes Puiſſances les Seigneurs Etats Généraux;
mais
MARS 1712, 403
1
mais comme il fut renu ſecret , M. le Ducde
Lorraine n'en eur connoiffance qu'en l'année
1707., , en laquelle il fit fes très-humbles Re.
montrances à l'Empereur Joſeph suifi de glorieufe
memoire , qui avoit luccede a l'Empire ,
pour le fapplierdenépoint permettrequ'il fut
dépoüillé fans fon fait d'une Principauté , que
l'ordre legitime des Succeffions lui affuroit après
là mert du Duc de Mantouë, qui vivoit encore
pour lors ; En tous cas , qu'il plút à SaMajefté
de ſuſpendre l'Inveſtiture , qui avoit étépromileàMle
Duc de Savoye, jusqu'àla defignation,
&mifeen poffeffion d'un Equivalent proppoorrttiioonnnnééaà
la valeurduDuchédeMontferrat,
au profit le Duc de Lorraine
Sa Majefté Imperiale touchée de l'équitéde
cette Remontrance , lui accorda un Décret d'af. Decre
furance de cet Equivalent , qui fut expedié le
de Novembre 1707. L'année ſuivante
1708., l'Investiture du Montferrat fut délivrée
àM. le Duc de Savoye , 4. jours après lamort
de M.le Duc de Mantouë. h
M. le Duc de Lorraine renouvella fes inſtances
pour fon Indemnité , tant envers Sa Majeſtéla
Reine de la Grande Bretagne , qu'envers SaMajeſte
le Roi Charles III. , & les Seigneurs Etats
Généraux : Er toutes ces Puiſtances , attenti
ves à la justice de cette repréſentation , ont accordé
de pareils Decrets d'affurance pourl Er
quivalentduMontferrat.
Des engagemens ſi ſolemnels contractez par
cesAuguftes Puiſſances , fireligieuſes dans l'obfervationdeleurs
promeffes , ne permettent pas
dedouter, queM le Duc de Lorrainen'obtienne
une entière ſatisfaction pour le Duché de
Montferrat, tant pour le Fond , que pour les
Non-jouillances.
Jouillances.
A l'égardd de la Couronne de France, l'intérêt
de M. le Duc de Lorraine ſe réduit à a . objets
principaushover
Le
a
404 MERC. GALANT.
Le premier , eſt de rentrer dans les Lieux&
Places de Lorraine que la France a occupées à
l'occaſion de la préſente Guerre pour ſa convenance
particuliere , &d'y rentret avec les fatisfactions
qui lui font légitimement dûës à cet
égard.
Le ſecond , de recouvrer la poſſeſſion des
Lieux & Places qui devoient lui être renduës par
le Traité de Ryſwick , & que la France a trouvé
àproposde retenir , nonobſtant les Requiſitions
refpectueuſes & réïtérées que M. le Duc de Lor
raine a fait faire pendant pluſieurs années à la
Courde France.
Quant au premier , cominela France s'eſt emparée
depuis dix années & plus de la Ville de
Nanci , Capitale de Lorraine , y a mis Garniſon
& Etat Major , & a reduit M. le Duc de Lorraine
de ſe retirer dans une petite Ville ouverte de
fes Etats , où il a fait ſon ſéjour depuis ce temslà
, il eſt juſte que la Ville de Nanci ſoit évacuée.
&renduë à M. le Duc de Lorraine , quideman .
de ſeulement pour fon indemnitéde cette occupation
, &pour prévenir de ſemblables incon.
veniens, auxquels il pourroit être expoſe à l'avenir
, qu'il lui foit permis de faire rétablir à
ſes fraix les Fortifications de la Ville de Nanci ,
ainſi qu'il jugera à propos.
2. La France s'étant emparée des Places de
Bitch &de Hombourg , qu'elle a fait fortifier ,
comme aufſi de cellesde Sarguemine , Saralbe,
& Boulay ; M. le Duc de Lorraine demande ,
que ces Places lui foient renduës en l'érat qu'elles
font, de même que tous les autres Poftesde
ſesEtats quí'ont été occupez par la France pendant
le cours de certe Guerre .
3. La Principauté Souveraine d'Arches , &
Charleville, ayant éré dévoluë par le decès du
dernier Duc de Mantoue à M. le Duc de Lorraine,
comme à fon Héritier & Succeſſeur plus
proche & immédiat , il en fit prendre poffeffion
en
MARS 1712 . 405
en ſon Nom auſſi- tôt après , du conſentement
des Etats de cette Principauté , quile reconnu .
rent en cette qualité , & lui prêtérent Serment
de fidélité ; mais il en fut incontinent après dépoſſedé
par la France , qui annulla ce Serment
de fidélite , & fitdéfenſe auxPeuples de reconnoître
autre Souveraineté que la ſienne. M. le
Duc de Lorraine demande , que cette Souveraineté
lui ſoit renduë & reftituée , avec les fruits
depuis le décès du dernier Dac de Mantouë.
Quant au ſecond , la Francea retenu , & s'eſt
confervé laPoſſeſſion de la Ville de S. Hypolite ,
ſituée ſur la Frontière d'Alface , quoi qu'elle
dût être renduë à M.le Duc de Lorraine ſuivant
l'Article 28. du Traité de Ryſwick , portant ,
quetoutes les Places dont Charles IV , Grand Oncle
deM. leDuc de Lorraine , étoit en poffeffion en l'année
1670. , lui feroient rendues par la France. Il
demande en conféquence , que cette Place , qui
ſe trouvedans le même cas , lui ſoit renduë avec
reftitution des Fruits depuis le jour dudit
Traité.
En ſecond lieu , la France étant obligée par
l'Article 33. du même Traité de rendre à M. le
Duc de Lorraine une Préfecture de la même valeur
& étenduë que celle de Longwi , dont elle
voulut ſe retenir& conferver la proprieté parle
même Traité , elle n'a point ſatisfait à cetArticle
, & a retenu depuis ce tems l'échange & le
contr'échange. M. le Duc de Lorrainedeman.
de, que faute par la Couronne de Franced'avoirvoulu
lui rendre juſqu'à preſent unePréfecture
de même valeur & étenduë que celle de
Longwi , comine elle s'y eſt engagée par ledit
Traité, nonobſtant les requifitionsles plus foûmiſes
qui lui ont été faites à cet effet de ſa part
depuis quinze années , ladite Ville & Préfecture
de Longwi lui ſoit renduë & reftituée inftatu
quo , avec les Vivres , Artillerie , &Munitions
qui ſont dans la Place; au moyen de quoi la
France
406 MERC . GALANT .
France demeurera déchargée dudit équivalent ,
commeaufſi de la reftitution des fruits qui ſe
montent à plus de douze cens mille livres.
Il y ad'autresdifficultez anciennes & indécifes,
pourlesquelles M. le Duc de Lorraine offre
de convenird'Arbitres ; à charge que la France
en conviendra de ſa part pour les faire terminer
dans fix mois , ne pouvant plus s'en remettre à
desCommiffaires , dont laNomination du fore
au foible demeure toûjours infructueuse, comme
il a parujuſques àprefent parl'indecifion de
cesdifficultez.
M. le Duc de Lorraine espére de l'équitédes
HautsAlliez, qu'ils voudront bien lui procur
rer la fatisfaction qui lui eſt dûë , furlesArticles
ci-deſſus , conformément à leur obligation
àla garantie du Traité de Ryfwick ; ſe réſervant
d'ajoûter auxDemandes ci-deſſus , ce qui fera
jugé convenable dans la ſuite de laNégocia
tion.
1.
2
On a ajouté au bas de ceMémoire, tous lesDecrets
qui y font mentionnez , sçavoir : Decret
deS.M. Imperiale, du 30. Novembre 1707. Decretde
S. M. Britannique , du 6 Septembre 1708 .
Decret de S. M. leRoi Charles III. , du 19. Juin
1709. Decret des EtatsGénéraux, du 24. Août
1709. Et unſecondDecret de S. M. Britannique ,
du 14. Mai 1711 .
Ces Demandes des Alliez ayant été remiſes
aux Plénipotentiaires de France en plein Congrès
le 5. Mars, ils promirent de les envoyer à
la Cour; & il fut convenu de leur accorderjul
qu'au 30. du même mois poury fournir leurRéponſe.
Le Congrès s'étant tenu le 30. &tous
lesPlénipotentiaires s'y étant rendus, leMaréchald'Huxelles
fit un aſſez long Difcours , clans
lequel après avoir fait de nouvelles Proteftations
fur les finceres difpofitions du Roi fon
Maître
MARS 17.12 . 407
Maître pour laPaix , il dit , que lesDemandes
&Prétentions des Partis intéreſſez à la Guerre
ayant été données de part & d'autre , ils avoient
reçû là-deſſus leurs Inſtructions , & qu'ils
croyoient être preſentement en étatd'entrer en
Négociation avec chacun des Alliez ſur leurs
prétentions , de la maniere qu'on avoit coûtu me
de pratiquer dans les Congrès précédens. On
répondit là-deſſus de la part des Alliez , que
puiſqu'ils avoient donné leurs Demandesparticulieres
par écrit , ils s'étoient attendu qu'on
leur auroit auffi donné par écrit uneRéponſeà
leursDemandes , & qu'ils s'y attendoient encore.
Les Ministres de France repliquerentque
cela ſeroit inutile, &qu'ils n'y feroient point de
réponſe par écrit. Les Miniſtres desAlliez ſc
font aſſemblez depuis pour délibérer entr'eux
fur la Réponſe qu'ils auroient à faire aux Françoislà-
deſſus à lapremiere Conference générale;
& en conséquence de la réſolution qu'ils y
avoient priſe , ils déclarerent Samedile 2.Avril
aux Plénipotentiaires de France , que puiſqu'ils
avoient donné leurs Offres parécrit , &que les
Alliez avoient auffi donné leursDemandes Spécifiquespar
écrit , ils avoient tous réſolus unanimement
d'infifter à ce que la France eut à donner
par écrit ſa Réponſe auxdites Demandes des
Allicz , Sur quoi les Miniſtres de France demanderent
du tems pour faire ſçavoir en Cou
ladite Réſolution& pour en avpir Réponſe.
:
TA
TABLE.
H
Mort de Monseigneur le Dauphin &deMadame
laDauphine ,
Maniere de leur Enterrement , &c.
Page267
272
Discours deMadame l' Abbeſſe du Val de Grace,
278.
Mém curieux ſur les Dauphins &Dauphines de
France, 279
Mém. fur la Maiſonde Savoye , 281
Morts. 284
Mariage de M. Dupleſſis Châtillon . 294
Les Merveilles de l'Oreille tirée de l'Anatomie
comparée, & des proprietez des bruits &
desfons , 300
Relation de l'Expédition de M. Guay- Troüin
à Rio Janeiro , 326
Lettre d'un Capitaine de Vaiſſeau fur cetteExpédition
, 344
L'Horloge de Sable , Figure du Monde. Poëme.
351.
કુ , , 3
Nouvelles de Rome , 357. De Vienne , 359.
De Hambourg , 362. Dela Haye , 365. De
Madrid , 367. D'Angleterre ,
ADDITION.
370
Demandes Spécifiques des Hauts-Alliez , pour
faire la Paix avec la France. Et I. De S. M I.
& C. 376. II. Des Cercles Afſociez . 377 .
III. De l'Electeur de Tréves , 378. IV. De
l'Electeur Palatin , 379. V. Du Landgravede
Hefſſe-Caffel , 380. VI. De l'Evêque de Munſter
, 381. VII. Du Duc de Wirtemberg 382 .
De S M. Britannique , 383. Da Roi de Portugal
. 386. Du Roi de Pruſſe , 388. Du
DucdeSavoye,391. Des EtatsGénéraux,395.
Les Prétentionsdu Ducde Lorraine , 402
Réponſe des Plénipotentiaires de France àtou-
406 tes ces Demandes des Alliez ,
FIN.
MERCURE
GALANT.
PAR MR. DU FRESNY.
Mois d'Avril 1712 .
Sur la Copie de Paris.
AVEC DES ADDITIONS.
A LA HAYE ,
Chez T. JOHNSON .
M. DCC XII.
Livres Nouveaux fur les affaires du
Tems , qu'on trouve chez T. John-
Son, Libraire àlaHaye.
Lettres& Mémoires ſur la conduite de la prefente
Guerre , & fur les Négociations de Pаіх .
Tomel ſeconde Edition , 8. Tome II contenant
la conduite des Alliez , &c . La ſuite de
cetOuvrage curieux s'imprime actuellement &
paroîtra dans peu.
L'Histoire de l'Empire Ottoman par Ricaut , où
*1'on voit l'Origine & les progrèsdes Turcs , les
Vies& les Conquêtes de tous leurs Sultans,leurs
Guerres , Siéges & Combats par Mer & par Terre
, les Révoltes & Révolutions extraordinaires
, & généralement tout ce qui s'eſt paſſé de
confiderable dans cet Empire depuis ſon Commencement
juſqu'à 1704. avec un détail curieux
desGuerres en Hongrie & fur les Frontiéresde
Pologne & de Moscovic , & une Carte exacte de
cous ces Paîs, en 3. vol .
On trouve chez le même Libraire toutes les
Piéces curieuſes touchant les affairesd'Angleterre
, & les autres affaires du tems .
Il imprime tous les Lundisle Miſantrope ;
qui eft une Critique fine & fenfée des Moeurs
da Siécle .
On trouve auſſi chez lui un Recueil de toutes
les meilleures Comedies Angloiſes , fort proprement
imprimées en pluſieurs petits Volumes.
8.
Les Oeuvres de Crébillon , contenant Idoménée
. Atrée & Thyeſte , Electre , & Rhadamisthe
Zenobie , quatre nouvelles Tragedies qui ont
été reçûës avecgrand aplaudiſſement en France.
La derniére piece a été jouée à Paris ſeptantequatrefoisde
ſuite : fuccès prodigieux & fans
exemple.
MERCURE
GALANT.
AVRIL 1712
٠١٤٢٠
Réponſes àquelques Plaintes contre
leMercure.
NSe plaint qu'on a alteré dans
le Mercure quelques Ouvrages
, & quelques mémoires
deFamille.
Al'égard desAuteurs , ceux
qui craignent de bonne foi d'être impriinez,
ne doivent ni reciter niécrire leurs
Ouvrages , & ceux qui n'ont pas le courage
de cacher ce qu'ils ont fait debeau ,
peuventm'en faire tenir ſous main des
copies correctes , & jurer enſuite haute.
mentqu'ils ne les ontdonnées à perfonne,
&qu'ils endefavoüent les fautes ; je pren
drai ces fautes fur moi pourleur faire plai
fir.
T2 A
412 MERC . GALANT.
Al'égarddes nomsde Famille , des Genéalogies
, autres Mémoires defectueux,
c'eſt purement la faute deceux qui neprennentpasleſoinde
me les envoyer.
qu'à les adreſſerchez les Libraires dont le
nom està latête du Livre.
Onn'a
Ceux dont les actions & les Familles
meriteroient le plus de place dans ce Journal
, font quelquesfois ceux dont les Articles
font ou négligez ou tout- à-fait oubliez;
parce que voulant m'y attacher
davantage , je me fuis fié fur de beaux
Mémoires qu'on ma promis , & ces prometteurs
font la plupart beaucoup plus
négligens à me tenir leur parole, que je ne
le ſuis àdonner au Publicitout ce que je lui
ai promis,
On seplaint queje n'employe pas affez
detems à mon Mercure .
On a raiſon , il faudroit travailler une
année pour chaque mois , & toutre déductionfaitedutems
de l'impreſſion , du tems
néceſſairement perdu , & de ma pareſſe ;
il ne reſte à peu près que cinq ou fix jours
pour l'écrire , c'eſt trop peu , & je m'en
plainscomme vous pour toute réponſe à
cetArticle .
LesNouvelliftes se plaignant quej'abrève
les
AVRIL 1712 . 413
les Nouvelles , &queje donne tropdePoëfies.
Les Poëtes répondent que les vers font
l'ornement du Mercure.
Les Dames se plaignent qu'on s'étend
tropfur les morceaux de Littérature de
Physique.
Les Philoſophes répondent qu'ils s'occupent
agréablement , de ce qui ennuye
les Dames ; & que ce qui fait plaiſir aux
Dames , ne convient point aux gens ſtudieux.
D'autres seplaignent que le Mercure
n'estpas aßez rempli.
Les Libraires répondent qu'on le vend
bien tel qu'ileft, c'eſt ainfi que dansle
commerce de la vie , celui qui eſt content
répond aux plaintes de celui qui ne l'eſt
pas. Je prie inſtamment une partie du
Public de répondre pour moi à l'autre .
T3
Idée
414 MERC. GALANT.
Idée , à l'imitation &ftileRabe.
laiſien.
L'EQUILIBRE.
Ertain Mechanicien
Certain
, affectueusement
verſé és Mechaniques , en
étoit fi raffolé que ne beuvoit , nemangeoit
, ne parloit , ni rien , qui ne fut
compaffé , meſuré , peſé , juſqu'à l'air
qu'il avalloit par reſpiration , & jusqu'au
vinqu'il refpiroit par avalement , & ilen
avalloit fi continuement que boire étoit
devenu en lui une ſeconde reſpiration ; il
reſpiroit régulièrement à déjeuner deux
flacons de piot , qu'il envoyoit tirer en cave
par un fien Apprenti Mechanicien , auquel
il récommandoit par forme de
leçond'équilibre , qu'il tint une& chacune
d'icelles bouteilles , en chacune des
mainsde chacun de ſes bras , perpendicu -
lairement pendants , & tête & corps en
lignedroite , comme une éguille de Balance
, de peur que ne trébuchât ledit porteur
au détriment de ſon vin déjeunatoire.
Or comme étoit en marche reguliére &
contre - peſée ledit Apprenti , vinage à
dextre , vinage à ſenextre , icelui par délicate
& ſcientifique ſenſation équilibrique
, ſentit ſenſiblement quelque goute
de vin plus en une bouteille qu'en l'autre ,
ce
AVRIL 1712 . 415
ce qui le moleſta , & par Amour d'équilibre,
huma les gouttes ſuperfluës ; mais
bien-tôt ſe tança lui-même d'avoir rendu
trop legere celle qui trop peſante étoit
avant , car ſe ſentit pencher & boiter du
côtegauche. Alors Amour d'équilibre le
reprit derechef , il rehuma lappeeffaanteur
excedente , & huma trop encore eette
ſeconde fois. Patience , dit-il j'y viendrai
avec tems & experience , mais n'ai
encore acquis l'habitude de huiner juſte ;
&defait , tantplus iillhumoit&tantplus
acqueroit perfection d'équilibre ; car en
fin finale , vuide dansl'une ne pefant pas
davantage que vuide dans l'autre , équilibre
ſe trouva ès bouteilles ; mais équilibre
n'y eut plus en la têtedu jeuneApprenti.
Tellement que ne pouvant cheoir
d'aucun des côtez pour l'équilibre parfait
des bouteilles vuides , peſanteur de tête
le fit tomber en face , nez & bouteilles ſe
cafferent , ne groüilloit plus ne pieds ni
pattes. Ce qui fit que le Maître ne ſçachant
pas qu'il étoit yvre , ne le crut que
mort , & s'écria , c'eſt grand dommage
duvin.
Or tirer pouvez de ceci Morale inſtrui
fante , car fi l'Apprenti n'eut point youlu
chercher par mechanique trop de perfection
en l'équilibre des bouteilles , il
ne lui fut point meſarrivé , cequi dénote
, que qui veuttrop raffiner ès ſciences
humaines , s'enyvre de ſon ſçavoir , &
s'y caffe le nez .
T4 Dixain
416 MERC. GALANT .
DIXAIN
Sur le ſtile Marotique.
Du tems que la Langue Françoise
Etoit dans l'enfance Gauloise ,
La France produiſoit de précoces efprits ,
Qui dans leur enfantin Langage ,
Begayvient des beautez dont noussommes
furpris
J'aimeles heureux traits de cet enfantillage;
Maisauffi,quandje voisnos Auteurs triomphans
Affecter ce jargon dans leur meilleur Ouvrage;
Jedis, obqu'ilfiedbienàdes gens de cet
âge,
Deparler comme les Enfans.
Mort du dernier Dauphin.
E de Mars , Monſeigneur le Daugrand
peril de
mort , reçût les cérémonies du Baptême
par les mains de 1 Evêque de Mets , premierAumônier
; il fut nommé Loüis par
le Comte de la Motte , & par Madame la
Duchefſe de Ventadour , Gouvernante des
Enfans de France , & il mourut le même
jour.
Lphin fe trouvant en
Le
AVRIL 1712. 417
Le ro. fon corps fut porté à Saint Denis
, avec un cortége de trois Caroffes &
de fix vingt flambeaux , portez par plu .
fieurs Gardes du Corps & par pluſieurs
Pages ; dans l'un deſquels étoit leCorps.
M. l'Evêque de Mets qui portoit le
coeur.
Madame la Ducheffe de Ventadour .
M. le DucdeMortemar , premier Gentilhommede
la Chambre .
Madame de la Lande, Sous Gouvernante.
M. l'Abbé du Cambour , Aumônier du
Roi.
M. leCuré de Versailles .
Un autre Caroſſe où étoient huitGentilshommes
ordinaires , qui avoient porté
le cercuëil , qui étoient :
M. de Saint-Olon .
M. de Château du Bois .
M. Roland,
M. Charmois.
M. de la Buffiere.
M. de la Quiche.
M. Bourdelin .
M. Meffier .
Suivoit le Caroſſe des Femmes de
Chambre.
Ces trois Carroffes étoient ſuivis de
ceux de M. l'Evêque de Mets ; de Madame
la Ducheſſede Ventadour , &de M. le
Duc de Mortemar .
L'Evêque de Mets preſenta le Corps
Ts au
418 MERC. GALANT.
au Prieur de l'Abbaye , & fit un très-beau
Diſcours; après quoi il fit l'inhumation.
On avoit préparé une eſtrade de trois
dégrez , avec un Pavillon de Satinblanc,
l'eſpace ſeulement depuis Charles le
Chauve, juſques aux premiers dégrez du
Sanctuaire , garnis de tapis blancs ; le
Corpsplacé fur cette Répreſentation , on
chanta Domini eft terra. Après quoi M.
l'Evêque de Mets ayant chanté l'Oraifon
convenable , & mis un peu de terre ſur le
Poëfle , qui envelopoit le Cercuëil , fans
Requiem ni Kyrie eleifon , on defcendit
le Corps du Dauphin avec ſes entrailles
dans leCaveau ,& fur placé auprès du
Corps de Monſeigneur le Duc de Bretagneſon
aîné , mortle 13. Avril 1705.
Les Religieux retirerent le Poëfle , qui
eſt de moëre d'argent.
M. l'Evêque de Mets & Madame laDu.
chefle de Ventadour , à peu près avec le
même cortége , avec lequel on y a porté
ceux de Monſeigneur le Dauphin & de
Madame la Dauphine, porterent en partantde
S. Denis à dixheures du foir , le
Coeur du Dauphin au Val de Gracc.
Sur
AVRIL 1712. 419
Sur les mesures Géométriques des
Voutes.
U
Par M. PARENT.
ſçavant Architecte de París
m'ayant repreſenté que les meſures
geometriques des voutes en dômes
oblongs ou applatis , manquoient dans
l'Architecture , ou du moins n'avoient
point été mises à la portée de tout le
monde , ce qui oblige à en employer de
fauſſes , &même de groffieres au lieu des
véritables , je lui envoyai celles -ci deux
jours après , & j'ai crû faire le même plaifir
au public , en les lui communiquant
d'une maniére pratiquable , avec lesTa
bles dont on fe fert ordinairement pour
réfoudre les problêmes de geometrie prati
que.
Sur la mesure geometrique des Viates
furhauffées , ou des demi spheroides
oblongs.
1. Ayant meſuré la hauteur du dôme
qu'on fuppoſe demi elliptique , & l'ayant
doublée, on lui ajoûtera ſa plus grande
largeur , c'eſt à dire le diamettrede la
baſe , & on l'en retranchera , on multipliera
la ſomme par le reſte , & on tirera
T6 la
420 MERC. GALANT.
la racine quarrée du produit , pour faire
l'analogie ſuivante .
2. Sile double de la hauteur du dôme ,
donne la racine quarrée ci-deſſus ; que
donnera le ſinus total ? Il viendra au quatriéme
terme un finus , qui marquera un
nombre de dégrez & de minutes , dont
on ſeſervira pour multiplier le doublede
lahauteur , afin d'avoir un produit .
3. Comme le nombre abſolu ( 180000. )
eſt à l'abſolu ( 3141.) ainſi le produit
ci-deſſus , eſt à un quatriéme terme.
4. Comme la racine du premier Article
eft audouble de la hauteur, ainſi le quatriéme
terme de l'Article precedent , a
unquatrième terme nouveau , auquel on
adjoûterale diamettre de la baſe , pour
avoir une ſomme qu'on multipliera par la
largeur.
5. Enfin fi (4000. ) nombre abſolu ,
donnent ( 3141. ) que donnera le produit
de l'Article précedent ? Il viendra
un quatriéme terme , qui ſera la furface
de la Voute, ſçavoir l'interieure , fi les
meſures ont été priſes endedans , & l'extericure
fi elles ont été priſes en dehors.
Et pour avoir la ſolidité on prendra la
hauteur & la largeur par le milieu de l'épaiffeur,
pour avoir une ſuperficie moyenne
, qu'on multipliera par fon épaifleur ,
cequi donnera la folidité defiréc.
Sur
AVRIL 1712. 421
Surlamesure des Voutesfurbaiſſées , oudes
demi ſpheroïdes applatis.
1. Ayant meſuré , comme ci deſſus ,
le dôme qu'on ſuppoſe encore demi elliptique
, on doublera lahauteur qu'on adjoûtera
avec la largeur , pour avoir une
ſomme ; on ôtera auſſi de la même largeur
la hauteur doublée , pour avoir un reſte ;
on multipliera la ſomine par le reſte , &
ontirera la racine quarrée du produit ( ce
quidonnera ladiſtance des foyers . )
2. Adjoûtez la largeur à cette racine ou
diſtance des foyers, prenez le logaritme
de la ſomme , & ótez en le logaritme du
double de la hauteur , pour avoir un ſecond
reſte.
3. Multipliez ce ſecond reſte par le
quarrée du double de la hauteur , & diviſez
toûjours leproduit par 3010300.fois
la racine quarrée du premier Article ,
pouravoirun quotient .
4. Ajoutez la largeur à ce quotient ;
multipliez la ſomme par la même largeur,
&faites l'analogieſuivante.
3
5. Si ( 4000. ) nombre abſolu , donnent
( 3141. abſolu ) que donnera le
produit ci-deſſus ? Il viendra au quatrić.
me terme la furface du ſphéroïde elliptiqueapplati
, fur laquelle on fera les mêmes
réfléxions que pour l'oblong .
Si lesdômes font à arrêtes , au lieude
T7 Tana-
:
422 MERC. GALANT .
l'analogie fi 4000. donnent 3141. &c .
faitescette autre : fihuit fois le demi dia
mettre de la baſe donne fon circuit , que
donnera le produit trouvé , &c.
Voicidonc lesRégles que M. Huygens
n'adonnées qu'en Enigme , à ſa manière
ordinaire , dans ſonTraité de la Pendale,
&par des voyes beaucoup plus longues
: j'en donnerai les démonſtrations
quand l'occafion s'en prefentera.
Supplement au Mémoire inferédans
le Mercure de Trévoux de Janvier
1711. , fur les changemens
arrivezà lafurfacede laTerre.
Par M. PARENT , Auteur du Mémoire.
Pourne pasgroffir trop ce premierMé
moire, je me fuis exprès abſtena
d'expliquer alors les cauſes de quelques
fingularitez qu'on trouve dans la Terre ,
à differentes profondeurs , comme des
reſtes de Navires , differens uſtancilles ,
ſçavoir des ferremens , des teſts depots ,
du charbon , &c. , differens lits de Terre
cultivée , des terres marécageuſes , des
plantes de routes eſpeces détechées , des
Animaux ſecs , ou pétrifiez , ou feulement
terrifiez , differens coquillages de
Mer , des poiſſons deMer detoutes eſpe.
ces,
AVRIL. 1712 .
423
ces déſeichez ou pétrifiez , des grands
chemins pavez , &juſqu'à des Villes entières
, des ſquelettes d'hommes , d'Ele
phans , de Tigres , &c. Je n'ai pas même
approfondi la cauſe des embrafemens
ſoûtetrains , qui produiſent les tremblemens
de Terre. Voici maintenant ceque
j'enpenſe endeux mots. Premiérement
quant aux particularitez de la Terre corticale
, elles démontrent manifeſtement
que la furface de laTerre habitée , s'eſt
trouvée àtoutes ces differentes profon
deurs , oùl'on rencontre les veſtiges que
nous venonsde citer. Il reſte donc d'ex
pliquer de quelle maniére ces différentes
furfaces ont,par ſucceſſion de tems, été
couvertesdenouvelles couches deTerre;
& cela juſqu'à fix ou ſept repriſes diffé
rentes, & juſqu'à la profondeur de près
decent pieds. Or il ſuffit,pour expliquer
toutes ces couches , de concevoir quela
Terrea été formée à différentes fois, par
un concours d'atômes , qui tendent tous
vers fon centre par leur peſanteur , &
celadansdes intervallesde tems fort éloi
gnez les uns des autres ; &je ne trouve
point qu'il foit plus difficile , ni moins
phyſique, de la concevoir ainſi formée
quede ſuppoſer qu'elle aitété forméetout
de fuite , fans interruption , juſqu'à la
groffeuroùnous la trouvons aujourd'hui
Maisoutre cette cauſe générale , & que
tout le monde peut aiſement deviner , il
را y
424 MERC. GALANT.
yen a une ſeconde particulière , unpeu
pluscachée. Ce ſont les pluyes extraordinaires
, oudéluges d'eaux tombées ſur
lesMontagnes , qui doivent en avoir détrempé
& emporté les Terres labourables
dans les Vallées , & les y avoir dépoſées
pendant leurs Inondations. Ainſi une de
cespremiéres Inondations aura couvert la
premiére furface de la Terre d'une ſeconde
furface; & celle- ci aura enſeveli ſous
elletout cequi ſe trouvoit ſur la premiére,
Plantes , Animaux , Coquillages , Witanciles
, Villes , &c., qui ſe ſeront par
fucceffion ou corrompus , ou déſeichez ,
ou même pétrifiez , felon la Nature de la
Terre , où toutes ces choſes ſe feront trouvées.
Parcemoyenles Vallées ſe ſeront
élevées peu à peu , à mesure que les ſommets
desMontagnes ſe ſeront dépoüillées
de leurs Terres; & les Mers auront été
obligées de s'éloigner en même tems du
Pieddes Montagnes. Il n'y a rien au reſte
encelaquinefoit conforme à l'expérience
journaliere, & il ne feroit pas difficile
d'en apporter quantité d'exemples connus.
Al'égard des embraſemens ſoûterrains,
la cauſegénérale n'est pas différente de
cellequi fait allumer le Tonnerre , le foin
dans les granges; la vapeur qui fort de la
fameuſe Fontaine de Varſovie , ou des
Lacs qui font ſur une des Montagnes
d'Auvergne , ou ſur une des Pyrenées ,
ou
AVRIL 1712. 425
1
oude ces puits de feu fi communs à laChine;
&c. fçavoir que quand l'exhalaiſon
ſulphurée eſt aſſemblée en grande quantitépour
pouvoir écarter l'air environnant,
c'eſt du feu. Il est vrai que ces feux
échauffent les eaux ſoûterraines , & leur
font jetter quantité de vapeurs , qui étant
pouffées par la violence du feu , ont une
force prodigicufé pour ſe faire jour , &
rompre tous les obſtacles qui les refferrent
, ainſiqu'on l'éprouvedans les Eolipilesqui
crevent comme des Bombes. Il
ya auſſi quelques cauſes particulières qui
peuventallumer du feu , comme des mêlanges
d'eau , de matiére ferrugineuſe ,
&de fouffre ( ainſi que M. Emery le rapporte)
& autres fermentations encore inconnuës
; & même lorſque l'exhalaiſon
eſt fort ſeiche comme dans les Mines de
charbon, la ſeule cheute d'une pierre ſur
une autre , fuffit pour faire un embraſe.
ment épouvantable .
3
D'une espece d'Homme Marin ,
pêché au Conquêt.
M. Savary , Ecrivain de Vaiſſeau , m'a
dit qu'en l'année 1703. il aſſiſta à une
pêche qui ſe fit au Conquêt , dans laquel .
le on prit un Monſtre Marin , femblable
en toutes choſes à un Enfant de deux ans ,
&de la même grandeur : ſa peau étoit
brune
:
426 MERC. GALANT.
brune & fans poil , comme celle d'un
Chiende Mer. Il avoit les doigts des
mains & des pieds auſſi fendus que ceux
d'un Singe , & armez d'Ongles , mais
ſans toiles. Il portoit au haut desbras ,
&fur lesosdes jambes des nageoires com.
me unpoiffon. Il ne pouvoit ſe tenir débout,
ne crioit point, ne remuoit point
ſes yeux , qui étoient ronds comme ceux
d'unpoiſſon , ſans ſourcils , ni paupieresa
Il n'avoit pour oreillesque deux trous ; ſa
bouche étoit plate , ſon nez , & fon mentonallongez
, ſa tête ronde & fans poil
ilbattoit continuellement des bras &des
jambes comme pour nager. Il ne vécut
qu'unedemijournée hors de l'eau.
M. Savary m'a aſſuré , que les Sieurs
du Ménay , Lieutenant de Vaiffeau ,
Claron Pilote du Conquet , & pluſieurs
autres , particulièrement les Religieux de
SaintMatthieude ce lieu , l'ont vû & examiné
, de même que quantité d'anciens
Officiers de Mer , quiaſſurent n'avoir jamais
rienvû de pareil.
Ce Mémoire nous a été communiqué
par M. Parent , à qui M. Savary a raconté
la choſe de vive voix , telle quenous la
rapportons.
Sur
AVRIL 1712. 427
Sur un Portrait engrand, envoyépar
une Dame àl'Auteur, pour mettre
dans une Salle.
L ſera vû detout Paris ,
IVotre immenfe Portrait à très - large
bordure :
J'euffe bien mieux aimé vous voir enMignature;
Aumoins il m'eûtété permis
Degarder en ſecret cette aimablePeinture.
Ah qu'unpeude myſtére eût augmenté le
prix
D'un prefentdecette nature.
Trop heureux qui reçoit un don fi prés
cieux
D'une main fi belle & fi chere ,
Etcependantj'aimerois mieux
Qu'elle n'cût ofé me le faire .
そうか
:
ling
et
1
১০
:
ec
১৯
Extrait
:
428 MERC. GALANT.
Extrait d'une Lettre de M. le Colonel
Funck, écrite de Constantinople
le 14. Janvier 1712. , à M.
de Cronstrom , Envoyé Extraor
dinaire de Suede.
را
ود
"
L
EGrand Vizir a bien voulu permettre
aux Otages Moſcovites , fur
leurs inſtances , conjointement avec les
„Ambaſſadeurs d'Angleterre & d'Hol-
,, lande , de conferer avec lui pour tâ
„ cher de trouver des expedients capa-
"
"
"
bles de détourner la Guerre ; mais ces
,conférences ſont préfentement rompues.
Ali Bacha , le Premier Grand
Vizir déposé , a été porté ici & expoſé
devant le Serail auPeuple. Les Nouvelles
venues ces jours ici, de l'arrivée
ور de notreTranſport en Pomeranie avec
le Comte de Stenboſz , ont extreme-
„ ment réjoui , tant nous que les Turcs ,
,, qui cet Eté avoient agi un peu froide-
„ ment , à caufe que ce Tranſportne ve-
"
ود
رد
noit pas. Le premier de ce mois le
GrandSeigneur m'a fait dire que je fiffe
,, ſçavoir au Roi qu'il partira dans ſix ſemaines
pour aller en Campagne , afin
de pouffer la Guerre contre les Moſcovites
avec la derniére vigueur ; que Sa
›› Majesté étoit le Maître de partir quand
ود
"
১
"
il
AVRIL 1712 . 429
,, il lui plairoit pour la Pologne , avec
,, une eſcorte confiderable & fuffiſantede
,, Turcs, qui ſe rendront pour cet effet à
,, Bender ; & que j'euſſe à ſuivre le Sul-
, tan en Campagne , au moyen dequoi
,, j'eſpere , M. d'avoir l'honneurde vous
وا faire ſçavoirce quis'y paſſera. LeSeraf-
,, quier deBelgrade , Abdi Bacha , qui eſt
,, fortporté pour les intérêts du Roi , a
,, été fait Commandant en Chef des
,, Troupes de Romelie ,&doit s'y rendre
,, inceſlainment....
D'autres Lettresportent qu'on a publié
àConſtantinople la Guerre contreles Mofcovites
; que l'Empire Otoman faitdes
préparatifs extraordinaires , que les Tartares
ſe préparent à faire irruption enMofcovie
par trois côtez . Le quartier duGénéral
Konne , qui a debeaucoup augmenté
ſesTroupes, eſt à préſent àBialacerkieu ,
&les Troupes Moſcovites qu'il commande
font avancées juſqu'à Niemerow , & à
Braclaw en Podolie , pour obſerver les
mouvemens des Turcs , & du Palatin de
Kiovie , &la plupart des Moſcovites qui
étoient dans le Palatinat de Cracovie ,
font entrezdans celui de Sandomir .
LeCzar est arrivé à Petersbourg le 14.
Janvier , & le même jour il a jugé à proposde
faire démolir les Fortifications d'Azak
, du Fort de Tangarock , & de quelques
autres qui ont donné ombrage aux
Turcs , eſpérant encore par là deles appai430
MERC. GALANT.
!
paifer , & de maintenir la Paix de Falczin.
Le Vice-Amiral Cruitz , est arrivéd'Azak
à Mofcou , fuivi de tous les Officiers
deMarine : il doit être àpreſentducôté
de Petersbourg ; it a laiſfé l'Amiral à
Praxin , à Azak , pour en fairedémolir
les Fortifications.
1. LesMofcovites ont tué ou pris quarante
mille perſonnes , &enlevé une grande
quantité de Chevaux , de Chameaux , &
de Bêtail , après avoir forcé quelques
Troupes des Tartares Calmuques.
Onafaitdegrandesréjoüiffances àMof
cou aumoisde Décembre dernier , fur la
nouvelle qu'on a reçue que le Prince de
Mofcovica époufé la Princeffe deWolfenbutel:
ces réjouiſſances ont cominencé le
13. & la Princeffe Natalie Alexowits ,
Soeur du Czar , a traité magnifiquement
pendant deux jours lesGrands Seigneurs
&les principaux Officiers.
La Princefle Mere du Czar a donné
auffi un grand Feſtin , où la Ducheffe de!
Curlande a paru pour la première fois de
puis la mort du Duc ſon Epoux ; enfuite
ces Princeffes font allées trouver le Czar
àPetersbourg.
4
L'éAVRIL
1712. 431
L'Eloge du Vin de Bourgogne ,
Traduction de l'Ode Latine de
M.GRENAN.
AMi dujus divin dont la chaleur m'in- Spire
Mais Poëteinconnudans lefacre Vallon ,
Enfaveur de POMARje vais toucher la
Lire ;
Mongoûtseramon Appollon .
GRENAN puis -je esperer de teſuivre au
Parnaffe ,
D'atteindre de tes fonsla forcers l'agrément?
Je suis affez heureux , traduisant un
HORACE ,
Si je traduis fidellement.
Jeconfacre ces vers à la liqueur charmante,
Qui rend BEAUNE fameux , qui fait
21
P'honneur de NUIS ;
Autourd'elle ſuivis de la ſanté brillante ,
VoltigentAmourrss,,jeux&ris.
Des prodiges certains fignalent ſa puiffan.
ce;
Elle ſçait délier l'eſprit le plus épais ;
Mieux qu'un travail conftant , Mere de
l'éloquence ,
Elle nous prête d'heureux traits.
Afonriant aſpect fuit la fombre triſteffe;
Le pauvre qu'elle anime eſt au deffus des
Loix;
Pour
432 MERC. GALANT.
Pour lui plus de miſere : aimable enchanrereffe
,
Tu l'éleves au rangdes Rois.
En vain s'offre une Table &propre & délicate
,
Où le rafinement ait ſçû tout ordonner ,
Leplus charmant repas a-t'il rien qui me
flate ,
Si tu ne viens l'aſſaiſonner ?
Du mále SILLERI que RHEIMS s'énorgueilliffe
teur ;
Et prodigue l'encens à fon montant fla .
Qu'étincelant de feux , il petille , il jailliffe;
Redoutons un Vin ſéducteur .
Craignons denous livrer aux eſprits qu'il
envoye ,
D'unplaifir apparent fuyonsla trahiſon ;
Ils flattent l'odorat , ils répandent la joye,
Mais ils cachent un für poiſon .
Que cependant au fruit AUVILE' ſoit
d'uſage ,
Bacchus modeſte alors , peut avoir des
apas:
Aveclui lesbons mots , l'élégant badinage,
Viendront amuſer le repas .
NUIS ſuſpend les regrets de la morne
vieilleffe .
Lait divin , ſa chaleur ſource des doux
plaiſirs ,
Dans le déclin des ans fait naître la jeuneffe
, Et
AVRIL 1712.
433
Et rappelle au moins les deſirs.
Un Sophocle ſe glace , il enfante avec
peine ,
Qu'il laiſſe l'eau du PINDE , & goûte de
cejus ,
L'aimableDieudu Vin fera couler ſavei
ne;
Il inſpiremieux que Phebus.
A quoi ſert dans le Camp la bruyante
Trompette?
C'eſt à Nurs d'y répandre une noblevigueur;
faite ,
Sans ſes dons le Soldat certain de ſa dé
N'eſt que foibleſſe & que langueur.
Mars , c'eſt aſſez régner ; ô liqueur faverable
,
Ramene avec la Paix les danſes & lesjeux;
Redonne nous enfin ſa preſence adorable;
Qu'elleeſt lente au gré de nos voeux !
Aujourd'hui l'ornement des Tables fortunées
,
Bientôt de nos Bergers tu fécheras les
Je les voi ; quels plaiſirs ! agréables jourpleurs.
nécs ! *
Ils ont oublié leurs malheurs .
Plus de ſoins inquiets , plus d'horreur ,
plus deguerre.
formais.
Pour eux desjours fereins vont coulerdé-
L'un chante ſa Philis , l'autre vuide ſon
Tome IV. R
* Jours de réjoüiſſance pour la Paix.
F
[verre.
434 MERC. GALANT.
Furent- ils à plaindre jamais !
Si l'AUVERNAT fumeux s'offre dans
une Fête ,
Vin groſſfier qui dabord y porte le chagrin,
Decruelles vapeurs il accable la tête ,
Breuvage affreux , hôte Aflaflin.
Du Bourgogne leger , ladouceur bienfaifante,
Eſt un remede fûr , aifé , délicieux ;
Nos maux ſont diffipez , quand ſa ſeve
innocente ,
Flate notre goût & nos yeux.
Le doux ſommeil s'envole & fourd à ma
priere ,
S'obſtine à me ravir les charmes du repos.
Amon fecours PoMAK ... déja ſur ma paupiére
,
Morphéea verfé ſes pavots .
Mais tu n'espas toûjours à nos deſirs propice;
Si nous bleffons les Loixde la fobrieté ,
Ton jusſeditieux fera notre ſupplice ;
Tonjus veut être reſpecté .
Aſſurede longs jours au modéle des Prin
ces ;
Le Ciel long-tems encor le doit à l'Uni-
Qu'il vive ſeulement , nos tranquiles
vers;
Provinces ,
Seront au deſſus des revers .
Au Nectar de Louis diſputez la victoire,
Vins jaloux , Vins fameux , & du NECRE
&du RHIN , Con
AVRIL 1712.
435
Conſervenous Louis , rien ne manque à
tagloire ,
POMAR, ton triomphe eſt certain.
La Champagne vengée, on loüange
du Vin de Rheims , qu'un Poëte
Bourguignon ablâmé.
C
Hére Hôteſſe d'un Vin qu'on ne peut
trop priſer ,
D'un Vin qui doit à Reims , comme moi ,
ſanaiſſance ,
Bouteille à mon ſecours , j'entreprens ta
deffenfe .
Pour ton propre intérêt vien me favorifer .
Eſt-ce un ſonge ? O merveille ! une douce
manie
Chezmoi , dans ce moment , au grédeta
liqueur
Répand de veine en veine une noble vigueur
,
Et forme de ces Vers la nombreuſe harmonie.
Autant que , fans porter ſa tête dans les
Cieux ,
La Vigne par ſon fruit eſt au deſlus du
chêne;
Autant , ſans affecter une gloire trop
vaine,
Reims ſurpaſſe les Vins les plus délicieux.
V2 Qu'Ho
436 MERC. GALANT.
Qu'Horacedu Falerne entonne les loüanges,
Quede fon vieux Maſſique il vante les
attraits :
Tous ces Vins ſi fameux n'égaleront jamais
Du charmant Silleri les heureuſes Vendanges.
Auſſi clair que le verre , où la main l'a
verlé ,
Lesyeux les plus perçans l'en diſtinguent
àpeine.
Qu'il eſt doux de ſentir l'ambre de ſonhaleine
,
Et de prévoir le goûtpar l'odeur annoncé !
D'abord à petits bonds une mouſſe argentine
Etincèle , petille, &boût de toutes parts ;
Unéclatplus tranquile offre enſuite aux
regats
D'un liquide Miroir laglace cryſtaline .
CeVin dont l'aſpect ſeul enchante le buveur
,
N'eſt pas d'un Bourgeon foible une humeur
froide&crue ;
Autantquela couleur en réjoüit la vue ,
Autant enplaît au goût l'agréable faveur.
Taiſez vous envieux , dont la langue cruelle
Veut
AVRIL 1712. 437
Veutqu'ici ſous les fleurs ſe cache levenin,
Comnoiffez la Champagne , & reſpectez
un Vin
Quides moeurs du climat eſt l'image fidéle.
Non , ce jus , qu'à grand tort vous oſez
outrager ,
Denuages fâcheux ne trouble point la tête,
Jamais dans l'Eſtomac n'excite de Tempête
,
Il eſt tendre , il eſt net , délicat , &léger .
Il s'ouvre dans les Reins une facile route ,
Il n'y fait point germer de ſable douloureux
,
Etn'y préparepas , ſéducteur dangereux,
Par l'attrait du plaiſir le tourment de la
goute.
Versla findu repas , à l'approche du fruit,
(Car ondoitménager une liqueur fi fine)
Auſſi- tôtqueparoît la Bouteille divine ,
DesGraces à l'inſtant l'aimable Chooeur la
fuit.
Parmi les Conviez s'éleve un doux murmure
,
Le plus Stoïque alors ſe déride le front .
Beaune alors céde à Reims , & confus de
l'affront
Cherche loin dubuffet une retraite obfcure.
V Equi
438 MERC.GALANT.
Equitable cenſeur , jeveuxbien toutefois,
Bourgogne, t'accorder l'eſtime qui t'eſt
duë ,
Pourvû qu'à l'avenir une honte ingénuë
Te force à rendre hominage au nectar
Champenois.
Méredes Vins moëleux , c'eſt toi je le confeffe
,
Qui d'un teint languiſſant corriges lapâ
leur,
Qui verfant dans les corps une douce chaleur,
Sais égayer enſemble, & nourrir la vieilleffe.
Mais ne crois pas te faire un mérite écla
tant
D'ôter au Laboureur le ſouci de ſa Taille ,
D'animer le Soldat dans le Champ deBataille
;
Un fimple Vin de Brie en feroit bien au
tant.
vous , puifque le Ciel parun heureux
préſage
De la Paix aujourd'hui nous promet le
retour ,
Anglois de vosſterlins hatez-vous dès ce
De venirdans nos Ports faire un meilleur
jour
uſage.
Au
AVRIL 1712. 439
Au lieu d'avoir fi loin conduit tant de
guerriers,
Diſpoſe tant d'Affauts, & formé tant de
: Lignes,
Hélas ! à moindres frais , des Tréſors de
nosVignes
Vouspouviez fans péril enrichir vos Celliers.
1
Ciel , fais que déſormais punide ſa folie ,
Quiconque infultera l'honneur duSilleri ,
N'abréve fon gofier d'autre Vin que d'Ivry,
Ond'un Cidre éventé ne ſuce que la Lie.
MORT S
Dame Suſanne de Montgommery de
Ducé , Epouſe de Meſſire Antoine FrançoisGasparddeColins
, Comte de Mortagne
, premier Ecuyer de S. A. R. Madame
, mourut le 18. Janvier 1712. , agée
de64 ans.
Elle étoit de l'Illuſtre Maiſon de MontgommerydeNormandie
, tire fon origine
des Comtes de Montgommery , qui font
les ſeconds Comtes d'Angleterre . Tout le
monde ſçait l'avanture d'un Seigneur de
cette Maiſon , qui rompant une Lance
dans un Tournois contre le Roi Henri II .
cut le malheur de le bleſſer à mort , par
לכי V4
un
440 MERC. GALANT.
un éclat qui ſortit de ſa Lance. Cette
Maiſon a donné pluſieurs Généraux d'Armée
, & a toûjours tenu unrang fort conſidérable
dans le Royaume. Elle avoit
épousé en premiéres Nôces le Comte de
Quentin enBretagne , de l'ancienne Mai .
fon deGouyon , de laquelle M. de Matignon&
plufieurs autres Seigneurs tirent
Ieurorigine. M. le Comte de Mortagne
a long- tems ſervi le Roi en qualité de
fous Lieutenant des Chevaux - Legersde
la Reine : le Roi lui donna pour recompenſede
ſes ſervices, la Compagniedes
Gens-d'armes de feu Monſeigneur le Duc
deBourgogne.
DomHoratio Albani , Frere du Pape ,
mort à Rome le 23. Janvier 1712.
La Maiſon d'Albani a donné autrefois
un Cardinal Illuſtre à l'Eglife , qui a
compoſé pluſieurs grands Ouvrages ; il
vivoitſous les Pontificats de Paul V. , &
de Gregoire XIII. , on le regardoit dans
fontems commeun ſujet digne de la Thiare
, il y a eu anciennement un Général
des Troupes du Pape de ce nom là .
GuillaumeDaton , Evêque d'Offery en
Irlande , eſt mort en l'Abbaye de la Couture
, au Mans , le 26. Janvier 1712. ,
âgé de 69. ans , ily étoit retiré depuis fon
cxil , & y demeuroitdepuis 14. ans .
M. l'Evêque d'Offery étoit forti de noble
Maiſon, il avoit été Docteur de Sorbonne
, & avoit quitté la France pour
fonger
AVRIL 1712. 441
fonger au falut de ſes Compatriotes : on
le nomma Evêque d'Oſſery , qui eſt un
des principaux Siéges de l'Irlande ; il remplit
ce poſte avec l'applaudiſſement du
public. Ayant été chaffé de fon Siége , feu
M. du Mans l'appella dans ſon Dioceſe,
où il lui a donnédurant 14. ans une Penfiondecinq
centécus ; tout le mondehonoroit
& reſpectoit ſa vertu ; ces deux
Prélats moururent tous les deux le même
jour.
DameMarie -Magdelaine Chapelier ,
Epouſe de Meffire Jean Jacques de Surbeck
, Lieutenant Généraldes Armées du
Koi , & Colonel d'un Régiment Suiffe ,
morte le 21. Février 1712. elle étoit Soeur
deM. Chappelier , mort Doyen de S
Germain l'Auxerois.
Cette Dame a laiſfédeux Enfans , dont
l'aîné qui eſt Major fert depuis l'âge de
dix- sept ans , avec beaucoup de diftinetion:
fa Fille avoit épousé Monfieur le
Comte de Beranger , Colonel d'Infanterie,
qui a été tué au ſervice du Roi ; il
étoit Fils de M. le Comte Dugas , Chef
de l'Illuſtre Maiſon de Beranger enDauphiné.
Meſſire Jules d'Arnolfini de Magnac ,
Chevalier de l'Ordre Militaire de Saint
Loüis , Lieutenant Général des Armées
du Roi , Gouverneur de Mont-Dauphin ,
&Inſpecteur Général de la Cavalerie&
desDragons, mourut le 23. Février , âgé
de73 ans. VS
Son
442 MERC. GALANT.
Son Pere étoit M. d'Arnolfini , quia cá
l'honneur de montrer à monter à Cheval
au Roi : il avoit un Frere nommé le Mar.
quis d'Arnolfini , qui est mort Maréchal
des Camps & Armées duRoi.
Meffire Marie Jean-Baptiste Colbert,
Marquis de Seignelay , Maître de laGarderobbe
du Roi , Brigadier de ſesArmées ,
& Colonel du Régiment de Champagne ,
mort ſubitement le 26 Février 1712 en
fa 29. année. Il étoit Fils aînéde feuM.
le Marquis deSeignelay, Miniſtre & Secretaire
d'Etat , & Petit-Fils de feu M.
Colbert auffi Miniſtre & Secretaire d'Etat,
& Controlleur Général des Finances , &
de Mariede Gouyon de Matignon , qui
enſecondes Nôces épouſaCharlesdeLorraine
, Comte de Marfan , dont elle a eu
desEnfans ; cetteDame étoit arriére-petize-
Fille du Maréchal de Matignon. Il
avoit épousé en 1708. Marie Louife Maurice
de Furſtemberg , Fille d'Antoine
Egon , Prince de Furſtemberg & de l'Empire
, Gouverneur de l'Electorat de Saxe,
& de Marie de Ligny , dont il laiſſe deux
Filles.
Meffire Hugues Betault , Seigneur de
Chemeaux , ci -devant Maître desRequêtes
, mort le 2. Mars 1712.
Il a eu pour Soeur , Madame la Préſidente
Molé, qui étoit Mere du dernier
Préſident à Mortier de ce nom , & Madame
Poncet , qui a épouséen ſecondes Nôces
AVRIL 1712. 443
ces M. Ferant , il avoit épousé une Damoiſelle
de Beon du Maſſés de Luxembourg,
qui eſt Soeur de M. le Marquis de
Beon , ci devant Colonel d'Infanterie
leur Mere étoit de la Maiſon de Cugnac de
Dampierre ; la Maiſon de Beon tire fon
originedes anciens Princes de Bearn , dont
elle porte les Armes , elle a été alliée à
pluſieurs Maiſons Souveraines , & le Bis-
Ayeul de cette Dame Bernard de Beon ,
Chevalierde l'Ordre, Capitainedes Gensd'Armes
, & Gouverneur du Limofin ,
avoit épousé une Princeſſe de la Maiſon de
Luxembourg ::
Le 3. Mars Charles de Saulx , Marquis
de Tavanne , épouſa Marie-Anne-Urſule
Amelot, Fille de M. Amelot deGournay,
Ambaſſadeur en Eſpagne , & Confeiller
d'Etat , fa Coufine iffuë de Germaine.
: Il eſt Fils du Marquis de Tavanne, Lieutenant
Général de la Province deBourgogne
, &de Damoiſelled'Agueſſeau , Fille
de M. d'Agueſſeau , Conſeiller d'Etat Ordinaire
, & Soeurde M. d'Agueſſeau , Procureur
Général du Parlement de Paris.
La Maiſon de Saulx- Tavanne tire ſon origined'Allemagne
, oùellea toûjours tenu
auffi bien qu'en France , un rang conſidérable;
elle eſt établie dans la Provincede
Bourgogne , elle a eu un Maréchal de
France nommé le Maréchal de Tavanne ,
on ſçait que ce Seigneur paroiffant tout
fanglant des bleſſures qu'il avoit reçûës
V6 dans
444 MERC. GALANT.
dans un Combat , où ils'étoit ſignaléde
yant le Roi Henri II . ce Prince lui mit ſon
Collier de l'Ordre au Col & le fit Chevalierde
l'Ordre ſur le Champde Bataille.
La Maiſon d'Amelot eſt très-ancienne
&une des plus conſidérablede la Robbe ,
tant par lesgrands Emplois quiy ont été ,
quepar les Alliances confidérables qu'elle
a eu despremiéres Maiſons du Royaume ,
comme la Maiſon de Beon , de Luxembourg
, de Vaubecourt, deRohan, d'Aumont,
& deNicolai , &c.
Heraults d'Armes.
L'emploi des Heraults d'Armes confiftoit
à aller dénoncer la Guerre , fommer
les Villesde ſe rendre , & dreſſer un fidéle
Procès verbal (comme ils lepeuvent encore
à préſent ) de tout ce qu'ils ont
fait& dit , & de tout ce qui leur a été
répondu. Ils publioient la Paix comme
ils dénonçoient la Guerre ; faifoient
défenſes à tous, meine aux Princes
, de l'enfreindre , à peined'être déclarez
traitres & perturbateurs du repos public
, infracteurs de la foi donnée , &
criminels de leze-Majeſté ; & ceux qui
contrevenoient à la Paix , ils les citoient
&mettoient au Ban , comme par un dernier
remede , portant avec ſoi le fer& le
feu. Anciennement quandilspublioient
la Paix, ils étoient couronnez de guirlan
dos
AVRIL1712. 445
des d'olivier , &enportoientdes rameaux
en leur main , & la Ville ou la Cité où elleétoit
publiée leur devoit un marc d'Or ,
cequi s'obſerve encore en ce tems. Quelquefois
ils ſignifioient les pardons &les
graces que les Rois & les Princes accordoient
auxSujets qui étoient tombez dans
desfautes confidérables .
Ils font employez aux facre& couronnement
de nos Rois. Ils y font les cris
&proclamations ordinaires ; précedent
le Roi allant à l'Offrande , & yfont employez
àfaire les largeffes. Auſacre du
Roi Philippe le Bel , Gauthierde Troye ,
fon Heraultd'Armes , fut habillé des habitsque
lleeRoilaiſſapour prendre ceuxde
la folemnité du ſacre , & tous les veſtements
Royaux fourrez d'hermine qui couvroient
la perſonne du Roi en fon facre
(excepté laCouronne d'Or , le fceptre&
lamaind'yvoire) appartenoient aux Officiers
d'armes ; il en étoit de même aux
Couronnements desReines.
Aux Mariages & cérémonies nuptiales
ils tenoient leurs rangs & étoient les Meſſagers
, & le plus ſouvent en portoient les
premiéres paroles , auſſi tous les manteaux
Royaux , ou ceux des Princes &
Princefles , où leur cotte d'armes étoient
déployées , leur appartenoient ancienne.
ment...
Aux baptêmes des Enfans des Rois &
Princes , ils déployoient leur cotte d'ar-
V 7 mes;
446 MERC. GALANT.
mes; les vaſes , éguieres , faliere , baffin
à laver, les manteaux &langes de para,
de, la baffinoire , dais , & oreillers des
Enfans baptifez leur apartenoient,& après
le baptême ils jettoient par les rues des
Piéces d'Or au Peuple , & crioient par
trois fois , largeſſe , largeſſe , largeffe ,
de le part du très-noble Roi de France ,
pour cequeDieu luia donné lignée.
Aux feſtins Royaux que les Rois faifoientaux
quatre bonnes Fêtes de l'année ,
où ils tenoient Cour pleniére & grand
Tinel , ils appelloient le grand Maître ,
le grand Pannetier , legrand Bouteiller ,
&autres anciens Officiers de la Maiſon
Royale , pour venir faire leurs offices en
lagrande Salle du Palais , où ſe préparoit
le banquet , & ce jour ils avoient largeſſe
entiére& nouveaux habillements , & la
couped'Or dans laquelle le Roi beuvoit ,
leurappartenoit.
Ils n'aſſiſtoientpasſeulement àtoutes ces
cérémonies des Princes vivans, mais encore
lesaccompagnoient en leursObfeques
&Funerailles ; d'abord ils faisoient tendre
la Salle de drap noir , faifoient cou
vrir le lit , & après avoir tout ordonné ils
fe tenoient comme les Officiers d'armes
le font encore jour &nuit aflis auprès du
lit de parade où eſt le corps du défunt ,
pour préſenter l'aſperſoir aux Princes ,
aux Prélats , Cours Souveraines , &-autres
grands Seigneurs , pour jetrer de
V Гсац
AVRIL 1712. 447
l'eaubenite ſur le lit mortuaire. Enſuite
lejourde la pompefunebre ils marchoient
enlonghabitsdeduëil , un peu devant le
chef du Convoi , & étant arrivez à l'Egliſe
, ils enfermoient dans le tombeau
toutesles marquesd'honneur , comme la
Couronne , leSceptre , la Main de Juſtice,
le ColierdesOrdres , le Calque , l'Ecu
, l'Epée , les Gantelers , les Eperons
, la Cotte d'armes , les Etendarts ,
les Enſeignes , & les Banniéres ; &
après que le grand Maître de France ,
mettant fon bâton dans la foffe , avoit
prononcé toutbas le Prince eſt mort , ils
crioient à voix haute par trois fois , le
Prince eſt mort , priez Dieu pour fon
ame.
Avanturede deux Officiers.
Lettre de Boulogne en France.
MONSIEUR,
Nous liſonsfort régulièrement votreMer
cure encette Ville , mais ce que les Dames
Boulonniſesy aiment le mieux cefont les
Historiettes comme vous ne nous en
nvezi point donnéles deux derniers mois ,
nous avonscrú que peut être des føjets vous
-manquoient, voici une avanture qui vous
pourrafervirdecamevus...... A
Un
448 MERC. GALANT.
Un richeBourgeois deBoulogne , bon
homme , mais un peu foible d'eſprit
& fort timide , avoit une très - jolie
Fille à marier. Un Capitaine de notre
garniſon qui étoit ſon hoſte , prit un tel
aſcendant fur lebon homme , qu'il ne put
lui refuſer ſa Filleen mariage. Cette Fille,
qui d'ailleurs n'avoitpoint d'autre affaire
en tête , conſentit par obeïffance à
l'épouffer ; le mariage fut reſolu. Cependant
le Pere ne voulut le conclure
qu'après qu'il auroit fait unpetit voyage
aDiepe,pour quelques affaires qu'il falloit
yterminer avant que de marier fa Fille.
Il l'emmena avec lui , &promit au Capitaine
qu'il feroit de retour dans quinze
jours au plus tard.
Cette aimable Fille étant arrivée à Diepe
avec ſonPere,trouva dès le même ſoir,
dans l'auberge où ils deſcendirent , un
Jeûne Officier qui devint paſſionnément
Amoureuxd'elle , & s'en fitaimer enpeu
de tems. Son Fere qui s'en apperceut ,
lui deffendit de voir le Cavalier. Mais il
n'avoit pas aflez de fermeté pour deffendre
auCavalierde la voir , il la vit en ſa préfence
, & fe fit même ſi bien connoître
pour homme de Famille noble & riche ,
que le bon homme Feuſt préferé au
Capitaine s'il eût ofé. Pour achever
deledéterminer, notre Cavalier crût avoir
beſoinde lui prouver ſa naiſſance & fes richeſſes.
Ilavoit une Terre à dix lieuës de
Diepe,
AVRIL 1712. 449
Diepe, où il fit un petit voyage de deux
jours ſeulementpour en rapporter ſes titres
& autres preuves convainquantesde
ce qu'il étoit . Mais ce voyage luscoûta
cher; cardèsqu'il fut parti , le Pere ayant
terminé ſes affaires plûtôt qu'il ne croyoit,
&ſe remettant dans l'idée un Capitaine
fier,emporté,& même un peu brutal ,à qui
il avoit promis , & qu'il retrouveroit
dans ſa Maiſon , ſa timidité le reprit , &
il remmena endiligence ſa Fille à Boulogne
, pour conclure avant que ce nouvel
Amantpeutles rejoindre. Le Capitaine
qui attendoit avec impatience le retourde
fa Maîtreffe , preſſa lemariage , mais clle
faifoit naîtredes ſujets de retardement de
jourenjour. Enfin le Pere n'ayant plus
la force de reſiſter à l'empreſſement du Capitaine
, prépara les noces pour le lendemain.
Cependant l'Officier Amoureux étant
de retour à Diepe avoit été ſurpris , comme
vous pouvez croire , de n'y plus retrouver
fa Maîtreffe. Il cherchoit une
voiture pour Boulogne , lorſqu'un Pilote
lui promitde l'y mener par mer en fort peu
detems. Il accepta leparti&s'embarqua.
Les voilà en meravec un vent ſi favorable
qu'ils croyoientdéja toucher la radedeBoulogne
lorſqu'ils apperçûrent un
petitVaiſſeau qui venoit ſur eux ; c'étoit
unCapreHollandois. Ily avoit avec cet
Officier pluſieurs Soldats ramaſſez qui alloient
450 MERC. GALANT.
loient auſſi à Boulogne. L'Officier remarquant
que le Capre étoit fans canon ,
exhorta les Soldats à ſe bien deffendre :
mais les Hollandois , en nombre fort fuperieur
, vinrent à l'abordage. Enfin
l'Officier fut fait prisonnier , & ceux qui
leprirent , le voyant magnifiquement vêtu
, ſe flaterent d'une forte rançon , &
mirent le Cap vers Fleſſingues. Imagi
nez vous le deſeſpoir de notre Amant.
LesCorfaires qui l'avoient pris n'entendoient
point ſa langue : maispar bonheur
pour lui un de l'EquipageduCapre parloit
un peu François , & lui ſervantd'interpre--
te , il lui menagea un accommodement.
Onconvint qu'il leur donneroit en nantiflement
quelques-uns des papiers qu'il
avoit fur lui, &ſa paroled'honneur , que
les Corſaires accepterent ſur ſabonne mine
, moyennant quoion le relâcha à Boulogne
feulementpour vingt quatreheures
detems qu'il leur demanda .
Dès que l'Officier fut dans la Ville il
courut chez ſa Maîtreffe , où le Pere
fut fort furpris de le voir arriver. Le Pere,
la Fille& l'Amant , curent enfemble un
éclairciflement , aprèslequel lebon homme,
felon la foibleffe ordinaire, témoigna
à l'Officier qu'il eût voulu de bon
coeur luiaccorder ſa Fille ; mais qu'il craignoit
ceCapitaineàqui il avoit donné fa
parole.
L'Officier , fans rien témoigner d'un
deffein
AVRIL 1712. 451
1.
defſein qu'il avoit , ſceut adroitement le
nom & la demeure de ce Capitaine dans
Boulogne , & dit au Pere qu'il alloit chercher
quelquemoyen d'accommodement à
cetteaffaire. Il entradans l'Auberge où
mangeoit ceCapitaine , dans lemoment
qu'on alloit fouper . Dès qu'il le vit entrer
il le regarda fixement; il fut de fon
côté, ſurpris enenviſageant ce Capitaine,
&leur furpriſe mutuelle venoit de ce qu'ils
ſe trouverent un certain air de reffemblan
ce l'unà l'autre qui les frappa reciproquement
en même tems .
Le Deffeins de l'Officier , en allant
chercher ſon rival , étoit de trouver occafiondequerelle
pour ſe battre contre lui.
Mais cette reffemblance , qui frappa aufli
ceux qui étoient preſents , fut occafion
pour eux d'obliger les deux Sofies à boire
emſemble. L'Officier ne put ſe difpenfer
de ſe mettre à table avec eux. Il fut triſte
& réveur pendant tout le fouper : Mais le
Vinqu'onybût ayant mis leCapitaine en
gayeté , il lui vint une imagination gaillardequidonna
lieu à notreOfficier d'inraginer
de fon côté ce que vous verrez dans la
fuire.
Il y avoit un Bal d'éré pour une nôce
chezunBourgeois confiderable. LeCapitaine
propoſa à l'Officier pour toute
mafcarade de troquer d'habit avec lui , ce
qui futéxécuuttéé,, ils allerent aubal enfem
blc. Je n'ai point ſçû ce qui s'y paffa,
N
mais
452 MERC. GALANT.
mais ces deux hommes , pris apparemment
l'un pour l'autre , donneroient
ſujets à ceux qui voudroient faire uneHif
toriette de cette Avanture de s'étendre
agréablement ſur les mépriſes que cela put
caufer.
Sur les quatre heures du matin le Bal
finit , & l'Officier changea le deſſein qu'il
avoit de ſe battre contre ſon Rival , imaginant
un moyenplus doux pour s'endéfaire
, il luipropoſade lui donner un déjeûner
marin , ſe diſant Capitaine du
Vaiſſeauqui l'attendoit,où il lui promit de
donner même s'il vouloit une Fête marine
àſaMaîtreffe ; le beau tems invita le Ca.
pitaine à voir lever l'aurore ſur la mer , il
accepta le déjeûner , & l'Officier lui demanda
ſeulement un quart d'heure pour
une petite affaire , & le livra à fon valet à
qui il avoit donné le mot pour le mener
toûjours devant au vaiſſeau qui attendoit
àlarade ſonpriſonnier . Ce Capitaine fortant
du bal n'avoit point encore changé
d'habit , & marchoit vers la rade ſuivi du
valet, qui lui dit comme par une réflexion
fondaine qui lui venoit ; je prévois une
plaisante chose , Monsieur : c'est que tous
les gens du Vaiſfeau de mon Maître vous
vont prendre pour lui . Ce Capitaine prit
goût à la plaiſanterie , &dit qu'il falloit
voir s'ils s'y méprendroient. Il faut remarquer
que ce valet avoit prévenu ces
gens-la que ſon Maître reviendroit; mais
qu'il
AVRIL 1712. 453
1
זי
12
,
qu'il avoit bû toute la nuit , & qu'ils ne
priffent pas garde à ſes folies. Le Capitaine
qui avoit en effet du vin dans
la tête , aborda le Vaiſſeau en criant
Enfans prenez les Armes , voilà votre
Capitaine qui revient , en ce momentle
Valet leur fit ſigne qu'ils le reçûſſent , &
ſeſauva ſans rien dire, pendant qu'ils faifoient
les honneurs du Vaiſſeau à celui
qu'ils croyoientleur priſonnier , trompez
par l'Habit & la reſſemblance .
Quand cette Cérémonie eut duré un
certain tems , les Hollandois s'en laſſerent
, & ayant pris le large , letraiterent
comme leur prifonnier qu'ils emmenerent
àFleſſingue.
Le Capitaine étant étourdi de vin&de
ſurpriſe , & les Hollandois n'entendant
pas ſa Langue , on juge bien que l'éclairciſſement
fut impoſſible : on l'emmenade
force , & il fut quelques jours à Fleſſingue
ſans pouvoir retourner àBoulogne , oùle
Pere timide ſe mit ſous la protection de ſon
Gendre , fur la valeur duquel il ſeraſſura
contre le retour du Capitaine , trouvant
l'autre un meilleur parti pour la Fille. Le
Mariage futconclu avant que le Capitaine
fût revenu de Fleſſingue ; ils ſe battirent
quelque tems après , le Capitaine futbleffe
, & on les accommoda enfuite de façon
qu'ils font à preſent les meilleurs amis du
monde.
Lettre
454 MERC . GALANT.
LettredeMadameD.T. après sa pe
titeVerole , en lui envoyant , lejour
desa Fête , un Collier de Perles en
lags d'amour.
Mramordinaire
E promenant hier au foir plus tard
Madame , une avanture affez ſurprenante
pour meriter de vous être racontée.
J'admirois en révant , les beautez de la
nuit ,
Quand tout à coup un agréable bruit ,
Eneſt venu troubler le paiſible filence.
On entendoit par tout mille nouveaux
3
concerts ,
Pluſieurs eſſains d'Amours ſe voyoient
dans les airs ,
diligence.
Qui ſembloient vers Paphos , voler en
Je fispour leur parler des efforts ſuperflus,
Tous ces Fripons ne me connoiffent plus.
Jeleurdeınandois des nouvelles
Dudeſſein qui les conduiſoit ;
Mais c'étoit vainement, pas un ne répondoit,
Ils s'en fuyoient à tire d'ailes
Enfin un vieux Amour , qui marchoit
lentement ,
Daigna s'arrêter pour m'entendre
Je
AVRIL 1712. 455
Jele conjuraide m'apprendre
Oùſes Freres alloient avec empreſſement ;
Je veux , dit-il , vous en inſtruire
Vousm'entendrez avec plaiſir ,
Alors pour contenter mon curieux déſir ,
Endeux mots il m'apprit ce que vous allez
lire.
Avant que d'aller plus loin , vousferez
peut être ſurpriſe de l'épithète que j'ai
donnée à l'Amour qui me parla. Sa vicilleffe
ne paroît pas compatible avec la Divinité
qu'on accorde au Fils de Venus :
maisMadame ,
Ces Dieux , tout Dieux qu'ils ſont recon
noiffent le tems ,
Aſes Loix ils s'aſſujettiſſent ;
Tous les Poëtes ont beau nous lesdépeindreenfans
,
Il n'eſt que trop certain que les amours
vieilliffent .
Mais helas ! c'eſt bien pis , ils meurent
lesamours
Plus malheureux que nous ne ſommes ,
Nous ne voyons pas que leurs jours
Durentautant que ceux des hommes .
Revenons à la conversation que j'eus
avec notre amour Barbon. Il commença
parme faire des excuſes de l'impoliteffe de
ceux qui ne m'avoient pas écoutée. Il
faut leur pardonner , me dir-il, car quoi
quc
456 MERC. GALANT .
que je vous connoiſſe depuis long tems ,
&qu'untems plus galantque le leur m'ait
vû naître , je vous avoue que je ne m'arrête
iciqu'avecpeine.
Denotre empreſſement , ne vous étonez
pas ,
Nous ſomines attendus par l'Amour & ſa
Mere,
Pour célébrer le retour des appas
D'unebeautéqui vous eſt chere;
Sans elle en ces climats nous ferions inconnus
;
Qu'elle nous a cauſé d'allarmes !
Si le Sort n'eût rendu ſes attraits à nos larmes
,
N'en déplaiſe au Fils de Venus ,
Il pouvoit renoncer au pouvoirde ſes Armes
;
CeDieuperdoit, malgré ſes charmes ,
Leplus clairde ſes revenus
Apeine eut il fini ces mots , qu'il me
laiſſa remplie d'étonnement & d'un deſir
extréme de metrouver à une Fête que je
comprisbienqui me regardoit. La tendre
amitié ma compagne ordinaire , s'offrit
à m'y conduire , elle me mit ſur ſes
aîles ( car elle en a auſſi -bien que l'Amour
) & me fit arriver heureuſement à
Paphos , où le plus beau ſpectacle du monde
étoit encore embelli par la joye qu'on
voyoit briller dans les yeux de ceux qui le
comAVRIL
1712.
457
1
compofoient. Ma fidelle conductrice s'alla
placer auprès de ſon Frere , & je me
rangeai auprès des Ris qui m'amuſerent
par cent agréables badineries , lorſqu'ils
furentimterrompus pour aller achever la
cérémonie.
Une aimable Troupe de jeux
En partant ſe mit à leur tête:
On voyoit marcher après eux
Les graces en habit de Fête.
Les Amours , couronnez de Fleurs ,
Portoient en triomphe les Coeurs.
Dont par tes yeux ils firent la conquête ,
Avec des airs mélodieux
Ton nom montoit juſques aux Cieux.
Le Dieu charmant qu'on adore à Cythere
Au pied du Tròne de ſa Mere
Chantoit avec un choeur d'Amours ,
Banniſſons les triſtes allarmes ,
Iris a repris tous ſes charmes
Nous régnerons toûjours.
Enſuite au lieu de feu de joye , les
Amours donnerent aux coeurs qu'ils portoient
la liberté de faire briller leurs flammes
, & celá fit pendant quelque tems un
très- agréable effet : après que ces pauvres
coeurs furent confumez , Cupidon affembla
ſes plus tendres Amis , & leur dit
qu'il manqueroit toûjours quelque choſe
à la gloire , tant que vous ne ſeriez pas
fous fon Empire ; que pour vous y fou-
Tome V. X met458
MERC. GALANT.
mettre il avoit ſouvent eu recours à fes
plus puiffantes Armes; mais que puiſqu'il
vous trouvoit toûjours en garde contre ſes
traits, il vouloit ſeſervir d'un autre moyen
pour vous attirer. Il commanda ſur l'heure
que l'on travaillât à un certain nombre
de laqs d'Amour , ſur lesquels il prétendoit
répandre un charme , auquelvous ne
pourriez réſiſter ; mais l'amitié attentive
à vos intérêts & aux fiens , s'en ſaiſit
avant qu'il eût eu le tems d'éxécuter fon
deffein; &me lesdonna tels que je vous
lesenvoye.
:
Iris , reçois ces noeuds ; que rien net'é
pouvante;
Ils furent volez à l'Amour ,
Et c'eſt par mes mains en ce jour
Que l'amitié te les preſente;
Elle prétend te fixer dans ſa Cour ,
Daigne répondre à fon attente .
Pour réüflir dans ſes projets
C'eſt en toi ſeule qu'elle eſpere ,
Elle veut avoir des ſujets
Aufſi vifs que ceux de fon Frere.
Le
AVRIL 1712. 459
P
Le deüil de la France.
ODE
Par Mr. de la Motte.
Rince * quede ſes mains ſacrées
A formé la Religion ,
Loinde toi lesdouleurs outrées,
Fruits amers de la Paffion.
Tes yeux pleuroient encore un Pere ,
Etdes jours d'une Epouſe chere
Tu viens de voir trancher le fil :
Mais de la Foi , fublime Eleve ,
Dans l'inftant qui te les enleve ,
Tu vois la fin de leur exil.
L'un & l'autre a fourni ſa courſe ,
Preſcrite par l'ordre éternel ;
Tous deux rappellez à leur fource ,
Dieu leur ouvre un fein paternel .
Jamais notre mort n'eſt trop prompte ,
Quand les jours que leCielnous compte
Aſes yeux font affez remplis ;
Il meſure nos deſtinées ,
X 2
1
Non ,
* Le commencement de cette Ode a été
fait après lamort de Madame la Dauphine,
adreſſeà Monseigneur le Dauphinavane
que la France l'eût perdu .
460 MERC. GALANT.
1
Non , par le nombre des années ,
Maís par les devoirs accomplis .
Ainſi l'Auteur de ta naiſſance ,
L'Amour de l'Empire François ,
Fut donné par la Providence
Pour modelle aux Enfans des Rois .
Reſpectueux , fidéle , & tendre ,
Tous les jours ont dû leur apprendre
Ce qu'eſt un Pere couronné ;
D'un zèle auſſi rare que juſte ,
Il eſt long- tems l'exemple auguſte ,
Et meurt , quand l'exemple eſtdonné.
'Ainſi cette Epouſe cherie
Que tu pris des mains de la Paix ,
Ade ſa nouvelle Patrie ,
Comblé les plus ardents ſouhaits.
C'étoit ſa tendreffe feconde
Qui devoit enrichir le monde
De Princes nez pour t'imiter.
Quel eſt l'éloge digne d'elle ?
Tes pleurs . Sa vie eſt aſſez belle ,
Puiſqu'elle a ſçû les meriter.
Mais , cher Prince , ſi tu nous aimes ,
Commande à ton coeur , à tes yeux ;
Songes que par nos pertes mêmes
Tu nous deviens plus précieux .
Que pour nous ton Amour redouble
Ala Nature qui ſe trouble ,
Que cet Amour faſſe la Loi ;
Un plus grand objet t'intéreſſe ,
;
Crains
AVRIL 1712. 461
Crains en allarmant ſa tendreſſe ,
D'expoſer ton Pere & ton Roi.
OCiel ! quelles plaintes ſoudaines !
Quels cris ! tous les yeux font en pleurs !
Le ſang s'eſt glacé dans mes veines ;
Je crains d'apprendre nos malheurs .
L'eſperance eſt -elle ravie !
Te perdons-nous ; & pour ta vie
Fais -je ici des voeux fuperflus ?
Aux larmes que je voi répandre ,
Prince, je le dois trop entendre;
Je te confole , & tu n'es plus !
C'en est fait; une mort fatale
A l'Epouſe a réjoint l'Epoux ;
Je voi la couche nuptiale
Se changer en Tombeau pour vous.
Au ſéjour des divines flames
Tandis que s'envolent vos Ames ,
Vos cendres vont ſe réünir.
OCiel ! eſt ce grace ou vengeance ?
Eſt- ce hâter leur récompenfe ,
Ou te háter de nous punir ?
Je le voi trop ; ta main ſevere
Punit notre indocilité ;
Tu nous reprends dans ta colere ,
Les dons que nous fit ta bonté :
Tu punis un Peuple volage ,
Vain des ſuccès de ſon courage ,
Ou par les revers abbatu ;
Un Peuple , l'eſclave du vice ,
X 3 Qui
462 MERC. GALANT.
Qui pour tout reſte de justice ,
Sçait louer encor la vertu.
Nous élevons preſque des Temples
Au Prince que tu nous ravis ,
Contens de louër ſes exemples ,
Mieux loüez s'ils étoient ſuivis .
L'humanité compatiſſante ,
La justice perſeverante ,
Le zèle ardent de tes Autels;
Et cette active vigilance
D'un Prince qui croit la Puiſſance
Comptable aux besoins des mortels.
Digne chef d'oeuvre de la Grace !
Combien de vertus en lui feul !
C'eſt en lui que pour notre race
Devoit revivre fon Ayeul.
Jaloux d'un Héroïſme utile ,
Il eût pleuré le jour ſterile
Que ſes dons n'auroient pû marquer.
Prince; ainſi la France te louë ,
Ainſi l'Univers l'en avoue ;
Je fais plus , j'oſe t'invoquer.
Oùi , fans qu'un miracle m'atteſte
Ta nouvelle felicité ,
Je te croi de la Cour céléſte ,
Sur la foi de ta Pieté.
Que là , notre intérêt t'inſpire ,
Fais que Louis de cet Empire ,
Soit encore long tems l'appui ;
Obtiens qu'au gré de notre envie ,
Dicu
AVRIL 1712. 463
Dieu même commande à la Vie
D'étendre ſes bornes pour lui.
Soutiens nos Prieres des tiennes ;
De la Paix hâte le lien :
Affez long tems les mains Chrêtiennes
Ont répandu le ſang Chrêtien.
Que la Paternelle tendreffe
Pour tes Fils encor t'intéreſſe
C'eſt l'eſpoir d'un Peuple allarmé :
Que tes vertus en eux renaiſſent ,
Et que pour t'imiter , ils croiffent
Sous les yeux qui t'avoient formé .
Pour qui ſe r'ouvre encor la tombe ?
Chaque inſtant aigrit notre fort ;
Avec les Epoux le Fils tombe !
Arrête inſatiable Mort.
Et toi , qui rends les faits célébres ,
Vole , répands ces fons funebres
Dont ma Lire a frappé les airs :
Que juſques aux derniéres races
Cemonument de nos diſgraces
Attendriffe tout l'Univers.
M. Nicolas Catinat Maréchal de France
, connu par ſesgrandes Actions , mourutfans
alliance le 23. Février 1712. , en
ſa Terre de St. Gratian près Paris , en ſa
74. année.
Ilétoit Fils puîné de M. Pierre Catinat,
mort Doyen des Conſeillers du Parlement
, & de Françoiſe Poille , Dame de
: X 4
St.
464 MERC. GALANT.
St. Gratian , & avoit pour Frere aîné René
Catinat , Seignenr de St. Mars Con
feiller d'honneur au Parlement ent , morten
Janvier 1704 qui de Françoiſe Frezon,
alaiffe pour Enfans Louis Catinat , Abbé
deSt. Juliende Tours , & Pierre Catinat
Seigneur de St. Mars , aujourd'hui Conſeiller
au Parlement , qui a épouſé en
Juin 1700. Marie Fraguier , Fille deNicolas
Fraguier , Seigneur de Guyennes ,
Confeiller au Parlement , & de Jeanne
Charpentier.
La Famille de M. Catinat auſſi modeſte
qu'il étoit , n'a jamais voulu donner des
mémoires que je ſuis obligé de chercher
ailleurs , cela m'a fait differer le reſte de
eet article au mois prochain, en reformant
cequi pourroit être défectueux dans ce pctitarticle.
M. N. Barjavel Prêtre , qui avoit été
nommé Abbéde la Vernuce en Août 1711 .
mourut le 24 Février 1712.
M. François. Paul le Févre Chancelier
, Seigneur d'Ormeflon , du Cheret ,
Maître des Requêtes & Intendant de la
Généralité de Soiffons , mourut ſubitement
à Paris , le 21. Février.
M. Claude Châtelain , Chanoine honoraire
de l'Egliſe de Paris , mourut en
ſa Maiſon Clauſtrale le 20. de ce mois ,
âgé de 73. ans. Il y a quelques années
qu'il s'étoit démis de ſon Canonicat, en faveur
de l'Abbé Châtelain de Tilly fon
NeAVRIL
1712. 405
Neveu . C'étoit un homme d'une erudition
profonde , particulièrement en ce qui
concernoit l'Hiſtoire des Saints , qui eſt
lenomqu'onpeut donner au Martirologe
Univerſel , que ſes infirmitez cauſées par
unegrande aplication& ungrand travail ,
l'ont empêché d'achever ; enfin ſon éloge
eſtcontenu dans ce qu'en a dit un célébre
Auteur , Caftellanum fuum non cognovit
Sæculum , que le Siècle n'a pas connu ce
que valoit un de ceux qu'il doit compter au
nombrede ſes grands hommes. En effet
lesplus Sçavans Prélats , les Auteurs les
plus illuftres ne mettoient point la derniére
main à leurs Ouvrages ſans l'avoir conſulté
, & trouvoient chez lui des déciſions
fures& Sçavantes. C'eſt une perte nonſeulementpour
la France , mais pour l'Italie
, pour l'Eſpagne , Hollande , Rome
, Milan , & autres lieux , d'où il étoit
conſulté. Le Sçavant Pere Papebroh
d'Anvers , avoit avec lui un commerce
d'érudition . Enfin la reforme des Bréviaires
de Paris , de Cluny , de Sens , d'Orleans
, d'Evreux , de Lion & une infinité
d'autres , ne doit ſa pureté qu'à
l'exacte capacité qu'il avoit fur ces matićresdans
leſquelles il étoit conſommé.
Dame Helene d'Aligre , Veuve de M.
Claude de Laubeſpine , Marquis de Verderonne
, mourut le 16. Mars 1712.
M. Grabriel du Maitz , Chevalier Seigneur
deGoimpy,St. Leger &c. Intendant
XS de
466 MERC. GALANT.
,
Justice , Police , Finance , &Marine
aux Iſles de Terre-Ferme & de l'Amérique,
mourut le 19. Mars 1712 .
Dame Anne le Clerc de Leſſeville ,
épouſedeM. Armand de St. Martin, Chevalier
Seigneur de Taverny , Montabois
&c. Conſeiller du Roi en ſa Cour de Parment
, mourut le 21. Mars 1712.
Onparlerade cet Article &de quelques
autresde ce mois ci plus amplement dans
l'autre , & l'on tâchera d'orner les Articles
ainſi différez, de quelques éruditions
Hiſtoriques fur ces Familles, ou ſur d'autres
faits quiconviendront au ſujet , afin
dedédommager l'ancienneté de ces nouvelles
dont il eſt difficile d'avoir fitôt des
Mémoires.
NOUVELLE RECENTE
I
L vient d'arriver une nouvelle deFlandre
dont le fond eſt déja confirmé ,
mais comme l'Impreſſion preffe , on ne
vous donne ici que le premier détail qui en
eft venu , & dont quelques circonstances
pouroient être fujeres à reforme : voici ce
qu'onendit aujourd'hui.
Mde Vivans avoit fait un détachement
pour faciliter l'arrivée d'un Convoi pour
Maubeuge , &pour achever d'en remplir
les
AVRIL 1712 . 467
lesMagazins, comme on a fait dans toutes
nos Places : nos gens conduiſoient leConvoi
lorſqu'ils eurent avis que cinq - cent
chevauxdes Ennemis venoientpour l'enlever:
les nôtres jugerent que les Ennemis
les voyant un nombre à peu près égal
n'entreprendroient pas de les attaquer.
Notre Coinmandant mit en Embuſcade
la plus grande partie de ſon eſcorte , &
marcha très lentement avec le reſte , qui
étant en très petit nombre attira lesEnnemis
, &c'eſt ce qu'il ſouhaitoit ; caraprès
unemanoeuvre dont on ne ſçaitpas encore
bien le détail : on fit donner inſenſiblement
les Ennemis dans l'embuſcade , &
tous ſe rejoignirent ſur eux, en ſorte qu'ils
ont ététaillez en Piéces : on dir que tous
nos gens ainſi réünis ne compoſoient encore
qu'environ quatre cent hommes.
X 6 SE468
MERC. GALANT.
SERENISSIMI
GALLIARUM DELPHINI
ET DELPHINÆ
ΕΡΙΤΑPHIUM.
Hicquos aterno deflebit Gallia luctso
Conjugis atque viri palvis &umbrajacent.
His idem tumulus , quibus unum pestas
amore ,
Ereptis morbo pracipitique nece.
Ocrudele nimis fatum ! media cecidere
juventà
Noftraque cum illis , heu! gandia ſpeſque
cadunt.
Hosinimica rapitforsquesmodo regna manebant;
Imperio meritis major uterquefuis.
Hac Delphina fuis virtute &Sanguine
clara ,
HicDelphinusamorgentis , & omne decus .
Abstulit bunc nobisflorentibus Atropos an-
7116 ,
Lilia quem optabant gloriæ noftra ruit .
Haic numquam fuerat neque par pietate
futarus
Hane
AVRIL 1712. 469
HancMusastudiis instituere fuis .
Huncmors invidit Regem , invidiffet&
!
orbis:
Luctibus buic noftris vita perennis erit.
Derniéres Nouvelles.
Du 25. Mars.
:
Tous les Colonels ont eu ordre de partirpour
ſe rendre à leurs Regimens : les
OfficiersGénérauxn'ont eu ordre que de
ſe tenir prêts.
Le Gouvernement de Fort-Loüis a été
donné à M. de Permangle.
On écrit que les Turcs font entrez en
Pologne avec le Roi de Suéde , & que fur
cet avis , on a changé les diſpoſitions du
voyage de l'Archiduc en Hongrie. On a
contremandé pluſieurs Regimens qui
avoient ordre d'aller en Flandres .
Dans le Mercure de Septembre dernier
on aoublié dans l'Article des Mariages celui
d'un homme de cent deux ans , qui
avoit épousé une femme de ſoixante &dixhuit
ans : onen fit les nôces à S. Lo Et ce
Mari nommé Antoine de la Rillere Thibouſt
, eſt mort le quatre de ce mois.
C'eſt un Colonel Eſpagnol , nommé
Scevola qui a défait les cinq cent Chevaux
dont on parle dans un autre endroit du
Mercure.
X7 M.
470 MERC . GALANT .
M. le Princede Dombes eſt hors dedan.
ger.
:
M. de Vandôme eſt guéri de ſagoutte ,
qui avoit retardé ſon voyage ſur la Frontiére
de Valence pour avancer la Campagne.
C'eſt la Reine d'Eſpagne qui aprit la
mort de Monſeigneur le Dauphin au Roi
fon Frere ; on ne sçauroit exprimer la
douleur du Roi & de la Reine ,, ni la part
que les Eſpagnolsy ont pris.
LeRoia fait laCene comme de coûtumele
Jeudi Saint , en lavant les pieds à
douzepauvres , ſervis parMonseigneur le
Duc de Berri , Monfieur le Duc d'Orleans
, & d'autres Princes & Seigneurs .
M. l'Evêque de Tournai a fait l'Abfoute ,
&l'Abbé de Copis de la Fare , le Diſcours
ordinaire.
Le 5. de ce moisMilord Pelham,mourut
ſubitement à ſa Maiſon de Campagne ,
procheLondres .
Le Chevalier de Soiffons , Neveu du
Prince Eugéne , eſt mortdela petite verole.
Le7. de cemois le Duc d'Ormond fut
déclaré Général & Commandant en
Chef des Troupes qui font aux Païs- Bas ,
àlafolde de la Reine; le Comte d'Arran ,
fon Frere , a été fait Grand Maître de
l'Artillerie en Irlande.
Le Duc de Beaufort a été faitGouverneur
du Comté de Gloceſter à la place du
Comte Berklei. Le
AVRIL 1712 . 471
Le Procurateur Ruzzini eſt parti de
Venilepour ſe rendre en Hollande , & afſiſter
aux Conférences d'Utrecht pour la
Paix.
Dona Bernardina Veuve de DomHorazio
Albani , s'eſt retirée dans le Monaſtére
de Torre de Specchi.
ENIGME .
Jeſuis Fils decelui de quijefus le Pere ;
F'ai donné la vie à ma Mere;
Sans deffein , sanssçavoirſijefais bien ou
mal ,
Inaniméjeforme un parfait animal :
Mafraicheur peu durable eft pour legoût
qui l'aime
D'une délicateſſe extrême ,
Puiſque celui qui la reſſent le mieux
Merebutefi tôtquejeluiparoisvieux .
Jesuisbonpourle maigre &peu propre au
Carême ,
Auſſin'est- cepas lui qui rend maface bléme:
Mon corps doux&polin'est pasfort dégagé,
Cependantjefigure affez bienà laTable
Oùsouventun ragoût qu'ontrouve délectable
Sansmoi neferoitpasmange.
Chani
472 MERC . GALANT .
Chanson à dormir .
Venez admirer ma ſcience ;
J'aprens à dormir ſcavamment ,
Comme l'on dort à l'Audience.
Ronflez , ronflez gravement ,
La tête levée ,
Ouvrez les yeux en dormant ,
Et baillez la bouche fermée.
ETRENNES.
Voyage de l' Amour &de l'Amitié,
Ris tout exprès pour vous
Ices Dieux ont fait ce voyage ;
Il vous doit être affez doux
Qu'à s'accorder on engage
Les Maîtres de l'Univers ,
Qu'on voit rarement enſemble .
Faffe le Ciel , que les Vers
De celui qui les raflemble
Pour vous ſeule dans ſon coeur
Iris , ayent l'art de vous plaire ;
Vous qui ſeule pouvez faire
Sa fortune & fon bonheur ;
Puiffe ſa nouvelle année
Pafler coinme une journée ,
Les jours comme des momens,
Que du reſte de nos ans
La
AVRIL 1712. 473
La courſe ſoit fortunée ,
Et que notre destinée
Nous fafle avec ces beaux jours
Si doux , fi dignes d'envie ,
Trouver la fin de la vie
Dans la fin de nos Amours .
L'Amour , partant de Cithére
Pour ſe rendre auprès d'Iris ,
Inquiet de n'ofer faire
Seul ce voyage à Paris ,
Viens , dit- il , à l'Amitié
Viens , chere Soeur , par pitié
Servir de guide à ton Frere;
Car je ne veux en ce jour ,
Quoique le Conteur publie ,
Qu'il ſoit dit que la Folic
Serve de guide à l'Amour .
Chacun de nous a ſes charmes :
Je te prêterai mes Armes ,
Prête-moi , ma chére Soeur ,
Ton air Sage , ta douceur ,
Cette tendreffe durable
De qui la ſolidité
Souvent n'eſt pas moins aimable
Que l'eſt ma vivacité.
Cela dit, pour ce voyage
Ils troquerent d'équipage ;
Ils volent ; fur leur paffage
On vit d'abord s'enflammer
Tout ce qui dans la Nature
Juſques à cette avanture
Avoit refuſe d'aimer .
Plus de Bergere cruelle ,
1
Plus
474 MERC. GALANT.
Plus de malheureux Berger ,
Chacun qui voulut changer
Trouva Maîtreſſe nouvelle;
Qui voulut reſter Amant
Retrouva dans ſa Maîtreſſe
Pour un reſte de tendreſſe
Un nouvel empreſſement.
Les Amis ſe réchaufferent ,
Tous les coeurs ſe renflammerent ,
On s'aima même à la Cour ;
Et la triſte indifférence
Sentit dans fon froid ſéjour
Echauffer fon indolence
Aux approches de l'Amour .
Tandis qu'avec diligence
Ces Dieux traverſent les airs ,
La nuit déployant ſes voiles
D'un crêpe ſemé d'étoiles
Enveloppa l'Univers .
Iris cependant livrée
Aux charmes d'un doux ſommeil ,
De ſes pavots enyvrée
Attendoit que ſon réveil
Sur ſon tein eût fait éclorre
Bien plus de Fleurs que l'Aurore
N'en avoit fait naître encore
Sur le chemin du Soleil ...
Quand tout à coup à ſa porte
Cette belle entend du bruit .
Qui , dit elle , de la forte
Ofe entrer ici la nuit ?
C'eſt un Enfant miferable ,
Répond d'un air pitoyable
Cet
AVRIL 1712 . 475
Cet Enfant , maître des Dieux ,
Qui vient chercher en ces lieux
Un azile à ſa miſere
Auprès de vos agrémens .
Je ſuis chargé par ma Mere
Pour vous de cent complimens .
On me banit, on me chaffe ,
Je trouve dans ma diſgrace
Peu de coeurs affez bien faits
Pour me donner encore place .
On me traite de cruel ,
On me traite de parjure ,
Et fans être criminel
Non , il n'eſt ſorte d'injure
Dont je ne ſois accablé ;
On diroit que j'ai troublé
Tout l'ordre de la Nature ,
Cependant quelle impoſture !
Sans moi , les hommes n'auroient
Qu'une languiſſante vie.
Je fais naîtreleurs defirs ,
Je fais les ardens plaiſirs
Par qui leur Ame eſt ravie
Sans moi qu'ils ignoreroient !
Et je voi leur injustice
Oublier tous mes bienfaits ,
Et fur un leger caprice
Traiter même de fupplice
Les biens que jeleur ai faits .
Votre pitié vous engage
Au ſecours des malheureux ;
Votre coeur eſt généreux ,
Et par un doux aflemblage
1
J'ai
476 MERC. GALANT.
J'ai toûjours vû ſa bonté
Compagne de ſa beauté..
Pour un Enfant maltraité ,
Dit Iris , votre langage
Me paroît bien doucereux ,
Avec cet air langoureux ,
Ce ton doux , cet équipage :
Ne ſeriez- vous point l'Amour ?
Je le ſuis , mais las ! je n'oſe
Vous parler de mon retour ,
Je ſçai que je ſuis la cauſe
D'une infinité de maux
Dont l'affreuſe jalouſie
Et ſa triſte freneſie
Ont troublé votre repos.
Qui fit ſeul votre ſouffrance ,
Doit faire votre bonheur;
Auſſi viens-je en recompenſe
Vous faire preſent d'un coeur
Digne de votre tendreſſe ,
Comme il n'eſt point aujourd'hui
Hormis vous , d'autre Maitreffe
Au monde digne de lui.
Ce coeur eſt fait pour le vôtre
Je les ai faits l'un pour l'autre ;
De mille & mille agrémens
Votre ardeur ſera ſuivie ,
Et vos doux engagemens
Feront de tous les momens
D'une si charmante vie
Autant de jour de Printems.
Le moyen, à ta parole ,
DitIris, d'ajoûter foi
Vo.
AVRIL 1712. 477
L
1
Volage , n'est-ce pas toi ,
Qui ſous cet eſpoir frivole
Trompas ma crédulité ?
J'en conviens , la vérité
N'eſt pas toujours mon partage ,
Répond l'Amour : mais je gage ,
Que fur ma ſincérité
La caution que j'amene
Va raffurer votre coeur ,
Et le convaincra ſans peine.
L'Amitié , ma chere Soeur ,
Ici preſente s'engage
A tenir tous mes Sermens ,
Que dans l'ardeur de vous plaire
Pour les rompre , j'ai fait faire
Exprès aux autres Amans .
Ta prudence eſt non commune ,
Amour, en cette action ;
Qui fut , ſoit dit ſans rancune ,
Si ſujet à caution'
Fait très bien d'en mener une
En pareille occafion.
Sans elle accepter je n'ofe
Le coeur que l'on me propoſe ,
Avec elle je le veux ;
Et fans vous laiſſer morfondre
Plus long-tems ici tous deux ,
Si votre Soeur veut répondre
D'unir la fincérité
A votre vivacité ,
Amour , j'accepte avec joye
Ce coeur que Venus m'envoye ,
Et je figne le Traité.
:
i
:
Picce
478 MERC. GALANT .
Piece Nouvelle .
:
Dialogue entre un Berger & une
Bergere , par M. D. A.
LE BERGER.
؟
PHilis , tous nos Bergers vous repetent
Qu'ils fentent pour vous de l'Amour ,
Je les voi gémir chaque jour
D'un nouveau tourment, qui les preffe ;
Jenepuis comprendre leurs maux ,
Je voi tous les jours leurs troupeaux
Auſſi grasque les miens , bondir dans cetteplaine
;
Lesbiens que le Printems amene
Sont communs à tous lesBergers ,
Etpour tous , les Zephirs legers
Rafraîchiffent nos Champs de leurs douceshaleines
.
Quelles peuvent être les peines ,
Qu'ils vous racontent tous lesjours ?
Belle Philis , daignez m'apprendre
Quepeuvent être ces Amours ,
Quifontcouler les pleurs que je leur voi
répandre.
LA
AVRIL 1712. 479
LA BERGERE .
Vous le ſçaurez à votre tour ,
Attendez ſans impatience ,
Berger , àconnoître l'Amour ,
Gardez votre heureuſe ignorance
Autant que ce Dieule voudra ,
Quand le fatal moment viendra ,
Pour acquerir cette ſcience ,
Malgré toute votre innocence ,
Votre coeur vous avertira .
LE BERGER.
Suis-je le ſeul deces Campagnes ,
Qui ne connoiſſe pas l'Amour ?
LA BERGERE .
Berger , mesaimables Compagnes
Vous le feront connoître unjour.
LE BERGER
Non , belle Philis , ce myſtére
Dont les Bergers ſeplaignent tous ,
J'aime mieux l'apprendre de vous
Cent fois , qued'une autre Bergere
LA BERGERE.
Ehbien , ſçachez donc que l'Amour
A
)
T
Sc
480 MERC. GALANT.
Se prend dans les yeux d'une Belle ,
Le ſenſible Berger , qui la voit chaque
jour,
Lui trouve chaque jour une grace nouvelle:
Ce feu s'augmente inceſſamment
Auprès de l'aimable Bergere ,
Il devient enfin un tourment
Si le Berger la trouve fiére .
LE BERGER.
t
Si vous nommez Amour , ce feu quibrûle
en nous ,
Etdont on ne peut ſe défendre ,
Ai-jebeſoin de vous apprendre
Que je brûle d'Amour pour vous ?
LA BEGERE.
Berger , il n'eſt pas tems , je dois encor
vousdire ,
Qu'il eſt unAmour impoſteur ,
Quinecherchequ'à ſe produire ,
Au lieuque la fincere ardeur
Qu'un veritable Amour inſpire ,
Eſt un ſecret de notre coeur , :
Dont les yeux ſeuls doivent inſtruire.
LE BERGER.
N'oubliez pas , Philis , ſi vous faites un
choix ,
Que
AVRIL 1712. 481
Que ſans ſçavoir le nom du Dieu qui fait
qu'on aime
J'en ai rempli toutes loix ,
Jugezdemon Amour extrême ,
Sans ceſſe je vous regardois ,
Si c'eſt ainſi qu'un coeur foupire ,
Ah ! quand j'aurois connu tout ce queje
ſentois
Aurois -je pû mieux vous le dire ?
LA BERGERE .
Oui, mais vous en dites autant
A la Bergere Floriſelle ,
Lors que d'un air vif & content
On vous voit danſer avec elle.
Je ſçai qu'à louër ſes appas
La Fête d'hier s'eſt pafiée ,
Vous ſuivîtes long-tems ſes pas ,
Et même ſa rigueur enparut offenſée :
Sans ſes refus enfin , vous ne m'aimeriez
pas.
LE BERGER .
Je trouvois duplaiſir à voir cette Bergere,
Je ne puis le déſavouër ,
J'aimois à l'entendre louër :
Mais expliquez-moi ce myſtére ;
Ses appas me paroiſſoient doux ,
Floriſelle ſçavoit me plaire ,
Et parmi ces plaiſirs je ne penſois qu'à
vous;
Tomo V. Y Phi482
MERC. GALANT.,
Philis, ne ſe peut- il point faire ,
Qu'elle ait quelques-uns de vos traits ?
Les Bergers n'aiment ils jamais
Ce qui reffemble à leur Bergere ?
LA BERGERE .
Laiffons ces diſcours dangereux ,
Réjoignons nos Troupeaux , retournons
à la plaine ,
Reſervons tous nos foins pour eux ,
Le reſte donne trop de peine.
LE BERGER.
Helas déja nous nous quittons ?
Craignez-vous que dans ces Prairies
Un Loup enlevenos Moutons ?
Voici les miens errans ſur ces herbes
fleuries,
Ils me furentbien chers : mais je lesdonne
tous ,
Philis , pour être encore un moment avec
vous.
LA BERGERE .
Je vous ferois, Berger , le même ſacrifice
,
Mes Troupeaux ne ſont pas ce que j'aime
lemieux ;
Jeconſens même qu'à mes yeux
Un Loup cruel me les raviffe ,
Si
AVRIL 1712. 483
Si contre un plus doux artifice
Je puis garder helas , un bien plus pré,
cieux.
LEBERGER
:
Helas ! fi pour me fuir vous allez dans
ces plaines,
Quevais jedevenir tout le reſtedu jour ?
Je voulois connoître l'Amoural
Je ne connoîtrai que fos peines zi
1
1000 200
LABERGERE.Jしい
:
D'aujourd'hui tuvis fous fa loi
Et tu te plains de fon empire :
Sur lui j'aurai tantôtcent choſesà te dire,
Tu ne le connois pas encor fibiénque moi.
LE BERGER .
Belle Philis , mon coeur soupire ,
De ne pas le connoître mieux ,
Demeurez encore en ces lieux
Pour achever de m'en inſtruire .
Mais vous fuyez , Philis , nonne l'eſperezpas,
Sans vous je ne ſçaurois plus vivre.
Tircis à force de la ſuivre
La fit revenir ſur ſes pas,
Auprès d'elle couché ſur la fraîche verdure
,
Tircis lui dit en ſoupirant
Y 2 Tout
484 MERC. GALANT.
Tout ce que la ſimple Nature
Sçait dicter au plus ignorant .
Philis dont le coeur étoit tendre
Ne put ſe laſſer de l'entendre ,
Et connut trop tard le danger.
Pour une Bergere amoureuſe
L'ignorance d'un beau Berger
Eſtmille fois plus dangéreuſe ,
Que l'expérience trompeuſe
D'un Berger ſujet à changer.
La nuit commença ſa carriére
Trop tôt pour de telles amours ;
Il falut ſe quiter , & la jeune Bergere
Finit par ce tendre diſcours :
Tu viens d'apprendre en ce Bocage ,
Ceque c'eſt que l'Amour au combledes
ſouhaits ,
Puiffe-tu n'apprendre jamais
Ce que c'eſt que l'Amour volage.
LETTRE
DeQuebec , le 10. Novembre 1711.
MONSIEUR ,
こ
Vous vous attendez ſans doute à un dé
tail exact de ce qui s'eſt paſſe dans lesRé .
gions
AVRIL 1712. 485
gions froides de l'Amériqueque nous habitons
; & fur tout d'être inforiné à fond
de l'entrepriſedes Anglois ſur la Colonie;
eneffet, rien de mieux concerté , rien de
plus meſuré que ce qu'avoient projetté
nos Ennemis , principalement cette année
, pour ſe rendre maîtres de toute la
nouvelle France , ſi le ſuccès avoit répon.
duà leur attente .
Il faut remarquer , Monfieur , qu'il y
avoit dix ans ou environ , que les Anglois
nos voiſins , aidez de ce qu'ils appellent
ici la vieilleAngleterre , formoient le defſein
de joindre à leurs Colonies celle du
Canada , quiſeroit fort à leur bienfeance.
Ce que les François poffedent dans la
grande & vaſte Ifle de Terre-Neuve , &
dans ce que nous appellons le Canada ,
qui eſt plus important au Roi que l'on ne
penſe. Le Perou eft au Roi d'Eſpagne
une Mine bien avantageuſe : mais lapêche
de la Morue ſur le grand Banc l'eſt
peut - être autant , fi l'on confidére que
c'eſt non ſeulement un fonds , auſſi bien
que les Mines de l'Amérique Méridionale,
dans lequel on ne met rien , & dont on
tire beaucoup , par cette poudre ſipaffionnément
aimée des hommes , au moinsdes
Européens. Le Roi au milieude la Paix ,
par le moyen de la pêche des Moruës de
Terre Neuve , entretient un nombre
conſidérable de gens de Mer & de Matelots
, qui dans les changemens des affai-
८ Y 3
A
res ,
486 MERC. GALANT .
res , font tous prêts à le ſervir dans les
armemens deMer; ce qui eſt ſouvent très
avantageux .
Cela fuppofé , pour revenir aux grands
defleins des Anglois fur Quebec , & fur
l'Ifle de Mont-Real , c'eſt à -dire , felon
l'uſage de parler de ce Païs- ci , fur le Ca
nada d'en bas & ſur celui d'en haut , il ne
ſera point inutile , Monfieur , de vous remettre
ſous les yeux la conduite habile &
très prudente , que M. le Marquis de
Vaudreüil , Gouverneur Général de la
nouvelle France , a gardée juſqu'à prefent
, pour empêcher les Ennemis d'exécuter
un deſſein qu'ils commençoient à
ébaucher.
Ce fut pour cela qu'en 1703. (je me
contenterai de cette époque ) M. de Beau-
Baffin , ſous les ordres de M. le Général ,
à la tête d'un parti , composé de Ca
nadiens , & de Sauvages Iroquois , Ab.
naxis , & autres , ſe mit en marche vers
la fin de Juilletde cette année ; & qu'au
bout d'un mois la petite Armée ſe trouva
au milieude la nouvelle Angleterre , où
elle s'empara de pluſieurs poſtes .
La même année 1703. à la findu mois
de Décembre , M. de Rouville , autre
Officier Canadien , emporta d'Affaut la
Ville de Dier fields , dans la nouvelleAn
gleterre.
En 1704. lesAnglois voulurent tenter
le Siège de Port-Royal , Capitale de l'Acadie,
AVRIL 1712. 487
cadie , qui fait partie de la nouvelle Fran.
ce. LeColonel Chevoi , qui commandoit
à la FloteAngloiſe , qui avoit moüil.
lédans laBaye Françoiſe , dansle deſlein
de faire unedeſcente , fut repouffé à deux
attaques qu'il fit avec vigueur , ſes Vailſeauxbriſez
& fracaffez , & contraint de
s'en retourner à Baſton .
Dans letems que les Anglois mettoient
tout en oeuvre pour s'emparer de la Capitale
d'Acadie , Peter Schuler , Commandant
d'Orange , dans la nouvelle York ,
vint préſenter fix Colliers aux Sauvages
nos Alliez, dans l'intention de les mettre
de fon parti : mais ils tinrent ferme pour
nous , &demeurerent ſur leurs nattes.
: Le Canada ſe trouva en 1705. plein
d'Anglois quenous avions pris en Acadie,
dans la nouvelle Angleterre , & dans
New-York , en differens partis que nous
avions formez. Parmi ces prifonniers
étoit le Miniſtre de Dierfields , place de
lanouvelle Angleterre. Joſeph Dudlei ,
Gouverneur de Baſton , Capitale de la
nouvelle Angleterre , envoya à Quebec
Jean Livingſton Major , pour négocier
L'échange avec notre Général le Marquis
de Vaudreüil.
Cefutcette même année 1705. que les
Canadiens, ſous la conduite deM. Beaucour
, Capitaine d'un merite reconnu ,
égalementhabile dans l'Artde fortifier les
Places , & dans lesentrepriſes de Guerre,
Y 4
fe
488 MERC. GALANT.
ſe rendirent maîtres des environs du Fort
S.Jean , Poſte des plus importans que les
Anglois poſſedent dans l'Ifle de Terre-
Neuve , vers l'embouchure du Fleuve S.
Laurent.
4
L'échange des Anglois prifonniers ne
put ſe conclure qu'en 1706 .
Toute la nouvelle Angleterre fut en
1707. bloquée , s'il m'eſt permis de parler
ainſi , par nos Sauvages Alliez , les Habitansn'en
oſoient fortir pour faire leur
moiffon .
L'entrepriſe de l'Academie ayant étéremiſe
en delibération au Conſeil de Baſton ,
on reſolut le Siége de Port Royal. Le
commandement en fut donné au Colonel
Marsh. Cette Flote parut dans le Baye
Françoiſe au commencement de Juin.
Une expédition mémorable ce fut celle
de Haveril , ſous le commandement de
M. de Rouville & de Schaillons , aidez des
Sieursde Contrecour , & de la Gauchetićre;
ellejetta la terreur dans Baſton , Haveril
, & dans ſon Voiſinage: nous enlevâmes
ce Poſte aux Anglois , malgré leur
valeur & leur habileté.
On changeade Batterie en 1709. & au
milieu des neiges & d'un froid, tel qu'il ſe
fait ſentirdans l'Amérique Septentrionale
, les Canadiens allerent prendre le Fort
Saint Jean , &fix Poſtes importans parla
pêchedes Moruës & d'autres Poiffons que
l'on fait aux attérages de ce Fort & aux
Bancs
AVRIL 1712. 489
Bancs voiſins : auſſi-tôt après leGénéral.
Nicolſon , Weteche mit en Mer une Flotte
nombreuſe , & leva une Armée ſuffifante
pour attaquer Mont-Real : mais la
Flote fut contremandée par les Anglois
qui étoient en Portugal , Nicholfon
marcha à la tête des ſiens, prit le chemin
deLacChamplain.
Me voici à l'année 1710. quieſt le terme
de la derniére Lettre que j'ai eu l'honneur
de vous adreſſer : je vous y ai fait voir
comment M. le Marquis de Vaudreüil notre
Général , avoit mis les Anglois de la
nouvelle Angleterre , ceux de la nouvelle
York , & les Sauvages leurs Alliez , en
état de ne rien entreprendre ſur nos Habitations.
C'eſt à la fin de 1710. que M. le
Chevalier de Beaucour , Capitaine Ingenieur,
fort eſtimé dans la nouvelle France,
&fort habile dans l'ArchitectureMilitaire,
a élévé le Fort de Pontchartrain , vulgairement
appellédeChambli. On y a mis
cette année , vers la fin de Septembre , la
derniére main . C'eſt un puiſſant Rempart
contre les entrepriſes du côtédu haut Canada
.
Les choſes étant en cet état , lorſque
lesAnglois nos voiſins , ſecourus de ceux
dela vieille Angleterre , ont fait les derniers
efforts pour ſe rendre maîtres dela
nouvelle France , en l'attaquant par enbas
, c'eſt à dire en Affiégeant Quebec ,
qui eneſt la Capitale.
YS Le
490 MERC. GALANT .
Le Major Liumgton , Anglois , ac
compagné du Baron de Caſtin , François ,
partirentdece ce Pais- là , vers la fin d'Oc .
tobrede l'année 1710. , pour travailler à
unéchange de prifonniers , que gardoient
en Acadie les Sauvages nos Alliez : ils ſe
fervirent de la voye du Canot pour aller
par Eau ; leur petit Bâtiment ayant tourné
, & un de leurs Domeſtiques noyé ,
ils furent obligez de continuer leur voyage
parTerre, dans les Neiges & les Marais ,
à travers les Bois; ils furent cinq jours
fans trouver d'autre nourriture que ce
qu'ils trouvoient ſous les Neiges engratant
laTerre. Deux de leurs gens s'égarerent
en cherchant à vivre , & j'ai lçû
depuis de l'un d'eux une remarque affez
curieuſe.
Animaux quifont du feu, dans des
espécesdecavernesfous des roches.
DReffez par la faim,&cherchant auxdépens
de leur vie de quoi manger, c'eftà-
dire ſuivant des traces d'Animaux Sauvages,
pouren trouver quelqu'un qu'ils
puffenttuërpour le manger , ils trouverent
en plufieurs endroits de cesCavernesde
tits monceaux , ou Magaſins d'Animaux
differens , qui leur parurent commedéſechez
& brûlez aufeu ; cela leur fit croire
que quelques Sauvages habitoient ces Capevernes.
1
AVRIL 1712 491
1
vernes. L'extrême faim leur fit manger
quelques morceaux de ces Animaux defechez,&
fi durs , qu'à peine pouvoient-ils
en déchirer avec les dents. Ils remarquerent
dans tous ces endroits où étoientces
Monceaux , de grandes places noires , &
des reſtesdebranches brulées , ce qui leur
avoit fait conclure , comme j'ai dit , que
deshommes ſeuls pouvoient avoir roti ces
Animaux: mais ils remarquoient en même
tems qu'ils étoient deſechez avec le
cuir , lepoil , les entrailles , en unmoc
fans aucun aprêt; enſuite ils trouverent
anbout de ces Cavernes quelqu'un deces
Animaux qui fuioient &qui étoientcom
me des eſpéces d'Ours , mais plus alongez,
&fi timides , que du plus loin qu'ils les
avoient entendus ils avoient toûjours fui.
Ils n'oferent pourtant avancer plus loin :
mais en reprenant leur route ils aperçurent
dans un autre enfoncement une lueur de
feu . La curiofité les fit avancer ſidoucement
qu'ils virent deux de ces Animaux auprès
de ce feu mourant , & qui fuyant d'une
grande vîteſſedonnerent à nosgens lahardieſſe
d'avancer juſqu'à un brafier , où ils
virent plufieurs de ces Animaux brulez &
de ſechez , encor tout brulants , & d'autres
tous cruds. Enforte qu'après pluſieurs
autres remarques qu'ils firent , ilsnedou
tentpoint que ces Animaux fuyars n'ayent
l'Art d'alumer du feu , & la prévoyance
dedéfecher &bruler les Animauxdont ils
Y6
le
492 MERC. GALANT.
ſe nouriffent , parce qu'aparemment ils ne
les peuvent atraper qu'en de certaines faifons.
Au commencement du printems de cette
année 1711. Weteh Officier Anglois
prit le parti de s'engager dans la Floteque
l'on équipoit àBaſton pour affiéger Que.
bec , ayant quelque connoiſſance de la
Riviére S. Laurent : il quitta pour cet
effer l'Acadie& le Port Royal , que François
Nicholſon avoit pris au commencementd'Octobre
de l'année 1710. & que
l'on auroit repris , file Gouverneur François,
qui commandoit dans ce Païs&dans
cette derniére Place ne l'eût renduë un peu
trop vîte , lui qui l'avoit fi bien défenduë
en 1707. Les Anglois ſe ſont vûs depuis
la priſe même de Port-Royal réduits plus
d'une fois à nous y laiſſer rentrer , fi M. le
Marquisde Vaudreüil , qui avoit déja envoyédesOfficiersde
distinction &du premier
rang , avec un Corps de Canadiens
alertes&braves pour aider les Acadiens
reſtez fidéles au Roi , pour rependre le
Port-Royal , n'eût été obligé de ſurvenir
en les rappellant , à ce qui étoit de plus
preffé , je veuxdire à la ſureté deQuebec,
&de l'Iffe de Mont-Real .
Vers la fin de Juin de la même année
lesAnglois firent unDétachement ſous la
conduitedeRith... , qui fut menacer quelques
Habitans de l'Acadie , de les paffer
tous au Filde l'épée. Sur
AVRIL 493 ןרוב
Surcette menace un Chefdes Sauvages
appellé l'Aimable , aſſembla auſſi -tôttrente
de ceux de ſon Village des plus braves ,
&les exhorta ( les Chefs parmi les Sauvages
de l'Amerique Septentionale , exhortent
& prient ceux qui les ont choiſis pour
leur Chef plûtôt qu'ils ne leur commandent)
de ſe ranger tous & chacun derrié.
redes Arbresle long d'une Riviére voiſine
du chemin , qu'il jugeoit que le Capitaine
R. devoit tenir. En effet les Anglois ayant
peude tems après paru dans leurs Canots ,
le Chefdes Abnakis les ſomma hardiment
de ſe rendre & de mettre bas les Armes ,
lesAnglois au contraire ſe mirent en devoirde
faire une décharge ſur les Sauvages .
Ceux- ci bien inſtruits par leur Chef avant
le premier coup de fufil ſe trouverent tous
ventre contreterre ; la décharge des Anglois
faite , les Abnakis la firent à leur
tour : mais en choiſiſſant chacun leur homme
qu'ils ne manquerent point ; puis
ayant pris leurs haches en main , tomberent
ſur le reſte , qu'ils couperent en mor-
Apeine quelques-uns de ces Anglois
ſe ſauverent juſqu'au Fort; ce qui
eſt de remarquable , c'eſt qu'aucun des
Sauvages ne futbleſſe. Rit.h..futpris avec
deux autres Officiers de la Garniſon de
Port-Royal , & cinq ou fix Soldats. Ruh...
ayant ſupplié le Chef des Anakis de lui
laiffer la libertéd'aller prendre au Fortde
quoi fubvenir à les beſoins àQuebec , ой
ceaux.
Y7 il
494 MERC. GALANT.
il voyoit bien qu'on alloit le mener , le
Sauvage ne lui accorda que vingt quatre
heures pour cela , lequel tems expiré s'il
ne ſe rendoit auprès de lui ponctuellement,,
il le menaça de caffer la tête aux
Officiers&& auxSSoollddaattss compagnonsdeſa
captivité , & quiplus eft de ne faire jamais
quartier à qui que ce ſoit de la Nation Angloiſes'il
manquoit à ſa parole .
LeCapitaine Ruh .. revint exactement,
l'Aimable , Chefdes Sauvages Anakis de
l'Acadie , étant arrivé àQuebec avec ſept
priſonniers , après une marche telle que
lafont lesgens de ſa forte , c'est- à-dire à
travers d'épaiffos Forêts , des Rivières ou
des Lacs , d'affreux deſerts , alloit fouvent
viſiter, le Capitaine R. ſon principal
prifonnier dans une bonne Auberge àQuebec
, car on lui avoit donné cette Ville
pour prifon, L'Aimable qui trouvoit les
ragoûts de ſon auberge meilleurs quefes
Chaudieres ſauvages , buvoit & mangeoit
ſi fréquemment avec lui , que cet Officier
ayant voulu s'en plaindre le Sauvage
luidit : oh oh tu devrois plutôt me remercierdecequejet'en
laiſſe manger ta part,
la mangerois- tufije net'avois pas laiſſe la
vie , &me dirois tu cela que tu me disfi
je t'avois arraché la langue qui t'aide à
manger ces vivres ?
La Garniſon du Port- Royal d'Acadie ,
ayantfaitun nouveau Détachement , qui
menaçoit lesAnakis , l'Aimable qui s'étoit
AVRIL 1712. 495
toit rendu chez lui , tomba deſſus brufquement,
ledéfit , &le tailla en pièces ,
excepte quatre ou cinq qu'il fit prifon.
niers , dont même deux ou trois ſe trouverent
bleſſez. Ce Chef des Sauvages
s'étant ſaiſi des proviſions &&des vivres de
ſes Ennemis , il y découvrit de l'eau de
vie, qu'il diſtribua avec beaucoup de fageffe
à ceux de ſa Nation qui l'avoient
aide dans le Combat ; car après leur en
avoir donné ſeulement un coup àboire il
jetta le reſte dans la Riviére , de peur
qu'ils n'en abuſaffent &ne fuffentparlà
expoſez à la ſurpriſe des Ennemis. L'Aimable
voyant les bleffez en danger , envoya
dire au Fort de Port-Royal , que l'on
pouvoit envoyerun Chirurgien pour panfer
les bleffcz , & que cela lui donneroit
la gloire de les tuër encore une autrefois .
Au milieu du Printems le nommé Frenay
, étant arrivé de Plaiſance enTerre-
Neuve à Quebec , aporta des Lettres de
M. de Coftebelle , Gouverneur de cette
Place , à M. de Vaudreüil. M. le Comte
de Pontchartrain luimarquant , que les
Anglois préparant un gros armementpour
s'emparer de Plaiſance en l'Iſle deTerre-
Neuve , ou même de Quebec , il falloit
ſe tenir ſur ſesgardes .
Nos Ambaſladeurs ou Envoyez chez
les differentes Nations Sauvages d'enhaut,
je veux dire du côté des grands
Lacs , n'ont point mal réüſſi dans leurs
Ne
496 MERC. GALANT .
Négociations , puiſqu'ils en ont amené
environ quatre cent. On y voyoit des
Hurons , des Miſſiſagues , & des Sauteurs
Sauvages , de la Nation des Outaouaes ,
ou des nez percez ; des Sakis , des Nipiſſings
, des Miamis , des Kikapoux ,
des Ouragamis ou Renards , des Pontcouatamis
, des Maskoutens , ou de la
Nation du feu , des Malommis. Meffieurs
de Longueil , Joncaire , & de la
Chauvinerie , amenerent des Anciens ,
ou Chefs d'entre les Iroquois des Villages
de Sononthouan , d'Onnonthagué ,
d'Onciout , &de Goiogouen. Je crois
que vous ne ferez point fâché de ſçavoir
comment on les reçût à Mont-Real , le
rendez- vous ordinaire des Sauvages d'enhaut.
Les mots Sauvages de Nequarré ,
la Chaudiere eft cuite , &deGaznenoyoury,
le Chien eft cuit, furent répetez bien des
fois durant le Feſtin qu'on leur fit .
Le jour du Feftin de ces Sauvages affemblez
fut le 7. jour d'Août. Comme
les Sauvages Chrêtiens que nous avons
ici dans nos Miſſions , tant de Mrs. de S.
Sulpice que desRévérends PeresJeſuites &
des Recolets , y furent appellez , & que
les Femmes & leurs Enfans fe trouverent
de la partie , quoi que feulement pour
voirdanſer les hommes , n'y ayant chez
Jes Sauvages que les Guerriers , qui puifſent
dedroit danſer aux Feſtins de Guerre,
lenombre des conviez montoit à environ
quinze
AVRIL 1712. 497
quinze cent. La Scene fut devant la maifon
de M. le Marquis de Vaudreüil notre
Général , & proche les bords du grand
Fleuve S. Laurent.
On comptoit au Feſtin Sauvage douze
grandes Chaudieres , qui auroient pûce
me ſemble faire quelque comparaiſon
avec quelques- unes de celles des Gobelins
àParis; elles étoient pleines de fort longs
quartiers de Boeufs , de Moutons , de
Cochons, & de l'élite des plus gros
Chiens , dont on voyoit les têtesſe promener
dans ces vaſtes receptacles de viandes
, que l'on faifoit boüillir à grand feu ,
en attiſant des moitiez d'Arbres bout à
bout , l'affaiſonnement de ces differens
mets étoit depois fort gros & de differentes
eſpeces , que l'on jettoit avec des pélesà
longs manches dans les Chaudieres.
Maisfiniſſons ce détail. Onm'a promis
pour le moss prochain des fingularitezfur
le repas des Sauvages , que je joindrai au
reste de cette Relation , qui est trop longue
pour être mife dans unfeul Mercure.
Lettre d'Arras du 3. de Mars 1712 .
Anuit du premier au 2. de Mars, à
Laver
la
de l'obscurité les Ennemis s'approcherent
d' Arras .
Lesecondfur les ſept beures du matin ,
ayant ouvert les portes de laVilleà l'ordi
nai.
498 MERC. GALANT.
naire, les Paiſans avertirent que les En.
nemis travailloient autour de la Place ,
M. le Maréchal de Montesquiou fit auffi .
tôt mettre toute laGarniſonſous lesarmes,
fitfortirla Cavalerie , les Grenadiers ,
cing Bataillons par la porte Rouville ,
nous apperçumes les Ennemis qui travailloient
à quatre cent foixante toiſes de la
Place, même étoient déja àmoitié couverts
dans leur tranchées . M. leMaréchal
ayant envoyéreconnoître , aprit qu'ils n'a
voient inveſti la Ville que depuis la Rivière
deScarpejusqu'au Crinchon , il reſolut de
faire attaquer les Ennemis , qui s'étoient
rendusmaitresdu Fauxbourgde Bapaume.
On leur tua beaucoup de monde; mais le
Combat étant trop opiniâtre , nousjuged.
mesapropos demettre le feu au Fauxbourg
ennousretirans. Nousyavons perdu trois
braves Officiers; &le Colonel du Régiment
de Belfan , qui commandoit cette attaque,
fut fait prisonnier. Sur les onze
beures les Deferteurs afſfurèrentM. leMa
réchal, que cen'étoitpoint pour affiéger la
Place ; maisseulement pour brûler lesMagafins
que les Ennemis étoient venus. Aussia
tôton occupalamoitiéde laGarnison àdéfaire
les Mulesdefoin pour les transporter
plus loin , les mettrele long de laRiviére
, mais malgré les Canons dela Ville
de la Citadelle , fur les quatreheures
après midi ils commencerent à jetter des
bombes&des Potsà feusur les Magasins
&
AVRIL 1712. 49.9
nos
fur la Citadelle : ensuite sur les dix
heures ils tirerent à Boulets rougessur nos
Magafios. Voyant que l'on éreignoit toujours
lefeudeleurs bombes& de leurs pots
àfeu , à une heure après minuit il ne fut
plus possibled'éteindre lefeu qu'ilsfaisoient
avec leurs bouletsRouges , qusperçoient entièrement
nosMagaſins ; d'ailleurs fur les
dixheures duſoir sus commencerent àBembarder
la Ville , ce qui obligea derelâcher
tous les Bourgeois que l'on retenoit depuis
midi aux Magasins. Sur les quatre heures
de cematin voyansquelques uns de
Magasins en feu , &quantité de paille
qu'on avoit allumée exprès d'un autre côté,
ils crurent tout brûlé , & craignant quelquefortie
fur des Troupes qui s'étoient débandées,
lesraſſemblerent , ils ſe ſont retirezcettenuit
à quatre heures . Ilyaenviron
cinquante mille rations de Fourages
brûlées ou gâtées. Il est tombé tantdans
la Ville que dans la Citadelle , environ
deuxcens cinquante bombes¢ potsà
feu ilsont été contraints de laiſſfer dans
leurs Retranchemens environ trois censbombes.
Onarafeles Travaux qu'ils ontfaits,
ils ontperdu environ trois cens hommes ,
nous cent.
Nou500
MERC. GALANT.
Nouvelles d'Allemagne.
On a reçû des Nouvelles de Hollande
dont la Cour ne paroît pas être fatisfaite ,
&on en attend d'Angleterre touchant les
Commiſſions dont le Prince Eugene eit
chargé: le Comte de Gallas quien eſt re.
venu affure qu'il lui fera très -difficile d'engager
les Anglois à continuer la guerre.
Les Lettres de Pologne , de Tranfilvanie
, & des Frontières de Turquie , con .
firment que la guerre a été déclarée à
Conſtantinople contre les Moscovites.
On travaille à la levée des Recruës & à
une augmentation de dix hommes par
Compagnie , & d'une Compagnie deGrenadiers
par Régiment.
Les Lettres de Conſtantinople portent,
que leGrand Seigneur avoit deſſein d'aller
en Campagne avec une Armée beaucoup
plus nombreuſe que celle de l'année der.
niére. Il a fait dire à Sa Majesté Suedoiſe,
qu'il pourroit refter à Bender autant qu'il
lui plairoit , & que quand il en voudroit
partir elle n'auroit qu'à lui faire ſçavoir ,
qu'il lui envoyeroit un grand Corps de
Troupes pour l'accompagner par la Polognejuſques
dans ſes Etats.
Les avis de Belgrade confirment la réfolution
priſe par le Grand Seigneur de
faire de nouveau la guerre auxMoſcovites.
Le
AVRIL 1712. 50
Le Bacha de Belgrade a ordre de ſe préparer
pour aller avec ſes Troupes joindre
l'Armée du GrandSeigneur.
Le Hoſpodar de Valaquie a ordre de
fournir au Roi de Suede trois mille hom .
mes & cent cinquante mille écus. Le
deſſeineſt de faire laguerrede trois côtez
àlafois.
Les Tartares doivent faire une irruption
en Moſcovie , tandis que l'Armée
Ottomane entrera en Ukraine , & le Roi
de Suede en Pologne.
Nouvelles d'Espagne.
LeMarquis de Bayeſt parti pour retourner
en Eſtramadure avec pluſieurs Officiers
de cette Ville. Les Lettres de Badajozportent,
que les Troupes de la Frontiére
étoient entrées en Portugal , où
elles avoient pénétré prèsde vingt lieuës
fans aucune oppofition , & qu'elles
avoient amené des Otages pour les con.
tributions , &un grand nombre de Bêtes
àCornes.
:
Onmande de Catalogne , que le Marquis
deValdecanas ayant été informé que
les Ennemis affembloient à Igualada un
- Corps de Miquelets avec des Troupes réglées
, ramaſſa les Troupesde la Frontiére
qu'il commande ; ildétacha pour aller reconnoître
les Ennemis unCorps deCavale502
MERC. GALANT .
lerie , commandé par Don Joſeph Vallejo,
qui leschargea&mit en fuite
LeDucd'Argile eft parti avec plufieurs
Officiers pour Londres , laitfant lesTrou .
pesAngloiſes àTarragone.
Le Comte de Starremberg avoit laiffé
desTroupes dans Calaf, qui paroifforent
reſoluës de s'y maintenir ; mais ſur l'avis
qu'on ſe preparoit à les aller attaquer , ellesl'abandonnerent:
UnPartidelaGar
nifon deBalaguer adeffaitun Parti de qua
rante Allemans.
Un Parti de la Garniſon de Tortoſe
ayant fait une courſe du côté de Tarragone
, a furpris un Quartier des Ennemis ,
dont plus de trente ont été tuez & un
grandnombre faitprifonniers.
Nouvelles d'Angleterre.
Onadeliberé engrandCommitéfur les
Traitez entre l'Angleterre &la Hollande,
&fur les contingents d'hommes&d'ar
gent que les autres Alliez devoient fournir;
on a pris les reſolutions ſuivantes;
que les Etats-Généraux ont fourni deux
tiers moins que leur contingent pour le
Service de Mer , & en Général la moitié
moinsde toutes la dépenses ; que le feu
Empereur & l'Archiduc n'ont jamais eu
enEſpagne aucunes forces entretenuës à
leurs dépens , à l'exception d'un Régi
ment
AVRIL 1712.
503
ment de deux mille Fantaſſfins qui a ſervi
l'année derniére , que la Reine y a fourni
&payé depuis 1705. juſqu'en 1711. cinquante
- cinq mille neuf cens ſoixante &
treize hommes , outre treize Bataillons
&dix huit Eſcadrons pour lesquels cile
payé des ſubſides à l'Empereur *.
Nouvelles diverſes.
On a diſſipé quinze mille hommesdes
Ennemis qui s'étoient afſſemblez auxlenvi
rons d'Arras , où il ne s'eſt trouvéau juſte
que cent mil Rations de Foin pour toute.
perte. Al'égarddu dommage qu'ils ont
fait ſur la Sambre , un Ingenieusa évaluć
la réparationdes Travaux ruïnez , à qua
tre journées de travail & à mille livres de
dépenfe.
Ungrand nombre de Troupes marche
detouscôtez ; mais ſur tout du côté de la
Scarpe en Flandre. Les Officiers Généraux
ontordre de s'y rendre inceſſamment
pour prévenir les Ennemis , & fe mettre
en étatd'empécher qu'ils ne troublent les
Négociations de la Paix. On dit qu'au
cinq du mois prochain on fera réponſe
auxpropofitionsdes Miniftres de l'Archi
duc&dequelques Alliez .
Lettre
*On trouvera toutes ces affaires plus amples
ment éclairciesdans lesAdditions ci jointes.
504 MERC. GALANT.
1
Lettre d'Utrecht .
MONSIEUR,
MonAmi &moi nous achetonsbiencher
leplaisir desçavoirles premières nouvelles
desNegociationsqui sefont ici ; car borsla
bonne chere les plaiſirs d'Utrecht ſontfort
Secs fort tumultueux . Les Aſſemblées
font ordinairement de trente ou quarante
hommes&Femmes deſept ou buit Nations
differentes , dontchacune écorche leFranfoisà
ſafaçon , & beaucoup ne le parle
point dutout. C'estune idée de la varieté
des Langues dela Tour de Babel . Toutes
ces cobuësse reduisent àſept ouhuittables
d'Hombredansune chambre , & pluſieurs
pelotons de Conteurs de Nouvelles. Vous
Scavezaparamment dėja que :
Le 4. de ce mois les Plénipotentiaires
des Alliez firent deux Conférences particulières
; l'une le matin , & l'autre le
foir , où ils réglerent entreeux les réponſes
qu'ils feroient aux Plénipotentiairesde
France ; & leurs Délibérations furent rédigées
en Mémoires particuliers * , dont
ils firent part aux Plénipotentiaires de
France à chacun en particulier , & qui
n'ont pas encore été rendues publiques ;
•On les trouve à la fin du mois précédent
on
AVRIL 1712. 505
on croit qu'on y répondra vers le 4. ou le
5. d'Avril. On a ſçû pourtant ici que
quelques-unes ayant paru d'abord fort exceſſives,
oneſt convenu qu'on entreroit
en Négociation fur ce qu'elles contiennent
, & l'on doit même faire aujourd'hui
pour celauneConférence extraordinaire ;
enfinnouspouvons eſperer que tout tournerabien.
Penfions donnéesparleRoi.
P
Le Roi touché des pertes qu'ont fait
ceux qui étoient attachez à Mefleigneurs
lesDauphins & à Madame la Dauphine ,
a déja donné à pluſieurs des penfions,
dont la fomme monte à deux cens cinquante
mille livres , juſte .
1.Sa Majesté a donné à Madame la Ducheſſedu
Lude , Dame d'honneur de Madame
laDauphine , 12000. liv.
AMadame laMarquise de Mailly , Da.
med'honneur de Madame la Dauphine ,
9000.liv.
A neuf Dames du Palais de Madame la
Dauphine , chacune , 6000.liv.
A M. le Maréchal de Teſſé , premier
Ecuyer de Madame la Dauphine ,
12000. liv.
AM. leMarquis de Dangeau , Chevalier
d'honneur de Madame la Dauphine ,
h Tome IV. Z
12000. liv.
A
506 MERC. GALANT.
AM. le Marquis de Villacerf, premier
Maître d'Hôtel de Madame la Dauphine ,
6000. liv.
AneufMenins de Monſeigneur leDau.
phin, chacun 6000.liv.
AM. leMarquisde Mimure , 3000. liv.
AM.dela Chenaye , 3000. liv.
AMadame Quentin , premiére Femme
de Chambre de Madame la Dauphine ,
6000.liv.
Adouze Femmes de Chambre de Madame
laDauphine , chacune
AMadamedela Borde , ſa
cienne conſervée à ſes Enfans.
AMadamedeMontſouris ,
900. liv.
penfion an-
Elle eſt de
2000. liv.
2000 liv.
AM. Domingue , Porte Manteau de
Madame laDauphine , 3000. liv.
A M. Boudin , premier Medecin de
Dauphine, १०००. liv.
Monſeigneur leDauphin & de Madame la
A M. Dionis , premier Chirurgien de
Monſeigneur le Dauphin & de Madame la
Dauphine, 3000. liv.
A M. Dodart , premier Medecin de
Monſeigneur leDauphin , dernier mort ,
9000. liv.
AM. Gervais , premier Chirurgien de
Monseigneur le Dauphin dernier mort ,
3000.liv.
AM Cauffin , 2.500. liv.
AdeuxHuiffiers de Chambre , chacun
800.liv.
A
TAVRAL171211 507
A M. Desfoffez , Huiſſier du Cabinet ,
A fix Valets de Chambre , chacun
.১
A un Porte-Arquebuze ,
१००. liv.
600 liv.
600.liv.
Aun PorteManteau labai 600 liv.
Aquatre Valets de Garderobe cha
cun 600. liv.
A douze autres Garçons de la Cham .
bre, chacun
300.liv.
ciers , chacun
400. liv.
A pluſieurs Valets de pied & autresOf-
JOVE
ENIGMES .
Parodiede laderniére Enigme , dont
lemot étoitun Pepin.
C Par Madame de L
Pepin , néprisonnier , petit &mépriſable,
En coupant une pomme , on me delivre à
table ,
Fengendre des Enfans prisonniers comme
moi,
Pepin, porte lenom d'un Roi ,
Enferme dansſonſein l'image de fon Pere ,
N'estpoint l'Amour , DieudeCithere.
Des fruits , ilhabite lescoeurs ,
Ici mortelsverfez despleurs,
Pom me qu'il habitoit , a tuévotre Mere ,
Etvouscaufa bien des malheurs.
Z z Noms
508 MERC. GALANT.
+
i
Noms de ceux qui ont deviné cette
(
Enigme.
८.
LeMarquis de la Pepiniere-Owdinſtolf,
Madelon Poiré , la Mere aux Pepins ,
Maritorne , la belle Tiſonniere ducoindu
feu ,l'Oracle de laRuë Thibaut aux-Dez,
Angelique , le Batelier du Fleuve Letæ du
ENVO Ι .
Par Madame Rigodon .
A
La Femme du premierhommedu monde,
avoit à ſa collation beaucoup de Pepins
: elleabien délivré des priſonniers,
en mordant à la grape .
ENVO Ι.
Par le petit Baritonillet.
DecetteEnigme, j'ai la clef.
Je ladevinedemon chef.
Jem apelle , Pepin , leBref;
Maisj'ai l'efprit plus long quele matsd'une
nef.
ENVOL.
AVRIL 1712 . 509
:
2
ENVOI.
De la jolie Rapdiniere.
On me conſeille d'aimer ; mais l'Amour
ſans chagrins eſt aufſi rare que les
Raiſins ſans Pepin.
くっち
:
4
ENVOI
Aquatorze ans , Irisfeſſe déjason Vin ,
Elle lorgne à Table unjeune homme ,
En mettant pour mouche unPepin ,
Je croirois bien qu'elle a deja mange la
pomme
ENVO Ι.
Parodié de l'Enigme , dont le mot
eftleMafque.
3 3.53.
Par M. Hortenfius , Précepteur de
4 Francion.
Pardejuftes liens, ideft , liens étroits ,
Quand on unit à moiſemblable à monmi .
nois,
ble ,
Subauditur , visage à quiMalque reffem.
Z3 Je
510 MERC. GALANT.
Jevois tout parsesyeux , id eft , avec les
fiens
Avoit toutpar , id eſt , tout à travers des
miens,
Tollé , les derniers vers, c'est un couple
frivole ,
Parce mi Mercuré , ſij'ai dit laparole,
Mes Savans Ecoliers devinent encherm ,
Voici leursnoms. Arbas , Milo , Dejota-
TUM
Alcidon , Sotinet , Halbrada , Baldium ,
Etcetera , tuusfervus, Hortenfius.
ENVOL.
Par Mr. Anc
Madame de Saint Fard.
Dans une nuit du Carnaval ,
. : .
Madame de Saint Fard en fuperbe équipage,
S'étant mise enfueurauBal ,
Ilasffa par malbeur fon Maſque &
vifage,
Jon
3 Noms
AVRIL 1712. 511
Noms de ceuxqui ont devinéle
Maſque.
Bonjour , bon jourMaſque , Artaxerxez
, Ariane à la lévre bleuë , la jeune
Orfeline, les deux Aflociez , les trois vi
fages , Turlupin , Toinon.
ENVO Ι.
Parmi les hommes comme au Bal , autantdeMaſques
que de vilages .
:
ENIGME.
LA 71
Non , jen'aurai jamais l'esprit de m'arif-
Ma coëffure est toujours pendante & né
fer ,
gligee,
Mes coëffeuses pourtant , poffent mainte
journée,
Ame creffer décoëffer ,
Maisfanslefoncier beaucoup de ma parare ,
L'une rêve à quelque avanture ,
Celle-ci penseàbien, celle-làpense à mal ,
Qusi qu'un rustique lieu soit mon Païs
natal ,
Polieavecdroiture , &fermefans rudeſſe,
Je parviens dans le cercles au rangdela
Princeffe ,
Z4
Sou-
1
512 MERC. GALANT.
1
:
Souvent tête levée , onm'y voit dominer ;
Mais malgré ma hauteur , pouriez vous
deviner ,
Quel manéze est le mien, pourparvenir à
plaire ,
F'aifait cent mouvemens autour d'un mercenaire
,
Qui tentéduprofit qu'il eſpéroit de moi ,
Aseu me rendre enfin , digne demon emploi.
NOUVELLES
Extraites de pluſieurs Lettres.
Le Roi donna le 15. une Audiance de
Congé enpublicau Marquis de Gerbevil.
ler , Envoyé Extraordinaire de S. A. R.
Monfieur le Duc de Lorraine. Il étoit accompagné
de M. Barrois , Envoyé Extraordinaire
de ce Prince , & conduit par
le Baron de Breteüil , Introducteur des
Ambaſſadeurs , qui avoit été le prendre à
Parisdans les Caroſſes de Sa Majeſté. Il
eut enſuite Audiance de Monſeigneur le
Ducde Berry , de Madame , de Monfieur
le Ducd'Orleans , &de Madame la Ducheffe
d'Orleans .
LePrince Charles prêta Serment entre
les mains de Sa Majesté le 14. de ce mois,
pour la Charge deGrand Ecuyer de Fran
ce,
AVRIL 1712 .
513
ce, dont M. leComte d'Armagnac , fon
Pere , avoit remis entre les mains de Sa
Majesté , ſa démillion volontaire pour la
furvivance ; & M. le Prince de Lambeſc
prêta le même jour entre les mains du Roi
le Serment pour le Gouvernement d' Anjou
, qu'avoit M. le Comte Brionne ſon
Pere , Fils aîné du Comte d'Arıpagnac ,
&qu'il a fait pafler à lui avec l'agrément
de Sa Majesté , comme il a fait paffer la
Survivance de Grand Ecuyer au Prince
Charles /104
Un Détachement de la Garnifon de
Brifac , a envelopé & fait prifonniers
foixante Houſſards, & l'on adéfait dans
la Forêt de Niderhart , le reſte du parti
Ennemi de quatre cens hommes qui avoit
étédéfait à Rumersheim.
- Le 29. de Février les Seigneurs après
avoir preſenté une Adreſſe à la ReineAnne
, s'ajournerentjuſqu'au 8. de ce mois.
Le même jour les Communes drefferent
un état des Réſolutions priſes pour le
Traité de la Barriérede 1709.
Le 1. de ce mois lesCommunes ont examinė
le rapport des Comptes publics , &
on déclara que le Sieur Adam Cardonnel,
SécretairedeMilord Marlborough , étoit
coupable de malverſation pécuniaire ; il
futordonné à la pluralité des voix , qu'il
feroit chaffé de la Chambre.
Le Sieur de Borſelen , Envoyé des
EtatsGénéraux , arriva à Londres le29 .
Fé-
Zs
514 MERC. GALANT.
1
i
Février , & il cut hier ſa premiére Aus
diancedelaReine.
LeChevalier Lorenzo Thiepolo , Ambafladeur
de Venise , a reçû nouvelle par
un Courier Extraordinaire , qu'il avoit
étéélú Procurateur de S.Marc, à la pla.
cedu Sieur Marcello, décedé depuis peu
dejours.
On dit que le Czar qui étoit encore à
Petersbourg le 9. du mois dernier , a apris
par un Courier arrivé d'Azoph , que le
Gouverneur a éxécuté ſes ordres , enren.
dantcettePlace aux Turcs, après avoir
démoli les nouvelles Fortifications ; on a
envoyé les Chrétiens de cette Ville àMofcow.
LeKamdes Tartares eſt arrivé de Conftantinople
à Bender. Il a reçûdegrands
honneurs à Conſtantinople , à ſon arrivée&
à ſon départ. lla eu pluſieurs
Conférences ici avec le Roi de Suede , &
après avoir fait déclarer la Guerre contre
les Moſcovites , il a ordonné en partant
pour laCrimée , qu'on füt prêt à marcher
avec les Tartares de Budziac.
Le Sieur Lhoski , Général des Huffars,
mourut hier d'un coup de Sabre , qu'il a
reçû dansun Combat particulier contre le
Colonel Betoni , Colonel Hongrois . 11
yauneOrdonnance nouvellement publice
contre les Combats particuliers,
ExAVRIL
1712. 515
Extrait d'une autre Lettre .
Lefort en est jetté , & tous les Bachar
ant eu ordre de fepreparerà marcheravec
leurs Troupes,pourse rendre auplus tard à
lafindu mois de Mars prochain vers les embouchures
du Danube , en conſequence de ta
Guerredéclaréecontre les Moscovites ;
Le26. Decembrele Kam des Tartarespartitde
Constantinople pour aller trouver le
Roi de Suède. Le Grand Seigneur afait
au Kamplusieurs preſens confiderables ,
on lui afait degrands honneurs àſonarrivée
àfondépart.
Ona ordonné de travailler en diligence
al' Armement de la Flotte revenuë de la
Mernoire. Abdi Bacha Seraskierde Rela
grade s'est rendu auprès du Roi de Suede ,
aveclesTroupes de Romelie , donton tur a
donné leCommandement.
Le 2. Decembre Oſman Aga Kiaïa , ou
Lieutenant du grand Vifir Mehemet nouvellement
déposé,&Mektubai Effendi fon
Secretaire , ont eu latêtetranchéedans
la Place qui eſt devant le Serail , & leurs
corps expoſez trois jours au Peuple. On
aautfi exposé en publicdevantle Serail la
têre du Viſir avant Mehemet , qui avoit
agi contre le Roi de Suéde. Il avoit été
relegué à Metelin , où l'on l'a étranglé.
L
Z6 On
516 MERC . GALANT.
On dit à Conſtantinople que le Grand
Seigneur a déclaré qu'il marcheroit en
perſonne à la tête d'une puiſſante Armée,
pour attaquer le Czar du côté de l'Ukraine.
La Cour d'Eſpagne extrêmement affligée
des morts qui ont affligé la France ,
s'eſt reglée pour le deüil fur celui qu'on
porta à la mort de la Reine Marie-Théréfe
, &de la premiére femme de l'Empereur
Leopold , & de l'Imperatrice ſoeur de Marie-
Théréſe.
La Reine a témoigné qu'elle ſeroitbienaiſede
faire ſes couches au Buen- Retiro ,
où le Roi fait faire quelques accommodemenspour
la rendre habitable.
Le Duc de San Juan eſt mort le 12. Février
; il étoit Viceroi de Navarre. Le
Koia donné cette Charge au Duc de Veraguas.
LeRoi adonné àDon Juan de Ranenda
Rubalcava , la Charge de Fiscal de l'Audiance
Royale de Sarragoffe.
Il est arrivéd'Andaloufie plus de 3000.
chevaux pour remonter les Gardes du
Corps&le reſte de la Cavalerie.
On écritdeGalice que le ſieur Ducaffe
eftarrivé à la Corogne après avoir échapépluſieurs
perils , fur tout une furicuſe
zempête depuis fon départde la Martini
que. Ondit que les Vaiſſeaux apportent
la valeur de trente-cinq à quarante millions
de livres enOr & en argent , outre
les
AVRIL 1712.
517
les marchandiſes & autres effets.
Les Troupes Françoiſes de la Conca de
Trems marchent vers Valence par l'ordre
de M. le Duc de Vendôme; elles feront
remplacées par d'autres Troupes Françoifes.
LesTroupes du Roi d'Eſpagne étant en
quartier d'Hiver en Catalogne fort tranquillement
, Don Nicolas Tera de Urivé
eſt forti avec un détachement pour efcorter
les Fourageurs , ila rencontré un Corps
conſidérable deMiquelets & de Volontaires
il les achargez & mis en fuite; il en
atué environ ſoixante& faittrente prifonniers.
La diſette de grains & d'huile eſt fort
grande à Naples. On a envoyépluſieurs
Tartannes à Otrante , à Cotronne , à
Bari , &pluſieurs autres Ports de la Calabrepar
de là le Fare , pour en apporter
desgrains&des huiles. Ces Tartanes ont
étédiſperſées par une forte tempête , ils
ont gagné les premiers Ports qu'ils ont pû
atteindre. Ily en a une de perie , & plufieurs
fort endommagées.
200090
Z7 Très518
MERC. GALANT.
৩০
ADDITION
Faite en Hollande .
Très-humble Remontrance de la Chambre
des Communes , à la Reine.
Ous les très- foumis & très- fidéles
Nujetsde Votre Majesté, les Com
munes de laGrande-Bretagne affemblées
enParlement , n'ayant rien tant à coeur,
que de mettre Votre Majesté en état de
rerminer cette longue& onéreuſe Guerre
par une heureuſe & honorable Conclufion
, avons reflechi mûrement ſur les
moyens qu'il y auroit d'employer avec
plus de fruit , les Subfides néceſſaires que
nous devons fournir , & fur la manière
dont la Caufe Commune pourroit être
foûtenue avec plus d'efficace par la force
réunie de tous les Alliez. Nous avons
crű être obligez , par notre devoir à l'égard
de Votre Majesté , & pour répondre
a la confiance qu'on met en nous , de
nous informer du véritable état de la
Guerre dans toutes ſes parties ; Nous
avons examiné les Traitez qu'il y a entre
VotreMajesté & vos Alliez , & juſqu'où
l'on s'eſt aquité de ces Engagemens de
part
AVRIL 1712, 519
part&d'autre; Nous avons confideré les
differens intérêts des Alliez dans le fuccès
de cette Guerre , & ce que chacun
d'eux a contribué pour la ſoûtenir ; Nous
avons ráché , avec tout le ſoin& toute la
diligence dont nous sommes capables ,
d'en découvrir la nature, l'étendue& la
dépenſe , afin qu'après avoir fait une
exacte comparaiſon de ce qu'il endoitcoûter,
avec nospropres forces,nous pulfions
fi
bien proportionner l'un aux autres ,
que vos Sujets ne continuent pas d'être
chargez au delà de ce qui eft juſte & raifonnable
, & que nous netrompions pas
Votre Majesté , vos Alliez , ou nous.
mêmes , par des Engagemens dont la Nation
ne fauroits'aquiter dans l'état où elle
fetrouve.
Les Papiers , que Votre Majesté a eu
labontéde nous faire communiquer , fur
nos très -humbles inftances , nous ont
donné toute l'information requiſe à l'égard
de toutes les particularitez que nous
avons examinées ; & lorſque nous aurons
expofé nos Remarques là deſſus à Votre
Majesté , avee nos très - humbles Avis ,
nous eſperons d'en recueillir cet heureux
fruit; Que fi lesbons & généreux deſſeins
deVôtre Majesté, pourobtenir une Paix
fûre& durable , venoient à échouer malheureuſement
, parl'opiniatreté de l'Ennemi
, ou de quelque autre maniére , une
véritable connoiſſance de ce qui s'eſt pafle
jul520
MERC. GALANT.
1
1
juſques icidans la conduite de laGuerre,
fervira debon fondement pour la pouffer à
l'avenir avec plus de ménage&d'égalité.
Afind'avoir une vůë plus parfaite de ce
que nous nous propoſions , & d'être en
état de l'expoſer dans tout fon jour aux
yeux de Votre Majesté , nous avons crû
qu'il étoit à propos de remonter juſques
aucommencement de la Guerre : & qu'il
nous ſoit permis de rapeler ici les motifs
&les raiſons qui engagerentd'abord Sa
Majeſtédéfunte le RoiGuillaume à yen
trer. Le Traité de la Grande Alliance
dit, quece fut pour maintenir les Prétentions
de S. M. Imperiale , qui étoit alors
actuellement en Guerre avec le Roi de
France , qui avoit uſurpé toute la Monarchie
d'Eſpagne , en faveur de fon Petit
Fils leDucd'Anjou ; & pour aſſiſter les
EtatsGénéraux , qui , parla perte de leur
Barriére contre la France , ſe trouvoient
dans le même ou dans unplusdangereux
état , que s'ils étoient actuellement attaquez.
Comme ce furent là les juſtesmotifs
qu'on eut pour entreprendre cette Guerre
, auſſi le but qu'on fe propoſa d'obtenir
par-là , étoitégalement ſage&honorable.
Caron voit par l'Article VIII. de
cemême Traité , qu'il tendoit à procurer
une ſatisfaction juſte & raifonnable pour
S. M. Imperiale , & une fûreté ſuffiſante
pour les Païs , les Provinces , laNaviga
tion , & le Commerce du Roide laGran
de
AVRIL 1712. 521
1
$
1
1
1
1
de Bretagne & des Etats Généraux ; à
prendre de bonnes meſures , afin que les
deux Royaumes de France & d'Eſpagne
ne fuſſent jamais unis ſous le même Gouvernement
, & en particulier , afin que
les François ne poſſedaſſent jamais les IndesOccidentales
, qui relevent de laCou
ronne d'Eſpagne , ou qu'ils ne puſſent
point y envoyer des Vaiſſeaux ſous prétexte
d'ytrafiquer ,ou fous quelque prétexte
que ce pût être; à conſerver enfin aux
Sujetsdu Roi de laGrande Bretagne , &
à ceuxdes Etats Généraux , tous les droits
&priviléges qu'ils avoient à l'égard du
Commercedans tous les Païs de la Dominationd'Eſpagne
, avant la mort de Charles
II. Roi d'Eſpagne , ſoit en vertu de
quelque Traité , Accord, Uſage , oude
touteautre maniére que ce fût Pour vé.
nir àbout de ces Fins , les trois Puiſſances
Alliées s'obligérent à s'entr'aider mutuellement
de toute leur force , ſuivant la
proportion qui ſeroit ſpécifiée dans un
Traité particulier , qu'Elles feroient dans
laſuite : Nous ne trouvons pas qu'aucun
Traitéde cette nature aitjamais été ratifiés
mais il paroît qu'il y eut un Traité conclu
, qui engageoit réciproquement les
parties intéreſlées , & qui régloit ce que
JaGrandeBretagne devoit fournir. Les
termes de cet accord portoient , que pour
le ſervice de Terre , S. M. Imperiale fourniroit
quatre- vingtdix mille honımes , le
Roi
1
f22 MERC. GALANT.
Roi de laGrande Bretagne quarante mille,
& les Etats Généraux cent deux mil
le , dont quarante deux mille feroient
employez dans leurs Garniſons , & les
autres foixante mille agiroient en Campagnecontre
l'Ennemi commun : & qu'à
l'égard des Operations militaires ſurMer ,
elles ſe feroient conjointement par la
Grande Bretagne & les Etats Généraux ,
c'est-à-dire , que la premiére fourniroit
les 5. huitiémes , pour ſa quote-part des
Vaiffeaux , & les Etats les trois huitiémes.
1 La Guerre commença ſur ce pié dès
l'année 1702. , & alors toute la dépeníe
annuelle pour l'Angleterre montoit à
troismillions , ſept cens fix mille quatre
censquatre- vingt quatorze livres ſterling;
chargefort conſidérable,à ce que croyoient
lesSujetsde Votre Majesté , après le court
intervalle de répos dont ils avoient joüi
depuis le fardeau de la Guerre précedente;
mais avec tout cela bien modérée , en
égard au Poids qu'ils ont foûtenu dans la
fuite; Du moins il paroît , parles Comptes
délivrez à Vos Communes , que les
fommes requiſes , pour continuer le fer .
vice de cette Année ſur le même pié que
celui de laprécedente , reviennent àplus
de fix Millions , neuf cens foixante mille
livres ; outre l'intérêt qu'il faut payer
pour les Dettes publiques , & les Nonvaleurs
de l'année derniéres deux Articles,
AVRIL 1712.
$23
cles , qui montent à un Million , cent
quarante trois mille livres : De ſorte que
tout ce qu'on demande à Vos Communes
revient à plus de huit Millions pour les
Subfides de cette Année. Nous ſavons
que les tendres égards de V. M. pour le
bien de votre Peuple vous donneront de
l'inquiétude à l'ouie de ce peſant fardeau
qui l'accable, & commenous fommes af
furez que ceci Vous convaincra de la né
ceffité qu'il y avoit de faire cetterecher
che , qu'il nous foit auſſi permis de re.
preſenter à V. M. les cauſes qui ontproduitlemal,
&par quels dégrez ce poids
immenſeeſt venu ſur nous.
2
2
Sid'un côté le ſervice de Mer a été d'unegrande
étendue , on peutdire de l'autre
qu'il a étépoullé, duranttout le cours
de laGuerre , d'une manière trèsdéſavantageuſe
à Votre Majesté & à Votre Royau
me. Il eſt vrai que la néceſſité des affai
res exigeoit qu'on équipât toutes les annéesdegrandesFlotes
, foit pour confer
ver la fupériorité dans la Méditerranée ,
ou pour s'oppofer aux Efcadres que l'Ennemi
pourroit équiper à Dunkerque, ou
dans les autres Ports de l'Ocean ; mais
l'exemple & la promtitude de V. M. à
fournir fa quote-part des Vaiſſeaux dans
tous les endroits requis , bien loin d'exciter
les Etats Généraux à marcher avec
Vous d'un pas égal , les ont portez à fe
négliger toutes les années juſques à un
tel
と、८
524 MERC. GALANT.
1
tel point , qu'à proportion de ce queV.
M. afourni , ils ont été quelquefois en arriére
des deux tiers , & prefque toûjours
deplus de la moitié de leur Contingent:
Delà vient que Vôtre Majesté , pour prévenir
les diſgraces qui pouvoient arriver
dans les occafions les plus preffantes , a
étéobligée de ſupléer à ce défaut par un
nouveau renfort de vos propres Navires ;
mais ce furcroît de nos fraix n'a pas été la
ſeule conféquence facheuſe qui l'ait fuivi;
puiſque par ce moyen , les dettes du Bureau
de la Marine font allées ſi loin, que
lesDécomptes qu'il ya eus fur ſes Affignations
, ont affecté toutes les autres parties
du ſervice : De là vient auſſi que pluſieurs
Vaiſſeaux de Guerre de Vôtre Majeſtéont
été réduits à hiverner dans des Mers éloignées
, au grand préjudice & à la ruïnede
nos Forces Maritimes ; que Vous n'avez
pû fournir les Convois néceffaires à nos
Vaiſſeaux Marchands ; que vos Côtes ont
été expoſées,manque de Vaiſleaux pour les
garder, &queVous avez été miſe hors
d'état de traverſer l'Ennemi dans fon
Commerce aux Indes Occidentales , qui
lui a été fiavantageux , & d'où il a tiré de
fi vaſtes Tréfors , fans lesquels il n'auroit
jamais pû foûtenir les fraix de laGuerre.
Cette partie de la Guerre qu'on a pouffée
en Flandres , & quidabord regardoit
la fûreté des Erats Généraux, a fervide-
Puis à leur procurer de fort grandes acqui
fitions
13
AVRIL 1712 . 525
10
fitions tant en Revenus qu'en Territoires :
Malgré tout cela, ils n'y ont pas fourni
leurContingentde Troupes , & ils en ont
diminué le nombre peu à peu ; en forte
quede leurs trois Cinquiémes ſur les deux
Cinquiémesde V. Majeſté ,il leur en nianquoit
l'année derniére 20837. hommes.
Nous n'ignorons pas qu'en l'année 1703 .
il y eut un Traité conclu entre les deux
Nations , pour augmenter leurs Troupes
de vingtmille hommes , &que l'Angleterre
ſe chargea d'en payer la moitié, à
condition que les Etats Généraux défendroient
tout Commerce avec la France.
Cette Clauſe eſt expreſſe dans l'Acte du
Parlementqui conſentit àcette levée;mais
puiſque les Etats ne l'ont point tenuë ,
lesCommunes croyent qu'on auroit dû
en revenir à la premiére Régle de Trois à
Deux, tant à l'égard de cette augmentation
quedes autres qui ont faivi ; furtout
lors qu'ils conſidérent que les Revenusde
ces riches Provinces , qu'on a conquiſes ,
pourroient fervir , s'ils étoientbien appliquez
, àl'entretien d'un grand nombrede
nouvelles Troupes contre l'Ennemi commun;
cependant les Etats Gén. n'en ont
rien employé à cet uſage , mais ils employent
cenouveau ſecours pour ſe ſoulager
d'unepartiede leur premier Contingent.
Si dans leprogrès de la Guerre en Flandres,
il y eut bientôt une diſproportion
dans le nombre des Troupes , au préju dice
526 MERC. GALANT.
dice de l'Angleterre; d'un autre côté ,
l'ouverture de la Guerre en Portugalmit
d'abord une partie inégale du fardeau fur
nous. Car , quoi que l'Empereur&les
EtatsGénéraux euffent traité avec leRoi
de Portugal fur le même pied que Vôtre
Majesté , l'Empereur ne fournit pointfon
tiersdesTroupes nides Subfides qu'il avoit
promis, & les Hollandois ne voulurent
pas fuppléer à cedéfaut par une égaleportion;
de forteque Vôtre Majesté s'eſt vûë
obligée à payer les deux Tiers de toute la
dépenſe qu'il en coûte pour ce fervice.
L'inégalité a même paffe plus loin; car
depuis l'année 1706. , lors que les Trou
pesAngloiſes & Hollandoiſes marchérent
de Portugal en Caſtille , les EtatsGénéraux
ont entiérement abandonné cette
Guerre, & laiffé le foin à VôtreMajesté
de la poursuivre à vos propres fraix, cel
que Vous avez fait auſſi , eny envoyant
beaucoup plus de monde que Vous ne
vous étiez d'abord engagée d'en fournir.
D'ailleurs , les généreux efforts deVotre
Majesté pour le ſoûtien &la défenſe du
RoidePortugal,ont été bien mal ſecondez.
de lapartde ce Prince même , puiſqu'a
près les recherches les plus exactes que
VosCommunes ont pu faire , il fe trouve
qu'iln'apreſquejamais fourni treize mille
hommes en tout ; quoi qu'il fut obligé
par fon Traité , d'avoir douzemille hom
mes d'Infanterie , & trois mille Chevaux
هيل
え
AVRIL 1712. 527
à ſes fraix &depens , outre onze mille
Fantaſſins &deux mille Chevaux deplus ,
pour leſquels on lui payoitdes Subſides.
EnEſpagne, laGuerre a étéencore plus
inégale & plus onereuſe à Vôtre Majesté ,
qu'en aucune autrede ſes branches; car elle
yfutcommencéeſans aucunTraité préalable,
& les Alliez n'ont preſque pas voulu
enſuite y contribuer la moindre choſe. En
1705., on y envoya un petit Corps de
Troupes Angloiſes & Hollandoiſes , non,
pas qu'on le crût ſuffifant pour ſoûtenir
une Guerre bien réglée , oupour conquerir
un ſi vafte Païs , maisdans la ſeule vûë
d'aider les Eſpagnols , qu'on nous diſoit
avoirbeaucoup d'inclination pour laMaifon
d'Autriche , à mettre le Roi Charles
fur le Trône : Mais cette eſpérance étant
évanoüie , l'Angleterre ſe trouva.cngagée
inſenſiblement dans cetteGuerre ,
malgré tous les deſavantages que la diftance
des Lieux & les foibles efforts des
autres Alliez lui pouvoient caufer. Tout
ce que nous avons àdire là deſſus à Vôtre
Majesté , ſe réduit à ceci : Que bien qu'on
entreprît cette Diverſion ſur les inſtances
réïtérées de la Cour Impériale , & pour
une Cauſe où il ne s'agiffoit pas de moins
que de laréductionde laMonarchied'Efpagne
à laMaiſon d'Autriche , nilesdeux
Empercurs défunts , ni Sa Majesté Impériale
d'aujourd'hui , n'y ont jamais eu aucunes
Forces à leurs propres fraix , jufques
528 MERC. GALANT.
ques à l'année derniére , qu'il y eut un
foul Régiment d'Infanterie , compoſe de
deux mille homines. Quoique les Etats
Généraux ayent contribué quelque chofe
de plus pour cette branche de la Guerre ,
leur Portion n'eſt pas allée fort loin ; car
dans l'eſpace de quatre années , c'eſt-àdire
depuis 1705. juſqu'en 1708. incluſivement
, toutes les Troupes qu'ils y ont
envoyées , n'excédent pas le nombre de
douzemilledeux censhommes ; &depuis
l'année 1708. juſques à ce jour , ils n'y
ont envoyé ni Corps de Troupes ni Recrües.
Il ſemble ainſi qu'on ait laifféen
quelque manière à Vôtre Majeſtéle ſoin
de recouvrer ce Royaume&d'en payer les
fraix , comme s'il n'y avoit que Vous ſeule
d'intéreſſée. En effet , les Troupes que
Vôtre Majesté a envoyées en Eſpagne ,
dans l'eſpace de ſept années, depuis 1705 .
juſqu'en1711. incluſivement , ne reviennent
pas à moins de cinquante-ſept mille
neuf cens foixante treize hommes , fans
parler de treize Bataillons &de dix-huit
Efcadrons , pour lesquels Vôtre Majefté
a payé des Subſides à l'Empereur. Vous
n'ignorez pas quelle a été la dépenſe fixe
pour l'entretiende ce nombre d'hommes ,
&Vos Communes en ont bien reſſenti le
poids: Mais ce fardeau paroîtra beaucoup
plus grand, fi l'on fait attention aux dépenſes
extraordinaires qui ont accompa
gné un Service ſiéloigné& fidifficile ; &
qui
AVRIL 1712. 529
liqui
ont toutes été ſoûtenues par V. M. , à
la réſerve de ce qu'il en a coûté aux Etats
Généraux pour le tranſport & l'avitaillementde
ce petit nombre de Troupes qu'ils
-yontenvoyées. Les Comptes délivrez à
Vos Communes font voir : Que la dépen-
-ſedes Vaiſſeaux de V. M. , employez pour
le ſervice de la Guerre en Eſpagne & en
Portugal , ſur le pié de 4. liv. ſterl. par
mois pour chaque Matelot , depuis leur
départ d'ici juſques à leur retour , leur
perte, ou leur emploi à quelque autre fervice,
monte à fix Millions , cinq cens
quarante mille , neufcens foixante- fix neur.cens
vres , quatorze Chellins. Les fraix des
Tranſports , qui concernent la Grande
Bretagne, pour foûtenir laGuerre enEfpagne
& en Portugal , depuis qu'elle a
commencé juſques àpréſent , reviennent
à un Million, trois cens trente- fix mille ,
ſept cens dix neufPiéces , dix-neufChellins
, onze fols. L'avitaillement des
Troupes deTerre embarquées pour le même
ſervice , monte à cinq cens quatrevingt
trois mille, ſept cens ſoixante-dix
livres, huit Chellins & fix (ols; & la dépenſe
des Extraordinaires pour le même
ſervice , revient à un Million , huit cens
quarante mille , trois cens cinquante- trois
livres.
4
Nous expoſerions aux yeux de Votre
Majesté, les différentes ſommes qui ont
été payées ſur le compte des Extraordi-
Tome V. Aa nai530
MERC.GALANT.
1
h
naires en Flandres , & qui font enſemble
unMillion, cent ſept mille, quatre- vingt
feize livres , ſi nous pouvions les comparer
avec ce que les Etats Généraux ont
fourni pour le même ſujet ; mais nousn'avons
aucun détail de leur dépenſe à cet
égard; ainſi nous n'en dirons pas davantage
là-deſſus. Il ne reſte donc que l'Article
des Subſides , qu'on a fournis aux
Princes Etrangers , & qui méritent lattentionde
Votre Majeſté. Au commencement
de la Guerre , Votre Majesté &les
Etats Généraux les payoient dans une proportion
égale ; mais depuis la Balance a
panché à Votre préjudice : Car il paroît
que V. M. a fourni au delà de fon juſte
Contingent , trois Millions , cent cinquante-
cinqmille Ecus , ſans les Extraordinaires
payez en Italie , qui ne fontpoint
compris dans aucun des Articles précédens
, & qui montent à cinq cens trenteneuf
mille, cinq cens cinquante- trois livres.
Nous avons détaillé tout ceci à V. M.
de la manićre la plus courte qu'il nous a
été poſſible ; & par un Calcul appuyé fur
les Faits marquez ci-deffus , il ſe trouve ,
qu'au delà du Contingent de la Grande
Bretagne, proportionné àceluide vosAlliez
, V. M. a dépensé , durant le cours de
cette Guerre , plus dedix-neuf Millions ,
& qu'aucun des Alliez. n'a fourni la
moindre choſe pour contrebalancer cette
fomme.
C'eft
AVRIL 1712. 531
C'eſt avec beaucoup de chagrin , que
nous trouvons tantde ſujetde repreſenter
le mauvais uſage qu'on a fait du zéle de V.
M. & de vos Peuples pour le Bien de la
Cauſe Commune , qui n'a pas été auſſi
avancépar-là qu'il feroit à ſouhaiter , parceque
lesautres ont abuſe decette ardeur
pour ſe décharger à nos dépens , &qu'on
a ſouffert qu'ils ayent mis leur portiondu
Fardeau ſur ce Royaume , quoi qu'à tous
égards ils ſoient autantouplus intéreſſez
que nous dans le ſuccès de cette Guerre.
Nous ſommes perfuadez que V. M. nous
pardonnera , ſi nous témoignons du refſentimentſur
le peu d'égard qu'ont eu pour
les intérêts de leur Patrie quelques unsde
ceux qui ont étéemployez au ſervice de V.
M. ,lors qu'ils ont ſouffert qu'on lui en impofâtd'une
maniére ſi déraiſonnable , s'ils
ne ſont pas eux- mêmes en quelque forte la
principale cauſede ces mauvais tours : Le
cours de ces injustices de nos Alliez a
été fi extraordinaire , queplus les richefſes
de ce Royaume ont été épuisées , &
plus les Armes de Votre Majeſté ont
obtenu d'heureux ſuccès , plus notre fardeau
s'eſt apeſanti; pendantque de l'autre
côté , plus vos efforts ont été vigoureux ,
& plus vos Alliez en ont retiré de grands
avantages , plus ces mêmes Alliez ontdiminué
deleur portion de ladépenſe.
Dès qu'on eut entamé cette Guerre ,
lesCommunes en vinrent toutd'un coupà
Aa 2 des
532 MERC. GALANT.
1
"
des efforts extraordinaires , & à donnerde
fi gros Subfides , qu'on n'a jamais rien vû
depareil , dans l'eſpérance de prévenir les
malheurs d'une Guerre languiffante , &
d'amener bien- tôt à une heureuſe conclufion,
celle où nous étions néceſſairement
engagez : mais l'événement a fi mal ré
pondu à leur attente , qu'elles ont grand
ſujet de ſoupçonner , que ce qui devoit
abréger la Guerre , a été la véritable cauſe
deſa longueur; car ceux qui en tiroient le
plus de profit , n'ont pas été facilement
diſpoſez à y renoncer : De forte que Votre
Majesté pourra découvrir ſans peine ,
d'où vient que tant de perſonnes ſeplaifoient
dans une Guerre , qui leur aportoit
tous les ans une ſi abondante moiffon
de laGrande Bretagne.
Nousfommes auſſi éloignez de ſouhaiter,
comme nous ſçavons que VôtreMajeſté
l'eſt de conclure aucune Paix , à
moinsqu'ellene ſoità des conditions füres
&honorables : Notre vûë n'eſt pas non
plus de nous diſpenſer de lever tous les
Subſides néceflaires &poffibles pour ſoûtenir
vigoureuſement laGuerre , juſqu'à
ce qu'onaitobtenu une telle Paix . Tout
ce que vos fidéles Communes ſe propofent,
tout ce qu'elles defirent , c'eſt, que
les autres Puiflances Alliées de Votre Majefté
y concourent d'un pas égal , & que
l'on faffe une juſte application de ce que
l'on a déja gagné ſur l'Ennemi pour le bien
de
AVRIL 1712. 533
de laCauſeGommune. Ily adivers Territoires
& Pais d'une vaſte étenduë qui
font revenus à la Maiſon d'Autriche ; comme
le Royaume de Naples , le Duché de
Milan &quantité de Places en Italie : 11
y en ad'autres qu'on a conquis , &qu'on
ajoints à fesDomaines ; tels fontlesdeux
Electorats de Baviere & de Cologne, le
Duché de Mantouë & la Principauté de
Liege. Comme ces dernieres Conquêtes
font dûës en grande partie à notre fang &
ànos tréſors , il nous ſemble , s'il eſt permis
de le dire , que nous avons droitde
prétendre qu'elles aident à pouffer la
Guerre en Eſpagne. C'eſt pourquoi nous
fuplions inſtamment Votre Majesté d'ordonner
à Vos Miniſtres qu'ils agiffent auprès
de l'Empereur , afin que les Revenus
de cesdifférensPaïs ſoient employez à cet
ufage , à la réſerve de ce qu'il enfautdéduire
pour leur propre défenſe.
Pour ce qui regarde les autres branches
delaGuerre,auxquelles V.M. s'eſt obligée
de contribuer par des Traitez particuliers ,
nous lafuplions très-humblement de vouloir
tenir la main à ce que ſes Alliez s'aquitent
des engagemens où ils ſont entrez
là-deſſus , & de ne leur donner à l'avenir
des Troupes ou des Subſides , qu'à proportionde
ce qu'ils en fourniront eux-mêmes.
Lors qu'on aura fait cette juſtice à
Votre Majesté , & à votre Peuple , iln'y
a rien que vos Communes n'accordent de
Aa 3
bon
534 MERC. GALANT.
bon coeur , pour ſoûtenir Votre Majesté
dans la Cauſe où Elle eſt engagée. S'il fe
trouve même qu'on ait beſoin de nouvelles
Forces , par Mer ou par Terre , nous mertrons
Votre Majesté en état d'y contribuer
ſa portion légitime ; & il n'y a point de
Subſides que vos Sujets ne foientdiſpoſez
à Vous accorder , dans toute l'étenduë de
leur pouvoir .
Après avoir examiné l'état de la Guerre
, dans laquelle il paroît que V. M. a
non ſeulement dépenſe plus qu'aucun de
vosAlliez , maisautant qu'eux tous pris
enſemble , vos Communes ſe flattoient
de trouver , que dans les conditions d'une
Paix future , on auroit eu foin d'affurer à
la Grande Bretagne quelques avantages
particuliers , quidonneroient à la Nation
quelque efpérance de la dédommager avec
le tems de ces Tréſorsimmenſes qu'ellea
fournis & des grofles Dettes qu'elle a contractées
durant le cours d'une fi longue &
fi onereufeGuerre . On neepouvoit mieux
répondre à une attente fi raiſonnable ,
qu'en exigeant plus de fûreté&d'étenduë
pour leCommerce de la Grande Bretagne:
Mais nous nous voyons ſi bien déchûs de
cette eſpérance , que dans un Traité
conclu , il n'y a pas long tems , entre V.
M. & les Etats Généraux , ſous prétexte
de ſe donner une Garantie mutuelle fur
deux Articles de la derniére importance
pour les deux Nations , dont l'un regarde
la
AVRIL 1712. 535
la Succeffion & l'autre la Barriére , les intérêts
de la Grande Bretagne n'ont pas été
ſeulement négligez , mais facrifiez ; &
qu'il y a divers Articles ruïneux pour le
Commerce & la Proſperité de ce Royaume
, & par conséquent très deshonorablespourV.
M.
Vos Communes remarquent d'abord ,
qu'en vertude ceTraité , pluſieurs Villes
&Placesdoivent être miſes entre les mains
des Etats Généraux , en particulier Nieu
port , Dendermonde & le Château de
Gand, qu'on ne sçauroit jamais regarder
comme faiſant partie d'une Barriére contre
la France , mais plutôt comme les
Clefs du Païs-Bas du côté de la Grande
Bretagne ,& ne ſervant que pour rendre le
Commerce des Sujets de V. M. dans ces
quartiers là fort précaire , où même les en
excluretout- à-fait , dès que les Etats lejugeront
à propos. Laprétenduë néceſſité
qu'il y a de mettre ces Places entre les
mains desEtatsGénéraux , pour leur afſfurer
une Communication avec leur Barriére
, eſt vaine & fans fondement : Car puifque
la Souveraineté des Pais-Bas Éſpagnols
doit reſter à un Ami& à un Allié ,
non pas à un Ennemi , cette Communication
ſera toûjours füre & ouverte : D'ailleurs
, en cas d'une Rupture , ou d'une
Attaque , on laiſſe une pleine liberté aux
Etats de prendre poffeffion de tous les
Païs-Bas Eſpagnols; de forte qu'ils n'a
voient A4
516 MERC. GALANT.
voient pas besoind'aucune ſtipulationpar
ticulière pour les Places ci-deſſus .
Aprèsavoirditun mot de cette Concef.
fion faite aux Etats Généraux de s'emparer
de toutes les dix Provinces , nous ne
pouvons que representer à V. M.: Que
de la maniéredont cet Article eft conçu,
ilformeune autre circonſtance dangereufe
: puiſque ſi l'on avoit borné le Cas à
la ſeule attaque apparente du côté de la
France, on auroit rempli le deſſein avoué
de ce Traité , & ſuivi les Inſtructions
que V. M. avoit données à fon Ambafiadeur
? Mais on a omis cette Restriction
néceſſaire , & la même liberté eſt accordée
aux Etats de s'emparer de tous les Païs-
Bas Eſpagnols , toutes les fois qu'ils ſe
croiront attaquez par aucune des Nations
voiſines , auſſi bien que lors qu'ils feront
en danger du côté de la France; de forte
que s'il arrivoit quelque jour ( ce que vos
Communes ont une grande répugnance à
fupoſer ) qu'ils vinſſent à ſe broüiller avec
V. M. , les richeſſes , la force , & la
fituation avantageuſe de ces Païs pourroient
ſervir contre Vous même , quoi
qu'on ne les eûtjamais conquis fans Vos
puiffans &généreux ſecours .
Pour revenir aux fâcheuſes conſequences
qui regardent le Commerce de Vos
Royaumes, qu'il nous ſoit permis d'expoſer
à V. M. ,Quebien que ce Traité renouvel
le le XIV. & le XV. Articles de celui de
Mun.
AVRIL 1712. 537
Munster , & qu'il Vous en rende une des
Parties intéreſſées , en vertu deſquels les
Droits impoſez fur toutes les Denrées &
Marchandiſes qui vont par Mer dans les
Païs-Bas Eſpagnols , doivent égaler ceux
qu'onexigede tous les Effets & Marchandiſesqu'on
y tranſporte par l'Eſcaut , les
Canauxdu Sas & de Swyn , & autres Em.
bouchures de la Mer qui ſont dans le voifinage;
avec tout cela onn'y prendaucun
ſoinde conſerver la même égalité , lors
qu'il s'agit de la ſortie de ces Marchandiſes
hors des Provinces Eſpagnoles , & de
leur entrée dans les Païs& Places quidoi
vent être à la diſpoſition desEtatsGénéraux
en vertu de ceTraité. C'eſt-à dire ,
que dans la ſuite ( & Vos Communes font
informées qu'il en eſt arrivé déja quelques
exemples ) les Droits d'entrée mis ſur les
Marchandiſes tranſportées dans ces Païs
& Villes par les Sujets des Etats Généraux
, feront ôrez , pendant qu'on continuera
ceux qu'on exige des Sujets deV.
M.; de forte que laGrande Bretagne rifque
de perdre une des branches lesplus
avantageuſes de ſon Commerce , dont
elle a étéen poſſeſſion de tout tems , même
depuis que ces Provinces étoient gouvernées
par la Maiſonde Bourgogne , l'unedes
plus anciennes & des plus utilesAlliées
que l'Angleterre ait jamais eu .
A l'égard des autres Païs & Terres de
la Couronned'Espagne , les Sujets de V.
M
Aas
538 MERC. GALANT.
M. ont toûjours été diſtinguez dans leur
Commerce avec eux , & ont joüi de plus
grands Priviléges & Immunitez fur cet
Article, que les Hollandois , ou aucune
autre Nation , tant par des anciensTraitez
, que par un long uſage. Aufſi l'excellent
Traité de la grande Alliance aflure
fi bien ces beaux Priviléges à la Grande
Bretagne , qu'il laiſſe chaque Nation à
la finde laGuerre ſur le même pié où elle
étoit àcet égard au commencement. Mais
leTraité , dont nous nous plaignons , au
lieude confirmer les Droits de Vos Sujets,
les abandonne&les renverſe: Car, quoi
que le XVI. & XVII . Articles du Traité
deMunster , fait entre Sa Majesté Catholique
& les Etats Généraux , accordent
aux Hollandois tous les avantages du
Commerce , dont les Anglois jouiffoient ;
laCouronned'Angleterre n'a pas été une
des Parties intéreſfées dans ce Traité , les
Anglois ne ſe ſont jamais ſoumis à ces
deux Articles , & les Eſpagnols eux -mêmes
ne les ontjamais obſervez : Mais ce
dernier Traité les renouvelle au préjudice
de la Grande Bretagne , y fait entrer V.
M. comme Partie , & la rend même ga .
rante envers les Etats Généraux pourdes
Priviléges qui tournent à la ruïne de Votre
Peuple.
La promtitude extraordinaire avec laquelle
Votre Ambaſſadeur conſentit à dépoüillerVos
Sujets de leurs anciens Droits,
&
AVRIL 1712. 539
& V. M. du pouvoir de leur procurer
quelque nouvel avantage , paroît évidemment
de ſes Lettres , que Vous avez
fait donner à Vos Communes : car lors
qu'on offrit certains Articles avantageux à
V.M.& à Vos Peuples , pour les inferer
dans ce Traité , les Etats Généraux ne
voulurent pas les admettre , ſous prétexte
qu'il n'y faloit rien mêler de ce qui ne
touchoit point à la Garantie de la Succeffion
& de la Barriére ; quoi qu'ils n'eurent
pas plûtót avis d'un Traité de Commerce
conclu entre V. M. & le preſent
Empereur , qu'ils renoncerent à ce prétexte
, pour inſiſter ſur l'Article , dont
VosCommunesſe plaignent aujourd'hui ,
& que l'Ambaſladeur de V. M.accorda ,
quoi qu'il n'eût aucun rapport à la Succeffion
, ou à la Barriére , & que ceMiniſtre
lui - même ſe fût départi pour cette
raiſon de quelques Articles qui auroient
étéavantageux à ſa Patrie.
Nous nous ſommes abſtenus de fatiguer
V.M. par des Remarques générales fur ce
Traité , en ce qui concerne l'Empire , &
les autres Etats de l'Europe . Nousavons
ſeulement pris la liberté de Vous expoſer
les Maux qui en reſultent à la Grande-
Bretagne. Comme ils ſont de la derniére
évidence & très conſidérables , & que le
Vi-Comte de Townshend n'avoit aucun
ordre ni autorité pour conclure divers de
ces Articles , qui font leplusdetorraux
Aa 6
Su540
MERC. GALANT.
1
Sujets de V. M. , nous avons crû quele
moins que nous puiſſions faire , étoitde
déclarer Votre dit Ambaſſadeur , quia ne
gocié & figné ce Traité , de même que
tous les autres quien ont conſeillé la Ratification
, Ennemis de V. M. & de ce
Royaume.
Sur ces fidéles Avis & Informations de
Vos Communes , nous nous promettons
que V. M. , par la tendreſſe qu'Elle a pour
fonPeuple , le garantirade ces malheurs ,
auxquels les Conſeils de Gens mal-intentionnez
l'ontexpofé ;& qu'enVotre grande
Sageffe , Vous trouverez quelques
moyens d'expliquer & de corriger divers
Articles de ce Traité , en forte qu'ils puiffent
compatir avec l'Intérêt de la Grande-
Bretagne , & avec une Amitié ſincére &
durable entre V. M. & les Etats Géné
raux.
"
Ex
AVRIL 1712 . 541
Extrait du Régitre des Résolutions de L.
H. P. les Seigneurs EtatsGénéraux des
Provinces Unies des Pais Bas .
: LeVendredi 1. Avril 1712 .
MEffieurs de Broekhuyſen , &les autresDéputez
de L. H.P pour les affaires étrangeres,
ont en conféquence de la Réſolution Commiſſoriale
du 12. du mois paflé à ce ſujet , &
pour y fatisfaire , examiné avec quelques uns
deMeffieurs les Députez du Conseil d'Etat la
Lettre Miſſivede M. van Borſſelen , Envoyé Extraordinairede
L H. P. à la Cour de S. M laReinede
la Grande Bretagne , écrite de Londres le
8. précédent, contenant avis des Réſolutions
priſes par la Chambre des Communes du Parlement
de la Grande Bretagne , au ſujet de continuer
& entretenir dans les Païs Bas pour l'année
1712.: Premiérement, les 40. mille hommes
que S M. apris à ſon ſervice au cominencement
dela Guerre : En ſecond lieu , les to millehommesd'augmentation
faite enl'année 1703.: Ee
entroifiéme lieu , 15178. hommes; cetiederniere
augmentation faite fous condition que les
Etatsdes Provinces-Unies entretiendront autant
de Troupes que nonte la proportion de trois
cinquièmes contre deux cinquièmes . Sur quoi
ils ont fait leRaport ſuivant à l'Aſſemblée.
Que pendant l'examen de la fufdite Mitlive
ils avoient apris que M le Comte deStraffort,
Ambaſſadeur Extraordinaire& Plénipotentiaire
de Sadite Majesté , avoit déclaré la veillede ſon
dernier départ pour Utrecht , qui fut Lundi
paſſe, à quelques Seigneurs , qu'il avoit reçû
ordre parM. S Jean , Secretaire d'Etat, dedeclarer
à 1L. H. P. qu'Elles euffent àfupléer à
quimanquede leur Contingent detrois cinquié-
Aa 7
ce
mes
542 MERC. GALANT.
mes par raport aux ſuſdits 15178. hommes ;
faute de quoi S. M. congédieroit autant dudic
nombre des 15178. hommes , que la quote-part
de S. M. de deux cinquièmes contre trois cinquiémes
de la part de l'Etat , excéde le nombre
des Troupes qui a été fourni par l'Etatdans les
Païs-Basparraport aux fuſdits 15178. hommes;
Jaquelle déclaration eſt fondée ſur cette fuppofition:
Qu'au commencement de la Guerre l'Etat
s'étoit chargé de fournir pour la Guerredans
les Pais-Bas 102. mille hommes , ſavoir 42000.
pour les Garniſons & 60. mille pour la Campagne;&
que laGrande Bretagne de ſon côté nedevoit
fournir que 40. mille hommes dans les Païs-
Bas. Ces Troupes furent augmentées l'an 1703.
de 20000. hommes , qui devoient être payez ,
moitié par la Grande Bretagne , & moitié par
l'Etat : Mais qu'à l'égard des ſuſdits 15178.
hommes fournis par S. M.de la Grande Bretagne
depuis l'an 1703. , la premiére proportionde
60000. hommes à quarante mille , ou de trois
cinquiémes contre deux , devoit être obſervée.
Que cela leur avoit donné occaſion d'examiner
auffi les Votes & les Réſolutions de la Chambre
des Communes du Parlement de la GrandeBretagne
du 16. Février dernier , nouveau ſtile ,
par leſquelles il eſt imputé à cet Etat , qu'à divers
égards il n'a pas fatisfait à ſes engagemens ,
dans le fourniſſement à quoi il étoit obligé, tuivant
ſa Quote ou Contingent , pour pouſſer la
Guerre : Et auſſi d'examiner l'Adreſſe de la
Chambre des Communes préſentée à S M. fur
ce ſujet, laquelle Adreſſe , de même que leſditesVotes
, ont été imprimees , renduës publi
ques, & répanduës par tout.
Quepourdémontrer le peude fondement tant
de la ſuſdite ſuppoſition , que de ce qu'on a im
puté à l'Etat par les ſuſdites Reſolutions ou Vo
tes,&par ladite Adreſſedes Communesquiles
a fuivie , leſdits Sieurs Commiſſaires ont rédige
dans
【
AVRIL 1712.
543
dans un Mémoire les raiſons qui établiſſent le
contraire , lequel Mémoire a été delivré par lefdits
Sieurs Députez , & fera inſeré à la fin des
Preſentes.
Sur quoi ayant été delibere, il a été jugé à
propos & rélolu , qu'on enverra au Sieur de
Borſſelen , Envoyé Extraordinaire de L. H. P.
laCourdeS. M. la Reine de la GrandeBretagne ,
des Copies du ſuſdit Mémoire , & des Piéces
qui y fontjointes , &qu'on lui écrira qu'il ait à
repreſenterde vive voix& par écrit à Sadite Majefté
, & ailleurs où il pourra être utile , quela
notification faite parledit Sieur Comte de Straf.
ford, comme s'il falloit qu'à l'égard des ſuſdits
15178- hommes, l'Etat augmentat ſesTroupes
de ce qui manque à leurs trois cinquiémes , ou
que S. M. diminueroit le nombre des ſiennes ,
&les réduiroit à proportion de deux cinquiémes
par raport à celles de l'Etat , a causé d'autant
plus de déplaisir à L. H. P. , que , selon
leur jugement , elle n'eſt pas bien fondée , vû
qu'il nàya pas lieu d'exiger d'un Ecat , qui ſupporte
déja tant de charges , qu'il augmenteſes
Troupes, &que dans la preſente conjoncture,
leBiende laCauſe Commune ne peut permettre
que celles de S. M. ſoient diminuées .
Que la ſuppoſition ci deſſus mentionnée , ſur
laquelle est fondée cette notification , nepeut
être admiſe par L. H. P. , & que quandmême
elle pourroit être admiſe , toute la difference
alors ne conſiſteroit ſeulement qu'en4303. hommes,
que l'Etat auroit de trop peu , ou queS.
M. auroitde tropdanslesPaïs-Bas : à quoi lon
peut oppoſer , qu'il feroit raisonnable d'avoir
égard aux Troupes que l'Etat a premiérement
fournies au commencement de cette Guerre ,
avant que la Grande Bretagne aitde ſa partfait
aucune augmentation , & à ce que celles de l'Etat
ont été alors entretenues pendant quelques
années , jusqu'au nombre de cent deux milles
ainfi
544 MERC. GALANT.
ainſi qu'il eſt démontré par le faſdit Mémoire :
Ec que par ces raiſons , le Sicur van Borſelendemandera
, que S M. veüille bien n'exiger pas de
l'Etat qu'il augmente les Troupes , ni quede
ſon côté Elle diminuë les fiennes.
Qu'en même tems ledit Sieur van Borffelen
repréſentera à S. M. , que ce n'est qu'avec beancoup
de déplaiſir que L. H. P. ont vû par leſdires
Reſolutions ou Votes , & par l'Adreſſe de la
Chambre des Cominunes , qui ont été imprimées
, publiées & répandues de tous côtez
dans le monde , qu'Elles y ont été condamnées
ſans avoir été ouïes , comme ſi elles n'avoient
pas fatisfait à leurs engagemens , ni contribué
autant qu'Elles devoient à proportion deS. M.
pour les charges&fraixde laGuerre,, i
Que pour ledéchargerde ce blâme , & pour
informer S. M des raiſons pourquoi elles ſeper
fuadent qu'il leur a été injuſtement imputé, Elles
lui ont enjointde preſenter à S. M: le ſuſdis
Mémoire , dont en même tems , il delivrera
copie, en ajoûtant que lors qu'il plaira à S.M. ,
ainſi qu'on l'eſpére , de faire de favorables &
équitables reflexions ſur les efforts que l'Etat ,
après deux très-onéreuſes Guerres , a maintenant
& de nouveau faits dans cette troiſieme ,
dans laquelle , dès ſon commencement , il a entretenu
cent dix mille hommes : Armement ſi
puiſſant , qu'il s'en faut beaucoup quedansles
Guerres précédentes il en ait jamais fait un fi
grand, quede tems en tems il aaugmenté confidérablement
ſes Troupes , à quoi il faut joindre
la conſidération des Subſides qu'il a été obligé
depayer , & les équipemens de Mer qu'il a faits ;
L. H. P. ſe tiennent affurées que S. M ſuivant
fon équité fi connuë , auffi bien que tout le Publie,
feront néceſſairement convaincus que l'Etat
a fait dans cette preſenteGuerre , autant &
plus qu'onen pouvoit& devoit attendredebons
& fideles Alliez , ſelon les régles de la raiſon&
nie
AVRIL 1712 . 545
de l'équité , & qu'il n'y a qu'un excès d'Amour
pont leur Liberté &pour leur Religion , & un
zéle ardentpourdétourner l'Esclavage donttoute
l'Europe , auffi-bien que cet Etat fontmenacez
, quiait pu les porter à faire de fi prodigieux
efforts, & à les continuer pendant un fi longtems:
Qu'elles rendent graces àDieu de ce que
cesefforts, qu'Elles ont joints à ceux de SaMajeſté&
deleurs autres Alliez , ont été tellement :
bénits par fa Bonté Divine , qu'en comparant
l'état où les affaires étoient au commencement
decette Guerre avec celui où elles ſont prefentement,
leur face à l'égarddes Hauts-Alliez
eftmaintenant beaucoup meilleure& plus avantageuſe
qu'elle n'étoit dabord ; en forte qu'il
ſemble qu'il n'y ait plus riende néceſſaire à de
firer, que cette même conſtance , cordialité &
union entreEux , avec lesquelles on a commencé&
pouffé fi loin cette Guerre , pour conce-.
voir la juite eſpérance de la voir finir heureusement
par une bonne& folide Paix.
Que L. H. P. ont toûjours confideré l'union &
labonne harmonie entre S. M. & l'Etat , & entre
leurs Sujets de part & d'autre , comme le plus
grand appuide la Cauſe Commune , & qu'Elles
la conſidérent encore ſur le même pied , jugeante
quepreſentement elle est autant & plus néceſſaireque
jamais: Que par cette raifon Elles ont
toûjours recherché avec ſoin l'affection & l'amitié
de S. M. , de même que la confervation &
l'accroiffement de ladite union & bonne harmo
nie entre les deux Nations ; Qu'Elles la rechercheront
toûjours , & qu'il n'y a rien de plus
douloureux pour Elles , quedeſe voir réduites
à ſe juſtifier fur de pareilles cenſures , qu'Elles
ont ſi peu méritées ; d'autant plus que cela don
ne lieu aux Ennemis , à qui l'union entre la
Grande Bretagne & l'Etatdoit être redoutable ,
d'eſpérer qu'il arrivera du refroidiffement &de
la divifion entre des Alliez ſi étroitement unis .
ce
1
546 MERC. GALANT.
ce qui ne peut que faire beaucoup de malaux
uns&aux autres. i
Qu'ainſi L. H. P. defireroientque ces pierres
d'achopement n'euffent pas été miſes dans le
chemin, & fouhaiteroient qu'elles en fuſſent
ôtées au plutôt: ce qui fait qu'on attend de la
haute équite de S.M.& de fon zéle pour la CauſeCommune
, qu'Elle ne voudra pas que la continuation
du ſervice de ſes Troupes dans les
Païs-Bas , & particulièrement deſdits 15178.
hommes foit attachée & dépende de l'augmentationde
cellesde l'Etat ; Et que de leurcôté L.
H, P. contribueront autant qu'il ſera dans leur
pouvoir , & qu'il dépendra d'Elles , à procurer
&avancer le bien de la Cauſe Commune , ainſi
qu'Elles ont toûjours fait ci devant ; & principalement
à prendre des meſures avec S M. &
concerter en toute confiance les moyens d'y
réüſſir , de même qu'à faire voir à S. M. pardes
effets , qu'Elles recherchent &eſtiment infiniment
ſon affection & ſon amitié , dont le Sieur
vanBorſſelen donnera à S. M. toutes les plus
fories affurances .
Il ſera auffi remis un Extrait de la preſente Reſolution
de L. H. P. , avec une Copie du fufdit
Mémoire , entre les mains du Sieur Comtede
Straffort , Ambaſſadeur Extraordinaire &c. de
Sadite M , lequel ſera priéde teconder par fes
bons offices les bonnes intentions de E. H. P.
Paraphé , HVAN ISSELMUDEN , vt.
Et Signé , F. FAGEL.
Le Mémoire dont il eſt parlé dans la
Reſolution de L. H. P. qu'on vientde voir,
eſt trop ample pour trouver place ici tout
entier, ce Volume étant àpeine capable
de le contenir ſeul: ainſi on a été obli
gé de ſe réduire à en faire unExtrait, dans
lequel
AVRIL 1712. 547
lequel on a tâché de conſerver tout l'efſentiel.
Ceux qui voudront voir laPiece
toute entiére n'auront pas de peine à le ſa .
tisfaire , on la trouve chez tous les Librai .
res de Hollande . Elle eſt intitulée.
Mémoire ſervant à montrer que c'est à tort qu'on
impute aux Etats Généraux des Provinces-Unies des
Pais-Bas , par les Résolutions ou Votes de la Chambre
des Communes du Parlement de la Grande Breta
gue , & par l'Adreſſe de ladite Chambrepresentée
ensuiteàS. M. la Reine de la Grande Bretagne, d'avoir
manqué pendant le cours de cette Guerre , de
fournir ce qu'ils doivent , ſuivant leur Quote on
Contingent , pour pouſſer ladite Guerre.
On commence d'abord par raporter tout au
long les Vores des Communes , dont il eft par
léci-deſſus. On témoigne enſuite quelque furpriſe
que de telles Réſolutions & l'Adreſſe ou
Repreſentation qui les a ſuiviayent pû être formées
, & qu'on ait même affecté deles publier ,
contre des Alliez étroitement unis& vivant en
bonne Amitié avec la Reine , & qui ont faitde
fi grands efforts pour la Cauſe Commune, &
cela fans les entendre,&dans un tems où la bonne
intelligence eft plus néceſſaire que jamais
pour parvenir à une Paix deſirable , honorable ,
&fûre: ce qu'on remarque ne pouvoir s'accorder
avec les régles de l'équité & de l'amitié.
Onfait voir après cela l'obligation où lesSeigneurs
Etats Généraux ſe trouvent dedétruire
les fauſſes impreſſions que les Votes & l'Adreſſe
enqueſtion pourroientdonner , en faiſant quelques
Remarques ſur les points qui y font mentionnez
. L. HP diſent donc , à l'égardde ces
points qu'on peut réduire à 4. &dans leſquels
onles accuſe de n'avoir pas fourni leur quotepart
, qu'avant que d'entrer en difcuffion defdits
548 MERC. GALANT .
dits points , on doitpoſer pour fondement que
lors que la Reine de la GrandeBretagne & L.H.
P. furent obligées en 1702. pour dejuſtes cauſes
connuës, de prendre les armes & d'entrer en
Guerrecontre la France , conjointement avec les
Hauts Alliez pour la défenſe de leur furetécommune:
Que dans la fuite , Sa Majefte & l'Etat
ſuivant lesAlliances particulieres , ſurtout celle
du 3. Mars 1678. enſuite renouvellée& ratifiée
le 9. Juin 1703 ; comme auſſi ſuivant le
Traité d'Alliance du 11.Novembre 1701 conclu
entre le fen Roi Guillaume III . & L. H. P. &
renouvellé auſſi & confirmé avec S. M. & en vertu'de
la grande Alliance du 7. Septembre 1701-
concluë entre l'Empereur , la Grande Bretagne.
& l'Etat , ont dû employer toutes leurs Forces
par Mer & par Terre pour parvenir au but pro.
posédans cette Alliance, ſans que par leſdites
Alliances ouquelque autre Traité qui ſubiſte ,
onait fait aucun dénombrement particulier des
Forces avec leſquelles les Hauts -Alliez , & far
tout laGrande Bret. & l'Etat devoient pouſſer la
Guerre,Au contraire , quoi qu'on fût convenu
par le IV. Article de la Grande Alliance& par le
VIII . de l'Alliance entre laGrandeBretagne &
l'Etat , qu'on feroit un dénombrement de Forces,
cela ne futpas misen execution , foit qu'on
yait trouvé de trop grandes difficultez , foit
qu'on l'ait jugé inutile , parce que toutes les
Alliances portent , que chacun des Alliez doit
employer dans cette Guerre toutes ſes Forces
par Mer & par Terre , & qu'ainſi lesAlliezfe
font repoſez àcet égard ſur labonne foi récipro .
que.
Ces fondemens étant poſez, fçavoir que fuivant
les Traitez & Alliances mutuelles, la Grande
Bretagne & l'Etat font obligez d'employer
chacun toutes leurs Forces contre l'Ennemi
commun, & fans que leQuantum ait été déterminé
par aucun Accord ou Convention , il en
٢٤٠
MAVRIL 1712. 549
réſulte néceſſairement , que l'unique régle fuivant
laquelle on doit établir leditQuantum , eſt
le pouvoir d'un chacun , & qu'on ne peut porter
en compted'autre proportion entre la Grande
Bretagne & l'Etat , que celle de la Puiſſance
d'un chacun , & que celui des deux qui peut
prouver qu'il a tant dans cette proportion ,
qu'abſolument ſans aucune relation , employé
toutes ſesForces dans cetteGuerre pour le Bie
de la Cauſe Cominune , a fatisfait àses engage
mens , & ne peut avec justice être censurépoury
avoirmanqué-
Que ſi l'on envenoit à une comparaiſon entre
laPuiſſancede la Grande Bretagne & celle de l'Etat,
la premiére ſe trouveroit incomparablement
plus grande que laderniére , tant en égard
àl'étenduëdu Païs, des Habitans , du Commer
ce& de ſes richeſſes , que par raport à tout ce
qui peut contribuer à augmenter la puiſſance
d'un Royaume ou d'un Etat. Que c'eſt auſſi
pour cela que dans tous les Traitez non ſeulewentdans
la Guerre contre l'Eſpagne , mais auffi
depuis on a toûjours obſervé, que lors qu'on
faiſoit undénombrement de Forces , cellesde la
part de l'Angleterre ont été preſque toûjours
régléesſur lepié de3. cinquièmes contre 2.cinquiémes
del'Etat , & que quand même laGrande
Bretagne auroit beaucoup plus contribué
pour cette Guerre , que l'Etat , il ne s'enfuit
nullement que l'Etat n'auroit pas fatisfait à fes
engagemens , puiſque la puiſſance de laGrande
Bretagne & de l'Etat qui doit ſervir de régle
pour laproportion, n'eſt pas égale.
Que tout le monde doit être convaincu que
l'Etat à proportion de la GrandeBretagne & de
tous les autresAlliez , a fatisfait plus qu'abon
damment à ſes engagemens , & à tout ce qu'on
pouvoit attendre en aucune maniere de bons&
de fideles Alliez. Qu'il paroîtra preſque incroyable
à la Pofterite, que l'Etat qui a été obligé
en
550 MERC. GALANT.
en 1672 de ſoûtenirune fi rude Guerre , d'où il
ne s'eſt pû tirer que par des efforts extraordinaires
, qui enſuite a été obligé d'efſſuyer une ſecon
deGuerre contre la France , dont les charges
ont été exorbitantes , & qui les opriment encore
ſenſiblement , fans avoir pû reſpirer entre
deux: Et qu'étant entré actuellement dans une
troiſiéme Guerre , il ait pû faire de fi grandsefforts
, & les continuer auffi long-tems qu'a fait
l'Etat: y ayant encore cette différence entre la
Grande Bretagne & l'Etat, outre ladite inégalité
de puiſſance, que la Grande Bretagne n'a pas ſenti
les charges de la premiére Guerre avec les
François: Qu'en tems de Paix , elle entretient
très peu de Troupes , & qu'après la Paix de
Ryfwyk , les ayant preſque toutes congediées ,
elle ſe trouva fort foulagée , au lieu que l'Etat
après cette Paix , fut oblige d'entretenir plus de
40000. hommes : Différence très- confidérable ,
outre que l'Etat dans la premiére année de cerre
Guerre, en acu le théatre ſur ſes Terres , a été
obligé d'inonder une grande étenduë de fon Païs
pour ſe garantirdes inſultes de l'Ennemi , que
d'autres Terres ont été ſubmergées par la violence
de la Mer, & qu'une partie eſt obligeede
payer encore tous les ans de groffes Contributions
à l'Ennemi , aux quels inconveniens la
Grande Bretagne n'a pas été ſujetre, &qu'ainſi
outre ſa fuperiorité de puiſſance , elle etoit plus
en étatde contribuerdavantage pour cetteGuer
re à proportionde ces Provinces Er que fil'on
fait attention à toutes les Taxes qu'on impoſe
aux Habitans & qu'on met ſur leurs Effets , qui
font en général plus fortes que dans la Grande
Bretagne, auxgroſſesſommes que l'Etat a été
obligé de négocier tous Guerres les ansdans les trois , &pprriinncciippaalleemmeent dans celle ci , &
dont par zele pour la Cauſe Commune , & par
amour pour ſa Liberté , il s'eſt ſurchargejufqu'au
pointde couler bas , ce doitêtre unepreuve
AVRIL 1712. 551
1
1
ve convaincante que l'Etat a contribué toutesfes
Forces , & même au delà , & à proportion plus
queperſonnen'a fait , ſuivant les Traitez.
Que tout cela pourroit ſuffire pour lever tous
les préjugez que les Réſolutions & l'Adreſſede
la Chambre Baſſe renferment , comme aufſiles
-mauvaiſes impreſſions qu'elles donnent contre
l'Etat , puifque quand même on accorderoit les
manquemens qui y ſont poſez , &la ſupoſition
que l'Etat en général a moins contribué pour la
Guerre que la Grande Bretagne , il ſeroit néanmoins
vrai que l'Etat ſuivant les engagemensdes
Traitez & Alliances , a employé toutes ſes Forces
pour pouſſer cetteGuerre, & que relativement
tant à ſa puiſſance qu'aux fardeaux dont il
s'eſt charge , ilaà proportion fait autant&plus
qu'aucun des Hauts Alliez , & particulierement
auſſi que la Grande Bretagne , & que par conféquent
on ne peut imputer à l'Etat avec justice ,
qu'il n'a pas rempli ſa quote-part ni fatisfait à
ſes engagemens.
"
Quant aux motifs qui ont donné lieu à cette
Guerre,ſuivant ce qui eſt poſé dans ladite Adrelſedela
Chambre Bafie , ſavoir ,, que ce n'etoit
que pour aſſiſter l'Empereur à l'égard de ſes
,,prétentions ſur la Monarchie d'Eſpagne , &
de l'Etat , par raport a ſa Barriére , ajoûtant:
Que les Allie,z étoient intéreſſezà tous égards , an
fuccès decetteGuerre , laplupart beaucoup plus que
laGrande Bretagne, on renvoye à la teneurde la
grandeAlliance, par où l'on prouve , comme
auſſi par ce que laGrande Bretagne vient de de
mander à la France , que beaucoup depoints ,
&entre autre le Commerce en Eſpagne &dans la
Méditerranée ſont plus intéreſſans pour laGrandeBretagne
, que celui de l'Etat , &c.
Que pourlepremier point concernant le ſerviceparMer,
ddaannsslleeqquueell onditquel'Etat a manqué
à fournir ſa quote-part , pendant plusieurs
années de deux tiers , & engénéral plus de la moitié,
552 MERC. GALANT.
tié, on replique qu'on pourroit répondre àune
propofition auffi vague , en des termes pareillement
généraux ; & laiſſer au jugement de ceux
qui ont connoiſſance de la Conftitutiondesaffaires,
à quelle des deux propoſitions ondoit le
plusdéférer , ſi on n'eut trouvémoyend'avoir
le Mémoire delivré par ceux de l'Amirauté à la
Chambre Bale, dans lequel ſont exprimez les
Vaifſiſeaux de Ligne fournisd'année enannée par
S. M. & par l'Etat , pour agir conjointement
dans le Canal , dans la Méditerranée & ailleurs ,
& ſur quoi a été indubitablement formée laRéſolution
de la Chambre Baffe.
Qu'on poſe pour fondement dans ceMémoire,
que la quote-part de l'Etat contre celle de la
GrandeBretagne étoit trois contre cinq , fuivant
la Convention du 29. Avril 1689. Sur quoi il
eft à remarquer que par leVII . Articledu Traitédu
9. Juin 1703. , par lequel cette Convention
eft renouvellée , on jugea à propos que le nombre
de Vaiſſeaux que chacundevoit fournirpour
ſa quote-part, ſeroit réglé chaque année ſuivant
cette Convention . comme auſſi où ils feroient
employez , ainſi qu'on en avoit traité tous les
ans. Qu'on avoit pris ordinairement un plus
grand nombrede Vaiſſeaux pour la part deS. M.
que pour celle de l'Etat , & qu'on avoit faitplus
d'attention au Canal qu'à la Mer du Nord , delaquelle
MerduNord il n'est fait aucune mention
dans le Mémoire de l'Amirauté , & que c'eſt
pour cela qu'on avoit réduit à fort peu dechoſe
cequel'Etat a fourni pour le ſervice de Mer , ce
qu'on n'auroit aparemment pas poſé ainfi , fi
l'Etat eut été ouï là -deſſus ; parce qu'il eut
prouvé que pendant cette Guerre , tant pour le
Portugal & la Méditerranée , le Canal que la Mer
du Nord, il a employé en 1702.55. Vaiſſeanx,
en 1703. 50. en 1704.56 en 1705.56. en 1706.
54. en 1707. 59. en 5708. 53. en 1709.50. en
1710. 43. & en 1711. 40. Tous Vaiſſeauxde
Ligne
AVRIL 1712 . 553
Ligne fans y comprendre aucunes Fregates ou
moindres Vaifſeaux. Ce qui étant vrai infatto ,
& pouvant toûjours être prouvé par des Piéces
authentiques , il paroît clairement par là qu'on
accuſe l'Etat à tort de n'avoir pas fatisfait à ſe
quote- part pour les affaires de Mer.
Al'égard du ſecond point concernant les
Troupesen Flandres , où l'on accuſe l'Etat ,, de
n'avoir pas obſervé " la premiére proportion
" de 3. contre 2. concertée avec le feu Roi
.,Guillaume ; qu'ils avoient fourni 20857.
.. hommes de moins que leur quotepart ; &
qu'ils n'avoient pas fatisfait àla condition de
la défenſe de Commerce & de correfpondence
avec la France , ſous laquelle condition les
Troupes d'augmentation auroient été accordées
en 1703 .; on prouve par l'état des Troupes
de la Reine &de L. H. P. , comme il a été
délivré à la Chambre Baſſe , qu'en 1701. ona
comprisdans un Article général les 44992. hommes
que l'Etat a retenu après la Paix deRyfwyk
, avec les 34866. qu'il prit à ſa folde immédiatement
après la mort du Roi d'Eſpagne
Charles II .; & qu'en 1702. on a mis enſemble
les Troupes que l'Etat avoit pris de pluſieurs
Princes , non ſeulement cette année là , mais
aufſi au commencement de la précedente : De
fortequ'il paroiſſoit par là que l'Etat avoit renforcé
les Troupes de plus de so000. hommes
Dien long tems avant que la Grande - Bretagne
fut venue à aucune augmentation conſiderable :
lequel armement antérieur , ayant éréune grande
charge à l'Etat , merite bien d'être portéen
compte.
Enſuite on répond fort amplement à deuxArticles
, qu'on a ſuppoſégratisdans la Chambre
des Cominunes, ſavoir 1. ,, Quel'Etat au com-
,, mencement de cette guerre s'eſt obligé de
,, mettre 60000 h. en Campagne dans les Païs-
,, Bas , contre 40000, de la Grande Bretagne .
TomeV.
Вь "
&
554 MERC. GALANT.
1
"
&d'entretenir outre cela 42000. hommes
,,pour lesGarniſons. 2. Que l'Etat eſt obligé
fuivant la proportion ci-deſlus de 60. à 40. ,
ou de 3. contre 2. de contribuer à l'entretien
des Troupes qui depuis ont été priſes à la
folde de la Grande Bretagne & de l'Etat . On
ditentre autres à l'égard du premier , qu'on ne
prouvera jamais que l'Etat ſe foit engagé par
Convention à entretenir60000, hommes : Que
bien loin delà il n'eſt jamais tombé d'accord
que la G. Br. fatisfaifoit à ſes engagemens en ne
livrantde fon côté que 40000.h.; & que l'Erst
n'ajamais acquiefcé àla proportion de trois con.
tredeuxpour l'entretien des Troupes , qu'on
pourroit dans la fuite juger à propos de prendre
àſa folde. Qu'il n'y a auffi pas la moindre ombrederaifonpourcela,
puiſquela Grande Bretagne
& l'Etat s'étant engagées ſuivant la teneur
des differens Traitez , d'employer pour leur af.
fiftance mutuelle , toutes leurs forces par Mer &
parTerre, laGrande- Bretagne étant bien plas
puiffante , auroit dû entretenir beaucoup plus
deTroupes, que l'Etat dans les Païs-Bas, au
commencement de cette Guerre , vû que c'é
zoit alors l'unique endroit où les deux Puiſſan.
ces faisoient la Guerre , & que laGrande Bretagne
ne pouvoit pas alors bonifier enEſpagne
&enItalie ce qui manquoit àla proportion ailleurs.
Et fi l'Etat a été obligé de voir que la
GrandeBretagnea ſi peu fournialors , ce n'étoit
pas en vertade quelque Accorde ou Convenzion
, mais ſeulement parce que le Parlement
n'en avoit pas accordé davantage. Les raiſons
en font affez connuës , & l'Etat s'en est affez
plaint ; mais il a fallu prendre patience dans l'efperance
que tout cela feroit reparé dans la ſuite.
Touchant la Proportion , ſi on avoit voulu
prendre par Terre celle qu'on avoit établie pour
laMer, & qui avoir été ſuivie dans le nombre du
Secours matuel ſtipulépar le Traité du 3. Mars
1678.
AVRIL 1712.
555
1678. il auroit dû être de s. contre3 ; c'est-àdire
que laGrande Bretagne auroit dû fournis
170. mille hommes , contre les 102, mille de
l'Etat en Flandres.
Et ſi l'on vouloit ſuivre la Proportion de 2.
contre 1. , laquelle a été gardée pendant la
Guerre endiverſes autres occafions , en ce cas la
Grande Bretagne auroit dû mettre en Campagne
120 mille hommes contre les 60. mille, ou
204. mille hom contre les 102. mille de l'Etat.
Supoſé preſentement que l'Etat eut accepte ,
comme on le prétend , au commencement dela
Guerre , de fournir aux Pais-Bas 60. millehommes
en Campagne , & 42 mille en Garniſon ,
contre les40. mille de la Grande Bretagne , il ne
s'enfuivroit nullement de là , qu'il dût ſe ſoumettre
à la même difproportion à l'égarddes
augmentations faites depuis. Au contraire,
on auroitdû préſumer, que la Gr. Br. , confide.
rant l'excès de cette diſproportion , & la bonne
volonté del'Etat, à faire dabordles plus grands
efforts , pouranimer les autres par ſon exemple ,
ſe ſeroit portée d'elle-même à ſe charger ſeule
des nouvelles dépenſes que l'on auroic jugées
néceffaires, pour le bien de la Caufe commune ,
ſoit pour le Païs-Bas , ou les autres Païs , jufqu'à
ce que la diſproportion eut entiérement
ceffé. Et quoique , lors qu'on réſolut d'augmenter
de 20 mille hommes l'Armée du Païs-
Bas , la feconde année de la Guerre , la Gr:Br.
ne pût être diſpoſée a prendre ſur ſoi toute ladepenſede
cette augmentation; jamais pourtant,
ni en ce tems là ni depuis , elle n'a prétendu
que l'Etat dût en porter plus de la moitié.
La distinction qu'on fait entre les 60. mille
hommes pour ſervir en Campagne, & les 42.
mille qu'on aplique aux Garniſons , meritebien
une remarque particuliere. On prétend que les
feuls 60. mille doivent être conſidérez dans la
Proportion entre les Troupes de 8. M. Br. &
Bb 2 celles
556 MERC. GALANT.
celles desEtats Gen ; comme ſi l'entretien des
42. mille hommes n'étoitqu'une charge particaliere
, qui ne devroit point être comptée en
tre celles de laGuerre.
Mais qu'ya-t-il de moins raiſonnablequecerteprétention
? L'Etat ſe trouve comme bloqué,
au commencement de la Guerre , parles Trou
pesdeFrance , &cela le met dans la néceffitéde
renforcer les Garnisons , juſqu'à 42. mille hom.
mes ; pendant que la Gr. Br. , peut ſe paſſer à
beaucoup moins. Où eſt là lataifon , pourpré.
tendre que l'Etat ne puiſſe pas mettre ces Troupes-
là en compte avec celles de S. M Br. ? On
ne peut pas nier , que quand deux Alliez d'une
égalePuiſſance , s'engagent à faire la Guerre en
commun, de toutes leurs Forces , omnibus viribus
, & que l'un des deux ſe trouve avoir befoin,
de 20. mille hommes plus que l'autre,
pour ſes Garnisons ; il ne feroit , niraiſonnable
ni poffible, que celui-là ſortit en Campagne
avec autant de Troupes que fon Allie: Combien
moins donc , lorſque ce cas ſe rencontre entre
deux Alliez d'inégale force , & que celui qui
a beſoin des 20. mille hommes de plus, pour fes
Garnisons , ſe trouve fort inferieur à l'autre en
Puiffance ?
Mais poſé quelesGarniſons des Places de l'Etat
ne doivent point entrer , dans la Lifte des
Troupes fournies contre l'Ennemi ; ce feroit
toûjours un grandmécompte de les faire monter
toutes les années à 42. mille hom Ilest vrai
que la Lifte des Garnisons , qui ſe fait tousles
ans, s'eſt montée quelques années à 40. mille
hom.; mais il eſt aſſez connu que dès que
l'Armée a été formée , on a d'abord ciré des
Places , qu'elle couvroit , une partie des Garmiſons
qu'on y avoit miſes, & que le reſte , à
quelques Régimens près , a toûjours eu ordre
de ſe tenir en état de marcher au premier commandement,
pour prendre laplace desRégi
mens
AVRIL 1712.
557
mens qui auroient le plus fouffert dans les Sie
ges & dans les Batailles : co qui eſt arrivé prefque
tous les ans . De maniere que L. H Pont
été obligées de payer les Recruës & les Chariots,
à une grande partie des Régimens qui étoientde
Garnison , comme à ceux qui étoient de Campagne.
Il n'est pas moins connu . que juſqu'à la ré.
duction duBrabant &de la Flandre , en 1706. ,
on aformétousles ans en Flandres un Camp volant,
tire desGarniſons voiſines , & qui emportoitungrandtiers
de toutes lesGarnisons engéneral
; que ce Campaobligé l'Ennemi àtenirun
plus grand nombre de Troupes dans le Païs de
Waes & lelongdu Canal de Bruges ; & que depuis
1706. , tant s'en faut queles Garnitonsde
l'Etat ayent emporté plus de 42. mille hommes,
que jamais on n'y en a employéle tiers . Tout
le reſte a été misen Campagne , ce qui a été
cauſe que les Terres de l'Etat ont fouffert des
invaſions qui ne feroient pas arrivées ſi les Garnifons
avoient été plus fortes.
Il eft vrai qu'une partiedes Troupesde l'Etat
ont été employées dans les Places Eſpagnoles ;
mais celles de S. My ont ſervide même. Et fi
depuis la réduction de Lille , Tournai , & autres
Places conquiſes dans la Flandre Françoiſe
&en Artois , on a été obligéd y mettre des Garniſons;
celles du Païs-Bas Eſpagnol , ont été
confiderablement diminuées. Outre que par là
l'Ennemi eſt réduit àla néceſſité , pouraffurer
ſes Frontières , d'y redoubler ſes Garnisons &
d'en tenir juſques fur la Somme. On a done
tort de prétendre , que l'Armée ſoit affoiblie
par les Garniſons des Places conquiſes ; & fur
tout d'affirmer , qu'encore à preſent l'Etat y
employe plus de 42. mille hommes.
De tout cela , il eſt aisé de conclure , leſquels
font les mieux fondez ; ou de ceux qui prétendent
que pendant toute cetteGuerre , l'Etat eft
demeuré Bb 3
558 MERC. GALANT.
demeuré en reſte au Païs Bas de 20837. hommes
, & que la Gr. Br.en a fourni 13892 de
trop ; ou de ceux qui ſoûtiennent , au contraire
, que la Gr. Br. n'a pas fourni la moitie de ce
qu'elle devoit aux mêmes Païs Bas . Les premiers
vont directement contre les Traitez du 3 .
Mars 1678 , da 11. Nov. 1701 , & de la Grande
Alliance ; les autres s'y apuyent , &lesfoivent
à la Lettre. Les premiers rejettent laproporzion
ci-devant reçûë, & les autres s'y atsachent:
Les premiers n'ont aucun égard à la différence
qu'il y a entre les Forces des deux Nations , &
les autres croyent que fuivant la teneur des
Traitez elle fait la régle de la Proportion : Le
premiers enfin , ſe fondent fur un ſimple Meſſage
Verbal envoyé au Parlement , ſansl'aveu nila
connoiffance de 1 Erat , & qui , au pis aller ,
ne prouveroit qu'une partie de ce qu'ils prétendent;
& les autres s'arrêtent aux Traitez , & à
ce que la raiſon & la Puiffonce de Fun &de l'autre
Etat dictent clairement.
On convient que la Reine de la Gr. Br. a fait
hors du Païs Bas , & fingguulliieerreemmeenntt par Mer.
enPortugal, en Eſpagne & en Italie , desefforts
plus grands que ceux des Etats Généraux;
mais on nie que , ſur ce fondement , la Gr. Br.
puiffe avec raifon accuſer l'Etat de n'avoirpas
fatisfait à ſes engagemens , du moins juſqura-ce
qu'on ait montré que ces plus grands efforts
ayent excedé les manquemens au PaïsBas.
Et comme le Comte de Straffort , Ambaſſadeur
Extr. & Plén. de S. M. Br. , a donné à connoître
qu'à l'égard des Troupesdont on a suganentél'Armée
au Païs-Bas , depuis l'an 1703. ,
S.M. s'attendoit que les Etats Généraux renfor.
ceroient leur quote-part juſqu'à la proportion
detrois s. contre les 15178. h. qu'elle y paye ;
ou qu'à faute de cela , elle en diminueroit le
nombre, juſqu'à la proportion de deux 5. contre
celles de l'Etat , on a crû qu'il feroit bon, de
L join-
:
AVRIL 1712. 559
joindre ici un Compte de l'état deſdites Troupes
.
Les Troupes qui fervent aux Pais-Bas à la
folde delaGr. Br. , se montent, fuivantlaLifre
remifé an Parlement en Février 1712. , à
64597. hom. Les Troupes qui fervent a
Païs-Bas à la ſolde de l'Etat , ſe montent , fuivant
le mêmeEtat, à 123139 h. Total des
Troupes de la Gr. Br. & de l'Etat , 187736.
hommes.
Suivant la Prétention de la Gr. Br , l'Etat attroit
accepté au commencement de la Guerre ,
de fournir 102000. h. , outre 10000. en 1703
LaGr. Br. 40000. h. , outre 10000. en 1703.
Depuis l'an 1703. , la Gr. Br. & l'Etat auroient
encore pris à leur ſervice 25736.h.; dont l'Erat
devroit porter trois f. , ou 15442. h.; &
la Gr. Br. deux 5. , ou 10294. h .: Total Gr . Br .
60294. h .; l'Etat , 127442 h .
La Gr. Br. paye en tout , comme ci deſſus ,
64597. h.: Par conséquent de trop , 4303. h.
L'Etat payeen tout , comme ci-deſſus , 123139.
h: Ainfi trop peu , 4303 h.
:Il paroît par le compte ci-deſſus : 1. que la
Gr. Br. a fourni 14597. h par deſſus les 40 mille&
les 10. mille , &non pas 15178. comme on
le pretend : 2 que quand même on accorderoic
les propoûtions erronées de la Gr. Br. , favoir
que VEtat auroit accepté de fournir en Flandres
102, mille hommes contre 40. mille ; & qu'il
devroit payer trois 5. des Troupes d'auginenta
tiondepuis 1703. , & la Gr. Br. ſeulement deux
5.; avec toutcela , la diſproportiondonton le
plaint, ſe réduiroit à 4303 hommes..
Sur quoi l'Equité voudroit que l'on confiderất
: 1. que l'Etat avoit augmenté ſes Troupes
deplus de 50. milleh:, long tems avantque la
Gr. Br. eût fait de son côté aucune augmentation
confiderable: Et 2: que l'Etat a payé pendant
quelques années 7385. h. , au deſſus des
Bb 4 102.
560 MERC. GALANT.
A
102, mille, & par deſſus ſa moitié de 20. mille
h. pris en 1703. De maniere que , même en
ſuppoſant pour bien fondées toutes les prétentions
de la Chambre des Communes , ( ce qui
n'eſt pas, ) la prétendue diſproportion dont il
s'agit, ſeroit tellement balancée par les deux
Articles ci-deſſus , qu'elle diſparoîtroit entiérement
, & ne meriteroit pas la moindre refle
xion.
Quant aux reproches qu'on fait à l'Etat , de
n'avoir pas fatisfait à la Condition de la Défenſe
duCommerce, ſous laquelle l'augmentationdes
20. mille h avoit éte accordée en 1703. il ſuffira
de dire , qu'avant de pouvoir affirmer , que
l'Etat a manqué à cette Condition , il faudroit
avoir prouvé qu'il l'avoit acceptée ; &c'eſt ce
qu'on ne trouvera jamais qu'il ait fait pourplus
d'un an . La Convention faite fur ce ſujer, le
11. Avril 1703 .. le dit expreſſément . L'Etat
confentitàcette Défenſe, malgré les difficultez
qu'il y trouvoit ; Mais ſon engagement ne fut
que pour un an , par maniere d'eſſai , &nullement
comme une Condition à laquelle l'augmentation
des Troupes fut attachée ; aufſi ne
fut-ce que par pure déférence pour S. M. Br. ,
qui en avoit fait faire inſtance. La Convention
futexactement obſervée tout le tems qu'elle dura;
& après fſon expiration , les Etats Gen, firent
connoître à SM les raiſons qu'ils avoiene
pour ne pas la prolonger : On y aquieſça ; on ne
parla plus de la Défenſe du Commerce ; l'augmentation
des 20. mille h. fut continuée ; &les
Communes accorderent tous les ans les Subſides
néceſſaires , pour la portion que laGr Br devoicy
contribuer , ſans jaunais faire la moindre
difficulté fur la Défenſe , ni fur la Condition .
N'eft- il donc pas étonnant , qu'après un filong
tems , cette affaire foit renouvellée , pour charger
l'Erat de n'avoir pas fatisfait à une Condizion
qu'il n'avoit acceptée quepourun an ?
11
AVRIL 1712 561
1
1
1
Il y a encore dans l'Adreſſe des Communes
une Pofitionde fait , qui pourroit donner lieu à
une grande erreur ,fi on lalaiſſoit fans réponse.
On ypoſe , que par la Guerre du Païs-Bas , l'Etat
a faitdegrandes Aquifitions , tanten Revenus
qu'en Terres &en Etats ; & que des Revenus
de ces riches Provinces conquiſes , il auroic
pû faire & entretenir une Augmentation confiderable
de Troupes contre l'ennemi commun ,
s'ils y avoient été dûment employez : Mais
qu'au lieu de les apliquer à cet uſage , l'Etat les
a fait tourner à fon propre foulagement , & à
l'entretien de fa quote part , &c .
Tout lemondefait , quedepuis la Bataillede
Ramilli , la Flandre Françoiſe & l'Artois ont
éré le Théatre de la Guerre ; que deux Armées ,
beaucoup plus nombreuſes que celles des années
précédentes , y ont agi & fubfifté ; quel'Ennemi
en a toûjours tiré les Contributions ; & que
le plat-païs a été tellement ruiné par les Foura
gemens, Livrances de Pionniers , Chariots ,
Chevaux & Faſcines , & plus encore par les ravages
, pillages , démoliſſement de Maiſons .
&c. que pour ſe remetttre il aura beſoin d'un
fort long tems . Les Habitans des Villes ont
auffi leur part à ces miferes . Ils font accablez
de Garnisons , auxquelles ils doivent fournir
logement , feu , chandelle . &c . Loin de retirer
quelque choſe de leurs Terres , ils font obligez
de nourrir leurs Païfans . Le Commerce&
les Manufactures , qui ont ci - devant fait la principale
richeſſe de Lille & deTournai , ne vone
plus; les Ouvriers deferrent , ou font obligez
par l'excèsde leur pauvreté à prendre partidans
les Troupes. Un Paisfi miferable ne fauroic
fournir à l'Etat de quoi entretenir beaucoup de
Troupes , quand même il n'aporteroit pas avec
foi ſes dépenſes inevitables , comme font la
réparation des Fortifications , & des Bâtimens
zuinez par les Siéges , lerempliſſement desMa-
Bbs gazins
(
562 MERC. GALANT.
gazins épuifez , & autres dépenſes ſemblables.
Mais pour venir à quelque choſe de plus précis,
on affure que depuis l'an 1706. , l'Etat n'a
tiré de ces Conquêtes , que 1590916. liv.:
Somme fi petite , en comparaiſon des dépenses
qu'il a falu faire pour rétablit les Fortifications
&remplir les Magazins de Menin , Lille , Tour
nai Doüai , Bethune , Aire , S Venant &
Bouchain , & pour les autres réparations faites
pendant le tems de fix années à toutes les Places,
Forts & Citadelles de ces Pais , qu'aſſuremene
on ne pourroit ſoûtenir avec juſtice qu'elle n'y
a pas été employée.
La Ville & Châtellenic de Lille , avec Doüsi,
Orchies& fes autres dépendances , eſt ſanscom
tredit la plus riche Conquête que l'on ait faite
aux Pais Bas. Cependant , le Roi T. C. n'ena
jamais tiré , en tems de Paix, au delà de 3. ου
400. mille livres , argent de Flandres , ( quien
valeur eſt de 12. pour cent moindre que celui
deHollande ; ) foit ſous le nom des Aides , Doamaines
, Fortifications , ou autres Impofitions
ordinaires , de quelque nature qu'elles foient;
excepté ſeulement les Droits d'Entrée & de Sor
tie, dont on ne peut faire une juſte eitimation ,
mais qu'on peut affurer être prefentement fur
an fort mediocre pied, Les Subſides extraordinaires
, & la Capitation , par leſquels on a
groſſi , à l'occafion de la Guerre , les Revenus
du Roi de France, ne lui ont pasproduit400.
mille livres paran , argent de Flandres , juſqu'à
J'an 1704.; auquel tems il fut augmenté de
$2540. livres par an , mais ſous condition expreffe
que la Province ſeroit libre de toute autre
forted impofitions , & qu'elle cefferoit , auti
bienque laCapitaattiioonn&les autresAides extraordinaires
. le jour de la publicationde laPaix,
On voit par là , fi c'eſt avec fondement que la
Chambre desCommunes ſuppoſe en ſonAdreſſe
ecquedeſſus,
Sur
AVRIL 1712. 563
Sur le troifiéme Article , où l'on se plaine
que l'Etat n'a pas fourni ce qu'ildevoit pourla
Guerred'Eſpagne& de Portugal , &c . on répond
que, pour peu qu'on fafſe réflexion à ce qui a été
ditci-deſſus des confidérables Forces de l'Etat
aux Pais - Bas , on conviendra , qu'il n'auroit
pas été raifonnable que les Etats Genéraux contribuaffent
à cette autre Guerre par une égale
portion avec S.M Britannique , & que même
cela ne leur étoit pas poffible. La GrandeBres
tagne étant beaucoup plus puiffante que cet
Etat , & l'Etat ayant néanmoins contribué beaucoup
plus qu'elle à la Guerre du Païs- Bas , il
étoit raiſonnable & juste qu'il s'en fit ailleurs
quelque compenfation. Si donc la GrandeBretagne
a pluscontribué que l'Etat aux affaires de
Portugal&d'Eſpagne , ce ſurplus doit être con.
fideré comme un Suplément aux manquemens
de ce qu'elle a dû contribuer aux Païs Bas.
Par leTraitéde 1703 avec le Portugal , l'Etat
s'obligea d'y envoyer & d'y entretenir 4000.
hommes. On les y a effectivement envoyez &
tenus complers juſqu'en 1706 , que le Théatre
de la Guerre fut tranſporté des Frontières de
Portugal dans le Royaume de Valence & en Ca
talogne. Ce changement ſe fit à l'inſçû de l'Etat,
& la ſeule part qu'il y eut , fut un rédoublement
de dépense , pour envoyerenEſpagne
les Renforts qui avoient été deſtinez pour le
Portugal. Lenombre deTroupes que l'Etat a
envoyez en Portugal on en Catalogne , depuis
laconclufiondu Traité , ſe monte à 15724 Fantaffins
, 3120. Cavaliers , & 4963. Recruës ; en
tout23807. Les Recruës envoyées aux Troupes
de l'Ecar , & celles qui ſe ſont faites dans
Je Païs , ont en ce fuccès , que ces Troupes fo
font trouvées ordinairement plus completzes
, & plus en état de ſervice qu'aucune des
autres
On convient que par le Traité , laGrande
Bb6 Bre
564 MERC. GALANT .
Bretagne n'étoit obligée qu'à un tiersde 12008.
h . , & que l'Empereur devoit fournir l'autre
tiers ; mais S. M. Britannique a pris ſur ſoila
portionde l'Empereur , fans aucune concurren
ce de la part de l'Etat ; & c'eſt fans raiſon que
cetArticle ett mis contre l'Etat en ligne de
compte, entre les effortsque S M a faits hors
du Pais. Le Traité n'oblige lesEtats qu'à un
ciers des 12. mille hommes , & ils y ont fatisfait.
Après cela , ils ne font tenus à aucune
autre Proportion qu'à celle de la Grande Alliance
, & des Traitez de Mars 1678. & Novembre
1701. , leſquels les obligent à faire la Guerre de
toutes leurs Forces , & c.; ce qu'ils ont auffi
éxécuté très - fidellement : & l'on ne fauroit
fans injustice leur ôter le témoignage d'avoir fait
en cette Guerre leursplus grands Efforts , egalement
& par deſſus leurs Alliez.
A ce que les Communes diſent dans leurRémontrince
( pag. 529 530 ) des grands fraix
pour l'extraordinaire de la Guerre : on répond ;
que filaGr. Br, a employé detrès -grandes fommes
pour l'extraordinaire de la Guerre d'Eſpagne&
de Fortugal , les Etats en ont auffiemployé
de très grandes pour ceux de la Guerre du
Pais Bas; que ces fommes montent à 65861821.
liv.; & qu'ainſi elles excedent celles que la Gr.
Br. ya miſes de 53683765 liv. , à compter fur
lepiedd'onze liv . de Hollande pourunel.ft.
Si l'on allégue que l'Etat a beaucoup retiré
desContributions , &c. On leur oppofe les Con.
tributionsdes Pais que payent auffi les Habitans
da reffort de l'Etat , la depenſe des Fortifica
tions & des Magafins de Liege , Hay , Limhourg
, Raremonde , Venlo , Stevenſwaert,
Bon , & Traerbach ; les dépenses del Artillerie
, & des Munitions de Guerre pour tous les
Siéges qui ont été faites en cette Guerre
qui ne font point compriſes dans les 65861821.
1. ci-deſſus mentionnées; &enfin ,lesQuartiers
&
d'His
AVRIL 1712 . 565
d'Hiver de quelques Troupes Auxiliaires . &
les marches & remarches des autres Troupes par
le même Pais , ce quia tellement ruiné les Habicans
, qu'ils ne font plus en état de payer les
Impoſitions.
- Le Quatriéme & dernier Point regarde les
Subrides , &c. ( voyez p.530 ) Surquoi il faut
obferver.
1..Qu'on n'y fait point attention à 40. mille
écus paran , que les Etats payent ſéparément à
l'Evêque deMuntter , nià iso mille écus qu'ila
ont pareillement payez par an au Duc de Wirterberg
,depuis 1704. juſqu'à 1709.; encore
moins d'une ſomme de 400. mille écus que les
Etats Généraux ont payez au Roi de Danne
marc.
1.
12. Quepar le Traité avec le Portugal , laGr.
Br. n'est pas chargée plus haut que l'Etat ,
mais que de la même maniere , & par les mémes
raiſons que S. M. a trouvé bon de prendre
furfoi la portion de l'Empereurdans les 12000.
hommes , Elle s'eſt pareillement chargée de ſa
portiondans les Subfides. Ce Tiers-là peutêtre
porté en compte à l'Empereur , mais il ne
ledoitpoint être aux Etats ; & ainſi la differencedes
payemensde la Gr. Br .& de l'Etat ne reftera
plus fi grande , &c.
Pofénéanmoins , qu'on convint que laGr Br.
eût payé pendant les dix années de laGuerre ,
3155032. & demi écus de plus quel'Etat , ce
qui reviendroit à un peu plusde 300 mille écus
par an, ce furplus de payement ſe trouveroit
bien petit , en égard à ladifference des Forces
del'un& l'autreEtat ; &c.
Au reſte , on aſſure que l'Etat , en ſe char
geant, au commencement de la Guerre de la
moitié des Subfides promis à divers Princes , a
fait plus que l'on ne devoit prétendre de lui ;
mais cela n'a point dû tirer à conféquence pour
les autres Traitez qui ſe feroient à l'avenir ; &
: Bb 7 ja566
MERC. GALANT.
jamaisilnes'eſt engagéà payer la moitiédetous
les Subfides que l'on auroit pû promettredans
la fuite de cette Guerre. On dit au contraire,
qu'il avoit de grandes raiſons pour ne s'ypasengoger,
foit en égard à l'inégalité de ſes Forces
&decelles de la Gr. Br. ſoit eu égard aux Traitez
faits dans la précedente Guerre avec le Duc
deSavoye & avec d'autres Princes , parleſquels
laproportiondes Subſides accordez pour pouffer
la Guerte autre part qu'aux Païs Bas , aprefque
toûjours été de deux tiers pour laGr.Br. ,
contreun tierspour l'Etat. Si bien quedequelque
côté qu'on tourne ſes conſidérations , il ne
reſte à laGr B. aucun ſujetde ſe plaindre àcet
egard. C'eſt cedont on a été fort convaincu en
Angleterre, puiſquenon ſeulement S. M. a pris
fur toi la portion de l'Empereur dans le Traité
dePortugal; mais que deplus, lors qu'Elle entra
dans le Traité que l'Empereur avoir fait avec le
Duc deSavoye, long-tems avant que l'Etaty en
trât . Elle ſe chargea volontairement des deux
tiers des Subfides qu'il falloit payer à ce Prince.
Ce qui fait voir, que quand même l'inégalité
dans les payemens des Subfides , & dansles autres
Dépenfes dont S M. s'efl chargée , ſeroit
contre laProportion , ( cequin'eſt point , ) on
ne pourroit pas avec fondement , en tirer aus
jourd'hui des motifs de griefs contre l'Etat ,
puiſque c'eſt volontairement que S M s'en eft
chargée
Le réſultat de tout ce qu'on vient de dire eft ;
Que fuivant les Traitez & les Alliances , laGr.
Br. & cet Etat font obligez chacun d'employer
toutes leurs Forces dans la preſente Guerres
Que puiſque la quote part de l'un & l'autre ,
n'a été réglé par aucune Consention niAccord ,
Ia Proportionn'en doit, & n'en peut être réglée
de ſur celle de leur Puiſſance reſpective : Quo
la GrandeBretagne eft incontestablementplus
puiſſante que cetEtat: ainſi qu'elle doit contri
buer
que
ta
AVRIL 1712. 567
buer davantage à toutes les charges &dépenfos
de la Guerre: Qu'en toute maniere , l'Etat a
rempli ſes obligations par raport à la Gr. Br.;
Que fi en queique endroit il n'a pas contribué
autant qu'elle , en échange il a fait beaucoup davantagedansles
autres : Qu'en général , il peut
dire avec vérité qu'à proportionde ſes Forces,
il a pour le moins autant fait que la Gr Br. &
qu'aucun des autres Alliez : QuecommelaGr.
Br. mérite de grands éloges , & une grande reconnoiſſance,
pour les genereux efforts en faveur
de la Cauſe commune ; de même , on ſe
confie que toute Perſonne qui verra d'un oeil
équitable & impartial ceux que les Etats ont
faits de leur côté , tant avant la Guerre , que
juſqu'à preſent , leur fera la Juſtice de reconnoftre,
qu'ils n'ont merité en aucune maniere
le blâme qu'on leur impute par les Réſolutions
& par l'Adreſſe de la Chambre des Communes ;
Ec qu'enfin , on ne peut raifonnablement , ni
avec justice , prétendre de l'Etat , que nonobſtant
les dépenfes qu'il fait aux Païs-Bas, fans
comparaiſon plus grandes que celles de la Gr.
Br. , il contribuë encore dansles autres Païs par
égalité avec elle ; & que la Gr. Br. ne contribuë
aux charges de la Guerre , à proportion de cinq
contre trois , que par Mer ſeulement , & non
dans les autres dépenses.
On dit enfin qu'on pourroit montrer parde
bonnes raifons, que l'adreſſe ſuſdite , en ce
qu'elle réaschit fur l'Etat , contient des propofitions
erronées au ſujet du Traité de Barriére :
mais , outre que l'on peut avec juſtice s'en tenir
à unTraité , qui a été conclu & ratifié dans
4
l'ordre requis ; on ne croit pas qu'il foit á proposd'entrer
en ceste Difcufion , d'autant moins
que l'on négocie encore , pour voir , ſi par quel .
queelucidation , ou autrement , on pourroitlever
les diicultez qu'il ſemble qu'on ytrouve
preſentement dela part dela Grande Bremagne.
TA
TABLE
Pour le Mois d'Avril 1712 .
REponſes à quelques plaintes contre le
411
Idée , à l'imitation & ſtile Rabelaiſien ,
414
Dixain ſur le ſtile Marotique , 416
Mort du dernier Dauphin , 416 . ſuiv .
Sur les meſures Géométriques des Voutes,
419
Supplement au Mémoire inſeré dans le
Mercure de Trévoux de Janvier 1711 .
fur les changemens arrivez à la furface
delaTerre , 422
D'une eſpece d'homme Marin pêché au
Conquêt, 425
Sur un Portrait en grand , envoyé par une
Dame a l'Auteurpour mettre dans une
Salle, 427
Extrait d'une Lettre de M. le Colonel
Funck , écrite de Conſtantinople le 14.
Janvier 1712. à M. de Cronſtrom ,
EnvoyéExtraordinaire de Suede , 428
L'Eloge du Vin de Bourgogne , Traductien
de l'Ode Latine de M. Grenan , 2
431
La Champagne vengée , ou Loüange du
VindeRheims , qu'un Poëte Bourguignon
a blâmé ,
Morts,
435
Heraulta
439
DES MATIERES.
Heraults d'Armes , 444
Avanture de deux Officiers , 447
Lettre à Madame D. T. après ſa petite ve.
role , en lui envoyant un Collier de
perles en Laqs d'Amour , 454
Le Deüilde la France , Ode. 459
Morts , 463
NouvelleRecente , 466
Epitaphe de Monſeigneur le Dauphin &
deMadame laDauphine , 468
Voyagede l'Amour & de l'Amitié , 472
Dialogue entre un Berger& une Bergere ,
473
Lettre deQuebec , 484
Animaux qui font du feu , dans des eſpéces
de Cavernes ſous des Roches , 490
Lettred'Aras , 497
Nouvelles d'Allemagne , 500.
Nouvelles d'Eſpagne , SOE
Nouvelles d'Angleterre , 502
Nouvelles diverſes , 503
Lettre d'Utrecht , 304
Penſions données par leRoi , 505
Enigmes , 507
Extraitdepluſieurs Lettres , 512.&ſuiv.
Addition faite en Hollande . Très-humble
Remontrance de la Chambre des
Communes à la Reine , 518
Réſolution des Etats Généraux au ſujet de
ladite Rémontrance ,
Mémoire pour justifier les Etats de ce
--qu'on leur impute dans ladite Rémon-
541
trance ,
547
TATABLE
GENER ALE
DES
MATIERES.
:
DU TOME V.
Cadémie
A
Françoiſe , ſujet qu'elle
propoſe pour le prixdePoëfie, l'annéeprochaine,
121
Animaux qui font du feudans des Cavernes
, 490
Affyriens , Recherche de l'Origine de cet
Empire ,
Avanture arrivée dans un Bal ,
Avanture de deux Officiers à Boulogne ,
41
187
447
B'Enéfices.
B.
227
C.
Anglois en cePais-là ,
Canada, Relation des entrepriſes des
ſuiv.
Canalde Doüay , comblé par les François
,
116
Carinat ( le Maréchal de) (a mort , 463
Chanson du Tabac , notée, 62. A Boire,
notée , 204 ADormir , 472
Chevillard , Auteur de pluſieurs Ouvra-
- ges &Généalogies , 18 33-37
CirculationduSang , Differtation curieuſe
làdeſſus , 172. faiv.
Dau
DES MATIERES.
D.
Dauphin & Dauphine , leur mort &
enterrement , 267. &fuiv . Mémoire
curieux fur les Dauphins & Dauphines
de France , 272
DéurfesdesJettons de 1712. , 64
Dialogues des Dieux , Livre nouveau :
Rélections curieuſes ſur la nature du
Dialogue , & c . 219
Difcours fur les changemens qui arrivent à
la furfacede la Terre ,
E.
EGinbard , Auteur de la
422
viede Charlemagne
, Rémarques là-deſlus ,
196
Empereurs ( Succeſſion Chronologique
des ) 33. Remarques fur l'Origine
de cette dignité , 34. Cérémoniesde
leur Couronnement , 38. fuiv.
Enigmede laToilette , 58. De la Féné
tre , 61.245. Da Pepin , 246. Parodiéc,
507. DuMaſque, 247. Paro-
509
414
Eftampe curieuſe faite à Londres avec la
diée ,
L'équilibre , Conte à la Rabelais ,
figuredu Diable , & c . IIG
EtrennesdeMercure , 3
Expédition des François à Brefil , 326
H.
H
Eraults d'Armes , quel eſt leur office ,
&c.
444
HiftoriettedubonMédecin , 43. &saw.
HommeMarin , pêché au Conquêt , 425
Jetions
TABLE.
64
Ettre à une Sucdoiſe , en Vers & en
Jettons de 1712. , leur Deviſes ,
L.
L Profe,
Μ.
M
209
Achine nouvelle pour ſçier les Marbres,
201
Mariage du Chevalier de Luxembourg ,
( 118. Autres Mariages , 207 294-443
Mémoire de l'Electeur de Hanovre à la
Reine d'Angleterre, touchant les Négociations
de Paix , 125. ſuiv.
Mesmes (M.de ) nommé premier Prefi.
dent , 313. Compliment qui lui eſt
fait par la Sorbonne , 224
Mines de Pologne , Rémarques curieuſes
là-deſſus , 140
Montmorency, Origine & Généalogiede
cette Maiſon , 18
Morts, 117.205. Du Dauphin &de la
Dauphine , 267. Autres Morts , 284 .
Mort d'un autre Dauphin , 416. Autres
Morts , 439.463.&c.
Moscovie ( le jeune Prince de ) détail des
cérémonies de ſon Mariage ,
N.
84
Nociation HanaixaMémoire de
1
l'Envoyé Offresde la Fdr'aHnacneopvoruerllàadPefafiuxs,, 257 .
Adreſſe de la Chambre des Seigneurs
fur leſdites Offres , 260. Demandes
des Alliez , &c.
375
Nouvel An, Rémarque curieuſe ſur les
Etren
DES MATIERES.
Etrennes qui ſe donnent alors , 5.151.
Nouvelles d'Allemagne & du Nord , 83 .
De Bender , 88. DeConſtantinople ,
88. De Stralzund , 93. De Warſovie
, 94. De Vienne , 96. D'Efpagne
, 97. fuiv . De Milan , 103 .
De Lisbonne & de Naples , 105. De
Rome , 107. De Venise , 108. De
Londres , 109. De Bayone , 113. De
la Haye , 114. D'Arras , 115. De
Madrid , 117. De Lisbonne , 121. De
Gironne , 122. De Hambourg , 122 .
De Bender , 123 , D'Aras , 124.
Nouvelles diverſes du mois de Février ,
voyez la Table dudit mois .
Nouvellesdu mois de Mars , voyez la Table
duditmois .
Nouvelles de Conſtantinople & de Mofcovie
, 428. De Flandres , 466. Di
verſes , 469. D'Aras , 497. D'Allemagne,
500.
gleterre , 502. DUtrecht ,
D'Eſpagne , 501. D'An-
Nouvelles diverſes ,
Ο.
504
512. fuiv.
1
Reille Differtation ſur ſa ſtructure ,
Ο &c.
300
P
Arent ( M.) ſa méthode pour la mefure
des Voutes ,, 419. Son Difcours
ſur les changemens arrivez à la
furface de la Terre , 422
Peletier ( M.le) ſe demet de la charge de
premier Preſident , 213
Plaintes
TABLE
Plainte contre le Mercure avec les Réponſes,
411
Peinture ( Académiesde ) à Rome, ſous
la direction des François , 14
Penfionsdonnéespar leRoi , 505
Pourpre , Differtation là-deſſus , & découverte
d'une nouvelle maniére de
teindre cette couleur , 10. &fuiv .
:
POESIES .
Les Etrennes de l'Oye , 3
Bouts-Rimez , 53
Etrennes en envoyant un Pigeon , 66
L'Amour puni , imitation d'Auſone , 69
Piece fur un rémede pour la fiévre , 73
Ode à M. B de M. 77
Sujet propofé par l'Académie Françoife
pour le prixde Poësie , 121
Cantate fur le recouvrement dela ſanté
du Comte de Toulouſe , 136
Madrigal à une Femme jalouſe ,
Quatrain pour M. d'Avaux ,
Ode de M. de la Morte ,
Autre Madrigal ,
Vers fur l'inconſtance ,
Piece nouvelle ſur la vanité des choſes du
168
170
171
194
217
monde , 242
L'Horloge de Sable, figure du monde ,
355
Dixain ſur le ſtile Marotique ,
416
Vers fur un Portrait d'une Dame envoyé
à l'Auteur , 427
L'EDES
MATIERES .
L'Eloge du Vin de Bourgogne , traduite
du Latin ,
Vinde Rheims ,
431
La Champagne vengée , ou loüange du
435
Lettre àuneDameaprès ſa petite verole ,
454
Óde de M. de la Motte , fur la mortdes
deuxDauphins &de la Dauphine , 459
Epitaphium Delphini & Delphinæ , 468
Voyage de l'Amour & de l'Amitié , 472
Dialogue entreun Berger & une Bergere ,
Quefions
९
،
&Réponſes, 226.232.
478
Question fur la difference entre la Ten
dreffe & l'Amour ; & réponses , 54.
Suiv
Eaumur
R.
M.de ) ſon Diſcours
Teinturedu Pourpre
furla
1. 10
Relation de l'Expédition de M. Guay
Trouin en Brefil 326
Remontrance de la Chambre des Communes
à la Reine , contenantdes plaintes
** contre les ci-devant Miniſtres & les Alliez
, 518.Sfuiv.
Reſolutions des Etats Généraux , & leurs
Réponſesà ladite Remonſtrance , 541
S.
Savoye, Mémoire touchant l'Antiqui &c . de cette Famille .
)
Suedois , leur réponſe aux Manifeſtes du
Roi
TABLE .
Roi de Danemarc & du Roi Auguſte ,
:
T
T.
95
Hefededice auDuc deLorraine , 17
V. :
Vol,Hiſtoire d'anVol fait chez Payen,
Yout es leurs meſures ,
FIN.
AVERTISSEMENT .
166
419
On trouve chez T.Johnson , Libraire à
laHaye, unLivre nouveau , qui apourTitre
: Mémoires ſur l'état de la Religion
Réformée en France , contenant les plaintes
du traitement injuſte qui a été fait à
ceux qui la profeffent , & une déduction
abrégée du droit qu'ils ont de demander
leur rétabliſſement au prochain Traité de
Paix. 4. On yfait voir que tous les Princes
Proteftans font engagez par de très
puiſſans motifs à foutenir les intérêts des
Réformez de France , qu'ils font en droit
dele faire , & que la Grande Bretagne eft
engagée particulièrement , & en poffeffion
de garantir & maintenir leurs Privi.
léges.
Ildebite aufi , Mémoires pour montrer
que les Proteftans François Réfugiez ne
doivent pas être privez de lajoüuſſancede
leurs biens , & une Déclaration de S. A.
E. Palatine en faveur de ſes Sujets Proteltans.
Le tout in 4. Spropre à être relié
ensemble
0 0000 000 0
K.K. HOFBIBLIOTHEK
ÖSTERR . NATIONALBIBLIOTHEK
74.L.88
74.2.88,
MERCURE
GALANT.
PAR MR . DU FRESNY.
Mois de Janvier 1712.
Sur la Copie de Paris.
AVEC DES ADDITIONS.
TOME CINQUIEME,
A LA HAYE ,
Chez T. JOHNSON.
M. DCC XII
74488
5
Livres Nouveaux fur les affaires du
Tems, qu'on trouve chezF.John-
Son , Libraire à la Haye .
Lettres& Mémoires ſur la conduite dela prefenteGuerre
, & fur les Négociations de Paix
juſqu'à la fin des Conferences de Geertruydenber,
g 8. Livre très curieus, dont il donnera
enpeudejours une ſeconde Edition , corrigée
&augmentée.
L'Histoirede l'Empire Ottoman parRicaut , où
l'on voit l'Origine & les progrès des Tures , les
Vies& les Conquêtes de tous leurs Sultans , leurs
Guerres , Siéges &Combats par Mer & par Terre
, les Révoltes & Révolutions extraordinaires
, & généralement tout ce qui s'eſt paſſé de
confiderable dans cet Empire depuis fon Commencement
juſqu'à 1704 avec un détail curieux
des Guerres en Hongrie& fur les Frontiéres de
Fologne& de Moscovie , & une Carte exacte de
tous ces Paîs , en 3. vol.
Les Fautes des deux Côrez , tant des Whigs
que des Torys , par rapport aux Changemens arrivez
en Angleterre , 8.
On trouve chez le même Libraire toutes les
Pieces curieuſes touchant les affairesd'Angleterre
, & les autres affaires du tems.
Il imprime tous les Lundis le Miſantrope;
qui eſt une Critique fine & delicate desMoeurs
du Siécle.
On trouve auſſi chezlui un Recueil de toutes
les meilleures Comedies Angloiſes, fort proprement
imprimées entpluſieurs petits Volu .
mes. 8
Les Oeuvres de Crébillon , contenant Idoménée
, Atrée &Thyeſte , Electre , & Rhadamisthe
Zenobie , quatre nouvelles Tragedies qui ont
été reçûësavecgrand aplaudiſſement en France.
La derniére piéce a été jouée à Paris ſeptantequatre
foisde ſuite : ſuccès prodigieux & fans
xem le.
3
ETRENNES
DE MERCURE
AU PUBLIC.
U
Les Etrennes de l'Oye.
NProcureur des moinsfameux,
Pauvre par confequent ,
tantgénéreux ,
Avoitfamilletrès nombreuſe ,
Comme luipauvre&généreuse.
Ilattendoitpour l'étrenner ,
mau pour-
Ge grand jour où Plaideurs ſe picquent de
donner :
Cejour vint& rien plus ; du Perche , ni
duMaine
Ilnevintpas la moindre aubeine ;
Mais une Oye arriva de la part d'un Coufin:
Auffi-tôtpourEtrenne il l'envoye àſa Tante
Et laTante àſa Brû , par qui l'Oye ambu-
Lante ,
A 2
De
4 MERC. GALANT.
Deparens en parens continuantson tour ,
Revint au Procureur vers le milieu du jour.
Un autre l'eut de lui , ſoit ou Gendre ou
Beaufrere;
Etpar l'Etrenne circulaire
Chacunfut étrenant , chacunfut étrenné ,
Donnant cequi luifut donné.
C'estainsiquesouvent liberalité brille ,
Une Oye àpeu defrais étrennalafamille ,
Etparle dernier Etrenneur
Revint encore au Procureur ,
Qui lesoiràsouperpour Etrenne derniére';
Ladonnadebon coeuràſafamille entiére.
JeSuis généreux,Spauvre comme lui;
Au Public de bon
d'hui
coeur je redonne aujour-
Tout cequelePublicm'envoye ,
Cesont lesEtrennes de l'Oye.
MER5
MERCURE
GALANT.
JANVIER 1712.
I. PARTIE.
LITTERATURE.
L
Anouveauté detoutes choſes
a toujours plû aux
hommes. N'est - cepoint
pourcela ſeul qu'ils ont attaché
au nouvel An une
idée heureuſe & agréable ?
Seneque appelle nouvel an le commencementdu
Regne de Neron annus novus initium
faculifeliciffimi. Le pronoſtic n'étoit
pas juſte ; mais lesFlatteurs prédiſent
toûjours merveille. On donnoit chez les
A 3
Ro
6 MERC . GALANT
Romains au premier jour de l'an des Figues
, du Miel , & des Dattes , fruits
doux , fimboles de la douce Paix , & de
Pagréable union , qu'on fouhaitoit entre
Parens& Amis . N'est- ce point auſſi com.
me fimbole de pureté, de franchiſe , &
defincérité , que les Gaulois faifoient des
preſens de gui de chêne , coupé avec une
ſerpe d'Or ? L'Or eſt le ſimbole de la pureté;
il ne reſte plus qu'à prouver que le
gui de chêne eſt le ſimbole de la fincérité.
Un Auteur l'a dit ; mais ces fortes d'éruditions
ne ſe démonftrent pas comme un
problême de Géométrie , quoi qu'il en
foit , on dit que les Etrennes Gauloiſes
étoient plus fincéres que les nôtres. Je
connois pourtant un Amant qui adonné
celle-ci : elle eſt de Monfieur leB...
Commefranc&Gaulois Amant ,
Jevousdonne en Eirenne , Iris , un coeur
fincere:
Pour vous, si vous m'aimez c'eſt unriche
present,
C'en est un fort petit fi vous ne m'aimez
quere.
La réponſe de la Gauloiſe me paroît
plus feurement fincere .
Queje vous aime ou non , votre coeur vaut
Sonprix ,
F'aimerois mieux celui d'un autre ,
1
FauJANVIER
1712. 7
F'auraipeu deplaisir àrecevoir le vôtre ;
Mais c'est toujoursautantdepris.
LeRoiTatius Sabinus reçût le premier
laVerveine du Bois ſacré de la Déeffe Strinia
, ou Strenia, pour bon augure de la
nouvelle Année ; c'étoit l'équivalent du
quide chênedes Gaulois. Etrennes vient,
dit-on, de ce mot Strenia , celui de Strenuus
, qui ſignifie vaillant , peut auſſi
avoir part à cette Etimologie , parce
qu'ondonnoit les Etrennes à ceux qui ſe
diftinguoient par leur valeur. On donnoit
dans les premiers tems des fruits en
Etrennes , mais on donna enfuite des Médailles
d'Argent. A ce ſujet Ovide fait
direà Janus , que les Anciens étoientbien
fimples de croire , que le Miel füt plus
doux que l'Argent. La Fête des Etrennes
étoit dédiée au DieuJanus , qu'on répreſentoit
à deux viſages. Quelquemauvais
plaiſant de ce tems-là , a peut être
dit que l'un des viſages de Janus étoit
triſte , & que l'autre étoit gai , pour marquer
la triſteſſede celui qui eft obligé de
donnerdes Etrennes , &la gayeté de celuiqui
les reçoit.
S'il eſt glorieux de donner , il eſt quelquefoisglorieux
auſſi de recevoir ; & les
Etrennes qu'on portoit aux Empereurs
Romains , étoient des marques d'honneur.
Auguſte en recevoitune fi grande
quantité, que pour n'en pas profiter , il
cn
A 4
8 MERC. GALANT.
en achetoit des Idoles . Tibere ne voulut
point recevoir d'Etrennes ; Caligula les
rétablit; Claude les deffendit enſuite ;
mais elles reſterent toûjours en uſage parmi
lePeuple.
Quicroiroitqu'on pût trouver une raifon
phyſique des Etrennes ? Je ne ſçai
quel Ancien a dit , que toutes choses étant
contenuës dans leurs commencemens , on
doit tirer des augures bons ou mauvais de
toute l'annéeparle premier jour.
L'avis eft bonprofitez- en
Si vous voulez , Iris, faire un Amant
fidelle ,
Deconftancerare modelle :
Faites vous en aimer au premier jour de
l'An:
Acoupfeur ilfera conſtant toute l'année ;
Abien moins à preſent la conſtance eft bornée.
Les Gaulois croyoient que le gui étoit
unpreſent conſidérable du Ciel , qu'il
preſervoit du poiſon, & que celui qu'on
cueilloit le jour de l'An portoitbonheur
toute l'Année à ceux qui en gardoient ſur
eux.
Il nous eſt reſté de cette ſuperſtition
Payenne le motde la guyl'An neuf. On
appelloit encore ainſi dans les derniers
tems les preſens des Etrennes .
Je trouverois encore beaucoup d'érudition
JANVIER 17.12.9
tion ſur les Etrennes , mais pour rentrer
dans l'eſprit de la ſuperſtition ancienne ,
je veux éviter d'ennuyer au premier jour
del'An , de peur d'être ennuyeux tout le
reſte de l'Année.
Etrennes de Madame la C. de... à
M.le Marquis de... en lui envoyant
de Poitou une Oye pour
Etrennes.
C'eſt l'Oye qui parle.
Voiquejeune Oye à têtefole
QJe ne citerai point mes ancêtres oy-
Sons
Auſſinobles que les Piſons
Iffus directement de ceux duCapitole.
Decesangfinoble&fipur ,
Mafoijenecroispasdescendre
Jeſuisjeune , &jeferai tendre :
C'estpourvous , cher Marquis , un merite
plus fûr.
As
Autre
10 MERC. GALANT.
Autre Etrenne parM. de L.T.
D
Sur l'Air de la Baguette. 14
E'l'Anpaßé la coarse terminée
Devroit Irisfinir votre rigueur ;
Heureux , heureux , fi la nouvelle Année
Pouvoitaufficommencer mon bonheur.
On a promis dans le dernier Mercure
cetExtrait plusample , du Diſcours lû par
Monfieur de Reaumur , à l'ouverture des
Afſemblées de l'Académic Royale des
Sciences d'après le Saint Martin , fur la
découverte d'une nouvelle Teinture de
Pourpre.
Malgré divers Traitez faits par les Modernes
fur la couleur du Pourpre , ſi précieuſe
auxAnciens , on a été peu inſtruit
de la Nature de la liqueur qui la fourniffoit
: auſſi tous ces Ouvrages ne font-ils
quedes eſpeces de Commentaires de quelques
paſſages d'Ariftote & de Pline...
C'eſt fur la Nature même , & non fur les
Naturaliftes , qu'il fautfaire des obſervations
, lors qu'on veut découvrir quel .
ques-uns de ſes ſecrets ... Ariſtote & Pline
nous ont cependant laiſſébien des choſes
remarquables fur cette matiére , mais
plus propres à exciter notre curioſité qu'à
lafatisfaire pleinement .
MonJANVIER
1711 . II
Monfieur de Reaumurdit enſuite , que
quoique ces Auteursayent parlé en differens
endroits des Poiffons à Coquilles ,
qui donnoient la liqueur dont on ſe fervoit
pour teindre en Pourpre ; que quoi
qu'ils ayenttraitéde leur naiſſance , de la
duréede leur vie , de la maniére dont ils
ſe nourriffoient , commenton lespéchoir,
comment on leur enlevoit cette précieufe
liqueur , & enfin les diverſes préparations
qu'on lui donnoit , on a néanmoins mis
la Teinture de Pourpre des Anciens au
nombre des ſecrets perdus ...
Ceque ces Auteurs , poursuit- il , nous
ontlaiſſe ſur cette matière , n'a point empêché
le Public de trouver les agrémens
de la nouveauté dans les obſervations d'un
Anglois ſur laTeinturede Pourpre , que
fournitun Coquillage communſur les côtes
de fon Pais ... Ce Coquillage n'eſt
qu'une des eſpeces compriſes ſous le genre
, appellé Buccinum par les Anciens ,
nomqu'ils avoientdonné àces eſpeces de
Poiffons , parce que la figure de la Coquille
dont ils font revêtus , a quelque
reffemblance à celled'un cors de chaſſe...
Pline livre 7. chap. 36. rangetoutes les efpeces
deCoquillages qui donnent laTeinturede
Pourpre ſous deux genres , dont
le premier comprend les petites eſpeces de
Buccinum , & le ſecond les Coquillages
-auſquels on a donné le nom de Pourpre ,
comme à la Teinture qu'ils fourniffent...
A6 Nos
12 MERC. GALANT .
Nos côtes d'Ocean , continuë M. de
Reaumur , ne nous donnent point de ces
derniéres eſpeces de Coquillages ; mais
enrevancheony rencontre très-communément
une petite eſpece de Buccсіпит ,
dont les plus grandes ont douze à treize
lignes de long , & fept à huit deDiame.
tre , dans l'endroitoù elles ſont plus groffes
... tournées en Spirales comme celles
denos LimaçonsdeJardin , mais un peu
plus allongées ...
C'eſt en conſidérant au bord de la côte
les Coquillages de cette eſpece , que je
trouvai une nouvelle Teinture de Pourpre
, que jene cherchois point... Je remarquai
que les Buccinum étoient ordinairement
affemblez autour de certaines
pierres , ou fous certaines arcades de Sable
, pour ainſi dire cimenté , quela Mer
ſeule a travaillées... & qu'ils s'y affembloientquelquefois
en fi grande quantité ,
qu'on pouvoit les y amaffer à pleines
mains , au lieu qu'ils étoient diſperſez ça
& là par tout ailleurs . Je remarquai en
même tems que ces pierres ou ces Sables
étoient couverts de certains petitsgrains...
dont la figure avoit quelque reffemblance
à celle d'un Spheroïde Elliptique , ou
d'une boule allongée ; la longueur de
ces grains étoit d'un peu plus de trois lignes
, & leur groffeurd'un peu plusd'une
ligne. Ils me parurent contenir une liqueurd'unblanctirantſur
lejaune, couleur
JANVIER 1711. 13
leur affez approchante de celle de la li
queur que les Buccinum donnent pour
Teindre en Pourpre. Cette ſeule reflemblance
, & la manière dont les Buccinum
étoient toûjours aſſemblez autour de ces
petits grains , fuffirent pour me faire
ſoupçonner qu'on en pourroit peut - être
tirer une Teinture de Pourpre , telle
qu'onlatirede ces Coquillages ... J'examinai
ces grains deplus près , j'en apperçûs
quelques-uns qui avoient un oeil rougeâtre.
J'en détachai auffi-tôt des pierresauſquelles
ils font fort adhérans , &
me ſervant du premier linge , & le moins
coloré qui ſe preſenta dans le moment ,
j'exprimai de leur fuc ſur les manchettes
de ma chemiſe ; elles m'en parurent un
peu plus fales , mais je n'y vis d'autres
couleurs qu'unpetit oeil jaunâtre , queje
démêlois à peine dans certains endroits.
D'autres objets qui attiroient mon attention
, me firent oublier ce que je venois
de faire. Je n'y penſois plus du tout ',
lorſque jettant par hazard les yeux ſur ces
mêmes manchettes , un demi quart
d'heure après , je fus frappé d'une agréableſurpriſe
, je vis une fort belle couleur
Pourpre fur les endroits où les grains
avoient été écraſez . J'avois peine àacroireunchangement
ſi prompt & fi grand...
Je ramaſſai de nouveau de ces grains ,
mais avec plus de choix , car j'avois foin
de ne détacher des pierres que ceux qui
A7 mc
14 MERC. GALANT.
me paroiffoient les plus blancs , ou plûtôt
les moinsjaunes ; Je moüillai encore mes
manchettes de leur ſuc , mais en des endroits
differens , ce qui ne leur donna
pointd'abordde couleur qui approchat en
aucune façondu rouge. Cependantje les
confiderai à peine pendant trois ou quatre
minutes , que je leur vis tout d'un
coupprendreune auffi belle couleur Pourpreque
lapremiére que ces grains avoient
donnée. C'en étoit affez pour ne pouvoirpas
douter que ces grains donnoient
une couleur Pourpre aufli belle que celle
des Buccinum ...
Monfieur de Reaumur rapporte enſuite
pluſieurs expériences , qu'il fit pour connoître
fi cette liqueur avoit autant de tenacité
que celle des Buccinum : il fait remarquer
que le linge trempé dans la liqueur
de ces grains , ne prend la couleur
de Pourpre que lors qu'on l'expoſe au
grand air ; & que quelques expériences
qu'il ait tentéespour découvrir ce que font
ces petits grains , iln'en a point fait d'affez
heureuſes pour yparvenir : qu'on tireroit
la liqueur de ces grains de Pourpre
d'une maniére infiniment plus commode
que celle dont les Anciens ôtoient la liqueurdes
Buccinum; & fait à ce ſujet un
détail très-ample & très- curieux , après
lequel il conclut qu'on pourroit tirer de
ces oeufs plus d'utilité que les Anciens
n'en tiroient des Buccinum , parce qu'il y
a
JANVIER 1712.
15
aincomparablement plus de ces oeufs que
de ces Coquillages , & qu'on auroitleur
liqueur beaucoup plus aiſement : enfin
que lacouleurde cette liqueurparoît parfaitement
belle fur le linge ; & que dans
legrand goût où l'oneſt à preſent pour les
Toiles Peintes , on pourroit s'en fervir
avec ſuccès pour imprimer ſur du linge
toutes fortes defigures. Cette liqueur auffi
bien que celle des Buccinum, y feroit ,
dit-il , d'autant plus propre , qu'elle ne
s'étend point par delà l'endroit où on l'a
poſée , de forte qu'elle pourroit toûjours
tracer des traits nets.
DeRome.
On ſçait que feu Monfieur Colbert , au
commencement de ſon Miniſtére , fonda
dans Rome , par l'ordre du Roi, une Académie
de Peinture , Sculpture , & Architecture
, où l'onenvoya , ſous la conduitede
M. Erard , plufieurs Peintres. Après
M. Erard , M. Coypel fut Directeur de
cette Académie . Ensuite M. Houaffe ,
auquel a fuccedé M. le Chevalier Poerfon ,
quiy eſt depuis feptans .
Rome a une autre Académie très fameuſe
& très - ancienne , appellée de Saint
Luc, dont le Directeur , qu'on appelle
Prince de l'Académie , étoit le célébre
Chevalier Marat , qui étant âgé dequa-
-tre16
MERC. GALANT.
tre-vingt neuf ans , & ne pouvant plus
vaqueur aux foins de cette charge , ona
choifi M. le Chevalier Poerſon , Directeur
de la nôtre , qui a été nommé Vice-
Prince de l'Académie de S. Luc , pendant
lavie duChevalier Marat , pour prendre
laplacede Prince après lui .
Le choix d'un François pour être chef
de l'Académie Romaine , fait voir que
les François ne ſont pas inférieurs aux Italiens
dans l'Art de Peinture . Mrs. de
Vernanſal & Beaunier , Eleves de l'Académie
Françoiſe , ont remporté les prix
dans cette même Académie Romaine ,
qui ont été délivrez en preſence de treize
Cardinaux , pluſieurs Princes , Prélats ,
&Seigneurs ; &les Académiciens de Larcadie,
qui eſt une Académie de beaux Efprits
établie à Rome , y reciterent pluſieurs
Ouvrages de Poëfie, à l'Aſſemblée ,
qui fut terminée par un Difcours que fit un
Prélat , à la loüange des Arts .
Le Roi content de la conduite de M.
Poerſon à Rome , aaugmenté ſa penſion
de mille livres , & a chargé Monſicurle
Marquis de Dangeau , de l'honorer de
l'Ordre de Chevalier de Saint Lazare ,
qui lui a été conferé au mois d'Octobre
dernier , par M. le Cardinal de la Tremoille
, après les preuves de Nobleſſe fair
tesdans les formes ordinaires ..
De
JANVIER 1712. 17
De Lorraine.s
Monfieur du Tertre , dont le Pere eſt
établi depuis pluſieurs années à Bar- le-
Duc , a foûtenu dans le Collége des Jefuites
de Rheims une Theſe dédiée à Son
Alteffe Royale Monfieur le Duc de Lorraine.
Le Portrait de ce Prince , gravé
par un habile Maître , faiſoit le fond de
cette Theſe . Monfieurle Duc de Lorraine,
pour faire honneur au Soûtenant , y
envoya Monfieur le Marquis de Litta ,
l'un des principaux de ſa Cour , & ci-devantGrand
Maître d'Hôtel de Madame la
Ducheſſe de Mantouë , avec le Pere Hugo
, Prieur des Prémontrez de Nancy , &
Hiſtoriographe de Lorraine. La Haran
gue que le Soûtenant adreſſoit àMonfieur
le Duc de Lorraine , étoit imprimée au
haut de la Theſe. Elle dit qu'il meritoit
de porter des Couronnes avant qu'il en
poffedat , & que ſa ſageſſe étoit leChefde
fonConſeil & le premier de ſes Confeillers
. A l'égard du ſujet de la Theſe , le
Soûtenant réjette le Syſtême des Automates
, & s'en tient aux formes ſubſtantielles:
il réjette auſſi le Syſtême de Copernic
, pour ſuivre celuideTichobrahé.
Ona placé dans l'Article des Mariages
celui de M. le Chevalier de Luxembourg ,
&
18 MERC. GALANT.
&l'on n'y a rien dit de ſa Maiſon. Perſonne
n'en ignore la grandeur. Tous les
Livres d'Hiſtoire en font pleins ; & j'évite
également de parler des Généalogies
trop connuës , &de celles qui le ſont trop
peu : mais onplace ici, commeOuvrage
nouveau d'Eruditionle Diſcours ſuivant ,
qui eſt nouvellement compoſé par M.
Chevillard. Ila fait fur certe Maifon des
Remarques très curieuses. Quoique ce
Diſcours foittrès long , je fuis perfuadé
qu'il n'ennuira pas , on peut hazarder
d'êtrelong dans lesſujets intéreſfans , &
qui eſt ce qui ne s'intéreſſe pas à tout ce
qu'on peutdire à l'occaſion de M. le Chevalierde
Luxembourg .
Discours nouveau sur l'Origine , la
Genealogie , la Maison de
Montmorency.
Out le monde est perfuadéde l'anti-
Tout quité de l'Illuſtre Maiſon deMontmorency
, & perſonne ne doute qu'elle ne
foit une des plus anciennes du Royaume,
La qualité de premiers Barons Chrêtiens
en France , avec le cri de Guerre ( Dieu
aide au premier Chrétien ) en marque la
grande antiquité . Mais la révolution des
Siécles paffez a fait perdre les vieux Titres,
la négligence des Hiſtoriens en dé.
robent
JANVIER 1712. 19
robent la mémoire , & il eſt mal aisé de
ſçavoir la vérité de fonOrigine.
Celui auquel nous avons obligationde
la connoiffance de cette Maiſon eft le fameux
André Duchêne , qui par fes foins
nous a laiſſé dans un gros Volume toute
ſa Foſtérité depuis Bouchard I. qui vivoit
en954. Mais il ne s'eſt pas embarraffe de
apporter ceux qui l'ont précédé, n'en
ayant point trouvé de preuves certaines ;
il rapporte ſeulement ce qued'anciensAuteurs
ont dit des premiers Seigneurs de
Montmorency.
Il dit qu'il fe trouve dans la partiedes
Gaules , qu'on appelle France , deux infignes
commencemens de Converfion; la
premiére par Saint Denis , premierEvêquedeParis
, qui a procuré la Converſion
desGaulois; & la feconde par SaintRemy
, Archevêque de Paris , quiconvertit
lesFrançois. Ces deux Converſions font
cauſe de deuxopinions touchant l'Auteur
d'une fi noble extraction .
La première , que Lisbius , Chevalier
d'une très grande Nobleffe & d'autorité
parmi les Parifiens , étoit Seigneur de
Montmorency , proche de cette Ville , &
fut le premier des Gaulois qui embraffa
laReligion Chrêtienne , à la prédication
de Saint Denis , vers l'an centiéme de notre
Rédemption , ſuppoſé que ce fut Saint
Denis l'Areopagite , qui avoit été converti
par Saint Paul , Apôtre: mais ſi l'on fuir
le
20 MERC. GALANT.
le ſentiment de Gregoire de Tours , qui
rapporte l'arrivée de Saint Denis dans les
Gaules , fous le Conſulat de Decius &de
Gratus , la Converfion de Lisbius ne
pourroit être que vers l'an 253 .
La ſeconde opinion , qui eſtde Robert
Cenal , Evêque d'Avranches , au premier
Livre de ſes Remarques Gauloiſes ,
& deClaude Fauchet , au ſecond Livre de
ſes Antiquitez Françoiſes diſent , que celui
qui a donné origine à la Maiſon de
Montmorency , ne fut pas le fameuxGaulois
Lisbius , mais un GrandBaron François
, nommé Liſoie ( lequel quand Clovis
premier Roi Chrêtien de France, fut
baptisé par Saint Remyà Rheims en 499. )
fut lepremier des Seigneurs deſa fuite ,
qui ſe jetta dans laCuve des Fonds après
lui; en mémoire dequoi ſes Deſcendans
mâles ont été honorez du titre de premiers
Barons Chrêtiens de France , & ont toûjours
eudepuis pour cri de Guerre , Dieu
aide au premier Chrêtien.
Quoi qu'il en ſoit , on ne peutdouter
que lesdeux qualitez qui ont toûjours été
dans cette Illustre Maiſon , de premier
Chrêtien , &de premier Baron Chrêtien
en France , n'ayent une Origine très ancienne
, & très illuſtre , qui marque que
les anciens Seigneurs de Montmorency
étoient des plus puiſſans du Royaume :
mais comme la ſucceſſion depuis Lisbius ,
ou de Lifoie , n'a pu ſe conſerver juſques
à
JANVIER 1712 . 21
à nous , il faut s'en tenir à ce que nous
avons de plus aſſuré , & fuivre ce qu'ena
écrit Duchêne , auquel je renvoye le Lecteur
, qui commence l'Hiſtoire de cette
Maiſon à Bouchard Premier , comme j'ai
dit ci-devant , &quinous adonné la ſuite
de ſa Poſtérité , qui eſt rapportéedans la
Carte Chronologique de cette Maiſon ,
par MonfieurChevillard , qui donne à ce
Bouchard Premier un Pere , un Ayeul ,
&un Biſayeul , que Duchêne ne rapporte
pas; mais les ayant trouvez dans un
Auteur , il les a rapportez pour faire connoître
les Alliances illuſtres qu'ils avoient
contractées , puiſque Jean Seigneur de
Montmorency , Pere de Bouchard Premier
, qui vivoit en 940. avoit épousé
Jeanne , Fille de Berenger , Comte de
Beauvais , Fils d'Adolphe , Comte de
Vermandois , Everard Seigneur de Montmorency
, qui vivoiten 892. Perede Jean
& Ayeul de Bouchard Premier , époufa
Brunelle , Fille de Gaultier , Comte de
Namur , &Leuto ou Leutard , Seigneur
de Montmorency , qui vivoit en 845.
avoit épousé Everarde , Fille d'un Comte
de Ponthieu: ce Leuto étoit Pere d'Everard
& Biſayeul de Bouchard Premier ,
c'eſt à lui qu'il commence cet Arbre Genealogique
, afin de faire connoître les
trois divers changemens qu'il y a eus dans
les Armes de la Maiſonde Montmorency .
Ceux de cette Maiſon ayoientpris dabord
22 MERC. GALANT.
bord pour leurs Armes , comme premiers
Chrêtiens , d'or à la croix de gueules;
Bouchard Premier la cantonna de quatre
aiglettes ou allerions d'azur , pour conferver
la mémoire de quatre Enſeignes Imperiales
priſes à la Victoire qu'il rempor
ta ſur l'Armée de l'Empereur Othon II .
Matthieu I I. dit leGrand , augmenta les
quatre allerions de douze autres , enmémoire
de douze autres Enſeignes Imperiales,
qui furent priſes à la Bataille de
Bouvines fur l'Empereur Othon IV. en
1214. Ainfi depuis ce tems-là les Seigneurs
deMontmorency ont toûjours porté
à la croix de gueules , cantonnée de
ſeize allerions d'azur ; & comme cette
Maiſon a formé quantité de Branches ,
ils ont brifé leurs Armes différemment ,
comme on le voit dans la Carte Genealogique.
Mais à preſent comme la Branche
aînéeeſt éteinte en la perſonnede Philippe
deMontmorency , Seigneur de Nivelle ,
&Comte de Horne décapité en 1568.auquel
la Branche de Foſſeux a fuccédé à
Paîneſſe , toutes les autres Branches des
Seigneurs de cette Maiſon ontquitté leurs
brifures , & ont retenu les Armes pleines
qu'ils portent preſentement.
LaMaiſon de Montmorencys'eſt ſéparée
en quantité de Branches ; il yenaeu
pluſieurs anciennes qui font éteintes ,
mais elle a conſervé ſon nomjuſqu'à aujourd'hui
, par la ſucceſſion de la Branche
aînée ,
JANVIER 1712. 23
aînée , dans pluſieurs Branches qui ſubfiftent
, & quoi qu'il paroiffe de grandes
Branches forties de Mathieu II. dit le
Grand , Seigneur de Montmorency, il
n'y a eu que la Poſtérité de ſon Fils aîné
Bouchard V I. qui ait retenu le nom de
Montmorency , parce quefon Fils Caden
Guy de Montmorency, fut Seigneur de
Laval, qui comme Héritier de ſa Mere.
Émede Laval , fortic d'une très noble&
très illuſtre Maiſon , enatranſmis lenom
à fesDescendans , qui leretiennent enco
re aujourd'hui , ayant retenu les Armes
deMontmorency , la Croix chargée de
cing coquilles d'argent pour brifure,.
comme Cadets defa Maiſon.
Quant aux honneurs de certe Maiſon,
on ne peutdiſconvenir qu'elle eſtdesplus
illuſtrées , tant dans les Alliances qu'ils
ont contractées, que dans les Charges
qu'ils ont poffédées : les hommeurs quils
ont euspar leurs Alliances , les font tous
cher de près àtout ce qu'il y a eude Têtess
couronnéesdans l'Europe , & pour le faie
re connoître il faut diftinguer ſes Allian
ces en trois maniéres. Premiérement,
dans- fon ancienneté : Secondement, depuis
la féparation de ſes deux Branches ,
les Alliances que celle de la Branche de
Montmorency a contractées : Troifié
mement , celle que la Branche de Laval a
cues.
Premiérement , les Alliances qu'ils
ont.
24
MERC . GALANT.
ont euës anciennement ſonttrès conſidérables
, puiſque la première qui eft rapportée
par Duchêne , eſt l'Epouſe qu'il
donne à Bouchard I. Elle ſe nommoit
Hildegarde , & étoit Fille de Thibaud I.
Comte de Chartres & de Blois , & de Ledegarde
de Vermandois. Elle avoit pour
Frere Eudes I. Comte de Chartres &de
Blois , Pere de Eudes II. Comte de Champagne
, duquel font fortis tous les Comtes
deChampagne ; & pour Soeur Emme ,
Femme de Guillaume III . DucdeGuyenne
, Mere de Guillaume IV. Duc de
Guyenne , élu Roi d'Italie, &Empereur
des Romains , duquel font deſcendus les
Ducs de Guyenne , & Agnes , Femme de
l'Empereur Henri III .
Hildegarde avoit pour Alliances du
côté de la Mere , Ledgarde de Vermandois
, qui étoit Fille de Herbert II . Com.
te deVermandois , & d'une Soeur de Hugues
leGrand , Duc de France , & Comtede
Paris , Pere du Roi Hugues Capet ,
&auſſi Soeurd'Emme , Reine de France ,
Femme de Raoul , Duc de Bourgogne ,
& Roi de France ; ſi bien qu'elle étoit
Coufinedu ſecond au troifiéme dégré du
Roi HuguesCapet , chef de la troifiéme
Race des Rois de France qui fubfifte aujourd'hui
.
Mathieu I. Seigneur de Montmorency,
Connêtable de France , épousa Aline ,
Fillede Henri I. Roi d'Angleterre , & en
fcJANVIER
1712 . 25
ſecondes Nôces il épouſa Alix de Savoye ,
Veuve du Roi Loüis VI. dit le Gros , Mere
du Roi Loüis le Jeune , ſi bien qu'il
avoit l'honneur d'être Beau-Peredu Roi ,
pour lors régnant .
Bouchard V. s'allia avec Laurence ,
Fille de Baudoüin , Comte de Hainaut ,
deſcendupar les Comtes de Flandres , de
l'Empereur Charlemagne ; elle étoit Tantede
Baudoüin V. Comte de Flandres , &
Empereur de Conſtantinople , d'Iſabeau
deHainaut , Epouſe du Roi de France
Philippe Auguſte , & d'Ioland de Hainaut,
Imperatrice de Conftantinople ,
Femme de Pierre de Courtenay , auquel
elleporta laCouronne Imperiale.
Matthieu II . avoit épousé en premiéres
Nôces Gertrude de Néelle , Fille de
Thomas , Châtelain de Bruges en Flandres
, & d'une Soeur d'Yves , Comte de
Soiffons , Seigneur de Néelle. C'eſt de
cetteDameque toute laMaiſondeMontmorency
d'aujourd'hui deſcend , parce
que Matthieu II . Epouſa en ſecondes Nôces
Emme de Laval , qui lui donnapour
FilsGuyde Montmorency , Seigneur de
Laval , comme je le dirai ci-après ; cette
Dame étoit Soeur aînée d'Iſabeau de Laval
, Femmede Bouchard VI . Seigneur de
Montmorency , Fils aîné du premier lit
de Mathieu II . Ainſi l'on peut dire que
dans la ſéparation des deux Branches de
Montmorency , & de Laval , ils ont les
Tome V.
B mê
26 MERC . GALANT .
mêmes Alliances , puiſque par les maria.
ges de ces deux Dames de la Maiſon de
Laval , ils ſe trouvoient alliez des Mai
fons deFrance , d'Angleterre , d'Ecoffe ,
de Caſtille , des Comtes de Thoulouſe ,
& de quantité d'autres Maiſons très- confidérables.
Secondement , les Alliances que la
Maiſon de Montmorency a contractées
depuis ſa ſéparation d'avec la branche de
Laval , font celles queMathieu III . contracta
avec Jeanne de Brienne , Fille de
JeanRoi de Jerufalem , qui étoit Fille de
HenriComte deChampagne Roi de Jerufalem.
Cette Alliance leur en donna de
nouvelles avec la Maiſon de France , puiſ
queHenriComtede Champagne , Roide
Jerufalem , avoit pour Mere Marie de
France , Fille du Roi Louis le Jeune ,
avec les Rois de Navarre de laMaiſon de
Champagne , & avec les Rois de Jerufa
lem&de Chypre , de laMaiſon de Lefi
gnen.
Mathieu IV. dit leGrand , Seigneur de
Montmorency , Fils de Mathieu III. s'al
lia avec Mariede Dreux , Princeſſe dufang
de France , Fille de Robert IV.Comte de
Dreux , qui avoitpour quatrième Ayeul
Robert de France Comte de Dreux , Fils
du Roi Louis le Gros. D'ailleurs elle
éroit fa Parente par trois endroits , d'a
bord au quatrième dégré du côté mater
nel , par la Maiſon de Craon , parce que
Mau
JANVIER 1712. 27
Maurice Seigneur de Craon , fut Pere de
Havoiſe de Craon , Femme de Guy VI.
Seigneur de Laval , qui étoit Pere d'líabeau
de Laval , mariée à Bouchard VI .
Seigneur de Montmorency , Ayeul de
Mathieu IV. & d'Amaury deCraon , Pere
de Jeanne de Craon , Femme de Jean
ComtedeMontfort , Ayeule Maternelle
de ladite Dame Marie de Dreux , par la
MaiſondeMontfort. Elle étoitſa parente
du quatrième au cinquième dégré , &
par celledeCoucyducinquiéme au fixieme.
1
... Ce ne ſeroit jamais fait fi on vouloit
particulariſer toutes les Alliances les unes
après les autres , on ſe renferme aux trois
ſuivantes; lapremiére eſt celle que Henri
Duc de Montmorence II. du nom , Pair
Maréchal , & Amiral de France , contracta
avec Marie Felice des Urfins en
1612. ,par l'entremiſedu Roi Louis XIII .
&de la Reine Marie de Medicis ſa Mere ,
Pour lors Régente du Royaume , qui étoit
ſa Parente du deuxième au troiſième dégré
, puiſque la Reine avoit pour Pere
FrançoisdeMedicis , Grand Duc de Tofcane,
qui étoit Frere d'Eliſabeth deMedicis,
Femme de Paul des Urfins , Duc
deBracciano , Ayeul de Madame laDu .
cheffe de Montmorency : ainfil'on peut
voir par cette Alliance , l'eſtime que le
Roi Loüis XIII. d'heureuſe mémoire , faifoit
de cette Maiſon , puiſqu'il faifoit
épou- L B2
28 MERC. GALANT.
épouſer à Monfieur le Ducde Montmoren.
cyſaParente au troiſièmedégré.
Laſeconde Alliancedes trois auſquelles
on s'eſt retranché , eſt celle de Charlote
Marguerite de Montmorency , Soeur &
Héritière de Henri II . Duc de Montmorency
, mort fans poſtérité , laquelle
épouſa en 1609 Henri de Bourbon II . du
nom , Prince de Condé . Cette Princefſe
, après la mort de fon Frere , hérita du
Duché de Montmorency , & de pluſieurs
autres biens qui ſont entrez par cette Alliance
dans la Maiſon de Condé.
La troifiéme Alliance eſt celle que fit
François Henri de Montmorency Duc de
Piney-Luxembourg forti de la branche
deBouteville , qui épouſa en 1661. Magdelaine
- Charlotte - Bonne - Thereſe de
Clermont , Ducheſſe de Piney - Luxem
bourg , Fille de Charles Henri de Clermont-
Tonnerre , & de Marie de Luxembourg
, Ducheffe de Pincy , qui ſe défit
de ſaDuché en mariant ſa Fille , à condition
que ſon Epoux porteroit le nom & les
Armes de Luxembourg , luitranſmettant
le droit de ſa Duché femelle , afin de conſerver
le nom de cette illuſtre Maiſon ,
qui a donnépluſieurs Empereurs des Romains
, des Rois de Bohéme , des Reines
de France , & à d'autres Couronnes de
l'Europe.
Ayant ci-deſſus diſtingué les Alliances
de la Maiſon de Montmorency en trois
maJANVIER
1712 . 29
maniéres : Premiérement , dans ſon commencement
: Secondement , depuis la
ſéparation de ſes deux grandes branches ,
&en troifiéme lieu , en celle que la branche
de Laval a euë depuis ſa ſéparation
d'avec celle de Montmorency ; J'en rapportequatre
qui ſont d'une très-grande illuſtration.
La premiére eſt celle que
Guy X. , Comte de Laval , contracta
en 1347. avec Beatrix , Fille d'Artus ,
Duc deBretagne , &dont l'arrière Petite
Fille, Iſabeau de Laval , épouſa Loüis
de Bourbon , Comte de Vendôme. C'eſt
cette ſeconde Alliance qui doit aujourd'hui
faire plus de plaiſir à la Maiſon de
Montmorency; puiſque c'eſt de cette Iſabeau
de Laval que deſcend toute laMaifon
Royale de Bourbon , étant la ſixiéme
AyeulePaternellede notre grandMonarque
Louis XIV . à preſent régnant , qui
voit en cette preſente année 1712. fon
Trône affermi dans ſa Maiſon pour pluſieurs
années , par la naiſſance de ſes arriére
Petits Fils , Monſeigneur le Duc de
Bretagne , & Monſeigneur le Duc d'Anjou
, & par cette Alliance toutes les Têtes
Couronnées de l'Europe qui régnent aujourd'hui
, ſont alliées à la Maiſon de
Montmorency.
La troifiéme Alliance qui fait encore
honneur à cette Maiſon , c'eſt de voir
René d'Anjou , Roi de Naples & de Jerufalem
, qui épouſa Jeanne de Laval en
fc-
B 3
30 MERC. GALANT.
ſecondes Nôces : mais cette Reine n'en
ayant point eu d'Enfans , il n'eſt reſté à
fa Familleque le plaiſir de s'en ſouvenir.
La quatriéme & derniére Alliance eſt
celle de Charlotte d'Arragon , Fille de
Frederic d'Arragon , Roide Naples , qui
fut Femmede Guy XVI . , Comte de Laval.
Ils eurent pluſieurs Enfans , entre
autres deux Filles , dont l'aînée Catherine
de Laval , Epouſa Claude Sire de
Rieux , qui porta dans la Maiſon deColigny
le Comtéde Laval , qui après l'extinction
de cettebranche , eſt tombé dans
cellede ſa Soeur cadette Anne de Laval ,
qui épouſa François de laTremoille , Vicomte
de Thouars , dont eſt deſcendu
Monfieur le Duc de la Tremoille , qui
poffede aujourd'hui le Comté deLaval ,
&qui à cauſe de cette alliance , fait fes
proteſtations à tous les Traitez de Paix ,
où il envoye une perſonne pour le repreſenter
, prétendant au Royaume de Naples
comme héritier d'Anne de Laval ſa
quatrièmeAyeule.
Sans s'attacher à toutes les Alliances
Souveraines de cette illuftre Maiſon , je
dirai qu'il y en a quantité d'autres très
conſidérables qui lui font alliées , & le
grand nombre de Maiſons qui y ont pris
des Femmes , tient à honneur d'en être
defcendu , & fe font un plaifir d'arborer
lesArmes deMontmorency dans leurs alliances.
L'on
JANVIER 1712 . 3
L'on voitparmi les grands Officiers du
Royaume de France, plus de Seigneurs de
laMaifondeMontmorency que d'aucune
autreMaiſon ; l'on y compte deux grands
Sénéchaux , fix Connêtables , & un Connêtable
d'Hibernie , neuf Maréchaux ,
quatre Grands Amiraux , trois Grands
Maîtres de la Maiſon du Roi , trois Grands
Chambellans , deux Grands Bouteillers
ou Echanfons , & deux Grands Panne .
tiers.
Pluſieurs Connêtables ,&autres Grands
Officiers de France , font fortis de cette
Maiſon très Illuſtre , ou en ont époufé
des Filles ; outre que cette Maiſon a aufli
produitpluſieursDucs & Ducheffes.
Quoi que la vertu & la Religion ayent
toûjours été le partage des Seigneurs de
Montmorency , néanmoins l'on en voit
très peu qui ayent été revêtas de Dignitez
Ecclefiaftiques ; l'onen voit cependant un
Archevêque Duc de Reims , des Evêques
d'Orleans , & peu d'autres .
Ils ont encore l'honneur d'avoir un
Saint reconnu par l'Eglife , dont on revere
la mémoire aux Vaux de Cernay en
Beauce , c'eſt Saint Thibaud de Montmorency
, Seigneur de Marly , Fils de
Mathieu premier , d'Aline d'Angleterre ,
lequel ſe croiſa en 1173. pourle voyage
dela Terre Sainte. A fon retour il ſe fit
Religieux de l'Ordre de Cifteaux , en
l'Abbaye du Val , puis il fut Abbé des
B 4
Vaux
1
32 MERC. GALANT.
Vaux de Cernay à quatre licuës de Verfailles
, entre Chevreuſe & Ramboüillet ,
où il mourut ſaintement vers l'an 1189 .
Enfin tant de grandeur dans une Maiſon
faitaffez connoître que la Valeur a étéhéréditaire
dans l'ame des Seigneurs de Montmorency
, & leur a fait mériter tous ces
honneurs , pour avoir toûjours répandu
leur ſangpour la défenſe de leurs Rois , &
de leur Patrie , s'étant toûjours trouvez à
la tête des Armées qu'ils commandoient en
chef, où ilsont fait paroître leur courage
avec éclat au milieu des plus grands périls.
Je n'en veuxpoint un plus grand exemple
que celui d'Anne de Montmorency ,
Duc , Pair , Maréchal , Connêtable , &
Grand Maître de France , lequel après
avoir blanchi ſous le harnois militaire ,
pour la défenſe du Roi , & de la Patrie ,
remporta dans le Tombeau la gloire d'être
mort au lit d'honneur , puiſque commandant
l'Armée Royale à la Bataille de Saint
Denis , il y reçût huit coups mortels ,
dont il mourut deux jours après en fon
Hôtel deMontmorency à Paris , étant âgé
de près de quatre vingt ans , comblant
par ce moyen les derniers jours de ſa vie
d'une fin très glorieuſe , après avoir ſervi
cinq Rois , & après avoir paffé par tous
les degrez d'honneur , & s'être trouvé à
huit Batailles , en ayant commandé quatre
en chef; auſſi le Roi Charles IX. voulant
JANVIER 1712 . 33
lant honorer lamémoire de ce grandChef
de Guerre , ordonna que ſa Pompe Funebre
fût faite en l'Egliſe de Notre-Dame de
Paris , avec toute la magnificence poffible
, où toutes les Cours Souveraines affiſtérent
par ordre du Roi. De là fon
Corps fut porté en l'Eglife de Saint MartindeMontmorency
, & fon Coeur en celle
desCeleftins de Paris , où il fut mis dans
un Caveau , proche de celuiduRoiHenri
II. Il étoit bien juſte qu'un coeur qui
avoit été aimé de fon Prince , &qui avoit
eu part à ſes plus importantes affaires , füt
après ſon trépas inhumé proche de celui
qui lui avoit fait tant d'honneur durant ſa
vie.
M. Chevillard vient de mettre au jour
une Carte qui a pour Titre : Succeffion
Chronologique des Empereurs , &desImpératricesd'Occident
, depuis Charlemagne
jusqu'àpreſent .
On n'entreprend point de rapporter
dans cette Carte les Empereurs Romains ,
ni les Empereurs d'Orient : on s'eſt borné
à rapporter la Chronologie des Empereurs
, & des Impératrices d'Occident ,
qui font ceux qui ontrégné enEurope depuis
l'an 800. On commencepar Charlemagne,
que l'erreur commune fait leReftaurateur
de l'Empire d'Occident , quoi
qu'il ſoit vrai qu'il étoit Empereur avant
qu'il eût été reconnu tel par lesRomains,
B
étant
34 MERC . GALANT
étant Empereur par ſa ſeule qualité de Roi
des François , l'Empire d'Occident oudu
moins celui des Gaules ayant été cédé à
Clovis en 508. & confirmé à ſes petits Fils
par l'Empereur Juſtinien. Il est vrai que
depuis l'an 875. on n'a reconnu pour Empereurs
que ceux qui ont été reconnus tels
par les Papes , que même les Rois deGermanie
, &d'autres qui ont été couronnez
Empereurs , n'ayant pris ce titre, du
moins juſqu'au Siècle dernier , qu'après
ce Couronnement , fe contentant , juf
qu'à cette Cérémonie , de celui de Roi des
Romains ou d'Empereur élu . On met
néanmoins dans cette Carte ceux que l'er.
reur publique reconnoît pour Empereurs
ou qui ont été élus Empereurs , par des
Partis, pour les oppoſer à ceux qui avoient
été légitimement élüs , ils font diftinguez
par des Couronnes différentes .
Discours fur la Dignité des Empereurs
, &fur fon Origine.
L
Etitre d'Empereur a prisfonOrigine
des Romains , elle ne ſignifioit pour
lors que Commandant ou Général des Armées
, & il étoit beaucoup au deſſous de
celui de Roi , & marquoit une Puiflance
moins abfolue ; ce qui porta Auguſte à la
prendre , lorſque vingt-neufannées avant
laNaiffance de Jeſus -Chriſt , il ſe fut rendu
JANVIER 1712. 35
du maître de Rome , & de tous les Païs
foumis à la République Romaine , ſous ce
feul titre d'Empereur il jouit d'une Autorité
Souveraine . Ses Succeſſeurs prirent
&portérent le même titre qu'ils crurent
dans la fuite fort ſupérieur à celui de Roi ,
parce que leurPuiſſance & leur Domination
, étoit plus grande que celle d'aucun
Roi de la Terre .
Les Païs foumis à la Domination Romaine
s'appellérent l'Empire Romain :
cetEmpireétoitd'une étendue très vaſte.
Il arrivoit ſouvent par des Révoltes qu'on
voyoit s'y élever des Empereurs , que
l'ambition Romaine n'a traité que de Tyrans.
Poſtume s'éleva de la forte en 260 .
&forma l'Empire des Gaules , qui comprenoit
les Gaules , l'Eſpagne & les Ifles
Britanniques.
Cet Empire des Gaules , détaché de
F'Empire Romain, ſubſiſta peu , & fe rétabliedans
la fuite pardes Partages . Il
fut le feul que l'Empereur Conftans ,
Pere de l'Empereur Conſtantin aitpoſlédé;
ce dernier réünit tout l'Empire en ſa
Perſonne, ſes Fils le partagérent , Conftantin
, qui étoit l'aîné , eut l'Empire
desGaules& lepoſſéda.
Dans la ſuite , & particulièrement depuis
la mortdu grand Theodoſe , l'Empire
Romain ſe trouva partagé en deux ;
fçavoir l'Empire d'Occident , dontRome
étoit la Ville Capitale , & l'Empire d'O,
B6 rient
36 MERC. GALANT.
rient , qui avoit Conſtantinoplepour Ville
principale. L'Empire d'Occident finit
en laperſonned' Auguſte Momille pris priſonnier,
& déposé le 31. Octobre 476.
L'Empire d'Orient a fini le 20. Mai 1453 .
par la mort de Conſtantin Paleologue ,
qui défendit la Ville de Conſtantinople
contre Mahomet II . Empereur des Turcs ,
qui la tenoit aſſiégée. Conſtantin fut
étouffé par la foule à une des Portes de la
Ville , ſon Corps ayant été trouvé on lui
coupa la tête , qui fut miſe au boutd'une
pique: les Femmes & les Enfans quirefzoient
de la Maiſon Imperiale , furent
maſſacrez , ainſi finit l'Empire d'Orient ,
qui a été depuis aux Turcs qui le poffèdent
depuisce tems.
L'Empire d'Occident , ou du moins celui
des Gaules , fut cédé à Clovisen 508 .
&confirmé à ſes petits Filspar l'Empereur
Juſtinien ; ainſi Charlemagne , que l'erreur
commune fait le Reſtaurateur de
l'Empire d'Occident en 800. étoit Empereur
par ſa ſeule qualitéde Roi des François
, & l'Empire a reſté dans ſa Famille
l'eſpace de cent onze anspendant le Régne
dencufEmpereurs deſcendus de lui, cinq
deſquels ont été Rois de France , après
quoi l'Empire a paflé à des Princes dedifférentes
Maiſons par élection. Ilyena
cu cinq de la Maiſonde Franconie, cinq
de la Maiſon de Saxe , ſept de celle de
Souabe , deux de celle de Brunswick , un
de
4
JANVIER 1712. 37
de celle de Naſſau , cinq de celle deLuxembourg
, deux de Bavière , ſeize de
celle d'Autriche , y compris l'élection de
l'Archiduc , deſquels ſeize Empereursil y
en a treize de ſuite & fans interruption
depuis l'élection de l'Empereur Albert I I.
en 1438. qui font deux cens ſoixante &
treize ans , que l'Empire n'eſt pas forti de
leur Maiſon. Il y a eu quantitéd'autres
Maiſons , qui ont été honoréesdela Pourpre
Imperiale , comme ſont cellesdeSpo-
Jette, de Provence, de Frioul , de Quefort
, de Hollande , d'Angleterre , &
d'Eſpagne ; tous lesquels Empereurs ſe
voyent dans la Carte que M. Chevillard ,
Hiſtoriographe de France , & Genealo.
gifte du Roi , vient de mettre au jour ,
danslaquelle ſont compris chronologiquement
tous lesEmpereursd'Occident, depuis
Charlemagne juſqu'à preſent ,
les Impératrices cesleursEpouſes.
avec
Monfieur Chevillard adonné auPublic,
depuis vingt ans , nombre de Cartes de
Chronologie , d'Histoire , & de Blaſon ,
en quatre-vingt-deux feüilles , & travaille
à pluſieurs autres ſujets , qu'il eſpérequi
feront plaifir au Public. On trouve encorechez
leditChevillard une grandeCarte
enhuit feüilles , de l'Hiſtoire de l'Ancien
Teftament en Genealogie , depuis
Adamjuſqu'à Jeſus-Chriſt,danslaquelle,
outre laGenealogie, ilſe trouve l'Hiſtoire
Sainte , & celle des RoisContemporains
desPatriarches . B7 Mon38
MERC. GALANT.
Monfieur Chevillard demeure toûjours
Ruë Neuve Notre-Dame , au Duc de
Bourgogne.
Vous venezde voir l'Origine des Empereurs
; voici les Cérémonies de leurs Couronnemens.
L'Empereur doit être couronné trois
fois , & ce n'eſt que par le dernier Couronnement
qu'il eſt en pleine poffeffionde
fon Etat.
Le premier Couronnement ſedoit faire
àAix-la-Chapelle, où il eſt couronnéRoi
de Germanie . Cette Cérémonie ſe fait
en lui mettant ſur la tête la Couronne de
Charlemagne , & en le revêtant des autresOrnemens
Royaux , qu'on croit avoirſervi
à ce Prince. Le Magiſtrat de Nuremberg
qui les a en garde les apporte à
Aix-la-Chapelle. On les appelle ordinairement
les Joyaux , ou les Clinodes de
l'Empire , en Latin Clinodia Imperii. II
arrive ſouvent que le Couronnement ne
ſe fait pas à Aix , mais dans une autre
Villed'Allemagne , foit que la Guerre foit
dans les environsde cette Ville , ſoit qu'il
yait des maladies contagieuſes , ou par
d'autres raifons que le College des Electeurs
trouve valables. L'Empereur Jofeph
avoit été couronné à Augsbourg , &
fon Pere l'Empereur Leopold avoit été
couronné à Francfort .
Suivant le quatriéme Chapitre de la
Bulle d'Or , le Droit decouronner l'Empereur
JANVIER 1712 . 39
pereur à Aix- la-Chapelle appartient à l'Electeur
de Cologne. Quand il est arrivé
quele couronnemene ne s'eſt point fair à
Aix , l'Electeur dans la Province Ecclé
ſiaſtique duquel il s'eſt fait , luia diſpuré
fondroit. Ila prétendu que l'honneur de
couronner l'Empereur , n'étoit déferé
par la Bulle d'Or à l'Electeur de Cologne,
que parce qu'Aix-la- Chapelle eft dans le
reffort Eccléſiaſtique de l'Archevêché de
Cologne. Jean Philippe de Schonborn ,
Electeur de Mayence , prétendit couronner
l'Empereur Leopold , parce que le
couronnement de ce Prince ſe faifoit à
Francfort , qui eſt du reffort de l'Arche.
vêché de Mayence. Depuis il a été fait
une tranſaction entre l'ElecteurdeMayence&
celui deCologne , qui dit que lorf
quelecouronnement ſe fera à Aix-laChapelle
, il ſeratoujours fait par l'Electeur
de Cologne. Quand il fe ferahors du
reffort de l'Archevêché de Cologne , ces
Electeurs doivent alterner. Le dernier
qui eſt celui de l'Empereur Joſeph , fut
fait à Augsbourg , par les mains de l'E.
lecteur de Mayence , de la Maiſond'Ingelheim.
Ainfi c'eſt à l'Electeur deCologne
à faire lepremier.
Quand on élit un Roides Romains , on
le Couronne comme Roi de Germanie.
L'Empereur Joſeph fut ainſi couronné à
Augsbourgen 1690. Voilà pourquoi il
ne fut plus couronné enAllemagne après
la
40 MERC. GALANT
lamort de ſon Pere l'Empereur Leopold.
Le fecond couronnement de l'Empe .
reur ſe doit faire dans l'Etat de Milan ,
avec la Couronne des Rois de Lombardie,
qu'on appelle vulgairement laCouronne
de Fer , quoi qu'elle foit d'Or , parce
qu'elle eſt ſoûtenuë par un Cercle intérieur
de Fer . Par ce couronnement l'Empereur
eſt Roi de Lombardie.
Le troisième couronnement ſe doit faire
àRomepar les mains du Pape ; & ce n'est
que par ce troifiéme couronnement que le
Prince eſt Empereur , & le premier des
Souverainsde la Chrétienté. Juſqu'à ce
couronnement lui-même ne prend pas le
Titred'Empereur des Romains , mais ſeulement
le Titre d'éleu Empereur des Romains.
On ne conçoit pas comment il
s'eſt établi , qu'il ait néanmoins par lui &
par ſes Répreſentans les mêmes préroga.
tivesques'il étoit véritablement couronnéEmpereur
, quoique ſa digniténe ſoit
qu'élective . Charles Quint eſt le dernier
des Empereurs qui ait été couronné en
Italie , les autresn'ont été couronnez que
comme Rois de Germanie. Cependant
ils ont voulu ſe mettre en poffeffion de
tous les droits des Empereurs , même de
ceux qui paroiſſent attachez le plus inféparablement
à la Couronne Imperiale , &
au Sermentque le Prince élû doit faire à
l'Egliſe Romaine en la recevant par les
mains du Pape. Tel eſt le droit despremié.
JANVIER 1712 . 41
mières Prières , qui eſt à peu près le même
que celui qu'on appelle en France
Droit de joyeux avenement à la Couronne.
Ilconſiſteà nommer au premier
Canonicat vacant dans les Cathédrales ,
tant dans lesChapitres Catholiques , que
dans les Chapitres Proteſtans. Quand
l'Empereur Joſeph eut été élû Roi des Romains
, & couronné Roi de Germanie ,
ſon Pere l'Empereur Leopold conſulta les
plus habiles gens d'Allemagne , pour ſçavoir
ſi ſon Fils , en vertude ce couronnement
, pourroit ſe mettre en poffeffion du
droit despremières Prieres. Leurs réponſes
n'étant pas favorables , il n'y eut
point dedéciſion en forme.
Monfieur Sevin a donné la premiére
partiede ſes Recherches ſur l'Empire des
Aſſyriens. Dans le deſſeinde développer
l'Hiſtoirede cette ancienne Monarchie , il
commence par examiner quelle en a été
l'origine. Quoi qu'en diſent la plupart
desAuteurs Modernes , il foûtient qu'Affur
en doit être regardé comme le premier
Fondateur , chaſſe du Païs de Babilone
parNemrod , il ſe retira au delà du Tigre
dans les Provinces qu'arroſent le Lyc & le
Caper. Ce fut l'an 190. on environ après
leDeluge , que les fondemens de cet Em .
pire furentjettez . Il paroît par ce qu'en
dit l'Ecriture , que dès ſes commencemens
il fut affez conſidérable ; ſes Rois
néan42
MERC. GALANT.
néanmoins pendant plus de fix Siècles ,
ne firent aucune figure dans l'Orient. Be
lus fut le premier qui entreprit de faire
des Conquêtes; & ce Prince n'a vêcu que
deux cens vingt-deux ans avant la fameufeguerre
de Troye. C'eſt ce que M. Sevin
prouve par les témoignagesde Thallus
, d'Herodote , de Denis d'Halicarnaffe
, d'Appien , de Porphyre , & de
Macrobe : il fait voir enfuite comment
cePrince s'empara de la Province deBabis
lone. Voilà en peude mots le ſujerde tour
leDifcours de M. Sevin .
MER.
JANVIER 1711 . 43
MERCURE
II . PARTIE .
AMUSEMENTS.
Je reçois dans le moment un Mémoire
furune Avanture .Je voudrois pour l'amour
du Lecteur , qu'ellefût moins véritable&
plusjolie , elle meriteroit mieux le nom
d'Hiſtoriette , queje lui donnefeulement
parce qu'on en veut une chaque mois. Pardonnez
lanégligence duſtyle , lesmoisſont
biencourtspour l'Auteur du Mercure.
LE BON MEDECIN .
L
HISTORIETTE .
'Etédernier unriche BourgeoisdeParis
alla faire un voyage à Rouen , &
laifla
44 MERC. GALANT.
laiſſa chez luiſa Fille , pour avoir ſoin de
ſonménage ; elle prit tant de plaifir à le
gouverner , que cela lui donna envie d'en
avoir un à elle , un joli Voifin qu'elle
voyoit quelquefois, fortifioit beaucoup cette
envie : elle l'aimoit , elle en étoit aimée
, en un mot ils ſe convenoient , c'é .
toit un mariage fait , il n'y manquoit que
le conſentement du Pere , & ils ne doutoient
pointde l'obtenir à ſon retour. Ils
ſe repaiffoient un jour enſemble de cette
douce eſperance , lorſque la Fille reçût
une Lettre de ce Pere abfent : elle ouvre
la Lettre , la lit , fait un cri , & la laiffe
tomber : l'Amant la ramaſſe , jette les
yeux deſſus , & fait un autre cri. Cruelle
furpriſe pour ces deux tendres Amans !
pendant que cette Fille ſe marioit de fon
côté , le Pere l'avoit mariée du ſien , &
lui écrivoit qu'elle ſe préparât à recevoir
unMari qu'il lui amenoit de Rouen .
Quoi qu'il vienne de bons Maris de ce
Païs-là , elleaimoit mieux celui de Paris.
La voilà deſolée , ſonAmant ſe deſeſpere:
après les pleurs & les plaintes on ſonge au
remede ; la Fille n'en voit point d'autre
pourprévenir un ſi cruel mariage que de
mourir de douleur avant que ſon Pere arrive
. Le jeune Amant imagina quelque
choſe de mieux , mais il n'oſa découvrir
ſondeſſein à ſa maîtreffe . Non , difoitil
en lui même , elle n'approuvera jamais
un projet ſi hardi , mais quand j'aurai
réüfli,
JANVIER 1712 . 45
réüſſi , elle mepardonnera la hardieſſe de
l'entrepriſe ; les Dames pardonnent ſouventcequ'elles
n'auroient jamais permis .
Notre Amant la conjura de feindre une
maladie ſubite pour favorifer un deſſein
qu'il avoit , &fans s'expliquer davantage
ilcourut à l'expedientqui n'étoitpas trop
bien concerté. Le jeune homme étoit
vif , amoureux , &étourdi , à cela près
très raisonnable : mais les Amans les
plus raiſonnables ne ſont pas ceux qui
réüffiffent le mieux.
Celui -ci s'étoit ſouvenu à proposqu'un
Medecin de Rouen étoit arrivé chez un
autreMedecin ſon Frere ,qui logeoit chez
un de ſes Amis ; il s'imagina que ce Medecin
de Rouën pourroit bien être fon Ri
val , il prit ſes meſures là-deſſus.
**Il étoit aſſez beau Garçon pour avoir
couru pluſieurs fois leBal enhabit deFille.
A ce déguiſement , foutenu d'une
voix unpeu feminine , il ajoûta un corſet
garni d'ouatte , à peu près juſqu'à la grofſeur
convenable à une Fille enceinte de
ſept à huit mois : ainſi déguiſé, dans une
chaiſe àporteur , ſur la brune il va myſtérieuſement
chez le Medecin , ſe doutant
bien que le ſecret qu'il alloit lui confier
ſeroitbientôt revelé à l'autre Medecin ſon
Frere . La choſe lui réüſſit mieux encore
, car le Medecin de Paris n'étoit point
chezlui , n'y devoit rentrer que fort tard,
& le Medecin de Rouën étoit arrivé ce
our46
MERC. GALANT.
jour-là , & ſe trouvant dans la Salle ſe
crut obligé de recevoir cette Dame , qui
avoitl'air d'une pratique importante pour
fon Frere. Il engagea la converſation
avec la faufſe Fille , qui ne lui laiſſoit voir
ſon viſage qu'à travers une coëffe. Elle
lui tint des diſcours propres à exciter ſa
curioſité , &paroiffoit prendre confiance
aux fiens , àmeſure qu'il étaloit ſon éloquenceProvinciale
, pour lui paroître le
plushabile & le plus difcret Medecindu
monde. Dès qu'elle eût reconnu fon
hommepour être celui qui la devoit époufer,
c'est-à -dire qui devoit épouſer ſa maitreffe
, dont il vouloit faire ici le perſon
nage , il tira fon mouchoir , ſe mit à
pleurer&fanglotter fous ſes coëffes , &
après quelqu'une de ces cérémonies de
pudeur , quel'uſage a preſqu'autant abrégées
que les autres cérémonies du vieux
tems; il parla au Medecin en ces termes.
Monfieur , vous me paroiffez ſi habile
&fi galant homme , que ne connoiffant
pasMonfieur votre Frere plus que vous ,
j'aime encore mieux me confier à vous
qu'à lui. Enfuite la confidence ſe fit pref
que fansparler; la jeuneperſonneredoublaſes
pleurs , & entr'ouvrant fon écharpe
pour faire voir la taille d'une Femme
groffe, elle dit , Vous voyez la plus malheureuſe
Filledumonde.
Le Medecin des plus habiles , connur ,
fans lui tâter le poulx , de quelle maladie
elle
JANVIER 1712 . 47
elle vouloit guérir; il lui dit , pour la
conſoler , qu'il couroit beaucoup de ces
maladies- là cette année , & qu'apparemment
on lui avoitpromis mariage . Helas !
oùi, répliqua-t-elle , maisle malheureux
qui m'a féduite , n'a ni parole , ni honneur.
Aprèspluſieurs invectives contre le ſeducteur&
contre elle-même , elle conjura
leMedecindelui donner quelqu'un de ces
remedes innocens , quiprécipitent ledénouement
de l'avanture , parce qu'elle
attendoit dans peu un Maride Province.
Quoi que le Medecin ne s'imagina pas
d'abordqu'ilpût être ce Mari de Province
qu'on attendoit , il ne laiſſa pas d'avoir
plus de curiofité qu'il n'en avoit eu jufques-
là , & pour s'attirer la confidence
entiére , il redoubla ſes proteſtations de
zèle&dedifcretion . Enfin aprèstoutes
les ſimagrées néceſſaires , notre jeune
hommé déguiſé lui dit : Je ſuis la Fille
d'un tel , qui m'a écrit de Rouën , qu'il
m'avoit deſtinée un honnête homme ;
mais tel qu'il foit , on est trop heureule
de trouver unMari après avoir été trompée
par un Amant.13 Vous comprénez
bienquel fut l'effet d'une telle confidence
fur le Medecin , qui crût voir ſa fature
Epouſe enceinte par avance ; il demeura
immobile , pendant que lui embraſſant
lesgenoux, elle le conjuroir de conduire
la choſede façon , que ni fon Pere , nile
Mari
48 MERC. GALANT.
Mari qu'elle attendoit , ne pût jamais
foupçonner ſa ſageffe.
Le Medecin prit la deſſus le partide la
difcretion , & fans témoigner qu'il fût
l'honnête homme que l'on vouloit chargerde
l'iniquité d'autrui , il offrit ſon ſecours;
mais on ne l'accepta qu'à conditionqu'il
ne la verroit point chez ſon Pere
: on ſuppoſoit que le Medecin ſeroit alſez
delicat pour rompre un tel mariage ,
& affez honnête homme pour ne point
dire la cauſede la rupture.
LeMedecinalla chez le Pere dès qu'il le
ſçût arrivé ; ce Pere lui dit avec douleur
qu'il avoit trouvé en arrivant ſa Fille très
malade ; & celui- ci , qui croyoit bien
ſçavoir quelle étoit ſa maladie , inventa
pluſieurs prétextes de rupture ; mais le
Pere eſperant que la beauté de ſa Fille
pourroit renouër cette affaire qu'il ſouhaitoit
fort , mena notre homme voir la malade
comme Medecin , & elle le reçût
comme tel , ne ſedoutant point qu'il fût
celui qu'on lui vouloit donner pour Mari :
fon Pere n'avoit encor eu là-deſſus aucun
éclairciſſementavec elle , la voyant trop
mal pour lui parler ſfi-tôt de mariage; le
Medecin , qu'il pria d'examiner lamaladiede
ſa Fille , parla avec toute la circonſpectiond'unhomme
, qui ne vouloit rien
approfondir ; ildemandadu tems pour ne
Point agir imprudemment. Cettediſcrétionplût
beaucoup à la malade; elle crût
que
JANVIER 1712. 49
que connoiffant bien qu'elle feignoit cette
maladie , & qu'elle avoit quelque raiſon
importante pour feindre , il vouloit lui
rendre ſervice; dans cette idée elle le gracieuſa
fort , il répondit à ſes gracieuſetez
enMedecin quiſçavoit lemonde , en forteque
cetteConſultation devint inſenſiblement
une converſation galante ; c'eſt afſez
la methode denos Conſultans modernes
, &elle vautbien , pour les Dames ,
celledes anciensSectateursd'Hipocrates.
Le tour agréable queprit cette entrevûë ,
donnade lagayeté au Pere , quidit enbadinant
, que comme Pere difcret il laif
foitſa Fille conſulter en liberté ſon Mede
cin ; &les quitta , croyant s'appercevoir
qu'ils neſedéplaifoientpas l'un à l'autre.
Voilà donc le Medecin & la malade en
liberté ; leur tête à tête commença par le
filence. La Fille avoit remarqué dans ce
Medecin tous les ſentimens d'un galant
homme , mais elle héſitoit pourtant encore
à lui confier ſon ſecret. Lui de form
côté ne comprenoit pas bien pourquo
elle héſitoit tant; ſi l'on ſe ſouvient ici
de l'entrevûë du Medecin & de l'Amant
déguiſé en Fille enceinte , on comprendra
qu'une fi grande reſerve dans cette Fille
qu'il croyoit la même , devoit le ſurprendre;
cependant il y a des Filles fi vertueuſes
, qu'un ſecondaveu leur coûte preſque
autant que le premier. Notre Medecin
tâcha de r'appeller en celle-ci cette con-
Tome V.
C fiance
50
MERC. GALANT.
fiancedont il croyoit avoir étédéja honoré.
Cela produifit une converſation équi
voque , qu'on peut aifément imaginer :
la Fille lui parloit d'une maladie qu'elle
vouloit feindre pour éloignér un mariage,
&le Medecin d'une autre maladie plus
réelle, dont il croyoit avoir été dája le
Confident. Quoi qu'il touchâtcette cor
de trèsdelicatement , laFille en fremitde
ſurpriſe & d'horreur ; elle pâlit , elle
rougit, elle ſe trouble : tousces ſymptomes
étoient encor équivoques pour le
Medecin, lahonte jointe aurepentir fait
àpeuprès le même effer. Il fe fert pour
laraffurerdes lieux communs les plus con.
folans ; vous n'êtes pas la ſeule à Paris ,
lui dit-il , ce malheur arrive quelquefois
aux plus honnêtes Filles , les meilleurs
coeurs font lespluscrédules , il faut efperer
qu'il vous épouſera. 1
Onjuge bien que l'éclairciffement fuivitde
prèsde pareils diſcours ; mais on
ne ſçauroit imaginer la furpriſe où ils furent
tous deuxquand la choſe fut miſe au
net , le Pere arriva allez tot pour avoir
part à l'éclairciſſement&à la furprife. Ils
fe regardoienttoustrois , fans deviner de
quelle part venoit une fi horriblecalomnie;
la Fille même n'étoit pas encor au
faitlorſque ſon Amantarrivade lamanie
re que vous allez voir .
Pendant que ceci ſe paſſoit , l'Amant
inquiet vint s'informer de la Fille de
ンChamJANVIER
1712. 51
Chambre ſur le mariage qu'il craignoit
tant; elle avoit entendu quelque choſe de
la rupture , elle l'en inſtruifit, & il fut
d'abord tranſporté de joye : mais ayant
apris enſuite que le Medecin venoit d'avoirungrandéclairciſſement
avec le Pere
& la Fille , il perdit la tramontanne , &
courut comme un fol à la chambre deſa
Maîtreffe; & là tranſporté de deſeſpoir ,
il lui deınanda permiffion de ſepercerle
coeur avec fon épée: il n'oſa faire fans
permiflion cette ſeconde fottife , qu'elle
n'auroitpas plus aprouvée que la premiére.
Il entra donc , &ſe jetta la face con.
treterre, entre le Pere , la Fille , & le Medecin,
qui ſe regardoient tous trois fans
dire mot. La Fille parla la premiére ,
comme de raiſon , & fon Amour s'étant
changé en colere, elle neparla que pour
foudroyer le pauvre jeune homme. Elle
commença par lui défendre de la voir jamais;
le Pere auſſi outré qu'elle , le fit
fortir de fa Maiſon ; & la Fille auffi-tot
offrit ſamain au Medecin, pour ſe venger
de l'offenſe qu'elle avoit reçûë du jeune
homine. Le Medecin convint qu'il meritoitpunition
, &dit qu'il alloitlui-même
le faire avertir qu'il n'avoit plus rien à
prétendre: ainſi après que le Pere & la
Filleeurentdonné leurparole au Medecin ,
il promit de revenir le lendemain pour
terminer le mariage.
Le Pere & la Fille paſſerent le reſtedu
C2 jour
52 MERC. GALANT.
jour à parler contre l'imprudent jeune
homme; la Fille ne pouvoit s'en laffer ,
& fon Pere en la quittant lui conſeillade
dormirunpeupour appaiſer ſa colere , lui
faiſant comprendre qu'un Amant capable
d'une telle action ne meritoit que du mépris.
La nuit calma la violence de ſes
tranſports; mais au lieu du mépris qu'elle
attendoit , elle ne ſentit fucceder à ſa
colere que de l'amour ; elle fit pourtant
cent reflexions ſur le riſque où l'avoit miſe
ce jeune homme d'être le ſujet d'un
Vaudeville , mais elle ne pût trouver dans
cette action que de l'imprudence& de l'Amour
, & le plus blamable des deux ne
ſert qu'à prouver l'excès de l'autre , enforte
qu'avant le jour elle ſe repentit d'avoirdonné
ſaparole , & fut bientôt après
au deſeſpoir de ce qu'il n'y avoit plus
moyen de la retirer.
Quand le Medecin revint iltrouva ſon
Epouſe fort triſte ; je me doutois bien ,
dit- il au Pere , en preſence de ſa Fille ,
qu'elle n'oublieroit pas ſi-tôt , ni l'offence
, ni l'offenſeur ; elle pourroit s'en
ſouvenir encor après ſon mariage ; fon
Amant n'eſt pas prêt non plus d'oublier
fonAmour , je viens de le voir , j'ai voulu
le punir , en lui laiſſant croire pendant
vingt-quatre heures qu'il feroit malheureuxpar
ſon imprudence: il en eſt aſſez
puni , car il a penſé mourir cette nuit , je
m'apperçois auffi que votre Fille est fort
mal,
JANVIER 1712 . 53
mal , voilà de ces maladies que ſçavent
guerir lesbons Medecins : mariez -les tous
deux , voilà mon Ordonnance.
Le jeune Amant étoit riche , la Fille
eût été au deſeſpoir ; le Pere fut raiſon
nable , le mariage ſe fit le même jour par
l'entremiſe du bon Medecin .
BOUTS - RIMEZ
dumois palle.
L
'Un aime le Tambour , & l'autre aime
la flute ,
: blute;
LeDocteur argumente , le Boulanger
Gelui- cid'un coup fier aime àpreßerle
flanc
Celui-làtire unLièvre , un autre tire au
blanc ;
Aminteſe repait d'ane amoureuse . flame ,
Auſſi feroit Iris , mais elle craint le
blâme.
Beliſeſemocquant& du Brun , & du
Blond,
Sur ſes voisines fait des couplets deflon
flon.
Chacunafesplaisirs, mais Caron danssa
C3
Bere,
Nous
54 MERC. GALANT.
Nous attend ;&la mortplusfineque
belette,
Nousfurprend , moiſſonnant les humains à
grands flots:
AinfiduMarbre enfin le tems detruit les
P QUESTION.
blocs.
Quelledifferencey a-t-il entre laTendreſſe&
l'amour?
RE'PONSE.
Le coeur fait laTendreſſe , & l'imagination
fait l'Amour. Il y ades occafions
où les mouvemens du coeur , & les effets
de l'imagination ſont confondus. Detout
tems on a diſputé ſur les mouvemens du
coeur&de l'eſprit , ce ſont vrais ſujets .
Lesdeux partis peuvent avoir raiſon .
AUTRE REʼPONSE.
Les Poëtes font en poffeffion de les
confondre ; mais fans leur diſputer le
droit d'exprimer l'Amour par le mot de
Tendreffe , & la Tendreſſe parile mot d'Amour
, je crois qu'il n'y a perſonne qui
n'en faffe la difference , & tous ceux qui
d'a
JANVIER 1712. 55
d'abord ſenſibles au merite d'une jolie
Femme, en deviennent Amoureux par
dégrez , ſçaventdu moins qu'ils étoient
tendres avant que d'être amoureux , &
que cet objet avoit réveillé la tendreffe
dans leur coeur avant que d'y former la
paffionde l'Amour.
LaTendreſſe eſt pour ainſi dire la trempedu
coeur ; les uns aimentplus , les autres
moins tendrement , & chacun aime
ſelon la convenance de fon coeur .
L'Amour est la tendreſſe d'un coeur attaché
à un objet , la Tendreſſe eſt la qualité
d'un coeur qui n'attend qu'un objet
pours'attacher .
Je ne ſçai ſi ces définitions paroîtront
bienjuſtes,dans un tems où l'Amour rient
moins de la tendreſſe quede la volupté ;
auffi n'ai je prétendu parler que de celui
que la tendreffeproduit. L'Amour est la
plusnaturelle&la plus belle de toutes les
paffions,au lieu que la tendreſſe eſt la plus
naturelle & la plus belle de toutes les
qualitez du coeur humain: parce que la
volupté l'a dégradée , l'Amour eft une
paffion qu'on cache , &dont on rougit.
Si laTendreffe feule agiſſoit dans l'A.
mour , cette paffion ſeroit la juſte mefure
de labonté , de la nobleffe , & de ladelicateffe
des coeurs; & la décadence de cet
Amour vient fans doute des eſprits les plus
bornez , qui incapables des grandes idées,
&des beaux fentimens , ne trouvent de
C4
ref56
MERC. GALANT.
4
refſources ni deplaiſirsquedans la volup.
té. Commele nombre des eſprits médiocres
eſt le plus grand & le plus fort , la
plupart des Dames ſe ſont tellement rangéesde
leur parti qu'elles ſe paſſent maintenant
fortbien de tendreffe , & qu'elles
la regardent comme imbecillité dans ceux
qui ſont en âgede raiſon , &dans lesjeunes
gens , comme le défaut d'un uſage
qu'elles eſperent que l'âge& le monde leur:
donnera. Ce ne ſont point elles qui confondront
l'Amour avec la tendreſſe , j'en
foupçonnerois bien plûtôt cellos , qui
malgré le torrent de l'uſage ſoûtiennent
encore l'honneur d'une paſſion que tant
d'autres exemples aviliffent .
Jeſuis bien éloigné de penſer quela raceen
ſoitéteinte , & quand j'ai dit que la
plûpart des Femmes ſe rangeoient dumauvaisparti
, c'eſtque leur nombre , fût-il
mille fois plus petit , me paroîtroit toûjours
tropgrand. Quoi qu'il en ſoit , rien
ne faitplusd'honneur aux Femmes que la
rendreſſe des hommes , & pour moi j'y
conçois degrands plaiſirs , & je ſuis perſuadé
que le plaifir ſecret que fait la lectu -
redes belles Tragedies & des beaux Romans
vient de la tendreffe quiyeſt peinte.
On est charmé de retrouver en foi les mêmes
ſentimens qu'on y donne aux Heros .
L'âge d'Or n'avoit rien de ſi doux que
l'union des deux ſexes , par l'Amour que
Produit ſeulement la tendreſſe; & leprefent
JANVIER 1712. 57
ſent le plus funeſte qu'on pût leur faire
étoit la volupté que Pandore apporta , &
qui finit pour jamais cet heureux tems.
Pourlors
LesdeuxSexes étoient unisdes plus beaux
noeuds;
Cequipouvoit les rendreheureux.
N'étoitjamaisillégitime.
Leurpenchant étoit leurmaxime;
Par lafimple Natureils étoient vertueux ;
Lerefpect,l'amour , &l'estime
Etoientlesfeuls liensde leurfocieté,
Etchacunpoffedoitfans crime .
4
Sonplaisir&sa liberté.
Mais, ôfunestebarbarie ! *
Bientôt l'infame volupté
Vint troublerparfa tirannie
Lacommunefelicité.
Lamutüelleſimpathie
Quis'expliquoitdans tous les coeurs
Effrayéeàl'aspectde tant defreneſie ,
Nifitplusfentirfes douceurs.
Sous lesloixde cettetraitreſſe
Lecoeurneconnutplus les innocensdefirs ,
Et tous les fens troublez d'une bonteuse
yoreſſe
Luiravirent le droit de choiſirfesplaiſirs.
Depuisce temsfatal,l'Amant &laMai
treffe
Que ceMonstre unit enunjour
Goutentlesplaiſirs de l'Amour
Sansgoûterceux de laTendreſſe.
C
5
ENIG
ر
58 MERC. GALANT.
ENIGMES.
On donnera ordinairement l'Enigme
devinéedans le Mercure ſuivant avec la
nouvelle , afin qu'on puiffe juger fi on l'a
devinéejuſte. Voiciune Parodie de celle
de la Toilette qui fera à peu près le même
effet.
AſaToiletteAlixn'a ni poudre niplomb.
Croyez- vouspour cela qu'elley foit deſoeu
vrée ?
Defa Boutiquebien parée
Centingrediensfontlefond.
Ellese lesapplique avec maintegrimace.
LesRofes&les Lis dont elle ornefa face
Nefontni Lisni Rofes de Printems.
Toilette peut lui dire en faisant l'impor
tante
Avec le nombrede mes ans
Près devous mon crédit s'augmente ,
Et ſansrougir vousn'ofez moi preſent ,
Recevoir vos derniers Amants.
Noms
JANVIER 1712. 59
Noms de ceux qui ont deviné cette
Enigme.
M. de Confians ; le beau Licencié , &
ſon gracieux Beaufrere ; la Brű du Gendrede
la Belle Mere ; le beau Caffandre .
ENVO Ι.
La Femmeàquarante ans
DoitSonnerlaretraite.
Je renonceaux Amans;
Faipliéla Toilette.
Le Deſerteur des Toillettes . Guillemettele
Blanc. Jeroſme Carmin , &Mathurin
Pomadet , aſſidus à la Toilette des
Dames. Le Farfadet ; le jeune Doyen ;
les deux Jeunes Soeurs de la ruë Michel le
Conte; la groffe Marguerite.
Par l'aimable & toute ſpirituelle
VeuveMadame de Coſſeſſeville.
VotreEnigme me coûtepeu,
Cen'estpourmoi qu'uneAmuſette.
Je la lisauprèsde monfeu ;
Je la devineàma Toilette.
Ré-
C6
60 MERC. GALANT.
Réponſe ſur les mêmesRimes.
LaToilettevouscoûte peu
Cen'est pour vousqu'une Amuſette.
Avec un teint si vef, desyeux ſipleinsde
feu ,
Coffeſſeville n'a pas grand beſoin de Toilette.
LeDoux rempant ; la Grimaſſe brodée ;
l'éloquent Avocatde la ruë Jean Fleury ;
labelle Devineuſe a dit votre Toilette s'eſt
développée à mes yeux.
ENVOI.
par une Precieuſe.
Une vive&douce lumière ,
Avec peine & plaisir , m'entr'ouvre la
paupiere ;
Ace charme desyeux je veux donner un
nom;
Car ce n'est point Diane , encor: moins
Apollon ,
C'estune beauté plusparfaite.
Qui donc? Eft ce l'aurore ? Non ;
C'est le Soleil àſa Toilette.
:
ENIGM
JANVIER 1712. 61
ENIGM.Ε.
Ma forme fait mon ètre , &j'existe sanscorps.
On m'en donne pourtant de foibles & de
forts
Dont hors de moi lesuns encercleſeprome
nent ,
Et les autres en moi baut & bas ſe demenent.
Par moi sefitjadis quelque amoureux lar
cin ,
)
Etpar moifutſauvėjadis quelque Aſſafin.
Entout Paisjeſuis d'une même nature ;
Maisjechange de noms en changeant de.
figure.
Autre Réponſe à la Queſtion du
moisdernier.
Par M. P.
La Tendreſſe eſt une impreſſion delicate
que fait ſur un coeur la diſpoſition qu'il a à
devenir amoureux ; elle devient Amour
lorſqu'elle ſe détermine ſur un objet.
Quoi qu'un Enfantn'aitpoint de ces defirs
preffans
Quiſerendent maîtresdesſens ,
Etfontdespaſſions leſouverain Empire ;
C7
1
:
Dėja
62 MERC. GALANT.
Dėjapourtantonconnoîtqu'il afpire
Acequi doit ledominer unjour :
Ainfidansſa tendrejeuneſſe ,
Amourn'estencorque Tendreſſe:
EtTendreſſe est l'enfance de l'Amour.
Questionsnouvelles.
-Qu'est-ce que le coeur a de commun
avecl'eſprit?
On demande, s'il y a de la difference
entre cequ'on appelle s'aimer ,&ce qu'on
appelleAmour propre ?
On s'eſt déja plaint pluſieurs fois que
jedonnoisdes Chanſons anciennes: mais
on s'eſt plaint bien plus encore de ce que
j'avois interrompu la ſuite de mes Chanfons
, descaractére que j'avois promiſes au
Public, &qu'on ychante tout autrement
que je ne les ai compoſées , parce que je ne
les ai jamais fait noter. Cette derniére
confidération l'emporte , car elle eſt aidéede
l'envie quej'ai de les mettre à cou .
vert de l'oubli &de l'estrapiement.
CHANSON
duTabac.
D'où me vient cette ſombre bumeur ?
Pourquoi mes foiblesyeux craignent-ils la
Lumiére?
Pourt
ay suis je acable d'une
b
Pacite.Tout avec mon ta=
on eternue
Adsim -adsim-àdeSimpleta
pté. Dieu du Ta=
Pourquoi mes foiblesyeux craignent-ils la
Lumiére?
PourJANVIER
1712.63
Pourquoi fuis -je acablé d'une triſte lan
gueur?
Ah! jen'aipoint ma Tabatiere!
Point deTabac , hetas plaisirsanté ,
Raiſon , vivacité,
Toutavec monTabac eft restésurmaTable.
AmiSecourable ,
Letienest- ilbon...
Ileſtparfumé.
deteftable ;
Adefim, adefim , a de fimple Tabae,je
fuisaccoûtumé.
Cetautre estplus agréable.
Ab! qu'ileft aimable!
Ah ! quellevolupté !
DieuduTabac que tes Autels
Soient encenſezparlesMortels.
QueduplusnoirPetun mille Pipes faman.
tes
Tefourniffent d'encens.
Que lesBeautez lespluscharmantes
Se barboüillent detes preſens .
Que tes doyens enchifrenez
Chantent dunez
Tesplaisirs forcenez .
Etquepour terendrepropice ,
TonTemple retentiſſe
D'éternuemens
Etde reniflemens.
TonTemple retentiſſe
D'éternuêmens
Et de reniflemens.
1
De:
MERC. GALANT.
Deviſes des Jettons de
l'Année 1712 .
TRESOR ROYAL.
Des Cyclopes travaillant à un Bouclier.
Arte atque metallo .
PARTIES CASUELLES.
Daphne changée en Laurier ,
anotsdeVirgile.
Mortalem eripuit formam.
Ordinaire des Guerres....
LaMaffue d'Hercule.
Eadem poft mille labores .
Extraordinaire des Guerres.
Hercule avecſa peaude Lion&SaMaffuê
snarchantàgrands pas .
ces
Orbem pacare laborat .
MA-
:
JANVIER 1712. 65
MARINE .
Neptune danssonChar.
Bello pacique..
GALERES.
Meduse couchée dansson antre au bord
delaMer.
Etiam tranquille videtur .
BATIMENS.
Minerve tenant àla main une equerre &
quelques instrumens deJardinage.
Gravibus folatia curis .
Leſujet choisipourle Jetton de Madame
la Dauphine, est une Couronne fermée
deDauphins , &pour Deviſe ces mots.
Magnus ſplendor maximaque virtus.
Celle-cin'estpas del'Académie.
MER:
66 MERC . GALANT .
MERCURE
III. PARTIE .
PIECES FUGITIVES .
PIECE NOUVELLE
ParM. R.
ETRENNES ,
en envoyant un Pigeon.
LE PIGEON.
DEvous dire bon jour , cen'eſtgrande
merveille,
UnPerroquet vous en diroit autant ,
Et cesbavards parlent à tout venant ;
Jeſuis plus reſervé , je parle rarement ,
C'eſt même tout bas à l'oreille ,
L
Que
JANVIER 1712. 67
Quejevous faismon compliment.
Meſſager de l'Amour , j'arrive de Cythere;
L'Amour du Char de ſa Mere
M'adétaché cematin ,
Je me fixe chez vous , tendre , fidelle ,
fage,
Etmêmeauffi peu volage ,
Que fi j'avois encor mon frein .
Les ſoupirs font tout mon langage ,
A
Ecoutez ſans courroux ces muets entretiens
,
De tous autres ſoupirs ne ſouffrez point
l'hommage,
Belle**** n'écoutez que lesmiens .
Vous ſçaurez quelque jour que je ſuis un
grandMaître
Dans l'Art de bequeter , d'attendrir un
baifer ,
Et madélicateſſeeſt ſur ce point peut-être,
Un vrai modelle à propoſer.
En preffant ces lévres fivives ,
Quededouceur j'y vais puifer ;
Vos Roſes & vos Lis ont des couleurs
naïves
ufer.
Qu'augment mes baiſers ſans lespouvoir
Pourvous donner du frais , mes douxbattemensd'aîles
Feront auprès de vous l'office des Zephirs,
Etſouvent ce feront à vos tendres plaiſirs
Des applaudiſſemens fidelles.
Courrier leger,cheminant par les Airs ,
Encettequalitécomment vous ſervirai-je?
On
1
וי GALANT. 68 MERC.
On ſçaitque mes pareils en cent climats
divers ,
Dela Poſte ont le Privilége :
Ils portent à leur col Lettres & Billets
doux,
Et pour en rapporter les réponſes ſecrettes
Ils vôlentpardeffus les têtesdes jaloux.
Mais de pareils emplois , de l'humeur
dont vous êtes ,
M'occuperont fort peu pour vous.
Voici les Hymnes , les Cantiques ,
Qu'en l'honneur de l'Amour , fit un de
ſes ſujets :
traits ;
On vante de ce Dieu le pouvoit & les
Vous lirez fans rougir dans ſes Panegiri-
1 ques,
Les élogesde vos attraits..
Peut être qu'à preſent Venus ſur ſa Toi
lette
Trouve un bijou de moins ,
L'Amour est le Filou , moi j'ai prêté mes
foins ,
Venus ſera fort inquiette ,
Si le vol n'eſt point faitpar quelqu'autre
Pfiché ,
Et fi cette beauté , qui doit être parfaite ,
Par l'Auteur du Larcin n'a point le coeur
touché;
Vous ſeule en avez connoiſſance ,
Ne m'en pourriez- vous pas dire un mot
aujourd'hui ,
Faites m'en la confidence ,
Je
JANVIER 1712 . 69
Je n'en parlerai qu'à lui .
Balzac dit qu'il y a une figure de lapie.
ce ſuivante dans une Table de Jaſpe àNaples
, où les Femmes lapident l'Amour
avecdes Roſes.
Autre Piece nouvelle ,
à l'imitation d'Ausonne.
L'AMOUR PUNI,
Loin
Oinde ces priſons redoutables ,
Où Pluton aux ombres coupables
Fait ſentir ſon juſte courroux ;
Ileſt danslesEnfers des aziles plus doux.
Là des Myrthes toufus forment de verds
ombrages ,
Quin'ont riendes horreurs de l'éternelle
nuit ;
Des Ruiſſeaux y coulent ſans bruit ,
Des Pavots languiſſans couronnent leurs
rivages.
On voit parmi les Fleurs qui parent ce féjour,
Hyacinthe & Narciffe , & tant d'autres
encore ,
Qui mortels autrefois de l'Empire d'As
mour
1 Ont paflé ſous les Loix de Flore...
Dans
70 MERC. GALANT .
Dans les fombres détoursde ces paiſibles
lieux
Pluſieurs Amans , dontla mémoire
Doit vivre à jamais dans l'Hiſtoire ,
S'occupent encor de leurs feux.
L'ambitieuſe imprudente ,
Qui voulut voirJupiter
Armé de la foudre tonnante ,
Rappelle ce plaifir quilui coûta ſicher.
Et la Maîtrefle de Cephale ,
Soupirantpour ce Vainqueur ,
Cheritla flêche fatale
Dont il lui perça le coeur .
Herod'une main tremblante ,
Tient la lampe étincelante ,
Qui lui fervit ſeulement
Avoir périr ſon Amant.
Ariane roule en colere
Cefil triſte inſtrument d'un perfide atten
tat,
Trop malheureuſe , helas ! d'avoir trahi
fonPere
Pour n'obliger qu'un ingrat.
Phedre , chancelante&confufe,'
Baigne , mais trop tardde ſes pleurs ,
L'écrit où ſa main accuſe
Ses criminelles ardeurs .
Moins coupables cent fois , &plus à plain-
2
Et Didon & Thisbe vont ſe frapper le
drequ'elle ,
ſein;
D'un perfide ennemi , l'une a le fer en
main, 1
L'auJANVIER
1712. 71
《
L'autre celui d'un Amant trop fidelle .
L'Amour , de leurs douleurs , voulut
êtretémoin ,
foin:
De couvrir ſon Carquois il avoit pris le
Les Arbres d'unboccage ,
L'épaiſſeurd'un nuage
Adoucirent en vain l'éclat de ſon flam.
beau ,
On reconnutbien-tôt cetennemi nouveau.
Déja la troupe rebelle
Luipréparoitdes Tourmens inhumains ;
L'Amour tout fatigué , ne bat plus que
d'uneaîle,
Il ſe ſoutient àpeine, il tombe entre leurs
mains.
Amour , pour defarmer les Juges impla
cables ,
C'eſt vainementque tu verſes despleurs ,
On enchaîne tes mains, qui portoient
dans les coeurs
Des coups inévitables .
Attaché ſur un Myrthe , enproye à leurs
fureurs ,
Tuvas de mille morts éprouver les hor.
2. reurs
Leurs clameurs menaçantes
Ontétouffé tes plaintes languiſſantes.
L'une vient t'effrayer avec le fer ſanglant ,
Qui finit de ſes jours ledéplorable reſte ,
L'autre avec le débris encor étincelant
Du bucher de ſa mort , Théatre trop funeſte;
De
72 MERC. GALANT.
De ſespleurs endurcis , par le pouvoir des
Dieux ,
Myrrha fait contre toi de redoutables armes
,
Leur poids va t'accabler , les remords ,
ſesallarmes
Nepunirontque toi de ſon crime odieux .
'L'Amour attire ſa Mere
Par ſes pleurs& par ſes cris.
Vient- elle àfon ſecours ? Non , Venusen
colere
Vient augmenter les tourmensdefonFils.
Jen'ai que trop fouffert de cet audacieux ,
Dit-elle , qu'à fon tour il éprouve ma rage,
Des filets de Vulcain , des ris malins des
Dieux
Je n'ai pas oublié l'Outrage .
C'eſt Venus en courroux , qui menace ,
tremblez;
Sa main s'arme auffi-tôt d'un long bouquetde
Roſes,
De leursboutons à peine écloſes ,
Le fang couloitdéejiaa fous
blez.
ſes coups redou-
Arrêtez Déeffe irritée ,
S'écrie avec tranſport la Troupe épouvenrée
,
Lorfque nous reſpirions lejour
Le Sort fit nos malheurs ce ne futpas l'Amour.
PAR
JANVIER 1712. 73
PAR Mr. V. A Mr. DE***
Quilui avoit envoyé un remede pour
la Fiévre.
1
PLus ne m'enquiers de quelle drogue
Formé ceBol , parquiſeroient bravez
Bien plus de maux , plus depeſtes encore,
Queparmi nous n'en apporta Pandore.
Nul mal ne tient contre ce Bol divin ,
J'envois en moi la vertu confirmée :
ContreuneFiévre en mon ſang allumée ,
Du Kinkina leſecours étoit vain ,
Point n'en étoit la fureur allentie;
Vousdites : Parts , & la voilà partie.
Mais à la fin le voile eſt arraché ,
Ainſi que vous , jeſçai ce quicompoſe
CeBol , en quitantde force eſt encloſe :
Pour un Poëte il n'eſt rien de caché ;
Lors qu'Apollon notre eſprit a touché ,
Comme les Dieux nous voyons toute
choſe.
Que nous voulions pénétrer aux Enfers ,
Tousleurs fecrets à nos yeux font offerts ,
Nousy voyons juſqu'àl'ardeur farouche
Que pour la Femme a Plutondans ſacouche
;
Tome V. D S'il
74 MERC. GALANT
S'il faut percer les myſtéres des Cieux ,
Là , nous allons manger avec les Dieux ,
Dans leurConfeil nous ſommesreçûs même,
Nousyvoyons Jupin ce Dieu ſuprême ,
Pour cent Amours furtifs ſe travailler ,
Etfon épouſe après lui criailler.
Dans fon Palais , dans ſes grotes profon.
des
Neptune en vain prétendroit ſe cacher ,
Tout au travers de l'abime des Ondes
Nos yeuxperçans iroient là lechercher.
Nousdifcernons les effences premiéres ,
Rien , enun mot, n'évite nos lumières ,
Aviez-vous crű pouvoir les éviter ?
Adonc , afin que n'en puiffiez douter
N'eſt-il pas vrai que ce Bol falutaire
Parqui tout maux ſont gueris en ces lieux
N'eſt ſeulementqu'un magique myſtere
Quide leurCiel fait deſcendre les Dieux ,
Etles contraintde venir enperfonne
Suivre la loi que votre Bol leur donne ?
Carje l'ai vû clairementde mes yeux,
Etne fuispointtrop fimple , trop credule,
Lor que je pris cephiltre merveilleux
Sur lefommetde ce puiffantglobule
Je viss'affeoir laDéeffeSanté
Au teint vermeil , à ferme corpulence ,
Aladentblanche, à l'oeil plein de gaytés.
Ettelle enfin qu'au Siécle d'innocence
Toûjours les Dieux l'accordoient aux hus
mains ,
Ou telle encor que leurs benignes mains
La
JANVIER 1712 . 75
:
La font ſouvent dans le Siècle où nous
ſommes,
Briller au front de quelquesbonnes gens ,
Quimalgré l'air corrompu de nos tems
Ont le coeur pur comme les premiers
hommes;
J'entens Abbez , Chanoines , & Prieurs ,
Gens indulgens pour leur propre moleffe ,
Etcontre autrui ſi ſeveres crieurs.
Mais revenons à la ſaine Déeſſe ,
Bacchus , l'Amour , les Ris , les enjouë.
mens
Sommeil aifé , confiance en ſes forces ,
Deſirs puiſfans , delicates amorces ,
Tout en un mot ce que de Dieux char
mans
Compre l'Olimpe , étoient lors à ſa ſuite.
Cen'eſt le tout; jevis ſous ſa conduite,
Etj'en frémis encore de reſpect ,
Jevis cesDieux fur moi fondre avecelle ,
Jecrûs alors qu'uneGuerre cruelſe
S'alloitfur moi former à ſon aſpect ,
Mais non , rien moins , la redoutable
Fiévre ,
Fuitfans combat commeuntimide Liévre
Fuit à l'aſpect du vite Lévrier.
Après cela laDéeſſe ravie
Marque à chacun des Dieux qui l'ont ſuivie
Le Logement qu'il doit s'approprier .
Bacchusd'abord de mon Palais s'empare ,
Pour poſte, Amour mon coeur s'en va choifir
,
D2
Les
76 MERC. GALANT.
Les Enjouëmens mon Ame vont ſaiſir ,
Le doux Sommeil auſſi - tôt ſe prépare
Aſe logerdansmes yeux languiſfans ,
Non pour toûjours , convention fut faite
Que du Soleil chaque courſe parfaite
Miſe entrois parts , ſes pavots raviſſans
En auroient une, où ſerains & tranquilles,
Mes yeux pour eux ſeroient de fürs aziles ,
Quede ce cours , pendant les autres parts ,
Mes yeux pourroient , dans leur mince
ſtructure , i
Loger des Cieux , de toute la Nature
La vive image , & celle des beaux arts ,
Et pour Iris mille amoureux regards .
La Confiance ou l'abus de ces forces
Courent remplir l'Imagination;
Jolis defirs , delicates amor.ces
Prennent auſſi mêmehabitation :
Puisd'autres Dieux dont ne fais mention
Selon leur rang à leur devoir ſe rendent ,
EtlaSantéde qui tous ils dépendent
Nevoulut point prendre un poſte arrêté ,
Mais ſe logea dans toute la Cité .
Ains , grace à vous , je me vois en ſanté,
Mieux que ne fut oncques le fort Hercule.
J'ai toutefois là-deſſus un ſcrupule ,
Dont beſoin eſt que vous m'éclairciſſiez .
Jecraindrois fort que par hazard n'euſliez
Faitunmécompte à l'égard de mon âge ,
Et qu'enfaiſant votre pacte enchanteur
Vous ne m'euffiez invoqué par malheur
QuelqueSanté trop jeune & trop peu ſage,
J'ai fur lefronttrente-ſept ans au moins ,
Or,
JANVIER 1712. 77
Or , fim'aviez , par vos tragiques foins ,
Tout de nouveau fait couler dans les veines
Le même ſang & les mêmes eſprits ,
Quim'animoient à vingt ans , que de peines
J'aurois encor ſous le jougde Cypris !
ODE NOUVELLE
àMonfieur de M.
! Muſe , en ces momens , où libre
en cette Table ,
J'y voi mes airs ſuivis de cebruit favora.
ble,
Qui me rend aujourd'hui le plus fierdes
humains ,
Viens , toi-même , & mets moila Lire entre
les mains.
Que mesdoigts entirantle ſon le plus aimable,
De tes pompeux accords , de tes accens
divins
Rende l'uſage à nos Feſtins. **
Com
D3.
* C'étoit la coûtume chez les Anciens de
chanter après les grands repas .
Perfonatauratâ.
Cythara crinitusforas
Virg. Hom.dans l'Iliade & l'Odyf.
)
78 MERC. GALANT.
Commençons ; je connois à l'ardeur qui
m'infpire
QuePollymnie eſt en ces lieux :
Oui , jete reconnois , & chacun dans ſes
yeux
Avec tranſport me laiſſe lire
Ce que peuvent fur nous tes fons harmonieux.
Mais n'entreprenons point de dire
Les exploits des Heros , la naiſſance des
Dieux :
Comment d'un ſeul regardébranlant fon
Empire
Cieux ;
Jupiter faittrembler & la Terre & les
Ce qui forme les Vents , ce qui fait le
Tonnere ,
Comment chaque ſaiſon a partagé la
Terre ,
Ce retour fi conſtant & des nuits & des
jours:
Entre tantdeſujets ſublimes ,
Que toi ſeul aujourd'hui fois l'objet de
nosRimes;
Chantons lagloire de ton cours .
Où fuis-je ? Et dans cette carriere , *
D'où je vois s'élever ſous les pieds des
chevaux
Cette épaiffe& noble poufſiere
Dont ſe viennent couvrir mille jeunes Ri
vaux ,
Quel mortel † affis les Couronne ?
* JeuxOlimpiques. † Pindare.
Gette
JANVIER 1712. 79
Cettefoulequi l'environne
Deſa voixſeule attend le prixde ſes Tra
vaux.
Surquel ton monte-t-il ſaLire?
Etcomment pourrai- je décrire
Ses ambitieuſes chanfons !
L'air s'ouvre devant lui de l'un à l'autre
Pole,
CommeunCigneéclatantloinde nous il
s'envole,
Et lahauteur du Ciel eſt celledeſes fons.
Muſe, avectantd'effortsàpeine turefpires;
Mais , aimable Sapho , je t'entends , tu
ſoupires ,
Tucedesàl'Amour qui poffedetesfens.
Bien plusdoucement que Pindare ,
Tufais que laRaifon s'égare .
répand ſur laTerre ,
Bacchusnous ranime, &pour plaire
Ilprend cette Lire legere
Qu'Anacreon touchepour lui ;
Alavoixleplaifir ſe répand
Etpar tout il livre laGuerre
Auxfoins, àlapeine , à l'ennui.
Deſesſons le galantHorace
Parant ſes accords avecgrace
Aux bords les plus fleuris va dérober le
thim,
Plus diligent que n'eſt une Abeille au matin.
Que loüerai-je le plus, ou la cadence juſte,
Oudeſes vers aifez letour ingenieuxx??
Par fa main l'immortel Auguſte
D Boit
80 MERC. GALANT.
Boit le même nectar qu'Hebé diſpenſe aux
Dieux..
Mais ſa Lire avec lui s'enferme ſous ſa
Tombe ;
moins l'éclairer ,
En vain , ſans qu'un beau feu daigne au
Ronſard chez nos ayeux cherche à la retirer
:
Sous ſes vains efforts il ſuccombe ,
Et couvert du mépris plus cruel que l'oubli
,
Sousfon obfcure audace il refte enſeveli.
Mais l'ordre des Arts pour nous change ,
L'ordre des tems enfin & s'explique &
s'arrange ,
Et commençant l'éclat du Parnaſſe François,.
Nous donne de Malherbe &l'oreille , &
la voix.
pleinsde charmes ,
Soit que , s'animant aux combats ,
Il ſuive au milieu des allarmes
Quels accords épurez , quels nombres
Un Roi qui ſoumet tout à l'effort de fon
bras:
Soit que triomphantde l'envie ,
Dans la Paix des plaiſirs ſuivie
Il peigne ce Heros le front orné de Fleurs ,
Et que lui faiſant plaindre une amoureuſe
peine
Il touche laNymphe de Seine
De ſes incurables douleurs . *
• Vers imitez de Malherbe.
C'en
JANVIER 1712. 81.
C'en est fait , &le Ciel acheve ;
De ces Maîtres fameux je vois un jeune
Eleve*
Qui fixe de nos airs & l'éclat& le ſon:
Eſprit juſte , eſprit vrai , que ſa force admirable
DuPinde &du Lycée a fait le nouriſſon ,
Etquinereconnoît pour beauté véritable
Quecelle que veut bien avouer la Raiſon .
Muſe,joüis dans lui du comble de lagloire;
Ce mortel ſi content au Temple deMémoire
Avecpompe en ce jour à nos yeux eſt com
duit;
Unimmortel éclat le ſuit ,
Il obtient à fon gré cet honneur qu'il defire;
Ah ! qu'on ouvre ce Temple , & que
chacun admire
Ces Heros que l'eſprit y raſſemble à nos
yeux :
*** entr'eux place ſa Lire
Plusbrillante en ces lieux où le merite afpire,
Que celled'Arion , quibrille au haut des
Cieux.
M *** , Estimateur aimable
Duméritedenos écrits,
Quiprendroit biendes tiens le tour inimitable,
Seroit fürd'emporter le prix.
D
Mr.de la Mothe.
Par
82 MERC. GALANT.
Par toi déja deux fois admis dans le
myſtére
Detes ouvrages ſi brillans ,
J'ai vû pour les beaux Arts ton goût héré
ditaire,
Un naturel aifé , les plus rares talens .
J'ai vu que , ta Muſe facile
Sur le Pinde avec grace affermiſſant tes
pas,
Tuſeroisfanspeine Virgile ,
Si tu n'étois pas né du rangdeMecenas .
Pluſieurs perſonnes font ravies d'avoir
des Pieces Fugitives anciennes , qui n'étantpoint
imprimées échapent à beaucoup
de Recueils ; quelques -uns ne voudroient
dans les Pieces Fugitives que des Pieces
nouvelles : pour contenter les uns & les
autres , je donnerai de l'ancien & du nouveau
, car le nouveau est trop rare pour
endonner unVolume tous les mois.
MERJANVIER
1712. 83
MERCURE
IV. PARTIE.
NOUVELLES.
Nouvellesd'Allemagne , de Pologne,
duNord.
Q
1
"
Uoi qu'on ait parlé le mois dernier
duMariage duPrince de Mofcovie
avec la Princeſſe de Wolfenbuttel ,
on a crûdevoir donner ce mois-ci pluſieurs
particularitez concernant cette Cérémonie,
dont onn'avoit pas été inſtruit ; ainfi
la Lettre ſuivante qui a été écrite à une
grande Princeffe , quoi que d'ancienne
darte, peut être regardée comine nouvel.
le : on commencera toûjours à l'avenir ,
la partie des nouvelles par d'anciens détails
, qu'on aura reçûs depuis l'impreffionduVolumeprécedent.
D6
A
84 MERC. GALANT.
A Torgau le 27. Octobre.
E Czar arriva ici Samedi dernier. Sis
LeMajeftellaàpied à la Cour; le Czarowitzfon
Fils alla au devant de lui, l'accompagna
à l'Appartement qu'on luiavoit
préparé. S. A.le Duc Antoine Ulrickalla
lui rendre viſite. Monseigneur le Ducfe
retira ensuite, &le Czaralla voir laDucheffe
Loüise, parceque la Reine n'étoitpas
encorehabillée. Il trouva auprès de laDu
cheffe, la Princeſſefiancée au Czarowitz.
Jedois vous dire , Madame , que le Czar
estun Princegrand, très bienfait , fort
gracieux. Il porte ses cheveux qui sout
bruns&friſez . Il a une grande barbeàla
Polonoise; ses habits font à la Françoise ;
mais plus modestes qu'éclatans. Il a toujours
une Canne à la main , & il a l'air
d'un grand Capitaine, comme il eſt en
effet. It parle souvent àfonGrand Chancelier
le Comte Galouski , & aux Princes
Généraux Moscovites : il n'est pas un
moment oifif. Il parle Ras - Allemand ,
mieux qu'il ne croit lui- même. La Ducheffe
Loüife leſçaitfort bien entretenir. Il
yatoûjoursdansſes Apartemens, desBouffons,
&des moindres Domestiques , mê-
Lez avec les Princes , Généraux , & autres
Seigneurs . S. M. Czarienneneſoupa.
point Samedi. A lafortie de la Comedie ,
dans
JANVIER 1712 . 85
dans le tems qu'on ſervoit sa Table , elle
entra dans ſon Apartement , mit un Manteaufurla
tête , &allapaſſer la nuit dans
une Maisonde la Ville , où l'on ne s'attendoit
pas d'avoirl'honneur derecevoir unfi
grand Prince. Il fait presque régulièrement
quatre repas chaque jour ; il mange
deuxfois avec laReine , &deuxfois chez
lui.
Le Mariageſefit bier Dimanche. Tous
lesPrinces toutes les Princeſſes dînérent
en particulier , &se rendirent ensuiteau
prèsde la Reine. La Cour étoit magnifique
. La nouvelle Epouseavoit unHabitda
Moire d'argent, brodé auſſi d'argent ,
fort riche; un Manteau Royal delamême
couleur , ses cheveux bien treſſez ,
Couronne couleur de Cramoiſi ſur latête,
toute garniede Diamans. Le Czarowitz
avoitunHabitblancfort beau , brodé d'or ;
&le Czar avoit un Habit rouge dont les
boutonnieres étoient deGalond'argent.
une
Les Maréchaux vinrent avertir à trois
beuresque tout étoit prêt , &toute l'Affembléeſe
rendit dans la grande Salle ou
l'on avoit dreffè un Autel. Levieux.Duc
mena la Princeſſe ſapetite Fille, trois
Dames de la Reine portérent la queuê de
fon Manteau, Le Czar accompagna la
Reine, &le Czarowitz la Ducheffe Loüife.
Dès qu'ils furent arrivez , le Prêtre
Grec, qui étoit babillé àpeuprès demême.
que les Catholiques , donnala Benedictions
sh
86 MERC. GALANT.
il changea lesBagues , &demanda enLatin
au futur Epoux &alafutare Epoufe ,
s'ils vouloientſeprendrepour Mari&pour
Femme. Ilmit ensuite unBonnet Ducal,
ou Couronne de velours Cramoiſt, fur ta
tête du Prince; mais celle de la Princeffe
s'étant trouvée trop étroite, le Czar ordonnaàfon
Grand Chancellierdelatenir
fur la tête de cette Princeffe. Le Czarfe
promena toûjours pendant cette Cérémonie ,
lors qu'elle fut achevée, ilfélicita les
nouveaux Epoux .
On retourna ensuite chez la Reine , dans
lemêmeordrequ'on enétoitforti , &toute
la Cour fit Compliment au Prince & àla
Princeffe. Le Czar donnapendant tout le
jour degrandes marques dejoye : il écrivit
àla Princeffefon Epouse , qui étoit àThorn
en Pologne, pourlui notifier ce Mariage.
Onfervit un grand fouper àhuit heures,
fur une Table où ily avoit douzeCouverts.
Le Czarowitz fut placé dans le milica,
ayant àfa droite le Czar fon Pere& la
Princeffefon Epouse àſa gauche . Le Duc
AntoineUlrickétoit àla droite du Czar ,
&laReine àla gauche de lanouvelle Epouse;
le Duc Lois, àla grachede la Reine ,
ainsique le Prince Dolorouki, à l'un des
boutsdelaTable : le Prince Tarbetti étoit
vis-à-vis de la Reine, lePrince Couraquin,
vis- à-visdela Princeſſe , le Général Pruffe,
vis-à-visle DucAntoineUlrick, qui avoità
Sa droite la Ducheffe Louise; &le Comte
GJANVIER
4712. 87
Galouski, à l'autre bout delaTable.
AprèsleSouper , on ſe rendit dans la Salle
où l'on avoit fait la Cérémonie. Ony
danſa d'abord plusieurs Danſes Polonaifes.
Le Czarowitz danſa lepremier; le vieux
Ducdanſa aprèslui , puis leCzar , Gen-
SuitetouslesPrinces Moscovites. CesDanſes
durérent lang-tems ; le Czar fortoit
quelquesfois de la Salle , &alors tout étoit
dans l'inaction : quelques fois LesBouffons
danfoient seuls , puis ſefaisoient donnerde
grands verres pour boire à la santé de la
Compagnie. Le Czarowitz danſa quelques
Menuets;le Bal finit par une Danse
Angloise.
Il étoit onzeheures lors que l'on conduisit
les nouveaux Epoux à leur Apartement.
Le Czarowitz alla fe deshabiller dansun
autre Apartement , & quand on eut deshabillé
la Princeffe , le Czar entra avec
toute la Cour. LePrincefon Fils avoitune
Robbe de Chambre rouge femée de fleurs
d'or. La Princeſſe en avoitune blanche ,
Semée de fleurs aunaturel , &brodée.
Aprés que leCzar eut donnéſa Bénédictionau
Princefon Fils , illefit entrer dans
leLit d'uncôté , pendant que la Princefley
entroit de l'autre , la Reine&la Ducheffe
Loüife étant auprès d'elle , enſuite de quoi
chacunſeretira.
P. S.
LeDucAntoineUlrick m'a ditqu'il feroit
de Vendredi enbuitjours à Gorde, qu'it
ira
88 MERC. GALANT.
ira ensuite avec le Czarowitz à Francfort
voir le nouvel Empereur , & que le Czar
partira Jeudi pour la Pomeranie , où la
Campagne estfort pénible.
Voicipluſieurs autres Lettres , qui quoi
qu'elles foient auffi d'anciennes dattes ,
n'en font pas moins curieuſes .
Copie d'une Lettre de M. Fabien ,
Envoyéd'Holſtein auprèsduRoi
de Suede , dattée à Bender le 3 .
Septembre.
Icommejel'aimandépar mes dernieres.
Es Affaires sontencore ici aumêmeétat
1
Capizilar Kiahiafi du Grand Viſir eft arrivé
cesjours paffez àl'Armée; comme il est
fort dans les intérêts du Roi de Suède , on
s'attend à quelque changement favorable
d'unmoment à l'autre ; le Palatinde Kiovie
&le Comte Tarlo , font allez trouver
leGrand Vifir à l'Armée , c'està leur
retour que nous pourrons ſçavoir quelque
chose de positif. Selon les apparences les
Moscovites ne rendrontpoint Asaff. Ainsi
laGuerre pourroit bienêtre continuée. Ils
ont demandé de nouveaux délais ; le
Grand Vizir a dità Meſſieurs Schafirof&
Czeremethof, qu'il les feroitpendre vis-àvis
l'un de l'autre , fi on ne rendoitpasla
Place
JANVIER 1712 . 89
Place dans le tems fixé. Ily aapparence
que le Roi paſſfera encore ici cetHiver.
Lettre de l'Ambaſſadeur de Hollande
, écrite de Conſtantinople le
18. Septembre .
Es Lettres de
Lportent, que leViſir étoit encorecampé
en Moldavie du côté Septentrional du
Danube ; le Czar s'excuse toûjours fur
l'exécution du Traité, cequi cauſequelque
Soupçon, comme s'il cherchoit àl'éluder . Le
Roi de Suéde continue àſeplaindre du
Grand Visir&de la Paix àfon exclufion.
L'Envoyé de Sa Majesté Suédoise, Monfieur
Funck, s'est rendu à l'Armée auprès
duGrand Vifir pourynégocier à laplaceda
Général Poniatowski, àquila CourduVi.
fir est défendue : l'on a euavis ici que Sa
Majestéfaisoit réparer les Maiſons ruinées
par les inondations du Nieſter àBender
avec intention d'y paffer l'Hiver . Depuis
tes dernièresnouvelles , les Plénipotentiai
res & les Otages du Czar , font étroitement
gardez aux ſept Tours ,
de lout accès.
l'Armée du 29. Août
mis hors
Copie
90
MERC. GALANT.
Copie d'une Lettre de Monfieur
Stirnhoc , Secretaire de Suede à
Vienne du 19. Septembre.
E Roi a refusé d'accepter le Corps de
L Cavalerie que leGrandVifirlui avoit
offert, pour le conduireàſes Provinces oud
JonArmée,Sous le commandement du Bacha
de Romelie , & l'on croit que SaMajesté
ne quittera pas les Turcs qu'ellen'ait
auparavant laPaix avecle Czar. Lorsque
leRoi a dit auGrand Visirqu'il ne tenait
qu'àlui deprendre le Czar prisonnier ,
puis ftipuler telles conditions qu'il pouvoit
Souhaiter ; il a répondu que s'ilprenoit le
Czar prisonnier il nesçauroit àqui s'adrefferpour
traiterde la Paix , &a demande
LaMojcovie pendant (a pri- qui gouverneroit la
Son? Monfieur Fabrice,a ajoûté que le
Roi différoit encore d'écrire ou de faire
écrire: auſſi n'a je point reçû de Lettrede
Bender depuis cet événement , qu'une de
Monfieur le Lieutenant Général d'Aldorf,
du26. Juillet,concernantſes affairesparticulières
, où il n'y apas un mot deNouvelles.
Il est arrivéici un Secretaire du Réfident
Dalman, qui a fuivi le Grand Vifir
enCampagne; je lui aiparlé, il m'a confirmé
tout ceque nous sçavons déja , ajoutant
que la misère de l'Armée Moscovite étoitfi
grande
JANVIER 1712. 91
10us
grande qu'elle étoit inexprim inexprimable : queplus
de 20. mille bammes les chevaux
étoientpéris , &que le deſeſpoir avoitmême,
après la Paixfaite, portéprèsde deux
mille Moscovites quin'ontpas eulaforcede
marcher à pied , le Long chemin
n qu'ils
avoient encoreàfaire, d'embraffer laReli
gion Mahometans . Le même Secretaire dit
encore, que le Grand Vifir faisoit toutlde
fon mieux pourattirer danssonpartileKan
desTartares en lui offrant une bonnepart de
l'or despierreriesduCzar :: mais l'Ambassadeur
d'Angleterre à Constantinople a
écrit ici du 21.Août , quele Kan étoit toujours
des amis du Roi ; & nonobſtantque le
Grand Seigneur avoit ratifié la Paix , Sa
Majesté pourroit pourtant encontinuant la
Guerre contre le Czar , diſpoſer de toutes
les Forces des Tartares.
Les Lettres deHambourg du 20.Novembre
poportent , ortent , que les Suéd Suédois ontpubliéunManifeſte
pour répondre à ceux du
Roide Dannemarck & du Roi Auguſte.
Ils repréſentent qu'ils n'ont donné aucun
ſujet de rupture à ces deux Princes , qui
contre les Traitez , ont allumé la Guerre
dans l'Empire,où ils ont introduit lesMofcovites,
qui pourront leur donner , ainfi
qu'aux autres Princes voiſins , tout lieu
de s'en repentir : qu'ils ont auſſi publiéun
autre Ecrit où ils marquent les ſervices
que le Roi Gustave Adolphe , rendit à
l'Em92
MERC. GALANT.
l'Empire , dans le tems que l'Empereur
Ferdinand II . publia le 18. Avril 1629.
unEdit, dans le deſſein de ſe rendre maître
abſoludetoute l'Allemagne , ſous prétexte
de faire reftituer les Biens des Eglifes
Catholiques , dont les Proteftans étoient
en poffeffion; que la liberté de l'Empire
avoit été rétablie & affermie par lesTraitez
de Westphalie , qui avoient terminé
cetteGuerre; que tous les Princes de l'Empire
endevoient témoigner leur reconnoiffance
aux Suédois, & que fi ces Princes
avoient confenti par ces Traitez à leur céder
quelques Provinces , ils ne l'avoient
pas tant fait pour les dédommager des
frais de la Guerre , que pour leur conferver
une entrée , par laquelle ils pourroient
venir , en cas debeſoin , au ſecours
de l'Empire ; que nonobſtant le Traité de..
Neutralité , fait pour conſerver la tranquillité
de la Baſſe Allenragne , le Roi de
Dannemarck & le Roi Auguſte y avoient
commencé la Guerre , quoi que la Ré
gence de Stokholm , eut approuvé ce
Traité;que ſi le Roi de Suede, ne l'avoit pas
accepté, il le falloitattribuer à fongrand
éloignement , & à quelques expreffions
préjudiciables à ſa Souveraineté , & à ce
qu'il rendoit abſolunment inutile l'Armée
qu'il avoit en Pomeranie , pendant que
fes Ennemis auroient pû employer toute
leurs Forces contre ſes autres Etats.
Ces mêmes Lettres diſent , qu'un Offi
cier
JANVIER 1712 . 93
cier envoyé par le Général Ducker, Commandant
de Stralzund , avoit rapporté en
paffant à Hambourg pour aller à Stralzund
, que la Garniſon & les Fortifications
de la Ville étoient en fi bon état
qu'elle pourroit foûtenir un long Siège ,
ce qui donneroit tout le tems au ſecours
que l'onpréparoit, d'y arriver ; que celles
qu'on avoit reçûës du Camp devant cette
Place portoient , que du nombre des Bâtimens
du Roi de Dannemarck , qui étoient
chargez d'Artillerie, il n'en étoit arrivé
que deux , le reſte ayant été diſperſé par
la tempête ; qu'il n'y avoit fur ces deux
Bâtimens que quatorze piècesde gros Ca.
non , & onze de dix-huit livresde balle ,
que l'on travailloit à débarquer , & quele
reſte de l'Artillerie & les Munitions
étoient ſur les autres Bâtimens qui avoient
été obligez de relacher vers l'Iſle de Femeren
; que la plus grande partie des Vaifſeaux
de Guerre s'étoient retirez du côté
de l'Iſle de Moon , & que le reſte croiſoit
à la hauteur de l'Iſle de Rugen , où il n'y
avoit pas d'apparence que les Ennemis
fiffent une defcente ; qu'il n'y avoit pas
non plus d'apparence qu'ils püffent attaquerla
Placedans les formes , leur Armée
ſouffrant beaucoup par les maladies , &
parles mauvais tems , &particulièrement
la Cavalerie , dont on avoit déja envoyé
une grandepartie ſur les Frontières de Pologne.
Les
94 MERC. GALANT.
Les Lettres de Stokolm du 15. Octobre
diſent que le Roi Staniſlas , après avoir
euplufieurs Conferences avec la Régen.
ce, en étoit parti pour Carelſcroon , où
il devoit s'embarquer fur une Flote de
trente Vaiſſeaux de Guerre ou Fregates ,
commandée par le Général Wachtmeiſter
, qui devoit tranſporter treize mille
hommes en Pomeranie.
Celles de Varſovie du 14. Novembre
marquent , qu'un grand nombre de Gen
tilshommes & d'autres gens ruïnez par
les Taxes & Contributions , exigées par
les Troupesde la Nation , par lesSaxons,
&par les Moſcovites , avoient formé un
Corps conſidérable dans la grande Pologne
, où ils faifoient degrands défordres ,
ainſi que dans le Palatinat de Cracovie ,
ſous lenom d'Indépendans; que l'Armée
deLithuanie qui s'étoit approchée dela
Frontiere , faiſoit auſſi de grands défordres
en retournant dans ce Duché , où
elle doit prendre des quartiers d'Hiver :
que les Députez nommez par la Républi
que pour traiter avec les Envoyez du
Grand Seigneur , étoient arrivez à Leopol
, ainſi que le Comte de Sienawski ,
Grand Général de la Couronne ; mais
qu'onneſçavoit pas encore quand ces Envoyez
s'y rendroient.
Par-les avis qu'on avoit eus à Hambourg
le.27. Novembre , du Camp devant
Stralzund , l'Artillerie du Roi Auguſte
n'y
JANVIER 1712 . 95
n'y étoitpas encore arrivée , les chemins
étanttous rompus à cauſe des pluyes continuelles
; ontravailloit à débarquer celle
qui étoit ſur les deux Bátimensde la Flote
Danoiſe qui avoient aborde heureufement;
maiscomme elle n'étoit pas ſuffiſante
pour battre la Place vigoureuſement
, on croyoit que les deux Rois ſeroient
contraints d'abandonner cette entrepriſe
, ou de la terminer par un Bombardement
, à cause de l'impoſſibilité
qu'ilyavoitdefaire hiverner leurs Trou
pes dans la Pomeranie, à cause de ladi
fettedes Fourages .
D'autres Lettres portoient , que les
Partis deWifmar continuoient leurs courfes,
fansque les Troupes Danoifes qui en
font leBlocus , puſſent les en empêcher ;
que le 21. ils enleverent un Courier qui
venoitde l'Armée; que la nuit du 15. au
16 unDétachement de la Garniſon battit
auprès de Warnemunde une Garde Da.
noiſe , &brûla un Bâtiment chargé d'Artillerie;
que leCapitained'un Yacht Suedois,
arrivé dans le Port de cette Place
avoit rapporté , que cent quarante Bâtimens
de Tranſport partis de Stokholm
étoient arrivez à Carelſcroon , eſcortez
par vingt-huit Vaiſſeaux de Guerre , &
qu'ils devoient inceſſamment tranſportertreize
mille hommes en Pomeranie.
Par les avis deBerlin du 24 on a apris
que l'Electeur de Brandebourg , avoit en
voyé
96 MERC. GALANT.
voyé ordre à ſes Troupes qui ont fait la
Campagnedans le Païs Bas , de retourner
endiligencedans ſes Etats .
Extrait d'une Lettre de Vienne ,
du 18. Novembre .
L
Es Quartiers d'Hiver de l'Armée de
l'Empire ont été réglez : neuf RégimensAutrichiens
, doivent hiverner en Baviére
, trois dans la Bohème , & un dans
l'Autriche , & les Troupes des Electeurs
dans leurs Etats. Les Lettres qu'on reçûësdes
Frontières de Turquie confirment
quel'ArméeOttomaneprenoitſes quartiers
d'Hiver des deux côtez du Danube ,
du Prut ; que le Grand Seignear paroiſſoit
toûjours disposé à obſerver exactement le
Traité de Carlowitz , & que le Roi de
Suede devoit hiverner à Bender. L'Impe .
ratriceRegentea écrit à cePrince pour lui
offrir un paffagelibre parla Hongrie , &
parles PaisHéréditaires ; à condition qu'il
neferoit accompagné que de deux mille
hommes . L'Archiduc ayant envoyé ordre
au Comte de Staremberg , President de la
Chambre des Finances, de préparer des
Sommes confidérables pour les dépenses de
Son Couronnement , & pour continuër vigoureusement
la Guerre , onparle de mettre
Sur letapis le projetpropoſe en 1703. qui eft
de mettre une très forte Taxe sur tous les
biens
JANVIER 1712. 97
biens , meubles , & immeubles , sur tous
lesMarchands , Artisans , & autres , ce
qui cauſe une grande consternation. Le
jourdu Couronnement n'est pas encorefixé:
cependant les principaux Officiers de la
Maiſondunouvel Empereur , partent pour
Se rendre à Francfort . On a reçû ici les
Préliminaires de la Paix , fignez entre la
France&l'Angleterre ; le Conseil qui s'est
Aſſemblé plusieurs fois pour les examiner ,
nelesàpas approuvez . Oncommence àbattre
la Caiſſe, pour lever les Recruêsnéceffaires
pour les Régimens Autrichiens ,
ona envoyé des ordres dans tous les Païs
Héréditaires pour les obliger à fournir le
nombre de Soldats auquel ils ont été
taxez . Le Prince Charles de New.
bourg , Gouverneur du Tirol , qui avoit
porté à Milun le Decret de l'Election à
l'Archiduc eft revenu à Infpruch, afin de
donner ordre auxpréparatifspour la récep-
Lion de ce Prince , qui devoity recevoirle
22. l'hommagedes Etatsdu Tirol.
NOUVEL LES
d'Eſpagne.
1.
L
Es Lettres de Madrid du 16. Novem
breportent, que la Courpartit d'A
ranjuez le 14. Que Leurs Majeftez Catbo-
Tome V. E
li
98 MERC. GALANT.
liques , en paffant par Cien-Poçuelos , on
lesEnnemis avoient campé long tems l'année
précedente ,y aveient été reçûësavec
de grandes démonstrations de joye ; que
les Habitans avoient planté exprès fur le
cheminune avenue d'Arbres d'an quartde
Lieuë de longueur; à chacun des bouts il y
avoitunArc de Triomphe ornédes portraits
du Roi , de la Reine, & du Prince des
Asturies ; qu'ils avoient tirépluſieursfeux
d'Artifice, fait couler des Fontaines de
Vin, &donné plufieurs autres marquesde
lear zèle : que le 15. Leurs Majeftez arriverent
à Madrid ; qa' Elles allerent def.
sendre à Notre Dame d'Atocha , où l'on
chanta deTeDeum; que le Roi monta enfuiteàcheval
, &la Reine encaroffe , avec
lePrince fon Fils : que toutes les Ruës on
Leurs Majestezpafferent étoient tendues
des plus belles Tapifleries , avec un grand
nombrede Portraits du Roi , de la Reime,
&du Prince ; que les Boutiques de laRuê
desOrphévresétoient ornées deVases
Vaiſelled'Or &d'Argent , de quantitéde
Bijoux , &de toutesfortes de Pierreries :
que la marche dura jusqu'à la nuit, avec
des acclamations& des marques dezèle
inexprimables , que lefoir on fit jouër la
grandeMachine de feux d'Artifice , qui
avoit été dreſſée dans la Place du Palau ;
que lesfenêtres des Maiſonsfurent dluminées
de Flambeaux de cire blanche pendant
toutelanuit.
de
Cel
JANVIER 1712. 99
une
Celles du 23. marquent , que les réjoüif
ſancesont continué les deux jours ſuivans
pardesfeuxd'Artifice d'une beauté furprenante
, de l'invention d'un célébre Artifi.
cier d'Alcala ; par des illuminations,
par toutes les autres démonstrations d'une
grandejoye: que le 19. oncélébra dansl'E.
gliſe des Carmelites Deſchauffées ,
Meffefolemnellepour rendre graces àDieu
de l'heureux retour de Leurs Majestez
Catholiques&du Prince leur Fils que
DonLorenço Folch de Cardona , Grand
Aumônier, officia , &que Don Juan de
Las Evas , Prédicateur du Roi , fit un
très beau Sermon;que le 22. lesJesuïtes
du College Imperial , firent des obfeques
Solemnelles pour le repos des AmesdesSoldats
qui font morts pendant la derniére
Campagne , &que toute laNoblesseyaffi.
fta: que plusieurs particuliers recommencerent
le 23. à donner des marque de leur
joyepourl'arrivée de Leurs Majeftez , par
desilluminations , par des feux d'Artifice,
des Arcs de Triomphe , orner dePein.
tures Sde Vers , à la loüange de Lours
Majeftez que les deux Compagnies de
Comediens Espagnols allerent en Mascarade
au Palais où ils chanterent des sire
nouveaux , orepresenterent une très-belie
piecequifinitparun Balmagnifique .
Qu'àl'égarddes nouvelles de laGuerre ,
les Lettresqu'on avoit reçûês d'Arragon
portent, que les Troupes du Roi qui fone
E 2 dans
100 MERC. GALANT.
dans ceRoyaume s'étoient emparées deBenavarri
, où il y avoit trois cens hommes ,
qui avoient étéfaits prisonniers , avecDon
BonfacioManrique , qui les Commandoit.
Extrait d'une Lettre du Camp de
Calafdu 18. Novembre.
M
R. le Comte de Muret , Lieutenant
Général , ayant été détaché avec
troismillehommespour aller attaquer Cardone,
y arriva le 14. Il trouva que les
Ennemis avoient aſſez bienfortifiélaVille
le Chateau , & que même itsavoient
auffi fortifié une Caffine oùils avoientmis
vingt-fix hommes. Ilſçût auſſique laGarmiſonétaitcompoſsée
de bonnes Troupes ; ſcavoir
du Régiment de Taf, de deux Battaillons;
d'un Régiment de Grifons , &
de celui de la Députation de Catalogne
d'un Bataillon chacun , troiscens bommes
d'autres Troupes , qui toutes étoient
biendisposéesàfaire une vigoureuſe reſiſtance:
Mais les Troupes du Roi étoient auſſi
biendiſpoſéesàles attaquer. L'Artillerie
ayant ruïué les deffenſes de deux Tours ,
qui flanquoient un grand Retranchement
quelesEnnemis avoient élevéentre la Caffine&
la Ville, M. le Comte de Muret fit
toutes les difpofitions néceſſairespourattaquer
ce Rétranchement. Ilpartagea quaforze
censhommes en trois Corps ; celuidu
cenJANVIER
1712 . ΙΟΙ
centre, defix Compagnies de Grenadiers
desix piquets, étoit commandé par M.
leMarquisd'Arpaion ; celui de la droite ,
compose d'un pareil nombre de Grenadiers
depiquets , étoit commandé par M.le
Comte d'Hercel , &celui de la gauche , de
troiscensDragons & defix piquets, étoit
commandépar M. le Comte de Melun. On
marcha danscet ordre le 17, àlapointe du
jour , enlaiſſant derrière la Caffinefortifiée
, le Rétranchementfut emporté l'Epéeàla
main aux trois attaques. Les
Troupesqur les deffendoient furent ſuivies
de ſi près que les nôtres entrerent danslit
Ville avec elles . Le Gouverneur du Chateau
voulant profiter de ce désordre , fit
Sortir trois censhommespour envelopernos
Troupes , & les mettre entre deux feux ;
mais elles se rallierent fi promptement
qu'elles obligerent les Ennemis defejetter
dansun Ravin , & de se retirer derriére
la Riviére de Cardonner . On ne trouva
point d'Habitans dans la Ville , parce
qu'ils en étoient tous fortis àl'approchede
nos Troupes. M. le Comte de Muret fit
enfuiteſommer le Commandant de laCaffine,
qui se rendit avecſept autresOfficiers
cent douze Soldats ſans avoirétéatta.
qué; quoi que ce Postefut fraise&palliffit
dé. M. deGourtieres , Lieutenant ColoneldanslesTroupes
Walones , un CapitainedeGrenadiers
, & un Aide-Major des
mêmesTroupes , furent bleffez à l'attaque
E 3
du
102 MERC. GALANT
du Rétranchement , qui n'apas coûtéaux
Troupes du Roi qurante bommes tuez , ou
bleffez, au lieu que les Ennemis en ont perdu
environfept cens, tant tuez , bleffez ,
Déserteurs , ou prisonniers ,y compris les
vingtfixhommes qui évient dans la Caffine.
Ontrouva beaucoup de vivres dans la
Ville, que les Ennemis y avoient amaffez.
Lelendemainde l'action , M. leComtede
Muret fit dreffer des Batteries contre le
Château.
NOUVELLES
dedivers endroits .
De Venise le 14. Novembre.
Ona fait ici pendant trois jours des
Prieres publiques dans les Eglifes de S.
Mare , & de S. Roch , avec l'expofition
du Saint Sacrement , pour demander à
Dieu qu'il lui plaiſe faire ceſſer le fleau de
lamortalité ſur les Beſtiaux , qui continuë
avec unegrande violence. Tous les Corps
&toutes les Communautez ont été en
Proceſſion à ces Egliſes , pendant ces trois
jours , durant leſquels les aſſemblées particulières
ont été défenduës , & les Théatres
fermez . Cette maladie s'eft communiquée
dans le Mantoüan , dans la Sti
ric,
JANVIER 1712 .
103
rie, & dans laCarinthie, où elle fait de
grands ravages.
De Milan le 11. Novembre.
LesAmbaſſadeurs de Veniſe curent le 7.
Audience de l'Archiduc. LeComteAn.
tonioRainoldi alla les prendre au Collége
Helvetique , où ils étoient logez , avec
uncarroffe à quatre chevaux. Ils étoient
enhabitdedeuil, ainſi que toute leur Livrée;
mais les jours ſuivans , ils parurent
vêtus magnifiquement , ainſi que toute
leurſuite.
Le 8 le Cardinal Imperiali Legat à Latere,
envoyé par le Pape pour complimenter
ce Prince , fit ſon entrée publique.
Le Comte Rainoldi alla le prendreavec
plufieursCarroſſes à fix Chevaux au Monaſtére
de Caſtellazzo , & le conduiſit
juſqu'au dehors de la Porte Romaine ,
où s'étant mis ſous un Dais , il donna la
Bénédiction au Clergé. L'Archiduc arri.
vaenfuite , &après des complimens réci
proques ils monterent à cheval , & entrerent
dans la Ville. Le Clergé Seculier
&Régulier commençoit lamarche ; les
Gardes à pied & à cheval marchoient enfuite
; puis vingt- quatre Mulets du Legat
avec de riches couvertures , un grand
Carroffe , & une Litiere ; douze Eſtafiers
de l'Archiduc , avec chacun un Cheval
E 4
de
104 MERC. GALANT .
de main ; les Valets de Chambre du Legat
avec deux Maffes ; les principauxde
ſa ſuite à Cheval , ſes Eſtafiers vêtus de ſa
livrée : ceux de l'Archiduc étoient en
deüil . Ce Prince étoit ſous un Dais de
Toile d'Or , ayant le Legat à ſa gauche.
Pluſieurs Seigneurs marchoient devant
cux , & ils étoient fuivis de douze Evê
ques ou Prelats à cheval . Le Senat venoit
enfuite , ſuivi des Tribunaux & des
foixante Décurions de la Ville. Ils arri .
verent encetordredevant l'Egliſe Métropolitaine;
mais l'Archiduc n'y entra pas ,
& il alla droit au Palais. Le Legat y entra
, & fut reçû par le Cardinal Archinto,
qui en eſt Archevêque ; il fut enſuite conduitau
Palais dans un Carroffe à fix Chevaux
, & de là au logement qui lui avoit
été préparé. Le lendemain il rendit en.
core viſite à l'Archiduc , quile reçût à la
ſeconde Anti- Chambre , & le reconduifit
juſqu'à la troiſieme .
Les Ambaſſadeurs de la République de
Genes , firent auſſi leur Entrée le même
jour ; & eurent Audiance ; & le lendemain
matin 10. ceux de la République de
Lucques eurent auſſi Audiance; & l'après
dînée du même jour l'Archiduc partit
pour aller coucher à Lodi.
De
JANVIER 1712. 105
!
De Lisbone le 9. Novembre.
La nouvelle qui s'étoit répanduë de
puis huit jours que la Paix ſe traitoit en
Angleterre , a été confirmée par un Exprès
dépêché par notre Ambaſſadeur en
cette Cour là , qui a apporté les Préliminaires.
Le Comte de Portmore , a reçû
ordrede ramener en Angleterre les TroupesdecetteCouronne
, excepté deux Bataillons
, pour remplacer les Soldats qui
manquent à la Garniſon de Gibraltar.
Sept Vaiſſeaux de guerre Anglois qui
étoient dans notre Port , en partirent
hier pour retourner en Angleterre. Le
pain eſt toûjours très cher ici ; & on eft
fort en peine des Bâtimens qui ſont allez
charger des grains en Barbarie.
DeNaples le 10. Novembre.
Le 3. de ce mois oncommença les réjoüiffances
publiques , pour l'Election de
l'Archiduc à l'Empire. Elles devoient
durer trois jours; mais leſoir du troifié .
me à une demi heure de nuit , il tomba
une fi grande pluye qu'elle éteignit toutes
les illuminations , gâta les Tentures qui
étoient en pluſieurs endroits , & trempa
tellement les Artifices, qu'ayant reconnur
ES
le
106 MERC. GALANT.
le lendemain qu'ils ne pourroient plus
ſervir , on les abandonna au pillage ainſi
que toutes les Machines. Le Vice - Roi
qui devoit aller ce ſoir là viſiter les Feux
d'Artifice , préparez ſur la Mer avec de
grandes Machines chargées de fruits ,
donna un Bal dans le Salon du Palais ,
pour ſupléer à l'éxécution de ces grands
préparatifs , qu'on renouvellera après le
Couronnement. Le 8. il fit chanter le
Te Deum dans l'Egliſe du grand Convent
des Dominicains, & il y tintChapelle;
pendant laquelle l'Infanterie Allemande
qui étoit dans la Place fit trois décharges
de Mouſqueterie , & les Canonniers des
Châteaux , firent trois ſalves de toute
l'Artillerie . Il le fit chanter hier dans
l'Egliſe des Theatins , & doit demain le
faire chanter dans cellede la Maiſon Pro.
feffedes Jeſuites.
De Cadiz le 12. Novembre.
Des Armateurs François amenerent
avant hier ici trois Vaiſſeaux Hollandois
qui venoient du Levant. Ils font chargez
de Soye, de Cotton filé , de Caffé , &
d'autres riches Marchandises , le tout eftiméprès
d'un million.
Une Fregate Françoiſe ayant attaqué
fur les Côtes de Galice un Vaiffeau de
guerre Portugais, montéde 60. pieces de
Ca-
:
JANVIER 1712. 107
Canon, étoit ſur lepoint de s'en emparer
après quatre heures de Combat , lors
que le feu ayant pris au Vaiffeau , il ſauta
enl'air avec tout l'Equipage , dont on ne
put ſauver que trois perſonnes.
Il eſt encore venu quarante ſeptDeferteurs
de Gibraltar , preſque tous Hollandois
, & qui continuent de dire que la
Garniſon n'eſt point payée , & que les
vivres yfont à un très haut prix.
DeRome le 14. Novembre.
Le trois de ce mois , la Marquiſe de
Prié , comme Ambaſſadrice de la Cour
de Vienne, quitta le deüil , & reçût les
complimens fur l'Election de l'Archiduc
à l'Empire. Il y cut le ſoir une grande
Affemblée chez elle , où se trouverent la
Connêtable Colonne, Dona Maria Bernardina
, les Neveux du Pape , l'Envoyé
de Portugal , & pluſieurs autres perſonnes
diftinguées : Le Prince d'Avellino ,
avoitmandé àſesprincipaux Domestiques
de donner part aux Cardinaux de l'Election
de l'Archiduc , &de faire des illuminationspendant
trois foirs; mais lesMaîtresdes
cérémonies ayant repreſenté qu'il
étoit contre l'ordre qu'il ſe fit ſous les
yeux du Pape , des réjouiſſances pour une
nouvelle dont onn'avoit point donné part
à Sa Sainteté , ces réjouiſſances ont été
differées. E6 De
108 MERC. GALANT.
DeVenise le 21. Novembre.
L'Archiduc ayant paflé le 14. à Buffolengo,
ſur les Frontières de l'Etat Venitien,
fur fa route de Milan à Inſpruch ,
les Procurateurs Piſani & Dalezze , Ambaffadeurs
Extraordinaires de la République
le complimenterent. Ce Prince fut
conduit au Palais qui lui avoit été préparé
; & qui étoit magnifiquement meublé
& illuminé , & où il trouva unegardede
deux mille Cavaliers ou Dragons , tous
habillez de neuf. Le lendemain les Ambaſſadeurs
lui preſenterent un Régale de.
Cire, deMiroirs , de Criſtaux , deConfitures
, & de pluſieurs autres choſesgalantes
: On lui ſervit un repas magnifique
, après lequel il alla à Roveredo , ac
compagné par les mêmes Ambaſſadeurs ,
&par les deux mille Cavaliers ou Dragons,
qui ne le quitterent que ſur les
FrontièresduTrentin. CePrince fit prefent
aux Ambaſſadeurs de chacun une
Boëte à portrait , garnies de pierreries , &
eftimées mille piſtoles .
De Lisbonne le 13. Novembre.
Oneſt ici dans degrandes inquiétudes ,
fur l'avis qu'on a eu , que M. du Gué-
Trouin, avoitdébarqué des Troupes aux
Iles
1
1
JANVIER 1712 . 109
Iſles du Cap Vert ; & qu'étant entré dans
la Baye de Tous les-Saints , il avoit pillé
la Ville de San Salvador , Capitale du
Bréfil , ainſi qu'un autre Port , où il avoit
brûlé tous les Vaiſſeaux quiy étoient.
De Londres le 24. Novembre.
)
Monfieur l'Evêque de Bristol , Garde
du Sceau Privé , ſe prépare à partirpour
la Hollande , en qualité d'Ambaſſadeur
Plénipotentiaire pour lesNégociations de
la Paix , que tous les Peuples des trois
Royaumes ſouhaitent avec tant d'empreffement
, qu'il a été réſolu en pluſicurs
endroits de preſenter des Adreſſes à
la Reine , pour la ſupplierde la conclure
aux Conditions qu'Elle& fonConfeiljugeroientà
propos ; mais on s'en eft abſtenu,
de crainte qu'il ne parûtqu'on voudroit
donner atteinte au Pouvoir abſolu
qu'a le Souverain de faire la Paix & la
Guerre, quand il lui plaît.
Trois cens prifonniers Françoisont été
tranſportez à Calais , pour être échangez.
La Foudre étant tombée la nuit du 16.
au 17 fur l'Egliſe de Southwel , dans le
Comtéde Nottingham , cette Egliſe a été
brûlée avec l'Ecole qui en étoit proche ,
&les Cloches fondues.
رف
E7 Du
110 MERC. GALANT.
Du premier Décembre.
Le 25. Novembre il arriva unCourier
du Comte de Strafford , qui apporta le
conſentement des Etats Généraux pour
traiter de la Paix ſur le pied des Préliminaires
; & les Paſſeports pour les Ambafſadeurs
du Roi Très- Chrêtien. Outre
les vingt-cinq gros Vaiſſeaux de Guerre,
qui ont été defarmez , on en defarme encore
pluſieurs autres..
Le 28. jourde la Naiſſance de la Reine
Elifabeth , auquel le menu Peuple avoir
coûtume, avant le Regnede Jacques I I.
de célébrer la mémoire de cette Princeffe ,
en brûlant l'Effigie du Pape , &cellesde
plufieurs Cardinaux & Religieux , leConfeil
fut averti quequelques mal- intentionnez
, avoient fait faire ſecrétement de
grands préparatifs , dans le deſſeinde caufer
quelque tumulte. On envoya des
Huiffiers , avec un Détachement deGre
nadiers , commandé par un Officier, dans
l'endroit qu'on avoit Dit indiqué, & ils y
trouverent une Figure du Pape , avecplufieurs
autres de Cardinaux , & Religieux ,
&mêmeduDiable, dansun Chariot, qui
fut briſe ainſi que toutes les Figures *.
Le
* On fit la-deſſus une Eſtampe, où l'on voit
leDiableayant lePape à ſa droite , & le Prétendant
à ſa gauche , & les autres Figures derriére
17
dans
JANVIER 1712. 111
1 Le ſoir du même jour , & la nuit ſuivante
on fit prendre lesArmes aux Milices , qui
firent des Patroüilles dans les ruës ; mais
ilne ſepaſſa pas le moindre déſordre .
De Génes le 26. Novembre.
Monfieur le Marquis de Monteleon ,
Ambaſſadeurd'Eſpagne , ayant reçû ordre
de ſe rendre à Madrid pour y recevoir ſes
Inſtructions fur le Congrès de la Paix
auquel il doit afſiſter , en qualité dePlénipotentiaire
, prit hier ſon Audiencede
Congédu Senat.
Les fix mille Allemands qui s'étoient
avancez ſur notre Frontière pour yprendredes
Quartiers d'Hiver , marchent dans
le Mantouan où ils occuperont les Quartiers
qui étoient deſtinez aux Troupes de
Brandebourg qui retournent en Allemagne.
Il eſt entré huit mille Allemands ſur les
TerresduGrand Duc , où ils prennentdes
Quartiers ; ce Prince ayant refuſé de fournir
aux Commiſſaires Impériaux les huit
cens mille livres que l' Archiduc lui avoir
faitdemander.
De
on
dans l'ordrequ'on s'étoit propoſéde les porter
enProceffion: &deſſus la Figure du Diable,
litces paroles de S.Math.Chap. Chap . 28. v.
cipuli ejusnoctevenerunt&furati funt cum.
13. Dif112
MERC. GALANT.
De Grenoble le 30. Novembre.
Il parut il y a quelques jours de cecôtéciun
gros parti de la Garniſon de Suze qui
étoitvenuparExiles. Auſſi-tôt qu'on en
eut avis on fit fortir trenteDragons avec
chacun un Fantaſſin en croupe: Ilstrouverent
les Ennemis qui rafraîchiffoient
dans un Village; les Fantaſſins y entrerent
criant , Qui Vive , & au premier fcu
que nos gens firent ſur eux , ils ſe retirerent.
Les Dragons qui les obſer voient
les pourſuivirent & mirent en déſordre;
cinq furent tuez & trente-cinq faits pri-
Conniers.
DeHunningue le4. Décembre.
Notre Garniſon a fait une courſe dans
la Forêt Noire ſans aucune oppoſition , &
a ramené un gros butin. Les Lettresde
Hombourg portent , que foixante Huffars
ennemis étant entrez dans lePaïs, avoient
commencé à piller & brûler ; mais que des
Détachemens de cette Place & de Saar-
Loüis , ayant été à leur pourſuite, les
avoient battus & repris le butin qu'ils
avoient fait.
De
JANVIER 1712 . 113
De Bayonne le 4. Décembre. -
Il y a préſentement ici 18. Bâtimens
Anglois , qui ont apporté diverſes Marchandiſes
pour les vendre , & enſuite
charger des Vins &des Eaux de Vie .
Une Fregate du Roi de 34. Canons a
pris un Fleſſingois de 32. Canons & de
150. hommes d'équipage , dont plus de
60. ont été tuez dans le Combat , quia
duré cinqheures.
Des Lettres deGibraltar du 20. du paffé
portent , que la difette y étoit ſigrande ,
que le Commandant de la Place étoit
obligé de tenir les Portes fermées pour
empêcher la deſertion : que quatre Bâtimens
Portugais étant entrez dans laBaye
pour ſe mettre à couvert d'un gros tems
qui auroitpû les jetter ſurles Côtes de Barbarie
, on leur avoit fait décharger les
grains qu'ilsavoient à leur bord , & rembourfé
l'argent qu'il leur avoir coûté.
:
On a aufli appris que les Maures qui
font devant Ceuta ayant voulu emporter
parEfcalade le Baſtion de S. Pierre, avoient
été vivement repouffez juſques dans leur
Camp avec perte de plus de 1200. hommes
; & qu'il étoit arrivé de Carthagene
à cette Place , un renfort de 400. hommes
& beaucoup de Munitions de guerre
& debouche.
*
DA
114 MERC. GALANT .
DuFort-Loüis le 10. Decembre .
LeCommandant de Lauterbourg ayant
eu avis que le 6. aufoir il devoit fortir un
Bataillonde Philisbourg pour aller à Landau,
envoya un Parti de Dragons & de
Grenadiers , qui ſe poſtérent fur le chemin
en des lieux couverts . Les Ennemis
étant tombez, dans l'Embuſcade , furent
envelopez; le Commandant fut tué avec
pluſieurs Soldats , & le reſte pris. Ce
Bataillon étoit des Troupes de Soüabe &
de Franconie , & alloit relever un autre
Bataillon des mêmes Troupes qui eſt à
Landau.
De la Haye le 8. Decembre.
Le Courier , que le Comte de Goes,
Envoyé de la Cour de Vienne , avoit dépêché
à Milan , pour porter à l'Archiduc
les Préliminaires de la Paix , en revint le
22. Novembre. Il apporta une Lettre *
par laquelle ce Prince prie les EtatsGénéraux
de n'avoir point d'égard à ces Préliminaires
, qu'il les avoit rejettez , &qu'il
proteftoit contre toutes les Aſſemblées &
les Négociations qu'on pourroit faire fur
ce ſujer.
On a appris depuis que ce Prince perfiſtedans
la réſolutionde ne point envoyer
de
* On trouve cette Lettre à la fin du Mercure
deNovembre.
JANVIER 1712. 115
dePlénipotentiaires pour traiterde laPaix
fur lepieddes Préliminaires .
Hier le Comte de Strafford , Ambaffadeur
Flénipotentiaire d'Angleterre , com-.
muniqua auxMiniſtres de tous les Alliez ,
dans une Affemblée que l'on tint exprès ,
que la Reine ſa Maîtreffe avoit nommé la
Ville d'Utrecht pour le lieu où ſe tiendroient
les Conférences pour la Paix , &
que l'ouverture s'en feroit le 12. Janvier
prochain. Il remit enſuite àchacun de
ces Miniſtres , une Lettrede laReinede la
Grande Bretagne , qu'Elle écrivoit à leurs
Maîtres , pour les inviter à y envoyer
leurs Plénipotentiaires .
D'Arras le 12. Decembre.
Monfieur leMaréchaldeMonteſquiou,
partir d'ici avant-hier avec la plus grande
partie de notre Garniſon , pour ſe mettre
à la tête d'un Détachement de trois cens
hommes par Bataillon , & de cent hom
mes par Régiment de Cavalerie & de Dragons
de toutes les Troupes , qui ſontdepuis
laMeuſe juſqu'à la Mer. Leur rendez-
vous étoit le long de laScarpe depuis
Douay juſqu'à Mortagne, & le long du
Canal&de la Deule. Ces Troupes n'ont
point de Bagages , &n'ontportéddeesVivres
quepour quatre jours , & desOutils
à remuer la terre ; elles travaillent à combler
116 MERC. GALANT.
bler leCanal en quelques endroits , à ruï
ner les Ponts , les Ecluſes & les Digues de
ce même Canal , de la Scarpe, & de la
Deule , afin d'ôter aux Ennemis le moyen
d'établir leurs Magazins de Vivres & de
Munitions à Douay pour la Campagne
prochaine , ainſi qu'ils l'avoient projetté.
Pendant qu'unepartie de cegros Détachement
commençoit ces Travaux , M.
deGoëbriant marchoit à la petite Ville de
Lillers , où les Ennemis avoient cinq cens
hommes , qui ont été faits priſonniers ;
&les Fortifications qu'ils yavoientfaites
ont été démolies.
De Courtray le 18. Decembre.
Un Parti de cent hommes de laGarnifon
d'lpres , ayant rencontré pluſieurs
Détachemens de cinq Régimens , les a défaits
l'un après l'autre , & en a fait laplûpart
prifonniers .
Lemêmejour, foixante Huſſars , furent
furpris la nuit dans un Village à deux
lieuës deCologne , par un Parti de trente
Fantaſſins François , qui leur enlevérent
trente Chevaux,
1
1
JANVIER 1712. 117
3
AMadrid le 3. Decembre.
Le Conſeil envoya Vendredi dernier des
Inſtructions aux Plénipotentiaires qui doivent
partir inceſſamment pour les Conférences
de la Paix. Le Roi a donné la
Charge de Préſident du Conſeil de Guerre
àM. le Marquis de Bedmar. Les Lettres
deMalagaportent , qu'il y étoit arrivé un
Bâtiment venantde Gibraltar,où il y avoit
quatre- vingt- fix Soldats de la Garniſon de
cette Place , qui ayant monté de nuitdans
ce Vaiffeau , obligérent les Matelots de
mettre à la Voile , après avoir eux-mêmes
coupé lesCables.
MORTS.
Germain de la Faille , Doyen desAnciens
Capitouls , Syndic de la Ville de
Toulouze , Secretaire Perpétuel de l'Académie
des Jeux Floraux , & Auteur des
Annales de la même Ville , y mourut le
12. Novembre , âgé de 96. ans .
Bernardin Kadot , Marquisde Sebville,
Maréchal des Camps & Armées du Roi ,
mourut le 11. Octobre , dans ſon Château
de Sebville , âgé de 70. ans . Il avoit été
Envoyé de Sa Majesté à la Cour de Vienne.
Elisabeth de Rouxel de Medavy de
Gran-
رد
118 MERC. GALANT.
Grancey , Dame d'Atour de la feuë Reine
d'Eſpagne , mourut le 26. Novembre ,
âgée de 58. ans . Elle étoit Fille du feu
Maréchal de cenom.
Marie Mignot , qui avoit épousé en
1633. François de l'Hôpital , Comte de
Rofnay, Maréchal de France , Chevalier
des Ordres du Roi , &c, mourut le 30.
Novembre , dans un âge fort avancé.
Pierre Deiria , Laboureur , de la Paroiffede
Braſſempoy dans le Dioceſe d'Aire,
mourut le 21. Novembre , âgé de
cent ans. Il travailloit à la terre huit
jours avant ſon décès.
Jacques Bouchet, Sieur de la Tour, de
Teiffodédans le Diocese de Lavaur , mourut
le 25. Novembre,âgéde cent onze ans ..
MARIAGES.
Chriſtian-Loüis de Montmorency-Luxembourg
, Lieutenant-Général des Armées
du Roi , & de la Province de Flandres
, épouſa le 7. Decembre , Loüife de
Harlay , Fille unique d'Achilles deHarlay
, Comte de Beaumont , Confeiller
d'Etat ordinaire ; &d'Anne Renée Loüiſe
du Loüet de Coërjenyal , &petite-Fille
d'Achilles de Harlay , ci-devant premier
Préſident du Parlement. Le nouvel Epoux,
quiportoitlenomdeChevalierde Luxembourg
, porte préſentement celui de PrincedeTingry.
On
JANVIER 1712 . 119
Onnepeut vousdonner une plus juſte
idéede la grandeur & des illuſtrations de
laMaiſondeMontmorency , qu'en vous
rapportant leDilcours que M. Chevillard,
Hiſtoriographe de France , & Généalogiftedu
Roi , acompoté à l'occaſion d'une
Carte Généalogique , qu'il a faite pour
Monfieur de Montmorency Foffeuſe ,
chefde cetteMaiſon. Ainfi , ce Diſcours
qui eſt inſerédans la premiére partiedece
Volume , doit être regardé comme un
Ouvragenouveau.
N. Ahactede Chevilly , Capitaine aux
Gardes , a épousé Catherine Turgot de
SaintClair , Fille d'Antoine Turgot , &
de Jeanne Marie du Tillet delaBuffiere.
Elleétoit VeuvedeGillesd' Aligre deBoiflandry
, Conſeiller au Parlement ; &
elleeft SoeurdeM. Turgot Maître des Re
quêtes , & deM. Turgot Evêque de Seez.
Il s'est fait depuis pluſieurs autres Mariagesdonton
aété informé trop tard pour
les infererdans ce Volume : on en parle.
rale mois prochain .
Le Roi a nommé Monfieur Aniffon de
Hauteroche, Prévôt des Marchandsde la
Villede Lion. Ileſt Pere de Monfieurde
Hauteroche Conſeiller au Parlement de
Paris, & Conſeiller de la Chambre du
Commerce , dont eſt auffi Monfieur Menager
, &de M. l'Abbé Aniffon. Haun
Frere à Lion , qui a étéEchevin de lamê
me Ville.
Le
120 MERC. GALANT.
!
1
1
Le Lundi 30. Novembre , Monfieur
l'Archevêque de Lion , Sacra dans l'EglifeCollegiale
de Saint Nizier , Monfieur
l'Abbé Sicault , Evêque de Synope , aſſiſté
deMonfieur Madot , Evêque de Bellay ,
&de Monfieur de Montmartin , Evêque
de Grenoble. L'Evêché de Synope eſt
fuffragant de l'Archevêché d'Amafie ,
dontMonfieur le Nonce Cuſani a été
pourvû.
Le 28: Novembre , Henri Charles Arnauld
de Pomponne , Abbé de Saint Medardde
Soiffons , Aumônier du Roi , ci .
devant Ambaffadeur de Sa Majesté àVe
nife , fut nommé Conſeiller d'Etat d'Eglife
, à la place de feu Monfieur le Tellier
, Archevêquede Rheims .
Monfieur Trudaine , Intendant de
Bourgogne , ayant été nommé Confeiller
d'Etat , s'eſt demis de cette Intendance.
Monfieur de la Briffe , Intendant de
Caën , a été nommé Intendant de Bourgogne;
& Monfieur Guinet , Maître des
Requêtes , a été nommé Intendant de
Caen.
Le premier Décembre , Loüis-Augusted'Albert-
d'Ailly , Vidame d'Amiens , Capitaine
Lieutenant des Chevaux Legers
de la Garde du Roi , ayant été nommé
Par Sa Majesté Duc de Chaulnes , Pairde
France , prêta Serment au Parlement ,
&y fut reçû avec les cérémonies ordinai .
res.
Le
JANVIER 1712 . 121
Le 17. Décembre on fit un Service folemnel
dans l'Eglise des Minimes , près
de la PlaceRoyale , pour le repos de l'Ame
de feu Monfieur le Maréchal de
Boufflers . Monfieur l'Evêque de Tournay
célébra la Meſſe , & le Pere de la Ruë
Jeſuite , prononça l'Oraiſon Funebre.
Ungrandnombreddee Seigneurs&deDames
de la Cour y aſſiſterent.
L'Académie Françoiſe a propoſé pour le
fujet du prix de Pocfie qu'elle delivrera
l'annéeprochaine , lejour de Saint Louis.
L'application continuelle du Roi à affurer
te repos deſes Sujets , & son attention à
rendreMonfieur le Dauphin deplus en plus
capable derefpondre àſesvûës.
Derniéres Nouvelles .
-De.Lisbonne le 4. Décembre.
L
E Roi affemble ſouvent fon Conſeil
pour prendre des meſures convenables
aux conjonctures preſentes ; & un
Exprès partit hier pour l'Angleterre avec
des Dépêches qui portent , à ce que l'on
affure , que Sa Majesté remet à la Reine
ſes intérêts au ſujet de la Paix , & nos
Envoyez à Londres & à la Haye , font
nommez pour affifter au Congrès en qualitédePlénipotentiaires
.
La nouvelle qu'on a euë ici de l'expédi-
Toma V.
F été
tion des François dans le Brefil , nous a
122 MERC. GALANT.
été confirmée par un Bâtiment arrivé de
San Salvador , & l'on y ajoûte d'autant
plus de foi , que nous n'avons point de
nouvelles de la Flote que nous en attendons.
De Gironne le 10. Décembre.....
Les dix-huit Bataillons , & les douze
Efcadrons qu'on attendoit de Dauphiné
étant arrivez , Monfieur le Marquis de
Fiennes s'eſt mis en marche pour aller faire
le Siége d'Oſtalric. Les Ennemis en
ayant été informez , s'avancerent au nombre
de 400. Chevaux , de deux Bataillons
, & d'un gros Corps de Miquelets ,
pour lui diſputer le paffage entre Bazola &
Caſtelfollit ; mais Monfieur de Fiennes
ayant marché à eux avec ſon Avant-garde
ſeulement , ils fe retirerent avec beaucoup
de précipitation , abandonnant tous les
poftes qu'ils occupoient dans les Montagnes.
De Hambourg le 11. Décembre.
Les dernières Lettres qu'on a reçûësdu
Camp devant Wiſmar portent , que la
nuit du 4. au 5 trois millehommes d'Infanterie
, & trois cens Dragons , étoient
fortis de la Place avec neuf petites pieces
de Canon, pour furprendre les Troupes
du Blocus ; que le Général Rantzaw qui
ycommande en ayant eté informé , avoit
envoyé une Troupe de Cavalerie devant
chacune des portes , pour obſerver les
mouJANVIER
1712. 123
mouvemens de la Garniſon , & donna en
même tems les ordres néceſſaires pour difpoſer
toutes ſes Troupes de maniére qu'ellespuflentmarcher
promptement où il ſeroit
néceſſaire : que les Suedois en ſortant
de la Ville , avoient repouffé la Cavalerie
Danoiſe ; qu'ils poufferent enſuite la
Garde avancée& le Piquet de deux cens
Chevaux , après quoi ils attaquerent le
Régiment de Dragons de Bulau , qui
ayant été ſoûtenu par trois autres Régimens
, le Combat dura deux heures , ce
qui donna le tems au Général Rantzaw
de faire avancer des Troupes qui prirent
les Suedois en flanc des deux côtez , &
marcha en même tems avec un autre
Corps pour leur couper la retraite , enforte
que l'Infanterie fut obligée de former
un Bataillon quarré pour ſe retirer ,
mais que ce Bataillon ayant été rompu , il
n'étoit rentré dans la Ville qu'environ
feize cens hommes , le reſte avoit été tué
ou pris avec les neufpiecesde Canon.
Extraitde Lettres de Bender du 26.
Octobre.
M. Funck , notre Envoyé , mande par
un Exprès qui vient d'arriver , que le
Grand Vifir fait à preſent des merveilles .
&promet au Roi de Suede tout ce qu'il lui
demandera en Troupes & en Argent. Les
Moſcovites ont employé plufieurs artifices
pour éluder& retarder l'éxécution de
F2
la
124 MERC. GALANT .
la Paix faite avec la Porte. Le dernier
terme fixé pour la reddition d'Afaf , & la
démolition deTaganrok , expirera dans
quelquesjours , & ils cherchent encore à
gagner une prolongation ; mais nous
avonsde trèsgrandes raiſons pour croire
quelaPorte ne ſe laiſſera plus amufer , &
qu'elle reprendra les Armes inceſſamment .
Čependant de quelque maniére que la
choſe tourne , le Roi de Suede demeure
ferme dans la réſolution qu'il a priſe de
partir cet hiver , & de ſe porter en Pologne.
D'Arras le 20. Décembre.
Les Troupes qui ont été employées à
combler leCanalde la Deule , & celui de
Doüai ; à rompre les Ecluſes , les Ponts,
&les Digues , font retournées dans leurs
quartiers, fans avoir perdu un ſeul homme
; on a auffi ruïné le Pont-à- Vendin ,
&enfoncé des Bateaux , & abbatu des Arbres
dans la haute Scarpe au deſſus de
Douai , de forte que les Munitions qui
font à Gand , & deſtinéespour les Magafins
de cette Place , n'y pourront être
tranſportées quepar charrois , cequiſera
trèsdifficileà écuter, tantà cauſe des
groffes ſommes qu'il en coûtera aux Ennemis,
qu'à cauſedes forteseſcortes pour
chaqueConvoi.
Les cinqcens hommes qui ont été faits
priſonniers à Lilliers , & qui font de Trou
pes Hollandoiſes , ont étéamenez ici .
D'auJANVIER
1712. 125
D'autres Lettres portent , que dès que
les Ennemis furent informez de ce qui ſe
paffoit , ils raſſemblerent toutes lesGarni .
fons de la Frontière ; mais que n'ayant pû
lefaire affezpromptement , les nôtres ſe
retiroient lorſque les Gouverneurs de Lille&
deDoüai parurent à une lieuë&demie
d'Arras , à la tête de trente Eſcadrons
, quiaprès quelques eſcarmouches
avec l'Arrière-garde de nos Troupes ,
commandée par M. le Comte de Broglio ,
ſe retirerent , crainte d'être coupez .
De Madrid le 14. Décembre.
Lesdernières Lettres qu'on a reçûës de
Catalogne portent , que le Comte de Staremberg
ayant fait un détachement de
Troupes Allemandes pour changer laGarnifon
de Tarragone , les Officiers des
Troupes Angloiſes qui y font , avoient
refufé d'évacuer cettePlace , & avoient
faitdire auComte de Staremberg , qu'ils
enrépondoient.
ADDITION
Faite en Hollande,
Mémoire de l'Envoyé de S. A. E.de Hanover
, adressé à la Reine de la Grande
Bretagne , fur la Paix avec la France.
Son Alteſſe Electorale de Brunswick-Lunebourg
ayant renvoyé le ſouſſigne , ſon Mi-
F3
niſtre
126 MERC. GALANT.
niftre d'Etat & de fon Conſeil Privé , leBaron
de Bothmer , auprès de S. M. la Reine de la
Grande Bretagne , lui a ordonné principalement
de remercier très humblement S. M. del'honneur
qu'Elle luia fait , delui communiquer ce
qui s'eft paffé depuis peu touchant la Négociationde
Paix , par une perſonne de la distinction &
de la confiance de M. le Comte de Rivers ; &
de la nouvelle marque de l'honnenrde fonAmitié
, qu'Elle a bien voulu donner à cette occafion
, à lui & à ſa Sereniffime Famille , par ſes
généreux foins pour ſes intérêts.
Monſeigneur l'Electeur ſe raporte particuliérement
aux fentimens qu'il a fait connoître à
Mylord Rivers , & à la Réponſe qu'il lui a fait
donner par écrit fur ſes Propoſitions , dont une
Copie va ci-jointe. Il croit que ce ſeroit manquer
aurefpect dû à la confiance dont Sa Majesté
l'a honoré , s'il n'y répondoit avec la fincérité
qu'Elle doit attendrede ſon plus véritable &de
fon plus zelé Serviteur & Ami , quis'intéreſſe
pour la gloire & pour fon intérêt plus que perfonne
du monde. Il eſpére que Sa Majefté lui
fera l'honneur de recevoir dans ce ſens&felon
cette intention , tant ce qu'il a pris la liberté
de lai faire dire de ſes ſentimens , par le ſuſdit
Lord Rivers , que ce qu'il a ordonné au fouffigné
ſon Miniftre de ſe donner l'honneur de repréfenter
encore à ceux de Sa Majefté.
Les ſentimens de S. A. E. fur la Paix & fur
la Négociation font : Queles Alliez ont beſoin ,
non ſeulement de Déclarations poſitives , mais
encore de fûretez réelles , fur tout ayant à faire
à un Ennemi dont les maniéres d'agir font
affez connuës. C'eſt à quoi les Préliminaires
précédens avoient pourvû , en obligeant la France
à reftituer préalablement des Places de ſûreté.
Ici , il n'y a ni fûretez réelles , ni aucunes
Déclarations claires& préciſes: Toutſe réduit
à des généralitez vagues , qui au fonds ne
yeuJANVIER
1712 . 127
|-
veulent rien dire, & fur leſquelles on pourroit
négocier des années. On laiſſe à juger , quel
eft lemoyende plus fûr pour mettre une promte
fin à la Guerre ; Ou d'exiger préalablement de
laFrancedecelles conditions , qu'iln'yait plus
rien à faire dans l'Aſſemblée générale, quede
leur donner la formie de Traité ; Ou d'ouvrir
cette Affemblée ſur des Articles captieux &
obfcurs , qui laiſſent le champ libre à la France
de mettre en uſage ſes Intrigues&ſes Chicanes
ordinaires.
bl n'y a qu'une parfaite Union entre les Al
liez , pendant qu'on traitera la Paix générale,
&laGarantie mutuelle qu'ils ſe donnerontde
ce qui y aura été conclu , qui puiſſent les mettre
en fûreté pour l'avenir. Sans cela , toute
l'Europe tombera dans la confufion , & tôt ou
tard dans l'Esclavage; fur tout , fi on laiſſoit
l'Efpagne & les Indes à un Prince de la Mai
fon de Bourbon. On ne pourroit pas ſe flatter
que même après la Paix concluede tellemaniére,
la Grande Bretagne pût être en fûreté , &
ſe maintenir dans un état tranquille & florif
fants à moins que de demeurer avec lesEtats
Généraux, & avec les aneres Alliez , dansune
Union qui les mit tous enſemble à couvertdes
entrepriſes de la France. Toutes leurs Forces
trnies ont à peine ſuffi pours'en garantir : D'où
l'on peut juger de ce qui arriveroit , fi ceste
Couronne venoit à bout de les divifer ; & ce
qu'elle Yeroit capable d'executer , après avoir
reſpiré pendant quelques années , & après s'être
renforcée par l'Espagne & par les Richeſſesdes
Indes. On ne doute donc pas , que S. M Britannique
ne ſe propoſe d'agir dans toutes fes
affaires conjointement &de concert avec ſesAlliez,
conformément aux afſurances qu'Elle leur
adonnées. Mais pour bannir toute défiance.,
il feroit bon qu'ilonly eût aucune Négociation
fecrette, qui pût donner lieu de foupçonnerque
F4
lum
128 MERC. GALANT .
l'un ou l'auere des Alliez pourroit faire fon
Traité ſéparément.
Tous les Alliez concourront avec plaiſir à
conclure la Paix , pourvû qu'elle leur procure
leur fûreté; n'y en ayant point qui ne ſoit las
desdépenses & des incommoditez de la Guerre
, & qui veüille la continuer lors qu'elle ceffera
d'être néceffaire. De plus , il n'y en a
point parmi Eux qui ne ſe faſſe un plaifir de
contribuer de tout fon pouvoir , à obtenir à la
Grande-Bretagne les conditions & les avantages
qu'elle peutprétendre de la France: SonAlteſſe
Electorale fe fera en particulier un devoir d'y
aporter tous les foins qu'on pourra déſirer d'Elle,
rien au monden'étant plus jufte, après tant
de grandes choſes que S. M. Britannique afaites
avec ſa Triomphante Nation pour la Cauſe
commune , depuis le commencement de fon
glorieuxRégne. Et cette voyeparoît plus fûre
à S. A. E. , pour parvenir à ce but , & pour ſe
conſerver les avantages , que fi la Grande-Bretagne
y travailloit fans la concurrence de ſesAlliez
par une Négociation ſeparée . Rien ne ſeroit
auffi plus avantageux à la France , quefipar
ſon habileté , elle pouvoit ébloüir aſſez une
Puiffance Maritime , pour lui faire accepter
quelque avantage tellement au préjudice de
Fautre , que la Jaloufie qui en naîtroit devînt
un obftacle à leut Union pour l'avenir ; laquelle,
faiſant leur fûreté réciproque , paroît à la
France le plus grand empêchement à ſes vaftes
Deffeins.
S. A. Electorale peut répondre , que la Cour
Imperiale n'a jamais formé ledeſſein qu'on lui
impute , de vouloir entamer avec la France une
Négociation fecrette , au préjudice des Intérêts
de la Grande-Bretagne : Mais pour ôter à cet
égard tout fujet d'ombrage , tant de la partde
'Empereur , que de la part des EtatsGénéraux
des Provinces-Unies , on pourra prendre avec
ces.
JANVIER 1712. 129
ces deux Puiffances de nouveauxengagemens :
&on peut slaffurer qu'elles ne ferontaucunedifficultéde
promettre à la Reine , de la maniere la
plus forte & la plus folemnelle , de n'entrerja
mais avec l'Ennemi commun dans aucune Né,
gociation , de ne recevoir jamais aucune ouver
ture ou propoſition de ſa part , ſans la participation
de S. M. , & fans prendre de concert
avecElledes meſurescommunes. On allégue ,
quella Cour Imperiale renoncera fans peine à
Eſpagne & aux Indes , pourvû qu'on lui don
nelles Etats d'Italie & les Païs Bas: Mais c'eſt
fur quoi il eſtjuſted'entendre le nouvel Empereur,
quion ſçait avoir fort à coeur les affaires
d'Eſpagne.
11 eft aifé de connoîtreles ſuires pernicieuſes
qu'on auroit ſujet d'aprehender , fi on laiſſoit
l'Eſpagne & les Indes auDuc d'Anjou. S.M.
Elle-mêmes'eftexpliquée ouvertementdans ſa
Harangue à l'entrée de laderniére Seffion de ſon
Parlement , recommandant la Guerre d'Eſpa .
gne, comme celle qui intéreſſoit le plus laNationBritannique
, qui ne fera aucunement dé
dommagée par le Commerce de la Mer du Sud ,
dont on la flate; lequel, fi on lui en donnoit
même la réalité , dont on peut juſtement douser
encore, ne feroit aumoins que précaire , &
nedureroitqu'autant que la France& l'Eſpagne
voudroient bien le permettre . Cesdeux Couronnes
nepourront être conſidérées au ſuſdit cas
quecomme une même Puiſſance. Toutle mon.
de fçait que c'eſt la France qui gouverne lesEfpagnols,
dans leur Confeil , dans leurs Finan .
ces , dans le Militaire , & qui même fait leur
Commerce aux Indes par ſes Vaiſſeaux : Elle
s'eſt déja renduë tellement la maîtreſſe de tout
cela, que quand les Eſpagnols voudroient s'en
affranchir, Hoit après la Paixa, ſoit après la
mort du Roi de France d'à préſent , cela n'eft
plus dans leur pouvoir, & aucun Traité ne ſe
Fs ra
1
130 MERC. GALANT.
ra affez fort pour obtenir de la France dequit
ter effectivement ces Avantages. Il y aoutre
cela à confidérer , que ſi la Lignée duDuc d'An.
jou , ou la Lignée mâle du Dauphin fon Frere ,
venoit tôt ou tard à manquer , ces deux Couronnes
feroient entiérement combinées ſous une
même Tête : Nul Traité , nulle Renonciation
ne feroient aſſez forts pour empêcher cette combinaiſon
en pareil cas ; dont la Renonciation fai.
te à la Paix des Pirenées , & le Traitéde Partage,
fourniſſent entr'autres des exemples d'une
aflez grande évidence. Il eſt très-certain auſſi ,
que le Roi de France , qui nonobſtant la Paix
&fes Engagemens avec le Roi Guillaume III.
de glorieuſe Mémoire , a reconnude ſon vivane
un autre pour Roi d'Angleterre , auſſi tôt qu'il
s'eſt crû Maître de l'Eſpagne par ſon Petit Fils,
ne verra pas ſi-tôt celui- ci affermi ſur ce Trône ,
qu'il travaillera à mettre ſa Créature ſur celui de
la Grande-Bretagne; & qu'il en viendra àbour
ayant augmenté ſa Puiſſance par celle de l'Efpagne
, & les Richeſſes par celles des Indes.
Il eſt aiſé de prévoir le danger où ſeroit ence
cas la Perfonne de la Reine , & ce que deviendroit
alors la Liberté de la Grande-Bretagne ,
fous un Maître élevé dans les Principes de la
France , & dans la haine contre les meilleurs
Angloisquil'ont abjuré ſelon la Loi , & ce qu'il
feroit fait enfuite de celle de toute l'Europe&
de la Religion Proteítante , par la liaiſon d'obligation
, de néceſſité &de reconnoiſſance de
troisRois d'une Religion oppofée , &d'unetelle
Puiſſance par Mer & par Terre , ſous la directiondecelui
de France. Ce font des confequences
où S. A. Electorale eſt trop intéreſſée , pour
les conſidérer avec indifférence.
Quant à la Barriére aux Païs-Bas Eſpagnols .
on ne peut pas dire qu'elle ne regarde que la ſureté
des Provinces Unies : elle regarde au contraire
tout autant celle de laGrande-Bretagne .
i
" JANVIER 1712 . 131
laquelle ne ſe trouveroit pas moins en danger
que ladire République , ſi la France devenoit
maîtreſſe des Païs-Bas Eſpagnols. C'eſt une
vérité qui a été reconnuë de tout tems parles
Anglois , & même ſous le Régne de Charles II.;
lequel , malgré ſes liaiſons avec cette Couronne
, ne voulut pas permettre qu'elle en fît la
Conquête: De forte que la Barriére , qui. ferme
à ce dangereux Ennemi l'entrée aux Païs-
Bas , eſt un intérêt commun aux deux Puiſſances
Maritimes , de même qu'à l'Empire d'Alle-
-magne ; outre que laGrande-Bretagne trouve à
cette heure dans ſa Garantie , celle de la Succeffion
Proteftante réciproquement.
Quelque choſe qui arrive , & foit qu'on ouvre
dès à préſent l'Aſſemblée de laPaix , foit
qu'on la renvoye à un autre tems , c'est- à-dire
juſqu'à ce que la France ait fait des Déclarations
plus fatisfaiſantes , S. A. Electorale croit
que c'eſt d'une abſoluë néceſſitéde ne ſe point
relâcher par rapport aux préparatifs pour la
Campagne prochaine ; n'y ayant aucune eſpérance
d'obtenir de bonnes Conditions de Paix,
qu'en ſe mettant enétatde poursuivre vigoureufement
la Guerre , & de commencer la Campar
gne de bonne heure avec des Forces confidérables;
& cela d'autant plus , qu'on voit les préparatifs
que la France fait deja de ſon côté pour
cela: C'eſt auſſi par cette conſidération queS.
A. Electorale ne veut point ſe prévaloir de la
permiffion queS M a eu la bonté de lui accorder
avec tant d'amitié , de prendre pendant cet Hiver
quelques- uns de fes Regimens de Dragons
dans ſon propre Païs , ayant réſolu de les laiffer
tous au Païs-Bas. Monseigneur l'Electeur
conſervera ce nonobſtant pour S. M. la même
reconnoiſſance , que ſi Elle ſe fût ſervie effectivement
de ſadite permiffion. On ne doit pas
douterque l'Empereur ne faſſe de beaucoup plus
grands efforts que ci-deyant , & que les Etats
Ge132
MERC. GALANT.
Généraux ne fourniſſent ce à quoi ils fontobligez
par leurs Traitez ; S. M Imperiale étant
prête de faire de nouveaux concerts là-deſſus
avec S. M. Britannique: Mais il ſera ſur tout
eſſentiel de ſe garantir du piége d'une Ceſſation
d'Armes, qu'il eſt très apparent que la France
propoſera auſſi tôt que l'Aſſemblée de la Paix
fera ouverte, &quilaiſſant les Baiſſances Mati
times dans la néceſſiré defaire les mêmes efforts
&les mêmesdépenses pour la Guerre , &d'entretenirlesmêmes
Flotes& les mêmes Armées ,
leur ôteroit les moyens de sten ſervir .&arrêteroit
les progrès de leurs Armes Victorieuſes.
Il y a lieu d'eſpérer , qu'en demeurant bien
unis , on réduira bien tôt la France , avec la
bénédiction de Dieu , à accorder des Conditions
raisonnables : l'extrême épuiſement où eft cette
Couronne, & le besoin qu'elle a de la Paix,
étant trés certain & confirmé de tous côtez .
Dieu a beni les Armes de la Reine&de ſesAlliez
de tant de Triomphes fur leur Puiſſant
Ennemi , pour les mettre à couvert, par une
Paix fûre & avantageuſe , de ce quoils ontsà
craindre de lui, qu'il ne voudra pas , que tout
épuisé & vaincu qu'il eſt dans toutes lesocca
fions, il obtienne encore fon but parcetteGuer
re, &qu'ilen forte par une Paix glorieuſe pour
lui , à la ruïne des Alliez Victorieux , à la
deſtruction de la Liberté de toute l'Europe , en
gagnant par cette Paix le pouvoirdedonnerun
Roi à l'Eſpagne , d'en impofer un à laGrandes
Bretagne , & de faire dépendrede ſon approba.
tion la validité del'élection d'un Chefdel'Em
pire. Fait à Londres ce 9. Décembre 1711 .
Signé, Le Baron de BOTHMER...
FIN.
T
3
t
MERCURE
GALANT.
PAR MR. DU FRESNY.
Mois de Février 1712 .
Sur la Copie de Paris.
AVEC DES ADDITIONS.
2
1
A LA HAYE ,
Chez T. JOHNSON .
M. DCC XII.
Livres Nouveaux fur les affaires du
Tems , qu'on trouve chez T. John-
Son, Libraire àlaHaye.AD
Lettres&Mémoires ſur la conduite dela prefenteGuerre
&fur les Négociations de Paix.
Tome I feconde Edition , corrigée&&augmen
tée. Il Imprime actuellement le II . & le III.
vol. du mêmeOuvrage , qui feront fort curieux
auffi-bienque lepremier.
L'Histoire de l'Empire Ottoman parRicaut , où
l'on voit l'Origine & les progrèsdesTures , les
Vies& les ConquêtesderousleursSultans,leurs
Guerres , Siéges &Combats par Mer & par Terre
, les Révoltes & Révolutions extraordinaires,
& généralement tout ce qui s'eſt paffé de
confiderable dans cet Empire depuis fon Commencementjuſqu'à
1704 avec un détail curieux
des Guerresen Hongrie& fur les Frontiéresde
Pologne & de Moscovic , & ane Carte exacte de
tous ces Pais , en3. vol.
On trouve chez le même Libraire toutes les
Piéces curieuſes touchant lesaffairesd'Angleterre
, & les autres affaires du tems.
Il imprime tous les Lundis le Miſantrope ,
qui eft une Critique fine &delicate desMoeurs
du Siécle .
On trouve auffi chez lui un Recueil de toutes
les meilleures Comedies Angloiſes , fort proprement
imprimées en plufieurs petits Volumes.
8
Les Oeuvres de Crébillon , contenant Idoménée
. Atrée & Thyefte , Electre , & Rhadamisthe
Zenobie , quatre nouvelles Tragedies qui ont
été reçûës avecgrand aplaudiſſement enFrance.
La derniére piéce a été jouée à Paris ſeptantequatre
fois de fuite : ſuccès prodigieux &fans
exemple.
135
MERCURE
GALANT.
FEVRIER 1712 .
AVERTISSEMENT.
L
A divifion du Mercure en
quatre parties ſéparées
avoit fes commoditez
mais elle empêchoit que
,
l'impreffion n'en pûtêtre
faiterégulièrement lepremier
, ſecond , ou troisièmejourdu mois:
on n'a pû , par exemple , diftribuer le
dernier Mercure avant le fix de Janvier.
Cetinconvenient à paru plus conſidérable,
que celui de mêler indifferemment toutes
les Pieces , à meſure qu'on les envoye , &
lesNouvelles, fans égard aux dattes,dans
le moment qu'on reçoit les Lettres ; on
G2 ef136
MERC. GALANT.
efſſayera de ce dérangement , dans cemois
ci , à condition que ſi on ſeplaint de cette
méthode , on en eſſayera d'une autre ,
dont quelqu'un ſe plaindra encore , &
c'eſt tantmieux ; car les Livres dont on ſe
plaint lemoins , ce ſont ceux qu'on ne lit
gueres.
THETIS ,
Cantate.
Sur le recouvrement de la ſanté de
Monseigneurle Comte de Thou-
Loufe.
THETIS.
Nereides , plaignez ma peing Pleurez , pleurez , mes Soeurs ;
Cet aimable Heros , ſi cher à notre Reine
Eſt livré par le Sort aux plus vives dou .
leurs.
Plaignez ma tendreſſe inutile
Quin'apu duDeſtin deſarmer les rigueurs;
Helas les maux même d'Achile
Nem'ontpas.coûté plus de pleurs.
ChoeurdesNereides. ٠٤
Mêlons nos ſoupirsà ſes larmes ,
FraFEVRIER
1712. 137
Frapons l'air de nos cris ;
De nos vives alarmes ,
Que les Rochers ſoient attendris .
THETIS.
Qu'avec plaifir en lui je revoyois les charmes
Et le courage de mon Fils.
Les Nereides.
1.
Mêlons nos ſoupirs à ſes larmes
2
こ
Frapons l'air de nos cris.
THETIS.
Sort , injuſte Sort ,épuiſe-tu tes Armes
Sur tout cequi plaîtàThetis ?
LesNereides.
De nos vives alarmes
Que les Rochers ſoient attendris .
:
Simphonie.
THETIS.
Quelle clarté pénétre en ces grottes profondes?
Cet éclat du Soleil m'annonce le etour ,
CeDieu qui rentre ſous les O des
Va fur ce que je crains éclatcir mon
Amour.
G3 APOL
138 MERC. GALANT .
APOLLON.
zi
Conſolez - vous belle Déeſſe .
THETIS .
Vous avez vû dans votre cours
Cet aimable Heros pour qui je m'intéreſſe.
APOLLON.
i
Conſolez- vousbelle Déeffe ,
Vous n'avez rien à craindre pour ſes
jours:
La Parque avoit fur lui levé ſon bras perfide,
Jel'ai vû fans frémir regarderle trépas ;
Au ſeinde la douleur il étoit intrépide ,
Et plus Héros encore qu'au milieu des
Combats.
Mais la Parque n'a fait qu'une menace
vaine,
Un des Fils d'Eſculape a détourné ſes
coups ,
Et pour votre Héros force encor l'inhumaine
De filer les jours les plus doux .
D'un nom célébre ; oud'un bonheur durable
Achille jadis eut le choix ,
Mais au Fils de Louisle Sort plus favorable
م
Veur
FEVRIER 1712.
139
Veut les accorder à la fois.
THETIS.
:
"
11
Ciel ! après un trouble extrême
Que lecalme ad'attraits !
LeDeſtinmerend ceque j'aime ;
Jepardonne au Deſtin tous lesmaux qu'il
m'afaits.
Venez , bruyans Tritons , venez , ten
L
Andres Sirenes ,
Apprenez parvos chants mon bonheur
auxZephirs ,
Vouspartagiezmes peines ,
Partagez mes plaifirs .
Choeur.
Apprenons par nos chants fon bonheur
aux Zephirs,
Nous partagions ſes peines ,
Partageons ſes plaifirs .
CettePiece qui eſt de M.de la Mothe ,
a été miſe en Muſique par M. de Ville-
Neuve , & a été éxécutée le 4 Janvier par
la Muſique de Monfieur le Comte de Toulouſe
, en preſence de Madame la Ducheffed'Orleans.
Il eſt plus rare de trouver desAchilles
de fang froid, dans l'accablement d'une
maladie cruelle , qu'au milieu des com
G4 beats,
140 MERC. GALANT.
bats , où l'ambition &la gloire nous foutiennent
; l'Ivreffe de ces deux paffions en
nous étourdiſſant nous cache la moitié du
peril . UnGuerrier eſtanimé par l'exemple
de ceux qui l'environnent , tous ces
grands appareilsde Guerre inſpirent quelquefois
du courage à ceux même qui n'en
ontpoint; mais letriſte appareil qu'érale
JaChirurgie , fait ſouvent trembler ceux
qu'on a vus intrepides dans les Combats.
Je préfererois peut-être à l'intrépidité
guerriere cette fermeté d'Ame , qui fait
Tupporter fans ſourciller les douleurs les
plus violentes; maisje n'ai pasbeſoin ici
de l'Art des Panégiriftes , qui élevent
zoûjours au deſſus des autres vertus , celle
qui domine dans le Heros dujour , puiſque
le Prince dont il s'agit ici , poſſede à un
dégré égal , & la fermeté d'Ame , & la
valeur , & la bonté du coeur , fans laquelle
toutes les autres vertus ne meritent
pointde véritables loüanges .
EXTRAIT
12
Duvoyagede M. Chambon dans les
MinesdePologne.
Tant en Pologne , je me reſſouvins
lû autrefoisun Livre qui trai- Ent
zedes Minesde Sel de ce Pais-là , &je refolus
de voir la choſe par moi-même , je
comFEVRIER
1712. 141-
y
communiquai mon deſſein à deuxde mes
amis , qui mepromirentde m'yaccompagner.
La plus fameuſe de ces Mines n'étoit
éloignée qued'une journée : nousnousy
rendimes le lendemain , & nousy trouvames
pluſieurs perſonnes qui devoie
deſcendre. J'examinai l'ouverture , les
Machines qui ſervent à la deſcente des
hommes , des chevaux , des néceffitez
des uns&des autres, & au tirage des Sels.
Cette ouverture eſt quarrée ; les Machines
font des Rouës, qui nedifférent decelles
qui font à nos Carriéres , qu'en ce
qu'elles font couvertes ; la cordepour faire
la defcente eſt d'une bonne groffeur.
Onnousdemanda ſi nous voulions defcen
dre; la profondeur de cette ouverture a
quelque choſe d'effrayant , mais moi qui
voulois voir , je répondis bruſquement
que j'étois prêt à partir; cette réſolution
détermina l'un de ceux qui m'accompagnoient
; mais l'autre fut plus timide &
refuſa de nous ſuivre.
On deſcend la groffe corde ; ceux qui
ont fait ce voyage en prennent de la groffeur
du petit doigt attachées à la groffe.
Il faut ſe repréſenter les cordes dont ſe fervent
les Bateliers qui tirent un Batteau
pour luifaire remonter laRiviére. Quand
ils ſe furent placez ſur ces petites cordes ,
il faut nous dirent- ils s'affeoir fur nous .
Allons , dis-je à mon ami, il n'eſt plus
queſtion de s'en dédire , je me plaçai des
G5 pre142
MERC. GALANT.
premiers de la maniere dont on me l'avoit
montré , & il en fit autant. Tout le
monde étant rangé , on deſcend: à peine
étois-je à trois toiſes de profondeur , que
ceux qui gouvernoient la corde , arrêtérent
tout court , & criérent qu'il falloit
prier Dieu; j'entendis dans le moment
entonner un Salve: je fus frapéd'une idée
fächeuſe , je me repentis de ma curioſité ,
mais réfléxion faite , je me raffurai , de
manière cependant que Nature pâtiffoit.
Nous coulâmes inſenſiblement , & on arriva
à bon port , cette premiére deſcente
eſt devingt toiſes ou environ.
Ceux qui travaillent dans ces Mines ,
&qui avoient entendu le ſignal , vinrent
nous recevoir avec des branches de Pin
refineux allumées en forme de flambeaux.
Ils nous conduiſirent à la Chapelle qui eſt
au bout d'une Voûte ſoûtenuë pardes pilotis
, & appuyé par des travers de diſtance
en diſtance. A cinquante pas de la fe
préſente ſur la main droite une Fontaine
d'eau douce, à l'uſage des hommes & des
bêtes qui habitent dans ces foûterrains , &
dontpluſieurs n'ont jamais vû le jour. Je
fis remplir une bouteille de cette eau , je
dirai dans la ſuite ce que j'en fis , j'en remplis
une autre d'une eau ſalée qui fe trou.
ve un peu plus avant ſur la gauche: on
pompe cette derniére eau que l'on monte
par la corde pour la décuire dans un Village
appellé Wieliska , qui n'eſt pas bien
éloigné
FEVRIER 1712 143
éloigné de l'entrée de la Mine , & l'on en
fait un Sel propre à ſervir ſur la Table.
En avançant un peu plus du même côté ,
on trouve une Voûte affez haute & affez
large,ſous laquelle il peuty avoir une vingtaine
de Maiſonnettes avec des Ecuries .
J'ai appris que les Chevaux qui y ont demeuré
une quinzaine de jours , quelques
maigres qu'ils foient , y deviennent à pleine
peau; que les Habitans y font rarement
malades ; mais je conjecture que leur
ſantépeut procéderdes vapeurs ſalines ennemiesde
la pourriture &de la corruption ,
&que leur corps s'affoiblit peu à peu , &
ſe trouve enfin noyé par la ſupérioritéde
ces mêmes vapeurs qu'ils font obligez de
reſpirer , d'autant plus qu'ils ſont privez
de la lumière qui prépare un Baume qui
ranime les nôtres & les foûtient.
Les hommes fervent à la coupe du Sel ,
à le conduire & à le tranſporter , & les
chevaux à tirer une ſeconde roue en forme
detour, qui ſert à faire la ſecondedefcentedans
un fond où l'on coupe le Sel en
forme de colomne,de la groſſeur d'un quartaut
de Vin, &de la longueur d'une aune
&demie ou environ . Onypeutdeſcendre
fi l'on veut par la corde de lamaniere
dontje l'ai rapporté ; mais il y a une douzaine
d'Echelles en zigzag attachées à la
muraille, par leſquelsje deſcendis. Le
Roi avoit fait faire des Eſcaliers , qui faute
d'appui font ruïnez & fondus par les
G6 caux.
1
144 MERC. GALANT.
eaux. Arrivé dans ce fond qui eſt fort
ſpacieux & fort élevé , je goûtai les murailles
que je reconnus être des maſſesde
Sel. Ce Sel eſt de la couleur de la craye
dont lesTailleurs ſe ſervent. Jegoûtai la
matiére fur laquelle je marchois , & je remarquai
dans certaines canelures , principalement
à la racine où eſt la premiere
ébauche du Sel , une terre ſemblable à
celle des Salpêtriers fort chargée de Salpêtre:
plus oncreuſe, plus elle eft pleine
de terrestreïté. Ce Sel en pierre eſt très
cauſtique, très amer , & très defagréable
à la langue, ceux qui en uſent s'y accoû
tument; les perſonnes de condition n'en
font jamais ſervir ſur leurs Tables . Il
rougit les Viandes comme le Salpêtre.
Ce Sel eſt tirédu fond de ces Mines , par
la même Machine qui fert à ladefcente :
delà il eſt conduit fur des Rouleaux jufqu'au
premier endroit, d'où il eſt tiréde la
même maniere ; puis on le charge fur des
charettes pour le tranſporter dans toutes
les Provinces de la Pologne , dans la
Hongrie , & dans la Silefie.
Il ſe rencontre beaucoup de Sel gemme
dans ces Mines; ce Sel eftblanc comme
la neige , fort dur & criſtalin ; on en fait
des Sallieres , des Chapelets , de petites
Statues & pluſieurs autres Ouvrages
qu'on vend fur les lieux. Il yades veines
dont on tire de ces fels fi folides & fi
criftallins, qu'ils reſſemblent à des cristaux
de
FEVRIER 1712. 1451
i
1
I
de roche; ils ne tiennent de la nature du
ſel que parce qu'ils n'ont pas eu la même
cuire; peut-être qu'avec le tems laNature
les auroit portez au metallique ou à la
pierre précieuſe. On peut conjecturer
par la pureté & par la tranſparence dont
ils font, qu'elle l'auroit fait ſi elle n'avoit
point été interrompuë. Quoi qu'il en
loit , l'Auteur de cette Nature n'a pas
voulu que tout fût dans le plus haut degré
de perfection , que toute animalité futun
état excellent, que tout vegetal fût balfamique
, & que tout le métallique fût or.
Le Verjus , quoi que moins parfait que le
Raifin , a lesproprietez: le cheval moins
parfait que l'homme a ſon merite: le fer
quoi qu'inférieur à l'or ne laiſſe pas d'être
d'une grande utilité. Onpeut reconnoî
tre par ce que je viens de dire , bien des
eſpèces de fel différentes par leur cuitte&
par leurs filtrations : 1. ayant fait évapo
rer à mon retour , l'eau douce que j'emportai
avec moidans une bouteille, elle fe
trouva chargée d'une quantité affez. confidérable
de fel preſque infipide. 2. De
l'eau de ma ſeconde bouteille on entire
par décoction un ſelblanc, plus picquant
que ce premier fel , mais beaucoup plus
doux que celui que nous préparons de
l'eau de la Mer. C'eſt ce ſel qu'on fert
comme nous avons dit ſur les Tables des
Gens de condition , & on ne peut expliquer
la différence entre le premier ſel qui
1
G7
eft
146 MERC. GALANT
eſt inſipide & celui-ci , qu'en ſuppoſant
que le premier eſt très-attenué par une filtration
plus étroite & plus ferrée . 3. Ou
tre ces ſels dilayez , le ſel gemme . 4. Ce
fel en groffes maſſes tenant de lanature
du ſalpêtre: enfin de ſel rempli de terreſtreïtez
qui eſt la racine & la première
ébauchedes autres .
•Après être ſorti de cette repreſentation
infernale , je remarquai que la neige
(c'étoit au fort de l'hiver ) fur la furface
de la terre qui environne cette Mine&qui
la couvre , étoit auffi dure que la pierre ,
&qu'ilyavoit unegrande différence entre
celle-là &celle qui étoit dansdes endroits
plus éloignez . Tout le monde ſçait que
ladureté vient des ſels. La vie de ces
objets augmenta ma curiofité: je réſolus
d'allerplus loin.
Vieliska au Midi de Cracovie n'eſt éloigné
que dedeux lieuës de cette Mine, qui
n'eſt pas le ſeul endroit où l'on tire le ſel
blanc. Il s'en fait encore à Bokonia , à
Sambor , à Harofoli , à Calouche , & en
beaucoup d'endroits des Monts Crapaks.
J'allai vifiter une Mine de foufre qui n'étoit
pas fort éloignée. Je vis avec plaifir
une grande étenduë de terrain aux environs
de l'ouverture , fans glace&fans neige;
j'y trouvai l'air très temperé , on au
roit crû être dans un Bain.
Je me fis defcendre dans le fondde la
Minequi n'eſt pas bien profonde. J'y vis
avec
1
147
FEVRIER 1712
avec ſurpriſe un gros Ruiſſeau portant
Batteau qui la traverſe& qui en fort à une
demi lieuë de là , l'eau en eſt nitreuſe &
ſulphurée. Il yades deux côtez du Ruifſeau
des chemins qui font plus enfoncez
que ſa furface, &pour empêcher qu'il ne
les inonde, on a poſé tout le long du Canal
des Pilotis contre leſquels on a attaché
des planches pour ſoûtenir l'eau. La
voûte de la Mine eſt auſſi ſoûtenuë par des
Pilotis avec des travers , & les murailles
pardes planches appuyées par des ſolives ,
ce qui ſe pratique dans les Mines métalli
ques fulphurées ; au lieu que l'on ſe contentede
ſoûtenir la voûte des Mines de fel ,
parcequ'on necraint pas que les murailles
s'éboulent.
La terre de cette Mine reſſemble affez à
la terre graffe , & peu de gens s'aviſent
d'en tirer la pierre de ſouffre. Onla fait
boüillir dans l'eau : par cette cuite lefouffre
ſe ſépare de la terre & ſurnage ; on la
jerte enfuitedans différens moules, Ala
vûë de ces préparations , j'étois convaincu
qu'on pouvoit tirerdu fruit de ce genre
d'étude , & que les Philoſophes avoient
eu raiſond'enfaire un précepte. Rempli
deces pensées , je me promenailong-tems
dans ces foûterrains , & je cherchai de
tous côtez à profiter: je remarquai par le
goût , que la racine de cette Mineparticipoitfort
du fel de miniere; jeme perſuadai
que cette racine métallique ou ceVerjus
148 MERC. GALANT.
jusmineral, étoit devenu balſamique par
lacuitequ'il avoit euë de la Nature. Voilàmonprincipe
, me diſois-je à moi-même,
la Nature travaillepartoutdelamème
manière , elle mene toûjours ſes Ouvrages
par degrez ..
Au fortir de cette Mine j'en viſitai de
Vitriol , d'Antimoine , & de Marbre ,
j'allai à des Fontaines où le fer battu en
petites lames ſe change en cuivre en cinq
ou fix jours , & le bois en pierre : ces Fontaines
ſont entre Calouche & Stry , aux
environs de Slochouf à une journée: il y
en a beaucoup d'autres Minerales qui ont
des vertus particulières. L'eſprit métallique
est très puiſſant dans cette Contrée ;
on y voit des Marais où le fer ſe forme :
il faudroit un Volume entier pour décrire
ce que j'y ai vû: il y a même quantitéde
Mines d'or & d'argent. La plus abondante
en or & en argent eſt près de S/ochoaf:
elle est ordinairement affermée à
desAllemans & à des Anglois , parce que
les Polonois ne ſepiquentguéres d'induftrie
ni de foins . J'y achetai un morceau
deMine affez curieux , de lagroffeurd'un
oeuf de poule, formé par des canelures
d'arſenic jaune , de ſel , d'une pierre criftalline
de couleur d'agathe , & de quelques-
unes d'or , que la Nature avoitjointes
par desdiſpoſitions bizarres qui fe rencontrent
dans les entraillesde la terre.
J'eus envie d'aller voir une Fontaine de
BituFEVRIER
1712. 149
Bitume qui eſt dans lemême Palatinat de
Cracovie: voici ce qu'on en dit , & qui
eſt très véritable. Elle prend feu de tems
en tems, particulièrement dans le Printems:
ce feu eſt ſi violent que les étincelles
étant emportées par le ventbrûlent les
bleds voiſins : & même comme le fond
de cette Fontaine eſt un Bitume affez
épais , & que les veines de cette matiére
font répandues tout autour à une grande
diſtance , ce feu s'il n'eſt éteint ſe communique
à ce Bitume terreſtre qui s'enflame
dans les terres; de maniere quefuivant
la tradition du Païs , il brûla toute
une Forêt , & qu'il enleva un quart de
lieuë de la furface de la terre , faiſant une
Caverne affez vaſte qui fut dans le moment
remplie d'eau , ce qui donna la
naiffance au Marais falé qu'on y voit aujourd'hui
. Ces accidens qui intimident
les Païfans , les rend attentifs à ce qui ſe
paſſe ſur cette Fontaine , & fur la Riviére
qu'elle forme dès ſa naiſſance. Ils ont
ſoin dès qu'il paroît quelques étincelles ,
& même quelque lueur , d'accourir avec
leurs fleaux ou de longues verges dont ils
battent l'eau de toute leur force pour la
faire élever par deſſus le Bitume ; &pour
en être avertis iillssymettent des Sentinelles
, qui d'ailleurs prennent garde que
quelqu'un par malice oupar curiofité n'y
mettent le feu avec quelque bougie allumée
, & à peu près comme on le met à l'Eau
150 MERC. GALANT.
l'Eaude Vie. Si quelques Seigneurs Po--
lonoisoudesEtrangers viennent voir cette
Fontaine par curiofité , les Gardes permettentqu'on
mette le feu avec la bougie
allumée ſur la ſurface de l'Eau ; mais ils
ſemuniffentauparavantdebranches d'Ar .
bres pour l'éteindre en battant l'Eau.
Cette Eau eft cependant froide au toucher,
maiselleneſeglace jamais , elle jette une
odeur très agréable , & a la faveur du
Lait. La.Montagne fur laquelle elle eft ,
eft couverte de Fleurs Odoriferentes.
Le Livre dont on a tiré cet Extrait ,
contient une infinité d'autres détails très
curieux fur différentes matières. Il ſe
vend ſur le ſecond Perron de la Sainte
Chapelle , dans la boutique de Claude
Barbin.
SUP--
1
FEVRIER 1712. 151
SUPPLEMENT
AUX :
ETRENNES
i
dumoispaffé.
L'Anonime éruditionné.
:
Vous demander de l'érudition fur les
Etrennes; detom tems les Peuplesont
offert aux Dieux , &aux hommesles prémicesde
touteschoses; ces Etrennes ont été
établies pour offrir les prémices del'année
nouvelle ; certain Peuple d'Afrique célébroit
la premiéreAnnée du Siècle, lepremier
mois de l'Année , le premier jour du
mois , lapremière beure dujour.
ETRENNE.
Par Monfieur de L. T.
Sur l'Air d'un Vaudeville connu.
Aunouvelanmilfept cens douze ,
Puis152
MERC . GALANT.
Puissiez vous devenir l'Epouse
D'unejeune Epoux tendre & charmant ,
Qui ne soit point d'humeurjalouſe ,
Jamais Mari,toûjours Amant,
Pendant tout l'an mil ſept cens douze ...
RE'PONSE .
Fuſquesà l'an mil ſept cens treize
Jechercherai la Rime à treize;
Et ce Mari toûjours Amant
Dans l'Univers en est-il treize ?
On trouvera plus ſeurement
Rime riche à mitſept cens treize.
IMPROMPTU.
Le premierjourde l'an à unhomme
de qualité , par Monfieur M.
D. M.
Ne pas donnerà plus richeque foi ,
Avotre égard , c'eſt maximepour moi.
Cettemaxime eft vraye , & n'offense per-
Sonne;
Mais ce qu'on peut donner auPape comme
auRoi ,
C'est bon jour& bon an ; Seigneur , je vous
le donne.
Lc
FEVRIER 1712 .
153
Lemêmeà une Demoiselle , en lui
- envoyant un de ces petits coeurs
quirenfermentuneDeviſe.
'1
Telqui ſepicque , Iris, pourvous d'être
fincère ,
3
Vousditqu'ilvous ouvreson coeur ,
Maisil est quelquefois infidel & trompeur.
Celui-cidont laforme eft fragile & legere,
Quoi qu'Ouvrage de l'aArt , n
unimpofteur.
:
Ilrenfermeunſecret mystère ,
Pour contenterun defir curieux ,
n'est point
Ouvrez ce coeur , qui s'offre à vos beaux
Tout autre en pouroit craindre un regard
yeux ,
homicide ,
Pour être heureux ou malheureux
Souvent c'est moinslechoix, que lefort qui
décide.
NOUVELLES
L
De Londres le 118. Décembre.
1
1
5
E Parlement s'eſt aſſemblé aujourd'hui
ſuivant laderniére prorogation.
La Reine étant allée à la Chambre
des Seigneurs , & les Communes y étant
ar154
MERC. GALANT.
con-
Religion ,
arrivées , Elle a fait un Diſcours , qui
contienten ſubſtance : Qu'Elle étoitbien
aifedeleur pouvoir dire , que nonobſtant
lesartificesdeceux qui cherchoient à
tinuer la Guerre , le lieu& le temspour
l'ouverture d'un Traité de Paix générale
étoient fixez: que la plupart des Alliez ,
principalement les Erats Généraux
avoientpar leurpromptitude à y concourir
témoigné leur confiance en Elle; &
qu'Elle ne doutoit pas que ſes propres
Sujets ne fuſſent perfuadez de l'affection
qu'Elle avoit pour eux; que fa principale
attention ferooiitt d'affermir la
lesDroits , & les Libertez de la Nation ,
&la fucceffion à la Couronne dans la ligne
Proteftante : qu'après une Guerre
quiavoit coûté tantde ſang&tant de Tréfors,
Elle travailleroit de tout fon pouyoir
à favorifer & à augmenter le Commerce
de ſes Sujets: que non ſeulement
Elle s'employeroit à procurer une fatisfaction
raiſonnable à tous les Princes &
Etats engagez dans cette Guerre , mais
qu'Elle ſe joindroit avec eux par les liens
les plus étroits pour rendre la Paix ferme
&durable : que le moyen le plus efficace
pourréüffir étantde ſe préparer de bonne
heure à la Guerre , Elle recommandoit
aux Communes de donner avec toute la
diligence poffible les ſubſides néceſſaires
pour la Campagne prochaine : & Elle
finit fon Difcours , en leur recommandant
FEVRIER 1712. 15.5
dant l'union , &d'éviter tout ce qui pourroitdonner
lieu de croire qu'il y eîût de la
diviſion parmi eux. Les Communes ſe
retirerent enſuite , après quoi il yeut un
longdébatparmi les Seigneurs , qui.comclurentà
lapluralitéde fix voix , de répre
ſenter à la Reine par une Adreffe , qu'il
n'y auroit jamais de Paix fûre , tant que
l'Eſpagne ſeroit poſſedée par unPrincede
laMaiſon de France : mais les Communes
au contraire réſolurent à la pluralité
de cent cinquante Voix d'établir unComité,
qui feroit chargé de travailler à
uneAdreſſe, pour remercier la Reine de
cequ'Elle leur avoit déclaré touchant la
Paixgénérale.
De Lille le 16. Janvier.
Les nouvelles que nous avons reçûës
hier de Londres & de la Haye , nous aflûrent
toutes une Paix prochaine. La
Chambre des Communes perſiſte toû.
jours. L'Evêque de Bristol , & M. de
Buys , qui étoient à Londres , font arrivez
à Utrecht , où les Conférences ſe
tiendrontle 22. du Courant.
Monfieur lePrince Eugene quieft paffe
le 8. en Angleterre , n'y eſt point allé
pour tácher de mettre quelque obſtacle à
la Paix ; au contraire , on affure qu'il y
eſt passé de la part de l'Empereur , pour
af
156 MERC. GALANT.
aflûrer la Reine qu'il entrera avec plaifir
dans le Traité général , & qu'il y envoyera
inceſſamment ſes Ambaſſadeurs..
La Reine a nommé Milord Duc d'Ha-.
milton , pour être de la Grande Chambre;
mais les Seigneurs ne veulentpoint le recevoir
à cauſe qu'il eſt Ecoffois.
De Berlin le 14. Décembre.
L'Electeur de Brandebourg aordonné
une nouvelle levée de fix mille hommes .
Les Etats feront obligez de les fournir ,
ſuivant la répartition qui en a été faite
par chaque Bailliage , qui fera obligéde
lesfournir. Pour cet effet on arrête tous
les Vagabons & les Mandians.
Son Alteſſe Electorale a donné la Prévótédu
Chapitre de Magdebourg , vacante
par le décès du Prince de Saxe Barbi ,
au Prince Loüis ſon Frére : cette Prévôté
vaut dix mil écus de Rente.
こ
DeVarſovie le 30. Novembre.
Les Généraux Czeremetof & Ronne ,
n'ontpû faire conſentir les Sénateurs Polonois
, qui font à Léopol , à accorder
desQuartiers d'Hiver aux Troupes du
Czar , & ont enfin été obligez de pro.
mettre qu'ils les feroient fortir du Royau
me ,
!
FEVRIER 1712. 157
me , ſuivant le Traité conclu avec les
Turcs . Elles doivent aller hiverner dans
le Duché de Severie , & vers Kiovic &
Smolensko .
DeRomele s . Décembre.
LeGénéral des Jeſuites , ſes Aſſiſtans,
&les Procureurs des Provinces , ont preſentéau
Pape dans une Audience que Sa
Sainteté leur a accordée , un Acte ſigné
de tous , portant qu'ils ſe ſoûmettoient
entiérement aux Décrets de 1704. & aux
autres , émanez en conféquence fur les
Cérémonies Chinoiſes ; & donnerent toutes
les marques & les aſſurances d'une entiére
obéïſſance pour le S. Siége. Le Pape
qui les reçût très favorablement , ordonna
que cet Acte fût imprimé .
Monfieur Pignatelli , Evêque de Leccé,
ayant été enlevé violemment de fon Palais
, par ordredu Viceroi de Naples , &
enfuite conduit hors du Royaume , eſt arrivé
ici aujourd'hui dans un caroffe à fix
chevaux , que le Cardinal Paulucci avoit
envoyé au devant de lui avec un de ſes
Gentilshommes , & eſt allé defcendre
aux Théatins , où le Pape lui avoit fait
préparer un logement. Dans la Congrégationde
l'Immunité Eccléſiaſtique tenuë
au ſujet de ce Prélat , il a été réſolude le
foûtenir .
Tome V. H Sa
158 MERC. GALANT.
Sa Sainteté a reçû des Lettres de Dom
Annibal Albani , par leſquelles il mande ,
quel'Archiduclui avoit promis dans deux
Audiences qu'il lui avoit données , qu'il
reftitueroit Comacchio au S. Siége après
fon Couronnement.
Du 12.
Mardi , jour de la Conception , on célébra
l'anniverſaire du Couronnement du
Pape dans ſa Chapelle. Les Illuminations,
les feux d'Artifice , & les Aumônes , fe
firent à l'ordinaire .
Monfieur Cafarelli , Gouverneur de
cette Ville , eſt mort après une longue
maladie , & le Papea diſpenſe ſa Famille
de faire la Cavalcade accoutumée à la
mort du Gouverneur , n'étant pas affez
riche pour faire cette dépense. Sa Sainretéadonné
ce Gouvernement à M. Scor
ti , Milanois , Auditeur de Rote; & fon
Canonicat de S. Pierre , à M. l'Abbé Riviera
, Secretaire du Sacré Collége , &
de la Congrégation Confiftoriale.
Du 19.
L'Archiduc , ayantenfin donnépart de
fon Election au Pape par le Marquisde
Rona , Sa Sainteté ordonna auſſi rôt
qu'on
FEVRIER 1712. 159
qu'on chantât le Te Deum , & qu'on fit
des feux&des illuminations. Le Marquis
de Prié a été déclaré Ambaſſadeur de
l'Empereur en cette Cour ; & le Prince
d'Avellino retourne à Naples , avec la
qualité de Grand Chancellier du Royau
me . M. Odeſcalchi , a été nommé NonceenPologne
, & M. Doria , qui revient
de ſa Vice Legation d'Avignon , a été
nommé Archevêque in partibus . Mardi
dernier la Congrégation Conſiſtoriale
confirma l'élection du Doyen de Saltzbourg
, à l'Evêché d'Olmutz , nonob
ſtant les inſtancesde l'Electeur de Treves
en faveur de fon Frére. Le même jour
Monfieur le Cardinal de la Tremoille afſiſta
à la Meffe , que le Chapitre de S.
Jeana coûtume de dire pour le Roi , le
jourdeSainte Luce , & il y fut accompagné
par plus de ſoixante Caroffes. Son
Eminencedonna enſuite ungrand repas.
M. deMolines réfuſant toûjours de remettre
aux Miniſtres de la Cour de Vienne
les Caroffes que le Duc d'Ucede avoit
laiſſez au Palais d'Eſpagne , & qui ont
étéconfiſquezdepuis ſa Rebellion, ils le
menacentde les faire enlever de vive force;
cequi a obligé M. de Molines d'augmenter
le nombre des gens qu'il avoit déja
pourla fûretéde fon Palais&de ſa Perſon
ne.
H2
De
160 MERC. GALANT.
DeVienne le 16. Décembre.
avec
Toutes les Lettres de Valaquie , & des
Frontières de Turquie portent , que le
GrandVifir après avoir célébré le Beïram
à Andrinople , un Capigi arrivé de Conſtantinople
, lui avoit aporté de la part du
Grand Seigneur un riche Caftan
d'autres marques d'affection & de diſtinction;
mais que le même Officier , après
les lui avoirdélivrées , avoit porté un ordre
à l'Aga des Janiffaires , par lequel il
lui étoit enjoint d'arrêter le Grand Vifir ,
de l'envoyerpriſonnier à Conftantinople ,
&de prendre le commandement de l'Armée
, juſqu'à ce que le Grand Seigneur
eût nommé un autre Grand Vifir : ce qui
&été éxécuté .
De Hambourg le 25. Décembre.
On a reçû des Lettres de Roſtok qui
portent , que le Commandant desTrou.
pes que le Roi de Dannemarck y a laifſéespour
garder lesMagaſins qu'il a en cette
Ville , ayant demandé permiffion aux
Magiſtratsde viſiter leur Arsenal & leurs
Magaſins , ils la lui réfuſcrent : mais que
s'en étant fait ouvrir les portes de vive
force, pendant que les Habitans étoient
au
FEVRIER 1712. 161
auSermon , cette violence cauſa un grand
tumulte. On demanda à ce Commandant
quelle raifon il avoitpour en agir de
la forte; & fur ce qu'il répondit qu'il
avoit voulu viſiter l'Arſenal pour s'en ſervir
en cas de beſoin , les Habitans répondirent
, qu'ils périroient plûtôt que de
laiſſer enlever leur Artillerie & leurs Munitions.
Incontinent les Magiſtrats firent
tendre les chaînes , dans les ruës qui
aboutiſſent à l'Arsenal , & y firent pointer
du Canon chargé à cartouche , &
pluſieurs Compagnies de Bourgeois y font
tous lesjours degarde.
De Lisbonne le 14. Décembre.
On a reçûdes Lettres d'Elvas du 6. qui
portent , que les Troupes Eſpagnoles qui
font en quartier aux environs de Badajoz
ontfait une courſe fort avantdans le Païs ,
d'où elles ont amené cinq cens Bêtes à
corne, & beaucoup d'Otages pour les
contributions .
De Cadiz lé 27. Decembre .
La Flote de Buenotaires a mis aujourd'hui
à la Voile avec quatre Navires François
, qui vont à la Mer du Sud.
Il eſt arrivé une Corvette de la Marti
H3
ni162
MERC. GALANT .
nique , qui a rapporté que M. du Gué-
Troüin en revenoit avec M. du Caffe , &
qu'il étoit richement chargé.
De Toulon le 24. Decembre.
Trois Vaiſſeaux de Guerre , fortis de ce
Port , pour aller donner la chaffe à quelquesArmateurs
Ennemis , qui croifoient
fur les Côtes de Provence , ont trouvé
quatre Vaiffcaux Hollandois , qui por
roient des proviſions à Port - Mahon ,
qu'ils avoient chargées en Calabre. Dès
qu'ils apperçûrent les nôtres ils prirent
chaffe pour les éviter , mais ils furent bientôt
joints : deux ſe rendirent fans faire
grande réſiſtance ; mais les deux autres ſe
deffendirent pendant quatre heures , &
ne ſe rendirent qu'après avoir perdu la
plus grande partiede leur équipage .
De Namurle 6. Janvier.
Un Parti de notre Garniſon s'étant
joint avant hier à un Détachement de
cellede Charleroi , attaquerent auprès de
Louvain cent quarante hommes des ennemis
, qui en étoient fortis pour aller à
Bruges , & les pourſuivirent juſqu'aux
Portes de cette Place : quatorze furent
tuez , & quarante-deux faits priſonniers,
qui ont été amenez ici. Un
FEVRIER 1712 . 163
Un autre Détachement a jété mettre le
feu à des Bateaux chargezde Fourages ,
qui remontoient la Meuſe pour aller à
Liége ; mais en ſe retirant il a été attaqué
par un Parti de la Garniſon d'Huibeaucoup
fupérieur , qui tua fix hommes , &
enfit ſeizepriſonniers . Le reſte ſe ſauva
àla faveurde la nuit qui ſurvint.
De Dunkerque le 5. Janvier.
Un Armateur de Calais , a amené un
Vaiſſeau Hambourgeois , chargé de diverſes
Marchandises , pour plus de cent
cinquante mille Ecus.
Un autre Armateur a auſſi amené une
groſſe Flute Hollandoiſe , du port dequa.
tre cent Tonneaux , chargée de Saumon ,
de Cuivre , &d'Etain .
De Lauterbourg le 26. Décembre.
UnCapitaine de Huſſars de notre Garnifon
, abrûlé avec trente hommes ſeulement
, les Magafins de Fourages que les
Ennemis avoient entre Philisbourg &Spire
, & il eſt revenu ſans avoir été joint par
les Détachemens , qui avoient été envoyez
à ſa pourſuite.
H4
De
164 MERC. GALANT.
De Thionville le 24. Décembre.
LaGarniſon du Fort de S. Martin près
de Treves , ayant attaqué un Détachementde
celle de Traerbach , l'a défaiten.
tiérement : mais elle a perdu 30. home
&ena eu 19. debleffez . mes ,
De Condé le 28. Décembre.
Notre Commandant ayant envoyé
foixante Dragons & quarante Grenadiers ,
pour mettre le feu à pluſieurs Bâteaux
chargez de Fourage & de Munitions , que
les Ennemis avoient ſur l'Eſcaut , entre
Mortagne & S. Amant , poufferent d'abord
deux cens hommes qui les gardoient;
mais ils furent obligez enfuite de ſe retirer
avec précipitation , pour éviter d'être
coupez par pluſieurs Détachemens Ennemis
qui les cherchoient .
DeMeſſine le 26. Décembre.
On embarqua avant hier ici deux Bataillons
& des Munitions de guerre &de
Bouche , pour Portolongone. On a reçû
des remiſes de Madrid pour les Recruës ,
& pour la Remonte de notre Cavalerie .
Les Liparotes ont attaquéle Convoi de
Na
FEVRIER 1712. 165
Naples qui venoit de Calabre , chargé de
Grains ; ils en ont coulé quatre Bâtimens
à fond , & en ont pris fix autres , qu'ils
ont menez à Lipari.
Un Vaificau François de 64. Canons ,
eft arrivé ici ce matin avec un gros Navi .
re Anglois , qu'il avoit pris dans leCanal
de Malthe. Ce Vaiſſeau est chargé de
Soye , deCotton , & de Caffé .
Lanuit du 24. & celle du 25. on reſſentit
ici plufieurs fecouſſes affez violentes de
Tremblemens de Terre , mais qui n'ont
cependant cauſe aucun dommage.
LETTRE
De M. le Chevalier de P***, fur un
petit vol fait chez Payen , Traiteur
, ruë des Bourdonnois , le
2.1 . Décembre 1711 ...
MONSIEUR,
Je vous avois promis des Mémoiresfur
certaine avanturegalante , dont je jus témoin
au Balqui s'est donné ilya bust jours,
al'HôteldesAmbassadeurs , Rue de Tour.
non : mais comme vous ne nommez jamais
les masques dans votre Mercure ,
les noms, les caractères , &l'âge des deuss
Η
que
per166
MERC. GALANT.
personnes que voussçavezfont tout leplaifant
de cette Avanture, je nevous enpar-
Leraipas davantage: contentez vous du reşit
d'unpetit vol quifutfait enma prefencecemêmefoir.
Deuxdemes Amis &moi en ayant raf-
Jemblé quatre autres pour allerSouper chez
Payen , un Filou , qui étoit apparemment
déguisé près denous dans ce même Bal , &
qui entendit de quoi il s'agiſſoit , prit les
devans, avec un habit de Laquais , tenant
àsa main une épée&une cannefort
belle , qu'ilavoitpeut- être voléeàcemême
Bal, entra chez le Traiteur , & contrefaisant
l'Ivrogne , lui annonça ſept convi.
ves, du nombre desquels, difoitit, étoit
fonMaître, &fit allumer dufeu dansune
chambre qu'il choisit : peu de temsaprès il
appella un des Garçons , qu'il pria de le
mettre dans quelque petit endroit caché ,
depeur que son maitre ne levityore , &
nel'affommât de coups . Le Garçon chari.
table lefit entrer dans un petit Cabinetfur
ledégréproche la chambre , & c'est ouil
defiroit êtrepourpouvoirprendreſon tems ,
comme vous allez voir .
Nous arrivâmes effectivement au nombre
de ſept avec pluſieurs Laquais ; on mit la
nape avecſept couverts&un buffet garni ,
comme on sçait qu'ils lefont chez Payen,
de Vaisselle d'Argent très propre & notre
couvert mis , &le souper commandé, les
Garçonsnouslaifferent , c'est le moment
qu'at
FEVRIER 1712 . 167
qu'attendoit notre Filou au quet dansfa
cachette : Il s'étoit déguisé lui - même en
Garçon de cabaret , un tablier blanc en
écharpe , lavefte graffe , lebonnet de caprice;
il entre en feignant depeſter contre
fes camarades qui nous avoientdonné une
table trop petite , &nom pria depermettrequ'il
nous en donnât une plus grande ,
parceque celle cileur étoit néceſſairepour un
autre écot : auſſi-tôt , avec une adreſſe merveilleuse
que nous admirâmes , il fit tenir
danssa maingauche ſept coûteaux , Sept
cuillieres , Sept fourchettes , & deux falieres
, ſansles renverſer , depeur , diſoitil
, de nousporter malheur : il nousfaisoit
remarquer la capacitédefamaingaacheS
l'agilité de fa droite , lors qu'il entendit
quelqu'un de nous qui diſoit bas à un autre :
Voilàun nouveau Garçon que jene connois
Pas , &cependantjeſoupe tous les jours ici
depuis quejesuis marié. Notre Filou auffi
totfaisant lefolâtre , capriola de la Table
àlaporte , qu'il tira fur lui , &fut dans
laRuêen troisenjambées: oncria auffi-tôt
au Voleur , & l'on fut dans la Ruê prefqu'auſſi-
tôt quelui; cependant il difparut
Son le chercha inutilement ; l'onn'aprit
qu'uneheure après qu'il s'étoitréfugie dans
uneBoutique , enpriantqu'on ne le décelat
point à ces jeunes Officiers , qui vouloient
l'enrôlerdeforce.
LeMaître de laBoutique a dit , que le
Filou étoit entré chez lui ne tenant rienàfo
H6 main
168 MERC. GALANT.
main, &avec un habit tout different de
celui d'unGarçon de Cabaret . C'est ce qui
m'aparudeplusſurprenant dansl'Avaniare,
car de laviteſſe dont ilfut poursuivi ,
il faut qu'en courant ilait changédedécoration
plus promptement , qu'Arlequin
Hôte&Hôtellerien'en changeſur le Theatre.
ODE
DE MONSIEUR
DE LA MOTTE .
Ans le tems qu'au Dieu du Permefle
Diadrefois mon premier tribut ,
Heureux fruitde ma douce Ivreffe ,
CeDieu lui-même m'apparut.
DeuxDéeſſes ſuivoient ſes traces ,
L'unc à l'oeil fier , au front hautain ;
L'autre avec un Ris plein de graces
S'avançoit l'encens à la main.
C'eſt la Loüange& la Critique ,
Me dit Phoebus , choiſis des deux ,
Qui
FEVRIER 1712. 169
Quidans la lice Poëtique
Guidera tes pas hazardeux.
Phoebus me quite , & la loüange
Confuſe de mon peu d'égard ,
Diſparoît &déja ſe vange
Avec un dédaigneux regard .
L'autre près de moi prend ſa place ,.
Etl'arbitre de mes écrits ,
Elle ôte , elie ajoûte , elle efface ,
Achaque choſemet ſonprix.
Elle veut laRaiſon pour baze
Demes plusbadines Chanſons ,
Chicanelesmots & la phraſe ,
Vamême à critiquer les ſons.
Elleorne ſibien mapenſée ,..
Et met tant d'Art dans mes accords ,
Qu'enfin la loüangeeſt forcée
Deme rapporter ſes Tréſors .
Jegoûte aujourd'hui le mélange
De leurs differentes faveurs ,
Et la Critique , & la Loüange
Vivent avec moi comme Soeurs .
H7 Ma
170 MERC. GALANT.
Madrigal nouveau à une Femme
jalouse.
S
Urmontez les tranſports de cette ja .
loufie ,
Les chagrins & l'emportement
Ne ramenent point un Amant ;
L'implacable Junon , la terrible Medée ,
En proye aux mouvemens jaloux ,
Dont vous êtes fi poffedée ,
Ont fait trembler , fremir leurs Amans ,
leurs Epoux ,
ble;
Lifez de leurs fureurs l'Hiftoire déplora-
Lifez. la pour en profiter :
L'une s'est fait hair , & l'autre redouter ,
Mais pour ſe faire aimer il faut ſe rendre
aimable.
MAFEVRIER
1712 171
MADRIGAL
Par lajeune Muse , ainſiſurnommée
par tous ceux qui ont dugoûtpour
la Poësie, parce qu'elle a , outre
les autres qualitez qui la distinguent,
la naturel leplus heureux
pourlaPoësie.
Q
Uand le Sage Damon dit que d'un
traitmortel
L'Amour bleſſe les coeurs ſans qu'ils oſent
ſeplaindre ,
Quec'eſt un Dieu Traitre & cruel ;
L'Amourpour moi n'eſt pointà craindre :
Mais quand le jeune Atis me vientdire à
fontour,
Ce Dieu n'est qu'un Enfant , doux , careffant
, aimable ,
Plusbeau mille fois que le jour ,
Queje le trouve redoutable!
Lafameuse difpute qui s'excita en 1699 .
entreMeffleurs Mery Duverney , fur la
circulation du ſangpar le coeurdu Fatus humain,
ayant donné occafion d'examiner
celle de quantité de differens Animaux ,
tant terrestres qu'aquatiques , &hi
bies,
172 MERC. GALANT.
bies , & même leur manière de reſpirer :
tout ce qui s'eftdità ce sujet , aussi-bien
que toutes les experiences qui ont étéfaites
parpluſieursSavans Anatomiſtes de France
d'Angleterre , se trouvant difpersé en
differens Volumes , qui ont paru depuis ,
pendant plusieurs années ; M. Parent a cru
faireplaifir auPublic de lui donner le tout
raſſemble en abregé, & comme dans un
point de vue , afin qu'il puiſſeplus aisément
embraffer cette partie d'Anatomie qui
fanscontredit est une des plus intéreſfantes
qu'on puiffe traiter.
Abregéde lafameuse queſtion fur la
circulation du fang par le coeur du
fætus , où l'on rapporte les expériences
& les raisonnemens de
Messieurs Mery , Tauvry , Duvernay
, & Delitre , &par occafion
le Systéme de Mr. Duvernayfur
lareſpiration des Poiffons.
Ο
N diftingue naturellement les animaux
en trois claſſes , ſçavoir les
terreſtres , les aquatiques , & les amphibies.
Le mouvement du fang dans le
coeur des aquatiques eſt le plus aiſé à expliquer
, & ne ſouffre aucune difficulté ;
parce
1
FEVRIER 1712. 173
parce que leur coeur n'ayant qu'une
oreillette & qu'un ventricule ou cavité ,
on ne peut douter que le ſang ne ſe ren
de de toutes les parties de leurs corps
dans cette oreillette , qui par ſa contraction
le verſe enſuite dans le coeur , tandis
qu'il ſe dilate ; après quoi le coeur
en ſe reſſerrant le pouſſe dans l'Aorte ,
& delà dans toutes les parties de l'animal.
Mais à l'égard des animaux terreſtres
, dont le coeur a deux ventricules
ou cavitez , & chaque cavité une oreillette
, tout le monde aujourd'hui convient,
que dès qu'ils reſpirent, le ſang de
tout leur corps , ( excepté celui des poumons
) eſt apporté par les veines caves
afcendantes & deſcendantes dans l'oreil
lette droite de leur coeur , en même tems
que celuide leurs poumons eſt verſé dans
la gauche par la veine du poumon , &
qu'enfuite ces deux oreillettes ſe reſſerrant
toutes deux en même tems , expriment
tout le ſang dont elles ſont chargées
chacune dans ſon ventricule , tandis
que le coeur ſe dilate , après quoi le coeur
venant à ſe reſſerrer , pouffe le ſang de
fon ventricule droit dans les poumons par
l'artere pulmonaire & celui de fon ventricule
gauche dans les Aortes aſcendantes
& defcendantes , d'où il eſt enſuite
diftribué à toutes les parties du corps.
Quant aux amphibies tels que les tortues
, les ferpens , &c. Les Auteurs
ci174
MERC. GALANT.
!
ci-deſſus conviennent que leur coeur a trois
cavitez , ſçavoir premiérement une droite
, & une gauche , comme les animaux
terreſtres ; & outre cela une troifiéme
cavité , comme ſeule , ainſi que dans
les animaux aquatiques , laquelle eſt ſituée
entre les deux premiéres ; en telle
forte cependant qu'elle communique avec
la droite , comme celle-ci communique
avec la gauche , & qu'elle n'a point d'oreillette
, comme ces deux derniéres .
Ils conviennent de plus que le ſang
des différentes parties du corps de ces
animaux ( excepté le poumon ) vient ſe
raſſembler dans l'oreillette droite de leur
coeur , &que celui des poumons , ou fi
l'on veutdu poumon , ( parce que les ferpens
n'en ont qu'un) eſt rapporté dans
l'oreillette gauche , d'où il eſt verſe dans
fon ventricule pendant que le coeur ſe dilate;
le tout comme dans les animaux
terreſtres : mais pendant le refferrement
ducoeur , l'action eſt différente de ce qui
ſe paſſe dans les animaux terreſtres ; parce
que dans les amphibies l'Aorte part
du ventricule droit , & non pas du gauche
, & l'artere du poumon vient du troifiéme
ventricule , comine dans les aquatiques
. Il fort encore du ventricule droit
une ſeconde ou nouvelle Aorte qui va ſe
réünir avec l'artere deſcendante au defſous
du coeur , à peu près comme le canal
Botal dans les foetus terrestres , &
pour
FEVRIER 1712. 175
pour un uſage tout ſemblable; & les quatre
Auteurs citez conviennent encore de
toutes ces parties . A l'égard de leur
uſage je conſidére que pendant le reſſerrement
du coeur , le fang eft obligé de
paffer du ventricule gauche dans le droit ,
n'ayant point d'autre iffuë ; & comme
ce paffage ſe fait par le haut du ventricule
droit , & que ce ſang impregné de
l'air des poumons , eſt peu propre à ſe
mêler avec celui qu'il trouve dans le ventricule
droit , lequel en eſt beaucoup plus
deſtitué; le ſang qui vient du ventricule
gauche dans le droit , en chaffe celui qu'il
y rencontre & l'oblige de fuïr dans le
troifiéme ventricule dont la communication
avec le droit eſt plus bas , pour
de là paſſer dans l'artere pulmonaire , &
aller aux poumons , tandis que lui-même
prend le chemin des Aortes aſcendantes
& deſcendantes , qui font au def.
fus du ventricule droit ; & ce chemindu
fang par le coeur des amphibies ne fouffre
pas encore de difficulté , parce que
les communications & les valvules le démontrent
; mais ces mêmes Auteurs ne
s'accordent pas dans le reſte , c'est -à -dire
, dans l'application que Mr. Mery en
fait à ſon Syſtême .
Car depuis la découverte de la circulation
du ſang dans les adultes terreftres
, du trou ovale , & du canal Botal ,
tous les Anatomiſtes convenoient que le
foe176
MERC. GALANT.
foetus ne reſpirant point , ſes poumons
devoient être très affaiſſez , & qu'il n'y
pourroit paffer par conséquent que très
peu de ſang : c'eſt ce qui les obligeoit à
en faire paffer au moins de l'oreillette
droite dans la gauche par le trou ovale ,
pour foulager les poumons , & plus d'un
tiers par le canal Botal dans l'Aorte defcendante
pour lamême fin. Le premier
ſe joignoit dans l'oreillette gauche avec
le peu qu'elle en recevoit des poumons
pour entrer conjointement dans le ven
tricule gauche , &de là être pouffe pêle
mêle dans les Aortes; mais particulièrement
dans l'aſcendante qui en auroit reçû
trop peu fans ce ſecours; & le fecond ſe
mêloit avec celui de l'Aorte deſcendante
pour arrofer les parties inferieures du
corps.
Mais Mr. Mery ayant trouvé dans pluſieurs
foetus qu'il a diſſequez l'Artere pulmonaire
, même au delà du canal de comfa
munication, plus groffe que l'Aorte à
naiſſance , a crû qu'il devoit paffer beaucoup
plus de ſang par la premiére que par
la derniére , & qu'ainſi tout le ſang , qui
felon cet Auteur , paffe par les poumons
du fætus , ne pouvant monter par l'Aorte
, il falloit qu'une partie de ce ſang arrivé
dans l'oreillette gauche , repafflât
dans la droite , pour foulager cette Aorte.
Il a crû de plus que ladiſpoſition de
la membrane qui eſt au trou ovale, fa-
٧٥٠٠
FEVRIER 1712. 177
võriſoit le paſſage du ſang en ce ſens.
Mais ce qui ſemble l'avoir le plus déterminé
à fonder ce nouveau Syſtême , ç'a
été le paſſage du ſang du ventricule gauche
de la Tortue dans le droit dont
on vient de parler ; parce qu'il a crû
qu'on pouvoit comparer la communication
de ces deux ventricules avec le
trou ovale , & la ſeconde ou nouvelle
Aorte des Amphibies avec le canal Botal.
Monfieur Mery auroit pû ajoûter
àtoutesces raiſons, que peut- être le fon.
dementfur lequel l'ancien Syſtême eſt établi
, n'est pas inébranlable ; ſçavoir que
les poumons des foetus terreſtres ſonttel.
lement affaiffez , que le ſang n'y ſçauroit
paffer ; car il n'eſt pas néceſſaire de veſicules
pleines d'air , dans les autres glandes
pour y faire paffer le fang , & l'effort
du coeurdelamere ſuffit. Pourquoi donc
l'effort des coeurs de la mere &du fætus
enſemble ne ſuffiſent-ils pas auſſi pour
pouffer le fang au travers des poumons
qui ne ſont compoſez que deglandes ; il
ſemble au contraire que s'il y avoit beaucoup
d'air comprimé entre les glandesdu
Pancreas , du Mezentere , &c . il feroit
plus propre à arrêter la circulation du
fang qu'elles contiennent , qu'à la faciliterpar
la compreſſion qu'il feroit ſur leurs
vaiſſeaux fanguins .
Mais revenons à nos Auteurs. Mrs.
Tauvry & Duvernay ſe ſont oppoſez à
CC
178 MERC . GALANT.
ce nouveau Syſtême , & pour cet effet le
premier a fait voir des coeurs de foetus dans
leſquels l'Aorte à la fortie du coeur étoit
plus groffe que l'artere pulmonaire au delà
du canal Botal. Cependant cette expé.
rience ne détruit pas abſolument le premier
fondement de M. Mery , parce qu'il
y a pluſieurs fætus dont l'Aorte eſt plus
menuë que l'artere pulmonaire dans les
premiers mois de leur accroiffement , &
plus groffe dans lesderniers mois . Mais
M. Tauvry l'attaque d'une autre maniere ,
en attribuant lagroffeur exceſſive de l'artere
du poumon , par rapport à l'Aorte ,
à ladifficulté que le ſang trouve à circuler
par les poumons , particulièrement quand
le foetus eſt peu avancé en âge , ce qui
ſemble affoiblir le nouveau Syſtême ,
(ſuppoſé que fon fondement ſoit bon :)
M. Chemineau a examiné unfætus qui a
eu vie , dont le coeur s'eſt trouvé ſemblable
à ceux des amphibies , ( excepté que
fon Aorte ancienne naiſſoit de fon troifiéme
ventricule , & non pas du droit , &
que la ſeconde ou nouvelle Aorte ne s'y
trouvoit point du tout. ) Dans ce coeur
l'artere pulmonaire , qui à ſa naiſſance
étoit plus menuë que l'Aorte , la furpaffoit
de beaucoup proche les poumons, ce
qui ſemble favorifer les partiſans de l'ancienne
opinion, ſuppoſe toûjours qu'ils
foient bien fondez .
A l'égard de M. Duvernay , il neconvient
FEVRIER 1712. 179
vient pas de lacomparaiſon que M. Mery
fait du trou ovale , avec la communication
du ventricule gauche , & du droit
dans les Tortues , à cauſe des différentes
fituations de ces ouvertures , dont l'une
eft entre les oreillettes dans les animaux
terrestres , & l'autre entre les ventricules
dans les amphibies. Il objecte de plusà
M.Mery, qu'en voulant décharger l'Aorte
par le trou ovale , & les poumons par
le canal Botal , il furcharge d'un autre
côté les poumons , du ſangqui revientde
l'oreillettegauche dans la droite. A quoi
il ajoûte , que dans le nouveau Syſteme
le fang de lamere eſt trop rallenti&trop
affoibli par ſon paſſage au travers des poumons
du fætus , & qu'il eſt plus à propos
d'en faire paſſer du moins une partie par
l'Aorte afcendante immédiatement comme
il en paſſe une autre partie immédiatement
dans l'Aortedeſcendante , afin que
les parties ſupérieures n'ayent pas en cela
une condition pire que les inférieures.
Quant à la ſeconde ou nouvelle Aorte des
Amphibies M. Duvernay ne convient pas
non plus qu'on puiffe la comparer au canal
Botal: car il prétend qu'elle ne fert
qu'à diſtribuer du ſang à leur eftomac.
Mais on ne sçauroit cependant douter ,
que fi ellen'exiſtoit point , le ſang qu'elle
porte ne dût paffer , du moins enpartic,
par l'artere pulmonaire ; ainſi on ne peut
diſconvenir qu'elle ne foulage les pou
moins
180 MERC. GALANT.
mons dans les Animaux où elle ſe trouve;
&onne sçauroit penſer non plus , qu'elle
ſoit deſtinée uniquement pour leur eſtomac
, puiſque la Nature pouvoit s'en paffer
en tirant de l'Aorte deſcendante des
rameaux pour l'uſage de ce viſcere. On
peut donc croire , que quand l'Amphibie
ne reſpire pas comme quand il eſt dans
l'eau , l'air qu'il tient comprimé au dedans
de ſes poumons y retarde la circulation
de ſon ſang , ce qui l'oblige de s'échaper
alors enpartie par l'ancienne& la
nouvelle Aorte plus abondamment que
quand l'Animal reſpire , comme il arrive
dans le foetus qui ne reſpire point encore ,
parce que la reſpiration met les parties
des poumonsau large , & facilite le cours
dufang , au lieu que l'expiration les comprime&
les retarde , ainſi l'expiration ou
lacompreſſion de l'air dans les veſicules
des poumons fait précisément le même
effet que leur propre poids dans les foetus ,
d'où il fuit qu'être Amphibie , c'eſt en
quelque façon encore être tantôt adulte ,
ſçavoir quand ils font à l'air , & tantôt
fætus , ſçavoir quand ils font dans l'eau .
On peut penſer la même choſe d'une
autre eſpéced' Amphibies qui n'ont qu'un
ventricule , qu'une oreillette , & qu'une
Aorte , comme les Poiffons , tels font la
Salamandre la Grenoüille , &c. fçavoir
que quand ils reſpirent l'air , leur coeur
par cette Aorte envoye une quantité confidérable
FEVRIER 1712 . 181
fidérable de ſon ſang dans leur poumon
pour s'y vivifier ; mais que quand l'Animal
eſt dans l'eau & y comprime de l'air
enfermé dans ſes poumons , il y paſſe
alors moins de fang , & tout prend le
chemin des Aortes aſcendantes &deſcendantes.
Al'égard des Poiſſons , il ſemble qu'ils
devroient avoir auſſi cette nouvelle Aorte
préférablement aux autres eſpéces d'Animaux
, parce qu'ils ne paroiſſent pas refpirer;
mais on va voir au contraire qu'ils
reſpirent continuellement ; ainſi ils n'en
ontnullementbeſoin.
Pour revenir à la queſtion du trou ovale,
M. Delitre a fait voir à l'Académie le
coeur d'un homme de quarante ans , dans
lequel le trou étoit encore tout ouvert.
La continuation de la veine pulmonaire
qui le compoſe conjointement avec l'oreillette
droite , y offroit à la vûë une ef
péce d'entonnoir , dont l'embouchure regardoit
l'oreillette gauche , comme ilparoît
dans les foetus humains. De plus ,
l'artere du poumon y étoit de beaucoup
plus groſſe que l'Aorte , quoi qu'elle ne
ſouffrit pas cependant de réſiſtance du côté
des poumons de cet homme qui avoit l'uſage
de la reſpiration libre . Ainſi la réfutation
prétenduë de M. Tauvry dont on
a parlé , & celle qu'on prétendoit tirer
du fætus de M. Chemineau ne peuvent
plus fubfifter. D'ailleurs le canal Botal
Tome V. I étant
182 MERC. GALANT.
étant deſſeiché dans cet homme comme
dans tous les adultes , tout le ſang de l'artere
du poumon étoit obligé de revenir
par ſa veine pulmonaire , qui lui étoit
égale en groffeur ; ainſi pour contenir
tout ce ſang , il auroit falla une oreillette
& un ventricule gauche , & une Aorte
auffi ſpacieux que du côté droit , au lieu
qu'ils étoientdebeaucoup plus petits . II
faut donc dire qu'une partie du fangrap.
portépar laveinedu poumon , ſe déchar
geoit par le trouovalairedans l'oreillette
droite, & qu'il n'yenavoit qu'unepartie
qui entrat dans l'oreillette gauche , &de
làdans fon ventricule , pour être pouffée
par l'Aorte précisément ,comme dans le
nouveau Syſtême de M. Mery touchant
les fetus. Au lieu que felon l'ancien
Syſtême, il faudroit dire que les parties
gauches du coeur de cet homme , rece
voient autant de ſang, que les parties
droites qui font plus amples, ce quiparoît
renfermer une eſpéce de répugnance.
Il ne reſte plus que d'examiner ce qui
ſepaffedans lesVeaux&Agneaux fetus ,
où M. Tauvrya trouvé les parties gauches
ducoeurplus grandes que les droites. Car
il fuit de là , felon M. Mery même , que
le mouvement du ſang ſe fait dans le coeur
de ces Animauxd'une maniere oppofée à
celle du fætus humain , c'eſt à dire , felon
leSyſtêmed'Hervée. C'eſt auffi cedont
M. Mery convient , pourvu qu'on lui
accorde
1
FEVRIER 1711. 183
accorde que dans les foetus humains la
circulation ſefaitfelon ſon nouveau Syſtême
, lequel ne ſuppoſe aatre principedans
l'Auteurdeda Nature, finon celui- cidont
tous les Philoſophes conviennent. Difpofait
omniafuaviter.
Quant àla reſpirationdes Poiffonsdont
on vientdeparler , il faut confidérer premiérement
que le ſang qui va de leur
coeur à leurs oüyes par l'artere des oüyes ,
eſt noirâtre , en comparaiſon de ce qu'il
eſt an fortirdes mêmes oüyes , où il eſt
vermeil, comnie au fortir des poumons
dans les Animaux qui reſpirent ; d'où il
fuitdéja que les oüyes des Poiffons leur
tiennentlieudepoumons. Secondement
les Poiffons vivent très peu detemsdans
l'eau donton a tiré Pair . Troiſiemement
lors qu'on lesenferme dans une bouteille
pleined'eau, ils n'y demeurent pas longrems
fans y êtreétouffez ; à moins qu'on
ne la débouche pour y laiffer entrerde l'air
nouveau dans l'cau ; car on ſçait que l'eau
deftituéed'air s'en rempliten peu de tems
quand on l'y expoſe à découvert. C'eſt
pour cela que pendant les longuesgelées
on est obligé de caffer laglacedes Rivières,
Etangs & autres Réſervoirs de Poiffon ,
afin qu'ils puiflent reſpirer l'air qui entre
dans l'eau par cesouvertures. C'eſt par
la même raiſon que quand onremplit un
Réfervoir de Poiſſon , peu detems après
tous le Poiffon rient ſa tête à la furfacede
l'eau.
P
12
184 MERC. GALANT.
l'eau pour venir reſpirer. Quatriéme
ment l'action des paneaux des oüyesdes
Poiffons eft perpétuelle , ſçavoir de s'élever
& de s'abaiſſer ſucceſſivement comme
lapoitrine. Cinquiémement on ne ſçauroit
douter que par cette action, ils ne pren
nent continuellement de l'eau par leurbec
qu'ils chaffent enſuite au travers de leurs
oüyes. Or fi cette action ne ſervoit pas à
filtrerde l'airdans leur fang , comme celle
des poumons des autres Animaux, il paroît
que la Nature auroit fait de la Machine
la plus compoſée la choſe la plus
inutile; car premièrement l'eau que les
Poillons avallent avec leurs alimens , eſt
plus que ſuſfiſante pour leur nourriture ;
& ils n'ont pas beſoin d'oüyes pour cet
effer. De plus onne voitpoint ce qu'ils
peuvent tirer de l'eau , finon de l'air qui
leur est néceſſaire comme auxautres Ani
maux pour former des eſprits & des ferments
. Enfin on ne voit point non plus
en eux aucun autre inſtrument pour attirer
de l'air que leurs oüyes , ni que la féparation
de l'air dans l'eau au moyende
ces ouyes , foit plus difficile que celledes
parties de la bile dans lefoye , de l'urine
dans les reins , du laitdansles mamelles ,
& de toutes les autres liqueurs contenues
dans le fang des Animaux , dans le fang
même , puis qu'il ne faut que ſuppoſer
dans les oüyesdes Poiffons des glandes ou
des tuyauxdéja pleins d'air &tout ouverts
qui
FEVRIER 1712. 185
qui s'embouchent dans les arteres des
oüyes ; car l'eau venant à couler ſur les
orifices de ces tuyaux , ne pourraſe joindre
à l'air qu'ils contiennent à cauſede la
diverſité de leurs parties ; mais l'air con
tenudans lespores de l'eau , ne manquera
pas de s'incorporer avec cet air , & de le
chaffer en avant, à cauſe qu'il eſt prefſé
lui, même par les paneaux des oüyes.
Quant à la compoſition des oüyes il ſuffit
pour en juger , de ſe repréſenter ce que
M. Duvernay nous en apprend , ſçavoir
qu'il y a ſoixante-neuf muſcles qui ſervent
à leur action ; que chaque feüillet d'oüye
eſt composé de 270. lames , ce qui fait
2160. lames pour les deux oüyes , à quatre
feüillets pour chaque oüye . Que fur
lafacedechacune de ces lames ilya 2160.
petits filets de vaiſſeaux ſanguins ou d'anaſtomes,
ce qui fait prèsde 10000000 .
d'anaſtomeſes en tout .
1 Mais pour avoir une idée plus nettede
toute cette méchanique admirable des
oüyes , il faut ſçavoir que l'artere qui tient
lieu de pulmonaire dans les Poiffons à la
fortie de leur coeur , ſe partage en huit
branches ; ſçavoir quatre à droite , &
quatre à gauche ; les quatre rameaux
vont de chaque côté ſe rendre à quatre
arcs ofſeux qui ſoûtiennent les feüillets des
ouyes , ſçavoir chaque rameau dans le
demi canal ou goutiere qui régne le long
de la convexité de cet arc, Če rameau
dans 13
186 MERC. GALANT.
dans tout fon cours le longdecette gousiere
, envoye deux branches d'artere à
chaque lame des oüyes dont un feüiller
eſt compoſé , parce que chaque lameeft
elle-même compofée de deux parties ou
Jamelles faites enformede faux adoſſées ,
pofées de travers ſur lechanpar leurbaſe
fur la goutiere , & liée par quantité de
filets de nerfs. Le dos & labaſede ces
faux est pareillement offeux pour leur
donner de la confiftance , & pour foûtenir
le rameau d'artere & de nerfs , qui
monte le longdu dos de chaque faux juf
qu'à la pointe où il ſe termine. Decette
pointe part une veine qui deſcendant le
long du tranchant de la faux paffe par
deflous ſa baſe , & là ſe réüniffant avecla
veine pareille de la faux oppoſée, elles
entrent conjointement dans un tuyauveneux,
qui régne le longde la même goutiere
à côté de l'arteriel. Ontrouve encore,
lelongde cettemême goutiere, un rameau
de nerfqui ſertàformer les membranes&
ligamens, dontles lames des oüyes font
unies entr'elles. Ilyade plus un nombre
preſqu'innombrable de petits vaiſſeaux
fanguins , qui s'étendent directement du
dosde chaque faux à ſon tranchant fur
chacune deſes faux , & ce font les communications
ou anastomeſes, ſi cherchées
par les Anatomiſtes, des arteres avec les
veines. Enfin ces anaſtomeſes font diftinguées
les unesdes autres , & foûtenuëspar
autant
FEVRIER 1712. 187
par autant de filets offeux faits enforme
depoils , &par desrameaux de nerfs , qui
partent dudosde chaquefaux.
Les tuyauxveneux qui régnent le long
desgoutieres étant arrivez àleur extrémi
tédu côtédedeffus ou du cerveaudu Poif
fon, prennentla conſiſtance d'arteres , &
ſuppléent àcequele coeur manque defaire
dans les Poiffons; car ils ſe réuniffent en
un tronc qui forme l'Aorte afcendante &
defcendante , &par là fourniſſent du fang
vivifié d'air à la tête & aux parties infe.
rieures. Mais à l'autre extrémité des
goûtiéres , ils ſe réüniſſent en un feul
tronc veneux , qui vaſe rendre à l'oreil.
lettedu coeur avec les autres veines qui
rapportentleſangdu reſtedu corps de l'Animal.
Voilàbien des merveilles juſques
là inconnues aux Anatomiſtes. Il faut
eſperer que le tems nous en découvrira
biend'autres .
AVANTURE DU BAL.
Elle est de fraiche date ; l'une des per-
Sonnes intéreſſées dans l'Avanture
me lavient de conter ; elle estdela
Semainepassée.
U
Njeune Officier fort amoureux d'une
Femme fort vertueuse , en fut
14
ré188
MERC. GALANT.
...
rébuté pluſieurs fois , & de très bonne
foi , car elle fut prête d'en avertir fon
Mari. Elle en menaça l'Officier, qui lui
repreſenta qu'elle avoit grand tort d'être
fi fidéle à un Mariqui avoit une maîtref.
le. Une maîtreſſe ! s'écria la Dame , qui
étoit encore plus jalouſe que vertueule ;
Ah! fi vous pouvez me prouver cela .
Achevez , Madame , achevez , lui dit
l'Officier ; vous avez voulu dire que fi je
pouvois vous prouver l'infidélité de votre
Mari, vous vous en vengeriez . J'avoue',
reprit vivement la Dame , que j'ai voulu
direceladansmon premier mouvement ,
mais la Raiſon me revient bien vite com.
me vous voyez , car je n'ai pas achevé ;
il en ſeroitde même ſi je voyois réellement
l'infidélité de mon Mari , mon premier
mouvement feroit de me vanger), mais
la Raiſon me reviendroit ſi vîte que vous
n'auriez pas le loiſir de profiterde ce moment-
là . Je me le tiens pour dit , reprit
le Cavalier ; la queſtion n'eſt donc plus
que de vous prendre dans un momentde
colere , qui dure affez pour vous déterminer
à la vengeance. La queſtion ſeroit
encore , repliqua-t'elle , en le quittant
bruſquement , fi cette vangeance ne ſe
tourneroit point contre vous plûtôt que
contre mon Mari .
Le Cavalier étoit de ceux qui expli .
quent tout à leur avantage , parce qu'ils
jugent deſavantageuſement de toutes les
FemFEVRIER
1712. 189
Femmes, il conçûtde grandes eſperances
s'il pouvoit trouver l'occaſion favorable ,
il la chercha avec ſoin; enfin ayantgagné
à forced'argent la Femme de Chambre de
la maîtreffe du Mari , il ſçût que le ſoir
même ils devoient ſe trouver à un Bal; &
cette Femme de Chambre lui montra la
Lettre que ſa maîtreſſe écrivoit au Mari
pour ce rendez - vous . Voici ce qu'elle
contenoit.
Trop infortunéMarid'une Femmejalou
ſe, je ne pourrai te conſoler ceſoir dans
mon appartement , car j'y reçois des Dames
qui s'y viennent déguiferpour un Bal ,
quise donne dans le grand Appartement
bus, qui est au- dessous du mien; tu m'y
trouveras déguisée ſimplement en chauve-
Souris, avecdeuxjuppes noires , un Ruban
jaune autour du col , & un rougefur la
tête, viensy avec la même Rote d'Armenien
, que tu avois aux deux derniersBals,
:
c.
Le Cavalier copia cette Lettre enécriture
de Femme , & y ajoûta ſeulement
ceci: C'est la seconde fois aujourd'huique
je t'écris la même chose , je t'envoyecette
Secondeinstruction en cas que tun'ayes pas
reçû lapremiére.
La Femme de Chambre recacheta l'original
de cette Lettre , & l'envoya naturellement
au Mari dès le matin, comme
Is
elle
190 MERC. GALANT
elleen avoit l'ordre ; & le Cavalier en.
voya la fiennepar un Laquais fort adroit ,
qui faifoit leniais à merveille , &quialla
droitau logisde la Dame jalouſe , où feignant
de n'avoir trouvé en bas aucun Laquais
de Monfieur , il monta chez la
FemmedeChambre de Madame , à qui il
demanda niaiſement , fi Monfieur n'étoit
point au logis. Il tenoit négligemment à
ſa main la Lettre que cette Femme de
Chambre- ci confidente de la jaloufiede ſa
Maîtreffe, ſe ſçûtbon gréd'avoir attrapéc
ànotre faux niais , qui lapria bonnement
de la remettre entre les mains de Mon
fieur, fans que Madame en fçût rien. Ellefittout
le contraire comme vous pouvez
penfer, &c'étoit l'intention du Cavalier,
qui ſe doutoit bien que la Femme jalouſe
feroit ſuivre fon Mari , & feroitconvaincuëde
fon in fidélité. C'eſt tout ce qu'il
fouhaitoit , mais le hazard pouffa la choſeplusloin.
:
Le Mari voulant aller au Bal à l'infçu
deſa Femme , feignit leſoir un mal de têre.
Elle comprit d'abord , qu'ayant reçû
la Lettre dont elle avoit le double , il fe
diſpoſoit à fe dérober d'elle pour aller au
rendez-vous; & pour lui donner beau ,
ellefeignit auffi une migraine , & fe retirade
bonne heure dans fon appartement.
Sa Confidente eutſoinde lui t
leBal unhabitde chauve-fouris , pareil à
celui que devoitavoir ſaRivale, avec le
trouverpour
fignal
FEVRIER 1712. 191
fignal desRubans marquez dans la Lettre.
Le Mari ſortit en ſecret ſur les dix heures
du foir , pour aller ſedéguiſer , je ne
ſçai où ; la Femme prit leCarroffe un peu
après , & fe rendit au Bal avec ſa Femme
de Chambre , qu'elle fit auſſi maſquer.
LeBal ne faiſoit quede commencer , elle
fe pofta dans un coin , où elle ne fut remarquée
que de ſon jeune Amant , qui
voyant la Chauve-fouris de ſibonne heure
au rendez-vous , & fçachant qu'ellene
devoit s'y trouver que fort tard, devina
que cette Chauve-fouris-ci pourroit bien
être la Femme jalouſe , qui prenoit les
devanspourdonner le change à fonMari ,
&leconvaincre de perfidie. Ce ſoupçon
futbien-tôt confirmé par la Femme de
Chambre avec qui il étoit d'intelligence.
Souvenez- vous que c'eſt celle de la maîtreffe
du Mari , & qu'étant de lamaifon
où leBal ſe donnoit. Elle y pouvoit être
naturellement , elle y cherchoit le Mari
Amant de fa maîtreffe , qu'elle venoit
prier de ne point s'impatienter , parce
qu'elle ne pouvoit venir que far la fin du
Bal . Comme cette Femme de Chambre
¬re Amant maſque s'entretenoient
enſemble , l'Armenien , c'est-à-dire , le
Mari en Robbe d'Armenien , parut , &
fut auffi-tôt reconnu par ſa Femme , qui
chercha l'occaſion de l'attirerdans quelquecoinpour
le confondre. Notre Amant
quilesobfervoitpour voir le denouëment
16 de
192. MERC. GALANT.
de cette Scene , en imagina une qui pourroit
lui être plus favorable. Il concerta
impromptu avec la Femme de Chambre ,
qui voulutbienſacrifier ſa maîtreffe à cet
Amant paſſionné & liberal : voici comment
elles'yprit.
Elle aborda l'Armenien , & lui dit que
ſa maîtreffe leprioit de changer ſon déguiſement
, parce qu'on l'avoit trop remarqué
audernierBal , & le pria de la ſuivre
juſqu'à une petite Chambre , où elle lui
donneroit un autre habit : voilà donc la
Femme de Chambre qui marche la premiére
, l'Armenien la fuit , la Chauvefouris
fuit l'Armenien , & l'Amant fuit la
Chauve fouris : marche mysterieuſe &
intéreſſante , dont je ne vous tracerai
point ici tous les détours , car je n'ai
point ſçû exactement quel étoit le plande
ces appartemens ; mais enfin à la faveur
de quelque obſcurité chacun allant à ſes
fins , nos quatre perſonnages ſe trouverent
poftez comme vous allez voir. Le
Mari entra d'abord, avec la Femme de
Chambredans un Cabinet , y quitta ſon
habitd'Armenien pour en prendre un autre
avec un mafſque different , & retourna
auBal attendre ſa maîtreffe. L'Amant à
qui la Femme de Chambre donna l'habit
que venoitde quitter le Mari , reſta dans
Ie Cabinet pour y être pris pour lui fi l'occafion
devenoit favorable ; & elle le devint
, car la Femme jalouſe trouvant la
porte
FEVRIER 1712. 193
porte ouverte , & voyant l'AmantArmenien
qu'elle prit pour ſon Mari , crûtavoir
trouvé le moment de le confondre. Elle
entre , ne doutant point qu'il ne fût là ,
pour y attendre la Chauve-fouris ſa Riva-
Ie , l'Amant Armenien feignit de s'y mé
prendre comme auroit fait le Mari , & cela
produifit une ſcene que je priele Lecteur
dene pointdeviner trop tôt , il feroit tort
à l'honneur du Mari , à la vertu de la
Femme , & à celui qui écrit cette Avanture
, car il ſe garderoit biend'en faire le récit
fi ledénouement en étoit vicieux .
Cette Femme par malheur pour l'Amant
n'aimoit pas affez ſon Mari , pour ſe
foucier qu'il la prît ence moment pour fa
maîtreffe : elle ſe démaſqua d'abord pour
l'accabler de reproches & d'injures ; le
faux Mari feignant un repentir fincére ,
voulut réparer ſon infidélité par un raccommodement
des plus tendres , mais il
la trouva infléxible. Ah , Madame , s'écria-
t- il , enſedemaſquant , puiſque vous
ne voulez pas pardonner à un Mari perfide,
vengez-vous endonc dans ce premier
mouvement de colere où la vengeance eſt
fi pardonnable. La vertueuſe Femme lui
répondit avec ſa vivacité ordinaire , qu'un
autre premier mouvement avoit déja ſuccedéà
celui de la vengeance , &qu'elle ſe
ſentoit fi indignée contre lui , que s'il paroiſſoit
jamais en ſa preſence , elle lui mettroit
en tête un Mari qui ſçavoit auſſi bien
17
ſe
194 MERC. GALANT.
-ſevangerd'un ſaborneur qu'être infidéle à
fa Femme.
Après cette menace elle laiſſa notre
jeune préfomptueux convaincu , pour la
première fois de ſa vie, que fes charmes
avoient bien peu de force , puis qu'ilsn'avoientpas
pû vaincre une Femme déja affoiblie
par le deſir naturel de punir un
Mari infidéle.
L
Vers fur l'inconstance.
Par feu M. P...
AConstance& la Foinefontque de
vains noms ,
Dont les laides&les barbons
Tâchent d'embarafſfer lajeuneße credule ,
Pour retenir toûjours dans leurs liens affreux
Parlecharme d'unfauxfcrupule ,
Geux qu'un juſte dégoût a chaffé de chez
eux.
Cupidonſous les Loix de lafimpleNature ,
Reduit tout cequ'ilfaitsoupirer ici bas ;
Ilnepunitjamais rebelle ni parjure ;
C'estun empirequinedure
Qu'autant que ses sujetsy trouvent des
аррм.
Dèsqu'un objet ceſſedeplaire,
;
4
Le
FEVRIER 1712. 195
Le commerce amoureux auffi-tôt doit finir ,
n'eftplus Et l'effet des Sermens n'
mere ,
qu'une chi
La perteduplaisirqui nous les afait faire ,
Nous diſpenſe delestenir.
L'Amour de son deftin eſt toûjours feulle
maître ,
Etsans que nous sçachions ni pourquoi ni
comment ,
Comme dans notre coeur à toute beure il
peutnaître,
Ilenpeut malgré nousfortir àtout moment.
Uliffe quiparLaſageſſe ,
Futfivantédedans laGrece ,
Quoi qu'Amoureux &bien traité,
Refufa l'immortalité ,
A
Ala charge d'aimer toûjours une Déeffen
Aimez tant que l' Amour unira vos eſprits ,
Mais ne vous piquez point d'unefollecon
ftance,
Etn'attendezpasque l'absence,
Ouledégoût , oulesmépris
Vousfaffent fairepenitence
Desplaifirsquevous aurezpris .
Quand on sent mourirsa tendreſſe ,
Qu'on baille auprèsd'une Maîtreffe,
Etque le coeurn'estplas content,
Quefervent les efforts qu'onfaitpour lepa
roître,
L'bon196
MERC. GALANT.
L'honneur depafferpour constant ,
Nevautpas lapeine de l'être.
ENVOI
Onvous envoye, Monfieur, cet Extait
deLettretrès curieux , Gsivous jugez à
propos de l'inferer dans le Mercure , on
continuera de vous faire part de pluſieurs
autres Differtations biſtoriques , que le Pu
blicne regarderapas comme indifferentes.
Extrait d'une Lettre écrite de Paris à
M. Modey , Conseiller en la Cour
Souveraine de la Province d'Vtrecht
, par Mr. *** le 28. Décembre
1711 .
Le public eſt redevable à Mr. Herman
Schminke votre compatriote , de la nouvelle
Edition de la Vie de Charlemagne
par Eginhard , avec des Notes qu'il vient
de faire imprimer : & quoique je n'aye
point d'autre connoiffance de cette Edi
tion , que celle que j'aitirée de la lecture
de notre Journal des Sçavans du ſept de
ce mois qui en parle , je ne laiſſe pas de
comprendre que les matieres hiftoriques
Jui font familieres , & qu'il en fait une
Etude particuliere. Je ſuis perfuadé que
j'en
FEVRIER 1712. 197
j'enaurai encore une meilleure opinion
lorſque j'aurai pû voir le Livre entier &
les Notes qu'il y a faites .
Cependant , Monfieur , vous croirez
peut- être auſſi bien que moi qu'une
hiſtoire entierede Charlemagne , & trai
tée par une ſçavante main , auroit encore
été plus agreablement recûë du Public
, que l'Edition d'Eginhard qui n'en
contient qu'un petit abregé .
La vie de ce grand Empereur est trop
racourcie dans Eginhard , & l'est même
tellement qu'elle ne fatisfait pas le lecteur
, pour peu qu'il ſoit inſtruit de notre
Hiſtoire : & ce n'eſt , pour ainſi dire ,
qu'un petit éloge. De plus la verité des
faitsde ceMonarque , ne ſe trouve point
dans tout ce qu'Eginhard en rapporte.
Eginhard ne parle point des premieres
années de la vie de Charlemagne , parce
que , dit- il , il n'y avoit plus perſonne
lorſqu'il écrivoit qui pût l'en inſtruire :
ce qui fait connoître qu'il n'a compoſé
cet Abregé ou plutôt cet Eloge, que quelques
années après le décès de ceMonarque
, d'où il eſt facile de conclure qu'il
l'a compoſé de memoire , & non pas à
meſure que les actions ſe ſont paſſées ;
& à moins que par les Notes que M.
Schminke y a faites , il n'ait rempli tous
les faits qui manquent dans Eginhard , &
corrigé ceux qu'il rapporte contre la vérité,
je ſuisperfuadé que ce ne peut être qu'un
Ou.
198 MERC. GALANT.
Ouvrage où il reſte encore beaucoup de
choſesà defirer .
Ce que M. Schminke dit dans la fecondeDiffertation
, que le nom de Chapelain
étoit pour lors ce que nous appellons aujourd'hui
Secretaire d'Etat , fouffre , ce me
ſemble, quelques difficultez , puiſque l'on
ne voit pas qu'avant M. de Laubeſpine ,
ſous le Regne du Roi Henri I I. il y enait
euaucunqui fe fort qualifié du titredeSe
cretaired'Etat; mais ce qu'ildit que l'Archi-
Chapelain étoit le premier Secretaire
d'Etat de nos Rois , eſt encore bien plus
éloignédela véritéde l'Hiſtoire : car quoi
qu'on voye quel'on a quelquefoisdéfigné
les fimples Secretaires ſous le titredeChapelains;
cequi étoit cependant rare fous
leRégnedeCharlemagne ; on ne voit pas
qu'on ait donné le nom d'Archi-Chapelains
à d'autres perſonnes qu'à ceux que
nous appellons aujourd'huigrands Aumôniers.
Il eſt vrai que ſouvent& mêmed'ordinaire,
cesgrands Aumôniers ou Archi-Chapelains
devenoient enfuite , & étoient en
même tems grands Chanceliers ourApocrifaires;
mais non premiers Secretaires
d'Etat : & je ne ſçai quelle bonne raiſon
M. Schminke pourroit en donner , puis
qu'on trouve pluſieurs preuvesdans l'état
de laMaiſon denos RoisparAdalard , &
dans d'autres anciens Auteurs , &en par-
⚫ticulier dans leGloffaire de du Cange , &
dans
FEVRIER 1712. 199
dans les autres Gloffaires Latins ſous les
mots Archi-Capellanus & Apocryſarius ,
que l'un & l'autre ne fignifioient autre
chofe queGrand Aumónier de nosRoisde
lapremiére &de la ſecondeRace.
Il paroît par le même Journaldes Sçavans,
que M. Schminke défend fortement
la réputation d'Eginhard contre
l'Auteur de l'Esprit de Gerfon , qui s'eſt
efforcé de rendre fufpecte la bonne foide
cet ancien Auteur , fur tout par rapport
aux Rois Merovingiens , accufant Eginhard
d'avoir pris à tâche de rabbaiffer
ceux ci, & de les noter de faineantife
pour donner plus de reliefà la valeur des
Carlovingiens qu'il avoit entrepris de
flater.
Monfieur le Noble, qui eſt l'Auteurde
l'Eſprit deGerſon , ne parle pas comme il
fautde la baſſe flaterie d'Eginhard àcefu
jet; & quand il auroit eu des raiſons folides,
M. Schminke avoit un plus grand
adverſaire à combattre; c'eſt le ſçavant&
célébre Pere le Cointe , qui a clairement
prouvéenpluſieurs endroits de ſes Annales
Ecclefiaftiques des François , l'injuftice
de cette baffe flateried'Eginhard , fondée
furunmenfonge manifeſte. Ceux quine
cherchent uniquement que la véritédans
J'Hiſtoire , auroient vů avec plaifir les
coups que M. Schminke auroit porté au
Pere le Cointe , c'eſt à dire les preuves ,
s'il s'en trouve aucune qui foit affez forte
pour
200 MERC. GALANT.
pour réfuter le ſentiment de ce ſçavant
Auteur de nos Annales Eccleſiaſtiques ,
qui a démonſtrativement prouvé que les
derniers Rois de la premiére Race depuis
Clovis I I. Fils du grand Dagobert, étoient
de grands Princes , & que ce qu'ils n'ont
pû faire dans le cours de leur Régne , ne
doit être attribué qu'à leur bas âge ; c'eſt
ce que l'on voit dans les Annales du Pere
le Cointe ſous l'an 692. depuis le nombre
6.pag. 265.juſqu'au nombre 30.pag. 275.
Tome 4. fous l'an 694. pag. 298. Sous
l'an 711. nombre 3. pag. 501. Sous l'année
715. nombres 19. & 42.pag . 360. &
SSI . Sousl'année 737. nombre 37. pag .
386. Sous l'an 640. nombre 8. Tome
5. pag. 34.& 35. nombre 13 , pag. 325. &
fuivantes. 1
C'eſt dans les endroits citez ci-deſſus!
que ce Sçavant fait voir que ceux des Roist
de lapremiére Race qui ont été d'âge à faire
la Guerre , l'ont fait avec courage &
vigueur , foit contre les Ennemis de l'Etat
, ſoit contre Pepin & ſes Fils , pour ſecoüer
lejoug qu'ils vouloient impoſer , ou
qu'ils avoient déja impoſé à leurs Majef.
tez. Qu'ils ont rendu la juſtice par euxmêmes
avec tantd'équité , que quelquesuns
d'entre eux , comme Childebert ,
ont merité le ſurnom de Juſtes , & qu'enfin
loin qu'ils réſidafſſent toute l'année dans
leur prétendu Palais de Mamacas , comme
le dit fauffement Eginhard , on a des
JugeFEVRIER
1712. 201
A
Jugemens rendus par ces Monarques , &
un grand nombre de Chartres qu'ils ont
données dans divers Palais , ou différens
lieux fituez dans les diverſes Provinces
qui compofoient la Monarchie Françoiſe ,
qui justifient le contraire. Le Pere le
Cointey faitvoir enfin que ces Princes ont
eu de lavaleur&de la prudence , &qu'il
ne leur a manqué , pour devenir desRois
excellens , qu'un plus grand nombred'années
, & un plus long Regne. 2937
Lettre d'Avis sur une nouvelle Ma
chine inventée pour ſcier les Marbres
, avecplus de fimplicité&de
promptitude qu'aucune des Ma
chines qu'on ait encore vûës.
MoONSIEUR ,
१८
くま
,, Le hazard m'a fait ſçavoir ce que
toutes mes recherches n'avoient pû me
,, faire découvrir : j'ai enfin ſçû le ſecret
deM.deCorvolles , de la maniere que
je vais vous conter. Je l'ai mené à
Notre-Dame y voir le nouvel Autel; je
lui ai dit quej'étois ſurpris que l'on fût
,, fi long-tems à travailler le Marbre , &
3 qu'il nnee lui étoit pas permis , ayant eu
les priviléges qu'il a plû au Roi lui ac-
» corder ,
ود
202 MERC. GALANT.
corder , de ne les pas mettre enmouve
ment depuis le tems qu'il les avoit . :
Les reproches que je luiai faits qu'il
»n'eſt jamais content de ce qu'il imagine
& qu'il s'occupe tous les jours à
des découvertes nouvelles , fans les
„ rendre publiques , l'ont piqué d'hon
neur; il m'a répondu en ces termes :
Ce n'eſt point pour refufer au Public la
connoiffance des choſes que j'ai inventées
, que je ne fais point faire d'Ou
» vrages; mais comme il neſuffit pas de
,, trouver des ſecrets , &qu'il faut enco-
„ re pour les rendre utiles au Public ,
وز trouver le moyende les rendred'un facile
usage & de peu de fraix , jen'ai pû
me réfoudre à mettre ma Machine en
» oeuvre , qu'après quelques augmenta-
.,, tions que je n'ai pas pû trouver que de-
ور puis peu.
Il y a une Machine pour ſcier lesMarbres,
& une pour y faire tous les profils
ſans ciſeau ni maillet ; elles ont toutes
deux un même mouvement ; celle à faire
les profils n'eſt autre choſe qu'un calibre
de fer fondu, ſur lequel font marquées
les différentes mouleures qu'on veut imprimer
fur le Marbre : & celle pour ſcier
n'eſt autre choſe qu'un chaſſis quarré
long, aux deux bouts duquel il y a deux
piéces de bois épaiſſes de cinq à fix pouces ,
&hautesdedouze, dans le milieu deſquelles
il y a de petites fentes où on paſſe le
٢٠ bout
FEVRIER 1712. 203
bout des ſcies . Ces ſcies font trouées
dans leurs extrémitez , &dans ce trou on
met une broche de fer , entre laquelle &
le bois on fourre un cornu fendu , par le
moyenduquel on tend la ſcie de telleforse
qu'elle neſe lâchepoint.
Je ne vous explique peut être pascela
affez nettement; mais comme vous entendez
mieux la mécanique que moi , vous
devinerez ce que je veux vous faire entendre.
CHANSON
J
nouvelle.
Ai trouvé cette Chanfon dans mon
Porte-feuille avec leTitre deNouvelle
, parce qu'elle étoit nouvelle quand
je l'eus faiteil ya trois ans ; elle l'eſt encorpourceux
quila verront, car elle n'a
point couru . J'avertis qu'ayant étécompoſée
à Table, elle doit être chantée entre
deux Vins : le Carnaval peut aider à faire
entrer dans le caractére de l'Air , qui eſt
fait pour exprimer une demi-yvreſſe , c'eſt .
à-dire une yvreffe d'honnêtes gens &
pour ainſi dire , une yvreſſe moralifante ,
qui fait tourner la têre ſans fairetourner
P'eſprit. !
I.Cou204
MERC. GALANT.
I. Couplet.
Quand on a bû la tête tourne , tourne
tourne .
Ajeunlatête tourne auſſi:
Atoutmortel la tête tourne , t ... t...
Le Sage nousle dit ainsi.
Etmoijedisquand la tête me tourne ,
Sagementje dis :
Heureux celui dont la tête ne tourne
QuàTable avecſes Amis.
II . Couplet.
Qu'entrenous la bouteille tourne , t... t...
Etnousenyore à coups égaux ,
Qu'alarondeson berufeu tourmnee,, tt......t...
Tourne&retourne nos cerveaux .
Sidesangfroidlemeilleur efprit tourne
Toûjours de travers ,
Ne craignons point que le Vin le retourne ,
Sera-t-ilpis à l'envers ?
:
III . Coupler...
CeCourtisandontl'esprit tourne , tre tire .
Paroîtra fincere aux plus fins ,
Envous careffant il vous tourne , t...hon
Il vous fait aller à ses fins ,
Son coeur , àfroidjamais auvrai ne tourne,
Toûjours du travers ,
ر
۱
Il
Tom.V.Pag.204
tourne, Ajeun la tê- te
urne, tourne, tourne ,
5
0.
Lieuifaimical , ex commandar
pour Sa Majesté au Gouvernement
l'Ifle de France, Envoyé Extraordinair
Tome V. K près
faitaller àses fins ;
ur , àfroidjamais au vrai ne tourne,
jours du travers,
Il
FEVRIER 1712. 205
Il trompe encor quand le Vinle retourne ,
C'est un coeur à deux envers .
IV. Couplet.
Près de Philis la tête tourne , t ... t...
Quejesuis las de sa rigueur ,
GrandDieu du Vin , quiles coeurs tourne,
t... t...
Enyures-la de ta liqueur.
Qu'elle en prend bien ? Déja ſon bel wil
tourne
Quafi vers le mien ,
Four peu que la bouteille elle retourne
Elle va tourner à bien.
MORTS.
Dame Catherine l'Avocat , Veuve de
Meffire Simon Arnauld , Chevalier , Marquisde
Pomponne , Sire &Baronde Ferrieres
, Chambrois , & Auquinville , Miniftre
& Secretaire d'Etat , & des com .
mandemens deSa Majesté , & Sur- Intendant
des Poſtes & Relais de France , mourut
le 31. Décembre , en ſa 75. année.
Les Enfans qu'elle laiſſe ſont :
Nicolas-Simon Arnauld , Marquis de
Pomponne , Brigadier des Arméesdu Roi,
Lieutenant Général , & Commandant
pour Sa Majeſté au Gouvernement de
l'Ifle de France, Envoyé Extraordinaire
Tome V. K près
206 MERC. GALANT.
près de Monfieur l'Electeur de Bavière au
mois de Mars 1699 .
Henri -Charles Arnauld de Pomponne ,
Abbé de S. Médard de Soiffons , & Conſeiller
d'Etat d'Eglife .
EtCatherine Felicité , qui épouſa le 13.
Août 1699. Meſſire Jean- Baptiste Colbert,
Marquis de Torci , Miniſtre & Sécretaire
d'Etat , & Chancelier des Ordres duRoi.
Dame Marie de Falconis , Veuve de
Meffire Loüis Comte d'Amanzé , Lieutenant
Général au Gouvernement de Bourgogne
, & Gouverneur de Bourbon-Lanci
, mourut auffi le 31. Décembre. Elle
laifle Marie-Joſeph , qui épouſa le 20.
Mars 1706. Anne de la Queille , Marquis
deChâteauguay , qui a eu en faveur de ce
mariage la même Lieutenance Générale ,
& le même Gouvernement .
LoüisComted'Amanzé , Pere de Marie-
Joſeph , étoit Fils de GaspardComte
d'Amanzé. Gaſpard étoit Fils de Jean
Vicomte d'Amanzé , & d'Iſabeau d'Efcars.
Iſabeaud'Eſcars étoit Fille de Jean
d'Eſcars , Prince de Carency , Comte de
Vauguyon , Chevalier de l'Ordre du St.
Eſprit, & d'Anne de Clermont-Tonnerre.
Jeand'Eſcars , étoit Fils de François
d'Eſcars , Seigneur de Vauguyon , &d'Ifabelle
de Bourbon , Dame de Carency.
Ifabelle de Bourbon , étoit Fille de Char.
les de Bourbon , Seigneur de Carency ,
& de Catherine d'Alegre. Charles de
Bour-
1
1
FEVRIER 1712. 207
۱۰
Bourbon , étoit Fils de Jacques de Bourbon
, Seigneur de Carency , & d'Antoinette
de la Tour Oliergues . Jacques de
Bourbon , étoit Fils de Jean de Bourbon ,
Seigneur de Carency , & de Jeanne de
Vendômois , & ceJean de Bourbon étoit
FilsdeJeande Bourbon I. du nom , ComtedelaMarche
, & de Catherine , Comteſſe
de Vendôme.
Meffire François Petit d'Eſtigny,Prieur
deSaintJeanle Centenier , mourut le 3 .
Janvier.
MeffireJacques Jannard, Seigneur de
Thoiry , quiavoit été reçû Conſeiller au
Grand Confeil en 1675. , mourut le 16.
Janvier, fans laiſſer de poſtérité deN...
deGaumont , Maître des Requêtes.
• Nicolas Clement , Garde de la Bibliotheque
du Roi , mourut auffi le 16. Janvier.
Il eſt fort regretté de tous les Sçavans.
MARIAGES.
Meffire Charles Auguſte de Benoiſe ,
Confeiller au Parlement , Filsde Charles
de Benoiſe , Conſeiller d'honneur en la
même Cour , & de Marguerite Pichon ,
épouſa le 27.Décembre N... Berthelot ,
Fille d'Etienne Berthelot , Seigneur de
Pleneuf, &de Marie- Henriette-Françoiſe
Galland , ſa premiére Femme.
K2 Mef208
MERC. GALANT.
Meffire François- Henri Edoüard Colbert
, Comtede Croiffy , Lieutenant Général
des Armées du Roi , épouſa le 30.
Décembre Marie Brunet de Rancy , Fille
de Paul -Etienne Brunet de Rancy , Seigneur
d'Evry les Châteaux , Maître des
Requêtes , & Intendant d'Alençon , &
deGeneviève Colbert. Le nouvel Epoux
eſt Fils de feu M. Colbert , Miniſtre &
Sécretaired'Etat , &Frere de M. le MarquisdeTorcy
, auſſi Miniſtre &Secretaired'Etat
, ainſi il ſe trouve Parent de Marie
Brunet de Rancy , à cauſe de ſa Mere .
Son Pere eſt Frere de feu Meſſire Jean-
Baptifte Brunet , Conſeiller d'Etat , Gardedu
Trefor.Royal ; de François Brunet
deMont-ferant , Prefident en laChambre
des Comptes de Paris , & chefdu Confeil
de feuë S. A. R. MONSIEUR ; de
JeanGerard Brunet , Marquis de Serri .
gny, Preſident au Parlement; de feu Gilles
Brunet , Abbé de Villeloin &deMureau
, Confeillerde la Grand' Chambre ,
&de Joſeph Brunet , Abbé de St. Creſpin
de Soiffons , Docteur de Sorbonne , fi
fameux par ſa grande piété , & fa charité
envers les pauvres .
PIECES FUGITIVES.
J'ignore l'Auteur & la date de cette
Piece , mais elle m'a paru jolie , &je ne
penſe
{
FEVRIER 1712. 209.
!
peuſe pas qu'elle ſoit imprimée: il n'en
faut pas davantage pour me perfuader
qu'elle fera plaifir au Public.
LETTRE
Aune Damoiselle Suedoiſe , ſurſon
Portrait.
J
1
Eneſçai , Mademoiselle , ſi en me don.
nant l'honneur de vous écrire j'écris à
quelqu'un. Sur votre nom qui eſt fort
Illuſtre il fautque je vous croyeSuédoiſe ,
fur les grands yeux noirs que j'ai vûs dans
vôtre Portrait , & qui doivent être pleins
de feu dans l'Original , je vous crois Efpagnole
; fur de fort jolis vers François
qu'onmamontrez de vous , je vous crois
Françoiſe ; fur d'autres vers Italiens , je
vous crois Italienne ; ſur tout cela enſeme
ble vous n'êtes d'aucun Païs.
Pourrendre le miracle encor plusachevé ,
Dix-sept ans àpeu près , c'est l'âge qu'on
vous donne.
Dix- sept ans jusqu'ici n'avoientgâté per-
Sonne,
Pourvous ils vousfont tort , l'esprit fi cultivé
Etdix-septansfontqueje voussoupçonne
Den'être; Dieu me le pardonne ,
Que quelque objet en l'Air qu'un Poête a
rêvé.
K3
Ce210
MERC. GALANT .
Cependant il eſt certain que M. L... de
S... prend l'affaire fort ſerieuſement , & fi
l'on a à écrire des prodiges , ce doit être
fur fon autorité plus que fur celle des auzres.
Ilſoutient que vous êtes à Stokolm ,
quemillegens vous y ont vûë , & vous y
ont parlé ; il dit même que votre Porzrait,
qui repréſente le plus charmant vifagedu
monde , ne repréſente pas le vôtre
dans toute ſabeauté , & que les Peintres
de Suede ne flattent pas . Mais pourquoinous
, quiſommesdans le Païsde la
beauté , de l'eſprit , & des agrémens ,
n'aurions nousjamais vû rien de pareil à
uneperſonne fi accomplie ? Voilà ce que
lavanité Françoiſe nous faitdire auſſi-tot;
à cela jene ſçai qu'une réponſe , quiparoît
nous aider à croire tout ce que l'on dit
de yous.
L'Amour ailleurs firedoutable
Netrouvepasfansdoute un climatfavorable
Sous le Ciel de Suede , & fi près des Lappons;
Les coeursyfontglacez , &pourfoudre ces
glaces
N'a- t -il pas dû produire un Chef d'oeuvre
oùlesGraces
Euffent répandu tous leurs Dons ?
Sinos Climatsn'ont rienqui nevous cede ,
Soiten esprit , foit en attraits,
C'est qu' Amoury foumet les coeurs à moin.
drefrais Qu'il
FEVRIER 1712. 211
Qu'il nepourroitfaire en Suede.
Voilà , Mademoiselle , tout ce que je
puis m'imaginer pour me perfuader que
vous ſoyezune choſe vrai-ſemblable , tirez-
moi d'embarras , je vous en conjure ,
&ayez labontéde me faire ſçavoir ſi vous
êtes; que votre modeſtie ne vous empêche
pas de me l'avouër naturellement , je
vous promets de n'en parler à perſonne :
jemepiqued'êtrebon François , &je ne
voudroispasqu'on ſçût que j'euſſe intelligence
avecune étrangere, qui triompheroit
de toutes les Françoiles , &qui effaceroit
l'honneur de la Nation . Ce ſeroit
làunaffezgrandcrime contre maPatrie ,
cependant je m'accoûtume peu à peu à en
faireunplus grand , tous mes foupirs à
l'heure qu'il eſt ſortent de France , &
vontdu côté du Nord :
Lieux défolez , oùl'Hivertientſonfiéze
Surdevastes amas deNeige ,
Où les Aquillons violens ,
Oùlesfrimats , &les Oursblancs
Composentuntrifte cortège ,
Merglaciale , affreux climats,
C'eſtaprès vousquejesoupire .
Leslieux oùrégne unéternelZephire ,
i
LeséjourdeVenus, Cypre ne vousvautpds.
Vous voyez , Mademoiselle , que mon
cóoeur a déja bien fait du chenin , quơi
K 4
1
:
que
212 MERC. GALANT.
que je
monde:
doute encore que vous ſoyiez au
Mais c'eſt des tendres, coeurs l'ordinaire
deffaut,
Ilssehatent toujours un peu plus qu'il ne
faut
Deſuivre une agréable idée ,
Avecardeurils courent laſaiſir ,
Etdes charmes trompeurs leur êtent le loiſir
De s'affurerqu'ellesoit bienfondée.
Cette idée ſeule , que j'ai de vous , a
fait fur moi l'effet que pourroient faire
les belles même de ce Pais. Vous pouvez
conquerir la Suede par vous- même , &
le reſte du monde par les deux Portraits
que nous avons , car je compte pour un
Portrait les Vers où votre eſprit s'eſt ſi
bienpeint. Je me flatte que mes hommages
, qui ne feroient affeurément pas dignes
de vous à Stokolm , deviendront de
quelque prix entraverſant cinq cens lieuës
de Pais pour aller juſqu'à vous , & que
s'il eſt triſte de vous adorer de filoin , ce
me ſera du moins une eſpece de merite auprès
de vous ; je n'en ai point d'autre à
vous faire valoir , & je ne crois pas même
que vous puiſſiez jamais ſçavoir qui je
fuis ,
n'est que quepeut- être uncoupdelafortune Si cen'
Aitportéjusquefurnos bords
:
Le
FEVRIER 1712. 213
Lenom de l'Enchanteur , quifait parler
lesmorts,
Etqui voyagedansla Lune..
Nomination du Roi.
:
Meſſire Louis le Peletier , premierPrefident
du Parlement , s'eſt démis volon.
tairementde cette Charge entre les mains
duRoi.
Il eſt Fils de Claude le Peletier , Com.
ſeillerd'Etat Ordinaire , Preſident hono.
raire du Parlement , Miniſtre d'Etat ,
Contrôlleur Général des Finances , cidevant
Prévôtdes Marchands de Paris ,&
Sur- Intendant des Poſtes & Relais de
France , mortle 10. Aoûtde l'année derniére.
Sa Majesté a choiſi , pour remplir cette
importante Charge, Meffire Jean Antoi
ne de Meſmes , Comte d'Avaux , & de
Neufchâtel , Seigneur d'Irval &de Cramoyelle
, ci-devant Prévôt &GrandMaître
des Cérémonies des Ordres du Roi.
Cet Illuſtre Magiſtrat a été Conſeiller au
Parlement en 1687. , Préſident à Mortier
en 1689. , Prévôt & Maître des Cérémonies
des ordres du Roi en 1703., delaquelle
charge il s'est démis en 1709.en
faveurdeM. le Comtede Pontchartrain.
Il eſt Fils de M. Jean Jacques deMefmes
Préſident à Mortier , & de Dame
Ks Mar214
MERC. GALANT.
guerite Bertrand de la Bafiniere , &Petit-
Fils de M. Jean Antoine de Meſmes , Seigneur
d'Yrval , Baron de Breüil , Vicomte
de Vandeüil , Conſeiller d'Etat
ordinaire , & de Dame Anne Courtin ,
& arriére Petit-Fils de Jean - Jacques de
Meſmes , Maître des Requêtes , & Confeiller
d'Etat , &de Dame Antoinette de
Groffaine , Fille unique & Héritière de
Hierôme de Groffaine , Ecuyer , Seigneur
d'Yrval & d'Avaux , Baron de Breüil , &
Vicomte de Vandeüil , lequel Jean-Jacques
de Meſmes fut envoyé enpluſieurs
Négociations importantes ; il eſt mort
fortágé en 1642 .
M. lepremier Préfident avoit pour On.
cle Meffire Jean-Jacques de Meſmes ,
Comted'Avaux , Conſeiller d'Etat ordinaire
, Prévôt & Maître des Cérémonies
de l'Ordre du St. Eſprit , lequel s'eſt difzingué
en quantité de Négociations importantes
, ayant été deux fois Plénipotentiairepour
la Paix. La première , au
TraitédeNimégueen 1675. La ſeconde ,
au Traité de Rifwick en 1697 .
Cette Famille a produit beaucoup de
Grands hommes , entre lesquels ſe font
diftinguez Henri de Meſimes , & Claude
deMeſmes, tous deux Grands Oncles de
M. lepremier Préſident. Henri deMef.
mes, Ecuyer, Seigneurde Roifly , Marquis
deMoigneville , & d'Everly , qui
fut Préfident àMortier en 1627. , après
avoir
FEVRIER 1712 . 215
avoir occupé long-tems les premiéres
Charges , & fervi l'Etat en pluſieurs occafions
importantes,
Il fut Député aux Etats Généraux tenus
à Paris en 1617. , & à l'Aſſemblée des
Notables à Rouen : Il fut mariédeuxfois,
la premiére , avec Jeanne de Mont- Luc ,
Fille du Maréchal Balagny , de laquelle
il n'eut point d'Enfans : Laſeconde, avec
Marie Foffez , Fille du Marquis d'Everly ,
Chevalier des Ordres duRoi , de laquelle
il eut pluſieursEnfans , &il n'eneſt reſté
queDame Antoinette de Meſmes , Epouſede
Loüis de Roche-choüart , Duc de
Vivonne , Maréchal de France .
Claudede Meſmes Chevalier , Comte
d'Avaux , Maître des Requêtes & Confeillerd'Etat
fut Ambaſſadeur en pluſieurs
Cours de l'Europe : Sçavoir , à Veniſe ,
à Rome , à Mantoue, à Florence , en
Savoye , deux fois en Allemagne , en
Dannemarck , en Pologne & Suéde: la
derniére fois qu'il fut en Allemagne , il
traita des Préliminaires de la Paix générale
, & fut un des Plénipotentiaires au
Traité deMunſter ; il fut auffi Secretaire
desOrdres du Roi, & Sur-Intendantdes
Finances avec M. le Préſident de Bailleul ,
&ilmourut fans alliance.
1
Cette Famille de Meſmes eſt originaire
de Bearn , fortie de Pierre Chevalier ,
Seigneur de Meſmes , qui eſt nommé entre
les premiers & plus apparens du Bail-
K 6 liage
216 MERC. GALANT.
liage de Roquefort en la Vicomté deMarfan;
ce Pierre de Meſmes vivoit en 1279 .
& avoit pour Frere Guillaume de Meſmes
pour Aumônier du Roi S. Loüis ; il eut
pour Fils Roger de Meſmes , dit Coudun ,
Chevalier , Seigneur de Meſmes , Pere
d'Arnauld premier du Nom , Seigneur de
Caixchen en l'Evêché d'Aire , duquel eſt
deſcendu M. le Premier Préſident après
neuf degrez de Générations.
CetteFamille a donné un Premier Préfident
à Rouen , qui fut auſſi deux fois
Ambaſſfadeur en Allemagne , un Chancelier
de Navarre ; des Préſidens au grand
Conſeil , à la Chambre des Comptes , un
Prévőt des Marchands à Paris , trois Préfidens
à Mortier , pluſieurs Conſeillers au
Parlement , Maîtres des Requêtes & Confeillersd'Etat
, & quatre Officiers de l'OrdreduS.
Eſprit.
Cette Famille a toûjours protegé les
belles Lettres . Voiture écrit à Monfieur
d'Avaux , à propos de ſa Maiſon , qui eſt
à préſent l'Hôtel de Bauviliers .
Je me réjoüis avec vous aunom des Penates
de Jean Jacques de Mesmes&de
tantdegrandsHommes vosAyeuls,aunom
de ces Penatesquiont étéles Dieux tutelaires
de Pafferat , & de tous les sçavansde
ce Siècle là& de celui- ci , de ce que vous
avez renouvelle & embelli leur ancienne
demeure , &c .
Non feulement Meſſieurs de Meſmes&
d'Avaux
FEVRIER 1712 . 217
d'Avaux ont protegé les belles Lettres ,
mais il les ont cultivées eux-mêmes. Il
n'estpashonnête , dit encore Voiture , à un
Personnage, aussi grand que vous l'ètes ,
d'être plus éloquentque nous.
Je pourrois repeter ici pour M. le Pre
mier Préſident , tous les éloges que Voi
ture donne à ſes Prédéceſſeurs , puiſqu'il
raffemble en lui toutes leurs grandes qualitez
. Mais j'ai bannidu Mercure lesPanegyriques.
J'ajouterai ſeulement quelques quadrins
au premier de ceux que Voiture envoyaà
M. d'Avaux , à la mode de Neuf-Germain .
Les lettres du Nomfiniſſant les Vers :
L'autre jourJupiter mand-a ,
Par Mercure parses Pré voſts ,
Tous les Dieux , & leur command- a
Qu'onfitbonneur augrand d'Avaux.
Themis , qui cet ordre approuv-a,
Aſes côtez inter Di vos,
Pour le Siécle ſuivant plaç-a
Un Premier Préſident d'Avaux.
Qüi , dit Themis , ces d'Avaux l-a..
De tout tems me furent de-vots,
Pour l'an où la Paix ſe fer-a
Je garde à Paris un d'Avaux.
En merite il égaler-a
Suos Avos & Pro-avos,.
?
1
:
K7 Peuple,
218 MERC. GALANT.
Peuple , Senat , tout aimer-
Ce Succeffeur du grand d'Avaux.
On fait quelquefois de grandes fautes
dans leMercure , par ledefir debien faire ;
veut-on donner des Nouvelles trop fraîches,
on eft en danger d'en donner de
douteuſes , c'eſt ce qu'on a fait le mois
paffé , pour ne s'être pas donné le tems de
vérifier un Mémoire , qui portoit queM.
Aniffon , Député de la Ville de Lion au
Conſeil du Commerce, avoit été fait Prévôtdes
Marchands de ladite Ville , & cela
nes'eſt pas trouvé vrai. C'eſt M. Ravat ,
qui , ayant été nommé pour les années
1708. & 1709 & continué pour 1710. &
1711. a été continué une ſecondefois pour
1712. & 1713 .
:
:
1
De Lion.
Le Prévôt des Marchands de Lionpréfide
à la Jurisdictionde la Conſignationde
Lion, la plus célébre de l'Europe pour les
affaires du Commerce , dont les Jugemens
font exécutez dans toute l'étenduë du
Royaume , & même dans les Païs étran
gers , & il commande dans la Ville en
l'absence du Gouverneur.
M. Ravat s'eſt conduitdanscetteplace
avec tant de prudence & de ſageſſe , pendant
les quatre années derniéres , qu'ila
mérité d'être continué une ſeconde fois ,
par
FEVRIER 1712.1 219
par une diſtinction qui n'a point eu
d'exemple depuis 117. ans quela Prévôté
des Marchands a été établie dans Lion .
Quoi qu'onn'ait point dú prévoir cette
continuation , M. le Maréchal de Villeroi
abien connu qu'il rempliroit , en la faiſant
, les voeux de tous les Ordres de la
Ville de Lion , qui regarde comme une
justice de faire jouir M. Ravat de la tranquillité
que nous eſpérons par la Paix ,
puis qu'il a eſſuyé pendant quatre années
toutes fortes de traverſes , l'aproche des
Ennemis , la famine , & le dérangement
du Commerce , ayant remedié à tous ces
maux à la fatisfaction de tout le monde ,
& rétabli la fûreté , l'abondance , & la
confiance dans les affaires .
I
LIVRE NOUVEAU.
L paroît depuis peu dans Paris unLivre
imprimé à Amſterdam , qui apour
titre , Nouveaux Dialogues des Dieux ,
ouRéflexionsfurles Paſſions ; avecun Difcoursfur
la nature du Dialogue.
Le Dialogue , dit l'Auteur , eſt legenred'écrire
le plus ancien. Il eſt àcroire
que lespremiers que la vanité , ou l'oifiveté
engagerent à travailler , choifirent
cettemanière. Leshommes ayant trouvé
le
220 MERC. GALANT.
lemoyende rendre leurs idées par l'uſage
des mots , liérent des converſations , &
jenedoute point qu'avec le penchant qu'ils
ont à l'imitation, ils n'ayent donné à
leurs Ecrits la forme de Converſation ou
de Dialogue , qui devoit vrai ſemblablement
ſe préſenter à eux , &c .
Après cette réfléxion ſenſée , qui fait
ſentir qu'en effet la premiére maniere de
s'exprimer par écrit , a dû être une imitation
naïve de la maniere naturelle dontles
hommes s'expriment entr'eux de vive
voix , il donne à Platon l'honneur d'avoir
renouvellé de ſon tems l'uſage du Dialogue.
Enſuite il fait l'éloge de Platon , ilnous
peint avec force ſes grandes qualitez , &
justifie avec adreſſe des défauts qu'il n'eſt
plus permisdeblâmer dans un homme qui
s'eſt acquis le ſurnom de Divm. -
Il convient par exemple, que Platon
est très diffus, ilditpour l'excuſer que
Les Anciens neſepiquoientpoint d'allerà
la véritépar le chemin leplus court : ilsfe
ménageaient leplaisir de la chercherlongtems.
Si l'Auteur dit que Platon eſt obfcur ,
queſes idées nefont point nettes , il ajoûte
que touteslesfois qu'il parle de l'Amour
fonftile enfait l'éloge , &son imagination
échauffee parson coeur en devient unefois
plus brillante : quand ilparle de laBeauté,
vons le croyezplein des tranſports qu'elle
cause 2
FEVRIER 1712. 221-
f
cauſe, cenefontque grands mots qui , par
ce qu'ils ont de confus, peignent parfaitement
ledefordre de l' Amour.
C'eſt ainſi que l'Auteur , en jugeant
fainement & fans prévention , des défauts
de Platon , évite de heurter de front la
prévention de ceux qui croiroient blafphêiner
, en convenant que Platonman
que quelquefois de juſteſſe .... &qu'ily a
du chimerique dans son élevation d'efprit....
L'Auteur donne enſuite à Platon la
plusgrande loüange qu'on puiſſe donner à
unPhilofophe.
Il est certain , dit- il , que de tous les
Payens, Platona eu la Moralelapluspure,
la plus conforme aux intérêts delaSocieté.
L'Auteur établit enſuite une maxime
très véritable , & à laquelle peudegens
font attention .
L'esprit, qui s'exercesur un genreparticulier,
a besoin poury exceller , detoutes
les qualitez néceſſaires pour reüffir dans
tousles genresengénéral.
Je croirois qu'il en eſt de même des
beauxArts; qu'un Peintre , par exemple,
ne peut être excellent Peintre , qu'il n'ait
un Genie propre à la Poëfie , & à la Muſique.
Lully n'étoit ſi grand Muficien ,
que parce qu'il eût pû être grand Poëte ,
&grand Peintre , s'il eût cultivé la Poefie
&la Peinture ; Racine eût été bonPeintre,
)
222 MERC. GALANT .
tre , M. le Brun eût été bon Poëte , &
ainſi des autres , qui ont excellé , & qui
excellent encor à préſent dans ces trois
genres; c'eſt ce que je tâcherai de prouverdansuneDiffertation
que j'eſpére donner
quelque jour au Public.
L'Auteur parle enſuite de Ciceron &
de Lucien qu'il joint à Platon , & les
donne tous trois pour les plus parfaits
modéles du Dialogue.
Avant que de parlerdu Dialogue ilhazarde
quelques conjectures ſur ce qui fait
labeauté d'unOuvrage.
F'entreprens , continuë-t il , de montrerquepourplaire
, ilne s'agitque de flater
l'efprit bumain , & accommoderSapareffe.
L'Auteur fait pluſieurs réfléxions très
délicates fur la maniére de s'accommoder
àces deux foibles , en donnant dans les
Ouvrages d'eſprit affez à pénétrer , à deviner
, & non pas trop: parce que , ditil,
on veut bien chercher , pourvuqu'onne
cherche pas long-tems, &qu'onsoitfür de
trouver.
Après cette petite Differtation il vient
au Dialogue , & femble vouloir prouver
que c'eſt le genre d'écrire le plus difficile :
tous ceux qui y réüffiffent en conviendront;
ceux qui travaillent dans un autregenre
s'y oppoſeront , & ils pourroient
bien avoir tort.
Le Style Oratoire & le Style Poétique
Sont
FEVRIER 1712 .
223
{
1
font plus commodes : il ne s'agit pour y
réüſſir que de donner àson imagination le
dégré de chaleur quifait enfanter les idées
vives , &qui produit les imagesfortes.
Dans le Dialogue vous être forcé d'être
naïf; réduitaunaturel , vous nesçauriez
donner àvos idées que le feu qu'elles ont ,
Selles ne doivent point en emprunter de
celuiqui lesexpose.
Quand vousfaites un Poëme ou une Ode',
vous vous donnez pour inspiré , &vous
avez une Muſe ou un Dieu , ſur lecompte
duquel vous pouvez mettre tous les écarts
quevousfaites.
Après pluſieurs autres réfléxions ſur le
Dialogue , l'Auteur paroît conclure &
avec raiſon , qu'entre les Dialogues le
plusdifficile eſt celui du Théâtre : mais
le tems de l'impreſſion me preſſe , remettonsau
moisprochain à parler du reſte du
Livre , qui merite plus de tems & plus
d'attention que je n'ai pû en donner à la
premiére partie , qui ne m'eſt tombé
danslesmainsquedans le momentqu'il a
falu finir leMercure de ce mois.
1.
COM.
224 MERC. GALANT .
COMPLIMENT
Dela Sorbonneà Monfieur lepremier
President.
MONSEIGNEUR,
Agréez , s'il vous plaît , que la Maiſon
de Sorbonne vous témoigne lajoye parti .
culièrequ'elle reffentdans la joye publi
que; de ceque le Roi vous a choiſi pour
remplir la premiére place du premier Parlementde
fon Royaume.
C'eſt un effet du ſagedifcernementde
S. M. d'avoir élevé à ce rang une per.
fonne de votre merite; en qui ſe trouvent
ſi bien réünies les qualitez qui conviennent,
ſelon l'Ecriture , à un Magiſtrat
queDieu érablit pourjuger le Peuple , la
droiture d'eſprit & ducoeur , l'intelligence
& l'Amour des Loix ; & une fermeré à
l'épreuve , pour maintenir la justice &
vaincre tout ce qui lui fait obſtacle.
Je ne parlerai point des autres vertus ,
MONSEIGNEUR , qui éclattent en vous ;
de ces maniéres nobles , généreuſes , obligeantes
, mêlées de douceur & degravité,
qui
FEVRIER 1712. 225
1
-qui vous rendent agréable & reſpectable
aux Grands & aux petits , & qui vous attirent
la bienveillance , la faveur , & l'amitié
des Princes mêmes .
Je dirai ſeulement , qu'en ce choix le
Roi a conſideré vos Services , & ceux que
vos Illuſtres Ancêtres ont rendus à l'Etat
dans les Charges les plus importantes de
l'Epée & de la Robe ; dans l'Armée &
dans les Ambaſſades , dans la Guerre &
dans la Paix.
Onn'oubliera jamais, dans le nombre
de ces Grands hommes , le Comte d'Avaux
, Plénipotentiaire à Munſter pour la
Paix , dont la capacité , la prudence , la
Religion , & l'affection pour les Lettres&
pour les Sçavans ( qui a toûjours été propre
à la maiſon de Meſmes ) ont immortaliſé
la mémoire. Mais permettez -moi ,
MONSEIGNEUR , de faire encore ici mention
de Guillaume de Meſmes ; qui du
tems de S. Loüis poſſeda par le choix honorable
de ce Prince , la premiére dignité
Eccléſiaſtique de la Maiſon Royale , pendantque
cemême Prince honoroit auſſi de
fa confiance & de ſes bienfaits Robert de
Sorbonnenotre Fondateur .
Nous ofons eſperer , MONSEIGNEUR ,
que la maiſon de Sorbonne , qui doit ſa
naiffance à S. Loüis , & qui revére depuis
fi long-tems les perſonnes de votre nom ,
trouvera de la protection auprès de vous ;
& elle tâchera de la meriter , par l'attache
226 MERC. GALANT.
chementpleinde refpect qu'elle aura toûjours
pour votre perfonne , & par les
voeux qu'elle fera à Dieu pour vous,MONSEIGNEUR
, & pour votre conſervation.,
:
Onareçûces trois Articles trop tardpour
lesplacer dansl'ordre le plus convenable.
REPONSE A LA QUESTION .
Qu'est- ceque lecoeur ade commun
avec l'esprit.
Quoiqu'ils foient fouvent en
querelle ,
Ma Femme contre moi les ſçait bien
accorder:
Cequ'ils ontde communen elle ,
C'eſt qu'ils me font bien enrager.
RECEPTION.
:
Monfieur Amelot de Gournay , Maitre
des Requêtes , a été reçû Prefident à
Mortier , au Parlement le 18. Janvier ,
à la place de feu Monfieur le PréſidentMoléde
Champlaſtreux.
MORT.
Madame Ravot , Veuve de Monfieur
RaFEVRIER
1712. 227
Ravot , Conſeiller d'Etat , Tante de M.
Ravot d'Ombrevalle , Avocat Général
de la Cour des Aides de Paris , eſt décédée
le 14. Janvier 1712. à fix heures du
matin , âgée de quatre- vingt onze ans .
BENEFICES.
LeRoia nommé à l'Evêché de Châlons
furSaone , Meffire François Madot , Ενέ
quedeBellay.
L'EgliſeEpifcopale de Châlonsn'a que
aſeuleAntiquité de remarquable , & rien
Idebeau , que ſes deux Clochers au deſſus
du Portail, ſes Cloîtres , & quelques
Tombeaux des anciens Comtes de Châlons.
Cette Egliſe autrefois de Saint
Etienne , & aujourd'hui de Saint Vincent
, a ſon Chapitre compoſé de vingtcinq
Chanoines , parmi lesquels il y a
ſeptdignitez , leDoyen, le Chantre , le
Tréſorier , & quatre Archidiacres. Le
Dioceſe renferme deux cens quatre Paroiffes
, partagées en cinq Archi-Prêtrez ;
quiſont ceuxde Montigny , Migny , Brefſe,
Tornus , Ouches , avec fix Abbayes .
L'Evêché eſt ſuffragant de Lion : Saint
Marcel , qui vint Prêcher la Foi à Châlons
, l'an 179. accompagné de Saint Valerin
ou Valerien , ſous l'Empereur Antonius
Verus , & qui y ſouffrit le Martire
par la Sentence de Prifcus , Chef de la
Jul
228 MERC. GALANT.
Juſticepour lesRomains , en eſt reconnu
l'Apôtre. S. Silvestre fut fait Evêque de
Chálons , après le Bien heureux Jean ,
vers l'an 490., & il mourut l'an 532.ou
533. S. Agricole , dit Saint Aregle ,
Evêque du lieu , mourut l'an 580. , il
avoirſuccedé à S. Silvestre. Saint Grap ,
fut Evêque de Chalons en 640. , après
Gelionſucceſſeur de S. Loup .
Il y a eû un Concile à Châlons ſur Saone
, la dix-huitième année de Gontran ,
c'est-à- dire , en 579. où Salonius , Evêque
d'Ambrun , & Sagittaire , Evêque
de Gap , furent dépoſez . On en peut
voir les particularitez dans l'Hiſtoire Eccléſiaſtique
de Monfieur Fleury , Tome 7 .
page 608 .
SaMajesté a donné l'Abbaye de Maizieres
, Ordre de Ciſteaux , Dioceſe de Châlons
, à M. l'Abbé d'Egvilly. Elle vacquoit
par la mort de Meffire Henri Felix
de Tally , dernier Evêquede Châlons .
Celle de la Pieté , Ordre de Cifteaux ,
Dioceſe de Troyes , à Don Fitz Herbert .
Celle de Pralons , à Madame de Buffy
Rabutin. Cette Abbaye de Filles eſt de
l'Ordre de Saint Benoît , & dans le Diocelede
Langres .
Celle de Notre Dame des Anges , auffi
deFilles , à Madame Carbonel de Canifi.
Elle est de l'Ordre de Saint Benoît , &du
Diocese de Coutances.
Celle d'Aumale , dire auſſi Saint Martin
FEVRIER 1712 . 229
tin d'Acy , Ordre de Saint Benoît , Dioceſe
de Coutances , à M. l'Abbé Colbert ,
Chanoine & Grand Vicaire de Tournay.
Le Ville d'Aumale eſt dans le Païs de
Caux , en Normandie . Elle eſt ſituée
ſur le penchant d'une colline , bornée
d'une Prairie , qui arroſe la Brefle , &
éloignée de quatorze lieuës de Rouen ,
decinq de Neuchâtel & de Blangy , & de
huit d'Amiens. Il y a une Paroiffe qui
porte le Titre de Saint Pierre , & une autre
ſous celuide Sainte Marguerite hors la
Ville , près de l'Abbaye de Saint Martin ,
de l'Ordre de Saint Benoît . Les Bâtimens
de cette Abbaye , qui n'étoit autrefois
qu'un Prieuré conventuel , dépendant de
Saint Lucien de Beauvais , étant tombez
en ruine , & n'y ayant plus qu'un Religieux
, M. l'Abbé de l'Epinne , Conſeil .
ler , Clerc au Parlement de Rouen , ancien
Chanoine de la Cathédrale , homme
d'eſprit& de merite , & qui mourut au
moisde Décembre 1711. , y introduifit la
réforme des Bénédictins dela Congregation
de Saint Maur , au commencement
de l'année 1704. Aumale où l'on trouve
encore un Convent de Penitens & unde
Dominicaines , a Baillage , Vicomté
Maîtriſe des Eaux & Forêts , Lieutenant
de Police , Maire , quatre Echevins , &
autres Officiers de Ville . Son Commerce
principal conſiſte en Serges , appellées
Serges d'Aumale , & qui font fort recher-
Tome V. chées. L
,
230 MERC. GALANT.
chées Cette Ville étoit anciennement
affez bien fortifiée; mais on n'entretient
plus ni les murailles ni les Foffez . Elle a
eu des Comtes particuliers . Eudes II .
Fils d'Henri , dit Etienne , Comte de
Troyes &de Meaux , épouſa une Soeur
uterine de Guillaume le Bátard , Duc de
Normandie , & Roi d'Angleterre , qui
le fit Comte d'Aumale. Ce Comté entra
depuis dans la maiſon de Ponthieu , &
enfuitedans celle de Lorraine , par le mariage
de Marie d'Harcourt , Fille de Jean
VIII . Comte d'Aumale , avec Antoine
de Lorraine. L'un de ces Comtes ayant
fondé l'Abbaye d'Aumale , la Comteffe
Aisou Adelis , y fit venir des Religieux de
Saint Lucien de Beauvais , & le Comte
Etienne fon Fils confirma l'an 1115. tout
cequi avoitété fait touchant lafondation
de cette Abbaye. La Ville d'Aumale fut
érigée en Duché l'an 1547. par le Roi
Henri II. en faveur de François de Lorraine
, Fils ainéde Claudede Lorraine ,Duc
deGuife , qui ceda ce Duché d'Aumale à
Claude fon Frere : Ce dernier entr'autres
Enfans eut Claude de Lorraine , Pere de
Charles Duc d'Aumale.
SaMajesté a auffi donné la Coadjutorerie
de l'Abbaye de Filles de Vigniogou ,
Ordre de Cifteaux , Diocefe deMontpellier
, à Madame de Bernis .
Le Prieuré de Notre-Dame du Puy
Chevrier , dit d'Entrefin vaquant par
la
FEVRIER 1712. 231
la mort de M. l'Abbé Petitde Ville Neuve ,
Conſeiller au Parlement , à Monfieur
l'Abbé Lormande , Docteur en Théologie.
Ce Prieuré eſt du Dioceſe de Foitiers
, & de l'Ordre de Grammon.
Saint Etienne de Muret , Comte de
Thier , commença la fondation & la réformede
cetOrdredans ſon propre Païs :
maispour ſe dérober davantage au monde,
il alla choiſir dans le Dioceſe de Limoges ,
undeſert preſque inacceſſible , entre Monime
& Razez ; où il fit l'établiſſement
qui dure encore. Les Roisd'Angleterre ,
pour lors Maîtres de l'Aquitaine& du Limouzin
, contribuërent à cet établiſſement
, & les Seigneurs de Monime n'y
contribuerent pas moins , & de Pere en
Fils ilsontcontinué danstous les tems de
faire de grands Dons à cette Abbaye :
leurs Tombeauxy fontauffi ; certeMaiſon
eft éteinte , leurnomde Famille étoit
Razez.
Le 27.du mois paffé , Monfeigneur l'Evêquede
Graffedonnales prémices de fon
Epifcopat à l'Egliſe ParoiſfialedeS. Jean
l'Evangeliſte , du Cardinal le Moine , il
ychanta lematin la grandeMeffe Pontificalement
, & le foir il Prêcha dans le mêmeEgliſe
d'une maniére fort pathétique.
M. Leulier , Grand Maître du College&
Curé , n'oublia rien pour rendre la cérémonie
célébre.
L2 AR.
232 MERC. GALANT.
ARTICLE
des Questions.
Réponſe à la Queſtion ,
Qu'est-ce que le coeur a de commun
avec l'eſprita
L'Anonime Laconique.
Le coeur fent , & l'eſprit penfe.
REPONSE.
Jeſensbien que le coeur fent , & je connois
que l'eſprit penſe , tout le monde
conviendra de cette distinction ; cependant
les eſprits font à preſent ſi ſouples &
fi déliez , qu'il eſt aiſé de s'y méprendre :
àla vérité le coeur fait rarement leperſonnage
de l'eſprit , mais l'eſprit , eſt ſouvent
le Singe du coeur.
Dans l'Art de coquetter , Cidaliſe eſt
maîtreffe .
Et fon nouvel Amant l'autre jour s'y méprit
,
Ellea tantde delicateſſe
Etde rafinement d'eſprit ,
Que c'eſt preſque de la tendreſſe.
Ré.
FEVRIER 1712 . 233
REPONSE
Par l'Anonime jeune &tendre.
Il me ſemble qu'en Amour le Coeur &
l'Eſprit ont tantde rapport enſemble qu'on
pourroit les confondre, ſi l'on aimoit tou -
jours. Les ſentimens du Coeur déterminent
le caractère de l'Eſprit ; eſt ontouché
de quelque objet , les impreffions
qu'il fait fur le Coeur paſſent juſqu'à l'Efprit.
Le premier reffent , l'Eſprit comme
interprêté explique les mouvemens du
Coeur, & ces mouvemens font toujours
le principe des penſées de l'autre : en un
mot , quand on aime , l'Eſprit eſt du parti
du Coeur , il en prend les intérêts , il
entre dans tous ſes motifs , il ſe réjoüit ,
ilgemit avec lui , il en fait le Portrait , il
l'eſt lui-même : c'eſt dans le Coeur qu'il
puiſe ſes ſaillies , ily trouve la naïveté ,
l'emportement de ſes expreſſions , &
ſemblable à un écho , l'Esprit repete les
tranſports du Coeur , à proportion de fa
capacité. Mais pour marquer encore
mieux le rapport qu'ils ont enſemble ,
examinons un homme véritablement
amoureux ; est - il jaloux , le Coeur ſouffre,
il entraine l'Eſprit dans ſon deſordre , &
ce dernier s'épuiſe par contrecoup en de
triftes réflexions , quine finiront qu'avec
L3
la
234 MERC. GALANT.
lajaloufie de notre Amant malheureux ;
s'il eſt Poëte , que de Vers la maladie du
Coeur va t'elleexiger de l'Eſprit , le Coeur
outré veut exhaler ſa fureur , déja l'eſprit
eſt entré de moitié dans ſa rage , il la fert,
il la peint , & devient furieux lui même
enl'exprimant.
Mais ſi de notre Amant la Maîtreſſe eſt
abfente ,
Le chagrin à l'inftant , vient s'emparerdu
Coeur,
Il ſoupire , & ſa voix touchante
En pénétrant l'eſprit ,yporte lalangueur.
Ilſe fait alors entre le Coeur & l'Eſprit ,
une union ſi naturelle , & qui fait paffer fi
rapidement les mouvemens de l'un à l'au
tre, que le commerce qu'ils ont enfembleles
confond, & dérobe à qui voudroit
lesdiftinguer ladifferencequ'ilsont entre
eux.
Et fi dans le moment de la cruelle abfence
Le Coeur à l'objet de fes feux
Veutmarquer fon impatience,
Il veut , & c'eſt affez , l'eſprit d'intelli.
gence
Avertidès l'inſtantde ſes foins amoureux ,
Les partage , les peint , néglige toutpour
cux.
Si
FEVRIER 1712. 235
Si la Maîtreſſe à ſon tour témoigne à
notre Amant qu'il eſt aimé.
Le Coeur auparavant à la triſteſſe en
proye,
Sentdiſparoître ſon chagrin ,
Et l'eſprit à ſon tour , à l'aſpect de la joye,
Du coeur content ſuit le deſtin .
Quel'accordde l'eſprit & du coeur , eſt
charmant alors , mais qu'il eſt rare que
l'Amour les uniſſe avec tant d'agrément ;
les délices d'un retour ſincére eſt unbon .
heur inconnu pour les Nobles malheureux
, quilivrent leur coeur fans referve;
la tendreſſe eſt une vertu que le tems ou
l'inconſtancea tari dans les Femmes , la
yanité d'être aimées eſt aujourd'hui le
guidede leur coeur , & fil'Amour trouve
à s'y placer quelquefois , c'eſt un momentde
capricequi l'introduit , il ne ſubfifte
, &ne finit quepar lecaprice.
Sid'unAmourparfait le Sexe étoit ca.
pable ,
Notre fort feroit trop heureux ,
Cequ'onytrouveroit d'aimable
Suffiroit pour combler nos voeux.
Malgréla triſte experience
Des maux qu'il fait aux tendres coeurs,
Du plaifir l'aveugle eſperance
Bannit la crainte des malheurs.
Le caprice , la fourberie
Suivisdela coquetterie ,
L4
Sont
236 MERC. GALANT.
Sont les écuëils certains où l'on va ſe brifer;
Mais un appas flatteur dérobe le naufrage
,
Ledevot ſe laiſſe abufer ,
Le Philofophe eſt ſans courage ,
Le foible après leur chute a de quoi s'excufer
,
La ſageſſe eſt enfind'un ſi pénible uſage ,
Que quel que foit le danger ,
On trouve moins d'avantage
Ale fuir qu'à s'engager.
Le fuir ! helas le peut-on faire,
L'Amour , quand il ſurprend eſt un inal
néceſſaire ,
Et lors que deux beaux yeux ont ſçû nous
enflamer ,
Adieu le coeur , il faut aimer .
Suite des Nouvelles .
De Vienne le 30. Décembre.
'Archiduc a fait écrire au Prince Eſter-
Lhafi , Viceroi de Hongrie , de faire
faire à Presbourg tous les préparatifs néceffaires
, parce qu'il eſperoit y arriver le
2. Janvier , pour y recevoir la Couronne
de ce Royaume. Il arriva hier un Courrier
de ce Prince , dépêché de Francfort ,
qui a rapporté qu'il y avoit été couronné
le22. , & qu'il en deyoit partir inceffamment.
FEVRIER 1712 . 237
ment. Quelques Lettres particulières
portent , qu'après ſon Couronnement il
avoit refuſe de ſigner la Capitulation perpetuelle.
Celles de Hongrie marquent ,
que pluſieurs Troupes de Mécontens recommençoient
à faire des courſes , de maniere
qu'il n'y a aucune fûreté dans les
chemins , & qu'il y a à appréhender qu'il
ne ſe formedans ce Royaume une nouvelle
Confédération : mais on eſpére que
par une Diéte que l'Archiduc fera affembler
à Presbourg dès qu'il y aura été couronné
, la tranquillité de ce Royaume ſera
entiérement rétablie.
De Hambourgle 8. Janvier .
Les derniéres Lettres qu'on a reçûës de
Staden , portentque le Roi de Dannemarc
& le Roi Auguſte deſeſpérant de pouvoir
s'emparer de Stralzund de vive force ,
parce qu'ils trouvoient de grandes difficultez
à faire une deſcente dans l'Iſlede
Rugen , d'où cette Place tiroit tous les
fecours dont la Garnison avoit beſoin,
avoient réſolu d'attaquer Wiſmar dans les
formes , la Garniſon ayant été conſidérablement
affoiblie par la derniére fortie :
que pour cet effet , ils avoient renforcé les
Troupes du Blocus de fix mille hommes ,
&qu'ils y avoient envoyé du Canon &des
Mortiers , après quoi le Comte de Rantzau
avoit refferré cette Place très étroitement;
L
238 MERC. GALANT .
ment: que le Gouverneur ſe préparoit à
une vigoureuſe réſiſtance ; qu'il avoit fait
dépaver les ruës pour empêcher l'effet des
Bombes , & fait publier que tous lesBourgeois
, qui auroient quelque répugnance à
prendre les armes pour la défenſe de leur
Patrie, cuſſent à fortir ; que le Général
Rantzau , avoit de ſon côté fait avertir les
Habitans , que s'ils prenoient les armes
pour la défenſe de laPlace , il les traiteroit
avec la derniére rigueur ; que nonobſtant
ces menaces tous les Habitans , ainfi
que la Garniſon , paroiffoient réſolus de
ſe défendre juſqu'à la derniére extrémité;
que le 17. Decembre les Affiégeans s'approcherent
à trois cens pasde la Ville , où
ils drefferent des Batteries de Canons &
de Mortiers; que le 29. ils commencerent
à y jetter des Bombes & des Boulets rouges
, & continuerent juſqu'au 2. de ce
mois; mais avec peu de ſuccès , le Gouverneurayant
faitdépaver les ruës , & fait
pofter des troupes d'Ouvriers & d'autres
Bourgeois dans tous les Quartiers , pour
être à portée d'éteindre promptement le
feu ; que ces précautions , jointes à l'incommoditéque
les Affiégeans reçoivent de
l'Artillerie des Affiégez , qui renverfoit
leurs Ouvrages &demontoit la plupart de
leurs Canons, les obligerent à fe retirer
dans leur ancien Camp , & à convertir de
nouveau le Siége de cette Place en Blocus.
Que les Troupes du Roi deDannemare&
du
FEVRIER 1712. 239
du Roi Auguſte avoient auſſi jetté des
Bombes & des Boulets rouges pendant
vingt-quatre heures , mais auſſi ſans aucun
fuccès conſiderable , ce qui avoit déterminé
ces deux Rois à mettre leurs
Troupes en quartier d'hiver , de maniere
néanmoins que cette Place demeureroit
toûjours bloquée , par les Troupes Mofcovites,
qui étoient en marchepour venir
renforcer leurArmée , dont les Quartiers
feroient àAnclam & àGripſwald , &foûtenuës
par les Troupes Saxones , quine
retourneroientpas en Saxe avec le Roi Auguſte
; & qu'à l'égard de celles duRoide
Dannemare , elles hiverneroient dans le
Holſtein Danois.
De Madrid le 4. Janvier.
Nous venons d'apprendre , par les Lettres
du Campde Calafdu 22. , queMale
Comte de Muret avoit enfin été obligé ,
faute de Vivres &de Munitions , de lever
le Siège du Château deCardonne ; voici
ceque portentces Lettres.
Malgré leſecours que le Général Staremberg
préparoit pour le Chateau de
Cardonne, on auroit pû s'en rendre maîtres
ſi labrêche , qu'on yavoit faite , cût
étédans unendroit un peu plus acceffible.
On avoit placé une autre Batterie pour
faire une nouvelle brêche , mais la plus
grande partie du Canon ne pût ſervir ,
faute L6
240 MERC. GALANT.
fautedeMunitions. Cependant leGénéral
Staremberg étant informé que la Garniſon
étoit ſur le point de ſe rendre pareillement
, faute de Munitions & de Vivres ,
dont les Affiégeans manquoient auſſi ,
renforça le Détachement qui étoit à Salegarigale
21. avec lequel il tentade ſecourir
ceChâteau; mais après avoir été repouffé
trois fois, il fut obligé de ſe retirer avec
beaucoup de perte ; celle que firent les
Troupes du Siége dans ces trois Attaques ,
fut de foixante hommes tuez , & d'un
plusgrand nombre de bleſſez ; parmi les
premiers il y a eu le Sergent Major général
, deux Capitaines du Régiment de la
Couronne , M. le Comte de Melun , un
Capitaine deGrenadiers de la Compagnie
des Gardes à pied Eſpagnoles. LeGénéral
Staremberg , outrede n'avoir pû réüffir
dans fon entrepriſe , retourna le lendemain
à la charge : Ses Troupes furent
encore fort mal-traitées à l'Attaque du
Pont de las Corminas , gardé par les Régimens
de la Couronne & de Truxillo ,
fanspouvoir les forcer , mais ayant trouvé
moyen de paſſer la Riviére à gué , elles
prirent ces deux Régimens en flanc , &
lesobligerent à ſe rerirer en defordre . M.
le Comte de Muret donna auſſi tôt avis à
Monfieur de Vendôme de ce qui s'étoit
paffe ; envoya au Gouverneur du Château
pour avoir une Sauvegarde pour les malades
qui étoient dans la Ville , enſuite
il
FEVRIER 1712. 241
il ſe retira avec ſes Troupes & lesBagages ,
abandonnant ſon Artillerie , faute de
Voitures. Les Ennemis ne le pourſuivirent
point , & ſe contenterent de faire entrer
le ſecours dans le Château , après
quoi ils ſe retirerent .
Lettre de Sarragoſſe du 3.Janvier.
L
Es Ennemis , aunombre de quatre mille
hommes de Troupes réglées & d'un
plus grand nombre de Miquelets , attaquérentle
Camp du Régiment de la Couronne
le vingt- deux du mois paſſsé àlapointedu
jour devant Cardonne , favoriſez par un
broüillard fi épais que l'on ne voyoitpasà
quatre pas devant foi . Cependantquoique
cefutune eſpéce deſurpriſe , ce Régimentfir
tout ce que de vieilles Troupespeuventfaire,
mais il fut obligé d'abandonner ſon
pofte par laſupériorité des Ennemis ,
retirafur unehauteur où ils nejugérentpas
àpropos de lepoursuivre cejour- là.
fe
Le vingt trois les Ennemis qui étoient
quatre contre un, l'attaquérent de nouveau,
enforte qu'il fut obligé de ſe retirer. Il a
eu plus de deux cens hommes tuez oublef-
Sez. M. Bonnet , Commandantduſecond
Bataillon de ce Régiment , est dunombre
des Morts ; M. Dautray , Major , a été
bleffede troiscoups au travers ducorps ,
onne croitpasqu'il enrevienne; M.leChevalier
de Teffé, Colonel , a étéperdu une
L7 heure ,
242 MERC. GALANT.
heure , maisiln'a éténi bleſſénipris. Les
Ennemis ontperdu beaucoup de mondedanı
cetteaction , puiſque de quatre cens hommes
feulement qui fortirent delaPlacepourfavoriser
l'entrée du ſecours , cinquante furent
tuez avec l'Officier qui les commandoit,
& cent furent bleſſez .
Lefoir du même jour , M.le Comtede
Muret , qui commandoit au Siège , sçachant
que ses Troupesfouffroient extrêmement
, faate deVivres , les Soldatsn'ayant
depuis buit jours qu'un quart d'uneration
de pain, prit le parti de lever le siège ,
fansy être forcépard'autresraiſons, laisfant
l' Artillerie , faute de Mulets pour la
retiver.
Les Troupes du Siège étant arrivées au
Camp, Monfieur de Vendôme prit leparti
deferetirer: il fit lever en plein jourles
Gardes de deffus les Ruiſſeaux quisëparoient
les deux Armées, les unes aprèsles
autres, &se mit en Bataille à unquart
de lieuë des Ennemis , où l'Armée campa.
Le lendemain ilne luifit fairequ'une demilieuë;
mais le Général Staremberg n'ofa
fortir defon Camppour lafuivre.
Monfieur de Vendôme conſerve lepofte
de Cervera , oùil amis cing Bataillons
unRégimentde Dragons quin'a pasfouffert
commelesautrespendant la Campagne. Ce
Prince eft avec l'ArméeàAgramunte, oùil
diftribue les Quartiersd'Hiver aux Troupes
qui garderont la Segre. NomavonsArens,
Venas.
FEVRIER 1712. 243
Venasque , & Caftel-Leon de cetteCampagne.
Cardone l'auroit rendue plus avantageuse
, mais ce n'est pas unechose irréparable
au commencement de la Campagne
prochaine , en cas qu'on lafaſſe , lesmesu
resque l'ona déjapriſes , &que l'on prendra
pour le transport des Vivres
Munitions , donnant lieu d'efpérer que les
Troupesn'en manquerontplum.
D'Utrecht le 19. Janvier..
des
Meſſieurs les Plenipotentiaires du Roi
arriverent le 9. à Cambrai , où ils ſéjournerentle
10.
Le r . ils arriverent à Valenciennes.
Le 12. à Mons, où M. le Comte de
Dhona , qui en eſt Gouverneur , les fit
faluer par trois décharges générales de
l'Artillerie , & leur donna un grand repas.
Le 13. ils arriverent à Bruxelles , où
ils furentreçûs avec les mêmes honneurs.
M. leMaréchal d'Uxelles alla defcendre
avec M. le Commandeurde Beringhen qui
P'accompagne , chez Madame la Princeffe
d'Iſenghien qui les régala magnifiquement.
M. l'Abbé de Polignac defcendit
chez Madame de Rupelmonde qui lui donna
auſſi un magnifique fouper ; & M. Menager
, logea dans une autremaiſon avec
fesOfficiers .
Le 14. ils arriverent à Anvers où ils ſéjournerent
le 15 .
Le
244 MERC. GALANT.
Le 17. à Gorcum .
Le 18. à Utrecht .
Ils ont été reçûs dans tous ces lieux avec A.
les mêmes honneurs qu'ils l'avoient été à
Mons & à Bruxelles , les Hollandois les
ayant toûjours fait accompagner par des
Commiffaires , tant pour les faire recevoir
honorablement , que pour les défrayer
pendant toute leur route depuis
Bruxelles .
De Montpellier le 11. Janvier.
Les Etats firent faire hier un Service
magnifique pour le repos de l'ame de feu
Monſeigneur leDauphin. M. l'Archevêque
de Narbonne y officia comme Préſidentde
cette Affemblée. M. l'Evêque de
Alep prononça l'Oraiſon funebre , &Mrs.
les Evêques de Mirepoix , de Lodeve ,
d'Agde , & de Beziers firent les Abſoutes.
Tous les Députez y aſſiſtérent chacun
dans leur rang , avec le Chapitre de Saint
Pierre & ungrand concours de monde.
ARTICLE
des Enigmes.
Enigme du mois paſſé.
Peu m'ont ſçû deviner on m'appelle Fenêtre
, Vous
FEVRIER 1712 . 245
Vous lesçavez Docteurs maformefast mon
être ,
Etje puis exiſterſans corps ,
On m'en donne pourtant de foibles & de
forts.
Hors de moi les volets en cercle ſepromenent
,
Et les chaſſis en mai , haut & bas se démenent
.
Par moi se fit jadis quelque amoureux larcin,
Et par moi futſauvė jadis quelque afſfaſſin.
En tout Pais je ſuis d'unemême nature ,
Mais je change de nom en changeant de
figure.
Noms & Envois de ceux qui ont
deviné l'Enigme.
La Comteſſe des Mathurins : la ſpirituelle
Normande des Foflez : Mathieu
Fenêtrel & le Baron de Fenêtre : quand
on ne peut trouver la porte , il faut paffer
par la Fenêtre : Rigolin le Refléchiffeur :
la jolie Torti borgni-boiteuſe : Pyrame
& Thisbé .
Envoy
246 MERC. GALANT.
Envoy à la Belle endormie , Sur
l'Air , Réveillez-vous.
Belle à qui quelque Amantpeut-être
Afait quelques larcins d'amour ,
Souvenez- vous de la Fenêtre ,
Fermez la mieux , même en plein jour.
ENIGME.
Je suis né prisonnier , petit &méprisable,
Souvent de mes priſons l'on me délivre à
table ;
J'engendre des Enfans prisonniers comme
mot ,
Etje porte le nom d'un Roi.
F'enferme dans mon ſein l'image de mon
Per;e
Jenesuis point leDieu de l'Ifle de Cythere;
F'habite pourtant dans les caurs.
Ici, Mortels, verſez des pleurs ;
Unde mes logemens a tuévotre Mere ,
Etvous caufa bien des malheurs.
A UFEVRIER
1712. 247
AUTRE ENIGME.
Lorſqueparde juſtes liens
Onſçait unir à moicelui qui me reflemble,
Nous ne faiſons plus qu'un enſemble ,
Je vois tout par ſesyeux , il voit tout par
les miens ;
Sijelui faistenir quelque diſcours frivole ,
En revancheje ſçai lui couper laparole.
L
Derniéres Nouvelles.
De Rome le23. Décembre.
EPape s'eſt enfin déterminé à donner
le Chapeau de Cardinal à DonAnnibal
Albani . Sa Sainteté après avoir demandé
dans un Conſiſtoire le ſentiment
des Cardinaux fur cette Promotion , ils y
applaudirent tous , & le S. Peredit , puifquevous
lejuzez tous àpropos , nous nommeronsDonAnnibal
Albani Cardinal;&
je prie Dieu que cette Promotion ſoit à fa
plus grande gloire , Gau bien de l'Eglife.
Enfuite Sa Sainteté prononça la Formule,
& auſſi- tôt le Canon du Château S. Ange
ſe fit entendre. Tous les Cardinaux qui
ſe trouverent au Conſiſtoire , allérentce
jour-là complimenter Dona Bernardina ,
Mere du nouveau Cardinal , qui reçût
auffi
248 MERC. GALANT.
auſſi les félicitations de toutes les autres
perſonnes les plus diftinguées , & il yeut
le foir des illuminations par toute la Ville.
De Cadiz le 8. Janvier.
Un Armateur de S. Malo a amené ici
une Prife Hollandoiſe , eſtimée dix mille
Ecus. On a levé l'Arrêt qu'on avoitmis
fur deux Bâtimens Genois qui étoient
dans notre Port , & ces Bâtimens ont remis
à la voile pour retourner à Genes ;
mais l'Arrêt mis fur le Vaiſſeau Venitien
n'a point été levé , & au contraire ,
Vaifleau a étédéclaré de bonne prife .
ce
On a appris par un Vaiſſeau d'avis arrivé
de la Martinique , d'où il eſt parti le
premier Décembre , que M. Ducaffe devoiten
faire Voile le 15. avec quatre Vaifſeaux
de Guerre François qui l'y avoient
joint.
Un Vaiſſeau Anglois de 60. Canons
ayantété poufle fur nos Côtes par un coup
de Vent , y a échoüé. L'équipage qui
s'eſt ſauvé à terre , eſt venu ici , & on lui
donne la ſubſiſtance. On travaille à remettrele
Vaiſſeau à flot , &l'on eſpere y
réüffir.
D'Huningue le 15. Janvier.
Nonobſtant le débordement du Rhin ,
enFEVRIER
1712. 249
environ trois cens hommes des Ennemis ,
ayant paffé ce Fleuve dans des Bâteaux
près de l'Iſle de Newbourg , étoient entrez
en Alface , où ils avoient commencé
à piller; mais notre Commandant en
ayant eû avis , a auſſi-tôt fait fortir cent
Dragons&autant de Grenadiers pour les
aller chercher Ils les ont trouvez au
Village de Rumensheim , les ont attaquez
, en ont tué trente , & fait unplus
grandnombre de priſonniers , qui ont dit
que leur Partiſan , qui avoit été tué , étoit
l'unde leursplus fameux .
De Charleroi le 26. Janvier.
UnParti de notre Garniſon ſurprit hier
un Convoi de vingt Chariots chargez qui
alloient à Mons , ſous l'eſcorte de 30.
hommes qui prirent la fuite , dès qu'ils ap .
perçûrent qu'on alloit les attaquer ; &
comme ils eurent le tems de dételler les
chevaux , on fut obligé de brûler les Chariots
, ne pouvant les emmener .
D'Abbeville le 27. Janvier.
Un gros Parti Ennemi étant entré dans
le Boulonois , pour lever les Contributions
, a été coupé & entiérement défait
par les Troupes qui font ici en quartier .
De
250 MERC. GALANT.
De Vienne le 6. Janvier.
Quoi qu'on affecte de publier ici que
tout eft tranquile en Hongrie , on a des
avis certains que la plus grandepartiede
laNobleffeHongroiſeeſt très mécontente,
de ce qu'on n'a encore donné à la
Nation aucune fatisfaction ſur les Griefs ,
dont elle s'étoit plainte dans les précedentesDiettes
, & entr'autres de cequ'on
nedonnoit pas àdes Hongrois lesGouvernemens
des Places du Royaume ,
qu'on n'en retiroit pas les Troupes Allemandes
, ainſi qu'onl'avoitpromis.
&
L'Archiduc ne doit arriver à Presbourg
qu'au commencement de Février : quoi
que ce Prince ait fait une nombreuſe promotion
de Conſeillers d'Etat , plusieurs
Seigneurs ſe plaignent de n'yavoirpas été
compris , & particulièrement ceux qui
avoient été honorez de cette Dignitépar
l'EmpereurJofeph.
On a reçu un Courier du Réfident de
l'Empire àConſtantinople , qui a rapor .
téque leparti du Kan desTartares ayant
prévalu ſur celui du Grand Vifir , ce Miniſtreavoit
été déposéle 20. Novembre ,
tous ſesbiens confiſquez le lendemain; &
que l'Aga des Janiſſaires qui avoit été mis
à ſa place , avoit écrit au Roi de Suede ,
qu'illui meneroit au Printems une Armée
de deux cens mille hommes .
D'U.
FEVRIER 1712 . 251
D'Utrecht le 21. Janvier.
M. l'Evêque de Bristol , premier Pléni .
potentiaire de la Reine de la Grande Bretagnearriva
ici le I s. avec une nombreuſe
fuite, & M. le Comte de Strafford arriva
le 17. Après que Mrs. les Plénipotentiaires
de France y furent arrivez , ils le
firent ſçavoir aux Magiſtrats , & Mrs. les
Plénipotentiaires d'Angleterre allerent
incontinent les vifiter , & le foir Mrs. les
Plénipotentiaires de France rendirent la
viſite à Mrs. les Plénipotentiaires d'Angleterre.
Μ. le Comte del Borgo , PlénipotentiairedeM.
le Duc de Savoye , arriva le
20. , & la plupartde ceux des ſeptProvins
ces-Unies , fe font auffi déjarendus ici .
AD
252 MERC . GALANT.
!
i
i
1
1
1
ADDITION
Faite en Hollande.
Piece Nouvelle.
Epuis qu'à la mort deſtiné
DoPuouvsr lesyeux àlalumière ,
Le Tourbillon où je ſuis né
A fix fois treize fois , pour fournir ſa carriere
,
Dans fon Cercle annuel ſur ſon Axe tourné.
J'ai vû vingt huit mille & fept cent vingt
journées
D'une éternelle nuit également bornées.
J'ai vû des millions de millions d'inſtans
Aufſi- tôt dévorez qu'engendrez par le
tems.
Etdans un fi long cours d'années
Combien n'ai-je point vű de revers éclatans
!
Combien n'ai -je point vû de courſes terminées
!
J'ai vû renouveller la Terre d'Habitans ,
J'ai vû d'illuſtres deſtinées
Etre comme épics meurs au Printems
moiſſonnées ;
Et les Enfans des Dieux paſſer de leur Berceau
Dans
FEVRIER 1712 .
253
Dans l'obſcurité du Tombeau.
J'ai vû des têtes couronnées ,
Par leurs propres Sujets à la mort condam
nées,
Tomber ſous l'acier d'un Bourreaus
J'ai vû par lecomplot d'un attentat ſemblable
Des Guerriers Ottomans le Sultan rédoutable,
Expirer ſous les noeuds d'un infame cordeau.
Et que n'ai-jepoint vû qu'ai- je a voir de
nouveau ? ,
J'ai vû des vains mortels la triſteſſe& la
joye ,
J'ai vu qu'à leurs defirs , à leurs craintes
livrez ,
Ils fontdes paſſions le jouët & laproye ;
Et que d'erreur ſans ceſſe ils vivent enni.
vrez ;
J'ai vû la vanité s'élever juſqu'aux nües
Sur des Ailes de cire en un momentfonduës
;
J'ai vû lambition prendre unvol plus heureux.
Et monter par le crime au comble de fes
voeux .
Pour l'héritage le plus ample
Dontjamaison eût vû teſter
J'ai vû, ce qui n'apoint d'example,
De tous les Potentats les Forces ſe heurter.
J'ai vû les Rois jouer aux barres
Tome V. M Par
254 MERC. GALANT.
Pardes catastrofes bizares ,
Et le Fer décider tour à tour de leurs
droits .
J'ai vûdans uncourt intervale ,
Une grande Victoire être aux Vainqueurs
fatale.
J'ai vü quel Treſor ont lesRois
Dans le coeurd'un Peuple fidéle ,
Et de quelle reſſource au Trône qui chancele
,
Eſt un ſeul homme quelquefois.
J'ai vû long-tems la France éclatante de
&
gloire,
Faire voler lenom François
Sur les ailes de la Victoire ,
J'ai vû finir le cours de ſes heureux exploits
Etle Fer& la Faim la réduire aux abois .
J'ai vû ; ( qu'elle douleur pour la France
accablée
Par de continuels revers )
J'ai vûde ſes malheurs divers
Par la mort du Dauphin là meſure comblée:
Quelle perte pour elle , & pour tout l'Univers
!
Prince aimable & cheri que l'Amour & le
zèle
Aton auguſte Pere unirent conſtamment
Dans toute ta courſe mortelle,
Que ne doit point la France à ton atta
chement
Si
FEVRIER 1712. 255
Si reſpectueux , fi fidéle ,
Et que rienn'alterajamais?
Puiffe tu pour le prix d'une union ſibelle
Dans le tranquile ſein d'une gloire immortelle
,
Joüird'une éternelle Paix !
J'ai vû ceux qu'un heureux orage
Avoit rejettezdans le Port ,
Croire alors avoir fait naufrage
Etdéplorerſur le rivage
Latranquilitéde leur fort.
J'ai vû differentes Ivreſſes
De vin , d'amour , de vanité :
J'en ai vû de toutes eſpeces ,
Mais cellesdont la qualité
Cauſedeplus fâcheux vertiges ,
Qui d'ordinaire attaque , & l'eſprit & le
coeur.
Et ſouvent dupaſſé n'y laiſſe aucuns veſtiges
,
C'eſt l'Ivreſſe de la Faveur.
J'ai vu la jeuneſſe ſaiſie
D'une agréable freneſie.
Aller enmaſque au Carnaval ;
Ettous les jours l'Hipocryſie
Maſquer à laCourbien ou mal .
J'ai vû,j'ai mépriſé la baſſe jaloufie
:
Que lagloire d'écrire a le don d'exciter..
J'ai vûdeuxpartis diſputer
De la vérité ſans l'entendre ;
LePublic ſans en rien comprendre,
Pour l'un ou l'autre s'entêter :
M 2 Et
256 MERC. GALANT.
Etde leur diſpute autentique ,
Qui s'entend moins , plus on l'explique;
J'ai vu qu'après un long débat ,
Après réplique ſur réplique,
Lahainedes partis étoit le réſultat.
J'ai vú l'exceſſive prudence
Ne ſervir qu'à nous decevoir ;
L'extréme avidité d'avoir
Faire vivredans l'indigence ;
Le ſeul intérêt tout mouvoir ;
Etlaprofondeur du ſçavoir
Differerpeu de l'ignorance.
J'ai vû d'un peu de vent les hommes ſe
nourrir ,
Etnes'attacherqu'à paroître.
J'ai vû qu'en cherchant à connoître ,
On n'apprenoit qu'à diſcourir .
J'ai vûles Nations avides de carnage
S'attrouper tous les ans pour ſe faire périr,
Mettre à s'entretuër la grandeur du courage
,
S'enfaire unmétier glorieux ,
Etdes triftes effets de leur funeſte rage
Aller pompeuſement rendre graces aux
Cieux.
Nous avons hérité de nos premiers ayeux;
Dès l'enfance du monde ils ſe firent la
Guerre ,
Et le meurtre dès lors enſanglanta la terre,
Juſqu'à quand ſuivrons nous leur exemple
odieux ?
FEVRIER 1712. 257
O Paix Fille du Ciel , vien te montrer
auxhommes
Vien calmer leur noire fureur ;
En toi ſont tous les biens , & la Terre ou
nous ſommes
N'eſt ſans toi qu'un ſéjour , qu'un ſpectacled'horreur.
Explication spécifique des Offres de la
France pour la Paix Générale , àla
Satisfaction de tous les Intéreſſez à la
Guerre préſente.
LERoi reconnoîtra , en ſignant la Paix , la
Reine de laGrande-Bretagneen cettequalité
, auſſi -bien que la Succeſſion à cette Couronne
, ſuivant l'établiſſement préſent , & de la
maniere qu'il plaira à S. M. Britannique.
Sa Majefté fera démolir toutes les Fortifications
de Dunkerque , immédiatement après la
Paix , moyennant un équivalent à ſa fatisfaction.
L'Iſle de S. Christophe , la Baye & le Détroit
de Hudson , feront cédez en entier à la Grande-
Bretagne , &, reſpectivement,
L'Acadie, avec le Fort& le Port-Royal , feront
reſtitu ez en entier à Sa Majefté.
Quant à l'Iſle de Terre- Neuve, leRoi offrede
la céder encore à la Grande -Bretagne ; en ſe réfervant
ſeulement le Fort de Plaisance , & le
Droit de pêcher &de ſécher la Moruë , comme
avant laGuerre,
Onconviendra de faire un Traité de Commerce
avant ou après la Paix , au choix del'Angleterre
, dont on rendra les Conditions égales en-
M 3 tre
258 MERC. GALANT.
R
tre les deuxNations , le plus qu'il ſera poſſible.
Le Roi conſentira , en ſignant la Paix , que
les Pais-Bas Espagnols cédez à l'Electeur de Baviere
par leRoi d'Eſpagne , ſervent de Barriére
aux Provinces.Unies ; & pour l'augmenter , il
yjoindra Furnes & Furner-Ambaght , la Knocque,
Ipres. &la Châtellenie de Menin avec ſa Verge:
En échange , Sa Majesté demande , pour former
la Barriére de France , Aire , S. Venant .
Bethune, Doüay , & leursdépendances .
Si les Etats Généraux veulent tenirdes Garni.
fons dans les Places fortes de la Barriére , ainſi
formée des Etats cédez à S. A. Electorale , &
de ce que la France yjointdu fien , Sa Majeſte
conſent qu'ils y mettent leurs Troupes en ſi
grand nombre qu'il leur plaira , & de plus ,
qu'elles foient entretenuës aux dépens du Païs.
Au moyen de cette ceſſion &de ce conſentement
, le Roi de ſon côté demande , pour équivalent
de la démolition de Dunkerque , les Villes
& Citadelles de Lille & de Tournay , avec
leurs Châtellenies &dépendances.
La Barriére ainſi réglée entre la France &les
Etats Généraux , le Roi accordera, pour augmenter
le Commerce de leurs Sujets , ce quieft
tipulé par le Traité de Ryfwick& le Tarifavan .
tageux de 1664. , à l'exception ſeulement de
fix genres de Marchandises dont on conviendra ,
&qui demeureront chargez des înêmes Droits
qui ſe payent aujourd'hui, enſemble l'excep.
zionde so. fols par Tonneau ſur les Vaiſſeaux
Hollandois , venans en France des Provinces .
Unies& des Païs étrangers .
A l'égard du Commerced'Eſpagne & des Indes
, le Roi s'engagera , non ſeulement aux
Etats Généraux , mais encore à S. M. Britanni.
que , & à toutes les autres Puiſſances , en vertu
du pouvoir qu'il en a , que ces Commerces ſe
feront précisément , & en tout,de la même mamiere,
qu'ils ſe faisoient ſous le Régne & jufqu'à
FEVRIER 1712. 259 F
qu'à la mort deCharles II.; & promettra , que
les François s'aſſujettiront , commetoutesles
autres Nations , aux anciennes Loix & Réglemens
faits par les Rois Prédéceſſeurs de S.M.
Catholique , au fujet du Commerce & NavigationdesIndesEſpagnoles.
Sa Majefté de plus confent , que toutes les
Puiſſances de l'Europe entrent en garantie de
cettepromeſſe. Sa Majefté promet , que le
Roi fon Petit- Fils renoncera , pour le bien de la
Paix , à toute prétention fur les Royaumes de
Naples & de Sardaigne , aufli bien que ſur leDuché
de Milan , dont Elle conſentira audit nom
que la partie cedée au Duc deSavoye demeure
à S. A. Royale, bien entendu que moyennant
cette ceſſion , la Maiſon d'Autriche ſe déſiſtera
pareillement de toute prétention ſur les autres
parties de la Monarchie d'Eſpagne , d'où elle
retirera ſes Troupes immédiatement après la
Paix.
Les Frontiéres de part & d'autre fur leRhin
feront remiſes au même état qu'elles étoient
avant la préſente Guerre.
Moyennant toutes les conditions ci-deſſus ,
le Roi demande que les Electeurs de Cologne&
de Baviere foient rétablis dans la pleine& enticre
poſſeſſion de leurs Etats , Dignitez , Prérogatives
, Biens , Meubles & Immeubles , dont
ils joüiloient avant la préſente Guerre : & réciproquement
, Sa Majeſté reconnoîtra dans l'Allemagne&
dans la Pruffe , tous les Titres que
juſqu'à préſent Elle n'a pas reconnus .
Le Roi reftituera au Duc de Savoye ce qu'il
lui a pris pendant cette Guerre , comme pareillement
S. A. Royale lui rendra ce qu'Elle a pris
fur la France ; de forte que les Limites de part
& d'autre feront les mêmes qu'elles étoient
ayant la Déclaration de la Guerre.
Les choſes pour le Portugal feront rétablies&
demeureront fur le même pied en Europe qu'elles
étoient ayant la préſente Guerre, tantà l'é-
M 4 gard
260 MERC. GALANT
gardde la Franceque de l'Eſpagne ; & quant
auxDomaines qu'ilsont dans l'Amerique , s'il
ya quelquedifférend àrégler , ontâchera d'en
convenir à l'amiable.
, que
Le Roi conſentira volontiers , & de bonne
foi , àprendre de concert avec les Alliez, touręs
les meſures les plus juſtes pour empêcher o
les Couronnes de France & d'Eſpagne foientjamais
réünies ſur une même Tête , c'est- à-dire
qu'un même Prince puiſſe être tout enſemble
Roi de l'une& de l'autre .
Tous les précédens Traitez , ſçavoir ceuxde
Munster & les fuivans , feront rapellez & confirmez
, pour demeurer dans leur force & vigueur
; à l'exception ſeulement des Articles
auxquels le Traité de Paix à faire préſentement
aura dérogé , ou changé quelque choſe.
Signé , HUXELLES.
Auſſi - tôt qu'on vit en Angleterre ces
offres de la France, la Chambre des Seigneurspreſenta
là-deſſus l'Adreſſe ſuivante.
Adreſſe dela Chambre des Seigneurs à la
Reine.
Ous les très humbles & très fidéles
NoSujets de votre Majeste les Seigneurs
Spirituels & Temporels affemblez
en Parlement, demandons très humblement
la permiffion de témoigner à Votre
Majesté notre juſte indignation , contre
l'indigne traitement fait par la France a
V. M. , en ne propoſantde reconnoître le
Titre de V. M. à ces Royaumes qu'après
la Signature de la Paix .
Nous
FEVRIER 1712. 261
Nous ne pouvons nous empêcher de
marquer auſſi le dernier reſſentiment contre
les conditions de Paix , offertes à V.
M.& à ſes Alliez , par les Plénipotentiaires
de France , & nous affurons Votre
Majesté avec le dernier zèle & affection ,
que nous hazarderons nos vies & nos
biens pour aſſiſter V. M. à pouffer laGuerre
conjointement avec les Alliez , juſqu'à
ce qu'on puifle obtenir une Paix füre &
honorablepour V. M. & pour ſes Alliez.
J
RéponsedelaReine.
MYLORDS,
E vous remercie de tout mon coeur du
zèleque vous faites paroître pour mon
honneur , & des affurances que yous
medonnez de me foutenir.
Dans le moisprochainondonnera lesdemandesque
les HautsAlliezdoiventfaire,
contre les offresde la France.
TABLE
TABLE.
A
Vertiflement touchant l'arrangement
des matières dans le Mercure , pag.
1350
Cantate fur le recouvrement de la ſantéde
Monſeigneur le Comte de Toulouſe ,
136.
Extrait du Voyage de M. Chambon dans
lesMinesdePologne , 140
Supplement aux Etrennes dumoispaffé,
ISI .
Nouvelles de Londres , 153. De L'ille
155. De Berlin & de Warſovie , 156.
De Rome , 157. De Vienne , &de
Hambourg , 160. De Lisbonne & de
Cadiz , 161. De Toulon & Namur ,
162. De Dunkerque & de Lauterbourg
, 163. DeThionville , de Condé
, &de Meſſine , 154
Lettre ſur un petit vol fait chez Payen ,
Traiteur ,
Odede M.de la Motte ,
165
168
170
Madrigal par la jeune Muſe , 171
Madrigal à une Femme jaloufie,
Abregéde la fameuſe queſtion ſur la circulation
du ſang par le coeur de Fetus ,
172.
Avanture arrivé nouvellement dans un
Bal , 187
Vers fur l'inconſtance , 194
Lettre ſur la nouvelle Edition de la Vie de
Charlemagnepar Eginhard , 196
Lettre
TABLE.
Lettre ſur une nouvelle Machine pour ſcier
les Marbres . 201
Chanſon nouvelle , 203
Morts , 205
Mariages , 207
Lettre à une Demoiselle Suedoiſe ſur ſon
Portrait , 209
Demiffion de M. le Peletierde la charge
de premier Preſident , & M. de Meſmes
choiſi à ſaplace , 213
Quatrains ajoûtez à ceux que Voiture fit
pourMonfieurd'Avaux , 217
M.Ravotcontinué Prévôt des Marchands
deLion , 218
Extrait d'un Livre nouveau , qui a pour
Titre Nouveaux Dialogues des Dieux ,
ou reflexions ſur les paſſions ; avec un
Diſcours ſur la Nature du Dialogue ,
219.
Caractére de Platon , 220 &221
Compliment de la Sorbonne à M. lepremier
Preſident , 224
Benefices , 227
Queſtions & Réponſes, 226.232. &fuiv .
Nouvelles de Vienne , 236. De Hambourg
& de Madrid, 239. De Saragoffe
, 241. D'Utrecht , 243. De
Montpellier , 244
Article des Enigmes , 244
Nouvelles de Rome , 247. De Cadiz ,
d'Huningue , 248. De Charleroi ,
d'Abbeville, 249. DeVienne , 250.
D'Utrecht , 251
AD
TABLE.
ADDITION
Piece nouvelle ſur la vanité & l'incertitudedes
choſes de ce monde , 252
Conditions offertes par la Francepour la
Paix générale. 257
Adreſſe des Seigneursde la Grande Bretagne
à la Reine , avec la Réponſe de Sa
Majesté , 260
AVERTISSEMENT.
T. Johnson , Libraire à la Haye , fait
imprimer , &donnera dans peu de tems
au Public La Conduite des Alliez&de
l'Ancien Ministére d'Angleterre dans la
preſente Guerre , avec les Réponses&c.
Le tout accompagné de toutes les Pieces
&de tous les éclairciſſemens néceſſaires ,
pour donner une parfaite intelligence des
affaires preſentes d'Angleterre & du refte
de l'Europe ; comme auſſi du fondement
des preſentes Négociations de Paix , lefquelles
feront toutes éclaircies dans la ſuitede
cesMémoires ..
Il debite actuellement la 2. Edition ,
augmentée, dupremier vol . de cet Ouvrage,
ſur la Conduite de lapreſente Guerre
fur lesNégociations de Paix , jusqu'à la
findes Conférences de Geertruydenberg, 8.
où l'on peut voir tout ce qui s'eſt paffe
dans les précedentes Négociations , & la
grande différence qu'il y a entre les offres
que la France faiſoit alors & celles qu'elle
vient defaire preſentement.
MERCURE
GALAN T.
PAR MR. DU FRESNY.
Mois de Mars 1712.
Sur la Copie de Paris.
AVEC DES ADDITIONS.
A LA HAYE ,
Chez T. JOHNSON .
M. DCC XII..
!
Livres Nouveaux fur les affaires du
Tems , qu'on trouve chez T. Johnfon
, Libraire à laHaye .
Lettres& Mémoires ſur la conduitedela preſente
Guerre , & fur les Négociations de Paix.
Tome I. ſeconde Edition , corrigée & augmentée.
Il Imprime actuellement le II. & le III.
vol . du même Ouvrage , quiſeront fort curieux
auſſi -bien que lepremier.
L'Histoire de l'Empire Ottoman par Ricaut , où
l'on voit l'Origine & les progrès desTurcs, les
Vies&lesConquêtesde rous leurs Sultans,leurs
Guerres,SSiiééggeess&CombatsparMer&parTerre
, les Révoltes & Révolutions extraordinaires
, & généralement tout ce qui s'eft paſſé de
confiderable dans cet Empire depuis fon Commencement
juſqu'à 1704 avec un détail curieux
desGuerresen Hongrie & fur les Frontiéresde
Pologne &de Mofcovie , & une Carte exacte de
tous cesPaîs, en 3. vol.
On trouve chez le même Libraire toutes les
Piéces curieuſes touchant les affaires d'Angleterre
, & les autres affaires du tems .
Il imprime tous les Lundis le Miſantrope ,
qui eft une Critique fine & ſenſée des Moeurs
du Siécle .
On trouve auſſi chez lui un Recueil de toutes
les meilleures Comedies Angloiſes , fort proprement
imprimées en pluſieurs petits Volumes.
8.
Les Oeuvres de Crébillon , contenant Idoménée
, Atrée& Thyeſte , Electre , & Rhadamisthe
Zenobie , quatre nouvellesTragedies qui ont
étéreçûë savecgrand aplaudiſſement enFrance.
La derniére piéce a été jouée àParis ſeptantequatre
fois de ſuite : ſuccès prodigicax&fans
exemple.
MERCURE
GALANT.
MARS 1712 .
MortdeMonseigneurle Dauphin&
deMadame la Dauphine.
Ls ne font plus ; le Dauphin
n'a pû furvivre à ſonEpouse;
il n'a pû ſupporter ſa perte ,
commentpourrons -nous fupporter
la nôtre ? Toute la France eſt
muette&conſternée , ſi ſa douleur ne va
pasjuſqu'au deſeſpoir. Quelle reſſource
de conſolation faut- il qu'elle ait trouvée
dans ſon Roi ? Cette image de ſes vertus
nous eſt donc enlevée ; que d'afflictions
depuisuntems ! Nous nous sommes attiré
des coups fi terribles : mais leCiel a
épuiſe ſur nous toute ſa colére. Oüi fans
N2 doute ,
268 MERC. GALANT.
doute , ſa main s'eſt laſſée à force de nous
châtier ; elle va ſe repoſer pour longtems
.
Madame la Dauphine , Marie-Adelaide
de Savoye , mourut à Verſailles le 12. de
cemois , enſa vingt-fixiéme année.
Monſeigneur le Dauphin , Loüis de
France , mourut à Marli le 18. en la trentiéme
année de ſon âge , étant né le 6.
Août 1682 .
Mémoiresfurcesdeux morts.
Le Vendredi 12. Février 1712. Marie-
Adelaide de Savoye , Epouſe de Monfeigneur
Loüis , Dauphin de France , mourut
après avoir reçû ſes Sacremens le jour
précedent , avec une parfaite réſignation
aux volontez de Dieu , & de grands ſenzimens
de pieté. Si-tôt qu'elle fut décedée
, ce mêmejour 12. Février à huit heures&
demiedu ſoir,le Roiſe retira à Marli
, où l'on tranſporta Monſeigneur le
Dauphin malade le Samedi 13. Février ,
à ſept heures du matin. La mort d'une
Epouſe qui lui étoit ſi chere , rendit ſa maladie
mortelle ; il expira le Jeudi 18. du
même mois .
Parlons d'abord de ce qui ſe paſſa au
premier de ces deux funeſtes évenemens .
Ce ne furent que cris & que larmes dans
tour
MARS 1712. 269
tout le Château de Versailles. On peignalaPrinceffe
, onla coëffa en linge uni
avecdesRubans noirs & blancs , & en cer
état elle fut expoſée au Public tout le Sa
medi ſuivant .
LeSamedi 1 3. auſoir fort tard , elle fut
enſevelic & miſe dans ſon cercuëil , par
Madame la Ducheffe de Lude , &Madame
la Marquiſe de Mailly , celle-là tenan
la tête , celle-ci les pieds.
Elle reſta tout le Dimanche ſur ſon lit
dans fon cercueil , fans aucun appareil
que fix cierges , parce qu'on préparoit
dans laChambre d'auprès ſon lit de parade,
où elle fut miſe le Lundi 15. &expoſéeaupublic.
Le Jeudi 18. Monſeigneurle Dauphin
n'ayant fair paroître d'autre inquiétepen
dant toutelanuitprécedente,que cellede
parvenir au moment auquel il pourroit
entendre la Meſſe , & recevoir le Saint Sacrement
, ſon inquiétude ceſſa quand il
eut fatisfait à ces deux devoirs : il mourut
( après avoir recommandé ſon Ame à
Dieu, & l'avoir prié de conſerver longtems
laperſonne ſacrée du Roi , pour l'intérêtdeſes
Peuples ,) àhuit heures & demie
du matin. Le Roi ſe retira dans lepenultiéme
Pavillon de Marli à gauche , &
dès queMonſeigneur le Dauphin pût être
enſeveli , on l'apporta à Verſailles , &
onlemitdans le même litde parade avec
Madame la Dauphine. Les deuxgrilles
N3
de
270 MERC. GALANT.
de Versailles étoient tenduës de noir fans
écuffons . Toutes les arcades du Veſtibule
, le grand Efcalier , la première Salle
desGardes , & tout l'appartement de Ma.
dame la Dauphine , étoient tendus jufqu'au
plafond : deux bandes d'Ecuffons
régnoient depuis les dehors de la Cour
juſques à la Chambre où le Prince & la
Princeſſe étoient expoſez .
Un concours infini de Peuple , vint
pendant tout le tems que les corps du
Prince &de la Princefle furent expoſez ,
&paſſoit au travers du Salon , par laGalerie
, juſques à une barriére qu'on avoit
faite pourne donner paflage que par l'autre
Salle des Gardes ; & cela dura jufqu'au
Mardi à midi. Quatre Peres de la
Miſſion , quatre Peres Feüillants , &
quatre Peres Recollets , avoient veillé
jour& nuit autour du lit de parade , &
fur les cinq heures du ſoir du Mardi 23 .
Monſeigneur le Duc d'Orleans , qui avoit
été Mercredi 17. donner l'eau benîte au
Corps de Madame la Dauphine , devant
conduire la pompe funebre , vint en donner
avant la levée des Corps du Prince &
de la Princeffe. Meſſeigneurs les Evêques
ayant aufli donnéde l'eau benite ſur
les Corps du Prince & de la Princeſſe
Monſeigneur l'Evêque de Senlis , accompagné
de Meffeigneurs les Evêques de
Montauban , de Tournay , & d'Autun ,
des Aumôniers , du Curéde la Paroiffede
VerMARS
1712. 271
Verſailles en ſurplis & en étole , ayant
entonné Exultabunt , pluſieurs Peres de
la Miffion commencerent à chanter le
Miserere.Monſeigneur le Duc d'Orleans ,
Monfieur le MarquisdeDangeau , Chevalier
d'Honneur , Monfieur leMaréchal
de Teffé , premier Ecuyer , les Dames
d'Honneur , &les Dames du Palais , qui
étoient dans la Chambre où la Princeſſe
étoit morte , s'avancerent dans celle du
lir de parade : fçavoir , Madame la Ducheffe
du Lude , & Madame la Comteffe
de Mailly , Dames d'Honneur ; les Dames
du Palais , Meſdames la Marquiſede
Dangeau , de Roucy , de Nogaret , d'O,
deMongon , de Levy , d'Eſtrées , ayant
àleur tête Madame la GrandeDucheffe ,
Madame la Princeſſe de Conti , Madame
la Ducheffe de Vendôme , & Mademoiſelle
de la Roche - sur - Yon. Toutes ces
Dames ſuivoient les Corps du Prince &
de la Princeffe , portez par dixGardes du
Corps à chaquecercueil , & deux à chaque
quaiſſe , où étoient renfermées les
entrailles ; lors qu'ils furent fur l'eſcalier
, la Muſique entonna un De profundis
enfaux bourdon , qui dura à peu près
le tems que les deux cercuëils & les deux
quaiſles furent poſez dans le Char funebre
; les Gardes Françoiſes & Suiffes
étoient ſous les Armes. Alors on commença
à défiler en cet ordre ; Premiére .
ment:
N4 Cent
272 MERC . GALANT.
Cent Pauvres habillez d'une capegrife
& claire , pliffée , qui leur deſcendoit
juſqu'aux pieds, avec un cocluchon &
une ceinture , ayant chacun un flambeau
à la main. Une Compagnie des Gardes
du Corps ; cent vingt Mouſquetaires ,
ſoixante de chaque Compagnie , ſuivis
de celles des Gendarmes & Chevaux-Legers
, après leſquels ſuivoient les Carofſes
de deüil , de Meſſieurs les Officiers
de Monſeigneur le Duc d'Orleans , ceux
deMonſeigneur leDauphin , &deMadame
la Dauphine , ſuivie de leurs Valets
de pied; tous ces Caroſſes étoient àhuit
Chevaux.
PremierCaroſſedeMadame laDauphine.
S.A. S. Madame laDucheffe.
Madame la Ducheffe du Lude , Dame
Honneur.
Madame la Duchessed'Harcour.
MadamelaDucheffede Duras.
Madamela Marquise de Rouſſy , Dame
duPalais.
MadamelaMarquise du Mailly , Dame
duPalais.
Madame la Marquise du Laigle , Da
me d'HonneurdeMadame la Ducheffe.
Sc
MARS 1712. 273
Second Caroffe.
S. A. S. Madamela Ducheſſe de Vendo.
me.
MadamelaDuchefſe d'Eftrées.
Madamela Princeffe de Chimay.
MadamedeNogaret.
MadamedeMouſereaut.
Madame la Marquise de Braſfac , Dit
med'Honneur de Madame de Vendôme .
Troifiéme Caroffe .
S. À. S. Mademoisellede Conti.
Madamela Ducheffe de Sully.
Madame la Ducheſſe de la Ferté.
Madame la Marquise deNangy.
Madame laMarquise de la Vrilliere.
MadamelaMarquise de Liftenay.
QuatriémeCaroffe.
S. A. S. Mademoiselle delaRoche-fur-
Yon .
MadamelaComteſſed'Egmont.
Madame la Princeſſe de Talmont.
Madamede Clermont.
Madamela Marquise dePolignac.
Madame la Marquise de la Vrilliere.
MadamelaMarquise de Chumbouard.
NS
Cin
274 MERC. GALANT.
Cinquiéme Caroffe.
Madame laGrande Dacheſſeſeule dans
lefond,avecMadamela Comteſſe deMaily.
Et enſuite ſuivirent les Pages deMonſeigneur
le Dauphin & de Madame la
Dauphine. Le Caroſſe enſuite de Monſeigneur
le Duc d'Orleans , où il étoit
ſeuldans le fond , avec Monfieur le Marquis
de la Fare , ſon premier Capitaine
des Gardes , & Monfieur le Comte d'Eftampes
, ſecond Capitaine des Gardes .
Dans les autres Caroffes de ſa ſuite ,
étoient Meſſieurs d'Armentières , de Simiane
, deMarivat. Tous ces équipages
&cortégesfurent ſuivis des Pages duRoi,
avec les livrées du Roi ſans deüil , ayant
tous un flambeau à la main , auſſi-bien
que Meſſieurs les Moufquetaires , Gendarmes
, Chevaux Legers , qui tous
avoient leur habit d'ordonnance. A la
tête de ce défilé , les Caroſſes dans lefquels
étoient M. l'Evêque de Senlis , premier
Aumônier de Madame la Dauphine ,
M. l'Evêque de Tournay , M. l'Evêque
de Saint Omer , M. l'Evêque de Montauban
, & M. l'Evêque d'Autun , au milieu
M. le Curé de Verſailles en Eſtole d'un
côté , le Pere de la Ruë & le Pere Martineau
, celui-là Confeſſeur de Madame la
Dau
MARS 1712. 275
Dauphine , celui - ci de Monſeigneur le
Dauphin , de l'autre côté : enſuite parurent
les quatre Heraults d'Armes , avec
le Roi d'Armes à leur tête. Le Char étoit
accompagné de quatre Aumôniers en Rochet
, manteau & bonnet carré , tous
quatre à cheval , tenans chacun un des
quatrecoins dupoële , ce Char étoit atrelé
de huit chevaux caparaçonnez . Les
Recollets de Verſailles accompagnerent
leconvoi juſqu'à l'avenue. Il entra dans
Paris àdeuxheures &demie après minuit ,
toute la Rue Saint Honoré , où les Feüillants
, les Capucins , les Quinze-vingts ,
Saint Honoré , firent leurs Prieres avec
chacun leurClergé , ayant leurs Croix &
leurs chandeliers , ſe preſenterent au paffage
pour chanter unDe profoundis. Sitôt
qu'on apperçûtde Saint Denis les premiers
flambeaux , l'on ſonna un Bourdon
durant un quart d'heure , pour ſignal à
toutes les Egliſes de SaintDenis , Collégiales
, Paroiffes , & Communautez
d'hommes , pour ſe préparer à aller au
devant avec les Religieux de SaintDenis.
Tout le Clergé des autres Egliſes s'étant
rendu dans celle de l'Abbaye , on fonna
une ſeconde fois un Bourdon ſeul , pour,
ſe préparer à partir . On avoit commencé
àdire desbaſſes Meſſes dès quatre heures
du matin , dans les Chapelles duChever
, Chevet c'eſt la partie haute de l'Egliſe
de SaintDenis , derrière leChoeur ,
N &
276 MERC. GALANT.
le lieuoù feront expoſez pendant quarante
jours les Corps du Prince & de la Princefſe.
Tout le cortége paroiſſoit s'approcher ,
leClergé de Saint Denys , ayant les Religieux
à leur tête , en formerent unconfidérable
, & allérent au devant du convoi
juſques à la porte de Paris, qui étoittendue
avec deux rangées d'Ecuffons , auffi
bienque la première porte d'entrée ſur le
parvis. Le Convoi ayant joint, ils entonnerent
le Libera. Tout défila fur la
place où étoientpluſieurs Compagnies des
Gardes Françoiſes &Suifles , ſous les armes;
les Pauvres entrerent dans l'Eglife
avec leurs flambeaux . Monfieur de Dreux,
&Monfieur Deſgranges , firent diſpoſer
les fiéges & les carreaux dans le Choeur
pour lesDames.
Monſeigneur le Duc d'Orleans , Monfieur
leMarquis de Dangeau , & Monfieur
le Maréchal de Teffé , s'allerent placer
d'abord au Choeur ; enfin leClergé & les
Religieux étant entrez , le Char étant arrivé
devant la porte de l'Eglise , M. l'Evêque
de Senlis en chape & en mitre , le
Prieur de Saint Denis en chape , accompagné
de deux Religieux en Dalmatiques ,
attendirent que lesdeux cercuëils fuffent
apportez fur deux Tables , l'un auprès de
l'autre , placez au milieu , ſous la plateforme
à l'entrée pour commencer leurs
Harangues.
CesdeuxHarangues finies , Madame
la
MARS 1712. 277
1
1
la grande Ducheſſe étant revenuë du
Choeur au lieuoù elles ſe firent , pour repreſenter
auprès de Madame la Dauphine ,
on avoit mis ſur les cercueils de plomb ,
enfermez dans un cercueil de bois de chêne
, & couvertd'un velours , croisé d'une
moire d'Argent , à travers lequel pafſoient
trois Anneaux de chaque côté, un
poëfle noir avec une Croix herminée ,
tout le poëfle bordé d'hermine de lahauteur
dedix pouces , & par deſſus ce poëfle
uneautredeDrap d'Or , avec les Ecuffons
brodezdeMonſeigneur le Dauphin , aufquels
étoient jointes les Armes deMadame
la Dauphine ſans brifures , n'y ayant
quecellesde Savoye , qui fontdeGueules
à une Croix d'argent , ainſi qu'elles paroiffoient
alternativement dans les Ecus
de Velours , chargez d'Ecuffons , quirégnoientautourdu
Choeur juſqu'à l'Autel,
celles de Monſeigneur leDauphin ſeuls ,
alternativement jointesà celles de Madame
laDauphine. Enſuite on avança dans
le Choeur , les Gardes du Corps eurent
ordre du Maître des Cérémonies , de
prendre leCorpsde Madame la Dauphine
le premier , pour le porter ſur une eſtrade
de trois dégrez qui étoit dans le Choeur ,
&celuideMonſeigneur le Dauphin , lefquels
étant placeż fur deux Tables , le
poële de Drap d'Or , ſeulement étendu
deffus , cinq douzaines de cierges autour,
furmonté d'un Dais en l'air; le Miſerero
achevé ,
N7
278 MERC. GALANT.
achevé , on chanta le Subvenite , Kyrie
Eleison , Pater nofter , pendant quoi M.
l'Evêque de Senlis jetta l'eau benîte autour
, encenſa , & le Pere Prieur enſuite ,
&M.de Senlis ayantfini l'Abfolution , ce
qui conduifit juſqu'à ſept heures trois
quarts; ons'alla repoſer une demi heure,
après laquelle M. de Senlis vint commencer
la grande Meſſe , qui dura juſques à
neufheures trois quarts .
Les coeurs deMonſeigneur le Dauphin,
&de Madame la Dauphine , furent por .
tez au Val de Grace le Vendredi au foir .
Ils y arriverent à minuit.
En attendant un détail de certe cérémonie
, voici le Diſcours que fit Madame
l'Abbeffe du Val de Grace en les recevant.
Discours de Madame l'Abbeſſe du
Val de Grace.
C'eſt , Monſeigneur , dans les ſenti.
mens d'une vive douleur , avec un pro .
fond reſpect , & une parfaite reconnoif.
fance , que nous recevons les Coeurs de
Monſeigneur leDauphin &de Madame la
Dauphine , que le Roi nous fait l'honneur
denous confier. Cegrand Prince ,
&cette grande Princeſſe faifoient lebonheur
de la Cour , & l'eſperance des Peuples
, par leurs auguſtes qualitez , & s'étoient
attiré l'eſtime de notre grandMonarque
MARS 1712. 279
narque par leurs héroïques vertus : puifque
le Ciel n'a point exaucé nos prieres
en leur rendant une ſanté ſi prétieuſe à la
France , & qu'il les a voulu priver d'une
Couronne Temporelle , nous allons ,
Monſeigneur , redoubler nos voeux pour
leur en obtenir une éternelle.
M. le Dauphin étoit le vingt - uniéme
Dauphin de la maiſon de France , depuis
laceſſion du Dauphiné par Humbert , dernier
Dauphin de Viennois , en 1349.lequel
Humbert ſe voyant Veuf& ſans Enfans
, diſpoſa de ſes Etats en faveur des
Fils aînez & préſomptifs , héritiers de la
Couronnede France , à la charge & con .
dition , qu'ils en porteroient le Nom &
les Armes ; & le premier qui a porté cette
qualité a été Charles de France , Fils du
Roi Jean, qui lui ſucceda à la Couronne
en 1364. , ſous le nomdeCharles V. De
cesvingt & un Dauphins ily en a eu neuf
qui ont étéRois , les douze autres étant
morts ſans être parvenus à laCouronne.
Ceux qui ont été Rois ont été Charles V. ,
Charles VI . , Charles VII . , Loüis XI. ,
Charles VIII. , Henri II . , François II .
Loüis XIII . , & Louis XIV. Il y a eu
neufDauphins mariez , étantDauphins,
&dix Dauphines , parce que Louis XI.
aétémariédeux fois étant Dauphin . Sa
premiére Femme , Marguerite d'Ecoffe ,
mourut Dauphine ; & faſeconde , Charlotte
280 MERC. GALANT.
lotte de Savoye , devint Reine. De ces
dix Dauphines il n'y en a eu que cinq de
Reines : fçavoir , Jeanne de Bourbon ,
Femme du Roi Charles V.; Maried'An.
jou , Femme du Roi Charles VII.; Char
lotte de Savoye , ſeconde Femme du Roi
Loüis XI.; Catherine de Medicis , Femme
du Roi Henri II . ; & Marie Stuart ,
Femme du Roi François II . Cette triſte
mort de M. le Dauphin , fait queM. le
Duc de Bretagne devient le vingt-deuxić.
meDauphin. Il eſt très fingulierde voir
qu'en dix mois & quatre jours nous
voyons troisDauphins : ſçavoir , Loüis V.
Dauphin de Viennois , mort le 14. Avril
1711. , Pere de Louis VI. , auffi Dauphinde
Viennois , qui vient de mourir ,
connu ci -devant ſous le Titre du Duc de
Bourgogne , &auſſi Perede M. leDucde
Bretagne , à preſent Dauphin , au lieu
deM. fon Pere. LesdixDauphinesqu'il
ya eu font, une de la Maiſon de Bourbon,
une de Bourgogne , deux de Baviére
, uned'Anjou , deux de Stuart , une
de Medicis , & deux de Savoye , la der.
niére deſquelles eſt celle qui vient de
mourir , Marie-Adelaide de Savoye , Fille
de Victor Amé , ſecond du nom , Duc
de Savoye , & de Dame Anne d'Orleans ,
Fille de Philippe de France , Ducd'Or.
leans , Frére unique du Roi , & d'Henriette
- Anne d'Angleterre , ſa premiére
Femme. Cette Dame meurt à vingt- fix
ans,
MARS 1712. 281
4
ans, deux mois & cinq jours , étant née
le 6. Octobre 1685. , & après quatorze
ans , deux mois , &cinqjours de mariage,
la célébration s'étant faite à Verſaille
le 6. Octobre 1697. Elle a eu troisEnfans:
ſçavoir , deux Ducs de Bretagne ,
&un Ducd'Anjou. Le premier eſt mort
âgé de neufmois &dix-neufjours , le 13 .
Avril 1705. le ſecond à preſent vivant ,
eſt M. le Dauphin , & le troiſiéme , qui
eſtM. leDucd'Anjou , vit auſſi .
CetteDameétoitd'unedes plus ancien
nes Maiſons Souveraines de l'Europe ,
puiſque la Maiſon de Savoye eſt ſortiede
celle de Saxe ;&elle a commencé à régner
en Savoye il y a ſept Siècles , en vingttrois
Générations & trente-quatre Princes,
qui fe font fuccédez les uns aux autres
avec tant debonheur , que lors que quelqu'un
eſt mortfans Enfans , laCouronne
n'eſt jamais paſſe à undegré plus éloigné ,
que du Frere ou du petit Neveu augrand
Oncle.
Le premier qui a commencé à régner
en Savoye a été Berold , en l'an 1000. 11
étoit iſſu de Witichind le Grand , Duc de
Saxe, &de lui eſt deſcenduë toute laMaifon
de Savoye , qui a donné de grands
hommes. Amé ſept fut élû Pape au Concile
de Bâle contre le Pape Eugene quatre
en 1439. ſous lenomde Felix cinq. Eugene
quatre étant mort , & Nicolascinq
ayant été élû , Felix ſe démit du Pontificat,
282 MERC. GALANT .
cat, à la prière du Roi de France, pour
donner la paix à l'Egliſe , ſe contentantde
la qualité de Doyen du Sacré College ,
qu'il garda juſques à ſa mort , arrivéeen
1451.
Ils portent la qualité de Rois deCypre ,
par ladonation qui leur a été faite par
Charlotte , Reine de Cypre, Fille &Héritiére
de Jean Second du nom , Roi de
Cypre. Cette Reine fut mariée deux fois :
la premiére , à Jean Prince de Portugal ,
2. à Loüis de Savoye , Comte deGeneve
, Frere d'Amedée neuvième du nom ,
Duc de Savoye , deſquels elle n'eut point
de Poſtérité. Le Roi Jean ſon Pere ,
étant mort fans Enfans máles légitimes ,
leRoyaume lui échut : mais il lui fut difputé
par Jacques de Cypre , ſon Frere naturel
, qui s'empara du Royaume , avec
Paffiſtance du Soudan d'Egypte , & de
Marc Cornaro , Gentilhomme Venitien ,
qui lui fit épouſer ſa Fille , &qui fut adoptée
par la Seigneurie de Veniſe , qui lui
conſtitua unegrande Dot. Jacques étant
mort à trente trois ans, laiſſa ſa Femme
enceinte , & la déclara ſon Héritiére en
cas qu'elle ſurvêcût au fruit qu'elle portoit.
Elle accoucha d'un Fils , quimourut
deux ans après : ainſi elle demeura
Reine de Cypre , avec la protection de la
République de Venise , à laquelle elle
abandonna le Gouvernement de l'Etat ,
lui faiſantdon de laCouronne , ſe retirant
à
MARS 1712. 283
ای
àVeniſe, où elle paſſa le reſte de ſes jours.
Tout ceci ſe paſſa au préjudice de laReine
Charlotte , qui fut contrainte de ſe retirer
à Rome où elle mourut Penfionnaire
du Pape, & voyant qu'elle ne pouvoit
rentrer dans ſes Etats, elle fit donde ſon
Royaume en preſence du Pape &des Cardinaux
à Amedée neuvième , Duc de Savoye
, ſon Beau-Frere, & à ſes Succefſeurs.
Sous le Pontificat du Pape Clement
VII . lors qu'il couronna l'Empereur
Charles Cinq à Boulogne , cette Donation
fut examinée en preſence du Pape &
de l'Empereur , qui adjugerent ceRoyaume
aux Ducs de Savoye : mais Selim Empereur
des Turcs termina le Differend du
Duc de Savoye & des Venitiens , s'étant
emparé de ce Royaume en 1971 .
Leurs Alliances font très- conſidérables ,
tant par les Femmes qu'ils ont données ,
que par celles qu'ils ont époufées , en
ayant eu trois de la Maiſon de France ,
trois de celle d'Orleans , quatre de Bourbon
, trois de Bourgogne , une de Berry ,
&quantité d'autres de Maiſons très -illuftres.
Ils ont donné une Femme à Louis
le Gros Roi de France , une à Rodolphe
Duc de Soüabe , Empereur , une à Alfonſe
Premier , Roi de Portugal , une à Andronic
Paleologue, Empereur de Conſtantinople
, une à Louis d'Anjou , Roi de
Naples &de Sicile , une à Federic d'Arragon
Roi de Naples ; une Reine de Portugal
284 MERC. GALANT.
gal de nos jours , Femme de PierreRoide
Portugal ; une au Roi Loüis Onze , Roi
de France ; une à Charles d'Orleans ,
Comted'Angoulême , qui a été Loüiſe de
Savoye , Mere du Roi de France François
Premier. Ce ne ſeroit jamais fait , s'il
faloit particulariſer toutes leurs Alliances;
ce qui ne ſe pourroit faire qu'en faiſant la
Genealogie de cette Maiſon.
Pour la Succeſſion des Dauphins de la
Maiſon de France, on les peut voir dans
la Carte que Monfieur Chevillard, Genealogiſte
du Roi & Hiſtoriographe de
France , en adonnée au Public en 1700.
MORTS.
Meſſire Loüis de laVergne Montenare
de Treffan , Abbé de Bonneval , & Evêque
du Mans , y mourut le 27. Janvier ,
âgé de quatre- vingt-deux ans. Il fut fait
Maître de la Chapelle & de l'Oratoire de
feu Monfieur , eut l'Abbaye de Quarrente
& de Saint Lidiguer, LeRoi le nomma
à l'Evêché de Vabre , & lui donna le
Prieuré de Caffan. Monfieur le fit fon
premier Aumônier , & lui donna l'Abbaye
de Bonneval. Il fut transferé de l'Evêché
de Vabre à celui du Mans , dont il a
rempli le Siége durant quarante ans &
quatre mois. Il étoit de l'ancienne Maifon
de la Vergne de Treſſan , établie depuis
MARS 1712. 285
:
puis cinq cent ans dans la Province de
Languedoc. Son Frere aîné étoit Jeremie
de la Vergne , Marquis de Treffan ,
Maréchal de Camp des Armées du Roi ,
qui a laiffé de Dame Marguerite deBeon
pluſieurs Enfans, dont l'aîné eſt François
de la Vergne , Marquis deTreffan, cidevant
premier Guidon des Gendarmes de
la Garde du Roi , qui a épousé Dame .
Louiſe-Magdelaine de Brulard. Le ſecond,
Louis de la Vergne de Treffan ,
premier Aumônier de Son Alteſſe Royale
Monſeigneur le Duc d'Orleans , Comte
de Lion , Abbé de Lepo. Il reſte encore
un Frere & une Soeur vivans de M. l'Evêque
du Mans: à ſçavoir , Alfonſe de la
Vergne de Treffan , Comte de Lion ,
Maîtredu Choeur de Saint Jean: &Dame
Eliſabeth de la Vergne de Treffan , Epouſe
de Meffire Charles Comte de la Motte
Houdancourt , Lieutenant Général des
Armées du Roi , Gouverneur de Bergue
Saint Vinox.
François d'Aligre , Abbé deS. Jacques,
eſt mort le 21. Janvier .
M. l'Abbé de S. Jacques étoit Fils &
Petit-Fils des Chanceliers de France d'Aligre.
Il étoit Frere de M. d'Aligre , Pere du
Préſident à Mortierd'aujourd'hui , Frere
auſſi de Madame de Vertamont , Mere du
Premier Préſident du Grand Confeil , &
depuis remariée au Maréchal d'Eſtrade ;
il
286 MERC. GALANT.
il étoit Frere auſſi de Madaine la Ducheſſe
de Luines , troiſiéme Femme de M. le Duc
de Luines & de Madame de Manneville ,
depuis remariée à Monfieur le Marquis
de Verderonne , il étoit Frere de M. l'Abbé
de Saint Riquier, il étoit Abbé de
Saint Jacques de Provins , cette Abbaye
eſt de l'Ordre de Sainte Geneviève , il
étoit retiré quand ſon Pere fut élevé à la
Dignité de Garde des Sceaux en 1674. il
reſta auprès de lui juſqu'à ſa mort , qui
arriva en 1679. & fon Pere expiré il retourna
dans ſa ſolitude , où il eſt mort en
odeur de fainteté , il n'avoitjamais voulu
accepter que ſept mille livres de rente ,
deſquelles il donnoit cinq aux Pauvres ,
ne vivant que de légumes cuites à l'eau&
&au fel , il eſt mort âgé de 90. ans , il
étoit le ſeul en France qui eût encore un
Benefice de laNomination de Loüis XIII .
en forte qu'on peut dire à preſent que
Louis XIV. a nommé de ſon Régne à tous
les Benefices de ſon Royaume.
Dame Nicolle de Bellois , Epouſe de
Meffire Jacques-Antoine de Hennin-Lietard
, Marquis de S. Phal , ci - devant
Meſtre de Camp de Cavalerie , & Sous-
Lieutenant des Gensdarmes Bourguignons
, mourut le 24. Février 1712. en ſa
27. année , laiſſant Poſterité.
La Maiſon du Bellois eſt une des plus
conſidérables de Picardie , les Marquis de
Francier font les aînez de cette Maiſon .
La
MARS 1712. 287
La Mere de cette Dame étoit de la maiſon
de la Fite , Soeur du Marquis de Pelport
, & ainé de cette maiſon , Maréchal
deCampdes Armées du Roi.
Damoiſelle Loüiſe Armande. Hurault
de Vibraye , mourut ſans Alliance le 26.
Janvier , en ſa 20. année.
Monfieur le Marquis de Vibraye , Lieutenant
Général des Armées du Roi , &
Commandant à Saint Malo & dans la
Bretagne , eft Pere de cette Damoiſelle.
Le Chancelier de Chiverni , étoit de la
mailondeHurault. Madame la Marquiſede
Vibraye s'appelle Julie de Caſtellan ,
d'Adheimart de Monteilde Grignan , Fil.
le de Monfieur le Comte de Grignant ,
Chevalier des Ordres du Roi , & Lieutenant
Général , Commandant en Provence,
& d'Anne Dangene de Ramboüillet ,
SoeurdeMadame laDucheffe deMontaufier.
Dame Renée Françoiſe de Canone ,
épouſe de M. Claude-Alexandre Seguyer ,
Chevalier , & auparavant Veuve de M.
Jaques du Boulet , Chevalier , Seigneur
de Terameny , Capitaine du Vol pour les
champs de l'équipage du Roi , mourut
le 27.Janvier.
La maiſon de Seguier', originaire de
Gascogne , eſt une des plus anciennesde
la Robe , ellea donné un Chancelier , &
pluſieurs Prefidens aux Mortiers au Parlement
de Paris , l'un deſquels fit décider
fous
288 MERC. GALANT
:
ſous le Régne du feu Roi , que les Prefidens
à Mortiers au Parlement de Paris ,
auroient le pas & la préſeance fur les premiers
Préſidensde tous les Parlemens du
Royaume.
M. Philippe de Baffan , Chevalier , Seigneur
de Richecrou , mourut le 27. Janvier.
M. Jean Armand Fumée , Seigneur des
Roches , S. Quentin , Abbé de Conques,
Figeac , & S. Genous , mourutle 30 .
Janvier , âgé de 82. ans.
LaMere de cet Abbé étoit de l'ancienne
maiſon de Bonoeuil en Poitou ; elle épouſa
en ſecondes Nôces le Marquis de Cruffol
, Frere d'un Ducd'Uſez . La maiſon
de Fumée , originaire de Tours , tire ſon
origine d'Adam Fumée , Seigneur des
Roches , Garde des Sceaux de France ,
fous les Rois Loüis XI. &Charles VIII .
M. Charles- Nicolas , Comted'Hautefort
, Maréchal des Camps & Armées du
Roi , Lieutenant de la ſeconde Compagnie
des Moufquetaires de Sa Majesté ,
mourut le 2. Février 1712. , laiſſant poftérité
de Dame N. de Creil .
La Mere de ce Conte étoit de l'illuftre
maiſon de Bayeul. La maiſon d'Hautefort
eſt unedesplus conſidérables du Perigort
, elle a donné beaucoup de Généraux
d'Armées & des Chevaliers de l'Ordre
; les deuxpremiers Ecuyers de lafeuë
Reine étoient les chefs de cette maison ,
le
MARS 1712. 289
leMarquis de S. Chamant , Enſeigne des
Gardes du Corps du Roi , eſt Frere de
feu Monfieur le Comted'Hautefort.
Dame Geneviève de Saleux , Veuvede
M. Auguſtin de Louvencourt , Maître
des Comptes , mourut le 3. Février.
Dame Marie Magdelaine de Vaux ,
Veuve de M. François de Damas , Chevalier
, Marquis d'Antezi , Mestre de
Camp d'un Régiment de Cavaleric , entretenu
pour le ſervicede S. M. , mourut
le3. Février.
Le Marquis d'Antezy , Maréchal de
Campdes Armées du Roi , Commandant
à Huningue , qui a épousé la Soeur du
Marquis deMonperoux , LieutenantGénéral
des Armées du Roi , Mestre de
CampGénéralde la Cavalerie de France ,
étoit Frere du Mari de cette Dame. La
maiſon de Damas eſt une des plusgrandes
&des plus anciennes du Royaume : les
Ducs de Pontevaux & les Marquis de
Thyange étoient les Chefs de cette IIluſtre
maiſon , Mesdames les Ducheſſes
deNevers &de Seforce , qui font en vie ,
fontde laBranche de Thyange.
Dame Elizabeth Charlotte Jaime ,
épouſe de M. Etienne de l'Eſtang , Chevalier
, Seigneur de la Valette , Chevalier
de l'Ordre Militaire de S. Louis ,
Commandant pour le Roi fur la Meuſe ,
mourut le 4. Février.
M. Loüis de Pardaillan , Marquis de
Tome V. Gon290
MERC. GALANT.
Gondrin , Ménin de Monſeigneur le Dauphin
, Brigadier des Armées du Roi , &
Colonel du Régimentde Gondrin , mourut
à Versailles les. Février , âgé de 23 .
ans.
CetArticle merite bien qu'on en parle
plus amplement le moisprochain.
Dame Marie d'Aidie , Veuve de M.
Jean François , Comte de Lambertie ,
mourut le Février.
La maison de Lambertie eſt une des
plus anciennes & des plus conſidérables
de la Lorraine.
M. Joſeph de Miane Ponponne , Chevalier
de l'Ordre Militaire de S. Loüis ,
Gouverneur de Fécamp , Major du Régimentde
Lionnois ,mourut le 15. Février.
M. le Préſident de Meſmes fut inſtallé
premier Préſident le 15. Février .
La maiſon de Meſmes tire ſon origine
du Château& Terre de Memes , dans le
Dioceſe de Bazas. Elle tire ſon origine
d'Ecoffe. & s'établit enGuyenne ſous le
Régne de Philippe Auguſte , on voit en
1279. un Henri de Meſmes , qui rend
hommage de ſa Terre à la Vicomteffede
Marfan. Cette maiſon a été dans l'épée
durant quatre fiécles . Jean-Jaques de
Melmes , premier du nom , qui épousa
Nicole Hannequin , eſt le premier qui
foit entrédans laRobe , où elle a poffedé
les
MARS 1712. 291
les plus grandes & les plus éminentes
charges. Cette maiſon a donné pluſieurs
Plénipotentiaires & Ambaſſadeurs , &
Officiers de l'Ordre , qui ont tous brillé
par leur merite & leur grande capacité ,
& qui ont toûjours fervi de protecteurs
aux gens de Lettres , elle eſt alliée aux
maiſons les plus conſidérables du Royaume
, comme celle de Montluc, Clermont
, d'Amboiſe , Luſignan , S. Gelais,
Rochoire , & autres . Le Pere de Monſieur
le premier Préſident étoit Jaques de
Meſmes , troifiéme du nom , Préſident
aux Mortiers , & Prévôt , & Maître des
Cérémoniesde l'Ordre .
M. le Peletier de Villeneuve , Conſeiller
au Parlement , qui avoit eu l'agrément
de la Charge de Préſident de M. de
Meſmes , y fut reçû le 17 Février.
M. de Gourgues d'Aunay , Maître des
Requêtes , a épousé Damoiſelle N. Aubourg
, Fille de M. Aubourg , Marquis
deBoury , Garde des Rolles.
La maiſon deGourgueeſt unedesplus
anciennes du Parlement de Bourdeaux, a
qui elle a donné un Préſident. Il ya cu
un Dominique de Gourgue , qui pour ſe
vanger des mauvais traitemens qu'il avoit
reçûs des Eſpagnols , ayant été pris prifonnier
de guerre dans lesGuerres d'Italie
, arma un Vaiſſeau à ſes dépens , &
fut dans la Florite au détroit de Sainte Heleine
, reprit un fort nommé Carleforte ,
02 du
292 MERC. GALANT.
du nom de Charles IX. qui régnoit alors ,
& qui avoit été bâti parJean Ribaud , qui
lui avoit donné le nom de ce Prince , qui
en avoit été chaſſé par les Eſpagnols , il
ravagea tout le Païs , &les chaſſa de tout
ceRoyaume.
N. Thiercelin , Marquis de Broffe ,
épouſa le 8. Février N. Rouillé , Fille de
M. Louis Roſlin Rouillé , Maître desRe
quêtes.
La maiſon de Thiercelin eſt une ancienne
& illuftre maiſon , quelques-uns difent
qu'elle tire ſon origine des anciens
Comtes de Thoulouze ; elle a toûjours
tenu rang conſidérable , & a toûjours été
alliée auxplus grandes maiſons du Royaume.
La grande Mere du Marquis de
Brofle étoit de la maiſonde Montmorancy
. Madame la Marquiſe deBroffe , Mere
du jeune époux , étoit du nomde
Thiercelin , comme ſon Mari , & étoit
héritière de la Branche des Marquis de
Saveuſe , établie dans le Dioceſe deChartres.
Sur
MARS 1712. 293
Sur la mort de Monſeigneur le
Dauphin , & de Madame laDauphine.
Q
3
Uel coup vient d'accabler laFrance!
Le Ciel qui nous flatoit del'espoir le
plusdoux ,
D'andouble traitdeſon courroux
Nous a ravinotre esperance.
Loüis! Adelaide! ab mortelles douleurs !
Helasque nom perdons de vertus & de
charmes ,
Quenous allonsverſer depleurs:
GrandDien! vousqui cauſez nos larmes,
Lorſqueſenſibleànosfonbaits ,
Vous vouliez vous montrer notre Dieu tu.
telaire ,
Nousnemeritionspasdefi rares bienfaits:
Mais parquelsborriblesforfaits
Meritons nous tant de colere ?
Maisquoi le coup affreux qui nousa confondus
Va-t-il mettre le combleà notre ingratitu
de?
Cemême Cielenfin qui nous tient abattum ,
Nous conferve au milieu d'une épreuve fi
rude
Laſourcede tant de vertus.
03 Non
Pa
14
Il vous fou muru jesfins ,
Soncoeur, àfroidjamais auvrai ne tourne,
Toujours du travers ,
11
FEVRIER
Iltrompe encor murder-
C'est un coeur & ens men.
PrèsdeP
DIL 1F and
GrandDres
En L
Qu'eut enpreu
Quaf
TOUTE
вет. вне
Four yeu qu
Elle a tourne ARIC
Dame Cataeaet.avor...
Meffire Simon
quis de Fompone
rieres, Cname:
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niftre & Secretans d'en
mandemen: R
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rutle 31. Leermes
Les Enfans qu
Nicolas-Snor
Pomponne, Erig
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pour Sa Majent avskr
Ile de France,
ك ا ل ت م ا ت س
١١٥٧
Tome V.
i
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い
こ
こ
:
294 MERC. GALANT.
Non iln'est pointd' Ame affez noire
Pour oublier ainsi le plus grand des bienfaits.
Qu'il puiſſe auſſi long- tems régner sur ses
Sujets,
Qu'il doit régner dans leur mémoire.
Vous , Peuples , joüiffez en Paix
Et deſesjours , & de fagloire :
Maisnevous conſolezjamais .
La place de Garde du Cabinet desMedaillesdu
Roi , vacante par la mort deM.
Oudinet , décédé à Versailles le 12. Avril ,
aété remplie par M. Simon , Penſionnaire
de l'Académie des Inſcriptions : & à
l'égardde la penſion de M. Oudinet , elle
a été donnée à M. Moreau deMautour ,
Auditeur des Comptes , alfocié de cette
Académie , Sa Majesté l'ayant honoré de
fon choix & de ſa nomination , enſuite
d'une élection à laquelle avoit préſidėM.
l'Evêque de Strasbourg , & où ſuivant le
Réglement de l'Académie on avoit élú &
preſenté trois ſujets à choiſir.
MARIAGE.
: ٠٢
Le 21. Janvier 1712. Loüis Dupleſſis
Chaftillon , Colonel de Provence , &
Brigadier des Armées du Roi , a épousé
AnneNeyret de la Ravoye , Fillede feu
M. de la Ravoye , Grand Audiancier de
Fran
MARS 1712 295
France , & Treſorier Général de laMarine
, & de Varice de Vallieres.
Le Marquis Dupleſſis Chaſtillon , eſt
Fils de feu Jaques Dupleſſis Chaſtillon ,
Marquis dudit lieu , & de Nonant , & de
JeanneMariede Fradet de S. Aouft , Fille
de feuJeande Fradet de Saint Aouſt , Ma
réchal des Camps & Armées du Roi , &
Lieutenant Général de l'Artillerie de
France , & de Jeanne Marie de S. Gelais
deLufignan , & Soeur d'Armand Antoine
de Fradetde S. Août , Brigadier &Lieutenant
Général pour le Roi dans ſa ProvincedeBerry.
La maison Dupleſſis Châtillon , eſt
unedesplus anciennes maiſons de la Province
duMaine , commeil paroît premiérement
par un vieux Titre de mil trentequatre
, qui fait mention d'un Grimoult
Dupleſſis Châtillon , Seigneur dudit lieu.
Etpar un autre Titre de l'année 1274.
il paroît une tranſaction faite entre les Sei--
gueurs de Mayenne , & le SeigneurDupleſſis
Châtillon; & depuis ce tems , la
fifíation s'eſt continuée avec de grandes
Alliances , comme de Beaumont le Vicomte
, d'Avaugour , de Villevignes ,
du Bellay , d'O , de la Flotte , & plufieurs
autres .
J'ai vû entre pluſieurs manuscrits anciens
des Lettres écrites par le Roi Charles
IX. & Henri III. à un Dupleſſis Châ
tillon, en voici une de Charles IX. , en
Ο 4
lui
296 MERC. GALANT.
lui envoyant l'Ordre de Saint Michel ,
qui encetems-là tenoit lieu de l'Ordre du
S. Eſprit , inſtitué depuis par Henri III .
Monfieur Dupleſfis Châtillon , pourvos
vaillances&merites , vous avez étéchoisi
&élu par l'aſſemblée des Chevaliers ,
Freres&Compagnons de l'Ordre Monfieur
S. Michel, pour être aſſociéàladite
Compagnie , pour laquelle élection vousno.
tifier , & vous preſenterdemapart leCollierdudit
Ordre, fi vous l'avez agréable ,
j'envayepreſentement mémoire&pouvoir
àmonCousin le DucdeMontpencier , vous
priant vous rendre devers luspourcet effet ,
Gêtre content d'accepter l'honneurque la
Compagnie vous defirefaire, quifera pour
augmenter de plus en plus l'affection &
bonnevolonté que je vous porte , & vous
donner occafion de perfeverer en la dévotion
que vous avez de me faire ſervice ,
ainſiquevousferaplusàplain entendre de
ma part mon dit Cousin , auquelje vous
prie d'ajoûtersur ce autant defoi que vous
feriez à moimême : priant Dieu , Monfieur
Duplessis Châtillon , vous avoir enſa
garde. Ecritas . Germainen Layele 21 .
Février 1574. Signé , CHARLES ,
plus bas , PINART.
En voici une autre écrite de la main
d'Henri III . quej'ai miſe ici , parce qu'ellecontientun
fait Hiſtorique.
MonMARS
1712. 297
Mr.Dupleſſis Chatillon , iln'est pas commej'eſtime
que vousn'ayezbienſçûà cette
beure, comme mon Frere le Duc d'Alenfon
, que j'ai toujours aimé d'une affection
plus que fraternelle , s'eſt ſeparé d'auprès
demoi par la follicitation , & mauvais
conſeil de ceux qui ſont élevez en Armes
contre notre autorité , s'étant retiré à
Dreux , où il fait contenance d'affembler
quelques Troupes , de quoi vous pouvez
penfercombienjeporte deregret , tantpour
l'amourfingulier dont je luifuis conjoint ,
quepour connoître bienne pouvoiradvenir
d'un fi nouvel accident que tout accroiffement
de maulxfur mon Peuple , qui avoit
plusdebefoäinde veoir arrêter lecours de
ceux desquels iln'étoitja que trop affligė ,
felonque juſques à hui , je pense avoirautant
mis depeine que de travailquepouvoir
faireunbonPrince , amateur du repos
union de tous ſes Sujets , & pourceque en
un tel nouveau mal , &pourm'aiderày
pourvoir & remedier , ainsi que j'en ai
unebonne volonté,j'ai besoinde l'affiftan
ce dema Nobleffe , & de ceux dontjeme
fuispromis toute loyauté &fidélité , du
nombre desquels je vous tiens & eſtime .
J'ai pense vous écrire ce mot de Lettre ,
pour vous dire queſivous fûtesjamais touché
du defir de vous voir en occasion , à
laquelle vous me puiffiezfaire paroître votre
droite affection aubien de mon ſervice ,
vous devezpenser qu'ellesepreſente aujour-
Ος bai ,
298 MERC. GALANT.
d'hui , au moyen de quoi je vous écris ,
Monfieur Dupleſſis Chaftillon , que incontinent
lapreſente reçûë , vous regardiez à
vous mettre en ordre , pour me venir trouver
avec bonne Compagnie de vosamisS
aumeilleur équipage d' Armes chevaux ,
&au plutôt que vous pourez , afin de me
faireàcebeſoinleſervice que je mesuis tonjours
promis de votre loyauté &fidélité:
àquoi fatisfaisant , outre que ce sera acte
digne d'un Gentilhomme d'honneur , tel
que vous vous êtes toûjoursfait connoître,
vousvouspouvez aſſurerquejevous enfaurai
perpetuellement bon gré , & que je le
reconnoîterai envers vousselon que lesoccafions
s'en pourront offrir , priant Dieu ,
M. Duplessis Chastillon , qu'il vous ait en
fafainte garde , ſcellé à Paris le 22.
TourdeSeptembre 1575. Signé , HENRI,
Gplus bas , Signé, BRULLART.
Ondonnera le mois prochain des détails
ſur les morts de M. de Catinat , M.
deMagnac , M.de Signelay , & autres .
Tra
:
MARS 1712. 299
Traduction nouvelle , & explication
de l'Office de la Vierge.
CEEtte Traduction eſt également pro .
pre aux perſonnes éclairées , & intelligible
à ceux qui ont plus de pieté que
depénétration; & c'eſt ce qui étoit difficiledans
pluſieurs endroits tirez du Cantique
des Cantiques .
Ce Livre ſe vend à Paris , chez Loüis
Guerin , Ruë Saint Jaques , à l'Image
Saint Thomas d'Aquin , vis -à-vis la Ruë
des Mathurins .
Depuis que l'illustre M. Duverney , fi
célébre par ſa profonde connoiffance de
l'Anatomie , nous adonné fon Traité de
l'Oreille , pluſieurs habiles Anatomiſtes,
Médecins , & Phyſiciens , de France ,
d'Allemagne , d'Italie , & de Hollande ,
ont produit d'excellens Ouvrages ſur le
mémeſujet , ſans avoir cependant entiérement
épuiſé cette matière , ni même
s'être bien accordez ſur ſes parties , &
für leur uſage. C'eſt ce qui a portéM.
Parent à joindre ce qu'il a vûde ſes yeux ,
&ce qu'il a tiré de ſes réflexions aux dé
06 cou
300 MERC.GALANT .
couvertes de ces Savants , en faveur du
Public; comme il a fait le mois précedent
, à l'égard de la circulation du fang
des Animaux , & de leur reſpiration , &
par le même motif.
Les merveilles de l'Oreille tirées de
l'Anatomie comparée , & des
proprietez du bruit &des fons.
1.
E ne m'arrêterai pas à parler icide
Jl'Oreille extérieure , dont la ftructure
& l'uſage paroiffent aux yeux de tour
lemonde . Car on voit affez que ce n'eſt
qu'une eſpece de cornet, mis à l'entréede
l'Oreille intérieure pour raffembler le
bruit & les fons , pour les fortifier & les
introduire dedans ; ce qui ſe confirme en
ce que les Animaux qui en ſont privez ,
ou à qui on les a coupées , entendent
moins clair que les autres ; & que ceux
au contraire qui les ontplus grandes , entendent
le mieux ; ou que ceux encore
quiont leplus beſoind'entendre , ont les
plus grandes Oreilles. A l'égard de la
figure applatie & repliée des Oreilles dés
hommes , on voit encore que la Nature
ne les a ainſi diſpoſées , qu'afin qu'elles
parüffent moins au dehors , & qu'ils en
fuffent moins embarraffez ; & elle les a
ôtées aux Oiseaux , & principalement
aux Poiffons , parce qu'elles les empê
che.
MARS1712. 301
cheroientde voler&de nager ; ce quileur
apporteroit plus de dommage que d'utilité.
Au reſte la direction dont la peau interne
des Orcilles eſt frappée par lebruit& les
fons , fait appercevoir le côté d'où ils
viennent , à cauſe des ramifications du
nerf dur auditif, & du ſecond vertebral
qui s'y répandent. Et c'eſt pour cela que
cette partie eſt ſi fine , & fi ſenſibledans
lesOiſeaux qui ont l'oüye fort ſubtile , &
même ſi grande dans les Oiseaux nocturnes
, comme les Choüettes & les Hiboux.
La différence de tems ou de forcedontune
Oreille eſt frappée plûtôt , ou plus fort
que l'autre , contribue encore beaucoup à,
faire appercevoir de quel côté vient le
bruit. A l'égard des Poiffons , & des
Tortues , & autres Animaux aquatiques
qui ont l'entrée de l'Oreille ferméed'une
membrane, la premiére cauſe de diftinc
tion n'a point lieu chez eux .
2. Quant à l'Oreille intéricure , je
ſuppoſe qu'on regarde de front celled'un
homme, comme par exemple , la droite ,
lors qu'elle eſt dans fa fituation naturelle ,
&je remarque d'abord une eſpece de canal
fait en entonnoir un peu tortueux ,
qui va en s'étreciſſant& enbaiffant unpeu
du derriére vers le devant de la tête , ſe
terminer entre la baſe du crane & l'extrémité
inférieure de l'os des tempes à une
portion du crane , appellée la Roche , laquelle
contient le reſte de l'Oreille , que
07
nous
302 MERC.GALANT.
nous appellons intérieure , & qui eſt compoſéede
quatre chambres ou cavitez , de
pluſieurs chaſſis , &d'autres parties dont
on va faire le détail. Le fondde cet entonnoir
aboutit, fous unedirection un peu
inclinée , à une eſpecede chaſſis quej'appelle
extérieur , ou grand chaſſis , parce
qu'il eſt tranſparent , & qu'on peut y arriver
immédiatement de dehors. On l'appelle
la membrane du tambour , du nom
de la premiére chambre intérieure qu'il
ferme , qui a été nommée le tambour ,
comme on va le dire . Ce chaſſis eſt enchaffé
dans une portion d'anneau offeux ,
qui repreſente environ les deuxtiers d'un
cercle entier , lequel eſt colléfortement à
l'entrée du trou du crane , qui communique
du dehors à l'Oreille intérieure , de
relle forte qu'il a ſes deux cornes tournées
en haut, & en cet endroit où cet anneau
eſt défectueux , le grand chaſſis eſt collé
immédiatement à l'os de la tête.
3. Cette premiére chambre intérieure ,
qui eft fermée par le grand chaffis , ref
ſemble affez à la quaiffe d'un tambour vû
par ledevant, auffi l'appelle t-on encore
ſouvent la quaiffe ; elle a cependant une
eſpece de culde fac ou fac-aveugle , appellé
Sinus ſupérieur , qui s'étend en montant
du haut de la quaiſſe vers le derrière
de la tête , ſur la main gauche , & dont
la longueur excéde même un peu toute
celle de cette chambre ; & tant la quaiſſe
que
MARS 1712. 303
que fon cul de fac , font tapiffez d'une
membrane fort liffe, quoi que dans l'Homme
, le Singe , le Boeuf , &c. ces parties
foient remplies d'un nombre innombrable
d'éminences & de foflettes , pareilles à
celles que l'on voitdans l'intérieur de l'oreille
extérieure des Chiens , des Chats
&autresAnimaux : ce qui ne fert paspeu
à multiplier &conſerver les ébranlemens
de l'air contenu dans cette chambre &
dans fon cul de fac ; commeon le dira ciaprès
, & comme chacun peut le remarquer
par le retentiſſement qui ſe produit
lors qu'on jette une pierre dans le Puits
d'une Carriére . !
4. On trouve vers le hautde la quaiffe ,
&fur la droite une eſpece de canal , appellé
Aqueduc. Quoi qu'il ne ſervé qu'à
conduire de l'air , ſçavoir de l'Oreille
dans la Bouche , quand il eſt tropdilaté
dans l'Oreille par la chaleurdu ſang; &
au contraire à en faire entrer de la Bouche
dans l'Oreille , quand celui de l'Oreille eſt
trop condenſé par le froid extérieur , le
tout pour empêcher le grand chaſſis d'être
offenſé par le reſſort de l'air intérieur ou
extérieur.
5. Onvoit encore en face& au fondde
la quaiffe deux autres fenêtres , fermées
chacune d'un chaſſis particulier , de mêmenature
que le premier , dont l'inférieure,
quitire un peu ſur la droite , eſt ronde
, d'où elle a tiré ſon nom, de même
: que
304 MERC.GALANT.
que fon chaffis. La ſupérieure , quiest
plus vers la gauche & audeſſus de la ronde,
eſt de figure ovale , d'où elle a aufli
pris fonnom. Elle eſt couchée entravers
&en defcendant un peu de droite à gauche
, & fermée d'un troiſiéme chaſſis de
même figure & de même nom qu'elle.
6. Cettedernière fenêtre communique
dans une ſeconde cavité ou chambre , appellée
la Voûte , qui eſt ſituée directement
derriére la quaiſſe du côté du Cerveau.
La Voûte a tiré ſon nom de ſa figure
arondie par le haur; elle eſt un peuplus
petite que la quaiffe , unie & tapifiée de
même qu'elle . On la nomme encore le
Veſtibule , parce qu'elle eſt ſituée entre
deux autres cavitez , dont l'une qui eſt à
droite , ſe nomme la Coquille , ou le li
maçon ; & l'autre qui eſt à gauche , a été
nommée le labyrinthe , avec lesquelles
elle communique par des portes toutes ouvertes
, étant à peu près au même niveau
que la quaiffe & que ces deux derniéres
cavitez. A l'égard de la fenêtre ronde ,
elle fait la communication de la quaiffe
avec la coquille , dont on donnera la defcription
incontinent , de même que du labyrinthe
, & fon chaſſis n'est qu'une continuationde
la membrane de la quaiſſe ,
demêmeque le chaſſis ovale.
7. Quant aux autres parties qui ſe
trouvent dans la premiére chambre , outre
le cul de fac , l'aqueduc , le grand
chaffis ,
MARS 1712 . 305
chaffis , le rond, & l'ovale , dont on
vient de parler , on voit ſur le milieu du
grand chaffis , & comme en face un premier
oſſelet , dont la figure a quelque rapport
à celle d'un marteau , ouplûtôt d'un
gond, & qu'on a nommé le marteau ;
mais qui a encore beaucoup plus de rapport
à la jambe d'un homme , qu'on auroit
coupée ſous le genoüil , & qui feroit
colléecontre cechaſſis , dans un ſens renverſé
, oudehaut enbas ; en forte que le
talon fût appliqué contre ſon bord ſupérieur
, &legras de lajambe fur le chaſſis ,
lebout de la jambe finiſſant au milicude
cettemembrane; ainſi ce marteau où certe
jambe eſt vûë comme par derriére , &
un peu panchée ſur la gauche , par l'oeil
qu'on ſuppoſe toûjours ſitué au devantde
l'Oreille. Le bout de cet ofſelet qu'on
peut regarder comme leboutdu pied , eſt
arrondi , & contient deux éminences &
une petite cavité ; il eſt tourné vers lede,
dans de la quaille , & vas'implanter fur la
têted'un fecond cſſeletappellé l'enclume ,
par rapport au premier. La figurede ce
ſecond os , reſſemble affez à celle d'une
groffe dent à deux fourchons , qui les auroit
un peu écartez l'un de l'autre , &
inégaux en longueur. La tête de cette
enclume ou dent , a auſſi une éminence
ronde , qui ſe loge dans la cavité de celle
du marteau , & deux cavitez pour loger
réciproquement les éminences rondes du
bout
306 MERC. GALANT .
bout du marteau , afin quotes deux os ſe
tiennent plus fortement attachez & articulez
l'un à l'autre parleurs ligamens , &
par la membrane commune qui les enveloppe.
La plus petite des deux jambes de
ladent, va s'appuyer dans un angle dubas
&du devantde la quaiſſe du côtégauche ,
où elle eſt attachée mobilement dans une
petite cavité par un ligament particulier
audeffous du culde fac. La plus grande
jambe, qui est un peu contournée par le
bout , va s'articuler avec un troifiémeoffelet
nommé l'eſtrier , fait comme un
triangle iſoſcele , dont la pointe ou ſom -
met eſt joint avec le bout de cettejambe
parun quatrième os , beaucoup plus petit
que les trois premiers , &de la figure d'une
lentille , ou plutôt d'une meniſque qui
leur fert comme de rotule ou de genoüil .
Labaſede ce triangle , qui eſt un peu plus
gróffe que les deux côtez , eſt collée
chaſſis ovale , ou troiſiéme chaſſis , en
telle ſorte que ce chaſſis la déborde tant
foit peu tout autours L'enclume , la lentille
, & l'eſtrier ſont articulez entr'eux
par des ligamens particuliers , à l'entrée
du cul de fac , &chacun recouverts de la
membrane de la quaiſſe , qui eſt ſi fine ,
& fi adherente aux os , que dans les ſujets
un peu déleichez , elle fuit preſque la vûë.
Cela n'empêche pas qu'elle ne paroiffe
avec leMicroſcope parſeméed'une infinitéde
vailleaux fanguins & nerveux , com
au
me.
MARS 1712. 307
:
i
me tous les autres perioſtes , pour ſervir à
la nourriture de ces os; elle fert encore
à les couvrir contre les injures de l'air , à
fortifier les jambes de l'eſtrier , dontelle
couvre manifeſtement l'aire , & enfin à
recevoir & faire ſentir les impreſſionsdu
bruit.
8. Les troisoffelets , le marteau , l'enclume
, & l'eftrier font remuez par trois
mufcles , dont le plus grand qui part du
fond, & du haut de la quaiffe un peu à
droite, la traverſe de derrière endevant,
&vient s'attacher au milieu de lajambe
du marteau , de forte qu'en tirant cette
jambe , il la meine avec le grand chaſſis
un peu en dedans , ce qui le tend , & le
rend même un peu concave du côté de de
hors , à peu près comme unentonnoir à
poudre fort évaſé. On l'appelle lemuf
cle long; on pourroit lenommer encore
le grand adducteur du chaffis extérieur.
Unfecond muſcle beaucoup plus court ,
qui vient de dehors la quaiffe , du côté
droit, la perce dans ſa partie ſupérieure ,
vas'attacherproche du talon du marteau ,
àune petite éminence qui eft en cet endroit,
laquelle il tire & ferre contre la
paroi extérieure de la quaiſſe , en l'appuyant
ſur une pareille éminence de cette
partie; par ce moyen il retire le marteau ,
& tout le chaſſis en même tems vers le
dehors de la quaiffe , & même l'enclume
avec l'eſtrier , à cauſe de la liaiſon de l'enclume
308 MERC. GALANT.
clume avec l'eſtrier & le marteau ; au
moyen de quoi il rétablit toutes ces parties
dans leur état naturel lors qu'elles en
ont été ôtées. Ainſi on peut leregarder
comme le modérateur des deux autres
muſcles. Le troiſième & dernier muſcle
eſt attaché à la tête ou pointe de l'eſtrier ,
&part d'une petite cavité de la quaiffe fituée
ſur la gauche de l'eſtrier , mais fort
proche & un peu derrière ; en forte que
toure ſon action eſt de retirer l'eſtrier vers
le fond de la quaiffe , &de l'enfoncerpar
ce moyendans le trou ovale , en le renverſant
tant foit peu du côté gauche , ce
qui tend ſa membrane par deux raiſons à
la fois . Mais en même tems ce muscle de
l'eſtrier tire l'enclume & le marteau vers
le fond de la quaiffe , ce qui bande auſſi le
grand chaffis. Ainſi ce chatfis peut être
tendu par deux muſcles indépendamment
l'un de l'autre : Mais quand le muſcle
longagit, quoique l'eſtrier ſoit pouffe
peupar ſa pointe , ſçavoir par le boutde
lalonguebranchede ladent. Cependant
le chaffis ovalen'eſt pas confidérablement
tendu pour cela , comme quand tousdeux
agilſent de concert , à cauſe de l'articulation
de l'enclume avec le marteau & l'étrier
.
un
9. Outre ces trois muſcles , l'enclume
&le marteau ſont encore comme ſuſpendus
par un ligament ou muscle fourchu ,
attaché
par fon tronc à la partiegauche &
ſupéMARS
1712. 309
ſupérieure de la quaiſſe au deſſus de ces
deux os ; &par ſes deux branches à la tête
du marteau , & à celle de l'enclume , il
fert à tenir ces deux os en ſituation & unis
entre eux , & fupplée à la delicateſſe de
leurs ligamens communs .
10. Enfin il y a un filet de nerf dela
cinquiéme paire fort ſenſible, qui entrant
dedehors dans la quaiſſe avec le muſcle
modérateur , paſſe par derrière le milieu
du grand chaſſis ſur lequel il eſt couché en
croifant la jambe du marteau , & de là
continue ſon chemin vers le côtégauche
& inférieur de la quaiſſe , pour s'aller joindre
au nerfdur auditif. Il ſert à ſoûtenir
le grand chaſſis contre l'effort du bruit ,
&à en appercevoir les impreſſions &les
varietez . Les branches du tronc de ce
même nerf ſe répandent dans les muſcles
dumarteau &del'eſtrier , &dans la membrane
de la quaiffe , ce qu'on doit bien
remarquer.
11. Le chaſſis rond n'a aucun muſcle
qui le tende ; auſſi n'en a-t-il pas beſoin ,
comme on le verra ci après . La coquille
qu'il ferme du côté de la quaiſſe , eſt un
double canal offeux contourné en limaçon,
creuſé dans la ſubſtance même de la
roche , dont la baſe ou grosbout regarde
le cerveau , & dont la pointe eſt tournée
vers la quaiſſe , ou vers l'oeil du ſpectateur.
Ce canal devient double par le
moyen d'une lame ofſcuſetrès-grêle , qui
Ic
310 MERC. GALANT.
le diviſe endeux parties dans toute ſa longueur,
l'une ſupérieure & l'autre inférieure
, en formant comme le bas d'une
vis , autour du noyaude ce limaçon. On
voit quelques limaçons dans les Cabinets
des Curieux , dont la coquillea de même
un double canal tout ſemblable. Ce canal
eſt chanfrené intérieurement d'une reneure
ou fente qui régne tout le longdu
bord extérieurde cette lame, avec laquelle
elle eſt jointe par une membrane très déliée
, ſemblable aux précédentes , laquelle
tapiſſe tout ce double canal endedans.
Cette membrane eſt au reſte tellement
adhérente à l'arête de cette lame , ou pas
de vis , & au canal , qu'une partiede ce
double canal n'apoint decommunication
avec l'autre , fi ce n'eſt au plus par la pointe
du limaçon ; mais un desdeux canaux
du limaçon aboutir au chaſſis ou trou
rond , & l'autre va ſe rendre à la voûte par
une ouverture contiguë à ce trou rond.
Ilya un rameau de la partie molle du nerf
auditif ou ſeptiéme paire , qui paflant par
la baſe du limaçonſe répand dans ſamembrane
en une infinité de petits rameaux ,
par autant de petits trous qui ne fontguéres
viſibles qu'avec unbon Microſcope.
12. Le labyrinthe contient trois canaux
offeux , à peu près ſemi-circulaires ,
qui s'implantent ſur le côté gauche de la
voûte, dans laquelle ils s'ouvrent par cinq
embouchures ſeulement , & non pas par
fix,
MARS 171.2. 311
!
!
i
:
fix , parce qu'il y en a une qui est commune
à deux canaux . Les ſommets de ces
canaux ou arcades regardent le derriére de
la tête , & leurs embouchures le devant ;
de forte qu'ils ſe preſenient à l'oeil du ſpecrateur
dans une ſituation preſquetout-àfait
couchée & renverſée vers la gauche,
Ils font tapiſſez en dedans d'une membrane
ou perioſte auſſi très fin , comme tous
les autres os de l'Oreille , dans lequel pe.
rioſte ſe diſtribuent cinq branches du même
nerfauditif , parles cinq embouchures
des trois canaux , sçavoir une dans la
membrane de chaque canal où elle ſe ramifie
& ſe perd en une infinité de branches
, avec autant de branches d'arteres
&de veines.
13. Voilà en vérité bien des merveilles
renfermées dans un bien petit eſpace ,
trois chambres , un veſtibule , un cul de
ſac , unaqueduc , quatre chaſſis , quatre
offelets , trois muſcles , un ligament ou
muſcle fourchu , un nerf, un double canal
ſpiral avec ſa lame & fon nerf, trois
canaux femi- circulaires , aveccinqbranches
de nerfs : le tout recouvert d'une
membrane , où ſe perdent une infinité de
rameaux d'arteres , de veines , &de nerfs ,
fans compter les anfractuoſitez de la premiére
chambre, & de fon cul de ſac; ni
toute la ſtructure de l'Oreille extérieure ,
& de fon entonnoir ; c'eſt à dire , que la
Nature employe au moins trente parties
con312
MERC. GALANT .
conſidérables pour la perfection de l'oüie ,
ellequin'en employe qu'environ le tiers ,
pour celle de la vûë ; ce qui ſuffit pour
faire juger de quelle importance eſt l'oüie
al'homme , & que ce ſens ne cede en rien
àceluidela vûë s'il ne la furpatle pas. Il
ne reſte plus maintenant que de faire voir
que laNature n'a rien fait d'inutile dans
la conſtruction de l'Oreille , & que nous
n'avonspasdécrit une partie qui n'ait ſon
uſageparticulier. 5
14. Mais avant que d'expliquer tous
ces uſages, il eſt bon de remarquer que
lesunesfont abſolument néceſſaires pour
entendre , & que d'autres ſont faites feulement
pour entendre mieux. De plus ,
que les unes fontfaites pourentendre les
bruits , ou ſi l'on aime mieux les ſons ,
dont la durée eſt ſi courte qu'il ne reſte
aucune idée de leur dégré ou ton ; d'autres
font données pour ouir & diftinguer les
voix , dont la durée n'eſt pas tout-à -fait fi
courte que le bruit , & dont il est néceffaire
de reconnoître les dégrez ou tons
qui en marquent les différentes paſſions
&affections. Enfin ily a d'autres parties
que la Nature a faites pour entendre &
diftinguer les fons avectoutes leurs varietez
, inflexions , gradations , & modifi .
cations quelconques , & les pouvoir retenir
& même repeter. Et pour diftinguer
toutes cesparties , il faut conſidérer qu'un
ſeul chaffis à l'entrée de l'Oreille avec
une
MARS 1712. 313
1
1
S
S
11
ال
une cavité ou chambre derriére , ſuffir
abſolument pour entendre le bruit , puifque
laplupartdes Poiffons n'ont que cela;
quoi qu'on trouve dans quelques-uns les
trois canaux du labyrinthe , ou ſeulement
deux. Ou fi l'on veut l'entonnoir avec
ſon chaſſis au fond , & une cavité derriére
, ſont ſuffifans , comme dans la Taupe
qui entend ſi clair , & dans pluſieurs Oiſeaux
& reptiles qui n'en ont pas davantage.
Ce chaſſis mêmepeut-être cartilagineux
, du moins en ſon centre , comme
dans la Tortuë , dans laquelle il eſt
convexe en dehors & concave en dedans
pour recevoir leboutde la queuë du marteau
, lequel eſt fait en cone , dont la
baſe eſt collée immédiatement au chaſſis
ovale; car dans tous les ovipares ce ſeul
offelet ou ſtylet fait l'office des quatre
dont nous avons parlé. Deplusles anfractuofitez
des parois de la premiére
chambre , ou de la quaiſſe ne ſont pas non
plus abſolument néceſſaires ; puiſque cette
cavité eſt ſi unie dans les Chiens , les
Chats , les Brebis , les Lions , &c. La
coquille même ou le limaçon ne ſe trouve
pas dans les Oiseaux , & dans plufieurs
autres Animaux , qui ſont cependant fort
clair-oyants , comme dans les Tortuës ,
&c. ce qui prouve aſſez qu'elle n'eſt pas
abſolument néceſſaire pour oüir le bruit ,
ni même les fons , dont les Oiseaux font
ſi ſuſceptibles. Mais il faut remarquer
Tome V. auffi
P
314 MERC. GALANT.
ne
auſſi qu'il ſe trouve en récompenſe dans
les Oiseaux , & dans les Tortues , &c .
c'eſt-à dire , dans lesovipares, en laplacedelacoquille,
unſac offeux tapifféd'umembrane
trtrês-fine, lequel s'ouvre
comme la coquille dans la Voûte. Sortvent
auffi il ne ſe trouve que deuxcanaux
femi-circulaires au labyrinthe , au lieu de
trois; & dans les Tortuës ilne s'en trouveaucun
, ainfiils ne fontpas abſolument
néceffaires pour entendre lebruit.
15. Geci étant établi, jeconſidére quie
pour appercevoir lebruitdont la durée eſt
fi courte, (à moins qu'il ne fût reperé
plufieurs fois ) il fuffit queele chaflis extérieur
foit frapé par l'air, fans qu'il foit
néceſſaire que fa tenfion foit à l'uniffon
des fremiffemens du bruit, ni mêmedans
aucune confonance prochaine , comme il
eftnéceffairepour le fon. Car lespremiéres
impreſſions dubruit choquant cechaffis
, l'ébranlent avec les eſprits qu'ilcon.
tient, ou plûtôt ceux qui font contenus
danslefiletdenerfqui eſt appliquéderriére;
& par là fe communiquent à l'air intérieur
, lequelétant mis en reffort, frappe
à fon tour tout ce qu'il rencontredans
la premiére chambres de forte que s'ileſt
néceffaire pour la confervation de l'Animal
d'unetrès -prompte ſenſation , elle ſe
faitalors,nonſeulement ſur lechaſſis même
& fur fon nerf, dont l'ébranlement
dure autant que celui du bruit ; mais encore
MARS 1712. 315
core ſur la membrane qui tapiſſe toute la
quaiffe & fon fac aveugle; &particulićrement
ſur la partie de cette membrane
qui couvre l'airede l'eſtrier où le nerfdur
auditif envoye un rameau , laquelle eſt
ſuſceptible des mêmes ébranlemensque le
grand chaſſis&fon nerf; les muſcles de la
quaiffe n'ayant pas le loiſir de tendre le
premier chaſſis , pour le mettre en confonance
prochaineavec le bruit. Quand la
premiére impreſſion de cet air intérieur ſur
les parois de la quaiſſe, ſur l'airede l'eftrier,
& fur le chaflis rond eſtpaflé , le
culde ſac fait ſentir alors ſes réflexions au
dedans de la quáiſſe , &par làprolonge la
duréedubruit intérieur , ce qui l'imprime
plusavantdans l'imagination.
A l'égard des Animaux qui n'ont que
l'entonnoir de l'Oreille avec le premier
chaſſis au fond , comme la Taupe , ou
même un ſeul chaflis à l'entréede l'Oreille
fans entonnoir, comme la plupartdes
Poiffons , ( les Tortues ont auffi ce premier
chaffis àl'entrée de l'Oreillé , outre
celui qui eft àl'entrée de la quaiſſe ) ileſt
évident que lebruit extérieur faitd'abord
fon impreffion fur ce chaſſis même , non
pas en lui communiquant des tremble
mens qui durentconſidérablement , n'é
tant tirépar aucunmufcle qui lemette en
confonance parfaite avec ce bruit ; mais
par quelques chocs & rechocs qui font un
ébranlement dans les filets de nerfrépan-
(
P2 dus
316 MERC. GALANT.
dus dans toute la membrane qui tapiſſe la
cavité qui eſt derriére ce chaſſis . Il faut
dire la même choſe de la membrane de
l'eſtrier , pour les Animaux où elle ſe
trouve , laquelle n'eſt non plus tenduë par
aucun muscle . Mais un ſentiment confus
du fon oubruit , ſuffit pour avertir l'Animal
, lors qu'il ne s'agit point de diftinguer
leton , niles degrez des fons , &d'y
répondre. Le chaſſis rond eſt auſſi frappé
& ébranlé de même que la membrane de
l'eſtrier ; mais comme il n'eſt point en
confonance avec le bruit extérieur , ſes
ébranlemens font bien-tôt paflez , & ne ſe
communiquent que foiblement à l'air
contenu dans le canal du limaçon qu'il
couvre , & à la membrane qui tapiflece
canal , ou plûtôt aux eſprits contenus dans
les filets de nerf qui s'y diſtribuent ; &
voilà tout cequi regarde les bruits promts,
foibles ou violens , où il ne s'agit point
d'appercevoir les degrez du fon , ou des
autres modifications , mais ſeulement de
prendrefonpartidan lemoment. A l'égard
des différentes eſpéces de bruits , il
eſt évident qu'elles ne conſiſtent que dans
les différentes rithmiques des vibrations
de l'air; ces tremblemens n'étant pas fufceptibles
d'autres varietez que de différentes
forces &promptitudes , comme on le
remarque affez dans la rithmique du Tambour
, &commeje l'explique aulong dans
laMelodie.
16.
A 317
MARS 1712.
16. Pour ce qui eſt desbruits où il eſt
utile dediſtinguer les gradations , comme
dans la parole , particulierement dans
celle qui procéde par inflexions , comme
chez les Normands , Auvergnats , Gafcons
, Dauphinois , Chinois , &c. dans
laquelle cependant les fons ne doivent pas
durer, de crainte qu'ils neſe confondent ,
le grand chaſſis eſt alors tendu par le
grand adducteur , pour être mis en quelque
confonance prochaine avec la voix
qui parle , & en même tems avec le chaſſis
rond, pendant les inflexions les plus ſenfibles
de la voix , comme dans toutes les
patétiques . Par cemoyen le chaſlis extérieur
reçoit plus aiſement , & conferve
plus long-tems les ébranlemens du ſon de
la voix , & les tranſimet à tout l'air de la
quaille , lequel air ſe faitſentir encore fur
la membrane de l'eſtrier qu'il ébranle ,
auſſi bien que ſur le chaſſis rond qu'il
ébranle encore mieux; & celui-ci à fon
tour ébranle ſenſiblement & affez longtems
l'air du canal qu'il ferme , pour donner
à ſa membrane le ſentimentde la parole
, & de ſes inflexions différentes . Et
c'eſt le nerfqui eſt derriére le grand chaſſis
qui par l'émotion des eſprits qu'il contient
, & par la communication qu'il a
avec le muſcle long , fait gonfler cemufcle,
& le met en contraction , mais foiblement
à cauſe du peu de durée des fons
de la voix , & du peu de confonance qu'ils
P3 ont
318 MERC. GALANT .
ont entr'eux , cequi oblige cemuſcled'être
dans un changement d'action continuel.
A l'égard de l'eſtrier , quoi qu'il
ſoit alors pouffé en quelque forte en arriére
par ſa pointe , par la jambe de l'enclume,
comme on l'a déja dit , il ne tend
cependant que très- foiblement le chaffis
ovale; àcauſe de l'articulationde l'enclumeavec
le marteau & l'eſtrier , ( car c'eſt
le ſeul uſage de ces articulations ; ) autrement
les ébranlemens de la voix ſe feroient
ſentir aux nerfs muſicaux du labyrinthe
, & produiroient des fons dans le
Cerveau ou une eſpéce de chant , court à
lavérité , maisnonpas unbruit tel que la
voix. Ainſi les paroles ſeroient confuſes
comme les fons des cordes d'une Harpe
non affourdies , & non pas distinctes.commeelles
ledoivent. On peut ajoûter , fi
l'on veut, que les ébranlemensde l'air de
lacoquille, cauſez par la voix,font fortifiez
par le retreciffement de fon canal vers le
fommetdu limaçon. Au reſte ces ébranlemens
doivent toûjours être très courts ,
àcauſe que le chaflis rond n'eſt preſque
jamais en conſonance parfaite avec l'air
extérieur. C'eſt pour cela qu'il n'en reſte
prefque pas detrace au Cerveau , & qu'il
eft fi difficile d'imiter& de rendre lesgradations
de la parole , & s'il en reſte quelque
idée foible , ce ne peut être quepar un
leger ébranlement d'air,qui peut pafferde
lacoquilledans le labyrinthe.
De
1
MARS 1712. 319
De là l'on peutjuger que les Animaux
qui ſont privezdela coquille, comme la
plupart des Oiseaux , les Tortuës , les
Taupes , les Poiffons , &c.n'entendent la
parole que comme un fimplebruit, c'eſtà-
dire , confufément; c'eſt pour celaque
cesAnimaux ne reçoivent aucun nom , &
n'obéïffent pas à la parole de l'homme ;
quoi que d'ailleurs la plupartde cesAnimaux
, principalement les Tortuës & les
Taupes ayent le ſensde l'Oreille très-fin;
comme ceux qui prennent des Taupes ,
ou qui vont varrer les Tortuës lors qu'elles
pondent leurs coeufs ſur le ſable de la
Mer , s'en apperçoivent aſſez . Mais tous
ces Animaux ont derriére le chaſſis inté
ricur de l'Oreille des cavitez ou facs aveugles
,tapiffezde membranes extrêmement
fines , où la partie molle du nerf auditif
envoye des branches; & la grandeur de
ces parties récompenſe ce qui leur manque
d'ailleurs.
Al'égard des autres Animaux qui ont
la coquille , comme les Chiens , lesChe
vaux , lesSinges , les Elephans , &c. on
trouve en eux une eſpéce de docilité qui
fait connoître qu'ils diftinguent les voix:
car ils entendentles noms qu'on leurdonne,
& les commandemens qu'on leur fait ,
ils diftinguent les paffions de la voix , la
joye, la colere, la triſteſſe , la flaterie ,
&c.&yrépondentpardes ſignes ſenſibles;
ce que ne fontpas les autres Animaux qui
P4 en
320 MERC. GALANT .
1
en font privez: les Oiseaux ne laiſſent
pas d'oüir la voix lors qu'on leur parle fur
un certain ton qui eſt celui de leurs chaffis;
mais pour les faire bien entendre il
faut donner outre cela une certaine tenuë
oudurée à la voix , à peu près comme ſi l'on
chantoit , & repeter même les mots plufieurs
fois , afin que leur grand adducteur
ait le tems debander leurs chaſſis . C'eſt
pour celaque les Oiſeaux n'ont commerce
entre eux que par leurs chants , au lieu
que les quadrupedes & autres Animaux
terreftres , comme les Chiens , les Chats ,
les Brebis , les Chevres , les Booeufs , les
Cigales , les Grillons , les Cloportes ,
les Couleuvres ſonnantes , &c. ont une
eſpéce de commerce entre eux à l'aide de
leursvoix , oude quelque inſtrument qui
fait en eux le même office que la ſimple
voix. On pourroit penſer ddee quelques
hommes qui n'entendent & n'apprennent
que ce qu'on leur chante , & qui ne répondent
qu'en chantant , la même choſe
quedes Oiseaux , ſçavoir qu'ils fontpeutêtre
privez tout-à- fait de la coquille , ou
du moins que fon chaſſis eſt extrêmement
tendu , ou extrêmement reláché. M.
Caffegrain , le Frere de celui qui nous a
donné des proportions de la Trompette
vocale , & qui étoit fort de mes Amis ,
étoit de cette eſpéce , il étoit undes plus
habiles Mouleurs du Roi , & je lui ai parlé
il y a bien vingt-cinq ans ; peut-être n'y
en
MARS 1712. 321
en a-t-il pas dix qu'il eſt mort , ainſi on
enpourroit encore ſçavoir des nouvelles
chez les Sculpteurs du Roi. Mais ne
pourroit on point penſer au contraire que
ceux qui font inſenſibles à l'harmonie ,
comine un de mes Parens d'Illiers , dont
j'ai parle ailleurs , & qui eſt vivant , &
pluſieurs autresde mes Amis , ou ſont privez
du labyrinte , ou du moins dugrand
adducteur , & peut être auſſi de l'adducteur
de l'étrier. Quant aux fourds quientendent
tout clair au milieu du grand
bruit, on peut penſer que le nerf qui eft
derriére legrand chaſſisde leur Oreille eſt
relâché , ou ce chaſſis lui-même, ou tous
les deux enſemble , ce qui les rend peu
ſuſceptibles des ébranlemens du bruit.
Mais les bruits violens , les ſecouffes des
Carofles , &c. ébranlant les eſprits ou de
l'Oreille extérieure , ou même du Cerveau
, il s'en fait un reflux dans les muſcles
de l'Oreille intérieure qui les met en
contraction. Ce relâchement du grand
chaſſis vient ſouvent d'avoir fouffert une
percuffion trop violente, comme il eſt arrivé
à quelquesperſonnes par le bruitd'un
Canondontilsétoient trop près .
17. Enfin à l'égard des fons , comme
ils ont une durée ſenſible , lors qu'ils
viennent frizer le chaſſis extérieur , & en
mêmetems le nerf qui eſt couchéderriére,
ils mettent les eſprits qui y ſont contenus
en action , laquelle ſe communique en-
Ps fuite
322 MERC. GALANT.
,
fuite aux muſeles adducteurs de la quaiffe,
qui tirent le marteau & l'étrier , & ces
muscles entrant en contraction tendent le
grand chaffis , & le chaftis ovale , pour
les mettre en confonance parfaite avec le
ſon extérieur , ſçavoir avec celui de la
principale note du mode , qui eſt ordinairement
la quinte fur la finale , & c'est à
celaprincipalement que les préludes font
utiles. Alors toutes les autres notesdu
mode , principalement la finale , la mediante
, & l'octave , avec leurs repliques,
peuvent s'exprimer beaucoup plus aifément
fur ces deux chaflis , c'est-à-dire
qu'ils deviennent par cemoyen plus fuf
ceptibles de la ritmique , dans laquelle
confiftent les confonances & les accords
des fons de ce mode , & même de toutes
les notes accidentelles , tant Diatoniques,
que Cromatiques , quoi que les rapports
de leurs vibrations avec les baſes du mode
foient plus éloignez . Et cette tenſionde
ces deux chaſſis ne ſe change,que quand on
change la dominante dupremier mode en
celle d'un autre , ou que quand on infifte
trop long -tems fur le Cromatique. Si
l'onveut avoir quelqu'idée fenfible de certe
ritmique , dans laquelle confifte toure
l'effence des intervalles muſicaux , c'eft-
-diredes conſonances & des diffonances ,
il ne faut que proportionner les longueurs
des balanciers de deux ou trois ou quatre
Pendules , de telle forte qu'un faifant par
exem
MARS 1712. 323
exemple deux vibrations , un autre qui
commence en même tems en faſſe 3. alors
on entendra la ritmique de la quinte, c'eftà-
dire la quinte. Si dans le tems quele
premier en fait par exemple 4. le ſecond
en fait cinq , le troiſiéme fix , & le quatriéme
huit , tous quatre commençanten
même tems , onentendra larithmiquede
l'accord , ((utmifolut) c'est-à-dire , en
un mot on aura une ſenſation nettede cet
accord&non confuſe, comme elle l'eſt
pour lesOreilles non Muſicales. Etainſi
de tous les autres accords, ce qu'on trou .
vera plus amplementtraitédans notre Melodie.
Les ébranlemens que legrand chaſſis&
fon marteau ont reçûs , ſont communiquez
immédiatement à l'enclume , & à
l'eſtrier quii les communiquent à leur tour
au chaſſis ovale , & celui - ci les fait paffer
à l'air de la voûte ou veſtibule avec toutes
leurs varietez , lequel les communique fur
les cinq ou fix differens filets du nerfMufical
répandus dans less canaux ſemi circulaires.
On peut même penser qu'il y a
dans ces différens filets des eſprits plus qu
moins agitez , ou que ces filets mêmes
font tellement proportionnez en groffeur ,
longueur &tenfion , quecomme ils font
en l'air , ils font par conféquent fufceptibles
, l'un des ébranlemens de la finale ,
un autre de ceux de la mediante , un troifiéme
de ceux de la dominante , un autre
P6 de
324 MERC. GALANT .
de ceux de l'octave , &un cinquiéme enfin
de ceux de la dixiéme ou plutôt ( ce
qui peut revenir au même ) comme un fon
eſt preſque toûjours accompagné de ſes
multiplicz , ſçavoir l'octave , la douzićme
, la double octave , la dix- ſeptième ,
& la dix neuviéme ( quoi qu'ils ne foient
pas toûjours aiſez à appercevoir , particuliérement
dans les ſons fort aigus ) on peut
penſer que ces différens ſons s'impriment
fur ces filets , un fur chacun; &comine ces
filets ne font au plus que fix ennombre ,
on voit que l'intervalle de ſept à un n'y
peut avoir lieu , ni par conséquent toutes
les autres relations (
22
,
&c. qui en font dérivées ; au lieu que tous
les intervalles , &c. font
renfermez dans les précédens . Et comme
la parole eſt ſouvent jointe avec la voix ,
on peut penfer qu'alors elle ſe fait lentir
dans le canal du limaçon qui répond à la
voûte plûtôt que dans le labyrinthe, à cauſede
la lame ſpirale de ce canal , qui eſt
ſuſceptible d'une plus grande quantitéde
varietez de bruit que les nerfs du labyrinthe,
par ſa figure triangulaire & par fa
longueur.
Il eſt évident que la même choſe doit ſe
pafferdans tous les Animaux qui ont le labyrinthe.
C'eſt pour cela qu'on trouve des
Chiens , & même des Chevaux qui font
extrêmement fufceptibles de laMuſique ,
com.
MARS 1712.
325
commeun Bichon que j'ai eu autrefois , &
deux autres Chiens qui font encore chez
deuxdes premiers Muſiciens de Paris de ma
connoiffance. On ſçait que les Roffignols
l'aiment éperduëment. LLeesElephants ,
les Cameleons , les Araignées nommées
Tarentules , &c . en font auſſi très fufceptibles.
Et comment penſer que tantd'Animaux
paffent une bonne partie de leur
vie à chanter , comme les Oiseaux, les
Grenoüilles , les Cigales , les Graiffets ,
&c. fansqu'ilsyprennent quelque plaifir ?
18. A l'égarddela correſpondance qu'il
y a entre l'Oreille & la Glotte , ou le Larinx
, qui fait qu'on repere dans le moment
les fons qu'on a entendus avec toutes
leurs varietez , il eſt évident qu'elle ne
peut confifter que dans lacorrefpondance
qu'il y a entre les racines du nerf auditif
ou de la ſeptième paire , & cellesdu nerf
chanteur qui eſt la cinquiéme , laquelle ſe
répand dans l'Oreille , auſſi bien que dans
le Larinx , car cesracines communiquant
entre elles dans la baſe du Cerveau , les
motions des eſprits contenus dans le nerf
auditif, paſſent aisément dans celuidela
Glotte , outre que celles de l'Oreille interne
y paffent auſſi immédiatement par
les rameaux que cette cinquiéme paire envoye
à ces deux parties : c'eſt enfin par là
qu'on peut expliquer pourquoi les fourds
denaiſſance font privez de l'uſage de laparole
, & pluſieurs autres queſtions de cette
P7
nature.
Ex326
MERC. GALANT.
Extrait de plusieurs Lettres particus
liéresjoint à l' Extrait de la Relation
imprimée à Paris , fur ce qui
s'estpassédans l'expédition de Rio-
Faneiro.
E9.du
Luay-Troun Juin
moisde Juin 1711. leSieurdu
lavoiledesRades
de la Rochelle avec fon Efcadre , &
les deux Vaiffeaux , le Chancelier , & le
Glorieux, dans le deſſein d'aller tenter la
conquête de Rio Janeiro , Place importante
à la côté du Breſil , où le SieurDu
Clerc, & huit cens Soldats de la Marine
avoient été tuez ou pris l'année préceden.
Le 2. Juillet , il mouilla à l'Ifſe de
Saint Vincent , où la Fregate l'Aigle vint
le joindre , & n'y trouvant point de rafraîchiffemens
il remit à la voile le 6. ,
avec le feul avantage d'avoir mis les Troupes
à Terre , pour leur faire connoître le
rang&l'ordre qu'elles devoient obferver
en cas de defcente. Le 11. du mois
d'Août il paffa la Ligne. Le 19. il eut
connoiffance de l'ifle de l'Afcenfion , &
le 27.ſe trouvant à la hauteur de la Baye
de tous les Saints , il affembla le Confeil ,
où il fut réſolu qu'onſe rendroit à droitųre
auRio-Janeiro . Le 11. de Septembre
on trouva fond , fans avoir cependant
te.
conMARS
1712. 327
connoiffance de Terre. Il fir ſes remarques
là-deffus , & fur la hauteur qu'on
avoit obſervée , après quoi profitant d'un
vent frais qui s'éleva à l'entréede la nuit,
il fit forcer de voiles à toute l'Efcadre ,
malgré la brume& le mauvais tems , & il
ſetrouvaà la pointe du jour précisément à
l'embouchureduRio-Janeiro.
Il ordonna au Chevalier de Courferac,
qui en connoiſſoit l'entrée , de ſe mettreà
la têtede l'Eſcadre , & aux Chevaliersde
Gouyon & de Beauve de marcher immé
diatement après, & ilſuivit, étant alors
en fituation de voir ce qui ſe paſſoit à la
tête & à la queue. Il fit en même tems
fignal aux Sieurs de la Jaille , de laMoinerieMiniac
, & à tous lesCapitaines de
1'Eſcadre de marcher les uns après les autres
, fuivant le rang & la force de leur
Vaitſeau , cequ'ils executerent ponctuellement
, ainſi que les Maîtres des deux
Traverſiers qui effuyerentle feu de toutes
les Batteriesſans changer de route .
Le Chevalier de Courſerac , s'eft ac.
quis une gloire particulière dans cette action
, par la bonne manoeuvre qu'il a faite
& la fierté avec laquelle il a montré le
chemin. Ce fut dans cet ordre qu'on
força l'entrée de ce Port , défendu par
une prodigieuſe quantité d'Artillerie, &
par quatre Vaiſſeaux de Guerre de cin.
quante-fix à foixante- dix Canons , commandez
parGafpar daCofta , Généralde
la
328 MERC. GALANT.
,
Il
la Flote , que le Roi de Portugal avoit
envoyée exprès avec des Troupes pour la
défencede cette Place. Ces quatre Vailſeaux
jugeantpar la manoeuvre qu'on les
alloit aborder , couperent leurs cables
& allerent s'échouer ſous les Batteries de
la Ville. On avoit eu juſqu'alors environ
trois cens homines hors de Combat.
eſt néceſſaire pour l'intelligence de cette
Relation, d'ajoûter ici un état de la Ville&
de la Baye de Rio Janeiro , de ſes Forterefles
, & de la ſituation de ſon entrée. La
Baye de Rio Janeiro eſt fermée par un
goulet beaucoup plus étroit que celui de
Brest ; elle est défenduë du côté droit par
le Fortde Sainte Croix , garni de quarante
quatre pieces de Canonde tout calibre ,
depuis quarante huit livres de bale jufqu'à
huit , d'une autre Batteriede fix pieces
quiest audehors de ce Fort , & du côté
gauche par le Fort de Saint Jean , &
par deux autres Batteries garnies dequarante-
huit pieces de gros Canon qui croiſent
l'entrée , au milieu de laquelle ſe
trouveune Ifle ou gros Kocher , qui peut
avoir quatre-vingt ou centbraſſes de longueur.
Au dedans de l'entrée du côté
droit, on trouve une Batterie nommée
Notre Dame de bon voyage , qui eſt ſur
une Montagne inacceſſible , où il y a dix
pieces de canonde dix -huit à vingt-quatre,
qui fe croifent avec le Fort de l'Ile de Vil.
legagnon qui cſt à la gauche , & où il ya
vingt
MARS 1712. 329
vingt pieces du même calibre quibattent
l'entrée de la Baye. Audelà de cedernier
Fort , & de celui de Saint Jean , il y a un
Fort nommé Saint Theodoſe , de ſeize
pieces de Canon , qui bat la plage qui eſt
du côté de la Carioque , au milieu de laquelle
les Portugais ont encore bâti une
eſpecede Demi lune. Quand on a paflé
toutes ces Batteries & tous ces Forts , on
voit l'Iſle des Chevres , qui n'eſt qu'à la
portée du fufil de la Ville du côté des Bénédictins
, où il ya unpetit Fortde quatre
Baſtions , avec huit pieces de Canon , &
ſurunplateau qui eſt au bas del'Iſle , une
Batterie de quatre pieces qui bat le côté
de la Mer , & fe croiſe avec le Fort de la
Mifericorde. Il y a encore des Batteries
de l'autre côté de la Rade , & il n'y apas
un ſeul endroit pour faire deſcente , où
les Portugais n'euſſent remué la Terre ,
fait des abbatis d'Arbres & mis du Canon
en Batterie. A l'égard de la Baye , on
ne peut gueres en trouver de plus belle ,
de plus grande, ni de plus commode : le
mouillage y eſt parfaitement bon , le Vent
&laMer n'y entrent preſque jamais , & il
y a au fond une Riviérc qui s'étend quatorze
lieuës en Terre du côté du Nord-
Eſt . La Ville eſt bâtie le long de la Baye ,
aumilieu de trois Montagnes fort élevées,
qui font occupées , l'une qui eſt à une des
extrémitez , par les Jeſuites , l'autre par
les Bénédictins , & la troiſième , nom.
mée
1
330 MERC. GALANT .
mée la Conception , par l'Evêque : ces
trois Montagnes cominandent entiérement
la Ville & la Campagne , & font
garnies deForts &de Batteries. Audef
fus de celle qu'occupent les Jefuites , eft
un Fort nommé Saint Sebaſtien , revêtu
de murailles , & entouré d'un bon Foffé ,
garni de quatorze pieces de Canon &de
beaucoup de pierriers . Sur la gauche de
ce Fort , du côté de la plaine à mi- côte
eſtunFortnommé Saint Yague , où il y
adouze piecesdeCanon : un autrenommé
Sainte Alouſie , de huit pieces ; une
Batterie de douze , & le Fort dellaa Mifericorde
, qui eſt bâti ſur un Rocher qui
avance dans la Mer , où ily a douzepiecesdeCanonquibattentdu
côtéde laVille&
deceluidela Mer. La Montagnedes
Bénédictins eft fortifiée d'un Rétranchementgarni
deplufieurspieces deCanon ,
qui battentdu côté de l'Iſle des Chevres ,
du côté de laMontagne de la Conception
&de laplaine. La Montagne de laConception
eſt retranchée du côtéde laCampagneparun
Foffe , une haye vive derriére
, &des pieces de Canon de diſtance en
diſtance, qui en occupent tout lefront.
LaVille eſt fortifiée par des Redans & des
Batteries de diſtance en diſtance , dont les
feux ſe croiſent : du côté de la plaine elleest
défenduë parun Camp retranché &
unbon Foffe plein d'eau , au dedansduquel
ily adeuxplaces d'Armes à pouvoir
conMARS
1712. 331
contenir quinze cens hommes enBataille,
plufieurspieces deCanon& des maifons
crenelées de toutes parts ; c'étoitle
lieu où les Ennemis avoient une partie de
leursTroupes , qui montoient àdouze ou
treize mille hommes , parmi lesquels
pluſieurs avoient fervi en Eſpagne à la
Bataille d'Almanza , & un très -grand
nombre de Negres. Le Sieur duGuay-
Troüin, furpris de trouver la Place en fi
bon état , apprit qu'un Paquebot venu
d'Angleterre à Lisbonne , avoit donné
avisque fon Eſcadre étoitdeſtinée pour le
Rio Janeiro : & comme il ne fe trouva
point dans ce tems-là de Bâtiment armé
pour y en porter la nouvelle , le Roi de
Portugal y avoit envoyéce même Paquebut,
qui y étoit arrivé quinze jours
paravant. Get avis avoit donné licu au
Gouverneurde faire travailler avec tant
de diligence à des Rétranchemens , & à
établirdesBatteriesdans tous les endroits
oùil jugeoit qu'il pouvoit être attaqué.
au-
Lajournée ſe paſſa àforcer l'entrée , &
le Sieur du Guay . Trouin fit avancer la
Galiote& les Traverfiers , & détacha le
3. à la pointe du jour le Chevalier de
Gouyon avec cinq cens Soldats d'élite ,
pour s'emparer de l'Ifle des Chevres. Il
l'éxécuta dans le moment , & en chaffa
les ennemis fibruſquement , qu'ils eurent
àpeine le tems d'enclouer leur Canon .
Ils coulerentà fond enſe retirant deux de
leurs
332 MERC. GALANT.
leurs plusgros Vaiſſeaux Marchands entre
les Batteries des Bénédictins & l'Iſle des
Chevres , & ils firent fauter deux de leurs
Vaiſſeaux de guerre échoüez ſous le Fort
de la Mifericorde : mais voulant en faire
autant d'un troiſième échoué à la pointe
de l'Ifle des Chevres , le Chevalier de
Gouyon y envoya deux Chaloupes , commandées
par les Sieurs de Vaureal & de
Saint Oſmanes , qui malgré le feu duCanon
de la Place , s'en rendirent maîtres &
y arborerent le Pavillon du Roi ; mais ils
ne purent le mettre à flot, parce qu'il ſe
trouva plein d'eau par les coups deCanondont
il étoit percé. LeChevalier de
Gouyon envoya auſſi - tôt rendre compte
de la ſituation avantageuſe de l'ifle des
Chevres : le Sieur du Guay-Troüin alla
viſiter ce poſte ; & l'ayant trouvé tel
qu'il le lui avoit marqué , ordonna aux
Sieursde la Ruffiniere & Effiot , Officiers
d'Artillerie , & au Sieur Keguelin Capitaine
de Brûlot , d'y établir des Batteries
de Mortiers & de Canon Le Sieur de
Saint Simon , Lieutenant de Vaiſſeau ,
futchargé de faire ſoûtenir les travailleurs
avec un Corps de Troupes : les uns & les
autres remplirent leur devoir avec toute
la fermeté poſſible , étant expoſez au feu
continuel du Canon & de laMouſquete.
rie. Cependant la plupart des Vaiffeaux
de l'Eſcadre manquoient d'eau , & il étoit
abfolument néceſſaire de s'affurer de l'aiguade
,
MARS 1712. 333
guade , & de faire defcente pour couper ,
s'il étoit poffible , la retraite aux ennemis,
& les empécher d'emporter leurs richefſes
dans les Montagnes. Ilordonna pour
cet effet au Chevalier de Bauve deprendre
le commandement des Fregates l'Amazone
, l'Aigle , l'Aſtrée , & la Concorde ,
dans lesquelles on fitembarquer une partiedes
Troupes , le chargeant de s'empa.
rer pendant la nuit de quatre Vaiſſeaux
Marchands qui moüilloient prèsde l'endroit
où on prétendoit fairedefcente , &
d'y établir un entrepoſt pour les Troupes ,
ce qu'il executa avec beaucoup d'ordre &
deconduite. Ainſi ce débarquement ſe fit
le lendemain avec d'autant plusde ſureté
qu'on en avoit ôté la connoiffance aux ennemis
, par d'autres mouvemens qui attirerent
toute leur attention. 7 .
Le 14. Septembre , toutes les Troupes
étantdébarquées au nombre de deux millecent
cinquante Soldats , & de fix cens
Matelots armez , le Sieur du Guay-
Troüin envoya les Sicurs Gouyon & de
Courſerac , s'emparer de deux hauteurs ,
d'où l'on découvroit tout ce qui ſe pafloit
dans la Ville. Le Sieur d'Auberville ,
Capitaine de Grenadiers de la Brigade de
ce premier , chaffa quelques Troupes Portugaiſes
d'unBois où ils étoient en embuscade
, après quoi les Troupes camperent
dans cettediſpoſition.
L'Aîle droite commandée par le Che
va
334 MERC. GALANT.
valierdeGouyon , occupa la hauteur qui
regardoit la Place : l'Aîle gauche commandée
par le Chevalier de Courſerac ,
cellequiétoit à l'oppofite ; &le Corps de
Bataille , commandé par le Chevalier de
Beauvé , fut placé au milieu , auffi-bien
que le Quartier général , afin d'être à
portéede ſe ſoûtenir lesuns les autres , &
d'être maître du bord de la Mer , où les
Chaloupes faifoient de l'eau , & apportoient
continuellement les Munitionsde
guerre&debouche dont on avoitbeſoin.
Le Sieur de Ricouart , Inſpecteur gé
néral , à la fuite de l'Escadre , reſta dans
laRade, pour avoir ſoin de les envoyer &
de faire fournir les Materiaux néceffaires à
l'établiſſement des Batteries fur l'Iſle des
Chevres.
Le 15. le SieurduGuay-Troüin fit mar
cher toutes les Troupes dans laplaine :
desDétachemens s'avancerent juſqu'à la
portée du Fufilde la Place , &tuerentdes
Beſtiaux ,, & pillerent des maiſons , fans
aucune oppofition. Les Portugais efperoient
que les Troupes Françoiſes s'enga
geroient dans lesRétranchemens , où ils
efperoient les envelopper , niais voyant
qu'ils ne branloient pas , le Sieur du
Guay-Trouin fit retirer les Troupes ,
après avoir bienreconnu le Terrain , qui
ſe trouva impraticable , de forte qu'il parut
impoſſible , même avec dix millehommes
, de pouvoir couper la retraite aux
en.
MARS1712. 335
ennemis , ni leur empêcher de ſauver
leurs richeſles.
Il en fut convaincu , lors qu'ayant remarqué
un partides ennemis aupiedd'aneMontagne
, il voulut le faire couper
par leBataillondu Lys& celui duMagnanime,
qu'il avoit fait couler âdroit & à
gauche. Mais s'en étant approchez avec
biende la peine , ils trouverent unMarais
&des halliers impénétrables qui les arrê
térent , &lesobligerent à s'en revenir.
Le 16. un de ſes Détachemens s'étant
avancé , lesennemis firentjouer un Fourneau
avec tant de précipitation , qu'il ne
fit aucun effet . Ce même jour il chargea
lesSieursdeBeauve&de la Calandre d'é
tablir uneBatterie dedix pieces de Canon
fur une Preſqu'Iſle , qui prenoit lesBat
teries des Bénédictins à revers , & ils y
firenttravailler fi diligeniment , que dans
trente fix heures elle fut en état de tirer.
Le17. lesEnnemis brulerent de grands
Magazins remplis de Sucre , d'Agrez , &
deMunitions, ſur le bordde laMer. Ils
firentauſſi ſauter en l'air le dernier deurs
quatre Vaiffeaux de guerre échouez fous
lesBénédictins , & ils brulerent deux autresBâtimensappartenans
au Roi dePortugal
, qui touchoient à Terre.
Le18. les Ennemis firent fortir de leurs
Retranchemens douze cens hommes de
leurs meilleures Troupes , pour enlever
unpoſte avancéque le Sieur de Liſta gar
doit
336 MERC. GALANT .
doit avec cinquante Soldats ; mais il ſe défendit
fi bien qu'il donna le tems au Chevalier
de Gouyon d'y envoyer le Sieur de
Bourville , Ayde-Major de ſa Brigade ,
avecles Compagnies des Sieurs Drouallen
&d'Auberville qui chafferent les Ennemis
, après en avoir tué ou bleſſé plus de
cent cinquante. Le Sieur de Pontlo-
Coëtlogon , Ayde de Camp du Chevalier
deGouyon y futbleſlé , avec environ
vingt-cinq Soldats. Ce même jour , la
Batterie des Sieurs de Beauve & de la Calandre
, commença àtirer ſur les Retrancheinens
& les Batteries des Benedictins .
Le 19. le Sieur de la Rufiniere ayant
donné avis qu'il avoit cinq Mortiers &
dix-huit piéces de gros Canon en Batterie
fur l'Iſſe des Chevres , le Sieur du Guay-
Troüin fit fommer le Gouverneur de ſe
rendre , & fur fa réponſe pleine de fierté ,
il réſolut de l'attaquer vivement. Ilalla
pour cet effet avec le Chevalier de Beauve
le long de la Côte , depuis le Camp jufques
à l'Iſle des Chevres , reconnoître les
endroits par où on pourroit plus aiſément
forcer les Ennemis . On remarqua cinq
Vaiſſeaux Marchands à demi portée du fufil
des Benedictins , qui pouvoient ſervir
d'entrepôt à une partie des Troupes qui
feroient deſtinées à attaquer ce poſte: il
ordonna pour cela que l'on fit avancer le
Vaifſeau le Mars entre ces deux Batteries ,
& de le placer à portée de les ſoûtenir en
cas de beſoin.
Le
MARS 1712. 337
Le 20. il envoya ordre au Vaiſſeau le
Brillant de s'approcher du Mars , & il fic
faire de toutes les Batteries & des Vaifſeaux
un feu continuel , & donnant en
même tems les ordres néceſſaires pour
attaquer le lendemain .
La nuit du 20. au 21. il envoya une
partie des Troupes dans les Vailleaux
moüillez près des Benedictins : les Ennemis
s'en étant apperçûs firent ſur les Chaloupes
ungrand feu de Mouſqueterie, qui
futbien-tótralenti par le CanondesBatteries
, & par celui du Vaiſſeau le Mars , ce
qui jettaunegrande conſternation dans la
Place.
Le 21. àla pointe du jour , le Sieur du
Guay-Troüin s'embarqua avec le reite des
Troupespouraller commencer l'Attaque ,
ordonnant au Chevalier de Gonyonde filer
le longde laCôte avec ſa Brigade , afin
d'attaquer les Ennemis par différens endroits.
Sur ces entrefaites, le Sieur de la Salle ,
qui avoit été fait priſonnier avec le Sieur
du Clerc , à qui il avoit ſervi d'Aide de
Camp , s'étant échapé des Ennemis ,
vint ſe rendre , & donna avis que les Ennemis
abandonnoient la Place avec une
terreur étonnante : qu'en ſe retirant ils
avoient mis le feu à undes plus richesMagaſins
de la Ville , & qu'ils avoientminé
Je Fort des Jeſuites , & celui des Benedictins.
Le Sieur duGuay Trouin entra enfuite
Tome V.
338 MERC. GALANT.
Tuite dans la Place avec le Chevalier de
Courſerac , & huit Compagnies de Gre
nadiers , pour ſe rendre maîtresdes Forts
de Saint Sebaſtien , de S. Yague , &de la
Mifericorde, laiſſant aux Sieurs deGouyon
& de Beauve le commandement du refte
des Troupes , avecdéfenſe, fur peine de la
vie, aux Soldats de s'écarter , & de quitter
leurs rangs.
En entrant dans la Ville , on trouva ce
qui reſtoit de prifonniers de la défaite du
Sieur du Clere , quiayant briſe les portes
de deur priſon , s'étoient déja répandus
pour enfoncer & piller les Maiſons qu'ils
connoiffoient les plus riches; ce quiexcita
l'avidité des Soldats, & les porta d'abord
à ſe débander ; mais la punition qui
fut faite fur le champ de quelques uns ,
arrêta les autres ; & les prifonniers furer.t
conduits fur la hauteur des Benedictins .
Enfuite il ſe rendit maître des Forts &de
tous les poſtes , après avoir fait éventer
Jes Mines , & il en laiſſa le commandeament
au Sieur de Courſcrac , avec ordre
de faire avancer ſa Brigade pour enprendre
poffeſſion .
Enfuite pour empêcher le pillage qui
paroinfoit inévitable , il fit mettre des
Corps de Garde , poſer des Sentinelles en
divers endroits , & il ordonna des Patrouil
les , pour marcher jour & muit , avec défenfe,
fur peinede la vie, aux Matelots &
Soldats d'entrer dans la Ville , fous quelque
prétexte que ce fut. NonMARS
1712 . 339
Nonobſtant toutes ces précautions ,
l'avidité du gain & l'eſpoir du pillage l'emporterent
fur la crainte des châtimens ; les
Corps de Garde même & les Patroüilles
commencerent à augmenter le defordre
pendantlanuit: enforte que le lendemain
matin les trois quarts des portes des Maiſons
& des Magaſins ſe trouverent enfoncées
, les Vins répandus , les Marchandifes
& les Meubles épars au milieu des
ruës: & enfin tout ſe trouva dans un defordre
& une confufion étonnante . II
ordonna que l'on paſlât par les armes ceux
qui ſe trouveroient dans le cas du Ban ;
mais les châtimens réïtérez n'ayant pas
été capables d'arrêter cette fureur , iln'y
eutd'autre parti à prendre que d'employer
pendant le jour la meilleure partie des
Troupes , à ramaſſer ce qu'on pût d'Effets
ou de Marchandiſes dans des Magaſins
qu'il fit établir , & où le Sieur de Ricoüart
cut ſoindemettre des gens de confiance &
des EcrivainsdeRoi.
Le 23. il envoya fommerleGouverneur
du Fort de Sainte Croix qui fe rendit par
Capitulation: le Sicurde Beauville , Aide-
Major Général , en prit poffeffion ,
aufli bien que des Forts de Villegagnon ,
de Saint Jean , & des Batteries de l'Entrée.
Le Sieur du Guay Troüin apprit
cependant pardifférens Negres qui ſe rendirent
, que le Gouverneur de la Place ,
& le Général de la Flote ayant ramaffé les
débris Q2
340 MERC.GALANT.
débris de leurs Troupes à une lieuë &demie
, attendoient un puiſſant ſecours commandé
parDon Antonio d'Albuquerque ,
Général des Mines , fort eſtimé. Ainfi
pour s'affurer contre les entrepriſes des
Ennemis, il établit le Chevalier de Gouyon
avec ſa Brigade dans les Retranchemens
qui regardoient la Plaine , & le ChevalierdeBeauve
avec le Corps de Bataille fur
la hauteur de la Conception , où le Quartier
général fut placé pour être à portéede
fecourir ceux qui en auroientbeſoin . A
l'égard de la Brigade du Chevalier de
Courſerac , elle étoit déja deſtinée à garder
les Forts & la hauteur des Jeſuites.
Les Ennemis avoient emporté leur Or ,
brûlé leurs meilleurs Vaiſſeaux & leurs
Magaſins les plus riches , & tout le reſte
demeuroit en proye à la fureur du pillage ,
qu'aucun châtiment ne pouvoit arrêter :
d'ailleurs il étoit impoſſible de conſerver
cette Colonie, par le peu de Vivres qui
reſtoient dans la Place , & par l'impoſſibilité
de pénétrer dans le Païs. Ainſi le
Sieur du Guay Trouin envoya dire au
Gouverneur , que s'il tardoit plus longtems
à racheter la Ville par une bonne
Contribution , il alloit la mettre en cendres:
& afin de lui rendre cette menace
plus ſenſible , il détacha deux Compagnies
deGrenadiers , commandez par les Sieurs
de Brignon & de Cheridan pour aller
brûler toutes les Maiſons de la Campagne .
,
Ils
MARS 1712. 341
Ils rencontrerent ungros CorpsdesEnnemis
, mais étant ſoûtenus par une Compagnie
de Caporaux , ils enfoncerent les
Ennemis , en tuérent pluſieurs , & mirent
le reſte en fuite. Leur Commandant ,
hommederéputation , demeura fur lapla.
ce. LesSieursde Brignon , de Cheridan ,
& le Sieur de Kret-Kavel Garde Marine ,
ſediftinguerentdans cette action : le Sieur
de Brignon , entre autres , perça le premier
la Bayonnette au bout du Fuſil , à la
tête de ſa Compagnie , dont étoient Officiers
les Sieurs du Bodon& de Mortone ,
Gardes de laMarine. Comme cette affaire
pouvoitdevenir ſérieuſe , je fis avancer
le Chevalier de Beauve avec fix cens hommes
, qui pénétra encore plus avant , brûla
la Maiſon qui ſervoit de retraite au
Commandant de cetteTroupe , & fe retira
enſuite .
Le Gouverneur envoya un Meſtre de
Camp , & le Préſident de la Chambre
pour traiter , & ils repreſentérent au Sieur
du Guay Troüin , que le Peuple les ayant
abandonnez , & tranſporté tout leur Or
dans les Montagnes , il leur étoit impoffible
de trouver plus de fix cens milleCrufades
pour la Contribution : ils demanderent
même un affez long-tems pour faire
revenir l'Or appartenant au Roide Portugal,
qu'on avoit tranſporté bien avant
dans les Terres. Le Sieur du Guay-
Troüin rejetta cette propoſition , & congedia
Q3
342 MERC. GALANT.
gedia les Députez après leur avoir fait
voir qu'il faifoit miner les endroits quele
feu ne pourroit détruire : cependant il ſe
paſſa encore fix jours fans qu'onentendît
parler du Gouverneur : on apprit même
queDon Antonio d'Albuquerque devoit
arriver inceflamment. Comme il n'y
avoit point de tems à perdre , leSieurdu
Guay Troüin fit mettre le lendemain à la
pointe du jour toutes les Troupes en marche
, & malgré la difficulté des chemins il
arriva de bonne heure en prefence des Ennemis
, & fi prèsd'eux , que l'Avant-garde
, commandée par le Chevalier de
Gouyon , ſe trouva à demi portée du Fufil
de la premiérehauteur qu'ils occupoient ,
&fur laquelle une partie de leurs Troupes
parut enBataille. LeGouverneur ſurpris
envoya auſſi- tôtdeuxOfficiers , pour repreſenter
qu'il avoit offert tout l'Or dont il
pouvoitdiſpoſer pour le rachat de la Ville :
qu'il lluuii étoit abfolument impoſſible d'en
trouver davantage: que tout ce qu'ilpouvoit
faire étoitd'y joindre dix mille Crufades
de ſa propre Bourſe , cent Caiſſes de
Sucre, & tous les Boeufs néceſſaires pour
la fubſiſtance des Troupes , & qu'après
cela le Sieur du Guay.Trouin étoit le maître
de le combattre , & de détruire la Colonie.
On tint Conſeil , & il fut réſolu
d'accepter cette propoſition plûtôt que de
tout perdre; & il fit donner des Otages ,
avec promeffede payer le tout dans quinze
jours. Le
MARS 1712. 343
Le lendemain 11. Octobre Don Antonio
d'Albuquerque arriva avec trois mille
hommes de Troupes , moitié Cavalerie
& moitié Infanterie, & plus de fix mille
Negres bien armez. Cependant on tra
vailloit toûjours à tranſporter dans les
Vaiſſeaux de l'Eſcadre le Sucre qui s'étoit
trouvé , & à remplir les Magaſins des autres
Marchandises que l'on pouvoit ramaffer.
Le 4. Octobre , les Ennemis ayant achevé
leur dernier payement, on fitembarquer
lesTroupes: ongarda ſeulement les
Forts de l'fle de Villegagnon , de l'ifle
des Chevres , & ceux de l'Entrée.
Le 13. après avoir fait mettre le feu aux
Vaiſſeaux échoüez ſous l'Iſle des Chevres
, & aux autres Batimens que l'on
n'avoit point trouvé à vendre , l'Eſcadre
mit à la voileavec de l'eau &des Vivres ,
pour environ trois mois , embarquant un
Officier , quatre Gardes de Marine , &
trois cens cinquante Soldats qui reftoient
de la défaite du Sicur du Clerc:
Tous les autres Officiers avoient été envoyez
à la Baye de Tous les Saints . Le
Sieur du Guay-Troüin prétendoit aller
les délivrer , & tirer mêmede cette Colonie
une nouvelle Contribution : mais
ayant employé quarante jours , à cauſe
des Vents contraires , pour arriver à la
hauteur de cette Baye , & ayant à peine
affez d'eau & de Vivres pour arriver en
France ,
Q4
344 MERC. GALANT
France, il continua faroute. Il fut même
obligé de laiffer la Prife commandée
par le Sieur de la Ruffiniere , parce qu'elle
étoit troppefante: la Fregatel'Aigle ayant
ordrede l'eſcorter juſqu'en France..
L'Eſcadre paſſa enfin la Ligne le 25 .
Octobre. Les Vents étant devenus plus
favorables , on arriva le 19. Janvier à la
hauteurdes Iflesdes Açores , où on effuya
une grande Tempête , qui diſperſa une
partie de la Floten
Enfin après avoir mis pluſieurs fois à
travers pour attendre les Vaiſſeaux , nous
continuames notre route vers Breſt , où
l'Eſcadre arriva le 6. Février 1712.05
2
Letired'un Capitaine de Vaiſſeau, qui
aétépreſent àl'expédition deRio-
Janeiro.
E. 12. Septembre à la faveur d'une
Lbruine fort épaiſſe , nous parûmes ſur
lesdix heuresdu matin proche l'entrée de
Rio Janeiro , ayant reconnu la Terre
deux jours auparavant. Dès que le tems
commença à s'éclaircir Mr. du Gué fit le
fignal , pour entrer tous en ligne , ſuivant
l'ordre qu'il en avoit donné , ſçavoir le
Magnanime , le Lys , le Brillant , l'Achille,
leGlorieux , leMars , le Fidéle,
l'Argonaute , l'Amazone , la Bellone ,
l'Aigle ,
MARS 1712.
345
1Aigle , l'Aſtrée , le Chancelier , la
Glorieuſe , la Concorde , & les deux
Traverſiers . Nous entrâmes tous avec un
vent du Sud Eſt , beau& frais , en forçant
legrand Fort de Sainte Croix , qui eſt le
premier en entrant , & d'autres Forts
dont il nous fallut eſſuyer le feu . Nous allâmes
moüiller , nonobſtant leur feu ,
proche la Ville hors la portée du Canon.
Nous y avons trouvé quatre Vaiſſeaux de
guerre Portugais de 64.62.60 . à 58. canons,
dont la moitié de leur Artillerie
étoitde fonte. M.du Gué , avec le Conſeil
de guerre , reſolut qu'il falloit ſe rendre
maîtres de l'Iſle aux Chevres , & que
c'étoit le ſeul endroit où on pourroit établir
ſes Batteries . M. du Gué ordonna
qu'on ſe tint prêt à debarquer avec une
partiedes Troupes à la petite pointe du
jour. M. de Gouyon , comme étant le
plus ancien , commanda la deſcente , &
fut avec toutes les Chaloupes & Canots
armez , dans lesquels il y avoit cinq cens
hommes , &s'en rendit maître. LesPortugais
s'y étoient déja établis , & avoient
commencé à faire des Batteries , dont ils
avoient déja fix pieces deCanon deFer ,
qu'ils enclouërent quand ils furent obligez
d'abandonner. Après cette expédition
faite , M. Gouyon ſe rembarqua , &
en laifla le commandement au Marquis de
Saint Simon , Lieutenant de Vaiſſeau ,
avec trois cens Soldats , & iladonné des
Qs mar
346 MERC. GALANT.
marques de ſa valeur , & a toûjours très
bienfait. Le 13. dudit mois deux de ces
Vaiſſeaux Portugais ſe brûlerent, le Chevalier
de Veaurealle eut ordre d'aller avec
ſa Chaloupe abord d'un autre qui en vouloit
faire autant : il s'en rendit maître ,
mais il ne pût point le haller au large ,
parce qu'un Fort faifoit continuellement
feu deflus . Ne voyant aucun efpoir de le
fauver , parce qu'il étoit criblé de coups
deCanon, & qu'il faifoit beaucoup d'eau ,
tout ce qu'il putfaire ce fut de l'échouer
proche de la pointe de l'Iſle aux Chévres .
Il ne s'y eft trouvé que ſeize pieces deCanon
de Fonte de vingt- quatre , qu'on
tranſporta la nuità Terre ; quant à l'autre
Vailfeau il ſe brûla deux jours après.
On ne pût point l'alter prendre où il étoit
proche une Batterie de quatre piéces de
Canon de quarante huit . M. DaGué ordonna
que tous nos Mortiers fuffent mis à
terre en Batterie à l'Ile aux Chevres .
Le Chevalier de la Ruffiniere qui commandoit
l'Artillerie , y fut tué la nuit du
13. au 14. De Beauve fut à la faveur de
lanuitavec huit Chaloupes& cinq Canots
armez , enlever cinq à fix Batimens qui
étoient mouillez proche de terre , qui
pouvoient empêcher notre defcentegéné-
Tale. Ilsavoientdu Canonde 18. fur deux
decesNavires,dont un étoit de 44 & l'autre
detreennttee-ffiixx,, tous étoientchargez debeau
Sucre blanc deBrefil . On estime cesCarguaiſons
,
!
i
MARS 1712. 347
4
guaifons , ainſi que ces Vaifleaux,plus de
cent mille Ecus. Le14. nous fîmes notre
deſcente générale au nombre de trois millehommes.
Toutes nosTroupes furent à
terre à midi , & nous marchâmes dans la
plus grande ardeur du Soleil , & fûmes à
unegrande lieuë pour pouvoir nous rendre
maîtres d'une Riviére qui fournit la legarde
d'eau : mais nous ne pûmes paſſer ,
parce que cet endroit eſt iſolé , &qu'il y
avoit un Brasde Riviére qui le rendoit inacceffible.
Nous fúmes obligezde nous en
retourner proche le débarquement où
nous campâmes par Brigades. Nous y reftâmeshuit
jours fans faire grand mouvement.
Le 19. M. du Gué envoya un
Tambour auGouverneur de la Ville, avec
une Lettre pour lui demander jutticedes
mauvais traitemens & des cruautez qu'on
avoit fait à tous les prifonniers deM. le
Clerc, & de fon afſaffinat , & qu'il le
fommoit de ſe rendre . Il fit réponſe qu'il
avoit des Forces ſupérieures de beaucoup
aux nótres pour ſe défendre; &qu'à l'égard
de l'affaffinat de M. du Clerc il n'y
avoit eu aucune part , & qu'il avoit fait
les perquifitions néceſſaires pour en ſçavoir
les Complices.
QuandM. du Gué eut reçû cette Lettre ,
-il envoya un Canot à l'Ifle des Chevres
avec ordre de cominencer à tirer . Alors
on ouvrit toutes nos Batteries ; ſur les fix
heures du foir , l'on tira de trente pièces
९०
de
348 MERC.GALANT.
de trente- fix , & le lendemain de dix au
tres de vingt-quatre & de dix- huit. Le
22. les Jeſuites envoyerent M. de la Salle ,
Volontaire de M. du Clerc , à M. du Gué ,
pour l'avertir que le Gouverneur avec
toute la Garniſon & les Habitansavoient
pris la fuite pendant la nuit , & qu'ils
avoient abandonné la Ville de Rio Janeiro
& tous les Forts ; qu'ils euffent à s'y rendre
pour en prendre poffeſſion. On s'affura
des portes les plus importantes . La
Brigade de M. Gouyon fut aux Benedictins
, & l'on prit le Fort& tout ce qui en
dépend. Nous n'avons perdu en cette
occaſion que vingt hommes. Par les
avis de pluſieurs priſonniers de M. du
Clerc , qui ſe ſauvoientde la Ville , nous
avons appris que les Ennemis avoient plus
de dix mille hommes portant les armes ,
y comprenant des Negres libres qui ſont
auſſi aguerris quedes Soldats. Si-tôt que
nous fumes à la Ville , ondiſtribua notre
petite Armée en cinq Brigades pour occuper
les poftes les plus avantageux , auffibien
que les dehors où l'on ſe campa. M.
duGué ſe logea à la Maiſon de l'Evêque.
Il nous vint 360. Soldats de M. du Clerc ,
qui fortirent de priſon , que l'on incorpora
dans nos Troupes. Le 23. tous les Forts
ſe rendirent par Capitulation , & on y envoya
des Garniſons. M. du Gué, voyant
que le Gouverneur ne vouloit point com
poſer pour ſa Ville , lui écrivit , pour lui
repres
MARS 1712. 349
repreſenter que tout ſon Païs étoit en
notre puiſſance , prêt d'être ruïné , &
qu'il cherchoit évidemment laperte; que
fon Roi le puniroit tôt ou tard de n'avoir
pas ménagé ſes intérêts; il l'avertitſoit
d'envoyer chercher tes Bleffez & lesMalades
pour leur éviter d'être embraſez dansles
ruïnes de ſa Ville qu'il alloit brûler
& miner les Forts pour les faire fauter.
Il fit réponſe qu'il vouloit confulter ſes
Généraux , & demanda deux jours. Le
28. voyant qu'il ne répondoit point, on fit
marcher toute l'Armée vers les fix heures
du matin. On ne laiſſa que très -peude
monde pour garder les Forts que nous
occupions. Nous fümes droit à l'Enne.
mi quiétoit campé à deux lieuës de la Ville.
On les ſurprit ſi à propos que fi on les
avoit attaquez. on les auroit défaits entié.
rement; nos deux Armées étoient en vûë
à la portée du Canon: mais le Gouverneur
demanda à capituler. Le premier
Article fut , que l'on nous donneroit en
poudre d'Or 600000. livres poids de
France,entrois payemens afin qu'on conſervât
la Ville, les Couvens des Jeſuites ,
&des Benedictins , ſous condition qu'on
leur donneroit des Otages pour füreté .
Nous leur laiflames le Chevalier de la
Grange , Enſeigne de Vaiſſeau , qui a été
autrefois au Port Louis. Ils nous envoyerent
leur Préſident , & un Meſtre de
Camp de Cavalerie, que nous amenâmes
Q7 à
335500 MERC. GALANT.
à la Ville. Ils nous accorderent cent
quaifles de Sucre blancde neufcens livres
chacune , s'obligerent de nous fournir
gratis 200. Boeufs , ſous condition qu'on
feur rendroit tous les Forts , &tout ce qui
en dépend , l'Artillerie avec fix coups par
Canon; que la Ville ne ſeroit pointbrûlée
, & qu'ils s'obligeoientde nous acheter
toutes les Poudres qui étoient en grande
quantité & toutes les Marchandises ,
pour peu qu'on leur en fit bonnecompofition.
Il ne s'eſt donné que deux eſcarmouches
où nous avons tué aux Ennemis
plus de 150. hommes ; nous n'en avons
perdu que quatre ou cinq. Nonobitant
laCapitulation faite , on ne laiffoit point
de ſe tenir ſur ſes gardes. Nous rece
vions ſouvent des avis qu'on devoit nous
furprendre . Quand on nous eut fait le
premier payement nous ne prîmes plus
tant de précaution. Comme les Portugaismouroientde
faim , onleur permettoit
d'entrer dans la Ville pour y prendre
des Farines de Magniottes , qu'ils avoient
dansleurs Maiſons ayant avec eux des Sauvegardesqui
les ramenoient dehors; nous
recevions d'eux tous les jours des rafraîchiſſemens
qui nous étoient d'un trèsgrand
fecours. Le bruit commun porte
qu'on a trouvé dans les Montagnes un
treſor d'environ deux millions cinq cens
mille livres , en Lingots d'Or , Poudre ,
& Vaiffelle d'argent , &trois mille quarffes
MARS 1712. 358
ſes de Sucre blanc qui ſont de neufcens
livres chacune , eſtimées trois cens mille
Ecus , trente piéces de Canon de fonte de
vingt-quatre , eſtimées deux cens dix mille
livres; l'on a vendu pluſieurs Navires
pour cent ſoixante mille livres ; l'on a
vendu les Poudres cent vingt mille livres ,
&des Marchandiſes vendues dans tous les
Vaiſſeaux au profit de l'Armement vingt
mille livres ; le tout enſemble comprenantce
qu'on a reçû pour la Capitulation ,
on compte que nous avons eu de Rio Ja
neiro huit millions. Tous nos Soldats
ont donné beaucoup de marques de leur
valeur,étantremplis tous debonne volonté
; la plûpart ont fait de gros butins &
ceux qui n'ont pas profité dans cette occaſion
, c'eſt qu'ils ſe ſont trop attachezà
boire.
L'HORLOGE DE SABLE ,
Figure du Monde.
Роёте.
ASſemblage confus d'une Arene mo-
Que l'Art ſçût enfermer dans ce Vafe
19
bile,
fragile,
Image
352 MERC . GALANT .
Image de ma vie , Horloge dont le cours
Régle tous mes devoirs en meſurant mes
jours ;
Puiſqu'à te celebrer ma Muſe eſt deſtinée ,
Fais couler pour mes Vers une heure fortunée;
Et vous pour qui le Monde a de fi doux
appas,
Qui même haïffez ceux qui nelaiment
pas;
Mortels , venez ici; je veux dans cet
Ouvrage,
DuMonde, tel qu'il eſt , vous tracer une
Image.
Qu'eſt le Monde en effet ? C'eſt un Verre
qui luit,
Qu'un ſouflepeutdétruire , &qu'un foufle
a produit.
Que renferme le Monde ? Une vaine
pouffiere
Que remuë à fon gré le poids de la matiere.
Qui tourne , va , revient , plus vite que
les flots,
Et par ſon mouvement ne tend qu'à fon
repos.
grains deSable
ble:
Que font tous les Mortels ? Autant de
A
Qu'anime cependant une ame raiſonna-
MaisquiduSable ſeul occupez ardemment
Font leur unique emploi de ſon accroiffement.
On
תליחת MARS 1712.
353
On l'échange, on le vend , on l'achete ,
on l'amaffe ,
Et monceaux fur monceaux l'avarice
l'entaſſe.
Le Marchand qui ne craint ni les Vents,
ni les Eaux ,
Confiant ſa Fortune àde frêles Vaiſſeaux ,
Court aux extrémitez de la Plaine liquide
Vendre un Sable brillant pour un Sable
folide.
L'Artiſan, que le Sort ou l'orgueil desHamains
Oblige à ſe nourrir du travail de ſes mains,
Nefaitpendantt llee cours d'une vie inutile
Quepolir , que finir une Arene mobile. I
Le Sage examinant la nature des Corps ,
Leurs cauſes , leurs effets , leurs mutuels
rapports ,
Cherchant un vuide en eux qu'il peut voir
en lui même ,
" L
Croit embraſſer le vrai , dans une erreur
qu'il aime.
Il ne s'apperçoit pas , ſéduit par fon
orgueil,
Qu'en voulant l'éviter , il tombe dans
l'écueil ,
Et que ſon eſprit faux , rempli de vains
phantômes
N'amaffe qu'un trefor de pouffiere &
d'Atomes ;
Et vous , Eſclaves-nez de vos propres
Vous , Grands , qui bâtiſſez de ſuperbes
ſouhaits ,
Palais, Que
354 MERC. GALANT.
Que vous fert d'élever un Château pé
riffable
Plus haut que vos Voiſins ? C'eſt mettre
un peudeSable
Quidevenant unjour la Victime des ans
Marquera par ſa chûteun eſpace de tems .
Que faites- vous enfin , vous , Maîtres de
la Terre?
Vous portez en tous lieux les fureurs de
la Guerre ,
Vous inondez nos Champs de Bataillons
épars ,
1
Vous livrez des Affauts , vous forcez des
Remparts.
D'un trop foible Voiſin vous pillez la
Frontiere ,
Pour lui ravir unpeude Sable &de pouffiere,
1
Qui gliſſantde vos mains avec rapidité
Fera du moins connoître à la Pofterité ,
Avides de ſçavoir vos ſuccès , vos traverſes
,
Du tems qui fuit toûjours les Epoques diverſes
.
Mais rangeons nous aux Loix de l'exacte
Raifon ,
Et tâchons d'illuſtrer notre comparaiſon.
Ce Sable à chaque inſtant prend de nouvelles
places ,
Et le Monde en un jour changede mille
faces .
Ces grains font agitez de mouvemens di
vers ,
Tels
1
MARS 1712 . 355
Tels font auſſi les corps de ce vaſte Uni
vers .
Sans liaiſon entr'eux , non plus que cette
: Arene
Chacun ſuit au hazard le penchant qui
l'entraîne ,
Et ce qui d'un peu d'air dans ce Vaſe eſt
l'effet ,
Le vent de la Fortune en ce Monde le fait.
Les uns font élevez ſur les débrisdes au
tres :
Les Biens de nos Voiſins fegroffiffentdes
nôtres.
Dans la foule obſcurcis , les Princes de
trônez ,
Contraints à reſpecterdes Sujets couron
nez ,
Sont de triſtes joüets du Sort toûjours
volage.
De ſes renverſemens notre Horloge eft
l'Image.
On la tourne , & bien tôt le Sable fe
confond ,
Le plus bas monte enhaut , le plushaut
coule au fond ,
Et comme on voit ces grains agitez dans
leur Verre 1
Peu libre dans l'enclos du Vaſe qui les
ferre ,
Vers leur centre commun faire un com
mun effort ,
Et par la voye étroite atteindre l'autre
bord,
Telle
356 MERC. GALANT.
Telle on voit des Humains la Cohorte
mortelle
Dans le paſſage obſcur de la nuit éternelle
De ſes jours malheureux éteindre le flambeau
,
:
Sc pouffer , s'enfoncer dans l'horreur du
Tombeau ,
Nous y voyons tomber , d'une chûte
commune ,
Le Pauvre & ſon eſpoir, le Riche & fa
Fortune, :
Les Jeunes , les Vieillards , les Sujets &
les Rois ,
Faits du même limon , ſubir les mêmes
Loix.
Mais que dis-je , ce Sable a ſur nous l'avantage
;
Au Globe , dont il fort , il retrouve un
paffage ;
Et lorſque nous quittons la lumiere du
Jour ,
Nous la quittons , hélas ! ſans eſpoir de
retour.
Après tant de leçons que fournit notre
Horloge,
Lui peut-on juſtement refuſer un éloge.
Atoute la Nature elle donne des Loix .
Pourvû qu'il ait des yeux , le Sourd entend
ſa voix.
Au Prince , au Magiſtrat , à l'Orateur ,
au Sage ,
Ellefait, fansparler, entendre ſon langage;
En fufpend les Arrêts , les diſcours , les
travaux ; AnnonMARS712.
357
Annonce à l'Artiſan l'heure de fon repos.
Enfin réglant du tems la durée &l'eſpace ,
Elle nous dit qu'il fuit , & qu'avec lui
toutpaffe.
Et moi qui tiens toûjours ſur lui les yeux
ouverts ,
Je vois qu'il faut finir mon Eloge & ces
Vers.
NOUVELLES.
De Rome le 16. Janvier.
1
M
Onfieur le Cardinal de la Tremoille,
ayant communiqué de la part du
Koi à Monfieur le Cardinal Ottoboni ,
ſes inſtructions fur la protectiondes affaires
de France , qu'il a acceptées , cette
Eminence a fait élever les Armes de Sa
Majeſté ſur la Porte de ſon Palais à la PlaceNavone.
Le Procès qu'il y avoit entre l'Egliſe
Royale de S. Loüis de la Nation Françoiſe,
& leCollege Germanique , à l'occaſion
des nouveaux Batimens , a étéjugé
en faveur de l'Egliſe de Saint Loüis .
M. le Cardimal Albani fir ſon entrée
le 10. Tous les Cardinaux , les Princes ,
& les autres Perſonnes lesplus diſtinguées
en858
MERC. GALANT.
envoyerent des Gentilshommes avec des
Caroffes à fix Chevaux au devant de lui ,
pour le Complimenter , & la Reine
Doüairiére de Pologne y en envoya trois
hors dela Portedel Popolo . Ce nouveau
Cardinal , après être deſcendu au Palais ,
ydemeura long-tems en particulier avec
le Pape , & il fut enſuite accompagné à
fon appartement , par la plupart de ceux
quiavoient été audevantde lui. Il reçût
pendant lestrois jours ſuivansles complimens
de tous les Miniſtres Etrangers , de
tous les Prélats , & de toute la Nobleſſe.
Le 14. après avoir reçû le Chapeau dans
un Conſiſtoire que le Pape tint pour le lui
donner , il alla faire ſa priere à l'Egliſe de
Saint Pierre , enſuite dequoi il commençaà
faire fes viſites . Ilalla d'abord chez
le Cardinal Acciajoli , Sous - Doyen du
Sacré Collège , & enſuite chez la Reine
Doüairiére de Pologne.
L'affairede l'Evêque de Leccé , devient
deplus enplus ferieuſe : les Officiers de
l'Archiduc, non contens de la violence
qu'ils ontfaite à la Perſonne de ce Prelat,
ont faitempriſonner ſon Chancelier , tous
les autres Officiers de l'Evêché , & même
leurs Parens , quoi qu'ils n'ayont aucune
part à cette affaire. On avoit envoyé de
Naples à Leccé des Chapelains pour faire
ouvrir lesChapelles Royales , parce qu'étant
exemptesde la Jurisdiction ordinaire,
ils pourroient y célébrer l'Office Divin ,
qui
MARS 1712. 359
!
1
qui étoit interrompu ; mais après avoir
fait ouvrir ces Chapelles , & avoir tout
diſpoſé pour y dire la Meſſe , ils furent
très furprisd'aprendre , qu'on avoit affiché
par toute la Ville , des Monitoires
qui déclaroient excommuniez , en vertu
de la Bulle in Cana Domini , tous ceux
qui y aſſiſteroient. Le Conſeil de la Jurifdiction
Royale s'étant aſſemblé fur ce
fujet , on délibera fi on chatſeroit du
Royaume tous les Chainoines de la Cathedrale.
Comme on attribue toutes ces
violences au Comte Borromée , lors que
l'on reçût la Lettre qu'il écrivoit au Pape
aux Fêtes de Noël , pour les lui ſouhaiter
bonnes , après avoir déliberé dans une
Congrégation de l'Immunité fi elle feroit
ouverte , on conclud que non , & qu'elle
lui feroit renvoyée ſans l'ouvrir.
Extrait d'une Lettre de Vienne du
20. Janvier.
TE Confeil aulique ayant reçu ordre de
l'Archiduc de reprendre ſes Séances ,
qui avoientété interrompues depuis la mort
de l'Empereur Joseph , enfit l'ouverture
le 14. Cependant l'Impératrice Révente a
remis toutesles Affaires importantesjusqu'à
l'arrivée de l'Archiduc , excepté cellesqui
ne peuvent fouffrir aucun retardement :
Plusieurs Seigneurs & Officiers qui reviennent
360 MERC. GALANT.
1
nent de Francfort aſſurent que le départ de
cePrinceavoitétéfixé au onze, mais qu'il
étoit incertain quand il pourroit arriver ,
les chemins étant devenus impraticables en
pluſieurs endroits, par la grande quantité
deNeige qui étoit tombée. Quoique cette
Courparoiffe toûjoursfort opposéeàla Paix
queles Anglois les Hollandois sont convenus
de traiter ſur lepied des Préliminaires
arrêtez en Angleterre , en affurenean.
moins qu'elle envoyers des Plénipotentiaires
au Congrès: c'est dont onſerabien-tot
éclairci. Quoi qu'il ensoit , les Nouvelles
quel'onreçoit de Hongriequ'ungrand nombre
de Mecontens ont de nouveau pris les
armes endifferens endroits, donnentd'autant
plus d'inquietude que lesgrands pré.
paratifs que lesTuresfontfur les Frontières
de ce Royaume , font apprehender qu'enfin
la Forte ne ſoit déterminée àfavoriser les
Confédérez.
LesLettresde Constantinople du 2.Décembre
, &plusieurs autres poſtérieures ,
confirment que Mehemet - Bacha Grand
Vifir, fut déposé arrêté le 20.Novem.
breàAndrinople , &qu'on a auffi arrêté
,
mis au Chateau des fept Tours , Osman
Aga fon Lieutenant; que Iffſouf Bacha ,
Aza , ou Général des faniffaires , a été
fast Grand Vifir , que leKaïmacan de
Conftanimople a été fait Aga destaniſſai.
res , que le nouveau GrandVifirfiefon
entrée publique à Constantinople , le pre.
mier
MARS 1712. 361
mier Décembre , accompagné des principaux
Officiers del' Armée ; quele Kan des
Tartares quiy arriva le lendemam , est
l'un des principaux Auteurs de la disgrace
duVifird'éposés quele Muftiayant été confultéà
fonſujet , avoit réponduque le Sultan
étoit obligé enconscience de le déposer ,
parce qu'il étoit très important pour lebien
del'Etat depunir unhomme , qui après s'être
laiſſe corrompre par des preſens , avoit
ofefaire de fon chef , une Paix honteuse ,
au lieu qu'il auroitpúſe rendre maîtrede
laperſonne du Czar , & de toutefon Armée
, procurer par ce moyen un avantage
très conſidérable à l'Empire Ottoman .
Ces mêmes Lettres ajoûtent , que depuis
que le Gouverneur d'Afaph avoit refusé de
remettre cette Place au Bacha , qui s'étoit
avancé avechuit mil Turcs pour en prendre
poffeffion,les Otages Moscovitesqui avoient
étéconduits àConstantinople , avoient été
emprisonnez au Château des ſept Tours ,
où l'Ambassadeur du Czar étoit détenu ;
que depuis ce tems- là on travailloit avec
toute la diligence poſſible aux préparatifs
pour recommencer la Guerre , & que les
Valaques &les Moldaves ayant reçû ordre
de la Portede fournir toutes fortes de
provisions au Roi de Suede , ce Princefaifoitfaire
degrands Magasins à Bender .
Tome V. R De
362 MERC. GALANT .
!
De Hambourg le 29 Janvier.
Le Roi de Dannemarck partit le 20.du
Village de Mekelbourg près de Wiſmar ,
&alla camper le même jour avec ſon Infanterie
à Gadebuſch , ſa Cavallerie le
joignit le 21. Le 22. fon Armée marcha
ſur trois Colonnes ; l'une commandée par
le Général Rantzau , prit la route du Duché
de Lawembourg. Le 23. ce Général
envoya ici un Officier pour demander
lepaſſage par les quatre Baillages de cette
Ville , & qu'on fournît des Fourages à
ſes Troupes , ce qui lui futaccordé. Une
autre Colonne qui paſſa par le Territoire
de Lubek y fit degrands défordres , parce
que les Habitans de cette Ville là avoient
favorisé pluſieurs Officiers Suedois , qui
s'étoient jettez dans Wiſmar durant le
blocus. La troifiéme Colonne marcha
entre ces deux autres par le plus court
chemin , & les trois Colonnes devoient ſe
réjoindre à la Bruyere deGrande , où toutes
les Troupes devoient ſe ſéparer pour
entrer en quartier d'hiver . Le Roi de
Dannemarck arriva le 24. à Segebourg ,
d'où il devoit ſe rendre à Coldingen ,
après avoir paffé à Rensbourg. Ce Prince
, pour empêcher la deſertion de ſes
Troupes, avoit toûjours fait marcher des
Détachemens fur lesailes de fon Aimée ,
qui
MARS 1712. 363
qui eſt en fort mauvais état , la plupart
des Soldats étant malades des grandes fatigues
qu'ils ont eſſuyées , & la plupart
des chevaux des Cavaliers étant morts .
Sa Majesté Danoiſe a laiſſe à Roſtok une
Garniſon dedeux mil cinq cens hommes ,
& deux Régimens àGripſwald , avec un
Régiment Saxon. Ce Prince avoit fait
rompre tous les Ponts ſur le Ribuits , depuis
Damgarten juſqu'à Tribzée ; mais
les Suedois ontdéja rétabli celui de Damgarten.
Al'égard desTroupes Saxones , elles
ont repris la route de leur Païs , excepté
quelques Régimens que le Roi Auguſte
a laiffez à Gripſwald , à Anclam , & en
d'autres petites Villes aux environs de
Stralſund, pour incommoder la Garniſon
de cette Place. Ce Prince arrivera à
Dreſde le 15. , accompagné de ſes Miniftres
, du Général Flemming , & de plufieurs
autres Officiers. Ilaconvoqué une
Diettedes Etats du Païs , qui doit ſe tenir
le 13. Février , à laquelle il doit demander
des Subfides pour remonter ſes Troupes ,
pour Recruës , pour les Magaſins , &
pour les autres dépenſes néceffaires . II
en a auffi convoqué une générale enPologne
pour le 5. Avril , &on affure qu'il
doit aſſiſter en perſonne à l'une& à l'autre.
Les Lettres de Thorn portent , que la
Princeſſe épouſe du Prince de Moſcovie ,
R2 y
364 MERC. GALANT .
1
yétoit arrivée avec une ſuite de plus de
deux cens Allemans ; que l'Officier qui
étoit allé par ordre du Czar à Smolensko,
pour en ramener l'Artillerie que les Mofcovites
avoient enlevée de l'Arsenal de
Vilna , n'avoit pû l'obtenir , parce que le
nom de celui à qui on la devoit remettre
n'étoit point marqué dans les ordres ; que
Jes Troupes Moſcovites loind'être ſorties
de Pologne , y exigeoient par force les
Vivres& Fourages , & autres choſes dont
elles avoient beſoin , & même qu'elles
vouloient obliger les Polonois de tranfporter
en Poſnanie des Proviſions pour les
Troupes du Czar qui ſont en Pomeranie ;
que ces violences avoient obligé plufieurs
Palatinats à aller ſe plaindre au Primat
du Royaume , qui avoit écrit au Prince
de Mofcovie, pour leprier de faire ceffer
ces contraventions aux Traitez conclus
avec le Czar fon Pere. Ces Lettres ajoûtent
, que la Diéte du Palatinat de Cracovie
s'étant aſſemblée , pour empêcher
les Moſcovites de forcer les Habitans des
lieux qu'ils occupent , on y logeroit avec
cux une partie des Troupes de la Couronne
; & que le Palatin de Maſſovie qui
s'étoit préparé à aller à Conſtantinople
avec le caractére d'Ambaſſadeur du Roi
Auguſte & de la République , étoit retourné
dans ſes Terres , la réponſe qu'il
attendoit du Grand Seigneur , ne lui
ayant pas été favorable à l'égard du Roi
AuMARS
1712. 365
Auguſte: cette réponſe ne parle en aucunemaniére
de ce Prince ; mais ſeulement
de la République de Pologne , avec laquelle
le Sultan étoit toûjours dans la réfolution
d'entretenir la Paix.
De la Haye le 1. Janvier.
Nonobſtant les Proteſtations que l'Archiduc
avoit faites de ne point conſentir
aux Négociations de la Paix fur le pied
des Préliminaires , il a enfin réſolu d'y
envoyer des Ambaſſadeurs : le Comte
de Sinzendorf arriva ici le 21. du mois
dernier , avec le caractére de premier Plénipotentiaire
de ce Prince au Congrès
d'Utrecht , le Comte de Meternich arriva
le lendemain avec le même Titre de la
part de l'Electeur de Brandebourg. Le
vingt-deux tous les Plénipotentiaires qui
étoient arrivez à Utrecht , allerent viſiter
la Maiſon de Ville , où les Conférences
doivent ſe tenir, & ils réglerentque d'un
côté de la Salle où on les tiendroit , on
R3 mar-
* Les Plénipotentiaires de l'Empereur arriverent
de la Haye à Utrecht le 9. de Février ;
après avoir déclaré publiquement & fait mettre
dans lesGazettes , qu'ils n'avoient pris la reſolution
de s'y rendre que ſur la déclaration faite
le 3 par les Plénipotentiaires de France &d'An.
gleterre , touchant la non-obligation des ſept
Articles Préliminaires , & fur les inſtances reitérées
des Hauts Alliez , &particulièrement de
L. H.P.
366 MERC. GALANT .
marqueroit une Chambre où Meſſieurs
lesPlénipotentiaires de France & ceux de
leurs Alliez délibéreroient en particulier ,
& que l'on en marqueroit unede l'autre
côté de la même Salle ,'pour Meſſieurs
les Plénipotentiaires des Alliez. Il fut
auſſi réſolu que Meſſieurs les Plénipoten.
tiaires de France entreroient par la Porte
qui eſt du côtéde la Ruë; ceux des Alliez ,
par celle qui eft du côtédu Canal ; mais
il a été reſolu depuis que les uns & les autres
entreroient du côté du Canal , fçavoir
, Meſſieurs les Plénipotentiaires des
Alliez par l'ancienne porte , &Meffieurs
- les Plénipotentiaires de France , par une
Porte- neuve , que l'on a faite exprès à
côtéde l'autre .
;
Les premiéres Séancesesqu'onaa tenues
n'ont été que pour faire un Réglement
pour rétrancher toutes les cérémonies ,
pour prévenir toutes fortes de différens ,
&pour régler la conduite deleurs Domef.
tiques. La premiére Conference ſe tint
le 29. du mois dernier à dix heures &demie
du matin , & Meſſieurs les Plénipotentiaires
prirent place à meſure qu'ils arriverent.
M. l'Evêque de Briſtol l'ouvrit
, &commençapar dire qu'ils étoient
tous Affemblez pour travailler à une Paix
générale; que lui & les Plénipotentaires
desAlliez avoient des intentions fincéres ,
&les pouvoirs néceſſaires pour la conclure
, & qu'il eſperoit que les Plénipotentiaires
MARS 1712. 367
tiaires de France ſeroient dans les mêmes
diſpoſitions ; & M. le Maréchal de Huxelles
répondit , que lui & ſes Collégues
avoient le même deſſein , qu'ils étoient
auſſi revêtus depouvoirs ſuffiſans , &que
c'étoit l'intention du Roi leur Maître : enſuite
Meſſieurs les Plénipotentiaires convinrent
, qu'ils s'aſſembleroient le Mer
credi & Samedide chaque ſemaine ; puis
ils ſe ſeparerent ſans être entrez enmatiére.
De Madrid le 25. Janvier.
LeRoi alla le 18. à la Chaſfle du Sanglier
, à une Terre de M. le Marquis de
Mejorada . M. de Vendôme après avoir
diſtribué les Troupes en quartier d'hiver ,
&avoir donné ſes ordres pour diffiper
quelques partis de Volontaires , quitroubloient
la fureté des chemins , eſt arrivé
ici aujourd'hui. Il a eu une conference
affez longue avec leurs Majeſtez , enſuite
dequoi il eſt allé à l'Hôtel de M. le Ducde
Medina , où il doit loger durant fon ſejour.
Il doit travailler à faire en forte
que toutes les Troupes ſoient prêtes à
rentrer de bonne heure en Campagne , &
qu'elles ne manquent point de vivres. Le
Koia donné le Commandement en Chef
àM. leMarquis de Valdeñas , en l'abſen.
cede ce Prince; & la plupart des Officiers
R4 Gé
368 MERC. GALANT .
Généraux doivent demeurer ſur la Frontiére
. On a aporté ici l'argent du Perour
arrivé en Galice pour le compte du Roi ,
fur le Vaifleau François le Griffon . Depuis
le commencement de cette année le
Trefor Royal reçoit les droits d'entrées
qui appartenoiert au Roi , & qui étoient
employez à payerdes penſions qui ont été
fufpendues. On mande de Sarragoffe
que par le moyen d'une Taxe modique
fur chaque Famille dans tout le Royaume
d'Arragon , les Habitans de tous les lieux
où les Soldats pafferont , ne leur fourniront
plus que le lit & le chauffage ; &
qu'un parti de Volontaires , avoit tué un
Sergent Major & quelques Soldats du
côté deCarbas . Les Lettres de Portugal
portent , que les Troupes Angloiſes qui
ont leurs quartiers aux environs de Lisbonne
, y commettentde grands deſordres
faute de ſubſiſtance; mais qu'elles n'at .
tendoient que leurs derniers ordres pour
repafler enAngleterre , &que le 8. de ce
mois leRoi avoit tenu ungrand Confeil ,
enſuite duquel il avoit fait partir un Exprès
ſur le Paquebot d'Angleterre , avec
denouvelles inftructions pour ſes Ambaffadeurs
aux Conferences d'Utrecht. On
écrit de Cadız , que l'on commence à y
ſentir les fruits de la Paix , puiſque deux
Navires Anglois qui avoient chargé à
Oftende, font entrez dans le Port, avec
deux Batimens Bifcayens ,*qui avoient
chargé en Angleterre. Nou.
MARS 1712 . 369
:
Nouvelles d'Espagne du premier Février
1712.
On travaille fortement aux Recruës &
aux nouvelles levées pour la Campagne
prochaine , pour laquelle on tient des
Conſeils de Guerre en prefence du Roi.
Le 25. du mois dernier le Duc de Vendôme
arriva à Madrid , il alla d'abord ſaluer
Leurs Majeſtez , avec lesquelles il eut
une longue Conférence. On a déja
acheté pour cent mille écus de Grains , &
cent mille écus de Chevaux. Le Conſeil
deCaſtille a ſuſpendu pour un an le payement
des Revenus , des Droits , & des
Domaines alienez. Quatre cent Che
vaux de laGarniſon de Badajoz , ont fait
unecourſe en Portugal , & en ont amené
quatre mille piéces de Bêtail , avec deux
centChevaux ou Mulets .
Le Duc de Vendôme en quittant Cervera
, y a laillé quatre Bataillons &le Régiment
deDragons de Vallejo ,& leComted'Herſel
pour y commander , de bonnes
Garnisons dans Agramunt , Balaguer
, &Belpuch , voici comment le reſte
desTroupes étoit en quartier d'hiver .
La Cavalerie Françoiſe logée à Hueſca
&dans les Villes voifines .
€ L'Infanterie Eſpagnole dans la Conca
deTrems &dans la Vaguerie de Lerida .
RS La
370 MERC . GALANT .
La Brigade des Irlandois à Teruel au
deça de l'Ebro.
LeRégiment des Aſturies à Daroca.
Dix Régimens de Cavalerie Eſpagnole
dans leRoyaume de Valence.
L'Infanterie Françoiſe à Alcaniz , à
Caſpé , & à Tortoſe.
LesVolontaires & les Miquelets ayant
voulu entrer en Navarre , les Peuples ont
pris les Armes , les ont battus & mis en
fuite , & en ont tué un grand nombre.
Nouvellesd'Angleterre.
,
Les douze Pairs furent introduits le 13 .
Janvier dans l'Aſſemblée des Seigneurs
& ils y prirent leurs places , aprèslalecturede
leurs Patentes . Le Comte d'Oxford
, grand Treſorier , delivra un Meffagede
laReine contenant , qu'elle fouhaitoit
que la Chambre s'ajournât jufqu'au
25. ainſi que les Communes. Le
Ducde Sommerſet , le Comte de Sunderland,
le Comte de Nottingham , & plufieurs
autres furent pour la négative ; ce .
pendant l'affirmative l'emporta de ſoixanze
trois voix , contre quarante-neuf , &
laChambre s'ajourna juſqu'au 25. Les
Seigneurs Ecoflois ont remontré à laReine
, que l'affaire du Duc d'Hamilton
étoit contraire à l'Acte d'Union des deux
Royaumes . Sa Majesté répondit , qu'el
:
le
MARS 1712. 371
4
le étoit fâchée qu'on leur eut donné ce
ſujet de plainte , & qu'elle feroit en ſorte
de leur faire avoir ſatisfaction . On a
donné au Duc de Beaufort la charge de
Capitaine des Gentilshommes Penfionnaires
, que le Ducde Saint Albans , Fils
naturel du Roi Charles II . occupoit. Le
Duc d'Ormont , Colonel du premier Régiment
des Gardes à pied , a été nommé
Commandant de toutes les Troupesde la
Grande-Bretagne.
LeComte de Rivers , a été fait Grand
Maître de l'Artillerie , & Colonel du Régimentdes
Gardes à cheval .
LeDuc de Northumberland , Capitainede
la ſecondeCompagnie à cheval. Le
Sieur Hill , Brigadier , a été nommé
Lieutenantde la Tour , a la place duGénéral
Cadogan; pluſieurs Capitaines de
Vaiſſeauxde Guerre ont été reformez . On
croitqu'il y aura encore dans peu d'autres
changemens.
Le 28. l'Orateur de la Chambre des
Communes lut un Meſſage que M. de
Saint Jean Secretaire d'Etat avoit reçû de
la Reine , & qui porte que S. M. n'étant
point affez rétablie de ſon indiſpoſition ,
cauféeparun retour deGoute , pour venir
au Parlement , & ne voulant cependant
pas que les Affaires publiques ſouffriffent
aucun retardement , elle avoit jugé à propos
de lui communiquer en ſubſtance par
écrit , ce qu'elle avoit eu deſſein de lui ap-
R6 pren
372 MERC. GALANT.
prendredebouche ; Sçavoir , que Sa Majeſté
après avoir déclaré à ſon Parlement
que le tems& le lieu fixé pour l'Aſſemblée
des Plénipotentiairesde tous les Confédérez
étoit marqué , afin de traiter une Paix
générale avec ceux des Ennemis , & lui
avoir fait connoître en même tems le ſoin
qu'elle avoit réſolu de prendre des intérêts
de tous ſes Alliez , ainſi que l'étroite
union dans laquelle elle ſe propoſoit d'être
toûjours avec eux pour obtenir une
bonne Paix , & pour la maintenir lors
qu'elle feroit concluë; elle pouvoit lui
dire preſentement que ſes Plénipotentiaires
étoient arrivez à Utrecht , & qu'ils
avoient commencé ſuivant leurs Inſtruetions
, à chercher les moyens les plus convenables
pour procurer une juſte fatisfaction
à tous ſes Alliez , ſuivant leurs Traitez
, &particulièrement à l'égard de l'Efpagne
& des Indes Occidentales , que le
Parlement pouvoit attendre que Sa Majeſté
lui feroit communiquer les Conditions
de la Paix , avant qu'elle fût concluë;
ce qui feroit connoître le peu de
fondement qu'avoient les bruits qu'on
traitoit une Paix particuliere, que des perſonnes
mal-intentionnées avoient répandus
pour faire réüffir leurs mauvais defſeins
; que ſes Miniſtres étoient chargez
depropoſer qu'on fixat un jour pour finır ,
de même qu'il y en avoit eu un marqué
Pour l'ouverture des Conférences , mais
que
MARS 1712. 373
que cependant on travailleroit avec toute
la diligence poffible aux préparatifs pour
entrerde bonneheure en Campagne ; qu'à
cet effet S. M. ne doutoit point que les
Communes , qui avoient déja donné tant
de preuves de leur zéle , n'expédialfent
promptement l'affaire des Subfides : &
qu'enfin , Sa Majeſté étant informée de la
licence exceſſive qu'on prenoitde publier
des Libelles faux , ſcandaleux , & capables
d'attirer des reproches à toutGouvernement
réglé , le mal ſemblant prévaloir
fur les Loix , elle recommandoit de travailler
à y remédier.
L'Orateur ayant fini la lecture de ce
Meffage , les Communes réſolurent d'une
voix unanime, qu'on dreſſeroit une Adreſ.
ſe , pour remercier la Reine de ſa bonté,
de ſa prudence , de ſa douceur , & de fa
confiance: Des Coinmiſſaires furent nommez
pour la dreffer ; & voici ce qu'elle
contenoit en ſubſtance. Que SaMajesté
ayant témoigné une si grande tendreſſe ,
& eu tant d'attention pour lebiende fon
Peuple, & un déſintéreſſement fi généreux
pour le ſoutien & l'avantage de ſes
Alliez pendant la Guerre , qu'il n'y avoit
pas lieu de douter qu'elle n'eût les mêmes
égards dans la Négociation de la Paix;
que les Députez étoient obligez de la remercier
de la promeffe remplie de bonté
qu'Elle avoitbien voulu leur faire , deleur
en communiquer les Conditions avant
qu'elle
R7
374 MERC. GALANT.
qu'elle fût concluë ; que Sa Majeſté détruiſoit
par là les faux bruits qui avoient
été répandus avec autant d'affectation
que de malignité , leſquels ne pouvoient
avoir d'autres Auteurs que quelques Factieux
incendiaires , qui pour couvrir leurs
mauvaiſes diſpoſitions contre le Gouvernement
preſent , & les deſſeins qu'ils n'avoient
oſé avoüer publiquement , cherchoient
à faire naître de la défiance&de la
jalouſie dans l'eſpritdeſes Sujets pour les
détourner de leur devoir ; que laChambre
travailleroit avec application à expédier
l'affaire des Subſides , & aux moyens
d'arrêter la licence inconſidérée des Libelles
faux & ſcandaleux , & qui étoient
non-ſeulement injurieux au Gouvernement
de Sa Majesté , mais remplis des
plus horribles blaſphêmes contre Dieu &
laReligion.
LesSeigneurs remerciérent auſſi la Reine
d'un pareil Meſſage qu'Elle leur avoit
auſſi envoyé ; & leur Adreſſe finit par des
affurances qu'ils donnent à Sa Majefté,
qu'ils ſe repoſent entiérement ſur ſa grandeprudence
pour cequi regarde lesConditions
de laPaix *.
•On peut voir uneAdreſſe plus récentedes
Seigneurs d'Angleterre , au ſujetde la Paix , à
la findu Mercure de Février 1712 .
ADDIMARS
1712. 375
i
ADDITION
Faite en Hollande,
,
Comme on a mis dans le Mercure du
mois paffe les offres de la France pour une
Paixgénérale onsecroit obligé de mettre
icilesDemandes des Alliez , qui ypeuvent
Servir de Réponse. Les deux Partis portent
leurs prétentionsbien haut ; maisil y
a cette difference , que lesAlliezparoiſſent
mieux fondez , leſuccès des Armes étant
entièrement de leur côté; au lieu qu'on a
delapeine à concevoirfur quoi la Franceſe
fonde, pour faire des propoſitionsſi differentes
decelles qu'elle afait il y a deux
ans. Cela donne lieu à plusieurs de dire ,
que la France s'est fait des Amisparmi les
Alliez, ou qu'elle efpere d'en faire . Il
faut espererqu'en peude tems nous pourrons
bienvoirlecontraire. Quoiqu'il enſoit,
voici les Demandesque les Alliezviennent
defaire de concert . Celles de S. M. I.
C. , du Roi de Portugal , de S.A. Ε. Pa.
latine, des Cercles Aſſociez , du Land.
gravede Heffe , de l'Evêque de Munster
du Duc deWirtemberg , ont été don.
nées en Latin ; & toutes les antres en François,
comme elles se trouvent ici. Ceux
qui veulentse donner lapeine d'examiner
376 MERC . GALANT
Sde comparer , trouveront les Traductions
qu'on donne ici des pieces Latines,
beaucoup plus exactes que celles qu'on a
donnėailleurs.
Demandesfaites au nomde Sa Majesté Imperiale
& Catholique, & del'Empire.
I. 1.Que les Decrets & Ordonnances , qui fe font faits ou le feront encore , à l'égard
"de l'état intérieur de l'Empire , demeuranten
leur entier , la France rende à S. M. I. & C. , &
l'Empire , cant pour leur dédommagement .
que pour leur fureté à l'avenir , tout ce que
l'Empire & la Maiſon d'Autriche lui ont cede
ou laiſſé par lesPaix de Munſter , de Nimegue ,
& de Riſwick , ou ce que la ſuſdite Couronne a
détenu autrement juſques à preſent. Et que
conformément à la demande des Cercles de
'Empire , & comme néceſſaire à leur ſureté , S.
A. S. le Duc de Lorraine ſoit rétabli en toutes
Yes Terres , Fortereffes , & Places , qui ont été
cedées par le Duc Charles IV . à la Couronnede
France; & que de plus , toute obligation feo.
dale, d'hommage , & de vafallage ſoit anéantic:
Sa Majefté ſe reſervant au reite en fon nom,
& celui de l'Empire, de faire une déclaration
de tout cequ'on vient de dire dans la meilleure
forme & la plus ample , immédiatement après
qu'on en aura delibere dans la Diéte de l'Empi
re.
II . Que la France , outre tous les Royaumes
&Païs déja occupez en Eſpagne , en Italie , &
dans les Païs -Bas , reftituë à S. M. I.& C. tout
Je reſtede la Monarchie d'Eſpagne , comme elle
étoit poffedée par le Roi Charles ſecond. ( Sauf
néanmoins les Conventions faites ou à faire avee
leSéréniſſimeRoi de Portugal , S. A, R. de Sa
2 voye ,
=
MARS 1712. 377
voye , la Séréniſſime Reine de laGrande Bretagne
, & Meſſieurs les Etats Généraux des Provinces
Unies ; ) & que le tout refte pour
toûjours & fans interruption , á la Séréniſſime
Maiſon d'Autriche , felon l'ordre de la Succeffſion
exprimé dans le Teſtament de Philippe IV.
Roi d'Eſpagne.
Cependant Sadite M. I. & C. , conjointement
avec les Hauts Alliez , ne refuſera pasde traiter
ultérieurement , fi Meſſieurs les Plénipotentiai
res du R. T. C font de la part duditRoi des
propoſitions plus convenables que n'étoient les
derniéres.
III On infifte , qu'il ſoit donné une entiére
fatisfaction à tous les Alliez de S. M. I. & C. ,
en tout ce qu'ilspeuvent prétendre de la France,
foit qu'ils l'ayent ſpécifié , ou qu'ils le faſſent
encore , fuivant la teneur des Alliances & Conventions
, dont ils ſe ſont réciproquement obli.
gez.
IV. Que tous les dommages faits aux autres
Amis, Etats, Vaſſaux , & Sujets de l'Empire,
avant ou après cetteGuerre , en quelque maniére
que ce puiſſe être , ſoient reparez
Finalement S. M. I. & C. ſe reſerve de déduire
ultérieurement , d'interprêter , ou de changer
toutce qui a été dit ci deſſus , ſelon qu'on lejugera
plus convenable pour le plus grandbiende
la Paix , & de la ſureté publique.
Fait àUtrecht le 5. Mars 1712 .
P. L C. de Sinzendorff. C. F. de Consbruck .
Demandes des Cercles Affociez .
LAA triſte expérience ayant fait connoître que
le Roi Très-Chrêtien n'a en aucune maniére
laiſffé joüir des fruits de la Paix , les Cercles
Voifins de la France , depuis la Paix de Munster,
mais qu'ils ont été continuellement troublez ,
foit par des Réunions , en tems de Paix , foit
par
378 MERC. GALANT .
pardesHoftilitez ouvertes , en tems de Guerre,
La ſeureté deſdits Cercles demande particulie.
rement , que le Roi T. C. reftitue , enſemble
avec l'indemniſation des dommages cauſez dans
cette Guerre , tout ce qui lui a été cedé par les
Cercles& par la Maiſon d'Autriche , ſoit par la
Paîx de Munſter , ſoit par d'autres Traitez confecutifs.
Qu'elle reſtituë de plus ces parties
des Dachez de Lorraine & de Bar , qui en ont
été détachées , ou par Traité , ou par la ſupériorité
des Armes ; avec l'abolition de toute
obligation Feodale : De forte que la Paix à faire
ſerve de Digue à des maux tels que ceuxqu'on
adéja foufferts , & ceux qu'on auroit à craindre
à l'avenir ; & que la tranquilité publique foit
rétablie& demeure ferme , entre la France &
Jeſdits Cercles de l'Empire qui en ſont voiſins.
Fait àUtrecht le 5. Mars 1712.
STADIAN.
DemandesSpécifiques du Révérend. & Séréniſſime
Prince Electeur de Treves , c.
LERévérendifſime& Séréniſſime Electeur de
Treves demande , que la Ville de Treves lui
foit reſtituée , & fon Fort appellé St. Martin ,
comme auſſi la Ville & le Château de Saarbrug.
dans l'état où ils font à preſent, ſans y riendémolir
davantage , & fansy détruire aucun Edifice
public ouparticulier , avec les Canons qui
yfurent trouvez au tems de la priſe. De même ,
qu'il ſoitmis pour toûjours en poſſeſſion & dans
une entiére joüiſſance , fans aucun trouble ni
empêchement à l'avenir de la part de la France ,
duVillage de Feppin ,&de tous les autres Lieux,
Fiefs , Revenus , Droits Ecclefiaftiques & Séculiers
, que lui même ou les Seigneurs ſes Prédeceſſeurs
ont eu ou poſſedé , ou ont dû avoir
ou poſſeder , tant devant qu'après la Paix de
Mun
MARS 1712. 379
Munster , parraport à l'Archevêché & l'Electorat,
&l'Abbayede Prumes : Se refervant à demander&
marquer précisément les pertes ſouffertes
à l'occaſion de cette Guerre .
De plus , Sa Sérénité Electorale demande ,
qu'Elle foit rétablie dans la paiſible poſſeſſiondu
Grand Prieuré de Caſtille , & de l'Abbaye de Palerme,
& de tous lesRevenus & Droits qui en
dépendent , avec les fruits & émolumens qu'on
lui a injustement retenus durant cette Guerre,
Enfin , le Sérénifſime Electeur demande , que
fuivant la teneur des Traitez , une juſte & convenable
ſatisfaction ſoit donnée à ſes Alliez de
la part du Roi de France.
Fait à Utrecht le 5. Mars 1712 .
Signé, J.W.V. B. d'Elz. De Kaysersfeldt.
Demandes de Son Alteſſe Electorale Palatine.
Son Alteſſe Electorale Palatine, ayant apris
que les Miniftres de Sa Majefté Très - Chrêtienne
, envoyez aux Conférences de Paix , ont
preſenté quelques propoſitions , & que ceux
des Alliez ont trouvé à propos que chacun ſur
cela produiſe ſéparément ſes Demandes , Son
Alteſſe Electorale fondée là-deſſus , ſouhaite
que chaque Allié reçoive une fatisfaction équitable&
convenable , &demande que S. A. Flectorale
demeure dans la poffeſſion tranquille du
Haut-Ralatinat , du Comté de Cham , & de tou.
tes leurs apendances & dépendances , de la maniére
qu'ils lui ont été cédez par droit de Poſtliminie
par feu S. M. Imperiale, du conſentement
&de l'aprobation de tout le College Electoral ,
&qu'elle puiſſe joüir tranquillement , enPaix ,
&ſansy être troublée , detous les Droits , Priviléges
, &avantages, enſemble avec la prééminence
anciennement attachée à laDignitéElec
80-
380 MERC. GALANT .
toralede faMaiſon , ſelon la teneurde l'Inveſtiture
, & autres Inftrumens obtenus là-deſſus.
Et que S. M. T. C. lai reftituë tous les Lieux ,
Contrées , Citez , Villes , & Forts , quiluiont
été enlevez & occupez parles Armes de Sadite
M. T. C. , tant ſous prétexte de Domaine directe
de Souveraineté , de Confiſcation , qu'autrement
, & qu'elle lui donne une fatisfaction proportionnée
de tous les dommages , torts , &
immenfes Contributions , exigées des Païs de
S. A. E. Utrecht le 5. Mars 1712 .
Demandes de Son Alteſſe Séréniſſime Mon-
Seigneur le Landgrave de Heffe- Caffel.
Son Alteſſe Séréniſſime étant Membre de la
grandeAlliance, &y étant attachée par d'autres
liaiſons particulieres , Elle n'a rien plus à
coeur que de voir , que cette Alliance ſoit exe.
cutée dans tous les points & Articles , & que
chacun des Hauts Alliez en joüiſſe de tous les
fruits à la Paix générale. C'eſt en conformité de
ceci , que S. A. S. demande;
I. Une fatisfaction entiére pour tous lesHauts
Alliez en général , & pour chacun d'Eux en
particulier.
II . Elle demande , la conſervation& le rétabliſſement
de la Religion Proteftante , ſelon la
Confeffiond'Augsbourg , dans les Terres apparrenantes
à l'Empire , fur le pied de la Paix de
Westphalie , & que la Clauſe ajoûtée au quatriéme
Article de la Paix de Ryfwyck foit abolie.
III . Elle demande pour ſa propre fureté& fatisfaction
, de garder pour toûjours la Fortereſſe
de Rhinfels , la Ville de S. Goar , le Fort de
Katz , & le petit Bailliage qui en dépend ; &
que le 45. Article de la Paix de Ryfwyck , autant
qu'il eſt contraire à cette demande , ſoit
aboli.
2
IV.
MARS 1712. 38E
IV. Et comme il eſt juſte que les dommages
quelui ont caufé cette Guerre ſoient réparez , &
que l'on le rembourſe des fraix , où elle l'a
engagé , elle demande , qu'on luien faſſeune
jufte & entiére fatisfaction & un dédommagement.
V. Que la Séréniſſime Maiſon de Lorraine ait
une ſatisfaction juſte & raisonnable.
VI Que tous les Biens appartenans à la Succeffion
d'Orange , & préſentement entre les
mains de la France , foient reftituez , avec les
fruits perçûs tant dans la Guerre preſente que
pendant la Guerre paſſee , & mis ſous l'Adminiftration
de L. H. P. à qui elle appartient com.
me Executeurs du Teftament de Sa Majeftéle
feu Roi de laGrande Bretagne de glorieuſe mémoire.
(
Pour lereſte S. A. S. ſe réſerve la faculté & le
pouvoir de déclarer , & de déduire à l'avenir
plus amplement , tout ce qu'elle croira d'être
de la fureté & indemnité , tantdetous les Alliez
, Confédérez , & Amis , que d'Elle-même
, & de fa Séréniſſime Maiſon .
Demandes Spécifiques de S. A. l'Evêque&
Prince de Munster& de Paderborn.
Son Alteffe ayant été obligée defairedes fraix
immenfes dans cette Guerre entrepriſe pour
la liberté & le falut de toute l'Europe , & de
charger ſes bons Sujets de Contributions exceffives
pour y fubvenir ; & ſes Ecats ayant outre
cela fouffert degrands dégâts par les fréquentes
marches & paflages des Troupes Auxiliaires ;
S. A. demande , à titre de fatisfaction & d'indemniſation
, que le Roi Très Chrêtien reſtituë
tous ces fraix&ddoommmages. Et cela avec d'autant
plus de raiſon , que dans un Cas à peu près
pareil , les Evêchez de Munſter& de Paderborn
ont
382 MERC. GALANT .
:
ont été obligez par la Paix de Westphalie , de
payer à titrede ſatisfaction , une grande ſomme
d'argent comptant aux Alliez dela Franced'alors.
Utrecht le 5. de Mars 1712 .
Demandes spécifiques du Séréniſſime Prince
deWirtemberg.
ON demande pour le Séréniffime Prince , &
Seigneur , Eberhard Loüis Duc de Wirtemberg&
Tecce , Comtede Montbeliard , Seigneur
de Heidenheim , &c . & ſa Séréniffime
Maiſon.
I. Une fatisfaction équitable & conforme aux
Traitez , pour les fraix & dépenfes faits dans
cetteGuerre, & pour les dommages qui y ont
été ſoufferts , dont on ſe réſerve de produire
dans la ſuite une Déduction plus particuliere ,
comme auffi des moyens de les réparer en quelquemaniére.
II . Confirmation de la poſſeſſion déja obte.
nuë de cette partie de la Seigneurie deWiefenſteig
, qui eſt enclavée dans le Duché de Wirtemberg
, & appartenoit autrefois à la Maiſonde
Baviére , de la maniére qu'elle a été donnée &
laiſſée au SéréniſſimeDuc.
III. Reftitution pleniére de la Principautéde
Montbeliard , au Séréniffime Duc & Seigneur
Leopold Eberhard , enſemble avec ce qui y appartient
, ſçavoir du Comté de Horbourg , &
les Seigneuries deReicherwecher , deGranges ,
de Clerval , & de Paſſavant , pour relever immédiatement
de l'Empire Romain , de même
que la Principauté , comme auffi des Baronies
libres , & pourvûës de toute Jurisdiction Terri .
toriale , d'Hericourt , de Chatelot , de Blanont,
& de Hemont, en leur ancien & fufdit
état immédiat , tant par rapport an Spirituel
qu'au Temporel , & dans tous les Droits , Immunitez
, Prérogatives , & Revenus , fans au-
-cuMARS
1712. 383
i
cune exception de tout ce qui y a appartenu auparavant,
ou en quelque maniére y a dû appartenir
, & avec abolition de tout ce qui a éte faie
ou prétendu au contraire. De plus une juſte
fatisfaction au ſuſdit Seigneur Duc de la Ville
de Neuf Briſac , & de ſes Fortifications , comme
étant bâtie ſur le Territoire de Harbourg.
Fait à Utrecht le 5. Mars 1712 .
A. G. V. HEESPEN.
Demandes spécifiques de Sa Majesté Britannique
,pour cequi regarde la France .
I. LERoi Très-Chrétien reconnoîtra dans les
termes les plus précis , & les plus forts ,
la Succeffion à la Couronne de la Grande Bretagne,
felon qu'elle eſt limitée par les Actes de
Parlement (qui ont été faits durant leRégnedu
feu Roi Guillaume III . de glorieuſe mémoire ,
&de S. M. qui régne à préſent ) dans la Ligne
Proteftante de la Maiſon de Hanover.
II . Le Roi T. C. promettra en outre , tant
pour lui que pour ſes Héritiers &Succeffeurs ,
de ne reconnoître jamais aucune Perfonne pour
Roi ou Reine de la Grande Bretagne , autre que
S. M. qui régne à préſent , & ceux ou celles qui
lui fuccéderont, en vertu des ſuſdits Actes de
Parlement.
III. Le Roi T. C s'obligera pareillement de
faire fortir tout incontinent du Territoire de la
France , la Perſonne qui prétend à la ſuſdite
Couronne de la Grande Bretagne .
IV . Le Roi T. C. promettra pour lui , ſes
Héritiers & Succeſſeurs , den'inquiéter jamais
ladite Reine de la G. B. , ſes Héritiers & Succef.
feurs de la ſuſdite Ligne Proteftante , dans leur
paiſible poſſeſſionde la Couronnede la GB , &
de tout ce quien dépend ; comme auſſi de n'accor384
MERC. GALANT .
1
corder jamais aucune aide ou afſiſtance , ſoit directement
ou indirectement , par Mer ou par
Terre , en Argent , Armes , Munitions , Vaifſeaux
, Matelots , Soldats ou autrement , àaucune
Perſonne ou Perſonnes , qui voudroient à
l'avenir entreprendre , fous quelque prétexte
ou pour quelque cauſe que ce puiſſe étre , de
s'opoſer à la ſuſdite Succeffion , ou de favorifer
ceux qui s'y opoſeroient , ſoit directement ou
indirectement , par une Guerre ouverte , ou en
fomentant des ſéditions & des Conſpirations ,
contre tel Prince ou Princeſſe qui ſera ſur le Trône
de la Grande Bretagne en vertu des Actes ſusmentionnez
, ou contre Celle ou Celui en faveur
de qui la Succeſſion de laGrandeBretagne fera
ouverte , conformément aux Actes ſuſdits.
V. Les Plénipotentiaires de France entreront
en Négociation dès à preſent avec ceux de la
GrandeBretagne , pour faire un Traité de Commerce
entre les deuxRoyaumes .
VI . Le Roi T. C. fera démolir toutes les Fortifications
de la Ville de Dunkerque , comme
auffi combler ledit Port , & ruïner les Ecluſes
qui fervent à le nettoyer; le tout à ſesdépens ,
&dans le tems de deux mois après la ſignature
de la Paix : Et fa fufdite Majefté fera auſſi obligée
de ne jamais faire réparer leſdites Fortifications
, Fort ou Ecluſes
VII . S. M. T. C. remettra à S M. la Reine de
la Grande Bretagne , ( le jour de l'échange des
Ratifications de la Paix à faire ) des Actes atutentiques
& formels de Ceſſion des Iſles de S.
Chriftophle& de Terre Neuve , avec la Ville de
Plaiſance , & les autres Iſſes ſituées dans les
Mers d'alentour ; comme auſſi l'Acadie , avec
la Ville de Port Royal, autrement apellée Annapolis
Royal , & ce qui dépend dudit Païs.
VIII . Le Roi T. C. reftituera à la Reine & au
Royaume de la Grande Bretagne , la Baye & le
Détroit de Hudſon , enſembletoutes les Terres,
Mers ,
MARS 1712 . 385
Mers, Côtes , Riviéres , Places & Forts yappartenans
, & conſentira que les Limites entre
Jadite Baye de Hudſon, & les Poſſeſſions des
François fur les Côtes de la Riviére de S. Lau -
rent , ſoient réglées ; & qu'il foit défendu aux
Sujets de la Grande Bretagne & de la France ,
de ne jamais paſſer leſdites Limites , nid'aller
parMer ou par Terre des uns aux autres .
IX. Le Roi T. C. fera auffi avoir à la Compagnie
Angloiſe de la Baye de Hudſon , un Dédommagement
juſte &raisonnable de toutes les
Pertes que ladite Compagnie a fouffertes , par
l'Invasion & déprédation faites par les François
en tems de Paix , à leurs Colonies , Vaiſſeaux ,
Perſonnes & Effets.
X. Les Sujets de France , Habitans du Cana-
Ja & autres Lieux , s'abſtiendront à l'avenir
d'empêcher le Négoce réciproque entre les Sujets
de la Grande Bretagne & les Natifs du Païs
de l'Amerique , comme auſſi d'inquieter les
Cing Nations ou Cantons Indiens , ou autres qui
font ſous l'obéiſſance ou dans l'amitié de la
Grande Bretagne.
XI. S. M. , en conformité deſes Alliances ,
inſiſte que leRoi T. C. faſſe avoir à tous & chacundes
Hauts Alliez , une ſatisfaction juſte &
raiſonnable fur ce qu'ils demandent à la France.
XII . Quoi qu'il foit trouvé convenable que
chacun des Hauts Alliez faſſe ſes propres Demandes
; néanmoins , comme les Miniſtres de
S. A. E de Brunswick Lunebourg ne font pas
encore arrivez , & pour d'autres confiderations .
les Plénipotentiaires de S. M. inſiſtent que la
France reconnoiſſe la Dignité Electorale deSadite
Alteſſe, avec tous les Droits& Prerogatives
qui y font attachez .
XIII SM la Reine réſerve aux Alliez , dont
les Miniſtres n'ont pas pú venir au Congrès , la
faculté de porter auſſi ci-après leurs Prétentions
&Demandes ; & elles doivent être reçûës &
Tome V. S con386
MERC.GALANT .
confidérées , tout de même que ſielles étoient
preſentées maintenant, l'intentiondeS.M étant
qu'on yaitles mêmes égards , pour leur donner
une juſte ſatisfaction .
XIV. La Reine demande auſſi , que pour
mieux conſerver la Tranquillitédans l'Empire ,
la Clauſe ajoûtée au IV. Article du Traité dè
Ryſwick ſoit abolie; & que la France nes'oppoſe
en aucune maniére à ce que dans l'Empire
routes les affaires de Religion foient régléesconformément
aux Traitez de Westphalie. Ce que
S. M. ſe trouve obligée de demander en faveur
des Proteftans Reformez en France , de ceux qui
font mis ou condamnez aux Galéres , détenus
dans les Priſons ou autres lieux , ou quiſe ſont
réfugiez , ſera expliqué dans la ſuite de laNégociation
, de concert avec ceux qui y prennent
part.
XV. S. M. demande en outre , que le RoiT.
C. faſſe faire bonne & promte juftice à laMaifon
d'Hamilton pour le Duchéde Châtelleraut;
& au Colonel Charles Douglas pour lesTerres
qui lui ont éré ôtées par la France,&autresde
lesSujets.
XVI. S. M. demande deplus , que la France
faſſe avoirà ſesAmisqui feront nommezdansla
fuite de la Négociation, une fatisfaction juſte
&équitable pour les Pertes&Dommages qu'ils
ont foufferts par la France , comme auſſi leRe.
zabliſſement des Libertez & Priviléges qu'ils
ont droit de prétendre.
Demandes ſpecifiques da Séréniſſime
Très- PuiffantRoi de Portugal.
SASacrée Majefté le Roi de Portugal , eftimant
qu'il ne seroit pas aſſez pourvû aux in.
terêts de fonRoyaume , à moins que tous les
Etats dont étoit autrefois compoſée la Monarchie
MARS 1712 . 387
chie d'Eſpagne , ſous le Roi CatholiqueCharles
II., ne foient rendus à la Maiſon d'Autriche.
Demande.
,
I. Que toute la Monarchie d'Eſpagne y compris
les Indes Occidentales , ſoitrenduë an Seréniffime
& Très-Puiffant Prince Charles VI.
Empereur des Romains excepté lesVill
Forts , &Droits , tant enEurope qu'en Amerique
, qui ont été cedez &donnez en perpetuité
Sa Sacrée Majesté Portugaiſe, par les Traitez
fairs entre le Séréniſſime & Tres Puiſſant Prince
Leopold Empereur des Romains , & le Séréniffime&
Tres - Puiffant Prince Pierre II . , & les
autres Alliez ; à la referve auffi de ce qui a été
promis aux autresAlliez,
Sa
II. Que la France cede à Sa Majefté Portugaiſe
& à ſes Succeſſeurs tout le droit qu'elle
prétend avoir fur les Contrées vers lleeCapBoreal,
nommé communément Cap du Nord
faiſant partie du PPaaïïss deMaranon, fitué entre
laRivieredesAmazones,&&cceelllleeddeeVincent
Pifon lans égard à tout Traité provifionel ove
decifif, fait fur la poffeffion && le droit deſdites
Contrecs. Qu'elle cede auffi tout autre droit
qu'elle prétend fur aucun aauuttreEtatde laMonarchiePortugaiſe.
III. Sa Majefté Portugaiſe ſe reſerve aufli le
droit d'une plus ample explication des ſuſdites
demandes , dans la ſuite de ces Conférences .
IV. Elle infifte auſſi que la France donne une
Tatisfactionjufte & équitable à tous lesAlliez
fur leurs demandes , en conféquence de leurs
Traitez
V. Er enffiinn qu'Elle donne unejuſte&équitable
fatisfaction auxAAmmiiss de Sa Majefte ,
nommer dans la fuite dess Négociations , pour
les pertes&dommages qui leur ont été cauſées
paria France. Faita Utrecht le 5. Mars 1712.
S2 De.
388 MERC. GALANT.
Demandes Spécifiques deSa Majesté le Roi
dePruffe..
73
1. SAMajesté le Roi dePrufſe ſera reconnu en
cette qualité , ſans reſtriction ni condition
II . Sadite Majeſté ſera reconnue pour Prince
Souverain , naturel & légitime de la Ville &
Principauté d'Orange , & lui ſera reſtitué cette
Ville & Principauté , avec tous ſes Droits ,
Apartenances& Dépendances d'icelle , en qualite
de Succeſſeur legitime de la Maiſon de Châlon-
Orange.
III . Seront reftituez à S M. Prufſmenne , en
vertu des mêmes Droits ſucceffifs & autres ,
tous les Biens des Maiſons de Châlon. Orange &
Châtel-Belin , ſituezen Franche Comté , Bourgogne,&
autres Provinces qui ſont ſous la Dominationdela
France , conformément aux Traitez
de Paix , dans lesquels les Princes d'Orange
font intervenus avec les Rois de France & d'Efpagne
, au dernier deſquels S. M Pruffienne a
fuccede , enſemble tous les Droits , Apartenances
& Dépendances , avec les Fruits , Rentes
, &Revenus de ladite Principauté , &des
autres Biens fituez en Franche- Comté & ailleurs,
ſouslaDomination dela France , perçus
depuis la mortdefeuS M. Britannique,
IV. Que Sadite M. P. fera auſſi reconnue pour
légitimePrinceSouverain des Comtez deNeufchâtel
& Valengin , avec tous leurs Droits ,
Apartenances & Dépendances , en vertu de la
Sentence des 3. Etats du 3. Novembre 1707. , &
ledit Pais de Neufchatel & Valengin , ſera toûjours&
à tous égards reconnu & reputé Membre
du Loüable Corps Helvétique.
V.. Que tous les Arrêts , Jugemens , Déclarations
,Actesd'échange , & autres , de quelle
nattuMARS
17.12T
. 389
nature qu'ils puiſſent être , contraires à laSouveraineté&
Proprieté des Principautez d'Orange,
Neufchâtel , & Valengin , enſemble des
Biens des Succeſſeurs de Châlon & de Châtel-
Belin, où qu'ils foient fituez , feront entiérement
révoquez , annullez , caffez , & anéantis.
VI. Que les Arrêts , Ordonnances , &Jugemens
rendus contre les Proteftans d'Orange for.
tis l'an 1 703. &depuis , feront pareillement révoquez,
annullez , & anéantis
VII. Que la Suiſſe , leurs Alliez & Conféderez
, &particulierement les Cantons de Zurich ,
Berne , Glaris , Bâle , Schafhouſe , &Appenzel
, la Souveraineté& la Ville de Neufchâtel &
Valengin, la Villede Geneve , celle de St. Gal .
Mulhaufe , &Bienne , avec toutes leurs Apartenances
& Dépendances , feront compris dans
leTraité comme une condition de la Paix , fans
que l'on puiſſe attaquer aucune partie du LoüableCorps
Helvétique , & particulièrement celles
des Loüables Cantons Réformez & de leurs.
Conféderez , nien troubler la tranquilité , ſous
aucun prétexte , quel qu'il puiſſe étre.
VIII. Il fera uni alEtat deNeufchâtel ,"en
touteSouveraineté , la petite partie ou liziére
de la Franche-Comté, qui eft en deçà de laRiviére
de Doux , y compris le Château de Joux
&ſes Dépendances , & cela en dédommagement
des dégâts cauſez à S. M endifferens endroitsde
fes Biens , Etats , & Provinces.
IX. Les Sujets de S.M joüiront par tout de
tous les avantages pour le Commerce , dont
joüiront lesSujetsde S. M. la Keine de la G. B.
&deL H. P. , fans que leſdits Sujets foient tenus
de payerde plus grands ou autres Droits ,
Charges, Gabelles , on Impoſitions quelconques,
fur leurs Perſonnes , Biens , Denrées , Navires
d'iceux , ou Frets , directement ou indirectement,
que ceux qui feront payez parles
Sujets defdites Ruiſſancest
S 3 X.
390 MERC. GALANT .
du
X. La Ville de Gueldres avec le Canton de
cette Province , & la Ville Païsd'Erekelens,
S.M. P. poffede , Ini feront laiffcées
que enplei
neSouveraineté& Proprieté , commepriſes fur
laFrance par les Armes de S. M , & pour
tres prétentions conſidérables fur lesquelles S..
M. n'a pas été fatisfaiteencore ppar l'Elpagne.
XI. Commepplluufſiieurs François
gionRéformée ayant ééttéé obligezddeequitterla
fele
d'aude
la
de S.
la Reli-
France,
font réfugiez ous LPoobbéeiifnfance d
M., & fontdevenusſes Sujets par Droit deNaturalifation,
Bourgeoiſie ou autre ,&qu'entre
cesRefugiez quelques-uns ont laifiéen France
leursMaris , Femmes , Enfans , Peres , Meres,
&autresproches Parens , &que plusieursy ont
auffi laiſſe leursBiens, ou en ont aequis depuis
par fucceſſion , héredité ou autrement fans
avoir pû les retirer & en joüir ; S. Μ., en conſéquencedela
Protection qu''Elle doit à ſes Sujets
, demande: 2
1. Qu'il foit permis à ces Maris , Femmes ,
Enfans , Peres , Meres , ou autres proches Pa
rens deſdits Réfugiez , de fortir librement de
France , & de venir réjoindre leurs,Maris
Femmes , Enfans , Peres , Meres ou autres
proches Parens , établis ſous l'obéiſſancede S.
M. 2. La reſtitution de tous lesBiens , Meubles
& immeubles , appartenansde droit , tant
auxdits Réfugiez,z qu'à leurs Defoendans
ſous l'obéïffancede 8. Mou à leurs Héritiers
qui y font. 3. Que leſdits Réfugiez & lears
Defcendans nez Sujets deS. M., foient confide
rez & réputez en toutemaniére, comme de véritablesSujetsde
S M.; & qu'ainſi ils joüiſſent,
tant en France , que dans toute l'étenduë deſa
Domination, de tous les Droits , Priviléges .
nez
Franchiſes , Immunitez Libertez , & Avantages,
dont les autres Sujets du Roi doivent
jouir, fans aucune exception ni referve
S.M. fouhaitede plus , qu'il plaiſe àS. M.T
१८
C.
MARS 1712. 391
C.d'accorder , enconfidérationdel'amitié qui
doit être rétablie par la Paix , la Liberté de
Confcience à ceux de la Religion Réforméequi
refferontenFrance , comme auſſi de faire élargir&
remettre en liberté tous ceux qui , à cauſe
de la Religion Réformée, font détenus dans les
Friſons , Convents , Galéres , ou autres lieux.
XII. La Claufe du quatriéme Article de la
Paix de Ryſwick ſera abolie ; & les affaires de
Religion dans l'Empire , & particulierement
dansles lieux rendus parla Paix de Ryfwick, &
àrendre par laPaix à faire , feront remiſes dans
L'Etat où elles doivent être ſelon ladiſpoſition
dela Paix de Westphalie.
XIII Un ou pluſieurs Articles feront faits
de ce que deſſus, avec lesClauſes néceſſaires
pour Pexplication ou fûreté de ce qui fera convenu.
XIV. Les Hauts Alliez de S. M. auront ſatisfaction
enconformité de leurs Alliances.
XV. Ses Amis , qui feront mentionnez dans
la ſuite de laNégociation , aurontune ſatisfaction
juſte& raiſonnable pourles pertes & dommages
qu'ils ont foufferts par la France , commeauſſi
le rétabliſſement des Libertez & Privi
légesqu'ils ontdroitde prétendre.
XVI. SaM. fe reſerve le droit & la faculté de
faire encore d'autres Demandes , felon que le
cours de laNégociation pour la Paix générale le
demandera.
Fait àUtrecht le 5. de Mars 1712
O.M.C.deDenhof. E. C.deMetternich.
f
Demandesde SonAlteffe RoyaledeSavoye,
pour la Paixgénéraleàfaire .
LAjuſte ſatisfaction de S. A. R. de Savoye ne
pouvant mieux être réglée que par ſesTraitez
d'Alliance , &par une raisonnable fûreté de
fes
$4
392 MERC.GALANT.
ſesEtats , Sadite A. R demande.
Que dans le Traité de Paix à faire , le droit
notoire& incontestable qui apartient à S. A. R. ,
& qui a été déclaré par le Teftament de Philippe
IV. Roi d'Espagne , à la Succeſſion de laMonarchie
d'Eſpagne , immédiatement après la
TrèsAuguſte Maiſon d'Autriche , ſoit maintenudansſon
entier , fans y donner aucune atteinte;
& qu'aucun Prince tiers préferablement à
Sadite A. R, ne foit introduit , ni établi dans
aucundes Etats de ladite Monarchie d'Eſpagne.
QueSaditeA. R. foit immédiatement remife
en poſſeſſiondu Duché de Savoye & des Provincesendépendantes
, du Comté de Nice & defes
Dépendances . &de tous les Lieux & Pais qui
apartiennent à Sadite A. R. , & que les Armes
deS. M. T. C. auront occupez pendant le cours
de cette Guerre , ſans aucune reſerve .
Que S M T. C. ſe départira en faveur deS.
A. R. , & lui cede tous les Droits de proprieté
&de Souveraineté fur les Forts d'Exilles & de
Fenestrelles , & fur toutes les Vallées en delà du
Mont-Genevre , & autres Alpes , y compriſe la
Vallée de Château Dauphin , & que pour former
la Barriére des Etats de Sadite A.R , laquelle la
recevra en même tems pour dédommagement
desPlaces de ſes Etats qui ont été démolies . S.
M. T. C.lui cede..Du côté de Piémont, lesForte.
reſſesdeMont-Dauphin , &de Briançon avec le
Briançonnois , & la Vallée de Quierafc : Du
côte de la Savoye , le Lieu de Barreaux avec fon
Fort&Territoire , & le peu de Terres d'icelui,
juſqu'à celles des Confins de Savoye d'un côté
de la Riviére d'Iſére , & de l'autre côté Goncelin
; & tirant de là une Ligne juſqu'au Col de
Vaugiani , avec ce qui fera entre ladite Ligne &
la Rochette, & autres Terres de Savoye , enfemble
les Terres , Lieux , & Villages , qui
font en delà du Rhône du côté de Savoye ; l'us
fage du Rhône reftant commun entre le Roi de
France
1
S
MARS 1712.393
France & le Duc de Savoye , depuis Geneve
juſqu'à St. Genis d'Aofte , icelui inclus... Et
du côté de Nice , le Fort de Monaco ; leRoi.
T. C. reſtant chargé d'indemnifer le Princede ce
nom.
Les Ceſſions faites par l'Empereur Leopold
deglorieuſe mémoire à S. A. R. , parleur Traité
d'Alliance & Articles Secrets d'icelui du 8 Novembre
1703. , reſteront dans leur force & flables
, & auront leur entier effet ; & à ce ſujet S.
M. T. C. les reconnoîtra pour telles , & n'y contreviendra
directement ni indirectement , dans
aucun tems , & pour quelle raiſon que ce ſoit ,
&n'empêchera par voye de droit ni de fait , que
Sadite A. R ne joüiffe de tous les Païs , Etats ,
Places , Terres , Droits , & exercices d'iceux ,
quiſont compris dans leſdites Ceffions .
Qu'il fera loiſible à S. A. R. de faire telles
Fortifications qu'Elle trouvera les plus convenables
dans tous les Lieux qui lui ont été acquis
par ſes précedens Traitez.
Que le Prince de Monaco reconnoîtra en S. A.
R.la ſupériorité & direct Domainedes Lieuxde
Menton & de Roccabruna , & prendra les Inveftitures
d'Elle , comme ont fait ſes Prédecef
feurs.
Quele Commerce de France en Italie , & vice
verfa, ſe fera comme il eſt porté par l'Article
fix du Traitéde Turin , & les Lettres &Malles
des ordinaires continuëront d'être envoyées par
la même route ; obſervant à cet égard ce que l'on
apratiqué en France pour les Malles d'Italicen
Eſpagne . & viceversa , du tems de Charles II .
Roi d'Eſpagne , ſans que les routes puiſſent être
détournées. Les Bâtimens François payeront
l'ancienDace , communément apellé Droit de
Ville-France, conformément à ce qui ſe pratiquoic
du tems des Précédents Ducs de Savoye
, ſans qu'il y puiſſe être fait à l'avenir aucuneoppoſitiondela
part du Roi T. C. , ni de
ſesSujets. Ss Que
394 MERC. GALANT.
Que S. A. R pourra vendre librement la BaroniedesEffores,&
autres Biens & Effers qu'Elle
en a en France , fans qu'il foit formé aucun
empêchement de la part de S. M. , laquelle fe
départiraen faveurdes A. R. & de fes Succeffeurs
, ou de leurs Acquereurs , de toutDroit
qu'Elle pourroit prétendre à l'avenir fur des
Tereesquifont enBugey , & qui apartiennent
depreſent àSadire AR , à laquelle an befoin
leRoiT. C. cedera la proprieté i revocable pour
Elle&ſes SucceflcarsDucsde Savoye,on leurs
Acquereurs.
LeTraitédeTurin de 1696 fera gardé & ob.
Servé ponctuellement dans ce à quoi iln'eſtderogépar
lepreſent.
Sadise A. R.fe referved'expliquer&ſpeci
fierplus amplement les fufditesDemandes ,&
delesaugmenter felonque la Negociation lui en
donneralien , & qu'il lui ſemblera convenir&
raifonnable.
Sadite A. R. infifte en outre àceque, fuivant
les Traitez d'Alliance , tous les Hauts Alliez
, &chacund'iceux, trouvent & ayencdeur
fatisfaction , & que les Traitez de Paixqu'ils.
ferontavec laFrance feront rapellez , &relpectivement
ftipulez dans ceux que les autres
Hauts Alliez feront avec SM.T.C , comme
s'ils y étoient inferez de mot å mot ; refervant
auxAlliez abſens ; &dont les Miniſtres n'ont
pasencore pûvenit , de faire leurs demandes .
Elle demande de plus , que la France faffe
avoir à ſesAmis & Sujets , qui feront nommez
dans la ſuitede laNégociation, une fatisfaction
pour lespertes &dommages que la France leur
afaits & caufez , & fur les Demandes qu'ils
ontdroitdefaire.
Fait à Utrechtce 5. Mars 1712.
Signé ,
LeComtedeMaffey. LeMarg. du Bourg. Mellarede
Diman
MARS 1712. 395
Demandes Spécifiques de L. H. P.lesSeigneurs
Etats Généraux des Provinces-
Unies ,Sc. 1
LEEldius Seigneurs Etats demandent: I. Que
S. M Très Chrêtienne , tantpour Elle-même
que pour le Prince ou les Princes ſes Alliez,
& tous autres qui pourroienty prétendre , renoncera
& fera renoncer , dans les termes les
plus forts &les plus amples,, à rout le Droie
qu'Elle ou le Prince ou Princes ſes Alliez , our
autres , pourroient prétendre fur les Païs-Bas
Elpagnols, tels que le feu Roi Catholique
CharlesII. lesaa poffedez oudû poffeder , con
formément au Traité de Ryſwiek :Et que
le Duché, Ville & Forterelle de Luxembourg .
avec le Comté de Chimay , le Comté , Ville&
Château de Namur , comme auffi les Villesde
Charleroi& de Nieuport , font encore au pou
voir de la France ou de fes Alliez ; S. М. Т. С.
fera en forte que ceDuché , Comtez , Villes&
•Fortereſſes, avec toutes leursApartenances&
Dépendances , &tout ce qui outre cela pourroit
encore appartenie auxdits Païs Bas Eſpagnols ,
définis comme ci-defus , en l'état auquel le
tour ſetrouve àpreſent , avec les Fortifications,
comme auffi avec leCamon , Artillerie& Manitions
de guerre qui s'y trouvent actuellement .
&avec tous les Papiers , Lettres , Documens
&Archives qui concernent leſdirs Païs BasEfpagnols,
ou quelque partie d'iceux , feront
immédiatement après la Paix, & au plus tard
en 15. jours après l'échange des Ratifications .
mis entre les mains desdits Seigneurs Etats ,
pour les rendre , avec le reſte des Païs-BasEfpagnols
déja reconquis , à S. M. Imperiale&
Catholique, aufi-tor que lesdits SeigneursEtats
feront convenus ayee Elle de la maniere dont lefdits
S6
396 MERC.GALANT.
dits Païs-Bas Eſpagnols leur ſerviront de Barriere&
de Sûreté , & auſſi-tôt que S M.I. &C..
en conformité du Traité de Munfter , leur aura
auffi cede en toute proprieté & Souveraineté le
haut Quartier de Gueldre , moyennant l'Equivalent
dont on ſera convenu.
11. Que les Villes & Places deMenin avec ſa
Verge, Lille avec ſa Citadelle , Dolay avec le
FortdeScarpe& Orchies , & toute la Châtellenie
de Lille , avec les Gouvernances & Bailliages
reſpectivement , y compris auſſi le Païs de la
Loeu & le Bourg de la Gorgue , Tournay avec la
Citadelle & le Tourneſis , Aire avec ſon Baillia.
ge ou Gouvernance , & le Fort François , Theroüane
. Lillers avec fon Bailliage , S. Venanc
avec ſa Dépendance , Béthune avec ſaGouvernance
ou Bailliage , & Bouchain avec ſa Dépendance
, demeureront auxdits Seigneurs Etats .
avec toute l'étenduë de leurs Verges , Châtellenies
. Territoires , Gouvernances , Bailliages ,
Apartenances & Dépendances , Annexes &Enclavemens
, ſans en rien excepter ; le toutde la
même maniere que le Roi T. C. a poſſedé toutes
leſdites Villes , Places , Forts & Païs , avec
toutes leurs Apartenances & Dépendances ,
Annexes & Enclavemens , avant la preſente
Guerre: Et que le RoiT C. , tant pour lui que
pour les Princes ſes Héritiers & Succeſſeurs nez
&à naître, renoncera en faveurdeſdits Seigneurs
Etats, dans les termes lesplus forts& les plus
amples , à toutes ſes Prétentions ſur leſdites
Villes , Places , Verges , Châtellenies , Territoires
, Gouvernances , Bailliages , & toutes
leurs Dépendances . Apartenances , Annexes
&Enclavemens .
III . Que S M. T, C. , tant pour Elle-même
que pour les Princes ſes Héritiers& Succeffeurs
nez& à naître , cédera par le Traité de Paix à
faire, dans les termes les plus forts& les plus
amples , & fera immédiatement après laPaix,
&
MARS 1712. 397
& au plus tard en 15. jours après l'échange des
Ratifications , évacuer & remettre auxdits Seigneurs
Etats, Furnes & Furner-Ambacht , y
compris les 8. Paroiſſes & le Fort de Knoke , les
Villes de Loo&Dixmuyden avec leursDépendances
, Ipres avec ſa Châtellenie &Dependan.
ce, les Villes & Châtellenies de Bailleul , ou
Bail Merville , Warneton , Commines , Warwick,
Poperingen , Caffel , & ce qui dépend
des lieux ci-deſſus exprimez , Valenciennes avec
ſa Prévôté , Condé & Maubeuge avec ſa Prévôté
; le tout avec toutes leurs Dépendances ,
Apartenances , Annexes & Enclavemens , fans
rien excepter , de la même maniere que le Roi
T. C. poffede maintenant toutes ces Villes , Places,
Forts & Païs , avec toutes leurs Apartenances
, Dépendances , Annexes & Enclavemens
, & avec les Fortifications comme elles
font à preſent; comme auffi avecle Canon , Artillerie&
Munitions de guerre qui s'y trouvent
actuellement , & avec tous les Papiers , Lettres ,
Archives & Documens qui concernent leſdites
Villes , Forts & Places , Apartenances & De .
pendances. Permis toûjours auxdits Seigneurs
Etats de convenir , ( auſſi bien fur leſdits Païs-
Bas Eſpagnols , que fur leſdites Villes& Places
qu'ils retiendront , & fur les autres qu'ils demandent
encore à la France pour leur Sûreté,)
avec S. M. I. & C & fes Succeſſeurs dans les
Païs-Bas Eſpagnols , & de faire là-deſſus telles
Conventions avec S. M. I. & C. ou fes Succefſeurs
, que leſdits Seigneurs Etats trouveront à
propos : Bien entendu qu'aucune Province ,
Ville, Fort ou Place deſdits Païs-Bas Eſpagnols
, ni de ceux qui ſeront cédez par le Roi
T. C. , ne pourra jamais être cédée , tranſporrée
, ni donnée , ni écheoir à la Couronne de
France, ni à aucun Prince ou Princeſſe de la
Maiſon ou Ligne de France , ſoit en vertu de
quelque Don , Vente , E$ch7ange, ConventMiao-n
398 MERC, GALANT.
Matrimoniale , Succeffion par Testament ouab
inteſtato , ou ſous quelque autre Tître que ce
puiſſe être , ni être miſe, de quelque maniere
que ce foit , au pouvoir ou ſous l'autoritédu
Roi T. C. , ni de quelque Prince ou Princeſſe de
laMaiſon ou Ligne de France.
IV. Que S. M. T. C. nes'oppoſera en aucune
maniere à ce que les Garniſons , qui se trouvent
ou ſe trouveront ci-après de la part deldits Seigneurs
Etatsdans la Ville , Château&Fortde
Huy , la Citadelle de Liége , &dans la Ville de
Bonn , y reftent juſqu'à ce qu'on en ſoit convenu
autrement avec l'Empereur & l'Empire.
V. Que S. M. T. C. accordera auxdits Seigneurs
Etats & à leurs Sujets , tousles avanta
ges de Commerce & de Navigation contenus
dans les Traitez de Paix & de Commerce de
Kyfwyck , & par conféquent auffi l'exemption
de l'Impoſition de 50. fols par Tonneau ſur les
Navires Etrangers , ainſi que cette Exemption a
été expliquée pas l'Article ſépareduditTraité
de Commerce. Que de plus , S. M. T. C. leur
accordera abfolument & poſitivement le Tarif
de l'an 1664. , fans exception d'aucune eſpece
de Marchandises ou autres exceptions , &
fans qu'aucun Tarif , Edit , Déclaration , Ordonnance
, ou Arrêt pofterieur , puiſſe avoir
lieu à leur égard ; mais que tous les Tarifs
Edits. Déclarations , Ordonnances & Arrêts
poſtérieurs , & tous autresGriefs introduitsdepuis
l'année 1664 au préjudice du Commerce&
delaNavigation des Sujets de l'Etat , comme
auffi le Tarif arrêté le 29 Mai 1699. entre les
Commiſſaires de la France & del'Etat , ferons
abrogez , caffez & annullez à leur égard , &
qu'il ne ſera auſſi rien changé à leur égard de tout
ecei pour l'avenir , directement ni indirectement
, ni ſous quelque nom ou prétexte que ce
puiſſe être.
VI. Comme plufieurs François de laReligion
ReMARS
1712 399
Réformée ayant été obligez de quitter la France,
fe font réfugiez fous l'obérlfance des Seigneurs
Etats Généraux , & font devenus leurs
Sujets par droitde Naturaliſation , Bourgeoifie
on autrement , & qu'entre ces Refugiez quel .
ques-uns ont laiffé enFrance leurs Maris , Fem.
mes , Enfans, Peres , Meres, ou autres proches
Parens , &que plufieurs y ont laifféleursBiens ,
ouy en ont acquis depuis par fucceffion , hé.
rédité , ou autrement , fans avoir pû les retirer
&en joüir , les Seigneurs Etats Generans , en
conféquencede la Protection qu'ils donnent à
leurs Sujets , demandent :
1. Qu'il foir permis à ces Maris , Femmes,
Enfans, Peres , Meres , ou antres proches Parens
defdits Réfugiez , De fortir librement de
France , &devenir rejoindre leurs Maris, Femmes
. Enfans , Peres , Meres , ou autres proches
Parens établisſous l'obéiſſance defdirs Seigneurs
Etats Généraux 2. La Reſtitutionde
tous les Biens meubles & immeubles, apartenans
de Droit tant auxdits Réfagiez qu'à leurs
Deſcendans nez Sujets de l'Etat , ou à leurs He.
ritiers qui y font. 3. Que tant lesdits Réfu.
giez , que leurs Defcendans nez Sujersde l'E.
cat, foient conſidérez & réputez en route maniere,
comme de véritables Sujets del Erat ; &
ainſi qu'ils joüiffent , tanten France quedans
toute l'érendue de ſa Domination , de tous les
Droits , Privileges , Franchifes , Inmunitez ,
Libertez & Avantages dont les autres Sujetsde
l'Etat doivent joüit , en vertu des Traitezde
Paix&deCommerce , fans aucune exception ni
referve.
Les SeigneursEtats ſouhaitent de plas , qu'il
plaiſe à S. M T. C. d'accorder , enconſidération
de l'amitié qui doit être rétablie par la Paix , la
Liberté de Confcience à ceux de la Religion Ré.
forméequi reſteront en France ; comme auffi de
faire élargir& remettre en liberté tous ceux qui.
400 MERC. GALANT.
àcauſe de la Religion Réformée , ſontdétenus
dans les Priſons , Couvens , Galéres & autres
lieux.
VII . Que S. M. T. C. rendra auſſi , immédiatement
après la Paix , auxdits Seigneurs Etats
Généraux , en qualité d'Executeurs des Teſtamensdu
feuRoi de la Grande Bretagne&du feu
Prince FedericHenri , la Principautéd'Orange ,
& tous les autres Biens & Terres qui ont apartenu
audit Roi de laGrande Bretagne , & qui font
fituez dans la France ou autres Païs ſous laDomination
du Roi T. C. , le tout avec les Revenus
perçûs ou échûs, & avec tous les Droits , Actions
, Privileges , Ulances & Prérogatives , an
même état & en la même maniere dont leditRoi
dela Grande Bretagne en a joui ou dû joüir avant
la preſenteGuerre , pour être enfaite par leſdits
Seigneurs Etats reftituez à Celui ou Ceux quiy
aura ou auront droit.
VIII. Que S. M. T. C. fera rafer toutes les
Fortifications dela Ville deDunkerque , de tous
les Forts , du Port , desRisbancs,& ce qui en
pourroit dépendre , ſans aucune exception ,
comme auffi combler ledit Port; le tout à fes
dépens , &fans aucunEquivalent: Enforte que
la moitié deſdites Fortifications ſoit raſée , &la
moitié du Port comblée , dans l'eſpace de deux
mois après l'échange des Ratifications ; & l'autre
moitié deſdites Fortifications , & de ce qui
reſtera pour combler tout- à- fait ledit Port,
dans l'eſpace de deux autres mois; fans qu'il
foit jamais permis de rétablir leſdites Fortifications
, ni de rendre ce Port navigable directement
ni indirectement.
IX Comme la clauſe ajoûtée à la fin du IV.
Articledu Traité de Ryſwick , fait entre l'Em.
pereur & l'Empire d'une part , & le Roi T. с.
del'autre ( portant que la Religion Catholique
Romaine demeure dans les lieux reftituez )
été une contravention manifeſteaux Traitez de
WeftMARS
1712 . 401
Weſtphalie , & en a déja cauſe d'autres , les
quelles ont troublé le repos de l'Empire , &
qu'il n'y a pas moyen d'y bien conſerver la tranquillite
, àmoins que les affaires Ecclefiaftiques
n'y ſoient rétablies & maintenuës enfuite ſur le
pié deſdits Traitez : les Seigneurs Etats
extrêmement intéreſſez en ce. que le repos public
, ( après qu'il ſera auſſi rétabli dans l'Empirepar
une bonne Paix , ) n'y ſoit point trouble
par aucune raiſon quelle qu'elle puiſſe être , de
mandent au Roi T. C. , qu'il conſente , autane
que cela le regarde , que cette Clauſe ſoit abolie
dans le Traité de Paix à faire , & par conséquent
que S. M. T. C. ne s'opoſera en aucune maniere .
à ce que dans les Païs , Villes & autres lieux déja
reſtituez , & qu'elle reſtituera encore à l'Empereur
& l'Empire , les affaires Eccleſiaſtiques
foient entiérement remiſes & demeurent enfuite
dans l'état où elles doivent être , felon leſdits
Traitez de Westphalie.
Leſdits Seigneurs Etats demandent outrece
quedeſſus la fatisfaction de Leurs Hauts Alliez
&de chacun d'eux , conformément aux Traitez
& Alliances mutuelles , faites à l'occaſion
de cette Guerre , & cela d'une maniére , qu'en
vertu des mêmes Traitez , les Seigneurs Etats
obtiennent auſſi la ſeureté de leur République
&l'intérêt de leur Commerce.
Se refervans d'ailleurs la faculté d'éclaircir,
d'expliquer , & d'augmenter , le contenude ces
Articles , comme ils le trouveront hon dans le
cours de cette Négociation : Comme lefdits Seigneurs
Etats refervent auffi à ceux de Leurs
Hauts Alliez , dont les Miniftres Pléniporentiaires
n'ont pû encore ſe rendre ici au Congrès ,
la facultéde faire & d'y delivrer leurs demandes,
& qu'elles foient reçûës & conſidérées de même
queſi elles auroient été preſentées maintenant .
L. H. P. refervent en outre la faculté d'ap-
Népuyer
& feconder pendant ledit cours de cette
402 MERC. GALANT.
Négociation les autresdemandes& Intérêtsde
leurs Alliez , comme auffi les intérêtsdesRois,
Princes, &Erats, leurs Amis & ceux deleurs
propresSujets.
Mémoire touchant les Intérêts de Son Alreffe
Royale Monseigneur le Dus de Lor.
raine &deBar, ala Paixfuture.
QuVooii qquuee M. le Ducde Lorraine ne foitpas
partie Belligerante , ni Confédérée avec
aucunedes Puiffances qui font en Guerre ;néan
'moins , il est devenu par le fait de ces mêmes
Puiffances, partie néceſſaire & intéreſſée aux
déciſionsde la Paixfuture.
Les Hauts Alliez ont difpofé , pour les interêts
de leur Caufe commune , d'un Etat quide
voit appartenirun jour à M. le Duc de Lorraine
*titre fucceſlif, & qui lui est dévolu depuis :
EtlaCoCuourroonnnnee de France s'eſt emparée, àl'occafionde
la préſente Guerre , de diverſes parties
de ceux de S. A. R. , qu'elle occupe encore
prefentemeenntt..a AinfiM. leDucde Lorraineefpére
de la juſtice des uns & des autres , l'Indemnité
de la perte du premier, & la Reftitution
de ce qui regarde les autres.
En cequi concerne le Hauts Alliez , par le
Traitédu8. Novembre 1703. fait à Turin, l'Em.
pereur Leopold de glorieuſe mémoire céda à
M. le Duc de Savoye , pour l'attirer dans la
GrandeAlliance , le Duché de Montferrat , qui
étoit poffedé pour lors par le dernier Duc de
Mantouë; ſe chargeant par une Clauſe expreſſe ,
d'indemnifer ceux qui pour lors , ou pour l'avenir
, formeroientdes prétentions ſur ceDuché.
CeTraité fut auffi tot ratifié par Sa Majefté la
Reine de la Grande Bretagne , &par LeursHau.
tes Puiſſances les Seigneurs Etats Généraux;
mais
MARS 1712, 403
1
mais comme il fut renu ſecret , M. le Ducde
Lorraine n'en eur connoiffance qu'en l'année
1707., , en laquelle il fit fes très-humbles Re.
montrances à l'Empereur Joſeph suifi de glorieufe
memoire , qui avoit luccede a l'Empire ,
pour le fapplierdenépoint permettrequ'il fut
dépoüillé fans fon fait d'une Principauté , que
l'ordre legitime des Succeffions lui affuroit après
là mert du Duc de Mantouë, qui vivoit encore
pour lors ; En tous cas , qu'il plút à SaMajefté
de ſuſpendre l'Inveſtiture , qui avoit étépromileàMle
Duc de Savoye, jusqu'àla defignation,
&mifeen poffeffion d'un Equivalent proppoorrttiioonnnnééaà
la valeurduDuchédeMontferrat,
au profit le Duc de Lorraine
Sa Majefté Imperiale touchée de l'équitéde
cette Remontrance , lui accorda un Décret d'af. Decre
furance de cet Equivalent , qui fut expedié le
de Novembre 1707. L'année ſuivante
1708., l'Investiture du Montferrat fut délivrée
àM. le Duc de Savoye , 4. jours après lamort
de M.le Duc de Mantouë. h
M. le Duc de Lorraine renouvella fes inſtances
pour fon Indemnité , tant envers Sa Majeſtéla
Reine de la Grande Bretagne , qu'envers SaMajeſte
le Roi Charles III. , & les Seigneurs Etats
Généraux : Er toutes ces Puiſtances , attenti
ves à la justice de cette repréſentation , ont accordé
de pareils Decrets d'affurance pourl Er
quivalentduMontferrat.
Des engagemens ſi ſolemnels contractez par
cesAuguftes Puiſſances , fireligieuſes dans l'obfervationdeleurs
promeffes , ne permettent pas
dedouter, queM le Duc de Lorrainen'obtienne
une entière ſatisfaction pour le Duché de
Montferrat, tant pour le Fond , que pour les
Non-jouillances.
Jouillances.
A l'égardd de la Couronne de France, l'intérêt
de M. le Duc de Lorraine ſe réduit à a . objets
principaushover
Le
a
404 MERC. GALANT.
Le premier , eſt de rentrer dans les Lieux&
Places de Lorraine que la France a occupées à
l'occaſion de la préſente Guerre pour ſa convenance
particuliere , &d'y rentret avec les fatisfactions
qui lui font légitimement dûës à cet
égard.
Le ſecond , de recouvrer la poſſeſſion des
Lieux & Places qui devoient lui être renduës par
le Traité de Ryſwick , & que la France a trouvé
àproposde retenir , nonobſtant les Requiſitions
refpectueuſes & réïtérées que M. le Duc de Lor
raine a fait faire pendant pluſieurs années à la
Courde France.
Quant au premier , cominela France s'eſt emparée
depuis dix années & plus de la Ville de
Nanci , Capitale de Lorraine , y a mis Garniſon
& Etat Major , & a reduit M. le Duc de Lorraine
de ſe retirer dans une petite Ville ouverte de
fes Etats , où il a fait ſon ſéjour depuis ce temslà
, il eſt juſte que la Ville de Nanci ſoit évacuée.
&renduë à M. le Duc de Lorraine , quideman .
de ſeulement pour fon indemnitéde cette occupation
, &pour prévenir de ſemblables incon.
veniens, auxquels il pourroit être expoſe à l'avenir
, qu'il lui foit permis de faire rétablir à
ſes fraix les Fortifications de la Ville de Nanci ,
ainſi qu'il jugera à propos.
2. La France s'étant emparée des Places de
Bitch &de Hombourg , qu'elle a fait fortifier ,
comme aufſi de cellesde Sarguemine , Saralbe,
& Boulay ; M. le Duc de Lorraine demande ,
que ces Places lui foient renduës en l'érat qu'elles
font, de même que tous les autres Poftesde
ſesEtats quí'ont été occupez par la France pendant
le cours de certe Guerre .
3. La Principauté Souveraine d'Arches , &
Charleville, ayant éré dévoluë par le decès du
dernier Duc de Mantoue à M. le Duc de Lorraine,
comme à fon Héritier & Succeſſeur plus
proche & immédiat , il en fit prendre poffeffion
en
MARS 1712 . 405
en ſon Nom auſſi- tôt après , du conſentement
des Etats de cette Principauté , quile reconnu .
rent en cette qualité , & lui prêtérent Serment
de fidélité ; mais il en fut incontinent après dépoſſedé
par la France , qui annulla ce Serment
de fidélite , & fitdéfenſe auxPeuples de reconnoître
autre Souveraineté que la ſienne. M. le
Duc de Lorraine demande , que cette Souveraineté
lui ſoit renduë & reftituée , avec les fruits
depuis le décès du dernier Dac de Mantouë.
Quant au ſecond , la Francea retenu , & s'eſt
confervé laPoſſeſſion de la Ville de S. Hypolite ,
ſituée ſur la Frontière d'Alface , quoi qu'elle
dût être renduë à M.le Duc de Lorraine ſuivant
l'Article 28. du Traité de Ryſwick , portant ,
quetoutes les Places dont Charles IV , Grand Oncle
deM. leDuc de Lorraine , étoit en poffeffion en l'année
1670. , lui feroient rendues par la France. Il
demande en conféquence , que cette Place , qui
ſe trouvedans le même cas , lui ſoit renduë avec
reftitution des Fruits depuis le jour dudit
Traité.
En ſecond lieu , la France étant obligée par
l'Article 33. du même Traité de rendre à M. le
Duc de Lorraine une Préfecture de la même valeur
& étenduë que celle de Longwi , dont elle
voulut ſe retenir& conferver la proprieté parle
même Traité , elle n'a point ſatisfait à cetArticle
, & a retenu depuis ce tems l'échange & le
contr'échange. M. le Duc de Lorrainedeman.
de, que faute par la Couronne de Franced'avoirvoulu
lui rendre juſqu'à preſent unePréfecture
de même valeur & étenduë que celle de
Longwi , comine elle s'y eſt engagée par ledit
Traité, nonobſtant les requifitionsles plus foûmiſes
qui lui ont été faites à cet effet de ſa part
depuis quinze années , ladite Ville & Préfecture
de Longwi lui ſoit renduë & reftituée inftatu
quo , avec les Vivres , Artillerie , &Munitions
qui ſont dans la Place; au moyen de quoi la
France
406 MERC . GALANT .
France demeurera déchargée dudit équivalent ,
commeaufſi de la reftitution des fruits qui ſe
montent à plus de douze cens mille livres.
Il y ad'autresdifficultez anciennes & indécifes,
pourlesquelles M. le Duc de Lorraine offre
de convenird'Arbitres ; à charge que la France
en conviendra de ſa part pour les faire terminer
dans fix mois , ne pouvant plus s'en remettre à
desCommiffaires , dont laNomination du fore
au foible demeure toûjours infructueuse, comme
il a parujuſques àprefent parl'indecifion de
cesdifficultez.
M. le Duc de Lorraine espére de l'équitédes
HautsAlliez, qu'ils voudront bien lui procur
rer la fatisfaction qui lui eſt dûë , furlesArticles
ci-deſſus , conformément à leur obligation
àla garantie du Traité de Ryfwick ; ſe réſervant
d'ajoûter auxDemandes ci-deſſus , ce qui fera
jugé convenable dans la ſuite de laNégocia
tion.
1.
2
On a ajouté au bas de ceMémoire, tous lesDecrets
qui y font mentionnez , sçavoir : Decret
deS.M. Imperiale, du 30. Novembre 1707. Decretde
S. M. Britannique , du 6 Septembre 1708 .
Decret de S. M. leRoi Charles III. , du 19. Juin
1709. Decret des EtatsGénéraux, du 24. Août
1709. Et unſecondDecret de S. M. Britannique ,
du 14. Mai 1711 .
Ces Demandes des Alliez ayant été remiſes
aux Plénipotentiaires de France en plein Congrès
le 5. Mars, ils promirent de les envoyer à
la Cour; & il fut convenu de leur accorderjul
qu'au 30. du même mois poury fournir leurRéponſe.
Le Congrès s'étant tenu le 30. &tous
lesPlénipotentiaires s'y étant rendus, leMaréchald'Huxelles
fit un aſſez long Difcours , clans
lequel après avoir fait de nouvelles Proteftations
fur les finceres difpofitions du Roi fon
Maître
MARS 17.12 . 407
Maître pour laPaix , il dit , que lesDemandes
&Prétentions des Partis intéreſſez à la Guerre
ayant été données de part & d'autre , ils avoient
reçû là-deſſus leurs Inſtructions , & qu'ils
croyoient être preſentement en étatd'entrer en
Négociation avec chacun des Alliez ſur leurs
prétentions , de la maniere qu'on avoit coûtu me
de pratiquer dans les Congrès précédens. On
répondit là-deſſus de la part des Alliez , que
puiſqu'ils avoient donné leurs Demandesparticulieres
par écrit , ils s'étoient attendu qu'on
leur auroit auffi donné par écrit uneRéponſeà
leursDemandes , & qu'ils s'y attendoient encore.
Les Ministres de France repliquerentque
cela ſeroit inutile, &qu'ils n'y feroient point de
réponſe par écrit. Les Miniſtres desAlliez ſc
font aſſemblez depuis pour délibérer entr'eux
fur la Réponſe qu'ils auroient à faire aux Françoislà-
deſſus à lapremiere Conference générale;
& en conséquence de la réſolution qu'ils y
avoient priſe , ils déclarerent Samedile 2.Avril
aux Plénipotentiaires de France , que puiſqu'ils
avoient donné leurs Offres parécrit , &que les
Alliez avoient auffi donné leursDemandes Spécifiquespar
écrit , ils avoient tous réſolus unanimement
d'infifter à ce que la France eut à donner
par écrit ſa Réponſe auxdites Demandes des
Allicz , Sur quoi les Miniſtres de France demanderent
du tems pour faire ſçavoir en Cou
ladite Réſolution& pour en avpir Réponſe.
:
TA
TABLE.
H
Mort de Monseigneur le Dauphin &deMadame
laDauphine ,
Maniere de leur Enterrement , &c.
Page267
272
Discours deMadame l' Abbeſſe du Val de Grace,
278.
Mém curieux ſur les Dauphins &Dauphines de
France, 279
Mém. fur la Maiſonde Savoye , 281
Morts. 284
Mariage de M. Dupleſſis Châtillon . 294
Les Merveilles de l'Oreille tirée de l'Anatomie
comparée, & des proprietez des bruits &
desfons , 300
Relation de l'Expédition de M. Guay- Troüin
à Rio Janeiro , 326
Lettre d'un Capitaine de Vaiſſeau fur cetteExpédition
, 344
L'Horloge de Sable , Figure du Monde. Poëme.
351.
કુ , , 3
Nouvelles de Rome , 357. De Vienne , 359.
De Hambourg , 362. Dela Haye , 365. De
Madrid , 367. D'Angleterre ,
ADDITION.
370
Demandes Spécifiques des Hauts-Alliez , pour
faire la Paix avec la France. Et I. De S. M I.
& C. 376. II. Des Cercles Afſociez . 377 .
III. De l'Electeur de Tréves , 378. IV. De
l'Electeur Palatin , 379. V. Du Landgravede
Hefſſe-Caffel , 380. VI. De l'Evêque de Munſter
, 381. VII. Du Duc de Wirtemberg 382 .
De S M. Britannique , 383. Da Roi de Portugal
. 386. Du Roi de Pruſſe , 388. Du
DucdeSavoye,391. Des EtatsGénéraux,395.
Les Prétentionsdu Ducde Lorraine , 402
Réponſe des Plénipotentiaires de France àtou-
406 tes ces Demandes des Alliez ,
FIN.
MERCURE
GALANT.
PAR MR. DU FRESNY.
Mois d'Avril 1712 .
Sur la Copie de Paris.
AVEC DES ADDITIONS.
A LA HAYE ,
Chez T. JOHNSON .
M. DCC XII.
Livres Nouveaux fur les affaires du
Tems , qu'on trouve chez T. John-
Son, Libraire àlaHaye.
Lettres& Mémoires ſur la conduite de la prefente
Guerre , & fur les Négociations de Pаіх .
Tomel ſeconde Edition , 8. Tome II contenant
la conduite des Alliez , &c . La ſuite de
cetOuvrage curieux s'imprime actuellement &
paroîtra dans peu.
L'Histoire de l'Empire Ottoman par Ricaut , où
*1'on voit l'Origine & les progrèsdes Turcs , les
Vies& les Conquêtes de tous leurs Sultans,leurs
Guerres , Siéges & Combats par Mer & par Terre
, les Révoltes & Révolutions extraordinaires
, & généralement tout ce qui s'eſt paſſé de
confiderable dans cet Empire depuis ſon Commencement
juſqu'à 1704. avec un détail curieux
desGuerres en Hongrie & fur les Frontiéresde
Pologne & de Moscovic , & une Carte exacte de
cous ces Paîs, en 3. vol .
On trouve chez le même Libraire toutes les
Piéces curieuſes touchant les affairesd'Angleterre
, & les autres affaires du tems .
Il imprime tous les Lundisle Miſantrope ;
qui eft une Critique fine & fenfée des Moeurs
da Siécle .
On trouve auſſi chez lui un Recueil de toutes
les meilleures Comedies Angloiſes , fort proprement
imprimées en pluſieurs petits Volumes.
8.
Les Oeuvres de Crébillon , contenant Idoménée
. Atrée & Thyeſte , Electre , & Rhadamisthe
Zenobie , quatre nouvelles Tragedies qui ont
été reçûës avecgrand aplaudiſſement en France.
La derniére piece a été jouée à Paris ſeptantequatrefoisde
ſuite : fuccès prodigieux & fans
exemple.
MERCURE
GALANT.
AVRIL 1712
٠١٤٢٠
Réponſes àquelques Plaintes contre
leMercure.
NSe plaint qu'on a alteré dans
le Mercure quelques Ouvrages
, & quelques mémoires
deFamille.
Al'égard desAuteurs , ceux
qui craignent de bonne foi d'être impriinez,
ne doivent ni reciter niécrire leurs
Ouvrages , & ceux qui n'ont pas le courage
de cacher ce qu'ils ont fait debeau ,
peuventm'en faire tenir ſous main des
copies correctes , & jurer enſuite haute.
mentqu'ils ne les ontdonnées à perfonne,
&qu'ils endefavoüent les fautes ; je pren
drai ces fautes fur moi pourleur faire plai
fir.
T2 A
412 MERC . GALANT.
Al'égarddes nomsde Famille , des Genéalogies
, autres Mémoires defectueux,
c'eſt purement la faute deceux qui neprennentpasleſoinde
me les envoyer.
qu'à les adreſſerchez les Libraires dont le
nom està latête du Livre.
Onn'a
Ceux dont les actions & les Familles
meriteroient le plus de place dans ce Journal
, font quelquesfois ceux dont les Articles
font ou négligez ou tout- à-fait oubliez;
parce que voulant m'y attacher
davantage , je me fuis fié fur de beaux
Mémoires qu'on ma promis , & ces prometteurs
font la plupart beaucoup plus
négligens à me tenir leur parole, que je ne
le ſuis àdonner au Publicitout ce que je lui
ai promis,
On seplaint queje n'employe pas affez
detems à mon Mercure .
On a raiſon , il faudroit travailler une
année pour chaque mois , & toutre déductionfaitedutems
de l'impreſſion , du tems
néceſſairement perdu , & de ma pareſſe ;
il ne reſte à peu près que cinq ou fix jours
pour l'écrire , c'eſt trop peu , & je m'en
plainscomme vous pour toute réponſe à
cetArticle .
LesNouvelliftes se plaignant quej'abrève
les
AVRIL 1712 . 413
les Nouvelles , &queje donne tropdePoëfies.
Les Poëtes répondent que les vers font
l'ornement du Mercure.
Les Dames se plaignent qu'on s'étend
tropfur les morceaux de Littérature de
Physique.
Les Philoſophes répondent qu'ils s'occupent
agréablement , de ce qui ennuye
les Dames ; & que ce qui fait plaiſir aux
Dames , ne convient point aux gens ſtudieux.
D'autres seplaignent que le Mercure
n'estpas aßez rempli.
Les Libraires répondent qu'on le vend
bien tel qu'ileft, c'eſt ainfi que dansle
commerce de la vie , celui qui eſt content
répond aux plaintes de celui qui ne l'eſt
pas. Je prie inſtamment une partie du
Public de répondre pour moi à l'autre .
T3
Idée
414 MERC. GALANT.
Idée , à l'imitation &ftileRabe.
laiſien.
L'EQUILIBRE.
Ertain Mechanicien
Certain
, affectueusement
verſé és Mechaniques , en
étoit fi raffolé que ne beuvoit , nemangeoit
, ne parloit , ni rien , qui ne fut
compaffé , meſuré , peſé , juſqu'à l'air
qu'il avalloit par reſpiration , & jusqu'au
vinqu'il refpiroit par avalement , & ilen
avalloit fi continuement que boire étoit
devenu en lui une ſeconde reſpiration ; il
reſpiroit régulièrement à déjeuner deux
flacons de piot , qu'il envoyoit tirer en cave
par un fien Apprenti Mechanicien , auquel
il récommandoit par forme de
leçond'équilibre , qu'il tint une& chacune
d'icelles bouteilles , en chacune des
mainsde chacun de ſes bras , perpendicu -
lairement pendants , & tête & corps en
lignedroite , comme une éguille de Balance
, de peur que ne trébuchât ledit porteur
au détriment de ſon vin déjeunatoire.
Or comme étoit en marche reguliére &
contre - peſée ledit Apprenti , vinage à
dextre , vinage à ſenextre , icelui par délicate
& ſcientifique ſenſation équilibrique
, ſentit ſenſiblement quelque goute
de vin plus en une bouteille qu'en l'autre ,
ce
AVRIL 1712 . 415
ce qui le moleſta , & par Amour d'équilibre,
huma les gouttes ſuperfluës ; mais
bien-tôt ſe tança lui-même d'avoir rendu
trop legere celle qui trop peſante étoit
avant , car ſe ſentit pencher & boiter du
côtegauche. Alors Amour d'équilibre le
reprit derechef , il rehuma lappeeffaanteur
excedente , & huma trop encore eette
ſeconde fois. Patience , dit-il j'y viendrai
avec tems & experience , mais n'ai
encore acquis l'habitude de huiner juſte ;
&defait , tantplus iillhumoit&tantplus
acqueroit perfection d'équilibre ; car en
fin finale , vuide dansl'une ne pefant pas
davantage que vuide dans l'autre , équilibre
ſe trouva ès bouteilles ; mais équilibre
n'y eut plus en la têtedu jeuneApprenti.
Tellement que ne pouvant cheoir
d'aucun des côtez pour l'équilibre parfait
des bouteilles vuides , peſanteur de tête
le fit tomber en face , nez & bouteilles ſe
cafferent , ne groüilloit plus ne pieds ni
pattes. Ce qui fit que le Maître ne ſçachant
pas qu'il étoit yvre , ne le crut que
mort , & s'écria , c'eſt grand dommage
duvin.
Or tirer pouvez de ceci Morale inſtrui
fante , car fi l'Apprenti n'eut point youlu
chercher par mechanique trop de perfection
en l'équilibre des bouteilles , il
ne lui fut point meſarrivé , cequi dénote
, que qui veuttrop raffiner ès ſciences
humaines , s'enyvre de ſon ſçavoir , &
s'y caffe le nez .
T4 Dixain
416 MERC. GALANT .
DIXAIN
Sur le ſtile Marotique.
Du tems que la Langue Françoise
Etoit dans l'enfance Gauloise ,
La France produiſoit de précoces efprits ,
Qui dans leur enfantin Langage ,
Begayvient des beautez dont noussommes
furpris
J'aimeles heureux traits de cet enfantillage;
Maisauffi,quandje voisnos Auteurs triomphans
Affecter ce jargon dans leur meilleur Ouvrage;
Jedis, obqu'ilfiedbienàdes gens de cet
âge,
Deparler comme les Enfans.
Mort du dernier Dauphin.
E de Mars , Monſeigneur le Daugrand
peril de
mort , reçût les cérémonies du Baptême
par les mains de 1 Evêque de Mets , premierAumônier
; il fut nommé Loüis par
le Comte de la Motte , & par Madame la
Duchefſe de Ventadour , Gouvernante des
Enfans de France , & il mourut le même
jour.
Lphin fe trouvant en
Le
AVRIL 1712. 417
Le ro. fon corps fut porté à Saint Denis
, avec un cortége de trois Caroffes &
de fix vingt flambeaux , portez par plu .
fieurs Gardes du Corps & par pluſieurs
Pages ; dans l'un deſquels étoit leCorps.
M. l'Evêque de Mets qui portoit le
coeur.
Madame la Ducheffe de Ventadour .
M. le DucdeMortemar , premier Gentilhommede
la Chambre .
Madame de la Lande, Sous Gouvernante.
M. l'Abbé du Cambour , Aumônier du
Roi.
M. leCuré de Versailles .
Un autre Caroſſe où étoient huitGentilshommes
ordinaires , qui avoient porté
le cercuëil , qui étoient :
M. de Saint-Olon .
M. de Château du Bois .
M. Roland,
M. Charmois.
M. de la Buffiere.
M. de la Quiche.
M. Bourdelin .
M. Meffier .
Suivoit le Caroſſe des Femmes de
Chambre.
Ces trois Carroffes étoient ſuivis de
ceux de M. l'Evêque de Mets ; de Madame
la Ducheſſede Ventadour , &de M. le
Duc de Mortemar .
L'Evêque de Mets preſenta le Corps
Ts au
418 MERC. GALANT.
au Prieur de l'Abbaye , & fit un très-beau
Diſcours; après quoi il fit l'inhumation.
On avoit préparé une eſtrade de trois
dégrez , avec un Pavillon de Satinblanc,
l'eſpace ſeulement depuis Charles le
Chauve, juſques aux premiers dégrez du
Sanctuaire , garnis de tapis blancs ; le
Corpsplacé fur cette Répreſentation , on
chanta Domini eft terra. Après quoi M.
l'Evêque de Mets ayant chanté l'Oraifon
convenable , & mis un peu de terre ſur le
Poëfle , qui envelopoit le Cercuëil , fans
Requiem ni Kyrie eleifon , on defcendit
le Corps du Dauphin avec ſes entrailles
dans leCaveau ,& fur placé auprès du
Corps de Monſeigneur le Duc de Bretagneſon
aîné , mortle 13. Avril 1705.
Les Religieux retirerent le Poëfle , qui
eſt de moëre d'argent.
M. l'Evêque de Mets & Madame laDu.
chefle de Ventadour , à peu près avec le
même cortége , avec lequel on y a porté
ceux de Monſeigneur le Dauphin & de
Madame la Dauphine, porterent en partantde
S. Denis à dixheures du foir , le
Coeur du Dauphin au Val de Gracc.
Sur
AVRIL 1712. 419
Sur les mesures Géométriques des
Voutes.
U
Par M. PARENT.
ſçavant Architecte de París
m'ayant repreſenté que les meſures
geometriques des voutes en dômes
oblongs ou applatis , manquoient dans
l'Architecture , ou du moins n'avoient
point été mises à la portée de tout le
monde , ce qui oblige à en employer de
fauſſes , &même de groffieres au lieu des
véritables , je lui envoyai celles -ci deux
jours après , & j'ai crû faire le même plaifir
au public , en les lui communiquant
d'une maniére pratiquable , avec lesTa
bles dont on fe fert ordinairement pour
réfoudre les problêmes de geometrie prati
que.
Sur la mesure geometrique des Viates
furhauffées , ou des demi spheroides
oblongs.
1. Ayant meſuré la hauteur du dôme
qu'on fuppoſe demi elliptique , & l'ayant
doublée, on lui ajoûtera ſa plus grande
largeur , c'eſt à dire le diamettrede la
baſe , & on l'en retranchera , on multipliera
la ſomme par le reſte , & on tirera
T6 la
420 MERC. GALANT.
la racine quarrée du produit , pour faire
l'analogie ſuivante .
2. Sile double de la hauteur du dôme ,
donne la racine quarrée ci-deſſus ; que
donnera le ſinus total ? Il viendra au quatriéme
terme un finus , qui marquera un
nombre de dégrez & de minutes , dont
on ſeſervira pour multiplier le doublede
lahauteur , afin d'avoir un produit .
3. Comme le nombre abſolu ( 180000. )
eſt à l'abſolu ( 3141.) ainſi le produit
ci-deſſus , eſt à un quatriéme terme.
4. Comme la racine du premier Article
eft audouble de la hauteur, ainſi le quatriéme
terme de l'Article precedent , a
unquatrième terme nouveau , auquel on
adjoûterale diamettre de la baſe , pour
avoir une ſomme qu'on multipliera par la
largeur.
5. Enfin fi (4000. ) nombre abſolu ,
donnent ( 3141. ) que donnera le produit
de l'Article précedent ? Il viendra
un quatriéme terme , qui ſera la furface
de la Voute, ſçavoir l'interieure , fi les
meſures ont été priſes endedans , & l'extericure
fi elles ont été priſes en dehors.
Et pour avoir la ſolidité on prendra la
hauteur & la largeur par le milieu de l'épaiffeur,
pour avoir une ſuperficie moyenne
, qu'on multipliera par fon épaifleur ,
cequi donnera la folidité defiréc.
Sur
AVRIL 1712. 421
Surlamesure des Voutesfurbaiſſées , oudes
demi ſpheroïdes applatis.
1. Ayant meſuré , comme ci deſſus ,
le dôme qu'on ſuppoſe encore demi elliptique
, on doublera lahauteur qu'on adjoûtera
avec la largeur , pour avoir une
ſomme ; on ôtera auſſi de la même largeur
la hauteur doublée , pour avoir un reſte ;
on multipliera la ſomine par le reſte , &
ontirera la racine quarrée du produit ( ce
quidonnera ladiſtance des foyers . )
2. Adjoûtez la largeur à cette racine ou
diſtance des foyers, prenez le logaritme
de la ſomme , & ótez en le logaritme du
double de la hauteur , pour avoir un ſecond
reſte.
3. Multipliez ce ſecond reſte par le
quarrée du double de la hauteur , & diviſez
toûjours leproduit par 3010300.fois
la racine quarrée du premier Article ,
pouravoirun quotient .
4. Ajoutez la largeur à ce quotient ;
multipliez la ſomme par la même largeur,
&faites l'analogieſuivante.
3
5. Si ( 4000. ) nombre abſolu , donnent
( 3141. abſolu ) que donnera le
produit ci-deſſus ? Il viendra au quatrić.
me terme la furface du ſphéroïde elliptiqueapplati
, fur laquelle on fera les mêmes
réfléxions que pour l'oblong .
Si lesdômes font à arrêtes , au lieude
T7 Tana-
:
422 MERC. GALANT .
l'analogie fi 4000. donnent 3141. &c .
faitescette autre : fihuit fois le demi dia
mettre de la baſe donne fon circuit , que
donnera le produit trouvé , &c.
Voicidonc lesRégles que M. Huygens
n'adonnées qu'en Enigme , à ſa manière
ordinaire , dans ſonTraité de la Pendale,
&par des voyes beaucoup plus longues
: j'en donnerai les démonſtrations
quand l'occafion s'en prefentera.
Supplement au Mémoire inferédans
le Mercure de Trévoux de Janvier
1711. , fur les changemens
arrivezà lafurfacede laTerre.
Par M. PARENT , Auteur du Mémoire.
Pourne pasgroffir trop ce premierMé
moire, je me fuis exprès abſtena
d'expliquer alors les cauſes de quelques
fingularitez qu'on trouve dans la Terre ,
à differentes profondeurs , comme des
reſtes de Navires , differens uſtancilles ,
ſçavoir des ferremens , des teſts depots ,
du charbon , &c. , differens lits de Terre
cultivée , des terres marécageuſes , des
plantes de routes eſpeces détechées , des
Animaux ſecs , ou pétrifiez , ou feulement
terrifiez , differens coquillages de
Mer , des poiſſons deMer detoutes eſpe.
ces,
AVRIL. 1712 .
423
ces déſeichez ou pétrifiez , des grands
chemins pavez , &juſqu'à des Villes entières
, des ſquelettes d'hommes , d'Ele
phans , de Tigres , &c. Je n'ai pas même
approfondi la cauſe des embrafemens
ſoûtetrains , qui produiſent les tremblemens
de Terre. Voici maintenant ceque
j'enpenſe endeux mots. Premiérement
quant aux particularitez de la Terre corticale
, elles démontrent manifeſtement
que la furface de laTerre habitée , s'eſt
trouvée àtoutes ces differentes profon
deurs , oùl'on rencontre les veſtiges que
nous venonsde citer. Il reſte donc d'ex
pliquer de quelle maniére ces différentes
furfaces ont,par ſucceſſion de tems, été
couvertesdenouvelles couches deTerre;
& cela juſqu'à fix ou ſept repriſes diffé
rentes, & juſqu'à la profondeur de près
decent pieds. Or il ſuffit,pour expliquer
toutes ces couches , de concevoir quela
Terrea été formée à différentes fois, par
un concours d'atômes , qui tendent tous
vers fon centre par leur peſanteur , &
celadansdes intervallesde tems fort éloi
gnez les uns des autres ; &je ne trouve
point qu'il foit plus difficile , ni moins
phyſique, de la concevoir ainſi formée
quede ſuppoſer qu'elle aitété forméetout
de fuite , fans interruption , juſqu'à la
groffeuroùnous la trouvons aujourd'hui
Maisoutre cette cauſe générale , & que
tout le monde peut aiſement deviner , il
را y
424 MERC. GALANT.
yen a une ſeconde particulière , unpeu
pluscachée. Ce ſont les pluyes extraordinaires
, oudéluges d'eaux tombées ſur
lesMontagnes , qui doivent en avoir détrempé
& emporté les Terres labourables
dans les Vallées , & les y avoir dépoſées
pendant leurs Inondations. Ainſi une de
cespremiéres Inondations aura couvert la
premiére furface de la Terre d'une ſeconde
furface; & celle- ci aura enſeveli ſous
elletout cequi ſe trouvoit ſur la premiére,
Plantes , Animaux , Coquillages , Witanciles
, Villes , &c., qui ſe ſeront par
fucceffion ou corrompus , ou déſeichez ,
ou même pétrifiez , felon la Nature de la
Terre , où toutes ces choſes ſe feront trouvées.
Parcemoyenles Vallées ſe ſeront
élevées peu à peu , à mesure que les ſommets
desMontagnes ſe ſeront dépoüillées
de leurs Terres; & les Mers auront été
obligées de s'éloigner en même tems du
Pieddes Montagnes. Il n'y a rien au reſte
encelaquinefoit conforme à l'expérience
journaliere, & il ne feroit pas difficile
d'en apporter quantité d'exemples connus.
Al'égard des embraſemens ſoûterrains,
la cauſegénérale n'est pas différente de
cellequi fait allumer le Tonnerre , le foin
dans les granges; la vapeur qui fort de la
fameuſe Fontaine de Varſovie , ou des
Lacs qui font ſur une des Montagnes
d'Auvergne , ou ſur une des Pyrenées ,
ou
AVRIL 1712. 425
1
oude ces puits de feu fi communs à laChine;
&c. fçavoir que quand l'exhalaiſon
ſulphurée eſt aſſemblée en grande quantitépour
pouvoir écarter l'air environnant,
c'eſt du feu. Il est vrai que ces feux
échauffent les eaux ſoûterraines , & leur
font jetter quantité de vapeurs , qui étant
pouffées par la violence du feu , ont une
force prodigicufé pour ſe faire jour , &
rompre tous les obſtacles qui les refferrent
, ainſiqu'on l'éprouvedans les Eolipilesqui
crevent comme des Bombes. Il
ya auſſi quelques cauſes particulières qui
peuventallumer du feu , comme des mêlanges
d'eau , de matiére ferrugineuſe ,
&de fouffre ( ainſi que M. Emery le rapporte)
& autres fermentations encore inconnuës
; & même lorſque l'exhalaiſon
eſt fort ſeiche comme dans les Mines de
charbon, la ſeule cheute d'une pierre ſur
une autre , fuffit pour faire un embraſe.
ment épouvantable .
3
D'une espece d'Homme Marin ,
pêché au Conquêt.
M. Savary , Ecrivain de Vaiſſeau , m'a
dit qu'en l'année 1703. il aſſiſta à une
pêche qui ſe fit au Conquêt , dans laquel .
le on prit un Monſtre Marin , femblable
en toutes choſes à un Enfant de deux ans ,
&de la même grandeur : ſa peau étoit
brune
:
426 MERC. GALANT.
brune & fans poil , comme celle d'un
Chiende Mer. Il avoit les doigts des
mains & des pieds auſſi fendus que ceux
d'un Singe , & armez d'Ongles , mais
ſans toiles. Il portoit au haut desbras ,
&fur lesosdes jambes des nageoires com.
me unpoiffon. Il ne pouvoit ſe tenir débout,
ne crioit point, ne remuoit point
ſes yeux , qui étoient ronds comme ceux
d'unpoiſſon , ſans ſourcils , ni paupieresa
Il n'avoit pour oreillesque deux trous ; ſa
bouche étoit plate , ſon nez , & fon mentonallongez
, ſa tête ronde & fans poil
ilbattoit continuellement des bras &des
jambes comme pour nager. Il ne vécut
qu'unedemijournée hors de l'eau.
M. Savary m'a aſſuré , que les Sieurs
du Ménay , Lieutenant de Vaiffeau ,
Claron Pilote du Conquet , & pluſieurs
autres , particulièrement les Religieux de
SaintMatthieude ce lieu , l'ont vû & examiné
, de même que quantité d'anciens
Officiers de Mer , quiaſſurent n'avoir jamais
rienvû de pareil.
Ce Mémoire nous a été communiqué
par M. Parent , à qui M. Savary a raconté
la choſe de vive voix , telle quenous la
rapportons.
Sur
AVRIL 1712. 427
Sur un Portrait engrand, envoyépar
une Dame àl'Auteur, pour mettre
dans une Salle.
L ſera vû detout Paris ,
IVotre immenfe Portrait à très - large
bordure :
J'euffe bien mieux aimé vous voir enMignature;
Aumoins il m'eûtété permis
Degarder en ſecret cette aimablePeinture.
Ah qu'unpeude myſtére eût augmenté le
prix
D'un prefentdecette nature.
Trop heureux qui reçoit un don fi prés
cieux
D'une main fi belle & fi chere ,
Etcependantj'aimerois mieux
Qu'elle n'cût ofé me le faire .
そうか
:
ling
et
1
১০
:
ec
১৯
Extrait
:
428 MERC. GALANT.
Extrait d'une Lettre de M. le Colonel
Funck, écrite de Constantinople
le 14. Janvier 1712. , à M.
de Cronstrom , Envoyé Extraor
dinaire de Suede.
را
ود
"
L
EGrand Vizir a bien voulu permettre
aux Otages Moſcovites , fur
leurs inſtances , conjointement avec les
„Ambaſſadeurs d'Angleterre & d'Hol-
,, lande , de conferer avec lui pour tâ
„ cher de trouver des expedients capa-
"
"
"
bles de détourner la Guerre ; mais ces
,conférences ſont préfentement rompues.
Ali Bacha , le Premier Grand
Vizir déposé , a été porté ici & expoſé
devant le Serail auPeuple. Les Nouvelles
venues ces jours ici, de l'arrivée
ور de notreTranſport en Pomeranie avec
le Comte de Stenboſz , ont extreme-
„ ment réjoui , tant nous que les Turcs ,
,, qui cet Eté avoient agi un peu froide-
„ ment , à caufe que ce Tranſportne ve-
"
ود
رد
noit pas. Le premier de ce mois le
GrandSeigneur m'a fait dire que je fiffe
,, ſçavoir au Roi qu'il partira dans ſix ſemaines
pour aller en Campagne , afin
de pouffer la Guerre contre les Moſcovites
avec la derniére vigueur ; que Sa
›› Majesté étoit le Maître de partir quand
ود
"
১
"
il
AVRIL 1712 . 429
,, il lui plairoit pour la Pologne , avec
,, une eſcorte confiderable & fuffiſantede
,, Turcs, qui ſe rendront pour cet effet à
,, Bender ; & que j'euſſe à ſuivre le Sul-
, tan en Campagne , au moyen dequoi
,, j'eſpere , M. d'avoir l'honneurde vous
وا faire ſçavoirce quis'y paſſera. LeSeraf-
,, quier deBelgrade , Abdi Bacha , qui eſt
,, fortporté pour les intérêts du Roi , a
,, été fait Commandant en Chef des
,, Troupes de Romelie ,&doit s'y rendre
,, inceſlainment....
D'autres Lettresportent qu'on a publié
àConſtantinople la Guerre contreles Mofcovites
; que l'Empire Otoman faitdes
préparatifs extraordinaires , que les Tartares
ſe préparent à faire irruption enMofcovie
par trois côtez . Le quartier duGénéral
Konne , qui a debeaucoup augmenté
ſesTroupes, eſt à préſent àBialacerkieu ,
&les Troupes Moſcovites qu'il commande
font avancées juſqu'à Niemerow , & à
Braclaw en Podolie , pour obſerver les
mouvemens des Turcs , & du Palatin de
Kiovie , &la plupart des Moſcovites qui
étoient dans le Palatinat de Cracovie ,
font entrezdans celui de Sandomir .
LeCzar est arrivé à Petersbourg le 14.
Janvier , & le même jour il a jugé à proposde
faire démolir les Fortifications d'Azak
, du Fort de Tangarock , & de quelques
autres qui ont donné ombrage aux
Turcs , eſpérant encore par là deles appai430
MERC. GALANT.
!
paifer , & de maintenir la Paix de Falczin.
Le Vice-Amiral Cruitz , est arrivéd'Azak
à Mofcou , fuivi de tous les Officiers
deMarine : il doit être àpreſentducôté
de Petersbourg ; it a laiſfé l'Amiral à
Praxin , à Azak , pour en fairedémolir
les Fortifications.
1. LesMofcovites ont tué ou pris quarante
mille perſonnes , &enlevé une grande
quantité de Chevaux , de Chameaux , &
de Bêtail , après avoir forcé quelques
Troupes des Tartares Calmuques.
Onafaitdegrandesréjoüiffances àMof
cou aumoisde Décembre dernier , fur la
nouvelle qu'on a reçue que le Prince de
Mofcovica époufé la Princeffe deWolfenbutel:
ces réjouiſſances ont cominencé le
13. & la Princeffe Natalie Alexowits ,
Soeur du Czar , a traité magnifiquement
pendant deux jours lesGrands Seigneurs
&les principaux Officiers.
La Princefle Mere du Czar a donné
auffi un grand Feſtin , où la Ducheffe de!
Curlande a paru pour la première fois de
puis la mort du Duc ſon Epoux ; enfuite
ces Princeffes font allées trouver le Czar
àPetersbourg.
4
L'éAVRIL
1712. 431
L'Eloge du Vin de Bourgogne ,
Traduction de l'Ode Latine de
M.GRENAN.
AMi dujus divin dont la chaleur m'in- Spire
Mais Poëteinconnudans lefacre Vallon ,
Enfaveur de POMARje vais toucher la
Lire ;
Mongoûtseramon Appollon .
GRENAN puis -je esperer de teſuivre au
Parnaffe ,
D'atteindre de tes fonsla forcers l'agrément?
Je suis affez heureux , traduisant un
HORACE ,
Si je traduis fidellement.
Jeconfacre ces vers à la liqueur charmante,
Qui rend BEAUNE fameux , qui fait
21
P'honneur de NUIS ;
Autourd'elle ſuivis de la ſanté brillante ,
VoltigentAmourrss,,jeux&ris.
Des prodiges certains fignalent ſa puiffan.
ce;
Elle ſçait délier l'eſprit le plus épais ;
Mieux qu'un travail conftant , Mere de
l'éloquence ,
Elle nous prête d'heureux traits.
Afonriant aſpect fuit la fombre triſteffe;
Le pauvre qu'elle anime eſt au deffus des
Loix;
Pour
432 MERC. GALANT.
Pour lui plus de miſere : aimable enchanrereffe
,
Tu l'éleves au rangdes Rois.
En vain s'offre une Table &propre & délicate
,
Où le rafinement ait ſçû tout ordonner ,
Leplus charmant repas a-t'il rien qui me
flate ,
Si tu ne viens l'aſſaiſonner ?
Du mále SILLERI que RHEIMS s'énorgueilliffe
teur ;
Et prodigue l'encens à fon montant fla .
Qu'étincelant de feux , il petille , il jailliffe;
Redoutons un Vin ſéducteur .
Craignons denous livrer aux eſprits qu'il
envoye ,
D'unplaifir apparent fuyonsla trahiſon ;
Ils flattent l'odorat , ils répandent la joye,
Mais ils cachent un für poiſon .
Que cependant au fruit AUVILE' ſoit
d'uſage ,
Bacchus modeſte alors , peut avoir des
apas:
Aveclui lesbons mots , l'élégant badinage,
Viendront amuſer le repas .
NUIS ſuſpend les regrets de la morne
vieilleffe .
Lait divin , ſa chaleur ſource des doux
plaiſirs ,
Dans le déclin des ans fait naître la jeuneffe
, Et
AVRIL 1712.
433
Et rappelle au moins les deſirs.
Un Sophocle ſe glace , il enfante avec
peine ,
Qu'il laiſſe l'eau du PINDE , & goûte de
cejus ,
L'aimableDieudu Vin fera couler ſavei
ne;
Il inſpiremieux que Phebus.
A quoi ſert dans le Camp la bruyante
Trompette?
C'eſt à Nurs d'y répandre une noblevigueur;
faite ,
Sans ſes dons le Soldat certain de ſa dé
N'eſt que foibleſſe & que langueur.
Mars , c'eſt aſſez régner ; ô liqueur faverable
,
Ramene avec la Paix les danſes & lesjeux;
Redonne nous enfin ſa preſence adorable;
Qu'elleeſt lente au gré de nos voeux !
Aujourd'hui l'ornement des Tables fortunées
,
Bientôt de nos Bergers tu fécheras les
Je les voi ; quels plaiſirs ! agréables jourpleurs.
nécs ! *
Ils ont oublié leurs malheurs .
Plus de ſoins inquiets , plus d'horreur ,
plus deguerre.
formais.
Pour eux desjours fereins vont coulerdé-
L'un chante ſa Philis , l'autre vuide ſon
Tome IV. R
* Jours de réjoüiſſance pour la Paix.
F
[verre.
434 MERC. GALANT.
Furent- ils à plaindre jamais !
Si l'AUVERNAT fumeux s'offre dans
une Fête ,
Vin groſſfier qui dabord y porte le chagrin,
Decruelles vapeurs il accable la tête ,
Breuvage affreux , hôte Aflaflin.
Du Bourgogne leger , ladouceur bienfaifante,
Eſt un remede fûr , aifé , délicieux ;
Nos maux ſont diffipez , quand ſa ſeve
innocente ,
Flate notre goût & nos yeux.
Le doux ſommeil s'envole & fourd à ma
priere ,
S'obſtine à me ravir les charmes du repos.
Amon fecours PoMAK ... déja ſur ma paupiére
,
Morphéea verfé ſes pavots .
Mais tu n'espas toûjours à nos deſirs propice;
Si nous bleffons les Loixde la fobrieté ,
Ton jusſeditieux fera notre ſupplice ;
Tonjus veut être reſpecté .
Aſſurede longs jours au modéle des Prin
ces ;
Le Ciel long-tems encor le doit à l'Uni-
Qu'il vive ſeulement , nos tranquiles
vers;
Provinces ,
Seront au deſſus des revers .
Au Nectar de Louis diſputez la victoire,
Vins jaloux , Vins fameux , & du NECRE
&du RHIN , Con
AVRIL 1712.
435
Conſervenous Louis , rien ne manque à
tagloire ,
POMAR, ton triomphe eſt certain.
La Champagne vengée, on loüange
du Vin de Rheims , qu'un Poëte
Bourguignon ablâmé.
C
Hére Hôteſſe d'un Vin qu'on ne peut
trop priſer ,
D'un Vin qui doit à Reims , comme moi ,
ſanaiſſance ,
Bouteille à mon ſecours , j'entreprens ta
deffenfe .
Pour ton propre intérêt vien me favorifer .
Eſt-ce un ſonge ? O merveille ! une douce
manie
Chezmoi , dans ce moment , au grédeta
liqueur
Répand de veine en veine une noble vigueur
,
Et forme de ces Vers la nombreuſe harmonie.
Autant que , fans porter ſa tête dans les
Cieux ,
La Vigne par ſon fruit eſt au deſlus du
chêne;
Autant , ſans affecter une gloire trop
vaine,
Reims ſurpaſſe les Vins les plus délicieux.
V2 Qu'Ho
436 MERC. GALANT.
Qu'Horacedu Falerne entonne les loüanges,
Quede fon vieux Maſſique il vante les
attraits :
Tous ces Vins ſi fameux n'égaleront jamais
Du charmant Silleri les heureuſes Vendanges.
Auſſi clair que le verre , où la main l'a
verlé ,
Lesyeux les plus perçans l'en diſtinguent
àpeine.
Qu'il eſt doux de ſentir l'ambre de ſonhaleine
,
Et de prévoir le goûtpar l'odeur annoncé !
D'abord à petits bonds une mouſſe argentine
Etincèle , petille, &boût de toutes parts ;
Unéclatplus tranquile offre enſuite aux
regats
D'un liquide Miroir laglace cryſtaline .
CeVin dont l'aſpect ſeul enchante le buveur
,
N'eſt pas d'un Bourgeon foible une humeur
froide&crue ;
Autantquela couleur en réjoüit la vue ,
Autant enplaît au goût l'agréable faveur.
Taiſez vous envieux , dont la langue cruelle
Veut
AVRIL 1712. 437
Veutqu'ici ſous les fleurs ſe cache levenin,
Comnoiffez la Champagne , & reſpectez
un Vin
Quides moeurs du climat eſt l'image fidéle.
Non , ce jus , qu'à grand tort vous oſez
outrager ,
Denuages fâcheux ne trouble point la tête,
Jamais dans l'Eſtomac n'excite de Tempête
,
Il eſt tendre , il eſt net , délicat , &léger .
Il s'ouvre dans les Reins une facile route ,
Il n'y fait point germer de ſable douloureux
,
Etn'y préparepas , ſéducteur dangereux,
Par l'attrait du plaiſir le tourment de la
goute.
Versla findu repas , à l'approche du fruit,
(Car ondoitménager une liqueur fi fine)
Auſſi- tôtqueparoît la Bouteille divine ,
DesGraces à l'inſtant l'aimable Chooeur la
fuit.
Parmi les Conviez s'éleve un doux murmure
,
Le plus Stoïque alors ſe déride le front .
Beaune alors céde à Reims , & confus de
l'affront
Cherche loin dubuffet une retraite obfcure.
V Equi
438 MERC.GALANT.
Equitable cenſeur , jeveuxbien toutefois,
Bourgogne, t'accorder l'eſtime qui t'eſt
duë ,
Pourvû qu'à l'avenir une honte ingénuë
Te force à rendre hominage au nectar
Champenois.
Méredes Vins moëleux , c'eſt toi je le confeffe
,
Qui d'un teint languiſſant corriges lapâ
leur,
Qui verfant dans les corps une douce chaleur,
Sais égayer enſemble, & nourrir la vieilleffe.
Mais ne crois pas te faire un mérite écla
tant
D'ôter au Laboureur le ſouci de ſa Taille ,
D'animer le Soldat dans le Champ deBataille
;
Un fimple Vin de Brie en feroit bien au
tant.
vous , puifque le Ciel parun heureux
préſage
De la Paix aujourd'hui nous promet le
retour ,
Anglois de vosſterlins hatez-vous dès ce
De venirdans nos Ports faire un meilleur
jour
uſage.
Au
AVRIL 1712. 439
Au lieu d'avoir fi loin conduit tant de
guerriers,
Diſpoſe tant d'Affauts, & formé tant de
: Lignes,
Hélas ! à moindres frais , des Tréſors de
nosVignes
Vouspouviez fans péril enrichir vos Celliers.
1
Ciel , fais que déſormais punide ſa folie ,
Quiconque infultera l'honneur duSilleri ,
N'abréve fon gofier d'autre Vin que d'Ivry,
Ond'un Cidre éventé ne ſuce que la Lie.
MORT S
Dame Suſanne de Montgommery de
Ducé , Epouſe de Meſſire Antoine FrançoisGasparddeColins
, Comte de Mortagne
, premier Ecuyer de S. A. R. Madame
, mourut le 18. Janvier 1712. , agée
de64 ans.
Elle étoit de l'Illuſtre Maiſon de MontgommerydeNormandie
, tire fon origine
des Comtes de Montgommery , qui font
les ſeconds Comtes d'Angleterre . Tout le
monde ſçait l'avanture d'un Seigneur de
cette Maiſon , qui rompant une Lance
dans un Tournois contre le Roi Henri II .
cut le malheur de le bleſſer à mort , par
לכי V4
un
440 MERC. GALANT.
un éclat qui ſortit de ſa Lance. Cette
Maiſon a donné pluſieurs Généraux d'Armée
, & a toûjours tenu unrang fort conſidérable
dans le Royaume. Elle avoit
épousé en premiéres Nôces le Comte de
Quentin enBretagne , de l'ancienne Mai .
fon deGouyon , de laquelle M. de Matignon&
plufieurs autres Seigneurs tirent
Ieurorigine. M. le Comte de Mortagne
a long- tems ſervi le Roi en qualité de
fous Lieutenant des Chevaux - Legersde
la Reine : le Roi lui donna pour recompenſede
ſes ſervices, la Compagniedes
Gens-d'armes de feu Monſeigneur le Duc
deBourgogne.
DomHoratio Albani , Frere du Pape ,
mort à Rome le 23. Janvier 1712.
La Maiſon d'Albani a donné autrefois
un Cardinal Illuſtre à l'Eglife , qui a
compoſé pluſieurs grands Ouvrages ; il
vivoitſous les Pontificats de Paul V. , &
de Gregoire XIII. , on le regardoit dans
fontems commeun ſujet digne de la Thiare
, il y a eu anciennement un Général
des Troupes du Pape de ce nom là .
GuillaumeDaton , Evêque d'Offery en
Irlande , eſt mort en l'Abbaye de la Couture
, au Mans , le 26. Janvier 1712. ,
âgé de 69. ans , ily étoit retiré depuis fon
cxil , & y demeuroitdepuis 14. ans .
M. l'Evêque d'Offery étoit forti de noble
Maiſon, il avoit été Docteur de Sorbonne
, & avoit quitté la France pour
fonger
AVRIL 1712. 441
fonger au falut de ſes Compatriotes : on
le nomma Evêque d'Oſſery , qui eſt un
des principaux Siéges de l'Irlande ; il remplit
ce poſte avec l'applaudiſſement du
public. Ayant été chaffé de fon Siége , feu
M. du Mans l'appella dans ſon Dioceſe,
où il lui a donnédurant 14. ans une Penfiondecinq
centécus ; tout le mondehonoroit
& reſpectoit ſa vertu ; ces deux
Prélats moururent tous les deux le même
jour.
DameMarie -Magdelaine Chapelier ,
Epouſe de Meffire Jean Jacques de Surbeck
, Lieutenant Généraldes Armées du
Koi , & Colonel d'un Régiment Suiffe ,
morte le 21. Février 1712. elle étoit Soeur
deM. Chappelier , mort Doyen de S
Germain l'Auxerois.
Cette Dame a laiſfédeux Enfans , dont
l'aîné qui eſt Major fert depuis l'âge de
dix- sept ans , avec beaucoup de diftinetion:
fa Fille avoit épousé Monfieur le
Comte de Beranger , Colonel d'Infanterie,
qui a été tué au ſervice du Roi ; il
étoit Fils de M. le Comte Dugas , Chef
de l'Illuſtre Maiſon de Beranger enDauphiné.
Meſſire Jules d'Arnolfini de Magnac ,
Chevalier de l'Ordre Militaire de Saint
Loüis , Lieutenant Général des Armées
du Roi , Gouverneur de Mont-Dauphin ,
&Inſpecteur Général de la Cavalerie&
desDragons, mourut le 23. Février , âgé
de73 ans. VS
Son
442 MERC. GALANT.
Son Pere étoit M. d'Arnolfini , quia cá
l'honneur de montrer à monter à Cheval
au Roi : il avoit un Frere nommé le Mar.
quis d'Arnolfini , qui est mort Maréchal
des Camps & Armées duRoi.
Meffire Marie Jean-Baptiste Colbert,
Marquis de Seignelay , Maître de laGarderobbe
du Roi , Brigadier de ſesArmées ,
& Colonel du Régiment de Champagne ,
mort ſubitement le 26 Février 1712 en
fa 29. année. Il étoit Fils aînéde feuM.
le Marquis deSeignelay, Miniſtre & Secretaire
d'Etat , & Petit-Fils de feu M.
Colbert auffi Miniſtre & Secretaire d'Etat,
& Controlleur Général des Finances , &
de Mariede Gouyon de Matignon , qui
enſecondes Nôces épouſaCharlesdeLorraine
, Comte de Marfan , dont elle a eu
desEnfans ; cetteDame étoit arriére-petize-
Fille du Maréchal de Matignon. Il
avoit épousé en 1708. Marie Louife Maurice
de Furſtemberg , Fille d'Antoine
Egon , Prince de Furſtemberg & de l'Empire
, Gouverneur de l'Electorat de Saxe,
& de Marie de Ligny , dont il laiſſe deux
Filles.
Meffire Hugues Betault , Seigneur de
Chemeaux , ci -devant Maître desRequêtes
, mort le 2. Mars 1712.
Il a eu pour Soeur , Madame la Préſidente
Molé, qui étoit Mere du dernier
Préſident à Mortier de ce nom , & Madame
Poncet , qui a épouséen ſecondes Nôces
AVRIL 1712. 443
ces M. Ferant , il avoit épousé une Damoiſelle
de Beon du Maſſés de Luxembourg,
qui eſt Soeur de M. le Marquis de
Beon , ci devant Colonel d'Infanterie
leur Mere étoit de la Maiſon de Cugnac de
Dampierre ; la Maiſon de Beon tire fon
originedes anciens Princes de Bearn , dont
elle porte les Armes , elle a été alliée à
pluſieurs Maiſons Souveraines , & le Bis-
Ayeul de cette Dame Bernard de Beon ,
Chevalierde l'Ordre, Capitainedes Gensd'Armes
, & Gouverneur du Limofin ,
avoit épousé une Princeſſe de la Maiſon de
Luxembourg ::
Le 3. Mars Charles de Saulx , Marquis
de Tavanne , épouſa Marie-Anne-Urſule
Amelot, Fille de M. Amelot deGournay,
Ambaſſadeur en Eſpagne , & Confeiller
d'Etat , fa Coufine iffuë de Germaine.
: Il eſt Fils du Marquis de Tavanne, Lieutenant
Général de la Province deBourgogne
, &de Damoiſelled'Agueſſeau , Fille
de M. d'Agueſſeau , Conſeiller d'Etat Ordinaire
, & Soeurde M. d'Agueſſeau , Procureur
Général du Parlement de Paris.
La Maiſon de Saulx- Tavanne tire ſon origined'Allemagne
, oùellea toûjours tenu
auffi bien qu'en France , un rang conſidérable;
elle eſt établie dans la Provincede
Bourgogne , elle a eu un Maréchal de
France nommé le Maréchal de Tavanne ,
on ſçait que ce Seigneur paroiffant tout
fanglant des bleſſures qu'il avoit reçûës
V6 dans
444 MERC. GALANT.
dans un Combat , où ils'étoit ſignaléde
yant le Roi Henri II . ce Prince lui mit ſon
Collier de l'Ordre au Col & le fit Chevalierde
l'Ordre ſur le Champde Bataille.
La Maiſon d'Amelot eſt très-ancienne
&une des plus conſidérablede la Robbe ,
tant par lesgrands Emplois quiy ont été ,
quepar les Alliances confidérables qu'elle
a eu despremiéres Maiſons du Royaume ,
comme la Maiſon de Beon , de Luxembourg
, de Vaubecourt, deRohan, d'Aumont,
& deNicolai , &c.
Heraults d'Armes.
L'emploi des Heraults d'Armes confiftoit
à aller dénoncer la Guerre , fommer
les Villesde ſe rendre , & dreſſer un fidéle
Procès verbal (comme ils lepeuvent encore
à préſent ) de tout ce qu'ils ont
fait& dit , & de tout ce qui leur a été
répondu. Ils publioient la Paix comme
ils dénonçoient la Guerre ; faifoient
défenſes à tous, meine aux Princes
, de l'enfreindre , à peined'être déclarez
traitres & perturbateurs du repos public
, infracteurs de la foi donnée , &
criminels de leze-Majeſté ; & ceux qui
contrevenoient à la Paix , ils les citoient
&mettoient au Ban , comme par un dernier
remede , portant avec ſoi le fer& le
feu. Anciennement quandilspublioient
la Paix, ils étoient couronnez de guirlan
dos
AVRIL1712. 445
des d'olivier , &enportoientdes rameaux
en leur main , & la Ville ou la Cité où elleétoit
publiée leur devoit un marc d'Or ,
cequi s'obſerve encore en ce tems. Quelquefois
ils ſignifioient les pardons &les
graces que les Rois & les Princes accordoient
auxSujets qui étoient tombez dans
desfautes confidérables .
Ils font employez aux facre& couronnement
de nos Rois. Ils y font les cris
&proclamations ordinaires ; précedent
le Roi allant à l'Offrande , & yfont employez
àfaire les largeffes. Auſacre du
Roi Philippe le Bel , Gauthierde Troye ,
fon Heraultd'Armes , fut habillé des habitsque
lleeRoilaiſſapour prendre ceuxde
la folemnité du ſacre , & tous les veſtements
Royaux fourrez d'hermine qui couvroient
la perſonne du Roi en fon facre
(excepté laCouronne d'Or , le fceptre&
lamaind'yvoire) appartenoient aux Officiers
d'armes ; il en étoit de même aux
Couronnements desReines.
Aux Mariages & cérémonies nuptiales
ils tenoient leurs rangs & étoient les Meſſagers
, & le plus ſouvent en portoient les
premiéres paroles , auſſi tous les manteaux
Royaux , ou ceux des Princes &
Princefles , où leur cotte d'armes étoient
déployées , leur appartenoient ancienne.
ment...
Aux baptêmes des Enfans des Rois &
Princes , ils déployoient leur cotte d'ar-
V 7 mes;
446 MERC. GALANT.
mes; les vaſes , éguieres , faliere , baffin
à laver, les manteaux &langes de para,
de, la baffinoire , dais , & oreillers des
Enfans baptifez leur apartenoient,& après
le baptême ils jettoient par les rues des
Piéces d'Or au Peuple , & crioient par
trois fois , largeſſe , largeſſe , largeffe ,
de le part du très-noble Roi de France ,
pour cequeDieu luia donné lignée.
Aux feſtins Royaux que les Rois faifoientaux
quatre bonnes Fêtes de l'année ,
où ils tenoient Cour pleniére & grand
Tinel , ils appelloient le grand Maître ,
le grand Pannetier , legrand Bouteiller ,
&autres anciens Officiers de la Maiſon
Royale , pour venir faire leurs offices en
lagrande Salle du Palais , où ſe préparoit
le banquet , & ce jour ils avoient largeſſe
entiére& nouveaux habillements , & la
couped'Or dans laquelle le Roi beuvoit ,
leurappartenoit.
Ils n'aſſiſtoientpasſeulement àtoutes ces
cérémonies des Princes vivans, mais encore
lesaccompagnoient en leursObfeques
&Funerailles ; d'abord ils faisoient tendre
la Salle de drap noir , faifoient cou
vrir le lit , & après avoir tout ordonné ils
fe tenoient comme les Officiers d'armes
le font encore jour &nuit aflis auprès du
lit de parade où eſt le corps du défunt ,
pour préſenter l'aſperſoir aux Princes ,
aux Prélats , Cours Souveraines , &-autres
grands Seigneurs , pour jetrer de
V Гсац
AVRIL 1712. 447
l'eaubenite ſur le lit mortuaire. Enſuite
lejourde la pompefunebre ils marchoient
enlonghabitsdeduëil , un peu devant le
chef du Convoi , & étant arrivez à l'Egliſe
, ils enfermoient dans le tombeau
toutesles marquesd'honneur , comme la
Couronne , leSceptre , la Main de Juſtice,
le ColierdesOrdres , le Calque , l'Ecu
, l'Epée , les Gantelers , les Eperons
, la Cotte d'armes , les Etendarts ,
les Enſeignes , & les Banniéres ; &
après que le grand Maître de France ,
mettant fon bâton dans la foffe , avoit
prononcé toutbas le Prince eſt mort , ils
crioient à voix haute par trois fois , le
Prince eſt mort , priez Dieu pour fon
ame.
Avanturede deux Officiers.
Lettre de Boulogne en France.
MONSIEUR,
Nous liſonsfort régulièrement votreMer
cure encette Ville , mais ce que les Dames
Boulonniſesy aiment le mieux cefont les
Historiettes comme vous ne nous en
nvezi point donnéles deux derniers mois ,
nous avonscrú que peut être des føjets vous
-manquoient, voici une avanture qui vous
pourrafervirdecamevus...... A
Un
448 MERC. GALANT.
Un richeBourgeois deBoulogne , bon
homme , mais un peu foible d'eſprit
& fort timide , avoit une très - jolie
Fille à marier. Un Capitaine de notre
garniſon qui étoit ſon hoſte , prit un tel
aſcendant fur lebon homme , qu'il ne put
lui refuſer ſa Filleen mariage. Cette Fille,
qui d'ailleurs n'avoitpoint d'autre affaire
en tête , conſentit par obeïffance à
l'épouffer ; le mariage fut reſolu. Cependant
le Pere ne voulut le conclure
qu'après qu'il auroit fait unpetit voyage
aDiepe,pour quelques affaires qu'il falloit
yterminer avant que de marier fa Fille.
Il l'emmena avec lui , &promit au Capitaine
qu'il feroit de retour dans quinze
jours au plus tard.
Cette aimable Fille étant arrivée à Diepe
avec ſonPere,trouva dès le même ſoir,
dans l'auberge où ils deſcendirent , un
Jeûne Officier qui devint paſſionnément
Amoureuxd'elle , & s'en fitaimer enpeu
de tems. Son Fere qui s'en apperceut ,
lui deffendit de voir le Cavalier. Mais il
n'avoit pas aflez de fermeté pour deffendre
auCavalierde la voir , il la vit en ſa préfence
, & fe fit même ſi bien connoître
pour homme de Famille noble & riche ,
que le bon homme Feuſt préferé au
Capitaine s'il eût ofé. Pour achever
deledéterminer, notre Cavalier crût avoir
beſoinde lui prouver ſa naiſſance & fes richeſſes.
Ilavoit une Terre à dix lieuës de
Diepe,
AVRIL 1712. 449
Diepe, où il fit un petit voyage de deux
jours ſeulementpour en rapporter ſes titres
& autres preuves convainquantesde
ce qu'il étoit . Mais ce voyage luscoûta
cher; cardèsqu'il fut parti , le Pere ayant
terminé ſes affaires plûtôt qu'il ne croyoit,
&ſe remettant dans l'idée un Capitaine
fier,emporté,& même un peu brutal ,à qui
il avoit promis , & qu'il retrouveroit
dans ſa Maiſon , ſa timidité le reprit , &
il remmena endiligence ſa Fille à Boulogne
, pour conclure avant que ce nouvel
Amantpeutles rejoindre. Le Capitaine
qui attendoit avec impatience le retourde
fa Maîtreffe , preſſa lemariage , mais clle
faifoit naîtredes ſujets de retardement de
jourenjour. Enfin le Pere n'ayant plus
la force de reſiſter à l'empreſſement du Capitaine
, prépara les noces pour le lendemain.
Cependant l'Officier Amoureux étant
de retour à Diepe avoit été ſurpris , comme
vous pouvez croire , de n'y plus retrouver
fa Maîtreffe. Il cherchoit une
voiture pour Boulogne , lorſqu'un Pilote
lui promitde l'y mener par mer en fort peu
detems. Il accepta leparti&s'embarqua.
Les voilà en meravec un vent ſi favorable
qu'ils croyoientdéja toucher la radedeBoulogne
lorſqu'ils apperçûrent un
petitVaiſſeau qui venoit ſur eux ; c'étoit
unCapreHollandois. Ily avoit avec cet
Officier pluſieurs Soldats ramaſſez qui alloient
450 MERC. GALANT.
loient auſſi à Boulogne. L'Officier remarquant
que le Capre étoit fans canon ,
exhorta les Soldats à ſe bien deffendre :
mais les Hollandois , en nombre fort fuperieur
, vinrent à l'abordage. Enfin
l'Officier fut fait prisonnier , & ceux qui
leprirent , le voyant magnifiquement vêtu
, ſe flaterent d'une forte rançon , &
mirent le Cap vers Fleſſingues. Imagi
nez vous le deſeſpoir de notre Amant.
LesCorfaires qui l'avoient pris n'entendoient
point ſa langue : maispar bonheur
pour lui un de l'EquipageduCapre parloit
un peu François , & lui ſervantd'interpre--
te , il lui menagea un accommodement.
Onconvint qu'il leur donneroit en nantiflement
quelques-uns des papiers qu'il
avoit fur lui, &ſa paroled'honneur , que
les Corſaires accepterent ſur ſabonne mine
, moyennant quoion le relâcha à Boulogne
feulementpour vingt quatreheures
detems qu'il leur demanda .
Dès que l'Officier fut dans la Ville il
courut chez ſa Maîtreffe , où le Pere
fut fort furpris de le voir arriver. Le Pere,
la Fille& l'Amant , curent enfemble un
éclairciflement , aprèslequel lebon homme,
felon la foibleffe ordinaire, témoigna
à l'Officier qu'il eût voulu de bon
coeur luiaccorder ſa Fille ; mais qu'il craignoit
ceCapitaineàqui il avoit donné fa
parole.
L'Officier , fans rien témoigner d'un
deffein
AVRIL 1712. 451
1.
defſein qu'il avoit , ſceut adroitement le
nom & la demeure de ce Capitaine dans
Boulogne , & dit au Pere qu'il alloit chercher
quelquemoyen d'accommodement à
cetteaffaire. Il entradans l'Auberge où
mangeoit ceCapitaine , dans lemoment
qu'on alloit fouper . Dès qu'il le vit entrer
il le regarda fixement; il fut de fon
côté, ſurpris enenviſageant ce Capitaine,
&leur furpriſe mutuelle venoit de ce qu'ils
ſe trouverent un certain air de reffemblan
ce l'unà l'autre qui les frappa reciproquement
en même tems .
Le Deffeins de l'Officier , en allant
chercher ſon rival , étoit de trouver occafiondequerelle
pour ſe battre contre lui.
Mais cette reffemblance , qui frappa aufli
ceux qui étoient preſents , fut occafion
pour eux d'obliger les deux Sofies à boire
emſemble. L'Officier ne put ſe difpenfer
de ſe mettre à table avec eux. Il fut triſte
& réveur pendant tout le fouper : Mais le
Vinqu'onybût ayant mis leCapitaine en
gayeté , il lui vint une imagination gaillardequidonna
lieu à notreOfficier d'inraginer
de fon côté ce que vous verrez dans la
fuire.
Il y avoit un Bal d'éré pour une nôce
chezunBourgeois confiderable. LeCapitaine
propoſa à l'Officier pour toute
mafcarade de troquer d'habit avec lui , ce
qui futéxécuuttéé,, ils allerent aubal enfem
blc. Je n'ai point ſçû ce qui s'y paffa,
N
mais
452 MERC. GALANT.
mais ces deux hommes , pris apparemment
l'un pour l'autre , donneroient
ſujets à ceux qui voudroient faire uneHif
toriette de cette Avanture de s'étendre
agréablement ſur les mépriſes que cela put
caufer.
Sur les quatre heures du matin le Bal
finit , & l'Officier changea le deſſein qu'il
avoit de ſe battre contre ſon Rival , imaginant
un moyenplus doux pour s'endéfaire
, il luipropoſade lui donner un déjeûner
marin , ſe diſant Capitaine du
Vaiſſeauqui l'attendoit,où il lui promit de
donner même s'il vouloit une Fête marine
àſaMaîtreffe ; le beau tems invita le Ca.
pitaine à voir lever l'aurore ſur la mer , il
accepta le déjeûner , & l'Officier lui demanda
ſeulement un quart d'heure pour
une petite affaire , & le livra à fon valet à
qui il avoit donné le mot pour le mener
toûjours devant au vaiſſeau qui attendoit
àlarade ſonpriſonnier . Ce Capitaine fortant
du bal n'avoit point encore changé
d'habit , & marchoit vers la rade ſuivi du
valet, qui lui dit comme par une réflexion
fondaine qui lui venoit ; je prévois une
plaisante chose , Monsieur : c'est que tous
les gens du Vaiſfeau de mon Maître vous
vont prendre pour lui . Ce Capitaine prit
goût à la plaiſanterie , &dit qu'il falloit
voir s'ils s'y méprendroient. Il faut remarquer
que ce valet avoit prévenu ces
gens-la que ſon Maître reviendroit; mais
qu'il
AVRIL 1712. 453
1
זי
12
,
qu'il avoit bû toute la nuit , & qu'ils ne
priffent pas garde à ſes folies. Le Capitaine
qui avoit en effet du vin dans
la tête , aborda le Vaiſſeau en criant
Enfans prenez les Armes , voilà votre
Capitaine qui revient , en ce momentle
Valet leur fit ſigne qu'ils le reçûſſent , &
ſeſauva ſans rien dire, pendant qu'ils faifoient
les honneurs du Vaiſſeau à celui
qu'ils croyoientleur priſonnier , trompez
par l'Habit & la reſſemblance .
Quand cette Cérémonie eut duré un
certain tems , les Hollandois s'en laſſerent
, & ayant pris le large , letraiterent
comme leur prifonnier qu'ils emmenerent
àFleſſingue.
Le Capitaine étant étourdi de vin&de
ſurpriſe , & les Hollandois n'entendant
pas ſa Langue , on juge bien que l'éclairciſſement
fut impoſſible : on l'emmenade
force , & il fut quelques jours à Fleſſingue
ſans pouvoir retourner àBoulogne , oùle
Pere timide ſe mit ſous la protection de ſon
Gendre , fur la valeur duquel il ſeraſſura
contre le retour du Capitaine , trouvant
l'autre un meilleur parti pour la Fille. Le
Mariage futconclu avant que le Capitaine
fût revenu de Fleſſingue ; ils ſe battirent
quelque tems après , le Capitaine futbleffe
, & on les accommoda enfuite de façon
qu'ils font à preſent les meilleurs amis du
monde.
Lettre
454 MERC . GALANT.
LettredeMadameD.T. après sa pe
titeVerole , en lui envoyant , lejour
desa Fête , un Collier de Perles en
lags d'amour.
Mramordinaire
E promenant hier au foir plus tard
Madame , une avanture affez ſurprenante
pour meriter de vous être racontée.
J'admirois en révant , les beautez de la
nuit ,
Quand tout à coup un agréable bruit ,
Eneſt venu troubler le paiſible filence.
On entendoit par tout mille nouveaux
3
concerts ,
Pluſieurs eſſains d'Amours ſe voyoient
dans les airs ,
diligence.
Qui ſembloient vers Paphos , voler en
Je fispour leur parler des efforts ſuperflus,
Tous ces Fripons ne me connoiffent plus.
Jeleurdeınandois des nouvelles
Dudeſſein qui les conduiſoit ;
Mais c'étoit vainement, pas un ne répondoit,
Ils s'en fuyoient à tire d'ailes
Enfin un vieux Amour , qui marchoit
lentement ,
Daigna s'arrêter pour m'entendre
Je
AVRIL 1712. 455
Jele conjuraide m'apprendre
Oùſes Freres alloient avec empreſſement ;
Je veux , dit-il , vous en inſtruire
Vousm'entendrez avec plaiſir ,
Alors pour contenter mon curieux déſir ,
Endeux mots il m'apprit ce que vous allez
lire.
Avant que d'aller plus loin , vousferez
peut être ſurpriſe de l'épithète que j'ai
donnée à l'Amour qui me parla. Sa vicilleffe
ne paroît pas compatible avec la Divinité
qu'on accorde au Fils de Venus :
maisMadame ,
Ces Dieux , tout Dieux qu'ils ſont recon
noiffent le tems ,
Aſes Loix ils s'aſſujettiſſent ;
Tous les Poëtes ont beau nous lesdépeindreenfans
,
Il n'eſt que trop certain que les amours
vieilliffent .
Mais helas ! c'eſt bien pis , ils meurent
lesamours
Plus malheureux que nous ne ſommes ,
Nous ne voyons pas que leurs jours
Durentautant que ceux des hommes .
Revenons à la conversation que j'eus
avec notre amour Barbon. Il commença
parme faire des excuſes de l'impoliteffe de
ceux qui ne m'avoient pas écoutée. Il
faut leur pardonner , me dir-il, car quoi
quc
456 MERC. GALANT .
que je vous connoiſſe depuis long tems ,
&qu'untems plus galantque le leur m'ait
vû naître , je vous avoue que je ne m'arrête
iciqu'avecpeine.
Denotre empreſſement , ne vous étonez
pas ,
Nous ſomines attendus par l'Amour & ſa
Mere,
Pour célébrer le retour des appas
D'unebeautéqui vous eſt chere;
Sans elle en ces climats nous ferions inconnus
;
Qu'elle nous a cauſé d'allarmes !
Si le Sort n'eût rendu ſes attraits à nos larmes
,
N'en déplaiſe au Fils de Venus ,
Il pouvoit renoncer au pouvoirde ſes Armes
;
CeDieuperdoit, malgré ſes charmes ,
Leplus clairde ſes revenus
Apeine eut il fini ces mots , qu'il me
laiſſa remplie d'étonnement & d'un deſir
extréme de metrouver à une Fête que je
comprisbienqui me regardoit. La tendre
amitié ma compagne ordinaire , s'offrit
à m'y conduire , elle me mit ſur ſes
aîles ( car elle en a auſſi -bien que l'Amour
) & me fit arriver heureuſement à
Paphos , où le plus beau ſpectacle du monde
étoit encore embelli par la joye qu'on
voyoit briller dans les yeux de ceux qui le
comAVRIL
1712.
457
1
compofoient. Ma fidelle conductrice s'alla
placer auprès de ſon Frere , & je me
rangeai auprès des Ris qui m'amuſerent
par cent agréables badineries , lorſqu'ils
furentimterrompus pour aller achever la
cérémonie.
Une aimable Troupe de jeux
En partant ſe mit à leur tête:
On voyoit marcher après eux
Les graces en habit de Fête.
Les Amours , couronnez de Fleurs ,
Portoient en triomphe les Coeurs.
Dont par tes yeux ils firent la conquête ,
Avec des airs mélodieux
Ton nom montoit juſques aux Cieux.
Le Dieu charmant qu'on adore à Cythere
Au pied du Tròne de ſa Mere
Chantoit avec un choeur d'Amours ,
Banniſſons les triſtes allarmes ,
Iris a repris tous ſes charmes
Nous régnerons toûjours.
Enſuite au lieu de feu de joye , les
Amours donnerent aux coeurs qu'ils portoient
la liberté de faire briller leurs flammes
, & celá fit pendant quelque tems un
très- agréable effet : après que ces pauvres
coeurs furent confumez , Cupidon affembla
ſes plus tendres Amis , & leur dit
qu'il manqueroit toûjours quelque choſe
à la gloire , tant que vous ne ſeriez pas
fous fon Empire ; que pour vous y fou-
Tome V. X met458
MERC. GALANT.
mettre il avoit ſouvent eu recours à fes
plus puiffantes Armes; mais que puiſqu'il
vous trouvoit toûjours en garde contre ſes
traits, il vouloit ſeſervir d'un autre moyen
pour vous attirer. Il commanda ſur l'heure
que l'on travaillât à un certain nombre
de laqs d'Amour , ſur lesquels il prétendoit
répandre un charme , auquelvous ne
pourriez réſiſter ; mais l'amitié attentive
à vos intérêts & aux fiens , s'en ſaiſit
avant qu'il eût eu le tems d'éxécuter fon
deffein; &me lesdonna tels que je vous
lesenvoye.
:
Iris , reçois ces noeuds ; que rien net'é
pouvante;
Ils furent volez à l'Amour ,
Et c'eſt par mes mains en ce jour
Que l'amitié te les preſente;
Elle prétend te fixer dans ſa Cour ,
Daigne répondre à fon attente .
Pour réüflir dans ſes projets
C'eſt en toi ſeule qu'elle eſpere ,
Elle veut avoir des ſujets
Aufſi vifs que ceux de fon Frere.
Le
AVRIL 1712. 459
P
Le deüil de la France.
ODE
Par Mr. de la Motte.
Rince * quede ſes mains ſacrées
A formé la Religion ,
Loinde toi lesdouleurs outrées,
Fruits amers de la Paffion.
Tes yeux pleuroient encore un Pere ,
Etdes jours d'une Epouſe chere
Tu viens de voir trancher le fil :
Mais de la Foi , fublime Eleve ,
Dans l'inftant qui te les enleve ,
Tu vois la fin de leur exil.
L'un & l'autre a fourni ſa courſe ,
Preſcrite par l'ordre éternel ;
Tous deux rappellez à leur fource ,
Dieu leur ouvre un fein paternel .
Jamais notre mort n'eſt trop prompte ,
Quand les jours que leCielnous compte
Aſes yeux font affez remplis ;
Il meſure nos deſtinées ,
X 2
1
Non ,
* Le commencement de cette Ode a été
fait après lamort de Madame la Dauphine,
adreſſeà Monseigneur le Dauphinavane
que la France l'eût perdu .
460 MERC. GALANT.
1
Non , par le nombre des années ,
Maís par les devoirs accomplis .
Ainſi l'Auteur de ta naiſſance ,
L'Amour de l'Empire François ,
Fut donné par la Providence
Pour modelle aux Enfans des Rois .
Reſpectueux , fidéle , & tendre ,
Tous les jours ont dû leur apprendre
Ce qu'eſt un Pere couronné ;
D'un zèle auſſi rare que juſte ,
Il eſt long- tems l'exemple auguſte ,
Et meurt , quand l'exemple eſtdonné.
'Ainſi cette Epouſe cherie
Que tu pris des mains de la Paix ,
Ade ſa nouvelle Patrie ,
Comblé les plus ardents ſouhaits.
C'étoit ſa tendreffe feconde
Qui devoit enrichir le monde
De Princes nez pour t'imiter.
Quel eſt l'éloge digne d'elle ?
Tes pleurs . Sa vie eſt aſſez belle ,
Puiſqu'elle a ſçû les meriter.
Mais , cher Prince , ſi tu nous aimes ,
Commande à ton coeur , à tes yeux ;
Songes que par nos pertes mêmes
Tu nous deviens plus précieux .
Que pour nous ton Amour redouble
Ala Nature qui ſe trouble ,
Que cet Amour faſſe la Loi ;
Un plus grand objet t'intéreſſe ,
;
Crains
AVRIL 1712. 461
Crains en allarmant ſa tendreſſe ,
D'expoſer ton Pere & ton Roi.
OCiel ! quelles plaintes ſoudaines !
Quels cris ! tous les yeux font en pleurs !
Le ſang s'eſt glacé dans mes veines ;
Je crains d'apprendre nos malheurs .
L'eſperance eſt -elle ravie !
Te perdons-nous ; & pour ta vie
Fais -je ici des voeux fuperflus ?
Aux larmes que je voi répandre ,
Prince, je le dois trop entendre;
Je te confole , & tu n'es plus !
C'en est fait; une mort fatale
A l'Epouſe a réjoint l'Epoux ;
Je voi la couche nuptiale
Se changer en Tombeau pour vous.
Au ſéjour des divines flames
Tandis que s'envolent vos Ames ,
Vos cendres vont ſe réünir.
OCiel ! eſt ce grace ou vengeance ?
Eſt- ce hâter leur récompenfe ,
Ou te háter de nous punir ?
Je le voi trop ; ta main ſevere
Punit notre indocilité ;
Tu nous reprends dans ta colere ,
Les dons que nous fit ta bonté :
Tu punis un Peuple volage ,
Vain des ſuccès de ſon courage ,
Ou par les revers abbatu ;
Un Peuple , l'eſclave du vice ,
X 3 Qui
462 MERC. GALANT.
Qui pour tout reſte de justice ,
Sçait louer encor la vertu.
Nous élevons preſque des Temples
Au Prince que tu nous ravis ,
Contens de louër ſes exemples ,
Mieux loüez s'ils étoient ſuivis .
L'humanité compatiſſante ,
La justice perſeverante ,
Le zèle ardent de tes Autels;
Et cette active vigilance
D'un Prince qui croit la Puiſſance
Comptable aux besoins des mortels.
Digne chef d'oeuvre de la Grace !
Combien de vertus en lui feul !
C'eſt en lui que pour notre race
Devoit revivre fon Ayeul.
Jaloux d'un Héroïſme utile ,
Il eût pleuré le jour ſterile
Que ſes dons n'auroient pû marquer.
Prince; ainſi la France te louë ,
Ainſi l'Univers l'en avoue ;
Je fais plus , j'oſe t'invoquer.
Oùi , fans qu'un miracle m'atteſte
Ta nouvelle felicité ,
Je te croi de la Cour céléſte ,
Sur la foi de ta Pieté.
Que là , notre intérêt t'inſpire ,
Fais que Louis de cet Empire ,
Soit encore long tems l'appui ;
Obtiens qu'au gré de notre envie ,
Dicu
AVRIL 1712. 463
Dieu même commande à la Vie
D'étendre ſes bornes pour lui.
Soutiens nos Prieres des tiennes ;
De la Paix hâte le lien :
Affez long tems les mains Chrêtiennes
Ont répandu le ſang Chrêtien.
Que la Paternelle tendreffe
Pour tes Fils encor t'intéreſſe
C'eſt l'eſpoir d'un Peuple allarmé :
Que tes vertus en eux renaiſſent ,
Et que pour t'imiter , ils croiffent
Sous les yeux qui t'avoient formé .
Pour qui ſe r'ouvre encor la tombe ?
Chaque inſtant aigrit notre fort ;
Avec les Epoux le Fils tombe !
Arrête inſatiable Mort.
Et toi , qui rends les faits célébres ,
Vole , répands ces fons funebres
Dont ma Lire a frappé les airs :
Que juſques aux derniéres races
Cemonument de nos diſgraces
Attendriffe tout l'Univers.
M. Nicolas Catinat Maréchal de France
, connu par ſesgrandes Actions , mourutfans
alliance le 23. Février 1712. , en
ſa Terre de St. Gratian près Paris , en ſa
74. année.
Ilétoit Fils puîné de M. Pierre Catinat,
mort Doyen des Conſeillers du Parlement
, & de Françoiſe Poille , Dame de
: X 4
St.
464 MERC. GALANT.
St. Gratian , & avoit pour Frere aîné René
Catinat , Seignenr de St. Mars Con
feiller d'honneur au Parlement ent , morten
Janvier 1704 qui de Françoiſe Frezon,
alaiffe pour Enfans Louis Catinat , Abbé
deSt. Juliende Tours , & Pierre Catinat
Seigneur de St. Mars , aujourd'hui Conſeiller
au Parlement , qui a épouſé en
Juin 1700. Marie Fraguier , Fille deNicolas
Fraguier , Seigneur de Guyennes ,
Confeiller au Parlement , & de Jeanne
Charpentier.
La Famille de M. Catinat auſſi modeſte
qu'il étoit , n'a jamais voulu donner des
mémoires que je ſuis obligé de chercher
ailleurs , cela m'a fait differer le reſte de
eet article au mois prochain, en reformant
cequi pourroit être défectueux dans ce pctitarticle.
M. N. Barjavel Prêtre , qui avoit été
nommé Abbéde la Vernuce en Août 1711 .
mourut le 24 Février 1712.
M. François. Paul le Févre Chancelier
, Seigneur d'Ormeflon , du Cheret ,
Maître des Requêtes & Intendant de la
Généralité de Soiffons , mourut ſubitement
à Paris , le 21. Février.
M. Claude Châtelain , Chanoine honoraire
de l'Egliſe de Paris , mourut en
ſa Maiſon Clauſtrale le 20. de ce mois ,
âgé de 73. ans. Il y a quelques années
qu'il s'étoit démis de ſon Canonicat, en faveur
de l'Abbé Châtelain de Tilly fon
NeAVRIL
1712. 405
Neveu . C'étoit un homme d'une erudition
profonde , particulièrement en ce qui
concernoit l'Hiſtoire des Saints , qui eſt
lenomqu'onpeut donner au Martirologe
Univerſel , que ſes infirmitez cauſées par
unegrande aplication& ungrand travail ,
l'ont empêché d'achever ; enfin ſon éloge
eſtcontenu dans ce qu'en a dit un célébre
Auteur , Caftellanum fuum non cognovit
Sæculum , que le Siècle n'a pas connu ce
que valoit un de ceux qu'il doit compter au
nombrede ſes grands hommes. En effet
lesplus Sçavans Prélats , les Auteurs les
plus illuftres ne mettoient point la derniére
main à leurs Ouvrages ſans l'avoir conſulté
, & trouvoient chez lui des déciſions
fures& Sçavantes. C'eſt une perte nonſeulementpour
la France , mais pour l'Italie
, pour l'Eſpagne , Hollande , Rome
, Milan , & autres lieux , d'où il étoit
conſulté. Le Sçavant Pere Papebroh
d'Anvers , avoit avec lui un commerce
d'érudition . Enfin la reforme des Bréviaires
de Paris , de Cluny , de Sens , d'Orleans
, d'Evreux , de Lion & une infinité
d'autres , ne doit ſa pureté qu'à
l'exacte capacité qu'il avoit fur ces matićresdans
leſquelles il étoit conſommé.
Dame Helene d'Aligre , Veuve de M.
Claude de Laubeſpine , Marquis de Verderonne
, mourut le 16. Mars 1712.
M. Grabriel du Maitz , Chevalier Seigneur
deGoimpy,St. Leger &c. Intendant
XS de
466 MERC. GALANT.
,
Justice , Police , Finance , &Marine
aux Iſles de Terre-Ferme & de l'Amérique,
mourut le 19. Mars 1712 .
Dame Anne le Clerc de Leſſeville ,
épouſedeM. Armand de St. Martin, Chevalier
Seigneur de Taverny , Montabois
&c. Conſeiller du Roi en ſa Cour de Parment
, mourut le 21. Mars 1712.
Onparlerade cet Article &de quelques
autresde ce mois ci plus amplement dans
l'autre , & l'on tâchera d'orner les Articles
ainſi différez, de quelques éruditions
Hiſtoriques fur ces Familles, ou ſur d'autres
faits quiconviendront au ſujet , afin
dedédommager l'ancienneté de ces nouvelles
dont il eſt difficile d'avoir fitôt des
Mémoires.
NOUVELLE RECENTE
I
L vient d'arriver une nouvelle deFlandre
dont le fond eſt déja confirmé ,
mais comme l'Impreſſion preffe , on ne
vous donne ici que le premier détail qui en
eft venu , & dont quelques circonstances
pouroient être fujeres à reforme : voici ce
qu'onendit aujourd'hui.
Mde Vivans avoit fait un détachement
pour faciliter l'arrivée d'un Convoi pour
Maubeuge , &pour achever d'en remplir
les
AVRIL 1712 . 467
lesMagazins, comme on a fait dans toutes
nos Places : nos gens conduiſoient leConvoi
lorſqu'ils eurent avis que cinq - cent
chevauxdes Ennemis venoientpour l'enlever:
les nôtres jugerent que les Ennemis
les voyant un nombre à peu près égal
n'entreprendroient pas de les attaquer.
Notre Coinmandant mit en Embuſcade
la plus grande partie de ſon eſcorte , &
marcha très lentement avec le reſte , qui
étant en très petit nombre attira lesEnnemis
, &c'eſt ce qu'il ſouhaitoit ; caraprès
unemanoeuvre dont on ne ſçaitpas encore
bien le détail : on fit donner inſenſiblement
les Ennemis dans l'embuſcade , &
tous ſe rejoignirent ſur eux, en ſorte qu'ils
ont ététaillez en Piéces : on dir que tous
nos gens ainſi réünis ne compoſoient encore
qu'environ quatre cent hommes.
X 6 SE468
MERC. GALANT.
SERENISSIMI
GALLIARUM DELPHINI
ET DELPHINÆ
ΕΡΙΤΑPHIUM.
Hicquos aterno deflebit Gallia luctso
Conjugis atque viri palvis &umbrajacent.
His idem tumulus , quibus unum pestas
amore ,
Ereptis morbo pracipitique nece.
Ocrudele nimis fatum ! media cecidere
juventà
Noftraque cum illis , heu! gandia ſpeſque
cadunt.
Hosinimica rapitforsquesmodo regna manebant;
Imperio meritis major uterquefuis.
Hac Delphina fuis virtute &Sanguine
clara ,
HicDelphinusamorgentis , & omne decus .
Abstulit bunc nobisflorentibus Atropos an-
7116 ,
Lilia quem optabant gloriæ noftra ruit .
Haic numquam fuerat neque par pietate
futarus
Hane
AVRIL 1712. 469
HancMusastudiis instituere fuis .
Huncmors invidit Regem , invidiffet&
!
orbis:
Luctibus buic noftris vita perennis erit.
Derniéres Nouvelles.
Du 25. Mars.
:
Tous les Colonels ont eu ordre de partirpour
ſe rendre à leurs Regimens : les
OfficiersGénérauxn'ont eu ordre que de
ſe tenir prêts.
Le Gouvernement de Fort-Loüis a été
donné à M. de Permangle.
On écrit que les Turcs font entrez en
Pologne avec le Roi de Suéde , & que fur
cet avis , on a changé les diſpoſitions du
voyage de l'Archiduc en Hongrie. On a
contremandé pluſieurs Regimens qui
avoient ordre d'aller en Flandres .
Dans le Mercure de Septembre dernier
on aoublié dans l'Article des Mariages celui
d'un homme de cent deux ans , qui
avoit épousé une femme de ſoixante &dixhuit
ans : onen fit les nôces à S. Lo Et ce
Mari nommé Antoine de la Rillere Thibouſt
, eſt mort le quatre de ce mois.
C'eſt un Colonel Eſpagnol , nommé
Scevola qui a défait les cinq cent Chevaux
dont on parle dans un autre endroit du
Mercure.
X7 M.
470 MERC . GALANT .
M. le Princede Dombes eſt hors dedan.
ger.
:
M. de Vandôme eſt guéri de ſagoutte ,
qui avoit retardé ſon voyage ſur la Frontiére
de Valence pour avancer la Campagne.
C'eſt la Reine d'Eſpagne qui aprit la
mort de Monſeigneur le Dauphin au Roi
fon Frere ; on ne sçauroit exprimer la
douleur du Roi & de la Reine ,, ni la part
que les Eſpagnolsy ont pris.
LeRoia fait laCene comme de coûtumele
Jeudi Saint , en lavant les pieds à
douzepauvres , ſervis parMonseigneur le
Duc de Berri , Monfieur le Duc d'Orleans
, & d'autres Princes & Seigneurs .
M. l'Evêque de Tournai a fait l'Abfoute ,
&l'Abbé de Copis de la Fare , le Diſcours
ordinaire.
Le 5. de ce moisMilord Pelham,mourut
ſubitement à ſa Maiſon de Campagne ,
procheLondres .
Le Chevalier de Soiffons , Neveu du
Prince Eugéne , eſt mortdela petite verole.
Le7. de cemois le Duc d'Ormond fut
déclaré Général & Commandant en
Chef des Troupes qui font aux Païs- Bas ,
àlafolde de la Reine; le Comte d'Arran ,
fon Frere , a été fait Grand Maître de
l'Artillerie en Irlande.
Le Duc de Beaufort a été faitGouverneur
du Comté de Gloceſter à la place du
Comte Berklei. Le
AVRIL 1712 . 471
Le Procurateur Ruzzini eſt parti de
Venilepour ſe rendre en Hollande , & afſiſter
aux Conférences d'Utrecht pour la
Paix.
Dona Bernardina Veuve de DomHorazio
Albani , s'eſt retirée dans le Monaſtére
de Torre de Specchi.
ENIGME .
Jeſuis Fils decelui de quijefus le Pere ;
F'ai donné la vie à ma Mere;
Sans deffein , sanssçavoirſijefais bien ou
mal ,
Inaniméjeforme un parfait animal :
Mafraicheur peu durable eft pour legoût
qui l'aime
D'une délicateſſe extrême ,
Puiſque celui qui la reſſent le mieux
Merebutefi tôtquejeluiparoisvieux .
Jesuisbonpourle maigre &peu propre au
Carême ,
Auſſin'est- cepas lui qui rend maface bléme:
Mon corps doux&polin'est pasfort dégagé,
Cependantjefigure affez bienà laTable
Oùsouventun ragoût qu'ontrouve délectable
Sansmoi neferoitpasmange.
Chani
472 MERC . GALANT .
Chanson à dormir .
Venez admirer ma ſcience ;
J'aprens à dormir ſcavamment ,
Comme l'on dort à l'Audience.
Ronflez , ronflez gravement ,
La tête levée ,
Ouvrez les yeux en dormant ,
Et baillez la bouche fermée.
ETRENNES.
Voyage de l' Amour &de l'Amitié,
Ris tout exprès pour vous
Ices Dieux ont fait ce voyage ;
Il vous doit être affez doux
Qu'à s'accorder on engage
Les Maîtres de l'Univers ,
Qu'on voit rarement enſemble .
Faffe le Ciel , que les Vers
De celui qui les raflemble
Pour vous ſeule dans ſon coeur
Iris , ayent l'art de vous plaire ;
Vous qui ſeule pouvez faire
Sa fortune & fon bonheur ;
Puiffe ſa nouvelle année
Pafler coinme une journée ,
Les jours comme des momens,
Que du reſte de nos ans
La
AVRIL 1712. 473
La courſe ſoit fortunée ,
Et que notre destinée
Nous fafle avec ces beaux jours
Si doux , fi dignes d'envie ,
Trouver la fin de la vie
Dans la fin de nos Amours .
L'Amour , partant de Cithére
Pour ſe rendre auprès d'Iris ,
Inquiet de n'ofer faire
Seul ce voyage à Paris ,
Viens , dit- il , à l'Amitié
Viens , chere Soeur , par pitié
Servir de guide à ton Frere;
Car je ne veux en ce jour ,
Quoique le Conteur publie ,
Qu'il ſoit dit que la Folic
Serve de guide à l'Amour .
Chacun de nous a ſes charmes :
Je te prêterai mes Armes ,
Prête-moi , ma chére Soeur ,
Ton air Sage , ta douceur ,
Cette tendreffe durable
De qui la ſolidité
Souvent n'eſt pas moins aimable
Que l'eſt ma vivacité.
Cela dit, pour ce voyage
Ils troquerent d'équipage ;
Ils volent ; fur leur paffage
On vit d'abord s'enflammer
Tout ce qui dans la Nature
Juſques à cette avanture
Avoit refuſe d'aimer .
Plus de Bergere cruelle ,
1
Plus
474 MERC. GALANT.
Plus de malheureux Berger ,
Chacun qui voulut changer
Trouva Maîtreſſe nouvelle;
Qui voulut reſter Amant
Retrouva dans ſa Maîtreſſe
Pour un reſte de tendreſſe
Un nouvel empreſſement.
Les Amis ſe réchaufferent ,
Tous les coeurs ſe renflammerent ,
On s'aima même à la Cour ;
Et la triſte indifférence
Sentit dans fon froid ſéjour
Echauffer fon indolence
Aux approches de l'Amour .
Tandis qu'avec diligence
Ces Dieux traverſent les airs ,
La nuit déployant ſes voiles
D'un crêpe ſemé d'étoiles
Enveloppa l'Univers .
Iris cependant livrée
Aux charmes d'un doux ſommeil ,
De ſes pavots enyvrée
Attendoit que ſon réveil
Sur ſon tein eût fait éclorre
Bien plus de Fleurs que l'Aurore
N'en avoit fait naître encore
Sur le chemin du Soleil ...
Quand tout à coup à ſa porte
Cette belle entend du bruit .
Qui , dit elle , de la forte
Ofe entrer ici la nuit ?
C'eſt un Enfant miferable ,
Répond d'un air pitoyable
Cet
AVRIL 1712 . 475
Cet Enfant , maître des Dieux ,
Qui vient chercher en ces lieux
Un azile à ſa miſere
Auprès de vos agrémens .
Je ſuis chargé par ma Mere
Pour vous de cent complimens .
On me banit, on me chaffe ,
Je trouve dans ma diſgrace
Peu de coeurs affez bien faits
Pour me donner encore place .
On me traite de cruel ,
On me traite de parjure ,
Et fans être criminel
Non , il n'eſt ſorte d'injure
Dont je ne ſois accablé ;
On diroit que j'ai troublé
Tout l'ordre de la Nature ,
Cependant quelle impoſture !
Sans moi , les hommes n'auroient
Qu'une languiſſante vie.
Je fais naîtreleurs defirs ,
Je fais les ardens plaiſirs
Par qui leur Ame eſt ravie
Sans moi qu'ils ignoreroient !
Et je voi leur injustice
Oublier tous mes bienfaits ,
Et fur un leger caprice
Traiter même de fupplice
Les biens que jeleur ai faits .
Votre pitié vous engage
Au ſecours des malheureux ;
Votre coeur eſt généreux ,
Et par un doux aflemblage
1
J'ai
476 MERC. GALANT.
J'ai toûjours vû ſa bonté
Compagne de ſa beauté..
Pour un Enfant maltraité ,
Dit Iris , votre langage
Me paroît bien doucereux ,
Avec cet air langoureux ,
Ce ton doux , cet équipage :
Ne ſeriez- vous point l'Amour ?
Je le ſuis , mais las ! je n'oſe
Vous parler de mon retour ,
Je ſçai que je ſuis la cauſe
D'une infinité de maux
Dont l'affreuſe jalouſie
Et ſa triſte freneſie
Ont troublé votre repos.
Qui fit ſeul votre ſouffrance ,
Doit faire votre bonheur;
Auſſi viens-je en recompenſe
Vous faire preſent d'un coeur
Digne de votre tendreſſe ,
Comme il n'eſt point aujourd'hui
Hormis vous , d'autre Maitreffe
Au monde digne de lui.
Ce coeur eſt fait pour le vôtre
Je les ai faits l'un pour l'autre ;
De mille & mille agrémens
Votre ardeur ſera ſuivie ,
Et vos doux engagemens
Feront de tous les momens
D'une si charmante vie
Autant de jour de Printems.
Le moyen, à ta parole ,
DitIris, d'ajoûter foi
Vo.
AVRIL 1712. 477
L
1
Volage , n'est-ce pas toi ,
Qui ſous cet eſpoir frivole
Trompas ma crédulité ?
J'en conviens , la vérité
N'eſt pas toujours mon partage ,
Répond l'Amour : mais je gage ,
Que fur ma ſincérité
La caution que j'amene
Va raffurer votre coeur ,
Et le convaincra ſans peine.
L'Amitié , ma chere Soeur ,
Ici preſente s'engage
A tenir tous mes Sermens ,
Que dans l'ardeur de vous plaire
Pour les rompre , j'ai fait faire
Exprès aux autres Amans .
Ta prudence eſt non commune ,
Amour, en cette action ;
Qui fut , ſoit dit ſans rancune ,
Si ſujet à caution'
Fait très bien d'en mener une
En pareille occafion.
Sans elle accepter je n'ofe
Le coeur que l'on me propoſe ,
Avec elle je le veux ;
Et fans vous laiſſer morfondre
Plus long-tems ici tous deux ,
Si votre Soeur veut répondre
D'unir la fincérité
A votre vivacité ,
Amour , j'accepte avec joye
Ce coeur que Venus m'envoye ,
Et je figne le Traité.
:
i
:
Picce
478 MERC. GALANT .
Piece Nouvelle .
:
Dialogue entre un Berger & une
Bergere , par M. D. A.
LE BERGER.
؟
PHilis , tous nos Bergers vous repetent
Qu'ils fentent pour vous de l'Amour ,
Je les voi gémir chaque jour
D'un nouveau tourment, qui les preffe ;
Jenepuis comprendre leurs maux ,
Je voi tous les jours leurs troupeaux
Auſſi grasque les miens , bondir dans cetteplaine
;
Lesbiens que le Printems amene
Sont communs à tous lesBergers ,
Etpour tous , les Zephirs legers
Rafraîchiffent nos Champs de leurs douceshaleines
.
Quelles peuvent être les peines ,
Qu'ils vous racontent tous lesjours ?
Belle Philis , daignez m'apprendre
Quepeuvent être ces Amours ,
Quifontcouler les pleurs que je leur voi
répandre.
LA
AVRIL 1712. 479
LA BERGERE .
Vous le ſçaurez à votre tour ,
Attendez ſans impatience ,
Berger , àconnoître l'Amour ,
Gardez votre heureuſe ignorance
Autant que ce Dieule voudra ,
Quand le fatal moment viendra ,
Pour acquerir cette ſcience ,
Malgré toute votre innocence ,
Votre coeur vous avertira .
LE BERGER.
Suis-je le ſeul deces Campagnes ,
Qui ne connoiſſe pas l'Amour ?
LA BERGERE .
Berger , mesaimables Compagnes
Vous le feront connoître unjour.
LE BERGER
Non , belle Philis , ce myſtére
Dont les Bergers ſeplaignent tous ,
J'aime mieux l'apprendre de vous
Cent fois , qued'une autre Bergere
LA BERGERE.
Ehbien , ſçachez donc que l'Amour
A
)
T
Sc
480 MERC. GALANT.
Se prend dans les yeux d'une Belle ,
Le ſenſible Berger , qui la voit chaque
jour,
Lui trouve chaque jour une grace nouvelle:
Ce feu s'augmente inceſſamment
Auprès de l'aimable Bergere ,
Il devient enfin un tourment
Si le Berger la trouve fiére .
LE BERGER.
t
Si vous nommez Amour , ce feu quibrûle
en nous ,
Etdont on ne peut ſe défendre ,
Ai-jebeſoin de vous apprendre
Que je brûle d'Amour pour vous ?
LA BEGERE.
Berger , il n'eſt pas tems , je dois encor
vousdire ,
Qu'il eſt unAmour impoſteur ,
Quinecherchequ'à ſe produire ,
Au lieuque la fincere ardeur
Qu'un veritable Amour inſpire ,
Eſt un ſecret de notre coeur , :
Dont les yeux ſeuls doivent inſtruire.
LE BERGER.
N'oubliez pas , Philis , ſi vous faites un
choix ,
Que
AVRIL 1712. 481
Que ſans ſçavoir le nom du Dieu qui fait
qu'on aime
J'en ai rempli toutes loix ,
Jugezdemon Amour extrême ,
Sans ceſſe je vous regardois ,
Si c'eſt ainſi qu'un coeur foupire ,
Ah ! quand j'aurois connu tout ce queje
ſentois
Aurois -je pû mieux vous le dire ?
LA BERGERE .
Oui, mais vous en dites autant
A la Bergere Floriſelle ,
Lors que d'un air vif & content
On vous voit danſer avec elle.
Je ſçai qu'à louër ſes appas
La Fête d'hier s'eſt pafiée ,
Vous ſuivîtes long-tems ſes pas ,
Et même ſa rigueur enparut offenſée :
Sans ſes refus enfin , vous ne m'aimeriez
pas.
LE BERGER .
Je trouvois duplaiſir à voir cette Bergere,
Je ne puis le déſavouër ,
J'aimois à l'entendre louër :
Mais expliquez-moi ce myſtére ;
Ses appas me paroiſſoient doux ,
Floriſelle ſçavoit me plaire ,
Et parmi ces plaiſirs je ne penſois qu'à
vous;
Tomo V. Y Phi482
MERC. GALANT.,
Philis, ne ſe peut- il point faire ,
Qu'elle ait quelques-uns de vos traits ?
Les Bergers n'aiment ils jamais
Ce qui reffemble à leur Bergere ?
LA BERGERE .
Laiffons ces diſcours dangereux ,
Réjoignons nos Troupeaux , retournons
à la plaine ,
Reſervons tous nos foins pour eux ,
Le reſte donne trop de peine.
LE BERGER.
Helas déja nous nous quittons ?
Craignez-vous que dans ces Prairies
Un Loup enlevenos Moutons ?
Voici les miens errans ſur ces herbes
fleuries,
Ils me furentbien chers : mais je lesdonne
tous ,
Philis , pour être encore un moment avec
vous.
LA BERGERE .
Je vous ferois, Berger , le même ſacrifice
,
Mes Troupeaux ne ſont pas ce que j'aime
lemieux ;
Jeconſens même qu'à mes yeux
Un Loup cruel me les raviffe ,
Si
AVRIL 1712. 483
Si contre un plus doux artifice
Je puis garder helas , un bien plus pré,
cieux.
LEBERGER
:
Helas ! fi pour me fuir vous allez dans
ces plaines,
Quevais jedevenir tout le reſtedu jour ?
Je voulois connoître l'Amoural
Je ne connoîtrai que fos peines zi
1
1000 200
LABERGERE.Jしい
:
D'aujourd'hui tuvis fous fa loi
Et tu te plains de fon empire :
Sur lui j'aurai tantôtcent choſesà te dire,
Tu ne le connois pas encor fibiénque moi.
LE BERGER .
Belle Philis , mon coeur soupire ,
De ne pas le connoître mieux ,
Demeurez encore en ces lieux
Pour achever de m'en inſtruire .
Mais vous fuyez , Philis , nonne l'eſperezpas,
Sans vous je ne ſçaurois plus vivre.
Tircis à force de la ſuivre
La fit revenir ſur ſes pas,
Auprès d'elle couché ſur la fraîche verdure
,
Tircis lui dit en ſoupirant
Y 2 Tout
484 MERC. GALANT.
Tout ce que la ſimple Nature
Sçait dicter au plus ignorant .
Philis dont le coeur étoit tendre
Ne put ſe laſſer de l'entendre ,
Et connut trop tard le danger.
Pour une Bergere amoureuſe
L'ignorance d'un beau Berger
Eſtmille fois plus dangéreuſe ,
Que l'expérience trompeuſe
D'un Berger ſujet à changer.
La nuit commença ſa carriére
Trop tôt pour de telles amours ;
Il falut ſe quiter , & la jeune Bergere
Finit par ce tendre diſcours :
Tu viens d'apprendre en ce Bocage ,
Ceque c'eſt que l'Amour au combledes
ſouhaits ,
Puiffe-tu n'apprendre jamais
Ce que c'eſt que l'Amour volage.
LETTRE
DeQuebec , le 10. Novembre 1711.
MONSIEUR ,
こ
Vous vous attendez ſans doute à un dé
tail exact de ce qui s'eſt paſſe dans lesRé .
gions
AVRIL 1712. 485
gions froides de l'Amériqueque nous habitons
; & fur tout d'être inforiné à fond
de l'entrepriſedes Anglois ſur la Colonie;
eneffet, rien de mieux concerté , rien de
plus meſuré que ce qu'avoient projetté
nos Ennemis , principalement cette année
, pour ſe rendre maîtres de toute la
nouvelle France , ſi le ſuccès avoit répon.
duà leur attente .
Il faut remarquer , Monfieur , qu'il y
avoit dix ans ou environ , que les Anglois
nos voiſins , aidez de ce qu'ils appellent
ici la vieilleAngleterre , formoient le defſein
de joindre à leurs Colonies celle du
Canada , quiſeroit fort à leur bienfeance.
Ce que les François poffedent dans la
grande & vaſte Ifle de Terre-Neuve , &
dans ce que nous appellons le Canada ,
qui eſt plus important au Roi que l'on ne
penſe. Le Perou eft au Roi d'Eſpagne
une Mine bien avantageuſe : mais lapêche
de la Morue ſur le grand Banc l'eſt
peut - être autant , fi l'on confidére que
c'eſt non ſeulement un fonds , auſſi bien
que les Mines de l'Amérique Méridionale,
dans lequel on ne met rien , & dont on
tire beaucoup , par cette poudre ſipaffionnément
aimée des hommes , au moinsdes
Européens. Le Roi au milieude la Paix ,
par le moyen de la pêche des Moruës de
Terre Neuve , entretient un nombre
conſidérable de gens de Mer & de Matelots
, qui dans les changemens des affai-
८ Y 3
A
res ,
486 MERC. GALANT .
res , font tous prêts à le ſervir dans les
armemens deMer; ce qui eſt ſouvent très
avantageux .
Cela fuppofé , pour revenir aux grands
defleins des Anglois fur Quebec , & fur
l'Ifle de Mont-Real , c'eſt à -dire , felon
l'uſage de parler de ce Païs- ci , fur le Ca
nada d'en bas & ſur celui d'en haut , il ne
ſera point inutile , Monfieur , de vous remettre
ſous les yeux la conduite habile &
très prudente , que M. le Marquis de
Vaudreüil , Gouverneur Général de la
nouvelle France , a gardée juſqu'à prefent
, pour empêcher les Ennemis d'exécuter
un deſſein qu'ils commençoient à
ébaucher.
Ce fut pour cela qu'en 1703. (je me
contenterai de cette époque ) M. de Beau-
Baffin , ſous les ordres de M. le Général ,
à la tête d'un parti , composé de Ca
nadiens , & de Sauvages Iroquois , Ab.
naxis , & autres , ſe mit en marche vers
la fin de Juilletde cette année ; & qu'au
bout d'un mois la petite Armée ſe trouva
au milieude la nouvelle Angleterre , où
elle s'empara de pluſieurs poſtes .
La même année 1703. à la findu mois
de Décembre , M. de Rouville , autre
Officier Canadien , emporta d'Affaut la
Ville de Dier fields , dans la nouvelleAn
gleterre.
En 1704. lesAnglois voulurent tenter
le Siège de Port-Royal , Capitale de l'Acadie,
AVRIL 1712. 487
cadie , qui fait partie de la nouvelle Fran.
ce. LeColonel Chevoi , qui commandoit
à la FloteAngloiſe , qui avoit moüil.
lédans laBaye Françoiſe , dansle deſlein
de faire unedeſcente , fut repouffé à deux
attaques qu'il fit avec vigueur , ſes Vailſeauxbriſez
& fracaffez , & contraint de
s'en retourner à Baſton .
Dans letems que les Anglois mettoient
tout en oeuvre pour s'emparer de la Capitale
d'Acadie , Peter Schuler , Commandant
d'Orange , dans la nouvelle York ,
vint préſenter fix Colliers aux Sauvages
nos Alliez, dans l'intention de les mettre
de fon parti : mais ils tinrent ferme pour
nous , &demeurerent ſur leurs nattes.
: Le Canada ſe trouva en 1705. plein
d'Anglois quenous avions pris en Acadie,
dans la nouvelle Angleterre , & dans
New-York , en differens partis que nous
avions formez. Parmi ces prifonniers
étoit le Miniſtre de Dierfields , place de
lanouvelle Angleterre. Joſeph Dudlei ,
Gouverneur de Baſton , Capitale de la
nouvelle Angleterre , envoya à Quebec
Jean Livingſton Major , pour négocier
L'échange avec notre Général le Marquis
de Vaudreüil.
Cefutcette même année 1705. que les
Canadiens, ſous la conduite deM. Beaucour
, Capitaine d'un merite reconnu ,
égalementhabile dans l'Artde fortifier les
Places , & dans lesentrepriſes de Guerre,
Y 4
fe
488 MERC. GALANT.
ſe rendirent maîtres des environs du Fort
S.Jean , Poſte des plus importans que les
Anglois poſſedent dans l'Ifle de Terre-
Neuve , vers l'embouchure du Fleuve S.
Laurent.
4
L'échange des Anglois prifonniers ne
put ſe conclure qu'en 1706 .
Toute la nouvelle Angleterre fut en
1707. bloquée , s'il m'eſt permis de parler
ainſi , par nos Sauvages Alliez , les Habitansn'en
oſoient fortir pour faire leur
moiffon .
L'entrepriſe de l'Academie ayant étéremiſe
en delibération au Conſeil de Baſton ,
on reſolut le Siége de Port Royal. Le
commandement en fut donné au Colonel
Marsh. Cette Flote parut dans le Baye
Françoiſe au commencement de Juin.
Une expédition mémorable ce fut celle
de Haveril , ſous le commandement de
M. de Rouville & de Schaillons , aidez des
Sieursde Contrecour , & de la Gauchetićre;
ellejetta la terreur dans Baſton , Haveril
, & dans ſon Voiſinage: nous enlevâmes
ce Poſte aux Anglois , malgré leur
valeur & leur habileté.
On changeade Batterie en 1709. & au
milieu des neiges & d'un froid, tel qu'il ſe
fait ſentirdans l'Amérique Septentrionale
, les Canadiens allerent prendre le Fort
Saint Jean , &fix Poſtes importans parla
pêchedes Moruës & d'autres Poiffons que
l'on fait aux attérages de ce Fort & aux
Bancs
AVRIL 1712. 489
Bancs voiſins : auſſi-tôt après leGénéral.
Nicolſon , Weteche mit en Mer une Flotte
nombreuſe , & leva une Armée ſuffifante
pour attaquer Mont-Real : mais la
Flote fut contremandée par les Anglois
qui étoient en Portugal , Nicholfon
marcha à la tête des ſiens, prit le chemin
deLacChamplain.
Me voici à l'année 1710. quieſt le terme
de la derniére Lettre que j'ai eu l'honneur
de vous adreſſer : je vous y ai fait voir
comment M. le Marquis de Vaudreüil notre
Général , avoit mis les Anglois de la
nouvelle Angleterre , ceux de la nouvelle
York , & les Sauvages leurs Alliez , en
état de ne rien entreprendre ſur nos Habitations.
C'eſt à la fin de 1710. que M. le
Chevalier de Beaucour , Capitaine Ingenieur,
fort eſtimé dans la nouvelle France,
&fort habile dans l'ArchitectureMilitaire,
a élévé le Fort de Pontchartrain , vulgairement
appellédeChambli. On y a mis
cette année , vers la fin de Septembre , la
derniére main . C'eſt un puiſſant Rempart
contre les entrepriſes du côtédu haut Canada
.
Les choſes étant en cet état , lorſque
lesAnglois nos voiſins , ſecourus de ceux
dela vieille Angleterre , ont fait les derniers
efforts pour ſe rendre maîtres dela
nouvelle France , en l'attaquant par enbas
, c'eſt à dire en Affiégeant Quebec ,
qui eneſt la Capitale.
YS Le
490 MERC. GALANT .
Le Major Liumgton , Anglois , ac
compagné du Baron de Caſtin , François ,
partirentdece ce Pais- là , vers la fin d'Oc .
tobrede l'année 1710. , pour travailler à
unéchange de prifonniers , que gardoient
en Acadie les Sauvages nos Alliez : ils ſe
fervirent de la voye du Canot pour aller
par Eau ; leur petit Bâtiment ayant tourné
, & un de leurs Domeſtiques noyé ,
ils furent obligez de continuer leur voyage
parTerre, dans les Neiges & les Marais ,
à travers les Bois; ils furent cinq jours
fans trouver d'autre nourriture que ce
qu'ils trouvoient ſous les Neiges engratant
laTerre. Deux de leurs gens s'égarerent
en cherchant à vivre , & j'ai lçû
depuis de l'un d'eux une remarque affez
curieuſe.
Animaux quifont du feu, dans des
espécesdecavernesfous des roches.
DReffez par la faim,&cherchant auxdépens
de leur vie de quoi manger, c'eftà-
dire ſuivant des traces d'Animaux Sauvages,
pouren trouver quelqu'un qu'ils
puffenttuërpour le manger , ils trouverent
en plufieurs endroits de cesCavernesde
tits monceaux , ou Magaſins d'Animaux
differens , qui leur parurent commedéſechez
& brûlez aufeu ; cela leur fit croire
que quelques Sauvages habitoient ces Capevernes.
1
AVRIL 1712 491
1
vernes. L'extrême faim leur fit manger
quelques morceaux de ces Animaux defechez,&
fi durs , qu'à peine pouvoient-ils
en déchirer avec les dents. Ils remarquerent
dans tous ces endroits où étoientces
Monceaux , de grandes places noires , &
des reſtesdebranches brulées , ce qui leur
avoit fait conclure , comme j'ai dit , que
deshommes ſeuls pouvoient avoir roti ces
Animaux: mais ils remarquoient en même
tems qu'ils étoient deſechez avec le
cuir , lepoil , les entrailles , en unmoc
fans aucun aprêt; enſuite ils trouverent
anbout de ces Cavernes quelqu'un deces
Animaux qui fuioient &qui étoientcom
me des eſpéces d'Ours , mais plus alongez,
&fi timides , que du plus loin qu'ils les
avoient entendus ils avoient toûjours fui.
Ils n'oferent pourtant avancer plus loin :
mais en reprenant leur route ils aperçurent
dans un autre enfoncement une lueur de
feu . La curiofité les fit avancer ſidoucement
qu'ils virent deux de ces Animaux auprès
de ce feu mourant , & qui fuyant d'une
grande vîteſſedonnerent à nosgens lahardieſſe
d'avancer juſqu'à un brafier , où ils
virent plufieurs de ces Animaux brulez &
de ſechez , encor tout brulants , & d'autres
tous cruds. Enforte qu'après pluſieurs
autres remarques qu'ils firent , ilsnedou
tentpoint que ces Animaux fuyars n'ayent
l'Art d'alumer du feu , & la prévoyance
dedéfecher &bruler les Animauxdont ils
Y6
le
492 MERC. GALANT.
ſe nouriffent , parce qu'aparemment ils ne
les peuvent atraper qu'en de certaines faifons.
Au commencement du printems de cette
année 1711. Weteh Officier Anglois
prit le parti de s'engager dans la Floteque
l'on équipoit àBaſton pour affiéger Que.
bec , ayant quelque connoiſſance de la
Riviére S. Laurent : il quitta pour cet
effer l'Acadie& le Port Royal , que François
Nicholſon avoit pris au commencementd'Octobre
de l'année 1710. & que
l'on auroit repris , file Gouverneur François,
qui commandoit dans ce Païs&dans
cette derniére Place ne l'eût renduë un peu
trop vîte , lui qui l'avoit fi bien défenduë
en 1707. Les Anglois ſe ſont vûs depuis
la priſe même de Port-Royal réduits plus
d'une fois à nous y laiſſer rentrer , fi M. le
Marquisde Vaudreüil , qui avoit déja envoyédesOfficiersde
distinction &du premier
rang , avec un Corps de Canadiens
alertes&braves pour aider les Acadiens
reſtez fidéles au Roi , pour rependre le
Port-Royal , n'eût été obligé de ſurvenir
en les rappellant , à ce qui étoit de plus
preffé , je veuxdire à la ſureté deQuebec,
&de l'Iffe de Mont-Real .
Vers la fin de Juin de la même année
lesAnglois firent unDétachement ſous la
conduitedeRith... , qui fut menacer quelques
Habitans de l'Acadie , de les paffer
tous au Filde l'épée. Sur
AVRIL 493 ןרוב
Surcette menace un Chefdes Sauvages
appellé l'Aimable , aſſembla auſſi -tôttrente
de ceux de ſon Village des plus braves ,
&les exhorta ( les Chefs parmi les Sauvages
de l'Amerique Septentionale , exhortent
& prient ceux qui les ont choiſis pour
leur Chef plûtôt qu'ils ne leur commandent)
de ſe ranger tous & chacun derrié.
redes Arbresle long d'une Riviére voiſine
du chemin , qu'il jugeoit que le Capitaine
R. devoit tenir. En effet les Anglois ayant
peude tems après paru dans leurs Canots ,
le Chefdes Abnakis les ſomma hardiment
de ſe rendre & de mettre bas les Armes ,
lesAnglois au contraire ſe mirent en devoirde
faire une décharge ſur les Sauvages .
Ceux- ci bien inſtruits par leur Chef avant
le premier coup de fufil ſe trouverent tous
ventre contreterre ; la décharge des Anglois
faite , les Abnakis la firent à leur
tour : mais en choiſiſſant chacun leur homme
qu'ils ne manquerent point ; puis
ayant pris leurs haches en main , tomberent
ſur le reſte , qu'ils couperent en mor-
Apeine quelques-uns de ces Anglois
ſe ſauverent juſqu'au Fort; ce qui
eſt de remarquable , c'eſt qu'aucun des
Sauvages ne futbleſſe. Rit.h..futpris avec
deux autres Officiers de la Garniſon de
Port-Royal , & cinq ou fix Soldats. Ruh...
ayant ſupplié le Chef des Anakis de lui
laiffer la libertéd'aller prendre au Fortde
quoi fubvenir à les beſoins àQuebec , ой
ceaux.
Y7 il
494 MERC. GALANT.
il voyoit bien qu'on alloit le mener , le
Sauvage ne lui accorda que vingt quatre
heures pour cela , lequel tems expiré s'il
ne ſe rendoit auprès de lui ponctuellement,,
il le menaça de caffer la tête aux
Officiers&& auxSSoollddaattss compagnonsdeſa
captivité , & quiplus eft de ne faire jamais
quartier à qui que ce ſoit de la Nation Angloiſes'il
manquoit à ſa parole .
LeCapitaine Ruh .. revint exactement,
l'Aimable , Chefdes Sauvages Anakis de
l'Acadie , étant arrivé àQuebec avec ſept
priſonniers , après une marche telle que
lafont lesgens de ſa forte , c'est- à-dire à
travers d'épaiffos Forêts , des Rivières ou
des Lacs , d'affreux deſerts , alloit fouvent
viſiter, le Capitaine R. ſon principal
prifonnier dans une bonne Auberge àQuebec
, car on lui avoit donné cette Ville
pour prifon, L'Aimable qui trouvoit les
ragoûts de ſon auberge meilleurs quefes
Chaudieres ſauvages , buvoit & mangeoit
ſi fréquemment avec lui , que cet Officier
ayant voulu s'en plaindre le Sauvage
luidit : oh oh tu devrois plutôt me remercierdecequejet'en
laiſſe manger ta part,
la mangerois- tufije net'avois pas laiſſe la
vie , &me dirois tu cela que tu me disfi
je t'avois arraché la langue qui t'aide à
manger ces vivres ?
La Garniſon du Port- Royal d'Acadie ,
ayantfaitun nouveau Détachement , qui
menaçoit lesAnakis , l'Aimable qui s'étoit
AVRIL 1712. 495
toit rendu chez lui , tomba deſſus brufquement,
ledéfit , &le tailla en pièces ,
excepte quatre ou cinq qu'il fit prifon.
niers , dont même deux ou trois ſe trouverent
bleſſez. Ce Chef des Sauvages
s'étant ſaiſi des proviſions &&des vivres de
ſes Ennemis , il y découvrit de l'eau de
vie, qu'il diſtribua avec beaucoup de fageffe
à ceux de ſa Nation qui l'avoient
aide dans le Combat ; car après leur en
avoir donné ſeulement un coup àboire il
jetta le reſte dans la Riviére , de peur
qu'ils n'en abuſaffent &ne fuffentparlà
expoſez à la ſurpriſe des Ennemis. L'Aimable
voyant les bleffez en danger , envoya
dire au Fort de Port-Royal , que l'on
pouvoit envoyerun Chirurgien pour panfer
les bleffcz , & que cela lui donneroit
la gloire de les tuër encore une autrefois .
Au milieu du Printems le nommé Frenay
, étant arrivé de Plaiſance enTerre-
Neuve à Quebec , aporta des Lettres de
M. de Coftebelle , Gouverneur de cette
Place , à M. de Vaudreüil. M. le Comte
de Pontchartrain luimarquant , que les
Anglois préparant un gros armementpour
s'emparer de Plaiſance en l'Iſle deTerre-
Neuve , ou même de Quebec , il falloit
ſe tenir ſur ſesgardes .
Nos Ambaſladeurs ou Envoyez chez
les differentes Nations Sauvages d'enhaut,
je veux dire du côté des grands
Lacs , n'ont point mal réüſſi dans leurs
Ne
496 MERC. GALANT .
Négociations , puiſqu'ils en ont amené
environ quatre cent. On y voyoit des
Hurons , des Miſſiſagues , & des Sauteurs
Sauvages , de la Nation des Outaouaes ,
ou des nez percez ; des Sakis , des Nipiſſings
, des Miamis , des Kikapoux ,
des Ouragamis ou Renards , des Pontcouatamis
, des Maskoutens , ou de la
Nation du feu , des Malommis. Meffieurs
de Longueil , Joncaire , & de la
Chauvinerie , amenerent des Anciens ,
ou Chefs d'entre les Iroquois des Villages
de Sononthouan , d'Onnonthagué ,
d'Onciout , &de Goiogouen. Je crois
que vous ne ferez point fâché de ſçavoir
comment on les reçût à Mont-Real , le
rendez- vous ordinaire des Sauvages d'enhaut.
Les mots Sauvages de Nequarré ,
la Chaudiere eft cuite , &deGaznenoyoury,
le Chien eft cuit, furent répetez bien des
fois durant le Feſtin qu'on leur fit .
Le jour du Feftin de ces Sauvages affemblez
fut le 7. jour d'Août. Comme
les Sauvages Chrêtiens que nous avons
ici dans nos Miſſions , tant de Mrs. de S.
Sulpice que desRévérends PeresJeſuites &
des Recolets , y furent appellez , & que
les Femmes & leurs Enfans fe trouverent
de la partie , quoi que feulement pour
voirdanſer les hommes , n'y ayant chez
Jes Sauvages que les Guerriers , qui puifſent
dedroit danſer aux Feſtins de Guerre,
lenombre des conviez montoit à environ
quinze
AVRIL 1712. 497
quinze cent. La Scene fut devant la maifon
de M. le Marquis de Vaudreüil notre
Général , & proche les bords du grand
Fleuve S. Laurent.
On comptoit au Feſtin Sauvage douze
grandes Chaudieres , qui auroient pûce
me ſemble faire quelque comparaiſon
avec quelques- unes de celles des Gobelins
àParis; elles étoient pleines de fort longs
quartiers de Boeufs , de Moutons , de
Cochons, & de l'élite des plus gros
Chiens , dont on voyoit les têtesſe promener
dans ces vaſtes receptacles de viandes
, que l'on faifoit boüillir à grand feu ,
en attiſant des moitiez d'Arbres bout à
bout , l'affaiſonnement de ces differens
mets étoit depois fort gros & de differentes
eſpeces , que l'on jettoit avec des pélesà
longs manches dans les Chaudieres.
Maisfiniſſons ce détail. Onm'a promis
pour le moss prochain des fingularitezfur
le repas des Sauvages , que je joindrai au
reste de cette Relation , qui est trop longue
pour être mife dans unfeul Mercure.
Lettre d'Arras du 3. de Mars 1712 .
Anuit du premier au 2. de Mars, à
Laver
la
de l'obscurité les Ennemis s'approcherent
d' Arras .
Lesecondfur les ſept beures du matin ,
ayant ouvert les portes de laVilleà l'ordi
nai.
498 MERC. GALANT.
naire, les Paiſans avertirent que les En.
nemis travailloient autour de la Place ,
M. le Maréchal de Montesquiou fit auffi .
tôt mettre toute laGarniſonſous lesarmes,
fitfortirla Cavalerie , les Grenadiers ,
cing Bataillons par la porte Rouville ,
nous apperçumes les Ennemis qui travailloient
à quatre cent foixante toiſes de la
Place, même étoient déja àmoitié couverts
dans leur tranchées . M. leMaréchal
ayant envoyéreconnoître , aprit qu'ils n'a
voient inveſti la Ville que depuis la Rivière
deScarpejusqu'au Crinchon , il reſolut de
faire attaquer les Ennemis , qui s'étoient
rendusmaitresdu Fauxbourgde Bapaume.
On leur tua beaucoup de monde; mais le
Combat étant trop opiniâtre , nousjuged.
mesapropos demettre le feu au Fauxbourg
ennousretirans. Nousyavons perdu trois
braves Officiers; &le Colonel du Régiment
de Belfan , qui commandoit cette attaque,
fut fait prisonnier. Sur les onze
beures les Deferteurs afſfurèrentM. leMa
réchal, que cen'étoitpoint pour affiéger la
Place ; maisseulement pour brûler lesMagafins
que les Ennemis étoient venus. Aussia
tôton occupalamoitiéde laGarnison àdéfaire
les Mulesdefoin pour les transporter
plus loin , les mettrele long de laRiviére
, mais malgré les Canons dela Ville
de la Citadelle , fur les quatreheures
après midi ils commencerent à jetter des
bombes&des Potsà feusur les Magasins
&
AVRIL 1712. 49.9
nos
fur la Citadelle : ensuite sur les dix
heures ils tirerent à Boulets rougessur nos
Magafios. Voyant que l'on éreignoit toujours
lefeudeleurs bombes& de leurs pots
àfeu , à une heure après minuit il ne fut
plus possibled'éteindre lefeu qu'ilsfaisoient
avec leurs bouletsRouges , qusperçoient entièrement
nosMagaſins ; d'ailleurs fur les
dixheures duſoir sus commencerent àBembarder
la Ville , ce qui obligea derelâcher
tous les Bourgeois que l'on retenoit depuis
midi aux Magasins. Sur les quatre heures
de cematin voyansquelques uns de
Magasins en feu , &quantité de paille
qu'on avoit allumée exprès d'un autre côté,
ils crurent tout brûlé , & craignant quelquefortie
fur des Troupes qui s'étoient débandées,
lesraſſemblerent , ils ſe ſont retirezcettenuit
à quatre heures . Ilyaenviron
cinquante mille rations de Fourages
brûlées ou gâtées. Il est tombé tantdans
la Ville que dans la Citadelle , environ
deuxcens cinquante bombes¢ potsà
feu ilsont été contraints de laiſſfer dans
leurs Retranchemens environ trois censbombes.
Onarafeles Travaux qu'ils ontfaits,
ils ontperdu environ trois cens hommes ,
nous cent.
Nou500
MERC. GALANT.
Nouvelles d'Allemagne.
On a reçû des Nouvelles de Hollande
dont la Cour ne paroît pas être fatisfaite ,
&on en attend d'Angleterre touchant les
Commiſſions dont le Prince Eugene eit
chargé: le Comte de Gallas quien eſt re.
venu affure qu'il lui fera très -difficile d'engager
les Anglois à continuer la guerre.
Les Lettres de Pologne , de Tranfilvanie
, & des Frontières de Turquie , con .
firment que la guerre a été déclarée à
Conſtantinople contre les Moscovites.
On travaille à la levée des Recruës & à
une augmentation de dix hommes par
Compagnie , & d'une Compagnie deGrenadiers
par Régiment.
Les Lettres de Conſtantinople portent,
que leGrand Seigneur avoit deſſein d'aller
en Campagne avec une Armée beaucoup
plus nombreuſe que celle de l'année der.
niére. Il a fait dire à Sa Majesté Suedoiſe,
qu'il pourroit refter à Bender autant qu'il
lui plairoit , & que quand il en voudroit
partir elle n'auroit qu'à lui faire ſçavoir ,
qu'il lui envoyeroit un grand Corps de
Troupes pour l'accompagner par la Polognejuſques
dans ſes Etats.
Les avis de Belgrade confirment la réfolution
priſe par le Grand Seigneur de
faire de nouveau la guerre auxMoſcovites.
Le
AVRIL 1712. 50
Le Bacha de Belgrade a ordre de ſe préparer
pour aller avec ſes Troupes joindre
l'Armée du GrandSeigneur.
Le Hoſpodar de Valaquie a ordre de
fournir au Roi de Suede trois mille hom .
mes & cent cinquante mille écus. Le
deſſeineſt de faire laguerrede trois côtez
àlafois.
Les Tartares doivent faire une irruption
en Moſcovie , tandis que l'Armée
Ottomane entrera en Ukraine , & le Roi
de Suede en Pologne.
Nouvelles d'Espagne.
LeMarquis de Bayeſt parti pour retourner
en Eſtramadure avec pluſieurs Officiers
de cette Ville. Les Lettres de Badajozportent,
que les Troupes de la Frontiére
étoient entrées en Portugal , où
elles avoient pénétré prèsde vingt lieuës
fans aucune oppofition , & qu'elles
avoient amené des Otages pour les con.
tributions , &un grand nombre de Bêtes
àCornes.
:
Onmande de Catalogne , que le Marquis
deValdecanas ayant été informé que
les Ennemis affembloient à Igualada un
- Corps de Miquelets avec des Troupes réglées
, ramaſſa les Troupesde la Frontiére
qu'il commande ; ildétacha pour aller reconnoître
les Ennemis unCorps deCavale502
MERC. GALANT .
lerie , commandé par Don Joſeph Vallejo,
qui leschargea&mit en fuite
LeDucd'Argile eft parti avec plufieurs
Officiers pour Londres , laitfant lesTrou .
pesAngloiſes àTarragone.
Le Comte de Starremberg avoit laiffé
desTroupes dans Calaf, qui paroifforent
reſoluës de s'y maintenir ; mais ſur l'avis
qu'on ſe preparoit à les aller attaquer , ellesl'abandonnerent:
UnPartidelaGar
nifon deBalaguer adeffaitun Parti de qua
rante Allemans.
Un Parti de la Garniſon de Tortoſe
ayant fait une courſe du côté de Tarragone
, a furpris un Quartier des Ennemis ,
dont plus de trente ont été tuez & un
grandnombre faitprifonniers.
Nouvelles d'Angleterre.
Onadeliberé engrandCommitéfur les
Traitez entre l'Angleterre &la Hollande,
&fur les contingents d'hommes&d'ar
gent que les autres Alliez devoient fournir;
on a pris les reſolutions ſuivantes;
que les Etats-Généraux ont fourni deux
tiers moins que leur contingent pour le
Service de Mer , & en Général la moitié
moinsde toutes la dépenses ; que le feu
Empereur & l'Archiduc n'ont jamais eu
enEſpagne aucunes forces entretenuës à
leurs dépens , à l'exception d'un Régi
ment
AVRIL 1712.
503
ment de deux mille Fantaſſfins qui a ſervi
l'année derniére , que la Reine y a fourni
&payé depuis 1705. juſqu'en 1711. cinquante
- cinq mille neuf cens ſoixante &
treize hommes , outre treize Bataillons
&dix huit Eſcadrons pour lesquels cile
payé des ſubſides à l'Empereur *.
Nouvelles diverſes.
On a diſſipé quinze mille hommesdes
Ennemis qui s'étoient afſſemblez auxlenvi
rons d'Arras , où il ne s'eſt trouvéau juſte
que cent mil Rations de Foin pour toute.
perte. Al'égarddu dommage qu'ils ont
fait ſur la Sambre , un Ingenieusa évaluć
la réparationdes Travaux ruïnez , à qua
tre journées de travail & à mille livres de
dépenfe.
Ungrand nombre de Troupes marche
detouscôtez ; mais ſur tout du côté de la
Scarpe en Flandre. Les Officiers Généraux
ontordre de s'y rendre inceſſamment
pour prévenir les Ennemis , & fe mettre
en étatd'empécher qu'ils ne troublent les
Négociations de la Paix. On dit qu'au
cinq du mois prochain on fera réponſe
auxpropofitionsdes Miniftres de l'Archi
duc&dequelques Alliez .
Lettre
*On trouvera toutes ces affaires plus amples
ment éclairciesdans lesAdditions ci jointes.
504 MERC. GALANT.
1
Lettre d'Utrecht .
MONSIEUR,
MonAmi &moi nous achetonsbiencher
leplaisir desçavoirles premières nouvelles
desNegociationsqui sefont ici ; car borsla
bonne chere les plaiſirs d'Utrecht ſontfort
Secs fort tumultueux . Les Aſſemblées
font ordinairement de trente ou quarante
hommes&Femmes deſept ou buit Nations
differentes , dontchacune écorche leFranfoisà
ſafaçon , & beaucoup ne le parle
point dutout. C'estune idée de la varieté
des Langues dela Tour de Babel . Toutes
ces cobuësse reduisent àſept ouhuittables
d'Hombredansune chambre , & pluſieurs
pelotons de Conteurs de Nouvelles. Vous
Scavezaparamment dėja que :
Le 4. de ce mois les Plénipotentiaires
des Alliez firent deux Conférences particulières
; l'une le matin , & l'autre le
foir , où ils réglerent entreeux les réponſes
qu'ils feroient aux Plénipotentiairesde
France ; & leurs Délibérations furent rédigées
en Mémoires particuliers * , dont
ils firent part aux Plénipotentiaires de
France à chacun en particulier , & qui
n'ont pas encore été rendues publiques ;
•On les trouve à la fin du mois précédent
on
AVRIL 1712. 505
on croit qu'on y répondra vers le 4. ou le
5. d'Avril. On a ſçû pourtant ici que
quelques-unes ayant paru d'abord fort exceſſives,
oneſt convenu qu'on entreroit
en Négociation fur ce qu'elles contiennent
, & l'on doit même faire aujourd'hui
pour celauneConférence extraordinaire ;
enfinnouspouvons eſperer que tout tournerabien.
Penfions donnéesparleRoi.
P
Le Roi touché des pertes qu'ont fait
ceux qui étoient attachez à Mefleigneurs
lesDauphins & à Madame la Dauphine ,
a déja donné à pluſieurs des penfions,
dont la fomme monte à deux cens cinquante
mille livres , juſte .
1.Sa Majesté a donné à Madame la Ducheſſedu
Lude , Dame d'honneur de Madame
laDauphine , 12000. liv.
AMadame laMarquise de Mailly , Da.
med'honneur de Madame la Dauphine ,
9000.liv.
A neuf Dames du Palais de Madame la
Dauphine , chacune , 6000.liv.
A M. le Maréchal de Teſſé , premier
Ecuyer de Madame la Dauphine ,
12000. liv.
AM. leMarquis de Dangeau , Chevalier
d'honneur de Madame la Dauphine ,
h Tome IV. Z
12000. liv.
A
506 MERC. GALANT.
AM. le Marquis de Villacerf, premier
Maître d'Hôtel de Madame la Dauphine ,
6000. liv.
AneufMenins de Monſeigneur leDau.
phin, chacun 6000.liv.
AM. leMarquisde Mimure , 3000. liv.
AM.dela Chenaye , 3000. liv.
AMadame Quentin , premiére Femme
de Chambre de Madame la Dauphine ,
6000.liv.
Adouze Femmes de Chambre de Madame
laDauphine , chacune
AMadamedela Borde , ſa
cienne conſervée à ſes Enfans.
AMadamedeMontſouris ,
900. liv.
penfion an-
Elle eſt de
2000. liv.
2000 liv.
AM. Domingue , Porte Manteau de
Madame laDauphine , 3000. liv.
A M. Boudin , premier Medecin de
Dauphine, १०००. liv.
Monſeigneur leDauphin & de Madame la
A M. Dionis , premier Chirurgien de
Monſeigneur le Dauphin & de Madame la
Dauphine, 3000. liv.
A M. Dodart , premier Medecin de
Monſeigneur leDauphin , dernier mort ,
9000. liv.
AM. Gervais , premier Chirurgien de
Monseigneur le Dauphin dernier mort ,
3000.liv.
AM Cauffin , 2.500. liv.
AdeuxHuiffiers de Chambre , chacun
800.liv.
A
TAVRAL171211 507
A M. Desfoffez , Huiſſier du Cabinet ,
A fix Valets de Chambre , chacun
.১
A un Porte-Arquebuze ,
१००. liv.
600 liv.
600.liv.
Aun PorteManteau labai 600 liv.
Aquatre Valets de Garderobe cha
cun 600. liv.
A douze autres Garçons de la Cham .
bre, chacun
300.liv.
ciers , chacun
400. liv.
A pluſieurs Valets de pied & autresOf-
JOVE
ENIGMES .
Parodiede laderniére Enigme , dont
lemot étoitun Pepin.
C Par Madame de L
Pepin , néprisonnier , petit &mépriſable,
En coupant une pomme , on me delivre à
table ,
Fengendre des Enfans prisonniers comme
moi,
Pepin, porte lenom d'un Roi ,
Enferme dansſonſein l'image de fon Pere ,
N'estpoint l'Amour , DieudeCithere.
Des fruits , ilhabite lescoeurs ,
Ici mortelsverfez despleurs,
Pom me qu'il habitoit , a tuévotre Mere ,
Etvouscaufa bien des malheurs.
Z z Noms
508 MERC. GALANT.
+
i
Noms de ceux qui ont deviné cette
(
Enigme.
८.
LeMarquis de la Pepiniere-Owdinſtolf,
Madelon Poiré , la Mere aux Pepins ,
Maritorne , la belle Tiſonniere ducoindu
feu ,l'Oracle de laRuë Thibaut aux-Dez,
Angelique , le Batelier du Fleuve Letæ du
ENVO Ι .
Par Madame Rigodon .
A
La Femme du premierhommedu monde,
avoit à ſa collation beaucoup de Pepins
: elleabien délivré des priſonniers,
en mordant à la grape .
ENVO Ι.
Par le petit Baritonillet.
DecetteEnigme, j'ai la clef.
Je ladevinedemon chef.
Jem apelle , Pepin , leBref;
Maisj'ai l'efprit plus long quele matsd'une
nef.
ENVOL.
AVRIL 1712 . 509
:
2
ENVOI.
De la jolie Rapdiniere.
On me conſeille d'aimer ; mais l'Amour
ſans chagrins eſt aufſi rare que les
Raiſins ſans Pepin.
くっち
:
4
ENVOI
Aquatorze ans , Irisfeſſe déjason Vin ,
Elle lorgne à Table unjeune homme ,
En mettant pour mouche unPepin ,
Je croirois bien qu'elle a deja mange la
pomme
ENVO Ι.
Parodié de l'Enigme , dont le mot
eftleMafque.
3 3.53.
Par M. Hortenfius , Précepteur de
4 Francion.
Pardejuftes liens, ideft , liens étroits ,
Quand on unit à moiſemblable à monmi .
nois,
ble ,
Subauditur , visage à quiMalque reffem.
Z3 Je
510 MERC. GALANT.
Jevois tout parsesyeux , id eft , avec les
fiens
Avoit toutpar , id eſt , tout à travers des
miens,
Tollé , les derniers vers, c'est un couple
frivole ,
Parce mi Mercuré , ſij'ai dit laparole,
Mes Savans Ecoliers devinent encherm ,
Voici leursnoms. Arbas , Milo , Dejota-
TUM
Alcidon , Sotinet , Halbrada , Baldium ,
Etcetera , tuusfervus, Hortenfius.
ENVOL.
Par Mr. Anc
Madame de Saint Fard.
Dans une nuit du Carnaval ,
. : .
Madame de Saint Fard en fuperbe équipage,
S'étant mise enfueurauBal ,
Ilasffa par malbeur fon Maſque &
vifage,
Jon
3 Noms
AVRIL 1712. 511
Noms de ceuxqui ont devinéle
Maſque.
Bonjour , bon jourMaſque , Artaxerxez
, Ariane à la lévre bleuë , la jeune
Orfeline, les deux Aflociez , les trois vi
fages , Turlupin , Toinon.
ENVO Ι.
Parmi les hommes comme au Bal , autantdeMaſques
que de vilages .
:
ENIGME.
LA 71
Non , jen'aurai jamais l'esprit de m'arif-
Ma coëffure est toujours pendante & né
fer ,
gligee,
Mes coëffeuses pourtant , poffent mainte
journée,
Ame creffer décoëffer ,
Maisfanslefoncier beaucoup de ma parare ,
L'une rêve à quelque avanture ,
Celle-ci penseàbien, celle-làpense à mal ,
Qusi qu'un rustique lieu soit mon Païs
natal ,
Polieavecdroiture , &fermefans rudeſſe,
Je parviens dans le cercles au rangdela
Princeffe ,
Z4
Sou-
1
512 MERC. GALANT.
1
:
Souvent tête levée , onm'y voit dominer ;
Mais malgré ma hauteur , pouriez vous
deviner ,
Quel manéze est le mien, pourparvenir à
plaire ,
F'aifait cent mouvemens autour d'un mercenaire
,
Qui tentéduprofit qu'il eſpéroit de moi ,
Aseu me rendre enfin , digne demon emploi.
NOUVELLES
Extraites de pluſieurs Lettres.
Le Roi donna le 15. une Audiance de
Congé enpublicau Marquis de Gerbevil.
ler , Envoyé Extraordinaire de S. A. R.
Monfieur le Duc de Lorraine. Il étoit accompagné
de M. Barrois , Envoyé Extraordinaire
de ce Prince , & conduit par
le Baron de Breteüil , Introducteur des
Ambaſſadeurs , qui avoit été le prendre à
Parisdans les Caroſſes de Sa Majeſté. Il
eut enſuite Audiance de Monſeigneur le
Ducde Berry , de Madame , de Monfieur
le Ducd'Orleans , &de Madame la Ducheffe
d'Orleans .
LePrince Charles prêta Serment entre
les mains de Sa Majesté le 14. de ce mois,
pour la Charge deGrand Ecuyer de Fran
ce,
AVRIL 1712 .
513
ce, dont M. leComte d'Armagnac , fon
Pere , avoit remis entre les mains de Sa
Majesté , ſa démillion volontaire pour la
furvivance ; & M. le Prince de Lambeſc
prêta le même jour entre les mains du Roi
le Serment pour le Gouvernement d' Anjou
, qu'avoit M. le Comte Brionne ſon
Pere , Fils aîné du Comte d'Arıpagnac ,
&qu'il a fait pafler à lui avec l'agrément
de Sa Majesté , comme il a fait paffer la
Survivance de Grand Ecuyer au Prince
Charles /104
Un Détachement de la Garnifon de
Brifac , a envelopé & fait prifonniers
foixante Houſſards, & l'on adéfait dans
la Forêt de Niderhart , le reſte du parti
Ennemi de quatre cens hommes qui avoit
étédéfait à Rumersheim.
- Le 29. de Février les Seigneurs après
avoir preſenté une Adreſſe à la ReineAnne
, s'ajournerentjuſqu'au 8. de ce mois.
Le même jour les Communes drefferent
un état des Réſolutions priſes pour le
Traité de la Barriérede 1709.
Le 1. de ce mois lesCommunes ont examinė
le rapport des Comptes publics , &
on déclara que le Sieur Adam Cardonnel,
SécretairedeMilord Marlborough , étoit
coupable de malverſation pécuniaire ; il
futordonné à la pluralité des voix , qu'il
feroit chaffé de la Chambre.
Le Sieur de Borſelen , Envoyé des
EtatsGénéraux , arriva à Londres le29 .
Fé-
Zs
514 MERC. GALANT.
1
i
Février , & il cut hier ſa premiére Aus
diancedelaReine.
LeChevalier Lorenzo Thiepolo , Ambafladeur
de Venise , a reçû nouvelle par
un Courier Extraordinaire , qu'il avoit
étéélú Procurateur de S.Marc, à la pla.
cedu Sieur Marcello, décedé depuis peu
dejours.
On dit que le Czar qui étoit encore à
Petersbourg le 9. du mois dernier , a apris
par un Courier arrivé d'Azoph , que le
Gouverneur a éxécuté ſes ordres , enren.
dantcettePlace aux Turcs, après avoir
démoli les nouvelles Fortifications ; on a
envoyé les Chrétiens de cette Ville àMofcow.
LeKamdes Tartares eſt arrivé de Conftantinople
à Bender. Il a reçûdegrands
honneurs à Conſtantinople , à ſon arrivée&
à ſon départ. lla eu pluſieurs
Conférences ici avec le Roi de Suede , &
après avoir fait déclarer la Guerre contre
les Moſcovites , il a ordonné en partant
pour laCrimée , qu'on füt prêt à marcher
avec les Tartares de Budziac.
Le Sieur Lhoski , Général des Huffars,
mourut hier d'un coup de Sabre , qu'il a
reçû dansun Combat particulier contre le
Colonel Betoni , Colonel Hongrois . 11
yauneOrdonnance nouvellement publice
contre les Combats particuliers,
ExAVRIL
1712. 515
Extrait d'une autre Lettre .
Lefort en est jetté , & tous les Bachar
ant eu ordre de fepreparerà marcheravec
leurs Troupes,pourse rendre auplus tard à
lafindu mois de Mars prochain vers les embouchures
du Danube , en conſequence de ta
Guerredéclaréecontre les Moscovites ;
Le26. Decembrele Kam des Tartarespartitde
Constantinople pour aller trouver le
Roi de Suède. Le Grand Seigneur afait
au Kamplusieurs preſens confiderables ,
on lui afait degrands honneurs àſonarrivée
àfondépart.
Ona ordonné de travailler en diligence
al' Armement de la Flotte revenuë de la
Mernoire. Abdi Bacha Seraskierde Rela
grade s'est rendu auprès du Roi de Suede ,
aveclesTroupes de Romelie , donton tur a
donné leCommandement.
Le 2. Decembre Oſman Aga Kiaïa , ou
Lieutenant du grand Vifir Mehemet nouvellement
déposé,&Mektubai Effendi fon
Secretaire , ont eu latêtetranchéedans
la Place qui eſt devant le Serail , & leurs
corps expoſez trois jours au Peuple. On
aautfi exposé en publicdevantle Serail la
têre du Viſir avant Mehemet , qui avoit
agi contre le Roi de Suéde. Il avoit été
relegué à Metelin , où l'on l'a étranglé.
L
Z6 On
516 MERC . GALANT.
On dit à Conſtantinople que le Grand
Seigneur a déclaré qu'il marcheroit en
perſonne à la tête d'une puiſſante Armée,
pour attaquer le Czar du côté de l'Ukraine.
La Cour d'Eſpagne extrêmement affligée
des morts qui ont affligé la France ,
s'eſt reglée pour le deüil fur celui qu'on
porta à la mort de la Reine Marie-Théréfe
, &de la premiére femme de l'Empereur
Leopold , & de l'Imperatrice ſoeur de Marie-
Théréſe.
La Reine a témoigné qu'elle ſeroitbienaiſede
faire ſes couches au Buen- Retiro ,
où le Roi fait faire quelques accommodemenspour
la rendre habitable.
Le Duc de San Juan eſt mort le 12. Février
; il étoit Viceroi de Navarre. Le
Koia donné cette Charge au Duc de Veraguas.
LeRoi adonné àDon Juan de Ranenda
Rubalcava , la Charge de Fiscal de l'Audiance
Royale de Sarragoffe.
Il est arrivéd'Andaloufie plus de 3000.
chevaux pour remonter les Gardes du
Corps&le reſte de la Cavalerie.
On écritdeGalice que le ſieur Ducaffe
eftarrivé à la Corogne après avoir échapépluſieurs
perils , fur tout une furicuſe
zempête depuis fon départde la Martini
que. Ondit que les Vaiſſeaux apportent
la valeur de trente-cinq à quarante millions
de livres enOr & en argent , outre
les
AVRIL 1712.
517
les marchandiſes & autres effets.
Les Troupes Françoiſes de la Conca de
Trems marchent vers Valence par l'ordre
de M. le Duc de Vendôme; elles feront
remplacées par d'autres Troupes Françoifes.
LesTroupes du Roi d'Eſpagne étant en
quartier d'Hiver en Catalogne fort tranquillement
, Don Nicolas Tera de Urivé
eſt forti avec un détachement pour efcorter
les Fourageurs , ila rencontré un Corps
conſidérable deMiquelets & de Volontaires
il les achargez & mis en fuite; il en
atué environ ſoixante& faittrente prifonniers.
La diſette de grains & d'huile eſt fort
grande à Naples. On a envoyépluſieurs
Tartannes à Otrante , à Cotronne , à
Bari , &pluſieurs autres Ports de la Calabrepar
de là le Fare , pour en apporter
desgrains&des huiles. Ces Tartanes ont
étédiſperſées par une forte tempête , ils
ont gagné les premiers Ports qu'ils ont pû
atteindre. Ily en a une de perie , & plufieurs
fort endommagées.
200090
Z7 Très518
MERC. GALANT.
৩০
ADDITION
Faite en Hollande .
Très-humble Remontrance de la Chambre
des Communes , à la Reine.
Ous les très- foumis & très- fidéles
Nujetsde Votre Majesté, les Com
munes de laGrande-Bretagne affemblées
enParlement , n'ayant rien tant à coeur,
que de mettre Votre Majesté en état de
rerminer cette longue& onéreuſe Guerre
par une heureuſe & honorable Conclufion
, avons reflechi mûrement ſur les
moyens qu'il y auroit d'employer avec
plus de fruit , les Subfides néceſſaires que
nous devons fournir , & fur la manière
dont la Caufe Commune pourroit être
foûtenue avec plus d'efficace par la force
réunie de tous les Alliez. Nous avons
crű être obligez , par notre devoir à l'égard
de Votre Majesté , & pour répondre
a la confiance qu'on met en nous , de
nous informer du véritable état de la
Guerre dans toutes ſes parties ; Nous
avons examiné les Traitez qu'il y a entre
VotreMajesté & vos Alliez , & juſqu'où
l'on s'eſt aquité de ces Engagemens de
part
AVRIL 1712, 519
part&d'autre; Nous avons confideré les
differens intérêts des Alliez dans le fuccès
de cette Guerre , & ce que chacun
d'eux a contribué pour la ſoûtenir ; Nous
avons ráché , avec tout le ſoin& toute la
diligence dont nous sommes capables ,
d'en découvrir la nature, l'étendue& la
dépenſe , afin qu'après avoir fait une
exacte comparaiſon de ce qu'il endoitcoûter,
avec nospropres forces,nous pulfions
fi
bien proportionner l'un aux autres ,
que vos Sujets ne continuent pas d'être
chargez au delà de ce qui eft juſte & raifonnable
, & que nous netrompions pas
Votre Majesté , vos Alliez , ou nous.
mêmes , par des Engagemens dont la Nation
ne fauroits'aquiter dans l'état où elle
fetrouve.
Les Papiers , que Votre Majesté a eu
labontéde nous faire communiquer , fur
nos très -humbles inftances , nous ont
donné toute l'information requiſe à l'égard
de toutes les particularitez que nous
avons examinées ; & lorſque nous aurons
expofé nos Remarques là deſſus à Votre
Majesté , avee nos très - humbles Avis ,
nous eſperons d'en recueillir cet heureux
fruit; Que fi lesbons & généreux deſſeins
deVôtre Majesté, pourobtenir une Paix
fûre& durable , venoient à échouer malheureuſement
, parl'opiniatreté de l'Ennemi
, ou de quelque autre maniére , une
véritable connoiſſance de ce qui s'eſt pafle
jul520
MERC. GALANT.
1
1
juſques icidans la conduite de laGuerre,
fervira debon fondement pour la pouffer à
l'avenir avec plus de ménage&d'égalité.
Afind'avoir une vůë plus parfaite de ce
que nous nous propoſions , & d'être en
état de l'expoſer dans tout fon jour aux
yeux de Votre Majesté , nous avons crû
qu'il étoit à propos de remonter juſques
aucommencement de la Guerre : & qu'il
nous ſoit permis de rapeler ici les motifs
&les raiſons qui engagerentd'abord Sa
Majeſtédéfunte le RoiGuillaume à yen
trer. Le Traité de la Grande Alliance
dit, quece fut pour maintenir les Prétentions
de S. M. Imperiale , qui étoit alors
actuellement en Guerre avec le Roi de
France , qui avoit uſurpé toute la Monarchie
d'Eſpagne , en faveur de fon Petit
Fils leDucd'Anjou ; & pour aſſiſter les
EtatsGénéraux , qui , parla perte de leur
Barriére contre la France , ſe trouvoient
dans le même ou dans unplusdangereux
état , que s'ils étoient actuellement attaquez.
Comme ce furent là les juſtesmotifs
qu'on eut pour entreprendre cette Guerre
, auſſi le but qu'on fe propoſa d'obtenir
par-là , étoitégalement ſage&honorable.
Caron voit par l'Article VIII. de
cemême Traité , qu'il tendoit à procurer
une ſatisfaction juſte & raifonnable pour
S. M. Imperiale , & une fûreté ſuffiſante
pour les Païs , les Provinces , laNaviga
tion , & le Commerce du Roide laGran
de
AVRIL 1712. 521
1
$
1
1
1
1
de Bretagne & des Etats Généraux ; à
prendre de bonnes meſures , afin que les
deux Royaumes de France & d'Eſpagne
ne fuſſent jamais unis ſous le même Gouvernement
, & en particulier , afin que
les François ne poſſedaſſent jamais les IndesOccidentales
, qui relevent de laCou
ronne d'Eſpagne , ou qu'ils ne puſſent
point y envoyer des Vaiſſeaux ſous prétexte
d'ytrafiquer ,ou fous quelque prétexte
que ce pût être; à conſerver enfin aux
Sujetsdu Roi de laGrande Bretagne , &
à ceuxdes Etats Généraux , tous les droits
&priviléges qu'ils avoient à l'égard du
Commercedans tous les Païs de la Dominationd'Eſpagne
, avant la mort de Charles
II. Roi d'Eſpagne , ſoit en vertu de
quelque Traité , Accord, Uſage , oude
touteautre maniére que ce fût Pour vé.
nir àbout de ces Fins , les trois Puiſſances
Alliées s'obligérent à s'entr'aider mutuellement
de toute leur force , ſuivant la
proportion qui ſeroit ſpécifiée dans un
Traité particulier , qu'Elles feroient dans
laſuite : Nous ne trouvons pas qu'aucun
Traitéde cette nature aitjamais été ratifiés
mais il paroît qu'il y eut un Traité conclu
, qui engageoit réciproquement les
parties intéreſlées , & qui régloit ce que
JaGrandeBretagne devoit fournir. Les
termes de cet accord portoient , que pour
le ſervice de Terre , S. M. Imperiale fourniroit
quatre- vingtdix mille honımes , le
Roi
1
f22 MERC. GALANT.
Roi de laGrande Bretagne quarante mille,
& les Etats Généraux cent deux mil
le , dont quarante deux mille feroient
employez dans leurs Garniſons , & les
autres foixante mille agiroient en Campagnecontre
l'Ennemi commun : & qu'à
l'égard des Operations militaires ſurMer ,
elles ſe feroient conjointement par la
Grande Bretagne & les Etats Généraux ,
c'est-à-dire , que la premiére fourniroit
les 5. huitiémes , pour ſa quote-part des
Vaiffeaux , & les Etats les trois huitiémes.
1 La Guerre commença ſur ce pié dès
l'année 1702. , & alors toute la dépeníe
annuelle pour l'Angleterre montoit à
troismillions , ſept cens fix mille quatre
censquatre- vingt quatorze livres ſterling;
chargefort conſidérable,à ce que croyoient
lesSujetsde Votre Majesté , après le court
intervalle de répos dont ils avoient joüi
depuis le fardeau de la Guerre précedente;
mais avec tout cela bien modérée , en
égard au Poids qu'ils ont foûtenu dans la
fuite; Du moins il paroît , parles Comptes
délivrez à Vos Communes , que les
fommes requiſes , pour continuer le fer .
vice de cette Année ſur le même pié que
celui de laprécedente , reviennent àplus
de fix Millions , neuf cens foixante mille
livres ; outre l'intérêt qu'il faut payer
pour les Dettes publiques , & les Nonvaleurs
de l'année derniéres deux Articles,
AVRIL 1712.
$23
cles , qui montent à un Million , cent
quarante trois mille livres : De ſorte que
tout ce qu'on demande à Vos Communes
revient à plus de huit Millions pour les
Subfides de cette Année. Nous ſavons
que les tendres égards de V. M. pour le
bien de votre Peuple vous donneront de
l'inquiétude à l'ouie de ce peſant fardeau
qui l'accable, & commenous fommes af
furez que ceci Vous convaincra de la né
ceffité qu'il y avoit de faire cetterecher
che , qu'il nous foit auſſi permis de re.
preſenter à V. M. les cauſes qui ontproduitlemal,
&par quels dégrez ce poids
immenſeeſt venu ſur nous.
2
2
Sid'un côté le ſervice de Mer a été d'unegrande
étendue , on peutdire de l'autre
qu'il a étépoullé, duranttout le cours
de laGuerre , d'une manière trèsdéſavantageuſe
à Votre Majesté & à Votre Royau
me. Il eſt vrai que la néceſſité des affai
res exigeoit qu'on équipât toutes les annéesdegrandesFlotes
, foit pour confer
ver la fupériorité dans la Méditerranée ,
ou pour s'oppofer aux Efcadres que l'Ennemi
pourroit équiper à Dunkerque, ou
dans les autres Ports de l'Ocean ; mais
l'exemple & la promtitude de V. M. à
fournir fa quote-part des Vaiſſeaux dans
tous les endroits requis , bien loin d'exciter
les Etats Généraux à marcher avec
Vous d'un pas égal , les ont portez à fe
négliger toutes les années juſques à un
tel
と、८
524 MERC. GALANT.
1
tel point , qu'à proportion de ce queV.
M. afourni , ils ont été quelquefois en arriére
des deux tiers , & prefque toûjours
deplus de la moitié de leur Contingent:
Delà vient que Vôtre Majesté , pour prévenir
les diſgraces qui pouvoient arriver
dans les occafions les plus preffantes , a
étéobligée de ſupléer à ce défaut par un
nouveau renfort de vos propres Navires ;
mais ce furcroît de nos fraix n'a pas été la
ſeule conféquence facheuſe qui l'ait fuivi;
puiſque par ce moyen , les dettes du Bureau
de la Marine font allées ſi loin, que
lesDécomptes qu'il ya eus fur ſes Affignations
, ont affecté toutes les autres parties
du ſervice : De là vient auſſi que pluſieurs
Vaiſſeaux de Guerre de Vôtre Majeſtéont
été réduits à hiverner dans des Mers éloignées
, au grand préjudice & à la ruïnede
nos Forces Maritimes ; que Vous n'avez
pû fournir les Convois néceffaires à nos
Vaiſſeaux Marchands ; que vos Côtes ont
été expoſées,manque de Vaiſleaux pour les
garder, &queVous avez été miſe hors
d'état de traverſer l'Ennemi dans fon
Commerce aux Indes Occidentales , qui
lui a été fiavantageux , & d'où il a tiré de
fi vaſtes Tréfors , fans lesquels il n'auroit
jamais pû foûtenir les fraix de laGuerre.
Cette partie de la Guerre qu'on a pouffée
en Flandres , & quidabord regardoit
la fûreté des Erats Généraux, a fervide-
Puis à leur procurer de fort grandes acqui
fitions
13
AVRIL 1712 . 525
10
fitions tant en Revenus qu'en Territoires :
Malgré tout cela, ils n'y ont pas fourni
leurContingentde Troupes , & ils en ont
diminué le nombre peu à peu ; en forte
quede leurs trois Cinquiémes ſur les deux
Cinquiémesde V. Majeſté ,il leur en nianquoit
l'année derniére 20837. hommes.
Nous n'ignorons pas qu'en l'année 1703 .
il y eut un Traité conclu entre les deux
Nations , pour augmenter leurs Troupes
de vingtmille hommes , &que l'Angleterre
ſe chargea d'en payer la moitié, à
condition que les Etats Généraux défendroient
tout Commerce avec la France.
Cette Clauſe eſt expreſſe dans l'Acte du
Parlementqui conſentit àcette levée;mais
puiſque les Etats ne l'ont point tenuë ,
lesCommunes croyent qu'on auroit dû
en revenir à la premiére Régle de Trois à
Deux, tant à l'égard de cette augmentation
quedes autres qui ont faivi ; furtout
lors qu'ils conſidérent que les Revenusde
ces riches Provinces , qu'on a conquiſes ,
pourroient fervir , s'ils étoientbien appliquez
, àl'entretien d'un grand nombrede
nouvelles Troupes contre l'Ennemi commun;
cependant les Etats Gén. n'en ont
rien employé à cet uſage , mais ils employent
cenouveau ſecours pour ſe ſoulager
d'unepartiede leur premier Contingent.
Si dans leprogrès de la Guerre en Flandres,
il y eut bientôt une diſproportion
dans le nombre des Troupes , au préju dice
526 MERC. GALANT.
dice de l'Angleterre; d'un autre côté ,
l'ouverture de la Guerre en Portugalmit
d'abord une partie inégale du fardeau fur
nous. Car , quoi que l'Empereur&les
EtatsGénéraux euffent traité avec leRoi
de Portugal fur le même pied que Vôtre
Majesté , l'Empereur ne fournit pointfon
tiersdesTroupes nides Subfides qu'il avoit
promis, & les Hollandois ne voulurent
pas fuppléer à cedéfaut par une égaleportion;
de forteque Vôtre Majesté s'eſt vûë
obligée à payer les deux Tiers de toute la
dépenſe qu'il en coûte pour ce fervice.
L'inégalité a même paffe plus loin; car
depuis l'année 1706. , lors que les Trou
pesAngloiſes & Hollandoiſes marchérent
de Portugal en Caſtille , les EtatsGénéraux
ont entiérement abandonné cette
Guerre, & laiffé le foin à VôtreMajesté
de la poursuivre à vos propres fraix, cel
que Vous avez fait auſſi , eny envoyant
beaucoup plus de monde que Vous ne
vous étiez d'abord engagée d'en fournir.
D'ailleurs , les généreux efforts deVotre
Majesté pour le ſoûtien &la défenſe du
RoidePortugal,ont été bien mal ſecondez.
de lapartde ce Prince même , puiſqu'a
près les recherches les plus exactes que
VosCommunes ont pu faire , il fe trouve
qu'iln'apreſquejamais fourni treize mille
hommes en tout ; quoi qu'il fut obligé
par fon Traité , d'avoir douzemille hom
mes d'Infanterie , & trois mille Chevaux
هيل
え
AVRIL 1712. 527
à ſes fraix &depens , outre onze mille
Fantaſſins &deux mille Chevaux deplus ,
pour leſquels on lui payoitdes Subſides.
EnEſpagne, laGuerre a étéencore plus
inégale & plus onereuſe à Vôtre Majesté ,
qu'en aucune autrede ſes branches; car elle
yfutcommencéeſans aucunTraité préalable,
& les Alliez n'ont preſque pas voulu
enſuite y contribuer la moindre choſe. En
1705., on y envoya un petit Corps de
Troupes Angloiſes & Hollandoiſes , non,
pas qu'on le crût ſuffifant pour ſoûtenir
une Guerre bien réglée , oupour conquerir
un ſi vafte Païs , maisdans la ſeule vûë
d'aider les Eſpagnols , qu'on nous diſoit
avoirbeaucoup d'inclination pour laMaifon
d'Autriche , à mettre le Roi Charles
fur le Trône : Mais cette eſpérance étant
évanoüie , l'Angleterre ſe trouva.cngagée
inſenſiblement dans cetteGuerre ,
malgré tous les deſavantages que la diftance
des Lieux & les foibles efforts des
autres Alliez lui pouvoient caufer. Tout
ce que nous avons àdire là deſſus à Vôtre
Majesté , ſe réduit à ceci : Que bien qu'on
entreprît cette Diverſion ſur les inſtances
réïtérées de la Cour Impériale , & pour
une Cauſe où il ne s'agiffoit pas de moins
que de laréductionde laMonarchied'Efpagne
à laMaiſon d'Autriche , nilesdeux
Empercurs défunts , ni Sa Majesté Impériale
d'aujourd'hui , n'y ont jamais eu aucunes
Forces à leurs propres fraix , jufques
528 MERC. GALANT.
ques à l'année derniére , qu'il y eut un
foul Régiment d'Infanterie , compoſe de
deux mille homines. Quoique les Etats
Généraux ayent contribué quelque chofe
de plus pour cette branche de la Guerre ,
leur Portion n'eſt pas allée fort loin ; car
dans l'eſpace de quatre années , c'eſt-àdire
depuis 1705. juſqu'en 1708. incluſivement
, toutes les Troupes qu'ils y ont
envoyées , n'excédent pas le nombre de
douzemilledeux censhommes ; &depuis
l'année 1708. juſques à ce jour , ils n'y
ont envoyé ni Corps de Troupes ni Recrües.
Il ſemble ainſi qu'on ait laifféen
quelque manière à Vôtre Majeſtéle ſoin
de recouvrer ce Royaume&d'en payer les
fraix , comme s'il n'y avoit que Vous ſeule
d'intéreſſée. En effet , les Troupes que
Vôtre Majesté a envoyées en Eſpagne ,
dans l'eſpace de ſept années, depuis 1705 .
juſqu'en1711. incluſivement , ne reviennent
pas à moins de cinquante-ſept mille
neuf cens foixante treize hommes , fans
parler de treize Bataillons &de dix-huit
Efcadrons , pour lesquels Vôtre Majefté
a payé des Subſides à l'Empereur. Vous
n'ignorez pas quelle a été la dépenſe fixe
pour l'entretiende ce nombre d'hommes ,
&Vos Communes en ont bien reſſenti le
poids: Mais ce fardeau paroîtra beaucoup
plus grand, fi l'on fait attention aux dépenſes
extraordinaires qui ont accompa
gné un Service ſiéloigné& fidifficile ; &
qui
AVRIL 1712. 529
liqui
ont toutes été ſoûtenues par V. M. , à
la réſerve de ce qu'il en a coûté aux Etats
Généraux pour le tranſport & l'avitaillementde
ce petit nombre de Troupes qu'ils
-yontenvoyées. Les Comptes délivrez à
Vos Communes font voir : Que la dépen-
-ſedes Vaiſſeaux de V. M. , employez pour
le ſervice de la Guerre en Eſpagne & en
Portugal , ſur le pié de 4. liv. ſterl. par
mois pour chaque Matelot , depuis leur
départ d'ici juſques à leur retour , leur
perte, ou leur emploi à quelque autre fervice,
monte à fix Millions , cinq cens
quarante mille , neufcens foixante- fix neur.cens
vres , quatorze Chellins. Les fraix des
Tranſports , qui concernent la Grande
Bretagne, pour foûtenir laGuerre enEfpagne
& en Portugal , depuis qu'elle a
commencé juſques àpréſent , reviennent
à un Million, trois cens trente- fix mille ,
ſept cens dix neufPiéces , dix-neufChellins
, onze fols. L'avitaillement des
Troupes deTerre embarquées pour le même
ſervice , monte à cinq cens quatrevingt
trois mille, ſept cens ſoixante-dix
livres, huit Chellins & fix (ols; & la dépenſe
des Extraordinaires pour le même
ſervice , revient à un Million , huit cens
quarante mille , trois cens cinquante- trois
livres.
4
Nous expoſerions aux yeux de Votre
Majesté, les différentes ſommes qui ont
été payées ſur le compte des Extraordi-
Tome V. Aa nai530
MERC.GALANT.
1
h
naires en Flandres , & qui font enſemble
unMillion, cent ſept mille, quatre- vingt
feize livres , ſi nous pouvions les comparer
avec ce que les Etats Généraux ont
fourni pour le même ſujet ; mais nousn'avons
aucun détail de leur dépenſe à cet
égard; ainſi nous n'en dirons pas davantage
là-deſſus. Il ne reſte donc que l'Article
des Subſides , qu'on a fournis aux
Princes Etrangers , & qui méritent lattentionde
Votre Majeſté. Au commencement
de la Guerre , Votre Majesté &les
Etats Généraux les payoient dans une proportion
égale ; mais depuis la Balance a
panché à Votre préjudice : Car il paroît
que V. M. a fourni au delà de fon juſte
Contingent , trois Millions , cent cinquante-
cinqmille Ecus , ſans les Extraordinaires
payez en Italie , qui ne fontpoint
compris dans aucun des Articles précédens
, & qui montent à cinq cens trenteneuf
mille, cinq cens cinquante- trois livres.
Nous avons détaillé tout ceci à V. M.
de la manićre la plus courte qu'il nous a
été poſſible ; & par un Calcul appuyé fur
les Faits marquez ci-deffus , il ſe trouve ,
qu'au delà du Contingent de la Grande
Bretagne, proportionné àceluide vosAlliez
, V. M. a dépensé , durant le cours de
cette Guerre , plus dedix-neuf Millions ,
& qu'aucun des Alliez. n'a fourni la
moindre choſe pour contrebalancer cette
fomme.
C'eft
AVRIL 1712. 531
C'eſt avec beaucoup de chagrin , que
nous trouvons tantde ſujetde repreſenter
le mauvais uſage qu'on a fait du zéle de V.
M. & de vos Peuples pour le Bien de la
Cauſe Commune , qui n'a pas été auſſi
avancépar-là qu'il feroit à ſouhaiter , parceque
lesautres ont abuſe decette ardeur
pour ſe décharger à nos dépens , &qu'on
a ſouffert qu'ils ayent mis leur portiondu
Fardeau ſur ce Royaume , quoi qu'à tous
égards ils ſoient autantouplus intéreſſez
que nous dans le ſuccès de cette Guerre.
Nous ſommes perfuadez que V. M. nous
pardonnera , ſi nous témoignons du refſentimentſur
le peu d'égard qu'ont eu pour
les intérêts de leur Patrie quelques unsde
ceux qui ont étéemployez au ſervice de V.
M. ,lors qu'ils ont ſouffert qu'on lui en impofâtd'une
maniére ſi déraiſonnable , s'ils
ne ſont pas eux- mêmes en quelque forte la
principale cauſede ces mauvais tours : Le
cours de ces injustices de nos Alliez a
été fi extraordinaire , queplus les richefſes
de ce Royaume ont été épuisées , &
plus les Armes de Votre Majeſté ont
obtenu d'heureux ſuccès , plus notre fardeau
s'eſt apeſanti; pendantque de l'autre
côté , plus vos efforts ont été vigoureux ,
& plus vos Alliez en ont retiré de grands
avantages , plus ces mêmes Alliez ontdiminué
deleur portion de ladépenſe.
Dès qu'on eut entamé cette Guerre ,
lesCommunes en vinrent toutd'un coupà
Aa 2 des
532 MERC. GALANT.
1
"
des efforts extraordinaires , & à donnerde
fi gros Subfides , qu'on n'a jamais rien vû
depareil , dans l'eſpérance de prévenir les
malheurs d'une Guerre languiffante , &
d'amener bien- tôt à une heureuſe conclufion,
celle où nous étions néceſſairement
engagez : mais l'événement a fi mal ré
pondu à leur attente , qu'elles ont grand
ſujet de ſoupçonner , que ce qui devoit
abréger la Guerre , a été la véritable cauſe
deſa longueur; car ceux qui en tiroient le
plus de profit , n'ont pas été facilement
diſpoſez à y renoncer : De forte que Votre
Majesté pourra découvrir ſans peine ,
d'où vient que tant de perſonnes ſeplaifoient
dans une Guerre , qui leur aportoit
tous les ans une ſi abondante moiffon
de laGrande Bretagne.
Nousfommes auſſi éloignez de ſouhaiter,
comme nous ſçavons que VôtreMajeſté
l'eſt de conclure aucune Paix , à
moinsqu'ellene ſoità des conditions füres
&honorables : Notre vûë n'eſt pas non
plus de nous diſpenſer de lever tous les
Subſides néceflaires &poffibles pour ſoûtenir
vigoureuſement laGuerre , juſqu'à
ce qu'onaitobtenu une telle Paix . Tout
ce que vos fidéles Communes ſe propofent,
tout ce qu'elles defirent , c'eſt, que
les autres Puiflances Alliées de Votre Majefté
y concourent d'un pas égal , & que
l'on faffe une juſte application de ce que
l'on a déja gagné ſur l'Ennemi pour le bien
de
AVRIL 1712. 533
de laCauſeGommune. Ily adivers Territoires
& Pais d'une vaſte étenduë qui
font revenus à la Maiſon d'Autriche ; comme
le Royaume de Naples , le Duché de
Milan &quantité de Places en Italie : 11
y en ad'autres qu'on a conquis , &qu'on
ajoints à fesDomaines ; tels fontlesdeux
Electorats de Baviere & de Cologne, le
Duché de Mantouë & la Principauté de
Liege. Comme ces dernieres Conquêtes
font dûës en grande partie à notre fang &
ànos tréſors , il nous ſemble , s'il eſt permis
de le dire , que nous avons droitde
prétendre qu'elles aident à pouffer la
Guerre en Eſpagne. C'eſt pourquoi nous
fuplions inſtamment Votre Majesté d'ordonner
à Vos Miniſtres qu'ils agiffent auprès
de l'Empereur , afin que les Revenus
de cesdifférensPaïs ſoient employez à cet
ufage , à la réſerve de ce qu'il enfautdéduire
pour leur propre défenſe.
Pour ce qui regarde les autres branches
delaGuerre,auxquelles V.M. s'eſt obligée
de contribuer par des Traitez particuliers ,
nous lafuplions très-humblement de vouloir
tenir la main à ce que ſes Alliez s'aquitent
des engagemens où ils ſont entrez
là-deſſus , & de ne leur donner à l'avenir
des Troupes ou des Subſides , qu'à proportionde
ce qu'ils en fourniront eux-mêmes.
Lors qu'on aura fait cette juſtice à
Votre Majesté , & à votre Peuple , iln'y
a rien que vos Communes n'accordent de
Aa 3
bon
534 MERC. GALANT.
bon coeur , pour ſoûtenir Votre Majesté
dans la Cauſe où Elle eſt engagée. S'il fe
trouve même qu'on ait beſoin de nouvelles
Forces , par Mer ou par Terre , nous mertrons
Votre Majesté en état d'y contribuer
ſa portion légitime ; & il n'y a point de
Subſides que vos Sujets ne foientdiſpoſez
à Vous accorder , dans toute l'étenduë de
leur pouvoir .
Après avoir examiné l'état de la Guerre
, dans laquelle il paroît que V. M. a
non ſeulement dépenſe plus qu'aucun de
vosAlliez , maisautant qu'eux tous pris
enſemble , vos Communes ſe flattoient
de trouver , que dans les conditions d'une
Paix future , on auroit eu foin d'affurer à
la Grande Bretagne quelques avantages
particuliers , quidonneroient à la Nation
quelque efpérance de la dédommager avec
le tems de ces Tréſorsimmenſes qu'ellea
fournis & des grofles Dettes qu'elle a contractées
durant le cours d'une fi longue &
fi onereufeGuerre . On neepouvoit mieux
répondre à une attente fi raiſonnable ,
qu'en exigeant plus de fûreté&d'étenduë
pour leCommerce de la Grande Bretagne:
Mais nous nous voyons ſi bien déchûs de
cette eſpérance , que dans un Traité
conclu , il n'y a pas long tems , entre V.
M. & les Etats Généraux , ſous prétexte
de ſe donner une Garantie mutuelle fur
deux Articles de la derniére importance
pour les deux Nations , dont l'un regarde
la
AVRIL 1712. 535
la Succeffion & l'autre la Barriére , les intérêts
de la Grande Bretagne n'ont pas été
ſeulement négligez , mais facrifiez ; &
qu'il y a divers Articles ruïneux pour le
Commerce & la Proſperité de ce Royaume
, & par conséquent très deshonorablespourV.
M.
Vos Communes remarquent d'abord ,
qu'en vertude ceTraité , pluſieurs Villes
&Placesdoivent être miſes entre les mains
des Etats Généraux , en particulier Nieu
port , Dendermonde & le Château de
Gand, qu'on ne sçauroit jamais regarder
comme faiſant partie d'une Barriére contre
la France , mais plutôt comme les
Clefs du Païs-Bas du côté de la Grande
Bretagne ,& ne ſervant que pour rendre le
Commerce des Sujets de V. M. dans ces
quartiers là fort précaire , où même les en
excluretout- à-fait , dès que les Etats lejugeront
à propos. Laprétenduë néceſſité
qu'il y a de mettre ces Places entre les
mains desEtatsGénéraux , pour leur afſfurer
une Communication avec leur Barriére
, eſt vaine & fans fondement : Car puifque
la Souveraineté des Pais-Bas Éſpagnols
doit reſter à un Ami& à un Allié ,
non pas à un Ennemi , cette Communication
ſera toûjours füre & ouverte : D'ailleurs
, en cas d'une Rupture , ou d'une
Attaque , on laiſſe une pleine liberté aux
Etats de prendre poffeffion de tous les
Païs-Bas Eſpagnols; de forte qu'ils n'a
voient A4
516 MERC. GALANT.
voient pas besoind'aucune ſtipulationpar
ticulière pour les Places ci-deſſus .
Aprèsavoirditun mot de cette Concef.
fion faite aux Etats Généraux de s'emparer
de toutes les dix Provinces , nous ne
pouvons que representer à V. M.: Que
de la maniéredont cet Article eft conçu,
ilformeune autre circonſtance dangereufe
: puiſque ſi l'on avoit borné le Cas à
la ſeule attaque apparente du côté de la
France, on auroit rempli le deſſein avoué
de ce Traité , & ſuivi les Inſtructions
que V. M. avoit données à fon Ambafiadeur
? Mais on a omis cette Restriction
néceſſaire , & la même liberté eſt accordée
aux Etats de s'emparer de tous les Païs-
Bas Eſpagnols , toutes les fois qu'ils ſe
croiront attaquez par aucune des Nations
voiſines , auſſi bien que lors qu'ils feront
en danger du côté de la France; de forte
que s'il arrivoit quelque jour ( ce que vos
Communes ont une grande répugnance à
fupoſer ) qu'ils vinſſent à ſe broüiller avec
V. M. , les richeſſes , la force , & la
fituation avantageuſe de ces Païs pourroient
ſervir contre Vous même , quoi
qu'on ne les eûtjamais conquis fans Vos
puiffans &généreux ſecours .
Pour revenir aux fâcheuſes conſequences
qui regardent le Commerce de Vos
Royaumes, qu'il nous ſoit permis d'expoſer
à V. M. ,Quebien que ce Traité renouvel
le le XIV. & le XV. Articles de celui de
Mun.
AVRIL 1712. 537
Munster , & qu'il Vous en rende une des
Parties intéreſſées , en vertu deſquels les
Droits impoſez fur toutes les Denrées &
Marchandiſes qui vont par Mer dans les
Païs-Bas Eſpagnols , doivent égaler ceux
qu'onexigede tous les Effets & Marchandiſesqu'on
y tranſporte par l'Eſcaut , les
Canauxdu Sas & de Swyn , & autres Em.
bouchures de la Mer qui ſont dans le voifinage;
avec tout cela onn'y prendaucun
ſoinde conſerver la même égalité , lors
qu'il s'agit de la ſortie de ces Marchandiſes
hors des Provinces Eſpagnoles , & de
leur entrée dans les Païs& Places quidoi
vent être à la diſpoſition desEtatsGénéraux
en vertu de ceTraité. C'eſt-à dire ,
que dans la ſuite ( & Vos Communes font
informées qu'il en eſt arrivé déja quelques
exemples ) les Droits d'entrée mis ſur les
Marchandiſes tranſportées dans ces Païs
& Villes par les Sujets des Etats Généraux
, feront ôrez , pendant qu'on continuera
ceux qu'on exige des Sujets deV.
M.; de forte que laGrande Bretagne rifque
de perdre une des branches lesplus
avantageuſes de ſon Commerce , dont
elle a étéen poſſeſſion de tout tems , même
depuis que ces Provinces étoient gouvernées
par la Maiſonde Bourgogne , l'unedes
plus anciennes & des plus utilesAlliées
que l'Angleterre ait jamais eu .
A l'égard des autres Païs & Terres de
la Couronned'Espagne , les Sujets de V.
M
Aas
538 MERC. GALANT.
M. ont toûjours été diſtinguez dans leur
Commerce avec eux , & ont joüi de plus
grands Priviléges & Immunitez fur cet
Article, que les Hollandois , ou aucune
autre Nation , tant par des anciensTraitez
, que par un long uſage. Aufſi l'excellent
Traité de la grande Alliance aflure
fi bien ces beaux Priviléges à la Grande
Bretagne , qu'il laiſſe chaque Nation à
la finde laGuerre ſur le même pié où elle
étoit àcet égard au commencement. Mais
leTraité , dont nous nous plaignons , au
lieude confirmer les Droits de Vos Sujets,
les abandonne&les renverſe: Car, quoi
que le XVI. & XVII . Articles du Traité
deMunster , fait entre Sa Majesté Catholique
& les Etats Généraux , accordent
aux Hollandois tous les avantages du
Commerce , dont les Anglois jouiffoient ;
laCouronned'Angleterre n'a pas été une
des Parties intéreſfées dans ce Traité , les
Anglois ne ſe ſont jamais ſoumis à ces
deux Articles , & les Eſpagnols eux -mêmes
ne les ontjamais obſervez : Mais ce
dernier Traité les renouvelle au préjudice
de la Grande Bretagne , y fait entrer V.
M. comme Partie , & la rend même ga .
rante envers les Etats Généraux pourdes
Priviléges qui tournent à la ruïne de Votre
Peuple.
La promtitude extraordinaire avec laquelle
Votre Ambaſſadeur conſentit à dépoüillerVos
Sujets de leurs anciens Droits,
&
AVRIL 1712. 539
& V. M. du pouvoir de leur procurer
quelque nouvel avantage , paroît évidemment
de ſes Lettres , que Vous avez
fait donner à Vos Communes : car lors
qu'on offrit certains Articles avantageux à
V.M.& à Vos Peuples , pour les inferer
dans ce Traité , les Etats Généraux ne
voulurent pas les admettre , ſous prétexte
qu'il n'y faloit rien mêler de ce qui ne
touchoit point à la Garantie de la Succeffion
& de la Barriére ; quoi qu'ils n'eurent
pas plûtót avis d'un Traité de Commerce
conclu entre V. M. & le preſent
Empereur , qu'ils renoncerent à ce prétexte
, pour inſiſter ſur l'Article , dont
VosCommunesſe plaignent aujourd'hui ,
& que l'Ambaſladeur de V. M.accorda ,
quoi qu'il n'eût aucun rapport à la Succeffion
, ou à la Barriére , & que ceMiniſtre
lui - même ſe fût départi pour cette
raiſon de quelques Articles qui auroient
étéavantageux à ſa Patrie.
Nous nous ſommes abſtenus de fatiguer
V.M. par des Remarques générales fur ce
Traité , en ce qui concerne l'Empire , &
les autres Etats de l'Europe . Nousavons
ſeulement pris la liberté de Vous expoſer
les Maux qui en reſultent à la Grande-
Bretagne. Comme ils ſont de la derniére
évidence & très conſidérables , & que le
Vi-Comte de Townshend n'avoit aucun
ordre ni autorité pour conclure divers de
ces Articles , qui font leplusdetorraux
Aa 6
Su540
MERC. GALANT.
1
Sujets de V. M. , nous avons crû quele
moins que nous puiſſions faire , étoitde
déclarer Votre dit Ambaſſadeur , quia ne
gocié & figné ce Traité , de même que
tous les autres quien ont conſeillé la Ratification
, Ennemis de V. M. & de ce
Royaume.
Sur ces fidéles Avis & Informations de
Vos Communes , nous nous promettons
que V. M. , par la tendreſſe qu'Elle a pour
fonPeuple , le garantirade ces malheurs ,
auxquels les Conſeils de Gens mal-intentionnez
l'ontexpofé ;& qu'enVotre grande
Sageffe , Vous trouverez quelques
moyens d'expliquer & de corriger divers
Articles de ce Traité , en forte qu'ils puiffent
compatir avec l'Intérêt de la Grande-
Bretagne , & avec une Amitié ſincére &
durable entre V. M. & les Etats Géné
raux.
"
Ex
AVRIL 1712 . 541
Extrait du Régitre des Résolutions de L.
H. P. les Seigneurs EtatsGénéraux des
Provinces Unies des Pais Bas .
: LeVendredi 1. Avril 1712 .
MEffieurs de Broekhuyſen , &les autresDéputez
de L. H.P pour les affaires étrangeres,
ont en conféquence de la Réſolution Commiſſoriale
du 12. du mois paflé à ce ſujet , &
pour y fatisfaire , examiné avec quelques uns
deMeffieurs les Députez du Conseil d'Etat la
Lettre Miſſivede M. van Borſſelen , Envoyé Extraordinairede
L H. P. à la Cour de S. M laReinede
la Grande Bretagne , écrite de Londres le
8. précédent, contenant avis des Réſolutions
priſes par la Chambre des Communes du Parlement
de la Grande Bretagne , au ſujet de continuer
& entretenir dans les Païs Bas pour l'année
1712.: Premiérement, les 40. mille hommes
que S M. apris à ſon ſervice au cominencement
dela Guerre : En ſecond lieu , les to millehommesd'augmentation
faite enl'année 1703.: Ee
entroifiéme lieu , 15178. hommes; cetiederniere
augmentation faite fous condition que les
Etatsdes Provinces-Unies entretiendront autant
de Troupes que nonte la proportion de trois
cinquièmes contre deux cinquièmes . Sur quoi
ils ont fait leRaport ſuivant à l'Aſſemblée.
Que pendant l'examen de la fufdite Mitlive
ils avoient apris que M le Comte deStraffort,
Ambaſſadeur Extraordinaire& Plénipotentiaire
de Sadite Majesté , avoit déclaré la veillede ſon
dernier départ pour Utrecht , qui fut Lundi
paſſe, à quelques Seigneurs , qu'il avoit reçû
ordre parM. S Jean , Secretaire d'Etat, dedeclarer
à 1L. H. P. qu'Elles euffent àfupléer à
quimanquede leur Contingent detrois cinquié-
Aa 7
ce
mes
542 MERC. GALANT.
mes par raport aux ſuſdits 15178. hommes ;
faute de quoi S. M. congédieroit autant dudic
nombre des 15178. hommes , que la quote-part
de S. M. de deux cinquièmes contre trois cinquiémes
de la part de l'Etat , excéde le nombre
des Troupes qui a été fourni par l'Etatdans les
Païs-Basparraport aux fuſdits 15178. hommes;
Jaquelle déclaration eſt fondée ſur cette fuppofition:
Qu'au commencement de la Guerre l'Etat
s'étoit chargé de fournir pour la Guerredans
les Pais-Bas 102. mille hommes , ſavoir 42000.
pour les Garniſons & 60. mille pour la Campagne;&
que laGrande Bretagne de ſon côté nedevoit
fournir que 40. mille hommes dans les Païs-
Bas. Ces Troupes furent augmentées l'an 1703.
de 20000. hommes , qui devoient être payez ,
moitié par la Grande Bretagne , & moitié par
l'Etat : Mais qu'à l'égard des ſuſdits 15178.
hommes fournis par S. M.de la Grande Bretagne
depuis l'an 1703. , la premiére proportionde
60000. hommes à quarante mille , ou de trois
cinquiémes contre deux , devoit être obſervée.
Que cela leur avoit donné occaſion d'examiner
auffi les Votes & les Réſolutions de la Chambre
des Communes du Parlement de la GrandeBretagne
du 16. Février dernier , nouveau ſtile ,
par leſquelles il eſt imputé à cet Etat , qu'à divers
égards il n'a pas fatisfait à ſes engagemens ,
dans le fourniſſement à quoi il étoit obligé, tuivant
ſa Quote ou Contingent , pour pouſſer la
Guerre : Et auſſi d'examiner l'Adreſſe de la
Chambre des Communes préſentée à S M. fur
ce ſujet, laquelle Adreſſe , de même que leſditesVotes
, ont été imprimees , renduës publi
ques, & répanduës par tout.
Quepourdémontrer le peude fondement tant
de la ſuſdite ſuppoſition , que de ce qu'on a im
puté à l'Etat par les ſuſdites Reſolutions ou Vo
tes,&par ladite Adreſſedes Communesquiles
a fuivie , leſdits Sieurs Commiſſaires ont rédige
dans
【
AVRIL 1712.
543
dans un Mémoire les raiſons qui établiſſent le
contraire , lequel Mémoire a été delivré par lefdits
Sieurs Députez , & fera inſeré à la fin des
Preſentes.
Sur quoi ayant été delibere, il a été jugé à
propos & rélolu , qu'on enverra au Sieur de
Borſſelen , Envoyé Extraordinaire de L. H. P.
laCourdeS. M. la Reine de la GrandeBretagne ,
des Copies du ſuſdit Mémoire , & des Piéces
qui y fontjointes , &qu'on lui écrira qu'il ait à
repreſenterde vive voix& par écrit à Sadite Majefté
, & ailleurs où il pourra être utile , quela
notification faite parledit Sieur Comte de Straf.
ford, comme s'il falloit qu'à l'égard des ſuſdits
15178- hommes, l'Etat augmentat ſesTroupes
de ce qui manque à leurs trois cinquiémes , ou
que S. M. diminueroit le nombre des ſiennes ,
&les réduiroit à proportion de deux cinquiémes
par raport à celles de l'Etat , a causé d'autant
plus de déplaisir à L. H. P. , que , selon
leur jugement , elle n'eſt pas bien fondée , vû
qu'il nàya pas lieu d'exiger d'un Ecat , qui ſupporte
déja tant de charges , qu'il augmenteſes
Troupes, &que dans la preſente conjoncture,
leBiende laCauſe Commune ne peut permettre
que celles de S. M. ſoient diminuées .
Que la ſuppoſition ci deſſus mentionnée , ſur
laquelle est fondée cette notification , nepeut
être admiſe par L. H. P. , & que quandmême
elle pourroit être admiſe , toute la difference
alors ne conſiſteroit ſeulement qu'en4303. hommes,
que l'Etat auroit de trop peu , ou queS.
M. auroitde tropdanslesPaïs-Bas : à quoi lon
peut oppoſer , qu'il feroit raisonnable d'avoir
égard aux Troupes que l'Etat a premiérement
fournies au commencement de cette Guerre ,
avant que la Grande Bretagne aitde ſa partfait
aucune augmentation , & à ce que celles de l'Etat
ont été alors entretenues pendant quelques
années , jusqu'au nombre de cent deux milles
ainfi
544 MERC. GALANT.
ainſi qu'il eſt démontré par le faſdit Mémoire :
Ec que par ces raiſons , le Sicur van Borſelendemandera
, que S M. veüille bien n'exiger pas de
l'Etat qu'il augmente les Troupes , ni quede
ſon côté Elle diminuë les fiennes.
Qu'en même tems ledit Sieur van Borffelen
repréſentera à S. M. , que ce n'est qu'avec beancoup
de déplaiſir que L. H. P. ont vû par leſdires
Reſolutions ou Votes , & par l'Adreſſe de la
Chambre des Cominunes , qui ont été imprimées
, publiées & répandues de tous côtez
dans le monde , qu'Elles y ont été condamnées
ſans avoir été ouïes , comme ſi elles n'avoient
pas fatisfait à leurs engagemens , ni contribué
autant qu'Elles devoient à proportion deS. M.
pour les charges&fraixde laGuerre,, i
Que pour ledéchargerde ce blâme , & pour
informer S. M des raiſons pourquoi elles ſeper
fuadent qu'il leur a été injuſtement imputé, Elles
lui ont enjointde preſenter à S. M: le ſuſdis
Mémoire , dont en même tems , il delivrera
copie, en ajoûtant que lors qu'il plaira à S.M. ,
ainſi qu'on l'eſpére , de faire de favorables &
équitables reflexions ſur les efforts que l'Etat ,
après deux très-onéreuſes Guerres , a maintenant
& de nouveau faits dans cette troiſieme ,
dans laquelle , dès ſon commencement , il a entretenu
cent dix mille hommes : Armement ſi
puiſſant , qu'il s'en faut beaucoup quedansles
Guerres précédentes il en ait jamais fait un fi
grand, quede tems en tems il aaugmenté confidérablement
ſes Troupes , à quoi il faut joindre
la conſidération des Subſides qu'il a été obligé
depayer , & les équipemens de Mer qu'il a faits ;
L. H. P. ſe tiennent affurées que S. M ſuivant
fon équité fi connuë , auffi bien que tout le Publie,
feront néceſſairement convaincus que l'Etat
a fait dans cette preſenteGuerre , autant &
plus qu'onen pouvoit& devoit attendredebons
& fideles Alliez , ſelon les régles de la raiſon&
nie
AVRIL 1712 . 545
de l'équité , & qu'il n'y a qu'un excès d'Amour
pont leur Liberté &pour leur Religion , & un
zéle ardentpourdétourner l'Esclavage donttoute
l'Europe , auffi-bien que cet Etat fontmenacez
, quiait pu les porter à faire de fi prodigieux
efforts, & à les continuer pendant un fi longtems:
Qu'elles rendent graces àDieu de ce que
cesefforts, qu'Elles ont joints à ceux de SaMajeſté&
deleurs autres Alliez , ont été tellement :
bénits par fa Bonté Divine , qu'en comparant
l'état où les affaires étoient au commencement
decette Guerre avec celui où elles ſont prefentement,
leur face à l'égarddes Hauts-Alliez
eftmaintenant beaucoup meilleure& plus avantageuſe
qu'elle n'étoit dabord ; en forte qu'il
ſemble qu'il n'y ait plus riende néceſſaire à de
firer, que cette même conſtance , cordialité &
union entreEux , avec lesquelles on a commencé&
pouffé fi loin cette Guerre , pour conce-.
voir la juite eſpérance de la voir finir heureusement
par une bonne& folide Paix.
Que L. H. P. ont toûjours confideré l'union &
labonne harmonie entre S. M. & l'Etat , & entre
leurs Sujets de part & d'autre , comme le plus
grand appuide la Cauſe Commune , & qu'Elles
la conſidérent encore ſur le même pied , jugeante
quepreſentement elle est autant & plus néceſſaireque
jamais: Que par cette raifon Elles ont
toûjours recherché avec ſoin l'affection & l'amitié
de S. M. , de même que la confervation &
l'accroiffement de ladite union & bonne harmo
nie entre les deux Nations ; Qu'Elles la rechercheront
toûjours , & qu'il n'y a rien de plus
douloureux pour Elles , quedeſe voir réduites
à ſe juſtifier fur de pareilles cenſures , qu'Elles
ont ſi peu méritées ; d'autant plus que cela don
ne lieu aux Ennemis , à qui l'union entre la
Grande Bretagne & l'Etatdoit être redoutable ,
d'eſpérer qu'il arrivera du refroidiffement &de
la divifion entre des Alliez ſi étroitement unis .
ce
1
546 MERC. GALANT.
ce qui ne peut que faire beaucoup de malaux
uns&aux autres. i
Qu'ainſi L. H. P. defireroientque ces pierres
d'achopement n'euffent pas été miſes dans le
chemin, & fouhaiteroient qu'elles en fuſſent
ôtées au plutôt: ce qui fait qu'on attend de la
haute équite de S.M.& de fon zéle pour la CauſeCommune
, qu'Elle ne voudra pas que la continuation
du ſervice de ſes Troupes dans les
Païs-Bas , & particulièrement deſdits 15178.
hommes foit attachée & dépende de l'augmentationde
cellesde l'Etat ; Et que de leurcôté L.
H, P. contribueront autant qu'il ſera dans leur
pouvoir , & qu'il dépendra d'Elles , à procurer
&avancer le bien de la Cauſe Commune , ainſi
qu'Elles ont toûjours fait ci devant ; & principalement
à prendre des meſures avec S M. &
concerter en toute confiance les moyens d'y
réüſſir , de même qu'à faire voir à S. M. pardes
effets , qu'Elles recherchent &eſtiment infiniment
ſon affection & ſon amitié , dont le Sieur
vanBorſſelen donnera à S. M. toutes les plus
fories affurances .
Il ſera auffi remis un Extrait de la preſente Reſolution
de L. H. P. , avec une Copie du fufdit
Mémoire , entre les mains du Sieur Comtede
Straffort , Ambaſſadeur Extraordinaire &c. de
Sadite M , lequel ſera priéde teconder par fes
bons offices les bonnes intentions de E. H. P.
Paraphé , HVAN ISSELMUDEN , vt.
Et Signé , F. FAGEL.
Le Mémoire dont il eſt parlé dans la
Reſolution de L. H. P. qu'on vientde voir,
eſt trop ample pour trouver place ici tout
entier, ce Volume étant àpeine capable
de le contenir ſeul: ainſi on a été obli
gé de ſe réduire à en faire unExtrait, dans
lequel
AVRIL 1712. 547
lequel on a tâché de conſerver tout l'efſentiel.
Ceux qui voudront voir laPiece
toute entiére n'auront pas de peine à le ſa .
tisfaire , on la trouve chez tous les Librai .
res de Hollande . Elle eſt intitulée.
Mémoire ſervant à montrer que c'est à tort qu'on
impute aux Etats Généraux des Provinces-Unies des
Pais-Bas , par les Résolutions ou Votes de la Chambre
des Communes du Parlement de la Grande Breta
gue , & par l'Adreſſe de ladite Chambrepresentée
ensuiteàS. M. la Reine de la Grande Bretagne, d'avoir
manqué pendant le cours de cette Guerre , de
fournir ce qu'ils doivent , ſuivant leur Quote on
Contingent , pour pouſſer ladite Guerre.
On commence d'abord par raporter tout au
long les Vores des Communes , dont il eft par
léci-deſſus. On témoigne enſuite quelque furpriſe
que de telles Réſolutions & l'Adreſſe ou
Repreſentation qui les a ſuiviayent pû être formées
, & qu'on ait même affecté deles publier ,
contre des Alliez étroitement unis& vivant en
bonne Amitié avec la Reine , & qui ont faitde
fi grands efforts pour la Cauſe Commune, &
cela fans les entendre,&dans un tems où la bonne
intelligence eft plus néceſſaire que jamais
pour parvenir à une Paix deſirable , honorable ,
&fûre: ce qu'on remarque ne pouvoir s'accorder
avec les régles de l'équité & de l'amitié.
Onfait voir après cela l'obligation où lesSeigneurs
Etats Généraux ſe trouvent dedétruire
les fauſſes impreſſions que les Votes & l'Adreſſe
enqueſtion pourroientdonner , en faiſant quelques
Remarques ſur les points qui y font mentionnez
. L. HP diſent donc , à l'égardde ces
points qu'on peut réduire à 4. &dans leſquels
onles accuſe de n'avoir pas fourni leur quotepart
, qu'avant que d'entrer en difcuffion defdits
548 MERC. GALANT .
dits points , on doitpoſer pour fondement que
lors que la Reine de la GrandeBretagne & L.H.
P. furent obligées en 1702. pour dejuſtes cauſes
connuës, de prendre les armes & d'entrer en
Guerrecontre la France , conjointement avec les
Hauts Alliez pour la défenſe de leur furetécommune:
Que dans la fuite , Sa Majefte & l'Etat
ſuivant lesAlliances particulieres , ſurtout celle
du 3. Mars 1678. enſuite renouvellée& ratifiée
le 9. Juin 1703 ; comme auſſi ſuivant le
Traité d'Alliance du 11.Novembre 1701 conclu
entre le fen Roi Guillaume III . & L. H. P. &
renouvellé auſſi & confirmé avec S. M. & en vertu'de
la grande Alliance du 7. Septembre 1701-
concluë entre l'Empereur , la Grande Bretagne.
& l'Etat , ont dû employer toutes leurs Forces
par Mer & par Terre pour parvenir au but pro.
posédans cette Alliance, ſans que par leſdites
Alliances ouquelque autre Traité qui ſubiſte ,
onait fait aucun dénombrement particulier des
Forces avec leſquelles les Hauts -Alliez , & far
tout laGrande Bret. & l'Etat devoient pouſſer la
Guerre,Au contraire , quoi qu'on fût convenu
par le IV. Article de la Grande Alliance& par le
VIII . de l'Alliance entre laGrandeBretagne &
l'Etat , qu'on feroit un dénombrement de Forces,
cela ne futpas misen execution , foit qu'on
yait trouvé de trop grandes difficultez , foit
qu'on l'ait jugé inutile , parce que toutes les
Alliances portent , que chacun des Alliez doit
employer dans cette Guerre toutes ſes Forces
par Mer & par Terre , & qu'ainſi lesAlliezfe
font repoſez àcet égard ſur labonne foi récipro .
que.
Ces fondemens étant poſez, fçavoir que fuivant
les Traitez & Alliances mutuelles, la Grande
Bretagne & l'Etat font obligez d'employer
chacun toutes leurs Forces contre l'Ennemi
commun, & fans que leQuantum ait été déterminé
par aucun Accord ou Convention , il en
٢٤٠
MAVRIL 1712. 549
réſulte néceſſairement , que l'unique régle fuivant
laquelle on doit établir leditQuantum , eſt
le pouvoir d'un chacun , & qu'on ne peut porter
en compted'autre proportion entre la Grande
Bretagne & l'Etat , que celle de la Puiſſance
d'un chacun , & que celui des deux qui peut
prouver qu'il a tant dans cette proportion ,
qu'abſolument ſans aucune relation , employé
toutes ſesForces dans cetteGuerre pour le Bie
de la Cauſe Cominune , a fatisfait àses engage
mens , & ne peut avec justice être censurépoury
avoirmanqué-
Que ſi l'on envenoit à une comparaiſon entre
laPuiſſancede la Grande Bretagne & celle de l'Etat,
la premiére ſe trouveroit incomparablement
plus grande que laderniére , tant en égard
àl'étenduëdu Païs, des Habitans , du Commer
ce& de ſes richeſſes , que par raport à tout ce
qui peut contribuer à augmenter la puiſſance
d'un Royaume ou d'un Etat. Que c'eſt auſſi
pour cela que dans tous les Traitez non ſeulewentdans
la Guerre contre l'Eſpagne , mais auffi
depuis on a toûjours obſervé, que lors qu'on
faiſoit undénombrement de Forces , cellesde la
part de l'Angleterre ont été preſque toûjours
régléesſur lepié de3. cinquièmes contre 2.cinquiémes
del'Etat , & que quand même laGrande
Bretagne auroit beaucoup plus contribué
pour cette Guerre , que l'Etat , il ne s'enfuit
nullement que l'Etat n'auroit pas fatisfait à fes
engagemens , puiſque la puiſſance de laGrande
Bretagne & de l'Etat qui doit ſervir de régle
pour laproportion, n'eſt pas égale.
Que tout le monde doit être convaincu que
l'Etat à proportion de la GrandeBretagne & de
tous les autresAlliez , a fatisfait plus qu'abon
damment à ſes engagemens , & à tout ce qu'on
pouvoit attendre en aucune maniere de bons&
de fideles Alliez. Qu'il paroîtra preſque incroyable
à la Pofterite, que l'Etat qui a été obligé
en
550 MERC. GALANT.
en 1672 de ſoûtenirune fi rude Guerre , d'où il
ne s'eſt pû tirer que par des efforts extraordinaires
, qui enſuite a été obligé d'efſſuyer une ſecon
deGuerre contre la France , dont les charges
ont été exorbitantes , & qui les opriment encore
ſenſiblement , fans avoir pû reſpirer entre
deux: Et qu'étant entré actuellement dans une
troiſiéme Guerre , il ait pû faire de fi grandsefforts
, & les continuer auffi long-tems qu'a fait
l'Etat: y ayant encore cette différence entre la
Grande Bretagne & l'Etat, outre ladite inégalité
de puiſſance, que la Grande Bretagne n'a pas ſenti
les charges de la premiére Guerre avec les
François: Qu'en tems de Paix , elle entretient
très peu de Troupes , & qu'après la Paix de
Ryfwyk , les ayant preſque toutes congediées ,
elle ſe trouva fort foulagée , au lieu que l'Etat
après cette Paix , fut oblige d'entretenir plus de
40000. hommes : Différence très- confidérable ,
outre que l'Etat dans la premiére année de cerre
Guerre, en acu le théatre ſur ſes Terres , a été
obligé d'inonder une grande étenduë de fon Païs
pour ſe garantirdes inſultes de l'Ennemi , que
d'autres Terres ont été ſubmergées par la violence
de la Mer, & qu'une partie eſt obligeede
payer encore tous les ans de groffes Contributions
à l'Ennemi , aux quels inconveniens la
Grande Bretagne n'a pas été ſujetre, &qu'ainſi
outre ſa fuperiorité de puiſſance , elle etoit plus
en étatde contribuerdavantage pour cetteGuer
re à proportionde ces Provinces Er que fil'on
fait attention à toutes les Taxes qu'on impoſe
aux Habitans & qu'on met ſur leurs Effets , qui
font en général plus fortes que dans la Grande
Bretagne, auxgroſſesſommes que l'Etat a été
obligé de négocier tous Guerres les ansdans les trois , &pprriinncciippaalleemmeent dans celle ci , &
dont par zele pour la Cauſe Commune , & par
amour pour ſa Liberté , il s'eſt ſurchargejufqu'au
pointde couler bas , ce doitêtre unepreuve
AVRIL 1712. 551
1
1
ve convaincante que l'Etat a contribué toutesfes
Forces , & même au delà , & à proportion plus
queperſonnen'a fait , ſuivant les Traitez.
Que tout cela pourroit ſuffire pour lever tous
les préjugez que les Réſolutions & l'Adreſſede
la Chambre Baſſe renferment , comme aufſiles
-mauvaiſes impreſſions qu'elles donnent contre
l'Etat , puifque quand même on accorderoit les
manquemens qui y ſont poſez , &la ſupoſition
que l'Etat en général a moins contribué pour la
Guerre que la Grande Bretagne , il ſeroit néanmoins
vrai que l'Etat ſuivant les engagemensdes
Traitez & Alliances , a employé toutes ſes Forces
pour pouſſer cetteGuerre, & que relativement
tant à ſa puiſſance qu'aux fardeaux dont il
s'eſt charge , ilaà proportion fait autant&plus
qu'aucun des Hauts Alliez , & particulierement
auſſi que la Grande Bretagne , & que par conféquent
on ne peut imputer à l'Etat avec justice ,
qu'il n'a pas rempli ſa quote-part ni fatisfait à
ſes engagemens.
"
Quant aux motifs qui ont donné lieu à cette
Guerre,ſuivant ce qui eſt poſé dans ladite Adrelſedela
Chambre Bafie , ſavoir ,, que ce n'etoit
que pour aſſiſter l'Empereur à l'égard de ſes
,,prétentions ſur la Monarchie d'Eſpagne , &
de l'Etat , par raport a ſa Barriére , ajoûtant:
Que les Allie,z étoient intéreſſezà tous égards , an
fuccès decetteGuerre , laplupart beaucoup plus que
laGrande Bretagne, on renvoye à la teneurde la
grandeAlliance, par où l'on prouve , comme
auſſi par ce que laGrande Bretagne vient de de
mander à la France , que beaucoup depoints ,
&entre autre le Commerce en Eſpagne &dans la
Méditerranée ſont plus intéreſſans pour laGrandeBretagne
, que celui de l'Etat , &c.
Que pourlepremier point concernant le ſerviceparMer,
ddaannsslleeqquueell onditquel'Etat a manqué
à fournir ſa quote-part , pendant plusieurs
années de deux tiers , & engénéral plus de la moitié,
552 MERC. GALANT.
tié, on replique qu'on pourroit répondre àune
propofition auffi vague , en des termes pareillement
généraux ; & laiſſer au jugement de ceux
qui ont connoiſſance de la Conftitutiondesaffaires,
à quelle des deux propoſitions ondoit le
plusdéférer , ſi on n'eut trouvémoyend'avoir
le Mémoire delivré par ceux de l'Amirauté à la
Chambre Bale, dans lequel ſont exprimez les
Vaifſiſeaux de Ligne fournisd'année enannée par
S. M. & par l'Etat , pour agir conjointement
dans le Canal , dans la Méditerranée & ailleurs ,
& ſur quoi a été indubitablement formée laRéſolution
de la Chambre Baffe.
Qu'on poſe pour fondement dans ceMémoire,
que la quote-part de l'Etat contre celle de la
GrandeBretagne étoit trois contre cinq , fuivant
la Convention du 29. Avril 1689. Sur quoi il
eft à remarquer que par leVII . Articledu Traitédu
9. Juin 1703. , par lequel cette Convention
eft renouvellée , on jugea à propos que le nombre
de Vaiſſeaux que chacundevoit fournirpour
ſa quote-part, ſeroit réglé chaque année ſuivant
cette Convention . comme auſſi où ils feroient
employez , ainſi qu'on en avoit traité tous les
ans. Qu'on avoit pris ordinairement un plus
grand nombrede Vaiſſeaux pour la part deS. M.
que pour celle de l'Etat , & qu'on avoit faitplus
d'attention au Canal qu'à la Mer du Nord , delaquelle
MerduNord il n'est fait aucune mention
dans le Mémoire de l'Amirauté , & que c'eſt
pour cela qu'on avoit réduit à fort peu dechoſe
cequel'Etat a fourni pour le ſervice de Mer , ce
qu'on n'auroit aparemment pas poſé ainfi , fi
l'Etat eut été ouï là -deſſus ; parce qu'il eut
prouvé que pendant cette Guerre , tant pour le
Portugal & la Méditerranée , le Canal que la Mer
du Nord, il a employé en 1702.55. Vaiſſeanx,
en 1703. 50. en 1704.56 en 1705.56. en 1706.
54. en 1707. 59. en 5708. 53. en 1709.50. en
1710. 43. & en 1711. 40. Tous Vaiſſeauxde
Ligne
AVRIL 1712 . 553
Ligne fans y comprendre aucunes Fregates ou
moindres Vaifſeaux. Ce qui étant vrai infatto ,
& pouvant toûjours être prouvé par des Piéces
authentiques , il paroît clairement par là qu'on
accuſe l'Etat à tort de n'avoir pas fatisfait à ſe
quote- part pour les affaires de Mer.
Al'égard du ſecond point concernant les
Troupesen Flandres , où l'on accuſe l'Etat ,, de
n'avoir pas obſervé " la premiére proportion
" de 3. contre 2. concertée avec le feu Roi
.,Guillaume ; qu'ils avoient fourni 20857.
.. hommes de moins que leur quotepart ; &
qu'ils n'avoient pas fatisfait àla condition de
la défenſe de Commerce & de correfpondence
avec la France , ſous laquelle condition les
Troupes d'augmentation auroient été accordées
en 1703 .; on prouve par l'état des Troupes
de la Reine &de L. H. P. , comme il a été
délivré à la Chambre Baſſe , qu'en 1701. ona
comprisdans un Article général les 44992. hommes
que l'Etat a retenu après la Paix deRyfwyk
, avec les 34866. qu'il prit à ſa folde immédiatement
après la mort du Roi d'Eſpagne
Charles II .; & qu'en 1702. on a mis enſemble
les Troupes que l'Etat avoit pris de pluſieurs
Princes , non ſeulement cette année là , mais
aufſi au commencement de la précedente : De
fortequ'il paroiſſoit par là que l'Etat avoit renforcé
les Troupes de plus de so000. hommes
Dien long tems avant que la Grande - Bretagne
fut venue à aucune augmentation conſiderable :
lequel armement antérieur , ayant éréune grande
charge à l'Etat , merite bien d'être portéen
compte.
Enſuite on répond fort amplement à deuxArticles
, qu'on a ſuppoſégratisdans la Chambre
des Cominunes, ſavoir 1. ,, Quel'Etat au com-
,, mencement de cette guerre s'eſt obligé de
,, mettre 60000 h. en Campagne dans les Païs-
,, Bas , contre 40000, de la Grande Bretagne .
TomeV.
Вь "
&
554 MERC. GALANT.
1
"
&d'entretenir outre cela 42000. hommes
,,pour lesGarniſons. 2. Que l'Etat eſt obligé
fuivant la proportion ci-deſlus de 60. à 40. ,
ou de 3. contre 2. de contribuer à l'entretien
des Troupes qui depuis ont été priſes à la
folde de la Grande Bretagne & de l'Etat . On
ditentre autres à l'égard du premier , qu'on ne
prouvera jamais que l'Etat ſe foit engagé par
Convention à entretenir60000, hommes : Que
bien loin delà il n'eſt jamais tombé d'accord
que la G. Br. fatisfaifoit à ſes engagemens en ne
livrantde fon côté que 40000.h.; & que l'Erst
n'ajamais acquiefcé àla proportion de trois con.
tredeuxpour l'entretien des Troupes , qu'on
pourroit dans la fuite juger à propos de prendre
àſa folde. Qu'il n'y a auffi pas la moindre ombrederaifonpourcela,
puiſquela Grande Bretagne
& l'Etat s'étant engagées ſuivant la teneur
des differens Traitez , d'employer pour leur af.
fiftance mutuelle , toutes leurs forces par Mer &
parTerre, laGrande- Bretagne étant bien plas
puiffante , auroit dû entretenir beaucoup plus
deTroupes, que l'Etat dans les Païs-Bas, au
commencement de cette Guerre , vû que c'é
zoit alors l'unique endroit où les deux Puiſſan.
ces faisoient la Guerre , & que laGrande Bretagne
ne pouvoit pas alors bonifier enEſpagne
&enItalie ce qui manquoit àla proportion ailleurs.
Et fi l'Etat a été obligé de voir que la
GrandeBretagnea ſi peu fournialors , ce n'étoit
pas en vertade quelque Accorde ou Convenzion
, mais ſeulement parce que le Parlement
n'en avoit pas accordé davantage. Les raiſons
en font affez connuës , & l'Etat s'en est affez
plaint ; mais il a fallu prendre patience dans l'efperance
que tout cela feroit reparé dans la ſuite.
Touchant la Proportion , ſi on avoit voulu
prendre par Terre celle qu'on avoit établie pour
laMer, & qui avoir été ſuivie dans le nombre du
Secours matuel ſtipulépar le Traité du 3. Mars
1678.
AVRIL 1712.
555
1678. il auroit dû être de s. contre3 ; c'est-àdire
que laGrande Bretagne auroit dû fournis
170. mille hommes , contre les 102, mille de
l'Etat en Flandres.
Et ſi l'on vouloit ſuivre la Proportion de 2.
contre 1. , laquelle a été gardée pendant la
Guerre endiverſes autres occafions , en ce cas la
Grande Bretagne auroit dû mettre en Campagne
120 mille hommes contre les 60. mille, ou
204. mille hom contre les 102. mille de l'Etat.
Supoſé preſentement que l'Etat eut accepte ,
comme on le prétend , au commencement dela
Guerre , de fournir aux Pais-Bas 60. millehommes
en Campagne , & 42 mille en Garniſon ,
contre les40. mille de la Grande Bretagne , il ne
s'enfuivroit nullement de là , qu'il dût ſe ſoumettre
à la même difproportion à l'égarddes
augmentations faites depuis. Au contraire,
on auroitdû préſumer, que la Gr. Br. , confide.
rant l'excès de cette diſproportion , & la bonne
volonté del'Etat, à faire dabordles plus grands
efforts , pouranimer les autres par ſon exemple ,
ſe ſeroit portée d'elle-même à ſe charger ſeule
des nouvelles dépenſes que l'on auroic jugées
néceffaires, pour le bien de la Caufe commune ,
ſoit pour le Païs-Bas , ou les autres Païs , jufqu'à
ce que la diſproportion eut entiérement
ceffé. Et quoique , lors qu'on réſolut d'augmenter
de 20 mille hommes l'Armée du Païs-
Bas , la feconde année de la Guerre , la Gr:Br.
ne pût être diſpoſée a prendre ſur ſoi toute ladepenſede
cette augmentation; jamais pourtant,
ni en ce tems là ni depuis , elle n'a prétendu
que l'Etat dût en porter plus de la moitié.
La distinction qu'on fait entre les 60. mille
hommes pour ſervir en Campagne, & les 42.
mille qu'on aplique aux Garniſons , meritebien
une remarque particuliere. On prétend que les
feuls 60. mille doivent être conſidérez dans la
Proportion entre les Troupes de 8. M. Br. &
Bb 2 celles
556 MERC. GALANT.
celles desEtats Gen ; comme ſi l'entretien des
42. mille hommes n'étoitqu'une charge particaliere
, qui ne devroit point être comptée en
tre celles de laGuerre.
Mais qu'ya-t-il de moins raiſonnablequecerteprétention
? L'Etat ſe trouve comme bloqué,
au commencement de la Guerre , parles Trou
pesdeFrance , &cela le met dans la néceffitéde
renforcer les Garnisons , juſqu'à 42. mille hom.
mes ; pendant que la Gr. Br. , peut ſe paſſer à
beaucoup moins. Où eſt là lataifon , pourpré.
tendre que l'Etat ne puiſſe pas mettre ces Troupes-
là en compte avec celles de S. M Br. ? On
ne peut pas nier , que quand deux Alliez d'une
égalePuiſſance , s'engagent à faire la Guerre en
commun, de toutes leurs Forces , omnibus viribus
, & que l'un des deux ſe trouve avoir befoin,
de 20. mille hommes plus que l'autre,
pour ſes Garnisons ; il ne feroit , niraiſonnable
ni poffible, que celui-là ſortit en Campagne
avec autant de Troupes que fon Allie: Combien
moins donc , lorſque ce cas ſe rencontre entre
deux Alliez d'inégale force , & que celui qui
a beſoin des 20. mille hommes de plus, pour fes
Garnisons , ſe trouve fort inferieur à l'autre en
Puiffance ?
Mais poſé quelesGarniſons des Places de l'Etat
ne doivent point entrer , dans la Lifte des
Troupes fournies contre l'Ennemi ; ce feroit
toûjours un grandmécompte de les faire monter
toutes les années à 42. mille hom Ilest vrai
que la Lifte des Garnisons , qui ſe fait tousles
ans, s'eſt montée quelques années à 40. mille
hom.; mais il eſt aſſez connu que dès que
l'Armée a été formée , on a d'abord ciré des
Places , qu'elle couvroit , une partie des Garmiſons
qu'on y avoit miſes, & que le reſte , à
quelques Régimens près , a toûjours eu ordre
de ſe tenir en état de marcher au premier commandement,
pour prendre laplace desRégi
mens
AVRIL 1712.
557
mens qui auroient le plus fouffert dans les Sie
ges & dans les Batailles : co qui eſt arrivé prefque
tous les ans . De maniere que L. H Pont
été obligées de payer les Recruës & les Chariots,
à une grande partie des Régimens qui étoientde
Garnison , comme à ceux qui étoient de Campagne.
Il n'est pas moins connu . que juſqu'à la ré.
duction duBrabant &de la Flandre , en 1706. ,
on aformétousles ans en Flandres un Camp volant,
tire desGarniſons voiſines , & qui emportoitungrandtiers
de toutes lesGarnisons engéneral
; que ce Campaobligé l'Ennemi àtenirun
plus grand nombre de Troupes dans le Païs de
Waes & lelongdu Canal de Bruges ; & que depuis
1706. , tant s'en faut queles Garnitonsde
l'Etat ayent emporté plus de 42. mille hommes,
que jamais on n'y en a employéle tiers . Tout
le reſte a été misen Campagne , ce qui a été
cauſe que les Terres de l'Etat ont fouffert des
invaſions qui ne feroient pas arrivées ſi les Garnifons
avoient été plus fortes.
Il eft vrai qu'une partiedes Troupesde l'Etat
ont été employées dans les Places Eſpagnoles ;
mais celles de S. My ont ſervide même. Et fi
depuis la réduction de Lille , Tournai , & autres
Places conquiſes dans la Flandre Françoiſe
&en Artois , on a été obligéd y mettre des Garniſons;
celles du Païs-Bas Eſpagnol , ont été
confiderablement diminuées. Outre que par là
l'Ennemi eſt réduit àla néceſſité , pouraffurer
ſes Frontières , d'y redoubler ſes Garnisons &
d'en tenir juſques fur la Somme. On a done
tort de prétendre , que l'Armée ſoit affoiblie
par les Garniſons des Places conquiſes ; & fur
tout d'affirmer , qu'encore à preſent l'Etat y
employe plus de 42. mille hommes.
De tout cela , il eſt aisé de conclure , leſquels
font les mieux fondez ; ou de ceux qui prétendent
que pendant toute cetteGuerre , l'Etat eft
demeuré Bb 3
558 MERC. GALANT.
demeuré en reſte au Païs Bas de 20837. hommes
, & que la Gr. Br.en a fourni 13892 de
trop ; ou de ceux qui ſoûtiennent , au contraire
, que la Gr. Br. n'a pas fourni la moitie de ce
qu'elle devoit aux mêmes Païs Bas . Les premiers
vont directement contre les Traitez du 3 .
Mars 1678 , da 11. Nov. 1701 , & de la Grande
Alliance ; les autres s'y apuyent , &lesfoivent
à la Lettre. Les premiers rejettent laproporzion
ci-devant reçûë, & les autres s'y atsachent:
Les premiers n'ont aucun égard à la différence
qu'il y a entre les Forces des deux Nations , &
les autres croyent que fuivant la teneur des
Traitez elle fait la régle de la Proportion : Le
premiers enfin , ſe fondent fur un ſimple Meſſage
Verbal envoyé au Parlement , ſansl'aveu nila
connoiffance de 1 Erat , & qui , au pis aller ,
ne prouveroit qu'une partie de ce qu'ils prétendent;
& les autres s'arrêtent aux Traitez , & à
ce que la raiſon & la Puiffonce de Fun &de l'autre
Etat dictent clairement.
On convient que la Reine de la Gr. Br. a fait
hors du Païs Bas , & fingguulliieerreemmeenntt par Mer.
enPortugal, en Eſpagne & en Italie , desefforts
plus grands que ceux des Etats Généraux;
mais on nie que , ſur ce fondement , la Gr. Br.
puiffe avec raifon accuſer l'Etat de n'avoirpas
fatisfait à ſes engagemens , du moins juſqura-ce
qu'on ait montré que ces plus grands efforts
ayent excedé les manquemens au PaïsBas.
Et comme le Comte de Straffort , Ambaſſadeur
Extr. & Plén. de S. M. Br. , a donné à connoître
qu'à l'égard des Troupesdont on a suganentél'Armée
au Païs-Bas , depuis l'an 1703. ,
S.M. s'attendoit que les Etats Généraux renfor.
ceroient leur quote-part juſqu'à la proportion
detrois s. contre les 15178. h. qu'elle y paye ;
ou qu'à faute de cela , elle en diminueroit le
nombre, juſqu'à la proportion de deux 5. contre
celles de l'Etat , on a crû qu'il feroit bon, de
L join-
:
AVRIL 1712. 559
joindre ici un Compte de l'état deſdites Troupes
.
Les Troupes qui fervent aux Pais-Bas à la
folde delaGr. Br. , se montent, fuivantlaLifre
remifé an Parlement en Février 1712. , à
64597. hom. Les Troupes qui fervent a
Païs-Bas à la ſolde de l'Etat , ſe montent , fuivant
le mêmeEtat, à 123139 h. Total des
Troupes de la Gr. Br. & de l'Etat , 187736.
hommes.
Suivant la Prétention de la Gr. Br , l'Etat attroit
accepté au commencement de la Guerre ,
de fournir 102000. h. , outre 10000. en 1703
LaGr. Br. 40000. h. , outre 10000. en 1703.
Depuis l'an 1703. , la Gr. Br. & l'Etat auroient
encore pris à leur ſervice 25736.h.; dont l'Erat
devroit porter trois f. , ou 15442. h.; &
la Gr. Br. deux 5. , ou 10294. h .: Total Gr . Br .
60294. h .; l'Etat , 127442 h .
La Gr. Br. paye en tout , comme ci deſſus ,
64597. h.: Par conséquent de trop , 4303. h.
L'Etat payeen tout , comme ci-deſſus , 123139.
h: Ainfi trop peu , 4303 h.
:Il paroît par le compte ci-deſſus : 1. que la
Gr. Br. a fourni 14597. h par deſſus les 40 mille&
les 10. mille , &non pas 15178. comme on
le pretend : 2 que quand même on accorderoic
les propoûtions erronées de la Gr. Br. , favoir
que VEtat auroit accepté de fournir en Flandres
102, mille hommes contre 40. mille ; & qu'il
devroit payer trois 5. des Troupes d'auginenta
tiondepuis 1703. , & la Gr. Br. ſeulement deux
5.; avec toutcela , la diſproportiondonton le
plaint, ſe réduiroit à 4303 hommes..
Sur quoi l'Equité voudroit que l'on confiderất
: 1. que l'Etat avoit augmenté ſes Troupes
deplus de 50. milleh:, long tems avantque la
Gr. Br. eût fait de son côté aucune augmentation
confiderable: Et 2: que l'Etat a payé pendant
quelques années 7385. h. , au deſſus des
Bb 4 102.
560 MERC. GALANT.
A
102, mille, & par deſſus ſa moitié de 20. mille
h. pris en 1703. De maniere que , même en
ſuppoſant pour bien fondées toutes les prétentions
de la Chambre des Communes , ( ce qui
n'eſt pas, ) la prétendue diſproportion dont il
s'agit, ſeroit tellement balancée par les deux
Articles ci-deſſus , qu'elle diſparoîtroit entiérement
, & ne meriteroit pas la moindre refle
xion.
Quant aux reproches qu'on fait à l'Etat , de
n'avoir pas fatisfait à la Condition de la Défenſe
duCommerce, ſous laquelle l'augmentationdes
20. mille h avoit éte accordée en 1703. il ſuffira
de dire , qu'avant de pouvoir affirmer , que
l'Etat a manqué à cette Condition , il faudroit
avoir prouvé qu'il l'avoit acceptée ; &c'eſt ce
qu'on ne trouvera jamais qu'il ait fait pourplus
d'un an . La Convention faite fur ce ſujer, le
11. Avril 1703 .. le dit expreſſément . L'Etat
confentitàcette Défenſe, malgré les difficultez
qu'il y trouvoit ; Mais ſon engagement ne fut
que pour un an , par maniere d'eſſai , &nullement
comme une Condition à laquelle l'augmentation
des Troupes fut attachée ; aufſi ne
fut-ce que par pure déférence pour S. M. Br. ,
qui en avoit fait faire inſtance. La Convention
futexactement obſervée tout le tems qu'elle dura;
& après fſon expiration , les Etats Gen, firent
connoître à SM les raiſons qu'ils avoiene
pour ne pas la prolonger : On y aquieſça ; on ne
parla plus de la Défenſe du Commerce ; l'augmentation
des 20. mille h. fut continuée ; &les
Communes accorderent tous les ans les Subſides
néceſſaires , pour la portion que laGr Br devoicy
contribuer , ſans jaunais faire la moindre
difficulté fur la Défenſe , ni fur la Condition .
N'eft- il donc pas étonnant , qu'après un filong
tems , cette affaire foit renouvellée , pour charger
l'Erat de n'avoir pas fatisfait à une Condizion
qu'il n'avoit acceptée quepourun an ?
11
AVRIL 1712 561
1
1
1
Il y a encore dans l'Adreſſe des Communes
une Pofitionde fait , qui pourroit donner lieu à
une grande erreur ,fi on lalaiſſoit fans réponse.
On ypoſe , que par la Guerre du Païs-Bas , l'Etat
a faitdegrandes Aquifitions , tanten Revenus
qu'en Terres &en Etats ; & que des Revenus
de ces riches Provinces conquiſes , il auroic
pû faire & entretenir une Augmentation confiderable
de Troupes contre l'ennemi commun ,
s'ils y avoient été dûment employez : Mais
qu'au lieu de les apliquer à cet uſage , l'Etat les
a fait tourner à fon propre foulagement , & à
l'entretien de fa quote part , &c .
Tout lemondefait , quedepuis la Bataillede
Ramilli , la Flandre Françoiſe & l'Artois ont
éré le Théatre de la Guerre ; que deux Armées ,
beaucoup plus nombreuſes que celles des années
précédentes , y ont agi & fubfifté ; quel'Ennemi
en a toûjours tiré les Contributions ; & que
le plat-païs a été tellement ruiné par les Foura
gemens, Livrances de Pionniers , Chariots ,
Chevaux & Faſcines , & plus encore par les ravages
, pillages , démoliſſement de Maiſons .
&c. que pour ſe remetttre il aura beſoin d'un
fort long tems . Les Habitans des Villes ont
auffi leur part à ces miferes . Ils font accablez
de Garnisons , auxquelles ils doivent fournir
logement , feu , chandelle . &c . Loin de retirer
quelque choſe de leurs Terres , ils font obligez
de nourrir leurs Païfans . Le Commerce&
les Manufactures , qui ont ci - devant fait la principale
richeſſe de Lille & deTournai , ne vone
plus; les Ouvriers deferrent , ou font obligez
par l'excèsde leur pauvreté à prendre partidans
les Troupes. Un Paisfi miferable ne fauroic
fournir à l'Etat de quoi entretenir beaucoup de
Troupes , quand même il n'aporteroit pas avec
foi ſes dépenſes inevitables , comme font la
réparation des Fortifications , & des Bâtimens
zuinez par les Siéges , lerempliſſement desMa-
Bbs gazins
(
562 MERC. GALANT.
gazins épuifez , & autres dépenſes ſemblables.
Mais pour venir à quelque choſe de plus précis,
on affure que depuis l'an 1706. , l'Etat n'a
tiré de ces Conquêtes , que 1590916. liv.:
Somme fi petite , en comparaiſon des dépenses
qu'il a falu faire pour rétablit les Fortifications
&remplir les Magazins de Menin , Lille , Tour
nai Doüai , Bethune , Aire , S Venant &
Bouchain , & pour les autres réparations faites
pendant le tems de fix années à toutes les Places,
Forts & Citadelles de ces Pais , qu'aſſuremene
on ne pourroit ſoûtenir avec juſtice qu'elle n'y
a pas été employée.
La Ville & Châtellenic de Lille , avec Doüsi,
Orchies& fes autres dépendances , eſt ſanscom
tredit la plus riche Conquête que l'on ait faite
aux Pais Bas. Cependant , le Roi T. C. n'ena
jamais tiré , en tems de Paix, au delà de 3. ου
400. mille livres , argent de Flandres , ( quien
valeur eſt de 12. pour cent moindre que celui
deHollande ; ) foit ſous le nom des Aides , Doamaines
, Fortifications , ou autres Impofitions
ordinaires , de quelque nature qu'elles foient;
excepté ſeulement les Droits d'Entrée & de Sor
tie, dont on ne peut faire une juſte eitimation ,
mais qu'on peut affurer être prefentement fur
an fort mediocre pied, Les Subſides extraordinaires
, & la Capitation , par leſquels on a
groſſi , à l'occafion de la Guerre , les Revenus
du Roi de France, ne lui ont pasproduit400.
mille livres paran , argent de Flandres , juſqu'à
J'an 1704.; auquel tems il fut augmenté de
$2540. livres par an , mais ſous condition expreffe
que la Province ſeroit libre de toute autre
forted impofitions , & qu'elle cefferoit , auti
bienque laCapitaattiioonn&les autresAides extraordinaires
. le jour de la publicationde laPaix,
On voit par là , fi c'eſt avec fondement que la
Chambre desCommunes ſuppoſe en ſonAdreſſe
ecquedeſſus,
Sur
AVRIL 1712. 563
Sur le troifiéme Article , où l'on se plaine
que l'Etat n'a pas fourni ce qu'ildevoit pourla
Guerred'Eſpagne& de Portugal , &c . on répond
que, pour peu qu'on fafſe réflexion à ce qui a été
ditci-deſſus des confidérables Forces de l'Etat
aux Pais - Bas , on conviendra , qu'il n'auroit
pas été raifonnable que les Etats Genéraux contribuaffent
à cette autre Guerre par une égale
portion avec S.M Britannique , & que même
cela ne leur étoit pas poffible. La GrandeBres
tagne étant beaucoup plus puiffante que cet
Etat , & l'Etat ayant néanmoins contribué beaucoup
plus qu'elle à la Guerre du Païs- Bas , il
étoit raiſonnable & juste qu'il s'en fit ailleurs
quelque compenfation. Si donc la GrandeBretagne
a pluscontribué que l'Etat aux affaires de
Portugal&d'Eſpagne , ce ſurplus doit être con.
fideré comme un Suplément aux manquemens
de ce qu'elle a dû contribuer aux Païs Bas.
Par leTraitéde 1703 avec le Portugal , l'Etat
s'obligea d'y envoyer & d'y entretenir 4000.
hommes. On les y a effectivement envoyez &
tenus complers juſqu'en 1706 , que le Théatre
de la Guerre fut tranſporté des Frontières de
Portugal dans le Royaume de Valence & en Ca
talogne. Ce changement ſe fit à l'inſçû de l'Etat,
& la ſeule part qu'il y eut , fut un rédoublement
de dépense , pour envoyerenEſpagne
les Renforts qui avoient été deſtinez pour le
Portugal. Lenombre deTroupes que l'Etat a
envoyez en Portugal on en Catalogne , depuis
laconclufiondu Traité , ſe monte à 15724 Fantaffins
, 3120. Cavaliers , & 4963. Recruës ; en
tout23807. Les Recruës envoyées aux Troupes
de l'Ecar , & celles qui ſe ſont faites dans
Je Païs , ont en ce fuccès , que ces Troupes fo
font trouvées ordinairement plus completzes
, & plus en état de ſervice qu'aucune des
autres
On convient que par le Traité , laGrande
Bb6 Bre
564 MERC. GALANT .
Bretagne n'étoit obligée qu'à un tiersde 12008.
h . , & que l'Empereur devoit fournir l'autre
tiers ; mais S. M. Britannique a pris ſur ſoila
portionde l'Empereur , fans aucune concurren
ce de la part de l'Etat ; & c'eſt fans raiſon que
cetArticle ett mis contre l'Etat en ligne de
compte, entre les effortsque S M a faits hors
du Pais. Le Traité n'oblige lesEtats qu'à un
ciers des 12. mille hommes , & ils y ont fatisfait.
Après cela , ils ne font tenus à aucune
autre Proportion qu'à celle de la Grande Alliance
, & des Traitez de Mars 1678. & Novembre
1701. , leſquels les obligent à faire la Guerre de
toutes leurs Forces , & c.; ce qu'ils ont auffi
éxécuté très - fidellement : & l'on ne fauroit
fans injustice leur ôter le témoignage d'avoir fait
en cette Guerre leursplus grands Efforts , egalement
& par deſſus leurs Alliez.
A ce que les Communes diſent dans leurRémontrince
( pag. 529 530 ) des grands fraix
pour l'extraordinaire de la Guerre : on répond ;
que filaGr. Br, a employé detrès -grandes fommes
pour l'extraordinaire de la Guerre d'Eſpagne&
de Fortugal , les Etats en ont auffiemployé
de très grandes pour ceux de la Guerre du
Pais Bas; que ces fommes montent à 65861821.
liv.; & qu'ainſi elles excedent celles que la Gr.
Br. ya miſes de 53683765 liv. , à compter fur
lepiedd'onze liv . de Hollande pourunel.ft.
Si l'on allégue que l'Etat a beaucoup retiré
desContributions , &c. On leur oppofe les Con.
tributionsdes Pais que payent auffi les Habitans
da reffort de l'Etat , la depenſe des Fortifica
tions & des Magafins de Liege , Hay , Limhourg
, Raremonde , Venlo , Stevenſwaert,
Bon , & Traerbach ; les dépenses del Artillerie
, & des Munitions de Guerre pour tous les
Siéges qui ont été faites en cette Guerre
qui ne font point compriſes dans les 65861821.
1. ci-deſſus mentionnées; &enfin ,lesQuartiers
&
d'His
AVRIL 1712 . 565
d'Hiver de quelques Troupes Auxiliaires . &
les marches & remarches des autres Troupes par
le même Pais , ce quia tellement ruiné les Habicans
, qu'ils ne font plus en état de payer les
Impoſitions.
- Le Quatriéme & dernier Point regarde les
Subrides , &c. ( voyez p.530 ) Surquoi il faut
obferver.
1..Qu'on n'y fait point attention à 40. mille
écus paran , que les Etats payent ſéparément à
l'Evêque deMuntter , nià iso mille écus qu'ila
ont pareillement payez par an au Duc de Wirterberg
,depuis 1704. juſqu'à 1709.; encore
moins d'une ſomme de 400. mille écus que les
Etats Généraux ont payez au Roi de Danne
marc.
1.
12. Quepar le Traité avec le Portugal , laGr.
Br. n'est pas chargée plus haut que l'Etat ,
mais que de la même maniere , & par les mémes
raiſons que S. M. a trouvé bon de prendre
furfoi la portion de l'Empereurdans les 12000.
hommes , Elle s'eſt pareillement chargée de ſa
portiondans les Subfides. Ce Tiers-là peutêtre
porté en compte à l'Empereur , mais il ne
ledoitpoint être aux Etats ; & ainſi la differencedes
payemensde la Gr. Br .& de l'Etat ne reftera
plus fi grande , &c.
Pofénéanmoins , qu'on convint que laGr Br.
eût payé pendant les dix années de laGuerre ,
3155032. & demi écus de plus quel'Etat , ce
qui reviendroit à un peu plusde 300 mille écus
par an, ce furplus de payement ſe trouveroit
bien petit , en égard à ladifference des Forces
del'un& l'autreEtat ; &c.
Au reſte , on aſſure que l'Etat , en ſe char
geant, au commencement de la Guerre de la
moitié des Subfides promis à divers Princes , a
fait plus que l'on ne devoit prétendre de lui ;
mais cela n'a point dû tirer à conféquence pour
les autres Traitez qui ſe feroient à l'avenir ; &
: Bb 7 ja566
MERC. GALANT.
jamaisilnes'eſt engagéà payer la moitiédetous
les Subfides que l'on auroit pû promettredans
la fuite de cette Guerre. On dit au contraire,
qu'il avoit de grandes raiſons pour ne s'ypasengoger,
foit en égard à l'inégalité de ſes Forces
&decelles de la Gr. Br. ſoit eu égard aux Traitez
faits dans la précedente Guerre avec le Duc
deSavoye & avec d'autres Princes , parleſquels
laproportiondes Subſides accordez pour pouffer
la Guerte autre part qu'aux Païs Bas , aprefque
toûjours été de deux tiers pour laGr.Br. ,
contreun tierspour l'Etat. Si bien quedequelque
côté qu'on tourne ſes conſidérations , il ne
reſte à laGr B. aucun ſujetde ſe plaindre àcet
egard. C'eſt cedont on a été fort convaincu en
Angleterre, puiſquenon ſeulement S. M. a pris
fur toi la portion de l'Empereur dans le Traité
dePortugal; mais que deplus, lors qu'Elle entra
dans le Traité que l'Empereur avoir fait avec le
Duc deSavoye, long-tems avant que l'Etaty en
trât . Elle ſe chargea volontairement des deux
tiers des Subfides qu'il falloit payer à ce Prince.
Ce qui fait voir, que quand même l'inégalité
dans les payemens des Subfides , & dansles autres
Dépenfes dont S M. s'efl chargée , ſeroit
contre laProportion , ( cequin'eſt point , ) on
ne pourroit pas avec fondement , en tirer aus
jourd'hui des motifs de griefs contre l'Etat ,
puiſque c'eſt volontairement que S M s'en eft
chargée
Le réſultat de tout ce qu'on vient de dire eft ;
Que fuivant les Traitez & les Alliances , laGr.
Br. & cet Etat font obligez chacun d'employer
toutes leurs Forces dans la preſente Guerres
Que puiſque la quote part de l'un & l'autre ,
n'a été réglé par aucune Consention niAccord ,
Ia Proportionn'en doit, & n'en peut être réglée
de ſur celle de leur Puiſſance reſpective : Quo
la GrandeBretagne eft incontestablementplus
puiſſante que cetEtat: ainſi qu'elle doit contri
buer
que
ta
AVRIL 1712. 567
buer davantage à toutes les charges &dépenfos
de la Guerre: Qu'en toute maniere , l'Etat a
rempli ſes obligations par raport à la Gr. Br.;
Que fi en queique endroit il n'a pas contribué
autant qu'elle , en échange il a fait beaucoup davantagedansles
autres : Qu'en général , il peut
dire avec vérité qu'à proportionde ſes Forces,
il a pour le moins autant fait que la Gr Br. &
qu'aucun des autres Alliez : QuecommelaGr.
Br. mérite de grands éloges , & une grande reconnoiſſance,
pour les genereux efforts en faveur
de la Cauſe commune ; de même , on ſe
confie que toute Perſonne qui verra d'un oeil
équitable & impartial ceux que les Etats ont
faits de leur côté , tant avant la Guerre , que
juſqu'à preſent , leur fera la Juſtice de reconnoftre,
qu'ils n'ont merité en aucune maniere
le blâme qu'on leur impute par les Réſolutions
& par l'Adreſſe de la Chambre des Communes ;
Ec qu'enfin , on ne peut raifonnablement , ni
avec justice , prétendre de l'Etat , que nonobſtant
les dépenfes qu'il fait aux Païs-Bas, fans
comparaiſon plus grandes que celles de la Gr.
Br. , il contribuë encore dansles autres Païs par
égalité avec elle ; & que la Gr. Br. ne contribuë
aux charges de la Guerre , à proportion de cinq
contre trois , que par Mer ſeulement , & non
dans les autres dépenses.
On dit enfin qu'on pourroit montrer parde
bonnes raifons, que l'adreſſe ſuſdite , en ce
qu'elle réaschit fur l'Etat , contient des propofitions
erronées au ſujet du Traité de Barriére :
mais , outre que l'on peut avec juſtice s'en tenir
à unTraité , qui a été conclu & ratifié dans
4
l'ordre requis ; on ne croit pas qu'il foit á proposd'entrer
en ceste Difcufion , d'autant moins
que l'on négocie encore , pour voir , ſi par quel .
queelucidation , ou autrement , on pourroitlever
les diicultez qu'il ſemble qu'on ytrouve
preſentement dela part dela Grande Bremagne.
TA
TABLE
Pour le Mois d'Avril 1712 .
REponſes à quelques plaintes contre le
411
Idée , à l'imitation & ſtile Rabelaiſien ,
414
Dixain ſur le ſtile Marotique , 416
Mort du dernier Dauphin , 416 . ſuiv .
Sur les meſures Géométriques des Voutes,
419
Supplement au Mémoire inſeré dans le
Mercure de Trévoux de Janvier 1711 .
fur les changemens arrivez à la furface
delaTerre , 422
D'une eſpece d'homme Marin pêché au
Conquêt, 425
Sur un Portrait en grand , envoyé par une
Dame a l'Auteurpour mettre dans une
Salle, 427
Extrait d'une Lettre de M. le Colonel
Funck , écrite de Conſtantinople le 14.
Janvier 1712. à M. de Cronſtrom ,
EnvoyéExtraordinaire de Suede , 428
L'Eloge du Vin de Bourgogne , Traductien
de l'Ode Latine de M. Grenan , 2
431
La Champagne vengée , ou Loüange du
VindeRheims , qu'un Poëte Bourguignon
a blâmé ,
Morts,
435
Heraulta
439
DES MATIERES.
Heraults d'Armes , 444
Avanture de deux Officiers , 447
Lettre à Madame D. T. après ſa petite ve.
role , en lui envoyant un Collier de
perles en Laqs d'Amour , 454
Le Deüilde la France , Ode. 459
Morts , 463
NouvelleRecente , 466
Epitaphe de Monſeigneur le Dauphin &
deMadame laDauphine , 468
Voyagede l'Amour & de l'Amitié , 472
Dialogue entre un Berger& une Bergere ,
473
Lettre deQuebec , 484
Animaux qui font du feu , dans des eſpéces
de Cavernes ſous des Roches , 490
Lettred'Aras , 497
Nouvelles d'Allemagne , 500.
Nouvelles d'Eſpagne , SOE
Nouvelles d'Angleterre , 502
Nouvelles diverſes , 503
Lettre d'Utrecht , 304
Penſions données par leRoi , 505
Enigmes , 507
Extraitdepluſieurs Lettres , 512.&ſuiv.
Addition faite en Hollande . Très-humble
Remontrance de la Chambre des
Communes à la Reine , 518
Réſolution des Etats Généraux au ſujet de
ladite Rémontrance ,
Mémoire pour justifier les Etats de ce
--qu'on leur impute dans ladite Rémon-
541
trance ,
547
TATABLE
GENER ALE
DES
MATIERES.
:
DU TOME V.
Cadémie
A
Françoiſe , ſujet qu'elle
propoſe pour le prixdePoëfie, l'annéeprochaine,
121
Animaux qui font du feudans des Cavernes
, 490
Affyriens , Recherche de l'Origine de cet
Empire ,
Avanture arrivée dans un Bal ,
Avanture de deux Officiers à Boulogne ,
41
187
447
B'Enéfices.
B.
227
C.
Anglois en cePais-là ,
Canada, Relation des entrepriſes des
ſuiv.
Canalde Doüay , comblé par les François
,
116
Carinat ( le Maréchal de) (a mort , 463
Chanson du Tabac , notée, 62. A Boire,
notée , 204 ADormir , 472
Chevillard , Auteur de pluſieurs Ouvra-
- ges &Généalogies , 18 33-37
CirculationduSang , Differtation curieuſe
làdeſſus , 172. faiv.
Dau
DES MATIERES.
D.
Dauphin & Dauphine , leur mort &
enterrement , 267. &fuiv . Mémoire
curieux fur les Dauphins & Dauphines
de France , 272
DéurfesdesJettons de 1712. , 64
Dialogues des Dieux , Livre nouveau :
Rélections curieuſes ſur la nature du
Dialogue , & c . 219
Difcours fur les changemens qui arrivent à
la furfacede la Terre ,
E.
EGinbard , Auteur de la
422
viede Charlemagne
, Rémarques là-deſlus ,
196
Empereurs ( Succeſſion Chronologique
des ) 33. Remarques fur l'Origine
de cette dignité , 34. Cérémoniesde
leur Couronnement , 38. fuiv.
Enigmede laToilette , 58. De la Féné
tre , 61.245. Da Pepin , 246. Parodiéc,
507. DuMaſque, 247. Paro-
509
414
Eftampe curieuſe faite à Londres avec la
diée ,
L'équilibre , Conte à la Rabelais ,
figuredu Diable , & c . IIG
EtrennesdeMercure , 3
Expédition des François à Brefil , 326
H.
H
Eraults d'Armes , quel eſt leur office ,
&c.
444
HiftoriettedubonMédecin , 43. &saw.
HommeMarin , pêché au Conquêt , 425
Jetions
TABLE.
64
Ettre à une Sucdoiſe , en Vers & en
Jettons de 1712. , leur Deviſes ,
L.
L Profe,
Μ.
M
209
Achine nouvelle pour ſçier les Marbres,
201
Mariage du Chevalier de Luxembourg ,
( 118. Autres Mariages , 207 294-443
Mémoire de l'Electeur de Hanovre à la
Reine d'Angleterre, touchant les Négociations
de Paix , 125. ſuiv.
Mesmes (M.de ) nommé premier Prefi.
dent , 313. Compliment qui lui eſt
fait par la Sorbonne , 224
Mines de Pologne , Rémarques curieuſes
là-deſſus , 140
Montmorency, Origine & Généalogiede
cette Maiſon , 18
Morts, 117.205. Du Dauphin &de la
Dauphine , 267. Autres Morts , 284 .
Mort d'un autre Dauphin , 416. Autres
Morts , 439.463.&c.
Moscovie ( le jeune Prince de ) détail des
cérémonies de ſon Mariage ,
N.
84
Nociation HanaixaMémoire de
1
l'Envoyé Offresde la Fdr'aHnacneopvoruerllàadPefafiuxs,, 257 .
Adreſſe de la Chambre des Seigneurs
fur leſdites Offres , 260. Demandes
des Alliez , &c.
375
Nouvel An, Rémarque curieuſe ſur les
Etren
DES MATIERES.
Etrennes qui ſe donnent alors , 5.151.
Nouvelles d'Allemagne & du Nord , 83 .
De Bender , 88. DeConſtantinople ,
88. De Stralzund , 93. De Warſovie
, 94. De Vienne , 96. D'Efpagne
, 97. fuiv . De Milan , 103 .
De Lisbonne & de Naples , 105. De
Rome , 107. De Venise , 108. De
Londres , 109. De Bayone , 113. De
la Haye , 114. D'Arras , 115. De
Madrid , 117. De Lisbonne , 121. De
Gironne , 122. De Hambourg , 122 .
De Bender , 123 , D'Aras , 124.
Nouvelles diverſes du mois de Février ,
voyez la Table dudit mois .
Nouvellesdu mois de Mars , voyez la Table
duditmois .
Nouvelles de Conſtantinople & de Mofcovie
, 428. De Flandres , 466. Di
verſes , 469. D'Aras , 497. D'Allemagne,
500.
gleterre , 502. DUtrecht ,
D'Eſpagne , 501. D'An-
Nouvelles diverſes ,
Ο.
504
512. fuiv.
1
Reille Differtation ſur ſa ſtructure ,
Ο &c.
300
P
Arent ( M.) ſa méthode pour la mefure
des Voutes ,, 419. Son Difcours
ſur les changemens arrivez à la
furface de la Terre , 422
Peletier ( M.le) ſe demet de la charge de
premier Preſident , 213
Plaintes
TABLE
Plainte contre le Mercure avec les Réponſes,
411
Peinture ( Académiesde ) à Rome, ſous
la direction des François , 14
Penfionsdonnéespar leRoi , 505
Pourpre , Differtation là-deſſus , & découverte
d'une nouvelle maniére de
teindre cette couleur , 10. &fuiv .
:
POESIES .
Les Etrennes de l'Oye , 3
Bouts-Rimez , 53
Etrennes en envoyant un Pigeon , 66
L'Amour puni , imitation d'Auſone , 69
Piece fur un rémede pour la fiévre , 73
Ode à M. B de M. 77
Sujet propofé par l'Académie Françoife
pour le prixde Poësie , 121
Cantate fur le recouvrement dela ſanté
du Comte de Toulouſe , 136
Madrigal à une Femme jalouſe ,
Quatrain pour M. d'Avaux ,
Ode de M. de la Morte ,
Autre Madrigal ,
Vers fur l'inconſtance ,
Piece nouvelle ſur la vanité des choſes du
168
170
171
194
217
monde , 242
L'Horloge de Sable, figure du monde ,
355
Dixain ſur le ſtile Marotique ,
416
Vers fur un Portrait d'une Dame envoyé
à l'Auteur , 427
L'EDES
MATIERES .
L'Eloge du Vin de Bourgogne , traduite
du Latin ,
Vinde Rheims ,
431
La Champagne vengée , ou loüange du
435
Lettre àuneDameaprès ſa petite verole ,
454
Óde de M. de la Motte , fur la mortdes
deuxDauphins &de la Dauphine , 459
Epitaphium Delphini & Delphinæ , 468
Voyage de l'Amour & de l'Amitié , 472
Dialogue entreun Berger & une Bergere ,
Quefions
९
،
&Réponſes, 226.232.
478
Question fur la difference entre la Ten
dreffe & l'Amour ; & réponses , 54.
Suiv
Eaumur
R.
M.de ) ſon Diſcours
Teinturedu Pourpre
furla
1. 10
Relation de l'Expédition de M. Guay
Trouin en Brefil 326
Remontrance de la Chambre des Communes
à la Reine , contenantdes plaintes
** contre les ci-devant Miniſtres & les Alliez
, 518.Sfuiv.
Reſolutions des Etats Généraux , & leurs
Réponſesà ladite Remonſtrance , 541
S.
Savoye, Mémoire touchant l'Antiqui &c . de cette Famille .
)
Suedois , leur réponſe aux Manifeſtes du
Roi
TABLE .
Roi de Danemarc & du Roi Auguſte ,
:
T
T.
95
Hefededice auDuc deLorraine , 17
V. :
Vol,Hiſtoire d'anVol fait chez Payen,
Yout es leurs meſures ,
FIN.
AVERTISSEMENT .
166
419
On trouve chez T.Johnson , Libraire à
laHaye, unLivre nouveau , qui apourTitre
: Mémoires ſur l'état de la Religion
Réformée en France , contenant les plaintes
du traitement injuſte qui a été fait à
ceux qui la profeffent , & une déduction
abrégée du droit qu'ils ont de demander
leur rétabliſſement au prochain Traité de
Paix. 4. On yfait voir que tous les Princes
Proteftans font engagez par de très
puiſſans motifs à foutenir les intérêts des
Réformez de France , qu'ils font en droit
dele faire , & que la Grande Bretagne eft
engagée particulièrement , & en poffeffion
de garantir & maintenir leurs Privi.
léges.
Ildebite aufi , Mémoires pour montrer
que les Proteftans François Réfugiez ne
doivent pas être privez de lajoüuſſancede
leurs biens , & une Déclaration de S. A.
E. Palatine en faveur de ſes Sujets Proteltans.
Le tout in 4. Spropre à être relié
ensemble
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Remarque
Contrefaçon du Mercure publiée chez Thomas Johnson à La Haye.