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<36616463050010
<36616463050010
Bayer. Staatsbibliothek
:
MERCURE
GALANT
DEDIE' A S. E. MONSEIGNEUR
L'AMBASSADEUR
D'ESPAGNE
Man 1901.
A PARIS ,
Chez MICHEL BRUNET , Grande Salle
du Palais , au Mercure Galant
207
SUMASI
AUSGA
M M
(li
A SON EXCELLENCE
MONSEIGNEUR
D. EMANUEL D'OMS
ET DE SANTA PAU,
SANT-MANAT ET LANUZA ,
MARQUIS.
DE CASTEL- DOS-RIUS,
Du Confeil de Guerre de Sa Majesté
Catholique , cy-devant Vice- Roy de
Majorque , & fon Ambaffadeur en
Portugal , à prefent Ambaffadcur en
France.
WP
MONSEIGNEUR
VOTRE
EXCELLENCE
ne doit point eftre furpriſe de
á ij
EPISTRE.
voir fon nom à la tefte d'un livre
imprimé en France . Les
François fe font une étude d'ap
profondir le merite , & les gran
des qualitez de ceux qui paroif
fent en avoir, & fi- tôt qu'ils ont
connu qu'ils n'ontpoint efte éblouis
par des fauffes lueurs , ils n'ou
blient rien pour les mettre dans
leurjour. Lorfqu'ils peuvent en venir
à bout , de la maniere dont je
crois reüffir aujourd'hui , ils y
trouvent autant d'avantage que
j'en pretends recueillir de gloire.
Plus la matiere de mon Epiftre
fera belle ,plusj'ai lieu de meflatter
d'un fuccés avantageux , puis
qu'unepartie de la gloire qui vous
Bayerische
Stastobillothek
en
EPISTRE.
fera deue toute entiere , retombera
fur moy, & qu'on donnera des
louanges à une Epiftre qui tiendra
toute fa beauté de la richeſſe
des materiaux , que je tâcherai
d'y faire entrer. Cependant le public
ne laiffera pas peut- eftre de
s'étonner de mon entreprife. Le
Mercure eft depuis ving-cinq
annéesfous la protection de Monfeigneur
le Dauphin , l'augufte
nom de ce Prince a toujours eftéà
la tefte , il lui a esté consacré pendant
la premiere année par douze
Epiftres liminaires , & fi depuis
ce tems là il n'y en a pas eu chaque
mois , ce n'a efté que pour ne point
bleffer la modeftie de ce Prince :
á iij
EPISTRE.
mais il y a toujours eu dans le
corps de chaque volume des articles
qui ont fait voir tantoftfon
experience dans le metier de la
Guerre , tontoft fon intrepidité,
tantoft fa fageße dans toutes
les affaires morales & politiques.
Ce Prince dont l'extrême bonté
vôtre nom océgale
la fplendeur de la naiffanee,
voudra bien fouffrir pour une
foisfeulement que
cupe la place du fien dans un des
volumes que je lui ay confacrez.
Je ne connois que V. E. pour qui
ilpuft m'eftre permis de le faire ,
cela à caufe de la conjoncture
des affairesprefentes, que V.E.
a travaillé à mettre fur le Trâ
EPISTRE
¿
ne , le fils de ce grand , de cefage
de cet augufte Prince . Ceft par
cette raison que j'ay fujet d'efperer
de la bonté qui lui eft naturelle
, qu'il excufera ce que je fais
aujourd'hui dans un livre qui a
le bonheur d'eftre vû dans toutes
les parties du monde , non pas
caufe du merite de l'Auteur , mais
parce qu'il renferme chaque mois
quantité de chofes fort curienfes.
Ainfi , MONSEIGNEUR ,
jay refolu de faire voir dans
cette Epiftre combien V. E. s'eft
rendue recommendable à la Cour
de France. Vous y parûtes avant
lamort du Roy vôtre Maî
tre. Ce qui fe paffoit alors deman
á iiij
EPIS TRE.
ďa
doit un Miniftre auffi fage or
auffi prudent que vous , pour faire
reuffir lesgrandes chofes que vous
meritie pour la gloire de l'Efpagne
: elles ne parurent pas
bord tourner de la maniere que
vous fouhaittiez. Vous enfuftes
allarme , mais vous n'en parûtes
pas moins moderé, rien ne fortit
de vôtre bouche qui ne fit écla
ter votrefageffe. Le Roy Charles
II.
mourut
, & l'estime que le
Roy tres- Chrétien & toute la
Cour avoient pour V. E. parut
dans la maniere dont ils vous
plaignirent . Les affaires changerent
defacepeu de temps après ;
mais toujours égal , vousparutes
EPISTRE.
F
auffi grand dans la joye, que vous
veniez de le paroître dans la douleur
, le chagrin qu'on avoit eu
dumalheur dont vôtrefortune étoit
menacée , changes en admiration
pour VE. Toute la France vous
felicita, vous futes dans le
mefme temps accable de complid'affaires
importantes ; mens
mais rien ne vous caufa d'em
barras. Vous vous montrâtes auffi
capable defoutenir lesplus grandes
faveurs de la fortune , qu'on
Vous avoit ven vous mettre en étar
de refifter à fes plus durs réveurs.
On avoit toûjours remarqué beaucoup
de jufteffe & beaucoup d'ef
prit dans toutes vos paroles ; mais
EPISTRE..
luy
toute la Cour fe récria à Seaux,
lorfque voyant le Roy embraffer
Sa Majefté Catholique ,
dire adieu avec une douleur qui
marquoit l'excés de fa tendreffe
vous luy dîtes,que par la grandeur
du chagrin qu'il témoignoit de
la perte qu'il faifoit , l'Efpagne
devoit encore mieux connoître
le prix de ce qu'elle gagnoit
Votre esprit ayant brille par tour
où les affaires du fen Roy voftre
Maistre vous ont appellé , &
seftant affez découvert à la Cour
de France , je dois ajoûter icy ,
que la Maifon de Santmanat eft
l'une des plus illuftres de toute
la Catalogne ; fon origine fe perd
EPISTRE.
dans l'antiquité. Plus on y fait
de recherches , plus on y trouve
d'éclat , fans que les plus habiles
Genealogiftes ayent encore pú en
determiner la fource. Des premiers
degreZ qui en font connus,
on ne sçauroit remonter , qu'on
n'y demêle toujours de nouveaux
traits de grandeur; les monumens
publics en rendant toûjours prefente
la gloire paffee. Cette ilbuftre
Maifon afon tombeau foû→
tenu par des colonnes de marbre ,
qui fert de dais à un ancien Autel
de l'Eglife defaint Pierre de Barcelonne
. C'est une diftinction qui
fut accordée à la Maifon de
Santmanat , en reconnoiffance de
EPISTRE.
ce qu'un Seigneur de ce nom avoit
garentifur cet Autel le faint Ciboire
de l'impieté & de la barbarie
des Morespendant le regne
de Dom Iaimé. Les Seigneurs
de Santmanat fe diftinguerent à
la conquefte de Majorque. On en
voit encore une preuve illuftre
dans une infcription curieufe qui
eft fur le Portique de noftre Da
me de Mercy a Barcelonne. Ils
yfervirent le mefme Roy avec
éclat pendant fes autres conqueftes
; dans tous les temps
ont eu des emplois auprés de leurs
Souverains. Ils leur ont fourni
des Vice-Rois , des Gouverneurs,
de bons Officiers de guerre . Ces
ils
EPISTR E.
Seigneurs ont toujours eu des Tere
res tres- confiderables . La Ville
de Santmanat, qui eft le Fief de
leur nom , le prouve encore aujourd'hui.
C'est une Ville fort
peuplée , & quira de tres - beaux
droits. Une autre branche de cette
Maifon enjouit encore , & le
titre de Marquis s'eft confervé
dans l'une dans l'autre branche.
Les Rois d'Espagne les ont
toûjours traitez comme ils traitent
les Grands. Ils luy donnent
les titres de Coufin & d'Illuftres.
Cette Maiſon depuis plufieurs
fiecles a pour cimier de fes Armes
un Globe terreftre, avec cette
Devife autour: Quis en MeEPISTRE.
nosen ti Tubiere , vivira quando
muriera. Elle eft auffi fort
illuftre par ſes alliances avec les
Maifons de Requefens , de Borgia
, Ducs de Gandie , & Ducs
d'liar , & d'autres des plus illuftres
d'Espagne. VOSTRE
EXCELLENCE en fon particulier
a efté protecteur de la Nobleffe
Catalane , Gouverneur de
·Places , Vice-Roy de Majorque,
Ambaffadeur en Portugal.
·Elle eft du Confeil de guerre ,
elle a eu l'honneur de tenir fur les
Fonts au nom du Roy Charles II.
l'Infante de Portugal . Les Maifons
d'Oms, de Santapau , & de
l'Anuza , dont vous portez les
મ
EPISTRE.
noms avec les voftres , font de
mefme fort illuftres. Toutes les
Hiftoires d'Espagne en marquent
L'éclat la diftinction. Les Armes
que la Maifon de Santmanat
enporte avec les voftres , en marquent
affez la grandeur & l'ori
gine. Celle de l'Anula porte les
mefmes Armes que les Rois d'Arragon
, les unes les autres
ont efté diftinguées dans tous les
temps par des Vice-Royautez
par les emplois les plus confiderables.
Mais à votre égard ,
MONSEIGNEUR
,il ne s'agitpoint
icy de voftre Maiſon, je n'en parle
que pour vos defcendans . Vous
rende à cette Maifon , quelque
EPISTRE.
Elluftre qu'elle foit , plus que le
fang ne vous a donné. Vous vous
eftes mis au deffus de vostre naiffance;
iln'y apoint d'honneurs,
quelque grands qu'ilsfoient , que
vous ne meritiez, & que V.E.
ne foit en droit d'efperer . Toute la
France en convient , le publie,
ily alieu de croire que l'Ef
pagne qui vous doit encore plus ,
eft dans le mefmefentiment.Jef
pere publier bien-toft la justice
qu'elle vous aura rendue. Cependant
je fuis
MONSEIGNEUR
DE VOSTRE EXCELLENCE
Le tres-humble & tres obeïffant ferviteyr
DE VIZE
MERCVRE
CALANT
L
MARS 1701
A Vie du Roy eft une
fuite fi continue'le d'é
venemens furprenans
que vous ne vous lafferez
jamais de voir le Portrait en
racourci de cet Augufte Monarque.
Vous le trouverez dans le
Madrigal qui fuit. Il eft court ,
A
Mays
1701.
2 MERCURE
mais il dit beaucoup de chofes ,
n'y ayant aucune action de Sa
Majefté qui ne tienne du prodige.
PORTRAIT DU ROY.
Ans la Paix , dans la Dans
Guerre
Mortels , ne foyez point furpris
Des nombreux exploits de Louis.
Il n'eft point de Heros fur l'onde ,
fur la terre ,
Qui puiffe l'égaler dans fes faits
inouis
"L'Europe forme en vain un parti
redoutable
,
Il la combat centfois ,
la Paix.
luy donne
La Paix conclue , il détruit pour
jamais
GALANT.
De l'impofteur Calvin la Seite de
teftable 30
Etpour comble de gloire , en fon cher
Petit-fils ,
Louis le Grand unit les Lions & les
Lis.
Ce petit Ouvrage eft de Mr
Robert , Avocat de Perigueux ,
qui a eu l'honneur d'en prelenter
à Sa Majefte Catholique , dans
fa route , qui ont efté extrémement
applaudis .
Voicy un autre Madrigal fait
pour Monfeigneur le Duc d'Anjou
, aprés qu'il eut efté déclaré
Roy d'Efpagne Il eſt de MrDiereville
.
All › jeune Heros , où lefort vous
appelle ,
Il fe déclare enfin pour vous.
Qu'il va vousfaire dejaloux !
A ij
4 MERGURE
Vofte gloire en fera plus brillante &
plus belle.
Un Roy vous donne fes Etats ,
D'autres en faifoient le partages
Mais pour empêcher leurs debats,
Par un choixjufte autant que
Quelquesjours avant fon trépas ,
Il en afait voftre heritage.
Ony va fuivre votre loy
Vous meritez ce qu'il vous donne.
Les Petits -fils du plus grand Ray
Doivent tous porter la Couronne.
Le même Mr Diereville a fait
les autres Vers que vous allez
lire. Je croy que vous ne defapprouverez
pas la prédiction qui
les finit.
GALANT.
$
SUR LA ROYAUTE
de Monfeigneur le Duc
d'Anjou .
2
Politiques trop vains , de Ville &
de campagne
,
Qui pretendez fçavoir les interests
des Rois
Qu'allez- vous dire cette fois
Quand vous verrez les Lis tranf
planter en Espagne ?
Quels feront vos raifonnemens
Sur de fi grands evenemens ?
Comptates - vous fur la Couronne,
Dont l'éclat à vos yeux brille de tant
d'attraits ,
Quand la Fille du Ciel, la Paix ,
la dnice Paix
Vint defarmer à Barcelonne
La fiere & fuperbe Bellonne ,
A ij
6 MERCURE
Et dans fon cours rapide arrefter fes
projets ?
Vous murmurez de voir terminer une
guerre,
Qui depuis fi longtemps troubloit toute
la terre.
Malgré la douceur du repos
Dont vous deviez aimer les charmes
,
Vous auriez voulu que les armes
Du plus grand de tous les Heros,
Puffent jufqu'a Madrid rempli ces
lieux d'alarmes.
*
Alors vous ne compreniez pas ,
Vous intereffant à fa gloire ,
Comment il pourroit bien arrefter la
victoire ,
Toujours attachée à fes pas ,
Rien ne refiftant à fon bras,
Tantoft renverfant des murailles,
Et tantoft gagnant des batailles ,
GALANT.
Vous vouliez qu'iljoignit Efpagne
à fes Etats.
Elle euft alors couté trop d'hommes,
C'eft ungros morceau que Madrids
Nous devions au temps où nous
fommes
L'obtenir à plus jufte prix ,
De noftre grand Louis la prudence eft
extreme ,
Son jugement profond ne peut fe con--
cevoir.
Lors qu'il offrit la Paix , & la fit
recevoir
Aux Ennemisjaloux de fa grandeur
Suprême ,
Les biens qu'il en devoit avoir ,
N'eftoient prévus que de luy- même.
On nepeut rien connoistre àfes vaftes
deffeins ,
C'est un fecret c'est un miftere,
A iiij
8 MERCURE
Les efforts de l'esprit pour en juger
font vains ,
Il faut dans ce qu'il fait l'admirer
&fe taire
Peut- on dans le Soleil voir ce qu'il a
de bean ?
Louis ne regle point fes deffeins fur
les vostres.
Vous voyez arriver un prodige nouveau
,
Attendez feulement , vous en verrez
bien d'autres:
Je vous ay parlé dans ma Lettre
du mois paffé, du Tableau que le
Prince Louis Aniaba , Roy d'Eifzinie
, a prefenté à la Viergedans
l'Eglife de Noftre- Dame de Paris.
Ce Royaume eft fitué fous la
Zone Torride à la Cofte d'or ,
que baigne l'Ocean d'Afrique ,
GALANT.
તે
&
habite par des Negres
qui
n'ont aucunes
marques
de Religion
, que quelque
refte d'une
idolâtric
auli
fuperftitieufe
que
déplorable
. Mr Ducaffe
, General
des Flibuftiers
, eftant aborde
il y a quinze
ans ou environ
a cette
Cofte , ydefcendit
pour faluer
le Roy du Pays qui fut charmé
d'entendre
de fa bouche
la continuation
des merveilles
du regne
de Louis
LE GRAND
dont le bruit répandu
par l'Univers
avoit penetre
les climats
brûlez . La gloire eftant l'objet
principal
des grandes
ames , fut
le moyen
dont la Providence
fe
fervit
pour le falurt de Louis
Aniaba . Le Roy fon Pere ne pou
vánt venir lui - même
admirer
tant de prodiges
,voulutbien conIO
MERCURE
fier ce jeune Prince à MrDucaffe,
pour l'approcher du plus parfait
modele de tous les Rois. A peine
Aniaba eut- il efté preſenté à Sa
Majefté , qu'elle donna ordre
pour le faire inftruire des Mifteres
de noftre Religion . La Grace
qui l'avoit conduit fi heureuſement
en France , opera en même
temps fi efficacement , qu'elle lui
fit bien - toft demander le Baptême
avec inftance. Baptifer un
Prince idolâtre , convenoit bien
à celui dont les vives lumieres
ont percé la nuit des Herefies
les plus delicates qu'il a confondues
avec tant de gloire Ml'Evêque
de Meaux , comme un au
tre Saint Philippe , baptifa ce
Prince Negre , à qui le Roy donna
le nom de Laurs . La fuite a
GALANT. I
II
fait voir avec quelle attention
ce jeune Prince s'eft appliqué à
fe rendre digne de ce nom augufte.
Ce fut une douce confolation
pour les Peuples d'Eilzinie'
, affligez de la mort de deux
Rois , Pere & Frere de Louis
Aniaba , d'entendre les heureux
commencemens de celui qui devoit
leur fucceder , & qu'ils appellent
au Trône avec le plus
grand empreffement . Ce nou
veau Roy , avant que de quitter
la France , a voulu laiffer par le
Tableau que l'on voit à Noſtre-
Dame, un pieux monument de fa
reconnoiffance à la Vierge , fous
la protection de laquelle il a mis
fon Royaume & fa Perfonne . Le
Sr Juftina eft celui qui a fait ce
Tableau , au bas duquel on lit
ces paroles.
11 MERCURE
A LA GLOIRE DE DIEU
LOUIS ANIABA ,
Roy d'Efzinie , à la coste d'Or en
Afrique , en reconnoiffance de la
grace que Dieu lay a faite de le
retirer de l'aveuglement où fes Pre
deceffeurs & leurs peuples ont vecu
jufqu'à prefent , & des bontez de
LOUIS LE GRAND , qui l'a
fait élever en France à fes dépens
dans le culte de ba vraye Religion ,
& dans la pratique des plus nobles
Exercices & auf des obligations
qu'il a à Mr lEvêque de Meaux ,
pour luy avoir donné le Baptême ;
avant que de retourner prendre poffeffion
de fes Etats ”, où il va parles
foins de noftre pieux & genereux Mo₂-
narque , à deffein dy planter la Foy,
GALANT
& pour ce fujet s'eftant mis luy , &
fon Royaume fous la protection de
la tres-fainte Vierge , à l'honneur de
laquelle il a inftitué l'Ordre de L'ETOILE
DE NOSTRE- DAME
pour luy& fes Succeffeurs à perpetuités
a donnè ce Tableau pour monument
defa piete, l'an de grace 1701 .
Le 26. du mois paffé , Mr de
Court , Abbé de Saint Georges
fur Loire , fut receu à l'Acade
mie Royale d'Angers , & fit ce
remerciment à ceux qui compofent
cette illuftre Compagnie.
MESSIEURS ,
S'il me falloit , pour meriter la
grace que vous me faites, que l'eftimer
beaucoup , &la reſſentir vive44
MERCURE 14
ment , je ne craindrois point qu'on
puft vous reprocher d'avoir fait un
choix indignes mais quand je fais
reflexion aux loix de votre Academie
Royale , & au merte de toutes
les parfonnes qui la compofent , je ne
puis affez m'étonner , de me trouver
place parmy tant d hommesfçavans;
& plus cet honneur paroift au deffus
de moy , plus jefuis penetre de reconnoiffance
, que vous ayez datgne me
Loffrir. Je ne crains pas que vOU'S
doutiez , Meffieurs, d'un fijufte reffentiment
, mais je crains avec raifon
de ne le pouvoir exprimer avec
teloquence & la delicateffe que voftre
choix femble faire efperer de moy.
Ces talens ont paru avec tant
d'eclat dans lilluftre Academicien
que vous regretez, & je fuis fi peu
propre à lesfaire brillerparmi vous,
GALANT . 15
queje n'oferais me flatter de pouvoir
reparerune perte à laquelle vous eftes
fifenfibles.
il
Ms l'Abbé Peletier n'a pu à la
verité , eftre plus zelé pour vous , que
je le feray toute ma vie ; mais quand
je lui reffemblerois du cofté du coeur ,
s'eft acquis tant de reputation par
le merite de l'efprit ( qualité effentielle
à un Academicien ) que je n'ay
pas la temerité de croire que je puiffe
jamais l'egaler.
L'efprit naturel , orné de toutes les
graces , &foutenu de tous les fecours
d'une agreable erudition , brilloit dans
fes converfations , & parciftra toùjours
dans fes ouvrages. Son application
à l'etude , quelque affiduë qu
elle ait efte ,fi l'on en juge par les
effets , ne l'a jamais empêche de fatisfaire
àtous les devoirs de la pieté,
16 MERCURE
& de la vie civile . Il eftoit bon ami,
poli , officieux envers tout le monde ;
en un mot , aulli honnefte homme , que
Sçavant& éclairé.
Il n'y a que vous , Mellieurs , qui
puilliez faire le veritable eloge d'un
merite , qui vous eft fi parfaitement
connu , non-feulement par la longue
habitude , que vous avez eu avec
cet illuftre Confrere ; mais encore
parce que vous trouvez en vous -mêmes
des qualiter femblables à celles
que vous avez eftimées dans fuper
Sonne
En effet , le travail infeparable
de la fcience , le genie qui produit l'abondance
& l'elevation des penfees ,
Part de bien vivre , auffi cultivè que
celui de bien parler , toutes les vertus
meme, ne font-ce pas les caracteres
qui diftinguent tous ceux , qui compoGALANT
17
fent cette celebre Compagnie ?
Que j'aurois de joye , Mellieurs 35·
fi je pouvois entrer dans ce detail , &
fatisfaire à laforte inclination queje
fens , de proportionner vos propres
louanges à votre merite & à mon
zele !
Fy trouve un Prelat , * qui parfa·
capacité & fa vigilance infatigable,
eft regarde , comme un des plus grands
ornemens de l'Eglife , & comme le
vrai Pere , & le zeté Pasteur du
Troupeau nombreux que la Providence
lui a confié. ··
Quel plus grand avantage pour
moy, que de temoigner icy publiquement
mon respect & ma reconnoif
fance , à unProtecteur * diſtingué par
fon rang, & par l'esprit, fi naturel-
Mr l'Evêque d'Angers .
Mr le Comte de Serrant.
Mars
17.01. B
18 MERCURE
à toute fa famille ! Que ne puis-je
vous reprefenterfon imagination vi
ve,&feconde, fon difcours pure poli,
fa raifon droite & éclairée , fon genie
noble & elevé, & fes manieres engageantes
toujours infeparables de
jon bon coeur!
Combien y voit-on de perfonnes *
en qui l'amour des Lettres , eft d'aus
tantplus digne d'eftime , qu'ilfe trous
ve joint à une naiffance illuftre , &
aux emplois les plus confiderables de
cette Province.
Il n'eft point de genre de merite s
que l'on ne remarque en vous , Meffeurs.
Comment - donc pourrois -je en
faire dignement l'éloge ?
4
* M d'Autichant , Gouverneur du
Chateau d'Angers , M le Marquis
du Bellay , Mr le Marquis de Vezins
, & c,
GALANT.
Combien me feroit- il plus difficile
de m'elever jufqu'à parler de l'All~~
gufte Monarque , fous la protection
duquel tant de perfonnes choifies ont
formé cette Affemblée ? La Poëfie la
plus fublime ne peut egaler un fujet
felevé Pourrois-je donc le faire en
trer dans un difcours aufft fimple que
celui-ci ? Si l'on regarde les qualitez
perfonnelles de ce Roy , qui a merité
avec tant de juftice le titre de Grand,
ou fi l'on confidere les merveilles de
for Regne , l'on eft toujours ebloui de
la gloire de fes actions , & de la
grandeur de fes vertus . J'ay encore la
vue tropfoible , pourfoutenircet éclat,
& quelque esperance que j'aye d'eftre
un jour éclairé de vos lumieres , je ne
trois pas avoirjamais aßer de confiance
pour ofer traiter une matiere ,
non-feulementfi au deffus de mesfor
Bij
20 MERCURE
ces , mais dont la difficulté étonne les:
plus fameux Orateurs .
Ilparoift , Melicurs , que vous
avez compté fur cette utilité que je
pretens trouver dans vos doctes Affemblées
; & quefans faire reflexion
à ce quejefuis , vous avez penſé à ce
queje pouvois eftre un jour par voftre
fecours. Une fincere admiration pour
vous , & un defir extreme de vous
reffembler en quelque forte , m'ont
attiré une grace qui ne s'accorde ordi
nairement qu'à un merite deja ac--
quis
+
Ilfemble que vous ayez deja ou--
blié vos Cattumes& vos Loix en faveur
d'un Etranger ,
O que vous
ayez voulu me traiter comme ces heu-..
reux Athletes que l'on couronnoit
avant qu'ils euffent combatu. La
generofite qu'ils avoient de s'expo--
GALANT. 21
fer a combatre meritoit en effet d'eftre
recompenfee; maispour moy , j'auroi
merite au contraire d'eftre puni , fi
j'avois eu la temerité de me prefèn
ter moi- même àla glorieuse carriere
on vos fentes bontez pouvoient m'introduire.
Il est vray que c'est deja temoigner
du courage que d'accepter cer
honneur , & de defirer ardemment de
3'en rendre digne. Ceftfeulementcette
ardeur pour l'etude , qui a pù vous
faire penfer que je marchois fur les
traces d'un Oncle qui a eu l'avantage
d'eftre appelle le plus docte de
fon temps , ou que je fuis celles d'un
Frere ... A ce nom ,je mefens le
coeurpenetré de douleur ; & je ne puis
rouvrir cette playes que je n'en fois
vivement touché, & que mon imagi-
M. de Saumaile,
22 MERCURE
nation émuë ne jette le trouble dans
mon efprit.
Je fai qu'ily a des perfonnes qui
mefont l'honneur de m'entendre , qui
ont efté de fes Amis , & qui dans le
momentqueje parle , ont la bonté da
prodiguer en fa faveur les louanges
queje n'oferois moi -même lui donner
Pardonnez cette digreffion , au
trifte fouvenir de la perte d'un Frere
fi regretté , & queje regretteray toute
ma vie
Je ne crois pas même m'eftre trop
éloigné de mon fujet , puifqu'en vous
montrant la fenfibilité de mon oxur,
je dois vous faire conclurre qu'il eft
aufi vivement touché de vos bontez
que mon efprit eft penetre d'une eftime
fincere pour votre merite. Vous ne
pouvez pas douter , Mellieurs , qu'elle
ne devienne plus forte parles moyens.
GALANT.
23
que vous medonnez de vous connoiftre
fond , & de profiter auprés de vous..
Plusje fais reflexion à une grace
fi precieufe , plus je me trouvefurpris
de mon bonheur, & peu fatisfait des
termes quej'employe pour vous expri---
merma reconnoiffance:
Fefpere que la force de la verité
fuppléera à mon peu d'éloquence , &
que connoiffant vous -mêmes le prix·
de votre bienfait, & les circonstances
qui doivent me le faire eftimer davantage
, vous demeflerez des fentimens
plus forts que mes expreffions ;
en attendant que vous m'ayez appris
à vousfaire un plus digne remerci
ment
Fufques à cet heureux temps , Meffears
, n'ayez s'il vousplaift , attention
qu'à mon respect & à mon attas
chement pour vous , qui vous enga→
24 MERCURE
gera , fans doute à m'honorer toujours
de cette même bienveillance , à laz
quelle je crois devoir uniquement la
glorieufe qualité de vostre Confrere.
de exopor MOVE
FESTE DONNEE
Villefranche en Beaujolais
Uoy que noftre invincible'
Monarque ait porté pen
dant le dernier Siecle la gloire
de la France au fuprême degré ,
la joye & les empreffemens des
François au commencement de
celuy- cy ne luy promettent rien
moins que la longue fuite d'un
regne encore plus glorieux . On
' entend parler que de plaifirs
& de feftes . Mr Beffie de Peloux ,
Secretaire de l'Academie de Vil
lefranche
GALANT 20
lefranche en Beaujolois , en a
donné une d'autant plus furpre
nante , que la condition fous
laquelle elle avoit efté promiſes
avoit toujours efté fort incer
raine. Il l'avoit
voit fait dépendre de
la durée de la vie pendant cinquante
ans, il eft âgé de foixante
& dix , & c'eſt dés l'âge de vingt
qu'il s'eftoit propofé de celebrer
avec fes Amis le commencement
du Siecle nouveau par cette fe
fte. Elle commença le 2. Janvier
par un foupé donné à cent
dix Conviez , gens choisis de l'un
& de l'autre Sexe , dans une
Salle fort fpaticufe , & illuminée
d'un grand nombre de bougies .
Les tables eftoient fi avantageu-,
fement difpofées autour de cette
Salle , qu'il refta dans le milieu
Mars 1701.
8.71
C
26 MERCURE
1
une sefpace affez confiderable
pour dreffer les buffets , où entre
autres ornemens il y avoit un
Bacchus affis fur un tonneau ,
entouré de pampres , & couronné
de raifins , tenant Couronune
efpece
de longue citrouille , d'où for
toit une fontaine d'un vin tresexcellent,
qui coula pendant les
fix heures que dura ce grand repas
. Les mets eftoient ce qu'il y
a de plus delicat en groffes viandes
, volailles , gibier , ragouts ,
entremets , fruits & confitures.
Les vins de Champagne , de
Bourgogne & de liqueurs , les
plus delicieux n'y furent pas
épargnez Tout fut abondant ,
propre , bien ordonné , & fans
confufion . La Symphonie & les
Inftrumens fe firent entendre
GALANT 27
T
jufqu'à la fin du foupé , aprés
lequel on danla jufqu'au jour ,
Le lendemain , la fefte continua
par une reprefentation de la
Tragedie du Cid , fuivie d'un
grand Bal & d'une Colation magnifique.
Bien des gens confiderables
, attirez de loin & des
autres Villes voifines furent
extrémement furpris qu'on refu
faft leur argent dans les cabarets .
L'ordre eftoit de Mr du Peloux ,
qui voulut défrayer tous les Etrangers
. Enfin , quelque bon
ordre quiil y euft par tout ,
n'eft perfonne qui n'ait efté plus
charmé du bon coeur & de la
bonne humeur de Mr du Peloux,
que des plaifirs & de la bonne
chere de la feſte.
il
" Ċ ij
28 MERCURE
Je vous envoye des Vers qui
ont efté prefentez à Mr le Cardi.
nal de Noailles , fur fon retour
de Rome dans fon Diocefe.
649
ENfin
nos
voeux
font
exau-
༩༢ .
PRELAT , Phonneur de noftre
France ,
Tu nous rens enfin ta prefence .
La craintefe diffipe , on te voit , c'eft
affez
Anos ardens defirs quand le Ciel te
renvoye
Tu ramenes icy la plus parfaite
joye.
La pieté qui regle tous tes pas
Vafaire éclore fur tes traces
Mille vertus , mille nouvelles
graces ,
GALANT: 29
Quefans toy l'on ne verroitpas.
Lors qu'à ta pieté voulant rendre
justice
Un Pontife cheri des Cieux
Orna ton nom facré d'un titre glorieux
Le Ciel anos defirs fembloit eftre propice
La joye & les plaifirs animerent ces
lieux ;
Mais que ces jours , belas ! fidoux
fipleins de charmes
Nous ont couté depuis de troubles &
dallarmes !
Ce Pontife pieux , fi defireux de voir
L'éclat de tes vertus dans Rome fe
répandre ,
Qui pourjour de cet espoir
Tinvitoit luy-même à t'y rendre,
Ce Pontife , l'amour de cent Peuples
divers
@ iij
20 MERCURE
30
Fft ravi par la mort aux vaux de
l'Univers , CRIS
Paris , à ta fainte allegreffe
Succede en ce moment la plus vive
douleurs Rp 23 paip per de
La crainte , les defirs viennentfaifir
ton coeur
Tu vois l'objet de ta tendreffe ;
Bien-toft par fon devoir il va t'eftre
arraché.
Si fa Pourpre t'avoit touche ,.
Ton coeur, qui pour lui s'intereffe ,
Ne la voitplus qu'avec trifteffe ,
En voyant le devoir qui s'y trouve
attache
Ilfaut partir 3 il fuit fon ardeur &
fon zele ,
Il vole où l'Eglife l'appelle.
Quelles terreurs alors vinrent l'épou
vanter ?
Tu t'écriois dans ta douleur profonde ,
GALANT. 20
NOAILLES va partir , il quitte
ces climats !
Il s'éloigne au travers des neiges
des frimats,
El va fier fes jours à la fureur de
l'onde.
و
Ciel , daigne écouter nos voeux ,
Mer, calme tes flots écumeux.
Affreux Rochers , fourcilleufes
Montagnes,
Devenezfous fes pas les plus douces
Campagnes.
Fents rigoureux , changez-vous en
Zephirs,
Confervez- nous l'objet de nos tendres
defirs :
Ses voeuxfont exaucez , le Ciel nous
favorife
Au milieu des transports de fa jufte
douleur
Rome, qui te reçoit, & charmee &
[ Surprife ,
C
iiij
32 MERCURE
Oublie à ton afpect fon deuil , &fon
malheur
Elle voit taferveur , tapietéfincere ,
Et toutes les vertus qu'avoit eu fon
Pafteur :
De tes foins précieux auffi- toft elle
efpere
Un Succeffeur digne d'un fi bon
Pere
Dans fon venerable Senat
Apeine prenois-tu ta place
Par tes voeux agilfans , par ton zele
Stefficaces
La vertu d ALBANI paroift avec
yesséclats as widow , tha kang wis
Son front eft couronné de la triple
Tiare
Pourle Peuple chretien quel bonheur
fe prepare!
Maisficegrandfuccés pourl'Univers
eft doux ,
TALANT. 33
Il est encore plus fenfiblepournous.
Saint Prelat , Paris te rappelle-
Quay que le Pontife pieux
Ze voyant dun Paffeur leplus parfait
modele
Sefaffe facrer à tesyeux :231 905
Quoy que, pourte comblerd'une grace
a nouvelles i tamed
Ilfe défaffe en ta faveur
D'une illuftre marque d'honneur,
Il ne peut moderer ton amoureuſe
Sardeur ardeur
Tu te rens aux defirs d'une Epoufe
Los fidelle.
Tu veuxfaire ceffernas craintes , nos
Soupirs [zele ,
Après avoir rempli ton devoir & ton·
Tu veux nous ramener lajoye & lës
plaifirs
Animé ponrles tiens dufaint feu qui
te guides.
34 MERCURE
D'un pas precipité , d'une courfe rapide
,
Tu veux hater noftre bonheur ;
Mais ta rapidité dans noftre ame
timide
Caufe le trouble & la douleur ,
Que ton retourfe precipite :
Pourl'obtenir, au Ciel nous avons eu
recours ;
Mais que noftre intereft t'excite
Ane pas prodiguer tes jours.
A nos defirsfois moins fenfible
S'il faut encor t'expofer au trepas.
L'hiver , le Froid , les Vents , pour
nous tout eft terrible.
L'Enferpourroit ..... mais non , le
Ciel conduit tes pas ,
Il met autour de toy fes Anges tutelaires
El daigne écouter nos prieres.
GALANT.
35
Ton Troupeau ne craint plus le lion
rugiffant.
Tu parois. Au retour d'un Aftre fi
puillant
Nos champ's vont fe couvrir d'une
grace nouvelle
• Chacun à l'envi fous tes yeux
Ka redoubler fa ferveur & fon ze
Alegh
Quand Louis teforça , pour l'intereft
des Cieux,
D'eftre le Pafteur de ces lieux ,
Si ton exemple y fit eclore
•Mille graces mille vertus 5
3.
Ton retour eft pour nous une nouvelle
Aurore
Elle enfera naiftre encorplus.
Nous ne craignons plus rien , tout eft
en affurance
Nos voeux viennent d'eftre exau
36 MERCURE
Prelat , l'honneur de noftre Franceb
sa
Nous te revoyons , c'eſt affez ,
On a fait une machine appellée
Diogirometre , qui peut marquer
fort jutte le changement
des longitudes & des latitudes
fur tous les Baftimens de la Mer,
en tout lien , à toute heure , &1
quelque temps qu'il faffe . Eller
a efté inventée par le Sieur Ay-i
mon , M. R. qui a fait voir par
experience qu'elle eft propre à
réfoudre le fameux Problême
des Longitudes , qu'on a cherché
depuis longtemps , pour perfe
tionner l'estat de la Naviga
tion . C'eſt une efpece de Mon--
tre , qui marque fort jufte let
Sillage de tous les Baftimens de
GALANT 2737
}
la Mer , & combien ils dérivent
à droite & à gauche du Rumb ,
où le Cap eft mis , fans que l'irregularité
des balancemens , l'impetuofité
des vagues , le changement
des vents , ny les courans
de l'eau puiffent en arrefter le
mouvement 3 car ce Diogirometré
ne tourne que par le moyen de
la folidité ou ftabilité de la matiere
fubtile qui fe trouve dans
l'Hemifphere, ou Tourbillon de
l'air , & fi l'humidité ou la rarefaction
y caufent quelque varia
tion , on trouve dans les Tables
d'équation , faites fur un Thermometre
, pour combien on la
doit compter
.
Pour faire cette Machine il
faut avoir quatre ou cinq rouës
de cuivre , qui s'uniffent par des
38 MERCURE
Pignons de fer , comme celles de
lafonnerie d'un Horloge, & mettre
à la place du delay quarre
petites alles de velin ou de taf-1
fetas , qui foient attachées pour
tourner perpendiculairement à .
l'horifon , comme un Moulinet
à vent. Ces rouës eftant unies.
par des Pignons qui agiffent fur
les dents de leur circonference ,
produifent un effet tout contraire
à celui des Horloges , dont les
rouës agiffent fur les Pignons
car cette Machine fait une efpece
de levier fi delicat , & dont
la force eft pourtant fi grande ,
qu'il fait tourner plufieurs groffes
roues avec un feul grain dé
poids , ou à la feule rencontre
de l'air qui touche oblique nent
les aîles de ce Moulinet , d'abord
{
GALANT 29
qu'il change de place , par le
tranfport ou le mouvement horifontal
du vaiffeau fur lequel on
le fufpend comme une Bouffole ,
en le mettant dans une caiffe en
forme de cone , dont le Colte
Le plus large foit expofe à l'air
& tourné vers la proue du Vaiffeau
, & le plus étroit du coſté
de la Poupe , & couvert à peu
prés comme le deffus des lanternes
fourde , afin qu'il foit à
couvert du vent , & que la feule
impreffion de l'air donnant le
mouvement aux aîles qui tournent
à proportion de la viteffe
ou lenteur du Vaiffeau faffeetourner
les roues de cette Machine ,
qui par
le moyen d'un cadran ou
d'un compte- pas qui lui eft uni
marque le fillage ou chemin que
40 MERCURE
le Navire faity fans qu'il foit be
foin d'en tenir aucune notte
puifqu'on y peut toujours voir
deffus le calcul tout fait , &
trouver enfuite les changement
des longitudes y par un fimple
quarré de reduction of about
Si on veut auffi connoiftre le
changement des latitudes , il
faut mettre une autre pareille
Machine fur le bord du Vaiffeau
ayant les aîles détournées no
nante degrez de la premiere , &
elle montreravaux Pilotes combien
le Bâtiment dérive , & le
lieu où ils font arrivez .
Voici le Problème & fa refolu
tion d'une autre maniere à fçavoir
par les Tables Loxodromi .
Quand on ne fçait point la
declinaiſon de la Bouffole , ny la
GALANT. 41
mute qu'on a tenue en faifant la
courfe marquée fur le Cadran du
Diogiromettre
.
Les latitudes des deux Termes
eftant connues, & le chemin, trou
ver le Rumb de vent , & la diffe
rence des longitudes.
Que la latitude du Terme de
départfoit , par exemple , de 20 .
degrez ; & qu'aprés plufieurs
jours de navigation on la trouve
de 46 50 & que le chemin foit
de 4200 milles fur le Cadran
Diogirometre , ayant ſouſtrait
la plus petite latitude de la plus
grande , on trouve 16. degrez
5o. minutes ; on prend les Tables
loxodromiques , & on cherche
dans quel Rumb fe trouvent
4200 milles , vis à vis de la la
titude de 26. degrez so . minutes ,
Mars 1701
. D
4. 42 MERCURE
& on trouve le fixième Rumb de
vent.
Pour avoir la difference des
longitudes , on fouftrait 49. 15. la
longitude qui répond à 20. degrez
de latitude , de 128. 18. qui
eft celle qui répond à 46. degrez
5. minutes de latitude. Le reſte
fera 79, degrez de difference de
longitude. Cela eft tres - facile &
tres- affure can shem
4
Le fieur Aymon donne avis
aux Sçavans qu'il a une autre
Machine qui eft encore plus curieuſe
& plus affurée pour me
furer le fillage & le dérivement
des Vaiffeaux , & une pour faire
remonter les Bateaux fur les fleuves
ou rivieres , par le moyen du
courant de l'eau , fans qu'il foit
befoin d'attacher aucun cable fur
GALANT.
43
le bord ou rivage en terre ferme ,
my faire travailler perfonne dedans
& dehors du Bateau .
2
Les Peres de la Congregation
de Saint Maur n'ayant point de
Mailon hors du Royaume, n'ont
rien auffi tant à coeur que la
gloire du Roy , aux volontez du
quel ils s'efforcent d'obeir en
toutes fortes d'occafions . Ils
l'ont fait d'une maniere toute
particuliere dans celle que le:
Ciel leur a accordée , de recevoir
les trois Princes Enfans de
cet Augufte Monarque , dans les
Abbayes Royales de S. Lomer
de Blois , & de Saint Jean d'Angely;
mais cette derniere ne s'eft
pas contentée de marquer com
bien cet honneur day eftoit fen
Dij
44 MERCURE
f
fible , le jour qu'ils y arriverents
Elle a voulu faire une feſte
par
ticuliere les . du mois paffé , où
elle donna des marques éclatan
tes de la joye qu'elle reffent de
voir Monfeigneur le Duc d'Anth
jou élevé fur le Trône d'Efpah
gne.
Les Rhetoriciens du College
de Saint Jean d'Angely , done
les Benedictins ont la conduite ,
joüeremt, felon la coutumé , une b
Tragedie , qui fut accompagnée
d'entractes pour le Roy Catho
lique. Dans le premier , l'on vie
paroiftre une Etoile fort brillante
, qui reprefentoit ceile qui
parut für Madrid le z1 . du mois.
d'Octobre dernier. Des Aftro -In
logues l'ayant confiderée , priso
rent occafion de dire qu'elle
GALANT 4T
préfageoit l'arrivée d'un nouvel
Aftre en Efpagne , & s'étendi
rent fur les louanges du Roy , & b
des Enfans de France , aufquelse
cette : Couronne appartient dow
droit commme l'Etoile tournée v
du coſté de la France fembloite
L'indiquera
Le fecond Entracte eftoit diviſé
en trois petites Scenes.ch
Dans la premiere on vit la Pru- ol
dence , la Juftice , la Vertu & M
la Fortune , qui aprés avoir fair
Eloge de Monfeigneur le Duc b
d'Anjou, allerent luy préparer l
une Couronne. Dans la feconde
Scene , les Herauts Efpagnolsk
proclamerent Philippe V Roy
d'Espagne, avec prefque les mê
mes ceremonies qu'on avoit faites !
à Madrid le jour de la veritable
46 MERCURE
點
Proclamation ; & cette reprefentation
fit tant de plaifir au
peuple de Saint Jean , que le
Parterre cria hautement , vivat.
Le Roy fut couronné dans las
troifiéme , & reveftu des orne
mens Royaux. La Fortune l'orna
du Manteau Royal , en difant
ces Vers .
Philippe , ta vertu ne femble pas
commune >
Prens ce Mauteau Royal des mains
de la Fortune.
La Vertu luy mettant la Cou
ronne fur la tefte , luy dit.
De porter la Couronne il n'appar
tient qu'a toy ,
Reçois celle d'Efpagne , & le titre de
Roy
La Prudence lay prefentant
le Sceptre
GALANTM 47
Prens ce Sceptre Royal, Espagne le
defire.ob nos ad account.
On te verra bien loin étendre ton
1958 Empire to insonlar
La Juſtice luy donnant fon
Epée. Obrutisvud ok , ambashari
Fils des Heros , reçois le glaive de
SudanThemis gabi and fame MUD
Il exterminera tes plus fiers Ennemisë
OF ME.
>
Dans le troifiéme Entracte on
vit la Regence & les Grands
d'Efpagne qui complimenterent
le Roy Catholique , & s'é
rendirent fur les louanges du
Roy & de Monfeigneur le Dauphin:
Cet Entracte fut terminé
par une Chanfon , qu'un François
& un Efpagnol chanterent
alternativement , fur l'Air des
48 MERCURE
folies d'Efpagne & fur un petit
Ballet.
e
Le quatrieme reprefentoit des
Artifans François qui alloient en
Efpagne , & le bon acueil que
les Efpagnols leur fontandoff
Enfin on vit dans le derniers
qui parut le plus divertiffant, foit
parce qu'il y avoit plufieurs petits
incidens fort agréables , foit
parce qu'il eftoit en langage
Saintongeois , onvit , dis -je des
Paylans qui s'entretinrent fur
les belles qualitez des trois Print
çes qu'ils avoient vus à S. Jean,
& qui aprés avoir bu à leur fanté,
terminerent la fefte par une dan
fe que les Spectateurs trouverent
tres agréable. Les Peres
Benedictins eurent fujet d'en
eftre d'autant plus contens, qu'il
GALANT
49
ne fe peut qu'ils ne confervent
toujours une parfaite reconnoilfance
pour l'honneur que le Roy
leur a fait de marquer leur
Maifon pour le logis des Princes
fes Petit- Fils. On doit la difpofition
de tous ces Entractes à Dom
Jacques Boyer Profeffeur de
Rhetorique.
Made Cantenac , Chanoine
de l'Eglife Metropolitaine de
Bordeaux , vous est déja connu
par divers Ouvrages que le Public
a fort approuvez. C'eſt luy
qui a fait la nouvelle Satire que
je vous envoye .
Mars
1701.
E
50 MERCURE
MOTIFS
DE LA SOLITUDE.
Pourquoy
me blame-t-on d'aimer
la Solitude ? ..
Le commerce du monde est plein d'inquietude
,
Il n'a plus de douceurs qui puiffent
m'attirer,
Et quand la nuit approche il faut
fe retirer.
Je vois heureufement ma raifon détrompée
Des folles pallions qui l'ont préoccupée
;
Et fuyant les chagrins dont j'eftois
agité ,
Je goûte le repos qu'elles m'avoient
ôtë.
GALANT.
Les plaifirs inquiets , les faveurs in-
Que
certaines,
l'amour & la Cour meflent de
mille peines ,
Ces vains amufemens & ces charmes
trompeurs ,
Qui flatent tout enfemble & dechirent
nos coeurs
Sepourroient excufer dans les fougues
dun àge { mais fage,
Où l'on fe fait honneur de n'eftre ja-
Mais on doit mieux ufer de fon bien
& du temps ,
Quand un age avancéfait meurir le
bon fens.
On ne cultive pas les champs lesplus
fertiles ,
Quand Aquilon glacé rend nos
foins inutiles.
Un Courtifan rideperdfon temps à la
Cour,
E ij
52 MERCURE
Et le fang refroidi n'est plus propre
à l'amour.
A la Cour la vieilleffe eft toujours
importune
Elle fe plaint en vain d'une ingrate
fortune ,
Et par un longrecit de fervices rendus
,
Fatigue un grand Seigneur , qui ne
P'écoute plus .
Le fort d'un vieil Amant et bien
en plus deplorable ;
Afes voeuxfuranez touteft inexorable.
Pitoyable jouet d'unejeune Beauté
Il luy paye à grands frais l'honneur
d'eftre écouté.
En quelque age qu'onfoit ces pallions
cruelles
Font trouver des ingrats & des coeurs
infidelles. હું
GALANT .
53
Soyezfidelle Amant , faites bien vo
ftre cour,
La fortune eft aveugle auſſibien que
l'amour.
L'envie eft attachée auplus rare me→
rite, [l'irrites
Et fa fureur combat la vertu qui
Elle gemit fouvent d'un fort trop rigoureux
Et le plus honnefte homme eft le plus
malheureux
L'homme aveugle devient l'auteur
de fa mifere ,
Il laiffe un bienfolide , & court à la
chimere
Etpour un vain espoir dont il eft entefté,
Au prix de fon repos il vend fa liberté.
Heureux quife poffedé , & voit cou
ler fa vie
Cij
54 MERCURE
Loindesfeux de l'amour & des traits
de l'envie
Qui fans ambition , & content de fon
bien ,
Peut fe paffer des Grands , & n'en
efpere rien.
Heureux qui delivré de tout ce qui
Le fache ,
De l'entretiendes mortsfaitfa plus
grande attache
Et qui pour fon repos s'éloigne , & fe
défend
Du commerce importan des vifites
qu'on rend.
Faut- il que fans raifon noftre efprit
s'embaraffe
D'une focieté qui nous nuit & nous
laffe ,
Et toujours accable d'unefoule degens,
Qu'ou nefalle qu'unjeu de laperte du
temps ?
7
GALANT.
SS
Ceft- là qu'on s'évapore enmille bagatelles
;
On y parle du jeu , de chansons , de
nouvelles ,
On n'épargne perfonne , & les moins
mêdifans
D'une langue d'afpic y pincent les
abfens.
L'Empereur&l'Espagne y paffenten
revuë.
[ prévuë,
On cave les motifs d'une guerre im-
Et cenfeur ignorant de plus d'un Potentat,
Chacun veut fe mêler de reformer
V'Etat.
Fe fcay bien que l'espritfefaçonne &
s'exerce
Par des
gens éclairez , avec qui l'on
conuerfe ;
Mais en ce temps cruel , ce qu'onfait ,
ce qu'on dit ,
E iiij
56 MERCURE
Eft pour le bien du corps , & non pas
de l'efprit. 'addima Ver
Les efprits les mieux faits ne
plus à la mode.
font
On redoute un Sçavant , on le croit
incommode :
On ne veut pas s'inftruire , on cherche
ce qui plaift ,
L'Ignorance triomphe , & la Vertu
fe taift.
Voyez cejeune Abbé, qui vit en petit
Maifire , Yeomd
Il eft auffi fcavant que s'il venoit de
naifire , Légal ,
Et toutefois , bouffi d'un orgueil fans
Il veut toujours parler, & parle toujours
mal
Tyrcis plusfanfaron que n'eftoit Spacamonte
,
Accable un Auditeur des Combats
qu'il raconte
GALANT
57%
Dés qu'il quvre la bouche , il nous
comble d'ennuye
Mais ilfaut l'écouter , ou se battre
avec luy. bose 2.4 6 unbu
Iris maintenant prude , &jadisfurt
coquette ,
Des moeurs de tout le monde infidelle
interprete
Parle contre l'amour qui futfon feul
objet , [fait.
Etfe vange par là du mépris
qu'ilen
Ce faux Devot
contraire
à l'exemple
qu'il donne
,
Preſche
toujours
lagrace , & n'enfait
àperfoune
.
Il cache fes défauts pour nous mieux
abufer >
Mais il dit qu'il eft homme , & qu'ow
doit l'excufer
.
Un Noble de troisjours, nousfaitavec
→ audace
48 MERCURE
Un recit fabuleux des Heros de fa
race >
Mais ilfe fait connoiſtre , en vivant
comme il vit,
Et porte encor du drap que fon pere
vendit.
Un pitoyable Auteur nous caufe un
long martyre ,
Par des Vers languiffans , qu'il nous
veut toujours lire ;
Il croit que defa Muſe on fait beau
coup de cas,
Mais c'eft- là fa Marotte , il n'en
guerira pas.
Le Bourgeois affamé fe plaint de la
Police
Le Plaideur mécontent condamne la
Justice , [ bath,
Et l'avide Marchand , defoucis com-
Déploré à tous propos fon Commerce
abattu.
GALANT . 50
Chezla plufpart du monde, on agit de
la forte 5 .
Chacun fuit fon penchant , & l'ar .
deur qui l'emporte ,
La retraite eft plus douce , & ne laffe
pas tant ;
Heureux qui vit chez foy , folitaire
& content !
J'ajoûte un Sonnet de Mr le
Chevalier de Mailly , fur les
avantages remportez dans la Livonie
par les Suedois , contre
l'armée du grand Duc de Mofcovie.
SAAns forces , fans fecours , latrifte
Livonie
Par cent mille Ennemis fe voyoit ravager
,
Et fes plus forts remparts dans ce
preffant danger ,
60 MERCURE
Ne pouvoient garantir Narva d'eftre
aßervie.
&
Le Tonnerre eclatoit fur la Place
affaillie ,
Et fans que rien s'offrift qui la pust
dégager , both
Le formidable Czarpreft à la faccager,
De fon bras foudroyant redoubloit la
furie.
S
Lors qu'un jeune Monarque affrontant
le deftin ,
Vint luy faire tomber la foudre de la
main
Et remplir toutfon Camp de fang&
de carnage
៥ .
O vous , dont ce Vainqueur a mis
L'orgueil à basO
GALANT. 61
Mofcovites , craignais fon
courage,
Et ne vous fiez plus au nombre des
Soldats.
Je vous fais part d'une Fable
dont la lecture doit faire plaifir
à toutes celles de voftre Sexe .
Vous y trouverez des caracteres
qui marquent la vive imagination
de l'Auteur .
FABLE DE LA PUDEUR.
H
Ebé , fille de Junon , eftoit
la Déeffe de la Jeuneffe .
De toutes les Divinitez c'eftoit
celle qui confervoit plus conftamment
la fraifcheur de fon
teint , fon viſage eftoit toûjours
fleury. On cuft dit à la voir qu'
62 MERCURE
elle ne faifoit que fortir de l'enfance
; les agrémens infeparables
des tendres années , la joye toujours
riante , & les plaifirs innocens
accompagnoient par tout
cette jeune Deeffe. Jupiter qui
la cheriffoit , luy avoit donné
l'employ de le fervir à table. Un
jour qu'elle luy portoit du nectar
, elle fit un faux pas qui la fit
tomber. Dans fon defordre elle
montra par hazard une partie
de fa cuiffe aux Dieux qui la regardoient
, qui fans doute prirent
plaifir à ce fpectacle , s'il en faut
juger par le temperamment qu'ils
ont & s'ils font tels qu'on nous.
les reprefente . Hebé fut fi touchée
de cet accident , fa confuſion
en fut fi vive , & fon imagination
& frappée , qu'elle en de
GALANT.
63
vinu groffe Les Dieux ne furent
point étonnez de cet effet furprenant.
De pareils accidens ar-
Fivoient affez fouvent parmi la
Troupe celefte. Depuis que Ju
piter avoit efté gros de Pallas ,
& que par un effort de fon ima
gination il l'avoir fait naiſtre de
fa tefte , ces fortes de prodiges
ne furprenoient plus . On fçavoit
encore , que la naiffanced Hebé
n'avoit pas efté moins extraordinaire.
Junon l'avoit conçue en
mangeant une laituë , au moins
elle l'avoit dit ainfi , & Jupiter
qui connoiffoit fon humeur , &
qui vouloit conferver la paix
dans fon ménage , avoit efté d'af
fez bonne foy pour le croire .
La jeune Déeſſe eſtant devenuë
groffe de cette maniere , ace
64 MERCURE
coucha au bout de quelque temps
d'une fille la plus aimable qu'on
ait vûë, & qu'on appella la Pudeur.
Elle parut belle dés fa naîffance
, fa couleur vive & éclatante
faifoit le plaifir des yeux ,
& le charme du coeur ; la douceur
modefte de fes regards fe
faifoit fentir dans le fond de l'ame,
& la furprenoit fans qu'elle
euft le temps de s'en défier..et
Tous les Dieux qui fe trouverent
dans le Ciel , s'emprefferent
de l'aller voir , & de luy
faire des prefens . Jupiter luy
prefenta un bouquet de diamans
qu'un Grec qui avoit depuis peu
remporté le prix aux Jeux Olimpiques
, luy avoit offert. Apol
Ion luy fit prefent d'une Mulette
& chanta des Vers fur la naiffan
GALANT
. 65
ace ; Valcain luy donna de petits
outils de femme , curieufement
travaillez de la main des
Cyclopes Mercure luy offrit
quelques babioles d'enfant , qu'il
venoit de voler à des Nourriffes ;
il n'y eut pas jufqu'au vieux Saturne
qui ne vouluft luy faire
un prefent. Il s'approcha d'un
pas tremblant , appuyé fur fa
faux , & luy donna de vieux pendans
d'oreilles qui avoient fait
tout leur ufage durant les beaux
jours de Rhée fon époufe , &,
qu'il eftimoit infiniment ; car les
vieilles gens ont cet entêtement
pour leur ficcle, qu'ils méprifent
toutes les chofes nouvelles , &
n'ont de l'eftime & du gouft ,
que pour les ouvrages du temps
paffé ...
Mars
1701.
F
66 MERCURE
Les Déeffes tâchérent à leur
tour de faire honneur à la Divinité
naiffante , elles fe parerent
comme pour un jour de fefte
& chacune y parut marquée du
caractere de fa Divinité. Junon:
vint la premiere , environnée de
tout ce qui pouvoit rehauffer la
majefté du rang qu'elle tenoit
dans le Ciel , elle eftoit prece
dée par le Refpect qui marchoit
à pas lents , la tefte baffe , la contenance
modefte , les yeux baif
fez , & les mains jointes fur la
poitrine. Aprés luy marchoient
à grand bruit la Pompe & la
Magnificence , courbée fous le
poids de leurs fuperbes habits ,
& verfant à pleines mains fur
leur chemin l'or & les pierreries.
On voyoit enfuite la Grandeur
X
GALANT . 67
2
M
dédaigneuſe qui ne fe nourrit
que de fon propre éclat , l'Orgueil
qui porte toujours le fourcil
élevé , & qui fe plaiſt à marcher
fur la tefte des hommes . La
Déeffe parut aprés avec des
charmes dignes de l'Epoufe du
Maiftre des Dieux , efle attira
tous les regards , jamais fa beauté
n'avoit efté fi brillante. Jupiter
oublia en ce moment qu'elle fuft
fa femme , & l'aima. Cependant
la Déeffe s'approcha avec majefté
du berceau de la Pudeur ;
mais la petite Divinité ne la regardoit
point , le feul Refpect attiroit
toute fon attention ; elle
ly fourioit , elle le careffoit , elle
n'avoir des yeux que pour luy ,
& lorfque Junon voulut lui
dre la main , la Pudeur leva les
L
pren-
Gij
68 MERCURE
yeux , & furprife de fa grandeur ,
la regarda , puis rougit , & s'enveloppa
dans les langes . En cette
occafion pouvoit-elle faire autre
chofe , & de quelques titres fuperbes
dont on foit revêtus,
quelque diftinguez que foient
les talens
11 peuvent flatter l'amour
propre , la Pudeur peutelle
fouffrir fans confufion d'en
voir faire cet étalage arrogant ?
Renfermée en elle- même, & cons
tente de la vertu , n'eft -elle pas
en droit dedédaigner cesillufions
faftueufes que les hommes ont
inventées pour s'étourdir fur les
miferes de leur condition . :
La blonde Venus vint enfuite
coeffée de la main des Graces.
Elle eftoit belle autant qu'on
pouvoit l'eftre ; mais elle vouloir
GALANT. 69
I paroître autant qu'elle l'é
toit , elle estoit vetuë de la même
robe qu'elle avoit , lors que
le beau Berger du Mont Ida luy
donna la pomme , & fon viſage
n'avoit rien perdu des charmes
qu'il étala dans le beau jour de
fon triomphe . Sa démarche eſtoit
languiffante & negligée , fes
beaux cheveux flottoient fans
art , les yeux vifs & pleins d'amour
jettoient un feu violent &
fenfible , dont Fame la plus farouche
fe fentoit émuë , les delicieux
Zephirs qui voltigeoient
für fon fein , le mettoient par
leur agitation dans un tendre defordre
! Qqu'elle eftoit belle en
cet eftat ! Les Dieux en furent
éblouis ils dirent dans leur
cocur en l'appercevant avec une
P
70 MERCURE
émotion fenfible . Voicy la Déef
fe de la Beauté Les Ris toûjours
contens , les Jeux qui badinent
inceffamment , les Graces naïves
& riantes la devançoient. La
Molleffe oifive & voluptueufe
répandoit fans ceffe autour d'elle
, des parfums exquis , & des liqueurs
précieuſes. Elle menoit
l'Amour par la main. Le funefte
enfant regardoit tout le monde
avec un foûris malin ; la troupe
folâtre des Plaifirs voloit devant
luy , ils eftoient dans une
agitation continuelle , ils échapoient
aux yeux , ils difparoiffoient
à tout moment , quelquefois
ils revenaient , fouvent même
on croyoit les tenir , mais ils
fuyoient avec précipitation &
s'alloient cacher derriere un nu
GALANT.
7°
ge fombre L'éclair qui fort de la
nuë ne difparoît pasplus vite aux
yeux du voyageur effrayé. L'Amour
eftoit encore precedé de la
Douceur qui laiffoit fur fes pas
une longue tracede miel ; laComplaifance
flateule & les Soins
officieux paroiffoient enfuite ,
portant les traits favorables du
petit-Dieu ; on voyoit marcher
aprés luy les Soucis inquiets , la
fombre Melancholie , les Defirs
avec un vifage toûjours agité ,
les Efperances timides , le Dépit.
qui fe ronge luy même , les
Soupçons devorans , l'affreufe
Jalousie occupée à aiguiler fans
ceffe fur une pierre enfanglantée
un poignard dont elle fe perce
le coeur , la Haine farouche
qui ne fe laffe jamais de nuire ,
P
72 MERCURE
la Vangeance toûjours alterce
de fang , & la Trahifon impie
qui fourit , & qui cache la mort
en fes mains: On voyoit encore
derriere luy la Douleur couverte
de playes , jettant de profonds
foupirs , le Repentir pâle & défiguré
qui répandoit des pleurs
amers , & frappoit fans ceffe fa
poitrine , mais ceux - cy ne fuivoient
que de fort loin , & à
moins de connoiftre l'Amour, on
ne pouvoit pas s'appercevoir
qu'ils fuffent a fa fuite.
C'est ainsi que marchoit la belle
Déeffe avec le pernicieux Enfant.
Elle s'approcha mollement
du berceau de la Pudeur ; mais a
peine l'eut-elle vûë , que fa beau
té l'ébloüit , & fon coeur fe fentant
ému , comme quand on admire
GALANT 73
mire des chofes nouvelles ; elle
avolia qu'elle n'avoit jamais rien
vû de femblable. Vous avez raifon
, luy répondit le Dieu Momus
qui fe plaift toûjours à médire
, c'eft fort bien dit , Deeffe
aux beaux yeux de parler ainfi .
A la verité vos experiences vous
ont éclairée fur bien des chofes ,
&
1
principalement fur tout ce qui
regarde la Beauté ; mais je ne
The
penſe pas que vous ayez rien vu
ny connu de femblable à la petite
Divinité qui vient de naiftre . La
Deffe n'eut point de confufion
de cette malicieuſe raillerie ; car
l'habitude au vice produit cet
effet , qu'on écoute le reproche
fans en rougir. Elle s'avança hardiment
pour embraffer la Pudeur
; mais la Petite prit un air
·
Mars 1701
. G
74 MERCURE
dédaigneux , & ne la regarda
pas . L'Amour de fon coſté , dés
qu'il l'eut envifagée , fe cacha
tout troublé fous un coin de
la robe de fa Mere , où il fe mit
à pleurer de toute fa force . Venus
allarmée luy demande la
cauſe de ſes pleurs. Cet enfant
qui eft au berceau , luy répondit
l'Amour tout éperdu , m'a fait
peur ; elle me regarde comme fi
elle vouloit me quereller ; je ne
veuxpoint la voir , fortons d'icy ;
je veux aller à Paphos, où l'on ne
me regarde pas avec tant de ſeverité.
Venus ferra l'Amour entre
fes bras , appuya fa tefte contre
fon fein , & leréchauffa de fon haleine
. Elle tâcha de le confoler
en luy promettant de luy donner
des leçons dont la pratique alGALANT.
78
farmeroit la Pudeur à fon tour ,
& rendroit vains tous les efforts
qu'elle pourroit faire .
ny
pas
Tandis que la belle Reine de
Cythere raffuroit l'Amour effrayé
, Pallas entra avec une fierté
qui n'avoit rien d'orgueilleux
de farouche , & portant en fa
main la redoutable Egide. Elle
ne cedoit en rien à Venus , & on
l'euft prife aifément pour la Déeffe
de la Beauté , fi elle n'euft
efté plus modefte . Son vifage n'avoit
rien d'effeminé , fes attraits
ne devoient rien à l'artifice , elle
negligeoit même de les montrer.
On jugeoit à fon air qu'à peine
s'eftoit- elle apperçue qu'elle fuft
belle , ou fi elle le fçavoit , c'étoit
au moins fans en paroiftre
vaine, tout eftoit grand en cette
Gij
76 MERCURE
Déeffe , tout eftoit beau , & il y
avoit dans toutes fes manieres
je ne fçay quel charme touchant
qui gagnoit le coeur & la raifon
tout enfemble. Elle eftoit precedée
de l'humble Modeftie , de
la Sobrieté faine & robufte , de
la Prudence avec cent yeux qui
percent le douteux avenir. Cette
Déeffe n'avoit point d'autres
Compagnes. Sans doute qu'elle
auroit pû en avoir davantage ;
car toutes les Vertus font de la
fuite de la Sageffe ; mais elle les
refervoit pour les occafions où il
eftoit neceffaire de les montrer ,
elle fe contentoit de ces trois qui
ne l'abandonnoient jamais , parce
que la Sageffe eft toûjours
modefte , toûjours fobre , & toujours
précautionnée . A peine la
GALANT.
njang
Pudeur eut
apperçu Pallas , qu '
une joye naïve fe répandit fur
fon vifage ; elle ne fe laffa point
de la regarder , de luy fourire ,
de la
careffer , & l'on jugea par
tous les petits
mouvemens qui
l'agitoient à fa vue combien la
fage Déeffe eftoit felon fon coeur .
De bonne foy , Pallas , s'écria
Momus , qui ne
pouvoit s'empêcher
de dire fon fentiment fur
tout ce qui fe
preſentoit , vous
meritiez que la Pudeur vous fift
un accueil
moins
favorable.
Vous n'avez pas oublié oublié que vous
la
vendîtes fur le Mont Ida pour
Pefperance d'une
pomme d'or ,
lorfque vous vous fiſtes voir toute
nuë au jeune Berger Paris, arbitre
de la Beauté . Tous les Dieux
rirent de la piquante
raillerie :
G iij
78 MERCURE
Venus fur tout fit éclater toute
fa joye ; car c'eſt le caractere du
Vice de fe réjouir quand la Médifance
attaque là Vertu . La
Déeffe guerriere touchée de ce
reproche , ne répondit que par
fa rougeur , qui la rendit plus
belle ; elle fe couvrit le vifage de
fon Ægide pour ne laiffer pas
voir toute la confufion .
Il faut croire que ce que difoit
Momus eftoit une calomnie . Sans
doute , s'il euft efté vray , jamais
les hommes qui font fi exacts à
chercher les deffauts dans les autres
, & fi prompts à les publier ,
n'auroient pas donné à cette
Déeffe , les titres glorieux dont
ils l'ont revêtue. C'eftoit une
invention maligne de ce Dieu
piquant & amer , qui fe plaifoit
GALANT. 79
à noircir la vertu la mieux établie
. Il n'eft pas poffible que Pallas
qui eftoit li fage , fi prudente ,
· & fi modeſte , ſe fuſt oubliée en
cette occafion ; car enfin la Sageffe
n'eft point venale ny intereffée
, elle ne fe met à aucun
prix , parce qu'elle trouve en
elle -même fa plus folide récompenſe
, elle ne ſe laiffe point ébloüir
par l'éclat de la fortunė ,
ny par les avantages de la Beauté,
& comme elle n'enviſage que la
vertu , on ne la voit jamais chanceler
dans la pratique de fes devoirs
, ny démentir fon caractere
.
Les Dieux rioient encore de
la malice de Momus , quand la
belle Déeffe Diane ſe preſenta .
Elle eftoit precedée de fes plus
G
iiij
80 MERCURE
1
cheres Nymphes qui fouloient
1Olimpe d'un pied leger en
chantant des Vers à fa loüangc.
Voicy la Divine Soeur du
Dieu du Jour , dirent les Dieux
en l'appercevant . Elle portoit
une robe teinte du fang du pretieux
poiffon qui nous fournit
la pourpre. Ses cheveux
eftoient nouez par derriere fans
affectation , elle avoit un arc
d'ébene en fa main fon carquois
eftoit plein de fléches , qui
lancées par une main fifure , portoient
toujours un coup mortel .
Quoy qu'elle fuft née parmy les
Dieux , & qu'elle fuft accoûtumée
à voir leur pompe , on euft
c'eftoit pour la premiere
,
dit
que
fois
qu'elle
y paroiffoit
, tant
elle
baiffoit
fes
yeux
modeftes
, tant
GALANT.
81
1
elle avoit de confufion de paroître
belle ; on jugeoit à la démar
che douteufe , qu'elle. gemiffoit.
en fecret de fe voir expofée à la
multitude de tant de regards avides
? O qu'en cette occafion elle
regretta les ombres.obfcures des
Bois , fi cheres à fa modeftie !
O qu'elle euft fouhaité l'avantage
qu'elle avoit lorfqu'en pour--
fuivant les timides Daims dans
une vafte Prairie , & fe regardant :
par hafard dans le miroir liquide.
des fontaines , elle avoit au moins.
la liberté de fuïr en rougiffant
dans les lieux lesplus fombres des
Forefts, honteufe de fe trouver fi
belle . La Pudeur treffaillitde joïe
en appercevant cette Déeffe . Elle
tâcha d'exprimer par millecareffes
le plaifir qu'elle reffen8:
MERCURE
toit à fa vuë . Diane l'embrafſa
tendrement , & ne put s'empêcher
de témoigner combien
elle eftoit contente de voir naître
une Divinité fi conforme à
fes fentimens naturels .
Cependant Momus ne pouvoit
fouffrir de voir cette Déeffe fi
bien d'intelligence avec la Pudeur.
Leurs careffes innocentes
luy déplaifoient , car tout irrite
la Médifance , rien ne luy plaiſt
que le fiel & le poifon dont elle
fe nourrit. Il me femble , dit - il ,
en ſe tournant vers les Dieux
que Diane ne devroit pas tant
fe réjouir de la naiffance de la
Pudeur ; elle n'eft pas trop foigneufe
de fe cacher quand elle
veut prendre le bain , & Acteon
fçavoit bien comment elle eftoit
GALANT. 8 ;
faite. Méchant bouffon , luy repondit
la chafte Déeffe , en rougiffant
de colere , apprenez que
noftre vertu n'eft point bleffée ,
pour eftre vuës dans un eftat indigne
de nous , lorfque nous n'y
penfons pas . Si le hafard ou la
violence donnent quelque avantage
a voftre Sexe fur le noftre ,
eft -ce un crime qui doive nous
eftre imputé ? L'innocence ne ſe
perd point fans que le coeur y
confente , & c'eft la feule intention
qui rend nos mouvemens
criminels , ou qui les juftifie . Si
cela eftoit , interrompit Momus ,
( qui voyoit que les Dieux luy
applaudiffoient ) il y auroit peu
de femmes qui ne fuffent vertueufes
; car elles difent toûjours
, non & à les entendre
84. MERCURE
feur intention n'eft pas de faire
ee qu'elles font . Cependant il
faut vous rendre juftice , Acteon
fat bien puni de fa temerité , &
vous mîtes ce pauvre Chaffeur
dans un eftat bien pitoyable .
Vous aviez grand' peur , fi je ne
me trompe , qu'il ne fe vantaſt
de ce qu'il avoit vû. Puifque
vous craignez tant l'Indifcretion
, je ne doute pas que vous
n'ayez la précaution de faire de
temps en temps de femblables
metamorphofes , La Déeffe fe
contenta de ce qu'elle avoit dit ,
& ne répondant que par un foûris
dédaigneux, elle prit le parti
du filence . Elle fit bien d'en uſer
ainfi , parce que la Vertu fe défend
toûjours mal contre la Ca--
lomnie quand elle fe défend par
GALANT. 85
les raifons. L'homme de bien fe
taît en ces occafions , il eft content
du témoignage de fa confcience
, & laiffe à fes actions le
foin de le juftifier.
Toutes les Divinitez fe retirérent
après avoir visité la Pudeur
elles la laifférent aux tendres
careffes de fa Mere qui l'éleva
fous les yeux avec beaucoup de
foin . Elle embelliſſoit à meſure
qu'elle croiffoit , chaque jour
ajoûtoit quelque chofe à fa beauté
, & chaque inftant , pour ainfi
dire , découvroit dans fon naturel
, des difpofitions fi heureuſes ,
qu'on ne pouvoit s'empêcher de
les admirer.Quandelle fut enâge
de paroître,Hebé fa mere la mena
dans les Affemblées des Dieux :
dont la plufpart ne peurent
85 MERCURE
ce ,
fouffrir fa fevere modeftie . Comme
la Pudeur n'eft point déguifée,
elle s'allarmoit naïvement de
tout ce qui luy faifoit peur ,
de
forte que les Dieux accoûtumez
à vivre dans les plaifirs , fouffroient
impatiemment fa prefenqui
leur reprochoit fans ceffe
leur vie voluptueufe . Telle eft
la difpofition de ceux qui ne pratiquent
point la vertu , ils cherchent
fibien à l'oublier qu'ils ne
veulent rien voir devant leurs
yeux qui puiffe leur en retracer
l'image. Dans toutes les occafions
où la Pudeur fe trouvoit
avec eux , ils ne pouvoient diffmuler
le chagrin qu'ils avoient
contre elles . On les entendoit
s'écrier fans ceffe que c'eftoit un
efprit farouche , & mal cultivé ,
GALANT. 87
qui vouloit introduire dans le
Ciel des moeurs auſteres & barbares
, inconnuës jufques alors.
Enfin leur peu d'intelligence alla
fi loin , que les Dieux qui aimoient
le plus les plaifirs , fe
bannirent volontairement du
Ciel pour ne vivre pas avec
elle. Bacchus enyvré de Nectar ,
alla goûter les vins du Mont
Tmole , fuivi de la troupe furieufe
des Bacchantes . Mercure
fe retira fur les grands chemins ,
moins pour recevoir fur les carrefours
l'encens des Voyageurs ,
que pour les détrouffer fous dverfes
figures. Apollon ne fortit
plus du Temple de Delphes , où
il vendoit à grand prix aux curieux
Mortels la connoiffance de
l'avenir , que les Dieux favora88
MERCURE
P.
bles leur ont caché . Venus alla
refpirer l'air delicieux de Paphos
. Le cruel Amour inftruit
par
fa Mere , s'enfuit à Lemnos ,
en pleurant de dépit & de honte.
Ilvoltigea quelque temps autour
des fournaifes ardentes où Vulcain
travaille fans ceffe , ces effroyables
cavernes retentirent
de fes gemiffemens . Les Cyclopes
épouvantez laifférent tomber
de leurs mains leurs pefans
marteaux & demeurérent immobiles
. Dans fa fureur il briſe en
fremiffant les flèches inutiles
qu'il portoit , il en demande de
funeftes qui portent le defefpoir
dans tous les coeurs . Le Divin
Forgeron obéit fans remife à
l'imperieux Enfant . Trois fois
l'Amour trempa dans
dans le fiel
>
GALANT. 89
& dans le fang la pointe de ces
nouveaux traits , & content de
voir entre les mains ces armes
cruelles , il s'envole en jurant de:
troubler à jamais le repos du
monde .
Cependant Jupiter voyoit à
regret toutes ces Divinitez difperfées
: il feavoit bien que la
Pudeur en eftoit la caufe , & il
n'eftoit pas lui - même exempt
des mouvemens qui agitoient les
autres Dieux . Il ne pouvoit fe
confoler de la naiffance de cette
jeune Déeffe. Depuis qu'elle
eftoit dans le Ciel , il éprouvoit
je ne fçay quelle lumiere importune
qui éclairoit fa raiſon malgré
luy même. Il avoit beau cacher
fa Divinité fous des figures
étrangères . Il empruntoit vaine-
Mars 1701. H
90 MERCUREment
le fecours des nuages , if
fentoit que la Pudeur le fuivoit
en tous lieux pour luy reprocher
la honte de fes attachemens .
Comme il ne coûté rien de bannir
la Vertu quand elle s'oppo-~
fe aux penchans du coeur , Jupiter
fe refolut bien -toft à l'éloignement
de cette Déeffe . IlPap
pella devant fon Trône d'or &
d'ivoire . Aprés luy avoir reprefenté
que l'Olimpe devenoit une
folitude , & que fon abfence eftoit
neceffaire au repos des Dieux ,
il luy ordonna d'aller vivre parmi
les Mortels . La jeune Déeffe
ne murmura point contre la dureté
de cet ordre fuprême , elle
fut contente de quitter le Ciel ,
puifqu'elle n'auroit plus à foûtenir
la preſence du Vice , & qu'elle
GALANT, gr
feroit à l'abry des allarmes qui
l'agitoient.
Voilà donc la Pudeur qui
vient fur la terre , réduite à chercher
des vertus parmy les hommes
, que les Dieux qu'ils adoroient
ne pratiquoient pas. A
peine elle fut dans le monde ,
qu'elle regarda le Sexe comme
l'objet le plus propre à fixer
fes foins ; mais elle ne voulut
vivre que parmy les Filles , parce
que leur eftat eftoit le plus,
propre à la cultiver. Elle eſpera
qu'eftant éloignée des occafions
qu'elle avoit à craindre , elle
goûteroit avec elles une profonde
paix.
Les commencemens de fon
exil furent affez heureux , parce
qu'elle trouva le monde dans un
Hij
92 MERCURE
eftat aſſez paiſible . L'Egalité ,
mere de la douce Paix , faifoit .
regner la juftice , la candeur &
la bonne foy . Les hommes ne
fçavoient point fe tromper les
uns les autres , & quand ils l'auroient
fceu , ils auroient rougi ,
de le pratiquer. La Verité fortoit
de leur bouche auffi naturellement
que l'air qu'ils refpiroient
leur ; vertu les avoit heureufement
affranchis de la tyrannie
des mauvais ufages & de
la contagion des exemples pernicieux
. Cette foule tumultueufe
des paffions qui agitent fi naturellement
le coeur du Sexe, n'avoit
pas ofé tenter de paroiftre. La
Beauté n'avoit point caufé les
guerres fanglantes , les querelles
injuftes , ny les cruels affaffinats,
GALANT.
93€
& les femmes n'avoient encore
couté rien à l'innocence des .
hommes . Ils les regardoient comme
un prefent du Ciel , dont :
l'ufage venoit au fecours de la
brieveté de la vie , & la neceffité
de s'en fervir impofée à l'homme
eftoit le feul motif de fes attachemens
...
L'Amour impatient de fe vanger
de la Pudeur , ne fouffrit pas
qu'elle joüift longtemps de la
douceur de cetafile . Il ne parut
pas d'abord luy- même , car fa
preſence euft trop effrayé des
coeurs accoutumez à la vertu ; il
fe fervit de la pernicieufe Abondance
, pour introduire les Plaifirs
qui furent la fource feconde
des vices . Ils réveillerent dans le
Sexe la molleffe , l'amour pro-
A
94 MERCURE
pre , & la vanité . De là vint le
defir de voir & d'eftre vûë , qui
fut le premier écueil qui caufa le
naufrage de la vertu . Le foin de
la parure & de la beauté, le luxe
& la regularité des traits commencerent
deflors à faire prefque
tout le merite des Femmes .
Comme le coeur fe laiffoit feduire
aux apparences, chacune répandit
dans tous fes dehors tout ce
que l'art de plaire pouvoit infinuer
de flateur. Vains ornemens,
ufages ridicules , tout fut employé
pour y réuffir ; la raiſon ne
fut plus écoutée , ce bien folide,
cet heureux don du Ciel ne fut
comté pour rien . Les Amans firent
une autre efpece d'hommes
parmy les autres ; ils eurent leurs
maximes , leur culte, & leur Re-
#
GALANT.
ligion à part ; Religion d'autant
plus dangereufe pour l'innocence
, qu'elle eft impunie , & que
fans craindre les menaces de la
loy , chacun peut au moins une
fois en fa vie ſe faire une Divinité
felon fon coeur.
O que la Pudeur eut à fouffrir
de voir que les jeunes Filles dont
elle cultivoit les moeurs , tomboient
dans ces dereglemens !
Quelle confufion n'eut - elle
point de trouver dans le fonds
de leur naturel de fi riches reffources
pour appuyer le vice , &
d'en trouver fi peu pour s'affermir
dans la vertu ! Que ne fitelle
point pour arrefter le cours
de ce defordre ? Elle armá pour
les deffendre la Défiance &
la Précaution : elle effraya leur
96 MERCURE
•
efprit par la peinture d'un Amour
terrible , tout cela fut inu
tile. Elle appella la Raiſon à fon
fecours , qui ne marchoit plus
dans la droiture de les voyes ; elle
demanda au Coeur la fuite des
Entrevues , & le facrifice des
Occafions . Le Coeur au lieu de
l'entendre trahiffoit fes plus
chers interefts Enfin , trifte ,
confuſe , abandonnée , aprés avoir
répandu par un dernier ef
fort le plus pur du fang fur la
furface du vifage , pour faire refpecter
la prefence , elle vit le
douloureux inftant où elle fut
en proye à tous les defirs d'une
Jeuneffe inconfiderée .
Aprés un outrage fi fenfible ,
la Pudeur ne pouvoit plus refter
dans le coeur des Filles qui l'a
Poete
voient
GALANT. 97
*
•
voient fi lâchement trahie ; elle
en fortit donc en fermant les
yeux , bien embaraffée de fe
pratiquer
un azile où elle puft vivre
en fureté. Sa modeftie eftoit fi
fevere , fes moeurs eftoient fi
faintes & fi pures , qu'elle ne
pouvoit même fouffrir la vûë des
plaifirs les plus legitimes . C'eft
ce qui l'avoitéloignée désle commencement
du commerce des
femmes ; mais puifqu'elle eftoit
condamnée à vivre fur la terre ,
la neceffité dure & inflexible , à
laquelle les Dieux même obéïffent
, l'obligea de fe retirer dans
leur coeur , & de s'y fortifier s'il
eftoit poffible , contre les attaques
de fon ennemi.
Elle ne demeura pas longtemps
à s'appercevoir que l'Amour
·I
Mars 1701 .
P
98 MERCURE
avoit déja difpofé toutes chofes
pour luy rendre encore une fois
cette retraite douloureufe . Elle
découvrit que les plaifirs dout
les femmes font en poffeffion ,
bien loin de les éloigner des occafions
, ne leur fervent que d'aiguillon
pour leur en faire defirer
d'autres , & comme un pot
d'argile qu'on defcend tous les
jours dans une cifterne , n'en reçoit
pas une nouvelle dureté
pour le défendre des pierres qui
l'environnent, ainfi l'experience
du monde ou la pratique du mariage
ne mettent point les femmes
à l'abri de leur penchant.
La Pudeur ne fe rebuta point
de ces obftacles ; elle tâcha de
réveiller dans leur coeur le defir
de cette ancienne innocence qui
GALANT.
99
rendoit tout le monde heureux :
elle rappela à leur efprit la confiance
de leurs époux honteufement
trahie . Elle leur montra de
loin les routes paifibles de la
Vertu ; mais toutes détournoient
leurs yeux , elle ne fut point
écoutée , chacune vouloit avoir
une raifon
pour fe juftifier, Les
unes difoient qu'on avoit vendu
leur coeur au plus offrant ; que
le mariage eftoit devenu un
fic , & qu'on ne confultoit plus
pour le former la douce fympathie.
D'autres gemifant à la
vue des cheveux blancs de leur
époux , & murmurant fans ceffe
contre l'inégalité des années ,
croyoient eftre en droit de leur
faire expier le crime d'eftre venus
trop toft au monde ; d'au
I ij
100 MERCURE
tres s'écrioient qu'elles n'avoient
confenti à une paffion que pour
fe vanger d'un époux infidelle ,
comme fi pour punir un crime on
pouvoit ceffer d'eftre innocent .
Il y en avoit un grand nombre
qui ne trouvant rien pour autorifer
leurs paffions , en accufoient
mal à propos la malignité de leur
étoile qui ne peut rien contre la
folide vertu . Enfin , toutes avoient
un prétexte pour diminuer
leur faute ; tant il eft vrai
que nous n'ofons jamais abandonner
la vertu tout à fait , fans
chercher une raifon qui nous
juftifie au moins à nous -mêmes ,
tant nous en connoiffons naturellement
lemerite & le prix.
Que pouvoit faire la Pudeur
quand elle vit les choſes dans un
GALANT. 10¹
eftat fi déplorablen Elle gémit ,
ellefoupira elle s'emporta contre
la duréré du Dieu perfecuteur
qui ne fouffroit pas que fon exit
fuft paisible. A la verité parmi ce
grand nombre de femmes dont
elle penetra les coeurs , elle en
trouva bien quelques - unes de fidelles
à leurs époux ;mais c'eftoit
pour la plufpart de ces femmes
chaftes par temperament , dont
la bonne comſcience eft incommode,
& dont l'imperieufe vertu,
qu'elles font valoir fans ceffe, eft
toûjours prefte à quereller un
mani. Leur caractere déplut à
la Pudeur , parce qu'elle et douce
, patiente , & foumife ; de forte
que ne pouvant plus vivre
dans des lieux où elle eftoit expofée
á tant d'outrages , elle fe
1. iij.
102 MERCURE
retira tout à fait , & touchée des
cruelles épreuves qu'elle avoit
faites , les larmes aux yeux &
la rougeur fur le front , elle dit .
Puifque les Dieux ennemis , aprés
m'avoir condamnée à vivre fur
>
>
les:
la
terre ont fouffert que
hommes
m'ayent
outragée
, &
que je n'ay pû faire
marcher
le
Sexe dans la voye que je lui pref
crivois
, je vous prens
à témoin
,
ô Stix , fleuve
de la mort
& des
renebres
, que je ne
rentreray
plus dans les coeurs
dont on m'a
bannie
. Les hommes
me chercheront
vainement
dans les femmes
,
je me cacherai
pourjamais
à leurs
yeux, & ils n'auront
plus la fatisfaction
de me voir leur victime
. Je
n'enflammeray
plus
l'amour
par
une longue
& fincere
refiftance
,
Sans moi toutes
les paffions
qu'il
GALANT. 103
A
de
infpirera deviendront en peu
temps infipides . Ainfi mon ab
fence va me vanger du Dieu
cruel qui me perfecute . O que
je vois naiſtre de defordres dans
l'Univers! Les fiecles à venir entraînez
par ces mauvais exemples
, encheriront ſur les precedens
pour la corruption des
moeurs & pour le raffinement des
mauvais uſages. Les femmes uniquement
revêtues du dehors de
la modeftie ne trouveront rien .
dans le vice qui les étonne , que
la difficulté de le déguiſer . Ce
ne fera plus l'amour de la vertu
qui confervera leur innocence ;
mais feulement la honte que le
crime traîne aprés luy quand il
fe publie , on leur apprendra à
rougir par habitude . Je protefte
cépendant que cette apparence
104 MERCURE
€
de pudeur qui couvrira leur
front , fera un figne fort équivoque
de leur vertu, & la bonne
foi des hommes y fera trompée .
Pour moy , puifque je dois vivre
encore fur la terre ; je vais entrer
dans le coeur des enfans , mais .
j'en fortiray dés la douziéme année
, afin de n'eftre plus expofée
aux difgraces que j'ai éprouvées .
O Jupiter , fouffre que je puiffegoûter
la paix que je propofe.
Aprés ces mots la Pudeur entra
dans le coeur des jeunes Filles
au berceau . Elle a tenu depuis
religieufement fa parole , elle en
fort dés l'âge de douze ans. Elle
reconnoît même fouvent que l'âge
eft, un garand infidelle en ces
occafions , & que la malice dans
le Sexe devance les années , ce
qui fait qu'ayant à foûtenir de
GALANT. 105
rudes combats avant le temps
qu'elle s'eft prefcrit , ou fouvent
même elle fuccombe , elle ſe repent
tous les jours de l'indifcre
tion de fon ferment , & de s'eftre
engagée pour un fi long terme .
Comme je ne doute point que
cet ouvrage n'ait voftre approba
tion , je vous apprendrai qu'il eft
de Mr Cormouls , jeune Avocat ,
d'une petite ville du Languedoc
appellée Caftelfarrafi , à huic
lieues de Toulouſe .
Je vous ay envoyé les Vers qui
furent faits à Bordeaux , par Ma →
dame de la Trefne , premiere
Prefidente, cy- devant Mademoifelle
de Comminge , lorſque le
mauvais temps y retenoit le
Roy d'Espagne , & Meffeigneurs
les Princes . Ceux que vous
106 MERCURE
allez lire , & que je vous aurrois
envoyez pour eftre placez
dans leur rang , fi je les avois
receus plutoft , ont efté faits à
Bayonne , lors que la pluye y
arreftoit Sa Majesté Catholique
& Meffeigneurs les Princes.
Retirez-vous , frimats , fuyez, noirs
Aquilons ,
Dans les plus reculez vallons ,
le blond Phoebus parcourant
Et
que
ふ
fa carriere ,
Aux Mortels languiffans redonne la
Lumiere.
Que le Ciel retiennefes eaux ,
Que des vents & des flots il calme la
furie ,
Qu'il fr duife en ce jour des miracles
nouveaux
و
Cleft un Fils de Louis qui paffe en
Hefperic..
GALANT. 107
&
Que loin du Trône icy rien n'arrefte
fes pas,
Qu'il trouve par tout mille appas.
Allez, & devancez l'Aurore ,
Zephire, & vous , aimable Flore,
Preparer luy mille douceurs .
C'est ainsi que Louis l'ordone.
Un chemin qui conduit au Trônes
Doit eftre parfemé defleurs.
S
Quand vous verrez Philippe aufein
de fes Provinces ,
Que Paris dans fes murs aura receu
nos Princes
Hiver , fi tu le veux , ramene tes
glaçons.
Que les vents fans couroux fortent de
leurs prifons
Quefeuls des Efpagnols ils gardens.
les frontieres ,
108 MERCURE
Qu'ils foient aux Allemans d'invincibles
barrieres ;
Enfin , que tout conſpire au bonheur
de ce Roy, [ froy.
Et que fes Ennemis en påliffent d'ef-
Vous avez trouvé dans ma Lettre
du mois paffé , un grand Article
fur le dommage que le Tonnerre
a caufé à l'Eglife Cathedrale
de Troye . Mr de Pomereu,
Intendant de Champagne , a fait
la vifite de cette Eglife , & c'eft
là - deffus que Mr Regnier
, premier
Echevin , luy a adreffé ces
Vers.
A M DE POMEREU
Ous qui favez mefler une douceur
affable ,
Vou
224
Avec une illuftre grandeur ,
Vous qui charmez nos coeurs , vous
eftes feul capable
GALANT. 109
D'appaifer leur vive douleur ?
23
)
Venez, fage Min ftre , voyez
noftre Eglife,
Voyez fes reftes précieux ,
Voyez l'estatfunefte où lafoudre l'a
mife
Qui tire les larmes des yeux.
S
Durant cette vifite , encor qu'on la
defire ,
Et qu'elle foit au gré de tous ,
Si par trop de douleur on ne vous
peut rien dire
Lespierres parleront pour nous.
2
Leurs Bouches font les trous d'une
voûte entre -ouverte ,
Qui criront toutes à la fois,
Qu'ilfaut pour réparerune fi grande
perte
Lefecours du plus grand des Rois.
110 MERCURE
2
Ceffez donc de gemir , ceffez , Peuple
de Troye ,
Et vos plaintes & vos foucis ;
Mettez bas la trifteffe , & reprenez
la joye
Si-toft qu'on parle de Louis.
S
Zelé pour le Seigneur , il fe plaift à
répandre
Ses bienfaits dans tousles faints
lieux.
Confolez- vous , Troyens , vous devez
tout attendre
D'un Roy magnanime & pieux.
ន
Tant de Temples facrez batis par ce
Monarqué
Avecque fomptuofité;
Tantd'autres rétablis, fontl'infaillible
marque
GALANT.
111
De fafolide pieté:
2
Dans ces lieux, il a part à tous les
Sacrifices
Où l'on immole le Sauveur ;
Ainfi plus il a foin de ces faints édifices
,
Plus il en recoit de faveur.
S
Le Ciel reconnoiffant ce Prince magnifique
,
Quifait auxTemples tant de bien,
Veut que fon Petit-fils foit le Roy
Catholique ,
Comme il est le Roy Tres-Chreftien.
Toutes les queſtions curieufes
vous ont toujours plû , & c'eſt
ce qui m'engage à vous envoyer
la petite Differtation que vous
trouverez dans cette Lettre . Elle
112 MERCURE
eft de M de la Separdie de Givaux.
A MONSIEUR ***
7
Apprens , Monfieur , par votre
derniere Lettre , que vous fentez
de jour en jour augmenter la difficulté
avec laquelle vous reßpirez fur les
montagnes , mais que vous le fautes
encore librement dans les vallées,
Vous fouhaitez que je vous diſe mon
fentimentfur cette difference, & vous
que
-73.3 me marquez que ceux que vous avez
deja confultez , ne vous ont point
donné de raifons plus fatisfaifantes,
les remedes qu'on vous a fait
prendre pourguerir vos poumons. Je
vais vous dire narvement ce que je
penfe , & je m'estimeray heureux fi
mes conjectures peuvent contribuer à
GALANT.
113
faire trouver un remède affure à la
maladie dont vous eftes attaqué. Je
n'entreray point dans l'examen des.
differens fentimens fur l'ufage des
poumons, & fur les caufes & les effets
de la refpirations je me coutenteray
de vous dire queje crois avec de treshabilesgens
, que l'air entre dans la
poitrine après avoir paßépar le poumon
, comme parun crible, qui arrefte
les corpufcules étrangers qui fe feroient
gliffez à travers les narines & les
rameaux de la Trachée artere : mais
je ne fçaurois eftre de l'avis de ceux
qui prétendent que le principal effet
de la refpiration eft de rafraichir.
Quelque probable même que m'ait
paru jufques à prefent le fentiment
des autres , qui foutiennent que l'air
que nous refpirons fert particuliere-
Mars 1701. K
4 MERCURE
ment à volatiliser le fang , je ne puis
m'empêcher de luy attribuer une faculté
bien plus confiderable & plus
effentielle , depuis les reflexions que ·
j'ai faites furla question que vous
me propofez Fe foutiens donc que la
fin de la refpiration eft de fournir à
l'animal un aliment qui luy eft toû ….
jours neceffaire. En effet , l'air contient
un efprit vivifiant dont aucun
estre ne peut fe paffer. Il est noftre
nourriture immediate , nous le man- ?.
geons à tous momens par la refpira
tion , & nous nous en nourriffons d'une
maniere plus groffiere & plus foli
depar le moyen du pain & des autres
alimens , lefquels fans luy ne feroient
que d'inutiles excremens. La pluye
impregnée de cet efprit l'entraine
avec elle dans la terre où il fe corpo
rifie avec les vegetaux , dont il de-
}
GALANT.
ris
vient la partie spermatique & nourriffante.
Il eft vray que cette portion
Spiritueufe (par exemple dans lefroment
) eft tres - petite ; aufli tout le
pain que nous mangeons n'eft- il pas
nourriture. Le principe de vie qui eft
en nous ne prend pour fon entretien
que ce qui luy est analogue . Aprés
l'avoir débaraffè par plufieurs digef
tions , il rejette le refte comme inutile
&feculent. Tout de même dans l'air
qui nous environne , tout n'eft pas vivifiant
, aù contraire , cet air eſt
tout groter & tout corporel ; mais il
fert du vehicule à une fubftance fpiritueuse
, dont nous avons befoin à
tous momens. Nous attirons par
la
refpiration cette fubftance avec fon
vehicule. L'efprit demeure en nous>
pour entretenir le feu vital qui nous
anime ; l'air grofter eft pouffé dehors
Kij
116 MERCURE
comme un excrement qui eft bien-softranimé
par une nouvelle portion de ce·
même efprits car enfin fi la fubftance
de l'air eftoit , felon le fentiment le
plus reçu unferment pour volatilifer
Lefang, il femble que la nature qui
ne fait rien en vain , ne devroit nous.
en fournir à chaque refpiration que
la quantité qui doit estre unie aw
même fang pour cette volatilifation .
Jefçai bien qu'on ne manquera point .
de dire que l'air que nous repouffons
n'eſt pas inutile , qu'il nettoye , &
qu'il emporte les fuliginofitez mais.
on ne le trouvera que plus propre à
cet office en le fuppofant comme rendu,
poreux parla fuction qui fe fait dans
la poitrine de l'efprit nourriffant qu'il
renferme , & dont il eft animé auffi
bien que toutes les autres creatures.
Spiritus intus alit, &c.
GALANT. 117
Cet efprit vivifiatiffe faitfentiren
bien des rencontres & en bien des
manieres differentes , dont le détail
feroit trop long. La Vipere nous fournit
une preuve bien fenfible de fon
existence . On fçait qu'elle demeure en·
vie un long efpace de temps fans aucane
autre nourriture que celle qu'elle
tire de Fair Or fi cet air ne faifoit
que volatilifer fon fang , il devroit
bien-toft eftre diffipé par tant de vo--
latilisations fi fouvent réiterées . Il
eft bien plus vrai-femblable que cet:
animal trouve dans l'air un aliment.
qui lui convient , & comme cet aliment
eft tres-fubtil , auffi en fe corpo--
rifiantdans luy, ily produit en abondance
un fel volatil , lequel est un
remede d'autantplusprecieux qu'il eft
moins éloigné de la nature du principe :
de vie dont il a estéforme. Il est donc
118 MERCURE
certain que l'air eft le vehicule d'un
efprit vivifiant , & je pourray vous
en donner de nouvellespreuves quand
vous le fouhaiterez Or il eft conftant™
que cet efprit eft plus abondant dans
les vallées que fur les montagnes ,
foitparce qu'eftant toujours en mouvement
pour entretenir un commerce
continuel entre le Ciel & la terre..
les lieux bas & concaves doivent env
recevoir& en reflechir beaucoup plus
que les fommets des montagnes 3 foit
parce que l'air,receptacle de cet efprit,
eftant condenfe dans les vallées , il..
en contient davantage , qu'aux lieux
où il eft plus rare , à peu près comme
un grandtuyau perpendiculaire à
'horifon , rempli de petites velies
pleines d'efprit de vin , contiendroit
plus de cette liqueur en bas que non
pas aufommet, où les velies moins
GALANT. 119
preffées laifferoient des interftices plus
confiderables. En un mot , lafecondité
feule des vallées y prouve l'abondance
de l'efprit univerfel. Vous
pouvez comprendre à prefent d'où
dient la difficulté que vous fentez en
refpirant fur les montagnes ; carfuppofe
qu'il faille à chaque respiration
un grain de cet efprit vivifiant pour
entretenir la chaleur naturelle , &
que dans les vallées ce grain foit
contenu dans un pouce cubique d'air,
au lieu quefur une montagne la même
étendue d'airn'en contient qu'un demy
grain , il s'enfuivra qu'un homme
dontle poumon bien conditionné , laiffe
un paſſage libre à deux pouces cubiques
d'air , ne remarquera aucune *
alterationfenfible dans fa refpiration
Lorfqu'ilfe trouverafur la montagne 3-
mais un poumon embaraffe tel que
Te
120 MERCURE
"
voftre , qui ayant le tiers defes pares·
bouchez , ne tranfmet tout au plus
qu'un pouce & demy cubique d'air ,
doit rendre la refpiration plus difficile
& plus frequentefur les hauteurs , où
comme je viens de fuppofer l'esprit .
nourrissant occuperoit deux pouces
dair , & fi la rarefaction devient
telle qu'un pied cubique de cet element
ne contienne pas un grain de cette
précieufe nourriture , alors quelque
bien conditionné que foit le poumon ,
la poitrine ne pouvant admettre unfi
grand volume d'air , l'animal doit
tomber en défaillance , comme je me
fouviens d'avoir lu qu'il arrive fur
le piede Teneriffe , & comme on peut
l'obfervertous lesjours avec une ma
chine Pneumatique . Voila , ce me
femble , la folution de la queftion que
vous m'avez propofée , & le même.
principe.
GALANT 121
principe peut fervir à en éclaircir
beaucoup d'autres ; carpar exemple ,
de ce que l'air comprimé des vallees
contient plus d'efprit nourriffant , il
s'enfuit qu'ony doit mangermoins que
furles montagnes. Aufli dit- onfans
en fçavoirla raison que l'airy eft devorant.
Il s'enfuit qu'en pleine mer
on doit manger plus qu'en terre ferme
, en Hiverplus qu'en Efté , il s'enfuit
au qu'un Phtifique doitfe porter
mieuxdans lebas Languedoc qu'à Londres,
& c. Jeferois trop longfije voulois
parcourir toutes les confequences qu'on
peut tirer dece principe .Je ne m'arrefte-
·raypas non plus à preuenir les objec
tions qu'on mepeutfaire je fuis affuré
qu'elles nefont point capables de
detruire un Siftème formé d'aprés nature
; mais pour en donner une preuve
audeffus detoute conteftation, il n'y au
Mars 1701
. L
122
MERCURE
roit qu'à rendre visible & palpable
cet aliment
fi effentiel
à la vie. Ce
Jeroit en même temps un remede effi
cace pour le mal dont vous etes attaqués
car ayant acquis une nouvelle
perfection
par cette metamorphofe
,
non-feulement
il ranime la chaleur
naturelle
dout il eft le principes
mais
encore contenant
un alcali extréme
ment volatil , il décraffe & enleve les
mucofitez
dupoumon, à peu près comme
les alcalis dufavon détachent
& emportent
les ordures du linge . Je vous ay
fait voir par une admirable
manipu
lation qu'il n'eft pas imposible
de donner
à l'efprit de vie contenu dans l'air
une formefenfible , mais quand il eft
attrape & qu'on le tient enchaîné
, il
faut plus de loifir que je n'en ay pour
lui redonner
la liberté dont il a befoin
afin de montrerfa puiffance
& fa verGALANT.
123
tu . Cela nefe fait que par une longue
fuite d'operations qui pour eftre toutes
naturelles ne laiffert pas de demander
une application entière une at
tention continuelle pendant plufieurs
mois . Je la donnerois avec plaisir
pour me rendre plus familieres ces fublime's
connoiffances , & ce meferoit
une doublejoye de me flatter que mon
travail feroit fuivi du rétabliſſement
de vostre fante ; mais vous savez
l'impoflibilité où je fuis de me fatisfaire.
Mes occupations ordinaires
qui font la meilleure partie de mon
Patrimoine , ne me laiſſent point aſſez
de loifir , & font d'ailleurs trop oppofées
à la meditation & à l'étude de la
nature. Au refte , je feray tres - content
des eclairciffemens que je viens
de vous donner , fi quelqu'un de vos
Amis plus libre que je ne fuis , featt
Lij
124
MERCURE
on tirer les conféquences
naturelles
,
& s'en fervir pour vous procurer
le
foulagement
que je fouhaiterois
de
vous donnermoi- meme .Je fuis voftre
Loc.
Voicy
un Diftique
Latin
en
lettres
numerales
, fur l'heureufe
entrée
du Roy Philippe
V.
en Espagne
.
IngreDItVr
prInCeps
hifpanICa
regna phILIppV's
,
HVnC CVnCtl
eXCIPIVnt
,
& probat Ipfe DeVs .
Ces lettres
numerales
font
DD . CCCCCC
. VVVV
VV
IIIIIIIIII
I. qui marquent
1701 .
Ce Diftique m'engage
à vous
faire part d'une Epigramme
Latine
, faite par Mt Gon , AffefGALANT.
125
feur en l'Election de Rhetel, fur
la nomination de M¹ de Chamillard
à la Charge de Secretaire
d'Etat pour le département de
la guerre.
Quam fortunatum te grandiafacła
decorant ,
Confilio egregius quem Lodoicus
amat!
Divifas reram Imperii tibi tradit
habenas
Hæcprobiratis amor munera tanta
parit.
Je vous envoye des paroles
fort propres à eftre mifes en Air.
Elles font de Mr Daubicourt
qui a cfté Capitaine, au Regiment
de Poitou , & le fujer en eft
beau , puis qu'il regarde l'impatience
qu'on a dans toute la
J
Liij
26 MERCURE
Cour , de voir de retour Meffeigneurs
les Princes
Rrinces , qui paroißez deux Aftres
éclatans ,
Nous n'attendons qu' aprés voftre
douce influence.
Ne nous privez pas plus longtemps
Du bonheur qu'en tous lieux répand
voftre prefence de
Rayons du Soleil de la France ,
C'eft de votre retour qu'elle attend le
Printemps.
S
D'un Pere & d'un Ayeul le tendre·
empreffement
-De Paris , de la Cour les voeux &
Pefperance ,
Les larmes d'un Sexe, charmant;
GALANT. 127
De la Princeffe enfin l'aimable impatience
,
Difent que pendant voſtre abſence
Le Printemps le plus beau n'auroit
nul agrément
.
Les Vers qui fuivent ont cfté
envoyez à l'illuftre Mademoiſelle
de Scudery , fur l'Orange couronnée
dont Mr de Betoulaud
luy a fait prefent. Les Vers font
de MiCueron.
LE MERITE
Triomphe de la Jaloufie ,
•·L'Arbrefameux qui croiſt au pied
du Mont Parnaſſe,
Dont le plus petit rejetton
Dans l'Immortalité nous affure une
place.
L' iiij
128 MERCURE
1
Et qui feal animant d'une louable
audace
Fait des meilleurs efprits la noble
amrbition ,
Avoit produit une branche nouvelle,
Que la fcavante Nation
Deftinoit en fecret pour couronne immortelle
A maint Auteur du plus illuftre
nom.
Brefau dire de cent perſonnes,
Et fans exageration ,
On en euft bienfait deux couronnes
D'affez belle proportion.
S
Chacun d'un oeil plein d'émulation
La voyoit embellir&croiftre ,
Et par cent beaux écrits de date invention
,
S'efforçoit de faire connoiftre ,
Qu'à bienjuger il devoit eftre
GALANT , 119
Couronné d'un fi beau feſtɔn.
2
Le temps venu d'en faire don ,
Apollon du poignard que porte Melpomene
,
Dont Scudery fe fert en décrivant la
peine
De ces Heros troublez d'un amoureux:
poifon ,
La coupe , la fait voir. On l'envie,.
on l'admire,
Puis d'un riche ruban , l'ornement
defa Lire,
Tiffu par les neufSoeurs dans lefacré
Vallon
,
Illa noue en couronne . & la pend
au buiffon.
Cependant à la troupe il fait preudre
feance ,
Et de fa main impofe le filence
Pourdeclarerfa jufte intention.
130 MERCURE
Ce Prix charmant , dit-il , fera
pour le Genie ,
Qui faifant éclater les plus rares
talens ,
Et dufçavoir & de la modeftie,
Aura fur ces côteaux primé le
plus longtemps .
S
Quelques - uns parvenus au faîte
de la gloire ,
Contens de voir leurs noms au
Temple de memoire
Afin de prolonger leurs jours.
dans le repos ,
N'ont plus fait d'ouvrages.
nouveaux ,
Et nous ont laiffé lieu de croire
Qu'ils s'eftoient épuifez en gagnant
la victoire ,
Ou craignoient les doctes travaux
.
GALANT. 131
Quelques autres ont vu leur
vie
Par la Parque trop toft ravie ,
Et n'ont pas pu montrer cette
fertilité,
Qui de graces toujours ſuivie,
D'une égale vivacité ,
Dans un age avancé , comme
dans la jeuneffe ,
· Prouve d'un bel efprit le fçavoir,
la jufteffe ,
Et fans fe copier , & fans piller
autruy ,
Fait dire avec honneur , lifez ;
c'eft toujours luy.
La moderne Sapho , Scudery, ce
me femble ,
Ces illuftres talens raffemble ,
Et pourroit feule meriter
Ce Prix que peu d'Auteurs peuvent
luy difputer.
132 MERCURE
Qu'en pensez - vous , Sçavans
Que la Troupe décide,
Et que mon jugement ne ferve
point de guide
A ceux qui pourroient en dou
ter .
Que l'on y reflechiffe avant de
l'accepter.
Aces mots il fe fit par tout unfourd
murmure,
Chacun parla fans fard, & mit à
la cenfure
Jufques aux plus graves Auteurs .
Enfin malgréleurs défenfeurs,
"Ayant fuffisamment raisonné pour
conclurre,
On entendit cent fois repeter à l' Echo,
C'eft pour la moderne Sapho.
Les plus intereffez à ces cris fe rendirent,
GALANT.
133
Du bruit confus des mains lesforests
retentirent.
Le Parnaffe trembla de tant demon
vemens
Et les fombres grottes mugirent
Aux merveilleux redoublemens
Des communs applaudiffemens
S
Mais l'antique Sapho , la Sapho de
La Grece ,
Seule à ces cris joyeux fentant une
trifteffe ,
Qui naiffoit d'un efpritjaloux,
De voir qu'aujugement de tous
L'autre Sapho joignoit à l'esprit la
fageffe ,
( Derniere qualité qui caufoit fon
couroux
D'un air, d'un pas fubtil fe gliffe
dans la preffe,
Prend la couronne adroitement ,
134 MERCURE
La cache , & court avec viteffe
En faire un facrifice à fon reffenti
ment.
Aupied d'un Oranger la jalouſe l'en-
´terre ,
Et la couvre de cent cailloux.
Sers donc à couronner d'autres
Sapho que nous.
Le Dieu qui lance le tonnerre
Ne me feroit jamais ceder un
bien fi doux .
Elle dit , & courut rejoindre l'Affemblée,
Qui déja toute troublee
Cherche cette Couronne , & traite
avec mépris
Ceux qui font foupconnez d'avoir
la prendre.
Mais en vain Apollon lui - même en
eft furpris.
GALANT.
135
S
Enfin voyant affez qu'on ne veut pas
la rendres
Que le deuil en paroift chez les plus
beaux efpritsi
On eft content , dit- il , laiffez , on
l'abandonne .
A quoy bon la chercher : Scudery
, dans ce jour ,
Par la commune voix de ma fçavante
Cour
Reçoit bien plus d'une couronne.
Cet applaudiffement general
qu'on lui donne ,
Avec bien plus d'éclat vient de
la couronner ,
Que le fimple laurier qu'on vouloit
lui donner .
Que fert un prix où l'on en reçoit
mille?
135 MERCURE
Aprés un tel honneur tout autre
eft inutile .
Le front de Scudery porte encor
cent Lauriers ;
On n'y peut diftinguer les premiers
ou derniers ;
Tous paroiffent nouveaux
toûjours même grace ,
› ont
Et leur feuillage épais n'y laiffe
plus de place.
A peine fçauroient- ils
tous entiers.
y refter
Pomone , qui de loin venoit de voir
La Mufe
Faire cetindigne larcin ,
Courut montrer l'endroit qui cachoit
le butin an
Et découvrit toute la rufe.
Mais le docte Apollon deffendit de
L'ofter.
L'envieufe , dit - il , doit eftre
affez punie
GALANT. 137
De la mauvaiſe jaloufie ,
Scudery pouvant fe vanter ,
D'avoir feule fçu meriter
Plus de couronnes dans fa vie,
Que fon front n'en pouvoit
porter.
Cependant la belle Déeffe
Cherchant en fecret une adreffe
Illuftre Scudery , quipust vous obliger,
Pour vous d'un beau zele animée ,
De cette branche confommée
Faifant paffer le fuc au coeur de l'Oranger
;
[ né ;
De fa main a formé l'Orange couron-
Que Betoulaud, vous a donnée ;
Etpourplus galamment
vanger
L'heroique Sapho de Sapho lafriponne
,
Ne pouvant plus chez vous placer
d'autre
couronne ,
Vous en a faite une à manger.
Mars
1701. M
138 MERCURE
Voici la réponse de Mademoifelle
de Scuderi à Mr Cheron .
: Sil
MADRIGAL.
VOS Vers , ingenieux Cheron
Sont marquezau coin d'Apol
lon.
Non , jamais la Sapho de Grece
Ne mela dans les fiens tant de feu »-
de justeffe ,
Et jamais de Damon l'Orangerpretieux
Ne produifit des fruits auffi deli
cieux
Que l'eft voftre agreable ouvrage :
F'y parois avec avantage i
Mais je m'étonne peu de m'y voir
peinte en beau ,
Car tout eft inventé dans ce chara
mant tableau.
GALANT. 139
Dans ma Lettre du mois de
Janvier dernier , vous avez appris
que la preuve dans le Deffein
eft auffi utile pour connoître
un ouvrage complet , qu'elle eſt
neceffaire dans l'Arithmetique
pour nous donner un compte affuré
. Aujourd'hui touchant les
proprietez du Cube entier , je
m'arrefte à l'Article XVII.
Nous apprenons à faire toutes fortes
de routes , & voila ce que j'en ay
fçû. Mr Antier qui connoift à
fond l'origine & les principes de
la Perfpective , nous en fait voir
des effets furprenans , & s'il nous
a montré qu'elle eft l'ame & la
vie dans le Deffein , il nous fait
connoiftre qu'elle eft tres - utile
dans toutes fortes de voyages , &
qu'on peut faire fur ce principe
Mij
140 MERCURE
une route jufqu'à Rome , où une
perfonne pourra aller fans demander
le chemin . Comme cette
propoficion paroiſt un peu hardie
, plufieurs ne l'ont pas bien
goûtée , faute d'en voir les experiences
, mais l'Auteur qui penſe
que le feul moyen pour la bienappuyer
, eft de communiquer fa
fcience , a trouvé à propos de la
donner au fils de Mr Faubonne ,
fon Eleve , afin d'en avoir des
effets , & ce que je vais vous dires'eft
paffé en prefence des Cu-
.
rieux .
Mr Antier ayant fait une route
depuis le Lion d'or , ruë de
l'Echelle , lieu de fa demeure ,
jufqu'à la ruë des vieux Auguftins
, chez un Particulier , le St
Faubonne ayant la route en
GALANT . 145
main , a eſté dans ce lieu à la
troifiéme chambre , a demandé
le nom de ce Particulier , &
l'a nommé à fon Maiſtre , pour
montrer qu'il avoit efté jufquelà
.
Autre experience . Mr Antier
aprés avoir fait une route , depuis
les Tailleries jufqu'à la
grande Pente , la fit donner au
feur Faubonne , qui le vint trou- ,
ver dans le même lieu , fur la
connoiffance de cette route ,
quoy qu'il ne fçuft pas de quel
cofté eftoit alle fon Maiftre.
Autre témoignage . Plufieurs
curieux & fçavans Academiciens
de l'Academie Royale , eftant
dans les Tuilleries , priérent M²
Antier de leur faire voir une
route , ce qu'il accepta , en leur
112 MERCURE
>
difant qu'ils pouvoient fe prome
ner , & dans le temps qu'ils fai--
foient divers tours d'allées
Mr Antier faifoit la route , &
eſtant au but qu'ils s'eftoient
propofé , on fit entrer dans les
Tuilleries le fieur de Faubonne
àqui on donna la route à l'entrée
de la porte , fans luy parler . Il
commença à connoiftre fon chemin
, & alla fur les mêmes traces
efté auoù
ces Meffieurs
avoient
traces
paravant , & trouva à la fin de fa
route un maron d'Inde que M
Lenez , Portier des Tuilleries ,
avoit caché ; ce qui fut admiré
de toute l'Affemblée .
Autre experience . Mr Antier
envoya le fieur Faubonne chez
Mr d'Armenouville. Il y alla
avec une route , & fans parler aus
GALANT.143
Portier , qui n'y eftoit pas pour
lors , il entra dans l'Hoftel , &
alla trouver Mr le Chevalier de
Paris dans fa chambre , où il
avoit efté envoyé ; ce qui parut
étonnant , puifque jamais il n'avoit
efté dans cet Hoſtel .
-
Par cette connoiffance ,
Une perfonne peut aller dans
toutes fortes d'endroits & de
Pays fans demander le chemin.
Paffer toutes fortes de Foreſts
fans s'égarer.
Porter une Lettre fans adreffe ,
& la donner à celui qui doit la
lire .
Aller au même endroit où fon
Maiſtre auroit remarqué du gibier
.
Trouver une piece d'argent ,
ou autre chofe que quelqu'un.
144 MERCURE
aura cachée à fon infçu .
Se trouver à toutes fortes de
rendez-vous .
Aller faluer la Perfonne qu'on
voudra dans une Compagnie.
Prendre fur une table tel verre
de vin qu'on voudra parmy plu
fieurs autres , & faire enfin mille
autres fubtilitez de cette nature
.
Mr Antier qui a commencé à
donner cette connoiffance au fils
de M¹ Hervé , âgé de fix ans , à
qui il apprend à Definer par la
Perfpective , lui a fait faire des
tours d'adreffe fi beaux que les
domeftiques de la maiſon lui dirent
en riant , qu'il eftoit Sor
cier . Si un enfant de fix ans , joli
à la verité , de corps & d'efprit ,
conçoit aifément cette fcience ,
combien
·
GALANT.
145
combien plus facilement les perfonnes
âgées la comprendrontelles
, pour s'en fervir dans leurs
befoins Afin de ne pas paffer
pour Magicien , il faut fçavoir
que la route du lieu où l'on doit
aller, doit eftre faite & donnée à
celui qu'on employe pour y aller.
Cela bien entendu , on paffera
pour adroit & non pour magicien
, ce que Mr Antier s'offre
de faire voir par experience aux
perfonnes de merite qui voudront
avoir ce divertiffement .
Si- toft qu'il aura la permiffion
de faire des routes de Ville en
Ville , il les donnera au Public.
Il faut remarquer que pour bien
s'entendre à faire des routes , on
doit avoir quelques leçons de
Perfpective , puifque c'eft la baze
Mars 1701. N
146 MERCURE
-
& le fondement de ces routes .
& qu'elle fert comme de flambeau
& d'écriture parlante, pour
connoiftre tout ce que nous avons
à faire dans cette rencontre
. Dans ma Lettre du mois
prochain , je vous parlerai d'une
connoiffance pour éviter les
écüeils fur mer , qui fera plaifir
à tous les fçavans Pilotes On
voit affez par là combien la Perfpective
eft aifée à apprendre , &
combien elle eft neceffaire à un
honneſte homme pour le bien
perfectionner dans les Arts & les
Sciences , & pour bien fe diftin
guer du commun .
Mr Chevreau eft mort á Loudun
le 15. du mois dernier , âgé
de quatre-vingt-fept ans neuf
mois & trois jours. Il eftoit né
GALANT. 147
dans cette même Ville le 12 , de
May 1613. & s'appelloit Urbain
Chevreau Dés fa jeuneffe , fon
inclination le porta à l'étude , &
il eftoit devenu l'un des plus
doctes & des plus profonds hommes
quiayent paru dans le dixfeptiéme
fiecle , quoy qu'il ait
efté fecond en grands Pe fonnages.
Il a efté Secretaire des
Commandemens de la Reine
Chriftine de Suede , Fille du
Grand Guftave Adolfe . Enfuite
le Roy de Dannemarck l'engagea
de demeurer quelque temps
à fa Cour , ainfi que plufieurs
Princes d'Allemagne , entre-autres
feu Monfieur l'Electeur Palarin
Charles- Louis , Pere de
Madame , qui le retint avec le
titre de Confeiller , & il eut l'a-
Nij
148 MERCURE
vantage de travailler à la converfion
de cette Princeffe & d'y
réüffir. Enfin aprés eſtre revenu
à Paris , il eut l'honneur d'eftre
choifi pour Precepteur de Son
Alteffe Sereniffime Monfieur le
Duc du Maine , aprés quoy il a
efté Secretaire de fes Commandemens
, & il eft mort avec cet❤
te qualité. Il a fait quantité
d'ouvrages , comme le Tableau
de la Fortune , des Poefies , l'Hiftoire
du Monde des Oeuvres
mêlées , des Prieres en Profe
& en Vers , & des Chevræana
, qui ont eu l'eftime & l'approbation
de tous les Sçavans..
11 s'eftoit retiré depuis vingt
ans ou environ à Loudun dans
une belle Maifon qu'il y avoit
fait bâtir , pour vivre chreftien-
4
9
GALANT. 149
nement dans la folitude , & fur
la fin de fa vie il a confacré
cette maifon à Dieu en la donnant
aux Filles de l'Union Chreftienne
à condition qu'elles
recevroient trois Religieufes ,
& enfin il eft mort avec des fentimens
de pieté admirables . I
laiffe une Bibliotheque à vendre ,
qui lui a coûte plus de foixante
mille livres ; & qui fans eftre une
des plus nombreuſes , eft une des
plus belles qu'on puiffe voir , par
la rareté des livres , le choix
des Auteurs , le papier , l'impreffion
, & la relieure.
Pa
On voit depuis un mois un
Livre intitulé , Le Prince accomply
, ou l'Idée du parfait Monarque
& defes fentimens. Cet Ou
Niij
150 MERCURE
་ ་
vrage promet beaucoup , & je
fuis perfuadé que dans un autre
Siecle on n'auroit pas cru que,
l'Auteur euft pû réuffir dans une
entreprife auffi difficile ; mais il
eft heureux d'avoir travaillé
fous le regne d'un Souverain ,
qui luy met devant les yeux ce
que les Hiftoires des Siecles paffez
n'auroient pû luy fournir, &
ce que l'imagination la plus
étendue n'auroit pû luy préter
pour peindre un Souverain auffi
parfait , que celuy que nous
voyons aujourd'huy. Auffi n'at
- il pû le faire fans emprunter
ce que fon Livre a de plus
beau , de la vie du plus grand
& du plus accompli des Monarques
, & qui feule fournit une infinité
de chofes inconnuës à tous
GALANT: 151
15
les Siecles , & pourtant neceffai
res à cette perfection que l'on
fouhaite dans un Souverain pour
le pouvoir nommer accompli . On
voit dans le livre dont je vous parle
, non-feulement tout ce qu'un
Monarque doit faire pour eftre
parfait mais ce que le Roy a
fait fe trouvant dans l'idée que
Aureur veut donner d'un parfait
Souverain , on y remarque
prefque toutes les actions éclatantes
de Sa Maiefté , avec un
tres -grand nombre de Portraits
de ceux qu'il a jugez dignes des
plus grands Emplois ; & ces Portraits
eftans bien touchez , doi
vent faire plaifir aux Familles
intereffées à leur gloire. Cet
ouvrage eft d'une Profe ferrée &
vive. Il apprend beaucoup en
Niiij
252 MERCURE
2
peu de paroles , & l'on y remar
que que l'Auteur connoift parfaitement
la Cour , & les caracteres
de toutes les perfonnes de
diftinction qui la compofent. Il
eft de M¹ de Montfort , qui vient
d'adreffer à Mr l'Ambaffadeur
d'Efpagne , une Epître en Vers
qui luy a attiré de grands applaudiffemens
. Le Prince accompli
, ou l'idée du parfait Monarque
, fe vend dans la grande
Salle du Palais , chez le fieur
Brunet , au Mercure galant ."
Rien ne fçauroit eftre plus digne
de la fainteté du temps où
nous fommes , que la lecture d'un
autre livre nouveau que debite le
S Guignard , Libraire , rue Saint
Jacques , intitulé , Penfees Chreftiennes
en forme de Meditations
GALANT.
153
pourchaquejour du mois . On ne peut
donner trop de louanges au zele
l'Abbé de Mr
de Bellegarde , fon
Auteur , qui ayant refolu de faire
une fuite de Meditations pour
tout le cours de l'année fur les
Myfteres , fur les Feftes principales
, & fur les plus importantes
veritez de l'Evangile &
de la Morale Chrêtienne , témoigne
qu'il ne donne cet ef
fay que pour profiter des lumieres
des perfonnes vertueufes
& intelligentes qui luy voudront
bien faire part de leurs
avis . Si on lit avec reflexion la
Meditation qui fe trouve pour
chaque jour dans ce livre , c'eftà
dire fi on prend foin de bien
penetrer la verité qui en fait le
fujet , & d'exciter en fon coeur ..
194 MERCURE
l'amour de la vertu que l'on
y
propoſe , ou l'horreur du vice
que l'on y condamne , il eft impoffible
qu'en fort peu de temps
on n'en tire de grands fruits .
Il paroift un autre Livre nouveau
, dont le titre ne fçauroit
promettre davantage . Ce font
des Dialogues entre Meffieurs Pa.
tru & d Ablancourt ,fur les Plaiſirs.
L'Auteur qui nous a donné une
tres-belle Hiftoire de la Vie de
Charles VII. a rempli parfaitement
tout ce que ce titre pouvoit
faire attendre , & quand il
dit dans fa Preface qu il a voulu
en paffant juftifier M d'Ablancour
du reproche injufte que luy
font quelques perfonnes , de n'apas
affez Voir d'efprit , il n'a pas
du craindre , comme il le témoi→
GALANT . 145
S
gne , que la maniere dont il le fait
parler ne confirme leur opinion .
Son ftile eft vif & ferré , & il dit
peu de chofes qui ne plaifent .
Les plaifirs dont ce livre traite
font un point de Morale qui merite
bien d'eftre examiné avec
grand foin. Il fait dire d'abord
à Mr Patru , afin de donner á fesi
Lecteurs de l'averfion pour les
plaifirs , qu'il tient que la Volupté
dégrade l'homme & aneantit
le Chreftien. C'eſt la raiſon
qui fait, l'homme ; & comment
peut-on s'imaginer , pourfuit- il ,
que dans le tumulte & l'emportement
des plaifirs , on puiffe
avoir le libre ufage de la raiſon ?
Il faut penfer pour cela , & penfer
d'une maniere conforme á la
dignité & á la pureté de noſtre
156 MERCURE
nature , & il n'eft pas á croire
que l'onfoit capable de penfer aur
milieu de ces tranfports & de ces
chatouillemens de la Volupté
qui furprennent , qui faififfent
Fefprit , & qui l'occupent tout
entier. Ce livre fe vend chez
le S de Luynes , Libraire , dans
la Place Dauphine , & chez le
Sr Jean Baptifte l'Anglois
dans la grand Salle du Palais ,
F'Ange Gardien .
Mr le Marquis de Veragua ,
Viceroy de Sicile , ayant appris
que non- feulement le Roy avoit
accepté le teftament du feu Roy
d'Espagne, mais même que Mon.
feigneur le Duc d'Anjou avoit
efté reconnu dans tous les Etats
dépendans de cette grande
غ ر م
GALANT 187
Dit
of
oit
Ede
Monarchie , fit voir par toutes
les démonftrations de la plus
vive allegreffe , qu'il eftoit ve
ritablement penetré de joye ,
& qu'il ne le cedoit à aucun
des Vicerois & des Gouverneurs
Generaux , qui avoient
appris cette nouvelle avant luy,
Ce Seigneur réfolut auffi - toit
d'envoyer Mr le Marquis de Xan
maica , fon Fils , à Madrid , pour
marquer fa joye , fa -foumiffion
& fon attachement inviolable à
fon nouveau Maiftre . Ce Mare
quis a paffé en France , & a eu
l'honneur de faluër Sa Majefté ,
à laquelle il fut prefenté par
Mr le Marquis de Caftel dos
Rios , Ambaffadeur d'Espagne .
Il a remis au Roy une Lettte
du Viceroy fon Pere, par laquel-
.
18 MERCURE
le il marque qu'il avoit toujours
fouhaité ardemment de voir un
Prince François fur le Trône
d'Espagne , & qu'ainfi il a dû
reffentir beaucoup de joye en
apprenant que fes fouhaits étoient
accomplis ; mais que cette
joye avoit beaucoup augmen
tée , lors qu'il luy avoit eſtéordonné
de fuivre en tout les or
dres qui luy feroient envoyez
par le Roy , ce qu'il feroit avec
un tres - fenfible plaifir, Mr le
Marquis de Xamaica , a eſté receu
du Roy de la maniére du
monde la plus obligeante , & il
eft parti auffi charmé de ce Monarque
, que l'ont toujours efté
tous ceux qui ont eu l'honneur
de luy parler.
Le Chapitre de la Cathedrale
GALANT .
159
0.
té
ur
de Strasbourg a člû tout d'une
voix M. l'Abbé de Soubife Coadjuteur
de M¹ le Cardinal de
Furftemberg , Evêque & Prince
de Strasbourg. Sa naiffance feule
ne luy a pas fait meriter cette
grande dignité , quoy quelle foit
des plus illuftres , & qu elle puft
luy donner lieu d'y prétendre ,
mais fes bonnes mours & fa grande
érudition y ont auffi beaucoup
contribué. Je vous ay fait voir
plufieurs fois combien elle avoit
éclaté dans les actions publiques
, dont je vous ay parlé á me
fure qu'elles font arrivées .
Comme je commence mes Lettres
dans les premiers jours de
chaque mois quoy que je ne
vous les envoye qu'à la fin , il y a
160 MERCURE
quelquefois des affaires dont fa
fituation fe trouve changée lorfque
vous les recevez . Voicy un
eftat des Troupes que l'Empereur
a fur pied. Peut - eftre en
en aura- t - il plus , peut - eftre en
aura -t- il moins , lorfque vous
commencerez à lire ma Lettre
& peut -eftre auffi qu'avant que
de la fermer , je vous parleray
jufte là-deffus , & que j'entreray
dans une matiere fur laquelle il
n'eft pas encore trop permis de
raiſonner.
LISTE DES TROUPE S
de l'Empereur deſtinées
pour l'Italie.
Infanterie,
13...
Le vieux Regiment de Staremberg.
GALANT. 161
Mansfeld,
Nigrelli .
Le Regiment du Comte de Staremberg.
Herberfteyn.
Guttenfteyn.
Bagny.
Le Jeune Taum.
Ces huit Regimens font 19200 ;
hommes .
Cavalerie
Commercy .
Vaudemont .
Palfi .
Lorraine .
Visconti.
Cufani.
Ces fix Regimens font 6000 .
hommes.
Savoye.
: Dragons.
Mars
1701.
162 MERCURE
Serini .
Diedrychefteyn .
Vaubonne .
Ces quatre Regimens font
4.000 . bommes.
Total 29200 .
LISTE DES TROUPES
de l'Empereur qui doivent
agir fur le Rhin.
Infanterie
Bade .
Furftemberg.
Thungen .
Lorraine.
Gefchvvind .
RevenЛlavv .
Ces fix Regimens font 14400 .
hommes.
Tar.
Cavalerie.
Le vieux Hanover.
GALANT. 163
Les deux Regimens Huffars de
Colonitz , & d'Ebergeni .
Ces quatre Regimens font
4.000 . hommes.
Styrum.
Dragons.
Caftelli.
Ces deux Regimens font 2000,
hommes .
Total
20400 .
·
LISTE DES TROUPES
de l'Empereur qui doivent
refter dans l'Esclavonie,
Infanterie.
Palfy .
Solary .
Huit Compagnies du Regiment
de Neubourg .
Ces Troupes confiftent ch
6600. hommes.
O ij
164 MERCURE
Cavalerie.
Le Jeune Hanover .
Zant.
Steynville .
Ces Troupes confiftent en 3000.
hommes .
Rabutin
Dragons .
Ce Regiment eft composé de
1000. hommes .
Total 10600. hommes .
LISTE DES TROUPES
de l'Empereur qui doivent
refter en Hongrie .
Salm .
Heyfter .
Infanterie.
Lichtenfteyn.
Rhingraf.
Marfigli.
Thnreimb
GALANT. 165.
1 Quatre Compagnies du Regiment
de Neubourg.
Ces Troupes font 13200. hom
mes .
Caprara.
Cavalerie
Hohen Sollern.
Ulefed.
Ces trois Regimens font 3000.
hommes .
Dragons.
Heberville.
Schlick.
Total 18200. hommes .
LISTE DES TROUPES
de l'Empereur dans les Pays
Hereditaires .
Infanterie.
Le vieux Regiment de Taun .
Haſtingen.
166 MERCURE
. Ces deux Regimens font 3600x
hommes.
Neubourg .
Kounfeld.
Cavalerie
Corbelli ,
Darmstad.
Ces quatre Regimens font
4000. hommes .
Total 7600. hommes.
Mademoiſelle Lheritier a fair
le Sonnet en Bouts - rimez que .
vous allez lire , fur l'acquifition
du Chafteau de Seaux , par Monfieur
le Duc du Maine.
Magnifique Palais à fuperbe
portique
Plein de meubles dorez àgalant falbala,
GALANT. 167
Acquis parun Heros plus brave qu'-
Attila ,
Seaux , le poids de ton nom rend Pe
gafe
$
bourique
Semblable en eloquence au faint Fils
de
Monique ,
DU MAINE , dans ton fein l'abondance
coula ..
Songrand coeur àfes dons n'a jamais
dit
hola ,
Auffi fa gloire va jufqu'au Pole
Ant arctique :
Famais en le chantant Apollon n'eft
camus.
Que ce Dieu donne ou non droit de
committimus ,
On vante ta fplendeurfans nulle finderefe
.
148 MERCURE
Tu fais voir ce que peut coloris &
marteatr
Dans l'Art de Phidias & de Paul
Veronefe2.
Mais cependant Du Maine eft ton
plus beau
chanteau.
Mr Moreau de Mautour a envoyé
depuis peu ce Madrigal à
Mademoifelle de Scudery air
fujet de quelques penfions dont
elle ne peut eftre payée , à caufe
que ceux qui ont herité des biens
quien font chargez , font en procés.
O vous , qui de l'efprit poffedez les
richeffes ,
La Fortune & Themis , ces aveugles
Deeffes ,
De vos rares talens , de vos doctes:
écrits ,
Ne
GALANT 169
Ne connoiffent pas tout leprix ,
Faloufes des neuf Saurs & du Dieu
du Parnale ,
Qui rendentimmortel voftre nom glorieux
,
Honneur qui tous les biens furpaffe
,
L'une & Lautre pour vous fontfans
mains &fans yeux.
Confolez- vous , Sapho , d'encourir leur
difgrace.
LOUIS eft équitable , éclairé ,genereux
;
Il cherit la vertus connoift le vray
merite ;
Et vous en reffentezfans ceffe les effets.
Heureux qui, comme vous ,fçavante
Favorite ,
A part dans fon eftime , & part à
fes bienfaits.
Mars
1701.
P
170 MERCURE
Mr le Duc de Beauvilliers
aprés avoir conduit le Roy d'Ef-.
pagne jufque fur la frontiere de
fes Etats , arriva à Verſailles au
commencement de ce mois , &
eut l'honneur de faluër Sa Majefté
, qui luy fit un accueil tresobligeant
, & luy dit que le voya
ge qu'il venoit de faire avoit efté
grand pour un homme incommodé
; qu'elle eftoit bien aife de
le revoir en meilleure fanté &
qu'elle avoit befoin de luy dans
la conjoncture prefente des affaires.
Ce Duc fe trouvant dans fon
année d'exercice de la Charge
de premier Gentilhomme de la
Chambre , voulut avoir l'honneur
de fervir Sa Majesté dés le
jour même , quoy qu'il ne fuft
pas tout à fait remis de fa lon-
८
GALANT. 171
1
gue indifpofition , & qu'il luy
reftaft encore affez de foibleffe
pour le pouvoir difpenfer de ce
fervice ; mais fon zele , & le
plaifir de fervir un Prince dont
les douces manieres ne diminuent
rien de la grandeur que fon rang
l'oblige de foutenir , firent revenir
fes forces , & luy en donnerent
même de nouvelles .
Quoy que vous me témoigniez
eftre fatisfaite du détail
que je vous ay envoyé de la victoire
remportée par le Roy de
Suede fur l'Armée des Mofcovije
ne puis m'empêcher d'y
joindre la Relation qui a couru
icy , & que l'on dit avoir efté faite
par Mr de Saint Adon . Elle
eft fort à la mode , & ce qui
Pij
172 MERCURE
regarde la retraite du Czar a
quelque chofe de fi fingulier ,
& paroift fi oppofé à fes manieres
, que je croy que c'est ce qui
la fait rechercher avec tant
d'empreffement. Vous aurez par
là les deux uniques Relations
fuivies qui ayent paru de cette
grande action.
La Roy de Suede partit de fon
Camp d'Arcot, pour aller fecourir
Nerva , fon Armée compofée
tout au plus de douze mille
hommes , n'ayant pas voulu attendre
le refte de les Troupes ,
qui devoient arriver de Revel ,
où elles avoient débarqué , &
qui jointes aux autres , auroient
pu faire une Armée de vingt
mille hommes . Il fit la première
journée une marche de quatre
GALANT. 173
fieues d'Allemagne , & arriva
fur la fin du jour au défilé de
Leagagu, éloigné de Nerva pareillement
de quatre lieues Les
bords de ce défilé font profonds
de plus de trente toifes de chaque
cofté. Il y a dans le milieu
un gros ruiffeau , dont le pont eft
affez large pour paffer une marche
de Bataillon de front . On
s'attendoit à y trouver de la réfiftance
. On fit halte fur la hauteur
, & on affembla les Troupes
pour les mettre en bataille ,
autant que l'obfcurité le pouvoit
permettre. On voyoit de l'autre
cofté de ce défilé quantité de
feux , & beaucoup de Cavalerie,
paffant au travers de la lumiere
que leur feu nous donnoit . Sur
fes onze heures du foir, leRoy fie
Pij
174 MERCUR
£
defcendre fon Regiment des
Gardes , dont les Grenadiers pafferent
le Pont , & y refterent toute
la nuit . On s'attendoit à combatre
le lendemain , mais on ne
trouva plus perfonne qui difputaft
le paffage. C'eftoit une partie
de quatre mille chevaux que
le Czar avoit envoyez à la dé-.
couverte , & qui eftoit retournée
de fon Camp pour donner feulement
la nouvelle de l'arrivée de
l'Armée de Suede , s'eftant contentée
de l'avoir vue. C'eſt une
tres grande faute du Czar de n'avoir
pas difputé ce paffage. Quatre
mille hommes en auroient
arrefté trente mille . L'Armée de
Suede continua fa route , fit deux
lieuës & demie , & le mêmejour
paffa un ſecond défilé, auffi diffiGALANT
175
cile que le premier , & qui ne
fur pas mieux gardé . Elle coucha
au Biouac , fans fourrage
pour les chevaux , & avec fort
peu de vivres , par un temps tresrude.
Le Roy fit tirer quatre
coups de Canon pour le ſignal
du fecours de la Ville. On arri
va le lendemain fur les dix heures
du matin à la vue du Retranchement
, l'Armée marchant fur
une feule colomne entre des
Bois , n'ayant point d'autre chemin.
On alla reconnoiftre la fituation
. Les lignes eftoient fort
hautes & fortes , épaiffes, fans foffez
devant , le chemin qui eft
tout de roc ne le permettant pas.
On choifit deux hauteurs qui
eftoient affez prés pour placer
l'Artillerie , On refolut auffi de
P iiij
176 MERCURE
、
2
7
conduire le chemin par les deux
attaques fort prés les unes des
autres , environ dans le centre
de la ligne de circonvallation .
Le Roy prit celle de la gauche ,
& donna celle de la droite aus
General Velling. Les Troupes
qui formoient ces deux attaques
eftoient pour chacune vingtdeux
Efcadrons & dix Bataillons,
dont les plus forts n'eftoient que
de trois cens hommes , le Roy les
ayant partagez en deux . Ces Bataillons
ne devoient point s'é
tendre ny marcher de front dans
la maniere ordinaire . Un Bataillon
de Grenadiers eftoit foutenu
de deux Bataillons. Ces deux
Bataillons eftoient foutenus de
trois, & ces trois de quatre : La
difpofition eftant ainfi faite , on
GALANT. 177
s'avança fur le midy droit auRe
tranchement , fans pouvoir eftre
vû. Un homme à peine en pouvoit-
il diftinguer un autre , à
caufe de la quantité de nege qui
tomba dans le moment . Les Mof
covites qui ne virent les Troupes
que quand elles furent fur
eux , firent d'abord leur déchar
ge, mais on fut bien - toft fur le
Retranchement que l'on emporta
fans autre refiftance . Les
deux attaques reüffirent également.
Le Roy qui avoit pris celle
de la gauche , replia auffi tout
d'un coup fur la gauche & pouffa
les Bataillons des Mofcovites les
uns fur les autres , tout le long
du Retranchement . L'épouvan
te qui eftoit parmi eux les ayant
empêchez de voir la petite
18 MERCURE
qui
quantité des Troupes par laquelle
ils eftoient attaquez , fit qu'ils
ne fongerent qu'à gagner le Pont
qui eft entre Nerva & la Mer.
On en tua beaucoup dans ce defordre
, & l'on s'étendit le plus
que l'on put dans leur Camp .
ce qui eftoit affez difficile , tant
par la fituation du lieu ,,
que
par la grande quantité de maifons
de bois qu'ils avoient bâties ,
car c'eftoit proprement une fe
conde Ville que le Czar avoit
bâtie autour de Narva . Le General
Velling replia auffi fur la
gauche , & vint reprendre l'attaque
du Roy laiffant derriere luy
toute leur aile gauche , qui au
lieu de le fuivre & de le charger
refta toute la journée immobile
dans fon pofte . L'aile droite
eftant ainfi chargée par le Roy ,
GALANT. 179
;
le General Velling qui ne leur
donnoit pas le temps de fe reconnoiftre
, les precipita dans la riviere
, avec confufion , & de deffus
le Pont mais par malheur
pour tous les deux partis , le
Pont fe rompit. Ceux qui étoient
deffus fe noyerent , & ceux qui
n'avoient pû y entrer voyant
qu'il n'y avoit point d'efperance
de fe fauver , firent de
neceffité vertu , & retournérent
à la charge contre les Suedois .
Le feu fut fort grand . Ils tuerent
beaucoup de monde , &
même regagnerent du terrain .
Le combat s'échauffoit de plus
en plus , lors que la nuit vint ,
& ralentit la chaleur des Combartans
. Perfonne ne quitta fon
pofte , & jufqu'à minuit l'on tira
180 MERCURE
les uns fur les autres, tant Canon
que Moufquets. A la fin , un
Trompette Mofcovite vint dire
que fi l'on vouloit leur faire
quartier , & les renvoyer chez
eux , ils mettroient les armes
bas . On confentit à cette propofition.
Le General qui commandoit
la gauche, & qui s'eftoit,
tenu toute la journée fans rien
faire , envoya dés la pointe du
jour une Lettre au General Velling
, pour luy faire la même
propofition , qui fut acceptée;
fans peine , car il avoit luy feul
deux fois plus de monde que le
Roy de Suede n'en avoit . Un autre
qui commandoit dans uir
Fort ; en fit autant. Ainfi le Roy
de Suede le trouva maiftre du
champ de Bataille , & fecouruc
GALANT. 181
!
2
Nerva , aprés avoir forcé cent
mille hommes retranchez avec
des Troupes prefque toutes nouvelles.
La perte des Mofcovites
eft de plus de vingt mille hommes
tuez fur le champ de Bataille
, fans compter ceux qui font
dans la Riviere. Le Butin fut
fort confiderable. On trouva
foixante & quinze pieces de gros
Canon , cinquante d'Artillerie
de campagne , trente Mortiers ,
cent quatre- vingt Drapeaux ou
Etendarts , beaucoup de munitions
de guerre, & foixante mille
Ecus en argent comptant , Les
• Suedois y ont perdu quinze cens
hommes , tant morts que bleffez ."
Le Roy y a fait luy - même de
grandes actions. Il a tué trois
hommes de fa main , & a eu un
282 MERCURE
coup de moufquet dans fa cravate.
La Tranchée des Mofcovites
eftoit pouffée affez prés de
la Contre-efcarpe . Leurs travaux
font beaux & fort dans les
regles ; mais ils eftoient inutiles
car on pouvoit prendre le che
min couvert d'emblée , n'y ayant
aucune paliffade , & la Place
eftant toute couverte de ce cô
té - là .
Mile Duc de Croy , Generaliffime
de cette Armée , eftoit.à
table quand on le vint attaquer.
Il fut un des premiers qu'on fit
prifonnier. Il n'eut le temps que ,
de fe botter une jambe, & quand
on luy demanda pourquoy il n'avoit
gardé aucun des défilez qui
eftoient fur le chemin, il répondit
qu'il n'avoit eu le comman
GALANT. 183
dement que du jour d'auparavant
; que jufque- là le Czar lay
avoit caché jufqu'aux moindres
chofes , qu'il ne connoiffoit pas
un feul Officier , ni un feul Regiment
; que le Czar eftoit venu
tout tremblant à fa tenté la veil
le du ſignal , que le Roy de Suede "
avoit donné à la Ville , luy dire
qu'il le faifoit Generaliffime , &
luy remettoit le commandement
de l'Armée ; que pour luy il s'en
alloit à fix lieuës de là attendre
Févenement. Il dit qu'il le remercia
d'abord , & ne voulut
point accepter ce commandement
; mais que le Czar le menaça
de luy faire couper la tefte
s'il le refufoit . Ce Prince luy fit
fur le champ expedier un Brevet
de Generaliffime , qu'il a mon
184 MERCURE
tré , & qui effectivement n'eft
datté que du jour d'auparavant,
aprés quoy il partit , en lui laiffant
environ deux cens Aidés de
Camp , ou Majors , qu'il dit avoir
affemblez quand le Roy de Suede
parut , pour les envoyer où il
auroit jugé à propos ; mais qu'aux
premiers coups de moufquet toute
la troupe fe diffipa , & qu'il
ne trouva pas un feul homme
pour porter un ordre . Si le Roy
de Suede avoit eu un quart des
Troupes qu'il a laiffées dans le
coeur de fon Royaume , avec
' celles qu'il avoit, il ne feroit pas
échapé un feul Mofcovite . C'eft
cependant une action treshardie,
tres -heureufe & tres-bien conduite.
Parmi le nombre des prifonniers
il y a vingt - cinq Offi
GALANT 18
ciers Generaux , & entre autres
le Prince Alexandre de Tarzane
, le Grand Maiftre de l'Artil--
lerie ; & le Prince Mitifcy .
Meffieurs de la Compagnie des
Lanterniftes de Touloufe ont
publié ce que jevous envoye .
BOUTS RIMEZ ,
Propofez par les Lanterniftes ,
pour l'année 1701.
No
Os Bouts- rimez ne man →
queront jamais de matiere ;*
ils ont pour objet les belles actions
de LOUIS LE GRAND .
Quefon regne eft heureux ! on y
voir paroistre fans ceffe des prodiges
éclatans . L'élevation du
Mars 1701
186 MERCURE
Jeune Prince qui eft appellé à
tant de Royaumes , fait aujour
d'huy l'attention de tout l'Univers
; c'eft l'ouvrage de fon Augufte
Ayeul . Ses victoires l'ont
preparé, & fon defintereffement
ya mis la derniere main, Cet invincible
Monarque fçait également
proteger & faire des Rois .
Les Mufes ont icy une nouvelle
occafion de briller ; on les invite
à redoubler leur émulation, pour
répondre en quelque forte , par
leurs expreffions les plus vives , à
la dignité du fujet qui leur eft
propofé.
3
BOUTS-RIMEZ.
Spectacles , furpris , épris , Oracles.
Miracles , Prix , entrepris , obftas
cles.
GALANT. 187
Nouveau , flambeau , terminées .
Actions , Deftinées , Nations.
Les Sonnets doivent eftre ac
compagnez d'une Priere pour le
Roy , & d'une Sentence . Les Auteurs
mettront leur feing couvert
& cacheté au bas de leurs
Sonnets ou dans une Lettre fepa
rée , le tout fous la même envelope
, & rendu franc de port chez
Mi Seré prés la Place de Roaix ,
à Toulouſe , huit jours avant la
Saint Jean. On avertit que les
Sonnets qui feront en petits Vers
ou à rimes compofées , ne pour
ront prétendre au Prix.
Voicy les noms de quelques
perfonnes diftinguées , mortes,
depuis ma derniere Lettre.
Dame Anne- Catherine de la
Q ij
188 MERCURE
Briffe , Epoufe de Meffire Jean .
Rouillé Comte de Mellay,
Confeiller au Parlement , morte
en Février âgée de vingt - quatre
ans , laiffant un Fils unique , Elle
eftoit Fille de Melfire Arnauld de
la Briffe , Marquis de Ferriere ,
Procureurgeneral du Parlement,
mort au mois de Septembre dernier
, & de Marthe- Agnes Po
tier de Novion , fa premiere Fem- -
me Made Meflay eft Fils de
Meffire Jean Rouillé , Comte de
Meflay , Confeiller d'Etat ordinaire
dont je vous appris la
mort dans ma Lettre de Février
1698 .
Meffire Henry de Gravefón ,
Brigadier des Armées du Roy ,
Chevalier de l'Ordre de Saint
Louis , & Lieutenant Colonel
GALANT. 189:
du Regiment Royal de la Marlne.
Il eft mort fans alliance .
Meffire Antoine Guyer , Maiftre
des Comptes , Il eft mort âgé
de quatre - vingts ans , & laiffe
trois Filles de Dame Marie Vincent.
L'ainée eftant Veuve de
Meffire Claude de la Barde , Marquis
de Marolles , Confeiller au
Parlement, a épouſe Mrle Grain .
La feconde eft Veuve de Meffire
Jofeph le Clerc de Leffeville ,
Confeiller au Parlement dont je
vous appris la mort dans ma Lettre
du mois de Septembre dernier
; & la derniere eft mariée à
Meffire Louis le Boulanger, Seigneur
de Hacqueville , Confeiller
au Parlement , & à prefent
Maistre des Requeftes.
Dame Françoiſe Patu , Epouſe
190 MERCURE
de Meffire Henry le Grand ,
Maistre des Comptes..
Mr Tauvry , mort le premier
jour de Mars âgéde trente- deux
ans. Il eftoit natif de Laval , où
il avoit foûtenu une Thefe generale
de Philofophie à l'âge de
dix ans . A
quinze
il eftoit Docteur
en Medecine de la Faculté
d'Angers . Il avoit l'honneur d'ê
tre de l'Academie Royale des
Sciences , & Docteur en Medecine
de la Faculté de Paris . Il a
compofé plufieurs beaux ouvra
ges d'Anatomie & de Medecine
qui ont efté tres - bien reçus du
Public . C'eftoit un des plus
beaux efprits de ce temps.
Rien n'eft plus neceffaire aux
enfans qu'une bonne éducation ,
puifque le bonheur de leur vie
GALANT. 191
en dépend fouvent . Ainfi l'on ne
peut en prendre trop de foin , &
afin de ne fe rien reprocher làdeffus
, il eft bon de voir tout ce
qui enfeigne les moyens d'y parvenir.
La veuve Rondet , ruë S.
Jacques à la longue Allée , vend
depuis peu un petit livre qui regarde
en quelque façon cette
matiere. Il eft intitulé , Reflexions
fur la maniere d'inftruire les petits
Enfans, Il n'y a point de livres
où il n'y ait quelque chofe d'utile
quand ils ne font point directement
oppolez aux bonnes
moeurs .
Le Jeudi 17. de ce mois , M³
de Saci , Avocat au Confeil
vint prendre féance à l'Academie
Françoife , en la place de feu
Mr le Prefident Rofe. Je m'eftois
}
192 MERCURE
trompé le mois paffé en vous de
fant qu'il devoit remplir celle de
feu Mr1Evêque de Noyon , au
quel cette Compagnie n'a point
encore nommé uunn Succeffeur
L'Affemblée fe trouva nombreus
fe , & Mr de Saci remplit parfal
tement bien l'attente que fa reputation
, & la gloire qu'il s'eft
acquife par fon excellente Traduction
des Lettres de Pline ,
avoient fait concevoir de luy
Les marques de reconnoiffance
qu'il donna à Mrs de l'Academie
qui l'ont admis dans leur
Corps , furent tournées d'une
maniere vive & fort éloquente.
On trouva les tranfitions heureufes
, & quand il parla du fameux
Cardinal de Richelieu , il
dit , que quoy qu'il cuft paru
grand
GALANT: 19.3
grand dans tous les deffeins qu'il
avoit formez pour les avantages
& pour la grandeur de la Monarchie
, jamais il ne s'eftoit fait
voir plus grand que dans l'établiffement
de l'Academie , qui
devoit eftre la dépofitaire des
furprenantes actions de Louis le
Grand , pour les tranfmettre á
la Pofterité , qui toutes vrayes
qu'elles eftoient , auroit peine
un jour à les trouver vray-femblables
. Il dit entre-autres chofes
en faisant l'éloge de cet Augufte
Monarque , que le Vainqueur
de l'Afie , ou plutoft de
tout le monde , Alexandre , en
s'oubliant affcz pour ofer croire
qu'il eftoit un Dieu s'eftoit
montré :homme , au lieu que le
Roy s'eftant fouvenu dans toutes
Mars 1701.
>
R
194 MERCURE
fes actions qu'il eftoit homme ,
ne l'avoit jamais paru .
Mr Perraut , Directeur alors
de la Compagnie, en foutint tresbien
l'honneur , par la réponſe
qu'il fit à ce nouvel Academicien.
Il fit connoiftre que c'eftoit
à feu Mofe , qu'elle devoit
l'honneur dont elle eſt en poffeffion
, d'eftre admife à l'Audience
du Roy dans les occafions
éclatantes , où Sa Majefte
veut bien recevoir les Harangues
& les Complimens de fes
Sujets , & d'y eftre admife avec
les mêmes prerogatives qui font
accordées aux Cours Superieures.
Son Difcours fut fort applaudi
, & aprés avoir entretenu
Affemblée en Profe , il l'entretint
agreablement en Vers
•
GALANT. 195.
par
que
la bouche de M. l'Abbé de
Choifi , qui lut la Traduction
le même M Perraut a faire
d'une Ode Latine de Mr l'Abbé
Ode
Boutard , fur l'entrée du Roy
Philippe Cinquième en Efpagne.
Je ne vous diray rien de plus .
touchant la beauté de ces Ouvra
ges , puifque vous les trouverez
imprimez au prnmier jour chez
le fieur Coignard , Imprimeur &
Libraire du Roy & de l'Academie
Françoife , ruë S. Jacques ,
à la Bible d'or.
6
Si les Lettres qu'on m'adreffe
m'eſtoient rendues dans le temps
qu'elles me font neceffaires pour
les nouvelles dont j'ay à vous
faire part , tous les Articles des
Relations que je vous envoye
feroient toujours à leur place , &
R
196 MERCURE
je vous aurois parlé du Sermon
que fit le Pere Juftin Bergue
Recolet le jour de Noël , dans
l'Eglife Cathedrale de Saintes ,
quand je vous marquay que le
Roy d'Efpagne avoit paffé quelques
jours en cette Ville - là .
Voici le Compliment qu'il fit à
ce Prince .
SIRE, . 95 , shrafi Ave
Si je ne devois annoncer icy que
voftre gloire , jepourrois dire que Salomon
ne fut jamais fi grand que
vous , puis qu'un feul Lis , comme
dit l'Ecriture , eft naturellement ornè
d'une plus grande majesté que luy ,
mais quelle apparence d'élever Voftre
Majefte , quelque grande qu'elle
puiffe eftre ? Vous l'avez foumife
aujourd'huy au pied du Trône de
l'Agneau , & vous eftes à venu
GALANT. 197
dans ce faint Temple , bien moins
pour y entendre publier voftre gloire ,
que poury reconnoiftre vous- même
celle de Dieu.
4
Que ne devez vouspas , Sire , d
un Dieu qui a sant fait pour vous ?
Ce Dieu , qui pourfa gloire chercha
un Daviddans la Famille d'Ifai
& qui pour le bonheur des peuples
trouva un pacifique Salomom , dans
la Famille de David , a cherche
a trouvé dans celle de Louis le Grand,
un fecond David , un fecond Salomon
le
Quelle étendue de la gloire de Dieu.
J'apperçois déja fous vostre regne ,
nouveau monde , le monde entierfoumis
àf. C. Quelle éternellepaixpour
Les Peuples ! Je croy voir l'univers
auli tranquille qu'il eftoit fous le
regne d' Auguste.
Riit
198 MERCURE
Heureufe Efpagne , que vos peu
ples feront heureux ! que nous ferons
beureux nous -mêmes ! Adorateurs du
même Dieu , Sujets de Princes d'un
meme Sang, n'ayant tous qu'uncoeur
& qu'une ame , nous ne ferons defor
mais qu'un même peuple , Qui pourroit
brifer une alliance & francienne
& fi nouvelle ,que la main de Dieu
feul a formée ? Qui oferoit attaquer
Ifrael & Iuda , quandils feront unis
enfemble ?
Meflons donc nos voix avec celles
des Anges , & écrions - nous aveceux,
Gloire à Dieu au plus haut des
Cieux , & paix fur la terre aux
hommes de bonne volonté .
Mais quelle inftruction tirérons -
nous de ces paroles de mon texte , qui
nous donnant une idée auguste du mi
ftere , foit conforme à ce qui fe paffe
f
GALANT. 199
aujourd'huyfous nos yeux ? La voicy
avec ma divifion.
Tefus naifantfoumis à la loy de
fon Pere , pour procurer fa gloire
apprend aux Grands à fe foumettre à
la loy de Dieu pour fa gloire.
Iefus naiffant foumis à la loy des
Princes du monde pour le bien de la
paix , apprend aux peuples à ſe
foumettre à la loydes Grands pour le
bien de la paix.
Il commença fon premier Point
par une énumeration brillante
qui montra la grandeur du Fils de
Dieu , fon égalité avec fon Pere,
& fit voir fon humiliation à Bethléem
, fa foumiffion à la volonté
de Dieu fon Pete ; il paraphrafa
les paroles du Prophete , cirées
par S. Paul, Sacrificium & obla
R iiij
200 MERCURE
tionem noluifti corpus , autem apta
fti mihi , tunc dixi , ecce vento , in
capite libriferiptum eft de me utfaciam
voluntatem tuam , Deus meus
volui , & legem tuam in medio cordis
meis nooit
Il fit voir que la Loy à laquelte
Jefus fe foumit , eftoit de tou
tes les Loix la plus dure : Loy
de croix, Loy de fouffrances, & il
prouve qu'il s'y eftoit foumis au
tant pour glorifier fon Pere que
pour racheter les hommes.
Le retour de ce premier point
fut de donner aux Grands du
monde , une idée augufte de leur
grandeur , & fe fervant des expreffions
de l'Ecriture, il les apel
la les coadjuteurs , les aides ;
les miniftres de Dieu , les Dieux
fur la terre , & les enfans du tres ←
GALANT. 201
on goo Haur par excellence
Enfuite il fit voir la grandeur .
de leurs engagemens à l'égard de
Dieu, & qu'ils devoient par leurs
adorations, lui remettre les fours
miffions des peuples. Il compas
ra leur coeur à un fanctuaire fa ·
cré qui confervoit la fainteté des
Loigil leur dit que c'étoit
d'eux qu'il étoit écrit à la têteb
du livre des vivans ; qu'ils obferveroient
la Ley de Dieu , parce
qu'étant les colomnes , les bafes
, & les lumieres du monde ,
ils devoient auffi degrands exem
ples au monde , & conclut que
lorfqu'ils en ufoient ainsi , c'étoit
pour Dieu une grande gloire
; qu'il s'applaudiffoit fur l'humiliation
d'un Grand . Il cita
L'endroit des Rois où Dieu dis
202 MERCURE
à Elie : Vous avez veu Acab hu
milié enma prefence .
Il dit avec beaucoup d'efprit
que lorsque les peuples obfervoient
la Loy de Dieu & s'humilioient
en fa prefence , c'etoient
des grains de fable qui na
turellement couvroient la face
de la terre , à qui il coutoit peu
de ramper : que c'étoient des rofeaux
qui fe plioient fans peine
des nuages légers qui alloient
felon l'ordre de Dieu . Dieu, dits
il , les aime, les voit ; mais pour lui,
je parle humainement , ce n'eft pas
une grande gloire ; tout au contraire
lorfque les grands s'humilient & ob→
fervent la fainte Loy de Dieu , ce
font les collines , les ·les montagnes du
monde qui fe courbent fous les pas
de l'Eternité de Dieu : ce font les ceGALANT
203
dres qui plient fousfa main.
Quelfpectacle de voir le Soleil, la
Lune & les Etoiles qui adorent leur
Createur , qui partent au fon de fa
voix , & qui vont briller dans les endroits
du monde qu'il leur marque !
Cela ne vousparoift - il pas plus
grandpour Dieu , que de voirleneant
foumis àfa puiffance ?
Quelle gloire pour Jefus de voir
trois Rois profternez au pied de fon
berceau , déposer leur Couronne &
leur Diademe ; & protefter à ce Roy
desfecles immortels & invisible , que
Luy feul eft digne d'honneur ! Cela ne
vous paroift-ilpas plus grandque de
voir les Pasteurs de Judée aupied de
ce même Berceau?
Il appuya cela par les exem--
ples de David , de Salomon , &
de Jofias ; & conclud que quand.
204
MERCURE
l'infenfée Michol infulteroit le
faint Roy David , parce qu'il
chantoit en prefence de l'Arche,
David ne devroit pas fe rebuter
; & que quand le monde
encore plus infenfé , mépriferoit
ces Grands fi foumis & fi religieux
, ils devroient toujours
procurer la gloire de Dieu en lui
rendant ce qu'ils lui devoient .
Dans le fecond Point , il fit
voir l'indépendance de Jefus
Fils de tant de Rors felon l'humanité,
Fils de Dieu felon la divinité
, & avec cela fa foumiffion
aux Princes de la terre. Cette
foumiffion parut dans
l'exactitude
á obéir à l'Edit de Cefar Augufte
, les raiſons que Marie pouvoit
avoir pour s'en difpenfer
la foumiffion du Fils qui voulut
GALANT.
105
eftre infcrit au nombre des Sujets
de Cefar.
L'application fut aux peuples
, pour leur infpirer leurs
facrez à l'égard des Grands Voirs
qui il devoient des honneurs
& des tributs ; des honneurs
à leur autorité , des tributs
à leur dignité. Il cita tout les
endroits ne l'Ecriture qu'il lia
avec beaucoup de delicateffe
& finit par ces paroles.
Cefera dans cette dependance chretienne
qu'on verra tout l'Univers
tranquille , nous ne deplorerons plus
le defordre que voyoit le Prophete Ifaye
Lorfque l'Homme du peuple infulta
Homme noble ; & que l'enfant fe
foulevoit contre le Magiftrat.
Onfera foumis aux Rois , comme
auxplus excellentes creatures du mon
206 MERCURE
de ,felon l'expreffion defaint Pierre,
à leurs Miniftres , à leurs Officiers
comme à desCoadjuteurs , à des Aides,
qu'ils envoyeent dans les Provinces
, portant le glaive d'une main
pour chatier le crime , & des couron
ne de l'autre pour recompenfer la vertu.
Ce fera ponr lors ( quel fiecle
quel heureux fiecle! ) Cefera pourlors
que les Grands rendront à Dieu ce
qu'ils lui doivent , & que les peuples
rendront aux Grands tout ce qui leur
eft du. Le Ciel retentira de la gloire
de Dieu , & la paixfe répandra fur
Les hommes de bonne volonté Les
Grands fe profterneront fous le Trone
de l'Eternel , & lespeuples s'hami-
Lieront fous le pouvoir des Grands.
Dieu trouvera fa gloire dans la fou
million des puiflances ; & le peuple
GALANT. 207
de bonne volonté ,foumis à ces mêmes
puiffances , jouira de la paix. Le Roy
obtiendra le falut des mains de Dieu
feul qui le donne, & le Peuple priant
pourfon Roy élevera fes mains , fa
voix& fon caurpour lui dire.
Seigneur Dieu , par qui les
Rois regnent , les Princes commandent
, & les Potentats de
l'Univers rendent la juftice ,
confervez le Roy que vous donnez
à l'Espagne , fauvez le Roy ,
exaucez voltre peuple .
Grand Prince que l'Espagne atti-
·re aprés elle , & que la France ne
voitpartir qu'avec regret , vous em
portez avec vous une partie des coeurs
de la gloire de l'Etat. Helas
fouvenez- vous de nous quand vous
ferez dans ce Royaume foyer toutjours
uni à nous , regnezfur ces vaf
208 MERCURE
fes Etats ; vous vegnerez toujours fur
nos coeurs. V p
Pour moy , Sire , je le dis dans
toute la penetration de mon ame
ces peuples font plus heureux que
vous plus heureux de vous poffeder ,
que vous n'eftes heureux de regner.
Lorfquej'offriray l'Agneaufans tache
vous meferez toujoursprefent; &
fice Dieu immortel écoute mes prieres,
je lui diray inceffamment pour
vous.
Souverain Roy des Rois , qui tes
nez les coeurs des Rois entre vos
mains , confervez, foutenez, celui que
vous-même avez confacré que for
Royaumefoit le Royaume de tous les
fiecles ; que fon Trône dure autant
que le cours du Soleil ; qu'ilfoir aufz
grand , auffi pieux que fon Ayeut ,
auffi heureux que fon augufte Pere
GALANT 209
qu'il voye les enfans de fes enfans ,
jufqu'à la quatrieme generation .
Pierre angulaire , Sauveur Iefus ,
qui desdeuxpeuples n'enfaites qu'un,
uniffez- nous avec lui jufqu'à la fin
des fecles ; & lorsque vous en eve
rez toutes ces couronnes , que vousmême
, à mon Dieu ! avez impofees
fur fa tete , couronnez- les degloire &
d'immortalite ; qu'il en porte autant
dans le Ciel qu'il en poffede fur la
terre. Ce fontles fouhaits queje fais
avoftre Majesté avec toutes les benedictions
dufage Prelat qui prefide
furcette Eglife , & toutes les bene
dictions du Dieu immortel qui pre
fidefur l'Eglife & fur le Prelat.
Cette fur attendrit tout l'audiroire
qui eftoit compofé de l'élice
des trois Provinces Saintongess
Aunis & Angoumois . Plufieurs
Mars 1701.
S
210 MERCURE ΣΤΟ
verferent des larmes , le Predica
teur même fut touché, & le Roy
& toute la Cour témoignerent
en avoir rçû une tres - grande
fatisfaction .
1
9
Les nouvelles particularitez
qni me font venues touchant ce
qui s'eft paffé à Auch à la reception
de Meffeigneurs , les
Princes , m'obligent à vous parfer
de nouveau de cet Article.
Ils y arriverent le 8. Février à
quatre heures du foir , & trou--
vérent hors la Ville une double
haye d'Artiſans fous les armes ,
au milieu de laquelle ils pafferent
. Cette Soldatefque eftoit
compofée de cinq Compagnies
de cent cinquante hommes chacune
, pour répondre aux cinq
quartiers de la ville d'Auth . Ils
avoient tous un chapeau uniGALANT.
211
forme bordé d'argent , & chaque
Compagnie une cocarde d'une
couleur differente . Les Officiers
de ces Compagnies en avoient
de même , & des plumets uniformes
auffi . Cette double haye:
finiffoit à la Porte de la Ville.
Là fe trouverent Mr Bedez ,
Maire , & les Confuls qui furent
prefentez à Meffeigneurs les
Princes par Mr Defgranges . Le
Maire qui eft Confeiller au Prefidial
d'Auch , eut l'honneur de
les haranguer.
N
Enfuite Meffeigneurs les Princes
entrérent dans la Ville , &
furent conduits à l'Archevêché
où ils devoient loger. Ils trou-
- verent encore une double haye
d'environ deux cens hommes
fous les armes , C'cftoit une Com
-
is ij
212 MERCURE
pagnie compofée des plus notables
Bourgeois , & de leurs Fils
& Neveux , avec des chapeaux
uniformes , bordez d'or , &-une
cocarde blanche , ayant chacun
un noeud de ruban couleur de
feu au lieu de cravate . M¹dè
Bafcous eftoit à la tefte de cette
Compagnie. Cette double haye
fe terminoit à l'entrée de l'Ar-´·
chevêché.
Mile Maréchal de Noailles
ayant permis aux Bourgeois de
faire la garde auprés de Meffeigneurs
les Princes , on forma
d'abord un corps de garde de
cinquante hommes, qui fut pofé
à l'Hoftel de Ville , fort prés de
l'Archevêché , & l'on pofa en
même temps deux Sentinelles d
la porte de l'Archevêché.
GALANT 213
IF
Peu de temps aprés l'arrivée
de Meffeigneurs les Princes , les
Maire & Confuls leur firent les
prefens de la Ville , confiftant
entre-autres en vingt - quatre
douzaines de poires de Bonchreftien
d'Auch , fi renommées
pour leur delicateffe & pour leur
bonté.
A fix heures toute la Ville fut
illuminée par quantité de lumieres
aux feneftres ; & à huit onalluma
des feux dans les Places,
& dans toutes les rues.
✔
Meſſeigneurs les Princes fouperent
chez Mr le Maréchal de
Noailles . Monfeigneur le Duc
de Bourgogne en fe retirant fit
l'honneur à l'Officier de garde
de luy donner l'ordre .
Aprés le foupé de Meffei214
MERCURE
gneurs les Princes , Mr l'Intendant
le Gendre donna un Bal
magnifique chez Madame de
Bafcous , où il eftoit logé. Tous
les jeunes Seigneurs de la Cour
s'y rendirent . Toutes les Dames
de la Ville en avoient efté priées.
Quelques- unes s'y diftinguerent
par leur danfe , d'autres par l'agreable
& brillante vivacité qui
regne en ce Pays- là . Il y eut
enfuite un affez gros jeu, auquel
fucceda une colation fuperbe. A
Leg. Meffeigneurs les Princes
allerent à la Meffe à la Cathedrale
. Ilsy furent receusau bas de
la Nef par le Corps du Chapitre,
Mr l'Abbé de Chaulnes, Prevoft,
à la tefte . Voicy le Difcours
qu'il adreffa à Monſeigneur le
Duc de Bourgogne
..
GALANT. 25
MONSEIGNEUR,
LeClergé du Diocefe d Auch melle
avec empreffement fes refpectueux
hommages aux acclamations publiques
,& acquite avecjoye du tribut
d'admiration qui vous cft fi legiti
mement du Vous venez Monfe
gneur, de mettre un Prince en poffeffion
dune Monarchie , où vous
auriez regné vous -même , fi vostre
droit à une Couronne glorieufe n'eftoit
quelque chofe deplus grand que deftre
en effet Roy des Efpagnes. Quelaugure
pour votre gloire , de conduire fitoft
des Souverainsfur le Trône.
Mais oferons- nous vous le dire
Monfeigneur, qu'il en coute cher à
vostre coeur , de n'avoir pù livrer an
Empire qu'en vous feparant d'un
20% MERCURE
augufte Frere dont la perfonne vous
est encore plus chere que la Monarchie
que vous luy cedez La France a
efté témoin de fa tendreffe pour vous .
Nos heureux voifins l'ont efté de la
voftre pour ce Prince , & dufujet de
voftre peine , ils ontfait le fujet &
la mefure de leur joye.
En recevant de votre main leur
nouveau Roy , ils ont cru avec raifon
voir renaitre parmy eux le bon
ordre , la valeur , lapieté & la juftice
: biens precieux qu'ils ne pouvalent&
ne devoientjamais attendre
que du digne Fils du Heros qui dans
les derniers temps aporté l'épouvante
dans le fein même de l'Empire ,
Philippe cinquième a détruit en un
moment dans l'efprit dans le coeur
de fes peuples idée faftueuse de ce
Monarque fi renommé parmi eux
depuis
GALANT.
217
depuis tant d'années. Il ne falloit
pas moins qu'un Prince du Sang augufte
de France pourfaire ce miracle
Fagne ne pouvoitfe dédommager
de fes pertes que par un Defcendant
du Heros qui les luy a caufees.
Les cris d'allegreffe qui retentiffent
de toutes parts dans ces Royaumes,
viennentjufqu'à uous , & nous affli
gent ; mais les cris de joye qu'excite
veftre prefence pallent jufqu'à eux ,
& leur apprennent que fi nous leur
avons donné beaucoup , il nous reste
encore davantage
Heritier préfomptif des Etats de
Louis le Grand, vous femblez déja
en poffeder toutes les vertus, Jeune
comme vous il vint autrefois les inf
pirer à fes Sujets , formé fur ce rare
modele vous venez les affermir par
my nous.
Mars
1701.
T
218 MERCURE
Quel plaifirpour ce Heros , dont
vous nous retracez fi vivement la
glorieufe Image , lors qu'il apprendra
de votre bouche que les peuples de fon
vafte Empirefont glorieux& contens;
les Villes embellies , les campagnes
fertiles , le monftre de l'Herefie détruit
, & la Religion Catholique
respectée par tout , autant par l'exemple
de ce Monarque , que par
fon autorité.
Voftre heureux retour & le fimple
récit de tant de merveilles , peuvent
feuls le confoler de l'éloignementd'un
Prince dont il a figné le deftin en
Roy, & dont il a vù le départ en
Pere.
Pour nous , Monfeigneur , confacrez
aufervice des Autels , nous ne
cefferons de prier le Tres- haut qu'il
Tepandefur vous fes benedictions in-.
GALANT .
219
finies , & qu'il comble de
profperitez.
des
Princes dont la
réputation commencée
paffe deja les
efperances les
plusflateufes , & dont les vertus feis
ront un jour
l'admiration de l'Univers.
Meffeigneurs les Princes témoignerent
qu'ils eftoient trescontens
de ce Difcours , qui fut
unanimement applaudi de tous
ceux qui
l'entendirent . M l'Abbé
de
Chaulnes eft homme de
naiffance, de
beaucoup d'efprit, &
Vicaire General de Mr l'Archevêque
d'Auch depuis prés de
quinze ans . Il eft auffi fon Parent,
& gouverne le Diocefe en fon
abfence . Il s'y eft diftingué fou
vent par
l'heureux avantage
qu'il a eu de ramener à leur dévoir
lès
Nouveaux Convertis
Tij
220 MERCURE
qui s'en eftoient écartez .
Aprés la Meffe , les Officiers
du Prefidial , & ceux de l'Election
feparément , prefentez par
Mr Defgranges , eurent l'honneur
de faluër Meffeigneurs les
Princes, M Dafpe , Juge Mage,
à la tefte du Prefidial , & Mr de
Marignan , Prefident de l'Election
, porterent la parole.
Pendant leur fejour à Auch ,
la joye fut fi generalement répanduë
nuit & jour dans les maifons
, dans les Places & dans les
rues , qu'on n'y fit que chanter,
danfer , & donner les fignes les
plus parfaits d'une allegreffe extraordinaire
, & qu'il n'eſt pas
aifé de reprefenter.
Le 12. Meffeigneurs les Princes
partirent d'Auch aprés avoir
GALANT. 227
entendu la Meffe dans la Chapelle
de l'Archevêché . Ils trouverent
à leur fortie les mêmes
Bourgeois & la même Soldatefque
fous les armes , difpofez de
même qu'à leur entrée, & furent
conduits jufqu'aux portes de la
Ville, & bien au delà par un peuple
infini , tant d'Auch que du
voifinage, avec des cris de Vive
le Roy & Meffeigneurs les Princes ,
qui rempliffoient l'air de toutes
parts ...
On neût pas plûtôt appris à
Touloufe que Monfeigneur le
Duc de Bourgogne , & Monfeigneur
le Duc de Berry devoient
y paffer à leur retour de la frontiere
d'Espagne que cette nouvelle
donna une extrême joye à
tous les Touloufains , Sujets fi-
Tiij
222 MERCURE
delles , & tres- zelez pour leur
Roy .
Ón affembla le Confeil de Ville
fur les ordres qu'on avoit reçus:
Il fut deliberé de faire paroître
en cette rencontre leplaifir que.
l'on reffentoit de recevoir deux
Princes qui font les voeux de tous
les peuples : on reſolut pour
cela
de ne point menager les deniers
publics , afin de rendre cette fête
folemnelle , & de mander les
arts & mérien
au nombrede cinquante
-cinq compagnies faifant
quatre à cinq milles hommes . On
forma en même temps le deffein
de faire huit Compagnies de
Bourgeois , & on les leva dans
leshuit capitoulats qui compofent
la Ville. On donna à ces.
Compagnies d'anciens Capitouls .
GALANT. 223
& des fils
Pourines
danciens
Capitouls
pour
Lieutenans
ou
Enfeignes
fous
les
f
ordres
de
Mrs
de Barravi
&
Dencauffe
Capitouls
& Colonels
, & de Monfieur
Caumels
ancien
Capitoul
, qui fervit
de
Major
de la Ville
en cette
occafion
. On
lui
donna
quatre
Aydes
Majors
: fçavoir
Mrs
Dambelot
, Chapuis
, Favier
&
Caumels
du Boufquet
. Les
huit
Compagnies
de Bourgeois
furent
.
commandées
par
Mrs
Barravi
&
Dencauffe
Capitouls
, & les
Capitaines
furent
Mrs
de Lagarrigue
, le Baron
de Launaguet
de
Lamazoire
, de Martin
, de Ruoffet
& de Gaillard
.
1
Les Marchands qui font partie
du Corps de Bourgeoifie , de-
Tiiij
224 MERCURE
manderent à la Ville de faire
quatre Compagnies à leurs frais
ce qui leur fut accordé avec la
liberté de nommer leursOfficiers.
Elles furent compofées chacune
d'un Capitaine , d'un Lieutenant
, d'un Sous - Lieutenant
de trois Sergens , de cinquantedeux
Soldats , de quatre Tam-
<bours & de quatre Fifres. Dans
la compagnie Colonelle il
un Sergent Major & un Tambour-
Major de plus que dans les
autres . Il fut refolu que chacune
des huit Compagnies Bourgeoifes
feroit de cent hommes , tous
grands , bien- faits , bien vêtus
avec des chapeaux bordez de
galon d'argent , & une cocarde
de la couleur du Drapeau & du
Capitoulat ; que les quatre Com .
y cut
GALANT, 231
pagnies des Marchands feroient
de cinquante hommes chacune
tous jeunes , habillez de gris-,
blanc avec des chapeaux bordez,
des Cocardes
, des bas rouges ,
& tous uniformes ; qu'on donne
roit à chacune de ces Compagnies
quatre Tambours & quatre
Fifres , & qu'ils feroient ha-,
billez de rouge , avec des chapeaux
bordez , que ceux des huit
Compagnies Bourgeoifes feroient
diftinguez par les manches & les
poches de leurs juftaucorps galonnez
d'argent. wala sab
On refolut encore d'habiller
les foixantes hommes qui font la
Compagnie du Guet , d'un drap
gris-blanc doublé d'écarlate
avec des culottes , & des bas rouges
de leur donner des cha226
MERCURE
yu
>
peaux bordez d'argent , & des cocardes
; de faire des juftaucorps.
aux Tambours aux Fifres &
trompettes de la ville d'un drap
d'écarlate galonnez d'argent
avec les armes de la Ville. En un
mot , il fut déliberé qu'on habilleroit
de neuf tous les Officiers
de l'Hôtel de Ville , chacun felon
faCharge. On ordonna quatre
fontaines de vin, l'une au bout du
pont , l'autre à la place du Salin,
une autre à la place faint Eftienne
, & une quatrième à l'Hôtel
de Ville , qui couleroient tout
le jour de l'arrivée de Meffeigneurs
les Princes , & tout le lendemain
, & un feu d'artifice dans
la place faint Eftienne au devant
de leur Palais .
La Ville refolut de faire un
GALANT. 227
Dais à huit bâtons qui par la richeffe
de fon étofe , & par tout
que l'art y peut ajouter
furpaffat en magnificence tout
ce qu'ona vu jufqu'à prefent .
ce
Toutes ces refolutions furent
executées avec une entiere exactitude
par les Capitouls qui ont
témoigné par leurs foins infatigables
, & extraordinaires la reconnoiffance
qu'ils doivent à la
grace que le Roy leur a faite de
fes nommer à cette place , & qui
' ont voulu repondre par-tout ce
qu'ils ont pû , à l'honneur que
la Ville avoit de recevoir Meffeigneurs
les Princes .
Toutes ces choſes eſtant arrê–
tées, on delivra l'inftruction fuivante
à ceux à qui elle eftoit ne
ceffaire.
228 MERCURE
Comme il y aun grand terrain
à border à droit & à gauche depuis
la porte de Saint Ciprien
jufqu'à l'Archevêché , & qu'il
eft important qu'il y ait fuffifamment
des Bourgeois pour border
les rues de ce terrain , il faut que
tous les Commandans faffent
leur poffible pour rendre les
Compagnies les plus nombreufes
qu'il fe pourra ne ſouffrant
dans les rangs aucun de ceux
qui ont efté réformez , tant
vieillards , trop petits , qu'enfans
ou Porte- cane , ny qui que ce
foit pour fervir d'aide au Porte-
Enfeigne , & fur tout il ne fera
donné aucune exemption pour
ce jour- là .
Chaque Compagnie aura fa
cocarde de la couleur qu'il aura
GALANT
229
eſté réſolu dans la Compagnie ,
aufibien que des chapeaux bordez
.
On ne fouffrira point qu'il y
ait de pierres aux fufils , ny de
méches aux moufquers , ny poudre
ny plomb, défendant expreffément
qu'aucun Soldat ne tire
un coup , fous peine de punition
exemplaire , ordonnant expreffément
au Commandant de chaque
Compagnie de faire arreſter
le premier qui feroit affez hardi
pour tirer un coup aprés la défenfe
faite .
14
Un Sergent de chaque Compagnie
ira regulierement tous
les jours à l'ordre dans l'Hoftel
de Ville Aay
Aucune Compagnie ne fe mettra
fous les armes , fans en avoir
230
MERCURE
receu l'ordre des Capitouls.
Quand ces Compagnies auront
l'ordre de prendre les armes
, on s'affemblera chez le
Capitaine pour fe rendre à
l'heure & au lieu qui fera marqué
bien regulierement , & aprés
que le Commandant aura fatisfait
à ce qui fera ordonné , il remenera
fa troupe au lieu où elle
aura efté aſſemblée , pour la feparer
en bon ordre , fans fouffrir
qu'aucun de ceux qui compofent
fa Compagnie quitte les rangs
qu'aprés qu'il fera congedié
aprés quoy il défendra aux Tambours
& Fiffres de battre & de
jouer dans les ruës ny dans les
Cabarets , pour ne point troubler
le repos public .
Le jour de l'entrée , chacun des
GALANT. 231
A
Commandans tiendra la main à
ce que chaque troupe occupe le
pofte qui luy fera marqué , ne
permettant à aucun Soldat de
quitter fes rangs pour quelque
raifon que ce puiffe eftre , & ne
fouffrant qui que ce foit devant,
eux .
Lors que Meffeigneurs les
Princes auront paffé , le Major
General avec les Aides- Majors,
auront foin de mettrre en mar
che toutes les troupes, pour les
renvoyer en bon ordre chacune
à leur quartier.
x
Le Major General aura foin de
pofter la Garde de Meffeigneurs
les Princes compofée de cent
hommes , à la droite de la porte
de ' Archevêché , à l'heure qui
luy fera marquée .
222 MERCURE
2
Pendant que toutes ces chofes
fe paffoient, la Ville de Touloufe
fe rempliffoit continuellement
d'Etrangers , & il ne fe paffa pas
un jour durant un mois , fans
qu'il y en entraft quelques - uns ;
de forte que le nombre qui s'y
trouva , approcha de quarante
mille , & ce nombre y fut en-
-tier pendant les dix derniers
jours parce que ceux qui
croyoient avoir pris leurs mefu
res jufte , pour s'y trouver precifement
dans le temps de l'entrée
de Meffeigneurs les Princes ,
furent trompez, fans avoir pourtant
pris de fauffes mefures
Monfeigneur le Duc de Bourgogne
, & Monſeigneur le Duc
de Berry eftant arrivez à Touloufe
dix jours plus tard que le
-GALANT. 233
jour qui avoit efté marqué pour
leur arrivée , à caufe des débordemens
d'eaux qui les avoient
arreftez à Dax de forte que
pendant huit jours , toutes les
ruës de Toulouſe fe trouverent
remplies d'une foule incroyable
de perfonnes de l'un & de l'autre
Sexe, & de toutes fortes d'eftats ;
mais comme la Ville eft commode
pour le logement, à caufedefa
grandeur, &qu'elle eft abondante
en toutes fortes de vivres, elle
n'en fut point incommodée 3 &
tout ce grand monde que la cu→
riofité y avoit attiré , fut fort
fatisfait des manieres honneftes
de Mrs de Touloufe , & de leur
politeffe. On ne pouvoit attendre
autre chofe d'une Ville où
l'on fait profeffion de belles Let
Mars 1701. V
234 MERCURE
"
tres , & où l'efprit abonde encore
plus que toutes les autres chofes
qui fervent à vivre commodement
, quoy qu'elles n'y foient
point rares . Mr l'Archevêque ,
Mr le Comte de Broglio , Commandant
en Languedoc , Mr de
Baville, Intendant de la Province
, & Mr Riquet , Prefident à
Mortier auParlement de Touloufe,
qui en l'abſence de Mr Moran,
premier Prefident , fe trouva à la
tefte de la Compagni >
tinrent
table ouverte pendant trois femaines
avant l'arrivée de Meffeigneurs
les Princes , & la Nobleffe
de plus de trente lieuës à
la ronde fe trouva à ces tables .
Les principaux de la Ville en
tinrent auffi pour les perfonnes
de leur connoiffance , & pour les
"
GALANT. 275
Amis de ces perfonnes qui les
accompagnoient. Ainfi l'on peut
dire que l'on tenoit table ouverte
dans toute la Ville de Toulouſe,
& que chacun regalant à l'envi
fes Amis, & les Amis de fes Amis,
tous les Etrangers trouverent des
Amis dans les Touloufains . Leur
Ville a efté pendant tout le Carnaval
le fejour du monde le plus
agréable . La Comedie , la bonne
chere , le Bal & la converfation
y ont regnés de forte qu'on peut
affurer que la joye y avoit de
vancé Meffeigneurs les Princes ,
& que celle qui avoit mis Touloufe
en mouvement , n'avoit
commencé qu'a l'occafion da
plaifir que toute la Province ſe
faifoit de les voir.
Les Compagnies qui devoient
V ij
236 MERCURE
7
eftre fous les armes le jour de
leur entrée , pafferent plufieurs
fois en revue devant Mile Com
te de Broglio , & devant M l'Intendant.
Il y avoit non -feulement
de quoy contenter la vûë,
mais même de quoy réjouir l'oïe
par le grand nombre de Tambours
, de Hautsbois & de Fifres
, que chaque Compagnie fe
piquoit d'avoir à l'envil'une de
Fautre. Toutes ces Troupes furent
mandées pour fe trouver
fous les armes le quatorzieme de
Janvier. Elles commencerent à
marcher des fept heures du matin
, pour occuper les poftes qui
leur furent affignez par le Major.
Les deux ailes du Pont neuf,
qui eft un Ouvrage admirable de
feu Mr Manfard , & qui fepare le
GALANT. 237
C
Faubourg , de la Ville , furent
bordées par quatre Compagnies
de Marchands . La premiere ,
commandée par M Bertrand
Faîné , Banquier , avec M Keynal
& Me Jalabert pour Lieutetenant
& Sous - lieutenant ; la
feconde par Mr. Panebeuf, & Mr
Bormande le Fils pour Lieute
nant, &M Doneffanpour Sous-
Lieutenant ; la troifiéme par M.
Viguier,ayant M. le Combes Fils
M. Riviere pour Lieutenant &
Souslieutenant , & la quatriéme
par M. Amieux , M. Duvergier
Fils Lieutenant, & M. Eraiffant
le Fils Souslieutenant. Il n'y
avoit rien de plus beau que ces
quatre Compagnies . Le Major
eftoit veftu d'unhabit d'écarla
te, garni d'agremens brodez d'or.
238 MERCURE
Les douze Officiers avoient des
habits uniformes , d'un drap couleur
de Prince , enrichis de bou
tonnieres & de galon d'or, & des .
veftes d'un glacé d'or , & leurschapeaux
eftoient bordez d'un
tiffu d'or, & au deffus une plume
blanche . Plufieurs avoient des
fangles de vingt & de trente
Louis d'or. Les Soldats eftoient
des Garçons Marchands , & tous
jeunes , gens vêtus uniformement
d'un drap gris de Caftor , & les
paremens de même ; la vefte , la
culote & les bas , couleur d'écar
late. Un noeud de ruban couleur
de cerife , leur fervoit de cravate
Leurs chapeaux eftoient
bordez d'or , & fur le retrouffis
ils avoient chacun une groffe
cocarde de Juban de la couleur
GALANT. 229
de la Compagnie . Le blanc eftoit
celle de la premiere , avec un
Drapeau de cette même couleur;
le bleu , de la feconde , qui avoit
fon Etendart my - parti de cerife
& de bleu , & la croix blanche ;
le rouge de la troifiéme , ainfi
que de fon Drapeau , avec la
croix blanche , & le cerife de la
quatriéme . Son Etendart eftoit
auffi de cerife , & avoit une croix
blanche. Ces quatre Drapeaux
portoient au milieu les Armes
de France richement brodées .
Celuy de la Compagnie Colonelle
eftoit bordé d'un galon
d'or , pour le diftinguer du Drapeau
Colonel de la Ville.
Les Compagnies qui avoient
efté formées par les Arts & Mé
tiers eftoient auffi magnifiques ,
240 MERCURE
& toutes en cocardes : elles bor
doient les deux côtez des ruës.
Six Compagnies de Bourgeois
bordoient enfuite les ruës jufqu'à
l'Archevêché Leurs cocardes
eftoient de ruban violer & blanc ;
jaune & blanc ,vert & blanc, felon
la couleur des Capitaines. Toutes
ces Troupes montant à cinq
ou fix mille hommes , formerent
deux hayes de douze cens toifes
de longueur jufqu'à l'Archevêché
où Meffeigneurs les Princes
devoient logerie marbl
On avoit bâtides galeries en
forme d'amphiteatre dans la
grande rue du fauxbourg faint
Cyprien , le long de l'entrée , &
au bas du pont neuf,dans les pla
ces du Salin , Perchepinte , fain
tes Carbes & faint Etienne , a
la
GALANT
245
la plupart des places furent
louées jufqu'à demi Loüis d'or :
elles furent remplies dés neuf
heures du matin , toutes les ruës
tapiffées , & la plupart des fenêtres
ornées de riches tapis .
Toutes choſes eftant ainfi dif
pofées pour lareception de Mef
feigneurs les Princes , & toute la
Ville fe trouvant dans une agitation
qui luifaifoit plaifir, les huit
Capitouls en hahits de ceremo
nies , partirent pour fe rendre à
la
porte de faint Cyprien . Ils é
roient precedez par la Compagnie
du Guet que condui
foient le Capitaine & le Lieuzenant
dont les habirs étoient
d'écarlate & brodez d'or
& d'argent , & accompa
gnez des anciens Capitouls , de
Mars 1701 . X
242 MERCURE
cent notables Bourgeois , & de
tous les Officiers de Ville . Leurs
Trompettes avoient des cafaques
couvertes d'une grande natte
d'argent, les banderolesdes trompettes
eftoient tres- riches ty
avoit feize Tambours & autant
de Fifres vêtus de rouge , &
plufieurs Hautbois en
Mr le Comte de Broglio Lieutenant
General des Armées du
Roy , & commandant les Troupes
de Sa Majefté dans le Languedoc,
& Mide Baville , Intendant
, fe rendirent auffi à la porte
de la Ville avec quatre tresbeaux
carroffes à fix chevaux , &
douze Gardes fort bien montez
, qu'ils avoient en qualité de
Commandans de la Province .
On avoit dreſſé une batterie de
GALANT.
243
canons hors la porte de la Ville ,
dont on fit plufieurs decharges .
Le chemin eftoit bordé de monde
une lieuë au - delà de la même
Ville. Mr le Sénechal de Touloufe
en eftoit auffi forti pour aller
au- devant de
Meffeigneurs les
Princes . Il y avoit environ trois
cens Gentilshommes vêtus de
deuil . Mr de Vitrac , Ecuyer de
la Ville de Touloufe , eftoit à
cheval à la tête des Academies .
Mr le Prevost general des Mare
chaux de France au
departement
du haut Languedoc , alla aufli
une lieuë au- delà de Toulouſe
avec la compagnie , qui eftoit
fort lefte , & bien montée . Les
Cavaliers avoient des bandoulie
res brodées d'or , & bordées de
nates d'argent . Leurs écharpes
x
ij
244 MERCURE
ing
eftoient bordées d'un galon d'argent
, & ils avoient tous de fort
belles cocardes . Toute la Cavaleriefe
joignitauxGardesde Meffeigneurs
les Princes , & parut l'é
pée haute devant leurs carroffes ,
qui furent fuivis de plus de cent
autres , laplûpart à fix chevaux ,
Quatre carroffe de Mr le Marechal
de Noailles à huit chevaux
precederent quatre carroffes du
Roy auffi à huit chevaux , dans le
dernier defquels eftoient Meffeigneurs
les Princes . Soixante Gardes
du Corps à cheval & l'épée
haute, marchoient devant ce carroffe
qui eftoit fuivi d'un pareil
nombre de Gardes . Meffeigneurs
les Princes en firent ofter
les glaces en entrant dans
le fauxbourg de faint Cyprien
GALANT. 245
K
pour eftre mieux vûs Ils ar
riverent à trois heures aprés
midy & les Capitouls leur fu
rent prefentez à la porte de ce
fauxbourg , par
par M Delgranges ,
Maistre des Ceremonies . Ils leur
prefenterent les clefs de la Ville
dans un baffin d'argent , mais ils
n'offrirent point le Dais dont
j'ay parlé au commencement de
cette relation quoi qu'ils en euffent
fait la dépenfe, Monfeigneur
le Duc deBourgogne ayant ordon
né qu'il ne lui fuft pas prefenté.
Mr Garde , Capitoul , & chef
du Confiftoire, porta la parole, &
foutint parfaitement la reputation
que Touloufe a toujours
euë d'eftre une Ville fçavante.
Monſeigneur le Duc de Bourgogne
luy dit qu'il avoit tres-bieg
X iij
246 MERCURE
parlé , & il reçut des applaudiffemens
de tous ceux qui purent
l'entendre . Les haut - bois de la
Ville jouerent aufli - tôt que fon
Compliment fut achevé ; & fervirent
d'avertiffement pour recommencer
la marche. Elle continua
par la rue des Couteliers ,
de la Dalbade , de fainte Claire ,
de Salin deNazareth, & defaintes
Carbes . Lorfque qu'on approcha
de l'Archevêché , la grande cloche
de la Cathedrale , nommée
Ta Cardaillac , fonna , & à ce figral
dont on eftoit convenu , toutes
les cloches de la Ville fonnerent.
Tous les principaux Offi ..
ciers de Meffeigneurs les Princes.
logerent à l'Archevêché . Plufeurs
Seigneurs y eurent auffi des
apartemens richement meublez .
GALANT.
247
Meffeigneurs les Princes ne vou
lurent point qu'on tendift leurs
lits; & coucherent dans ceux que
ce Prelat leur avoit fait preparer
& qui eftoient nouvellement
faits. A
-il y avoit environ une heure
qu'ils eftoient arrivez , quand
les Capitouis leur firent au nom
de la Ville les prefens accoutumez
en pareille occafion . Ils
confiftoient en foixante & qua
tre flambeaux de cire blanche ,
& en douze douzaines de boettes
de confitures feches , nouées
avec dur ruban ponceau , & du
ruban blanc. Monfeigneur le
Duc de Berry cut de pareils prefens
, mais le nombre de chaque
chofe fut moins grand .
Lorfque le jour commença à
X iiij
248 MERCURE
baiffer , les ombres de la nuit furent
changeées par l'illumi
nation que l'on avoit préparée.
Tout le Palais Achiepifcopal parut
en feu a caufe de la quanti
té de lumieres dont il eftoit
éclairé. Il y avoit un nombre infini
de flambeaux de poing mêlez
avec des lanternes de differentes
couleurs . La muraille de
ce Palais eftoit illuminée de la
même forte . Le Portail de l'Eglife
Cathedrale qui eft á côté faifoit
voir , outre les lumieres qui le
couvroient , trois piramides de
feu qui tâchoient d'atteindre le
clocher , où il y avoit plus de
trois cens lanternes tranfparantes
, fur lesquelles on avoit peint
des milliers de fleurs de Lys qui
rempliffoient l'air de leur éclat ,
GALANT. 249
2
& empêchoient les étoiles de fe
faire remarquer Tous les autres
clochers eftoient éclairez ;
les portes de la Ville & du Pont
Leftoient auffi , & l'Hôtel eftoit
tout brillant de lumieres . Mrs de
Ville firent remettre plufieurs
fois des flambeaux aux endroits
dont ils avoient foin , parce que
le vent les faifant couler en precipitoit
la fin. # A
Pour le bien figurer l'illumi
nation de l'Hôtel de Ville , on
n'a qu'à fe repreſenter , que La
Tour & toutes fes Galeries
eftoient éclairées avec une prodigieufe
quantité de flambeaux &
de falots , & qu'on voyoit de
tous côtez des vafes & des chif
fres , avec les armes du Roy &
de Meffeigneurs les Princes &
250 MERCURE
celles de la Ville . Toute la place
eftoit auffi illuminée avec des
flambeaux , & des lanternes pofées
alternativement , ce qui faifoit
une decoration auffi agreable
que bien imaginée . Toutes
les maifons qui appartiennent à
la Ville eftoient illuminées de
la même forte , & fur tout les
deux Pavillons de l'entrée du
Pont . Chacun tâcha de fe furpaffer
dans la Ville , pour illuminer
la maiſon . Les Jefuites ,
les Auguftins & plufieurs autres
Convens firent illuminer leurs
elochers , avec une infinité de
lanternes , dont la varieté des
couleurs produifit un tres - agreable
effer. Tous les particuliers
firent des feux devant leurs maifons
& donnerent toutes les
GALANT. 251
marques qu'ils purent imaginer
d'une parfaite joye .
Sur les neuf heures du foir
Meffeigneurs les Princes , aprés
avoit foupé en public , traverſerent
la place faint Etienne pour
fe rendre chez Mr de Cambron ,
Confeiller au Parlement , où Ms
le Marechal de Noailles eftoit
fogé, cette maiſon eſtant la mieux
fituée pour voir tirer le feu d'arrifice
qui avoit efté preparé. Ce
Marechal regala Meffeigneurs .
Fes Princes d'une excellente mufique
. Le Pere Mourgues, Jefuite,
également verfé dans toutes les
fciences , comme il l'eft dans les
Mathematiques dont il eft Profeffeur
, avoit fait le deffein du
feu. Il reprefentoit l'entrée de
Caftor & de Pollux dans Qebalie,
212 MERCURE
Fune des principales Villes de
leur Eftat , aprés avoir accompa
gné Jafon á la conqueste de la
Toilon d'Or. Cette entrée femble
avoir quelque rapport avec
celle des deux Princes dans Touloufe
à leur retour de la frontiere
, où ils avoient accompagné
le Royd'Espagne, qur porte l'ordre
de la Toifon d'Or. C'eſt ce
que marquoient les vers fuivans .
Tels un peuple charmé vit Pollux
& Caftor
Accompagner Fafon dans la ricbe
Contrée
Où le Ciel en fes mains remit la
Toifon d'Or ,
Et tels dans Oebalieils firent leur
entrée .
On fçait que ces jeunes Heros
montoient le celebre Navire Ar
GALANT. 253
go, quand ils allerent à cette expedition
; & comme on voit d'ail
leurs par les plus anciennes Medailles
, & en particulier par celle
de Janus reçu dans le Latium
que Vaiffeau étoit
la
figure a
le Symbole d'une heureufe arrivée
, fuivant ces deux Vers d'Ovide
.
At bona pofteritas puppim figna
vit in ære
Hofpitis adventum teftificata Dei.
On avoit choifi pour le Corps
de l'Artifice le Navire Argo , portant
fur fon Tillac les deux figu
res au naturel de Caftor & Pollux.
Le reste de la reprefentation
fe rapportoit à une Mer ,
& à un Port. On peut dire que
la Ville de Toulouſe eft devenuë
le Port commun de l'Océan , &
254 MERCURE
de la Mediterranée par le Canal
Royal de communication entre
les deux Mers .
Les quatre faces du Theatre
qui portoit l'Artifice , eftoient ornées
de Médailles , d'Emblêmes
& de Devifes en cet ordre.
Dans la principale face qui regardoit
le Palais des Princes ,
eftoient les Armes de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , une
medaille portant un Lis avec la
Legende , Spes publica.
L'Objet de tous les veux , l'espoir
de tout l'empire.
Le Lis eftoit le vray Hieroglyphe
de l'efperance parmi les anciens
,comme on le voit dans plufieurs
médailles qui ont un Lis
avec ces mots fpes auguſta ou fpes
publica, L'application en eftoit
GALANT 255
fort naturelle ; une Devife
pour
marquer qu'en l'abfence de
Louis le Grand & de Monfeigneur
le Dauphin , on ne voit
rien de plus parfait que Monfeigneur
le Duc de Bourgogne.
Une montre d'Horloge , avec de
mot duo maxima Lumina fupplet.
C'est l'heureuxfupplement des deux
grands Luminaires
t
Une feconde Devife ayant
pour corpsun Royd'Abeilles On
dit que ce Roy ayant beaucoup
plus de courage que les autres
Abeilles , il a pourtant les ailes
plus courtes & plus foibles ; la
nature lui ayant ofté par -là le
moyen d'abandonner jamais fon
Effain , ce qu'on exprimoit par
ce Vers latin .
Nafcitur alaram brevior ne deferat
agmen.
256 MERCURE
Les trois dernieres paroles ne
deferat agmen faifoient l'ame de la
Devife .
Sa naiffance l'arreste au coeur de
fon Eftat.
Tel eft le glorieux privilege
de ce grand Prince de ne pouvoir
renoncer à gouverner cet
Empire dans la fuire des ans.
Une troifiéme Devile pour
établir un prefage de l'opulence
& de la gloire de fon Regne , &
pour marquer combien cette
Ville s'eftimoit honorée de poffeder
ce Prince , même pour peu
de jours. Le Rameaud Oravec ce
mot Efpagnol Riqueça ,y Refplendor.
Aulli riche trefor que brillant or
nement.
Dans la feconde face les ArGALANT.
257
mes de Monfeigneur le Duc de
Berry , Devife . La lune dans fon
renouveau , avec ce mot Solis erit
quod crefcam.
Je croiftrai , ce fera l'ouvrage du
Soleil.
Autre Devife. Un Heliotrope
tourné vers le Soleil , dont cette
fleur fuivoit le mouvement ; avec
ce Vers Italien.
Dolce ubbidire à chi me fà fiorire.
Ma gloire eft d'obeir à qui me fait
fleurir.
Embleme . On compte parmi
les travaux d'Hercule celuy d'avoir
eu trois pommes d'or du
jardin des Hefperides . La figure
de l'Emblême eftoit Hercule ,
reprefentant le Roy , & tenant
dans fa main ces trois pommes
d'or avec ce Vers ,
Mars
1701. Y
218 MERCURE
Tertium quegens habitura munus?
Quel Empire obtiendra mon troifiéme
prefent?
Il eft ailé d'entrer dans le fens
de l'Emblême.
Dans celle qui fuivoit on
voyoit Achille encore jeune ,
qui recevoit des leçons de valeur
du fameux Guerrier Chiron .
Heros Heroe Magiftro.
Le Heros qui l'inftruit nous promet
un Achille
On ne peut attendre un moindre
fuccés de l'Education royale
& heroïque que reçoit Monfeigneur
le Duc de Berry , jointe
à l'élevation de fes fentimens
naturels.
Dans la troifiéme face les Ar
mes accollées des deux jeunes .
Princes.
'GALANT. & 259
pre-
Deux Médailles . Dans la
miere deux Ancres avec la legende
Firmitas Imperii .
L'Empire des François pour jamais
affermi.
Dans la feconde le Caducée ,
& le mot Concordia .
La charmante union de deux Auguftes
Freres.
Une Devife ayant pour corps
un Vol . En termes de Blafon
c'eftoient deux ailes jointes dos
à dos & éployées , avec ces paroles
Eſpagnoles , Subido mientras
unido.
Un mouvement commun rend leur
vol plus fublime.
Une feconde Devife , par rapport
à l'agréable idée que cette
Ville fe faifoit des beaux jours
durant lefquels elle auroit le
Y ij
260 MERCURE
bonheur de poffeder deux Prin--
ces fi accomplis , & par rapport
à la difpofition prefente de l'Europe,
dont les Puiffances les plus
confiderables déclaroient en ce
même temps la réfolution où
elles font de maintenir la Paix
Deux de ces feux volans , que
nos Marins appellent Feux Saint
Elme , ou Caftor & Pollux , & qui
ne font de bon augure pour da
navigation, que lors qu'il en pas
roift deux à la fois . Le mot
Placidi duo figna Screni.
Ce font d'un calme heureux deux
préfages certains .
Dans la quatriéme face , les
Armes de la Ville de Toulouſe.
Deux Médailles. Dans l'une
l'ancien Capitole de cette Ville,
avec la legende ,
GALANT . 16
•
Antiquitas & gloria.
Sa gloire répondbien à fon antiquité.
Dans l'autre le Palladium Tou
loulain , & pour legende , Armis
& Litteris.
On a des
L'Ecole des Guerriers & des Auteurs
celebres.
preuves que la fondation
de Touloufe eft anterieure
à celle de Rome . Elle a efté
nommée Palladienne , ainsi qu'Athenes
; & pour la juftification
des legendes de ces deux Médailles
, on n'a qu'à parcourir les
Eloges des illuftres Touloufains ,
dont on voit les Buftes dans la
fuperbe Galerie de la Maifon
de Ville , qui eft le nouveau
Capitole , & le Palladium moderne
de Touloufe .
Elle porte pour Armes un
}
262 MERCURE
Belier , ce qui avoit donné lieu
à la Devife fuivante . Le Belier.
celefte , qui eft nommé par les
Poëtes. Signorum Princeps , parce
qu'il eft le premier des Signes
du Zodiaque , & ces paroles pour
ame , Principibus nunc glorior Afiris.
Je me trouve enrichi de deux Af
tres brillans.
Enfin pour faire connoiftre les
grands avantages que Touloufe
avoit lieu de le promettre de la
protection des deux auguftes
Princes qui l'honoroient de leur
vifite , cette Ville eftoit reprefentée
par une pierre d'Aiman
attirant deux anneaux d'acier .
On fçait que la force de cette
pierre eft confiderablement augmentée
par une armure de ce
GALANT. 263
métal , & c'eft ce qu'on avoit
exprimé par ces mots , Illetti facient
mihi & crefcere vires.
Ceux que j'attire à moy me ren
dront plus puiffante ..
"
La difpofition de l'artifice pa--
rut mieux par l'execution que
par tout ce qu'on en fçauroit
dire. On peut fe former quelque
idée du fracas de la Batterie
& de la beauté du Feu , par
quarante douzaines de petards ,
boëtes & carrelets à lancé, trente
douzaines de fufées qui volerent
en gerbes , en Fleurs de lis , &
autres figures ; trente- cinq douzaines
de ferpenteaux , huit douzaines
de lances ou chandelles
ardentes, huit Soleils rayonnans
ou girandoles , huit fontaines à
feu , quatre mortiers à feu . Less
&
264 MERCURE
Capitonls qui avoient ordonné
ce Feu , avoient fuivi leurs nobles
& genereuſes inclinations ,
ainfi qu'ils l'ont fait dans tout le
refte qui a concerné la reception
qu'ils ontfaite àMeffeigneurs les
Princes .
Le Feu eftant tiré , & la Mufique
qui luy fucceda eftant finie ,
ils furent reconduits à l'Archevêché
avec plufieurs flambeaux
de cire blanche , & aux acclamations
du peuple . Toute la nuit
fe paffa en réjoüiffances , & let
jour parut , qu'on buvoit encore
dans Toulouſe à la fanté duRoy,
& de Meffeigneurs les Princes .
Le lendemain 15. Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , & Monfeigneur
le Duc de Berry allérent
à la Meffe à l'Eglife Cathe
dralo
GALANT. 265
drale où ils furent reçus plus
avant que le Benitier , par M
Colbert , Archevêque de Touloufe
, qui des harangua , & leur
prefenta l'eau-benite. Il eftoit
en Habits pontificaux , la Mitrè
en tefte , & la Croffe à la main .
Son Chapitre qui eft tres- nombreux
eftoit en Chapes , rangé
droite & à gauche . Le Difcours
de M. l'Archevêque reçut
de grands applaudiffemens. Meffeigneurs
les Princes furent enfuite
conduits dans le Choeur
où ils trouvérent un Priédieu à
deux places. Un de leurs Aumôniers
dit la Meffe , pendant la
quelle Mr Gillet , Maiftre de Mufique
du Chapitre , fit chanter un
tres - beau Motet par les plus
belles yoix , & avec les meilleurs
· Mars 1701. Z
266 MERCURE
inftrumens de la Province , que
Mrs du Chapitre avoient fait veair
exprés à Toulouſe . A l'iffuë
de la Meffe, Mr l'Archevêque en
camail & en rochet & Mrs du
Chapitre en furplis, reconduifirent
Meffeigneurs les Princes
jufqu'à la porte de l'Eglife. Le
même jour , le Parlement alla
les complimenter par Députez ,
& fut prefenté par Mr
Delgranges.
Ils eftoient quarante ; fçavoir
fix Prefidens à Mortier, quatorze
Confeillers de la Grand'
Chambre, & de la Tournelle ,
dix-huit des Enqueftes , fix de
chaque Chambre , & deux des
Requeftes . Me le Preſident Riquet,
qui fe trouvoit à la tefte du
Parlement › par l'abſence de Mr
Morant, premier Preſident, porGALANT
. 267
a la parole , & harangua Monfeigneur
le Duc de Bourgogne
dans fon appartement, & enfuite
Monfeigneur le Duc de Berry,
dans le fien. Aprés quoy , ce
Prince eſtant defcendu dans l'ap
partement de Monfeigneur le
Duc de Bourgogne , Mrs les
Treforiers Generaux de France
sen Corps , & avec leurs robes
de ceremonie , eurent le même
honneur. Mr Nolet , qui eft de
leur Corps , & Academicien de
l'Academie des Jeux Floraux de
Touloufe , porta la parole, &
-fit un Difcours rempli de feu, de
politeffe & d'éloquence. L'Univerfité
& le Senechal curent le
même avantage.M Menard parla
pour l'Univerfité , & Mr de Garriere,
Juge- Mage , pour la Compagnie.
Zij
3
268
MERCURE
Le même jour M¹ Barravy , Ca
pitoul Colonel , qui avoit monté
la garde la veille à la porte de
Meffeigneurs les Princes , futredevé
par Mr le Baron Dencauffe ,
Capitoul Colonel , qui la monta
à fon tour à la tefte de deux Compagnies
Bourgeoifes.d
Meffeigneurs les Princes avoient
refolu d'aller l'apréfdinée
prendre le plaifir de la promenade
au Cours ; mais la pluye leur
xfit changer de deffein . Quand ils
eurent foupé , ils fe placérent
avec les perfonnes les plus qualifiées
de leur Cour , dans un balcon
qui regarde les cours de l'Arehevêché
, où M l'Archevêque
les accompagna . Ils virent la Bafoche
, compofée des Clercs du
Parlement , & de ceux du SeneGALANT
269
chal , ce qui fe paffa de la maniere
fuivante.
Les Clercs du Senechal au
nombre de plus de cent , tous
leftement vétus , & montez fur
des chevaux de prix , precedez
de leurs Trompettes , & ayant
leur Capitaine en tefte , & leur
Guidon cuiraffé , entrérent l'épée
haute dans les courts dė
l'Archevêché , & firent une reyue
dans ces grandes courts. Cette
Cavalerie fe rangea fur deux
lignes dans la premiere cours les
équipages pafferent enfuite , &
plufieurs Mulets chargez de coffres
, fur lefquels eftoient de riches
couvertures enfuite de
quoy les Suiffes du Roy de la
Bafoche qui font tous Clercs du
Parlement , entrérent quatre à
Z iij.
270 MERCURE
quatre, leurs halebardes fur léz
paule. Ils eftoient prés de deux
cens cinquante , leur Capitaine
à leur tefte. Son habit eftoit tres riche , ainfi que
ceux
do
leur
Lieutenant , & de leur Enfeigne.
Tout le refte de la Compagnie
véttë à l'ancienne mode ; c'eft à
dire á la maniere des Suiffes d'au-
Jourd'hui , avoit des habits neufs,
des chapeaux bordez , de belles
cocardes , & des noeuds de cray
vates uniformes. Ils avoient
frente - deux Tambours , & autant
de Fifres , placez de quatre
en quatre rangs , habillez & coef
fez à la Polonoife , qui battoient
la marche des Suiffes . Le Roy
de la Bazoche paroiffoit enfuite
fur un tres - beau cheval , une
Couronne d'argent fur un bonGALANT.
271
net carré , & un Sceptre d'argent
á la main. A fon côté eftoit le
Senechal precedé du Conneftable
portant l'épée nue , fon Amiral
fes quatre Maréchaux avec
leurs bâtons de commandement ,
fon Greffier , & fes Huiffiers tous
bien montez , & tres - proprement
vétus. Ils eftoient éclairez
par trois cens flambeaux de cire
blanche , portez
, portez par des gens
choifis , difperfez dans lesrangs,
Ils firent le tour de la premiere
& feconde cour, & pafferentfous
le balcon où eftoient Meffeigneurs
les Princes . Enfuite ils
le rangerent á un des côtez de la
cour ofçavoir les Clercs du Senechal
qui formérent deux Efcadrons
, & les Suiffes deux Batail
Jons. Ils défilérent enfuite en
*
372
Z iiij
272 MERCURE
tres bon ordre , & retourné
rent dans la cour du Parlement
d'où ils eftoient partis .
Meffeigneurs les Princes prirent
beaucoup de plaifir á les voir.
Le lendemain 16. l'Academie
des Jeux Floraux eut auffi l'avantage
de complimenter mef
feigneurs les Princes , & même
de le faire feparement . Mule
Chevalier Catelan porta la pa
role , & fon Difcours fut trouvé
tres- éloquent & tres - poli . M
Saget , Prieur de la Bourfe , &
en cette qualité Chef du Corps :
des Marchands , fit en leur nom
à Monfeigneur le Duc de Bourgogne
le compliment que vous
allez lire.
MONSEIGNEUR,
Nous venons vous rendre les tres&
GALANT.
273
humbles hommages que font dûs au
Petit-fils de Louis le Grand, & à l'heritierdela
plus belle Couronne du monde.
Unfi grand nom une prefence fi
Augufte nous rempliffent de refpect
& de veneration; mais nous avoüons,
Monfeigneur , que nous ne fommes
pas moins touchez de ce que la renommée
a déja publié dès grandes qualitez
qui foutiennent cette puiffance ,
&qui forment en vous une Ame toute
Royale, & propre au gouvernement
des peuples un efpritpenetrant, des
connoiffances étendues dans un age fi
peu avancé , de la moderation , de
la pieté , du courage , de l'intrepi
dité.
Ces fentimens d'admiration & de
respect dont nous fommes pleins , fe
répandent encore fur le Prince que
nous voyons auprès de vous . Nos
•
274 MERCURE
coeurs ne peuvent feparer ce que nos
yeux uniffent , & que noftre devoir
raffemble.
Nous honorons en l'un & en l'au
tre le Sang des Bourbons , qui a don
né tant de Rois à la France , qui va
en donner à l'Espagne , & qui pour→
roit en donner, tous dignes de ce haut
Sang, aux autres Couronnes de l'Eurape
les plus éclatantes .
Nous n'en dirons pas davantage ,
Monfeigneur , d'autres ont pu s'expliquer
plus noblement que nous, qui®
vivons dans une profeffion plus deftinee
à agir qu'à bien parler ; mais
nous ferons toujours gloire de ne le
ceder à perfonne dans le refpect tre.
profond le zele tres- ardent que nous
aurons toujours pour des Princes
accomplis , &fi dignes de l'eftime &
de l'amourde tous les peuples,
trèsGALANT.
275
Dans la même matinée , Mr
PArchevêque preſenta à Meſſeigneurs
les Princes , la Compagnie
Royale des Penitens bleus
de Touloufe , dont il eft un des
Confreres , Mrl Abbé de Cates
lan Confeiller au Parlement de
Toulouſes & Chanoine de
Moiffac , porta la parole , & s'é
tendit fur l'honneur qu'elle a
d'avoir dans fes regiftres , les
feings de Louis le Grand & de
Louis le Jufte qui voulut bien
pofer la premiere pierre de leur
Royale Chapele une des plus
regulieres de l'Europe , dans la
quelle fe trouve le rond , l'ovale
& le carré. Il parla auffi de la
pieté de ceux qui la compofent
& des motifs de leur inftitution
qui font de prier inceffamment
276 MERCURE
pour la profperité & fanté de la
facrée perfonne de Sa Majefté ,
& de demander à Dieu l'extintion
de l'Herefie de Calvin : II
dit que les Penitens bleus's'effoient
aquitezdu vou qu'ils avoient fait à
Dieu, aprés la naiffance de Monfei
gneur le Duc de Bourgogne de reciter
à haute voix , cing Pater , & cing.
Ave pendant dix ans , en prefence
du faint Sacrement , tous les vendredis
de l'année pour obtenir du Ciel
de preferverfon Augufte perfonne des
infirmiter qui accompagnent les foi
bleffes de l'enfance.
La Harangue finie , Monfeigneur
le Duc de Bourgogne vouvoir
les feings du feu Roy ,
du Roy & de Monfieur frere unique
de Sa Majefté ; enfuite de
quoy il fit l'honneur à cette Com
GALANT. 277
pagnie de figner dans les mêmes
Regiftres. Monfeigneur le Duc
de Berryy figna auffi . Mr le Ma
rechal de Noailles , M le Mar
quis de Sourdys, & prefque tous
tous les Seigneurs qui eftoient à
la fuite de Meffeigneurs les Prin
ces fignerent dans un autre Regiftre,
Meffeigneurs les Princes en
tendirent ce jour - là la meſſe
dans l'Eglife Abbatiale de Saint
Sernin, qui eft une Eglife celebre
par la quantité de Reliques & de
corps faints qui y repofent. Ils
furent reçus par le Chapitre à la
porte de cette Eglife , dont tout
le Clergé eftoit en Chappes. Mr
de Burta, Vicaire General deMr
l'Abbé de Saint Sernin, prefen : a
l'Eau benite. Cette Eglife eft
278 MERCURE
-
tres-belle & tres- élevée Meffeigneurs
les Princes furent con+
duits aprés la meffe, qui fut dite
dans le Choeur , & chantée par
la Mufique , qui les accompagne
dans les Caves & dans les Cha+
pelles fouterraines , qui estoient
tres éclairées , & fort parées,
Toute leur Cour les y accompa
gna . Ilsy virent toutes les Reliques.
Aprés eftre remontez ils
virent les Chapelles hautes, qui
font en auffi grand nombre , &
auffi grandes . Meffieurs de Tour
loufe prétendent quil y arfix
corps d'Apoftres dans cette Eglife
, & une fainte Epine , que
Meffeigneurs les Princes baile
rent. Aprés qu'on leur cut mon
tré tout ce qu'il y a à voir dans
cette Eglife , ils remontérent en
6
GALANT 279
caroffe , & en paffant par la Place
de Saint Georges , ils y trou
vérent les deux Compagnies des
Marchands , dont les Officiers
les faluérent de leurs Spontons .
Mr Barravy, Ecuyer Capitoul,
vint enfuite prendre ces deux
Compagnies pour relever la gar
de Bourgeoife , & il fut convenu
que ce feroit fous le Drapeau Co
lonel des Marchands.
Au tetour de la Meffe on fervit
à dîner à Meffeigneurs les
Princes dans une grande Sale de
1'Archevêché , dans laquelle
pour la commodité du public ,
on avoit dreffé un Amphithea
tre.
Ce jour- là , Mr Labat , Maître
en fait d'Armes , de la Ville
& Academie de Touloufe, connu
280 MERCURE
par plufieurs ouvrages qui regardent
fon art , eut l'honneur de
leur prefenter un Livre qui fur
favorablement reçu . Ce livre eft
dedié à Monfeigneur le Duc de
Bourgogne , & a pour titre, Queftion
fur l'Art en fait d'Armes ou de
l'Epée.
Les Peres de la Doctrine chrê
tienne du College de Touloufe
furent prefentez par M le Ma
réchal Duc de Noailles à Meffeigneurs
les Princes , & le Profeffeur
de Rhetorique , eut l'honneur
de leur offrir un ouvrage
dont ils faifoient le fujet. Lefoir
du même jour ces Peres firent
une illumination qui parut tresbelle
, & qui fut fuivie d'un Feu
d'artifice , & le lendemain ils fi
rent reprefenter à l'honneur de
GALANT. 281
t
2
MeffeigneurslesPrinces unBallet
qui a pour titre, les Bergers heureux ,
Ces Princes allélrent l'aprefdinée
au Cours qui eft affez
beau & le long dun Quay
à la defcente du Pont neuf.
Ils y trouvérent plus de deux
cens cinquante caroffes tant de
la ville que de la Nobleffe voifine
, & même de quelques lieux
plus éloignez . Ces caroffes étoient
remplis de quantité de
beau monde , ce qui faifoit un
tres bel effet le long de cette
belle & longue promenade. Touté
les Dames eftoient parées ,
mais il y avoit une fi grande affluence
de peuple , que
les vuides
qui eftoient entre leur caroffe ,
& les files de ceux qui remplif
foient le Cours , ( car les Princes
Mars 1701
. A a
-
282 MERCURE
fe promenoient dans le milieu )
en eftant remplis , il fut prefque
impoffible aux Princes de voir
les Dames , & aux Dames d'avoir
T'honneur & le plaifir de les voir,
qui fut caufe qu'ils ne firent
qu'un tour. Ils s'attacherent fort :
à regarder la beauté de l'ouvrage
du Pont neuf.cina & Joist so
ce
Le jeudy 17. Meffeigneurs les-
Princes allerent à la maifon profelle
, où M l'Archevêque les
reçut à la tête des Peres de cette
Maifon , & leur prefenta l'eau
benifte. Le pere Provincial des
Jefuites , le reçut auffi fuivi de
tous les Jefuites des quatre Mai--
fons qu'ils ont à Touloufe , les
deux dernieres Compagnies des
Marchands s'y eftoient trouvées .
pour border la haye & garder la
GALANT. 283
porte On ht
un détachement
tiré de ces mêmes
Compagnie
, qui alla fe rendre
maistre de la porte du Couvent
des Jacobins où Meffeigneurs
les Princes allerent aprés
avoir entendu la Meffe . Ces Peres
leur montrerent
le crâne de
de faint Thomas Daquin , que
Meffeigneurs
les Princes baiferent,
Monfeigneur
le Duc de
Bourgogne
demanda à voir un
ornement en broderie auquel un
frere de leur Ordre travaille ac-
Quellement. C'eft un parement.
d'Autel tout complet en brode- .
rie or & argent avec des fleurs
On fit pendant la Meffe
an naturel. Čet ouvrage
fut fort
admiré
, & l'on dit qu'on ne pouvoit
rien voir de plus beau en ce
genre, Monfeigneur
le Duc de
Aa ij
284 MERCURE
Bourgogne ordonna à une per-.
fonne de fa fuite qui deffine parfaitement
bien , de deffiner cet
ouvrage , pour le lui donner , ce
Prince ayant beaucoup de goût
pour ce qui regarde les Arts &
le Deffein , auffi bien que pour
- les ouvrages d'efprit.
Meffeigneurs les princes alle--
rent enfuite à l'Hôtel de Ville .
Ils furent reçus à la porte par
les Capitouls qui font en Charge
, par les anciens Capitouls &
par tous les Officiers de la Maifon
de Ville . On les conduifit au
petit Confiftoire où ils virent
d'abord les grands Regiſtres en
veflin ou livres d'Hiftoire . ' IF
eft à remarquer que le Confiftoire
fait chaque année l'Hiftoire
de ce qui s'elt paffé de remarquas
GALANT 285
...
Y
ble dans l'Etat & dans la Villes ,
pendant fon année, cette Hiftoire
eft écrite dans ce Livre , &
cet ufage s'obferve depuis fix
ou fept frecles Les huit Capi ~
touls & le Chef du Confiftoire y
font peints en miniature. On
voit dans ces Regiftres les entrées
des Rois , des Reines , &
des Dauphins dans la Ville de
Touloufe , depuis la réunion du
Comté à la Couronne : Meffeigneurs
les Princes y virent l'en
trée de Charles VII. celle de
Louis XI . eftant Dauphin , qui
pour faire donner à la Reine fa ·
mere le dais qu'on lui avoit refufé
, la fit entrer en trouffe derries
re luy , ce qui fit remarquer que
le nom de Chevalier d'Honneur
venoit de l'honneur qu'avoient
-
28% MERCURE
ceux qui portoient autrefois
leurs Maîtreffes en croupe der
riere eux . Meffeigneurs
les Prin
ces virent auffi dans ces Regif
tres les entrées de Louis XII .
de François I. de Charles IX .
de IX. de Louis XIII. & de
Louis le Grands toutes ces Entrées
font d'une peinture tres--
fine. Ils virent encore cette der--
niere dans un grand tableau qui
eft dans le grand Confiftoire , fair
par feu Mr Durand, un des plus
fameux Peintres de fon temps .
Ils remarquerent
avec plaifir la
fingularité des habits qui fe trou
vent dans les entrées peintes
dans les anciens regiftres. Ils
trouvérent que ces registres és
toient de tres-beaux monumens 、·
& louérent la vigilance des Ca
GALANT. 287
picouls qui ont confervé depuis
fi longtemps un ufage fi louable
& fi glorieux pour la Ville de
Touloufe. Ils pafférent enfuite
dansles Galeries & dans les Sales
dont ils admirérent la beauté &
la grandeur , & où l'on voit en
tableaux les entrées de plufieurs
Rois On y trouve auffi les portraits
des Capitouls qui ont droit .
de tableau. Ils lurent quelquesunes
des Infcriptions qui font au
pied des figures des hommes illuftres
de Touloufe . Ils admirerent
la belle Perspective qui eft
au bout de la troifiéme galerie
qui reprefentela fondation d'Ancyre
par les Touloufains , & enremarquérent
les beautez d'une
maniére qui fit voir qu'ils en parlbient
avec connoiffance. Ils de
288 } MERCURE
mandérent le nom du Peintre
qui a fait ce bel ouvrage , & s'il
eftoit mort : On leur dit que non ,
& que ce chef- d'oeuvre eftoit de
Mr Rivals .
Le Sonnet qui fuit regardant
la Galerie de l'Hôtel de Ville ,
doit eftre lû avant que Meffei
gneurs les Princes partent de cet
Hôtel .
TOULOUSE
OFFRANT A MESSEIGNEURS
LES PRINCES
Des places diftinguées dans la
Galerie des Hommes illuftres
CA de fon Capitole .
C
Eux dont je porte la parole ,
Princes, qui me comblez-d'honneurs
Ce
GALANT 289
Ce font mes Rois dont la valeur
Brilla de l'un à l'autre Pole.
Je fuis la * Rome de la Gaule
Celle duTibre en fa fplendeur
Me nommoitfon illuftre Soeur;
Fay comme elle mon Capitole .
$
Voftre merite & voftre Sang
Vous y feront tenir un rang
Conforme à votre caractere
S
Et LOUIS au deffus de tous
Verra prés de vous voftre Pere,
Et tous les Cefars avec vous,
* Toulouſe a efté nommée la
Rome dela Garonne; & l'ancienne
Rome la faifoit traiter de Saur
par fes Dêputez ,
Meffeigneurt les Princes dînerent
à leur retour de l'Hoftel
Mars
1701.
Bb
290 MERCUR E
2
de Ville , & virent enfuite ,
comme ils l'avoient fouhaité ,
paffer en reveue les Compagnies
des Marchands . Mr le Comte de
Broglio & M fon Fils prirent
eux-mêmes le foin de les faire
mettre en bataille dans la premiere
cour de l'Archevêché ;
aprés quoy ces Princes eftant
defcendus avec M le Maréchal
de Noailles , & une nombreuſe
fuite de perfonnes de diftinction ,
les quatre Compagnies pafferent
dans la feconde cour. Mr Barravi
, Capitoul d'Epée , eftoit à la
tefte. Aprés luy venoit le major
des marchands , fuivi des deux
premieres Compagnies , aprés
Tefquelles eftoit aufli Mr d'Encaufe
, Capiroul d'Epée , fuivi
du refte de la troupe, de laquelle
GALANT 291
Meffeigneurs les Princes parugent
tres -fatisfaits .
La reveuë faite , les deux dernieres
Compagnies monterent la
Garde à la porte de l'Archevêché
, & releverent les deux premieres
, fous les ordres d'un Colonel
Capitoul , & du major de
la Ville.
Meffeigneurs les Princes allerent
l'aprêdînée à laChartreufe,
On les reçut dans l'Eglife , & le
prieur fit la Priere pour le Roy.
Cette Eglife eft tres - belle Meffeigneurs
les Princes vifiterent
toute la maifon , qu'ils trouverent
tres-belle . Le Cloiftre leur
fit plaifir à voir à caufe de fa longueur.
Ils entrerent dans la cellule
du Pere Prieur & dans fon
jardin , qui eſtoit tout rempli
Bb ij
292 MERCURE
d'Orangers , & au bout duquel il
y a une Orangerie . Ces Peres
leur donnerent une tres- belle
colation dans leur Refectoire .
Meffeigneurs les Princes y mangerent
peu , & leur fuite en fut
regalée . Ils allérent de là au
Moulin nommé du Bazacle. On
voit en ce lieu - là les Moulins que
la Garonne fait tourner , eftant
retenue par une digue courte ,
& qui eft tres -forte. Il y a feize
Moulins qui vont toûjours fans
qu'on entende aucun bruit de
roue ny de meule , on n'y entend
même aucun bruit. Meffeigneurs
les Princes virent deſcendre trois
Bateaux par le Pas de la navigation
, qui eft le long de la chauffée
prés du Bazacle . Ces Bateaux
defcendent avec une viteffe prodigieuſe
, & on les croit engſouGALANT:
293
tis lorfqu'ils font au pied du pen
chant , parce que la rapidité de
l'eau y forme de gros bouillons
d'écume qui s'élèvent plus de fix
pieds pardeffus , qui font faire
auxBateaux qui donnent contre ,
un mouvement extraordinaire ;
ainfi il faut empêcher que la
pointe du Bateau n'entré dans
l'eau. Les hommes qui font
dedans en font tout couverts ;
mais cela paffe ſi vîte que l'eau
ne leur fait aucun mal .
On alla enfuite à Noftre- Da
me de la Daurade , qui eft une
Eglife de Benedictins fi ancienne,
qu'elle a fervi autrefois de Temple
à Apollón. L'image de la
Vierge , qui eft dans cette Egli
fe , fait le fujet de la pieté ,. &
de la devotion de tous les
peu-
Bb iij
294 MERCURE
loun
ples de la Province . On croit
qu'elle eft une de celles qui ont
ofté faites par S. Luc , qui eftoit
Peintre & Sculpteur. Meffei
gneurs les Princes ne rentrerent
chez eux qu'à la nuit.
Le lendemain 18. ils allerent :
avant neuf heures à la Meffe à.
l'Eglife Metropolitaine de faint
Eftienne , où M l'Archevêque ,
accompagné de fon Chapitre en
furplis , leur prefenta l'eau benite
, & les conduifit au Choeur.
Ils voulurent que M Giller ,
Maiftre de Mufique de cette Cas
thedrale , dont la mufique avoit
déja eu le bonheur de leur plaire
, fift chanter pendant la Meſſe .
Il eut avant leur départ des mar
ques de leurs liberalitez . M²
Archevêque les accompagna
GALANT. 295
en fortant , fuivi de tous les Evêques
fes fuffragans , & de tout
fon Clergé. Ils monterent en carroffe
, & partirent en même
remps. Toutes les rues par lef
quelles ils pafferent jufqu'à la
porte de la Ville , eftoient tenduës
de tres -belles tapifferies .
Is trouverent les Arts & Métiers
, & la Bourgeoifie fous les
armes , formant une hayejufqu'à
la porte du Château Narbonnois
par où ils fortirent . Les Capr
touls s'y eftoient rendus avec une
grande troupe d'autres Capitouls
à la tête de la Compagnie du
Guet , ils eurent l'honneur d'y
faire la reverence à Meffeigneurs
les Princes. Ils pafferent dans la
belle & grande rue du Fauxbourg
faint Michel & leur paffage
Bb iiij
>
296 MERCURE
jufqu'à une lieuë au - delà de la
Ville , fe trouva bordé d'une
foule prodigieufe de gens de divers
états, qui faifoient des voeux :
pour leur profperité , & pour
T'heureux fuccés de leur voyage.
Lemême canon qui avoit tiré à
leur entrée fit plufieurs déchar
ges
à leur fortie. Pendant les trois
jours que ces Princes ontféjourné
à Touloufe , il y a eur à l'Archevêché
un concours extraor➡1
dinaire pour les voir , & chacun
cherchoit des habitudes pour s'y
faire introduire, On fut obligé
de faire un Amphiteatre autour
de la grande falle où ils mangeoient
, & les places y eftoient
prifes cinq & fix heures avant !
celle de leurs repas . On avoit
foin de s'informer où ils devoient
GALANT 297
où il y
aller , afin de s'y rendre , & de
fe trouver fur leur route ,
avoit toûjours tant de monde
qu'on avoit de la peine à y trouver
place. On ne peut
peut faire pa
roiftre plus de joye , qu'en ont
témoigné les Touloufains en cette
occafion , & jamais l'amour
& la tendreffe des Sujets pour
leur Prince , n'a plus éclaté que
dans les heureux jours que les
habitans de Touloufe ont eu
l'honneur d'avoir dans leur Ville
Monfeigneur le Duc de Bourgogne
, & Monfeigneur le Duc de
Berry. Toutes les boutiques y
ont efté fermées pendant tout le
temps qu'ils y ont demeuré .
"
Toute la Nobleffe de la Province
fe feroit affemblée , pour
venir en corps , mais celle de
.
298 MERCURE
Toulouſe feule eut cet avantage
Mr leMaréchal de Noailles ayant
mandé que Monfeigneur le Duc
de Bourgogne ne vouloit pas que
la Nobleffe montat à cheval , ni
qu'elle fe rendit à Toulouſe de
tous les endroits de la Province .
de forte que Mr le Comte de
Broglio , & Mr de Baville qui allérent
à l'entrée de cette Province
recevoir Meffeigneurs les Princes,
ne furent accompagnez que
des Gentilshommes qui font leur
fejour à Toulouſe .
Voici l'ouvrage dont j'ay remis
à vous faire part à la fin de
cet article , pour n'en pas interrompre
la fuite . Il eft du Pere
Courties , Preftre de la Doctrine
Chrétienne , & Profeffeur de
Rhetorique dans le premier College
de Toulouſe .
GALANT 299
1
EGLOGUE,
A
MESSEIGNEUR S
LES PRINCES.
DAPHNI S.
cbtaux , Berger,
Honneur
de nos coraux ,
dont la mufette
Parfes accords harmonieux
Efface les airs glorieux ,
Que pouffe avec éclat la brüiante
trompette .
Quitte promptement tes hameaux ,
Et viens de deux jeunes Heros
Celebrerla naiffante Hiftoire ;
Parle de l'éclat de leur gloire.
390 MERCURE
Eft- il aprés nos Dieux de fujet fi
charmant.
Qui t'occupe plus noblement ?
Aminte .
Berger , les plus beaux airs de nos
tendres mufettes
<
Ne peuvent qu'affoiblir l'éclat de
leurgrandeur.
Que nos languesfoient muettes ,
Laiffons parler noftre coeur.
Daphnis .
Chaque état à Penvi fera briller
fa joye ,
Aux yeux de ces Heros que
nous envoye ,
le Ciel
Et fealsnousfufpendrons nos voix ?
Aminte .
Ah ! depuis leur départ , déja plus
de cent fois
Des difcours importuns ont frappé
leurs oreilles.
GALANT. 200
Dans ce bois écarté celebrons leurs
merveilles ,
Pourquoi les fatiguer par le bruit
de nos airs ?
Aminte
Daphnis.
ignores-tu qu'aux rives
de la Seine ,
Aimant de nos Bergers les ruftiques
concerts ,
Ces jeunes Demi - Dieux écouterent
fans peine
Le chant qu'à ces Bergers la joye
avoit dicté?
Aminte.
Oui , je le fçais Daphnis , leurfacile
bonté
Leur fit de ces Bergers remarquer
L'allegreffe.
O ciel ! quel comble de bonheur !
De ces mêmes Bergers nous avons
la tendreffe's
302 MERCURE
Mais comment nous flater d'avoir be
mème honneur?
Daphnis .
Ainfi donc dans nos coeurs renfermant
noftre zele
Nousferonsfeuls témoins de noftre ardeur
fidelle ?
Aminte.
Berger , contentons - nous d'aprendre à
nos échos
A repeter le nom de nosjeunes Heros .
Pourparler dignement de l'éclat de
leurgloire ,
Ilfaudroit emprunter les auguftes accens.
Du Chantre dont jadis on nous contoit
l'hiftoire
Qui par lesfons raviffans.
Que formoient fes flutes champètres
[ leshètres.
Surles pas glorieuxfaiſait danſer
GALANT.0303
Daphnis.
Du moins que du beau nomdes Neveux
de Louis
Dans le fecret des bois nous foions
réjouis.
Excitons des échos les voix retentiffantes.
Vous qui faites l'objet de nos vaux
les plus doux,
Ah! Princes, que ne pouvez- vous
Animer par vos yeux nos chanfons
innocentes !
Aminte.
Sortez de vos hameaux & marchez
fur nos pas.
Bergers , de ce beau jour goûtez tous
les appas
Je fens qu'un nouveau feubors de moi
me transporte s
Etbien que ma voixfoitpeuforte,
Je vais mêler le nom de nos jeunes
Heros
304 MERCURE
Aux accords de mes chalumeaux.
- Quelle gloire, ô Ciel, fe prefente !
Berger, ce beau nom que je chante,
Souvent dans mes airs répeté
Va conduire le mien à l'immortalité.
Heros , que l'univers admire , -
Princes, noftre tendre amour,
A vous louer tourconfpire ,
Nos bocages comme la Cour.
Déja dans ces vaftes contrées-
Parvos noblespas illuftreées .
On voit briller l'éclat de vos hautes
vertus ,:
Et toutes ces grandeurs qu'à votre
Ayeul illuftre
Nousvoion'sdonnertant de luftre,
L'Univers ébloui vous en voit revêtus.
Cette foifde la belle gloire
Qui dés vos premiers ans embrafa
voftre coeur,
GALANT. 305
Sous les ailes de la victoire,
Montrera des Bourbons l'heroique
valeur. A
Sur les veftiges refpectables
Dedeux Heros incomparables
Brilleront vos exploits fameux.
Vous que les plus beaux traits ne
peuvent affezpeindre ',
Invincible Louis , qui pourroit vous
atteindre
Si le ciel propice à nos voeux
Ne vous euft donné des Neveux?
Jeunes Heros , fi pour victoire
Vous comptez cette noble gloire
Defçavoirconquerir les coeurs,
L'éclat de vos vertus , voftre heroïque
audace ,
Voftre air majestueux efface
Les exploits glorieux des plus fameux
vainqueurs.
Maisjufqu'où mon zele m'engage?
Cc
Mars
1701.
306 MERCURE
Prenons un plus noble langage.
A vosyeux , à votre abordfeat
Et du pere , & de l'ageul
Princes , nous retrouvons l'image.
Tel cet aftre brillant qui ramene te:
jour
Vientfe peindre tour à tour
Surla glace d'une nuë :
Et foudain noftre foible vûë ,
Confond fon portrait avec lui.
Daphnis.
Berger, quels nobles airs ta voixforme
aujourd'hui!
Ah! daigne repeterces chanfons immortelles
;
De tes concerts échos fidelles
Nous les redirons mille fois,
Peuples , que votre ardeur à la notre
reponde :
Deja nous animons nos flutes , nos
bautbois ,
GALANT . 307
Que les Heros formez pour le bon
heur du monde
Soient chantez par toutes les voix.
Et vous jeunes Heros , delices de la
France ,
De vos Palais brillans ecoutez nos
concerts.
Je fais que vos vertus au deffus de
nos airs
Perdent entre nos mains de leur magnificence
;
Mais s'ilfaloit les égaler ,
Princes , qui pourroit enparler?
Il faut vous parler du Baller
auquel cette Eglogue fervoit de
Prelude. La compofition de la
Mufique eftoit de M² Aphroidize
:
Cc ij
308 MERCURE
LES
BERGERS HEUREUX,
BALLET .
PREMIERE PARTIE..
pour
E Theatre reprefentoit un
Bocage , où les Bergers
de
la Garonne s'eftoient affemblez
faire retentir mille concerts
à la gloire des Princes Auguftes
qui faifoient le fujet de leur joye,
Plufieurs Peuples s'eftant joints
à eux , il y parut des Bergers Elpagnols
qui vinrent rendre graces
au Roy de la bonté avec laquelle
il leur a donné un de fes
Petit-fils pour Roy. Ils mêlerent
les éloges de leur Monarque avec
ceux de tous nos Princes . On y
GALANT 309 :
vit encore des Bergers de la Seine
qui vinrent au devant des
jeunes Heros , & joignirent leurs
concerts à ceux des autres Bergers
.
Premier Recit.
L'ouverture du Theatre fe fit ,
par un Recit qui contenoit le fujet
de la joye qui brilloit dans
tous les yeux. Ce recit fut ter .
miné par unconcert de plufieurs
Divinitez .
Premiere entrée.
Troupe de Bergers François .
Second recit.
Plufieurs Bergers s'entretinrent
des vertus heroïques des
deux jeunes Princes . Ils firent
voir que ces jeunes Heros eftant
nez du plus beau fang du monde ,
avoient eu en naiffant des avantages
qui font les Princes les plus
accomplis.
300 MERCURE
Seconde entrée...
Troupe de Bergers Efpagnols.
Troifiéme recit.
Dans ce recit on parla du bonheur
de Toulouſe, de voir dans
l'enceinte de fes murs des Prin
cés qui feront un jour l'admiration
des Nations Errangeres , &
la felicité de cet Empire : dubonheur
de l'Efpagne,devenue enfin
l'Empire des Bourbons , de celuy
de l'Europe calmée par la fageffe
d'un Prince qui n'a annoncé la¨
Paix que par la voix de la victoire
.
Troifiéme entrée.
Nouvelle Troupe de Bergers
SECONDE PARTIE.
Premier recit.
Les Bergers du Tage parurent
effrayez par le bruit d'une nou
GALANT.
zir
velle guerre qui les menaçoit .
Leurs malheurs paffez fe retracérent
à leurs yeux ; mais les exploits
& la force invincible d'un
Roy qui combatra fous les aufpices
de Louis , les raffurérent .
Premiere entrée .
Troupe de Combatans .
Second recit..
Les Bergers de la Garonne
raffurérent ceux du Tage. Ils ne
parlérent que de jeux ; & ne purent
fouffrir que dans des jours
que les Princes rendoient fi celebres
, on s'entretinft d'une
vaine crainte. Ce recit fut terminé
par des chants d'allegreffe .
Seconde entrée.
Troupe de Divinitez .
Champêtres
Troifiéme recit.
Les grands exploits de Louis
212 MERCURE
furent le fujet de ce recit. Les
Bergers du Tage firent voir par
la comparaifon de ce qu'a fait
ce Monarque , ce qu'il pourra
faire . Ils trouvérent dans nos
jeunes Princes autant de Mars
invincibles.
Troisième entrée.
Le Dieu Faune danfe feul .
TROISIEME PARTIE.
Premierrecit.
Les Bergers de la Seine firent
éclater leur joye voyant que les
Princes précipitoient leur marche
, pour rejoindre les Heros
dont la prefence fait leur bonheur.
Premiere enrrée .
Troupe de Bergers de la Seine ,
& de la Garone.
Second
GALANT.
313
Second recit
Dans ce recit on vit les Bergers
de la Seine & du Tage s'unir
pour celebrer , tantoft les
grandeurs du Roy , tantoft celles
de tous les autres Princes Ils fe
joignirent pour fuivre de concert
nos jeunes Heros ,
Seconde entrée.
Troupe de Bergers de la Garone,
& du Tage.
Troifiéme & dernierrecit.
Le départ des Princes affligeant
les Bergers de la Garonne , ils
projettoient de les fuivre , & de
faire retentir toutes les Campagnes
du bruit des concerts qu'ils
formoient à leur gloire. Ils finirent
enfin par lesvoeux que leur
inſpira leur zele .
Mars 1701. Dd
314 MERCURE
Derniere entrée.
Troupe de Bergers de la Seine ,
de la Garonne & du Tage.
Le premier Compliment fut
fait par le jeune Mide Pujol , de
Toulouſe & le fecond par le
jeune Mr du Faur , Baron de S.
Jori , Comte de Bieulel , auffi
de Toulouſe.al ob
La College finit cette Feſte
par une illumination tres - belle ,
& par un Feu d'artifice.
Je croyois avoir fini l'article de
Toulouſe ; mais il faut encore
vous dire que les quatre fontaines
de vin , dont je vous ay déja
parlé , ont coulé pendant tout le
temps que Meffeigneurs les Princes
y ont demeuré , & qu'il y
avoit des ornemens d'Architec
GALANT.
315
ture à toutes ces fontaines , &
des figures de relief.
Mr le Comte de Broglio , & M
de Baville curent de la peine à
moderer le zele des Habitans ,
qui croyant le faire encore mieux
paroiftre par leur dépence que
par leurs acclamations , & les
tranfports de leur joye , en au
roient fait beaucoup davantage ,
fice Comte & cet Intendant
n'avoient cru felon leur pruden
ce ordinaire , qu'il eftoit à propos
d'y mettre des bornes .
Jamais Ville ne s'eft plus diftinguée
par les Illuminations ,
Outre celles qui ont efté faites
aux dépens de la Ville , & celles
de l'Archevêché , plufieurs per
fonnes de marque en firert faire
qui allongeroient trop cetarticle
Dd ij
316 MERCURES
fi j'entreprenois de les décrire .
On compte parmi ceux qui fe
font le plus diftinguez , M le
Prefident Riquet , M¹ l'Avocat
General Bartier , M Mazuyer
Procureur General , Mr Chaluer
Senechal & M le Marquis de
Lanta . Mr le Préfident Riquet
fit couler deux fontaines de vin
aux deux côtez de fon logis. Les
Jefuites allumerent fur la grande
tour de leur College une piramide
exagone , où il il y avoit prés
de quatre cent pots à feu , & firent
tirer outre cela quantité d'artifice.
Les autres maifons qu'ils ont
à Touloufe fe diftinguerent auffi .
Les Prelats qui ont feconde Mr
l'Archevêque de Toulouſe à fai- á
re les honneurs font , Mr Archevêque
d'Alby & Mrs les EvêGALANT.
317
ques de Mirepoix , de Montau
ban , de Commenge & de Lectoure
.
Ce furent Mrs de Arrieu
Avocat ; & de Roiax Capitouls
qui eurent l'honneur de prefenter
à Monfeigneur le Duc de Bourgogne
& à Monfeigneur le Duc
de Berry , féparement , les prefens
de la Ville .
On nepeut rien ajouter aux marques
de fatisfaction que les Prin- .
ces ont donnée de la reception
qui leur a efté faite à Toulouse:
ils ont fait l'honneur aux femmes
de diftinction qui font venues les
voir manger , de les faire affeoir ,
& ces manieres honnêtes , ont
charmé ils firent , avant que
de partir , diftribuer beaucoup
daumones , aux Hôpitaux &
Dd iij
318 MERCURE
aux autres pauvres Communautez
& enfin ils fe font montrez
dignes du fang dont ils font fortis.
Ces Princes dinerent le 18. à
Donneville , & en paffant à Caftauret
, on trouva l'entrées du
Bourg tendue , avec une fontaine
de vin d'un côté , & des violons
de l'autre , les habitans eftoient
fous les armes , & il y avoit un ily
homme au milieu , qui préfentà
deux bonnets à Monfeigneur le
Duc de Bourgogne dont l'un
eftoit de nuit , & qui dit à ce
Prince que quand Sa Majefte y
avoit paffé , elle avoit bien vou
en recevoir. Tout eft confiderable
lorfqu'il s'agit de manufactul.
res ; ce font des fources de ri .
cheffes pour un Eſtat, bo ub
GALANT. 319
On arriva le foir à Ville- Fran
che de l'Auragais où l'on trouva
tous les habitans fous les armes.
Le 19. Meffeigneurs les Princes
aprés avoir entendu la Meſſe à
l'Eglife parroiffiale de Ville-
Franche partirent fur les dix
heures du matin pour Caftelnaudarry
, Ville capitale du Païs de
Laurageois , à moitié chemin entre
le Bourg d'Avigonet , & la
Baffide d'Anjou. Ils defcendirent
de caroffe , & monterent à cheval
accompagnez de Mrde Baville ,
pour voir le Baflin de Naurouze
, où eft le point de partage du
Canal Royal , qui est tout revêtu
de pierres de taille & reçoit
les eaux de la rigole de la montague
noire d'où elles fe diftribuent
du côté de l'Ocean , & de la Me
Dd iiij
320 MERCURE
diterranée , & où elles viennent
de la montagne raffemblées auparavant
, dans le refervoir de
faint Feriol qui contient plus de
cent cinquanteromille
muids
d'eau..
Meffeigneurs les Princes aprés.
avoir admiré ces grands ouvra~
ges , remonterent en carroffe ar
riverent à Caftelnaudarry fur les
trois heures aprés midy , où ils
furent reçus , & haranguez à la
Porte de la Ville par les Coufuls,
qui furent prefentez par Mr Defgranges
Mr Daffier premier
Conful porta la parole . Ils fu
rent enfuite conduits au milieú
d'une double haye de Bourgeois
fous les armes , au bruit des Tam
bours & des Trompettes , & au
fon de toutes les cloches de la
GALANT . 32F
Ville à la maifon de Mr Serignol,
Lieutenant Criminel en la Sene--
chauffée de Laurageois & Siege
Préfidial de Caftelnaudarry , qui
avoit efté préparée pour le logement
de Monfeigneur le Duc
de Bourgogne. Toutes les feneftres
par - devant lefquelles on
paffa eftant garnies de Dames
& d'un grand nombre d'Etran
gers. Mr de Serignol reçur Meſfeigneurs
les Princes à la porte
de fon logis & les conduifit dans
l'appartement où le Roy avoit
loge deux fois
dans le temps de
fon mariage , en 1659 & 1660,
& le feu Roy Louis XIII . pendant
quinze jours en 1633. durant
la vie de Jean & d'Yves de
Serignola , Pere & Aveul de Mr
de Se ignol ce qui leur fit beau322
MERCURE
coup de plaifir , comme auffi
d'aprendre que cet Yves de Serignol
avoit maintenu la Ville
deCaftelnaudarry fous l'obéiffan
ce du Roy contre le Duc de
Montmorency qui ayant efté
bleffé & pris à la journée de
Caftelnaudarry fut porté fur une
échelle á la maifon du même
Yves de Serignol , Lieutenant
Criminel
. ok
Demi-heure aprés , Mr Def
granges leur prefenta les Officiers
du Prefidial , qui eurent
l'honneur de les haranguer. Mr
Ducup , Juge Mage , porta la
parole avec fuccés , en l'abfence
de Mr Ferrand , Prefident, qui
eftoit indifpofé . Les Confuls leur
offrirent enfuite les prefens de la
Ville , qui confiftoient en plu-
སྙམ་
GALANT.
323
7 feurs bouteilles de vin vieux
rouge, & de vin blanc , en flam
beaux de cire blanche , & en
bougies . Ils en prefenterent enfuite
à Mrle Maréchal de Noailles.
Cependant il coula toujours
une fontaine de vin à la Place
publique de Saint Michel , à côté
de la porte de l'Hoftel de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne .
Meffeigneurs les Princes s'enfermerent
enfuite dans leur
grand Cabinet
& écrivirent
jufques à fix heures , qu'ils fe
mirent au jeu. Ils fouperent en
public , & fe mirent à table à
huit heures. Si toute la Ville
avoit pû tenir dans le lieu où ils
mangerent , toute la Ville auroit
eu l'avantage de les voirfouper.
M l'Evêque de Saint Papoul ,
324 MERCURE
?
qui eftoit venu à Caftelnaudarry
exprés pour avoir l'honneur de
les faluer , donna ce foir - là un
-magnifique fouper à M¹ le Duc
de Noailles . Cet Evêque tint
trois tables , & M de Baville 48
deux . Tous les Seigneurs mangerent
à ces tables , qui furent
fervies magnifiquement
Il y eut le foir de grandes Illu
minations à toutes les fencftres ,
& des feux dans toutes les rues ,
& l'Artillerie fe fit entendre ,
comme elle avoit fait à l'arrivée
de Meffeigneurs les Princes .
Monfeigneur le Duc de Berry
quitta Monfeigneur le Duc de
Bourgogne fur les dix heures , &
alla chezM Ducup , Juge Mage,
où avoit autrefois logé la feuë
Reine- mere , & où ce Prince
GALANT.
3 ན་
coucha . Il fe rendit le lendemain
fur les huit heures du matin
, à l'appartement de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne ,
d'où ces Princes allerent à pied
à l'Eglife Paroiffiale & Collegiale
de Saint Michel . Mr l'Evêque
de Saint Papoul les reçut en habits
Pontificaux à la tefte de fon
Clergé , qui eftoit en Chappes ,
& leur fit un compliment qui reçut
de grands applaudiffemens .
L'Eglife eftoit tenduë de riches
tapifferies , stop
Meffeigneurs les Princes monterent
en caroffe à la porte de.
l'Eglife , & partirent pour Carcaffonne
. Tous les habitans étoient
fous les armes, & en haye
comme le jour précédent . Les
acclamations du Public furent
336 MERCURE
grandes , & il donna mille bene
dictions aux Princes qu'il vit
partir . Toute l'artillerie fit en
core une décharge après leur
départ pour les falüer . On dîna
à Alfone , & on arriva à Carcaffonne
fur les trois heures aprés
midy. Quelques Lettres
perduës m'empêchent de vous
donner le détail de la reception
qui leur fut faite en y arrivant.
Je vous le donnerai quand j'en
ferai informé , afin de fuivre le
plan que je me fuis propofé , &
que j'ai déja heureuſement fuivi
, qui eft de donner dans les
Lettres fuivantes ce qui a manqué
dans les précédentes. De
cette maniere , rien une vous
manquera de ce qui regarde ce
qui s'eft paffé dans la route de
GALANT. 327
Meffeigneurs les Princes . Ils
logerent à l'Archevêché . On y
laiffa auffi-bien qu'à Touloufe
le lit que M¹ l'Evêque avoit fair
préparer. Il étoit de velours
cramoify , orné de franges , de
galons & de crépines d'or il y
en avoit aux pentes , aux foubatfemens
, & aux bonnes graces .
Le lendemain 21. Meffeigneurs
les Princes entendirent la Meffe
dans l'Eglife de Saint Vincent ,
où M Gayraud qui en eft Curé
n'avoit rien oublié de tout ce
qui regardoit fes foins pour les
bien recevoir,
Ils allerent voir l'aprêdinée la
Manufacture des Draps qui eft
au-delà du Pont , & que le Roy a
êtablie pour les Pays du Levant .
Les draps qu'on y voit font fort
#28 MERCURE
+
fins & fort beaux . On eft furpris
de voir dans le lieu où eft cette
Manufacture , huit ou neuf cens
perfonnes , toutes differemment
occupées . Les unes filent la laine
, d'autres la dévident , d'au
tres pouſſent la navette & conftruilent
le drap . On voit encore
d'autres Ouvriers dans le bas
qui pilent la Cochenille , & les
drogues pour les teintures . On
remarque plus loin differentes
chaudieres avec des fourneaux
pour teindre . On tond les draps
d'un autre cofté avec de longues
& pefantes forces ; d'autres avec
de larges broffes font coucher le
poil ; d'autres plient le drap , &
le mettent fous de grandes preffes.
Meffeigneurs les Princes virent
teindre deux pieces de drap¹
GALANT.
329
de foixante aunes chacune , en
moins d'une demi -heure , Lune
en écarlate , & l'autre en couleur
de rofe. Ils prirent beaucoup
de plaifir à voir toutes ces
chofes , qu'ils examinerent avec
une fpirituelle & prudente attention
,
Le lendemain 22. Mr Gayraud,
Curé de Saint Vincent , fit prefent
à Monfeigneur le Duc de
Bourgogne d'une Statue équeftre
, reprefentant le Roy tel
qu'il eftoit dans fa jeuneffe. Cet
ouvrage eft d'Ivoire , d'une feule
piece , & a plus de cinq pouces
de hauteur , fans y comprendre
la Couronne, qui fe fepare,auffi
bien que le Sceptre & l'épée ,
le tout travaillé avec une délicatelle
furprenante , & pofé fur un
Mars 1701. Ee
330 MERCURE
piedestal d'ébene de trois pouces
& demi , fur la face duquel font
les Armes de France , auffi d' Ivoire
, le piedestal fuporté par
aquatre boules à côtes de melon ,
d'ivoire . Ml'Evêque de Carcaffone
qui avoit jugé cette piece
digne d'eftre prefentée à Monfeigneur
le Duc de Bourgogne luy
Sen ayant parlé à fon arrivée , ce
Prince témoigna qu'il la recevroit
avec plaifir , ce qui fe paffa
en cette forte . Mr le Maréchal
Duc de Noailles qui en eftoit informéeftantvenu
faire fes devotions
dans la même Eglife le 22 .
jour du départ , de grand matin,
nonobftant les embarras d'une
marche qui n'interrompt point
les exercices de fa pieté exem →
plaire , emmena Mr Gayraud
L
GALANT. 33
•
Pour le prefenter , & d'abord
qu'il fut dans la chambre , &
qu'il eut vu cette Statuë , il en
fut fi fatisfait qu'il dit tout haut
que cela meritoit de paroître aux
yeux de Sa Majesté . L'application
avec laquelle il examinoit
cette piece , fut caufe que plufieurs
Evêques de la Province ,
& tous les Seigneurs de la Cour
qui eftoient prefens , s'en approcherent
, & voulurent avoir le
même plaifir , qui fut fuivi d'une
approbation generale. Enfuite
Mr Gayraud fut prefenté par Mr
l'Evêque de Carcaffone , à Monfeigneur
le Duc de Bourgogne
lors qu'il fut habillé , & il ne luy
eut pas plutoft montré cette Starue
, que l'on remarqua fur le
vifage de ce Prince les fentimens
1
Ee ij
332 MERCURE
f
de joye que la vûë de cet objec
luy fit reffentir. Il les témoigna
par un fourire dont la douceur
exprimoit fon agreable furpri
`fe ', & demanda d'où venoit cet
ouvrage , à quoy Mr Gayraud
répondit qu'il avoit efté fait par
un Seigneur Allemand , qui re
s'occupoit qu'à travailler pour
le Roy de France & pour la Famille
Royale. Monfeigneur le
Duc de Bourgogne l'ayant confideré
avec une attention fun--
guliere , demanda s'il n'y avoit
pas une boëte pour conferver ce
chef-d'oeuvre , afin de le porter -
à Versailles , fans danger ; on y
avoit pourvû , & un jeune garçon
, neveu de Mr Gayraud parut
. I en tenoit une , qui n'étoit
pas riche , mais dont l'orne
GALANT.3437
7
ment diftingué par fa nouveauté
fit dire qu'elle eftoit fort propre
& fort galante ; voicy à peu prés
fa defcription . Elle eftoit en
quarré long. Au deffus du cou
vercle parmi l'ouvrage qui lornoit
, deux offeaux tenoient de
leur bec un rouleau dans lequel
on lifoit ces vers :
Eloigne de Louis , durant un long
voyage F
Confolez- vous Grand Prince , en
voyant fon image
Ce couvercle attaché par derriere
: eftant ouvert , on y découvroit
les Armes de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne dans une
guirlande tres - mignonne , & qui
faifoit un effet affez agreable ; &
à l'entour , on lifoit ces quatre
verst
334 MERCURE
Quelle gloire pour vous , qui par un
noble zelently in
Imitez les vertus de vostre auguste
Ayeul!
Entre tous les Heros , Grand Prince ,
il est le seul , 159
ban
Que l'on doit regarder comme unparfait
modele
Il y avoit un ſecond couvercle
dans la boëte , pour tenir la ſtatuë
en fujétion fur du coton ,
eouvert d'un damas blanc. Au
milieu de ce couvercle orné com--
me l'autre , on voyoit ce Sixain ,
mis exprés en termes François &
Languedociens , que la feufe prononciation
diftingue...
Monfeigneur , un humble Sujet
Vous donne de votre Grand Pere
La Statue, & le vray Portrait ,
En Cavalier d'ivoire net ,
2014
GALANT.
335
D'une ame loyale & fincere
Et pleine d'un profond respect.
De l'autre çofté , à fon ouverture
, pareil ornement , & au dedans
, ces vers Latins , de la compofition
de M¹ Gayraud , ils donnent
une idée affez jufte de la
Staruë
DOSERENISSIMO PRINCIPI
LUDOVICO BORBONIO ,
Supremo Burgundiæ Duci .
Borbonidum foboles , patrij ſpes
altera Sceptri
Arte laboratam vigili , folido ex ele
at phanto , st, and somet
Regis Avi effigiem , regno advenientis
, equeftrem ,›
36 MERCURE
Qualis eratprimis , vultuque habituque
fub annis ,
Sume , favens animo quo fervus humillimus
offert
On s'entretint affez longtemps
de ce prefent , & on en admira
les beautez . On donna même
quelques louanges aux Vers , &
à la boëte. Enfin Monfeigneur le
Dae de Bourgogne ayant dit à
Mr le Maréchal de Noailles qu'il
falloit en avoir grand foin , fa
Statue fut renfermée , & mife
entre les mains des Officiers de
la Garderobe. Ainfi Mt Gayratd
fe retira tres -fatisfait d'avoir vu
accepter fon preſent avec un
plaifir proportionné au zele quiz
Favoit ports à l'offrir.
Le même jour , Meffeigneurs .
les
GALANT. 327
C
les Princes entendirent la Meffe
aux Cordeliers , & partirent enfuite
pour aller à Marfeille . Ils
monterent à cheval au Bourg de
Trevifi, pour aller voir le Pont de
Trebes, lur lequel paſſe le canal ,
qui eft tres - beau & fort bien
bafti. La Vode paffe au deffous .
Ils arriverent à quatre heures.à
la petite ville d'Arzille , éloignée,
du grand chemin d'une demifieuë
, Le Maitre du logis où
Meffeigneurs les Princes logerent
, fit couler une fontaine de
vin mufcat devant fa porte. Pour
arriver en ce lieu on avoit tou
jours marché entre les Pirenées:
& le commencement des Alpes ,
qu'on nomme les Montagnes-
Noires. Elles eftoient à droite &
à gauche couvertes de neges. La
Mars 1701.
Ff
338 MERCURE
campagne eftoit remplie d'Oliviers
, de Grenadiers , d'Amandiers
, de Mirthes & de Chefnes
verts. Le chemin eftoit beau &
facile , & la poudre s'élevoit
fous les pieds comme en plein
Efté
Meffeigneurs les Princes partirent
d'Arzille le lendemain 23 .
d'affez bonne heure , pour fe
trouver à neuf heures du matin
fur les bords du Canal du Pont
d'Oignon , où Mr le Prefident de
Riquet , qui s'y eftoit rendu , les
attendoit avec une petite Flote
qu'il avoit fait préparer à Touloufe
, & conduire en ce lieu- là ,
afin qu'ils s'y embarquaſſent avec
toute leur fuite . Il avoit bien
prévû qu'ils ne pafferoient point
dans la Province fans y voir un
GALANT. 339
ouvrage digne du fiecle de Louis
le Grand. Ila efté fait par fes
ordres , executé par les foins de
feu M Riquet , Pere de ce Prefident
, dont l'experience eftoit
grande pour ces fortes de chofes , .
& mis en fa perfection par Mrfon
Fils , qui eft celuy qui avoit fait
conftruire la petite Flote dont il
s'agin Elle confiftoit en fept
Barques. La premiere qui eftoit
deftinée pour porter Meffei
gneurs les Princes eftoit peinte
en dehors , & tapiffée au dedans
depuis le haut juſqu'au bas , ainfi
que le plafond , d'un tres - beau
Damas cramoify , avec des nates,
& des crêpines d'argent en for
me de feftons à tous les endroits
neceffaires. Il y avoit deux
grands fauteuils de même étofe ,
Ffij
340 MERCURE
& garnis de même , fix petites
chaifes & des bancs ou formes
auffi de même pour achever de
remplir les deux côtez . La Barque
eftoit percée de fix grandes
feneftres , trois de chaque cofté ,
fermées par autant de glaces d'une
feule piece , ainsi que la porte
d'entrée qui eftoit à deux battans
. Cette porte & les feneftres
eftoient garnies par dedans de
rideaux de taffetas blanc , bordez
de frange d'or , avec des cordons
& des houpes de même. La
Cheminée eftoit garnie d'un
grand miroir à bordure dorée ,
attaché au deffus . Le plancher
eftoit couvert d'un tapis de Tur
quie , & il y avoit deux tables
octogones ovales couvertes d'un
tapis de velours vert , garnies &
GALANT. 34x
3
bordées de galons & de crépines
d'argent à feftons , & huit perits
tabourets garnis de même étofe
que la Barque , pour fervir de fieges
à ceux qui auroient l'honneur
de jouer avec Meffeigneurs
les Princes . Il y avoit auſſi dans
le milieu de la même Barque
deux grands rideaux garnis du
même damas que le refte du meuble
, artachez avec de gros cordons
d'argent ayant des houpes
au bout. Ces cordons eftant tirez
pouvoient former un réduit dans
cette Barque pour Meffeigneurs
les: Princes lors quils le jugeroient
à propos . Enfin ce petit
Bâtiment eftoit fi bien conftruit
qu'au moyen de certains endroits
pratiquez aux deux bouts , toutes
les commoditez neceffaires
Ff iij
342 MERCURE
3
s'y pouvoient trouver , fans qu'on
fuft obligé d'en fortir . Il y avoit
fur la couverture un grand furtout
d'écarlate , bordé tout autour
d'une grande natte d'argent
, large de quatre doigts ,
accompagnée en haut & en bas
d'un autre galon de la largeur
d'un pouce , & l'on avoit auffi
appliqué du même galon fur toutes
les coutures du furtout . La
Poupe eftoit ornée d'un grand
Pavillon de taffetas blanc attaché
à un petit maſt azuré , ſemé
de fleurs de lis d'or , feulpée &
quatriplée Les fix autres barques
eftoient auffi tres- proprement
meublées , quoy que d'érofes
de moindre prix , ayant cha
cune fa cheminée , des chaifes ,
& des tables pour la commodité
ず
GALANT, 343
de tous ceux qui avoient l'hon
neur d'eftre de la fuite de Mef
feigneurs les Princes , Toutes ces
barques eftoient pourvues d'un
nombre fuffifant de relais pour
les traîner & pour en changer
de temps entemps Meffeigneurs
les Princes cftant defcendus
de Carroffe furent haranguez
par M Guicheus , Juge Chatelain
du Canal , aprés quoy ils
monterent dans la barque qui
leur avoit efté deftinée. Il parut
par tout ce qu'ils dirent d'obligeant
à M le President Riquet ,
qu'ils l'avoient trouvée fort à
leur gré. Les Seigneurs de leur
fuite eftant entrez en mefme
temps dans les autres barques ,
cette petite, mais fuperbe Flote,
commença à voguer aux accla
Ff iiij
244 MERCURE
mations d'un nombre infiny de
peuple qui eftoit accouru de tous
les lieux voifins de cet endroit ,
de l'un & de l'autre coté du canal
, au bruit éclatant des trom
pertes, & au fon des inftrumensde
mufique , qu'on avoit placezdans
une barque, qui fuivoit immediatement
celle de Meffeigneurs les
Princes . Ils ariverent demiheure
aprés le départ à l'éclufe double
de Pefchlautier, qu'ils voulurent
paffer fans defcendre de la barque.
Ils admirerent à la forties
les montagnes au pied defquel--
les elle eft placée , & continuant
de marcher ils arriverent demiheure
aprés à l'éclufe fimple
d'Argens , qu'ils pafferent auffi
de mefme que la precedente.
Cette éclufe eft la derniere que
ལ
GALANT 345
Fon rencontre dans cette efpece
de canal jufqu'aux huit éclufes
accolées , prés de Beziers , qu'on
appelle de Fonceranes , ce qui fait
une retenuë d'eau de huit lieuës
d'étenduë . Quelque temps aprés
avoir quitté l'éclufe d'Argens ,
on arriva aur Roc de Roubiac ,
qui eft une montagne extremement
haute , & d'un roc femblable
à du marbre , dans lequel le
canal eft taillé pendant plus de
fix-vingt toifes de toute fa lar
geur. Lors qu'on eut paffé cet
endroit , on arriva entre onze
heures & midy à ce lieu de Roubiac
, où la flote s'arrefta . Mef
feigneurs les Princes eftant fortis
de leur barque pour paffer
für une autre qui les attendoit
en cet endroit où le couvert
346 MERCURE
eftoit mis , ainfi que fur plufieurs
autres barques pour les Seigneurs
de leur fuite , Mr le Prefident
Riquet ayant donné ordre qu'on
mift en mefme temps fur table ,
il cut l'honneur de fervir Monfeigneur
le Duc de Bourgognes
pendant le ding , & Mr le Marquis
de Broglio cut celuy de fervir
Monfeigneur le Duc de Berry
, les plats eftant portez par
les gens de M Riquet . lly euc
un concert de violons pendant
tout ce repas . Les autres barques
dans lesquelles eftoient paf
fez les Seigneurs de fa fuite., fu
rent fervies à mefme temps , co
qui fut fait avec autant d'ordre.
que de promptitude , & mefme
de profufion . Il y eut auffi plu
fieurs tables dreffées fur le terGALANT.
347
rain des bords du canal , où tous
ceux qui le prefenterent furent
bien receus.
1
Meffeigneurs les Princes ayant
repaffé dans leurs barques à l'iffue
de leur dîner, & tous ceux
de leur fuite dans celle où ils
eftoient venus , on recommença
à voguer. On arriva une heure
aprés au Pont de Repudre , fur
lequel paffe l'eau du canal . Meffeigneurs
les Princes voulurent
defcendre de leur barque pour le
mieux voir, Ils admirerent la
hardieffe de ce bel ouvrage , enfuite
de quoy seftant rembarquez
& ayant marché pendant
une heure & demie , ils fe trou
verent au Pont de Ceffe, conftruit
avec trois grandes arcades fur la
Riviere de ce nom , qui eft tres !
148 MERCURE
dangereufe dans le temps de
pluye; ils defcendirent auffi pour
le voir , & fe rembarquerent
aprés l'avoir examiné deffus &
deffous. Ils continuerent leur
marche , & confidererent toutes
les beautez & toutes les difficultés
qu'il a fallu furmonter pour
ces grands ouvrages , & les trou
verent expofez dans un livre où
tous les plans eftoient deffinez .
Ce fut Mr de Baville
qui le
prefenta
à Monfeigneur le Duc de
Bourgogne Eftant enfuite arri
vez au Pont d'Arzillers , qui eft
fur le grand chemin de Beziers
traverlant le canal , ils defcendirent
de la barque pour monter
dans leurs caroffes qui les atten
doient en cet endroit pour les
porter à Capeftant , qui n'eft
GALANT. 349
qu'à une petite lieuë de ce Pont,
afin d'y arriver de bonne heure ,
& d'éviter par ce moyen un detour
de deux lieuës , qu'il y avoit
encore ààfaire
faire par le canal pour
s'y rendre
Le lendemain 24 Meffeigneurs
les Princes partirent de Čapeftant
à dix heures du matin , pour
aller à Beziers , & voulurent
bien aller à pied jufqu'au canal
pendant une distance de trois à
quatre cens pas ou environ .
Aprés qu'ils y furent arrivez , ils
fe rembarquerent comme ils avoient
fait le jour precedent ,
aux acclamations de tout le peuple
qui les avoit fuivis , en leur
donnant mille benedictions . Ils
fortirent tres-fouvent fur le tillac
de leur barque pendant cette
30 MERCURE
diſtance qui eft de trois lieuës
d'étendue , tant pour contenter
les peuples qui accouroient de
tous coftez pour les voir , que
pour admirer plufieurs vnës de
terrains admirables , qui fe rencontrent
fur cette route à
moitié chemin de laquelle eftant
arrivez à l'entrée de la montagne
appellée de Malpas , percée
en forme de voute pendant cent
toifes de longueur , fans compter
les diftances des deux bouts à
ciel ouvert , qui en ont bien autant
, fous laquelle voute palle
le canal , qui eft de quatre toifes
de largeur , avec des banquettes
de trois pieds , de chaque
cofté ,pour le paffage des gens de
pied, ou de cheval , Meffeigneurs
les Princes voulurent le paffer.
L
GALANT. 351
fans fortir de leur barque , quoy
que Mr le Prefident Riquet cuft
fait faire un cheinin exprés pour
eux à coſté de la montagne , &
qu'il y cuft fait trouver plufieurs
chaifés à porteurs pour les porter
à l'autre bout . Il fe trouva
un fi grand concours de peuple
à l'abordage de cette montagne,
que les deux coftez & tout le deffus
en eftoient couverts ; de maniere
que les hommes qui estoient
deffus , paroiffoient fi petits fur
cettegrande hauteur , qu'à peine
pouvoit-on reconnoiftre s'il y
en avoit . Meffeigneurs les Princes
furent charmez d'entendre
la
en paffant fous cette voute
multiplicité des échos qui repeles
toient confufement ce que
trompettes & les autres inftru
# 12 MERCURE
mens joüoient pendant le trajet
de cette montagne voutée, Au
fortir delà ils continuerent leur
navigation parmy les cris de vive
le Roy, & les benedictions de tout
ce grand peuple qui les accompagnoit.
Ils arriverent heureufement
aux Eclufes fonceranes
prés de Beziers , où eſtant deſcendus
ils voulurent bien aller
à pied jufqu'au bas de ces huit
Eclufes, Eftant entrez - la dans
une barque qui leur avoit efte
preparée , & qui avoit efté mife
exprés à travers le canal , ils contemplerent
affez long temps la
beauté de ces grandes cafcades ,
que les eaux du canal font en ce
precipitant du haut en bas des
plate - formes de ces huit éclu
fes, dont toutes les portes étoient
GALANT.
313
ouvertes , ce qu'ils trouverent
d'une beauté finguliere . Ils remonterent
enfuite en carroffe
pour aller à Beziers , qui eft à
peu prés à une demi - lieuë du
canal , eftant fuivis d'une foulé
incroïable de peuples qui étoient
venus de tous coftez pour avoir
le plaifir de les voir.
Beziers eft une Ville affez
agréable , bâtie fur une monta
gne. Del Efplanade on decouvre
de belles campagnes, l'Etang
de Tau , & la mer. Meffeigneurs
les Princes y arriverent à deux
heures aprés midy , & trouverent
la bourgeoifie fous les armes,
& les rues tapiffées . L'empreffement
de les voir fut grand , &
Fon ne peut rien ajoûter à la
joye des peuples , & à leurs accla
Mars 1701.
Gg
354 MERCURE
mations. On defcendit á l'Ar
chevefché , où le logement fut
trouvé tres- beau . Lorfque Melfeigneurs
les Princes y furent arrivez
, le Maire & les Efchevins
leur firent les prefens de Ville .
Il y cuts des feux devant toutes
les maifons , & chacun fe diftingua
á l'envy par des illuminations
, les unes plus belles que
les autres. 26/2018
Le lendemain 25. Meffeigneurs
les Princes entendirent la мeffe
à la Cathedrale. Mr l'Evêque de
Beziers les reçut à la porte , &
les complimenta . Hs furent ent
fuite haranguez par les Officiers
du Prefidial , & par ceux des aus
tres Corps . On partit le même
jour à neuf heures dus mating
On trouva de beaux chemins
戒
GALANT 355
tout remplis de meuriers blancs,
& l'on paffa fur le bord du Canal
de Faure , où entre la mediter
ranée Meffeigneurs les Princes y
virent pefcher La pefche ne fur
que d'un poiffon blanc comme
un Barbeau , & d'une Eereviffe
de mer, Ils donnerent des marques
de leur liberalité aux Pef
cheurs ils dînerent à Vicaldros
, & virent en paffant les dehors
de la jolie Ville de Pezenas,
dont les habitans bordoient les
chemins. On devoit aller cou→
cher à meze ; mais on changea
de réfolution , & l'on vint à
Valmagne à fix lieuës de Beziers,
dans une Abbaye de Benedictins,
qui appartient à M³ le Cardinal
de Bonzi . On y arriva encre quatre
& cinq heures , par des cher
Gg ij
356 MERCURE
D
mins hauts & bas Meffeigneurs
les Princes ne furent accompagnez
dans ce lieu que de Mrs
Denonville , de Razilly , de Chi
verny , de Rieux , de Laffé , dé
Beaumanoir, de Thorigny, d'Eu
dicourt & de Quintin , tout le
refte des autres Seigneurs avant
efté obligez d'aller , faute de logement
, coucher dans les Villa
ges ou lieux circonvoifins de
cette Abbaye . L'appartement
de Monfeigneur le Duc de Bourgogne
eftoit au rez-de- chauffée ?
Ce font des voûtes , qui autrefois
ont pu fervir de caves ou
de celliers , mais qui ont eſté
ornées tres-galamment . Les coins
& le milieu de ces voûtes font
foutenus par des efpeces de Caryatides
qui font de fort bon
GALANT. 357
=
·
gouft . Monfeigneur le Duc de
Berry eftoit logé au deffus , &
ła vûë de fon appartement eftoit
tres belle. Meffeigneurs les
Princes jouerent au mail auffitoft
qu'ils furent arrivez dans
cette Abbaye Il ne s'y paffa rien
d'extraordinaire de la part de мr
le Cardinal de Bonzy , parce
qu'on n'y eftoit alle qu'à condition
qu'il feindront d'ignorer que
Meffeigneurs les Princes y devoient
aller ; mais м le Maréchal
de Noailles, toujours appliqué
à ce qui peut leur faire plaifir,
dit aux Muficiens de fa fuite &
à Pafcariels d'inventer quelque
chofe pour les divertir aprés leur
fouper , ce qu'ils concerterent
enfemble. Pafcariel, & la Lande,
Violon de l'Opera , fe deguiſe358
MERCURE
7
rent en Femmes , Gaye en Gentilhomme
campagnard , Roger
en Cuifinier , & Rebel en Pay +
fan. Cette Troupe à la tefte
de laquelle eftoient Pafcariel
& la Lande , le prefenta à la
porte de la Chambre de Meffeigneurs
les Princes . L'Huiffier
les repouffa d'abord , difant
que perfonne n'entreroit . Pafcariel
& la Lande qui avoient
un ordre fecret de Mr le Maréchal
de Noailles de repouffer
l'Huiffier , & de luy dire que les
Princes ne trouveroient pas
mauvais que d'honneftes femmes
viffent leur Appartement , entrerent
fuivis de leur Troupe ,
ee qui furprit tres -agreablement
Meffeigneurs les Princes, Pafcariel
& la Lande danferent une
12
%
GALANT. 3*9*
Bourrée enfemble , faifant mille
poſtures tres- divertiffantes . Enfuite
Roger & Gaye chanterent
en partie une Chanfon de Payſan .
tres -divertiffante , aprés quoy la
Lande & Rebel prirent leurs
Violons & accompagnerent Paf
cariel , Roger & Gaye, qui chanterent
un Trio , en faifant mille
figures grotesques .
Male Maréchal de Noailles
apprehendant toûjours qu'il
n'arrive quelque chofe de fâcheux
aux Princes , ayant entendu
dire qu'il y avoit de la
petite verole à Arles , y envoya
Mi de Hauterive dont je vous ay
fouvent parlé , & M de Tournelles
, Maréchal des Logis du
Roy, afin qu'ils s'en informaffens
au juſte , & qu'ils luy en rappor
o MERCURE
taffent la verité . Ce Maréchal
decida fur le rapport de ces
Meffieurs que comme il y avoit
à craindre , le Peuple n'auroie
pas l'honneur d'y voir Meffeigneurs
les Princes , de peur que
quelque refte de mauvais airs
n'allaft jufqu'à eux , & que per
fonne n'entreroir à leur fouper
ny à leur Meffe. Cependant il
jugea dans la fuite qu'ils n'y devoient
point aller du tout ,
On partit de Valmagne à neuf
heuresdu matin , & l'on alla dîner
à Giquau , d'où l'on partit pour
fe rendre à Montpellier . On afait
imprimer une relation de tout
ce qui s'y eft paffé à l'arrivée de
ce qui
me fait beaucoup de plaifir , parce
que vous trouverez la mienne
trois
Meffeigneurs les parrivée de
GALANT.
361
rrois fois plus ample , & remplie
d'une infinité de faits & de circonftances
curieuſes , qui ne ſe
trouvent point dans cette relation
imprimée. Il eft impoffible
d'en donner une complette , fielle
n'eft du tout au moins tirée d'une
douzaine d'autres . La même perfonne
ne peut fe trouver en même
temps en differens endroits ,
& quelque exact que l'on foit ,
il y a des gens qui examinent
des chofes , dont d'autres ne s'apperçoivent
pas.
On ne fera point furpris de la
maniere dont Meffeigneurs les
Princes ont efté reçus à Montpellier
, quand on fçaura que
tous ceux que leur reception
regardoit , fe font appliquez
avec tant de foin à la rendre
Mars 1701 . Hh
362 MERCURE
digne de leur zele , qu'il eftoit
impoffible que rien y manquaft.
Mile Comte de Broglio qui commande
dans la Province , les avoit
laiffez à Beziers , & avoit pris le
devant pour voir fi toutes chofes
eftoient preparées felon les
ordres qu'il avoit donnez mola
Male Grand Prevoft , qui avoit
eu l'honneur de fe trouver avec
un grand nombre de Gentilshommes
à l'entrée de la Province
, en eftoit revenu en pofte
pour aller les recevoir à deux
lieuës de là Ville , à la tefte de la
Maréchauffée , & pour les accompagner
jufqu'au lieu où ils
devoient loger , ce qu'elle fit
l'épée haute . On trouva fur le
chemin tous les peuples des Ceyenes
& des lieuxvoifins . Ceuxqui
GALANT 353
eftoient fortis de la Ville, eftoient
allez juſques á prés de trois lieuës
au dela ; & quoy que cet efpace
fuft long , ils formoient au moins
quatre hayes pendant toute l'étendue
de ce chemin , qui fe trouvé
en plufieurs endroits élevé en
amphiteatre. Enfin ce Peuple parut
fi nombreux qu'on crut qu'il
n'en eftoit refté que tres- peu
dans la ville , parce qu'on trouva
auffi les maifons des Faubourgs
remplies jufque fur les toits .
Cependant on fut furpris en entrant
dans Montpellier , de voir
que les échaffaux en forme d'amphiteatre
dont toutes les ruës
étoient remplies , en eftoient couverts
, qu'il y en avoit aux feneftres
plus qu'elles n'en pouvoient
contenir , que les toits
Hh ij
364 MERCURE
en eftoient chargez , & qu'il y
avoit par tout une fi prodigieufe
foule , que les Gardes à cheval
curent peine à la percer mit
Dans les endroits où il y avoit
des murs , ils eftoient tout couverts
de gradins , remplis de
tres-jolies perfonnes ; ce qui avec
les tapifferies & les tapis faifoit
une decoration charmante .
On entra par la porte de la
Sonnerie , qui eft celle où aboutit
la grande ruë de la Ville , qui
eftoit toute fablée . Meffeigneurs
les Princes y furent haranguez
par Mr Durand , á la tefte des
Confuls , Viguiers & Affeffeurs
de la Ville. Son difcours reçut
beaucoup d'applaudiffemens .
Sept Compagnies de Bourgeois
choifis , & tres - leftes , formoient
GALANT. 369
}
une double haye dans les rues
par lefquelles on devoit paffer ,
depuis la porte de la Ville jufqu'au
logis de Mr Defplans , fecond
Preſident de la Chambre
desComptes, où Meſſeigneurs les
Princes devoient loger . Ces compagniesétoient
diftinguées par les
differentes couleurs des rubans
qu'elles portoient.Quelques- unes
avoient des plumets Ilyavoit
auffi deux cens Grenadiers portant
des bonnets uniformes de
velours galonnez d'or. Les revers
de leurs manches eftoient de velours
noir , galonnez de la même
forte. Les acelamations & les
cris de joye ne cefferent point
tant que dura la marche , & 'l'entrée
fe fit au bruit du Canon de
la Citadelle , des tambours , des
Hh iij
356 MERCURE
+
trompettes , des hautbois , & des
violons qui la rendoient auffi
agreable , qu'éclatante , & guer
riere . Les Caroffes furent fuivis
de ceux des perfonnes les plus
diftinguées de la Ville , & des environs
. Ils marquerent en entrant
dans le logis qui leur avoit
efté preparé , que la fituation
leur en paroiffoit agréable , &les
appartemens
beaux & commodes
. A peine y furent - ils arrivez ,
qu'ils fe mirent aux feneftres qui
regardent la Citadelle . Ils paru
rent tres - contens du feu du Canon;
mais plusencore d'un peuple
infini qui eftoit accouru en foule
à l'efplanade pour les confiderer.
On lifoit dans les
cun le plaifir que l'on avoit de
les voir .
yeux
7
de cha
GALANT. 267
Mr Defgranges leur prefenta
enfuite mrle Commandeur Madalquini,
qui leur fit compliment
de la part de Sa Sainteté . Les
principaux de la Nobleffe d'Avignon
eurent auffi l'honneur de
les complimenter de la part de
Mr le Vice- Legat , & les Notables
Bourgeois de la même Ville
d'Avignonleur témoignerent auffi
leur joye , leur foumiffion , &
combien ils ſe tiendroient heureux
, sils vouloient bien honorer
leur Ville de leur prefence
Aprés ces complinens , les
Confuls firent les prefens de la
Ville , qui confiftoient en vins
de liqueur & en parfums. Meffei
gneurs les Princes fe mirent enfuite
au Jeu. Mrs les Comtes de
Broglio , de Calvifon & de Buis
Hh iiij
368 MERCURE
eurent l'honneur de jouer avec
cux. Au lortir du Jeuils fe mirent
á table , & permirent qu'on
les vift fouper . La preffery fut
grande , tant des Etrangers que
des perfonnes de diftinction de
la Ville A peine furent- ils for
tis de table , que le bruit du canon
de la Citadelle fe fit entendre
, & fervit de prélude au Feu
qu'on eftoit preft de tirer . Ils fe
mirent à leurs feneftres pour le
voir . Ce feu eftoit dreffé fur
l'efplanade qui eft entre la Citadelle
& la Ville . La façade étoit
compofée de trois grands portiques
qui formoient une manie
re d'Arc de triomphe , foutenu
de plufieurs colomnes avec divers
ornemens & plufieurs Devifes.
Un grand Obelifque. s'éleGALANT.
369 ·
voit fur le tout , avec une Renommée
au deffus . Meffeigneurs
les Princes trouverent l'artifice
de ce feu admirable . Sur le devant
de la maifon qui formoit
un balcon & une petite terraffe ,
de chaque cofté eſtoient cinq
globes tranfparens avec les Armes
de France. Les quatre aus
très , dont il y en avoit deux de
chaque cofté, étoient moins gros;
mais les lumieres qu'ils renfer
moient les rendoient fi brillans ,
qu'ils paroiffoient des globes de
feu. Il y avoit à cofté & autour
un grand nombre de flambeaux
de poing , & la diverfité des lumieres
découvertes , & renfermées
, formoit une efpece de
nuance de feu qui faifoit plaifir
à voir, Toutes les maifons de la
370 MERCURE
Ville furent éclairées pendant
tout le foir , & même pendant
la plus grande partie de la nuit!
Il y avoit cent flambeaux de cire
blanche à celle de Mr le Cardinal
de Bonzy.. L'illumination
de l'Evêché eftoit des mieux entenduë.
Elle eftoit de flambeaux
de poing & de lampes .Mrle Comte
de Broglio & Mr de Baville
fe diftinguerent par celles qu'ils
firent faire. Il y en avoit aufli
une tres belle au logis de Mr le
Marquis de Caftre . Celle des
Jefuites attira l'admiration , &
les Peres de l'Oratoire en firent
une qui leur fit beaucoup d'honneur
. Enfin chacun chercha à
faire diftinguer fon zele. par
dépenſe , & par les plus vives :
marques d'une grande joye. Le
fa
SGALANT 371
premier , le fecond & le troifiéme
étage des maifons n'eftoient
pas
feulement éclairez ; mais il y
avoit des lumieres jufques fur les
toits. Quant aux feux qui estoient
devant les portes des habitans ,
il y en avoit une fi grande quantité
, & ces feux eftoient fi
ches les uns des autres , qu'il paroiffoit
qu'il n'y euft qu'un feu
dans chaque ruë , & qu'il en occupoit
toute la longueur.
pro-
Le lendemain 27. Meffeigneurs
les Princes allerent en carroffe à
l'Eglife Cathedrale de Saint
Pierre , precedez des cent Suiffes
& accompagnez de foixante Gardes
du Roy. Ils s'y rendirent par
les dehors de la Ville , ce chemin
eftant plus aifé que celui du
pavé , qui eft étroit & fort in372
MERCURE
commode en cette Ville . Mr
l'Evêque de Montpelier les reçut
à la porte de l'Eglife à la tête de
fon Chapitre , revêtu de chapes
qui parurent d'une tres - grande
richeffe. Ce Prelat les haran→
gua d'une maniere convenable
afa dignité , & merita par la
beauté de fon difcours & par fon
éloquence les applaudiffemens
de tous ceux qui l'entendirent
Il les conduifit enfuite au Chour
où l'on chanta un motet en mu
fique pour remercier Dieu des
graces qu'il repand fur la maifon
Royale , & pour demander
au Ciel la continuation de la
fanté des Princes. Aprés qu'ilseurent
ouy la meffe , ils allerent
fe promener pendant une demiheure
dans un lieu qu'on appelGALANT
. 373
2
le Peyrou qui eft une des plus
agreables promenades du Royaume.
C'eft une Place tres- fpacieufe
qui eft hors de la Ville. On
ne peut rien ajouter à la beauté
de la vûë , à laquelle on donne
le nom deriche. La porte par on
l'on fort pour y aller eft nouvel
lement bâtie , & on la trouva fort
belle . On découvre fur la droite
en fortant , le Jardin du Roy.
Ce Jardin eft tres- bien entretenu.
Il y a fix grandes allées principales
, & quelques- unes font
en Amphiteatre mais celles des
plantes médicinales
font compofées
de huit couches élevées , &
revêtues de pierres avec des rigoles
de diftance en diftance , &
des robinets pour les arrofer . I
y a un nombre infini de differen
1
翟
374 MERCURE
tes plantes dans cé Jardin . Meffeigneurs
les Princes furent à
peine rentrez dans leur appartement
, que la deputation de la
Cour des Comptes , Aides , &
Finances prefentée par Mr Def
granges , les complimenta . Cette
Députation eftoit de fix Préfidans
, de trente - fix Confeillers ,
de deux Correcteurs , de deux
Auditeurs & des Gens du Roy.
Mr Bon premier Prefident, porta
la parole , & ne l'adreffa qu'à
Monfeigneur le Duc de Bourgogne
. Son difcours eut l'avantage
de plaire beaucoup . Ce Prince
l'écouta de bout , & le chapeau
fur la tête , mais l'ôtant toutes
les fois que Mr Bon prononça le
mot de Monfeigneur. Toute cette
Députation fe rendit enfuite dans
GALANT 375
l'apartement de Monfeigneur le
Duc de Berry , où le même premier
Prefident foutint avec beaucoup
d'éloquence la reputation
que fa premiere Harangue venoit
de lui acquerir. Enfuite
tous ceux qui eftoient de la Députation
eurent l'honneur de
faluer Meffeigneurs les Princes ,
Mr. le Marechal de Noailles avec
l'honnêteté qui lui eft naturelle
, leur ayant nommé tous ces
Mrs dans le temps que chacun
faifoit fes reverences .
•
་་
Mrs les Treforiers de France
parurent enfuite , ayant à leur
tête Mr de Plennes. Il fçut trouver
le fecret de louer les Princes
d'une maniere toute nouvelle
dans le difcours qu'il leur fit , &
qui fut trouvé tres- pur , & fort
376 MERCURE
châtié. Mr Bornier ; Juge-mage
harangua aprés lui à la tête du
Préfidiat. Son difcours fut proz
noncéavec tant de nobleffe, qu'on
dit que l'on ne fçavoit ce qu'on devoit
"le plus admirery ou des chofes qu'il
avoitdites , ou de la mantere dont tl
les avoit prononcées . Mr Tondut ,
Profeffeur de l'Univerfité de
Droit , fit auf un tres- beau difcours
au nom de cette Univerfité.
Mr Chiquenaud âgé de quatre-
vingt deux ans harangua en
latin. Il prononça , comme De
mofthene , un difcours auffi travaillé
que s'il avoit efté de Ciceron
. Son latin parut tres fleu
ri , & fa diction pure , élegante ,
& correcte. Enfin Mr Brouft .
Avocat, harangua pour le Corps
des Marchands , & quoiqu
WUDHAM T
GALANT .
+
377
parlat aprés des Orateurs qui
fembloient avoir épuifé les louanges
des auditeurs , il s'en trouva
neanmoins encore pour lui . Mef
feigneurs les Princes fe mirent
enfuite à table , & l'affemblée
qui les vit dîner, fut des plus nom
breufes , & des plus belles .
L'apréfdinée du même jour ,
Meffeigneurs les Princes ayant
e dans une Salle baffe de leur '
logis qui donnoit fur un Jardin
qui communiquoit à la campagne
, virent une fefte galante qui
avoit efté preparée pour leur divertiffement.
Les Marchands de
fa Ville s'eftant affemblez avec
les plus notables Bourgeois ,
avoient choifi d'un commun confentement
Mr Manny , Gentil
homme, pour leur Capitaine , Mr
Mars 1701.
378 MERCURE
Reclot, Receveurpour leur Lieu
tenant , & Mr Aribert pour leur
Enfeigne. Ils eftoient trois cens
fous le nom de Chevaliers du noble
jeu de l'Arc , c'eft ainfi qu'on les
appelle. Ilseftoient habillez de
drap couleur de mufc avec des
veftes de velours rouge galonnez
d'or. Leurs culottes & leurs bas
eftoient couleur de feu; leur cha
peau eftoit de Caſtor , & ils avoient
chacun un plumet avec
une cocarde , & une fleche à la
main. Ils eftoient fur deux lignes
féparées en deux troupes de cent
cinquante hommes chacune , l'une
compofée de gens mariez , &
l'autre de la jeuneffe non mariée.
Mr Manny & Mr Reclot com
mandoient la premiere Huit
Tambours , fix Trompertes , fix
Hautbois , & douze violons-marGALANT.
379
6
choient à la tête de cette premiere
troupe. La Simphonie
eftoit fuivie de vingt- quatre Mores
vêtus de verd avec un galon
d'or. Ils avoient des colliers , &
des chaînes d'argent , avec des
pendans d'oreilles de perles. O
yoioit enfuite vingt petits enfans
vêtus en amours qui avoient des
carquois dorez au côté , & qui
tenoientdes Arcs dorez avec des
fleches qu'ilstiroient inceffament
&avecbeaucoupd'adreffe, & dont
il fortoit desparfums tres-agreables
, & avec profufion , ce qui
donnoit un veritable plaifir. Mr
duManny paroiffoit enfuite avec
Mr Reclot fon Lieutenant . Ils
eftoient richement vêtus , & tenoient
chacun une fleche dorée,
Ils eftoient precedez de quel
380 MERCURE
ques Faunes mafquez pour mieuxparoître
ce qu'ils reprefentoient .
Ces Faunes portoient de groffes :
maffes , & eftoient fuivis des
Chevaliers dont je vous ay déja -
parlé , & dont je viens de vous
dire l'ajuftement . Ces Chevaliers
marchoient deux à deux
ayant derriere eux leurs gens ha- ·
billez de differentes livrées ri²
ches , & galantes .
La feconde Troupe compofée
de cent- cinquante jeunes gens ,
parut enfuite. La marche de cette
troupe commença par huit trompettes
, douze hautbois & douze
violons . Ils eftoient fuivis de
cinquante hommes vêtus en Sauvages
avec dés maffes fur l'épau
paule , & couverts de peaux de
plufieurs animaux dont la diver
·
GALANT. 381
fité & la bizarrerie faifoient un
tres-bel effet. Vingt - quatre
Amours venoient enfuite vêtus
comme ceux de la premiere troupe
avec leurs fleches remplies de
parfums qu'ils repandoient partout
avec profuſion . Mr Aribert,
Enfeigne , aux dépens de qui
lä fète fe faifoit , paroiffoit avec
les Chevaliers de fa Troupe .
Aprés eux , if avoit fon drapeau
fur l'épaule. Quatre hommes
vêtus de verd à la Morefque portant
des haches , lui fervoient de
Gardes , Il parut fort bien fait
& avoit bon air. Les veftes des
Chevaliers de cette Troupe
eſtoient de tiſſu d'or & d'argent.
Leurs gens de livrée eftoient habillez
de diverfes manieres. Les
uns eftoient en Mores , & les
382 MERCURE
autres en Sauvages. Ils portoient
les arcs de leurs maîtres. Les
gens de livrée des deux Troupes
caufoient une tres - agreable di
verfité dans la marche, parce que
de vingt Chevaliers en vingt
Chevaliers, ily en avoit huit , ce
qui faifoit une agreable varieté.
Celui qui avoit remporté le der
nier prix , parut aufli dans cette
marche. Il eftoit vêtu de velours
noit , & fon chapeau eftoit garny
de perles , & de diamans .
Ces deux Troupes traverserent
la cour de la maifon des
· Princes , qui eftoient defcendus
dans un grand Appartement bas
pour les voir paffer. M de Manny
leur fit un compliment qu'ils
écouterent avec plaifir , & trois
Amours s'eftant détachez des
GALANT. 323
deux Troupes , porterent aux
Princes une douzaine d'Arcs &
de fléches dorées , & garnies de
velours , rangées dans de petites
caiffes toutes femées de fleurs de
lis d'or. Le premier recita les
vers qui fuivent , en leur offrant
ces petits prefens .
Princes , c'eft à regret que je vous
abandonne a mons [ traits ,
Mon arc , mon carquois , & mes
Je ne puis plus bleffer perfonne,
On ne fe rendqu'à vos attraits ;
Maisfije fens quepar vos charme's
A vous ceder vous contraignez
Call Amour , 26
Quipeut douter queparvos armes
Mars ne doive bien-teſt vous ceder à
fon tour?
Le fecond parla de la forte.
Grands Princes, pour vous rendre
hommage
384 MERCURE
Le Dieu d'amour vient recevoir
vo's loix';
Et mettre entre vos mains fon arc &
fon carquois
€
>
Trop heureux s'il a l'avantage
De pouvoir vous redire encore mille
fois ,
Grands Princes , pour vous rendre
hommage
Le Dieu d'amour vient recevoir
vos loix.
Le troifiéme Amour leur dit :
Tout reconnoift ma puissancefuprè
me,
Leshommes & les Dieux ont reffenti
mes coups.
Princes ' , 'il n'appartient qu'd
vous
De dejarmer l'Amour même.
Meffeigneurs les Princes évant
remontez dans leur appartement
GALANT.
385
tement , ces deux Troupes defcendirent
dans le foffe de la Ville
, lieu tres-propre pour ces fortes
de divertiffemens , eftant placé
fous les feneftres de la maifon
des Princes . On y avoit élevé.
un grand Amphitheatre pour la
commodité d'un grand nombre
de Dames qui vouloient prendre
part à toutes ces galanteries .
Dans une des extrêmitez du
foffe , il y avoit un maft de Navire
tout fleurdelifé de la hau-.
teur de vingt toiles , au bout duquel
on avoit attaché un perroquet
de bois doré environ de demi
- pied de diamettre . On peut
juger par là de l'adreffe de plufieurs
Chevaliers qui le toucherent
, & qui en emporterent des
pieces . Chaque Chevalier tira
Mars 1701. Kk
386 MERCURE
feulement chacun une fleche .
-Les Princes prirent plaifir pendant
plus de deux heures à voir
cet exercice . On affure qu'on eſt
quelquefois quinze jours avant
que d'abatre le Perroquet . Cependant
un des Chevaliers lui
abatit une aîle, & un autre lui mit
une fleche dans le col qui y reſta
tremblante. Cette Compagnie
a prés de quatre cens ans d'ancienneté.
Les Officiers tinrent
plufieurs tables , où la delicateffe
fe trouva avec l'abondance.
L'Enfeigne a fait feul pendant
plufieurs jours toute la dépence
de la fimphonie. Meffeigneurs
les Princes fortant de ce divertiffement
allerent aux Cordeliers
où ils entendirent Vêpres qui
furent chantées en mufique . Is
GALANT. 387
monterent enfuite à cheval , &
allerent voir les fortifications
de la Citadelle. Elle n'a que
-quatre baſtions , & eftbien bâtie.
Neuf Recolets y deffervent une
Chapelle . Tous les lieux par où
ces Princes pafferent fe trouverent
bordez d'une infinité de peuples
les acclamatious furent
grandes & continuelles . Ils
joüerent à leur retour , & fe mirent
enfuite à table. Le lieu où
ils mangerent fe trouva rempli
d'un fort grand nombre de Dames
qui eurent l'honneur de les
voir fouper. Sur les dix heures ,
aprés que Meffeigneurs les Princes
fe furent retirez , toute leur
Cour le rendit chez Mr le Comte
de Broglio. Il y avoit un fort
grand nombre de Dames. Ce
KK ij
388 MERCURE
Comte donna un foupé fort magnifique,
&l'on fervit trois grandes
tables dont la propreté & la
delicateffe égalerent la magnificence.
On en a fervitous lesjours
autant chez ce Comte , pendant
le féjour que Meffeigneurs les
Princes ont fait à Montpellier .
Il y eut bal après le foupé , les
Dames s'y firent admirer , & ce
bal dura une partie de la nuit.
Le 28. Meffeigneurs les Princes
allerent à la Meffe à l'Eglife
Noftre-Dame , qui eft une des
Paroiffes de la Ville . Ils y furent
reçus par le Clergé de cette
Eglife. Mr de Montpellier &
plufieurs autres Evêques affifterent
à la Meffe que ces Princes
entendirent avec une modeftie
qui édifia tous ceux qui les virent,
GALANT. 289
La Meffe finie , ils furent recon- ..
duits de la même maniere qu'ils
avoient efté reçus, & eftant montez
en carroffe , ils eurent la bonté
de s'arrêter dans la Place qui
eft devant l'Hôtel de Ville , &
d'y voir de leur carroffe la danfe
appellée du Chevalet. Les artifans
qui donnerent ce divertiſſement
eftoient tous vêtus en Bergers
, tout couverts de rubans
couleur de feu fur des habits.
blancs. Ils avoient des bas de
foye , & des efcarpins , & danfoient
autour d'un cheval fait.
de carton , fur lequel eftoit un
homme qui le faifoit danfer . On
avoir misfur ce cheval une houffe
de drap bleu remplie de fleurs
de lys d'or , avec les armes des
Princes : elle alloit jufqu'à terre
KK iij
390 MERCURE
& couvroit les jambes de cet
homme , qui ne paroiffoit qu'un
bufte fur ce cheval , auquel il
faifoit danſer toutes fortes de danfes
au fon des Hautbois & des
Tambours de Bafque . Ils alloient
tous enfuite chanter des couplets
de chanfons en leur langage , à
la portiere du carroffe des Princes,
à qui ils les avoient données
avec l'explication , aprés quoy
ils recommençoient leurs danfes ,
ce qui fit beaucoup rire . On peut
dire à l'occafion de ce divertiſſement
, que chacun voulut marquer
la joye felon les forces , que
le menu peuple fit en petit ce
que les autres firent en grand
& que s'il ne put égaler les ri
ches en dépenfe , il ne leur ceda
pas en démonſtrations de joye.
GALANT. 391
Meffeigneurs les Princes, aprés
avoir fait connoiftre obligeammentqu'ils
avoient pris beaucoup
de plaifir à cette Fête , s'en retournerent
,, & trouverent dans
leur apartement , les principaux
des deux Compagnies du Jeu de
l'Arc qui les attendoient , pour
leur demander la grace de figner
dans leurs Regiftres, ce qu'ils eurent
la bonté de faire . Mrle Maréchal
de Noailles y figna auffi .
On croit que leur Fête leur a bien
couté trente mille écus .
Meffeigneurs les Princes dînerent
ce jour-là de bonne heure ,
& allerent fe promener à la Verune
, maiſon de campagne qui
apartient á Mr l'Evêque de Monpelier
, & qui eft à une lieuë de
la Ville.Ils y jouerent au mail , &
Kk iiij
392 GALANT .
y virent jouer Mr de Maffanes
& Mr Roux , deux Gentilshommes
de Montpelier qui firent admirer
leur adreffe . On trouva'
enfuite une fuperbe collation fur
le parapet du côté du jeu de mail,
& de l'autre, de plufieurs fortes
de vins , & de differentes fortes
de liqueurs . Meffeigneurs les
Princes mangerent , & permirent
à tout le monde de manger
auffi. On peut affûrer que ce
Prélat s'eft diftingué par fes manieres
honnêtes , & par la magni-'
ficence des tables qu'il a tenues
tant que Meffeigneurs les Princes
ont demeuré à Montpellier.
Ils revinrent fur les cinq heures
de la Verune , pour voir l'Opera
qu'ils donnerent aux Dames
ainfi qu'à tous ceux qui purent
GALANT. 393
y trouver place . Elles eftoient
en grand nombre, & occuperent
toutes les premieres loges des
deux côtez . Leurs habits qui
eſtoient noirs , eftoient relevez
par quantité de pierreries . Les
hommes de diftinction de la Ville
rempliffoient l'amphiteatre.
Meffeigneurs les Princes eftoient
dans le Parterre fur une eftrade
élevée de deux pieds avec deux
fauteuils de velours couleur de
feu garnis de franges d'or ; tous
les Seigneurs de leur fuite
eftoient fur des chaifes qu'on
avoit placées à droit & à gauche.
Leurs principaux Officierstrouverent
auffi place fur cette eftrade.
Les fecondes loges eftoient
remplies de ceux que la curiofité
savoit attirez à Montpelier. Lorf
394 MERCURE
riverent
que Meffeigneurs les Princes artoutes
les Dames fe
leverent , & fe tinrent debout
jufqu'à ce qu'ils furent affis.
Elles parurent bien mifes , & fi
brillantes que plufieurs Seigneurs
de la Cour des Princes dirent
, qu'ils ne croyoient pas qu'une
feule Ville puft fournir un fi grand
nombre dejolies perfonnes . On reprefenta
Amadis de Grece dont la
mufique eft de Mr Deftouches .
Les décorations furent tres bien.
fervies , les machines bien executées
, & on trouva les Chours
admirables . Onavoit joint à la
fimphonie , celle qui avoit fuivi
la Cour des Princes . Mr Gaye ba
tit la meſure. On fut furpris de
la beautê des Balets , & de la
bonté des Danfeurs qu'on trouva
GALANT. 395
prefqu'auffi bons que ceux de
Paris. On trouva la même chofe
des Acteurs qui plurent beaucoup
.
Au fortir de l'Opera , Meſſeigneurs
les Princes allerent fouper
, & furent fuivis d'un grand
nombre de Dames , qui eurent
l'honneur de leur faire leur
Cour.
Hy eut le même foir un grand
foupé chez M¹ de Bavile , où quatre
tables furent fervies avec
une égale abondance. Il y eut un
grand Bal aprés le repas, & plufeurs
Seigneurs de la Cour des
Princes prirent part à cette fefte,
qui dura jufqu'au lendemain
matin , premier jour de Mars
auquel jour Meffeigneurs les
Princes allerent entendre la
296 MERCURE
Meffe à pied aux Peres de l'Oratoire
, dont la maifon fe trouva .
proche du lieu où ils logeoient.
Ils furent complimentez par le
Superieur à la tefte des Preftres
qui compofent la Communauté.
Au fortir de la Meffe, ils monterent
en caroffe pour aller coucheràNimes,
Isfortirent au bruit
du canon & aux acclamations du
peuple qui leur donnoit mille benedictions.
Les fept Compagnies
de Bourgeois, dont j'ay parlé, bordoient
lesruës . Les2 . Compagnies
du Jeu de l'Arc le trouverent fur
leur paffage, & eurent l'honneur
de les faluer. Il n'y a jamais en
un plus grand concours de peuple,
que celuy qui s'eft trouvé
pour avoir l'honneur de voir.ces
Princes. Ils ne pouvoient paffer
GALANT. 357
dans les rues qu'au travers d'une
foule prodigieufe , que l'on ne
pouvoit percer fans peine. Ils.
ont fait de grandes liberalitez
aux Hôpitaux , & plufieurs perfonnés
le font reffenties de leurs
charitez . Ils ont efté fort contens
de la reception qui leur a
efté faite à Montpellier . Toute
leur Cour a trouvé la Ville jolie
& agreable , les maifons affez.
logeables & riantes , & le peuple
humain & aimant la focieté.
On ne peut affez parler des
grandes dépenfes de Mr le Com
te de Broglio , & de celles de M
de Baville . Ils comencerent à ſe
diftinguer l'un & l'autre lors
que les Princes entre rent dans
fe Languedoc, foit par la magnificence
de leur table , & par les
398 MERCURE
danfes & les concerts , dont ils
ont pris foin que les Princes
fuffent divertis pendant toute
leur route dans le Languedoc ,
foit par l'ordre qu'ils avoient
établi , afin que l'abondance des
vivres fe trouvaft par tout.
Madame la Comteffe de Broglio
, & Madame de Baville ont
fort contribué par leurs manieres
honneftes à la beauté des
feftes qui ont efté données à
Meffeigneurs les Princes .
Je ne dois pas oublier
de vous
dire que Mr Veffieres
, Confeiller
en la Cour des Comptes
, eut
l'honneur
d'offrir
à Meffei,
gneurs
les Princes
des Graveures
Antiques
Grecques
. Ce font
de précieux
monumens
de l'Antiquité
, dont nous fommes
redeGALANT
349
vables à cet illuftre Curieux .
Elles eftoient dans une boëte
antique , où eftoient gravez un
Phenix , un Amour , & les Portraits
de huit , tant Empereurs
qu'Imperatrices . Mr de Veffieres.
a fait une Differtation fort curieufe
fur ce fujet.
qu'ils
Le jour que Meffeigneurs les
Princes partirent de Montpellier
, ils allerent dîner au Pont
de Lunel , & coucher à Nifmes ,
où ils arrivérent fur les cinq heures.
Je fuis obligé de dire en
l'honneur des Habitans
avoient refolu d'habiller huit
Compagnies, de cinquante hommes
chacune, de velours cramoify
avec des galons d'or , mais Mr
le Comte de Broglio les empêcha
de faire cette dépenfe. On
400 MERCURE
trouva , une demi- lieuë en deçà
de Nimes, quantité de peuple qui
bordoit les chemins . Les garçons
Marchands eftoient hors de la
Ville , mais fans armes à caufe
qu'ils font Banquerofts , & qu'il
leur eft défendu d'en porter . Is
eftoient tous en habit uniforme
d'un drap de noiſette doublé de
foye , avec une vefte & une culote
de drap d'écarlate galonnées.
Leurs chapeaux eftoient
bordez , & garnis de tres - belles
cocardes . Ils avoient tous une
canne à la main , & joignoient
un Arc de triomphe , qui par fa
hauteur furpaffoit les murailles
de la Ville . Il eftoit formé de
laurier , d'olivier & de mirthe , -
qui eftant meflez de fleurs , marquoiens
quelque choſe de grand ,
GALANT. 401
A
& de galant tout enfemble, Ce fut
en cet endroit que Meffeigneurs
les Princes reçurent les complimens
des Confuls . Les rues par
où ils pafférent eftoient tapiffées
& remplies de peuple , auffi bien
que les feneftres , de tout ce qu'il
y avoit de perfonnes de diftinction
dans la Ville & aux environs
, & les Bourgeois eftoient
fous les armes , & en haye juf
qu'à l'Evêché , où ils logerent ,
& où ils reçurent les prefens
de Ville. Ils furent gardez par
la
ifon
du Chateau . Ily
eut plufieurs fontaines de vin , &
ces fontaines , dont quelquesunes
eftoient en dôme , eftoient
tres -galamment ornées , & on y
voyoit plufieurs emblêmes à la
gloire du Roy.
Mars 1701
. L1
402 MERCURE
Aprés que Meffeigneurs les
Princes eurent foupé , ils virent
tirer un feu d'artifice qui eftoit
dans une place entre l'Eglife &
l'Evêché. La forme en eftoit
quarrée , & l'architecture definée
avec des lampes . Comme rien
n'eft plus brillant que les lumieres
vives , fur tout lorfqu'il y en
a beaucoup enfemble , il n'y avoit
rien de plus éclatant que cette
machine , en laquelle on diftinmembres
de l'Ar
touch
chitecture. Ce feu dura prés de
trois quarts d'heure , & l'artifice
en parut fort beau. Na
guoit
Le lendemain Meffeigneurs les
Princes allerent entendre la мef-*
fe à la Cathedrale , où ils furent
reçus par Mrl'Evêque de Nifmes ,
qui adreffa le Difcours fuivant à
1 .
GALANT. 40 %
Monfeigneur le Duc de Bourgogne
.
MONSEIGNEUR ,
Si c'est un bonheurpour les Peuples
de connoiftre les Princes qui font nez
pour les commanders de voir ce ca
rattere de grandeur que Dieu a gravé
fur leurfront augufte de remar
quer dans leurs actions & dans leurs
perfonnesje ne fai quel mélange de
douceur & d'autorité qui produit le
refpect & la confiance , & de chercher
dans leurs favorables regards des
marques debonté de bonte , & des efperances
de protection , ce doit eftre auffi un
plaifir pour les Princes de voir ces
mouvemens affectueux d'une multitade
empreffée , d'entendre ces acclamations
dejoye , d'admiration& de tendreffe
, & de recevoir les hommages de
tant de coeurs uniquement occupez du
Lj
404 MERCURE
S
defir de les honorer, & de leurplaire.
Le Roy ne pouvoit nous donner un
Spectacle plus digne de lui . Ilfait
partir du centre de fa grandeur les
plus vifs rayons de fa gloire ; il communique
au dedans au dehors même
du Royaume , ce qu'il a de plus
cher, & qui lui reffemble le plus , &
Je multipliant , pour ainfi dire , en la
perfonne de fes Petits - Fils , il fe
plaift à faire voir au monde une pofterite
deja capable de le gouverner.
Vous avez vufans envie, Monfeigneur
, tomber des Sceptres à vos
coftez dans la main d'un Prince de
voftre Sang. Vous lui avez rendu
tous les offices d'une pietéfraternelle.
Vous l'avezconduitjufqu'au pied du
Trône où vous aviez droit de monter
vous même , fi vous n'aviez preferè
aux Couronnes que les hommes don
nent, celle que Dieu vous a deſtinée .
GALANT.
403
4༠༣
+
Vous venez de remettre ce depoft
facré qui vous avoit efté confié ; d'abattre
ces bornes fatales qui divifotent
la France d'avec l'Espagne 3.
d'unir les efprits & les interefts de
Pune & de Pautre Monarchie , &.
deferrer à la vue des deux Nations
les noeuds d'une alliance éternelle.
Il eftoit jufte , Monfeigneur , que
nos Provinces fullent enfuite bono-.
rées de votre prefence ; que le Roy qui
vient de faire tant de graces à des
Etrangers , marquaft au mêmetemps.
la bonté qu'il a pour fes Peuples , &
qu'après avoir donne des Rois à nos
Voifins pour fa gloire , il nous montraft
pour noftre confolation ceux qu'il
nous referve
Nous voyons en vous , Monfeigneur,
& en ce Prince que la gloire
conduit avec vous , & que les Graces .
406 MERCURE
accompagnent , tout ce qui peut faire
La felicité & les delices du Royaume
Heritiers de la pieté d'une Mere,
dant le Ciel s'eft haté de recompenfer
les vertus ; formez fur les exemples
d'un Roy qui vous enfeigne l'art de
tommander ,
d'un Pere , qui tout
grand qu'il eft , vous apprend celay
d'obeir , vous avez joint à l'éclat de
la Naiffance le merite de l'Education.
De làvient cette grandeur d'ame
que la Nature, l'Etude , la Religion
outformée en vous , cet efprit jufte
& penetrant qui examine avecfoin ,
&décide avec connoiffance; cet amour
des Lettres qui infpirent auxGrands
des principes de verité de fageffe,
cette bonté qui s'intereffe à tous les
foulagemens publics & particuliers.
Ce font des qualitez que l'Eglife
a droit de louerpar nos minifteress
GALANT.
407
au
Elle va vous
condaire avec joye
pied des Autels , chanter
haatement
les
Cantiques du
Seigneur qui luy
eleve de tels
Protecteurs , & faire
enfuite des voeux ardens pour voftre
confervation , pour votre gloire temporelle
, & pour votre bonheur éternel.
Ce
Difcours reçut de fi grands
applaudiffemens
, que M de
Nifmes ne put refufer de le faire
voir le foir à huit ou dix perfonnes
de diftinction , qui n'avoient
pû
l'entendre le matin , & qui
les prierent avec les plus fortes
inftances .
Meffeigneurs les Princes monterent
à cheval aprés leur dîne
pour aller voir les antiquitez de
cette Ville. Ils commencerént
par les Arenes. Le tour duCirque
408 MERCURE
3
fubfifte en entier La coupe des
pierres ainfi que la grandeur , &
la diftribution de cet édifice, font
des chofes admirables ; mais la
beauté du dedans a eſté gâtée par
des maifons qu'on a bâties au
milieu . On voit encore tour autour
du dehors , l'ordre des colonnes
avec les frizes & les corniches
. Elles parurent eftre doriques
. Au deffus eft un ordre
Tofcan ; mais prefqu'entierement
enterré. Mr l'Intendant
dit aux Princes qu'il faloit abatre
toutes les maiſons qui font
dedans , & y mettre la Statuë du
Roy Delà on alla voir la maifon
quarrée qui fubfifte encore
entiere. La Façade eft de fix colonues
Corinthiennes ; & le coté
d'onze. La cannelure paroît
Lencore
GALANT 409
encore aux colonnes ; mais ce qui
furprend , eft de voir leurs chapistaux
auffi entiers que s'ils étoient
debronze , & fi bien travaillez que
les feuilles d'acanthe femblent
naturelles . Tout l'entablement
& les frontons font accompagnez
dornemens admirables pour la
delicateffe & le goût; & tout l'édifice
paroift aux yeux dans une
fi jufte proportion , qu'on ne peut
s'empêcher de l'admirer . On
croit que cet Edifice eft un Mauprefolée
érigé par Adrien
à l'honneur
de Plotine
fa bienfaictrice
,
femme
de Trajan
. Il fert à
fent de Chapelle
aux Auguſtins
.
Les Princes
virent
auffi le Temple
de Diane
, où vis-à-vis , eſt
une fontaine
tres -vafte , & dont
on ne trouve
point le fond
II
Mars 1701.
Mm
410 MERCURE
refte feulement le cofté droit &
le fond , où l'on voit encore la
place qu'occupoit la ftatuë de la
Déeffe, & un peu en avant deux
grands pilaftres , fi détruits , qu'il
-ny refte rien ou peu de Chapiteaux
. Il y a un refte de Voute
d'un travail admirable , au coſté
droit. On voit auffi des Colomnes
mais fi gâtées , qu'on n'y
diftinguequ'à peine qu'elles font
d'un Ordre Compofite. Le carreau
fubfifte encore ; mais plus
de dix pieds de decombre de la
Voute qui eft tombée deffus, empefchent
qu'on ne diſtingue les
compartimens ; car on n'en voit
qu'un petit efpace qu'on a foüillé
. De ce Temple on voit les
anciens murs de la Ville fous
l'Empereur Trajan . Ils font dif
GALANT . 411
tants de la nouvelle d'un demy
quart de lieuë. Il fubfifte même
encore une groffe maffe de bâtiment
de ce cofté là , qu'on ap
pelle la Fourmagne . Elle fervoit
d Erarium aux Romains , & eftoit
enclavée dans les anciennes murailies
. Les Princes allerent le
mefine jour à la Citadelle qui a
quatre Baftions . Ils virent le
foir après leur fouper , les Marchands
qui avoient eſté les recevoir
hors les portes de la Ville ,
paffer devant eux chacun avec
un flambeau à la main . CesMarchands
allerent enfuite faire tirer
un fort beau Feu d'Artifice
que les Princes ne purent voir
parce qu'il eftoit trop éloigné .
Les illuminations de l'Evêché &
de la Ville ont esté grandes pen:
Mm j
412 MERCURE
dant le fejour qu'ils y ont fait.
Ils partirent de Nifmes le troifiéme
de Mars , pour aller coucher
à Beaucaire.
Je fuis obligé de remettre au
mois prochain le refte de ce
Journal ,, pour lequel j'ay tant
de matiere,fi belle & fi curieuſe ,
que j'efpere vous envoyer deux
Lettres à la fois . Cependant je
paffe aux autres nouvelles dont
je ne puis me difpenfer de vous
parler.
Je vous ay appris la mort de
Mr Deffita , Lieutenant Criminel
du Chaftelet de Paris , arrivée
au mois de Decembre ; mais
j'ay oublié de vous dire depuis
ce temps- là , que мeffire Nicolas
le Comte fut receu dans cette
GALANT. 43
Charge le premier du mois paffé.
Il en eftoit reconnu fi digne ,
qu avant qu'il en fuft pourvu , on
difoit tout d'une voix , qu'il n'y
avoit perfonne qui fuft plus capable
de l'exercer . Il eft Fils de
Meffire Claude le Comte , Auditeur
en la Chambre des Comptes,
&de défunte Dame MarieGaigne .
Mr le Comte , Auditeur , eft une
perfonne d'un merite diftingué ,
& qui s'eft acquis beaucoup de
réputation depuis quarante ans
qu'il poffede cette Charge. A
l'égard de feuë Dame Marie
Gaigne , fon Epouſe , elle eſtoit
d'une Famille tres - ancienne &
tres -noble , originaire de Bourgogne
. Son Pere , qui s'appelloit
Louis Gaigne , eftoit un des Secretaires
du Cabinet de Henry
M m iij
4'4 MERCURE
IV. qu'il a fervi en plufieurs
Emplois pendant plus de quinze
ans . Il avoit efté auparavant du
temps de Henry III . Confeiller
au Parlement de Dijon . Le Frere
de ce Louis Gaigne avoit eſté
Prefident à Mortier au même
Parlement , & il a laiffé un Fils
qui y remplit encore aujourd'huy
une Charge de Confeiller .
Feu Madame le Comte a encore
deux Freres vivans . L'un eft Treforier
de France à Bourges , &
l'autre Chevalier de l'Ordre de
Saint Lazare & Commiffaire des
Guerres. M l'Abbé Gaigne ,
Aumônier ordinaire chez le Roy,
homme d'un merite & d'une probité
univerfellement reconnuë
eft Coufin Germain de Mr le
Comte , prefentement LieuteGALANT.
415
nant Criminel au Chaftelet de
Paris , aprés y avoir rempli la
Charge de Confeiller pendant
dix années .
Voicy les noms de quelques
perfonnes confiderables dont
la mort eft arrivée depuis ma
derniere Lettre .
Meffire Ange le Normant, Seigneur
des Fourneaux , Secretaire
du Roy , & Greffier en chef
de fon Grand Confeil.
Meffire Guillaume de Catinat ,
Seigneur de Croifille , cy- devant
Capitaine au Regiment des
Gardes Françoifes , mort fans
alliance . Il eftoit Frere de Mr le
Maréchal
de Catinat .
Dame Henriette de Gourdon
de Hontley , Angloife , cy- devant
Fille d'honneur de la feuë
Mm iiij
416 MERCURE
Reine-mere , Dame d'Atour de
feuë Madame , & de S. A. R.
Madame , Ducheffe d'Orleans.
Dame Geneviève Eugene de
Vic , Vicomteffed' Ermenonville,
Dame de Piedefer , de Moran ,
d'Autreche , du grand & petit
Breuil , & autres lieux , veuve de
Meffire Claude Charles de Vieilchâtel
, Comte de Montalant .
Meffire Leon Pelage de Balfac
, Sire d'Illiers & d'Entragues
, Marquis de Gié . Il eſt
mort fur la fin du dernier mois à
Breft , âgé de trente- neuf ans ,
& avoit épousé Dame Claude-
Françoife de Bets de la Harteloire
, Fille de Mr de la Harteloire
, Chef d'Efcadre des Armées
Navalles . Mr de Gié eftoit
Fils aîné de Leon de Balfac
GALANT. 417
d'Illiers , Marquis d'Entra
gues , & de feue Dame Anne-
Marie de Rieux de Sourdeac .
Le Dimanche 13. de ce mois
ayant efté choisi pour l'entrée de
de Mi le Conneftable de Caſtille ,
Son Excellence ſe rendit ce même
jour à midi au Convent de
Picpus , où elle reçut les complimens
des Princes & Princeffes
du Sang & des Ambaffadeurs &
Miniftres étrangers , c'est à dire
de Monfieur le Prince & de Madame
la Princeffe , de Monfieur le
Duc & de Madame la Ducheffe,
de Madame la Princeffe Douairiere
de Conti , de Monfieur le
Prince & de Madamela Princeffe
de Conti, de Monfieur le Duc , &
de Madame la Ducheffe dumaine,
de Monfieur le Comte de Touloufe,
de Mr le Marquis de Torcy,
418 MERCURE
>
Miniftre & Secretaire d'Etat , de
Mr le Nonce , de Mr l'Ambaffadeur
d'Efpagne , de Mrs les Ambaffadeurs
de Venife , de Savoye,
de Hollande & de Malte , & de
Mrs les Envoyez de Portugal
de Dannemarck , de Lorraine ,
de Florence , de Mantouë , de
Modene , de Parme , & de Brunfvic.
Ces complimens furent faits
par les Gentilshommes & par les
Ecuyers des Princes , des Princeffes
, & des Miniftres que je
viens de vous nommer . Les autres
Miniftres qui font en cette
Cour , ne parurent point à cette
ceremonie , ny perfonne de leur
part , à caufe que м'le Conneftable
ne leur en avoit pas donné
avis , leurs Maiftres n'ayant pas
encore reconnu Sa Majefté Catholique.
GALANT, 419
1
M' le Maréchal de Villeroy ,
Duc & Pair de France , Capitaine
des Gardes du Corps , Gouverneur
du Lionnois , & Chevalier
des Ordres du Roy , qui avoit
efté nommé pour conduire Son
Excellence , eftant arrivé , la
marche commença fur les trois
heures de cette maniere .
Le Caroffe de Mr le Baron de
Breteuil , Introducteur des Ambaffadeurs
, marcha le premier.
Il eftoit bien attelé & fort bien
accompagné Celui de M³ le Maréchal
de Villeroy venoit enfuite
fuivi de quatre Pages de ce
Maréchal , bien montez , ayant
un Ecuyer à leur tefte . Ce Caroffe
eftoit attelé de huit beaux
chevaux. Aprés ce'a marchoient
à cheval huit Valets de Cham420
MERCURE
bre de Son Excellence en juftancorps
uniformes de drap d'écarlate
, garnis fur les fentes & fur
les revers de longues boutonnieres
de galon à jour d'or , avec un
même galon fur toutes les tailles .
Leurs veftes eftoient d'un fond
de damas bleu , avec des Aeurs
d'or. Tout leur habit eftoit fort
bien afforti Ils avoient des plumes
blanches mêlées d'un peu
de couleur de feu , & leurs chevaux
eftoient richement enharnachez
. Deux Suiffes de Mr le
Conneftable venoient enfuite à
cheval & aprés eux trente valets
de pié marchoient en deux rangs
Ces Suiffes , ces valets de pié , les
Cochers & les Poftillons eftoient
vétus magnifiquement d'un drap
d'écarlate , chamarré fur les
GALANT. 421
coutures de trois galons d'or
d'un pouce de large. Celuy du
milieu eftoit feparé des deux autres
par un velouté de foye bleuë
de la largeur d'un petit doigt .
Les deux galons des coftez
eftoient bordez par dehors d'un
riche agrément d'or mêlé de foye
bleue. Ils avoient leurs manches
chamarrées en bracelet de fix
bandes , chacune de deux galons
d'or , feparez par un petit velouté
bleu , & bordez d'un agrément
d'or relevé de foye bleue , Les reversdes
manches étoient chamarrez
en plein en forme de lo zange
& demi lozange , en forte qu'on
n'en pouvoit connoiftre le fonds
que par un travers de doigt qui
fe trouvoit dans le coeur de
chaque lozange . Leurs veftes
422 MERCURE
eftoient de drap bleu avec des
boutonnieres d'un galon d'or
d'un demi pouce de large. Leurs.
cravates & leurs manchettes
eftoient d'un tres -beau Point
d'Efpagne , ce qui fut bien remarqué.
Leurs bas eftoient bleus ,
& leurs chapeaux eftoient garnis
d'une cocarde de taffetas
blanc & d'un plumet bleu Les
deux Suiffes avoient de riches
baudriers avec une grande frange
d'or, & leurs chevaux étoient
enharnachez de la même forte
que ceux des Valets de chambre .
Douze Pages qui les fuivoient
eftoient precedez par Dom Emanuel
de Ibarrola , Chevalier de
Calatrava , & premier Ecuyer
de Son Excellence . Son habit
eftoit de velours`cramoifi brodé
GALANT. 423
d'or , riche , de bon gouft , &
l'ajustement eftoit complet . Il
montoit un beau cheval d'Efpagne
richement enharnaché .
La houffe & les bourfes des
piftolets eftoient de velours
vert brodé & garni de franges
d'or. Les Pages qui marchoient
auffi en deux rangs avoient des
juftaucorps de velours couleur
de feu brodé d'or , & des veftes
d'un drap d'argent fort riche ,
avec de beaux noeuds , d'épaule
or & argent , terminez par des
houpes d'or. A l'extremité des
deux pendans eftoient les armes
de la Maifon de Velafco en broderie
. Ils avoient tous des plumes
blanches , & leurs chevaux
eftoient richement enharnachez ;
les houpes & les bourfes des pif424
MERCURE
tolets eftoient de velours bleu
bordé d'or & d'argent , & tour
le refte répondoit à des habits
fi bien entendus & fi magnifiques.
Lecarroffe du Roy paroiffoit
enfuite monté de huit chevaux
gris . Mile Conneſtable vêtu d'un
riche habit de drap couleur de
café , brodé d'argent , eftoit dans
le fond à la droite de Mr le Marechal
de Villeroy . Mr le Baron
de Breteuil eftoit fur le de
vant avec Don Michel de Otazo
qui vient d'eftre nommé par
Roy fon Maiftre , Gouverneur
& Capitaine general des Ifles
de Canarie . Ce Seigneur eftoit
aufli vêtu d'un habit de drap brodé
tres-magnifique. Mr le Marquis
de faint Manat , fils aîné de Mrle
le
GALANT 425
Marquis de Caftel Dos Rios Ambaffadeur
d'Efpagne , eſtoit à la
portiere du côté de Mr le Conneftable
, & Mr le Comte de Ciruela
, Gentilhomme de la Chambre
, & de la maifon de Velafco
eftoit à l'autre portiere . Douze
Valets de pied de Mrle мarechal
Duc de Villeroy , marchoient à
la portiere droite du carroffe du
Roy , dans lequel eftoit Son Eminence.
Ces Valets de pied
eftient en deuil ; mais pour mar
quer leurs livrées fuivant l'ufage
établi depuis quelque temps,
ils avoient des noeuds d'épaule á
fond verd , tout brodez d'or &
d'argent . Les Gens de livrées de
Mr de Breteuil eftoient à l'autre
portiere. Aprés le Carroffe du
Roy , venoit celui de madame
Mars 1701
. Na
426 MERCURE
la Ducheffe de Bourgogne , ou
eftoient Don Antonio de Cuellar
, Chevalier de l'Ordre de S.
Jacques , Secretaire de Sa Majefté
Catholique , & de cette
Ambaffade , & Mr de Villora
Sous-Introducteur des Ambaſſa -¨
deurs . Leur Charge leur donnoit
cette place á l'un & á Pauere.
Ce carroffe eftoit fuivi de ceux
de Monfieur , de Madame , de
Madame la Ducheffe de Chare
tres ,' de Monfieur le Prince , de
Madame la Princeffe , de Mon
fieur le Duc de Madame la
Ducheffe , de Madame la Princeffe
de Conti Douairiere , de
Monfieur le Duc & de Madame
la Ducheffe du maine , de Monfieur
le Comte de Toulouſe , &
>
GALANT. 427.
de Mrle Marquis de Torfi mini
ftre & Secretaire d'Etat , pour
les affaires étrangeres. Ces car
roffes dont la plupart eftoient
attelez á huit chevaux , eftoient
en deuil , & menoient les Seigneurs
Efpagnols & les Gentilshommes
de fon Excellence qui
eftoient en grand nombre , &
tous magnifiquement vêtus d'ha
bits brodez d'or ou d'argent ,
avec de riches veftes & des plu
mets. A une petite diftance mar
choit un Sous-Ecuyer de fon
Excellence , en habit rouge gas
lonné d'or , à la tête de fes fix.
carroffes . Le premier étoit á fept
grandes glaces , & l'an des plus
Magnifiques qu'on ait jamais vûs.
On n'y a rien épargné . Il frape
autant par la maniere dont il eft
!
Nnij
428 MERCURE
(
1
entendu , que par la richeffe de
tout ce qui le compofe. Le dedans
en eft d'un drap d'or á grandes
fleurs rebrochées d'or frifé .
La campane
d'or en
elte
2
che. Le bas du carroffe eft d'une
marqueterie delicate . Le dehors
de l'imperiale eft de marroquin
rouge brodé á gros ramages d'or
aux quatre coins & au milieu , &
les pommes qui le terminent font
d'un bel or & d'un beau travail .
La fculpture en dehors en eft auffi
fort delicate , & la peinture
tres fine. Tout le train en eft,
tres -bien fculpé & bien doré.
Les armes de Son Excellence
y eftoient en leur place accompagnées
de tres belles peintures
allegoriques & bien deffinées,
Tout Paris a eu la curiofité de
7
-
GALANT 419
k
revoir de prés ce beau carroffe .
Il eftoit tiré par huit chevaux
d'un gris fale aprochant du noir
avec de grandes queuës blanches
, & le crin de même. Leurs
harnois eftoient de velours incarnat
avec les boucles , & toute la
fuite de bronze doré . Ils avoient
chacun une belle aigrette de
plumes á la teftiere , & trois
groffes houpes d'or qui en pendoient
. Le fiege du Cocherainfi
que le dedans du caroffe , eftoit
d'un brocart d'or des plus beaux
avec quelques ornemens argent
& foye nude , un riche molet , &
>>des campanes d'une broderie d'or
qui l'emportoit fur tout le reste .
La felle du Poftillon eftoit d'un
velours incarnat avec des franbges
d'or d'una vins Col
420 MERCURE
Le fecond carroffe eftoit enco
re à fept glaces , & tiré par huit
chevaux noirs . Tout s'y trou
voit fort bien entendu, tant pour
la dorure , que pour la peinture .
Le dedans eftoit de velours cra
moifi avec une campane d'or ;
& toutes les extrémitez d'un bordé
d'or de bon goût. La campane
& les mollets eftoient d'une broderic
encore plus riche. Le Cocher
avoit fon Siege couvert du
même velours que le dedans &.
brodé de même avec de pareilles
campanes . Les harnois de cuir
eſtoient ornez de diverſes pieces
de fonte dorées & tres - belles.
C'eft dans ce carroffe qu'eftoit
Mr le Comte de Haro , fils unique
de Mr le Conneftable , avec
Mr le Marquis de la Jamaïque ,
GALANT.
43′
fils de M le Duc de Veraguas
Vice-Roy de Sicile, Male Comte
de Salvatierra , neveu de Mr le
Conneftable , & Mr le Chevalier
de S. Manat , fecond fils de Mr le
Marquis de Caſtel dos Rios ; Am→
baffadeur d'Efpagne.
3
Le troifiéme Carroffe eftoit
une caleche à cinq glaces , atte
lée de fix chevaux noirs riche→
ment enharnachez . Le Corps
étoit d'une ordonnance differente
des deux premiers. Les mou
lures & les panneaux eftoient
fculpez , dorez , & peints de diverfes
fortes d'ornemens de couleur
, le dedans eftoit garni d'un
velours verd avec des franges &
des bordez d'or .
Le quatriéme eftoit une autre
caleche d'une belle ftructure à
432 MERCURE
cinqglaces , tirée par fix chevaux
noirs . Le dedans eftoit garni d'un
velours plein couleur de feu
avec des molets & des crefpines
tres-riches tout argent. Toutes
les moulures du dehors eftoient
proprement fculpées , le tout
eftant argenté & enrichi d'une
Mofaïque couleur de feu , tresdelicatement
peinte autour de .
tous les panneaux . Les pieces
des harnois , ainfi que le train ,
eftoient auffi argentées & faifoient
un tres-bel effet .
- Le cinquième eftoit un grand
caroffe á fept glaces , tout fculpé ,
doré & peint d'ornemens de couleurs
par dehors , & garni en
dedans d'un velours plein , bleu
turquin , avec des molets &
des campanes d'or. L'attelage
cftoit
GALANT. 433
eftoit de fix chevaux noirs .
Le dernier eftoit un carroffe
à deux fonds , mais plus petit
que les autres . Les Moulures de
dehors eftoient pouffées uniment
& fans fculpture , le tout bien doré
y fans aucun autre ornement
que les armes de fon Excellence!
Le dedans eftoit garni d'un ve
lours à fond aurore a ramage de
plufieurs couleurs avec des franges
& des crefpines affortiffantes.
Dans tous les panneaux des fix
carroffes , les armes de Mr le
Conneftable eftoient peints avec
beaucoup de propreté , le train
de chacun eftoit d'une fculpture
& d'une ordonnance proportionné
a la magnificence du Corps du
cartoffe , & l'on y avoit obſerve
fur l'orum filet de la même cou-
8 Mars 1701. 010 juniɑo
1
434 MERCURE
leur que le dedans , á la referve
de celuy du premier qui eftoit
entierement doré en plein
2
Tous ces carroffes eftoient oc
cupez par les Gentilshommes &
Chevaliers de faint Jacques &
Calatrava, Hs oftaient tous en
habit de broderie & rien ne
manquoit à leur parure Son
Excellence partit de certa ma -
niere , de Piepus pour aller à
l'Hôtel des Ambaffadeurs extraordinaires
, par les rues ou Fon
a accoutumé de pailer. Le con-
-cours y fut prodigieux , tant des
gens diftinguez aux feneftresique
du peuple dans tous les lieux de
la route . La jove & Papprobation
eftoient peintes fur les vilages
de cette grande multitude ,
& il y eut des endroits où l'on entendit
crier, vive le Roy, vivent les
GALANT . 425
·
Reis Grivè leConnestable deCastille.
Harriva à l'Hôtel des Ambaffadeurs
extraordinaires , où i
fut pas y fur
fitot arrivé , qu'il ne
complimenté au nom du Roy par
Mele Marquis de Gefvres , premier
Centilhomme de la Cham,
bre , en furvivance , au nom de
Madame la Ducheffe de Bourgo
gne, par Mi le Marquis de Vilalacerffon
premier Maiftre d'Hotel
, de la part de Monfieur , par
Mile Comte de Châtillon , preinier
Gentilhomme de fa Chanbre
, de la part de Madame ; par
Mr. Colin , fon premier Mailtre
d'Hôtel , de la part de Monfieur
le Duc de Chartres ; par Mrle
Comte de Cayeux , premier Gentilhomme
de fa Chambre , & de
la part de Madame la Ducheffe
R
436 MERCURE
de Chartres , par fon premier
Maiftre d'Hôtel . Il fut loge &
traité les trois jours fuivans , à
la maniere ordinaire , par les ordres
de Sa Majefté . Le lendemain
de grand matin , Mr le Comte
de Brionne , fils aîné de Mr
le Grand , & Mile Baron de Breteuil,
vinrent prendre fon Excellence
de la part du Roy , pour le
menerà l'Audience à Verfailles,
parce que Sa Majefté devoit alfers
à Marli . Ainfi on avança
d'un jour l'Audience. Le carrol
fe de Mr le Comte de Brionne
marcha le premier , & les fix
carroffes de Mrile Conneftable
fuivirent felon l'ufage, Il trouva
en entrant dans la premiere cour
du Château, des Compagnies des
Gardes Françoiſes & Suiffes en
haye , & fous les armes , les TamGALANT.
437
bours appellans. Les Gardes de
24
la Porte & ceux de la Prevoſté
eftoient auffi en haye & fous les
armes à leur Pofte accoutumé.
Les Balcons & les feneftres de
cette feconde cour eftoient garnies
des perfonnes les plus qualifiées
, quoiqu'il fuft extrêmement
matin , & les deux cours fe
trouverent remplies de monde.
Son Excellence defcendit & entra
dans la Sale qui
elte
aux Ambaffadeurs . Et fur les
neuf heures du matin elle partit
pour aller à l'Audience du Roy.
Les trente Valets de pied márcherent
& fe rangerent en deux
files dans une des Sales , les huit
Valets de Chambre pafferent
dans une autre avec les douze
Pages '; & Mr l'Ambaffadeur alla
O o iij
418 MERCURE
jufqu'à la Chambre du Roy avec
les Seigneurs , les Chevaliers &
Gentilshommes qui eftoient avec
lui. Il avoit efté reçu au bas de
Pefcalier par Mr le Marquis de
Blainville Grand-maître des Cèremonies
. Les cent-Suiffes eftane ™
fur les degreź , leurs hallebardes a
fa main , & à la Salle des Gardes A
du Corps , par Mr le Marechal de
Lorges , Capitaine des Gardes dur
Corps qui étoient dans leur falle
en haye & fous les armes . LeRoi
étant aflis , S.M.fe leva dés qu'el
le vit Mile Conneſtable, & aprés
qu'elle eut remis fon chapeau
il mit aufli le fien & parla ainfi.
SIRE ,
Je me prefente à Voftre Majesté
par ordre du Roy mon Maistre ,
reconnoiſſance qu'il témoigne à Koftre
Majesté de la fituation où elle l'a
GALANT. 439
mis , s'expliquera un peu mieux par
La lettre qu'il écrit à Veftre Majefté ,
que par tout ce que je pourrois
lui dire de fa part . C'eft cette lettre
queje remets entre les mains royales
delore Majofte , La Junta queforma
en mourant le Ray Charles 11 mon
Maitre, qui fort en gloire , machoif
pour venir témoigner avec un profond
respect à Koftre Majesté de la part
des Royaumes , du Gouvernement &
des Peuples qui compofent la mar
chie d'Espagne , combien ils ont tous
celebre la fage & du feu Roy
prudente
difpofition
en faveur du Roy mon
mafore , petit fils de Voftre Majefté. '
Les uns, les autres avec un respect
plein de reconnoiffance remercient &
felicicent Votre Majesté dans le tran- let
sportde leur coeur , de voir le Trone
d'Espagne occupé par un Prince qui
O o iiij
440 MERGURE
touche defi prés à Voftre Majesté. Ils
en tirentles confequences les plusflateufes
, tant pour la Religion que
pour l'Etat. C'est ce que cette Lettre
dira à Voftre Majefté , & j'y dois
ajouter que c'est à Voftre Majefté que
nous reconnoiffons devoir le don pretieux
, qu'elle nous fait d'un Prince
qui a des vertusfi relevées ,&que nous
vivrons toujours avec un coeur penetré
de respect & d'amourpour Voſtre Ma
jefté , &pour la bonté qu'elle nous a
témoignée , dont nous la fuplirons
toujours de nous accorder la continua
tion ; nous tacherons de l'obtenir par
les moyens les plus convenables à
L'honneur qu'elle nous fait. Ayant
le bonheur de me voir aux pieds de
Voftre Majefte qui parfa magnificence
me fait l'honneur de m'accorder
ces graces , ces diftinétions & ces fas
GALANT 44
veurs que je me fuis flaté den rece
voir , je lui facrifie ma Perfonne , &
ma maison ; & j'en tire avec confiancefon
plusgrandrelief& le mien,
& le fervice le plus affuré du Roy
mon maistre. € 5 %
Le Roy répondità Mr le Con
neftable de Caftille.
Monfieur , vous devez eftre bien
perfuadé que je reçois avec beaucoup
de plaifir les complimens du Roy mon
petitfils , & avec beaucoup de fatis
faction , les reconnoiffances que vous
me témoignez de la part des Royau
mes , & des Etats qui compofent la
Monarchie d'Espagne. Ils ne pou
voient choisir pour s'en acquiter , une
perfonne qui me fütplus agreable que
vous Vous voyez à prefent l'une &
Bautre Nation tellement unies que
les deux deformais ne fontplus qu'une.
442 MERCURE
Pour moy , je fais prefentement le
meilleur Espagnol du monde , & fi
le Roy mon petitfils me demande des
confeils , je ne luy en donneray que
pourla gloire & pour l'intereft de l'Ef
pagne On verra mon petit fils àl a
tète des Espagnols pour défendre les
François , & on me verra à la tete
des François pour défendre les Efpa
gnols . Pour vous 3 Monfieur vous
devez avoir connu depuis que vous
eftes à ma Cour , la diftinction que je
fais de votre perfonne la joye
quemos fujets montrerent hierde vous
voir, eftune marque qu'ils connoiffent
combienje vous estime & combien ai
me les Espagnols.
Mile Connettable fur conduit
"enfuite aux Audiences de Mon
feigneur le Dauphin , de Madad
me la Ducheffe de Bourgogne ,
GALANT. 443
de Monfieur de Madame , de
Monfieur le Duc de Chartres ,
& de Madame la Ducheffe de
Chartres . Madame luy dit de fe
couvrir . Il en fit le femblant , & ,
ne mit pas fon chapeau. Il attendit
midi pour ferendre à celle
de Madame la Ducheffe de Bourgogne,
palabras ser der
Son Excellence fut traitée à
-Verfailles avec tous les Gentils→→
hommes de fa fuite par les Offciers
de Sa Majefté . Mr le Comte
de Brionne & plufieurs Seigneurs
des plus titrez de la Cour
fe trouverent à ce repas , qui fute
magnifique.
Mile Conneftable fut reconduit
à Paris par M. le Baron de
Breteuil , dans les mêmes Caroffes
, á l'Hôtel des Ambaffadeurs . "
444 MERCURE
Extraordinaires , où il denteura
jufqu'au Mecredy ſuivant .
Le Roy ayant voulu relever
l'éclat de l'Ambaffade de Mr le
Conneftable
par des marques de
de diftinction particuliere , Mr le
Prevoft des Marchands avec la
Ville en Corps , precedé du Colonel
, & de fes Archers , alla
luy faire compliment le 15. à
l'Hôtel des Ambaffadeurs Extraordinaires
, & témoigna à fon
Excellence avec combien de
joye la Ville de Paris voyoit
l'occafion qui l'y avoit attirée .
Elle répondit avec la reconnoiffance
que meritoit cette vifite, &
que meritoient les prefens qu'ils
Tuy firent de trois douzaines de
flambeaux de cire blanche , de
trois caiffes des meilleures confiGALANT.
445
tures , honneur qui ne fe prati
qué pas pour les Ambaffadeurs
Extraordinaires . S.E. ordonna à
fes gens qu'on témoignaſt toute
forte de reconnoiffances aux Of
ficiers qui l'avoient fervie , &
leur a fait diftribuer mille louis
d'or. Le 16. au foir Son Excellence
retourna coucher dans fon
logis , le lendemain elle vifita
Made Torcy.
ةيرادملا بال
Le même jour elle reçut les
vifites de Mr le Nonce & de Mr's
les Ambaffadeurs de Venifer &
de Savoye . Le 18. elle alla voir
Madame la Princeffe , Mr le
Nonce , & Mr. l'Ambaſſadeur
d'Efpagne. Il y a toujours eu le
même concours , & même train ,
à ces vifites
Le 29. Mrle Connêtable eut fon
446 MERCURE
&
audience de congé. Jene vous en
dis rien , du moins à l'égard des
ceremonies , à caufe que tout sy
eft paffé comme à la premiere.
Ily a efté traité & reçu de la
meme forte Ce qui a fait que
ces audiences ſe font fuivies de Gi
prés , c'est parce que ce Connef
table n'avoit efté chargé d'aucunes
affaires , mais feulement
de remercier le Roy , d'avoir ac
cepté le Teftament de Charles
II. dernier Roy d'Espagne. La
Junta pour mieux marquer à Sa
Majeffé la joye & fa reconnoiffance
, cru qu'elle devoit envoyer
exprés un Ambaffadeur
Extraordinaire , & мle Conneftable
n'ayant plus rien à faire
en France , en eft parti pour
fe rendre auprés de fon nouveau
GALANT
447
Maiftre. Voici en quels
en quels termes
il parla au Roy dans cette audience.
pzp sluss & Pag
SIRE , EMACO
s Quand je me vois aux pieds de.
Votre Majefte , je me croirois coupa
ble d'une veritable ingratitude , ft je
fongeois à m'en éloigner par d'autres
raifons que parcelle de me rendre aus
pres du Royfon Petit- Fils . Les bon
tez dont Voftre. Majefte a daigné me
combler m'engagent pour le reste de
ma vie àjoindre au plus profond ref
pect la reconnoiffance la plus vives
Ce que j'ay vu , SIRE, & ce que
Jay fenti me feroient apprendre à
tous les Espagnols tout ce qu'ils doi
vent penfer de Voftre Majefté s'ils
ne le favoient deja . Le Roy mon
Maitre leur dit affez tout ce que
vous etes , SIRE , quand il leur
13
448 MERCURE
fait voir tout ce qu'il eft. Je luy rendray
compte de tout ce que Voftre
Majefté a fait pour moi par rapport
à luy. Je m'estimer ay trop heureux
toute ma vie d'avoir pû me jetter
aux pieds de Voftre Majefte . Je lui
facrifie ma Perfonne , ma Famille}
tout ce quejefuis , &je croy devenir
par la plus agreable un Roy mon
Maifire , Petit Fils de Foftre Majeftè
, & plus propre à le bien førvir
- Le Roy luy répondit à peu prés
ནི་ནང
en ces termes.
Vous nepouviez pas douter , Monfieur
, qu'uneperfonne que m'envoyoit
Le Roy mon Retit Fils , ne duft m'ef
tre fort agreable , mais pour vous
quand vous ne fericz venu ici qu'étant
ce que vous eftes, je vous aurois tou
jours reçu avec la même eftime
GALANT. 449
& avec la même diftinction . C'eft
ici une ceremonie où je ne puis vous
parler qu'en gardant certaines for
malitez, vous direz donc au Roy mon
Petit-Fils combien je fouhaite con
ferver l'étroite amitié & la bonne intelligence
où nous devons toujours
eftres comme vous devezavoir encore
de
moy avant votre départ une
audience particuliere , c'eft- là queje
vous diray tous mes fentimens pour
Roy mon Petit-Fils , & toute mon
eftime pour vous.
le
Son Excellence eut enfuite
audience de congé de la Maiſon
Royale , avec les formalitez accoûtumées
.
2
Ceux qui ont expliqué l'Enigme
du mois paffé fur la Cendre
qui en eftoit le vray mot ,
en grand nombre . En voicy les
Mars
1701. Pp
font
450 MERCURE
:
noms . Mr l'Abbé Daquinet Do-
&teur en Theologie : de Saint
Denis du grand Commun à Verfailles
de Verneuil de l'Hoſtel
du Maine à Verfailles : de la
Guinodiere Page de Monfieur :
le Conneftable de Caftille : Bardet
& fonbon Ami du Pleffisdu
Mans : Daniel le Chin Procureur
Fifcal à Eglegny proche
d'Auxerre , & fon Ami Trebuchet
, du même lieu Raguenet
& Marguerite Blot fon Epouſe :
Maiftre Jacques de Lorme Procureur
au Chaftelet , & fon aimable
Epouſe: la belle Gantiere
du grand Monarque de vis -à-vis
la rue auxFers, &Mademoiſelle de
Mielle fa favorite : Grenan maiftre
du quartier du Pleffis , & fon
intime ami Cagnard : Tamiriſte
:
GALANT 4x1
& fes deux Filles : le petit Salior
du milieu de la rue des Poulies :
les trois bons Amis de la rue
Saint Louis Ile Noftre- Dames
fçavoir: Badin , Montade & Se
rier : le Prieur de la Communauə
té de la rue Saint Severin : Ri
chard la Barbe & fon amil Tho
le : les quatre fidelles Amis du
vin de Champagne de la rue du
coq , fçavoir mrs d'Hericourt ,
de la Barre, Melat & de Brillan +
court le petit jour de l'Aurore
des Galeries du Louvre : des
Montlievres & laMadelene 'doudoureuſe
& de l'Eftre leur con→
feil , tous trois de l'Ile Noftre-
Dame le beau Chevalier du
coin de la rue de Richelieu , &
le camarade Jean de la rue des
marteaux ile Roannois folitaire,
O
Pp ij
452 MERCURE
& fon ami le Tourangeau dif
cret : le Chevalier pacifique : les
Garçons du caffé de la rue Mazarine
leP. N. d'Agier Sieur de
Buffoffe deMante fur Seine: l'In
connu du Parvis Noftre- Dame,
indifferent pour tout autre que
pour la charmante Angélique :
le Breton à l'Anagrame Gé mille
charme de Morlaix l'homme à
l'Anagrame , C'est là le Trefor
l'aimable Fou de la rue des vieux
Auguftins: l'Iffoudunois paffionné
de la toute aimable Poitevine:
le Chevalier des Angloux , & lė
gros Pere Alliot des Angloux
Chrefiftus de la Societé Kirielaphique
établie à Argyropé Le
Jafon de la Toifon d'or de Châ→
lons en Champagne : Pierrot &
la belle Marguerite de la rue des
GALANT. 453
Tournelles l'Aveuglené de Mr
Victor Champfeau de Versailles,
Louvat de Marne : lejeune marquis
de S. Julien le chevalier
Groffart & Jean de Bergerac :
le gros Garçon de la rue des
Noyers conftant Amant de l'ai
mable veuve de la rue du Sepulcre
: le fage Arminius qui défend
la Princelle de Cleyes & la divi
ne petite Fille de la rue Vivien :
le chevalier du grand courage
de la vieille rue du Temple
l'incomparable Godefroy , Sebaftien
Guillot de la rue Saint
Martin devant la rue aux Ours :
l'Amant de Nogent le Roy
Charles de la Tour de Billy de
la rue de l'Arbre -fec : de Vil
lers : le fidelle Oyfon de Coutance
& la charmante Noire de
454 MERCURE
1'Hoftel d'Aligre : l'Ami du Pere
' Caudrillier : le Papa de chez M²
Quignon : la belle chanteufe de
la rue des Sergens d'Amiens : la
petite veuve de la rue Saint Ho-
Aoré & Lifette : leDruide de la rue
de Grenelle & les enfans fruf↓
trez d'Etrennes cette année : le
grand Collaire planteur de truffes
chevalier du Soleil de la vieille
rue du Temple : l'Amant genereux
du marais : la belle Indifferente
de la rueSaint Martin
& la mere trop tendre du même
quartier les fix enfans de Choeur
de l'Eglife collegiale de Noftre-
Dame de Milly en Gaftinois :
Tarquin reffufcité de la rue de
Phomme fauvage , & fa chere
Comteffe de la rue des Freres
Prêcheurs le faux Acteon oru
A
GALANT. 455
veritable , du Quay de l'Ecole :
la nouvelle Iphigenie du même
Quay , & le fidelle Amant de la
fue de la Huchette : le Voyageur
fans fortir de fon cabinet , & fon
Epoufe la contemplative du cadran
de Saint Severin, & la conreufe
de Peau d'afne de la rue de
la Licorne le petit Prophete
Elie du bas de la rue de la Harpe:
le fidelleCleandre de la rue Saint
Severin le cadet de la Valette
de la rue Mauconfeil : l'aimable
Catin fa foeur , & la belle petite
Ratoufa coufine du cloiſtre Saint
Leu : Lhommeau Gentil : les
échos externes de мr P. Martin
Procureur de la Cour : V. B.
Amans afſociez de la Poulette ,
rue Saint Bon: le petit Migon de
la rue d'Orleans : M. E. C. & la
46 MERCURE
petite Brune de la rue d'Anjou :
M. T. les Clercs de мs Richard
& Aumont Notaires : M. & M.
de la Sale du grand commun de
Verfailles M. B , dite l'aimable
veuve Hebert de la rue du Se-
.:
pulcre le mignon Praticien de
la rue Taranne plus que gentil :
les Clercs du fieur Barbier Procureur
de la Cour de la rue pa
vée,S. André des Arts : le bon
Martin , l'aimable réchapée fon
époufe , & fes Clercs bons Nor
mans & leur aimableami : le fieur
Briaffet , le petit Pere Tibourg
le Vacher du Palais Royal & de
Saint Germain en Laye : le fieur
Dancour , marchand Limonadier
du coin de l'Opera , M & M du
Crais fes neveu & niece , & le
feur Criquebeuf : le bon cent
Suiffe
GALANT. 457
de fon Alteffe Royale Monfieur
& Madame, de la rue Baillive :
Mademoiſelle rirmant: Mademoifelle
Lallior belle & bonne maraine,
& M. Marguerite de Caux.
Mr & Mademoiſelle le Vacher
du Palais Royal Mr & Mademoiſelle
Ramire : Mr Barbé ,
doyen des Arts de peinture &
fculpture Mr de la Dantz de
Bretagne , du foleil d'or , place
de Sorbonne le fieur Thuillier
Marchand de vin de la Tour d'ar
gent au marché neuf , & fa jolie
époufes les infeparables amis
Alain Chagrin & Thomas Lau
rent de S. Sulpice : le bon Laumot
& fon aymable épouſe , de
la rue du coeur volant , protec
teur & directeur de S. Alban &
fon confors le fieur Simon : le
Mars 1701.
Qq
MERCURE
fieur le Gucuftre & fon aymable
famille de la rue de Tournon ,
& fon voifin le fieur Melet Eclai
re tout protecteur de S. Alban :
le Prudent Mathematicien , du
Palais Royal : la belle Marguerite
, qui ne flaitrira qu'en mourant
, du grand commun de Verfailles:
le bon Laumau & fes confreres
, chez Mr Navarre ruë de
Buffi le fieur le Begue , & le
fieur Lemoine & fes confreres
de chez мr Bonhomme : le bon
Broquet , de la rue Aubry- boucher
, avec tous fes amis de la
même maifon : Mr Corozel &
fon aymable fils : le fils plus vieux
que fa mere , du cloiftre faint
Oportune , & le Marquis de la
Baffre , de la croix du Tiroir :
le gros garçon amant conftant
GALANT. 459
de la belle veuve , de la ruë du
Sepulchre ; Mefdemoiſelles de
Maupeou d'Ableiges : de Romé
de Beaulieu , de la rue Royale
& le beau monde : M. Rouffard
& Mademoiſelle fa fille , d'auprés
les Preftres de l'Oratoire :
Mademoiſelle Soulas , de la rue
des petits champs : la petite Dame
voifine du nouvelifte de Beauvais
Mademoiſelle du Tranon
agée de huit ans la toute aymable
Demoiſelle Frenau & fon mary
le mailtre à danfer : l'aima
ble indifferente de la petite vertu
: R. D. F. le Berger Celidor
& fa maiftreffe Cezonie , de la
cour du Palais la brune fujette
aux migraines & la brune la belle
four : la jolie poule , de la rue
S. Merry & fon infeparable amy
Qq ÿj
460 MERCURE
D.D. les deux belles foeurs de
Lorme S. Gervais : la jeune Mufe
, du coin de la rue de Richelieu
l'aimable Javote , de la rue
Dernetal l'agréable Fanchon ,
de la rue des Sts Peres : Mr IP.
de B. du Palais Royal , & la belle
M.A. V. de la ruë Montmartre :
la belle Porte de la belle brune ,
du quartier du Palais Royal la
charmante veuve paffée fous fis
lence , & l'anonime malgré luy ;
l'indifferente pour toute autre de
la rue du plaftre : la charmante
brune de Troyes proche les Cordeliers
, & fa belle coufine : les
deux infeparables : la charmante
Poupote , & le plus noble des
payfans: la plus aimable Dame
du quartier S. Julien & fa charmante
amie , du quartier S. Eu
1
GALANT. 48
tite
de
ftache la plus belle de la rue
Guenegaud , & le Commis de
M ' du Bourg Banquier en Cour
de Rome , de la rue S. Jacques :
Margueritte de la Grille : la pe-
Margot , de la ruë de la paroiffe
de Verfailles la petite
Madelon Minchate , de 1 Hoftel
Poitiers , & fa bonne amie la
coufine Charlotte : la jeune pàrifienne
du bourg S. Martin à
Vendofme la perle des Fanchons
, & l'enfant du coeur perruquier
la belle Elinco de la
butte S. Roch : la belle Satan
du quay de Conty : les trois Maries
, & le petit fofeph .
:
La nouvelle Enigme que je
vous envoye , merite l'aplication
de vos Amis .
Q q iij
462 MERCURE
ENIGME.
Q Voyque j'enfonce mes mor=
fures ,
Je mords prefque toujours fans faire
de bleffures :
F'empefche de terribles maux ,
S'ilfaut croire la medecine
Et je fuis quelquefois une bonne ra
cine :
Mais pour faire la guerre a de vils
animaux
F'emprunte les dents & les cornes
Des animaux les plus énormes..
Je pourrois n'eftre qu'un morceau
Du plus méprifable arbriffeau ,
Ou de l'babit d'une vilaine bete
"Etj'ofe me vanter de parer mieux la
tefte
Et des amans & des guerriers ,
GALANT. 463
Que les myrtes ny les lauriers
Je laboure un champ tres -fertile ,
Si fon fruit n'eft pas fort utile ,
Il peut au moins fervir à charmer
les regards ?
Et l'on doit appeller le fonds de ma
culture
Le chef- d'oeuvre de la nature
Et la mere de tous les arts.
Lorfque ce champ produit de belles
plantes ,
Mortes je les cultive auffi bien que
vivantes ;
Et de mes foins le plus fouvent
Le fujet mort devient plus beau que
le vivant.
lé Comme je fuis perfuadé, que
mal dont Monfeigneur le Dauphin
a efté furpris, ne vous a pas moins
touchée & inquietée que nous ,
Qq iiij
464 MERCURE
parce que ce Prince eft auffi aimé
dans tout le Royaume , qu'il l'eft
à la Cour & à Paris Je croy que
vous ferez fort aife d'aprendre
par le détail de fa maladie que
je vous envoye , qu'on n'en doit
aprehender aucunes mauvaifes
fuittes . Rien n'eft plus beau que
le memoire que je vous envoye
Il marque l'efprit & le profond
fçavoir de celuy qui l'a dreffé ;
& quoyque ces matieres ne foient
pas ordinairement intelligibles
pour ceux qui ne les ont pas
eftudiées ; ce memoire eft d'une
netteté qui fait plaifir , & qui
marque celle de l'efprit & le
profond fçavoir de celuy qui l'a
dreffé . Il a efté envoyé au Roy
d'Efpagne , dans les mêmes termes
que je vous l'envoye.
GALANT.
465
£ ifug ito podn¶ so sup stic
A Verſailles 21. de Mars 1701 .
ved 7 A
Monfeigneurfe trouva mal fame
dya onze heures & demie du foir ,
enfe deshabillant pourse coucher. Il
perdit connoiſſance en un moment , &
feroit tombéfans le fecours de quelques
uns de fe's Officiers , qui aiderent à le
foutenir andla'l ang kan
Deux chofes contribuerent à cet
accident ; L'une , la plenitude des
vaiffeaux fanguins , qui eftant extre
mement tendus , preffoient les caneaux
nerveux dans le cerveau , intercep
toient le mouvement des efprits & les
empefchoient de couler librement dans
les parties ; L'autre, le poids extraor
dinaire que les alimens faifoient
dans l'iftomach.
Comme Monfeigneur a obfervé tres466
MERCURE
regulierement le Careme depuis le
commencement , & qu'il s'eft mis
dans l'habitude de ne faire qu'un repas
le foir, la quantité de poiffon
qu'il avoit mangé , & les humeurs
produits depuis longtempsparlès mauvais
fucs de cette nouriture , avoient
tendu toutes lesfibres , & par cette
contrainte , les parties nerveufesjuſques
au cerveau fouffroient la même
contrainte & eftoient génées dans
leurs refforts , ce qui empefchoit auffi
Les efprits d'y pouvoircouler avec liberte.
Il fut fecouru fi promptement ,
&fi à propos , qu'il fut à peine une
demy - heure dans cet eftat. Aprés
qu'il eut pris quelques volatiles qui
ramenerent la maffe dufang , & le
firent couler avec plus de vivacité
dans fes vaiffeaux , où la circulation
paroiffoit embaraffee , M Felix le
GALANT. 467
faigna du bras droitfort adroitement,
au milieu de tous les mouvemens
qu'il fe donnoit, & la connoiffance
luy revint à mesure que le fang fe
vuidoit , & que les nerfs moins
preffezpar le volume de cette liqueur .
permirent aux efprits de s'y introduire.
On continua à luy donner deux ou
trois cuillerées de volatile qui eurent
le mèmefuccez, & on fongea enfuite
à vuider fon eftomac.
Monfeigneurprit pour cela le vin
dEfpagne & le Tartre emetique avec:
une entiere & pleine connoiffance :
mais comme toutes les parties eftoient
extremement tendues , & que d'ail
leurs les remedes eftoient, pour ainfi
dire , abforbez dans la quantité d'ali
mens, le beure & l'huile dont l'eftomac
eftoit charge , ilsfurent quelque
temps fans agirfurla membrane , &
468 MERCURE
fans exciter le vomiſſement.
Dans l'atm
de cette operation , on
luy donna un remede pour degager
bas ventre,ce qui reülit peu de temps
aprés , les fibres de l'eftomac
eftant un peurelachées par ce moyen
le vomiffement fuivit , & produifit
une evacuation d'ordares & d'alimen's
corrompus , qui parut tres- confideras
ble
Depuis ce temps- là , Monfeigneur
a toujours efté de mieux en mieux
On luy a donné deux potions purgati
ves à une heure & demie l'une de
l'autre qui ont continue à determiner
b'evacuation far en bas jufques a
quatorze fois.
L'abattement où l'avoient jetté
ces remedes , a efte fuivi d'un fommeil
fi tranquille & fi doux, qu'on
fa laisse dormir le reste de la nuit
GALANT 469
fans aucune inquietude , & ce calme
contribuant encore à relacher la tenfion
des fibres , aidoit encore à faire
agir le purgatif , en forte qu'il fe
reveilloit tout feul , & par envie de
faire quelque evacuation .
Mr Gervais le faigna le matin
par la même ouverture qne Mr Felix
avoit faite le foir ilpaffa la journée
auffi bien qu'on le pouvoit fouhaiter,
le purgatif continuant à agir fans
diminuerjes forces , en forte que
ftant levé le foir, pour donner le temps
de faire fon lit , il fe trouva ferme
fur fes jambes, & même plus fort
qu'il ne l'eftoit avant cet accident.
?
La nuit s'eft paẞée encore plus..
doucement que la journée. Monfei
gneur a dormi d'un fommeil tranquil
le depuis dix heures du foir jufques á
fept du matin , ne s'eftant reveille
479 MERCURE
que deux fois à minuit feulement pour
Le retourner, & à quatre heures pour
prendre fon bouillon,
On ajugé à propos de le faigner
encore ce matin , pour plus grande
feureté , ce qui a esté fort bien executé
au bras gauche par Mr Gervais,
& les chofes font prefentement dans
le meilleur eftat qu'on les puiffe fouhaiter.
L
La tefte eft tres - libre , il n'eft refté
aucun embarras dans les parties , ny
aucun vestige de la maladie , parce
qu'il a esté affez toft defempli pour
empêcherl'échapée de quelque humeur
bors des vaiffeaux . Il a de la force,
&fes mouvemens font plus fermes
qu'ils ne l'eftoientauparavant. Ainfi
on peut dire qu'il eft dans une parfai
tefante , & hors du peril d'aucune
rechute , cet accidentayant donné une
GALANT. 471
otcafion de diminuer l'abondance de
fon fang par trois faignées , & la
plenitude d'humeurs par des purgations
qui le mettront à couvert de tout
danger.
C.
Le Roy a nommé Mr l'Abbé
d'Aubigné à l'Evêché de Noyon.
If eft Abbé de la Victoire prés
de Chantilly , & Grand- Vicaire
de Mr l'Evêque de Chartres.
Ainfi , on ne peut douter qu'il
ne fçache comme il faut gouver
ner un Dioceſe , l'ayant appris
fous un Prelat auffi exact dans
tous fes devoirs que мr de Char
tres . Mrle Marquis de Tigni de
Poitou , fon Frere , eft l'aîné de
la maifon d'Aubigné.
Mr l'Abbé d'Etrées , Fils da
Maréchal & Neven du Cardinal
472 MERCURE
de comême nom , a eſté pourvû
de l'Abbaye de Saint Claude.
Ceft fur la démiffion de Mr le
Cardinal d'Estrées qu'on luy a
donné cette Abbaye. Il a efté
Ambaffadeur en Portugali &
n'eft pas moins eftimé par fes
bonues qualitez que par la grande
naiffance.dve 50 alon0
Mr. l'Abbé de Janfon- Forbin
a eu l'Abbaye de Saint Valeri.
Il eft Neveu de Mr le Cardinal
de Janfon , & Frere de Mr le
Marquis de Janfon , Sous- lieure
nant de la premiere Compagnie
des Moufquetaires , dont feu Mr
de Chevalier de Forbin , leur
Oncle , eftoit Capitaine- lieutenant.
Il a paffé toute la jeuneffe
aux études convenables à un
homme qui fe difpofoit à l'Etar
GALANT. 473
Ecclefiaftique , & dans des maifons
ou la Jeuneffe fe forme &
s'inftruit des devoirs & des fon-
&ions du miniftere facré , & n'a
quitté , depuis fon bas âge les
Seminaires des Bons- Enfans que
Tannée derniere , pour aller à
Rome avec Mr le Cardinal fon
Oncle . Ce Voyage a empêché
qu'il n'ait pris le Bonnet de Do-
&teur à la fin de fa Licence , dans
laquelle il n'a pas fait voir moins
de modeftie & de candeur , que
d'érudition & de capacité. Il eft
de la maifon de Sorbonne , &
Chanoine de l'Eglife de Beauvais
, dont Mr le Cardinal de
Janfon eft Evêque , & vient de
Tamaifon de Souliers en Provence
, qui eft tres-ancienne & tresdiftinguée
Mars 1701. Rr
474 MERCURE
L'Abbaye de Saint Martin de
Laon a efté donnée à Mr de Clermont
de Chafte , Evêque de
Laon , pour eftre unie à fon .
Evêché.
›
Mr l'Abbé Morel , Aumônier
du Roy , a eſté nommé à l'Abbaye
de Saint Martin de Tonnerre . Il
eft Confeiller au Parlement de
Paris , & Frere de Mr l'Abbé
Morel , qui a eíté Enveye du
Roy en plufieurs Cours , & qui
a réuffi en beaucoup de Negociations.
Mr l'Abbé de Barriere , à qui
l'Abbaye de Saint Martial de
Limoges a efté donnée , a apporté
le Bonnet á Mrs les Cardinaúx
de Coiflin & de Noailles . Il's'eft
acquis une grande eftime auprés
du Pape & du Roy.
GALANT. 475
9
Mr l'Abbé de Paris a obtenu
l'Abbaye de S Pere de Melun ,
Il eft Frere de мr de Paris, Prefident
en la Chambre des Com
pres.
On a nommé мr l'Abbé Cates
lan , Lecteur des Princes Enfans
de France, à l'Abbaye de Boilan
cour. Il eft Neveu de мr de la
Broue , Evêque de Mirepoix , &
d'une des meilleures Familles de
la Robe, de Touloufe.
Mr l'Abbé Fauvel , Chapelain
du Roy , a eu l'Abbaye de Clerfay.
Mr l'Abbé l'Allemand , Neveu
de feu мr Germain , Fermier
General , celle de Saint Martin
des Aires ; Mr l'Abbé de Gour
nay
Aumônier du grand Com
mun celle du Tronchet , & 2
Mr l'Abbé de мenon , de la Pe
Rrij
476 MERCURE
mt
Mahé
.
niffiere , celle de Saint Mahé.
Madame d'Aix a eſté pourvûë
de l'Abbaye de Cuffet ; Madame
de Mechatin, de celle de Sainte
Marie de Mets; Madame d'Hliers,
de celle de Saint Jean le Grand
d'Autun , & Madame de Grammont
, de celle de Battans .
Je viens à l'article que je vous
ay promis , & que vous me mandez
qu'on attend avec tant d'im
patience dans voftre Province.
wasbesttbgansiova
3
waitno en
Fortem st
GALANT. 477
2255222552€2522252
9071000 SITS
RELATION
33misc 36 1195 , SP JA
DUVOYAGE IM
basið I asst wu2sh suse ph
DUROY D'ESPAGNE
Depuis Ironjufqu'à Madrid
P
Endant que Sa Majeſté Catolique
traverfoit la riviere
dans ce fuperbe bâtiment , où je
l'ay laiffée , plufieurs François
avoientpris les devans & s'étoient
rendus à Iron par- deffus le Pont
qui y conduit. Ils vouloient voir
la maifon de ce Monarque qui y
eftoit arrivée quelques jours auparavant
, les apartemens du lieu
où il devoit loger, & la recep
478 MERCURE
tion qu'on lui feroit C'eft fur
ce que j'ai ramaflé de toutes leurs
Lettres dont aucune ne dit tout ,
& qui toutes enfemble ne laiffent
rien à fouhaiter que je á
yais vous éclaircir de toutes ces
chofes , les uns ayant remarqué
ce que les autres ont oublié ou
n'ont pas vu. Je croy vous en
devoir parler avant que de vous
entretenir de l'arrivée de Sa Majefté
Catholique á Iron , parce
que le fil de ma Relation leroit
interrompu par de trop longues
digreffions , lorfque je fuivray le
Roy dans tous les lieux où il ira
& que je vous raporteray ce qui
s'v paffera
L'entrée de l'apartement de Sa
Majesté eftoit gardée par des Allemands
vêtus a l'Eſpagnole.
GALANT, 479
1
Toutes les fer eftres en eftoient
fermées pour rendre la Chambre
du Roy plus chaude , l'Antichambre
eftoit tenduë d'une hauteliffe
a fond d'or Quelques Espagnolsdirent
qu'elle eftoit du deffein de
Raphael, & d'autres de Jule Ro
main , ce que fa beauté fit aifément
croire Il y avoit deux tables
dans cette Antichambre
avec deux tapis de velours rou
ge chamarez de galon d'or , &
un vafe d'argent plein de feu au
pied de chacune , pour fervir de
caffolette . Les vafes eftoient à
peu prés comme comme les pots
à fleurs dont nos Jardins font
ornez. La porte de la Chambre:
du Roy eftoir gardée en dehors
par des Alemands vêtus à l'Ef
pagnole de même que ceux dont
+
480 MERCURE
je viens de parler , ayant cha
cun une halebarde comme nos
Suiffes. La tapifferie de cette
chambre eftoit encore plus riche
que celle de l'antichambre qu
reprefentoit la délivrance d'Ahdromede
, & Fenlevement de
Ganimede. On avoit formé une
Alcove avec quelques pieces de
cette tapilferie & on avoit dref
fé dehors un lit de velours rouge
cramoifi brodé d'or tout au tour
& garni de molet , franges &
crepines d'or, Il eftoit double
de moire d'argent , & le fond
du lit , eftoit de la même moire ,
mais moins élevé que les noftres
Il y avoit cinq marelats de quatredoigts
d'épaiffeur , couverts
de damas cramoifi , avec quatre
traverfins plus longs , & couverts
de
GALANT. 48
de même étoffe Ils eftoient piquez
comme les matelats , & cependant
ils ne laiffoient pas d'être
plus mols : les draps eftoient
fort fins , mais moins longs que
ceux de France. Il y avoit fous
le même lit un tapis de pied , &
tout le long de la chambre une
natte de jonc tres - fine , & pardeffus
ce jonc , de petits tapis qui
qui paroiffoient de pluche. La
Courte pointe eftoit des Indes .
A côté du lit eftoit un petit dais
de velours cramoifi avec des pantes
, & de petits rideaux & def-
1
fous , une espèce d'Oratoire fans
prie Dieu pour mettre les reliques
& les benitiers . Il y avoit
auffi deux fauteuils de velours
Cramoifi garnis de frange & de
molet d'or , mais dont les braş
Mars 7101.
Ss
482 MERCURE
n'eftoient point converts &
eftoient de bois plat felon l'ufage
d'Espagne . Dans le milieu de la
chambre , on voyoit une tres
grande cuvette propre à mettre
du feu. A côté de cette cham
bre , ily en avoit une autre dans
laquelle on avoit tendu l'ameu
blement qui avoit fervi à Sa Majefté
Catholique , pendant fon
voyage , & qu'on lui avoit laiffé,
Sa Maifon eftoit partie de Ma
drid le 28. de Decembre pour fe
rendre à Iron . Elle eftoit.compofée
de deux Gentilshommes de
la chambre , de deux Maistres
d'Hôtel , de deux Aides de la
chambre , & d'environ cent quatre-
vingt Officiers , Sa Majefté
Catholique trouva auffi à Iron.
Cent mulles à porter fraddau,
GALANT. 483
Trente-huit mulles à fclle .
Son grand carroffe à quatre
places .
Six chaifes à deux places.
Les voitures qui avoient amené
les Officiers n'eftoient pas
comprifes dans celles - là .
Ontrouva auffi à Iron des Majordomes
, & des Chambellans
du nombre defquels étoient Dom
Alecho de Gufman , Comte de
Fontanara , & Mrs les Marquis
de Valero, de Quintana & d'Almeda
.
Les gens de Livréequi attendoient
le Roy, eftoient vêtus de
jaune avec un velouté cramoili
entre deux blancs , moucheté de
noir Ils en avoient fur les coutures
& autour des bafques de
leurpourpoint. Leurs chapeaux
Ss ij
484 MERCURE
étoient grisblancs àgrands bords,
Ily avoit douze Gardes vêtus
de velours jaune qui portoient
des pourpoints dont les manches
n'eftoient point fendues . Ils
avoient une trouffe ou des chauf
fes comme nos Pages en portoient
autrefois. Leurs habits eftoient
tout couverts d'un galon à fond
jaune , orné de petits careaux
rouges veloutez . Ils avoient un
plumet blanc fur leur chapeaux ,
des bas rouges & des efcarpins
fans talon . Quand ils font à che
val , leurs armes font une carabine
, une épée & deux piftolets
& quand ils font à pied , ils portent
des pertuifanes dont le bour
eft beaucoup moins large que
celui des noftres.
Le carroffe du Roy cftoit à
GALANT. 48%
grandes portieres , & fort commode
, doublé de velours avec
quelques ornemens d'or. Il y
avoit de la fourure fur les revers
des couffins. Il eftoit trainé par
des mulles qui parurent tres-belles.
Le cocher avoit une culote
& un pourpoint de drap jaune
avec deux rangs de galon , des
efcarpins & un grand chapeau
gris - blanc fans eftre retrouffé ,
avec des rubans aurores , rouges
& bleus qui pendoient. Les co
chers en Efpagne ne menent pas
fur un Siege comme en France.
Ils font affis fur la mulle limoniere
qui eft à gauche , & ont un po
ftillon fur une des mulles de volče
.
La Cour de Sa Majefté fe trouvå
aſſez groſſe á Iron , voicy les
f
Ss iij
486 MERCURE
noms de tous ceux qui eftoiene
venus au- devant , les uns jufqu'à
Paris , les autres fur le chemin
par- dela Bayonne , & les autres
jufqu'à Bayonne feulement. Il y
en avoit même quelques- uns qui
n'avoient pas paffé Iron.
Le Duc de Bejar , Grand
d'Espagne .
Le Comte d'Ognate , Grand
d'Espagne, & General des Poftes.
Dom Antonio Martin de Tolede
..... Fils du Duc d'Albe.;
Le Prince Pio , Italien ..
Le Duc de Popoli , General
d'Artillerie .
Mr d'Ottaffo , Lieutenant ge
neral de la Cavalerie .
Le Marquis de Caftanaga , qui
s'eftoit retiré volontairement de
GALANT. 487
puis quatre ans dans une maifont
de campagne
.
༣
Le Marquis de Pignatelli
Le Marquis de Tenebron .
Le Comte d'Urfele , Ceftre
de Camp general.
Le Comte Duxe .
Le Comte d'Obliteffo , Fils
du Comte de Villalva: Sunutib
Le Comte de Bonavista.
Dom Pedro de Zoniga.
-Dom Pedro Dagüira , Colo
nel & Commiffaire general de
Catalogne.
L'Evêque de Catania en Sicile .
Dom Louis Clemente Darbareia
, Titre de Caftille .
Le Comte de Galve.
Le Comte de maceda .
Dom Rodrigues , general de
Bataille .
Ss iiij
488
MERCURE
Dom Roberto Herblé , Titre
de Caftille. ih nema uks vangiet
Le Marquis de Rebleous.
186
Dans le temps que Sa Majeſté
Catholique traverfoit la riviere
de Bidaffoa pour entrer fur les
terres d'Efpagne , il y avoit fur
le bord de cette riviere du cofté
d'Iron , où ce Prince devoit débarquer
, deux mille Eſpagnols ,
la garniſon d'Andaye , & trois
cens Soldats de milice qui gardoient
le Pont qu'on avoit jetté
fur cette riviere . Sa Majesté pafla
à la vue de Fontarabie , dont
toute l'artillerie fe fit entendre ,
auffi bien que celle d'Andaye ,
& en demi- heure de temps elle
arriva à Iron , où elle mit pied
à terre au bruit de l'artillerie
des deux Places que j'ay nom
GALANT 489
་ ་
mées , & de celle d'Iron qui s'y
joignit . On avoit douté pendant
quelque temps fi ce Prince viendroit
pardeffus le Pont de Bateaux
qu'on avoit fait faire exprés
, ou dans le Bringantin que
la Ville de Fontarabie avoit fait
conftruire pour fon paffage , &
qu'elle lui avoit envoyé , mais
fitoft qu'on eut efté affuré qu il
fe ferviroit du Brigantin , les Ef
pagnols d'Iron firent jetter for
le bord de l'eau un petit Pont
jufqu'à l'endroit où ce Bâtiment
devoit aborder . Mr le Duc d'Albe
s'y trouva , & cut l'honneur
de lui donner la main en fortang
du Brigantin. Son Ecuyer François
lui prefenta un cheval , &
fon Ecuyer Efpagnol lui en pre
fenta un auffi , mais Sa Majefté
490 MERCURE
jugea à propos d'aller à pied juf
qu'à l'Eglife de Noftre - Dame ,
où l'Evêque de Pampelune l'attendoit.
Ĉe Monarque fut reçu
aprés fon débarquement fous un
dais fort riche qui fut porté par
fix perfonnes de qualité . Voici
de quelle maniere la marche ſe
fit. Le cheval qu'on lui avoit
preparé eftoit à la tefte de tout .
C'eftoit un petit cheval tres- joli
à crin noir , fur lequel eftoit une
felle de velours jaune , & la houffe
de même coupée à l'Espagnole,
Heftoit conduit par deux Pal--
freniers vétus de jaune avec de
de grandes épées . Tous les che
vaux que Sa Majeſté a fait paſfer
en Efpagne venoient enfuite
avec plufieurs Palfreniers à cheval
, quantité de mules paroifGALANT.
491
foient aprés , avec plufieurs Cochers
& Poftillons , dont les uns
avoient des cravates , mais courtes
, les unes de linge , & les autres
de taffetas noir . Ils eftoient
fuivis de fix Suiffes qui avoient
de petites hallebardes . Le gros
des Courtiſans & des Seigneurs
au milieu defquels eftoit le Roy,
fe faifoit enfuite remarquer.
Plufieurs perfonnes portant de
petites cannes en haut à la ma
niere de nos Huiffiers , venoient
aprés , & cette marche eftoit
fermée par les douze gardes dont
je vous ay déja parlé , & dont je
vous ay décrit l'habillement ,
fans vous avoir dit qu'ils avoient
chacun un poignard. L'Evêque
de Pampelune attendoit Sa Mijefté
fous le portail de l'Eglife
492 MERCURE
á la tefte de fon Clergé. Il y
avoit un tapis de velours & un
carreau pour ce Prince , qui fe
mit d'abord à genoux . L'Evêque
aprés lui avoir prefenté de l'eau
benite , lui donna trois benedictions
, & lui prefenta la Croix
pour l'adorer. Sa Majefté la baifa
, & offrit à Dieu les prémices
defa Souveraineté . Elle s'avança
enfuite jufqu'à fon Priédieu qui
eftoit au pied du maistre Autel ,
où l'Evêque eftant monté il entonna
le Te Deum , quefon Clergé
chanta en fauxbourdon . L'E
vêque dit l'Orailon , & le Roy
reçut encore une benediction de
ce Prelat , aprés quoy quatre mil
le voix Efpagnoles s'écriérent
en même temps en leur langue ,
vive le Roy. Sa Majesté le rendit
GALANT 493
aprés cela au logis qui lui avoit
efté préparé . Les rues par ou
elle paffa eftoient remplies de
peuple , auffi bien que les fenef
tres & les balcons , ce peuple ne
ceſſa point de crier vive Philippe
V. & difoit hautement , qu'on
voyoit bien de qui il tenoit la naiffance
, que fon Aycul eftoit le plus
grand homme du monde , & qu'il le
deviendroit dans peu .
Quelques momens aprés que
ce Prince fut entré dans fon ap- ,
partement , il ordonna que les
François en fortiffent , & peu de
temps aprés les Efpagnols reçu-..
rent le même ordre. Il sabandonna
en liberté à tout ce qu'il
fentoit alors . Deux heures aprés |
il donna audience aux même.
Evêque de Pampelune qu'il ve4
º4 MERCURE
noit dequitter. Ce Prelat s'avan
ça fort prés de Sa Majefté , & la
harangua en Efpagnol , puis il fe
retira en luy donnant beaucoup
de benedictions . A peine fut-il
forty que les Députez de la Province
complimenterent Sa Majefté
, & eurent l'honneur de luy
baifer la main . Les Jurats luy
firent auffi compliment , & il
permit à plufieurs de fes Offciers
, & aux Seigneurs Efpagnols
de luy baifer la main: Cela
fe paffa en prefence de plufieurs
perfonnes , toutes éloignées de
Sa Majesté , qui rentra auffitoft
dans fa chambre pour travailler à
plufieurs affaires , & aux dépêches
de plufieurs Couriers qui
les attendoient . On luy fervit á
Louper quelque temps après, Ily
<
GALANT. 495
avoit des plats aprêtez par les
François , & d'autres par les Ef
pagnols . Tout cela le paffa le
22. de Janvier. Le 23 au matin ,
Mr le Duc d'Harcour , Ambaffadeur
Extraordinaire de France,
cut fa premiere audience du Roy,
à qui il remit fes Lettres de
créance. L'apréfdînée du même
jour , ce Prince monta en mule,
fuivant l'ufage du Pays , pour
aller voir les fortifications de
Fontarabie , qui n'eft éloigné
d'Iron que d'une demi lieuë . LạLa
pluye le prit en chemin. Il ne
voulut point prendre de manteau
, pour faire voir qu'un Roy
doit s'accoutumer de bonne heu
re à la fatigue , ce qui fut admiré
de tous ceux qui le virent.
Les Grands ne laifferent pas d'e-
"
496 MERCURE
ftre incommodez de la pluye ,
parce que le Roy n'ayant point
de manteau , ils ne purent en
prendre. Sa Majeſté fut receuë
dans Fontarabic au bruit de tout
le canon & aux acclamations
de la Nobleffe & du peuple. 11
eft impofile d'exprimer la joyes
auffi -bien que la grace avec la
quelle il falua toutes les Dames
qui avoient quelque air de qua
lité , & qui eftoient fur les balcons
, ce qui fit redoubler les
acclamations. Il fit le tour de la
Place , & charma également tous
ceux qui le virent. Il revint coucher
à Iron , & en partit le lendemain
24. pour aller coucher à
Hernani . Son carroffe ne le pnt
mener qu'à une lieue & demie ,
tant les chemins eftoient mau
GALANT. 497
vais. Il perit quelques mules, &
il y eut des équipages brifez . If
dina dans un village à moitié
chemin d'Hernani . On luy avoit
préparé un lit pour y faire la
Siefta , mais loin de s'en fervir if
monta en mule malgré l'abondance
& l'opiniâtretéde la pluye,
& fit encore une licue & demie
en cet eftat , au grand étonnement
de tous les Efpagnols qui
le virent. Il arriva à cinq heures
à Hernani des chemins trespar
efcarpez & tres- difficiles . If en
devoit partir le 26. mais la connuation
du mauvais temps , & le
débordement des torrens l'en
empêcherent .
Le 27. il alla voir Saint Sebaftien
. Il partit en mule , & fuivi
d'une fort nombreuſe Cour. La
Τε
Mars
1701.
498 MERCURE
joye y fut femblable à celle qu'on
avoit fait paroiftre à Fontarabie
Les ruës eftoient, tapiffées , les
balcons ornez de tapis & remplis
de Dames , & la Bourgeoifie fous
les armes. La Citadelle fit trois
décharges de fon canon , & le
Rov fit le tour de la Place. Les
Habitans croyoient qu'il y cou
cheroit mais ils furent fi.conf
ternez de le voir partir , qu'ils
donnerent des marques de leur
chagrin , en querellant ceux qu '
ils croyoient eftre caufe de fon
départ . Il revint coucher à Her
nani , d'où il partit le lendemain
28 pour venir coucher à Tolofa
, petite Ville & jolie dans les
montagnes , fur la riviere d'Oria .
Il trouva la milice & les habi ».
tans fous les armes , & fat reçu
GALANT 499
avec des acclamations de
jove
dont il faudroit avoir efté rés
moin pour les bien comprendre.
Il fut diverti le foir par un feu
d'artifice tres-ingenieux ; & qui
dura fort longtemps . Le Royalla
le 29: à la meffe dans une tresbelle
Eglife , & dont la voute eft
hardie & belle y a plufieurs
richeffes dans cette Eglife , & un
tres-beau devant de chaiſe d'argent.
On voit dans cette Ville
une belle Manufacturé d'armes ,
que Sa Majesté alla voir aprés la
Melle. Elle en fit forger quel
ques-unes en fa prefence &
ayant donné des inftructions
pour forger quelques fufils , &
d'autres armes d'une nouvelle
invention , Elle regala les Ou
vriers dune bonne fomme , &
>
Tt ij
$
500
MERCURE
apartit l'apreſmidy pour aller couscher
au Bourg de Villafranca
fur la même riviere .
Le 30. le Roy coucha à Villareal
. La nuit de cette même journée
trois Aides de Cuifine de Mr
Je Comte d'Ayen ayant fermé les
feneftres , allumerent un grand
brafier de charbon dans le milieu
, & comme il n'y a point de
cheminée dans ces lieux- là , Ja
fumée ne trouvant point de fortie
, on les trouva morts à quatre
heures du matin , aprés avoir
enfoncé la porte, any was
Le Roy monta en caroffe ce
même jour 30. & alla dîner à
Ognate , Bourg fitué dans les
montagnes, & Mondragon. Quoy
que les routes depuis Villareal,
jufqu'à Mondragon foient,fors
në
GALANT for
efcarpées , elles avoient efte fi
bien raccommodées qu'on y paffa
en caroffe avec peu de danger.
Le 31 M le Duc d'Harcourt y
-reçut un Courier de Madrid de
la part de M le Cardinal Portocarrero
, qui luy apprenoit que
dés que l'on avoit freu que Sa Cajeftè
Catholique eftoit entrée dans fes
Etats , on avoit expofe le S. Sacrement
dans toutes les Eglifes , & ordonné
des jeûnes , & des Prieres publiques
pour Sa Majesté , & qu'on
Lattendoit avec une impatience , &
une joye qui ne fe pouvoient exprimer
Bones Do
"
Le premier de Février le Roy
zalla diner à Salinas . Il partit en
unule parce qu'il faut monter
une montagne tres-rude pour en
gagner la pense. Les Députez
102 MERCURE
de la Province de bailer la murent l'honneur
de Sa Majefté .
fur la montagne de Salinas qui
fepare le Guipufcoa d'avec Alva,
ou la Milice du Pays qui avoit
accompagné les Députez. , fich
trois falves royales .
Le Roy monta en caroffe à une
Heuë de Vittoria , Capitale du
petit Pays d'Alva , & après avoir
defcendu les montagnes , & quitté
les Pirences , il arriva à Vittoria
. Ily fejourna le lendemain ,
jour de la Purification , & fir fes
devotions dans la grande Eglife.
Sa Majesté y communia par les
mains de l'Evêque de Pampelune
, quoy que ce lieu ne foit pas
de fon Dioceſe. Les Efpagnols
qui font fort devots à la Vierge
furent charmez de voir leur Mo
GALANT. 503
narque dans les mêmes fenti
mens Il alla l'aprefdinée à Ve
pres dans la même Eglife Elles
furent chantées en musique , &
le foir on luy donna le divertif
fement de plufieurs feux d'artis
fice .
Il fejourna encore le 3 dans
le même lieu , & l'on courut deyant
luy cinq Taureaux à pied .
On en avoit deftiné fix , mais il
y en eut un qui s'échapa. Toute
la Cour y retourna laprefmidi.
La fefte fut plus belle : Deux Ca
valiers bien montez combatirent
à cheval avec la lance. Un des
Taureaux embaraffa fes cornes
dans la felle d'un des Cavaliers ,
& s'en dégagea avec peine, mais
fans que le Cavalier ny le cheval
fullers blaffe Plufcars autres
104 MERCURE
combattirent à pied , & il y eut
quatre taureaux tuez , & plufieurs
Torreadores renverfez. La fefte
fe paffa fans qu'il arrivaft aucun
accident . Toutes les Dames de
la Province affifterent à ce divertiffement
. Elles avoient beau
coup de Pierreries & de grands
Vertugadins. Il y eut le foir des
feux d'artifice femblables à ceux
du jour precedent . Les François
trouvèrent leurs Hoftes fort
honneftes ; ils en receurent beaucoup
de civilitez , & ne les laifferent
point manquer de Chocolat.
Le Roy partit le 4. de Vittoria
, & alla coucher à Mira nda
de Ebro. Le lendemain il chaffa
dans le clos des Religieux de S.
François , & alla ce même jour- là
cinquième coucher à Bribiefca.
Sa
BGALANT.
TCS
}
Sa Majefté arriva le 6. à Burgos
, Capitale de la vieille Catille
. On fit le foir de grandes
illuminations , & toutes les feneftres
furent remplies de flambeaux
de cire blanche . Ce Prince
fut diverti aprés fon foupé par un
tres-beau feu d'artifice.
Le 7. il alla voir la Chartreufe
de Miraflores á demi lieuë
de la Ville. Les Religieux lui
donnerent une grande colation ,
& lui prefenterent á boire dans
une coupe de leur Fondateur .
Le 8. Sa Majefté alla vifiter
le fameux monaftere de las Huelgas
, de l'Ordre de Citeaux, l'A
beffe & fes Religieufes reçurent
ce Prince á une porte murée qui
ne fe demolit , & ne s'ouvre qu '
en pareille occafion. Elies lui
Mars 1701. V v
05 MERCURE
C
baiferent la main , le conduifiparent
dans le choeur fous un dais
& chanterent le Te Deum , aprés
lequel l'Archevêque de Burgos
accelebra la meffe. Le Roy fut enfuite
conduit dans le monaftere
qui eftmagnifique . Il trouva dans
une des Sales , un dais , & un fauteuil
deffous, & Samajeſté s'étant
aflife , on lui fervic'une prodigieufe
quantité de confitures féches ,
de chocolat , & de vins de liqueurs
de toutes fortes . Si -tôt
qu'elle en eut gouté , toute cetre
colation fut abandonnée à tous
ceux qui estoient prefens . l'Archevêque
la vint rejoindre en
cet endroit , & enfuite Sa Majefté
fut reconduite par les Religieufes
qui lui baiferent une.feconde
fois la main . Ce monafte-
"
„GALANT.
507
હૈ
rea defi grands Priviliges qu'outre
fon indépendence de lordinaire
, l'Abbeffe examine les
Confeffeurs de fon Ordre , donane
des dimiffoires pour les Béneffices
qu'elle confere , interdit
les Prêtres , & les punit. Cemonaftere
jouit de cinquante mille
écus de rente. On n'y peut entrer
fans avoir fait de grandes
preuves de Nobleffe . Il a efté
fondé par Alphonfe le Sage.
Quatorze Convens en dépendent
, & Abbeffe a toute la juftice
fur foixante Villes . On soit
toujours fur la porte qu'on démolit
, lorfque quelque Roy y
entre , les armes du dernier qu'on
ya veu avec une infcription qui
fait mention du jour qu'il y eft
entré.
t
V vij
508 MERCURE
*
L'aprofdinée il y eut une fête
de Taureaux dont feize, furent
tuez . Ily eat le foir un tres -beau
feu d'artifice. shuult
Le lendemain 9. le Roy aprés
avoir entendu la Meffe & reçû
les cendres , partit de Burgos &
alla coucher à Lerma qui apartient
au Duc de l'Infantado ,
Le ro . Sa Majesté coucha à
Aranda de Duero. On y avoit
préparé une Fefte de 14 taureux
croyant que S.M.y féjourneroit;
mais comme on aprit que ce Prince
partiroit le lendemain , on Pon
courut le foir aux flambeaux un
taureau feulement , avec des petards
, & des fufées en forte
que ce divertiffement quoique
court, ne laiffa pas defaire plaifir ,
& d'eftre trouvé tres - plaifant .
GALANT. sog
Le Roy coucha le 11. á Sant
Eftevan de Gormas . On y eut
nouvelle que la Reine eftoit partie
pour Tolede , & que le Grand
Inquifiteur eftoit relegué ,
Le 12 Sa Majesté Catholique
dîna à Ofma , & coucha à Verlanga
, où elle féjourna le 13. &
fe divertit á la chaffe dans le
parc du Conneſtable de Caftil- ,
Le 14. ce Prince dina à Romillos
, & coucha à Atienca de
l'Evêché de Siguenca . Les illuminations
y furent grandes , &
il y eut des feux d'artifice .
2
4
Levi arriva fur les deux
heures aprés midi à Kadraque
, où il fe fit voir en public
pour faire plaifir á la noblef
des environs , qui y eftoit accou
V v iij
TOAJAD
STO MERCUREN
ruë , & même de plufieurs endroits
éloignez . Sa Majesté fir
diftribuer de grandes, aumônes
aux pauvres ; Elle reçut des Ca
pucins un regal de tres beaux
fruits & leur fit donner une
groffe aumôner
Le 16 Elle entendit
la Meffe
dans l'Eglife de ces Peres , &
eftant partie de bonne heure .
Elle arriva fur les trois heures
aprés midi à Gouadalaxara
. Les
portes de la Ville , & les ruës
eftoient
tapiffées
Les Religieu
fes d'un Convent
devant lequel
ce Prince devoit paffer , dirent ,
qu'elles
vouloient
voir le petitfils de
Louis le Grand , que Dieu envoyoit
à l'Espagne . Elles rompirent
leur
murailles
jufqu'au
niveau de la
rue , & fe firent une cloture
de
GALANT . SIL
jaloufies , où elles demeurerent
fans en fortir pour aller manger ,
quoiqu elles v fuffent depuis la
pointe du jour On avoit planté
un bois devant la porte du Palais
, où Sa Majesté devoit loger.
Ce bois cftoit tout rempli de lapins.
On avoit auf trouvé le
moien de faire un jardin artificiel
orné de fleurs , & de fontaines
, où le Portrait du Rov étoit
élevé fous un dais . S. M. logea
dans le Palais du Duc de l'Infantado
qui eft un des plus beaux
qui foient en Espagne . Ce Prince
tua trois oyleaux dans les jardins
de ce Palais . Chacun les
vouloit avoir pour les garder.
Les femmes contre la coutume de
la Nation , pafferent l'aprefdinée
& la matinée du lendemain dans
365 ordiend fun huviiij
N
112 MERCURE
les places publiques , & firent
des acclamations & des cris de
joye en fouhaittant une femme
au Roy , dont il eût bien- tôt des
enfans. Elles ne cefferent point
de crier en leur langue , vive le
Roy Philippe , fonpere , & fon ayeul ,
& vive le Gouvernement qui varendre
l'Espagne heureufe . Sur le foir ,
il y eut de grandes illuminations
dans toute la Ville. Les jeunes
gens , au nombre de deux cent à
cheval mafquez de façons
ferieufes & plaifantes , & tenant
chacun un flambeau de cire blanche
á la main pafferent devant le
Palais du Roy & faluerent Sa
Majefté au fon des Tambours & odo
des Trompettes Ils firent enfuite
deux à deux le tour d'un feu 8
d'artifice , qui fervit le foir de
toutes
103
GALANT
. M
S13251
27-2
divertiffement à Sa Majefté
aprés quoi , ils fe promenerent
dans les principales rues de la
Ville.
Le lendemain 17. Sa Majesté al
alla a la мeffe dans une Eglife
du Château . Les Religieufes de
Sainte Claire qui en font proche , i
la firent fupplier par le Duc
d'Offune , d'aller jufqu'à leur
grille Ce Prince tourna auffitôt
fes pas vers leur maiſon , &
s'y rendit à pied . Il les falua ,
& leur parla. L'étonnement de
ces Religieufes & de tous les
fpectateurs fut grand , de voir
un Roy d'Efpagne parler , marcher
& ôter fon chapeau , Ce
Monarque dina de bonne heure ,
& partit fur les onze heures du
matin , pour aller á Alcala de
-4
S'4 MERCURE
Halmarés , où il arriva fur les
cinq heures du foir . Le bruit
s'eftoit répandu le même jour. á
Madrid , que le Roy iroit coucher
dans cette Capitale , &
qu'il n'iroit point á Alcala ; parcé
que la fameufe Uniuerfité de
certe Ville - là , & le Corps de
Ville, eftoient en difpute fur des
préferences , touchant les devoirs
qu'ils devoient rendre au Roy ,!
& comme ces conteftations e )
toient grandes , & l'affaire diffi
cile a accommoder , on publia que
Sa Majesté n'entreroit point
dans Alcala , & qu'elle iroit tout 1
droit à Madrid. Ainfi far les dix ®
heures du matin , il fortit unes
fort grande quantité de monde
de Madrid , pour aller au- devant
de ce Moparque ; mais Sa MajeGALANT.
S'S
fté termina par fa prudenne , au
gré des deux partis , les conte
ftations de fes fujets d'Alcala
& ils eurent par-la l'honneur de
jouir de fa prefence , & de le voir,
coucher dans leur Ville. Il trou.
va en y arrivant les rues tendues
de tapifferies , plufieurs Arcs de
triomphe , & fon portrait fous un
riche dais. Il logea au Palais du
Cardinal Portocarrero Ce Prince
n'avoit pas voulu que ce Cardinal
& les Seigneurs de la Junte
vinffent au - devant de lui ,
pour
ne pas reculer l'expedition des
affaires. Il défendit auffi aux
autres Seigneurs de venir pour
éviter l'embarras ; mais il ne laifa
pas de s'en échapper quelquesuns
. Le Nonce du Pape les
Ambaffadeurs de Venife & de
fa
516 MERCURE
que s'il
Savoye , & l'Envoyé de France
vinrent le complimenter à Alcala
. Il parut auffi peu embarraffé
dans ces Audiences que
or fait autre chofe que d'en
donner depuis plufieurs années
& il leur répondit avec toute la
préfence delprit poffible. Les
mêmes Ambaffadeurs eurent
l'honneur de le voir fouper & il
leur fit plufieurs queftions pleines
de fagetfe & d'efprit, dont ces
Miniftres parurent furpris . Le
jour qu'il arriva á Alcala , il envoya
ordre à tous les officiers de
la Maifon Royale , de ne point
s'ingerer dans les fonctions de
leurs Charges , jufqu'à ce qu'il
en eût reglé le nombre . On remarqua
que les habitans d'Alcala
n'eurent pas la moindre atten-
7
GALANT . 517
"
tion à toutes les réjouiffances qui
fe firent dans leur Ville , & qu'
ils regarderent toûjours fixement
leur nouveau Roy.
Ce Prince devant aller à Madrid
le 18. & coucher au Buen-
Retiro , le peuple commença à
fortir de cette Ville dés la nuit
du 17 & les deux coſtez du chemin
d'Alcala furent remplis dés
la même nuit , de Carroffes , de
Litieres & de Chaifes roulantes,
mais avec tant d'ordre , par les
foins de Dom Francifco Ronquillo
, dont la Charge a les mêmes
fonctions que le Lieutenant
de Police en France , que ce
grand nombre de voitures
differentes
ne caufoit aucun embarras
, & laifoit dans le chemin
un efpace affez large pour laiffer
518 MERCUR
paffer ' huit carroffes de front.
Depuis le point du jour jufqu'à
l'heure qu'arriva Sa Majesté , le
concours de toutes fortes de
perfonnes fut fi prodigieux, qu'-
on ne fe fouvient point en Efpagned'en
avoir jamais vu de pareil
. Toute cette multitude sétendoit
jufqu'à fix lieuës au delà
de Madrid ; mais elle paroiffoit
innombrable depuis madrid jufqu'à
trois licues par dela .
Sa Majefté Catholique partit
d'Alcala fur les huit heures
du matin , Elle eftoit dans le
fond du carroffe . Mr le Duc
d'Harcour fur le devant
Mr le Duc d'Offune & Mr
le Comte d'Ayen eftoient à
une des portieres , & Mt le Mar-
• 47004 shor
GALANT.
519
quis de Quintana à l'autre portiere.
Dés que Sa Majesté parut
à Arreyro de Barnigal , les Gardes
Efpagnoles & Alemandes ,
& les vieilles Gardes de Caftille
fe rangerent de file . Elles avoient
tous les ornemens qu'elles ont accoûtumé
de prendre dans les fêtes
Roïales . Tous
leurs
chaî
avoient
de riches écharpes, & des chaînes
d'Or. Les Lieutenans étoient
magnifiquement vêtus & montez
fur des chevaux richement enharnachez
clairons. Les trompettes & les des
qui marchoient
devant les carroffes de Sa Majefté
, annoncerent fa venue Le
Cocher Major du Roy marchoit
à la tête : on voyoit enfuite le
carroffe du Corps , puis le carroffe
Royal , dans lequel eftoit
10 MERCURE
le Roy.
Ce
carroffe
eftoit environné
de diverfes fortes de Gardes
qui compofent la Garde de
fa Majefté , & de la livrée de ce
Monarque. A peine ce carroffe
pouvoit - il avancer , les hommes ,
les femmes & les enfans ; fe jettant
deffus pour voir leur Maître
. Cette foule für fi continuelle
qu'on demeura neuf heures à
faire le chemin qu'on fait ordinairement
en trois . On entendoit
que des cris de joye & des
acclamations ; & l'air retentiffoit
des mots de vivit , vivat , des benedictions
qu'on donnoit à ce
jeune Roy , & des fouhaits qu'on
faifoit en fa faveur. Le carroffe
de Sa Majesté eftoit ſuivi de ceux
des Grands , des Seigneurs &
des Chevaliers & à mefure que
N
GALANT. 129
Sa Majefté fortit de table à
neuf heures , & alla au balcon
qui donne fur la place ou ce peuple
avoit déja eu le bonheur de
le voirpendant demi - heure aprés
fon arrivée . Si - toft que Sa Majeſté
y parut les Timbales & les
Trompettes commencerent leur
bruit de guerre. Il partit en même
temps une infinité de fufées .
Tous les ornemens qui l'environnoient
furent confumez avec
beaucoup d'adreffe. La piramide
feule demeura illuminée , ce qui
fit voir un grand art . Le nom de
Philippe Cinquiéme l'accompagnoit
avec une bordure , & une
couronne d'étoiles brillantes .
Sa Majesté refta encore quelque
temps fur le balcon , & les ac
Mars 1701. Yy
S20 MERCURE
clamations ne diſcontinuerent
point .
Le 19, Sa Majefté après avoir
oui la Meffe à la Tribune du
Monaftere Royal de Saint Jerôi :
me , alla voir les Lions & les Ti
gres qui font renfermez dans
leurs loges , jufqu'à ce que le
Batiment qu'on fait pour les gar
der foit achevé. Laprefdinée du
mênie jour , Sa Majefté fe mito
dans une gondole pour aller au
Bois qui eft de l'autre cofté du
grand Etang , pour tuer des lai
pins
Le 20. Sa Majesté s'habilla de
deuil à l'Efpagnole avec la golille
. Cet habit ne luy ofta rien
des graces qui l'accompagnent
dans toutes les actions. Elle alla
fur le foir à Noftre - Dame d'AGALANT
tocha , où elle fit voir fa pieté &
fa
religion.
Le 21. aprés la Meffe , ce Prince
alla à la Maifon del Prado , où
ellé pria Dieu avec une devotion
édifiante , devant l'Image mira- a
culeufe de Noftre Seigneur au
Sepulcre. Ce Prince vifita le Palaisty
& alla enfuite tirer des
Lapins ; il en tua plus de quatrevingt.
Il monta fur le foir à che
val , & alla à la Torréde la Parada
, où avec beaucoup d'adreffe
il tua un Sanglier. Il en revint
fur les huit heures du foir. On
eft charmé de le voir fi bien étel
vé, & fi adroit dans tous les exercices
. Cela produit un effet merveilleux
fur les Espagnols qui ainaturellement
leur Roy.
Le 22. Sa Majesté retourna
Y y ij
$32 MERCURE
chaffer au Bois del Retiro , où elle
tua foixante- dix pieces de gibier.
Sur le bruit de guerre quelques
Efpagnols ayant demandé à ce
s'il iroit à l'Armée . Il
Monarque
répondit que non -feulement il iroit ,
mais qu'ilfavoit que la place d'un
Roy eftoit à la tefte de fon Armée.
A
Ce Prince ayant appris toutes
les belles actions qui ont eſté
faites par la Garnifon de Ceuta ,
a envoyé deux mille Pistoles aux
Officiers , & Sa Majesté a donné
à fix de ceux qui fe font le plus
diftinguez l'Ordre de Saint Jacques
, & elle a ordonné que dans
le Confeil de fes Ordres Militaires
, on ne reçut aucunes preuves
de ceux qui prétendoient
eftre reçus Chevaliers qu'ils
n'euffent juftifié , qu'ils ont porGALANT.
5 ??
té quatre ans les armes pour
le fervice de Sa Majesté.
Le jour de S. Mathias ily cut
une foule prodigieufe de monde
au Buen - Retiro . Sa Majefté declara
que tous ceux qui fouhaiteroient
luy baifer la main auroient
cet honneur ; ce qui ne s'eftoit
jamais vû en Espagne . Ce Prin
ce tient Confeil deux fois par
jour. Le matin depuis neuf heures
jufqu'à onze , & le foir depuis
cinq jufques à fept. Depuis
onze heures jufqu'à midi il donne
audience à tout le monde dans
une grande galerie . Il fe leve à
fept heures & fe couche à dix.
L'aprefdinée il monte à cheval ,
& va chaffer ou fe promener . Il
a déclaré à fon Confeil qu'il vouloit
aller à la guerre , s'il y en
Y y iij
$34 C
MERCURE
avoit , & commander en perfonne
. On luy a repreſenté que ce
feroit jetter la Monarchie dans
fes premieres allarmes , & qu'au
moins il devoit fonger auparaavant
à avoir des Succeffeurs. 11
mange trois fois la femaine en
public , & cela charme les Efpagnols.
?
3
J'ajoute ici l'extrait d'une
Lettre de Madrid qui doit vous
faire plaifir , & qui vous fera connoiftre
naturellement de quelle
maniere on y parle de ce jeune
Monarquesa ,
de ce Toutes les nouvelles
Payscy roulent fur la reforme de
la Maison du Roy , & de fes Confeils
. Elle fe fait fi doucement que
perfonne ne s'en plaint . Ceux des
·
GALANT.
Confeils auront la moitié de leurs
gages. Des quarante un Gentilshommes
de la Chambre , ceux qui
font retranchez auront l'exercice &
les privileges de la clef d'or fans fervir.
Les fix confervez font prefque
tous vieux, Le Roy regle les dépêches
avec le Cardinal Portocarrero & "
Dom Manuel de Arias , Prefident
de Caftille , Chevalier de Malte ,
& Preftre , créé depuis peu Confeiller
d'Etat. Ca Monarque eft infatiga
ble dans fon Confeil , il a une patience
d'Ange. Tout le monde admire
dans une fi grande jeuneffe tant de
fageffe , & tant d'aſſiduïté. Il écouté
tout le monde. Il interroge. Il fait
des demandes quifurprennent les plus
eclairez , & ilne fe rebute de rien. Il
fe trouva il y a quelques jours une
difficulté au fujet de l'abregé d'une
Yy iiij
36 MERCURE
Lettre importante , qui ne donnoit
pas affez de jour à des confequences ,
de ce que portoit cette lettre. Sa Majefte
la fit relire , & remarqua des
circonftances effentielles que le Secretaire
avoit oubliées dans l'abregé.
Cette découverte furprit & charma
tout le monde. On conçoit de grandes
efperinces pour l'avenir d'une fi belle
& fi heureuse difpofition. Il donne
fans chagrin fa main à baiſer à tout
le monde , reçoit tous les Memoriaux
ou Requeftes avec plaifir. Il
les regarde luy- même , & demande
s'il n'y a plus perfonne qui en veuille
prefenter Les plaifirs ne luy font
pas perdre un moment pour les Dépeches.
Il aime la chaffe , & tirefort.
bien. Il y alla Lundy par un froid
tres- rigoureux Il s'échauffa à pouffer
un fanglierqu'il avoit bleſſe à mort ,
GALANT.537
arreta enfuite trop long- temps à
tirer anx lapins . Le vent de bife
le prit aux deffaut de la cravate. Il
eut une mauvaiſe nuit , & il feguerit
avec de l'eau de la Reine de
Hongrie. Un enfant de Madrid en.
auroit eu pour le reste de l'hyver. En
paffant par Madrid , il aperçut un:
Preftre qui venoit de porter le Saint
Viatique à un malade , il fe jetta à
terre prefqu'avant que ceux defa fuite
s'en fuffent apperceus , & le reconduifit
à pied , la mainfur la por
tiere du carroffe où on le portoitfui-'
vant l'ufage d'Espagne . Quand on
arriva devant le portail de l'Eglife ,
il leva lui même la portiere du carroffe
, conduifit le faint Sacrementjuf
qu'à l'Autel , & baifa enfuite la
main du Preftre tout le mondeferecria
dans l'Eglife. On ne peut eftre
4
3
58 MERCURE
a
plus charmé qu'on l'efticy . Tous les
gens de bien lui donnent mille benedi--
Elions ,
is remercient Dieu de leur
avoir donne un Prince fi accompli.
Les Grands qui fe font fentis de la
reforme , difent tout haut : que l'on
nous dépouille , pourvu qu'il vi--
ve. Le Roy de fon propre mouvement
a donné dernierement ane Commanderie
au Gouverneur de Ceuta ,
l'exclufion d'un Grand , bien venu
d'ailleurs à la Cour. Il donna la Cavalerie
de Flandre à Mr de Grigny
pour fes bons fervices , fans avoir
égard aux follicitations de quelques
Grands , & celle de Catalogne an
Marquis d' Aytona , pour quatorze
campagnes de fervices . Un Grand
croyoit l'emporter fur lui avec une
feule campagne. Tout le monde applaudit
à ce choix. Dimanche dernier
GALANT. 529
ent ildefrendit en public dans l'Eglife de
faint Jerome dans le Retiro pour
communier Il l'avoit déja fait quinze
jours auparavant dans les Tribunes.
Cela charma les gens de bien.
J'efpere vous envoyer le mois
prochain un détail fort exact de
l'entrée de Sa Majefté Catholique
à Madrid .
Quoique je ne vous envoye
aucun article fur la fituation des
affaires prefentes , vous n'y perdrez
rien: fi elles ont des fuites ,
je vous en apprendrai le noud ,
lorfqu'il fera permis de parler.
Cependant nous ne devons pas
ceffer d'admirer la conduite , la
prudence & la moderation du
Roy. Jamais Prince n'a regue
far lui -même avec un empire fi
か
$49 MERCURE
2
abfolu , C'eſt ce qui embaraffe
ceux qui voudroient lui voir des
mouvemens , dont il fçait toûjours
demeurer le maitre , les
peuples s'indignent pour lui , &
publient hautemant qu'ils font
prêts à donner leur biens & repandre
leur fang pour fa gloire , &
pour celle de l'Etat . Jefuis, Madame
, Voftre , & c.
A Paris , ce 31. Mars , 1701 .
AVIS.
On a tenu parole , & ce volume
contient la matiere de trois
autres ; puifqu'il eft une fois
auffi gros , & que le caractere
en eft beaucoup plus menu : cependant
il a efté impoffible que
GALANT. 541
dans un volume où fe trouve auffi
le journal d'Efpagne , on ait
pu
pu donner entier le journal de
la route de Meffeigneurs les Princes
Ce qu'il m'en refte á dire
eft fi confiderable , fi extraordinaire&
fi rempli de chofes curieufes
, qui font connoiftre à fond
l'état & l'interieur des plus belles
Villes de France , que j'ay ›
encore de la matiere pour deux
gros volumes , qui feront donnez
tout à la fois le 12. du mois
chain . Tant de gens le fouhaittent
& l'ont demandé , que j'ay
cru devoir les fatisfaire . Il ne
leur en coutera qu'un écu neuf
pour les avoir. On ne les féparera
point , & l'on peut
dire que
celui- cy & les deux que l'on pro
met dans un mois , font prefque
pro542
MERCURE
un prefent qu'on eft bien aife de
faire au public , puifqu'outre les
frais de l'impreflion , i , tre les
en a tant
d'extraordinaires pour les diverfes
Relations qu on eft obligé d'a
voir que dans un pareil travail
on cherche plutôt la gloire que
le profits mais on veut bien fe
charger de cette peine pour reconnoiftre
le favorable accueil
que le publica fait aux Relations
qu'on lui a données depuis quelques
mois . On l'affure qu'il eft
impoffible qu'il ne foit pas con
tent des deux volumes qu'on lui
promet , puifqu'on n'aura rien
vû de plus curieux ni qui faffe
mieux.connoiftre la France .
Ceux qui pour l'intereft parti
culier de leurs amis , ou pour la
gloire des Villes par où MeffeiGARANT.
543
gneurs les Princes ont paffé voudront
envoyer des Relations bien
circonftantiées de tout ce qui s'y
eft paffé & des Harangues même,
pourront les adreffer au Sicur
Brunet Libraire au Palais , à l'enfeigne
du Mercure Galant . On
dit cela à l'égard des Villes dort
on n'a pas encore parlé dans les
Mercures , & quant à celles dont
les Relations des receptions y
ont déja efté mifes , ils pourront
les envoyer , en cas qu'on ait
oublié des circonftances effentielles
, ou qu'on n'ait pas rendu
à quelqu'un la juftice qui lui eft
due on parlera de nou
des
Villes d'où ces mémoires viendront
, comme on a fait dans les
Volumes précedens.
On n'oubliera pas le mois
544 MERCURE
prochain les Prieres , & les
réjouiffances faites pour le retour
de la fanté de Monſcigneur
le Dauphin.
GALANT. 21
le Roy avançoit les quatre
rangs de carroffes qui bordoient
fix lieues de chemin fuicarroffes
de la Cour voient les
voit paflé .
fi- tôt que Sa Majesté
Les Espagnols affurent que ces
carroffes - montoient à plus de
cinq mille Il y avoit un grand
nombre de Dames fort parées
dans ces carroffes , & plufieurs
avoient des pierreries . Sa Maje
fté Catholique entra fur les cinq
heures du foir par la porte de Las
Heras , & arriva au Palais Del
Buen- Retiro , & fans s'arrêter ,
Sa Majefte alla par la rue faint
Antoine au Sanctuaire de Noftre
Dame d'Atocha Patrone de Madrid
entra au-dedans du baluftre,
fe mit à deux genoux , & rendit
graces à Dieu de fon heureuſe
Mars 1701 . Xx
522 MERCURE si
fini
arrivée fur fon Trône Les trois
Chapelles Royales chanterend
le Te Deum. Le Salve Regina fur
chanté enfuite. Sa Majelté de
meura à genoux pendant tout ce
temps avec une devo ion exemplaire,
Cetacte de Religion étant
Sa Majesté fortit , & les cris
de joye & les applaudiffemens
recommencerent L'artillerie fe
fit entendre lorfque ce Prince
entra dans le Buen - Retiro
elle fit trois décharges jufqu'à
huit heures du foir . Sa Majefté
entra par la porre Del- Arco qui
ya au Jardin Ce fut là où le
al Porto - Caarero Art
chevêque de Tolede , Primat
des Efpagnes & Grand Chance
lier de Caltille , eut l'honneur
de voir Sa Majesté pour la pre-
&
&
GALANT
MY
miere fois. Ce Cardinal lui baifa
la main á plufieurs repriſes,
mais le Roy le releva , & l'em .
braffa autant de fois . La joye de
ce Prélat alla jufqu'aux larmes.
Marquis de Leganez prefenta à
Sa Majeſté les clefs de Buen- Redont
le Roy défunt l'avoit
Gouverneur. Le Roy les lui
rendit , c'eft a dire qu'il lui donna
la même Charge, sababies
tiro
fait
Le Roy fut enfuite conduit
dans le Salon Royal , où Sa Majefté
saffit fur fon Trône , &
donna ordre que tous les Grands,
les Seigneurs & les Nobles les
plus diftinguez , & qui ont les
entrées , vinrent lui baifer la
main. Ils eftoient tous, avertis
& ils latendoient dans des chambres
differentes , fuivant leur
Xx ij
124 MERCURE
état , felon l'ufage d'Efpagne .
Le Roy avoit la droi
le Cardinal
Protocarrero , & le Cardi-i
nal Borgia ; & á la gauche Mr
le Marquis de la Almeda Majordome
de Sa Majefté , qui faifoit
la Charge de Majordome inajor.
Mr le Marquis de Lega-0
nez eftoit derriere le fauteuil
du Roy. La foule fe trouva fi
grande que Mr le Cardinal Portocarrero
& Mr le Duc d'Harcourt
le trouverent obligez
d'enlever Sa Majesté , sil eft
permis de parler ainfi ; & de paf
fer dans les appartemens : Elle
les trouva d'une grande beauté
& meublez fort richement. Les
tentures de Tapifferies en font
tres- belles , & ily a des tableaux
de fort bon gou ... Le Roy vit
$
GALANT. S'
où ,
enfuite les trois pieces de plein
pied , ou l'on donne audience
aux Ambaffadeurs .. Les Efpagnols
difent qu'elles ont couté
cent mille piftoles au feu Roy . Sa
Majefté alla enfuite au Colifée.
Tout le fond y parut en feu , &
changea plufieurs fois de décoration
La premiere reprefenta
un Temple magnifique .
les trois ordres d'architecture
eftoient diftribuez dans toutes
les regles de l'art & du bon
gouft . La feconde fit voir un
Salon bien proportionné , orné
de grands miroirs , avec de fort
belles Statues dans des niches
qui estoient entre deux, On
voyoit auffi de distance en diftin
ce de riches tables , & de beaux
cabinets de porphire port-z par
P
$26 MERCURE
1
des lions d'une for belle fcul
pture. La troisieme decoration
reprefentoir le Détroit de Gi
braltar , avecvoles Colonnes ,
d'Hercule , & cette infcription!
non plus ultrà , & dans le loingtain
eftoient peints avec beaucoup.
d'art des Vaiffeaux & des em
barquemens differens. Cet agrea
ble fpectacle finit par plufieurs
autres décorations qui réüffirent
également Lorsque la nuit commença
, Sa Majeftd alla à fes Betveder
, d'où elle vit toutes les
Tours de Madrid en feu , & dif
feremment illuminées. Il partit,
en même temps des feux d'artifice
de plufieurs endroits qui durerent
pendant plus de deux heu-1
res , ce qui joint à la clarté d'un
nombre infini de flambeaux als !
GALANT . 129
lumez par toute la Ville produi
foir un effet tres - agreable Le
Roy alla fouper à huit heures &
un quart . Je croy que c eft ici le
licu de vous rapporter ce qui
s'eftoit paffé quatre heures aupa
ravant à la porte d'Alcala , parce
que cet accident contribua beau
coup à empêcher que le Roy ne
mangeaft. Lorfque Sa Majefte!
fut entrée au Buen- Retiro touts
les earoffes & tout le peuple qui
eftoit forti de Madrid prirent les
chemin de la porte d'Alcala ,
pour y rentrer Chacun s'aban.
donnoit à la joïe , & les peres de
famille menoient en chantant
leurs femmes & leurs enfans
lorfque les Gardes des Regiftres
qui font établis pour empêcher
les fraudes, & les marchandifes
32 MERCURE
de contrebande , voyant approcher
la foule fer nerent la porte
& tendirent les chaînes.
Ceux qui eftoient
avancez les
premiers eftant preffez , & pouffez
par ceux qui les fuivoient , &
ne pouvant fe retenir , les écra
ferent malgré eux fous leurs
pieds , forte qu'il y eut environ
cinquante perfonnes tuées
oubleflées , le Roy avoit reffenti
cet accident avec tant de douleur
& un naturel fi bon qu'il ne
put manger à fouper , quoy qu'on
luy diminuaft le mal autant qu'il
eſtoit poffible Il fit diſtribuer
une groffe fomme pour les pauvres
veuves de ceux qui avoient
efté écrafez , & il ordonna qu'on
fift dire dix mille Melles pour
eux tous .
484
G
Sa
************
STABLE
.
- SPOT ID་ 10.
Id wild biv
Portrait du Royvisbond si
Madrigal. 5 roolijuM » 235
Vers fur le fujet le plus à la mo-
-de:
Hiftoire du Roy Aniba ..
S
8
13
Difcours prononcé à l'Academie
•
d'Angers.
Fefte donnée à Villefranche en
7825 Beaujolois .
Ouvrage fur le retour de Monfieur
le Cardinal de Noailles,
28.
Diogirometre , machine.36
Fefte donnée chez les Peres de
la Congregation de faint Maur
à faint Jean d'Angely . 43
TABLE
bear .
Motifs de la folitude .
49
59%
Sonnet de Monfieur le Chevalier
de Mailly.
61
Fable de la pudeur qui peut fervir
d'hiftoire .
Imitation des vers de Madame
la Prefidente de lá Trefné, 106.
Stances à Monfieur de Pomereu
108 harie of
Differtation .
III
Diftique en lettres numerales .
9.124
125 Epigramme.
Paroles propres à mettre en air.
57125
Letriomphe de la jaloufië par
Monfieur Cheron . 127
Madrigal de Mademoiſelle de
Scudery. 138
Le moyen d'apprendre à faire
: toutes fortes de routes. 139
Le Erince accomply, ou l'idée du
TABLE.
parfait Monarques
& de fes
fentimens.50098149
Penfées chrétiennes en forme de
méditation pour chaque mois .
152
Dialogue. 154
Le fils de Monfieur le Marquis
de Veraguas eft prefenté au
Roy.
4156156
Lifte des Troupes que l'Empereur
a deſtinées pour l'Italie &
本
antres lieux .
Bouts -rimez.
A
MIND 60
29166
4168
Madrigal .
Retour de Monfieur le Duc de
de Beauvilliers. ) 11. 170
Seconde Relatión de la victoire
remportée par les Suédois fur
les Mofcovites.
171
Nouveaux Bouts- rimez propofez
par les Lanterniftes.
185
Article des Morts. 188
tij
TABLE
3
Reflexions fur la maniere d'inftruire
les petits enfans ,un 190
Monfieur de Sacy eft reçû à l'Academie
Françoife. 191
Difcours prononcé à Saintes
par le Pere Juſtin Berger Recolet.
196
Nouvelles Particularitez touchant
la reception de Meffergneurs
les Princes à Auch , avec
la Harangue de Monfieur l'Abbé
de Chaulnes .
Suite du Journal de la route de
Meffeigneurs les Princes. 220
Monfieur le Comte eft reçû
Lieutenant Criminel,
Autre article de morts.-
415
Deſcription de l'entrée de Monfieur
le Connétable de Caftille,
avec tout ce qui s'eft paffé aux
Audiences qu'il a cuës du Roy,
417.
214
412
7
TABLE.
1
Article des Enigmes. 449
Memoire contenant le détail de
la maladie de Monſeigneur
de Dauphin .
7
463.
Benefices donnez par le Roy.
Journal de la route du Roy d'Efpagne
depuis Iron jufqu'à Madrid
& tout ce qui s'eft paffé
pendant cette route .
Affaires du temps .
Avis .
477.
539
549
F.X.BEER Kgl. Horbuchbinder
MUNCHEN
Wenstrasse N18/
FX BEER KL Horbuchbinder
MUNCHEN
Weinstrasse N18/
<36616463050010
Bayer. Staatsbibliothek
:
MERCURE
GALANT
DEDIE' A S. E. MONSEIGNEUR
L'AMBASSADEUR
D'ESPAGNE
Man 1901.
A PARIS ,
Chez MICHEL BRUNET , Grande Salle
du Palais , au Mercure Galant
207
SUMASI
AUSGA
M M
(li
A SON EXCELLENCE
MONSEIGNEUR
D. EMANUEL D'OMS
ET DE SANTA PAU,
SANT-MANAT ET LANUZA ,
MARQUIS.
DE CASTEL- DOS-RIUS,
Du Confeil de Guerre de Sa Majesté
Catholique , cy-devant Vice- Roy de
Majorque , & fon Ambaffadeur en
Portugal , à prefent Ambaffadcur en
France.
WP
MONSEIGNEUR
VOTRE
EXCELLENCE
ne doit point eftre furpriſe de
á ij
EPISTRE.
voir fon nom à la tefte d'un livre
imprimé en France . Les
François fe font une étude d'ap
profondir le merite , & les gran
des qualitez de ceux qui paroif
fent en avoir, & fi- tôt qu'ils ont
connu qu'ils n'ontpoint efte éblouis
par des fauffes lueurs , ils n'ou
blient rien pour les mettre dans
leurjour. Lorfqu'ils peuvent en venir
à bout , de la maniere dont je
crois reüffir aujourd'hui , ils y
trouvent autant d'avantage que
j'en pretends recueillir de gloire.
Plus la matiere de mon Epiftre
fera belle ,plusj'ai lieu de meflatter
d'un fuccés avantageux , puis
qu'unepartie de la gloire qui vous
Bayerische
Stastobillothek
en
EPISTRE.
fera deue toute entiere , retombera
fur moy, & qu'on donnera des
louanges à une Epiftre qui tiendra
toute fa beauté de la richeſſe
des materiaux , que je tâcherai
d'y faire entrer. Cependant le public
ne laiffera pas peut- eftre de
s'étonner de mon entreprife. Le
Mercure eft depuis ving-cinq
annéesfous la protection de Monfeigneur
le Dauphin , l'augufte
nom de ce Prince a toujours eftéà
la tefte , il lui a esté consacré pendant
la premiere année par douze
Epiftres liminaires , & fi depuis
ce tems là il n'y en a pas eu chaque
mois , ce n'a efté que pour ne point
bleffer la modeftie de ce Prince :
á iij
EPISTRE.
mais il y a toujours eu dans le
corps de chaque volume des articles
qui ont fait voir tantoftfon
experience dans le metier de la
Guerre , tontoft fon intrepidité,
tantoft fa fageße dans toutes
les affaires morales & politiques.
Ce Prince dont l'extrême bonté
vôtre nom océgale
la fplendeur de la naiffanee,
voudra bien fouffrir pour une
foisfeulement que
cupe la place du fien dans un des
volumes que je lui ay confacrez.
Je ne connois que V. E. pour qui
ilpuft m'eftre permis de le faire ,
cela à caufe de la conjoncture
des affairesprefentes, que V.E.
a travaillé à mettre fur le Trâ
EPISTRE
¿
ne , le fils de ce grand , de cefage
de cet augufte Prince . Ceft par
cette raison que j'ay fujet d'efperer
de la bonté qui lui eft naturelle
, qu'il excufera ce que je fais
aujourd'hui dans un livre qui a
le bonheur d'eftre vû dans toutes
les parties du monde , non pas
caufe du merite de l'Auteur , mais
parce qu'il renferme chaque mois
quantité de chofes fort curienfes.
Ainfi , MONSEIGNEUR ,
jay refolu de faire voir dans
cette Epiftre combien V. E. s'eft
rendue recommendable à la Cour
de France. Vous y parûtes avant
lamort du Roy vôtre Maî
tre. Ce qui fe paffoit alors deman
á iiij
EPIS TRE.
ďa
doit un Miniftre auffi fage or
auffi prudent que vous , pour faire
reuffir lesgrandes chofes que vous
meritie pour la gloire de l'Efpagne
: elles ne parurent pas
bord tourner de la maniere que
vous fouhaittiez. Vous enfuftes
allarme , mais vous n'en parûtes
pas moins moderé, rien ne fortit
de vôtre bouche qui ne fit écla
ter votrefageffe. Le Roy Charles
II.
mourut
, & l'estime que le
Roy tres- Chrétien & toute la
Cour avoient pour V. E. parut
dans la maniere dont ils vous
plaignirent . Les affaires changerent
defacepeu de temps après ;
mais toujours égal , vousparutes
EPISTRE.
F
auffi grand dans la joye, que vous
veniez de le paroître dans la douleur
, le chagrin qu'on avoit eu
dumalheur dont vôtrefortune étoit
menacée , changes en admiration
pour VE. Toute la France vous
felicita, vous futes dans le
mefme temps accable de complid'affaires
importantes ; mens
mais rien ne vous caufa d'em
barras. Vous vous montrâtes auffi
capable defoutenir lesplus grandes
faveurs de la fortune , qu'on
Vous avoit ven vous mettre en étar
de refifter à fes plus durs réveurs.
On avoit toûjours remarqué beaucoup
de jufteffe & beaucoup d'ef
prit dans toutes vos paroles ; mais
EPISTRE..
luy
toute la Cour fe récria à Seaux,
lorfque voyant le Roy embraffer
Sa Majefté Catholique ,
dire adieu avec une douleur qui
marquoit l'excés de fa tendreffe
vous luy dîtes,que par la grandeur
du chagrin qu'il témoignoit de
la perte qu'il faifoit , l'Efpagne
devoit encore mieux connoître
le prix de ce qu'elle gagnoit
Votre esprit ayant brille par tour
où les affaires du fen Roy voftre
Maistre vous ont appellé , &
seftant affez découvert à la Cour
de France , je dois ajoûter icy ,
que la Maifon de Santmanat eft
l'une des plus illuftres de toute
la Catalogne ; fon origine fe perd
EPISTRE.
dans l'antiquité. Plus on y fait
de recherches , plus on y trouve
d'éclat , fans que les plus habiles
Genealogiftes ayent encore pú en
determiner la fource. Des premiers
degreZ qui en font connus,
on ne sçauroit remonter , qu'on
n'y demêle toujours de nouveaux
traits de grandeur; les monumens
publics en rendant toûjours prefente
la gloire paffee. Cette ilbuftre
Maifon afon tombeau foû→
tenu par des colonnes de marbre ,
qui fert de dais à un ancien Autel
de l'Eglife defaint Pierre de Barcelonne
. C'est une diftinction qui
fut accordée à la Maifon de
Santmanat , en reconnoiffance de
EPISTRE.
ce qu'un Seigneur de ce nom avoit
garentifur cet Autel le faint Ciboire
de l'impieté & de la barbarie
des Morespendant le regne
de Dom Iaimé. Les Seigneurs
de Santmanat fe diftinguerent à
la conquefte de Majorque. On en
voit encore une preuve illuftre
dans une infcription curieufe qui
eft fur le Portique de noftre Da
me de Mercy a Barcelonne. Ils
yfervirent le mefme Roy avec
éclat pendant fes autres conqueftes
; dans tous les temps
ont eu des emplois auprés de leurs
Souverains. Ils leur ont fourni
des Vice-Rois , des Gouverneurs,
de bons Officiers de guerre . Ces
ils
EPISTR E.
Seigneurs ont toujours eu des Tere
res tres- confiderables . La Ville
de Santmanat, qui eft le Fief de
leur nom , le prouve encore aujourd'hui.
C'est une Ville fort
peuplée , & quira de tres - beaux
droits. Une autre branche de cette
Maifon enjouit encore , & le
titre de Marquis s'eft confervé
dans l'une dans l'autre branche.
Les Rois d'Espagne les ont
toûjours traitez comme ils traitent
les Grands. Ils luy donnent
les titres de Coufin & d'Illuftres.
Cette Maiſon depuis plufieurs
fiecles a pour cimier de fes Armes
un Globe terreftre, avec cette
Devife autour: Quis en MeEPISTRE.
nosen ti Tubiere , vivira quando
muriera. Elle eft auffi fort
illuftre par ſes alliances avec les
Maifons de Requefens , de Borgia
, Ducs de Gandie , & Ducs
d'liar , & d'autres des plus illuftres
d'Espagne. VOSTRE
EXCELLENCE en fon particulier
a efté protecteur de la Nobleffe
Catalane , Gouverneur de
·Places , Vice-Roy de Majorque,
Ambaffadeur en Portugal.
·Elle eft du Confeil de guerre ,
elle a eu l'honneur de tenir fur les
Fonts au nom du Roy Charles II.
l'Infante de Portugal . Les Maifons
d'Oms, de Santapau , & de
l'Anuza , dont vous portez les
મ
EPISTRE.
noms avec les voftres , font de
mefme fort illuftres. Toutes les
Hiftoires d'Espagne en marquent
L'éclat la diftinction. Les Armes
que la Maifon de Santmanat
enporte avec les voftres , en marquent
affez la grandeur & l'ori
gine. Celle de l'Anula porte les
mefmes Armes que les Rois d'Arragon
, les unes les autres
ont efté diftinguées dans tous les
temps par des Vice-Royautez
par les emplois les plus confiderables.
Mais à votre égard ,
MONSEIGNEUR
,il ne s'agitpoint
icy de voftre Maiſon, je n'en parle
que pour vos defcendans . Vous
rende à cette Maifon , quelque
EPISTRE.
Elluftre qu'elle foit , plus que le
fang ne vous a donné. Vous vous
eftes mis au deffus de vostre naiffance;
iln'y apoint d'honneurs,
quelque grands qu'ilsfoient , que
vous ne meritiez, & que V.E.
ne foit en droit d'efperer . Toute la
France en convient , le publie,
ily alieu de croire que l'Ef
pagne qui vous doit encore plus ,
eft dans le mefmefentiment.Jef
pere publier bien-toft la justice
qu'elle vous aura rendue. Cependant
je fuis
MONSEIGNEUR
DE VOSTRE EXCELLENCE
Le tres-humble & tres obeïffant ferviteyr
DE VIZE
MERCVRE
CALANT
L
MARS 1701
A Vie du Roy eft une
fuite fi continue'le d'é
venemens furprenans
que vous ne vous lafferez
jamais de voir le Portrait en
racourci de cet Augufte Monarque.
Vous le trouverez dans le
Madrigal qui fuit. Il eft court ,
A
Mays
1701.
2 MERCURE
mais il dit beaucoup de chofes ,
n'y ayant aucune action de Sa
Majefté qui ne tienne du prodige.
PORTRAIT DU ROY.
Ans la Paix , dans la Dans
Guerre
Mortels , ne foyez point furpris
Des nombreux exploits de Louis.
Il n'eft point de Heros fur l'onde ,
fur la terre ,
Qui puiffe l'égaler dans fes faits
inouis
"L'Europe forme en vain un parti
redoutable
,
Il la combat centfois ,
la Paix.
luy donne
La Paix conclue , il détruit pour
jamais
GALANT.
De l'impofteur Calvin la Seite de
teftable 30
Etpour comble de gloire , en fon cher
Petit-fils ,
Louis le Grand unit les Lions & les
Lis.
Ce petit Ouvrage eft de Mr
Robert , Avocat de Perigueux ,
qui a eu l'honneur d'en prelenter
à Sa Majefte Catholique , dans
fa route , qui ont efté extrémement
applaudis .
Voicy un autre Madrigal fait
pour Monfeigneur le Duc d'Anjou
, aprés qu'il eut efté déclaré
Roy d'Efpagne Il eſt de MrDiereville
.
All › jeune Heros , où lefort vous
appelle ,
Il fe déclare enfin pour vous.
Qu'il va vousfaire dejaloux !
A ij
4 MERGURE
Vofte gloire en fera plus brillante &
plus belle.
Un Roy vous donne fes Etats ,
D'autres en faifoient le partages
Mais pour empêcher leurs debats,
Par un choixjufte autant que
Quelquesjours avant fon trépas ,
Il en afait voftre heritage.
Ony va fuivre votre loy
Vous meritez ce qu'il vous donne.
Les Petits -fils du plus grand Ray
Doivent tous porter la Couronne.
Le même Mr Diereville a fait
les autres Vers que vous allez
lire. Je croy que vous ne defapprouverez
pas la prédiction qui
les finit.
GALANT.
$
SUR LA ROYAUTE
de Monfeigneur le Duc
d'Anjou .
2
Politiques trop vains , de Ville &
de campagne
,
Qui pretendez fçavoir les interests
des Rois
Qu'allez- vous dire cette fois
Quand vous verrez les Lis tranf
planter en Espagne ?
Quels feront vos raifonnemens
Sur de fi grands evenemens ?
Comptates - vous fur la Couronne,
Dont l'éclat à vos yeux brille de tant
d'attraits ,
Quand la Fille du Ciel, la Paix ,
la dnice Paix
Vint defarmer à Barcelonne
La fiere & fuperbe Bellonne ,
A ij
6 MERCURE
Et dans fon cours rapide arrefter fes
projets ?
Vous murmurez de voir terminer une
guerre,
Qui depuis fi longtemps troubloit toute
la terre.
Malgré la douceur du repos
Dont vous deviez aimer les charmes
,
Vous auriez voulu que les armes
Du plus grand de tous les Heros,
Puffent jufqu'a Madrid rempli ces
lieux d'alarmes.
*
Alors vous ne compreniez pas ,
Vous intereffant à fa gloire ,
Comment il pourroit bien arrefter la
victoire ,
Toujours attachée à fes pas ,
Rien ne refiftant à fon bras,
Tantoft renverfant des murailles,
Et tantoft gagnant des batailles ,
GALANT.
Vous vouliez qu'iljoignit Efpagne
à fes Etats.
Elle euft alors couté trop d'hommes,
C'eft ungros morceau que Madrids
Nous devions au temps où nous
fommes
L'obtenir à plus jufte prix ,
De noftre grand Louis la prudence eft
extreme ,
Son jugement profond ne peut fe con--
cevoir.
Lors qu'il offrit la Paix , & la fit
recevoir
Aux Ennemisjaloux de fa grandeur
Suprême ,
Les biens qu'il en devoit avoir ,
N'eftoient prévus que de luy- même.
On nepeut rien connoistre àfes vaftes
deffeins ,
C'est un fecret c'est un miftere,
A iiij
8 MERCURE
Les efforts de l'esprit pour en juger
font vains ,
Il faut dans ce qu'il fait l'admirer
&fe taire
Peut- on dans le Soleil voir ce qu'il a
de bean ?
Louis ne regle point fes deffeins fur
les vostres.
Vous voyez arriver un prodige nouveau
,
Attendez feulement , vous en verrez
bien d'autres:
Je vous ay parlé dans ma Lettre
du mois paffé, du Tableau que le
Prince Louis Aniaba , Roy d'Eifzinie
, a prefenté à la Viergedans
l'Eglife de Noftre- Dame de Paris.
Ce Royaume eft fitué fous la
Zone Torride à la Cofte d'or ,
que baigne l'Ocean d'Afrique ,
GALANT.
તે
&
habite par des Negres
qui
n'ont aucunes
marques
de Religion
, que quelque
refte d'une
idolâtric
auli
fuperftitieufe
que
déplorable
. Mr Ducaffe
, General
des Flibuftiers
, eftant aborde
il y a quinze
ans ou environ
a cette
Cofte , ydefcendit
pour faluer
le Roy du Pays qui fut charmé
d'entendre
de fa bouche
la continuation
des merveilles
du regne
de Louis
LE GRAND
dont le bruit répandu
par l'Univers
avoit penetre
les climats
brûlez . La gloire eftant l'objet
principal
des grandes
ames , fut
le moyen
dont la Providence
fe
fervit
pour le falurt de Louis
Aniaba . Le Roy fon Pere ne pou
vánt venir lui - même
admirer
tant de prodiges
,voulutbien conIO
MERCURE
fier ce jeune Prince à MrDucaffe,
pour l'approcher du plus parfait
modele de tous les Rois. A peine
Aniaba eut- il efté preſenté à Sa
Majefté , qu'elle donna ordre
pour le faire inftruire des Mifteres
de noftre Religion . La Grace
qui l'avoit conduit fi heureuſement
en France , opera en même
temps fi efficacement , qu'elle lui
fit bien - toft demander le Baptême
avec inftance. Baptifer un
Prince idolâtre , convenoit bien
à celui dont les vives lumieres
ont percé la nuit des Herefies
les plus delicates qu'il a confondues
avec tant de gloire Ml'Evêque
de Meaux , comme un au
tre Saint Philippe , baptifa ce
Prince Negre , à qui le Roy donna
le nom de Laurs . La fuite a
GALANT. I
II
fait voir avec quelle attention
ce jeune Prince s'eft appliqué à
fe rendre digne de ce nom augufte.
Ce fut une douce confolation
pour les Peuples d'Eilzinie'
, affligez de la mort de deux
Rois , Pere & Frere de Louis
Aniaba , d'entendre les heureux
commencemens de celui qui devoit
leur fucceder , & qu'ils appellent
au Trône avec le plus
grand empreffement . Ce nou
veau Roy , avant que de quitter
la France , a voulu laiffer par le
Tableau que l'on voit à Noſtre-
Dame, un pieux monument de fa
reconnoiffance à la Vierge , fous
la protection de laquelle il a mis
fon Royaume & fa Perfonne . Le
Sr Juftina eft celui qui a fait ce
Tableau , au bas duquel on lit
ces paroles.
11 MERCURE
A LA GLOIRE DE DIEU
LOUIS ANIABA ,
Roy d'Efzinie , à la coste d'Or en
Afrique , en reconnoiffance de la
grace que Dieu lay a faite de le
retirer de l'aveuglement où fes Pre
deceffeurs & leurs peuples ont vecu
jufqu'à prefent , & des bontez de
LOUIS LE GRAND , qui l'a
fait élever en France à fes dépens
dans le culte de ba vraye Religion ,
& dans la pratique des plus nobles
Exercices & auf des obligations
qu'il a à Mr lEvêque de Meaux ,
pour luy avoir donné le Baptême ;
avant que de retourner prendre poffeffion
de fes Etats ”, où il va parles
foins de noftre pieux & genereux Mo₂-
narque , à deffein dy planter la Foy,
GALANT
& pour ce fujet s'eftant mis luy , &
fon Royaume fous la protection de
la tres-fainte Vierge , à l'honneur de
laquelle il a inftitué l'Ordre de L'ETOILE
DE NOSTRE- DAME
pour luy& fes Succeffeurs à perpetuités
a donnè ce Tableau pour monument
defa piete, l'an de grace 1701 .
Le 26. du mois paffé , Mr de
Court , Abbé de Saint Georges
fur Loire , fut receu à l'Acade
mie Royale d'Angers , & fit ce
remerciment à ceux qui compofent
cette illuftre Compagnie.
MESSIEURS ,
S'il me falloit , pour meriter la
grace que vous me faites, que l'eftimer
beaucoup , &la reſſentir vive44
MERCURE 14
ment , je ne craindrois point qu'on
puft vous reprocher d'avoir fait un
choix indignes mais quand je fais
reflexion aux loix de votre Academie
Royale , & au merte de toutes
les parfonnes qui la compofent , je ne
puis affez m'étonner , de me trouver
place parmy tant d hommesfçavans;
& plus cet honneur paroift au deffus
de moy , plus jefuis penetre de reconnoiffance
, que vous ayez datgne me
Loffrir. Je ne crains pas que vOU'S
doutiez , Meffieurs, d'un fijufte reffentiment
, mais je crains avec raifon
de ne le pouvoir exprimer avec
teloquence & la delicateffe que voftre
choix femble faire efperer de moy.
Ces talens ont paru avec tant
d'eclat dans lilluftre Academicien
que vous regretez, & je fuis fi peu
propre à lesfaire brillerparmi vous,
GALANT . 15
queje n'oferais me flatter de pouvoir
reparerune perte à laquelle vous eftes
fifenfibles.
il
Ms l'Abbé Peletier n'a pu à la
verité , eftre plus zelé pour vous , que
je le feray toute ma vie ; mais quand
je lui reffemblerois du cofté du coeur ,
s'eft acquis tant de reputation par
le merite de l'efprit ( qualité effentielle
à un Academicien ) que je n'ay
pas la temerité de croire que je puiffe
jamais l'egaler.
L'efprit naturel , orné de toutes les
graces , &foutenu de tous les fecours
d'une agreable erudition , brilloit dans
fes converfations , & parciftra toùjours
dans fes ouvrages. Son application
à l'etude , quelque affiduë qu
elle ait efte ,fi l'on en juge par les
effets , ne l'a jamais empêche de fatisfaire
àtous les devoirs de la pieté,
16 MERCURE
& de la vie civile . Il eftoit bon ami,
poli , officieux envers tout le monde ;
en un mot , aulli honnefte homme , que
Sçavant& éclairé.
Il n'y a que vous , Mellieurs , qui
puilliez faire le veritable eloge d'un
merite , qui vous eft fi parfaitement
connu , non-feulement par la longue
habitude , que vous avez eu avec
cet illuftre Confrere ; mais encore
parce que vous trouvez en vous -mêmes
des qualiter femblables à celles
que vous avez eftimées dans fuper
Sonne
En effet , le travail infeparable
de la fcience , le genie qui produit l'abondance
& l'elevation des penfees ,
Part de bien vivre , auffi cultivè que
celui de bien parler , toutes les vertus
meme, ne font-ce pas les caracteres
qui diftinguent tous ceux , qui compoGALANT
17
fent cette celebre Compagnie ?
Que j'aurois de joye , Mellieurs 35·
fi je pouvois entrer dans ce detail , &
fatisfaire à laforte inclination queje
fens , de proportionner vos propres
louanges à votre merite & à mon
zele !
Fy trouve un Prelat , * qui parfa·
capacité & fa vigilance infatigable,
eft regarde , comme un des plus grands
ornemens de l'Eglife , & comme le
vrai Pere , & le zeté Pasteur du
Troupeau nombreux que la Providence
lui a confié. ··
Quel plus grand avantage pour
moy, que de temoigner icy publiquement
mon respect & ma reconnoif
fance , à unProtecteur * diſtingué par
fon rang, & par l'esprit, fi naturel-
Mr l'Evêque d'Angers .
Mr le Comte de Serrant.
Mars
17.01. B
18 MERCURE
à toute fa famille ! Que ne puis-je
vous reprefenterfon imagination vi
ve,&feconde, fon difcours pure poli,
fa raifon droite & éclairée , fon genie
noble & elevé, & fes manieres engageantes
toujours infeparables de
jon bon coeur!
Combien y voit-on de perfonnes *
en qui l'amour des Lettres , eft d'aus
tantplus digne d'eftime , qu'ilfe trous
ve joint à une naiffance illuftre , &
aux emplois les plus confiderables de
cette Province.
Il n'eft point de genre de merite s
que l'on ne remarque en vous , Meffeurs.
Comment - donc pourrois -je en
faire dignement l'éloge ?
4
* M d'Autichant , Gouverneur du
Chateau d'Angers , M le Marquis
du Bellay , Mr le Marquis de Vezins
, & c,
GALANT.
Combien me feroit- il plus difficile
de m'elever jufqu'à parler de l'All~~
gufte Monarque , fous la protection
duquel tant de perfonnes choifies ont
formé cette Affemblée ? La Poëfie la
plus fublime ne peut egaler un fujet
felevé Pourrois-je donc le faire en
trer dans un difcours aufft fimple que
celui-ci ? Si l'on regarde les qualitez
perfonnelles de ce Roy , qui a merité
avec tant de juftice le titre de Grand,
ou fi l'on confidere les merveilles de
for Regne , l'on eft toujours ebloui de
la gloire de fes actions , & de la
grandeur de fes vertus . J'ay encore la
vue tropfoible , pourfoutenircet éclat,
& quelque esperance que j'aye d'eftre
un jour éclairé de vos lumieres , je ne
trois pas avoirjamais aßer de confiance
pour ofer traiter une matiere ,
non-feulementfi au deffus de mesfor
Bij
20 MERCURE
ces , mais dont la difficulté étonne les:
plus fameux Orateurs .
Ilparoift , Melicurs , que vous
avez compté fur cette utilité que je
pretens trouver dans vos doctes Affemblées
; & quefans faire reflexion
à ce quejefuis , vous avez penſé à ce
queje pouvois eftre un jour par voftre
fecours. Une fincere admiration pour
vous , & un defir extreme de vous
reffembler en quelque forte , m'ont
attiré une grace qui ne s'accorde ordi
nairement qu'à un merite deja ac--
quis
+
Ilfemble que vous ayez deja ou--
blié vos Cattumes& vos Loix en faveur
d'un Etranger ,
O que vous
ayez voulu me traiter comme ces heu-..
reux Athletes que l'on couronnoit
avant qu'ils euffent combatu. La
generofite qu'ils avoient de s'expo--
GALANT. 21
fer a combatre meritoit en effet d'eftre
recompenfee; maispour moy , j'auroi
merite au contraire d'eftre puni , fi
j'avois eu la temerité de me prefèn
ter moi- même àla glorieuse carriere
on vos fentes bontez pouvoient m'introduire.
Il est vray que c'est deja temoigner
du courage que d'accepter cer
honneur , & de defirer ardemment de
3'en rendre digne. Ceftfeulementcette
ardeur pour l'etude , qui a pù vous
faire penfer que je marchois fur les
traces d'un Oncle qui a eu l'avantage
d'eftre appelle le plus docte de
fon temps , ou que je fuis celles d'un
Frere ... A ce nom ,je mefens le
coeurpenetré de douleur ; & je ne puis
rouvrir cette playes que je n'en fois
vivement touché, & que mon imagi-
M. de Saumaile,
22 MERCURE
nation émuë ne jette le trouble dans
mon efprit.
Je fai qu'ily a des perfonnes qui
mefont l'honneur de m'entendre , qui
ont efté de fes Amis , & qui dans le
momentqueje parle , ont la bonté da
prodiguer en fa faveur les louanges
queje n'oferois moi -même lui donner
Pardonnez cette digreffion , au
trifte fouvenir de la perte d'un Frere
fi regretté , & queje regretteray toute
ma vie
Je ne crois pas même m'eftre trop
éloigné de mon fujet , puifqu'en vous
montrant la fenfibilité de mon oxur,
je dois vous faire conclurre qu'il eft
aufi vivement touché de vos bontez
que mon efprit eft penetre d'une eftime
fincere pour votre merite. Vous ne
pouvez pas douter , Mellieurs , qu'elle
ne devienne plus forte parles moyens.
GALANT.
23
que vous medonnez de vous connoiftre
fond , & de profiter auprés de vous..
Plusje fais reflexion à une grace
fi precieufe , plus je me trouvefurpris
de mon bonheur, & peu fatisfait des
termes quej'employe pour vous expri---
merma reconnoiffance:
Fefpere que la force de la verité
fuppléera à mon peu d'éloquence , &
que connoiffant vous -mêmes le prix·
de votre bienfait, & les circonstances
qui doivent me le faire eftimer davantage
, vous demeflerez des fentimens
plus forts que mes expreffions ;
en attendant que vous m'ayez appris
à vousfaire un plus digne remerci
ment
Fufques à cet heureux temps , Meffears
, n'ayez s'il vousplaift , attention
qu'à mon respect & à mon attas
chement pour vous , qui vous enga→
24 MERCURE
gera , fans doute à m'honorer toujours
de cette même bienveillance , à laz
quelle je crois devoir uniquement la
glorieufe qualité de vostre Confrere.
de exopor MOVE
FESTE DONNEE
Villefranche en Beaujolais
Uoy que noftre invincible'
Monarque ait porté pen
dant le dernier Siecle la gloire
de la France au fuprême degré ,
la joye & les empreffemens des
François au commencement de
celuy- cy ne luy promettent rien
moins que la longue fuite d'un
regne encore plus glorieux . On
' entend parler que de plaifirs
& de feftes . Mr Beffie de Peloux ,
Secretaire de l'Academie de Vil
lefranche
GALANT 20
lefranche en Beaujolois , en a
donné une d'autant plus furpre
nante , que la condition fous
laquelle elle avoit efté promiſes
avoit toujours efté fort incer
raine. Il l'avoit
voit fait dépendre de
la durée de la vie pendant cinquante
ans, il eft âgé de foixante
& dix , & c'eſt dés l'âge de vingt
qu'il s'eftoit propofé de celebrer
avec fes Amis le commencement
du Siecle nouveau par cette fe
fte. Elle commença le 2. Janvier
par un foupé donné à cent
dix Conviez , gens choisis de l'un
& de l'autre Sexe , dans une
Salle fort fpaticufe , & illuminée
d'un grand nombre de bougies .
Les tables eftoient fi avantageu-,
fement difpofées autour de cette
Salle , qu'il refta dans le milieu
Mars 1701.
8.71
C
26 MERCURE
1
une sefpace affez confiderable
pour dreffer les buffets , où entre
autres ornemens il y avoit un
Bacchus affis fur un tonneau ,
entouré de pampres , & couronné
de raifins , tenant Couronune
efpece
de longue citrouille , d'où for
toit une fontaine d'un vin tresexcellent,
qui coula pendant les
fix heures que dura ce grand repas
. Les mets eftoient ce qu'il y
a de plus delicat en groffes viandes
, volailles , gibier , ragouts ,
entremets , fruits & confitures.
Les vins de Champagne , de
Bourgogne & de liqueurs , les
plus delicieux n'y furent pas
épargnez Tout fut abondant ,
propre , bien ordonné , & fans
confufion . La Symphonie & les
Inftrumens fe firent entendre
GALANT 27
T
jufqu'à la fin du foupé , aprés
lequel on danla jufqu'au jour ,
Le lendemain , la fefte continua
par une reprefentation de la
Tragedie du Cid , fuivie d'un
grand Bal & d'une Colation magnifique.
Bien des gens confiderables
, attirez de loin & des
autres Villes voifines furent
extrémement furpris qu'on refu
faft leur argent dans les cabarets .
L'ordre eftoit de Mr du Peloux ,
qui voulut défrayer tous les Etrangers
. Enfin , quelque bon
ordre quiil y euft par tout ,
n'eft perfonne qui n'ait efté plus
charmé du bon coeur & de la
bonne humeur de Mr du Peloux,
que des plaifirs & de la bonne
chere de la feſte.
il
" Ċ ij
28 MERCURE
Je vous envoye des Vers qui
ont efté prefentez à Mr le Cardi.
nal de Noailles , fur fon retour
de Rome dans fon Diocefe.
649
ENfin
nos
voeux
font
exau-
༩༢ .
PRELAT , Phonneur de noftre
France ,
Tu nous rens enfin ta prefence .
La craintefe diffipe , on te voit , c'eft
affez
Anos ardens defirs quand le Ciel te
renvoye
Tu ramenes icy la plus parfaite
joye.
La pieté qui regle tous tes pas
Vafaire éclore fur tes traces
Mille vertus , mille nouvelles
graces ,
GALANT: 29
Quefans toy l'on ne verroitpas.
Lors qu'à ta pieté voulant rendre
justice
Un Pontife cheri des Cieux
Orna ton nom facré d'un titre glorieux
Le Ciel anos defirs fembloit eftre propice
La joye & les plaifirs animerent ces
lieux ;
Mais que ces jours , belas ! fidoux
fipleins de charmes
Nous ont couté depuis de troubles &
dallarmes !
Ce Pontife pieux , fi defireux de voir
L'éclat de tes vertus dans Rome fe
répandre ,
Qui pourjour de cet espoir
Tinvitoit luy-même à t'y rendre,
Ce Pontife , l'amour de cent Peuples
divers
@ iij
20 MERCURE
30
Fft ravi par la mort aux vaux de
l'Univers , CRIS
Paris , à ta fainte allegreffe
Succede en ce moment la plus vive
douleurs Rp 23 paip per de
La crainte , les defirs viennentfaifir
ton coeur
Tu vois l'objet de ta tendreffe ;
Bien-toft par fon devoir il va t'eftre
arraché.
Si fa Pourpre t'avoit touche ,.
Ton coeur, qui pour lui s'intereffe ,
Ne la voitplus qu'avec trifteffe ,
En voyant le devoir qui s'y trouve
attache
Ilfaut partir 3 il fuit fon ardeur &
fon zele ,
Il vole où l'Eglife l'appelle.
Quelles terreurs alors vinrent l'épou
vanter ?
Tu t'écriois dans ta douleur profonde ,
GALANT. 20
NOAILLES va partir , il quitte
ces climats !
Il s'éloigne au travers des neiges
des frimats,
El va fier fes jours à la fureur de
l'onde.
و
Ciel , daigne écouter nos voeux ,
Mer, calme tes flots écumeux.
Affreux Rochers , fourcilleufes
Montagnes,
Devenezfous fes pas les plus douces
Campagnes.
Fents rigoureux , changez-vous en
Zephirs,
Confervez- nous l'objet de nos tendres
defirs :
Ses voeuxfont exaucez , le Ciel nous
favorife
Au milieu des transports de fa jufte
douleur
Rome, qui te reçoit, & charmee &
[ Surprife ,
C
iiij
32 MERCURE
Oublie à ton afpect fon deuil , &fon
malheur
Elle voit taferveur , tapietéfincere ,
Et toutes les vertus qu'avoit eu fon
Pafteur :
De tes foins précieux auffi- toft elle
efpere
Un Succeffeur digne d'un fi bon
Pere
Dans fon venerable Senat
Apeine prenois-tu ta place
Par tes voeux agilfans , par ton zele
Stefficaces
La vertu d ALBANI paroift avec
yesséclats as widow , tha kang wis
Son front eft couronné de la triple
Tiare
Pourle Peuple chretien quel bonheur
fe prepare!
Maisficegrandfuccés pourl'Univers
eft doux ,
TALANT. 33
Il est encore plus fenfiblepournous.
Saint Prelat , Paris te rappelle-
Quay que le Pontife pieux
Ze voyant dun Paffeur leplus parfait
modele
Sefaffe facrer à tesyeux :231 905
Quoy que, pourte comblerd'une grace
a nouvelles i tamed
Ilfe défaffe en ta faveur
D'une illuftre marque d'honneur,
Il ne peut moderer ton amoureuſe
Sardeur ardeur
Tu te rens aux defirs d'une Epoufe
Los fidelle.
Tu veuxfaire ceffernas craintes , nos
Soupirs [zele ,
Après avoir rempli ton devoir & ton·
Tu veux nous ramener lajoye & lës
plaifirs
Animé ponrles tiens dufaint feu qui
te guides.
34 MERCURE
D'un pas precipité , d'une courfe rapide
,
Tu veux hater noftre bonheur ;
Mais ta rapidité dans noftre ame
timide
Caufe le trouble & la douleur ,
Que ton retourfe precipite :
Pourl'obtenir, au Ciel nous avons eu
recours ;
Mais que noftre intereft t'excite
Ane pas prodiguer tes jours.
A nos defirsfois moins fenfible
S'il faut encor t'expofer au trepas.
L'hiver , le Froid , les Vents , pour
nous tout eft terrible.
L'Enferpourroit ..... mais non , le
Ciel conduit tes pas ,
Il met autour de toy fes Anges tutelaires
El daigne écouter nos prieres.
GALANT.
35
Ton Troupeau ne craint plus le lion
rugiffant.
Tu parois. Au retour d'un Aftre fi
puillant
Nos champ's vont fe couvrir d'une
grace nouvelle
• Chacun à l'envi fous tes yeux
Ka redoubler fa ferveur & fon ze
Alegh
Quand Louis teforça , pour l'intereft
des Cieux,
D'eftre le Pafteur de ces lieux ,
Si ton exemple y fit eclore
•Mille graces mille vertus 5
3.
Ton retour eft pour nous une nouvelle
Aurore
Elle enfera naiftre encorplus.
Nous ne craignons plus rien , tout eft
en affurance
Nos voeux viennent d'eftre exau
36 MERCURE
Prelat , l'honneur de noftre Franceb
sa
Nous te revoyons , c'eſt affez ,
On a fait une machine appellée
Diogirometre , qui peut marquer
fort jutte le changement
des longitudes & des latitudes
fur tous les Baftimens de la Mer,
en tout lien , à toute heure , &1
quelque temps qu'il faffe . Eller
a efté inventée par le Sieur Ay-i
mon , M. R. qui a fait voir par
experience qu'elle eft propre à
réfoudre le fameux Problême
des Longitudes , qu'on a cherché
depuis longtemps , pour perfe
tionner l'estat de la Naviga
tion . C'eſt une efpece de Mon--
tre , qui marque fort jufte let
Sillage de tous les Baftimens de
GALANT 2737
}
la Mer , & combien ils dérivent
à droite & à gauche du Rumb ,
où le Cap eft mis , fans que l'irregularité
des balancemens , l'impetuofité
des vagues , le changement
des vents , ny les courans
de l'eau puiffent en arrefter le
mouvement 3 car ce Diogirometré
ne tourne que par le moyen de
la folidité ou ftabilité de la matiere
fubtile qui fe trouve dans
l'Hemifphere, ou Tourbillon de
l'air , & fi l'humidité ou la rarefaction
y caufent quelque varia
tion , on trouve dans les Tables
d'équation , faites fur un Thermometre
, pour combien on la
doit compter
.
Pour faire cette Machine il
faut avoir quatre ou cinq rouës
de cuivre , qui s'uniffent par des
38 MERCURE
Pignons de fer , comme celles de
lafonnerie d'un Horloge, & mettre
à la place du delay quarre
petites alles de velin ou de taf-1
fetas , qui foient attachées pour
tourner perpendiculairement à .
l'horifon , comme un Moulinet
à vent. Ces rouës eftant unies.
par des Pignons qui agiffent fur
les dents de leur circonference ,
produifent un effet tout contraire
à celui des Horloges , dont les
rouës agiffent fur les Pignons
car cette Machine fait une efpece
de levier fi delicat , & dont
la force eft pourtant fi grande ,
qu'il fait tourner plufieurs groffes
roues avec un feul grain dé
poids , ou à la feule rencontre
de l'air qui touche oblique nent
les aîles de ce Moulinet , d'abord
{
GALANT 29
qu'il change de place , par le
tranfport ou le mouvement horifontal
du vaiffeau fur lequel on
le fufpend comme une Bouffole ,
en le mettant dans une caiffe en
forme de cone , dont le Colte
Le plus large foit expofe à l'air
& tourné vers la proue du Vaiffeau
, & le plus étroit du coſté
de la Poupe , & couvert à peu
prés comme le deffus des lanternes
fourde , afin qu'il foit à
couvert du vent , & que la feule
impreffion de l'air donnant le
mouvement aux aîles qui tournent
à proportion de la viteffe
ou lenteur du Vaiffeau faffeetourner
les roues de cette Machine ,
qui par
le moyen d'un cadran ou
d'un compte- pas qui lui eft uni
marque le fillage ou chemin que
40 MERCURE
le Navire faity fans qu'il foit be
foin d'en tenir aucune notte
puifqu'on y peut toujours voir
deffus le calcul tout fait , &
trouver enfuite les changement
des longitudes y par un fimple
quarré de reduction of about
Si on veut auffi connoiftre le
changement des latitudes , il
faut mettre une autre pareille
Machine fur le bord du Vaiffeau
ayant les aîles détournées no
nante degrez de la premiere , &
elle montreravaux Pilotes combien
le Bâtiment dérive , & le
lieu où ils font arrivez .
Voici le Problème & fa refolu
tion d'une autre maniere à fçavoir
par les Tables Loxodromi .
Quand on ne fçait point la
declinaiſon de la Bouffole , ny la
GALANT. 41
mute qu'on a tenue en faifant la
courfe marquée fur le Cadran du
Diogiromettre
.
Les latitudes des deux Termes
eftant connues, & le chemin, trou
ver le Rumb de vent , & la diffe
rence des longitudes.
Que la latitude du Terme de
départfoit , par exemple , de 20 .
degrez ; & qu'aprés plufieurs
jours de navigation on la trouve
de 46 50 & que le chemin foit
de 4200 milles fur le Cadran
Diogirometre , ayant ſouſtrait
la plus petite latitude de la plus
grande , on trouve 16. degrez
5o. minutes ; on prend les Tables
loxodromiques , & on cherche
dans quel Rumb fe trouvent
4200 milles , vis à vis de la la
titude de 26. degrez so . minutes ,
Mars 1701
. D
4. 42 MERCURE
& on trouve le fixième Rumb de
vent.
Pour avoir la difference des
longitudes , on fouftrait 49. 15. la
longitude qui répond à 20. degrez
de latitude , de 128. 18. qui
eft celle qui répond à 46. degrez
5. minutes de latitude. Le reſte
fera 79, degrez de difference de
longitude. Cela eft tres - facile &
tres- affure can shem
4
Le fieur Aymon donne avis
aux Sçavans qu'il a une autre
Machine qui eft encore plus curieuſe
& plus affurée pour me
furer le fillage & le dérivement
des Vaiffeaux , & une pour faire
remonter les Bateaux fur les fleuves
ou rivieres , par le moyen du
courant de l'eau , fans qu'il foit
befoin d'attacher aucun cable fur
GALANT.
43
le bord ou rivage en terre ferme ,
my faire travailler perfonne dedans
& dehors du Bateau .
2
Les Peres de la Congregation
de Saint Maur n'ayant point de
Mailon hors du Royaume, n'ont
rien auffi tant à coeur que la
gloire du Roy , aux volontez du
quel ils s'efforcent d'obeir en
toutes fortes d'occafions . Ils
l'ont fait d'une maniere toute
particuliere dans celle que le:
Ciel leur a accordée , de recevoir
les trois Princes Enfans de
cet Augufte Monarque , dans les
Abbayes Royales de S. Lomer
de Blois , & de Saint Jean d'Angely;
mais cette derniere ne s'eft
pas contentée de marquer com
bien cet honneur day eftoit fen
Dij
44 MERCURE
f
fible , le jour qu'ils y arriverents
Elle a voulu faire une feſte
par
ticuliere les . du mois paffé , où
elle donna des marques éclatan
tes de la joye qu'elle reffent de
voir Monfeigneur le Duc d'Anth
jou élevé fur le Trône d'Efpah
gne.
Les Rhetoriciens du College
de Saint Jean d'Angely , done
les Benedictins ont la conduite ,
joüeremt, felon la coutumé , une b
Tragedie , qui fut accompagnée
d'entractes pour le Roy Catho
lique. Dans le premier , l'on vie
paroiftre une Etoile fort brillante
, qui reprefentoit ceile qui
parut für Madrid le z1 . du mois.
d'Octobre dernier. Des Aftro -In
logues l'ayant confiderée , priso
rent occafion de dire qu'elle
GALANT 4T
préfageoit l'arrivée d'un nouvel
Aftre en Efpagne , & s'étendi
rent fur les louanges du Roy , & b
des Enfans de France , aufquelse
cette : Couronne appartient dow
droit commme l'Etoile tournée v
du coſté de la France fembloite
L'indiquera
Le fecond Entracte eftoit diviſé
en trois petites Scenes.ch
Dans la premiere on vit la Pru- ol
dence , la Juftice , la Vertu & M
la Fortune , qui aprés avoir fair
Eloge de Monfeigneur le Duc b
d'Anjou, allerent luy préparer l
une Couronne. Dans la feconde
Scene , les Herauts Efpagnolsk
proclamerent Philippe V Roy
d'Espagne, avec prefque les mê
mes ceremonies qu'on avoit faites !
à Madrid le jour de la veritable
46 MERCURE
點
Proclamation ; & cette reprefentation
fit tant de plaifir au
peuple de Saint Jean , que le
Parterre cria hautement , vivat.
Le Roy fut couronné dans las
troifiéme , & reveftu des orne
mens Royaux. La Fortune l'orna
du Manteau Royal , en difant
ces Vers .
Philippe , ta vertu ne femble pas
commune >
Prens ce Mauteau Royal des mains
de la Fortune.
La Vertu luy mettant la Cou
ronne fur la tefte , luy dit.
De porter la Couronne il n'appar
tient qu'a toy ,
Reçois celle d'Efpagne , & le titre de
Roy
La Prudence lay prefentant
le Sceptre
GALANTM 47
Prens ce Sceptre Royal, Espagne le
defire.ob nos ad account.
On te verra bien loin étendre ton
1958 Empire to insonlar
La Juſtice luy donnant fon
Epée. Obrutisvud ok , ambashari
Fils des Heros , reçois le glaive de
SudanThemis gabi and fame MUD
Il exterminera tes plus fiers Ennemisë
OF ME.
>
Dans le troifiéme Entracte on
vit la Regence & les Grands
d'Efpagne qui complimenterent
le Roy Catholique , & s'é
rendirent fur les louanges du
Roy & de Monfeigneur le Dauphin:
Cet Entracte fut terminé
par une Chanfon , qu'un François
& un Efpagnol chanterent
alternativement , fur l'Air des
48 MERCURE
folies d'Efpagne & fur un petit
Ballet.
e
Le quatrieme reprefentoit des
Artifans François qui alloient en
Efpagne , & le bon acueil que
les Efpagnols leur fontandoff
Enfin on vit dans le derniers
qui parut le plus divertiffant, foit
parce qu'il y avoit plufieurs petits
incidens fort agréables , foit
parce qu'il eftoit en langage
Saintongeois , onvit , dis -je des
Paylans qui s'entretinrent fur
les belles qualitez des trois Print
çes qu'ils avoient vus à S. Jean,
& qui aprés avoir bu à leur fanté,
terminerent la fefte par une dan
fe que les Spectateurs trouverent
tres agréable. Les Peres
Benedictins eurent fujet d'en
eftre d'autant plus contens, qu'il
GALANT
49
ne fe peut qu'ils ne confervent
toujours une parfaite reconnoilfance
pour l'honneur que le Roy
leur a fait de marquer leur
Maifon pour le logis des Princes
fes Petit- Fils. On doit la difpofition
de tous ces Entractes à Dom
Jacques Boyer Profeffeur de
Rhetorique.
Made Cantenac , Chanoine
de l'Eglife Metropolitaine de
Bordeaux , vous est déja connu
par divers Ouvrages que le Public
a fort approuvez. C'eſt luy
qui a fait la nouvelle Satire que
je vous envoye .
Mars
1701.
E
50 MERCURE
MOTIFS
DE LA SOLITUDE.
Pourquoy
me blame-t-on d'aimer
la Solitude ? ..
Le commerce du monde est plein d'inquietude
,
Il n'a plus de douceurs qui puiffent
m'attirer,
Et quand la nuit approche il faut
fe retirer.
Je vois heureufement ma raifon détrompée
Des folles pallions qui l'ont préoccupée
;
Et fuyant les chagrins dont j'eftois
agité ,
Je goûte le repos qu'elles m'avoient
ôtë.
GALANT.
Les plaifirs inquiets , les faveurs in-
Que
certaines,
l'amour & la Cour meflent de
mille peines ,
Ces vains amufemens & ces charmes
trompeurs ,
Qui flatent tout enfemble & dechirent
nos coeurs
Sepourroient excufer dans les fougues
dun àge { mais fage,
Où l'on fe fait honneur de n'eftre ja-
Mais on doit mieux ufer de fon bien
& du temps ,
Quand un age avancéfait meurir le
bon fens.
On ne cultive pas les champs lesplus
fertiles ,
Quand Aquilon glacé rend nos
foins inutiles.
Un Courtifan rideperdfon temps à la
Cour,
E ij
52 MERCURE
Et le fang refroidi n'est plus propre
à l'amour.
A la Cour la vieilleffe eft toujours
importune
Elle fe plaint en vain d'une ingrate
fortune ,
Et par un longrecit de fervices rendus
,
Fatigue un grand Seigneur , qui ne
P'écoute plus .
Le fort d'un vieil Amant et bien
en plus deplorable ;
Afes voeuxfuranez touteft inexorable.
Pitoyable jouet d'unejeune Beauté
Il luy paye à grands frais l'honneur
d'eftre écouté.
En quelque age qu'onfoit ces pallions
cruelles
Font trouver des ingrats & des coeurs
infidelles. હું
GALANT .
53
Soyezfidelle Amant , faites bien vo
ftre cour,
La fortune eft aveugle auſſibien que
l'amour.
L'envie eft attachée auplus rare me→
rite, [l'irrites
Et fa fureur combat la vertu qui
Elle gemit fouvent d'un fort trop rigoureux
Et le plus honnefte homme eft le plus
malheureux
L'homme aveugle devient l'auteur
de fa mifere ,
Il laiffe un bienfolide , & court à la
chimere
Etpour un vain espoir dont il eft entefté,
Au prix de fon repos il vend fa liberté.
Heureux quife poffedé , & voit cou
ler fa vie
Cij
54 MERCURE
Loindesfeux de l'amour & des traits
de l'envie
Qui fans ambition , & content de fon
bien ,
Peut fe paffer des Grands , & n'en
efpere rien.
Heureux qui delivré de tout ce qui
Le fache ,
De l'entretiendes mortsfaitfa plus
grande attache
Et qui pour fon repos s'éloigne , & fe
défend
Du commerce importan des vifites
qu'on rend.
Faut- il que fans raifon noftre efprit
s'embaraffe
D'une focieté qui nous nuit & nous
laffe ,
Et toujours accable d'unefoule degens,
Qu'ou nefalle qu'unjeu de laperte du
temps ?
7
GALANT.
SS
Ceft- là qu'on s'évapore enmille bagatelles
;
On y parle du jeu , de chansons , de
nouvelles ,
On n'épargne perfonne , & les moins
mêdifans
D'une langue d'afpic y pincent les
abfens.
L'Empereur&l'Espagne y paffenten
revuë.
[ prévuë,
On cave les motifs d'une guerre im-
Et cenfeur ignorant de plus d'un Potentat,
Chacun veut fe mêler de reformer
V'Etat.
Fe fcay bien que l'espritfefaçonne &
s'exerce
Par des
gens éclairez , avec qui l'on
conuerfe ;
Mais en ce temps cruel , ce qu'onfait ,
ce qu'on dit ,
E iiij
56 MERCURE
Eft pour le bien du corps , & non pas
de l'efprit. 'addima Ver
Les efprits les mieux faits ne
plus à la mode.
font
On redoute un Sçavant , on le croit
incommode :
On ne veut pas s'inftruire , on cherche
ce qui plaift ,
L'Ignorance triomphe , & la Vertu
fe taift.
Voyez cejeune Abbé, qui vit en petit
Maifire , Yeomd
Il eft auffi fcavant que s'il venoit de
naifire , Légal ,
Et toutefois , bouffi d'un orgueil fans
Il veut toujours parler, & parle toujours
mal
Tyrcis plusfanfaron que n'eftoit Spacamonte
,
Accable un Auditeur des Combats
qu'il raconte
GALANT
57%
Dés qu'il quvre la bouche , il nous
comble d'ennuye
Mais ilfaut l'écouter , ou se battre
avec luy. bose 2.4 6 unbu
Iris maintenant prude , &jadisfurt
coquette ,
Des moeurs de tout le monde infidelle
interprete
Parle contre l'amour qui futfon feul
objet , [fait.
Etfe vange par là du mépris
qu'ilen
Ce faux Devot
contraire
à l'exemple
qu'il donne
,
Preſche
toujours
lagrace , & n'enfait
àperfoune
.
Il cache fes défauts pour nous mieux
abufer >
Mais il dit qu'il eft homme , & qu'ow
doit l'excufer
.
Un Noble de troisjours, nousfaitavec
→ audace
48 MERCURE
Un recit fabuleux des Heros de fa
race >
Mais ilfe fait connoiſtre , en vivant
comme il vit,
Et porte encor du drap que fon pere
vendit.
Un pitoyable Auteur nous caufe un
long martyre ,
Par des Vers languiffans , qu'il nous
veut toujours lire ;
Il croit que defa Muſe on fait beau
coup de cas,
Mais c'eft- là fa Marotte , il n'en
guerira pas.
Le Bourgeois affamé fe plaint de la
Police
Le Plaideur mécontent condamne la
Justice , [ bath,
Et l'avide Marchand , defoucis com-
Déploré à tous propos fon Commerce
abattu.
GALANT . 50
Chezla plufpart du monde, on agit de
la forte 5 .
Chacun fuit fon penchant , & l'ar .
deur qui l'emporte ,
La retraite eft plus douce , & ne laffe
pas tant ;
Heureux qui vit chez foy , folitaire
& content !
J'ajoûte un Sonnet de Mr le
Chevalier de Mailly , fur les
avantages remportez dans la Livonie
par les Suedois , contre
l'armée du grand Duc de Mofcovie.
SAAns forces , fans fecours , latrifte
Livonie
Par cent mille Ennemis fe voyoit ravager
,
Et fes plus forts remparts dans ce
preffant danger ,
60 MERCURE
Ne pouvoient garantir Narva d'eftre
aßervie.
&
Le Tonnerre eclatoit fur la Place
affaillie ,
Et fans que rien s'offrift qui la pust
dégager , both
Le formidable Czarpreft à la faccager,
De fon bras foudroyant redoubloit la
furie.
S
Lors qu'un jeune Monarque affrontant
le deftin ,
Vint luy faire tomber la foudre de la
main
Et remplir toutfon Camp de fang&
de carnage
៥ .
O vous , dont ce Vainqueur a mis
L'orgueil à basO
GALANT. 61
Mofcovites , craignais fon
courage,
Et ne vous fiez plus au nombre des
Soldats.
Je vous fais part d'une Fable
dont la lecture doit faire plaifir
à toutes celles de voftre Sexe .
Vous y trouverez des caracteres
qui marquent la vive imagination
de l'Auteur .
FABLE DE LA PUDEUR.
H
Ebé , fille de Junon , eftoit
la Déeffe de la Jeuneffe .
De toutes les Divinitez c'eftoit
celle qui confervoit plus conftamment
la fraifcheur de fon
teint , fon viſage eftoit toûjours
fleury. On cuft dit à la voir qu'
62 MERCURE
elle ne faifoit que fortir de l'enfance
; les agrémens infeparables
des tendres années , la joye toujours
riante , & les plaifirs innocens
accompagnoient par tout
cette jeune Deeffe. Jupiter qui
la cheriffoit , luy avoit donné
l'employ de le fervir à table. Un
jour qu'elle luy portoit du nectar
, elle fit un faux pas qui la fit
tomber. Dans fon defordre elle
montra par hazard une partie
de fa cuiffe aux Dieux qui la regardoient
, qui fans doute prirent
plaifir à ce fpectacle , s'il en faut
juger par le temperamment qu'ils
ont & s'ils font tels qu'on nous.
les reprefente . Hebé fut fi touchée
de cet accident , fa confuſion
en fut fi vive , & fon imagination
& frappée , qu'elle en de
GALANT.
63
vinu groffe Les Dieux ne furent
point étonnez de cet effet furprenant.
De pareils accidens ar-
Fivoient affez fouvent parmi la
Troupe celefte. Depuis que Ju
piter avoit efté gros de Pallas ,
& que par un effort de fon ima
gination il l'avoir fait naiſtre de
fa tefte , ces fortes de prodiges
ne furprenoient plus . On fçavoit
encore , que la naiffanced Hebé
n'avoit pas efté moins extraordinaire.
Junon l'avoit conçue en
mangeant une laituë , au moins
elle l'avoit dit ainfi , & Jupiter
qui connoiffoit fon humeur , &
qui vouloit conferver la paix
dans fon ménage , avoit efté d'af
fez bonne foy pour le croire .
La jeune Déeſſe eſtant devenuë
groffe de cette maniere , ace
64 MERCURE
coucha au bout de quelque temps
d'une fille la plus aimable qu'on
ait vûë, & qu'on appella la Pudeur.
Elle parut belle dés fa naîffance
, fa couleur vive & éclatante
faifoit le plaifir des yeux ,
& le charme du coeur ; la douceur
modefte de fes regards fe
faifoit fentir dans le fond de l'ame,
& la furprenoit fans qu'elle
euft le temps de s'en défier..et
Tous les Dieux qui fe trouverent
dans le Ciel , s'emprefferent
de l'aller voir , & de luy
faire des prefens . Jupiter luy
prefenta un bouquet de diamans
qu'un Grec qui avoit depuis peu
remporté le prix aux Jeux Olimpiques
, luy avoit offert. Apol
Ion luy fit prefent d'une Mulette
& chanta des Vers fur la naiffan
GALANT
. 65
ace ; Valcain luy donna de petits
outils de femme , curieufement
travaillez de la main des
Cyclopes Mercure luy offrit
quelques babioles d'enfant , qu'il
venoit de voler à des Nourriffes ;
il n'y eut pas jufqu'au vieux Saturne
qui ne vouluft luy faire
un prefent. Il s'approcha d'un
pas tremblant , appuyé fur fa
faux , & luy donna de vieux pendans
d'oreilles qui avoient fait
tout leur ufage durant les beaux
jours de Rhée fon époufe , &,
qu'il eftimoit infiniment ; car les
vieilles gens ont cet entêtement
pour leur ficcle, qu'ils méprifent
toutes les chofes nouvelles , &
n'ont de l'eftime & du gouft ,
que pour les ouvrages du temps
paffé ...
Mars
1701.
F
66 MERCURE
Les Déeffes tâchérent à leur
tour de faire honneur à la Divinité
naiffante , elles fe parerent
comme pour un jour de fefte
& chacune y parut marquée du
caractere de fa Divinité. Junon:
vint la premiere , environnée de
tout ce qui pouvoit rehauffer la
majefté du rang qu'elle tenoit
dans le Ciel , elle eftoit prece
dée par le Refpect qui marchoit
à pas lents , la tefte baffe , la contenance
modefte , les yeux baif
fez , & les mains jointes fur la
poitrine. Aprés luy marchoient
à grand bruit la Pompe & la
Magnificence , courbée fous le
poids de leurs fuperbes habits ,
& verfant à pleines mains fur
leur chemin l'or & les pierreries.
On voyoit enfuite la Grandeur
X
GALANT . 67
2
M
dédaigneuſe qui ne fe nourrit
que de fon propre éclat , l'Orgueil
qui porte toujours le fourcil
élevé , & qui fe plaiſt à marcher
fur la tefte des hommes . La
Déeffe parut aprés avec des
charmes dignes de l'Epoufe du
Maiftre des Dieux , efle attira
tous les regards , jamais fa beauté
n'avoit efté fi brillante. Jupiter
oublia en ce moment qu'elle fuft
fa femme , & l'aima. Cependant
la Déeffe s'approcha avec majefté
du berceau de la Pudeur ;
mais la petite Divinité ne la regardoit
point , le feul Refpect attiroit
toute fon attention ; elle
ly fourioit , elle le careffoit , elle
n'avoir des yeux que pour luy ,
& lorfque Junon voulut lui
dre la main , la Pudeur leva les
L
pren-
Gij
68 MERCURE
yeux , & furprife de fa grandeur ,
la regarda , puis rougit , & s'enveloppa
dans les langes . En cette
occafion pouvoit-elle faire autre
chofe , & de quelques titres fuperbes
dont on foit revêtus,
quelque diftinguez que foient
les talens
11 peuvent flatter l'amour
propre , la Pudeur peutelle
fouffrir fans confufion d'en
voir faire cet étalage arrogant ?
Renfermée en elle- même, & cons
tente de la vertu , n'eft -elle pas
en droit dedédaigner cesillufions
faftueufes que les hommes ont
inventées pour s'étourdir fur les
miferes de leur condition . :
La blonde Venus vint enfuite
coeffée de la main des Graces.
Elle eftoit belle autant qu'on
pouvoit l'eftre ; mais elle vouloir
GALANT. 69
I paroître autant qu'elle l'é
toit , elle estoit vetuë de la même
robe qu'elle avoit , lors que
le beau Berger du Mont Ida luy
donna la pomme , & fon viſage
n'avoit rien perdu des charmes
qu'il étala dans le beau jour de
fon triomphe . Sa démarche eſtoit
languiffante & negligée , fes
beaux cheveux flottoient fans
art , les yeux vifs & pleins d'amour
jettoient un feu violent &
fenfible , dont Fame la plus farouche
fe fentoit émuë , les delicieux
Zephirs qui voltigeoient
für fon fein , le mettoient par
leur agitation dans un tendre defordre
! Qqu'elle eftoit belle en
cet eftat ! Les Dieux en furent
éblouis ils dirent dans leur
cocur en l'appercevant avec une
P
70 MERCURE
émotion fenfible . Voicy la Déef
fe de la Beauté Les Ris toûjours
contens , les Jeux qui badinent
inceffamment , les Graces naïves
& riantes la devançoient. La
Molleffe oifive & voluptueufe
répandoit fans ceffe autour d'elle
, des parfums exquis , & des liqueurs
précieuſes. Elle menoit
l'Amour par la main. Le funefte
enfant regardoit tout le monde
avec un foûris malin ; la troupe
folâtre des Plaifirs voloit devant
luy , ils eftoient dans une
agitation continuelle , ils échapoient
aux yeux , ils difparoiffoient
à tout moment , quelquefois
ils revenaient , fouvent même
on croyoit les tenir , mais ils
fuyoient avec précipitation &
s'alloient cacher derriere un nu
GALANT.
7°
ge fombre L'éclair qui fort de la
nuë ne difparoît pasplus vite aux
yeux du voyageur effrayé. L'Amour
eftoit encore precedé de la
Douceur qui laiffoit fur fes pas
une longue tracede miel ; laComplaifance
flateule & les Soins
officieux paroiffoient enfuite ,
portant les traits favorables du
petit-Dieu ; on voyoit marcher
aprés luy les Soucis inquiets , la
fombre Melancholie , les Defirs
avec un vifage toûjours agité ,
les Efperances timides , le Dépit.
qui fe ronge luy même , les
Soupçons devorans , l'affreufe
Jalousie occupée à aiguiler fans
ceffe fur une pierre enfanglantée
un poignard dont elle fe perce
le coeur , la Haine farouche
qui ne fe laffe jamais de nuire ,
P
72 MERCURE
la Vangeance toûjours alterce
de fang , & la Trahifon impie
qui fourit , & qui cache la mort
en fes mains: On voyoit encore
derriere luy la Douleur couverte
de playes , jettant de profonds
foupirs , le Repentir pâle & défiguré
qui répandoit des pleurs
amers , & frappoit fans ceffe fa
poitrine , mais ceux - cy ne fuivoient
que de fort loin , & à
moins de connoiftre l'Amour, on
ne pouvoit pas s'appercevoir
qu'ils fuffent a fa fuite.
C'est ainsi que marchoit la belle
Déeffe avec le pernicieux Enfant.
Elle s'approcha mollement
du berceau de la Pudeur ; mais a
peine l'eut-elle vûë , que fa beau
té l'ébloüit , & fon coeur fe fentant
ému , comme quand on admire
GALANT 73
mire des chofes nouvelles ; elle
avolia qu'elle n'avoit jamais rien
vû de femblable. Vous avez raifon
, luy répondit le Dieu Momus
qui fe plaift toûjours à médire
, c'eft fort bien dit , Deeffe
aux beaux yeux de parler ainfi .
A la verité vos experiences vous
ont éclairée fur bien des chofes ,
&
1
principalement fur tout ce qui
regarde la Beauté ; mais je ne
The
penſe pas que vous ayez rien vu
ny connu de femblable à la petite
Divinité qui vient de naiftre . La
Deffe n'eut point de confufion
de cette malicieuſe raillerie ; car
l'habitude au vice produit cet
effet , qu'on écoute le reproche
fans en rougir. Elle s'avança hardiment
pour embraffer la Pudeur
; mais la Petite prit un air
·
Mars 1701
. G
74 MERCURE
dédaigneux , & ne la regarda
pas . L'Amour de fon coſté , dés
qu'il l'eut envifagée , fe cacha
tout troublé fous un coin de
la robe de fa Mere , où il fe mit
à pleurer de toute fa force . Venus
allarmée luy demande la
cauſe de ſes pleurs. Cet enfant
qui eft au berceau , luy répondit
l'Amour tout éperdu , m'a fait
peur ; elle me regarde comme fi
elle vouloit me quereller ; je ne
veuxpoint la voir , fortons d'icy ;
je veux aller à Paphos, où l'on ne
me regarde pas avec tant de ſeverité.
Venus ferra l'Amour entre
fes bras , appuya fa tefte contre
fon fein , & leréchauffa de fon haleine
. Elle tâcha de le confoler
en luy promettant de luy donner
des leçons dont la pratique alGALANT.
78
farmeroit la Pudeur à fon tour ,
& rendroit vains tous les efforts
qu'elle pourroit faire .
ny
pas
Tandis que la belle Reine de
Cythere raffuroit l'Amour effrayé
, Pallas entra avec une fierté
qui n'avoit rien d'orgueilleux
de farouche , & portant en fa
main la redoutable Egide. Elle
ne cedoit en rien à Venus , & on
l'euft prife aifément pour la Déeffe
de la Beauté , fi elle n'euft
efté plus modefte . Son vifage n'avoit
rien d'effeminé , fes attraits
ne devoient rien à l'artifice , elle
negligeoit même de les montrer.
On jugeoit à fon air qu'à peine
s'eftoit- elle apperçue qu'elle fuft
belle , ou fi elle le fçavoit , c'étoit
au moins fans en paroiftre
vaine, tout eftoit grand en cette
Gij
76 MERCURE
Déeffe , tout eftoit beau , & il y
avoit dans toutes fes manieres
je ne fçay quel charme touchant
qui gagnoit le coeur & la raifon
tout enfemble. Elle eftoit precedée
de l'humble Modeftie , de
la Sobrieté faine & robufte , de
la Prudence avec cent yeux qui
percent le douteux avenir. Cette
Déeffe n'avoit point d'autres
Compagnes. Sans doute qu'elle
auroit pû en avoir davantage ;
car toutes les Vertus font de la
fuite de la Sageffe ; mais elle les
refervoit pour les occafions où il
eftoit neceffaire de les montrer ,
elle fe contentoit de ces trois qui
ne l'abandonnoient jamais , parce
que la Sageffe eft toûjours
modefte , toûjours fobre , & toujours
précautionnée . A peine la
GALANT.
njang
Pudeur eut
apperçu Pallas , qu '
une joye naïve fe répandit fur
fon vifage ; elle ne fe laffa point
de la regarder , de luy fourire ,
de la
careffer , & l'on jugea par
tous les petits
mouvemens qui
l'agitoient à fa vue combien la
fage Déeffe eftoit felon fon coeur .
De bonne foy , Pallas , s'écria
Momus , qui ne
pouvoit s'empêcher
de dire fon fentiment fur
tout ce qui fe
preſentoit , vous
meritiez que la Pudeur vous fift
un accueil
moins
favorable.
Vous n'avez pas oublié oublié que vous
la
vendîtes fur le Mont Ida pour
Pefperance d'une
pomme d'or ,
lorfque vous vous fiſtes voir toute
nuë au jeune Berger Paris, arbitre
de la Beauté . Tous les Dieux
rirent de la piquante
raillerie :
G iij
78 MERCURE
Venus fur tout fit éclater toute
fa joye ; car c'eſt le caractere du
Vice de fe réjouir quand la Médifance
attaque là Vertu . La
Déeffe guerriere touchée de ce
reproche , ne répondit que par
fa rougeur , qui la rendit plus
belle ; elle fe couvrit le vifage de
fon Ægide pour ne laiffer pas
voir toute la confufion .
Il faut croire que ce que difoit
Momus eftoit une calomnie . Sans
doute , s'il euft efté vray , jamais
les hommes qui font fi exacts à
chercher les deffauts dans les autres
, & fi prompts à les publier ,
n'auroient pas donné à cette
Déeffe , les titres glorieux dont
ils l'ont revêtue. C'eftoit une
invention maligne de ce Dieu
piquant & amer , qui fe plaifoit
GALANT. 79
à noircir la vertu la mieux établie
. Il n'eft pas poffible que Pallas
qui eftoit li fage , fi prudente ,
· & fi modeſte , ſe fuſt oubliée en
cette occafion ; car enfin la Sageffe
n'eft point venale ny intereffée
, elle ne fe met à aucun
prix , parce qu'elle trouve en
elle -même fa plus folide récompenſe
, elle ne ſe laiffe point ébloüir
par l'éclat de la fortunė ,
ny par les avantages de la Beauté,
& comme elle n'enviſage que la
vertu , on ne la voit jamais chanceler
dans la pratique de fes devoirs
, ny démentir fon caractere
.
Les Dieux rioient encore de
la malice de Momus , quand la
belle Déeffe Diane ſe preſenta .
Elle eftoit precedée de fes plus
G
iiij
80 MERCURE
1
cheres Nymphes qui fouloient
1Olimpe d'un pied leger en
chantant des Vers à fa loüangc.
Voicy la Divine Soeur du
Dieu du Jour , dirent les Dieux
en l'appercevant . Elle portoit
une robe teinte du fang du pretieux
poiffon qui nous fournit
la pourpre. Ses cheveux
eftoient nouez par derriere fans
affectation , elle avoit un arc
d'ébene en fa main fon carquois
eftoit plein de fléches , qui
lancées par une main fifure , portoient
toujours un coup mortel .
Quoy qu'elle fuft née parmy les
Dieux , & qu'elle fuft accoûtumée
à voir leur pompe , on euft
c'eftoit pour la premiere
,
dit
que
fois
qu'elle
y paroiffoit
, tant
elle
baiffoit
fes
yeux
modeftes
, tant
GALANT.
81
1
elle avoit de confufion de paroître
belle ; on jugeoit à la démar
che douteufe , qu'elle. gemiffoit.
en fecret de fe voir expofée à la
multitude de tant de regards avides
? O qu'en cette occafion elle
regretta les ombres.obfcures des
Bois , fi cheres à fa modeftie !
O qu'elle euft fouhaité l'avantage
qu'elle avoit lorfqu'en pour--
fuivant les timides Daims dans
une vafte Prairie , & fe regardant :
par hafard dans le miroir liquide.
des fontaines , elle avoit au moins.
la liberté de fuïr en rougiffant
dans les lieux lesplus fombres des
Forefts, honteufe de fe trouver fi
belle . La Pudeur treffaillitde joïe
en appercevant cette Déeffe . Elle
tâcha d'exprimer par millecareffes
le plaifir qu'elle reffen8:
MERCURE
toit à fa vuë . Diane l'embrafſa
tendrement , & ne put s'empêcher
de témoigner combien
elle eftoit contente de voir naître
une Divinité fi conforme à
fes fentimens naturels .
Cependant Momus ne pouvoit
fouffrir de voir cette Déeffe fi
bien d'intelligence avec la Pudeur.
Leurs careffes innocentes
luy déplaifoient , car tout irrite
la Médifance , rien ne luy plaiſt
que le fiel & le poifon dont elle
fe nourrit. Il me femble , dit - il ,
en ſe tournant vers les Dieux
que Diane ne devroit pas tant
fe réjouir de la naiffance de la
Pudeur ; elle n'eft pas trop foigneufe
de fe cacher quand elle
veut prendre le bain , & Acteon
fçavoit bien comment elle eftoit
GALANT. 8 ;
faite. Méchant bouffon , luy repondit
la chafte Déeffe , en rougiffant
de colere , apprenez que
noftre vertu n'eft point bleffée ,
pour eftre vuës dans un eftat indigne
de nous , lorfque nous n'y
penfons pas . Si le hafard ou la
violence donnent quelque avantage
a voftre Sexe fur le noftre ,
eft -ce un crime qui doive nous
eftre imputé ? L'innocence ne ſe
perd point fans que le coeur y
confente , & c'eft la feule intention
qui rend nos mouvemens
criminels , ou qui les juftifie . Si
cela eftoit , interrompit Momus ,
( qui voyoit que les Dieux luy
applaudiffoient ) il y auroit peu
de femmes qui ne fuffent vertueufes
; car elles difent toûjours
, non & à les entendre
84. MERCURE
feur intention n'eft pas de faire
ee qu'elles font . Cependant il
faut vous rendre juftice , Acteon
fat bien puni de fa temerité , &
vous mîtes ce pauvre Chaffeur
dans un eftat bien pitoyable .
Vous aviez grand' peur , fi je ne
me trompe , qu'il ne fe vantaſt
de ce qu'il avoit vû. Puifque
vous craignez tant l'Indifcretion
, je ne doute pas que vous
n'ayez la précaution de faire de
temps en temps de femblables
metamorphofes , La Déeffe fe
contenta de ce qu'elle avoit dit ,
& ne répondant que par un foûris
dédaigneux, elle prit le parti
du filence . Elle fit bien d'en uſer
ainfi , parce que la Vertu fe défend
toûjours mal contre la Ca--
lomnie quand elle fe défend par
GALANT. 85
les raifons. L'homme de bien fe
taît en ces occafions , il eft content
du témoignage de fa confcience
, & laiffe à fes actions le
foin de le juftifier.
Toutes les Divinitez fe retirérent
après avoir visité la Pudeur
elles la laifférent aux tendres
careffes de fa Mere qui l'éleva
fous les yeux avec beaucoup de
foin . Elle embelliſſoit à meſure
qu'elle croiffoit , chaque jour
ajoûtoit quelque chofe à fa beauté
, & chaque inftant , pour ainfi
dire , découvroit dans fon naturel
, des difpofitions fi heureuſes ,
qu'on ne pouvoit s'empêcher de
les admirer.Quandelle fut enâge
de paroître,Hebé fa mere la mena
dans les Affemblées des Dieux :
dont la plufpart ne peurent
85 MERCURE
ce ,
fouffrir fa fevere modeftie . Comme
la Pudeur n'eft point déguifée,
elle s'allarmoit naïvement de
tout ce qui luy faifoit peur ,
de
forte que les Dieux accoûtumez
à vivre dans les plaifirs , fouffroient
impatiemment fa prefenqui
leur reprochoit fans ceffe
leur vie voluptueufe . Telle eft
la difpofition de ceux qui ne pratiquent
point la vertu , ils cherchent
fibien à l'oublier qu'ils ne
veulent rien voir devant leurs
yeux qui puiffe leur en retracer
l'image. Dans toutes les occafions
où la Pudeur fe trouvoit
avec eux , ils ne pouvoient diffmuler
le chagrin qu'ils avoient
contre elles . On les entendoit
s'écrier fans ceffe que c'eftoit un
efprit farouche , & mal cultivé ,
GALANT. 87
qui vouloit introduire dans le
Ciel des moeurs auſteres & barbares
, inconnuës jufques alors.
Enfin leur peu d'intelligence alla
fi loin , que les Dieux qui aimoient
le plus les plaifirs , fe
bannirent volontairement du
Ciel pour ne vivre pas avec
elle. Bacchus enyvré de Nectar ,
alla goûter les vins du Mont
Tmole , fuivi de la troupe furieufe
des Bacchantes . Mercure
fe retira fur les grands chemins ,
moins pour recevoir fur les carrefours
l'encens des Voyageurs ,
que pour les détrouffer fous dverfes
figures. Apollon ne fortit
plus du Temple de Delphes , où
il vendoit à grand prix aux curieux
Mortels la connoiffance de
l'avenir , que les Dieux favora88
MERCURE
P.
bles leur ont caché . Venus alla
refpirer l'air delicieux de Paphos
. Le cruel Amour inftruit
par
fa Mere , s'enfuit à Lemnos ,
en pleurant de dépit & de honte.
Ilvoltigea quelque temps autour
des fournaifes ardentes où Vulcain
travaille fans ceffe , ces effroyables
cavernes retentirent
de fes gemiffemens . Les Cyclopes
épouvantez laifférent tomber
de leurs mains leurs pefans
marteaux & demeurérent immobiles
. Dans fa fureur il briſe en
fremiffant les flèches inutiles
qu'il portoit , il en demande de
funeftes qui portent le defefpoir
dans tous les coeurs . Le Divin
Forgeron obéit fans remife à
l'imperieux Enfant . Trois fois
l'Amour trempa dans
dans le fiel
>
GALANT. 89
& dans le fang la pointe de ces
nouveaux traits , & content de
voir entre les mains ces armes
cruelles , il s'envole en jurant de:
troubler à jamais le repos du
monde .
Cependant Jupiter voyoit à
regret toutes ces Divinitez difperfées
: il feavoit bien que la
Pudeur en eftoit la caufe , & il
n'eftoit pas lui - même exempt
des mouvemens qui agitoient les
autres Dieux . Il ne pouvoit fe
confoler de la naiffance de cette
jeune Déeffe. Depuis qu'elle
eftoit dans le Ciel , il éprouvoit
je ne fçay quelle lumiere importune
qui éclairoit fa raiſon malgré
luy même. Il avoit beau cacher
fa Divinité fous des figures
étrangères . Il empruntoit vaine-
Mars 1701. H
90 MERCUREment
le fecours des nuages , if
fentoit que la Pudeur le fuivoit
en tous lieux pour luy reprocher
la honte de fes attachemens .
Comme il ne coûté rien de bannir
la Vertu quand elle s'oppo-~
fe aux penchans du coeur , Jupiter
fe refolut bien -toft à l'éloignement
de cette Déeffe . IlPap
pella devant fon Trône d'or &
d'ivoire . Aprés luy avoir reprefenté
que l'Olimpe devenoit une
folitude , & que fon abfence eftoit
neceffaire au repos des Dieux ,
il luy ordonna d'aller vivre parmi
les Mortels . La jeune Déeffe
ne murmura point contre la dureté
de cet ordre fuprême , elle
fut contente de quitter le Ciel ,
puifqu'elle n'auroit plus à foûtenir
la preſence du Vice , & qu'elle
GALANT, gr
feroit à l'abry des allarmes qui
l'agitoient.
Voilà donc la Pudeur qui
vient fur la terre , réduite à chercher
des vertus parmy les hommes
, que les Dieux qu'ils adoroient
ne pratiquoient pas. A
peine elle fut dans le monde ,
qu'elle regarda le Sexe comme
l'objet le plus propre à fixer
fes foins ; mais elle ne voulut
vivre que parmy les Filles , parce
que leur eftat eftoit le plus,
propre à la cultiver. Elle eſpera
qu'eftant éloignée des occafions
qu'elle avoit à craindre , elle
goûteroit avec elles une profonde
paix.
Les commencemens de fon
exil furent affez heureux , parce
qu'elle trouva le monde dans un
Hij
92 MERCURE
eftat aſſez paiſible . L'Egalité ,
mere de la douce Paix , faifoit .
regner la juftice , la candeur &
la bonne foy . Les hommes ne
fçavoient point fe tromper les
uns les autres , & quand ils l'auroient
fceu , ils auroient rougi ,
de le pratiquer. La Verité fortoit
de leur bouche auffi naturellement
que l'air qu'ils refpiroient
leur ; vertu les avoit heureufement
affranchis de la tyrannie
des mauvais ufages & de
la contagion des exemples pernicieux
. Cette foule tumultueufe
des paffions qui agitent fi naturellement
le coeur du Sexe, n'avoit
pas ofé tenter de paroiftre. La
Beauté n'avoit point caufé les
guerres fanglantes , les querelles
injuftes , ny les cruels affaffinats,
GALANT.
93€
& les femmes n'avoient encore
couté rien à l'innocence des .
hommes . Ils les regardoient comme
un prefent du Ciel , dont :
l'ufage venoit au fecours de la
brieveté de la vie , & la neceffité
de s'en fervir impofée à l'homme
eftoit le feul motif de fes attachemens
...
L'Amour impatient de fe vanger
de la Pudeur , ne fouffrit pas
qu'elle joüift longtemps de la
douceur de cetafile . Il ne parut
pas d'abord luy- même , car fa
preſence euft trop effrayé des
coeurs accoutumez à la vertu ; il
fe fervit de la pernicieufe Abondance
, pour introduire les Plaifirs
qui furent la fource feconde
des vices . Ils réveillerent dans le
Sexe la molleffe , l'amour pro-
A
94 MERCURE
pre , & la vanité . De là vint le
defir de voir & d'eftre vûë , qui
fut le premier écueil qui caufa le
naufrage de la vertu . Le foin de
la parure & de la beauté, le luxe
& la regularité des traits commencerent
deflors à faire prefque
tout le merite des Femmes .
Comme le coeur fe laiffoit feduire
aux apparences, chacune répandit
dans tous fes dehors tout ce
que l'art de plaire pouvoit infinuer
de flateur. Vains ornemens,
ufages ridicules , tout fut employé
pour y réuffir ; la raiſon ne
fut plus écoutée , ce bien folide,
cet heureux don du Ciel ne fut
comté pour rien . Les Amans firent
une autre efpece d'hommes
parmy les autres ; ils eurent leurs
maximes , leur culte, & leur Re-
#
GALANT.
ligion à part ; Religion d'autant
plus dangereufe pour l'innocence
, qu'elle eft impunie , & que
fans craindre les menaces de la
loy , chacun peut au moins une
fois en fa vie ſe faire une Divinité
felon fon coeur.
O que la Pudeur eut à fouffrir
de voir que les jeunes Filles dont
elle cultivoit les moeurs , tomboient
dans ces dereglemens !
Quelle confufion n'eut - elle
point de trouver dans le fonds
de leur naturel de fi riches reffources
pour appuyer le vice , &
d'en trouver fi peu pour s'affermir
dans la vertu ! Que ne fitelle
point pour arrefter le cours
de ce defordre ? Elle armá pour
les deffendre la Défiance &
la Précaution : elle effraya leur
96 MERCURE
•
efprit par la peinture d'un Amour
terrible , tout cela fut inu
tile. Elle appella la Raiſon à fon
fecours , qui ne marchoit plus
dans la droiture de les voyes ; elle
demanda au Coeur la fuite des
Entrevues , & le facrifice des
Occafions . Le Coeur au lieu de
l'entendre trahiffoit fes plus
chers interefts Enfin , trifte ,
confuſe , abandonnée , aprés avoir
répandu par un dernier ef
fort le plus pur du fang fur la
furface du vifage , pour faire refpecter
la prefence , elle vit le
douloureux inftant où elle fut
en proye à tous les defirs d'une
Jeuneffe inconfiderée .
Aprés un outrage fi fenfible ,
la Pudeur ne pouvoit plus refter
dans le coeur des Filles qui l'a
Poete
voient
GALANT. 97
*
•
voient fi lâchement trahie ; elle
en fortit donc en fermant les
yeux , bien embaraffée de fe
pratiquer
un azile où elle puft vivre
en fureté. Sa modeftie eftoit fi
fevere , fes moeurs eftoient fi
faintes & fi pures , qu'elle ne
pouvoit même fouffrir la vûë des
plaifirs les plus legitimes . C'eft
ce qui l'avoitéloignée désle commencement
du commerce des
femmes ; mais puifqu'elle eftoit
condamnée à vivre fur la terre ,
la neceffité dure & inflexible , à
laquelle les Dieux même obéïffent
, l'obligea de fe retirer dans
leur coeur , & de s'y fortifier s'il
eftoit poffible , contre les attaques
de fon ennemi.
Elle ne demeura pas longtemps
à s'appercevoir que l'Amour
·I
Mars 1701 .
P
98 MERCURE
avoit déja difpofé toutes chofes
pour luy rendre encore une fois
cette retraite douloureufe . Elle
découvrit que les plaifirs dout
les femmes font en poffeffion ,
bien loin de les éloigner des occafions
, ne leur fervent que d'aiguillon
pour leur en faire defirer
d'autres , & comme un pot
d'argile qu'on defcend tous les
jours dans une cifterne , n'en reçoit
pas une nouvelle dureté
pour le défendre des pierres qui
l'environnent, ainfi l'experience
du monde ou la pratique du mariage
ne mettent point les femmes
à l'abri de leur penchant.
La Pudeur ne fe rebuta point
de ces obftacles ; elle tâcha de
réveiller dans leur coeur le defir
de cette ancienne innocence qui
GALANT.
99
rendoit tout le monde heureux :
elle rappela à leur efprit la confiance
de leurs époux honteufement
trahie . Elle leur montra de
loin les routes paifibles de la
Vertu ; mais toutes détournoient
leurs yeux , elle ne fut point
écoutée , chacune vouloit avoir
une raifon
pour fe juftifier, Les
unes difoient qu'on avoit vendu
leur coeur au plus offrant ; que
le mariage eftoit devenu un
fic , & qu'on ne confultoit plus
pour le former la douce fympathie.
D'autres gemifant à la
vue des cheveux blancs de leur
époux , & murmurant fans ceffe
contre l'inégalité des années ,
croyoient eftre en droit de leur
faire expier le crime d'eftre venus
trop toft au monde ; d'au
I ij
100 MERCURE
tres s'écrioient qu'elles n'avoient
confenti à une paffion que pour
fe vanger d'un époux infidelle ,
comme fi pour punir un crime on
pouvoit ceffer d'eftre innocent .
Il y en avoit un grand nombre
qui ne trouvant rien pour autorifer
leurs paffions , en accufoient
mal à propos la malignité de leur
étoile qui ne peut rien contre la
folide vertu . Enfin , toutes avoient
un prétexte pour diminuer
leur faute ; tant il eft vrai
que nous n'ofons jamais abandonner
la vertu tout à fait , fans
chercher une raifon qui nous
juftifie au moins à nous -mêmes ,
tant nous en connoiffons naturellement
lemerite & le prix.
Que pouvoit faire la Pudeur
quand elle vit les choſes dans un
GALANT. 10¹
eftat fi déplorablen Elle gémit ,
ellefoupira elle s'emporta contre
la duréré du Dieu perfecuteur
qui ne fouffroit pas que fon exit
fuft paisible. A la verité parmi ce
grand nombre de femmes dont
elle penetra les coeurs , elle en
trouva bien quelques - unes de fidelles
à leurs époux ;mais c'eftoit
pour la plufpart de ces femmes
chaftes par temperament , dont
la bonne comſcience eft incommode,
& dont l'imperieufe vertu,
qu'elles font valoir fans ceffe, eft
toûjours prefte à quereller un
mani. Leur caractere déplut à
la Pudeur , parce qu'elle et douce
, patiente , & foumife ; de forte
que ne pouvant plus vivre
dans des lieux où elle eftoit expofée
á tant d'outrages , elle fe
1. iij.
102 MERCURE
retira tout à fait , & touchée des
cruelles épreuves qu'elle avoit
faites , les larmes aux yeux &
la rougeur fur le front , elle dit .
Puifque les Dieux ennemis , aprés
m'avoir condamnée à vivre fur
>
>
les:
la
terre ont fouffert que
hommes
m'ayent
outragée
, &
que je n'ay pû faire
marcher
le
Sexe dans la voye que je lui pref
crivois
, je vous prens
à témoin
,
ô Stix , fleuve
de la mort
& des
renebres
, que je ne
rentreray
plus dans les coeurs
dont on m'a
bannie
. Les hommes
me chercheront
vainement
dans les femmes
,
je me cacherai
pourjamais
à leurs
yeux, & ils n'auront
plus la fatisfaction
de me voir leur victime
. Je
n'enflammeray
plus
l'amour
par
une longue
& fincere
refiftance
,
Sans moi toutes
les paffions
qu'il
GALANT. 103
A
de
infpirera deviendront en peu
temps infipides . Ainfi mon ab
fence va me vanger du Dieu
cruel qui me perfecute . O que
je vois naiſtre de defordres dans
l'Univers! Les fiecles à venir entraînez
par ces mauvais exemples
, encheriront ſur les precedens
pour la corruption des
moeurs & pour le raffinement des
mauvais uſages. Les femmes uniquement
revêtues du dehors de
la modeftie ne trouveront rien .
dans le vice qui les étonne , que
la difficulté de le déguiſer . Ce
ne fera plus l'amour de la vertu
qui confervera leur innocence ;
mais feulement la honte que le
crime traîne aprés luy quand il
fe publie , on leur apprendra à
rougir par habitude . Je protefte
cépendant que cette apparence
104 MERCURE
€
de pudeur qui couvrira leur
front , fera un figne fort équivoque
de leur vertu, & la bonne
foi des hommes y fera trompée .
Pour moy , puifque je dois vivre
encore fur la terre ; je vais entrer
dans le coeur des enfans , mais .
j'en fortiray dés la douziéme année
, afin de n'eftre plus expofée
aux difgraces que j'ai éprouvées .
O Jupiter , fouffre que je puiffegoûter
la paix que je propofe.
Aprés ces mots la Pudeur entra
dans le coeur des jeunes Filles
au berceau . Elle a tenu depuis
religieufement fa parole , elle en
fort dés l'âge de douze ans. Elle
reconnoît même fouvent que l'âge
eft, un garand infidelle en ces
occafions , & que la malice dans
le Sexe devance les années , ce
qui fait qu'ayant à foûtenir de
GALANT. 105
rudes combats avant le temps
qu'elle s'eft prefcrit , ou fouvent
même elle fuccombe , elle ſe repent
tous les jours de l'indifcre
tion de fon ferment , & de s'eftre
engagée pour un fi long terme .
Comme je ne doute point que
cet ouvrage n'ait voftre approba
tion , je vous apprendrai qu'il eft
de Mr Cormouls , jeune Avocat ,
d'une petite ville du Languedoc
appellée Caftelfarrafi , à huic
lieues de Toulouſe .
Je vous ay envoyé les Vers qui
furent faits à Bordeaux , par Ma →
dame de la Trefne , premiere
Prefidente, cy- devant Mademoifelle
de Comminge , lorſque le
mauvais temps y retenoit le
Roy d'Espagne , & Meffeigneurs
les Princes . Ceux que vous
106 MERCURE
allez lire , & que je vous aurrois
envoyez pour eftre placez
dans leur rang , fi je les avois
receus plutoft , ont efté faits à
Bayonne , lors que la pluye y
arreftoit Sa Majesté Catholique
& Meffeigneurs les Princes.
Retirez-vous , frimats , fuyez, noirs
Aquilons ,
Dans les plus reculez vallons ,
le blond Phoebus parcourant
Et
que
ふ
fa carriere ,
Aux Mortels languiffans redonne la
Lumiere.
Que le Ciel retiennefes eaux ,
Que des vents & des flots il calme la
furie ,
Qu'il fr duife en ce jour des miracles
nouveaux
و
Cleft un Fils de Louis qui paffe en
Hefperic..
GALANT. 107
&
Que loin du Trône icy rien n'arrefte
fes pas,
Qu'il trouve par tout mille appas.
Allez, & devancez l'Aurore ,
Zephire, & vous , aimable Flore,
Preparer luy mille douceurs .
C'est ainsi que Louis l'ordone.
Un chemin qui conduit au Trônes
Doit eftre parfemé defleurs.
S
Quand vous verrez Philippe aufein
de fes Provinces ,
Que Paris dans fes murs aura receu
nos Princes
Hiver , fi tu le veux , ramene tes
glaçons.
Que les vents fans couroux fortent de
leurs prifons
Quefeuls des Efpagnols ils gardens.
les frontieres ,
108 MERCURE
Qu'ils foient aux Allemans d'invincibles
barrieres ;
Enfin , que tout conſpire au bonheur
de ce Roy, [ froy.
Et que fes Ennemis en påliffent d'ef-
Vous avez trouvé dans ma Lettre
du mois paffé , un grand Article
fur le dommage que le Tonnerre
a caufé à l'Eglife Cathedrale
de Troye . Mr de Pomereu,
Intendant de Champagne , a fait
la vifite de cette Eglife , & c'eft
là - deffus que Mr Regnier
, premier
Echevin , luy a adreffé ces
Vers.
A M DE POMEREU
Ous qui favez mefler une douceur
affable ,
Vou
224
Avec une illuftre grandeur ,
Vous qui charmez nos coeurs , vous
eftes feul capable
GALANT. 109
D'appaifer leur vive douleur ?
23
)
Venez, fage Min ftre , voyez
noftre Eglife,
Voyez fes reftes précieux ,
Voyez l'estatfunefte où lafoudre l'a
mife
Qui tire les larmes des yeux.
S
Durant cette vifite , encor qu'on la
defire ,
Et qu'elle foit au gré de tous ,
Si par trop de douleur on ne vous
peut rien dire
Lespierres parleront pour nous.
2
Leurs Bouches font les trous d'une
voûte entre -ouverte ,
Qui criront toutes à la fois,
Qu'ilfaut pour réparerune fi grande
perte
Lefecours du plus grand des Rois.
110 MERCURE
2
Ceffez donc de gemir , ceffez , Peuple
de Troye ,
Et vos plaintes & vos foucis ;
Mettez bas la trifteffe , & reprenez
la joye
Si-toft qu'on parle de Louis.
S
Zelé pour le Seigneur , il fe plaift à
répandre
Ses bienfaits dans tousles faints
lieux.
Confolez- vous , Troyens , vous devez
tout attendre
D'un Roy magnanime & pieux.
ន
Tant de Temples facrez batis par ce
Monarqué
Avecque fomptuofité;
Tantd'autres rétablis, fontl'infaillible
marque
GALANT.
111
De fafolide pieté:
2
Dans ces lieux, il a part à tous les
Sacrifices
Où l'on immole le Sauveur ;
Ainfi plus il a foin de ces faints édifices
,
Plus il en recoit de faveur.
S
Le Ciel reconnoiffant ce Prince magnifique
,
Quifait auxTemples tant de bien,
Veut que fon Petit-fils foit le Roy
Catholique ,
Comme il est le Roy Tres-Chreftien.
Toutes les queſtions curieufes
vous ont toujours plû , & c'eſt
ce qui m'engage à vous envoyer
la petite Differtation que vous
trouverez dans cette Lettre . Elle
112 MERCURE
eft de M de la Separdie de Givaux.
A MONSIEUR ***
7
Apprens , Monfieur , par votre
derniere Lettre , que vous fentez
de jour en jour augmenter la difficulté
avec laquelle vous reßpirez fur les
montagnes , mais que vous le fautes
encore librement dans les vallées,
Vous fouhaitez que je vous diſe mon
fentimentfur cette difference, & vous
que
-73.3 me marquez que ceux que vous avez
deja confultez , ne vous ont point
donné de raifons plus fatisfaifantes,
les remedes qu'on vous a fait
prendre pourguerir vos poumons. Je
vais vous dire narvement ce que je
penfe , & je m'estimeray heureux fi
mes conjectures peuvent contribuer à
GALANT.
113
faire trouver un remède affure à la
maladie dont vous eftes attaqué. Je
n'entreray point dans l'examen des.
differens fentimens fur l'ufage des
poumons, & fur les caufes & les effets
de la refpirations je me coutenteray
de vous dire queje crois avec de treshabilesgens
, que l'air entre dans la
poitrine après avoir paßépar le poumon
, comme parun crible, qui arrefte
les corpufcules étrangers qui fe feroient
gliffez à travers les narines & les
rameaux de la Trachée artere : mais
je ne fçaurois eftre de l'avis de ceux
qui prétendent que le principal effet
de la refpiration eft de rafraichir.
Quelque probable même que m'ait
paru jufques à prefent le fentiment
des autres , qui foutiennent que l'air
que nous refpirons fert particuliere-
Mars 1701. K
4 MERCURE
ment à volatiliser le fang , je ne puis
m'empêcher de luy attribuer une faculté
bien plus confiderable & plus
effentielle , depuis les reflexions que ·
j'ai faites furla question que vous
me propofez Fe foutiens donc que la
fin de la refpiration eft de fournir à
l'animal un aliment qui luy eft toû ….
jours neceffaire. En effet , l'air contient
un efprit vivifiant dont aucun
estre ne peut fe paffer. Il est noftre
nourriture immediate , nous le man- ?.
geons à tous momens par la refpira
tion , & nous nous en nourriffons d'une
maniere plus groffiere & plus foli
depar le moyen du pain & des autres
alimens , lefquels fans luy ne feroient
que d'inutiles excremens. La pluye
impregnée de cet efprit l'entraine
avec elle dans la terre où il fe corpo
rifie avec les vegetaux , dont il de-
}
GALANT.
ris
vient la partie spermatique & nourriffante.
Il eft vray que cette portion
Spiritueufe (par exemple dans lefroment
) eft tres - petite ; aufli tout le
pain que nous mangeons n'eft- il pas
nourriture. Le principe de vie qui eft
en nous ne prend pour fon entretien
que ce qui luy est analogue . Aprés
l'avoir débaraffè par plufieurs digef
tions , il rejette le refte comme inutile
&feculent. Tout de même dans l'air
qui nous environne , tout n'eft pas vivifiant
, aù contraire , cet air eſt
tout groter & tout corporel ; mais il
fert du vehicule à une fubftance fpiritueuse
, dont nous avons befoin à
tous momens. Nous attirons par
la
refpiration cette fubftance avec fon
vehicule. L'efprit demeure en nous>
pour entretenir le feu vital qui nous
anime ; l'air grofter eft pouffé dehors
Kij
116 MERCURE
comme un excrement qui eft bien-softranimé
par une nouvelle portion de ce·
même efprits car enfin fi la fubftance
de l'air eftoit , felon le fentiment le
plus reçu unferment pour volatilifer
Lefang, il femble que la nature qui
ne fait rien en vain , ne devroit nous.
en fournir à chaque refpiration que
la quantité qui doit estre unie aw
même fang pour cette volatilifation .
Jefçai bien qu'on ne manquera point .
de dire que l'air que nous repouffons
n'eſt pas inutile , qu'il nettoye , &
qu'il emporte les fuliginofitez mais.
on ne le trouvera que plus propre à
cet office en le fuppofant comme rendu,
poreux parla fuction qui fe fait dans
la poitrine de l'efprit nourriffant qu'il
renferme , & dont il eft animé auffi
bien que toutes les autres creatures.
Spiritus intus alit, &c.
GALANT. 117
Cet efprit vivifiatiffe faitfentiren
bien des rencontres & en bien des
manieres differentes , dont le détail
feroit trop long. La Vipere nous fournit
une preuve bien fenfible de fon
existence . On fçait qu'elle demeure en·
vie un long efpace de temps fans aucane
autre nourriture que celle qu'elle
tire de Fair Or fi cet air ne faifoit
que volatilifer fon fang , il devroit
bien-toft eftre diffipé par tant de vo--
latilisations fi fouvent réiterées . Il
eft bien plus vrai-femblable que cet:
animal trouve dans l'air un aliment.
qui lui convient , & comme cet aliment
eft tres-fubtil , auffi en fe corpo--
rifiantdans luy, ily produit en abondance
un fel volatil , lequel est un
remede d'autantplusprecieux qu'il eft
moins éloigné de la nature du principe :
de vie dont il a estéforme. Il est donc
118 MERCURE
certain que l'air eft le vehicule d'un
efprit vivifiant , & je pourray vous
en donner de nouvellespreuves quand
vous le fouhaiterez Or il eft conftant™
que cet efprit eft plus abondant dans
les vallées que fur les montagnes ,
foitparce qu'eftant toujours en mouvement
pour entretenir un commerce
continuel entre le Ciel & la terre..
les lieux bas & concaves doivent env
recevoir& en reflechir beaucoup plus
que les fommets des montagnes 3 foit
parce que l'air,receptacle de cet efprit,
eftant condenfe dans les vallées , il..
en contient davantage , qu'aux lieux
où il eft plus rare , à peu près comme
un grandtuyau perpendiculaire à
'horifon , rempli de petites velies
pleines d'efprit de vin , contiendroit
plus de cette liqueur en bas que non
pas aufommet, où les velies moins
GALANT. 119
preffées laifferoient des interftices plus
confiderables. En un mot , lafecondité
feule des vallées y prouve l'abondance
de l'efprit univerfel. Vous
pouvez comprendre à prefent d'où
dient la difficulté que vous fentez en
refpirant fur les montagnes ; carfuppofe
qu'il faille à chaque respiration
un grain de cet efprit vivifiant pour
entretenir la chaleur naturelle , &
que dans les vallées ce grain foit
contenu dans un pouce cubique d'air,
au lieu quefur une montagne la même
étendue d'airn'en contient qu'un demy
grain , il s'enfuivra qu'un homme
dontle poumon bien conditionné , laiffe
un paſſage libre à deux pouces cubiques
d'air , ne remarquera aucune *
alterationfenfible dans fa refpiration
Lorfqu'ilfe trouverafur la montagne 3-
mais un poumon embaraffe tel que
Te
120 MERCURE
"
voftre , qui ayant le tiers defes pares·
bouchez , ne tranfmet tout au plus
qu'un pouce & demy cubique d'air ,
doit rendre la refpiration plus difficile
& plus frequentefur les hauteurs , où
comme je viens de fuppofer l'esprit .
nourrissant occuperoit deux pouces
dair , & fi la rarefaction devient
telle qu'un pied cubique de cet element
ne contienne pas un grain de cette
précieufe nourriture , alors quelque
bien conditionné que foit le poumon ,
la poitrine ne pouvant admettre unfi
grand volume d'air , l'animal doit
tomber en défaillance , comme je me
fouviens d'avoir lu qu'il arrive fur
le piede Teneriffe , & comme on peut
l'obfervertous lesjours avec une ma
chine Pneumatique . Voila , ce me
femble , la folution de la queftion que
vous m'avez propofée , & le même.
principe.
GALANT 121
principe peut fervir à en éclaircir
beaucoup d'autres ; carpar exemple ,
de ce que l'air comprimé des vallees
contient plus d'efprit nourriffant , il
s'enfuit qu'ony doit mangermoins que
furles montagnes. Aufli dit- onfans
en fçavoirla raison que l'airy eft devorant.
Il s'enfuit qu'en pleine mer
on doit manger plus qu'en terre ferme
, en Hiverplus qu'en Efté , il s'enfuit
au qu'un Phtifique doitfe porter
mieuxdans lebas Languedoc qu'à Londres,
& c. Jeferois trop longfije voulois
parcourir toutes les confequences qu'on
peut tirer dece principe .Je ne m'arrefte-
·raypas non plus à preuenir les objec
tions qu'on mepeutfaire je fuis affuré
qu'elles nefont point capables de
detruire un Siftème formé d'aprés nature
; mais pour en donner une preuve
audeffus detoute conteftation, il n'y au
Mars 1701
. L
122
MERCURE
roit qu'à rendre visible & palpable
cet aliment
fi effentiel
à la vie. Ce
Jeroit en même temps un remede effi
cace pour le mal dont vous etes attaqués
car ayant acquis une nouvelle
perfection
par cette metamorphofe
,
non-feulement
il ranime la chaleur
naturelle
dout il eft le principes
mais
encore contenant
un alcali extréme
ment volatil , il décraffe & enleve les
mucofitez
dupoumon, à peu près comme
les alcalis dufavon détachent
& emportent
les ordures du linge . Je vous ay
fait voir par une admirable
manipu
lation qu'il n'eft pas imposible
de donner
à l'efprit de vie contenu dans l'air
une formefenfible , mais quand il eft
attrape & qu'on le tient enchaîné
, il
faut plus de loifir que je n'en ay pour
lui redonner
la liberté dont il a befoin
afin de montrerfa puiffance
& fa verGALANT.
123
tu . Cela nefe fait que par une longue
fuite d'operations qui pour eftre toutes
naturelles ne laiffert pas de demander
une application entière une at
tention continuelle pendant plufieurs
mois . Je la donnerois avec plaisir
pour me rendre plus familieres ces fublime's
connoiffances , & ce meferoit
une doublejoye de me flatter que mon
travail feroit fuivi du rétabliſſement
de vostre fante ; mais vous savez
l'impoflibilité où je fuis de me fatisfaire.
Mes occupations ordinaires
qui font la meilleure partie de mon
Patrimoine , ne me laiſſent point aſſez
de loifir , & font d'ailleurs trop oppofées
à la meditation & à l'étude de la
nature. Au refte , je feray tres - content
des eclairciffemens que je viens
de vous donner , fi quelqu'un de vos
Amis plus libre que je ne fuis , featt
Lij
124
MERCURE
on tirer les conféquences
naturelles
,
& s'en fervir pour vous procurer
le
foulagement
que je fouhaiterois
de
vous donnermoi- meme .Je fuis voftre
Loc.
Voicy
un Diftique
Latin
en
lettres
numerales
, fur l'heureufe
entrée
du Roy Philippe
V.
en Espagne
.
IngreDItVr
prInCeps
hifpanICa
regna phILIppV's
,
HVnC CVnCtl
eXCIPIVnt
,
& probat Ipfe DeVs .
Ces lettres
numerales
font
DD . CCCCCC
. VVVV
VV
IIIIIIIIII
I. qui marquent
1701 .
Ce Diftique m'engage
à vous
faire part d'une Epigramme
Latine
, faite par Mt Gon , AffefGALANT.
125
feur en l'Election de Rhetel, fur
la nomination de M¹ de Chamillard
à la Charge de Secretaire
d'Etat pour le département de
la guerre.
Quam fortunatum te grandiafacła
decorant ,
Confilio egregius quem Lodoicus
amat!
Divifas reram Imperii tibi tradit
habenas
Hæcprobiratis amor munera tanta
parit.
Je vous envoye des paroles
fort propres à eftre mifes en Air.
Elles font de Mr Daubicourt
qui a cfté Capitaine, au Regiment
de Poitou , & le fujer en eft
beau , puis qu'il regarde l'impatience
qu'on a dans toute la
J
Liij
26 MERCURE
Cour , de voir de retour Meffeigneurs
les Princes
Rrinces , qui paroißez deux Aftres
éclatans ,
Nous n'attendons qu' aprés voftre
douce influence.
Ne nous privez pas plus longtemps
Du bonheur qu'en tous lieux répand
voftre prefence de
Rayons du Soleil de la France ,
C'eft de votre retour qu'elle attend le
Printemps.
S
D'un Pere & d'un Ayeul le tendre·
empreffement
-De Paris , de la Cour les voeux &
Pefperance ,
Les larmes d'un Sexe, charmant;
GALANT. 127
De la Princeffe enfin l'aimable impatience
,
Difent que pendant voſtre abſence
Le Printemps le plus beau n'auroit
nul agrément
.
Les Vers qui fuivent ont cfté
envoyez à l'illuftre Mademoiſelle
de Scudery , fur l'Orange couronnée
dont Mr de Betoulaud
luy a fait prefent. Les Vers font
de MiCueron.
LE MERITE
Triomphe de la Jaloufie ,
•·L'Arbrefameux qui croiſt au pied
du Mont Parnaſſe,
Dont le plus petit rejetton
Dans l'Immortalité nous affure une
place.
L' iiij
128 MERCURE
1
Et qui feal animant d'une louable
audace
Fait des meilleurs efprits la noble
amrbition ,
Avoit produit une branche nouvelle,
Que la fcavante Nation
Deftinoit en fecret pour couronne immortelle
A maint Auteur du plus illuftre
nom.
Brefau dire de cent perſonnes,
Et fans exageration ,
On en euft bienfait deux couronnes
D'affez belle proportion.
S
Chacun d'un oeil plein d'émulation
La voyoit embellir&croiftre ,
Et par cent beaux écrits de date invention
,
S'efforçoit de faire connoiftre ,
Qu'à bienjuger il devoit eftre
GALANT , 119
Couronné d'un fi beau feſtɔn.
2
Le temps venu d'en faire don ,
Apollon du poignard que porte Melpomene
,
Dont Scudery fe fert en décrivant la
peine
De ces Heros troublez d'un amoureux:
poifon ,
La coupe , la fait voir. On l'envie,.
on l'admire,
Puis d'un riche ruban , l'ornement
defa Lire,
Tiffu par les neufSoeurs dans lefacré
Vallon
,
Illa noue en couronne . & la pend
au buiffon.
Cependant à la troupe il fait preudre
feance ,
Et de fa main impofe le filence
Pourdeclarerfa jufte intention.
130 MERCURE
Ce Prix charmant , dit-il , fera
pour le Genie ,
Qui faifant éclater les plus rares
talens ,
Et dufçavoir & de la modeftie,
Aura fur ces côteaux primé le
plus longtemps .
S
Quelques - uns parvenus au faîte
de la gloire ,
Contens de voir leurs noms au
Temple de memoire
Afin de prolonger leurs jours.
dans le repos ,
N'ont plus fait d'ouvrages.
nouveaux ,
Et nous ont laiffé lieu de croire
Qu'ils s'eftoient épuifez en gagnant
la victoire ,
Ou craignoient les doctes travaux
.
GALANT. 131
Quelques autres ont vu leur
vie
Par la Parque trop toft ravie ,
Et n'ont pas pu montrer cette
fertilité,
Qui de graces toujours ſuivie,
D'une égale vivacité ,
Dans un age avancé , comme
dans la jeuneffe ,
· Prouve d'un bel efprit le fçavoir,
la jufteffe ,
Et fans fe copier , & fans piller
autruy ,
Fait dire avec honneur , lifez ;
c'eft toujours luy.
La moderne Sapho , Scudery, ce
me femble ,
Ces illuftres talens raffemble ,
Et pourroit feule meriter
Ce Prix que peu d'Auteurs peuvent
luy difputer.
132 MERCURE
Qu'en pensez - vous , Sçavans
Que la Troupe décide,
Et que mon jugement ne ferve
point de guide
A ceux qui pourroient en dou
ter .
Que l'on y reflechiffe avant de
l'accepter.
Aces mots il fe fit par tout unfourd
murmure,
Chacun parla fans fard, & mit à
la cenfure
Jufques aux plus graves Auteurs .
Enfin malgréleurs défenfeurs,
"Ayant fuffisamment raisonné pour
conclurre,
On entendit cent fois repeter à l' Echo,
C'eft pour la moderne Sapho.
Les plus intereffez à ces cris fe rendirent,
GALANT.
133
Du bruit confus des mains lesforests
retentirent.
Le Parnaffe trembla de tant demon
vemens
Et les fombres grottes mugirent
Aux merveilleux redoublemens
Des communs applaudiffemens
S
Mais l'antique Sapho , la Sapho de
La Grece ,
Seule à ces cris joyeux fentant une
trifteffe ,
Qui naiffoit d'un efpritjaloux,
De voir qu'aujugement de tous
L'autre Sapho joignoit à l'esprit la
fageffe ,
( Derniere qualité qui caufoit fon
couroux
D'un air, d'un pas fubtil fe gliffe
dans la preffe,
Prend la couronne adroitement ,
134 MERCURE
La cache , & court avec viteffe
En faire un facrifice à fon reffenti
ment.
Aupied d'un Oranger la jalouſe l'en-
´terre ,
Et la couvre de cent cailloux.
Sers donc à couronner d'autres
Sapho que nous.
Le Dieu qui lance le tonnerre
Ne me feroit jamais ceder un
bien fi doux .
Elle dit , & courut rejoindre l'Affemblée,
Qui déja toute troublee
Cherche cette Couronne , & traite
avec mépris
Ceux qui font foupconnez d'avoir
la prendre.
Mais en vain Apollon lui - même en
eft furpris.
GALANT.
135
S
Enfin voyant affez qu'on ne veut pas
la rendres
Que le deuil en paroift chez les plus
beaux efpritsi
On eft content , dit- il , laiffez , on
l'abandonne .
A quoy bon la chercher : Scudery
, dans ce jour ,
Par la commune voix de ma fçavante
Cour
Reçoit bien plus d'une couronne.
Cet applaudiffement general
qu'on lui donne ,
Avec bien plus d'éclat vient de
la couronner ,
Que le fimple laurier qu'on vouloit
lui donner .
Que fert un prix où l'on en reçoit
mille?
135 MERCURE
Aprés un tel honneur tout autre
eft inutile .
Le front de Scudery porte encor
cent Lauriers ;
On n'y peut diftinguer les premiers
ou derniers ;
Tous paroiffent nouveaux
toûjours même grace ,
› ont
Et leur feuillage épais n'y laiffe
plus de place.
A peine fçauroient- ils
tous entiers.
y refter
Pomone , qui de loin venoit de voir
La Mufe
Faire cetindigne larcin ,
Courut montrer l'endroit qui cachoit
le butin an
Et découvrit toute la rufe.
Mais le docte Apollon deffendit de
L'ofter.
L'envieufe , dit - il , doit eftre
affez punie
GALANT. 137
De la mauvaiſe jaloufie ,
Scudery pouvant fe vanter ,
D'avoir feule fçu meriter
Plus de couronnes dans fa vie,
Que fon front n'en pouvoit
porter.
Cependant la belle Déeffe
Cherchant en fecret une adreffe
Illuftre Scudery , quipust vous obliger,
Pour vous d'un beau zele animée ,
De cette branche confommée
Faifant paffer le fuc au coeur de l'Oranger
;
[ né ;
De fa main a formé l'Orange couron-
Que Betoulaud, vous a donnée ;
Etpourplus galamment
vanger
L'heroique Sapho de Sapho lafriponne
,
Ne pouvant plus chez vous placer
d'autre
couronne ,
Vous en a faite une à manger.
Mars
1701. M
138 MERCURE
Voici la réponse de Mademoifelle
de Scuderi à Mr Cheron .
: Sil
MADRIGAL.
VOS Vers , ingenieux Cheron
Sont marquezau coin d'Apol
lon.
Non , jamais la Sapho de Grece
Ne mela dans les fiens tant de feu »-
de justeffe ,
Et jamais de Damon l'Orangerpretieux
Ne produifit des fruits auffi deli
cieux
Que l'eft voftre agreable ouvrage :
F'y parois avec avantage i
Mais je m'étonne peu de m'y voir
peinte en beau ,
Car tout eft inventé dans ce chara
mant tableau.
GALANT. 139
Dans ma Lettre du mois de
Janvier dernier , vous avez appris
que la preuve dans le Deffein
eft auffi utile pour connoître
un ouvrage complet , qu'elle eſt
neceffaire dans l'Arithmetique
pour nous donner un compte affuré
. Aujourd'hui touchant les
proprietez du Cube entier , je
m'arrefte à l'Article XVII.
Nous apprenons à faire toutes fortes
de routes , & voila ce que j'en ay
fçû. Mr Antier qui connoift à
fond l'origine & les principes de
la Perfpective , nous en fait voir
des effets furprenans , & s'il nous
a montré qu'elle eft l'ame & la
vie dans le Deffein , il nous fait
connoiftre qu'elle eft tres - utile
dans toutes fortes de voyages , &
qu'on peut faire fur ce principe
Mij
140 MERCURE
une route jufqu'à Rome , où une
perfonne pourra aller fans demander
le chemin . Comme cette
propoficion paroiſt un peu hardie
, plufieurs ne l'ont pas bien
goûtée , faute d'en voir les experiences
, mais l'Auteur qui penſe
que le feul moyen pour la bienappuyer
, eft de communiquer fa
fcience , a trouvé à propos de la
donner au fils de Mr Faubonne ,
fon Eleve , afin d'en avoir des
effets , & ce que je vais vous dires'eft
paffé en prefence des Cu-
.
rieux .
Mr Antier ayant fait une route
depuis le Lion d'or , ruë de
l'Echelle , lieu de fa demeure ,
jufqu'à la ruë des vieux Auguftins
, chez un Particulier , le St
Faubonne ayant la route en
GALANT . 145
main , a eſté dans ce lieu à la
troifiéme chambre , a demandé
le nom de ce Particulier , &
l'a nommé à fon Maiſtre , pour
montrer qu'il avoit efté jufquelà
.
Autre experience . Mr Antier
aprés avoir fait une route , depuis
les Tailleries jufqu'à la
grande Pente , la fit donner au
feur Faubonne , qui le vint trou- ,
ver dans le même lieu , fur la
connoiffance de cette route ,
quoy qu'il ne fçuft pas de quel
cofté eftoit alle fon Maiftre.
Autre témoignage . Plufieurs
curieux & fçavans Academiciens
de l'Academie Royale , eftant
dans les Tuilleries , priérent M²
Antier de leur faire voir une
route , ce qu'il accepta , en leur
112 MERCURE
>
difant qu'ils pouvoient fe prome
ner , & dans le temps qu'ils fai--
foient divers tours d'allées
Mr Antier faifoit la route , &
eſtant au but qu'ils s'eftoient
propofé , on fit entrer dans les
Tuilleries le fieur de Faubonne
àqui on donna la route à l'entrée
de la porte , fans luy parler . Il
commença à connoiftre fon chemin
, & alla fur les mêmes traces
efté auoù
ces Meffieurs
avoient
traces
paravant , & trouva à la fin de fa
route un maron d'Inde que M
Lenez , Portier des Tuilleries ,
avoit caché ; ce qui fut admiré
de toute l'Affemblée .
Autre experience . Mr Antier
envoya le fieur Faubonne chez
Mr d'Armenouville. Il y alla
avec une route , & fans parler aus
GALANT.143
Portier , qui n'y eftoit pas pour
lors , il entra dans l'Hoftel , &
alla trouver Mr le Chevalier de
Paris dans fa chambre , où il
avoit efté envoyé ; ce qui parut
étonnant , puifque jamais il n'avoit
efté dans cet Hoſtel .
-
Par cette connoiffance ,
Une perfonne peut aller dans
toutes fortes d'endroits & de
Pays fans demander le chemin.
Paffer toutes fortes de Foreſts
fans s'égarer.
Porter une Lettre fans adreffe ,
& la donner à celui qui doit la
lire .
Aller au même endroit où fon
Maiſtre auroit remarqué du gibier
.
Trouver une piece d'argent ,
ou autre chofe que quelqu'un.
144 MERCURE
aura cachée à fon infçu .
Se trouver à toutes fortes de
rendez-vous .
Aller faluer la Perfonne qu'on
voudra dans une Compagnie.
Prendre fur une table tel verre
de vin qu'on voudra parmy plu
fieurs autres , & faire enfin mille
autres fubtilitez de cette nature
.
Mr Antier qui a commencé à
donner cette connoiffance au fils
de M¹ Hervé , âgé de fix ans , à
qui il apprend à Definer par la
Perfpective , lui a fait faire des
tours d'adreffe fi beaux que les
domeftiques de la maiſon lui dirent
en riant , qu'il eftoit Sor
cier . Si un enfant de fix ans , joli
à la verité , de corps & d'efprit ,
conçoit aifément cette fcience ,
combien
·
GALANT.
145
combien plus facilement les perfonnes
âgées la comprendrontelles
, pour s'en fervir dans leurs
befoins Afin de ne pas paffer
pour Magicien , il faut fçavoir
que la route du lieu où l'on doit
aller, doit eftre faite & donnée à
celui qu'on employe pour y aller.
Cela bien entendu , on paffera
pour adroit & non pour magicien
, ce que Mr Antier s'offre
de faire voir par experience aux
perfonnes de merite qui voudront
avoir ce divertiffement .
Si- toft qu'il aura la permiffion
de faire des routes de Ville en
Ville , il les donnera au Public.
Il faut remarquer que pour bien
s'entendre à faire des routes , on
doit avoir quelques leçons de
Perfpective , puifque c'eft la baze
Mars 1701. N
146 MERCURE
-
& le fondement de ces routes .
& qu'elle fert comme de flambeau
& d'écriture parlante, pour
connoiftre tout ce que nous avons
à faire dans cette rencontre
. Dans ma Lettre du mois
prochain , je vous parlerai d'une
connoiffance pour éviter les
écüeils fur mer , qui fera plaifir
à tous les fçavans Pilotes On
voit affez par là combien la Perfpective
eft aifée à apprendre , &
combien elle eft neceffaire à un
honneſte homme pour le bien
perfectionner dans les Arts & les
Sciences , & pour bien fe diftin
guer du commun .
Mr Chevreau eft mort á Loudun
le 15. du mois dernier , âgé
de quatre-vingt-fept ans neuf
mois & trois jours. Il eftoit né
GALANT. 147
dans cette même Ville le 12 , de
May 1613. & s'appelloit Urbain
Chevreau Dés fa jeuneffe , fon
inclination le porta à l'étude , &
il eftoit devenu l'un des plus
doctes & des plus profonds hommes
quiayent paru dans le dixfeptiéme
fiecle , quoy qu'il ait
efté fecond en grands Pe fonnages.
Il a efté Secretaire des
Commandemens de la Reine
Chriftine de Suede , Fille du
Grand Guftave Adolfe . Enfuite
le Roy de Dannemarck l'engagea
de demeurer quelque temps
à fa Cour , ainfi que plufieurs
Princes d'Allemagne , entre-autres
feu Monfieur l'Electeur Palarin
Charles- Louis , Pere de
Madame , qui le retint avec le
titre de Confeiller , & il eut l'a-
Nij
148 MERCURE
vantage de travailler à la converfion
de cette Princeffe & d'y
réüffir. Enfin aprés eſtre revenu
à Paris , il eut l'honneur d'eftre
choifi pour Precepteur de Son
Alteffe Sereniffime Monfieur le
Duc du Maine , aprés quoy il a
efté Secretaire de fes Commandemens
, & il eft mort avec cet❤
te qualité. Il a fait quantité
d'ouvrages , comme le Tableau
de la Fortune , des Poefies , l'Hiftoire
du Monde des Oeuvres
mêlées , des Prieres en Profe
& en Vers , & des Chevræana
, qui ont eu l'eftime & l'approbation
de tous les Sçavans..
11 s'eftoit retiré depuis vingt
ans ou environ à Loudun dans
une belle Maifon qu'il y avoit
fait bâtir , pour vivre chreftien-
4
9
GALANT. 149
nement dans la folitude , & fur
la fin de fa vie il a confacré
cette maifon à Dieu en la donnant
aux Filles de l'Union Chreftienne
à condition qu'elles
recevroient trois Religieufes ,
& enfin il eft mort avec des fentimens
de pieté admirables . I
laiffe une Bibliotheque à vendre ,
qui lui a coûte plus de foixante
mille livres ; & qui fans eftre une
des plus nombreuſes , eft une des
plus belles qu'on puiffe voir , par
la rareté des livres , le choix
des Auteurs , le papier , l'impreffion
, & la relieure.
Pa
On voit depuis un mois un
Livre intitulé , Le Prince accomply
, ou l'Idée du parfait Monarque
& defes fentimens. Cet Ou
Niij
150 MERCURE
་ ་
vrage promet beaucoup , & je
fuis perfuadé que dans un autre
Siecle on n'auroit pas cru que,
l'Auteur euft pû réuffir dans une
entreprife auffi difficile ; mais il
eft heureux d'avoir travaillé
fous le regne d'un Souverain ,
qui luy met devant les yeux ce
que les Hiftoires des Siecles paffez
n'auroient pû luy fournir, &
ce que l'imagination la plus
étendue n'auroit pû luy préter
pour peindre un Souverain auffi
parfait , que celuy que nous
voyons aujourd'huy. Auffi n'at
- il pû le faire fans emprunter
ce que fon Livre a de plus
beau , de la vie du plus grand
& du plus accompli des Monarques
, & qui feule fournit une infinité
de chofes inconnuës à tous
GALANT: 151
15
les Siecles , & pourtant neceffai
res à cette perfection que l'on
fouhaite dans un Souverain pour
le pouvoir nommer accompli . On
voit dans le livre dont je vous parle
, non-feulement tout ce qu'un
Monarque doit faire pour eftre
parfait mais ce que le Roy a
fait fe trouvant dans l'idée que
Aureur veut donner d'un parfait
Souverain , on y remarque
prefque toutes les actions éclatantes
de Sa Maiefté , avec un
tres -grand nombre de Portraits
de ceux qu'il a jugez dignes des
plus grands Emplois ; & ces Portraits
eftans bien touchez , doi
vent faire plaifir aux Familles
intereffées à leur gloire. Cet
ouvrage eft d'une Profe ferrée &
vive. Il apprend beaucoup en
Niiij
252 MERCURE
2
peu de paroles , & l'on y remar
que que l'Auteur connoift parfaitement
la Cour , & les caracteres
de toutes les perfonnes de
diftinction qui la compofent. Il
eft de M¹ de Montfort , qui vient
d'adreffer à Mr l'Ambaffadeur
d'Efpagne , une Epître en Vers
qui luy a attiré de grands applaudiffemens
. Le Prince accompli
, ou l'idée du parfait Monarque
, fe vend dans la grande
Salle du Palais , chez le fieur
Brunet , au Mercure galant ."
Rien ne fçauroit eftre plus digne
de la fainteté du temps où
nous fommes , que la lecture d'un
autre livre nouveau que debite le
S Guignard , Libraire , rue Saint
Jacques , intitulé , Penfees Chreftiennes
en forme de Meditations
GALANT.
153
pourchaquejour du mois . On ne peut
donner trop de louanges au zele
l'Abbé de Mr
de Bellegarde , fon
Auteur , qui ayant refolu de faire
une fuite de Meditations pour
tout le cours de l'année fur les
Myfteres , fur les Feftes principales
, & fur les plus importantes
veritez de l'Evangile &
de la Morale Chrêtienne , témoigne
qu'il ne donne cet ef
fay que pour profiter des lumieres
des perfonnes vertueufes
& intelligentes qui luy voudront
bien faire part de leurs
avis . Si on lit avec reflexion la
Meditation qui fe trouve pour
chaque jour dans ce livre , c'eftà
dire fi on prend foin de bien
penetrer la verité qui en fait le
fujet , & d'exciter en fon coeur ..
194 MERCURE
l'amour de la vertu que l'on
y
propoſe , ou l'horreur du vice
que l'on y condamne , il eft impoffible
qu'en fort peu de temps
on n'en tire de grands fruits .
Il paroift un autre Livre nouveau
, dont le titre ne fçauroit
promettre davantage . Ce font
des Dialogues entre Meffieurs Pa.
tru & d Ablancourt ,fur les Plaiſirs.
L'Auteur qui nous a donné une
tres-belle Hiftoire de la Vie de
Charles VII. a rempli parfaitement
tout ce que ce titre pouvoit
faire attendre , & quand il
dit dans fa Preface qu il a voulu
en paffant juftifier M d'Ablancour
du reproche injufte que luy
font quelques perfonnes , de n'apas
affez Voir d'efprit , il n'a pas
du craindre , comme il le témoi→
GALANT . 145
S
gne , que la maniere dont il le fait
parler ne confirme leur opinion .
Son ftile eft vif & ferré , & il dit
peu de chofes qui ne plaifent .
Les plaifirs dont ce livre traite
font un point de Morale qui merite
bien d'eftre examiné avec
grand foin. Il fait dire d'abord
à Mr Patru , afin de donner á fesi
Lecteurs de l'averfion pour les
plaifirs , qu'il tient que la Volupté
dégrade l'homme & aneantit
le Chreftien. C'eſt la raiſon
qui fait, l'homme ; & comment
peut-on s'imaginer , pourfuit- il ,
que dans le tumulte & l'emportement
des plaifirs , on puiffe
avoir le libre ufage de la raiſon ?
Il faut penfer pour cela , & penfer
d'une maniere conforme á la
dignité & á la pureté de noſtre
156 MERCURE
nature , & il n'eft pas á croire
que l'onfoit capable de penfer aur
milieu de ces tranfports & de ces
chatouillemens de la Volupté
qui furprennent , qui faififfent
Fefprit , & qui l'occupent tout
entier. Ce livre fe vend chez
le S de Luynes , Libraire , dans
la Place Dauphine , & chez le
Sr Jean Baptifte l'Anglois
dans la grand Salle du Palais ,
F'Ange Gardien .
Mr le Marquis de Veragua ,
Viceroy de Sicile , ayant appris
que non- feulement le Roy avoit
accepté le teftament du feu Roy
d'Espagne, mais même que Mon.
feigneur le Duc d'Anjou avoit
efté reconnu dans tous les Etats
dépendans de cette grande
غ ر م
GALANT 187
Dit
of
oit
Ede
Monarchie , fit voir par toutes
les démonftrations de la plus
vive allegreffe , qu'il eftoit ve
ritablement penetré de joye ,
& qu'il ne le cedoit à aucun
des Vicerois & des Gouverneurs
Generaux , qui avoient
appris cette nouvelle avant luy,
Ce Seigneur réfolut auffi - toit
d'envoyer Mr le Marquis de Xan
maica , fon Fils , à Madrid , pour
marquer fa joye , fa -foumiffion
& fon attachement inviolable à
fon nouveau Maiftre . Ce Mare
quis a paffé en France , & a eu
l'honneur de faluër Sa Majefté ,
à laquelle il fut prefenté par
Mr le Marquis de Caftel dos
Rios , Ambaffadeur d'Espagne .
Il a remis au Roy une Lettte
du Viceroy fon Pere, par laquel-
.
18 MERCURE
le il marque qu'il avoit toujours
fouhaité ardemment de voir un
Prince François fur le Trône
d'Espagne , & qu'ainfi il a dû
reffentir beaucoup de joye en
apprenant que fes fouhaits étoient
accomplis ; mais que cette
joye avoit beaucoup augmen
tée , lors qu'il luy avoit eſtéordonné
de fuivre en tout les or
dres qui luy feroient envoyez
par le Roy , ce qu'il feroit avec
un tres - fenfible plaifir, Mr le
Marquis de Xamaica , a eſté receu
du Roy de la maniére du
monde la plus obligeante , & il
eft parti auffi charmé de ce Monarque
, que l'ont toujours efté
tous ceux qui ont eu l'honneur
de luy parler.
Le Chapitre de la Cathedrale
GALANT .
159
0.
té
ur
de Strasbourg a člû tout d'une
voix M. l'Abbé de Soubife Coadjuteur
de M¹ le Cardinal de
Furftemberg , Evêque & Prince
de Strasbourg. Sa naiffance feule
ne luy a pas fait meriter cette
grande dignité , quoy quelle foit
des plus illuftres , & qu elle puft
luy donner lieu d'y prétendre ,
mais fes bonnes mours & fa grande
érudition y ont auffi beaucoup
contribué. Je vous ay fait voir
plufieurs fois combien elle avoit
éclaté dans les actions publiques
, dont je vous ay parlé á me
fure qu'elles font arrivées .
Comme je commence mes Lettres
dans les premiers jours de
chaque mois quoy que je ne
vous les envoye qu'à la fin , il y a
160 MERCURE
quelquefois des affaires dont fa
fituation fe trouve changée lorfque
vous les recevez . Voicy un
eftat des Troupes que l'Empereur
a fur pied. Peut - eftre en
en aura- t - il plus , peut - eftre en
aura -t- il moins , lorfque vous
commencerez à lire ma Lettre
& peut -eftre auffi qu'avant que
de la fermer , je vous parleray
jufte là-deffus , & que j'entreray
dans une matiere fur laquelle il
n'eft pas encore trop permis de
raiſonner.
LISTE DES TROUPE S
de l'Empereur deſtinées
pour l'Italie.
Infanterie,
13...
Le vieux Regiment de Staremberg.
GALANT. 161
Mansfeld,
Nigrelli .
Le Regiment du Comte de Staremberg.
Herberfteyn.
Guttenfteyn.
Bagny.
Le Jeune Taum.
Ces huit Regimens font 19200 ;
hommes .
Cavalerie
Commercy .
Vaudemont .
Palfi .
Lorraine .
Visconti.
Cufani.
Ces fix Regimens font 6000 .
hommes.
Savoye.
: Dragons.
Mars
1701.
162 MERCURE
Serini .
Diedrychefteyn .
Vaubonne .
Ces quatre Regimens font
4.000 . bommes.
Total 29200 .
LISTE DES TROUPES
de l'Empereur qui doivent
agir fur le Rhin.
Infanterie
Bade .
Furftemberg.
Thungen .
Lorraine.
Gefchvvind .
RevenЛlavv .
Ces fix Regimens font 14400 .
hommes.
Tar.
Cavalerie.
Le vieux Hanover.
GALANT. 163
Les deux Regimens Huffars de
Colonitz , & d'Ebergeni .
Ces quatre Regimens font
4.000 . hommes.
Styrum.
Dragons.
Caftelli.
Ces deux Regimens font 2000,
hommes .
Total
20400 .
·
LISTE DES TROUPES
de l'Empereur qui doivent
refter dans l'Esclavonie,
Infanterie.
Palfy .
Solary .
Huit Compagnies du Regiment
de Neubourg .
Ces Troupes confiftent ch
6600. hommes.
O ij
164 MERCURE
Cavalerie.
Le Jeune Hanover .
Zant.
Steynville .
Ces Troupes confiftent en 3000.
hommes .
Rabutin
Dragons .
Ce Regiment eft composé de
1000. hommes .
Total 10600. hommes .
LISTE DES TROUPES
de l'Empereur qui doivent
refter en Hongrie .
Salm .
Heyfter .
Infanterie.
Lichtenfteyn.
Rhingraf.
Marfigli.
Thnreimb
GALANT. 165.
1 Quatre Compagnies du Regiment
de Neubourg.
Ces Troupes font 13200. hom
mes .
Caprara.
Cavalerie
Hohen Sollern.
Ulefed.
Ces trois Regimens font 3000.
hommes .
Dragons.
Heberville.
Schlick.
Total 18200. hommes .
LISTE DES TROUPES
de l'Empereur dans les Pays
Hereditaires .
Infanterie.
Le vieux Regiment de Taun .
Haſtingen.
166 MERCURE
. Ces deux Regimens font 3600x
hommes.
Neubourg .
Kounfeld.
Cavalerie
Corbelli ,
Darmstad.
Ces quatre Regimens font
4000. hommes .
Total 7600. hommes.
Mademoiſelle Lheritier a fair
le Sonnet en Bouts - rimez que .
vous allez lire , fur l'acquifition
du Chafteau de Seaux , par Monfieur
le Duc du Maine.
Magnifique Palais à fuperbe
portique
Plein de meubles dorez àgalant falbala,
GALANT. 167
Acquis parun Heros plus brave qu'-
Attila ,
Seaux , le poids de ton nom rend Pe
gafe
$
bourique
Semblable en eloquence au faint Fils
de
Monique ,
DU MAINE , dans ton fein l'abondance
coula ..
Songrand coeur àfes dons n'a jamais
dit
hola ,
Auffi fa gloire va jufqu'au Pole
Ant arctique :
Famais en le chantant Apollon n'eft
camus.
Que ce Dieu donne ou non droit de
committimus ,
On vante ta fplendeurfans nulle finderefe
.
148 MERCURE
Tu fais voir ce que peut coloris &
marteatr
Dans l'Art de Phidias & de Paul
Veronefe2.
Mais cependant Du Maine eft ton
plus beau
chanteau.
Mr Moreau de Mautour a envoyé
depuis peu ce Madrigal à
Mademoifelle de Scudery air
fujet de quelques penfions dont
elle ne peut eftre payée , à caufe
que ceux qui ont herité des biens
quien font chargez , font en procés.
O vous , qui de l'efprit poffedez les
richeffes ,
La Fortune & Themis , ces aveugles
Deeffes ,
De vos rares talens , de vos doctes:
écrits ,
Ne
GALANT 169
Ne connoiffent pas tout leprix ,
Faloufes des neuf Saurs & du Dieu
du Parnale ,
Qui rendentimmortel voftre nom glorieux
,
Honneur qui tous les biens furpaffe
,
L'une & Lautre pour vous fontfans
mains &fans yeux.
Confolez- vous , Sapho , d'encourir leur
difgrace.
LOUIS eft équitable , éclairé ,genereux
;
Il cherit la vertus connoift le vray
merite ;
Et vous en reffentezfans ceffe les effets.
Heureux qui, comme vous ,fçavante
Favorite ,
A part dans fon eftime , & part à
fes bienfaits.
Mars
1701.
P
170 MERCURE
Mr le Duc de Beauvilliers
aprés avoir conduit le Roy d'Ef-.
pagne jufque fur la frontiere de
fes Etats , arriva à Verſailles au
commencement de ce mois , &
eut l'honneur de faluër Sa Majefté
, qui luy fit un accueil tresobligeant
, & luy dit que le voya
ge qu'il venoit de faire avoit efté
grand pour un homme incommodé
; qu'elle eftoit bien aife de
le revoir en meilleure fanté &
qu'elle avoit befoin de luy dans
la conjoncture prefente des affaires.
Ce Duc fe trouvant dans fon
année d'exercice de la Charge
de premier Gentilhomme de la
Chambre , voulut avoir l'honneur
de fervir Sa Majesté dés le
jour même , quoy qu'il ne fuft
pas tout à fait remis de fa lon-
८
GALANT. 171
1
gue indifpofition , & qu'il luy
reftaft encore affez de foibleffe
pour le pouvoir difpenfer de ce
fervice ; mais fon zele , & le
plaifir de fervir un Prince dont
les douces manieres ne diminuent
rien de la grandeur que fon rang
l'oblige de foutenir , firent revenir
fes forces , & luy en donnerent
même de nouvelles .
Quoy que vous me témoigniez
eftre fatisfaite du détail
que je vous ay envoyé de la victoire
remportée par le Roy de
Suede fur l'Armée des Mofcovije
ne puis m'empêcher d'y
joindre la Relation qui a couru
icy , & que l'on dit avoir efté faite
par Mr de Saint Adon . Elle
eft fort à la mode , & ce qui
Pij
172 MERCURE
regarde la retraite du Czar a
quelque chofe de fi fingulier ,
& paroift fi oppofé à fes manieres
, que je croy que c'est ce qui
la fait rechercher avec tant
d'empreffement. Vous aurez par
là les deux uniques Relations
fuivies qui ayent paru de cette
grande action.
La Roy de Suede partit de fon
Camp d'Arcot, pour aller fecourir
Nerva , fon Armée compofée
tout au plus de douze mille
hommes , n'ayant pas voulu attendre
le refte de les Troupes ,
qui devoient arriver de Revel ,
où elles avoient débarqué , &
qui jointes aux autres , auroient
pu faire une Armée de vingt
mille hommes . Il fit la première
journée une marche de quatre
GALANT. 173
fieues d'Allemagne , & arriva
fur la fin du jour au défilé de
Leagagu, éloigné de Nerva pareillement
de quatre lieues Les
bords de ce défilé font profonds
de plus de trente toifes de chaque
cofté. Il y a dans le milieu
un gros ruiffeau , dont le pont eft
affez large pour paffer une marche
de Bataillon de front . On
s'attendoit à y trouver de la réfiftance
. On fit halte fur la hauteur
, & on affembla les Troupes
pour les mettre en bataille ,
autant que l'obfcurité le pouvoit
permettre. On voyoit de l'autre
cofté de ce défilé quantité de
feux , & beaucoup de Cavalerie,
paffant au travers de la lumiere
que leur feu nous donnoit . Sur
fes onze heures du foir, leRoy fie
Pij
174 MERCUR
£
defcendre fon Regiment des
Gardes , dont les Grenadiers pafferent
le Pont , & y refterent toute
la nuit . On s'attendoit à combatre
le lendemain , mais on ne
trouva plus perfonne qui difputaft
le paffage. C'eftoit une partie
de quatre mille chevaux que
le Czar avoit envoyez à la dé-.
couverte , & qui eftoit retournée
de fon Camp pour donner feulement
la nouvelle de l'arrivée de
l'Armée de Suede , s'eftant contentée
de l'avoir vue. C'eſt une
tres grande faute du Czar de n'avoir
pas difputé ce paffage. Quatre
mille hommes en auroient
arrefté trente mille . L'Armée de
Suede continua fa route , fit deux
lieuës & demie , & le mêmejour
paffa un ſecond défilé, auffi diffiGALANT
175
cile que le premier , & qui ne
fur pas mieux gardé . Elle coucha
au Biouac , fans fourrage
pour les chevaux , & avec fort
peu de vivres , par un temps tresrude.
Le Roy fit tirer quatre
coups de Canon pour le ſignal
du fecours de la Ville. On arri
va le lendemain fur les dix heures
du matin à la vue du Retranchement
, l'Armée marchant fur
une feule colomne entre des
Bois , n'ayant point d'autre chemin.
On alla reconnoiftre la fituation
. Les lignes eftoient fort
hautes & fortes , épaiffes, fans foffez
devant , le chemin qui eft
tout de roc ne le permettant pas.
On choifit deux hauteurs qui
eftoient affez prés pour placer
l'Artillerie , On refolut auffi de
P iiij
176 MERCURE
、
2
7
conduire le chemin par les deux
attaques fort prés les unes des
autres , environ dans le centre
de la ligne de circonvallation .
Le Roy prit celle de la gauche ,
& donna celle de la droite aus
General Velling. Les Troupes
qui formoient ces deux attaques
eftoient pour chacune vingtdeux
Efcadrons & dix Bataillons,
dont les plus forts n'eftoient que
de trois cens hommes , le Roy les
ayant partagez en deux . Ces Bataillons
ne devoient point s'é
tendre ny marcher de front dans
la maniere ordinaire . Un Bataillon
de Grenadiers eftoit foutenu
de deux Bataillons. Ces deux
Bataillons eftoient foutenus de
trois, & ces trois de quatre : La
difpofition eftant ainfi faite , on
GALANT. 177
s'avança fur le midy droit auRe
tranchement , fans pouvoir eftre
vû. Un homme à peine en pouvoit-
il diftinguer un autre , à
caufe de la quantité de nege qui
tomba dans le moment . Les Mof
covites qui ne virent les Troupes
que quand elles furent fur
eux , firent d'abord leur déchar
ge, mais on fut bien - toft fur le
Retranchement que l'on emporta
fans autre refiftance . Les
deux attaques reüffirent également.
Le Roy qui avoit pris celle
de la gauche , replia auffi tout
d'un coup fur la gauche & pouffa
les Bataillons des Mofcovites les
uns fur les autres , tout le long
du Retranchement . L'épouvan
te qui eftoit parmi eux les ayant
empêchez de voir la petite
18 MERCURE
qui
quantité des Troupes par laquelle
ils eftoient attaquez , fit qu'ils
ne fongerent qu'à gagner le Pont
qui eft entre Nerva & la Mer.
On en tua beaucoup dans ce defordre
, & l'on s'étendit le plus
que l'on put dans leur Camp .
ce qui eftoit affez difficile , tant
par la fituation du lieu ,,
que
par la grande quantité de maifons
de bois qu'ils avoient bâties ,
car c'eftoit proprement une fe
conde Ville que le Czar avoit
bâtie autour de Narva . Le General
Velling replia auffi fur la
gauche , & vint reprendre l'attaque
du Roy laiffant derriere luy
toute leur aile gauche , qui au
lieu de le fuivre & de le charger
refta toute la journée immobile
dans fon pofte . L'aile droite
eftant ainfi chargée par le Roy ,
GALANT. 179
;
le General Velling qui ne leur
donnoit pas le temps de fe reconnoiftre
, les precipita dans la riviere
, avec confufion , & de deffus
le Pont mais par malheur
pour tous les deux partis , le
Pont fe rompit. Ceux qui étoient
deffus fe noyerent , & ceux qui
n'avoient pû y entrer voyant
qu'il n'y avoit point d'efperance
de fe fauver , firent de
neceffité vertu , & retournérent
à la charge contre les Suedois .
Le feu fut fort grand . Ils tuerent
beaucoup de monde , &
même regagnerent du terrain .
Le combat s'échauffoit de plus
en plus , lors que la nuit vint ,
& ralentit la chaleur des Combartans
. Perfonne ne quitta fon
pofte , & jufqu'à minuit l'on tira
180 MERCURE
les uns fur les autres, tant Canon
que Moufquets. A la fin , un
Trompette Mofcovite vint dire
que fi l'on vouloit leur faire
quartier , & les renvoyer chez
eux , ils mettroient les armes
bas . On confentit à cette propofition.
Le General qui commandoit
la gauche, & qui s'eftoit,
tenu toute la journée fans rien
faire , envoya dés la pointe du
jour une Lettre au General Velling
, pour luy faire la même
propofition , qui fut acceptée;
fans peine , car il avoit luy feul
deux fois plus de monde que le
Roy de Suede n'en avoit . Un autre
qui commandoit dans uir
Fort ; en fit autant. Ainfi le Roy
de Suede le trouva maiftre du
champ de Bataille , & fecouruc
GALANT. 181
!
2
Nerva , aprés avoir forcé cent
mille hommes retranchez avec
des Troupes prefque toutes nouvelles.
La perte des Mofcovites
eft de plus de vingt mille hommes
tuez fur le champ de Bataille
, fans compter ceux qui font
dans la Riviere. Le Butin fut
fort confiderable. On trouva
foixante & quinze pieces de gros
Canon , cinquante d'Artillerie
de campagne , trente Mortiers ,
cent quatre- vingt Drapeaux ou
Etendarts , beaucoup de munitions
de guerre, & foixante mille
Ecus en argent comptant , Les
• Suedois y ont perdu quinze cens
hommes , tant morts que bleffez ."
Le Roy y a fait luy - même de
grandes actions. Il a tué trois
hommes de fa main , & a eu un
282 MERCURE
coup de moufquet dans fa cravate.
La Tranchée des Mofcovites
eftoit pouffée affez prés de
la Contre-efcarpe . Leurs travaux
font beaux & fort dans les
regles ; mais ils eftoient inutiles
car on pouvoit prendre le che
min couvert d'emblée , n'y ayant
aucune paliffade , & la Place
eftant toute couverte de ce cô
té - là .
Mile Duc de Croy , Generaliffime
de cette Armée , eftoit.à
table quand on le vint attaquer.
Il fut un des premiers qu'on fit
prifonnier. Il n'eut le temps que ,
de fe botter une jambe, & quand
on luy demanda pourquoy il n'avoit
gardé aucun des défilez qui
eftoient fur le chemin, il répondit
qu'il n'avoit eu le comman
GALANT. 183
dement que du jour d'auparavant
; que jufque- là le Czar lay
avoit caché jufqu'aux moindres
chofes , qu'il ne connoiffoit pas
un feul Officier , ni un feul Regiment
; que le Czar eftoit venu
tout tremblant à fa tenté la veil
le du ſignal , que le Roy de Suede "
avoit donné à la Ville , luy dire
qu'il le faifoit Generaliffime , &
luy remettoit le commandement
de l'Armée ; que pour luy il s'en
alloit à fix lieuës de là attendre
Févenement. Il dit qu'il le remercia
d'abord , & ne voulut
point accepter ce commandement
; mais que le Czar le menaça
de luy faire couper la tefte
s'il le refufoit . Ce Prince luy fit
fur le champ expedier un Brevet
de Generaliffime , qu'il a mon
184 MERCURE
tré , & qui effectivement n'eft
datté que du jour d'auparavant,
aprés quoy il partit , en lui laiffant
environ deux cens Aidés de
Camp , ou Majors , qu'il dit avoir
affemblez quand le Roy de Suede
parut , pour les envoyer où il
auroit jugé à propos ; mais qu'aux
premiers coups de moufquet toute
la troupe fe diffipa , & qu'il
ne trouva pas un feul homme
pour porter un ordre . Si le Roy
de Suede avoit eu un quart des
Troupes qu'il a laiffées dans le
coeur de fon Royaume , avec
' celles qu'il avoit, il ne feroit pas
échapé un feul Mofcovite . C'eft
cependant une action treshardie,
tres -heureufe & tres-bien conduite.
Parmi le nombre des prifonniers
il y a vingt - cinq Offi
GALANT 18
ciers Generaux , & entre autres
le Prince Alexandre de Tarzane
, le Grand Maiftre de l'Artil--
lerie ; & le Prince Mitifcy .
Meffieurs de la Compagnie des
Lanterniftes de Touloufe ont
publié ce que jevous envoye .
BOUTS RIMEZ ,
Propofez par les Lanterniftes ,
pour l'année 1701.
No
Os Bouts- rimez ne man →
queront jamais de matiere ;*
ils ont pour objet les belles actions
de LOUIS LE GRAND .
Quefon regne eft heureux ! on y
voir paroistre fans ceffe des prodiges
éclatans . L'élevation du
Mars 1701
186 MERCURE
Jeune Prince qui eft appellé à
tant de Royaumes , fait aujour
d'huy l'attention de tout l'Univers
; c'eft l'ouvrage de fon Augufte
Ayeul . Ses victoires l'ont
preparé, & fon defintereffement
ya mis la derniere main, Cet invincible
Monarque fçait également
proteger & faire des Rois .
Les Mufes ont icy une nouvelle
occafion de briller ; on les invite
à redoubler leur émulation, pour
répondre en quelque forte , par
leurs expreffions les plus vives , à
la dignité du fujet qui leur eft
propofé.
3
BOUTS-RIMEZ.
Spectacles , furpris , épris , Oracles.
Miracles , Prix , entrepris , obftas
cles.
GALANT. 187
Nouveau , flambeau , terminées .
Actions , Deftinées , Nations.
Les Sonnets doivent eftre ac
compagnez d'une Priere pour le
Roy , & d'une Sentence . Les Auteurs
mettront leur feing couvert
& cacheté au bas de leurs
Sonnets ou dans une Lettre fepa
rée , le tout fous la même envelope
, & rendu franc de port chez
Mi Seré prés la Place de Roaix ,
à Toulouſe , huit jours avant la
Saint Jean. On avertit que les
Sonnets qui feront en petits Vers
ou à rimes compofées , ne pour
ront prétendre au Prix.
Voicy les noms de quelques
perfonnes diftinguées , mortes,
depuis ma derniere Lettre.
Dame Anne- Catherine de la
Q ij
188 MERCURE
Briffe , Epoufe de Meffire Jean .
Rouillé Comte de Mellay,
Confeiller au Parlement , morte
en Février âgée de vingt - quatre
ans , laiffant un Fils unique , Elle
eftoit Fille de Melfire Arnauld de
la Briffe , Marquis de Ferriere ,
Procureurgeneral du Parlement,
mort au mois de Septembre dernier
, & de Marthe- Agnes Po
tier de Novion , fa premiere Fem- -
me Made Meflay eft Fils de
Meffire Jean Rouillé , Comte de
Meflay , Confeiller d'Etat ordinaire
dont je vous appris la
mort dans ma Lettre de Février
1698 .
Meffire Henry de Gravefón ,
Brigadier des Armées du Roy ,
Chevalier de l'Ordre de Saint
Louis , & Lieutenant Colonel
GALANT. 189:
du Regiment Royal de la Marlne.
Il eft mort fans alliance .
Meffire Antoine Guyer , Maiftre
des Comptes , Il eft mort âgé
de quatre - vingts ans , & laiffe
trois Filles de Dame Marie Vincent.
L'ainée eftant Veuve de
Meffire Claude de la Barde , Marquis
de Marolles , Confeiller au
Parlement, a épouſe Mrle Grain .
La feconde eft Veuve de Meffire
Jofeph le Clerc de Leffeville ,
Confeiller au Parlement dont je
vous appris la mort dans ma Lettre
du mois de Septembre dernier
; & la derniere eft mariée à
Meffire Louis le Boulanger, Seigneur
de Hacqueville , Confeiller
au Parlement , & à prefent
Maistre des Requeftes.
Dame Françoiſe Patu , Epouſe
190 MERCURE
de Meffire Henry le Grand ,
Maistre des Comptes..
Mr Tauvry , mort le premier
jour de Mars âgéde trente- deux
ans. Il eftoit natif de Laval , où
il avoit foûtenu une Thefe generale
de Philofophie à l'âge de
dix ans . A
quinze
il eftoit Docteur
en Medecine de la Faculté
d'Angers . Il avoit l'honneur d'ê
tre de l'Academie Royale des
Sciences , & Docteur en Medecine
de la Faculté de Paris . Il a
compofé plufieurs beaux ouvra
ges d'Anatomie & de Medecine
qui ont efté tres - bien reçus du
Public . C'eftoit un des plus
beaux efprits de ce temps.
Rien n'eft plus neceffaire aux
enfans qu'une bonne éducation ,
puifque le bonheur de leur vie
GALANT. 191
en dépend fouvent . Ainfi l'on ne
peut en prendre trop de foin , &
afin de ne fe rien reprocher làdeffus
, il eft bon de voir tout ce
qui enfeigne les moyens d'y parvenir.
La veuve Rondet , ruë S.
Jacques à la longue Allée , vend
depuis peu un petit livre qui regarde
en quelque façon cette
matiere. Il eft intitulé , Reflexions
fur la maniere d'inftruire les petits
Enfans, Il n'y a point de livres
où il n'y ait quelque chofe d'utile
quand ils ne font point directement
oppolez aux bonnes
moeurs .
Le Jeudi 17. de ce mois , M³
de Saci , Avocat au Confeil
vint prendre féance à l'Academie
Françoife , en la place de feu
Mr le Prefident Rofe. Je m'eftois
}
192 MERCURE
trompé le mois paffé en vous de
fant qu'il devoit remplir celle de
feu Mr1Evêque de Noyon , au
quel cette Compagnie n'a point
encore nommé uunn Succeffeur
L'Affemblée fe trouva nombreus
fe , & Mr de Saci remplit parfal
tement bien l'attente que fa reputation
, & la gloire qu'il s'eft
acquife par fon excellente Traduction
des Lettres de Pline ,
avoient fait concevoir de luy
Les marques de reconnoiffance
qu'il donna à Mrs de l'Academie
qui l'ont admis dans leur
Corps , furent tournées d'une
maniere vive & fort éloquente.
On trouva les tranfitions heureufes
, & quand il parla du fameux
Cardinal de Richelieu , il
dit , que quoy qu'il cuft paru
grand
GALANT: 19.3
grand dans tous les deffeins qu'il
avoit formez pour les avantages
& pour la grandeur de la Monarchie
, jamais il ne s'eftoit fait
voir plus grand que dans l'établiffement
de l'Academie , qui
devoit eftre la dépofitaire des
furprenantes actions de Louis le
Grand , pour les tranfmettre á
la Pofterité , qui toutes vrayes
qu'elles eftoient , auroit peine
un jour à les trouver vray-femblables
. Il dit entre-autres chofes
en faisant l'éloge de cet Augufte
Monarque , que le Vainqueur
de l'Afie , ou plutoft de
tout le monde , Alexandre , en
s'oubliant affcz pour ofer croire
qu'il eftoit un Dieu s'eftoit
montré :homme , au lieu que le
Roy s'eftant fouvenu dans toutes
Mars 1701.
>
R
194 MERCURE
fes actions qu'il eftoit homme ,
ne l'avoit jamais paru .
Mr Perraut , Directeur alors
de la Compagnie, en foutint tresbien
l'honneur , par la réponſe
qu'il fit à ce nouvel Academicien.
Il fit connoiftre que c'eftoit
à feu Mofe , qu'elle devoit
l'honneur dont elle eſt en poffeffion
, d'eftre admife à l'Audience
du Roy dans les occafions
éclatantes , où Sa Majefte
veut bien recevoir les Harangues
& les Complimens de fes
Sujets , & d'y eftre admife avec
les mêmes prerogatives qui font
accordées aux Cours Superieures.
Son Difcours fut fort applaudi
, & aprés avoir entretenu
Affemblée en Profe , il l'entretint
agreablement en Vers
•
GALANT. 195.
par
que
la bouche de M. l'Abbé de
Choifi , qui lut la Traduction
le même M Perraut a faire
d'une Ode Latine de Mr l'Abbé
Ode
Boutard , fur l'entrée du Roy
Philippe Cinquième en Efpagne.
Je ne vous diray rien de plus .
touchant la beauté de ces Ouvra
ges , puifque vous les trouverez
imprimez au prnmier jour chez
le fieur Coignard , Imprimeur &
Libraire du Roy & de l'Academie
Françoife , ruë S. Jacques ,
à la Bible d'or.
6
Si les Lettres qu'on m'adreffe
m'eſtoient rendues dans le temps
qu'elles me font neceffaires pour
les nouvelles dont j'ay à vous
faire part , tous les Articles des
Relations que je vous envoye
feroient toujours à leur place , &
R
196 MERCURE
je vous aurois parlé du Sermon
que fit le Pere Juftin Bergue
Recolet le jour de Noël , dans
l'Eglife Cathedrale de Saintes ,
quand je vous marquay que le
Roy d'Efpagne avoit paffé quelques
jours en cette Ville - là .
Voici le Compliment qu'il fit à
ce Prince .
SIRE, . 95 , shrafi Ave
Si je ne devois annoncer icy que
voftre gloire , jepourrois dire que Salomon
ne fut jamais fi grand que
vous , puis qu'un feul Lis , comme
dit l'Ecriture , eft naturellement ornè
d'une plus grande majesté que luy ,
mais quelle apparence d'élever Voftre
Majefte , quelque grande qu'elle
puiffe eftre ? Vous l'avez foumife
aujourd'huy au pied du Trône de
l'Agneau , & vous eftes à venu
GALANT. 197
dans ce faint Temple , bien moins
pour y entendre publier voftre gloire ,
que poury reconnoiftre vous- même
celle de Dieu.
4
Que ne devez vouspas , Sire , d
un Dieu qui a sant fait pour vous ?
Ce Dieu , qui pourfa gloire chercha
un Daviddans la Famille d'Ifai
& qui pour le bonheur des peuples
trouva un pacifique Salomom , dans
la Famille de David , a cherche
a trouvé dans celle de Louis le Grand,
un fecond David , un fecond Salomon
le
Quelle étendue de la gloire de Dieu.
J'apperçois déja fous vostre regne ,
nouveau monde , le monde entierfoumis
àf. C. Quelle éternellepaixpour
Les Peuples ! Je croy voir l'univers
auli tranquille qu'il eftoit fous le
regne d' Auguste.
Riit
198 MERCURE
Heureufe Efpagne , que vos peu
ples feront heureux ! que nous ferons
beureux nous -mêmes ! Adorateurs du
même Dieu , Sujets de Princes d'un
meme Sang, n'ayant tous qu'uncoeur
& qu'une ame , nous ne ferons defor
mais qu'un même peuple , Qui pourroit
brifer une alliance & francienne
& fi nouvelle ,que la main de Dieu
feul a formée ? Qui oferoit attaquer
Ifrael & Iuda , quandils feront unis
enfemble ?
Meflons donc nos voix avec celles
des Anges , & écrions - nous aveceux,
Gloire à Dieu au plus haut des
Cieux , & paix fur la terre aux
hommes de bonne volonté .
Mais quelle inftruction tirérons -
nous de ces paroles de mon texte , qui
nous donnant une idée auguste du mi
ftere , foit conforme à ce qui fe paffe
f
GALANT. 199
aujourd'huyfous nos yeux ? La voicy
avec ma divifion.
Tefus naifantfoumis à la loy de
fon Pere , pour procurer fa gloire
apprend aux Grands à fe foumettre à
la loy de Dieu pour fa gloire.
Iefus naiffant foumis à la loy des
Princes du monde pour le bien de la
paix , apprend aux peuples à ſe
foumettre à la loydes Grands pour le
bien de la paix.
Il commença fon premier Point
par une énumeration brillante
qui montra la grandeur du Fils de
Dieu , fon égalité avec fon Pere,
& fit voir fon humiliation à Bethléem
, fa foumiffion à la volonté
de Dieu fon Pete ; il paraphrafa
les paroles du Prophete , cirées
par S. Paul, Sacrificium & obla
R iiij
200 MERCURE
tionem noluifti corpus , autem apta
fti mihi , tunc dixi , ecce vento , in
capite libriferiptum eft de me utfaciam
voluntatem tuam , Deus meus
volui , & legem tuam in medio cordis
meis nooit
Il fit voir que la Loy à laquelte
Jefus fe foumit , eftoit de tou
tes les Loix la plus dure : Loy
de croix, Loy de fouffrances, & il
prouve qu'il s'y eftoit foumis au
tant pour glorifier fon Pere que
pour racheter les hommes.
Le retour de ce premier point
fut de donner aux Grands du
monde , une idée augufte de leur
grandeur , & fe fervant des expreffions
de l'Ecriture, il les apel
la les coadjuteurs , les aides ;
les miniftres de Dieu , les Dieux
fur la terre , & les enfans du tres ←
GALANT. 201
on goo Haur par excellence
Enfuite il fit voir la grandeur .
de leurs engagemens à l'égard de
Dieu, & qu'ils devoient par leurs
adorations, lui remettre les fours
miffions des peuples. Il compas
ra leur coeur à un fanctuaire fa ·
cré qui confervoit la fainteté des
Loigil leur dit que c'étoit
d'eux qu'il étoit écrit à la têteb
du livre des vivans ; qu'ils obferveroient
la Ley de Dieu , parce
qu'étant les colomnes , les bafes
, & les lumieres du monde ,
ils devoient auffi degrands exem
ples au monde , & conclut que
lorfqu'ils en ufoient ainsi , c'étoit
pour Dieu une grande gloire
; qu'il s'applaudiffoit fur l'humiliation
d'un Grand . Il cita
L'endroit des Rois où Dieu dis
202 MERCURE
à Elie : Vous avez veu Acab hu
milié enma prefence .
Il dit avec beaucoup d'efprit
que lorsque les peuples obfervoient
la Loy de Dieu & s'humilioient
en fa prefence , c'etoient
des grains de fable qui na
turellement couvroient la face
de la terre , à qui il coutoit peu
de ramper : que c'étoient des rofeaux
qui fe plioient fans peine
des nuages légers qui alloient
felon l'ordre de Dieu . Dieu, dits
il , les aime, les voit ; mais pour lui,
je parle humainement , ce n'eft pas
une grande gloire ; tout au contraire
lorfque les grands s'humilient & ob→
fervent la fainte Loy de Dieu , ce
font les collines , les ·les montagnes du
monde qui fe courbent fous les pas
de l'Eternité de Dieu : ce font les ceGALANT
203
dres qui plient fousfa main.
Quelfpectacle de voir le Soleil, la
Lune & les Etoiles qui adorent leur
Createur , qui partent au fon de fa
voix , & qui vont briller dans les endroits
du monde qu'il leur marque !
Cela ne vousparoift - il pas plus
grandpour Dieu , que de voirleneant
foumis àfa puiffance ?
Quelle gloire pour Jefus de voir
trois Rois profternez au pied de fon
berceau , déposer leur Couronne &
leur Diademe ; & protefter à ce Roy
desfecles immortels & invisible , que
Luy feul eft digne d'honneur ! Cela ne
vous paroift-ilpas plus grandque de
voir les Pasteurs de Judée aupied de
ce même Berceau?
Il appuya cela par les exem--
ples de David , de Salomon , &
de Jofias ; & conclud que quand.
204
MERCURE
l'infenfée Michol infulteroit le
faint Roy David , parce qu'il
chantoit en prefence de l'Arche,
David ne devroit pas fe rebuter
; & que quand le monde
encore plus infenfé , mépriferoit
ces Grands fi foumis & fi religieux
, ils devroient toujours
procurer la gloire de Dieu en lui
rendant ce qu'ils lui devoient .
Dans le fecond Point , il fit
voir l'indépendance de Jefus
Fils de tant de Rors felon l'humanité,
Fils de Dieu felon la divinité
, & avec cela fa foumiffion
aux Princes de la terre. Cette
foumiffion parut dans
l'exactitude
á obéir à l'Edit de Cefar Augufte
, les raiſons que Marie pouvoit
avoir pour s'en difpenfer
la foumiffion du Fils qui voulut
GALANT.
105
eftre infcrit au nombre des Sujets
de Cefar.
L'application fut aux peuples
, pour leur infpirer leurs
facrez à l'égard des Grands Voirs
qui il devoient des honneurs
& des tributs ; des honneurs
à leur autorité , des tributs
à leur dignité. Il cita tout les
endroits ne l'Ecriture qu'il lia
avec beaucoup de delicateffe
& finit par ces paroles.
Cefera dans cette dependance chretienne
qu'on verra tout l'Univers
tranquille , nous ne deplorerons plus
le defordre que voyoit le Prophete Ifaye
Lorfque l'Homme du peuple infulta
Homme noble ; & que l'enfant fe
foulevoit contre le Magiftrat.
Onfera foumis aux Rois , comme
auxplus excellentes creatures du mon
206 MERCURE
de ,felon l'expreffion defaint Pierre,
à leurs Miniftres , à leurs Officiers
comme à desCoadjuteurs , à des Aides,
qu'ils envoyeent dans les Provinces
, portant le glaive d'une main
pour chatier le crime , & des couron
ne de l'autre pour recompenfer la vertu.
Ce fera ponr lors ( quel fiecle
quel heureux fiecle! ) Cefera pourlors
que les Grands rendront à Dieu ce
qu'ils lui doivent , & que les peuples
rendront aux Grands tout ce qui leur
eft du. Le Ciel retentira de la gloire
de Dieu , & la paixfe répandra fur
Les hommes de bonne volonté Les
Grands fe profterneront fous le Trone
de l'Eternel , & lespeuples s'hami-
Lieront fous le pouvoir des Grands.
Dieu trouvera fa gloire dans la fou
million des puiflances ; & le peuple
GALANT. 207
de bonne volonté ,foumis à ces mêmes
puiffances , jouira de la paix. Le Roy
obtiendra le falut des mains de Dieu
feul qui le donne, & le Peuple priant
pourfon Roy élevera fes mains , fa
voix& fon caurpour lui dire.
Seigneur Dieu , par qui les
Rois regnent , les Princes commandent
, & les Potentats de
l'Univers rendent la juftice ,
confervez le Roy que vous donnez
à l'Espagne , fauvez le Roy ,
exaucez voltre peuple .
Grand Prince que l'Espagne atti-
·re aprés elle , & que la France ne
voitpartir qu'avec regret , vous em
portez avec vous une partie des coeurs
de la gloire de l'Etat. Helas
fouvenez- vous de nous quand vous
ferez dans ce Royaume foyer toutjours
uni à nous , regnezfur ces vaf
208 MERCURE
fes Etats ; vous vegnerez toujours fur
nos coeurs. V p
Pour moy , Sire , je le dis dans
toute la penetration de mon ame
ces peuples font plus heureux que
vous plus heureux de vous poffeder ,
que vous n'eftes heureux de regner.
Lorfquej'offriray l'Agneaufans tache
vous meferez toujoursprefent; &
fice Dieu immortel écoute mes prieres,
je lui diray inceffamment pour
vous.
Souverain Roy des Rois , qui tes
nez les coeurs des Rois entre vos
mains , confervez, foutenez, celui que
vous-même avez confacré que for
Royaumefoit le Royaume de tous les
fiecles ; que fon Trône dure autant
que le cours du Soleil ; qu'ilfoir aufz
grand , auffi pieux que fon Ayeut ,
auffi heureux que fon augufte Pere
GALANT 209
qu'il voye les enfans de fes enfans ,
jufqu'à la quatrieme generation .
Pierre angulaire , Sauveur Iefus ,
qui desdeuxpeuples n'enfaites qu'un,
uniffez- nous avec lui jufqu'à la fin
des fecles ; & lorsque vous en eve
rez toutes ces couronnes , que vousmême
, à mon Dieu ! avez impofees
fur fa tete , couronnez- les degloire &
d'immortalite ; qu'il en porte autant
dans le Ciel qu'il en poffede fur la
terre. Ce fontles fouhaits queje fais
avoftre Majesté avec toutes les benedictions
dufage Prelat qui prefide
furcette Eglife , & toutes les bene
dictions du Dieu immortel qui pre
fidefur l'Eglife & fur le Prelat.
Cette fur attendrit tout l'audiroire
qui eftoit compofé de l'élice
des trois Provinces Saintongess
Aunis & Angoumois . Plufieurs
Mars 1701.
S
210 MERCURE ΣΤΟ
verferent des larmes , le Predica
teur même fut touché, & le Roy
& toute la Cour témoignerent
en avoir rçû une tres - grande
fatisfaction .
1
9
Les nouvelles particularitez
qni me font venues touchant ce
qui s'eft paffé à Auch à la reception
de Meffeigneurs , les
Princes , m'obligent à vous parfer
de nouveau de cet Article.
Ils y arriverent le 8. Février à
quatre heures du foir , & trou--
vérent hors la Ville une double
haye d'Artiſans fous les armes ,
au milieu de laquelle ils pafferent
. Cette Soldatefque eftoit
compofée de cinq Compagnies
de cent cinquante hommes chacune
, pour répondre aux cinq
quartiers de la ville d'Auth . Ils
avoient tous un chapeau uniGALANT.
211
forme bordé d'argent , & chaque
Compagnie une cocarde d'une
couleur differente . Les Officiers
de ces Compagnies en avoient
de même , & des plumets uniformes
auffi . Cette double haye:
finiffoit à la Porte de la Ville.
Là fe trouverent Mr Bedez ,
Maire , & les Confuls qui furent
prefentez à Meffeigneurs les
Princes par Mr Defgranges . Le
Maire qui eft Confeiller au Prefidial
d'Auch , eut l'honneur de
les haranguer.
N
Enfuite Meffeigneurs les Princes
entrérent dans la Ville , &
furent conduits à l'Archevêché
où ils devoient loger. Ils trou-
- verent encore une double haye
d'environ deux cens hommes
fous les armes , C'cftoit une Com
-
is ij
212 MERCURE
pagnie compofée des plus notables
Bourgeois , & de leurs Fils
& Neveux , avec des chapeaux
uniformes , bordez d'or , &-une
cocarde blanche , ayant chacun
un noeud de ruban couleur de
feu au lieu de cravate . M¹dè
Bafcous eftoit à la tefte de cette
Compagnie. Cette double haye
fe terminoit à l'entrée de l'Ar-´·
chevêché.
Mile Maréchal de Noailles
ayant permis aux Bourgeois de
faire la garde auprés de Meffeigneurs
les Princes , on forma
d'abord un corps de garde de
cinquante hommes, qui fut pofé
à l'Hoftel de Ville , fort prés de
l'Archevêché , & l'on pofa en
même temps deux Sentinelles d
la porte de l'Archevêché.
GALANT 213
IF
Peu de temps aprés l'arrivée
de Meffeigneurs les Princes , les
Maire & Confuls leur firent les
prefens de la Ville , confiftant
entre-autres en vingt - quatre
douzaines de poires de Bonchreftien
d'Auch , fi renommées
pour leur delicateffe & pour leur
bonté.
A fix heures toute la Ville fut
illuminée par quantité de lumieres
aux feneftres ; & à huit onalluma
des feux dans les Places,
& dans toutes les rues.
✔
Meſſeigneurs les Princes fouperent
chez Mr le Maréchal de
Noailles . Monfeigneur le Duc
de Bourgogne en fe retirant fit
l'honneur à l'Officier de garde
de luy donner l'ordre .
Aprés le foupé de Meffei214
MERCURE
gneurs les Princes , Mr l'Intendant
le Gendre donna un Bal
magnifique chez Madame de
Bafcous , où il eftoit logé. Tous
les jeunes Seigneurs de la Cour
s'y rendirent . Toutes les Dames
de la Ville en avoient efté priées.
Quelques- unes s'y diftinguerent
par leur danfe , d'autres par l'agreable
& brillante vivacité qui
regne en ce Pays- là . Il y eut
enfuite un affez gros jeu, auquel
fucceda une colation fuperbe. A
Leg. Meffeigneurs les Princes
allerent à la Meffe à la Cathedrale
. Ilsy furent receusau bas de
la Nef par le Corps du Chapitre,
Mr l'Abbé de Chaulnes, Prevoft,
à la tefte . Voicy le Difcours
qu'il adreffa à Monſeigneur le
Duc de Bourgogne
..
GALANT. 25
MONSEIGNEUR,
LeClergé du Diocefe d Auch melle
avec empreffement fes refpectueux
hommages aux acclamations publiques
,& acquite avecjoye du tribut
d'admiration qui vous cft fi legiti
mement du Vous venez Monfe
gneur, de mettre un Prince en poffeffion
dune Monarchie , où vous
auriez regné vous -même , fi vostre
droit à une Couronne glorieufe n'eftoit
quelque chofe deplus grand que deftre
en effet Roy des Efpagnes. Quelaugure
pour votre gloire , de conduire fitoft
des Souverainsfur le Trône.
Mais oferons- nous vous le dire
Monfeigneur, qu'il en coute cher à
vostre coeur , de n'avoir pù livrer an
Empire qu'en vous feparant d'un
20% MERCURE
augufte Frere dont la perfonne vous
est encore plus chere que la Monarchie
que vous luy cedez La France a
efté témoin de fa tendreffe pour vous .
Nos heureux voifins l'ont efté de la
voftre pour ce Prince , & dufujet de
voftre peine , ils ontfait le fujet &
la mefure de leur joye.
En recevant de votre main leur
nouveau Roy , ils ont cru avec raifon
voir renaitre parmy eux le bon
ordre , la valeur , lapieté & la juftice
: biens precieux qu'ils ne pouvalent&
ne devoientjamais attendre
que du digne Fils du Heros qui dans
les derniers temps aporté l'épouvante
dans le fein même de l'Empire ,
Philippe cinquième a détruit en un
moment dans l'efprit dans le coeur
de fes peuples idée faftueuse de ce
Monarque fi renommé parmi eux
depuis
GALANT.
217
depuis tant d'années. Il ne falloit
pas moins qu'un Prince du Sang augufte
de France pourfaire ce miracle
Fagne ne pouvoitfe dédommager
de fes pertes que par un Defcendant
du Heros qui les luy a caufees.
Les cris d'allegreffe qui retentiffent
de toutes parts dans ces Royaumes,
viennentjufqu'à uous , & nous affli
gent ; mais les cris de joye qu'excite
veftre prefence pallent jufqu'à eux ,
& leur apprennent que fi nous leur
avons donné beaucoup , il nous reste
encore davantage
Heritier préfomptif des Etats de
Louis le Grand, vous femblez déja
en poffeder toutes les vertus, Jeune
comme vous il vint autrefois les inf
pirer à fes Sujets , formé fur ce rare
modele vous venez les affermir par
my nous.
Mars
1701.
T
218 MERCURE
Quel plaifirpour ce Heros , dont
vous nous retracez fi vivement la
glorieufe Image , lors qu'il apprendra
de votre bouche que les peuples de fon
vafte Empirefont glorieux& contens;
les Villes embellies , les campagnes
fertiles , le monftre de l'Herefie détruit
, & la Religion Catholique
respectée par tout , autant par l'exemple
de ce Monarque , que par
fon autorité.
Voftre heureux retour & le fimple
récit de tant de merveilles , peuvent
feuls le confoler de l'éloignementd'un
Prince dont il a figné le deftin en
Roy, & dont il a vù le départ en
Pere.
Pour nous , Monfeigneur , confacrez
aufervice des Autels , nous ne
cefferons de prier le Tres- haut qu'il
Tepandefur vous fes benedictions in-.
GALANT .
219
finies , & qu'il comble de
profperitez.
des
Princes dont la
réputation commencée
paffe deja les
efperances les
plusflateufes , & dont les vertus feis
ront un jour
l'admiration de l'Univers.
Meffeigneurs les Princes témoignerent
qu'ils eftoient trescontens
de ce Difcours , qui fut
unanimement applaudi de tous
ceux qui
l'entendirent . M l'Abbé
de
Chaulnes eft homme de
naiffance, de
beaucoup d'efprit, &
Vicaire General de Mr l'Archevêque
d'Auch depuis prés de
quinze ans . Il eft auffi fon Parent,
& gouverne le Diocefe en fon
abfence . Il s'y eft diftingué fou
vent par
l'heureux avantage
qu'il a eu de ramener à leur dévoir
lès
Nouveaux Convertis
Tij
220 MERCURE
qui s'en eftoient écartez .
Aprés la Meffe , les Officiers
du Prefidial , & ceux de l'Election
feparément , prefentez par
Mr Defgranges , eurent l'honneur
de faluër Meffeigneurs les
Princes, M Dafpe , Juge Mage,
à la tefte du Prefidial , & Mr de
Marignan , Prefident de l'Election
, porterent la parole.
Pendant leur fejour à Auch ,
la joye fut fi generalement répanduë
nuit & jour dans les maifons
, dans les Places & dans les
rues , qu'on n'y fit que chanter,
danfer , & donner les fignes les
plus parfaits d'une allegreffe extraordinaire
, & qu'il n'eſt pas
aifé de reprefenter.
Le 12. Meffeigneurs les Princes
partirent d'Auch aprés avoir
GALANT. 227
entendu la Meffe dans la Chapelle
de l'Archevêché . Ils trouverent
à leur fortie les mêmes
Bourgeois & la même Soldatefque
fous les armes , difpofez de
même qu'à leur entrée, & furent
conduits jufqu'aux portes de la
Ville, & bien au delà par un peuple
infini , tant d'Auch que du
voifinage, avec des cris de Vive
le Roy & Meffeigneurs les Princes ,
qui rempliffoient l'air de toutes
parts ...
On neût pas plûtôt appris à
Touloufe que Monfeigneur le
Duc de Bourgogne , & Monfeigneur
le Duc de Berry devoient
y paffer à leur retour de la frontiere
d'Espagne que cette nouvelle
donna une extrême joye à
tous les Touloufains , Sujets fi-
Tiij
222 MERCURE
delles , & tres- zelez pour leur
Roy .
Ón affembla le Confeil de Ville
fur les ordres qu'on avoit reçus:
Il fut deliberé de faire paroître
en cette rencontre leplaifir que.
l'on reffentoit de recevoir deux
Princes qui font les voeux de tous
les peuples : on reſolut pour
cela
de ne point menager les deniers
publics , afin de rendre cette fête
folemnelle , & de mander les
arts & mérien
au nombrede cinquante
-cinq compagnies faifant
quatre à cinq milles hommes . On
forma en même temps le deffein
de faire huit Compagnies de
Bourgeois , & on les leva dans
leshuit capitoulats qui compofent
la Ville. On donna à ces.
Compagnies d'anciens Capitouls .
GALANT. 223
& des fils
Pourines
danciens
Capitouls
pour
Lieutenans
ou
Enfeignes
fous
les
f
ordres
de
Mrs
de Barravi
&
Dencauffe
Capitouls
& Colonels
, & de Monfieur
Caumels
ancien
Capitoul
, qui fervit
de
Major
de la Ville
en cette
occafion
. On
lui
donna
quatre
Aydes
Majors
: fçavoir
Mrs
Dambelot
, Chapuis
, Favier
&
Caumels
du Boufquet
. Les
huit
Compagnies
de Bourgeois
furent
.
commandées
par
Mrs
Barravi
&
Dencauffe
Capitouls
, & les
Capitaines
furent
Mrs
de Lagarrigue
, le Baron
de Launaguet
de
Lamazoire
, de Martin
, de Ruoffet
& de Gaillard
.
1
Les Marchands qui font partie
du Corps de Bourgeoifie , de-
Tiiij
224 MERCURE
manderent à la Ville de faire
quatre Compagnies à leurs frais
ce qui leur fut accordé avec la
liberté de nommer leursOfficiers.
Elles furent compofées chacune
d'un Capitaine , d'un Lieutenant
, d'un Sous - Lieutenant
de trois Sergens , de cinquantedeux
Soldats , de quatre Tam-
<bours & de quatre Fifres. Dans
la compagnie Colonelle il
un Sergent Major & un Tambour-
Major de plus que dans les
autres . Il fut refolu que chacune
des huit Compagnies Bourgeoifes
feroit de cent hommes , tous
grands , bien- faits , bien vêtus
avec des chapeaux bordez de
galon d'argent , & une cocarde
de la couleur du Drapeau & du
Capitoulat ; que les quatre Com .
y cut
GALANT, 231
pagnies des Marchands feroient
de cinquante hommes chacune
tous jeunes , habillez de gris-,
blanc avec des chapeaux bordez,
des Cocardes
, des bas rouges ,
& tous uniformes ; qu'on donne
roit à chacune de ces Compagnies
quatre Tambours & quatre
Fifres , & qu'ils feroient ha-,
billez de rouge , avec des chapeaux
bordez , que ceux des huit
Compagnies Bourgeoifes feroient
diftinguez par les manches & les
poches de leurs juftaucorps galonnez
d'argent. wala sab
On refolut encore d'habiller
les foixantes hommes qui font la
Compagnie du Guet , d'un drap
gris-blanc doublé d'écarlate
avec des culottes , & des bas rouges
de leur donner des cha226
MERCURE
yu
>
peaux bordez d'argent , & des cocardes
; de faire des juftaucorps.
aux Tambours aux Fifres &
trompettes de la ville d'un drap
d'écarlate galonnez d'argent
avec les armes de la Ville. En un
mot , il fut déliberé qu'on habilleroit
de neuf tous les Officiers
de l'Hôtel de Ville , chacun felon
faCharge. On ordonna quatre
fontaines de vin, l'une au bout du
pont , l'autre à la place du Salin,
une autre à la place faint Eftienne
, & une quatrième à l'Hôtel
de Ville , qui couleroient tout
le jour de l'arrivée de Meffeigneurs
les Princes , & tout le lendemain
, & un feu d'artifice dans
la place faint Eftienne au devant
de leur Palais .
La Ville refolut de faire un
GALANT. 227
Dais à huit bâtons qui par la richeffe
de fon étofe , & par tout
que l'art y peut ajouter
furpaffat en magnificence tout
ce qu'ona vu jufqu'à prefent .
ce
Toutes ces refolutions furent
executées avec une entiere exactitude
par les Capitouls qui ont
témoigné par leurs foins infatigables
, & extraordinaires la reconnoiffance
qu'ils doivent à la
grace que le Roy leur a faite de
fes nommer à cette place , & qui
' ont voulu repondre par-tout ce
qu'ils ont pû , à l'honneur que
la Ville avoit de recevoir Meffeigneurs
les Princes .
Toutes ces choſes eſtant arrê–
tées, on delivra l'inftruction fuivante
à ceux à qui elle eftoit ne
ceffaire.
228 MERCURE
Comme il y aun grand terrain
à border à droit & à gauche depuis
la porte de Saint Ciprien
jufqu'à l'Archevêché , & qu'il
eft important qu'il y ait fuffifamment
des Bourgeois pour border
les rues de ce terrain , il faut que
tous les Commandans faffent
leur poffible pour rendre les
Compagnies les plus nombreufes
qu'il fe pourra ne ſouffrant
dans les rangs aucun de ceux
qui ont efté réformez , tant
vieillards , trop petits , qu'enfans
ou Porte- cane , ny qui que ce
foit pour fervir d'aide au Porte-
Enfeigne , & fur tout il ne fera
donné aucune exemption pour
ce jour- là .
Chaque Compagnie aura fa
cocarde de la couleur qu'il aura
GALANT
229
eſté réſolu dans la Compagnie ,
aufibien que des chapeaux bordez
.
On ne fouffrira point qu'il y
ait de pierres aux fufils , ny de
méches aux moufquers , ny poudre
ny plomb, défendant expreffément
qu'aucun Soldat ne tire
un coup , fous peine de punition
exemplaire , ordonnant expreffément
au Commandant de chaque
Compagnie de faire arreſter
le premier qui feroit affez hardi
pour tirer un coup aprés la défenfe
faite .
14
Un Sergent de chaque Compagnie
ira regulierement tous
les jours à l'ordre dans l'Hoftel
de Ville Aay
Aucune Compagnie ne fe mettra
fous les armes , fans en avoir
230
MERCURE
receu l'ordre des Capitouls.
Quand ces Compagnies auront
l'ordre de prendre les armes
, on s'affemblera chez le
Capitaine pour fe rendre à
l'heure & au lieu qui fera marqué
bien regulierement , & aprés
que le Commandant aura fatisfait
à ce qui fera ordonné , il remenera
fa troupe au lieu où elle
aura efté aſſemblée , pour la feparer
en bon ordre , fans fouffrir
qu'aucun de ceux qui compofent
fa Compagnie quitte les rangs
qu'aprés qu'il fera congedié
aprés quoy il défendra aux Tambours
& Fiffres de battre & de
jouer dans les ruës ny dans les
Cabarets , pour ne point troubler
le repos public .
Le jour de l'entrée , chacun des
GALANT. 231
A
Commandans tiendra la main à
ce que chaque troupe occupe le
pofte qui luy fera marqué , ne
permettant à aucun Soldat de
quitter fes rangs pour quelque
raifon que ce puiffe eftre , & ne
fouffrant qui que ce foit devant,
eux .
Lors que Meffeigneurs les
Princes auront paffé , le Major
General avec les Aides- Majors,
auront foin de mettrre en mar
che toutes les troupes, pour les
renvoyer en bon ordre chacune
à leur quartier.
x
Le Major General aura foin de
pofter la Garde de Meffeigneurs
les Princes compofée de cent
hommes , à la droite de la porte
de ' Archevêché , à l'heure qui
luy fera marquée .
222 MERCURE
2
Pendant que toutes ces chofes
fe paffoient, la Ville de Touloufe
fe rempliffoit continuellement
d'Etrangers , & il ne fe paffa pas
un jour durant un mois , fans
qu'il y en entraft quelques - uns ;
de forte que le nombre qui s'y
trouva , approcha de quarante
mille , & ce nombre y fut en-
-tier pendant les dix derniers
jours parce que ceux qui
croyoient avoir pris leurs mefu
res jufte , pour s'y trouver precifement
dans le temps de l'entrée
de Meffeigneurs les Princes ,
furent trompez, fans avoir pourtant
pris de fauffes mefures
Monfeigneur le Duc de Bourgogne
, & Monſeigneur le Duc
de Berry eftant arrivez à Touloufe
dix jours plus tard que le
-GALANT. 233
jour qui avoit efté marqué pour
leur arrivée , à caufe des débordemens
d'eaux qui les avoient
arreftez à Dax de forte que
pendant huit jours , toutes les
ruës de Toulouſe fe trouverent
remplies d'une foule incroyable
de perfonnes de l'un & de l'autre
Sexe, & de toutes fortes d'eftats ;
mais comme la Ville eft commode
pour le logement, à caufedefa
grandeur, &qu'elle eft abondante
en toutes fortes de vivres, elle
n'en fut point incommodée 3 &
tout ce grand monde que la cu→
riofité y avoit attiré , fut fort
fatisfait des manieres honneftes
de Mrs de Touloufe , & de leur
politeffe. On ne pouvoit attendre
autre chofe d'une Ville où
l'on fait profeffion de belles Let
Mars 1701. V
234 MERCURE
"
tres , & où l'efprit abonde encore
plus que toutes les autres chofes
qui fervent à vivre commodement
, quoy qu'elles n'y foient
point rares . Mr l'Archevêque ,
Mr le Comte de Broglio , Commandant
en Languedoc , Mr de
Baville, Intendant de la Province
, & Mr Riquet , Prefident à
Mortier auParlement de Touloufe,
qui en l'abſence de Mr Moran,
premier Prefident , fe trouva à la
tefte de la Compagni >
tinrent
table ouverte pendant trois femaines
avant l'arrivée de Meffeigneurs
les Princes , & la Nobleffe
de plus de trente lieuës à
la ronde fe trouva à ces tables .
Les principaux de la Ville en
tinrent auffi pour les perfonnes
de leur connoiffance , & pour les
"
GALANT. 275
Amis de ces perfonnes qui les
accompagnoient. Ainfi l'on peut
dire que l'on tenoit table ouverte
dans toute la Ville de Toulouſe,
& que chacun regalant à l'envi
fes Amis, & les Amis de fes Amis,
tous les Etrangers trouverent des
Amis dans les Touloufains . Leur
Ville a efté pendant tout le Carnaval
le fejour du monde le plus
agréable . La Comedie , la bonne
chere , le Bal & la converfation
y ont regnés de forte qu'on peut
affurer que la joye y avoit de
vancé Meffeigneurs les Princes ,
& que celle qui avoit mis Touloufe
en mouvement , n'avoit
commencé qu'a l'occafion da
plaifir que toute la Province ſe
faifoit de les voir.
Les Compagnies qui devoient
V ij
236 MERCURE
7
eftre fous les armes le jour de
leur entrée , pafferent plufieurs
fois en revue devant Mile Com
te de Broglio , & devant M l'Intendant.
Il y avoit non -feulement
de quoy contenter la vûë,
mais même de quoy réjouir l'oïe
par le grand nombre de Tambours
, de Hautsbois & de Fifres
, que chaque Compagnie fe
piquoit d'avoir à l'envil'une de
Fautre. Toutes ces Troupes furent
mandées pour fe trouver
fous les armes le quatorzieme de
Janvier. Elles commencerent à
marcher des fept heures du matin
, pour occuper les poftes qui
leur furent affignez par le Major.
Les deux ailes du Pont neuf,
qui eft un Ouvrage admirable de
feu Mr Manfard , & qui fepare le
GALANT. 237
C
Faubourg , de la Ville , furent
bordées par quatre Compagnies
de Marchands . La premiere ,
commandée par M Bertrand
Faîné , Banquier , avec M Keynal
& Me Jalabert pour Lieutetenant
& Sous - lieutenant ; la
feconde par Mr. Panebeuf, & Mr
Bormande le Fils pour Lieute
nant, &M Doneffanpour Sous-
Lieutenant ; la troifiéme par M.
Viguier,ayant M. le Combes Fils
M. Riviere pour Lieutenant &
Souslieutenant , & la quatriéme
par M. Amieux , M. Duvergier
Fils Lieutenant, & M. Eraiffant
le Fils Souslieutenant. Il n'y
avoit rien de plus beau que ces
quatre Compagnies . Le Major
eftoit veftu d'unhabit d'écarla
te, garni d'agremens brodez d'or.
238 MERCURE
Les douze Officiers avoient des
habits uniformes , d'un drap couleur
de Prince , enrichis de bou
tonnieres & de galon d'or, & des .
veftes d'un glacé d'or , & leurschapeaux
eftoient bordez d'un
tiffu d'or, & au deffus une plume
blanche . Plufieurs avoient des
fangles de vingt & de trente
Louis d'or. Les Soldats eftoient
des Garçons Marchands , & tous
jeunes , gens vêtus uniformement
d'un drap gris de Caftor , & les
paremens de même ; la vefte , la
culote & les bas , couleur d'écar
late. Un noeud de ruban couleur
de cerife , leur fervoit de cravate
Leurs chapeaux eftoient
bordez d'or , & fur le retrouffis
ils avoient chacun une groffe
cocarde de Juban de la couleur
GALANT. 229
de la Compagnie . Le blanc eftoit
celle de la premiere , avec un
Drapeau de cette même couleur;
le bleu , de la feconde , qui avoit
fon Etendart my - parti de cerife
& de bleu , & la croix blanche ;
le rouge de la troifiéme , ainfi
que de fon Drapeau , avec la
croix blanche , & le cerife de la
quatriéme . Son Etendart eftoit
auffi de cerife , & avoit une croix
blanche. Ces quatre Drapeaux
portoient au milieu les Armes
de France richement brodées .
Celuy de la Compagnie Colonelle
eftoit bordé d'un galon
d'or , pour le diftinguer du Drapeau
Colonel de la Ville.
Les Compagnies qui avoient
efté formées par les Arts & Mé
tiers eftoient auffi magnifiques ,
240 MERCURE
& toutes en cocardes : elles bor
doient les deux côtez des ruës.
Six Compagnies de Bourgeois
bordoient enfuite les ruës jufqu'à
l'Archevêché Leurs cocardes
eftoient de ruban violer & blanc ;
jaune & blanc ,vert & blanc, felon
la couleur des Capitaines. Toutes
ces Troupes montant à cinq
ou fix mille hommes , formerent
deux hayes de douze cens toifes
de longueur jufqu'à l'Archevêché
où Meffeigneurs les Princes
devoient logerie marbl
On avoit bâtides galeries en
forme d'amphiteatre dans la
grande rue du fauxbourg faint
Cyprien , le long de l'entrée , &
au bas du pont neuf,dans les pla
ces du Salin , Perchepinte , fain
tes Carbes & faint Etienne , a
la
GALANT
245
la plupart des places furent
louées jufqu'à demi Loüis d'or :
elles furent remplies dés neuf
heures du matin , toutes les ruës
tapiffées , & la plupart des fenêtres
ornées de riches tapis .
Toutes choſes eftant ainfi dif
pofées pour lareception de Mef
feigneurs les Princes , & toute la
Ville fe trouvant dans une agitation
qui luifaifoit plaifir, les huit
Capitouls en hahits de ceremo
nies , partirent pour fe rendre à
la
porte de faint Cyprien . Ils é
roient precedez par la Compagnie
du Guet que condui
foient le Capitaine & le Lieuzenant
dont les habirs étoient
d'écarlate & brodez d'or
& d'argent , & accompa
gnez des anciens Capitouls , de
Mars 1701 . X
242 MERCURE
cent notables Bourgeois , & de
tous les Officiers de Ville . Leurs
Trompettes avoient des cafaques
couvertes d'une grande natte
d'argent, les banderolesdes trompettes
eftoient tres- riches ty
avoit feize Tambours & autant
de Fifres vêtus de rouge , &
plufieurs Hautbois en
Mr le Comte de Broglio Lieutenant
General des Armées du
Roy , & commandant les Troupes
de Sa Majefté dans le Languedoc,
& Mide Baville , Intendant
, fe rendirent auffi à la porte
de la Ville avec quatre tresbeaux
carroffes à fix chevaux , &
douze Gardes fort bien montez
, qu'ils avoient en qualité de
Commandans de la Province .
On avoit dreſſé une batterie de
GALANT.
243
canons hors la porte de la Ville ,
dont on fit plufieurs decharges .
Le chemin eftoit bordé de monde
une lieuë au - delà de la même
Ville. Mr le Sénechal de Touloufe
en eftoit auffi forti pour aller
au- devant de
Meffeigneurs les
Princes . Il y avoit environ trois
cens Gentilshommes vêtus de
deuil . Mr de Vitrac , Ecuyer de
la Ville de Touloufe , eftoit à
cheval à la tête des Academies .
Mr le Prevost general des Mare
chaux de France au
departement
du haut Languedoc , alla aufli
une lieuë au- delà de Toulouſe
avec la compagnie , qui eftoit
fort lefte , & bien montée . Les
Cavaliers avoient des bandoulie
res brodées d'or , & bordées de
nates d'argent . Leurs écharpes
x
ij
244 MERCURE
ing
eftoient bordées d'un galon d'argent
, & ils avoient tous de fort
belles cocardes . Toute la Cavaleriefe
joignitauxGardesde Meffeigneurs
les Princes , & parut l'é
pée haute devant leurs carroffes ,
qui furent fuivis de plus de cent
autres , laplûpart à fix chevaux ,
Quatre carroffe de Mr le Marechal
de Noailles à huit chevaux
precederent quatre carroffes du
Roy auffi à huit chevaux , dans le
dernier defquels eftoient Meffeigneurs
les Princes . Soixante Gardes
du Corps à cheval & l'épée
haute, marchoient devant ce carroffe
qui eftoit fuivi d'un pareil
nombre de Gardes . Meffeigneurs
les Princes en firent ofter
les glaces en entrant dans
le fauxbourg de faint Cyprien
GALANT. 245
K
pour eftre mieux vûs Ils ar
riverent à trois heures aprés
midy & les Capitouls leur fu
rent prefentez à la porte de ce
fauxbourg , par
par M Delgranges ,
Maistre des Ceremonies . Ils leur
prefenterent les clefs de la Ville
dans un baffin d'argent , mais ils
n'offrirent point le Dais dont
j'ay parlé au commencement de
cette relation quoi qu'ils en euffent
fait la dépenfe, Monfeigneur
le Duc deBourgogne ayant ordon
né qu'il ne lui fuft pas prefenté.
Mr Garde , Capitoul , & chef
du Confiftoire, porta la parole, &
foutint parfaitement la reputation
que Touloufe a toujours
euë d'eftre une Ville fçavante.
Monſeigneur le Duc de Bourgogne
luy dit qu'il avoit tres-bieg
X iij
246 MERCURE
parlé , & il reçut des applaudiffemens
de tous ceux qui purent
l'entendre . Les haut - bois de la
Ville jouerent aufli - tôt que fon
Compliment fut achevé ; & fervirent
d'avertiffement pour recommencer
la marche. Elle continua
par la rue des Couteliers ,
de la Dalbade , de fainte Claire ,
de Salin deNazareth, & defaintes
Carbes . Lorfque qu'on approcha
de l'Archevêché , la grande cloche
de la Cathedrale , nommée
Ta Cardaillac , fonna , & à ce figral
dont on eftoit convenu , toutes
les cloches de la Ville fonnerent.
Tous les principaux Offi ..
ciers de Meffeigneurs les Princes.
logerent à l'Archevêché . Plufeurs
Seigneurs y eurent auffi des
apartemens richement meublez .
GALANT.
247
Meffeigneurs les Princes ne vou
lurent point qu'on tendift leurs
lits; & coucherent dans ceux que
ce Prelat leur avoit fait preparer
& qui eftoient nouvellement
faits. A
-il y avoit environ une heure
qu'ils eftoient arrivez , quand
les Capitouis leur firent au nom
de la Ville les prefens accoutumez
en pareille occafion . Ils
confiftoient en foixante & qua
tre flambeaux de cire blanche ,
& en douze douzaines de boettes
de confitures feches , nouées
avec dur ruban ponceau , & du
ruban blanc. Monfeigneur le
Duc de Berry cut de pareils prefens
, mais le nombre de chaque
chofe fut moins grand .
Lorfque le jour commença à
X iiij
248 MERCURE
baiffer , les ombres de la nuit furent
changeées par l'illumi
nation que l'on avoit préparée.
Tout le Palais Achiepifcopal parut
en feu a caufe de la quanti
té de lumieres dont il eftoit
éclairé. Il y avoit un nombre infini
de flambeaux de poing mêlez
avec des lanternes de differentes
couleurs . La muraille de
ce Palais eftoit illuminée de la
même forte . Le Portail de l'Eglife
Cathedrale qui eft á côté faifoit
voir , outre les lumieres qui le
couvroient , trois piramides de
feu qui tâchoient d'atteindre le
clocher , où il y avoit plus de
trois cens lanternes tranfparantes
, fur lesquelles on avoit peint
des milliers de fleurs de Lys qui
rempliffoient l'air de leur éclat ,
GALANT. 249
2
& empêchoient les étoiles de fe
faire remarquer Tous les autres
clochers eftoient éclairez ;
les portes de la Ville & du Pont
Leftoient auffi , & l'Hôtel eftoit
tout brillant de lumieres . Mrs de
Ville firent remettre plufieurs
fois des flambeaux aux endroits
dont ils avoient foin , parce que
le vent les faifant couler en precipitoit
la fin. # A
Pour le bien figurer l'illumi
nation de l'Hôtel de Ville , on
n'a qu'à fe repreſenter , que La
Tour & toutes fes Galeries
eftoient éclairées avec une prodigieufe
quantité de flambeaux &
de falots , & qu'on voyoit de
tous côtez des vafes & des chif
fres , avec les armes du Roy &
de Meffeigneurs les Princes &
250 MERCURE
celles de la Ville . Toute la place
eftoit auffi illuminée avec des
flambeaux , & des lanternes pofées
alternativement , ce qui faifoit
une decoration auffi agreable
que bien imaginée . Toutes
les maifons qui appartiennent à
la Ville eftoient illuminées de
la même forte , & fur tout les
deux Pavillons de l'entrée du
Pont . Chacun tâcha de fe furpaffer
dans la Ville , pour illuminer
la maiſon . Les Jefuites ,
les Auguftins & plufieurs autres
Convens firent illuminer leurs
elochers , avec une infinité de
lanternes , dont la varieté des
couleurs produifit un tres - agreable
effer. Tous les particuliers
firent des feux devant leurs maifons
& donnerent toutes les
GALANT. 251
marques qu'ils purent imaginer
d'une parfaite joye .
Sur les neuf heures du foir
Meffeigneurs les Princes , aprés
avoit foupé en public , traverſerent
la place faint Etienne pour
fe rendre chez Mr de Cambron ,
Confeiller au Parlement , où Ms
le Marechal de Noailles eftoit
fogé, cette maiſon eſtant la mieux
fituée pour voir tirer le feu d'arrifice
qui avoit efté preparé. Ce
Marechal regala Meffeigneurs .
Fes Princes d'une excellente mufique
. Le Pere Mourgues, Jefuite,
également verfé dans toutes les
fciences , comme il l'eft dans les
Mathematiques dont il eft Profeffeur
, avoit fait le deffein du
feu. Il reprefentoit l'entrée de
Caftor & de Pollux dans Qebalie,
212 MERCURE
Fune des principales Villes de
leur Eftat , aprés avoir accompa
gné Jafon á la conqueste de la
Toilon d'Or. Cette entrée femble
avoir quelque rapport avec
celle des deux Princes dans Touloufe
à leur retour de la frontiere
, où ils avoient accompagné
le Royd'Espagne, qur porte l'ordre
de la Toifon d'Or. C'eſt ce
que marquoient les vers fuivans .
Tels un peuple charmé vit Pollux
& Caftor
Accompagner Fafon dans la ricbe
Contrée
Où le Ciel en fes mains remit la
Toifon d'Or ,
Et tels dans Oebalieils firent leur
entrée .
On fçait que ces jeunes Heros
montoient le celebre Navire Ar
GALANT. 253
go, quand ils allerent à cette expedition
; & comme on voit d'ail
leurs par les plus anciennes Medailles
, & en particulier par celle
de Janus reçu dans le Latium
que Vaiffeau étoit
la
figure a
le Symbole d'une heureufe arrivée
, fuivant ces deux Vers d'Ovide
.
At bona pofteritas puppim figna
vit in ære
Hofpitis adventum teftificata Dei.
On avoit choifi pour le Corps
de l'Artifice le Navire Argo , portant
fur fon Tillac les deux figu
res au naturel de Caftor & Pollux.
Le reste de la reprefentation
fe rapportoit à une Mer ,
& à un Port. On peut dire que
la Ville de Toulouſe eft devenuë
le Port commun de l'Océan , &
254 MERCURE
de la Mediterranée par le Canal
Royal de communication entre
les deux Mers .
Les quatre faces du Theatre
qui portoit l'Artifice , eftoient ornées
de Médailles , d'Emblêmes
& de Devifes en cet ordre.
Dans la principale face qui regardoit
le Palais des Princes ,
eftoient les Armes de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , une
medaille portant un Lis avec la
Legende , Spes publica.
L'Objet de tous les veux , l'espoir
de tout l'empire.
Le Lis eftoit le vray Hieroglyphe
de l'efperance parmi les anciens
,comme on le voit dans plufieurs
médailles qui ont un Lis
avec ces mots fpes auguſta ou fpes
publica, L'application en eftoit
GALANT 255
fort naturelle ; une Devife
pour
marquer qu'en l'abfence de
Louis le Grand & de Monfeigneur
le Dauphin , on ne voit
rien de plus parfait que Monfeigneur
le Duc de Bourgogne.
Une montre d'Horloge , avec de
mot duo maxima Lumina fupplet.
C'est l'heureuxfupplement des deux
grands Luminaires
t
Une feconde Devife ayant
pour corpsun Royd'Abeilles On
dit que ce Roy ayant beaucoup
plus de courage que les autres
Abeilles , il a pourtant les ailes
plus courtes & plus foibles ; la
nature lui ayant ofté par -là le
moyen d'abandonner jamais fon
Effain , ce qu'on exprimoit par
ce Vers latin .
Nafcitur alaram brevior ne deferat
agmen.
256 MERCURE
Les trois dernieres paroles ne
deferat agmen faifoient l'ame de la
Devife .
Sa naiffance l'arreste au coeur de
fon Eftat.
Tel eft le glorieux privilege
de ce grand Prince de ne pouvoir
renoncer à gouverner cet
Empire dans la fuire des ans.
Une troifiéme Devile pour
établir un prefage de l'opulence
& de la gloire de fon Regne , &
pour marquer combien cette
Ville s'eftimoit honorée de poffeder
ce Prince , même pour peu
de jours. Le Rameaud Oravec ce
mot Efpagnol Riqueça ,y Refplendor.
Aulli riche trefor que brillant or
nement.
Dans la feconde face les ArGALANT.
257
mes de Monfeigneur le Duc de
Berry , Devife . La lune dans fon
renouveau , avec ce mot Solis erit
quod crefcam.
Je croiftrai , ce fera l'ouvrage du
Soleil.
Autre Devife. Un Heliotrope
tourné vers le Soleil , dont cette
fleur fuivoit le mouvement ; avec
ce Vers Italien.
Dolce ubbidire à chi me fà fiorire.
Ma gloire eft d'obeir à qui me fait
fleurir.
Embleme . On compte parmi
les travaux d'Hercule celuy d'avoir
eu trois pommes d'or du
jardin des Hefperides . La figure
de l'Emblême eftoit Hercule ,
reprefentant le Roy , & tenant
dans fa main ces trois pommes
d'or avec ce Vers ,
Mars
1701. Y
218 MERCURE
Tertium quegens habitura munus?
Quel Empire obtiendra mon troifiéme
prefent?
Il eft ailé d'entrer dans le fens
de l'Emblême.
Dans celle qui fuivoit on
voyoit Achille encore jeune ,
qui recevoit des leçons de valeur
du fameux Guerrier Chiron .
Heros Heroe Magiftro.
Le Heros qui l'inftruit nous promet
un Achille
On ne peut attendre un moindre
fuccés de l'Education royale
& heroïque que reçoit Monfeigneur
le Duc de Berry , jointe
à l'élevation de fes fentimens
naturels.
Dans la troifiéme face les Ar
mes accollées des deux jeunes .
Princes.
'GALANT. & 259
pre-
Deux Médailles . Dans la
miere deux Ancres avec la legende
Firmitas Imperii .
L'Empire des François pour jamais
affermi.
Dans la feconde le Caducée ,
& le mot Concordia .
La charmante union de deux Auguftes
Freres.
Une Devife ayant pour corps
un Vol . En termes de Blafon
c'eftoient deux ailes jointes dos
à dos & éployées , avec ces paroles
Eſpagnoles , Subido mientras
unido.
Un mouvement commun rend leur
vol plus fublime.
Une feconde Devife , par rapport
à l'agréable idée que cette
Ville fe faifoit des beaux jours
durant lefquels elle auroit le
Y ij
260 MERCURE
bonheur de poffeder deux Prin--
ces fi accomplis , & par rapport
à la difpofition prefente de l'Europe,
dont les Puiffances les plus
confiderables déclaroient en ce
même temps la réfolution où
elles font de maintenir la Paix
Deux de ces feux volans , que
nos Marins appellent Feux Saint
Elme , ou Caftor & Pollux , & qui
ne font de bon augure pour da
navigation, que lors qu'il en pas
roift deux à la fois . Le mot
Placidi duo figna Screni.
Ce font d'un calme heureux deux
préfages certains .
Dans la quatriéme face , les
Armes de la Ville de Toulouſe.
Deux Médailles. Dans l'une
l'ancien Capitole de cette Ville,
avec la legende ,
GALANT . 16
•
Antiquitas & gloria.
Sa gloire répondbien à fon antiquité.
Dans l'autre le Palladium Tou
loulain , & pour legende , Armis
& Litteris.
On a des
L'Ecole des Guerriers & des Auteurs
celebres.
preuves que la fondation
de Touloufe eft anterieure
à celle de Rome . Elle a efté
nommée Palladienne , ainsi qu'Athenes
; & pour la juftification
des legendes de ces deux Médailles
, on n'a qu'à parcourir les
Eloges des illuftres Touloufains ,
dont on voit les Buftes dans la
fuperbe Galerie de la Maifon
de Ville , qui eft le nouveau
Capitole , & le Palladium moderne
de Touloufe .
Elle porte pour Armes un
}
262 MERCURE
Belier , ce qui avoit donné lieu
à la Devife fuivante . Le Belier.
celefte , qui eft nommé par les
Poëtes. Signorum Princeps , parce
qu'il eft le premier des Signes
du Zodiaque , & ces paroles pour
ame , Principibus nunc glorior Afiris.
Je me trouve enrichi de deux Af
tres brillans.
Enfin pour faire connoiftre les
grands avantages que Touloufe
avoit lieu de le promettre de la
protection des deux auguftes
Princes qui l'honoroient de leur
vifite , cette Ville eftoit reprefentée
par une pierre d'Aiman
attirant deux anneaux d'acier .
On fçait que la force de cette
pierre eft confiderablement augmentée
par une armure de ce
GALANT. 263
métal , & c'eft ce qu'on avoit
exprimé par ces mots , Illetti facient
mihi & crefcere vires.
Ceux que j'attire à moy me ren
dront plus puiffante ..
"
La difpofition de l'artifice pa--
rut mieux par l'execution que
par tout ce qu'on en fçauroit
dire. On peut fe former quelque
idée du fracas de la Batterie
& de la beauté du Feu , par
quarante douzaines de petards ,
boëtes & carrelets à lancé, trente
douzaines de fufées qui volerent
en gerbes , en Fleurs de lis , &
autres figures ; trente- cinq douzaines
de ferpenteaux , huit douzaines
de lances ou chandelles
ardentes, huit Soleils rayonnans
ou girandoles , huit fontaines à
feu , quatre mortiers à feu . Less
&
264 MERCURE
Capitonls qui avoient ordonné
ce Feu , avoient fuivi leurs nobles
& genereuſes inclinations ,
ainfi qu'ils l'ont fait dans tout le
refte qui a concerné la reception
qu'ils ontfaite àMeffeigneurs les
Princes .
Le Feu eftant tiré , & la Mufique
qui luy fucceda eftant finie ,
ils furent reconduits à l'Archevêché
avec plufieurs flambeaux
de cire blanche , & aux acclamations
du peuple . Toute la nuit
fe paffa en réjoüiffances , & let
jour parut , qu'on buvoit encore
dans Toulouſe à la fanté duRoy,
& de Meffeigneurs les Princes .
Le lendemain 15. Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , & Monfeigneur
le Duc de Berry allérent
à la Meffe à l'Eglife Cathe
dralo
GALANT. 265
drale où ils furent reçus plus
avant que le Benitier , par M
Colbert , Archevêque de Touloufe
, qui des harangua , & leur
prefenta l'eau-benite. Il eftoit
en Habits pontificaux , la Mitrè
en tefte , & la Croffe à la main .
Son Chapitre qui eft tres- nombreux
eftoit en Chapes , rangé
droite & à gauche . Le Difcours
de M. l'Archevêque reçut
de grands applaudiffemens. Meffeigneurs
les Princes furent enfuite
conduits dans le Choeur
où ils trouvérent un Priédieu à
deux places. Un de leurs Aumôniers
dit la Meffe , pendant la
quelle Mr Gillet , Maiftre de Mufique
du Chapitre , fit chanter un
tres - beau Motet par les plus
belles yoix , & avec les meilleurs
· Mars 1701. Z
266 MERCURE
inftrumens de la Province , que
Mrs du Chapitre avoient fait veair
exprés à Toulouſe . A l'iffuë
de la Meffe, Mr l'Archevêque en
camail & en rochet & Mrs du
Chapitre en furplis, reconduifirent
Meffeigneurs les Princes
jufqu'à la porte de l'Eglife. Le
même jour , le Parlement alla
les complimenter par Députez ,
& fut prefenté par Mr
Delgranges.
Ils eftoient quarante ; fçavoir
fix Prefidens à Mortier, quatorze
Confeillers de la Grand'
Chambre, & de la Tournelle ,
dix-huit des Enqueftes , fix de
chaque Chambre , & deux des
Requeftes . Me le Preſident Riquet,
qui fe trouvoit à la tefte du
Parlement › par l'abſence de Mr
Morant, premier Preſident, porGALANT
. 267
a la parole , & harangua Monfeigneur
le Duc de Bourgogne
dans fon appartement, & enfuite
Monfeigneur le Duc de Berry,
dans le fien. Aprés quoy , ce
Prince eſtant defcendu dans l'ap
partement de Monfeigneur le
Duc de Bourgogne , Mrs les
Treforiers Generaux de France
sen Corps , & avec leurs robes
de ceremonie , eurent le même
honneur. Mr Nolet , qui eft de
leur Corps , & Academicien de
l'Academie des Jeux Floraux de
Touloufe , porta la parole, &
-fit un Difcours rempli de feu, de
politeffe & d'éloquence. L'Univerfité
& le Senechal curent le
même avantage.M Menard parla
pour l'Univerfité , & Mr de Garriere,
Juge- Mage , pour la Compagnie.
Zij
3
268
MERCURE
Le même jour M¹ Barravy , Ca
pitoul Colonel , qui avoit monté
la garde la veille à la porte de
Meffeigneurs les Princes , futredevé
par Mr le Baron Dencauffe ,
Capitoul Colonel , qui la monta
à fon tour à la tefte de deux Compagnies
Bourgeoifes.d
Meffeigneurs les Princes avoient
refolu d'aller l'apréfdinée
prendre le plaifir de la promenade
au Cours ; mais la pluye leur
xfit changer de deffein . Quand ils
eurent foupé , ils fe placérent
avec les perfonnes les plus qualifiées
de leur Cour , dans un balcon
qui regarde les cours de l'Arehevêché
, où M l'Archevêque
les accompagna . Ils virent la Bafoche
, compofée des Clercs du
Parlement , & de ceux du SeneGALANT
269
chal , ce qui fe paffa de la maniere
fuivante.
Les Clercs du Senechal au
nombre de plus de cent , tous
leftement vétus , & montez fur
des chevaux de prix , precedez
de leurs Trompettes , & ayant
leur Capitaine en tefte , & leur
Guidon cuiraffé , entrérent l'épée
haute dans les courts dė
l'Archevêché , & firent une reyue
dans ces grandes courts. Cette
Cavalerie fe rangea fur deux
lignes dans la premiere cours les
équipages pafferent enfuite , &
plufieurs Mulets chargez de coffres
, fur lefquels eftoient de riches
couvertures enfuite de
quoy les Suiffes du Roy de la
Bafoche qui font tous Clercs du
Parlement , entrérent quatre à
Z iij.
270 MERCURE
quatre, leurs halebardes fur léz
paule. Ils eftoient prés de deux
cens cinquante , leur Capitaine
à leur tefte. Son habit eftoit tres riche , ainfi que
ceux
do
leur
Lieutenant , & de leur Enfeigne.
Tout le refte de la Compagnie
véttë à l'ancienne mode ; c'eft à
dire á la maniere des Suiffes d'au-
Jourd'hui , avoit des habits neufs,
des chapeaux bordez , de belles
cocardes , & des noeuds de cray
vates uniformes. Ils avoient
frente - deux Tambours , & autant
de Fifres , placez de quatre
en quatre rangs , habillez & coef
fez à la Polonoife , qui battoient
la marche des Suiffes . Le Roy
de la Bazoche paroiffoit enfuite
fur un tres - beau cheval , une
Couronne d'argent fur un bonGALANT.
271
net carré , & un Sceptre d'argent
á la main. A fon côté eftoit le
Senechal precedé du Conneftable
portant l'épée nue , fon Amiral
fes quatre Maréchaux avec
leurs bâtons de commandement ,
fon Greffier , & fes Huiffiers tous
bien montez , & tres - proprement
vétus. Ils eftoient éclairez
par trois cens flambeaux de cire
blanche , portez
, portez par des gens
choifis , difperfez dans lesrangs,
Ils firent le tour de la premiere
& feconde cour, & pafferentfous
le balcon où eftoient Meffeigneurs
les Princes . Enfuite ils
le rangerent á un des côtez de la
cour ofçavoir les Clercs du Senechal
qui formérent deux Efcadrons
, & les Suiffes deux Batail
Jons. Ils défilérent enfuite en
*
372
Z iiij
272 MERCURE
tres bon ordre , & retourné
rent dans la cour du Parlement
d'où ils eftoient partis .
Meffeigneurs les Princes prirent
beaucoup de plaifir á les voir.
Le lendemain 16. l'Academie
des Jeux Floraux eut auffi l'avantage
de complimenter mef
feigneurs les Princes , & même
de le faire feparement . Mule
Chevalier Catelan porta la pa
role , & fon Difcours fut trouvé
tres- éloquent & tres - poli . M
Saget , Prieur de la Bourfe , &
en cette qualité Chef du Corps :
des Marchands , fit en leur nom
à Monfeigneur le Duc de Bourgogne
le compliment que vous
allez lire.
MONSEIGNEUR,
Nous venons vous rendre les tres&
GALANT.
273
humbles hommages que font dûs au
Petit-fils de Louis le Grand, & à l'heritierdela
plus belle Couronne du monde.
Unfi grand nom une prefence fi
Augufte nous rempliffent de refpect
& de veneration; mais nous avoüons,
Monfeigneur , que nous ne fommes
pas moins touchez de ce que la renommée
a déja publié dès grandes qualitez
qui foutiennent cette puiffance ,
&qui forment en vous une Ame toute
Royale, & propre au gouvernement
des peuples un efpritpenetrant, des
connoiffances étendues dans un age fi
peu avancé , de la moderation , de
la pieté , du courage , de l'intrepi
dité.
Ces fentimens d'admiration & de
respect dont nous fommes pleins , fe
répandent encore fur le Prince que
nous voyons auprès de vous . Nos
•
274 MERCURE
coeurs ne peuvent feparer ce que nos
yeux uniffent , & que noftre devoir
raffemble.
Nous honorons en l'un & en l'au
tre le Sang des Bourbons , qui a don
né tant de Rois à la France , qui va
en donner à l'Espagne , & qui pour→
roit en donner, tous dignes de ce haut
Sang, aux autres Couronnes de l'Eurape
les plus éclatantes .
Nous n'en dirons pas davantage ,
Monfeigneur , d'autres ont pu s'expliquer
plus noblement que nous, qui®
vivons dans une profeffion plus deftinee
à agir qu'à bien parler ; mais
nous ferons toujours gloire de ne le
ceder à perfonne dans le refpect tre.
profond le zele tres- ardent que nous
aurons toujours pour des Princes
accomplis , &fi dignes de l'eftime &
de l'amourde tous les peuples,
trèsGALANT.
275
Dans la même matinée , Mr
PArchevêque preſenta à Meſſeigneurs
les Princes , la Compagnie
Royale des Penitens bleus
de Touloufe , dont il eft un des
Confreres , Mrl Abbé de Cates
lan Confeiller au Parlement de
Toulouſes & Chanoine de
Moiffac , porta la parole , & s'é
tendit fur l'honneur qu'elle a
d'avoir dans fes regiftres , les
feings de Louis le Grand & de
Louis le Jufte qui voulut bien
pofer la premiere pierre de leur
Royale Chapele une des plus
regulieres de l'Europe , dans la
quelle fe trouve le rond , l'ovale
& le carré. Il parla auffi de la
pieté de ceux qui la compofent
& des motifs de leur inftitution
qui font de prier inceffamment
276 MERCURE
pour la profperité & fanté de la
facrée perfonne de Sa Majefté ,
& de demander à Dieu l'extintion
de l'Herefie de Calvin : II
dit que les Penitens bleus's'effoient
aquitezdu vou qu'ils avoient fait à
Dieu, aprés la naiffance de Monfei
gneur le Duc de Bourgogne de reciter
à haute voix , cing Pater , & cing.
Ave pendant dix ans , en prefence
du faint Sacrement , tous les vendredis
de l'année pour obtenir du Ciel
de preferverfon Augufte perfonne des
infirmiter qui accompagnent les foi
bleffes de l'enfance.
La Harangue finie , Monfeigneur
le Duc de Bourgogne vouvoir
les feings du feu Roy ,
du Roy & de Monfieur frere unique
de Sa Majefté ; enfuite de
quoy il fit l'honneur à cette Com
GALANT. 277
pagnie de figner dans les mêmes
Regiftres. Monfeigneur le Duc
de Berryy figna auffi . Mr le Ma
rechal de Noailles , M le Mar
quis de Sourdys, & prefque tous
tous les Seigneurs qui eftoient à
la fuite de Meffeigneurs les Prin
ces fignerent dans un autre Regiftre,
Meffeigneurs les Princes en
tendirent ce jour - là la meſſe
dans l'Eglife Abbatiale de Saint
Sernin, qui eft une Eglife celebre
par la quantité de Reliques & de
corps faints qui y repofent. Ils
furent reçus par le Chapitre à la
porte de cette Eglife , dont tout
le Clergé eftoit en Chappes. Mr
de Burta, Vicaire General deMr
l'Abbé de Saint Sernin, prefen : a
l'Eau benite. Cette Eglife eft
278 MERCURE
-
tres-belle & tres- élevée Meffeigneurs
les Princes furent con+
duits aprés la meffe, qui fut dite
dans le Choeur , & chantée par
la Mufique , qui les accompagne
dans les Caves & dans les Cha+
pelles fouterraines , qui estoient
tres éclairées , & fort parées,
Toute leur Cour les y accompa
gna . Ilsy virent toutes les Reliques.
Aprés eftre remontez ils
virent les Chapelles hautes, qui
font en auffi grand nombre , &
auffi grandes . Meffieurs de Tour
loufe prétendent quil y arfix
corps d'Apoftres dans cette Eglife
, & une fainte Epine , que
Meffeigneurs les Princes baile
rent. Aprés qu'on leur cut mon
tré tout ce qu'il y a à voir dans
cette Eglife , ils remontérent en
6
GALANT 279
caroffe , & en paffant par la Place
de Saint Georges , ils y trou
vérent les deux Compagnies des
Marchands , dont les Officiers
les faluérent de leurs Spontons .
Mr Barravy, Ecuyer Capitoul,
vint enfuite prendre ces deux
Compagnies pour relever la gar
de Bourgeoife , & il fut convenu
que ce feroit fous le Drapeau Co
lonel des Marchands.
Au tetour de la Meffe on fervit
à dîner à Meffeigneurs les
Princes dans une grande Sale de
1'Archevêché , dans laquelle
pour la commodité du public ,
on avoit dreffé un Amphithea
tre.
Ce jour- là , Mr Labat , Maître
en fait d'Armes , de la Ville
& Academie de Touloufe, connu
280 MERCURE
par plufieurs ouvrages qui regardent
fon art , eut l'honneur de
leur prefenter un Livre qui fur
favorablement reçu . Ce livre eft
dedié à Monfeigneur le Duc de
Bourgogne , & a pour titre, Queftion
fur l'Art en fait d'Armes ou de
l'Epée.
Les Peres de la Doctrine chrê
tienne du College de Touloufe
furent prefentez par M le Ma
réchal Duc de Noailles à Meffeigneurs
les Princes , & le Profeffeur
de Rhetorique , eut l'honneur
de leur offrir un ouvrage
dont ils faifoient le fujet. Lefoir
du même jour ces Peres firent
une illumination qui parut tresbelle
, & qui fut fuivie d'un Feu
d'artifice , & le lendemain ils fi
rent reprefenter à l'honneur de
GALANT. 281
t
2
MeffeigneurslesPrinces unBallet
qui a pour titre, les Bergers heureux ,
Ces Princes allélrent l'aprefdinée
au Cours qui eft affez
beau & le long dun Quay
à la defcente du Pont neuf.
Ils y trouvérent plus de deux
cens cinquante caroffes tant de
la ville que de la Nobleffe voifine
, & même de quelques lieux
plus éloignez . Ces caroffes étoient
remplis de quantité de
beau monde , ce qui faifoit un
tres bel effet le long de cette
belle & longue promenade. Touté
les Dames eftoient parées ,
mais il y avoit une fi grande affluence
de peuple , que
les vuides
qui eftoient entre leur caroffe ,
& les files de ceux qui remplif
foient le Cours , ( car les Princes
Mars 1701
. A a
-
282 MERCURE
fe promenoient dans le milieu )
en eftant remplis , il fut prefque
impoffible aux Princes de voir
les Dames , & aux Dames d'avoir
T'honneur & le plaifir de les voir,
qui fut caufe qu'ils ne firent
qu'un tour. Ils s'attacherent fort :
à regarder la beauté de l'ouvrage
du Pont neuf.cina & Joist so
ce
Le jeudy 17. Meffeigneurs les-
Princes allerent à la maifon profelle
, où M l'Archevêque les
reçut à la tête des Peres de cette
Maifon , & leur prefenta l'eau
benifte. Le pere Provincial des
Jefuites , le reçut auffi fuivi de
tous les Jefuites des quatre Mai--
fons qu'ils ont à Touloufe , les
deux dernieres Compagnies des
Marchands s'y eftoient trouvées .
pour border la haye & garder la
GALANT. 283
porte On ht
un détachement
tiré de ces mêmes
Compagnie
, qui alla fe rendre
maistre de la porte du Couvent
des Jacobins où Meffeigneurs
les Princes allerent aprés
avoir entendu la Meffe . Ces Peres
leur montrerent
le crâne de
de faint Thomas Daquin , que
Meffeigneurs
les Princes baiferent,
Monfeigneur
le Duc de
Bourgogne
demanda à voir un
ornement en broderie auquel un
frere de leur Ordre travaille ac-
Quellement. C'eft un parement.
d'Autel tout complet en brode- .
rie or & argent avec des fleurs
On fit pendant la Meffe
an naturel. Čet ouvrage
fut fort
admiré
, & l'on dit qu'on ne pouvoit
rien voir de plus beau en ce
genre, Monfeigneur
le Duc de
Aa ij
284 MERCURE
Bourgogne ordonna à une per-.
fonne de fa fuite qui deffine parfaitement
bien , de deffiner cet
ouvrage , pour le lui donner , ce
Prince ayant beaucoup de goût
pour ce qui regarde les Arts &
le Deffein , auffi bien que pour
- les ouvrages d'efprit.
Meffeigneurs les princes alle--
rent enfuite à l'Hôtel de Ville .
Ils furent reçus à la porte par
les Capitouls qui font en Charge
, par les anciens Capitouls &
par tous les Officiers de la Maifon
de Ville . On les conduifit au
petit Confiftoire où ils virent
d'abord les grands Regiſtres en
veflin ou livres d'Hiftoire . ' IF
eft à remarquer que le Confiftoire
fait chaque année l'Hiftoire
de ce qui s'elt paffé de remarquas
GALANT 285
...
Y
ble dans l'Etat & dans la Villes ,
pendant fon année, cette Hiftoire
eft écrite dans ce Livre , &
cet ufage s'obferve depuis fix
ou fept frecles Les huit Capi ~
touls & le Chef du Confiftoire y
font peints en miniature. On
voit dans ces Regiftres les entrées
des Rois , des Reines , &
des Dauphins dans la Ville de
Touloufe , depuis la réunion du
Comté à la Couronne : Meffeigneurs
les Princes y virent l'en
trée de Charles VII. celle de
Louis XI . eftant Dauphin , qui
pour faire donner à la Reine fa ·
mere le dais qu'on lui avoit refufé
, la fit entrer en trouffe derries
re luy , ce qui fit remarquer que
le nom de Chevalier d'Honneur
venoit de l'honneur qu'avoient
-
28% MERCURE
ceux qui portoient autrefois
leurs Maîtreffes en croupe der
riere eux . Meffeigneurs
les Prin
ces virent auffi dans ces Regif
tres les entrées de Louis XII .
de François I. de Charles IX .
de IX. de Louis XIII. & de
Louis le Grands toutes ces Entrées
font d'une peinture tres--
fine. Ils virent encore cette der--
niere dans un grand tableau qui
eft dans le grand Confiftoire , fair
par feu Mr Durand, un des plus
fameux Peintres de fon temps .
Ils remarquerent
avec plaifir la
fingularité des habits qui fe trou
vent dans les entrées peintes
dans les anciens regiftres. Ils
trouvérent que ces registres és
toient de tres-beaux monumens 、·
& louérent la vigilance des Ca
GALANT. 287
picouls qui ont confervé depuis
fi longtemps un ufage fi louable
& fi glorieux pour la Ville de
Touloufe. Ils pafférent enfuite
dansles Galeries & dans les Sales
dont ils admirérent la beauté &
la grandeur , & où l'on voit en
tableaux les entrées de plufieurs
Rois On y trouve auffi les portraits
des Capitouls qui ont droit .
de tableau. Ils lurent quelquesunes
des Infcriptions qui font au
pied des figures des hommes illuftres
de Touloufe . Ils admirerent
la belle Perspective qui eft
au bout de la troifiéme galerie
qui reprefentela fondation d'Ancyre
par les Touloufains , & enremarquérent
les beautez d'une
maniére qui fit voir qu'ils en parlbient
avec connoiffance. Ils de
288 } MERCURE
mandérent le nom du Peintre
qui a fait ce bel ouvrage , & s'il
eftoit mort : On leur dit que non ,
& que ce chef- d'oeuvre eftoit de
Mr Rivals .
Le Sonnet qui fuit regardant
la Galerie de l'Hôtel de Ville ,
doit eftre lû avant que Meffei
gneurs les Princes partent de cet
Hôtel .
TOULOUSE
OFFRANT A MESSEIGNEURS
LES PRINCES
Des places diftinguées dans la
Galerie des Hommes illuftres
CA de fon Capitole .
C
Eux dont je porte la parole ,
Princes, qui me comblez-d'honneurs
Ce
GALANT 289
Ce font mes Rois dont la valeur
Brilla de l'un à l'autre Pole.
Je fuis la * Rome de la Gaule
Celle duTibre en fa fplendeur
Me nommoitfon illuftre Soeur;
Fay comme elle mon Capitole .
$
Voftre merite & voftre Sang
Vous y feront tenir un rang
Conforme à votre caractere
S
Et LOUIS au deffus de tous
Verra prés de vous voftre Pere,
Et tous les Cefars avec vous,
* Toulouſe a efté nommée la
Rome dela Garonne; & l'ancienne
Rome la faifoit traiter de Saur
par fes Dêputez ,
Meffeigneurt les Princes dînerent
à leur retour de l'Hoftel
Mars
1701.
Bb
290 MERCUR E
2
de Ville , & virent enfuite ,
comme ils l'avoient fouhaité ,
paffer en reveue les Compagnies
des Marchands . Mr le Comte de
Broglio & M fon Fils prirent
eux-mêmes le foin de les faire
mettre en bataille dans la premiere
cour de l'Archevêché ;
aprés quoy ces Princes eftant
defcendus avec M le Maréchal
de Noailles , & une nombreuſe
fuite de perfonnes de diftinction ,
les quatre Compagnies pafferent
dans la feconde cour. Mr Barravi
, Capitoul d'Epée , eftoit à la
tefte. Aprés luy venoit le major
des marchands , fuivi des deux
premieres Compagnies , aprés
Tefquelles eftoit aufli Mr d'Encaufe
, Capiroul d'Epée , fuivi
du refte de la troupe, de laquelle
GALANT 291
Meffeigneurs les Princes parugent
tres -fatisfaits .
La reveuë faite , les deux dernieres
Compagnies monterent la
Garde à la porte de l'Archevêché
, & releverent les deux premieres
, fous les ordres d'un Colonel
Capitoul , & du major de
la Ville.
Meffeigneurs les Princes allerent
l'aprêdînée à laChartreufe,
On les reçut dans l'Eglife , & le
prieur fit la Priere pour le Roy.
Cette Eglife eft tres - belle Meffeigneurs
les Princes vifiterent
toute la maifon , qu'ils trouverent
tres-belle . Le Cloiftre leur
fit plaifir à voir à caufe de fa longueur.
Ils entrerent dans la cellule
du Pere Prieur & dans fon
jardin , qui eſtoit tout rempli
Bb ij
292 MERCURE
d'Orangers , & au bout duquel il
y a une Orangerie . Ces Peres
leur donnerent une tres- belle
colation dans leur Refectoire .
Meffeigneurs les Princes y mangerent
peu , & leur fuite en fut
regalée . Ils allérent de là au
Moulin nommé du Bazacle. On
voit en ce lieu - là les Moulins que
la Garonne fait tourner , eftant
retenue par une digue courte ,
& qui eft tres -forte. Il y a feize
Moulins qui vont toûjours fans
qu'on entende aucun bruit de
roue ny de meule , on n'y entend
même aucun bruit. Meffeigneurs
les Princes virent deſcendre trois
Bateaux par le Pas de la navigation
, qui eft le long de la chauffée
prés du Bazacle . Ces Bateaux
defcendent avec une viteffe prodigieuſe
, & on les croit engſouGALANT:
293
tis lorfqu'ils font au pied du pen
chant , parce que la rapidité de
l'eau y forme de gros bouillons
d'écume qui s'élèvent plus de fix
pieds pardeffus , qui font faire
auxBateaux qui donnent contre ,
un mouvement extraordinaire ;
ainfi il faut empêcher que la
pointe du Bateau n'entré dans
l'eau. Les hommes qui font
dedans en font tout couverts ;
mais cela paffe ſi vîte que l'eau
ne leur fait aucun mal .
On alla enfuite à Noftre- Da
me de la Daurade , qui eft une
Eglife de Benedictins fi ancienne,
qu'elle a fervi autrefois de Temple
à Apollón. L'image de la
Vierge , qui eft dans cette Egli
fe , fait le fujet de la pieté ,. &
de la devotion de tous les
peu-
Bb iij
294 MERCURE
loun
ples de la Province . On croit
qu'elle eft une de celles qui ont
ofté faites par S. Luc , qui eftoit
Peintre & Sculpteur. Meffei
gneurs les Princes ne rentrerent
chez eux qu'à la nuit.
Le lendemain 18. ils allerent :
avant neuf heures à la Meffe à.
l'Eglife Metropolitaine de faint
Eftienne , où M l'Archevêque ,
accompagné de fon Chapitre en
furplis , leur prefenta l'eau benite
, & les conduifit au Choeur.
Ils voulurent que M Giller ,
Maiftre de Mufique de cette Cas
thedrale , dont la mufique avoit
déja eu le bonheur de leur plaire
, fift chanter pendant la Meſſe .
Il eut avant leur départ des mar
ques de leurs liberalitez . M²
Archevêque les accompagna
GALANT. 295
en fortant , fuivi de tous les Evêques
fes fuffragans , & de tout
fon Clergé. Ils monterent en carroffe
, & partirent en même
remps. Toutes les rues par lef
quelles ils pafferent jufqu'à la
porte de la Ville , eftoient tenduës
de tres -belles tapifferies .
Is trouverent les Arts & Métiers
, & la Bourgeoifie fous les
armes , formant une hayejufqu'à
la porte du Château Narbonnois
par où ils fortirent . Les Capr
touls s'y eftoient rendus avec une
grande troupe d'autres Capitouls
à la tête de la Compagnie du
Guet , ils eurent l'honneur d'y
faire la reverence à Meffeigneurs
les Princes. Ils pafferent dans la
belle & grande rue du Fauxbourg
faint Michel & leur paffage
Bb iiij
>
296 MERCURE
jufqu'à une lieuë au - delà de la
Ville , fe trouva bordé d'une
foule prodigieufe de gens de divers
états, qui faifoient des voeux :
pour leur profperité , & pour
T'heureux fuccés de leur voyage.
Lemême canon qui avoit tiré à
leur entrée fit plufieurs déchar
ges
à leur fortie. Pendant les trois
jours que ces Princes ontféjourné
à Touloufe , il y a eur à l'Archevêché
un concours extraor➡1
dinaire pour les voir , & chacun
cherchoit des habitudes pour s'y
faire introduire, On fut obligé
de faire un Amphiteatre autour
de la grande falle où ils mangeoient
, & les places y eftoient
prifes cinq & fix heures avant !
celle de leurs repas . On avoit
foin de s'informer où ils devoient
GALANT 297
où il y
aller , afin de s'y rendre , & de
fe trouver fur leur route ,
avoit toûjours tant de monde
qu'on avoit de la peine à y trouver
place. On ne peut
peut faire pa
roiftre plus de joye , qu'en ont
témoigné les Touloufains en cette
occafion , & jamais l'amour
& la tendreffe des Sujets pour
leur Prince , n'a plus éclaté que
dans les heureux jours que les
habitans de Touloufe ont eu
l'honneur d'avoir dans leur Ville
Monfeigneur le Duc de Bourgogne
, & Monfeigneur le Duc de
Berry. Toutes les boutiques y
ont efté fermées pendant tout le
temps qu'ils y ont demeuré .
"
Toute la Nobleffe de la Province
fe feroit affemblée , pour
venir en corps , mais celle de
.
298 MERCURE
Toulouſe feule eut cet avantage
Mr leMaréchal de Noailles ayant
mandé que Monfeigneur le Duc
de Bourgogne ne vouloit pas que
la Nobleffe montat à cheval , ni
qu'elle fe rendit à Toulouſe de
tous les endroits de la Province .
de forte que Mr le Comte de
Broglio , & Mr de Baville qui allérent
à l'entrée de cette Province
recevoir Meffeigneurs les Princes,
ne furent accompagnez que
des Gentilshommes qui font leur
fejour à Toulouſe .
Voici l'ouvrage dont j'ay remis
à vous faire part à la fin de
cet article , pour n'en pas interrompre
la fuite . Il eft du Pere
Courties , Preftre de la Doctrine
Chrétienne , & Profeffeur de
Rhetorique dans le premier College
de Toulouſe .
GALANT 299
1
EGLOGUE,
A
MESSEIGNEUR S
LES PRINCES.
DAPHNI S.
cbtaux , Berger,
Honneur
de nos coraux ,
dont la mufette
Parfes accords harmonieux
Efface les airs glorieux ,
Que pouffe avec éclat la brüiante
trompette .
Quitte promptement tes hameaux ,
Et viens de deux jeunes Heros
Celebrerla naiffante Hiftoire ;
Parle de l'éclat de leur gloire.
390 MERCURE
Eft- il aprés nos Dieux de fujet fi
charmant.
Qui t'occupe plus noblement ?
Aminte .
Berger , les plus beaux airs de nos
tendres mufettes
<
Ne peuvent qu'affoiblir l'éclat de
leurgrandeur.
Que nos languesfoient muettes ,
Laiffons parler noftre coeur.
Daphnis .
Chaque état à Penvi fera briller
fa joye ,
Aux yeux de ces Heros que
nous envoye ,
le Ciel
Et fealsnousfufpendrons nos voix ?
Aminte .
Ah ! depuis leur départ , déja plus
de cent fois
Des difcours importuns ont frappé
leurs oreilles.
GALANT. 200
Dans ce bois écarté celebrons leurs
merveilles ,
Pourquoi les fatiguer par le bruit
de nos airs ?
Aminte
Daphnis.
ignores-tu qu'aux rives
de la Seine ,
Aimant de nos Bergers les ruftiques
concerts ,
Ces jeunes Demi - Dieux écouterent
fans peine
Le chant qu'à ces Bergers la joye
avoit dicté?
Aminte.
Oui , je le fçais Daphnis , leurfacile
bonté
Leur fit de ces Bergers remarquer
L'allegreffe.
O ciel ! quel comble de bonheur !
De ces mêmes Bergers nous avons
la tendreffe's
302 MERCURE
Mais comment nous flater d'avoir be
mème honneur?
Daphnis .
Ainfi donc dans nos coeurs renfermant
noftre zele
Nousferonsfeuls témoins de noftre ardeur
fidelle ?
Aminte.
Berger , contentons - nous d'aprendre à
nos échos
A repeter le nom de nosjeunes Heros .
Pourparler dignement de l'éclat de
leurgloire ,
Ilfaudroit emprunter les auguftes accens.
Du Chantre dont jadis on nous contoit
l'hiftoire
Qui par lesfons raviffans.
Que formoient fes flutes champètres
[ leshètres.
Surles pas glorieuxfaiſait danſer
GALANT.0303
Daphnis.
Du moins que du beau nomdes Neveux
de Louis
Dans le fecret des bois nous foions
réjouis.
Excitons des échos les voix retentiffantes.
Vous qui faites l'objet de nos vaux
les plus doux,
Ah! Princes, que ne pouvez- vous
Animer par vos yeux nos chanfons
innocentes !
Aminte.
Sortez de vos hameaux & marchez
fur nos pas.
Bergers , de ce beau jour goûtez tous
les appas
Je fens qu'un nouveau feubors de moi
me transporte s
Etbien que ma voixfoitpeuforte,
Je vais mêler le nom de nos jeunes
Heros
304 MERCURE
Aux accords de mes chalumeaux.
- Quelle gloire, ô Ciel, fe prefente !
Berger, ce beau nom que je chante,
Souvent dans mes airs répeté
Va conduire le mien à l'immortalité.
Heros , que l'univers admire , -
Princes, noftre tendre amour,
A vous louer tourconfpire ,
Nos bocages comme la Cour.
Déja dans ces vaftes contrées-
Parvos noblespas illuftreées .
On voit briller l'éclat de vos hautes
vertus ,:
Et toutes ces grandeurs qu'à votre
Ayeul illuftre
Nousvoion'sdonnertant de luftre,
L'Univers ébloui vous en voit revêtus.
Cette foifde la belle gloire
Qui dés vos premiers ans embrafa
voftre coeur,
GALANT. 305
Sous les ailes de la victoire,
Montrera des Bourbons l'heroique
valeur. A
Sur les veftiges refpectables
Dedeux Heros incomparables
Brilleront vos exploits fameux.
Vous que les plus beaux traits ne
peuvent affezpeindre ',
Invincible Louis , qui pourroit vous
atteindre
Si le ciel propice à nos voeux
Ne vous euft donné des Neveux?
Jeunes Heros , fi pour victoire
Vous comptez cette noble gloire
Defçavoirconquerir les coeurs,
L'éclat de vos vertus , voftre heroïque
audace ,
Voftre air majestueux efface
Les exploits glorieux des plus fameux
vainqueurs.
Maisjufqu'où mon zele m'engage?
Cc
Mars
1701.
306 MERCURE
Prenons un plus noble langage.
A vosyeux , à votre abordfeat
Et du pere , & de l'ageul
Princes , nous retrouvons l'image.
Tel cet aftre brillant qui ramene te:
jour
Vientfe peindre tour à tour
Surla glace d'une nuë :
Et foudain noftre foible vûë ,
Confond fon portrait avec lui.
Daphnis.
Berger, quels nobles airs ta voixforme
aujourd'hui!
Ah! daigne repeterces chanfons immortelles
;
De tes concerts échos fidelles
Nous les redirons mille fois,
Peuples , que votre ardeur à la notre
reponde :
Deja nous animons nos flutes , nos
bautbois ,
GALANT . 307
Que les Heros formez pour le bon
heur du monde
Soient chantez par toutes les voix.
Et vous jeunes Heros , delices de la
France ,
De vos Palais brillans ecoutez nos
concerts.
Je fais que vos vertus au deffus de
nos airs
Perdent entre nos mains de leur magnificence
;
Mais s'ilfaloit les égaler ,
Princes , qui pourroit enparler?
Il faut vous parler du Baller
auquel cette Eglogue fervoit de
Prelude. La compofition de la
Mufique eftoit de M² Aphroidize
:
Cc ij
308 MERCURE
LES
BERGERS HEUREUX,
BALLET .
PREMIERE PARTIE..
pour
E Theatre reprefentoit un
Bocage , où les Bergers
de
la Garonne s'eftoient affemblez
faire retentir mille concerts
à la gloire des Princes Auguftes
qui faifoient le fujet de leur joye,
Plufieurs Peuples s'eftant joints
à eux , il y parut des Bergers Elpagnols
qui vinrent rendre graces
au Roy de la bonté avec laquelle
il leur a donné un de fes
Petit-fils pour Roy. Ils mêlerent
les éloges de leur Monarque avec
ceux de tous nos Princes . On y
GALANT 309 :
vit encore des Bergers de la Seine
qui vinrent au devant des
jeunes Heros , & joignirent leurs
concerts à ceux des autres Bergers
.
Premier Recit.
L'ouverture du Theatre fe fit ,
par un Recit qui contenoit le fujet
de la joye qui brilloit dans
tous les yeux. Ce recit fut ter .
miné par unconcert de plufieurs
Divinitez .
Premiere entrée.
Troupe de Bergers François .
Second recit.
Plufieurs Bergers s'entretinrent
des vertus heroïques des
deux jeunes Princes . Ils firent
voir que ces jeunes Heros eftant
nez du plus beau fang du monde ,
avoient eu en naiffant des avantages
qui font les Princes les plus
accomplis.
300 MERCURE
Seconde entrée...
Troupe de Bergers Efpagnols.
Troifiéme recit.
Dans ce recit on parla du bonheur
de Toulouſe, de voir dans
l'enceinte de fes murs des Prin
cés qui feront un jour l'admiration
des Nations Errangeres , &
la felicité de cet Empire : dubonheur
de l'Efpagne,devenue enfin
l'Empire des Bourbons , de celuy
de l'Europe calmée par la fageffe
d'un Prince qui n'a annoncé la¨
Paix que par la voix de la victoire
.
Troifiéme entrée.
Nouvelle Troupe de Bergers
SECONDE PARTIE.
Premier recit.
Les Bergers du Tage parurent
effrayez par le bruit d'une nou
GALANT.
zir
velle guerre qui les menaçoit .
Leurs malheurs paffez fe retracérent
à leurs yeux ; mais les exploits
& la force invincible d'un
Roy qui combatra fous les aufpices
de Louis , les raffurérent .
Premiere entrée .
Troupe de Combatans .
Second recit..
Les Bergers de la Garonne
raffurérent ceux du Tage. Ils ne
parlérent que de jeux ; & ne purent
fouffrir que dans des jours
que les Princes rendoient fi celebres
, on s'entretinft d'une
vaine crainte. Ce recit fut terminé
par des chants d'allegreffe .
Seconde entrée.
Troupe de Divinitez .
Champêtres
Troifiéme recit.
Les grands exploits de Louis
212 MERCURE
furent le fujet de ce recit. Les
Bergers du Tage firent voir par
la comparaifon de ce qu'a fait
ce Monarque , ce qu'il pourra
faire . Ils trouvérent dans nos
jeunes Princes autant de Mars
invincibles.
Troisième entrée.
Le Dieu Faune danfe feul .
TROISIEME PARTIE.
Premierrecit.
Les Bergers de la Seine firent
éclater leur joye voyant que les
Princes précipitoient leur marche
, pour rejoindre les Heros
dont la prefence fait leur bonheur.
Premiere enrrée .
Troupe de Bergers de la Seine ,
& de la Garone.
Second
GALANT.
313
Second recit
Dans ce recit on vit les Bergers
de la Seine & du Tage s'unir
pour celebrer , tantoft les
grandeurs du Roy , tantoft celles
de tous les autres Princes Ils fe
joignirent pour fuivre de concert
nos jeunes Heros ,
Seconde entrée.
Troupe de Bergers de la Garone,
& du Tage.
Troifiéme & dernierrecit.
Le départ des Princes affligeant
les Bergers de la Garonne , ils
projettoient de les fuivre , & de
faire retentir toutes les Campagnes
du bruit des concerts qu'ils
formoient à leur gloire. Ils finirent
enfin par lesvoeux que leur
inſpira leur zele .
Mars 1701. Dd
314 MERCURE
Derniere entrée.
Troupe de Bergers de la Seine ,
de la Garonne & du Tage.
Le premier Compliment fut
fait par le jeune Mide Pujol , de
Toulouſe & le fecond par le
jeune Mr du Faur , Baron de S.
Jori , Comte de Bieulel , auffi
de Toulouſe.al ob
La College finit cette Feſte
par une illumination tres - belle ,
& par un Feu d'artifice.
Je croyois avoir fini l'article de
Toulouſe ; mais il faut encore
vous dire que les quatre fontaines
de vin , dont je vous ay déja
parlé , ont coulé pendant tout le
temps que Meffeigneurs les Princes
y ont demeuré , & qu'il y
avoit des ornemens d'Architec
GALANT.
315
ture à toutes ces fontaines , &
des figures de relief.
Mr le Comte de Broglio , & M
de Baville curent de la peine à
moderer le zele des Habitans ,
qui croyant le faire encore mieux
paroiftre par leur dépence que
par leurs acclamations , & les
tranfports de leur joye , en au
roient fait beaucoup davantage ,
fice Comte & cet Intendant
n'avoient cru felon leur pruden
ce ordinaire , qu'il eftoit à propos
d'y mettre des bornes .
Jamais Ville ne s'eft plus diftinguée
par les Illuminations ,
Outre celles qui ont efté faites
aux dépens de la Ville , & celles
de l'Archevêché , plufieurs per
fonnes de marque en firert faire
qui allongeroient trop cetarticle
Dd ij
316 MERCURES
fi j'entreprenois de les décrire .
On compte parmi ceux qui fe
font le plus diftinguez , M le
Prefident Riquet , M¹ l'Avocat
General Bartier , M Mazuyer
Procureur General , Mr Chaluer
Senechal & M le Marquis de
Lanta . Mr le Préfident Riquet
fit couler deux fontaines de vin
aux deux côtez de fon logis. Les
Jefuites allumerent fur la grande
tour de leur College une piramide
exagone , où il il y avoit prés
de quatre cent pots à feu , & firent
tirer outre cela quantité d'artifice.
Les autres maifons qu'ils ont
à Touloufe fe diftinguerent auffi .
Les Prelats qui ont feconde Mr
l'Archevêque de Toulouſe à fai- á
re les honneurs font , Mr Archevêque
d'Alby & Mrs les EvêGALANT.
317
ques de Mirepoix , de Montau
ban , de Commenge & de Lectoure
.
Ce furent Mrs de Arrieu
Avocat ; & de Roiax Capitouls
qui eurent l'honneur de prefenter
à Monfeigneur le Duc de Bourgogne
& à Monfeigneur le Duc
de Berry , féparement , les prefens
de la Ville .
On nepeut rien ajouter aux marques
de fatisfaction que les Prin- .
ces ont donnée de la reception
qui leur a efté faite à Toulouse:
ils ont fait l'honneur aux femmes
de diftinction qui font venues les
voir manger , de les faire affeoir ,
& ces manieres honnêtes , ont
charmé ils firent , avant que
de partir , diftribuer beaucoup
daumones , aux Hôpitaux &
Dd iij
318 MERCURE
aux autres pauvres Communautez
& enfin ils fe font montrez
dignes du fang dont ils font fortis.
Ces Princes dinerent le 18. à
Donneville , & en paffant à Caftauret
, on trouva l'entrées du
Bourg tendue , avec une fontaine
de vin d'un côté , & des violons
de l'autre , les habitans eftoient
fous les armes , & il y avoit un ily
homme au milieu , qui préfentà
deux bonnets à Monfeigneur le
Duc de Bourgogne dont l'un
eftoit de nuit , & qui dit à ce
Prince que quand Sa Majefte y
avoit paffé , elle avoit bien vou
en recevoir. Tout eft confiderable
lorfqu'il s'agit de manufactul.
res ; ce font des fources de ri .
cheffes pour un Eſtat, bo ub
GALANT. 319
On arriva le foir à Ville- Fran
che de l'Auragais où l'on trouva
tous les habitans fous les armes.
Le 19. Meffeigneurs les Princes
aprés avoir entendu la Meſſe à
l'Eglife parroiffiale de Ville-
Franche partirent fur les dix
heures du matin pour Caftelnaudarry
, Ville capitale du Païs de
Laurageois , à moitié chemin entre
le Bourg d'Avigonet , & la
Baffide d'Anjou. Ils defcendirent
de caroffe , & monterent à cheval
accompagnez de Mrde Baville ,
pour voir le Baflin de Naurouze
, où eft le point de partage du
Canal Royal , qui est tout revêtu
de pierres de taille & reçoit
les eaux de la rigole de la montague
noire d'où elles fe diftribuent
du côté de l'Ocean , & de la Me
Dd iiij
320 MERCURE
diterranée , & où elles viennent
de la montagne raffemblées auparavant
, dans le refervoir de
faint Feriol qui contient plus de
cent cinquanteromille
muids
d'eau..
Meffeigneurs les Princes aprés.
avoir admiré ces grands ouvra~
ges , remonterent en carroffe ar
riverent à Caftelnaudarry fur les
trois heures aprés midy , où ils
furent reçus , & haranguez à la
Porte de la Ville par les Coufuls,
qui furent prefentez par Mr Defgranges
Mr Daffier premier
Conful porta la parole . Ils fu
rent enfuite conduits au milieú
d'une double haye de Bourgeois
fous les armes , au bruit des Tam
bours & des Trompettes , & au
fon de toutes les cloches de la
GALANT . 32F
Ville à la maifon de Mr Serignol,
Lieutenant Criminel en la Sene--
chauffée de Laurageois & Siege
Préfidial de Caftelnaudarry , qui
avoit efté préparée pour le logement
de Monfeigneur le Duc
de Bourgogne. Toutes les feneftres
par - devant lefquelles on
paffa eftant garnies de Dames
& d'un grand nombre d'Etran
gers. Mr de Serignol reçur Meſfeigneurs
les Princes à la porte
de fon logis & les conduifit dans
l'appartement où le Roy avoit
loge deux fois
dans le temps de
fon mariage , en 1659 & 1660,
& le feu Roy Louis XIII . pendant
quinze jours en 1633. durant
la vie de Jean & d'Yves de
Serignola , Pere & Aveul de Mr
de Se ignol ce qui leur fit beau322
MERCURE
coup de plaifir , comme auffi
d'aprendre que cet Yves de Serignol
avoit maintenu la Ville
deCaftelnaudarry fous l'obéiffan
ce du Roy contre le Duc de
Montmorency qui ayant efté
bleffé & pris à la journée de
Caftelnaudarry fut porté fur une
échelle á la maifon du même
Yves de Serignol , Lieutenant
Criminel
. ok
Demi-heure aprés , Mr Def
granges leur prefenta les Officiers
du Prefidial , qui eurent
l'honneur de les haranguer. Mr
Ducup , Juge Mage , porta la
parole avec fuccés , en l'abfence
de Mr Ferrand , Prefident, qui
eftoit indifpofé . Les Confuls leur
offrirent enfuite les prefens de la
Ville , qui confiftoient en plu-
སྙམ་
GALANT.
323
7 feurs bouteilles de vin vieux
rouge, & de vin blanc , en flam
beaux de cire blanche , & en
bougies . Ils en prefenterent enfuite
à Mrle Maréchal de Noailles.
Cependant il coula toujours
une fontaine de vin à la Place
publique de Saint Michel , à côté
de la porte de l'Hoftel de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne .
Meffeigneurs les Princes s'enfermerent
enfuite dans leur
grand Cabinet
& écrivirent
jufques à fix heures , qu'ils fe
mirent au jeu. Ils fouperent en
public , & fe mirent à table à
huit heures. Si toute la Ville
avoit pû tenir dans le lieu où ils
mangerent , toute la Ville auroit
eu l'avantage de les voirfouper.
M l'Evêque de Saint Papoul ,
324 MERCURE
?
qui eftoit venu à Caftelnaudarry
exprés pour avoir l'honneur de
les faluer , donna ce foir - là un
-magnifique fouper à M¹ le Duc
de Noailles . Cet Evêque tint
trois tables , & M de Baville 48
deux . Tous les Seigneurs mangerent
à ces tables , qui furent
fervies magnifiquement
Il y eut le foir de grandes Illu
minations à toutes les fencftres ,
& des feux dans toutes les rues ,
& l'Artillerie fe fit entendre ,
comme elle avoit fait à l'arrivée
de Meffeigneurs les Princes .
Monfeigneur le Duc de Berry
quitta Monfeigneur le Duc de
Bourgogne fur les dix heures , &
alla chezM Ducup , Juge Mage,
où avoit autrefois logé la feuë
Reine- mere , & où ce Prince
GALANT.
3 ན་
coucha . Il fe rendit le lendemain
fur les huit heures du matin
, à l'appartement de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne ,
d'où ces Princes allerent à pied
à l'Eglife Paroiffiale & Collegiale
de Saint Michel . Mr l'Evêque
de Saint Papoul les reçut en habits
Pontificaux à la tefte de fon
Clergé , qui eftoit en Chappes ,
& leur fit un compliment qui reçut
de grands applaudiffemens .
L'Eglife eftoit tenduë de riches
tapifferies , stop
Meffeigneurs les Princes monterent
en caroffe à la porte de.
l'Eglife , & partirent pour Carcaffonne
. Tous les habitans étoient
fous les armes, & en haye
comme le jour précédent . Les
acclamations du Public furent
336 MERCURE
grandes , & il donna mille bene
dictions aux Princes qu'il vit
partir . Toute l'artillerie fit en
core une décharge après leur
départ pour les falüer . On dîna
à Alfone , & on arriva à Carcaffonne
fur les trois heures aprés
midy. Quelques Lettres
perduës m'empêchent de vous
donner le détail de la reception
qui leur fut faite en y arrivant.
Je vous le donnerai quand j'en
ferai informé , afin de fuivre le
plan que je me fuis propofé , &
que j'ai déja heureuſement fuivi
, qui eft de donner dans les
Lettres fuivantes ce qui a manqué
dans les précédentes. De
cette maniere , rien une vous
manquera de ce qui regarde ce
qui s'eft paffé dans la route de
GALANT. 327
Meffeigneurs les Princes . Ils
logerent à l'Archevêché . On y
laiffa auffi-bien qu'à Touloufe
le lit que M¹ l'Evêque avoit fair
préparer. Il étoit de velours
cramoify , orné de franges , de
galons & de crépines d'or il y
en avoit aux pentes , aux foubatfemens
, & aux bonnes graces .
Le lendemain 21. Meffeigneurs
les Princes entendirent la Meffe
dans l'Eglife de Saint Vincent ,
où M Gayraud qui en eft Curé
n'avoit rien oublié de tout ce
qui regardoit fes foins pour les
bien recevoir,
Ils allerent voir l'aprêdinée la
Manufacture des Draps qui eft
au-delà du Pont , & que le Roy a
êtablie pour les Pays du Levant .
Les draps qu'on y voit font fort
#28 MERCURE
+
fins & fort beaux . On eft furpris
de voir dans le lieu où eft cette
Manufacture , huit ou neuf cens
perfonnes , toutes differemment
occupées . Les unes filent la laine
, d'autres la dévident , d'au
tres pouſſent la navette & conftruilent
le drap . On voit encore
d'autres Ouvriers dans le bas
qui pilent la Cochenille , & les
drogues pour les teintures . On
remarque plus loin differentes
chaudieres avec des fourneaux
pour teindre . On tond les draps
d'un autre cofté avec de longues
& pefantes forces ; d'autres avec
de larges broffes font coucher le
poil ; d'autres plient le drap , &
le mettent fous de grandes preffes.
Meffeigneurs les Princes virent
teindre deux pieces de drap¹
GALANT.
329
de foixante aunes chacune , en
moins d'une demi -heure , Lune
en écarlate , & l'autre en couleur
de rofe. Ils prirent beaucoup
de plaifir à voir toutes ces
chofes , qu'ils examinerent avec
une fpirituelle & prudente attention
,
Le lendemain 22. Mr Gayraud,
Curé de Saint Vincent , fit prefent
à Monfeigneur le Duc de
Bourgogne d'une Statue équeftre
, reprefentant le Roy tel
qu'il eftoit dans fa jeuneffe. Cet
ouvrage eft d'Ivoire , d'une feule
piece , & a plus de cinq pouces
de hauteur , fans y comprendre
la Couronne, qui fe fepare,auffi
bien que le Sceptre & l'épée ,
le tout travaillé avec une délicatelle
furprenante , & pofé fur un
Mars 1701. Ee
330 MERCURE
piedestal d'ébene de trois pouces
& demi , fur la face duquel font
les Armes de France , auffi d' Ivoire
, le piedestal fuporté par
aquatre boules à côtes de melon ,
d'ivoire . Ml'Evêque de Carcaffone
qui avoit jugé cette piece
digne d'eftre prefentée à Monfeigneur
le Duc de Bourgogne luy
Sen ayant parlé à fon arrivée , ce
Prince témoigna qu'il la recevroit
avec plaifir , ce qui fe paffa
en cette forte . Mr le Maréchal
Duc de Noailles qui en eftoit informéeftantvenu
faire fes devotions
dans la même Eglife le 22 .
jour du départ , de grand matin,
nonobftant les embarras d'une
marche qui n'interrompt point
les exercices de fa pieté exem →
plaire , emmena Mr Gayraud
L
GALANT. 33
•
Pour le prefenter , & d'abord
qu'il fut dans la chambre , &
qu'il eut vu cette Statuë , il en
fut fi fatisfait qu'il dit tout haut
que cela meritoit de paroître aux
yeux de Sa Majesté . L'application
avec laquelle il examinoit
cette piece , fut caufe que plufieurs
Evêques de la Province ,
& tous les Seigneurs de la Cour
qui eftoient prefens , s'en approcherent
, & voulurent avoir le
même plaifir , qui fut fuivi d'une
approbation generale. Enfuite
Mr Gayraud fut prefenté par Mr
l'Evêque de Carcaffone , à Monfeigneur
le Duc de Bourgogne
lors qu'il fut habillé , & il ne luy
eut pas plutoft montré cette Starue
, que l'on remarqua fur le
vifage de ce Prince les fentimens
1
Ee ij
332 MERCURE
f
de joye que la vûë de cet objec
luy fit reffentir. Il les témoigna
par un fourire dont la douceur
exprimoit fon agreable furpri
`fe ', & demanda d'où venoit cet
ouvrage , à quoy Mr Gayraud
répondit qu'il avoit efté fait par
un Seigneur Allemand , qui re
s'occupoit qu'à travailler pour
le Roy de France & pour la Famille
Royale. Monfeigneur le
Duc de Bourgogne l'ayant confideré
avec une attention fun--
guliere , demanda s'il n'y avoit
pas une boëte pour conferver ce
chef-d'oeuvre , afin de le porter -
à Versailles , fans danger ; on y
avoit pourvû , & un jeune garçon
, neveu de Mr Gayraud parut
. I en tenoit une , qui n'étoit
pas riche , mais dont l'orne
GALANT.3437
7
ment diftingué par fa nouveauté
fit dire qu'elle eftoit fort propre
& fort galante ; voicy à peu prés
fa defcription . Elle eftoit en
quarré long. Au deffus du cou
vercle parmi l'ouvrage qui lornoit
, deux offeaux tenoient de
leur bec un rouleau dans lequel
on lifoit ces vers :
Eloigne de Louis , durant un long
voyage F
Confolez- vous Grand Prince , en
voyant fon image
Ce couvercle attaché par derriere
: eftant ouvert , on y découvroit
les Armes de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne dans une
guirlande tres - mignonne , & qui
faifoit un effet affez agreable ; &
à l'entour , on lifoit ces quatre
verst
334 MERCURE
Quelle gloire pour vous , qui par un
noble zelently in
Imitez les vertus de vostre auguste
Ayeul!
Entre tous les Heros , Grand Prince ,
il est le seul , 159
ban
Que l'on doit regarder comme unparfait
modele
Il y avoit un ſecond couvercle
dans la boëte , pour tenir la ſtatuë
en fujétion fur du coton ,
eouvert d'un damas blanc. Au
milieu de ce couvercle orné com--
me l'autre , on voyoit ce Sixain ,
mis exprés en termes François &
Languedociens , que la feufe prononciation
diftingue...
Monfeigneur , un humble Sujet
Vous donne de votre Grand Pere
La Statue, & le vray Portrait ,
En Cavalier d'ivoire net ,
2014
GALANT.
335
D'une ame loyale & fincere
Et pleine d'un profond respect.
De l'autre çofté , à fon ouverture
, pareil ornement , & au dedans
, ces vers Latins , de la compofition
de M¹ Gayraud , ils donnent
une idée affez jufte de la
Staruë
DOSERENISSIMO PRINCIPI
LUDOVICO BORBONIO ,
Supremo Burgundiæ Duci .
Borbonidum foboles , patrij ſpes
altera Sceptri
Arte laboratam vigili , folido ex ele
at phanto , st, and somet
Regis Avi effigiem , regno advenientis
, equeftrem ,›
36 MERCURE
Qualis eratprimis , vultuque habituque
fub annis ,
Sume , favens animo quo fervus humillimus
offert
On s'entretint affez longtemps
de ce prefent , & on en admira
les beautez . On donna même
quelques louanges aux Vers , &
à la boëte. Enfin Monfeigneur le
Dae de Bourgogne ayant dit à
Mr le Maréchal de Noailles qu'il
falloit en avoir grand foin , fa
Statue fut renfermée , & mife
entre les mains des Officiers de
la Garderobe. Ainfi Mt Gayratd
fe retira tres -fatisfait d'avoir vu
accepter fon preſent avec un
plaifir proportionné au zele quiz
Favoit ports à l'offrir.
Le même jour , Meffeigneurs .
les
GALANT. 327
C
les Princes entendirent la Meffe
aux Cordeliers , & partirent enfuite
pour aller à Marfeille . Ils
monterent à cheval au Bourg de
Trevifi, pour aller voir le Pont de
Trebes, lur lequel paſſe le canal ,
qui eft tres - beau & fort bien
bafti. La Vode paffe au deffous .
Ils arriverent à quatre heures.à
la petite ville d'Arzille , éloignée,
du grand chemin d'une demifieuë
, Le Maitre du logis où
Meffeigneurs les Princes logerent
, fit couler une fontaine de
vin mufcat devant fa porte. Pour
arriver en ce lieu on avoit tou
jours marché entre les Pirenées:
& le commencement des Alpes ,
qu'on nomme les Montagnes-
Noires. Elles eftoient à droite &
à gauche couvertes de neges. La
Mars 1701.
Ff
338 MERCURE
campagne eftoit remplie d'Oliviers
, de Grenadiers , d'Amandiers
, de Mirthes & de Chefnes
verts. Le chemin eftoit beau &
facile , & la poudre s'élevoit
fous les pieds comme en plein
Efté
Meffeigneurs les Princes partirent
d'Arzille le lendemain 23 .
d'affez bonne heure , pour fe
trouver à neuf heures du matin
fur les bords du Canal du Pont
d'Oignon , où Mr le Prefident de
Riquet , qui s'y eftoit rendu , les
attendoit avec une petite Flote
qu'il avoit fait préparer à Touloufe
, & conduire en ce lieu- là ,
afin qu'ils s'y embarquaſſent avec
toute leur fuite . Il avoit bien
prévû qu'ils ne pafferoient point
dans la Province fans y voir un
GALANT. 339
ouvrage digne du fiecle de Louis
le Grand. Ila efté fait par fes
ordres , executé par les foins de
feu M Riquet , Pere de ce Prefident
, dont l'experience eftoit
grande pour ces fortes de chofes , .
& mis en fa perfection par Mrfon
Fils , qui eft celuy qui avoit fait
conftruire la petite Flote dont il
s'agin Elle confiftoit en fept
Barques. La premiere qui eftoit
deftinée pour porter Meffei
gneurs les Princes eftoit peinte
en dehors , & tapiffée au dedans
depuis le haut juſqu'au bas , ainfi
que le plafond , d'un tres - beau
Damas cramoify , avec des nates,
& des crêpines d'argent en for
me de feftons à tous les endroits
neceffaires. Il y avoit deux
grands fauteuils de même étofe ,
Ffij
340 MERCURE
& garnis de même , fix petites
chaifes & des bancs ou formes
auffi de même pour achever de
remplir les deux côtez . La Barque
eftoit percée de fix grandes
feneftres , trois de chaque cofté ,
fermées par autant de glaces d'une
feule piece , ainsi que la porte
d'entrée qui eftoit à deux battans
. Cette porte & les feneftres
eftoient garnies par dedans de
rideaux de taffetas blanc , bordez
de frange d'or , avec des cordons
& des houpes de même. La
Cheminée eftoit garnie d'un
grand miroir à bordure dorée ,
attaché au deffus . Le plancher
eftoit couvert d'un tapis de Tur
quie , & il y avoit deux tables
octogones ovales couvertes d'un
tapis de velours vert , garnies &
GALANT. 34x
3
bordées de galons & de crépines
d'argent à feftons , & huit perits
tabourets garnis de même étofe
que la Barque , pour fervir de fieges
à ceux qui auroient l'honneur
de jouer avec Meffeigneurs
les Princes . Il y avoit auſſi dans
le milieu de la même Barque
deux grands rideaux garnis du
même damas que le refte du meuble
, artachez avec de gros cordons
d'argent ayant des houpes
au bout. Ces cordons eftant tirez
pouvoient former un réduit dans
cette Barque pour Meffeigneurs
les: Princes lors quils le jugeroient
à propos . Enfin ce petit
Bâtiment eftoit fi bien conftruit
qu'au moyen de certains endroits
pratiquez aux deux bouts , toutes
les commoditez neceffaires
Ff iij
342 MERCURE
3
s'y pouvoient trouver , fans qu'on
fuft obligé d'en fortir . Il y avoit
fur la couverture un grand furtout
d'écarlate , bordé tout autour
d'une grande natte d'argent
, large de quatre doigts ,
accompagnée en haut & en bas
d'un autre galon de la largeur
d'un pouce , & l'on avoit auffi
appliqué du même galon fur toutes
les coutures du furtout . La
Poupe eftoit ornée d'un grand
Pavillon de taffetas blanc attaché
à un petit maſt azuré , ſemé
de fleurs de lis d'or , feulpée &
quatriplée Les fix autres barques
eftoient auffi tres- proprement
meublées , quoy que d'érofes
de moindre prix , ayant cha
cune fa cheminée , des chaifes ,
& des tables pour la commodité
ず
GALANT, 343
de tous ceux qui avoient l'hon
neur d'eftre de la fuite de Mef
feigneurs les Princes , Toutes ces
barques eftoient pourvues d'un
nombre fuffifant de relais pour
les traîner & pour en changer
de temps entemps Meffeigneurs
les Princes cftant defcendus
de Carroffe furent haranguez
par M Guicheus , Juge Chatelain
du Canal , aprés quoy ils
monterent dans la barque qui
leur avoit efté deftinée. Il parut
par tout ce qu'ils dirent d'obligeant
à M le President Riquet ,
qu'ils l'avoient trouvée fort à
leur gré. Les Seigneurs de leur
fuite eftant entrez en mefme
temps dans les autres barques ,
cette petite, mais fuperbe Flote,
commença à voguer aux accla
Ff iiij
244 MERCURE
mations d'un nombre infiny de
peuple qui eftoit accouru de tous
les lieux voifins de cet endroit ,
de l'un & de l'autre coté du canal
, au bruit éclatant des trom
pertes, & au fon des inftrumensde
mufique , qu'on avoit placezdans
une barque, qui fuivoit immediatement
celle de Meffeigneurs les
Princes . Ils ariverent demiheure
aprés le départ à l'éclufe double
de Pefchlautier, qu'ils voulurent
paffer fans defcendre de la barque.
Ils admirerent à la forties
les montagnes au pied defquel--
les elle eft placée , & continuant
de marcher ils arriverent demiheure
aprés à l'éclufe fimple
d'Argens , qu'ils pafferent auffi
de mefme que la precedente.
Cette éclufe eft la derniere que
ལ
GALANT 345
Fon rencontre dans cette efpece
de canal jufqu'aux huit éclufes
accolées , prés de Beziers , qu'on
appelle de Fonceranes , ce qui fait
une retenuë d'eau de huit lieuës
d'étenduë . Quelque temps aprés
avoir quitté l'éclufe d'Argens ,
on arriva aur Roc de Roubiac ,
qui eft une montagne extremement
haute , & d'un roc femblable
à du marbre , dans lequel le
canal eft taillé pendant plus de
fix-vingt toifes de toute fa lar
geur. Lors qu'on eut paffé cet
endroit , on arriva entre onze
heures & midy à ce lieu de Roubiac
, où la flote s'arrefta . Mef
feigneurs les Princes eftant fortis
de leur barque pour paffer
für une autre qui les attendoit
en cet endroit où le couvert
346 MERCURE
eftoit mis , ainfi que fur plufieurs
autres barques pour les Seigneurs
de leur fuite , Mr le Prefident
Riquet ayant donné ordre qu'on
mift en mefme temps fur table ,
il cut l'honneur de fervir Monfeigneur
le Duc de Bourgognes
pendant le ding , & Mr le Marquis
de Broglio cut celuy de fervir
Monfeigneur le Duc de Berry
, les plats eftant portez par
les gens de M Riquet . lly euc
un concert de violons pendant
tout ce repas . Les autres barques
dans lesquelles eftoient paf
fez les Seigneurs de fa fuite., fu
rent fervies à mefme temps , co
qui fut fait avec autant d'ordre.
que de promptitude , & mefme
de profufion . Il y eut auffi plu
fieurs tables dreffées fur le terGALANT.
347
rain des bords du canal , où tous
ceux qui le prefenterent furent
bien receus.
1
Meffeigneurs les Princes ayant
repaffé dans leurs barques à l'iffue
de leur dîner, & tous ceux
de leur fuite dans celle où ils
eftoient venus , on recommença
à voguer. On arriva une heure
aprés au Pont de Repudre , fur
lequel paffe l'eau du canal . Meffeigneurs
les Princes voulurent
defcendre de leur barque pour le
mieux voir, Ils admirerent la
hardieffe de ce bel ouvrage , enfuite
de quoy seftant rembarquez
& ayant marché pendant
une heure & demie , ils fe trou
verent au Pont de Ceffe, conftruit
avec trois grandes arcades fur la
Riviere de ce nom , qui eft tres !
148 MERCURE
dangereufe dans le temps de
pluye; ils defcendirent auffi pour
le voir , & fe rembarquerent
aprés l'avoir examiné deffus &
deffous. Ils continuerent leur
marche , & confidererent toutes
les beautez & toutes les difficultés
qu'il a fallu furmonter pour
ces grands ouvrages , & les trou
verent expofez dans un livre où
tous les plans eftoient deffinez .
Ce fut Mr de Baville
qui le
prefenta
à Monfeigneur le Duc de
Bourgogne Eftant enfuite arri
vez au Pont d'Arzillers , qui eft
fur le grand chemin de Beziers
traverlant le canal , ils defcendirent
de la barque pour monter
dans leurs caroffes qui les atten
doient en cet endroit pour les
porter à Capeftant , qui n'eft
GALANT. 349
qu'à une petite lieuë de ce Pont,
afin d'y arriver de bonne heure ,
& d'éviter par ce moyen un detour
de deux lieuës , qu'il y avoit
encore ààfaire
faire par le canal pour
s'y rendre
Le lendemain 24 Meffeigneurs
les Princes partirent de Čapeftant
à dix heures du matin , pour
aller à Beziers , & voulurent
bien aller à pied jufqu'au canal
pendant une distance de trois à
quatre cens pas ou environ .
Aprés qu'ils y furent arrivez , ils
fe rembarquerent comme ils avoient
fait le jour precedent ,
aux acclamations de tout le peuple
qui les avoit fuivis , en leur
donnant mille benedictions . Ils
fortirent tres-fouvent fur le tillac
de leur barque pendant cette
30 MERCURE
diſtance qui eft de trois lieuës
d'étendue , tant pour contenter
les peuples qui accouroient de
tous coftez pour les voir , que
pour admirer plufieurs vnës de
terrains admirables , qui fe rencontrent
fur cette route à
moitié chemin de laquelle eftant
arrivez à l'entrée de la montagne
appellée de Malpas , percée
en forme de voute pendant cent
toifes de longueur , fans compter
les diftances des deux bouts à
ciel ouvert , qui en ont bien autant
, fous laquelle voute palle
le canal , qui eft de quatre toifes
de largeur , avec des banquettes
de trois pieds , de chaque
cofté ,pour le paffage des gens de
pied, ou de cheval , Meffeigneurs
les Princes voulurent le paffer.
L
GALANT. 351
fans fortir de leur barque , quoy
que Mr le Prefident Riquet cuft
fait faire un cheinin exprés pour
eux à coſté de la montagne , &
qu'il y cuft fait trouver plufieurs
chaifés à porteurs pour les porter
à l'autre bout . Il fe trouva
un fi grand concours de peuple
à l'abordage de cette montagne,
que les deux coftez & tout le deffus
en eftoient couverts ; de maniere
que les hommes qui estoient
deffus , paroiffoient fi petits fur
cettegrande hauteur , qu'à peine
pouvoit-on reconnoiftre s'il y
en avoit . Meffeigneurs les Princes
furent charmez d'entendre
la
en paffant fous cette voute
multiplicité des échos qui repeles
toient confufement ce que
trompettes & les autres inftru
# 12 MERCURE
mens joüoient pendant le trajet
de cette montagne voutée, Au
fortir delà ils continuerent leur
navigation parmy les cris de vive
le Roy, & les benedictions de tout
ce grand peuple qui les accompagnoit.
Ils arriverent heureufement
aux Eclufes fonceranes
prés de Beziers , où eſtant deſcendus
ils voulurent bien aller
à pied jufqu'au bas de ces huit
Eclufes, Eftant entrez - la dans
une barque qui leur avoit efte
preparée , & qui avoit efté mife
exprés à travers le canal , ils contemplerent
affez long temps la
beauté de ces grandes cafcades ,
que les eaux du canal font en ce
precipitant du haut en bas des
plate - formes de ces huit éclu
fes, dont toutes les portes étoient
GALANT.
313
ouvertes , ce qu'ils trouverent
d'une beauté finguliere . Ils remonterent
enfuite en carroffe
pour aller à Beziers , qui eft à
peu prés à une demi - lieuë du
canal , eftant fuivis d'une foulé
incroïable de peuples qui étoient
venus de tous coftez pour avoir
le plaifir de les voir.
Beziers eft une Ville affez
agréable , bâtie fur une monta
gne. Del Efplanade on decouvre
de belles campagnes, l'Etang
de Tau , & la mer. Meffeigneurs
les Princes y arriverent à deux
heures aprés midy , & trouverent
la bourgeoifie fous les armes,
& les rues tapiffées . L'empreffement
de les voir fut grand , &
Fon ne peut rien ajoûter à la
joye des peuples , & à leurs accla
Mars 1701.
Gg
354 MERCURE
mations. On defcendit á l'Ar
chevefché , où le logement fut
trouvé tres- beau . Lorfque Melfeigneurs
les Princes y furent arrivez
, le Maire & les Efchevins
leur firent les prefens de Ville .
Il y cuts des feux devant toutes
les maifons , & chacun fe diftingua
á l'envy par des illuminations
, les unes plus belles que
les autres. 26/2018
Le lendemain 25. Meffeigneurs
les Princes entendirent la мeffe
à la Cathedrale. Mr l'Evêque de
Beziers les reçut à la porte , &
les complimenta . Hs furent ent
fuite haranguez par les Officiers
du Prefidial , & par ceux des aus
tres Corps . On partit le même
jour à neuf heures dus mating
On trouva de beaux chemins
戒
GALANT 355
tout remplis de meuriers blancs,
& l'on paffa fur le bord du Canal
de Faure , où entre la mediter
ranée Meffeigneurs les Princes y
virent pefcher La pefche ne fur
que d'un poiffon blanc comme
un Barbeau , & d'une Eereviffe
de mer, Ils donnerent des marques
de leur liberalité aux Pef
cheurs ils dînerent à Vicaldros
, & virent en paffant les dehors
de la jolie Ville de Pezenas,
dont les habitans bordoient les
chemins. On devoit aller cou→
cher à meze ; mais on changea
de réfolution , & l'on vint à
Valmagne à fix lieuës de Beziers,
dans une Abbaye de Benedictins,
qui appartient à M³ le Cardinal
de Bonzi . On y arriva encre quatre
& cinq heures , par des cher
Gg ij
356 MERCURE
D
mins hauts & bas Meffeigneurs
les Princes ne furent accompagnez
dans ce lieu que de Mrs
Denonville , de Razilly , de Chi
verny , de Rieux , de Laffé , dé
Beaumanoir, de Thorigny, d'Eu
dicourt & de Quintin , tout le
refte des autres Seigneurs avant
efté obligez d'aller , faute de logement
, coucher dans les Villa
ges ou lieux circonvoifins de
cette Abbaye . L'appartement
de Monfeigneur le Duc de Bourgogne
eftoit au rez-de- chauffée ?
Ce font des voûtes , qui autrefois
ont pu fervir de caves ou
de celliers , mais qui ont eſté
ornées tres-galamment . Les coins
& le milieu de ces voûtes font
foutenus par des efpeces de Caryatides
qui font de fort bon
GALANT. 357
=
·
gouft . Monfeigneur le Duc de
Berry eftoit logé au deffus , &
ła vûë de fon appartement eftoit
tres belle. Meffeigneurs les
Princes jouerent au mail auffitoft
qu'ils furent arrivez dans
cette Abbaye Il ne s'y paffa rien
d'extraordinaire de la part de мr
le Cardinal de Bonzy , parce
qu'on n'y eftoit alle qu'à condition
qu'il feindront d'ignorer que
Meffeigneurs les Princes y devoient
aller ; mais м le Maréchal
de Noailles, toujours appliqué
à ce qui peut leur faire plaifir,
dit aux Muficiens de fa fuite &
à Pafcariels d'inventer quelque
chofe pour les divertir aprés leur
fouper , ce qu'ils concerterent
enfemble. Pafcariel, & la Lande,
Violon de l'Opera , fe deguiſe358
MERCURE
7
rent en Femmes , Gaye en Gentilhomme
campagnard , Roger
en Cuifinier , & Rebel en Pay +
fan. Cette Troupe à la tefte
de laquelle eftoient Pafcariel
& la Lande , le prefenta à la
porte de la Chambre de Meffeigneurs
les Princes . L'Huiffier
les repouffa d'abord , difant
que perfonne n'entreroit . Pafcariel
& la Lande qui avoient
un ordre fecret de Mr le Maréchal
de Noailles de repouffer
l'Huiffier , & de luy dire que les
Princes ne trouveroient pas
mauvais que d'honneftes femmes
viffent leur Appartement , entrerent
fuivis de leur Troupe ,
ee qui furprit tres -agreablement
Meffeigneurs les Princes, Pafcariel
& la Lande danferent une
12
%
GALANT. 3*9*
Bourrée enfemble , faifant mille
poſtures tres- divertiffantes . Enfuite
Roger & Gaye chanterent
en partie une Chanfon de Payſan .
tres -divertiffante , aprés quoy la
Lande & Rebel prirent leurs
Violons & accompagnerent Paf
cariel , Roger & Gaye, qui chanterent
un Trio , en faifant mille
figures grotesques .
Male Maréchal de Noailles
apprehendant toûjours qu'il
n'arrive quelque chofe de fâcheux
aux Princes , ayant entendu
dire qu'il y avoit de la
petite verole à Arles , y envoya
Mi de Hauterive dont je vous ay
fouvent parlé , & M de Tournelles
, Maréchal des Logis du
Roy, afin qu'ils s'en informaffens
au juſte , & qu'ils luy en rappor
o MERCURE
taffent la verité . Ce Maréchal
decida fur le rapport de ces
Meffieurs que comme il y avoit
à craindre , le Peuple n'auroie
pas l'honneur d'y voir Meffeigneurs
les Princes , de peur que
quelque refte de mauvais airs
n'allaft jufqu'à eux , & que per
fonne n'entreroir à leur fouper
ny à leur Meffe. Cependant il
jugea dans la fuite qu'ils n'y devoient
point aller du tout ,
On partit de Valmagne à neuf
heuresdu matin , & l'on alla dîner
à Giquau , d'où l'on partit pour
fe rendre à Montpellier . On afait
imprimer une relation de tout
ce qui s'y eft paffé à l'arrivée de
ce qui
me fait beaucoup de plaifir , parce
que vous trouverez la mienne
trois
Meffeigneurs les parrivée de
GALANT.
361
rrois fois plus ample , & remplie
d'une infinité de faits & de circonftances
curieuſes , qui ne ſe
trouvent point dans cette relation
imprimée. Il eft impoffible
d'en donner une complette , fielle
n'eft du tout au moins tirée d'une
douzaine d'autres . La même perfonne
ne peut fe trouver en même
temps en differens endroits ,
& quelque exact que l'on foit ,
il y a des gens qui examinent
des chofes , dont d'autres ne s'apperçoivent
pas.
On ne fera point furpris de la
maniere dont Meffeigneurs les
Princes ont efté reçus à Montpellier
, quand on fçaura que
tous ceux que leur reception
regardoit , fe font appliquez
avec tant de foin à la rendre
Mars 1701 . Hh
362 MERCURE
digne de leur zele , qu'il eftoit
impoffible que rien y manquaft.
Mile Comte de Broglio qui commande
dans la Province , les avoit
laiffez à Beziers , & avoit pris le
devant pour voir fi toutes chofes
eftoient preparées felon les
ordres qu'il avoit donnez mola
Male Grand Prevoft , qui avoit
eu l'honneur de fe trouver avec
un grand nombre de Gentilshommes
à l'entrée de la Province
, en eftoit revenu en pofte
pour aller les recevoir à deux
lieuës de là Ville , à la tefte de la
Maréchauffée , & pour les accompagner
jufqu'au lieu où ils
devoient loger , ce qu'elle fit
l'épée haute . On trouva fur le
chemin tous les peuples des Ceyenes
& des lieuxvoifins . Ceuxqui
GALANT 353
eftoient fortis de la Ville, eftoient
allez juſques á prés de trois lieuës
au dela ; & quoy que cet efpace
fuft long , ils formoient au moins
quatre hayes pendant toute l'étendue
de ce chemin , qui fe trouvé
en plufieurs endroits élevé en
amphiteatre. Enfin ce Peuple parut
fi nombreux qu'on crut qu'il
n'en eftoit refté que tres- peu
dans la ville , parce qu'on trouva
auffi les maifons des Faubourgs
remplies jufque fur les toits .
Cependant on fut furpris en entrant
dans Montpellier , de voir
que les échaffaux en forme d'amphiteatre
dont toutes les ruës
étoient remplies , en eftoient couverts
, qu'il y en avoit aux feneftres
plus qu'elles n'en pouvoient
contenir , que les toits
Hh ij
364 MERCURE
en eftoient chargez , & qu'il y
avoit par tout une fi prodigieufe
foule , que les Gardes à cheval
curent peine à la percer mit
Dans les endroits où il y avoit
des murs , ils eftoient tout couverts
de gradins , remplis de
tres-jolies perfonnes ; ce qui avec
les tapifferies & les tapis faifoit
une decoration charmante .
On entra par la porte de la
Sonnerie , qui eft celle où aboutit
la grande ruë de la Ville , qui
eftoit toute fablée . Meffeigneurs
les Princes y furent haranguez
par Mr Durand , á la tefte des
Confuls , Viguiers & Affeffeurs
de la Ville. Son difcours reçut
beaucoup d'applaudiffemens .
Sept Compagnies de Bourgeois
choifis , & tres - leftes , formoient
GALANT. 369
}
une double haye dans les rues
par lefquelles on devoit paffer ,
depuis la porte de la Ville jufqu'au
logis de Mr Defplans , fecond
Preſident de la Chambre
desComptes, où Meſſeigneurs les
Princes devoient loger . Ces compagniesétoient
diftinguées par les
differentes couleurs des rubans
qu'elles portoient.Quelques- unes
avoient des plumets Ilyavoit
auffi deux cens Grenadiers portant
des bonnets uniformes de
velours galonnez d'or. Les revers
de leurs manches eftoient de velours
noir , galonnez de la même
forte. Les acelamations & les
cris de joye ne cefferent point
tant que dura la marche , & 'l'entrée
fe fit au bruit du Canon de
la Citadelle , des tambours , des
Hh iij
356 MERCURE
+
trompettes , des hautbois , & des
violons qui la rendoient auffi
agreable , qu'éclatante , & guer
riere . Les Caroffes furent fuivis
de ceux des perfonnes les plus
diftinguées de la Ville , & des environs
. Ils marquerent en entrant
dans le logis qui leur avoit
efté preparé , que la fituation
leur en paroiffoit agréable , &les
appartemens
beaux & commodes
. A peine y furent - ils arrivez ,
qu'ils fe mirent aux feneftres qui
regardent la Citadelle . Ils paru
rent tres - contens du feu du Canon;
mais plusencore d'un peuple
infini qui eftoit accouru en foule
à l'efplanade pour les confiderer.
On lifoit dans les
cun le plaifir que l'on avoit de
les voir .
yeux
7
de cha
GALANT. 267
Mr Defgranges leur prefenta
enfuite mrle Commandeur Madalquini,
qui leur fit compliment
de la part de Sa Sainteté . Les
principaux de la Nobleffe d'Avignon
eurent auffi l'honneur de
les complimenter de la part de
Mr le Vice- Legat , & les Notables
Bourgeois de la même Ville
d'Avignonleur témoignerent auffi
leur joye , leur foumiffion , &
combien ils ſe tiendroient heureux
, sils vouloient bien honorer
leur Ville de leur prefence
Aprés ces complinens , les
Confuls firent les prefens de la
Ville , qui confiftoient en vins
de liqueur & en parfums. Meffei
gneurs les Princes fe mirent enfuite
au Jeu. Mrs les Comtes de
Broglio , de Calvifon & de Buis
Hh iiij
368 MERCURE
eurent l'honneur de jouer avec
cux. Au lortir du Jeuils fe mirent
á table , & permirent qu'on
les vift fouper . La preffery fut
grande , tant des Etrangers que
des perfonnes de diftinction de
la Ville A peine furent- ils for
tis de table , que le bruit du canon
de la Citadelle fe fit entendre
, & fervit de prélude au Feu
qu'on eftoit preft de tirer . Ils fe
mirent à leurs feneftres pour le
voir . Ce feu eftoit dreffé fur
l'efplanade qui eft entre la Citadelle
& la Ville . La façade étoit
compofée de trois grands portiques
qui formoient une manie
re d'Arc de triomphe , foutenu
de plufieurs colomnes avec divers
ornemens & plufieurs Devifes.
Un grand Obelifque. s'éleGALANT.
369 ·
voit fur le tout , avec une Renommée
au deffus . Meffeigneurs
les Princes trouverent l'artifice
de ce feu admirable . Sur le devant
de la maifon qui formoit
un balcon & une petite terraffe ,
de chaque cofté eſtoient cinq
globes tranfparens avec les Armes
de France. Les quatre aus
très , dont il y en avoit deux de
chaque cofté, étoient moins gros;
mais les lumieres qu'ils renfer
moient les rendoient fi brillans ,
qu'ils paroiffoient des globes de
feu. Il y avoit à cofté & autour
un grand nombre de flambeaux
de poing , & la diverfité des lumieres
découvertes , & renfermées
, formoit une efpece de
nuance de feu qui faifoit plaifir
à voir, Toutes les maifons de la
370 MERCURE
Ville furent éclairées pendant
tout le foir , & même pendant
la plus grande partie de la nuit!
Il y avoit cent flambeaux de cire
blanche à celle de Mr le Cardinal
de Bonzy.. L'illumination
de l'Evêché eftoit des mieux entenduë.
Elle eftoit de flambeaux
de poing & de lampes .Mrle Comte
de Broglio & Mr de Baville
fe diftinguerent par celles qu'ils
firent faire. Il y en avoit aufli
une tres belle au logis de Mr le
Marquis de Caftre . Celle des
Jefuites attira l'admiration , &
les Peres de l'Oratoire en firent
une qui leur fit beaucoup d'honneur
. Enfin chacun chercha à
faire diftinguer fon zele. par
dépenſe , & par les plus vives :
marques d'une grande joye. Le
fa
SGALANT 371
premier , le fecond & le troifiéme
étage des maifons n'eftoient
pas
feulement éclairez ; mais il y
avoit des lumieres jufques fur les
toits. Quant aux feux qui estoient
devant les portes des habitans ,
il y en avoit une fi grande quantité
, & ces feux eftoient fi
ches les uns des autres , qu'il paroiffoit
qu'il n'y euft qu'un feu
dans chaque ruë , & qu'il en occupoit
toute la longueur.
pro-
Le lendemain 27. Meffeigneurs
les Princes allerent en carroffe à
l'Eglife Cathedrale de Saint
Pierre , precedez des cent Suiffes
& accompagnez de foixante Gardes
du Roy. Ils s'y rendirent par
les dehors de la Ville , ce chemin
eftant plus aifé que celui du
pavé , qui eft étroit & fort in372
MERCURE
commode en cette Ville . Mr
l'Evêque de Montpelier les reçut
à la porte de l'Eglife à la tête de
fon Chapitre , revêtu de chapes
qui parurent d'une tres - grande
richeffe. Ce Prelat les haran→
gua d'une maniere convenable
afa dignité , & merita par la
beauté de fon difcours & par fon
éloquence les applaudiffemens
de tous ceux qui l'entendirent
Il les conduifit enfuite au Chour
où l'on chanta un motet en mu
fique pour remercier Dieu des
graces qu'il repand fur la maifon
Royale , & pour demander
au Ciel la continuation de la
fanté des Princes. Aprés qu'ilseurent
ouy la meffe , ils allerent
fe promener pendant une demiheure
dans un lieu qu'on appelGALANT
. 373
2
le Peyrou qui eft une des plus
agreables promenades du Royaume.
C'eft une Place tres- fpacieufe
qui eft hors de la Ville. On
ne peut rien ajouter à la beauté
de la vûë , à laquelle on donne
le nom deriche. La porte par on
l'on fort pour y aller eft nouvel
lement bâtie , & on la trouva fort
belle . On découvre fur la droite
en fortant , le Jardin du Roy.
Ce Jardin eft tres- bien entretenu.
Il y a fix grandes allées principales
, & quelques- unes font
en Amphiteatre mais celles des
plantes médicinales
font compofées
de huit couches élevées , &
revêtues de pierres avec des rigoles
de diftance en diftance , &
des robinets pour les arrofer . I
y a un nombre infini de differen
1
翟
374 MERCURE
tes plantes dans cé Jardin . Meffeigneurs
les Princes furent à
peine rentrez dans leur appartement
, que la deputation de la
Cour des Comptes , Aides , &
Finances prefentée par Mr Def
granges , les complimenta . Cette
Députation eftoit de fix Préfidans
, de trente - fix Confeillers ,
de deux Correcteurs , de deux
Auditeurs & des Gens du Roy.
Mr Bon premier Prefident, porta
la parole , & ne l'adreffa qu'à
Monfeigneur le Duc de Bourgogne
. Son difcours eut l'avantage
de plaire beaucoup . Ce Prince
l'écouta de bout , & le chapeau
fur la tête , mais l'ôtant toutes
les fois que Mr Bon prononça le
mot de Monfeigneur. Toute cette
Députation fe rendit enfuite dans
GALANT 375
l'apartement de Monfeigneur le
Duc de Berry , où le même premier
Prefident foutint avec beaucoup
d'éloquence la reputation
que fa premiere Harangue venoit
de lui acquerir. Enfuite
tous ceux qui eftoient de la Députation
eurent l'honneur de
faluer Meffeigneurs les Princes ,
Mr. le Marechal de Noailles avec
l'honnêteté qui lui eft naturelle
, leur ayant nommé tous ces
Mrs dans le temps que chacun
faifoit fes reverences .
•
་་
Mrs les Treforiers de France
parurent enfuite , ayant à leur
tête Mr de Plennes. Il fçut trouver
le fecret de louer les Princes
d'une maniere toute nouvelle
dans le difcours qu'il leur fit , &
qui fut trouvé tres- pur , & fort
376 MERCURE
châtié. Mr Bornier ; Juge-mage
harangua aprés lui à la tête du
Préfidiat. Son difcours fut proz
noncéavec tant de nobleffe, qu'on
dit que l'on ne fçavoit ce qu'on devoit
"le plus admirery ou des chofes qu'il
avoitdites , ou de la mantere dont tl
les avoit prononcées . Mr Tondut ,
Profeffeur de l'Univerfité de
Droit , fit auf un tres- beau difcours
au nom de cette Univerfité.
Mr Chiquenaud âgé de quatre-
vingt deux ans harangua en
latin. Il prononça , comme De
mofthene , un difcours auffi travaillé
que s'il avoit efté de Ciceron
. Son latin parut tres fleu
ri , & fa diction pure , élegante ,
& correcte. Enfin Mr Brouft .
Avocat, harangua pour le Corps
des Marchands , & quoiqu
WUDHAM T
GALANT .
+
377
parlat aprés des Orateurs qui
fembloient avoir épuifé les louanges
des auditeurs , il s'en trouva
neanmoins encore pour lui . Mef
feigneurs les Princes fe mirent
enfuite à table , & l'affemblée
qui les vit dîner, fut des plus nom
breufes , & des plus belles .
L'apréfdinée du même jour ,
Meffeigneurs les Princes ayant
e dans une Salle baffe de leur '
logis qui donnoit fur un Jardin
qui communiquoit à la campagne
, virent une fefte galante qui
avoit efté preparée pour leur divertiffement.
Les Marchands de
fa Ville s'eftant affemblez avec
les plus notables Bourgeois ,
avoient choifi d'un commun confentement
Mr Manny , Gentil
homme, pour leur Capitaine , Mr
Mars 1701.
378 MERCURE
Reclot, Receveurpour leur Lieu
tenant , & Mr Aribert pour leur
Enfeigne. Ils eftoient trois cens
fous le nom de Chevaliers du noble
jeu de l'Arc , c'eft ainfi qu'on les
appelle. Ilseftoient habillez de
drap couleur de mufc avec des
veftes de velours rouge galonnez
d'or. Leurs culottes & leurs bas
eftoient couleur de feu; leur cha
peau eftoit de Caſtor , & ils avoient
chacun un plumet avec
une cocarde , & une fleche à la
main. Ils eftoient fur deux lignes
féparées en deux troupes de cent
cinquante hommes chacune , l'une
compofée de gens mariez , &
l'autre de la jeuneffe non mariée.
Mr Manny & Mr Reclot com
mandoient la premiere Huit
Tambours , fix Trompertes , fix
Hautbois , & douze violons-marGALANT.
379
6
choient à la tête de cette premiere
troupe. La Simphonie
eftoit fuivie de vingt- quatre Mores
vêtus de verd avec un galon
d'or. Ils avoient des colliers , &
des chaînes d'argent , avec des
pendans d'oreilles de perles. O
yoioit enfuite vingt petits enfans
vêtus en amours qui avoient des
carquois dorez au côté , & qui
tenoientdes Arcs dorez avec des
fleches qu'ilstiroient inceffament
&avecbeaucoupd'adreffe, & dont
il fortoit desparfums tres-agreables
, & avec profufion , ce qui
donnoit un veritable plaifir. Mr
duManny paroiffoit enfuite avec
Mr Reclot fon Lieutenant . Ils
eftoient richement vêtus , & tenoient
chacun une fleche dorée,
Ils eftoient precedez de quel
380 MERCURE
ques Faunes mafquez pour mieuxparoître
ce qu'ils reprefentoient .
Ces Faunes portoient de groffes :
maffes , & eftoient fuivis des
Chevaliers dont je vous ay déja -
parlé , & dont je viens de vous
dire l'ajuftement . Ces Chevaliers
marchoient deux à deux
ayant derriere eux leurs gens ha- ·
billez de differentes livrées ri²
ches , & galantes .
La feconde Troupe compofée
de cent- cinquante jeunes gens ,
parut enfuite. La marche de cette
troupe commença par huit trompettes
, douze hautbois & douze
violons . Ils eftoient fuivis de
cinquante hommes vêtus en Sauvages
avec dés maffes fur l'épau
paule , & couverts de peaux de
plufieurs animaux dont la diver
·
GALANT. 381
fité & la bizarrerie faifoient un
tres-bel effet. Vingt - quatre
Amours venoient enfuite vêtus
comme ceux de la premiere troupe
avec leurs fleches remplies de
parfums qu'ils repandoient partout
avec profuſion . Mr Aribert,
Enfeigne , aux dépens de qui
lä fète fe faifoit , paroiffoit avec
les Chevaliers de fa Troupe .
Aprés eux , if avoit fon drapeau
fur l'épaule. Quatre hommes
vêtus de verd à la Morefque portant
des haches , lui fervoient de
Gardes , Il parut fort bien fait
& avoit bon air. Les veftes des
Chevaliers de cette Troupe
eſtoient de tiſſu d'or & d'argent.
Leurs gens de livrée eftoient habillez
de diverfes manieres. Les
uns eftoient en Mores , & les
382 MERCURE
autres en Sauvages. Ils portoient
les arcs de leurs maîtres. Les
gens de livrée des deux Troupes
caufoient une tres - agreable di
verfité dans la marche, parce que
de vingt Chevaliers en vingt
Chevaliers, ily en avoit huit , ce
qui faifoit une agreable varieté.
Celui qui avoit remporté le der
nier prix , parut aufli dans cette
marche. Il eftoit vêtu de velours
noit , & fon chapeau eftoit garny
de perles , & de diamans .
Ces deux Troupes traverserent
la cour de la maifon des
· Princes , qui eftoient defcendus
dans un grand Appartement bas
pour les voir paffer. M de Manny
leur fit un compliment qu'ils
écouterent avec plaifir , & trois
Amours s'eftant détachez des
GALANT. 323
deux Troupes , porterent aux
Princes une douzaine d'Arcs &
de fléches dorées , & garnies de
velours , rangées dans de petites
caiffes toutes femées de fleurs de
lis d'or. Le premier recita les
vers qui fuivent , en leur offrant
ces petits prefens .
Princes , c'eft à regret que je vous
abandonne a mons [ traits ,
Mon arc , mon carquois , & mes
Je ne puis plus bleffer perfonne,
On ne fe rendqu'à vos attraits ;
Maisfije fens quepar vos charme's
A vous ceder vous contraignez
Call Amour , 26
Quipeut douter queparvos armes
Mars ne doive bien-teſt vous ceder à
fon tour?
Le fecond parla de la forte.
Grands Princes, pour vous rendre
hommage
384 MERCURE
Le Dieu d'amour vient recevoir
vo's loix';
Et mettre entre vos mains fon arc &
fon carquois
€
>
Trop heureux s'il a l'avantage
De pouvoir vous redire encore mille
fois ,
Grands Princes , pour vous rendre
hommage
Le Dieu d'amour vient recevoir
vos loix.
Le troifiéme Amour leur dit :
Tout reconnoift ma puissancefuprè
me,
Leshommes & les Dieux ont reffenti
mes coups.
Princes ' , 'il n'appartient qu'd
vous
De dejarmer l'Amour même.
Meffeigneurs les Princes évant
remontez dans leur appartement
GALANT.
385
tement , ces deux Troupes defcendirent
dans le foffe de la Ville
, lieu tres-propre pour ces fortes
de divertiffemens , eftant placé
fous les feneftres de la maifon
des Princes . On y avoit élevé.
un grand Amphitheatre pour la
commodité d'un grand nombre
de Dames qui vouloient prendre
part à toutes ces galanteries .
Dans une des extrêmitez du
foffe , il y avoit un maft de Navire
tout fleurdelifé de la hau-.
teur de vingt toiles , au bout duquel
on avoit attaché un perroquet
de bois doré environ de demi
- pied de diamettre . On peut
juger par là de l'adreffe de plufieurs
Chevaliers qui le toucherent
, & qui en emporterent des
pieces . Chaque Chevalier tira
Mars 1701. Kk
386 MERCURE
feulement chacun une fleche .
-Les Princes prirent plaifir pendant
plus de deux heures à voir
cet exercice . On affure qu'on eſt
quelquefois quinze jours avant
que d'abatre le Perroquet . Cependant
un des Chevaliers lui
abatit une aîle, & un autre lui mit
une fleche dans le col qui y reſta
tremblante. Cette Compagnie
a prés de quatre cens ans d'ancienneté.
Les Officiers tinrent
plufieurs tables , où la delicateffe
fe trouva avec l'abondance.
L'Enfeigne a fait feul pendant
plufieurs jours toute la dépence
de la fimphonie. Meffeigneurs
les Princes fortant de ce divertiffement
allerent aux Cordeliers
où ils entendirent Vêpres qui
furent chantées en mufique . Is
GALANT. 387
monterent enfuite à cheval , &
allerent voir les fortifications
de la Citadelle. Elle n'a que
-quatre baſtions , & eftbien bâtie.
Neuf Recolets y deffervent une
Chapelle . Tous les lieux par où
ces Princes pafferent fe trouverent
bordez d'une infinité de peuples
les acclamatious furent
grandes & continuelles . Ils
joüerent à leur retour , & fe mirent
enfuite à table. Le lieu où
ils mangerent fe trouva rempli
d'un fort grand nombre de Dames
qui eurent l'honneur de les
voir fouper. Sur les dix heures ,
aprés que Meffeigneurs les Princes
fe furent retirez , toute leur
Cour le rendit chez Mr le Comte
de Broglio. Il y avoit un fort
grand nombre de Dames. Ce
KK ij
388 MERCURE
Comte donna un foupé fort magnifique,
&l'on fervit trois grandes
tables dont la propreté & la
delicateffe égalerent la magnificence.
On en a fervitous lesjours
autant chez ce Comte , pendant
le féjour que Meffeigneurs les
Princes ont fait à Montpellier .
Il y eut bal après le foupé , les
Dames s'y firent admirer , & ce
bal dura une partie de la nuit.
Le 28. Meffeigneurs les Princes
allerent à la Meffe à l'Eglife
Noftre-Dame , qui eft une des
Paroiffes de la Ville . Ils y furent
reçus par le Clergé de cette
Eglife. Mr de Montpellier &
plufieurs autres Evêques affifterent
à la Meffe que ces Princes
entendirent avec une modeftie
qui édifia tous ceux qui les virent,
GALANT. 289
La Meffe finie , ils furent recon- ..
duits de la même maniere qu'ils
avoient efté reçus, & eftant montez
en carroffe , ils eurent la bonté
de s'arrêter dans la Place qui
eft devant l'Hôtel de Ville , &
d'y voir de leur carroffe la danfe
appellée du Chevalet. Les artifans
qui donnerent ce divertiſſement
eftoient tous vêtus en Bergers
, tout couverts de rubans
couleur de feu fur des habits.
blancs. Ils avoient des bas de
foye , & des efcarpins , & danfoient
autour d'un cheval fait.
de carton , fur lequel eftoit un
homme qui le faifoit danfer . On
avoir misfur ce cheval une houffe
de drap bleu remplie de fleurs
de lys d'or , avec les armes des
Princes : elle alloit jufqu'à terre
KK iij
390 MERCURE
& couvroit les jambes de cet
homme , qui ne paroiffoit qu'un
bufte fur ce cheval , auquel il
faifoit danſer toutes fortes de danfes
au fon des Hautbois & des
Tambours de Bafque . Ils alloient
tous enfuite chanter des couplets
de chanfons en leur langage , à
la portiere du carroffe des Princes,
à qui ils les avoient données
avec l'explication , aprés quoy
ils recommençoient leurs danfes ,
ce qui fit beaucoup rire . On peut
dire à l'occafion de ce divertiſſement
, que chacun voulut marquer
la joye felon les forces , que
le menu peuple fit en petit ce
que les autres firent en grand
& que s'il ne put égaler les ri
ches en dépenfe , il ne leur ceda
pas en démonſtrations de joye.
GALANT. 391
Meffeigneurs les Princes, aprés
avoir fait connoiftre obligeammentqu'ils
avoient pris beaucoup
de plaifir à cette Fête , s'en retournerent
,, & trouverent dans
leur apartement , les principaux
des deux Compagnies du Jeu de
l'Arc qui les attendoient , pour
leur demander la grace de figner
dans leurs Regiftres, ce qu'ils eurent
la bonté de faire . Mrle Maréchal
de Noailles y figna auffi .
On croit que leur Fête leur a bien
couté trente mille écus .
Meffeigneurs les Princes dînerent
ce jour-là de bonne heure ,
& allerent fe promener à la Verune
, maiſon de campagne qui
apartient á Mr l'Evêque de Monpelier
, & qui eft à une lieuë de
la Ville.Ils y jouerent au mail , &
Kk iiij
392 GALANT .
y virent jouer Mr de Maffanes
& Mr Roux , deux Gentilshommes
de Montpelier qui firent admirer
leur adreffe . On trouva'
enfuite une fuperbe collation fur
le parapet du côté du jeu de mail,
& de l'autre, de plufieurs fortes
de vins , & de differentes fortes
de liqueurs . Meffeigneurs les
Princes mangerent , & permirent
à tout le monde de manger
auffi. On peut affûrer que ce
Prélat s'eft diftingué par fes manieres
honnêtes , & par la magni-'
ficence des tables qu'il a tenues
tant que Meffeigneurs les Princes
ont demeuré à Montpellier.
Ils revinrent fur les cinq heures
de la Verune , pour voir l'Opera
qu'ils donnerent aux Dames
ainfi qu'à tous ceux qui purent
GALANT. 393
y trouver place . Elles eftoient
en grand nombre, & occuperent
toutes les premieres loges des
deux côtez . Leurs habits qui
eſtoient noirs , eftoient relevez
par quantité de pierreries . Les
hommes de diftinction de la Ville
rempliffoient l'amphiteatre.
Meffeigneurs les Princes eftoient
dans le Parterre fur une eftrade
élevée de deux pieds avec deux
fauteuils de velours couleur de
feu garnis de franges d'or ; tous
les Seigneurs de leur fuite
eftoient fur des chaifes qu'on
avoit placées à droit & à gauche.
Leurs principaux Officierstrouverent
auffi place fur cette eftrade.
Les fecondes loges eftoient
remplies de ceux que la curiofité
savoit attirez à Montpelier. Lorf
394 MERCURE
riverent
que Meffeigneurs les Princes artoutes
les Dames fe
leverent , & fe tinrent debout
jufqu'à ce qu'ils furent affis.
Elles parurent bien mifes , & fi
brillantes que plufieurs Seigneurs
de la Cour des Princes dirent
, qu'ils ne croyoient pas qu'une
feule Ville puft fournir un fi grand
nombre dejolies perfonnes . On reprefenta
Amadis de Grece dont la
mufique eft de Mr Deftouches .
Les décorations furent tres bien.
fervies , les machines bien executées
, & on trouva les Chours
admirables . Onavoit joint à la
fimphonie , celle qui avoit fuivi
la Cour des Princes . Mr Gaye ba
tit la meſure. On fut furpris de
la beautê des Balets , & de la
bonté des Danfeurs qu'on trouva
GALANT. 395
prefqu'auffi bons que ceux de
Paris. On trouva la même chofe
des Acteurs qui plurent beaucoup
.
Au fortir de l'Opera , Meſſeigneurs
les Princes allerent fouper
, & furent fuivis d'un grand
nombre de Dames , qui eurent
l'honneur de leur faire leur
Cour.
Hy eut le même foir un grand
foupé chez M¹ de Bavile , où quatre
tables furent fervies avec
une égale abondance. Il y eut un
grand Bal aprés le repas, & plufeurs
Seigneurs de la Cour des
Princes prirent part à cette fefte,
qui dura jufqu'au lendemain
matin , premier jour de Mars
auquel jour Meffeigneurs les
Princes allerent entendre la
296 MERCURE
Meffe à pied aux Peres de l'Oratoire
, dont la maifon fe trouva .
proche du lieu où ils logeoient.
Ils furent complimentez par le
Superieur à la tefte des Preftres
qui compofent la Communauté.
Au fortir de la Meffe, ils monterent
en caroffe pour aller coucheràNimes,
Isfortirent au bruit
du canon & aux acclamations du
peuple qui leur donnoit mille benedictions.
Les fept Compagnies
de Bourgeois, dont j'ay parlé, bordoient
lesruës . Les2 . Compagnies
du Jeu de l'Arc le trouverent fur
leur paffage, & eurent l'honneur
de les faluer. Il n'y a jamais en
un plus grand concours de peuple,
que celuy qui s'eft trouvé
pour avoir l'honneur de voir.ces
Princes. Ils ne pouvoient paffer
GALANT. 357
dans les rues qu'au travers d'une
foule prodigieufe , que l'on ne
pouvoit percer fans peine. Ils.
ont fait de grandes liberalitez
aux Hôpitaux , & plufieurs perfonnés
le font reffenties de leurs
charitez . Ils ont efté fort contens
de la reception qui leur a
efté faite à Montpellier . Toute
leur Cour a trouvé la Ville jolie
& agreable , les maifons affez.
logeables & riantes , & le peuple
humain & aimant la focieté.
On ne peut affez parler des
grandes dépenfes de Mr le Com
te de Broglio , & de celles de M
de Baville . Ils comencerent à ſe
diftinguer l'un & l'autre lors
que les Princes entre rent dans
fe Languedoc, foit par la magnificence
de leur table , & par les
398 MERCURE
danfes & les concerts , dont ils
ont pris foin que les Princes
fuffent divertis pendant toute
leur route dans le Languedoc ,
foit par l'ordre qu'ils avoient
établi , afin que l'abondance des
vivres fe trouvaft par tout.
Madame la Comteffe de Broglio
, & Madame de Baville ont
fort contribué par leurs manieres
honneftes à la beauté des
feftes qui ont efté données à
Meffeigneurs les Princes .
Je ne dois pas oublier
de vous
dire que Mr Veffieres
, Confeiller
en la Cour des Comptes
, eut
l'honneur
d'offrir
à Meffei,
gneurs
les Princes
des Graveures
Antiques
Grecques
. Ce font
de précieux
monumens
de l'Antiquité
, dont nous fommes
redeGALANT
349
vables à cet illuftre Curieux .
Elles eftoient dans une boëte
antique , où eftoient gravez un
Phenix , un Amour , & les Portraits
de huit , tant Empereurs
qu'Imperatrices . Mr de Veffieres.
a fait une Differtation fort curieufe
fur ce fujet.
qu'ils
Le jour que Meffeigneurs les
Princes partirent de Montpellier
, ils allerent dîner au Pont
de Lunel , & coucher à Nifmes ,
où ils arrivérent fur les cinq heures.
Je fuis obligé de dire en
l'honneur des Habitans
avoient refolu d'habiller huit
Compagnies, de cinquante hommes
chacune, de velours cramoify
avec des galons d'or , mais Mr
le Comte de Broglio les empêcha
de faire cette dépenfe. On
400 MERCURE
trouva , une demi- lieuë en deçà
de Nimes, quantité de peuple qui
bordoit les chemins . Les garçons
Marchands eftoient hors de la
Ville , mais fans armes à caufe
qu'ils font Banquerofts , & qu'il
leur eft défendu d'en porter . Is
eftoient tous en habit uniforme
d'un drap de noiſette doublé de
foye , avec une vefte & une culote
de drap d'écarlate galonnées.
Leurs chapeaux eftoient
bordez , & garnis de tres - belles
cocardes . Ils avoient tous une
canne à la main , & joignoient
un Arc de triomphe , qui par fa
hauteur furpaffoit les murailles
de la Ville . Il eftoit formé de
laurier , d'olivier & de mirthe , -
qui eftant meflez de fleurs , marquoiens
quelque choſe de grand ,
GALANT. 401
A
& de galant tout enfemble, Ce fut
en cet endroit que Meffeigneurs
les Princes reçurent les complimens
des Confuls . Les rues par
où ils pafférent eftoient tapiffées
& remplies de peuple , auffi bien
que les feneftres , de tout ce qu'il
y avoit de perfonnes de diftinction
dans la Ville & aux environs
, & les Bourgeois eftoient
fous les armes , & en haye juf
qu'à l'Evêché , où ils logerent ,
& où ils reçurent les prefens
de Ville. Ils furent gardez par
la
ifon
du Chateau . Ily
eut plufieurs fontaines de vin , &
ces fontaines , dont quelquesunes
eftoient en dôme , eftoient
tres -galamment ornées , & on y
voyoit plufieurs emblêmes à la
gloire du Roy.
Mars 1701
. L1
402 MERCURE
Aprés que Meffeigneurs les
Princes eurent foupé , ils virent
tirer un feu d'artifice qui eftoit
dans une place entre l'Eglife &
l'Evêché. La forme en eftoit
quarrée , & l'architecture definée
avec des lampes . Comme rien
n'eft plus brillant que les lumieres
vives , fur tout lorfqu'il y en
a beaucoup enfemble , il n'y avoit
rien de plus éclatant que cette
machine , en laquelle on diftinmembres
de l'Ar
touch
chitecture. Ce feu dura prés de
trois quarts d'heure , & l'artifice
en parut fort beau. Na
guoit
Le lendemain Meffeigneurs les
Princes allerent entendre la мef-*
fe à la Cathedrale , où ils furent
reçus par Mrl'Evêque de Nifmes ,
qui adreffa le Difcours fuivant à
1 .
GALANT. 40 %
Monfeigneur le Duc de Bourgogne
.
MONSEIGNEUR ,
Si c'est un bonheurpour les Peuples
de connoiftre les Princes qui font nez
pour les commanders de voir ce ca
rattere de grandeur que Dieu a gravé
fur leurfront augufte de remar
quer dans leurs actions & dans leurs
perfonnesje ne fai quel mélange de
douceur & d'autorité qui produit le
refpect & la confiance , & de chercher
dans leurs favorables regards des
marques debonté de bonte , & des efperances
de protection , ce doit eftre auffi un
plaifir pour les Princes de voir ces
mouvemens affectueux d'une multitade
empreffée , d'entendre ces acclamations
dejoye , d'admiration& de tendreffe
, & de recevoir les hommages de
tant de coeurs uniquement occupez du
Lj
404 MERCURE
S
defir de les honorer, & de leurplaire.
Le Roy ne pouvoit nous donner un
Spectacle plus digne de lui . Ilfait
partir du centre de fa grandeur les
plus vifs rayons de fa gloire ; il communique
au dedans au dehors même
du Royaume , ce qu'il a de plus
cher, & qui lui reffemble le plus , &
Je multipliant , pour ainfi dire , en la
perfonne de fes Petits - Fils , il fe
plaift à faire voir au monde une pofterite
deja capable de le gouverner.
Vous avez vufans envie, Monfeigneur
, tomber des Sceptres à vos
coftez dans la main d'un Prince de
voftre Sang. Vous lui avez rendu
tous les offices d'une pietéfraternelle.
Vous l'avezconduitjufqu'au pied du
Trône où vous aviez droit de monter
vous même , fi vous n'aviez preferè
aux Couronnes que les hommes don
nent, celle que Dieu vous a deſtinée .
GALANT.
403
4༠༣
+
Vous venez de remettre ce depoft
facré qui vous avoit efté confié ; d'abattre
ces bornes fatales qui divifotent
la France d'avec l'Espagne 3.
d'unir les efprits & les interefts de
Pune & de Pautre Monarchie , &.
deferrer à la vue des deux Nations
les noeuds d'une alliance éternelle.
Il eftoit jufte , Monfeigneur , que
nos Provinces fullent enfuite bono-.
rées de votre prefence ; que le Roy qui
vient de faire tant de graces à des
Etrangers , marquaft au mêmetemps.
la bonté qu'il a pour fes Peuples , &
qu'après avoir donne des Rois à nos
Voifins pour fa gloire , il nous montraft
pour noftre confolation ceux qu'il
nous referve
Nous voyons en vous , Monfeigneur,
& en ce Prince que la gloire
conduit avec vous , & que les Graces .
406 MERCURE
accompagnent , tout ce qui peut faire
La felicité & les delices du Royaume
Heritiers de la pieté d'une Mere,
dant le Ciel s'eft haté de recompenfer
les vertus ; formez fur les exemples
d'un Roy qui vous enfeigne l'art de
tommander ,
d'un Pere , qui tout
grand qu'il eft , vous apprend celay
d'obeir , vous avez joint à l'éclat de
la Naiffance le merite de l'Education.
De làvient cette grandeur d'ame
que la Nature, l'Etude , la Religion
outformée en vous , cet efprit jufte
& penetrant qui examine avecfoin ,
&décide avec connoiffance; cet amour
des Lettres qui infpirent auxGrands
des principes de verité de fageffe,
cette bonté qui s'intereffe à tous les
foulagemens publics & particuliers.
Ce font des qualitez que l'Eglife
a droit de louerpar nos minifteress
GALANT.
407
au
Elle va vous
condaire avec joye
pied des Autels , chanter
haatement
les
Cantiques du
Seigneur qui luy
eleve de tels
Protecteurs , & faire
enfuite des voeux ardens pour voftre
confervation , pour votre gloire temporelle
, & pour votre bonheur éternel.
Ce
Difcours reçut de fi grands
applaudiffemens
, que M de
Nifmes ne put refufer de le faire
voir le foir à huit ou dix perfonnes
de diftinction , qui n'avoient
pû
l'entendre le matin , & qui
les prierent avec les plus fortes
inftances .
Meffeigneurs les Princes monterent
à cheval aprés leur dîne
pour aller voir les antiquitez de
cette Ville. Ils commencerént
par les Arenes. Le tour duCirque
408 MERCURE
3
fubfifte en entier La coupe des
pierres ainfi que la grandeur , &
la diftribution de cet édifice, font
des chofes admirables ; mais la
beauté du dedans a eſté gâtée par
des maifons qu'on a bâties au
milieu . On voit encore tour autour
du dehors , l'ordre des colonnes
avec les frizes & les corniches
. Elles parurent eftre doriques
. Au deffus eft un ordre
Tofcan ; mais prefqu'entierement
enterré. Mr l'Intendant
dit aux Princes qu'il faloit abatre
toutes les maiſons qui font
dedans , & y mettre la Statuë du
Roy Delà on alla voir la maifon
quarrée qui fubfifte encore
entiere. La Façade eft de fix colonues
Corinthiennes ; & le coté
d'onze. La cannelure paroît
Lencore
GALANT 409
encore aux colonnes ; mais ce qui
furprend , eft de voir leurs chapistaux
auffi entiers que s'ils étoient
debronze , & fi bien travaillez que
les feuilles d'acanthe femblent
naturelles . Tout l'entablement
& les frontons font accompagnez
dornemens admirables pour la
delicateffe & le goût; & tout l'édifice
paroift aux yeux dans une
fi jufte proportion , qu'on ne peut
s'empêcher de l'admirer . On
croit que cet Edifice eft un Mauprefolée
érigé par Adrien
à l'honneur
de Plotine
fa bienfaictrice
,
femme
de Trajan
. Il fert à
fent de Chapelle
aux Auguſtins
.
Les Princes
virent
auffi le Temple
de Diane
, où vis-à-vis , eſt
une fontaine
tres -vafte , & dont
on ne trouve
point le fond
II
Mars 1701.
Mm
410 MERCURE
refte feulement le cofté droit &
le fond , où l'on voit encore la
place qu'occupoit la ftatuë de la
Déeffe, & un peu en avant deux
grands pilaftres , fi détruits , qu'il
-ny refte rien ou peu de Chapiteaux
. Il y a un refte de Voute
d'un travail admirable , au coſté
droit. On voit auffi des Colomnes
mais fi gâtées , qu'on n'y
diftinguequ'à peine qu'elles font
d'un Ordre Compofite. Le carreau
fubfifte encore ; mais plus
de dix pieds de decombre de la
Voute qui eft tombée deffus, empefchent
qu'on ne diſtingue les
compartimens ; car on n'en voit
qu'un petit efpace qu'on a foüillé
. De ce Temple on voit les
anciens murs de la Ville fous
l'Empereur Trajan . Ils font dif
GALANT . 411
tants de la nouvelle d'un demy
quart de lieuë. Il fubfifte même
encore une groffe maffe de bâtiment
de ce cofté là , qu'on ap
pelle la Fourmagne . Elle fervoit
d Erarium aux Romains , & eftoit
enclavée dans les anciennes murailies
. Les Princes allerent le
mefine jour à la Citadelle qui a
quatre Baftions . Ils virent le
foir après leur fouper , les Marchands
qui avoient eſté les recevoir
hors les portes de la Ville ,
paffer devant eux chacun avec
un flambeau à la main . CesMarchands
allerent enfuite faire tirer
un fort beau Feu d'Artifice
que les Princes ne purent voir
parce qu'il eftoit trop éloigné .
Les illuminations de l'Evêché &
de la Ville ont esté grandes pen:
Mm j
412 MERCURE
dant le fejour qu'ils y ont fait.
Ils partirent de Nifmes le troifiéme
de Mars , pour aller coucher
à Beaucaire.
Je fuis obligé de remettre au
mois prochain le refte de ce
Journal ,, pour lequel j'ay tant
de matiere,fi belle & fi curieuſe ,
que j'efpere vous envoyer deux
Lettres à la fois . Cependant je
paffe aux autres nouvelles dont
je ne puis me difpenfer de vous
parler.
Je vous ay appris la mort de
Mr Deffita , Lieutenant Criminel
du Chaftelet de Paris , arrivée
au mois de Decembre ; mais
j'ay oublié de vous dire depuis
ce temps- là , que мeffire Nicolas
le Comte fut receu dans cette
GALANT. 43
Charge le premier du mois paffé.
Il en eftoit reconnu fi digne ,
qu avant qu'il en fuft pourvu , on
difoit tout d'une voix , qu'il n'y
avoit perfonne qui fuft plus capable
de l'exercer . Il eft Fils de
Meffire Claude le Comte , Auditeur
en la Chambre des Comptes,
&de défunte Dame MarieGaigne .
Mr le Comte , Auditeur , eft une
perfonne d'un merite diftingué ,
& qui s'eft acquis beaucoup de
réputation depuis quarante ans
qu'il poffede cette Charge. A
l'égard de feuë Dame Marie
Gaigne , fon Epouſe , elle eſtoit
d'une Famille tres - ancienne &
tres -noble , originaire de Bourgogne
. Son Pere , qui s'appelloit
Louis Gaigne , eftoit un des Secretaires
du Cabinet de Henry
M m iij
4'4 MERCURE
IV. qu'il a fervi en plufieurs
Emplois pendant plus de quinze
ans . Il avoit efté auparavant du
temps de Henry III . Confeiller
au Parlement de Dijon . Le Frere
de ce Louis Gaigne avoit eſté
Prefident à Mortier au même
Parlement , & il a laiffé un Fils
qui y remplit encore aujourd'huy
une Charge de Confeiller .
Feu Madame le Comte a encore
deux Freres vivans . L'un eft Treforier
de France à Bourges , &
l'autre Chevalier de l'Ordre de
Saint Lazare & Commiffaire des
Guerres. M l'Abbé Gaigne ,
Aumônier ordinaire chez le Roy,
homme d'un merite & d'une probité
univerfellement reconnuë
eft Coufin Germain de Mr le
Comte , prefentement LieuteGALANT.
415
nant Criminel au Chaftelet de
Paris , aprés y avoir rempli la
Charge de Confeiller pendant
dix années .
Voicy les noms de quelques
perfonnes confiderables dont
la mort eft arrivée depuis ma
derniere Lettre .
Meffire Ange le Normant, Seigneur
des Fourneaux , Secretaire
du Roy , & Greffier en chef
de fon Grand Confeil.
Meffire Guillaume de Catinat ,
Seigneur de Croifille , cy- devant
Capitaine au Regiment des
Gardes Françoifes , mort fans
alliance . Il eftoit Frere de Mr le
Maréchal
de Catinat .
Dame Henriette de Gourdon
de Hontley , Angloife , cy- devant
Fille d'honneur de la feuë
Mm iiij
416 MERCURE
Reine-mere , Dame d'Atour de
feuë Madame , & de S. A. R.
Madame , Ducheffe d'Orleans.
Dame Geneviève Eugene de
Vic , Vicomteffed' Ermenonville,
Dame de Piedefer , de Moran ,
d'Autreche , du grand & petit
Breuil , & autres lieux , veuve de
Meffire Claude Charles de Vieilchâtel
, Comte de Montalant .
Meffire Leon Pelage de Balfac
, Sire d'Illiers & d'Entragues
, Marquis de Gié . Il eſt
mort fur la fin du dernier mois à
Breft , âgé de trente- neuf ans ,
& avoit épousé Dame Claude-
Françoife de Bets de la Harteloire
, Fille de Mr de la Harteloire
, Chef d'Efcadre des Armées
Navalles . Mr de Gié eftoit
Fils aîné de Leon de Balfac
GALANT. 417
d'Illiers , Marquis d'Entra
gues , & de feue Dame Anne-
Marie de Rieux de Sourdeac .
Le Dimanche 13. de ce mois
ayant efté choisi pour l'entrée de
de Mi le Conneftable de Caſtille ,
Son Excellence ſe rendit ce même
jour à midi au Convent de
Picpus , où elle reçut les complimens
des Princes & Princeffes
du Sang & des Ambaffadeurs &
Miniftres étrangers , c'est à dire
de Monfieur le Prince & de Madame
la Princeffe , de Monfieur le
Duc & de Madame la Ducheffe,
de Madame la Princeffe Douairiere
de Conti , de Monfieur le
Prince & de Madamela Princeffe
de Conti, de Monfieur le Duc , &
de Madame la Ducheffe dumaine,
de Monfieur le Comte de Touloufe,
de Mr le Marquis de Torcy,
418 MERCURE
>
Miniftre & Secretaire d'Etat , de
Mr le Nonce , de Mr l'Ambaffadeur
d'Efpagne , de Mrs les Ambaffadeurs
de Venife , de Savoye,
de Hollande & de Malte , & de
Mrs les Envoyez de Portugal
de Dannemarck , de Lorraine ,
de Florence , de Mantouë , de
Modene , de Parme , & de Brunfvic.
Ces complimens furent faits
par les Gentilshommes & par les
Ecuyers des Princes , des Princeffes
, & des Miniftres que je
viens de vous nommer . Les autres
Miniftres qui font en cette
Cour , ne parurent point à cette
ceremonie , ny perfonne de leur
part , à caufe que м'le Conneftable
ne leur en avoit pas donné
avis , leurs Maiftres n'ayant pas
encore reconnu Sa Majefté Catholique.
GALANT, 419
1
M' le Maréchal de Villeroy ,
Duc & Pair de France , Capitaine
des Gardes du Corps , Gouverneur
du Lionnois , & Chevalier
des Ordres du Roy , qui avoit
efté nommé pour conduire Son
Excellence , eftant arrivé , la
marche commença fur les trois
heures de cette maniere .
Le Caroffe de Mr le Baron de
Breteuil , Introducteur des Ambaffadeurs
, marcha le premier.
Il eftoit bien attelé & fort bien
accompagné Celui de M³ le Maréchal
de Villeroy venoit enfuite
fuivi de quatre Pages de ce
Maréchal , bien montez , ayant
un Ecuyer à leur tefte . Ce Caroffe
eftoit attelé de huit beaux
chevaux. Aprés ce'a marchoient
à cheval huit Valets de Cham420
MERCURE
bre de Son Excellence en juftancorps
uniformes de drap d'écarlate
, garnis fur les fentes & fur
les revers de longues boutonnieres
de galon à jour d'or , avec un
même galon fur toutes les tailles .
Leurs veftes eftoient d'un fond
de damas bleu , avec des Aeurs
d'or. Tout leur habit eftoit fort
bien afforti Ils avoient des plumes
blanches mêlées d'un peu
de couleur de feu , & leurs chevaux
eftoient richement enharnachez
. Deux Suiffes de Mr le
Conneftable venoient enfuite à
cheval & aprés eux trente valets
de pié marchoient en deux rangs
Ces Suiffes , ces valets de pié , les
Cochers & les Poftillons eftoient
vétus magnifiquement d'un drap
d'écarlate , chamarré fur les
GALANT. 421
coutures de trois galons d'or
d'un pouce de large. Celuy du
milieu eftoit feparé des deux autres
par un velouté de foye bleuë
de la largeur d'un petit doigt .
Les deux galons des coftez
eftoient bordez par dehors d'un
riche agrément d'or mêlé de foye
bleue. Ils avoient leurs manches
chamarrées en bracelet de fix
bandes , chacune de deux galons
d'or , feparez par un petit velouté
bleu , & bordez d'un agrément
d'or relevé de foye bleue , Les reversdes
manches étoient chamarrez
en plein en forme de lo zange
& demi lozange , en forte qu'on
n'en pouvoit connoiftre le fonds
que par un travers de doigt qui
fe trouvoit dans le coeur de
chaque lozange . Leurs veftes
422 MERCURE
eftoient de drap bleu avec des
boutonnieres d'un galon d'or
d'un demi pouce de large. Leurs.
cravates & leurs manchettes
eftoient d'un tres -beau Point
d'Efpagne , ce qui fut bien remarqué.
Leurs bas eftoient bleus ,
& leurs chapeaux eftoient garnis
d'une cocarde de taffetas
blanc & d'un plumet bleu Les
deux Suiffes avoient de riches
baudriers avec une grande frange
d'or, & leurs chevaux étoient
enharnachez de la même forte
que ceux des Valets de chambre .
Douze Pages qui les fuivoient
eftoient precedez par Dom Emanuel
de Ibarrola , Chevalier de
Calatrava , & premier Ecuyer
de Son Excellence . Son habit
eftoit de velours`cramoifi brodé
GALANT. 423
d'or , riche , de bon gouft , &
l'ajustement eftoit complet . Il
montoit un beau cheval d'Efpagne
richement enharnaché .
La houffe & les bourfes des
piftolets eftoient de velours
vert brodé & garni de franges
d'or. Les Pages qui marchoient
auffi en deux rangs avoient des
juftaucorps de velours couleur
de feu brodé d'or , & des veftes
d'un drap d'argent fort riche ,
avec de beaux noeuds , d'épaule
or & argent , terminez par des
houpes d'or. A l'extremité des
deux pendans eftoient les armes
de la Maifon de Velafco en broderie
. Ils avoient tous des plumes
blanches , & leurs chevaux
eftoient richement enharnachez ;
les houpes & les bourfes des pif424
MERCURE
tolets eftoient de velours bleu
bordé d'or & d'argent , & tour
le refte répondoit à des habits
fi bien entendus & fi magnifiques.
Lecarroffe du Roy paroiffoit
enfuite monté de huit chevaux
gris . Mile Conneſtable vêtu d'un
riche habit de drap couleur de
café , brodé d'argent , eftoit dans
le fond à la droite de Mr le Marechal
de Villeroy . Mr le Baron
de Breteuil eftoit fur le de
vant avec Don Michel de Otazo
qui vient d'eftre nommé par
Roy fon Maiftre , Gouverneur
& Capitaine general des Ifles
de Canarie . Ce Seigneur eftoit
aufli vêtu d'un habit de drap brodé
tres-magnifique. Mr le Marquis
de faint Manat , fils aîné de Mrle
le
GALANT 425
Marquis de Caftel Dos Rios Ambaffadeur
d'Efpagne , eſtoit à la
portiere du côté de Mr le Conneftable
, & Mr le Comte de Ciruela
, Gentilhomme de la Chambre
, & de la maifon de Velafco
eftoit à l'autre portiere . Douze
Valets de pied de Mrle мarechal
Duc de Villeroy , marchoient à
la portiere droite du carroffe du
Roy , dans lequel eftoit Son Eminence.
Ces Valets de pied
eftient en deuil ; mais pour mar
quer leurs livrées fuivant l'ufage
établi depuis quelque temps,
ils avoient des noeuds d'épaule á
fond verd , tout brodez d'or &
d'argent . Les Gens de livrées de
Mr de Breteuil eftoient à l'autre
portiere. Aprés le Carroffe du
Roy , venoit celui de madame
Mars 1701
. Na
426 MERCURE
la Ducheffe de Bourgogne , ou
eftoient Don Antonio de Cuellar
, Chevalier de l'Ordre de S.
Jacques , Secretaire de Sa Majefté
Catholique , & de cette
Ambaffade , & Mr de Villora
Sous-Introducteur des Ambaſſa -¨
deurs . Leur Charge leur donnoit
cette place á l'un & á Pauere.
Ce carroffe eftoit fuivi de ceux
de Monfieur , de Madame , de
Madame la Ducheffe de Chare
tres ,' de Monfieur le Prince , de
Madame la Princeffe , de Mon
fieur le Duc de Madame la
Ducheffe , de Madame la Princeffe
de Conti Douairiere , de
Monfieur le Duc & de Madame
la Ducheffe du maine , de Monfieur
le Comte de Toulouſe , &
>
GALANT. 427.
de Mrle Marquis de Torfi mini
ftre & Secretaire d'Etat , pour
les affaires étrangeres. Ces car
roffes dont la plupart eftoient
attelez á huit chevaux , eftoient
en deuil , & menoient les Seigneurs
Efpagnols & les Gentilshommes
de fon Excellence qui
eftoient en grand nombre , &
tous magnifiquement vêtus d'ha
bits brodez d'or ou d'argent ,
avec de riches veftes & des plu
mets. A une petite diftance mar
choit un Sous-Ecuyer de fon
Excellence , en habit rouge gas
lonné d'or , à la tête de fes fix.
carroffes . Le premier étoit á fept
grandes glaces , & l'an des plus
Magnifiques qu'on ait jamais vûs.
On n'y a rien épargné . Il frape
autant par la maniere dont il eft
!
Nnij
428 MERCURE
(
1
entendu , que par la richeffe de
tout ce qui le compofe. Le dedans
en eft d'un drap d'or á grandes
fleurs rebrochées d'or frifé .
La campane
d'or en
elte
2
che. Le bas du carroffe eft d'une
marqueterie delicate . Le dehors
de l'imperiale eft de marroquin
rouge brodé á gros ramages d'or
aux quatre coins & au milieu , &
les pommes qui le terminent font
d'un bel or & d'un beau travail .
La fculpture en dehors en eft auffi
fort delicate , & la peinture
tres fine. Tout le train en eft,
tres -bien fculpé & bien doré.
Les armes de Son Excellence
y eftoient en leur place accompagnées
de tres belles peintures
allegoriques & bien deffinées,
Tout Paris a eu la curiofité de
7
-
GALANT 419
k
revoir de prés ce beau carroffe .
Il eftoit tiré par huit chevaux
d'un gris fale aprochant du noir
avec de grandes queuës blanches
, & le crin de même. Leurs
harnois eftoient de velours incarnat
avec les boucles , & toute la
fuite de bronze doré . Ils avoient
chacun une belle aigrette de
plumes á la teftiere , & trois
groffes houpes d'or qui en pendoient
. Le fiege du Cocherainfi
que le dedans du caroffe , eftoit
d'un brocart d'or des plus beaux
avec quelques ornemens argent
& foye nude , un riche molet , &
>>des campanes d'une broderie d'or
qui l'emportoit fur tout le reste .
La felle du Poftillon eftoit d'un
velours incarnat avec des franbges
d'or d'una vins Col
420 MERCURE
Le fecond carroffe eftoit enco
re à fept glaces , & tiré par huit
chevaux noirs . Tout s'y trou
voit fort bien entendu, tant pour
la dorure , que pour la peinture .
Le dedans eftoit de velours cra
moifi avec une campane d'or ;
& toutes les extrémitez d'un bordé
d'or de bon goût. La campane
& les mollets eftoient d'une broderic
encore plus riche. Le Cocher
avoit fon Siege couvert du
même velours que le dedans &.
brodé de même avec de pareilles
campanes . Les harnois de cuir
eſtoient ornez de diverſes pieces
de fonte dorées & tres - belles.
C'eft dans ce carroffe qu'eftoit
Mr le Comte de Haro , fils unique
de Mr le Conneftable , avec
Mr le Marquis de la Jamaïque ,
GALANT.
43′
fils de M le Duc de Veraguas
Vice-Roy de Sicile, Male Comte
de Salvatierra , neveu de Mr le
Conneftable , & Mr le Chevalier
de S. Manat , fecond fils de Mr le
Marquis de Caſtel dos Rios ; Am→
baffadeur d'Efpagne.
3
Le troifiéme Carroffe eftoit
une caleche à cinq glaces , atte
lée de fix chevaux noirs riche→
ment enharnachez . Le Corps
étoit d'une ordonnance differente
des deux premiers. Les mou
lures & les panneaux eftoient
fculpez , dorez , & peints de diverfes
fortes d'ornemens de couleur
, le dedans eftoit garni d'un
velours verd avec des franges &
des bordez d'or .
Le quatriéme eftoit une autre
caleche d'une belle ftructure à
432 MERCURE
cinqglaces , tirée par fix chevaux
noirs . Le dedans eftoit garni d'un
velours plein couleur de feu
avec des molets & des crefpines
tres-riches tout argent. Toutes
les moulures du dehors eftoient
proprement fculpées , le tout
eftant argenté & enrichi d'une
Mofaïque couleur de feu , tresdelicatement
peinte autour de .
tous les panneaux . Les pieces
des harnois , ainfi que le train ,
eftoient auffi argentées & faifoient
un tres-bel effet .
- Le cinquième eftoit un grand
caroffe á fept glaces , tout fculpé ,
doré & peint d'ornemens de couleurs
par dehors , & garni en
dedans d'un velours plein , bleu
turquin , avec des molets &
des campanes d'or. L'attelage
cftoit
GALANT. 433
eftoit de fix chevaux noirs .
Le dernier eftoit un carroffe
à deux fonds , mais plus petit
que les autres . Les Moulures de
dehors eftoient pouffées uniment
& fans fculpture , le tout bien doré
y fans aucun autre ornement
que les armes de fon Excellence!
Le dedans eftoit garni d'un ve
lours à fond aurore a ramage de
plufieurs couleurs avec des franges
& des crefpines affortiffantes.
Dans tous les panneaux des fix
carroffes , les armes de Mr le
Conneftable eftoient peints avec
beaucoup de propreté , le train
de chacun eftoit d'une fculpture
& d'une ordonnance proportionné
a la magnificence du Corps du
cartoffe , & l'on y avoit obſerve
fur l'orum filet de la même cou-
8 Mars 1701. 010 juniɑo
1
434 MERCURE
leur que le dedans , á la referve
de celuy du premier qui eftoit
entierement doré en plein
2
Tous ces carroffes eftoient oc
cupez par les Gentilshommes &
Chevaliers de faint Jacques &
Calatrava, Hs oftaient tous en
habit de broderie & rien ne
manquoit à leur parure Son
Excellence partit de certa ma -
niere , de Piepus pour aller à
l'Hôtel des Ambaffadeurs extraordinaires
, par les rues ou Fon
a accoutumé de pailer. Le con-
-cours y fut prodigieux , tant des
gens diftinguez aux feneftresique
du peuple dans tous les lieux de
la route . La jove & Papprobation
eftoient peintes fur les vilages
de cette grande multitude ,
& il y eut des endroits où l'on entendit
crier, vive le Roy, vivent les
GALANT . 425
·
Reis Grivè leConnestable deCastille.
Harriva à l'Hôtel des Ambaffadeurs
extraordinaires , où i
fut pas y fur
fitot arrivé , qu'il ne
complimenté au nom du Roy par
Mele Marquis de Gefvres , premier
Centilhomme de la Cham,
bre , en furvivance , au nom de
Madame la Ducheffe de Bourgo
gne, par Mi le Marquis de Vilalacerffon
premier Maiftre d'Hotel
, de la part de Monfieur , par
Mile Comte de Châtillon , preinier
Gentilhomme de fa Chanbre
, de la part de Madame ; par
Mr. Colin , fon premier Mailtre
d'Hôtel , de la part de Monfieur
le Duc de Chartres ; par Mrle
Comte de Cayeux , premier Gentilhomme
de fa Chambre , & de
la part de Madame la Ducheffe
R
436 MERCURE
de Chartres , par fon premier
Maiftre d'Hôtel . Il fut loge &
traité les trois jours fuivans , à
la maniere ordinaire , par les ordres
de Sa Majefté . Le lendemain
de grand matin , Mr le Comte
de Brionne , fils aîné de Mr
le Grand , & Mile Baron de Breteuil,
vinrent prendre fon Excellence
de la part du Roy , pour le
menerà l'Audience à Verfailles,
parce que Sa Majefté devoit alfers
à Marli . Ainfi on avança
d'un jour l'Audience. Le carrol
fe de Mr le Comte de Brionne
marcha le premier , & les fix
carroffes de Mrile Conneftable
fuivirent felon l'ufage, Il trouva
en entrant dans la premiere cour
du Château, des Compagnies des
Gardes Françoiſes & Suiffes en
haye , & fous les armes , les TamGALANT.
437
bours appellans. Les Gardes de
24
la Porte & ceux de la Prevoſté
eftoient auffi en haye & fous les
armes à leur Pofte accoutumé.
Les Balcons & les feneftres de
cette feconde cour eftoient garnies
des perfonnes les plus qualifiées
, quoiqu'il fuft extrêmement
matin , & les deux cours fe
trouverent remplies de monde.
Son Excellence defcendit & entra
dans la Sale qui
elte
aux Ambaffadeurs . Et fur les
neuf heures du matin elle partit
pour aller à l'Audience du Roy.
Les trente Valets de pied márcherent
& fe rangerent en deux
files dans une des Sales , les huit
Valets de Chambre pafferent
dans une autre avec les douze
Pages '; & Mr l'Ambaffadeur alla
O o iij
418 MERCURE
jufqu'à la Chambre du Roy avec
les Seigneurs , les Chevaliers &
Gentilshommes qui eftoient avec
lui. Il avoit efté reçu au bas de
Pefcalier par Mr le Marquis de
Blainville Grand-maître des Cèremonies
. Les cent-Suiffes eftane ™
fur les degreź , leurs hallebardes a
fa main , & à la Salle des Gardes A
du Corps , par Mr le Marechal de
Lorges , Capitaine des Gardes dur
Corps qui étoient dans leur falle
en haye & fous les armes . LeRoi
étant aflis , S.M.fe leva dés qu'el
le vit Mile Conneſtable, & aprés
qu'elle eut remis fon chapeau
il mit aufli le fien & parla ainfi.
SIRE ,
Je me prefente à Voftre Majesté
par ordre du Roy mon Maistre ,
reconnoiſſance qu'il témoigne à Koftre
Majesté de la fituation où elle l'a
GALANT. 439
mis , s'expliquera un peu mieux par
La lettre qu'il écrit à Veftre Majefté ,
que par tout ce que je pourrois
lui dire de fa part . C'eft cette lettre
queje remets entre les mains royales
delore Majofte , La Junta queforma
en mourant le Ray Charles 11 mon
Maitre, qui fort en gloire , machoif
pour venir témoigner avec un profond
respect à Koftre Majesté de la part
des Royaumes , du Gouvernement &
des Peuples qui compofent la mar
chie d'Espagne , combien ils ont tous
celebre la fage & du feu Roy
prudente
difpofition
en faveur du Roy mon
mafore , petit fils de Voftre Majefté. '
Les uns, les autres avec un respect
plein de reconnoiffance remercient &
felicicent Votre Majesté dans le tran- let
sportde leur coeur , de voir le Trone
d'Espagne occupé par un Prince qui
O o iiij
440 MERGURE
touche defi prés à Voftre Majesté. Ils
en tirentles confequences les plusflateufes
, tant pour la Religion que
pour l'Etat. C'est ce que cette Lettre
dira à Voftre Majefté , & j'y dois
ajouter que c'est à Voftre Majefté que
nous reconnoiffons devoir le don pretieux
, qu'elle nous fait d'un Prince
qui a des vertusfi relevées ,&que nous
vivrons toujours avec un coeur penetré
de respect & d'amourpour Voſtre Ma
jefté , &pour la bonté qu'elle nous a
témoignée , dont nous la fuplirons
toujours de nous accorder la continua
tion ; nous tacherons de l'obtenir par
les moyens les plus convenables à
L'honneur qu'elle nous fait. Ayant
le bonheur de me voir aux pieds de
Voftre Majefte qui parfa magnificence
me fait l'honneur de m'accorder
ces graces , ces diftinétions & ces fas
GALANT 44
veurs que je me fuis flaté den rece
voir , je lui facrifie ma Perfonne , &
ma maison ; & j'en tire avec confiancefon
plusgrandrelief& le mien,
& le fervice le plus affuré du Roy
mon maistre. € 5 %
Le Roy répondità Mr le Con
neftable de Caftille.
Monfieur , vous devez eftre bien
perfuadé que je reçois avec beaucoup
de plaifir les complimens du Roy mon
petitfils , & avec beaucoup de fatis
faction , les reconnoiffances que vous
me témoignez de la part des Royau
mes , & des Etats qui compofent la
Monarchie d'Espagne. Ils ne pou
voient choisir pour s'en acquiter , une
perfonne qui me fütplus agreable que
vous Vous voyez à prefent l'une &
Bautre Nation tellement unies que
les deux deformais ne fontplus qu'une.
442 MERCURE
Pour moy , je fais prefentement le
meilleur Espagnol du monde , & fi
le Roy mon petitfils me demande des
confeils , je ne luy en donneray que
pourla gloire & pour l'intereft de l'Ef
pagne On verra mon petit fils àl a
tète des Espagnols pour défendre les
François , & on me verra à la tete
des François pour défendre les Efpa
gnols . Pour vous 3 Monfieur vous
devez avoir connu depuis que vous
eftes à ma Cour , la diftinction que je
fais de votre perfonne la joye
quemos fujets montrerent hierde vous
voir, eftune marque qu'ils connoiffent
combienje vous estime & combien ai
me les Espagnols.
Mile Connettable fur conduit
"enfuite aux Audiences de Mon
feigneur le Dauphin , de Madad
me la Ducheffe de Bourgogne ,
GALANT. 443
de Monfieur de Madame , de
Monfieur le Duc de Chartres ,
& de Madame la Ducheffe de
Chartres . Madame luy dit de fe
couvrir . Il en fit le femblant , & ,
ne mit pas fon chapeau. Il attendit
midi pour ferendre à celle
de Madame la Ducheffe de Bourgogne,
palabras ser der
Son Excellence fut traitée à
-Verfailles avec tous les Gentils→→
hommes de fa fuite par les Offciers
de Sa Majefté . Mr le Comte
de Brionne & plufieurs Seigneurs
des plus titrez de la Cour
fe trouverent à ce repas , qui fute
magnifique.
Mile Conneftable fut reconduit
à Paris par M. le Baron de
Breteuil , dans les mêmes Caroffes
, á l'Hôtel des Ambaffadeurs . "
444 MERCURE
Extraordinaires , où il denteura
jufqu'au Mecredy ſuivant .
Le Roy ayant voulu relever
l'éclat de l'Ambaffade de Mr le
Conneftable
par des marques de
de diftinction particuliere , Mr le
Prevoft des Marchands avec la
Ville en Corps , precedé du Colonel
, & de fes Archers , alla
luy faire compliment le 15. à
l'Hôtel des Ambaffadeurs Extraordinaires
, & témoigna à fon
Excellence avec combien de
joye la Ville de Paris voyoit
l'occafion qui l'y avoit attirée .
Elle répondit avec la reconnoiffance
que meritoit cette vifite, &
que meritoient les prefens qu'ils
Tuy firent de trois douzaines de
flambeaux de cire blanche , de
trois caiffes des meilleures confiGALANT.
445
tures , honneur qui ne fe prati
qué pas pour les Ambaffadeurs
Extraordinaires . S.E. ordonna à
fes gens qu'on témoignaſt toute
forte de reconnoiffances aux Of
ficiers qui l'avoient fervie , &
leur a fait diftribuer mille louis
d'or. Le 16. au foir Son Excellence
retourna coucher dans fon
logis , le lendemain elle vifita
Made Torcy.
ةيرادملا بال
Le même jour elle reçut les
vifites de Mr le Nonce & de Mr's
les Ambaffadeurs de Venifer &
de Savoye . Le 18. elle alla voir
Madame la Princeffe , Mr le
Nonce , & Mr. l'Ambaſſadeur
d'Efpagne. Il y a toujours eu le
même concours , & même train ,
à ces vifites
Le 29. Mrle Connêtable eut fon
446 MERCURE
&
audience de congé. Jene vous en
dis rien , du moins à l'égard des
ceremonies , à caufe que tout sy
eft paffé comme à la premiere.
Ily a efté traité & reçu de la
meme forte Ce qui a fait que
ces audiences ſe font fuivies de Gi
prés , c'est parce que ce Connef
table n'avoit efté chargé d'aucunes
affaires , mais feulement
de remercier le Roy , d'avoir ac
cepté le Teftament de Charles
II. dernier Roy d'Espagne. La
Junta pour mieux marquer à Sa
Majeffé la joye & fa reconnoiffance
, cru qu'elle devoit envoyer
exprés un Ambaffadeur
Extraordinaire , & мle Conneftable
n'ayant plus rien à faire
en France , en eft parti pour
fe rendre auprés de fon nouveau
GALANT
447
Maiftre. Voici en quels
en quels termes
il parla au Roy dans cette audience.
pzp sluss & Pag
SIRE , EMACO
s Quand je me vois aux pieds de.
Votre Majefte , je me croirois coupa
ble d'une veritable ingratitude , ft je
fongeois à m'en éloigner par d'autres
raifons que parcelle de me rendre aus
pres du Royfon Petit- Fils . Les bon
tez dont Voftre. Majefte a daigné me
combler m'engagent pour le reste de
ma vie àjoindre au plus profond ref
pect la reconnoiffance la plus vives
Ce que j'ay vu , SIRE, & ce que
Jay fenti me feroient apprendre à
tous les Espagnols tout ce qu'ils doi
vent penfer de Voftre Majefté s'ils
ne le favoient deja . Le Roy mon
Maitre leur dit affez tout ce que
vous etes , SIRE , quand il leur
13
448 MERCURE
fait voir tout ce qu'il eft. Je luy rendray
compte de tout ce que Voftre
Majefté a fait pour moi par rapport
à luy. Je m'estimer ay trop heureux
toute ma vie d'avoir pû me jetter
aux pieds de Voftre Majefte . Je lui
facrifie ma Perfonne , ma Famille}
tout ce quejefuis , &je croy devenir
par la plus agreable un Roy mon
Maifire , Petit Fils de Foftre Majeftè
, & plus propre à le bien førvir
- Le Roy luy répondit à peu prés
ནི་ནང
en ces termes.
Vous nepouviez pas douter , Monfieur
, qu'uneperfonne que m'envoyoit
Le Roy mon Retit Fils , ne duft m'ef
tre fort agreable , mais pour vous
quand vous ne fericz venu ici qu'étant
ce que vous eftes, je vous aurois tou
jours reçu avec la même eftime
GALANT. 449
& avec la même diftinction . C'eft
ici une ceremonie où je ne puis vous
parler qu'en gardant certaines for
malitez, vous direz donc au Roy mon
Petit-Fils combien je fouhaite con
ferver l'étroite amitié & la bonne intelligence
où nous devons toujours
eftres comme vous devezavoir encore
de
moy avant votre départ une
audience particuliere , c'eft- là queje
vous diray tous mes fentimens pour
Roy mon Petit-Fils , & toute mon
eftime pour vous.
le
Son Excellence eut enfuite
audience de congé de la Maiſon
Royale , avec les formalitez accoûtumées
.
2
Ceux qui ont expliqué l'Enigme
du mois paffé fur la Cendre
qui en eftoit le vray mot ,
en grand nombre . En voicy les
Mars
1701. Pp
font
450 MERCURE
:
noms . Mr l'Abbé Daquinet Do-
&teur en Theologie : de Saint
Denis du grand Commun à Verfailles
de Verneuil de l'Hoſtel
du Maine à Verfailles : de la
Guinodiere Page de Monfieur :
le Conneftable de Caftille : Bardet
& fonbon Ami du Pleffisdu
Mans : Daniel le Chin Procureur
Fifcal à Eglegny proche
d'Auxerre , & fon Ami Trebuchet
, du même lieu Raguenet
& Marguerite Blot fon Epouſe :
Maiftre Jacques de Lorme Procureur
au Chaftelet , & fon aimable
Epouſe: la belle Gantiere
du grand Monarque de vis -à-vis
la rue auxFers, &Mademoiſelle de
Mielle fa favorite : Grenan maiftre
du quartier du Pleffis , & fon
intime ami Cagnard : Tamiriſte
:
GALANT 4x1
& fes deux Filles : le petit Salior
du milieu de la rue des Poulies :
les trois bons Amis de la rue
Saint Louis Ile Noftre- Dames
fçavoir: Badin , Montade & Se
rier : le Prieur de la Communauə
té de la rue Saint Severin : Ri
chard la Barbe & fon amil Tho
le : les quatre fidelles Amis du
vin de Champagne de la rue du
coq , fçavoir mrs d'Hericourt ,
de la Barre, Melat & de Brillan +
court le petit jour de l'Aurore
des Galeries du Louvre : des
Montlievres & laMadelene 'doudoureuſe
& de l'Eftre leur con→
feil , tous trois de l'Ile Noftre-
Dame le beau Chevalier du
coin de la rue de Richelieu , &
le camarade Jean de la rue des
marteaux ile Roannois folitaire,
O
Pp ij
452 MERCURE
& fon ami le Tourangeau dif
cret : le Chevalier pacifique : les
Garçons du caffé de la rue Mazarine
leP. N. d'Agier Sieur de
Buffoffe deMante fur Seine: l'In
connu du Parvis Noftre- Dame,
indifferent pour tout autre que
pour la charmante Angélique :
le Breton à l'Anagrame Gé mille
charme de Morlaix l'homme à
l'Anagrame , C'est là le Trefor
l'aimable Fou de la rue des vieux
Auguftins: l'Iffoudunois paffionné
de la toute aimable Poitevine:
le Chevalier des Angloux , & lė
gros Pere Alliot des Angloux
Chrefiftus de la Societé Kirielaphique
établie à Argyropé Le
Jafon de la Toifon d'or de Châ→
lons en Champagne : Pierrot &
la belle Marguerite de la rue des
GALANT. 453
Tournelles l'Aveuglené de Mr
Victor Champfeau de Versailles,
Louvat de Marne : lejeune marquis
de S. Julien le chevalier
Groffart & Jean de Bergerac :
le gros Garçon de la rue des
Noyers conftant Amant de l'ai
mable veuve de la rue du Sepulcre
: le fage Arminius qui défend
la Princelle de Cleyes & la divi
ne petite Fille de la rue Vivien :
le chevalier du grand courage
de la vieille rue du Temple
l'incomparable Godefroy , Sebaftien
Guillot de la rue Saint
Martin devant la rue aux Ours :
l'Amant de Nogent le Roy
Charles de la Tour de Billy de
la rue de l'Arbre -fec : de Vil
lers : le fidelle Oyfon de Coutance
& la charmante Noire de
454 MERCURE
1'Hoftel d'Aligre : l'Ami du Pere
' Caudrillier : le Papa de chez M²
Quignon : la belle chanteufe de
la rue des Sergens d'Amiens : la
petite veuve de la rue Saint Ho-
Aoré & Lifette : leDruide de la rue
de Grenelle & les enfans fruf↓
trez d'Etrennes cette année : le
grand Collaire planteur de truffes
chevalier du Soleil de la vieille
rue du Temple : l'Amant genereux
du marais : la belle Indifferente
de la rueSaint Martin
& la mere trop tendre du même
quartier les fix enfans de Choeur
de l'Eglife collegiale de Noftre-
Dame de Milly en Gaftinois :
Tarquin reffufcité de la rue de
Phomme fauvage , & fa chere
Comteffe de la rue des Freres
Prêcheurs le faux Acteon oru
A
GALANT. 455
veritable , du Quay de l'Ecole :
la nouvelle Iphigenie du même
Quay , & le fidelle Amant de la
fue de la Huchette : le Voyageur
fans fortir de fon cabinet , & fon
Epoufe la contemplative du cadran
de Saint Severin, & la conreufe
de Peau d'afne de la rue de
la Licorne le petit Prophete
Elie du bas de la rue de la Harpe:
le fidelleCleandre de la rue Saint
Severin le cadet de la Valette
de la rue Mauconfeil : l'aimable
Catin fa foeur , & la belle petite
Ratoufa coufine du cloiſtre Saint
Leu : Lhommeau Gentil : les
échos externes de мr P. Martin
Procureur de la Cour : V. B.
Amans afſociez de la Poulette ,
rue Saint Bon: le petit Migon de
la rue d'Orleans : M. E. C. & la
46 MERCURE
petite Brune de la rue d'Anjou :
M. T. les Clercs de мs Richard
& Aumont Notaires : M. & M.
de la Sale du grand commun de
Verfailles M. B , dite l'aimable
veuve Hebert de la rue du Se-
.:
pulcre le mignon Praticien de
la rue Taranne plus que gentil :
les Clercs du fieur Barbier Procureur
de la Cour de la rue pa
vée,S. André des Arts : le bon
Martin , l'aimable réchapée fon
époufe , & fes Clercs bons Nor
mans & leur aimableami : le fieur
Briaffet , le petit Pere Tibourg
le Vacher du Palais Royal & de
Saint Germain en Laye : le fieur
Dancour , marchand Limonadier
du coin de l'Opera , M & M du
Crais fes neveu & niece , & le
feur Criquebeuf : le bon cent
Suiffe
GALANT. 457
de fon Alteffe Royale Monfieur
& Madame, de la rue Baillive :
Mademoiſelle rirmant: Mademoifelle
Lallior belle & bonne maraine,
& M. Marguerite de Caux.
Mr & Mademoiſelle le Vacher
du Palais Royal Mr & Mademoiſelle
Ramire : Mr Barbé ,
doyen des Arts de peinture &
fculpture Mr de la Dantz de
Bretagne , du foleil d'or , place
de Sorbonne le fieur Thuillier
Marchand de vin de la Tour d'ar
gent au marché neuf , & fa jolie
époufes les infeparables amis
Alain Chagrin & Thomas Lau
rent de S. Sulpice : le bon Laumot
& fon aymable épouſe , de
la rue du coeur volant , protec
teur & directeur de S. Alban &
fon confors le fieur Simon : le
Mars 1701.
MERCURE
fieur le Gucuftre & fon aymable
famille de la rue de Tournon ,
& fon voifin le fieur Melet Eclai
re tout protecteur de S. Alban :
le Prudent Mathematicien , du
Palais Royal : la belle Marguerite
, qui ne flaitrira qu'en mourant
, du grand commun de Verfailles:
le bon Laumau & fes confreres
, chez Mr Navarre ruë de
Buffi le fieur le Begue , & le
fieur Lemoine & fes confreres
de chez мr Bonhomme : le bon
Broquet , de la rue Aubry- boucher
, avec tous fes amis de la
même maifon : Mr Corozel &
fon aymable fils : le fils plus vieux
que fa mere , du cloiftre faint
Oportune , & le Marquis de la
Baffre , de la croix du Tiroir :
le gros garçon amant conftant
GALANT. 459
de la belle veuve , de la ruë du
Sepulchre ; Mefdemoiſelles de
Maupeou d'Ableiges : de Romé
de Beaulieu , de la rue Royale
& le beau monde : M. Rouffard
& Mademoiſelle fa fille , d'auprés
les Preftres de l'Oratoire :
Mademoiſelle Soulas , de la rue
des petits champs : la petite Dame
voifine du nouvelifte de Beauvais
Mademoiſelle du Tranon
agée de huit ans la toute aymable
Demoiſelle Frenau & fon mary
le mailtre à danfer : l'aima
ble indifferente de la petite vertu
: R. D. F. le Berger Celidor
& fa maiftreffe Cezonie , de la
cour du Palais la brune fujette
aux migraines & la brune la belle
four : la jolie poule , de la rue
S. Merry & fon infeparable amy
Qq ÿj
460 MERCURE
D.D. les deux belles foeurs de
Lorme S. Gervais : la jeune Mufe
, du coin de la rue de Richelieu
l'aimable Javote , de la rue
Dernetal l'agréable Fanchon ,
de la rue des Sts Peres : Mr IP.
de B. du Palais Royal , & la belle
M.A. V. de la ruë Montmartre :
la belle Porte de la belle brune ,
du quartier du Palais Royal la
charmante veuve paffée fous fis
lence , & l'anonime malgré luy ;
l'indifferente pour toute autre de
la rue du plaftre : la charmante
brune de Troyes proche les Cordeliers
, & fa belle coufine : les
deux infeparables : la charmante
Poupote , & le plus noble des
payfans: la plus aimable Dame
du quartier S. Julien & fa charmante
amie , du quartier S. Eu
1
GALANT. 48
tite
de
ftache la plus belle de la rue
Guenegaud , & le Commis de
M ' du Bourg Banquier en Cour
de Rome , de la rue S. Jacques :
Margueritte de la Grille : la pe-
Margot , de la ruë de la paroiffe
de Verfailles la petite
Madelon Minchate , de 1 Hoftel
Poitiers , & fa bonne amie la
coufine Charlotte : la jeune pàrifienne
du bourg S. Martin à
Vendofme la perle des Fanchons
, & l'enfant du coeur perruquier
la belle Elinco de la
butte S. Roch : la belle Satan
du quay de Conty : les trois Maries
, & le petit fofeph .
:
La nouvelle Enigme que je
vous envoye , merite l'aplication
de vos Amis .
Q q iij
462 MERCURE
ENIGME.
Q Voyque j'enfonce mes mor=
fures ,
Je mords prefque toujours fans faire
de bleffures :
F'empefche de terribles maux ,
S'ilfaut croire la medecine
Et je fuis quelquefois une bonne ra
cine :
Mais pour faire la guerre a de vils
animaux
F'emprunte les dents & les cornes
Des animaux les plus énormes..
Je pourrois n'eftre qu'un morceau
Du plus méprifable arbriffeau ,
Ou de l'babit d'une vilaine bete
"Etj'ofe me vanter de parer mieux la
tefte
Et des amans & des guerriers ,
GALANT. 463
Que les myrtes ny les lauriers
Je laboure un champ tres -fertile ,
Si fon fruit n'eft pas fort utile ,
Il peut au moins fervir à charmer
les regards ?
Et l'on doit appeller le fonds de ma
culture
Le chef- d'oeuvre de la nature
Et la mere de tous les arts.
Lorfque ce champ produit de belles
plantes ,
Mortes je les cultive auffi bien que
vivantes ;
Et de mes foins le plus fouvent
Le fujet mort devient plus beau que
le vivant.
lé Comme je fuis perfuadé, que
mal dont Monfeigneur le Dauphin
a efté furpris, ne vous a pas moins
touchée & inquietée que nous ,
Qq iiij
464 MERCURE
parce que ce Prince eft auffi aimé
dans tout le Royaume , qu'il l'eft
à la Cour & à Paris Je croy que
vous ferez fort aife d'aprendre
par le détail de fa maladie que
je vous envoye , qu'on n'en doit
aprehender aucunes mauvaifes
fuittes . Rien n'eft plus beau que
le memoire que je vous envoye
Il marque l'efprit & le profond
fçavoir de celuy qui l'a dreffé ;
& quoyque ces matieres ne foient
pas ordinairement intelligibles
pour ceux qui ne les ont pas
eftudiées ; ce memoire eft d'une
netteté qui fait plaifir , & qui
marque celle de l'efprit & le
profond fçavoir de celuy qui l'a
dreffé . Il a efté envoyé au Roy
d'Efpagne , dans les mêmes termes
que je vous l'envoye.
GALANT.
465
£ ifug ito podn¶ so sup stic
A Verſailles 21. de Mars 1701 .
ved 7 A
Monfeigneurfe trouva mal fame
dya onze heures & demie du foir ,
enfe deshabillant pourse coucher. Il
perdit connoiſſance en un moment , &
feroit tombéfans le fecours de quelques
uns de fe's Officiers , qui aiderent à le
foutenir andla'l ang kan
Deux chofes contribuerent à cet
accident ; L'une , la plenitude des
vaiffeaux fanguins , qui eftant extre
mement tendus , preffoient les caneaux
nerveux dans le cerveau , intercep
toient le mouvement des efprits & les
empefchoient de couler librement dans
les parties ; L'autre, le poids extraor
dinaire que les alimens faifoient
dans l'iftomach.
Comme Monfeigneur a obfervé tres466
MERCURE
regulierement le Careme depuis le
commencement , & qu'il s'eft mis
dans l'habitude de ne faire qu'un repas
le foir, la quantité de poiffon
qu'il avoit mangé , & les humeurs
produits depuis longtempsparlès mauvais
fucs de cette nouriture , avoient
tendu toutes lesfibres , & par cette
contrainte , les parties nerveufesjuſques
au cerveau fouffroient la même
contrainte & eftoient génées dans
leurs refforts , ce qui empefchoit auffi
Les efprits d'y pouvoircouler avec liberte.
Il fut fecouru fi promptement ,
&fi à propos , qu'il fut à peine une
demy - heure dans cet eftat. Aprés
qu'il eut pris quelques volatiles qui
ramenerent la maffe dufang , & le
firent couler avec plus de vivacité
dans fes vaiffeaux , où la circulation
paroiffoit embaraffee , M Felix le
GALANT. 467
faigna du bras droitfort adroitement,
au milieu de tous les mouvemens
qu'il fe donnoit, & la connoiffance
luy revint à mesure que le fang fe
vuidoit , & que les nerfs moins
preffezpar le volume de cette liqueur .
permirent aux efprits de s'y introduire.
On continua à luy donner deux ou
trois cuillerées de volatile qui eurent
le mèmefuccez, & on fongea enfuite
à vuider fon eftomac.
Monfeigneurprit pour cela le vin
dEfpagne & le Tartre emetique avec:
une entiere & pleine connoiffance :
mais comme toutes les parties eftoient
extremement tendues , & que d'ail
leurs les remedes eftoient, pour ainfi
dire , abforbez dans la quantité d'ali
mens, le beure & l'huile dont l'eftomac
eftoit charge , ilsfurent quelque
temps fans agirfurla membrane , &
468 MERCURE
fans exciter le vomiſſement.
Dans l'atm
de cette operation , on
luy donna un remede pour degager
bas ventre,ce qui reülit peu de temps
aprés , les fibres de l'eftomac
eftant un peurelachées par ce moyen
le vomiffement fuivit , & produifit
une evacuation d'ordares & d'alimen's
corrompus , qui parut tres- confideras
ble
Depuis ce temps- là , Monfeigneur
a toujours efté de mieux en mieux
On luy a donné deux potions purgati
ves à une heure & demie l'une de
l'autre qui ont continue à determiner
b'evacuation far en bas jufques a
quatorze fois.
L'abattement où l'avoient jetté
ces remedes , a efte fuivi d'un fommeil
fi tranquille & fi doux, qu'on
fa laisse dormir le reste de la nuit
GALANT 469
fans aucune inquietude , & ce calme
contribuant encore à relacher la tenfion
des fibres , aidoit encore à faire
agir le purgatif , en forte qu'il fe
reveilloit tout feul , & par envie de
faire quelque evacuation .
Mr Gervais le faigna le matin
par la même ouverture qne Mr Felix
avoit faite le foir ilpaffa la journée
auffi bien qu'on le pouvoit fouhaiter,
le purgatif continuant à agir fans
diminuerjes forces , en forte que
ftant levé le foir, pour donner le temps
de faire fon lit , il fe trouva ferme
fur fes jambes, & même plus fort
qu'il ne l'eftoit avant cet accident.
?
La nuit s'eft paẞée encore plus..
doucement que la journée. Monfei
gneur a dormi d'un fommeil tranquil
le depuis dix heures du foir jufques á
fept du matin , ne s'eftant reveille
479 MERCURE
que deux fois à minuit feulement pour
Le retourner, & à quatre heures pour
prendre fon bouillon,
On ajugé à propos de le faigner
encore ce matin , pour plus grande
feureté , ce qui a esté fort bien executé
au bras gauche par Mr Gervais,
& les chofes font prefentement dans
le meilleur eftat qu'on les puiffe fouhaiter.
L
La tefte eft tres - libre , il n'eft refté
aucun embarras dans les parties , ny
aucun vestige de la maladie , parce
qu'il a esté affez toft defempli pour
empêcherl'échapée de quelque humeur
bors des vaiffeaux . Il a de la force,
&fes mouvemens font plus fermes
qu'ils ne l'eftoientauparavant. Ainfi
on peut dire qu'il eft dans une parfai
tefante , & hors du peril d'aucune
rechute , cet accidentayant donné une
GALANT. 471
otcafion de diminuer l'abondance de
fon fang par trois faignées , & la
plenitude d'humeurs par des purgations
qui le mettront à couvert de tout
danger.
C.
Le Roy a nommé Mr l'Abbé
d'Aubigné à l'Evêché de Noyon.
If eft Abbé de la Victoire prés
de Chantilly , & Grand- Vicaire
de Mr l'Evêque de Chartres.
Ainfi , on ne peut douter qu'il
ne fçache comme il faut gouver
ner un Dioceſe , l'ayant appris
fous un Prelat auffi exact dans
tous fes devoirs que мr de Char
tres . Mrle Marquis de Tigni de
Poitou , fon Frere , eft l'aîné de
la maifon d'Aubigné.
Mr l'Abbé d'Etrées , Fils da
Maréchal & Neven du Cardinal
472 MERCURE
de comême nom , a eſté pourvû
de l'Abbaye de Saint Claude.
Ceft fur la démiffion de Mr le
Cardinal d'Estrées qu'on luy a
donné cette Abbaye. Il a efté
Ambaffadeur en Portugali &
n'eft pas moins eftimé par fes
bonues qualitez que par la grande
naiffance.dve 50 alon0
Mr. l'Abbé de Janfon- Forbin
a eu l'Abbaye de Saint Valeri.
Il eft Neveu de Mr le Cardinal
de Janfon , & Frere de Mr le
Marquis de Janfon , Sous- lieure
nant de la premiere Compagnie
des Moufquetaires , dont feu Mr
de Chevalier de Forbin , leur
Oncle , eftoit Capitaine- lieutenant.
Il a paffé toute la jeuneffe
aux études convenables à un
homme qui fe difpofoit à l'Etar
GALANT. 473
Ecclefiaftique , & dans des maifons
ou la Jeuneffe fe forme &
s'inftruit des devoirs & des fon-
&ions du miniftere facré , & n'a
quitté , depuis fon bas âge les
Seminaires des Bons- Enfans que
Tannée derniere , pour aller à
Rome avec Mr le Cardinal fon
Oncle . Ce Voyage a empêché
qu'il n'ait pris le Bonnet de Do-
&teur à la fin de fa Licence , dans
laquelle il n'a pas fait voir moins
de modeftie & de candeur , que
d'érudition & de capacité. Il eft
de la maifon de Sorbonne , &
Chanoine de l'Eglife de Beauvais
, dont Mr le Cardinal de
Janfon eft Evêque , & vient de
Tamaifon de Souliers en Provence
, qui eft tres-ancienne & tresdiftinguée
Mars 1701. Rr
474 MERCURE
L'Abbaye de Saint Martin de
Laon a efté donnée à Mr de Clermont
de Chafte , Evêque de
Laon , pour eftre unie à fon .
Evêché.
›
Mr l'Abbé Morel , Aumônier
du Roy , a eſté nommé à l'Abbaye
de Saint Martin de Tonnerre . Il
eft Confeiller au Parlement de
Paris , & Frere de Mr l'Abbé
Morel , qui a eíté Enveye du
Roy en plufieurs Cours , & qui
a réuffi en beaucoup de Negociations.
Mr l'Abbé de Barriere , à qui
l'Abbaye de Saint Martial de
Limoges a efté donnée , a apporté
le Bonnet á Mrs les Cardinaúx
de Coiflin & de Noailles . Il's'eft
acquis une grande eftime auprés
du Pape & du Roy.
GALANT. 475
9
Mr l'Abbé de Paris a obtenu
l'Abbaye de S Pere de Melun ,
Il eft Frere de мr de Paris, Prefident
en la Chambre des Com
pres.
On a nommé мr l'Abbé Cates
lan , Lecteur des Princes Enfans
de France, à l'Abbaye de Boilan
cour. Il eft Neveu de мr de la
Broue , Evêque de Mirepoix , &
d'une des meilleures Familles de
la Robe, de Touloufe.
Mr l'Abbé Fauvel , Chapelain
du Roy , a eu l'Abbaye de Clerfay.
Mr l'Abbé l'Allemand , Neveu
de feu мr Germain , Fermier
General , celle de Saint Martin
des Aires ; Mr l'Abbé de Gour
nay
Aumônier du grand Com
mun celle du Tronchet , & 2
Mr l'Abbé de мenon , de la Pe
Rrij
476 MERCURE
mt
Mahé
.
niffiere , celle de Saint Mahé.
Madame d'Aix a eſté pourvûë
de l'Abbaye de Cuffet ; Madame
de Mechatin, de celle de Sainte
Marie de Mets; Madame d'Hliers,
de celle de Saint Jean le Grand
d'Autun , & Madame de Grammont
, de celle de Battans .
Je viens à l'article que je vous
ay promis , & que vous me mandez
qu'on attend avec tant d'im
patience dans voftre Province.
wasbesttbgansiova
3
waitno en
Fortem st
GALANT. 477
2255222552€2522252
9071000 SITS
RELATION
33misc 36 1195 , SP JA
DUVOYAGE IM
basið I asst wu2sh suse ph
DUROY D'ESPAGNE
Depuis Ironjufqu'à Madrid
P
Endant que Sa Majeſté Catolique
traverfoit la riviere
dans ce fuperbe bâtiment , où je
l'ay laiffée , plufieurs François
avoientpris les devans & s'étoient
rendus à Iron par- deffus le Pont
qui y conduit. Ils vouloient voir
la maifon de ce Monarque qui y
eftoit arrivée quelques jours auparavant
, les apartemens du lieu
où il devoit loger, & la recep
478 MERCURE
tion qu'on lui feroit C'eft fur
ce que j'ai ramaflé de toutes leurs
Lettres dont aucune ne dit tout ,
& qui toutes enfemble ne laiffent
rien à fouhaiter que je á
yais vous éclaircir de toutes ces
chofes , les uns ayant remarqué
ce que les autres ont oublié ou
n'ont pas vu. Je croy vous en
devoir parler avant que de vous
entretenir de l'arrivée de Sa Majefté
Catholique á Iron , parce
que le fil de ma Relation leroit
interrompu par de trop longues
digreffions , lorfque je fuivray le
Roy dans tous les lieux où il ira
& que je vous raporteray ce qui
s'v paffera
L'entrée de l'apartement de Sa
Majesté eftoit gardée par des Allemands
vêtus a l'Eſpagnole.
GALANT, 479
1
Toutes les fer eftres en eftoient
fermées pour rendre la Chambre
du Roy plus chaude , l'Antichambre
eftoit tenduë d'une hauteliffe
a fond d'or Quelques Espagnolsdirent
qu'elle eftoit du deffein de
Raphael, & d'autres de Jule Ro
main , ce que fa beauté fit aifément
croire Il y avoit deux tables
dans cette Antichambre
avec deux tapis de velours rou
ge chamarez de galon d'or , &
un vafe d'argent plein de feu au
pied de chacune , pour fervir de
caffolette . Les vafes eftoient à
peu prés comme comme les pots
à fleurs dont nos Jardins font
ornez. La porte de la Chambre:
du Roy eftoir gardée en dehors
par des Alemands vêtus à l'Ef
pagnole de même que ceux dont
+
480 MERCURE
je viens de parler , ayant cha
cun une halebarde comme nos
Suiffes. La tapifferie de cette
chambre eftoit encore plus riche
que celle de l'antichambre qu
reprefentoit la délivrance d'Ahdromede
, & Fenlevement de
Ganimede. On avoit formé une
Alcove avec quelques pieces de
cette tapilferie & on avoit dref
fé dehors un lit de velours rouge
cramoifi brodé d'or tout au tour
& garni de molet , franges &
crepines d'or, Il eftoit double
de moire d'argent , & le fond
du lit , eftoit de la même moire ,
mais moins élevé que les noftres
Il y avoit cinq marelats de quatredoigts
d'épaiffeur , couverts
de damas cramoifi , avec quatre
traverfins plus longs , & couverts
de
GALANT. 48
de même étoffe Ils eftoient piquez
comme les matelats , & cependant
ils ne laiffoient pas d'être
plus mols : les draps eftoient
fort fins , mais moins longs que
ceux de France. Il y avoit fous
le même lit un tapis de pied , &
tout le long de la chambre une
natte de jonc tres - fine , & pardeffus
ce jonc , de petits tapis qui
qui paroiffoient de pluche. La
Courte pointe eftoit des Indes .
A côté du lit eftoit un petit dais
de velours cramoifi avec des pantes
, & de petits rideaux & def-
1
fous , une espèce d'Oratoire fans
prie Dieu pour mettre les reliques
& les benitiers . Il y avoit
auffi deux fauteuils de velours
Cramoifi garnis de frange & de
molet d'or , mais dont les braş
Mars 7101.
Ss
482 MERCURE
n'eftoient point converts &
eftoient de bois plat felon l'ufage
d'Espagne . Dans le milieu de la
chambre , on voyoit une tres
grande cuvette propre à mettre
du feu. A côté de cette cham
bre , ily en avoit une autre dans
laquelle on avoit tendu l'ameu
blement qui avoit fervi à Sa Majefté
Catholique , pendant fon
voyage , & qu'on lui avoit laiffé,
Sa Maifon eftoit partie de Ma
drid le 28. de Decembre pour fe
rendre à Iron . Elle eftoit.compofée
de deux Gentilshommes de
la chambre , de deux Maistres
d'Hôtel , de deux Aides de la
chambre , & d'environ cent quatre-
vingt Officiers , Sa Majefté
Catholique trouva auffi à Iron.
Cent mulles à porter fraddau,
GALANT. 483
Trente-huit mulles à fclle .
Son grand carroffe à quatre
places .
Six chaifes à deux places.
Les voitures qui avoient amené
les Officiers n'eftoient pas
comprifes dans celles - là .
Ontrouva auffi à Iron des Majordomes
, & des Chambellans
du nombre defquels étoient Dom
Alecho de Gufman , Comte de
Fontanara , & Mrs les Marquis
de Valero, de Quintana & d'Almeda
.
Les gens de Livréequi attendoient
le Roy, eftoient vêtus de
jaune avec un velouté cramoili
entre deux blancs , moucheté de
noir Ils en avoient fur les coutures
& autour des bafques de
leurpourpoint. Leurs chapeaux
Ss ij
484 MERCURE
étoient grisblancs àgrands bords,
Ily avoit douze Gardes vêtus
de velours jaune qui portoient
des pourpoints dont les manches
n'eftoient point fendues . Ils
avoient une trouffe ou des chauf
fes comme nos Pages en portoient
autrefois. Leurs habits eftoient
tout couverts d'un galon à fond
jaune , orné de petits careaux
rouges veloutez . Ils avoient un
plumet blanc fur leur chapeaux ,
des bas rouges & des efcarpins
fans talon . Quand ils font à che
val , leurs armes font une carabine
, une épée & deux piftolets
& quand ils font à pied , ils portent
des pertuifanes dont le bour
eft beaucoup moins large que
celui des noftres.
Le carroffe du Roy cftoit à
GALANT. 48%
grandes portieres , & fort commode
, doublé de velours avec
quelques ornemens d'or. Il y
avoit de la fourure fur les revers
des couffins. Il eftoit trainé par
des mulles qui parurent tres-belles.
Le cocher avoit une culote
& un pourpoint de drap jaune
avec deux rangs de galon , des
efcarpins & un grand chapeau
gris - blanc fans eftre retrouffé ,
avec des rubans aurores , rouges
& bleus qui pendoient. Les co
chers en Efpagne ne menent pas
fur un Siege comme en France.
Ils font affis fur la mulle limoniere
qui eft à gauche , & ont un po
ftillon fur une des mulles de volče
.
La Cour de Sa Majefté fe trouvå
aſſez groſſe á Iron , voicy les
f
Ss iij
486 MERCURE
noms de tous ceux qui eftoiene
venus au- devant , les uns jufqu'à
Paris , les autres fur le chemin
par- dela Bayonne , & les autres
jufqu'à Bayonne feulement. Il y
en avoit même quelques- uns qui
n'avoient pas paffé Iron.
Le Duc de Bejar , Grand
d'Espagne .
Le Comte d'Ognate , Grand
d'Espagne, & General des Poftes.
Dom Antonio Martin de Tolede
..... Fils du Duc d'Albe.;
Le Prince Pio , Italien ..
Le Duc de Popoli , General
d'Artillerie .
Mr d'Ottaffo , Lieutenant ge
neral de la Cavalerie .
Le Marquis de Caftanaga , qui
s'eftoit retiré volontairement de
GALANT. 487
puis quatre ans dans une maifont
de campagne
.
༣
Le Marquis de Pignatelli
Le Marquis de Tenebron .
Le Comte d'Urfele , Ceftre
de Camp general.
Le Comte Duxe .
Le Comte d'Obliteffo , Fils
du Comte de Villalva: Sunutib
Le Comte de Bonavista.
Dom Pedro de Zoniga.
-Dom Pedro Dagüira , Colo
nel & Commiffaire general de
Catalogne.
L'Evêque de Catania en Sicile .
Dom Louis Clemente Darbareia
, Titre de Caftille .
Le Comte de Galve.
Le Comte de maceda .
Dom Rodrigues , general de
Bataille .
Ss iiij
488
MERCURE
Dom Roberto Herblé , Titre
de Caftille. ih nema uks vangiet
Le Marquis de Rebleous.
186
Dans le temps que Sa Majeſté
Catholique traverfoit la riviere
de Bidaffoa pour entrer fur les
terres d'Efpagne , il y avoit fur
le bord de cette riviere du cofté
d'Iron , où ce Prince devoit débarquer
, deux mille Eſpagnols ,
la garniſon d'Andaye , & trois
cens Soldats de milice qui gardoient
le Pont qu'on avoit jetté
fur cette riviere . Sa Majesté pafla
à la vue de Fontarabie , dont
toute l'artillerie fe fit entendre ,
auffi bien que celle d'Andaye ,
& en demi- heure de temps elle
arriva à Iron , où elle mit pied
à terre au bruit de l'artillerie
des deux Places que j'ay nom
GALANT 489
་ ་
mées , & de celle d'Iron qui s'y
joignit . On avoit douté pendant
quelque temps fi ce Prince viendroit
pardeffus le Pont de Bateaux
qu'on avoit fait faire exprés
, ou dans le Bringantin que
la Ville de Fontarabie avoit fait
conftruire pour fon paffage , &
qu'elle lui avoit envoyé , mais
fitoft qu'on eut efté affuré qu il
fe ferviroit du Brigantin , les Ef
pagnols d'Iron firent jetter for
le bord de l'eau un petit Pont
jufqu'à l'endroit où ce Bâtiment
devoit aborder . Mr le Duc d'Albe
s'y trouva , & cut l'honneur
de lui donner la main en fortang
du Brigantin. Son Ecuyer François
lui prefenta un cheval , &
fon Ecuyer Efpagnol lui en pre
fenta un auffi , mais Sa Majefté
490 MERCURE
jugea à propos d'aller à pied juf
qu'à l'Eglife de Noftre - Dame ,
où l'Evêque de Pampelune l'attendoit.
Ĉe Monarque fut reçu
aprés fon débarquement fous un
dais fort riche qui fut porté par
fix perfonnes de qualité . Voici
de quelle maniere la marche ſe
fit. Le cheval qu'on lui avoit
preparé eftoit à la tefte de tout .
C'eftoit un petit cheval tres- joli
à crin noir , fur lequel eftoit une
felle de velours jaune , & la houffe
de même coupée à l'Espagnole,
Heftoit conduit par deux Pal--
freniers vétus de jaune avec de
de grandes épées . Tous les che
vaux que Sa Majeſté a fait paſfer
en Efpagne venoient enfuite
avec plufieurs Palfreniers à cheval
, quantité de mules paroifGALANT.
491
foient aprés , avec plufieurs Cochers
& Poftillons , dont les uns
avoient des cravates , mais courtes
, les unes de linge , & les autres
de taffetas noir . Ils eftoient
fuivis de fix Suiffes qui avoient
de petites hallebardes . Le gros
des Courtiſans & des Seigneurs
au milieu defquels eftoit le Roy,
fe faifoit enfuite remarquer.
Plufieurs perfonnes portant de
petites cannes en haut à la ma
niere de nos Huiffiers , venoient
aprés , & cette marche eftoit
fermée par les douze gardes dont
je vous ay déja parlé , & dont je
vous ay décrit l'habillement ,
fans vous avoir dit qu'ils avoient
chacun un poignard. L'Evêque
de Pampelune attendoit Sa Mijefté
fous le portail de l'Eglife
492 MERCURE
á la tefte de fon Clergé. Il y
avoit un tapis de velours & un
carreau pour ce Prince , qui fe
mit d'abord à genoux . L'Evêque
aprés lui avoir prefenté de l'eau
benite , lui donna trois benedictions
, & lui prefenta la Croix
pour l'adorer. Sa Majefté la baifa
, & offrit à Dieu les prémices
defa Souveraineté . Elle s'avança
enfuite jufqu'à fon Priédieu qui
eftoit au pied du maistre Autel ,
où l'Evêque eftant monté il entonna
le Te Deum , quefon Clergé
chanta en fauxbourdon . L'E
vêque dit l'Orailon , & le Roy
reçut encore une benediction de
ce Prelat , aprés quoy quatre mil
le voix Efpagnoles s'écriérent
en même temps en leur langue ,
vive le Roy. Sa Majesté le rendit
GALANT 493
aprés cela au logis qui lui avoit
efté préparé . Les rues par ou
elle paffa eftoient remplies de
peuple , auffi bien que les fenef
tres & les balcons , ce peuple ne
ceſſa point de crier vive Philippe
V. & difoit hautement , qu'on
voyoit bien de qui il tenoit la naiffance
, que fon Aycul eftoit le plus
grand homme du monde , & qu'il le
deviendroit dans peu .
Quelques momens aprés que
ce Prince fut entré dans fon ap- ,
partement , il ordonna que les
François en fortiffent , & peu de
temps aprés les Efpagnols reçu-..
rent le même ordre. Il sabandonna
en liberté à tout ce qu'il
fentoit alors . Deux heures aprés |
il donna audience aux même.
Evêque de Pampelune qu'il ve4
º4 MERCURE
noit dequitter. Ce Prelat s'avan
ça fort prés de Sa Majefté , & la
harangua en Efpagnol , puis il fe
retira en luy donnant beaucoup
de benedictions . A peine fut-il
forty que les Députez de la Province
complimenterent Sa Majefté
, & eurent l'honneur de luy
baifer la main . Les Jurats luy
firent auffi compliment , & il
permit à plufieurs de fes Offciers
, & aux Seigneurs Efpagnols
de luy baifer la main: Cela
fe paffa en prefence de plufieurs
perfonnes , toutes éloignées de
Sa Majesté , qui rentra auffitoft
dans fa chambre pour travailler à
plufieurs affaires , & aux dépêches
de plufieurs Couriers qui
les attendoient . On luy fervit á
Louper quelque temps après, Ily
<
GALANT. 495
avoit des plats aprêtez par les
François , & d'autres par les Ef
pagnols . Tout cela le paffa le
22. de Janvier. Le 23 au matin ,
Mr le Duc d'Harcour , Ambaffadeur
Extraordinaire de France,
cut fa premiere audience du Roy,
à qui il remit fes Lettres de
créance. L'apréfdînée du même
jour , ce Prince monta en mule,
fuivant l'ufage du Pays , pour
aller voir les fortifications de
Fontarabie , qui n'eft éloigné
d'Iron que d'une demi lieuë . LạLa
pluye le prit en chemin. Il ne
voulut point prendre de manteau
, pour faire voir qu'un Roy
doit s'accoutumer de bonne heu
re à la fatigue , ce qui fut admiré
de tous ceux qui le virent.
Les Grands ne laifferent pas d'e-
"
496 MERCURE
ftre incommodez de la pluye ,
parce que le Roy n'ayant point
de manteau , ils ne purent en
prendre. Sa Majeſté fut receuë
dans Fontarabic au bruit de tout
le canon & aux acclamations
de la Nobleffe & du peuple. 11
eft impofile d'exprimer la joyes
auffi -bien que la grace avec la
quelle il falua toutes les Dames
qui avoient quelque air de qua
lité , & qui eftoient fur les balcons
, ce qui fit redoubler les
acclamations. Il fit le tour de la
Place , & charma également tous
ceux qui le virent. Il revint coucher
à Iron , & en partit le lendemain
24. pour aller coucher à
Hernani . Son carroffe ne le pnt
mener qu'à une lieue & demie ,
tant les chemins eftoient mau
GALANT. 497
vais. Il perit quelques mules, &
il y eut des équipages brifez . If
dina dans un village à moitié
chemin d'Hernani . On luy avoit
préparé un lit pour y faire la
Siefta , mais loin de s'en fervir if
monta en mule malgré l'abondance
& l'opiniâtretéde la pluye,
& fit encore une licue & demie
en cet eftat , au grand étonnement
de tous les Efpagnols qui
le virent. Il arriva à cinq heures
à Hernani des chemins trespar
efcarpez & tres- difficiles . If en
devoit partir le 26. mais la connuation
du mauvais temps , & le
débordement des torrens l'en
empêcherent .
Le 27. il alla voir Saint Sebaftien
. Il partit en mule , & fuivi
d'une fort nombreuſe Cour. La
Τε
Mars
1701.
498 MERCURE
joye y fut femblable à celle qu'on
avoit fait paroiftre à Fontarabie
Les ruës eftoient, tapiffées , les
balcons ornez de tapis & remplis
de Dames , & la Bourgeoifie fous
les armes. La Citadelle fit trois
décharges de fon canon , & le
Rov fit le tour de la Place. Les
Habitans croyoient qu'il y cou
cheroit mais ils furent fi.conf
ternez de le voir partir , qu'ils
donnerent des marques de leur
chagrin , en querellant ceux qu '
ils croyoient eftre caufe de fon
départ . Il revint coucher à Her
nani , d'où il partit le lendemain
28 pour venir coucher à Tolofa
, petite Ville & jolie dans les
montagnes , fur la riviere d'Oria .
Il trouva la milice & les habi ».
tans fous les armes , & fat reçu
GALANT 499
avec des acclamations de
jove
dont il faudroit avoir efté rés
moin pour les bien comprendre.
Il fut diverti le foir par un feu
d'artifice tres-ingenieux ; & qui
dura fort longtemps . Le Royalla
le 29: à la meffe dans une tresbelle
Eglife , & dont la voute eft
hardie & belle y a plufieurs
richeffes dans cette Eglife , & un
tres-beau devant de chaiſe d'argent.
On voit dans cette Ville
une belle Manufacturé d'armes ,
que Sa Majesté alla voir aprés la
Melle. Elle en fit forger quel
ques-unes en fa prefence &
ayant donné des inftructions
pour forger quelques fufils , &
d'autres armes d'une nouvelle
invention , Elle regala les Ou
vriers dune bonne fomme , &
>
Tt ij
$
500
MERCURE
apartit l'apreſmidy pour aller couscher
au Bourg de Villafranca
fur la même riviere .
Le 30. le Roy coucha à Villareal
. La nuit de cette même journée
trois Aides de Cuifine de Mr
Je Comte d'Ayen ayant fermé les
feneftres , allumerent un grand
brafier de charbon dans le milieu
, & comme il n'y a point de
cheminée dans ces lieux- là , Ja
fumée ne trouvant point de fortie
, on les trouva morts à quatre
heures du matin , aprés avoir
enfoncé la porte, any was
Le Roy monta en caroffe ce
même jour 30. & alla dîner à
Ognate , Bourg fitué dans les
montagnes, & Mondragon. Quoy
que les routes depuis Villareal,
jufqu'à Mondragon foient,fors
në
GALANT for
efcarpées , elles avoient efte fi
bien raccommodées qu'on y paffa
en caroffe avec peu de danger.
Le 31 M le Duc d'Harcourt y
-reçut un Courier de Madrid de
la part de M le Cardinal Portocarrero
, qui luy apprenoit que
dés que l'on avoit freu que Sa Cajeftè
Catholique eftoit entrée dans fes
Etats , on avoit expofe le S. Sacrement
dans toutes les Eglifes , & ordonné
des jeûnes , & des Prieres publiques
pour Sa Majesté , & qu'on
Lattendoit avec une impatience , &
une joye qui ne fe pouvoient exprimer
Bones Do
"
Le premier de Février le Roy
zalla diner à Salinas . Il partit en
unule parce qu'il faut monter
une montagne tres-rude pour en
gagner la pense. Les Députez
102 MERCURE
de la Province de bailer la murent l'honneur
de Sa Majefté .
fur la montagne de Salinas qui
fepare le Guipufcoa d'avec Alva,
ou la Milice du Pays qui avoit
accompagné les Députez. , fich
trois falves royales .
Le Roy monta en caroffe à une
Heuë de Vittoria , Capitale du
petit Pays d'Alva , & après avoir
defcendu les montagnes , & quitté
les Pirences , il arriva à Vittoria
. Ily fejourna le lendemain ,
jour de la Purification , & fir fes
devotions dans la grande Eglife.
Sa Majesté y communia par les
mains de l'Evêque de Pampelune
, quoy que ce lieu ne foit pas
de fon Dioceſe. Les Efpagnols
qui font fort devots à la Vierge
furent charmez de voir leur Mo
GALANT. 503
narque dans les mêmes fenti
mens Il alla l'aprefdinée à Ve
pres dans la même Eglife Elles
furent chantées en musique , &
le foir on luy donna le divertif
fement de plufieurs feux d'artis
fice .
Il fejourna encore le 3 dans
le même lieu , & l'on courut deyant
luy cinq Taureaux à pied .
On en avoit deftiné fix , mais il
y en eut un qui s'échapa. Toute
la Cour y retourna laprefmidi.
La fefte fut plus belle : Deux Ca
valiers bien montez combatirent
à cheval avec la lance. Un des
Taureaux embaraffa fes cornes
dans la felle d'un des Cavaliers ,
& s'en dégagea avec peine, mais
fans que le Cavalier ny le cheval
fullers blaffe Plufcars autres
104 MERCURE
combattirent à pied , & il y eut
quatre taureaux tuez , & plufieurs
Torreadores renverfez. La fefte
fe paffa fans qu'il arrivaft aucun
accident . Toutes les Dames de
la Province affifterent à ce divertiffement
. Elles avoient beau
coup de Pierreries & de grands
Vertugadins. Il y eut le foir des
feux d'artifice femblables à ceux
du jour precedent . Les François
trouvèrent leurs Hoftes fort
honneftes ; ils en receurent beaucoup
de civilitez , & ne les laifferent
point manquer de Chocolat.
Le Roy partit le 4. de Vittoria
, & alla coucher à Mira nda
de Ebro. Le lendemain il chaffa
dans le clos des Religieux de S.
François , & alla ce même jour- là
cinquième coucher à Bribiefca.
Sa
BGALANT.
TCS
}
Sa Majefté arriva le 6. à Burgos
, Capitale de la vieille Catille
. On fit le foir de grandes
illuminations , & toutes les feneftres
furent remplies de flambeaux
de cire blanche . Ce Prince
fut diverti aprés fon foupé par un
tres-beau feu d'artifice.
Le 7. il alla voir la Chartreufe
de Miraflores á demi lieuë
de la Ville. Les Religieux lui
donnerent une grande colation ,
& lui prefenterent á boire dans
une coupe de leur Fondateur .
Le 8. Sa Majefté alla vifiter
le fameux monaftere de las Huelgas
, de l'Ordre de Citeaux, l'A
beffe & fes Religieufes reçurent
ce Prince á une porte murée qui
ne fe demolit , & ne s'ouvre qu '
en pareille occafion. Elies lui
Mars 1701. V v
05 MERCURE
C
baiferent la main , le conduifiparent
dans le choeur fous un dais
& chanterent le Te Deum , aprés
lequel l'Archevêque de Burgos
accelebra la meffe. Le Roy fut enfuite
conduit dans le monaftere
qui eftmagnifique . Il trouva dans
une des Sales , un dais , & un fauteuil
deffous, & Samajeſté s'étant
aflife , on lui fervic'une prodigieufe
quantité de confitures féches ,
de chocolat , & de vins de liqueurs
de toutes fortes . Si -tôt
qu'elle en eut gouté , toute cetre
colation fut abandonnée à tous
ceux qui estoient prefens . l'Archevêque
la vint rejoindre en
cet endroit , & enfuite Sa Majefté
fut reconduite par les Religieufes
qui lui baiferent une.feconde
fois la main . Ce monafte-
"
„GALANT.
507
હૈ
rea defi grands Priviliges qu'outre
fon indépendence de lordinaire
, l'Abbeffe examine les
Confeffeurs de fon Ordre , donane
des dimiffoires pour les Béneffices
qu'elle confere , interdit
les Prêtres , & les punit. Cemonaftere
jouit de cinquante mille
écus de rente. On n'y peut entrer
fans avoir fait de grandes
preuves de Nobleffe . Il a efté
fondé par Alphonfe le Sage.
Quatorze Convens en dépendent
, & Abbeffe a toute la juftice
fur foixante Villes . On soit
toujours fur la porte qu'on démolit
, lorfque quelque Roy y
entre , les armes du dernier qu'on
ya veu avec une infcription qui
fait mention du jour qu'il y eft
entré.
t
V vij
508 MERCURE
*
L'aprofdinée il y eut une fête
de Taureaux dont feize, furent
tuez . Ily eat le foir un tres -beau
feu d'artifice. shuult
Le lendemain 9. le Roy aprés
avoir entendu la Meffe & reçû
les cendres , partit de Burgos &
alla coucher à Lerma qui apartient
au Duc de l'Infantado ,
Le ro . Sa Majesté coucha à
Aranda de Duero. On y avoit
préparé une Fefte de 14 taureux
croyant que S.M.y féjourneroit;
mais comme on aprit que ce Prince
partiroit le lendemain , on Pon
courut le foir aux flambeaux un
taureau feulement , avec des petards
, & des fufées en forte
que ce divertiffement quoique
court, ne laiffa pas defaire plaifir ,
& d'eftre trouvé tres - plaifant .
GALANT. sog
Le Roy coucha le 11. á Sant
Eftevan de Gormas . On y eut
nouvelle que la Reine eftoit partie
pour Tolede , & que le Grand
Inquifiteur eftoit relegué ,
Le 12 Sa Majesté Catholique
dîna à Ofma , & coucha à Verlanga
, où elle féjourna le 13. &
fe divertit á la chaffe dans le
parc du Conneſtable de Caftil- ,
Le 14. ce Prince dina à Romillos
, & coucha à Atienca de
l'Evêché de Siguenca . Les illuminations
y furent grandes , &
il y eut des feux d'artifice .
2
4
Levi arriva fur les deux
heures aprés midi à Kadraque
, où il fe fit voir en public
pour faire plaifir á la noblef
des environs , qui y eftoit accou
V v iij
TOAJAD
STO MERCUREN
ruë , & même de plufieurs endroits
éloignez . Sa Majesté fir
diftribuer de grandes, aumônes
aux pauvres ; Elle reçut des Ca
pucins un regal de tres beaux
fruits & leur fit donner une
groffe aumôner
Le 16 Elle entendit
la Meffe
dans l'Eglife de ces Peres , &
eftant partie de bonne heure .
Elle arriva fur les trois heures
aprés midi à Gouadalaxara
. Les
portes de la Ville , & les ruës
eftoient
tapiffées
Les Religieu
fes d'un Convent
devant lequel
ce Prince devoit paffer , dirent ,
qu'elles
vouloient
voir le petitfils de
Louis le Grand , que Dieu envoyoit
à l'Espagne . Elles rompirent
leur
murailles
jufqu'au
niveau de la
rue , & fe firent une cloture
de
GALANT . SIL
jaloufies , où elles demeurerent
fans en fortir pour aller manger ,
quoiqu elles v fuffent depuis la
pointe du jour On avoit planté
un bois devant la porte du Palais
, où Sa Majesté devoit loger.
Ce bois cftoit tout rempli de lapins.
On avoit auf trouvé le
moien de faire un jardin artificiel
orné de fleurs , & de fontaines
, où le Portrait du Rov étoit
élevé fous un dais . S. M. logea
dans le Palais du Duc de l'Infantado
qui eft un des plus beaux
qui foient en Espagne . Ce Prince
tua trois oyleaux dans les jardins
de ce Palais . Chacun les
vouloit avoir pour les garder.
Les femmes contre la coutume de
la Nation , pafferent l'aprefdinée
& la matinée du lendemain dans
365 ordiend fun huviiij
N
112 MERCURE
les places publiques , & firent
des acclamations & des cris de
joye en fouhaittant une femme
au Roy , dont il eût bien- tôt des
enfans. Elles ne cefferent point
de crier en leur langue , vive le
Roy Philippe , fonpere , & fon ayeul ,
& vive le Gouvernement qui varendre
l'Espagne heureufe . Sur le foir ,
il y eut de grandes illuminations
dans toute la Ville. Les jeunes
gens , au nombre de deux cent à
cheval mafquez de façons
ferieufes & plaifantes , & tenant
chacun un flambeau de cire blanche
á la main pafferent devant le
Palais du Roy & faluerent Sa
Majefté au fon des Tambours & odo
des Trompettes Ils firent enfuite
deux à deux le tour d'un feu 8
d'artifice , qui fervit le foir de
toutes
103
GALANT
. M
S13251
27-2
divertiffement à Sa Majefté
aprés quoi , ils fe promenerent
dans les principales rues de la
Ville.
Le lendemain 17. Sa Majesté al
alla a la мeffe dans une Eglife
du Château . Les Religieufes de
Sainte Claire qui en font proche , i
la firent fupplier par le Duc
d'Offune , d'aller jufqu'à leur
grille Ce Prince tourna auffitôt
fes pas vers leur maiſon , &
s'y rendit à pied . Il les falua ,
& leur parla. L'étonnement de
ces Religieufes & de tous les
fpectateurs fut grand , de voir
un Roy d'Efpagne parler , marcher
& ôter fon chapeau , Ce
Monarque dina de bonne heure ,
& partit fur les onze heures du
matin , pour aller á Alcala de
-4
S'4 MERCURE
Halmarés , où il arriva fur les
cinq heures du foir . Le bruit
s'eftoit répandu le même jour. á
Madrid , que le Roy iroit coucher
dans cette Capitale , &
qu'il n'iroit point á Alcala ; parcé
que la fameufe Uniuerfité de
certe Ville - là , & le Corps de
Ville, eftoient en difpute fur des
préferences , touchant les devoirs
qu'ils devoient rendre au Roy ,!
& comme ces conteftations e )
toient grandes , & l'affaire diffi
cile a accommoder , on publia que
Sa Majesté n'entreroit point
dans Alcala , & qu'elle iroit tout 1
droit à Madrid. Ainfi far les dix ®
heures du matin , il fortit unes
fort grande quantité de monde
de Madrid , pour aller au- devant
de ce Moparque ; mais Sa MajeGALANT.
S'S
fté termina par fa prudenne , au
gré des deux partis , les conte
ftations de fes fujets d'Alcala
& ils eurent par-la l'honneur de
jouir de fa prefence , & de le voir,
coucher dans leur Ville. Il trou.
va en y arrivant les rues tendues
de tapifferies , plufieurs Arcs de
triomphe , & fon portrait fous un
riche dais. Il logea au Palais du
Cardinal Portocarrero Ce Prince
n'avoit pas voulu que ce Cardinal
& les Seigneurs de la Junte
vinffent au - devant de lui ,
pour
ne pas reculer l'expedition des
affaires. Il défendit auffi aux
autres Seigneurs de venir pour
éviter l'embarras ; mais il ne laifa
pas de s'en échapper quelquesuns
. Le Nonce du Pape les
Ambaffadeurs de Venife & de
fa
516 MERCURE
que s'il
Savoye , & l'Envoyé de France
vinrent le complimenter à Alcala
. Il parut auffi peu embarraffé
dans ces Audiences que
or fait autre chofe que d'en
donner depuis plufieurs années
& il leur répondit avec toute la
préfence delprit poffible. Les
mêmes Ambaffadeurs eurent
l'honneur de le voir fouper & il
leur fit plufieurs queftions pleines
de fagetfe & d'efprit, dont ces
Miniftres parurent furpris . Le
jour qu'il arriva á Alcala , il envoya
ordre à tous les officiers de
la Maifon Royale , de ne point
s'ingerer dans les fonctions de
leurs Charges , jufqu'à ce qu'il
en eût reglé le nombre . On remarqua
que les habitans d'Alcala
n'eurent pas la moindre atten-
7
GALANT . 517
"
tion à toutes les réjouiffances qui
fe firent dans leur Ville , & qu'
ils regarderent toûjours fixement
leur nouveau Roy.
Ce Prince devant aller à Madrid
le 18. & coucher au Buen-
Retiro , le peuple commença à
fortir de cette Ville dés la nuit
du 17 & les deux coſtez du chemin
d'Alcala furent remplis dés
la même nuit , de Carroffes , de
Litieres & de Chaifes roulantes,
mais avec tant d'ordre , par les
foins de Dom Francifco Ronquillo
, dont la Charge a les mêmes
fonctions que le Lieutenant
de Police en France , que ce
grand nombre de voitures
differentes
ne caufoit aucun embarras
, & laifoit dans le chemin
un efpace affez large pour laiffer
518 MERCUR
paffer ' huit carroffes de front.
Depuis le point du jour jufqu'à
l'heure qu'arriva Sa Majesté , le
concours de toutes fortes de
perfonnes fut fi prodigieux, qu'-
on ne fe fouvient point en Efpagned'en
avoir jamais vu de pareil
. Toute cette multitude sétendoit
jufqu'à fix lieuës au delà
de Madrid ; mais elle paroiffoit
innombrable depuis madrid jufqu'à
trois licues par dela .
Sa Majefté Catholique partit
d'Alcala fur les huit heures
du matin , Elle eftoit dans le
fond du carroffe . Mr le Duc
d'Harcour fur le devant
Mr le Duc d'Offune & Mr
le Comte d'Ayen eftoient à
une des portieres , & Mt le Mar-
• 47004 shor
GALANT.
519
quis de Quintana à l'autre portiere.
Dés que Sa Majesté parut
à Arreyro de Barnigal , les Gardes
Efpagnoles & Alemandes ,
& les vieilles Gardes de Caftille
fe rangerent de file . Elles avoient
tous les ornemens qu'elles ont accoûtumé
de prendre dans les fêtes
Roïales . Tous
leurs
chaî
avoient
de riches écharpes, & des chaînes
d'Or. Les Lieutenans étoient
magnifiquement vêtus & montez
fur des chevaux richement enharnachez
clairons. Les trompettes & les des
qui marchoient
devant les carroffes de Sa Majefté
, annoncerent fa venue Le
Cocher Major du Roy marchoit
à la tête : on voyoit enfuite le
carroffe du Corps , puis le carroffe
Royal , dans lequel eftoit
10 MERCURE
le Roy.
Ce
carroffe
eftoit environné
de diverfes fortes de Gardes
qui compofent la Garde de
fa Majefté , & de la livrée de ce
Monarque. A peine ce carroffe
pouvoit - il avancer , les hommes ,
les femmes & les enfans ; fe jettant
deffus pour voir leur Maître
. Cette foule für fi continuelle
qu'on demeura neuf heures à
faire le chemin qu'on fait ordinairement
en trois . On entendoit
que des cris de joye & des
acclamations ; & l'air retentiffoit
des mots de vivit , vivat , des benedictions
qu'on donnoit à ce
jeune Roy , & des fouhaits qu'on
faifoit en fa faveur. Le carroffe
de Sa Majesté eftoit ſuivi de ceux
des Grands , des Seigneurs &
des Chevaliers & à mefure que
N
GALANT. 129
Sa Majefté fortit de table à
neuf heures , & alla au balcon
qui donne fur la place ou ce peuple
avoit déja eu le bonheur de
le voirpendant demi - heure aprés
fon arrivée . Si - toft que Sa Majeſté
y parut les Timbales & les
Trompettes commencerent leur
bruit de guerre. Il partit en même
temps une infinité de fufées .
Tous les ornemens qui l'environnoient
furent confumez avec
beaucoup d'adreffe. La piramide
feule demeura illuminée , ce qui
fit voir un grand art . Le nom de
Philippe Cinquiéme l'accompagnoit
avec une bordure , & une
couronne d'étoiles brillantes .
Sa Majesté refta encore quelque
temps fur le balcon , & les ac
Mars 1701. Yy
S20 MERCURE
clamations ne diſcontinuerent
point .
Le 19, Sa Majefté après avoir
oui la Meffe à la Tribune du
Monaftere Royal de Saint Jerôi :
me , alla voir les Lions & les Ti
gres qui font renfermez dans
leurs loges , jufqu'à ce que le
Batiment qu'on fait pour les gar
der foit achevé. Laprefdinée du
mênie jour , Sa Majefté fe mito
dans une gondole pour aller au
Bois qui eft de l'autre cofté du
grand Etang , pour tuer des lai
pins
Le 20. Sa Majesté s'habilla de
deuil à l'Efpagnole avec la golille
. Cet habit ne luy ofta rien
des graces qui l'accompagnent
dans toutes les actions. Elle alla
fur le foir à Noftre - Dame d'AGALANT
tocha , où elle fit voir fa pieté &
fa
religion.
Le 21. aprés la Meffe , ce Prince
alla à la Maifon del Prado , où
ellé pria Dieu avec une devotion
édifiante , devant l'Image mira- a
culeufe de Noftre Seigneur au
Sepulcre. Ce Prince vifita le Palaisty
& alla enfuite tirer des
Lapins ; il en tua plus de quatrevingt.
Il monta fur le foir à che
val , & alla à la Torréde la Parada
, où avec beaucoup d'adreffe
il tua un Sanglier. Il en revint
fur les huit heures du foir. On
eft charmé de le voir fi bien étel
vé, & fi adroit dans tous les exercices
. Cela produit un effet merveilleux
fur les Espagnols qui ainaturellement
leur Roy.
Le 22. Sa Majesté retourna
Y y ij
$32 MERCURE
chaffer au Bois del Retiro , où elle
tua foixante- dix pieces de gibier.
Sur le bruit de guerre quelques
Efpagnols ayant demandé à ce
s'il iroit à l'Armée . Il
Monarque
répondit que non -feulement il iroit ,
mais qu'ilfavoit que la place d'un
Roy eftoit à la tefte de fon Armée.
A
Ce Prince ayant appris toutes
les belles actions qui ont eſté
faites par la Garnifon de Ceuta ,
a envoyé deux mille Pistoles aux
Officiers , & Sa Majesté a donné
à fix de ceux qui fe font le plus
diftinguez l'Ordre de Saint Jacques
, & elle a ordonné que dans
le Confeil de fes Ordres Militaires
, on ne reçut aucunes preuves
de ceux qui prétendoient
eftre reçus Chevaliers qu'ils
n'euffent juftifié , qu'ils ont porGALANT.
5 ??
té quatre ans les armes pour
le fervice de Sa Majesté.
Le jour de S. Mathias ily cut
une foule prodigieufe de monde
au Buen - Retiro . Sa Majefté declara
que tous ceux qui fouhaiteroient
luy baifer la main auroient
cet honneur ; ce qui ne s'eftoit
jamais vû en Espagne . Ce Prin
ce tient Confeil deux fois par
jour. Le matin depuis neuf heures
jufqu'à onze , & le foir depuis
cinq jufques à fept. Depuis
onze heures jufqu'à midi il donne
audience à tout le monde dans
une grande galerie . Il fe leve à
fept heures & fe couche à dix.
L'aprefdinée il monte à cheval ,
& va chaffer ou fe promener . Il
a déclaré à fon Confeil qu'il vouloit
aller à la guerre , s'il y en
Y y iij
$34 C
MERCURE
avoit , & commander en perfonne
. On luy a repreſenté que ce
feroit jetter la Monarchie dans
fes premieres allarmes , & qu'au
moins il devoit fonger auparaavant
à avoir des Succeffeurs. 11
mange trois fois la femaine en
public , & cela charme les Efpagnols.
?
3
J'ajoute ici l'extrait d'une
Lettre de Madrid qui doit vous
faire plaifir , & qui vous fera connoiftre
naturellement de quelle
maniere on y parle de ce jeune
Monarquesa ,
de ce Toutes les nouvelles
Payscy roulent fur la reforme de
la Maison du Roy , & de fes Confeils
. Elle fe fait fi doucement que
perfonne ne s'en plaint . Ceux des
·
GALANT.
Confeils auront la moitié de leurs
gages. Des quarante un Gentilshommes
de la Chambre , ceux qui
font retranchez auront l'exercice &
les privileges de la clef d'or fans fervir.
Les fix confervez font prefque
tous vieux, Le Roy regle les dépêches
avec le Cardinal Portocarrero & "
Dom Manuel de Arias , Prefident
de Caftille , Chevalier de Malte ,
& Preftre , créé depuis peu Confeiller
d'Etat. Ca Monarque eft infatiga
ble dans fon Confeil , il a une patience
d'Ange. Tout le monde admire
dans une fi grande jeuneffe tant de
fageffe , & tant d'aſſiduïté. Il écouté
tout le monde. Il interroge. Il fait
des demandes quifurprennent les plus
eclairez , & ilne fe rebute de rien. Il
fe trouva il y a quelques jours une
difficulté au fujet de l'abregé d'une
Yy iiij
36 MERCURE
Lettre importante , qui ne donnoit
pas affez de jour à des confequences ,
de ce que portoit cette lettre. Sa Majefte
la fit relire , & remarqua des
circonftances effentielles que le Secretaire
avoit oubliées dans l'abregé.
Cette découverte furprit & charma
tout le monde. On conçoit de grandes
efperinces pour l'avenir d'une fi belle
& fi heureuse difpofition. Il donne
fans chagrin fa main à baiſer à tout
le monde , reçoit tous les Memoriaux
ou Requeftes avec plaifir. Il
les regarde luy- même , & demande
s'il n'y a plus perfonne qui en veuille
prefenter Les plaifirs ne luy font
pas perdre un moment pour les Dépeches.
Il aime la chaffe , & tirefort.
bien. Il y alla Lundy par un froid
tres- rigoureux Il s'échauffa à pouffer
un fanglierqu'il avoit bleſſe à mort ,
GALANT.537
arreta enfuite trop long- temps à
tirer anx lapins . Le vent de bife
le prit aux deffaut de la cravate. Il
eut une mauvaiſe nuit , & il feguerit
avec de l'eau de la Reine de
Hongrie. Un enfant de Madrid en.
auroit eu pour le reste de l'hyver. En
paffant par Madrid , il aperçut un:
Preftre qui venoit de porter le Saint
Viatique à un malade , il fe jetta à
terre prefqu'avant que ceux defa fuite
s'en fuffent apperceus , & le reconduifit
à pied , la mainfur la por
tiere du carroffe où on le portoitfui-'
vant l'ufage d'Espagne . Quand on
arriva devant le portail de l'Eglife ,
il leva lui même la portiere du carroffe
, conduifit le faint Sacrementjuf
qu'à l'Autel , & baifa enfuite la
main du Preftre tout le mondeferecria
dans l'Eglife. On ne peut eftre
4
3
58 MERCURE
a
plus charmé qu'on l'efticy . Tous les
gens de bien lui donnent mille benedi--
Elions ,
is remercient Dieu de leur
avoir donne un Prince fi accompli.
Les Grands qui fe font fentis de la
reforme , difent tout haut : que l'on
nous dépouille , pourvu qu'il vi--
ve. Le Roy de fon propre mouvement
a donné dernierement ane Commanderie
au Gouverneur de Ceuta ,
l'exclufion d'un Grand , bien venu
d'ailleurs à la Cour. Il donna la Cavalerie
de Flandre à Mr de Grigny
pour fes bons fervices , fans avoir
égard aux follicitations de quelques
Grands , & celle de Catalogne an
Marquis d' Aytona , pour quatorze
campagnes de fervices . Un Grand
croyoit l'emporter fur lui avec une
feule campagne. Tout le monde applaudit
à ce choix. Dimanche dernier
GALANT. 529
ent ildefrendit en public dans l'Eglife de
faint Jerome dans le Retiro pour
communier Il l'avoit déja fait quinze
jours auparavant dans les Tribunes.
Cela charma les gens de bien.
J'efpere vous envoyer le mois
prochain un détail fort exact de
l'entrée de Sa Majefté Catholique
à Madrid .
Quoique je ne vous envoye
aucun article fur la fituation des
affaires prefentes , vous n'y perdrez
rien: fi elles ont des fuites ,
je vous en apprendrai le noud ,
lorfqu'il fera permis de parler.
Cependant nous ne devons pas
ceffer d'admirer la conduite , la
prudence & la moderation du
Roy. Jamais Prince n'a regue
far lui -même avec un empire fi
か
$49 MERCURE
2
abfolu , C'eſt ce qui embaraffe
ceux qui voudroient lui voir des
mouvemens , dont il fçait toûjours
demeurer le maitre , les
peuples s'indignent pour lui , &
publient hautemant qu'ils font
prêts à donner leur biens & repandre
leur fang pour fa gloire , &
pour celle de l'Etat . Jefuis, Madame
, Voftre , & c.
A Paris , ce 31. Mars , 1701 .
AVIS.
On a tenu parole , & ce volume
contient la matiere de trois
autres ; puifqu'il eft une fois
auffi gros , & que le caractere
en eft beaucoup plus menu : cependant
il a efté impoffible que
GALANT. 541
dans un volume où fe trouve auffi
le journal d'Efpagne , on ait
pu
pu donner entier le journal de
la route de Meffeigneurs les Princes
Ce qu'il m'en refte á dire
eft fi confiderable , fi extraordinaire&
fi rempli de chofes curieufes
, qui font connoiftre à fond
l'état & l'interieur des plus belles
Villes de France , que j'ay ›
encore de la matiere pour deux
gros volumes , qui feront donnez
tout à la fois le 12. du mois
chain . Tant de gens le fouhaittent
& l'ont demandé , que j'ay
cru devoir les fatisfaire . Il ne
leur en coutera qu'un écu neuf
pour les avoir. On ne les féparera
point , & l'on peut
dire que
celui- cy & les deux que l'on pro
met dans un mois , font prefque
pro542
MERCURE
un prefent qu'on eft bien aife de
faire au public , puifqu'outre les
frais de l'impreflion , i , tre les
en a tant
d'extraordinaires pour les diverfes
Relations qu on eft obligé d'a
voir que dans un pareil travail
on cherche plutôt la gloire que
le profits mais on veut bien fe
charger de cette peine pour reconnoiftre
le favorable accueil
que le publica fait aux Relations
qu'on lui a données depuis quelques
mois . On l'affure qu'il eft
impoffible qu'il ne foit pas con
tent des deux volumes qu'on lui
promet , puifqu'on n'aura rien
vû de plus curieux ni qui faffe
mieux.connoiftre la France .
Ceux qui pour l'intereft parti
culier de leurs amis , ou pour la
gloire des Villes par où MeffeiGARANT.
543
gneurs les Princes ont paffé voudront
envoyer des Relations bien
circonftantiées de tout ce qui s'y
eft paffé & des Harangues même,
pourront les adreffer au Sicur
Brunet Libraire au Palais , à l'enfeigne
du Mercure Galant . On
dit cela à l'égard des Villes dort
on n'a pas encore parlé dans les
Mercures , & quant à celles dont
les Relations des receptions y
ont déja efté mifes , ils pourront
les envoyer , en cas qu'on ait
oublié des circonftances effentielles
, ou qu'on n'ait pas rendu
à quelqu'un la juftice qui lui eft
due on parlera de nou
des
Villes d'où ces mémoires viendront
, comme on a fait dans les
Volumes précedens.
On n'oubliera pas le mois
544 MERCURE
prochain les Prieres , & les
réjouiffances faites pour le retour
de la fanté de Monſcigneur
le Dauphin.
GALANT. 21
le Roy avançoit les quatre
rangs de carroffes qui bordoient
fix lieues de chemin fuicarroffes
de la Cour voient les
voit paflé .
fi- tôt que Sa Majesté
Les Espagnols affurent que ces
carroffes - montoient à plus de
cinq mille Il y avoit un grand
nombre de Dames fort parées
dans ces carroffes , & plufieurs
avoient des pierreries . Sa Maje
fté Catholique entra fur les cinq
heures du foir par la porte de Las
Heras , & arriva au Palais Del
Buen- Retiro , & fans s'arrêter ,
Sa Majefte alla par la rue faint
Antoine au Sanctuaire de Noftre
Dame d'Atocha Patrone de Madrid
entra au-dedans du baluftre,
fe mit à deux genoux , & rendit
graces à Dieu de fon heureuſe
Mars 1701 . Xx
522 MERCURE si
fini
arrivée fur fon Trône Les trois
Chapelles Royales chanterend
le Te Deum. Le Salve Regina fur
chanté enfuite. Sa Majelté de
meura à genoux pendant tout ce
temps avec une devo ion exemplaire,
Cetacte de Religion étant
Sa Majesté fortit , & les cris
de joye & les applaudiffemens
recommencerent L'artillerie fe
fit entendre lorfque ce Prince
entra dans le Buen - Retiro
elle fit trois décharges jufqu'à
huit heures du foir . Sa Majefté
entra par la porre Del- Arco qui
ya au Jardin Ce fut là où le
al Porto - Caarero Art
chevêque de Tolede , Primat
des Efpagnes & Grand Chance
lier de Caltille , eut l'honneur
de voir Sa Majesté pour la pre-
&
&
GALANT
MY
miere fois. Ce Cardinal lui baifa
la main á plufieurs repriſes,
mais le Roy le releva , & l'em .
braffa autant de fois . La joye de
ce Prélat alla jufqu'aux larmes.
Marquis de Leganez prefenta à
Sa Majeſté les clefs de Buen- Redont
le Roy défunt l'avoit
Gouverneur. Le Roy les lui
rendit , c'eft a dire qu'il lui donna
la même Charge, sababies
tiro
fait
Le Roy fut enfuite conduit
dans le Salon Royal , où Sa Majefté
saffit fur fon Trône , &
donna ordre que tous les Grands,
les Seigneurs & les Nobles les
plus diftinguez , & qui ont les
entrées , vinrent lui baifer la
main. Ils eftoient tous, avertis
& ils latendoient dans des chambres
differentes , fuivant leur
Xx ij
124 MERCURE
état , felon l'ufage d'Efpagne .
Le Roy avoit la droi
le Cardinal
Protocarrero , & le Cardi-i
nal Borgia ; & á la gauche Mr
le Marquis de la Almeda Majordome
de Sa Majefté , qui faifoit
la Charge de Majordome inajor.
Mr le Marquis de Lega-0
nez eftoit derriere le fauteuil
du Roy. La foule fe trouva fi
grande que Mr le Cardinal Portocarrero
& Mr le Duc d'Harcourt
le trouverent obligez
d'enlever Sa Majesté , sil eft
permis de parler ainfi ; & de paf
fer dans les appartemens : Elle
les trouva d'une grande beauté
& meublez fort richement. Les
tentures de Tapifferies en font
tres- belles , & ily a des tableaux
de fort bon gou ... Le Roy vit
$
GALANT. S'
où ,
enfuite les trois pieces de plein
pied , ou l'on donne audience
aux Ambaffadeurs .. Les Efpagnols
difent qu'elles ont couté
cent mille piftoles au feu Roy . Sa
Majefté alla enfuite au Colifée.
Tout le fond y parut en feu , &
changea plufieurs fois de décoration
La premiere reprefenta
un Temple magnifique .
les trois ordres d'architecture
eftoient diftribuez dans toutes
les regles de l'art & du bon
gouft . La feconde fit voir un
Salon bien proportionné , orné
de grands miroirs , avec de fort
belles Statues dans des niches
qui estoient entre deux, On
voyoit auffi de distance en diftin
ce de riches tables , & de beaux
cabinets de porphire port-z par
P
$26 MERCURE
1
des lions d'une for belle fcul
pture. La troisieme decoration
reprefentoir le Détroit de Gi
braltar , avecvoles Colonnes ,
d'Hercule , & cette infcription!
non plus ultrà , & dans le loingtain
eftoient peints avec beaucoup.
d'art des Vaiffeaux & des em
barquemens differens. Cet agrea
ble fpectacle finit par plufieurs
autres décorations qui réüffirent
également Lorsque la nuit commença
, Sa Majeftd alla à fes Betveder
, d'où elle vit toutes les
Tours de Madrid en feu , & dif
feremment illuminées. Il partit,
en même temps des feux d'artifice
de plufieurs endroits qui durerent
pendant plus de deux heu-1
res , ce qui joint à la clarté d'un
nombre infini de flambeaux als !
GALANT . 129
lumez par toute la Ville produi
foir un effet tres - agreable Le
Roy alla fouper à huit heures &
un quart . Je croy que c eft ici le
licu de vous rapporter ce qui
s'eftoit paffé quatre heures aupa
ravant à la porte d'Alcala , parce
que cet accident contribua beau
coup à empêcher que le Roy ne
mangeaft. Lorfque Sa Majefte!
fut entrée au Buen- Retiro touts
les earoffes & tout le peuple qui
eftoit forti de Madrid prirent les
chemin de la porte d'Alcala ,
pour y rentrer Chacun s'aban.
donnoit à la joïe , & les peres de
famille menoient en chantant
leurs femmes & leurs enfans
lorfque les Gardes des Regiftres
qui font établis pour empêcher
les fraudes, & les marchandifes
32 MERCURE
de contrebande , voyant approcher
la foule fer nerent la porte
& tendirent les chaînes.
Ceux qui eftoient
avancez les
premiers eftant preffez , & pouffez
par ceux qui les fuivoient , &
ne pouvant fe retenir , les écra
ferent malgré eux fous leurs
pieds , forte qu'il y eut environ
cinquante perfonnes tuées
oubleflées , le Roy avoit reffenti
cet accident avec tant de douleur
& un naturel fi bon qu'il ne
put manger à fouper , quoy qu'on
luy diminuaft le mal autant qu'il
eſtoit poffible Il fit diſtribuer
une groffe fomme pour les pauvres
veuves de ceux qui avoient
efté écrafez , & il ordonna qu'on
fift dire dix mille Melles pour
eux tous .
484
G
Sa
************
STABLE
.
- SPOT ID་ 10.
Id wild biv
Portrait du Royvisbond si
Madrigal. 5 roolijuM » 235
Vers fur le fujet le plus à la mo-
-de:
Hiftoire du Roy Aniba ..
S
8
13
Difcours prononcé à l'Academie
•
d'Angers.
Fefte donnée à Villefranche en
7825 Beaujolois .
Ouvrage fur le retour de Monfieur
le Cardinal de Noailles,
28.
Diogirometre , machine.36
Fefte donnée chez les Peres de
la Congregation de faint Maur
à faint Jean d'Angely . 43
TABLE
bear .
Motifs de la folitude .
49
59%
Sonnet de Monfieur le Chevalier
de Mailly.
61
Fable de la pudeur qui peut fervir
d'hiftoire .
Imitation des vers de Madame
la Prefidente de lá Trefné, 106.
Stances à Monfieur de Pomereu
108 harie of
Differtation .
III
Diftique en lettres numerales .
9.124
125 Epigramme.
Paroles propres à mettre en air.
57125
Letriomphe de la jaloufië par
Monfieur Cheron . 127
Madrigal de Mademoiſelle de
Scudery. 138
Le moyen d'apprendre à faire
: toutes fortes de routes. 139
Le Erince accomply, ou l'idée du
TABLE.
parfait Monarques
& de fes
fentimens.50098149
Penfées chrétiennes en forme de
méditation pour chaque mois .
152
Dialogue. 154
Le fils de Monfieur le Marquis
de Veraguas eft prefenté au
Roy.
4156156
Lifte des Troupes que l'Empereur
a deſtinées pour l'Italie &
本
antres lieux .
Bouts -rimez.
A
MIND 60
29166
4168
Madrigal .
Retour de Monfieur le Duc de
de Beauvilliers. ) 11. 170
Seconde Relatión de la victoire
remportée par les Suédois fur
les Mofcovites.
171
Nouveaux Bouts- rimez propofez
par les Lanterniftes.
185
Article des Morts. 188
tij
TABLE
3
Reflexions fur la maniere d'inftruire
les petits enfans ,un 190
Monfieur de Sacy eft reçû à l'Academie
Françoife. 191
Difcours prononcé à Saintes
par le Pere Juſtin Berger Recolet.
196
Nouvelles Particularitez touchant
la reception de Meffergneurs
les Princes à Auch , avec
la Harangue de Monfieur l'Abbé
de Chaulnes .
Suite du Journal de la route de
Meffeigneurs les Princes. 220
Monfieur le Comte eft reçû
Lieutenant Criminel,
Autre article de morts.-
415
Deſcription de l'entrée de Monfieur
le Connétable de Caftille,
avec tout ce qui s'eft paffé aux
Audiences qu'il a cuës du Roy,
417.
214
412
7
TABLE.
1
Article des Enigmes. 449
Memoire contenant le détail de
la maladie de Monſeigneur
de Dauphin .
7
463.
Benefices donnez par le Roy.
Journal de la route du Roy d'Efpagne
depuis Iron jufqu'à Madrid
& tout ce qui s'eft paffé
pendant cette route .
Affaires du temps .
Avis .
477.
539
549
F.X.BEER Kgl. Horbuchbinder
MUNCHEN
Wenstrasse N18/
FX BEER KL Horbuchbinder
MUNCHEN
Weinstrasse N18/
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